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1694,12
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MSB 7.
<36624511410019
<36624511410019
4
Bayer . Staatsbibliothek

MERCURE
GALANT
DEDIE' A MONSEIGNEUR
- LE DAUPHIN.
DECEMBRE 1694.
A PARIS ,
Chez MICHEL BRUNET , Grandalle
da Palais , au Mercure GalantN
donnera toûjours un Volume
nouveau du Mercure Galant le
premier jour de chaque Mois , & on le
vendra Trente fols en
Mveau &
Vingt - cinq fols en Parchemin.
A PARIS ,
Chez G. DE LUYNE , au Palais , dans
la Salle des Merciers , à la Juftice .
T. GIRARD , au Palais, dans la Grande
Salle , à l'Envie.
Et MICHEL BRUNET, Grand'Sade
du Palais , au Mercure Galant.
M. DC. XCIV.
Avec Privilege du Roy,
Bayerische
Staatsbibliothek
München
茶茶
***********
AVIS.
Q Velques
prieres
qu'on ait
faites jufqu'à preſent de bien
écrire les noms de Famille employez
dans les Memoires qu'on envoye
pour ce Mercure , on ne laiffe pas d'y
manquer toûjours. Cela eft caufe
qu'ily a de temps en temps quelquesuns
de ces Memoires dont on ne fe
peut fervir. On reitere la mefme
priere de bien écrire ces noms · en
forte qu'on ne s'y puiffe tromper. On
ne prend aucun argent pour les Memoires
, & l'on employera tous les
bons Ouvrages à leur tour , pourvû
qu'ils ne defobligent perfonne , &
qu'il n'y ait rien de licentieux. On
A ij
AVIS .
priefeulement ceux qui les envoyent,
& fur tout ceux qui n'écrivent que
pour faire employer leurs noms dans
Particle des Enigmes , d'affranchirleurs
Lettres de port , s'ils veulent
qu'on faffe ce qu'ils demandent . C'eft
fort peude chofe pour chaque particulier,
& le tout enfemble est beaucoup
pour un Libraire.
Le fieur Brunet qui debite prefentement
le Mercure, a rétably les
chofes de maniere qu'il est toujours
imprimé au commencement de chaque
mois. Ilavertit qu'à l'égard des
Envois qui fe font à la Campagne ,
ilfera partir les paquets de ceux qui
le chargeront de les envoyer avant
que l'on commence à vendre icy le
Mercure. Comme ces paquets feront
plufieurs jours en chemin , Paris ne
leifera pas d'avoir le Mercure
AVI, S.
longtemps avant qu'il foit arrivé
dans les Villes éloignées , mais aufi
les Villes ne le recevront pas fi tard
qu'ellesfaifoient auparavant.Ceux
qui fe le font envoyer par leurs Amis
fans en charger ledit Branet , s'expofent
à le recevoir toujours fort
tardpardeux raifons. La premiere,
parce que ces Amis n'ont pas foin de
le venirprendre fi tôt qu'il est imprimé,
outre qu'il le fera toujours quelques
jours avant que l'on en fiffe le
debit ; & l'autre, que ne l'envoyant
qu'aprés qu'ils l'ont là eux & quelques
autres à qui ils le preftent , ils
rejettent la faute du retardement
fur le Libraire , en difant que la
vente n'en a commencé que fort
avant dans le mois . On évitera ce
retardement par la voye dudit Sieur
Brunet,puis qu'il fe charge de faire
A iij
AVIS.
les paquets lay- mefme & de lesfaire
1orter à la pofte ou aux Meßagers
fans nul intereft , tant pour les Particuliers
que pour les Libraires de
Province , qui luy auront donné leur
adreffe. Ilfera la mefme chofe generalement
de tous les Livres nouveaux
qu'on luy demandera , foit
qu'il les debite , ou qu'ils appartiennent
à d'autres Libraires , fans en
prendre pour cela davantage que le
prix fixé par les Libraires qui les
vendront. Quand il fe rencontrera
qu'on demandera ces Livres à la fin
du mois , on les joindra au Mercure,
afin de n'en faire qu'un mefme paquet.
Tout cela fera executé avec
une exactitude dont on aura lieu
d'eftre content.
MERCVRE
GALANT
DECEMBRE 1694.
L
E Roy a déjà donné
la Paix à l'Europe
,
& fi les interefts
particuliers
qui entretiennent
la Ligue , ne détruifoient
pas
l'effet de fes bonnes intentions
elle feroit encore
A inj
8 MERCURE
bien -toft en eftat de joüir du
calme dont dépend tout fon
bonheur . Il y a longtemps
que ce Monarque connoift
que le plus grand de tous les
triomphes confifte à pouvoir
ſe vaincre foy-mefme , & à
renoncer à des conqueftes
certaines , pour affurer le repos
des Peuples . C'eſt ce qui
a donné lieu au Sonnet que
vous allez lire . Il eft de M
Ranchin , Confeiller du Roy
en la Cour , des Comptes ,
Aides , & Finances de Montpelier
GALANT.
9
L
AU ROY.
A Victoire , grand Prince, en
tous lieux fuit tes pas ,
Toujours au champ de Mars la
gloire t'accompagne
;
Il n'eft point de combat que ta valeur
ne gagne ,
5 De Place qui refifte au pouvoir de
ton bras.
S
Cebras victorieux n'est- il pas encor
las ?
Ne veux-tu point laiffer de Villes
à
l'Espagne
,
De Vaiffeaux aux Anglois , de
Forts al Allemagne ? "
Aux douceurs de la Paix ne te
rendras-tupas?
10 MERCURE
S
Grand Monarque , il eft vray que
tes armes font juftes ,
Que d'elles aujourd'huy tu tiens les
noms auguftes
De Protecteur des Rois , & d'appuy
des Ausels.
Mais fonge que c'est moins pour des
exploits de guerre
Qu'on plaçoit les Cefars au rang
des Immortels
و
Que pour avoir donné le repos à la
Terre.
On n'a point encore vû de
Journal du Siege de Huy ,
fait par les Alliez au mois
de Septembre dernier. Cela
vient de ce que nous n'en
GALANT.
II
pouvons
faire
que
des Places
que nous affiegeons , puis
que nous ne pouvons içavoir
pendant les Sieges ce
qui fe paffe dans les Places
affiegées , où nous n'avons
point de communication .
Le détail que je vous envoye
3aefté tiré des Memoires dreffez
par Mr de Reignac , qui
commandoit dans Huy ; ainfi
il ne sçauroit estre que tresjuste.
20 .
E Prince d'Orange ayant dé-
LEcampé le zo , du mois d'Aouft
3 de fon Camp de S. André ou de Taviers
, & Monfeigneur eftant party
12 MERCURE
de Vignamont , pour le fuivre du
cofté de Flandre , on jugea bien que
les Armées s'éloignant de Huy,
les Troupes des Alliez qui eftoient
dans les Lignes de I iege , au nombre
de vingt cinq à vingt fix mille
hommes ne manqueroient pas
d'en faire le Siege , parce qu'elles
avoient pour cela toutes les facilitez
qu'elles pouvoient defirer ,
>
M. de Reignac qui commandoit
dans la Place , commença de flors à fe
préparer à les recevoir . On luy avoit
laiffé les Regimens d'Angoumois &
de Ponthieu , qui pouvoient faire enviton
neuf cens hommes en eftat de
fervir. Cela fuffifoit pour la deffenſe
du Chafteau de Huy , car on ne fon.
geoit pas à garder la Ville , à caufe
qu'elle n'eft entourée que d'une fimple
muraille , qui n'a en plufieurs
GALANT.
13
endroits que dix à onze pieds dehaut
fur deux d'épaiffeur , fans aucun
fanc. Il travailla avec diligence à
, mettre dans ce Chafteau les chofes
qu'il croyoit neceffaires.
Vers le commencement du mois
ede S.ptembre, il eut avis qu'il eftoit
svenu à Maftrich des Depatez des
s Etatsde Hollande ,avec des fommes
• confiderables , pour fournir à la dépenfe
d'une groffe entreprife , que
lesAlliez fe vantoient de vouloir
fairefur les Places du Roy du cofté
de la Meufe . On apprit auffi qu'ils
Efaifoient defcendre fur la riviere
d'Ourte , quantité de bateaux chargez
de foin , qu'il fe faifoit un grand
amas de fourage à Liege , & que l'on
faifoit remonter des Places de Hollande
par la Meule , une prodigieufe
quantité de toutes fortes de mu
nitions.
14 MERCURE
Le 1o. de ce meſme mois , on eut
avis que le Sieur de Cohorn , l'un
des Generaux des Troupes de Hollande
, qui avoit joint l'Armée du
Prince d'Orange • avec quelques
Troupes qui avoient efte tilées
des Lignes de Liege , revenoit avec
quatorze Bataillons , & que le
Duc d'Holftein Ploën eftoit auffi
détaché avec un Corps de Cavalerie
, & qu'il s'avançoit pour commander
l'Armée qui fe formoit prés
de Liege , & qui devoit estre de
trente mille hommes.
M. le Comte de Guifcard , Lieutenant
General commandant fur la
frontiere , eftant informé du deffein
des Ennemis , fe rendit à Huy en refolution
de fe renfermer dans le
Chateau pour le defendre Il mena
avec luy quelques Volontaires des
ut
IS
GALANT.
un
ol.
Bu
es
CS
Troupes qui eftoient à Namur ,
avec environ deux cens hommes
choifis de fa Garnifon , dont il y
avoit cent quarante Dragons à pied
du Regiment d'Anvoille . Quoy
que M. de Reignac euft du chagrin
de
le ce qu'il luy venoit ofter l'honneur
de la defenfe de ce Pofte , il
n'en témoigna rien , parce que
M. de Guifcard en ufoit parfaite
ment bien avec luy.
ec
e.
-
-és
de
la
in
e.
le
a
25
On travailla avec grande applica
tion à faire venit de Namur & de
Dinant , ce qui pouvoit eftre neceffaire
à Huy ; on fit remplir tous.
les magaſins , de maniere qu'on ne
pouvoit manquer de rien . Outre
l'argent que le Treforier avoit , M.
le Comte de Guifcard donna ce
qu'il put du fien, pour employer
aux chofes qui eftoient neceffaires,
16 MERCURE
Le 14. on apprit que les Ennemis
chargeoient à Maftrich quantité de
Mortiers fur des Bateaux , & qu'ils
les faifoient monter à Liege . Dés le
melme jour , M. le Comte de Guifcard
fit mettre le feu aux Magafins
de foin , qui eftoient dans la Ville ,
afin que les Ennemis n'en pûffent
profiter. On fir rompre les Ponts
qui eftoient fur la Mehaigne , & l'on
fit prendre dans les Villages voifins
beaucoup de vaches & de moutons,
qui furent mis au Chateau , afin de
donner de la viande fraifche à la
Garnifon autant qu'on pourroit.
Le 15. M. le Comte de Guifcard
envoya tous les équipages à Namur
, avec les Soldats qui n'eftoient
point en eftat de fervir, & fit entrer
la Garnifon dans le Chafteau ; il
youloie melme abandonner la Ville
GALANT.
17
e
e
dés ce jour là ; mais M. de Reignac
luy reprefenta qu'il valoit mieux la
garder encore un jour ou deux , afin
S d'en pouvoir retirer plus facilement
ce qu'on avoit befoin. On y laiffa
feulement les Gardes des Portes :
S il monta au Chaſteau & M. de
Reignac refta dans la Ville.
0
>
Le mefme jour les Ennemis paffe-
S rent la Meufe fur le pont qu'ils
avoient fait à Tilleul , au deffus de
Liege , & camperent à Serray.
S
S Le 16. toute leur Armée marcha
e & alla camper à Strée , qui n'eft
qu'à une lieuë de la Place. Ils firent
avancer quelque Cavalerie qui parut
fur la montagne
de la Sarte , d'où
on les fit retirer à coups de Canon.
Sur les dix heures du foir , un
Courier du Cabinet porta un or
dre à M. le Comte de Guifcard,
Decembre 1694. B
18 MERCURE
la
de ne pas le renfermer dans le
Chafteau de Huy , à cauſe que
Place n'eftoit pas affez confiderable ,
pour eftre défendue par un homme
comme luy , ajoûtant que Sa Majefté
s'en rapportoit aux foins de
M. de Reignac. M. de Guifcard
partit à minuit avec cent Dragons.
d'Anvoille , & les Volontaires
qui l'avoient fuivi . Il auroit efté
pris en fe retirant fi les Ennemis
, au lieu de faire avancer leurs
gardes de Cavalerie prés de la
Meufe , les euffent poftées fur
la montagne d'Ahain .
>
Le 17. les Ennemis pafferent le
ruiffeau du Houyou , & prirent
leurs poftes pour inveftir la Place ,
& la ferrer du cofté du Condrooz .
Un petit Corps de leurs Troupes
fe campa prés le Val Noftre Dame ,
GALANT. [9
a
S
pour affurer le cofté du Hefbée ,
laiffant la Mehaigne devant eux..
Un de leurs détachemens d'Infanterie
entra dans le Fauxbourg
S. Pierre, & voulut forcer la barriere
de la porte Saint Germain , mais la
garde qui y eftoit encore , les re
pouffa , & les obligea de fe retirer.
Sur les huit heures du foir
M. de Reignac fit fermer toutes les
portes de la Ville ; il en retira les
gardes, & alla à la Maifon de Ville,
où les Magiftrats eftoient affemblez
. Il leur remit les clefs , de la
Ville , leur permettant de faire leur
capitulation avec les Ennemis , &
leur dit que s'ils pouvoient obtenir
du Duc d' Holftein- Ploën ,.
qu'il
n'attraquaft point le Chasteau par
la Ville , & que les Troupes ne
paffaffent point fur leur pont , il
Bij
20 MERCURE
ne feroit point tirer fur la Ville ..
Pendant la nuit les Ennemis
travaillerent à faire des Batteries fur
les montagnes de la Sarte , des
Croifiers du Correu , du Fort Picard
, & d'Ahain .
Le 18. au matin , les Bourgeois
de la Ville allerent à la porte du
Chateau , pour dire à M. de Reignac
qu'ils avoient fait leur capitulation
de la maniere qu'il leur avoic
confeillé. Les Ennemis firent entrer
trois Bataillons dans la Ville ,
& occuperent tous les poftes . Ils mirent
une garde au bas de la rampe
du Chateau . M. de Reignac leur
fit dire de fe retirer , ce qu'ayant
refufé de faire , il les en fit chaffer.
Pendant tout le jour , Mrs Chalembert
& Francart Commif
faires d'Artillerie , firent faire un
GALANT. 21
tres grand feu de huit ou dix pieces
is de canon qui eftoient en eftat de
fervir dans le Chafteau , & jeitérent
es quantité de bombes ; cela incomimoda
beaucoup les travaux que les
Ennemis faifoient à leurs Batteis
ties.
Avant que de continuer le Journal
idu Siege , il eft à propos de faire la
defcription de la Place ,pour en faire
it connoiftre la fituation à ceux qui
-ne l'ont pas vûë. Le Chafteau de
Huy eft fur une petite montagne
étroite , qui s'étend preſque jufqu'au
milieu de la Ville . Il a efté autrefois
la Maifon de plaifance des
I Princes de Liege . Le Roy s'en
eftant rendu maiftre dans la der
niere guerre , le fit razer d'ung maniere
, qu'il n'en eftoit resté que les
veftiges. Ila efté dix ans inhabita
22 MERCURE
cy
ble , au commencement de celle.
les Ennemis en ont relevé les
nurailles , & l'ont mis en eftat d'y
tenir garniſon. Il n'y pouvoit cependant
loger que deux cens hom
mes : & comme ce pofte eftoit devenu
confiderable , parce qu'il cou
vroit la Ville de Liege , les Ennemis
au mois d'Octobre 1691. voyant
que ce Chasteau n'eftoit qu'une
maniere de paſté , qui n'avoit ny
flancs , ny défenſes ; & qu'il eftoit
commandé de quatre montagnes fr
fuperieures , que le feu de la mouf.
queterie de ceux qui le pourroient
attaquer, empefcheroit la Garnifon
de faire aucun mouvement , parce
qu'on y eft vû depuis la tefte julqu'aux
pieds , ils refolurent de faire
quelques Ouvrages fur une petite
montagne la plus voifine , aufquels
GALANT.
23
Cet
lor's
que
ils donnerent le nom de Redoute
ou Fort Picard . On y communiquoit
par le moyen d'un fouterrain
qui va du Chateau à une vieille
Tour , qu'on nommé Tard avilée ,
où l'on ne peut paffer qu'un à un .
ouvrage eftoit affez imparfait
M.leMaréchal de Villeroy
en fit le Siege l'année derniete . Le
Fort Picard fut pris en un jour , &
le Chafteau fe rendit le lendemain .
On a travaillé depuis à le raccom
moder , & on l'avoit mis dans un
eftat , que l'on croyoit qu'il auroit
pu tenit quinze jours. Ce qui en
donnoit une fi bonne opinion , c'eft
qu'il y avoit beaucoup de vieilles
caves qui eftoient reftées lors que
le Chateau fut démoly , dans
lefquelles on pouvoit mettre des
provifions ; il y avoit des fouer
..
24 MERCURE
rains que l'on prétendoit
estre à
l'épreuve , les murailles du Château
ayant huit ou dix pieds d'épaif
feur. L'on croyoit auffi qu'il falloit
un grand temps pour les abbattre
il y avoit trois petites enveloppes
,
de fimples murailles
, que l'on pouvoit
difputer l'une aprés l'autre . Il
fembloit
de la maniere dont on parloit
de ce Pofte , qu'il eftoit devenu
imprenable
, qu'il y avoit beaucoup
d'honneur
à acquerir , & fort peu à
rifquer. Le Chateau peut avoir 130.
toifes de longueur
, & environ 25 .
de largeur , n'y ayant aucunes terres
dont on fe puft fervir pour le retrancher.
Le Fort Picard eſt une
maniere de Redoute
, où il y a un
Foffé que l'on pourroit combler
avec cent fafcines. Le Parapet eftoit
de pierres féches , meflées d'un peu
de
re à
25
GALANT
Châ
raile
loit
re;
es
DOU
par
.
enu
coup
30.
25
terre
UO
leri
eu
de
de terre , qui n'eftoit point à l'épreuve
du Canon, Il y avoit une fraife
de palliffades , fans aucun endroit
où l'on puft mettre un feul homme
à couvert de la Bombe , ny fe
cacher aauu feu des Ennemis ; on
yeftoitvû à plein de la montagne
du Correu , qui n'en eft qu'à une
portée de Carabine. Le Fort peut
avoir 15. toifes en quarré , & on n'y
entroit que par une échelle . Il y a
une maniere de petit Ouvrage qui
eft auffi une Redoute à la portée du
piftolet du Fort Picard , tirant vers
le Chasteau , auquel on avoit donné
le nom de Fort Rouge. Il est
à peu prés de la mefme conftruction
duFort Picard , c'est- à -dire , également
mauvais.
M. le Comte de Guifcard avant
que de partir, avoit mis dans le Fort
Decembre 1694. C
26 MERCURE
Picard M. de Condon , Lieutenant
de Roy de la Place, & Mr de la Fre.
lonniere , Lieutenant Colonel du
Regiment d'Angoumois avec deux
cens hommes & il avoit fait occuper
au bas du Chaſteau du cofté du
Faux - bourg Saint Maur , deux
tours d'une vieille ' Eglife ruinée ,
qu'on nommoit S. Leonard , Il y
avoit mis le Mr du Clatiel , Lieutenant
de Dragons au Regiment
d'Anvoille , aved trente hommes . "
Le Regiment de Ponthieu occupoit
un Ouvrage de terre qui eft prés
de la tour de Tard avifée , & celuy
d'Angoumois fut mis dans une petite
Place d'Armes qui eft entre la
Caponniere & le Chafteau .
7
La nuit fuivante , les Ennemis ou .
vrirent la Tranchée du cofté du
Fort Picard , hors la portée du moufGALANT.
enant quet , ce qui fit qu'on ne s'en apper-
Fre cutpoint, quoy que l'on cuft envoyé
duplufieurs fois les reconnoiftre , ils
avoient mis un Bataillon devant
leurs Travailleurs
deur
cuper
du
11y
eute
ment
25.
OCCU
7
pour les couvrir.
Le 19. l'on travailla dans le Châdeux
teau à faire des hangars avec des
née madriers , pour mettre les Soldats à
couvert des Bombes. Le meſme
jour, les Ennemis voulurent fçavoir
fion deffendroit le Fort Picard ; car
ils croyoient qu'on l'abandonneroi '
Vers les neuf heures du matin , ils
ſe preſentérent au nombre de deux
cens hommes d'Infanterie , & firent
la demonſtration de vouloir s'avancer
, mais les coups de Canon qu'on
leur tira les fireut rentrer dans un logement
qu'ils faifoient derriere
de une maifon dans le ravin joifgnant
une petite Eglife , qui eft au-
JU.
chy
en
ela
Cij
MERCURE
-
prés du Fort. M. de Reignac qui
s'y trouva pour lors , fit fortir quarante
Grenadiers , avec vingt Dragons
, foutenus par un autre déta
chement , & fit attaquer la maifon
, Les Ennemis l'abandonnérent;
l'on y mit le feu , & il y eut un
Lieutenant de Dragons bleffé .
A
Sur les trois heures aprés midy,
les Ennemis voulurent occuper le
Fauxbourg Saint Maur , qui eft au
deffous du Chafteau , du coſté de
l'Eglife Saint Leonard . Les Grenadiers
du Regiment de Ponthieu
fortirent d'une fauffe - braye joignant
la Tour de Tard-avifée , &
allérent les attaquer. Ils les chafférent
, en tuérent plufieurs , & ramenérent
quelques Prifonniers.
2

Pendant tout le jour le Canon
& les Mortiers de la Place tirérent
11 }
GALANT. 29
avec beaucoup de fuccés. La nuit,
fuivante , les Ennemis avancérent
leurs tranchées affez prés du Fort--
Picard . M. de Condon fit faire,
deux ou trois petites forties pour
les inquiéter
.
Le 20. les Ennemis portérent
beaucoup de fafcines à la queue de
leurs tranchées. L'on s'apperçût,
qu'ils faifoient une Batterie de
trente pieces de Canon & de quinze
mortiersfurla montagne du Correu;
une de dix huit pieces , & de douze
mortiers fur celles de la Sarte &
des Crofiers ; une de dix pieces &
de fix mortiers fur celle du Fort-
Picard ; & une de dix pieces , fur
celle d'Ahain . On ne pouvoit croire
qu'un fi grand nombre d'Artillerie ,
qui couvroit toutes les montagnes ,
puft eftre deſtinée pour le Siege.
C iij
30 MERCURE
d'un petit Chafteau ; & l'on s'attendoit
qu'ils en feroient tourner une
partie pour quelque entrepriſe plus
confiderable.
M. Filley , Directeur des Fortifications
de la Frontiere , avoit mandé
à la Cour , que le Chafteau de
Huy pouvoit tenir environ douze
ou quinze jours , ne comptant pas
qu'on y duft mener un fi grand appareil
. Il voulut le trouver au Siege
, où il eftoit tres.neceffaire. Mr
Derigny Ingenieur , qui avoit fortifié
la Place, & Mr Diguet , s'y trouverent
auffi .
3
M. Filley fit travailler à un Retranchement
au bas du rocher fous
le Fort Picard , afin d'affurer la
communication pour aller chercher
de l'eau à la Meufe , ce qui fervit
beaucoup. Il fit auffi maſquer touGALANT.
31
tes les portes des fouterrains , &
achever la chappe du puits , ce qui
eftoit l'affaire la plus effentielle .
L'on fit une traverle pour couvrir la
porte de la derniere envelope .
3. M. Couppy
Guerres , fit un eftat du nombre des
Soldats qui eftoient reſtez aprés le
départ de M. le Comte de Guifcard,
afin de faire la diftribution
des vivres.
Il fe trouva quatre cens vingtfept
hommes dans le Regiment
d'Angoumois
, cinq cens dans celuy
de Ponthieu ; & environ cent
quatre -vingt cinq hommes des détachemens
venus de Namur , tant
Dagons , Soldats , Canonniers
,
Mineurs , Charpentiers
, Maçons ,
& autres Quvriers , ce qui faifoit en
tout onze cens treize hommes , qui!
fuffifoient pour la garde du Château.
Commiffaire des
C iiij
32 MERCURE
M. de Reignac envoya genera.
lement toutes les munitions de
guerre & de bouche qui eftoient
neceffaires , pour en donner à pro.
fufion aux détachemens qui eftoient.
dans les Forts & Tours S. Leonard ,
A l'entrée de la nuit , M de Condon
envoya dire que lés Ennemis
avoient fait avancer beaucoup de
troupes à la queue de leur tranchée ,
avec quantité d'échelles ; & qu il craignoit
qu'on ne vouluft l'infulter, ce
qui obligea M. de Reignac d'y aller.
Il menajavec luy м du Mont , Capitaine
des Grenadiers du Regiment
d'Angoumois , avec la Compagnie,
mais lesennemis n'entreprirent rien.
.
Le 21. fur les neuf heures du
matin , les Ennemis fortirent de
leurs retranchemens , & s'avance .
rent , comme s'ils avoient voulu
GALANT
33
attaquer le Fort Picard. Il y avoit
une maniere de chemin cou vert que
l'on avoit fait le jour précedent.
Ce n'eftoit qu'un petit foffé , où
l'on avoit mis des facs à terre . L'on
y avoit feulement la moitié du corps
à couvert. Un Capitaine du Regiment
d'Angoumois qui y eftoit avec
quarante hommes , abandonna fon
pofte , mais Mr de la Freflonniere
, Lieutenant- Colonel de ce
mefme Regiment , yeftant accou
ru , ramena le détachement ce mefme
pofte, & 'ayant fait un grand feu,
auffi bien que ceux qui eftoient dans
le Fort avec M. de Condon , ils obligerent
les Ennemis à le retirer .
Un Espion rapporta que le Canon
des Ennemis eftoit en batterie au
nombre delfoixante quinze pieces , &
de trente -huit Mortiers ; & qu'ils ne
34 MERCURE
devoient s'en fervir que le lende
main. Comme l'on fçavoit bien que
l'Artillerie de la Place ne tireroit
qu'autant que celle des Ennemis ne
tireroit pas , мrs Francart & Chalembert
, Commiffaires , la firent
fervir avec application , & contraignirent
les Ennemis d'abandonner
deux ou trois fois leurs Batteries .
M. de Condon manda qu'il ne
doutoit pas que les Ennemis ne
vouluffent l'attaquer pendant la
nuir. M, de Reignac y alla encore
avec мr de Lartigue , Capitaine
des Grenadiers du Regiment de
Ponthieu , à la tefte de fa Compagnie.
Il trouva les Troupes fous les
armes ; elles croyoient que les Ennemis
eftoient fort prés , parce
qu'on les entendoit travailler , mais
on s'apperceut que ce n'eftoit qu'à
GALANT.
35
leurs Batteries qu'ils eftoient occupez
. On fit fortir deux Sergens avec
chacun dix hommes , qui ne trouverent
perfonne.
On fit fortir auffi мr Derigny
avec dix Grenadiers , pour aller
reconnoiftre les ouvrages que les
Ennemis faifoient à leurs tranchées .
Il trouva une de leurs gardes qui
étoit fur le ventre à trente pas du
Fort Picard ; elle foutenoit leurs
Travailleurs qui faifoient une Place
d'armes pour affurer leurs Batteries ,
lefquelles ils avançoient plus prés
que celles qu'ils avoient commen .
cées les jours précedens. Mr Dérigny
ayant pouffé cette garde
elle fe renverfa fur leurs Travailleurs.
On vit bien qu'ils ne vouloient
rien entreprendre , & qu'ils
ne fongeoient qu'à affurer leur logement.
36 MERCURE
Le 22. à neuf heures du matin ,
M. de Reignac eftant au Fort Picard
, les Ennemis commencerent à
faire une falve de toute leur Artillerie.
Les Soldats du Chateau furent
un peu étonnez de voir une
pluye de pierres & d'eclats de bom.
bes ; car jufque là le Siege ne leur
avoit paru qu'une réjouiffance . M.
de Reignac eftant retourné dans
le Chafteau , ordonna à мr de
Bacqueville , Major de la Place , de
faire rentrer les troupes dans les
fouterrains felon la difpofition
qu'il en avoit faite . L'on eftoit dans
une pleine confiance qu'ils eftoient
bien à l'épreuve, & que l'on pouvoit
s'y tenir tranquille , mais on fut
bien furpris quand en moins de
deux heures il y eut deux de ces
fouterrains , où eftoient les Vins &
GALANT. 37
·
Eaux de vie , qui furent enfoncez.
M. de Condon envoya dire que
àle Canon plongeoit fi fort dans fon
pofte , qu'il n'eftoit prefque pas
poffible d'y contenir les Soldats . M.
e de Reignac envoya Mr de Frebois
, Lieutenant-coloneldu Regi-
[ ment de Ponthieu , & cent hommes
de renfort pour occuper le Fort
5 rouge , avec ordre que files Forts
eftoient attaquez , de s'y bien déefendre
; avertiffant les Soldats que
S s'ilsles abandonnoient ,on ne les laif-
1 feroit pas rentrer dans le Chaſteau ;
5 que le Regiment de Ponthieu eftoit
à portée de les fecourir , & qu'en un
mot , ils pouvoient regarder leurs
poftes comme indépendans du
Chafteau , & y faire plûtoft une
capitulation particuliere.
Ce jour- là Mr de Pontis , Lieu-
1
38 MERCURE
tenant de Canonniers , & мr de
Nogaret , Lieutenant au Regiment
de Pouthieu , furent tuez dans le Fort
Picard ; Mr le Chevalier de Loife ,
Capitaine au Regiment d'Angou.
mois , fut bleflé dans le Chasteau .
Pendant la nuit , les Ennemis tirerent
une ligne parallele fur la crefte,
à la tefte du Fort Picard , & firent un
logement au bas du ravin qui eft entreceFort
& la montagne duCorreu .
t
M. de Reignac fit ofter toutes les
grenades qui eftoient dans un magafin
, où elles n'eftoient pas en
fcureté , & on les tranſporta dans
un autre. Il fit auffi ofter des farines,
qui eftoient restées dans un petit
corps de cazernes , elles furent mifes
dans le grand foufterrain. Il envoya
M. Filley au Fort Picard, pour faire
reparer le defordre que le Canon y
GALANT.
39
& qui avoit caufé , nefut pastrouvé
bien confiderable. Mr Diguet en fut
chargé .
Le 23. l'Artillerie des Ennemis
tira fans difcontinuer depuis le point
du jour jufques à neuf heures du
fpir , comme un feu de moufqueterie;
celle de la Place ne tira plus ,
toutes les Pieces ayant efté démon.
tées en moins de trois heures Tous
les parapets furent razez
; en forte
qu'il ne fut pas poffible de mettre
un feul homme à couvert , pour
oppofer . un feu de moufquet.
Vers les onze heures du matin ,
les ennemis fortirent de leurs Retranchemens
, faifant mine de voule
Fort Picard . Les
loir
attaquer
Troupes
qu'avoit
M. de Condon
ayant paru s'étonnner
furent
raffurées par fa prefence , & cel40
MERCURE
>
les de M. de la Freflonniere , qui
les firent tirer fur les Ennemis
ce qui lleess oobblliiggeeaa de rentrer
dans leurs Logemens . M. de Rei-
-gnac envoya encore à M. de Con .
don M. le Vaffeur avec , cinquante
hommes de renfort .
{
Les ennemis battirent en breche
la voute de la rampe qui monte de
la Ville au Chafteau , qui eftoit un
lieu deftiné pour mettre la Garni .
fon à couvert des Bombes. L'on
ferma pendant la nuit les ouvertures
qui y eftoient , afin de fortifier
la muraille ; l'on travailla fortement
à mafquer la grande Porte de cette
rampe , & à dégager les Portes de
communication, au devant defquelles
le Canon avoit entaffé beaucoup
de pierres .
L'on avoit porté quantité de мaGALANT.
41
> driers au Fort Picard dont on
avoit fait des Hangarts dans la pente
qui a fon regard vers la Meufe,
où les Officiers pouvoient fe mettre
à couvert avec les Soldats.
Le 14. le feu de l'Artillerie
des ennemis recommença avec la
mefme violence ils raprocherent
leur Canon qu'ils tiroient à bar,
bets , & leurs Troupes fe tenoient à
découvert fur les montagnes fans
craindre le feu de la Place ; car dés
qu'un Soldat fe prefentoit pour tirer,
il eftoit emporté par le Canon . M.
de Condon manda à M. de Reignac,
que les ennemis avoient , mis
beaucoup de pieces de Canon fur
la montagne de Saint Victor ,
de l'autre cofte de la Meufe , qui
tiroient a revers fur fon détachement
, & que difficilement on
Decembre 1694. D
42 MERCURE
pourroit y demeuter. Il renvoya les
cinquante hommes de renfort qu'on
luy avoit envoyez le jour précedent
, fous prétexte de ne vouloir
pas expoſer tant de gens à un periil
inévitable .
M. de Reignac voyant la conternation
qui eftoit dans les Forts ,
prit la refolution de faire relever
tout ce qui y eftoit ; mais comme il
falloit du temps pour cela , parce
que les troupes eftoient dans les
fouterrains , & qu'il falloit paffer
dans la communication de la Tour
de Tard avifée , où l'on ne pouvoit
aller qu'un à un , il donna fes ordres
afin que l'on fift les détachemens ,
& deftina M , le Comte de Luc ,
Colonel du Regiment d'Angoumois
, pour les commander. Cependant
il envoya Mr de ChalemGALANT
43
1
J
bert , Commiffaire d'Artillerie
pour faire tirer deux pieces de Canon,
qui eftoient abandonnées entre
le Fort Picard & le Fort rouge. Cela
réuffit parfaitement , juſqu'à la troi.
fiéme décharge , le Canon des En.
nemis, qui eftoit fur la montagne de
S. Victor , fut démonté , & abandonné
. Cela raffura un peu le détachement
de M. de Condon.
Sur les quatre heures aprés midy,
M. de Reignac s'en alla à un ouvrage
de terre , qui eft proche le
Fort - rouge , & de la Tour Tardavilée
, où eftoit le Regiment de
Ponthieu , voulant y détacher luymefme
le nombre d'hommes qu'il
deftinoit pour les Forts, mais il n'en
eug pas le temps : Comme il paf
foit dans le défilé de la Caponniere ,
il fat averty que ces Forts eftoient
Dij
44 MERCURE
attaquez , & eftant allé auffi - toſt
au pofte du Regiment de Ponthieu ,
pour s'approcher des Forts , il trouva
qu'ils avoient efté emportez fans
réfiftance.
,
Le Fort Picard avoitéſté attaqué
par deux cens Grenadiers de Brandebourg
, avec deux cens Carabiniers
. Trois cens des Moufquetaires
à cheval , auffi de Brandebourg
eftant à pied , artaquerent en mefme
temps le Fort rouge par le flanc qui
regarde le Correu , le tout foutenu
par trois Bataillons. Les Ennemis
eftoient dans le foffé avant que
M. de Condon euft fait lever
les Soldats qui eftoient cachez
pour éviter leur feu ; il fut contraint
de fe retirer par le Fort Rouge. Mr
de la Freflonniere y fut tué , en fai
fant parfaitement fon devoir. Les
GALANT.
45
ך י
Ennemis poufferent leur pointes &
coulerent le long de la fauffe braye :
du Fort rouge , où eftoit Mr de
rebois , qui y fut pris . Les Soldats
furent contraints d'abandonner , & !
éles Officiers y furent presque tous
tuez ou pris : Mrs de Chomaffon
& de la Serre y furent bleffez Le
premier refta fur la place , & fut faiti
prifonnier , aprés avoir tenu affez de
temps derriere un cheval de frife I
avec Mrs de Comarque & de Far-i
gue .
Les Ennemis , en pourſuivant les
fuyards , feroient venus jufqu'à l'ou
vrage où eftoit le Regiment de
Ponthieu , fans que Mrs du Rocq
Daliguet , Damande , & Caminel ,
firent prendre les Armes à ce Re-t
giment , qui fit grand feu . M. de
Reignac fit avancer M. de Lartigue
}
46 MERCURE
avec la Compagnie de Grenadiers ,
pour arrefter les Ennemis , qui venoient
du cofté de la Meule . On les
obligea de fe retirer dans le Fort-
Rouge,d'où ils firent fi grand feu fur
ce Regiment qu'il y eut beaucoup
de gens tuez , du nombre defquels
fut Mr de Romy Capitaine , & Mr
Demaroc y fut bleffé & pris , &
fix Lieutenans furent tuez , dont
l'un eftoit Mr de Tonancourt
Lieutenant des Grenadiers , qui
tomba fur M de Reignac , aprés
s'eftre fort diftingué. On ne fçauroit
affez louer la bonne contenance
que firent tous les Officiers de ce
Regiment. Mr de Chalembert
Commiffaire d'Artillerie fut auffi
tué en fe retirant avec le jeune
Chaumaffon , Lieutenant dans Ponthieu
, ce qui fut une veritable perre,
GALANT.
47
M. de Reignac qui vit que ce
Regiment fouffroit extrémement ,
s &
& que cela ne tendoit à rien , n'étant
pas poffible de reprendre les Forts ,
le fit retirer dans le Chasteau ; par
une porte , qui entre de cer Ouvrage
dans le fouterrain de la Tour
de Tard avifée Ce Regiment étoit
prefque défilé , lors qu'on avertit
M. de Reignac que les Ennemis
attaquoient l'Eglife S. Leonard II
s'en alla pour leur oppoſer un feu ?
afin que l'on ne puft efcalader les
Tours , par le cofté du Chaſteau , &
laiffa à cette Porte M. de Luc , & M.
de Bacqueville . Major de la Place ,
& chargea ce dernier de la fermer
lors
que tout feroit rentré ; qu'il
devoit fe reffouvenir de ce qu'en
pareil casil eftoit arrivé au Siege de
St MERCURE
Valenciennes , & aprés plufieurs
repetitions dont le Sieur de Bacqueville
, qui eft homme de valeur , &
tres fage , dit qu'il pouvoit s'en repofer
fur luy. Mr de Reignac s'en
alla dans cette confiance pour foutenir
les Tours de S. Leonard , qui
furent prifes dans un inftant , car
pendant que les Ennemis attaquoient
le fort Picard , ils firent
pointer plufieurs pieces de canon ,
qui tirerent fur ces Tours , & obli
gerent le Sieur du Clariel de fe ren .
dre , aprés y avoir fait tout ce qu'on
pouvoit attendre d'un brave hom .
me .
M. de Reignac eftant occupé à
diftribuer des poftes au Regiment
de Ponthieu , qui rentroit dans le
Chafteau avec confufion , le terrain
eftant fi ferré qu'on ne pouvoit s'y
tourner ,
GALANT.
49
IS tourner , on luy vint dire queles
Ennemis eftoient maifttes de la
communication de la tour de Tard
avilée , & que M. le Major y avoit
efté forcé. Cela luy fut tres feribble.
M. le Major eftant arrive confirma
la chofe , difant que M. de Condon
, qui avoit eu la jambe caflée au
pofte que le Regiment de Ponthieu
venoit de quitter , avoit embaraffé
le paffage dans le temps qu'on le
li rapportoit , ce qui avoit donné
1
1. occafion aux Ennemis de le ren .
Y
dre maiftres de cette ' porte , &
qu'il n'avoit eu que le temps d'en
fermer une feconde, qui eftoit dans
le fouterrain à vingt pas de la premiere
qu'il avoit ordre de garder .
e Les Ennemis s'eftant faifis d'une
partie de cette communication' ,
attaquérent la Tour de Tard avi-
Decembre 1694. E
50 MERCURE
fée , dont ils enfoncerent la porte.
Mr de Laiftre , Aide ma jor de
la Place , qui y commandoit avec
vingt hommes , s'y défendit tresbien
, & on ne l'auroit pas prife facilement
, s'il n'euft receu trois grandes
bleffures , & fi quinze Soldats
de fon détachement n'euffent efté
tuez qu bleffez ; il fe rendit prifon-
Cet accident avança nier de guerie,
la reddition de la Place de plus de
deux jours.
L'on fut enfuite fi preffé , que
l'on ne pouvoit plus agir . Les Enne .
mis fe logerent affez prés de la Ca.
ponniere . Das le mefme jour leuts
Batteries de la Sarte & du Coireu
renverferent la grande voute de la
rampe , & le décombre fit une bre
che de trente toiles , qui fut pra.
ticable jufqu'au grand fouterrain ,
GALANT ST
orte
de
vec
res
fa
Tap
dat
efté
fon
ang
s de
que
one
Ca
euts
[re
TeL
bre
Dra
in .
où tftoient les farines , on le croyoit
entierement à l'épreuve . Les Ennemis
commencérent à le battre
par le fondement avec une grande
force , & avant la nuit on remarqua
qu'il eftoit fort ébranlé . Commec
eftoit le falut de la Place , l'on
fe vit fort intrigué . Les Ingenieurs ,
qui ne s'eftoient point attendus à
un figrand bouleversement , en
eftoient tout confternez M de
Reignac leur en demandoit raiſon ,
& les moyens de tenir les quinze
jours à quoy ils avoient fixé la défenſe
de Chasteau ; ils ne fçavoient
que luy dire.
"
Pendant la nuit l'on ofta les pou.
dres du magafin qui eft prés le gros
mur , parce qu'on ne fçavoit qu'en
faire. On défonça les tonneaux pour
les jetter au bas de la bréche ; on y
E ij
52 MERCURE
enterra plufieurs bombes , & on fit
deux mines pour les faire jouerlors
que les Ennemis viendroient à l'affaut.
Le 25. il fie un grand brouillard, &
les Affiegeans ne commencerent à
tirer que fur les huit heures du macin
.
て、
Deux heures aprés le Duc
d'Holftein fit fommer M. de Rei
gnac de fe rendre , le menaçant
qu'on ne feroit point de quartier à
la Garnifon , fi l'on tardoit plas
longtemps à capituler. Il répondit
que rien ne le preffoit encore d'y fonger
, & qu'il verroit ce qu'il auroità
faire lors qu'on en féroit venu à
quelques coups de main furla
breche. I renvoya l'Officier ,
avec parole que l'on ne turenoit
point qu'il ne fuft rentré dans
GALANT. 53
&
ר י ש
Of
01
SU
le Fort rouge ; mais Mr de Rei
ON gnac eftant encore fur la breche
avec Mrs Filley , Derigny , & beaucoup
d'Officiers , les Ennemis ,
avant le temps qu'on avoit donné
pour fe retirer , firent une décharge
de toute leur Artillerie ; il y fut
enterré par l'effet des bombes
avec quelques - uns de ceux qui
eftoient avec luy.
Les Affiegeans avancerent dix
pieces de gros canon au Fort rouge ,
qui firent breche à la Caponniere ,
& battirent en ruine une autre
vieille breche , qui n'avoit efté réparée
que par les foins de M. le
Comte de Guifcard , laquelle eſt à
l'angle du Chafteau au regard de
la Meufe . Ilsmirent auffi deux
Batteries fur la montagne de Saint
Victor , qui battirent la courtine du
E iij
54 MERCURE
mefme cofté vis à vis le puits , ce
qui faifoit une bréche à nôtre derniere
envelope. Ils avancerent quatre
pieces de canon au pied de l'Abbaye
S. Victor , avec lesquelles ils battirent
une Tour du Chateau fur la
porte de Namur , où il y avoit auffi
une ancienne bréche , qu'on avoit
feulement réparée en y mettant
quelques paliffades . En moins de
deux heures on la mit en eftat d'y
pouvoir monter .
Les grandes Batteries du Correu
& de la Sarte , qui battoient dés le
jour precedent noftre grand fouterrain
, firent un feu firedoublé ,
que fur les deux heures aprés midy
le fouterrain fe renvería fur le lieu
où eftoit la voute de la rampe , de
maniere qu'il ne paroiffoit pas qu'il
y en euftjamais eu . Ily eut plufieurs
GALANT. 15
Soldats écrafez : le décombre fit
jufqu'à la Ville , une rampe par
laquelle on pouvoit monter avec
facilité , parce que l'efcarpe en eftoit
toute aplanie ., Bien des gens qui
ont pû voir cet endroit , auront de
la peine à croire ce qui s'eft paffé à
cet égard .
Pour lors les Ennemis redoublerent
encore leur feu , & toutes les
montagnes eftoient couvertes de
gens qui venoient voir , ce qui fit
croire qu'ils avoient envie de donner
un affaut . M. de Reignac
tira es 1Soldats qui eftoient dans
les fouterrains , & fous les hangarts
qui reftoient , & les fit marcher aux
biéches , difpofant le nombre de
gens qu'il vouloit oppoſer à chacu
ne . Il mit Mrs de Luc , Daliguet & de
Lartigue à la grande breche , où il fit
E iiij
$6 MERCURE
porter un Drapeau , & où il refta
luy- mefme avec Mrs Filley , Coupy
& Derigny, M. du Rocq fut mis à
celle de la courtine de la Meufe ; Mt
Bienville à celle de la Tour de la
Porte de Namur ; Mr de Villeneuve
à celle du Cavalier , & M. de
la Barte à celle de la Pièce verte.
Toutes chofes étoient dans cette difpofition
, lors qu'on s'apperceut que
les Ennemis ne faifoient cette démonftration
de venir aux bréches ,
que pour faire fortir la Garnifon des
Cazemattes afin qu'elle fuft plus
expofée au feu de leur canon . Effetivement
il y eut bien des. gens
tuez . Cela obligea м. de Reignac
à faire rentrer les Soldats .
Comme il y avoit un magaſin
du cofté de la courtine de la Meufe ,
que l'on battoit fortement , il en fit
GALANT.
57
ofter les Poudres pendant la nuit, &
on les jetta au bas durocher.
M. Coupy qui fe trouvoit par
tout , prenoit un grand foin que les
diftributions qu'on faifoit à la Garnifon
, fuffent regulierement fournies,
& que l'on fongeaft auffi aux Soldats
bleffez . Comme les gens qu'il
employoit pour cela , fe cachoient
pour éviter le grand feu des Enne
mis , il eftoit obligé luy- meſme de
livrer à chacun ce qui eftoit neceffaire
, perfonne ne pouvant tenir au
danger qu'il y avoir .
Le 26. à la pointe du jour , les
Batteries des Ennemis tirérent avec
tant de précipitation , qu'en moins
de trois heures , il y eut une bréche
de quinze toifes à la courtine de la
Meufe , & l'on vit bien que toute la
face ne pouvoit pas aller jufqu'au
$ 8 MERCURE
lendemain , fans tomber . Il n'eft
pas poffible d'exprimer combien
les murailles de ce Château
eftoient mauvaiſes . Le milieu eftoit
de pierres féches , & il n'y avoit du
mortier que dans les paremens , en
forte que quand le Canon
y avoit
fait une ouverture , l'écroulement
les faifoit tomber un quart d'heure
aprés les décharges
Environ à dix heures du matin
, la batterie de trente pieces de
canon qui eftoit fur le Coreu commença
de tirer fur la muraille de la
feconde envelope , laquelle fut fi
bien razée avant cinq heures du
foir , que l'on n'avoit plus de com.
munication d'un cofté du Chateau
à l'autre. La moitié de la Garnifon
qui eftoit du cofté des Caponnieres
, mouroit de foif , ne pouvant
GALANT. 59
1
1
aller chercher de l'eau au Puits; tous
les hangards de Madriers , eftoient fi
pleins de Soldats qu'ils ne fçavoient
quafi plus où le mettre , parce que, ce
qui reftoit de foufterrains , eftoit prelque
tout rempli de bleflez . Pour
communiquer d'un bout du Chafteau
à l'autre , l'on fit un trou fous
les ruines d'une vieille communication
que Mr Derigny trouva
heureuſement fans quoy il auroit
fallu abandonner les détache.
mens qui estoient du cofté des Caponnieres
, & pour paffer par ce
trou , il falloit fe coucher le ventre
1 contre terre , pour aller un à un .
Jamais on ne vit un fi grand defordre
les Officiers & Soldats qui
s'eftoient trouvez dans le danger à
cette Caponniere , & prefque obligez
de fe rendre à difcretion , vouloient
e
2
}
60 MERCUR £
que
abfolument eftre relevez , de crainte
que le lendemain il n'arrivaft -quelfemblable
accident . M. de Reie
gnac y alla luy-mefme pour les raf
feurer , faifant porter aux Soldats
autant qu'il luy eftoit poffible, toUT
ce qui leur eftoit neceffaire , & fur
tout des Grenades ; car on s'en jettoit
continuellement de part &
d'autre , les ennemis eftant logez à
la Caponniere , dont la Garnifon
en occupoit toujours une partie.On
y laiffa M. le Vaffeur , qui y marqua
plus de fermeté que celuy qu'il
avoit relevé.
Sur le foir les ennemis entrerent
dans la Ville avec beaucoup de fafcines
qu'ils porterent au bas de la breche
. On vit un gros détachement
de leurs Troupes qui defcendoit
du Fort Rouge , & un autre qui
GALANT. 61
couloit le long de la Meule . L'on
ne douta pas qu'ils ne vouluffent
donner un aflaut general , ce
qui leur eftoit facile, y ayant quar
tre breches principales.; nollwooɔ
Mode Reignac fe prepara à les recevoirsPon
jessa quantité de ton.
neaux de poudre fur les breches , &
l'on fit bien des preparatifs , pour
foutenir une action . Il parut dans
cette occafion que le Soldat eftoit
fort rebuté ; on ne laifla pas pendant
une partie de la nuit, de faire
un grand feu de part & d'autre. Les
ennemis fe logerent feulement au
bas de la breche du cofté de la Ville,
& occuperent une bonne partie
de la Caponniere du cofté de la
Meufe. Un Grenadier de la Compagnie
de Lartigue , ayant malheureufement
mis le feu à une mine
"
62, MERCURE
t
fur ce qu'il croyoit queles Ennemis
montoient à la breche , l'effet en
fut malheureux . Mr de Reignac
fut culbuté , Mr de Luc eut une
contufion à la tefte , Mride Lartigue
le vifage à moitié bruflé , &
Mr de la Chapelle Souslieutenant
des Grenadiers de Ponthieu
fut bleffé , fans parler de plufieurs
Grenadiers qui furent tuez. Cet
accident , quoy que fâcheux , ne
laiffa pas de fervir, car le Duc d'Hol .
ftein en ayant efté informé par les
gens qui eftoient logez au bas de la
reche, differa de faire donner l'affaut
qu'il avoit refolu , jufqu'au lendemain
à fept heures du matin . Il
n'y avoit rien qui le preffaft, & par
confequent il ne vouloit rien hazarder
; il fçavoit bien que fon Artillerie
dans moins d'un jour , acheGALANT.
63
veroit de ruiner entierement le
Chateau
qu'on n'y pourroit
plus tenir , & qu'il n'y avoit aucun
lecours à craindre .
Le 27. l'Artillerie des Ennemis
commença à tirer dés le point du
jour. Ils avoient avancé pendant
la nuit plufieurs pieces à my- coſte
5 des montagnes, & ils mirent encore
en Batterie huit pieces de quarantehuit
, qui leur eftoient arrivées le
jour precedent.
Sur les huit heures , ils battirent
la derniere enveloppe du Chateau ,
par le cofté du Correu & de la Sarte
, avec une telle furie , qu'en
moins de deux heures , il y eut
deux bréches confiderables . Il y en
avoit auffi deux autres du cofté de
la Meufe ; Pune à la Courtine , &
l'autre à la Tour dont on a déja par64
MERCURE
lé. La Garnifon ne fçavoit plus où
fe mettre il n'y avoit que la voute
de cette derniere enveloppe , & la
Boulangerie , qui venant à tomber ,
auroient écrasé une partie de ce qui
reftoit de gens de la Garniſon , qui
yiseſtoient entaffez les uns fur les
autres . Il y eut quantité de Soldats
qui deferterent par les bréches.
F
Pour dernier malheur , les Ennemis
s'étant attachez à rompre la
chappe du Puits , une Bombe tomba
fur le rocher , roula fous la
chappe , & en faifant fon effet , les
Léclats renverferent deux Soldats
dans le Puits .
Alors la Garnifon commença
à murmurer fortement , & fi M.
de Reignat n'avoit eu la précaution
de faire brûler toutes les Quaiffes ,
à la referve d'une , il eft feur que
GALANT.
65
ute
la
les
ats
En
la
l'on auroit battu la chamade , fans
fa participation , M. du Rocq, Major
du Regiment de Ponthieu , fit arrefter
un Sergent , qu'on trouva
faifant figne du chapeau aux Eone
mis de monter à la Bréche ; & il fe
fauva dans le temps que M. de Reignac
alloit le faire arquebufer.
Le Chateau n'eftoit pour lots
qu'une mafle de pierres , fur laquelle
il n'eftoit pas poffible de fai
te faire aucun mouvement à des
Troupes . En moins d'un quart
les d'heure il y eut quatre Sentinelles
m.
la
ats
M.
emportées dans un mefme endroit ,
& il he fut pas poffible d'y en meetre
une dinquieme, Mrs Filley &
Derigny , qui fe portoient toujours
Dil dans les endroits les plus perilleux,
Svifitoient les Bréches de quart
d'heure à autregomol of anabun
Decembre
1694. F
!
66 MERCURE
Les Officiers qui estoient dans
un fouterrain , cftant furpris de ce
que Mr de Reignac ne parloit point
de fe rendre , chargérent Mr du
Rocq de luy dire qu'il n'eftoit pas
du lervice du Roy de faire perir
tant d'honneftes gens , & que s'il
attendoit jufqu'au foir , la Garnifon
feroit paffée au fil de l'épée . Comme
Mr du Rocq alloit pour parler
à Mr de Reignac , qui s'entretenoit
pour dors en particulier avec
Mr Filley , auquel il avoit une entiere
confiance , il trouva en fon
chemin Mrs Daliguet , de Lartigue ,
& de Coelir , Capitaines au Regiment
de Ponthieu , à qui il communiqua
la commiſſion qu'il avoit acceptée.
Ils ne luy conſeillérent pas
de paffer outre , ce qui fit qu'il rentra
dans le fourerrains & dit à
143
GALANT. 67
de
m
D
toute l'affemblée , que l'on n'avoit
qu'à charger un autre que
luy de porter la parole. Ils prierent
Mt Derigny d'aller reprefentcr l'é.
tat de la Place a мr de Reignac , &
en meſme temps de le folliciter de
ne pas attendre la derniere extremité.
Mr Derigny ayant parlé , MI
de Reignac luy ordonna de dire
aux Officiers , qu'ils n'avoient qu'à
luy parler eux-mefmes ; & que pour
luy il ne devoit point s'en mefler.
Peu de temps aprés, мr de Reignac
les alla trouver , & leur parla fortement
fur les ordres qu'il avoit de
deffendre la Place juſqu'à la derniere
extremité. Plufieurs de ceux
qui eftoient dans l'Affemblée furent
d'avis de rifquer l'evenement,
& enfin Mr de Reignac leur declara
qu'abfolument il ne vouloit pas fe
Fij
68 MERCURE
rendre, & que le lendemain il verroit
ce qu'il feroit à propos de fai.
re .
Il pria Mr Filley de faire rétablir
le Pont de communication de la
derniere enveloppe , qui eftoit im.
praticable par l'effet des Bombes ,
& quoy que le canon y donnaft
comme la moufqueterie , Mrs Filley
& Derigny n'en partirent point que
cela ne fut fait.
Mr de Reignác ordonna à Mr
Couppy de faire un eftat de ce qui
reftoit d'Officiers & de Soldats en
eftat de fervice . Les Commandans
des Corps en donnérent une déclaration
, fur laquelle Mr Couppy fit
fon extrait , qui fur figné de luy &
des Commandans . Il ne fe trouva
à la connoiffance de Mr de Reignac,
qu'environ trois cens cinquante
GALANT. 69
hommes, des onze cens treize qu'on
avoit au commencement du Siege .
On avoit auffi perdu vingt - neuf
Officiers , tuez , bleffez , ou faits
prifonniers dans les dehors .
>
M. de Reignac entra dans un pe
tit foulterrain avec Mrs Filley &
Couppy , & leur communiqua une
Lettre que Mr de Barbezieux
luy avoit écrite fur laquelle
ils refolurent que l'on talcheroit
de porter les Officiers à
prendre patience juſqu'au lende-
1 main . Mr Filley parla , mais il
5 trouva les efprits peu d fpofez à ce
que l'on fouhaitoit d'eux. Ils avoient
raifon d'avoir de l'inquiét
de , puifque la Place étoit en eftat
d'eftre infultée , mais M. de Reignac
qui vouloit fe faire prendre
priſonnier de guerre , ou à difcre70
MERCURE
tion , s'embarrafloit fort peu de ce
qui en pouvoit arriver. Comme il
ne fe trouva plus le maiſtre de la
chofe , il fut obligé de faire battre
la chamade , avec intention neanmoins
que ce ne feroit que pour
prolonger letemps , voulant faire des
propofitions fi fortes au Duc d'Holftein
pour la Capitulation vû l'état
de la Place , qu'il ne les accepteroit
pas , croyant que cet intervale
raffureroit la Garnifon , mais il ne
fut pas poffible. Il envoya les Articles
par Mr de Luc, Le lendemain
28. fur les deux heures du matin ,
les Oftages furent renvoyez de
part & d'autre , à caufe de quelques
Articles conteftez . Les gens les plus
fages de la Garnifon confeillerent à
Mrde Reignac de ne pas faire perir
ce qui reftoit d'Officiers & de SolGALANT.
71
C
dats , ce qui l'obligea de figner la
Capitulation , qui eftoit plus avantageuſe
qu'il n'avoit lieu de l'éfperer.
Ce mefme jour 28. on fortit de
la Place par une des breches. Les
Ennemis pillerent une partie des
équipages , & le lendemain l'on ſe
rendit à Namur. Un Officier gene .
ral des Ennemis , qui conmandoit
l'Artillerie , dit à M. de Reignac en
fortant de la Place , qu'on avoit tiré
plus de vingt-cinq mille coups de
canon , & jetté environ ſept à huit
mille Bombes.
Quelques idées qu'on ait pû donner
des Fortifications du Chateau
de Huy , il eft certain que lors que
la Garniſon en eft fortie , il n'eftoit
pas poffible de difcerner en quel
endroit avoient efté les deux grands
72 MERCURE
fouterrains. Pour les trois petite's
envelopes , elles eſtoient veuës &
battues du canon toutes à la fois.
On pouvoit paffer par les mefmes
breches , pour arriver à la
derniere en forte qu'il ne reftoit
pas un feul endroit à fe pouvoir
faire donner quartier , en cas que les
Ennemis euffent donné un affaut ;
& fi l'on a tenu neuf jours de tranchée
cuverte , on peut dire que c'eſt
Salle
la faute des Ennemis , puis que dés
le cinquiéme la Place eftoit inful.
table par quatre differentes brèches ;
car comme toutes les communica
tions effoien coupées , la Garniſon
fe trouvoit feparée en trois endroits
fans le pouvoir joindre , ny
fecourir d'un pofte à l'autre. En un
mor , le Chateau de Huy a efté
laifié dans un fi méchant eftat , que
les
GALAR 2
ites
= &
que les Liegeois aprés la capitulation
, n'ont point voulu fe charger
de le rétablir . Il a fallu que les Hollandois
l'ayent fait occuper , pour
nel le faire rebaftir comme une Place
Ois
nouvelle . Si une partie de la Garonifon
a marqué de l'inquietude à la
oit fin du Siege ; & n'a pas voulu rifles
quer de tenir encore un jour , ainfi
utique Mr de Reignac le defiroit , cela
anluy eft pardonnable, n'y ayant point
et d'exemple que jamais Place comme
Res
ca.
dés celle-là ait efté battuë de cent treize
ful pieces d'Artillerie. Le Roy n'en a
pas mefme fait employer un fi grand
nombre dans aucune des conqueftes
fon qu'il a faites. Quand tous les Cenfeurs
qui ont parlé de ce Siege , y
auroient efté, le Chafteau n'auroit
pas tenu fix heures de plus : mais
épeut- eftre auroient- ils efté d'unfen
Decembre 1694.
en.
- ג ח
S
G
74
MERCURE
timent bien contraire à celuy de
M. de Reignac , qui vouloit tout
hazarder.
CAPITULATION
Mr le Duc d'Hol- Accordée
par
ftein- Ploën , Commandant
les
Troupes des Alliez , à Mr de
Reignac , Commandant
pour le
férvice du Roy , dans le Chafteau
de Huy.
1. Que la Garnifon fortira
avec armes & bagages , tambour
battant , Enfeignes déployées , la
méche allumée par les deux bouts,
paſſant par la Bréche.
Accordé.
11. Qu'on emmenera
deux pieGALANT
75 င်
C

es
de
le
20
ra.
ur
-
La
ces de Canon & deux Mortiers
defonte , quifont dans la Place,
au choix de M' de Reignac.
Refufé.
111. Que la Garniſon avec
Artillerie , les Officiers de l'Etat
major, le Commiffaire des guerres,
les Ingenieurs , les Commiffaires
d'Artillerie , les Commis des vivres
, les Entrepreneurs , leurs
Commis, & tous autres.em es.employez
ou auxe Ouvrages de la Fortification,
comme auffile Commis de l'extra-
15, ordinaire des guerres , les Canonniers
& Mineurs , le Chi
rurgienmajor , &autres Chirurgiens
, l'Entrepreneur de l'Hôpi-
Gij
76 MERCURE
tal , Boulangers, & generalement
tous ceux qui font employezpour
lefervice du Roy dans le Chateau,
en fortiront demain à neuf heures
du matin , avec Mde Rei gnac
pour ftre conduits à Namur par
cau , avec leurs équipages & bagages
, Bleffez & Malades , aux
dépens des Alliez , quiferontfour
nir des Batteaux , Batteliers &
chevaux , avec une escorte de cent
Maistres pour leur feureté , qui
feront prefts demain à neufheures
du matin , pour arriver le mefme
jour à Namur.
On donnera des Batteaux pour le
Bagage , Blefiez & Malades en eftat
GALANT.
77
J
4.
de fortir . La Garniſon , auffi bien
que les fpecifiez dans le prefent Article
, iront à pied ou à cheval à Na.
mur par le chemin le plus court ,
fous une eſcorte , & fortiront au
plus tard à neuf heures du matin .
IV. Que les Bleffez qui ne
pourront eſtre tranſportez , reſte .
ront dans la Ville , pour y eftre
panfez , nourris & foignez aux
dépens des Alliez jufqu'à ce qu'ils
foient en eftat de rejoindre leurs
Corps , & on leur donnera des
Paſſeports fuffifans pour leur re……
tour.
Accordé .
L
V. Queles Soldats qui auront
Giij
78 MERCURE
deferté ne pourront eftre repris de
part ny
Refufé.
d'autre.
VI. Que l'on rendra tous les
Officiers & Soldats qui ont efté
faits prifonniers pendant le Siege,
fans payer derançon.
Accordé pour les prifonniers du
Chateau feulement.
non
VII. Que l'on ne pourra arrêter
aucuns Officiers ny Soldats
pour dettes , ny autrement
plus que les gens qui font renfermez
dans le Chasteau , &
compris dans la preſente Capitulation
A
Cet Article fera traité fur le pied
que les François en ont ufé , lors
GALANT. 79
qu'ils ont pris Huy ; cela s'entend
pour les Officiers qui doivent quel
que chofe aux Bourgeois de la Ville ,
que le Gouverneur s'oblige de faire
payer.
VIII. Que l'on nepourrarien
repeter , ny efperer aucune reftitution
desprovifions qui peuvent
avoir efté prifes dans la Ville , ou
dans les Villages voisins . pour
mettre au Chafteau , ou autrement
.
Accordé,
IX. On ne pourra vifiter ny
fouiller aucuns équipages , tant
des Officiers , que de tous ceux
qui fortent du Chafteau.
Accordé.
G iiij
18 MERCURE
X Aprés que la Capitulation
aura ea fon plein effet , les Ostages
feront rendus de part
bre.
Cela fera fait .
d'au
XI. Quand cette Capitulation
fera fignée , M le Duc
d'Holftein pourra faire occuper
par cinquante hommes l'endroit
où estoit cy devant la porte du
Chafteau , où ily avoit un Pontlevis
. Signé , REIGNAC .
cent
La Porte du Chateau doit eſtre
occupée aujourd'huy avec
hommes. On laiffera les maga fins
dans l'état qu'ils fe trouvent prefentement
, & on fera voir aux Oftages
GALANT. 81
envoyez , l'état & le lieu de leurs
mines , & cela fidellement .
Signé , JEAN ADOLFE .
Les Hiftoires des Princes
& des Revolutions de Etats ,
ſe liſent toujours avec plaifir,
quand mefme on les écriroit
trente ou quarante ans aprés
que les chofes fe feroient
paflées . Ainfi la connoiffance
de celles du Royaume de
Siam vous doit plaire d'autant
plus; qu'elles ne font arrivées
que depuis fort peu de temps.
Je vous en ay déja parlé fur
beaucoup de Lettres , qui
82 MERCURE
"T
eftoient tombées entre mes
mains ; mais ce que je vous
en ay dit, n'a efté que par
lambeaux, au lieu que ce que
je vous envoye aujourd'huy
eft un vray morceau d'hiftoire
, où tout eft fuivi , & auquel
on ne sçauroit refufer d'ajoûter
foy , puis qu'il eſt fait
par celuy qui commandoit
les Troupes de Sa Majeſté
dans Bancocq. C'est une
choſe affez furprenante que
dans tous les Pays du monde
les hommes foient également
ingenieux quand il
s'agit de leurs interefts , &
GALANT. 83
de tirer avantage des moyens
qu'ils trouvent de s'élever-
Les Nations de l'Europe font
perfuadées que les autres
Peuples font ou ignorans , ou
barbares. Cependant il eft
certain qu'ils n'ont pas moins
de manege & de politique ,
qu'on en peut avoir dans la
Cour d'Europe la plus éclai
rée. C'est ce qu'on peut voir
dans tout ce qu'a fait l'Ufurpateur
du Royaume de Siam ,
pour parvenir à la Royauté .
Si l'on peut trouver dans fa
conduite quelque chofe qui
nous répugne , on doit l'im
84 MERCURE
puter aux ufages du Pays . Il
y a de la penetration
dans
tout le refte , du bon ſens ,
de la fineffe , & fur tout une
diffimulation
, qui eft un
moyen immancable
pour
réüffir , & qui fe rencontre
feulement
parmy quelques
peuples de l'Europe . La valeur
& la maniere dont les
François ont agi en cette
importante
occaſion , meritent
d'eftre admirées , & vous
ferez fans doute ſurpriſe de
ce qu'ils ont fait malgré l'éloignement
du fecours , &
malgré la multitude
qu'ils
GALANT. 85
avoient contre eux , n'eftant
qu'une poignée de gens contre
un Eftat tout entier..
90
RELATION
DES REVOLUTIONS
ARRIVEES A SIAM ,
ab En l'Année : 168.8.
L
Es étranges revolutions
arrivées au Royaume
de Siam ayant fait bruit dans
toute l'Europe , j'ay crû de
voir moy-meſme faire le recit
de tout ce qui s'y eft
paffé , perfonne ne pouvant
86 MERCURE
fçavoir mieux que moy les
veritables raifons qui m'ont
porté à faire ce que j'ay
fait , ce qu'il n'eftoit pas à
propas de communiquer à
beaucoup de gens , qui ne
laifferont pas toutefois d'en
vouloir écrire ce qu'ils en
penfent. On trouvera dans
la fuite de ce Difcours des
Couronnes renverfées , deux
Princes , & un Fils adoptif de
Roy, maffacrez , la perte de
la maifon & dela vie du Sieur
Conftance , plufieurs grands
Mandarins dans les fers ; un
Siamois par là monter adroi.
GALANT 87
S
es
tement fur le Trône , tout le
Royaume enfin avec une infinité
d'Etrangers s'armer
pour nous faire tous perir à
force ouverte , aprés l'avoir
inutilement tenté par toutes
fortes d'artifices . On y verra
1 auffi au milieu de toutes ces
furprenantes revolutions , le
S nom de nôtre grand Roy for
midable jufque dans les extrémitez
du monde , une poignée
de François , fans avoir
prefque de vivres & de munitions
, ny de moyens d'en
avoir , dans une méchante
Place tres - mal fortifiée , au
88 MERC..
C
milieu des bouës , & des pluyes
preſque continuelles , & une
infinité d'autres incommoditéz
faire tefte à tout un
Royaume qui les avoit blo.
quez , &l'obliger enfin , aprés
un Siege de cinq mois , mal .
gré la réfolution priſe de les
détruire , malgré le fecours
de tant de Nations étrangeres
, qui estoient accouruës
pour le mefme deffein , à fe
foumettre à la neceffité de
leur accorder des Vaiffeaux
& des vivres pour ſe retirer.
Mais je dois avant toutes
chofes donner quelque conGALANT.
89
es
ne
Π
1.
noiffance de l'eftat où fe
trouvoit la Cour de Siam à
mon arrivée , pour rendre
plus faciles à entendre les
changemens qui y font furvenus.
Le Roy de Siam m'y a tous
jours paru plein d'eftime
TS pour noftre Augufte Monar-
2. que , dont les actions heroïques
l'avoient charmé dans
les recits qu'il s'en eftoit fait
e faire. Ce Prince portoit affurément
fur fon vilage des
marques d'une grandeur &
d'une élevation diftinguée.
Il aimoit naturellement plus
Decembre 1694.
X
H
90 MERCURE
les Etrangers que les propres
Sujets , qu'il traitoit mefme
ordinairement avec un peu
de cruauté, ce qui faifoit qu'il
eftoit plus craint qu'aimé
dans fon Royaume . Quof
qu'il ne fuft âgé que de cinquante-
quatre ans , il eftoit
neanmoins atteint d'une ma
ladie , fous laquelle il eftoit
aifé de voir qu'il devoit bientoft
fuccomber. Deux Princes
fes Freres , estoient ceux
qui fuivant les Coutumes du
Pays , devoient fucceder à la
Couronne , parce que le Roy
n'avoit point d'Enfans males.
GALANT.
91
L'Aîné eftoit perclus de tous
fes membres . Le Cadet contrefaifoit
le muet , pour ne
pas s'ex pofer à perdre la vie ,
par le premier foupçon que le
Roy euft pû prendre contreluy
. Ils cftoient tous deux
parfaitement
unis. L'Ainé , à
caufe de fes infirmitez , cedoit
volontiers tout le Royaume
à fon Cadet; mais tous les
deux n'eſtoient pas trop dans
les bonnes graces du Roy .
ills ne fe melloient d'aucunes
affaires , & ne voyoient pref
que perfonne que leurs propres
Domestiques
. Le Roy
Hij
92 MERCURE
de Siam avoit de plus une
Fille , que le bruit commun
difoit eltre fecretement mariée
avec le jeune Prince.
Quoy que la choſe ne fuft
pas entierement conftante ,
cette Princeffe , âgée d'environ
vingt - huit ans ,eftoit d'un
-naturel fier & hautain , fort
attachée à la Religion , & aux
autres coutumes de les Anceaftres
, & bien mal affectionnéé
envers les François , &
autres Etrangers . Elle s'eftoit
"auffi retirée de la Cour , pour
quelque mécontentement
qu'elle avoit receu de fon
GALANT
93
Pere, & eftoit pleine de haine
pour le S Conftance , qu'elle
croyoit en eftre l'auteur-
Prapie , Fils adoptif du
Roy , & que quelques uns ,
fans fondement , vouloient
faire paffer pour fon Fils naturel
, eftoit celuy de toute
la Cour qui eftoit le plus dans
·les bonnes graces de fon
Prince , & il y a apparence
mefme que le Roy , s'il euft
pû , luy euft fait avoir la Couronne
, mais comme il eftoit
d'une baffe naiffance , fon
party dans l'occafion né pouvoit
eftre que fort petit , &
94 MERCURE
ny les Mandarins , ny le Peuple
, qui connoiffoient fon
origine , n'auroient jamais pû
fe refoudre à le reconnoiſtre
contre le droit de la justice
qui eftoit dûë aux Princes ,
qui d'ailleurs eftoient affez
aimez .
6
Entre tout le refte des
Grands de la Cour , il y en
avoit un qui fe diftinguoit
aifément , & qui me parut dés
la premiere fois que je le vis ,
savoir quelque chofe de
grand & d'élevé par deffus
tous les autres . Son nom eftoit
Opra Pitracha. Sa Famille
GALANT. 95
cftoit des plus anciennes &
des plus confiderées. Il eftoit
Frere de lait du Roy , & environ
de fon âge. Quelquesuns
difent metme qu'il def
cendoit de la Race royale,
fur aquelle le Pere de celuy
qui regnoit , avoit envahy la
Couronne: Ce Mandarin 's'eftoit
acquis par l'attache qu'il
affectoit de faire paroistre à
Religion , l'eftime & l'affection
univerfelle de tous les
Talapoins , qui font en grand
nombre , & d'un grand poids
fur lepeuple, qui d'ailleursconnoiffoit
en luy un coeur veri96
MERCURE
tablement Siamois , & plein
d'eftime pour ceux de fa Nátion
, & de mépris pour les au .
tres . Comme il eftoit neanmoins
grand politique , il n'avoit
garde de faire aucunement
paroiftre le deffein qu'il
renfermoit en fon coeur , &
qu'il n'a fait éclater qu'en fon
temps. Il fçavoit bien diffi
muler auprés de fon Prince
fes veritables fentimens , qui
de s'acordoient pas aux fiens ,
affectant en tout , pour ofter
tout foupçon , de paroiftre ne
defirer rien tant qu'une vie
privée & retirée de l'embaras
des
GALANT 97
des affaires , & refufart conftamment
pour luy , & même
pour un Fils qu'il avoit , les
Charges & Dignitez nouvel .
les où le Roy les vouloit éle-
.. ver. Il n'en eftoit pas pour
icela en moindre confideration
. Il eftoit toujours des
premiers du Confeil , & avoit
bien d'autres accés avec un
grand credit en Cour , que le
S'Conftance qu'on y croyoit
tout puiffant, & qui de fon cô.
té tâchoit auffi de nous le perfuader,
rabaiffoit autant qu'il
pouvoit , ainfi
Π
que l'autorité
de tous les autres , afin qu'on
Decembre 1694. 1
H
98 MERCURE
n'euft de l'eftime & de la confiance
qu'en luy feul . Cepen
dant, quoy qu'il fuft en grande
faveur auprés du Roy de
Siam , parce que ce Prince ne
trouvoit que luy capable de
traiter avec les Etrangers , à
caufe de la grande connoil
fance qu'il difoit avoir de
toutes les Coutumes , & de
toutes les Cours de l'Europe ,
il ne laiffoit pas d'y avoir
nombre de Mandarins plus
élevez dans les Charges , &
d'une plus grande autorité
que luy, aufquels il luy falloit
faire Sombaye , c'eſt à dire ,
GALANT. 99
n
-D
n.
de
ne
He
é
S
rendre en toutes rencon tres
un témoign ge de foumiffion.
Il ne pouvoit pas entrer
comme eux dans la chambre
du Roy , à moins qu'il n'y
fuft appellé
.
A la verité cet Etranger
eftoit d'un efprit vif & étendu
, capable de bien des affaires
, & porté vers les grandes
entrepriſes . Son abord eftoit
fort engageant , quand il le
falloit , fa converfation tresagreable,
&il fçavoit fort bien
fe faire valoir, fur tout auprés
du Roy , dont il tenoit une
fortune affez confiderable

I ij
100 MERCURE
pour ces pays - lá . Ilfalloit étre
du temps avec luy ponr le
bien connoiftre . La fuite m'a
fait remarquer en luy un manque
de droiture & defineerité,
une ambition demefurée , &
une delicateffe trop grande
à railler , & à pourfuivre
ceux dont il fe croyoit mé.
prifé , ce qui luy avòit attiré
la haine de tout le peuple , &
de la plupart des Etrangers.
Voila en peu de mots ce qui
m'a femblé de plus remarquable
de la Cour de Siam ,
pour l'intelligence de ce qui
fuitGALANT.
IOI
A l'égard des François , je
n'avois dans Bancoq que
deux cens Soldats fans les
Officiers . M' de Bruan eftoit
à Merguy avec trois de nos
meilleures Compagnies , &
depuis fon départ , j'avois encore
efté obligé de donner
trente- cinq de nos meilleurs
hommes , avec trois ou quatre
Officiers , pour mettre fur
des Vaiffeaux que le Roy de
Siam envoyoir en courfe
contre quelques Corfaires ,
fuivant un ordre que le Sieur
Conſtance m'avoit envoyé de
fa part. De ce petit nombre
I iij
102 MERCURE
qui me reftoit il y en avoit
quantité de malades , qui diminuoient
tous les jours ; &
cependant la Place où nous
nous trouvions , n'avoit que
des fortifications commen .
cées, & fi vaftes, qu'il euftefté
befoin de plus de douze cens
hommes pour lesbien garder.
J'avois fort fouhaité qu'on ne
prift pas une fi grande enceinte
, afin de nous voir plûtoft
à couvert , & mieux en eftar
de nous défendre contre ce
qui nous pourroit arriver ,
mais je ne pûs gagner fur le
S Conftance de changer un
GALANT. 103
deffein qu'il avoit déja commencé
avant noftre arrrivée ,
& quelque inftance que je
fiffe pour avoir des Travailleurs
, comme auffi quelque
peine que je me donnaffe ,
nonobftant mon âge , & les
ardeurs du Soleil , de demeurer
níoy-mefme tout le jour
fur les Travaux pour les faire
avancer, il nousreftoit encore,
quand les affaires fe broüillerent
, deux Baſtions , deux
Courtines & un Cavalier à
relever. Je m'estois toujours
muny d'environ deux mille
paliffades , qui nous ont efté
I iiij
104 MERCURE
d'une grande utilité dans la
fuite , mais on n'en avoit encore
planté aucune.
Dans le mois de Mars , leRoy
de Siam s'eftant trouvé plus
mal qu'à l'ordinaire , & prefque
entierement hors d'eftat
de vaquer aux affaires , Prapie
commença à vouloir faire
quelque party , & affembler
quelques gens qui estoient à
fa devotion. Opra Pitracha
de fon cofté, qui depuis long.
temps avoit pris fes mefures,
& qui avoit en fa main le
Mandarin qui garde les rôles
de tout le peuple , fit auffi
GALANT. 105
approcher fecretement dans
les Pagodes qui eſtoieut autour
de Louvo , le plus de
monde qu'il put avoir , & il
ne luy fut pas difficile d'attirer
à luy prefque tout le
Royaume ; car loin de déclarer
fon veritable deffein , il
témoignoit toujours au contraire
ne defirer rien tant que
de s'enfermer avec les Talapoins
dans quelque Pagode ,
pout y mener , difoit il , une
vie folitaire ; mais il infinuoit
à ces peuples , qu'avant que
d'executer ce deffein , il vouloit
employer tout ſon eſprit
306 MERCURE
& toutes les forces , & fa vie
même , s'il en eftoit befoin,
pour mettre les Princes fur le
Trône qui leur appartenoit ,
& qu'il fçavoit que Prapie & le
S' Conftance vouloient leur
faire perdre. Pour le gagner
davantage les efprits , il avoit
fait répandre un bruit fous
main par tout le Royaume ,
que les François n'eftoient
venus que pour détruire la
Race royale , leur Religion ,
& leurs Coutumes , les affujettiffant
à Prapie & au Sieur
Conftance , qui devoit eftre
le fecond du Royaume , en
GALANT. 107
cas que la chofe réuffiſt . Il
luy fut aifé par tous ces artifices
de mettre tous les Grands
& Petits dans fon Party , & de
les animer contre nous d'au
tant plus , que les Princes ,
vrais heritiers de la Couronne
, le confideroient
toujours
comme un Sujet fidelle , qui
n'agiffoit que par le zele qu'il
témoignoit avoir pour eux ,
& qui ne regardoit Prapie &
le S Conftance que comme
leurs plus grands ennemis.
Le S Conftance à qui une
bonne partie de ce qui fe
paffoit ne pouvoit eftre ca108
MERCURE
ché , quelque bonne mine
que luy fift toûjours ce graud
Mandarin pour l'amufer
m'envoya vers la my - Avril
un ordre de la part du Roy
de Siam , de monter à Louvo
avec la meilleure partie
de mes Troupes . Je partis de
Bancocq avec foixante - dix
hommes & 5. Officiers , plein
d'inquietude pour le refte de
ma Garnifon , que j'estois
obligé de laiffer en fi petit
nombre .
On ne nous vit pas plutoft
arriver à Siam , par où il
falloit paffer pour aller à
GALANT. 109
Louvo , qu'on en ferma toutes
les portes , & que tout y
fut en tumulte , comme à la
vuë de leurs plus grands ennemis.
J'appris auffi toft de
M' l'Evefque de Metellopolis
; de M' l'Abbé de Lionne ,
& du S Veret Chef de Lage
Françoife , qu'il couroit un
bruit public , que le Roy de
Siam eftoit mort , que tout.
eftoit en armes à Louvo & fur
les chemins , qu'on parloit
d'arrefter le S Conftance , &
qu'il fe debitoit mille chofes
defavantageufes contre les
François ; qu'on avoit auſſi
110 MERCURE
[ fur toutes
nouvelle qu'il eftoit deſcen
du des Soldats Siamois vers
Bancocq , en bon nombre ,
& qu'on difoit eftre pour furprendre
& maffacrer les François
qui y eftoient.
Je ne crus
ces nouvellles pouvoir prudément
continuer mon chemin.
Je m'arreſtay donc aux
environs de Siam , & écrivis
en toute diligence au fieur
Conftance, les bruits fâcheux
qui couroient fi publiquement
, & que je croyois beaucoup
plus à propos pour fon
bien & pour le noftre , qu'il fe
GALANT. III
rendift luy - mefme où je l'attendois
, pouraller offrir nos
fervices aux Princes , vrais heritiers
de la Couronne , qui
eftoient tous deux dans la
Ville de Siam , & diffiper par
là les foupçons qu'on avoit
de nous ; mais foit que le
Sieur Conftance ne crût pas
le mal fi grand qu'il eftoit ,
foit qu'il ne fuft plus en
eftat de pouvoir fe retirer de
Louvo , foit qu'il fuft d'intelligence
avec Prapie , comme
on dit qu'il eſt enſuite
demeuré d'accord , il ne vouu
point entendre mes con112
MERCURE
feils , & je me retiray incontinent
aprés fa réponſe à Ban
cocq , pour taſcher d'y confervet
les Troupes que le Roy
m'avoir fait l'honneur de me
confier. La fuite a bien fait
voir que je ne pouvois agir
autrement fans m'engager
dans un mauvais & injufte
party, & fans la perte prefque
affurée de tout ce qu'il y avoit
de François dans le Royaume
, car il s'eft trouvé conf
tant par l'interrogatoire que
j'ay fait faire à deux Mandarins
Siamois que nous avions
entre les mains , que dans le
GALANT . 113
temps que le S ' Conftance
nous vouloit faire monter
Pitracha
eftoit entierement
maiftre du Palais , & avoit en
main plus de trente mille
hommes
, tant à Louvo que
fur les chemins , fans les forces
des Princes qui estoient
pour lors jointes aux fiennes
contre l'autre party , où auparavant
le S Conftance
me
vouloit eugager
, fans qu'il
ofaft me le déclarer.
Opra Pitracha voyant que
nous eftions retournez à Bancocq
, & qu'il ne feroit pasfacile
de nous avoir tant que
Decembre 1694 .
K
112 ME
feils , & je .
tinent apré
cocq , pour
fervet les T
m'avoir fai :
confier. I
voir
que
autremen
dans un
party
,& fa
affurée
de
de
Franç
me , car
tant par
j'ay fait i
rins Siam
entre les
cefie
5
GALANT
.
115
eftoient les Maiftres , &
François à Bancocq , par
ecours reciproques qu'on
ouvoit aifément donner
u'on fe feroit donnez. En
t , aupremier fujet de foupn
qu'il avoit donné de
il auroità mefme temps
trait celuy qu'il avoit femé
ontre nous . Il envoya donc
Jufieurs Mandarins & écriit
diverfes fois aux Princes ,
les invitant de monterà Lou-
" o. Il alleguoit quele Roy qui
n'eftoit pas encore mort
mais qui eftoit effectivement
hors d'eftat d'agir , dans l'ac-
Kij
116 MERCURE
cablement de maladie où il
fe trouvoit , les vouloit voir,&
mettre un d'eux fur le Trône,
de fon vivant ; qu'il eftoit de
grande confequence de ne
pas perdre de temps de venir
recevoir à Louvo , de toute
la Conr qui y eftoit , le ferment
de fidelité, pour ne pas
laiffer l'occafion à Prapie d'a .
vancer fes affaires à leur préjudice
, & que comme un Sujet
fidelle & zelé pour leur
ſervice , il avoit mis les chofes
en un eftat à n'y avoir rien à
craindre pour eux. Les Princes
hefiterent beaucoup aGALANT.
• 117
vantque de fe rendreàfespref
fantes follicitations
, non par
aucune défiance qu'ils euffent
alors de Pitracha , mais parce
qu'ils fe voyoient entierement
maiftres de la Ville , &
qu'ils ne fçavoient pas fi feurement
comme ils fe trouveroient
à Louvo , où estoient
Prapie & le Sieur Conftance,
dont ils craignoient de facheufes
affaires . Cela leur
faifoit beaucoup plus incliner
à faire leur entrée publique
dans le Palais royal de Siam ,
pour y faire proclamer Roy
le jeune Prince , & enſuite
118 MERCURE
obliger les Mandarins qui
eftoient à Louvo , de le venir
reconnoiſtre. Cela eftoit
fort au gouft de la Princeffe,
qui eftoit , ou devoit eftre
fon Epouſe ; & la fuite a bien
montré que c'eftoit là le feul
party qu'il leur falloit prendre
; mais ils ne pûrent ref .
fter aux dernieres inftances
qui leur furent faites pa un
homme qu'ils eftimoient le
plus fidelle , le plus équita.
ble , le plus judicieux , & le
plus defintereffé du Royaume.
Le jeune Prince monta
donc à Louvo avec la PrinGALANT.
119
ceffe . Opra Pitracha qui leur
avoit envoyé une grande &
fort belle eſcorte par le che
min , les recept avec tout
l'éclat & toutess les marques
de foumiffion poffibles , leur
fit le premier la Sombaye ,
& laleur laiffa faire par tous
les grands Mandarins . On
dit qu'il n'y eut que le feul
Prapie , & le S Conftance ,
qui ne s'emprefferent pas
pour cela , & que le fecond y
eftant venu quelque temps
aprés , le Prince ne le voulut
pas recevoir.
Il eſt affez probable que
120 MERCURE
Pitracha fe voyant comme
maiftre & affuré de ceux qui
pouvoient afpirer à la Couronne
, vouloit attendre la
mort du Roy , qui ne devoir
plus guere tarder , avant que
d'en venir aux mains , mais
ayant eu avis que Prapie , qui
voyoit bien le mauvais eftat
de fes affaires , faifoit approcher
quelques Troupes de
gens armez pour hazarder fa
fortune , qui ne pouvoit eftre
que funefte fous la domination
des Princes irrritez con .
tre luy , cet habile Politique
prit auffi toft ce prétexte
pour
GALANT. 121
1
1
pour faire agréer aux Princes,
& autres Grands Mandarins ,
de le faire arrefter , & de s'en
défaire. Il ne demanda pas
mieux , pour faire valoir fon
prétendu zele , que de fe
charger de cette affaire. Il ne
perdit point de temps ; &
quoy que Prapie fuft alors
dans la chambre du Roy,
d'où il ne fortoit guere ,
caufe du fecours qu'il luy
rendoit en fa maladie , il fit
fi bien qu'il l'en tira par ar
tifice jufques à la porte , & de
là par violence , le fit maſſa.
crer fur le champ , fans s'ar-
Decembre 1694.

L
à
114 MERCURE
nous ne nous diviferions pas ,
commença à fe fervir de tous
fès artifices pour obliger les
deux Princes & la Princeffe
de monter à Louvo , afin de
les avoir là entre fes mains.
Il luy cftoit de la derniere
confequence que ces Princes,
& les François ne s'uniffent
pas enſemble , & c'eftoit ce
qui luy faifoit chercher tous
les moyens d'avoir les uns ou
les autres en fa difpofition.
11 luy eftoit impoffible d'avancer
fes affaires , tant que
les Princes demeureroient
dans la Ville de Siam , dont
- GALANT
.
115
1
S
S
C
S
ils eftoient les Maiftres , &
les François à Bancocq , par
les fecours reciproques qu'on
pouvoit aisément donner
& qu'on fe feroit donnez . En
effet,au premier fujet de foupçon
qu'il avoit donné de
luy, il auroità mefme temps
détruit celuy qu'il avoit femé
contre nous . Il envoya donc
plufieurs Mandarins & écrivit
diverfes fois aux Princes ,
les invitant de monter à Louvo.
Il alleguoit quele Roy qui
n'eftoit pas encore mort
mais qui eftoit effectivement
hors d'eftat d'agir , dans l'ac-
>
Kij
116 MERCURE
cablement de maladie où il
fe trouvoit , les vouloit voir, &
mettre un d'eux fur le Trône,
de fon vivant ; qu'il eftoit de
grande confequence de ne
pas perdre de temps de venir
recevoir à Louvo , de toute
la Conr qui y eftoit , le ferment
de fidelité, pour ne pas
laiffer l'occafion à Prapie d'a .
vancer fes affaires à leur préjudice
, & que comme un Sujet
fidelle & zelé pour leur
fervice , il avoit mis les chofes
en un eſtatà n'y avoir rien à
craindre pour eux. Les Princes
hefiterent beaucoup aGALANT.
117
vantque de fe rendre àfespref
fantes follicitations
, non par
fi feuaucune
défiance qu'ils euffent
alors de Pitracha , mais parce
qu'ils fe voyoient entierement
maiſtres de la Ville , &
qu'ils ne fçavoient pas
rement comme ils fe trouveroient
à Louvo , où eftoient
Prapie & le Sieur Conftance ,
dont ils craignoient de facheufes
affaires . Cela leur
faifoit beaucoup plus incliner
à faire leur entrée publique
dans le Palais royal de Siam ,
pour y faire proclamer Roy
le jeune Prince , & enfuite
118 MERCURE
Cela eftoit
obliger les Mandarins qui
cftoient à Louvo , de le venir
reconnoiftre .
fort au gouft de la Princeſſe ,
qui eftoit , ou devoit estre
fon Epoufe ; & la fuite a bien
montré que c'eftoit là le feul
party qu'il leur falloit prendre
; mais ils ne pûrent ref .
fter aux dernieres inftances
qui leur furent faites pa un
homme qu'ils eftimoient le
plus fidelle , le plus équita.
ble , le plus judicieux , & le
plus defintereffé du Royaume
. Le jeune Prince monta
donc à Louvo avec la PrinGALANT.
19
ceffe . Opra Pitracha qui leur
avoit envoyé une grande &
fort belle eſcorte par le che
min , les recept avec tout
l'éclat & toutess les marques
de foumiffion poffibles , leur
fit le premier la Sombaye ,
& laleur laiffa faire par tous
les grands Mandarins . On
dit qu'il n'y eut que le feul
Prapie , & le S Conftance ,
qui ne s'emprefferent pas
pour cela , & que le fecond y
eftant venu quelque temps
aprés , le Prince ne le voulut
pas recevoir.
Il eſt aſſez probable que
120 MERCURE
Pitracha fe voyant comme
maiftre & affuré de ceux qui
pouvoient afpirer à la Couronne
, vouloit attendre la
mort du Roy , qui ne devoir
plus guere tarder , avant que
d'en venir aux mains , mais
ayant eu avis que Prapie, qui
voyoit bien le mauvais eftat
de ſes affaires , faifoit approcher
quelques Troupes de
gens armez pour hazarder fa
fortune , qui ne pouvoit eftre
que funefte fous la domination
des Princes irrritez con .
tre luy , cet habile Politique
prit auffi toft ce prétexte
pour
GALANT. 128
pour faire agréer aux Princes,
1 & autres Grands Mandarins ,
de le faire arrefter , & de s'en
défaire . Il ne demanda pas
mieux , pour faire valoir lon
prétendu zele , que de fe
charger de cette affaire. Il ne
perdit point de temps ; &
quoy que Prapie fuft alors
dans la chambre du Roy ,
d'où il ne fortoit gueres à
caufe du fecours qu'il luy
rendoit en fa maladie , il fit
fi bien qu'il l'en tira par ar
tifice jufques à la porte , & de
là par violence , le fit maffa
crer fur le champ , fans s'ar-
Decembre 1694- L
122 MERCURE
"
refter pour la priere qu'on
dit que luy en fit faire ce pau.
vte Roy mourant , à qui il
fâchoit beaucoup de voir
traiter de la forte celuy du
Royaume qu'il aimoit le
mieux.
Cette premiere Scene de la
Tragedie eftant faite, Opra
Pitiacha crur qu'en meſme
temps il ne falloit pas man
quer l'occafion de fe faifir du
S Conftance . Il donna incel
famment un ordre pour em
pefcher qu'on ne fceuft rien
au dehors de ce qui s'eftoit .
paffé au Palais , & envoya fur
GALANT . 123
le champ dire au S Conftance
de la part du Roy, 'qu'il eût
à s'y rendre . Le S Conftance
, qui ne fçavoir rien de ce
qui venoit d'arriver . & qui étoit
pourtant toujours dans la
crainte de quelque facheux
évenement , pria trois Officiers
François qui estoient à
Louvo , de l'accompagner
;
entre lefquels eftoit mon
Fils le Chevalier. D'abord
qu'il fut entré dans le Palais ,
Pitracha . s'avança vers luy
avec quantité de gens armez,
dont la Cour eftoit toure
pleine , le prit par le bras , &
Lij
!34 MERCURE
d'an ton fier & méprifant luy
dit qu'il l'arreftoit prifonnier
pour avoir confpiré avec Pra
pie contre le Royaume , & en
avoir diffipé les deniers . Dans
le mefme temps qu'il luy par
loit , il s'en trouva plufieurs
qui avoient le fabre levé fur
fa tefte , prefts à luy donner
le coup à la premiere parole
dece Mandarin . Les Officiers
François qui ne s'attendoient
à rien moins qu'à cela , luy
demanderent auffi soft ce
qu'il defiroit qu'ils fiffent
pour fon fervice ; mais il leur
répondit de ne rien faire, &
GALANT. 125
? de rendre mefme leurs Epées
qu'on leur demandoit . Pitracha
eut pour lors encore af
fez de prefence d'efprit , pour
voir qu'il luy importoit de ne
pas faire voir aux François
la mauvaiſe volonté qu'il
avoit contr'eux . Il ordonna
donc qu'à leur égard on les
conduifift à Thefipouffonne
, qui eftoit une Maiſon
Royale à trois lieues de Louvo
; & que là on s'afſuraft de
leurs perfonnes , & il les
accompagner par le
Mandarin Siamois qui avoit
efté fecond Ambaffadeur en
fit
Liij
126 MERCURE
France , pour leur faire entendre
qu'on en uſoit ainfi ,
afin de pourvoir à leur pro
pre feureté ; de peur , diloitil
, que le Peuple animé, comme
il eftoit, contre lesEtrangers
, & contre le S Conftance,
ne le portas contr'eux à
quelque excés , dont la Cour
feroit enfuite fâchée Il ne
manqua pas de faire auffiroft
éclater la prife qu'il
venoit de faire , & afin que
perfonne n'en puft igno.
rer , il fit promener le Sieur
Conftance fur les murailles
du Palais à ſes coſtez , ſuivy
"
GALANT. 127
de quantité de Brafpeints ,
qui font les gens dont ils fe
fervent quand ils veulent faire
arrefter quelqu'un ; puis il
le renvoya pour eftre attaché
avec cinq chaînes de fer , &
gardé fenlement dans le Pa.
lais mefme en un liet
deſtiné pour cela , d'où del
puis on ne l'a laiflé voir , ny
avoir de communication
avec aucun de fes Amis . Ily
a fouffert diverfes fois plu
fieurs queftions, dans lefquelles
, fuivant le bruit commun'
, & de la dépofition de
nos deux Mandarins Sia
Lilij
#28 MERCURE
"""
mois , il a efté contraint d'ayoüer
fon intelligence avec
Prapie , & d'avoir diffipé &
fait fortir hors du Royaume
de groffes fommes d'argent
des Magazins Royaux . On
tira de luy toutes les lumieres
qu'on put fur les Affaires des
Etrangers , aprés quoy on le
Coupa par morceaux . Sa maifon
ne manqua pas d'eftre
pillée , fa femme , & prefque
tous les parens furent cruel,
lement tourmentez par diver.
fes queftions qu'on leur don .
na pour avoir connoiffance
de tous les effets .
GALANT. 129
Il reftoit encore trois Mandarins
que Pitracha fçavoit
eftre dans le mefme party,
11 eut l'esprit trop prefent
pour leur laiffer l'occa
fion de s'évader. Il envoya
de fi bons ordres , que fans
coup ferir , ils furent tous
trois arreſtez & mis aux fers
dés la nuit qui fuivit la prife
du Sieur Conftance & la mort
de Prapie. Un des deux qui
eftoit à Louvo s'eftoit déja
mis en fuite , & fut arrefté
par les chemins ; les deux au
tres furent pris en leurs mait
fons à Louvo & à Siam , fans
A
130 MERCURE
que tout cela caufaſt le moindre
bruit .
Aprés avoir achevé de détruire
ce party , ce qui augmenta
encore fon credit &
fon autorité par l'adreffe avec
laquelle on l'avoit vû en ve
nir fi facilement
à bout , il
s'appliqua uniquement
à
chercher
des moyens pour
détruire les François
, qu'il
envifageoit comme le plus
grand obftacle qui luy reftoit
â les pretentions. Il n'avoit
pû réuffir a faire monter à
Louvo l'Aîné des Princes ,
qui fembloit mefme eftre
GALANT 131
entré dans quelque foupçon
, â caufe des inftances &
des follicitations reiterées
que ce Mandarin luy avoit
faitesde s'yrendre, ce qui auffi
n'avoit pas plû au ſecond
Prince , ny à la Princeffe qui
n'avoit pu s'empeſcher d'en
témoigner quelque chofe
Cela avoit obligé Pitracha,
pour ne pas laiffer prendre
racine à un foupçon qui luy
pouvoit eftre fi domma
geable, de ceffer d'en écrire
davantage à l'aîné des Princes
, & de faire de plus , en
prefence du fecond Prince ,
122 MERCURE
& des
Mandarins , un jurement
folemnel devant un Idole
qu'il fe fit apporter , qu'il
reconnoiffoit & reconnoîtroit
toûjours les Princes
pour les veritables Seigneurs ,
& qu'il ne vouloit rien faire
que pour leur fervice ; ce qui
leva tout foupçon contre
luy , & le mit encore plus en
eftat d'agir que jamais ; cependant
quoy que la vie du
fecond Prince & de la Prin
ceffe fuft entre fes mains
celuy qui reſtoit à Siam pou
voit avec les François luy
donner trop
d'exercice pour
GALANT
133
qu'il olaft hazarder le coup , &
voilà ce qui le détermină à fe
fervir de la haine qu'il avoit
luy- mefme Callumée contre
nous dans la coeur des Princes
,des Mandarins , & du Peuple;
pour les porter tous à en
treprendre abfolument nôtre
perte , leur faifant entendre
que le Royaume ne feroit jamais
paiſible , que nous ne fuffions
détruits . On nous a dit
que la Princeffe fut la premiere
à donner dans ce def.
fein , & qu'elle s'en est bien
repenrie depuis.
Avant que cela vinſt à la
134 MERCURE
force ouverte , ce que Pitracha
voyoit un peu difficile , il
fe voulut fervir de tous fes
aitifices , & nous avoir par
fon efprit,comme il diſoit , &
c'eftoit ce qui luy avoit toû
jours fait diffimuler aux
François ce qu'il avoit dans
le coeur contr'eux , pour les
mieux difpofer à donner dans
les pieges qu'il leur tendoit .
Unjour aprés la priſe du S
Conftance , il avoit écrit à
M ' l'Evefque de Metellopolis
& au S Veret , qu'à la ve
rité il eftoit arrivé quelque
broüillerie à Louvo , & que
GALANT. 135
le Roy y avoit fait arrefter le
S ' Conftance , pour un crime
qu'il avoit commis contre
l'Estat , mais que ce n'eftoit
rien que cela , & que Sa Ma
jefté Siamoife luy avoit or
donné de leur faire fçavoir
qu'on n'en vouloit aucune
mént nyaux François , ny à
la Religion Chreftienne, afin
qu'ils ne fe miffent en peine
de rien. Deux ou trois jours
aprés , il écrivit une feconde
Lettre à ce mêmeEvefque
& à
M' l'Abbé de Lionne , pour les
inviter de la part du Roy de
monter tous deux à Louvo ,
136 MERCURE
ou du moins M l'Abbé de
Lionne , en cas que M de
Metellopolis fuft indiſpoſé.
Ml'Abbé
de Lionne y étant
monté apprit avec étonnement
que tous les François
qui estoient à Louvo avoient
efté arreftez , & que tous les
autres Chreftiens Siamois ,
Pigots , Portugais & autres,
eftoient fort mal- traitez dans
les prifons ; & le Mandarin
Siamois , qui avoit eſté premier
Ambaffadeur
en France
l'eftant venu faluer peu de
temps aprés qu'il fut arrivé ,
il luy en marqua fon reſſenGALANT.
137
timent en luy en demandant
raiſon. Ce Mandarin qui
eftoit un des plus dévouez à
Opra Pitracha , & qui a eſté
fait Barcalon pour recompenfe
des bons fervices qu'il
luy a rendus en toutes fes
affaires , artribua tout ce
qui s'eftoit fait à l'égard des
Chreftiens à la fureur de la
populace , & d'affura qu'il les
alloit tous faire mettre en liberté
, mais que pour les
François , on n'en avoit ufé
ainfi que par la confidera.
tion que la Cour avoit pour
leuts perfonnes, qu'on n'avoit
Decembre
169 4. M
+, 8 MERCURE
pas voulu laiffer expofées
aux infultes. Il delivra en effet
fur le champ tous les pri
fonniers , & peu de temps
aprés M. l'Abbé de Lionne
eftant allé au Palais, le grand
Mandarin l'y reçut fort bien
au milieu d'une Cour magni
fique d'autres Mandarins , qui
eftoient prefque tous profternez
à fes coftez ; mais
aprés beaucoup de Compli.
plimens il luy declara que
l'intention du Roy eftoit que
je montaſſe à Louvo ; qu'à la
verité le Roy ne me blamoit
pas de m'en eftre retourn
GALANT 139
de Siam aprés les bruits fâ
cheux qui couroient pour
lors , & qu'il fçavoit que je
n'avois pû monter depuis à
cauſe d'une maladie qui m'éì
toit furvenue , ce qui l'avoir
porté à m'envoyer de fes Mcdecins
pour marque de l'es
ftime &
iderlabconfideration
qu'ilavoit pour ma perfon
ne ; mais qu'à prefent qu'il
fçavoit que je me portois
bien il eftoit neceffaire que,
je ne differaffe pas davantage.
a obeir aux ordres de Sa
Majefté , qu'il m'envoyoit
pour cela les deux Mandas
?
M ij
140 MERCURE
monrins
qui avoient efté Ambaffadeurs
en France pour me
faire plus d'honneur , & marquer
davantage à tout le
monde combien j'eftois dans
fon eftime & fon amitié.
Il ajoûta enfuite que fi
aprés cela je ne
tois pas , je donnerois par
mon refus un jufte fujet de
me foupçonner de quelque
entrepriſe contre l'Estat , &
qu'il en pourroit arriver de
fâcheufes affaires , au lieu
que tout iroit bien ſi je voulois
monter ;qu'il croyoit que
je n'y ferois pas davantage
GALANT 14
de difficulté , & qu'il retenoit
toujours en attendant mon
Fils le Chevalier en fa .com .
pagnie . Le premier Ambalfadeur
ajouta de plus dans
une autre vifite qu'il fit à M
l'Abbé de Lionne, que le Roy
n'avoit fait arrefter le Sieur.
Conftance que pour quelque
crime , & auffi parce qu'il ne
contentoit pas les Etrangers ,:
qu'il avoit deffein de mettre
mon Fils aifné en fa place,,
& que c'eftoit pour cela qu'ib
eftoit befoin que je demeu
raffe quelque temps à Louvo
pour le conduire dans les af -
142 MERCURE
faires , & que c'eftoit une des
principales raifons pourquoy
on me faifoit monter.
Quelques artifices nean
moins dont ils fe ferviffent , il
ne falloit pas eftre trop éclai

pour
voir
que les affaires
n'alloient
pas
bien
, & j'avoue
que
je demeuray
fort
chancelant
fur ce que
j'avois
à faire
touchant
la
propofition
que
me
venoient
faire
ces
Ambaffadeurs
qui
avoient
été
en France
. J'aurois
bien
fouhaité
qu'ils
fe fuffent
contentez
du
refus
que
je faifois
.
d'accepter
pour
mon
Fils les
GALANT. 143
Charges qu'on luy prefentoit
; mais ils vouloient que
je montaffe. M' l'Abbé de
Lionne , que le Mandarin avoit
obligé de defcendro
avec eux m'en follicitoit
auffi , eu égard à l'eftat où
eftoient les affaires. D'un
cofté je voyois bien le perik
où je m'expofois en me mertant
entre leurs mains ; d'un
autre auffi je ne pouvois refu.
fer de monter fans tout rom.
pre , & nous n'eftions nulle
ment en eftat de foutenir un
Siege , eftant fans vivres , &
fans aucuns affats dans la Pla
141 MERCURE
ce, qui d'ailleurs eftoit ouver
te de tous cofteż Aprés avoir.
bien balancé , je crus qu'il
eftoit de mon honneur & de
mon devoir , de m'expofer
avec mes deux Enfans , à
toutes fortes de perils , pour
tenter par cette marque de
confiance fije ne pourrois pas
lever leurs foupçons , & conferver
les Troupes , ce qui
paroiffoit impoflible par tout
autre moyen. Je trouvois qu'
en m'expofant ainfi , j'avois
au moins ces deux avantages.
Le premier, de faire connoitre
à toute la terre la bonne
foy
GALANT. 145
foy des François, qui auroient
peut- eftre efté un peu foup
gonnez par mon refus de
monter; & le fecond de
menager toujours quelque .
temps , pendant lequel on
pourroit fe munir d'un peu
de vivres, préparer des affuts ,
planter des paliffades , & mettre
la Place en un estat un peu
meilleur. Je fis donc venir
Mr de Verdefalle , qui commandoit
aprés moy , & luy
donnay tous les ordres que
je crus neceffaires pour le
bien public , ajoûtant en
prefence des Officiers , que
Decembre 1694. N
146 MERCURE
je voyois bien le peril où je
m'expofois en montant , mais
qu'auffi en refufant de monter
, le peril qui fuivoit mon
refus eftoit & plus general, &
plus certain ; que je luy commandois
de faire bien fon devoir
en mon abſence , & de
me laiffer plûtoft perdre moy
& mes Enfans à fa vûë , fi la
chofe en venoit jufque- là,
que de rendre la Place , dont
je luy confiois la garde jufques
à mon retour.
Je referve pour le mois prochain
la fuite de cette RelaGALANT.
547
tion , afin de diverfifier les
matieres , & ne doute point
que les Vers que vous allez
lire ne vous faffent le mefme
plaifir qu'ils ont fait à tout
ce qu'il y a de bons Connoiffeurs.
Leur tour ailé vous
fera connoiſtre qu'ils partent
de fource , & que l'Auteur a
tous les talens qui peuvent
faire réuffir avec avantage ,
quand on entreprend un ouvrage
de Poëfie. La matiere
en eft relevée , & il feroit
difficile de la traiter avec plus
de force , ny plus noblement.
Nij
148 MERCURE
SSÉESSS SESESSSZZZ
CANTIQUE
Sur les vaines occupations
7des gens du Siecle , tiré de
divers endroits d'Ifaïe &
7
2 de Jeremie .
Q
VEL charme vainqueur du
monde
Vers Dieu m'éleve aujourd'huy ?
Malheureux l'homme qui fonde
Sur les hommes fon appuy!
Leur gloire fuit & s'efface
En moins de temps que la trace
Du Vaiffeau qui fend les mers ,
Os de la flèche rapide ,
Qui loin de l'oeil qui la guide
Cherche l'oifeau dans les airs .
GALANT. 149
De la Sageffe immortelle
La voix touche & nous inftruit .
Enfans des hommes , dit- elle ,
De vos foins quel eft le fruit ?
Par quelle erreur , Ames vaines ,
Du plus pur fang de vos veines
Achetez vous fi fouvent ,
Non un pain qui vous repaiffe,
Mais une ombre qui vous laiffe
Plus affamez que
$
devant.
Le Pain que je vous propofe
Sert aux Anges d'aliment .
Dieu luy-mefme le compofe
De la feur de fon froment.
C'eft ce Pain fi delectable
Que ne fert point à ſa table
Le monde que vous fuivez.
Ie l'offre à qui me vest fuivre ,
Approchez voulez- vous vivre ?
Venez, mangez, & vivez.
Niij
150 MERCURE
O Sageffe , ta parole
Fit éclorre l'Vnivers ,
Pofa fur un double Pole
La Terre au milieu des Mers.
Tu dis , & les Cieux parurent,
Et tous les Aftres courarent
Dans leur ordre fe placer.
Avant les Siecles tu regnes .
Et qui fuis-je que tu daignes
Iufqu'à moy te rabaiffer?
Le Verbe , Image du Pere ,
Laiffa fon Trone éternel ,
Et d'une mortelle Mere
Voulut naiftre homme & mortel.
Comme l'orgueilfut le crime
Dont il naiffoit la victime ,
Il dépouilla fa fplendeur ,
Et vint, pauvre & miferable ,
Apprendre à l'homme coupable
Sa veritable grandeur.
GALANT.
151
L'ame heureufement captive.
Sous von joag trouve la paix ,
Et s'abbreuve d'une eau vive,.
Qui ne s'épaife jamais.
Chacun peut boire en cette onde,
Elle invite tout le monde ,
Mais nous courons follement
Chercher des fources bourbeufes
En des Citernes trompeufes,
Dont l'eau fait à tout moment.
J'ay à vous apprendre la
mort d'un homme également
recommandable par la naiffance
,fa pieté , & fon merite.
C'eſt celle de Mª Boizöt
Docteur en Theologie &
Abbé de Saint Vincent de
Bezançon Sa famille eft des .
Niiij
152 MERCURE
plus confiderable de la Robe
, & fort affectionnée au
fervice de l'Eftat . Il avoit
dans le Parlement de Bezançon
un Frere ancien Prefident
à Morcier , qui a eſté
longtemps Intendant des
Fortifications fur la Sarre , &
dont le Fils exerce prefentement
la Charge ; un autre
Procureur General ; & un
troifiéme , Confeiller au mef
me Parlement ; Deux Neveux
de fon meſme nom ,
Fun Capitaine de Chevaux ,
& l'autre Chanoine de l'Eglife
,Metropolitaine de Be-
61.
GALANT.
153
zançon . Voila quelle eft la
1 famille de feu M' l'Abbé Boizot.
Quant à la pieté , on n'en
peut avoir de plus veritable .
Il vivoit dans fon Abbaye
avec une regularité exemplaire
& toute la charité imaginable.
Il eftoit fçavant fans
oftentation , & poſſedoit plu-,
fieurs Langues mortes & vivantes
, & une parfaite connoiffance
de l'Antiquité. Sa
Bibliotheque eftoit, belle , &
remplie de quantité de precieux
Manufcrits . Il n'y avoit
rien de plus curieux que fon
Cabinet on y trouvoit de
154 MERCURE
fort belles fuites de Medailles
, avec plufieurs raretez
qu'on ne voyoit point ailleurs.
Il eftoit connu de tout
ce qu'il y avoit de Perſonnes
Sçavantes dans l'Europe , &
plufieurs des plus habiles
l'ont confulté fur bien des
chofes , particulierement fur
l'Hiftoire. Il avoit un nom .
bre confiderable de Memoires
du Cardinal de Granvelle
, qui avoit efté Abbé de
Saint Vincent , & plufieurs
Lettres en original de Charlesquint
, de Philippes 11.
d'Elifabeth d'Angleterre , &
GALANT
155
autres Princes & Miniftres du
temps de ce Cardinal , pour
qui il avoit beaucoup d'eftime
& de veneration .
Ileftvray , Madame , qu'en
vous apprenant la mort de
Madame de Faucon de Ris ,
Veuve de M'de Faucon de
Ris Premier Prefident au
Parlement de Rouen , je ne
vous fis point le détail de fa
famille. Puifque c'est vous
faire plaifir que d'y entrer
je vous diray qu'elle eft une
des plus Illuftres de Normandie
, & que cette Dame qui
s'appelloit Charlotte Mai-
4
156 MERCURE
2
gnart de Bernieres , defcen
doit de Richard Maignart
,
Gouverneur
de Vernon
, qui
en 1442. remit cette Villelà
en l'obéiffance
du Roy
Charles VII. Depuis
ce
temps - là , fon Fils Guillaume
Maignart fut Confeiller
à l'Echiquier
compofé des plus
nobles de la Province
, & enfuite
il le fut au Parlement
,
lors qu'il fut rendu fedentaire
par le Roy Louis XII . en la
Ville de Rouen en 1495 : Ses
defcendans
ont toûjours
rem.
ply des Charges de Maiftres
des Requeſtes
, & de PrefiGALANT
. 157
6
dent à Mortier au mefme
Parlement. Feu Méflire Charles
Maignart de Bernieres ,
Maistre des Requeſtes , épou
fa en 1638. Dame Anne Amelot
, Fille de Meffire Jacques
Amelot, Premier Prefident
à la Cour desAides de Paris
. Dece mariage font fortis
trois enfans , fçavoir , Meflire
Etienne Maignart de Bernieres
, Confeiller au Parlement
de Paris ; Meffire Charles
Louis Maignart de Bernieres
, Procureur General au
Parlement de Rouen, & Da.
me Charlotte Maignard de
158 MERCURE
Bernieres , qui avoit épousé
en 1667. Meffire Charles de
Faucon de Ris , Maiſtre des
Requeftes , depuis Prémier
Prefident du Parlement de
Rouen. Meffire Estienne
Maignart de Bernieres époufa
en 1665. Dame Magdelaine
de Faucon de Ris , Soeur
de ce mefme Premier Prefident
, & il en a eu Meffire
Charles Eftienne Maignart
à prefent Maistre des Requeftes
. i
Je vous ay auffi parlé de la
mort de Madame laMarquife
de Torcy , fans vous en dire
GALANT. 159.
t
que fort peu de chofe . Trois
jours auparavant , elle avoit
paffé toute la journée aux
Carmelites du Fauxbourg S.
Jacques , où elle fit fes devotions
d'une maniere , qui édifia
tous ceux qui la virent.
Elle tomba malade le lendemain
, & mourut deux jours
aprés dans le temps qu'on la
croyoit , & qu'elle fe fentoit
beaucoup foulagée. Vous ne
ferez pas fâchée de voir ce
qu'a écrit d'elle une perſon.
ne qui la connoiffoit parfaite
ment. Voicy ce que porte fa
Lettre , aprés la nouvelle de
cette mort .
160 MERCURE
C'est une perte d'autant plus
confiderable , que Madame de
Torcy eftoit une perfonne d'un
merite extraordinaire . Elle eftoii
d'une taille d'un air qui répondoient
àfa naiſſance ; & qui
faifoient voir à tout le monde ,
& à ceux mefme qui ne la connoiffoient
pas , que cette naiffan.
ce eftoit des plus hautes & des
plus illuftres . En effet , Marie-
Françoife . Elizabeth de Lhofpi
tal Vitry , Epouse de Mr le
Marquis de Torcy,defcendoit du
cofte paternel de la tres illuftee
tres ancienne Maifon de
Lhofpital, elle eftoit la dernieGALANT.
161
re de la branche de Vitry,
Cette Maiſon a donné plufieurs
grands Officiers à l'Eftar ,
des Grands Maiftres des Albaleftriers
, des Ducs & Pairs , des
I Mareschaux de France , des
Lieutenans Generaux , des Capivaines
des Gardes du Corps , des
Gouverneurs & Lieutenans de
Roy de Provinces & des plus
confiderables Villes , mefme de la
Capitale du Royaume , des Mi.
niftres d'Eftat des Chevaliers des
Ordres de nos Rois . Madame la
Marquife de Torcy venoit du cofté
maternel des illuftres Mai
fons de Por de Rodes & de la
Decemb . 1694.
"
O
162 MERCURE
Chaftres , remplies auffi de Marefchaux
de France , de Capitai .
nes des Gardes ; de Grands Maifires
des Ceremonies , de Gouver
neurs de Provinces , de Chevaliers
des Ordres , & des premieres
Charges de l'Estat.
On ne peut dire à combien de
grandes Familles ces trois Mai-
Jon's font alliées. Ce qui eft cer
tain; c'est que Madame de
Torcy eftoit parente ou alliée de
tout ce qu'il y a de plus grand
& de plus relevé dans le Royaume.
Elle eftoit fille de feu Mr le
Duc de Vitry , recommandable
par des actions de grande va
GALANT . 163
leur & de fage conduite à la
guerre , & par un esprit fi vafte
une connoiffance fi profonde
fi parfaite des Affaires de
1 Eftar & des interefts des Prin
ces & que le Roy l'avoit employé
dans les Negociations les plus
importantes , l'avoit nommé
Plenipotentiaire pour la Paix de
Nimegue , où il fe preparoit d'aller
, lors qu'il tomba dans la maladie
dont il est mort. Elle avoit
épousé en 1680 Antoine Philbert
de Turcy , Chevalier , Marquis
de Torcy & de la Tour , Baron
d'Efgreville eg de la Maifonfort,
Seigneur de Lindebeuf, du Torp,
O ij
164 MERCURE
de Noan le FuZelier , & d'autres
Terres &Lieux , Brigadier
General des Armées du Roy, Capitaine
Souslieutenant de la Compagnie
des Chevaux- Legers
Sa Majesté , &fon Couſin au
cinquième degré, eftant du cofté
maternel de la mefme Maifon de
Lhofpital de la branche des Comtes
de Saint Mefme.
de
Il est fils de feu Mrle Marquis
dela Tour, Lieutenant General
des Armées du Roy, Com
mandant en Chef les Troupes de
Sa Majesté dans le Mantoüan,
pendant la minorité du Duc ,
Gouverneurpremierement de CaGALANT.
165
>
zal qu'il deffendit avec une peti
te Troupe de gens contre toutes les
forces de l'Empire & de l'Espa
gne qui l'affiegeoient autant
qu'il fallut pour attendre le fecours
de Mr le Comte d'Harcourt
qui en fit lever le Siege, &
qui donna une partie de la gloire
de cette Expedition à Mr le
Marquis de la Tour. Il fut
fuite Gouverneur de Dieppe , &
puis d'Arras , un des premiers
Gouvernemens du Royaume . Il
avoit eu du feu Roy l'afurance
d'eftre fait Maréchal de France,
er Chevalier de l'Ordre à la
premiere promotion ,
en.
il mourut
166 MERCURE
Mr le
comblé de gloire & de benedictions,
regretté univerfellement
de la Cour & du Peuple , dès
Grands & des Petits
Marquis de la Tour eftoit de la
Maifon de Torcy, illuftre dés la
conqueste de la Terre Sainte , où
nous voyons dans l'Hiftoire que
Godefroy de Bouillon mena un
Seigneur de Torcy, & que cefut
dans cette guerre fainte que
Maifon deTorcy prit les Armes
qu'elle a confervées depuisjufque's
prefent felon Fean le Feron
Cette Maifon s'eft fignalée
dans tous les temps par fon at.
tachement particulier & fa fide .
a
la
GALANT. 167
lité à nos Rois , qui l'ont bonorée
de grandes Charges & de Gou
vernemens confiderables , & elle
sest alliée aux Maifons de
Mouchy, d'Hocquincourt , d Eftrées
, de Boufflers , d'Eftourmel,
de Bofraucourt , d'Aucourt , de
Boulainvilliers , Sainceres , d Humieres
, de Lhofpital , & autres
des plus confiderables Familles du
Royaume.
Toutes ces extractions , toutes
ces alliances relevées , tous ces ti
tres éclatans , faifoient la moindre
des grandes qualitez de Madame
la Marquise de Torcy . Elle
avoit une ame un coeur au
168 MERCURE
deffus de fa naißance Perfonne
n'a jamais porté plus loin qu'elle
le courage , la grandeur d'ame, la
generofité, la nobleffe des fenti
mens , l'étendue de l'efprit & des
connoiffances , la prudence , la
penetration fine , le difcernement
juste , la folidité du jugement , le
defintereffement , le bon gouſt i
le rafinement dans toutes choſes ;
&cu meſme temps , perſonne n'a
jamais eu plus qu'elle de religion,
defoy , de charité, d humilité, de
pieté , de devotion , de compaffion,
de douceur , de complaisance , de
patience , de bonté, d'honnefteté,
de civilité d'envie d'obliger & de
faire
GALANT. 169
faire plaisir àtout le monde, d'application
à tout ce qu'elle croyoit
eftre defesdevoirs ; de foin pourfon
domestique & pour ses affaires ,
de peu d'attachement pour les
grandeurs , & de vray mépris
pour les amuſemens du monde
aufquels , maisfans affectation ,
elle préferoitfouvent lafolitude.
Aprés cela , Monfieur , nous në
nous étonnerons pas que Madame
la Marquise de Torcy ait efté
admirée , respectée , honorée , atmée
de tout le monde pendant fa
univerfellement regretée.
benie aprés fa
vie ,
pleurée ;
mort.
Decemb. 1694. P
170 MERCURE
On a fait depuis peu un
nouveau Plan de Paris , beaucoup
plus net & plus commode
, que tous ceux qui ont
paru jufques à prefent, étant
d'un mediocre volume , &
d'une grandeur qui n'eft
pas embarraffante. La largeur
que l'on a donnée aux
ruës aux dépens , des Bâtimens
particuliers , les rend fi
nettes & fi diftinctes , qu'on
les remarque & démeſle aſſez
aifément ; pour les trouver
fans aucune peine . Les places
publiques s'y découvrent
en un moment , & les EgliGALANT
171
fes , les Monafteres , & tous
les autres grands Edifices
plus confiderables y paroif
fent dans une élevation , qui
les fait , pour ainfi dire , fauter
aux yeux tout d'un coup ;
mais fans bleffer la vûë ,
puis qu'au contraire elle les
rend agréables , & qu'elle fait
tout l'ornement de ce Plan .
Il peut eftre d'une grande
utilité aux Etrangers , & à
tous ceux qui ont beaucoup .
d'affaires dans Paris , donnant
aux uns la facilité de
ſe promener dans
grande Ville , & aux autres
tiaP-ij.
cette
172 MERCURE
la commodité de trouver fa
cilement fur ce Plan le chemin
qu'ils ont à faire , fans
le demander de ruë en ruë,
& de fe conduire eux - mêmes
d'un Quartier à l'autre . Il fe
vend à Paris chez G. Montbard
, Graveur en Taille-dou
ce, rue S. Jacques , proche de
S. Benoist, à l'Enſeigne de la
Ville d'Anvers.
Je vous envoye une Medaille
que l'on a frappée fur
la prife de Rofes . Je ne vous
en donne point l'explication,
parce qu'elle parle affez d'el
le mefme , & qu'elle eft intelgible
comme devroit l'eftre
QVAM
BENE
ROSES SOUMISALOBEISS DUROY
JO JUTNJ 693-
CONVENIYNT

GALANT . 173
tout ce qui porte le nom de
Medaille.
ir
Le Lundy 15. du mois paffé
M de Gafcq , Preſident &
Lieutenant General au Siege
Prefidial de Saintes , y fit
l'ouverture des Audiences
fuivant fa coutume par un
Difcours fort élegant , & qui
eut l'applaudiffement de tout
le Barreau , auffi bien que
d'un fort grand nombre de
perfonnes confiderables que
la ceremonie du jour avoit
attirées . Il dit d'abord qu'il
ne vouloir parler que de la
Juftice pofitive que les Jurif
P iij
174 MERCURE
confultes definiffent Conftans
& perpetua voluntas jus fuum
cuique tribuendi ; & commé
cette maxime touche principalement
les obligations
des Juges elle luy fit
adreffer
particulierement
la parole aux Officiers de
fon Siege. Non pas , dit- il,
qu'il fuft neceffaire de les
inviter à ce qui eft de l'honneur
& de la dignité de leurs
Charges ; mais pour l'autori
fer davantage dans les exhortations
& dans les remontrances
qu'il avoit à faire
dans la fuite aux Miniftres
GALANT. 1-5
"
#inferieurs de la Juftice . Il fit
voir que les trois principaux
devoirs des Juges font de
craindre Dieu , d'honorer le
Roy , & de garder l'union
fraternelle , que cette Sentence
que l'Apôtre appelle
Royale , renferme tous les au
tres devoirs des Juges, & tout
ce qui eft de la Juftice pofi-.
tive. Aprés avoir parlé en
peu de mots de la crainte
que les Juges doivent avoir
des jugemens de Dieu , pour
ne pas fortir de fon caractere
, & n'entreprendre pas fur
les Droits de la Chaire, il paffa
Piiij
176 MERCURE
au fecond de leurs devoirs ,
qui eft d'honorer le Roy ,
comme eftant l'Image de
Dieu en terre .
il eft , leur dit- il, noſtre ſouverain
Magiftrat , le Pere commun
de tousfes Sujets , le Gouverneur
immediat que Dieu a
étably fur une bonne partie de
fon nouveau Peuple . Ainfi à tous
ces égards nous lny devons nos
foumiffions , nos refpects & une
obeiffance aveugle. Il n'eft pas
befoin des textes de l'Ecriture
pour nous perfuader, ces veritez:
nous en faisons un Article de
noftre Foy. Noftre Monarchie tiGALANT
177
S
" re fon droit de celuy des Conqueftes
qui eft toujours abfolu . No.
stre Monarque tientfa Couronne
de la feule main de Dieu . Ainfi
fa puiffance eft independante fou .
verainement Souveraine & Def
potique. Ce font des principes
gravez dans nos coeurs qui les
luyfoumettent abfolument ,
qui portent la terreur dans ceux
de nos Ennemis .
ن م
Au refte , continua til ,
l'Hiftoire ne marque point de Roy
fi aimé de fon Peuple , ny ſi redouté
de fes voifins , que Louis le
Grand. Chacun reconnoift la fa-
・geffe de fes Confeils , fa Valeur
178 MERCURE

à executerfes vaftes deffeins ; per
fonne ne doute de la felicité des
événemens, chacun voit que Dieu
le conduit comme par la main. Il
eft le fupport defes amis , la ter- `
reur defes ennemis , le refuge des .
Rous détrônez, le foutien de la
Religion , unfujet d'admiration
à tout IVnivers . C'eft ferevolter
contre le Ciel que de s'armer contre
luy , parce que la raiſon eſt
l'ame de fes entreprifes & la
justice le but de fes armes Que
ne fait il point ? Que n'a t∙ il
point fait pour le repos & pour
la gloire de la France ?
tens pasparcourir icy toutes les ac
ene
préGALANT.
179
des
.
tions miraculenfes defa vie , cela
ne fera jamais fait qu'imparfai .
tement.
gloire
Mais , Grand Monarque ,
ajouta - t - il , que toute la terre
regarde aujourd'huy comme la
la merveille des Rois ,
qui faites l'entretien de toutes les
Cours du monde , pardonnez fi
aprés tant de chants d'allegreffe ,
de vive le Roy, qui ont juf
qu'à prefentfuivi vos Triomphes,
nous pouffons quelques Soupirs
dans l'eftat où la neceffite de vos
preßans befoins nous réduit , &fi
dans la douleur de voir que
cette
feptiéme Campagne n'a pas encore
180
MERCURE
fini tous vos travaux , ny defarmécette
multitude opiniâtre d'Ennemis
, quifont depuis fi longtemps
arme contre vous , nous faisons
quelques voeux pour la Paix ,
cette Fille de la Fuftice dont nous
celebrons aujourd buy l'entrée
dans un de fes Tribunaux.
Ces tranfportsfont pardonnables,
mais comme les Juges doivent
être toujours égaux, & que le Chef
de la Fuftice ne porte jamais le
deuilpour quelque caufe que cefoit,
afin de marquer qu'elle eft impaffible
, prenons garde que lors que
tant d' Ennemis s'obstinent à demeurer
unis contre nous , il ne nous
GALANT. 181
échappe quelque plainte , comme
il arriva au Peuple d'Ifraël , qui
crioit au Ciel er demandoit à
Dieu qu'il lefoulageaft , car Dieu
ne nous répondroit autre chofe ,
que ce qu'il fit à ce Peuple bien
aimé, Nunquid eft Rex in Ifraël
, pour luy apprendre qu'il
n'avoit d'autre reffource que dans
lafoumiſſion & dans la confiancè
que de veritables Sujets ont toujours
pour celuy fur lequel Dieu
fe repofe luy - mefme de leur con .
duite.
Il prit de là occafion de
parler des Augmentations
de
gages que le Koy a bien vou
182 MERCURE
lu accorder aux Prefidiaux ,
en confirmant leurs Privileges
. Le Roy , dit - il , eft le maitre
de nos biens de nos vies . C'eſt
un effet de fa clemence & de fa
bonté de chercher des prétextes
Specieux pour nous engager à le
fecourir dans fes befoins ; il pour
roit les demander fans autre raifon
que celle de fa fouveraine vo
lonté , car la richeffe des Peuples
eft la richeffe des Rois ; mais quoy
que rien ne l'empeſche d'en uſer
comme ce Roy de Perfe , qui n'eur
qu'à fairepublier àfon de trompe ,
qu'illuy eftoitfurvenu une affaire
importante que chacun euft à
GALANT. 183
l'aider de fes biens felon fon pouvoir,
eg mist fon feing & fon
Sceau à fa contribution pour eftre
reconnu , & qui par ce moyen recueillit
des fommes prodigieufes i
cependant noftre Monarque veut
bien nous rendre raiſon des fommes
qu'il nous demande , & nous
en payer, pour ainsi dire , l'intereft
. Il aime mieux alienerfon domaine
par des Augmentations de
gages , que d'appauvrir tant foit
pen fes Sujets ; il fe faigne luy
mesme afin d'épargner lefang de
fon Peuple. C'est ainsi qu'en ufent
Les bons Princes. Quoy que les
neceffitez de l'Estat foient imper
184 MERCURE
rieuſes & fans condition , qu'elles
justifient toujours affez ce qu'elles.
confeillent ; neanmoins il femble.
que Sa Majesté veuille traiter
avec nous dans la demande qu'
Elle nous fait . Que cela eft enga
geant ! que cela eft touchant , pour
des coeurs qui ne font pas infenfibles
! Mettons donc noftrefeing
noftreſceau , comme les Perfes , à
noftre taxe. Nerifquons point les
bonnes graces d'unfi bon d'un
fi grand Prince. Que cette impuiffance
dont nous nousfommes
jufqu'à prefent deffendus , & qui
nest peut- eftre que trop fincére à
l'égard de quelques uns de nous ,
&
GALANT . 185
céde enfin à cette patience avec la
quelle il nous attend , de peur que
Jon indignation neprenne faplace .
Souvenez vous , Meffieurs , que
l'obeïffance vaut mieux que lefa
crifice Que cette Compagnie à
laquelle on ne peut rien reprocher
depuis fa creation , ne foit point
vûë la pointe en arriere , comme
le dard de Ionatas. Animons le
Peuplepar notre exemple àfaire ce
qu'il doit dans ces occafions . Nous
Jommes ces lampes d'argentquicom.
pofoient le Chandelier à fept bran.
ches , dont il eft parlé dans l'Exode
, lequel eftoit pofe fur les Fleurs
deLis pourmarquer l'attachement
Dec. 1694 .
186 MERCURE
des Magiftrats à la Royauté.
Nousfommes les lampes qui éclai
ronsles Peuples , & qui les conduifons
mefme autant par nostre
exemple que par nos lumieres . Ai.
mons & gardons l'union frater
nelle. C'est par là qu'il finit fon
difcours , qui eut tout l'effet
qu'il s'eftoit propofé.
M' de Gafq eft d'une Famille
originaire de Bordeaux ,
& qui depuis l'année 1462 .
que Louis XI. y érigea un
Parlement, a toujours fourny
des Officiers de Juſtice à cette
celebre Compagnie , & des
perfonnes de merite à l'EGALANT.
187
1
glife . Le Pere de ce Lieute
nant General , époufa en premieres
Noces , la Fille de feu
M'Marfaud , auf Prefident
& Lieutenant General à Sain →
tes , & fa fidelité envers le
Roy dans le temps des Guerres
civiles , le fit honorer
d'un Brevet de Confeiller
d'Etat honoraire . Ces deux
Familles conſiderables par
elles meſmes , le font également
parleurs alliances . C'eſt
dence mariage que M le
Lieutenant General de Saintes
eft forty , & depuis qu'il
eft en poffeffion de fa Char
Q ij
188 MERCURE
ge , il ne s'eft point preſenté
d'occafion , qu'il ne s'en foit
fervy à donner des mar
ques de fon zele pour le fervice
du* Roy.
Il eft difficile d'aimer deli
catement fans avoir quelques
mouvemens de jaloufie. Cependant
cette paffion eft fi
contraire à l'amour , que fi
elle ne vient pas à bout de
l'étouffer , elle luy fait fou
vent des bleffures dont il a
L'avanture peine à guerir.
que je vais vous raconter en
eft une preuve. Une jeune
Demoiſelle
, auffi aimable par
GALANT. 189
fon humeur & par la douceur
de fon efprit , que par l'agrément
de fa perfonne , vivoit
avec une mere qui aimant
beaucoup le monde , ne laif,
foit pas de
s'être
toûjours
fait
eftimer
par
la
regularité
de
fa
conduite
.
Le
jeu
, la
promes
nade
, &
les
autres
divertiffemens
que
fe
permettent
les
femmes
, luy
faifoient
paffer
le
temps
agreablement
,
&
comme
elle
eftoit
d'un
fort
bon
commerce
, on
avoit
de
l'empreffement
à
eſtre
de
ſes
Amis.Le
plaifir
que
l'on
le
fai
.
foit
d'aller
chez
elle
, redoubla
190 MERCURE
beaucoup , lors que fa Fille
eut atteint ces belles années
où la beauté brille dans tout
fon éclat . Elle eftoit blonde,
avoit les traits reguliers , &
ayant pris les Leçons d'une
habile Merg , elle n'eftoit
point embarraffée des douceurs
qu'on luy contoit . Les
Amans fe prefenterent en
foule , & il s'agiffoit de faire
un bon choix. Un jeune
Marquis fut un des premiers
qui fe montra touché de fes
charmes . Il eftoit bien fait ,
avoit de l'efprit , & il l'auroit.
emporré fur tous fes Rivaux ,
GALANT . 191
1
mais il dépendoit d'un Pere
auffi abſolu qu'ambitieux , qui
ayant des vûës pour luy , ne
luy laiffoit pas le pouvoir de
s'engager. Il gen expliquoit
fans aucun déguiſement , &
ne marquant aucune pretention
, il demandoit feulement
à eſtre Amy de la mere & de
la Fille , ce qui le faifoit rece
voir fans confequence. Il prenoit
plaifir à voir la Belle , &
comme il eftoit complaifant
& enjoüé , la Belle en prenoit
auffi à le voir . C'eftoit
cependant fans enga
gement de coeur. Aufli ne
192 MERCURE
A mit elle aucun obftacle à.
l'amour d'un Cavalier , quia
commença par luy demander
firien ne luy déplaifoit dans
fa perfonne , & fi elle agréroit
qu'il prift de l'attachement
pour elle . La Belle
répondit en Fille fage que
quand fa Mere luy auroit
permis de l'écouter , elle luy .
feroit connoiftre qu'elle fe
tenoit honorée de la recherche.
Une réponſe fi digne.
d'une perfonne qui n'avoit
pas moins d'efprit que de
vertu , fut un grand charme
pour le Cavalier . Il fe declara
avec
GALANT .
193
avec la Mere , qui confentant
à fa pallion , vit avec joye
qu'il voluft bien employer
fes foins à meriter le coeur
de fa Fille. Ce fut un deffein
qu'il ne forma pas inutilement.
La correfpondance de
la Belle le rendit éperdûment
amoureux en fort peu de
temps, & toutes deux avoient
bien fujet de fouhaiter la
conclufion de cette affaire .
Tout ce qu'on peut demander
dans un Amant dont on
veut faire un Mary , ſe rencontroit
dans le Cavalier. Il
eftoit riche , d'une Maiſon
Decembre 1694. R
194 MERCURE
affez diftinguée , & il n'avoit
aucune des mauvaiſes qualitez
, dont les jeunes gens
femblent aujourd'huy faire
vanité. Tout le defaut qu'on
luy pouvoit reprocher , c'eſt
qu'ayant le coeur extremement
tendre , il eftoit ſujet à
citre jaloux. Ainfi il eftoic
bleffe lors que la Belle jettoit
fur quelqu'un des regards
trop favorables. Il examinoit
toutes les paroles , eftoit attentif
à toutes fes actions , &
fes manieres honneftes pour
ceux qui la loüoient quelquefois
fur la beauté , eftoient
GALANT. 195
la
pour luy autant de fujets de
plainte , qui l'obligeoient à
prendre un ton ferieux , ou
qui le faifoient refver . C'eftoit
l'effet d'un fcrupule delicat
qui luy faifoit croire que
moindre diffipation d'efprit
eftoit un larcin qu'on faifoit
à fon amour. La Mere qui luy
connut ce defaut , inftruifit
fa Fille fur la conduite qu'elle
devoit tenir avec luy, Elle luy
dit que fi elle ne prenoit affez
de pouvoir fur fon efprit pour
le défaire de cette jaloufe humeur
, qui luy paroiffoit bizarrerie
, il l'obligeroit à vivre
Rij
196 MERCURE
avec une fi grande reſerve ,
quand il l'auroit épousée , quelle
fe verroit contrainte de
demeurer enfermée chez elle
fans y voir perfonne , ny ofer.
fe mettre d'aucune focieté,
La Belle la crur. Si - toft que
le Cavalier vouloit fe plaindre
, elle prenoit un air
fier , & fe plaignant ellemefme
elle luy diſoit
qu'il luy faifoit une injure
qu'elle avoit peine à luy pardonner
; qu'il fuffifoit qu'elle
l'euft affure plus d'une fois
qu'elle l'aimoit veritablement
, & qu'elle n'aimoit que
4
GALANT. 197
luy , pour ne luy laiffer nulle
inquietude ; qu'il luy feroit
plus avantageux de fe retirer
tout d'un coup dans un Con.
vent , & de renoncer pour
jamais au monde , que de l'épouſer
pour n'eftre pas libre
à difpofer d'un regard ; que
ces fortes de contraintes dont
on devinoit ailément la call
fe , faifoient toujours faire de
fort méchans contes , qui
eftoient toujours defavantageux
à l'un & à l'autre , qu'il
devoit avoir de la confiance
en elle , comme elle en avoit
en luy , & que cette confian-
7
Riij
198 MERCURE
ce eftant la marque la plus
affurée que l'on le pouvoit
donner d'une eftime mutuelle,
elle nepourroit le répondre
de la fienne , quand il la foupçonneroit
d'avoir d'autres
fentimens que ceux que luy
devoient infpirer fa gloires,
fa vertu , & fon devoir. Comme
il eftoit né pour la ten
dreffe , & que la Belle luy
plaifoitinfiniment, il la prioit
de luy pardonner fon trop de
delicateffe qui l'obligeoit à
s'inquieter fur les moindres
apparences que fon coeur ne
fuſt pas fi bien à luy , qu'il ne
MERCURE 199
fuft capable de quelque autre
impreffion, & pour ne luy plus
donner de ces fortes de cha
grins , qui la mettoient quel
quefois dans une mauvaiſe
humeur , dont elle avoit peine
à revenir , il s'accoutuma
à ne fe plus allarmer de cer
taines chofes qui l'auroient
toûjours bleffé fans l'attention
particuliere qu'il avoit
a ferbien reprefenter l'innocence
de la Belle ; mais quoy
qu'il euft changé prefque entiérement
de caractere fur la
jalousie , il ne fe put vaincre
fur le chapitre du jeune Mar-
R iiij
200 MERCURE
quis. Son enjoûment , & fon
trop de vivacité dans les
chofes qu'il difoit , ne manquoient
jamais à le tourmenter
, & malgré les fentimens
avantageux
qu'il avoit de la
vertu de la Belle , il ne pouvoit
s'empefcher de croire
qu'il y avoit entre l'un & l'autre
quelque intelligence , qui
feroit caufe qu'il n'auroit ja
mais l'entiere poffeffion de
fon coeur. La Belle à qui il
ne put cacher fa crainte , jugea
à propos de l'en guerir ,
& elle s'y refolut avec d'au
tant moins de peine que jaGALANT.
201
mais elle n'avoit rien fenty
pour le Marquis qui paffaft
l'eftime . Ainfi elle le pria
de ne la voir plus que tresrarement
, & de s'obferver fi
bien que la converfation devinft
toujours generale, & fur
des chofes tout à fait indifferentes.
La chofe alla comme
on l'avoit fouhaité: Le Cava.
lier eut fujet d'eftre tranquille
; il aimoit la Belle avec la
plus forte paffion , il eftoit
aimé de mefme , & tout fe
preparoit pour le mariage ,
lors qu'un jour avant celuy
où l'on devoit figner les ar20
: MERCURE
ticles , un incident des plus
imprévus caufa un defordre
extraordinaire. La Belle étant
feule dans fa chambre avec
une Demoiſelle de fa mere,
le Marquis y vint luy dire un
adieu particulier Il partoit
le lendemain avec fon Pere,
qui le menoit voir une Heritiere
qu'on vouloit luy faire
époufer au premier jour.
Tandis qu'il plaifantoit fur
fa deftinée , qui par des con
fiderations de fortune l'obli
geoit à aller offrir fon coeur
à une perfonne qui luy eftoit
inconnue , & qui pouvoit
GALANT. 203
"
n'eftre
pas aimable pour luy ,
la Belle qui par hazard siétoit
approchée d'une fenef
tre , apperçût le Cavalier qui
defcendoit de Caroffe dans
la cour. La crainte qu'elle eut
qu'il ne leuftvûë , & que
montant tout droit à fa cham
bre , il ne la furprift ſeule at
vec le Marquis , ce qui luy
auroit caufé quelque peine ,
luy fit croire qu'elle feroit
bien de le cacher dans fon
cabinet , mais comme elle
balançar un peu de temps
fur la refolution qu'elle de
voit prendre , elle ne le put
"
204 MERCURE
१ •
faire affez promptement pour
empefcher qu'il ne l'entrevist
lors qu'elle en fermoit la porte.
Il affecta d'eftre de fort
bonne humeur , pour ne laiffer
rien paroître des foupçons
que luy donnoit ce qu'il
n'avoit veu qu'imparfaite
ment. L'envie de s'éclaircir
mieux avant que d'ofer fe
plaindre , fit qu'il demanda
d'entrer dans le cabinet fur
quelque pretexte , & voyant
la Belle fort déconcertée
qui, fans luy répondre , infiftoit
toujours â le mener dans
la chambre de fa Mere , où
>
GALANT. 205
il y avoit beaucoup de monde
, il ne douta point qu'il ne
fuft trompé. Ce fut une chofe
furprenante qu'il puſt demeurer
affez mailtre de luymefme
pour déguiler l'agita
tion où il eftoit. Il la pria de
fouffrir que l'on fift venir un
de fes gens , pour un ordre
qu'il avoit à luy donner , aprés
quoy il luy donneroit la
main pour la conduire où elle
vouloit aller. L'ordre fut de fe
tenir dans la ruë ,& d'oblerver
avec foin,fi le Marquis ne fortiroit
pas. Cela fait, il le rendit
avec laBelle où laCompagnie
206 MERCURE
eftoit affemblée , & il en reçut
force complimens fur fon
mariage , qui eftoit preft de
fe faire. Il y répondit d'une
maniere agréable , & fans tétémoigner
aucun embarras
d'efprit ; mais quand il fut
retourné chez luy , & qu'il
fcent, qu'on avoit veu fortir
le Marquis de la maifon de
la Belle , il fe trouva dans un
deſeſpoir inconcevable . Il
fut convaincu que le Marquis
poffedoit fon coeur ab .
folument , puis qu'il avoit
des rendez vous particuliers
avec elle , & qu'elle prenoit
GALANT 207
la précaution de le cacher ,
afin de tenir lá choſe lecrette.
Cette forte d'infide
lité qu'il croyoit avoir fi peú
meritée , luy parut inexcu
fable. Il fe reprefenta le mal
heur où fa paffion l'auroit fait
tomberfi elle eftoit devenue
la femme , & prenant toutes
les marques de correfpondance
qu'il avoit reçues pour
des diffimulations & des per
fidies , il admiroit comment
elle fçavoit fi bien l'art de
feindre , qu'il ne fe fuſt point
encore apperçeu qu'il avoit
toujours efté fa dupe. Il fit
208 MERCURE
enfuite de triftes reflexions
fur le peu de folidité qu'il y
avoit dans toutes les chofes
du monde , dont il prenoit
un dégouft qui luy rendoit la
vie haïffable. Auffi ne fçauroit
on exprimer dans quels
cruels mouvemens de jaloufie
, de dépit & de colere , il
paffa toute la nuit. 11 fe garda
bien d'aller le lendemain
voir la Belle , chez qui tous
les parens eftoient affemblez
pour faire dreffer & figner les
Articles. Le Cavalier n'y pa
roiffant pas , aprés qu'on fe
fut laffé de l'attendre , on enGALANT
209
voya le chercher chez luy , &
on répondit qu'il eftoit forty
de bon matin, fans qu'il fuft
rentré depuis . La même chofe
arriva le jour fuivant , & comme
la Belle ne foupçonnoit
point qu'il fçeuft l'entrevuë
du Marquis , elle ne pouvoit
comprendre, non plus que les
autres , ce qu'il eftoit devenu .
Deux jours aprés , on fut éclaircy
par un billet qu'un
inconnu laiffa en paffant. Il
eftoit du Cavalier , qui marquoit
à la Belle qu'il l'abandonnoit
à la paffion du jeune
Marquis qu'elle avoit eu
Decembre
169 4. S/
210 MERCURE
.
tort de ne luy pas dire l'attachement
qu'elle
avoit pour
luy , qu'il luy auroit
épargné
la duré contrainte
de ne le
voir qu'en particulier
, & de
le cacher
dans fon cabinet
pour n'eftre
pas furpriſe
dans
un tefte à tefte ; qu'il luy difoit
adieu pour toujours
, &
qu'il alloit en un lieu où il
feroit hors d'eftat
de luy faire
des reproches
par fa prefence
:
La Belle fut obligée
d'expliquer
ce qui luy eltoit arrivé
avec le Marquis
. La chofe
eftoit innocente mais elle
avoit une apparence conGALANT
211
traire , & on ne s'eftonnoit
point qu'un homme ,naturellement
jaloux , s'en fuſt fait
un monftre qui l'avoir épouvanté.
Elle cut un extréme
déplaifir de fonimprudence ,
qu'elle n'eftoit plus en pouvoir
de reparer. Cependant
elle ſe tint affurée quesfinja
mais elle revoybirale Cava
lier, elleviendroit à bout de le
convaincre del fon innocens
ce, & elle en fut d'autant plus
perfuadée que de Marquis
qui fe maria peu de temps
aprés , devint famoureux de
fa femme, qu'il ne la pouvoit
S ij
212 MERCURE
quitter. Ainfielle refolut d'a
voir une attention tres - fcru
puleufe fur fa conduite fans
fouffrir aucun Amant.
aimoit
Elle
veritablement le
Cavalier qui cftoit un
Party tres-avantageux pour
elle, & qui meritoit toute fon
eftime par les bonnes qualitez.
Elle s'informa de toutes
parts , & n'en put apprendre
de nouvelles. Le bruit commun
fut qu'il eftoit allé en
Italie , parce qu'il avoit toû .
jours marqué beaucoup d'envie
d'y faire un voyage. Quatre
ou cinq mois . s eftoient
GALANT. 213
déja écoulez, quand la faifon
des vendanges eftant arrivée,
fa Mere fut priée par une de
fes Amies d'aller la paffer
dans une des plus agreables
Villes du Royaume , à cin
quance lieues ou environ de
Paris . Elle y alla avec la Fille ,
& un de fes Neveux , que fon
efprit aifé & docile & beau
coup d'agrément d'humeur
faifoient fouhaiter par tout .
On les y reçeut de la maniere
du monde la plus agreable ,
& ce n'estoient tous les jours
que feftins & que nouvelles
parties de plaifir . Quinze
2
1
8
214 MERCURE
·
jours aprés leur arrivée , la
Belle eftant entrée par hazard
dans une Eglife de Religieux
où elle n'avoit point encore
efté, elle y vit venir beaucoup
de monde , ce qui luy en fit
demander la caufe . On luy répondit
que c'eftoit pour une
Prife d'habit , & l'envie d'en
voir dlat Ceremonie luy fit
choifir une place qui eftoit
des plus commodes . Un peu
aprés, celuy pour qui elle fe
faifoit eftant venu fe mettre
à genoux au bas de l'Autel , il
ne fe peut rien ajoûter à la
furpriſe qu'elle eut
lors
GALANT.
215
#
qu'ayant jetté les yeux fur
lay, elle reconnut le Cavalier.
La pretendue infidelité qu'on
luy avoit faite , & la jaloufie
trop delicate , dont il fentoit
bien qu'il auroit peine à le
corriger luy ayant fait croire
que jamais il ne feroit heu
reux dans le monde , ils'eftoit
refolu à lequitter ; & afin que
fon deffein ne reçuſt aucune
oppofition , il avoit fait choix
d'un lieu éloigné , où il n'es
ftoit connu de perfonne . L'émotion
que fentit la Belle
fut fort extraordinaire , mais
elle n'approcha point de cel
a
7
216 MERCURE
le du Cavalieri, qui ayanc
tourné les yeux du cofté où
elle eftoit , ne pouvoit comprendre
par quelle rencontre
il voyoit prefent ce qu'il
avoit voulu éviter . La vûe de la
Belle le frappa fenfiblement,
& tout fon amour s'eftant
reveillé , il ne fut plus le maî
tre de fa raiſon , ny de fes
fens. Il tomba dans un évanoüiffement
terrible , & les
remedés communs n'ayant
pû l'en retirer, on fut obligé
de l'emporter dans un autre
lieu . Tandis que l'on s'occupoit
à le faire revenir , la
Belle
GALANT 217
Belle fongeoit à ce qu'elle
avoit à faire. Il luy paroiffoic
qu'elle devoit aller avertir le
Superieur de l'engagement,
que le Cavalier avoit avec elle
, & c'eft à quoy elle eftoit
en quelque façon determinée
lors qu'on vint dire que
l'évanouiffement eftoit paffé,
mais qu'il avoit efté fuivy
d'une fi grande foibleffe
qu'on ſe trouvoit obligé de
remettre la Ceremonie à un
autre temps. La Belle alla
auffi- toft conter à fa Mere
ce qui venoit de luy
arriver , & la Mere pria fon
Decembre 1694. Τ
218 MERCURE
Neveu qui l'avoir accompa
gnée, & qui connoiffoit le Ca
valier , d'aller le trouver le
lendemain , pour fçavoir de
luy ce qui l'avoit obligéà leur
manquer de parole . Une
groffe fiévre qu'il avoit ne
Tempefcha point d'avoir
avec luy une converſation
tres longue , où tout ce qu'ils
pouvoient le demander l'un
à l'autre fut agité à loifir. Le
Cavalier infifta longtemps
fur l'infidelité de la Belle ,
mais le fincere recit de la ve
rité, & le mariage du Marquis
qui s'eftoit fait prefque en
GALANT. 219
mefme temps que l'incident
dont il fe plaignoit eftoit arrivé
, la juftifierent fi parfaitement
, qu'il fut contraint
d'avouer qu'il ne falloit pas
toûjoursjuger fur lesapparences.
LeParent decette aima.
ble perfonne fit fort valoir la
fage conduite qu'elle avoit
tenuë , en ne voulant écouter
aucun Amant , quelques
propofitions qu'on cuft pû
luy faire , jufqu'à ce qu'elle
cuſt appris ce qu'il eftoit devenu
, & s'il vouloit rompre
un engagement dont elle
faifoit tout fon bonheur . Le
Tij
220 MERCURE
Cavalier foupira , & n'eftant
point affez fort pour tenir
contre tant de marques de
conſtance , il conjura ce Pa.
rent de ne point faire éclater
cette avanture & de luy laiffer
conduire la choſe. Sa fiévre
fut un pretexte pour deman
der à fortir du Monaftere , &
il s'en fervit pour éblouir les
Religieux.: Ainfi par le confeil
du Superieur , à qui il
confia le fecret de fon amour,
& qui eftoit un homme trop
fage pour le laiffer aller plus
avant avec une paffion auffi
forte dans le coeur que celle
GALANT. 221
qu'il luy peignoit , il fortit de
faCellule
, & trouva un appar
ement tout preft pour luy
dans le lieu meſme où la Belle
eftoit logée . Ce fut affez
que de la revoir pour l'aimer
plus que jamais . Sa fiévre fe
diffipa . Ils fe renouvellerent
les affeurances d'un attachement
qui ne finiroit qu'ayec
leur vie , & eftant retournez
enfemble à Paris , ils fe marierent
peu de temps aprés.
Madame la Princeffe de
Conty eftant accouchée d'un
Prince , cette naiffance a cau
Tiij
222 MERCURE
fé d'autant plus de joye ,
qu'il y a lieu de croire que
ce Prince marchera fur les
traces des Heros de la Maifon
de Condé , où la valeur
n'eft pas moins hereditaire
que la conduite dans le métier
de la Guerre. Je ne vous
en dis rien , toutes mes Let.
tres eftant remplies de ce qui
la regarde . On lit dans l'Hiftoire
mille actions éclatan
tes qui mettent ces Princes
autant audeffus des autres
par leur valeur , qu'ils le font
par leur naiffance.
,, ཉྭ
GALANT 223
Mr de Pracontal , Maréchal
des Camps & Armées du
Roy , & Gendre de M le
Marquis de Montchevreuil ,
a eu le Gouvernement de
Menin , qui vaquoit il y a
déja quelque temps par la
mort de M de Pertuis . Les
fervices de м de Pracontal
font fi connus, & tant de Relations
en parlent , qu'il me
fuffit de vous le nommer pour
vous le faire connoiftre.
Il eft des matieres qui ne
s'épuifent jamais . Telle eft
celle que M l'Abbé Gouf
Tiiij
224 MERCURE
fault, cy- devant Conſeiller au
Parlement de Paris , vient de
traiter fous le titre de Con
feils d'un Pere à fes Enfans.
Le Teftament de feu M de
la Hoguette , & ce que Mle
Comte de Buffya écrit encore
depuis peu fur ce fujer ,
n'empefchent point qu'on ne
trouve beaucoup de chofes
nouvelles dans le Livre dont
j'ay
commencé à vous parler.
La lecture n'en peut eftre que
d'une fort grande utilité , &
elle doit plaire d'autant plus
que chaque Chapitre eft di
vifé en un certain nombre de
GALANT.
225
Confeils , qui font autant de
Maximes, propres à former
l'efprit & le coeur de ceux qui
entrent dans la pratique du
Monde. Rien ne manquoit à
M l'Abbé Gouffault pour
faire un Ouvrage de cette nature.
Son long commerce ,
avec les Perfonnes les plus
diftinguées par leurs emplois
& par leur naiffance ; fes lumieres
naturelles jointes à
celles qu'il s'eft acquifes par
de folides lectures , & l'avan
tage qu'il a de bien raiſonner
& de penfer toûjours ju
fte , luy ont donné de grandes
226 MERCURE
facilitez pour rendre cet
Ouvrage de bon gouft. 11
fe debite chez le S Brunet
Libraire, dans la grande Salle
du Palais.
Le´s.
Bernard
de
Gigault
,
Marquis
de
Bellefond
, mourut
dans
le
Chafteau
de
Vincennes
avec
toutes
les
marques
qu'on
peut
fouhaiter
d'une
refigna
.
tion
veritablement
Chrétienne
.
Il
avoit
efté
fait
premier
Maistre
d'Hoftel
du
Roy
en
1663.
Maréchal
de
France
en
1668
&
Premier
de ce mois Meffire
GALANT. 227
Ecuyer de Madame la Dauphine
en 1679. Sa Majefté l'avoit
honoré de divers Emplois
fort confiderables
, l'ayant
envoyé en Espagne en 1669.
& en Angleterre en 1670. &
luy ayant donné le Comman
dement de fon Armée en
Hollande en 1673. & en Catalogne
en 1684. Ce Maréchal
eftoit Fils de Henry- Robert
de GigaultS' de Bellefond , &
de d'Avenes , & petit
Fils de Bernardin de Gigaut
S' de Bellefond , Gouverneur
de Caën , & de Jeanne aux
Epaules , & il avoit épouſé
228 MERCURE
Madeleine Fouquet , fille de
Jean Fouquet , & de Renée
Laremort , de laquelle il a eu
deux fils & trois filles ; fçavoir
Jean de Gigaut , mort à
l'âge de huit ans le zo . Septembre
1668. & enterré dans
l'Eglife des Carmelites du
Fauxbourg S. Jacques à Paris :
Criftophe Louis de Gigaut ,
Marquis de Bellefond : Marie
Madeleine , Armande Marie ,
& Jeanne Suzanne de Gigaut.
M. le Marquis de Belle .
fond avoit épousé une fille
de M. le Duc Mazarin , &
d'Hortenfe de Mancini, niéce
GALANT. 229
,ta eu la Surdu
Cardinal Mazarin , & fut
tué à la Bataille de Steinker.
que , laiffant un fils, qui quoique
fort jeune , ta eu
vivance du Gouvernement
du Chafteau de Vincennes.
Des trois filles de M. le Maref
chal de Bellefond , l'une a
épousé M. le Marquis du Chaftelet
, l'autre M. le Marquis
d'Amfreville,Lieutenant General
des Armées Navales du
Roy , & la troifiéme м. de
Vergetot , qui a eu le Regiment
qu'avoit feu M. le Marquis
deBellefond . мideBellefond,
dontje vous apprens la
230 MERCURE
mort , avoit reçû un grand
nombre de bleffures , ayant
fervi fort longtemps ; & il
étoit Doyen des Marefchaux
de France . Sa pieté étoit
exemplaire , & il a fait fouvent
des Retraites à l'Abbaye
de la Trappe.
Je ne croyois pas , Madame
qu'une faute qui s'eft
gliffée dans la Table de ma
Lettre du mois d'Octobre ,
cût pû faire impreffion fur
perfonne. Ileft vray que l'on
y trouve, Lettrede M.l'Evefque
d'Alais : mais qui ne voit pas,
en lifant l'article, qu'on a mis

GALANT. 231
Lettre au lieu de Sacre de M.
l'Evefque d'Alais , puiſqu'il
n'y a rien qui convienne à
une Lettre dans la Relation
de cette Ceremonic ? Je ne
fuis pas neanmoins tout àfait
fâché de cette erreur ,
puifqu'elle me donne occafion
de vous parler du motif
qui a porté à faire l'établiſ
-fement de ce nouvel Evef
ché. Il faut vous dire , pour
vous l'expliquer , que le Pays
des Sevenes , dont la Ville
d'Alais eft qualifiée la Capitale
dans les Lettres Patentes
de Sa Majefté , ayant eſté
232 MERCURE
depuis plus d'un fiecle &
demy , fort infectée de l'Héréfie
, & regardée par les
Proteftans Etrangers
, comme
un lieu tout - à - fait
propre pour y exciter des
troubles , & y maintenir les
erreurs que le Roy a heureu
fement abolies , fa Majefté ,
qui avoit pourvû à la fûreté
de la Province par les Fortereffes
qu'elle y a établies ,
& par les Gouverneurs
vigilans
qu'elle y a nommiez , a
crû qu'il étoit encore plus
neceffaire
de pourvoir
à l'af
fermiffement
de la Religion
,
GALANT. 233

non feulement par les célé
bres Miffions qu'Elle y a fait
faire , & qui durent encore
à prefent ; mais anffi par
un accroiflement de l'autorité
de l'Eglife , en procurant
l'érection d'un nouvel Evef
ché dans la mefme Ville
d'Alais. Pour compoſer ce
nouveau Diocéze , on a deftiné
un nombre affez confiderable
de Paroiffes détachées
de celuy de Nifmes ,
du confentement de l'Evef
que & du Chapitre de la
mefme Ville ; & pour former
le Chapitre de cette nous
Decembre 1694. V
234 MERCURE
L
velle Cathédrale , on a uni
les Chapitres des deux Eglifes
Collegiales d'Alais& d'Aigue-
morte , dont les Chanoines
confervent chacun
les revenus qui leur étoient
propres auparavant ; & l'Ab.
baye de Pfalmody demeu
rera toûjours unie à cet Evefché
pour en faire le re-
A
venu .
Toutes les chofes requifes
pour un fi glorieux deſſein ,
cant de la part du Pape que
de celle de Sa Majefté , étant
heureufement difpofées , on
choifit le Dimanche 29. du
"
GALANT. 235
P
mois d'Aouft dernier , pour
rendre publique l'érection de
ce nouvel Evêché , & pour
confacrer Meffire François
Chevalier de Saulx , nommé
par le Roy depuis quelques
années , pour en eftre le premier
Evelque. La cérémonie
fe fit dans la Ville de Mont
pellier en l'Eglife des Religieufes
de la Vifitation de
Sainte Marie , par M. le Car
dinal de Bonzy , affifté de
Mrs les Evefques d'Ufeż &
de Lodeve. La Compagnie
ne pouvoit pas eftre plus il
uftre , ayant à fa tefte M' le.
Vij
236 MERCURE
Comte de Broglio , Commandant
dans la Province ,
avec M de Bafville , Intendant
de Languedoc , & quantité
des plus confiderables
perfonnes de l'un & de l'au
tre fexe. M' de Chanterene ,
Gouverneur d'Alais , étoit de
ce nombre. C'eft un ancien
Officier , dont la fidelité reconnue
a obligé le Roy de
le mettre dans un pofte fi
important. Depuis qu'il y a
efté , il a donné diverfes marques
de fon zele pour la Re
ligion & pour l'Etat ; & par
fon application continuelle
ན་
GALANT. 237
the
il a diffipé diverſes conjurations
& plufieurs affemblées
de feditieux. Il étoit accompagné
dans cette Cérémonie
du Sacre , de M le Marquis.
de Tornac & de M de
Gaujac fon frere , tous deux
de l'ancienne & illuftre Maifon
de la Fare. Il s'y trouva
des Députez des deux Cha
pitres unis ; & M'de Mandajors
, Maire & Juge - Mage de
la Ville d'Alais y affifta avec
plufieurs Députez de la mef
me Ville . Vous ferez bien
aife de fçavoir qu'en chaque
Evelché de Languedoc il y a
238 MERCURE
une dignité féculiere qu'on
appelle Baronnie des Etats , &
que ceux qui en font pourvûs,
aprés avoir fait les preuves
fuffifantes de Nobleffe , ont
droit de féance & de fuffrage
dans les Etats de la Province
. Ainfi comme l'Affemblée
des Etats de Langue .
doc , qui fe tient toutes les
années dans une des Villes de
cette Province , pour y regler
les Impofitions , eft compo.
fée du Clergé , de la Nobleſſe
& du Tiers - Etat ; & que par
cette création de l'Evefché
d'Alais , il y aura à l'avenir
GALANT. 239
trois Archeveſques & vingt
Evefques , qui compoſeront
tout ce Clergé , ou en leur
abfence leurs Vicaires Generaux
, Sa Majesté , afin que les
voix y foient égales , & qu'il
n'y ait point un plus grand
nombre d'Evefques que de
Barons , a jugé à propos de
créer auffi un nouveau Titre
de Baronnie avec le droit
d'entrer aux Etats ; ce qu'Elle
a fait en faveur de Meffire
Henry de la Fare Marquis de
Tornac , Seigneur deCours
bez , de Peirole , de Gaujac,
d'Atuech , & autres Places
240 MERCURE
Lieutenant de Roy du Fort
de Brefcou , Ville & Port
d'Agde. Mais comme aucun
Gentilhomme ne fçauroit
eftre reçû dans ce Corps des
Barons des Etats fans avoir
fait preuve d'une tres ancienne
Nobleffe , tant du côté
paternel que du maternel ,
M' le Marquis de Tornac la
Fare , ayant remis tous fes
Titres en original au Greffe
des mefmes Etats , м'de Jou
bert , l'un des Syndics de la
Province , fut nommé pour
tra vailler à la contre - Enqueſte,
ce qu'il fit avec beaucoup
de
GALANT. 241
de capacité & d'exactitude ,
& s'eltre tranfporté fur tous
les lieux où ils ont pû trouver
éclairciffemens
. Aprés des
cela il remit ces Titres, avec
fon rapport de tout ce qu'il
avoit pû apprendre touchant
la Nobleffe de Mr le Mar
quis de Tornac la Fare , devant
quelques Commiffaires
des Etats , qui ayant trous
vé la preuve de Nobleffe
tres - autentique & plus que
fuffifante , en firent auffi leur
rapport à l'Aſſemblée Generale
des mefmes Etats , qui
témoigna en eftre fort la
Decembre 1694.
X
1
242 MERCURE
tisfaite , & qui aprés avoir
fait appeller ce Marquis , luy
fit prefter le ferment accoû
tumé , & le reçût avec ap
plaudiffement Baron des Etats
, le 26. du mois paffé ;
de forte que cette Baronnie,
avec le droit d'entrée aux Etats
, ayant efté créée & unie
par
les Lettres Patentes de
Sa Majefté à la Terre de Tornac
, qui fera à l'avenir du
Diocefe d'Alais , мle Marquis
de Tornac la Fare , en
qualité de Baron des Etats ,
aura auffi droit d'entrer tou
tes les années à toutes les
MERCURE 432
Affiettes & Affemblées Politiques
de ce mefme Dioce
fe , ainfi que les autres Ba
rons des Etats , font dans les
Affiettes des Diocefes dont
ils font , & il fera nommé le
Baron du Diocefe d'Alais.
J'ay oublié de vous dire , que
Sa Majefté , en accordanc
l'union des deux Chapitres
d'Alais & d'Aigue - morte ,
avoit bien auffi voulu nom ,
mer à la Prevofté м l'Abbé
de la Fare Abbé de Silva
nis , fils de м le Marquis de
Tornac la Fare .
r
X ij
244 MERCURE
&
Je vous parlay il ya un an
de plufieurs Demoifelles Irlandoifes
qui avoient receu
le Voile par les mains de Madame
la Marquife de la marféliere,
& de Madame la Marquife
de Morné leurs Bienfaictrices
, dans l'Eglife du
Calvaire de Mayenne . Elles fi.
rent Profeffion dans la mef
me Eglife fur la fin du mois
d'Octobre , & l'exhortation
ordinaire dans ces fortes
de Ceremonies leur fat faite
"
avec beaucoup de fuccés par
le Pere Archange de Laval
Capucin . Il prit pour texte
MGALANT. 245
no,
ces paroles du Prophete Jonas
. Stetit mare à fervore fuo ,
immolaverunt hoftias Domivoverunt
vota fua. Iffic
voir que le premier foin d'un
coeur religieux , lorfqu'on eſt
forty des tenebres, c'eft de te
tourner du cofté de Dieu ,
pour luy faire des Voeux& luy
offrir des Sacrifices , afin de
luy témoigner que s'il rel
connoift qu'il eft l'Auteur
de la vie , il confeffe encore
qu'il en eft le confervateur ;
ce qui luy donna occafion
de parler des trois Sacrifices
que ces faintes Filles alloient
X
iij
246 MERCURE
faire par les voeux d'Obéïffance
de Pauvreté , & de
Chafteté , aprés eftre forties
par une protection toute vifible
du Ciel , des naufrages
les plus inévitables . Chaque
point de fon difcours fut ac
compagné de choſes auſſi vi.
ves qu'éloquentes . Il dit fur
le Voeu de pauvreté , que s'il
avoit à parler du dépouille,
ment parfait qui doit fuivre
la vie religieufe à des ames
qui n'y feroient appelléés que
par une Vocation ordinaire ,
illes feroit fouvenir des
voyes communes , par où le
GALANT. 247
Seigneur les avoit difpofées
ace grand Sacrifice , & qu'il
leure remettoit devant les
yeux, les ſoins accablans d'un
pere & d'une mere , foit
pour ménager un grand
bien mais fort embrouillé,
foit pour foûtenir une maifon
illuftre , mais proche de
fa ruïne ; foit pour établir
des Enfans de qualité , mais
dont le grand nombre , la
mauvaife éducation , & le
peu d'habileté, font qu'on ne
peut penser à aucun établif.
fement proportionné à leur
naillance , & qu'enfin il leur

X iiij
248 MERCURE
confeilleroit de rappeller les
vûes courtes , mais pénétrantes
, qui leur auroieut
fait quelquefois fentir le vui,
de affligeant des richeffes de
la terre , & la folidité pleine
& entiere des biens de l'é
ternité , mais que les voyes
dont s'étoit fervie la Providence
pour infpirer ces
grandes difpofitions à ods
Filles dénuées déja de tout),
étant toutes extraordinaires
, il ne pouvoit rien faire
de mieux que de les porter
à y faire d'aimables retours.
Dans quelle extremité , leur
GALANT. 249
dit-il , pourriez- vous eftre reduites
où vous n'ayez pas
efté , & quel malheur peut on
craindre dans la vie où vous
n'ayez pas efté plongées & Est ce
de tomber tout d'un coup d'une
condition riche & capable d'in-
Spirer de l'envie dans un dépouillement
affreux ? Les fureurs de
la guerre ne vous ont-elles pas.
fait éprouver la rigueur d'un fi
grand changement , co aprés
avoir vû vos terres ravagées,
vos trefors pillez vos maiſons
brûlées vos parens maffacrez
& vos amis diſperſez , ne
100%
250 MERCURE
vous estes vous pas trouvées
d'autantplus miferables que vous
aviez ſujet auparavant de vous
croire heureufes ? Ne compteriezvous
pas encore entre les accidens
les plus terribles , d'eftre enlevées
tout d'un coup de la maison Pa
ternelle & de ſe trouver dans une
terre étrangere fans biens , fans
amis & fans fupports & ce qui
feroit encore tres propre à relever
la grandeur de cet accident , lorfqu'on
feroit d'un age fans experiance
, d'unfexe expofe aux plus
grands perils d'une naiffance incompaitble
avec les baffeffes ,
GALANT
271
&
t
d'une langue qui ne fe peut faire
entendre pour demander fes befoins
? Ce fut là encore l'estat piroyable
où vous fûtes reduites ,
mes tres cheres Saurs , Lorfque
par la destinée d'une guerre
cruelle , fans égard nyed voftre
age qui eftoit tendre , ny à voftre
fexe que la fureur respecte , ny à
vostre naiffance dont on ne pouvoit
ignorer la nobleſſe, vous vous
viftes contraintes de chercher un き
azile en France , où vous vous
trouvaftes dans un abandon ge.
neral & dans un dépouillement
extréme. C'eft icy queje m'ima.
gine que vous vous reprefeniez
252 MERCURE
Chrétiens Auditeurs , cette for
tie confufe & precipitée de l'Ir
lande , lors qu'aprés un dégaft
univerfel de toutes fes Provin.
ces , un faccagement general de
toutesſes Villes & la perte infortunée
d'une grande Bataille , tous
les Sujets fidelles à Dieu & du
Roy fe virent reduits à ces extremitez
, ou de perir de mifère ,
ou de quitter le party du legitime
Souverain , où d'abandonner
leur chere patrie. Ce fut alors
que ceux qui s'eftoient crús par
les richeßes immenfes de leur mai -
Jon, & par le fupport de leur Fa.
mille, à couvert detoutes les dif
GALANT 253
graces de la fortune , fe trouve
rent heureux de foulager leur indigence
par des restes indignes &
de couvrir leur confuſion par de
miferables dépouilles . Ce fut alors
enfin que celles dont tous les
Arts flattoient la delicateſſe .
la vie voluptueufe ,furent ravies
de pouvoir gagner leur vie par
de honteux fervices . Fut-il jamais
une defolation plus épou
vantable , & avez vous jamais
pú enfoûtenir l'idéefans en estre
attendris , donner des larmes
à la mifere de celles dont vous
auriez pû regarder la fortune
avec envie? Le reste de l'ex
294 MERCURE
hortation du Pere Arcange
fut auff vif, & par cet en .
droit vous pouvez juger de
tous les autres. *
οι
Mile Duc de Vendofme a
demeuré deux jours à Mar
feille , où il n'a receu que les
honneurs de Gouverneur de
la Province , & non ceux de
General des Galeres , à caufe
qu'il n'avoit pas encore prêté
le ferment pour cette Char
ge M. de Montmort , Intendanc
delamoMarine , n'a
pas laiffé de luy donner un
foir une fefte tres - galante
dans l'Intendance. Les aveGALANT.
255
nues & le jardin , qui eft des
plus propres & des plus
beaux que l'on puiſſe voir ;
furent illuminez prefque
toute la foitée. Le foupe y
fut fervy le plus agreable.
ment du monde. Comme le
jardin eft remply d'une infinité
de portiques , de berceaux
, de balcons & de terraffes
, qui eftoient chargez
de lumieres, qui en formoient
toutes les architectures , &
que dans les vuides on avoit
dreffé des piramides , des figures
grotefque , & cent
chofes differentes que les lu
256 MERCURE
mieres marquoient tres- par
faitement , tout cela joint à
vingt baffins d'eau , qui d'ailleurs
embelliffent le jardin ,
produifoit un effet merveilleux.
Depuis cette fefte , ce
Prince a fait l'ouverture des
Eftats de la Province , & a
pris enfuite la route de Verfailles.
La veille du jour de la Fefte
de Saint Martin , le Roy de
Dannemarck fut traité à fou.
per , & diverty fort agrea
blement par le Comte de
Guldenlew . Il y avoit dans
une grande Salle huit maga.
GALANT. 257
fins ouverts en forme de bou.
tiques , remplis de toutes fortes
de riches marchandifes.
LeComte deGuldenlew, étoit
affis dans la principale , veſtu
en Marchand Perlan.
Comteſſe de Guldenlew , fon
Epouſe , auffi veftuë en mar .
La
chande, eftoit dans le fecond
magafin , qui reprefentoit
une boutique de Confiturier,
où il y avoir toutes fortes de
dragées & de Confitures . Le
jeune Prince dé Guldenlew
paroiffoit dans le troifiéme
en marchand Papetier , & il
ye avoit de toutes les mars
Decemb, 1694ilsıl Ybanı
258 MERCORE
elrandifes propres à ce métier.
Les autres magaſins ,
fournis de diverſes marchan.
difes , eftoient occupez par
plufieurs Dames differem +
ment habillées , & elles
avoient de jeunes Gentils
hommes leftement veftus en
Garçons de boutiques . La
Table où fut fervi la foupé,
eftoit en forme d'une M.
Vous voyez bien que cette
Fefte eft une imitation des
galanteries de certe nature ,
que le Roy a faites fouvent à
Marly.Tout y fut magnifique
avec Mufique, & enfuite Comedie
Italienne.
GALANT. 259
H ya trente ans que dans
les Hiftoires que l'on don
noit au Public , plus pour fon
divertiffement que pour fon
inftruction , on rendoit les
hommes filparfaits dans les
peintures que l'on en faifoit,
que perfonne ne pouvoit le
propofer d'atteindre à cette
perfections On ne peut douter
de ce que je dis , puis que
tous ceux & celles qui les ont
voulu imiter , ont efté appellez
par dérifion , Heros , ou
Heroines de Romans . On a
changé de maniere dans ces
Ouvrages , Ils ne ſont ny ſi
Y ij
260 MERCURE
longs , ny fisheroïques &
comme on ne fe propofe que
de peindre la verité , & la?
nature toute pure , on n'y
voit que des defauts & des
foibleffes. On les merDau
jour , les hommes s'y recon
noiffent , & les trouvant ou
trop foibles , ou ridicules, ou
vicieux , la plufpant , aprés
avoir rougy en fecret,tâchent
à fe corriger. Ainfi les Qu
vrages d'aujourd'huy, quine
paroiffent faits que pour di
vertir , ne laiffent pas d'eftrest
utiles à ceux qui veulent bien i
s'appercevoir de leurs de
?
GALANT. 261
fauts . Madame de Pringy
en vient de donner un au
Public , intitulé ,
intitulé , ˝ L'Amour
à la mode , Satire historique. Le
Livre qui porte pour titre ,
Le Caractere des Femmes de ce
Siecle, & quia paru avec beau
coup de fuccés , ayant fait
voir qu'elle connoift le mon
de, il y a lieu de croire que
fon dernier ouvrage nerecevra
pas moins d'approbation
.
Le Lundy 13. de ce mois , M
l'Evefque Comte de Noyon , "
Pair de France, Confeiller or
dinaire du Roy en fon Con
feil d'Eftat , vint prendre
262.MERCURE
Séance en l'Academie Fran
çoife , à la place des feu M5
Barbier Daucour . L'Affem .
blée eftoit fort nombreuſe ;
& il s'y trouva quantité de
perfonnes auffi diftinguées
par leur merite , que par leur
rang , & parleur naiffance .
Le Difcours que fitice docte
& illuftre Prelat répondit à
l'attente generale , & l'éloquence
n'y brilla pas moins
que le fçavoir. Aprés un remerciment
fort obligeant
pour le Corps dont le fubli
me genie qui l'anime & le
foutient , pour me fervir de
GALANT. 263
festermes , luy avoit fait re.
chercher à être membre, il en
tra felon la coutume dans
l'Eloge du Cardinal Duc de
Richelieu , Fondateur de cer
te celebre Compagnie, & qu'il
nomma L'Homme de tous les
Talens , & qui connoiffoit fi bien
les talens de tous les hommes , il dit
que la mefme Providence, qui
donna pour Miniftre le Pa
triarche Jofeph à l'Egypte, &
le Prophete Nathan a David,
avoit refervé Armand Cardi
nal à Louis le Jufte & à la
France , pour y rétablir le
pouvoir du Prince , la tran264
MERCURE
quillité de l'Eftat & la fidelité
du Peuple , & aprés avoir
fait parler l'Eglife particulie
re de Luçon , & l'Eglife univerſelle
fur les rares qualirez
de ce grand Homme, L'Eftat
jaloux & impatient , veut auffi
parler , continua t'il, & appelle
pour témoin defa gloire, la honte
de tout le Monde foumis , l'Em
pire humilié, l'Allemagne vain .
cue , l'Angleterre intimidée , la
Hollande allarmée
, le Portugal
affranchy, l'Espagne dépouillée .
Alliance de nos ennemis déconcertée,
celle de nos Amis affermie,
la Noftre recherchée
, l'Europe
defabusée
GALANT. 265
defabusée de la fauffe prévention
de l'invincible pouvoir de la Maifon
d'Austriche reduite aux
abois à la veille de tout per
dre. Les Elemens mefmes ont efté
affujettisfous le joug d'un Genie'
maistre & fuperieur , n'a - t- on .
pas vu le feu de la rebellion éteint
avec celuy de l'Herefie dans le
fein du Royaume , l'eau de la mer
retenue par la force d'une Di.
gue infurmontable , l'air plus ferein
& la terre étonnée de tant
de prodiges. Mais belas ! noftre
joye n'a pas affez duré , la douleur
d'une perte irreparable la
fuit de trop pres le me trompe ,
Decemb
. 1694. Z
266 MERCURE
Meffieurs , Armand ne fçauroit
mourir. Son esprit & fon coeur
vivent encore
furvivront
toujours à fon corps . Moyfe , le
Legiflateur d'Ifrael , pourveus
avint fa mort à tous les befoins
du Peuple de Dieu , & donna
des benedictions propres à chacune
des douze Tribus , en regla les
fonctions , retrancha les abus , &
fit une espece de Teftament general
fur le modele de celuy de
Iacob en faveur de fes Enfans.
Voilà, Meffieurs , la noble idée du
Teftament politique d'Armand, le
Legiflateur de la France , où il a
prévú & preſcrit tous les devoirs
GALANT. 267
des Ordres des Emplois de
l'Etat. Le Prince doit eftre tel
que celuy que Dieu nous a donné,
la Maifon Royale unie , le Clerge
parfait , la Nobleffe genereufe ,
la fuftice inflexible , le Peuple fi
delle , le Confeilfecret , le Minif
tere éclairé , le fonds des Finances
affuré , l'Abondance procurée ,
Cour modefte , la Guerre jufte , la
Milice difciplinée , la Paix ho.
norable, le Vice puny le Merite
eftimé , la Science cultivée , &
dont la Divine Providence avoit
Academie floriffante.Teftament
refervé l'execution au feul regne
de Louis le Grand , qu'on peut
Z jj
268 MERCURE
dire justement avoir plus &
mieuxfait en qualité de Maiſtré,
qu 'Armandna penfe & écrit en
celle de Miniftre.
Ce Prelat fit enfuite un
tres- bel éloge de Mile Chan .
celier Seguier , fecond Protecteur
de l'Academie , &
parla avec beaucoup d'avantage
de M' Daucourt dont il
rempliffoit la place ; aprés
quoy il entra dans les louan .
ges de noftre Auguſte monarque
, & dit que fans le
charger de titres inutiles , il
fuffifoit de dire fimplement
,
& de l'aveu de tout le monde ,
GALANT 269
2
que ce Prince eftoit auffi aimable
par le charme de fa
perfonne , qu'eftimable
par
la gloire de fon regne. Il
ajoûra qu'il y avoit deux perfonnes
dans un mefme homme,
quand Dieu l'élevoit aux
premieres places , la perfonne
particuliere , & la perfonne
(publique , & que nous ne devions
point chercher d'autre
.exemple que celuy que nous
trouvions , & que nous admistions
dans le Roy, dont la perfonne
particuliere
foutient ,
releve , & mefme furpaffe la
perfonne publique fi glorieu-
Z iij
270 MERCURE
fement , qu'il vaudroit mieux
eftre Louis fans eftre Roy,
que d'eftre Roy fansueftre
Louis. A peine , dit -il un peu
aprés , avons- nous vû Louis fi
aimable par le charme de fa per.
fonne , que Louis fi eſtimable par
la gloire defon regne , fe prefente
à nous . Regne religieux , que la
pieté confacre dans le faint exercice
des divines vertus, Foy vive
de Louis , qui ne porte fi loin les
bornes defon Empire
, que pour
donner plus d'étendue au Royaume
de Jefus - Chrift . Efperance
ferme de Louis, qui releve l'Egli
fe dont il eftle Fils aifné , fur les
GALANT. 271
4x

۴
ruines de l'Herefie , qui en eft la
Fille rebelle. Ardente Charité de
Louis , qui épargne le fang defa
plus pure Nobleffe , que l'aveugle
fureur des Duels immoloit à celle
des Demons . Eft ilforcépar la neceffité
des temps d'impofer de nou
veauxfubfides , ilenportelepoids.
Sesépaules font plus chargées que
celles de fes Peuples , fes mains
liberales , accoutumées au plaifir
de donner, ont beaucoup de peine
à recevoir. Qui pourroit s'imaginer
avec quelle impatience un
Royfifage & fipatient d'ailleurs ,
foupire aprés le retour des temps
paifibles & fortunez , pour recon-
Z iiij
272 MERCURE
4
noiftre les grands fecours que fes
Sujets luy donnent auffi volont
tiers ; que les Enfans d'Ifrael
offrirent à Moyfe plus qu'il
n'eftoit neceffaire ? Regne glo
rieux redoutable à tout l
nivers. La victoire affervie
& infeparablement attachée au
char de noftre Conquerant , luy
doit donner plus que le Tribut
qu'elle paye , & ne peur eftre af
reconnoiffante Son trophée
eft formé des armes des Ennemis
de Louis le Grand. Son front n'eft
des Lauriers qu'il
fez
couronné
que
luy mefme cueillis . Ses mains font
pleines de nos Palmes . La FranGALANT.
1 273
ce feule empefche la prefcription
defa gloire , oubliée dans les antres
Nations ; & le Vainqueur
a plus fait pour la Victoire qu'il
a rendue conftante, que la Victoi
re ne fait pour le Vainqueur
qu'elle rend heureux . Je paſſe tous
les détails de tant d'emplois fi
gnalez que la voix & la plume
de l'Academic ont relevez avec
autant d'eloquence que de Zele
nul deffein fans fuccez , nul or
dre fans execution , nul fiege
fans prife de Ville , nul combat
fans triomphe.
Ml'Evefque de Noyon fur
{
274 MERCURE
fouvent
interrompu par les
&
acclamations ; & ayant encore
donné de nouveaux
traits à l'Eloge de noſtre Augufte
Monarque , il dit qu'il
ne luy reftoit plus qu'à mar
quer avant que de finir , ce
qui luy refteroit toûjours ,
& ne finiroit jamais , l'eftime
pour l'Académie Françoiſe ,
reconnoiffance pours fes
bontez , le defir de la fervir,
& la joye de concourir à la
gloire de Louis le Grand.
Ja
"
M. l'Abbé de Caumartin ,
alors Chancelier de l'Acadé
mie , répondit à ce Prélat ,
GALANT. 1275
aque quoi qu'il fuft d'une naiffance
tres- illuftre , & revêtu
de tres - grandes Dignitez ,
la Compagnie , en l'admettant
dans fon Corps , avoit
moins confideré ces glorieux
avantages que les qualitez
qui convenoient à un excellent
Académicien
, & qu'il
poffedoit dans un haut de.
egré . Il n'eut pas de peine à
le prouver , puiſque le Dilcours
qu'on venoit d'entendré
, étoit une preuve de fon
éloquence , qu'il avoit d'ail-
Jeurs fait éclater en toutes
fortes d'occafions.
276 MERCURE

M l'Abbé Tallemant fer
ma la féance en lifant une
Paraphraſe en Vers du Cantique
de la Vierge , faite par
M Boyer. Elle eut le même
fuccés que les autres ouvra
ges de devotion , aufquels il
s'applique depuis quelque
temps.
sh
J'oubliay le mois paffé de
vous apprendre la mort de
Dame Julie de Sainte- Maure
, épouſe de мeffire Beat
Jacques Zurlauben , Baron
de Geftellemburg, Comte de
Ville , Brigadier des Armées
GALANT 1 277
du Roy , & Colonel d'un
Regiment d'Infanterie Allemande.
Elle étoit niéce de
feu м le Ducde Montaufier,
& foeur de m' de Sainte -Maure
, Menin de Monfeigneur,
& avoit efté Fille d'honneur
de Madame la Dauphine.
Meffire Jean Talon , cydevant
Secretaire du Cabinet
& Intendant en Canada
, mourut fur la fin du mefme
mois. Il étoit d'une probité
reconnuë.
C
Po Meffire Jean d'Eftrées , Evefque
Duc de Laon , Pair
de France , mourut auffi à
278 MERCURE
N
Paris le premier jour de ce
mois , âgé de quarante- cinq
ans , aprés une maladie tres
violente.oll étoit fils de feu
m² le Duc d'Eſtrées, Ambaſſa .
deur extraordinaire de Fran-.
ce à Rome , & il avoit été
Enfant d'honneur de Monfei.
gneur le Dauphin. Je n'ay
rien a ajoûterà ce que je vous
ay dit plufieurs fois des avantages
qui fe trouvent dans la
Maifon d'Eftrées.
Voicy les noms de quelques
autres perfonnes confiderables
de l'un & de l'autre fexe ,
mortes ce mois.cy.
GALANT. 279
Meffire Pierre le Tellier
Confeiller du Roy en fa Cour
de Parlement. Il étoit fils de
M le Tellier, Fermier Gene
r
ral.is
Dame Françoife Therefe
d'Erioulle , épouse de meffire
Charles Aubourg , Marquis
de Boury , Confeiller Secretaire
du Roy , Garde des Rôles
des Offices de France.
Dame Marie Louife Mil
let , épouse de Meffire Jean
Denis , Seigneur d'Origny
Aide de Camp des Armées
du Roy
.
Meffire Martin Ricordeau ,
180 MERCURE
Confeiller du Roy en la Cour
des Aides-
Meffire Jean Baptifte du
Morlin , Seigneur de Cheviré,
Vigno , la Charliere , & autres
lieux,Capitaine au Regiment
des Gardes du Roy , & Chevalier
de l'Ordre de Saint
Louis.
Jay à répondre aux plaintes
que vous me faites de ce
que je ne vous parle plus des
ouvrages de Théatre que l'on
donne de temps en temps au
Public . Cela vient de ce que
le plus fouvent on ne luy
GALANT 281
Jaiffe pas le pouvoir d'en décider
. On ne jugeoit autrefois
des pieces qu'aprés leur
avoir donné toute lattention
neceffaire , & on ne s'ap
percevoit qu'elles déplaifoient
que quand on voyoit
les Affemblées peu nom
breuſes ; mais aujourd'huy
tout va par cabale , & il s'en
voit quelquefois d'outrées ,
pour faire échouer ce qu'on
ne veut pas qui réüſſiſſe.
C'eſt à cette occafion que la
Satyre des petits Maiftres a
efté faite , & le grand fuccez
Decembre 1694.1 Aa
1282 MERCURE
qu'elle a eu juftifie affez ce
que j'avance. La meſme Cabale
qui fait tomber un Ouvrage
, en fait quelquefois
kéüllir d'autres qu'on trou
veroit pitoyables fi elle ne
s'en mêloit pas. Ainfi j'ay
raifon de ne point parler,
puifque mon fentiment feroit
fouvent inutile , & peuteftre
defobligeant , toutes les
veritez n'étant pas bonnes à
dire. Voilà ce qui fe paffe
affez ordinairement à fégard
des gens de qualité
mais leur jugement
n'eft pas toujours ce qui

GALANT 283
&
>
fait pancher la balance. Le
Parterre , s'il m'eft permis
de parler ainfi reffemble
à la Chambre des Communes
d'Angleterre , qui ne
manque prefque jamais de
l'emporter fur la Chambre
des Seigneurs. Ce jugement
du Parterre feroit pourtant
équitable , s'il n'y avoit
que les gens de bon fens ,
qui y décidaffent ; mais leur
voix n'eft pas entenduë par
mi un nombre fuperieur ,
de tout ce que chaque Pro.
feffion a de turbulent , d'évapore,
& d'enfans du defor-
A a ij
284 MERCURE
dre , de la bonne chere &
de la joye outrée . Ceux - là
n'aiment que le bruit , & ne
cherchent qu'à en faire ce
qu'ils ne peuvent qu'en trouvant
une piece mauvaiſe afin
d'avoir lieu de la fiffler. Ils ne
laiffent pas d'eftre perfua
dez qu'ils font mal , & ce qui
en eft une preuve convain
cante , c'eſt qu'il n'y a forte
d'adreffe dont ils ne s'avifent
pour fiffler fans eftre vûs.
On doit demeurer d'accord
qu'ils ont raiſonmen
cela , puis qu'il n'y a point
d'homme raisonnable qui
GALANT 285
vouluſt avouer qu'il a fif
flé à la Comedie . Rien n'eft
plus contraire à la fagefle , à
la prudence , & à la justice ,
on n'y fçauroit avoir trop
d'attention pour juger fainement
, & il eft melme prefque
impoffible de bien juger
d'un ouvrage qu'on n'a pas
oüyou lû plufieurs fois . Ces
fortes de Juges - là ne cherchent
qu'à fe divertir aux
dépens du bon .fens
de la raison qu'ils veulent
bannir de toutes les Pieces
de Theatre. Ils ne peuvent
fouffrir deux lignes ferieufes
&
286 MERCURE
dans une Comedie pour en
expliquer le fujet . Ils veu
lent qu'on agiffe toûjours
fans rien faire , puis qu'ils
ne donnent pas le temps de
nouër une intrigue. Si un
Acteur leur déplaift , ils fif
flent pour l'obliger de quitter
la Scene , & faute d'avoir
oùy ce que cet Acteur doit
dire , on ne peut plus rien
comprendre au refte de la
Piece . Quoy que la Comedie
foit un portrait des actions
de la vie , ils trouvent mauvais
que ce tableau air quelques
traits delicats , & pour
GALANT 287
leur plaire , il faut qu'il foit
fait avec une broffe , & non
avec un pinceau. Pour faire
un tableau qui plaiſe , il faut
du clair & de l'obfcur, & que
les ombres faffent briller tes
couleurs ces Cenfeurs n'en
;
veulent point à la Comedie,
tour doit eftre clair , c'eftà-
dire rifible. Ils demandent
que les perfonnages Comiques
foient toûjours employez
, & les appellent fou
vent lors qu'ils ne font pas fur
la Scene, comme fi deur ou
trois Acteurs devoient fouls
jouër toute une Piece. Ce
288 MERCURE
pendant fi on les faifoit parler
trop longtemps , ils les fif
fleroient comme les autres.
On veut fiffler , parce qu'on
excite par là un defordre que
l'on trouve plus divertiffant
que tout ce qu'on pourroit
entendre.Il y a plus, & on'a vû
quelquefois tomber des Pieces
quoy qu'elles ne fuffent
point condamnées. Il ne faut
pour cela qu'un coup de fiflet
donné pour appeller un Ac.
teur qui tarde trop à venir,
ou pour une Perruque de tra !
vers. Le Parterre eftant en
mouvement , ne ceffe plus de

fifler
GALANT 289
>
fifler , & cela eft arrivé plus
d'une fois aux vieilles Pieces ,
qui paffent pour les meilleu
res . J'ay oui dire là deff us
qu'un Peintre ayant à faire
paroiftre un Etourdy un
Evaporé dans un Tableau ,
où il devoit peindre des Seditieux
, alla exprés à la Comedie
, pour y remarquer les
mouvemens des visages des
Sifleurs , prétendant qu'ils
devoient eftre les mefmes:
que ceux des Perturbateurs
du repos public , qui ayant
la bouche ouverte , font tou
jours prefts à crier , fans fça-
Decembre 169 4. Bb
290 MERCURE
voir pourquoy , aujourd'huy
d'un party & demain contre .
Mon but n'eft pas en parlant
contre les Sifleurs , de choquer
ceux qui vont à laComedie
auParterre.Ils font les premiers
importunez de ces gens.
tumultueux , qui décidentfans
avoir rien écouté , quoy qu'-
on fe trompe fouvent lors
qu'il eft question de décider ,
mefme après avoir prêré une
attention fort grande . Je ne
pretens pas non plus , en condamnant
les Sifleurs , juftifier
toutes les pieces qui font fi- .
flées ; mais on ne doit pas auffi
GALANT.
291
conclurre que toutes celles
qui font fiflées , foient méchantes.
Cependant cela fuffit
pour les perdre , & l'on
ne demande point le lende .
main d'une premiere reprefentation
, fila Piece eft bonne
, ou non , mais fi elle a
efté fiflée ; tout est décidé
par lâ . Comme la plufpart
des Ouvrages de Theatre ont
cette deſtinée , il feroit inutile
que je vous en parlaffe dans
le temps qu'on n'en parle
plus. Si une Comedie a merité
fon mauvais fort , j'aurois
mauvaiſe grace de renouvel-
Bb ij.
292 MERCURE
ler le chagrin qu'en a l'Auteur
; & fi on luy a fait injuf
tice , ma voix ne rétabliroit
pas ce que les Siflets ont ruiné.
Quand le contraire arrive
, & que la Brigue fait réuſ
fir des Ouvrages qui ne le
meritent pas, j'avoue que j'ay
de la peine à démentir mon
fentiment en donnant des
loüanges à ce qui ne m'en
paroift pas digne. Ainfi je ne
raiſonne jamais , lors que le
Public a décidé en Corps , foit
en bien , foit en mal . C'eſt un
torrent contre lequel la prudence
ne veut pas qu'on fe
roidiffe , puis qu'on le feroit
GALANT.
293
inutilement. Tout ce que je
puis faire pour contenter voftte
curiofité , eſt de vous
annoncer
feulement
les Ou
vrages de Theatre avant qu'
ils ayent efté reprefentez
, &
je vais
commencer , en vous
apprenant.qu'on
aura encore
un Opera nouveau
ce Carnaval.
La nouvelle eft affez furprenáte,
puis qu'on n'a jamais
donné deux Opera
nouveaux
dans le mefme hiver. Celuy
qui paroistra
au commence
.
ment de Février , eft intitulé ,
Theagene
& Chariclée
, & la
Mufique
eft encore de M
Bb iij
294 MERCURE
Defmarets , qui a fait celle
des Opera de Didon , & de
Circé . Quant aux Comediens
François , ils doivent joüer
dans quinze jours ou trois
femaines au plus tard , une
Comedie nouvelle , qui a
pour titre , Les Dames Van.
gées . On m'a affuré que cette
Piece ne regardoit en aucune
maniere la Satire de Mr Def
preaux ; que les Femmes y
font attaquées par un homme
du monde , qui fe donne le
droit de juger de toutes par
quelques unes qu'il a pratiquées,
& quele merite du beau
GALANT. 295
Sexe joint à divers incidens ,
force à changer de fentiment-
On pretend que tout eſt nouveau
dans cette Piece , ce qui
´eft rare aujourd'huy , & que
les honnêtes gens n'y trouveront
pas moins à fe divertir ,
que ceux qui veulent rire fans
relâche , & qui fouvent aprés
avoir ry,ne trouvent point de
fens dans l'economie d'une
Piece, parce qu'ils ne veulent
rien entendre de ferieux ' qui
établiffe le fujet.
Le mot de l'Enigme du
mois paffé eftoit les Calebaffes,
Bb iiij
296 MERCURE
& il a efté trouvé par Mrs
Denis Rouffeau de Maillon ;
Arnoul d'Orsay,Joac . Dauzy,
& Baudran , G.Herman, & fon
aimable Tourterelle ; le мarchand
; Denis d'Harcour ;
J'Heureux Morin du Mont
S. Michel , fa fidelle Nanette,
& Efope leur Beau-frere ; les
trois beaux Efprits de la ruë
Princeffe ; l'Homme fans
peur ; le petit Cocq reveillematin
, le Commandeur de
la Lande , Chevalier de Malthe
; le Tourneur metamorphofé
; le beau Procureur de
la rue de la Tifferanderie ; le
GALANT. 297
Chevalier Pacifique de Fontaine
en Brie ; Lycaon de la
ruë des Boquillonnes ; l'Abbé
Coftin ; les Grondeurs du
Quay des Morfondus ; le
Nocturne Aftrologue Infpecteur
; M. Guillaume le Noir ,
à Mantes. Mlles Turpin ; Ogier
la fille, de la rue de Richelieu
, des Moulins l'aînée ; l'aimable
à l'Anagrame, j'aime la
verité , de Poitiers ; les deux
Soeurs qui ne changent point
de nom , de la ruë de la Calandre
; la belle Epouſe de la
rue Saint Pere ; l'Aimable &
brillante Eve de Rouen &
298 MERCURE
Mademoiſelle Chalon de la
mefme Ville ; les Dames de
la Porte violette de Forcalquier
; la jeune Veuve de
Qualité de la ruë Garanfiere
, prés Saint Sulpice ; &
la nouvelle accouchée de la
ruë Pierre - Sarrafin , & fon
Compere.
La nouvelle Enigme que
je vous envoye , eft de M'
l'Abbé de la Glantine."
J
ENIGM E.
E tiens de l'humide & da fec
Que je ne communique à pas un qui
me touches
GALANT. 299
Le fuis fans yeux , fans main , fans
oreilles, fans bouche,
Et ne manque point par le bec.
AB
Je fuis compofede Colonnes
En moy chaque membre eft égal ,
Et fans jamaisfaire de mal,
Souvent je menace , je tonne.
S
Quoy que je fois d'un fi bas prix
Que le plus pauvre me méprife ,
Le plus riche vendroit jusques à fa
chemife,
Pour voir de mes cadets le nombre
dix fois dix.
S
Aujourd'huy je fuis tres - utile ,
Dans le temps qu'on me fit je
n'eftois bon à rien ,
l'ay cours aux champs , cours à
la Ville ,
300 MERCURE
En moy l'on voit du beau , du laid,
da mal , du bien .
$
Si tu refufe de me croire ,
Je ne veux point t'en quereller.
Sçais- tu quema gloire eft d'aller
Sur le contre-pied de l'Hiftoire?
Voicy des paroles qui ont
efté mises en air , en faveur
d'une aimable Veuve .
I
AIR
NOUVEAU.
Ris au defefpoir en perdant cequ'elle
aime,
Vouloit par fon trépas fignaler fa
douleur >
Mais l'Amour , protecteur de fa
conftance extreme ,
ALAKIT
301
tre
mali
defir
doux
our un
atre ?
Tou
uché
$ Letpleur
le refe
7.
du
10m-
Ts , &
de perionnes de la premiere
300
En mo
di
Si ta
Jen
Sçai
Sur
Voi
efté m
d'une
AI1
Ris a
IR
Vouloit
9
do
Mais l'Amour, protecteur de fa
conftance extreme ,
Ce
GALANT.
301
Prend foin d'adoucir fon malbeur.
Ce Dieu vient de remplir fon defir
& le noftre ;
Des yeuxft charmans & fi doux
Ini verfent tant de pleurs pour uB
premier Epoux ,
N'en meritent - ils pas un autre ?
Monfieur le Comte deToulouſe
ayant acheté le Duché
d'Amville , & obtenu des Lettres
de confirmation & de renouvellement
de Pairie , fe
trouva au Parlement le du
27.
mois paffé , avec une nombreufe
fuite de Seigneurs , &
de perfonnes de la premiere
302 MERCURE
qualité. Ce Prince demeura
au Greffe pendant que M
Bochard
, Confeiller
, rappor
toit fes Lettres . Aprés les
avoir lûës , il conclut à l'en .
registrement
, &mêla dans fon
difcours l'éloge du Roy , & ce.
luy de Monfieur le Comte de
Toulouſe , cequ'ilfit en fibeaux
termes , & d'une maniere fiéloquente
, que tout fon Auditoire
en fut charmé. On fit enfuite
entrer Monfieur le Com
te de Toulouſe
, & ce Prince ,
aprés avoir prefté le ferment ,
prit place au deffus des Ducs
& Pairs qui fe trouverent
à
cette Seance .
GALANT. 303
Les Lettres d'Amiral furent
auffi verifiées au Parlelement
le 23. de ce mois. M
Bochard en fut encore le
Rapporteur. Il s'en acquitta
avec tout le fuccés poffible ,
& fit connoître que toutes les
actions du Roy eftoient tou
jours fages , & pleines de dif
cernement . Il dit que Sa majefté
, en élevant Monfieur le
Comte de Toulouſe à la
Charge d'Amiral de France ,
qui eft une des grandes Charges
de la Couronne , & dont
il marqua la confequence
avec beaucoup d'érudition ,
3
304 MERCURE
& de recherches curieuſes ,
avoit remply les fouhaits
de tous ceux qui connoiffoient
les qualitez du corps
& de l'efprit de ce Prin
ce , nouveau Duc d'Amville.
Aprés le rapport, on fit entrer
Monfieur le Comte de Touloufe
, qui eftoit demeuré au
Parquet avec Monfieur leDuc
du мayne , qui ne pouvoit
avoir de voix, à caufe qu'il eft
Frere de ce Comte, qui eftoir
accompagné de мrs les Maréchaux
d'Eftrées & de Tourville
, & de Mrs les marquis de
Villette & deNefmond LieuGALANT
༢༠5
tenans Generaux des Armées
Navales de France , & de мr
le marquis d'O , ſon Gouverneur.
мr l'Amiral ſe mit ſur un
banc au bas des rangs , vis à
vis de мr le Premier Prefident,
qui prononça l'Arreft d'enregiftrement
, & qui dit à ce
Prince , que c'eftoit une ancienne
coutume d'ofter fon
épée pour prefter ferment.
Monfieur le Comte de Touloufe
la donna auffi toft à un
Huiffier , & aprés qu'il eur
prefté le Serment accouftumé
& que fon épée luy eut
Decembre 1694 C.c
306 MERCURE
efté rendue par l'Huifher ,
il s'avança au dedans des
rangs , & alla s'affeoir fur
le Banc qui eft à la droite
de M le Premier Prefident
, au deffous de Monfieur
le Duc du Maine , qui
y eftoit avant luy. M' le Premier
Preſident luy dit , que
c'eſtoit à cauſe de fa qualité
de Duc d'Amville , & non pas
à caufe de fa Charge d'Amiral
, qu'il avoit feance à la
Cour. Cette Ceremonie achevée
, on fit fortir tous ceux
qui y avoient efté preſens
excepté Mrs les Marefchaux
>
GALANT. 307
de France , m'le Marquis d'O
& quelques Seigneurs , qui fe
mirent dans la lanterne, aprés
quoy on fit à huys clos , le
raport d'une affaire fort difficile
, où il s'agiffoit d'une
Subſtitution . Mr le Premier
Preſident eſtant preſt
de demander l'avis de
Monfieur le Comte de Touloufe
, ce Prince qui a autant
d'efprit & de difcernement ,
que de modestie , le prévint
& le pria , attendu fa grande
jeunele , qui ne luy permettoit
pas d'ètre inftruit à fonds
1
Ccij
308 MERCURE
de ces fortes de queftions de
Droit , de le difpenfer d'opi
ner dans une affaire de cette
importance. Ce trait de fageffe
& de difcretion fut admiré
de toute la Compagnie ,.
qui demeura perfuadée que
ce Prince foutenoit parfaitement
tous les éloges que мr
Bochard luy avoit ingenieufement
donnez dans fon rapport.
Demi-heure aprés , мonfieur
l'Amiral eftant au milieu
de мr le Premier Préfi
dent, & de м ' Doujat, Doyen
du Parlement , fut conduit à
l'Amirauté qui a eſté depuis
GALANT.
309)
peu transferée dans l'Auditoire
du Bailliage du Palais .
Ils montérent enfemble fur
le Siege , Monfieur l'Amiral
eftant à la droite de м le
Premier Prefident
. Le premier
avoit à fa droite le Lieutenant
General , & les autres
Officiers de l'Amirauté , &
Mile Premier Prefident avoit
à fa gauche le Doyen & les
autres Confeillers du Parlement
qui l'avoient accom .
pagné. Cette Seance com
mença par un bel éloge que
Me le Premier Prefident fit
de Monfieur l'Amiral . Il loüa
310 MERCURE
le choix du Roy , & en fit
voir la jufteffe , mais d'une
maniere vive , & de ce ftile
concis , qui dit beaucoup en -
peu de paroles. Il parla enfuite
des forces qu'il devoit
commander pour la défenfe
du Royaume , & pour enfou
tenir la gloire , & de la jufti.
ce qu'il doit rendre fur terre.
J'oubliois de vous mar.
quer que Monfieur le Premier
Prefident dit à ce Prince,
que fi on regardoit fon âge ,
on auroit lieu de croire qu'il
auroit de la peine à remplir
toutes les fonctions d'un fi
GALANT. 311
grand employ ; mais que fi
on examinoit fa prudence &
fa valeur , on feroit aisément
perfuadé qu'il en eftoit trescapable.
Monfieur l'Amiral
répondit à Monfieur le Premier
Preſident d'une maniere
qui luy attira de grands
applaudiffemens de toute
l'Affemblée . Il dit entre autres
chofes que quoy qu'il trouvaft
le grand Employ dont il
avoit plú au Roy de l'honorer
beaucoup audeſſus de fes forces , il
laifferoit pas de s'y attacher de
tout fon pouvoir , & d'y mettre
toutefon application, dans l'efpe
32 MERCURE
rance que fon zele fuppléroit à la
foibleffe de fon age.
On lût enluite les Provi
fions du Roy pour la Charge
d'Amiral , vacante par le de.
cez de Monfieur le Comte
de Vermandois , dont la Bretagne
eft exceptée . Aprés
cela on paffa à la lecture de
la Requefte de Monfieur l'Am
ral pour la reception de fes
Provifions ; ce qui eſtant fait
MileProcureur du Roy de l'A
mirauté requit pour le Roy
qu'elles fuffent enregistrées ,
furquoy M le premier pref
dent ordonna l'enregiſtrement,
GALANT
313
ment, & м le Lieutenant General
qu'il en fuft paffé Acte.
à l'Amirauté. Enfuite M' le
Premier Preſident ſe retira ,
aprés avoir falué Monfieur
F'Amiral , qui le reconduifit
jufques hors la porte , & les
Officiers de l'Amirauté reconduifirent
Meffieurs du
Parlement. Monfieur l'Amiral
eftant revenu , monta fur
le Siege de l'Amirauté, & m²
le Lieutenant General luy repreſenta
que fuivant les Pro -
vifions qu'il avoit eu la bonté
d'accorder au S' Péftis de
la Croix pour la Charge d'In-
Decembre 1694. Dd
314 MERCURE
la
terprete , il eftoit fupplié d'en
ordonner
la reception
preftation de ferment , & l'enregiſtrement
des Actes : ce
que Monfieur l'Amiral ayant
accordé , M le Lieutenant
General dit au S'de la Croix,
Levez la main , ne promettezvous
pas d'eftre fidelle à Monfieur
l'Amiral dans l'interpretation
des écritures , & dans les autres
fonctions d'Interprete de l'Ami.
rauté ?Le fieur de la Croix répondit
en adreffant la parole
à Monfieur l'Amiral , Ouy ,
Monfeigneur , & le Lieutenant
General dit en fuite, Monfieur
GALANT. 315
ordonne qué le l'Amiral dit
fieur Peftis de la Croix foit receu
en fa Charge d'Interprete de
l'Amirauté, que fes Lettresfoient
enregistrées, & qu'il en foit fait
Acte
La mefme chofe fut ob
fervée pour le fieur Chartier
touchant la Charge de Gref
fier de l'Amirauté. Enfuite
M' Baucheron , Avocat , fe
leva , & ouvrit une Cauſe ,
en parlant pour un Maiſtre
de Navire , que le gros
temps avoit obligé de jetter
les marchandiſes en mer ,
contre le Patron de fon
Dd ij
316 MERCURE
Navire , qui avoir retenu
quelque choſe. Son Diſcours
fur accompagné d'un tres- .
beau Compliment à M' l'Amiral.
L'autre Avocat en fit
un pareillement ; & Mle
Procureur du Roy ayant par.
lé fur la mefme Cauſe , &
fait auffi l'Eloge de M. l'A.
miral , ce Prince prit les opinions
à droite & à gauche ;
& enfuite / Mi le Lieutenant
General parla pour luy , &
condamna le Patron à payer
au Maistre de Navire,quarre
cens dix livres , & aux dépens.
On commença une auGALANT
. 317
tre Cauſe ; mais Monfieur
l'Amiral fe leva & fortit accompagné
d'une foule in .
concevable qui le ſuivit dans
les Salles du Palais , où il reçut
mille applaudiffemens
fur toutes fes qualitez qui
luy gagnerent les coeurs de
tous ceux qui purent le voir.
Ce Prince fut accompagné
par la mefme foule juſqu'à
fon carroffe , où un grand
nombre de pauvres s'étant
attroupez , il leur fit jetter
quantité de Louis- d'or.
M le premier Preſident.
eut l'honneur de donner à
Dd iij
318 MERCURE
dîner le mefme jour à Monfieur
le Duc du Maine , &
Monfieur le Comte deThouloufe
, ainfi qu'à pluſieurs
perfonnes de diftinction , qui
avoient accompagné ces
Princes. Le repas fut délicat ,
propre & fomptueux .
Ce jour-là eftant deſtiné
pour la féance qui fe fair
troir fois l'année ; fçavoir à
Pafques , à la pentecôte & à
Noël , on fit lecture en pre
fence de Monfieur l'Amiral
du Rôlle des prisonniers ;
aprés quoy M de Hanyvel
de Crevecoeur , le dernier de
GALANT : 319
L
Mrs les prefidens au Mortier,
qui prefide
cette féance , fe transporta
en la Conciergerie avec мrs
de la Tournelle. Il fit élargir
quantité de prisonniers , & il
donna enfuite un magnifique
repas à мrs les Confeillers
qui l'avoient accompa
gné.
ordinairement à
Monfieur le Comte de
Thoulouſe fut pourvû de la
Charge d'Amiral au mois de
Novemb.comme je vous l'ay
déja marqué. Il porte de Fran
ce au Bâton de gueules en bare,
la Couronne rehauffée de Fleurs-
D diiij
320 MERCURE
3
de Lys un Manteau de Prince;
&pour marque de fa Charge
les deux Ancres paffées en Sautoir
derriere l'Ecu de fes Armes.
Par un Edit de 1626. le
Roy fupprima les Charges
de Connêtable & d'Amiral ;
& créa enfuiteà la place de la
Charge d'Amiral , celle de
GrandMailtre, Chef& Sur-Intendant
General de la Navigation&
Commerce deFrance
; & par un autre Edit du
mois de Novembre 1669.
cette Charge de Grand Maiftre
, Chef & Sur- Intendanc
GALANT. 321
General de la Navigation &
du Commerce de France ,
fur fupprimée , & celle d'Amiral
rétablie avec le titre
d'Officier de la Couronne.
On peut voir le pouvoir &
les fonctions de l'Amiral , &
les droits dont il jouit pre
fentément par le Reglement
fuivant fait par Sa Majefté
le 12. de Novembre 1669 .
à S. Germain en Laye
Toute la Juftice de l'Amirauté
, ainfi qu'elle eſt établie
par les Ordonnances ,
appartiendra
& fera renduë
au nom de l'Amiral.
322 MERCURE
Il pourvoira de plein droit
aux Offices des Siéges des Amirautez
dans tous les lieux
où ils font établis .
Il jouira pareillement de
tout & tel droit de Nomination
dont les Amiraux de
France ont bien & dûement
joüi fur les Offices de l'Amirauté
aufdits Siéges & Table
de Marbre .
Des Amendes , Confilcations
, & tous autres droits
de Juftice , dans tous les Sié-
3
ges particuliers & de la
moitié dans ceux des Tables
de Marbre.
GALANT. 323
D
droit de Dixiéme fur
toutes les Prifes & Conquetes
faites à la mer.
Du droit d'Ancrage , ainfi
qu'il eft reglé par les Ordonnances
, & que les précedens
Amiraux en ont joui
Du droit de Congé fur
tous les Vaiffeaux qui par
tent des Ports & des Havres
du
Royaume.
Du pouvoir de commander
l'une des Armées Navales
de Sa Majesté à ſon choix ,
enſemble en ce cas d'ordon
ner des Finances , ainfi que
les Generaux des Armées de
324 MERCURE
terre ont accoutumé de fai
re .
Lors qu'il fera prés de la
perfonne de Sa Majefté , les
ordres qu'Elle envoyera à ſes
Armées luy feront communiquez
, aufquels il pourra
joindre fes Lettres pour en
donner avis .
. Il y a eu plufieurs Ami,
raux dans les temps que les
Rois de France ne poffe.
doient pas toutes les Provin
ces maritimes de ceRoïaume;
à fçavoir l'Amiral de Normandie,
de Bretagne, de Guiéne
& de Provence . Celuy
GALANT: 325
de Normandie, qui fut depuis
appellé de France , commandoit
depuis le Pas de Calais
juſqu'à Saint Michel du Mont ;
celuy de Bretagne depuis S.
Michel jufques au Raz , celuy
de Guienne depuis le Raz
jufques à Bayonne , & celuy
de Provence depuis Perpi
gnan jufques à la riviere de
Gennes .
La Charge d’Amiral a toujours
efté poffedée par des
perfonnes du premier rang ,
& d'une grande diftinction.
Le Roy fit expedier à la Reine
fa Mere le 4. de Juillet de
326 MERCURE
4
l'année 1646, des Lettres qui
furent enregistrées au Parlement
le 16. du meſme mois ,
par lesquelles Sa Majeſté établiffoit
cette Princeffe Surintendante
des Mers de France.
M l'Evefque d'Agen
connu ci- devant fous le nom
du Pere Maſcaron , ayant efté
nommé par le Roy pour pref
cher l'Avent dans la Chapelle
du ChâteaudeVerſailles ,
ce Prelat s'en eft acquité avec
une éloquence digne de fa
réputation , & a reçû d'écla
tans témoignages du plaifir
GALANT,
327
que toute la Cour a pris à
l'entendre. Sa Majeſté, ayant
avoir affifté à fes Prédications
pendant tout l'Avent ,
s'eft trouvée à tous les Offi
ces de la Veille & du jour de
Noël , Elle a touché les Malades
à fon ordinaire , aprés
avoir fait les devotions , en
effuyant cette fatigue avec
l'air content qui paroift toû
jours fur le vifage de ce Pring
celorfqu'il fait quelque bonne
action . Sa Majefté diſtri
bua la Veille de Noël les Benefices
vacans dont le
nombre étoit fort grand .
328 MERCURE
Je ne vous en parleray point
cemois cy, parce qu'il ne me
fuffit pas de vous apprendre
les noms de ceux qui en ont
efté gratifiez , & que je dois
vous les faire connoistre par
les endroits qui les diſtingnent.
Je vous entretiendray
auffi le mois prochain,
de la fituation prefente des
Affaires de l'Europe , dont
je vous donneray un détail
fidélle & curieux. Je fuis ,
Madame , voftre , &c.
A Paris ce 31. Decembre 1694.
SS22555 S25ESSS222
PR
TABLE.
Relude.
Sonnet.
9
Journal du Siege d'Huy , tire des
Memoires dreffez par Mr de
Reignac , Commandant dans
cette Place. 10
81
Relation des revolutions arrivées
à Siam , en l'année mille fix cens
quatre-vingt-huit.
Cantique fur les vaines occupations
des gens du Siecle , tiré de
divers endroits d'Ifaie & de
Ieremie.
Morts.
Nouveau Plan de Paris.
146
151
170
Difcours prononcé à l'ouverture du
TABLE.
Siege Prefidial de Saintes , 173
Hiftoire.
188
Naiffance de Mr le Prince de la
Roche-fur- Yon.
221
Confeils d'un Pere à fes enfans.
223
Mortde Mrle Marefchal de Bel-
226
fond.
Nouvelles particularitez , touchant
l'érection d'un Eveſché à Alais,
231
Particularitez touchant les Etats
237
244
de Languedoc.
Profefion de plufieurs Demoifelles
Irlandoifes.
Fefte donnée à Mr. le Duc de Vendofme
, par Mr de Montmort ,
Intendant à Marseille. 254
Galanteries faites à la Cour de Danemarck
256
"L'Amour à la Mode , Satyre Hif
TABLE.
torique.
259
Reception de Mr l'Evefque &
Comte de Noyon , à l'Academie
Françoife.
261
Autre Article de Morts. 276
Divertiffemens preparez pour ce
Carnavah
Enigmes.
280
291
Détail de ce qui c'eft paffe as Parlement
, lors que Monfieur le
Comte de Toulouse ya esté reçû
Duc d'Amville , & qu'il a prefié
le ferment de la Charge d´Amiral.
301
Ec ij
Avispourplacer les Figures.
La Medaille doit regarder la page
172.
L'Air doit regarder la page 300.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le