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BIB . DOM.
LAVAL. S. J.
Zugua
BIBLIO
" Las Ferance
"
S J
60 - CHANTILLY
MERCURE
GALANT
DEDIE A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
SEPTEMBRE 1685.
A
PARIS ,
AV
PALAIS
ON
N donnera toûjours un Volume
nouveau du Mercure Galant le
premier jour de chaque Mois , & on
le vendra , auffi -bien que l'Extraordinaire
, Trente fols relié en Veau ,
& Vingt- cinq fols en Parchemin.
1
;1
A PARIS ,
Chez G. DE LUYNE, au Palais , dans la
Salle des Merciers, à la Justice .
Court- Chez la Veuve C. BLAGEART ,
Neuve du Palais , AU DAUPHIN ,
字
Et T. GIRARD , au Palais, dans la Grande
Salle, à l'Envie.
M. DC. LXXXV .
AVEC PRIVILEGE DY ROI,
Extrait du Privilege du Roy.
Phaville, le 18. Juillet 1683. Signé, Par
Ar Grace & Privilege du Roy, donné à
le Roy en fon Confeil , JuN QUIERES . Il eft
permis au Sieur DANNEAU , Ecuyer, Sieur
Devizé, de continuer de faire imprimer, vendre
& debiter le Livre intitulé , MERCURE
GALANT, & generalement tout ce qui dépend
dudit Livre , par tel Imprimeur qu'il
voudra choifir ; Et defenſes font faites à tous
Imprimeurs & Libraires, & tous autres , de
faire imprimer, vendre & debiter ledit Livre,
nygraver aucunes Planches fervant à l'ornement
d'iceluy , ny mefme de le donner à
lire, pendant le temps & efpace de dix années
entieres , le tout à peine de fix mille livres
d'amende contre les Contrevenans , ainfi que
plus au long il eft porté efdites Lettres .
Registré fur le Livre de la Communauté,
aux charges & conditions portées , le 14 .
Septembre 1683. Signé, ANGOT , Syndic.
Ledit Sieur DEVIZE ' a cedé fon droit du
préfent Privilege à C. Blageart, Imprimeur-
Libraire , pour en jouir fuivant l'accord fait
entr'eux .
Avis pour placer les Figures.
L'euneris, mes
Air qui commence par , Fous aimez
jeune Iris , mes tendres Chanfonnettés
, doit regarder la page 107.
Le Plan de Neuhaufel , doit regarder
la page 269.
La Figure de l'Etendard , doit regarder
la page 314.
MERCYRE
GALANT
SEPTEMBRE 1585.
L ne me fera pas difficile,
Madame , de vous convaincre
que je n'ay fait
que rendre juftice à M. le
Coadjuteur de Roüen , quád
je vous ay vanté la Harangue
qu'il a faite au Roy ,
Septembre 1685.
A
2 MERCURE
comme une des plus belles
chofes qu'on ait entenduës
depuis long- temps. Je vous
en envoye une Copie , qui
juſtifiera ce que je vous en ay
dit . L'Eloge de Sa Majeſté
vous plait au commencement
de toutes mes Lettres ,
& vous l'aimerez d'autant
plus en celle - cy , que vous
le trouverez
fait par un grad
Prelat , dont l'Eloquence
a
charmé toute la Cour. Il fut
affifté dans cette action de
Ms les Archevelques, Evef
ques , & autres Deputez de
1 Affemblée du Clergé , & ce
IS
GALANT.
3
fut en prenant congé duRoy
qu'il luy parla en ces termes
au nom de tous ceux qui avoient
compofé cette Affemblée.
owy shoup so monu
VIRE,
STRE Le Clergé de France,qui ne
s'approchoit autrefois de fes Sou
leur tracer de
verains , que pour
triftes images de la Religion opprimée
& gemiffante
, vient aujourd'huy
, la reconnoiſſance
&
la joye dans le coeur , faire paroître
à Voftre Majefté, cette mefme
Religion toute couverte de la gloire
, qu'elle tient de voſtre P.eté,
A ij
4 MERCURE
Elle a paru durant plus d'un
fiecle fur le panchant deſa ruine ;
on l'a veuë déchirée par fes propres
enfans , trahie par ceux qui
devoient la foûtenir la defendre
, en proye à fes plus cruels ennemis
. Enfin aprés une longue &
funefte oppreffion , elle refpira peu
de temps avant voftre Naiffance
beureuſe ; avecVous elle commença
de revivre , avec Vous elle
monta fur le Trône. Nous contons
les années de fon accroiffement
par les années de vôtre Regne
; & c'eftfous le plusfloriffant
Empire du monde , que
› que
nous
la
voyons aujourd'huy plus floriffan
te que jamais.
GALANT.
5
Si elle fefouvient encore de fes
troubles de fes malheurs paffez
, ce n'eft plus que pour mieux
goûter le parfait bonheur dont
vous la faitesjouir. Elle eftfans
agitation fans crainte à l'ombre
de votre autorité ; elle eft mefme,
fi j'ofe ainfi dire , fans defirs
puifque voftre Zele ne luy laiffe
pas le temps d'en former , & que
votre Bonté va fifouvent au dela
de fes
fouhaits
. ou la Foy
,
Ce Zele ardent pour
22041
cette Bonte paternelle dans tous
les befoins de l'Eglife , Qualitez
fi rares dans les Princes , font ,
SIRE , le veritablefujet de nos
A iij
Eloges.
6 MERCURE
Nous laiffons à vos autres Sujets
affez d'autres Vertus à admirer
en Vous. Les uns vous reprefenteront
comme un Monarque
Bienfaisant , Liberal, Magnifique,
Fidelle dans fespromef
fes, Ferme & Inflexible contre
toute forte d'injuftice , Droit
Equitable , jufques à prononcer
contre fes propres interefts , veritablement
Maistre de fes Penples
, & plus Maiftre encore de
luy-mefme.
Les autres vous refpecteront
comme un Roy , toûjours Sage &
toûjours Victorieux , dont les im
pénetrables deffeins font plutoft
GALANT. 7
executez, que connus ; qui ne regne
pas feulement fur fes Sujets
par fon Autorité Souveraine ,
mais furfon Confeil par la Superiorité
defon Genie , mais fur les
Cours de fes Voifins par
tration defon Efprit , & par la
Sageffe dont il fait inftruire fes
la
péne-
Miniftres; qui pouvant tout par
Luy-mefme , fçaitfe paffer des plus
grands Hommes , & fans eux refoudre
, entreprendre , executer ;
qui donne la Loy fur la Mer ,
auffi bien que fur la Terre ; qui
tance quand il luy plaift la foudre
jufque fur les bords de l'Afrique ;
qui fçait à ſon gré humilier les
A iiij
8 MERCURE
Nations fuperbes & réduire des
Souverains à venir aux pieds de
fon Trône reconnoiftre fon pou
voir , & implorerfa clemence.
Vos Ennemis mefme , SIRE,
ne peuvent s'empefcher de louer
vos actions heroïques ; ils font
contrains d'avouer , que rien n'eft
capable de vous refifter , & le merite
du Vainqueur adoucit en quel
que forte le malheur des Vaincus.
à
Će
n'est pas nous , SIRE
,
à parler
des progrés
étonnans
de
vos Armes
triomphantes
; nous ne
devons
pas confondre
l'éclat
d'une
valeur
qui n'est que
l'objet
de
l'admiration
des
Hommes
, avec
GALANT
9
ces Ocuvres Saintes qui font en
eftime devant Dieu Le Clergé,
SIRE,s'attachera fur tout à louer
en Vous cette Pietés, qui toûjours
attentive aux interefts de la Religion
, n'obmet rien de ce quipeut
estre neceſſaire pour la relever
dans les lieux où elle est abattue,
l'étendre au delà des Mers,
pour
dans les lieux où elle est inconnuë,
pour la faire triompher dans l'un
&l'autre monde.
Mais
que dis je ! l'Eglife ne
duit- elle pas elle - mefme confacrer
des Victoires , que Vous avezfi
heureuſementfaitfervir à la Propagation
de la Foy, & à l'ex10
MERCURE
que
tinction de l'Herefte ? Ilfemble
que vous n'ayez combattu &
triomphé que pour Dieu , & le
fruit que vous tirez de la Paix ,
nous fait affez connoistre quel ef
toit le principal but de vos Vie
toires. C'est par ces Victoires
vous avez étably cette redouta
ble Puiffance , qui tenant deſormais
vos Voifins en bride , oste
aux Heretiques de voſtre Royanme,
& l'audace de fe revolter,
l'espoir de fe maintenirpar de
feditieux commerces avec les Ennemis
de l'Etat.
4
Si c'euft efté la feule ambition
qui vous cuſtarmé , jufqu'où n'au
GALANT.
11
riez- vous point étendu vôtre Empire
? Vous vous estes hasté de fi
nir la Guerre , lorsque vous en
pouviez tirerde plus grands a -vantages.
Nefçait- on pas que ce n'a
efté que par l'empressement
que
vous aviez de donner tous vos
foins au progrés de la Religion ?
La Converfion de tant d'ames engagées
dans l'erreur , vous a paru
La plusbelle de toutes les Conquéle
triomphe le plus digne tes ,
d'un Roy Tres- Chrétien.
Maisquelle quefoit vôtre Puiffance
, elle avoit encore befoin dis
fecours de vôtre Bonté ; C'eſt en
gagnant le coeur des Heretiques ,
12 MERCURE
que vous domtez l'obftination de
leur efprit ; c'eſt par vos bienfaits
que vous combattez leurendurcif-
Sement , & ils ne feroient peuteftre
jamais rentrez dans le Sein
de l'Eglife par une autre voye ,
que par le chemin ſemé de fleurs
que vous leur avez ouvert.
Auffifaut -il l'avouer , SIRE.
Quelque intereft que nous ayons à
l'extinction de l'Herefie , notre joye
l'emporteroit peu fur noftre douleur,
fi pourfurmonter cet Hydre,
une fâcheufe neceffité avoit forcé
voftre Zele à recourir au fer
feu , comme on a efté obligé de
faire dans les Regnes précedens.
au
GALANT. 13
Nous prendrions part à une Guerre
qui feroit fainte , & nous en
aurions quelque horreur , parce
qu'elle feroitfanglante. Nous ferions
des Voeux pour le fuccés de
vos Armes facrées ; mais nous ne
verrions qu'avec tremblement, les
terribles executions , dont le Dieu
des vangeances vous feroit l'in
ftrument redoutable. Enfin nous
mêlerions nos voix aux acclamations
publiques fur vos Victoires,
enous gemirions enfecretfur un
Triomphe , qui avec la défaite des
Ennemis de l'Eglife , enveloperoit
la perte de nos Freres.
Aujourd'huy donc
donc
que Vous ne
14 MERCURE
*
combattez l'orgueil de l'Herefie
, que par la douceur & par
la fageffe du Gouvernement
:
que vos Loix foûtenues de vos
bienfaits font vos feules armes ;
& que les avantages que vous
remportez ne ſont dommaged.
bles qu'au Demon de la Revolte
& du Schiſme , nous n'avons
que de
graces à rendre au Ciel , qui a
infpiré à Voftre Majefté, ces doux
&fages moyens de vaincre l'erreur,
& de pouvoir en mêlant
avec peu de feverité , beaucoup de
graces & de faveurs ramener à
I'Eglife ceux qui s'en trouvoient
. ع و ب
pures
actions de
GALANT. 15
malheureusement feparez.
Nous le confeffons , SIRE ,
c'eſt à Vôtre Majestéſeule , que
nous devons bien-tost le rétablis
fement entier de la Foy de nos
Peres auffi ne falloir il pas que
l'Etat vous devant déja fon falut
&fa gloire , l'Eglife deuft"
un autre qu'à Vous , fa victoire
fon triomphe : fans cela voftre
Regne , que le Ciel a voulu qu'il
fuft un Regne de merveilles , auroit
manqué de fon plus bel ornement
On auroit bien dit un jour
de Vôtre Majefté , ce que l'Ecriture
dit de plufieurs grands Rois
de Juda : Il a terraffé fes En16
MERCURE
nemis , & relevé la Monarchie
; il a autorifé & reformé
les Loix , il a fait regner
la Juftice ; mais on auroit ajoúté
ce que le Saint Efprit reproche
à ces Princes : Il n'a pas aboly
les Sacrifices qui fe faifoient
fur la Montagne
.
Que votre Nom , SIRE,fera
éloigné de ce reproche ! Ce que
vôtre Zele a déja fait , la Pofte
rité le regardera toûjours comme
La fource de vos Profperitez , &
le comble de vostre Gloire.
Mais ce n'eft pas au rétabliffement
des Temples & des Autels
, que fe borne vôtre Zele.
GALANT.
17
Vous avez entrepris de faire revivre
la Pieté & les bonnes
moeurs ; & c'est à quoy Voftre
Majefte travaille avec fuccés ,
autant par fon exemple que par
fes ordres. C'est un honneur maintenantde
pratiquer la Vertu ; &
fi le vice n'eft pas tout à -fait détruit
, au moins est-il réduit à fe
cacher les voiles dont il fe
couvre , épargnent aux gens de
bien unfâcheux ſcandale, &fau
vent les ames foibles du peril d'une
contagion funefte:
Ne penfons plus à ces jours de
tenebres , où la plupart de ceux
qui eftoient encore dans le Sein de
A
Septembre 1685.
18 MERCURE
l'Eglife , fembloient n'y eftre demeurez
que pour l'outrager de plus
prés ; où les blafphemes ) les
railleriesfacrileges de ce qu'ily a
de plusfaint , éclatoient avec audace.
Ces Monftres d'infidelité ont
difparufous votre Regne heureuxs
files Remontrances tant de
fois réiterées fur ce fujet , ne nous
donnoient connoiffance de ce defor
dre , nous l'ignorerions à jamais.
Qu'eft devenu cet autre Mon
fire produit par l'esprit de vangeance
, toûjours alteré du fang
des Hommes , mais plus encore de
celuy de la Nobleffe Françoife ?
Nous n'avons qu'à le laiffer dans
GALANT
19
1
Doubly eternel , où depuis tant de
temps vous l'avez enfevely. Kous
lavez étouffé , tout indomtable
qu'il paroiffoit. Votre Majesté a
feu renverser les fauffes maximes:
de l'honneur & de la bonte ; &
autant qu'une déteftable erreur
avoit mis de fauffe gloire à fe
vanger, autant y auroit- il d'ignominie
à ne vous pas obeir. C'eft
ainsi que vostre volonté ſeule
l'emportefur la coûtume invete
rée du mal , & fur le panchante
criminel des hommes:
&
Le Clergé ne fe difpofe plus
qu'à eftre le Spectateur de la fin
& de toutes vos faintes Entreprifes,
Aij
20 MERCURE
aprés en avoir admiré de fi heureux
commencemens , il ceffe d'ufer
de Remontrances. S'il a enco
re quelques befoins , vous les connoiffez
, cela luy fuffit. Il vient
encore de reffentir en cette Affemblée,
d'infignes effets de vôtre Protection
Royale ; & perfuadé que
vous luy avez deftiné une longue
fuite de graces dans d'autres
temps , avec les circonstances
dont vous feul les fçavez fi bien
accompagner, il craindroit par fes
demandes , ou de troubler l'ordre
que vôtre Sageffe y a étably , ou
peut eftre de mettre des bornes où
vôtre Zele n'en a point mis.
GALANT 2
L'unique affaire qui nous occu
pe , c'eſt l'obligation de rendre
Vôtre Majefté de tres - humbles
actions de graces. Aprés un fijufte
de voir , affûrez que nousfammes
de votre puiffante Protection,
nous pouvons nous feparer fans
inquietude. Nous allons dans les
Provinces de voftre Royaume ,
faire retentir les louanges que
Eglife doit à voftre Zele, Cha
que Pafteur aura la joye de retronverpar
vosfoins , fon Troupeau
plus nombreux qu'il ne l'avoit
laißé , & chacun de nous redou—
blera fes voeux pour obtenir du
Ciel, qu'il redouble fes Benedic22
MERCURE
tions en faveur d'un Prince qui
fe les attire par des actions fi glow
rieufes & fi utiles à la Religion,
M.leCoadjuteur de Rouen,
comme Membre du Clergé,
fçachant encore plus parti
culierement que le reſte de
la France , ou pour mieux
dire , de l'Europe entiere ,
avec quel zele & quelle ap
plication le Roy s'attache à
faire fleurir la Religion Ca--
tholique , en corrigeant les
abus qui s'eftoient gliſſez à
fon préjudice depuis l'Edit
de Nantes, & en rétabliſſant
་
GALANT. 23
La plupart des chofes auf
quelles une longue ufurpation
avoit fait changer de
face, ne pouvoit donner trop
de louanges à ce Prince , fur
les avantages que l'Eglife tire
de fa Pieté. Elle produit
tous les jours des effets fi fur
prenans & fi extraordinai
res , qu'ils n'ont jamais eu
d'exemple ; & ils paroistront
auffi incroyables à la Poſterité
, que toutes les autres actions
de grandeur & de 'moderation
, qui le font admirer
de toute la terre . Ce Monarque
toûjours appliqué à
24 MERCURE
ce qui regarde la Religion ,
a fait un Edit tout plein de
juſtice , qui a eſté enregiſtré
au Parlement le 23. du der,
nier mois. M's les Deputez
du Clergé , luy ayant repre
fenté qu'entre les moyens
dont les Miniftres de le Religion
Pretendue Reformée
fe fervoient pour empefcher
ceux de leur Party de fe convertir
, aucun ne leur réüffifloit
fi
avantageufement
que celuy de donner par des
impoſtures , une faufſe idée
de la Religion Catholique,
Sa Majeſte a fait examiner
les.
GALANT. 25 .
les erreurs que ces Miniftres
ontda hardieffe de luy imputer
, dans les Preſches , ou
dans les Livres qu'ils compofent
; & comme rien ne
bleffe tant le refpect avec lequel
les Edits les obligent
d'en parler, que de l'accufer
de profeffer une Doctrine
qu'elle condamne ; & qu'il
n'eft pas jufte de fouffrir que
leurs calomnies infpirent
aux Religionnaires de l'horreur
contre la verité , qu'ils
ne pourroient s'empefcher
de fuivre fi ces artifices ne
leur en déroboient pas la
Septembre 1685.
C
26 MERCURE
connoiffance
; Elle a defen
du aux Miniftres , & à toutes
perfonnes de la Religion
Pretenduë Reformée , de
preſcher & de compofer aucuns
Livres contre la Foy
Catholique , Apoftolique &
Romaine , & de fe fervir de
termes injurieux ou tendans
à la calomnie , en imputant
aux Catholiques des Dogmes
qu'ils condamnent , &
mefme de parler directemet
ny indirectement en quelque
maniere que ce puiffe
eftre , de la Religion Catho
lique. Les Pretendus Refor
GALANT. 27
mez n'ont point à fe plaindre
, puis qu'il doit fuffire aux
Miniftrés d'une Religion toferée
dans le Royaume, d'en
enfeigner les Maximes , fans
s'élever par des difputes &
par des calomnies contre la
veritable Religion que l'on
y profeffe , & dont leurs Predeceffeurs
fe font malheureuſement
feparez dans le
dernier Siecle .
Le Roy a fait dans le mefme
temps une Declaration ,
qui a efté auffi enregiſtrée
auParlement
. Elle porte qu'il
ne fera plus receu de Mede-
Cij
28 MERCURE
cins de la Religion Preten
due Reformée . Cette Declaration
á efté donnée avec
beaucoup de prudence . De
fortes raifons ayant fait défendre
de recevoir à l'avenir
lesPretendus Reformez dans
aucune Charge de Judicature
, on a connu que la plufpart
des jeunes gens de cette
Religion s'appliqueroient à
étudier en Medecine pour y
prendre les degrez,fe voyant
exclus de toutes autres fonctions
; ce qui augmenteroit
fi confiderablement le nombre
des Medecins CalviniGALANT.
29
ftes , que peu de Catholiques
voudroient dorefnavant s'attacher
à cette Science ; en
forte que ceux qui profefferoient
la veritable Religion
en recevroient dans la fuite
un grand préjudice pour leur
falut lors qu'ils tomberoient
malades , parce que les Medecins
Religionnaires ne ſe
mettroient pas en peine de
les avertir de l'eftat où ils fe
trouveroient pour recevoir
les Sacremens , aufquels ils
n'ont point de foy. Ce mal,
qui eftoit inévitable, demandant
un feur remede , on ne
C iij
30 MERCURE
devoit pas douter que le Roy
n'euft la bonté d'y pourvoir.
C'eft ce qu'il a fait , en défendant
à tous ceux qui font
commis pour la reception
des Médecins , d'en admettre
aucun de la Religion Prétenduë
Reformée . Cet Edit
& cette Declaration font de
plus en plus admirer les juftes
mefures qu'il prend pour
l'accroiffement de la Religion
Catholique , & pour le
falut de fes Sujets .
Ce Monarque a donné depuis
peu une Penfion confiderable
à M. le Prince CaGALANT.
31
mille , fecond Fils de M. le
Comte d'Armagnac . C'eſt
celuy qui gagna le Prix de la
premiere journée du Carroufel
, & qui donne de fi belles
efperances qu'il foûtiendra
dignement l'Illuftre Sang de
Lorraine,
M. l'Avocat General Ta
lon , a efté auffi gratifié d'une
Penfion de fix mille livres .
Il y a fi long-temps que fon
Nom éclate dans le Parle
ment ; & c'eſt toûjours avec
tant de gloire , qu'il me feroit
inutile de luy donner
des louanges. Les Difcours
C iiij
32 MERCURE
publics qu'il y a faits avec
un applaudiffement general,
le font mieux connoiſtre que
tout ce que je pourrois vous
en dire.
M. Defreaux a eu dans le
mefme temps une Penfion
de deux mille livres. C'eft un
homme d'un efprit folide, &
d'un bon gouft , & reconnu
generalement par ces endroits.
Il s'eft converty depuis
peu de temps ; & quand
un homme auffi éclairé que
luy change de Religion , il
faut qu'il foit bien perfuadé
des erreurs de celle qu'il aGALANT.
33
re
bandonne , & qu'il les ait
bien examinéeslabih
La Piece qui fuit , renfer
me de nouveaux Eloges de
Sa Majesté. Elle eſt de M.
de Cantenac Theologal de
Seez, qui témoigne ſe repen
tir de ne s'eftre pas attaché
toute fa vie à la Perfonne &
au fervice du Roy , au lieu
de s'attacher à celuy de quelques
grands Seigneurs, com.b
me il a fait autrefois , caug
is sramod au
Sa bingazdo yul
basa aid sol l'up wit
on Kup other ob zvans ab
34 MERCURE
25222-22-2522-22225
ELEGIE.
A·Ffligé de ma peine, & du bien
qui me fuit,
Paffant mes triftes jours , comme une
longue nuit,
Je ne veux pas blâmer d'une voix importune
L'injufte cruauté d'une ingrate fortune.
Les Aftres ny le fort ne font pas nos
malheurs ,
Chacun fait fon Etoile , & caufe fes
douleurs .
L'Homme eft Royfur luy mesme , &
fuft il dans les chaines ,
C'eftfon efprit qui fait fes plaifirs on
Les peines.
GALANT. 35
Qui reglefa conduite , & les évene
ments ,
Tel qu'un Pilote expert, malgré l'Onede
& les Vents,
Conduit beureufement fur la Mer ir
ritée ,
Le timon chancelant de fa Barque agiz
tée.
Onfouffrepeu de maux qu'on nepuiſſe
éviter,
Et nous pouvons les fuir mieux que
les Jupporter.
Te fuis l'unique Ouvrier de ma fatale
peine,
L'imprudence a renduma fortune in.
bumaine.
M'éloignant du Soleil , dont j'eftois
éclairé ,
Par de fauffes lueurs je meſuis égaré.
Sij'avois confacré le cours de mes années
,
36 MERCURE
Au Roy le plus puiſſant qu'ontfait les
Deftinées ,
Ace Monarque Augufte , & Favori
des Cieux ,
Ie vivrois fortuné , tranquille &glorieux
.
Mais comme un bon Vaiffean qui ten
tant la fortune ,
Sort de la grande route , & duſein de
Neptune ,
Et voguant au hazardfur un Fleuve
inconnu
3
S'ouvre au fable mouvant qui l'avoit
retenu,
R
Par mon éloignementj'ay causé mon
naufrage ,
Prés de l'Aftre du jour on ne voit
point d'orage.
Tout le monde est heureux prés de
Louis LE GRAND ,
Et nefe voit chargé que des biens qu'il
Aw répand.
GALANT. 37
Mais quelbonheurpour moy ,fi témoin
defa vie
l'avois veufavertu triompher de l'en.
vie ,
Porter , comme elle a fait , parmy tant
de hazards
Son Empire &fon Nom au deffus des
Cefars!
Sa valeurredoutable a domptédésl'ex-
No fance ,
Et le Lyond'Espagne , & l'Hydre de
la France.
Eft- il rien que fon bras nefoumette
aujourd'huy ,
Si les Monftres alors n'eftoient qu'un
jeu pour luy?
Le Batave infolent , & l'orgueilleux
Ibere ,
Ont gemy fous le poids de fa jufte colerei
Et l'Aigle accoutumée à pénetrer les
Cieux ,
38 MERCURE
Limite aux pieds des Lys fon vol´andacieux.
De cent Peuples armez en vain la Ligue
cft faite ,
Unis dans leurs combats , unis dans
leur défaite,
Onles a veus tremblans , venir de tou
tes parts
Implorer fa clemence , & ceder leurs
remparts.
Le perfide Ennemy du Ciel & de la
Terre
,
L'Africain fubjugué tremble encor du
tonnerre
De ce fracas terrible , & de ces feux
nouveaux
Que ce nouveau Soleil faifoitfortir
des
eaux.
On ne compte fesjours que par quelque
victoire,
Pour luy chaque moment eft un pas
la gloire.
GALANT. 39
Et bien qu'à fa valeur cent Peuples
foient foumis ,
Ilfoumet plus de coeurs qu'il n'a fait
d'ennemis.
Son grand Nom redouté du Sarmate
& du More ,.
Sefait aimer & craindre aux Climats
de l'Aurore ;
Et ces Rois que le Peuple adore comme
Dieux ,
Fondent à l'honorer leurs titres glorieux
.
Si par toutfa valeur établit ſon Empire
,
Sa grandepieté que l'Vnivers admire,
Du Dieu que nous fervons redreſſe les
·Autels .
Et l'éleve luy- mefme au rangdes Immortels.
Par des traits inouis defa rareprudence,
40 MERCURE
Le Monftre de l'Erreur eft chassé de la
France ;
Et Rome accoutumée aux Prefens de
nos Reis,
Prend de luy fes Enfans qui méprifoientfes
lois.
Appuy de la vertu, comme ennemy du
vice
Ilfait fleurirpar tout les Arts & la
Iuftice
Mille Peuples conquis éprouvent fa
douceur,
Il en paroift le Pere autant
Vainqueur.
que
le
Monarque inimitable, Auguste & Ma
guanime,
Tout le monde vous aime autant qu'il
vous estimes upyo
Etl'on ne vitjamaisfortir d'un meſ-
JA me soeur 90G)
Defi grandes bontez avec tant de valeur.
འ འ
GALANT. 41
Maisj'éprouve en ce point que la peine
eft extréme
D'aimer infiniment fans plaire à ce
qu'on aime.
Pour plaire , ilfaut fervir l'objet de
fon amour,
Et l'Amant inutile eft indigne du
jour.
Je voudroispour toutbien vous fervir
& vous plaire,
Heureux eft le mortel capable de le
faire,
Sa gloire peut combattre un deſtin
rigoureux ,
Et qui fert bien fon Roy, n'estjamais
malheureux
Je vous parlay il y aun am
de beaucoup de nouveaux
Regimens que le Roy fit
Septembre 168 .
*
D
42 MERCURE
fous le nom de plufieurs Provinces
de France. Sa Majefté
vient encore d'en créer
deux , fous le nom de Ponthieu
& de Beaujolois. Ils
font compofez de plufieurs.
Compagnies tirées des vieux
Corps . Le Regiment de Ponthieu
a efté donné à M. le
Comte de Lomont , Capitaine
du Regiment Royal d'Infanterie
, en confideration
des fervices qu'il a rendus
dans un Corps , où l'on a occafion
d'acquerir beaucoup
de gloire lors qu'on y fait fon
devoir , puis qu'on y eft fou
GALANT. 43
vent exposé aux perils de la
Guerre. M. de Berulle , Capitaine
dans le Regiment du
Roy , a eu le Regiment de
Beaujolois . Il eft Frere de M ..
de Berulle, Intendant de Juftice
en Auvergne . Cette Fa
mille a donné un Cardinal ,,
& plufieurs Perfonnes qui
ont poffedé les plus eminentes
Dignitez de la Robe ; &
ce qu'il y a de remarquable,
c'eſt qu'elle a toûjours efté
en reputation d'une grande
probité. Le Roy ne recom
penfe pas feulement des gens
de diftinction & de merite ,
Dij
44 MERCURE
en créant ces deux nouveaux
Regimens ; mais Sa Majesté,
qui n'ignore rien de tout ce
qui peut eftre utile à fon Etat
, & à qui l'art de la Guerre
n'eft pas moins connu que
Part de regner, fçait que plus
il y a d'Officiers dans des
Troupes , plus on doit s'en
promettre , & compter fur
feur bonté ; non feulement
parce que l'exemple des Of
ficiers les anime, mais enco
re parce qu'il eft plus aifé de
leur faire obferver la difci
pline militaire. valabnem
Sur la fin du dernier mois,
GALANT 45
M. de Comte de Gaucour
prefta entre les mains du
Roy , let Serment pour la
Charge de Lieutenant Ge
neral de Sa Majefté dans la
Province de Berry , left d'u
ne des plus anciennes Mai
fons du Royaume ; & dés
Fan1449 Raoul de Gaucour
Seigneur de Maifons fur Seiz
ne,Grand Maistre de France,
Ambaffadeur vers le Duc de
Bourgogne , Gouverneur de
Dauphine , & des Villes de
Paris & de Gifors , rendit de
grands fervices au Roy . Eu
Itache de Gaucour, for Frere
46 MERCURE
puifné , Seigneur de Viry
Chambellan du Roy , fut fait
Grand Fauconnier de France.
en 1415. De Charles de Gau
cour Fils de Raoul , font fortis
deux Eveſques d'Amiens ,
& les Seigneurs & Marquis
de Gaucour.
M. le Comte de la Vauguyon
, ayant eu plufieurs:
Emplois confiderables , par
lefquels il a fait connoiftre
Fintelligence
qu'il a dans les
Affaires, fut nommé enfuite
Ambaffadeur en Eſpagne ;
& s'eftant acquitté de cette
Ambaffade au gré de Sa MaGALANT.
47
jefté , Elle vient de le choifir
pour fon Envoyé Extraordinaire
à la Cour de l'Empe,
reur.
La paffion que le Roy a
pour les beaux Arts , le foin
qu'il a pris pour les faire fleu,
rir, les dépenfes qu'il a faites
pour tout ce qui les regarde,
& les récompenfes qu'il a
données à ceux qui ont ex
cellé par deffus les autres
jointes aux marques de diftinction
dont il les a hono
rez , ont efté canfe que depuis
fon Regne les Arts ont
efté portez en France , au
5
48 MERCURE
plus haut point où ils puiſ
fentaller , eftant certain que
dans toute l'Europe , fans en
excepter l'Italie , on ne fçau
roit trouver aujourd'huy
d'auffi grands Peintres &
d'auffi fameux Sculpteurs
qu'il y en a prefentement
dans le Royaume. Leurs Ou
vrages font de ce bon gouft
antique , qui a receu l'ap.
plaudiffement de tous les Sie
cles ; & l'on peut dire qu'il
ne leur manque que le nom
bre des années pour les faire
peut-eftre plus eftimer que
quantité de Chef- d'oeuvres
que
GALANT. 49
que la Grece & l'ancien
a
ne Rome ont tant vantez.
Tels font ceux de M. le Brun
& de M. Mignard , qui pour
meriter l'eftime du Roy , &
répondre à l'amour que ce
Monarque a pour les beaux
Arts , ont travaillé avec tant
de foin , d'application & de
fuccés , qu'ils ont remply
toute la Terre de leur reputation
. Ainfi c'est au Roy
feul que la pofterité devra
leurs Ouvrages , puis que le
defir de plaire à Sa Majeſté
leur a , pour ainfi dire , infpiré
les talens neceffaires
Septembre 1685.
E
50 MERCURE
pour les faire` auffi beaux
qu'ils font. M. Mignard ,
ayant fait , il y a quelque
temps , pour M. le Marquis
de Seignelay , un Tableau
dont je vous ay déja parlé ,
& qui reprefente noftre Seigneur
qui porte fa Croix , au
lieu defigné pour fon Supplice
, il fut trouvé fi beau ,
que ce Marquis en fit prefent
à Sa Majefté
; qui voulant
en avoir un autre de la
mefme grandeur pour l'accompagner
; ce que les Peintres
& les Curieux appellent
Pendant d'oreille , fit l'hon-
番
GALANT. FI
·
neur de commander à M.
le Brun de luy faire le Cru
cifiement. Il s'en eſt acquitté
fi heureusement , &
en a receu de fi grands applaudiffemens
de tout ce que
l'Europe a de plus illuftre &
de plus habile , qu'il me feroit
malaifé de vous les décrire.
Voilà l'hiftoire de ces
deux Tableaux , dont on a
tant parlé , & fi avantageufement
pour la gloire de la
France , & pour leurs Autheurs
.
Il m'eft tombé entre les
mains une Lettre touchant
E ij
52 MERCURE
le dernier de ces Tableaux ,
& comme elle en décrit parfaitement
toutes les parties ,
dont elle donne une veritable
idée, j'ay crû devoir vous
en faire part. Vous y trouverez
quantité d'endroits remplis
d'érudition . Elle eft de
M. Guillet de Saint Georges .
Son merite vous eft connu
par quantité d'excellens Ouvrages
qu'il a donnez au public.
$2
i
GALANT. 53
252522252sssasess
LETTRE ECRITE
DE VERSAILLES A LYON.
MONSIEUR
Pour continuer noftre commer
ce de Lettres , je vay vous entretenir
du dernier Tableau que
M. le Brun afait pour le Roy.
Quand je vous auray dit que le
Crucifiement du Sauveur du
monde en eft le Sujet , vous vous
ferez fans doute une plus digne
plus noble idée de l'Ouvrage,
& vous concevrez que s'il offre
E iij
54 MERCURE
aux yeux des habiles Gens une
heureuſe & fçavante pratique
de l'Art de peindre , il donne
aux Devots une ample matiere
de méditation , une excellente
leçon des Vertus Chrétiennes.
Le Fils de Dieu attaché à la
Croix , est dispofé fi avantageu
fement dans le milieu du Tableau
, qu'on n'a pas de peine à
le prendre pour le principal objet,
pour la Figure dominante.
La Croix n'est pas tout à fait
dreffée ; mais comme les Bourreaux
travaillent à la mettre dans¸
Jon affiette , & qu'elle panche
encore le Corps du Sauveurfuit
cette difpofition ; de forte qu'ila
GALANT
.
55
les yeux tournez vers le Ciel,
comme regardant
le Thrône de
Gloire où le Pere Eternel le
doit bien- toft recevoir. Malgré
la pafleur de fon Vifage que les
tourmens ont extrémement
attenué
, on ne laiffe pas d'y voir une
Majefté éclattante, un air noble,
un Caractere de Divinité,
qui impriment dans le coeur de
ceux qui le regardent un fenti
ment de venération & d'amour:
Mais à cet air majestueux &
divin , il fe mefle une forte expreffion
d'une bonté infinie ,
d'une charité extréme , & l'on
eft perfuadé qu'en cet état de
E iiij
56 MERCURE
refignation , il s'immole luy meſme
à ſon Pere , par un Sacrifice
parfait , qui doit eftre la confommation
de tous les anciens Sacri_
fices. Dans lereste du Corps , les
marques d'une douleur violente
fontjudicieufement ménagées. En
quelques endroits la Chair est
meurtrie de coups ; en quelques
autres on voit que le Sang retire
fait place à une pafleur mortelle.
Ainfi on ne fçauroit trop admirer
te choix des teintes le Pinque
-
ceau a employées , pour une carnation
fi variée fi naturelle.
Les Veines & les Mufcles s'y
distinguent avec toute l'exactitu
f
1
GALANT. 57
de où la perfection de l'Art peut
atteindre , & cette naïve imitation
du naturel qui regne par tout
le Tableau , s'y trouve foutenue
d'une judicieufe economie de la
Lumiere des Ombres; tout cela
estant fi fort du partage de M.
le Brun, que perfonne n'en difconvient.
Le Fils de Dieu est attaché à
la Croix avec quatre Cloux , en
forte qu'il y a un Cloud particu
lier pourchaque pied ; ce qui s'accorde
à l'opinion du plus grand
nombre des Peres anciens ; &
mefme parmy les Modernes , le
fçavant & pieux Cardinal To58
MERCURE
let , a dit qu'en cela le vrayfemblable
s'accorde avec le
vray
,
que comme il y eut quatre Soldats
qui attacherent le Sauveur à la
Croix , il eft planfible
que
chacun
d'eux affecta d'y mettre un
Clou , afin que tous quatre fiffent
également l'office d'Executeurs.
Mais cette conjecture répond pofitivemet
aux experiences de quelques
Curieux , qui ayant mis fur
une piece de bois lespieds d'un Cadavre
pofez l'un fur l'autre , ont
vainement effayé de lesy attacher
avec un feul clou , parce que
nerfs dont ces parties font rem
plies , & la fituation des talons
les
GALANT. 59
empeſchent que le clou ne faffe
folidement fon effet. Mais comme
le Corps du Sauveur ne pouvoit
pas fe tenir fufpendu à l'a
Croix par Le feul fecours des qua
tre Cloux, on entrevoit icy parmy
les plis de la Drapperie mife fur
fes Flancs , un cordage qui le lie
à la Croix , & qui en affeure la
fufpenfion . On luy voit encore
fur la Tefte la Couronne d'Epines
que Pilatey a fait mettre , comme
pour authorifer le Titre de Roy
qu'il luy a donné.
Ces expreffions desfouffrances
du Seigneur ,femblent en avoir
imprimé de pareillesdans le Coeur
60 MERCURE
&fur le Vifage de la Vierge,
de Saint Jean , de la Madeleine,
de Marthe , de Marie Femme
de Cleophas , de Salomé , deJeanne
Femme de Cutzas Intendant
d'Herode, & de ces autres Sain
tes Femmes de Galilée
avoient fuivy le Sauveur , &
qui fe frapant la poitrine l'a
voient pleuré pendant le portement
de la Croix.
qui
Toutes ces Figures qui marquent
une extreme defolation,
font à la main droite du Tableau.
On voit qu'attentives au mouvement
dela Croix que l'on dreffe ,
elles jettent leurs regardsfur celuy
1
GALANT. 61
que
qui y eft attaché ; mais on juge
bien qu'elles le fuivent moins des
yeux que de lapensée. On diroit
que leur coeur est à la Croix ,
les Playes du Sauveur font
devenues les leurs propres . C'est
les
differentes expreffions
de l'amour divin paroiffent dans
toute leur force. C'est là que regne
une affliction generale'; mais
elley regne fous des caracteresparticuliers.
là
que
On voit donc la Vierge qui confiderant
les tourmens de fon Fils,
paroist touchée de toute la douleur
dont une Mere eft capable ; mais
par une expreffion fenfible , on
62 MERCURE
voit au travers de cette douleur
une conftance furnaturelle , &
digne de la Mere de Dieu. Elle
fe laiffe tomber fur les genoux,
comme voulant faire en cét état
un Acte d'adoration , & un Sa
crifice;felon la penfée deplufieurs
Peres de l'Eglife , qui affeurent
qu'au moment de l'élevation de
la Croix , la Vierge fe reglant
fur l'Oblation que Jon Fils fai
foit alors de foy- mefme , elle l'offroit
auffi au Pere Eternel , comme
pour luy remettre le Dépoft
Sacré qu'elle en avoit receu.
Proche de là , on voit Saint
Jean qui est debout , avec un viGALANT.
63
fage d'autant plus troublé , qu'il
voit à la fois le Sauveur & la
Vierge , dans des tourmens qui
luy demandent également un
prompt fecours. Incertain de quel
costé il doit aller , ou plutoft voulant
courir à tous deux ; on remarque
que d'une main il foûtient la
Vierge , & tend l'autre vers fon
Fils. On diroit qu'il fremit à
chaque effort des Bourreaux qui
travaillent à planter la Croix;
à ce
ces marques d'une agitation
interieure , on eft perfuadé que les
Playes d'un Maiftre fi adorable,
& fi tendrement aimé , ont jetté
des traits divins dans l'ame de fon
ج ر ب
à
64 MERCURE
Favory , & que ce bien- heureux
Apostre fe veut transformer en
luy , expirer avec luy , & courir
à cette Sainte union , qui fait la
felicité la recompense de l'amour
reciproque.
La Madeleine , penetrée de
douleur , a le vifage enfeu , les
cheveux épars , & les mains
jointes , & ferrées par l'effort des
doigts entrelacez les uns dans les
antres , avec cette violence qui eft
l'effet & la marque d'un tranfport
extraordinaire. Sesfouffran
ces font fi vives , ses affe-
Etions fi pures , qu'elle trouve de
la gloire , & du merite à les faire
GALANT. 65
éclatter pour l'édification univerfelle.
Ainfi comme ce font de ces
threfors qui ne doivent point eftre
cachez , elle ne veut point mettre
donner
Mais,
de bornes à fa douleur , ny
de voile à fon amour.
Monfieur , en vous décrivantfon
transport , je ne vous puis taire
celuy d'un homme tres- intelligent
en Peinture , qui obfervant la Fi
gure de cette Madeleine
avant
que le Tableau euft efté enlevé de
Paris , dit à une Compagnie nom
breufe de Curieux qui eftudioientla
mefme Figure , Vous la
voyez qui pleure
Vous
autres , & c'est tout ce que
Septembre 1685.
F
66 MERCURE
Vous y
remarquez ; mais
moy , je l'entends qui fe
plaint.
On voit ces autres Saintes
Femmes de Galilée diverſement
outrées d'affliction , & differemmant
poffedées de l'Eſprit de
Dieu ; felon que ce zele divin
s'exprime par une fainte langueur
, par les marques exterieures
d'une aspiration fervente , ou
d'une palpitation de coeur , ou bien
enfin par d'autres mouvemens, or—
dinaires auxPerfonnes animéesde
l'amour celefte. Leur émotion ne
peut eftre moindre quand on fuppofe
qu'elle vient du cruel spectacle
GALANT. 67
de la Croix , que fix Bourreaux
tâchent de dreffer. On connoist
évidemment
que pour y. attacher
Sauveur avec plus defacilité,
elle a d'abord efte couchée fur une
petite terraffe qui fe forme entre
plufieurs inégalitez dont le terrain
du Calvaire eft couppé; & même
on voit un Tréteau qui aferoy à
la foûtenir quand on a commencé
à la lever. La terraſſeest escarpée ,
fon efcarperegne furle trou où
l'on veut affermir la Croix, qui,
comme j'ay dit , panche encores
mais la terraffe parfa diſpoſition
donne de grands avantages pour
la mettre en fon affiette. Les fix
Fij
68 MERCURE
hommes qui s'y employent à l'envy,
ont tous le vifage de Gens de
travail , la taille renforcée , les
bras nerveux , ∞& le corps dans
une attitude differente , mâis toûjours
naturelle & proportionnée à
leurs efforts differens . De ces fix,
il y en a deux poftez fur la
terraffe quatre en bas pour &
mieux balancer le mouvement de
la Croix , & luy donner un contrepoids
neceffaire , chacunfelon
la fituation où il fe trouve.
Deux des quatre qui font en bas,
tirent chacun un cordage qui va
répondre à chaque extrémité des
deux branches de la Croix pour
GALANT. 69
les foûlever de part & d'autre,
avec une ééggaallee ffoorrccee.. Onjuge
de la vigueur& des efforts de ces
deux hommes par l'extenfion de
leurs Mufcles , qui font marquez
reffentis avec beaucoup d'art.
Le troifiéme panché en avant,
courbéfur fes genoux , foutient
de fon dos le derriere de la
Croix , femble auffi la foûlever,
& mefme la pouffer avec
mefure , tandis que le quatrième
la preffant du corps , des bras , &
des mains , fait agir fa vigueur
fon adreffe pour fe concerter
avec fes Compagnons. Mais des
deux qui font poftez fur la ter70
MERCURE
raffe , il y en a un qui tient la
Croix encore plus étroitement
embraffée , pour eftre ainfi maistre
de tout le mouvement qu'elle reçoit
, & regler en particulier l'effet
des cordages qui agiffent du
costé oppofé. Le dernier est un Soldat
Romain , qui eft armé defacuiraffe
. Il tient une Echelle dreffée
de telle forte que l'échelon le plus
haut foutient la Croix au deffous
des branches pour la hauffer plus
ou moins , felon qu'il faudra feconder
à propos les efforts de fes
Compagnons. La circonspection
du Soldat paroift dans ses yeux
qui font attentifs à tout ce traGALANT.
71
vail ; ce qui convient affez à un
homme qu'on fuppofe avoir esté
long-temps le cruel Ministre des
fupplices ordonnez aux Criminels
, puis qu'en ce temps là les
Romains donnoient ſouvent aux
Soldats , & mefme aux Tribuns
des Legions la commiffion d'exe
cuter à mort de leurs propres
mains , les Perfonnes destinées au
fupplice.
>
La Croix n'eft pas icy reprefen
tée fousla Figure des Croix ordinaires,
qui ont quatre extrémitez
diftinctes ; car en celle cy le tronc
vient fe terminer dans le milieu
des deux branches , fans former
72 MERCURE
un fommet au deffus de cette Traverfe.
Ainfi elle eft femblable
à noftre Lettre capitale T, ou à la
Lettre Grecque Tau ; ce qui est
conforme à l'opinion de plufieurs
Peres de l'Eglife , & à la tradition
de la plupart des Chrétiens
Orientaux. Celle- cy a deux fois
la hauteur d'un homme , comme
il eft aife de juger par les proportions
des Figures du Tableau.
Parmy les Anciens , les Croix
eftoient faites fur des longueurs
fort differentes. Ainfi Aman,
Favory d Affuerus , en prépara
une pour le Supplice de Mardochée
qui eftoit longue de cinquante
coudées.
GALANT. 73
•
coudées ; ce qui contient presque
treize de nos toifes , & ſuppoſe
prés de quinze fois la hauteur
d'un homme. Au contraire les
fept Enfans de Saul furent
attachez chacun à une Croix fi
peu élevée , que les Beftesfauvages
auroient pú atteindre à leurs
pieds , & les manger pendant la
nuit , fans la vigilance de la
pieufe Respha. La longueur de
celle du
Sauveur , telle qu'on la
voit icy
reprefentée , ſe
rapporte
à la
tradition generale , qui tient
que la Vierge eftant debout au
pied de la Croix portoit fa bouche
jufques auxpieds de fon Fils,
Septembre 1685.
G
74 MERCURE
& qu'elle les baifoit tendrement
en les mouillant de fes larmes.
L'Eglife Orientale eftoit particu
lierement dans cette opinion,
comme on le peut remarquer dans
un Poëme Dramatique , attribué
par quelques- uns à Saint Athanafe
, & par quelques autres
S. Gregoire de Nazianze.
Comme la difpofition des qua
tre faces dubois de la Croix à fervy
de fondemente de regle aux
premiers Architectes Chrétiens
pour la structure de nos Eglifes,
M. le Brun a foûtenu cette idée ;
car on voit icyfort distinctement,
la Croix va eftre fituée de que
1
GALANT. 75
telle forte , que le Sauveur aura
à dos la Ville de Hierufalem qui
eft à noftre égard dans la partie
Orientale de l'Horizon . Ainfi il
feraface vers l'Occident,&portera
la main droite vers le Septentrion,&
lagauche vers le Midy.
Nos Eglifes font orientées de la
forte , & c'est ainsi que chaque
jour le Peuple Catholique appellé
au Service divin , rend la chofe
fenfible dans nos Temples ; caren
regardant l'Autel on tourne le vifage
vers l'Orient , pour concevoir
pieufement qu'on a le Sau
weur en face,
Un peu au deffous des Figu
G
ij
76 MERCURE
res de ces Femmes de Galilée,
qui comme nous avons dit , marquent
un raviffement celefte , &
une fufpenfion des fens , on voit
d'autres Figures du mefme coſté,
& fur la premiere Ligne du Tableau
, quifont paroiftre une activité
fort oppofée à cette fainte
langueur , & qui par là forment
eet agreable contraste dont la
Peinture emprunte une partie de
fes beautez. Ce font les quatre
Soldats qu'on fuppofe avoir atta
ché le Sauveur à la Croix ,
divifé entr'eux une partie defes
Veftemens , felon le témoignage
de l'Evangile. On les voit qui
GALANT. 7
و ا
jettent au fort avec des Dez
pour fçavoir à qui demeurera la
Tunique , dont ils n'ont pas vouslu
faire quatre portions , parce
qu'ayant veu qu'elle eft d'un feul
tiffu & fans coûture , ils n'ont pú
Se refoudre à la couper. Elle eft
étendue à terre & quelquesuns
ont les genoux deſſus . Ces
quatre Joueurs font donc figurez
avec cet air inquiet & empreſſe
que donne l'avidité du gain . De la
maniere dont ils s'observent l'un
l'autre, on leur trouve un grand
panchant à difputer le coup de Dé.
L'action d'un cinquième Soldar
qui les regarde , en s'appuyant fur
Giij
78 MERCURE
ume Hache d'armes , marque une
curiofité & une application auffi
forte que s'il eftoit effectivement
intereffe dans le gain & dans la
perte.
A quelque diftance de ces Soldats
, proche le pied de la
Croix , on voit le Vafe plein de
Vinaigre, qui leurfervit quelque
temps aprés à imbiber l'éponge
qu'ils mirent au bout d'un bâton
d'Hyfope, pour la prefenter à la
bouche du Fils de Dieu.
Les deux Croix où les Lar
rons viennent d'eftre attachez,
font aux deux coftez du Sauveur
vers les deux bouts du Tableau,
GALANT. 79
celle du bon Larron à la droite,
l'autre à la gauche . Mais
de cette derniere , on ne voit que
l'extrémité d'une branche avec
une partie de la main du Criminel
; ce qui eft fait avec deffein,
& la fituation de ces deux
Croix marque la fage reflexion
de M. le Brun , qui fans oublier
aucune des circonstances de fon
Sujer , ne laiffe pas de le débar
rafferavec beaucoup de jugement,
faifant en forte que
cipale y foit dominante , & que
les Figures le moins propres
émouvoir l'ame , y tiennent le
moindre rang , & n'y foient:
l'action
prin-
G iiij
8 MERCURE
veuës qu'en paſſant.
Aprés vous avoir fait un détail
de ce qui occupe dans le Tableau
toute la partie de main droite
, voicy tout ce qui remplit le
cofté oppofé. Une Compagnie de.
Gens de Guerre, commandée pour
affeurer l'execution
de la Sentence
de mort vient occuper au pied de
La Croix le poste qu'elle doit tenir.
A la tefte de la marche , on voit,
paroiftre à Cheval un Officier qui
porte l'Etendard
arboré ordinai.
rement dans les petits Corps de
la Milice Romaine ; car les Aigles
& l'Etendard principal appellé
Labarum , ſuppoſoient ne→
GALANT. 81
ceffairement la prefence des Empereurs
, des Confuls , des Chefs
de Legions , ou des Officiers du
premier rang ; mais il ne s'agit icy
que de la marche d'un fimple
Centenier. L'Officier qui porte
l'Etendard , eft montéfurun Cheval
qui paroift inquiet , ardent,
quifemble vouloiréviter trois
Femmes qui font à cofté de lug.
Dans ce mouvement
il porte
faux un des pieds de devant fur
un terrain inégal & glisant,
proche d'une jeune Fille qui est
affife àterre , & qui toute effrayée
de le voir broncher , ſe
fe mettre en feureté. Derriere
fe
leve
・pour
à
82 MERCURE
a
l'Etendard paroift un Officier Ro
main qui eft auffi à Cheval. IL
tient à la main le Titre qui doit
eftre appliqué à la Croix , & qui
efté crit en Caracteres Hebraiques,
Grecs & Latins . Pour mieux
marquer l'autorité de cét Officier,
quelques Soldats qui font à fes
coftez ontfoin d'écarter la foule.
Ainfi on voit cette Milice poftée
differemment ,foitfur un terrain
élevé, ou dans unfond qui ne permet
de voir que la tête desSoldats,
la pointe de leurs Piques & de
leursFavelots; ce qui fe remarque
agreablement dans les détours que
forment les chemins creux reprek
GALANT. 83
fentezdans leTableau.
Auprés de la Fille qui paroist
effrayée du Cheval , il y a une
Femme affife à terre. Elle tient
fur elle deux jeunes Enfans d'un
teint délicat & vermeil , d'un
embonpoint agreable , d'un air
fleury, & d'une beauté animée.
La foule & l'horreur du Spectacle,
ne font pas capables de diſtrai
re l'esprit du plus jeune , qui porte
une pomme à ſa bouche avec
beaucoup d'avidité , & qui fans
autre foin que de la manger , marque
l'indolence des plus tendres
années. Mais celuy qui eft plus
âgé fe tournant à demy vers la
84 MERCURE
Croix, y regarde avec frayeur
l'acharnement des Bourreaux impitoyables
, fe jette en fremif
fantfur fa Mere , qui eft frapée.
d'une pareille terreur. Une autre
Femme , debout fur le mefme.
Plan , fe détourne de la marche
des Soldatspour n'y pas expoſer
un Enfant qui eft encore dans les
Langes , & qu'elle tient endorentre
fes bras. Ce profond affoupiffementfait
un agreable contrafte
avec la vivacité des deux
enfans precedens. Il est vray que
la Mere est affez agitée pour luy.
Elle marque fur le vifage autant
d'effroy qu'en a fait paroiftre celle
my
GALANT. 85
qui tient fes deux Enfans ; mais
affeurément cette forte agitation
ne fe doit pas entierement attribuer
à l'horreur du fpectacle . Ily
entre quelque autre myftere , &
M. le Brun ne fait rien fans un
motif emprunté de l'Hiftoire. Se
lon luy , ces deux Meres , allarle
Sau
mées de la prediction que
veur vient de leur faire pendant
le portement de la Croix , s'imaginent
déja voir la deftruction de
Hierufalem dont il les a menacées
, & appliquent
à leurs Enfans
cette formidable
Prophetie ,
conceue en ces termes. Filles de
Hierufalem
ne pleurez
86 MERCURE
de
point fur moy ; mais pleurez
fur vous , & fur vos Enfans .
Le terrain bizarre de la Mon
tagne cache prefque toute la Ville
de Hierufalem , Ainfi on ne
découvre que le fommet du Palais
David,duTemple de Salomon,
& de la Tour Antonia. Les
Murailles qui regardent le Calvaire
, ont leurs Creneaux occupez
par un grand nombre de Curieux
, qui veulent voir le Cru
cifiement. Il y en a pluſieurs autres
qui preffez de la mefme curiofité
montent fur des Arbres difperfez
en differens endroits
l'embelliſſement du Tableau.
pour
GALANT. 87
Une Tour quarrée , élevée auprés
de la porte qui répond au
Calvaire , est à moitié cachée par
une éminence , dont le fommet eft
fort applany ; ce qui forme une
terraffe tres commode pour voir le
Spectacle. Auffi quelques Perfonnes
d'un rang diftingué y ont
déja pris leur place ; mais pour en
chafferles Gens de neant , quelques
Soldats y font poftez ,
mefme une de leurs Sentinelles
tient à la main une demy Pique,
& en prefente la pointe en
avant pour arrefterune longuefile
de Curieux , qui veulent monter
fur le Terre-plainpar un chemin
88 MERCURE
étroit & efcarpé ; ce qui est une
induftrie particuliere de M. le
Brun , tant pour laiffer à nostre
ail une espece de reposfur une Pelouze
agreable qui embellit le
Terre-plain , que pour éviter l'informe
& confus amas d'une infinité
de petites Figures , qui auroient
amuse nos yeux par des
fait negliger l'a- minuties ,
ction principale dufujet.
L'horizon le lointain du
Tableau font diverſifiez par des
Colines , des Plaines également
agreables , & par une lumiere
douce qui flatte & délaffe la
veuë ; mais l'air qui regne fur le
GALANT. 89
Calvaire est agité de plufieurs
nuages quife choquent, & roulent
avec violence les unsfur les autres
pour donner commencement aux
prodiges qui parurent à la mort
de l'Autheur de la Nature ; car
la Nature elle- mefme envelopée
dans un fait fi étonnant , agit
alors contre le cours de fes Caufes
ordinaires. La Terre trembla,
les Pierres fe fendirent , & le
Soleil s'éclipfa par un pur
cle , puis que la Lune estant alors
dans fon oppofition , ne pouvoit
éclipfer le Soleil ,
Terre de tenebres. Ainfile choc
de ces Nuages & Palteration
Septembre 1685.
ny
mira_
couvrir la
H
90 MERCURE
de l'air qui precederent ces mer
veilles , & qui mefme enfurent
une preparation , montrent que
M. le Brun ne laiffe rien échap
de tout ce qui eft effenciel au
fujet qu'il traite.
per
En finiffant icy ces Remar
ques , je m'apperçay bien , Mon
fieur , que mes expreſſions ne ré
pondent pas dignement à celles du
Tableau , & qu'il y faudroit les
efforts de tant de plumes celebres,
qui nous ont décrit les Ouvrages
de cét excellent Peintre ; mais
faute d'ornemens , je vay recourir
à une grande authorité pour
mettre ce Crucifiement dans l'é
GALANT. 91
que
en a
clat qu'il merite.Je vous diray donc
le Roy l'ayant receu avec
autant de fatisfaction qu'il
déja témoigné pour les Tableaux
de la magnifique Galerie de Ver
failles , generalement pour
tout ce que M. le Brun a mis au
jour , Sa Majesté n'a pas dédai
gné de faire remarquer Elle mes
aux Perfonnes du premier -
rang , les differentes beautez de
ce Chef d'oeuvre. Voila ,fans
doute , un témoignage d'un grand !
poids , & qui ne peut eftre fou
pçonné deflatterie. Jefuis vostre,
me
er.c..
Hij
92 MERCURE
J'ay à vous apprendre
la mort de plufieurs Perfonnes
confiderables. Celle de
Dom Jofeph de Marguerit
& de Biévre , Marquis d'Aguilar
, Seigneur de Caſtel
Lampurdam , grand Senéchal
de Catalogne , & cydevant
Gouverneur de la
mefiné Province , Lieute-.
nant Genéral des Armées.
du Roy , arriva le des
Juillet. Il eftoit âgé de quatre-
vingt quatre ans,& mourut
au Chafteau de S. Martin
de Tocques prés Narbonne
, aprés avoir receu
17.
GALANT. 93
tous fes Sacremens avec une
grande refignation . L'Hiftoire
de Catalogne remarque
que fes Anceſtres s'y
établirent dans le temps que
Charlemagne Empereur &
Roy de France , en chaffa.
les Maures . Cette Maiſon a
donné des Cardinaux à l'Eglife
, des Archeveſques à
Tarragonne , des Evefques
à Gironne & à Elne. Elle
compte auffi des Generaux
d'Armée , & des Amiraux
qui ont commandé les Armées
des anciens Roys
d'Aragon & de Sicile . Ce94
MERCURE
luy dont je vous parle avoit
efté Ambaffadeur vers le :
feu Roy. On pourroit faire
une Hiftoire entiere de toutes
les actions d'éclat qui
ont fignalé fa vie. Il avoit
époufe Dona Maria de Biévre
& de Cardona , de laquelle
il a trois Garçons &
deux Filles.
>
2 Le du dernier mois,
3 .
mourut Dame Catherine
Bertrand. Elle eftoit vefve
de Meffire Nicolas de Bailleul
, Seigneur du Pléffis-
Briart , Capitaine aux Gardes
, cy -devant grand Louvetier
de France .
GALANT.
95
X
Quelques jours aprés ,la petite
Verolle emporta Meffire
Bernard de la Palu , Marquis
de Bouligneux,il n'eftoit âgé
que de vingt trois ans. Depuis
l'an mille
que Pierre de
la Palu Seigneur de Varenton
vint au fecours des
Roys de Provence , avec
trois mille Hommes de pied ,
& quinze cens Lanfquenets
levez à fes dépens , cette
Maifon n'a point manqué
de Mafles , comme il paroift
par les Subſtitutions . M. le
Marquis de Bouligneux
eftoit du dernier Carroufel,
96 MERCURE
& il eft parlé de luy dans la
feconde Relation de ce divertiffement
, où l'on voit
tout ce qui regarde les Maifons
, Dignitez & Emplois
de chaque Chevalier.
,
Le 28. du mefme mois ,M.le
Marquis de Liftenois , qui
avoit efté de ce mefine Car
roufel mourut environ
dans le mefme âge. Il eftoit
premier Chevalier d'honneur
au Parlement de Befançon
, grand Bailly , d'A-,
val au Comté de Bourgogne
, & Colonel de Dragons
pour le fervice de Sa Ma--
jeſté..
GALANT. 97
jeſté . La Relation dont je
viens de vous parler,vous en
apprendra davantage . Il a
laiffé deux Enfans de Dame
Marie des Barres , Fille de
Meffire Bernard des Barres ,
Prefident au Mortier au Parlement
de Bourgogne, & de
Dame Antoinette de Beauclerc
.
La nuit du
29. au 30. mourut
Meffire Henry de Daillon
Duc du Lude , Marquis
d'Illiers & de Bouillé , Baron
de Briançon , Chevalier des
Ordres du Roy , Grand - Maitre
de l'Artillerie de France ,
Septembre 1685.
I
98 MERCURE
& Capitaine du Chaſteau de
Saint Germain en Laye . Il
avoit efté premier Gentilhomme
de la Chambre ; &
comme il avoit rendu des
fervices tres - agreables au
Roy , il fut fait Chevalier de
fes Ordres en 1661. pourveu
en 1669. de la Charge de
Grand Maistre de l'Artillerie
à la place de M. le Duc Mazarin
, & eut un Brevet de
Duc & Pair en 1675. Il avoit
époufé en premieres Noces
Dame Eleonor de Bouillé ,
Fille unique de René Marquis
de Bouillé , dont il n'a
GALANT. 99
point eu d'Enfans , non plus
que de Dame Marguerite
Loüife de Bethune , Veuve
de M. le Comte de Guiche,
fa feconde Femme. Elle eſt
Fille, comme vous fçavez , de
Meffire Maximilien de Bethune
III. du nom , Duc de
Sully , & de Dame Charlote
Seguier. Le
Coeur de M. le Duc du Lude
fut porté en ceremonie au
Monaftere des Carmelites
de Pontoiſe , & preſenté par
le Pere Louis le Marchand,
Vicaire general de l'Ordre ,
& Prieur des Celeftins de Pa-
9. de ce mois , le
I ij
100 MERCURE
ris , fon Confeffeur . Il fit un
tres beau Difcours Latin
au Clergé qui le receut dans
l'Eglife , & un autre en François
à la Superieure, Soeur de
Madame la Ducheffe du Lude.
Il expofa dans l'un & dans
l'autre , avec beaucoup de
fuccés , la pieté envers Dieu ,
la fidelité au fervice du Roy,
& les autres grandes qualitez
de cet Illuftre Defunt. La
Maifon de Daillon a efté féconde
en grands Hommes.
Jean de Daillon I.de ce nom,
vivoit en 1420. & fut Pere de
Gilles de Daillon Si du Lude
GALANT . 101
au Maine , qui eftoit en confideration
fous le Regne de
Charles VII . Jean de Dail
lon II . du nom , Fils de Gilles,
eut grande part aux bonnes
graces de Louis XI . II
fut Chambellan de ce Monarque
, qui le fit Capitaine
de fa Porte , & de cent Hommes
d'armes , Gouverneur
d'Alençon , du Perche , de
Dauphiné en 1473. de la Ville
d'Arras & Comté d'Artois en
1477. & Lieutenant General
de fes Armées en Picardie. Il
laiffa Jacques de Daillon de
Marie de Laval . Ce dernier,
I iij
102 MERCURE
qui fut Confeiller & Chambellan
des Rois Louis XII . &
François I. fe diftingua en
toutes fortes d'occaſions par
fa conduite & par fa bravou
re . Il eut de Magdeleine Dame
d'Illiers , Fille de Jean &
de Marguerite de Chourfes,
Jean de Daillon III . du nom,
premier Comte du Lude , Baron
d'Illiers, Senéchal d'Anjou
, Confeiller & Chambellan
du Roy , Chevalier de
fon Ordre , Gouverneur de
Poitou , la Rochelle , & Pays
d'Aunis , Lieutenant General
en Guyenne , & Pere de
GALANT. 103
Guy deDaillonComte du Lu
de , Chevalier des Ordres du
Roy , Gouverneur de Poitou ,
Senéchal d'Anjou , qui acquit
beaucoup de gloire
à
la défenſe de Mets , à la Bataille
de Renty , à la prife
* a
de Calais , de Guines , de
Marans, de Broüage ; & qui
laiffa de Jacqueline de la
Fayette Dame de Pontgibaud
, François de Daillon
Comte du Lude , Marquis
d'Illiers , S de Pontgibaud &
de Briançon , Senéchal d'Anjou
. François de Daillon fervit
tres - utilement les Rois
I iiij
104 MERCURE
Henry III.Henry IV . & Loüis
XIII. & fut fait
Gouverneur
de Gafton de France Duc
d'Orleans.Il eut de
Françoiſe
de Scomberg , Fille de Gafpard
Comte de Nanteüil , &
de Jeanne Chaſteigner - la
Rochepozay , Timoleon de
Daillon Comte du Lude, qui
époufa Marie Faydeau , dont
il eut Henry de Daillon Duc
du Lude , qui vient de mourir
; & Charlote Marie, alliée
le 17. Septembre 1653. à Gaſton
de Roquelaure Chevalier
des Ordres du Roy , Pere
de M. le Duc de
Roquelaure
d'aujourd'huy .
GALANT. 105
La mort de M. le Duc du
Lude , a efté ſuivie de celle
de Catherine d'Afpremont
Vandy , Fille d'honneur de
la feuë Reine Mere du Roy,
& Dame d'honneur de fon
Alteffe Royale Mademoiſelle
d'Orleans . Elle eftoit âgée
de foixante- fix ans , & Fille
deMeffire Jean d'Afpremont
Marquis de Vandy , Meſtre
de Camp & Maréchal des
Camps & Armées de Sa Majefté
, & de Dame Innocente
de Marillac , Soeur du Maréchal
de Marillac , Garde des
Seaux de France . Godefroy
106 MERCURE
de
Baron d'Afpremont en Lorraine
, vivoit du temps
Philippe Augufte Roy de
France , & c'eft de luy que
les Comtes d'Afpremont
font defcendus . Il y a eu des
Evefques de Mets & de Verdun
de cette Maiſon.
Vous fçavez que tous les
ans il fe fait dans l'Eglife de
la Maifon Profeffe des Jefuites
de la rue Saint Antoine,
un Service pour feu Monfieur
le Prince , & qu'il eſt
accompagné d'une Òraifon
funebre . Elle a efté faite au
commencement de ce mois
GALANT
. 107
par le Pere de la Ruë qui pofquen
где
106 MERCURE
Baron d'Afpremont en Lorrain
Phil
a
k
tc
111
fic
ac
fu
W
GALANT. 107
par le Pere de la Ruë , qui poffede
parfaitement l'éloquence
de la Chaire , & qui n'y
fait pas moins Briller l'efprit
& la profonde érudition ,
que dans fesautres Ouvrages .
Je ne doute point que vous
ne foyez contente de l'Air
nouveau que je vous envoye.
Il a efté eftimé par des gens
d'un fort bøn gouſt .
AIR NOUVEAU.
V >
Ous aimez , jeune Iris , mes
tendres Chanfonncties
Vous les écoutez chaque jour.
Que n'avez vous un peu d'amour
Four le Berger qui les a faites ?
108 MERCURE
Voicyun Ouvrage de l'IIluftre
Madame des Houlieres
. Son nom vous répond de
fa beauté.
25222-22-2522:22225
EPITRE CHAGRINE
A MADEMOISELLE D.L.C.
H
E bien, quel noir chagrin vous
occupe aujourd'huy ?
M'eft venu demander avec unfierfourire
Un
jeune Seigneur , qu'on peut
dire
Auffibeau que l'Amour , auffi traitre
que luy.
Vous gardez un profondfilence.
( A t-il repris jurant à demy bas )
Eft- ce que vous ne daignez pas
GALANT 109
De ce que vous pensez me faire confidence,
Ie n'en fuis pas peut - eftre affez digne.
A ces mots,
Pourjoindre un autre Fat,il m'a tourné
le dos.
Q
Quel difcours pouvois -je luy faire,
Moy qui dans ce meſme moment
Repaffois dans ma tefte avec étonnement
De la nouvelle Cour la conduite ordinaire?
M'auroit-il jamais pardonné
La peinture vive &fincere
De cent vices aufquels il s'est abandonné
?
Non , contre moy le dépit , la colere,
Le chagrin , tout auroit agy.
Mais quoy que mes difcours euffent pu
luy déplaire,
110 MERCURE
Son front n'en auroit point rougy.
BA
Iefçay de fes pareilsjufqu'où l'audace
monte .
Atout ce qui leur plaift ofent- ils s'emporter
,
Loin d'en avoir la moindre honte
,
Eux- mefmes vont en plaifanter.
BA
De leurs déreglemens Hiftoriens fidelles
,
Avec unfront d'airain ils feront mille
fois
Un odieux détail des plus affreux
droits.
On diroit à les voir traiter de bagatelles
,
Les horreurs les plus criminelles ,
Que ce n'est point pour eux que font
faites les Loix ,
GALANT. III
Tant ils ont de mépris pour elles.
3
Avec gens fans merite & du rang
le plus bas
Ils font volontiers connoiffance.
Mais auffi quels égards & quelle dé
ference
Veut-on qu'on ait pour eux ? helas !
Ils font oublier leur naiſſance
Quand ils ne s'enfouviennentpas .
Daignent-ils nous rendre visite,
Le plus ombrageux des Epoux
N'en fçauroit devenir jaloux.
Ce n'est point pour noftre merite.
Leurs yeux n'en trouvent point en
nous.
Ce n'est que pour parler de leur gain,
de leur
perte ,
Se dirc
que d'un vin qui les charmera
tous ,
112 MERCURE
On a fait une heureuse & fure décou
verte ,
Se montrer quelques Billets doux,
Se dandiner dans une chaife ,
Faire tous leurs trocqs à leur aife,
Etfe donner des rendez- vous.
Si par un pur hazard quelqu'un d'entre
eux s'avife ,
D'avoir des fentimens tendres , refpcctueux
,
Tout le refte s'en formalife .
Il n'eſt pour l'arracher à ce panchant
heureux ,
Affront qu'on ne luy faffe , horreurs
qu'on ne luy dife,
Et l'onfait tant qu'enfin il n'ofe eftre
amoureux .
$3
Caufer une heure avec des Femmes,
Leur prefenter la main , parler de
leurs attraits.
GALANT. ng
Entre lesjeunes gens font des crimes
infames
Qu'ils ne fe pardonnent jamais.
**
Où font ces coeurs galans ? Oùſont ces
ames fieres ?
Les Nemours , les Montmorancis
Les Bellegardes , les Buffys ,
Les Guifes & les Balompieres ?
S'il reste encor quelquesfoucis
Lors que de l'Acheron on a traversé
t'onde ,
Quelle indignation leur donnent les
récits
De ce qui fe paffe en ce monde !
Que n'y peuvent-ils revenir.
Par leurs bons exemples peut- effre
On verroit la tendreſſe & le respect
. renaistre
Que la débauche a sceu bannir.
Septembre 168 .
K
114 MERCURE
CD
Mais des Destins impitoyables
Les Arrests font irrevocables ,
Qui paſſe l' Acheron ne le repasse plus
Rien ne ramenera l'ufage
D'estre galant , fidelle , fage,
Los jeunes gens pourjamaisſontperdus.
CD
A bien confiderer les chofes,
On a tort de fe plaindre d'eux.
De leurs déreglemens honteux
Nous fommes les uniques caufes.
Pourquoy leur permettre d'avoir
Ces impertinens caracteres ?
Que ne les renons - nous comme faifoient
nos Meres ,
Dans le respect , dans le devoir !
Avoicnt-elles plus de pouvoir ,
Plus de beauté que nous , plus d'ef
prit, plus d'adreffe ?
1
GALANT. H
Ah ! pouvons - nous penfer au temps
de leur jeuneffe
Et fans honte, & fans defefpoir !
Dans plus d'un Réduit agreable
On voyoit venir tour à tomr
Tout ce qu'une fuperbe Cour
Avoit de galant & d'aimable ..
L'efprit , le refpect & l'amour
Y répandoient fur tout un charme in
explicable.
Les innocens plaifirs par qui le pluslong
jour
Plus vifte qu'un moment s'écoulé,,
Tous les foirs s'y trouvoient en foule,
Et les tranfports , & les defirs.
Sans le fecours de l'efperance,
A ce qu'on dit , prenoient naiffances
Au milieu de tous ces plaifirs.
1
Cet heureux temps n'eft plus , un autre
a prisfa place.
Kij
116 MERCURE
Les jeunes gens portent l'audace
Iufques à la brutalité.
Quand ils ne nous font pas une incivilité
,
Il femble qu'ils nous faffent grace.
Mais , me répondra- t on , que voulez.
vous qu'on faffe?
Si ce defordre n'eftsouffert ,
Regardez quelfort nous menaces
Nos maisons feront un defert.
Il eft vray ; mais feachez que lors
qu'on les en chaffe ,
Ce n'est que du bruit que l'on perd.
Eft- ce un fi grand malheur de voir fa
chambre vuide
De médifans , dejeunes fous,
D'infipides railleurs , qui n'ont rien de
Solide
Que le mépris qu'ils ontpour nous ?
GALANT. 117
*3
Ouy , par nos indignes manieres
Ils ont droit de nous méprifer.
Si nous eftions plus fages & plus
fieres
On les verroit en mieux ufer.
Mais inutilemet on traite ces matieres,
On y perdfa peine & fon temps.
Aux dépens defa gloire on cherche des
Amans.
Qu'importe que leurs coeurs foient
fans delicateffe,
Sans ardeur , fans fincerité.
On les quitte de foins & defidelité,
De respect & de politeſſe,
On ne leur donne pas le temps
fonbaiter
de
Ce qu'au moins par des pleurs , des
foins , des compla fances
On devroit leur faire acheter.
118 MERCURE
On les gafte , on leur fait de honteu
fes avance's Jac
Qui ne font que les dégouter.
$3
Vous, aimable Daphné, que l'aveugle
fortune
Condamne à vivre dans des lieux
où l'on ne connoit point cette foule
importune
Quifuit icy nos demy.Dieux.
Ne vous plaignez jamais de vostre
deftinée.
Il vaut mieux mille & mille fois
Avec vos Rochers & vos Bois ,
S'entretenir toute l'année ,
Que de paffer une heure ou deux
Avec un tas d'Etourdis, de Cocquettes
.
Des Ours & des Serpens de vos fom.
bres retraites ,
Le commerce eft moins dangereux..
GALANT . 119
Je vous ay déja donné plufieurs
Relations de M. Chaffebras
de Cramailles , & entre
autres celle de dix ou
douze Opera , qui furent repreſentez
à Veniſe en un ſeul
Carnaval , du temps que ce
curieux Voyageur y eftoit.
L'exactitude avec laquelle il
décrit les lieux où il paffe ,
vous a fait fouvent fouhaiter
d'en avoir la fuite . Elle vient
de tomber entre mes mains,
& je vous l'envoye dans les
mefmes termes qu'on me l'a
donnée . C'eſt la Relation de
fon Voyage , depuis Venife
120 MERCURE
jufques à Rome , & fes remarques
fur les Villes, Lieux
& Chemins confiderables
avec les Devotions de Noftre-
Dame de Lorette , & de
Saint François d'Affife. Elle
eft adreffée à M. le Duc de
Saint Aignan. La voicy,
Le quinziéme Novembre
1684. je partis de Venife , où
j'avois efté durant une année
, & je me mis avec un
Gentilhomme François de
mes amis, dans une Gondole
à quatre Rameurs, une heure
& demie avant le jour. Durant
la matinée, nons traver
fames
GALANT. 121
fames vers le Midy fur le
Fleuve du Pô , où nous vo
guâmes tout le refte de la
journée & le lendemain , jufqu'à
une lieuë de Ferrare ,
ayant couché dans un Village
fur le bord du Pô. Ce Fleuve
qui paffe pour le Roy des
Fleuves de l'Italie , a fon cau
claire comme criſtal ; 11 eft
fort large , & bordé prefque,
par tout de tapis verts , de
Prairies & de Bocages . Il fait
icy la divifion des Terres du
Pape d'avec celles de Venife ,
& le trouve luy- mefme partagé
entre ces deux differens
Septembre 1685. L
122 MERCURE
Etats ; de forte que par un
effet du fort affez bizarre , il
fe rencontroit fouvent que
l'un de nous eftoit fur le Domaine
de Saint Pierre , dans
le temps que l'autre reftoit
encore fous la puiffance des
Venitiens & cependant
nous eftions affis fur un mef
me ſiege à coſté l'un de l'autre.
L'air eftoit extremément
doux quand nous nous mimes
en chemin . Sans un
temps fi favorable , nous
n'aurions pas hazardé dans
une Gondole le peu de
mer
GALANT. 123
que nous cûmes àpaffer . C'eſt
un petit Bâtiment de mer leger
& delicat, dans lequel on
peut aller faire fa cour aux
Gentils- Donnes , fur le grand
Canal de Venife ; mais il n'eſt
pas fait pour
aller en pleine
mer, & feroit dangereux
dans
un vent mediocre
. A une
lieuë en deça de Férrare, nous
fûmes obligez de changer de
voiture , & de nous mettre
dans un petit Bateau couvert
pour paffer un Canal d'eau
dormante
qui conduit en
cette Ville , & qui eft fort
élevé au deffus du Fleuve du
Lij
124 MERCURE
;
Pô. Ferrare appartenoit autrefois
aux Princes d'Efte
mais par defaut de mâles , il
eft retourné aux Papes fous
le Pontificat de Clement
VIII .
,
Nous primes le lendemain
une Chaife roulante pour
nous avec un Cheval pour
noſtre bagage , & nous allâmes
coucher à Bologne. On
nomme en quelques endroits
ces Chaiſes roulantes,
par une espece de quolibet ,
Sedie volante , pour dire qu'elles
vont vîte comme le vent.
Ce font aujourd'huy les VoiGALANT.
125
tures les plus commodes &
les plus ufitées dans l'Italie .
Elles vont à deux chevaux ,
& il n'y peut tenir que deux
perfonnes. Quand on veut
aller vîte , on les prend de
Cambiature comme nous fif
mes, c'eſt à dire qu'on change
de Chaife & de chevaux
de deux Poftes en deux Poftes
, où l'on en trouve de
toutes prêtes.
Bologne eft une des grandes
Villes & des plus peuplées
de l'Italie . On la nomme
Bologne la graſſe, à cauſe
de la fertilité & de la bonté
L
iij
126 MERCURE
T
des terres des environs , qui
font à la verité ſi graffes, qu'il
faut fix , huit , & jufqu'à dix
boeufs pour tirer la charuë.
Il y a au devant de prefque
toutes les maifons , des Portiques
qui forment de grandes
allées couvertes aux deux côtez
de chaque ruë, de meſme
que dans la Court du Palais de
Luxembourg de Paris ; ce qui
donne le moyen d'aller à
couvert par toute la Ville .
Les Dames y vont vétuës à
la Françoife , & les Gentilshommes
y font habillez de
noir en pourpoint, manteau ,
GALANT. 127
ceinturon & épée . Il y en a
plufieurs qui font porter
leurs épées par des Eftafiers,
à caufe qu'elles font extremément
longues , & qu'elles
les incommodent beaucoup
à marcher. Les Palais de cet
te Ville font fuperbes . Les
Eglifes & les Convens y font
magnifiques , & les Cloîtres
des Religieux y font plus
beaux qu'en aucune Ville
d'Italie. Celuy des Cordeliers
à la Grand' manche , eft
d'une grandeur , d'une beauté
, & d'une ftructure merveilleufe.
Je vis dans l'Eglife
Liiij
128 MERCURE
de Sainte Fetrone , un Cadran
d'une invention fort
particuliere. Lors qu'il eft
midy , il marque la grandeur
du jour où l'on eft , par
le moyen d'une Etoile percée
à la voûte , par où les
rayons du Soleil paffent juf
tement au milieu du jour . It
eft de l'invention de M.Caf
fini, de l'Obfervatoire de Paris.
C'eſt dans cette Eglife ou
Charles- quint fut couronné
Empereur.
›
Entre le grand nombre de
Reliques qui font à Bologne,
le Corps de la Bienheureufe
GALANT. 129
Catherine de Vigri Bolonoife
, en eſt une des plus confiderables
. Il eft dans le Monaftere
du Corpus Domini qu'-
elle a fondé, où font des Religieufes
de Sainte Claire . On
la voit toute entiere affife
dans une Chaife , revétuë de
l'habit de fon Ordre, la face,
les mains & les pieds découverts.
Elle mourut au quin.
ziéme fiecle , à l'âge de cinquante
ans ou environ .
La Chapelle de Monteguardia
, où l'on révere une
Vierge peinte par Saint Luc,
comine on pretend , eft une
130 MERCURE
des plus grandes devotions
de Bologne . Elle eft fur une
Montagne à trois milles hors
la Ville , c'eſt à dire à une
grande lieuë de France ; & le
concours du monde qui y va
le Vendredy ou le Samedy
de chaque femaine , a donné
lieu de commencer un che--
min couvert , qui conduit de
la Ville à cette Chapelle ; il
eft plus de la moitié achevé.
C'eſt une des plus belles entrepriſes
qu'on ſe puiſſe imaginer
, & qui fera d'une dépenfe
prodigieufe . Ce font
plufieurs Arcades qui for
GALANT. 131
ment une longue Galerie
couverte , où l'on pourra aller
en pleine campagne une
lieuë entiere à l'abry de la
pluye , de la poudre , & du Soleil.
Les Moulins de Soye de
Bologne, font d'une jolie invention
. On y voit quatre
à cinq mille écheveaux de
Soye fe déveloper , fe filer , fe
tordre & fe devider en mefme
temps fur autant de Bobines
, par le moyen d'une
Machine que l'eau fait aller .
Elle eft compofée d'un nombre
infiny de Tours & de
132 MERCURE
.
Roues , qui fe font mouvoir
les unes les autres , & qui ont
correfpondance dans plufieurs
Chambres
& Etages.
Quoy que Bologne fe foit
donnée au Pape , elle s'eft
confervée une grande liberté.
Elle met pour ce fujet
dans fes Armes le nom de
Libertas , & elle entretient un
Ambaffadeur ordinaire à Ro
me pour ſe maintenir dans
fes Privileges. L'un des plus
beaux dont elle joüit , c'eft
que l'on ne peut confifquer
les biens de ceux qui en font
bannis ; ce qui fait que l'on
GALANT. 133
en voit quelques-uns dans
d'autres Villes d'Italie , qui
nonobftant leur banniffement,
joüiffent paiſiblement
de tous leurs biens , dont ils
reçoivent les revenus fur
leurs Quittances.
Bologne a une fameuſe
Univerfité , dont il eft forty
de grands Hommes ; & comme
fi toute la Doctrine eftoit
renfermée dans cette Ville ,
elle met dans prefque tous
fes Monumens publics , & fur
la plufpart de fes Monnoyes,
Bononia docet , ou bien , Bononia
mater fcientiarum , comme
134 MERCURE
voulant dire que c'eſt Bologne
qui enſeigne les Sciences.
Cette Ville eſt renommée
principalement pour
quatre chofes pour les Savonetes
qui gardent leur odeur
juſqu'à la fin , &ſe confervent
douze , quinze , &
vingt années ; pour les Sauciffons
que l'on
envoye
par
toute
l'Europe
; pour
le Tabac
en poudre
, que
l'on
prefere
aujourd'huy
à celuy
de
Pontgibont
; & pour
les petits
Chiens
que
l'on
baigne
dans
l'Eau
-de -vie
auffi
-toft
qu'ils
font
nez , & durant
pluGALANT.
135
fieurs jours de fuite pour les
empefcher de croiftre . On
leur en fait auffi avaler de
temps en temps , & on leur
écraze le nez pour les rendre
camus. Ceux que l'on eftime
le plus entre ces petits animaux
, doivent avoir la tefte
ronde , le muſeau court , le
nez enfoncé & un peu relevé,
les yeux gros, ronds , vifs,
brillans & à fleur de tefte , les
poils déliez , doux & luſtrez
comme de la foye , les oreil
les grandes & pendantes , des
pannaches à la queuë & aux
jambes , & des ergots aux
136 MERCURE
quatre pates. L'on n'en fait
pas moins d'eftat
à Bologne
qu'à Paris. Les Dames les ont
toûjours
fur leurs juppes , &
les portent
aux Comedies
,
aux Promenades
, & dans les
Vifites. Il n'y a point de Juifs
à Bologne
, ils n'y peuvent
demeurer
qu'une nuit, & doivent
loger dans une Hoſtellerie
qui leur eſt affectée .
De Bologne
nous conținuâmes
nôtre route en Chaife
roulante jufqu'à Rome , &
trouvâmes jufqu'à Imola où
nous allâmes coucher, le chemin
plat & uny comme une
GALANT. 137
allée deJardin,bordé d'arbres
des deux coftez . Les Païfanes
portent de petits Chapeaux
de paille garnis de rubans de
couleur. Il y a dans cette
Ville beaucoup d'Eglifes . Le
22. nous paffames par Forti ,,
& allâmes coucher à Cefene..
Nous traverfames par Caftel
Bolognefe, & par la Ville de
Faenza,laquelle, felon le fen--
timent de quelques-uns , a
donné le nom à la vaiffelle :
de Faience , que l'on y fait
tres-bien. Forli eft une gran
de Ville , où je remarquay
comme une des plus belless
Septembre 1685,
Mi
138 MERCURE
Eglifes, celle de Saint Philippes
de Neri . Elle eſt toute
neuve , & n'eft pas entierement
achevée. Les Chapelles
font de marbre, avec quel
ques Tableaux qu'on eftime.
Je ne trouvay rien de plus
mignon que la maniere dont
les jeunes Ortolanes & Contadines
eftoient habillées. Ce
font des Païfanes des principaux
Bourgs des environs ;
mais je veux feulement parler
des plus notables , & des
mieux faites . Elles s'eftoient
rendues à la Ville , à cauſe
d'une Foire particuliere qui
GALANT. 139
s'y faifoit ce jour-là . Elles
avoient un cotillon de ferge
ordinaire à la Paifane ,un corcelet
de brocard à grandes
fleurs , les manches de fatin:
de couleur fort étroites & redoublées
fur le poignet, & de
petites manchetes de lin ou--
vragées de fil d'or & de foye
Leurs cheveux moitié nattez
& moitié frifez,battoient fur
les épaules , & voltigeoient
affez amoureufement fur la
gorge. Au deffus de la tefte
eftoit attaché un morceau de
fine toile , chamarré tout au i
tour d'une large dentelle de-
Miji
140 MERCURE
foye de differentes couleurs,
avec des touffes de rubans
aux quatre coins , & par def
fus un chapeau de fine paille
entouré de branches de fleurs
qui s'élevoient & retomboient
en panaches.
ne ,
Quant à la Ville de Cefel'on
y va en plufieurs
ruës à couvert comme à Bologne
. De Cefene nous allâ
mes à Savignan, petite Ville
ou Bourg, qui n'eft pas confiderable
, puis à Remini ou
Rimini, comme prononcent
quelques-uns , grande Ville
fur le bord de la mer. Entre
GALANT. 141
plufieurs belles Eglifes que
j'y vis , la Cathedrale eft la
principale. Elle eft claire , de
bon gouft, & bâtie nouvellement,
ainſi que la plus grande
partie des maifons d'alentour,
l'ancienne Eglife & les
bâtimens d'auprés ayant efté
entierement bouleverfez dás
le dernier tremblement de
terre qui arriva il y a quel
ques années.
De Remini nous allâmes
au Village de Catholica , &
cotoyames toûjours le bord
de la mer , les vagues donnant
jufqu'aux pieds de nos
142 MERCURE
chevaux ; puis quittant la
mer , nous nous rendifmes
á Pefaro , cheminant continuellement
entre des Montagnes.
Pefaro eft une groffe Ville
fur le bord de la mer , avec
de grandes Places & de belles
Fontaines . Les Juifs ont
deux Synagogues en cette
Ville , & n'y font pas fort riches.
Ils portent des Chapeaux
couvers de tafetas orangé
, & en ont de pareils
dans toutes les Terres du Pape.
Le 25. aprés avoir paſſé par
GALANT. 143
Fano , Ville forte fur le bord
de la mer , nous cotoyâmes
prefque toûjours la rive pour
aller à Sinigalia , les vagues
venant continuellemétdonner
dans les jambes de nos
chevaux, & jufqu'à la moitié
des roues de noftre Chaife ;
de maniere que nous eſtions
en doute fi nous cheminions
par mer ou par terre , & l'on
auroit pû faire des gageures
là - deffus. C'eft à peu prés
comme ce Bon-homme de
campagne , qui ne pouvoit
dire à fon Village s'il
eftoit venu à pied ou à chela
144 MERCURE
val : parce qu'eſtant monté
fur fon afne, & fe trouvant
obligé à chaque bout de
champ de lever fes jambes
qui eftoient trop longues ,
il s'eftoit fervy de fes pieds.
durant prefque tout le chemin
pour fe foulager , &
marchoit en meſme temps.
que fa befte, encore qu'il fût
à cheval fur fon dos ; d'où.
vient qu'il fut toûjours appellé
depuis , la beſte à fix
pieds . Il s'eftoit élevé la nuit
un vent horrible , qui continua
toute la journée, & empefcha
quelques Cavaliers :
de .
:
GALANT. 145
de paffer le matin en des endroits
où nous paffames aifément
l'aprefdinée , la rive
eftant alors trop fortement
battue des vagues de la mer.
Nous eufmes un froid tresviolent
, mais en récompen
fe nous primes beaucoup de
plaifirà voir la mer orageufé
faire des bonds en l'air, &
rejalliſſemens à perte de
veuë , & jetter à nos pieds
des monceaux d'écume bláche,
gros comme la moitié
de noftre Chaiſe.
des
Tout le long des coftes
de la mer , l'on trouve d'ef
N
Septembre 1685.
146 MERCURE
pace en efpace de fortes
Tours gardées par des Officiers
, pour empefcher
la defcéte
que les Corfaires
pourroient
faire durant la nuit .
Les Paifans des Villages
&
des Hameaux
circonvoi
fins ,
couchent
dans les chambres
du premier étage, où il n'y a
que des Echelles & des Efcaliers
de bois , qui fe levent
la nuit en maniere de Pontlevis
. Ils ont chez eux des
fe defenarmes
à feu , pour
dre en cas de beſoin , & ils
veillent tour à tour , & font
la fentinelle , afin que s'il
GALANT. 147
pour
abordoit quelque petit Bâtiment
Ennemy , ils puffent
tirer , & faire des feux
avertir les autres Villages de
venir à leur fecours ; ce qui
eft arrivé quelquefois . Nous
trouvâmes en un endroit de
la Cofte une Barque perie ,
& en un autre quelques pieces
de bois du débris d'un
petit Vaiffeau que la mer avoit
jetté à bord. Le Valet
de noftre Voiturin, qui avoit
devancé la Chaife d'une
giande lieuë, trouva un coffre
fermé , que la mer vint
jetter à fes pieds. Il le char-
Nij
148 MERCURE
gea fur fon cheval, &
le
porta
jufqu'à la Fortereffe de Sinagalia
, comme l'on eft obligé
de faire de tout ce qui fe
trouve fur les Coftes , & on
luy donna quelque chofe
pour fon droit. On en fit
l'ouverture , & l'on ne trou
va dedans que des Savons
,
& d'autres Marchandifes
prefque toutes gâtées de
l'eau de la mer ; cela nous
fit juger qu'il s'eftoit fait
quelque naufrage , comme
nous reconnûmes le lendemain.
Sinagalia eft une gran
de Ville , avec Port de mer.
GALANT. 149
J'allay me promener fur le
Port , où la mer en fureur
pouffoit des vagues de la
hauteur d'un étage , qui fe
venoient brifer contre la
pointe du Parapet , & fembloient
à tous momens le
vouloir fubmerger . Il y a des
Juifs en cette Ville ; ils ont
feulement une Synagogue.
Le 26. nous allâmes coucher
à Ancone. Nous cotoyâmes
encore prefque
toûjours la mer & nous
eufmes pareillement un grad
vent, qui diminua beaucoup
fur le foir ; nous apprîmes .
N. iij
KO MERCURE
L
dans la Ville , qu'on avoit
trouvé par le chemin deux
hommes noyez fur le fable
en differens endroits, ce qui
nous confirma le naufrage
dont nous avions veu la veille
quelques apparences . C'étoit
un plaifir de voir de loin
plufieurs petits Vaiſſeaux agitez
, qui fembloient de
moment en moment s'abîmer
dans les ondes , d'où
ils reffortoient peu de temps
aprés . Les uns étoient des
Peſcheurs , & les autres des
Paffans , qui tenoient la route
de Veniſe .
GALANT. 151
Ancone eſt une grande
Ville , fort peuplée , avec un
des beaux Ports de mer d'Italie
. Elle eft fituée fur la
Coline d'une Montagne qui
defcend jufque dans la mer ,
& paroift de loin comme un
Amphiteatre . On voit fur le
Pont un ancien Arc de triomphe
tout de marbre blanc ,
qui eft une des plus belles
antiquitez des Romains . L'Eglife
Cathedrale eft au plus
haut de la Montagne , d'où
l'on découvre la beauté de
la mer dans fa grande étenduë.
Cette Ville eft fort peu-
N iiij
152 MERCURE
plée, les Juifs y ont deux Synagogues
. J'allay dans la
plus grande au temps qu'ils
fe preparoient à celebrer la
Fefte du Sabat ou du Samedy,
qui fe commence le foir
du jour précedent. Il y avoit
quatre ou cinq cens Lampes
allumées , & je n'en ay
jamais tant veu ailleurs pour
un jour de Fefte ordinaire.
En attendant qu'ils commençaffent
leurs Prieres, un
Rabbin fort zelé dans leur
Religion , m'ouvrit l'Armoire
d'Aaron , où font les Livres
de la Loy, & me fit voir
GALANT. 153
les plus beaux ( j'entens pour
ce qui eft des ajuſtemens qui
les ornent , comme font les
Bâtons , les Maffes, les Chénets
, les Grelots ou Sonnets
d'argent , les Couronnes
de vermeil doré, les Voiles
& les Couvertures de
Brocard & de broderie ) car
pour les Livres ils font tous
écrits d'une même maniere ,
& fe trouvent uniformes dás.
toutes les Synagogues du
Monde . Il me mena enfuite
dans fa Maiſon , pour me
faire voir la maniere dont
tout eftoit difpofé pour le re154
MERCURE
pos du Sabat , les Lampes å
plufieurs lumignons qui devoient
brûler pendant la
nuit, les préparatifs des viandes
du Souper & du lendemain.
Je trouvay la Nape
mife, tout en eftat fur la Table
, & les fieges à l'entour.
Sa femme qui eftoit d'un âge
mediocre , tenoit un Livre
Hebreu, & recitoit quelques
Prieres à l'un des coins de la
chambre. Il ne fut jamais au
pouvoir de fon Mary,de luy
faire lever les yeux pour me
regarder. Il me dit qu'elle
vivoit comme un Sainte , ou
GALANT: 155
pour mieux dire , comme la
Femme d'un Patriarche de
l'ancien Teftament ; qu'elle
avoit toutes les complaifances
imaginables
pour luy ,
& que c'eftoit la meilleure
Femme du monde ; mais
qu'elle n'avoit jamais pû ſe
refoudre à parler à un Chrétien
, ce qui luy donnoit bien
du déplaifir. Ses Filles n'eftoient
pas fi farouches
, elles
venoient
librement
autour
de nous , & principalement
l'ainée , qui eftoit extremément
belle , & qui , avec un
air affez libre & enjoüé, far156
MERCURE
foit paroiftre fur fon viſage .
beaucoup de fageffe, de douceur
& de modeftie . Elle n'avoit
qu'environ quatorze
ans , & devoit eſtre mariée
dans dix ou douze jours ;
parce que tout Homme qui
a une Fille nubile , me dit
fon Pere, & qui differe de la
marier , eft refponfable devant
Dieu de tous les pechés
d'impureté qu'elle peut cómettre
dans fon coeur. C'eſt
la croyance des veritables
Juifs , autrement, difent-ils,
c'eft rendre inutile le plus
grand des biens que Dieu ait:
1
GALANT. 157
donné à l'Homme. Je n'eus
pas de peine à luy accorder
ce dernier article , qu'une
belle Femme eftoit un bien
fort confiderable , & la plus
belle acquifition qu'un galant
homme puiffe faire ; &
je luy ajoûtay de plus , que
j'engagerois volontiers mes
rentes & mes revenus pour
enavoir,fices fortes de biens
eftoient à prix raiſonnable.
Je reftay une heure & demie
avec ce venerable Rabbin ,
qui ne pouvoit fe laffer de
caufer avec moy , & dont
j'eus toutes les peines du
158 MERCURE
monde à me débaraffer.
Le Samedy 27. nous arrivâmes
à Lorette fur les vingt
deux heures, c'eſt à dire deux
heures avant la nuit , ayant
quitté le bord de la mer , &
cheminé par des chemins
fort fales. Durant quatre ou
cinq jours , nous rencontrâmes
un grand nombre de
Pelerins , les uns à pied , les
autres à cheval , & les autres
en Chaife.
La Ville de Lorette , qui
eft fur le bord de la mer ,
confifte en une grande ruë ,
au bout de laquelle eft un
GALANT. 159
Fauxbourg fort long , car
pour les rues de traverſe ,
elles ne font pas de conſequence.
Il y a une Fortereffe
confiderable, qui pourroit
refifter au Turc durant
quelques jours , s'il venoit
par mer dans le deffein de
la piller , comme il a tenté
quelquefois . Si ce malheur
arrivõit , elle feroit promptement
ſecouruë , la Ville
d'Ancone , & quelques autres
, eftant obligées d'envoyer
fur le champ une certaine
quantité de monde fi
l'Ennemy y faifoit quelque
160 MERCURE
deſcente ; & on les avertiroit
par des feux qu'on feroit
fur toutes les Tours qui font
e long des Coftes , comme
je vous ay dit. Cette Ville
eft bien peuplée , & le bon
marché des vivres y attire
beaucoup de perfonnes.
Pour un Gros , qui eſt environ
trois fols & demy de
France , on vous donne du
Vin plein une grande Cruche.
Ceux qui ont trois ou
quatre cens livres de rente ,
& qui ne font point de negoce
, y paffent pour Gentils-
hommes , parce qu'ils y
GALANT. 161
vivent commodément à là
maniere du Pais ; & hors
cette forte de Nobleffe , qui
feroit fort mince dans une
autre Ville , on n'y voit que
des Hofteliers & de medio ..
cres Marchans, dont le tiers
ne fait trafic
"
que de
Chapelets
& de Medailles. Les Fem
mes y font vétuës d'une ma
niere bijarre , qui tient de
l'Egyptien
& du Villageois
,,
& la plufpart
gâtent le peu
de bonne mine
qu'elles ont,,
en mettant fur leurs épaules :
un grand morceau
de drap
rouge , jaune ou bleu , fem
Ο
Septembre 1685 .
162 MERCURE
blable à un lange d'enfant ,
qui fait le plus vilain effet du
monde . L'Eglife , au milieu
de laquelle eft la Sainte Chapelle,
eft fort grande, & d'une
beauté achevée ; elle eft
dans une grande Place, où il
y a une Fontaine de divers
Jets d'eau , avec la figure de
bronze du Pape Sixte V.trois
ou quatre fois grande comme
le naturel. Če Souverain
Pontife , qui n'avoit que de
grands deffeins , a fait embellir
cette Eglife , & il euft fair
une Ville confiderable de
Lorette , s'il n'euſt pas eſté
A
GALANT. 163
prévenu de la mort.
A l'un des coftez de la Place
, font des Bâtimens en ar
cader, où l'on reçoit les Perfonnes
degrande qualité, qui
viennent en Pelerinage & en
Devotion , & où logent plufieurs
Peres Jefuites Italiens,
François , Alemans , Eſpagnols
, Anglois , Polonois
Suiffes , Grecs , Armeniens ,
Efclavons , & de diverſes autres
fortes de Langues qui fe
trouvent tous les mating
dans les Confeffionnaux de
l'Eglife pour adminiftrer le
Sacrement de Penitence aux
X
O ij
164 MERCURE
Pelerins qui y viennent de
tous les endroits de la Terre.
On va voir par curiofité l'Apoticairerie
& les Caves.
L'Apoticairerie eft remplie
de toutes fortes de medicamens
& de compofitions ,
que l'on donne charitablement
aux Pauvres . L'on y
voit trois cens cinquante vafes
de terre d'un prix incſtimable,
tous peints , comme
on pretend , de la main du
grand Raphael d'Urbin , le
Reftaurateur de la Peinture..
J'ay appris que fon Pere étoit
Potier de Terre , & que c'eſt
GALANT. 165
pour cela qu'il y a tant dé
Vafes de fes deffeins.
Les Caves font au nombre
de douze , & fe communiquent
les unes dans les autres.
On y diftribuë du vin
à tous les Pelerins , & l'on
n'en refuſe à perfonne. Elles
font remplies de cent cinquante
tonneaux qui ne ſe
remuent jamais , & ſe nettoyent
par des douves qu'on
leve aux coftez pour donner
entrée à ceux qui les vont
nettoyer dedans . Ces tonneaux
font liez avec des Cerceaux
de fer , & font la pluf166
MERCURE
part fi grands , que j'en trouvay
quelques - uns dont le
fond avoit dix pieds de Diamettre
, avec autant de pro
fondeur . Dans le temps des
fauffes Divinitez , on auroit
pû faire d'un de ces tonneaux
un Temple raisonnable au
Dieu Bachus , en élargiffant
l'ouverture du bondon pour
donner paffage à la fumée
des Sacrifices qui luy étoient
offerts par les Bachantes &
par les Thiades. Il y en a dont
on tire trois fortes de vins
Le Garçon de Cave ne man
que jamais d'en faire boire
GALANT. 167
aux Etrangers , afin qu'on
luy donne àfon tour dequoy
boire; c'eft toûjours du meilleur
vin , & du plus exquis.
Pour la Sainte Chapelle
de la Vierge, qui eft une des
plus belles Reliques qui foit
dans le Monde, vous en pouvez
voir à Paris le Modele ,
dans l'Egliſe de la Magdeleine
vers la Porte du Temple.
Ainfi je ne vous feray qu'une
legere defcription de la
maniere qu'elle eftoit lors de
fon tranfport, & des changemens
que l'on y a faits depuis.
Mais auparavant il faut
168 MERCURE
que je vous diſe en peu de
mots la maniere miraculeufe
dont elle eft venue en ce
lieu , & l'eftime que l'on en
a toûjours faite.
Cette Sainte Chapelle eft
la meſme où la Vierge a efté
élevée , où l'Ange luy a annoncé
le divin Miftere, & où
elle a conceu du Saint Efprit
le Redempteur de tous les
Hommes . Lors qu'elle eftoit
encore en Nazareth , on la tenoit
en grande veneration
parmy les Chreftiens . Sainte
Helene Mere du grand Conſtantin
, y alla en Pelerinage
en
GALANT. 169
´en l'année 326. Elle l'embellit
& l'enrichit de quantité
de Prefens , qui ont eſté pillez
depuis par les Barbares.
Sainte Paule , noble & riche
Romaine, y alla peu de temps
aprés en habit de Pelerine,
avec Sainte Euftochie fa Fille
, accompagnée de Saint
Hierôme , qui a efté mis par
la fuite au nombre des quatre
Docteurs de l'Eglife Latine.
Elle fe retira de là en
Bethleem , où elle mourut,
aprés avoir donné la plus
grande partie de fes biens
aux Pauvres, & y avoir fondé
Septembre 1685.
P
170 MERCURE
;
trois Monafteres de Filles, &
un Convent de Religieux.Le
Roy Saint Loüis allant en la
Terre-fainte , defcendit de
fon Cheval , aufſi- toſt qu'il
apperceut du Mont Tabor
cette Maiſon facrée ; il baifa
plufieurs fois la terre , fit le
refte du chemin à pied , &
une des Festes de la Vierge
eſtant arrivée peu de jours
aprés , il y fit celebrer folemnellement
la Meffe , où il
communia s'eftant revétu
d'un Cilice, & ayant jeûné la
veille au pain & à l'eau . Bel
exemple pour un des plus
GALANT. 171
grands Rois de la Terre.
Par la fuite des temps , les
Infideles s'eftant rendus abfolus
dans le Pays , elle devint .
la riſée & la moquerie de
cette Nation barbare , qui
faiſoit mille ignominies aux
pauvres Chreftiens qui la
venoient vifiter avec tant de
peines , de fatigues & de dépenſes.
Le Sauveur du Monde
ne voulant plus fouffrir un
tel mépris, ordonna aux Anges
de la retirer de la domination
de cette Nation cruelle.
Ils s'en chargerent
par le
commandement
de Dieu ; ils
Pij
172 MERCURE
l'enleverent en l'air , & la
porterent au deffus de la Galilée,
la Syrie, la Macedoine,
l'Albanie, & une partie de la
Dalmatie , où ils la mirent
fur une Montagne de l'Efclavonie
appellée Terfatto ,
éloignée du lieu où elle eftoit
de dix-huit cens quatrevingt
quinze milles d'Italie ,
qui font environ ſix à ſept
cens lieues de France . Ce
Tranſport ſe fit le neuf ou
dixième jour de May à minuit
en 1291. que le Pape
Nicolas IV. occupoit le Siede
Saint Pierre.: ge
GALANT. 173
5
Les Peuples de l'Efclavonie
remplis d'étonnement &
d'allegreffe , avoient peinet
à croire un Tranſport fi miraculeux
; & quoy qu'ils
deuffent s'en affeurer à la
veuë de quantité de miracles
qui fe faifoient journellement
dans cette fainte Cha
bre, ils ne laifferent pas d'en
voyer à Nazareth cinq Perfonnes
dignes de foy , pour
s'informer de la verité . Ces
Deputez firent rapport à
leur retour , qu'ils n'avoient
trouvé que les fondemens
dont les mefures eftoient
Piij
174 MERCURE
conformes à celles de cette
fainte Chapelle, & ils raconterent
l'épouvante où ef
toient les Peuples du Pays ,
au fujet d'un tranſport fi fubit
& fi extraordinaire.
Elle demeura en ce lieu
trois années & ſept mois, que
les Anges la porterent une
feconde fois pardeffus la Mer
Adriatique, & la poſerent au
milieu d'un Bois au Territoire
de Récanati , dans la Marche
d'Ancone . Ce fecond
Tranſport arriva le 10. Decembre
1294 . & l'on dit que
l'endroit de ce Bois apparte
GALANT. 175
noit à une Dame du Païs
nommée Laureta, d'où par la
fuite on a donné le nom à
Noftre - Dame de Lorette >
ou Laurete , comme l'écrivent
quelques-uns.
Les Efclavons fe defefperant
d'une perte fi confiderable
, & fe reconnoiffant
indignes d'un Preſent ſi précieux
, murmurerent quelque
temps ; mais ils s'appaiferent
bien- toft , en faisant
reflexion que c'eftoit la volonté
de Dieu , & qu'il n'ef
toit pas au pouvoir des hommes
d'en empefcher les ef-
P iiij
176 MERCURE
fets. Ils baftirent une Cha
pelle fur la Montagne , au
lieu où cette fainte Chambre
avoit efté. Elle fubfifte
encore prefentement, & elle
eft deffervie par des Peres de
la Reforme de Saint François
. Avec le temps , ce Bois
devint un coupe-gorge , &
une retraite de Voleurs, en
forte que les Pelerins n'ofoient
plus y venir qu'en
troupes & plufieurs enfemble
; mais au bout de huit
mois , les Anges reprirent
encore cette Chapelle , & la
reporterent à un ou deux
GALANT. 177
milles hors du bois , fur une
Terre qui apartenoit à deux
Freres de bonne & de noble
Famille. Ces deux jeunes Seigneurs
eurent conteſtation
entre eux , & en vinrent aux
armes , pour fçavoir qui poffederoit
feul ce morceau:
d'heritage.
Dans le temps qu'ils ef
toient le plus échauffez , qui
eftoit quatre mois aprés ce
troifiéme Tranſport , les Anges
la reprirent une quatriéme
fois , l'ofterent de leur
Terre , & la poferent là auprés,
au lieu où elle eft à pre178
MERCURE
fent. Elle fut apportée de
Nazareth par les Anges , ſans
fondement & fans plancher.
Le toict eftoit d'un bois azuré
femé d'Etoiles d'or , dont
l'on fait voir encore quelques
morceaux, le reste ayat
efté enterré fous la Chapelle
. Il y avoit une cheminée,
une porte , & une feneftre ;
& l'on trouva dedans une
Image de la Vierge , de bois
de Cedre , que l'on croit ef
tre de Saint Luc , un Crucifix
pareillement de bois ,
avec quelques Vaſes & Ecuelles
de terre,dont il en eft
GALANT. 179
reſté une entiere , que l'on
fait voir par devotion , &
que l'on prefume avoir fervy
à la Sainte Vierge . Les pierres
dont la Chapelle eſt bâtie
, font de couleur de Chataignes
, & fort dures , de la
groffeur &figure des briques
ordinaires, mais toutes irregulieres
, les unes longues ,
les autres courtes , d'autres
larges, d'autres étroites , minces
& épaiffes , la pluſpart
écornées & rompuës, la Sainte
Vierge, qui eft l'Exemple
d'une profonde humilité, s'étant
contentée d'une petite
180 MERCURE
Cabane pour fa demeure..
On voit quelques reftes
d'anciennes Figures qui ont
efté peintes fur les Murs ; ce
que l'on dit avoir eſté fait
par les foins de Saint Louis
Roy de France .
Prefentement on a chan--
gé la Porte du lieu où elle
eftoit , & on en a fait deux
autres pour la commodité
des Pelerins. On a ajoûté un
Autel au devant de la che
minée ; & l'efpace entre cet
Autel & la cheminée, eft revétu
de plaques d'argent ci
zelé. L'on a mis le Crucifix .
GALANT. 181
au bout de laChapelle à l'oppofite
de l'Autel , & l'Image
de la Vierge qui eft fur la
cheminée , eft ornée de precieux
habits , & d'un grand
nombre de pierreries.
Parmy les riches prefens
qui font dans cette Chapelle
, on voit deux grandsChandeliers
d'or qui furent donnez
par le Grand Duc de
Tofcane, & trente à quarante
groffes lampes toutes d'or.
Il y a un Ange d'argent
d'environ quatre pieds de
haut , qui prefente à la Vierge
Monfeigneur le Dauphin
182 MERCURE
dont la figure eft de pur or.
Il fut offert avec deux riches
Couronnes en 1643. parLoüis
XIII . & par la feuë Reine
Anne d'Autriche , au fujet
de l'heureuſe Naiffance de
noftre incomparable Monarque
Louis le Grand.
Le dehors de la Sainte
Chapelle , eft revétu de bas
reliefs de marbre blanc, avec
de grandes figures des plus
habiles Maiftres du temps ,
où font reprefentez les Prophetes
, les Sybilles , la Naiffance
du Sauveur du Monde,
la Vie & la Mort de la VierGALANT.
183
ge , & l'Hiftoire du Tranf
port de cette Sainte Chapelle.
Dans la grande Eglife qui
enferme cette Chapelle
vers la Sacriftie , on montre
le Trefor . On n'y voit que
perles , que rubis , faphirs ,
diamans , & autres fortes de
pierreries . On y fait voir des
Baffins , des Vaſes , des Couronnes
des Sceptres , des
Croix , des Statuës , des Buftes
, & quantité de pieces
d'or & d'argent , dont le dé
tail feroit infiny , le tout provenant
des liberalitez de di-
2
184 MERCURE
vers Papes, Empereurs,Rois,
,
Cardinaux
Monarques
Princes , & autres .
L'on y montre une Chafuble
, deux Tuniques , des
Chapes, & un Devant d'Autel
tout de broderie de perles.
Il y a uneChapelle d'Ambre
, qui comprend la Croix,
les Chandeliers , les Buretes,
le Baffin , & l'Eguiere.
Monfieur le Prince y a
donné le Plan de la Baftille ,
tout d'argent. Le Portrait
de Madame la Ducheffe de
Baviere , Mere de Madame
la Dauphine , y eft auffi d'arGALANT.
185
Y
ill
gent , & de fa hauteur ; & ce
que l'on tient de plus rare en
ce Trefor , c'eft une Perle
fort groffe qui reprefente la
Vierge tenant fon Fils dans
fes bras . Quoy que l'ouvrage
foit fimple & groffier ,
ne laiffe pas d'eftre confide--
rable , en ce que la Nature?
l'a formée de la forte , car on
ne taille jamais les Perles , il
les faut laiffer en l'eftat qu'--
elles font. On la trouva un
jour dans un Tronc de l'E--
glife, envelopée dans du pa--
pier , & l'on n'a jamais feeu i
qui en a fait le preſent. -
"Septembre 1685..
186 MERCURE
Le Lundy 29. nous allâmes
de Lorette à Recanati , Ville
Epifcopale , dont l'Eveſché
eft réüny à celuy de Lorette,
& de là à Macerata , autre
Ville Epifcopale , fort peuplée
.
Le Mardy 30. jour de Saint
André, nous nous rendifmes
à Tolentin , Evefché réüny
à celuy de Macerata . Nous
entendifmes la Meffe dans la
Chapelle de Saint Nicolas ,
dont l'Egliſe eft adminiſtrée
par des Peres Auguftins . Elle
eft confiderable , par la Relique
du bras de S. Nicolas
GALANT. 187
de Tolentin , fi renommée
par toute la terre. Il faut faire
affembler les Magiftrats
de la Ville pour la voir ; ils
gardent la Clef du lieu où
elle eft enfermée , & ne refuſent
aucun Etranger . L'on
tient que le Corps du mefme
Saint eft en quelque en--
droit de l'Eglife dont on n'a
pas la connoiffance , quoy
que les Religieux faffent:
voir fon Tombeau . Cette
Chapelle eft remplie de qua
tité de Lampes , & de Ex:
voto d'argent .
On fort de Tolentin tra--
Qij,
188 MERCURE
verfant des Montagnes af
freuſes environnées de precipices
& de ravines d'eau ,
qui nous obligerent de faire
une partie du chemin à pied ,
en quelques endroits où la
Chaife eftoit toûjours panchante
d'un cofté ou d'autre ,
en danger de tomber dans
les abîmes, les Montages eftant
toutes couvertes de neiges.
Autrefois on ne pou--
voit aller par ce chemin qu'à
pied, à cheval, ou en litière;
mais le Pape Clement X. le
fit élargir à l'occaſion du
grand Jubilé dernier, ou pluGALANT
. 189
fieurs perfonnes vont en devotion
de Rome à Lorette.
Depuis ce temps- là ces chemins
fe font fort gâtez &
rompus, il y avoit longtemps
qu'il neigeoit dans les Montagnes
qui en eftoient toutes
couvertes , & il falloit coucher
dans de méchans Hameaux.
Enfuite nous arrivâmes
à Foligny , Ville
du Duché de Spolete. A
trois grandes lieuës de cette
Ville , eft le Convent.
d'Affife , & celuy de Noftre
-Dame des Anges , où
nous allâmes.
190 MERCURE
Affife eft une Ville renommée
, principalement à
cauſe de la naiffance de Saint-
François, où eft une des plus
grandes & des principales:
Devotions de toute l'Italie.
L'Eglife eft bâtie miſterieufement
fur une haute Montagne
, avec une douzaine
d'efpeces de Tours , en memoire
des douze Apôtres ,
ou des douze Compagnons
de Saint François . Avant que
d'entrer dans l'Eglife , l'on
trouve une grande court ou
terraffe , entourée d'Allées &
de Portiques , d'où l'on déGALANT.
191
couvre une belle étendue de
Païs . Ce font les Cordeliers
à la Grand' - manche , qui
poffedent ce Convent ; on
les nomme proprement
les
FreresMineurs Conventuels .
Ils chantent tous les jours de
l'année en Mufique , & font
environ une centaine. Ily
atrois Egliſes les unes fur les
autres , de mefme qu'il y en
a deux à la Sainte Chapelle
de Paris. La plus baſſe eſt fermée
, on n'y entre point , &
l'on pretend que le Corps des
Saint François y eft debout
tout entier. L'Egliſe du mi192
MERCURE
lieu eft celle où l'on fait l'Of
fice ordinairement. Le Maî
tre Autel eft difpofé, de ma..
niere que deux Preftresby
peuvent dire la Meffe deffus
en mefme temps, l'un à l'op
pofite de l'autre . L'on fait
remarquer une groffe pierre
de quelque deux cens livres
de pefanteur , qui eft attachée
à la voûte au deffus du
grand Autel , avec une chaî
ne de fer. Elle tomba fur la
tefte d'une Femme qui entendoit
le Sermon de l'Evef
que d'Oftie , qui fut depuis
Pape fous le nom d'Alexan
dre
GALANT. 193
dre IV. & quoy que tout le
monde la cruft morte , elle
eut tant de foy à Saint François
, auquel elle fe recommanda
, qu'elle ne receut
aucune bleffure , & fut guerie
d'un mal de tefte dont
elle avoit efté tourmentée
toute la vie. La troifiéme Eglife
, qui eft la plus haute,
eft dédiée à la Vierge, & l'on
fait l'Office feulement les
Samedis de chaque Semaine.
Saint François nâquit à Affife
en 1180. Il commença fon
Ordre en 1206. & receut les
Stigmates fur le Mont d'Al-
· S
eptembre 1685.
R
y
194 MERCURE
verne l'an 1224. vers le temps
de l'Exaltation de la Sainte
Croix . Il mourut le Samedy
4. Octobre 1226. & fut canonifé
par Gregoire IX . deux
ans aprés. Comme il n'y a
point d'Ordre dans toute la
Chreftienté qui fe foit fi fort
étendu , auffi n'y a -t-il point
de Saint dont on nous racon.
te tant de miracles . On nous
fit voir dans le Trefor , parmy
beaucoup de Reliques &
de richeffes , du Bois de la
vraye Croix ,un morceau des
Clouds de noftre Seigneur,
des Cheveux de la Vierge ,
GALANT. 195
d'autres Cheveux de Sainte
Catherine , & d'autres de
Saint Louis Roy de France ;
un Parchemin fur lequel
Saint François a écrit de fa
propre main une Oraifon à
noltre Seigneur , une piece
d'étoffe de foye & fort riche,
où fon Corps fut mis aprés fa
mort , & qui paroift encore
toute neuve , les premieres
Regles qu'il donna à ſes Religieux
, fon veritable Portrait
, un de fes Habits , & du
Sang qui fortit de ſes Stigmates.
A un quart de lieuë d'Af-
Rij
196 MERCURE
fife , eft la Chapelle de Nôtre-
Dame des Anges, qu'on
appelle autrement de la Portioncule
. Elle eft ifolée au
milieu d'une fort grande Eglife
, c'eſt à dire que l'on
peut tourner tout au tour de
mefme qu'à la Sainte Chapelle
de Lorette . C'eſt le lieu
où Saint François a fait fa
demeure , & où il eft mort.
On la nomme Portioncule ,
comme voulant dire qu'il fe
contentoit d'une petite portion
de terre, & on l'appelle
la Chapelle de Noftre-Dame
des Anges , à caufe qu'il y a
GALANT. 197
vû par deux fois Nôtre Seigneur
& la Sainte Vierge au
milieu d'une Legion d'Anges
& de Cherubins.
C'eft dans cette Chapelle
où eft étably le grand Pardon
& Indulgence pleniere
que Saint François a obtenu
de la bouche de Dieu mef
me . Il commence le premier
jour d'Aouft , à l'heure de
Vefpres, & finit le lendemain
à pareille heure .
Ongagne le Pardon & Indulgence
en vifitant cette
Chapelle , aprés s'eftre confeffé
& avoir communié. La
Riij
198 MERCURE
quantité du monde qui s'y
trouve eft furprenante , &
tous les ans l'on fait à Venife
une grade réjoüiffance pour
l'embarquement des Pele-
Fins qui vont à cette Devotion
. Les Peres Recolets def
fervent cette Eglife. Ils nous
firent voir ungrandnombre
de Reliques , & nous vifitames
dans leur Convent la
Chambre où Saint François
couchóit , le lieu où il fut
tenté du Diable, & le Jardin
où il fe mettoit tout nud fur
des épines pour mortifier fa
chair. Ce Jardin eft planté
GALANT. 199
derofiers qui ne produiſent
aucunes épines ; ce qui arrive
par un miracle continuel ,
à ce que pretendent ces
bons Peres .
Le 3. Decembre , nous al
Tâmes à Spolete, grande Vil-,
le toute pavée de briques ,.
où il y a plufieurs Eglifes, &
quantité de Fontaines. Nous
eufmes un temps charmant,
ne voyant autour de nous
que prairies vertes comme:
en efté , des rangées d'arbres :
touffus , & des treilles de vignes
en allées de, berceau,
Enfuite nous reprimes less
Riiij ,
200 MERCURE
Montagnes , & nous paffames
par un chemin fi mé
chant , qu'il nous fallut marcher
prefque toûjours à
pied on
Le 4. Decembre, nous ár
rivâmes à Terni,par un chemin
de pierres & de roches
fort rude. Dés que j'y fusarrivé,
je pris un Cheval pour
aller voir la Caſcade de Narni.
C'eſt une groſſe Riviere
qui vient fe dégorger fur
l'extrémité d'un Rocher au
deffus d'une haute Montagne
, & de là fe précipiter
avec force & violence de lai
GALANT.201
hauteur des Tours de Nôtre-
Dame de Paris, & tombe fur
quantité de pointes de Rochers
, d'où elle forme plufieurs
Caſcades , & retombe
enfin dans une autre Riviere
qui va groffir les eaux du
Tibre , & que l'on nomme
pour ce fujet la Mere nourrice
du Tibre . Cette chûte
d'eau d'une Riviere toute
entiere , eft quelque chofe
de fi furprenant , qu'il paffe
l'imagination . On fent trem .
bler la terre fous fes pieds ,
par le bruit effroyable qu'elle
fait , il en fort continuel-
इ
202 MERCURE
fement une fumée comme
d'une fournaife , & lors que
les rayons du Soleil ne font
point offufquez de nuages, il
fe forme tout au tour un Irisi
ou Arc- en- ciel de diverfes
fortes de couleurs . C'eft une
des chofes les plus curieufes
qu'on puiffe voir , mais à di
re le vray , il faut effiyer
bien de la peine pour y aborder.
Ce chemin de Terni à
la Cafcade , eft environ de
deux lieuës , & tout plein de
précipices , principalement .
quand on en approche
il faut circuir de petites .
GALANT. 203
<
langues de terre où l'on ne
peut paffer qu'un à un : auffi
eft - on obligé de defcendre.
de cheval en bien des endroits
. On trouve une petite
Chapelle en chemin , où l'on
vous enfeigne le lieu le plus
dangereux & le plus à craindre
. Elle eft remplie d'Ex
voto , & a eſté bâtie depuis:
peu au fujet d'un jeune Etranger
, qui voulant faire
le brave & le valeureux , fe
tint toûjours fur fon Cheval,
encore qu'on l'euft averty
de defcendre
. Il ne manqua
pas de fe précipiter dans un
204 MERCURE
abîme d'où on ne le put jamais
retirer.udio
intu M
Lors que je fus retourné à
Terni , nous en partifines
pour aller coucher à Narni
par un chemin delicieux ,
planté de Cannes , d'Oli
viers , & d'allées de Vignes
couvertes.Les
Cannes viennent
communément
en bien
des endroits de l'Italie ; on
en feine des pièces de terre
& des Campagnes
toutes entieres
.Elles n'ont pas la beau
té ny la force de celles des
Indes , l'on s'en fert princi
palement pour faire les berGALANT.
205
ceaux & les palliſfades .
Narni eft une grande Ville
fur une Montagne qui eftoit
autrefois habitée , mais
qui eft à prefent fort dépeuplée
, & fans commerce . La
Riviere qui paffe au bas de
la Ville , eft perilleuſe en de
certains endroits , & n'eſt
pas navigable en d'autres . Il
ya dans l'Eglife Cathedrale
un fort bel Autel en forme
de Baldachin , & au deffous
repofe le Corps de Saint
Juftinien premier Evefque
de la Ville , qui chaſſa l'Idolatrie
du Païs . On voit
206 MERCURE
au bas de la mefme Ville ,
les restes de l'un des plus
beaux Aqueducs qui ayent
efté dans l'Antiquité. Il portoit
les eaux d'une Montagne
à une autre , paffoit au
deffus de la Riviere, & eftoit
feulement foûtenu de quatre
grandes Arches , dont il
en reste encore une toute
entiere : les pierres font taillées
en pointes de Diamant,
& liées les unes aux autres
avec du fer & du plomb ,
fans aucun mortier ny ciment
.
Les . Decembre, nous paf
GALANT. 207
fames par le Bourg de Borghetto
, & allâmes enfuite
coucher à celuyd'Orignano.
Le chemin qui devoit eftre
le plus méchant de tous , fe
trouva prefque le plus beau,
ayant efté racommodé tout
nouvellement. Nous commençames
à découvrir le Tibre
, & à nous appercevoir
que nous approchions d'une
Ville fainte. Nous rencontrions
en chemin plufieurs
Chapelles & Hermitages ,
d'où il fortoit des Preftres
& des Religieux avec le Surplis
& l'Etole , qui nous ve208
MERCURE
noient jetter de l'Eau-benite
en paffant , & dire quelques
Evangiles & Oraifons .
Nous trouvions encore quátité
de Pelerins qui alloient
faire les Stations de Rome.
Enfin , le 6. Decembre
aprés avoir paffé par le
Bourg deCaftel - nuovo , nous
arrivâmes àRome à une heus
re de nuit par la voye Flaminia
, qui eft encore pavée de
grandes & larges pierres du
temps des anciens Romains,
& où l'on rencontre plufieurs
veftiges de Sepulchres
anciens. Nous entrâmes par
GALANT. 209
la
la Porte du Peuple , un des
plus beaux abords de cette
Ville. On ne trouve pref
que point de Maiſons dans
Campagne de Rome; l'air
y eft méchant & mal fain,
& les Payfans y deviennent
pafles & langoureux. Pour
la Ville de Rome , elle eft
connuë de tout le monde..
C'eſt la Capitale de la Chrétienté
, le Siege des Souverains
Pontifes , Ville de repos
, de paix , de douceur &
de fincerité.
Je ne pus vous apprendre
la derniere fois ce qui fe
Septembre 1685.
qui
210 MERCURE
paffa au Louvre le jour de la
Fefte de S. Louis , parce que
le mois eftoit déja tropavan
cé. Les Carmes du grand
Convent
y allerent ce jourlà
en Proceffion
, comme ils y
vont tous les ans, pour rendre
graces à Dieu du recouvrement
de la fanté du Roy ,
qui eſtant attaqué à Calais
d'une Fiévre pourprée
, eut
recours aux interceffions
de
Saint Roch , qu'on implore
en de pareilles
occaſions
.
Les Carmes
de la Place
Maubert
firent porter les
Reliques
de ce Saint à DunGALANT
211
a
querque , & Sa Majefté fe
fentant guerie , voulut à fon
retour à Paris , imiter la
Reynefa Mere , & rendre les
Pains Benits , à la Chapelle
de Saint Roch érigée en l'E
glife des Carmes , ou plu
toft , ce Prince voulut par
cette action reconnoiftre le
merite d'un fr grand Saint-
Meffieurs les Prevoft des
Marchands & Echevins de
Paris , firent auffi voeu d'al
ler tous les ans le jour de
Saint Louis à l'Eglife des
Carmes , & d'accompagnerr
les Reliques que ces Peress
S.ijj
212 MERCURE
portent à la Chapelle du
Louvre , où l'on chante une
grande Meffer, & où à l'ex
xemple du Roy , le Paint
Benit eft rendu par des Perfonnes
du premier rang.
Deux mois avant la Fefte de
Saint Louis , les Carmes , &
Mrs de la Confrairie de Saint
Roch , jettent les yeux fur
celuy à qui ils veulent fairel
cét honneur , & il est tombé
cette année fur M le Mari
quis de Bullion Prevoft de
Paris. Le P. Valentin leMulier
, avec quatre Religieux
du mefme Ordre
,
accompa
GALANT 213
de
griez de tous les Marguilliers
& Confreres de Saint
Rochs'eftant rendu chez
M. de Bullion , luy dit qu'il
eftoit fupplié au nom du
Prieur & de tous les Religieux
de la Communauté
des Carmes , ainfi que
tous ceux qui compoſent la
Confrairie Royale de Saint
Roch , des vouloir bien fe
charger des voeux de toute
la Ville , & animer par fon
exemple la pieté publique,
à rendre à Saint Roch les
devoirs annuels. Il ajoûta
qu'il imiteroit en cela le
214 MERCURE
plus grand Monarque du
monde, & toute la Famille
Royale , & qu'ils venoient
luy offrir des Benedictions
du Ciel , qu'il attireroit fans
doute fur luy par fon zele,
& lefquelles ils folliciteroient
fans ceffe la bonté de
Dieu de verfer " abondam--
ment fur fa Perfonne , & fur
toute fa Famille. M de :
Bullion leur fit connoiftre
qu'il n'oublieroit rien pour.
répondre à l'honneur qu'on
luy faifoit.
Le jour de S. Loüis, la Proceffion
dont je viens de vous
GALANT 215
parler, fe renditauLouvre das
Fordre fuivant.Les Timbales
& les Trompettes eftoient
précedées du Bâton de la
Confrairie de Saint Roch,
aux coftez duquel on voyoit
de grandes Torches , où les
Armes de la Ville eftoient
attachées . Les Pains Benits
fuivoient avec les plus magnifiques
ornemens dont
on a coûtume de les enrichir.
Ils eftoient accompa
gnez de douze Gardes de
M'de Bullion , & portez par
douze Perfonnes de fes Livrées
, fuivies de plufieurs
216 MERCURE
autres
pour les relayer.
Aprés les quatrePains Benits
marchoient l'Aumônier , le
Maistre d'Hoſtel , & plufieurs
Domestiques du mefme
Mr de Bullion. Toutes
les Reliques de l'Eglife des
Carmes paroiffoient enfuite
. Au milieu , eftoient
celles de Saint Roch , portées
toutes par des Bourgeois
vétus de noir, hors celle
de la Sainte Epine , que
des Religieux portoient . Elle
eftoit environnée d'un
tres- grand nombre de Torches
, & de Flambeaux aux
Armes
•
GALANT. 217
You
Armes de la Ville , & de toute
la Communauté des Carmes
, compofée de cent.Religieux.
Meffieurs les Prevoft
, Echevins & Offi
ciers de Ville marchoient
aprés eux , accompagnez de
cinquante Archers , il y en
avoit auffi plufieurs qui précedoient
la Proceffion , &
d'autres qui l'attendoient
au Louvre. Mr de Riants ,
Ancien Procureur du Roy
au Chaftelet , & Aumônier
d'honneur , & perpetuel de
cette Confrairie fuivoit
Meffieurs de Ville , & préce-
Septembre 1685.
T
218 MERCURE
doit les Confreres de Saint
Roch. La Proceffion eftant
arrivée au Louvre , M¹ de
> Bullion s'y rendit
placé dans un lieu de diſtin-
& fut
ction , où il y avoit une
Chaife pour luy . Les Trompettes
& les Timbales précederent
les Pains qu'on devoit
benir , lors qu'on les
porta devant l'Autel pour
cette Cerémonie. Ils furent
fuivis de l'Aumônier du
Maiſtre d'Hoſtel , & du reste
des Domeſtiques . M. le
Marquis de Bullion alla enfuite
à l'Offrande avec un
,
1
GALANT . 219
Cierge chargé d'Ecus d'or,
outre lefquels il en donna
encore autant à l'oeuvre de
la Confrairie de Saint Roch .
Cette Proceffion ne fut pas
fi-toft fortie de la Chapelle
du Louvre , qu'on y commença
une autre action de
pieté. Meffieurs de l'Academie
Françoife y font celébrer
tous les ans ce mefme
jour , une Meffe folemnelle,
& l'on fait auffi le Panégyrique
de Saint Louis . Comme
le Prédicateur eft choifi
par le Corps de l'Academie ,
& que la juſte & avantageu-
Tij
220 MERCURE
fe opinion qu'on a de fon
choix , attire une nombreufe
Affemblée
à ce Sermon,
vous ne devez pas douter
que ce Sçavant Corps ne
jette toûjours les yeux fur
de celébres Prédicateurs .
M' l'Abbé Cappeau avoit été
choifi cette année . Il fit admirer
fon éloquence
, fon
bon gouft , & la délicateſſe
de fon efprit , & mefla dans.
fon Difcours plufieurs peintures
tres- vives des Vertus
de Saint Louis , & de fonzele
pour la Converfion des
Herétiques dans fon RoyauGALANT.
221
me , conformes au Régne
heureux de LOUIS LE
GRAND . 'Auffi l'Eloge de
ce Monarque y entra -t'il naturellement.
Il appliqua à
la mort de Saint Louis , ces
paroles de Saint Ambroiſe à
la mort du Grand Theodo
fe. Conteror corde , & voicy
dans quels termes il les expliqua.
On Caur eft faifi c
prefque confumé de douleur
, quia ereptus eft vir
qualem vix poſſumus invenire
, par laperte d'un Empereur
Tiij
22Z MERCURE
que plufieurs Siecles pourront à
peine reparer. Tu Solus tamen
, Domine , es invocandus
vous eftes pourtant l'unique
objet de nos voeux , Seigneur,
difoit ce grand Docteur de l'Eglife
, Tu rogandus, vous eftes
Le feul à qui nous adreffons nos
Prieres , Ut eum in Filiis reprefentes
, afin que vous le
faffez revivre dans la perfonne de
fes Enfans.
Difons , Meffieurs , difons
aprés avoir receu du Ciel ce
Saint Ambroife luy demandoit,
c'est à dire un Prince Religieux,
les interests de Dieu,
zelé
pour
que
GALANT 223
fidelle obfervateur de fa Loy,
auffi oppofé à fes Ennemis ,. que
favorable à fon Eglife ; vous
eftes , mon Dieu , l'unique objer
de nos Voeux , de nos Prieres , &
en mefme temps de noftre confolation
de noftre joye ; les quatre
Siecles écoulez depuis la mort de
Saint Louis › ayant fait de tous
les Roys qui luy ont fuccedé com
me autant de nobles effays , pour
reproduire ce Grand Monarque
dans la Perfonne de celuy qui regne
aujourd'huy.
>
Sa charité , fa justice , fon zele
, fa moderation , ne font-ce pas
des vertus qui luyfont propres?Et
Tiiij
224 MERCURE
bien loin d'impofer à la veritéfur
unſujet fi public &fi éclatant,
pourroit- on feulement l'expofer
comme elle eft , fi l'amour & la
fidelité de fes Sujets , fi l'eſtime
la crainte des Etrangers n'en
relevoient la gloire ? Je n'entreray
dans aucun détail de la charité
& de la justice d'un Prince
qui veille à la confervation de fes
Sujets avec tant d'application,
fesfoins furpaffent toûjours
leurs befoins ; d'un Prince dont
l'entier defintereffement fait fouhaiter
qu'il voulust eſtre fouvent
le fuge de fa propre caufe.
Comme il eft le Modele
GALANT. 225
3
des autres Roys , les François
ont porté l'exemple de leur
fidelité de leurs refpects aux
autres Nations , non feulement
en leur apprenant ce qu'elles doivent
à leurs Souverains ; mais
en leur faifant connoistre ce qu'-
elles ont à craindre de la puiffance
, ou à efperer de la protection,
d'un Etat gouverné par le plus
grand Roy , défendu par les plus
fideles Sujets du monde.
S'il eftoit neceffaire de faire
parlerles Etrangers , pour
des témoignages qui ne foient fufpects
ny d'exageration ny de flaterie
, il faudroit comme un autre
donner
226 MERCURE
Apoftre , avoir le don des Langues
, pour les rapporter en autant
de differens idiomes qu'il y a eu de
Roys , d'Empereurs , & de Republiques
, qui ont envoyé leurs
Ambaſſadeurs , e de Souverains
mefmes quifont venus , at
tirez par fes vertus , gagnez par
fa clemence , étonnez par fes exploits
intimidez par fes menaces,
onforcez par fes chaſtimens , ren
dre hommage àfa puiffance , &
touchez par fa moderation
édifiez par fon zele , avoïant à
que
out
leur
retour
GRAND
eft tout ce qu'on dit,
qu'il
merite
tout ce qu'il a , qu'il
LOUIS LE
GALANT. 227
devoit eftre tout ce qu'il est, que
ne voulant jamais que ce qu'il
doit , il peut toûjours tout ce qu'il
veut, *Potens in terrâ erit femé
ejus,ſa poſteritéfera puiſſantefur
la Terre. La fouveraineté
qui fe perpetuë fur Jon Throne
fera toujours auffi chere aux yeux
de Dieu , & auffi éclatante aux
yeux des hommes , que l' Aftre qu'il
pris pour le fymbole de fes vertus.
Thronus ejus ficut Sol
in confpectu meo , beureux
prefage que nous pouvons regardercomme
une promeffe , en estant
afſeurez par un garant qui nous
* Paroles du Texte.
228 MERCURE
en répond dans le Ciel en la perfonne
d'un Saint Roy , & par
l'interceffion d'un Saint Proteteur
, & teftis in coelo fidelis.
Nous en avons auffi une af
feurance fenfible , & nous voyons
cette feconde & glorieuſe posterité
, promettre aux fiecles à venir
, l'affermiffement & l'im.
mortalité de fa puiffance , &
comme fi la benediction du Ciel
eftoit en nos mains , un Heros ca
pable de gouverner auffi
de conquerir le monde , donnant
des bornes à fes deffeins , fans en
donner à fes Victoires au con
uffi bien
que
GALANT. 229
traire en les ménageant dans le
temps , s'en preparant pluſieurs
immortelles , applique fes lumieres
& fes vertus à nous former
des Monarques dans fon auguste
Famille , leur apprenant à faire
fentir à fes Sujets & aux Étrangers
le profondrespect qu'il a pour
l'Eglife , & fon unique étude à
faire regner le Sauveur du monde
, par un faint & legitime uſage
de fa puiffance en Roy tres-
Chrétien , Potens , potens in
terrâ erit femen ejus ,fa pofterité
fera puiſſante fur la terre.
Enfuite il adreffa le Dif
cours à Meffieurs de l'Aca230
MERCURE
demie Françoife.
Je vous laiffe , Meffieurs, leur
dit-il , le glorieux employ de
loüer un gouvernement dont nous
avons déja veu , & dont nous
efperons encore de fi grands progrez.
Eftant les Sçavans du
Royaume les plus bonorez , &
les plus dignes de l'honneur qu'on
vous y défere , choifis avec connoiffance
, traitez avec diftinction
, écoutez avec respect , parlant
avec jufteffe , décidant des
doutes & des beautez de noftre
Langue , avec une fouveraineté
que vous meritez , oferois -je
voftre prefence entreprendre un
GALANT.
231
Eloge , qui ne femble devoir régarder
que vous , par la premiere
place que vous occupez dans
l'Empire des belles Lettres ? Que
voftre destinée est heureufe,
Meffieurs , de pouvoirfaire un
mefme Corps des actions de
LOUIS LE GRAND , &
de vos paroles , d'eftre en droit par
l'hiftoire de fa vie , d'inftruire
tous les autres Roys de la terre;
deforcer l'Envie , la Mort &
l'Oubly ; d'orner le Temple de la
gloire; d'arrester, pour ainfi dire la
rapidité des temps , de faire revenir
àjamais , de rendre toûjours
prefent celuy où nous fommes;
232 MERCURE
de confondre la Fable ; de remplir
l'Hiftoire ; defervir la Religion,
& l'Etat , en confacrant la memoire
de LOUIS LE
GRAND , par des termes dont
la force enleve les efprits & les
coeurs des Peuples , pour leur faire
croire à l'avenir ce que nous
voyons aujourd'huy , & ce qu'on
ne pourroit jamais croire , fi la
maniere de les rapporter n'y contribuoit
, c'eft àdire ,fi la nobleffe
de vos expreffions ne répondoit au
comble de fa grandeur.
Il y eut une excellente
Mufique
pendant la Meffe.
Elle eftoit de M' Oudot,qui
GALANT. 233
receut de grands applaudif
femens . L'Académie s'éftant:
affemblée l'aprefdînée , &
ayant laiffé la liberté d'entrer
dans le lieu où elle tient
fit
pudéclara
fes Conferences ,
bliquement la diftribution
des Prix d'Eloquence & de
Poëfie. Ml'Abbé de Dangeau
, qui en eft prefenteinent
Directeur
que la Piece d'Eloquence
que l'Académie avoit préferée
à toutes les autres , eftoit :
de Mr Brunel de Rouen . Elle
fut leuë par M ' l'Abbé Re--
gnier , Secretaire perpetuell
Septembre 1685.
V
254
MERCURE
de la mefme Compagnie
& on la trouva d'un ſtile
noble & naturel , d'une juſte
diſtribution , pleine de penfées
nouvelles , & d'un feu d'i
magination toûjours reglé
par le jugement. Je ne vous
diray rien de l'Autheur , finon
qu'il eft encore jeune,
& qu'on peut connoiſtre l'eftime
qu'il s'eft acquife par
la joye genérale qu'on a dans
Rouen , de le voir preſt à entrer
dans une Charge im
portante , ou le Public a be
foin d'un fort honnefteHomme.
On leut enfuite la Piece
GALANT 235
de Vers qu'on avoit trouvée
digne du Prix. Perfonne
alors n'en connut l'Autheur ;
mais on a fceu depuis ce
temps-là qu'elle eſt de M
d'Alibert , Seigneur de Saint :
Romain le Haut en Bourgo--
gne .
Ces deux Pieces ayant efté
leuës , M l'Abbé de Dan--
geau exhorta Mrs de l'Aca--
démie à lire quelque chofe
d'eux felon la coûtume.. M
le Clerc commença par un
petit ouvrage de Vers qui
fut extrémement applaudy..
Il contenoit la Punition
V ij,
236 MERCURE
d'Antiochus. Mr l'Abbé de
Lavau leut aprés cela l'Explication
en Vers de quelques
Devifes que feu M
Douvrier a faites fur les dernieres
Campagnes du Roy.
Le tour de fes Vers eftoit fi
juſte , qu'ils donnoient encore
de la beauté aux Devifes
. On eut enfuite le plaifir
d'entendre une fort galante
Epiftre d'Amour de M² de la
Fontaine , aprés quoy M
l'Abbé Tallemant le jeune,
leut un Chant d'un excellent
Poëme , que M¹ Perrault
a fait de la vie de S. Paulin .
GALANT. 237
Cette lecture fut interrompuë
en beaucoup d'endroits
par les applaudiffemens de
PAffemblée , qui admira
les deſcriptions riantes & naturelles
dont tout ce Poëme
eſt remply.
Le mefme jour les Habitans
de Luxembourg , qui
l'année derniere avoient celebré
avec beaucoup de fo
lemnité le jour de S. Louis ,
parce que c'eft celuy de la
Fefte du Roy , s'engagerent
à la celebrer tous les ans
avec une magnificence digne
de leur zele. L'Affem-
1
238 MERCURE
blée du Clergé , & de tous
les Corps , fe fit dans l'Eglife
des Recolets François ,que
le Roy y a établis . On alla
enfuite en Proceffion dans la
Ville. Le Saint Sacrement
fut porté par M' l'Abbé de
Munfter , & fuivy de M le
Marquis de Lambert Gou--
verneur de la Place , accompagné
de tous les Officiers
de la Garniſon , & de beaucoup
de Nobleffe des environs
. Les Voix & les Inftrumens
n'y furent pas oubliez ,
non plus que tout ce qui
pouvoit donner de l'éclat à
GALANT 239
cette Felte. Le Panegyrique
prode
Saint Louis fut
noncé par le Pere Olivier
Juvernay, Gardien des Recolets
de Luxembourg. Ce Dif
cours fut trouvé digne de la
reputation que ce Pere s'eſt
acquife à Paris , & luy attira
mille loüanges . Il y eut le
foir des Illuminations par
toute la Ville , & plufieurs
décharges de la Moufqueterie
& de l'Artillerie ; tous
les Habitans ayant voulu
marquer à l'envy qu'ils ont
le coeur veritablement François
.
240 MERCURE
M' de Vertron , de l'Academie
Royale d'Arles ,.
dont je vous ay parlé plufieurs
fois , ayant fait un
Livre intitulé , Paralelle de
Louis le Grand , avec les Princes
qui ont efté furnommez
Grands , a propoſé le Portrait
de Sa Majefté , pour
Prix du plus beau Sonnet
qui feroit fait fur cette mefme
matiere . M le Duc de
Saint Aignan & M le Duc
de Nevers, qui ont efté nommez
Juges , ont donné le
prix à un inconnu , qu'on a
fceu depuis eftre le Pere
Morgues
GALANT. 241
Morgues Jefuite. Il paffe
pour un habile Orateur
& un grand Mathematicien
, & a fait imprimer depuis
quelques mois un Livre
tres- eftimé touchant les Regles
de la Poëfie Françoiſe .
Voicy fon Sonnet .
GRands un
Rands par un ample amas de
glorieux exploits
Grands par tant de bienfaits , Grands
par tant defageffe ,
Grands par une puissance affujetie
aux Loix ,
Grands par mille revers foûtenus
fans foibleffe.
03
Vertron , ces grands Heros ont ram
pé quelquefois ,
Septembre 1685.
X
242 MERCURE
Tu trouves à chacun quelque endroit
qui labaiffe ,
Il n'est qu'un feul Mortel Grand par
tous ces endroits ,
Devant LOVIS LE GRAND , tout
le refte eft baffeffe.
ca
Ta leur oftes pourtant moins que tu
ne leur rends ,
Comparez à LOVIS ils fe trouvent
plus gronds,
Ceder ne peut icy tirer à confequence.
£3
Leurs titres de Grandeur n'en feront
pas plus vains,
On peut eftre audeffous du Heros de
la Erance ,
Et beaucoup audeffus du reste des
Humains.
Madame de Saliez ViguieGALANT.
243
re d'Alby , dont je vous ay
envoyé plufieurs Ouvrages,
a fait le Sonnet fuivant. Il a
paffé pour le meilleur , aprés
celuy du Pere Morgues.
G
Rand Roy , qu'on est heureux
de vivre fous vos Loix !
Vos fuperbes Vaiffeaux deftinez aux
conqueftes ,
Courent toutes les mers fans peril ,
fans tempeftes ,
Tout respecte , tout craint l'Empereur
des François.
En faveur des Chrétiens vos fondres
toûjours preftes
Ont fceu brifer leurs fers déja plus
d'une fois ,
Nous voyons par vos foins l'Herefie
aux abois , X ij
244 MERCURE
Un Hercule a fuffi pour cette Hydre
à cent testes.
♡
Que de travauxfifaints ,fi grands,
fi glorieux
Ouvrent à voftre gloire un beau champ
dans les Cieux ,
Et que c'eft dignement porter le Diadefme!
La Grandeur devant Dieu , n'eft qu'un
point , qu'un neant ,
Plusjufte, plus pieux que pas un Conquerant
,
Vous paroiffez , Grand Roy , Grand
aux yeux de Dieu mefme.
Vous fçavez , Madame ,
qu'on fait tous les ans deux
nouveaux Echevins à Paris,
GALANT. 245
par Mef & qu'ils font élûs
fieurs de Ville. Je vous ay
déja mandé plufieurs fois, de
quelle maniere fe fait cette
élection . Ainfi c'eft un détail
où vous me difpenferez d'entrer
aujourd'huy.Sivous
voulez
vous en rafraifchir la memoire
, vous pouvez jetter
les yeux fur les Lettres dans
lefquelles je vous en ay par
lé les autres années. Je vous
diray feulement que le premier
des deux Echevins qui
ont efté élûs celle - cy , eft ·
M' Geoffroy , dont le Pere & .
le grand - Pere ont joüy de la
X
iij
246 MERCURE
mefme Dignité; & le fecond,
M' Gayot. Mile Févre d'Ormeffon
, Maiſtre des Requeftes
, & Neveu de M' le Prefident
de Fourcy Prevoft des
Marchands , les conduifit à
Verſailles le 19. du mois paffé
; il preſenta le Scrutin au
Roy , & fit à Sa Majeſté le
Difcours qui fuit .
IRE ,
S"
Vostre bonne Ville de Paris
, en Vous prefentant fes nouveaux
Magiftrats , trouve toû
jours de nouvelles actions de graces
à Vous rendre. Elle a fenty
GALANT. 247
pendant l'Hyver les effets de vo
tre Bonté & de vostre Prévoyan
ce paternelle. Ces bleds transpor
tez par les ordres de V. M. des
Parties de l'Europe les plus éloignées
, ont rendu l'abondance à
voftre Peuple , dans un temps où
Favarice du Marchand auroit pû
fe prévaloir de la neceffité pu
blique.
Paris voit encore les marques
de voftre Liberalité , dans l'embelliffement
de fes ramparts , où
tant de bras que l'indigence invitoit
au crime , font utilement occupez.
V. M. par une contrain.
te falutaire , faitfervir la partie
X
iiij
248 MERCURE
la plus inutile & la plus baffe
de fes Sujets à l'ornement de la
plus grande Ville du Monde, &r
aneantit par ce travail la pareffe
& la mendicité; fuccés que nous
n'aurions jamais osé efperer , ft
nous ne vivions fous un Regne
où les chofes autrefois eftimées
les plus impoffibles , deviennent
aisées dés qu'il plaift à V. M.
de les vouloir.
Que ne dirois-je point ſur ces
nouvelles marques de vostre magnificence
Royale , fi je n'estois
lié par le fang avec le premier
de vos Magiftrats, à quiV. M.
a confié la Direction de fes OnGALANT.
249
vrages publics ? Les justes Eloges
que l'on donne à vos grands Def-
Jeins , répandent toûjours quelque
éclatfur ceux qui les executent
; mais cependant , SIRE ,
dequoy puis-je mieux vous parler
au nom de vostre Ville Capitale,
que des graces que vous verſez
continuellement fur elle ? Oferoitelle
vousfairefouvenir de ces Vi
ctoires pleines de prodiges , que
vous avez remportées fur toute
l'Europe foulevée contre voftre
Entreprendroit - elle de Vous
feliciterfur le prompt fuccés avec
lequel Vous rappellez au fein de
l'Eglife tant de Peuples égarez ?
gloire?
250 MERCURE
Vous exprimeroit - elle les hautes
idées qu'elle a de cette Puiffance
invincible , laquelle aprés tant
d'exploits heroïques , vient encore
deforcer la plus fuperbe Vil
le de l'Italie , à mettre à vos
pieds
les marques de fa Puiſſance fouveraine
, & àrecevoir la Loy
que V. M. a voulu luy impofer ?
reprefenteroit-elle les Coftes
de l'Afrique en feu , les aziles
des Pirates reduits en cendre , les
Barbares dépoüillez d'une infinité
d'Efclaves qu'ils retenoient depuis
fi long- temps dans leurs fers.
Non , SIRE , ce font des
évenemens trop grands & trop
Vous
GALANT 251
illuftrespour n'eftre touchez qu'en
paffant ; & quand Paris voudroit
entreprendre de les publier,
comment pourrois-je répondre à
fon zele , moy qui ne puis trouver
d'expreffions pour vous marquer,
SIRE , la reconnoiffance infinie
dont je fuis pénerré , quand je
penfe à la grace que j'ay receuë
de V. M. grace que je tacheray
de meriter dans tous les momens
de ma vie , par une application
infatigable à vous continuer les
fervices de mes Peres , dans la
Charge dont V. M. m'a honoré,
me confiderant deformais comme
un Sujet qui Vous doit, SIRE,
252 MERCURE
tout ce qu'il eft , & qui ne peut
rien estre que par les Bontez de
Voftre Majesté.
Aprés que M' d'Ormeſſon
eut prononcé ce Difcours ,
qui luy attira beaucoup de
louanges, les deux nouveaux
Echevins preterent
le Serment
accoûtumé..
Le Roy a accordé à M
de Maupeou , Confeiller en
la
Quatrième des Enqueftes
du Parlement, la furvivance
de la Charge de Prefident en
la
Premiere des
Enqueftes
,.
dont Mr fon Pere eft pourGALANT.
253
veu. Sa Majefté avoit déja
accordé la mefme grace
Mr de Maupeou fon Frere ,
aujourd'huy Evefque de Caftres
, dans le temps qu'il eftoit
Avocat General au Grád
Confeil
. Toutes les graces
que Sa Majefté fait à cette
Famille , font fingulieres ;
auffi peut - on dire qu'elles
font deues au zele & à la fi
delité dont M le Prefident
de Maupeou a donné tant de
glorieuſes marques depuis
cinquante ans , & aux fervi
ces de quatre de ſes Freres
Capitaines aux Gardes , dont
254 MERCURE
le dernier eftoit Gouverneur
d'Ath. Ce qu'il y a de fort remarquable
, c'eft qu'il femble
qu'ils naiffent tous également
propres à toutes fortes
de Profeffions , lors qu'il s'agit
de fervir le Roy. Le Fils
aifné eftoit pourveu de la
Charge d'Avocat General au
Grand Confeil , qu'il a exercée
pendant fix ans , avec
l'approbation du Public ; &
aprés ſa mort , le ſecond qui
eftoit Docteur de Sorbonne ,
& qui a efté fait Evefque de
Caftres, prit la meſme Charge
, & s'en acquitta avec le
GALANT 255
mefme fuccés que s'il n'avoit
jamais embraſſé une autre
profeffion. Celuy qui eft
prefentement Confeiller, eftoit
auparavant Chevalier
de Malte , & en cette qualité
il a fait fes Caravanes.
Son Cadet , qui eftoit Sous-
Lieutenant aux Gardes dés
l'âge de dix-fept ans , ayant
efté tué dans le fervice, il luy
fucceda en cet Employ; mais
eftant reftéfeul dans le ionde,
Sa Majefté luy permit de
changer d'eſtat , & de prendre
la Robe. Si cette Famille
eft Illuftre du cofté de M
256 MERCURE
le Preſident , elle ne l'eft pas
moins du cofté de Madame
la Prefidente , qui eft Soeur
de M' Doujat Confeiller de
la Grand' Chambre .
On a fait quatre nouvelles
Cloches pour l'Eglife de
Saint Etienne du Mont à
Paris ; & elles ont efté benites
depuis peu de temps par.
M. Gardeau Curé de cette
Paroiffe . Elles eurent pour
Parains les fix Docteurs Regens
de la Faculté de Droit
de l'Univerfité de Paris , qui
font Mr Doujat , Hallé , de
Loy , Baudin , Cugnet &
GALANT. 257
Mongin. Ils nommerent la
premiere Eftienne , à cauſe
que cette Eglife eft dédiée
à Saint Etienne , & les trois
autrs furent nommées Jean,,
Pierre , & Michel , du nom
des trois anciens de ces fix
Docteurs.
>
Je ne vous ay point par--
lé des Etats de Bretagne,,
qui fe fonr tenus depuis peu..
Tout s'eft paffé à l'ordinaire,,
c'eft à dire , à la fatisfaction?
du Roy & de la Province..
Vous fçavez que pendant :
qu'ils durent , chacun s'ef
force à l'envy de faire paroî--
Septembre 1685,
Y
258 MERCURE
tre fa magnificence
. M¹ le
Duc de Chaunes a toûjours
tenu deux Tables , qui ont
efté fervies avec beaucoup
d'abondance
& de propreté.
La mefme choſe a efté
de toutes les autres Tables
, & fur tout de celle de
M' l'Evefque de Saint Malo .
Il y avoit fort fouvent juf
qu'à cinquante Perſonnes .
M de Chaunes voulut un
-jour regaler toutes les Dames
, & il leur donna un
fouper tres magnifique. Le
Sieur Dumény dont la voix
s eft fait long-temps admiGALANT.
259)
rer à l'Opera, a fait differens
Concerts qui ont eſté extrémement
applaudis , & les
Etats luy ont fait une gra
tification digne de leur
liberalité , & de la generofi
té de Mr le Duc de Chaunes.
Aprés qu'ils furent finis
à Dinan , M l'Evefque
de Saint Malo traita à Saint
Malo M de Fieubet
, premier
Commiffaire
du Roy
pour la Province . Ce Prelat
& M de Guemadeu allerent
au devant de luy avec toute
leur Maifon qui eft fort
nombreufe. En arrivant furs
Y ip
260 MERCURE
>
la Gréve à la portée du Canon
, la Ville le falüa de
cinquante volées de fon Artillerie
& tout le Peuple.
accourut en foule en criant
Vive le Roy. La Garniſon de
la Ville eftoit fous les armes,
& il fut conduit à l'Eveſché,
où tous les Corps le compli
menterent. On luy fervit
enfuite un magnifique dîner
en Poiffon , ce qui le furprit
d'autant plus que ce jour là
le temps eftoit fort mal propre
pour la pefche. Les Tambours
& les Violons ne cefferent
point de jouer pen
GALANT. 261
dant le repas . Au fortir de
Table , on trouva fix Carroffes
à fix Chevaux que
l'on avoit préparez , & dans
lefquels l'on fit une promenade
fur la Gréve . On entra
enfuite dans plufieurs petits
Bâteaux , qui allerent joindre
un grand Vaiffeau. Mr
de Fieubet y fut receu avec
les Tambours , les Trompettes
, & les Violons , &
l'on y fervit une tres fuperbe
Collation. On prodigua
les Liqueurs ; les Matelots
ne manquerent point de
vin, & il y eut une infinité de
262 MERCURE
coups de Canon tirez , qui
n'effrayerent point les Dames.
Lors qu'on retourna
dans la Ville , on trouva encore
la Garnifon fous les
armes . Le Gouverneur fit la:
civilité à Mr de Fieubet de
luy demander l'ordre . Aprés
le foupé qui fut fomptueux
, il y eut Comedie &
Mufique ; puis on paffa dans
une grande Sale qui avoit
efté preparée pour le Bal , &
qui eftoit magniquement
ornée , & enrichie de plus
fieurs Tableaux de grand
prix . On fervit pendant le
GALANT. 263
Bal une tres, galante Collation
, avec quantité de liqueurs
rafraiſchiffantes , &
l'on ne fe fepara qu'aprés
avoir fait media noche . Ce der
nier régale fut donné fans
que perfonne s'y fuſt attendu.
Le lendemain les Tambours
, les Violons & les
Haut- Bois fe trouverent au
lever de M' le Commiflaire
duRoy.Mr de S.Malo alla enfuite
le prendre pour le mener
à la Meffe , où cét Evef
que luy fit tous les honneurs
qu'il pouvoit luy faire. Il y
eut Mufique pendát la Mef264
MERCURE
fe, & l'on difna au fortir de
là , parce que M de Fieubet
eftoit preffe de partir. A l'if--
fue du difner Meffieurs de :
Ville prirent congé de luy,.
& en receurent mille honneftetez.
On tira encore cinquante
ou foixante volées
de Canon lors qu'il fortit de
Saint Malo , d'où M¹ l'Evef
que le conduifit jufqu'à
Chafteau-neuf. Vous voyez,,
Madame , qu'on ne peut
rien ajoûter à l'éclat de ma
gnificence & de grandeur,
avec lequel ce Prelat vient
à boutde tout ce qu'il entreprend..
GALANT. 265
prend. La belle voix du
Sieur Dumény ne donna pas
moins de plaifir dans ces divertiffemens
quelle avoit
fait aux Etats.
un
L'Ambaffadeur de France
à Conftantinople , eſtant
Conful de toutes les Nations
de l'Europe , il eſt neceffaire
d'y envoyer
Homme qui ait de l'intelligence
, & beaucoup de fermeté.
Ainfi le Roy les oblige
toutes , lors qu'il jette les
yeux fur un Homme capable
de bien remplir cét employ
, & c'eſt
Septembre 1685.
pour cela que
Ꮓ
266 MERCURE
Sa Majesté a choifi Mr Girardin,
qui non ſeulement a
toutes les qualitez neceſſaires
pour cette Ambaffade;
mais encore qui poffede parfaitement
la Langue Turque
, & toutes les manieres
du Pays , où il a fait
deux Voyages , comme je
croy vous l'avoir déja mandé.
Il eft party depuis quelques
jours , & il fe doit embarquer
à Toulon. Cependant
Madame de Guilleragues
, qui a pris foin des Affaires
, depuis la mort de M
de Guilleragues fon Mary ,
GALANT 267
s'en eft tres- bien acquitée.
Elle a fait obferver tout ce
qu'il avoit demandé pour les
Chrétiens au nom du Roy, &
que le Grand Vifir luy avoit
promis , & s'eft diftinguée par
des actions de vigueur , contre
ceux qui ont voulu entreprendre
fur fon authorité.
Quand je vous écrirois
tous les jours , au lieu que je
ne le fais qu'à la fin de cha
que mois , je ne fçay fi je
pourrois avoir l'avantage
de vous apprendre les
grands évenemens , avant
que vous en fuſſiez inſtruite,
Z ij
268 ย MERCURE
puis que par l'éclat qu'ils
font lors qu'ils arrivent , le
bruit s'en répand par tout
avec tant de promptitude,
que tout le monde les fçait
prefque en mefme temps.
Telle a efté la priſe de Nevvhaufel
, dont je dévrois aujourd'huy
vous mander les
,
circonftances ; mais comme
les Hiftoires genérales ne les
marqueront peut-eſtre de
plufieurs années je croy
pouvoir differer d'un mois à
vous en parler , afin de ne
vous laiffer rien à fouhaiter
fur cét article . Cependant
GALANT. 269
je vous envoye le Plan de la
Place , & vais vous faire part
du Combat qui s'eſt donné
avant fa prife entre les
Troupes
Chrétiennes
&
celles des Turcs. Le Prince
Charles de Lorraine ayant
appris que les Ennemis au
nombre de cinquante à foixante
mille , affiegeoient la
Ville de Gran , autrement
deux a
Strigonie , dont je vous parlay
il y ans , lors que
ce Prince la prit , réfolut
d'aller au fecours de cette
Place . Il laiffa feize mille
Hommes devant Nevvhau-
Z iij
270 MERCURE
Bataille aux
fel , fous le Commandement
du Comte Caprara , Maréchal
de Camp Genéral , &
marchant avec trente - cinq
mille , il arriva le 12. du der
nier mois à la veuë de Gran,
& des Ennemis , qui réfolus
de donner
Chrétiens , leverent auffi
- toft le Siege , & vinrent fe
pofter dans l'endroit le plus
avantageux qu'ils purent
choifir. Ils avoient le Danube
à leur droite , une longue
chaîne de Montagnes
efcarpées à leur gauche , le
chemin de Bude derriere
GALANT. 271
eux , & devant, un Marais
fort difficile , & au paffage
duquel ils attendoient l'Armée
des Chrétiens . On fit
reconnoiftre ce Marais , &
on ne jugea pas à propos de
le paffer en défilé devant une
Armée nombreuſe & en
Bataille. On campa à la portée
du Canon de ce Marais,
où l'on demeura quatre
jours en prefence . Ces qua
tre jours ſe paſſerent en efcarmouches
, où lesChrétiens
eurent prefque toûjours
l'avantage ; ce qu'il y eut
de plus remarquable , c'eſt
Z iiij
272 MERCURE
que les Turcs n'oferent - jamais
paffer le Marais pour
venir efcarmoucher du côté
des Allemans , & queles
Allemans le paffoient toûjours
devant eux. Enfin la
nuit du 15. au 16. les Genéraux
Allemans réfolurent
de décamper , foit pour
prendre un Pofte plus commode
, foit pour attirer les
Ennemis. Ils firent marcher
à dix heures du foir leur gros
bagage , l'Armée étant en Bataille.
Les Turcs s'apperceu
rent de ce mouvement , & le
prenant pour une fuite vouGALANT.
273
lurent en profiter.Ils avoient
déja travaillé à pouffer des retranchemens
fur les Montagnes
de leur gauche , qui
eftoient à la droite des Chré
tiens. Ils avancerent avec
beaucoup de chaleur, &pafferent
leMarais avec une grande
précipitation
, pour venir
charger les Troupes qui fe
retiroient. Ils donnerent d'abord
fur l'aifle gauche commandée
par Monfieur l'Electeur
de Baviere , où ils
furent vivement repouſſez,
avec perte de beaucoup de
Janiffaires. Les Chrétiens
274 MERCURE
n'eurent qu'un Gentilhomme
de tué , qui combattoit
à cofté de Mr le Prince
Eugéne de Savoye , dont le
Régiment de Dragons eftoit
à la tefte de l'aifle gauche.
Les Turcs firent de grands
cris toute la nuit , & travaillerent
à avancer , & à affeurer
leur retranchement qui
eftoit fur les Montagnes
,
parce qu'ils prétendoient
faire leur principal effort de
ce cofté là , à cauſe que la
cheute des Montagnes leur
donnoit moyen de prendre
l'Armée Ennemie en flanc..
GALANT. 275
Les Chrétiens de leur cofté
marcherent avec beaucoup
de filence , & gagnerent un
pofte plus reculé , & plus avantageux
, où l'on avoit
deffein d'attendre les Ennemis
. On leur fit volte-face
de temps en temps pour les
arrefter , & on les trouva en
Bataille à la pointe du jour
au Pofte qu'on avoit voulu
gagner. Il s'éleva en mefme
temps un Broüillard fi épais,
que les Ennemis ne pouvoient
voir l'Armée , ny
l'Armée les Ennemis , quoy
qu'on entendift de part &
276 MERCURE
d'autre le bruit des Tambours
& des Trompettes.
Le Soleil parut qui diffipa ce
Broüillard. On fit encore
volte-face , & l'on marcha
en pleineBataille aux Turcs,
qui ayant tous paſſé le Marais
, eftoient auffi en Bataille
. Meffieurs les Princes
de Conty & de la Roche
Sur-Yon qui attendoient depuis
long- temps le jour de
cette Bataille ,pour terminer
leur Campagne auffi glorieufement
qu'ils l'avoient
commencée , choiſirent la
droite commandée par le
GALANT. 277
Prince Charles . Ils creurent
que le fort de la Bataille ſeroit
de ce cofté là , & ils ne
ſe tromperent pas . Les Enmis
deſcendirent avec une
impetuofité terrible , & des
cris épouventables , de deffus
les Montagnes , & vinrent
fondre fur l'Efcadron
où eftoient ces deux Princes
; c'eftoit celuy de Lanthiery
, du Régiment de Saxe
Lavembourg. On vit ce
qu'on n'avoit encore jamais
veu dans les Armées d'Allemagne
,
deux Princes du
Sang de France , qui ayant
A
278 MERCURE
+
refufé tous les Commandemens
qu'on leur avoit
voulurent comofferts
,
battre comme fimples Volontaires
. Ils eftoient au
premier rang de cet Eſcadron
, qui eftoit à la teſte de
l'Armée ; ils avoient auprés
d'eux quelques- uns de leurs
Gentilshommes d'un cofté,
& de l'autre les Cavaliers
du Regiment où ils come
battoient , fi fiers de voir
ces deux Princes meflez par
my eux , qui les animoient
par leur exemple , que leurs
Officiers ravis de l'honneur
x
GALANT. 279
que recevoit leur Regiment,
& de voir tant de courage &
tant d'ardeur de combattre
dans le coeur de leurs Soldats
, dirent hautement ,
Quuee toute l'Armée Turque ne
feroit pas plierce feul Eſcadron.
Ils ne fe tromperent point ;
les Turcs tomberent fur cet
Efcadron jufques à trois fois,
avec cette fureur & ces cris
qui les rendent fi terribles ,
& ils le trouverent fi iné.
branlable , que la fermeté
de cette feule Troupe , qui
eftoit la premiere qu'ils rencontroient
, ne contribua
,
280 MERCURE
pas peu à les étonner, & à leur
faire prendre la fuite ; ce qui
caufa la déroute de leur Ármée.
Les deux Princes , quoy .
que leurs Gentilshommes
les euffent preffez de s'armer
de leurs Cuiraffes , à l'exemple
de tous les Generaux , &
de tous les Colonels de l'Empire,
eftoient en fimples Jufte-
au - corps, à la tefte de ces
Colonels tout cuiraffez , &
tout couverts de fer. Ils ef
fuyerent en cet eſtat tout le
feu du Canon & de la Mouf
queterie des Tucrs , & attendirent
leurs Sabres avec un
GALANT: 281
viſage qui raffuroit les moins
hardis. Les Turcs s'abandonnerent
entierement à la fuite
, aprés eftre venus deux ou
trois fois à la charge fans.
pouvoir rompre l'Armée
Chretienne
. On les pourfuivit
jufqu'au Marais qu'ils
pafferent en defordre , la viteffe
de leurs Chevaux les dérobant
aux Chreftiens. Le
Serafkier tâcha de les rallier
derriere le Marais , à la tefte
de ſon Camp , où une partie
fe remit en bataille , tandis
que les Generaux de l'Armée
victorieufe , qui avoit déja
Septembre 1685.
A a
282 MERCURE
pris tout le Canon , déliberoient
s'ils pourſuivroient
ce
avantage.Monfieur premier
Î'Electeur de Baviere paffa le
Marais , avec Meffieurs les
Princes & leurs Gentilshommes,
pour obferver la contenance
des Ennemis ; & le
peu d'affeurance & de fermeté
qu'ils leur remarquerent
, obligea Monfieur de
Baviere à faire paſſer l'aile
qu'il commandoit. Monfieur
le Prince Charles fit
la mefme chofe de fon cofté,
& les Ennemis épouvantez
prirent la fuite encore une
GALANT. 283
fois fans les attendre . Ils a--
bandonnerent leur Camp &
leur Bagage , & ſe fauverent
par trois chemins differens ,,
fi intimidez & fi troublez ,,
que les Janiffaires tuoient les
Spahis afin d'avoir leurs che
vaux ; de forte que les Turcs
n'ayant perdu que trois ou
quatre mille hommes dans ›
la premiere action , en per--
dirent encore beaucoup par
la terreur & le defordre . de :
leurs propres Troupes dans ›
cette feconde déroute. Aprésla
Bataille , Monfieur le Prin--
ce de Conty envoya Mr de
Aaij ;
284 MERCURE
la Chapelle Secretaire de fes
Commandemens
, porter cét
cinquante Ducats aux Cavaliers
de l'Eſcadron dans
lequel il avoit combattu , &
dix en particulier au Cavalier
qui s'eftoit trouvé à fon
cofté, Cette liberalité fut receuë
avec des marques de
joye & d'admiration, qui durerent
tout le refte du jour ,
& au bruit des Trompettes
& des Timbales. Les Generaux
& les Officiers affure,
rent ce Prince , que fon nom
feroit immortel dans les Archives
de l'Empire
, ou parGALANT:
285
my les choſes extraordinaires
qui fe font faites dans
cette derniere guerre , on
marqueroit comme la plus
grande , la refolution & la
valeur avec laquelle deux
Princes du Sang de France
avoient combattu contre les
Ennemis de la Foy.
J'ay oublié de vous dire,
Lors que
que que Monfieur l'Electeur
de Baviere eut fait
paffer le Marais à ſes Troupes
, elles fe trouverent fans
Grenadiers, parce qu'ils n'avoient
point eu ordre de fuivre.
Cela fut caufe que Mon286
MERCURE
fieur le Prince de la Rochefur-
Yon les alla querir , de
forte qu'il paffa & repaffa
deux fois le Marais, avec une
chaleur qui faifoit connoître
l'impatience que ce Prince
avoit de combattre. J'ajoûteray
une choſe dont aucune
Relation n'a parlé , &
qu'on affeure avec certitude;;
c'eſt que Monfieur l'Electeur
de Baviere & le Prince
Charles commandoient alternativement
l'Avant-garde,
& que ce dernier devant
la commander le jour que fe:
donna la Bataille , ce fut par :
GALANT 287
>
cette feule raiſon qu'il eut
l'Aile droite ce jour -là . Meffieurs
les Princes de Conty
& de la Roche -fur-Yon prévoyant
que l'Aile gauche
feroit la premiere attaquée,
refolurent d'y combattre avec
Monfieur l'Electeur de
Baviere , & la fuite fit voir
qu'ils en avoient jugé, comme
auroient pû faire les Capitaines
les plus experimentez
, puifque tout l'effort tomba
de ce cofté-là . Leur intrepidité
fait bien connoiſtre
qu'ils font nez de l'augufte
Sang de Bourbon, puifqu'ils
288 MERCURE
ont combattu fans eftre couverts
d'aucunes armes , &
qu'ils ont eu à cofté d'eux
les fimples Cavaliers du Regiment
où ils ont fait éclater
leur valeur ; ce qui marque
qu'ils n'ont voulu fe faire
diftinguer que par leur
courage , auquel ils doivent
toute la gloire qu'ils ont acquife
en cette perilleufe occafion.
Ils n'ont pas efté
moins admirez , par la maniere
dont ils ont vefcu à
l'Armée. Ils y ont toûjours
foûtenu avec éclat le Caractere
de Princes du Sang de
France
GALANT. 289
France ; & quand ils en font
partis , ils y ont fait des Prefens
qui font connoiftre que
la liberalité a toûjours eſté
une des vertus de Monfieur
le Prince de Conty.
Tant que ces deux Princes
ont efté à l'Armée , on
leur a rendu tous les honneurs
qu'on devoit à leur
naiffance & à leur merite
particulier. Avant que Monfieur
l'Electeur de Baviere
fuft arrivé , ils eftoient gardez
par des Troupes de l'Em..
pereur , dont il y avoit des
Sentinelles pofées autour de
Septembre 1685.
Bb
290 MERCURE
leurs Tentes ; & quand cet
Electeur fut au Camp , ces !
Princes ayant efté dans fon
Quartier , ils eurent la meſme
garde que luy , & des
Sentinelles de fes Gardes du
Corps . Jamais Volontaires
n'ont efté fi expoſez , & jamais
on n'a pouffé plus loin
l'intrepidité , & la refolution
d'acquerir cette veritable
gloire qui fait les Heros .
Vous en ferez convaincuë
,
quand vous aurez fceu qu'au
commencement de la Ĉampagne,
lesTurcs propoferent
de faire bonne guerre
, en
GALANT. 29r
gardant de part & d'autre
les prifonniers qu'on feroit ,
pour les échanger ; & que
les Allemans preffentant
les
avantages qu'ils devoient
remporter, &fiers par avance
des fuccés dont ils ſe croyoiét
affeurez
, répondirent
que
en fimm
comme ils ne vouloient aucun
quartier, ils n'en feroiết
point. Ainfi ces Princes ,
en combattant
ples Volontaires , étoient
prefque affeurez de perir , fi
Ies Chreftiens euffent eu du
defavantage , puifque rien
ne marquant leur naiſſance,
Bb ij
292 MERCURE
¡
on ne leur auroit point
fait de quartier dans un
temps où à peine l'auroiton
donné aux principaux
Chefs de l'Armée . Voilà
ce qui n'a point encore
efté fceu , & qui fait voir
que Meffieurs les Princes
de Conty & de la Rochefur
yon ont eſté animez
en ce Combat de ce Sang
guerrier , dont la gene
reufe & bouillante ardeur
a fait fi fouvent gagner
des Batailles.
·
Le gain de celle qui fut
donnée le feiziéme d'Aouft
GALANT. 293
dernier , avoit efté precedé
de pluſieurs avantages reinportez
par le Comte de Lef-
Jé prés du Pont d'Effex, dont
il brufla onze cens pas le 13.
du mefme mois . Il prit la
Ville d'Effex qu'il fit piller,
& il y trouva beaucoup de
vivres dont il avoit un befoin
extréme ; mais n'ayant
pû fe rendre Maistre du
Chaſteau , il ſe retira prefque
auffi-toft qu'on eut faccagé
la Ville. Le Pont d'Effex
eft un ouvrage fi confiderable
, & il en eft fi fouvent
parlé dans les Rela
Bb iij
294 MERCURE
tions des Guerres que les
Chrétiens ont contre les
Turcs , que je croy vous en
devoir dire quelque chofe.
On l'appelloit anciennemét
Murfa. C'eft où Conſtance,
Fils de l'Empereur Conſtantin,
défit le Tyran Magnence
J'an 359. Ce Pont eft le plus
beau de tous ceux qui foit en
ces quartiers là , & fur les
autres Rivieres. Il eſt baſty
en partie fur le Drave , & en
partie fur la Riviere de Femis
, qui fe débordent fouvent
l'une & l'autre . Il a environ
deux lieuës de long
GALANT. 295
II
y a cinq Tours baſties def
fus , & il eft tres- bien entretenu
', & foûtenu
par de
grands Arbres qui forment
fes Arches. Le Comte Ni
colas Serin fit abattre une
partie de ce Pont en 1664.
mais on y a fait depuis un
Pont de Bateaux
, un peu
plus bas que n'eftoit le
mier. Les Turcs n'ont pas
voulu le rebaftir dans la
mefme place , parce que les
Poutres qui le foûtenoient
& qui eftoient dans l'eau,
s'attacherent
fi fort aprés
que le feu fe fut éteint, qu'ils
Bb iiij
pre
296 MERCURE
auroient eu trop de peine à
les retirer. C'eft fur ce Pont
que paffent toutes les Armées
qui viennent en Hongrie
, & ce fut en cét endroit
que le malheureux Roy
Louis creut avoir arrefté les
Turcs qui marchoient fous
la conduite de Soliman en
1521.
Tous les avantages qui
ont efté
remportez ſur les
Troupes Ottomanes , ayant
caufé beaucoup de réjouiffances
genérales parmy les
Chrétiens ont fait faire
quantité de Festes particu
酒
GALANT 297
fieres. Celles qui ont le plus
éclaté ont efté faites à Angers
par quinze ou feize
Gentilhommes Allemands ,
du nombre defquels font
M le Comte de Truchfes,
& Mrs les Barons de Mege
rii , de Sonau , de Guimenyh
& de Hock. Ils ont fait bril
ler des illuminations , rem→
plir l'air d'artifice , fait entendre
des Salves & des
Concerts guerriers , & d'autres
dont l'harmonie eft plus
douce. Les grands repas
1.
n'ont point efté épargnez,
& ils y ont paru veritables
298 MERCURE
Allemands. Enfin ils n'ont
rien oublié pour marquer
leur joye , & l'on pourroit
dire qu'ils ont efté au de là
de tout ce que des Particu
liers peuvent faire en de pareilles
occafions.
J'ay à vous nommer encore
plufieurs Perfonnes,
dont la mort eft arrivée ce
mois cy. Ce font
Mr du Houffet Seigneur du
Houffet, Chancelier deMonfieur,
& cy-devant Intendant
des Finances. Il eſt mort âgé
de foixante & dix - neuf ans.
Mr Ferary , Chevalier de
GALANT 299
l'Ordre du Roy , Maiftre
d'Hoftel
ordinaire
de Sa
Majefté
, Seigneur
de Gagny
-la-Marcelle
, & Lieutenant
des Chaffes
des Forefts
de Liury & Bondy.
Madame de l'Hôpital
Da
me de Chambourcy
, veuve
de M de Villers la Faye,
Marquis
de Nauvilly
, Maré
chal des Camps
& Armées
du Roy , Capitaine
Lieunant
de la Compagnie
des
Gensdarmes
de fon Alteffe
Sereniffime
Monfieur
le
Prince .
鼎
Mr de Bailleul , Seigneur
200 MERCURE
du Pleffis - Briart , Courte
Couronne , Chavane &
Chande , Moufquetaire du
Roy en la premiere Compagnie.
Il eft mort âgé de vingt
deux ans , il eftoit Fils de M
de Bailleul Capitaine aux
Gardes , & Grand Louvetier
de France. Je vous ay appris
la mort de Madame de
Bailleul fa Mere dans cette
mefme Lettre .
Mr le Maiſtre de Ferriere
Seigneur de Perfaque & Belfot
, Confeiller en la Grand'
Chambre.
Mr Doüilly Receveur Ge
GALANT :
301
néral de Poitou .
Mr de Carnavalet Gouverneur
de Broüage , cy - devant
Lieutenant des Gardes
du Corps. Il a paffé une partie
de fa vie à la Cour , où il
eftoit dans une tres-grande
eftime .
On à eu avis de Luc en
Provence , que le Pere Raimond
de Roftagny , Docteur
de Sorbonne , & Pro
vincial des Carmes , y eftoit
mort en odeur de Sainteté
le 20. du dernier mois. Il é
toit âgé de 66 ans . Lors qu'on
l'enterra , il fut impoffible
302 MERCURE
d'empefcher que le Peuple
qui eftoit accouru en foule,
ne déchiraft les manches de
fa robe , pour les conferver
comme des Reliques. Il prit
l'Habit de fon propre mouvement,
n'ayant encore que
neuf ans. Ses Prieres , fes
Méditations , & fes lectures
affiduës , l'obligeoient à une
grande retraite , & fon plaifir
eftoit de mener une vie
cachée. Il a refufé d'eftre Evefque
, & il fallut le menacer
de
l'excommunier
, pour
luy faire accepter la Charge
de Provincial. Son grand
GALANT. 303
Oncle qui portoit le mefme
nom , & dont la memoire eft
fort reverée,fut trois foisProvincial
dans le mefme Ordre.
Plufieurs grands Prelats
ont porté auffi le nom
de Roftagny , & font morts
dans la mefme odeur de
Sainteté. Il y a eu deuxArchevefques
d'Arles , un Archevefque
d'Aix , un Evefque
de Nice , un de Riez , & deux
de Toulon , fans parler de
quatre Abbez de la celébre
Abbaye de Lerins en Provence
, dont l'un qui vivoit
en 1188. eft reputé bien heu
304 MERCURE
1
reux dans l'Ordre de Saint
Benoilt. Le P. Raimond de
Roftagny dont je vous apprens
la mort , eftoit Oncle
de Mr de Roftagny , Medecin
de S. A. R. Madame
de Guife , qui a donné depuis
peu au Public un Livre
intitulé , La Fille de Calvin
démafquée. Il l'appelle ainſi,
à caufe que l'on y voit l'explication
mife par Beze dans
les Livres de la Religion
Prétendue Reformée
, pour
en eftre l'emblême . On y
voit auffi plufieurs Lettres a
des Perfonnes confiderables
GALANT
305
de cette mefme Religion ,,
ou qui en onteſté. Ce Livre
fe. vend chez le Sieur Barbin
& l'Autheur y traite
les Controverfes en Vers,
d'une maniere inftructive,,
ce que Perfonne n'a fait
avant luy , la matiere ne s'accommodant
pas aifément à
la Poëfie.
La Charge de Grand
Maiftre de l'Artillerie que
poffedoit feu M le Duc du
Lude , a efté donnée à M¹ le
Maréchal de Humieres. I a
plû au Roy de reconnoiftre
par là les grands fervices qu'ill
Septembre 1685 .
C.c
306 MERCURE
•
luy a rendus en beaucoup de
Campagnes qu'il a faites ,
pendant lefquelles il s'eft
trouvé à plufieurs Batailles ,
& à la priſe de diverſes Places.
Sa Majefté le fit Lieutenant
Genéral de fes Armées
en 1657. & Maréchal de France
en 1668. Cette Charge de
Grand Maistre de l'Artillerie
, fut érigée en Charge de
la Couronne au mois de
Movembre 1599. en faveur
de Mr de Bethune , Duc de
Sully , Pair & Maréchal de
France. Ceux qui l'ont poffedée
auparavant n'eftoient
GALANT. 307
appellez que Maiftres de
L'Artillerie du Roy. Il y en
a eu vingt- neuf , & neuf qui
l'ont exercée par Commif
fion. Mr le Maréchal de
Humieres eft le fixiéme qui
ait eu la qualité de Grand
Maiftre. Entre ces fix, deux
Maréchaux de France l'ont
exercée par Commiſſion.
Ce font Mrs les Maréchaux
de Schomberg , & Deffiat .
Le Gouvernement dur
Chafteau de Saint Germain
en Laye , que poffedoit auffi
feu M le Duc du Lude,,
avoit efté donné quelques
Cc ij
308 MERCURE
jours auparavant à Mỹ de
Mornay Marquis de Monts
chevreuil , Gouverneur de
M' le Duc du Maine , & en !
fuite de M le Comte de
Vermandois , avec la furvi.
vance pour M' le Comte de
Mornay fon Fils , Colonel
du Regiment de Bearn. Il
époufa quelques jours aprés
Mademoiſelle
de Coetquent
, Niece du Marquis
de ce nom .
Mr Bignon Conſeiller an
Parlement , a épousé depuis
peu de jours Mademoifelle
Billard , Soeur de Madame
GALANT 309
C
de Chauvelin , dont je vous
ay parlé pluſieurs fois. Il eſt
Fils de M Bignon Confeil,
ler d'Etat , fur les pas duquel
il marche. Il a efté Avocat
du Roy au Chaftelet , & a
fait paroistre dans cette
Charge , une grande intelligence
pour les Affaires , &
beaucoup de penétration .
Les nouvelles publiques
vous ont informée des avantages
que l'Armée Venitienne
baremportez
fur les
Turcs , par la priſe de Coron
dans la Morée . Voicy
ce qui a efté traduit fur un
imprimé de Veniſe.
310 MERCURE
de
Les Lettres du Generaliffime
Morofini écrites le 10. d'Aouft ,
portent que les Affiegez ſe défendoient
obftinement dans Corony
à la veuë de plus de dix mille
Turcs , qui s'étoient avancez
plufieurs endroits de la Morée ,
avec du Canon , & toute forte
d'apprefts , afin d'attaquer nos li
gnes. Les noftres au contraire ,
aprés un continuel travail dans
les Mines qu'ils avoient fait
jouer , n'eurent pas le fuccés qu'ils
avoient attendu de la principale ,
ce qui empefcha de donner l'Affaut.
Dans ce mefme temps , les
Turcs firent une vigoureufe irGALANT
311
ruption fur une Redoute avancée
des noftres ; mais un Corps de gens
de delà les Monts , y eftant ac
couru , & une forte Efcarmouche
s'eftantfaite , nos Dragons y furvinrent
avec le Bataillon des
Maltois , commandé par le Com
mandeur de la Tour ; de forte
qu'aprés trois heures de combat ,
le pofte fut recouvrépar les nôtres
avec grand carnage des
>
Turcs , & le gain gain de
17 Etendards
, à la veuë des Affiegez ;
les Turcs attaquerent encore plu
fieurs fois nos Lignes de divers
coftez, & furent repouſſez avec
vigueur dans ces diverfes atta
ques.
312 MERCURE
›
Le matin du 7. le Genera
liffine refolut de donner une fauffe
alarme pourfurprendre les Ent
nemis dans la confufion. Ainfi
ayant ramaẞé un Corps de quin-
Ze cens tant Mariniers
Francs que Corfaires , que
fit paffer fecretement pendant la
nuit aux flancs de l'Ennemy ,
aprés avoir fait voler un peu.
de poudre , au fignal de laquelle
tous les Chefs devoient fairefeu,
que
l'on
le mouvement
concerté
de bruit
>
que
par
impréveu , accompagné de tant
dans le fommeil & tous en del'on
fir , bien
les nostres , fut fi
les Turcs furpris
fordre,
GALANT. 313
fordre , prirent auffitoft la fuite,
abandonnant toutes les provifions
qu'ils avoient en abondance pour
la fubfiftance de l'Armée , beaucoup
de munitions de guerre , &
un tres-riche bagage , fix groffes
pieces de Canon de Bronze, plufieurs
Chevaux , Armes , &
mefme l'Etendard Royal orné
faftuenfement de Queues ordinai
res de Cheval. La perte
tres n'a pú eftre plus legere. Ainfi
unfuccés fi important animant le
courage des Affiegeans , on s'ap.
plique par toutesfortes de moyens
àla conqueste de la Place, dont on
donne de tres-grandes esperances.
Dd
Septembre 1685.
des nô314
MERCURE
Je vous envoye la Figure
de l'Etendard dont il eft parlé
dans cette Lettre. Cette
Victoire fut fuivie quatre
jours aprés de la priſe de Coron.
Les Turcs avoient arboré
un Drapeau blanc, pour
demander à capituler ; mais
pendant qu'on envoyoit des
Oftages de part & d'autre
un Turc ayant mis le feu à
un Canon chargé de Cartouches
, qui tua quelques
Soldats , les Affiegeans furent
tellement perfuadez ,
que le Commandant ne les
avoit amufez que pour les
GALANT
315
faire perir, qu'ils donnerent
dans les retranchemens avec
vigueur, & en peu de temps
fe rendirent maiftres de la
Place. Les Soldats n'ayant
pû eftre retenus par les Officiers
, tuerent plus de trois
mille Turcs , & n'épargnerent
ny âge ny fexe.
Coron , appellée par les
Anciens , Corone , eft dans
la Morée , à douze milles de
Modon, vers le Cap Maina,
autrement Bravio de Maina.
C'eſt une Ville marchande
à caufe de fa fituation , elle
a un Port capable de rece-
Dd ij
316 MERCURE
voir plufieurs Vaiſſeaux , elle
a la Mer d'un cofté , & du
cofté de terre un Mur fortifié
de fix Tours à l'antique,
Les Grecs & les Juifs demeu
rent dans la Baffe Ville , &
les Turcs dans un Chafteau
qui eft la Ville Haute. Les
Venitiens en ont efté les
Maiftres dans le quinziéme
Siecle. Bajazet Empereur
des Turcs la prit fur eux,
auffi bien que la Ville de
Modon en 1499. Le Prince
Doria Genois, qui comman
doit l'Armée Navale des Ef
pagnols , la prit fur les Turcs
GALANT. 317
pour Com- en 1533. il y laiffa
mandant
Mendoza
, avec
quelques
Efpagnols
, qui l'abandonnerent
aux Turcs
peu d'années
aprés . Ceuxcy
connoiffant
l'importan
ce de cette Place , la repri
rent , & elle eftoit demeu
rée depuis ce temps là entre
leurs mains.
Je ne vous fais point de
détail de ce qui s'eft paffé à
Chambor. Comme ce Pays
eft un lieu de Chaffe , &
qu'on y va pour prendre
ce divertiffement , vous devez
eftre perfuadée qu'on
"
Dd iij
318 MERCURE
y a fouvent goûté ce plaifir.
C'eft un de ceux que Sa
Sa Ma.
jeſté a pris pour ſe délaffer
de la grande application
avec laquelle Elle fe donne
aux Affaires. Il y a eu Comedie
plufieurs fois , & rien n'a
eſté fi magnifique , que les
Tables du Roy où toute la
Cour a mangé. Elle eſt
de retour à Fontainebleau ,
où Elle prendra de nouveaux
Divertiſſemens , il y a
déja quelque temps qu'on y
travaille.
N
GALANT. 319
Vous n'aurez l'Explication
des deux dernieres Enigmes
, & les Noms de ceux
T
fens
15.
du
qui en ont trouvé
le vray
, que dans l'Extraordi
naire qui paroiſtra
le
mois prochain
. Cependant
je vous en envoye
deux nouvelles
. Elles font des Nimphes
enjoüées
, Clione
& Rozelinde.
19
dom
sh
SYBENIGME
.
J
1
E ne fuis pas moins belle en de
dans qu'en dehors aliments
L'Hyver que le Printemps , & l'Esté
que l'Automne.
Dd inj
320 MERCURE
Quand l'onfe fert de moy , l'on me
met l'ame au corps ;
Et fans befoin de grands efforts
Je reçois aisément tous les plis qu'on
me donne.
ெ
Ie fuis de la couleur du jour ,
Foible auffi - bien que fouple ; & fi
fort delicate
Qu'on ne voit rien qui ne m'abatte
;
Et telle enfin que je cede à l'amour
Du moindre Zephir qui me flatte.
+3
Lors qu'on me confie un fecret ,
Il n'eftpas trop en affeurance ;
Car fi l'on me neglige , on s'expofe
au regret
D'apprendre en peu de temps qu'il eft
en évidence.
Ne croyez pas que cefoit par vangeance
;
GALANT. 321
Te fouffre tout, jufqu'aux mois de rigueur,
De mépris & de raillerie ,
Ce n'eft pas toutefois fans changer de
coaleur ,
A
AUTRE ENIGME .
Pprenez fije fuis puffante ,
L'ay cent Pages de comptefait,
Que rien au monde n'épouvante .
Leur teint uni , blanc comme lait
Eft d'une grace effez charmante.
Leur taille dégagée a pour plus grand
attrait
+
Une égalité furprenante s
Et le regard le plus parfait
N'y trouve point de difference
Tant exacte eft leur reffemblance:
Par leur moyen, les beaux Efprits galans
322 MERCURE
4
J 2018 24
Ont dequoy s'occuper , fans chagrin
-a & fans peine
Pour plus d'une femained
S'ils ont deffein d'exercer leurs Talens
staьm si n०
Er d'en rendre à leurs peux les effets
évidens.
03
Si uo7
On les employe à beaucoup d'autres
choſess via an absinoƆ zsh
Et dans les intrigues d'amour, {}
C'est à conter fleurette , à porter ris
& roses ,
A mettre feux &fers au jour ,
Et faire voir enfin , à beaujeu, bean
retour.
port
st
Ainfi , je fuis utile , & mefme ne
ceffaire,
A cent fortes d'affaire ,
D'honneur & de fortune , auffi- bien
de coeur.
que
GALANT. 323
* Vous le fçavez , Amy Lecteur,
Vous en eftes fouvent le rémoin oculaire
T
ride morཀུ
ash winch the 16
On me mande de Rouen
un petit Prodige dont je dois
vous faire part. Mademoifelle
de Villiers , Femme d'un
des Comediens de Sa Majeſté
, à l'exemple de Mademoifelle
Raifin fa Mere,qui
avoit formé une Troupe de
petits Comediens , appellez
la Troupe de Monfeigneur
le Dauphin , y en a étably
une autre , à laquelle le Roy
a permis de joindre le titre
de Comediens de Monfei
324 MERCURE
gneur le Duc de Bourgogne.
Elle a choify pour la compofer,
huit Enfans avec un Garçon
& une Fille qu'elle a ; &
les a fi bien concertez ens
femble , qu'ils ont furpris &
charmé toute la Ville , dans
deux Reprefentations que
cette petite Troupe a déja
données d'Ariine ; fur le .
Theatre des Comediens de
Monfeigneur le Dauphin ,
qui font toûjours à Rouen.
La Fille de Mademoiſelle de
Villiers , qui eft la plus vieil
le de la Troupe, quoy qu'el
le n'ait encore que dix ans ,,
GALANT 325
a fait des merveilles dans le
Role d'Ariane , qui eſt tout
remply de paffion . Son Frere
qui n'en a que huit, s'eft fait
admirer en jouant Theſée,
Et la petite Phedre, âgée de
fept ans, a efté extremément
applaudie. On peut dire que
cet établiffement eft avantageux
au Public , puifque
ce font des Eleves. que l'on
forme pour fon plaifir, comme
il s'en fait dans toutes les
autres Profeffions . La pluf
part des bons Comediens ,
tant Serieux que Comiques,
comme Mrs Baron , Raiſin ,
326 MERCURE
& autres qui font dans la
Troupe de Sa Majefté ont
efté élevez de cette forte &
on les a tirez de celle de
Monfeigneur le Dauphing
pour les faire venir à Paris
où vous fçavez qu'ils fe font
rendus parfaits.. 20 knot
Je fuis fâché de l'accident
que vous me mandez. Si vôn
tre Amie , qui s'afflige tant
de fon bras rompu , ne fe fie
pas aux Chirurgiens de fon
voifinage , elle n'a qu'à fe
faire porter à Evaux , qui eft
une Ville du Bourbonnois.
Elle y trouvera une jeune
GALANT. 327
perfonne de qualité appellée
Mademoiſelle de Remirand,
qui a un talent admirable
pour remettre des bras &
des jambes démis ou rompus ,
& des coftes enfoncées . Elle
fait plufieurs autres operations
de cette nature avec
un entier fuccés ; & lors
qu'elle trouve un bras qui a
efté mal remis , elle le caffe
pour luy rendre fa fituation
naturelle , & ne manque
point à luy redonner fa premiere
fonction . Ce qui luy
attire une grande confiance,
c'est que la charité feule
328 MERCURE
l'engage à faire ces fortes de
cures , & qu'elle ne prend
rien de perfonne.
Mercredy dernier 26. de ce
mois , il y eut aux Theatins
un Salut en Mufique , avec
des Prieres pour les Morts.
La mefme chofe fe doit faire
tous les Mercredis dans la
même Eglife.LaMufique eft
du fameux M* Lorenzani ,
Maiſtre de la Mufique de la
Reine.L'habileté qu'il a dans
' cet Art , eft connuë de tout
le monde . Cet Article demande
plus d'étenduë , & je
le reſerve pour le mois pro
GALANT. 329
chain, auffi bien que le 6 Dialogue
des Chofes difficiles à
croire , que l'Autheur m'a
fait la grace de m'envoyer.
Je n'oublieray pas ce qui s'eft
paffé à Caen , lors qu'on a élevé
la Statue du Roy, non plus
que ce que M' le Maréchal
d'Etrées a fait àTunis . Jevous
parleray auffi de plufieurss
Converfions , & de beaucoup
de Feftes qui ont efté
faites dans leRoyaume.Vous
voyez par la que la matiere
ne me manque pas , fi j'avois ›
du temps & de la place. Jefuis
, Madame , Voftre , & c .
A Paris,ce 30. Sept. 1685. Ee
2525222525 $ 525255
鹽TABLE DES MATIERES
contenues dans ce Volume. A
HAranguefaire au Roy- par Mr.16
Coadjuteur de Rouen, en 3
Actions de Pieté du Roy.ed 23
Liberalitez de Sa Majesté.
Elegie de Mr de Cantenac.
v: 30
33
Creation de 2. nouveaux Regimens. ~ 41
Serment prefté pour la Lieutenance generale
de la Province de Berry.
44
Mr le Comte de la Vauguyon eft nommé
Ambassadeur en Espagne. 46
Tableaux faits pour le Roy , par Mr.
Mignard & par Mr le Brun .
Lettre fur le Tableau de Mr le Brun. 53
Morts de plufieurs perfonnes confiderables.
8
47
92
Epiftre chagrine de Me Deshoulieres.108
Relation de Mr Chaſſebras de Cramailles
, contenant fon Voyage depuis Ve
nife jufques à Rome , & fes Remarques
fur les Villes , Lieux & Chemins.
TABLE.
119
confiderables , avec les Devotions de
Noftre-Dame de Lorette, & de Saint
François d' Affife.
Relation de tout ce qui s'eft paßé au Louvre
le jourde la Fefte de S. Louis. 209
Eloge du Roy par Mr l'Abbé Capeau.221
Ce qui s'eft paßé dans la Ville de Luxem
bourg, le jour de S. Louis.
237
240
243
Prix remportépar le Pere Morgues Je-
Suite.
Election de z nouveaux Echevins. 244
Difcoursfait au Roy par Mr le Fevre
* d'Ormeffon.
Survivance accordée par le Roy à Mrde
Maupeou.
Nouvelles Cloches benites en l'Eglife de
S. Eftienne du Mont , & tenues par les
fix Docteurs Regens de la Faculté de
Droit de l'Univerfité de Paris. 256
Etats de Bretagne.
252
257
Départ de Mr Girardin pour Conſt. 265
Affaires d'Allemagne.
Réjouiffances faites à Angers.
Morts.
267
296
198
Charge de grand Maistre de l'Artiller
TABLE.
donnée à Mr le Maréchal de Humie
res.
305
Gouvernement de S. Germain en Laye,
donné à Mr le Marquis de Montchevreil.
Mariage.
Nouvelles de Coron.
307
509
109
Voyage du Roy à Chambor , & retour à
Fontainebleau.
Enigmes.
Comedies reprefentées à Rouen .
3107
323
Talent admirable d'une jeune perfonne
de
qualité.
Mufique aux Theatins.
326
328
Articles refervez pour le mois prochain.
Fin de la Table.
LAVAL. S. J.
Zugua
BIBLIO
" Las Ferance
"
S J
60 - CHANTILLY
MERCURE
GALANT
DEDIE A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
SEPTEMBRE 1685.
A
PARIS ,
AV
PALAIS
ON
N donnera toûjours un Volume
nouveau du Mercure Galant le
premier jour de chaque Mois , & on
le vendra , auffi -bien que l'Extraordinaire
, Trente fols relié en Veau ,
& Vingt- cinq fols en Parchemin.
1
;1
A PARIS ,
Chez G. DE LUYNE, au Palais , dans la
Salle des Merciers, à la Justice .
Court- Chez la Veuve C. BLAGEART ,
Neuve du Palais , AU DAUPHIN ,
字
Et T. GIRARD , au Palais, dans la Grande
Salle, à l'Envie.
M. DC. LXXXV .
AVEC PRIVILEGE DY ROI,
Extrait du Privilege du Roy.
Phaville, le 18. Juillet 1683. Signé, Par
Ar Grace & Privilege du Roy, donné à
le Roy en fon Confeil , JuN QUIERES . Il eft
permis au Sieur DANNEAU , Ecuyer, Sieur
Devizé, de continuer de faire imprimer, vendre
& debiter le Livre intitulé , MERCURE
GALANT, & generalement tout ce qui dépend
dudit Livre , par tel Imprimeur qu'il
voudra choifir ; Et defenſes font faites à tous
Imprimeurs & Libraires, & tous autres , de
faire imprimer, vendre & debiter ledit Livre,
nygraver aucunes Planches fervant à l'ornement
d'iceluy , ny mefme de le donner à
lire, pendant le temps & efpace de dix années
entieres , le tout à peine de fix mille livres
d'amende contre les Contrevenans , ainfi que
plus au long il eft porté efdites Lettres .
Registré fur le Livre de la Communauté,
aux charges & conditions portées , le 14 .
Septembre 1683. Signé, ANGOT , Syndic.
Ledit Sieur DEVIZE ' a cedé fon droit du
préfent Privilege à C. Blageart, Imprimeur-
Libraire , pour en jouir fuivant l'accord fait
entr'eux .
Avis pour placer les Figures.
L'euneris, mes
Air qui commence par , Fous aimez
jeune Iris , mes tendres Chanfonnettés
, doit regarder la page 107.
Le Plan de Neuhaufel , doit regarder
la page 269.
La Figure de l'Etendard , doit regarder
la page 314.
MERCYRE
GALANT
SEPTEMBRE 1585.
L ne me fera pas difficile,
Madame , de vous convaincre
que je n'ay fait
que rendre juftice à M. le
Coadjuteur de Roüen , quád
je vous ay vanté la Harangue
qu'il a faite au Roy ,
Septembre 1685.
A
2 MERCURE
comme une des plus belles
chofes qu'on ait entenduës
depuis long- temps. Je vous
en envoye une Copie , qui
juſtifiera ce que je vous en ay
dit . L'Eloge de Sa Majeſté
vous plait au commencement
de toutes mes Lettres ,
& vous l'aimerez d'autant
plus en celle - cy , que vous
le trouverez
fait par un grad
Prelat , dont l'Eloquence
a
charmé toute la Cour. Il fut
affifté dans cette action de
Ms les Archevelques, Evef
ques , & autres Deputez de
1 Affemblée du Clergé , & ce
IS
GALANT.
3
fut en prenant congé duRoy
qu'il luy parla en ces termes
au nom de tous ceux qui avoient
compofé cette Affemblée.
owy shoup so monu
VIRE,
STRE Le Clergé de France,qui ne
s'approchoit autrefois de fes Sou
leur tracer de
verains , que pour
triftes images de la Religion opprimée
& gemiffante
, vient aujourd'huy
, la reconnoiſſance
&
la joye dans le coeur , faire paroître
à Voftre Majefté, cette mefme
Religion toute couverte de la gloire
, qu'elle tient de voſtre P.eté,
A ij
4 MERCURE
Elle a paru durant plus d'un
fiecle fur le panchant deſa ruine ;
on l'a veuë déchirée par fes propres
enfans , trahie par ceux qui
devoient la foûtenir la defendre
, en proye à fes plus cruels ennemis
. Enfin aprés une longue &
funefte oppreffion , elle refpira peu
de temps avant voftre Naiffance
beureuſe ; avecVous elle commença
de revivre , avec Vous elle
monta fur le Trône. Nous contons
les années de fon accroiffement
par les années de vôtre Regne
; & c'eftfous le plusfloriffant
Empire du monde , que
› que
nous
la
voyons aujourd'huy plus floriffan
te que jamais.
GALANT.
5
Si elle fefouvient encore de fes
troubles de fes malheurs paffez
, ce n'eft plus que pour mieux
goûter le parfait bonheur dont
vous la faitesjouir. Elle eftfans
agitation fans crainte à l'ombre
de votre autorité ; elle eft mefme,
fi j'ofe ainfi dire , fans defirs
puifque voftre Zele ne luy laiffe
pas le temps d'en former , & que
votre Bonté va fifouvent au dela
de fes
fouhaits
. ou la Foy
,
Ce Zele ardent pour
22041
cette Bonte paternelle dans tous
les befoins de l'Eglife , Qualitez
fi rares dans les Princes , font ,
SIRE , le veritablefujet de nos
A iij
Eloges.
6 MERCURE
Nous laiffons à vos autres Sujets
affez d'autres Vertus à admirer
en Vous. Les uns vous reprefenteront
comme un Monarque
Bienfaisant , Liberal, Magnifique,
Fidelle dans fespromef
fes, Ferme & Inflexible contre
toute forte d'injuftice , Droit
Equitable , jufques à prononcer
contre fes propres interefts , veritablement
Maistre de fes Penples
, & plus Maiftre encore de
luy-mefme.
Les autres vous refpecteront
comme un Roy , toûjours Sage &
toûjours Victorieux , dont les im
pénetrables deffeins font plutoft
GALANT. 7
executez, que connus ; qui ne regne
pas feulement fur fes Sujets
par fon Autorité Souveraine ,
mais furfon Confeil par la Superiorité
defon Genie , mais fur les
Cours de fes Voifins par
tration defon Efprit , & par la
Sageffe dont il fait inftruire fes
la
péne-
Miniftres; qui pouvant tout par
Luy-mefme , fçaitfe paffer des plus
grands Hommes , & fans eux refoudre
, entreprendre , executer ;
qui donne la Loy fur la Mer ,
auffi bien que fur la Terre ; qui
tance quand il luy plaift la foudre
jufque fur les bords de l'Afrique ;
qui fçait à ſon gré humilier les
A iiij
8 MERCURE
Nations fuperbes & réduire des
Souverains à venir aux pieds de
fon Trône reconnoiftre fon pou
voir , & implorerfa clemence.
Vos Ennemis mefme , SIRE,
ne peuvent s'empefcher de louer
vos actions heroïques ; ils font
contrains d'avouer , que rien n'eft
capable de vous refifter , & le merite
du Vainqueur adoucit en quel
que forte le malheur des Vaincus.
à
Će
n'est pas nous , SIRE
,
à parler
des progrés
étonnans
de
vos Armes
triomphantes
; nous ne
devons
pas confondre
l'éclat
d'une
valeur
qui n'est que
l'objet
de
l'admiration
des
Hommes
, avec
GALANT
9
ces Ocuvres Saintes qui font en
eftime devant Dieu Le Clergé,
SIRE,s'attachera fur tout à louer
en Vous cette Pietés, qui toûjours
attentive aux interefts de la Religion
, n'obmet rien de ce quipeut
estre neceſſaire pour la relever
dans les lieux où elle est abattue,
l'étendre au delà des Mers,
pour
dans les lieux où elle est inconnuë,
pour la faire triompher dans l'un
&l'autre monde.
Mais
que dis je ! l'Eglife ne
duit- elle pas elle - mefme confacrer
des Victoires , que Vous avezfi
heureuſementfaitfervir à la Propagation
de la Foy, & à l'ex10
MERCURE
que
tinction de l'Herefte ? Ilfemble
que vous n'ayez combattu &
triomphé que pour Dieu , & le
fruit que vous tirez de la Paix ,
nous fait affez connoistre quel ef
toit le principal but de vos Vie
toires. C'est par ces Victoires
vous avez étably cette redouta
ble Puiffance , qui tenant deſormais
vos Voifins en bride , oste
aux Heretiques de voſtre Royanme,
& l'audace de fe revolter,
l'espoir de fe maintenirpar de
feditieux commerces avec les Ennemis
de l'Etat.
4
Si c'euft efté la feule ambition
qui vous cuſtarmé , jufqu'où n'au
GALANT.
11
riez- vous point étendu vôtre Empire
? Vous vous estes hasté de fi
nir la Guerre , lorsque vous en
pouviez tirerde plus grands a -vantages.
Nefçait- on pas que ce n'a
efté que par l'empressement
que
vous aviez de donner tous vos
foins au progrés de la Religion ?
La Converfion de tant d'ames engagées
dans l'erreur , vous a paru
La plusbelle de toutes les Conquéle
triomphe le plus digne tes ,
d'un Roy Tres- Chrétien.
Maisquelle quefoit vôtre Puiffance
, elle avoit encore befoin dis
fecours de vôtre Bonté ; C'eſt en
gagnant le coeur des Heretiques ,
12 MERCURE
que vous domtez l'obftination de
leur efprit ; c'eſt par vos bienfaits
que vous combattez leurendurcif-
Sement , & ils ne feroient peuteftre
jamais rentrez dans le Sein
de l'Eglife par une autre voye ,
que par le chemin ſemé de fleurs
que vous leur avez ouvert.
Auffifaut -il l'avouer , SIRE.
Quelque intereft que nous ayons à
l'extinction de l'Herefie , notre joye
l'emporteroit peu fur noftre douleur,
fi pourfurmonter cet Hydre,
une fâcheufe neceffité avoit forcé
voftre Zele à recourir au fer
feu , comme on a efté obligé de
faire dans les Regnes précedens.
au
GALANT. 13
Nous prendrions part à une Guerre
qui feroit fainte , & nous en
aurions quelque horreur , parce
qu'elle feroitfanglante. Nous ferions
des Voeux pour le fuccés de
vos Armes facrées ; mais nous ne
verrions qu'avec tremblement, les
terribles executions , dont le Dieu
des vangeances vous feroit l'in
ftrument redoutable. Enfin nous
mêlerions nos voix aux acclamations
publiques fur vos Victoires,
enous gemirions enfecretfur un
Triomphe , qui avec la défaite des
Ennemis de l'Eglife , enveloperoit
la perte de nos Freres.
Aujourd'huy donc
donc
que Vous ne
14 MERCURE
*
combattez l'orgueil de l'Herefie
, que par la douceur & par
la fageffe du Gouvernement
:
que vos Loix foûtenues de vos
bienfaits font vos feules armes ;
& que les avantages que vous
remportez ne ſont dommaged.
bles qu'au Demon de la Revolte
& du Schiſme , nous n'avons
que de
graces à rendre au Ciel , qui a
infpiré à Voftre Majefté, ces doux
&fages moyens de vaincre l'erreur,
& de pouvoir en mêlant
avec peu de feverité , beaucoup de
graces & de faveurs ramener à
I'Eglife ceux qui s'en trouvoient
. ع و ب
pures
actions de
GALANT. 15
malheureusement feparez.
Nous le confeffons , SIRE ,
c'eſt à Vôtre Majestéſeule , que
nous devons bien-tost le rétablis
fement entier de la Foy de nos
Peres auffi ne falloir il pas que
l'Etat vous devant déja fon falut
&fa gloire , l'Eglife deuft"
un autre qu'à Vous , fa victoire
fon triomphe : fans cela voftre
Regne , que le Ciel a voulu qu'il
fuft un Regne de merveilles , auroit
manqué de fon plus bel ornement
On auroit bien dit un jour
de Vôtre Majefté , ce que l'Ecriture
dit de plufieurs grands Rois
de Juda : Il a terraffé fes En16
MERCURE
nemis , & relevé la Monarchie
; il a autorifé & reformé
les Loix , il a fait regner
la Juftice ; mais on auroit ajoúté
ce que le Saint Efprit reproche
à ces Princes : Il n'a pas aboly
les Sacrifices qui fe faifoient
fur la Montagne
.
Que votre Nom , SIRE,fera
éloigné de ce reproche ! Ce que
vôtre Zele a déja fait , la Pofte
rité le regardera toûjours comme
La fource de vos Profperitez , &
le comble de vostre Gloire.
Mais ce n'eft pas au rétabliffement
des Temples & des Autels
, que fe borne vôtre Zele.
GALANT.
17
Vous avez entrepris de faire revivre
la Pieté & les bonnes
moeurs ; & c'est à quoy Voftre
Majefte travaille avec fuccés ,
autant par fon exemple que par
fes ordres. C'est un honneur maintenantde
pratiquer la Vertu ; &
fi le vice n'eft pas tout à -fait détruit
, au moins est-il réduit à fe
cacher les voiles dont il fe
couvre , épargnent aux gens de
bien unfâcheux ſcandale, &fau
vent les ames foibles du peril d'une
contagion funefte:
Ne penfons plus à ces jours de
tenebres , où la plupart de ceux
qui eftoient encore dans le Sein de
A
Septembre 1685.
18 MERCURE
l'Eglife , fembloient n'y eftre demeurez
que pour l'outrager de plus
prés ; où les blafphemes ) les
railleriesfacrileges de ce qu'ily a
de plusfaint , éclatoient avec audace.
Ces Monftres d'infidelité ont
difparufous votre Regne heureuxs
files Remontrances tant de
fois réiterées fur ce fujet , ne nous
donnoient connoiffance de ce defor
dre , nous l'ignorerions à jamais.
Qu'eft devenu cet autre Mon
fire produit par l'esprit de vangeance
, toûjours alteré du fang
des Hommes , mais plus encore de
celuy de la Nobleffe Françoife ?
Nous n'avons qu'à le laiffer dans
GALANT
19
1
Doubly eternel , où depuis tant de
temps vous l'avez enfevely. Kous
lavez étouffé , tout indomtable
qu'il paroiffoit. Votre Majesté a
feu renverser les fauffes maximes:
de l'honneur & de la bonte ; &
autant qu'une déteftable erreur
avoit mis de fauffe gloire à fe
vanger, autant y auroit- il d'ignominie
à ne vous pas obeir. C'eft
ainsi que vostre volonté ſeule
l'emportefur la coûtume invete
rée du mal , & fur le panchante
criminel des hommes:
&
Le Clergé ne fe difpofe plus
qu'à eftre le Spectateur de la fin
& de toutes vos faintes Entreprifes,
Aij
20 MERCURE
aprés en avoir admiré de fi heureux
commencemens , il ceffe d'ufer
de Remontrances. S'il a enco
re quelques befoins , vous les connoiffez
, cela luy fuffit. Il vient
encore de reffentir en cette Affemblée,
d'infignes effets de vôtre Protection
Royale ; & perfuadé que
vous luy avez deftiné une longue
fuite de graces dans d'autres
temps , avec les circonstances
dont vous feul les fçavez fi bien
accompagner, il craindroit par fes
demandes , ou de troubler l'ordre
que vôtre Sageffe y a étably , ou
peut eftre de mettre des bornes où
vôtre Zele n'en a point mis.
GALANT 2
L'unique affaire qui nous occu
pe , c'eſt l'obligation de rendre
Vôtre Majefté de tres - humbles
actions de graces. Aprés un fijufte
de voir , affûrez que nousfammes
de votre puiffante Protection,
nous pouvons nous feparer fans
inquietude. Nous allons dans les
Provinces de voftre Royaume ,
faire retentir les louanges que
Eglife doit à voftre Zele, Cha
que Pafteur aura la joye de retronverpar
vosfoins , fon Troupeau
plus nombreux qu'il ne l'avoit
laißé , & chacun de nous redou—
blera fes voeux pour obtenir du
Ciel, qu'il redouble fes Benedic22
MERCURE
tions en faveur d'un Prince qui
fe les attire par des actions fi glow
rieufes & fi utiles à la Religion,
M.leCoadjuteur de Rouen,
comme Membre du Clergé,
fçachant encore plus parti
culierement que le reſte de
la France , ou pour mieux
dire , de l'Europe entiere ,
avec quel zele & quelle ap
plication le Roy s'attache à
faire fleurir la Religion Ca--
tholique , en corrigeant les
abus qui s'eftoient gliſſez à
fon préjudice depuis l'Edit
de Nantes, & en rétabliſſant
་
GALANT. 23
La plupart des chofes auf
quelles une longue ufurpation
avoit fait changer de
face, ne pouvoit donner trop
de louanges à ce Prince , fur
les avantages que l'Eglife tire
de fa Pieté. Elle produit
tous les jours des effets fi fur
prenans & fi extraordinai
res , qu'ils n'ont jamais eu
d'exemple ; & ils paroistront
auffi incroyables à la Poſterité
, que toutes les autres actions
de grandeur & de 'moderation
, qui le font admirer
de toute la terre . Ce Monarque
toûjours appliqué à
24 MERCURE
ce qui regarde la Religion ,
a fait un Edit tout plein de
juſtice , qui a eſté enregiſtré
au Parlement le 23. du der,
nier mois. M's les Deputez
du Clergé , luy ayant repre
fenté qu'entre les moyens
dont les Miniftres de le Religion
Pretendue Reformée
fe fervoient pour empefcher
ceux de leur Party de fe convertir
, aucun ne leur réüffifloit
fi
avantageufement
que celuy de donner par des
impoſtures , une faufſe idée
de la Religion Catholique,
Sa Majeſte a fait examiner
les.
GALANT. 25 .
les erreurs que ces Miniftres
ontda hardieffe de luy imputer
, dans les Preſches , ou
dans les Livres qu'ils compofent
; & comme rien ne
bleffe tant le refpect avec lequel
les Edits les obligent
d'en parler, que de l'accufer
de profeffer une Doctrine
qu'elle condamne ; & qu'il
n'eft pas jufte de fouffrir que
leurs calomnies infpirent
aux Religionnaires de l'horreur
contre la verité , qu'ils
ne pourroient s'empefcher
de fuivre fi ces artifices ne
leur en déroboient pas la
Septembre 1685.
C
26 MERCURE
connoiffance
; Elle a defen
du aux Miniftres , & à toutes
perfonnes de la Religion
Pretenduë Reformée , de
preſcher & de compofer aucuns
Livres contre la Foy
Catholique , Apoftolique &
Romaine , & de fe fervir de
termes injurieux ou tendans
à la calomnie , en imputant
aux Catholiques des Dogmes
qu'ils condamnent , &
mefme de parler directemet
ny indirectement en quelque
maniere que ce puiffe
eftre , de la Religion Catho
lique. Les Pretendus Refor
GALANT. 27
mez n'ont point à fe plaindre
, puis qu'il doit fuffire aux
Miniftrés d'une Religion toferée
dans le Royaume, d'en
enfeigner les Maximes , fans
s'élever par des difputes &
par des calomnies contre la
veritable Religion que l'on
y profeffe , & dont leurs Predeceffeurs
fe font malheureuſement
feparez dans le
dernier Siecle .
Le Roy a fait dans le mefme
temps une Declaration ,
qui a efté auffi enregiſtrée
auParlement
. Elle porte qu'il
ne fera plus receu de Mede-
Cij
28 MERCURE
cins de la Religion Preten
due Reformée . Cette Declaration
á efté donnée avec
beaucoup de prudence . De
fortes raifons ayant fait défendre
de recevoir à l'avenir
lesPretendus Reformez dans
aucune Charge de Judicature
, on a connu que la plufpart
des jeunes gens de cette
Religion s'appliqueroient à
étudier en Medecine pour y
prendre les degrez,fe voyant
exclus de toutes autres fonctions
; ce qui augmenteroit
fi confiderablement le nombre
des Medecins CalviniGALANT.
29
ftes , que peu de Catholiques
voudroient dorefnavant s'attacher
à cette Science ; en
forte que ceux qui profefferoient
la veritable Religion
en recevroient dans la fuite
un grand préjudice pour leur
falut lors qu'ils tomberoient
malades , parce que les Medecins
Religionnaires ne ſe
mettroient pas en peine de
les avertir de l'eftat où ils fe
trouveroient pour recevoir
les Sacremens , aufquels ils
n'ont point de foy. Ce mal,
qui eftoit inévitable, demandant
un feur remede , on ne
C iij
30 MERCURE
devoit pas douter que le Roy
n'euft la bonté d'y pourvoir.
C'eft ce qu'il a fait , en défendant
à tous ceux qui font
commis pour la reception
des Médecins , d'en admettre
aucun de la Religion Prétenduë
Reformée . Cet Edit
& cette Declaration font de
plus en plus admirer les juftes
mefures qu'il prend pour
l'accroiffement de la Religion
Catholique , & pour le
falut de fes Sujets .
Ce Monarque a donné depuis
peu une Penfion confiderable
à M. le Prince CaGALANT.
31
mille , fecond Fils de M. le
Comte d'Armagnac . C'eſt
celuy qui gagna le Prix de la
premiere journée du Carroufel
, & qui donne de fi belles
efperances qu'il foûtiendra
dignement l'Illuftre Sang de
Lorraine,
M. l'Avocat General Ta
lon , a efté auffi gratifié d'une
Penfion de fix mille livres .
Il y a fi long-temps que fon
Nom éclate dans le Parle
ment ; & c'eſt toûjours avec
tant de gloire , qu'il me feroit
inutile de luy donner
des louanges. Les Difcours
C iiij
32 MERCURE
publics qu'il y a faits avec
un applaudiffement general,
le font mieux connoiſtre que
tout ce que je pourrois vous
en dire.
M. Defreaux a eu dans le
mefme temps une Penfion
de deux mille livres. C'eft un
homme d'un efprit folide, &
d'un bon gouft , & reconnu
generalement par ces endroits.
Il s'eft converty depuis
peu de temps ; & quand
un homme auffi éclairé que
luy change de Religion , il
faut qu'il foit bien perfuadé
des erreurs de celle qu'il aGALANT.
33
re
bandonne , & qu'il les ait
bien examinéeslabih
La Piece qui fuit , renfer
me de nouveaux Eloges de
Sa Majesté. Elle eſt de M.
de Cantenac Theologal de
Seez, qui témoigne ſe repen
tir de ne s'eftre pas attaché
toute fa vie à la Perfonne &
au fervice du Roy , au lieu
de s'attacher à celuy de quelques
grands Seigneurs, com.b
me il a fait autrefois , caug
is sramod au
Sa bingazdo yul
basa aid sol l'up wit
on Kup other ob zvans ab
34 MERCURE
25222-22-2522-22225
ELEGIE.
A·Ffligé de ma peine, & du bien
qui me fuit,
Paffant mes triftes jours , comme une
longue nuit,
Je ne veux pas blâmer d'une voix importune
L'injufte cruauté d'une ingrate fortune.
Les Aftres ny le fort ne font pas nos
malheurs ,
Chacun fait fon Etoile , & caufe fes
douleurs .
L'Homme eft Royfur luy mesme , &
fuft il dans les chaines ,
C'eftfon efprit qui fait fes plaifirs on
Les peines.
GALANT. 35
Qui reglefa conduite , & les évene
ments ,
Tel qu'un Pilote expert, malgré l'Onede
& les Vents,
Conduit beureufement fur la Mer ir
ritée ,
Le timon chancelant de fa Barque agiz
tée.
Onfouffrepeu de maux qu'on nepuiſſe
éviter,
Et nous pouvons les fuir mieux que
les Jupporter.
Te fuis l'unique Ouvrier de ma fatale
peine,
L'imprudence a renduma fortune in.
bumaine.
M'éloignant du Soleil , dont j'eftois
éclairé ,
Par de fauffes lueurs je meſuis égaré.
Sij'avois confacré le cours de mes années
,
36 MERCURE
Au Roy le plus puiſſant qu'ontfait les
Deftinées ,
Ace Monarque Augufte , & Favori
des Cieux ,
Ie vivrois fortuné , tranquille &glorieux
.
Mais comme un bon Vaiffean qui ten
tant la fortune ,
Sort de la grande route , & duſein de
Neptune ,
Et voguant au hazardfur un Fleuve
inconnu
3
S'ouvre au fable mouvant qui l'avoit
retenu,
R
Par mon éloignementj'ay causé mon
naufrage ,
Prés de l'Aftre du jour on ne voit
point d'orage.
Tout le monde est heureux prés de
Louis LE GRAND ,
Et nefe voit chargé que des biens qu'il
Aw répand.
GALANT. 37
Mais quelbonheurpour moy ,fi témoin
defa vie
l'avois veufavertu triompher de l'en.
vie ,
Porter , comme elle a fait , parmy tant
de hazards
Son Empire &fon Nom au deffus des
Cefars!
Sa valeurredoutable a domptédésl'ex-
No fance ,
Et le Lyond'Espagne , & l'Hydre de
la France.
Eft- il rien que fon bras nefoumette
aujourd'huy ,
Si les Monftres alors n'eftoient qu'un
jeu pour luy?
Le Batave infolent , & l'orgueilleux
Ibere ,
Ont gemy fous le poids de fa jufte colerei
Et l'Aigle accoutumée à pénetrer les
Cieux ,
38 MERCURE
Limite aux pieds des Lys fon vol´andacieux.
De cent Peuples armez en vain la Ligue
cft faite ,
Unis dans leurs combats , unis dans
leur défaite,
Onles a veus tremblans , venir de tou
tes parts
Implorer fa clemence , & ceder leurs
remparts.
Le perfide Ennemy du Ciel & de la
Terre
,
L'Africain fubjugué tremble encor du
tonnerre
De ce fracas terrible , & de ces feux
nouveaux
Que ce nouveau Soleil faifoitfortir
des
eaux.
On ne compte fesjours que par quelque
victoire,
Pour luy chaque moment eft un pas
la gloire.
GALANT. 39
Et bien qu'à fa valeur cent Peuples
foient foumis ,
Ilfoumet plus de coeurs qu'il n'a fait
d'ennemis.
Son grand Nom redouté du Sarmate
& du More ,.
Sefait aimer & craindre aux Climats
de l'Aurore ;
Et ces Rois que le Peuple adore comme
Dieux ,
Fondent à l'honorer leurs titres glorieux
.
Si par toutfa valeur établit ſon Empire
,
Sa grandepieté que l'Vnivers admire,
Du Dieu que nous fervons redreſſe les
·Autels .
Et l'éleve luy- mefme au rangdes Immortels.
Par des traits inouis defa rareprudence,
40 MERCURE
Le Monftre de l'Erreur eft chassé de la
France ;
Et Rome accoutumée aux Prefens de
nos Reis,
Prend de luy fes Enfans qui méprifoientfes
lois.
Appuy de la vertu, comme ennemy du
vice
Ilfait fleurirpar tout les Arts & la
Iuftice
Mille Peuples conquis éprouvent fa
douceur,
Il en paroift le Pere autant
Vainqueur.
que
le
Monarque inimitable, Auguste & Ma
guanime,
Tout le monde vous aime autant qu'il
vous estimes upyo
Etl'on ne vitjamaisfortir d'un meſ-
JA me soeur 90G)
Defi grandes bontez avec tant de valeur.
འ འ
GALANT. 41
Maisj'éprouve en ce point que la peine
eft extréme
D'aimer infiniment fans plaire à ce
qu'on aime.
Pour plaire , ilfaut fervir l'objet de
fon amour,
Et l'Amant inutile eft indigne du
jour.
Je voudroispour toutbien vous fervir
& vous plaire,
Heureux eft le mortel capable de le
faire,
Sa gloire peut combattre un deſtin
rigoureux ,
Et qui fert bien fon Roy, n'estjamais
malheureux
Je vous parlay il y aun am
de beaucoup de nouveaux
Regimens que le Roy fit
Septembre 168 .
*
D
42 MERCURE
fous le nom de plufieurs Provinces
de France. Sa Majefté
vient encore d'en créer
deux , fous le nom de Ponthieu
& de Beaujolois. Ils
font compofez de plufieurs.
Compagnies tirées des vieux
Corps . Le Regiment de Ponthieu
a efté donné à M. le
Comte de Lomont , Capitaine
du Regiment Royal d'Infanterie
, en confideration
des fervices qu'il a rendus
dans un Corps , où l'on a occafion
d'acquerir beaucoup
de gloire lors qu'on y fait fon
devoir , puis qu'on y eft fou
GALANT. 43
vent exposé aux perils de la
Guerre. M. de Berulle , Capitaine
dans le Regiment du
Roy , a eu le Regiment de
Beaujolois . Il eft Frere de M ..
de Berulle, Intendant de Juftice
en Auvergne . Cette Fa
mille a donné un Cardinal ,,
& plufieurs Perfonnes qui
ont poffedé les plus eminentes
Dignitez de la Robe ; &
ce qu'il y a de remarquable,
c'eſt qu'elle a toûjours efté
en reputation d'une grande
probité. Le Roy ne recom
penfe pas feulement des gens
de diftinction & de merite ,
Dij
44 MERCURE
en créant ces deux nouveaux
Regimens ; mais Sa Majesté,
qui n'ignore rien de tout ce
qui peut eftre utile à fon Etat
, & à qui l'art de la Guerre
n'eft pas moins connu que
Part de regner, fçait que plus
il y a d'Officiers dans des
Troupes , plus on doit s'en
promettre , & compter fur
feur bonté ; non feulement
parce que l'exemple des Of
ficiers les anime, mais enco
re parce qu'il eft plus aifé de
leur faire obferver la difci
pline militaire. valabnem
Sur la fin du dernier mois,
GALANT 45
M. de Comte de Gaucour
prefta entre les mains du
Roy , let Serment pour la
Charge de Lieutenant Ge
neral de Sa Majefté dans la
Province de Berry , left d'u
ne des plus anciennes Mai
fons du Royaume ; & dés
Fan1449 Raoul de Gaucour
Seigneur de Maifons fur Seiz
ne,Grand Maistre de France,
Ambaffadeur vers le Duc de
Bourgogne , Gouverneur de
Dauphine , & des Villes de
Paris & de Gifors , rendit de
grands fervices au Roy . Eu
Itache de Gaucour, for Frere
46 MERCURE
puifné , Seigneur de Viry
Chambellan du Roy , fut fait
Grand Fauconnier de France.
en 1415. De Charles de Gau
cour Fils de Raoul , font fortis
deux Eveſques d'Amiens ,
& les Seigneurs & Marquis
de Gaucour.
M. le Comte de la Vauguyon
, ayant eu plufieurs:
Emplois confiderables , par
lefquels il a fait connoiftre
Fintelligence
qu'il a dans les
Affaires, fut nommé enfuite
Ambaffadeur en Eſpagne ;
& s'eftant acquitté de cette
Ambaffade au gré de Sa MaGALANT.
47
jefté , Elle vient de le choifir
pour fon Envoyé Extraordinaire
à la Cour de l'Empe,
reur.
La paffion que le Roy a
pour les beaux Arts , le foin
qu'il a pris pour les faire fleu,
rir, les dépenfes qu'il a faites
pour tout ce qui les regarde,
& les récompenfes qu'il a
données à ceux qui ont ex
cellé par deffus les autres
jointes aux marques de diftinction
dont il les a hono
rez , ont efté canfe que depuis
fon Regne les Arts ont
efté portez en France , au
5
48 MERCURE
plus haut point où ils puiſ
fentaller , eftant certain que
dans toute l'Europe , fans en
excepter l'Italie , on ne fçau
roit trouver aujourd'huy
d'auffi grands Peintres &
d'auffi fameux Sculpteurs
qu'il y en a prefentement
dans le Royaume. Leurs Ou
vrages font de ce bon gouft
antique , qui a receu l'ap.
plaudiffement de tous les Sie
cles ; & l'on peut dire qu'il
ne leur manque que le nom
bre des années pour les faire
peut-eftre plus eftimer que
quantité de Chef- d'oeuvres
que
GALANT. 49
que la Grece & l'ancien
a
ne Rome ont tant vantez.
Tels font ceux de M. le Brun
& de M. Mignard , qui pour
meriter l'eftime du Roy , &
répondre à l'amour que ce
Monarque a pour les beaux
Arts , ont travaillé avec tant
de foin , d'application & de
fuccés , qu'ils ont remply
toute la Terre de leur reputation
. Ainfi c'est au Roy
feul que la pofterité devra
leurs Ouvrages , puis que le
defir de plaire à Sa Majeſté
leur a , pour ainfi dire , infpiré
les talens neceffaires
Septembre 1685.
E
50 MERCURE
pour les faire` auffi beaux
qu'ils font. M. Mignard ,
ayant fait , il y a quelque
temps , pour M. le Marquis
de Seignelay , un Tableau
dont je vous ay déja parlé ,
& qui reprefente noftre Seigneur
qui porte fa Croix , au
lieu defigné pour fon Supplice
, il fut trouvé fi beau ,
que ce Marquis en fit prefent
à Sa Majefté
; qui voulant
en avoir un autre de la
mefme grandeur pour l'accompagner
; ce que les Peintres
& les Curieux appellent
Pendant d'oreille , fit l'hon-
番
GALANT. FI
·
neur de commander à M.
le Brun de luy faire le Cru
cifiement. Il s'en eſt acquitté
fi heureusement , &
en a receu de fi grands applaudiffemens
de tout ce que
l'Europe a de plus illuftre &
de plus habile , qu'il me feroit
malaifé de vous les décrire.
Voilà l'hiftoire de ces
deux Tableaux , dont on a
tant parlé , & fi avantageufement
pour la gloire de la
France , & pour leurs Autheurs
.
Il m'eft tombé entre les
mains une Lettre touchant
E ij
52 MERCURE
le dernier de ces Tableaux ,
& comme elle en décrit parfaitement
toutes les parties ,
dont elle donne une veritable
idée, j'ay crû devoir vous
en faire part. Vous y trouverez
quantité d'endroits remplis
d'érudition . Elle eft de
M. Guillet de Saint Georges .
Son merite vous eft connu
par quantité d'excellens Ouvrages
qu'il a donnez au public.
$2
i
GALANT. 53
252522252sssasess
LETTRE ECRITE
DE VERSAILLES A LYON.
MONSIEUR
Pour continuer noftre commer
ce de Lettres , je vay vous entretenir
du dernier Tableau que
M. le Brun afait pour le Roy.
Quand je vous auray dit que le
Crucifiement du Sauveur du
monde en eft le Sujet , vous vous
ferez fans doute une plus digne
plus noble idée de l'Ouvrage,
& vous concevrez que s'il offre
E iij
54 MERCURE
aux yeux des habiles Gens une
heureuſe & fçavante pratique
de l'Art de peindre , il donne
aux Devots une ample matiere
de méditation , une excellente
leçon des Vertus Chrétiennes.
Le Fils de Dieu attaché à la
Croix , est dispofé fi avantageu
fement dans le milieu du Tableau
, qu'on n'a pas de peine à
le prendre pour le principal objet,
pour la Figure dominante.
La Croix n'est pas tout à fait
dreffée ; mais comme les Bourreaux
travaillent à la mettre dans¸
Jon affiette , & qu'elle panche
encore le Corps du Sauveurfuit
cette difpofition ; de forte qu'ila
GALANT
.
55
les yeux tournez vers le Ciel,
comme regardant
le Thrône de
Gloire où le Pere Eternel le
doit bien- toft recevoir. Malgré
la pafleur de fon Vifage que les
tourmens ont extrémement
attenué
, on ne laiffe pas d'y voir une
Majefté éclattante, un air noble,
un Caractere de Divinité,
qui impriment dans le coeur de
ceux qui le regardent un fenti
ment de venération & d'amour:
Mais à cet air majestueux &
divin , il fe mefle une forte expreffion
d'une bonté infinie ,
d'une charité extréme , & l'on
eft perfuadé qu'en cet état de
E iiij
56 MERCURE
refignation , il s'immole luy meſme
à ſon Pere , par un Sacrifice
parfait , qui doit eftre la confommation
de tous les anciens Sacri_
fices. Dans lereste du Corps , les
marques d'une douleur violente
fontjudicieufement ménagées. En
quelques endroits la Chair est
meurtrie de coups ; en quelques
autres on voit que le Sang retire
fait place à une pafleur mortelle.
Ainfi on ne fçauroit trop admirer
te choix des teintes le Pinque
-
ceau a employées , pour une carnation
fi variée fi naturelle.
Les Veines & les Mufcles s'y
distinguent avec toute l'exactitu
f
1
GALANT. 57
de où la perfection de l'Art peut
atteindre , & cette naïve imitation
du naturel qui regne par tout
le Tableau , s'y trouve foutenue
d'une judicieufe economie de la
Lumiere des Ombres; tout cela
estant fi fort du partage de M.
le Brun, que perfonne n'en difconvient.
Le Fils de Dieu est attaché à
la Croix avec quatre Cloux , en
forte qu'il y a un Cloud particu
lier pourchaque pied ; ce qui s'accorde
à l'opinion du plus grand
nombre des Peres anciens ; &
mefme parmy les Modernes , le
fçavant & pieux Cardinal To58
MERCURE
let , a dit qu'en cela le vrayfemblable
s'accorde avec le
vray
,
que comme il y eut quatre Soldats
qui attacherent le Sauveur à la
Croix , il eft planfible
que
chacun
d'eux affecta d'y mettre un
Clou , afin que tous quatre fiffent
également l'office d'Executeurs.
Mais cette conjecture répond pofitivemet
aux experiences de quelques
Curieux , qui ayant mis fur
une piece de bois lespieds d'un Cadavre
pofez l'un fur l'autre , ont
vainement effayé de lesy attacher
avec un feul clou , parce que
nerfs dont ces parties font rem
plies , & la fituation des talons
les
GALANT. 59
empeſchent que le clou ne faffe
folidement fon effet. Mais comme
le Corps du Sauveur ne pouvoit
pas fe tenir fufpendu à l'a
Croix par Le feul fecours des qua
tre Cloux, on entrevoit icy parmy
les plis de la Drapperie mife fur
fes Flancs , un cordage qui le lie
à la Croix , & qui en affeure la
fufpenfion . On luy voit encore
fur la Tefte la Couronne d'Epines
que Pilatey a fait mettre , comme
pour authorifer le Titre de Roy
qu'il luy a donné.
Ces expreffions desfouffrances
du Seigneur ,femblent en avoir
imprimé de pareillesdans le Coeur
60 MERCURE
&fur le Vifage de la Vierge,
de Saint Jean , de la Madeleine,
de Marthe , de Marie Femme
de Cleophas , de Salomé , deJeanne
Femme de Cutzas Intendant
d'Herode, & de ces autres Sain
tes Femmes de Galilée
avoient fuivy le Sauveur , &
qui fe frapant la poitrine l'a
voient pleuré pendant le portement
de la Croix.
qui
Toutes ces Figures qui marquent
une extreme defolation,
font à la main droite du Tableau.
On voit qu'attentives au mouvement
dela Croix que l'on dreffe ,
elles jettent leurs regardsfur celuy
1
GALANT. 61
que
qui y eft attaché ; mais on juge
bien qu'elles le fuivent moins des
yeux que de lapensée. On diroit
que leur coeur est à la Croix ,
les Playes du Sauveur font
devenues les leurs propres . C'est
les
differentes expreffions
de l'amour divin paroiffent dans
toute leur force. C'est là que regne
une affliction generale'; mais
elley regne fous des caracteresparticuliers.
là
que
On voit donc la Vierge qui confiderant
les tourmens de fon Fils,
paroist touchée de toute la douleur
dont une Mere eft capable ; mais
par une expreffion fenfible , on
62 MERCURE
voit au travers de cette douleur
une conftance furnaturelle , &
digne de la Mere de Dieu. Elle
fe laiffe tomber fur les genoux,
comme voulant faire en cét état
un Acte d'adoration , & un Sa
crifice;felon la penfée deplufieurs
Peres de l'Eglife , qui affeurent
qu'au moment de l'élevation de
la Croix , la Vierge fe reglant
fur l'Oblation que Jon Fils fai
foit alors de foy- mefme , elle l'offroit
auffi au Pere Eternel , comme
pour luy remettre le Dépoft
Sacré qu'elle en avoit receu.
Proche de là , on voit Saint
Jean qui est debout , avec un viGALANT.
63
fage d'autant plus troublé , qu'il
voit à la fois le Sauveur & la
Vierge , dans des tourmens qui
luy demandent également un
prompt fecours. Incertain de quel
costé il doit aller , ou plutoft voulant
courir à tous deux ; on remarque
que d'une main il foûtient la
Vierge , & tend l'autre vers fon
Fils. On diroit qu'il fremit à
chaque effort des Bourreaux qui
travaillent à planter la Croix;
à ce
ces marques d'une agitation
interieure , on eft perfuadé que les
Playes d'un Maiftre fi adorable,
& fi tendrement aimé , ont jetté
des traits divins dans l'ame de fon
ج ر ب
à
64 MERCURE
Favory , & que ce bien- heureux
Apostre fe veut transformer en
luy , expirer avec luy , & courir
à cette Sainte union , qui fait la
felicité la recompense de l'amour
reciproque.
La Madeleine , penetrée de
douleur , a le vifage enfeu , les
cheveux épars , & les mains
jointes , & ferrées par l'effort des
doigts entrelacez les uns dans les
antres , avec cette violence qui eft
l'effet & la marque d'un tranfport
extraordinaire. Sesfouffran
ces font fi vives , ses affe-
Etions fi pures , qu'elle trouve de
la gloire , & du merite à les faire
GALANT. 65
éclatter pour l'édification univerfelle.
Ainfi comme ce font de ces
threfors qui ne doivent point eftre
cachez , elle ne veut point mettre
donner
Mais,
de bornes à fa douleur , ny
de voile à fon amour.
Monfieur , en vous décrivantfon
transport , je ne vous puis taire
celuy d'un homme tres- intelligent
en Peinture , qui obfervant la Fi
gure de cette Madeleine
avant
que le Tableau euft efté enlevé de
Paris , dit à une Compagnie nom
breufe de Curieux qui eftudioientla
mefme Figure , Vous la
voyez qui pleure
Vous
autres , & c'est tout ce que
Septembre 1685.
F
66 MERCURE
Vous y
remarquez ; mais
moy , je l'entends qui fe
plaint.
On voit ces autres Saintes
Femmes de Galilée diverſement
outrées d'affliction , & differemmant
poffedées de l'Eſprit de
Dieu ; felon que ce zele divin
s'exprime par une fainte langueur
, par les marques exterieures
d'une aspiration fervente , ou
d'une palpitation de coeur , ou bien
enfin par d'autres mouvemens, or—
dinaires auxPerfonnes animéesde
l'amour celefte. Leur émotion ne
peut eftre moindre quand on fuppofe
qu'elle vient du cruel spectacle
GALANT. 67
de la Croix , que fix Bourreaux
tâchent de dreffer. On connoist
évidemment
que pour y. attacher
Sauveur avec plus defacilité,
elle a d'abord efte couchée fur une
petite terraffe qui fe forme entre
plufieurs inégalitez dont le terrain
du Calvaire eft couppé; & même
on voit un Tréteau qui aferoy à
la foûtenir quand on a commencé
à la lever. La terraſſeest escarpée ,
fon efcarperegne furle trou où
l'on veut affermir la Croix, qui,
comme j'ay dit , panche encores
mais la terraffe parfa diſpoſition
donne de grands avantages pour
la mettre en fon affiette. Les fix
Fij
68 MERCURE
hommes qui s'y employent à l'envy,
ont tous le vifage de Gens de
travail , la taille renforcée , les
bras nerveux , ∞& le corps dans
une attitude differente , mâis toûjours
naturelle & proportionnée à
leurs efforts differens . De ces fix,
il y en a deux poftez fur la
terraffe quatre en bas pour &
mieux balancer le mouvement de
la Croix , & luy donner un contrepoids
neceffaire , chacunfelon
la fituation où il fe trouve.
Deux des quatre qui font en bas,
tirent chacun un cordage qui va
répondre à chaque extrémité des
deux branches de la Croix pour
GALANT. 69
les foûlever de part & d'autre,
avec une ééggaallee ffoorrccee.. Onjuge
de la vigueur& des efforts de ces
deux hommes par l'extenfion de
leurs Mufcles , qui font marquez
reffentis avec beaucoup d'art.
Le troifiéme panché en avant,
courbéfur fes genoux , foutient
de fon dos le derriere de la
Croix , femble auffi la foûlever,
& mefme la pouffer avec
mefure , tandis que le quatrième
la preffant du corps , des bras , &
des mains , fait agir fa vigueur
fon adreffe pour fe concerter
avec fes Compagnons. Mais des
deux qui font poftez fur la ter70
MERCURE
raffe , il y en a un qui tient la
Croix encore plus étroitement
embraffée , pour eftre ainfi maistre
de tout le mouvement qu'elle reçoit
, & regler en particulier l'effet
des cordages qui agiffent du
costé oppofé. Le dernier est un Soldat
Romain , qui eft armé defacuiraffe
. Il tient une Echelle dreffée
de telle forte que l'échelon le plus
haut foutient la Croix au deffous
des branches pour la hauffer plus
ou moins , felon qu'il faudra feconder
à propos les efforts de fes
Compagnons. La circonspection
du Soldat paroift dans ses yeux
qui font attentifs à tout ce traGALANT.
71
vail ; ce qui convient affez à un
homme qu'on fuppofe avoir esté
long-temps le cruel Ministre des
fupplices ordonnez aux Criminels
, puis qu'en ce temps là les
Romains donnoient ſouvent aux
Soldats , & mefme aux Tribuns
des Legions la commiffion d'exe
cuter à mort de leurs propres
mains , les Perfonnes destinées au
fupplice.
>
La Croix n'eft pas icy reprefen
tée fousla Figure des Croix ordinaires,
qui ont quatre extrémitez
diftinctes ; car en celle cy le tronc
vient fe terminer dans le milieu
des deux branches , fans former
72 MERCURE
un fommet au deffus de cette Traverfe.
Ainfi elle eft femblable
à noftre Lettre capitale T, ou à la
Lettre Grecque Tau ; ce qui est
conforme à l'opinion de plufieurs
Peres de l'Eglife , & à la tradition
de la plupart des Chrétiens
Orientaux. Celle- cy a deux fois
la hauteur d'un homme , comme
il eft aife de juger par les proportions
des Figures du Tableau.
Parmy les Anciens , les Croix
eftoient faites fur des longueurs
fort differentes. Ainfi Aman,
Favory d Affuerus , en prépara
une pour le Supplice de Mardochée
qui eftoit longue de cinquante
coudées.
GALANT. 73
•
coudées ; ce qui contient presque
treize de nos toifes , & ſuppoſe
prés de quinze fois la hauteur
d'un homme. Au contraire les
fept Enfans de Saul furent
attachez chacun à une Croix fi
peu élevée , que les Beftesfauvages
auroient pú atteindre à leurs
pieds , & les manger pendant la
nuit , fans la vigilance de la
pieufe Respha. La longueur de
celle du
Sauveur , telle qu'on la
voit icy
reprefentée , ſe
rapporte
à la
tradition generale , qui tient
que la Vierge eftant debout au
pied de la Croix portoit fa bouche
jufques auxpieds de fon Fils,
Septembre 1685.
G
74 MERCURE
& qu'elle les baifoit tendrement
en les mouillant de fes larmes.
L'Eglife Orientale eftoit particu
lierement dans cette opinion,
comme on le peut remarquer dans
un Poëme Dramatique , attribué
par quelques- uns à Saint Athanafe
, & par quelques autres
S. Gregoire de Nazianze.
Comme la difpofition des qua
tre faces dubois de la Croix à fervy
de fondemente de regle aux
premiers Architectes Chrétiens
pour la structure de nos Eglifes,
M. le Brun a foûtenu cette idée ;
car on voit icyfort distinctement,
la Croix va eftre fituée de que
1
GALANT. 75
telle forte , que le Sauveur aura
à dos la Ville de Hierufalem qui
eft à noftre égard dans la partie
Orientale de l'Horizon . Ainfi il
feraface vers l'Occident,&portera
la main droite vers le Septentrion,&
lagauche vers le Midy.
Nos Eglifes font orientées de la
forte , & c'est ainsi que chaque
jour le Peuple Catholique appellé
au Service divin , rend la chofe
fenfible dans nos Temples ; caren
regardant l'Autel on tourne le vifage
vers l'Orient , pour concevoir
pieufement qu'on a le Sau
weur en face,
Un peu au deffous des Figu
G
ij
76 MERCURE
res de ces Femmes de Galilée,
qui comme nous avons dit , marquent
un raviffement celefte , &
une fufpenfion des fens , on voit
d'autres Figures du mefme coſté,
& fur la premiere Ligne du Tableau
, quifont paroiftre une activité
fort oppofée à cette fainte
langueur , & qui par là forment
eet agreable contraste dont la
Peinture emprunte une partie de
fes beautez. Ce font les quatre
Soldats qu'on fuppofe avoir atta
ché le Sauveur à la Croix ,
divifé entr'eux une partie defes
Veftemens , felon le témoignage
de l'Evangile. On les voit qui
GALANT. 7
و ا
jettent au fort avec des Dez
pour fçavoir à qui demeurera la
Tunique , dont ils n'ont pas vouslu
faire quatre portions , parce
qu'ayant veu qu'elle eft d'un feul
tiffu & fans coûture , ils n'ont pú
Se refoudre à la couper. Elle eft
étendue à terre & quelquesuns
ont les genoux deſſus . Ces
quatre Joueurs font donc figurez
avec cet air inquiet & empreſſe
que donne l'avidité du gain . De la
maniere dont ils s'observent l'un
l'autre, on leur trouve un grand
panchant à difputer le coup de Dé.
L'action d'un cinquième Soldar
qui les regarde , en s'appuyant fur
Giij
78 MERCURE
ume Hache d'armes , marque une
curiofité & une application auffi
forte que s'il eftoit effectivement
intereffe dans le gain & dans la
perte.
A quelque diftance de ces Soldats
, proche le pied de la
Croix , on voit le Vafe plein de
Vinaigre, qui leurfervit quelque
temps aprés à imbiber l'éponge
qu'ils mirent au bout d'un bâton
d'Hyfope, pour la prefenter à la
bouche du Fils de Dieu.
Les deux Croix où les Lar
rons viennent d'eftre attachez,
font aux deux coftez du Sauveur
vers les deux bouts du Tableau,
GALANT. 79
celle du bon Larron à la droite,
l'autre à la gauche . Mais
de cette derniere , on ne voit que
l'extrémité d'une branche avec
une partie de la main du Criminel
; ce qui eft fait avec deffein,
& la fituation de ces deux
Croix marque la fage reflexion
de M. le Brun , qui fans oublier
aucune des circonstances de fon
Sujer , ne laiffe pas de le débar
rafferavec beaucoup de jugement,
faifant en forte que
cipale y foit dominante , & que
les Figures le moins propres
émouvoir l'ame , y tiennent le
moindre rang , & n'y foient:
l'action
prin-
G iiij
8 MERCURE
veuës qu'en paſſant.
Aprés vous avoir fait un détail
de ce qui occupe dans le Tableau
toute la partie de main droite
, voicy tout ce qui remplit le
cofté oppofé. Une Compagnie de.
Gens de Guerre, commandée pour
affeurer l'execution
de la Sentence
de mort vient occuper au pied de
La Croix le poste qu'elle doit tenir.
A la tefte de la marche , on voit,
paroiftre à Cheval un Officier qui
porte l'Etendard
arboré ordinai.
rement dans les petits Corps de
la Milice Romaine ; car les Aigles
& l'Etendard principal appellé
Labarum , ſuppoſoient ne→
GALANT. 81
ceffairement la prefence des Empereurs
, des Confuls , des Chefs
de Legions , ou des Officiers du
premier rang ; mais il ne s'agit icy
que de la marche d'un fimple
Centenier. L'Officier qui porte
l'Etendard , eft montéfurun Cheval
qui paroift inquiet , ardent,
quifemble vouloiréviter trois
Femmes qui font à cofté de lug.
Dans ce mouvement
il porte
faux un des pieds de devant fur
un terrain inégal & glisant,
proche d'une jeune Fille qui est
affife àterre , & qui toute effrayée
de le voir broncher , ſe
fe mettre en feureté. Derriere
fe
leve
・pour
à
82 MERCURE
a
l'Etendard paroift un Officier Ro
main qui eft auffi à Cheval. IL
tient à la main le Titre qui doit
eftre appliqué à la Croix , & qui
efté crit en Caracteres Hebraiques,
Grecs & Latins . Pour mieux
marquer l'autorité de cét Officier,
quelques Soldats qui font à fes
coftez ontfoin d'écarter la foule.
Ainfi on voit cette Milice poftée
differemment ,foitfur un terrain
élevé, ou dans unfond qui ne permet
de voir que la tête desSoldats,
la pointe de leurs Piques & de
leursFavelots; ce qui fe remarque
agreablement dans les détours que
forment les chemins creux reprek
GALANT. 83
fentezdans leTableau.
Auprés de la Fille qui paroist
effrayée du Cheval , il y a une
Femme affife à terre. Elle tient
fur elle deux jeunes Enfans d'un
teint délicat & vermeil , d'un
embonpoint agreable , d'un air
fleury, & d'une beauté animée.
La foule & l'horreur du Spectacle,
ne font pas capables de diſtrai
re l'esprit du plus jeune , qui porte
une pomme à ſa bouche avec
beaucoup d'avidité , & qui fans
autre foin que de la manger , marque
l'indolence des plus tendres
années. Mais celuy qui eft plus
âgé fe tournant à demy vers la
84 MERCURE
Croix, y regarde avec frayeur
l'acharnement des Bourreaux impitoyables
, fe jette en fremif
fantfur fa Mere , qui eft frapée.
d'une pareille terreur. Une autre
Femme , debout fur le mefme.
Plan , fe détourne de la marche
des Soldatspour n'y pas expoſer
un Enfant qui eft encore dans les
Langes , & qu'elle tient endorentre
fes bras. Ce profond affoupiffementfait
un agreable contrafte
avec la vivacité des deux
enfans precedens. Il est vray que
la Mere est affez agitée pour luy.
Elle marque fur le vifage autant
d'effroy qu'en a fait paroiftre celle
my
GALANT. 85
qui tient fes deux Enfans ; mais
affeurément cette forte agitation
ne fe doit pas entierement attribuer
à l'horreur du fpectacle . Ily
entre quelque autre myftere , &
M. le Brun ne fait rien fans un
motif emprunté de l'Hiftoire. Se
lon luy , ces deux Meres , allarle
Sau
mées de la prediction que
veur vient de leur faire pendant
le portement de la Croix , s'imaginent
déja voir la deftruction de
Hierufalem dont il les a menacées
, & appliquent
à leurs Enfans
cette formidable
Prophetie ,
conceue en ces termes. Filles de
Hierufalem
ne pleurez
86 MERCURE
de
point fur moy ; mais pleurez
fur vous , & fur vos Enfans .
Le terrain bizarre de la Mon
tagne cache prefque toute la Ville
de Hierufalem , Ainfi on ne
découvre que le fommet du Palais
David,duTemple de Salomon,
& de la Tour Antonia. Les
Murailles qui regardent le Calvaire
, ont leurs Creneaux occupez
par un grand nombre de Curieux
, qui veulent voir le Cru
cifiement. Il y en a pluſieurs autres
qui preffez de la mefme curiofité
montent fur des Arbres difperfez
en differens endroits
l'embelliſſement du Tableau.
pour
GALANT. 87
Une Tour quarrée , élevée auprés
de la porte qui répond au
Calvaire , est à moitié cachée par
une éminence , dont le fommet eft
fort applany ; ce qui forme une
terraffe tres commode pour voir le
Spectacle. Auffi quelques Perfonnes
d'un rang diftingué y ont
déja pris leur place ; mais pour en
chafferles Gens de neant , quelques
Soldats y font poftez ,
mefme une de leurs Sentinelles
tient à la main une demy Pique,
& en prefente la pointe en
avant pour arrefterune longuefile
de Curieux , qui veulent monter
fur le Terre-plainpar un chemin
88 MERCURE
étroit & efcarpé ; ce qui est une
induftrie particuliere de M. le
Brun , tant pour laiffer à nostre
ail une espece de reposfur une Pelouze
agreable qui embellit le
Terre-plain , que pour éviter l'informe
& confus amas d'une infinité
de petites Figures , qui auroient
amuse nos yeux par des
fait negliger l'a- minuties ,
ction principale dufujet.
L'horizon le lointain du
Tableau font diverſifiez par des
Colines , des Plaines également
agreables , & par une lumiere
douce qui flatte & délaffe la
veuë ; mais l'air qui regne fur le
GALANT. 89
Calvaire est agité de plufieurs
nuages quife choquent, & roulent
avec violence les unsfur les autres
pour donner commencement aux
prodiges qui parurent à la mort
de l'Autheur de la Nature ; car
la Nature elle- mefme envelopée
dans un fait fi étonnant , agit
alors contre le cours de fes Caufes
ordinaires. La Terre trembla,
les Pierres fe fendirent , & le
Soleil s'éclipfa par un pur
cle , puis que la Lune estant alors
dans fon oppofition , ne pouvoit
éclipfer le Soleil ,
Terre de tenebres. Ainfile choc
de ces Nuages & Palteration
Septembre 1685.
ny
mira_
couvrir la
H
90 MERCURE
de l'air qui precederent ces mer
veilles , & qui mefme enfurent
une preparation , montrent que
M. le Brun ne laiffe rien échap
de tout ce qui eft effenciel au
fujet qu'il traite.
per
En finiffant icy ces Remar
ques , je m'apperçay bien , Mon
fieur , que mes expreſſions ne ré
pondent pas dignement à celles du
Tableau , & qu'il y faudroit les
efforts de tant de plumes celebres,
qui nous ont décrit les Ouvrages
de cét excellent Peintre ; mais
faute d'ornemens , je vay recourir
à une grande authorité pour
mettre ce Crucifiement dans l'é
GALANT. 91
que
en a
clat qu'il merite.Je vous diray donc
le Roy l'ayant receu avec
autant de fatisfaction qu'il
déja témoigné pour les Tableaux
de la magnifique Galerie de Ver
failles , generalement pour
tout ce que M. le Brun a mis au
jour , Sa Majesté n'a pas dédai
gné de faire remarquer Elle mes
aux Perfonnes du premier -
rang , les differentes beautez de
ce Chef d'oeuvre. Voila ,fans
doute , un témoignage d'un grand !
poids , & qui ne peut eftre fou
pçonné deflatterie. Jefuis vostre,
me
er.c..
Hij
92 MERCURE
J'ay à vous apprendre
la mort de plufieurs Perfonnes
confiderables. Celle de
Dom Jofeph de Marguerit
& de Biévre , Marquis d'Aguilar
, Seigneur de Caſtel
Lampurdam , grand Senéchal
de Catalogne , & cydevant
Gouverneur de la
mefiné Province , Lieute-.
nant Genéral des Armées.
du Roy , arriva le des
Juillet. Il eftoit âgé de quatre-
vingt quatre ans,& mourut
au Chafteau de S. Martin
de Tocques prés Narbonne
, aprés avoir receu
17.
GALANT. 93
tous fes Sacremens avec une
grande refignation . L'Hiftoire
de Catalogne remarque
que fes Anceſtres s'y
établirent dans le temps que
Charlemagne Empereur &
Roy de France , en chaffa.
les Maures . Cette Maiſon a
donné des Cardinaux à l'Eglife
, des Archeveſques à
Tarragonne , des Evefques
à Gironne & à Elne. Elle
compte auffi des Generaux
d'Armée , & des Amiraux
qui ont commandé les Armées
des anciens Roys
d'Aragon & de Sicile . Ce94
MERCURE
luy dont je vous parle avoit
efté Ambaffadeur vers le :
feu Roy. On pourroit faire
une Hiftoire entiere de toutes
les actions d'éclat qui
ont fignalé fa vie. Il avoit
époufe Dona Maria de Biévre
& de Cardona , de laquelle
il a trois Garçons &
deux Filles.
>
2 Le du dernier mois,
3 .
mourut Dame Catherine
Bertrand. Elle eftoit vefve
de Meffire Nicolas de Bailleul
, Seigneur du Pléffis-
Briart , Capitaine aux Gardes
, cy -devant grand Louvetier
de France .
GALANT.
95
X
Quelques jours aprés ,la petite
Verolle emporta Meffire
Bernard de la Palu , Marquis
de Bouligneux,il n'eftoit âgé
que de vingt trois ans. Depuis
l'an mille
que Pierre de
la Palu Seigneur de Varenton
vint au fecours des
Roys de Provence , avec
trois mille Hommes de pied ,
& quinze cens Lanfquenets
levez à fes dépens , cette
Maifon n'a point manqué
de Mafles , comme il paroift
par les Subſtitutions . M. le
Marquis de Bouligneux
eftoit du dernier Carroufel,
96 MERCURE
& il eft parlé de luy dans la
feconde Relation de ce divertiffement
, où l'on voit
tout ce qui regarde les Maifons
, Dignitez & Emplois
de chaque Chevalier.
,
Le 28. du mefme mois ,M.le
Marquis de Liftenois , qui
avoit efté de ce mefine Car
roufel mourut environ
dans le mefme âge. Il eftoit
premier Chevalier d'honneur
au Parlement de Befançon
, grand Bailly , d'A-,
val au Comté de Bourgogne
, & Colonel de Dragons
pour le fervice de Sa Ma--
jeſté..
GALANT. 97
jeſté . La Relation dont je
viens de vous parler,vous en
apprendra davantage . Il a
laiffé deux Enfans de Dame
Marie des Barres , Fille de
Meffire Bernard des Barres ,
Prefident au Mortier au Parlement
de Bourgogne, & de
Dame Antoinette de Beauclerc
.
La nuit du
29. au 30. mourut
Meffire Henry de Daillon
Duc du Lude , Marquis
d'Illiers & de Bouillé , Baron
de Briançon , Chevalier des
Ordres du Roy , Grand - Maitre
de l'Artillerie de France ,
Septembre 1685.
I
98 MERCURE
& Capitaine du Chaſteau de
Saint Germain en Laye . Il
avoit efté premier Gentilhomme
de la Chambre ; &
comme il avoit rendu des
fervices tres - agreables au
Roy , il fut fait Chevalier de
fes Ordres en 1661. pourveu
en 1669. de la Charge de
Grand Maistre de l'Artillerie
à la place de M. le Duc Mazarin
, & eut un Brevet de
Duc & Pair en 1675. Il avoit
époufé en premieres Noces
Dame Eleonor de Bouillé ,
Fille unique de René Marquis
de Bouillé , dont il n'a
GALANT. 99
point eu d'Enfans , non plus
que de Dame Marguerite
Loüife de Bethune , Veuve
de M. le Comte de Guiche,
fa feconde Femme. Elle eſt
Fille, comme vous fçavez , de
Meffire Maximilien de Bethune
III. du nom , Duc de
Sully , & de Dame Charlote
Seguier. Le
Coeur de M. le Duc du Lude
fut porté en ceremonie au
Monaftere des Carmelites
de Pontoiſe , & preſenté par
le Pere Louis le Marchand,
Vicaire general de l'Ordre ,
& Prieur des Celeftins de Pa-
9. de ce mois , le
I ij
100 MERCURE
ris , fon Confeffeur . Il fit un
tres beau Difcours Latin
au Clergé qui le receut dans
l'Eglife , & un autre en François
à la Superieure, Soeur de
Madame la Ducheffe du Lude.
Il expofa dans l'un & dans
l'autre , avec beaucoup de
fuccés , la pieté envers Dieu ,
la fidelité au fervice du Roy,
& les autres grandes qualitez
de cet Illuftre Defunt. La
Maifon de Daillon a efté féconde
en grands Hommes.
Jean de Daillon I.de ce nom,
vivoit en 1420. & fut Pere de
Gilles de Daillon Si du Lude
GALANT . 101
au Maine , qui eftoit en confideration
fous le Regne de
Charles VII . Jean de Dail
lon II . du nom , Fils de Gilles,
eut grande part aux bonnes
graces de Louis XI . II
fut Chambellan de ce Monarque
, qui le fit Capitaine
de fa Porte , & de cent Hommes
d'armes , Gouverneur
d'Alençon , du Perche , de
Dauphiné en 1473. de la Ville
d'Arras & Comté d'Artois en
1477. & Lieutenant General
de fes Armées en Picardie. Il
laiffa Jacques de Daillon de
Marie de Laval . Ce dernier,
I iij
102 MERCURE
qui fut Confeiller & Chambellan
des Rois Louis XII . &
François I. fe diftingua en
toutes fortes d'occaſions par
fa conduite & par fa bravou
re . Il eut de Magdeleine Dame
d'Illiers , Fille de Jean &
de Marguerite de Chourfes,
Jean de Daillon III . du nom,
premier Comte du Lude , Baron
d'Illiers, Senéchal d'Anjou
, Confeiller & Chambellan
du Roy , Chevalier de
fon Ordre , Gouverneur de
Poitou , la Rochelle , & Pays
d'Aunis , Lieutenant General
en Guyenne , & Pere de
GALANT. 103
Guy deDaillonComte du Lu
de , Chevalier des Ordres du
Roy , Gouverneur de Poitou ,
Senéchal d'Anjou , qui acquit
beaucoup de gloire
à
la défenſe de Mets , à la Bataille
de Renty , à la prife
* a
de Calais , de Guines , de
Marans, de Broüage ; & qui
laiffa de Jacqueline de la
Fayette Dame de Pontgibaud
, François de Daillon
Comte du Lude , Marquis
d'Illiers , S de Pontgibaud &
de Briançon , Senéchal d'Anjou
. François de Daillon fervit
tres - utilement les Rois
I iiij
104 MERCURE
Henry III.Henry IV . & Loüis
XIII. & fut fait
Gouverneur
de Gafton de France Duc
d'Orleans.Il eut de
Françoiſe
de Scomberg , Fille de Gafpard
Comte de Nanteüil , &
de Jeanne Chaſteigner - la
Rochepozay , Timoleon de
Daillon Comte du Lude, qui
époufa Marie Faydeau , dont
il eut Henry de Daillon Duc
du Lude , qui vient de mourir
; & Charlote Marie, alliée
le 17. Septembre 1653. à Gaſton
de Roquelaure Chevalier
des Ordres du Roy , Pere
de M. le Duc de
Roquelaure
d'aujourd'huy .
GALANT. 105
La mort de M. le Duc du
Lude , a efté ſuivie de celle
de Catherine d'Afpremont
Vandy , Fille d'honneur de
la feuë Reine Mere du Roy,
& Dame d'honneur de fon
Alteffe Royale Mademoiſelle
d'Orleans . Elle eftoit âgée
de foixante- fix ans , & Fille
deMeffire Jean d'Afpremont
Marquis de Vandy , Meſtre
de Camp & Maréchal des
Camps & Armées de Sa Majefté
, & de Dame Innocente
de Marillac , Soeur du Maréchal
de Marillac , Garde des
Seaux de France . Godefroy
106 MERCURE
de
Baron d'Afpremont en Lorraine
, vivoit du temps
Philippe Augufte Roy de
France , & c'eft de luy que
les Comtes d'Afpremont
font defcendus . Il y a eu des
Evefques de Mets & de Verdun
de cette Maiſon.
Vous fçavez que tous les
ans il fe fait dans l'Eglife de
la Maifon Profeffe des Jefuites
de la rue Saint Antoine,
un Service pour feu Monfieur
le Prince , & qu'il eſt
accompagné d'une Òraifon
funebre . Elle a efté faite au
commencement de ce mois
GALANT
. 107
par le Pere de la Ruë qui pofquen
где
106 MERCURE
Baron d'Afpremont en Lorrain
Phil
a
k
tc
111
fic
ac
fu
W
GALANT. 107
par le Pere de la Ruë , qui poffede
parfaitement l'éloquence
de la Chaire , & qui n'y
fait pas moins Briller l'efprit
& la profonde érudition ,
que dans fesautres Ouvrages .
Je ne doute point que vous
ne foyez contente de l'Air
nouveau que je vous envoye.
Il a efté eftimé par des gens
d'un fort bøn gouſt .
AIR NOUVEAU.
V >
Ous aimez , jeune Iris , mes
tendres Chanfonncties
Vous les écoutez chaque jour.
Que n'avez vous un peu d'amour
Four le Berger qui les a faites ?
108 MERCURE
Voicyun Ouvrage de l'IIluftre
Madame des Houlieres
. Son nom vous répond de
fa beauté.
25222-22-2522:22225
EPITRE CHAGRINE
A MADEMOISELLE D.L.C.
H
E bien, quel noir chagrin vous
occupe aujourd'huy ?
M'eft venu demander avec unfierfourire
Un
jeune Seigneur , qu'on peut
dire
Auffibeau que l'Amour , auffi traitre
que luy.
Vous gardez un profondfilence.
( A t-il repris jurant à demy bas )
Eft- ce que vous ne daignez pas
GALANT 109
De ce que vous pensez me faire confidence,
Ie n'en fuis pas peut - eftre affez digne.
A ces mots,
Pourjoindre un autre Fat,il m'a tourné
le dos.
Q
Quel difcours pouvois -je luy faire,
Moy qui dans ce meſme moment
Repaffois dans ma tefte avec étonnement
De la nouvelle Cour la conduite ordinaire?
M'auroit-il jamais pardonné
La peinture vive &fincere
De cent vices aufquels il s'est abandonné
?
Non , contre moy le dépit , la colere,
Le chagrin , tout auroit agy.
Mais quoy que mes difcours euffent pu
luy déplaire,
110 MERCURE
Son front n'en auroit point rougy.
BA
Iefçay de fes pareilsjufqu'où l'audace
monte .
Atout ce qui leur plaift ofent- ils s'emporter
,
Loin d'en avoir la moindre honte
,
Eux- mefmes vont en plaifanter.
BA
De leurs déreglemens Hiftoriens fidelles
,
Avec unfront d'airain ils feront mille
fois
Un odieux détail des plus affreux
droits.
On diroit à les voir traiter de bagatelles
,
Les horreurs les plus criminelles ,
Que ce n'est point pour eux que font
faites les Loix ,
GALANT. III
Tant ils ont de mépris pour elles.
3
Avec gens fans merite & du rang
le plus bas
Ils font volontiers connoiffance.
Mais auffi quels égards & quelle dé
ference
Veut-on qu'on ait pour eux ? helas !
Ils font oublier leur naiſſance
Quand ils ne s'enfouviennentpas .
Daignent-ils nous rendre visite,
Le plus ombrageux des Epoux
N'en fçauroit devenir jaloux.
Ce n'est point pour noftre merite.
Leurs yeux n'en trouvent point en
nous.
Ce n'est que pour parler de leur gain,
de leur
perte ,
Se dirc
que d'un vin qui les charmera
tous ,
112 MERCURE
On a fait une heureuse & fure décou
verte ,
Se montrer quelques Billets doux,
Se dandiner dans une chaife ,
Faire tous leurs trocqs à leur aife,
Etfe donner des rendez- vous.
Si par un pur hazard quelqu'un d'entre
eux s'avife ,
D'avoir des fentimens tendres , refpcctueux
,
Tout le refte s'en formalife .
Il n'eſt pour l'arracher à ce panchant
heureux ,
Affront qu'on ne luy faffe , horreurs
qu'on ne luy dife,
Et l'onfait tant qu'enfin il n'ofe eftre
amoureux .
$3
Caufer une heure avec des Femmes,
Leur prefenter la main , parler de
leurs attraits.
GALANT. ng
Entre lesjeunes gens font des crimes
infames
Qu'ils ne fe pardonnent jamais.
**
Où font ces coeurs galans ? Oùſont ces
ames fieres ?
Les Nemours , les Montmorancis
Les Bellegardes , les Buffys ,
Les Guifes & les Balompieres ?
S'il reste encor quelquesfoucis
Lors que de l'Acheron on a traversé
t'onde ,
Quelle indignation leur donnent les
récits
De ce qui fe paffe en ce monde !
Que n'y peuvent-ils revenir.
Par leurs bons exemples peut- effre
On verroit la tendreſſe & le respect
. renaistre
Que la débauche a sceu bannir.
Septembre 168 .
K
114 MERCURE
CD
Mais des Destins impitoyables
Les Arrests font irrevocables ,
Qui paſſe l' Acheron ne le repasse plus
Rien ne ramenera l'ufage
D'estre galant , fidelle , fage,
Los jeunes gens pourjamaisſontperdus.
CD
A bien confiderer les chofes,
On a tort de fe plaindre d'eux.
De leurs déreglemens honteux
Nous fommes les uniques caufes.
Pourquoy leur permettre d'avoir
Ces impertinens caracteres ?
Que ne les renons - nous comme faifoient
nos Meres ,
Dans le respect , dans le devoir !
Avoicnt-elles plus de pouvoir ,
Plus de beauté que nous , plus d'ef
prit, plus d'adreffe ?
1
GALANT. H
Ah ! pouvons - nous penfer au temps
de leur jeuneffe
Et fans honte, & fans defefpoir !
Dans plus d'un Réduit agreable
On voyoit venir tour à tomr
Tout ce qu'une fuperbe Cour
Avoit de galant & d'aimable ..
L'efprit , le refpect & l'amour
Y répandoient fur tout un charme in
explicable.
Les innocens plaifirs par qui le pluslong
jour
Plus vifte qu'un moment s'écoulé,,
Tous les foirs s'y trouvoient en foule,
Et les tranfports , & les defirs.
Sans le fecours de l'efperance,
A ce qu'on dit , prenoient naiffances
Au milieu de tous ces plaifirs.
1
Cet heureux temps n'eft plus , un autre
a prisfa place.
Kij
116 MERCURE
Les jeunes gens portent l'audace
Iufques à la brutalité.
Quand ils ne nous font pas une incivilité
,
Il femble qu'ils nous faffent grace.
Mais , me répondra- t on , que voulez.
vous qu'on faffe?
Si ce defordre n'eftsouffert ,
Regardez quelfort nous menaces
Nos maisons feront un defert.
Il eft vray ; mais feachez que lors
qu'on les en chaffe ,
Ce n'est que du bruit que l'on perd.
Eft- ce un fi grand malheur de voir fa
chambre vuide
De médifans , dejeunes fous,
D'infipides railleurs , qui n'ont rien de
Solide
Que le mépris qu'ils ontpour nous ?
GALANT. 117
*3
Ouy , par nos indignes manieres
Ils ont droit de nous méprifer.
Si nous eftions plus fages & plus
fieres
On les verroit en mieux ufer.
Mais inutilemet on traite ces matieres,
On y perdfa peine & fon temps.
Aux dépens defa gloire on cherche des
Amans.
Qu'importe que leurs coeurs foient
fans delicateffe,
Sans ardeur , fans fincerité.
On les quitte de foins & defidelité,
De respect & de politeſſe,
On ne leur donne pas le temps
fonbaiter
de
Ce qu'au moins par des pleurs , des
foins , des compla fances
On devroit leur faire acheter.
118 MERCURE
On les gafte , on leur fait de honteu
fes avance's Jac
Qui ne font que les dégouter.
$3
Vous, aimable Daphné, que l'aveugle
fortune
Condamne à vivre dans des lieux
où l'on ne connoit point cette foule
importune
Quifuit icy nos demy.Dieux.
Ne vous plaignez jamais de vostre
deftinée.
Il vaut mieux mille & mille fois
Avec vos Rochers & vos Bois ,
S'entretenir toute l'année ,
Que de paffer une heure ou deux
Avec un tas d'Etourdis, de Cocquettes
.
Des Ours & des Serpens de vos fom.
bres retraites ,
Le commerce eft moins dangereux..
GALANT . 119
Je vous ay déja donné plufieurs
Relations de M. Chaffebras
de Cramailles , & entre
autres celle de dix ou
douze Opera , qui furent repreſentez
à Veniſe en un ſeul
Carnaval , du temps que ce
curieux Voyageur y eftoit.
L'exactitude avec laquelle il
décrit les lieux où il paffe ,
vous a fait fouvent fouhaiter
d'en avoir la fuite . Elle vient
de tomber entre mes mains,
& je vous l'envoye dans les
mefmes termes qu'on me l'a
donnée . C'eſt la Relation de
fon Voyage , depuis Venife
120 MERCURE
jufques à Rome , & fes remarques
fur les Villes, Lieux
& Chemins confiderables
avec les Devotions de Noftre-
Dame de Lorette , & de
Saint François d'Affife. Elle
eft adreffée à M. le Duc de
Saint Aignan. La voicy,
Le quinziéme Novembre
1684. je partis de Venife , où
j'avois efté durant une année
, & je me mis avec un
Gentilhomme François de
mes amis, dans une Gondole
à quatre Rameurs, une heure
& demie avant le jour. Durant
la matinée, nons traver
fames
GALANT. 121
fames vers le Midy fur le
Fleuve du Pô , où nous vo
guâmes tout le refte de la
journée & le lendemain , jufqu'à
une lieuë de Ferrare ,
ayant couché dans un Village
fur le bord du Pô. Ce Fleuve
qui paffe pour le Roy des
Fleuves de l'Italie , a fon cau
claire comme criſtal ; 11 eft
fort large , & bordé prefque,
par tout de tapis verts , de
Prairies & de Bocages . Il fait
icy la divifion des Terres du
Pape d'avec celles de Venife ,
& le trouve luy- mefme partagé
entre ces deux differens
Septembre 1685. L
122 MERCURE
Etats ; de forte que par un
effet du fort affez bizarre , il
fe rencontroit fouvent que
l'un de nous eftoit fur le Domaine
de Saint Pierre , dans
le temps que l'autre reftoit
encore fous la puiffance des
Venitiens & cependant
nous eftions affis fur un mef
me ſiege à coſté l'un de l'autre.
L'air eftoit extremément
doux quand nous nous mimes
en chemin . Sans un
temps fi favorable , nous
n'aurions pas hazardé dans
une Gondole le peu de
mer
GALANT. 123
que nous cûmes àpaffer . C'eſt
un petit Bâtiment de mer leger
& delicat, dans lequel on
peut aller faire fa cour aux
Gentils- Donnes , fur le grand
Canal de Venife ; mais il n'eſt
pas fait pour
aller en pleine
mer, & feroit dangereux
dans
un vent mediocre
. A une
lieuë en deça de Férrare, nous
fûmes obligez de changer de
voiture , & de nous mettre
dans un petit Bateau couvert
pour paffer un Canal d'eau
dormante
qui conduit en
cette Ville , & qui eft fort
élevé au deffus du Fleuve du
Lij
124 MERCURE
;
Pô. Ferrare appartenoit autrefois
aux Princes d'Efte
mais par defaut de mâles , il
eft retourné aux Papes fous
le Pontificat de Clement
VIII .
,
Nous primes le lendemain
une Chaife roulante pour
nous avec un Cheval pour
noſtre bagage , & nous allâmes
coucher à Bologne. On
nomme en quelques endroits
ces Chaiſes roulantes,
par une espece de quolibet ,
Sedie volante , pour dire qu'elles
vont vîte comme le vent.
Ce font aujourd'huy les VoiGALANT.
125
tures les plus commodes &
les plus ufitées dans l'Italie .
Elles vont à deux chevaux ,
& il n'y peut tenir que deux
perfonnes. Quand on veut
aller vîte , on les prend de
Cambiature comme nous fif
mes, c'eſt à dire qu'on change
de Chaife & de chevaux
de deux Poftes en deux Poftes
, où l'on en trouve de
toutes prêtes.
Bologne eft une des grandes
Villes & des plus peuplées
de l'Italie . On la nomme
Bologne la graſſe, à cauſe
de la fertilité & de la bonté
L
iij
126 MERCURE
T
des terres des environs , qui
font à la verité ſi graffes, qu'il
faut fix , huit , & jufqu'à dix
boeufs pour tirer la charuë.
Il y a au devant de prefque
toutes les maifons , des Portiques
qui forment de grandes
allées couvertes aux deux côtez
de chaque ruë, de meſme
que dans la Court du Palais de
Luxembourg de Paris ; ce qui
donne le moyen d'aller à
couvert par toute la Ville .
Les Dames y vont vétuës à
la Françoife , & les Gentilshommes
y font habillez de
noir en pourpoint, manteau ,
GALANT. 127
ceinturon & épée . Il y en a
plufieurs qui font porter
leurs épées par des Eftafiers,
à caufe qu'elles font extremément
longues , & qu'elles
les incommodent beaucoup
à marcher. Les Palais de cet
te Ville font fuperbes . Les
Eglifes & les Convens y font
magnifiques , & les Cloîtres
des Religieux y font plus
beaux qu'en aucune Ville
d'Italie. Celuy des Cordeliers
à la Grand' manche , eft
d'une grandeur , d'une beauté
, & d'une ftructure merveilleufe.
Je vis dans l'Eglife
Liiij
128 MERCURE
de Sainte Fetrone , un Cadran
d'une invention fort
particuliere. Lors qu'il eft
midy , il marque la grandeur
du jour où l'on eft , par
le moyen d'une Etoile percée
à la voûte , par où les
rayons du Soleil paffent juf
tement au milieu du jour . It
eft de l'invention de M.Caf
fini, de l'Obfervatoire de Paris.
C'eſt dans cette Eglife ou
Charles- quint fut couronné
Empereur.
›
Entre le grand nombre de
Reliques qui font à Bologne,
le Corps de la Bienheureufe
GALANT. 129
Catherine de Vigri Bolonoife
, en eſt une des plus confiderables
. Il eft dans le Monaftere
du Corpus Domini qu'-
elle a fondé, où font des Religieufes
de Sainte Claire . On
la voit toute entiere affife
dans une Chaife , revétuë de
l'habit de fon Ordre, la face,
les mains & les pieds découverts.
Elle mourut au quin.
ziéme fiecle , à l'âge de cinquante
ans ou environ .
La Chapelle de Monteguardia
, où l'on révere une
Vierge peinte par Saint Luc,
comine on pretend , eft une
130 MERCURE
des plus grandes devotions
de Bologne . Elle eft fur une
Montagne à trois milles hors
la Ville , c'eſt à dire à une
grande lieuë de France ; & le
concours du monde qui y va
le Vendredy ou le Samedy
de chaque femaine , a donné
lieu de commencer un che--
min couvert , qui conduit de
la Ville à cette Chapelle ; il
eft plus de la moitié achevé.
C'eſt une des plus belles entrepriſes
qu'on ſe puiſſe imaginer
, & qui fera d'une dépenfe
prodigieufe . Ce font
plufieurs Arcades qui for
GALANT. 131
ment une longue Galerie
couverte , où l'on pourra aller
en pleine campagne une
lieuë entiere à l'abry de la
pluye , de la poudre , & du Soleil.
Les Moulins de Soye de
Bologne, font d'une jolie invention
. On y voit quatre
à cinq mille écheveaux de
Soye fe déveloper , fe filer , fe
tordre & fe devider en mefme
temps fur autant de Bobines
, par le moyen d'une
Machine que l'eau fait aller .
Elle eft compofée d'un nombre
infiny de Tours & de
132 MERCURE
.
Roues , qui fe font mouvoir
les unes les autres , & qui ont
correfpondance dans plufieurs
Chambres
& Etages.
Quoy que Bologne fe foit
donnée au Pape , elle s'eft
confervée une grande liberté.
Elle met pour ce fujet
dans fes Armes le nom de
Libertas , & elle entretient un
Ambaffadeur ordinaire à Ro
me pour ſe maintenir dans
fes Privileges. L'un des plus
beaux dont elle joüit , c'eft
que l'on ne peut confifquer
les biens de ceux qui en font
bannis ; ce qui fait que l'on
GALANT. 133
en voit quelques-uns dans
d'autres Villes d'Italie , qui
nonobftant leur banniffement,
joüiffent paiſiblement
de tous leurs biens , dont ils
reçoivent les revenus fur
leurs Quittances.
Bologne a une fameuſe
Univerfité , dont il eft forty
de grands Hommes ; & comme
fi toute la Doctrine eftoit
renfermée dans cette Ville ,
elle met dans prefque tous
fes Monumens publics , & fur
la plufpart de fes Monnoyes,
Bononia docet , ou bien , Bononia
mater fcientiarum , comme
134 MERCURE
voulant dire que c'eſt Bologne
qui enſeigne les Sciences.
Cette Ville eſt renommée
principalement pour
quatre chofes pour les Savonetes
qui gardent leur odeur
juſqu'à la fin , &ſe confervent
douze , quinze , &
vingt années ; pour les Sauciffons
que l'on
envoye
par
toute
l'Europe
; pour
le Tabac
en poudre
, que
l'on
prefere
aujourd'huy
à celuy
de
Pontgibont
; & pour
les petits
Chiens
que
l'on
baigne
dans
l'Eau
-de -vie
auffi
-toft
qu'ils
font
nez , & durant
pluGALANT.
135
fieurs jours de fuite pour les
empefcher de croiftre . On
leur en fait auffi avaler de
temps en temps , & on leur
écraze le nez pour les rendre
camus. Ceux que l'on eftime
le plus entre ces petits animaux
, doivent avoir la tefte
ronde , le muſeau court , le
nez enfoncé & un peu relevé,
les yeux gros, ronds , vifs,
brillans & à fleur de tefte , les
poils déliez , doux & luſtrez
comme de la foye , les oreil
les grandes & pendantes , des
pannaches à la queuë & aux
jambes , & des ergots aux
136 MERCURE
quatre pates. L'on n'en fait
pas moins d'eftat
à Bologne
qu'à Paris. Les Dames les ont
toûjours
fur leurs juppes , &
les portent
aux Comedies
,
aux Promenades
, & dans les
Vifites. Il n'y a point de Juifs
à Bologne
, ils n'y peuvent
demeurer
qu'une nuit, & doivent
loger dans une Hoſtellerie
qui leur eſt affectée .
De Bologne
nous conținuâmes
nôtre route en Chaife
roulante jufqu'à Rome , &
trouvâmes jufqu'à Imola où
nous allâmes coucher, le chemin
plat & uny comme une
GALANT. 137
allée deJardin,bordé d'arbres
des deux coftez . Les Païfanes
portent de petits Chapeaux
de paille garnis de rubans de
couleur. Il y a dans cette
Ville beaucoup d'Eglifes . Le
22. nous paffames par Forti ,,
& allâmes coucher à Cefene..
Nous traverfames par Caftel
Bolognefe, & par la Ville de
Faenza,laquelle, felon le fen--
timent de quelques-uns , a
donné le nom à la vaiffelle :
de Faience , que l'on y fait
tres-bien. Forli eft une gran
de Ville , où je remarquay
comme une des plus belless
Septembre 1685,
Mi
138 MERCURE
Eglifes, celle de Saint Philippes
de Neri . Elle eſt toute
neuve , & n'eft pas entierement
achevée. Les Chapelles
font de marbre, avec quel
ques Tableaux qu'on eftime.
Je ne trouvay rien de plus
mignon que la maniere dont
les jeunes Ortolanes & Contadines
eftoient habillées. Ce
font des Païfanes des principaux
Bourgs des environs ;
mais je veux feulement parler
des plus notables , & des
mieux faites . Elles s'eftoient
rendues à la Ville , à cauſe
d'une Foire particuliere qui
GALANT. 139
s'y faifoit ce jour-là . Elles
avoient un cotillon de ferge
ordinaire à la Paifane ,un corcelet
de brocard à grandes
fleurs , les manches de fatin:
de couleur fort étroites & redoublées
fur le poignet, & de
petites manchetes de lin ou--
vragées de fil d'or & de foye
Leurs cheveux moitié nattez
& moitié frifez,battoient fur
les épaules , & voltigeoient
affez amoureufement fur la
gorge. Au deffus de la tefte
eftoit attaché un morceau de
fine toile , chamarré tout au i
tour d'une large dentelle de-
Miji
140 MERCURE
foye de differentes couleurs,
avec des touffes de rubans
aux quatre coins , & par def
fus un chapeau de fine paille
entouré de branches de fleurs
qui s'élevoient & retomboient
en panaches.
ne ,
Quant à la Ville de Cefel'on
y va en plufieurs
ruës à couvert comme à Bologne
. De Cefene nous allâ
mes à Savignan, petite Ville
ou Bourg, qui n'eft pas confiderable
, puis à Remini ou
Rimini, comme prononcent
quelques-uns , grande Ville
fur le bord de la mer. Entre
GALANT. 141
plufieurs belles Eglifes que
j'y vis , la Cathedrale eft la
principale. Elle eft claire , de
bon gouft, & bâtie nouvellement,
ainſi que la plus grande
partie des maifons d'alentour,
l'ancienne Eglife & les
bâtimens d'auprés ayant efté
entierement bouleverfez dás
le dernier tremblement de
terre qui arriva il y a quel
ques années.
De Remini nous allâmes
au Village de Catholica , &
cotoyames toûjours le bord
de la mer , les vagues donnant
jufqu'aux pieds de nos
142 MERCURE
chevaux ; puis quittant la
mer , nous nous rendifmes
á Pefaro , cheminant continuellement
entre des Montagnes.
Pefaro eft une groffe Ville
fur le bord de la mer , avec
de grandes Places & de belles
Fontaines . Les Juifs ont
deux Synagogues en cette
Ville , & n'y font pas fort riches.
Ils portent des Chapeaux
couvers de tafetas orangé
, & en ont de pareils
dans toutes les Terres du Pape.
Le 25. aprés avoir paſſé par
GALANT. 143
Fano , Ville forte fur le bord
de la mer , nous cotoyâmes
prefque toûjours la rive pour
aller à Sinigalia , les vagues
venant continuellemétdonner
dans les jambes de nos
chevaux, & jufqu'à la moitié
des roues de noftre Chaife ;
de maniere que nous eſtions
en doute fi nous cheminions
par mer ou par terre , & l'on
auroit pû faire des gageures
là - deffus. C'eft à peu prés
comme ce Bon-homme de
campagne , qui ne pouvoit
dire à fon Village s'il
eftoit venu à pied ou à chela
144 MERCURE
val : parce qu'eſtant monté
fur fon afne, & fe trouvant
obligé à chaque bout de
champ de lever fes jambes
qui eftoient trop longues ,
il s'eftoit fervy de fes pieds.
durant prefque tout le chemin
pour fe foulager , &
marchoit en meſme temps.
que fa befte, encore qu'il fût
à cheval fur fon dos ; d'où.
vient qu'il fut toûjours appellé
depuis , la beſte à fix
pieds . Il s'eftoit élevé la nuit
un vent horrible , qui continua
toute la journée, & empefcha
quelques Cavaliers :
de .
:
GALANT. 145
de paffer le matin en des endroits
où nous paffames aifément
l'aprefdinée , la rive
eftant alors trop fortement
battue des vagues de la mer.
Nous eufmes un froid tresviolent
, mais en récompen
fe nous primes beaucoup de
plaifirà voir la mer orageufé
faire des bonds en l'air, &
rejalliſſemens à perte de
veuë , & jetter à nos pieds
des monceaux d'écume bláche,
gros comme la moitié
de noftre Chaiſe.
des
Tout le long des coftes
de la mer , l'on trouve d'ef
N
Septembre 1685.
146 MERCURE
pace en efpace de fortes
Tours gardées par des Officiers
, pour empefcher
la defcéte
que les Corfaires
pourroient
faire durant la nuit .
Les Paifans des Villages
&
des Hameaux
circonvoi
fins ,
couchent
dans les chambres
du premier étage, où il n'y a
que des Echelles & des Efcaliers
de bois , qui fe levent
la nuit en maniere de Pontlevis
. Ils ont chez eux des
fe defenarmes
à feu , pour
dre en cas de beſoin , & ils
veillent tour à tour , & font
la fentinelle , afin que s'il
GALANT. 147
pour
abordoit quelque petit Bâtiment
Ennemy , ils puffent
tirer , & faire des feux
avertir les autres Villages de
venir à leur fecours ; ce qui
eft arrivé quelquefois . Nous
trouvâmes en un endroit de
la Cofte une Barque perie ,
& en un autre quelques pieces
de bois du débris d'un
petit Vaiffeau que la mer avoit
jetté à bord. Le Valet
de noftre Voiturin, qui avoit
devancé la Chaife d'une
giande lieuë, trouva un coffre
fermé , que la mer vint
jetter à fes pieds. Il le char-
Nij
148 MERCURE
gea fur fon cheval, &
le
porta
jufqu'à la Fortereffe de Sinagalia
, comme l'on eft obligé
de faire de tout ce qui fe
trouve fur les Coftes , & on
luy donna quelque chofe
pour fon droit. On en fit
l'ouverture , & l'on ne trou
va dedans que des Savons
,
& d'autres Marchandifes
prefque toutes gâtées de
l'eau de la mer ; cela nous
fit juger qu'il s'eftoit fait
quelque naufrage , comme
nous reconnûmes le lendemain.
Sinagalia eft une gran
de Ville , avec Port de mer.
GALANT. 149
J'allay me promener fur le
Port , où la mer en fureur
pouffoit des vagues de la
hauteur d'un étage , qui fe
venoient brifer contre la
pointe du Parapet , & fembloient
à tous momens le
vouloir fubmerger . Il y a des
Juifs en cette Ville ; ils ont
feulement une Synagogue.
Le 26. nous allâmes coucher
à Ancone. Nous cotoyâmes
encore prefque
toûjours la mer & nous
eufmes pareillement un grad
vent, qui diminua beaucoup
fur le foir ; nous apprîmes .
N. iij
KO MERCURE
L
dans la Ville , qu'on avoit
trouvé par le chemin deux
hommes noyez fur le fable
en differens endroits, ce qui
nous confirma le naufrage
dont nous avions veu la veille
quelques apparences . C'étoit
un plaifir de voir de loin
plufieurs petits Vaiſſeaux agitez
, qui fembloient de
moment en moment s'abîmer
dans les ondes , d'où
ils reffortoient peu de temps
aprés . Les uns étoient des
Peſcheurs , & les autres des
Paffans , qui tenoient la route
de Veniſe .
GALANT. 151
Ancone eſt une grande
Ville , fort peuplée , avec un
des beaux Ports de mer d'Italie
. Elle eft fituée fur la
Coline d'une Montagne qui
defcend jufque dans la mer ,
& paroift de loin comme un
Amphiteatre . On voit fur le
Pont un ancien Arc de triomphe
tout de marbre blanc ,
qui eft une des plus belles
antiquitez des Romains . L'Eglife
Cathedrale eft au plus
haut de la Montagne , d'où
l'on découvre la beauté de
la mer dans fa grande étenduë.
Cette Ville eft fort peu-
N iiij
152 MERCURE
plée, les Juifs y ont deux Synagogues
. J'allay dans la
plus grande au temps qu'ils
fe preparoient à celebrer la
Fefte du Sabat ou du Samedy,
qui fe commence le foir
du jour précedent. Il y avoit
quatre ou cinq cens Lampes
allumées , & je n'en ay
jamais tant veu ailleurs pour
un jour de Fefte ordinaire.
En attendant qu'ils commençaffent
leurs Prieres, un
Rabbin fort zelé dans leur
Religion , m'ouvrit l'Armoire
d'Aaron , où font les Livres
de la Loy, & me fit voir
GALANT. 153
les plus beaux ( j'entens pour
ce qui eft des ajuſtemens qui
les ornent , comme font les
Bâtons , les Maffes, les Chénets
, les Grelots ou Sonnets
d'argent , les Couronnes
de vermeil doré, les Voiles
& les Couvertures de
Brocard & de broderie ) car
pour les Livres ils font tous
écrits d'une même maniere ,
& fe trouvent uniformes dás.
toutes les Synagogues du
Monde . Il me mena enfuite
dans fa Maiſon , pour me
faire voir la maniere dont
tout eftoit difpofé pour le re154
MERCURE
pos du Sabat , les Lampes å
plufieurs lumignons qui devoient
brûler pendant la
nuit, les préparatifs des viandes
du Souper & du lendemain.
Je trouvay la Nape
mife, tout en eftat fur la Table
, & les fieges à l'entour.
Sa femme qui eftoit d'un âge
mediocre , tenoit un Livre
Hebreu, & recitoit quelques
Prieres à l'un des coins de la
chambre. Il ne fut jamais au
pouvoir de fon Mary,de luy
faire lever les yeux pour me
regarder. Il me dit qu'elle
vivoit comme un Sainte , ou
GALANT: 155
pour mieux dire , comme la
Femme d'un Patriarche de
l'ancien Teftament ; qu'elle
avoit toutes les complaifances
imaginables
pour luy ,
& que c'eftoit la meilleure
Femme du monde ; mais
qu'elle n'avoit jamais pû ſe
refoudre à parler à un Chrétien
, ce qui luy donnoit bien
du déplaifir. Ses Filles n'eftoient
pas fi farouches
, elles
venoient
librement
autour
de nous , & principalement
l'ainée , qui eftoit extremément
belle , & qui , avec un
air affez libre & enjoüé, far156
MERCURE
foit paroiftre fur fon viſage .
beaucoup de fageffe, de douceur
& de modeftie . Elle n'avoit
qu'environ quatorze
ans , & devoit eſtre mariée
dans dix ou douze jours ;
parce que tout Homme qui
a une Fille nubile , me dit
fon Pere, & qui differe de la
marier , eft refponfable devant
Dieu de tous les pechés
d'impureté qu'elle peut cómettre
dans fon coeur. C'eſt
la croyance des veritables
Juifs , autrement, difent-ils,
c'eft rendre inutile le plus
grand des biens que Dieu ait:
1
GALANT. 157
donné à l'Homme. Je n'eus
pas de peine à luy accorder
ce dernier article , qu'une
belle Femme eftoit un bien
fort confiderable , & la plus
belle acquifition qu'un galant
homme puiffe faire ; &
je luy ajoûtay de plus , que
j'engagerois volontiers mes
rentes & mes revenus pour
enavoir,fices fortes de biens
eftoient à prix raiſonnable.
Je reftay une heure & demie
avec ce venerable Rabbin ,
qui ne pouvoit fe laffer de
caufer avec moy , & dont
j'eus toutes les peines du
158 MERCURE
monde à me débaraffer.
Le Samedy 27. nous arrivâmes
à Lorette fur les vingt
deux heures, c'eſt à dire deux
heures avant la nuit , ayant
quitté le bord de la mer , &
cheminé par des chemins
fort fales. Durant quatre ou
cinq jours , nous rencontrâmes
un grand nombre de
Pelerins , les uns à pied , les
autres à cheval , & les autres
en Chaife.
La Ville de Lorette , qui
eft fur le bord de la mer ,
confifte en une grande ruë ,
au bout de laquelle eft un
GALANT. 159
Fauxbourg fort long , car
pour les rues de traverſe ,
elles ne font pas de conſequence.
Il y a une Fortereffe
confiderable, qui pourroit
refifter au Turc durant
quelques jours , s'il venoit
par mer dans le deffein de
la piller , comme il a tenté
quelquefois . Si ce malheur
arrivõit , elle feroit promptement
ſecouruë , la Ville
d'Ancone , & quelques autres
, eftant obligées d'envoyer
fur le champ une certaine
quantité de monde fi
l'Ennemy y faifoit quelque
160 MERCURE
deſcente ; & on les avertiroit
par des feux qu'on feroit
fur toutes les Tours qui font
e long des Coftes , comme
je vous ay dit. Cette Ville
eft bien peuplée , & le bon
marché des vivres y attire
beaucoup de perfonnes.
Pour un Gros , qui eſt environ
trois fols & demy de
France , on vous donne du
Vin plein une grande Cruche.
Ceux qui ont trois ou
quatre cens livres de rente ,
& qui ne font point de negoce
, y paffent pour Gentils-
hommes , parce qu'ils y
GALANT. 161
vivent commodément à là
maniere du Pais ; & hors
cette forte de Nobleffe , qui
feroit fort mince dans une
autre Ville , on n'y voit que
des Hofteliers & de medio ..
cres Marchans, dont le tiers
ne fait trafic
"
que de
Chapelets
& de Medailles. Les Fem
mes y font vétuës d'une ma
niere bijarre , qui tient de
l'Egyptien
& du Villageois
,,
& la plufpart
gâtent le peu
de bonne mine
qu'elles ont,,
en mettant fur leurs épaules :
un grand morceau
de drap
rouge , jaune ou bleu , fem
Ο
Septembre 1685 .
162 MERCURE
blable à un lange d'enfant ,
qui fait le plus vilain effet du
monde . L'Eglife , au milieu
de laquelle eft la Sainte Chapelle,
eft fort grande, & d'une
beauté achevée ; elle eft
dans une grande Place, où il
y a une Fontaine de divers
Jets d'eau , avec la figure de
bronze du Pape Sixte V.trois
ou quatre fois grande comme
le naturel. Če Souverain
Pontife , qui n'avoit que de
grands deffeins , a fait embellir
cette Eglife , & il euft fair
une Ville confiderable de
Lorette , s'il n'euſt pas eſté
A
GALANT. 163
prévenu de la mort.
A l'un des coftez de la Place
, font des Bâtimens en ar
cader, où l'on reçoit les Perfonnes
degrande qualité, qui
viennent en Pelerinage & en
Devotion , & où logent plufieurs
Peres Jefuites Italiens,
François , Alemans , Eſpagnols
, Anglois , Polonois
Suiffes , Grecs , Armeniens ,
Efclavons , & de diverſes autres
fortes de Langues qui fe
trouvent tous les mating
dans les Confeffionnaux de
l'Eglife pour adminiftrer le
Sacrement de Penitence aux
X
O ij
164 MERCURE
Pelerins qui y viennent de
tous les endroits de la Terre.
On va voir par curiofité l'Apoticairerie
& les Caves.
L'Apoticairerie eft remplie
de toutes fortes de medicamens
& de compofitions ,
que l'on donne charitablement
aux Pauvres . L'on y
voit trois cens cinquante vafes
de terre d'un prix incſtimable,
tous peints , comme
on pretend , de la main du
grand Raphael d'Urbin , le
Reftaurateur de la Peinture..
J'ay appris que fon Pere étoit
Potier de Terre , & que c'eſt
GALANT. 165
pour cela qu'il y a tant dé
Vafes de fes deffeins.
Les Caves font au nombre
de douze , & fe communiquent
les unes dans les autres.
On y diftribuë du vin
à tous les Pelerins , & l'on
n'en refuſe à perfonne. Elles
font remplies de cent cinquante
tonneaux qui ne ſe
remuent jamais , & ſe nettoyent
par des douves qu'on
leve aux coftez pour donner
entrée à ceux qui les vont
nettoyer dedans . Ces tonneaux
font liez avec des Cerceaux
de fer , & font la pluf166
MERCURE
part fi grands , que j'en trouvay
quelques - uns dont le
fond avoit dix pieds de Diamettre
, avec autant de pro
fondeur . Dans le temps des
fauffes Divinitez , on auroit
pû faire d'un de ces tonneaux
un Temple raisonnable au
Dieu Bachus , en élargiffant
l'ouverture du bondon pour
donner paffage à la fumée
des Sacrifices qui luy étoient
offerts par les Bachantes &
par les Thiades. Il y en a dont
on tire trois fortes de vins
Le Garçon de Cave ne man
que jamais d'en faire boire
GALANT. 167
aux Etrangers , afin qu'on
luy donne àfon tour dequoy
boire; c'eft toûjours du meilleur
vin , & du plus exquis.
Pour la Sainte Chapelle
de la Vierge, qui eft une des
plus belles Reliques qui foit
dans le Monde, vous en pouvez
voir à Paris le Modele ,
dans l'Egliſe de la Magdeleine
vers la Porte du Temple.
Ainfi je ne vous feray qu'une
legere defcription de la
maniere qu'elle eftoit lors de
fon tranfport, & des changemens
que l'on y a faits depuis.
Mais auparavant il faut
168 MERCURE
que je vous diſe en peu de
mots la maniere miraculeufe
dont elle eft venue en ce
lieu , & l'eftime que l'on en
a toûjours faite.
Cette Sainte Chapelle eft
la meſme où la Vierge a efté
élevée , où l'Ange luy a annoncé
le divin Miftere, & où
elle a conceu du Saint Efprit
le Redempteur de tous les
Hommes . Lors qu'elle eftoit
encore en Nazareth , on la tenoit
en grande veneration
parmy les Chreftiens . Sainte
Helene Mere du grand Conſtantin
, y alla en Pelerinage
en
GALANT. 169
´en l'année 326. Elle l'embellit
& l'enrichit de quantité
de Prefens , qui ont eſté pillez
depuis par les Barbares.
Sainte Paule , noble & riche
Romaine, y alla peu de temps
aprés en habit de Pelerine,
avec Sainte Euftochie fa Fille
, accompagnée de Saint
Hierôme , qui a efté mis par
la fuite au nombre des quatre
Docteurs de l'Eglife Latine.
Elle fe retira de là en
Bethleem , où elle mourut,
aprés avoir donné la plus
grande partie de fes biens
aux Pauvres, & y avoir fondé
Septembre 1685.
P
170 MERCURE
;
trois Monafteres de Filles, &
un Convent de Religieux.Le
Roy Saint Loüis allant en la
Terre-fainte , defcendit de
fon Cheval , aufſi- toſt qu'il
apperceut du Mont Tabor
cette Maiſon facrée ; il baifa
plufieurs fois la terre , fit le
refte du chemin à pied , &
une des Festes de la Vierge
eſtant arrivée peu de jours
aprés , il y fit celebrer folemnellement
la Meffe , où il
communia s'eftant revétu
d'un Cilice, & ayant jeûné la
veille au pain & à l'eau . Bel
exemple pour un des plus
GALANT. 171
grands Rois de la Terre.
Par la fuite des temps , les
Infideles s'eftant rendus abfolus
dans le Pays , elle devint .
la riſée & la moquerie de
cette Nation barbare , qui
faiſoit mille ignominies aux
pauvres Chreftiens qui la
venoient vifiter avec tant de
peines , de fatigues & de dépenſes.
Le Sauveur du Monde
ne voulant plus fouffrir un
tel mépris, ordonna aux Anges
de la retirer de la domination
de cette Nation cruelle.
Ils s'en chargerent
par le
commandement
de Dieu ; ils
Pij
172 MERCURE
l'enleverent en l'air , & la
porterent au deffus de la Galilée,
la Syrie, la Macedoine,
l'Albanie, & une partie de la
Dalmatie , où ils la mirent
fur une Montagne de l'Efclavonie
appellée Terfatto ,
éloignée du lieu où elle eftoit
de dix-huit cens quatrevingt
quinze milles d'Italie ,
qui font environ ſix à ſept
cens lieues de France . Ce
Tranſport ſe fit le neuf ou
dixième jour de May à minuit
en 1291. que le Pape
Nicolas IV. occupoit le Siede
Saint Pierre.: ge
GALANT. 173
5
Les Peuples de l'Efclavonie
remplis d'étonnement &
d'allegreffe , avoient peinet
à croire un Tranſport fi miraculeux
; & quoy qu'ils
deuffent s'en affeurer à la
veuë de quantité de miracles
qui fe faifoient journellement
dans cette fainte Cha
bre, ils ne laifferent pas d'en
voyer à Nazareth cinq Perfonnes
dignes de foy , pour
s'informer de la verité . Ces
Deputez firent rapport à
leur retour , qu'ils n'avoient
trouvé que les fondemens
dont les mefures eftoient
Piij
174 MERCURE
conformes à celles de cette
fainte Chapelle, & ils raconterent
l'épouvante où ef
toient les Peuples du Pays ,
au fujet d'un tranſport fi fubit
& fi extraordinaire.
Elle demeura en ce lieu
trois années & ſept mois, que
les Anges la porterent une
feconde fois pardeffus la Mer
Adriatique, & la poſerent au
milieu d'un Bois au Territoire
de Récanati , dans la Marche
d'Ancone . Ce fecond
Tranſport arriva le 10. Decembre
1294 . & l'on dit que
l'endroit de ce Bois apparte
GALANT. 175
noit à une Dame du Païs
nommée Laureta, d'où par la
fuite on a donné le nom à
Noftre - Dame de Lorette >
ou Laurete , comme l'écrivent
quelques-uns.
Les Efclavons fe defefperant
d'une perte fi confiderable
, & fe reconnoiffant
indignes d'un Preſent ſi précieux
, murmurerent quelque
temps ; mais ils s'appaiferent
bien- toft , en faisant
reflexion que c'eftoit la volonté
de Dieu , & qu'il n'ef
toit pas au pouvoir des hommes
d'en empefcher les ef-
P iiij
176 MERCURE
fets. Ils baftirent une Cha
pelle fur la Montagne , au
lieu où cette fainte Chambre
avoit efté. Elle fubfifte
encore prefentement, & elle
eft deffervie par des Peres de
la Reforme de Saint François
. Avec le temps , ce Bois
devint un coupe-gorge , &
une retraite de Voleurs, en
forte que les Pelerins n'ofoient
plus y venir qu'en
troupes & plufieurs enfemble
; mais au bout de huit
mois , les Anges reprirent
encore cette Chapelle , & la
reporterent à un ou deux
GALANT. 177
milles hors du bois , fur une
Terre qui apartenoit à deux
Freres de bonne & de noble
Famille. Ces deux jeunes Seigneurs
eurent conteſtation
entre eux , & en vinrent aux
armes , pour fçavoir qui poffederoit
feul ce morceau:
d'heritage.
Dans le temps qu'ils ef
toient le plus échauffez , qui
eftoit quatre mois aprés ce
troifiéme Tranſport , les Anges
la reprirent une quatriéme
fois , l'ofterent de leur
Terre , & la poferent là auprés,
au lieu où elle eft à pre178
MERCURE
fent. Elle fut apportée de
Nazareth par les Anges , ſans
fondement & fans plancher.
Le toict eftoit d'un bois azuré
femé d'Etoiles d'or , dont
l'on fait voir encore quelques
morceaux, le reste ayat
efté enterré fous la Chapelle
. Il y avoit une cheminée,
une porte , & une feneftre ;
& l'on trouva dedans une
Image de la Vierge , de bois
de Cedre , que l'on croit ef
tre de Saint Luc , un Crucifix
pareillement de bois ,
avec quelques Vaſes & Ecuelles
de terre,dont il en eft
GALANT. 179
reſté une entiere , que l'on
fait voir par devotion , &
que l'on prefume avoir fervy
à la Sainte Vierge . Les pierres
dont la Chapelle eſt bâtie
, font de couleur de Chataignes
, & fort dures , de la
groffeur &figure des briques
ordinaires, mais toutes irregulieres
, les unes longues ,
les autres courtes , d'autres
larges, d'autres étroites , minces
& épaiffes , la pluſpart
écornées & rompuës, la Sainte
Vierge, qui eft l'Exemple
d'une profonde humilité, s'étant
contentée d'une petite
180 MERCURE
Cabane pour fa demeure..
On voit quelques reftes
d'anciennes Figures qui ont
efté peintes fur les Murs ; ce
que l'on dit avoir eſté fait
par les foins de Saint Louis
Roy de France .
Prefentement on a chan--
gé la Porte du lieu où elle
eftoit , & on en a fait deux
autres pour la commodité
des Pelerins. On a ajoûté un
Autel au devant de la che
minée ; & l'efpace entre cet
Autel & la cheminée, eft revétu
de plaques d'argent ci
zelé. L'on a mis le Crucifix .
GALANT. 181
au bout de laChapelle à l'oppofite
de l'Autel , & l'Image
de la Vierge qui eft fur la
cheminée , eft ornée de precieux
habits , & d'un grand
nombre de pierreries.
Parmy les riches prefens
qui font dans cette Chapelle
, on voit deux grandsChandeliers
d'or qui furent donnez
par le Grand Duc de
Tofcane, & trente à quarante
groffes lampes toutes d'or.
Il y a un Ange d'argent
d'environ quatre pieds de
haut , qui prefente à la Vierge
Monfeigneur le Dauphin
182 MERCURE
dont la figure eft de pur or.
Il fut offert avec deux riches
Couronnes en 1643. parLoüis
XIII . & par la feuë Reine
Anne d'Autriche , au fujet
de l'heureuſe Naiffance de
noftre incomparable Monarque
Louis le Grand.
Le dehors de la Sainte
Chapelle , eft revétu de bas
reliefs de marbre blanc, avec
de grandes figures des plus
habiles Maiftres du temps ,
où font reprefentez les Prophetes
, les Sybilles , la Naiffance
du Sauveur du Monde,
la Vie & la Mort de la VierGALANT.
183
ge , & l'Hiftoire du Tranf
port de cette Sainte Chapelle.
Dans la grande Eglife qui
enferme cette Chapelle
vers la Sacriftie , on montre
le Trefor . On n'y voit que
perles , que rubis , faphirs ,
diamans , & autres fortes de
pierreries . On y fait voir des
Baffins , des Vaſes , des Couronnes
des Sceptres , des
Croix , des Statuës , des Buftes
, & quantité de pieces
d'or & d'argent , dont le dé
tail feroit infiny , le tout provenant
des liberalitez de di-
2
184 MERCURE
vers Papes, Empereurs,Rois,
,
Cardinaux
Monarques
Princes , & autres .
L'on y montre une Chafuble
, deux Tuniques , des
Chapes, & un Devant d'Autel
tout de broderie de perles.
Il y a uneChapelle d'Ambre
, qui comprend la Croix,
les Chandeliers , les Buretes,
le Baffin , & l'Eguiere.
Monfieur le Prince y a
donné le Plan de la Baftille ,
tout d'argent. Le Portrait
de Madame la Ducheffe de
Baviere , Mere de Madame
la Dauphine , y eft auffi d'arGALANT.
185
Y
ill
gent , & de fa hauteur ; & ce
que l'on tient de plus rare en
ce Trefor , c'eft une Perle
fort groffe qui reprefente la
Vierge tenant fon Fils dans
fes bras . Quoy que l'ouvrage
foit fimple & groffier ,
ne laiffe pas d'eftre confide--
rable , en ce que la Nature?
l'a formée de la forte , car on
ne taille jamais les Perles , il
les faut laiffer en l'eftat qu'--
elles font. On la trouva un
jour dans un Tronc de l'E--
glife, envelopée dans du pa--
pier , & l'on n'a jamais feeu i
qui en a fait le preſent. -
"Septembre 1685..
186 MERCURE
Le Lundy 29. nous allâmes
de Lorette à Recanati , Ville
Epifcopale , dont l'Eveſché
eft réüny à celuy de Lorette,
& de là à Macerata , autre
Ville Epifcopale , fort peuplée
.
Le Mardy 30. jour de Saint
André, nous nous rendifmes
à Tolentin , Evefché réüny
à celuy de Macerata . Nous
entendifmes la Meffe dans la
Chapelle de Saint Nicolas ,
dont l'Egliſe eft adminiſtrée
par des Peres Auguftins . Elle
eft confiderable , par la Relique
du bras de S. Nicolas
GALANT. 187
de Tolentin , fi renommée
par toute la terre. Il faut faire
affembler les Magiftrats
de la Ville pour la voir ; ils
gardent la Clef du lieu où
elle eft enfermée , & ne refuſent
aucun Etranger . L'on
tient que le Corps du mefme
Saint eft en quelque en--
droit de l'Eglife dont on n'a
pas la connoiffance , quoy
que les Religieux faffent:
voir fon Tombeau . Cette
Chapelle eft remplie de qua
tité de Lampes , & de Ex:
voto d'argent .
On fort de Tolentin tra--
Qij,
188 MERCURE
verfant des Montagnes af
freuſes environnées de precipices
& de ravines d'eau ,
qui nous obligerent de faire
une partie du chemin à pied ,
en quelques endroits où la
Chaife eftoit toûjours panchante
d'un cofté ou d'autre ,
en danger de tomber dans
les abîmes, les Montages eftant
toutes couvertes de neiges.
Autrefois on ne pou--
voit aller par ce chemin qu'à
pied, à cheval, ou en litière;
mais le Pape Clement X. le
fit élargir à l'occaſion du
grand Jubilé dernier, ou pluGALANT
. 189
fieurs perfonnes vont en devotion
de Rome à Lorette.
Depuis ce temps- là ces chemins
fe font fort gâtez &
rompus, il y avoit longtemps
qu'il neigeoit dans les Montagnes
qui en eftoient toutes
couvertes , & il falloit coucher
dans de méchans Hameaux.
Enfuite nous arrivâmes
à Foligny , Ville
du Duché de Spolete. A
trois grandes lieuës de cette
Ville , eft le Convent.
d'Affife , & celuy de Noftre
-Dame des Anges , où
nous allâmes.
190 MERCURE
Affife eft une Ville renommée
, principalement à
cauſe de la naiffance de Saint-
François, où eft une des plus
grandes & des principales:
Devotions de toute l'Italie.
L'Eglife eft bâtie miſterieufement
fur une haute Montagne
, avec une douzaine
d'efpeces de Tours , en memoire
des douze Apôtres ,
ou des douze Compagnons
de Saint François . Avant que
d'entrer dans l'Eglife , l'on
trouve une grande court ou
terraffe , entourée d'Allées &
de Portiques , d'où l'on déGALANT.
191
couvre une belle étendue de
Païs . Ce font les Cordeliers
à la Grand' - manche , qui
poffedent ce Convent ; on
les nomme proprement
les
FreresMineurs Conventuels .
Ils chantent tous les jours de
l'année en Mufique , & font
environ une centaine. Ily
atrois Egliſes les unes fur les
autres , de mefme qu'il y en
a deux à la Sainte Chapelle
de Paris. La plus baſſe eſt fermée
, on n'y entre point , &
l'on pretend que le Corps des
Saint François y eft debout
tout entier. L'Egliſe du mi192
MERCURE
lieu eft celle où l'on fait l'Of
fice ordinairement. Le Maî
tre Autel eft difpofé, de ma..
niere que deux Preftresby
peuvent dire la Meffe deffus
en mefme temps, l'un à l'op
pofite de l'autre . L'on fait
remarquer une groffe pierre
de quelque deux cens livres
de pefanteur , qui eft attachée
à la voûte au deffus du
grand Autel , avec une chaî
ne de fer. Elle tomba fur la
tefte d'une Femme qui entendoit
le Sermon de l'Evef
que d'Oftie , qui fut depuis
Pape fous le nom d'Alexan
dre
GALANT. 193
dre IV. & quoy que tout le
monde la cruft morte , elle
eut tant de foy à Saint François
, auquel elle fe recommanda
, qu'elle ne receut
aucune bleffure , & fut guerie
d'un mal de tefte dont
elle avoit efté tourmentée
toute la vie. La troifiéme Eglife
, qui eft la plus haute,
eft dédiée à la Vierge, & l'on
fait l'Office feulement les
Samedis de chaque Semaine.
Saint François nâquit à Affife
en 1180. Il commença fon
Ordre en 1206. & receut les
Stigmates fur le Mont d'Al-
· S
eptembre 1685.
R
y
194 MERCURE
verne l'an 1224. vers le temps
de l'Exaltation de la Sainte
Croix . Il mourut le Samedy
4. Octobre 1226. & fut canonifé
par Gregoire IX . deux
ans aprés. Comme il n'y a
point d'Ordre dans toute la
Chreftienté qui fe foit fi fort
étendu , auffi n'y a -t-il point
de Saint dont on nous racon.
te tant de miracles . On nous
fit voir dans le Trefor , parmy
beaucoup de Reliques &
de richeffes , du Bois de la
vraye Croix ,un morceau des
Clouds de noftre Seigneur,
des Cheveux de la Vierge ,
GALANT. 195
d'autres Cheveux de Sainte
Catherine , & d'autres de
Saint Louis Roy de France ;
un Parchemin fur lequel
Saint François a écrit de fa
propre main une Oraifon à
noltre Seigneur , une piece
d'étoffe de foye & fort riche,
où fon Corps fut mis aprés fa
mort , & qui paroift encore
toute neuve , les premieres
Regles qu'il donna à ſes Religieux
, fon veritable Portrait
, un de fes Habits , & du
Sang qui fortit de ſes Stigmates.
A un quart de lieuë d'Af-
Rij
196 MERCURE
fife , eft la Chapelle de Nôtre-
Dame des Anges, qu'on
appelle autrement de la Portioncule
. Elle eft ifolée au
milieu d'une fort grande Eglife
, c'eſt à dire que l'on
peut tourner tout au tour de
mefme qu'à la Sainte Chapelle
de Lorette . C'eſt le lieu
où Saint François a fait fa
demeure , & où il eft mort.
On la nomme Portioncule ,
comme voulant dire qu'il fe
contentoit d'une petite portion
de terre, & on l'appelle
la Chapelle de Noftre-Dame
des Anges , à caufe qu'il y a
GALANT. 197
vû par deux fois Nôtre Seigneur
& la Sainte Vierge au
milieu d'une Legion d'Anges
& de Cherubins.
C'eft dans cette Chapelle
où eft étably le grand Pardon
& Indulgence pleniere
que Saint François a obtenu
de la bouche de Dieu mef
me . Il commence le premier
jour d'Aouft , à l'heure de
Vefpres, & finit le lendemain
à pareille heure .
Ongagne le Pardon & Indulgence
en vifitant cette
Chapelle , aprés s'eftre confeffé
& avoir communié. La
Riij
198 MERCURE
quantité du monde qui s'y
trouve eft furprenante , &
tous les ans l'on fait à Venife
une grade réjoüiffance pour
l'embarquement des Pele-
Fins qui vont à cette Devotion
. Les Peres Recolets def
fervent cette Eglife. Ils nous
firent voir ungrandnombre
de Reliques , & nous vifitames
dans leur Convent la
Chambre où Saint François
couchóit , le lieu où il fut
tenté du Diable, & le Jardin
où il fe mettoit tout nud fur
des épines pour mortifier fa
chair. Ce Jardin eft planté
GALANT. 199
derofiers qui ne produiſent
aucunes épines ; ce qui arrive
par un miracle continuel ,
à ce que pretendent ces
bons Peres .
Le 3. Decembre , nous al
Tâmes à Spolete, grande Vil-,
le toute pavée de briques ,.
où il y a plufieurs Eglifes, &
quantité de Fontaines. Nous
eufmes un temps charmant,
ne voyant autour de nous
que prairies vertes comme:
en efté , des rangées d'arbres :
touffus , & des treilles de vignes
en allées de, berceau,
Enfuite nous reprimes less
Riiij ,
200 MERCURE
Montagnes , & nous paffames
par un chemin fi mé
chant , qu'il nous fallut marcher
prefque toûjours à
pied on
Le 4. Decembre, nous ár
rivâmes à Terni,par un chemin
de pierres & de roches
fort rude. Dés que j'y fusarrivé,
je pris un Cheval pour
aller voir la Caſcade de Narni.
C'eſt une groſſe Riviere
qui vient fe dégorger fur
l'extrémité d'un Rocher au
deffus d'une haute Montagne
, & de là fe précipiter
avec force & violence de lai
GALANT.201
hauteur des Tours de Nôtre-
Dame de Paris, & tombe fur
quantité de pointes de Rochers
, d'où elle forme plufieurs
Caſcades , & retombe
enfin dans une autre Riviere
qui va groffir les eaux du
Tibre , & que l'on nomme
pour ce fujet la Mere nourrice
du Tibre . Cette chûte
d'eau d'une Riviere toute
entiere , eft quelque chofe
de fi furprenant , qu'il paffe
l'imagination . On fent trem .
bler la terre fous fes pieds ,
par le bruit effroyable qu'elle
fait , il en fort continuel-
इ
202 MERCURE
fement une fumée comme
d'une fournaife , & lors que
les rayons du Soleil ne font
point offufquez de nuages, il
fe forme tout au tour un Irisi
ou Arc- en- ciel de diverfes
fortes de couleurs . C'eft une
des chofes les plus curieufes
qu'on puiffe voir , mais à di
re le vray , il faut effiyer
bien de la peine pour y aborder.
Ce chemin de Terni à
la Cafcade , eft environ de
deux lieuës , & tout plein de
précipices , principalement .
quand on en approche
il faut circuir de petites .
GALANT. 203
<
langues de terre où l'on ne
peut paffer qu'un à un : auffi
eft - on obligé de defcendre.
de cheval en bien des endroits
. On trouve une petite
Chapelle en chemin , où l'on
vous enfeigne le lieu le plus
dangereux & le plus à craindre
. Elle eft remplie d'Ex
voto , & a eſté bâtie depuis:
peu au fujet d'un jeune Etranger
, qui voulant faire
le brave & le valeureux , fe
tint toûjours fur fon Cheval,
encore qu'on l'euft averty
de defcendre
. Il ne manqua
pas de fe précipiter dans un
204 MERCURE
abîme d'où on ne le put jamais
retirer.udio
intu M
Lors que je fus retourné à
Terni , nous en partifines
pour aller coucher à Narni
par un chemin delicieux ,
planté de Cannes , d'Oli
viers , & d'allées de Vignes
couvertes.Les
Cannes viennent
communément
en bien
des endroits de l'Italie ; on
en feine des pièces de terre
& des Campagnes
toutes entieres
.Elles n'ont pas la beau
té ny la force de celles des
Indes , l'on s'en fert princi
palement pour faire les berGALANT.
205
ceaux & les palliſfades .
Narni eft une grande Ville
fur une Montagne qui eftoit
autrefois habitée , mais
qui eft à prefent fort dépeuplée
, & fans commerce . La
Riviere qui paffe au bas de
la Ville , eft perilleuſe en de
certains endroits , & n'eſt
pas navigable en d'autres . Il
ya dans l'Eglife Cathedrale
un fort bel Autel en forme
de Baldachin , & au deffous
repofe le Corps de Saint
Juftinien premier Evefque
de la Ville , qui chaſſa l'Idolatrie
du Païs . On voit
206 MERCURE
au bas de la mefme Ville ,
les restes de l'un des plus
beaux Aqueducs qui ayent
efté dans l'Antiquité. Il portoit
les eaux d'une Montagne
à une autre , paffoit au
deffus de la Riviere, & eftoit
feulement foûtenu de quatre
grandes Arches , dont il
en reste encore une toute
entiere : les pierres font taillées
en pointes de Diamant,
& liées les unes aux autres
avec du fer & du plomb ,
fans aucun mortier ny ciment
.
Les . Decembre, nous paf
GALANT. 207
fames par le Bourg de Borghetto
, & allâmes enfuite
coucher à celuyd'Orignano.
Le chemin qui devoit eftre
le plus méchant de tous , fe
trouva prefque le plus beau,
ayant efté racommodé tout
nouvellement. Nous commençames
à découvrir le Tibre
, & à nous appercevoir
que nous approchions d'une
Ville fainte. Nous rencontrions
en chemin plufieurs
Chapelles & Hermitages ,
d'où il fortoit des Preftres
& des Religieux avec le Surplis
& l'Etole , qui nous ve208
MERCURE
noient jetter de l'Eau-benite
en paffant , & dire quelques
Evangiles & Oraifons .
Nous trouvions encore quátité
de Pelerins qui alloient
faire les Stations de Rome.
Enfin , le 6. Decembre
aprés avoir paffé par le
Bourg deCaftel - nuovo , nous
arrivâmes àRome à une heus
re de nuit par la voye Flaminia
, qui eft encore pavée de
grandes & larges pierres du
temps des anciens Romains,
& où l'on rencontre plufieurs
veftiges de Sepulchres
anciens. Nous entrâmes par
GALANT. 209
la
la Porte du Peuple , un des
plus beaux abords de cette
Ville. On ne trouve pref
que point de Maiſons dans
Campagne de Rome; l'air
y eft méchant & mal fain,
& les Payfans y deviennent
pafles & langoureux. Pour
la Ville de Rome , elle eft
connuë de tout le monde..
C'eſt la Capitale de la Chrétienté
, le Siege des Souverains
Pontifes , Ville de repos
, de paix , de douceur &
de fincerité.
Je ne pus vous apprendre
la derniere fois ce qui fe
Septembre 1685.
qui
210 MERCURE
paffa au Louvre le jour de la
Fefte de S. Louis , parce que
le mois eftoit déja tropavan
cé. Les Carmes du grand
Convent
y allerent ce jourlà
en Proceffion
, comme ils y
vont tous les ans, pour rendre
graces à Dieu du recouvrement
de la fanté du Roy ,
qui eſtant attaqué à Calais
d'une Fiévre pourprée
, eut
recours aux interceffions
de
Saint Roch , qu'on implore
en de pareilles
occaſions
.
Les Carmes
de la Place
Maubert
firent porter les
Reliques
de ce Saint à DunGALANT
211
a
querque , & Sa Majefté fe
fentant guerie , voulut à fon
retour à Paris , imiter la
Reynefa Mere , & rendre les
Pains Benits , à la Chapelle
de Saint Roch érigée en l'E
glife des Carmes , ou plu
toft , ce Prince voulut par
cette action reconnoiftre le
merite d'un fr grand Saint-
Meffieurs les Prevoft des
Marchands & Echevins de
Paris , firent auffi voeu d'al
ler tous les ans le jour de
Saint Louis à l'Eglife des
Carmes , & d'accompagnerr
les Reliques que ces Peress
S.ijj
212 MERCURE
portent à la Chapelle du
Louvre , où l'on chante une
grande Meffer, & où à l'ex
xemple du Roy , le Paint
Benit eft rendu par des Perfonnes
du premier rang.
Deux mois avant la Fefte de
Saint Louis , les Carmes , &
Mrs de la Confrairie de Saint
Roch , jettent les yeux fur
celuy à qui ils veulent fairel
cét honneur , & il est tombé
cette année fur M le Mari
quis de Bullion Prevoft de
Paris. Le P. Valentin leMulier
, avec quatre Religieux
du mefme Ordre
,
accompa
GALANT 213
de
griez de tous les Marguilliers
& Confreres de Saint
Rochs'eftant rendu chez
M. de Bullion , luy dit qu'il
eftoit fupplié au nom du
Prieur & de tous les Religieux
de la Communauté
des Carmes , ainfi que
tous ceux qui compoſent la
Confrairie Royale de Saint
Roch , des vouloir bien fe
charger des voeux de toute
la Ville , & animer par fon
exemple la pieté publique,
à rendre à Saint Roch les
devoirs annuels. Il ajoûta
qu'il imiteroit en cela le
214 MERCURE
plus grand Monarque du
monde, & toute la Famille
Royale , & qu'ils venoient
luy offrir des Benedictions
du Ciel , qu'il attireroit fans
doute fur luy par fon zele,
& lefquelles ils folliciteroient
fans ceffe la bonté de
Dieu de verfer " abondam--
ment fur fa Perfonne , & fur
toute fa Famille. M de :
Bullion leur fit connoiftre
qu'il n'oublieroit rien pour.
répondre à l'honneur qu'on
luy faifoit.
Le jour de S. Loüis, la Proceffion
dont je viens de vous
GALANT 215
parler, fe renditauLouvre das
Fordre fuivant.Les Timbales
& les Trompettes eftoient
précedées du Bâton de la
Confrairie de Saint Roch,
aux coftez duquel on voyoit
de grandes Torches , où les
Armes de la Ville eftoient
attachées . Les Pains Benits
fuivoient avec les plus magnifiques
ornemens dont
on a coûtume de les enrichir.
Ils eftoient accompa
gnez de douze Gardes de
M'de Bullion , & portez par
douze Perfonnes de fes Livrées
, fuivies de plufieurs
216 MERCURE
autres
pour les relayer.
Aprés les quatrePains Benits
marchoient l'Aumônier , le
Maistre d'Hoſtel , & plufieurs
Domestiques du mefme
Mr de Bullion. Toutes
les Reliques de l'Eglife des
Carmes paroiffoient enfuite
. Au milieu , eftoient
celles de Saint Roch , portées
toutes par des Bourgeois
vétus de noir, hors celle
de la Sainte Epine , que
des Religieux portoient . Elle
eftoit environnée d'un
tres- grand nombre de Torches
, & de Flambeaux aux
Armes
•
GALANT. 217
You
Armes de la Ville , & de toute
la Communauté des Carmes
, compofée de cent.Religieux.
Meffieurs les Prevoft
, Echevins & Offi
ciers de Ville marchoient
aprés eux , accompagnez de
cinquante Archers , il y en
avoit auffi plufieurs qui précedoient
la Proceffion , &
d'autres qui l'attendoient
au Louvre. Mr de Riants ,
Ancien Procureur du Roy
au Chaftelet , & Aumônier
d'honneur , & perpetuel de
cette Confrairie fuivoit
Meffieurs de Ville , & préce-
Septembre 1685.
T
218 MERCURE
doit les Confreres de Saint
Roch. La Proceffion eftant
arrivée au Louvre , M¹ de
> Bullion s'y rendit
placé dans un lieu de diſtin-
& fut
ction , où il y avoit une
Chaife pour luy . Les Trompettes
& les Timbales précederent
les Pains qu'on devoit
benir , lors qu'on les
porta devant l'Autel pour
cette Cerémonie. Ils furent
fuivis de l'Aumônier du
Maiſtre d'Hoſtel , & du reste
des Domeſtiques . M. le
Marquis de Bullion alla enfuite
à l'Offrande avec un
,
1
GALANT . 219
Cierge chargé d'Ecus d'or,
outre lefquels il en donna
encore autant à l'oeuvre de
la Confrairie de Saint Roch .
Cette Proceffion ne fut pas
fi-toft fortie de la Chapelle
du Louvre , qu'on y commença
une autre action de
pieté. Meffieurs de l'Academie
Françoife y font celébrer
tous les ans ce mefme
jour , une Meffe folemnelle,
& l'on fait auffi le Panégyrique
de Saint Louis . Comme
le Prédicateur eft choifi
par le Corps de l'Academie ,
& que la juſte & avantageu-
Tij
220 MERCURE
fe opinion qu'on a de fon
choix , attire une nombreufe
Affemblée
à ce Sermon,
vous ne devez pas douter
que ce Sçavant Corps ne
jette toûjours les yeux fur
de celébres Prédicateurs .
M' l'Abbé Cappeau avoit été
choifi cette année . Il fit admirer
fon éloquence
, fon
bon gouft , & la délicateſſe
de fon efprit , & mefla dans.
fon Difcours plufieurs peintures
tres- vives des Vertus
de Saint Louis , & de fonzele
pour la Converfion des
Herétiques dans fon RoyauGALANT.
221
me , conformes au Régne
heureux de LOUIS LE
GRAND . 'Auffi l'Eloge de
ce Monarque y entra -t'il naturellement.
Il appliqua à
la mort de Saint Louis , ces
paroles de Saint Ambroiſe à
la mort du Grand Theodo
fe. Conteror corde , & voicy
dans quels termes il les expliqua.
On Caur eft faifi c
prefque confumé de douleur
, quia ereptus eft vir
qualem vix poſſumus invenire
, par laperte d'un Empereur
Tiij
22Z MERCURE
que plufieurs Siecles pourront à
peine reparer. Tu Solus tamen
, Domine , es invocandus
vous eftes pourtant l'unique
objet de nos voeux , Seigneur,
difoit ce grand Docteur de l'Eglife
, Tu rogandus, vous eftes
Le feul à qui nous adreffons nos
Prieres , Ut eum in Filiis reprefentes
, afin que vous le
faffez revivre dans la perfonne de
fes Enfans.
Difons , Meffieurs , difons
aprés avoir receu du Ciel ce
Saint Ambroife luy demandoit,
c'est à dire un Prince Religieux,
les interests de Dieu,
zelé
pour
que
GALANT 223
fidelle obfervateur de fa Loy,
auffi oppofé à fes Ennemis ,. que
favorable à fon Eglife ; vous
eftes , mon Dieu , l'unique objer
de nos Voeux , de nos Prieres , &
en mefme temps de noftre confolation
de noftre joye ; les quatre
Siecles écoulez depuis la mort de
Saint Louis › ayant fait de tous
les Roys qui luy ont fuccedé com
me autant de nobles effays , pour
reproduire ce Grand Monarque
dans la Perfonne de celuy qui regne
aujourd'huy.
>
Sa charité , fa justice , fon zele
, fa moderation , ne font-ce pas
des vertus qui luyfont propres?Et
Tiiij
224 MERCURE
bien loin d'impofer à la veritéfur
unſujet fi public &fi éclatant,
pourroit- on feulement l'expofer
comme elle eft , fi l'amour & la
fidelité de fes Sujets , fi l'eſtime
la crainte des Etrangers n'en
relevoient la gloire ? Je n'entreray
dans aucun détail de la charité
& de la justice d'un Prince
qui veille à la confervation de fes
Sujets avec tant d'application,
fesfoins furpaffent toûjours
leurs befoins ; d'un Prince dont
l'entier defintereffement fait fouhaiter
qu'il voulust eſtre fouvent
le fuge de fa propre caufe.
Comme il eft le Modele
GALANT. 225
3
des autres Roys , les François
ont porté l'exemple de leur
fidelité de leurs refpects aux
autres Nations , non feulement
en leur apprenant ce qu'elles doivent
à leurs Souverains ; mais
en leur faifant connoistre ce qu'-
elles ont à craindre de la puiffance
, ou à efperer de la protection,
d'un Etat gouverné par le plus
grand Roy , défendu par les plus
fideles Sujets du monde.
S'il eftoit neceffaire de faire
parlerles Etrangers , pour
des témoignages qui ne foient fufpects
ny d'exageration ny de flaterie
, il faudroit comme un autre
donner
226 MERCURE
Apoftre , avoir le don des Langues
, pour les rapporter en autant
de differens idiomes qu'il y a eu de
Roys , d'Empereurs , & de Republiques
, qui ont envoyé leurs
Ambaſſadeurs , e de Souverains
mefmes quifont venus , at
tirez par fes vertus , gagnez par
fa clemence , étonnez par fes exploits
intimidez par fes menaces,
onforcez par fes chaſtimens , ren
dre hommage àfa puiffance , &
touchez par fa moderation
édifiez par fon zele , avoïant à
que
out
leur
retour
GRAND
eft tout ce qu'on dit,
qu'il
merite
tout ce qu'il a , qu'il
LOUIS LE
GALANT. 227
devoit eftre tout ce qu'il est, que
ne voulant jamais que ce qu'il
doit , il peut toûjours tout ce qu'il
veut, *Potens in terrâ erit femé
ejus,ſa poſteritéfera puiſſantefur
la Terre. La fouveraineté
qui fe perpetuë fur Jon Throne
fera toujours auffi chere aux yeux
de Dieu , & auffi éclatante aux
yeux des hommes , que l' Aftre qu'il
pris pour le fymbole de fes vertus.
Thronus ejus ficut Sol
in confpectu meo , beureux
prefage que nous pouvons regardercomme
une promeffe , en estant
afſeurez par un garant qui nous
* Paroles du Texte.
228 MERCURE
en répond dans le Ciel en la perfonne
d'un Saint Roy , & par
l'interceffion d'un Saint Proteteur
, & teftis in coelo fidelis.
Nous en avons auffi une af
feurance fenfible , & nous voyons
cette feconde & glorieuſe posterité
, promettre aux fiecles à venir
, l'affermiffement & l'im.
mortalité de fa puiffance , &
comme fi la benediction du Ciel
eftoit en nos mains , un Heros ca
pable de gouverner auffi
de conquerir le monde , donnant
des bornes à fes deffeins , fans en
donner à fes Victoires au con
uffi bien
que
GALANT. 229
traire en les ménageant dans le
temps , s'en preparant pluſieurs
immortelles , applique fes lumieres
& fes vertus à nous former
des Monarques dans fon auguste
Famille , leur apprenant à faire
fentir à fes Sujets & aux Étrangers
le profondrespect qu'il a pour
l'Eglife , & fon unique étude à
faire regner le Sauveur du monde
, par un faint & legitime uſage
de fa puiffance en Roy tres-
Chrétien , Potens , potens in
terrâ erit femen ejus ,fa pofterité
fera puiſſante fur la terre.
Enfuite il adreffa le Dif
cours à Meffieurs de l'Aca230
MERCURE
demie Françoife.
Je vous laiffe , Meffieurs, leur
dit-il , le glorieux employ de
loüer un gouvernement dont nous
avons déja veu , & dont nous
efperons encore de fi grands progrez.
Eftant les Sçavans du
Royaume les plus bonorez , &
les plus dignes de l'honneur qu'on
vous y défere , choifis avec connoiffance
, traitez avec diftinction
, écoutez avec respect , parlant
avec jufteffe , décidant des
doutes & des beautez de noftre
Langue , avec une fouveraineté
que vous meritez , oferois -je
voftre prefence entreprendre un
GALANT.
231
Eloge , qui ne femble devoir régarder
que vous , par la premiere
place que vous occupez dans
l'Empire des belles Lettres ? Que
voftre destinée est heureufe,
Meffieurs , de pouvoirfaire un
mefme Corps des actions de
LOUIS LE GRAND , &
de vos paroles , d'eftre en droit par
l'hiftoire de fa vie , d'inftruire
tous les autres Roys de la terre;
deforcer l'Envie , la Mort &
l'Oubly ; d'orner le Temple de la
gloire; d'arrester, pour ainfi dire la
rapidité des temps , de faire revenir
àjamais , de rendre toûjours
prefent celuy où nous fommes;
232 MERCURE
de confondre la Fable ; de remplir
l'Hiftoire ; defervir la Religion,
& l'Etat , en confacrant la memoire
de LOUIS LE
GRAND , par des termes dont
la force enleve les efprits & les
coeurs des Peuples , pour leur faire
croire à l'avenir ce que nous
voyons aujourd'huy , & ce qu'on
ne pourroit jamais croire , fi la
maniere de les rapporter n'y contribuoit
, c'eft àdire ,fi la nobleffe
de vos expreffions ne répondoit au
comble de fa grandeur.
Il y eut une excellente
Mufique
pendant la Meffe.
Elle eftoit de M' Oudot,qui
GALANT. 233
receut de grands applaudif
femens . L'Académie s'éftant:
affemblée l'aprefdînée , &
ayant laiffé la liberté d'entrer
dans le lieu où elle tient
fit
pudéclara
fes Conferences ,
bliquement la diftribution
des Prix d'Eloquence & de
Poëfie. Ml'Abbé de Dangeau
, qui en eft prefenteinent
Directeur
que la Piece d'Eloquence
que l'Académie avoit préferée
à toutes les autres , eftoit :
de Mr Brunel de Rouen . Elle
fut leuë par M ' l'Abbé Re--
gnier , Secretaire perpetuell
Septembre 1685.
V
254
MERCURE
de la mefme Compagnie
& on la trouva d'un ſtile
noble & naturel , d'une juſte
diſtribution , pleine de penfées
nouvelles , & d'un feu d'i
magination toûjours reglé
par le jugement. Je ne vous
diray rien de l'Autheur , finon
qu'il eft encore jeune,
& qu'on peut connoiſtre l'eftime
qu'il s'eft acquife par
la joye genérale qu'on a dans
Rouen , de le voir preſt à entrer
dans une Charge im
portante , ou le Public a be
foin d'un fort honnefteHomme.
On leut enfuite la Piece
GALANT 235
de Vers qu'on avoit trouvée
digne du Prix. Perfonne
alors n'en connut l'Autheur ;
mais on a fceu depuis ce
temps-là qu'elle eſt de M
d'Alibert , Seigneur de Saint :
Romain le Haut en Bourgo--
gne .
Ces deux Pieces ayant efté
leuës , M l'Abbé de Dan--
geau exhorta Mrs de l'Aca--
démie à lire quelque chofe
d'eux felon la coûtume.. M
le Clerc commença par un
petit ouvrage de Vers qui
fut extrémement applaudy..
Il contenoit la Punition
V ij,
236 MERCURE
d'Antiochus. Mr l'Abbé de
Lavau leut aprés cela l'Explication
en Vers de quelques
Devifes que feu M
Douvrier a faites fur les dernieres
Campagnes du Roy.
Le tour de fes Vers eftoit fi
juſte , qu'ils donnoient encore
de la beauté aux Devifes
. On eut enfuite le plaifir
d'entendre une fort galante
Epiftre d'Amour de M² de la
Fontaine , aprés quoy M
l'Abbé Tallemant le jeune,
leut un Chant d'un excellent
Poëme , que M¹ Perrault
a fait de la vie de S. Paulin .
GALANT. 237
Cette lecture fut interrompuë
en beaucoup d'endroits
par les applaudiffemens de
PAffemblée , qui admira
les deſcriptions riantes & naturelles
dont tout ce Poëme
eſt remply.
Le mefme jour les Habitans
de Luxembourg , qui
l'année derniere avoient celebré
avec beaucoup de fo
lemnité le jour de S. Louis ,
parce que c'eft celuy de la
Fefte du Roy , s'engagerent
à la celebrer tous les ans
avec une magnificence digne
de leur zele. L'Affem-
1
238 MERCURE
blée du Clergé , & de tous
les Corps , fe fit dans l'Eglife
des Recolets François ,que
le Roy y a établis . On alla
enfuite en Proceffion dans la
Ville. Le Saint Sacrement
fut porté par M' l'Abbé de
Munfter , & fuivy de M le
Marquis de Lambert Gou--
verneur de la Place , accompagné
de tous les Officiers
de la Garniſon , & de beaucoup
de Nobleffe des environs
. Les Voix & les Inftrumens
n'y furent pas oubliez ,
non plus que tout ce qui
pouvoit donner de l'éclat à
GALANT 239
cette Felte. Le Panegyrique
prode
Saint Louis fut
noncé par le Pere Olivier
Juvernay, Gardien des Recolets
de Luxembourg. Ce Dif
cours fut trouvé digne de la
reputation que ce Pere s'eſt
acquife à Paris , & luy attira
mille loüanges . Il y eut le
foir des Illuminations par
toute la Ville , & plufieurs
décharges de la Moufqueterie
& de l'Artillerie ; tous
les Habitans ayant voulu
marquer à l'envy qu'ils ont
le coeur veritablement François
.
240 MERCURE
M' de Vertron , de l'Academie
Royale d'Arles ,.
dont je vous ay parlé plufieurs
fois , ayant fait un
Livre intitulé , Paralelle de
Louis le Grand , avec les Princes
qui ont efté furnommez
Grands , a propoſé le Portrait
de Sa Majefté , pour
Prix du plus beau Sonnet
qui feroit fait fur cette mefme
matiere . M le Duc de
Saint Aignan & M le Duc
de Nevers, qui ont efté nommez
Juges , ont donné le
prix à un inconnu , qu'on a
fceu depuis eftre le Pere
Morgues
GALANT. 241
Morgues Jefuite. Il paffe
pour un habile Orateur
& un grand Mathematicien
, & a fait imprimer depuis
quelques mois un Livre
tres- eftimé touchant les Regles
de la Poëfie Françoiſe .
Voicy fon Sonnet .
GRands un
Rands par un ample amas de
glorieux exploits
Grands par tant de bienfaits , Grands
par tant defageffe ,
Grands par une puissance affujetie
aux Loix ,
Grands par mille revers foûtenus
fans foibleffe.
03
Vertron , ces grands Heros ont ram
pé quelquefois ,
Septembre 1685.
X
242 MERCURE
Tu trouves à chacun quelque endroit
qui labaiffe ,
Il n'est qu'un feul Mortel Grand par
tous ces endroits ,
Devant LOVIS LE GRAND , tout
le refte eft baffeffe.
ca
Ta leur oftes pourtant moins que tu
ne leur rends ,
Comparez à LOVIS ils fe trouvent
plus gronds,
Ceder ne peut icy tirer à confequence.
£3
Leurs titres de Grandeur n'en feront
pas plus vains,
On peut eftre audeffous du Heros de
la Erance ,
Et beaucoup audeffus du reste des
Humains.
Madame de Saliez ViguieGALANT.
243
re d'Alby , dont je vous ay
envoyé plufieurs Ouvrages,
a fait le Sonnet fuivant. Il a
paffé pour le meilleur , aprés
celuy du Pere Morgues.
G
Rand Roy , qu'on est heureux
de vivre fous vos Loix !
Vos fuperbes Vaiffeaux deftinez aux
conqueftes ,
Courent toutes les mers fans peril ,
fans tempeftes ,
Tout respecte , tout craint l'Empereur
des François.
En faveur des Chrétiens vos fondres
toûjours preftes
Ont fceu brifer leurs fers déja plus
d'une fois ,
Nous voyons par vos foins l'Herefie
aux abois , X ij
244 MERCURE
Un Hercule a fuffi pour cette Hydre
à cent testes.
♡
Que de travauxfifaints ,fi grands,
fi glorieux
Ouvrent à voftre gloire un beau champ
dans les Cieux ,
Et que c'eft dignement porter le Diadefme!
La Grandeur devant Dieu , n'eft qu'un
point , qu'un neant ,
Plusjufte, plus pieux que pas un Conquerant
,
Vous paroiffez , Grand Roy , Grand
aux yeux de Dieu mefme.
Vous fçavez , Madame ,
qu'on fait tous les ans deux
nouveaux Echevins à Paris,
GALANT. 245
par Mef & qu'ils font élûs
fieurs de Ville. Je vous ay
déja mandé plufieurs fois, de
quelle maniere fe fait cette
élection . Ainfi c'eft un détail
où vous me difpenferez d'entrer
aujourd'huy.Sivous
voulez
vous en rafraifchir la memoire
, vous pouvez jetter
les yeux fur les Lettres dans
lefquelles je vous en ay par
lé les autres années. Je vous
diray feulement que le premier
des deux Echevins qui
ont efté élûs celle - cy , eft ·
M' Geoffroy , dont le Pere & .
le grand - Pere ont joüy de la
X
iij
246 MERCURE
mefme Dignité; & le fecond,
M' Gayot. Mile Févre d'Ormeffon
, Maiſtre des Requeftes
, & Neveu de M' le Prefident
de Fourcy Prevoft des
Marchands , les conduifit à
Verſailles le 19. du mois paffé
; il preſenta le Scrutin au
Roy , & fit à Sa Majeſté le
Difcours qui fuit .
IRE ,
S"
Vostre bonne Ville de Paris
, en Vous prefentant fes nouveaux
Magiftrats , trouve toû
jours de nouvelles actions de graces
à Vous rendre. Elle a fenty
GALANT. 247
pendant l'Hyver les effets de vo
tre Bonté & de vostre Prévoyan
ce paternelle. Ces bleds transpor
tez par les ordres de V. M. des
Parties de l'Europe les plus éloignées
, ont rendu l'abondance à
voftre Peuple , dans un temps où
Favarice du Marchand auroit pû
fe prévaloir de la neceffité pu
blique.
Paris voit encore les marques
de voftre Liberalité , dans l'embelliffement
de fes ramparts , où
tant de bras que l'indigence invitoit
au crime , font utilement occupez.
V. M. par une contrain.
te falutaire , faitfervir la partie
X
iiij
248 MERCURE
la plus inutile & la plus baffe
de fes Sujets à l'ornement de la
plus grande Ville du Monde, &r
aneantit par ce travail la pareffe
& la mendicité; fuccés que nous
n'aurions jamais osé efperer , ft
nous ne vivions fous un Regne
où les chofes autrefois eftimées
les plus impoffibles , deviennent
aisées dés qu'il plaift à V. M.
de les vouloir.
Que ne dirois-je point ſur ces
nouvelles marques de vostre magnificence
Royale , fi je n'estois
lié par le fang avec le premier
de vos Magiftrats, à quiV. M.
a confié la Direction de fes OnGALANT.
249
vrages publics ? Les justes Eloges
que l'on donne à vos grands Def-
Jeins , répandent toûjours quelque
éclatfur ceux qui les executent
; mais cependant , SIRE ,
dequoy puis-je mieux vous parler
au nom de vostre Ville Capitale,
que des graces que vous verſez
continuellement fur elle ? Oferoitelle
vousfairefouvenir de ces Vi
ctoires pleines de prodiges , que
vous avez remportées fur toute
l'Europe foulevée contre voftre
Entreprendroit - elle de Vous
feliciterfur le prompt fuccés avec
lequel Vous rappellez au fein de
l'Eglife tant de Peuples égarez ?
gloire?
250 MERCURE
Vous exprimeroit - elle les hautes
idées qu'elle a de cette Puiffance
invincible , laquelle aprés tant
d'exploits heroïques , vient encore
deforcer la plus fuperbe Vil
le de l'Italie , à mettre à vos
pieds
les marques de fa Puiſſance fouveraine
, & àrecevoir la Loy
que V. M. a voulu luy impofer ?
reprefenteroit-elle les Coftes
de l'Afrique en feu , les aziles
des Pirates reduits en cendre , les
Barbares dépoüillez d'une infinité
d'Efclaves qu'ils retenoient depuis
fi long- temps dans leurs fers.
Non , SIRE , ce font des
évenemens trop grands & trop
Vous
GALANT 251
illuftrespour n'eftre touchez qu'en
paffant ; & quand Paris voudroit
entreprendre de les publier,
comment pourrois-je répondre à
fon zele , moy qui ne puis trouver
d'expreffions pour vous marquer,
SIRE , la reconnoiffance infinie
dont je fuis pénerré , quand je
penfe à la grace que j'ay receuë
de V. M. grace que je tacheray
de meriter dans tous les momens
de ma vie , par une application
infatigable à vous continuer les
fervices de mes Peres , dans la
Charge dont V. M. m'a honoré,
me confiderant deformais comme
un Sujet qui Vous doit, SIRE,
252 MERCURE
tout ce qu'il eft , & qui ne peut
rien estre que par les Bontez de
Voftre Majesté.
Aprés que M' d'Ormeſſon
eut prononcé ce Difcours ,
qui luy attira beaucoup de
louanges, les deux nouveaux
Echevins preterent
le Serment
accoûtumé..
Le Roy a accordé à M
de Maupeou , Confeiller en
la
Quatrième des Enqueftes
du Parlement, la furvivance
de la Charge de Prefident en
la
Premiere des
Enqueftes
,.
dont Mr fon Pere eft pourGALANT.
253
veu. Sa Majefté avoit déja
accordé la mefme grace
Mr de Maupeou fon Frere ,
aujourd'huy Evefque de Caftres
, dans le temps qu'il eftoit
Avocat General au Grád
Confeil
. Toutes les graces
que Sa Majefté fait à cette
Famille , font fingulieres ;
auffi peut - on dire qu'elles
font deues au zele & à la fi
delité dont M le Prefident
de Maupeou a donné tant de
glorieuſes marques depuis
cinquante ans , & aux fervi
ces de quatre de ſes Freres
Capitaines aux Gardes , dont
254 MERCURE
le dernier eftoit Gouverneur
d'Ath. Ce qu'il y a de fort remarquable
, c'eft qu'il femble
qu'ils naiffent tous également
propres à toutes fortes
de Profeffions , lors qu'il s'agit
de fervir le Roy. Le Fils
aifné eftoit pourveu de la
Charge d'Avocat General au
Grand Confeil , qu'il a exercée
pendant fix ans , avec
l'approbation du Public ; &
aprés ſa mort , le ſecond qui
eftoit Docteur de Sorbonne ,
& qui a efté fait Evefque de
Caftres, prit la meſme Charge
, & s'en acquitta avec le
GALANT 255
mefme fuccés que s'il n'avoit
jamais embraſſé une autre
profeffion. Celuy qui eft
prefentement Confeiller, eftoit
auparavant Chevalier
de Malte , & en cette qualité
il a fait fes Caravanes.
Son Cadet , qui eftoit Sous-
Lieutenant aux Gardes dés
l'âge de dix-fept ans , ayant
efté tué dans le fervice, il luy
fucceda en cet Employ; mais
eftant reftéfeul dans le ionde,
Sa Majefté luy permit de
changer d'eſtat , & de prendre
la Robe. Si cette Famille
eft Illuftre du cofté de M
256 MERCURE
le Preſident , elle ne l'eft pas
moins du cofté de Madame
la Prefidente , qui eft Soeur
de M' Doujat Confeiller de
la Grand' Chambre .
On a fait quatre nouvelles
Cloches pour l'Eglife de
Saint Etienne du Mont à
Paris ; & elles ont efté benites
depuis peu de temps par.
M. Gardeau Curé de cette
Paroiffe . Elles eurent pour
Parains les fix Docteurs Regens
de la Faculté de Droit
de l'Univerfité de Paris , qui
font Mr Doujat , Hallé , de
Loy , Baudin , Cugnet &
GALANT. 257
Mongin. Ils nommerent la
premiere Eftienne , à cauſe
que cette Eglife eft dédiée
à Saint Etienne , & les trois
autrs furent nommées Jean,,
Pierre , & Michel , du nom
des trois anciens de ces fix
Docteurs.
>
Je ne vous ay point par--
lé des Etats de Bretagne,,
qui fe fonr tenus depuis peu..
Tout s'eft paffé à l'ordinaire,,
c'eft à dire , à la fatisfaction?
du Roy & de la Province..
Vous fçavez que pendant :
qu'ils durent , chacun s'ef
force à l'envy de faire paroî--
Septembre 1685,
Y
258 MERCURE
tre fa magnificence
. M¹ le
Duc de Chaunes a toûjours
tenu deux Tables , qui ont
efté fervies avec beaucoup
d'abondance
& de propreté.
La mefme choſe a efté
de toutes les autres Tables
, & fur tout de celle de
M' l'Evefque de Saint Malo .
Il y avoit fort fouvent juf
qu'à cinquante Perſonnes .
M de Chaunes voulut un
-jour regaler toutes les Dames
, & il leur donna un
fouper tres magnifique. Le
Sieur Dumény dont la voix
s eft fait long-temps admiGALANT.
259)
rer à l'Opera, a fait differens
Concerts qui ont eſté extrémement
applaudis , & les
Etats luy ont fait une gra
tification digne de leur
liberalité , & de la generofi
té de Mr le Duc de Chaunes.
Aprés qu'ils furent finis
à Dinan , M l'Evefque
de Saint Malo traita à Saint
Malo M de Fieubet
, premier
Commiffaire
du Roy
pour la Province . Ce Prelat
& M de Guemadeu allerent
au devant de luy avec toute
leur Maifon qui eft fort
nombreufe. En arrivant furs
Y ip
260 MERCURE
>
la Gréve à la portée du Canon
, la Ville le falüa de
cinquante volées de fon Artillerie
& tout le Peuple.
accourut en foule en criant
Vive le Roy. La Garniſon de
la Ville eftoit fous les armes,
& il fut conduit à l'Eveſché,
où tous les Corps le compli
menterent. On luy fervit
enfuite un magnifique dîner
en Poiffon , ce qui le furprit
d'autant plus que ce jour là
le temps eftoit fort mal propre
pour la pefche. Les Tambours
& les Violons ne cefferent
point de jouer pen
GALANT. 261
dant le repas . Au fortir de
Table , on trouva fix Carroffes
à fix Chevaux que
l'on avoit préparez , & dans
lefquels l'on fit une promenade
fur la Gréve . On entra
enfuite dans plufieurs petits
Bâteaux , qui allerent joindre
un grand Vaiffeau. Mr
de Fieubet y fut receu avec
les Tambours , les Trompettes
, & les Violons , &
l'on y fervit une tres fuperbe
Collation. On prodigua
les Liqueurs ; les Matelots
ne manquerent point de
vin, & il y eut une infinité de
262 MERCURE
coups de Canon tirez , qui
n'effrayerent point les Dames.
Lors qu'on retourna
dans la Ville , on trouva encore
la Garnifon fous les
armes . Le Gouverneur fit la:
civilité à Mr de Fieubet de
luy demander l'ordre . Aprés
le foupé qui fut fomptueux
, il y eut Comedie &
Mufique ; puis on paffa dans
une grande Sale qui avoit
efté preparée pour le Bal , &
qui eftoit magniquement
ornée , & enrichie de plus
fieurs Tableaux de grand
prix . On fervit pendant le
GALANT. 263
Bal une tres, galante Collation
, avec quantité de liqueurs
rafraiſchiffantes , &
l'on ne fe fepara qu'aprés
avoir fait media noche . Ce der
nier régale fut donné fans
que perfonne s'y fuſt attendu.
Le lendemain les Tambours
, les Violons & les
Haut- Bois fe trouverent au
lever de M' le Commiflaire
duRoy.Mr de S.Malo alla enfuite
le prendre pour le mener
à la Meffe , où cét Evef
que luy fit tous les honneurs
qu'il pouvoit luy faire. Il y
eut Mufique pendát la Mef264
MERCURE
fe, & l'on difna au fortir de
là , parce que M de Fieubet
eftoit preffe de partir. A l'if--
fue du difner Meffieurs de :
Ville prirent congé de luy,.
& en receurent mille honneftetez.
On tira encore cinquante
ou foixante volées
de Canon lors qu'il fortit de
Saint Malo , d'où M¹ l'Evef
que le conduifit jufqu'à
Chafteau-neuf. Vous voyez,,
Madame , qu'on ne peut
rien ajoûter à l'éclat de ma
gnificence & de grandeur,
avec lequel ce Prelat vient
à boutde tout ce qu'il entreprend..
GALANT. 265
prend. La belle voix du
Sieur Dumény ne donna pas
moins de plaifir dans ces divertiffemens
quelle avoit
fait aux Etats.
un
L'Ambaffadeur de France
à Conftantinople , eſtant
Conful de toutes les Nations
de l'Europe , il eſt neceffaire
d'y envoyer
Homme qui ait de l'intelligence
, & beaucoup de fermeté.
Ainfi le Roy les oblige
toutes , lors qu'il jette les
yeux fur un Homme capable
de bien remplir cét employ
, & c'eſt
Septembre 1685.
pour cela que
Ꮓ
266 MERCURE
Sa Majesté a choifi Mr Girardin,
qui non ſeulement a
toutes les qualitez neceſſaires
pour cette Ambaffade;
mais encore qui poffede parfaitement
la Langue Turque
, & toutes les manieres
du Pays , où il a fait
deux Voyages , comme je
croy vous l'avoir déja mandé.
Il eft party depuis quelques
jours , & il fe doit embarquer
à Toulon. Cependant
Madame de Guilleragues
, qui a pris foin des Affaires
, depuis la mort de M
de Guilleragues fon Mary ,
GALANT 267
s'en eft tres- bien acquitée.
Elle a fait obferver tout ce
qu'il avoit demandé pour les
Chrétiens au nom du Roy, &
que le Grand Vifir luy avoit
promis , & s'eft diftinguée par
des actions de vigueur , contre
ceux qui ont voulu entreprendre
fur fon authorité.
Quand je vous écrirois
tous les jours , au lieu que je
ne le fais qu'à la fin de cha
que mois , je ne fçay fi je
pourrois avoir l'avantage
de vous apprendre les
grands évenemens , avant
que vous en fuſſiez inſtruite,
Z ij
268 ย MERCURE
puis que par l'éclat qu'ils
font lors qu'ils arrivent , le
bruit s'en répand par tout
avec tant de promptitude,
que tout le monde les fçait
prefque en mefme temps.
Telle a efté la priſe de Nevvhaufel
, dont je dévrois aujourd'huy
vous mander les
,
circonftances ; mais comme
les Hiftoires genérales ne les
marqueront peut-eſtre de
plufieurs années je croy
pouvoir differer d'un mois à
vous en parler , afin de ne
vous laiffer rien à fouhaiter
fur cét article . Cependant
GALANT. 269
je vous envoye le Plan de la
Place , & vais vous faire part
du Combat qui s'eſt donné
avant fa prife entre les
Troupes
Chrétiennes
&
celles des Turcs. Le Prince
Charles de Lorraine ayant
appris que les Ennemis au
nombre de cinquante à foixante
mille , affiegeoient la
Ville de Gran , autrement
deux a
Strigonie , dont je vous parlay
il y ans , lors que
ce Prince la prit , réfolut
d'aller au fecours de cette
Place . Il laiffa feize mille
Hommes devant Nevvhau-
Z iij
270 MERCURE
Bataille aux
fel , fous le Commandement
du Comte Caprara , Maréchal
de Camp Genéral , &
marchant avec trente - cinq
mille , il arriva le 12. du der
nier mois à la veuë de Gran,
& des Ennemis , qui réfolus
de donner
Chrétiens , leverent auffi
- toft le Siege , & vinrent fe
pofter dans l'endroit le plus
avantageux qu'ils purent
choifir. Ils avoient le Danube
à leur droite , une longue
chaîne de Montagnes
efcarpées à leur gauche , le
chemin de Bude derriere
GALANT. 271
eux , & devant, un Marais
fort difficile , & au paffage
duquel ils attendoient l'Armée
des Chrétiens . On fit
reconnoiftre ce Marais , &
on ne jugea pas à propos de
le paffer en défilé devant une
Armée nombreuſe & en
Bataille. On campa à la portée
du Canon de ce Marais,
où l'on demeura quatre
jours en prefence . Ces qua
tre jours ſe paſſerent en efcarmouches
, où lesChrétiens
eurent prefque toûjours
l'avantage ; ce qu'il y eut
de plus remarquable , c'eſt
Z iiij
272 MERCURE
que les Turcs n'oferent - jamais
paffer le Marais pour
venir efcarmoucher du côté
des Allemans , & queles
Allemans le paffoient toûjours
devant eux. Enfin la
nuit du 15. au 16. les Genéraux
Allemans réfolurent
de décamper , foit pour
prendre un Pofte plus commode
, foit pour attirer les
Ennemis. Ils firent marcher
à dix heures du foir leur gros
bagage , l'Armée étant en Bataille.
Les Turcs s'apperceu
rent de ce mouvement , & le
prenant pour une fuite vouGALANT.
273
lurent en profiter.Ils avoient
déja travaillé à pouffer des retranchemens
fur les Montagnes
de leur gauche , qui
eftoient à la droite des Chré
tiens. Ils avancerent avec
beaucoup de chaleur, &pafferent
leMarais avec une grande
précipitation
, pour venir
charger les Troupes qui fe
retiroient. Ils donnerent d'abord
fur l'aifle gauche commandée
par Monfieur l'Electeur
de Baviere , où ils
furent vivement repouſſez,
avec perte de beaucoup de
Janiffaires. Les Chrétiens
274 MERCURE
n'eurent qu'un Gentilhomme
de tué , qui combattoit
à cofté de Mr le Prince
Eugéne de Savoye , dont le
Régiment de Dragons eftoit
à la tefte de l'aifle gauche.
Les Turcs firent de grands
cris toute la nuit , & travaillerent
à avancer , & à affeurer
leur retranchement qui
eftoit fur les Montagnes
,
parce qu'ils prétendoient
faire leur principal effort de
ce cofté là , à cauſe que la
cheute des Montagnes leur
donnoit moyen de prendre
l'Armée Ennemie en flanc..
GALANT. 275
Les Chrétiens de leur cofté
marcherent avec beaucoup
de filence , & gagnerent un
pofte plus reculé , & plus avantageux
, où l'on avoit
deffein d'attendre les Ennemis
. On leur fit volte-face
de temps en temps pour les
arrefter , & on les trouva en
Bataille à la pointe du jour
au Pofte qu'on avoit voulu
gagner. Il s'éleva en mefme
temps un Broüillard fi épais,
que les Ennemis ne pouvoient
voir l'Armée , ny
l'Armée les Ennemis , quoy
qu'on entendift de part &
276 MERCURE
d'autre le bruit des Tambours
& des Trompettes.
Le Soleil parut qui diffipa ce
Broüillard. On fit encore
volte-face , & l'on marcha
en pleineBataille aux Turcs,
qui ayant tous paſſé le Marais
, eftoient auffi en Bataille
. Meffieurs les Princes
de Conty & de la Roche
Sur-Yon qui attendoient depuis
long- temps le jour de
cette Bataille ,pour terminer
leur Campagne auffi glorieufement
qu'ils l'avoient
commencée , choiſirent la
droite commandée par le
GALANT. 277
Prince Charles . Ils creurent
que le fort de la Bataille ſeroit
de ce cofté là , & ils ne
ſe tromperent pas . Les Enmis
deſcendirent avec une
impetuofité terrible , & des
cris épouventables , de deffus
les Montagnes , & vinrent
fondre fur l'Efcadron
où eftoient ces deux Princes
; c'eftoit celuy de Lanthiery
, du Régiment de Saxe
Lavembourg. On vit ce
qu'on n'avoit encore jamais
veu dans les Armées d'Allemagne
,
deux Princes du
Sang de France , qui ayant
A
278 MERCURE
+
refufé tous les Commandemens
qu'on leur avoit
voulurent comofferts
,
battre comme fimples Volontaires
. Ils eftoient au
premier rang de cet Eſcadron
, qui eftoit à la teſte de
l'Armée ; ils avoient auprés
d'eux quelques- uns de leurs
Gentilshommes d'un cofté,
& de l'autre les Cavaliers
du Regiment où ils come
battoient , fi fiers de voir
ces deux Princes meflez par
my eux , qui les animoient
par leur exemple , que leurs
Officiers ravis de l'honneur
x
GALANT. 279
que recevoit leur Regiment,
& de voir tant de courage &
tant d'ardeur de combattre
dans le coeur de leurs Soldats
, dirent hautement ,
Quuee toute l'Armée Turque ne
feroit pas plierce feul Eſcadron.
Ils ne fe tromperent point ;
les Turcs tomberent fur cet
Efcadron jufques à trois fois,
avec cette fureur & ces cris
qui les rendent fi terribles ,
& ils le trouverent fi iné.
branlable , que la fermeté
de cette feule Troupe , qui
eftoit la premiere qu'ils rencontroient
, ne contribua
,
280 MERCURE
pas peu à les étonner, & à leur
faire prendre la fuite ; ce qui
caufa la déroute de leur Ármée.
Les deux Princes , quoy .
que leurs Gentilshommes
les euffent preffez de s'armer
de leurs Cuiraffes , à l'exemple
de tous les Generaux , &
de tous les Colonels de l'Empire,
eftoient en fimples Jufte-
au - corps, à la tefte de ces
Colonels tout cuiraffez , &
tout couverts de fer. Ils ef
fuyerent en cet eſtat tout le
feu du Canon & de la Mouf
queterie des Tucrs , & attendirent
leurs Sabres avec un
GALANT: 281
viſage qui raffuroit les moins
hardis. Les Turcs s'abandonnerent
entierement à la fuite
, aprés eftre venus deux ou
trois fois à la charge fans.
pouvoir rompre l'Armée
Chretienne
. On les pourfuivit
jufqu'au Marais qu'ils
pafferent en defordre , la viteffe
de leurs Chevaux les dérobant
aux Chreftiens. Le
Serafkier tâcha de les rallier
derriere le Marais , à la tefte
de ſon Camp , où une partie
fe remit en bataille , tandis
que les Generaux de l'Armée
victorieufe , qui avoit déja
Septembre 1685.
A a
282 MERCURE
pris tout le Canon , déliberoient
s'ils pourſuivroient
ce
avantage.Monfieur premier
Î'Electeur de Baviere paffa le
Marais , avec Meffieurs les
Princes & leurs Gentilshommes,
pour obferver la contenance
des Ennemis ; & le
peu d'affeurance & de fermeté
qu'ils leur remarquerent
, obligea Monfieur de
Baviere à faire paſſer l'aile
qu'il commandoit. Monfieur
le Prince Charles fit
la mefme chofe de fon cofté,
& les Ennemis épouvantez
prirent la fuite encore une
GALANT. 283
fois fans les attendre . Ils a--
bandonnerent leur Camp &
leur Bagage , & ſe fauverent
par trois chemins differens ,,
fi intimidez & fi troublez ,,
que les Janiffaires tuoient les
Spahis afin d'avoir leurs che
vaux ; de forte que les Turcs
n'ayant perdu que trois ou
quatre mille hommes dans ›
la premiere action , en per--
dirent encore beaucoup par
la terreur & le defordre . de :
leurs propres Troupes dans ›
cette feconde déroute. Aprésla
Bataille , Monfieur le Prin--
ce de Conty envoya Mr de
Aaij ;
284 MERCURE
la Chapelle Secretaire de fes
Commandemens
, porter cét
cinquante Ducats aux Cavaliers
de l'Eſcadron dans
lequel il avoit combattu , &
dix en particulier au Cavalier
qui s'eftoit trouvé à fon
cofté, Cette liberalité fut receuë
avec des marques de
joye & d'admiration, qui durerent
tout le refte du jour ,
& au bruit des Trompettes
& des Timbales. Les Generaux
& les Officiers affure,
rent ce Prince , que fon nom
feroit immortel dans les Archives
de l'Empire
, ou parGALANT:
285
my les choſes extraordinaires
qui fe font faites dans
cette derniere guerre , on
marqueroit comme la plus
grande , la refolution & la
valeur avec laquelle deux
Princes du Sang de France
avoient combattu contre les
Ennemis de la Foy.
J'ay oublié de vous dire,
Lors que
que que Monfieur l'Electeur
de Baviere eut fait
paffer le Marais à ſes Troupes
, elles fe trouverent fans
Grenadiers, parce qu'ils n'avoient
point eu ordre de fuivre.
Cela fut caufe que Mon286
MERCURE
fieur le Prince de la Rochefur-
Yon les alla querir , de
forte qu'il paffa & repaffa
deux fois le Marais, avec une
chaleur qui faifoit connoître
l'impatience que ce Prince
avoit de combattre. J'ajoûteray
une choſe dont aucune
Relation n'a parlé , &
qu'on affeure avec certitude;;
c'eſt que Monfieur l'Electeur
de Baviere & le Prince
Charles commandoient alternativement
l'Avant-garde,
& que ce dernier devant
la commander le jour que fe:
donna la Bataille , ce fut par :
GALANT 287
>
cette feule raiſon qu'il eut
l'Aile droite ce jour -là . Meffieurs
les Princes de Conty
& de la Roche -fur-Yon prévoyant
que l'Aile gauche
feroit la premiere attaquée,
refolurent d'y combattre avec
Monfieur l'Electeur de
Baviere , & la fuite fit voir
qu'ils en avoient jugé, comme
auroient pû faire les Capitaines
les plus experimentez
, puifque tout l'effort tomba
de ce cofté-là . Leur intrepidité
fait bien connoiſtre
qu'ils font nez de l'augufte
Sang de Bourbon, puifqu'ils
288 MERCURE
ont combattu fans eftre couverts
d'aucunes armes , &
qu'ils ont eu à cofté d'eux
les fimples Cavaliers du Regiment
où ils ont fait éclater
leur valeur ; ce qui marque
qu'ils n'ont voulu fe faire
diftinguer que par leur
courage , auquel ils doivent
toute la gloire qu'ils ont acquife
en cette perilleufe occafion.
Ils n'ont pas efté
moins admirez , par la maniere
dont ils ont vefcu à
l'Armée. Ils y ont toûjours
foûtenu avec éclat le Caractere
de Princes du Sang de
France
GALANT. 289
France ; & quand ils en font
partis , ils y ont fait des Prefens
qui font connoiftre que
la liberalité a toûjours eſté
une des vertus de Monfieur
le Prince de Conty.
Tant que ces deux Princes
ont efté à l'Armée , on
leur a rendu tous les honneurs
qu'on devoit à leur
naiffance & à leur merite
particulier. Avant que Monfieur
l'Electeur de Baviere
fuft arrivé , ils eftoient gardez
par des Troupes de l'Em..
pereur , dont il y avoit des
Sentinelles pofées autour de
Septembre 1685.
Bb
290 MERCURE
leurs Tentes ; & quand cet
Electeur fut au Camp , ces !
Princes ayant efté dans fon
Quartier , ils eurent la meſme
garde que luy , & des
Sentinelles de fes Gardes du
Corps . Jamais Volontaires
n'ont efté fi expoſez , & jamais
on n'a pouffé plus loin
l'intrepidité , & la refolution
d'acquerir cette veritable
gloire qui fait les Heros .
Vous en ferez convaincuë
,
quand vous aurez fceu qu'au
commencement de la Ĉampagne,
lesTurcs propoferent
de faire bonne guerre
, en
GALANT. 29r
gardant de part & d'autre
les prifonniers qu'on feroit ,
pour les échanger ; & que
les Allemans preffentant
les
avantages qu'ils devoient
remporter, &fiers par avance
des fuccés dont ils ſe croyoiét
affeurez
, répondirent
que
en fimm
comme ils ne vouloient aucun
quartier, ils n'en feroiết
point. Ainfi ces Princes ,
en combattant
ples Volontaires , étoient
prefque affeurez de perir , fi
Ies Chreftiens euffent eu du
defavantage , puifque rien
ne marquant leur naiſſance,
Bb ij
292 MERCURE
¡
on ne leur auroit point
fait de quartier dans un
temps où à peine l'auroiton
donné aux principaux
Chefs de l'Armée . Voilà
ce qui n'a point encore
efté fceu , & qui fait voir
que Meffieurs les Princes
de Conty & de la Rochefur
yon ont eſté animez
en ce Combat de ce Sang
guerrier , dont la gene
reufe & bouillante ardeur
a fait fi fouvent gagner
des Batailles.
·
Le gain de celle qui fut
donnée le feiziéme d'Aouft
GALANT. 293
dernier , avoit efté precedé
de pluſieurs avantages reinportez
par le Comte de Lef-
Jé prés du Pont d'Effex, dont
il brufla onze cens pas le 13.
du mefme mois . Il prit la
Ville d'Effex qu'il fit piller,
& il y trouva beaucoup de
vivres dont il avoit un befoin
extréme ; mais n'ayant
pû fe rendre Maistre du
Chaſteau , il ſe retira prefque
auffi-toft qu'on eut faccagé
la Ville. Le Pont d'Effex
eft un ouvrage fi confiderable
, & il en eft fi fouvent
parlé dans les Rela
Bb iij
294 MERCURE
tions des Guerres que les
Chrétiens ont contre les
Turcs , que je croy vous en
devoir dire quelque chofe.
On l'appelloit anciennemét
Murfa. C'eft où Conſtance,
Fils de l'Empereur Conſtantin,
défit le Tyran Magnence
J'an 359. Ce Pont eft le plus
beau de tous ceux qui foit en
ces quartiers là , & fur les
autres Rivieres. Il eſt baſty
en partie fur le Drave , & en
partie fur la Riviere de Femis
, qui fe débordent fouvent
l'une & l'autre . Il a environ
deux lieuës de long
GALANT. 295
II
y a cinq Tours baſties def
fus , & il eft tres- bien entretenu
', & foûtenu
par de
grands Arbres qui forment
fes Arches. Le Comte Ni
colas Serin fit abattre une
partie de ce Pont en 1664.
mais on y a fait depuis un
Pont de Bateaux
, un peu
plus bas que n'eftoit le
mier. Les Turcs n'ont pas
voulu le rebaftir dans la
mefme place , parce que les
Poutres qui le foûtenoient
& qui eftoient dans l'eau,
s'attacherent
fi fort aprés
que le feu fe fut éteint, qu'ils
Bb iiij
pre
296 MERCURE
auroient eu trop de peine à
les retirer. C'eft fur ce Pont
que paffent toutes les Armées
qui viennent en Hongrie
, & ce fut en cét endroit
que le malheureux Roy
Louis creut avoir arrefté les
Turcs qui marchoient fous
la conduite de Soliman en
1521.
Tous les avantages qui
ont efté
remportez ſur les
Troupes Ottomanes , ayant
caufé beaucoup de réjouiffances
genérales parmy les
Chrétiens ont fait faire
quantité de Festes particu
酒
GALANT 297
fieres. Celles qui ont le plus
éclaté ont efté faites à Angers
par quinze ou feize
Gentilhommes Allemands ,
du nombre defquels font
M le Comte de Truchfes,
& Mrs les Barons de Mege
rii , de Sonau , de Guimenyh
& de Hock. Ils ont fait bril
ler des illuminations , rem→
plir l'air d'artifice , fait entendre
des Salves & des
Concerts guerriers , & d'autres
dont l'harmonie eft plus
douce. Les grands repas
1.
n'ont point efté épargnez,
& ils y ont paru veritables
298 MERCURE
Allemands. Enfin ils n'ont
rien oublié pour marquer
leur joye , & l'on pourroit
dire qu'ils ont efté au de là
de tout ce que des Particu
liers peuvent faire en de pareilles
occafions.
J'ay à vous nommer encore
plufieurs Perfonnes,
dont la mort eft arrivée ce
mois cy. Ce font
Mr du Houffet Seigneur du
Houffet, Chancelier deMonfieur,
& cy-devant Intendant
des Finances. Il eſt mort âgé
de foixante & dix - neuf ans.
Mr Ferary , Chevalier de
GALANT 299
l'Ordre du Roy , Maiftre
d'Hoftel
ordinaire
de Sa
Majefté
, Seigneur
de Gagny
-la-Marcelle
, & Lieutenant
des Chaffes
des Forefts
de Liury & Bondy.
Madame de l'Hôpital
Da
me de Chambourcy
, veuve
de M de Villers la Faye,
Marquis
de Nauvilly
, Maré
chal des Camps
& Armées
du Roy , Capitaine
Lieunant
de la Compagnie
des
Gensdarmes
de fon Alteffe
Sereniffime
Monfieur
le
Prince .
鼎
Mr de Bailleul , Seigneur
200 MERCURE
du Pleffis - Briart , Courte
Couronne , Chavane &
Chande , Moufquetaire du
Roy en la premiere Compagnie.
Il eft mort âgé de vingt
deux ans , il eftoit Fils de M
de Bailleul Capitaine aux
Gardes , & Grand Louvetier
de France. Je vous ay appris
la mort de Madame de
Bailleul fa Mere dans cette
mefme Lettre .
Mr le Maiſtre de Ferriere
Seigneur de Perfaque & Belfot
, Confeiller en la Grand'
Chambre.
Mr Doüilly Receveur Ge
GALANT :
301
néral de Poitou .
Mr de Carnavalet Gouverneur
de Broüage , cy - devant
Lieutenant des Gardes
du Corps. Il a paffé une partie
de fa vie à la Cour , où il
eftoit dans une tres-grande
eftime .
On à eu avis de Luc en
Provence , que le Pere Raimond
de Roftagny , Docteur
de Sorbonne , & Pro
vincial des Carmes , y eftoit
mort en odeur de Sainteté
le 20. du dernier mois. Il é
toit âgé de 66 ans . Lors qu'on
l'enterra , il fut impoffible
302 MERCURE
d'empefcher que le Peuple
qui eftoit accouru en foule,
ne déchiraft les manches de
fa robe , pour les conferver
comme des Reliques. Il prit
l'Habit de fon propre mouvement,
n'ayant encore que
neuf ans. Ses Prieres , fes
Méditations , & fes lectures
affiduës , l'obligeoient à une
grande retraite , & fon plaifir
eftoit de mener une vie
cachée. Il a refufé d'eftre Evefque
, & il fallut le menacer
de
l'excommunier
, pour
luy faire accepter la Charge
de Provincial. Son grand
GALANT. 303
Oncle qui portoit le mefme
nom , & dont la memoire eft
fort reverée,fut trois foisProvincial
dans le mefme Ordre.
Plufieurs grands Prelats
ont porté auffi le nom
de Roftagny , & font morts
dans la mefme odeur de
Sainteté. Il y a eu deuxArchevefques
d'Arles , un Archevefque
d'Aix , un Evefque
de Nice , un de Riez , & deux
de Toulon , fans parler de
quatre Abbez de la celébre
Abbaye de Lerins en Provence
, dont l'un qui vivoit
en 1188. eft reputé bien heu
304 MERCURE
1
reux dans l'Ordre de Saint
Benoilt. Le P. Raimond de
Roftagny dont je vous apprens
la mort , eftoit Oncle
de Mr de Roftagny , Medecin
de S. A. R. Madame
de Guife , qui a donné depuis
peu au Public un Livre
intitulé , La Fille de Calvin
démafquée. Il l'appelle ainſi,
à caufe que l'on y voit l'explication
mife par Beze dans
les Livres de la Religion
Prétendue Reformée
, pour
en eftre l'emblême . On y
voit auffi plufieurs Lettres a
des Perfonnes confiderables
GALANT
305
de cette mefme Religion ,,
ou qui en onteſté. Ce Livre
fe. vend chez le Sieur Barbin
& l'Autheur y traite
les Controverfes en Vers,
d'une maniere inftructive,,
ce que Perfonne n'a fait
avant luy , la matiere ne s'accommodant
pas aifément à
la Poëfie.
La Charge de Grand
Maiftre de l'Artillerie que
poffedoit feu M le Duc du
Lude , a efté donnée à M¹ le
Maréchal de Humieres. I a
plû au Roy de reconnoiftre
par là les grands fervices qu'ill
Septembre 1685 .
C.c
306 MERCURE
•
luy a rendus en beaucoup de
Campagnes qu'il a faites ,
pendant lefquelles il s'eft
trouvé à plufieurs Batailles ,
& à la priſe de diverſes Places.
Sa Majefté le fit Lieutenant
Genéral de fes Armées
en 1657. & Maréchal de France
en 1668. Cette Charge de
Grand Maistre de l'Artillerie
, fut érigée en Charge de
la Couronne au mois de
Movembre 1599. en faveur
de Mr de Bethune , Duc de
Sully , Pair & Maréchal de
France. Ceux qui l'ont poffedée
auparavant n'eftoient
GALANT. 307
appellez que Maiftres de
L'Artillerie du Roy. Il y en
a eu vingt- neuf , & neuf qui
l'ont exercée par Commif
fion. Mr le Maréchal de
Humieres eft le fixiéme qui
ait eu la qualité de Grand
Maiftre. Entre ces fix, deux
Maréchaux de France l'ont
exercée par Commiſſion.
Ce font Mrs les Maréchaux
de Schomberg , & Deffiat .
Le Gouvernement dur
Chafteau de Saint Germain
en Laye , que poffedoit auffi
feu M le Duc du Lude,,
avoit efté donné quelques
Cc ij
308 MERCURE
jours auparavant à Mỹ de
Mornay Marquis de Monts
chevreuil , Gouverneur de
M' le Duc du Maine , & en !
fuite de M le Comte de
Vermandois , avec la furvi.
vance pour M' le Comte de
Mornay fon Fils , Colonel
du Regiment de Bearn. Il
époufa quelques jours aprés
Mademoiſelle
de Coetquent
, Niece du Marquis
de ce nom .
Mr Bignon Conſeiller an
Parlement , a épousé depuis
peu de jours Mademoifelle
Billard , Soeur de Madame
GALANT 309
C
de Chauvelin , dont je vous
ay parlé pluſieurs fois. Il eſt
Fils de M Bignon Confeil,
ler d'Etat , fur les pas duquel
il marche. Il a efté Avocat
du Roy au Chaftelet , & a
fait paroistre dans cette
Charge , une grande intelligence
pour les Affaires , &
beaucoup de penétration .
Les nouvelles publiques
vous ont informée des avantages
que l'Armée Venitienne
baremportez
fur les
Turcs , par la priſe de Coron
dans la Morée . Voicy
ce qui a efté traduit fur un
imprimé de Veniſe.
310 MERCURE
de
Les Lettres du Generaliffime
Morofini écrites le 10. d'Aouft ,
portent que les Affiegez ſe défendoient
obftinement dans Corony
à la veuë de plus de dix mille
Turcs , qui s'étoient avancez
plufieurs endroits de la Morée ,
avec du Canon , & toute forte
d'apprefts , afin d'attaquer nos li
gnes. Les noftres au contraire ,
aprés un continuel travail dans
les Mines qu'ils avoient fait
jouer , n'eurent pas le fuccés qu'ils
avoient attendu de la principale ,
ce qui empefcha de donner l'Affaut.
Dans ce mefme temps , les
Turcs firent une vigoureufe irGALANT
311
ruption fur une Redoute avancée
des noftres ; mais un Corps de gens
de delà les Monts , y eftant ac
couru , & une forte Efcarmouche
s'eftantfaite , nos Dragons y furvinrent
avec le Bataillon des
Maltois , commandé par le Com
mandeur de la Tour ; de forte
qu'aprés trois heures de combat ,
le pofte fut recouvrépar les nôtres
avec grand carnage des
>
Turcs , & le gain gain de
17 Etendards
, à la veuë des Affiegez ;
les Turcs attaquerent encore plu
fieurs fois nos Lignes de divers
coftez, & furent repouſſez avec
vigueur dans ces diverfes atta
ques.
312 MERCURE
›
Le matin du 7. le Genera
liffine refolut de donner une fauffe
alarme pourfurprendre les Ent
nemis dans la confufion. Ainfi
ayant ramaẞé un Corps de quin-
Ze cens tant Mariniers
Francs que Corfaires , que
fit paffer fecretement pendant la
nuit aux flancs de l'Ennemy ,
aprés avoir fait voler un peu.
de poudre , au fignal de laquelle
tous les Chefs devoient fairefeu,
que
l'on
le mouvement
concerté
de bruit
>
que
par
impréveu , accompagné de tant
dans le fommeil & tous en del'on
fir , bien
les nostres , fut fi
les Turcs furpris
fordre,
GALANT. 313
fordre , prirent auffitoft la fuite,
abandonnant toutes les provifions
qu'ils avoient en abondance pour
la fubfiftance de l'Armée , beaucoup
de munitions de guerre , &
un tres-riche bagage , fix groffes
pieces de Canon de Bronze, plufieurs
Chevaux , Armes , &
mefme l'Etendard Royal orné
faftuenfement de Queues ordinai
res de Cheval. La perte
tres n'a pú eftre plus legere. Ainfi
unfuccés fi important animant le
courage des Affiegeans , on s'ap.
plique par toutesfortes de moyens
àla conqueste de la Place, dont on
donne de tres-grandes esperances.
Dd
Septembre 1685.
des nô314
MERCURE
Je vous envoye la Figure
de l'Etendard dont il eft parlé
dans cette Lettre. Cette
Victoire fut fuivie quatre
jours aprés de la priſe de Coron.
Les Turcs avoient arboré
un Drapeau blanc, pour
demander à capituler ; mais
pendant qu'on envoyoit des
Oftages de part & d'autre
un Turc ayant mis le feu à
un Canon chargé de Cartouches
, qui tua quelques
Soldats , les Affiegeans furent
tellement perfuadez ,
que le Commandant ne les
avoit amufez que pour les
GALANT
315
faire perir, qu'ils donnerent
dans les retranchemens avec
vigueur, & en peu de temps
fe rendirent maiftres de la
Place. Les Soldats n'ayant
pû eftre retenus par les Officiers
, tuerent plus de trois
mille Turcs , & n'épargnerent
ny âge ny fexe.
Coron , appellée par les
Anciens , Corone , eft dans
la Morée , à douze milles de
Modon, vers le Cap Maina,
autrement Bravio de Maina.
C'eſt une Ville marchande
à caufe de fa fituation , elle
a un Port capable de rece-
Dd ij
316 MERCURE
voir plufieurs Vaiſſeaux , elle
a la Mer d'un cofté , & du
cofté de terre un Mur fortifié
de fix Tours à l'antique,
Les Grecs & les Juifs demeu
rent dans la Baffe Ville , &
les Turcs dans un Chafteau
qui eft la Ville Haute. Les
Venitiens en ont efté les
Maiftres dans le quinziéme
Siecle. Bajazet Empereur
des Turcs la prit fur eux,
auffi bien que la Ville de
Modon en 1499. Le Prince
Doria Genois, qui comman
doit l'Armée Navale des Ef
pagnols , la prit fur les Turcs
GALANT. 317
pour Com- en 1533. il y laiffa
mandant
Mendoza
, avec
quelques
Efpagnols
, qui l'abandonnerent
aux Turcs
peu d'années
aprés . Ceuxcy
connoiffant
l'importan
ce de cette Place , la repri
rent , & elle eftoit demeu
rée depuis ce temps là entre
leurs mains.
Je ne vous fais point de
détail de ce qui s'eft paffé à
Chambor. Comme ce Pays
eft un lieu de Chaffe , &
qu'on y va pour prendre
ce divertiffement , vous devez
eftre perfuadée qu'on
"
Dd iij
318 MERCURE
y a fouvent goûté ce plaifir.
C'eft un de ceux que Sa
Sa Ma.
jeſté a pris pour ſe délaffer
de la grande application
avec laquelle Elle fe donne
aux Affaires. Il y a eu Comedie
plufieurs fois , & rien n'a
eſté fi magnifique , que les
Tables du Roy où toute la
Cour a mangé. Elle eſt
de retour à Fontainebleau ,
où Elle prendra de nouveaux
Divertiſſemens , il y a
déja quelque temps qu'on y
travaille.
N
GALANT. 319
Vous n'aurez l'Explication
des deux dernieres Enigmes
, & les Noms de ceux
T
fens
15.
du
qui en ont trouvé
le vray
, que dans l'Extraordi
naire qui paroiſtra
le
mois prochain
. Cependant
je vous en envoye
deux nouvelles
. Elles font des Nimphes
enjoüées
, Clione
& Rozelinde.
19
dom
sh
SYBENIGME
.
J
1
E ne fuis pas moins belle en de
dans qu'en dehors aliments
L'Hyver que le Printemps , & l'Esté
que l'Automne.
Dd inj
320 MERCURE
Quand l'onfe fert de moy , l'on me
met l'ame au corps ;
Et fans befoin de grands efforts
Je reçois aisément tous les plis qu'on
me donne.
ெ
Ie fuis de la couleur du jour ,
Foible auffi - bien que fouple ; & fi
fort delicate
Qu'on ne voit rien qui ne m'abatte
;
Et telle enfin que je cede à l'amour
Du moindre Zephir qui me flatte.
+3
Lors qu'on me confie un fecret ,
Il n'eftpas trop en affeurance ;
Car fi l'on me neglige , on s'expofe
au regret
D'apprendre en peu de temps qu'il eft
en évidence.
Ne croyez pas que cefoit par vangeance
;
GALANT. 321
Te fouffre tout, jufqu'aux mois de rigueur,
De mépris & de raillerie ,
Ce n'eft pas toutefois fans changer de
coaleur ,
A
AUTRE ENIGME .
Pprenez fije fuis puffante ,
L'ay cent Pages de comptefait,
Que rien au monde n'épouvante .
Leur teint uni , blanc comme lait
Eft d'une grace effez charmante.
Leur taille dégagée a pour plus grand
attrait
+
Une égalité furprenante s
Et le regard le plus parfait
N'y trouve point de difference
Tant exacte eft leur reffemblance:
Par leur moyen, les beaux Efprits galans
322 MERCURE
4
J 2018 24
Ont dequoy s'occuper , fans chagrin
-a & fans peine
Pour plus d'une femained
S'ils ont deffein d'exercer leurs Talens
staьm si n०
Er d'en rendre à leurs peux les effets
évidens.
03
Si uo7
On les employe à beaucoup d'autres
choſess via an absinoƆ zsh
Et dans les intrigues d'amour, {}
C'est à conter fleurette , à porter ris
& roses ,
A mettre feux &fers au jour ,
Et faire voir enfin , à beaujeu, bean
retour.
port
st
Ainfi , je fuis utile , & mefme ne
ceffaire,
A cent fortes d'affaire ,
D'honneur & de fortune , auffi- bien
de coeur.
que
GALANT. 323
* Vous le fçavez , Amy Lecteur,
Vous en eftes fouvent le rémoin oculaire
T
ride morཀུ
ash winch the 16
On me mande de Rouen
un petit Prodige dont je dois
vous faire part. Mademoifelle
de Villiers , Femme d'un
des Comediens de Sa Majeſté
, à l'exemple de Mademoifelle
Raifin fa Mere,qui
avoit formé une Troupe de
petits Comediens , appellez
la Troupe de Monfeigneur
le Dauphin , y en a étably
une autre , à laquelle le Roy
a permis de joindre le titre
de Comediens de Monfei
324 MERCURE
gneur le Duc de Bourgogne.
Elle a choify pour la compofer,
huit Enfans avec un Garçon
& une Fille qu'elle a ; &
les a fi bien concertez ens
femble , qu'ils ont furpris &
charmé toute la Ville , dans
deux Reprefentations que
cette petite Troupe a déja
données d'Ariine ; fur le .
Theatre des Comediens de
Monfeigneur le Dauphin ,
qui font toûjours à Rouen.
La Fille de Mademoiſelle de
Villiers , qui eft la plus vieil
le de la Troupe, quoy qu'el
le n'ait encore que dix ans ,,
GALANT 325
a fait des merveilles dans le
Role d'Ariane , qui eſt tout
remply de paffion . Son Frere
qui n'en a que huit, s'eft fait
admirer en jouant Theſée,
Et la petite Phedre, âgée de
fept ans, a efté extremément
applaudie. On peut dire que
cet établiffement eft avantageux
au Public , puifque
ce font des Eleves. que l'on
forme pour fon plaifir, comme
il s'en fait dans toutes les
autres Profeffions . La pluf
part des bons Comediens ,
tant Serieux que Comiques,
comme Mrs Baron , Raiſin ,
326 MERCURE
& autres qui font dans la
Troupe de Sa Majefté ont
efté élevez de cette forte &
on les a tirez de celle de
Monfeigneur le Dauphing
pour les faire venir à Paris
où vous fçavez qu'ils fe font
rendus parfaits.. 20 knot
Je fuis fâché de l'accident
que vous me mandez. Si vôn
tre Amie , qui s'afflige tant
de fon bras rompu , ne fe fie
pas aux Chirurgiens de fon
voifinage , elle n'a qu'à fe
faire porter à Evaux , qui eft
une Ville du Bourbonnois.
Elle y trouvera une jeune
GALANT. 327
perfonne de qualité appellée
Mademoiſelle de Remirand,
qui a un talent admirable
pour remettre des bras &
des jambes démis ou rompus ,
& des coftes enfoncées . Elle
fait plufieurs autres operations
de cette nature avec
un entier fuccés ; & lors
qu'elle trouve un bras qui a
efté mal remis , elle le caffe
pour luy rendre fa fituation
naturelle , & ne manque
point à luy redonner fa premiere
fonction . Ce qui luy
attire une grande confiance,
c'est que la charité feule
328 MERCURE
l'engage à faire ces fortes de
cures , & qu'elle ne prend
rien de perfonne.
Mercredy dernier 26. de ce
mois , il y eut aux Theatins
un Salut en Mufique , avec
des Prieres pour les Morts.
La mefme chofe fe doit faire
tous les Mercredis dans la
même Eglife.LaMufique eft
du fameux M* Lorenzani ,
Maiſtre de la Mufique de la
Reine.L'habileté qu'il a dans
' cet Art , eft connuë de tout
le monde . Cet Article demande
plus d'étenduë , & je
le reſerve pour le mois pro
GALANT. 329
chain, auffi bien que le 6 Dialogue
des Chofes difficiles à
croire , que l'Autheur m'a
fait la grace de m'envoyer.
Je n'oublieray pas ce qui s'eft
paffé à Caen , lors qu'on a élevé
la Statue du Roy, non plus
que ce que M' le Maréchal
d'Etrées a fait àTunis . Jevous
parleray auffi de plufieurss
Converfions , & de beaucoup
de Feftes qui ont efté
faites dans leRoyaume.Vous
voyez par la que la matiere
ne me manque pas , fi j'avois ›
du temps & de la place. Jefuis
, Madame , Voftre , & c .
A Paris,ce 30. Sept. 1685. Ee
2525222525 $ 525255
鹽TABLE DES MATIERES
contenues dans ce Volume. A
HAranguefaire au Roy- par Mr.16
Coadjuteur de Rouen, en 3
Actions de Pieté du Roy.ed 23
Liberalitez de Sa Majesté.
Elegie de Mr de Cantenac.
v: 30
33
Creation de 2. nouveaux Regimens. ~ 41
Serment prefté pour la Lieutenance generale
de la Province de Berry.
44
Mr le Comte de la Vauguyon eft nommé
Ambassadeur en Espagne. 46
Tableaux faits pour le Roy , par Mr.
Mignard & par Mr le Brun .
Lettre fur le Tableau de Mr le Brun. 53
Morts de plufieurs perfonnes confiderables.
8
47
92
Epiftre chagrine de Me Deshoulieres.108
Relation de Mr Chaſſebras de Cramailles
, contenant fon Voyage depuis Ve
nife jufques à Rome , & fes Remarques
fur les Villes , Lieux & Chemins.
TABLE.
119
confiderables , avec les Devotions de
Noftre-Dame de Lorette, & de Saint
François d' Affife.
Relation de tout ce qui s'eft paßé au Louvre
le jourde la Fefte de S. Louis. 209
Eloge du Roy par Mr l'Abbé Capeau.221
Ce qui s'eft paßé dans la Ville de Luxem
bourg, le jour de S. Louis.
237
240
243
Prix remportépar le Pere Morgues Je-
Suite.
Election de z nouveaux Echevins. 244
Difcoursfait au Roy par Mr le Fevre
* d'Ormeffon.
Survivance accordée par le Roy à Mrde
Maupeou.
Nouvelles Cloches benites en l'Eglife de
S. Eftienne du Mont , & tenues par les
fix Docteurs Regens de la Faculté de
Droit de l'Univerfité de Paris. 256
Etats de Bretagne.
252
257
Départ de Mr Girardin pour Conſt. 265
Affaires d'Allemagne.
Réjouiffances faites à Angers.
Morts.
267
296
198
Charge de grand Maistre de l'Artiller
TABLE.
donnée à Mr le Maréchal de Humie
res.
305
Gouvernement de S. Germain en Laye,
donné à Mr le Marquis de Montchevreil.
Mariage.
Nouvelles de Coron.
307
509
109
Voyage du Roy à Chambor , & retour à
Fontainebleau.
Enigmes.
Comedies reprefentées à Rouen .
3107
323
Talent admirable d'une jeune perfonne
de
qualité.
Mufique aux Theatins.
326
328
Articles refervez pour le mois prochain.
Fin de la Table.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères