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1678, 09-12 (contrefaçon)
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A.10.X.
Dr.Franc p.476.
Eur. Mercure
5119-1678,9/ 12
<
36606943720017
<
36606943720017
Bayer.
Staatsbibliothek
S
33

MERCURE
GALANT.
De L'Anyoys .
Joustela Copie
àParis
Au Palus 1678 .
BIBLIOTHECA
REGLA
MONACENSIS .
۱۰
LE
NOUVEAU
MERCURE
GALANT.
Contenant tout ce qui s'eſt paſſé
de curieux au Mois de Septembre
de l'Année 1678 .
Suivant la Copie imprimée
APARIS
Au Palais , l'An 1678 .
| -
BIBLIOTHECA
REGLA
MONACENSIS.
A
MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
'ay chanté vos vertus pendant
plus de huit mois,
En attendant le temps de
chanter vos Exploits.
Si je ne fournis point aujourd'huy
ma Carriere
Sur vos Prodiges éclatans ,
Ce n'eſt pas manque de matiere ,
C'eſtmanque ſeulementde temps.
En effet , MONSEIGNEUR ,
il m'en faudroit plus qu'il ne m'en
refte , apres avoirparlé desfurprenantes
Actions du Roy , pour
entrer un peu particulierement
dans les choses qui vous regardent.
Ce sont tous les jours de
nouveaux sujets d'admiration
* 3 pour
pour ceux qui ont l'avantage
d'en eſtre témoins. Leur bonheur
eſtſans doute à envier ; maisau
moins quelque zele que leur in
Spire Thonneur d'approcher de
Vostre Personne , il ne sçauroit
qu égaler leprofond respect avec
lequelje fuis ,
MONSEIGNEUR ,
:
Voſtre tres-humble & tresobeïffant
Serviteur. D.
Avis pour toûjours.
ON prie ceux qui envoyeront des
Memoires où ily aurades Noms propres
, d'écrire ces Noms en caracteres
tres-bien formez & qui imitent
l'Impreffion , s'il ſe peut , afin qu'on
ne ſoit plus ſujet à s'y tromper.
On prie auſſi qu'on mette ſur des
papiers diférens des Lettres , toutes
les Pieces qu'on envoyera.
On reçoit tout ce qu'on envoye,
• & l'on fait plaifir d'envoyer.
Ceux qui ne trouvent point leurs
Ouvrages dans le Mercure , les doivent
chercher dans l'Extraordinaire
; & s'ils ne font dans l'un ny
dans l'autre , ils ne ſe doivent pas
croire oubliez pour cela. Chacun
aura fon tour, & les premiers envoyez
ſeront lespremiers mis à moins
que la nouvelle matiere qu'on recevra
ne ſoit tellement du temps ,
qu'on ne puiſſe differer.
On ne fait réponſe à perſonne ,
faute de temps.
On
/
On ne met point les Pieces trop
difficile à lire.
On recevra les Ouvrages de tous
les Royaumes Etrangers , & on propofera
leurs Queſtions.
Si lesEtrangers envoyentquelques
Relations de Feſtes ou de Galanteries
qui ſe ſeront paffées chez eux , on
les mettra dans les Extraordinaires.
On donnera un Volume nouveau
du Mercure Galant , le premier
jour de chaque Mois fans aucun retardement.
L'Extraordinaire du Quartier de
Juillet ſe diſtribuëra le 15. d'Octobre.
Onprie qu'on affranchiſſe les Ports
de Lettres , & qu'on les adreſſe toûjours
chez ledit Sieur Blageart , Imprimeur-
Libraire , Ruë S. Jacques,
àl'entrée de la Rue du Plaſtre.
Pag. 1
MERCURE
I
GALANT.
L n'eſt point beſoin , Madame
, que vous me recommandiez
les Nouvelles
de la Paix. Je ſçay qu'on ne vous
en ſçauroit aprendre de plus agreables
, & qu'aucune de mes Lettres
ne vous aura tant plû que celle où
je vous pourraydonner ce grand Article
tel que vous le ſouhaitez , c'eſt
à dire accompagné de Ratifications ,
de Publications , & de Réjoüiffances
publiques. Comme je commencetoûjours
à vous écrire dés les premiers
jours de chaque Mois , je remetsà
la finde celuy-cy ce quej'auray
à vous dire de l'avancement ou
dela concluſion de ce grand Ouvravrage.
C'en est un en effet ſi grand
que la Paix , que pour entreprendre
d'en venir àbout , il faut avoir quel-
Septembre . A que
2 MERCURE
que choſe au deſſus de l'Homme.
Ön la defire. On la demande. Elle
eſt l'objet des voeux de tous les Peuples
qui font en guerre ; mais il appartient
ſi peu aux Hommes de la
donner , que quelque beſoin qu'ils
en ayent , ils ne ſont preſquejamais
diſpoſez à la conclure. Ainſi quand
ils en doivent joüir , Dieu la fait
(dit-on) defcendre dans le coeur des
Roys , & il ſe ſert de ces Auguſtes
Interpretes pour expliquer là-deffus
fes volontez . Nous le connoiffons
par ceque fait aujourd'huy Loürs
LE GRAND . De tous les Potentats
de l'Europe , il n'y en a point
àqui la Paix qu'ila bien voulu luy
donner , fuſt moins neceſſaire , &
il n'a pas laiffé de s'en rendre comme
l'Arbitre dans un temps où la
Victoire qui le favorifoit de tous
coftez , luy montroit dans la continuation
de la Guerre les plus glorieux
avantages qu'il puſt fouhaiter.
Quand il y renonce en faveur de
ceux
GALANT.
3
⚫ceux qui voudront accepter le repos
qui leur eft offert , il fait tout ce
qu'on peut attendre d'un RoyTres-
Chreſtien , & d'un Vainqueur moderé.
Mais doit- on eſtre ſurpris que
le Ciel ayant médité ce grand Ouvrage,
en veüille laiſſer la conduite
| à un Prince qui nous a eſté donné
par miracle , & dont toutes les Actions
en font une ſuite continuelle ?
Les reflexions que je vous ay déja
priée de faire ſur le grand nombre
de nos Troupes , fur les Fonds affurez
pour leur ſubſiſtance , & fur
la tranquillité dont la France a toûjours
joüy malgré la Guerre , ne
ſçauroient faire admirer les bontez
du Roy, qu'elles ne faſſent enmefme
temps condamner les Ennemis
par tous les Princes, def- intéreſſez .
Je nomme Ennemis ceux qui balancent
à recevoir la Paix , dont ils
n'ont pas ſeulement beſoin pour l'établir
en fuite au milieu de leurs
Etats où regne la diviſion, mais pour
A2 fau4
MERCURE 4
fauver ce que le Roy ſera toûjours
en état de prendre ſur eux. Depuis
fort longtemps vous entendez parler
de leurs troubles. Ily en a chez qui
les uns voudroient toûjours commander
dans le Cabinet , & vous
en ſçavez chez qui d'autres ne trouvent
rien de plus doux que de ſe faire
obeïr par de nombreuſes Armées.
Ces troubles ſeroient de grands avantages
pour le Roy , ſi ſa genéroſité
pouvoit luy permettre d'en joüir ;
mais il ne veut profiter ny de la
foibleſſe ny du deſordre de, ſes Ennemis,
& il leur ofre les moyens de
ſe garantir des malheurs domeſtiques,
qui les menacent pendant que tout
eſt paiſible& en joye chez luy. On
peutdireque quand meſme laGuerre
ne finiroit point , tout y demeureroit
dans le meſme état , puis que
tant qu'elle a duré , il s'est fait beaucoup
de Feſtes , tant publiques
que particulieres , dans toutes les
Provinces du Royaume. Vous en
avez
GALANT .
5
1
avez veu les Deſcriptions dans la
plupart de mes Lettres , & vous en
allez voir une nouvelle dans ce qui
en a eſté écrit par M' des Avaris à
une fort aimable Perſonne.
A MADEMOISELLE ***
Si vous avez crû , Mademoiselle ,
qu'il ne se pouvoit rien voir de magnifique
apres ce qui ſe fit il y a quelque
temps pour la reception de Madame la
Ducheffe de Toscane, dans le voyage
qu'elle fit à Caen , la Feste dontj'ay
à vous entretenir aujourd'huy , vous va
faire changer de ſentimens. Jeſuis ſeûr
que vous la trouverez digne de celuy qui
l'a donné , & que vous n'en pourrez
apprendre les particularitez , fans avoüer
que Monfieur de Matignon à toûjours
de nouvelles manieres d'aſſaiſonner les
plaiſirs de toute la pompe qu'ils font capables
de recevoir.
Cequ'il fait répond bien à ſa haute naiffance
,
On ne peut mieux tenir ſon rang ,
Rien
A 3
6 MERCURE
1
Rien n'eſt égal à ſa magnificence ,
Et peu de Gens ſçavent en France ,
Soûtenir comme luy tout l'éclat de leur
Sang.
Le jour de fa naiſſance luy fournit
tous les ans l'occaſion d'une Feste , &
il le celebra dernierement avec une ſomptuoſité
qui ne cauſa pas moins d'admiration
que de ſurpriſe. La plupart des
Perſonnes de qualité de la Province qu'il
avoit invitées , ſe trouverent deuxjours
avant celuy de la Feste , à son Chaſteau
de Thorigny , dont vous avez tant
oüy vanter la beauté. Les Cavaliers
n'avoient rien negligé de ce qui pouvoit
leur donner le bel air , & les Dames ne
parurentjamais avec plus d'éclat. Depuis
l'arrivée de cette belle & nombreu-
Se Assemblée , quatre Tables de douze
Couverts chacune , furent ſervies tresrégulierement
à tous les Repas. LeJeu ,
la Danse , & la Promenade , furent
des plaisirs fi agreablement diverſifiez ,
qu'il estoit difficile de dire ce qui plai-
Soit davantage. Le jourſolemnel estant
ar
GALANT.
7
i
arrivé , toute la Bourgeoisie de Thorigny
& des environs , qui s'estoit aßemblée
& avoit fait reveue dés le ſoir ,
vint se mettre en bataille le matin dans
la Court du Chasteau en tres- bel ordre ;
en ſuite dequoy elle fut conduite par le
Commandant à l'endroit du Parc qui
estoit marqué pour difputer avec l'Arquebuſe
un Prix conſidérable que Monfieur
de Matignon donne tous les ans à
celuy qui l'a méritépar son adreße. Peu
de temps apres une Compagnie de Bergers
habillez fort proprement à la maniere
du Village, la Houletteà la main ,
| entrerent dans la mesme Court à la cadence
deplusieurs Flutes douces &Hautbois
quijoüoient des Airs tous charmans ,
quoy que champestres. Vous m'avoüerez ,
Mademoiselle , qu'ils estoient bien conduits
, puis quel Amour en estoit le Chef,
&qu'on ne peut douter que l'Amour
des Vergers &des Boccages ne vaille bien
celuy de la Cour. C'est dans ces lieux
paiſibles où l'on gouste les plus innocentes
douceurs , & les plus tranquilles plai-
A 4 firs.
8 MERCURE
firs. C'est là lefejour de la Conſtance.
Le fidelle Berger content de ſa fidelle
Bergere, n'en va point inquieter un autre
qui gouste la mesme tranquillité que
luy. Le bien qu'il poßede n'est jamais
troublé par la jalouſe envie d'une autre
poffeffion. Ce qu'il a , luy tient lieu de
tout ce qu'il pourroit ſouhaiter ; & la
Bergere également contente , fait de la
tendreſſe & de la conſtance de fon Berger,
toute lafelicité de ſa vie. CetAmour
dont je vous parle , estoit un petit
Garçon tres-beau , tenant un Arc en
Samain, &ayant un Carquois au dos. Il
estoit placé fur un Trône fait d'une maniere
galante , quoy que rustique. Ily
avoit tout autour pluſieurs Cages pleines
de Faifans, Perdrix, Cailles, Levraux ,
Poules , & autres Animaux , qu'il venoit
offrir à Monfieur de Matignon au
nom de tous les Bergers deſaſuite. Les
Dames qui estoient en grand nombre dans
le Chasteau , accoururent en foule pour
admirer ce joly Spéctacle. Ce petit Amourfurpris
de voirdes Beautez ſi éclatanGALANT
. 9
tantes , &se doutant bien , ou plutoft
Scachant que parmy elles ily en avoit
d'inſenſibles àſes traits , leur fit con-
) noiſtre par ces Vers recitez tout haut ,
ce qu'elles devoient craindre de leur infenſibilité.
Belles, qui de mes traits voulez vous
garentir ,
Et qui juſqu'à preſent n'avez ſçeu me
connaiſtre ,
Appreſtez-vous à les ſentir ,
Toſt ou tard je ſeray le maiſtre ,
Ne me rebutez plus ſi je viens à paraiſtre
,
Ou je ſçauray long-temps vous faire
repentir.
Cette menace faite d'un ton fier, pût
bien trouver des timides , & les obliger
à ne ſe plus defendre contre l'Amour.
Du moinsj'ay ouy dire que quelqu'une
commençadés ce moment àſoûpirer. Les
Bergers apres avoir dancé quelque temps
dans la Court , allerent dans le Parc
chercher un endroit plus commode pour
continuer leur dance. Les Bergeres qut
s'y estoient rendues avant eux , les at-
A 5 ten10
MERCURE
tendoient impatiemment. Elles avoient
choisy le bas d'un Coſteau , ombragéd'un
Bois de haute-fuſtaye, quiy faisoit goûter
une tres-agreable fraîcheur. Les Bergers
les ayant apperçeuës de loin , coururent
vers elles avec l'empreſſement qui
est naturel à ceux qui aiment . Chacun
prit laſienne , & la Dance recommença
ſur les cing heures du foir. Toute la
Compagnie vint se promener au Parc ,
& alla au lieu où estoit cette galante
Troupe de Bergers. Le plus galant d'entr'eux
fit une Harangue à Monfieur de
Matignon , & s'en acquita avec autant
d'esprit que de grace. On se divertit
quelque temps de la maniere rustique
des postures plaiſantes que faisoient en
dançant les Bergeres & les Bergers. Ce
plaisir fut ſuivy de celuy de la Courſe
pour laquelle on avoit proposé un Prix .
On mit des Levraux en liberté , & il
furentſuivis avec une telle viteſſe , que
leur legereté ne pût les empeſcher d'eſtre
pris. Apres ce violent exercice , les
Bergers allerentse repofer ſous l'ombrage
i
GALANT.

ge d'un petitBois qu'il ſembloit que l'Amour
leur eustpreparé pourſe rafraîchir,
& pour se remettre de leurs fatigues.
Fut-il jamais rien de fi beau
Que cet agreable feüillage ?
Sous la fraîcheur de fon ombrage ,
Chaque Berger exempt du ſoin de fon
Troupeau ,
Par un doux & tendre langage
Entretenoit ſa charmante Iſabeau .
La Course finie, les Dames & toute
la Suite , prirent le chemin de laMénagerie,
qui fera des plus belles quand
on y aura mis la derniere main. Safituation
est au pied d'un Costean tres-agrebale.
Pluſieurs Pavillons de brique , &
couverts d'ardoise, liezenſemble par autant
de petites Courte pleines d'Oyſeaux
des plus beaux & des plus rares , compoſent
cette Ménagerie. Une Terraffe
jointe à la plus grande des Gourts ,
qui fait face du coſté dee Prairies , des
Eaux, des Bois , &des Vergers quifont
renfermez dans ce Parc , fait découvrir
à ceux qui s'y promenent , ce que la
A6 vevë
12 MERCURE
venë du plus beauPaiſage de la Province
peut avoir de fatisfaiſant. Dans le
milieu de cette Terraſſe , qui n'est fermée
que par une petite Paliſſade d'ozier proprement
faite , est un Baſſin quarré ,
bordé, d'un gazon verd, d'où fort un
Fet d'eau de trente à quarante pieds.
Son eau rempliſſant une grande Coquille
, forme une belle Nappe , & retombe
dans un autre Baſſin plus grand,
qui fait comme un demy Cercle. Des
deux coſtez partent deux autres Fets,
qui pour estre plus bas que le premier ,
ne laiſſent point d'en égaler la hauteur.
C'estoit autour de ce Baſſin , &fur cette
Terraffe , que Monfieur de Matignon
avoit marqué le lieu du Soupé. Ses ordres
furent executez de cette maniere.
Ce Baffin est justement placé entre deux
des Pavillons qui ſemblent estre joints à
fes coſtez. Depuis l'un jusqu'à l'autre
on avoit dreſſe en rond une belle Gallerie
de verdure qui n'avoit ſa veuë que
du coſté des Fets d'eau , celle du Paifage
dont je vous ayparlé ayant esté bouchée
GALANT.
13
chée tout exprés à cause de l'air qui auroit
esté trop grand pour les Damespendant
la nuit , qui fut auſſi belle que l'apreſdinée
avoit esté agreable. Aux deux
entrémitez de cette Gallerie estoient deux.
beaux Sallons de feüillages ornez d'une
infinité de fleurs , où deux Tables de trente
Couverts chacune furent dreßées. Du
milieu de celle qui estoit preparée pour les
Dames , fortoit pompeuſement un Oranger
couvert d'une quantité de fleurs &
de fruits admirables. La Table du Bufet
estoit placée entre ces Sallons , &regardoit
les Baffins. Pluſieurs Arbres furent
plantez avec ſymetrie en divers endroitsde
cette Terrafſſe, & on enfut d'autant
plus surpris , qu'ils faisoient voir
un Boccage divertißant dans un lieu ,
où un jour auparavant on ne découvroit
qu'un champ uny &découvert. Depuis
l'un de ces Sallonsjusqu'à l'autre , tren-
-te Chandeliers à quatre branches , garnis
de verdure , regnoient ſur la voûte
de la Gallerie . Les Dehors estoient ornez
de quantité de Lanternes peintes dont les
A 7 Ar-
1
14 MERCURE
Arbres estoient couverts. Pluſieursgros
Fanaux ſuſpendus à coſté des Fets d'eau
vers le milieu du Baſſin , faisoient un
effet des plusſurprenans. Enfin fix cens
Lanternes furent miſes pour embellir ce
Lieu , &pour ſervirà ce Régal. Tout
fut allumé fi-tost qu'on vit approcher les
Dames , & il n'y eutjamais un plus
beau jour. Ce riche Buffet de vermeil
qui feroit honneur à un Prince , composé
de plusieurs grands Bafſſins de vermeil
doré, d'un ouvrage achevé &d'une
peſanteur exceſſive ; de quantitéd'autres
Vases tres-bien travaillez ; de Flaccons
& de Soûcoupes , ébloüißoit ceux
qui s'attachoient trop à le regarder. Six
belles Plaques de vermeil & d'argent
placées au deſſus, furent garnies de Bougies,
dont la lumierejointe à celle des
Chandeliers & des Lanternes qui l'environnoient
, le firentparoistre dans toute
sa magnificence. Monfieur de Matignon
donna ordre de ſervir . Les deux
Tables furent couvertes dans le mesme
temps de tout ce qui se pouvoit imaginer
de
GALANT.
15
de rare& de délicat pour la ſaiſon. Les
Soupes , les Viandes , les Entremets , les
Confitures &les Fruits ſervis confufément
, faisoient un agreable meſlangefur
L'une&Sur l'autre, &on peut direquefi
laprofuſionſurprenoit, l'ordre &lapoliteſſe
ne causoient pas moinsd'étonnement.
De ce Repas délicieux ,
Digne de la Table des Dieux ,
On ne pouvoit affez admirer l'abondance;
De tout ce qu'on y vit l'oeil parut en -
chanté;
Et l'on pourroit douter de cette verité ,
S'ils n'estoit plus de Matignons en
France.
Cette Illustre Afſſemblée ſoupa au bruit
de dix Pieces de Canon , qui parleurs
décharges continuelles interrompoient les
Violons , & les Hautbois qui ne ceffo
ient point de joüer. Les Dames ſe leverent
deTable. Chacun les ſuivit ,
on ne faisoit que commencer à fortir des
Sallons pour allergouster le frais des Fets
d'eau, quand au milieu du Coſteau ,
au bas duquel cette Ménagerie eſt ſituée,
012
16
MERCURE
on fut Surpris
de distinguer ce
de voir un
Champ de
lumieres
ſi confus , qu'il estoit impoſſible
que c'estoit. Les Esprits
furent longtemps incertains de l'effet que
ces lumieres devoient produire , & enapercent
tout d'un coup unnomfin
on
bre tres-grand de Fuzées - antes qui
Sortirent du milieu de ce Coſteau. Elles "
remplirent Pair pendant une demy-heure
d'une fi prodigieuse quantité de feux ,
qu'il ſembloit qu'il ne devoit plus paroi-
Stre de nuit .
Jamais de tant de feux nuit ne fut
éclairée,
Il ſembloit que les Cieux ouvers
Répandoient par tout l'Univers ,
L'éclatante beauté dont leur voûte eſt
parée.
Peut- on , Mademoiselle , ajoûter quelque
chose à tant de beautez , & n'avoüerez-
vous pas que peu de Gens ſçavent
comme Monfieur de Matignon donner
de la nouveauté aux plaiſirs ? Des qu'ồn
eut ceſſfé de tirer ces Fuſées, on commença
un Bal régulier au bord du grandBasfin.
GALANT.
17
fin. Ildura une partie de la nuit , &
le jour estoit déja preſtà paroiſtre quand
les Dames monterent en Caroffe , &
les Cavaliers à Cheval pour retourner
au Château. Iln'y eut du malheur ce
foir-là que pour les Bergers & lesBergeres.
Ils s'estoient raſſemblez pour venir
chercher l'Amour , qui pendant toute
la réjoiſſance estoit demeuré afſis fur
fon Trône au milieu de ce Boccage enchanté
, mais ils ne le trouverent plus ,
Pallerent inutilement demander à toutes
les Belles. Il est à croire que quelqu'une
d'entre-elles l'emporta dans fon
coeur , & que l'inquietude où elle laiſſa
cette Troupe desolée la toucha moins que
le plaiſirs de poßeder un Dieu ſi charmant.
Fay Sçeu depuis , que deux jours
apres , un Zephir l'avoit rapporté dans
le milieu de leurBoccage tres-fatigué&
mefme ſans flèches . Vous en jugerez ce
qu'il vous plaira.
Avoüez , Madame , que cette
Feſte eſt bien digne d'un grand Seigneur.
J'en ay veu une ſecondeRela18
MERCURE
lation adreffée à une Perſonne de
qualité , où aucune des particularitez
de cette premiere n'eſt oubliée.
Celuy qui l'écrit , apres avoir fait
connoiſtre que l'Article ſeul du Bal
mériteroit une magnifique Deſcription
pour rendre juſtice à la beauté
des Dames , & à la propreté des Cavaliers
, adjoûte ce que vous allez
lire dans les meſme termes dont il
s'eſt ſervy. Je ne puis oublier icy une
circonstance ; c'est que Mademoiselle de
Matignon parut avec tant de graces &
de charmes, que je quitte tout pour vous
en parler. Il n'y a que trois mois que
je l'avois laiſſée. Vous nesçauriez vous
imaginer combien en cepeu de tempselle
est encor embellie. Ce sont les plus beaux
yeux du monde. Sa taille est belle
& fine , &fes traits doux & délicats.
Je vous exagere encor moins cecy que le
reste , & je croy que je ne sçauroisfinir
par un plus bel endroit .
On vous a trop parlé de Violons
&de Hautbois , pour ne vous régaler

T
On foufpour
T
On fouf- fr
pou
rien : rien:
ne ,
rien: rien:
veux avoir toute la
T
ine,
veux avoir
tou- te deux.
Septembre .
19
GALANT .
19
ler par d'un Air nouveau. Envoicy
un de M Labbé Maiſtre de Muſique
S. Jacques à Dieppe. Je n'adjoûte
rien à ce que je vous ay dit
de luy dans mes autres Lettres. Ses
Ouvrages font fon éloge , & on ne
les peut voir ſans les approuver. Il
a cherché à fatisfaire le Public dans
la compofition de ce dernier touchant
la Baſſe vocale , qu'on avoit
demandée par pluſieurs Lettres de
l'Extraordinaire , plutoſt que la Continuë
, parce que la Baſſe vocale fe
chante& peut ſervir aux Inſtrumens,
au lieu que la Continue n'a que la
derniere de ces proprietez. Vous
trouverez icy l'une & l'autre. C'eſt
lemoyendecontenter tout le monde.
Les Paroles font de M'de Merville,
dontje vous ay déja fait voir quelques
Pieces.
AIR NOUVEAU.
On foufre quand on aime bien ,
Et c'est pourquoy , jeune Bergere ,
Vous voulez plaire ,
Et
20 MERCURE
Et n'aimer rien.
Pour vous contenter , Inhumaine ,
Fe cedeà mon fort rigoureux ;
Je veux avoir toute la peine ,
Mais au moins plaignons-la tous deux .
Je viens de voir une Lettre que
parle d'un Divertiſſement de Chaffe
que Madame la Ducheffe de Savoye
donna il y a quelque temps à Madame
la Comteſſe de Soiffons dans le
► Parc de la Vénerie. C'eſt une Maifon
de plaiſance des plus belles à
deux lieuës de Turin. Ce plaifir fut
ſuivy de celuy de la Comédie qu'on
repreſenta dans une Orangerie ornée
de Verdures& de pluſieurs Jetsd'eau
fur le Theatre. Ils luy ſervoient de
décoration , & les ordres avoient
eſté ſi bien donnez pour tout ce qui
pouvoit contribuer à la beauté du
Spéctacle , qu'il ſembloit que le
Lieu fuſt enchanté. Un magnifique
Repas accompagné d'une Symphonie
admirable , fucceda à la Comédie ,
& il n'y eut rien où l'on ne remarquaſt
cet air de grandeur qui eft inſépa-
-
GALANT. 21
ſéparable de tout ce que fait Madame
Royale.
M' du Guay Conſeiller au Grand
Conſeil , a épousé Mademoiselle de
Paris. Il eſt Fils de M' du Guay
l'un des anciens Conſeillers d'Etat ,
& Intendant de Juſtice dans la Province
de Lyonnois , Foreſt & Beaujolois
. Vous avez entendu parler
de la réputation qu'il s'eſt acquiſe
dans cet important employ , dont il
s'acquite avec la plus grande exactitude,
fans que les Particuliers trouvent
aucun ſujet de s'en plaindre.
Madame le Tellier eſt Tante du Marié
, qui eft Parent de M' du Guay
Premier Préſident de la Chambre des
Comptes à Dijon. M'du Guay Baignol
, & M'de Collanges tous deux
Maiſtres des Requeſtes, ſont ſes Beauxfreres
. Mademoiselle de Paris eft
Fille de feu M de Paris Conſeiller
de la Grand Chambre , & Niéce de
M' de Paris Préſident à la Chambre
des Comptes. Ils font l'un & l'autre
des
22 MERCURE
des plus confidérables Familles dela
Robe.
Je croyois vous apprendre enmeme
temps le Mariage de l'aimable
Perſonne dont vous me demandez
des nouvelles , mais il s'eſt rompu
depuis quatre jours. Il n'ya riende
plus bizarre que ce qui en a efté la
cauſe. LeCavalier qui la devoit épouſer,
avoit trouvé en elle cequ'il ſera
difficilequ'il rencontre ailleurs, c'eſt
àdire une Perſonne exempte de tous
les defauts qu'il appréhende. Il ne
veut ny blanc ny rouge , & la moindre
beauté empruntée eſt pour luy
quelque choſed'inſuportable. Il avoit
fort examiné ſa Maiſtreſſe ; & comme
les Articles preſts à preſſer luy
donnoient la liberté de la voir prefque
à toutes les heures , il eſtoit fort
convaincu que l'artifice n'avoit aucune
part à ſon teint , & que ſa beauté
eſtoit toute à elle. Il en faifoit
un jour vanité en préſence de trois
ou quatre de ſes Amis , quand l'un
d'enGALANT
.
23
dentr'eux qui ſçavoit ſon foible ,
luy dit pour l'embaraffer, que quelque
parfaite qu'il cruſt ſa Maiſtreffe,
il n'avoit pas eu d'affez bons yeux
pour découvrir qu'elle avoit de faufſes
dents. Ce prétendu defaut le déconcerta.
On s'en apperçeut, & un
autre ne manqua pas auffi-toſt d'appuyer
cette malice. Ils le laiſſerent
partir dans cet embarras. Vous avez
ſi ſouvent admiré les dents de la charmante
Perſonne dont je vous parle ,
qu'il eſt impoſſible que vous ne vous
ſouveniez de leur beauté. Noſtre
Amant chagrin ſe figura qu'elle en
avoit quelques-unes plus blanches
que n'eſtoient les autres , & ce fut
affez pour luy faire croire qu'elles
eſtoient appliquées. Ilalla chez elle,
&malheureuſement il la trouva ſeule
avec le St Robinau , qui ayant eſté
autrefois de ſes Voiſins, eſtoit venu
la congratuler ſur le bruit de fon
Mariage , dans un temps où il avoit
crû ne trouver perſonne. Cette ren
con24
IERCURE
contre ne le laiſſa plus douter qu'on
ne luy euſt dit vray. Le viſage du
S' Robinau luy eſtoit connu . Il ſçavoit
qu'il eſtoit un des Hommes de
France qui avoit le plus d'adreſſe à
nettoyer & à bien accommoder les
dents , & il n'ignoroit pas que Madame
Royale l'avoit fait venir exprés
àTurin ſur ſa réputation , & qu'il
en eſtoit revenu depuis peu avec des
préfens fort confidérables. Ainfi il
ſe perſuada qu'il avoit eſté mandé
par ſa Maiſtreffe , qui avant que de
ſe marier eſtoit bien aiſe de luy faire
reparer le defordre de ſes dents. 11
eut les yeux attachez deſſus tant qu'elle
parla , & quoy qu'il n'y découvriſt
aucun artifice , il crût que fes
lévres le cachoient . Les Articles devoient
eſtre ſignez le lendemain. II
trouva un prétexte pour faire diférer
de trois jours , & les employa inutilement
à chercher ces fauſſes dents
qui luydonnoient tant d'inquiétude.
Il crûtpourtant toûjours qu'il y avoit
de
GALANT .
25
de l'inégalité dans leur blancheur ,
& enfin ne pouvant s'éclaircir par
luy-meſme, il pria une Amie de ſa
Maiſtreſſe de luy faire voir clairement
ſi ſes ſoupçons eſtoient vrais
ou non , parce qu'il connoiſſoit fa
délicateſſe , & qu'il craignoit de ne
rendre pas une Femme heureuſe ,
s'il eſtoit trompé. Cette Amie le
traita de ridicule. Il s'obſtina àvouloir
eſtre éclaircy, &elle fut obligée
de découvrirà ſon Amie le fcrupule
qui l'arreſtoit. La Belletrouvatant
d'extravagance dans cette bizarre
délicateſſe , que ſon Mariage eſtant
plus de politique que d'amour, elle
s'en repreſenta toutes les ſuites , &
les crût trop dangereuſes pour s'y
hazarder. Ainſi le Cavalier eftant
venu la voir le lendemain à ſon ordinaire
, elle prit une humeur fort
enjoüée , & luy dit en préſence de
fon Amie , qu'il avoit eu tort d'avoir
fait façon de s'expliquer avec
elle ſur l'Article qui l'embaraſſoit.
j Septembre. B Elle
26 MERCURE
Elle ſépara auſſi-toſt ſes lévres ſans
luy donner le temps de répondre ,
luy fit voir des dents admirablement
rangées , & le convainquit du ſoin
que la Nature avoit pris de les appliquer
tres-proprement. Le Cavalier
en témoigna une joye ſenſible , luy
demanda pardon de l'injuſte crainte
qu'il avoit euë , & il commençoit
déjaà prier qu'on luy fiſt ſigner les
Articles, quand laBelle adjoûta que
c'eſtoit du moins autant pour ellemeſme
que pour luy qu'elle avoit
voulu luy faire voir que ſes dents
eſtoient & belles & bonnes ; mais
que comme elle estoit fort réſoluë à
s'en faire appliquer de fauſſes, fielle
ne pouvoit éviter les accidens qui en
font preſque toûjours perdre quelques-
unes aux moins malheureux ,
elle ſe garderoit bien de s'expoſer
aux deſordres que cette beauté empruntée
ne manqueroit pointdecauſer
entr'eux ; qu'elle loűoit ſa délicateffe
, & qu'il pouvoit choiſir ailleurs
GALANT .
27
leurs une Femme qui luy donnaſt
toutes les afſſurances requiſes de n'avoir
jamais rien que de naturel. Il
n'y a point de ſurpriſe égale à celle
où cette déclaration mit le Cavalier.
Il crût d'abord que ſa Maiſtreſſe
cherchoit à ſe divertir , mais elle
joignit àce qu'ellevenoit de luy dire
des proteſtations ſi ſérieuſesde ne l'épouſer
jamais , qu'il n'eut plus d'efpoir
qu'en l'autorité de ceux dont
elle dépend. Ce fut pourtant inutilement
qu'il les fit parler. Ils trouverent
de la juſtice dans la crainte
que l'humeur d'un Mary ſi délicat
cauſoit àcette aimable Perſonne , &
ils luy laifferent l'entiere liberté de
la rupture. Le Cavalier en paroiſt
inconfolable. Ceuxqui ſe réjoüiſſent
de fon malheur , publient qu'il a fait
dire à ſa Maiſtreſſe , que pour luy
montrer qu'il eſtoit entierement guéry
de ſes caprices , il conſentoit qu'elle
ſe fiſt arracher toutes les dents
pour en prendre de fauſſes , & qu'il
B2 ne
28 MERCURE
ne laiſſeroit pas de l'épouſer avec ce
defaut.
La France qui eſt ſi abondante en
toutes chofes, l'eſt devenuë en Marbre
depuis quelques mois. On en a
trouvé de jaſpé dans le Territoire
de S. Maximin en Provence. Il y
enatout un Quartier, qui contient
une lieuëde long, &autant de large.
Ce Marbre eſt ſibien diverſifié , que
les plus habiles Peintres , abandonnant
leur Pinceau à leur imagination ,
auroient peine à faire un plus agreable
aſſortiment de couleurs. Ce font de
petites taches rouges, blanches , vertes
, bleuës , jaunes , & couleur de
Ciel , ſemées ſur un fond noir. Il
y en a d'autre dont le fond eſt tout
aurore avec les meſmes couleurs. Ce
vert& ce jaune me font ſouvenirde
ce qui a eſté veu à Loches le dix
huitiéme du dernier mois. La choſe
tient du prodige , & elle ne vous
furprendra pas moins qu'elle a fait
les plus habiles Gens de ce Païs-là.
Une
GALANT. 1
29
:
Une Demoiſelle ayant eu desſoûlevemens
de coeur affez violens , on
crût que c'eſtoit quelque menace de
fiévre , parce qu'il y en avoit quantité
à Loches , & qu'elles estoient
toutes accompagnées de ces accidens.
Cependant elle fentit tout d'un coup
je-ne-ſcay-quoy de gros comme un
peloton dans ſa gorge, & apres pluſieurs
efforts , elle ſe déchargeade ce
fardeau qui eſtoit ſur le point de l'étoufer.
Le bruit qu'il fit en tombant
, joint à ce qu'elle avoit ſouffert
pour s'en délivrer , donna lieu
de croire qu'ily avoit quelque choſe
d'extraordinaire. La nuit commençoit.
Le lieu eſtoit obſcur de luymeſme.
Ainſi on eut beſoin de lumiere
pour examiner ce que c'eftoit.
Jugez de la ſurpriſe de ceux
qui ſe trouverent préſens. Ils virent
une forme d'Animal toute monſtrueuſe.
Il avoit la teſte d'un Chien,
à l'exception des oreilles qui reſſembloient
à celles d'un Chat. On luy
B 3 voyoit
30
MERCURE
voyoit deux petits bras , avec deux
mains, dont les doigts eſtoient fort
distincts. Ces bras & cette teſte eftoient
de couleur verte &jaune. Il
avoit le corps ſemblable àceluyd'une
Grenoüille , mais de la couleurd'un
Boüillon gelé, ou d'unConſommé,
& tremblant de meſine. Ses pieds &
fes cuiffes estoient d'un Enfant , &
de la meſme couleur que ſes bras.
On le toucha avec un baſton , pour
voir s'il nedonneroit pointdes marques
de vie , mais on ne vitrien remuer.
On ne ſe contenta point de
cette épreuve. On fit chauffer un
fer qu'on approcha du dos de cette
Figure. Elle n'eut pas plutoſt ſenty
le feu , qu'elle fit unmouvementde
plus d'un grand pied ; apres quoy ces
bras , cette teſte , & ces jambes , fe
renfermerent , & ne firent plus
qu'une Mole , compoſée de colle
&de bile. Que ce ſoit un Monſtre,
un Prodige , ou une Extravagance
de laNature déreglée, c'eſt toûjours
une
GALANT.
31
une production ſurprenante qui fournit
de grands ſujetsde raiſonner aux
Philoſophes & aux Medecins.
Tandis que nous ſommes ſur les
raretez , il faut vous entretenir d'une
autre production , mais qui eſt d'une
eſpece bien diférente. On a fait un
Mauſolée pour feu M' le Mareſchal
du Pleſſis , & il y a tant d'art & de
délicateſſe dans ce travail , qu'on ne
peut rien voir de plus achevé. Les
loüanges que Leurs Alteſſes Royales
ontdonnées àce Chef d'oeuvre, ſont
une marquede l'eſtime qu'on en doit
faire. M. de S. Victor qui eſt aupres
de Madame la Mareſchale du Pleſſis,
en eſt l'Autheur. Le Tombeau eft
élevé ſur un grand Trophée d'armes
, au haut duquel eſt la Figure
de ce Héros. Il eſt debout , habillé
à l'antique , tenant un Baſton de
Mareſchal de France avec cet air fier
qui a tant de fois épouvanté les Ennemis
de l'Etat. Il a ſon Manteau
Ducal ſur les épaules. Au milieudu
B 4
Cer32
MERCURE
Cercueil eſt un double C. quimar- ,
que fon nom& celuy de ſa Maiſon.
On voit des Vaſes fumans aux deux
coftez , & deux Renommées tout
aupres avec des Trompetes qui publient
ſes grandes Actions. Il y en..
aune troiſiéme en l'air au deſſus de
fa teſte. Elle tient une Branche de
Laurier d'une main , & une Trompetede
l'autre. LaJuſtice& la Force
font à gauche , & la Prudence avec
laTempérance , à droit . Entre l'une
&l'autre de ces Vertus , il y a une
Pyramide qui eſt toute de petites
Palmes depuis le bas juſqu'en haut ,
& ſur la pointe , un Vaſe fumant.
La Baze fait voir deux Baſtons de
Mareſchal croifez & noüez avec un
Ruban. Unepareille Pyramide ſépare
les deux autres Vertus. Les unes
font appuyées contre des Cyprés ,
dont les branches confuſes & auſſi
deliées queles cheveux , imitent parfaitement
le naturel , & les autres
font placées entre les Cypres & les
Pybail
da.Terin
,Secours
delaRoque
d'Arolle
Old
Vrarée
Secours
droffen
.Prise
deCofay
Tenue
des
Efrats
de
Batgjille
deMonbaldon
. Secours
da Rinch
S
de
nice
de
laPalle quedoc
Sec.de
Caxalm
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Campagne
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V.Υ.
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F
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Pd
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akkfc
GALANT.
33
Pyramides. Des Colomnes torſes ſervent
d'ornement aux deux coſtez
Elles font toutes de petites Palmes ,
& entourées de feüilles de Vigne. A
chaque Piedeſtal ſe voyent les Armes
de cet Illuſtre Défunt , avecles deux
Colliers des Ordres du Roy , lesBaſtons
de Mareſchal de France , le
Manteau , & la Couronne de Duc.
L'ordre de toute l'Architecture eſt
Corinthien. Rien n'y manque. Ala
friſe ſont trois Teſtes armées , d'égale
diſtance , d'où pendent des
Echarpes qui ſoûtiennent des Trophées
d'armes. Ily a quatre Feſtons
de fleurs entre ces Teſtes armées.
Les extrémitez en ſont ſoûtenuës
par de petits Amours à coſté des Colomnes.
L'Autheurya marqué toutes
les Batailles où ce fameux Géneral
s'eſt trouvé. Les deux où il a
commandé en chef, & qui luy ont
couſté chacune un Fils, font au bas
de ces Colomnes. Toutes les Places
qui ont eſté priſes & fecouruës peп-
B5 dant
34 MRECURE
dant qu'ila eſté Mareſchal deCamp,
Lieutenant General & Mareſchal de
France , s'y voyent auſſi. Ily a encor
deux évenemens parmy ſes glorieufes
Actions où l'Eſprit a plus agy
que le Bras. Ce font la tenuë des
Etats de Languedoc , & une des
plus fortes Rebellions de Bordeaux,
qu'il appaiſa par ſa conduite & par
fa prudence. Ces mots font l'Infcription
du Tombeau .
A la tres - Illustre Memoire de Cefar
Duc de Choyfeul, Pair&Mareschal
deFrance.
Ce Mausolée n'a qu'environ fix
poulces de haut , & dix de long.
Madame la Comteſſe de Coffé ,
Niéce de Madame la Marefſchale du
Pleſſis , y a trouvé tant de charmes,
que comme elle pleure encor tous
les jours la mort de M. de Coffé
fon Mary , elle a prié l'Autheur de
ne luy pas refuſer fon temps pour
un travail de cette nature. Il doit
l'a
GALANT.
35
l'avoir bientoſt achevé. La diſpoſition
en eſt toute autre,& il n'aura rien
de ſemblable que la matiere. Comme
il y a beaucoup de Femmes qui ſe
piquent d'aimer eternellement leurs
Marys , ces Tombeaux de Ruelles
pouroientbienvenir à la mode. J'ay
fait graver ce premier , afin quetoute
ſabeauté vous foit mieux connue.
Voyez la dans cette Planche, & fouvenez-
vous qu'il y a je- ne- ſcay-quoy
de fi délicat dans ces fortes d'Originaux
, qu'il eſt preſque impoſſible de
bien l'imiter dans une Copie.
On travaille de toutes manieres
pour la gloire des Grands Hommes.
Ce qu'on a fait par un Mauſolée pour
equ
M' le Mareſchal du Pleſſis , Midu
Perierl'afaitpour Meſſieurs de Guife
par des Vers à mettre ſous leurs Portraits.
Je vous les envoye. Ils vous
apprendront que M' du Perier n'a
pas moins de talent pour la Poëfie
Françoiſe , que vous ſçavez il ya
longtemps qu'il en a pour la Latine.
B 6 SUR
36 MERCURE
POUR METTRE
SOUS LES PORTRAITS
DES DUCS DE GUYSE .
CLAUDE .
Six Princes dont le Nom fait par tout tant
de bruit ,
De mon illustre Hymenfurent le dignefruit.
En plus d'une haute entrepriſe ,
Ils apprirent de moy
Afignaler leur bras, leur courage & leurfoy,
Pour leur Patrie & pour l'Eglise.
FRANCOIS.
Devant Mets , dont mon bras défendoit les
Ramparts ,
Fe bornayles Exploits du plus fier des Céfans .
Et digne rejetton des grands Rois d'Auftrafic,
F'eusse terrassé l'Hereſie ,
Si defes Partiſans Ennemis de l'Etat
La détestable jalousie
Ne m'eust ravy lejour par un noir attentat.
HENR Y.
L'Amour que tout Paris portoità ce Héros,
D'un injuſte ſoupçon vint troubler ſon repos .
Et termina ſes jours d'une fin lamentable.
S'il eust esté moins genereux ,
Moins libéral & moins affable ,
Il auroit esté plus heureux.
CHARGALANT.
37
CHARLES.
Marseille te dira quelle fut ma conduite,
Quels furent mes efforts ,
1
Quand terraſſant Caſaux moy ſeul je mis
en fuite
L'Espagne qui déja s'emparoit de nos Ports.
HENR Y.
Si mes Ancestres intrépides ,
Affrontant les plus grands hazars ,
Parurentjadis des Alcides ,
Dans Naplesje parus un Mars.
LOUIS.
Les Dieux n'ont fait que nous montrer
Ce Prince si charmant , ſo genereux , ſiſage.
S'ils euſſent prolongé ſon âge,
Le Monde auroit pû l'adorer.
LE DÚC D'ALENCON,
dernier Duc de Guiſe.
A peine avois-je atteint un lustre ,
Queje meursseulreſtéde ceNomdont le lustre
Par tant de grands Héros s'étendit jusqu'aux
Cieux .
Une Heroine me fuccede,
Qui toutes les vertus poſſede
Denos magnanimes Ayeux.
B 7
Mon
38 MERCURE
Monfieur l'Eveſque de Fréjus ,
Docteur de Sorbonne , eſt mort dans
latrenté-deuxième année de ſon âge,
fort regreté pour ſon mérite ſingulier
, & pour fa pieté exemplaire. Il
eſtoit de la Maiſon de Clermont.
Vous ſçavez qu'elle est tres- illuſtre ,
&que les Hiſtoires genérales , auſſibien
que les Monumens particuliers,
en rendent l'ancienne Souveraineté
incontestable. On y voit un Mainfroy
de Clermont, Seigneur de Palerme
, & Ifles voiſines , Admiral de
Sicile , qui eut pour Gendre Ladiflaus
Roy de Naples, de Sicile, & de
Hongrie ; un André de Clermont ,
Duc & Prince de Beſignan ; unTriftan
de Clermont , Comte de Cupertino,
qui maria Iſabelle de Clermont
ſa Fille à Ferdinand II. Roy
de Naples ; & dans les Regiſtres de
la Chambre des Comptes de Dauphiné
, il y a divers Traitez de Paix
& de Guerre , faits par les Princes
de cette Maiſon avec les Dauphins
Koy
& avec
GALANT.
39
& avec les Comtes de Savoye &
autres Voiſins , ſcellez également
des Sceaux des uns & des autres.
Eynard, arriere-petit-Fils deGeoffroy
de Clermont& de Beatrix de
Savoye, ſoit que la longue durée
des temps euft affoibly la puiſſance
de ſa Maiſon , ſoit qu'en s'alliant
avec une autre Puiſſance conſidérable
, il crût mieux aſſurer lamémoire
de ſonnom; cet Eynard , dis-je ,
donna en 1340. à Humbert Dauphin
deViennois la terre&Vicomté
de Clermont , circonstances &
dépendances , & fe fit volontairement
ſon Vaſſal; mais ou par genéroſité
, ou parjustice , Humbert rendit
à Eynard toutes les choſes données
, à la charge de les tenir désormais
de luy à foy & hommage , voulant &
entendant , que tant Eynardquefes Succeffeurs
en la Terre de Clermont , foient
Premiers Barons , Conneſtables , Grand-
Maistres Hereditaires , &Premiers Prefidens
nezdesEtats de Dauphiné ; Qu'au
jour
40
MERCURE
jour de Mariages des Dauphins , ou en
d'autres folemnitez , ledit Eynard oufes
Succeſſeurs ſervant à pied ou à cheval ,
ayent pour leurs droits deux Plats & quatre
Ecuelles , de la pesanteur de ſeize
marcs d'argent , à prendre de la Vaifſelle
qui se trouvera fur la Table du
Prince; & où la Feste dureroit plus d'un
jour , ledit Grand-Maiſtre auroit ſeulement
un Plat de cing marcs d'argent.
Ledit Prince luy donnedeplus une Epée
nuë , une Verge blanche , une Lance au
bout de laquelle est un Guidon aux Armes
de Dauphiné , & un Anneau d'or.
La meſme année 1340. le 26.
d'Aouſt, Geofroy de Clermont , Fils
d'Eynard , preſta hommage en perſonne
à Charles premier né de France
, & Dauphinde Viennois. Pareils
hommages ont eſté rendus par les
Heritiers du Nom & Armes de cette
Maiſon le 17 Mars 14.11 . le 13 .
Fevrier 1447. le 9. Decembre 1496.
& enfin le dernier le 21. Fevrier
1646.
Mais A
GALANT. 41
Mais la Maiſon de Clermont n'a
pas eſté moins illuſtre par ſa pieté
que par ſa nobleſſe; car il ſe voit
paruneBulledel'an 1120. quePhilippe
Bourdin Antipape , ſoûtenu
& protegé par l'Empereur Federic ,
ayant voulu entrer de force dans le
Siege de Rome , Eynard de Clermont
II . du nom , levauneArmée
à ſes deſpens , defit l'Antipape , &
malgré les divers obſtacles de l'Empereur,
conduiſit heureuſement à
Rome Calixte II. Archeveſque de
Vienne, canoniquement éleu Pape,
- & l'établit paiſihle dans le Trône
de Saint Pierre. Ce Pape pour reconnoiſtre
ſelon ſon pouvoir une ſi
illustre Action , accorda audit Eynard
& à ſes Succeſſeurs, la permif-
' ſion de toucher les Corps Saints ,
& tout ce qu'il peut y avoir deplus
conſacré , à la reſerve des Vaſes deſtinez
au prétieux Myſtere'de l'Autel.
Le meſme Pape , pour honorer
en tout ce qu'il pouvoit Eynard &
les
42 MERCURE
les Siens , ſouhaita qu'il priſt pour
Armes celles de l'Egliſe , en portant
dans fon Ecu deux Clefs d'argent en
Sautoir , & pour Cimier, une Tiare
Papale, avec ces mots pour Deviſe,
Etfi omnes, ego non. Ainfi changerent
les anciennes Armes de Clermont
, qui estoient un Soleil ſur
uneMontagne.
C'eſt cette admirable Piéte jointe
à l'ancienne Nobleſſe de cette
Maiſon , qui a donné des Grands-
Maiſtres de Malte , tant de Bienfaicteurs
à diverſes Abbayes & àtant
deMonafteres , tant de grandsHommes
à l'Etat , des Chambellans , des
Ducs & Pairs, & debons & fidelles
Serviteurs au Roy .
De ce nombre fut Laurens de
Clermont , Fils de Bernardin VicomtedeTalard
, & d'Anne de Huffon
Comteſſe de Tonnerre , tué à la
Bataille de Cerifoles .
Antoine de Clermont , Grand
Maiſtre des Eaux & Forests de France,
GALANT .
43
ce , Chevalier de l'Ordre du Roy ,
& fon Lieutenant General en Dauphiné
, Savoye & Breſſe. Il épousa
Françoiſe de Poitiers.
Claude de Clermont , Chevalier
de l'Ordre du Roy, Capitaine de
Cinquante Hommes d'Armes de ſes
Ordonnances , tué à Moncontour.
Henry de Clermont ſon Frere ,
marié à Diane de la Marck , Fille
de M' le Duc de Boüillon , & Doüairiere
de Nevers. Il eſtoit Capitaine
d'une Compagnie de Gendarmes,
Gouverneur de Bourbonnois ,
&Colonel de l'Infanterie de Piémont.
Il fut bleffé à la Rencontre
de Jarnac , & portoit la Cornete
Blanche de Monfieur le Duc
d'Anjou.
Charles-Henry de Clermont ſon
Fils , qui par fes longs & agreables
ſervices mérita de Henry le Grand
le Brevet de Duc aux Comtez de
. Clermont & de Tonnerre , d'eſtre
Lieutenant de Roy en Bourgogne .
Il
44 MERCURE
Il fut fait Chevalier de l'Ordre á la
Promotion de 1633. & épousa Catherine-
Marie d'Efcoubleau , Soeur
de M'le Marquis de Sourdis , &
Niéce du Cardinal de ce nom.
De ce Mariage heureux en toutes
façon, fortirent pluſieurs Filles ,
& cinq Fils , ſçavoir ,
Antoine de Clermont , Baron de
Chanemoine , qui contribua fort à
la levée du dernier Siege de Guiſe.
C'eſtoit le Cadet de tous.
Henry de Clermont , Chevalier
de Malte , tué devant Joinville.
Claude-Henry de Clermont de
Luxembourg , Duc de Piney , &
Pere de Charlote de Clermont de
Luxembourg , aujourd'huy Femme
de M' le Duc de Luxembourg, de
l'Illuſtre Maiſon de Montmorency-
Bouteville, affez connu par les grands
ſervices qu'il rend actuellement au
Roy & à l'Etat .
Roger de Clermont, Marquis de
Crufy, Mareſchal de Camp, &Pere
ALANT.
45
re de pluſieurs Enfans qui ont déja
detres conſidérables ſervices ſoitdans
les emplois de la Guerre , ſoit dans
les Charges de la Maiſon de SaMajeſté.
(Monfieur l'Eveſque de Fréjus
dont je vous apprens la mort
en eſtoit l'un.)
Et François de Clermont Marefchal
de Camp , qui comme aiſnéde
tous, eſt Comte & Duc nommédes
Terres de Clermont & de Tonnerre.
Il a eſté Lieutenant de Roy en
Guyenne, a commandé les Armées
en Rouſfillon & fur les Vaiſſeaux de
Sa Majesté , & conduit la Nobleffe
de Dauphiné en Italie avec autant
de valeur que de ſuccés. Il fut honoré
de l'Ordre du Roy dans laderniere
Promotion faite auxAuguſtins
deParis, &joüit aujourd'huy , dans
une glorieuſe Vieilleſſe, & dans une
des plus belles Maiſons du Royaume,
de tous les titres, honneurs &
prétogativers de ſes Peres & de ſon
Illuſtre Maiſon ..
11
46
MERCURE
Iladeux Fils , François deCler- mont , Docteur de Sorbonne , Evefque-
Comte de Noyon ,
&Pair de
France, qui par ſon mérite extraordinaire
s'eſt attiréde nouveaux bienfaits
du Roy, qui luy a donnédepuis
peu l'Abbaye de S. Martin de
Laon, poffedée preſque toûjours par
des Cardinaux; &Antoine de Clermont
, préſomptif Heritier de la
Maiſon, & Pere du jeune Marquis
de Tonnerre, qui n'ayantencor que
vingt& un an , adéjafait pluſieurs
Campagnes , où ila toûjours eu l'avantage
de ſe ſignaler. Il fut bleſfé
d'un coup de Mouſquet à la Bataille
de Senef, d'un coup de Piſtolet
au viſage à Saint Guilain , & eut
unecontufion fort ſenſible à la priſe
de Valenciennes
.
J'ay une autre mort à vous apprendre.
C'eſt celle de Madame d'Emery,
Veuve de feu Mª d'Emery ,
autrefois Sur- Intendant des Finances.
Elle est morte au commencement
ALANT.
47
mentdece mois, âgée de 79. ans. On
ne peut rien dire d'elle que ne ſoit au
deſſous de ſa vertu. Elle ne s'eſt jamais
laiſſée ébloüir nyaux grandeurs
de M'd'Emery, ny aux richeſſes de
ſa Famille. Sa modeſtie a toûjours
eſté égale, & fa pieté exemplaire.
Quoy qu'elle fuſt belle & bien faite,
elle a commencé à faire paroiſtre
un entier mépris des choſes du
monde dés ſes premieres années , &
elle ne s'eſt point démentie juſqu'à
la mort. C'eſtoit une charité admirable
pour ceuxdont elle connoiſſoit
les neceffitez , & le ſecours qu'elle
leur preſtoit dans leurs beſoins eſtoit
leſeulbienqu'elle eſtimoit. FeuMadame
de la Uriliere eſtoit ſa Fille ;
& ainſi M' le Marquis de Chaſteauneuf
Secretaire d'Etat , & M le
Comte de S. Florentin ſon Frere ,
ſont ſes Heritiers. Si vous voulez
queje vous entretienne de ſa Maiſon
, je vous diray que feu M' le
Camus épouſa une Marie Colbert ,
&en
48
MERCURE
1
1
& en eut quatre Filles & fix Fils .
L'aiſnée eſtoit Madame d'Emery
dont je vous parle. La ſeconde fut
mariée à M'le Roux Maiſtre des Requeſtes
. La troiſième ſe fit Carmelite
, & la derniere épouſa Mª Pelot
, aujourd'huy Premier Préſident
du Parlement de Roüen .
L'aiſné des Fils fut Mr le Camus,
Conſeiller d'Etat , Pere de M'le Premier
Préſident de la Cour des Aydes
, de Mr le Lieutenant Civil , de
M'de Mongrolles Maiſtre desComptes
, & de M'l'EveſquedeGrenoble.
Le ſecond , autrefois Preſident
des Comptes , & depuis Conſeiller
d'Etat , & Intendant deJuſtice dans
l'Iſle de France , & Controlleur des
Finances , fut Pere de Madame de
Manevilete.
Le troiſiéme, apres avoir eſté Procureur
General de la Cour des Aydes
, ſe fit Preſtre , & eſt mort en
ſervant les Pauvres .
Le quatriéme a eſté Maiſtre des
ComGALANT.
49
Comptes à Grenoble , & eſt mort
Sur - Intendant des Baſtimens de
France.
:
Le cinquiéme ſe fit d'abord Conſeiller
au Grand Conſeil, & prit en
ſuite la Charge de Procureur General
de la Cour des Aydes , dont il
s'est défait.
Le ſixiéme a eſté Conſeiller auParlement
de Paris , & depuis Intendant
de Juſtice en Champagne. Ces
deuxderniers ſont encor vivans. M
le Camus leur Pere eſtoit ſi riche ,
qu'il s'eſtoit conſervé quatre-vingts
mille livres de rente, apres leur avoir
fait à tous des avances tres-confidérables.
Vous connoiſſez M l'Abbé de
Maupertuis. Le Roy luy a donné
l'Abbaye de Sauſſeuſe , vacante par
la mort de M' l'Abbé Daguille. Il
est Docteur de Sorbonne. M' de
Maupertuis fon Pere fut tué au Siege
de Giry à la teſte du Regiment de
Picardie , apres avoir fait trente-cinq
Septembre. C ou
50
MERCURE
ou trente- fix Campagnes. Deux de
ſes Freres ont auſſi eſté tuez, l'un à
la Bataille de Senef , & l'autre fix
ſemaines apres , à la defenſe deGrave.
Le premier eſtoit Lieutenant aux
Gardes; &le ſecond , Capitaine dans
Normandie. Illuy en reſte encor un ,
qui eſt M de Maupertuis Lieutenant
de la Compagnie des Moufquetaires
Blancs. Je vous aydéjaparlé
de luy en vous entretenant du
Siege de Valenciennes. Il entra des
premiers dans cette Place , & il y
fut meſme longtemps avant que les
Troupes y entraſſent. Ce n'eſt pas
la ſeuleOccaſion où il ſe ſoit ſignalé.
Ils font de la Maiſon de Melun.
Celuy qui eſt nouvellement Abbé
de Sauſſeuſe , emporta le Prix de
Proſe de l'Académie il ya deux ans.
Je vous envoye une Fable de ce
ſtile aiſé que vous aimez tant , &
dont je ſçay que la Moralité vous
plaira. Elle ſervira d'avis aux Médiſans.
FAGALANT.
I 51
FABLE DE LA PIE
ETDU ROITELET.
Dans l'épaisseur d'un feüillage,
Une Pie en belle humeur
Attira par fon ramage
Les Oyſeaux du voisinage.
Là, voyant maint Auditeur
Charmé de fon beau langage,
Elle enjafa davantage.
C'estoit un esprit coquet ,
Qui caufoit en Perroquet ,
Sans respect de parentage,
D'amitié ; de compérage,
Chacun avoit fon paquet .
Eſtant donc d'humeurà rire ,
Ellefit une Satire
Contre l'Aigle & le Corbeau ;
Puis daubant sur l'Etourneau ,
Sur le Geay , fur le Moineau ,
Elle eut quelque chose à dire
Sur chaque espece d'oyfeau .
Selon elle la Linotte
N'avoit ny game ny note.
Afon gré le Roffignol
N'avoit pas la voix fort belle.
L'Aloüette & Hirondelle
Ne sçavoient rien au prix d'elle
Dans becare & dans bemol.
A l'oir, la Tourterelle
C2 N'estoit
52
MERCURE
P
N'estoit chaste ny fidelle.
Le Perroquet fans raiſon ,
Sans esprit & fans cervelle ,
Eſtoit fait comme un Oyfon.
Mesme un jour la Demoiselle
Soûtenoit ſur ſon Ormeau ,
Que le Pan n'estoit pas beau ,
Quoy qu'un dist mainte femelle.
Elle jaſoit fur ce ton ,
Lors qu'un petit * Berrichon
Qui fortoit de fon buiſſon ,
Entendit la babillarde ,
Et se dreſſant sur l'ergot ;
Vrayment , luy dit-il , Margot,
Vous faites bien la gaillarde .
Sus donc , la Femme de bien ,
Puis que vous n'épargnez rien
Dans vostre humeur libre & franche ,
Tournons fur vous l'entretien.
La, la, nous vous voyons bien ,
Vous n'eſtes pas toute blanche ,
Aprens d'icy , Médiſant ,
Que le plus petit Plaiſant
Te peut donner la revanche.
*Roitelet :
L'Air qui ſuit eſt de la compoſition
de M Merieux. Voicy les
Paroles.
AIR
,
L
le plus leur autorite , vivon las
cunautreplaiſirſenſible que celuy de
la Chaſſe , &de la Lecture. Un Juſt
à corps , une Cravate , & un Bonnet
garny de. Rubans en plumes ,
C3 eſtoient
Pag. 53
è folie
› pu Buvons , Bu-
15 ,
loit
urs de l'A- mour : Un
allume ſon feu , Plus il
MERIEUX.
L'Air qui ſuit eſt de la compoſition
de Mr Merieux. Voicy les
Paroles.
AIR
GALANT.
53
S
AIR NOUVEAU.
Amis , puis que Bacchus nous afſſemble en ce
jour ,
Chaſſons l'amourense folie.
Beuvons , c'est le moyen de paſſer noſtre vie ,
Sans estre aſſujettis aux rigueurs de l'Amour ,
Un bon Beuveur ne doit pas craindre
Lefoible pouvoir de ce Dieu;
Plus l'Amour allume ſon feu ,
Plus il doit boire pour l'éteindre.
Sçavez -vous, Madame, que les Lettres
queje vous écris , &qui courent
• toûjours le monde ſous letitre de
Mercure, ont penſé eſtre cauſe d'un
• Mariage fort mal aſſorty ? Voicy се
qu'on m'en apprend. Une aimable
& jeune Perſonne , retirée dans une
Maiſon de Campagne avec une de ces
Meresquiveulent eſtre abſoluës dans
les choſes meſmes où laJuſtice borne
le plus leur autorité , vivoit ſansaucun
autre plaifir ſenſible que celuyde
la Chaſſe , &de la Lecture. Un Juſt
à corps , une Cravate , & un Bonnet
garny de. Rubans en plumes ,
C3 eſtoient
54
MERCURE
eſtoient l'équipage où elle ſe montroit
le plus. Elle y estoit toutebelle
, & l'adreſſe qu'elle avoit à manier
un Fufil , ſurprenoit tous ceux
qu'elle en rendoit les témoins. Ilen
couſtoit la vie à quelques Perdrix
felon la ſaiſon. C'eſtoit ſon divertiſſement
d'exercice. Les Livres l'occupoient
affez ordinairement dans
ſon repos. On luy envoyoit toutes
les Nouveautez qui s'imprimoient ;
&le Mercure eſtant devenu àlamode
, fut bientoſt entre ſes mains.
Elle en liſoit un jour un Volume
qu'on luy venoitd'apporter , quand
unbonVieillarddes environs, queſa
Mere voyoit affez rarement , interrompit
ſa lecture par une viſitequ'il
luy rendit. Il pria cette belle Perfonne
de continuer. Elle ne ſe le fit
pas dire deux fois. Le Mercure luy
plaiſoit plus que la converſation du
bon Homme , & jamais priere ne
luy fut faite plus à propos. Elle liſoit
avec tant de grace , que le Vieillard
comGALANT.
55
commença de la regarder avec plus
d'attention qu'il n'avoit fait juſquelà
; & comme elle ne pût achever
àcauſe d'une Dame qui ſurvint , il
la pria de ſouffrir qu'il vinſt écouter
le reſte le lendemain. Il n'y manqua
point. Il ſçeut qu'elle recevoit tous les
mois un livre ſemblable. Il eut grand
ſoin de venir toûjours prendre part
à cette lecture. Ses vifites n'eſtant
pas réjoüiffantes pour la Belle, elle
voulut ſe charger de luy envoyer ſon
Livre; mais illuy dit quequoy qu'il
letrouvaſt fort divertiſſant , les nouveautez
qui le compoſoient luy plairoient
beaucoup moins dans une autre
bouche, Cela eſtoit galant pour
un Hommedefon âge. Havoit qua.
-tre-vingts ans; & une Niece, para
ticuliere Amie de la Belle , eſtoit ſa
ſeule Heritiere. Elle la prioit inuti-
-lement de la défaire des viſites de
fon vieil Oncle. Il luy en rendoit
de tres-régulieres au commencement
de chaque Mois , & toûjours avant
C4 qu'on
56 MERCURE
qu'on luy euſt envoyé ſon Livre.
Il faifoit plus. Apres en avoir entendu
la lecture entiere , il venoit
de temps en temps ſçavoir ſi quelques
Gensdefaconnoiſſance estoient nommez
dans les Articles de Guerre.
Son âge excuſoit ſon peu de mémoire.
Il avoit aſſez veſcu pour en
manquer , & laBelle ne ſe chagrinoit
que de ce qu'il n'oublioit point le
cheminde ſamaiſon ; mais elle apprit
au bout de quatre ou cinq mois ce
qui l'obligeoit à venir ſi ſouventdemander
les meſmes choses . Il avoit
encor plus regardé qu'écouté , &
tout vieux qu'il eſtoit, la Belleluy
avoit échaufé le coeur. Il ſe réfolut
às'expliquer. Il trouva laMere ſeule,
& apres s'eſtre informé où eſtoit-ſa .
Fille , il luy dit qu'il luy devoit beaucoup
de lectures , & que luy & la
moitié de ſon Bien estoient deſtinez
pour l'acquiter. Il eſtoit fort riche.
La propoſitionplût à la Mere. Quatre-
vingts ans luy ſembloientun âge
1
admiGALANT.
57
_admirable. Elle avoitde l'eſprit , &
tourna ſi bien le Vieillard , qu'il ſe
montrapreſt àſigner ſur l'heure. Elle
réponditdu conſentement de ſa Fille,
manda le Notaire du Village , le fit
écrire , & il achevoit ce qui eſt du
ſtile ordinaire, quand la Belle entra
dans ſa Chambre ſans ſçavoir qu'on
la marioit. Jugez deſa ſurpriſe. On
luy donna la plume pour ſigner apres
le Vieillard. Elle s'excuſa , demanda
du temps, voulut s'en aller, & entendit
de ſa Mere je-ne-ſçay quelles
paroles accompagnées de regards fi
menaçans , qu'intimidée , interdite,
&ſans trop ſçavoir ce qu'elle faiſoit,
elle ſigna comme on le voulut. Le
Viellard qui crût que ce premier chagrin
pafferoit , luy promit tout le
bonheur qu'elle pouvoit efperer ; &
à l'entendre, l'âge luy avoit apporté
ſi peu d'incommoditez , qu'elle ne le
devoit regarder que comme un Homme
de quarante ans. Il emporta le
Contract ſigné. On prit jour pour
C5
le
58 MERCURE
le Mariage , & on n'en donnaque
quinze à la Belle pour s'y réfoudre.
Elle pleura , fe repentit mille fois
de la complaiſance qu'elle avoit euë
pour ſa Mere , & ne fut ſenſible à
aucun des avantages qu'elle rencontroit
dans ce Party. On eut beau
luy dire que lebon Homme ne pouvoit
vivre longtemps. Trois mois
avec luy eſtoient pour elle un ſuplice
épouvantable ; &comme il ne paffoit
plus aucun jour ſans la venir voir ,
tout ce qu'il luy diſoit redoubloit
tellement fon averſion , que fielle ne
luy répondoit rien de fâcheux par le
reſpect qu'elle devoit à ſa Mere, elle
faiſoit affez connoiftre par fa fombre
humeur combien ce Mariage luy déplaifoit.
Le Viellard eſtoit aveugle ,
& il ſe flatoit juſqu'à croire que
quand il l'auroit époufée , il trouveroit
le moyen de s'en faire aimer.
Le temps fatal arriva. La Belle s'en
montra deſeſperée, & fit fi bien par
ſes pleurs , qu'elle obtint huitjours
de
GALANT.
59
de retardement , au grand regret
du bon Homme qui estoit tres-impatientdans
fes amours. Cependant
la Mere qui avoit quelque teinture
de devotion , ne pût voir l'obeïffance
forcée de ſa Fille , fans avoir
ſcrupule de la violence qu'elle luy
faiſoit. Un remords de confcience
la prit. Elle voulut confulter les
Caſuiſtes, & ſous prétexte de quelquesAmies
qu'elle avoit à voir , elle
quitta ſa Fille pour quelquesjours ,
&alla dans une Ville prochaines'éclaircir
de ſon ſcrupule. La Belle
employa ce temps à chercher par où
fe défaire de fon Vieillard. Elle en
imagina un moyen. Il ne rompoit
pas tout-à-fait l'affaire , mais il la
mettoit en pouvoirdela reculer, &
c'eſtoit beaucoup, que gagner du
temps. Son Amie , heritaire du bon
Homme , ne pouvoit fe confolerde
fon Mariage. La Belle l'alla voir
dans ſon équipage de Chaſſereffe ,
l'aſſura qu'elle ne ſeroit jamais fa
C6 Tan60
MERCURE
Tante , & l'ayant appaifée par cette
promeffe , elle la pria de luy donner
un Habit de ſon Mary ſans s'informer
de ce qu'elle avoit deſſein d'en
faire. Cette Niéce eſtoit mariée depuis
deux ans à un Officier du Roy
qui ſervoit alors fon Quartier. Elle
conſentit à tout ce que fon Amie
voulut , luy donna l'Habit d'Homme
qu'elle demandoit , la conduifit
juſqu'à une Porte de derriere qu'elle
luy promit de tenir ouverte , & attendit
fon retour pour eſtre éclaircie
de cequ'elle avoit projetté. LaBelle
fortit avec une Fille à elle qui l'accompagnoit
, gagna un petit Bois
qui n'eſtoitpas éloigné de cette Maifon
, ſe traveſtit, & ſe mit au guet
pour découvrir le Vieillard qui devoit
neceffairement paffer par ce petit
Bois. Elle luy avoit donné rendezvous
chez eette Niéce ſous prétexte
de luy faire figner le Contract , l'affurant
qu'elle y estoit diſpoſée , &
que l'amitié qui les uniſſoit, l'avoit
emGALANT.
61
emporté ſur le chagrin que ce Mariage
luy devoit donner. Le bon
Homme qui craignoit les plaintes
d'uneHeritiere trompée, avoit reçeu
cette nouvelle avec joye , &venoit
feul chez ſa Niéce en ſe promenant,
quand la Belle ſe cachant le viſage
avec un Loup , luy preſenta le Fufil .
Il crût qu'on n'en vouloit qu'à ſa
Bourſe , & il ſe préparoit à la donner
; mais on luy fit quitter ſesHabits
, & il fallut qu'il ſe dépoüillaſt.
Il ne les eut pas fi-toſt donnez , que
la belle Voleuſe s'enfonça dans le
creux du Bois. Elley reprit ſon premier
équipage de Chaſſereſſe , gagna
la fauſſe Porte qu'elle avoit prié
qu'on ne fermaſt point , & apres
avoir contéàſonAmie le tourqu'elle
avoit joüé au bon Homme , elle
fongea àpartager lebutin. La Bourſe,
&une Montre qui ſe trouva dans fa
poche, furent pour la Niece._La
Belle ſe contenta du Contract qu'elle
emporta , fort réſoluë de n'en point
C7 figner
62 MERCURC
fignerd'autre , quoyqu'on puſt faire
pour l'y obliger. Le Vieillard ne ſe
vantapointde ſon avanture , &vint
dés le lendemain chez ſa Maiſtreſſe.
Les reproches qu'elle luy fit de ne
s'eſtre pas trouvé au Rendez-vous ,
l'obligerent à luy dire qu'il avoit fi
peu de mémoire , qu'il ne ſe ſouvenoit
plus où il avoit mis le Contract,
mais qu'il ſeroit aiſé d'en refaire un
autre. La Mere arriva dans ce mefme
temps ; & comme les huitjours
expiroient , l'amoureux Vieillard la
preſſa de vouloir conclure. Elle le
laiſſa partir ſans luy donner de réponſe
poſitive. Ceux qu'elle avoit
confultez , luy avoient fait un fi
grand crime de l'injuſte autorité
qu'elle ufurpoit , que les malheurs
qu'elle en devoit craindre luy firent
peur. Elle s'en expliqua avecſa Fille,
dont elle ceffa de contraindre les volontez
. Le Contract eſtoit la ſeule
choſe qui l'embarafſoit. Sa Filleluy
fit voir qu'elle n'avoit rien à craindre
GALANT. 63
!
dre de ce coſté-là. Il fut mis au feu ,
&quand le Vieillard vint demander
jour pour terminer, laMere l'ayant
regeu froidement , & la Belle luy
ayantdit à l'oreille qu'on s'eſtoit contenté
pour la premiere fois de le
dépoüiller, mais qu'il luy pourroit
arriver pis , s'il s'obſtinoit à eſtre
amoureux , il entendit ce qu'on luy
diſoit , & ſe retira fans faire bruit.
Il apprit quelque temps apres que
cette aimable Perſonne eſtoit leVoleur
qui luy avoit fait quitter ſes
Habits. Comme il eſtoit revenu de
ſa paſſion, il ne pût luy vouloir de
mal d'avoirtout fait pour rompre un
engagement qui luy faiſoit peine .
Un coup fi hardy la fit admirer. Sa
Mere l'en gronda d'abord , & luy
pardonna. Le perſonnage qu'elle
joüa dans le Bois eſt extraordinaire
pour une Fille ; mais quel ragouſt
qu'un Mary de quatre-vingts ans ,
&quen'oſe-t'on point pour trouver
moyen de s'en garantir !
La
64
MERCURE
La belle Chaſſereſſe dontje viens
de vous conter l'Avanture , n'eſtoit
pas du ſentiment de celuy qui afait
ces Vers .
CONTRE LA CHASSE
du Liévre .
SONNET .
CE Liévre intimidé qui court dans cette Plaine,
Preſſé de ton Levrier & pourſuivy du mien ,
Est un maigre ragouſt où je ne trouve rien ,
Soit qu'il puiſſe échaper, ou qu'enfin on le
prenne .
Fay pour ce paſſe-temps une invincible haine ,
Il nous cauſe toûjours plus de mal que de bien ,
Et se fatiguer tant pourvoir courir un Chien ,
C'est un chien de plaisir qui n'en vant pas la
peine.
Cette Chaſſe en un mot a pour moy peu d'apas ,
Je ne sçanrois me plaire à perdre tant de pas ,
Et renonce aux douceurs où Diane préſide.
D'un Liévre dans un plat je tire plus de fruit .
Il m'offre alors un bien & durable & folide ,
Mais le voir quand il court , c'est un plaifir
qui fuit.
Ceux
GALANT. 65
1
i
Ceux qui cherchent les plaiſirs
fans peines , feroientbien de ne s'embarquer
jamais avec l'Amour , car
c'eſt uneMer ſujete à degrands orages.
Les périls en font agreablement
repreſentez dans ces Stances que je
vous envoye. Je n'en connois l'Autheur
que ſous lenomd'Alcidon. Je
ne ſçay ſi elles ont déja couru , mais
je ſçay qu'elles méritent fort d'eſtre
veuës .
A LA BELLE DISEUSE
de bonne Avanture.
STANCES.
Pour Monfieur M. à Mademoiſelle B.
Belle & sçavante Iris , dont l'esprit admirable
Perceparses clartez la nuit de l'avenir ,
Souffrez quesur un point affe,z confiderable .
Je puiſſe vous entretenir.
Vous avez veu mamain , & vous avez pû lire
La noble paſſion qui regne dans mon coeur ;
Ainfi vous connoisſſez l'objet de mon ardeur ,
Sans qu'il soit là- deſſus beſoin de vous rien
dire.
Par-
1
66 MERCURE
Parlez-moy doncfincerement.
Dois-je faire un heureux voyage
Et dans ce doux embarquement ,
Ne fuis -je point menacé du naufrage ?
Vous ſçavezàquels vents un coeur est exposé ,
Quand aux vagues d'amour il s'eſt ofé commettre.
Helas ! me puis-je bien promettre
Que man Vaiſſeau n'en ſera point brisé ?
Il estvray, la tempefte&les coups de l'orage ,
Nefont pas les coups que je crains.
Je fers une Beauté qui n'est pas ſi ſauvage ,
Etqui n'apas toûjours la foudredans lamains .
Mais il est quelque choſe encor de plusfuneste,
Pour un coeur qui fçait bien aimer ,
Quelque chose qui paſſe&la haine , & le reste
De ce qu'on craint fur cette Mer.
Il est un certain calme aux Amansſi contraire,
Que fait l'indiference & l'ingratefroideur ,
Dont s'arme à contre temps une Beautéſevere ,
Et c'eſt là ce qui me fait peur.
Des pleurs & des ſoûpris envain nous cherchons
l'aide ,
Lors que ce calme arreſte nos amours ,
En vain de tous les Dieux nous brigons lesecours
,
Il faut périr , le mal eſt ſans remede.
Ah !
GALANT. 67
Ah! fi de ce malheur , vous lifez dans les
Cieux
Qu'un Aftre cruel me menace ,
Aunomde cet éclatqui brille dans vos yeux ,
Détournez , s'ils se peut , une telle difgrace.
Quedis-je, s'ilssepeut ? belas ! vous ſçavez
bien
Que de mon fort vous eſtes la maiſtreſſe ,
Et queje compteray ces menaces pour rien ,
Si la pitié pour moy vous intéreſſe.
Belle Iris , je le dis avec tout le reſpect
Quel'on doità cet Art où vous ſemblez vous
plaire,
Pour deviner mon fort , il n'est pas neceſſaire
De prendre un témoin fi fufpect.
Quelques traits qu'en ma main ait formez
La Nature,
Et quel que foit le cours des Cieux ,
Onne peut voir que dans vos jeux
Ma bonne ou mauvaiſe avanture.
Monfieur de Seguiran,Premier PréſidentenlaCourdesComptes,
Aydes
& Finances d'Aix en Provence, eſt
mort depuis peu dans ſa ſoixantiéme
année. C'eſtoit le troiſième de ſa
Famille qui poffedoit cette grande
Charge dePere en Fils. On ne peut
s'en
68 MERCURE
s'en acquiter plus glorieuſement qu'il
a fait pour le ſervice du Roy , & à
l'avantage de la Province. Mais s'il
a fait paroiſtre une haute capacité
dans laRobe , il nes'eſtoit pas moins
ſignalé dans les Armes , ayant commandé
une des Galleres de Sa Majeſté
longtemps avant qu'il fût reçeu
Premier Préſident. Les rencontres
où il ſe trouvoit continuellement expoſé
, luy fournirent d'affez belles
occafions de faire éclater ſon courage&
ſa bravoure , & il en donna
fur tout des marques dans unCombat
contre les Eſpagnols , où les
François eurent l'avantage. Il y fut
dangereuſement bleſſé d'un coup de
Mouſquet au travers du corps. On
ne doutepointque les incommoditez
de cettebleſſure n'ayent de beaucoup
accourcy ſes jours. Se voyant preſt
de mourir, il fit la démiſſion de ſa
Charge ſous le bon plaiſir du Roy ,
en faveur de Mr l'Abbé de Seguiran
fon Frere , dont la capacité , le mérite,
GALANT. 69
rite , & la probité , font affez connus
, pour la conferver à un Fils qu'il
laiffe âgé ſeulement de huit à neuf
ans , juſqu'à ce qu'il ſoit en étatde
la poſſeder. C'eſt ce jeune Marquis
de Bouc dont il eſt parlé dans la
Relation que je vous envoyay il ya
deuxmoisde la Feſte qui ſe fait tous
les ans à Aix. Sa Majefté par une
bonté toute Royale , accorda fon
agrément pour cette Démiſſion àM
le Chevalier de Seguiran Capitaine
aux Gardes , & Frere de l'un & de
l'autre , tant en conſidération de
trente deux années de ſes ſervices ,
que de ceux de M' de Seguiran ſon
Oncle, qui mourut glorieuſement
lors de la repriſe ſur les Eſpagnols ,
des Ifles de S. Honoré de Lérins en
Provence par l'Armée du Roy. Feu
Meſſire Henry de Seguiran , Pere de
ceux dont je vous parle , avoit eſté
Major General ſous M'de Guiſe au
Siege de la Rochelle , avant que
d'eſtre Premier Préſident de la mefme
70 MERCURE
me Chambre des Comptes. M le
Cardinal de Richelieu qui ſe connoiſſoit
en grands Hommes , avoit
une eſtime tres-particuliere pour luy,
&il luy en donnades marques , lors
qu'en qualité de Grand Admiral , il
Phonora de la Charge de ſon Lieutenant
General en l'Admirauté de
Provence . Il eſtoit Fils d'Antoine
de Seguiran , qui ayanteſtéd'abord
Confeiller , & en ſuite Préſident à
Mortier au Parlement d'Aix , fut
enfin Premier Préſident de la Cour
des Comptes , Aydes & Finances ,
&qui eut pourFrere le R. P. Seguiran
Jeſuite. Il eſt impoſſible , Madame
, que vous n'ayez entendu parler
de luy comme d'un des plus celebres
Prédicateurs de ſon temps. Il
eut l'avantage d'eſtre le Confeffeur
du feu Roy. Si vous voulez remonter
plus haut pour ſçavoir l'origine
de ceux de cette Maiſon , vous les
trouverez deſcendus d'un Melchion
de Seguiran Seigneur de Vauvenargues
,
GALANT.
71
L
gues , qui fut un des douze Confeillers
du Parlement de Provence
lors qu'il fut érigé par LoüisXI. en
1501. Il avoit eu l'honneur quel.
ques années auparavant , d'eſtreDéputé
avec M' Palamedes de Fourbin
par les Trois Etatsdu Païs pour luy
prefterhommage en leur nom , apres
queCharles d'Anjou dernier Comte
de Provence l'eut inſtitué Heritier
audit Comté par ſon Teſtament fait
en Decembre 148 r. Ce Melchion
eſtoit petit-Fils de Loüis de Seguiran
, qui fut fait un des fix Préſidens
du Parlement &du Conſeil Eminent
que Loüis II. Comte de Provence
érigeadans la Ville d'Aix en la place
du Juge- Mage le 14. Aouſt 14.15.
Je ne vous parlepoint d'un Berenger
Seigneur de S. Eſteve , dont ce
Loüis de Seguiran eſtoit deſcendu ,
ny de ſes autres Prédeceſſeurs , qui
ont tous eſté honorez de Charges
importantes dans les Armées des
Comtes de Provence. Il eſt certain
qu'ils
72
MERCURE
qu'ils viennent des Comtes d'Eſtolberg
en Allemagne , & que l'un
d'eux qui portoit le nom de Seguiran
, eſtant venu en Italie en 1280.
&ayant épousé à Genes une Dame
de la Maiſon de Nigris , reçeut des
Emplois conſidérables de Charles I.
Comte de Provence , Frere de S.
Loüis , lequel épouſa Beatrix, derniere
Fille de Raymond Berenger
Comtede Provence , & fut couronné
à Rome Roy des deux Siciles & de
Naples , où il chaſſa Manffroy ,
apres avoir fait un Traité de Paix
avec les Génois. Les graces que ce
Seguiran en avoit reçeuës, l'obligerent
à le ſuivre en Provence. Il y
emmena ſa Femme , & y établit ſa
Famille qui estoit tres-ancienne en
Allemagne. Elle fait preſentement
pluſieurs Branches dans lesquelles il
ya deux Chevaliers de Malte , dontl'un
eſt Lieutenant de la Gallere Capitane
, & Frere de M. de Seguiran
Ecuyer de Monfieur de Vendofme
Grand
GALANT .
73
Grand Prieur de France. L'autre eſt
M' le Chevalier Dauribeau , qui a
eu l'honneur d'eſtre Lieutenant de
Major d'un Bataillon de la Religion
de Malte en Candie. Ilyreçeut plufieurs
bleſſures , qui ſont des témoins
irréprochables du zele qui le fait agir
dans les grandes Occaſions.
Madame de Mariote, Femme du
Préſident de ce nom en la Courdes
Aydes de Montpellier , eſt morte
auſſi. Elle est d'autant plus regretée,
qu'eſtant tres-bien faite, & d'un
grand mérite , elle n'avoit encorque
quinze ans , & eſtoit dans la premiere
année de ſon Mariage.
Nous avons perdu icy Madame
Frefon , & Madame de Meneblanc.
L'une eſtoit Femme d'un Conſeiller
au Parlemeut , & l'autre Veuve d'un
Maiſtre des Comptes.
La Signature de la Paix a eſté une
nouvelle fi agreable, qu'on n'a point
voulu en attendre la Ratification
pour en faire des réjoüiſſances à
Septembre. D Thouoars .
74 MERCURE
Thouoars. On s'aſſembla auſſi- toſt
qu'elle fut ſçeuë . Vous croyez déja
voir le Corps de Ville en habit décent
? Ce ne fut point luy qui s'afſembla.
Les Dames ſeules eurent
l'honneur de la Feſte. Elles commanderent
un magnifique Repas.
La Table fut dreſſée ſur le bord de
l'eau aupres d'une Sauſſaye , & les
Trompetes marines furent meſlées
aux divertiſſemens qu'elles ſe donnerent.
Vous ſçavez que c'eſt le veritable
lieu de les entendre , & qu'elles
en ont pris le nom de Marines .
Je n'oſe croire , Madame , ce
qu'on m'a fait voir écrit de Cavail
lon , Terre du Pape , que le plaifir
qu'on s'eft fait d'y lire les Nouvelles
que j'ay ſoin de vous apprendre,
adonné lieu à des Affemblées qui ont
enfin formé une eſpece d'Académie
compoſée de Perſonnes d'un tresgrand
mérite. Ce qu'il y a de certain
, c'eſt que cette Académie a
choiſy quatre jours de la Semaine
pour
2
GALANT .
75.
Pour s'aſſembler , & que Monfieur
l'Eveſque de Cavaillon en eſt Directeur.
Il eſt bien fait de corps &
d'eſprit , jeune , & de qualité.
M' de Saporte y donne de temps
en temps des marques de cette Etudegalante
qui perfectionne les honneſtes
Gens. C'eſt un Gentilhomme
de Languedoc qui vit en ce Païs-là
en veritable Sage, & en galant Philoſophe
, comme on y a veu vivre
autrefois le fameux Petrarque.
M' le Protonotaire de Grace y
donne des Leçons tres- fructueuſes ,
en qualité de ſçavant Antiquaire.
Il les foûtient par cette quantité de
curieuſes Medailles dont on ſcait
qu'il eſt richement muny.
Les Préceptes Chreftiens y font
infinuez avec beaucoup de fuccés ,
par M. de Peruſſys , Gentilhomme
d'unevertu conſommée , & veritable
imitateur de celles de M'de Renty.
M' de Maleſpine donne dans les
Affaires de Palais , & fait des Ra-
D2 ports
76 MERCURE
ports tres-judicieux fur les Procés
qu'on tâche en ſuite de terminer
par les foins de Meſſieurs de l'Affemblée
, au grand profit de ceux de la
Ville. C'eſt un Gentilhomme d'un
eſprit tres-éclairé.
La Philoſophie n'y eſt pas obliée.
M' Reymond tres-ſçavant Medecin,
s'y diftingue par ſes Conférences
fur les Opinions de Descartes , &
par le plaiſir qu'il donne à l'égard
des expériences. Quelques jeunes
Gentilhommes y viennent auſſi pour
écouter , & pour y faire voir des
Pieces de galanterie.
Mais , Madame , puis que nous
ſommes ſur les Terres du Pape , il
ne faut pas nous en éloigner ſans aller
juſqu'à Padouë. Vous y apprendrez
la choſe du monde qui eſt la
plus glorieuſe à voſtre Sexe. On ne
dira plus que les Sciences ſont refervées
aux Hommes à l'excluſion des
Dames , & l'égalité des deux Sexes
ſe prouvera aujourd'huy par l'exemple
,
GALANT.
77
ple, comme elle a eſté prouvée depuis
quelque temps par de ſolides
raiſons. Il n'eſt point beſoinde vous
dire que la Maiſon des Cornaro eft
une des plus puiſſantes de Veniſe.
Il y a peu de Gens qui n'en ſoient
inſtruits. Elle eſt diviſée en pluſieurs
Branches , & par tout confiderable ;
j'entens en ſageſſe , en dignitez , en
richeſſes , & en érudition. M'Cornaro
Pifcopio , Procurateur de S.
Marc (vous ſçavez qu'il n'y a que
la Charge de Doge qui ſoit au deſſus
de celle-cy) s'eſt toûjours fait une ſi
agreable occupation des Sciences ,
qu'ayant eu deux Filles, il les a portéesà
l'Etude dés leur plus bas âge.
Je ne vous diray rien de la Cadete ,
quoy que ſes admirables qualitez la
mettent au deſſus de beaucoup d'éloges.
Elle eſt mariée à l'Illuſtriſſime
Vendramino. Je vous diray ſeulement
que ſon Aifnée qui s'appelle
Helene-Lucrece Piſcopia Cornara ,
ſçait le François , l'Eſpagnol , le
D 3 La78
[ ERCURE
Latin , le Grec ancien & moderne ,
&l'Hébreu , auffi-bien que l'Italien.
Elle a eu pour Maiſtre dans le Grec,
le ſçavant Abbé Gradenigo , Bibliotequaire
de S. Marc. Ces diverſes
Langues ne luy ont ſervy quecomme
de Vaiſſeaux avec lesquels elle a
penetré dans les vaſtes Mers des Sçavans.
Elle y a fait de ſi ſurprenantes
acquiſitions , qu'elles'eſt renduë aujourd'huyunedes
Merveilles de l'Europe.
M' Cornaro ſon Pere , furpris
luy-meſmed'un Prodige ſi peu croyable
, fouhaita qu'elle prift les degrez
de Doctorat dans l'ancienne & fameuſe
Académie de Padouë. Elle
demandoit le Doctorat de Theologie,
mais Mr le Cardinal Barbarigo
Eveſque de cette Ville eut des raiſons
qui l'obligerent àne luy accor
der que celuy de Philofophie. Ce fut
le 25. de Juin qu'elle fit paroiſtre
publiquement combien elle estoit
dignede le recevoir. Ellepiquadeux
fois dans Ariftote , & en expliqua
les
N
GALANT . 1
79
les Points qui luy vinrent à l'ouverture
du Livre , avec une entiere fatisfaction
de ſon Auditoire, compoſé
d'ungrand nombre de Nobles Venitiens
& de Terreferme , & de plus
de cent Dames de qualitéqui estoient
venuës exprés à Padouë pour voir
une fi extraordinaire Cerémonie. Je
croy que c'eſt la premiere Femme à
qui la Couronne Doctorale ait jamais
eſté accordée. On n'argumenta
point contr'elle. On apelle cette maniere
de receptionà la Nobilifte. Les
Salles du College ne pouvant ſuffire
àl'affluence du monde , on la reçeut
dansle Dôme , ou Egliſe Cathédrale.
Le Docteur Rainaldini fut fon Promoteur
, & luy donna les ornemens
du Doctorat. Elle s'attira l'applaudiſſement
univerſel. N'en est ce pas
aſſez , Madame , pour avoir auſſi le
voſtre , & celuy de tout le beau
Sexe ; Les Hommes meſmes qui
pourroient avoir quelquejalouſie ſecrete
des avantages de cette admira-
1
1
D4
ble
80 MERCURE
ble Fille , ſe ſont fait honneur de
contribuer à ſa gloire , & le 15. de
Juillet la fameuſe Académie des Ricorrati
s'aſſembla extraordinairement
pour celébrer les merveilleuſes qualitez
d'une Perſonneſi rare. Cela ſe
fit dans la Salle des Geans , lieu ordinaire
de leur Aſſemblée , où eſt
la Biblioteque publique , par les
ſoins de M' Patin de Paris, aujourd'huy
Prince de cette Académie, &
Profeſſeur en Medecine à Padouë.
M' le Podeſta , & M'le Capitaine
Grand, s'y trouverent , avec tout
ce qu'ily avoit dans le Païs de Cavaliers
& de Dames de qualité. Le
mefme Mr Patin avoit eſté employé
à faire l'Oraiſon funebre du Cavalier.
Orfati Profeffeur en Phyſique dans
la meſme Ville , mort il n'y a pas
longtemps. C'eſtoit un des plus ſcavans
Antiquaires de l'Europe.
Nous commençons d'entrer dans.
l'Automne. Si vous voulez voir les
avantages que cette Saiſon a fur le
PrinGALANT
. 81
Printemps , vous n'avez qu'à lire ces
Vers de M. de Breteüil de la Lane ,
Lieutenant General du Païs Bas Armagnac.
ZEPHIRE A FLORE.
Flore, contentez vous des Roses & des Lis ,
Dont vos beaux jours (ont embellis ,
Tout le monde leur rend hommage ,
Et fur les plus beaux fruits vos fleurs ont
l'avantage.
Conſervez cherement tant d'aimables couleurs ,
C Qui rendentſi belles vos fleurs ,
Et laiſſez fans regret tous les fruits à Pomone,
Flore, vostre Printemps vaut mieux que fon
Automne.
ر
REPONSE DE POMONE.
1
IL est vray que fes fleurs embelliffent nos
Plaines ,
1
Et que nous luy devons les tresors éclatans
Dont la terre separe au retour du Printemps ,
Mais vantez unpeu moins des richefſſesſi vaines.
On voit tomber le Lis laplus belle desfleurs ;
Apeine est- il tombé qu'on lefoule fur l'herbe .
Ne vous fiezi doncpointà toutes voscouleurs ,
Flore , & n'ensoyezplusſi fiere & sisuperbe.
Ce n'est que de mes fruits que l'on doit faire cas..
D F'en
82 MERCURE
F'en charme comme vous l'odorat & laveuë,
Et de plus j'offre au gouft des morceaux délicats
,
Dont le Ciel par malheur ne vous a paspourveuë.
Croyez-moy, belle Flore; avecque moins de bruit,
Vantez nous la couleur du Lis & de la Rose.
N'avoir rien que des fleurs , c'est avoir peu de
chose,
Si l'on ne sçait tirer de ces fleurs quelquefruit.
L'impatience qu'on a de loüer le
Roy ſur la Paix, eſt ſi grande, qu'on
n'attend point qu'on l'ait publiée ,
pour donner à ſa modération les juſtes
éloges qu'elle mérite. Jereferve
beaucoup de Pieces fur cette matiere
pour ma Lettre Extraordinaire que
je vous promets le 15. d'Octobre.
Je vous en envoye cependent quelques-
unes. Le premier des deux Sonnets
que vous allez voir, eſt de M'le
Coin de S. Chaumond en Lyonnois.
SONNET.
SUR LA PAIX
Eclater en tous lieux comme un bruyant Tonnerre,
D'un
GALANT .
83
D'un intrépide coeur braver tous les hazards ,
Voir pleuvoir ſurſa teſte un orage de dards ,
Et ſeul foûtenir tout dans une longue guerre.
Afſieger une Ville& la jetter par terre ,
Rompre des Bataillons , forcer mille Ramparts ,
Mettre en fuite une Armée , & comme un
nouveau Mars ,
Briser & foudroyer tout ce qu'nn Camp refferre.
Afſſervirparson bras cent Peuples fous les loix ;
Enfin dompter l'orgueil des plus fuperbes Rois ,
C'est ce que d'Alexandre entreprit la vaillance .
Maisoutre ceshauts faits , d'un Ennemy battu ,
Relever par la Paix le coeur & l'espérance ,
C'est ce que de Loüis acheve la vertu .
SONNET.
Grand Roy , quand tu mettrois le mondeſous
ta loy ,
Tu ferois ce que fit autrefois Alexandre ,
Dont le vaſté couroux réduisant tout en cendre,
Remplit leCiel d'horreur , &la Terre d'effroy .
Si tes Exploits un jour doivent manquer de
foy,
Si l'Histoire étonnéeà peine à les répendre ,
Si ceux qui les ont veus ne sçauroient les comprendre,
Pluſieurs ont eu jadis ce ſort là comme toy .
Les Cefars ont gagné de ſanglantes Batailles ,
Leur bras a renversé les plusfortes murailles ,
D6 Et
84 MERCURE
Et vaincu mille fois les plus fiers Ennemis ;
Mais s'abstenir de vaincre au fort de la vi-
Etoire ,
Au bien de ſes Sujeis facrifier ſa gloire ,
C'eſt où l'on reconnoiſt noſtre Siecle, & Loüis .
AUROΥ ,
SURLA PAIX.
En tout temps, en tout lieu, toûjours ſemblable
à toy ,
Grand Roy , lors que tu fais la Guerre ,
Tu foûmets à tes Loix les Princes de la Terre ,
Et quand tu fais la Paix , tu leur donnes la
Loy.
Je ne vous avois point parlé de
la mort de Madame la Ducheffe de
Wirtemberg arrivée dés l'autre Mois ,
parce que je ſçavois qu'on vous en
avoit écrit fort amplement ; mais
puis que vous voulez quej'y adjoûte
ce quej'en puis ſçavoir de particulier,
je vous diray, apres vous avoir
fait ſouvenir qu'elle estoit Veuve du
Duc Ulric de Wirtemberg , Frere
du Souverain de cette Illuſtre Maifon
, qui eſt une des plus grandes
de
GALANT 85
de toute l'Allemagne , qu'elle eft
morte en cette Ville avec des fentimens
d'une réſignation ſi admirable,
que ceux qui l'affiſterent dans ſes derniers
momens , connurent bien que
ſa pieté avoit eſté le fondement des
vertus qu'elle avoit fait éclater pendant
ſa vie. Elle fut expofée fur ſon
Lit de parade dans l'Habitdu Tiers
Ordre de S. François. Madame la
Ducheſſe de Longueville voulant
faire paroiſtre la conſidération qu'elle
avoit euë pour le mérite de cette
Princeſſe, luy donna par ſes prieres
les derniers témoignages de fon affe-
Ction ; & apres avoir viſité Madame
la Princeffe Marie-Anne ſa Fille ,
elle aſſiſta au Service qui ſe fit le
lendemain à S. Jacques duHaut-pas
ſa Paroiſſe. Le Corps fut tranſporté
le ſoir aux Flambeaux dans le Couvent
des Religieufes du Calvaire ,
où il doit demeurer en dépoſt jufqu'à
ce qu'il ſoit porté dans laPrincipauté
de Barbançon , ſuivant le
D 7
Testa
1
86 MERACURE
Teſtament de cette Princeſſe , qui
adeſiré qu'il fuſt mis dans le Tombeau
des Princes de ſa Famille , qui
font dela Maiſon d'Aremberg. Cette
Maiſon , pour n'eſtre pas Souveraine
comme celle de Wirtemberg,
ne laiſſe pas d'eſtre au nombre des
plus Illuſtres. Cela ſe juſtifie par la
Bulle d'or de l'Empereur Charles IV.
par laquelle il ſe voit que les Princes
d'Aremberg ſont depuis huit cens
ans deſcendus ou alliez des Roys &
des plus confidérables Princes de
l'Europe. Cet Empereur adjoûte
meſme qu'ils deſcendent de Charlemagne
l'un de ſes Prédeceffeurs ,
&que cette conſideration jointe à
une infinité de grands ſervices que
ceux de cette Maiſon ont rendus à
la Chreſtienté dans les premiers Emplois
de la Guerre , avoit porté
l'Empereur Sigifmond à les faire
Comtes de l'Empire, &que la continuation
de leurs fervices & de
leur vertu l'engageoit luy-meſme
àles 1
GALANT.M 87
àles élever à la dignité de Ducs de
l'Empire & de ſes Ordres. Madame
la Princeſſe Marie-Anne , touchée
au dernier point de cette perte , fit
fuplier le Roy par Monfieur l'Archeveſque
de Paris , de luy faire connoiſtre
ſes intentions , pour s'y conformer.
Sa Majeſté la fit aſſurer par
cet Illuftre Prélat de lacontinuation
de l'honneur de ſa protection. Cette
pieuſe & fage Princeſſe a voulu que
les premiers momens où ſon malheur
l'a réduità ſe voir abandonnée àellemeſme
, fuffent employez à penſer
à une retraite qui pût eſtre proportionnéeà
ſon état&à ſon affliction;
&ſous le bon plaiſir de Sa Majesté
qu'elle a fait fuplier de l'avoir pour
agreable, elle l'a choifie dans le mefme
Couvent du Calvaire , où Madame
la Ducheffe deWirtemberg fa
Mere a voulu que fon Corps fuft
mis en dépoft , afin que dans un
lieu fi propre à entretenir ſa douleur,
elle puſt par ſes prieres continuelles
don-
!
1
88 MERCURE
donnerà la memoire d'une Perſonne
qui luy fut ſi chere , autant de marquesd'une
veritable tendreffe , qu'elle
luy en a donné de fon reſpect &
deſa ſoûmiſſion pendanttout le temps
qu'elle a paffé aupres d'elle. Ces ſentimens
ne pouvoient répondre plus
noblement au zele & à la douleur
qu'elle a fait paroiſtre dans tout le
cours de fa maladie , tant par ſes
ſoins& par ſes fatigues aufſi loüables
qu'extraordinaires , que par l'excés
de ſes larmes & de ſon deſeſpoir.
Dans ce Couvent où tant de bonnes
&de pieuſes raiſons l'ont obligée de
ſe retirer , elle a reçeu les aſſurances
de la protection de la Reyne , les
complimens de Monſeigneur le Dauphin
& de Leurs Alteſſes Royales ,
& les viſites des principales Perſonnes
de la Cour. Madamela Duchefſe
ſa Mere avoit épousé en premieres
nopces le Comte d'Oſtrat , dont elle
a eu une Fille unique , à preſent
Veuve du feu Rhingrave , mort des
blef-
1
GALANT . 89
bleſſures qu'il avoit reçeuës au Siege
de Maſtric quelque temps avant la
Levée qui en fut faite par les Alliez.
De fon Mariage avec le Duc Ulric
de Wirtemberg elle n'a eu auſſi que
la Princeſſe dont je vous parle , élevée
en France ſous la protection de
Sa Majeſté par l'entremiſe delafeu
Reyne Mere. Le Roy luy a toûjours
continué cette grace avec tant d'autres
marques de ſa bonté , qu'il a
rendu fon coeur auſſi zelé & auſſi
reconnoiſſant que ceux de ſes plus
fidelles Sujets . Madame la Ducheffe
fa Mere connoiſſant la vertu & le
bon naturel de ſa Fille la Rhingrave,
auſſi-bien que fes établiſſemens avantageux
, l'a follicitée par ſon Teftament
d'agréer un petit Legs fuivant
la coûtume de ſon Païs , & qu'elle
laiſſaſt ce qui luy reſte de Bien à la
Princeſſe Marie-Anne ſa Soeur , pour
luy aider à ſoûtenir le rang où fa
Naiſſance l'éleve.
J'adjoûte deux autres Morts à celle90
MERCURE
le-cy. L'une eſt de M le Marquis
de Courcelles , que la petiteVerole
a emporté; & l'autre de M' de S. Remy
, autrefois Capitaine des Gardes
de feu Monfieur le Duc d'Orleans ,
&Beaupere de Madame la Ducheſſe
de Vaujour. Vous ſçavez que M
de Courcelles eſtoit Neveu de Monfieur
le Marefchal de Villeroy , &
qu'il avoit eſté Mestre de Camp &
Lieutenant de l'Artillerie.
Puis que vous vous faites un
plaifir de Deviſes , je vous en envoye
quatre nouvelles qui estoient dans
laBordurede laTheſe que M'l'Abbé
du Montal préſenta au Roy ily aun
mois , dont je ne vous dis qu'un
mot dans ma Lettre d'Aouft . Cette
Bordure eſtoit magnifique , & voicy
à peu pres quel en eſtoit le deſſein.
Elle reprefentoit une Place fortifiée
de quatre Baſtions , fur chacun defquels
il y avoit une Fleur de Lys ,
dont pluſieurs Lys ſortoient. De
Baſtion en Baſtion on voyoit des
1 Ourag.
go
Gloriaeus terror

GALANT.
91
Ouvrages à jour en manierede Filagrane
, avec une Devile au milieu.
Celle de deffus eſtoit un Soleil avec
ces mots, Non quem regit orbe minor.
Un Arc-en-Ciel diſſipant des nuës,
faifoit celle qu'on voyoit en bas.
CesParoles luy ſervoientd'ame, Vincendofacit
omina pacis. Celles cy accompagnoient
la Deviſe qui estoit
à un des coſtez, formée d'un Lyon
qui fuyoit , Gloria ejus terror. Il y
'avoit de l'autre coſté un Foudre qui
frapoit uneTour, avec ces mots Efpagnols
, Hiriendo à uno, amenaça à
muchos. Au deſſus de la Place , au
bas du Soleil, on voyoit deux Branches
de Lys qui ſe joignoient , &
qui enfermoient lePortrait du Roy.
Il eſtoit couvert d'une Glace de Veniſe
, auſſi bien qu'une eſpece de
Cartouche où eſtoient les Poſitions.
Sur le deſſus ily avoit un Trophée,
avec toute forte d'Armes , un Hercule
qui terraſſoit une Meduſe , &dans le
milieu une grande Renommée avec
une
:
1
92
MRECURE
une Palme à la main. Aupres d'elle
eftoient un Lyon & une Aigle liez
en quelque façon, avec ces mots fur
un Cartouche , Victori Belgico. Des
Feſtons de Fleurs faifoient l'ornement
de chaque coſté du Trophée ;
& un peu plus bas, furles coſtez de
laPlace , deuxJoüeurs d'Inſtrumens
accompagnoient le Triomphe. CettePlace
eſtoit ſoûtenuë de deux Figures
qui finiſſoient à demy en Fleurs ,
&qui ſuportoient les Armes du Roy ,
avec les deux Ordres autour. Je vous
en dis affez pour vous faire concevoir
la beauté de cet Ouvrage , qui
tres-favorablement reçeu
Cour, ainſi que le Portait de Sa
Majesté faitpar le S Simon Graveur.
Il avoit déja fait celuy de Monfieur
le Prince , & celuy de Monfieur
l'Archeveſque de Paris. Ces trois
Portraits l'ont rendu fort recommandable.
J'ay fait graver les quatre
Deviſes . Vous les trouverez dans
cette Planche. L'Epiſtre de la Theſe
fut en
faiGALANT.
93
faiſoit connoiſtre que ce qu'on ne
pouvoit dire de beaucoup de Souverains
quepar flaterie, qu'ils eſtoient
l'image de la Divinité , la verité le
faiſoit dire du Roy , non ſeulement
par cet air de grandeur &de majesté
répandu ſur ſa Perſonne , mais par
cette ſageſſe preſque divine qui estoit
née avec luy , ſans qu'il euſt eu beſoin
de la puiſer dans les Livres des
Philoſophes ; Que ſi la Sageffe confiſtoit
dans l'aſſemblage de toutes les
Vertus, il n'y en avoit point qui
puſt égaler la ſienne; Qu'il eſtoit
peut-eſtre le premier qui en euſt
montré dans la Guerre ; Qu'eſtant
offencé , il n'avoit point précipité
la fatisfaction qui eſtoit deuë à ſa
gloire ; qu'il s'eſtoit plaint ; qu'il
avoit menacé , & que par ce temps
donné aux Ennemis pour ſe repentir,
⚫il les avoit fait convenir de l'équité
de ſa Cauſe. Je paſſe le reſte de cette
Epiſtre pour venir à la Theſe que
M' l'Abbé du Montal a ſoûtenuë.
|
11
94 MERCURE
Il ouvrit la Diſpute par une courte
Harangue ſur les Actions de Sa Majeſté
, & apres avoir loüé cette meſme
Sageſſe qui mettoit le Roy autant
au deſſus des Sages , que les
Sages font au deſſus du reſte des
Hommes, il s'étendit ſur l'infatigable
valeur qui luy avoit fait entreprendre
la conqueſte des Villes les mieux
fortifiées , dans les plus rigoureuſes
Saiſons. Il adjoûta que s'il y avoit
beaucoupdeforced'ame dans ces entrepriſes
, celle de ſe vaincre ſoy-mefmeendonnant
laPaix, eſtoitquelque
choſe de ſi élevé, qu'il n'y avoit point
d'éloges qui ne fuſſent infiniment
au deſſus d'un pareil triomphe ; Qu'il
eſtoit proprement l'ouvrage de fon
grand coeur ; qu'il n'en partageoit
la gloire ny avec ſes Genéraux , ny
avec le nombre de ſes Troupes ; que
LOUIS LE GRAND avoit vaincu
laVictoire meſime , lors que voulant
rendre le calme à toute l'Europe
, il avoit remis genéreuſement
aux
GALANT.
95
aux Ennemis vaincus , & ce que la
Victoire luy avoit acquis , & ce
qu'elle pouvoit encor luy acquerir.
Il fit voir auſſi la terreur que le ſeul
Nomde ce Grand Monarque jettoit
parmy eux , juſqu'à n'ofer pas mefme
le plus ſouvent attaquer ceux
qui avoient l'avantage de combatre
ſous un ſi redoutable Nom. Il en
donna pour exemple M' le Comte
du Montal ſon Pere , qui avoüoit
ques'il avoit faitquelque choſe qu'on
puſt croire digne du Commandement
que Sa Majefté luy avoit confié
, il en devoit toute la gloire à
celuy quiluy avoit donné l'autorité
de l'entreprendre , & communiqué
la force de l'executer . La Theſe fut
ouverte par M' l'Abbé de Biſſy ,
qui fit auſſi l'éloge du Roy , & n'oublia
pas Mª du Montal , dont jene
vous marque point icy les Actions.
Vous ſçavez cellesde ſa rentrée dans
Charleroy, de la levée du Siege de
cette Place, de celle de Maſtric , &
de
96 MERCURE
de la Bataille de Senef. La gloire
qu'il s'eſt acquiſe dans toutes ces Occaſions
eft connuë de tout le monde.
Sonnomeſt Montſaulnin. C'eſt
une tres-ancienne Maiſon qui defcend
d'Ecoffe , & qui s'eſt alliée à
tout ce qu'il y a de plus grand en
Bourgogne. Il y a plus de trois ans
qu'il eſt Lieutenant General. J'eſtois
mal informé du temps , quand je
vous ay dit qu'il l'avoit eſté fait depuis
peu. Madame ſa Mere eſt de
la Maiſon de Buffy-Rabutin, &Madame
du Montal ſa Femme, de celle
de Soulages en Roüergue , tresnoble
& tres -ancienne , & alliée à
celles de la Fare , de Luſſan , & à
pluſieurs autres des plus conſidérables
de Languedoc. Le Bonnet de
Maiſtre és Arts fut donné au Soûtenant
par le Chancelier. Cette Cerémonie
finit l'Action .
Si le talent de graver donne de
la réputation aux Hommes , il faut
dire à l'avantage de celles de voſtre
Sexe
GALANT.
97
Sexe, qu'il n'y a point d'Art où elles
ne réüſſiſſent admirablement. Le
Livre de Pastorales , & d'autres Ouvrages
que nous avons de Mademoiſelle
Stella , luy avoient acquis
déja beaucoup de gloire , mais elle
a fortaugmenté l'eſtime qu'on avoit
pour elle , par le Portrait qu'elle a
gravé depuis peu de Monfieur l'Archeveſque
de Paris. Il eſt accompagné
de Figures qui marquent les vertus
de ce grand & zelé Prélat. On
ne peut rien voir de plus achevé.
Mademoiselle Maſſon la fuit de pres
dans ce merveilleux talent. Elle a
gravé les Portraits de Leurs Majeſtez
avec uneſi entiere reſſemblance
, qu'aucun trait n'y eſt oublié.
J'ay appris qu'elle travailloit preſentement
à ceux de Leurs Alteſſes
Royales .
On a eſté fort effrayé à Avignon
de ce que la Terre y a tremblé le ſecond
jour de ce Mois. Ce Prodige
n'a eſté ſuivy d'aucun deſordre. C'eſt
Septembre. E un
98 M ERCURE
un bonheur que quelques-uns attribuent
au Protecteur de la Ville S.
Agricol , dont on celebroit cejourlà
la Feſte.. Quoy que la Terre y ait
tremblé juſqu'à trois fois , onpourroit
ſe perfuader qu'il y auroit eu de
l'imagination dans cette croyance ,
fi la meſme choſe n'eſtoit arrivée le
meſme jourà Arles & à Aix. On venoit
de recevoir nouvelles dans cette
derniere Ville , que le Roy devoit
l'honorerde fa préſence , &c'eſt
là-deffus qu'on a fait ce Madrigal .
Il eſt de la meſme veine dont eſt party
le galant Ouvrage que je vous ay
envoyé ſur les Vers à ſoye.
MADRIGAL .
Quelle joye en cette Province ,
Le jour que l'on apprit que fon Auguste Prince ,
Qu'on peut mieux ſurnommer qu'un Empereur
Romain ,
Les Delices du Genre humain ,
Luy vouloit accorder l'honneur deſa prefence !
Quel transport ! quel raviſſement !
Je puis dire que la Provence
N'eut point voulu dans ce moment
Se
GALANT.
99
! 、
Se changer pour l'Isle de France ,
Tant ce bruit fut pour elle un bruit doux&
charmant.
Mesme les choses inſenſibles ,
De tendreſſe & d'amour parurent ſuſcepttibles.
On' vit les Rochers treſſaillir ,
La Terre tremouſſa de joye & de plaisir ,
Dans l'espoir de porter ce foudre ds la Guerre.
L'onde ſe ſentit émouvoir.
Enfin tout se montra plein d'ardeur pour le
voir ;
Et jusqu'aux Vents cachez dans le ſein de la
Terre,
Sortirent pour le recevoir.
Il eſt difficile, Madame , que
vous n'ayez entendu parler des Bains
qu'on va prendre à Aix en Savoye.
Madame Royale y a fait des dépenſes
qui les rendent fi commodes ,
qu'avant qu'il foit peu , il n'y en
aura point de plus fréquentez . Il y
a eu cette année grand compagnie ,
dont la Promenade , le Jeu , & les
Violons , ont eſté les divertiſſemens .
Un Gentilhomme d'une des plus
conſidérables Maiſons du Lyonnois ,
arrivé nouvellement de Paris , où il
E2 s'e-
1
100 MERCURE
s'eſtoit mis en crédit parmy les Dames
, fut bien aiſe d'y aller chercher
quelque avanture. Son Pere , que
quelque incommodité menoit à ces
Bains , luy propoſa de l'accompagner.
Il ſe fit un plaiſir de cecourt
voyage , & alla deſcendre avec luy
dans uneMaiſon qu'un Amy quien
eſtoit party depuis peu , avoit pris
ſoin de luy arrefter. Cet Amy luy
avoit fait le détail de tout ce qu'il
trouveroit d'aimable dans le Lieu
qu'il venoit d'abandonner , & l'avoit
fur tout averty qu'une fort jolie
Perſonne de Lyon venue avec ſa
Mere aux Bains , logeoit dans la
Maiſon voiſine de celle qu'il avoit
choiſie pour luy , avec tant decommodité
, que comme elle prenoit le
frais preſque tous les ſoirs à ſa feneſtre
, il pourroit l'entretenir de la
ſienne, & ſe ſervir de la liberté que
l'uſage avoit établie dans tous les
lieux où l'on s'aſſemble ainſi de tous
coftez pour un temps ; mais qu'il
prift
GALANT. 101
!
prift bien garde à ne pas trop voir
une jeune Blonde de Chamberry ,
parce qu'il n'y avoit rien de plus
dangereux , foit pour l'efprit , ſoit
pour la beauté. Comme il luy avoit
nommé l'une & l'autre , le Cavalier
connoiſſoit la Famille de la premiere
, ſans avoir pourtant jamais veu
ny la Mere ny la Fille ; mais pour
la belle de Chamberry , il n'en ſcavoit
rien autre choſe ſinon qu'elle
eſtoit fort de qualité. Le danger que
ſon Amy luy avoit dit qu'il pouroit
courir en la voyant, fut ce qui luy
donna plus d'empreſſement pour la
voir. Il eſtoit bien fait , avoit une
vivaciré d'eſprit admirable , & s'eſtoit
fait eſtimer de tant de Belles ,
qu'il ſe mit en tefte de n'ofrir pas
ſes voeux inutilement à celle- cy. Il
vint donc aux Bains pleins de fon
idée , & amoureux d'elle , ſi on le
peut eſtre d'une Perſonne qu'on ne
connoiſt pas. Dés lejour meſme qu'il
fut arrivé , il regarda pluſieurs fois
E 3 dans
102. MERCURE
dans la Ruë , & enfin ſur les dix
heures du ſoir il vit une jeune Demoiſelle
à la Fenestre voiſine. Quoy
que l'obſcurité l'empefchât d'en bien
diftinguer les traits , elle n'eſtoit pas
ſi grande , qu'il ne remarquaſt qu'elle
avoit de la beauté. La galanterie
qui luy eſtoit naturelle , luy fit
chercher à l'entretenir. Il luy parla
fort civilement. La Belle répondit
avec la meſme civilité , & la converſation
fut bien toſt noüée. Il la
croyoit de Lyon. Il eſtoit de la Province
, & celadevoit ſervir à établir
entr'eux plus de liaiſon. Ils tomberent
inſenſiblement ſur le chapitre
des Belles qui estoient aux Bains.
Celle de Chamberry ne devoit pas
tenir le dernier rang. Le Cavalier
étonné de ce que la Belle qu'il entretenoit
ne la nommoit point , la
pria de luy dire ce qu'elle en croyoit
, & fi on luy en avoit fait un
portrait fidelle , en l'affeurant qu'il
la trouveroit une des plus belles &
des
ALANT.
103
des plus ſpirituelles Perſonnes qu'il
euſtjamais veuës. Elle répondit qu'on
ne pouvoit pas dire qu'elle fuſt mal
faite , ny qu'elle manquaſt tout-àfaitd'eſprit
, mais qu'on l'avoit fort
flatée ſi on la faifoit paffer pour une
Perſonne qui ſe fiſt fi fort diftinguer
parmy les Belles . Cette réponſe ne
furprit point leCavalier. La jalouſie
eſt preſque toûjours inſéparable
de celles qui prétendent à la Beauté,
& il crût qu'un peu d'envie luy avoit
fait abaiffer le mérite de l'aimable
Perſonne dont il luy parloit. Il luy
fit meſme paroiſtre quelque choſe de
ce qu'il croyoit , & il le fit d'unjene-
ſçay quel air intereſſé qui obligea
la Belle à luy dire , qu'il falloit
qu'il fuſt quelque Amant caché, qui
venoit s'inſtruire par ſes yeux , fi la
Demoiselle de Chamberry eſtoit digne
de ſes hommages. Elles adjoûta
mille choſes agreables ſur la béveuë
qu'elle avoit faite fans y penſer , en
ne luy parlant pas affez avantageu-
E 4
fe104
MERCURE
ſement de cette Belle; & tout ce
qu'elle dit fut fi fin , & fi agreablement
tourné , que le Cavalier qui
ſe connoifſoit en eſprit , fut charmé
de celuy qu'elle fit paroiſtre. Il réprouva
fur diférentes matieres. La
Belle qui ſoûtenoit l'entretien admirablement
, revenoit toujours au
panchant qu'il devoit avoir pour la
Demoiselle de Chamberry , & elle
luy en faiſoit la guerre d'une maniere
ſi galante , que le Cavalier qui
prenoit feu inſenſiblement , luy dit
avec la meſme galanterie , qu'il eſtoit
vray qu'il n'eſtoit venu aux Bains
que dans le deſſein de s'attacher à la
Perſonne qui estoit le ſujet de leur
diférent; Mais qu'apres l'avantage
qu'il avoit eu de l'entretenir , il ne
pouvoit croire qu'elle approchaſt
d'elle, & que fi elle vouloit agréer
ſes ſoins , il oublieroit avec grand
plaifir ce qui l'avoit amené. On luy
fit connoiſtre qu'une déclaration de
cette force pour une Perſonne qu'il
ne
GALANT. 105
ne connoiſſoit pas , eſtoit un peu
trop précipitée. Il la ſoûtint , en
diſant à la Belle qu'il eſtoit fort
inſtruit & de ſa naiſſance , & du
mérite de ſa Perſonne ; qu'il ſçavoit
qu'elle estoit de Lyon, & qu'il
avoit des Parens qui avoient pris
alliance dans ſa Famille. La Belle
qui s'eſtoit fait un fort grand plaiſir
de cette premiere converſation ,
ſe contenta de répondre qu'avant
que d'aller plus loin dans les proteſtations
qu'il commençoit à luy
faire , elle vouloit qu'il viſt ſa Rivale
; que cette Rivale devoit eſtre
le lendemain dans une Compagnie
où il luy ſeroit facile de trouver accés
; qu'il l'examinaſt ; & que le
ſoir , ſelon ce qui luy en auroit paru,
il pourroit luy dire à ſa feneſtre dans
quels ſentimens il feroit pour l'une
&pour l'autre . Elle ſe retira en mefme
temps , & ne voulut point écouter
la priere qu'il luy faiſoit de le
diſpenſer de l'épreuve qu'elle exigeoit
E5-
de
110 MERCURE
de ſa complaiſance. En effet il luy
avoit trouvé tant d'eſprit , & ce que
fon Amy luy avoit dit de ſabeauté
luy en donnoit des idées ſi avantageuſes
, qu'il n'eſtoit plus en état de
croire qu'aucune autre méritaſt
mieux ſon attachement. Il croyoit
juſte. C'eſtoit la Belle meſme de
Chamberry qui venoit de luy parler.
La Lyonnoiſe eſtoit partie des Bains
pour des affaires preffantes , deux
jours apres fon Amy , & cette premiere
occupoit ſon Apartement depuis
fon depart. L'envie qu'elle avoit
de ſe divertir de fon erreur , luy fit
épier l'occaſion de le voir ſans en
eftre veuë. Ainfi elle estoit au guet
quand il fortit le lendemain au matin.
Elle obſerva ſon viſage , & fi
elle avoit eſté fatisfaite de ſon entretien
, elle ne le fut pas moins de ſa
Perfonne. Dés qu'elle eut diſné ,
elle ſe rendit où elle luy avoit dit
qu'elle devoit eſtre. Ily vint quelque
temps apres , & l'ayant entenduë
nomGALANT
.
107
nommer , il s'approcha d'elle. Il luy
trouva beaucoup de beauté , mais
moins qu'il n'auroit fait s'il n'euſt
pas eftépréoccupé d'elle-meſme ſous
un autre nom. 11 luy dit pluſieurs
choſes affez galantes. Elle prit un air
ſérieux , comme on le prend d'ordinaire
avec un nouveau venu. Elle
parla peu , & tint preſque toûjours
en parlant fon Eventoil ſur ſa bouche.
Vous jugez bien qu'elle le fit
tout exprés pour déguiſer ſa parole.
Elle y réüffit ſi bien; qu'il fut impoſſible
au Cavalier de connoiſtre
que c'eſtoit la meſme Perſonne qu'il
avoit entretenuë le ſoir precédent.
Il ſe retira , & toûjours charmé de
la prétendue Lyonnoiſe , il attendit
impatiemment l'arrivée de la nuit.
Apeine fut- elle affez obfcure pour
ne laiſſer pas bien difcerner ce que
l'on voyoit , que la Belle vint à fa
feneftre. Elledemanda d'abord , qui
vive& montra un enjoüement ſi ſpirituel
dans la priere qu'elle luy fit de
E6 par108
MERCURE
parler ſincérement , qu'il ne balança
point à ſe déclarer contre la Belle de
Chamberry. Il avoüa qu'elle pouvoit
avoir quelque prétention à la
Beauté; mais pour l'Eſprit elle luy
ſembloit ſi éloignée de pouvoir entrer
en concurrence avec elle , qu'-
elle ne ſeroit jamais en droit de luy
diſputer ſon coeur. On le pria de ſe
bien examiner. Il perſiſta dans ſon
premier choix , & dit qu'il admiroit
quelquefois un beau Portrait , mais
qu'il ne pouvoit en eſtre touché. Il
brûloit de voir la ſpirituelle Perfonne
qu'il entretenoit. La permiffion
luy en fut donnée pour le jour ſuivant.
La Belle chercha à l'embaraffer
de nouveau dans ſa viſite. La Mere
avoit eſtéinformée de tout ; & comme
elle ne manquoit pas d'eſprit non
plus que fa Fille , elledonna ordre à
ſes Gens de faire entrer un Cavalier
qui peut- eftre la demanderoit ſous le
nom de la Lyonnoiſe dont elle occupoit
l'Apartement. On fuivit cet
ordre.
ALANT . 109
ordre. Le Cavalier vint. Il fit compliment
à la Mere , chercha la Fille
des yeux , & reconnoiſſant la Belle
de Chamberry qui avoit ſes Coifes,
il crût qu'elle n'eſtoit là qu'en viſite.
Comme elle écouta longtemps fans
parler, l'erreur où il eſtoit ne s'éclaircit
point. Il entretenoit toûjours
laMere, vantoit la bonté des Bains,
contoit des nouvelles , & enfin s'ennuyant
de ne point voir paroiſtre la
Fille , il demanda s'il n'auroit point
l'honneur de la ſalüer. La Belle qui
ſe déclara ſon Amie, dit qu'il eſtoit
incivil qu'elle demeuraſt plus longtemps
dans ſon Cabinet. Elle entra
ſous prétexte de l'en faire fortir , &
eſtant revenue un moment apres fans
Coifes , elle prit ſon ton naturel
pour luy apprendre que ſon Amie
l'avoit chargée de venir l'entretenir
à ſon defaut ; qu'elle tâcheroit de
trouver affez d'eſprit pour fournir à
la converſation , & qu'il pouvoit ſe
hazarder à debiter aupres d'elle une
E 7 pari
1
i
110 MERCURE
partie des douceurs dont elle croyoit
qu'il ſe fuſt muny. Cela fut dit de
cette maniere libre & enjoüée qui
donne du prix aux moindres choſes.
Le Cavalier regarda la Belle. Il ne
ſçavoit où il en eſtoit. Cette voix
l'avoit frapé. Il la reconnoiſſoit pour
celle qu'il avoit entenduë les deux
derniers foirs ; mais le viſage l'embaraffoit
, & tout accoûtumé qu'il
eſtoità ne ſe point déconcerter avec
les Dames , il garda le filence quelques
momens pour examiner leparty
qu'il avoit à prendre. On luy fit reproche
du ſacrifice qu'il avoit fait de
la Demoiselle de Chamberry , &
cette particularité luy auroit fait
croire que les deux Belles , eſtant
amies, ſe feroient entenduës pour luy
faire piece , fi trouvant le meſme efprit
& la meſme voix de celle qu'il
avoit crue Lyonnoiſe , dans celle
qui ne luy avoit fait paroiſtre que
fa beauté lejour précedent , il n'euſt
connu avec certitude que la mefme
PerGALANT.
III
Perſonne avoit joüé les deux Perſonnages.
On tâcha de l'embaraſſer
encor quelque temps , & enfin on
luy avoua la choſe. Il dit plaiſamment
qu'il avoit toûjours crû qu'il
fuſt nuit quand il n'y avoit point de
jour, & que la plus fpirituelle Perſonne
qui affectoit de ne point parler
, ne portoit pas écrit ſur ſon front
qu'elle euſt de l'eſprit. Il tourna mefme
à fon avantage les déclarations
qu'il avoit faites contre la Belle ,
puis qu'il ne les avoit faites que pour
elle-meſme , & qu'il avoit foûtenu
le meſme party qu'il paroiffoit condamner.
L'avanture fit dire centjolies
chofes , & à la Belle , & au Cavalier.
Il continua ſes viſites . Elles
furent agreablement reçeuës , &
peut- eſtre auront-elles de la ſuite.
J'auray ſoin de vous apprendre ce
que j'en ſçauray.
Si vous avez eſté ſurpriſe detrouver
ſi ſouvent dans mes Lettres de
nouvelles actions de valeur de M'le
Mar112
MERCURE
1
Marquis de Navailles , vous ferez
perfuadée que je ne vous en ay rien
écrit que de vray , quand je vous
auray dit qu'il vient d'en eſtre récompensé
par la Charge de Brigadier
que Sa Majeſté luya donnée. Eſtre
choiſy pour un tel Employ, dans
un âge ſi peu avancé, &par unRoy
qui connoit fi bien le mérite , c'eſt
avoir le plus incontestable titre
d'honneur qu'on puiffe acquerir.
La Reyne a eſté à l'Abbayedu Lys.
Madame Colbert qui en eſt Abbeffe,
luy fit connoiſtre par un tres-magnifique
Régal , avec quels reſſentimens
de joye & de reſpect elle recevoit
l'honneur qu'il luy plaiſoit de
luy faire. Elle eſt Soeur de Monſieur
Colbert , Miniſtre d'Etat .
Madame la Baronne de Marcé ,
Gouvernante des Filles d'Honneur
de Madame , eſt morte dans les premiers
jours de ce Mois. Madame de
Roubais de Bretagne , Soeur de Madame
la Préſidente de Moteville ,
qui
GALANT .
113
qui eftoit à la feu Reyne Mere , &
que cette Princeſſe honoroit de ſa
plus particuliere eſtime, a eſté choiſie
pour remplir ſa place. Ce Pofte fait
l'éloge & de la Défunte & de la Vivante,
puis qu'on n'y met que des
Perſonnes d'un fort grand mérite, &
d'unevertu genéralement reconnue.
Le chagrin ne fuccede que trop
toſt à la joye. Il n'ya qu'un an que
je vous appris le Mariage de Madame
de la Levretiere , Fille de M
de Ricoüart de Herouville , Maiſtre
ordinaire de l'Hoſtel du Roy; & la
Reception qui luy avoit eſté faite à
Condé , dont M de la Levretiere
ſon Mary eſt Gouverneur. Aujourd'huy
j'ay à vous apprendre qu'elle
eſt morte en couche avec ſon Enfant.
Jugez combien la perte d'une Perſonne
ſi jeune doit eſtre rude dans
une premiere année de Mariage.
M' Goüet Maiſtre de Muſique
des Dames Religieuſes de Longchamp,
a fait un tres-agreable Air
que
114
MERCURE
que vous trouverez icy noté avec
ces Paroles.
AIR NOUVEAU .
Olympe est de retour avec de nouveaux
charmes ,
Gouſtez bien ce plaisir . mes yeux .
La Belle pouvoit elle mieux
Vous récompenser de vos larmes ?
Helas ! que mon fort feroit doux ,
Si mon coeur en estoit auffi content quevous !
J'ay toûjours oublié à vous dire
que l'Air de ma Lettre du Mois de
Juin , dont les Paroles commencent
par ce Vers , Quand fur nos charmans
rivages , &c . eſtoit de la façon de
M de L. M. Il avoit crû ne ſepouvoir
mieux cacher qu'en me le faifant
tomber entre les mains comme
venant de Puyperlan enXaintonge.
Adire vray, j'en avois eſté la dupe,
mais il n'a pû tenir contre les loüanges
que luya données une belle Perſonne
qui le chantoit ſans ſçavoir
qu'il fuſt de luy. Il s'eſt déclaré, &
comme elle aime fort la Muſique ,
cela
T
T
1
Olimpe eſt de retour avec de nouveaux char-
T
yeux , La belle pouvoit elle mieux Vous recompenſer de
V
Si mon coeur en e- ſtoit auſſi content que vous ! Helas ! Hela
cela
GALANT.
115
cela n'a pas nuy à le mettre bien aupres
d'elle.
On m'a averty que dans cette mefme
Lettre du Mois de Juin , où je
vous fais la Relation du Siege de
Puycerda , je vous ay dit que M'de
Bardonache avoit eſté tué , au lieu
de vous dire M. de Bardonenches .
Je vous ay déja marqué bien des fois
que ſi on prenoit plusde ſoin de bien.
écrire les noms propres , on éviteroit
ces fortes de fautes. Mr de Bardonenches
estoit un Gentilhomme Dauphinois
, Capitaine dans le Regiment
de Sault , & d'une Famille qui s'eſt
toûjours ſignalée dans l'Epée & dans
la Robe. Il a encor un Frere dans
ce meſme Regiment.
M' le Marquis de Bouflairs n'eſt
point marié , & je me ſuis trompé
quand je vous l'ay dit. Ce qu'il y a
de vray , c'eſt que M' le Comte de
Bouflairs fon Frereaiſné, mort il y a
déja dix ou douze ans , avoit époufé
la Fille de M de Guenegaud Secretaire
116 MERCURE
taire d'Etat. C'eſt de luy qu'on a dit
qu'il avoit tué un Homme apres fa
mort. On le portoit dans un Cercueil
de plomb à ſa Terre de Bouflairs
. Le Carroſſe verſadans un pas
fâcheux. Le Cercueil tomba fur le
Curé qui eſtoit aupres , & il ne pût
ſe garantir d'en eſtre écrasé.
Vous aurez déja peut-eſtre entendu
parler de l'eſpérance qu'on a de
réünir l'Egliſe Gréque avec la Romaine.
Les Eveſques de cette premiere
qui estoient à Rome depuis
quelques mois , & qui n'avoientencor
pû avoir d'audience , l'eurent le
27. d'Aouſt de M'le Cardinal Cibo ,
auquel leurs Lettres de croyance avoient
eſté données à examiner. Ce
Miniſtre leur fit comprendre que Sa
Sainteté avoit réſolu d'attendre l'arrivée
de M' des Cloſets Chef
de l'Ambaſſade , Chanoine , Sous-
Chantre en dignité de l'Egliſe S.
André , & Docteur en Medicine en
l'Univerſité de Padouë , pour leur
donGALANT.
117
1
donner l'audience publique qu'ils ont
demandée, La Reyne Chriſtine de
Suede , à qui ces Eveſques &M'des
Cloſets font recommandez , avoit
eu quelques jours auparavant une
longue conférence fur ce ſujet avec
le Pape auquel elle témoigna la ré.
ſolution où eſtoient le Patriarche
d'Antioche , & dix- huit Eveſques
Arméniens , qui envoyent vers luy
pour faire leur Profeſſion de Foy.
Sa Sainteté en parut fort fatisfaite ,
& loüa la conduite que Mª des Cloſets
avoit tenuë pour l'établiſſement
del'EgliſeGréque en Angleterre.Elle
fit plus , puis qu'à la ſollicitation de
cette Princeſſe , Elle luy conféra un
Canonicat de S. Jean de Latran vacant
par la mort du Doyen des Prélats.
Cet Envoyé eft attendu dejour
àautre. On luy a préparé un Palais
dans la Ruë Sainte par les ordres de
la Reyne Chriſtine de Suede. Le
Chevalier Borry a eu permiſſion du
Pape de le viſiter deux fois la femainc
1
118 MERCURC
ne pendant le ſejour qu'il fera à Rome.
Ils font intimes Amis ; & fi vous
voulez ſçavoir quelque choſe de plus
particulier de M' des Cloſets , je
vous diray que c'eſt un Voyageur
univerſel , qui à l'âge de trente ans ,
a veula Perſe , la Chine , & tous les
Royaumes du Grand Seigneur &du
Mogor. Ainfi , Madame , on peut
dire que s'il avoit parcouru le Nord,
il auroit eſté dans toute la Terre
habitable. Vous jugez bien que tant
de Voyages qu'il a faits luy ont acquis
toutes les belles lumieres qu'il
poffede. Il ſçait pluſieurs Langues ,
mais particulierement les Orientales.
Il eſt & grand Medecin & grand
Chymiſte. La Reyne de Suede &
tous les Sçavans d'Angleterre , ont
pour luy une eſtime tres- particuliere.
Le Chevalier Borry que je vous ay
dit qui avoit permiffion de le voir
luy a dédié ſon Enchiridion en ſeize
fortes de Langues. Il eſt confulté
de toutes les Teſtes Couronnés , &
on
,
GALANT.
119
on ne dit point trop de luy endiſant
qu'on le regardecomme un Prodige.
Il a demeuré cinq années dans les
Jardins bas du Serrail avec M du
Ménillet à préſent Patriarche d'Antioche.
C'eſt aupres de ce grand
Homme qu'ila puiſé, les belles connoiſſances
qu'il a dans la Medecine.
Le feu Grand Viſir le choiſit pour
rétablir les Catholiques Romains
dans la poſſeſſion du Saint Sepulchre,
d'où ils avoient eſté chaſſez , & ce
fut dans ce meſme temps qu'il en
fut fait Chevalier. Le Patriarche
d'Antioche le fit l'an paſſe ſon Envoyé
Extraordinaire aupres du Roy
d'Angleterre pour la tolérance de
l'Egliſe Gréque. Ily enjetta les premiers
fondemens; & comme il eſt
tres-propre pour les Négotiation , ce
mefme Patriarche luy a bien voulu
confier aupres du Pape la grande
Affaire dontje viens de vous parler.
Elle pourra entraîner la réünion des
deux Eglifes .
Mr le
120 MERCURE
Mr le Vicomte d'Obterre , Fils
du-Vicomte de ce meſme nom , &
Cadet de feu Monfieur le Marquis
d'Obterre , qui avoit épousé Mademoiſelle
de Gondrin , Soeur de feu
M' l'Archeveſque de Sens , a épousé
Mademoiselle de Jonſac. Il y a eu
des Mareſchaux de France dans cette
Maiſon , & elle vous eſt aſſez connuë
par ce que je vous en ay dit dans
quelqu'une de mes Lettres. Mademoiſelle
de Jonſac eſt de celle de
Sainte-Maure dont je vous ay auſſi
entretenue. Vous voyez par là qu'elle
doit eſtre proche Parente de Monfieur
le Duc de Montauſier. C'eſt
affez pour faire connoiſtre les avantages
de fa Famille .
Mademoiſelle
M' de la Salle Maiſtre des Requeſtes
, a épousé
Coupy. Elle est belle & riche , &
Fille d'un Secretaire du Roy. M²
de la Salle eſt Neveu de Mr Poncet .
Il eſt tres-bien fait, &il n'y a perſonne
qui ne parle de luy qu'avec eſtime.
On
r
GALANT. 121
On a eu nouvelles de Turin que
la ſanté de Madame Royale ſe rétabliſſoit
apres neuf jours de fievre
continuë. Son mal a eſté plus dangereux
qu'il n'a eſté long. Les grandes
qualitez de cette Princeſſe, &
l'état floriſſant où elle tient la Cour
de Savoye , luy ont tellement attiré
l'amour des Peuples , que dans les
Prieres publiques qui ont eſté ordonnées
, ils n'ont rien oublié qui
puſt ſervir à faire connoiſtre combien
ils s'intéreſſoient à ſa conſervation.
Elle est en effet tres- neceſſaire & à
Son Alteſſe Royale & à ſes Sujets ,
qui ne peuvent affez reconnoiſtre la
bonté qu'elle a de travailler inceſſamment
à leur bonheur par ſes continuelles
applications àtout ce qui regarda
l'éducationde cejeune Prince.
Il a donné dans cette occafion des
marques tres- ſenſibles de latendreſſe
qu'ila pour une ſi Illuſtre Mere, &
on peut dire que les ſoins qu'il ena
pris ſont au deſſus de ce qu'on pou-
Septembre.
F voit
122 MERCURE
voit attendre de ſon âge. Il n'y a
rien de plus parfait que leur union.
Les galanteries qu'ils ſe font , & les
grandes Feſtes qu'ils ſe donnent ,
en font une preuve. Vous avez veu
lamagnificencedes dernieres dans ma
ſeconde Lettre Extraordinaire.
Si le maldedents eſtoit auſſi dangereux
qu'il eſt cruel , on auroit ſouvent
à trembler pour de fort aimables
Perſonnes. Voyez ce qui m'a eſté
envoyé là deſſus.
A SYLVIE ,
SUR SON MAL DE DENTS.
MADRIGAL .
Quoy , de fi belles Dents ont eftéfi méchantes,
Qué de faire sentir des douleurs fi cuiſantes
Au plus aimable Objet qui viveſous les Cieux!
F'enferois étonné, Sylvie ,
Si depuis que j'ay mis ma vie
Sous l'empire de vos beaux yeux ,
Vous ne m'aviez appris que pour estre cruelle ,
C'est affez d'estre blanche & belle.
Nous n'avons pas eſté tout-à-
-fait
L
GALANT
123
i
fait à plaindre dans la quantité de
maladies que les grandes & longues
chaleurs ont caufées icy cette année,
puis que nous avons eu des ſecours
extraordinaires pour les arreſter. Les
Remedes que donne le Medecin Anglois
pour les Fiévres intermittentes,
ſe ſont trouvez merveilleux. Mademoiſelle
, Monfieur l'Eveſque de
Condom , Monfieur le Premier Préſident
, & beaucoup d'autres Perſonnes
de marque , s'en ſont ſervis
tres-utilement , & on ne sçauroit
trop les vanter apres des cures ſi conſidérables
. Celles que font les Peres
Capucins du Louvre , les ont mis
dans une ſi haute réputation , qu'on
les vient conſulter de tous coſtez .
Le Roy s'est encor ſervy de leurs
Remedes pour des douleurs qu'il a
euës au bras apres avoir joüé à la
Paume. Pluſieurs Perſonnnes ont
éprouvé la bonté de leur Eau dans
les Rhumatiſmes , & ils font venus
àbout d'une infinité de maux qui
avoient F2
124
MERCURE
avoient toûjours paru incurables.
On peut le ſçavoir de M' le Marquis
de Barriere , de Mademoiselle de S.
Chriſtophle , & de pluſieurs Aſmatiques
fort connus qui avoient deſef
peré juſqu'icy de leur guérifon. On
écritdesHoſpitaux de l'Armée , que
le Remede qu'ils appellent Febrifuge
, y fait des miracles. Les Chirurgiens
du Roy en font des épreuvesà
Fontainebleau , qui ne laiſſent
aucun lieu de douter de ſa bonté.
Mª Félix premier Chirurgien de Sa
Majesté , a donné de leur Lodanum
de Paracelſe à une Femme toute extenuée
d'un flux hépatique , &d'un
flux de ſang , avec un ſi prompt fuccés
, qu'elle en a eſté. guérie dans
les vingt-quatre heures. On a preſenté
au Roy de leur part unepetite
Çave de leurs Effences , que Sa Majeſté
a tres-bien reçeuë. Elle donne
continuellement des marques de fon
eſtime pour ces Religieux incomparables
, qui vont s'enfermer pendant
GALANT. 125
dant fix mois , afin de travailler avec
une entiere application à des Remedes
plus ſouverains que ceux qu'ils
ont donnez juſqu'icy. Cette retraite
leur est neceffaire à cauſe de la longueur
des préparations qu'il faut
qu'ils faffent , & qui ne doivent
point eſtre interrompuës.
Quoy que la Paix ratifiée par les
Hollandois , & fignée par les Eſpagnols
, faffe prefentement l'unique
entretien de tout le monde , vous
ne laiſſerez pas de trouver. encor icy
un long Article de Guerre. Je vous
avois promis la Relationdu Combat
qui s'eſt donné devant Mons le 14.
du dernier mois. Il eſt juſte que je
vous tienne parole. J'y fatisferay
avecd'autant plus d'exactitude , que
je vous en feray moins ſçavoir les
particularitez par moy-meſme , que
par ceux qui ont veu les choſes qu'ils
en ont écrites. C'eſt à dire , Madame
, que je me ſerviray de leurs
propres termes, afin que vous y trou-
F3
viez
A
4
126 MERCURE
viez toute laforce de la verité. Chaque
Profeſſion a ſes manieres de s'exprimer.
La Guerre a les fiennes comme
les autres , & il n'y en peut avoir
de meilleures dans les Recits de cette
nature. Si vous me voyez encor
traiter d'Ennemis ceux qui ont enfin
ceffé l'eſtre , ſouvenez-vous que
je parle d'un Combat donné avant
que la Paix les euſt rendus nos Amis.
Il fera celebre dans les Siecles à venir,
pour avoir efté le dernier d'uneGuerre
quia mis la France non ſeulement
au deſſus de chaque Peuple de l'Europe
en particulier , mais encor au
deffus de tous enſemble.
L'Armée du Roy eftant campé
aux Efcoffines , Mile Duc de Luxembourg
apprit que celle des Ennemis
commençoit à marcher pour s'aprocher
d'Enguyen. Comme fonunique
but eſtoit de ſoûtenir le Blocus
de Mons, il prit réſolution de faire
camper l'Armée qu'il commandoit ,
la droite à Soignies , & la gauche à
NeufGALANT.
127
Neufville , afin d'eſtre dans une fituation
à pouvoir également veiller
aux démarches des Ennemis , &àla
fûreté de Mons.
Le lendemain 10. d'Aouſt ayant
appris que les Ennemis n'avoient
bougé de leurCamp , dont la droite
eſtoità Herines , & lagauche àHavré
, il ſeréſolut d'envoyer au Fourrage
à Cambron , & aux environs .
Ayant eu avis que les Ennemis vouloient
nous approcher par ce coſté
là, M'le Comted'Auvergne futdétaché
avec mille Chevaux vers le
Moulin de Silly, pour la fûreté du
Fourrage , & pour un Convoy de
vivres qu'il falloit tirer d'Aeth ; &
M' de Luxembourg s'avança à Cambron
avec pareil nombre , pour eſtre
en état dele ſoûtenir. Ces deux choſes
s'executerent comme il l'avoit
penſé.
Le lendemain 1 1. il ſçeut par nos
Partis , auſſi-bien que par Meſſieurs
de Maulevrier & de Sourdis , qui
F4
eftant
128 MERCURE
eſtant de jour s'eſtoient avancez dés
la nuit , que les Ennemis avoient
touché boute-felle. Cette nouvelle
l'obligea de venir au point du jour
avec les Gardes deCamp ſur la Hauteur
du petit Roeux , d'où il entenditdistinctement
la marche des Ennemis
; & dés que le Soleil fut levé,
il apperçeut leurs Colomnes dont les
teftes estoient tournées ſur le Ruiffeau
de Steinherche. Il envoya auſſitoft
ordre à l'Armée du Roy de ſe
tenir preſte à prendre les armes.
Pendant deux ou trois heurees on
fut incertain du lieu où celle des
Ennemis camperoit. On s'apperçeut
à la fin qu'elle ne paſſoit pas le Ruifſeau
de Steinherche , où la voyant
fort pres de nous , & à portée de
nous contraindre par une marche ,
dans celle que Mª de Luxembourg
avoit réſolu de faire , en faiſant partir
les Bagages la nuit , ce General
fit mettre l'Armée du Roy en marche
le lendemain 12. au grand jour,
1
!
afin
GALANT.
129
afin d'occuper le Poſte de la Bruye
re de Caſteau .
Elley estoit campée la droite vers
S. Denys , & la gauche aux Manuys
, ayant dans le front le Village
& les Bois de Caſteau , & les
Bois de Glein & de Mons dans les
derrieres.
Mª de Luxembourg trouvoit ce
Poſte-là le plus important à occuper
, parce qu'il couvroit entierement
Nimy & Glein , qui estoient
les deux principales avenuës & les
plus dangereuſes , & qu'il ne laiffoit
pas d'eſtre à portée du Pont
d'Aubourg & de pluſieurs autres
qu'il avoit fait faire au Quartier fur
la Haiſne, afin de s'oppoſer plus ai--
fément aux deſſeins que les Ennemis
auroient de ce coſté là.
Occupant ces Poſtes , il croyoit
neceffiter les Ennemis à ne chercher
à le combatre que par la Plaine de
Binch ; ce qu'il defiroit d'autant
plus, que l'Armée du Roy pouvoit
1
F5 par
130
MERCURE
par ce chemin là aller à eux en pleine
bataille , fans craindre qu'ils nous
donnaſſenr de la jalouſie pour d'autres
Quartiers.
Ce meſme jour 12. l'Armée en
nemie ne fit qu'une fort petite marche.
Elle vint camper la droite à
Steinherche , & fa gauche à Braine.
Mª de Luxembourg employa le lendemain
13. à fourrager les lieux qui
eſtoient autour du Camp, dont les
Ennemis auroient pû profiter ; &
euxs'avancerent à Soignies & à Naft.
La nuit du 13. au 14. M de
Luxembourg fut averty par deux
Partys à pied du Regiment des Gardes
, & par Meffieurs de Vertilly &
Joyeuſe , qui estoient dehors , que
les Ennemis avoient touché boutefelle.
Me le Duc de Villeroy & M
Roſen qui estoient de jour , s'avancerent
avec les Gardes , & envoyerent
dire à Mº de Luxembourg qu'ils
entendoient la marche des Ennemis.
Ce General les trouva au dela de
TieufGALANT.
120
Tieuffy , & un peu de temps apres
qu'ilyfut arrivé, les Ennemis poufferent
un de nos Partys , & dix ou
douze Eſcadrons des leurs parurent
dans la Plaine. On crût que c'eſtoit
un Corps qui couvroit leur marche.
La halte qu'ils firent fur le bord
du Défilé de Maff, faiſant ceffer le
bruit des Tambours& des Timbales
, confirma les Noftresdans l'opinion
qu'ils laiſſoient la Haye du
Roeuxà leur droite , ne voyantplus
entrer perſonne dans la Plaine. Cependant
M' de Luxembourg envoya
ordre à l'Armée du Roy de ſetenir
preſte; & fur les dix heures du
- matin voyant entrer celle des Ennemis
dans la Plaine de Tieuſſy , il ne
fongeapour lors qu'à retirer nosGardes
qui estoient dans cette Plaine.
L'Armée du Royy entra avec affez
de diligence , & avança ſagauche
à unBois qui eft vis-à-vis S. Denys
, qui vapar les derrieres tomber
fur laHaiſne entre Havré & Boufoy.
F6 Com132
MERCURE
1
Conime la ſituation du terrain que
M' de Luxembourg occupoit , luy
paroiſſoit d'une fûreté entiere par
les Défilez qui estoient entre les
Ennemis & les Noftres , il tourna
toutes ſes penſées au Camp de M
duMontal, & ſe détermina à y faire
paſſer toute ſa ſeconde Ligne ,
comme à l'endroit où il y avoit
plus de raiſon d'appréhender. M²
le Comte d'Auvergne en conduifoit
la droite; M² de S. Geran ,
l'Infanterie ; & M de Tilladet , la
gauche.
N'ayant à garder que les Défilez
deS. Denys & de Caſteau , qui ſont
des Paſſages fort difficiles , & voyant
la ſeconde Ligne en état de foûtenir
le Quartier d'Aubourg , Mª de Luxembourg
ne pût croire , quoy que
l'Armée fuſt ſeparée , que les Ennemis
entrepriſſent de l'attaqner par ces
deux Défilez , & il ſe perſuada qu'ils
ne luy oppofoient des Troupes que
pour faire paffer leur Bagage par leurs
derGALANT.
133
derrieres, & aller en ſuite camper
fur la Haiſne.
Vers le midy, Mr de Luxembourg
s'apperçeut qu'ils faiſoient
couler de l'Infanterie dans le Bois
qui appuyoit leur gauche qui estoit
vis-àvisde S. Denys, &voyant qu'ils
commençoient à donner une diſpoſition
à leursTroupes , commeGens
qui ſe préparoient à une Attaque ,
l'Abbaye de S. Denys eſtant au dela
du Ruiſſeau à my-coſté, il ne fongea
point à le ſoûtenir. Il laiſſa ſeulement
le ſoin à M le Duc de Villeroy
de faire retirer le Regiment de
Feuquieres , quelques Dragons détachez
, & d'autres Gens commandez
de l'Infanterie , qui tenoient la
teſte des Hauteurs derriere des Hayes
au dela de l'Abbaye , ( on les y
avoit placez le matin pour foûtenir
nos Gardes , ) & de n'y laiſſer que
vingt Hommes, avec ordre dés que
les Ennemis s'approcheroient , de fe
retirer au premier Poſte le long du
F7
Ruif134
MERCURE
Ruiſſeau. Cela fut executé dans le
moment.
Peu de temps apres, les Ennemis
voyant lesHayes dégarnies , vinrent
les occuper avec un gros Corps d'Infanterie
, & en ſuite l'Abbaye , où
ils ne trouverent perſonne. Il n'y
avoit point lieu de douter qu'ils
n'euffent deſſein de faire par là une
veritable Attaque. M' de Luxembourg
le crût , & ne fongea plus
qu'à ſoûtenir le Terrain qu'il s'eſtoit
propoſé de garder.
Pour cela , M le Duc de Villeroy
qui estoit de jour , M' le Comte
du Pleffis , & M de la Mothe ,
qui s'y trouverent , poſterent l'Infanterie
dans le lieu le plus propre
pour empeſcher que les Ennemis ne
paſſaſſent le Ruiſſeae , vis-à-vis de
la Hauteur que nous occupions.
Les deux Bataillons de Feuquieres
qui avoient eſté retirez des Hauteurs
au dela de l'Abbaye, furent les premiers
placez par M' de la Mothe.
M' de
GALANT 135
Mª de Luxembourg avoit fait avancer
la Brigade de Navarre à la
droitede laGendarmerie, pour s'en
ſervir dans le beſoin. Les deux derniers
Bataillons de Navarre , & les
deux premiers de la Reyne , furent
poſtez àladroite de Feuquieres pour
conferver la Hauteur , & faire que
le chemin qui menoit à Aubourg
demeurât libre.
M' de Luxembourg avoit donné
ordre dés le matin à M' de Reſen
Mareſchal deCampdejour, deprendre
foin desGardes qui estoient aupres
de Caſteau , auſſi-bien que de
ce Poſte. Il avoit pris pour le garder,
le premier Bataillon de Navarre,
& le dernier de la Reyne , n'ayant
d'abord à S. Denys que l'Infanterie
quej'ay marquée ; &les Ennemis
y eſtant fort ſuperieurs par le
nombre , ils ne s'en prévalurent
point pour chaſſer cette Infanterie
des Poſtes qu'elle occupoit.
Mais deuxde leurs Bataillons ayant
laif136
MERCURE
laiſſe l'Abbaye à leur gauche , pafferent
le Vallon & le Ruifſeau le long
des Etangs , & eſſayerent de monter
pardes Bois qui venoient a boutir
fur laHauteur que nous occupions.
La Brigade des Gardes que M
de Luxembourg avoit envoye querir
eſtant arrivée à la droite de ſa
Gendarmerie , il en prit quatre
Bataillon que Mª de Villeroy poſta
au fommet de la Hauteur vis-à- vis
l'Abbaye & le long des Bois , par
leſquels les deux Bataillions des Ennemis
s'eſtoit avancez . Meſſieurs des
Gardes arriverent fort à propos , car
les deux Bataillons ennemis dont je
vousparle , commençoient à gagner
le haut de noſtre coſté ; & M' de
Vaureal à la tefte de quelques Officiers
Soldats ſe jetta l'épéeà lamain
dans le Bois , renverſa les Gens détachez
de ces deux Bataillons , tua
les uns , & en fit quelques autres
prifonniers.
On ne sçauroit affez exagerer la
vaGALANT.
137
valeur& la fermeté de Meſſieurs des
Gardes. Ils effſuyerent pendant plus
de ſept heures un tres-grand feu de
Mouſqueterie & de Canon , fans que
jamais un Soldat abandonnât fon
Pofte. i
M'de Rubantel qui demeura à
la teſte de ces quatre Bataillons, y
ſervit tres-utilement , & donna un
exemple d'intrepidité & de conduite,
qui fût bien ſuivy par tous les
autres Officiers du Corps.
Du premier Bataillon, il ne reſta
que Ms Mirabeau & Boiffelot. Ce
fut celuy de tous le plus expofé.
L'on peut dire ſans flaterie que M
de Mirabeau qui le commandoit ,
s'y diftinguad'une maniere extraordinaire.
Les Bataillons de Congis & de
Seguiran firent auſſi des merveil-
( les , & l'on ne peut rien ajoûter à
la valeur que les Officiers firent paroiſtre,
auſſi bien que les Commandans,
M' de-Montigny qui agiſſoit
:
com- (
138
MERCURE
comme Brigadier , ſe portoit dans
tous les lieux où ſa prefence eſtoit
neceſſaire. Cependant. l'Infanterie
qui avoit eſtépoſtée le longdu Ruifſeau
, ſoûtenoit dés le commencement
l'effort des Ennemis avec toute
la vigueur qu'elle a de couſtume
de témoigner dans de pareilles
occaſions.
Les deux derniers Bataillons de Navarre
commandez par M' le Chevalier
de Souvré & M² de Bordes ,
firent tout ce qu'on peut attendre
d'auſſi braves Gens qu'eux. M'Crenan
à la teſte de la Reyne , fit auſſi
des merveilles , & fut bien ſecondé
par M' des Farges .
M' le Marquis de Feuquieres qui
s'eſtoit, donné beaucoup de mouvement
dés que l'Action commença ,
n'agiſſant pas ſeulement comme un
ſimple Colonel, eut les deux cuiffes
percées. Son Régiment y ſouffrit
beaucoup , & fon ſecond Bataillon
eſtant preſque hors d'état de combat ,
M le
GALANT
139
M' le Ducde Villeroy envoya querir
le Bataillon des Gardes commandé
par Mª de Pommereüil pour occuper
ſonPofte. Ce fut M' deMontignyqui
l'ymena.L'on ne peut aborder
un grand peril avec plus d'audace.
En y arrivant , tous les Officiers
furent quaſi tous bleſſez , &
grand nombre de Soldats tuez. M
de Montigny y eut les bras caffez ,
Mr de Fourilles le poulce emporté.
Mª de Pommereüil maintint lePoſte
toute la journée avec beaucoup
de valeur & de conduite , &jamais
les Ennemis ne gagnerent un poulcedu
terrain que l'on s'eſtoit propofé
de garder.
L'Escadrondes Gensdarmes Dauphin,
commandé par M. le Marquis
de Sevigny , foûtenoit lesGardes
, & pendant plus de trois heures
il fut exposé au Canon des Ennemis
, dont plus de quarante Gensdarmes
furent mis hors de combat.
L'on ne peut avoir une meilleure
con140
MERCURE
contenance dans un grand peril que
firent leCommandant& l'Eſcadron.
Pendant que les choſes ſe paſſoient
de la forte à S. Denys , M' de
Luxembourg crût toûjours que le
Prince d'Orange ne faifoit cette Attaque
que pour ſe faciliter le moyen
de faire paffer la Haiſne au reſte de
ſon Armée; ce qui l'obligea d'envoyer
M' de Chanlay qui estoit aupres
de luy , à M' du Montal , afin
qu'il obſervât ce qui ſe paſſeroit du
coſté d'Havré & de Boufoy , auffi
bien que ce qui pourroit luy venir
par le Village d'Aubourg. Il chargea
auſſi le meſme M' de Chanlay
d'aller juſqu'à M' de Quincy , afin
que laiſſant quelque Infanterie dans
leCampqu'il avoit retranché àGlein,
il marchất avec le reſtedes Troupes
qui estoient à ſes ordres entreBeſſean
&Yons , pour eſtre en étatde s'oppoſer
(s'il eſtoit neceſſaire) à cequi
viendroit de ces coſtez là attaquer
Mª du Montal. Il y avoit déja quelque
GALANT
141
1
que temps que le feu augmentoit à
Caſteau.. M'l de Maulevrier eſtoit
venu dire plus d'une fois à Mede 、
Luxembourg , qu'il croyoit que les
Ennemis vouloient nous y attaquer
auffribien qu'à S. Denys. Comme
il en eſtoit perfuadé , il s'y en alla
pour voir ce qu'il y avoit envoyé
dés le matin, & commença à poſter
le premier Bataillon de Navarre ,
commandé par M' de la Vieuville ,
au Moulin dans le fond fur ladroite
à Caſteau , & le dernier Bataillon
de la Reyne , au meſme Défilé fur
la gauche de Navarre.
Les Dragons de M' de Fimarçon
eſtoientà un Chemin qui paſſe prés
de l'Egliſe à la gauche de tout. Jugeant
que ces Troupes ne ſuffiſoient
pas pour celles qui leur eſtoient oppoſées
, & voyant qu'un gros Corps
d'Infanterie s'aprochoit encor avec
du Canen foûtenu de toute l'Aifle
droite de la Cavalerie des Ennemis ,
il prit les deux Bataillons des Gardes
142
MERCURE
des commandez par M de Creil &
d'Avejan, dontM' de Luxembourg
luy avoit dit auparavant qu'il pouvoit
ſe ſervir , & apres les avoirpoſtez
prés de Navarre , il le revint
trouver pour luy dire qu'il avoit en
cor beſoin d'Infanterie, of mi
Les Ennemis ayant occupé les
Hauteurs , leChaſteau & l'Egliſe qui
eftoient vis-à-vis de nous, ( car de
ce coſté-cy auffi-bien que de celuy
de S. Denys , M² de Luxembourg
ne s'eſtoit propoſé que de garder le
Defilé ) ils profiterent autant qu'il
leur fut poffible de l'avantagede ces
ſituations. L'Egliſe eſtoit affez bonned'elle-
meſme. Rocqueſervieres travailla
pour accommoder le Chaſteau
qui eſtoit inacceſſible par ſa ſituation
à noftre égard , eſtant entouré du
coſté du Vallon d'une bonne Muraille
Il fit un Retranchement dans le
milieu de la Court, & des Barricades
dans les avenuës de la gauche ,
qui estoit le ſeul lieu par où nous
pouGALANT
143
pouvions en approcher , ayant un
Précipiceàſadroite , & leurs Troupes
en bataille dans le derrierequ'ils
avoient laiſſe ouvert pour ſe communiquer.
Outre cela , le gros de leur Infanterie
occupoit ſur pluſieurs Li
gnes une Plaine de cinq à fix cens
pas de large à la gauche du Chaſteau
àleur égard.
La premiere Ligne eſtoit avancée
le long des Hayes qui bordoient la
Hauteur paralelle àla noſtre. Ilavoient
auſſi de l'Infanterie poſtée dans
les Hayes au delà du. Précipice que
je vous ay dit , qui eſtoit à la droite
du Chaſteau , & tout cela foûtenu
de fortprés par la Cavaleriede
leur Aifle droite.
Mª deMaulevrier trouvant M de
Luxembourg à la teſte de la Brigade
du Roy, qu'il faiſoit avancer
pour eftre en état d'aller à celle des
Attaques où elle ſeroit le plus neceffaire,
ceGeneral jugea qu'elle ſeroit
plus
1
144
MERCURE
plus utile à Caſteau , ſcachant que
du coſté de S. Denys les choſes ſe
ſoûtenoient ainſi qu'il le pouvoit
defirer.
M de Sourdis , qu'il avoit prié
de demeurer à l'Aifle droite de Cavalerie,
ne laiſſa pas de ſe porter
dans tous les lieux où il eſtoit neceſſaire
de donner des ordres. M'de
Maulevrier ſe ſervit de la Brigade du
Roy , & comme il en poſtoit le premier
Bataillon où eſtoit Mr de S.
Georges , & le dernier Bataillon des
Gardes Suiffes , commandé par M '
Vigier , les Anglois de l'Armée de
Hollande partirent d'auprés de l'Eglife
, & vinrent aux Dragons de
Fimarçon, qui n'eſtant pas affez forts
pour ſoûtenir un ſi grand nombre ,
ſe retiroient de Hayes en Hayes en
leur difputant le terrain.
Ce fut là où M' de la Mothe ,
que ſon courage mene toûjours par
tout où il y a le plus à faire , ſe
trouva fort à propos à la teſte d'un
des
GALANT .
145
des Bataillons du Roy. Il repouffa
les Ennemis avec plus de vigueur
qu'ils n'en avoient eu a ébranler les
Noftres; apres quoy il ſe portadans
tous les endroits où il croyoit rencontrer
quelques conjonctures de la
meſmeimportance que celle cy, pour
agir auffi à propos & auſſi utilement
qu'il venoit de faire.
Le ſecond Eſcadron de Varenne
commandé par M de Marfilly qui
avoit la Garde , s'avança , en rempliſſant
le chemin , & chargea les
Anglois avec beaucoup de vigueur.
Il en tua pluſieurs , & prit le Lieutenant
Colonel Douglas , & quelques
autres.
Si-toſt que M de Luxembourg
s'apperçeut que l'Attaque de Caſteau
eſtoit veritable, il envoya ordreà la
ſeconde Ligne de revenir ; ce qu'elle
fit avec beaucoup de diligence.
Dans ce meſme temps , M'le Duc
deVilleroy luy vint dire qu'il voyoit
de l'Attaque de S. Denys qu'une teſte
Septembre. G des
146 MERCURE
desEnnemis eſtoit avancée dans l'Egliſe
d'Aubourg , & meſme ce Ge.
neral entendit le Canon du Quartier
de M' duMontal qui tiroit deffus.
Cela l'obligeade donner unBataillondeStoupe
, & deux de Phiffer,
à M de Villeroy ; pour les mettre
à la droite des Poftes que les Noſtres
ſoûtenoient à S. Denys , de
peur que ce Corps qui paroiſſoit à
Aubourg ne le vinſt prendre en flanc.
M'de Luxembourg fit marcher
le reſte del'Infanterie de la ſeconde
Ligne à Caſteau , où il ſe faiſoit un
grand feu. Cependant nos Poſtes ſe
maintenoient toûjours avec beaucoup
de fermeté par les ſoins deM
de Maulevrier , qui les viſitoit continuellement.
Mr de S. Geran arriva avec la ſeconde
Ligne , dont les deux Bataillons
d'Alface furent placez par
M' de Maulevrier & par luy , dans
le fonds du Défilé , pour rafraiſchir
l'Infanterie qui y tenoit depuis le
comGALANT.
147
commencement du Combat. Mrde
Luxembourg jugeant qu'il eſtoit à
propos que les Ennemis viſſent qu'il
nous venoit denouvelles forces , dit
à M le Marquis d'Uxelles de faire
former les Bataillons , malgré l'inégalité
du terrain. Le premier de
Lyonnois fut celuy qui s'avançad'abord
, & alla joindre le Bataillondu
Roy commandé par M' de Montchevreüil
affez pres de l'Eglife. Il
fut ſuivy de Rouſſillon , & le ſecond
de Lyonnois fut envoyé aupres des
deux Bataillons des Gardes , auffibien
que le Dauphin qui prit la mefme
marche , lors que le grand feu
qu'Alface fit à ſon arrivée ébranla
l'Infanterie ennemie poſtée le long
des Hayes ſur la Hauteur à la gauche
du Chaſteau à leurégard , comme
je vous l'ay deja dit; ce qui eftant
veu des Poſtes les plus avancez ,
quelques Détachez gagnerent la teſte
de la Hauteur que les Ennemis
commençoient à leur laiſſer libre.
G2 Les
148 MERCURE
Les deux Bataillons d'Alface fuivirent
les Détachez , & ſe mirent
en bataille dans lepeu de terrain que
les Ennemis venoient d'abandonner ,
quoy que leurs autres Lignes fuſſent
encor formées fort pres d'eux.
Le Chaſteau eſtant occupé , comme
j'ay dit, par Roqueſervieres ,
une double Haye à la droite l'eſtoit
encor , auffi - bien qu'un Chemin
creux , qui tenoit depuis le Chaſteau
juſqu'à leurs Troupes ; de forte
qu'Alface avoit dans le front les Ennemis
en bataille , à ſa gauche le
Chaſteau & le Chemin creux , & la
double Haye occupée par les Ennemis
à la droite .
Le premier Bataillon du Roy , à
la teſte duquel eſtoit M. de S. Georges,
voyant partir Alface , nele pût
voir s'avancer fans chercher un chemin
pour arriver auſſi promptement
aux Ennemis . Il ſe trouva fur la
Hauteur à ladroite d'Alface, ſi fort
contraint par le peu de terrain qu'ils
luy
GALANT . 149
luy avoient laiſſfé , que la manche
droite eſtoit appuyée contre la double
Haye occupée par les Ennemis.
Des Troupes moins hardies que
celles du Roy , n'auroient ofé entreprendre
de ſe former dans une
ſituation pareille. Les deux BataillonsdesGardes
commandez par Meſ .
ſieurs d'Avejan & de Creil arriverent
auffi , & chaſſerent avec beaucoup
de valeur les Ennemis qui tenoient
cette double Haye , dans laquelle
ils s'étendirent , & ofterent
aux Noftres l'incommodité du feu
qui ſe faiſoit continuellement ſur
noſtre droite. Le fecond Bataillon
de Lyonnois y vint en ſuite , & acheva
d'occuper dans la double Haye ,
au deſſus des Gardes le terrain dont
ils avoient chaffé les Ennemis . Il ſe
rendit maiſtre de trois Pieces de Canon
, & de quelques Munitions ,
qui ne pûrent eſtre amenées par le
chemin que les Troupesavoient pris
pour venir ſur la Hauteur.
G3
Un
150
MERCURE
Un peu avant cela , un des Eſcadrons
de Tilladet que Mr le Chevalier
d'Eſclainvilliers avoit mené dés
le commencement du Combat , dans
le penchant de la Hauteur que nous
gardions pour ſoûtenir Navarre ,
montaà laqueuë des deux Bataillons
d'Alface , & M de Tilladet luymeſme
le fit former à la portée du
Piſtolet du Chaſteau , & le mena
à la charge contre deux Eſcadrons
des Ennemis qui s'avançoient pour
l'attaquer , effuyant avantquede les
charger , le feu d'une Troupe de
Cavalerie qui venoit pour le prendre
en flancpar ſadroite , d'un Bataillon
qui estoit encor à ſa droite , & de
beaucoup d'Infanterie à ſa gauche.
Malgré cela il pouſſa l'Eſcadron en
nemy ſi loin , qu'on le perdit quafi
de veuë. Il revint traverſant une
Ligne d'Infanterie des Ennemis. Il
n'y a point de termes aſſez forts pour
loüer dignement cette action. Letémoignage
qu'en rendent les Ennemis,
GALANT. 151
mis , eſt plus glorieux que tout ce
qu'on en pouroit dire. M'de Renes
commandoit l'Eſcadron dontje vous
parle. Ce fut aupres du lieu d'où il
partit que M'le Chevalier d'Eſclainvilliers
reçeut la bleſſure dont il
mourut deux jours apres. Il avoit
placéde la Cavalerieà tous les lieux
neceffaires pour foûtenir les Poftes
avancez. Il la viſitoit ſouvent , &
eſtoit dans une activité continuelle ,
non ſeulement pour les choses qui
pouvoient le regarder , mais il n'y
enavoit aucune qu'il jugeaſt utile ,
à laquelle il ne s'employaſt avec toute
l'ardeur poſſible.
La charge de l'Eſcadron de Tilladet
, & nos Bataillons qui commençoient
à ſe mieux former ſur la
Hauteur , firent faire à la premiere
Ligne des Ennemis un mouvement
par lequel elle nous ceda un peu plus
de terrain; ce qui donna moyen à
M' de Luxembourgd'en formerune
plus reguliere , quoy que le Chaſteau
G4
fuft
152
MERCURE
fuſt toûjours occupé par les Ennemis.
Les Gardes & Lyonnois eurent
ordre de ſe ſaiſir de la double Haye
à la droite , & le reſte du terrain fut
remply par les Bataillons du Roy &
d'Alface , par le premier Eſcadron
de Varenne , le Mestre de Camp à
la teſte , & par deux de Tilladet. II
n'y a guére d'exemples que ſi peu de
Troupes oppofées à tant de forces
ayant montré autant de fermeté dans
une pareille ſituation , n'eſtant ſoûtenus
que deleur ſeule valeur , parce
qu'il n'y avoit point affez deterrain
derriere eux pour former une
ſeconde Ligne .
Le fecondBataillon desGardes Suifſes
commandé par Me Stoupe , à la
place de M' Machette qui avoit eſté
bleffé , monta dans ce petit eſpace.
On fit refferrer les Troupes à droit &
àgauche , afin qu'il puſt ſe poſter fur
la Ligne, Si-toſt qu'ily fut, ilfit un
grand feu, & ne témoigna pas moins
d'ardeur de combatre que les autres.
Le
GALANT
153
Le premier Bataillon des Gardes
Suiſſes commandé par M' Reynols ,
arriva quelque temps apres ; & comme
le grand feu auquel les Troupes
duRoy eſtoient expoſées , en diminuoit
à tout moment le nombre ,
cette diminution , avec ce que Pon
prit ſur les intervales , nous donna
aſſez de terrain pour faire entrer ce
Bataillon dans la Ligne où nous
avions beſoin d'Infanterie fraiſche
pour balancer le feu des Ennemis .
M' de S. Georges y fut bleffé. La
maniere vigoureuſe dont il avoit agy
depuis le commencement du Combar
, l'avoit toûjours mis en riſque
de l'eſtre.
M'du Metz fut auſſi bleſſé pref
que en meſme temps. Il avoit ſervy
dignement tout le jour à l'Artillerie ;
& la nuit l'empefchant de pouvoir
- faire pointer , il vint fur la Hauteur
pour y avoir la part qu'il tâche de
prendre dans toutes les Actions qui
ſe paſſent.
G5
M le
154 MERCURE
M' le Marquis d'Uxelles qui avoit
eſté poſter le ſecond Bataillon Lyonnois
, avec cent Hommes détachez
de ſa Brigade, revint prendre leRegiment
Dauphin , & s'approcha de
lahauche.
Le Chaſteau eftant toûjours occupé
par les Ennemis qui continuoient
à faire un grand feu , Mr de
Luxembourg réſolut de le faire attaquer
, quoy que ce fuſt une choſe
fort difficile , comme vous l'avez
veu par la deſcription queje vous
en ay faite. L'envie que M'le Marquisd'Uxelles
témoigna d'eſtre chargé
de cette entrepriſe, luy fit écouter
l'ordre qu'on luy en donnoit,
comme ſi c'euſt eſté une affaire aiſée.
Il y marcha de meſme pour l'entreprendre.
Malgré une furieuſe refiſtance
& un combat auſſi opiniâtré
qu'on en viſt jamais , il ſe rendit
maiſtre , & chaſſa les Ennemis du
chemin creux , rien n'eſtant impoffible
aux Troupes de Sa Majesté ,
quand
GALLAANT.
155
quand il y a de lagloire à acquerir.
M' de Luxembourg ne pouvantdouter
qu'un ſuccés ſi extraordinaire n'étonnaſt
les Ennemis , auroit effayé
d'en profiter , fi la nuit ne fuſt furvenuë.
L'envie de combatre ne manquoit
pas ; mais la difficulté de faire
paffer des Troupes pendant l'obſcurité
, par des Défilez ſi étroits ,
qu'en plein jour elles auroient eu
peineà le faire , l'empeſcha de ſatisfaire
l'ardeurqu'elles en montroient.
Avant tout cela, Mle Comte
d'Auvergne avoit propoſé à M' de
Luxembourg de faire entreprendre
quelque choſe aux Bataillons du
Roy, de Lyonnois, de Rouffillon ,
& de la Reyne , qui estoient aupres
de l'Eglife. Il marcha avec eux , &
chaſſa avec beaucoup de vigueur
quelque Infanterie poſtéeà la droite
de cette Eglife. M' du Peray à la
teſte de Lyonnois, batit un desBataillons
des Gardes du Prince d'Orange.
Il en prit deux Drapeaux, &
G6 le
156 IERCURE
le dernier de la Reyne en prit un
des Troupes de Paderborn dont il
batit le Bataillon. Mr leComted'Auvergne
fit enſuite attaquer l'Eglife
où eftoient les Dragons d'Eſpagne ,
& ayant mis le feu à une Maiſon
voiſine , il les contraignit d'en fortir.
Ils ne le pûrent faire fans une
perte confiderable. Il y eut quel
quels-uns de leurs Officiers pris dans
cetteAction, dont le ſuccés ne contribua
pas peu à nous faire réuffir
à l'attaque du Chaſteau.
Les Bataillons du Roy, commandez
par M. le Chevalier de
Montchevreüil , & celuy de Rouffilon,
ne remporterent point le mefme
avantage , parce que les Ennemis
lâcherent pied devant eux , &
n'en pûrent ſoûtenir l'effort .
Les Dragons de Fimarçon ſe joignirent
aux Bataillons dont je viens
de vous parler, & ne contribuerent
pas moins qu'eux à chaſſer les Ennemis
, leur vigueur n'ayant pû
eftre
GALANT. 157
eſtre rebutée , quoy qu'ils euffent
ſoûtenu le commencement de l'attaque.
Ce fut en cet endroit que M
de Fimarçon fut bleffé à mort des
derniers coups qui ſe tirerent. Jufque-
là on pouvoit dire qu'il avoit
efté fort heureux d'avoir évité cette
diſgrace pendant tout le jour.
La vigueur & la conduite de M
le Comte d'Auvergne contribuerent
beaucoup à ce fuccés.
Ces quatre Bataillons eſtoient foûtenus
d'un Eſcadron des Cuiraffiers,
&d'un de Magnac; M'de Grignan
eſtoit à leur teſte. Comme il ſe vit
inutile dans un Défilé , il paſſa au
delà de l'Infanterie , & ſe mit en
Bataille dans une Plaine fort pres
des Ennemis , où il demeura & ne
ſe retira que le dernier. M de Luxembourg
avoit déja renvoyé unefois
l'Eſcadron de Noailles , mais il retourna
avec les deux qu'avoit Mide
Grignan, & foûtint l'Infanterie qui
alloit à l'Eglife , d'ou il eſſuya un
grand
158 MERCURE
grand feu. Nos Soldats apres s'eſtre
rendus maiſtres du Chaſteau , mirent
le feu à la Baffe-court. Cependant
les deux Armées eſtoient toujours
en prefence, & le feu de l'Infanteriedepart
& d'autre continuoit.
Ce feu dura juſqu'à deux heures de
nuit, mais à la fin la laſſitude &
l'obſcurité le firent beaucoup diminuer.
M' de Luxembourg voyant qu'il
n'eſtoit plus poffible de fonger à
combatre, & qu'il ne devoit penſer
qu'à la fureté de Mons , commença
de faire marcher les Troupes qui
eſtoient ſur la Hauteur, pour repaffer
le Defilé , & gagner la Bruyere
où eſtoit le Camp. Le mouvement
ſe faiſoit fi prés des Ennemis, que
les Efcadrons & les Bataillons ſeretirerent
un rang apres l'autre. Si
les Troupes ont merité de loüanges
dans cette Action, ceux qui les
commandoient en ſont bien plus
dignes.
M' de
GALANT .
159
M' de Luxembourg fut perpetuellement
dans le feu pendant toute
cette Action , qui dura neuf ou
dix heures , c'eſt à dire , tant à la
droite qu'à la gauche , car l'affaire
de la droite fut commencée trois
heures avant l'autre.
Les Ennemis ayant paſſé le Défilé
de l'Abbaye de S. Denys , la prefence
de ce vigilant General rétablit
toutes choſes de ce coſté-là. Il neſe
contenta pas de les en avoir chaſſez .
Il voulut entreprendre de faire fur
eux ce qu'ils n'avoient pû faire fur
nous à la droite , c'eſt à dire , deles
chaffer de deſſus la Hauteur qu'ils
occupoient , & fur laquelle ils
avoient toutes leurs Troupes en bataille.
Il faloit pour cela prendre le
Chaſteau où estoit le Régiment de
la Roquefervieres , qui avoit eſté
Lieutenant-Colonel de celuy d'Auvergne
, &qui fervoit lesHollandois .
M' de Luxembourg pour venir à
bout de ſon deſſein , paſſa un Ruiffeau
160 MERCURC
S
B
feau & un Marais à un Moulin qui
eſtoit dans le fond à quarante pas des
Ennemis. Il monta pour cet effet
une Coſte qui estoit ſi roide , qu'il
ſe faloit tenir au crin des Chevaux,
pour ne pas tomber en arriere. C'eſtoit
un chemin où l'on ne pouvoit
aller qu'un à un. Il en ſurmonta les
difficultez, & ſe planta devant eux.
L'Infanterie eſtant animée par l'exemple
de ſon General , chacun voulut
l'imiter , & en moins de rien
deux Bataillons ſe formerent aupres
de luy; ce qui donna lieu à un
Eſcadron de Tilladet de paſſer à la
file par ce petit chemin étroit. J'ay
parlé de l'Action de M'de Tilladet,
mais non pas de ce que fit M de
Luxembourg dans lameſme occaſion.
Ce General ayant remarqué qu'un
Commandant des Troupes Eſpagnoles
, nommé Porto - Carero , cherchoit
à luy tirer un coup de Piſtolet,
mit de fon cofſté le Piſtolet à la main ,
& alla à luy. Ses Gardes le ſuivirent.
PorGALANT.
161
Porto-Carero qui estoit armé receut
un coup dans le col au defaut de ſa
Cuiraffe. Il n'en mourutpas, mais il
demeura priſonnier. Le feu que ce
General eut toûjours à effuyer , fut
ſigrand , que M' de Coupigny qui
eſtoir à coſtéde luy , eut d'une ſeule
décharge fon Cheval bleffé de ſept
coups deMouſquet. Il fut bleſſe luy
meſme à la main , & eut ſon chapeau
percé. Je n'aurois jamais fait ,
ſije voulois marquer tout ceque les
Relations diſent à l'avantage de M
de Luxembourg. Son courage a paru
en tant de grandes occaſions , que
perſonne n'en ſçauroit douter.
M' le Duc de Villeroy ayant toûjours
ſoûtenu avec ſuccés l'attaque
de S. Denys , & voyant que l'affaire
yprenoit un train à n'avoir plus de
ſujet de crainte , vint ſur la Hauteur
de Caſteau preſque en meſmetemps
que les premieres Troupes qui
y monterent. On ne peut montrer
ny plus de valeur , ny plus de con
dui162
MERCURE
duite. Il eſtoit par tout , & la voix
publique parle ſi haut , & fi avantageuſement
de luy , qu'il n'a point
beſoin d'autres éloges .
M' de Maulevrier qui eut laprincipale
direction à Caſteau , fit depuis
le commencement juſqu'à la fin tout
ce qu'on peut attendre d'un grand
courage& d'une expérience confommée.
M' le Comte du Pleſſis qui devoit
eſtre à l'Aifle gauche , voyant
qu'il n'y avoit rien à faire, vint dés
le commencement à la Hauteur de S.
Denys , agiſſant dans tout cela felon
que les occaſions s'en preſentoient ,
avec beaucoup de valeur & de connoiſſance.
Il eut un Page bleſſé d'un
coup de Mouſquet à coſté de luy.
Quoy que M'le Comte d'Auvergne
euft eſté chargé de mener la
droite à la ſeconde Ligne , lors qu'il
vit que le Quartier de M'du Montal
n'eſtoit point attaqué, il ſe ſervit
du prétexte, qu'en une Bataille rangée
il auroit eſté à l'Infanterie, afin
de
GALANT.
163
de revenir à Caſteau. Il y revint en
effet , & de ſi bonne heure, qu'il
ſe trouva à propos pour poſter des
Bataillons Suiſſes , auſſi bien que
quelques Eſcadrons , lors qu'on y
diſpoſoit les choſes .
Dés que Mª de Tilladet ſceut
que Mº de Luxembourg rapeloit la
ſeconde Ligne , il vint de ſa perſonne
à l'attaque de Caſteau , où il
arriva fi promptement qu'il ne s'y
paſſa rien où il n'euſt beaucoup de
part. Sa prefence ne contribua pas
peuà inſpirer aux Poſtes avancez la
vigueur qui les porta à chaffer les
Ennemis de la Hauteur où il monta
des premiers, & où on le vit demeurer
tant que l'Action dura. Il s'acquit
beaucoupde gloire, par ce que
jevous aydit qu'il fit en pouffant un
de leurs Eſcadrons ſi loin , qu'on le
perdit preſque de veuë. Il paſſa pour
cela entre leurs Bataillons, & revint
par le meſme chemin, ſans que la
Cavalerie ennemie oſaſt le ſuivre.
M le
164 MERCURE
M'le Chevalier de Sourdis ne ceſſa I
point de s'employer pendant lajour
née à tout ce qui estoit neceſſaire , &
quoy que ſon Poſte l'éloignât du lieu
où l'Action ſe paſſoit , il ne laiſſa pas
d'y venir. Il s'y expoſa beaucoup ,
&y fervit juſqu'à la fin.
M' de S. Geran , des l'arrivée de
la feconde Ligne d'Infanterie qu'il
avoit conduite , s'employa à la faire
agir , & ſe donna pour cela beaucoup
de mouvement tres à propos.
Mr le Prince Palatin qui s'eſtoit
fort diftingué pendant toute lajournée
, eſtoit ſur la Hauteur avant
l'arrivée d'Alface. Il y reçeut un
coup de Mouſquet à l'oreille , qui
ne l'empefcha point d'agir toûjours
avec la meſme vigueur.
Mª de Roſen estoit à Caſteau dés
le matin; & tant que le jourdura ,
il s'y expoſa comme le dernier Soldat
, & donna des ordres en Commandant
expérimenté.....
M' Monmon ſe trouva par tout.
11
GALANT.
165
Il n'y eut point de Bataillons auſquels
il ne portaſt des ordres. Il endonna
beaucoup de luy- meſme auſſi utiles
que ceux qu'il portoit.
M' de Tallard fut un des premiers
fur la Hauteur de Caſteau ſans y estre
commandé. Ily fut bleſſé d'un coup
de Moufquet , & malgré cela il y
demeura juſqu'à la fin du Combat.
M' Barberien eut auſſi une contufion,
& s'expoſa ſi fort toute la journée ,
qu'il méritoit bien d'eſtre traité
moins favorablement des Ennemis .
M' le Chevalier Colbert , Fils de
M' Colbert Miniſtre & Secretaire
d'Etat, eut deux Chevaux tuez ſous
luy. Comme il eſtoit toûjours dans
le feu , il fut bien heureux d'en eſtre
quite à ſi bon marché. M' le Marquis
de la Popeliniere ſon Couſin
germain , ſe diftingua fort aupres de
M² le Comte de Maulevrier- Colbert,
à qui il ſervoit d'Ayde de Camp.
Ainfi Monfieur Colbert avoit un
Frere , un Fils , & un Neveu , qui
1
s'ex166
MERCURE
s'expoſerent beaucoup dans cette
journée, & qui firent voirque tous
ceux de cette Famille ſervent le Roy
avec un zele qui n'épargne rien .
M' de la Tournelle voyant que
ſon Bataillon poſté entre les deux
Attaques , avoit eſté inutile, vint
fur la HauteurdeCaſteau , pourdemander
qu'il ne le fuſt pas , ou du
moins pour trouver l'occaſion de ne
l'eſtre point de ſa perſonne.
L'Action de M'le Marquis d'Uxelles
eſt ſi éclatante , quelle mérite
bien qu'on en diſe quelque choſe en
particulier. Son Regiment , qui eſt
le Dauphin , ſe trouva poſté au pied
du Chaſteau. Un fort grand feu
qu'on luy faiſoit par la gauche , tiroit
ſur le front de ce Regiment ,
& il avoit à eſſuyer un autre feu de
l'Egliſe qui voyoit ce meſme Regiment
par derriere. Ce Marquis s'en
voyant environné de ces deux coſtez ,
prit le party de ſe rendre maiſtre du
Chaſteau auſſi-bien que de la Haye.
laye.
Les
GALANT. 167
Les Ennemisy firent une vigoureuſe
reſiſtance ; mais la valeut avec laquelleceRegiment
s'opiniâtra à venir
à boutde cette entrepriſe, l'y fit
réüſſir. Il mit le feu au Chaſteau ;
&comme il eſtoit déja nuit, ce feu
éclairoit fi fort les environs , que nos
Troupes estoient veuës depuis les
pieds juſquesà la tefte. Elle ne laifferent
pas de ſoûtenir avec une intrépidité
ſans exemple , celuy que
faiſoient les Ennemis. Il fut grand ,
par ce qu'ils ne pouvoient éviter la
mort , qu'en faiſant retirer les Noſtres
par leurs décharges , & qu'il
falloit neceſſairement qu'ils ſe réſoluſſent
à eſtre brûlez avec le Chafteau,
ou qu'ils s'abandonnaſſent au feu de
ceux qui les attaquoient , en ſejettant
parmy eux pour tâcher de ſe
ſauver. Ainſi ils périrent tous avec
Roqueſervieres leur Commandant.
M' le Marquís de Pianeſſe dont
je vous ay parlé en pluſieurs autres
occafions , donna dans celle-cy les
mef
168 MERCURE
meſmes marques de couragequi l'ont
toûjours diftingué. Il commandoit
la Gendarmerie. Elle fut poſtée à
la droite dans le commencement
du combat , pour ſoûtenir l'Infanterie
qui défendoit l'Abbaye de S.
Denys. Le Canon où elle fut expoſée,
luy donna lieu de montrer
cette inébranlable fermeté qu'elle a
accouſtumé de faire paroiſtre. M'de
Pianeſſey eut un Cheval bleffé; &
comme dans la fuite du Combat il
vit mener deux Eſcadrons de Tilladet
, & deux autres de Varennes ,
au dela du Défilé du Chaſteau , il
prit l'Eſcadron des Bourguignons
commandé par M'le Comte de Marcin
qui en eſtoit le moins éloigné ,
& s'y en alla au grand trot , apres .
avoir mandéà toute laGendarmerie
de le ſuivre. Le terrain s'y rencontra
ſi ſerré , que M'de Luxembourg
qui estoit par tout , ou par ſes ordres,
ou par ſa perſonne , voyant
qu'il ne pouvoit contenir un plus
grand
GALANT. 169
grand nombredeTroupes , renvoya
le reſte de la Gendarmerie qui fuivoit
, & fe contenta de faire former
les cinq Efcadrons qui estoient
paſſez . Le feu que ces Troupes ſoûtinrent
fut fort grand . Il en couſta
la viea pluſieurs. M' de Pianeſſe fit
voir ſon intrépidité ordinaire. Un
de ſes Domeſtiques fut bleffé à ſes
coftez, d'un coup de Mouſquet qu'il
reçeut au bras.
M' le Marquis de Sevigny commandant
la Compagnie de Monfeigneur
le Dauphin , demeura expoſé
pendant trois heures à neufPieces de
Canon des Ennemis , qui tuerent ou
bleſſerent quarante Cavaliers dans ſon
Eſcadron. On ne peut montrer plus
de fermeté qu'il en fit paroiſtre en
cette rencontre. Vous n'en ſerez pas
ſurpriſe , apres ce que je vous ay
déja dit de luy dans pluſieurs de mes
Lettres. Elles vous ont appris qu'il
s'eſt ſouvent diftingué , & on eft
aifément perfuadé par tout ce qu'il
Septembre. H fait,
170 MERCURE
fait , qu'il n'a pas moins de coeur
qu'il y a de beauté & d'eſprit dans ſa
Famille.
Mª de Tilly le Jay , Lieutenant
de la Colonelle , fut tué dans le
Combat. C'eſt le troiſiéme Frere de
ce nom dans ce meſme Corps qui a
donné ſon ſang pour le ſervice de
fon Prince. Celuy-cy s'eſtoit acquis
une tres-grande réputation. Son expérience
, ſon attachement aſſidu au
ſervice , & fon intrépidité , l'avoient
fait choiſir par Sa Majeſté avec éloge,
pour la Lieutenancede la Colonelle,
au mois de Maydernier , en la place
de M' de Perigny Ferand , quel'on
avoit fait Ayde-Major. Il n'eſtoit
pas extraordinaire qu'un Homme de
ce nom ſe fiſt diftinguer. On a toûjours
veu des Emplois conſidérables
dans ſa Famille. Mr Nicolas le Jay
fon grand Oncle , a eſté honoré de
la Charge de Premier Preſident au
Parlement de Paris , qu'il a exerçée
pendant pluſieurs années avec un applau
GALANT.
171
plaudiſſement general. Mr Charles
le Jay , Seigneur de Maiſon-rouge ,
Neveu & Heritier de ce Premier
Preſident , s'aquit beaucoupd'eſtime
dans ſa Charge de Maiſtre des Requeſtes.
Il laiſſa deux Filles & fept
Garçons, qui ont tous herité de la
pieté, de la capacité , & de la bravoure
de leurs Anceſtres .
M' le Marquis de Môy, Fils du
Prince de Ligne Gouverneur de Milan
, ſe fignala parmy tant de Braves.
Il ſert dans l'Armée du Roy , & eut
deux Chevaux tuez ſous luy , une
contufion à la cuiffe , & deux coups
dans ſon chapeau. Il eſt tres -jeune ,
fort bien fait , & unique Heritier
du feu Marquis de Môy Henry de
Lorraine.
M.le Marquis de Vauvillars
Maffol , Ayde de Camp de M
de Luxembourg, fut bleſſé legerement
au coſté, & eut un Cheval
tué ſous luy. Il eſt jeune encor , &
atant de coeur, qu'il a déja ſouvent
H 2 don172
MERCURE
donné ſujet de craindre pour luy.
• M Robert Intendant de l'Armée,
qui dans toute la Guerre de Hol
lande a fervy le Roy ſi utilement &
avec tantdezele , fit luy- meſme fervir
le Canon dans cette rencontre ,
& demeura toûjours dans le péril
avec tous ſes Gensbosiq
Je ne dois pas oublier icy à vous
dire que la Brigade du Regiment
Lyonnois , commandée par M' du
Perayqui en eſt Lieutenant Colonel,
&compofée de deux Bataillons de
Lyonnois , de deux d'Alface , &
d'un de Rouſſillon , reçeut ordrede
M' de Luxembourg de charger les
Ennemis à l'Attaque de la gauche ;
mais comme le Païs estoit fort étroit,
chaque Bataillon s'enfonça preſque
en meſme temps dans les Hayes ,
dans les Chemins creux . &dans les
Houblonnieres , de la meilleuregrace
du monde , chargeant l'Ennemy
ſi vigoureuſement , que cette Brigade
l'obligea de luy ceder le Poſte qu'il
avoit
GALANT. 173
avoit occupé pendant pres de quatre
heures. Elle repouſſa ceux qui le
voulurent défendre , juſques ſur la
Hauteur , tout à fait hors le Défilé,
tuant& faiſant beaucoup d'Hommes
priſonniers. M' du Peray combatit
àla teſtedu premier Bataillon Lyonnois
, & le mena à la charge avec
tant de fuccés , que les Dragons
d'Eſpagne , les Gardes du Prince
d'Orange , & les Anglois , nepûrent
luy refifter. Tout fut mis endéroute
, Il y en eut beaucoup de tuez.
LeMajor, & l'Ayde- Major des Dragons
de Salcedo, & quelques autres
Officiers Anglois , eurent la vie ſauve
, par le ſoin queprit Medu Peray
de leur faire donner quartier.
Ce Bataillon ſeul prit deux Drapeaux
du Regiment du Prince d'Orange.
L'exemple que ce Lieutenant
Colonel donna aux Soldats , en chargeant
le premier au milieu des Grenadiers
, & en tuant d'un coup de
Pistoler un Officiers des Dragons de
H 3
Sal-
1
174 MERCURE
1
Salhen qui voulut faire ferme , ne
contribua pas peu à animer la Brigade
qu'il commandoit. Le Regiment
Lyonnois n'a jamais laiſſé paf
fer aucune occafion de ſe ſignaler.
Il fut preſque tout défait à la Bataille
de Caffel , ayant eu feul affaire
pendant trois heures à toute la droi
te des Ennemis , qu'il ſoûtint avec
la derniere fermeté , & donnant à
propos en meſme temps que les
Mouſquetaires donnoient à pied de
l'autre coſté. Il n'y a aucun Regiment
dans les Troupes qui aye plus
de Gens de qualité & de plus bra
ves. Il a eu depuis le commencement
de cette Guerre trois Lieutenans
Colonels tuez , & plus de deux
cens Officiers auſſi tuez ou bleffez .
Cette derniere Action couſta la vie
à deux Capitaines de ce meſme Regiment,
qui font Mº de S. André
Gentilhomme de Bourgogne , &M'
Martinet. M'le Chevalier de Genotines,
Frere de Mole Comte de
S. Jean
GALANT .
175
S. Jean de Lyon, y eut les deux
cuiſſes percées . M'le Chevalier de
Blot , Auvergnat , y fut bleſſfé à
mort. Male Marquis de Lecluſe ,
Gentilhomme Beaujolois , y reçeut
un coup deMouſquet à la teſte. M
de la Tuilliere Neveu du R. P. de
la Chaiſe Confeffeur de Sa Majesté,
en a eſté quitte , pour de tres grandes
bleſſures , & un autre coup perca
l'épaule à M' de Fenoüil Ayde-Major.
Le Regiment des Gardes fit des
choſes ſi ſurprenantes dans la meſme
occaſion , qu'on peut aſſurer qu'il
n'y a aucun de ſes Officiers qui ne
s'y ſoit ſignalé. Cela ſe peut voir
par le nombre des Morts & des blefſez
que je vous envoye.
Capitaines .
M. de Montigny , le bras caffé.
M. de Beauregard , bleffé en pluſieurs
endroits.
M. de Fourilles , le poulce emporté.
M. de Saillant , la cuiſſe percée.
H4
Lieu
176
MERCURE
Lieutenans tuez.:
M. le Jay de Tilly .
M. le Chevalier de la Salle.
Lieutenans bleſſez.
M. d'Arbouville , bleſſé à mort.
M. de Soûpirs.
M. de Meaux.
Sous-Lieutenans tuez.
M. le Chevalier de Montigny.
M. de Viants.
M. de Temericourt.
M. de Feuquieres .
M. de Marfal.
M. de Gaigne.
M. de Rians .
Sous- Lieutenans bleſſez.
M. de Sant Alvere , un oeil perdu .
M. de Maupeou , mort de ſes bleffures.
M. de la Morezan , bleſſé à mort .
M.du Jourdy , la jambe emportée.
M. de Mainevilette, la jambe percé.
M. de Vauroüy.
M. de Polaſtron , bleſté à mort .
M. de S. Simon.
11 M. de
GALANT .
177
M.de Pavezin.
M. de Luzancy. :
M. de la Trouffe.:
Enseignes tuez.
M.de Quevricourt.
~
M. le Gras .
M. de Bois delmé.
M. de Matonville.
Enſeignes bleſſez..
M. de Conſtantin.
M. de Ladoüy.
M. de Noify.
M.d'Artaignan.
Tous ceux qui accompagnerent
Meſſieurs les Officiers Generaux
méritent auſſi beaucoup de loüanges .
Les meſmes raiſons qui ralantirent
le feu de Caſteau firent auſſi
diminuer confiderablement celuy de
S. Denys, où les Troupes de Sa
Majesté ſe maintinrent dans leurs
Poſtes ſans rienentreprendre ſur ceux
des Ennemis.
L'Armée eſtant raſſemblé fur la
Bruyere , Mr de Luxembourg fit re-
Η 5 tour178
MERCURE
tourner les Officiers Generaux aux
Poſtes qu'il leur avoit marquez prés
de Mons. Ils y menerent les Trous
pes qui estoient à leurs ordres , par
des chemins que chacun d'eux avoit
reconnus.
Toute l'Armée y arriva avant le
jour. L'Aifle droite , & une partie
de l'Infanterie fut poſtée devant la
Haiſne , & toute l'Aifle gauche de
Cavalerie & d'Infanterie , au delà de
cette Riviere , pour aſſurer le Quartier
de Glein . Elle occupoit outre
cela deux Poſtes dans le Bois , &
avoit toutes les Gardes de la gauche
ſur la Bruyere de Caſteau , où le
jour precédent l'Armée eſtoit en bataille.
Je ne ſçay ſi cette Narration ne
vous paroiſtra point un peu longue :
mais , Madame, on ne sçauroit parler
ſuccinctement d'une Affaire qui
a duré dix heures , à moins que d'oublier
force Gens qui ont le plus contribué
à l'avantage que les Troupes
du
GALANT 179
du Roy ont remporté dans cette
Action .
Cependant pourrez vous refléchir
ſur ce qui s'eſt paſſfé dans ce Combat
, fans admirer la force des Ar- .
mes de la France , l'intelligence de
fes Generaux , & lagrande conduite
de ceux qui les font agir ? Si dans
les moindres Actions de la vie on ſe
propoſe toûjours un but , il eſt a
croire que celles qui ne s'éxecutent
qu'à force de ſang, n'endoivent jamais
manquer. On doit conclurede
là que M le Prince d'Orange en
avoit un en attaquant M'de Luxembourg
, & la raiſon fait voir qu'il
n'en pouvoit avoir d'autte que celuy
de ſecourir Mons. Comme il n'en
a pas approchéafſſez prés pour lepouvoir
faire , on peut dire que cette
derniere entrepriſe n'a pas eſté plus
heureuſeque tout ce qu'on luya veu
tenter juſqu'icy. C'eſt un fait qui
ne ſe peut déguiſer , & je vous laifſe
à penſer ſi on peut croire qu'on
H 6 ait
180 IERCURE
ait gagné une Bataille quand on ne
réüffit point dans un deſſein qu'on
a formé , & qu'on perd deux fois
plus demonde que ſon Ennemy. La
gloire que les François ont acquiſe
dans cette occaſion eſt tres-grande ,
& l'on n'en doutera point ſi onveut
éxaminer ce que je vay dire. Les
François plus foibles que les Alliez ,
eſtoient obligez de laiſſer une partie
de leurs Troupes dans leur Lignes ;
& ce qui les affoiblifſoit encor , ils
avoient prés de ſept lieües de Païs à
garder. Ils fçavoient qu'on cherchoit
à jetterdu ſecours dans Mons ,
& ce deſſein qu'ils n'ignoroient pas
leur donnoit à craindre de tous coſtez
, au lieu que les Alliez que rien
n'obligeoit à ſe ſeparer , pouvoient
fondre tous enſemble par un meſme
coſté , & s'ouvrir un paſſage pour
aller à Mons . Ils ont voulu le faire
, mais tous leurs efforts n'ont abouty
qu'àgagner une Abbaye à la droite
qu'on n'avoit point deſſein degarder,
GALANT. 181
der , eſtant à noſtre égard au delà
du Défilé , & à prendre un Chaſteau
à la gauche , dans lequel fur
la fin du Combat une partie de leurs
meilleures Troupes fut brûlée. Perſonne
ne peut dire qu'il ſe ſoit paffé
autre choſeque ce que je dis. Ainfi
l'on doit demeurer d'accord que les
Ennemis n'ont pas aproché deMons
de plus pres qu'une lieüe. Il leur reſtoit
avant que d'y entrer à paſſer
des Hauteurs & des Défilez , à ſe
faire jour au travers de Noſtre Armée
, à forcer les Retranchemens
de M du Montal , & à batre ſes
Troupes. On peut juger par là s'ils
doivent s'aplaudir de cette Actions
comme d'une Victoire , puis qu'elle
n'a ſervyqu'à faire répandre du ſang
qu'on auroit pû épargner , la Paix
ayant eſté ſignée quelquesjours avant
celuy du Combat. Je ne ſçay s'ils
Pavoient appris ; mais eftant plus
proches de Nimegue que nous ne
Peſtions , & la nouvelle en eſtant
H 7
venuë
182 MERCURE
venue dans noſtre Camp par deux
endroits , ils devoient l'avoir reçeuë
avant nous. Quoy qu'il en ſoit , on
leur a plus d'obligation qu'ils ne
penſent, puis qu'avec tant de Troupes
de Confederez , il ont donné
lieu à la France de batre encor dans
cette occafion celles du ſeul Ennemy
qui pouvoit s'unir avec eux. Les
Troupes de cette Nation ſont braves
, intrépidés , & ne craignent rien.
Cependant le malheur eſtant tombé
fur la pluſpart de ces Troupes , le
fuccés a fait-voir que les François
ont affez de valeur& de force pour
les furmonter toutes enſemble. Un
Brave de cette Nation , ayant eſté
fait prifonnier , dit à nous François ,
Pouffez , vous les baterez tous , puis
que vous avez défait les bonnes Troupes.
Je quitte la Guere, & paffe tout
d'un coup à l'Article de la Paix ,
puis que celle de Hollande eſtoit
faite avant cceeCombat.
Le Roy ayant tres -genereuſement
renon-
4
GALANT 183. A
renoncé à Beaumont , & à d'autres
Places qu'il prétendoit (pour me
ſervir des termes meſmes de la Gazette
de Hollande,) le Traité entre
la France & l'Eſpagne fut conclu le
Jeudy 15.dece mois; mais il ne fut
point figne ce jour-là , parce que
l'on ne pût achever de le mettre au
net. Il auroit pû eſtre ſigné le lendemain;
mais comme il eſtoit Vendredy,
lesEſpagnols qui pretendent
que ce Traité leur foit heureux ,
qui ſouhaittent poffeder long-temps
les Places que le Roy a eu la bonté
de leur donner , ne le voulurent
point ſigner ce jour-là , fondez fur
le ſcrupule de cette Nation , qui
n'entreprend ny n'execute rien le
Vendredy, qu'elle croit un jour
malheureux. Ainſi la Signature en
fut remiſe au Samedy 17. Les Eſpagnols
furent les premiers à faire paroiſtre
la joye qu'ils avoient de ce
Traité , & dés le grand matin du
jour qu'on avoit choiſy pour le
ſigner ,
184 MERCURE
ſigner , on entendit des fanfares dans
leur Quartier. Nos Trompetes y répondirent
, & tous ceux des deux
Nations qui ſe rencontrerent pendant
lereſte de la journée , ſe firent
des complimens. Sur les dix heures
du ſoir , nos Plenipotentiaires partirent
de leur Hoſtel avec neuf de
leurs Carroffes , éclairez de trente
Flambeaux de cire blanche , & accompagnez
de vingt-quatre de leurs
Gentilhommes , &d'un grand nombre
de leurs Domeſtiques. Ils ſerendirent
à l'Hoſtel des Ambaſſadeurs
de Hollande , où ceux d'Eſpagne
venoient d'arriver , car ils avoient fi
bien pris leurs meſures pour partir
tous de chez eux , que chacun devoit
arriver dans le meſme temps .
Deux des Ambaſſadeurs de Hollande
allerent les recevoir , c'eſt à dire ,
que l'un fit compliment aux François
à leur arrivée , & l'autre aux
Eſpagnols. Ils ſe rendirent auſſi-toft
dans la grande Salle de l'Audiance
1
qui
GALANT. 185
qui estoitmagnifiquement meublée ;
&comme elle a deux Portes , les
Ambaſſadeurs de France y entrerent
par l'une , & ceux d'Eſpagne y entrerent
en meſme temps par l'autre..
Il y avoit dans le milieude la Salle
une grande Table couverte d'un
Tapis de velours vert à frange d'or ,
& l'on avoit mis trois Fauteűils de
chaque coſté pour les fix Ambaſſadeurs
, & un Siege à chaque bout
pour chacun des Ambaſſadeurs de
Hollande qui ont fervy de Médiateurs.
Ce fut dans cet état que le
grand Ouvrage de la Paix fut con
ſommé. On avoit fait deux Copies
du Traite , l'une en Frauçois , &.
l'autre en Eſpagnol. Apeine furentelles
ſignées , que tous les Ambaſſadeurs
, toûjours affis , ſe firent des
complimens lesuns aux autres , fur ce
qu'ils avoient eu le bonheurd'achever
une Affaire fi importante à tou
te l'Europe. M' le Mareſchal de l'Eſtrade
ſe leva le premier; maiscom
me
186 MERCURE
me les autres ſe leverent preſque auſſitoſt,
à peine-s'en apperçeut- on. Les
Eſpagnols ont fait paroiſtre tant de
joye , qu'on en a eſté ſurpris . Pluſieurs
d'entr'eux avoüerent qu'ils n'avoient
point crû que la France fuft
de fi bonne foy , & qu'elle voulut
la Paix avec eux. M d'Herbigny ,
Fils du Maiſtre de Requeſtes de ce
nom , fut auſſitoſt dépefché pour en
apprendre la nouvelle au Roy. Je
vous en diray davantage apres la
Ratification. On ne la peut avoir
que des Roys meſmes. Les Plenipotentiaires
ne la peuvent donner ,
les Ratifications n'eſtans qu'un aveut
de ce qu'ils ont fait. Vous me direz
qu'ayans des Pouvoirs de conclure,
ils ont celuy de ratifier. Non
ſeulement ils ne l'ont pas , mais ils
ne le doivent pas avoir. Des Plenipotentiaires
ne ſçauroient faire des
Traitez fi conformes à leur Inſtructions
, qu'il n'y ait toûjours quelque
choſe qui s'en éloigne , & les
RatiGALANT
187
Ratifications des Souverains font neceffaires
pour approuver ces changemens
. Dans toutes les Affaires du
mondeon enufe de la meſme ſorte;&
tous les Particuliers qui en terminent
fur des Procurations , obtiennent un
temps pour les faire ratifier auxParties
, ſans l'aveu deſquelles il n'y a
riende fait. Cela empeſche beaucoup
de ſurpriſes. Ce n'eſt pas qu'il n'y ait
de la malhonneſteté de ſe dédire , à
moins qu'onn'en ait de grands ſujets.
Auſſi celan'arrive quetres-rarement.
Je ne puis m'empeſcher de vousdire
icy que les caracteres qui ont eſté
trouvez fur l'oeuf du Serpent pris
aux environs de Montpellier , dont
je vous parlay ily a quelques mois,
ont eſté des préſages de la Paix , au
moins felon les Lettres de pluſieurs
Perſonnes d'eſprit. Je vous expliqueray
leurs penſées ſur ce ſujet dans
l'Extraordinaire que je vous en
voyeray le 15. d'Octobre. C'eſtun
lieu propre pour parler de cette ma
tiere,
188 MERCURE
tiere , au moins ſelon la libertéque
je me ſuis donnéed'y mette quelque
choſe pour les Sçavans , & quelques
lignes de Latin en faveur de celles
du beau Sexe qui entendent cette
Langue. Apres vous avoir parlé de
la Paix concluë entre les deux pre
mieres Couronnes du Monde , il
faut encor vous parler de Guerre ,
&vous envoyer le Deſſein du Fort
de Kell que vous m'avez demandé.
Quoy qu'il ne ſoit plus en nature,
comme il a eſté une de nos Conqueſtes
de cette année , il importe
àlagloire de ceux qui l'ont pris ,
à celle de la France, qu'on en voye
le Plan. Je ne doute pas qu'il ne
furprenne , quand on fera reflexion
fur le peu de temps qu'on a employé
às'en rendre maiſtre , & qu'on examinera
ſa grandeur , ſa force , &fa
fituation, qui en rendoit l'accés
difficile. Joignez à cela fa forteGarniſon
, & l'intereft que Meſſieurs de
Strasbourg croyoient avoir à faire
leurs
pag.188
Ifte
Rhein
fluv
.
C
decinca pieces de 24
de deux pieces de
dedeuxMortiers
iz
de quatre pieces derz
audemi Baftion
hementalagorge
asdebois furdesPilotis
TheRhein
etvieuxBetranchement
Kell
Tranchee
en
village deKill
t
Chauffeé
Thr
Prairie
Efchelle
50 100 250 200

GALANT. 189
+
leurs efforts pour ſe leconſerver. Je
vous envoyeray dans ma premiere
Lettre , fi fon me tient parole , le
Plan des deux autres Forts qu'on a
jugéà propos de garder avec le Pont
entier. Cependant je paſſe à lafuite
des Affaires d'Allemagne , dont je
vous entretins li amplement ilya un
mois.
N'attendez point un long détail
de ce qui a ſuivy ma derniere Relation.
Ce font pluſieurs Actions diférentes
que je feray bien aiſe deref
ferrer , afin que vous puiſfiez plus
aiſément les examiner tout d'une
veuê. Les voicy toutes en peu de
mots, & felon l'ordre du temps où
elles ſe font faites .
M' de Montrevel bat un Party ,
fait ſoixante Prifonniers , & prend
fix vingts Chevaux.
Un Partyde la Garniſondes Forts
du Pont de Strasbourg ſe faifit de
huit Bateaux appartenans à la Ville
qui porte ce nom .
Mr le
1
L
190 MERCURE
Me le Marquis de Joyeuſe , avec
la Brigade de Reynel , les Dragons
de Teffé . & la Brigade de la Roque
, bat un Party de fix cens Chevaux,
en tuë plus de cent , en prend
cent cinquante, & oblige le reſte à
ſe fauver dans les Montagnes.ενα
Mlle Marquis de Reynel equi
avoit la tefte de tout , s'y diftingue.
M le Mareſchal de Créquy s'avance
vers Weiſſembourg , où ilentre
fans reſiſtance. Il en fait enlever
du Grain & du Fourage, Il retour
ne en ſon Camp de Wert. Mr le
Marquis de Joyeuſe demeure à
Weiſſembourg pour conſommerce
qui y reſtoit de Fourrages. M' le
Marquis de Villars ſe trouvant aux
environs de cette Ville avec trente
Hommes , empefche cent cinquante
Chevaux des Ennemis d'enlever nos
Fourrageurs qui estoient dans un
Village. M'deChaſtelier , Parent de
ceMarquis , eft bleſſé. aupres de luy.
M' le Marſchal deCréquy donne
fes
GALANT .
191
ſes ordres pour empeſcher que les
Ennemis ne ſe ſaiſiſſent de Lauterbourg
, & revient à Weiſſembourg.
Ce Mareſchal envoye deux Partys
en meſme temps , l'un commandé
par Meſſieurs les Marquis de Montrevel&
de Beaupré , qui batent les
Ennemis en deux rencontres ; &
l'autre par M' du Roſel , qui eft
batu. Ce dernier Party eſtoit de
trois cens Chevaux, Il fut envelopé
parpluſieurs Eſcadrons des Ennemis .
M' le Marquis d'Arcy à la teſte
d'une partie des trois cens Chevaux ,
voulut gagner le Défilé par lequel
il eſtoit venu , mais les Ennemis
avoient fait paſſfer des Troupes par
derriere pour l'occuper. Ainſi ilfut
queſtion de le forcer. M'le Marquis
d'Arcyy fit des choſes ſurprenantes ,
mais il y reçeut ſept coups dont il
mourut. Cent Chevaux de ceux qu'il
commandoit , paſſerentle Défilé , &
tuerent un grand nombre des Ennemis
. On croyoit les deux cens autres
Che
192
MERCURE
Chevaux tuez ou priſonniers , mais
quelquesjours apres ils revinrentdans
noſtre Camp , à la referve d'environ
foixante , dont la plupart ſont prifonniers
avec Mr du Rofel.
M' deCréquy donnede nouveaux
ordres pour empeſcher que rien
n'entre dans Strasbourg , & vient
camper dans la Plaine de Mainfeld.
Mª de S. Sylvestre ayant batu
les Ennemis qui avoient abandonné
Landau à fon approche , M'de Créquy
s'en faiſit. Ily trouve beaucoup
deGrains qu'il fait tranſporter dans
fon Camp .
LesEnnemis ſont en meſme temps
pouffez par tout. Le Baron de Mercy
prend mal fes meſures pour enlever
le Quartierde M de Langallerie.
Il eſt batu luy-meſme , & pouffé
juſques aux Portes de Strasbourg.
Pluſieurs de ſes Gens ſont pris , &
d'autres renverſez dans le Foffé .
Voilapreſque une douzaine d'Ations
enpeu de paroles. Il en eſt de
geneGALANT.
193
generales dont on ne peut parler
ſans en faire le détail; mais dés
qu'on fait un recit trop étendu d'un
grand nombre d'Actions particulieres,
laconfuſion s'y rencontre,& il ne
faut que dire les choſes preciſément
pour en faire bien concevoir la ſuite.
Toutes ces Actions qui vous font
connoiſtre l'état où se trouvent les
Ennemis , vous font voir en meſme
temps que nous ſommes maiſtres du
Rhin preſque depuis Strasbourg jufqu'à
Philipsbourg , & que nous les
avons batus par tout de ce coſté-là.
Ils avoient accouſtumé de paſſer le
Rhin les autres années , mais celle-cy
leurs affaires ont eſté de mal enpis.
Ils ont mangé leur Païs pendant toute
la Campagne, & ils achevent de
manger celuy de l'Electeur Palatin,
qui s'enplaint fort haut. Quand ils
paſſeroient preſentement , ils ne
pourroient ſubſiſter , M'de Créquy
ayant ruiné tout le Païs de deça.
Les Enigmes ſont toûjours expli-
Septembre. I quées
194
MERCURE
1
quées dans leur vray ſens par quantité
de Perſonnes. Vous trouverez
celuy de lapremiere du dernier Mois
dans ces Vers de Mr le Courrier ,
de Caën.
t
Que vostre humeur est obligeante !
Vous fourniſſez à nos Concerts
Chaque Mois deux ou trois beaux Airs ,
Dont l'harmonie est raviffante .
Si c'est trop de faveur pour nous ,
Trouvant que c'est trop peu pour vous ,
Vous ajoûtez grace fur grace,
Et pour nous obliger fans fin ,
Par un bienfait nouveau qui tout autre furpaffe,
Vous nous faites encor preſent d'un Claveſſin .
Ceux qui ont expliqué cette Enigme
ſur le meſme Mot du Claveffin,
font Meffieurs du Montet ; Neveu
Desbourée ; Du Freſne , Chanoine
de Saint Etienne , & Sous- Directeur
de la Congrégation de Troyes ; De
S. Ufage; Barbier Fils , Maiftre
des Comptes à Dijon ; De Tirman ,
Abbé des S. Loüis à Troyes ; Le
Chevalier , de la Ruë Chapon ; Le
Prieur
ALANT . 195
1
Prieur d'Illiac , de Lyon; De Pruneville
, Capitaine au Regiment de
Champagne ; Mesdames Chiconeau,
d'Orleans ; Reyne de Beaulieu; De
Belleville; Le Rede de la Poterne;
La Reyne des Vertus , de Roüen ;
Les trois aimables Veuves de laRuë
S. Loüis ; La Veuve de la Ruë
Chapon'; La Bande des neuf Soeurs,
de Noyen; Les Fauvetes à teſte
noire , de Clignancour ; La Nymphe
des Moulineaux; Les Demoiſelles
de la Fontaine Saint Vincent;
& Brigide Marion ; Les Enfans de
la Ruë des Eleus , de Rheims ;
Rofine & Clindor ; Tamiriſte , de
la Ruë de la Cerifaye ; & l'Organifte
inconnu. La vraye Explication
de la meſme Enigme m'a eſté envoyée
en Vers par Meſſieurs Barbete
Echevin àTroyes ; Geoffroy le
Petit ; Buglet , Prevoſt de Boüilly ;
Malherbe, Medecin ; Leſcarde Voifvenel
; De Vierlemont ; De Chanvalon
; & Bechu , d'Angers. Les
12 au196
MERCURE
autres Mots fur leſquels elle a eſté
expliquée , font le Livre , le Moulin
àPapier , l'Imprimerie , l'Ecriture , le
Papier , l'Orgue , & la Terre.
La ſeconde Enigme du meſme
Mois , eſt le Tournebroche. C'eſt là
deſſus que M' Odard Veſtier , de
Troyes , a fait ces Vers.
4
Vous qui conduisez le Mercure ,
Par ce Sixainje vous conjure ,
De me parler icy tout net.
Seray-je à couvert de reproche ,
Si je conſens que vostre Tourne-broche
Soit placé dans mon Cabinet ?
Voicy les Noms de ceux qui l'ont
expliquée ſur le meſme Mot. Mefſieurs
Catel , de la Rue du Four ;
Fueillet , Avocat à Chartres ; De
Pleurre , Chanoine & Grand Fabricien
de S. Etienne de Troyes ; De
Merville , de Dieppe ; De Bellefontaine;
DeGarlade; Laſſon lejeune;
Merlette ; Neveu Desbourée ; Mefdames
de la Fontaine S. Vincent ,
de Roüen ; Rambourg , de Mondou
GALAN T
197
doubleau ; Les trois Matadors ;
Linus; Bajet de Mariſſel ; & les
Bergers de S. Oüen. Ceux qui fuivent,
en ont envoyé l'Explication
en Vers. Meſſieurs de Villeherſen ;
L'Abbé Sonneau ; Le Lieutenant
Paillot; Des Roſiers de Cadriole ;
De Montaney , Conſeiller au Prefidial
de Bourg en Breſſe ; Eroſi , de
Senlis ; Meldames Morliere , de
Tours ; & d'Orval , de Falaiſe. On
aexpliqué cette meſme Enigme fur
ces autres Mots , l'Horloge , la Pendule,
la Montre fonnante , leMarteau
d'une Porte , le Réveille- matin ,
Fufilà tirer , &le Preffoir.
un
Le vray ſens de toutes les deux a
eſté trouvé par Meſſieurs. le Marquis
de Vadeladent ; Bouchet , de
Grenoble ; Panthot , de Lyon ; De
Yenval , S de Sainte Marie; Joufſes
, S de la Chapelliere ; Huge ,
de Gournay fur Epte ; Le Bourg ,
Medecin à Caën ; François- Louis
Vander Willen , Gentilhomme Al
13
le198
MERCURE
lemand ; Maze, de Roüen ; De
Chaſſebras, S'de Cramail; De Bollain
, Capitaine dans Picardie; Malbet,
Directeur des Poſtes de Champagne,
Nicolaïf Nippuoch ; De S.
Ferrieux , Gentilhomme de Champagne
, pres de Rethel; Bruneau ,
Avocat ; Le Franc , Gentilhomme
Rhémois ; Boulanger , de Chaſtillenay
; Miconet , Avocat à Châlons
fur Saône; Jourdan de la Salle , de
Troyes ; Lamy de Vignety ; L'Abbé
de Cypiere ; L'Abbé Teautar ;
UnChanoinede S. Victor ; Chandmar;
Thabaud des Ferrons; Perry
l'aiſné ; Baiſé le jeune ; Berot ,
Avocat& Secretaire des Dames d'Avalon;
De la Touche , de Saumur ;
Dela Mouliere ; Meſdames Piccard ;
De la Croix ; De l'Iſle , de la Ruë
desLyons; Les Cotieres , de Rouen ;
La Salamandre en liberté ; Les
Joüeuſes de Trictrac de la Ruë des
Marmouſets ; La Belle Voix du
Quartier de S. Sauveur ; L'Infante
CeGALANT.
199
Cecile; Les trois Bergeres de Monmagny
; La Brune & la Blonde de
Fontainebleau ; Le Demon de la
Ruë de Betiſy ; Le bonClercdu bon
Maiſtre de Muſique de Châlons fur
Saône ; Le Secretaire de la Ville de
Colommiers en Brie ; Le petit Bon
de la Bonne ; Les Alliez de Marſeille
; L'Heureux Infulaire ; Les
nouveaux Confreres de Noyon ; Le
- Solitaire de Rennes ; L'Amant defintereffé
de Noyon ; Le Mercure
fans peur ; & le Cavalier Eccleſiaſtique.
Pluſieurs ont expliqué l'une &
P'autre en Vers , & ce font Meſſieurs
le Chevalier de la Heronne ; Breffy,
Preſtre d'Avignon ; Geoffroy le
jeune; Bonnet , de Vaux ; Mornac
le jeune , Avocat ; Du Mont ,
Avocat àChaumont en Vexin ; No-
- vion de Pomelot , de Pontoiſe;
Goüet ; Gardien , Secretaire du
Roy ; Bataille , S' de Meſnard ,
Avocat à Loches ; Le Mauvilleu de
deChauven, de Soiffons ; Madame
Pena-
14
200 MERCURE
Penavaly , de Breſt en Bretagne;
La Provinciale du beau Quartier ;
Fredinic , de Pontoiſe ; LaBelledu
Mont Parnaſſe ; Le Solitaire dePontoiſe
; L'Amant converty , de Troyes;
Les Reformateurs de Bretagne ;
& le fidelle Berger des Rives de
Seine.
Je vous envoye deux nouvelles
Enigmes , dont la premiere eſt de
M' Gardien Secretaire du Roy.
ENIGME.
Je ſuis né Roy , je vis Eſclave ,
Je suis premier , je suis dernier ,
Dans l'intrigue & particulier ,
En mesme temps timide & brave.
Je puis fans voix me faire entendre ,
Quand je suis petit je fuis grand.
Affez rarement , on me prend ,
Sans danger de ſe laiſſer prendre.
Avec un fonds inépuisable ,
Fay toûjours de preſſans besoins.
Chez moy tout se fait sans témoins ,
Jesuis un témoin redoutable.
Quelquefois une ame bien faite
Me
GALANT. 201
Me payeroit de tout fon bien ,
Tres ſouvent je ne couſte rieni,
Et ne ſuis point à qui m'achete.
Deux fois unfont deux , ſans mistere ,
C'est des nombres l'ordre commun ;
Mais qu'enfin deux ne faiſſent qu'un ,
C'est là ma principale affaire.
AUTRE ENIGME.
MA naiſſance est affez commune.
Fay la peau délicate & brune.
Mon coeur est inſenſible & dur & partagé.
Il ne s'est jamais affligé
De me voir aux ardeurs du Soleil exposée.
Chacun me trouve diſpoſée ,
Quand il veut me toucher , à le bien recevoir
,
Ne diroit-on pas à me voir ,
Là regner je ſuis destinée ,
Nature m'ayant couronnée ?
Lors que j'agis , c'eſt lentement' ,
On n'oferoit honneſtement
Se plaindre du mal que je donne.
Aquelques-uns je fais du bien ,
Et je commence d'eſtre bonne ,
Lors que je me diſpoſe à ne valoir plus rien.
Je viens à l'Enigme de la Staruë
de Memnon. Voicy les divers ſens
qu'elle 15
202 MERCURE
qu'elle a reçeus , & les noms de ceux
qui les ont donnez. Meſſieurs de
Pruneville , Capitaine au Regiment
de Champagne ; Geoffroy le Petit ,
de Loches ; Bouchet , de Grenoble,
Astrologie , & la bonne Avanture ;
De Chanvallon , l'Horoscope en Vers ;
Le Mauvilleu de Chauven , de Soiffons
; Le Seeretaire de la Ville de
Colommiers en Brie ; Le Jaloux de
la gloire des Tourangeaux ; & la
Salamandre en liberté , le Parlement
&le Conseil du Roy ; De Yenval , S
de Sainte Marie ; & Novion de Pomelot
, le Verre ardent , & le Miroir ;
LeTriton d'Yport , le Miroir enchanté
en Vers ; L'Amant converty de
Troyes , en Vers ; Voiſin de Bariere ,
d'aupres Francaftel ; Le Bon Clerc
du bon Maiſtre de Muſique de Châlons
ſur Saône; Roſine& Clindor ,
le Coq; Tuiſand Avocat à Dijon ,
Ia Monnoye; Panthot , Loüis le Grand,
Arbitre de la Paix ; Geoffroy l'aiſné,
les Ennemisfoûmis; Jouſes , Sieur de
la
GALANT .
203
la Chapelle , la Blanque ; Boulain
Capitaine dans Picardie , le Sceauà
feeller; Merville , de Dieppe , les Oyfeaux;
Le petit Bon de la Bonne ,
les Favoris des Princes ; Les troisDemoiſelles
du Grenier aux Bois de Senlis;
& la Societé des bons Enfans
de la Ruë Saint Pierre , le Vin ; Le
Solitaire de Pontoiſe , l'Or , en Vers;
Bajet de Mariffel , l'Eloquence ; Perry
l'aifné, la Vendange ; L'Infante Cecile
, le Point du Four ; & les trois
Bergeres de Monmagny , la Paix.
Il y a beaucoup de ces Mots qui
ſelon les regles ne doivent point entrer
dans l'explication de ces Enigmes.
Ceux qui en voudront ſçavoir
la raiſon , la trouveront dans les
ſçavantes & fpirituelles Lettres de
M l'Abbé de la Valt ſur les Enigmes
en Figures. Ces Lettres feront
parmy les autres Ouvrages qui doivent
compoſer l'Extraordinaire que
je vous envoyeray dans quinzejours.
Meſſieurs delaTouche, de Saumur ;
16 Maze,
204 MERCURE
1
Maze , de Roüen ; Bataille , S' de
Meſnard ; Neveu Desbourée ; & le
Courrier , de Caën , qui ont expliqué
la Statuë de Memnon ſur l'Almanach
, ne ſe ſont pas fort éloignez
du vray ſens , puis qu'il n'eſt
autre que le Cadran Solaire , trouvé
par Meſſieurs l'Abbé Palleau , Chanoine
de la Sainte Chapelle de Dijon
; Le jeune Barbe , de Rennes ;
Du Meſnil ; Le Bourg , Medecin
à Caën ; Malbet , Directeur des
Poſtes de Champagne ; Bruneau ,
Avocat; Miconet ; Lamy de Vigneti
; Duhamel , Precepteur des
Enfans de M' le Marquis de Cany;
Thabaud des Ferrons ; Les trois
Matadors ; Les Reformateurs de Bretagne
; Le Solitaire de Rennes ;
Madame le Brun ; Mademoiselle
Clarice , Genoiſe ; & la belle Voix
du Quartier de S. Sauveur. Meffieurs
Paillot Lieutenant à Troyes ;
Leſcarde Voiſverel ; Geoffroy le
jeune , de Loches; Raut , de Roüen;
BonGALANT.
205
Bonnet , de Vaux; Chaſteau-Chinon
; Chevalier , Tréſorier de S.
Urbain ; Veſtier , de Troyes ; &
Linus , l'ont expliqué en Vers fur
ce meſme Mot du Cadran .
Rien ne repreſente plus naturellement
le Cadran Solaire que la Statuë
de Memnon. Elle ne rendoit
jamais ſes Oracles que quand elle
eſtoit frapée des rayons du Soleil.
Le Cadran ne ſçauroit marquer les
heures , s'il n'eſtoit éclairé de cet
Aftre. Le Vieillard qui montre la
Statuë eſt le Temps qui regleſesHeures.
Le doigt qu'il avance peut paſſer
pour l'Aiguille du Cadran , ſi vous
n'aimez mieux l'appliquer au bras
étendu de la Statue qui produiroit
l'ombre. Les Perſonnes qui obſervent
l'action du Vieillard , ſont ceux qui
viennent confulter le Cadran pour
ſcavoir quelle heure il eſt. LeGlobe
fous les pieds , eft a que la Statuë
la Sphere où ſont marquez les divers
Cercles &les differens in
IZ
ns mouvemens
DAPHNE ENIGME
GALANT.
207
mens duSoleil, imitez par leCadran.
Daphné fuyant devant Apollon ,
vous fervira de nouvelle Enigme.
Vous ſçavez qu'elle estoit Fille du
Fleuve Penée , & qu'eſtant un jour
pourſuivie de ce Dieu qu'elledédaignoit,
elle euſt cedé à la violence ,
fielle n'euſt eſté tout d'un coup changée
en Laurier. Il n'y a que deux
Figures dans ce Tableau , & elles
vous doivent moins embaraffer, que
s'ily en avoit un plus grand nombre.
Il eſt temps devousapprendre les
Divertiſſemens de Fontainebleau. Il
s'y fit une Courſe de Bague un des
premiers jours de ce mois , en preſence
du Roy , de la Reyne , & de
toute la Cour. Ceux qui coururent,
furent Monſeigneur le Dauphin ,
Meffieurs les Princes deConty & de
la Roche fur Yon , M'le Comte de
Brionne, M'le Prince de Caumer-
'cy , M'le Marquis de Bellefonds ,
M' le Comte de Tonnerre , M' de
Bouligneux , & M' le Chevalier de
Mail208
MERCURE
Mailly. Le Prix eſtoit une Eſcharpe
magnifique que donnoit le Roy. Chacun
courut troisCourſes. M' le Prince
de la Roche ſur-Yon emporta le
Prix , ayant fait deux dedans & une
atteinte. Ce jeune Prince n'a pas
moins de vivacité d'eſprit que d'adreſſe.
Le jour de la Naiſſance du Roy
ilyeut un grand Bal. Toute la Cour
eſtoit parée de Pierreries , & il ne ſe
pouvoit rien voir de plus éclatant.
Ily a eu treize Parties de Chaffe
au Cerf ſeulement. Il y en eut une
entr'autres où on laiſſa courre le
Cerf au lieu nommé Arcloſſe. Le
Roy eut toute la fatisfaction poſſible
de cette Chaſſe , à cauſe du beau
Païs que ce Cerf prit , & de lamaniere
que les grands Chiens l'y pourſuivirent.
Apres pluſieurs autres
Chaſſes , on laiſſa courre un Cerf
devant le Roy , dans le Buiſſon de
la Boiffiere , qui eſt un Buiſſon de
deux lieuës . Ce Cerf ne fit que for
tir
GALANT.
209
tir dans laBrande , & retourna dans
le meſme Buifſon , où il ſe fit chaffer
pendant deux groſſes heures , &
donna le plus grand plaifir du monde,
malgré un orage& un tonnerre
épouvantable. On peut dire que l'on
n'ajamais chaffé avec ſi grand bruit,
ny avec tant de régularité qu'on a
fait dans toutes ces Chaffes ; &cela,
par les ordres de Sa Majefté.
Il y a eu pluſieurs Chaſſes de
Sanglier. Dans l'une , il ſe trouva
deux gros Cerfs enfermez dans les
Toilles au Buiſſon de la Boiffiere.
Le Roy eut le plaiſir d'un tuer un
à coups de Fufil, & Sa Majestéempeſcha
par là qu'il ne fiſt un tres .
grand defordre. Elle fit lever les
Toilles pour donner lavie au ſecond,
apres qu'on eut tué quatre Sangliers
qui estoient dedans. Comme Elle ſe
promenoit un jour dans le chemin
de Moret , un gros Sanglier qui
eſtoit couché ſous un Arbre , prés
de la Portiere de ſon Caroſſe , par
tit.
210 MERCURE
tit. Pluſieurs Perſonnes de Qualité
qui accompagnoient le Roy, le poufferent
ſous la Futaye , & particulierement
M' le Comte de Marſan qui
luy fit tourner la teſte. Cela donna
lieu à M le Chevalier de Loraine
qui montoit un Cheval de Sa Majeſté
, d'y arriver avec M' le Marquis
d'Effiat , & un Ecuyerde Monſieur.
Ils pafferent fur le Sanglier ,
& luy donnerent quelques coups
d'épée ; apres quoy le Sanglier choiſit
Mr le Chevalier de Loraine entre
vingt Perſonnes qui y arriverent. Il
bleſſa ſon Cheval , qui donna un fi
furieux coup de pied ſur la teſte du
Sanglier , qu'il demeura tout étourdy.
Ce coup fut cauſe qu'on eut
moins de peine à le tuer....
Une autre Chaſſe de Sanglier qui
ſe fit dans le Parquet couſta la vie à
trois gros Sangliers. Dés que le ſecond,
qui estoit beaucoup plus gros
que les deux autres , parut dans le
Parc , il fut pourſuivy des Chiens ,
& chaGALANT.
211
&chacun voulut aller à luy l'épée à
la main. Il ſe defendit avec tant de
furie, qu'il ſe rendit redoutable. Il
renverſa Hommes & Chevaux , en
bleſſa quelques-uns , & tua ou eſtropia
plus de quinze Chiens. Le
Sieur Brecourt joüa une affez longue
Scene avecluy. Il lebleſſa d'un coup
d'épée en l'abordant. Ce coup ne fervit
qu'à l'irriter , & fut cauſe qu'il
s'attacha à luy. Il vint pluſieurs fois
àla charge contre ſon Cheval , prit
le Sieur Brecourt à la Botte , & le
tint longtemps ſans le bleſſer que legerement.
Mais enfin il luy donna
un coupd'épéejuſqu'ala garde , qui
le mit hors d'état de ſe faire craindre
davantage. Il n'avoitjamaisjoüé
un Rôle plus grand nyplus honorable
devant le Roy ; & fi les plus
fameux Acteurs que nous vante l'Antiquité
revenoient au monde , il ſeroit
difficile qu'ils ſe tiraſſent mieux
d'une Scene où il y auroit du ſang à
verſer. Celle-cy ſe paſſa toute aux
yeux
212 MERCURE 1
yeux du Roy , qui eut la bonté de
demander au Sieur Brecourt s'il n'eſtoit
point bleſſé , & de dire qu'il
n'avoit jamais vû donner un ſi furieux
coup d'épée. Pluſieurs Dames
eſtoient ce jour- là à la Chaſſe , &
fort magnifiquement habillées en
Chaſſereffes. Celles qui courent ordinairement
le Cerf avec le Roy &
Madame , font Madame de Boüillon
, Madame la Princeſſe d'Epinoy,
Mademoiselle de Grancé , & Mefdemoiselles
des Adrets & Poitiers .
On s'eſt ſouvent délaffé del'agreable
fatigue de la Chaſſe , par ledivertiſſement
de la Comedie. La
Troupe Italienne pour donner plus
de plaiſir au Roy pendant ſon ſejour
à Fontainebleau , avoit mandé un
Acteur nouveau & une Actrice nouvelle.
Ils font venus d'Italie, & ont
eu l'honneur de divertir pluſieurs
fois Leurs Majeftez.
M' le Mareſchal de Bellefond a
eu permiſſion de revenir à la Cour .
Com-
10
GALANT.
213
Comme je ſçay que vous l'eſtimez
beaucoup , je croy vous donner une
nouvelle fort agreable.
Apres un Article de plaiſirs , il
faut vous en faire un de triſteſſe .
M' Foucaut Marquis de S. Germain
Beaupré , Gouverneur de la Haute
&Baſſe Marche , eſt mort en ſa ſoixante
& unziéme année. Comme il
ya peu que je vous ay parlé de luy
à l'occaſion du Mariage de M'le
Marquis de S. Germain ſon Fils ,
receu à la ſurvivance de ſon Gouvernement,
je ne vous en diray pas
davantage.
Nous avons auſſi perdu Mº de Flavacourt
, un des Lieutenans Generaux
pour le Roy en Normandie ,
& Gouverneur de Giſors. Il eſtoit
Frere du Commandeur de ce nom ,
dont je vous appris la mort il y a
quelques Mois. M'le Marquis de
Flavacourt ſon Fils avoit la furvivance.
Il s'en eſtoit rendu digne
par de longs ſervices , ayant fait
feize
214
L MERCURE
:
ſeize Campagnes dans la Cavalerie.
Mr Roulier Intendant en Poitou ,
& Frere de celuy quia l'Intendance
de Provence , eſt mortauſſi. Il eſtoit
fort eſtimé. Vous pouvez juger de
là combien il eſt regreté.
Le Roy a nommé. M' Lieres ,
Doyen de l'Egliſe Cathedrale de S.
Omer , à l'Eveſche d'Ypres , qui
eſtoit vacant. Sa Majefté en répandant
, ainſi les graces fur ſes nouveaux
Sujets , fait voir qu'elle ne confidere
que le mérite. Elle n'a pas
moins d'égard aux ſervices desGens
qui ont ſacrifié leur vie dans ſesArmées
& c'eſt par cette raifon qu'Elle
a donné l'Abbaye d'Orbias àM' de
Guichelin , Neveu de M'le Chevalier
d'Eſclainvilliers , tué au Combat
donné devant Mons le 14. du
dernier mois. M le Chevalier de
Montchevreüil a eu le Regiment du
Roy qu'avoit feu M'le Marquis de
S. Georges , tuédans le mefme Combat.
Il eſtoit déja Lieutenant- Colonel
1
T
Pag. 215
our , quoy toujours le Prin- temps ? N'entendraytou-
jours
T
le Prin- temps ?
leurs loü - an- ges ? ges ? Croyez- moy , laiffezleurs
loü- an- ges ? ges ? Croyez-moy , laiſſez-là le
T
ges , Il n'eſt point de fi beau re- tour.
b
tour.
s , Il n'est point de ſi beau re- tour. tour.
BESSANT .
GALANT .
215
nel de ce Regiment. On peut voir
par là que le Roy récompenſe lemérite
dans toute forte de Profeſſions ,
& qu'il reconnoit également la pieté
&la valeur.
Ils'eſt fait pluſieurs agreables Parties
deVendanges. Je n'ay point aujourd'huy
le temps de vous en parler
, & ne puis que vous faire voir
ces Vers ſur le retour d'une Saifon
fouhaitée de tant de Gens. Ils ont
eſté mis en Air par M Beſſant de
Poitiers .
AIR NOUVEAU.
Amis , n'estes-vous pas étranges 3
Hé quoy , toûjours l'Amour ? quoy , toûjours
lePrintemps ?
N'entendray-je dans tous nos Champs
Que chanter leurs loüanges ?.
Croyez-moy; laiſſez là le Printemps de
l'Amour ,
Et chantons tour à tour
Le retour des Vendanges,
Il n'est point de ſi beau retour .
J'oubliois à vous dire que le Mariage
arreſté il y avoit déja quelque
temps
1
216 MERCURE
temps entre M' le Duc de Villars
& Mademoiselle de Meſnieres , Fille
d'Honneur de Madame , s'est fait
depuis trois ſemaines avec l'agrément
de Leurs Alteſſes Royales. M' de
Villars eſt ſorty d'une Branche de
la Maiſon deBrancas , l'une des plus
anciennes& des plus illuſtres duRoyaume
de Naples. La plupart de
ceux qui ſont deſcendus de cette
Maiſon , ont demeuré en France ,
à Rome , & à Avignon. Buffile de
Brancas , Mareſchal d'une PapeClement
, fut le premier qui prit les
intereſts de la France. Il ſuivit le
Party de Loüis I. Duc d'Anjou,
Royde Sicile, & apres ſa mort
il s'attacha à Philipe de France , Duc
de Bourgogne. On compte fix Cardinaux
dans cette Maiſon , dont
l'Egliſe a reçeu des ſervices tres-confidérables
, & fur tout aux Conciles
de Conſtance , & de Piſe. Elle s'eſt
alliée en France aux Maiſons d'Agouft-
de Sault , d'Ancezune, deGrimalGALANT
.
217
maldi , d'Oraiſon , d'Eymont , de
Porcellet , d'Eſcalin , de Monteil-de
Grignan , de Joyeuse , d'Eſtrées ,
d'Ampus , de Lenoncourt , &c. André
de Brancas , Gouverneur du
Havre, & l'un des Lieutenans pour
le Roy en Normandie, fut nommé
Admiral de France par Henry IV.
George de Brancas fon Frere , Duc
de Villars , luy fucceda au Gouvernement
du Havre. De ce Duc de
Villars , & de Julienne-Hyppolite
d'Eſtrées ſa Femme , Soeur de François-
Annibal d'Eſtrées , Marquis de
Coeuvres, Comte de Nanteüil , Mareſchal
de France , ſont ſortis Charles
Comte de Brancas , Chevalier
d'Honneur de la feu Reyne Mere ;
Mariede Brancas , Femme de Henry
de Caſtelane , Marquis d'Ampus
; & Loüis de Brancas , Duc
de Villars , qui vientd'épouſer Mademoiselle
de Meſnieres. Elle est
tres-bien faite , & a beaucoup de
mérite. Sa Maiſon vous eft connuë
Septembre. K par
218 MERCURE
par ce que je vous en ay dit la derniere
fois.
Comme on ne va parler dans voſtre
Province que dela Paix ratefiée
avec la Hollande , il faut vous dire
qu'elle fut hyer publiée , icy , &
qu'elle doit l'avoir eſté auſſi à la
Haye , le meſme jour ayant eſté
choiſy pour les deux Publications .
Onyobferva les Ceremonies acсой-
tumées. LesTrompetes, Tambours
& Hautbois de la Grande Ecurie du
Roy , ſe firent entendre dans toute
la Marche , mais ils firent beaucoup
moins de bruit que les acclamations
de Vive le Roy. Les Peuples eſtant
juſtement perfuadez que ce grand
Prince ne fait rien que pour lagloire
de la France , ont moins pouffé
ces acclamations parle beſoin qu'ils
ont crû avoir de la Paix , que par
la juſtice qu'ils rendent à toutes les
Actions de noſtre incomparableMonarque.
Quand il partit en 1672 .
pour la premiere Campagne de cette
Guer-
10
GALANT . 219
Guerre, les meſmes cris de joye ſe
firent entendre , & on donnera toûjours
les meſmes applaudiſſemens à
tout ce qu'il luy plaira de faire. La
Marche eſtoit compoſée des principaux
Officiers de M" du Chaſtelet ,
& du Corps de Ville, tous enRobe
de cerémonie , à cheval & en houfſes
, accompagnez des 300. Archers
de laVille , & du Guet. Les Huiffiers
duChaſtelet marchoient à pied.
Les Trompetes , Tambours , &
Hautbois, eſtoient à la teſte de tout
LesHerautsles ſuivoient. Je nevous
parle point de leur habillement, il
eſt connudetout le monde. Le Sieur
le Lievre , au titre de Touraine ,
repreſentant leRoy d'Armes Montjoye
S. Denys , à cauſe que cette
Charge eſt vacante , commença la
Publication de la Paix devant le Palais
des Tuilleries. Elle fut faite en
ſuite tour à tour dans tous les lieux
accoûtumez par les cinq Herauts
d'armes , qui fontles SieursdeChau-
K 2 me ,
220 MERCURE
- me , au titre de Normandie ; le
Blanc de Bornat , au titre de Xaintonge;
de Bellegarde , au titre de
Picardie ; le Roy , au titre deRouffillon;
& d'Aubiny , au titre de
Charolois. Je ne doute point que la
joye n'ait eſté grande en Hollande.
Les Peuples y doivent eſtre fort ſatisfaits
de la fermeté de leurs Magiſtrats
à ne s'eſtre point laiflé ébloüir
par des offres ſpétieuſes , qui tendoientà
lesempeſcher d'accepter celles
du Roy , & qui ne les euffent
pas garantis de tous les maux que
cauſe la Guerre. Cette Paix en enfantera
beaucoup d'autres . Elle a
déja produit celle d'Eſpagne, & nous
avons tout lieu d'eſperer qu'elles ſeront
bientoſt ſuivies de celle de toute
l'Allemagne & des Couronnes du
Nort. Les Souverains qui font en
guerre de ce coſté-là , méritent affurément
de grandes loüanges . On
les a veus tour à tour malheureux
ſans perdre courage ; mais la Victoire
02
320
GALANT. 221
requia volé ſucceſſivementdans cha
que Party , n'a eſté conſtante ny
pourlesunsnypour les autres , comme
elle l'a eſté pour Loürs LE
GRAND , & c'eſt par cette raiſon
qu'ilsdoivententendre à la Paix pour
conſerver le ſang de leurs Peuples.
Ainſi je veux croireque nous la verrons
bientoſt generale. Ce fera alors
qu'au lieu de Plans de Villes gravez,
je vous envoyeray mille choſes
curieuſes que me fourniront les beaux
Arts qui fleuriſſent en France
avec tant d'éclat. J'y joindray celles
que j'eſpere recevoir de beaucoupde
Royaumes Etrangers ; & mes Lettres
eſtant plus diverfifiées , ne plairont
peut-eſtre pas moins avec ces
agréemens nouveaux , qu'elles vous
ont plû par les reçits des Sieges &
des Batailles. Cependant je croy ne
pouvoir mieux finir celle- cy, qu'en
vous parlant encor du grand Prince ,
dontje vous ay parlé en lacommençant.
J'emprunte pour cela les Vers
K 3 que
222 MERCURE
que luy adreſſe. Mr Broſſard Conſeiller
de Bourg en Breffen sep
Héros fameux , qui de tous les Guerriers
Effacez aujourd'huy la gloire ,
Dormez à l'ombre des Lauriers ,
Et goustez en repos les fruits de la Victoire.
Enfin vos Ennemis s'ajuſtent à vos Loixi
C'eſt aſſez pour vous fatisfaire.
Pourquoy vous fatiguer par de nouveaux exploits
?
Quand on est le plus grand des Rois ,
Que reſte-t-il à là faire ?
Je fuis ,&c.
AParis le 30. de Sept. 1678.
7
A
Par
:
223
. GALANT
Par apoftille , Madame , je vay vous
éclaircir pleinement ſurle mot de Porfil
dont nous avons déja parlé. Vos Amis
qui prétendent qu'il ait vieilly depuis
Regnier & Balzac , n'ont pas veu ce
qu'en écrit M. Ménage au 84. Chapitre
de la premiere Partie de ſes Obſervations
imprimée en 1672. Il dit , en parlant
des noms qu'on doit prononcer eno ,
&non pas en ou ; qu'il faut dire chose ,
& non pas chouſe , Porfil , & non pas
Pourfil. Cela fait voir qu'il n'a point
crû qu'on puſt recevoir Profil. Cependant
il eſt certain que les peintres &
les Sculpteurs fe fervent toûjours de ce
dernier mot foit en parlant , ſoit en
écrivant ; & c'eſt ſans doute par cette
raiſon qu'une partie des Illuſtres qui
compoſent l'Académie Françoiſe ,
prend ce party , ſe perſuadant que c'eſt
à ceux qui font habiles dans les Arts à
déterminer les mots qui leur font propres.
Les autres (car j'ay faitpropoſer
la Queſtion dans une de deurs Aſſemblées)
tiennent obſtinément pour Porfil.
& ils conviennent tous enſemble qu'on
peut employer indiféremment l'un &
l'autre mot. Ainſi , Madame , vos
Amis diront Profil , & me permettront
de garder Porfil que je luy préfere , fans
que je vous en puiffe donner de raiſon .
TABLE DES MATIERES
contenuës en ce Volume.f
Avant-propos , page DI
Description en Prose & en Vers d'une Feste
donnée par M. de Matignon ,
Air Nouveau
5
19
Régaldonné àMadame la Comteſſe de Soiffons ,
parMadame laDucheffe de Savoye,
!
20
Mariage de M. du Guy , & de Mademoiselle
Paris, 21
Hiſtoire des Dents cruës fauſſes , 22
Marbre trouvé dans le territoire de S. Maximin
en Provence ,
:
28
Prodige arrivé à Loches , ibid.
Mausolée de M. le Mareſchal du Pleſſis , 31
Vers pour mettre ſous les Portraits des Ducs
de Guiſe , 35
- Mort de M. l'Evesque de Fréjus . 38
Mort de Madame d'Emery , 46
Le Roy donne à M. l'Abbé de Maupertuys
l'Abbaye de Sauſſenſe , 49
-Fable de la Pie & du Roitelet , 51
Histoire de la Promeffe deMariage volée, 53
Air Nouveau ibid.
Sonnet contre la Chaſſe du Liévre , 64
Stances , 65
Mort de M. de Seguiran Premier President en
la Cour des Comptes , Aydes & Finances
d'Aix en Provence, 67
Mort deMesdames de Meneblanc & Freſon, 73
RéTABLE.
Réjoüiſſances faites à Thoüars , 74
Académie établie à Cavaillon , ibid.
Helene-Lucrece Pifcopia Cornaro prend les Degrez
de Doctorat à Padoüe, 77
Lettre du Zephire à Flore , 8г
Réponse de Pomone , ibid.
Sonnets , & autres Pieces ſur la Paix , 82
Mort de Madame la Ducheffe de Wirtenberg, 84.
Mort de M. le Marquis de Courcelles , & de
M. de S. Remy, 90
Préfent fait au Roy par M. l'Abbé du Montal
, ibid.
Portrait de M. l'Archevesque de Paris gravé
par Mademoiselle Stella , 96
Portraits de Leurs Majeſtez gravez par MademoiselleMaſſon,
ibid.
Tremblement de Terre arrivé à
Avignon &
en Provence , ibid.
Vers fur ce Sujet, 98
Avanture arrivée aux Bains d'Aix en Savoye
,
99
Mort de Madame la Baronne de Marcé , Gou-
Le Roy fait M. le Marquis de Navailles >
Brigadier dans ſes Armées ,
1
112
Régalfait à laReyne à l'Abbaye du Lys, ibid.
vernante des Filles d'Honneur de Madame
, ibid.
Madame deRoubais est choisie enſa place. ibid.
Mort de Madame de la Levretiere , Gouvernante
de Condé ,
to 13 4
Air Nouveau sinh 1,14
Fau
TABLE. 2
Fantes gliſſées dans quelques Volumes precedens
, 115
M. des Cloſets est envoyé à Rome par lePatriarche
d'Antioche pour l'Union de l'Eglise
Grecque & de la Romain 116
Mariage de M. le Vicomte d'obterre , & de
Madame de Fonfac. 120
Mariage de M. de la Salle Maistre des Requestes,
ibid.
Rétabliſſement de la Santé de Madame de
Savoye,
121
Madrigal,
122
Merveilleux effets des Remedes du MedecinAnglois
& des Peres Capucins établis au Louvre
par l'ordre du Roy. 123
Relation du Combat donné devant Mons ,
- avec les Noms de tous ceux qui s'y font
Signalez, 125
Article de Paix autre la France & l'Espagnol.
183
Article de la Guerre d'Allemagne , 188
Explication de la premiere Enigme en Vers
du Mois dernier , 194
Noms de ceux qui l'ont expliquée . ibid.
Explication en Vers de la feconde , 196
1 Noms de ceux qui l'ont expliquée ,
ibid.
Enigmes en Vers ,
200
Noms de ceux qui ont expliqué l'Enigme en
Figure ,
202
Enigme en Figure ,
206
Divertiſffemens de Fontainebleau . 207
Mort
TABLE.
Mort de M. le Marquis de S. Germain Beaupré,
213
Mort de M. de Flavacour , ibid.
Mort deM. RoulierMaistre des Requeſtes , 214
Charges & Benefices donnez par leRoy, ibid.
Air Nouveau ,
215
Mariage de M. le Duc de Villars , 216
Publication de la Paix ratifiée entrela France&
la Hollande , 218
Apostille fur le mot de Porfil , 223
Fin de la Table.
A

MERCURE
GALANT.
De L'An 1698 .
Jouste a Copie
àParis
Au Palus 1678 ,

LE
NOUVEAU
MERCURE
GALANT .
Contenant tout ce qui s'eſt paſſée
de curieux au Mois de Octobre
de l'Année 1678 .
Suivant la Copie imprimée
APARIS
Au Palais , l'An 1678 .

A
MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
uis que Loürs finit laGuerre ,
Et qu'il veut qu'aujourd'huy
la Paix regneen tous lieux ,
Les Peuples doivent ſur la Terre
S'applaudir à l'envy d'un don ſi prétieux
Qui les ſauve de ſon Tonnerre :
Il eſt vray que pour eux c'eſt un prefent
bien doux ;
Mais , PRINCE , cette Paix ſemble
faite pour vous.
Loürs tient à ſoy la Victoire ,
Cette Divinité qui luy faisoit la cour ,
Vouloit que ſeule il la puſt croire ;
Mais pour vous marquer mieux l'excés
de ſon amour ,
Retranchant ſur ſa propre gloire ,
Pouvant tout furmonter , il accorde
la Paix ,
Et borne pour vous ſeul ſes auguſtes
projets.
Si Philippes parut bon Pere ,
Si pour fon Alexandre il ſe donna du
foin,
Le mal eſt que voulant tout faire ,
Ilnelaiſſoit ce Fils quele ſimple témoin
* 3
De
De ſa conduite militaire.
Mais Loüis ſçachant mieux vous montrer
ſon amour ,
Laiſſe à voſtre Valeur où s'exercer un
jour.
Par fongrand cooeur, par ſa vaillance ,
Par les coups éclatans de tant d'exploits
guerriers ,
Il vous a montré la Science
De moiffonner par tout & Palmes &
: Lauriers.
Enfin pour voſtre expérience .
Que pouvoit- il reſter à Loüis deformais
,
la Paix ?
Qu'à vous enſeigner l'art de bien faire
Ainſi c'eſt pour voſtre avantage ,
PRINCE GRAND PRINCI , qu'à l'Europe il
la donne aujourd'huy ;
Et fi nous luy devons hommage ,
C'est moins de vouloir bien terminer
٤٠٠ noſtre ennuy,
Que de donner un Prince ſage ,
Qui ſçache comme luy faire un jour à
Trembler tout l'Univers , & caufer
propos
fon repos. LE BLANC.
Les Sentimens de toute la France ,
MONSEIGNEUR , vous font
marmarquez
par ces Vers dont j'ay crû pouvoir
me ſervir en faiſant connoiſtre par
le nom de leur Autheur, que je n'y ay
aucune part que celle de vous les prefenter.
Il est certain que si les Peuples ſe
réjoüiffent de la Paix, c'est moins pour
les avantages qu'ils en retirent, quepour
Pinterest qu'ils prennent à voſtre gloire.
Ils s'applaudiffent déja par avance ,
MONSEIGNEUR , des Triomphes
que la modération du Roy vous referve
; & en mesme temps qu'ils recon
noiffent devoir leurrepos à ſa bonté , ils
enviſagent avec un plaiſir extrême les
grandes Victoires qui vous doivent mettre
au nombre des plus renommez. Héros.
Cet incomparable Monarque en laiſſe une
ample matiere à voſtre Valeur par les
bornes qu'il a bien voulu donner à la
fienne , & vous ne pouvez estre que
Grand & Auguste , estant Fils duplus
Grand & du plus Auguſte de tous les
Rois. Je ſuis avec un profond respect ,
MONSEIGNEUR ,
Voftre tres- humble & tresobeiffant
Serviteur , D..
Quoy que dans la derniere Lettre
Extraordinaire miſe en vente depuis
quinze jours , on ait donné deux
moisde tempspour travailler , à ceux
qui voudront envoyer des Defſeins
d'Arcs de Triomphe , Pyramides ,
Medailles , & autres Monumens à la
gloire du Roy, ces deux mois ne ſont
qu'en faveur deceux qui demeurent
dans les Provinces les plus reculées ;
& fi les aueres n'envoyoient plutoſt
leurs Deffeins , on n'auroit pas le
temps de les faire graver , ny mefme
d'imprimer l'Extraordinaire qui
paroiſtralequinziéme de Janvier prochain.
Ceux qui ont déja des idées
pour ces fortes d'Ouvrages , & qui
ont abſolument réſolu d'y travailler ,
ſont priez d'en avertir dés à preſent.
Cela fera prendre des meſures ſur le
nombre qu'on en doit avoir , & obligera
à leur garder place , afin qu'ils
ne travaillent pas inutilement.
Pag. 1
MERCURE
GALANT.
N 'En doutez point , Madame.
Je ne vous parleray pas
moins de Paix à l'avenir , queje vous
ayparlé juſqu'icy de Guerre. Toute
la diférence qu'il y aura , c'eſt que
laGuerre m'obligeoit à fairedelongs
Articles ſéparez des Combats qui ſe
donnoient , & des Sieges qu'on entreprenoit;
au lieu quepreſque toutes
les matieres qui vont compoſer
mes Lettres , feront de Paix fans
que je vous la nomme. Ce que je
vous dirayde la ſatisfaction des Peuples
, des Provinces abondantes en
toutes chofes , du progrés des Muſes
& des beaux Arts , des ſomptueux
Edifices qu'on élevera , des Feftes
galantes qui ſe donneront , des magnificences
& des libéralitez de
LOUIS LE GRAND ; tout cela
Octobre . A ne
2 MERCURE
ne fournira-t-il pas autant d'Articles
de Paix , puis que ces diférentes
choſes en feront l'effet ?Jugez ſi cette
matiere ne doit pas eftre inépuiſable,
eſtant ſoûtenue de ce qui ſe
paſſera dans le plus galant , le plus
tranquille , & le plus floriſſantRoyaume
du monde. Pour le voir toûjours
augmenter en gloire , il ſuffit
qu'il ſoit gouverné par le meilleur ,
le plus ſage , & le plus grand Roy
que le Ciel ait jamais donné à la
Terre. La valeur & la prudence ne
peuvent aller plus loin qu'il les a
pouſſées pendant le cours d'une Guerre,
qu'il n'y avoit que luy ſeul qui
fuft capable de terminer . Il a eu la
bonté de l'entreprendre , il en eſt
venu à bout , & l'on peut dire que
la Paix eſt ſon Ouvrage. Vous en
avez reçeu la nouvelle avec plaifir ;
mais je ne ſçay ſi vous avez affez
examiné combien les circonstances
qui ont accompagné cette Paix , la
rendent glorieuse pour ce Grand
Roy
GALANT.
3.
Roy. La Victoire ne l'avoit point
quittédepuis le commencement de la
Guerre. Pluſieurs Princes s'eſtoient
alliez d'abord avec luy , & leurs
Troupes jointes aux ſiennes avoient
fait quelques Campagnes affez heureuſes.
Cependant ſes Ennemis croyant
l'accabler , firent agir de ſi puiſ
fantes Cabales , que non ſeulement
ils engagerent tous ces Princes à
rompre l'Alliance qu'ils avoient avec
Sa Majesté , mais meſme à ſe déclarer
contreElle. L'Eſpagne qui estoit
en paix ſuivit leur exemple , & le
Roy vit en peu de temps preſque
tous les Princes de l'Europe liguez
contre luy. Il eſtoit à croire que
n'ayant plus d'Alliez , & voyant le
nombre de ſes Ennemis augmenté ,
bien loin de ſonger à faire de nouvelles
Conqueſtes , il auroit de la
peine à conferver celles qu'il avoit
faites . Le contraire est arrivé. Plus
cet incomparable Monarque a eu
d'Ennemis , plus il a remporté de
A 2 Victoi4
MERCURE
Victoires. Il a ſuffy luy ſeul contre
tous , & cen'a eſté que dans ce temps
qu'il a pris des Places que l'on croyoit
imprenables. Les choſes eſtoient
dans cet état. Toute l'Europe regardoit
nos avantages avec un étonnement
qui ne ſe peut exprimer.
Les Conférences de Nimegue n'aboutiffoient
preſque à rien , & les
Peuples ne voyoient aucun lieu d'efperer
la Paix , quand le Roy ayant
réſolu de la donner , & de la donner
en Vainqueur qui pouvoit encor
pouffer ſes Conqueſtes , jugea que
le ſeul moyen d'en faciliter le fuccés
, estoit d'aller prendre les Villes
de Gand & d'Ypres. Il ſe rendit
maiſtre de l'une & de l'autre , &
l'on ne peut nier qu'il ne fuſt en
pouvoir de le devenir de tout ce
qu'il auroit voulu foûmettre. La
priſe de ces Places avoit jetté la
terreur parmy les Peuples de celles
qui reſtoient à prendre. L'Hyver
eſtoit dans ſa force. Iln'y avoit que
le
GALANT.
5
le Roy qui fuſt armé , & qui euſt
des Magaſins pour faire ſubſiſter de
grandes Armées. Les Ennemis n'en
pouvoient mettre en campagne qu'apres
le retour du Prin-temps . Ainſi
il eſtoit en état de vaincre par tout,
fans qu'il puſt trouver aucun obſtacleà
ſes entrepriſes. Sa bonté luy
fait choifir ce temps pour donner la
Paix ; mais il eſtoit bienjuſte qu'en
la donnant , il fiſt connoiſtre qu'il
faifoit grace , & qu'il marquaſt ,
comme il a fait , que c'eſtoit ſeulement
aux conditions qu'il avoit
trouvées raiſonnables , qu'on pouvoit
choiſir la Paix ou la Guerre.
Les Hollandois acceptent la Paix ,
apres avoir fait reflexion ſur les redoutables
forces de la France , contre
laquelle prefque toutes les Puiffances
de l'Europe avoient échoüé.
Il y a deux temps à confidérer dans
celuy qui s'eſt paffé depuis la Paix
acceptée , juſqu'à ſon entiere concluſion.
L'un regarde ce qui eft ar-..
A3 rivé
6 MERCURE
rivé depuis l'acceptation de cette
Paix juſqu'au jour de ſa Signature ;
& l'autre nous mene juſqu'à celuy
de la Ratification. Ces deux temps
ont eu chacun leur étenduë , & on
ne s'eſt que trop apperçeu que pendant
l'un & l'autre , tout ce que le
Cabinet renferme de Politique a eſté
mis en uſage contre le Roy , de la
part des Princes liguez ; mais leur
prudence ainſi ramaſſée n'a pas eu
plus de ſuccés que l'union de leurs
armes. Mille intereſts diférens les
faifoient agir. Les uns en avoient
de particuliers pour eux-meſmes ;
les autres , pour des Perſonnes qui
les touchoient de fort pres , & c'eſtoient
par tout des paſſions violentes
qui détruifoient tout ce qui auroit
pû avancer la concluſion de la
Paix. On fait naiſtre des Incidens .
On donne ſujet au Roy de ſe plaindre,
afin qu'il ſe plaigne . On tâche
d'irriter ſa bonté, & on veut adroitement
le forcer àrompre. Mais tous
ces
GALANT.
7
ces.artifices ne ſervent qu'à mieux
faire voir qu'il eſt autant au deſſus
de ſes Ennemis par ſa ſageſſe , qu'il
l'a eſté pendant la Guerre parſa valeur.
Ce grand Prince dédaigne de
leur faire connoiſtre qu'il voit leurs
brigues . Il eſt perfuadé que ceux
avec qui il traite , & qui ont ſeuls
pouvoir de traiter , agiſſent de bonne
foy. Il en eft content. Ils fe font
foûmis , & c'eſt affez pourluy faire
toûjours aimer une Paix qui les ſauve
des périls dont ils auroient peine
à ſe garantir dans la continuation de
la Guerre. Ila paru moderé comme
Vainqueur , il le veut paroiſtre encor
comme Roy. On donneun Combat
dans le temps que la Paix vient
d'eſtre ſignée. Ceux qui attaquent
manquent leur Coup. Mons n'eſt
point fecouru , & par conféquent il
ne tient qu'au Roy que Mons ne
foit perdu pour les Ennemis. Ils ne
peuvent plus ſubſiſter aupres de no.
ſtre Camp. Il n'a qu'à prendre la
Place
A4.
C
8 MERCURE
Place qu'ils ont inutilement voulu
fecourir. On ne pourra dire qu'il
rompe la Paix , puis qu'on l'eſt venu
attaquer. Tout luy rit. Les Enne.
mis avoient fondé toute leur eſpérance
ſur les Troupes d'une Nation
brave & intrépide. Elles ſont batuës,
&les nostres n'ont qu'à entreprendre
pour réüffir. Ces avantages ne diminuënt
rien des bontez de ce grand
Prince. Il ſçait que les veritables
Hollandois qui aiment leur Patrie ,
n'ont point de part au deffein de la
Bataille qui s'eſt donnée. Il veut
que la Paix qu'il fait avec eux ſoit
uncommencement de celle qu'il fouhaite
à toute l'Europe , & il ne fe
fert d'aucun desjuſtes prétextes qu'on
luy a donnez , pour la rompre. On
luy en donne de nouveaux apres la
Bataille. On fait aux Etats desOfres
qui paroiffent fort avantageuſes , &
on les fait en pleine Affemblée ;
mais les Hollandois auſſi fermes de
leur cofté , que Sa Majesté l'eſt du
! fien , 1
GALANT.
9
! ſien, rejettent ces Ofres , & font
convaincus des avantages que peut
leur produire l'amitié du Roy, par
⚫ ceux qu'ils en ont déja tant de fois
reçeus . L'Eſpagne qui ne fait rien
fans l'avoir meûrement examiné reconnoit
elle-mefme la grandeur de
cet auguſte Monarque , en ſe réſolvant
enfin d'accepter la Paix qu'il
luy ofre. Elle n'attend plus rien de
ces retours de Fortune& de ces coups
inopinez qui ont toûjours flaté la
Maiſon d'Autriche. Tout eſt dans
la main du Roy ; & s'il eſt fâcheux
àun Peuple, qui croit eſtre né pour
donner des Loix , d'en recevoir du
Vainqueur , ce Peuple qui ſe ſoûmet
, s'en trouve récompensé par
l'avantage de recouvrer des Places
dont il ne ſe ſeroit jamais veu maiſtre
, fi ce Vainqueur l'euſt voulu
laiffer dans la neceſſité de les conquérir.
Il reſte quelques legeres difficultez
pour des Villages , ou des
Articles de cette nature , & le Roy
A 5
toû-
;
:
10 MERCURE
toûjours Grand , apres avoir fait les
Etats Genéraux Arbitres de ces petits
Démeflez , accorde tout de luy
mefme. On ne peut diſconvenir que
ce ne ſoit de ſon plein gré , puis que
l'Arbitrage eſtoit ſigné par les Eſpagnols
meſmes , & qu'il en pouvoit
revenir quelque choſe à Sa Majefté;
les Arbitres ne jugeant jamais avec
une ſi entiere rigueur , qu'ils ne
cherchent à fatisfaire toûjours les
deux Parties . Apres cette derniere
liberalité du Roy, le Traité ſe ſigne
entre la France & l'Eſpagne.
Je vous ay mandé de quelle maniere.
Voila , Madame , en fort peu de
mots toute l'Hiſtoire de la Guerre
&de la Paix.
Il y a déja longtemps que l'eſpérance
de cette Paix a fait parler les
ſcavantes Muſes de Soiffons. Vous
ſcavez que l'Illuſtre Académie de la
Ville que je viens de vous nommer,
aeſté reçeuë dans l'Alliance de celleque
le Roy ne dédaigne pas de loger
dans
GALANT. II
dans ſon Louvre , & dont il a bien
voulu ſe faire le Protecteur . Elle
luy. envoye tous les ans quelque Ouvrage
en reconnoiſſance de cette af
ſociation ; & l'Idylle que vous allez
voir , eſt celuy dont elle luy a fait
préſent cette année. Meſſieurs de
l'Académie Françoiſe l'ont fort eftimé
, & je ne doute pas que leur
approbation ne ſoit ſuivie de la voſtre.
4
IDYLLE.
Le riche émail des Fleurs orne bien nos
Prairies ,
Le Fruit fied bien à nos Vergers ,
Aux Ruiſſeau les Rives fleuries ,
Et la Musette aux amoureux Bergers.
Que ferois -je ſans vous , ma fidelle Muſette ?
Souvent vous faites mes plaisirs ,
Sans vous mes plus tendres deſirs ,
Seroient encor cachez à la jeune Lifette ,
Liſette dont le teint est plus blanc que leLait ,
Dont le souffle est plus doux que l'odeur de
1,Oeillet ,
Et qui paſſe en beauté le reste des Bergeres ,
Comme un Chefſne s'éleve au deſſus des Fougeres.
De l'ardeur de mes feux , des peines que jeſens ,
Sc-
1
1
12 MERCURE
Souvent elle écoute la plainte ,
Et ſi ſon ame en est atteinte ,
Je dois cet avantage à vos heureux accens .
Mais quoy qu'elle aime à vous entendre
Entonner un Air doux & tendre ,
Elle veut aujourd'huy que vous changiez de ton.
Du Grand LOUIS les fameuses merveilles
Ont percé nos Forests , ont frapé nos oreilles ,
Ces Monts , ces Bois , & ce Vallon ,
Et tout ne retentit que du bruit de ſon Nom.
Ne ferez vous rien pour ſa gloire ? .
Aidez à la placer au Temple de Memoire ,
Du moins par quelque douce & charmante
Chanfon.
Laiſſez à Polymie entonner la Trompette ,
Celébrer ſes beaux Faits , & ſes Exploits
guerriers ,
Laiffez-luy vanter ſes Lauriers;
Vous qui n'eſtes qu'une Muſette ,
Chantez-nousfa bonté , ſa douceur & la Paix
Qu'il va donner à ſes Sujets .
Malgre vos foibles fons nefoyez point muette ,
On n'estjamais blámé quand onfait cequ'un
peut;
Chantez , LOUIS est bon , & Lisette le
veut.
Vous que le bruit & la fureur des armes
Ont forcé de quitter nos Champs & nos Hameaux
,
Bergers , ne craignez plus Bellone & ses
alarmes,د
6
RaGALANT.
13
: Ramenez dans ces lieux vos paiſibles Troupeaux.
Faites y revenir les Nymphes fugitives ,
Venez ensemble fur les Rives
De nos agreables Ruiſſeaux.
Là bientoſt la Divine Aftrée
Répandra deJa main facrée
Les biens, les plaisirs , & les jeux ;
Nous touchons à ce calme heureux
Si charmant apres la tempeſte ,
Nostre felicité ſurpaſſera nos voeux ,
Et nos jours ne feront qu'une éternelle Fefte.
Il est vray que Mars en couroux
Tonne encor affez pres de nous ,
Son bruits'entendjuſque dans nos Campagnes ,
Mais ce n'est plus comme autrefois ,
Lors qu'il faisoit trembler nos plus hautes
Montagnes ,
Et retentir nos Rochers & nos Bois .
On fent bien qu'il eſt aux abois ,
Et qu'on va voir ceſſer les horreurs de la
Guerre.
Tels les derniers coups du Tonnerre ,
Quand l'orage est pres de finir ,
Leur bruit fourd annonce à la Terre
Que le beau temps va revenir.
Le Grand LOUIS acheve fon Ouvrage ,
Il va donner la Paix àſes fiers Ennemis ;
Malgré leur fureur & leur rage ,
Nous les verrons bientoſt ſoûmis ,
L'accepter & luy rendre hommage.
A7
Alors
14
MERCURE
Alors cet Illustre Héros
Viendra prendre le frais , & goûter le repos
Au doux ombrage de vos Heſtres ;
Il aime vos Chansons , quoy qu'elles foient
champestres ,
Il vous afſfemble icy pour former des Concerts ,
Et ne mépriſe point ( bien qu'il offre à vos Airs
De fes beaux Faits la matiere éclatante )
Vostre Muſe foible & naiſſante .
Sage au Confeil , vaillant dans les Combats ,
Intrépide dans les alarmes ,
Il fçait affronter le trépas ;
Mais délivré de l'embarras
Du bruit , du fracas , des vacarmes
Qui se trouvent parmy les armes ,
Les paisibles Emplois font ſes plus grands
plaiſirs .
Il trouve fon repos , il borne ſes defirs
Aſe ſervir de sa puiſſance
Pour reprimer la funeste licence ,
Pour faire revérer la majesté des Loix ,
Et ramener une heureuſe abondance.
Le plus grand des Héros , le plusjuſte des Roys ,
Apres avoir gagné Victoire fur Victoire ,
Se fait une nouvelle gloire
A répandre ſurſes Sujets
Des Ruiſſeaux eternels de graces , de bienfaits.
Quitte de ces grandes fatigues
Qui confumoient les plus beaux de ſes ans ,
Il donnera tous ses momens
1réGALANT
.
15
A réduire en poudre les Digues
Que le defordre oppofoit aux Vertus ;
Par luy des Vices abbatus ,
Malgré l'impunité , malgréses fortes brigues ,
Les teſtes ne renaiſtront plus .
Dans cet heureux loiſer, en des tempsſi tranquilles
,
Que de fuperbes Baſtimens ,
Et que de riches ornemens
Pareront fes Palais , & la Reyne de Villes !
Je vois deja dans nos plus grands Hameaux
Les Bergers s'aſſembler , former des Choeurs
nouveaux ,
Pour rendre ſa gloire immortelle ,
Et s'immortaliſer en travaillant pour elle.
Mille graces , mille douceurs .
S'avancent pour chercher les neuf sçavantes
Soeurs .
On va voir les Muſes rustiques
Habiter des Maiſons publiques ,
Et partager ſes Royales faveurs .
La nostre errante encor au milieu des Campagnes
,
Aura le fort de ſes Compagnes ,
Et trouvera dequoy ſe retirer ;
Noftre attente n'est pas injuste ,
Appuyé d'un Mécene, écouté d'un Auguste ,
Ne doit-on pas tout espérer ?
Mais pour de fi grands biens , pour ces rares
merveilles ,
Nym16
MERCURE
Nymphes , cherchez dans ces beaux lieux
Ce qu'ils ont de plus précieux ;
Pour luy comblez de Fleurs vos plus riches
Corbeilles ,
Foignez y des Festons du plus vert Olivier ,
Il l'aime autant que le Laurier..
Vous , Bergers , donnez luy vos travaux &
vos veilles ,
Que vos Rochers manquent d'échos.
Queles rapides eaux remontent vers leur fource,
Que le Flambeau du jour interrompeſa course,
Avant que vous ceſſiez de chanter ce Héros .
S'il y avoit beaucoup de Muſetes
auffi douces que doit eſtre celledont
il eſt parlé dans cet Idylle , avoüez
qu'il eſt peu de plaiſirs qu'on préferaft
à celuyde les écouter. Jene ſçay
meſmeſi elles ne ſeroient pas propres
àfaire ceffer les chagrins , contre le
ſentiment de l'Amant infortuné ,
qu'on fait parler dans ces Vers que
M' Goüet a depuis peu mis en Air.
AIR NOUVEAU .
Lors que j'eſtois aimé de la jeune Lyſette ,
Par vos charmans concerts , vous ſçaviezma
Musette ,
Dans
-
--
Lorſque j'e- ſtois aymé de la je
Lorſque j'e- ſtois aymé de la je

GALANT.
17
1
Dans mille doux plaiſirs tous deux nous engager;
Mais depuis que son cooeur est devenu leger ,
Aupres de vous je languis , je ſoûpire ,
Etvous ne pouvez plus foulager mon martyre.
Vous m'avez paru fi contente des
Airs de M' Goüet , que j'ay crû ne
pouvoir mieux commencer que par
celuy-cy à vous en envoyer de nouveaux.
Comme il eſt Maiſtre de la
Muſique des Dames Religieuſes de
Lon-champ, on ne doit pas s'étonner
ſi on y trouve dequoy fatisfaire
les oreilles les plus difficiles. En
effet , on n'y entend pas ſeulement
tout ce que
le beau Chant a d'aimable
, ony remarque encor une façon
de chanter qui n'est pas commune ,
tant l'Autheur s'étudie à faire toûjours
quelque chose qui ne ſe chante
point ailleurs. Les belles Voix qui
entrent dans ces Concerts ſe font
, admirer & par leur diverſité & par
leur juſteſſe. La Symphonie qui les
accompagne eſt merveilleufe. Elle
eft
18 MERCURE
eſt executée avec une délicateſſe qui
répond à la recherche des beaux Accords
, & l'on diroit que ce ſontautant
de maiſtreſſes mains qui touchent
ou les Violes , ou les Claveſſins
qui la compoſent. Je n'avance rien
qui ne ſoit connu. Le mêlange des
Voix& des Inſtrumens qui forment
cette charmante Muſique , eſt ſi
doctement ménagé , que les meilleurs
Connoiffeurs demeurent d'accord
qu'on ne peut rien entendrede
plus beau dans aucun Monastere de
Filles.
M Brayer qui paſſoit pour un
des plus fameux Medecins de nos
jours , eſt mort au commencement
de ce Mois. Si une grandepratique
peut rendre un Homme conſommé
dans cette Profeſſion , comme ellele
doit en effet , on peut dire qu'il
eſtoit le premier Medecin du monde.
C'eſt une choſe incroyable que le
grand nombre de Malades qu'il voyoit.
S'il n'a pas eſté le Medecin de
tout
GALANT
19
tout Paris pendant le cours entier
des maladies de ceux qui en ont eſté
attaqucz depuis pluſieurs années, il
↑ les a veus du moins une fois , ayant
preſque eſté de toutes les Conſultations
qui ſe ſont faites. Ilavoit préveu
le temps de ſa mort , & quelques-
uns tiennent qu'il s'en eſtoit
expliqué avec ſes Amis , comme
n'ayant plus que trois mois à vivre.
Il n'avoit pas laiſſé de relever d'une
maladie où il eſtoit tombé dans cet
intervale. Il avoit meſme forty depuis
, mais cette fauſſe guériſon ne
luy avoit point fait changerde penſée.
Le jour qu'il mourut, il diſna
àtable avec ſa Famille. On luy dit
endiſnant qu'il avoit mauvais viſage,
&qu'il feroit bien de prendre quel
que Remede. Il répondit qu'il le fe
roit inutilement, & qu'encor qu'il ne
foufriſt aucun mal , il fentoit bien
qu'il approchoit deſa fin. Ilmourut
quelques heures apres aſſis dans fa
Chaife. On ne peut nier qu'il n'ait
efté
20 MERCURE
eſtéun veritable Medecin , puis qu'il
s'eſt connu luy-meſme. Je ne vous
dis rien de ſa pieté, ny de la maniere
toute Chreftienne dont il s'eſtoit
preparé à la mort qu'ily avoit
fi long-temps qu'il enviſageoit. Jugez-
en par fa charité , qui luy faiſoit
employer tous les ans douze ou
quinze mille livres à foulager les be
foins des Pauvres. C'eſt ce qu'il a
caché pendant ſa vie , & qu'on a découvert
apres ſa mort.
J'ay auffi à vous apprendre celle
de Me Nicole que la Ville de Chartres
avoit choiſy pour fon Avocat.
C'eſt une perte conſidérable pourles
Gens de Lettres. Quoy qu'il fuſt
dans un âg fort avancé, il ſoûtenoit
avec autant de fermeté que depolitefſe
, la haute réputation que ſes Pieces
d'éloquence luy avoient acquiſe. Il
s'eſtoit attiré l'eſtime de quantité de
Perſonnes de la Naiſſance la plus relevée.
Il les complimentoit au nom
de la Ville, leursAlteſſesRoyales lors
qu'el
GALANT .
21
qu'elles paſſoient par Chartres , &
toûjours avec un applaudiſſement
general. Il eſtoit Pere de l'Illuftre
Mr Nicole , connu de tout lemonde
par les excellens Ouvrages d'érudition
& de pieté qu'il met aujour
depuis pres de trente années ; entr'autres
par la Perpetuité de la Foy ,
& nouvellement par les Effais de
Morale. Quelques mois avant ſa
mort , il avoit choify Mr Noel ,
Controlleur des Domaines de Son
A. R. à Chartres , pour luy fucceder
dans lepénible & honorable Employ
d'Avocat de cette Ville. Il en
remplit admirablement les Fonctions
, & fuit de pres ce grandHomme.
Il commença d'en donner d'éclatantes
marques par un Compli.
ment fort juſte qu'il fit ſur le champ
àMadame la Ducheffe de Tofcane ,
qui ſe rendit à Chartres il y a trois
mois pour ſignaler la pieté qui luy
eft ordinaire dans le Temple le plus
ancien de toute la Chreſtienté. Entre
22 MERCURE
de
tre les Actions qu'il a eſté déja obligé
de faire, il n'y en a point de
plus remarquable que le Panégyrique
du Roy qu'il prononça le ſecond
ce Mois , à l'occaſion de deux Echevins
qu'on avoit éleus. Tout ce
qu'il y a de Perſonnes conſidérables
dans la Province s'y trouva , auffibien
que tous les Corps de la Ville.
Quoy qu'une ſi auguſte matiere ſoit
en quelque forte au deſſus de l'expreffion
, il la traita d'une maniere
ſi délicate , qu'il eut tout le ſuccés
qu'il enpouvoit eſperer. Je ne vous
parle point de la Famille des Nicoles
. Tout le monde vous dira qu'elle
eft tres- ancienne à Chartres , & qu'il
y a plus de deux cens ans qu'elley
fournit des Magiſtrats. Elle a prefentement
pour digne Chefle Lieutenant
Gereral de cette Ville.
Vous allez juger du ſoin que je
prens de vous chercher d'agreables
choſes , par celuy que j'ay eu derecouvrer
une Copie de la Lettreque
je
GALANT .
23
je vous envoye. Elle eſt de M de
Lamathe Avocat au Parlement. De
grandes & fâcheuſes affaires l'ont obligé
juſqu'icy d'étoufer de fort jolies
Pieces dont j'eſpere que je vous feray
partà l'avenir. Cellecy vous fera
connoiſtre combien vous pouvez attendre
d'un Génie auſſi galant que
le fien.
AMADAME
LA COMTESSE DE ***
Sur ces Paroles de l'Opéra d'Atis.
D'une conſtance extréme
Un Ruiſſeau fuit fon cours ,
Il en ſera de meſme
Du choix de mes amours ;
Et du moment que j'aime ,
C'eſt pour aimer toûjours.
1
Vous avez donccrû , Madame , que
la comparaison d'un Ruiſſeau estoit laplus
juste& la plus heureuſe du monde , pour
exprimer une amitié fidelle & conftante?
Cependant il me semble que s'est tout le
con24
MERCURE
1
contraire , &je crois que vous en demeurerez
d'accord , quand vousy aurez
fait reflexion. Pour moj , je vay vous
dire ce que j'en pense.
UnRuiſſeau ne fuit point fon cours ,
Comme vous diriez bien , d'une conſtance
extreme ;
Et fi quelqu'un ainſi vous aime ,
Défiez -vous de pareilles amours.
S'il éſt vray qu'un Ruiſſeau ne puiſſe
Il ceſſe de couler tout au moins quand
eſtre infidelle ,
il gele ,
les ans.
A
Et vous n'ignorez pas qu'il gele tous
Ah ! quel modele à des Amans !
Fe pourrois mesme vous prouver ,
Madame , sije voulois , que les Ruif-
Jeaux font infidelles comme nous. Vous
diriezà leur petit air tranquille & modeste
, qu'ils ne cherchent qu'à ſe joindre
à quelque honneste Riviere , pour s'en
tenir là tout- à-fait ; mais les Galans
n'yfont pasfi- toſt parvenus , qu'ils veulent
aller plus loin , & ils ne sont jamais
contens , qu'ils n'ayenttraîné leurs
eaux
GALANT.I
25
eaux ambitieusesjuſques à la Mer. L'honneur
en est grand pour eux ; mais vous
m'avouerez qu'avant que de luy porter
leurs hommages , ils font certaines infi
delitez en chemin, qui ne font nullement
de bon exemple. Vous les voyez qui fe
débordent tantoſt ſur une belle Prairie ,
&tantoſt ſur une Plaine agreable. Ils
font tous de ce caractere , & je gage
que cet aimable Ruiſſeau qui paße ais
pied de vostre charmante Maiſon de ..
ne manque pas de faire de mesme. Je
me Souviens qu'un jour que je reſvois
pres de luy à mes tristes avantures , je
le vis qui faisoit ſemblant de dormir à
Pombre des Saules qui font ſurſes bords.
Il estoit couché fur le plus beau fablon
du monde ; & le voyant dans cet état,
j'auroisjuré qu'il eſtoit dans uneparfaite
indolence. Maisje fus bienfurpris , apres
Pavoir regardé plus curieusement qu'à
Pordinaire , de luy voir carreffer fort
tendrement une Fontaine naiſſante qui s'eſtoit
venuëjoindre à luy. Jepouſſay plus
loin ma curiosité , & les ayant ſuivis
Octobre. B deux
26 IERCURE
deux ou trois cens pas , je vis qu'ils couroient
enſemble , ſans ſe quitter d'un moment
; ce qui ne fit juger qu'ils alloient
achever les myſteres de leur amour , à
quelque Rendez - vous qu'ils s'estoient
donné , apparamment à l'entrée de la Riviere
de ... qui paſſe à une lieuë de là .
Lors que quelque jeune Fontaine ,
Par ſes petits bouillons exprimant fon
tourment ,
3..
Se jetteentre les bras d'un Ruiſſeau fon
Amant,
Croyant y foulager ſa peine ,
Le Fripon fans façon l'emmeine ;
Chemin faiſant , c'eſt un amuſement.
Mais, Madame, ce seroit peu fi ces
Meſſieurs les Ruiſſeaux estoient ſeulement
coquets . La Coqueterie peut avoirſes raifons&
ses excuses. Les Ruiſſeaux font
bienpis que de coqueter. Ce font des libertins
& des débordez. Il y a des temps
qu'ils ne peuvent se tenir chez eux ,
qu'ils nefontpoint de fcrupule de recevoir
dans leur lit tout ce qu'il y a de plus vilaines
eaux fur leur paſſage. Fene vous dis
rien ,
GALANT .
27
rien, Madame, dupeu de chaleur naturelle
de ces Amans , parce que vous ne
voulezpas fans doutequ'on pouſſe la chose
fi loin. Mais voyez , s'il vous plaift ,
quel tort vous faifiez à la conſtante &
Solide amitié , de luy donner un ſimbole
Sidéfectueux. Je ne prétens pas neantmoins
critiquer icy les Paroles de M
Quinault. Elles sont tres - naturelles , &
noſtre Siecle luy a trop d'obligation de
mille tendres & douces expreffions qui ont
beaucoup contribué à l'agréement du Théatre
François , & qui luy ſont ſi propres
, qu'on peut dire ſans leflater, qu'il
eft inimitable dans ſon talent. Sij'avois
plus de temps pour vous exprimer les
pensées qui me viennent ſur cette matiere
àmesure que je vous écris , je vous ferois
voir qu'ily apeu de comparaiſons qui
ne clochent , commeje vous le dis dés
le moment que vous vous recriaftes
fur la juſteſſe & la beauté de celle- cy.
Mais , Madame , vostre Laquais me
preſſe , & me laiſſe à peine le temps de
vous aſſurer que je suis voſtre , &c.
B2 Mr le
28 MERCURE
M' le Conneſtable Colonne arriva
il y a quelque temps incognito à
Turin, & logea chez le Duc de
Giovoneze. Il vit Madame la Comteffe
de Soiffons , & eut deux longues
conférences avec elle. Ses trois
Fils qui estoient déja paſſez , revinrent
de Rivole par fon ordre , & virent
les trois Princesde Soiffons qui
leur eftoient inconnus. Les carreffes
furent grandes de part & d'autre.
M' le Conneſtable rendit viſite à
Madame Royale qui gardoit encor
le Lit. Son A. R. ſe tint toûjours
debout aupres d'elle. Perſonne ne ſe
couvrit , & les Complimens furent
affez courts . Toutes les Perſonnes
de qualité de cette Cour qui eurent
ordre de ſe trouver à cette viſite ,
&lesDames qui estoient fort parées ,
demeurerent dans l'Antichambre.
M'le Marquis de Fleury , dont
labonne& mauvaiſe fortune eft connuë
de tout le monde , eſt preſentement
tres bien dans la Cour de
l'EmGALANT.
29
l'Empereur. Il a envoyé un de ſes
Gens à Turin pour payer les debtes
qu'il avoit faites pendant ſa prifon.
- Ôn luy fait faire une magnifique Livrée,
& de tres-richesJuſt-à-corps ,
qui doivent fervir aux Nopces de
l'Archiducheſſe Marie- Anne avec le
Prince de Neubourg. Il a lacom--
miſſion d'en faire tous les appreſts .
Vous avez entendu parler de M
le Marquis de la Pierre. Il eſt à Turin
pour y donner part à Madame
Royale de la bonté que leRoy a euë
de luy promettre ſon agrément pour
le Mariage de Mademoiselle d'Albe
de Grenoble , Fille & unique Heritiere
du Préſident de ce nom. Ila
envoyé à Rome pour une Diſpenſe ,
eftant Parentde Mademoiſelle d'Albe
au troifiéme degré.
UneDiſpenſede certe nature vient
de faire le bonheur de deux Illuſtres
Perſonnes , qui dans undegré encor
plus proche , n'oſoient preſque permettre
aucune eſpérance à leur
B. 3
amour
.
30
MERCURE
amour. On m'en donne la nouvelle
de Bagnols en Languedoc , où
apparamment leur Mariage s'eſt fait.
Le Marié eſt Mr le Vicomte de Luffan
Capitaine de Chevaux Legers
dans le Régiment Mestre de Camp ,
& Frere du Comte du meſme nom ,
Premier Gentilhomme de laChambre
de Monfieur le Duc. Je vous
ay déja parlé de luy dans pluſieurs
de mes Lettre ſous le nom de M'le
Chevalier de Luſſan. Il a donné
des marques de ſa valeur & de fon
courage en diférentes occaſions , mais
fur tout dans la Bataille de Caſſel ,
où le bras droit luy fut emporté d'une
volée de Canon , apres qu'il eut
chargé les Ennemis quatre ou cinq
fois avecune intrépidité merveilleuſe
. Il eſt admirablement bien fait de
fa perſonne , & il y a peu de Gens
qui puſſent luy diſputer cet air noble
que l'on demande dans les grands
Hommes. L'aimable Perſonne qu'il
a épousée eſt une Veuve de la Maifon
GALANT .
31
ſon de Montcan , l'une des plusanciennes
de la Province. Sa beauté
eſt ſoûtenuë d'un mérite tres- fingulier
. L'un & l'autre luy avoient acquis
un grand nombre d'Admirateurs
lors qu'elle portoit le nom de
Madame de S. André. M le Vicomte
de Luffan & elle font fortis
du Frere & de la Soeur ; & comme
cette proximité mettoit obſtacle à
leur union , & que l'auſtere vertu
de cette belle Veuve neluy permettoit
point de ſe ſervir de fauſſes raifons
pour obtenir la Diſpenſe qui
leur estoit neceſſaire , ils ſe réfolurent
d'écrire tous deux à Sa Sainteté,
&ils le firent en des termes qui exprimoient
fi fortement la tendreſſe
qu'ils ont l'une pour l'autre, & les
violens efforts qu'ils feroient obligez
de ſe faire pour l'etoufer, ſi elle ne
pouvoit eftre renduë légitime , que
le Saint Pere leur apermis de ſe marier
par la ſeule conſidération d'une
ſi veritable & fi parfaite amitié.
B 4 Je
32
MERCURE
Je m'acquite de ma parole , en
vous envoyant un Plan que je ne
doute point que vous ne trouviez
tres-curiez. Il contient celuy de
Strasbourg du coſté du Pont. Le
Pont de cettemeſme Villey eſt marqué
, avec les trois Forts & les Ifles ,
& c'eſt ce que vous n'avez point en
cor veu enſemble. Quand vous l'aurez
bien examiné , vous admirerez
encor davantage ce que Monfieur le
Mareſchal deCréquy a fait pendant
cette derniere Campagne.
Comme cet Article parle encorde
Guerre , vous voulez bien que je
faſſe entrer icy un Madrigal donné
à une Belleaujourde ſa Feſteavant
qu'on euſt fait aucune propoſitionde
Paix. Vous pourriez nele pas trouver
de ſaiſon , ſij'attendois plus tard
à vous l'envoyer.
BOUQUET
POUR UNE BELLE.
A preſent qu'une Guerre juste
Occupe le plus grand des Roys ,
Et
Plon du
pag.32
en depen
Le
Fort
heures
B.C Difame
nuictdu
LedieT
&Grande
Rheinp
LeFort
aunehen
Emmemásab
Laville
teug
Le Rheim
جولا

GALANT .
33
Et que ce Conquerant augufte
Contraintfes Ennemis à recevoir ſes Loix ;
Nous croyions de l'Amour éviter les allarmes ,
Et ne redouter plus ſes coups ,
Et qu'au milieu de la Guerre & des Armes
Ses traits ne pourroient pas atteindre jusqu'à
nous. :
Ce Dieu mesme tremblant pour plus d'une
Conqueste
Croyoit ſon Empire abbatu ;
Mais il reprend , Philis , aujour de vostre Fefle
Toute sa force & sa vertu.
Vos charmes aujourd'huy l'aſſurent deſagloire ,
On le ſçait en bien des endroits ;
Et vos beaux yeux qui font ſa plus feûre
victoire ,
Sont d'illuftres garands deſes plus nobles droits .
Il fonde fur vous ſa puiſſance ,
Comme Mars fur LOUIS établitfon pouvoir.
De ce grand Roy pour vaincre il luy faut la
préſence,
Et l'Amour, pour charmer, n'a qu'à vous
faire voir.
Monſeigneur le Dauphin , Mefſieurs
les Princes de Conty, & Monſieur
le Duc de Vermandois , ont
eſté ſe promener à Courance , pendant
le ſejour que Leurs Majeftez
ont fait à Fontainebleau . C'eſt une
B5 tres34
MERCURI
tres-belle Maiſon qui appartient à
Mª de Poinville Maiſtre des Requeſtes
. M de Courance fon Fils regeut
Monſeigneur le Dauphin à la
Porte du Chaſteau , & luy fit ſon
compliment. Ce jeune Prince ſe promena
quelque temps , & admira les
Eaux qui font une des plus grandes
beautez de cette Maiſon. Au retour
de la promenade il trouva une Collation
de Fruit ſervie tres-proprement
, & retourna à Fontainebleau
fort fatisfait de la reception qui luy
avoit eſté faite.
Mademoiselle Courtin , Fille de
M' Courtin Conſeiller d'Etat ordinaire
, dont je vous ay ſi ſouvent
parlé , & qui vous doit eſtre connu ,
&par le mérite de fa Perſonne , &
par plufieurs grandes Ambaſſades
dont il s'eſt toûjours tres-glorieuſement
acquité , a épousé M de Varangeville
, nommé à celle de Venife
par Sa Majeſté. Pluſieurs Perſonnes
de la plus haute qualité aſſiſterent
ALANT. 35
rent à la cerémonie de leur Mariage.
Monfieur le Cardinal de Bonſy ,
&M'l'Archeveſque de Rheims , furent
du nombre , auſſi-bien que M
de Besançon , & Mesdames la Ducheſſe
de Verneüil , la Princeſſe d'Epinoy
, la Marquiſe de Louvois , &
Mademoiselle de Sully. Je n'ajoûte
rien à ce que je vous dis de M' de
Varangeville, quand le Roy luy fit
l'honneur de le choiſir pour le glorieux
Employ qu'il luya plû de luy
confier. Lechoix qu'ila fait de Mademoiselle
Courtin , juſtifie la juſteſſe
de ſon difcernement pour le
vray mérite. Tout le monde convient
qu'elle en a beaucoup. Elle eft
belle , ſpirituelle , on voit peu de
Mariez qui ſe ſoient acquis une eftime
plus genérale.
Jecroy vous donner une agreable
nouvelle , à vous qui eſtes curieuſe
deGenealogies , en vous diſant que
nous verrons bien-toſt un Livre de
celle de pluſieurs Illuſtres Familles.
B. 6 Le
36
MERCURE
Le Roy a demandé à M'le Comte
d'ArmagnacGrand Ecuyer de France
, le Catalogue de tous ceux qui
depuis l'année 1667. juſqu'à aujourd'huy
ont eu l'honneur d'eſtre
Pages ſous fon commandement ; &
Monfieur d'Armagnac a ordonné à
M' d'Hozier, Genealogiſte des Ecuries
de Sa Majesté , de raffembler incefſamment
les cinq degrez de Genealogie
, que chaque Particulier eft
obligé de fournir pour prouver ſa
Nobleffe , avant que d'y pouvoir
eſtre reçeu. Ainſi tous ceux qui ont
joüy de cet avantage, ont eu ordre
d'envoyer à Mª d'Hozier leurs noms
de Baptefme & de Famille ; l'Employ
& la Charge qu'ils ont eu chez
le Roy , à la Guerre , ou ailleurs ,
depuis qu'ils ne fervent plus Sa Majeſté
comme Pages ; les Noms , Qualitez
& Seigneuries de leurs Peres ,
Ayeuls , Bifayeuls , & Trifayeuls ,
& de chacune de leurs Femmes ,
avec les Extraits & les dates qui juſtifient
GALAN.Τ .
37
ſtifient leurs Mariages, leurs Charges
& leurs Emplois. On les oblige
d'y ajoûter les Noms , Surnoms ,
Qualitez , & Seigneuries de chacune
de ces Femmes , & un Memoirede
l'ancienneté de leurRace; de quelle
Province elle eſt originaire ; les
Branches qu'ellea produites ; où elles
font habituées ; les Terres , &
les Charges qu'elle a euës ; les fervices
qu'elle a rendus , & les occaſions
où elle s'eſt ſignalée. Comme
ce Recueil de Genealogies regarde
un tres-grand nombre des plus confidérables
Familles du Royaume , il
ne ſe peut qu'il ne ſoit tres-curieux.
Vous devez eſtre fort perfuadée de
l'ordre , de la netteté , & de la verité
qu'on y trouvera , apres que je
vous ay dit qu'on en laiſſe le foin à
M' d'Hozier. La profonde capacité
qu'il a pour ces fortes de choſes eſt
connuë de tout le monde.
Le Roy a donné l'Abbaye de Fenieres
au Fils aîné de M' de Corde-
B 7 moy ,
38 IERCURE
moy , Lecteur de Monſeigneur le
Dauphin. Elle est dans le Dioceſede
Clermont. Le Pere & le Fils font
fort eſtimez . Le Pere eſt de l'Académie
Françoiſe. Ila compoſé beaucoup
de fort beaux Ouvrages , &
travaille à l'Hiſtoire Generale. Le
Fils s'eſt rendu digne de la Profeffion
qu'il embraffe par une forte applicationà
l'étude. Il eut le Prix de
l'Eloquence la derniere fois que Mrs
de l'Académie diſtribuerent ceux
qu'ils donnent tous les deux ans le
jour de Saint Loüis.
M'de Mouchy a eſté auſſi qualifié
d'une Abbaye. Sa Majeſté luy a
donné celle de S. Cyran au Dioceſe
de Bourges. Cette récompenſe eſt
une marque de ſon mérite. On ne
pouvoit douter qu'il n'en euſt beaucoup,
en voyant l'employ qu'il a
aupres de M'le Duc de Vermandois.
On ne confie ces fortes de Poſtes
qu'à desGens d'un eſprit fort éclairé.
Vous avez tellement eſtimé quelques
GALANT.
39
ques Ouvrages que je vous ay déja
envoyez de M' P'Abbé de la Chaiſe ,
que vous ne ferez pas fâchée de voir
ce qu'il a fait ſur la conſternation où
la priſe de Gand avoit mis les Eſpagnols.
La Fiction eſt ingénieuſe , &
vous ne pouvez attendre que beaucoup
de plaifir de cette lecture.
L'OMBRE
DE L'EMPEREUR .
CHARLES - QUINT.
4
L'Invincible LOUIS avoit mis anx abois
Les Etats de Holande en l'espace d'un mois.
Tout le monde jaloux de ſes progrés s'étonne ,
Chacun de ſes Amis tour-à-tour l'abandonne ,
L'Empire réünit tous ſes Membres divers ,
Et contre Luy l'Espagne arme tout l'Univers.
Mais malgré l'Univers il remet en campagne ;
Au lieu de la Holande , il attaque l'Espagne ;
Ce Héros fatisfait de voir queſon grand coeur
Trouve des Ennemis dignes de ſa valeur ,
Bien loin d'eſtre abbatu , prend des forces
nouvelles ,
Et jamais il ne fit d'entrepriſes plus belles .
La
40
MERCURE
La Comté de Bourgogne , Aire , Conde ,
Valenciennes , Limbourg , Dinan , & Saint
Bouchain,
Guilain ,
Saint Omer & Cambray , deviennent ſes
Conqueftes ,
Et cet Herculefeul contre une Hydre à cent
testes,
Lors que fon Bras réduit les Flamans ſousfes
Loix ,
Fait sur terre & sur mer, ailleurs cent
beaux Exploits.
Il gagne tous les jours des Victoires nouvelles .
Enfin Gand aſſiegé fait craindre pour Bruxelles
,
Rien'ne le peut ſauver , & Villermoſe a peur.
Qu'apres Gand, à l'envy , tout ne cede au
Vainqueur .
Il voit de fon coſté toute l'Europe enſemble ,
Mais il ſçait qu'avec luy toute l'Europe
tremble ,
Et n'esperant plus rien de ſes foibles efforts ,
Au defaut des Mortels , il a recours aux Morts.
Une infigne Sorciere , une autre Pytoniſſe ,
Que dans d'obscurs Cachots retenoit laFustice,
Par fon ordre élargie , & conduite au Palais,
Luy promet de forcer , avec ſes noirs Secrets ,
Les Manes d'un Guerrier tel qu,il voudra
prescrire,
Aluy rendre raiſon de tout ce qu'il desire.
Il
GALANT.
41I
Il veut voir Charles-Quint ; des mots qui
font horreur
Font paroiſtre auſſitoft ce fameux Empereur.
Ilſçait ce quiſe paſſe , &ſon Ombre interdite
Exprime par ces mots la douleur qui l'agite.
Pourquoy mecontraint-on par un lâche
attentat
D'eſtre témoin des maux que mon
Païs s'attire ?
Faut-il , dansnoſtre ſombre Empire,
Que nous ſoyons encor des Victimes
d'Etat?
L'Eſpagne , des Champs Eliſées
Trouve donc les routes aiſées ,
Et pour fecourir Gand , croit tout les
1
Dans l'état où ſe voit le lieu de ma
chemins clos ?
naiſſance ,
Pourquoy vous arreſter à troubler mon
repos ?
Que n'allez-vous troubler le repos de
la France ?
Quoy, tant de Nations ; quoy , tant
de Potentats
N'oſent meſme tenter leſecours d'une
Ville ?
Malgré leur murmure inutile ,
Un Prince ſe rend ſeul maiſtre de vos
Etats ;
11
42
MERCURE
Il brave ſeul dans cette Guerre
Les forces de toute la Terre.
Tant d'Ennemis confus n'ofent luy
refifter.
la Flandre ,
Autrefois j'attaquois les François par
Malgré leurs Alliez j'allois les inſulter ,
Et tous vos Alliez ne peuvent vous
défendre ?
Mais dois-je m'étonner des Faits de ce
grand Roy ?
Ce Sang qui m'inſpiroit cette haute
vaillance ,
N'eſtoit- ce pas le Sang de France
Que mon Illustre Ayeule avoit porté
chez moy?
ANNE jointe à Lours le Juſte ,.
Aréüny ce Sang auguſte ,
Leur Fils peut- il du Ciel n'eſtre pas
De toutes nos vertus & de noftre
Favory ?
courage ,
1
De ce qu'eut de plus grand meſme le
Grand HENRY ,
En luy ne voit on pas un heureux
aſſemblage?
Comme du plus Grand Roy que l'on
ait maintenant ,
L'EGALANT.
43
L'Eſpagne fans raiſon à ſoy-mefme
inhumaine
Avoulu s'attirer la haine ,
Vos diſgraces pour moyn'ont riende
furprenant ;
Mais ce qui cauſe ma ſurpriſe ,
C'eſt de voir que cette entrepriſe
Ne vous obligepas à combatre aujourd'huy.
Que pouvez-vous riſquer ; Si vous ai--
mez la gloire ,
Vous aurez plus d'honneur d'eſtre défaits
par luy ,
Que d'avoir ſur un autre emporté la
victoire. 1
Mais on court àſa perte avec temérité,
(Dites-vous) quand on cherche une
gloire ſemblable
Contre un Héros fi redoutable .
Combat-on pour l'honneur ? c'eſt pour
la liberté.
Il s'agit donc de vous apprendre
Commentvous pourez vous défendre
Des fers dont ſa valeur ſemble vous
menacer .
Voſtre Etat eſt ſans-doute en un péril
extréme ,
Et vous verrez ce Prince un jour le
renverſer ,
A
44
MERCURE
Amoins que ſon grand coeur ne ſe
borne luy-meſme.
A-t-on veu quelquefois ce Héros s'engager
Atenter ſans ſuccés quelque grande
entrepriſe ?
Dit-on pas qu'une Ville eſt priſe
Aufſi-toſt que l'on ſçait qu'il va pour
l'affieger?
Ce qu'il fait , l'auroit-on pû croire ?
A-t-il marché ſans la Victoire ?
A-t- on pû d'un moment retarder ſes
progrés?
Et quoy que voſtre Eſpagne en Politique
excelle ,
A-t-elle découvert quelqu'un de ſes
fecrets ?
Sçait-elle les deſſeins qu'il forme encor
contr'elle ?
Qu'il entreprenne tout ; quels que
foient ſes projets ,
Le Deſtin luy promet toûjours meſme
avantage.
S'il veut , vous luy rendrez hommage,
Et tous vos Alliez deviendront ſes
Sujets.
S'il court à l'Empire du monde ,
Sur la terre ainſi que ſur l'onde,
La
GALANT.
45
La Victoire ſuivra toûjours ſes Etendarts
; ;
Il joindra l'Aigle aux Lys , pourveu
qu'il le defire ;
Et s'il veut abolir le grand Nom des
Céfars ,
On donnera le ſien aux Maiſtres de
l'Empire.
la Mer ;
Que le Tonnerre gronde au dela de
Que comme en terre-ferme aux Iſles
d'Angleterre ,
On luy déclare encor la guerre ,
Ces nouveaux Ennemis ne pouront
l'allarmer ;
Que dans un moment des Armées
Contre luy fe trouvent formées ;
Que Cadmus dans les Champs ſeme
encor des Guerriers ,
Tous leurs efforts unis deviendront
inutiles ,
Et ſon Bras , s'il le veut , cueillera
des Lauriers
Dans des Champs en Soldats contre luy
fi fertiles . ま、
Gand ne peut éviter d'eſtre bientoft
François ,
Ypres ſuivra le fort de ce Chef de la
Flandre ,
Ετ
46 MERCURE
Et tout le reſte ira ſe rendre ,
S'il n'eſt par une Paix affermy ſous
vos Loix.
Vos Grands entendront la tempefte
Bientoft gronder pres de leur tefte.
Puycerda de Madrid ouvrira les
chemins , 5
Et vous n'arreſterez ce Monarque invincible
,
Que quand l'ayant rendu maiſtre de vos
deſtins ,
Avos ſoûmiſſions ildeviendra ſenſible.
Contre Luy voulez-vous avoir un
ferme appuy ?
Laiſſez entre ſes mains tout à fait la
Balance ,
Et que par cette deférence
Il ait vos intereſts à garder contre Luy ;
Arbitre de tout , quoy qu'il faſſe ,
Il ne peut vous faire que grace,
Mais il vous donnera plus que vous
n'eſpérez ,
Et l'on mettra toûjours , quoy que
vous puiſſiez dire ,
Au nombre des préſens que vous en
recevrez ,
Tous les Lieux qu'il voudra laiſſer ſous
voſtre Empire.
Icy cet Empereur acheve de parler.
Un
GALANT .
47
Un bruit confus s'entend tout autour parmy
l'air,
Comme de Vents meſlez avecque le Tonnerre.
On voit plusieurs Eclairs , on ſent trembler
la Terre,
On est comme aveuglé d'un nuage qui naiſt ,
Villermoſe s'enfuit , & l'Ombre disparcist.
Je vous ay déja fait part de pluſieurs
Feftes , mais je croy qu'il ne
s'en eſt guére fait de plus agreablement
diverſifiée que celle dontje
vay vous entretenir. Elle s'eſt donnée
il y a peu de jours ſur lesbords
de la Marne à douze lieuës de Paris.
Sa magnificence vous perfuadera
aisément qu'il n'y a eu que des
Perſonnes de qualité qui s'en ſont
meſlées.
Six ou ſept Bergers, & autant de
Bergeres , s'eſtant aſſemblez dans un
Hameau , où ils avoient accoûtumé
de venir faire Vendanges tous les
ans , réſolurent de faire parler d'eux
dans le voiſinage. Ils concerterent
leurs divertiſſemens , & chercherent
ſur tout les moyens de les faire partager

48 MERCURE
tager à deux aimables Perſonnes ,
dont le trop de beauté cauſoit le
malheur. Cette beauté eſtoit ſouſtenuë
de beaucoup de bien; & comme
on avoit fait déja quelque entrepriſe
pour les enlever, ceux dont
ellesdépendoienty avoientpourveu ,
en les enfermant dans un Chafteau
dont on ne les laiſſoit jamais fortir.
La priſon ſe pouvoit nommer agreable
, à confiderer la promenadequi
leur eſtoit permiſe dans un grand
Parc; mais elle estoit tellementpriſon
à l'égard des viſites qu'on leur
rendoit , qu'elles n'en pouvoient recevoir
aucune qu'à la maniere des
Filles Cloiſtrées. Une Cloiſon grilleé
ſeparoit deux Chambres. Elles
eſtoient dans l'une , on les entretenoit
dans l'autre , & toûjours en
prefencede témoins. Jamais Priſonnier
d'Etat ne fut ſi ſoigneuſement
gardé à veuë. Ces précautions n'alloient
pas juſqu'à les priver de ce
qu'il y a d'innocens plaiſirs. On
fouGALANT
. 49
ſoufroit qu'on amenaſt des Violons
à leur Grille; & comme cette forte
de divertiſſemens & d'autres ſemblables
leur eſtoient permis , il n'y
avoit perſonne aux environs qui ne
cherchaſt à leur en fournir. Ce fut
par cetteraiſonque lagalante Troupe
dont je vous parle, ayant medité
longue Feſte, n'en voulut executer
le deſſein que dans ce Chaſteau.
Tous ceux qui la compofoient
vinrent rendre viſite à ces deux belles
Perſonnes le matin du Lundy
3. jour de ce Mois. Les Hommes
eſtoient veſtus partie en Vendangeurs
& partie en Hoteurs. Il n'y
avoit rien de plus propre que leur
équipage. Les Femmes ne leur cedoient
ny en galanterie ny en propreté.
Elles avoient toutes des habits
de Vendangeuſes , avec des Chapeaux
, des Paniers , & des Serpetes
qui ſoûtenoient admirablement le
Perſonnage qu'elles prenoient plaifir
àjoüer. Cette premiere entreveuë
Octobre.
C fe
50
MERCURE
ſe paſſa toute en complimens. Les
belles Cloiſtrées témoignerent beaucoup
de joye de cette vifite , & accorderent
avecplaiſir le rendez-vous
qu'on leur demanda pour l'apreſdinée.
Il fit bruit dans toute la Nobleſſe
des lieux voiſins . On vint au
Chaſteau de toutes parts. L'Affemblée
fut grande , & l'heure qu'on
avoit marquée eſtant venuë, la mefme
Troupe arriva au meſme équipage
, mais ce fut au ſon des Violons
, des Flutes-douces & des Hautbois
. Les Hoteurs & les Vendangeuſes
commencerent à faire voir par
une Danſe fort plaiſante qu'ils ſçavoient
autre choſe que vendanger.
Les Hotes qui ſe rencontroient avec
les Paniers , marquoient la cadence ,
& ils ne faifoient aucun pas qu'avec
la plus exactejuſteſſe . Une fort agreable
ſymphonie ſuivit la Danſe. Elle
eſtoit compoſée de fix Violons , de
quatre Flutes & de deux Hautbois.
Un Concert de Voix toutes char
manGALANT.
51
mantes luyfucceda. On chantaplufieurs
Chanfons ſur la Vendange ,
& apres que ce Régal eut duré deux
heures , on le finit par une nouvelle
Danſe qui ne divertit pas moins
que lapremiere. Les belles Recluſes
trouverent ce temps ſi court , qu'elles
ne pûrent s'empeſcher de le témoigner;
mais elles furent fort confolées
, quand un des Vendangeurs
les pria de faire dreſſer un Theatre
pour une Comédie qu'ils viendroient
repreſenter le lendemain. Ils
-prirent congé apres cette,Annonce
(vous voudrez bien me foufrir ce
mot ) & apres avoir ſoupé tous enſemble
dans le Hameau , ils donnerent
un Bal en forme , où tout ce
-qui ſe preſenta d'honneſtes Gens fut
reçeu.
Le lendemain qui eſtoit Mardy ,
ils tinrent parole ſur la Comédie
promife. Ils avoient preparé les Fâcheux
de feu Moliere. Tous les
Perſonnages en estoient ſi heureuſe-
C2 ment
52
MERCURE
mentdiſpoſez , que de veritables Comédiens
auroient eu peine à s'en
mieux tirer.Vous jugez bien que
l'Affemblée fut encor plus grande
qu'on ne l'avoit veuë le jour précedent?
Les trois Actes eurent chacun
divers Inſtrumens pour les diftinguer.
Les Violons ſeulsjoüerentd'abord
l'ouverture. Apres le premier
Acte les Flutes- douces ſe firent entendre;
lesHautbois apres le ſecond;
une Voix avec un Thuorbe apres
le troifiéme ; & enfuite les Hautbois
& les Flutes- douces ſe joignirent
avec les Violons pour former
enſemble la ſymphonie de l'adieu.
On ne le dit aux Belles qu'apres les
avoir priées d'empefcher qu'on n'abatiſt
le Theatre. C'eftoit leur promettre
un nouveau divertiſſement
pour le Mercredy. Ce jour eftant
venu , on accouruten foule au Chaſteau.
La galante Troupe y reprefenta
une Paſtolare avec le mefme
•fonnée qu'elle avoit faitles Fâcheux
le
GALANT.
53
le jour précedent. Les habits des
Bergers & de Bergeres qu'elle avoit
pris rehauſſoient la bonne mine des
Acteurs , comme ils donnoient un
nouvel éclat à la beauté des Actrices.
Une Bacchanade fut promiſe à la
meſme heure pour le Jeudy. Ontint
parole. L'arrivée de Bacchus avec fa
Troupe fut annoncée de loin , par
un grand bruit de Timbales , de
Fifres & de Trompetes. Bacchus
chanta ſeul d'abord. En ſuite deux
Bacchantes danſerent au ſon deleurs
Tambours de Baſque dont ellesjoüerent
divinement ; & Bacchus ayant
recommencé de chanter , tous ceux
de ſa Troupe meſlerent leurs voix
avec la ſienne , & on ne peut rien
entendre de plus juſte ny de plus
melodieuxque fut ce Concert. Pendant
qu'il ſe fit , les Belles qu'on
avoit déja regalées de trois jours de
Feſte, firent apporter uneTable fur
laquelle il y avoit un Ambigu tout
dreſſé. Elles connoiſſoient l'humeur
C3
de
54
MERCURE
de Bacchus, & ayant conſenty àle recevoir
, elles croyoient qu'il y alloit
de leur honneur de le faire boire.
Toute cette aimable Troupe ſe mit
à table. Les Liqueurs ne luy furent
pas épargnées. Ils chanterent tous le
verre à la main , & ledivertiſſement
de cette journée finit parune harmonie
admirable que firent enſemble les
Tymbales , les Tambours de Baſque,
les Fifres , les Violons , les Flutesdouces&
les Hautbois.. On prépara
les Belles à fe laiffer dire leur Bonneavanture
le lendemain Vendredý ,
par une'Bande d'Egyptiens & d'Egyptiennes
, qui devoient venir accompagnez
d'un Opérateur. Vous
jugez bien , Madame , que ce nouvel
équipage fut tres-galant. On ne
peut rien imaginer de plus agreable
que l'Entrée que firent ces charmants
Protées qui s'eſtoient faits Egyptiens
& Egyptiennes . Leur langage'n'eſtoit
pas moins divertiſſant que leur
danſe qu'ils diverſifioient par mille
plaiGALANT.
55
plaiſantes Poſtures. Ils demanderent
la main aux belles Cloiſtrées, en
examinerent toutes les lignes , & leur
firent cent prédictions ſpirituelles &
avantageuſes ſur le changement de
fortune qui leur devoit rendre la liberté.
Elles répondirent obligeamment
, qu'elles ne ſe laſſeroient jamais
de leur priſon, fi elle devoit
ſouvent leur attirer des Perſonnes
auſſi galantes que celles qui prenoient
tant de ſoin d'en adoucir les
chagrins. La conversation euſt eſté
plus loin ſansde grands éclats de rire
que fit l'Aſſemblée. Ils furent cauſez
par un Opérateur & un Arlequin
qui monterent fur le Theatre.
Ils estoient habilles tous deux de la
maniere du monde la plus grotefque.
La Scene qu'ils firent enfemble
n'eut rien que de réjoüiſſant.
Elle fut meflée de quantité de tours
de Gobelets , de Gibeciere , & de
Cartes , qui divertirent fort les Spe-
Etateurs. Apres que l'Opérateur eut
C4 joűé
56
ERCURE
joüé quelque temps ſon perſonnage ,
il dit qu'il n'eſtoit pas ſeulement le
Maiſtre des Opérateurs , mais auſſi
Intendant des Poudres & des Salpeſtres
, & qu'ainſi il convioit tous
ceux qui l'écoutoient , devenir admirer
un Feu d'Artifice qui ſe devoit
faire le lendemain au foir pour
prendre congé des Belles. Jamais
journée ne leur fut plus longue. Elles
ſe mirent aux Feneſtres de bonneheure
, & virent appreſter le Feu ,
en attendant que laGalante Troupe
arrivaſt. Elle ne vintqu'apres leSoupé
, dans l'équipagedu premierjour ,
c'eſt à dire , qu'ils eſtoient tous habillez
en Bergers & en Bergeres. Le
bruit d'une douzaine de Boëtes qui
furent tirées d'abord , fit connoiſtre
qu'on alloit allumer le Feu d'Artifice.
Il eſtoit compoſé avec beaucoup
d'ordre, & donna un fort grand
plaisirà tous ceux qui s'eſtoient afſemblez
pour joüir de ce Spectacle.
Il finit par un tres-grand nombrede
FuGALANT
.
57
Fuſées volantes, qui firent un effet
merveilleux en s'elevant , & en fe
perdant dans l'air. Apres cet agreable
divertiſſement on s'approcha des Feneſtres
pourdonner une Serenade aux
deux belles Enfermées . Elle commença
par une Chanſon Italienne ,
qu'un Berger & une Bergere chanterent
enſemble avec le Thuorbe.
Les Violons joüerent en ſuite les plus
beaux Air de l'Opéra. Si-toſt qu'ils
eurent ceſſé , les Belles furent régalées
d'une Chanſon Françoiſe par
une ſeule Voix admirable. Elle ne
charma pas moins l'Aſſemblée, que
tout le Choeur des Bergers & des
Bergeres qui ſe firent entendre apres
elle. Ace Concert ſucceda celuy des
Violons , des Flutes-douces & des
Hautbois , quien répondant aubruit
des Tymbales , des Fifres , & des
Trompetes , terminerent agreablement
les plaiſirs de cette journée &
toutes les Feftes desjours précedens .
Voila , Madame , le commence-
C5 ment
58 MERCURE
ment des fruits de la Paix. Lajoye
qu'elle a répanduë par tout , fait
qu'on ne penſe plus qu'aux plaifirs.
Ma derniere Lettre Extraordinaire
du 14. de ce Mois vous a fait connoiſtre
les réjoüiſſances qui en ont
eſté faites icy. Je vous ay parlé du
Feu d'Artifice qu'on dreſſa devant
l'Hoſtel de Ville le jour qu'on chanta
le Te- Deum. Je vous en ay mefme
envoyé le Deffein gravé; mais
quoy que je vous aye marqué de la
joye des Peuples , ce que j'apprens
tous les jours des témoignages qu'ils
en ont donnez , me fait voir queje
ne vous en ay parlé qu'imparfaitement.
On a allumé des Feux plus
d'une fois dans toutes nos Ruës . On
les commença dés le jour de la Publication
de cette Paix , quoy qu'ils
n'euffent point eſté ordonnez ; &
malgré la rigueur du temps qui n'eſtoit
pas entierement favorable à ces
fortes de divertiſſemens , on ne laifſa
pas en beaucoup d'endroits d'y
paffer
GALANT.
59
paſſer laplusgrande partie delanuit.
Vous jugez bien que le meſmes réjoüiſſances
ont eſté faites avec beaucoup
d'éclat dans toutes les Villes
des Etats . On nous apprend qu'elles
ont eſté extraordinaires ; mais
quelques grandes qu'on les ait veuës ,
elles n'ont pû eſtre proportionnées
à l'excés de la joyedes Peuples. Ils
ont ſujet d'en avoir une tres-fenfible
d'eſtre délivrez d'une guerredont
ils ſoûtenoient presque tout le faix ;
ce qu'ils n'ont pû faire ſans en avoir
eſté fort incommodez. Leur commerce
eſtoit interrompu ; & ceux
⚫ qui le faisoient pour eux depuis fort
longtemps , avoient lieu de ſouhaiter
que la Guerre ne finiſt point. Il
ſemble mefme qu'ils ne leur ayent
offert leur fecours qu'afin de lafaire
toûjours durer. Ileſt naturelde fonger
à ſes intereſts , mais on n'eſt pas
toûjours afſuré de venir à bout de
ſes entrepriſes , &depuis bien des Siecles
nous n'avons veu que Loürs
C6
LE
60 MERCURE
LE GRAND toûjours heureux
dans toutes les ſiennes . Mais comment
auroit-il pû manquer d'y reüffir,
puis que ſa juſtice& ſa prudence
ont toûjours égalé ſa conduite&
ſa valeur ? Les loüanges qui ſont
deuës à la bonté de ce Grand Prince
, n'ont pas eſté oubliées dans les
réjoüiſſances qui ont ſuivy à laHaye
la Publication de la Paix. Une partie
des Peuples des Villes voiſines y
eſt accouruë pour joindre ſes acclamations
à celles des Habitans de cetteVille.
Ainſi rien ne pouvoit eſtre
plus éclatant. Le bruit du Canon a
efté ſur tout fi continuel , qu'il a
fait mal à la teſte à pluſieurs Perſonnes
qui n'en recevoient aucune
incommodité dans le Camp. C'eſt
peut-eſtre à cauſe que le bruit qui
eſt renfermédans une Ville porteun
plus grand coup. Quelques Miniftres
qui réſident à la Haye de la
part des Princes qui font encor en
guerre , auroient bien voulu s'exemGALANT
. 61
xempter de faire allumer des Feux
devant leurs Hoſtels. Ily en eut mefme
quis'abſenterent dans ce deſſein ;
mais leur précaution fut inutile. Le
Peuple voulut voir des Feux par
tout; & ceux qu'ils avoient laiſſez
dans ces Hoſtels , furent obligez d'en
faire , & de contribuer aux témoignages
d'une joye que leurs Maiſtres
ne fentoient pas. On ne peut
rien ajoûter à ce que fit M'le Comte
d'Avaux dans ce rencontre. Il
traita unepartiedes Etats. Il fit couler
pluſieurs Fontaines de Vin devant
ſon Hoſtel , & les libéralitez
qu'il fit au Peuple égalerent ſes autres
magnificences. J'eſpere vous envoyer
un détail de tout ce que fit
cet Ambaſſadeur pendant ce jour
pour la gloire de ſon Maiſtre. Je
vous ay déja entretenuë de quelques
Feſtes galantes qu'il a données
à Nimegue , & vous m'en avez
paru ſi ſatisfaite , que j'ay lieu de
croire que vous ne le ferez pas
C7
moins
26 MERCURE
moins de celle-cy. Cependant auriezvous
crû qu'avant que la Paix euſt
eſté ſignée avec l'Eſpagne , on euſt
fait auſſi des Feux dejoye à Madrid ?
Je vous en voy chercher le ſujet .
Vous aurez de la peine à le trouver ,
&vous en auriez encor davantage à
croire qu'en vous l'apprenantje vous
appriſſe une verité , ſi je ne vous
affurois que la Gazete de Bruxelles
ena fait un de ſes Articles. Jevous
ay donné dans ma Lettre du dernier
Mois une fort ample Relation de ce
qui ſe paſſa le 14. d'Aouſt entre
l'Armée que commande Mr le Duc
de Luxembourg , & celle des Alliez .
Ils firent leurs derniers efforts pour
fecourir Mons , & ne pûrent executer
leur deſſein. C'eſt pour cela
qu'on a chanté le Te- Deum en Eſpagne.
Ce dehors ébloüit les Peuples.
On a crû par là leur perfuader que
Mons avoit eſté ſecouru . Comme
nous n'eſtions pas encor en paix avec
/ les Eſpagnols , nous n'avons pas
ſujet
GALANT . 63
ſujet de nous en plaindre. Ils ont
leur Politique dont ils ſe ſont toujours
affez bien trouvez. Leurs Peuples
font de croyance facile , & on
leur fait recevoir ſans peine ce qu'on
publieà leur avantage quand il s'eſt
paffé loin d'eux. Cette Nation ,
quoy que naturellement galante ,
ſpirituelle & politique , eſtant celle
de toute l'Europe qui aime le moins
àvoyager , ſçait rarement l'état des
Affaires au dehors , & la bonne
opinion qu'elle a d'elle-meſme luy
fait aisément croire ce qui la flate.
C'eſt par là qu'on a ſouvent debité
en Eſpagne des Relations de priſes
de Places par les Eſpagnols , & de
levées de Sieges par nos Armées ,
quoy qu'ils n'euſſent jamais attaqué
ces Places , & que nous nous fuffions
rendus maiſtres de celles dont ils
prétendoientnous avoir chaſſez . Ces
Relations ont eſté quelquefois accompagnées
de circonstances fi fortes ,
& de tant d'apparences de verité ,
que
1
64
MERCURE
que des François qui estoient dans
le Païs s'y ſont eux-meſmes laiſſez
tromper , malgré toutes les lumieres
quileur faifoient voir que ſelon l'état
des Affaires préſentes qu'ils ſçavoient,
il eſtoit impoſſible que les choſes
euffent tourné de la maniere qu'on
le publioit. Les Eſpagnols ne font
point à blâmer d'avoir recours à
l'adreſſe, pour maintenir leurs Etats
tranquilles. Ils fervent les Peuples
meſmes , en ce qu'ils ne leur donnent
point le chagrin d'eſtre inſtruits
d'un mal dont la connoiſſance en
attireroit peut-eſtre de plus grands
dans le coeur de leur Païs. La Paix
que le Roy leur donne , va mettre
leur Politique en repos. Elle a eſté
publiée dans une Saiſon de joye ,
celle des Vendanges eſtant pour beaucoup
de Gens une des plus agreables
de toute l'année. C'eſt là-deſſus
qu'on a fait les Vers que vous allez
voir. Ils ont eſté mis en Air par M
du Parc.
AIR
quu..
τηλι
e pour porται άντι
fon Affuſt , & qui pouffe juſqu'à
quaPag.
65
T
blir les Gazettes : Qu'on tes: De-
-lir les Gazettes : Qu'on ne me
tes : De-
T
u que du vin . vin . Deau
que du vin . vin. De-
DU PARC.
r. Ils ont eſté mis en Air par M
Parc.
AIR
GALANT. 65
AIR NOUVEAU.
Qu'on ne me parle plus d'Armes ny de
Défaites ,
Bacchus ſeul aujourd'huy doit remplir les
Gazetes ;
Depuis que par la Paix les Guerres ont pris fin,
Par tout on nefait rien de nouveau que duVin.
Laiffons-la les Courriers de Flandre & d'Allemagne,
Ne recevons que ceux de Beaune & de Champagne.
F'aime tout ce qui vient de ce climat divin ,
D'où l'on n'a porte rieu de nouveau que duVin.
Puiſſant Roy des Beuveurs , puis que tout eft
tranquile ,
Et qu'on est en repos aux Champs & dans la
Ville ,
Pour conferver laPaix , par ton pouvoir divin,
Fay qu'il n'arrive rien de nouveau que du Vin.
Je ne doute point , Madame ,
que vous ne vous ſouveniez du nom
de M' Jaugeon dontje vous ay parlé
dans quelqu'une de mes Lettres.
C'eſt luy qui a inventé un Mortier
qu'un ſeul Homme peut porter avec
fon Affuſt , & qui poufſſe juſqu'à
qua66
MERCURE
ر
quatre cens pas une douzaine de
Grenades tout-à-la-fois. Ila trouvé
depuis quelque temps une nouvelle
Pompe pour les Vaiſſeaux de Sa
Majesté , qui ne ſont ſujets ny à l'air
ny au vent , & qui font beaucoup
plus d'eau que les ordinaires , &
avec bien plus de facilité. L'épreuve
en fut faite dés l'année paſſée enpréſence
de Roy , & il y a trois mois
qu'elle fut reïterée avec beaucoup
de fuccés devant M' l'Intendant de
Breſt , & plufieurs Officiers de la
Marine. M' Sauvage en prit le ſoin ,
apres en avoir reçeu ledeffein de M
Jaugeon quelques jours avant qu'il
partiſt pour ſa Campagne deTabago .
Il luy laiſſa pluſieurs autres chofes
de ſon invention , dont les effets
ont fait connoiſtre les avantages .
Comme il n'y a perfonne qui ſoit
mieux inſtruit que luy dans toute
les Sciences utiles & agreables , qu'il
eſt tout de feu , & qu'il n'a point
de plus forte paſſion que celle de
tra-
A
GALANT... 67
travailler pour lagloirede ſonPrince.
Il a imaginé depuis ſept ouhuitmois
une eſpece de Monument le plus
beau & le plus auguſte qui ſe foit
veu dans toute l'Antiquité , il renfermerad'une
maniere admirable toutes
les Victoires , les Combats , &
les priſes de Villes , qui font appeller
leRegne de LoUIS LE GRAND
un Regne de Miracles & de Prodiges .
Ce Monument marquera ſans écriture
, l'année , le mois , & le jour
où chaque choſe fe fera paffée. Ony
verra dans leurs Figures naturelles
tous ceux qui auront eu part à ces
grandes Actions. Ce feront toutes
Figures Emblématiques , qui pafferont
le nombre de mille , & qui faiſant
connoiſtre les Maiſons de ceux
qu'elles repreſenteront , feront accompagnées
de tout ce qu'il y a de
plus beau dans l'Horlogerie , & de
tout ce qu'on peut faire de plus curieux
par le moyen de l'eau . Jugez ,
Madame , s'il peut y avoir rien de
plus
68 MERCURE
plus noble ny de plus digne de la
majeſté de noſtre Grand Roy , que
cette forte d'Edifice. Je nemanqueray
pas de vous en envoyer le Defſeingravé
avecune exacte explication
de tout ce que la Figure contiendra ,
fi- toſt qu'on voudra bien conſentir
qu'elle ſoit publique.
Vous me donnez bien delajoye ,
en m'apprenant que les agreables
Ouvrages que j'ay fait entrer dans
ma Lettre Extraordinairedu 14. de
ce Mois ont eſté de voſtre gouft.
Vous m'avoüerez qu'elle contient
des Réponſes tres-ſpirituelles à la
Queſtion galante. Je vous ay mandé
qu'il m'en eſtoit reſté quelques-unes .
Il faut ſatisfaire la curioſité que vous
avez de les voir. Celle qui fuit eſt
écrite avec méthode. Elle a un tour
particulier qui en rend le raiſonnement
perfuafif.
SUR
GALANT .
69
SUR LA QUESTION
propoſée dans l'Extraordinaire du
Quartier d'Avril , au ſujet de la
confidence que la Princeſſe deCleves
fait de ſa Paſſion à ſon Mary.
Ajugerſi l'action a deû estre faite, ou
non , par les fuites qu'elle a eues dans
l'affirmative (trouvez bon , Monfieur,
que je me ferve de ce terme pour abreger)
on devroit décider en faveur du pariy
contraire. La mort d'un auſſi honneste
Homme que le Prince de Cleves, la retraite
d'une Perfonne auſſi rare & auſſi
admirable que la Princeſſe , ſont des
évenement trop funestes , pour laißer lieu
de douter , que les causes qui peuvent
avoir de semblables effets , ne doivent
estre foigneusement évitées.
Aen juger par raport à l'esprit de
Madame de Cleves , & àſon inimitable
vertu , elle avoit lieu d'esperer que ſon
Mary recevroit comme une marque deſa
fidelité , plutoſt que de ſa foibleſſe , la
priere
70
MERCURE
priere qu'elle luy faisoit de ſouffrir qu'elle
s'éloignaſt de la Cour .
:
On peut faire deux Parties de la
Question , & confiderer fur chacune le
le bien & le mal qui en peut revenir.
Voyezfije m'y prens comme ilfaut.
Afe
taire
Lesinconveniens
font
Lesa
vanta-
1. Que l'on hazarde ſa vertu,
par les combats , fon repos.
2. Que l'on fournit à la paſſion
d'un Amant les occaſions de
s'accroiftre & de ſe rendre
deplus en plus agreable...
3. Qu'enfinle commerce s'établiffant
inſenſiblement , il
peut venir à éclater.
1. Vivre bien avec ſonMary.-
:
2. Conſerver ſa réputation de
Femme de vertu .
ges fe-5 3. Suivre un panchant le plus
ront.
doux du monde.
4. Ne s'expofer point au hazard
du jugement que peut faire
unMaryd'une pareille confidence,
GALANT .
71
Apar-
Ier.
Les inconveniens
feront
Les avantages
feront.
1. Se mettre mal avec un treshonneſte
Homme , & bon
Mary.
2. Perdre aupres de luy l'eſtime
de Femme de vertu .
3. Ex- unAmant
poſer ſoy-méme{
àſonjuſte
reffentiment.
1. Mettre en ſeûreté une vertu
fortement combatuë.
2. Prévenir les ſuitesd'un commerce
.
3. Donner à un bonMary un
rare témoignage de fidelité.
Si le dénombrement queje fais icy des
Articles à confulter n'est pas aſſez parfait
, &peut recevoir des additions qu'on
évite , il faut pourtant que toutse ra
porte aux Chefs que j'ay marquez.
Il nefuffit pas d'enviſager distinctement
tous ces inconveniens & ces avan
tages. Il faut encor raiſonner ſur deux
Pointsqu'on doit également apliquer aux
biens & aux maux ; je veux dire qu'il
fa
72
MERCURE
(
faut décider le plus précisement qu'il se
peut ,
Dequel coſté font les plus grands biens .
moindres maux.
De quel coſté ſe trouve la probabilité des uns
&des autres .
Il faut donc par une derniere Reflexion
chercher dans chaque party le plus
du certain , & de l'infaillible ; car un
grand bien , mais fort incertain & de
peu de durée, ou qui n'est un bien que
par accident, n'est pas tant à rechercher
qu'un moindre bien qui fera infaillible ,
indépendant , & qui ne pourra eſtre alteré;
& au contraire , on doit éviter un
grand mal & de longue durée , quoy
qu'incertain , par un mal infaillible qui
d'ailleurs seroit de peu de durée , & beaucoup
moindre enſoy&dans ſesſuites;
comme on évite , ſi nous en croyons les
Medecins, une maladie par une ſaignée
de précaution.
Il est feur que prenant le party dufilence
, une Femme s'expose à perdre le
plus grand de tous les biens ; puis qu'elle
baGALANT.
73
bazarde sa vertu , qu'elle doit préferer
àtoutes choses. La certitude de cette circonstance
est posée par l'état de la Question,
qui par là se décide preſque d'elle-me/me
du coſtédes inconveniens qu'il y peut avoir
àfetaire ; car ilsſont certains, engrand
nombre , les plus grands qu'on se puiſſe
imaginer , & ils feroientſans remede&
Sans fin pour une Femme de vertu telle
que la Princeffe de Cleves , qui n'a pû
Se conſoler d'avoirenſeulement la pensée
d'y pouvoir tomber , &qui s'en est voulu
punir toute sa vie , en refusant d'époufer
celuy qu'elle aimoit , quandelle l'a pû.
Les avantages que cette Femmepeut.
efperer de ce dangereux filence , ne font
pas d'une égale certitude , car ellenepeut
ſe répondre qu'en demeurant exposée à
voir souvent fon Amant , ellese rendra
fi bien maistreße deſa paſſion , qu'elle
épargneraà fon Mary la jalousie qu'elle
craint de luy donner en luyfaisant confidence
de ſes ſentimens. Ses regards parleront
en dépit d'elle. Le Marys'en appercevra.
Il examinera la conduite defa
Octobre. D Fem74
MERCURE
Femme; & comme les moindres choses
font ombrage à un jaloux , il lajugera
criminelle ſur de ſimples complaisances
de civilité. Ainsi tous les maux qu'elle
voit à craindre en parlant , font en quel.
que façon certains pour elle , en neparlant
pas ; puis qu'il eſt presque impoſſible
que la veuë&la continuation des foins
de fonAmant, n'augmentent sa paſſion,
&qu'elle n'ait enfin toutes les fâcheuſes
Suites qu'ont la plupart de celles de cette
nature. 3
Si nous examinons les maux qui peuvent
arriver de la confidence , nous n'en
trouverons point un plus grand que la
jalousie qu'elle peut donner au Mary ;
mais cette jalousie n'est point infaillible.
Il peut regarder les choses du bon coſté ,
&quand ilferoit inévitable qu'il devinst
jaloux , la conduite de cette Femme qui
n'entretiendra aucun commerce avec fon
Amant , qui n'entendra jamais parler
de luy , & qui laiſſera inſenſiblement
affoiblir l'amour qu'elle avoit pris malgré
elle, luy donnera un fi rare témoi
gnage
GALANT.
75
gnage de fidelité & de vertu , qu'il est
smpoſſible qu'il ne perde bien- toft les injustes
sentimens qu'il aura conceus , &
qu'il ne redouble fa tendreſſe pour une
Femme qui l'aurafi fortement convaincu
qu'elle ne veut vivre que pour luy.
Vousjugez-bien , Monfieur , que l'inconvenient
de rendre un Mary jaloux ,
Jans luy donner lieu de l'eſtre longtemps,
eftant beaucoup moindre pour une Fem
me , que celuy de hazarder fa vertu ,
dont la perte luy est presque infaillible ,
fi elle continue à voir un Amant aimé,
on doit conclureſur les Principes quej'ay
établis, que cette Femme est obligée à la
confidence. Adire vray , il est fi difficile
qu'on puiſſe prendre une forte paffion pour
un Amant , quand on a une parfaite
estime pour un Mary , que je suis persuadé
que peu de Femmes se rencontreront
dans Pembarras où Madame de Cleves
s'est trouvée. L'Autheur de fonHiſtoire
a eu le champ libre, pour luy donner
tous les degrez de vertu qui pouvoient
rendre compatibles des ſentimens ſi con-
D2 trai-
+
76 MERCURE
يل
traires. Rien ne peut estre ny plus finement
, ny plus délicatement traité ; &
quoy qu'il nous ait fait une Heroine ,
qui ne sera peut-estre jamais imitée de
perſonne, on ne laiſſe pas de luy estrefort
obligé de la charmante peinture qu'il
nous en a faite.
Je croy , Madame , quevous ſerez
du party de ceux qui ſe perfuadent
que les continuelles occafions
de voir le Ducde Nemours , ne pouvoient
eſtreque fort dangereuſes pour
la Princeſſe de Cleves. Quand le
coeur à eſté une fois atteint , il eſt
difficile de guérir d'une forte paſſion,
fi on n'a recours à la fuite. Les outrages
meſmequ'on reçoit , ſont rarement
capables de nous donner l'indiférencequenous
ſouhaitons , &on
fait cent réſolutions de ne plus aimer
ſans qu'on puiſſe en executer aucune.
C'eſt ce que le Madrigal qui
fuit nous apprend.
MAGALANT
.
77
MADRIGAL .
IL eſt dangereux quand on aime ,
De trop s'abandonner à ſon reſſentiment.
On jure en vain de n'eſtre plus Amant;
Le Coeur qui n'a jamais pris loy que de luymesme
,
S'embaraſſe peu d'un ferment.
Quoy que la Volonté promette
Contre un Objet remply d'appas ;
Quoy qu'elle luy prépare une haine indiscrete,
Ce Coeur ſouvent n'obeït pas.
Ces autres Vers vous feront connoiſtre
qu'on n'a jamais regardé la
neceſſité de cefferd'aimer, que comme
un fort grand ſuplice.
AUTRE MADRIGAL.
AH, qu'on est malheureux d'avoir eu des defirs,
D'avoir fait de l'Amour ſes plus charmans
plaisirs,
Quand il faut renoncer à l'ardeur qui nous
preffe!
On ne peut oublier ce qui nous a charmé.
On ne gouvernepas comme on veut la tendreſſe.
Heureux qui peut hair ce qu'il a bien aimé !
Il faut vous faire voir quelque
choſe de plus enjoüé.
D 3
SUR
78 MERCURE
SUR UN BAISER.
DEROBE' .
Quoy , pour vous avoir pris un baiſer enſecret ,
Vous me traitez de teméraire ?
Aupres de vous j'ay le nom d'indifcret ?
Ah voila bien dequoy vous tant mettre en
colere?
La faveur estant fi legere ,
Falloit-il me la refuser ?
Ouplutost ofez-vous vous plaindre davantage,
Quand pour la perte d'un baiſer
Mon coeur vous est resté pour gage ?
Je m'imaginois bien , Madame ,
que ſur la lecture de la Lettre qui
finit celle que je vous ay envoyée
extraordinairement depuis quinze
jours , vous me preſſeriez de vous
tenir parole touchant les deux autres
que je vous promettois. Il eſt juſte
de vous fatisfaire. Vous vous fouviendrez
qu'elles me font venuës de
Lyon. Je ne puis vous dire à qui
elles font adreſſées ; mais je ne hazarde
rien envous aſſurant quel'explication
de l'Enigme du Cadran
qu'elles contiennent , eft accompagnée
こ{
GALANT .
79
gnée de quantité de Remarques fort
curieuſes dont vous me ſcaurez bon
gré de vous avoir fait part.
LETTRE I.
A M. D. R.
Vous estes un étrange Homme. Vous
demandez les choses d'une maniere fi
absolue , qu'on ne vous peut refufer.
Sçavez- vous que pour trop demander ,
il en couſteſouvent , &quefije me mets
une fois en train de parler , vous n'en
Serez pas quitte à fi bon marché que
vous pensez ? Mais baste , si je vous
dérobe quelques momens , c'est voſtre
faute. Il y a deux jours que revenant de
chez Madame de T. nous parlames vous
& moy du Mercure. Je vous dis ma
penſeefur l'Enigme de la Statuë de Mem- .
non. Nous eusmes meſme une affez lonque
conversation , &je croyois en estre
quitte pour cela. Vous voulez , cependant,
que je vous marque ma pensée
dans les formes , & que j'y ajoûte ,
D4
dites80
MERCURE
dites- vous , quelques traits pour l'embellir.
On diroit à vous entendre parler,
qu'il feroit auſſi aisé de trouver de jolies
choses , qu'il me l'a eſté de deviner que
l'Enigme est la Cadran. Pour le premier
, il faut de cet Esprit que Mademoiselle
B. apelloit l'autre jour affez
plaiſamment de l'Eſprit Mercurialiſé ,
&ce n'est pas chez moy qu'on en trouve.
Pour l'autre , il ne faut ſouvent qu'un
peu de hazard ; mais foit hazard on
non , je croy avoir rencontré juſte, Memnon
estoit né dans ces Païs où le Soleil
ſemble ſe lever. Il estoit de l'extrémité
de l'Orient , c'estoit affez aux Poëtes
qui aimoient à couvrir l'Histoire mesme
de voiles ingénieux pour dire qu'il estoit
Fils de l'Aurore. Il eſtoit Prince des
Ethiopiens & des Egyptiens. Ces deux
Peuples estoient joints. Ils avoient les
mesmes Dieux , & presque les mesmes
Coûtumes. Les Ethiopiens s'estoient rendu
maistres de l'Egypte. Aimſi ceux qui
le font Ethiopien n'ont pas tort ; mais à
parler juste , il estoit Egyptien , & né
dans
L
GALANT . 81-
.
dans cette fameuse Thebes d'Egypte à cent
Portes , qu'on pouvoit appeller une Ville
de Miracles. Elle estoit presque toute
bastie en l'air. Jevous en pourroismander
cent jolies choses , mais elles ne font
pas de monsujet. Il me semble que c'est
avec affez de raison qu'on a cherché
l'Emblême du Cadran chez les Autheurs
de l'Aftrologie &des Mathematiques ,
&dans le Parentage de l'Aurore &du
Soleil. On voit cette Statuëde Memnon
àThebes dans le fameux Temple de Serapis.
Elle estoit de Marbre noir , tournée
du coſté du Soleil levant , &repre-
Sentoit unjeuneHomme qui ſembloit vouloir
ſe lever. L'Autheur de l'Enigme en
Figure ne nous l'a pas repreſentée dans
un Temple , mais dans une espece de
Fardin , aparemment pour garder davantage
lajuſteſſe de l'Enigme. Favoüe
que cette ſituation n'a pas peu contribué
àme la fairedeviner. Celieu champestre,
ces Arbres , &ces fleurs , ne marquent
pas mal que c'est d'ordinaire à la Campagne
&dans les Fardins qu'on éleve
D5
۱
82 MERCURE
&qu'on trouve les Cadrans. Vous ſçavez
quelle est leur utilité dans ces lieux
aimables , où l'on vit d'une manierefi
douce , &fi innocente ; où l'on respire
l'air tout pur où le Soleil luy-meſme
diſpenſe tous les biens ; & où l'on ne
connoiſt d'heures & de ſaiſons que celles
que marque ou sa lumiere , ou fon ombre.
Làces Cadrans rendant des réponſes
plus feûres que celles des anciens Oracles.
On les va confulter en foule. C'est ce
que reprefentent ces Gens quifont autour
de la Statuë. Tous les Oracles anciens
avoient leur nuit. Je veux dire qu'ils
ne parloient pas toûjours. Les Dieuxſe
plaifoient ſouventà ſe taire. Nul Oracle
n'eutpourtantjamais une destinéeſi changeante
que la Statuë de Memnon. Le
Soleil ſembloit luy donner la vie. La
Nuit la condamnoit au filence ; les Cadrans
ne parlent plus dés que le Soleil
ceße de les éclairer. Autrefois ils estoient
auſſi fréquens dans les Villes qu'ils le ſont
preſentement dans nos Fardins. C'estoit
Pornement des grandes Places. Le premier
GALANT.
. 83
mier que l'on ait fait, au moins enEurope
, fut dreſſe dans la Place publique
de Lacedémone. Athenes& Rome n'en
manquoient pas . On doit le premier qui
fut dreßé dans cette derniere Ville , au
Conful Messala , ou à Papirius Cursor.
On l'éleva en public proche de la Tribune
aux Harangues. C'eftoit où s'alloient
promener les Gens de loiſir. La
Colomne où il eſtoit dreſſsé mefaitſonger
au Piedestal fur lequel est posée la Statuë
de Memnon. Ne trouvez- vous pas
que cela s'accorde extrémement bien ?
vous sçavezqu'on a encor cette coûtume
de les élever sur quelque Base. Avant
que les Romains euſſent ce Cadran qui
fut conſtruit environ le temps de lapremiere
Guerre de Carthage, ils estoient
furieusement ignorans dans la diviſion
dujour. Ils en ſçavoient moins que nos
plus groffiers Paifans. Ils connoiſſoient
que le foir&le matin ; & ils crûrent
leur ſcience fort augmentée quand ony
joignit le midy. Un Crieur public ſe tenoit
au guet dans la lieu où l'on aſſembloit
4
D6 le
84 MERCURE
le Senat , & dés qu'il apercevoit le Soleil
entre la Tribune aux Harangues,
le lieu qu'ils apelloient Station des Grecs,
où s'arrestoient les Ambassadeurs qu'on
envoyoit au Senat , lors , dis -je , que le
Soleil estoit là , il s'écrivit à haute voix
qu'il estoit midy. Revenons à noſtre Enigme.
Prenez garde à toute la poſturedu
corps de la Statue , & vous verrez
qu'elle ne vient pas mal à un Cadran
au Soleil. Cette main avancée ſemble
dépeindre aßez naturellement l'Ombre.
Cette teste a aßez de l'air de l'aiguille ,
ou du style de Cadran que les Anciens
appelloient Gnomon. Au reſte leurs Cadrans
n'estoient pas tout à fait comme les
noftres. C'estoient des especes de Coquilles
ou des Plats -creux faits enfaçon de demy
cercles , marquez de lignes également diſtantes
, avec une espece de baston au
milien. Vous pouvez en avoir veu de
cette façon. Ce Globe qu'on a mis ſous
lę pied de la Statuën'estpasſans deſſein.
Vous avez pû remarquer qu'on en grave
quelquefois la figure proche de ces Cadrans,
GALANT. 85
drans , & on a coûtume de les joindre ,
aparemment parce que qui que ce soit
qui les ait inventez , on donne presque
toûjours le mesme Autheur au Globe
àl'Horloge Solaire. Il me vient quelque
choſe en pensée sur la Statuë de Memnon
que je pourray vous mander une
autre fois. En voila plus qu'iln'enfaut
pour aujourd'buy .
LETTRE II.
Quelques adoucißemens queleMercure
ydonne, la gloire d'estre Autheur n'est
pas sans poids. Ilfaut avoir les épaules
bien fortes pour la porter. N'y penſons
point , Monsieur. Foüiſſons ſans peine
du travaildes autres. Vous attendez auffibien
que moy avec une extréme impatience
, ce qu'on nous promet ſur les
Enigmes enfigure dans l'Extraordinaire
du Mois d'Octobre. Que nous y aprendrons
de jolies choses ! On n'écrit rien
à present qui ne soit extrémement rafiné.
Ces Enigmes valent bien la peine
D7 qu'on
86 MERCURE
qu'on travaille pour nous en découvrir
Porigine. Ce n'est pas la moindre invention
du Mercure. Fetrouve qu'elle vaut
presque celle des Hierogliphes des Egyptiens.
Qu'on apercevoit chez ces Peuples
de belles veritez pour peu qu'onfuſt initié
dans leurs miſteres! Nous n'y connoissons
presque plus rien , parce qu'on n'a pas
continué à ſe ſervir de ces Nuances
de ces Ombres pour embellir la verité.
Les Siecles ſuivans ont perdu la connoisſance
de leurs fecrets. Ne vous en étonnez
pas. Si nous faiſions preſentement
un Volume d'Enigmes en Figure , ſans
en mettre l'explication , noſtre Posterité
travailleroit longtemps avant que de la
trouver. Vous voyez mesme qu'à preſent
peu de Gens percentle nüage. Quand
je dis que nos Enigmes en Figure valent
presque les Hierogliphes , jene veux pas
dire qu'ils foient absolument la mesme
chose. Les nostres marquent par une
Fable, on par une autre action complete,
une feule chose , ou une seule idée de
noſtre Efprit. Les leurs envelopoient fou
vent
GALANT. 87
vent plusieurs myſterés sous un mesme -
voile. Un feul coup de crayon traçoit
differentes choses. Tout leur estoit bon ;
un Arbre , un Fleuve , un Animal.
Nos Enigmes font plus compoſez. Les
peintures en ſont moins ferrées , il ya
plus de perspectives & d'éloignemens.
Les Egyptiensfaisoient des leurs une chose
fort ferieuse. C'estoit presque leur maniere
d'écrire , de parler , de faire connoiſtre
leur pensée. Ils s'enſervoient mesme
pour les choses saintes . Nous n'en
faiſons qu'un jeu , de quelques momens
que nous ne poufferons pasjusqu'à nos
myſteres . Cependant je ne laiſſe pas d'y
trouver du raport. Ces Peuples s'enfont
Servis quelquefois par divertiſſement ; &
comme ils en empruntoient de tout , ils
n'ont pas laissé d'en avoir d'auſſi étenduës
que les nostres ; fur quoy jeremarque
en paſſant , que quelques Gens ont
définy les Hierogliphes , en disant que
c'estoient des Emblèmes des choſesſacrées.
L'origine du Mot qui est Grec , les
avoit aparemment trompez; & il ne
Se88
MERCURE
feroit pas difficile de faire voir que les
Egyptiens ne couvroient peut- este guére
moins de ces rideaux , les choses naturelles
ou artificielles , que les myſteres de
leur Religion. Sans aller chercher ailleurs,
prenons-en l'éxemple dans la Statue de
Memnon. Il m'est venu en pensée que
ce pouvoit estre un Hierogliphe. Vous
n'en croyriez peut- estre rien ; auſſi ne
voudrois-je pas vous répondre corpspour
corps de la verité de ce que je dis. Il
ſuffit d'y voir de la vray-ſemblance. Les
Egyptiens ne faisoient presque rien ſans
myſtere. Leurs Ceremonies , leursfaçons
d'agir , leurs Statues , marquoient prefque
toûjours quelque chose de caché. Je
Soupçonne que la Statuëde Memnon estoit
de ce nombre, &peut- estre ne devineroiton
pas mal de penser qu'elle representoit
'Horloge Solaire mesme. Vous direz
qu'elle n'avoit pas cette invention du temps
qu'on la dreßa , &qu' Anaximandre en
fut l'Inventeur : mais ne vous souvenez
vous point de ce que nous avons ditquelquefois
de la vanité de tous les Peuples à
fe
1
GALANT . 89
ſe vouloir attribuer la découverte des
choses ; fur tout de l'adreſſe des Grecs à
Je faire Autheurs de ce dont ſouvent ils
ne sont que les Copiſtes ? Par exemple ,
fivous en voulezcroire le meſme Laërce,
qui nous ditqu'Anaximandre est l' Inventeur
du Cadran , le ſage Thalés aura
le premier divisé l'Année en douze
Mois , &en trois cens ſoixante &
cinq jours. Cependant Foſephe attribuë
cette diviſion aux Hebreux avant le
Deluge , & les plus fidelles Ecrivains
prophanes la donnent constamment aux
Egyptiens. Thalés n'a donc esté l'Autheur
de cette distinction que dans l'Europe
tout au plus , &je croy la mesme
choſe de fon Compatriote Anaximandre
pour l'Horloge. Vous dire que j'ay pour
moy la diverſité des Autheurs qui ne
s'accordent pas à luy attribuer la découverte
des choses , & le silence de Vitruve
, qui dans une énumeration afſfez
exacte des Autheurs des Horloges ne parle
point du Milefien ; j'ay mesme leu en
quelque lieu que le Cadran de Lacedémone
१० MERCURE
mone qu'il conſtruiſit , avoit esté formé
àl'imitation de ceux des Babiloniens , ce
feroit trop dans une Lettre qui ne doit
pas estrefiſcavante. Ilvaut quelquefois
mieux relâcher de ses droits , & ne
convaincre pas les Gens , que de les
étourdir en affectant trop d'érudition.
Croyez-m'en donc fur ma bonne foy.
Vous pancherez peut-eftre auffi-bien que
moy , à croire que ces Philosophes de
Milet avoient puisé leurs connoiſſances
dans l'Egypte, lors que voussçaurez que
les Milefiens ont esté fameux fur Mer;
qu'ils avoient baſty pres de quatre- vingts
Villes fur divers Costes, une entre autres,
nommée Naucrate , dans l'Egypte , &
qu'ils alloient tous les jours dans ce Paîs
pour le Commerce. Je pourrois vous
parler icy de toutes les découvertes que
les Egyptiens ont faites dans l'Astronomie
, &dans les Mathematiques ; vous
dire qu'ils ont les premiers divisélesjours
en heures ; que le Mot d'heure est Egyptien
, & qu'il vient de celuy d'Horus ,
qui fignifie dans leur Langue le Soleil ;
Qu'ils
GALANT. 91
!
Qu'ils font les Inventeurs des Horloges
d'Eau , qui ſemblent avoir esté plus
dificiles à trouver que le Cadran';
qu'ainſi ily a quelque apparence qu'on
leur doit auſſi ce dernier. Mais pour
trancher court , quelqu'un avant moy
Pa donné formellement à leur Hermés
Trismegiste. C'est ce mesme Hermés quiờ
diviſa , dit- on , lejouren douze heurez,
&la maniere dont iltrouva cette diviſion
eft aßez plaisante pour mériter que je
vous la conte. Il prit garde qu'un certain
Animalconſacré à leur Dieu Serapis,
urinoit doure for por jour à distance
égale. Il trouva cette diviſion commode ,
&prit de là occaſion de partager lejour
en autant de differens espaces. Voila une
belle raison pour un auffi grand Philofophe
qu'on nous dépeint celuy- là ! Les
Egyptiens ne nous auroient- ils point icy ,
Selon leur coûtume , caché quelque verité
fous ce voile ? Perçons un peu la nüage.
Le Dieux Serapis est le Soleil; l'Animal
est l'Hierogliphe de l'Horloge ; &
la verité cachée est que ce grand Mathe92
MERCURE
thematicien trouva la proportion des Ombres
; marqua ſur le Cadran douze lignes
, & trouva cette diviſion commode
du jour en douze parties. Ce n'est pas
la premiere fois que les Egyptiensſeſont
Servis d'un Animalpourfigurer les Horloges.
Ils employoient le mesme , &dans
la mesme posture , pour representer les
Clepsidres ou Horloges d'Eau , dont
Ctefibius d'Alexandrie fut Inventeur .
Si cela ne vous suffit pas , faites encor
réflexion sur cecy . La Statuë de Memnon
estoit dans le Temple de Serapis ,
cest à dire , du Soleil Vous (cavez, la
coûtume des Anciens , de mettre dans
les Temples des Dieux la figure de ce
qui leur appartenoit , de leurs offices ,
de leur fuite. Le galant Ovide dans la
belle description qu'il nous a donnée du
Palais du Soleil chez , les Ethiopiens, n'a
pas manquéd'y placer les jours, les mois,
les années , les fiecles , & les heures ,
posées à distances égales. Le Temple de
Serapis ne manquoit pas de belles Figures
de toutes ces choses , &les Habitans
de
-
GALANT .
93
de la Ville de Thebes , qui estoient les
Autheurs de la diviſion de l'Année en
douze Mois , & de quantité de découvertes
de l'Astronomie , n'avoient garde
d'oublier d'y mettre des memoriaux
de leurs Inventions. Vous tirerez aifément
la conclusion que la Statuë de
Memnon y estoit auſſi tres à propos,
pour marquer le Cadran , auquel elle
Se raportoit fijuſte.
J'attens vos ſentimens ſur ces Lettres.
Je ne doute point qu'ils ne
foient conformes à ceux de quantitéde
Perſonnes tres-ſpirituelles qui
les ont leuës plus d'une fois , & qui
ont toûjours trouvé de juſtes ſujets
de les admirer. Cependant je paſſe
àl'Article d'ungrand Homme , dont
la meſure des jours eft remplie. Je
parle de Monfieur l'Eveſque de
Munſter en Allemagne, mort ledixneuviéme
du dernier Mois , dans
Bahus Chaſteau de ſon Eveſché. 11
eſtoit âgé de ſoixante & quatorze
ans ; & comme il a eu beaucoup de
part
94 MERCURE
part aux Affaires qui ont fait remuer
toute l'Europe , je me perfuade que
vous ne ferezpoint fâchée d'apprendre
fon Hiftoire en peu de mots.
Il s'appelloit Chriſtophe Bernard
deGalen. Sa Maiſon estoit une des
plus Nobles , & des plus confidérables
de la Westphalie. Elle tiroit fon
origine de la Livonie , &avoit produit
des Branches en Hollande , de
l'une deſquelles eſtoit forty leCommandeur
de Galen , qui ayant eſté
donné pour Chef à une forte Efcadre
de Vaiſſeaux Hollandois , batit
les Anglois aupres de Livorne. Cela
arriva en 1653. Il fut bleſfé à mort
dans ce Combat. L'Eveſque dont
je vous parle , ne fut pas plûtoft forty
des Etudes , qu'il voyagea ſelon
la coûtume dela Nation. Quelques
années apres , ilprit le partydesArmes
, & eut meſme un Régiment
au ſervice du feu Electeur de Cologne.
11 fit quelques Campagnes ,
& quita l'Armée à l'occaſion d'un
CaGALANT.
95
Canonicat de Munſter dont il fut
pourveu. Ileut enſuite la Prevofté ,
qui eſt la premiere Dignité de l'EgliſeCathedrale
, & ſceut ſi biengagner
les Eſprits , que l'Eveſché de
Munſter eftant venu à vaquer en
1650. par la mort de Ferdinand de
Bavieres, Archeveſque & Electeur
de Cologne , qui tenoit auſſi cet
Eveſché , il fut éleu Eveſque &Prince
de Munſter par le Chapitre , fur
la fin de cette meſme année , malgré
les oppoſitions de pluſieurs Prétendans
tres-conſidérables . D'abord
qu'il fut en poffeffeffion , il fit reparer
les lieux de ſon Dioceſe. La
Guerre qui avoit eſté longue en Allemagne
, les avoit mis dans un grand
defordre. Il fit auſſi rebaſtir diverſes
- Eglifes ruinées. Il ne vint pas ſi aifément
à bout de faire rétablir fon
Autorité dans la Ville de Munster.
Il y trouva des obſtacles , & ils furent
fi grands , qu'il fut obligé de
l'affieger en 1657. Ce Siege dura
deux
96 MERCURE
deux mois , & il n'auroit finy que
par ſa priſe , ſans leſecours que ceux
de la Ville firent venir de Hollande,
ſous le commandementdu Rhingrave.
Ce fut ce qui le fit conſentir
à l'accommodement qu'on luy propoſa.
LesHabitans de Munſter ſoufrirent
qu'il miſt une Garniſon de
huit cens Hommes dans leur Ville ;
mais comme ce n'eſtoit pas tout ce
qu'il demandoit , les choſes commencerent
de nouveau à ſe broüiller.
Il obtint de l'Empereur tous les
jugemens qu'il ſouhaita qui fuſſent
rendus en ſa faveur , & afſſiegea une
ſeconde fois cette meſme Ville. Elle
réſiſta quelque temps , mais elle ſe
vit tellement ſerrée de toutes parts ,
qu'enfin elle ſe trouvacontraintede
ſe rendre le 6. d'Aouſt 1661. Sitoſt
qu'il enfut le Maiſtre, ily mit
une bonne Garniſon , la rendit une
des plus fortes Places d'Allemagne ,
& y fit baſtir une Citadelle. Il fortifia
auſſi Coesfeld & Warendorp ,
&
GALANT . 97
&eut quelque démeſlé avec les Hollandois
au ſujet du Fort Deiler
dans la Friſé Orientale. En 1664.
il fut choiſy pour eftre un des Directeurs
de l'Armée de l'Empire contre
les Turcs. CetEmploy le fit aller
en Hongrie , où à peine il fut
arrivé , que l'Empereur arreſta la
Paix avec eux. Ainfi iln'eut aucune
occaſion de rien faire. Peude temps
apres , on le fit Adminiſtrateur de
labelle Abbaye de Correy ſur le Weſer
, qui eſt une petite Principauté,
& comme en 1665. il vit le Roy
d'Angletterre en guerreavec les Etats
des Provinces-Unies , il ſe ligua avec
luy contre eux , & entra avec une
petite Armée dans la Province de
Gueldres& dans la Tranſiſelane?H
y prit quelques Places , & fit affez
de peine aux Hollandois , juſqu'à ce
que leRoy ayant envoyé de bonnes
Troupes à leur ſecours , Mr de Pradel
qui les commandoit , reprit une
partie de ces Places , en forte que
Octobre .
E cet
1
98 MERCURE
cetEveſque fut obligé de faire la Paix
avec les Etats Generaux vers la fin
de l'année 1666. Il employa les deux
ſuivantes à faire entierement rebaſtir
l'Egliſe de ſon Abbaye de Correy ,
qui estoit preſque toute ruinée par
les Guerres- 11 n'épargna rien pour
la rendre magnifique , & en 1671 .
il obligea le Duc de Brunſvicde luy
ceder la Ville de Heuxter dont il
s'eſtoit emparé, & qui dépendde cette
meſme Abbaye. En 1672. il ſe
déclara contre les Hollandois , qui
luy retenoient la Seigneurie de
Borculo, dépendante de ſon Eveſché;
& ayant joint ſon Armée avec un
Détachement de celle du Roy , il
prit les Villes de Doëticum , de
Lochem , & de Grol , dans le Duché
de Gueldres. En fuite il mit le Siege
devant la Ville de Deventer , Capitale
de la Province de Tranſiſelane.
Ce Siege luy acquit beaucoup
degloire. Il ſe rendit maiſtre de la
Place, ainſi que de Zwol, de Campen,
GALANT.
99
1
!
1
pen , de Haffelt , & de la Fortereffe
de Coeverden, ce qui le mit
en poffeffion de toute cette Province.
Il s'empara encor de pluſieurs
Places dans la Friſe , & affiegea
fortement la Ville de Groningue .
Il la preſſa pendant deux mois tous
entiers , & fut enfin obligéde lever
le Siege , par la vigoureuſe reſiſtance
du fameux Rabenhaupt quiy commandoit
, & qui recevoit tous les
jours de nouveaux renforts par le
coſté que les Ennemis avoientinondé.
La priſe de pluſieurs Forts en
ces quartiers-là , le récompenſa de
cette diſgrace. Sur la fin de l'année ,
il prit deux Places au Comté de la
Mark ſur l'Electeur de Brandebourg ;
& au commencement de 1673. il
adjoûta à ces diverſes conqueſtes tout
le Comté de Ravensberg , appartenant
à cet Electeur qui venoit ſecou-
| rir les Hollandois. Il ne le rendit
qu'apres qu'il eut prisla Neutralité.
La conſpiration du nommé Kett qui
E2 vou100
MERCURE
vouloit livrer la Ville de Munſter à
fes Ennemis , ayant eſté découverte,
il le fit punir , & pourſuivit la
guerre contre les Provinces Unies
avec affez de fuccés tout le reſtede
cette année. Les Armées de l'Empereur
l'obligerent de faire la Paix
avec lesEtats en 1674. Il ſe vitmefme
engagé d'entrer l'année ſuivante
dans ſon Alliance contre les
Suedois, ſur leſquels il prit quelques
Places du Duché de Bremen& de la
Principauté de Verden, qui estoient
à eux. En 1676. il aida à prendre
la Ville de Staden au meſme Duché ,
& ne voulut point depuis accorder
aucun ſecours au Roy de Dannemarc
, qu'aux conditions de la cefſion
qu'il luy avoit faite de ce qui
luy appartenoit de ſa conqueſte dans
ce Duché de Bremen. Son deffein
eſtoit de l'unir à ſon Eveſché ; &
comme il avoir toûjours bon nombre
de Troupes & de fortes Places ,
& qu'il eſtoit extrémement agiſſant
& riGALANT
. ΙΟΙ
& riche , il ſe faiſoit craindre de
ſes Voiſins , ayant toûjours eſté en
action ou par foy , ou par ſes armes ,
juſqu'à ſa derniere maladie qui dura
fort peu de jours. Il mourut avec
beaucoup de réſignation , laiſſant
pour fon Succeſſeur à l'Eveſché de
Munster , Monfieur l'Evefque de
- Paderborn , qui en avoit eſté éleu
Coadjuteur il y a onze ans . Comme
= il paſſe pour un des grands Hommes
de noſtre Siecle , vous vous
- plaindriez de moy , fi je négligeois
de vous - le faire connoiftre.
Il s'appelle Ferdinand de Furſtemberg
, & deſcend de la Maiſon
deslibres Barons de ce nom au Duché
de Westphalie. Il y eut le Siecle dernier
un Grand- Maiſtre de l'Ordre
Teutonique en Livonie de cette
Maiſon. Son grand Oncle Theodore
de Furſtemberg fut éleu en
1585. Evefque de Paderborn , &
poſſeda cet Eveſchéjuſqu'à ſa mort ,
qui arriva en 1618. Celuy dont je
E 3 vous
102 MERCURE
vous parle nâquit à Bilſtein le 21 .
d'Octobre 1626. Il fit ſes études à
Cologne , où il liaune étroité amitié
avecM Chigi Eveſque de Nardo,
qui y estoit alors Nonce Apoftolique,
&qui le fut depuis à Munſter.
L'application qu'il avoit pour les belles
Lettres & pour la Poëfie Latine ,
luyacquit labienveillance decePrélat
, qui eſtantde retour à Rome , &
y ayant eſté fait Cardinal en 1652 .
attira auſſitoſt Mº de Furſtemberg
aupres de luy. Ce Cardinal luydonna
beaucoupdemarques de fon eſtime,
&il les confirma, en le faiſant un
de ſes Cameriers ſecrets apres qu'il
eut eſté élevé au Pontificat en 1655 .
ſous le Nom d'Alexandre VII. Ille
pourveut en ſuite des Canonicats des
Egliſes Cathédrales de Hildesheim ,
dePaderborn , & de Munſter ; apres
quoy l'Eveſché de Paderborn eſtant
demeuré vacant parla mortdeTheodore-
Adolphe de Reck le 31. de
Janvier 1661. le Chapitre , à la re-
: comGALANT.
103
commandation du Pape, éleut M
de Furſtemberg pour fon Succeſſeur.
Il eſtoit alors à Rome , où ayant eu
ſes Bulles , il fut ſacré le 6. de Juin
par M' le Cardinal Roſpigliofi , qui
a eſté depuis le Pape Clement IX .
Il ſe rendit à ſon Eveſché quatre
mois apres , & y fut reconnu avec
de grandes acclamations pour Evefque&
Prince de Paderborn. Depuis
cetemps-là , ila donné tous ſes ſoins
au bien de ſon Dioceſe , où ila fait
quantité de reparations tres-neceſſai
res. Ses belles qualitez , & ſa prudente&
judicieuſe conduite , luy attirerent
une admiration ſi genérale ,
que feu M' l'Eveſque de Munſter ,
qui connoiſſoit particulierement fon
mérite , s'employa de tout fon pou
voir à le faire élire pour fon Coad
juteur par fon Chapitre , quoy qu'il
ne fuft ny fon Parent ny fon Allié.
Les obstacles que cette Affaire res
çeut du côté de quelques Perſonnes
puiſſantes , ne l'empeſcherent point
E 4
de
104
MERCURE
de réüſſir. Cette Dignité de Coadjuteur
de Munſter luy futdonnée le
19. de Juillet 1667. & il en eut
les Bulles à Rome le 30. d'Avril
1668. Dans ce meſme temps il aſſura
encor à ſon Eveſché de Paderborn
la Ville de Lugde , & la future Succeffion
au Comté de Pirmont. Ces
ſoins ne l'ont pas empefché dans ſes
heures de loiſir des'appliquer à tout
ce qui regarde les Sciences. Outre
les doctes Ouvrages qu'il a donnez
au Public , & le beau Livre des Monumens
de Paderborn , ſi eſtimé de
tous les Scavans , ila fait tant de libéralitez
à la plus grande partie des
Gens de Lettres , qu'ilpaſſe par tout
pour leurMécenas. Auſſi eſt-ceavec
une grande joye qu'on le voit aujourd'huy
Evefque & Prince de
Munster. Cet Eveſché eſt un des
plus riches de l'Allemagne , & il le
poffedera avec ce luy de Paderborn ,
en vertu du Bref de compatibilité
qu'il en a du Pape. Je vous ay déja
dit
GALANT.
105
dit qu'il eſt d'unedes meilleures Maifons
de tout le Païs. Il a pluſieurs
Freres , dont l'aifné eſt Chanoine
de Mayence& de Spire. Celuy qui
eſtoit marié, avoit épousé une Niéce
des Electeurs de Mayence &de Tréves
, de la Maiſon de Leyen. Il en a
deux autres , dont l'un eſt Prevoſt
de Munſter , & Chanoine de Saltzbourg
, de Paderborn &de Liege, &
le dernier , Chanoine de Paderborn,
de Hildesheim , & de Munſter .
En vous donnant la Relation du
Siege d'Ypres , il me ſouvient de
vous avoir parlé d'un Capucin qui
ayant eſté autrefois Mouſquetaire ,
en a conſervé l'intrépidité. Je vous
appris alors qu'il fut undes premiers
qui entra dans la Contreſcarpe , &
que l'ardeur de donner des marques
de ſa charité à ceux qui pouvoient
avoir beſoin de ſon ſecours , le fit
toûjours courir aux endroits lesplus
perilleux. Il s'appelle le Pere de
Bellemont ; & comme ſon zele pour
E5
le
106 MERCURE
le ſervice duRoy&pour le ſalut des
Mourans , s'eſt particulierement fignalé
dans l'occaſion du Combat de
Mons , il eſt bon que je vous en
inſtruiſe. Ce Pere qui ne cherchoit
qu'à ſe rendre utile aux malheureux,
s'eſtant meſlé parmy ler Bataillons
ſans ſe ſoucier de la vie , affiſtoit
indifferemment toute forte de Blefſez
qu'il retiroit de la foule des Combatans
, afin qu'ils ne leur ferviſſent
pas de marche pied. Une ardeur ſi
charitable , fit qu'inſenſiblement de
Mourant en Mourant il paſſa jufqu'aux
Ennemis , qui recevoient de
luy la meſme aſſiſtance qu'il donnoit
aux Noftres . Il fut reconnu , &
mené à Mº de Villa-Hermoſa , qui
ordonna incontinent qu'on le tinſt
priſonnier dans ſon vieux Carroſſe.
La crainte qu'il eut que ce Pere ne
portaſt la veuë ſur le deſordre de
fon Camp , & qu'il n'en informaſt
M' le Duc de Luxembourg , l'obligea
d'ajoûterà cet ordre celuy d'aba
GALANT. 107
batre les deux Portieres. Il ne voulut
pas mefme le confierà ſes Soldats. 11
choiſit deux de ſes Gardes pour luy
répondre de ſa Perſonne. Ils s'enfermerent
avec luy dans le Carroſſe , &
l'un d'eux pour ſe mieux aſſurer de
ce dépoſt , appuya fa teſte ſur ſa
Robe qu'il tenoit encor d'une main.
Mais cette précaution fut inutile.
Ces Gardes qui estoient ſans doute
fatiguez du Combat dont iln'y avoit
que quelques heures qu'on eſtoit
forty , ſe trouverent bien-toſt accablez
d'un profond ſommeil. Le
Pere de Bellemont qui n'avoit aucune
envie de dormir , crut qu'il devoit
profiter de leur repos. Il ſe defit
de fon Manteaudont il fit une eſpece
d'oreiller , & retirant fort doucement
la teſte du Garde qui s'eſtoit
endormy ſur ſes genoux , il la mit
fur ce Manteau préparé. L'adreſſe
ne luy manqua pas pour lever une
portiere , &s'échaper de cette Priſon.
Son bonheur voulut qu'on avoit at
E6 ta108
ERCURE
taché au Carroſſe le plus beau & le
meilleur Cheval de main de Mr de
Villa-Hermofa. Il ne balança point
à le détacher , & ayant apperçeu un
Valet de M l'Abbé de Bellemont
fon Frere , qui luy avoit eſtédonné
pour le fervir , & qui ayant eſté fait
prifonnier avec luy , n'eſtoit pas plus
foigneuſement gardé que quelques
autres dont on n'apprehendoit rien ,
il le fit avancer deux ou trois cens
pas devant luy avec ordre de l'attendre.
Cependant le Pere qui menoit
le Cheval par le licol , n'ayant pas
eu le temps de prendre la bride, ſe
faifoit faire paſſage parmy les Dragons
qui ne penſoient pas qu'il fuft
Aumonier François. Il monte fur
le Cheval , luy met le licol dans la
bouche en forme de bride , atteint
le Valet , le fait mettre en croupe
derriere luy , prend fon Chapeau
qu'il met ſur fa teſte , fait couvrir
celle du Valet avec un mouchoir
pour faire la figure d'un Soldat bleſſé,
paffe
GALANT.
109
paffe librement dans cet équipage ,
&comme la Carte du Païs luy eſtoit
connuë , il tourne vers l'Armée de
Mª de Luxembourg avec toute la
diligence poffible. Il arrive auQuartier
de la grande Garde des Ennemis
qu'il croit eſtre noſtre Avantgarde.
On vient à luy. On luy demande
, Qui vive ? Il s'approche toûjours
en répondant , Bons Amis. Les
Ennemis qui vouloient un langage
plus fignificatif, continüent à luy
demanderQui vive ? Il répond enfin ,
Vive France , ne doutant point qu'il
ne fuſt parmy nos François. Ces
Paroles le font connoiſtre pour Ennemy.
On le preffe pour le prendre.
Le Valet épouvanté ſe laiſſe couler
du Cheval en bas , ſe ſauve dans les
Bois , & regagne heureuſement noſtre
Camp. Le Pere qui ſe voit ſeul,
donne un coup de foüet au Cheval,
&le met par là dans une telle fureur
qu'il force les Ennemis à luy faire
place. Ils luy déchargent plus de
E 7 deux
110 ERCURE
deux cens coups de Mousqueton ,
ſe voyant dans l'impuiſſance de l'arrefter
, (le Cheval en reçeut deux
fous le ventre. ) Dans le meſme temps
un Officier luy coupe chemin , luy
porte un coup de Piſtolet à brûlepourpoint
ſans le toucher, &le pourſuivantdepres
, le prend par ſa corde.
L'adreſſe du Pere de Bellemont l'empeſche
de profiter de cet avantage.
Il détache ſa corde qui demeure entre
les mains de cet Officier , &
pouſſe en meſme temps ſon Cheval
d'une maniere ſi vigoureuſe , que
mocquant de ſapourſuite, ilſerend
en noſtre Camp , où l'on commençoitàcroire
qu'il avoit eſté tué. On
luy conſeilloit de garder le Cheval
qui estoit tres-beau , mais il répondit
qu'il eſtoit d'un Ordre qui luy permettoit
d'emprunter les choſes dans
le beſoin , mais qui l'obligeoit de les
rendre en ſuite fort civilement. En
effet il renvoya le Cheval par un
Trompete avec une Lettre de remerGALANT.
111
mercîment à Mª de Villa-Hermofa.
Elle finiffoit par des excuſes , de ce
que l'ardeur qu'il avoit de ſervir le
Roy, de ſe rendre aupres de la Perfonne
de M' le Comte du Pleſſfis
Praflin , Lieutenant General , qui
s'expoſoit dans tous les périls , & de
continuer ſes ſoins charitables aux
Bleffez , l'avoit obligé de tirer avantage
du ſommeil de ſes Gardes qui
eſtoient fort inocens de ſa fuite.
On m'a averty de quelques fautes,
où la mauvaiſe écriture m'a fait encor
tomber pour les noms propres
dans ma Lettre du dernier Mois .
J'ay mis les Bataillons de Longis ,
&de Legnerant , au lieu de Congis
& de Seguiran . Ce dernier prenoit
les ordres de M' le Chevalier de Seguiran
Capitaine aux Gardes , à la
confiderationduquel je vous aydéja
dit que le Roy avoit accordé fon
agréement pour la démiſſion de la
Charge de Premier Préſident en la
Cour des Comptes , Aydes , & Fi
nan112
MERCURE
nances de Provence, faite ſous le
bon plaifir de Sa Majefté à M. de
Seguiran Abbé de Guittres , Frere
du dernier Premier Préſident qui la
poffedoit. Les ſervices que ceux de
cette Maiſon ont rendus , ont toujours
eſté ſi agréables , que quand
il eut l'honneur d'eſtre preſenté au
Roy pour le remercier de la grace
qu'il avoit eu la bonté de luy accorder
, & pour l'aſſurer de ſa fidelité
& de fon zele , Sa Majesté répondit
qu'elle ne doutoit point qu'il
ne s'acquitaſt auſſi dignement de ſa
Charge , qu'avoient fait tous les autres
de ſa Famille , & particulierement
quand il s'agiroit de ſon ſervice.
Dans l'Article du Régiment
Lyonnois qui s'eſt fi fort diftingué
à Mons , je vous ay dit que M' de
la Tuillerie , qu'il faut appeller de
la Tuilliere , Capitaine de ce Régiment
, avoit eſté tué , & M' Martinet
bleffé. C'eſt tout le contraire.
Il en à couſté la vie à Mr Martinet
,
GALANT . 113
e
e
e
1
Province. 11 a donne des marques
du ſienparpluſieurs Ouvrages , dont
il a fait part au Public..
AIR NOUVEAU.
SI pour avoir veu ſeulement
Le Portrait d'un Objet aimable ,

1
Mon
112 MERCURE
3
Si pourobjet
T
ment , Du cru- , IT
ble , Quand je Origi
Octobre.
Lyonnois qui s'elt 11 fort aitingue
à Mons , je vous ay dit que M' de
la Tuillerie , qu'il faut appeller de
la Tuilliere , Capitaine de ce Régiment
, avoit eſté tué , & M' Martinet
bleffé. C'eſt tout le contraire.
Il en à couſté la vie à M² Marti-
:
net ,
A
GALANT.
113
net , & M² de la Tuilliere en a eſté
quitte pourde tres -grandes bleffures.
Au lieu de Mr le Chevalier de Gonnery
, qui a eu les deux cuiffes percées
dans cette Action , il faut lire
M'le Chevalier de Genotines . Ceux
qui envoyent des Mémoires écriront
mieux les noms propres , quand il
leur plaira.
L'Air nouveau que vous allez
voir , eſt de la compoſition d'un excellent
Muſicien de la Cathedrale
de Montpellier. Les Paroles font de
M' Lauffel , Avocat en la Cour des
Aydes de la meſme Ville. Son mérite&
fon génie aifé & naturel pour
la Poëfie , ſont connus de tout ce
qu'il y a de Gens d'efprit dans la
Province. Il a donné des marques
du ſienpar pluſieurs Ouvrages , dont
il a fait part au Public.
AIR NOUVEAU.
SI pour avoir veu feulement
Le Portrait d'un Objet aimable,

Mon
114 MERCURE
Mon coeurſoûpireà tout moment
Du cruel tourment qui l'accable ;
Fugez , Iris , par tant de mal ,
Si je dois estre miserable ,
Quand j'auray veu l'Original.
La penſée de cette Chanſon peut
n'eſtre qu'une imagination du Poё-
te; mais cequeje vous vay apprendre
vous feraconnoiſtre qu'une belle
Copie fait quelquefois de fortes impreffions
, quand on ſçait que l'Original
eſt effectif. UnGentilhomme
de Province établydepuis longtemps
à la Cour , y avoit acquis tout ce
que le commerce du beau monde
peut donner de mérite à une Perſonne
qui ne néglige rien pour en profiter.
Son Pere mortdepuis fort longtemps
, luy avoit laiſſé avec un autre
Gentilhomme de ſes voiſins , un
de ces fortes de Procés qui ſemblent
eſtre immortels dans les Familles.
Quoyque ſes prétentions fuſſent plus
juſtes que celles de ſa Partie , les
plaiſirs de la Cour , & l'averſion natuGALANT.
115
turelle qu'il avoit pour la chicane ,
l'obligeoient à ſerepoſer ſur un Procureurdes
pourſuites de ſonAffaire.
Le Procureur qui n'eſtoit pas fâché
de la voir durer , faiſoit ces pourſuites
affez lentement , & avoit meſmeveu
mourir leGentilhomme contre
qui leProcés eſtoit intenté , ſans
en tirer aucun avantage. Cependant
le Cavalier qui s'inquiétoit peu du
retardement de ſes diligences , menoit
toûjoursune vie fort douce. Il
eſtoit de toutes les Parties agreables,
& ily avoit peu de Belles à qui il
n'eft conté des douceurs , ſans que
ſon coeur ſe fuſt encor attaché. Ily
aun monent fatal pour tout le monde.
Le ſien arriva. Il luy prit un
jour envie d'aller voir des Tableaux
chez un fameux Peintre. C'eſtoit
fon charme. Il en vit pluſieurs qui
luy plûrent fort , & il fut particulierement
touché d'une Diane habillée
en Chaſſereffe. Il ſembloit que
l'idée du Peintre ſe fuſt épuiſée à
ra116
MERCURI
ramaſſer dans un ſeul viſage toutes
les beautez qui peuvent le rendre
parfait. Il n'avoit jamais rien veu de
plus animé. Tout parloit dans cette
merveilleuſe Diane. Le Cavalier l'admira
, & la regardant comme un
Tableau qui avoit eſté fait à plaiſir ,
il demanda au Peintreà quel prix il
conſentiroità s'en défaire. Jugez de
ſa ſurpriſe quand le Peintre luy eut
dit que c'eſtoit un Portrait fait d'apres
nature , dont il n'avoit pas le
pouvoir de diſpoſer. Vous croyez
bien qu'il ne manqua pas dedemander
s'il eſtoit poſſible que l'Original
approchaſt de tant de beautez . On
luy répondit que s'il avoit veu l'aimable
Perſonne que repreſentoit cette
peinture , il avoüeroit que la régularité
& la délicateſſe de ſes traits
eſtoient au deſſus de toute l'adreſſe
du Pinceau. On adjouſta qu'elle
eſtoit de Province , & Fille d'une
Dame veuve que quelques affaires
avoient amenée depuis un mois à
Paris.
GALANT .
117
1
Paris. Le Cavalier acheta quelques
Tableaux , & fortit fans s'informer
de riendavantage. Les choſes n'auroient
pas eſté plus loin , ſi (comme
je l'ay déja dit) l'inſtant fatal qui
ſemble eſtre marqué pour tout le
monde, n'euſt eſté venu pour luy.
Il refva à cette belle Perfonne ; &
comme il n'avoit jamais rien veu de
ſi parfait qu'elle , il y reſva ſi puifſamment
pendant quelques jours ,
qu'il ne pût reſiſter à l'impatienteardeur
de la voir. Il retourna chez le
Peintre , demanda fon nom, & eut
un nouveau ſujet de ſurpriſe quand
ce nom luy fit connoiſtre qu'elle
eſtoit Fille de fon Ennemy. Les
grands Procés rendent ordinairement
les Parties irréconciliables & celuy
dont il s'agiſſoit eſtoit affez d'importance
pour avoir diviſé depuis
longtemps la Famille du Cavalier ,
& celle de l'aimable Perſonne dont
je vous parle. Sa Mere qui l'avoit
amenée exprés avec elle , attendoit
de
118 MERCURE
de ſa beauté de fortes ſollicitations
aupres de ſesJuges , & fur cette confiance
elle s'eſtoit réſoluë à ſortird'affaires
. Le Cavalier ſe trouva fort embaraffé.
Dans l'état où eſtoient les
choſes , il n'y avoitpas lieude chercher
à rendre viſite à la Mere, fans
vouloit parler d'accommodement.
La juſtice qui estoit de ſon coſté ,
ne ſoufroit pas qu'il fiſt une fi deſavantageuſe
démarche. La voir par
rencontre , ce n'eſtoit rien faire pour
luy. Son nom qu'il luy auroit eſté
facile d'apprendre , luy auroitpeuteſtre
fait quitter la place , & il euſt
eſté bien-aiſe de ne ſe pas faire connoiſtre
d'abord comme Ennemy.
Apres mille penſées diférentes , rien
ne luyparut plus à propos qu'un déguiſement
qu'il ſe réſolut de hazarder.
Les chaleurs ont eſté exceſſives
l'Eté dernier , & chacun ſcait combien
elles ont rendu les Bains fréquens
. Le Cavalier qui s'informe
avec ſoin de laBelle , apprend qu'elle
ALANT . 119
le les alloit prendre tous les jours
dans la Riviere avec ſa Mere , &
quelques Amies . L'argent qu'ildonneà
un de ces ruſtiques Bateliers qui
ont des Tentes commodes pour cette
forte de Bains , l'oblige à l'aſſocier
avec luy. Il prend l'habit d'un
Bon-homme qu'il paye largement ,
& n'attend pas longtemps dans cet
équipage ſans voir arriver la Belle.
Il la portoit peinte dans ſon coeur ,
& quand il n'en auroit pas veu le
Portrait , c'eſtoit unebeauté ſi achevée,
qu'il euſt eſté difficile qu'il s'y
fuſt mépris. Il la voit , il en eſt
charmé. Elle ſe meſle dans une converſation
qui ſe fait dans le Bateau ,
& tout ce qu'il luy entend dire luy
paroiſt ſi ſpirituel & fi fin , que de
ſonEnnemy involontaire, il devient
ſon plus paſſionné Adorateur. Il la
baigne une ſeconde fois , & elle ſe
trouve régalée lors qu'elle s'y attend
le moins. Elle est à peine dans l'eau ,
qu'une agreable Symphonie de Violons
,
120 MERCURE
lons , & de Hautbois ſe fait entendre.
Elle fort du Bain , & voitdans
le Bateau une magnifique Collation ,
où les Fruits , les Confiturcs , & les
Liqueurs font en abondance. La
Fleur d'Orange eſt ſemée par tout ,
& il ne ſe peut rien de plus propre .
C'eſtoit un Bateau tout preparé, dont
le Cavalier avoit fait faire l'échange
avec celuy que ſon faux habit
luy permettoit de conduire. Il ne
luy avoit pas eſté difficile d'en venir
à bout pendant que les Dames
eſtoient dans l'eau. Elles ſe regardent
, admirent la magnificence du
Régal , loüent à l'envy la galanteriede
celuy qui le donne , ſans s'imaginer
en eſtre entenduës , & luy demandent
à luy-meſme à qui elles doivent
une Feſte ſi bien ordonnée. Il
affecte de répondre groſſierement ,
parle peu pour ne pas faire remarquer
qu'il ſçait un autre langage ;
& fur ce qu'il affure qu'il ne connoiſt
point lesGens qui ont fait mettre
GALANT. 121
tre la Collation dans ſon Bateau , il
entend qu'on en fait honneur à un
jeune Marquis qui rendoit des ſoins
à la Belle. Ce Marquis qui joüoit
chez elle quelquefois , y va le foir
meſme. On luy parle du Régal. II
en eſt ſurpris , & plus on luy dit
que ce qu'il a fait paffe le galant ,
moins il comprend ce qu'on luy veut
dire. Son ingenuité à ſe defendre
fort ſerieuſement d'une choſe qui ne
luy pouvoit eſtre qu'avantageuſe ,
perfuade qu'il n'y a aucune part. Embarras
nouveau pour les Dames. Elles
retournent au Bain. Autre Feſte
auſſi galante que la premiere. Le faux
Batelier toûjours plus charmé , n'oublie
rien pour prevenirfavorablement
la Belle, ſur la connoiſſance qu'il
luy doit donner de ce qu'il eſt. II
s'entend loüer ſans qu'on ſcache que
c'eſt luy qu'on loüe; & apres cinq
ou fix jours de Feſte , on le preſſe ſi
fortement pour l'obliger d'en nommer
l'Autheur , qu'enfin il s'engage
Octobre . F àle
122 MERCURE
à le mener le lendemain chez la Dame
, ſi on veut bien conſentir à le
recevoir. Les Dames aſſurent toutes
qu'on le verra avec joye, & fur
quelques autresqueſtions , ellescommencent
à s'appercevoir que le Batelier
a trop d'eſprit pour n'eſtre pas
autre choſe que ce qu'il paroiſt. Jugez
de l'impatience de voir arriver
l'heure où elles doivent eſtre éclaircies
de tout. Elles félicitent la Belle
de l'Amant que ſes charmes luy ont
donné , & ne peuvent que lecroire
tres-digne d'elle , apres une ſi longue
ſuite de galanteries. Le lendemain
le Cavalier prend un habit des
plus magnifiques , inftruit ſes Gens
de ce qu'ils doivent répondre à tout
ce qu'on leur pourra demander , &
avec cet air qui ſemble eſtre particulier
auxGensde Cour, il va chez
la Dame , où la Belle nel'attendoit
pas moins impatiemment que ſes
Amies. Il avoit eſté trop examiné
la derniere fois pour n'eſtre pas reconGALANT
.
123
connu d'abord pour le Batelier. On
s'écrie ſur cettemétamorphofe. Il en
fait le ſujet de ſon compliment , &
dit des choſes ſi pleines d'eſprit à la
Belle , qu'elle commencedés cemoment
à s'applaudir de cette conqueſte.
La Dame le prie de ne luy pas
cacher plus longtemps à qui elle parle.
La crainte d'avoirpartà l'inimitié
que leur Procés a miſe entre leurs
Familles , luy fait emprunter le nom
d'un de ſes particuliers Amis , de
meſme Province que luy , & dont
la Maiſon eſtoit connuë à la Dame.
Ils eſtoient venus tous deux à la Cour
dans le meſme temps , &elle ne pouvoit
connoiſtre le viſagede l'un ny
de l'autre. Il est tres- favorablement
reçeu ſous ce nom. Il continuë fes
viſites. Plus il voit, plus il devient
amoureux. Il s'explique. On l'écoute.
Les proproſitions de Mariage ne
plaiſent pas moins à la Dame qu'à
la Belle , mais on voudroit eſtre ſans
procés avant que d'en venir à l'ef-
F2 fet.
124
MERCURE
:
1
ne
fet. Il nedéguiſe point qu'il eſt tresparticulier
Amydu Cavalier qui plaide
contre elles , & fait aller le pouvoir
qu'il a fur luy , juſqu'à ſe répondre
de le faire entrer dans un
accommodement raisonnable. Mais
comme cet accommodement
pourra ſe faire ſans ſe voir, il feint
de craindreque ſon Amy ne devienne
amoureux de ſa Maiſtreffe , &
qu'eſtant beaucoup plus riche que
luy , on neconſente à le rendre heureux
s'il demande à l'épouſer. Il ajoûte
qu'il a un preſſentiment ſecret
que lachoſe arrivera, &qu'il a ſçeu
que ſur ce qu'on a dit à cet Amy
du mérite de ſa Perſonne , il avoit
déja beaucoup d'eſtime pour elle.
La Belle ſe fâche du tort qu'il luy
fait en jugeant d'elle ſi peu favorablement;
luy proteſte que puis que
ſa Mére luy permet de l'aimer , il
n'y a aucune fortune capable de luy
faire changer de fentiment , & pour
luymettre l'eſprit en repos , elle l'affure
GALANT.
125
1
1
ſure qu'elle ne verra point le Cavalier.
Il répond à cette aimable Perſonne
qu'il ne voudroit pas avoir
à ſe reprocher d'eſtre caufe de l'éternelle
diviſion de deux Familles ; &
comme il ne doute point que leplaifir
de la voir , ne foit un des plus
preſſans motifs qui porteront ſon
Amy à vouloir entendre parler d'accommodement
, il la prie de n'y mettre
point d'obſtacle par la réfolution
| qu'elle ſemble prendre de ſe cacher.
Quelques jours ſe paſſent à dire à la
Damequ'il avoit commencé l'affaire,
qu'il croyoit en venir à bout , &
qu'il trembloit toûjours que cette
négociation ne le rendiſt malheureux.
Le plaiſir d'entendre tous les jours
ſa belle Maiſtreſſe luy faire de nouvelles
proteſtations de fidelité, le
met dans des raviſſemens inexprimables
. Enfin il dit à la Mere qu'il
a fait confentir ſa Partieà venir trai
ter avec elle de bonne-foy. Lejour
eſt pris pour cela. Il avertit ſon Amy
F3 qu'il
126 MERCURE
qu'il avoit déja informé de toute
l'intrigue , & l'engage à venir faire
le perſonnage de Plaideur intereffé
fous fon nom , comme il avoitjoüé
juſque-là le rôled'Amant ſous le ſien.
Ilsviennentenſemble. Onparled'accord.
Quelques difficultez ſe forment;
& comme tout ce qu'on propoſe
pour les réfoudre n'accommode
point le faux Plaideur , il déclare à
laMereque ce n'eſt qu'en épouſant
ſa Fille qu'il peut renoncer avec
honneuràſesdroits. On répond qu'il
s'agit de terminer un Procés , &
non pas de conclure un Mariage.
Il fait voir que l'inimitié des deux
Familles aesteffiilloin , qu'il n'yaque
ce ſeul moyen de prévenir les malheurs
qu'elle peut caufer. La Mere
qui goûte les avantages de cette
union , n'apporte que de foibles raifons
pour la combatre. Le Cavalier
fait paroiſtre ſur ſon viſageun entier
accablement de douleur. Il dit qu'il
l'avoit toûjours bien préveu , &
feint
GALANT .
127
feint de vouloir ſortirpour n'entendre
pas prononcer l'Arreſt de ſa mort.
La Belle l'arreſte. Ses regards qui
luy marquent la conſtance de ſon
amour , luy reprochent en meſmetemps
lepeuqu'il en a pourelle. Un
Homme atteint d'une forte paſſion
ne doit jamais ceder ce qu'il aime à
ſon Rival , & c'eſt eſtre genereux à
contretemps que de s'en montrer
capable. Vous pouvez juger , Madame
, combien ces reproches devoient
eſtre doux au Cavalier. Il en
auroitjoüy plus longtemps , fans l'arrivée
d'un Gentilhomme , fort proche
Parent de la Dame. Ilconnoiſſoit
les deux prétendus Rivaux , & il ne
parla pas longtemps , ſans tirer la
Mere& la Fille de l'erreur où elles
eſtoient. Tout fut éclaircy. On ne
pût ſçavoir mauvais gré au Cavalier
d'avoir paru genereux, puis que
c'eſtoit agir pour luy-mefme. La
belle gronda de la peine où il l'avoit
miſe , & il l'appaiſa en luy demandant
F4
128 MERCURE
(
à
dant s'il avoit eu tort de s'en rap
porter au preffentiment qui luy avoit
fait croire , qu'elle ſe réſoudroit
faire un Heureux de celuy qui avoit
paſſé juſque-là pour ſon Ennemy. . :
Il s'est fait un Mariage fort conſidérable
depuis dix jours. C'eſt celuy
de M'le Marquis deChaſteau-
Gontier , quia épousé Mademoiselle
de la Cour des Bois. Il eſt Fils de
M de Bailleul , Préſident à Mortier,
dont le Pere ayant commencé
d'entrer dans la Robe par la Charge
de Lieutenant Particulier au Chaſtelet,
fut enſuite Lieutenant Civil,
Prevoſt des Marchands , Chancelier
de la Reyne Mere , Préſident à
Mortier , & enfin Surintendant des
Finances. M' le Préſident à preſent
vivant , obtint la ſurvivance à l'âge
de vingt- cinq ans , & fut mis à trente
dans l'exercice de cette grande
Charge. Il en a toûjours remply les
devoirs avec tant d'intégrité , &
d'une maniere ſi honneſte pour tous
ceux
GALANT. 129
ceux qui ont cherché de l'accés aupres
de luy , qu'iln'y eutjamais une
civilité plus obligeante. M'le Marquis
fon Fils qui a eſté reçeu Conſeiller
de la Cour depuis un an &
demy , a de grandes applications
pour l'étude. Auſſi eſt il d'un profond
ſçavoir , & tres-digne de fucceder
à tous les Emplois de ſes Anceftres.
Ce fut luy qui preſenta au
Roy M' le Prevoſt des Marchands
& les Echevins , ily a environ deux
mois. Je vous ay déja marqué combien
Sa Majesté avoit eſté ſatisfaite
de ſa Harangue. La Famille de
Bailleul eſt d'une tres-ancienne Nobleſſe,
& des mieux alliées que nous
ayons. Madame la Marquiſe de S.
Germain & Madame la Marquife
d'Uffel font Soeurs de M le Préfident
d'apreſent. L'alliance qui ſe
fait aujourd'huy par le Mariage dont
jevous parle, eſt un renouvellement
decelle qui s'est déja faite autrefois ,
puis que Madame la Préſidente du
F5
Til130
MERCURE
Tillet eſtoit de la Maiſon de Bailleul
, & que M' le Préſident ſon
Mary eſtoit le Frere aîné de M'Girard
de la Cour des Bois. Je ne vous
dis point que cette Famille de Girard
eft des plus conſidérables & des plus
anciennes de la Robe. Tout le monde
ſçait que depuis trois cens ans
elle a toûjours fourny des Officiers
aux Cours Souveraines. M' de la
Cour des Bois , Pere de la Mariée,
apres avoir eſté Procureur General
de la Chambre des Comptes , ſe fit
Conſeiller au Grand Conſeil , & eft
Maiſtre des Requeſtes depuis vingtquatre
ans. M' du Tillet fon Frere
aîné dont je vous viens de parler ,
eſtoit Préſident dans cette meſme
Chambre des Comptes , & M'Girard
qui en eſt aujourd'huy ProcureurGeneral
eſtde ſes proches Parens.
Ainſi dans cette illuſtre Alliance , il
yade grands Biens , & beaucoup de
Nobleffe de part & d'autre. Mademoiſelle
de la Cour des Bois eſt
Soeur
GALANT. 131
Soeur de Mere de M' Girardin ,
Lieutenant Civil. Ellea infiniment
de l'eſprit. Il eſt meſlé d'enjoüement,
mais cet enjoüement eſt toûjours
d'une Perſonne tres-raifonnable
, & qui ne ſçait ce que c'eſt
que de s'amufer à la bagatelle. Elle
fait toutes choſes ſans s'embaraſſer
d'aucune , & répond parfaitement
à l'heureuſe éducation qu'elle a reçeuë
d'une Mere honneſte , genereuſe
, liberale , & qui a toutes les
bonnes qualitez qu'on peut ſouhaiter.
Le jour du Mariage il y eut un grand
Feſtin le ſoir , chez M'le de la Cour
des Bois. Mr le Préſident de Bailleul
, Madame la Marquiſe de Livry
, Fille de M' le Duc de S. Aignan
, Madame la Marquiſe deBron ,
Femme du Grand Ecuyer de Madame
, & M Clement , s'y trouverent.
Ce dernier eſt Conſeiller en la
Cour des Aydes , & en haute réputation
pour les Deviſes. Les autres
eſtoient Mº de Bailleul qui a eſté
F6
Ca132
MERCURE
Capitaine aux Gardes , M² deJoüy
Sous-Lieutenant aux Gardes , tous
deux Freres du Marié , Madame la
Marquife de Franquetot , ſa Soeur ;
trois autres Filles de M'le Préſident
de Bailleul ; M' le Marquis de Lery,
& M'de Vauvré , l'un & l'autre Freres
de Mere de la Mariée. Lepremier
eſt Meſtre de Camp de Cavalerie
, & a plus de quinze années de
ſervices. Ilen a rendu de tres -grands,
fur tout à Meffine , qu'il a fait fubfiſter
longtemps par les Partys qu'il
faiſoit fur les Ennemis. Il est tresconſideré
de M' le Marquis de Louvois
& des Officiers Generaux. M'
de Vauvré fert depuis plus de ſeize
ans dans la Marine , dont il eſt prefentement
Intendant. C'eſt un employ
dont Monfieur Colbert a recompensé
fon mérite , & où ſon
exacte fidelité , jointe à une tresgrande
intelligenee , l'a fait monter
de degré en degré. Pendant les trois
premiers jours de ce Mariage , tout
ce
1
GALOAΝΤ .
133
ce qu'ily a de Perſonnes de Qualité
tant à la Cour , que dans la Robe ,
en ont eſtéfaire les complimens chez
M' le Préſident de Bailleul , & chez
M²de la Cour des Bois où les Mariez
demeurent.
Je vous apprens , àvous qui eſtes /
ſcavante , & qui avez ſouvent plaint
vos Amies , dece qu'Horace n'avoit
point travaillé pour elles , que vous
lés pouvez inviter à la lecture des
charmantes Poëſies de cet Auteur ,
dont on a fait une nouvelle Traduction
depuis quelques jours . On
la trouve chez le S Coignard , ruë
S.Jacques à la Bible d'or. Elle a les
graces de l'élegance, & rend le ſens
du Texte avec une tres grande fidelité.
Ce font les deux principaux
caracteres d'une bonne Traduction .
Celle-cy eſt de M' de Martignac.
Outre le ſecours que les Gens de
Lettres pourront tirer par les ſçavantes
Remarques qu'il a miſes au
bas des pages , pour l'intelligence de
F7 tout
134
MERCURE
tout ce qu'il y a d'endroits difficiles,
les Dames neſçauroient qu'attendre
un fort grand plaiſir de cette lecture ,
puis qu'Horace a toûjours paffépour
le plus galant Poëte de la Vieille
Rome, & que ſes Ouvragee s'accommodent
aux inclinations de tout le
monde , par l'agreable varieté des
belles choses qu'ils contiennent. Ils
font pour les Gens de Cour & de
Guerre; pour les Amans& les Solitaires
; & fur tout ceux qui font
leur ſouverain bien de mener une
vie tranquille , y trouveront des préceptes
commodes pour la paſſer dans
unplein repos.
Je ſuis bien aiſe que vous approuviez
les Deſſeins de Medailles pour
le Roy , que j'ay propoſez dans ma
derniere Lettre Extraordinaire. C'eſt
une carriere ouverte pour les Sçavans.
Je ne doute point que ceux
qui ſe ſont appliquez aux recherches
de ce qui regarde une Science ſi curieuſe,
ne m'en envoyent des Traitez
GALANT.
135
tez avec ces Deſſeins. J'attens lesuns
pour fatisfaire la curioſité que vous
me témoignez là-deſſus , & les autres
pour les donner aux Graveurs .
Par là , mes Lettres Extraordinaires
qui ont eſtédivertiſſantes pour vous
juſqu'icy , deviendront utiles ; &
comme une matiere d'érudition en
attire une autre , j'eſpere que tant
d'habiles Gens dont les Ouvrages
compoſent ces Lettres , ne vous laifferont
rien ignorer. Enattendant ce
que vous devez apprendre par eux
touchant les Medailles , je vous diray
qu'elles eſtoient en grande veneration
parmy les Romains , & particulierement
celles qui repreſentoient
les viſages de leurs Empereurs. Ils
n'en ontpourtant pas fabriqué d'une
grandeur exceſſive. S'ils les ont refferrées
àun certain nombre de grains,
&limitées à une médiocre étenduë,
ç'a eſté pour les rendre plus communicables
par toute la Terre. Ils
ont eu raiſon. Ce n'eſt pas affez que
la
136 MERCURE
la gloire confiée aux Métaux dure
longtemps , il faut que les Monumens
qui la confervent ſoient portatifs
pour les faire aller par tout. Се
ſont des Hiſtoires parlantes qui ne
peuvent eftre que veritables , eſtant
faites dans les temps meſmes des
choſes quiy font marquées. Onn'y
peut rien ofter ny ajoûter , comme
on fait le plus ſouvent aux Hiſtoires
qu'on r'imprime. Peu de Figures &
peu de Paroles , quand les Medailles
font inventées par un habile Homme
, font bien ſouvent toute l'Hi-
-ſtoire d'un Héros , en caracteres qui
durent toûjours , parce que les Métaux
ne font point ſujets à s'uſer.
C'eſt ce qui a fait dire à pluſieurs
qu'on ne peut trouver la ſuite de
l'Hiſtoire Romaine , & reparer ce
qui eſt perdu , que par les Medailles.
On commençad'enfairede plus
grandes ſous Neron , & cette grandeur
a eſté depuis imitée en France.
Il ne faut pas s'étonner que l'Antiquité
GALANT. 137
quité les ayant renduës venerables,
les Modernes ayent voulu s'en fervir.
Rien n'eſt plus utile aux Peintres
& aux Statuaires. Ce font des
Deſſeins pour eux. Ilsy trouvent des
éclairciſſemens pour les ſujets qu'ils
veulent traiter. Les Hiſtoriens modernes
n'en tirent pas un moindre
avantage , par les connoiſſances certaines
que leur donnent ces Monumens
incorruptibles laifſez à la Poſterité
, dans le temps où chacun
-d'eux a eſté receu. Il faut prendre
garde que la plus-part des Medailles
ne ſont faites qu'à cauſe des Revers
qui fourniſſent toûjours d'heureuſes
penſées. Ainſi , Madame , ceux de
vos Amis qui voudront bien en envoyer
des Deſſeins , doivent s'épargner
la peine d'en faire deſſiner la
face droite , qui eſt le coſté de l'effigie
, ou de la teſte , ſi ce n'est qu'il
y ait quelque raiſon particuliere qui
les y engage , comme ſeroit celle de
repreſenter le Roy en Hercule , ou
de
138 MERCURE
de quelque autre maniere. Alors il
faudroit envoyer le Deſſein de la
Face droite avec celuy du Revers.
Vous ſçavez qu'on peut peindre les
Gens de pluſieurs façons. Il en eſt
de mefme pour les Medailles. Il n'eſt
pas nouveau qu'un meſme Revers
s'appliqueàdiverſes Faces. Cela vient
de ce que les Autheurs tombent dans
une meſme penſée, quoy qu'ils ne
ſe ſoient point communiquez. Il y
a des Revers ſans Figures , qui ne
contiennent que de ſimples Inſcriptions
, mais d'un ſtile ſi ſerré qu'elles
renferment ſouvent toute la Vie de
celuy que repreſente la Medaille II
y ena beaucoup où le temps deleur
publication & d'autres choſes ſemblables
ſe voyent ſous l'Exergue.
Voilaun terrible mot , qui ne ſignifie
pourtant rien autre choſeque le court
eſpace qui demeure pour marquer
l'année , quand toute la circonferencede
laMedaille n'eſt point remplie
de l'Inſcription. Celles dont les
paGALANT
.
139
paroles de l'Inſcription auſquelles on
donne le nom de Legende , occupent
entierement la circonference.
ne ſçauroient avoir d'Exergue. Tout
le champ de la Medaille s'appelle la
Capacité. On les ſepare ſouvent en
deux parties , dont l'une eſt appellée
ſuperieure , & l'autre inferieure. La
premiere contient la Region de l'air,
& la ſeconde , la Terre ; auſſi la
nomme- t-on le Terrain. Il y a des
Medailles de plus de trente fortes de
noms , felon que quelque choſed'éclatant
s'eſt paſſé. De quelque nature
que cette choſe ait pû eſtre, vous
ne devez point douter que ceux qui
prendront plaifir à écrire ſur cette
matiere , ne parlent des plus confiderables.
Je ne vous apprendrois que
ce que vous ſcavez , quand je vous
dirois qu'on fait des Medailles pour
les Sacres des Souverains , pour leurs
Couronnemens & leurs Mariages.
Elles ſont des marques de largeſſe
pour les Peuples dans ces grandes
осса-
140
MERCURE
occafions. Parmy celles dont je vay
vous faire voir les Deſſeins , vous
en trouverez de congratulation , &
d'autres de punition (s'il m'eſt permis
de parler ainſy) puis qu'elles font
faites en memoire d'une Ville punie
de ſa revolte. Je vous les laiffe
examiner dans cette Planche , & ne
vous les donne point pour nouvelles
, ne doutant pas que vous n'en
ayez déja veu unepartie , mais elles
pourront n'eftre pas connuës de tout
le monde , & du moins ceux qui
en'auront veu quelques unes ſeparément
, pourront approuver le ſoin
que j'aypris de les aſſembler. Je pafſe
à ce que j'ay à vous dire fur chacune
, felon l'ordre du Chiffre que
vous y voyez marqué. Ceux qui
voudront travailler ſur une matiere
ſi digne d'un génie élevé & d'un efprit
inventif, en pourront tirer des
idées favorables pour leurs Deſſeins.
EXFol.
141
NTVR
CLAVDV
BELLIPOR
2 ANDOREET .
ODORE
SVPERAT
1362
3
O.REGIQVE
.
SACRAT
1614.
55
2587.
D.O.M.
AETER.MEM.
ILLUSTR. IOANN ARMAND
DVPLESSISDE RICHELIEV
S.R.E. CARDIN.
Collegi.SorbonæProvisoris
Ob ædes Sorbonvetustate
Collabentes. ab. co.non tam
Instauratas. quam nouds,
ExtructasAmplificatas exorna
Socy.Sorbonici
Gratitud ergo.
LLM.PP
6 SIDERA
VOLVIT
MENS
TANDEM
. VICTA.SEQVOR
1631.
1630.
ALANT .
141
EXPLICATION
DE TOUTES
LES MEDAILLES
Dont le Deſſein eſt dans les Planches .
1. Revers d'une Medaille d'Urbain V.
Ce Revers repreſente un Temple ,
au devant duquel on voit un Captif
nu , qui ſemble eſtre Mars , ou
la Diſcorde , image de la Guerre ,
ayant les bras & un des pieds attachez
au Temple. Il eſt aſſis ſur un
amas. d'Armes ſemées pas terre. Il
a la Paix devant luy , repreſentée
ſous la figure d'une Vierge à demy
nuë. Elle tient une Corne d'abondance
de ſa main gauche , & de ſa
droite un Flambeau avec lequel elle
met le feu dans cet amas d'Armes.
Urbain eut pour Pere , Grimoüard
Seigneur de Grifiac au Diocese de
Mande. On publia cette Medaille ,
parce que ce Pape établit la Paix par
tout
142
MERCURE
tout où il fut poſſible de l'établir
On voit ſous l'Exergue le temps
de ſon avenement au Pontificat. Je
ne vous parleray point des temps
marquez dans l'Exargue des autres
Medailles , parce qu'il vous eſt aifé
de les lire. Publier une Medaille ,
eſt le terme propre pour dire , donner
une Medaille au Public.
2. Revers d'une Medaille de Charles
Cardinal de Vendofme.
Cette Medaille repreſente un Lys
haut élevé , avec ſa tige , ſortant
d'un Buiffon d'épines. Ce Lys qui
marque la puretéde la vie de ceCardinal
, fait connoiſtre qu'il eſtoit né
du Sang de France. Les épines d'où
fort ce Lys , préſageoient que ce
grand Homme porteroit conftamment
les adverſitez . Ileſtoit Archeveſque
de Roüen , & prit le party
deHenry leGrand pendant la Ligue.
3. Revers d'uneMedaille de Louis Cardinal
de Lorraine.
On voit dans cette Medaille un
ChaGALANT.
143
ChapeaudeCardinal , entre les Cordons
duquel paroiſt une Couronne
Ducale , pour montrer que comme
Cardinal & comme Archeveſque de
Rheims , ce Prince eſtoit dedié à
Dieu ; & comme Duc & Pair de
France , au ſervice du Roy.
4. Revers d'une Medaille d'Armand
du Plessis Cardinal de Richelieu.
Ce Revers contient une Inſcription
Latine dreſſée par les Docteurs
de la Faculté de Paris , afin de fervir
de Monument éternel à lapieté
de ce fameux Cardinal. Cette Inſcription
marque tout ce qu'il a fait
pour la Maiſon de Sorbonne , & a
eſté jettée dans ſes Fondemens.
5. Revers d'une autre du mesme.
Loürs leJuſte eſt repreſentédans
cetteMedaille. Il eſt traîné dans un
Char. La Renommée luy ſert deguide.
Les Armes de la Maiſon de Richelieu
paroiſſent dans la Banderolle.
La Rebellion , ſous la figure d'une
Femme, eſt attachée derriere le Char.
C
1
6. Re144
MERCURE
6. Autre du mesme.
CetteMedaille repreſente unGlobe
terreſtre environné du Ciel , au
coſté duquel , en la partie inférieure
de la Medaille , eſt repreſentée une
Intelligence Celeſte qui fait rouler
continuellement ce Ciel avec les
Aſtres qui font tout autour. l'Eſprit
du Cardinal de Richelieu eſtoit d'une
ſi grande élevation , qu'il n'eſt pas
beſoin de rien adjoûter à l'explication
de cette Medaille.
7. Face droite d'une Medaille deJeanne
Pucelle d'Orleans .
Cette Facedroite repreſente cette
Heroïne. Elle estoit née en France
au Village de Domremy , qui eſt
du Baillage de Chaumont en Bafſigny.
8. Revers de la mesme Medaille.
Ce Revers reprefente l'Affaut
qu'elle donna à la Ville de Jargeau
pres d'Orleans , où elle fut bleſſée
d'un coup de pierre.
9. Revers d'une Medaillede Jean-Facques

Fol.145
NGA
DIGNA HEROIN
A
OTH
A.
WALN
NGEN
6
REI
SVPERAT
DETO
.
8
VIRESVALET
VIRLS
CONC
10
RR
.
VIR
IRRITATVS
VIT
VIVIT
1644
12
SVRGO
11
CV
SSVS
CONO
SOLA
IN
ILLO
GALANT . 145
ques Trivulſe Milanois , Mareſchal
de France . S
:
Cette Medaille qui repreſenteun
Lyon apprivoiſé , fait voir que la
difcipline jointe à la dexterité de
l'Eſprit , fait venir à bout des choſes
les plus difficiles , & que meſme
par ce moyen les Beſtes farouches
ſont domptées. Ce Mareſchal rendit
de grands ſervices à Charles
VIII. & à Loüis XII.
10. Revers d'une Medaille de François
de Bourbon Duc d'Enguyen.
Le corps de cette Medaille eſt
composé d'un Palmier, ſymbole de
la Victoire , au coſté duquel paroiſt
un Cavalier armé , tournant la teſte,
comme un Homme qui a eſté irrité.
Il eſt en action de darder le Javelot
qu'il tient vers un Lyon qu'on découvre
aupres de cet Arbre , & qui
leve la pate droite comme s'il vouloit
poursuivre & attaquer le Cavalier.
Cette Medaille fut publiée
en l'année 1544. enlaquelle ce Prin-
: Octobre. G ce
146 MERCURE
ce fortyde l'auguſte Maiſon de Bourbon
(en ayant la valeur heréditaire
tout jeune qu'il eſtoit) commandoit
l'Armée de France en Italie , & gagna
la Victoire dans la fameuſe Bataille
de Cerifoles en Piémont, ſur le
vieil Marquis du Guaſt Lieutenant
General del'Empereur CharlesQuint.
CeDuc d'Enguyen estoit Oncle parternel
du Roy Henry le Grand.
II . Revers d'une Medaille do François
Chabot Admiral de France. 2
On y voit un Balon enflé de vent,
lequel eftant violemment jetté par
terre, bondit & ſe releve en l'air
avec plus de force. Cet Admiral fut
injuſtement accufé, & fon innocence
ayant efté reconnuë , il fut rérably&
plus en faveur qu'au paravant
aupres de François I... :
12. Revers d'uneMedailledela Duchef-
Sede Valantinois.
LeTombeau fur le milieu duquel
eſt une Fleche pointée vers leCiel ,
&entrelacée de deux Branches de
LauFol.
147
13
VIRTUTE
NODOS
RESOLVO

ㅁㅁㅁㅇ
DIEV
15
POVR
FA
17.
POST
AVT
VIN
GVIDE
14
RES
SOLVO
NITESCIT
16
AVT
MORI
NODOS
18
VIRTUTE
HIC
NIHIL
EXPEC
TES
GALANT. 147
Laurier , donne à entendre qu'apres
la mort du Roy Henry II . la Fleche
qui avoit bleſſé le coeur de cette
Ducheſſe , vivoit ſeule dans ce
Monument .
13. Revers d'une Medaille du Mare-
Sabal de S. André. :
Il repreſente une Corde laquelle
defcend d'un nüage , & qui ſe trouve
mêlée par le bout , & entrelacée
de pluſieurs noeus . Au coſté gauche
paroiſt un Bras fortant auſſi d'un
nüage , & tenant un Coutelas dans
la main qu'ilhauſſe en action de vouloir
trancher ces noeus , pour montrer
que par la vertu & par le courage
on furmonte & démefle les choſes
les plus difficiles & les plus confuſes.
Ce Mareſchal eſtoit de la noble
& ancienne Famille d'Albon en
Lyonnois. Il ſervit les Roys Henry
II . François II. & Charles IX. &
fut tué à la Bataille de Dreux.
14 Face droite d'une Medaille de Henry
Prince de Navarne .
T
G2
Cet148
MERCURE
Cette Medaille repreſente unEnfant
couché dans un Berceau. Une
petite Victoire qu'il tient en ſa
droite . porte une Palme dans l'une
de fes mains , & unepetite Couronne
dans l'autre. Un Squelette qui
repreſente la Mort , & qui tient une
Faux, eſt dans lagauche de ce Prince,
pour donner à entendre qu'eſtant
parvenu en âge, il combatroit
fi vigoureuſement ſes Ennemis, qu'il
triompheroit de leurs Ligues , ou
perdroit la vie. Ce Prince fut dépuis
le Roy Henry le Grand , &
rendit l'Augure veritable par ſes
Victoires .
15. Revers d'une Medaille d'Honnorat
de Savoye, Comte de Villars.
On voit dans ce Monument la
Fortune repreſentée ſous la figure
d'une Femme , nuë , échevelée , élevant
la face vers le Ciel , & ayant
au coſté ſeneſtre un Voile flotant au
gré du vent. Elle tient en ſes mains
une Banderolle chargée d'une Croix
pleine
GALANT. 149
pleine , qui déſigne les Armes dela
Maiſon de Savoye , de laquelle се
Comte de Villars eſtoit deſcendu .
Cette Femme appuye ſes pieds ſur
un Globe qui flote & furnage dans
la Mer , pour ſignifier quedans l'inſtabilité
ordinaire des choſes du mon-..
de , la guide la plus aſſurée qu'on
puiſſe choiſir eſt celle de la Providence
Divine. Ce Comte eſtoit Fils
aiſné de René de Savoye Comte de
Beaufort , Grand- Maiſtre de France
& Gouverneur de Provence ; &
ayant eſté fait premierement Mareſchal
, il fut depuis Admiral de France
ſous Charles IX. auquel il rendit
de grands ſervices. Il euſt pour Fille
& Heritiere unique Henriete de Savoye,
mariée en premieres Nopces
à Melchior Deſprez , Seigneur de
Monpezar , & en ſuite à Charles de
Loraine Duc du Maine.
16. Revers d'une Medaille de Jacques
de Nemours.
.... Il repreſente un Bras armé , mou-
G3 vant
150
MERCURE
vant d'un nüage , & tenant enmain
un Coutelas en action de trancher
quantité de noeus meſlez & entrelacez
; ce qui fignifie que ce Prince
par ſa vertu démeſleroit les chofes
les plus embaraſſées. Il eſtoit forty
de la tres- illuſtre Maiſon de Savoye.
Son Pere qui en estoit puiſné , fut
Philipes Duc de Nemours & deGenevois
, qui eut pour Enfans Charles-
Emaniel & Henry , fucceſſivement
Ducs de Nemours.
17. Revers d'une Medaille de Marguerite
Soeur du Roy Henry II. Ducheffe
de Savoye.
1
Ce Monument repreſente un Tombeau
ſur lequel quatre Couronnes de
Laurier font poſées.Acoſté ſe voyent
deux Branches de Laurier en depart.
En la partie ſupérieure paroiſt le Ciel
femé d'Etoilles , & environné de
nüages , pour fignifier que la Vertu
merite des Couronnes , & qu'apres
la mort de ceux qui l'ont cultivée
elle ne manquejamais de triompher.
18. ReGALANT.
3 151
18. Revers d'une autre Medaille de la
mesme.
Cette Medaille ne contient qu'une
Inſcription , qui en conſacrant la
pieté de cette Princeſſe , fait connoiſtre
qu'il ne faut rien ſe promettre
de ſolide en ce monde ; mais
qu'apres la mort , ceux qui ont bien
veſcu doivent attendre leur récompenſe
du Ciel. Cette Duchefſe de
Savoye & de Berry estoit Fille du
Roy François I. & Soeur de Henry
II. Elle fit batre ces deux Medailles
, & joignit à beaucoup de vertu
la connoiſſance des belles Lettres ;
ce qui la fit furnommer la Pallas de
fon Siecle . Elle fut fort liberale envers
les Sçavans & les Perſonnes de
mérite.
19. Revers d'une Medaille de Henry
Duc de Guiſe .
Le corps de cette Medaille eſt un
Ange qui a pris fon vol dans la région
de l'air , entre des nüages , tenant
de la main droite une Branche
G4 de
152
MERCURE
de Palmes , & de la gauche une
Couronne de Laurier qu'il met ſur
ſa teſte , pour montrer que la Vertu
eſt la plus digne récompenſe d'ellemefme.
20. Revers d'une autre Medaille du
mesme.
Il repreſente un Autel ſur lequel
font deux Mains qui ſejoignent l'une
dans l'autre , en action de ſe donner
la foy reciproquement. Elles ſortent
de deux nüages , & fuportent une
double Croix couronnée & entrelacée
de deux Branches de Laurier ;
ce qui marque que ce Duc rendoit ,
graces à Dieu de luy avoir fait obtenir
la victoire ſur les Ennemis de
la Foy & de l'Etat , & proteſtoit de
fon inviolable fidelité.
21 Face droite d'une Medaille de Henry
de Bourbon , Prince de Condé.
On voit par cette Medaille , que
celuy qui en ſes adverſitez met ſa
confiance en Dieu , ne doit defefperer
de rien.
22. ReFol152
19
PSI PRETIVM
SIBI
VIRTUSTHEI
20
INVITIS
NIL
DESPER
CHRIS
TO
21
AVSPICE
1584
23
ADVERSA
DANT
ANDVM
DECVS
22
VIC
TRICT
PROCELLIS
25
1584..
24 NOSTRA.
FID
CANDIDA
7595.

GALAN Τ .
153
22. Revers d'une Medaille de Guy de
Laval, Marquis de Nefle.
On y voit un Rocher battu des
vents & des vagues , pour montrer
que la conſtance d'un Homme genéreux
ne peut eſtre ébranlée par les
diſgraces. Ce Marquis eſtoit de l'illuſtreMaiſon
de Laval , & Fils unique
de Jean de Laval Seigneur de
Loué. Il tiroit ſon origine, maternelle
de celle de Rohan, & mourut
fort jeune d'une bleſſure qu'il reçeut
à la Bataille d'Yvry au ſervice du
Roy Henry le Grand
23. Revers d'une Medaille de Henry de
la Tour , premier Gentilhomme de la
Chambre du Roy......
Ce Duc , auparavant Vicomte de
Turenne , a voulu ſignifier par une
Etoille brillante environnée de nüages
épais , queles grandes adverſitez
dont il fut affligé dés ſa jeuneſſe ,
& les traits de la calomnie , n'avoient
ſervy qu'à rendre ſon nom &
ſa vertu plus celebres. Ildeſcendoit
G5
des
154 MERCURE
1
des anciens Comtes d'Auvergne , &
combatit à Coutras avec Henry le
Grand , quile fit Mareſchal de France
, & moyenna fon Mariage avec
Charlote de la Mark, Ducheffe de
Boüillon , & Souveraine de Sedan .
Il épouſa en fuite Elizabeth de Nafſau
, iſſue des Princes d'Orange, de
laquelleil eur deux Enfans , fçavoir ,
Federic-Maurice Duc de Bouillon ,
& Henry de la Tour Vicomte de
Turenne , mort en Allemagne d'un
coup de Canon. vis
24. Revers d'une Medaille de Marie
de Cleves van egy
:
On y voit deux Cygnes qui ſemblent
ſe regarder tendrement , pour
marquer que dans le Mariage de cette
Princeſſe avec Henry de Bourbon
prémier du nom , Princede Condé,
l'amour & la fidelité conjugale feroient
reciproquement inviolables.
25. Face droite d'une Medaille de Gefar
Duc de Vendofme. 13:30
Le corps de cette Medaille reprefente
70

Fol155
25 DEGENERABIT
.
NON
27
IVSSA
.
одд
VID
.EST
.
OMNIS
.
ACHILL
I'
26
HOC
1603.
28
OLVMNLS
. CO
10
VIS
1609.
29
ALTA .
SVM.
STAT.
FORTIBVS
.
RTAS
.SVP
VM.
LEVE
.
EST
POR
30
OMNIA.
TABERNA
CVLAL
QVID
IT.D
INDILIG
ps.86.pop
ACOB.Ps
..
GALANT . 155
ſente ce Prince armé , ayant lateſte
découverte , & tenant une Epée nuë
en action de combatre, & faiſant
bondir ſon Cheval , pour montrer
qu'il ſoûtiendroit avantageuſement
l'honneur d'eſtre ſorty du Sang de
Henry le Grand.
26. Revers d'une Medaille de François
Duc de Luxembourg & d'Epiney.
Ce qui eft repreſenté dans cette
Medaille , n'a eſté mis que pour marquer
la pieté de ce Duc. Le Roy
Henry III. l'envoya à Rome en
qualité d'Ambaſſadeur Extraordinaire
, pour prefter obédience au Pape
Sixte V. Ce fut en ſa faveur quela
Seigneurie d'Epiney en Champagne
fut érigée en Duché & Pairie. Il fervit
en ſuite Henry IV. fort utilement.
Il y a eu des Empereurs dans
cette Maiſon , & elle a ſouvent eſté
alliée à celle de France..
27. Revers d'une Medaille de Maximilien
de Bethune , Duc de Sully , Grand
Maistre de l' Artillerie de France.
G6 On
156 MERCURE
Ony voit dans un nüage un Aigle
qui porte la Foudre. Cela marque
qu'il eſtoit preſt , comme Grand-
Maiſtre de l'Artillerie , de la porter
où le Roy vondroit .
28. Revers d'une Medaille de Henry
de la Tour Duc de Boüillon.
On y voit une Tour ſuportée
par deux cimes d'un Rocher fourchu
& entrecoupé , qui eft furieuſement
battu des flots de la Mer.
Sa conſtance dans ſes adverſitez eſt
marquée par là.
29. Revers d'une Medaille d'Antoine
Ruzé Marquis d'Effiat.
Cette Medaille fait voir un Globe
celeſte ſuporté par Hercule qui a
fur le dos fa peau de Lyon , & fa
Maſſue à ſes pieds. A coſté paroiſt
Atlas , qui pour foulager Hercule ,
foûtient ce Globe avec l'épaule & la
main droite , & s'appuye de la gauche
fur un tronc d'Arbre. Cela fait
connoiſtre que le Marquis d'Effiat
ſe donnoit tout entier aux Affaires ,
dont
GALANT .
157
dont le Roy qui régnoit alors vouloit
bien ſe repoſer ſur ſes ſoins.
30. Face droite d'une Medaille publiée
en l'honneur de Charles de Neufville.
Le corps de cette Medaille eft
compoſé du Portail d'une Egliſe de
la Ville de Lyon , de laquelle il
eſtoit Gouverneur . Ses Armes font
ſur la partie ſupérieure de ce Portail./
On a voulu donner à entendre que
Dieu prenoit cette grande Ville en ſa
protection particuliere. Elle fut édifiée
au commencement de l'Empire
d'Auguſte par Lucius Munutius Senateur
Romain , pendanr qu'il gouvernoit
la Gaule Celtique , depuis
appellée Lyonnoiſe , parce que cette
meſme Ville de Lyon fut faite Capitale
de la Province. C'eſtoit par
cette raiſon que les Lieutenans Generaux
des Empereurs Romains en
Gaule , y faifoieut leur réſidence
ordinaire.
31. Revers de la Medaille précedente.
Les paroles qui font dans ce Re-
G7 vers
158 MERCURE
vers marquent que ce pieux Gouverneur
à fait baſtir en l'honneur de la
Vierge l'Egliſe dont le Portail eft
dans la face droite de la Medaille.
32. Face droite d'une Médaille de Chri-
Stierne II. Roy de Dannemarck .
On y voit le Portrait de ce Monarque.
Il la fit publieren allant afſieger
Stokholme.
33. Revers de la mesme.
On y voit un Aigle qui combat
avec un Serpent. On ſçait l'antipathie
qu'ils ont l'un pour l'autre.
Ce Revers fait voir qu'il faut toûjours
combatre ſes Ennemis.
34. Face droite d'une Medaille de Soliman
, Empereur des Turcs.
Elle repreſente le Portrait de cet
Empereur. Il la fit publier pendant
le Siege de Bellegrade.
35. Revers de la mesme .
Ce Revers repreſente la Ville de
Bellegrade. Toutes les dépoüilles &
tous les Drapeaux qui avoient eſté
pris ſur les Turcs depuis Amurat ,
eſtoient
Fol.158
SVECIE.
ET
.
31
VIRGINI.MATRI.
A.DEO. FILIO . QUEM.IN
TERRIS. EXCEPERAT.INDOMA
SVAM.COLLO. RECEP TAE.
ILLUSD.
CAROLVS DE NEVEVILLE
LVGDVN. PRO.REX.
haneDomum extruit
vtsibi'viillius regno locu
faciat
32
S.D.G.
DANIA
.
CHRISTIE
33
DIMICAND
A1522
VM.
35
VGNAT
ANN
!
SOLYMA
34
NORVEG
TVRC.
IM
36
VT
IPSE
.
ELGARI
FINEAM
:

Fol.159
TVS.VI.
HADRIAN
HAS
.
37
PONT.
MAX.
A.I.
SA
LLA
.
38 AVGVSTA
40
CAROLVS
-80000
39 BET. ET
.
SUPER
AT.
41 OPERA. DDOMINI
.
MAGNA
.
CAROLI
.
V.
ROM.
IP
42
RESTITVT
REP. SENENSI .
LIBEPTATIS. OBSID
MEDIOMAT. PARMA
MIRAND. SANDAMI .
ET. RECEΡΤΟ .
HEDINIO
RBLX CONSENS
2552
GALANT.
159
eſtoient enfermez dans cette Place
bien gardée & bien munie.
36. Face droite d'une Medaille d'Adrien
VI.
Elle repreſente la teſte de ce Souverain
Pontife. Il avoit eſté Chancelier
de l'Univerſité de Louvain ,
& Précepteur de Charles V.1
37. Revers de la mesme......
Ony voit un Mur qui commence
à tomber en ruine ; ce Pape voulant
faire voir par là que ſes jours
finiroientpeu à peu ainſi que ce Mur.
Cette Medaille fut publiée un peu
apres ſon élection .
38. Face droite d'une Medaille d'Ifabelle
Fille d'Emanuel Roy de Portugal
, & Femme de l'Empereur
Charles V
Elle reprefente le Portaitde cette
-Princeſſe , L'Empereur ſon Epoux
la fit publier en fonthonneur.
39. Revers de la mesme.
On y voit les trois Graces. Les
paroles font voir que cette Princeffe
les
160 MERCURE
les avoit toutes , & qu'elle les furpaſſoit
en beauté.
40. Face droite d'une Medaille de l'Empereur
Charles V.
On y voit le Portraiť de cet Empereur.
41. Revers de la mesme.
Il repreſente une Femme qui tient
d'une main une Corne d'abondance
, & de l'autre un Flambeau dont
elle brûle des Livres & des Armes.
L'Empereur Charles quint apres la
rebellion de Gand, fit couper la
teſte à vingt- fix des plus coupables
de la Rebellion. Il en exila d'autres,
&d'autres éviterent cette peine par
de grandes ſommes qu'ils donnerent.
Il y en eut cent qui furent
condamnez à luy demander pardon
pour toute laVille, à genoux , nuds
pieds , & la corde au col. On baſtit
une Citadelle. On deſarma les
Bourgeois. On les priva de leurs
Privileges , & c'eſt ce qui eſt repreſenté
par ces Armes & par ces Livres
GALANT. 161
vres brûlez dans le Revers de cette
Medaille.
42. Revers d'une Medaille de Henry II..
Ony congratule ce Monarque de
ſes heureux ſuccés dans la Guerre ,
& de tout ce qu'il a fait pour ſes
Amis & pour ſa gloire.
Si l'on compare les Actions des
plus grands Hommes pour leſquels
la plupart de ces Medailles ont eſté
faites , avec ce qu'on a veu faire au
Roy depuis fix ans , il ne ſe peut
qu'on ne s'éleved'autant plus en travaillant
pour ſa gloire , qu'il paffe
tout ce qu'ona jamais écrit des plus
renomméz Héros. La matiere eſt
d'une grande étendué , & chacun la
peut traiter ſelon ſon génie , ſans
craindre de ſe renconrrer dans les
penſées. Loüis LE GRAND
fait voir que ce Titre luy eff deû en
tout Il eſt Grand en attaquant par
luy-meſme: Il l'eſt dans leCabinet .
Il l'eſt en donnant la Paix , & perſonne
ne l'a jamais eſté de la meſme
ma162
MERCURE
maniere par cet endroit. Il fait fleurir
les Arts & les Vertus ; & fi on
a de la peine à le loüer , c'eſt parce
qu'il eſt trop loüable. On fit une
Medaille pour Henry IV. un peu
avant la mort de ce Prince. Un
Monde environné des ſymboles des
Vertus paroiffoit dans le Revers ,
avec ces paroles , Reget virtutibus
orbem. Y a- t- il rien qui convienne
mieux au Roy ? Quoy qu'on dife
deluy, on nepeut trop dire , quand
meſme on iroit auſſi loin que Philipes
II. dans la Medaille qu'il fit
faire lors que Charles-quint ſon Pere
ſe démit de la Couronne d'Eſpagne
en ſa faveur. Ce Prince eſtoit repreſenté
avec le Globe du Monde fur
ſes épaules ; & les paroles marquoient
qu'il portoit ce Globe afin qu'Atlas
pût ſe repoſer. Cette Medaille estoit
un peu Eſpagnole. Cependant on ne
peut diſconvenir de ſa beauté. J'attens
avec impatience tous les Defſeins
qui me viendront ſur un auſſi
grand
GALANT. 163
grand& auſſi auguſte ſujet qu'eſt celuy
de la Vie du Roy. J'auray ſoin
de vous les faire voir gravez dans
ma quatriéme Lettre Extraordinaire
que vous aurez le 15. de Janvier.
Je ne refifte point aux loüanges
que vous donnez à la derniere que
vous avez reçeuë de moy. Elle eſt
⚫remplie de tantd'agreables Ouvrages
auſquels je n'ay point de part , que
je croypouvoirconſentir au bienque
vous m'en dites , ſans me faire accufer
de vanité. Les Fictions - fur
l'origine des Mouches , & les Réponſes
ſur la confidence de Madame
de Cleves , ont eſté les deux matieres
ſur lesquelles on s'eſt particulierement
exercé. Je ne me fuis point
étonné que la derniere ait tant fait
écrire. Depuis la Princeffe de Montpenfier
, nous n'avions eu aucun Livre
de galanterie qui euſt fait tant
de bruit que la Princeſſe de Cleves,
&il n'y a jamais eu un trait ſi nouveau
que l'aveu qu'elle fait à fon
Mary
164 MERCURE
Mary de l'amour que luy a faitprendre
le Duc de Nemours. Ce que je
vous ay déja envoyé ſur ce ſujet ,
vous fait connoiſtre ce que le Public
en a penſé , chaque Piece diférente
n'eſtant pas l'avis ſeul de celuy qui
l'a compoſée , mais de pluſieurs Societez
aſſemblées pour s'expliquer fur
une Queſtion ſi delicate. Quoy que
les raiſons de ceux qu'elle a partagez
doivent vous avoir déterminée à
prendre party , je ne laiſſeray pas
d'ajoûter à ce que vous avez déja
veu , une nouvelle contrarieté d'opinions
à laquelle cetteQueſtion a donné
lieu. La choſe eſt arrivée en Province
, & fi je ne me trompe , en
Baſſigny. Voicy ce que c'eſt. Une
jeune& fort aimable Perſonne qui
avoit l'eſprit vif , & qui faisoit des
Vers ſi facilement , que les Inpromptu
ne luy couſtoient rien , eſtoit
fur le point d'eſtre mariée à un Homme
qui ne ſe piquoit en aucune forte
d'avoir le meſmétalent. Il eſtoit plus
âgé
GALANT. 165
agé&plus richequ'elle , bonHomme,
mais de ces Hommes francs&
ſans façon , qui diſent nettement
leurs penſées , &qui enferoient quelquefois
blâmez , ſi leur franchiſe ne
leur ſervoit pas d'excuſe. Le jour
ayant eſté pris pour la Signature des
Articles , la plus grande partie des
Parens s'eſtoit déja renduë chez la
Belle , quand un Homme de la
Compagnie reçeut un Paquet qu'on
luy envoyoit de Paris. C'eſtoit le
ſecond Extraordinaire du Mercure.
-On s'empreſſa pour le voir. On le
parcourut , & on tomba preſque
auſſitoſt ſur la Queſtion propoſée
touchant la déclaration que laPrinceffe
de Cleves fait à ſon Mary.
Grande conteſtation d'abord . Les
uns examinerent la Queſtionpar les
-, regles du raiſonnement. Les autres
en jugerent ſelon leur gouft , & enfin
on confulta là-deffus les deux
Amans. Ils se trouverent de ſentimens
opoſez , & les appuyerent fi
for
166 MERCURE
fortement , que chacun d'eux crût
en fon particulier que l'autre avoit
quelques puiſſantes raiſon qu'il n'expliquoit
pas pour prendre le party
qu'il tenoit. Cette penſée les chagrina
, &leur fit tirer des conféquences
de leur humeur. Ils craignirent
de n'eſtre pas ſi unis par le Mariage,
que la défianceneregnaſt d'un coſté,
&la coqueterie de l'autre. Le party
de l'Amante qui ne pouvoit confentir
à la declaration , fut foûtenu
par un jeune Abbé à qui peut- eſtre
laBelle n'eftoit pas indiferente. L'Amant
n'en fut pas content, & voulut
établir certaines Maximes qui
firent direà quelqu'un de la Compagnie
qu'Arnolphe de l'Ecole des
Femmes auroit bien fait fon profit
de cette converſation pour les ſaluraires
avis qu'il donne à Agnés. On
dit quelque choſe de fort plaiſant fur
ces Maximes qu'un autre tourna fur
le champ en Vers par l'Inpromptu
que vous allez voir
Dan-
10
4
Σ
GALANT. 167
Dangereuse est la politique
D'un coeur qui ſentant à regret
Les traits d'un amour tyrannique ,
Embraſſe un procedé difcret ;
La marque d'une ame pudique ,
C'est d'an réveler le fecret.
Quand on ne fonge point au mal ,
En vain cache-t-on le mistere,
On peut confier tout à l'amour conjugal,
La confidence alors loin d'eſtre temeraire ,
Al'honneur d'une Femme eſt auſſiſalutaire ,
Que lesecret feroit fatal.
L'établiſſement de ces Maximes
que flatoient l'Amant , fit entrer la
Belle dans de ſérieuſes reflexions .
Elle reſva , & comme on luy en fit
la guerre , elle dit qu'elle faiſoit des
Vers à fon tour , & que c'eſtoit un
- Meſtier qui demandoit de la reſverie.
On la crût , parce qu'elle avoit un
talent aifé pour la Poësie. On la
preſſa de dire ſes Vers , & apress'eſtre
fait prier , pour avoir le temps
de ſonger veritable à en faire , elle
dit le Quadrain qui fuit,
C'est
aller
à confeffe
.
d
D'ofer
à
Ceft
Et
je
ne
choiſtrois
pour
168
MERCURE
Ny
mon
Mary
ny
mon
Amant
.
en
user
peu
prudemment
fon
Mary
découvrir
la
foibleſſe
blée.
L'Abbé
qui
avoit
infiniment
de
l'eſprit,
declara
qu'il
vouloit
auf
Ces
vers
firent
rire
toute
l'
Affem
faire
des
Vers.
Il
ſe
tira
un
peu
à
l'écart,
reſva
quelque
temps
,

me
de
ceuxcy
,
pour
favoriser
les
ſentimens
de
la
Belle.
Quand
une
Femme
veut
guerir
qu'il
faut
périr
D'un
amour
fecret
qui
l'obſedes
Et
vers
l'Epoux
crier
à
l'aide,
Plutoſt
qu'uſer
de
ce
remede.
Par
un
aveufi
temeraire
,
La
Femme
fait
trois
mauvais
coup
.
Elle
rend
fon
Mary
jaloux
,
Et
met
l'Amour
en
grand
couroux
.
les
trois
derniers
qui
furent
repete
Ces
Vers
plûrent
fort,
&
fur
tou
{
une
affaire
>
fo
пер
me
Ves
,
cher
val
av
que
ful
ment
Vr
GALANT. 169
vingtfois. L'Amant qui connut que
les Rieurs n'eſtoient pas pour luy ,
déclara qu'il ſe rendoit ; & pour le
faire connoiſtre , apres avoir prié fa
Maiſtreſſe de l'aimer tant qu'il luy
fuft impoſſible d'en aimer un autre ,
il la conjura de luy en faire unſecret
, fi elle ne pouvoit l'éviter ,
afin qu'il n'euſt jamais le malheur
d'eſtre jaloux. Tout le monde luy
applaudit , & l'on demeurad'accord
que fi un Jaloux ſur l'incertitude
meſme d'avoir aucun lieu de l'eſtre ,
foufroit fi cruellement , la jaloufie
ne pouvoit qu'eſtre mortelle , comme
elle l'avoit eſté pour Mr de Cleves
, quand on apprenoit de la bouche
meſme d'une Femme qu'un Rival
avoit place dans ſon coeur , &
que ſupoſé qu'on aimaſt veritablement,
il n'eſtoit pas poſſible de vivre
apres, une fi funeſte confidence.
Quoy qu'il ſe ſoit paffé des choſes
affez conſidérables dansnos Armées ,
- vous ne trouverez aucun Article de
Octobre . H Guer-
1
170
MERCURE
Guerre dans cette Lettre. Je le reſerve
pour le Mois prochain , afın
d'avoir davantage à vous dire tout
à la fois. J'y joindray le Plan& les
Attaques du Chaſteau de Lichtenberg;
& commela Relation des Affaires
de deux mois vous en fera
mieux voir la fuite , en vous les préſentant
tout d'une veuë , je nedou
te point que vous n'approuviez ce
retardement.
Le beau Sexe ne ſe taiſt pas quand
il s'agift de marquer l'admiration où
l'on eſt des grandes Actions du Roy.
Voyez-le par ces Vers de Mademoifelle
Certain-Huron.
AUROY,
EPIGRAMME.
ON n'entendra plus tant parler
De vos fameux Exploits de guerre ;
Mais , Grand Roy , pour vous fignaler ,
Il est d'autres éclats que ces coups detommerre.
Quoy que vos Triomphes paffez ,
Portent voſtre grand Nom au comble de la
gloire ,
S
qui
non
S
n
a
loit
Pag. 171
Que j'ayme l'horreur de vos
b
(it ex- tré- me , Si l'in-
Que
--
M. LESGU .
GI AU LOAN. TA
171
Si ce n'est pas encore affezES
former tout le Pour plan d'une pompeuse Hiſtoire,
Voſtre justice , vos bienfaits ,
Vostre prudence fans exemple ,
Grand Roy, font de rares ſujets ,
De qui l'éclat n'est que trop ample- 1 ...
Pour entraper les derniers traits .
Vous avez déja veu quelques Airs
de M Leſgu. En voicy encor un
nouveau de fa façon. On ne m'a
point dit de qui eftoient les Paroles.
Mare Com
AIRNOUVEAU.
Affreux Rochers , Demeures fombres ,
Charmant séjour d'un malheureux Amant ,
Que j'aime l'horreur de vos ambres
On je refue en nepos à mon cruel tourment !
Que mon bonbeur, seroit extréme ,
Si l'ingrate Beauté que j'aime ,
Mevouloit , comme vous , écouter un moment.
Ledejour que le Roy avoit deffein
de faire à $. Cloud, ayant eſté réfolu
avant fon depart pour Fontainebleau
, Monfieur qui avoit donné
les ordres pour le logement de
H2 tou172
MERCURE
toute is Cour, s'y rendit le 6. de
ce Mois , pour voir s'ils avoient eſté
bien executez. Il en viſita les Appartemens
, & ne pût que loüer l'exactitude
du S' Billon , à qui la direction
de cette belle Maiſon a eſté
donnée. Son Alteſſe Royale alla en
ſuite dans la Gallerie qu'il n'avoit
point encor veuë depuis qu'elle eſt
achevée & meublée. Elle en demeura
fi fatisfaite , qu'elle ſouhaita impatiemment
la venuë de Leurs Majeſtez
. Elles arrivérent le 10. dans
le Carroſſe du Roy , où il n'y avoit
avec Elles que Monſeigneur le Dauphin
, Mademoiselle , & Madame
la Comteffe de Bethune. Les autres
Carroffes ne pûrent faire la meſme
diligence à cauſe des mauvais chemins.
Apres qu'on eut admire les
Ouvrages du fameux M' Mignard ,
qui rendent laGallerie de S. Cloud
une des plus belles choſes de l'Europe
( je vous en feray une autre
fois unArticle particulier) on fit diverGALANITI
173
a
verſes Parties de jeu juſqu'à l'heure
du Soupé , qui fut digne de lamagnificence
du Roy. La Table estoit
ovale , de vingt-cinq Couverts ; &
comme elle estoit fort large , & que
les Officiers n'auroient pû mettre de
Plats dans le milieu , con l'avoit remply
de Fleurs d'une maniere ſi propre,
fi galante, & fi pompeuſe tout.
àla fois , qu'il eſt difficile d'en bien
concevoir toute la beauté. Le Service
des Viandes de la bouche eſtoit
de quatorze grands Plats qui for
moient un Cordon. Il y en avoit
vingt-quatre petits pour le tour ,
qui approchoient des Couverts . Le
Fruit répondoit à ce Service. Outre
Monſeigneur le Dauphin, Monfieur,
Madame, Mademoiselle , Mademoiſelle
de Valois , Mademoiselle d'Orleans,
& Mademoiselle de Blois , toutes
les Duchefſes , Mareſchales de
France , Dames , & Filles d'Honneur
de la Reyne , de Madame , &
de Mademoiselle d'Orleans , furent
τολ H3 pla174
MTEURACURE
placées à la Table. La figure des
Fleurs ſe changeoit à chaqueRepas.
Tantoft elles estoient dans uneMachine
dorée d'une invention agreable
, tantoſt dans des Corbeilles d'ar->
gent, puis dans des Vafes ou des
Caiſſes de meſme matiere, & quelquefois
on les voyoit meſlées les unes
avec les autres. Toutes les autres
Tables du Roy tinrent à leur ordi
naire, & furent magnifiquement fervies.
Monfieur en fit auſſi ſervir plufieurs
dans le Bourg. Il y eut Bal
tous les foirs avant le Soupé dans
le Salon neuf qui eſt au bout de la
Gallerie. Tout y estoit ſi bien ordonné
, qu'on n'a jamais veu une Place
ſi ſpatieuſe pour danſer, quoy qu'il
y euſt une infinité de monde. L'Af
ſemblée ne pouvoit eſtre plus Illuſtre.
J'aurois trop à vous dire , ſi je
voulois vous parler de la gracemerveilleuſe
de Monſeigneur le Dauphin
, de l'air galant de Meſſieurs
les Princes de Conty , de la Roche
fur
GALANT.
175
fur Yon & de Vermandois , de Meffieurs
les Comtes d'Armagnac , de
Marfan & de Brionne , de Mr le
Marquis de Hautefort , & de M' le
Chevalier de Chaſtillon : mais ſi je
me ſens incapable de vous exprimer
les avantages qu'ils ont à la danſe ,
que pourrois-je vous dire qui répondit
à l'admiration que cauferentMademoiselle
, Mademoiselle de Valois,
Mademoiſelle de Blois , Mefdames
les Ducheffes de Vantadour , de la
Ferté , & de Nevers , Madame la
Comteffe de Maré , & Meſdemoifelles
de Grancé , de Thiange , &
de Beauvais ? Cette derniere eſt une
des Filles de Madame. Quoy que la
mort d'un de ſes Parens l'oblige de
paroiſtre en deüil à la Cour, fa be
auté ne l'y fait pas briller avecmoins
d'éclat que fi elle estoit accompagnée
des ornemens qui font recherchez
par toutes les Belles. Le mauvais
temps fut cauſe qu'on ſe promena
peu dans les délicieux Jardins de
H4 S. Cloud,
176 MERCURE
1
S. Cloud , mais il n'empeſcha pas le
Roy d'aller voir l'état de ſes Baſtimens
de Versailles , & de viſiter la
Maiſon des Invalides. C'eſt un effet
merveilleux de la bonté &de laprévoyance
de ce grand Prince , qui
dans le temps qu'il avoit toute l'Europe
liguée contre luy , ne ſongeoit
pas feulementà triompher de ſes forces
, mais à faire un Etabliſſement
pour les Officiers & Soldats qui ſeroient
mis hors d'état de ſervir par
leurs bleſſures. Ainſi tandis que noftre
Canon démoliſſoit ces Murs ennemis
, M'le Marquis de Louvois faiſoit
élever ceux du grand & fom
ptueux Baſtiment des Invalides par
les ordres de Sa Majeſté. Ils ont eſté
executez avec tant de promptitude,
qu'il ſemble que ce Baſtiment ſoit
forty de terre. On ne doit pas en
eſtre ſurpris. Le zele qui anime Mr
de Louvois , luy a fait fairedes choſes
qu'on tiendraunjour incroyables .
Ce fut luy qui reçeut leRoy quand
-
S. M.
GALANT. 177
/
S. M. alla voir le Palais des cesBraves
Malheureux. On luy peut donner
cenom, puis qu'ily a bien de grands
Princes qui n'en ont pas d'une fivaſte
étenduë. Le Roy viſita toute cette
grande Maiſon juſqu'aux endroits les
plus reculez. Quoy qu'elle foit tresconfidérable
par la beauté & par la
grandeur du Baſtiment, elle l'eſt encor
davantage par labonne diſcipline
qui s'y obſerve. On y vit comme
dans une Place de Guerre , & on n'y
oublie rien desce qui peut porter à
la pieté. Le jour qui préceda l'arrivée
de Leurs Majeſtez , Madame la
Marquiſe de la d'Aubiaye qui avoit
preſté le ferment accouſtumé pour la
Charge de Gouvernante des Filles
de Madame entre les mains de Madame
la Marefchale du Pleſſis Dame
d'Honneur de Son Alteſſe Royale ,
en vint prendre poffeffion à Saint
Cloud. Vous ne douterez ny de ſa
qualité ny de fon mérite , quand
pour l'une je vous diray qu'elle eft
Η Soeur
178
MERCURE
1
Soeur de Mele Marquis de Monteclair
, &pour l'autre , que Monfieur
qui ena fait le choix, adonné
cette Charge à la vertu de cette Da
me , qui dans un âge peu avancé ,
compte feize années de Veuvage.
J'avois eftémal informé de fon nom
quand je luy ay donné celuy de
Roubais. Le Roy eſtant party pour
Verſailles le 16. de ce Mois , Leurs
Alteſſes Royales vinrent icy le lendemain
, & reçeurentMademoifelle
de Fontange à la placede Mademoiſelle
de Mefnieres , à preſent DucheffedeVillars.
C'eſt une fort belle
Perſonne. Elle eft grande, blonde, a
le teint vif, les yeux bleus , &mille
belles qualitez de corps & d'eſprit
dansunegrandejeuneffe. M'leCom
te deRouffille fon Pere eſt d'Auver
gne. Elle devoit eſtre preſentée par
Madame la Princeſſe Palatine, qui
l'a donnée; mais comme elle estoit
malade , Madamelat Ducheffe de
Vantadour la preſenta au lieu d'elle.
Ma
GALANT. 179
Madame la Princeſſe d'Elbeufeft
accouchée d'un Garçon. S'il eſt auſſi
brave que Monfieur le Prince d'Elbeuf
fon Pere , il fera parler de luy
de bonne heure. Je vous ay ſouvent
parlé de la valeur de ce jeune Prince.
Vous ſçavez qu'il fut dangereuſement
bleſté dans une desdernieres
occafions de cette Guerre , & qu'il
n'en a laiſſe paſſer aucune fans ſe ſignaler.
Le Roy a donné une Abbaye àM
Robert Maistre de Muſique de ſa
Chapelle. Ses Ouvrages luy ont attiré
ſouvent les applaudiſſemens de
Sa Majesté , & ce n'eſt pas fans avoir
bien connu ſon mérite que ce Prince
l'a récompenſé. 2
Comme je ne prétens loüer que
ceux qui en ont veritablement, je
me crois obligé de vous avertir que
j'ay eſté furpris dans un Memoire
qui m'avoit eſtédonné tres -favorable
àun certain M' des Cloſets. Ilm'avoit
eſté ſi particulierement recom-
H 6 man180
ERCURE
A
mandé , que le peu de temps que
j'ay chaque Mois à vous écrire tant
de Nouvelles diférentes , ne mepermetrant
pas toûjours de m'éclaircir
de ce qui ne m'eſt pas connu , j'ay
ſuivy de bonne foy le Memoire dont
je vous parle. Vous trouverez bon
que je n'en demeure pas guarant.
Je paſſe à l'Explication des Enigmes.
Celle de la premiere en Vers
eft renfermée dans ce Madrigal de
M' le Brun Seguſien.
Lors que l'on a paſſé les plus beaux defesjours,
Tant fur l'onde que fur la terre ,
Afaire l'amour ou la guerre ,
Qu'en l'unde ces mestiers on s'exerce toûjours .
Que l'on fçait ce que c'est d'estre pris & de
prendre ,
Que l'on s'est veu vaincu , que l'on s'eſt veu
vainqueur ,
L'on ne peut guére ſe méprendre
Sur la connoiſſance du Coeur.
Voicy les noms de ceux qui l'ont
auſſi expliquée ſur'le Coeur , qui eſt le
vray ſens ; Meſſieurs de la Fondrie,
Avocat au Parlement de Roüen ;
Pe
GALANT. 181
Petit Cheſne l'Anglois , Notaire à
Pontoiſe ; Des Forges , Avocat du
Roy à Guife ; Hiraut , Avocats
Mefdames Vaflin ; Des Bereaux ,
Tréſorier de France à Orleans; Joüet,
de la Ruë des Roſiers ; La Cadete
d'Amiens ; & la petite Laide de la
Rue des deux Portes. Ceux que je
vous vay nommer en ont envoyé
l'Explication en Vers. Meſſieurs le
Courrier , de Caën ; Rault , de Roüen
; Le Mary de jour ; & le Berger
d'Arneville.
: La ſeconde a efté ainſi expliquée
dans ſon vray ſens par M Broſſard
Conſeiller au Prefidial de Bourg en
Breffe.
Que voſtre Enigme est difficile !
Depuis deux jourj'y refue en me rongeant les
doigts ;
Je me suis dépité vingt fois ,
Sans trouver le vray mot j'en ay soupçonné
mille.
F'ay pourtant à lafin donnédans le vrayſens ;
Un peu de patience est toûjours fort utile ,
La Neffle, comme on dit, meurit avec le temps .
H 7
Ce
182 ERCURE
: Ce meſme Mot de la Neffle a efté
trouvé par Meſſieurs l'Abbé de l'Etang;
Guerin , Prieur de SainteMarie
Magdelaine de Bezillac; Chappuis
; Cheſnon , Directeur general
des Poſtes de la Souveraineté de
Charleville ; Defgarabat de Nogarot
, dans l'Armagnac; Du Bois-
Quequet, Archambault, de Roüen ;
De la Porte , d'Orleans ; Taiſand,
Avocat au Parlement de Dijon; De
Lattre , Avocatà Guiſe; De laMadelaine
; Balamir amoureux ; Le
Chevalier de Gros-jonc; Tournés ,
du Village de Goux ; Thabaud des
Ferrons , de Berry; Des Baſſins ,
Ecuyer de M le Mareſchal de Lorge;
Jean Bouche d'or ; Darciſes ,
GentilhommeBeaujolois ; Panthot ;
Du Meſnil ; Meſdames de la Tuſte ;
Mademoiselle de Corcouffon ; Reneufve
, de Noyon ; Les Cotieres
de Roüen ; Le Quatrain de Mondoubleau
; Le Jaloux de la gloire
des Tourangeaux; Lebon Clercde
و
MuGALAMT.
183
Muſique de Châlons fur Saône ; le
Hollandois de Saumur ; Neptune ,
&le Secretaire des Vendangeuſes de
Courbevoye. Ceux qui l'ont expli
quée en Vers font Meſſieurs Hervil.
fon S. D. V. de Troyes ; Dela Coudre
, de Caën; Gardien ; L. Barré ,
de Chartres ; & Polymene.
Ily a eu beaucoup d'Explications
de cette Enigme fur la Grenade.
Pluſieurs ont trouvé le ſens de toutes
les deux, & ce ſont Meſſieurs
JourdandelaSalle, deTroyes; Aymé
, de Beziers ; De Vaenevar S
deRetourne; Merlin , de Beauvais ;
Armand Cheſnon, de Tours ; Luron
lejeune , de Noyon ; Le Bourg ,
Medecin à Caën ; L'Abbé Rateau;
Du Meſny , Abbé des Bons Enfans
de Loches ; De Pruneville , Capitaine
au Regiment de Champagne ;
Le Philofophe naturel d'Orleans ;
Jouffes Sr de laChapeliere , de Charleville;
Le bon Clerc de la bonne
Muſique deChâlons; DeGoumiers ;
Un
184 MERCURE
Un Chanoine de S. Victor; Mefdames
le Pelletier , de Meaux; Favereau
, furle Quay de la Tournels
le; Guerin , de la Citadelle de Ste
nay; De Noyelle fur la Mer; Les
ger , de Troyes ; Antonie ; L'Incomparable
du Païs de Caux; La
Societé des trois Perſonnes enjoüées
de Tours ; Les Pies des Tours de
Noftre- Dames ; L'aimable Angelique
de Pontoiſe; La Veuve de la
Ruë Chapon ; Le Chevalier , de la
Porte de Paris; L'Amant def intereffé
, de Noyon ; L'Opéra de la
Rochelle ; Le Solitaire de Picardie;
Le Secretaire fidelle d'Amiens ; &
le Triton. Meſdemoiselles de Penavaly
de Breft , & Clarice Genoiſe ,
les ont expliquées en Vers , aufſfi- bien
que Meſſieurs du Mont Avocat à
Chaumont, L'Abbé Rathier, Houppin
le jeune , Hordé Secretaire de
M' le Comte de Parabere , Fueillet
Avocatà Chartres , Geoffroy lejeune
de Loches , Catel de la Ruë du
Four,
GALANT. 185
Four , de Foreſta Colonque , Le
Solitaire de Pontoiſe , le petit Afcagne
, Hugo de Gournay fur Epte ,
Baizé le jeune , Le Drüide du Bois
de Levantin , & les Reformateurs
de Bretagne.
Les deux nouvelles Enigmes que .
je vous envoye font , la premiere de
M' Saurin , & l'autre de M' Broffard
Conſeiller au Prefidial de Bourg
en Breffe.
ENIGME.
ONferoit mal fans moy toute importante affaire,
Et je puis à la Cour trancher du neceſſaire.
Fe me mesle de tout , j'excelle en tout Employ .
Perſonne ne me voit , chacun croit me connoiſtre
;
Je me pique affez de paroiſtre ,
Et rien n'est plus obfcur à moy mesmeque moy.
Vous me cherchez icy peut- estre ,
Maisſi je n'y suis pas, au moinsj'y devrois eftre.
Ne vous rebutez point , cherchez moy deformais
;
On me croit bien souvent où je nefus jamais.
AU186
MERACUR
AUTRE ENIGME .
JEſuis en vogue en France , & je n'y suis
pas rare;
Mais quandjefuis commun on ne meſtime pas.
Je suis habile , & par un fort bizare
Je fais ſouvent mon plus grand embarras.
Iln'est rien queje n'ofe & ne puiſſe entreprendre .
Quandje parois oyſifje travaille en effet ,
Et mon travail finy je nesçaurois comprendre
La maniere dont je l'ay fait.
Je suis de tout meſtier , dans la paix , dans
la guerre .
Sans moy l'on ne fait rien de bon.
Je puis facilement courir toute la terre ,
Et jesuis toujours en prison.
Partout on me recherche , on m'estime & l'on
m'aime.
:
Tout le monde à l'envy me trouve plein d'attraits.
extréme.
Refvez , cherchez-moy bien , prenez un foin
Si je ne me trouve moy-meſme ,
Vous ne me trouverezjamais .
L'Enigme en figure qui reprefenteDaphné
fuyant Apollon , n'eſt autre
choſe que l'Ombre. Voicy l'Explication
que M' Rault de Roüen
en a donnée.
Dans
GALANT 187
Dans cette Forest verte & sombre ,
Allons, Daphné , nous mettre à l'ombre ,
Le frais y caufe un doux fommeil :
C'est dans ce lien vert & Sauvage,
Que nous repofans à l'ombrage ,
Le Mercure nous dit qu'il faut fuir le Soleil.
CetteEnigme ne conſiſte que dans
l'action. Apolloneft caufe delafuite
de Daphné, & Pombre est tou
jours produite par le Soleil. Mefſieurs
Andry , le Bourg Medecin à
Caën, Bonnet de Vaux , & les Reformateurs
de Bretagne , ont auffi
trouvé ce meſme ſens. En voicy
d'autres donnez à cette Enigme par
diférentes Perfonnes.
M' Gardien , un Flambeau allumé
poursuivant Pobscurité; Geoffroy le
jeune, de Loches , le Four chaſſant
la Nuit , en Vers. Le Hollandois de
Blois, le Soleil poursuivant à son lever
l'Etoille du Four; Meffieurs Joſeph
Rey, Geographe de S. A. R. de Sa
voye; DarciſesGentilhomme Beaujollois;
De Lattre Avocat à Guife;
cction Chap188
MERCURE
Chappuis , de Monbriſon en Foreft ;
Le bon Clerc de Muſique de Châlons
ſur Saône; & le Triton , la
Hollande & la Paix donnée par le Roy
à cette Province ; M'Eveillard Avocat
en Parlement , la Paix qui arreſte
les Conquestes de Louis le Grand;
L'Amant nocturne, les Conquestes du
Roy ; Le Jaloux de lagloire des Tous
rangeaux , la Gloire poursuivie par les
Héros; Meſſieurs Houppin le jeune ,
Merlin de Beauvais , & le Solitaire,
inconſtant, la Chasteté; M'Panthot,
la Paix victorieuse; La Societé des
trois Perſonnes enjoüées de Tours,
les Victoires du Roy fur les Peuples dis
Rhin; Hervilſon , S. D. V. de Troyes
, la Grape de Verjus; Du Mefnil
, les Arbres & les plantes ; Thibaud
Medecin à Tours , le Sucre ,
en Vers ; Le Solitaire de Pontoiſe,
la Terre& le Soleil , en Vers ; L'Inconfolable
du Païs de Caux , l'Aurore
; Mesdames le Pelletier , de Meaux
, une Ravine d'ean ; ClariceGénoiſe
,
MEDUSE ENIGME
190
MERCURE
noife , la diférence de la Proſe &des
Vers , en Vers ; M du Meſny Abbé
des Bons Enfans de Loches , &
le petit Aſcagne , le Printemps ; Mefſieurs
Thabaud des Ferrons en Berry
, & Aymés de Beziers , laNuée.
Méduseeſt la nouvelle Enigme que
Je vous propoſe. Sa teſte que Perſée
Fils de Jupiter & de Danae coupa ,
avoit le pouvoirde changer tous ceux
qui la regardoient en pierre. Ainſi
elle eſtoit l'effroy de tout le monde ,
& on avoit grand ſoin de fuïr pour
s'empécher de la voir.
M'de Choiſy, Commandant dans
Thionville , & Gouverneur de laCitadelle
de Cambray , a enfin épousé
Mademoiselle de Clermont. LeMa
riage eſtoit arreſté depuis quelque
temps , mais la cerémonie n'avoit
encor pû s'en faire à cauſe qu'il eſtoit
occupé aux Fortifications de Longhuy.
Il excelle dans ces Ouvrages ,
& s'eſt rendu ſi utile & fi agreable
à Sa Majesté , qu'il en reçoit de tresGALANT
191
confidérables Penſions. Il a fait voir
en pluſieurs rencontres que fon coeur
n'eſtoit pas moins eſtimable que fon
efprit. Rien n'eſt plusgalant ny plus
magnifique , que les divers préſens
qu'il a fait tous les jours à ſa Maiſtreffe
depuis celuy de ſon arrivée ,
juſqu'à ce que fe donnant tout entier
à elle, il ne trouva plus à rencherir
ſur ce dernier don. Aujourd'huy
c'eſtoit un beau Fil de Perles;
demaindes Boucles de Diamans ;
le jour ſuivant un grand Carroffe
avec fix Chevaux , un autrejour force
Louis dans une Caffette de Criftal
garny d'or , & enfin pluſieurs
Boëtes à Portraits & à Mouches ,
le tout enrichyde Diamans. Sonmé,
rite plus que ces galantes liberalitez ,
qui ne deuvrentpourtant pasdéplaire,
l'avoit rendu maistre du cooeur avant
qu'il le fuft de la perſonne de Ma
demoiselle de Clermont, quiest d'une
tres bonne Maison & des mieux alliées
de Paris dans la Robe & daris
l'Epée.
192
MERCURE
l'Epée. M' de Clermont fon Pere
eſtoit Maiſtre desComptes. Elle n'a
qu'un Frere qui eft Conſeiller au
Grand Confeil. Madame ſa Mere
eſt Gargan , & a une pieté éxemplaire
qui ne luy laiſſe avoir des veuës
que vers le Ciel. Quoy que ſes vertus
éclatent , ce ne ſont pourtant
que celles qu'elle ne peut entierement
cacher.
- Le Public a fait une tres-grande
perte en la perſonne du R. P. Yves
de Paris , qui eſt mort depuis quinze
jours au Convent des Capucins de
laRuë S. Honoré. C'eſtoit unHomme
extraordinaire , du nombre de
ces Eſprits penétrans , à qui il ſemble
que la Grace & la Natureayant
pris plaifir à découvrir tout. Il ne
faut que lire ſes Ouvrages pour eftre
convaincu de ſa profonde érudition ,
&des hautes lumieres qu'il poſſedoit
dans toutes fortes de Sciences. Il a
donné au Public douze Volumes en
fol . & quantité d'autres Livres qui
ne
GALANT. 193
ne laiſſeront jamais effacer la gloire
qu'on ne luy ſçauroit diſputer , d'a
voir eſté unedes plus fecondes , des
plus éloquentes , & des plus ſaintes
Plumes de ſon Siecle. Ce grand
Homme avoit conſacré ſa jeuneffe
au Barreau , juſqu'à l'âge de trente
ans qu'il entra chez les Capucins,
où il en a paſſé cinquante-huit avec
une telle integrité de vie , & un fi
genereux mépris des honneurs, quil
y a toûjours conſtamment refuſé les
premiers Emplois qui luy ont eſté
pluſieurs fois offerts. Ileſt mort âgé
dequatre-vingts-huit ans. Je ne vous
dis rien de ſes vertus particulieres.
Elles fleuriſſent tellement dans tout
l'Ordre des Capucins , qu'il ſuffit
d'en eſtre pour mériter beaucoup de
gloire devant Dieu & devant les
Hommes.
M' Carpatry, Maiſtre desComptes
& Commis de Monfieur le Tellier ,
& de Mº de Louvois , eſt mort auſſi
dans le meſme-temps. Il a eſté fort:
Octobre. I re194
MERCURE
regreté de ces deux Miniſtres , à cauſe
de l'expérience qu'il avoit dans
les affaires où ils l'ont employé pendant
pluſieurs années. Comme ceux
qui travaillent ſous de fi grands
Hommes deviennent habiles en peu
de temps , & que d'ailleurs ils n'en
choiſiſſent point qui n'ayent déjaun
fort grand mérite , on ne doit point
douter de celuy de M' Carpatry..
M l'Abbé de Chavigny Docteur
de Sorbonne , a eſté nommé à l'Eveſché
deTroyes, vacant par la mort
de M Mallier du Houſſay, qui le
poffedoit du vivant de Louis XIII .
& qui estoit Abbé de S. Pierre de
Melun . L'abondance de la matiere
de ce Mois me fait differer à vous
entretenir du mérite de cenouveau
Prélat, juſqu'au temps où je vous
parleray de fon Sacre.
Je paſſe à l'Article des Modes nouvelles,
dont je ne vous entretiendray
que parce que je m'y fuis en,
gagé. Je ne devois pas fixer untemps
pour
GALANT. 195
pour vous en parler ; & puis que
l'inconſtance les fait naiſtre , je devois
croire que je ne pouvois rien
promettre d'aſſuré ſur cet Article.
Je me fiois ſur le changement des
Saiſons , mais elles ſont ſouvent bien
trompeuſes. Il est vray qu'elles confervent
toûjours leur nom , mais on
ne les peut quelquefois reconnoiſtre
que par là , & leur nom ne fuffit
pas pour produire des Modes nouvelles
, quand du reſte elles n'ont
rien de ce qu'on attend d'elles , que
l'Hyver regne pendant les premiers
jours du Printemps , &les chaleurs
de l'Eté pendant la plus grande partie
de l'Automne. Ce déreglement
des Saiſons ſera cauſe que d'orefnavant
je ne vous parleray de Modes
qu'à meſure qu'elles feront inven
tées. Je ne vous en apprendrayguéres
à la fois , mais je vous en entretiendray
ſouvent , & peut-eftre en
trouverez-vous quelque choſe dans
la plus grande partie de mes Lettres
12 tant
196 MERCURE
tant ordinaires qu'extraordinaires.
Comme on a cette Année paſſfé tout
d'un coup de l'Eté à l'Hyver , &
que les pluyes continuelles ont fuccedé
aux grandes & longues chaleurs
, ſans que nous ayons joüy des
beaux jours que l'Automne devoit
nous donner , je paſſeray de mefme
des Modesde l'Eté à celles de l'Hyver.
Je croy vous devoir entretenir
d'abord des Habits& des Etofes d'or
& d'argent. Je ſçay bien qu'il eſt
défendu d'en porter , & vous le ſcavez
comme moy. Cependant il eſt
peu dePerſonnes de qualité qui n'en
ayent. Il est vray qu'elles ne s'en
fervent que rarement , & que lors
qu'elles les portent , ce n'est que dans
des lieux où il n'ya rien à craindre
duplus juſte& du plus vigilantJuge
de Police que nous ayons veu en
France. Letemps avoit toûjours fait
oublier ces fortes de défenſes; il les
faloit fans ceſſe renouveller; on n'impoſoit
aucune peine à ceux qui
201 ofoient
GALANTA
197
ofoienty contrevenir ; maisce temps
eft paffé , & quoy que Me de la
Reynie ſoit le Magiftrat du monde
le plus affable , on peut affurer que
lors qu'il s'agit de faire executer les
volontez du Roy , rien ne luy peut
faire relâcher de la juſte ſeverité que
tout Juge qui veut eſtre équitable
doit avoir . Je croy que cet éclairciſſement
eſtoit neceſſaire avant que
de vous parler des Etofes d'or &
d'argent.
Celles qui font le plus en regne,
font des Draps d'or façonnez de plufieurs
fortes , ſur des fonds de couleur
de muſc, clairs & bruns , brochez
d'or & d'argent. On brode auſſi
en or & en argent ſur des Gros de
Naples , ou Moires liffées de ſoye ,
fabrique de Paris , & façon de velours
ras . Ceux qui ne portent ny
or ny argent. , font broder ces Etofes
de ſoye de pluſieurs couleurs. On
y fait meſme imprimer ou gauffrer
des Fleurs. On doubleles Habits de
. plu 13
!
¥98 MERCURE
pluche ou pannes de couleurs hautes
, comme de couleur de feu ou
de ceriſe. La plupart des Hommes
ne s'habilleront cet Hyver que de
deux fortes d'Etofes. La premiere
eſt un Drapgris , que l'on peut dire
auſſi bientravaillé que le Caſtor. La
ſeconde est une Etofe brochée avec
un cordonnet. Mr Gaultier de la
Couronne Ruë des Bourdonnois ,
a fait faire ces Etofes qui font tresbelles
. Les Habits de Ville des Femmes
feront d'Etofes de ſoye de toutes
fortes de manieres. Il y en aura
avec du velouté tant en noir qu'en
couleur. On portera des Jupes brodées
tant fur le Meſtier que par le
Brodeur, qui imiteront les Points
de France. On porteà preſentquantité
de gros Satins couleur de cheveux
, gris de Souris , &grisdeperle
, qui ſont ſemez d'un courant de
Fleurs. On porte auſſi de gros Satins
dont les Fleurs font fraizées ,
comme fi c'eſtoit du velours cize
lé ,
GALANT. 199
lé , & des Etamines à fleurs à fonds
de fatin blanc. Nous avons veu naiſtre
deux couleurs depuis quelques
années (ce qui n'arrive que tres-rarement
.) Ces deux couleurs font celles
de paille & de Prince. Mr Gaultier
en promet une troiſieme , mais
il n'en veut point encor dire le nom .
Il attend pour la S. Martin une Flote
de tres-riches Etofes . Les Manteaux
que l'on fait ſont toûjours afſez
négligez , & la plupart des Robes
font faites à l'Indienne.
On porte à la Cour l'or & l'argent
ſur le bleu & fur le rouge ,
pourveu que ce ne ſoit point de la
Broderie , car elle n'eſt permiſe qu'à
ceux qui ont deJuſte- à-corps deBrevet;
mais on couvre en récompenſe
les Juſte-à-corps bleus & rouges
d'un Point de France & d'un Point
d'Eſpagne ſi relevé & ſi bien fait ,
qu'il furpaſſe la Broderie en beauté ,
& ily en a meſme qui font tout couverts
d'argent trait. Les Echarpes
14 font
200 MERCURE
font magnifiques, & font d'un Point
d'Eſpagne d'or, ou d'or & d'argent
enſemble, mais ſi maniables , qu'elles
ne groſſiffent point. Ces Echarpes
ne ſe mettent pas ſeulementpar
deſſus les Juſte- à- corps bleus & rouges
garnis de Dentelles ; on les met
encor fur ceux de velours , & fur
les gris . L'on ſe ſert toûjours des
Boutons vermeil doré, mais l'on ne
fait point de Boutonnieres de fil d'or .
Les Boucles de Souliers les plus à
la mode font d'or. Les Noeuds d'épaule
& d'Epée ſont brodez- paffez ,
ſeulement d'un demy pied de haut ,
avec une Frange double , ou une
Campane d'or & d'argent. Je croy
que vous n'ignorez pas que brodépaffé
eſt une Broderie plate qui paroiſt
des deux coſtez. Les Rubans
que l'on porte ſans or & fans argent
font tres -larges , & la plupart tabi-
'fez& mouchetez . Les Chapeaux qui
ſe portent avec les richesJuſte-à-corps
dont je vous ay parlé , ſont bordez
d'or
GALANT. 201
d'or & d'argent , & l'on commence
meſme à porter un petit fil d'or autour
des Caudebecs. On porte avec
les meſmes Juſte-à-corps des Baudriers
à fleurs d'or , decoupez avec
des couleurs deſſous. On apetiſſe tous
les jours les Chapeaux , & les Caſtors
ſont toûjours ras. Les Bouquets
de Plumes commencent à devenir à
la mode. Celle des Habits n'eſt point
changée, ils ſont toûjours à la Cavaliere.
Les Bas ſont toujours roulez
, & les Juſte-à-corps longs. Les
Canons des Rhingraves ſont toûjours
évidez , excepté ceux que l'on fait
de Point de France , dont on voit
beaucoup à preſent. On portera des
Habits gris brodez de ſoye , avec
Canons de Point. Il y a une Fabrique
Royale établie nouvellement à
S. Maur pres Paris par le Sieur Charlier
, où l'on fait des Etofes d'or ,
d'argent , & de ſoye , & des Draps
d'or à la façon des Perſes , & d'autres
à la maniere d'Italie ; des Velours
,
202 MERCURE
lours , Satins , Damas , & de toutes
fortes de Draps d'or & de ſoye
de qualitez extraordinaires que l'on
peut acheter de la premiere main ,
en allant à fon Magazin à Paris Ruč
de la Coutellerie , au Cerceau d'or ,
où il debite leſdits Ouvrages. Ce
M' Charlier a une intelligence toute
particuliere pour faire fabriquer
toutes fortes d'Etofes. C'eſt luy qui
a fait depuis fix ans toutes celles qui
ont ſervy pour habiller le Roy. Il
en fait d'admirables pour lesAmeublemens.
Quant à celles qui ſervent
à faire des Habits , il les fait ſi maniables
, qu'on ne ſçauroit aſſez les
admirer , & c'eſt par là qu'elles ont
plû au Roy. On ne doitpas s'étonner
du merveilleux talent qu'il a
pour ces fortes de choſes , puis qu'il
a veu tous les Païs Etrangers où les
plus belles Etofes ſe fabriquent. Il
en fait de nouvelles dont le Deffeins
font admirables , &d'une invention
toute particuliere. Il n'y a que luy
en
GALANT .
203
en France qui puiſſe venir à bout
des choſes qu'il execute. Il fautjufques
à quinze milles cordes pour
monter la plupart de ſes Meſtiers ,
& on ne les ſçauroit voir fans furpriſe.
Apres vous avoir parlé d'Etofes
, de Modes , & de Manufactures
nouvelles , je croy vous devoir
faire voir deux Figures habillées.
Jettez les yeux ſur ce Cavalier ,
vous verrez dans ſon habillement
une partie des chofes dont je vous
viens d'entretenir. Imaginez -vous
qu'il revient de l'Armée , & qu'on
l'a habillé ſelon les premieres Modes
qui ont paru. Son Habit eft de
ces Draps gris dont je vous ay déja
parlé , & qui ſe vendent chez le
Sieur Gaultier. SonJuſte- à- corps eft
long , & ſa Veſte un peu plus courte
que celles qu'on portoit l'Eté dernier.
Elleeſt brodée de ſoye ſur un
fonds de Satin , (ce n'eſt pas qu'on
n'en porte de pluſieurs autres Etofes
.) Il n'y a point de Modes generales
Habitd'Hyver
1678.
00000
GALANT.
105
rales pour les Veſtes. Les Manches
de ce Cavalier font à l'ordinaire ,
avec un fort grandNoeud de Ruban
large. Ses Gants ſont de Frange de
la couleur de ſa Garniture ; & fon
Noeud d'épaule& celuy de fon Epée
font larges & brodez paſſez , avec
une grande Frange au bord. Son
Baudrier eſt brodé de ſoye ſur un
fonds de la couleur de ſa Garniture ;
& ſon Echarpe eſt de Point d'Eſpagne.
Il a un Manchon de petit gris ,
(on n'eſt pas feûr que cette Mode
continuë , mais il eſt certain que les
Marchands le ſouhaitent , & qu'ils
en ont fait faire beaucoup. ) Son
Chapeau eft petit , & garny d'un
Bouquet de Plumes. Il eſt de Caſtor
gris blanc , & ras. On porte auſſi
de petits Caudebecs noirs , legers ,
&maniables . La Perruque que vous
voyez eſt encor à la Cavaliere , & la
Crevate eſt de Point de France. Je
ne vous dis rien des Deſſein de ce
Point , puis qu'ils n'ont pas changé
Octobre. K de-
1
206 MERCURE
depuis que je vous en ayparlé. Les
Bas de ce Cavalier ſont roulez , fes
Boucles d'or , & fes Souliers luſtrez .
C'eſt affez vous entretenir de cequi
regarde l'ajustement des Hommes ;
il eſt temps de vous parler des Dames.
Il n'y a encor rien de changé
à leurs coëffures ; leurs cheveux font
toûjours moitié crêpez & moitié
bouclez , & fort ſeparez dans lemilieu
du front. Elles mettent ordinairement
deux Cornetes de Point
à la Reyne , ou de foye écruë , &
fort rarement de Point de France ,
parce que le Point clair ſied mieux
au viſage. La petite Cornete fraizée
qui en approche le plus , eſt noüéed'un
Ruban ſous le menton. La
ſeconde qui accompagne la petite ,
eſt plus longue; & l'on met au bas
de la troifiéme appellée la grande ,
deux Noeuds négligez. On nouë fur
la teſteun Ruban large& tournant.
La premiere Coëffe eſt de Point de
meſme les Cornetes , & de la ſeconHabitd'Hyver
1678.
208 IERCURE
conde de Gaze double. Tout cela
ſe voit dans la Figure de Femme
quejevous envoye, fur laquelle vous
n'avez qu'à jetter les yeux. Laforme
de fon Manteau eſt à l'ordinaire.
Il eſt de gros Satin de Florence ,
couleur de Muſc , brodé de ſoye de
couleurs modeſtes , qui font le violet
, le gris de lin , & la couleur de
Prince. Ilyaun peu deblancmeſlé
parmy ces couleurs . SaJupe eſtd'un
gros Satin d'un blanc un peu ſale ,
brodé de ſoyes bleues & violetes ,
&de couleur de Prince & de Muſc .
Ily a en bas une grande Dentellede
ſoye rebrodée & pliffée. On met toûjours
un double rang de Point aux
Manches , & des Manchetes doubles.
Les devans des Manteaux ſont retrouffez
de Noeuds de Pierreries. On
brode les Souliers de grands fleurons
or & argent ; & les Manchons des
Dames ſont faits de tiſſu & de pluche.
On met de gros Noeuds de
Ruban ſur ces Manchons.
J'ay
GALANT.
209
J'ay oublié à vous marquer que
les Habits de fatigue des Hommes
ſont de Frize d'Irlande , & qu'on
en porte beaucoup.
Je devrois encor vous entretenir
de Mariages , de Morts , d'Accouchemens
, de Charges nouvellement
données , & pluſieurs autres Articles;
mais toutes ces choſes m'eſtant
venues trop tard, je ſuis obligé de
remettre au Mois prochain à vous
enparler. Vous les ſçaurez fans-doute
alors , mais je croy qu'elles ne
laiſſeront pas de vous eſtre nouvelles
par pluſieurs circonstances dont
j'auray ſoin de vous informer. Je
fuis, &c.
AParis ce 31. Oftobre 1.678.
K3
TATABLE
des MATIERES
contenuës en ce Volume.
Avant-propos , Page I
Idylle de Mefſſieurs de l'Académie de Soiſſons, II
Air nouveau ,
Mort de M. Brayer ,
16
18
Mort du celebre M. Nicole , 20
Galanterie en Proſe & en Vers ſur des Paroles
de l'Opéra d'Atis , 23
Arrivée de M. le Conneſtable Colonne à la
Cour de Savoye , & fon entreveuë avec
Madame la Comteſſe de Soiſſons , 28
Les Aprests de Noce du Prince de Neubourg
de l'Archiducheſſe Marie Anne, font
faits parle Marquis de Fleury par ordre de
l'Empereur.
Mariage de M. le Vicomte de Luſſan ,
Bouquet ,
29
30
32
Promenade de Monseigneur le Dauphin à Courance
,
33
Mariage de M. de Varengeville & de Mademoiselle
Courtin ,
Nouveaux Livres de Genealogie ,
34
35
Le Roy donne deux Abbayes , l'une au Fils
de M. de Cordemoy Lecteur de Monseigneur
leDauphin, & l'autre à M. de Mouchy , 37
L'Ombre de l'Empereur Charles -quint en Vers ,
par M. l'Abbé de la Chaise , 39
Festes galantes données sur les bords de la
Marne ,
47
Réjoüiffames faites en pluſieurs endroits , 58
MoTABLE.
Monument nouveau à la gloire du Roy , inventé
par M. de Faugeon , 65
Differtation sur la Question proposée dans le
Madrigal ,
Second Extraordinaire du Mercure ;
Autre Madrigal ,
69
77
ibid.
Vers fur un Baiser dérobé , 78
Lettre touchant l'origine des Cadrans , 79
Autre ſur le mesme ſujet , 85
Mort de M. l'Evesque de Munster , avec un
abregé de ſa vie , 93
M. l'Evesque de Paderbron luy fuccede , IOI
Circonstance oubliée dans la Relation du Combat
de Mons , 105
Fautes qui s'estoient gliſſées dans la mesme Relation
, III
L'Amant Batelier , Hiſtoire , 114
Mariage de M. le Marquis de Chaſteaugontier ,
&de Mademoiselle de la Cour des Bois , 128
Nouvelle Traduction d'Horace,
133
Discours touchant les Medailles , 134
Explication des Medailles gravées dans ce-Volume
,
141
Avanture causéepar la Queſtion proposée dans
le ſecond Extraordinaire du Mercure , 164
Epigramme , 170
Divertiſſement de S. Cloud , 171
Le Roy va viſiter la Maiſon des Invalides , 176
Madame la Marquise de la d'Aubiay prend
poſſeſſion de la Charge de Gouvernante des
Filles d'Honneur de Madame ,
K4
177
MaTABLE.
Mademoiselle de Fontange est reçeuë Fille d'Honneur
de Madame , 178
Accouchement de Madame la Princeffe d'Elboeuf,
179
Le Roy donne une Abbaye à M. RobertMaiſtre
de Musique de ſa Chapelle , ibid.
Explication en Vers de lapremiere Enigme du
Mois passé, 180
Noms de ceux qui l'ont expliquée , ibid.
Explication de la ſeconde Enigme en Vers , 181
Noms de ceux qui l'ont expliquée , 182
Noms de ceux qui ont trouvé le vray ſens de
toutes les deux Enigmes , 183
Enigme , 185
Autre Enigme , 186
Explication en Vers de l'Enigme en Figure du
Moispaſſsé, * 187
Noms de ceux qui l'ont expliquée, ibid.
Mariage de M. de Choiſy Commendant dans.
Thionville , & de Mademoiselle de Clermont
, 189
Mort du Reverend Pere Yves de Paris , 192
Mort de M. Carpatry , 193
M. l'Abbé de Chavigny est nommé à l'Evefché
de Troyes , vacant par la mort deM.
Mallier du Houſſay , 194
Modes nouvelles, ibid..
Fin de la Table.
1
Avis pour toûjours.
ON prie ceux qui envoyeront des
Memoires où il y aura des Noms
propres , d'écrire ces Noms en caracteres
tres -bien formez & qui imitent
l'Impreſſion , s'ils ſe peut , afin
qu'on ne foit plus ſujet à s'y tromper.
On prie auſſi qu'on mette ſur des
papiers diférens toutes les Pieces
qu'on envoyera.
On reçoit tout cequ'on envoye ,
& l'on fait plaifir d'envoyer.
-Ceux qui ne trouvent point leurs
Ouvrages dans le Mercure , les doivent
chercher dans l'Extraordinaire ;
& s'ils ne ſont dans l'un ny dans l'autre
, ils ne ſe doivent pas croire oubliez
pour cela. Chacun aura fon
tour , & les premiers envoyez feront
les premiers mis , & à moins que la
nouvelle matiere qu'on recevra ne
ſoit tellement du temps , qu'on ne
puiſſe differer.
On ne fait réponſe à perſonne ,
faute de temps.
On
On ne met point les Pieces trop
difficiles à lire.
On recevra les Ouvrages de tous
les Royaumes Etrangers , & on propoſera
leurs Queſtions.
Si les Etrangers envoyent quelques
Relations de Feſtes ou de Galanteries
qui ſe ſeront paffées chez
eux , on les mettra dans les Extraordinaires.
On donnera un Volume nouveau
du Mercure Galant le premier jour
de chaque Mois fans aucun retardement.
L'Extraordinairedu Quartier d'OEtobre
ſe diftribuëra le 15. Janvier
1679.
Onpriequ'on affranchiſſe les Ports
de Lettres , &qu'on les adreffé toûjours
chez ledit Sieur Blageart , Imprimeur-
Libraire , Ruë S. Jacques ,
àl'entrée de la Ruë du Plaſtre.
On ne met point d'Hiſtoire qui
puiſſent bleſſer la modeftie des Dames
, ou deſobliger les Particuliers
par quelques traits ſatyriques .
On
1
On a beaucoup de Chanſons. Elles
auront toutes leur tour , fi on
apprend qu'elles n'ayent pas eſté
chantées. C'eſt pourquoy fi ceux par
qui elles ont eſté faites veulent qu'on
s'en ſerve , ils les doivent garder ſans
les chanter & fans en donner de copie
juſqu'à ce qu'ils les voyent dans
le Mercure.

MERCURE
GALANT.
De L'An 1998 .
Joustea come
àParis
Au Palais1678 .

LE
NOUVEAU
MERCURE
GALANT.
Contenant tout ce qui s'eſt paſſée
de curieux au Mois de Novembre
de l'Année 1678 .
Suivant la Copie imprimée
A PARIS
Au Palais , l'An 1678.
4
1
STA :
MONSEIGNEUR
LE
DAUPHIN.
MKONSEIGNEUR ,
Je ne me laffe point d'admirer avec
toute la France , le merveilleux progrés
que vous faites dans tout ce que vous
entreprenez. Fay ſouvent parlé de voſtre
adreſſe dans vos Exercices. Fay parlé
de la force & de la vigueur avec laquelle
vous en ſoûtene,z le travail ,
quoy que j'en puiſſe dire , je fens bien
que mes expreſſions ſont foibles , & que
tout ceque jepense est infiniment au def-
Sous de ce qu'on doit attendredu Fils de
LOUIS LE GRAND . Ce glorieux
Ture enferme tout, &je croy ne pouvoir
* 3
mieux
EPISTRE.
mieuxfaire, MONSEIGNEUR ,
que de vous repeter en Vers , ce queje
viens de prendre la liberté de vous dire
en Profe. Permettez-moy pour cela de
me ſervir d'un Sonnet dont on a rendu
leMercure dépositaire , & dont je laifſe
la gloire àfon Autheur en faiſſant
connoistrefon Nom.
France , depuis longtemps toûjours fi
triomphante ,
Que de biens , que d'honneurs , que
de Lauriers nouveaux ,
Ton DAUPHIN qui ſe formeau métier
des Héros ,
Ne te ſeme-t-il pas dans ſa Valeur
naiſſante !
Il yfait déja voir une force étonnante ,
Et tous ſes coups d'eſſay ſont ſi grands
& fi beaux ,
Que ce jeune Lion dés ſes premiers
Porte en tout l'Univers l'allarme &
travaux ,
l'épouvante.
S'il exerce un Courſier , c'eſt d'un air
qui ſurprend.
Tout
EPISTRE.
Tout charme en ſa Perſonne , il n'eſt
rien de fi grand ;
Ce qu'il fait , promet plus que ne fit
Alexandre.
Tous ſes Exploits feront des Exploits
inoüis.
Quels miracles auſſi ne doit-on pas
attendre
D'un Demy-Dieu formé du Sang du
Grand LOUIS ?
JOURDAIN.
Je ſuis avec le plus profond refpect ,
MONSEIGNEUR ,
Voſtre tres-humble , & tresobeïffant
Serviteur , D..
L
Ceux qui ont travaillé à quelques
Ouvrages fur les matieres propoſées
dans le Troiſieme Extraordinaire ,
font priez de les envoyer inceſſamment.
La Saiſon va devenir rigoureuſe
, & les Ouvriers , & fur tout
les Graveurs, ne pourront travailler
qu'avec peine. On prie auſſi ceux qui
par le moyen de leurs correſpondances
reçoivent des Nouvelles de Perſe
, de la Chine , du Japon , des
Indes , du Mogol , & d'autres Païs
Etrangers dont on ne parle jamais
dans le Gazettes , d'en faire part à
l'Autheur du Mercure , à l'adreſſe
marquée chez le Sieur Blageart ſon
Imprimeur. Les Nouvelles qu'on
demande des Païs Etrangers , peuvent
eſtre de leurs Guerres prefentes,
de leurs Révolutions, Ceremo--
nies , de tout ceque font leurs Rois ,
& generalement de toutes fortes de
Nouvelles de la nature de celles que
l'on met de toute l'Europe dans le
Mercure.
Pag. I
MERCURE
GALAΝΤ.
Na eu raiſon, Madame, de
vous aſſurer qu'il n'y a rien
d'égal à la joye que les Hollandois
continuënt à faire paroiſtrede la Paix.
Ils en gouſtent d'autant mieux la
douceur , que depuis l'année mil fix
cens ſoixante & douze , ils ont
éprouvé tout ce que la guerre a de
rigoureux. Les juſtes ſujets que le
Roy avoit eus de ſe plaindre de leur
conduite , leur avoient attiré ſes armes
de tous coſtez. Vous vous fouvenez
que plus de trente de leurs
plus fortes Places furent priſes , prefque
dans le meſme temps qu'ils les
virent attaquées. Tout trembloit ,
juſque dans leurs Provinces les plus
reculées. Amſterdam ne ſe croyoit
- plus en ſeûreté , & M'le Duc de
Luxembourg avoit eſté affez avant
Novembre. A pour
2
MERCURE
euft
pour ſe rendre maiſtre de la Haye ,
fiun dégel qui ſurvint ne luy en
fait manquer l'entrepriſe. Les Etats
ſe voyant perdus , & manquant de
forces contre celles du redoutable
Ennemy qu'ils s'eſtoient fait, eurent
recours à l'argent. C'eſt un ſeûr
moyen pour faire agir bien des bras.
Comme il nemanque preſquejamais,
il leur réüſſit. Vous le ſcavez , &
cela eſt connu de tout le monde.
Les offres qu'ils firent de fournir la
- plus grande partie des frais de la
Guerre , engagerent pluſieurs Puiffances
à ſe declarer contre le Roy.
L'éclat de ſa gloire avoit cauſé de la
jaloufie , & on ne doit pas s'étonner
ſi on prit avidement cette occaſion
de s'unir , pour mettre quelque obſtacle
à ſes conqueſtes. Il ſe forma
une Ligue d'Alliez . Leurs armes
furent jointes pour arreſter les progrés
d'un Conquérant à qui rien
n'avoit encor reſiſté; mais files Hollandois
réüffirent à luy ſuſciter des
EnGALAN
T.
3
Ennemis , ils ne vinrent pas à bout
d'empeſcher qu'il ne triomphaſt toûjours
également. Ces Ennemis s'eſtoient
déclarez ſans aucun autre ſujet
de ſe plaindre , que celuy que leur
pouvoit donner ſon trop de mérite ;
& dans toutes leurs entrepriſes , ils
furent auſſi malheureux qu'ils eſtoient
injuſtes. Il n'eſt point beſoin d'entrer
dans un détail dont toute l'Europe
eſt inſtruite. Les Hollandois
rebutez de cette longue ſuite de difgraces
quiaccabloit leurs Alliez , &
qui ne leur laiſſoit pas le temps de
refpirer , ſongerentàl'uniquemoyen
qu'ils avoient d'en trouver la fin .
Ils voyoient leurs Peuples dans l'impuiſſance
de payer plus longtemps
les taxes qu'on eſtoit obligé de faire
pluſieurs fois ſur eux pendant chaque
année, & d'ailleurs ils s'ennuyoient
de fournir inutilement de
l'argent qui ne ſervoit qu'à donner
de nouveaux ſujets de triomphe à
leur Ennemy. Les importantes con-
A2 que-
1
4
MERCURE
queſtes qu'il faiſoit dans chaque
Campagne , l'approchoient d'eux par
un endroit d'où rien ne le pouvoit
faire reculer , puis que les Places
qu'il prenoit de jour en jour devenant
Frontieres de ſes Provinces , en
pouvoient tirer tous lesſecours dont
elles auroient eu beſoin. Ces diverſes
confiderations ſur leſquelles ils
réflechirent , les déterminerent à
chercher la Paix. Le Roy n'eut pas
plûtoſt appris la diſpoſition où ils
eſtoient de la recevoir , qu'il en voulut
bien regler les conditions. Elles
leur furent offertes. La bonté quece
grand Prince fit voir par là qu'il conſervoit
encor pour des Peuples qui
avoient eſté ſes Amis , fut auſſi remarquable
qu'elle devoit eſtre peu
attenduë . Les Hollandois en témoignerent
de la joye , & trouverent
tant de moderation pour un Vainqueur
dans ces conditions propoſées,
qu'ils n'en refuſerent aucune. C'eſt
peu dire. Ils en furent ſi ſatisfaits ,
qu'ils
GALANT.
5
qu'ils firent meſme l'Eloge du Roy
en les recevant. Il avoit eſté leur
Protecteur avant la Guerre , & l'état
de leurs affaires domeſtiques leur
faiſoit voir qu'ils avoient encor beſoin
de luy , pour empeſcher qu'on
ne donnaſt atteinte à la liberté qui
leur eſt ſi chere. Je vous ay appris
tout ce qui s'eſt paffé depuis laconcluſion
de cette Paix , mais vous ne
fçavez peut- eſtre pas les marques
éclatantes qu'ils ont données de leur
fincerité à la ſouhaiter inviolable.
Ils ont fait batre une Médaille , fur
la Face droite de laquelle on voit
fept Flêches qui reprefentent les ſept
Provinces-Unies. Elles ſont liées
avec un Lys , dont trois fleurs paroiſſent
au deſſus. Les paroles qui
ſont ſur le lien font connoiſtre que
rien ne les ſçauroit def- unir. Celles
de la circonference marquent que la
France& la Hollande joignent leurs
Lys & leurs Armes. Toute la capacité
du Revers de la Médaille eft oc-
A 3 CUGALLVS
&
SEPA
LILIA
OVIS
CONIVNGVN
T
SS
OHTVIIL
VAS INA
ADOMI
NOVENIENS
POPVLIS
PAX
LÆTA REFVLGET
4
GALANT .
7
cupée par une Inſcription environnée
d'une branche d'Olivier. Cette
Inſcription donne à entendre que
cette Paix ſi agreable à tous les Peuples
eſt venuë duCiel. Cela ſe rapporte
à ce que je vous ay déja dit
dans quelqu'une de mes Lettres ,
que la Paix vient toûjours deDieu ;
que quand il en veut faire un préfent
aux Hommes , il la fait deſcendre
dans le coeur des Roys, & qu'il
a choiſi celuy de LoüIS LE
GRAND pour le porterà en répandre
les fruits fſur toute l'Europe.
Vous pouvez voir tout ce que je
viens de vous expliquer dans cette
Planche. Elle repreſente le Revers
auſſi bien que la Face droite de la
Médaille , & j'ay fait graver l'un &
l'autre afin que vous en puiſſiez.
mieux comprendre toute la beauté.
Par ces Monumens aiſez à multiplier,
&fur leſquels le temps n'a point de
pouvoir , on peut juger dela veritable
joye que la Paix a caufée aux
A4
Hol8
MERCURE
Hollandois , & avec quelle forte
paſſion ils deſirent la voir durable.
On nedira point, apres le ſoin qu'ils
prennent de faire parler les Métaux,
que ces grandes réjoüiſſances qui ont
eſté faites en Hollande , ſontde celles
que les Peuples font quelquefois
inconſidérement en faveur d'unenouveauté
, fans avoir examiné s'ils ont
un juſte ſujet d'en eſtre contens. La
Paix a également charmé tout le
monde, & onle connoiſt , puis que
dans le temps que toutes les Villes
témoignent à l'envy leur extréme
fatisfaction par leurs acclamations ,
&les Feux de joye , ceux qui gouvernent
expriment ſur l'or , l'argent
&le bronze , l'eſtime qu'ils fontde
la prétieuſe amitié que le Roya daigné
leur rendre. On a eu raiſon de
faire entrer dans le corps de la Medaille
l'impoſſibilité qui ſe va trouver
à def-unir la France & la Hollande.
Apparemment elles ne ſe defuniront
point d'elles - meſmes , &
quel
GALANT.
9
quel Ennemy aſſez puiſſant viendroit
àbout de les y forcer ? Toute l'Europe
liguée n'a pu rien contre la
France, & elle pourroit encor bien
moins fans les Hollandois , puis
qu'avec tout l'argent qu'ils ont fourny
, les Alliez ſemblent n'avoir pris
les Armes que pour payer des Contributions
, ſe faire batre , & perdre
des Villes. Nous ne pouvons nous
plaindre que la Guerre nous ait cauſé
de grands maux , puis que nos
Armées ont toûjours eſté chez les
Ennemis : mais ſi vous voulez voir
la peinture des avantages qu'apporte
la Paix dans les lieux où les Troupes
avoient accoûtumé de camper ,
vous la trouverez dans les Versque
je vous envoye. Ils font de M1r de
Roux , dont vous avez déja veu d'autres
Ouvrages. 11 fera difficile que
celuy-cy ne vous plaiſe , ayant jene
ſçay quoy de naturel & de dégagé
qui eſt particulier aux Cavaliers , &
qui ne ſe rencontre pas toûjours dans
A5 00
10
MERCURE
ce que font ceux dont la principale
occupation eſt d'écrire.
LE DEMESLE
DE BELLONNE,
ET DE LA PAIX.
BELLONNE.
Lors qu'avec un juſte couroux ,
Sur les pas de Loü Isje conduis la Victoire,
Rivale Paix , vos ſentimens jalous
Viennent troubler mes progrés & ma gloire.
Au temps des Grecs & des Romains ,
Avec moins de chagrinjeſouffrois vas outrages.
Mes armes n'estoient pas en deſi bonnes mains ,
Et je n'animois point defi dignes courages.
Vous vous ennuyez donc de reſter dans les Cieux
Avec ces bons Héros antiques ,
Qui parmy les douceurs de la Tabledes Dieux
Vous regaloient toujours d'un trait de lours
Croniques ?
Ceux qu'on voit icy bas chargez de mes Lauriers
,
S'offencent du repos qu'offrent vos Oliviers .
Depuis qu'aux Combats je préſide ,
Quej'inspire auxMortels une ardeur intrepide ,
Que je regle partout les interests desGrands ,
Et
GALANT. FR
Et que je fais des Conquérans ,
Jen'en ay point trouvé de plus infatigable
Que l'Auguste Loüis qui fait honteà la
Fable,
Et qui par des faits immortels ,
Atoûjours foûtenu l'honneur de mes Autels.
Ses ordres & son bras ont rendu ma puiſſance
Plus formidable que jamais.
Cependant , trop jalouſe Paix ,
Vous m'empeſchez d'avoir de la reconnoiſſance .
Quand par cent Triomphes divers
Je veux à fon pouvoir ſoûmettre l'Univers .
LA PAΙΧ .
Qui l'a pû conquerir , peut s'en dire leMaistre .
Mais l'Hercule François ſçait borner fes travaux
,
Et le Ciel l'a fait naiſtre
Poar donner à la Terre un aſſuré repos .
Que lecarnage donc cede aux Feſtes Galantes ;
Inhumaine , retirez vous .
Laiſſez dans ces Climats regner un air plus
doux,
Les mains des Arts n'y ferontplus tremblantes ,
Les infertiles Champs y deviendront Vergers ,
Les Loups yferontſeuls tout l'effroy des Bergers ,
Les Echos qu'alarmoit l'aigre ſon des Trompettes
Rediront ſeulement les accords des Muſetes.
Où campoient les Soldats , là paiſtront les
Troupeaux;
A6
12 MERCURE
Où les Tentes estoient on verra les Hameaux.
Ces Herbages cheris des Zephirs & de Flore ,
Neferontplusfoulez , neferont plusfanglans ,
Ils neferont trempez que des pleurs de l'Aurore ,
•Et naiſtrontà leur gré pluſieurs fois tous les ans .
Le Laboureur dans ſes Herbes naiſſantes ,
Verra ſans plus trembler l'espoir de fon Grenier
;
Où l'on a jusqu'icy moifſſonné le Laurier ,
Le Soleil meûrira des moiſſons abondantes ,
Le tumulte & l'effroy ſe verront abbatus ,
Les innocentes Delices ,
Et les tranquilles Vertus ,
Chaſſeront pour toûjours les Soucis & lesVices,
Et les Hommes pourront encor ,
Goufter les vrais plaisir que donnoit l'âge d'or .
Loüis fait fon bonheur 0 d'accroiſtre l'abondance,
D'abolir les abus , de vanger l'innocence ,
De voir fleurir ſous luy les Muſes & les Arts.
Il est mon Apollon comme il eſt voſtreMars.
Le repos des Humains est tout ce qu'il defire ,
Voila l'heureuſefin de ſes travaux divers.
Allez retirez- vous ; il poſſede un Empire
Qui vaut mieux que tout l'Univers.
Si on voit regner la tranquillité
dans nos Campagnes , lajuſtice regne
dans nos Villes. C'eſt avec un
pouvoir ſi ſouverain, quequoy qu'elle
GALANT.
13
ley en ait eu beaucoup de tout
temps , il ſemble qu'elle n'ait jamais
eſté ſi floriſſante que ſous l'Empire
du Fils de LoÜIS LE JUSTE .
Le Code que ce Grand Monarque
a fait faire depuis pluſieurs ans pour
foulager ſes Sujets , en eſt unemarque
incontestable. Tous les Magiſtrats
s'efforcent à l'envy de ſeconder
les bonnes intentions de Sa Majeſté
ſur l'équité qui doit eſtre la
regle de leurs ſentimens pour toute
✓ forte de Parties ; & M le Lieutenant
Civil Girardin , fit le mois pafſé
une action de Juſtice ſi éclatante,
qu'on aura ſujet de s'en ſouvenir
long-temps . Cefutdans une Affaire
où M' Hebert , l'un des plus fameux
Banquiers de Paris , eſtoit opprimé.
Comme cette action a eſtéſçeuë
beaucoup de monde , iln'y a pointà
douter qu'elle ne retienne dans le
devoir ceux qui par animoſité ou
par intereſt , ne font pas quelquefois
ſcrupule de paſſer par deſſus la for-
A7
de
ma14
MERCURE
fi malité des Procedures. Je ne vous
explique point l'Affaire dont il s'agiffoit.
Les termes d'Exploit, de
manque de Controle , & d'autres
femblables , ne ſont point divertiſfans
pour les Dames ; & comme par
cet Article je ne cherche qu'à vous
faire voir combien M' Girardin s'eſt
rendu digne de l'eſtime qu'il s'eſt acquiſe,
il me ſuffit de vous avoir
marqué ce qui le regarde.
Je finis maderniere Lettre avec
tant de précipitation , queje ne pûs
vous parler du retour de Madame la
Comteffe de Soiſſons. Elle est revenue
de Savoye , & a eſté tres-favorablement
receuë de Leurs Majeſtez.
Les honneurs qu'on luya rendus
, & les divertiſſement qu'on a
eu ſoin de luy procurer à Turin ,
l'y ont arreftée plus longtemps qu'el
le n'avoit crû y devoir refter. Jene
vous dis rien de la politeſſe de cette
Cour. Elle a des charmes qui ne
la laiſſent jamais quitter ſans regret ,
fi ce
GALANT.
15
\
ſi ce n'eſt pour venir en celle de
France. Ainſi il vous eſt aiſéde juger
queMadame la Comteffede Soifſons
n'a pû qu'y faire un fort agreable
ſéjour, ſoit pour le rang qu'elle
y tient , ſoit pour l'eſprit , labeauté
, la galanterie & la magnificence
qui s'y trouvent avec d'autant plus
d'éclat , que Madame Royale qui
en eſt l'ame , n'oublie rien de ce
qui peut les y maintenir. Quoy qu'il
y ait des Païs où toutes ces chofes
font naturelles , il eſt certain que la
plupart des Cours ne font que ce
que les font les Souverains. Pour
vous faire connoiſtre combien celle
dont je vous parle eſt magnifique ,
il ne faut que vous aprendre le Jeu
qu'on y ajoüé , & les ſommes qu'on
y a perduës. Madame de Soiffons
en a eſté quite pour huit cens Piſtoles
, mais il en a couſtépres de cinq
mille à M le Marquis de Fanelle
& à Madame ſa Femme ; deux mille
àM' le Comte de S. Maurice & douze
cens
1
16 MERCURE
cens à M' le Marquis de Chaſtillon ,
fans compter d'autres ſommes confidérables
que preſque tous ceux de
cetteCour ont perduës. M' le Prince
Philippe , outre vingt Chevaux
& pluſieurs riches Etoffes pour faire
des Ameublemens, a emporté plus
de quinze cens Piſtoles en France.
Joignez à cela les genéreuſes remiſes
que ce jeune Prince a faites detresgroſſes
ſommes qu'il n'a point voulu
qu'on luy ait payées. Mr le Chevalier
Doria n'apas moins gagnéque
luy. Un peu avant le Départ de Madame
la Comteſſe de Soiffons , Madame
Royale luy envoya un riche
Bracelet de Diamans , eſtimé trois
mille Piſtoles. Il luyfut apporté par
Madame la Comteſſe de S. Maurice
, à la quelle cette Princeſſe donna
un fort beau Diamant pour marque
de ſon amitié & de ſon eſtime .
Elle fit auſſi preſent à tous lesGentilshommes
, Officiers & Domeſtiques
de M le Prince de Carignan ,
& il
GALANT .
17
& il n'y eut aucun des Valets de
pied & desGens des Ecuyers qui ne
reffentiſt des effets de ſa liberalité.
Enfin le 4 du mois paffé , elle alla
prendre congé de Monfieur le Duc
de Savoye & de Madame Royale ,
ainſi que Mr le Prince Philippe , &
M' l'Abbé de Savoye , & partit le
lendemain. Leurs Alteſſes Royales ,
& toute leur Cour , l'accompagnerent
juſqu'à un mille de Turin , &
ce ne fut pas fans regret que Madame
Royale s'en ſépara , les belles &
grandes qualitez de ces deux Princeſſes
leur ayant fait naiſtre beaucoup
d'eſtime l'une pour l'autre. D.
Gabriel de Savoye la vint conduire
juſqu'à S. Ambroiſe , avec les Carroffes
de Leurs Alteſſes Royales ;
M' le Prince de Carignan juſqu'à la
Nonvaleze , & M'le Prince Jules
• ſon Fils juſqu'à Chamberry. Je ne
ſçay ſi M l'Abbé de Savoye que je
viens de vous nommer , vous ſera
connu. C'eſt celuy qu'on appelloit
τοû18
MERCURE
toûjours M le Chevalier de Carignan.
Il prit ce nom d'Abbé de Savoye
en ſe faiſant tonſurerquelques
jours avant qu'il partiſt de cette
Cour. Comme il a fait voir par là
qu'il ſe deſtinoit à l'Eglife , S. A. R.
luy doit donner les meilleurs Benefices
de ſon Etat , lors qu'ils vaqueront.
Vous vous ſouviendrez ſansdoute
de ce que je vous dis il y a quelque
temps d'une Nourrice , qui ayant
eſté retenuë par Madame la Ducheſſede
Leſdiguieres , en mourut de
joye. Si elle euſt eu une ſeconde vie,
elle l'auroit infailliblement perduë
en la voyant depuis peu accouchée
heureuſement d'un Garçon. Cette
agreable nouvelle ne fut pas plûtoſt
répandue dans l'Hoſtel de Leſdiguieres
, que tous les Domeſtiques fortirent
dans la Ruë en danſant , &
rendirent tout le Quartier témoin de
leur joye en la faiſant éclater au ſon
de pluſieurs Inſtrumens. Ces marques
de
GALANT. 19
de réjouiſſance durerent toute la
nuit. Le lendemain il y eut un Feu
d'artifice dans les formes avec des
figures. Ces témoignagnes d'un zele
affectionné dans des Domestiques ,
furent recompenfez par une ſomme
conſidérable que M' le Duc de Lefdiguieres
prit ſoin de leur faire diſtribuet.
On ſe réjoüit de la naiſſance de
beaucoup d'Enfans ; cependant ils
ne naiffent que pour mourir , & les
plus heureux apres avoir joüy quelque
temps , ou des honneurs , ou
de la réputation qu'acquiert le mérite
, font obligez de quitter la place.
Celle de M' du Boulay qui eſt
mort le 16 de l'autre Mois ne ſera
pas aiſée à remplir. L'Univerſité de
Paris a perdu en luy ſon ancienDocteur
, fon Greffier , ſon Hiſtoriogra-
- phe , & un de ſesplus Illuſtres Profeſſeurs
en éloquence , qu'il a enfeignée
fort longtemps avec beaucoup
d'applaudiſſement , & de ſuccés ,
dans
10
2

20 MERCURE
dans le Collegede Navarre. Ceſçavant
Homme a maintenu la gloire
de ce grand Corps , & defendu fes
intereſts en toutes rencontres , par
ſes conſeils , par ſes ſoins infatigables
, & par un grand nombre de
doctes Ecrits , mais principalement
par le travail immenſe de fix gros
Volumes in fol. de ſon Hiſtoire
qu'il a donnée au Public. Comme
toutes les Perſonnes d'un mérite extraordinaire
ne manquent jamais
d'Envieux, quelques Particuliers tâcherent
d'abord de troubler ce bel
Ouvrage , & voulurent en empefcher
la continuation ; mais tous leurs
efforts furent inutiles , & apres que
les Commiſſaires nommez par Sa Majeſté
eurent examiné ſon deſſein &
le travail qu'il avoit déja fait , ils
luy donnerent les éloges qui luy
eſtoient dûs , & l'encouragerent à le
poursuivre, comme eſtant à la gloire
de l'Etat , à l'avantage de l'Univerſité
, & tres-utile au Public .
La
GALANT. 21
La meſme Univerſité vient auffi
de perdre M'le Noir S'de Maulou ,
Directeur du College de Boiffy , fondé
par M Chartier. Le nom de ce
derniereſt ſi connu dans Paris , qu'il
n'eſt pas beſoin d'en rien dire. M
le Noir dontje vous apprens la mort ,
eſtoit un Homme d'une pieté ſinguliere
, ſcavant & fort curieux. Il a
laiſſé une tres-belle Biblioteque. On
a commencé de la mettre en vente
il y a déja quelques jours. Pour ce
qui regarde ſa naiſſance , il eſtoit Fils
d'unControlleur General de la Maiſon
de la Reyne Marguerite , qui
defcendoit d'un Thomas de Rochefort
, Chancelier de Monfieur le Duc
d'Anjou , depuis Roy de France ſous
le nom de Henry III . La Direction
du College de Boiſſy luy eſtoit tombée
par l'alliance de ſa Maiſon avec
celle des Chartiers.
Les Medecins ne font pas plus
exempts que les autres Hommes de
la fâcheuſe neceſſité de mourir. Je
}
vous
22 MERCURE
vous parlay l'autre Mois de la perte
que nous avions faite de M'Brayer;
M' Eſprit l'a ſuivy. Il eſtoit Premier
Medecin de Monfieur , & avoit
acquis dans ſa Profeſſion toutes les lumieres
qu'une longue étude & une
grande expérience peuvent donner.
Mr Lizot luy afuccedé dans la Charge
de Premier Medecinde Monfieur .
Il l'eſtoit auparavant de Madame ,
& luy avoit eſté donné par Madame
la Princeſſe Palatine qu'il avoit fuivie
en pluſieurs Voyages. Comme
cette grande Princeſſe a une parfaite
connoiſſance de toutes choſes , l'eſtime
qu'elle fait de luy eſt une marqueafſuréede
ſon mérite. Il eſt Frere
de M' Lizot depuis peu Curé de
Saint Severin , ſi conſideré d'une
grande Princeffe , & de tous ſes Paroiffiens
. M le Bel , Medecin fort
eſtiméd'ungrand nombre de Perſonnes
de la premiere Qualité , & qui
ne l'eſt pas moins dans ſon Corps &
dans la Ville , a eſté choiſy pour
remſeule
Iris , cét objet que j'adore , I
ris, la ſeule Iris, cét objet que j'adore ,
cét objet que j'adore , Malgré la
6
T
temps dans tou tes
le Prin- temps dans touPag.
23
ris
,
la
ſeule

L'Hyver à fait mou-
5
L'Hyver a fait
Iris
la
T
mou- rir, L'Hy-
28
T
SU
e
Tous les
T
daefté
Que le
GALANT.
23
- remplir la place de Premier Medecin
de Madame. Ila infiniment de l'ef-
- prit , Mais de cet eſprit aifé& infinuant
, & quoy qu'il ſe ſoit rendu
tres-habile dans la Profeſſion qu'il a
embraſſée , il peut parler de toute
autre choſe , & ſe faire toûjours
écouter avec plaifir.
C'eſt dans la penſée de vous en
procurer un tres-grand , queje vous
fais part d'une nouvelle Chanſon de
M' Goüet . Elle eſt à quatre Parties.
Je ne vous en envoye pas ſouvent
de ſemblables. L'harmonie eſtoit autrefois
le remede dont on ſe ſervoit
- le plus pour la guériſon des Malades,
&ainſi je croy vous pouvoir parler
de Muſique apres vous avoir parlé
de Medecins.
CHANSON.
IL n'est plus de Printemps , que fur le teint
d'Iris;
L'Hyver a fait mourir les Roses & les Lys
Que le Zephir & Flore
Tous les ans font éclore.
Iris,


24
MERCURE
Iris, lafeule Iris , cet Objet que j'adore ,
Malgré la neige& les glaçons ,
Nous fait voir le Printemps dans toutes les
Saiſons.
CesPrintanieres Iris ſont bien dangereuſes
pour ceux qui ont le coeur
⚫ trop ſenſible. L'avanturequeje vous
vay conter en eſt une preuve. Jene
change riendans les circonstances ,
& des Témoins tres-dignes de foy
vous en certifieront la verité.
Un Gentilhomme de Normandie,
n'ayant qu'un Fils qu'il devoir
laiſſer heritier de cinquante mille livres
de rente , mettoit tous ſes ſoins
à le rendre auſſi honneſte Homme
qu'il eſtoit né heureux du coſté de
la Fortune. Le Cavalier avoit toûjours
eu de tres-favorables diſpoſitions
à devenir ce que ſon Pere fouhaitoit
qu'il fuſt. Il eſtoit bien fait,
avoit de l'eſprit , diſoit les chofes
d'une maniere fine& aisée , & il ne
luymanquoitqu'un certain air qu'on
ne ſçauroit acquerir dans les Provinces
,
GALANT .
25
ces , & que lapratique du monde ne
manque point de donner. Il vient à
Paris , y trouve des Amis , en fait
de nouveaux ; & comme c'eſt particulierement
aupres du beau Sexe
que les jeunes Gens ſe poliffent, il
cherche accés chez les Dames dont
le mérite fait bruit. Son bien , ſa
naiſſance , & l'âge de vingt- deux
ans , qui doit eſtre compté pour un
grand charme , luy facilitent l'entrée
par tout où il demande à eſtre
reçeu. On le voit avec plaiſir. Les
Meres qui ont des Filles à marier le
ſouhaitent. C'eſt à qui l'aura. On le
careſſe de tous coſtez. Son bonheur
lecharme. S'il parle , il eſt applaudy.
Ses douceurs font agreablement écoutées
, & il n'y a point de Belle qui
par ſes complaiſances ne tâche de s'en
attirer un redoublement de ſoins. Il
en donne de particuliers à unejeune
Perſonne qui ayant encor plus d'eſprit
que de beauté , n'oublie rien pour
en faire autre choſe que ſonAmant.
Novembre. B L'a26
IERCURE
1 L'avantage qu'elle rencontre dans ce
party , la met au deſſus de certains
ſcrupules qui l'arreſtoient pour tout
autre. Les trop exactes formalitez
luy peuvent eſtre nuiſibles. Elle
parle pour luy donner lieu de s'expliquer
, & fait pour cela toutes les
avances que la retenuë de ſon Sexe
luy peut foufrir. Le Cavalier trouve
de l'agrément dans ſon humeur. Sa
converſation luy plaiſt , & ce qu'il
luy dit de flateur, luy laiſſe eſperer
cequ'elle ſouhaite. Cependant comme
il n'eſt pas moins bien reçeu ailleurs
que chez elle , tout ce qu'il luy
fait paroiſtre d'obligeant n'eſt qu'un
commencement d'amour qui n'a
point de ſuite. Ce qu'il voit eſt toûjours
ce qui l'occupe le plus. Tout
luy plaiſt , & pour trouver trop à
s'attacher , il demeure fans aucun
attachement. Cette ſpirituelle Prétendante
eſt obligée de s'éloigner de
Paris. Des affaires indiſpenſables appellent
ſaMere à laCampagne. Rien
ne
GALANT.
27
ne la peut diſpenſerd'eſtreduVoyage
, & elle eſt forcée de partir ſans
- autre affurance d'eſtre aimée que celle
que luy donne la confiance qu'elle
prendencequ'elle vaut. Grand chagrin
de ce qu'on ne s'oppoſe point à
ſon depart. Il ne faudroit pour cela
qu'une déclaration en forme , mais
on ne ſe haſte point de la faire, &
elle n'obtient que des promeſſes de
ſouvenir, qu'on ne refuſe jamais à
celles qui ont un peu de mérite. Le
Cavalier luy écrit trois ou quatre
fois , & luy fait croire qu'il s'apperçoit
fort de fon abfence, tandis qu'il
s'en conſole agreablement avec d'autres
Belles. Ce commerce ceffe par
un embarras de coeur qui l'occupe
enfin tout entier. On le mene chez
une Fille de qualité que ſon Pere ,
retenu dans une Ville frontiere par
un Employ tres-conſidérable , avoit
miſe ſous la conduite d'une Grand'
Mere. Elle faiſoit bruit , & par ſa
beauté, & par l'enjoüement de fon
B2 hu28
MERCURE
humeur , qui luy attiroit force Proteſtans.
Le Cavalier eft charmé de
Pune & de l'autre. Il trouve plus
qu'on ne luyadit. Il regarde, iladmire,
& cette admiration luydonne
une ſtupidité impréveuë dont il ne
peut ſe tirer. Ilveut montrer de l'efprit
par ce qu'il veut plaire , mais
ila beau vouloirdired'agreables chofes.
Il n'acheve rien decequ'ilcommence
, & fon embarras eſt ſi fort ,
qu'il cherche inutilementàle cacher .
La Belle s'applaudit de ce defordre.
Le Cavalier eftoit en réputation d'avoir
de l'eſprit ; & comme fes yeux
luy parloient , elle avoit affez pris
l'habitude de ce langage pour entendre
ce qu'ils s'empreſſoient de luy
expliquer. Ainſi iln'y eutjamais rien
de plus éloquentpour elle que la ſtupidité
qu'il ſe reprochoit; & les paroles
les mieux choiſies ne luy auroient
pas tant plû que le trouble dont il
croyoit avoir à rougir. Elle avoit
dubien, mais non pas affez pour ne
fe
GALANT
29
ſe pas faire une fortuneconſidérable
des cinquante mille livres de rente
du Cavalier. Il revientle lendemain
apres avoir paflé lanuit dans des agitations
qui luy font connoiſtre qu'il
ade Pamour. Il en trouve laBelle ſi
digne, qu'il ne sçauroit plus partager
fes foins. On le reçoitavecjoye.
L'accueil qu'on luy fait le rend moins
timide. Il parle , & fait entendre en
termes galans qu'il eſt des occaſions
de ſurpriſe où il ne doit pas eftre
honteux de manquer d'eſprit. On
feint de ne pas comprendre ce qu'il
veut dire , afin qu'il s'explique plus
clairement. Il le fait , & pendant
cinq ou fix jours de viſites aſſiduës,
les affaires de coeur ſont toûjours un
article privilegié qui ſoûtient la converſation.
Comme il ne parle point
encor d'épouſer , on affecte un peu
de froideur , mais de celle qui engage
plus qu'elle ne rebute. On n'eſt pas
toûjours viſible. On feint, des affaires
qui obligent de fortir. Le Ca
B3
va30
MERCURE
valier ſe plaint de ce qu'il en ſoufre.
On revient plutoſt par complaiſance
pour luy , & enfin ſans ſe déclarer,
on luy laiſſe deviner qu'on l'aime.
Il en montre une joye dont rien ne
peut approcher. La Belle fe fâche de
ce qu'il veut trop penétrer dans ſes
ſentimens. Les nouvelles proteſtations
qu'il luy fait l'apaiſent ; &quand
elle croit l'avoir rendu affez amoureux
pour ne devoir plus craindre
qu'il luy échape , elle luy fait voir
ce que de plus longues affiduitez ont
d'incompatible avec ce qu'elle doit
à la bienfeance du monde, & à fa
propre vertu. Le Cavalier ne balance
pointà la relever de ſes ſcrupules. Il
parle de Sacrement , & demande
ſeulement le temps de l'arrivée d'un
Parent qui doit venir de jour en
jour à Paris , & qui gouvernant abſolument
l'eſprit de ſon Pere , en
obtiendra pour ſon Mariage le confentement
dont ila beſoin. C'eftoit
le ſeul party qu'il avoit à prendre
dans
GALANT .
31
dans l'empreſſement de ſa paſſion.
En effet il eſtoit trop riche pour pouvoir
eſperer d'eſtre heureux par une
autre voye , meſme aupres de celles
qui ont le plus de panchant à s'humanifer.
Les faveurs ſe reſervent ordinairement
pour ceux qui ne font
conſidérables que par leur mérite.
Comme ils n'ont que leur coeur à
offrir aux Belles , ils ne les trouvent
pas toûjours rigoureuſes , &cet avantage
les récompenſe quelquefois de
l'injustice que la Fortune leur fait.
Le Cavalier ne s'eſt pas plutoſt declaré
, qu'on luy permet de rendre
viſite à toutes les heures du jour.
C'eſt par là qu'il commence d'eſtre
malheureux. Il aime avec une ſi violente
paſſion , qu'il voudroit que ſa
Maiſtreſſe fift tout fon bonheur de
le voir , comme il fait tout le ſien
du plaifir de l'entretenir; mais l'humeur
de cette belle Perſonne qui ſe
fait de la joye de tout , la laiſſe incapable
de refuſer aucune forte de
B 4 di
32
MERCURE
divertiſſement. Elle eſt ſeûre de ſa
conqueſte, & quelque eſtime qu'elle
ait pour le Cavalier , comme l'amoura
eu moins de part à l'engagement
qu'elle a tâché de luy faire
prendre, que la conſidération de ſa
fortune, elle ne peut ſecontraindre
affez pour luy donner ſon entiere
complaifance. Ainſi elle reçoit vifiteà
fon ordinaire , ſoufre qu'on luy
conte des douceurs , ſe montre enjoüée
avec tout le monde , & agit
d'une maniere ſi libre, que ceux qui
la voyent ne peuvent deviner qu'elle
'ait un Amant choiſy. Le Cavalier
s'en chagrine. Il croit n'eſtre point
aimé , mais il eſt trop pris poureſtre
en pouvoir de rompre ſes chaînes .
Il diſſimule , & jaloux de l'enjoüement
de ſa Maiſtreſſe qui cherche
par tout à ſe divertir, fans ſe mettre
quelquefois en peine de ce qu'il devient,
il ne ſçait ſi c'eſt indiférence
ou mépris , & dans ce cruel embarras
il foufre tout ce qu'une jalouſie
de
GALANT. 33
degloire& d'amour peut faire foufrir.
Le ſuplice eſt rude, & il ſe hazarde
enfin à s'en expliquer. LaBelle
qui croit que c'eſt unpremierpas
de maiſtriſe qu'il eſt dangereux de
luy laiſſer faire , reçoit ſes plaintes
fort fiérement. Il juge de fa fierté
ſelon les ſentimens de chagrin dont il
eſt deja prévenu , & entre tout-àcoup
dans un ſi grand ſaiſiſſement de
douleur , qu'il perd enmeſme temps
&la connoiffance& laparole. Onle
faigne. Il revient à luy , & tombe
preſque auſſi-toſt dans des convulfions
qui font appréhendre pour ſa vie.
Leur violence fait courir au Medecin.
Il trouve cetaccidentdangereux.
& dit qu'on ne le peut tranſporter
chez luy fans le hazarder. Comme
on avoit intereſt à le conſerver , on
ſe réſout à luy donner une Chambre
dans cette Maiſon. Cet obligeant
témoignage de bonté luy fait fouhaiter
de vivre. Cependant on tâche
de tenir la choſe ſecrete. La médifan-
B5
34
MERCURE
fance eft prompte à parler , & on eft
bien aiſe de ne luy pas donner lieu
de faire des contes. Le Cavalier appelle
ſes Gens , leur donne ordrede
dire au Maiſtre de fon Auberge
qu'une Partie de plaifir le doit arrefter
à la Campagne pendant quelques
jours , & les fait loger dansun
quartier éloigné , en attendant le
temps de fa guériſon. La Belle dont
l'imprudence avoit cauſé ce malheur
ouvre les yeux fur les avantages
qu'elle a penſé perdre ; & la maladie
de fon Amant luy eſt une fi forte
preuve de ſon amour, qu'elle eneſt
touchée, & en prend pour luy toutde
bon.Ce fontdes ſoins continuels pour
lefoulager. Ils font plus pour luy que
tous les remedes , & il ſemble que fa
fiévre foit obligée de ceder à l'envie
qu'on a de le voir guéry. Tandis
qu'on y travaille de tout fon pouvoir,
la jeune& fpirituelle Perfonnedontjevousay
parlé revient à Paris.
Le filence que le Cavalier gar
doit
GALANT .
35
doit avecelledepuis quelque temps ,
luy avoit fait haſter ſon retour. Elle
envoye auſſitoſt à ſon Auberge , &
ſurpriſe qu'on ne luy puiſſe dire où
il eſt allé , elle employe toute forte
d'adreſſe, pour le découvrir. On luy
dit qu'il avoit rendu des viſites aſſfez
aſſiduës à la Belle qu'il aimoit , ſans
qu'on puiſſe luy apprendre aucun particularité
de cet amour. Elle met des
Eſpions en campagne. On va dans
cette Maiſon; & comme les Domeſtiques
aiment à parler , ils font entendre
par quelques paroles inconfidérées
qui leur échapent, que leCavalier
y eſt enfermé , & qu'il n'en
fort point. Grand deſeſpoir de la
Demoiselle. Elle fait confidence de
ce qu'elle a ſçeu à un Adorateurde
ſa Rivale , qui ayant appris la mefme
choſe ſans qu'on luy euſt rien dit
de la maladie du Cavalier, adjoûte,
foit qu'il le cruſt , ſoit qu'il l'inventaſt
par jaloufie , que les cinquante
mille livres de rente avoient ébloüy
B6 l'ai-
{
36
MERCURE
l'aimable Perſonne dont ils ſe plaignoient
tous deux ; que ſur le prétexte
de quelques viſites trop affiduës
du Cavalier , on l'avoit arreſté chez
elle , pour la luy faire épouſer de
force; & que quatre Hommes armez
l'ygardoient à veuë , juſqu'à ce qu'il
ſe fut réſolu à ce qu'on vouloit de
luy. Le conte eſt reçeu , parcequ'il
flate l'Amante jalouſe. Elle ſe veut
croiretoûjours aimée , & que la ſeule
priſon du Cavalier l'empefche de
luy donner des marques de ſa tendreſſe.
Dans cette penfée , elle fongeà
luy procurer ſa liberté. Je vous
ay parlé d'un Parent qu'attendoit le
Cavalier. Elle découvre qu'il eſt à
Paris , & qu'il s'informe par tout
de ce que peut eſtre devenu celuy
dont elle croit encor poffeder le
coeur. C'eſtoit un Homme fage &
d'autorité, & qui exerçoit depuis
pluſieurs ans unedes premieres Charges
de la Province. Elle luy écrit ,
luy marque le lieu où il trouvera le
CaGALANT.
37
Cavalier dont il eſt en peine , exagere
la violence qu'on luy fait pour
l'obliger à un Mariage qui ne luy
plaiſt pas , l'aſſure qu'il eſt gardé
jour & nuit à veuë , abaiſſe le mérite
de la Demoiſelle qu'on veut qu'il
épouſe , & luy fait un point d'honneur
de repouffer hautement l'injure
qu'un ſi lâche procedé fait à ſa Famille.
Quoy que ſon Billet fafſſe impreſſion,
ce ſage Parent ne vapas fi
viſte. Il trouvede la vrayſemblance
à la choſe. Le Cavalier est fort riche.
On n'eſt pas toûjours prudent
à fon âge. Il ne paroiſt point. On
luy aura tendu quelque piege , &
d'un Amantqui a peut- eſtre fait quelques
proteſtations un peu trop fortes,
on peut en vouloir faire un Mary.
Tout cela luy paroiſt aſſez croyable
, mais on eſt quelquefois furpris
dans des choſes qui ſemblent encor
plus afſurées ; & comme la Demoiſelle
qu'on luy nomme eſt de qualité
, il croit qu'il ne peut agir avec
B7 trop
38 MERCURE

trop de circonſpection dans une affaire
de cette importance. Il s'adrefſe
au Magiftrat , luy montre leBillet
qu'il a reçeu , luy demande du
ſecours en cas de beſoin , ſe fait accompagner
de quelques GensdeJuſtice
, & les ayant laiſſez aux environs
avec ordre de ne point avancer
s'ils ne les appelle , il va où eſt ſon
Parent , & prie qu'il puiſſe entretenir
la Maiſtreſſe de la Maiſon . On
le fait monter. Sa Robe de Magiſtrature
(car comme je vous ay déja
dit , il avoit unedes premieres Charges
de ſa Province,) ſa fuite & fon
équipage, font des marques du rang
qu'il tient. Il entre où eft la Grand'
Mere , voit la Belle qui luy tenoit
compagnie , & ſe perfuade d'autant
plus qu'on luy a dit vray , qu'il la
trouve luy-meſme toute aimable.
Apres les premiers complimens de civilité
, il parle de ſon Parent , dit
qu'on en eſt en peine dans ſa Famille
, & que n'en ayant pû apprendre
auGALANT
.
39.
aucunes nouvelles depuis fix jours
qu'il eſt à Paris , il leur en vient demander
ſur ce qu'il a ſçeu qu'elles
luy faifoient quelquefois la grace de
le recevoir. On luy répond en termes
qui ne luy donnent aucun éclairciffement
; & comme on veut ſcavoir
à qui on parle , on tourne ſi
bien les chofes, qu'on l'engage à ſe
nommer. A peine s'eſt il fait connoiſtre
pour celuy que le Cavalier
attendoit , qu'on luy marque une extréme
joye. Il en eſt ſurpris. Mais
il l'eſt beaucoup davantage , quand
laGrand' Mere, ſans s'expliquer avec
luy , le prendpar la main , & leprie
de vouloir bien ſe laiſſer conduire.
Elle luy fait traverſer un fort grand
Apartement , & le mene dans une
Chambre propre , mais reculée, où
il trouve le Cavalier au lit , gardé
ſeulement par les charmes de la Belle
, & par un reſtede fiévre qui laifſoit
encor ſur ſon viſage les marques
de l'extremité où ſa maladie l'avoit
ré40
MERCURE
réduit. Jugez de l'étonnement où
il fut de trouver les choſes ſi éloignées
de ce qu'on luy avoit voulu
faire croire. Le Cavalier luy conta
tout ce qui luy eſtoit arrivé, les ſoins
qu'on avoit eûs de luy dans cette
Maiſon, les raiſons qui avoient obligé
de cacher qu'il y fuſt demeuré
malade , & l'amour paſſionnée qu'il
avoit pour la belle Perſonne en faveur
de laquelle il le conjuroit d'obtenir
le conſentement de ſon Pere.
Les Dames trouverent à propos de
ſe retirer , afin qu'il puſt s'expliquer
plus librement , & que la franchiſe
de leur procedé aidaſt à faire connoiſtre
qu'on l'avoit toûjours laiffé
maiſtrede ſes ſentimens . Son Parent
touché de ce qu'il luy dit , & convaincu
d'ailleurs par ſes yeux des
charmes de fa Maiſtreſſe , ne pût faire
cas d'un peu d'inégalité de bien ,
dont le defavantage eſtoit reparé par
beaucoup de naiſſance & de mérite.
Ainfi il n'eut pas de peine à luy prometGALANT
.
41
mettre d'employer tout ce qu'il avoit
de credit aupres de ſon Pere. Il l'a
fait, & avec tant de ſuccés , quele
Mariage ſe doit achever au premier
jour . La Belle en reçoit les complimens
de tous coſtez au grand déplaifir
de ſa Rivale , qui en cherchant
à luy nuire , a avancé ſon
bonheur.
Toute la Maiſon de Monfieur ,
ou plûtoſt toute la France, s'en fait un
tres-grand joye de l'entiere guérifon
de. Monfieur le Duc de Chartres ,
Fils unique de Son Alteffe Royale.
Vous ſcavez qu'il fut malade à l'extrémité
ſur la fin du dernier mois.
Elle fut telle , qu'on répandit par
tout le bruit de ſa mort. Monfieur
& Madame en furent inconfolables .
La crainte de perdre ce petit Prince
les accabla de douleurs. Toute la
Cour y prit part ; & dés que Leurs
Majeftez eurent appris cette fâcheuſe
nouvelle, Elles partirent de Verfailles
pour ſe rendre au PalaisRoyal.
11
42 MERCURE
Il eſt certain que un ſi juſte ſujet
d'affliction euſt laiſſé Leurs Altefſes
capables de recevoir quelque ſou -
lagement dans leur déplaiſir , l'empreſſement
du Roy à les venir confoler
, & le tendreſſe qu'il leur témoigna
, auroient beaucoup contribué
à l'adoucir, mais il ne diminua
que par l'heureux effet des Remedes.
Vous pouvez croire qu'on n'épargna
rien pour les faire agir avec
fuccés . Les deux Premiers Medecins
dont je vous ay déja parlé, mirent
en uſage tout ce que l'expérience
leur avoit appris. Les Peres Capucins
du Louvre furent appellez, &
la vie dont on avoit commencé à
defefperer fut enfin renduë à ce petit
Prince. Je ne vous repete point
ce que je vous ay dit pluſieurs fois
des.connoiffances particuliere que
ces Peres ont dans la Medecine.
Vous fçavez le bruit qu'ils font dans
le monde , & le grand nombre de
Malades qu'ils ont guéris. Des fuccés
GALANT . 43
cés ſi avantageux leuracquierent beaucoup
de gloire , mais ils les expofent
enmeſme temps à la l'injurieuſecenfure
des Jaloux. Il eſt impoſſible
de n'en point avoir quand on eſt
d'un mérite extraordinaire. Ceux
que bleſſe lahaute reputation de ces
charitables Peres , veulent croire
qu'il ne doit mourir perſonne qui
ſe ſoit ſervy de leurs Remedes ; &
ſi de cent il en eſt un ſeul que la
violence du mal emporte , ils enrejettent
lafaute ſureux , comme s'ils
eſtoient dans l'obligation de rendre
immortels ceux qu'ils entreprennent
de traiter. Ils font courir des bruits
fourds qui les décrient. Ces bruits
ſe répandent. Chacun parle ſans ſcavoir
s'il a ſujet de parler. Pluſieurs
ſoûtiennent des fauſſetez , dans la
penfée de ne rien dire que de vray.
Ils repetent ce qu'ils ont entendudire.
D'autres font la meſme choſe
apres eux ; & comme la verité mefme
s'altere en paſſfant d'une bouche
dans
44 MERCURE
dans une autre , ils rencheriſſent ſur
les raports qui leur ont eſté faits.
Les crédules ſe laiſſent perfuader, &
trompent ceux qui les écoutent , parce
que croyant ce qu'ils diſent , ils
l'affurent de bonne-foy. On ne fonge
pointà chercher les veritables Auteurs
de ces bruit , pour s'éclaircir
avec eux. Ils ſe perdent dans lafoule.
Onneles connoit plus. Ils écoutent
ceque les autres leur racontent, commes'ils
ne l'avoient pas inventé, &
joüiffent de leur malice enfeignantde
n'avoir aucun intereſt à la ſoûtenir.
Voila ce qui arrive ordinairement
dans une auffi grande Ville queParis
, où la confuſion des Peuples empeſche
aiſément que la verité de beaucoup
de choſes ne ſoit connuë ;
& c'eſt ce qui eſt arrivée apres la
mort de M' Carpatry à l'égard des
Peres Capucins du Louvre. Ils ont
ſoufert ce qui a eſté dit contr'eux
avec toute l'humilité que doivent
avoir des Perſonnes de leur robe
&de
GALANT.
45
&de leur. caractere; & ils garderoient
encor le filence , ſiune Lettre
d'un Eveſque de leurs Amis ne les
avoit forcez de le rompre. Ce Prélat
leur marque , Qu'il ne peut avoir
autant d'estime & de conſidération qu'il
ena pour eux , ſans les plaindre des exceſſives
fatigues que leur doit caufer le
Soin continuel qu'ils ont des Malades;
Qu'il est cependant surpris d'apprendre les
injustices qui leurfontfaites ; Qu'ilsçait
que leurs Envieux publient que ce n'est
pas à des Capucins d'exercer la Medecine;
Qu'il voudroit qu'on eust faitsçavoir
à ces Faloux inconſidérez que cet
employ est de droit Eccleſiaſtique , &
qu'il n'appartient qu'aux Prestres d'en
faire la fonction, parle motifde charité
qui les anime , fans en esperer d'autre
récompense que celle de plaire à Dieu en
Soulageant le Prochain ; Que c'est pour
cela que tous les Evesques portent un
Saphir dans leur Anneau Paftoral, pour
les faire ſouvenir qu'ils doivent affister
les Pestiferez , & les guérirpar laverta
que
46 MERCURE
que la Nature , a renfermée dans cette
Pierre prétiense ; Qu'il vient desçavoir
qu'on afait courir des bruits deſavantageux
contre leurs Remedes à l'occaſion de
M' Carpatry , &de la maladiede Monfieur
le Duc de Chartres , & qu'il les
prie de luy donner l'éclairciſſement deces
bruits avec leur fincerité ordinaire. Je
vous envoye la Réponſe qu'ils ont
fait à ce Prélat , ne doutant point
que vous ne vous faſſiez un plaifir
d'aprendre la verité de ce qui a fait
depuis peu l'entretiende Paris& des
Provinces.
:
REPONS 】
DES PERES CAPUCINS
DU LOUVRE ,
A la Lettre M. Eveſque de *
MONSEIGNEUR ,
Tout le monde veut ſçavoir ce quiſe
paſſe , mais tout le monde nele veutpas
par le mesme motif. Ily en a quifont la
reGALANT
. 1
43
recherche de ce qu'ils ignorent , par le
ſeul defir de sçavoir la verité, & ce
font des Esprits bien faits. D'autres le
font pour s'en divertir , & ce ſont des
Gens oyſifs qui ne cherchent pas pour
trouver , c'est à dire pourprofiter, mais
Seulement faute d'un meilleur employ.
D'autres font pires. Ce sont les malicieux
, qui ne veulent ſçavoir les choses
que pour en corrompre la verité , ou
pour publier ce qui la détruit quand ils
Pont déja trouvée corrompue. Vousn'eſtes
, Monseigneur , ny des ſeconds, ny
des derniers ; auſſi nevoudrions- nous pas
•Si mal employer le temps, que de lepaſſer
àécrire cette Lettre , ſi vous aviezrang
parmy cesfortes deGénies. Comme l'expérience
nous a fait mille fois connoistre
le zele que vous avez pour la verité ,
nous ne doutons point qu'elle ne ſoit le
motif qui vous a obligé de nous faire
l'honneur de nous écrire. Nous sommes
d'aileurs preſuadez que vostre Esprit est
d'un rang trop élevé pour se laiſſerſurprendre
à l'opinion , & donner dans le
Sens
48 MERCURE
ſens de ceux qui ayant une mauvaiſe
Cause à defendre , ne produisent pour
P'appuyer que des fauffetez& desſupoſitions
malicieuses , fans prendre garde
qu'une Ame prudente éloignée du caprice,
&revenuë de la bagatelle , peut facilement
découvrir leur ridicule deffein.
C'est donc,Monseigneur, pourfatisfaire
àce que vous defirez ſçavoir , quenous
vous dirons que feu M' Carpatry , qui
s'estoit acquis la gloire de bien fervir
Monseigneur de Louvois , par l'attachement
particulier qu'il avoit pour ce
vigilant Ministre , n'y avoit pas fait un
fond d'une parfaite ſanté. La vieſedentaire
qui est commune aux Gens quis'apliquent
avec autant defidelité qu'ilfaifoit
aux affaires deson Maistre , y estoit
tout-à-fait contraire. Il auroit pûcependant
vivre encor pluſieurs années, ſiſa
complaisance pour des Amis ne l'eust pas
fait confentir àun divertiſſement de Chafſe,
dont l'excés confterna la Nature ,
jusqu'à luy procurer une fievre doubletierce
, qui l'obligea de nous venir voir,
&de
GALANT.
49
&de nous prier de l'aſſiſterdansſama
ladie, en cas qu'elle continuast ; nous
marquant qu'une infinité de Lettres , que
la confidence deſon Maistre luy avoit
fait tomber entre les mains , & qui affuroient
que nos Febrifuges avoient fait
des merveilles dans les Armées , lay donnoient
la confiance de s'en ſervir , ſi ſa
maladie augmentoit. Le refus que nous
luy fimes de le viſiter , ne le rebuta point.
Au contraire ; dés le lendemain au matin
il envoya Madame ſa Femme , accompagnée
de M' du Cheſne Medecin
du Roy , pour nous demander la mesme
choſe. Comme elle nous vit fermes à la
refuſer , elle nous fit donner un Ordre
de Monseigneur de Louvois . Il fallut
ceder à l'autorité d'un Ministre qui ne
violente jamais les inclinations , puis
qu'onsefait toûjours un fort grand plaifirde
luy obeïr. Nous allámes donc voir
ce Malade , qui le ſouhaitoit avec tant
d'ardeur , quoy qu'il fuſt aſſez inutile,
puis que M du Chefne , comme nous
luy dimes , avoit de nostre Febrifuge
Novembre. C en50
MERCURE
entre ſes mains , par ordre de Monfeigneur
de Louvois , &qu'il pouvoit luy
en donner s'il le jugeoit à propos. Il le
fit. Le Remede ne manqua pas defaire
fon effet. Le Maladeſua abondamment
pendant les trois jours qu'il en prit ; &
fila Nature cust esté auſſi fidele àfeconder
le Remede , que le Remede avoit de
vertu , on doit croire qu'il n'auroit pas
esté moins efficace fur M Carpatry ,
qu'il l'a esté ſur tant de milliers d'autres ,
dont le Roy est informé auſſi bien quetout
le Public. Toutes les difpofitions mesme y
paroiſſoient déja parleraport du Malade,
qui diſoit toûjours qu'il nepouvoit s'empeſcher
de loüer la bonté du Remede ,
qui fut cauſe qu'il ne reffentitjamais aucun
mal de teste , ny aucune chaleur
d'entrailles. Il protestoit ſouvent qu'une
feule Saignée l'avoit bien plus échaufé.
Sonvisagemesme avoittoûjours conſervé
un certain air qui auroit fait croire qu'il
estoit peu malade. Cependant sa foibleffe
qui s'estoit fait connoiſtre auparavant par
un depoft qui se faisoit ſur ſes jambes ,
qu'il
GALANT .
51
qu'il avoit ouvertes depuis un longtemps
- (quoy qu'on ne nous en eust pasavertis)
augmenta fi fort pendant que les forces
du Malade diminuvient , que la vie qui
estoit déja languißante , & qui n'envoyoit
plus au cerveau les esprits qui
font le bon sens, donna des marques
qu'elle l'abandonnoit par un délirequi ne
luy laiſſa que quelques intervales dont
nous voulumes profiter , pour luy faire
donner tous les Sacremens , qu'il reçeut
avec unepieté exemplaire . Ce témoignage
d'un parfait Chrestien , qu'il rendit par
nos soins , &par la connoiſſance de l'état
où il eſtoit , détruit la calomnie qui nous
impute d'avoir dit à Madame de Louvois
qu'il estoit hors de danger , quoy
qu'il demeure constant qu'ily avoit plus
de huit jours que nous n'avions eu l'honneur
de la voir.
Cependant la maladie augmentant toûjours,
nous retournames au Louvre pour
preparer un dernier Remede , que nous
apportâmes le lendemain ; mais comme
nous vimes qu'on l'avoit faigné deux
fois , C2
52
MERCURE
fois , &qu'on se preparoit à une troifiéme
Saignée pour le diſpoſer à trois pri-
Ses d'Emetique , qui luy furent données
en suite , nous crûmes que le party de
remporter noftre Remede estoit le meilleur
, & qu'il estoit inutile de le donner.
Nous ne vous diſonspoint , Monseigneur ,
la qualité de cetteEffence. Vous la sçavez
déja. Elle est la mesme qui ſauva
lavieà M' de Bonnecorſe , ce bel Esprit
en Poësie , qui est encor au Caire d'Egypie
Conſul pour Sa Majesté. Il vous
en fit l'histoire lors qu'il vous envoya les
Livres Arabes que vous luy aviez demandez.
Il suffit pour confirmerſavertu,
que nous vous diſions que l'ayant
remportée chez nous , M' Bachelier de
Clotomont avec qui nous eſtions en Egypte
, & qui avoit appris de M' de Bonnecorſe
mesme cet effet prodigieux arrivé
en ſa perſonne par ce Remede , nous le
demanda pour M' Huffon Secretaire du
Roy , fon Amy , qui estoit auſſi mal
que M' Carpatry. Il le luy porta. Sa
fievre ceſſa dés le moment qu'ill'eut pris ,

GALANT.
53
&à quelques jours de là il s'en alla à
la Campagne dans une parfaite ſanté.
Il en peut rendre témoignage. Il avoit
la mesmemaladie que Mr Carpatry. Il
avoit pris deux ou troisfois denostre Febrifuge
, sans en querir. Son mal ayant
quelque chose de plus malin que les fievres
ordinaires , demandoit auſſi unRemede
plus efficace.
Au reſte , quand il feroit vray que
nous euſſions dit à Madame de Louvois
que M' Carpatry estoit hors de danger ,
il falloit nous laißer continuer jusqu'au
bout , avant que de critiquer nos Pronoſtics,
qui auroient pourtant esté affez.juſtes;
car il est constant qu'il se portoit
mieux le jour qu'on nous fait parler,
que le lendemain que les Medecins
l'entreprirent. Cependant ils ne croyoientpoint
que sa maladie dust estre mortelle
, quoy qu'il fust plus mal. Ce Paradoxe
paroiſt convainquant , puis qu'ils
n'auroient pas esté aßez faciles pour ſe
commettre à la cure d'un Homme
qu'ils auroient crû incurable ; fi ce
C3 n'est
54
MERCURE
n'est qu'on vouluſt dire malicieusement
qu'ils avoient peur que nous ne le tirasfions
d'affaire , ou que voulant nous en
faireun capital , ils cherchoient à le mettre
en état de ne pouvoir estre foulagé ; car
il faudroit conclure l'un ou l'autre , mais
le derniernesçauroit estre inferé contr'eux,
puis que la raiſon fait voir qu'ils n'anroient
pas voulu risquer leur honneur
fur un Homme tout-à-fait incurable ,
dont nous aurions pû en ſuite leur donner
le blame . Il faut donc dire qu'ils
ont crû qu'il estoit en état d'en revenir ,
&qu'ils ont eu deſſein de nous aider
dans cette cure ; &par conſequent quand
nous aurions dit le jour precedent queM
Carpatry n'en mourroit point , nous aurions
efté mieux fondezqu'ilsne lefurent
le lendemain; ce qui fait paroiſtre le peu
de reflexion de celuy qui faisoit cereproche
de foy , déja faux. Mais quand nous
demeurerions d'accord d'avoir dit àMadame
de Louvois que M' Carpatry n'en
mourroit pas , peut- estre aurions-nous dit
vray , fi perſonne que nous ne s'en fust
meflé.
GALANT.. 55
meſlé. Car il a paru par le Remede que
nous avions fait pour luy , qu'il auroit
- pû prolonger ſes jours , s'il euſteſté affez
beureux pour le prendre , puis que l'effet
ena estési efficace fur M' Huffon.
On nous trouvera toûjours de bonne
foy; ce qui ne sera peut- estre passi régulier
de la part de nos Faloux , quipourroient
fouhaiter queM' Huffonretombast
malade , &mesme qu'il mourut , comme
il peut arriver à un Homme de ſon
Age: mais cet accident ne détruiroit point
Peßence de nostre Remede , & ne feroit
rien non plus ſur l'esprit d'un Homme
integre , qui doit estre convaincu qu'un
Remede qui guerit une maladie , nerend
pas un Hommeimmortel , quand mesme
ce feroit la Saignée , le Sené , ou la
Rhubarbe.
Enfin , Monseigneur , M. Carpatry
mourut apres avoir esté ſaigné troisfois,
&pris trois fois du Vin Emetique. Les
larmes que sa mort a fait répandre ne
font pas aßez efficaces pour laver la calomnie
, qui ne dit pas que les Mede-
C4
cins
56 MERCURE
cins ne l'ont pû ſauver , mais que les
Capucins du Louvre l'ont tué. Cela
Surprend le Public. Saſurpriſe n'estpas
Sans fondement. L'Antiquité qui nous
donne les Ouvrages d'un Michel Ange ,
ne s'étonnoit point quand ce grand Peintreſuivoit
la délicateſſe de ſon Pinceau ,
& qu'il faisoit ces vives Peintures qui
font l'admiration des Curieux , &l'ornement
du Cabinet des plus grands Princes.
Mais elle auroit esté ſurpriſe , ſi
cette main délicate sefust appliquéeàfaire
des Lanternes , & elle auroit pû dire
avec quelque étonnement , queſon Meſtier
n'estoit pas celuy d'un Lanternier ,
mais celuy d'un Peinture. Ainsi le Public
est surpris d'entendre dire que les Capucins
du Louvre ont tué M'Carpatry ,
c'est que leur Meſtier est de guerir , comme
ils en ont donné des marques depuis
fix mois pardes milliers de cures qui demeurent
incontestables. Parmyun grand
nombre des Guéris , on leur veut imputer
la mort de M' Carpatry , parce
qu'il a pris de leurs Remedes , & qu'il
n'est
GALANT . 57
1
n'est pas ordinaire de voir mourir ceux
qui s'en font ſervis . Sur ce fondement
nous devons l'avoir tué. Cela s'est dit ;
Mais il est difficile de juger qui l'a dit ,
& comment il peut avoir eſté dit ; car
pour rendre cette accusation autentique,
il faudroit qu'elle eust esté faite par les
Medecins. Or ilparoiſtſans replique qu'ils
ne peuvent estre de ce ſentiment , puis
qu'ils ont tenu une conduite qui prouve
tout le contraire. Cela fait voir que ce
font leurs feuls Ennemis qui ont fait
courir ce bruit , qui paroiſt eſtre contre
nous , & qui dans la verité est contr'eux
, au ſentiment de tout Homme
bien ſenſé, & incapable de prévention.
Car qui ne croiroit qu'un Medecin ſeroit
le plus ignorant ou le plus criminel
Homme du monde , si jugeant qu'un.
Malade feroit en péril pour avoir pris
des Remedes chauds , il venoit à luy
donner par deßus le plus échauffant de
tous les Remedes, comme est le Vin Emetique
? Cependant cela s'est fait de l'avis
de cinq Medecins , &apres cela an
C5
crie
58 MERCURE
crie que les Capucins luy ont mis le feu
dans le corps , & que pour l'en guérir
on luy donne de l'Emetique. :
Vous voyez bien , Monseigneur , la
fuite de ce raisonnement ſans vous l'expliquer.
Vostre Grandeur excufera peut
estre les Auteurs de ce bruit , en disant
que les cing Medecins n'ont pas ſigné
l'Ordonnance de l'Emetique , &qu'ainsi
une partie d'eux opinoit à le rafraîchir ,
& concluoit par confequent , que nous
P'avions échauffé ; mais nous répondons
à cela , que tout fait pour nous , car
c'est une conviction que les Medecins n'eſtoient
pas tous d'accord , &que dans
l'oppofition des sentimens qui estoient partagez
, la realité du Fait a esté meûrement
examinée ; apres quoy lapluralité
a esté pour nous , &a conclu qu'il n'eſtoit
point échaufé. Mais supofé que cela
ne fuſt pas , cette Ordonnance ( quoy que
non fignée de tous) nous donne droit ,
quand mesme nous ne l'aurions point :
Car l'on sçait que dans les Conſultations
des Medecins , la pluralité détermine la
NaGALANT.
59
Nature à estre ce qu'ils ordonnent, c'est
pourquoy on execute ce qui estpreſcrit par
le nombre prévalant , comme estant reconnu
réellement tel , meſme au péril de
la vie , qui nereçoit point de ſuplêment ,
tant est constante en Medecine la décision
de la pluralité , & ideo numerantur ,
fed non ponderantur fuffragia.
Pour conclure, Monseigneur, la pluralité
ordonne un Remede chaud. Jugez
donc s'il n'est pas de fait que M Carpatry
n'estoit point en danger pour avoir
esté échaufé par nos Remedes.
Les Auteurs de ce bruit offencent bien
encor davantage les Medecins , en publiant
une chose qui pourroit estre vraye
de la part de l'Emetique , mais qui de
toute impoſſibilité ne peut estre un effet
de nos Eßences. Ils diſent imprudemment
, quoy qu'à nostre avantage , que
M Carpatry ayant esté ouvert , on luy
a trouvé les boyaux gangrenez . Cela
peut estre , nous n'en ſçavons rien : mais
que la choſe ſoit ou nesoit pas , tout est
également injurieux aux Medecins , &
C6 23014
60 MERCURE
nous donne gain de Cause. Car s'il est
vray que les boyaux de ce Mort fuſſent
gangrenez , & que noftre Remede n'en
aitpû eſtre la cause , àquoy la voudrezvous
attribuer , ſi cen'est à l'Emetique ,
qui du ſentiment de ceux qui l'ordonnent,
est échaufant, caustique, &brúlant
; & ainſi en divulguant cet incident
, on accuſe les Medecins , & non
pas nous . Si d'autre-part on veut dire
que les Medecins nous donnent le tort de
cette méchante fuite , ilsfont trop prudens
pour vouloir paßer pour des temeraires
, & trop sçavans pour vouloirſe
declarer ignorans. Temeraires, de vouloir
que la gangreneſoit caufée par des
Effences qui queriſſent de la gangrene ,
bien mieux que l'Esprit de Vin qu'ils
ordonnent pour la guerir , & dans lequel
les Chirurgiens confervent les Monfires
morts qu'ils tirent des Corps des
Femmes , quand ils arrivent dans la
Nature. Outre qu'il est encor vray, Selon
les bons Philoſophes , que l'effence abftraite
des choses est de la naturedu Ciel,
dont
GALANT . 61
dont la pureté eſt ſi ſimple , qu'elle ne
participe presque plus de ce qui fait les
accidens , & les qualitez diférentes du
froid ou du chaud. Ils ne voudroient non
plus paffer pour ignorans dans les Principes
de la Medecine & de la Chimie ;
car ils ſçavent bien que les Effences de
la nature de nostre Febrifuge , ne defcendent
jamais dans les boyaux. Cefont
des Remedes qui ne ſontpoint ſujets aux
digestions, estant fi volatils &fi pené.
trans , qu'ils paßent presque à l'instant
par les pores de l'estomach , & transpirent
jusqu'à la circonference. C'est par
là que ces Effences font fuer avec tant
d'efficace , qu'elles reſolvent & emportent
en paſſant ce qu'il y a d'impuretez
&d'excrémens febrilles dans l'habitude
du Corps , qui se trouve guery le
lendemain pour l'ordinaire , quand il
n'y a point de maladie compliquée. C'est
un êtrange Monstre que la Faloufie .
Sans reflechir à quoy que ce ſoit , elle
Se précipite en mille extravagances ,
&ne se nourrit que dufeul plaisir d'em
C7 pe62
MERCURE
pecher le plaisir des autres, en ſe le voulant
approprier. Si ces Critiques pers
prudens avoient mis de nosEffences, ou
quelque Esprit volatil , dans une Phiole
de verre , bien bouchée , & qu'ils portaßent
cet Efprit dans un lieu chaud,
comme l'estomach d'un Homme , ilsverroient
tant-s'en faut que cet Esprit defcendit
en bas comme dans les boyaux ,
qu'au contraire il s'éleveroit en vapeurs
qui fortiroient de la Phiole , ſi le verre
avoit des pores comme l'estomach de
l'Homme, ſans qu'il reſtaſt rien qui pust
tomber au fond. Ce ſont des expériences
irréprochables , que lajalousie jointe à
Pignorance , ne ſe donne pas le temps
d'examiner. Comment ſe peut-il donc
faire que les Effences qui ne peuvent defcendre
dans les boyaux, y ayent causé la
gangrene, qu'elles y auroient guerie , fi
par un impoſſible elles l'y avoient esté
trouver ? Enfin s'il faut donner une
preuve que ces Eßences n'ont que le degré
de chaleur qu'il leur faut , nous vous
dirons qu'elles queriſſent les Erefipelles &
les
GALANT . 63
les Brûlures , que les Medecins traitent
tous par des Refrigerans. Mais nous
avons unedémonstration plus celebre dans
la gueriſon de Monfieur de Chartres ,
dont Voftre Grandeur nous commande de
L'informer. On sçait que ce petit Prince
âgé d'environ quatre ans , avoit pris
pluſieurs fois du Vin Emetiqne par la
bouche, &en Lavemens. On sçait (
Madame mesme l'a ven) que la violencede
ce Remede, apres des convulfions
reïterées , fans qu'il le put rendre , l'avoit
réduit en deux heures dans une létargie
entiere , ſans poulx , sans refpiration
, & Sans mouvement ; les yeux
ternes & livides comme de la corne;
aucun signe de vie ; on le croyoit mort .
Ce n'estoit pas de froid , s'il s'en faut
raporter à l'opinion des Medecins , qui
disent que l'Emetique échaufe . Cependantfi
c'est de chaleur causée par la violence
de ce Vin , comment l'effet qui parut
pouvoit-il arriver , fi nos Effences font
chaudes? Comment un Remede chaud
n'a-t- ilpas achevé ce que la chaleur de
Pau64
MERCURE
l'autre avoit fi fort avancé? Comment
enfin cette Ame qu'une ardeur devorante
chaſſoit de son corps , fut-elle rapellée
par un Remede brûlant ? Ce que nous
luy donndmes , n'estoit autre chose que
l'effence de Vipere que nousfaiſons ſeuls ,
jointe à une teinture minerale qui ne se
nomme que par les effets , puis que dans
un inftant elle luy redonna la vie , avec
le poulx , larespiration , le mouvement ,
la voix , & la connoiſſance , & calma
ces terribles convulfions qui faisoient
desesperer de ses jours. Il demeura ainfi
en repos plus de demie heure , pouſſant
quelques nausées qui faisoient paroiſtre
l'efficace du Remede , qui apres avoir
fortifié la Nature , vouloit expulfer l'E
metique: mais apres cepeu de bontemps
on luy redonna de cet Emetique par la
bouche , & en Lavemens , & ausfitoft
les convulfions le reprirent comme
auparavant. Cependant noſtre Remede
eut affez de force pour ſoûtenir entre
deux Emetiques , un plus grand poids
que celuy qui avoit déja fait succomber
la
GALANT.
05
la Nature; fi bien qu'apres neuf heu-
# res de temps , ce petit Prince les rendit
- heureusement , &fut query.
C'est une circonstance fi notable ,
qu'il est inoiy qu'un Homme , quelque
robuste qu'il soit, ait jamais gardé PEmetique
quatre ou cinq heures ſans en
créver , & cependant Monfieur de
Chartres l'a ſoûtenu neuf heures , apres
quoy il l'arendu , &n'en est point mort.
Est-ce-là une Effence chaude ou froide ,
qui foûtient & tempere la violence d'un
Remede caustique & boüillant ? On dira
que c'est du Vipere , qui est crú un des
plus chauds Médicamens du mondé ;
&nous dirons qu'il n'y a que nous qui
Sçavons ce que c'eſt , & que les autres
en doivent juger par ses effets. Il faut
donc estre plus moderé dans fa malice
, & ne pas condamner ce qu'on ne
connoist point , fi l'on ne ſe veut declarer
temeraire , ce qui est le caractere
des Ignorans. Car enfin on doit à ce
Remede froid ou boüillant , la vie
d'une Perſonne aufſi chere à l'Etat que
celle
66 MERCURE
celle de ce petit Prince , dont Madame
qui y estoit preſente , & les Medecins
meſmes , nous ont rendu un témoignage
glorieux, en nous en remerciant le lendemain
, auffi-bien que Monfieur , de
qui nous avons reçen cet honneur que
nous a acquis ce Remede , qui , quoy
qu'il ne foit pas le meſme que celuy des
Fievres , est pourtant de la mesme nature.
Que ceux quinous blament réiſſiſſent
également , & nous les loüeronsſans les
regarder avec jalousie. Qu'ils gueriſſent
autant de monde que nous avonsfait ,
&qu'il meure entre leurs mains un M
Carpatry , qui n'est pourtant pas mort
entre les nostres , & nous dirons qu'ils
font des miracles , quoy qu'ils ne reßuſcitent
pas les Morts. Voila , Monseigneur,
ce que Vostre Grandeur a voulu ſçavoir
de nous. S'il arrive de ſemblables incidens
, nous prendrons ſoin de l'en informer
estant avec tout le respect que
nous luy devons , vostres-humbles , &c.
Quand je donne des Pieces auſſi
importantes que cette Lettre , on
doit
GALANT. 67
doit faire refléxion que ce n'eſt point
moy qui parle. Ce ſont des Articles
de Defenſe qu'on me communique.
Je les rapporte dénüé de tout intereft
. Le Public les examine. C'eſt
à luy de conclure , & à moy de
luy laiſſer l'entiere liberté de ſon jugement.
Si laGuerre dontje viens de vous
parler n'eſt point ſanglante , vous ne
trouverez pas que celle qui fuit le
ſoit davantage , quoy qu'il s'agiſſe de
Sieges & de Combats . Vous avez
ſouvent admiré la conduite & l'expérienceque
la Jeuneſſe de ce floriffant
Royaume a toûjours fait voir
dans nos Armées. Vous n'avez pas
dû en eſtre ſurpriſe. Il ſembleque le
coeur ne ſoit point ſujet à l'âge. On
en peut avoir dans le Berceau , &
quin'en apoint naturellement , employe
quelquefois ſans aucun fruit
&les lumieres de ſa raiſon , & les
ſoins d'une longue étude , pour venir
à bout d'en acquerir. Mais comme
68 MERCURE
me le coeur ne ſuffit pas pour lemeſtier
de la Guerre , & qu'il y a des
Leçons neceſſaires à ſçavoir pourdevenir
Capitaine , on peut dire que
l'Académie de M'de Bernardy eft
une Ecole ouverte , où l'on apprend
en fort peu de temps tout ce qui
regarde une Profeſſion ſi digne des
Perſonnes de la plus haute naiſſance.
Les Forts qu'on y attaque tous les
ans font d'un tres-utile ſecours pour
la connoiſſance decegrand Art. M
le Prince de Montlort , ſecond Fils
de Monfieur le Comte d'Harcourt ,
s'y fait admirer. Ila eſté choiſy cette
année par M' de Bernardy pour
commander à l'Attaque du Fort qu'il
a fait conſtruire. Ainſi c'eſt luy qui
a ſous ſa direction toute lajeune Nobleſſe.
Il l'exerce aux Expéditions
Militaires , & continuë à s'acquiter
de fi bonne grace de la Charge de
General de cette petiteArmée , qu'il
ſemble que la Guerre ait eſté jufqu'icy
ſonuniqueemploy. A le voir
agir
GALANT. 69
agirdans les diférentes fonctions de
cet Exercice , on ſeroit injuſte ſi on
ne diſoit qu'il eſt déja parfait Capitaine
dans un âge où peu de Gens
ont eſté Soldats. Il eſt certain qu'il
eſt né ce que les autres deviennent
avec peine, la Nature luy ayant libéralement
donné ce qu'elle fait quelquefois
acheter bien cherement. 11
eft vray qu'on n'a pas ſujet de s'étonner
des eſpérances qu'il donne.
Il eſt d'un ſang qui inſpire la valeur;
& la Maiſon dont il fort eſt
ſi féconde en grands Capitaines ,
qu'il ſemble que les qualitez qui font
lesHéros luy foient devenues heréditaires.
Oncontinuëde faire àNimmegue
force Conférences pour la Paix , &
il ya grand ſujet d'eſpérer que nous
l'aurons bientoſt genérale. Voicy des
Vers fur celle qui est déja faite , addreſſez
à Mª Colbert , qui y ſoûtient
toûjours avec beaucoup de zele &
d'éclat la qualité de Plénipotentiaire.
Vous
70
MERCURE
Vous ſçavez que le Roy l'a honoré
de la Charge qu'avoit Monfieur de
Novion , avant qu'il fuſt Premier
Préſident.
A MONSIEUR
COLBERT,
Preſident à Mortier.
Revenez, nos plaisirs , Loüis est de retour ;
Ne craignez plus le bruit des Armes ,
Des Trompetes , ny du Tambour ,
La Paix fait ceſſer nos allarmes ,
Etfi doreſnavant nous répandons des larmes ,
Ce feront des larmes d'amour.
Aſſez & trop longtemps l'inhumaine Bellonne
A troublé de nos Bois le calme & le repos ;
Aſſez& trop longtemps du recit de nos maux
Tout ce grand Univers réſonne:
Il est temps de goûter le loiſir que nous donne
L'Invincible Loüis , le plus grand des
Héros.
Malgré l'envie & la rage,
Ses obſtinez. Ennemis ,
Par l'effort de son courage ,
Ala fin luy font foûmis.
Contre luy , l'Aigle étonnée
N'ofe
GALAN T.
71
+
t
Nose plus faire d'effort ,
Et le Lyon dans fon Fort
Craint la mesme destinée.
Tremblant il voit de toutes parts
Que Loüis dans ſa moindre courſe
Comme un Fleuve en fureurs'éloignant de fa
fource,
Abat ſes plus fermes Rampars ;
Qu'il portela terreur dansſes gras Pâturages ;
Qu'il n'est rien aſſezfort pour fermer les Paf--
fages ;
Que toft ou tard il cedera ;
Que le premier coup de tempeste
Qui tombera deſſus ſa teſte ,
Eft celuy qui l'écrafera.
Enfin une Ligue envieuſe
Du bonheur de ſes grands fuccés ,
Concevant mille vains projets ,
Se croit déja victorieuse.
Mais ſes deffeins mal concertez
Sont à peine produits , qu'on les voit avortez ;
Ils la laiſſent embarassée
S'égarer fans repos depensée en pensée.
De mesme que ceux feux errans
Que dans les nuits les plus fereines ,
Lors que la chaleur regne , on voit au gré
des vents
Voltiger au milieu des Plaines ,
Leur éclat n'est qu'une vapeur
Qui
72
MERCURE

7
Qui n'a ny ferce ny chaleur ;
Et comme un moment la voit naiſtre ,
Un moment la voit diſparoiſtre.
Trop foibles Ennemis d'un ſi vaillant Héros ,
Vousvoyez cequ'il peut pour punir l'arrogance ;
Finiſſez , finiſſez vos orgueilleux propos ,
Et recourez à ſa clemence.
Il est preſt à vous pardonner ;
Et ce qui doit vous étonner ,
Ce Vainqueurfi puiſſant content deſa victoire ,
N'a point d'autre intereſt que celuydeſagloire.
Mais pour vous , genéreux Loüis ,
Que ce trait de vostre clemence
Se répande auſſi loin que va voſtre vaillance ,
Et le bruit éclatant de vos Faits inoüis.
Ministre de ce grand Ouvrage,
COLBERT , qui dans tous vos Emplois
Servez utilement le plus puiſſant des Roys ,
Recevez ces Vers pour hommage.
Sa gloire est voſtre unique objet ,
MaMuse en a fait ſon ſujet ,
Dans le ſeul deſſein de vous plaire.
Peut -estre qu'elle a pris ſonvol unpeu trop haut;
Maissi chanter fon Nom c'eſt estre teméraire
Qui ne tombe aujourd'huy dans le mesme de-
,
faut?
Sa gloire vapar tout , la Terre en est remplie
Il n'est Peuple barbare, iln'est Defert affreux ,
Qui
GALAN T.
73
Qui dans ſa langue ne publie
De l'Auguste Loüis le Nom victorieux .
Mais fur tout c'eſt icy que d'un air doux &
tendre 1.
- Mille Chantres fameux , mille Apollons nouveaux
,
Enflent pour luy leurs Chalumeaux ;
Leur Concert est charmant , venez venez l'entendre.
Puis que vos foins nous ont acquis la Paix,
Venez du Grand Loüis partager les bienfaits,
voeux
Apres uneſo longue absence.
Il vous offre un repos felon nosjuſtes
Deſſus les Fleurs de Lys , parmy nos Demy-
Dieux.
r
C'est une digne récompenfe
De vos fervices glorieux ;
Foüiffez en longtemps pour le bien de la France ,
Et le secours des Malheurcux.
Je vous ay parlé du choix que
l'Académie Françoiſe avoit fait de
M' l'Abbé Colbert pour remplir la
place de feu M' Eſprit. Le Voyage
de Fontainebleau fut cauſe qu'il diféra
le temps de ſa Reception jufqu'au
dernier jour de l'autre Mois.
Novembre . D Cette
74 MERCURE
Cette Cerémonie ſe fait dans le lieu
ordinaire de leurs Aſſemblées. C'eſt
une Salle du Louvre , dont le principal
ornement conſiſte aux Tableaux
des Protecteurs de cette celebre
Compagnie , qui font celuy du Roy ,
& ceux de M. le Cardinal de Richelieu
ſon Inſtituteur , & de feu
M' le Chancelier, Seguier qui luy a
ſervy de Protecteur apres luy. On
y voit auſſi celuy de la Reyne de
Suede . Lors que cette grande Princeſſe
vint à Paris , elle voulut ſe trouver
à une Seance de l'Académie , &
elle fut fi fatisfaite des ſçavantes lumieres
que luydécouvrirent ceux qui
compofoient cet Illuſtre Corps , que
pour marque de ſon amitié , elle
leur fit Phonneur de leur envoyer
fon Portrait. Cette Salle eſt ouverte
à tout le monde chaque fois qu'on
reçoit un Académicien nouveau.
Ainfi la fouley eſt ordinairement fort
grande , & particulierement quand
c'eſt une Perſonne diftinguée par la
quaGALANT.
75
qualité. Vous jugez bien par là que
l'Aſſemblée ne pouvoit eſtreque tres-
- nombreuſe le jour où M l'Abbé
- Colbert fut reçeu. L'envie de vous
entretenir de ce qui s'y paſſa comme
témoin oculaire, m'y fit chercherplace
de fort bonne heure. Je ne vous
rediray point ce queje me ſouviens
devous avoirdéjadit , qu'une partie
de l'Académie Françoiſe eſt compoſée
de Perſonnes du premier Ordre
par leur naiſſance & par leurs employs
, tant dans l'Egliſe & la Robe ,
que dans l'Epée. Si l'autre partie
n'eſt pas d'un rang fi élevé , elle ne
voit rien , ou ne doit rien voir au
deſſus d'ellepour ce qui regarde l'Efprit
; & l'Eſprit eſt tellement eſtimé,
que quoy que ces Meſſieurs foient
avec les premiers du Royaume , il
n'y a neantmoins aucune diſtinction
entre eux pour les rangs. C'eſt le
fort qui décide tous les trois mois
des Charges de l'Académie. Il y en
a trois , qui ſont celles de Dire-
D 2 Eteur,
76
MERCURE
:
Eteur , de Chancelier , & de Secretaire.
Je croy , Madame , que vous
ne ferez point fâchée queje vous inſtruiſe
de ces particularitez , puis que
je vous parle d'un Corps qui eft reçeu
à l'audiance du Roy avec les
meſmes cerémonies que les Compagnies
Souveraines. Ce n'eſtpas d'aujourd'huy
qu'il eſt en conſidération.
On le peut connoiſtre par le Livre
qui s'eſt fait il y a déja vingt-cinq
ou trente ans , de ſon Inſtitution ,
&& de ſes Statuts. Ilporte pour titre ,
Histoire de l'Académie Françoise , &
eft de M' Peliſſon qui n'en eſtoit pas
encor. Ses Regles font , que celuy
qui a eſté choiſy pour remplir une
des Places vacantes , doit faire un
Compliment à la Compagnie en forme
de Remerciment. Comme le
Roy en eft preſentement le Protecteur
, & que les grandes choſes qu'il
a faites , & qu'il continuë de faire
tous les jours , donnent lieu de parler
de luy dans toutes les Actions
puGALANT.
77
publiques , les Académiciens qui
font reçeus font ce Remercîment en
peu de paroles , afin d'avoir plus de
temps à s'étendre ſur le Panegyrique
de ce grand Prince. Il en faudroit
beaucoup , quand il nes'agiroit que
de l'ébaucher. Celuy qu'on reçoit
eſt aſſis au bout d'en bas de la Table
, parce que n'ayant point encor
eu de place dans l'Académie, il ſemble
qu'il ne la doive prendre qu'apres
ſa Reception. Le Directeur eſt
vis- à-vis de luy à l'autre bout de la
Table, feul de toute l'Académie ,
aſſis dans un Fauteüil. Les Officiers
fontà ſes coſtez , & le reſte des Académiciens
fur des Chaiſes autour de
la Table. Pluſieurs Eveſques ſe placerent
derriere ces Illuſtres Sçavans ,
le jour que je viens de vous marquer.
Il y avoit avec eux un grand
3 nombre de Perſonnes de lapremiere
Qualité. Le reste de la Salle eſtoit
remply indiféremment de toute forte
de Gens dont beaucoup ſe peu-
D 3 vent
78 MERCURE
vent vanter d'un mérite genéralement
reconnu. M' l'Archeveſque de
Paris , M' Colbert , & M'l'Abbé
ſon Fils , eſtant entrez , ce dernier
eut à peine pris ſa place , que ſans
ſe donner le temps de reſpirer apres
avoir traverſé une grande foule , il
commença fonCompliment. Je l'entendis
, & j'en fus charmé. Vous
perdez ſans doute beaucoup de ce
que ma memoire ne m'eſt pas affez
fidelle , pour me donner lieu de vous
faire un exact rapport des belles choſes
qui furent dites . J'en croy ſçavoir
l'ordre , mais les termes m'ont
échapé , & c'eſt dans les termes que
conſiſte la perfection d'une Pieced'éloquence.
Ce que je vous vay dire
de celle-cy , ne laiſſera pas de vous
en donner de grandes idées , & de
vous aider à concevoir, qu'ellepouvoit
eſtre dans la bouche de M'l'Abbé
Colbert , qui la prononça avec
autant de fermeté que de grace. Il
dit d'abord , Qu'il avoit beaucoup de
joye
GALANT. 79
joye deſe voiradmis dans l'Illustre Corps
de l'Académic , mais qu'en meſme temps
fon peu de mérite luy donnoit une juſte
crainte de ne pouvoir remplir dignement
la place de celuy dont elle le faisoit Succeffeur
; Qu'il croyoit pourtant qu'elle
w'avoit pasfait choix ſa de Perſonne fans
avoir usé de difcernement. Il adjoûta
pour expliquer ſa penſée , Quelagloire
qu'ils s'estoient tous acquiſe dans l'Empire
des belles Lettres , ne pouvoit plus
recevoir d'augmentation ; Qu'ils avoient
choily jusque-là affez de Gens d'un mérite
déja étably , quipouvoient leur communiquer
leurs lumieres ; Qu'ils ne devoient
plus fonger à l'avenir qu'àformer
des Diſciples qui en profitant de celles
qu'ils leur donneroient , puſſent ſoûtenir
Péclat qui rendoit leur sçavante Compagniefi
recommandable ; & que comme
il ne doutoit point que ce ne fuſt dans
cette venë qu'ils avoient jetté les yeux
fur luy , il efperoit qu'avec tant d'babiles
Gens le temps luy feroit d'un grand
Secours pour le faire devenir ce qu'ils
D4 avoient
80 MERCURE
avoient deſſein de le rendre. Il dit en
fuite, Qu'il pouvoit au moins se vanter
d'avoir toutes les qualitez requiſes
dans un bonDisciple , puis qu'ilnemanquoit
ny de docilitény deſoûmiſſion , &
qu'il commençoit mefme d'en donner des
marques, en fe soumettant à des Loix
qui luy impofoient la neceffité de se preduire
d'abord en la presence de tant de
Grands Hommes , qu'il auroit en beſoin
d'écouter longtemps avant que d'oferparler
devant eux , neſeſentantpas unmérite
affez fort pour s'y bazarder , s'il
luy avoit esté permis de se taire ; Qu'il
Sçavoit qu'il auroit dù faire l'Eloge de
l'Académie , &du Cardinal de Richelies
ſon Instituteur , qui ayant toute la
confiance defonMaistre , & par làtontes
les Affaires de l'Etat & de la Réligion,
qui estoient alorstres-grandes, se
délafſoit dans l'Académie , ou avec les
Ouvrages desAcadémiciens , deſes grandes
&sérieuses occupations ; Qu'il auroit
dû lover fex M le Chancelier Seguier,
premierProtecteur de cette celebre
1 ComGALANT
. 81
- Compagnie , & qui pendant trente- trois
- années avoit poſſedé la plus importante
-Charge de Justice avec une conduite &
une prudence qui n'avoient rien d'égal
que son zele; mais qu'en regardant
LOUIS LE GRAND , Loüis
L'INVINCIBLE , LOUIS LE
CONQUERANT, aujourd'huy leur
Auguste Protecteur , P'éclat desa gloire
qui l'occupoit tout entier ne luy laiſſoit
point détourner les yeuxſur d'autres Objets.
De là , il entra inſenſiblement
dans tout ce que ce Monarquea fait
depuis la Guerre commencée en
1672. Il parla du Paſſage du Rhin ,
& dit , Que ce Fleuve tout rapide qu'il
est, n'avoit pû arreſter les Armes de ce
grand Prince; Que malgré l'obstacle que
devoit former àfes deſſeins Poppoſition
de ce Rampart , il n'avoit pas laißé d'entrer
chez les Ennemis ; Qu'il avoitpris
d'abord trente de leurs plus fortes Places,
& que les Digues des Hollandois n'eſtant
pas suffisantes pour retenir ce torrent de
valeur , ils s'estoient veus contraints
D5
de
82 MERCURE
de rompre ces mesmes Digues auſquelles
PArt & la Nature avoient travaillé
depuis plus de cent ans. Il parla en ſuite
de toutes les Victoires du Roy pendant
cette Guerre , & fit voir de
quelle maniere il avoitjoint par tout
la prudence& la conduite , au courage
& à la valeur. Il dépeignit les
deuxConqueſtes de la Franche-Comté
dans des ſaiſons rigoureuſes , où
ce Prince eſtoit expoſé à toutes les
injures du temps. Il parla de ceque
ſa préſence avoit fait faire au Regiment
des Gardes , dont les Soldats
montez les uns ſur les autres ,
avoient forcé la Citadelle de Befançon
à ſe rendre ; entrepriſe dans laquelle
de grands Capitaines avoient
échoïé. Il fit connoiſtre que chaque
année , chaque mois , chaque
jour, cet incomparable Monarque
avoit triomphé , & s'étendit ſur la
deſcription de la priſede Valenciennes.
Il en fit une peinture admirable
, & fur tout de la frayeur que
ce
GALANT. 83
ce Peuple devoit avoir en ſe voyant
fur le point d'eſtre abandonné à tout
ce qu'une Ville priſe d'aſſaut doit attendre
d'un Soldat vainqueur , &
naturellement infolent. Il finit cette
peinture , en faiſant voir de quelle
maniere le Roy estoit obey , & que
par fa clemence qui empefchat le pillage
, il avoit trouvédans laVictoire
quelque choſe de plus beau que
la Victoire meſme. Apres avoir parlé
de toutes les Conqueſtes de cette
année-là , il paſſa à celles de l'année
fuivante. Il dit , Qu'au milieu de l'Hyver
, malgré des Deſeſperez qui estoient
juſque-là demeurez neutres , & qu'on
Sçavoit eſtre ſur le point de ſe déclarer ,
le Roy avoit esté attaquer un des plus
forts Rampars des Ennemis . Il parla en
fuite de la Paix qu'il a donnée, &
fit voir la beauté& la genérofité de
cette Action qui couronnoit toutes
les autres ; apres quoy il finit , en
diſant , Qu'il n'appartenoit qu'à Mefſieurs
del'Académie de parler dignement
D6 des
84 MERCURE
des merveilles de cet Auguste Monarque;
& que pour luy , il ſe contentoit
de les admirer.
Quel plaiſir pour vous , Madame ,
ſi vous aviez entendu ce Panegyrique,
dont ceque j'en ay pû recueillir
n'eſt qu'une ébauche toute imparfaité!
La modeftie de M' l'Abbé
Colbert à ne ſe regarder que comme
Diſciple dans l'Illuſtre Corps où il
avoit eſté ſi genéralement ſouhaité ,
charma toute l'Aſſemblée. Jamais on
n'en a tant fait paroiſtre avec de ſi
juſtes ſujets de vanité. Mais on n'en
doit pas eſtre ſurpris. Les exemples
de ſa Famille qu'il a tous lesjours devant
les yeux , luy ont fait voir que
la modeftie n'est pas incompatible
avec le mérite , & que ſi c'eſt une
qualité que beaucoup de grands
Hommes ont négligée , elle n'eſt
pourtant pas indigne d'entrer parmy
celles qui font les grands Hommes .
Je paffe à ce que le Directeur de l'Académie
luy répondit de ſa part. Le
Sort

GALANT. 85
Sort qui décide tous les trois mois
de l'élection des Officiers , avoit rendujuſtice
au mérite de Mr Racine ,
en le mettant dans ce Poſteglorieux ,
& plus glorieux encor ce jour-là par
l'avantage qu'il eut deparler devant
une ſi belle & fi illuſtre Affemblée.
Cet avantage eft grand quand on eft
afſuré qu'on ne peut dire que de
belles chofes , & qu'on n'a pas lieu
de douter que tous ceux qui écoutent
n'en foient convaincus. Voicy
donc ce querépondit M' Racine. Si
ce ne font pas les meſmes paroles ,
ç'en eſtà peu pres le ſens. Il dit d'abord,
Que le hazard l'avoit mis dans
une place où son mérite ne l'auroit pas
élevé: Et s'adreſſent à M l'Abbé Colbert
, il le remercia au nom de l'Académie
& des belles Lettres , de
l'honneur qu'il avoit bien voulu leur
faire , & répeta meſme , Que l'Académie
tenoit à honneur de l'avoir dans
Son Corps. Il adjoûta , Que les Portes
en estoient ouvertes au mérite , & que
D7 con86
MERCURE
connoiſſant le fien , elle luy avoit voulu
épargner la peine defolliciter. Il le
loüa en ſuite ſur le Cours de Philoſophie
qu'il avoit enſeigné , & de
ce qu'ayant raſſemblé l'ancienne &
la moderne , & fuprimé des termes
barbares , pour faire connoiſtre de
folides veritez , il avoit fait voir
Ariftote , dont juſqu'icy on n'avoit
veu que le Phantôme. Il adjoûta à
cette loüange celles qui estoient
deuës à toutes les Actions qu'il avoit
faites en Sorbonne. Il dit , Quejus
que-là l'Académie l'avoit admiré, mais
que l'ayant entendupreſcher depuis avec
toute la délicatesſſe de la Langue , elle
avoit jetté les yeuxfur luy , perſonne ne
pouvant estre plus propre à celébrer les
Surprenantes merveilles du Roy qui les
accabloient de trop de matiere. Il tomba
de là ſur les Conqueſtes de Sa
Majesté , & dit , Que ce ne seroit pas
P'Académie qui feroit vivre les Actions
de ce grand Monarque , mais qu'elles
estoient fi éclatantes & fi extraordinaires,
A
GALANT. 87
res , qu'elles rendroient leurs Ouvrages
Je immortels. Il parla dela Paix qui eſt
encor plus glorieuſe au Roy que la
Guerre , & dit , Qu'il l'avoit donnée
en un moment , les diférens Interests ne
pouvant s'accorder à Nimmegue ; mais
qu'il n'oſoit entreprendre de donner à cette
Action les louanges qu'elle méritoit ,
apres ce qu'en venoit de dire M l'Abbé
Colbert , dans le diſcours duquel on avoit
connu nonſeulement ſon éloquence , mais
la paſſion qu'ilavoit commune avectous
ceux de ſa Famille , pour le ſervice de
Sa Majesté. Il prit là-deſſus occaſion
de loüer le zele que toute cette Maiſon
a pour le Roy à l'exemple de
fon Chef. Il dit , Que ce Chef Illustre
avoit Enfans , Freres & Neveux ,
qui dans leurs divers Emplois n'oublioient
rien pour le ſeconder ; Que parmy
eux trouvoit des Testes & des Bras qui
s'employoient avec une égale ardeurpour
la gloire de cet Auguste Monarque ;
Qu'on en voyoit dans le Confeil , dans
les Armées , &fur les Mers; que la
Na88
MERCURE
Navigation que juſque- là ne nous avoit
pas esté tout-à-fait connue , commençoit
à rendre la France redoutable depuis que
Monfieur Colbert y donnoit ſes ſoins. Ilfinit
, en diſant à M'l'Abbé ſon Fils ,
Qu'il trouveroit dans tous ceux qui compofoient
le Corps de l'Académie , ce mefme
esprit & ce mesme zele pour le Roy
qu'il voyoit figenéralement répandu dans
Sa Maison ; & que le Dictionnaire qui
paroiſſoit une matiere auſſi ſeche qu'épi-
•neuſe, leur devenoit agreable , parce
que toutes les ſyllabes estoient autant d'inſtrumens
qui ferviroient à porter la gloire
du Roy juſque dans la poſterité la plus
éloignée.
Les applaudiſſemens qu'on donna
tout haut à cediſcours furent grands ,
& firent voir que chacun ne connoifſoit
pas moins que M' Racine , les
veritez qu'il venoit de dire de la
Maiſon de M Colbert. Le bruit
que cauſa lajoye que toute l'Aſſemblée
en reffentit eſtant ceffé , le meſme
M' Racine , comme Directeur
de
GALANT. 89
de l'Académie , demanda aux Académiciens
s'ils avoient quelque choſe
à lire. Cette demande ſe fait toûjours
dans leurs Actions publiques. Iln'y
a qu'eux qui ayent ce droitde lecture.
Ils la font affis , couverts , le papier
àlamain.
M² l'Abbé Cotin commença par
un Diſcours de Philoſophie. Il le fit
ſur ce que M l'Abbé Colbert qu'on
recevoit ce jour- là , eſtoit un treshabile
Philoſophe. Il n'en lût qu'une
partie, ſon âge ne luy laiſſant pas
affez de voix pour ſe faire entendre
dans une fi grande Aſſemblée.
M' Quinaut lût en ſuite deux
petitsOuvrages de Vers. Ily en avoit
un fur la modeſtie de Mr Colbert
qui fuit toute forte de loüanges , &
qui n'aime à entendre que celles du
Roy. Il finiſſoit par une tres-belle
penſée qui faiſoit connoiſtre que ſi ce
zelé Miniſtre ne pouvoit ſoufrir que
les louanges de ſon Maiſtre , l'admirable
Panegyrique que venoit de faire
un
१०
MERCURE
un autre luy-meſme , avoit dû luy
donnerune extrémejoye. Le ſecond
Ouvrage de M' Quinaut eſtoit tout
entier à l'avantage de M² l'Abbé Colbert
, ſur ce que dans le bel âge il
avoit uny les belles Lettres au profond
Sçavoir .
Apres qu'il eut achevé M'l'Abbé
Furetiere fit entendre quelques Vers
fur pluſieurs endroits de la Vie du
Roy, pour ſervir d'Inſcriptions àun
Arc de Triomphe , dont il a fait le
deſſein ily a déja quelque temps.
Un Dialogue de la Paix , & de
la Victoire , fût lû par M Boyer.
Il eſt plein deloüanges pour leRoy,
& reçeut degrands applaudiſſemens.
D'autres Vers de M. de Corneille
l'aîné ſur la Paix , furent écoutez
avec beaucoup de plaiſir. On y remarqua
de ces grands traits de Mai -
ſtre qui l'ont ſi ſouvent fait admirer,
& qui le rendent un des premiers
Hommes de fon Siecle.
M' le Clerc lût apres luydiférens
OuGALANT.
91
Ouvrages de Poëſie , & s'acquit l'approbation
de cette grande Affemblée,
tant par la maniere dont il les recita,
que par leur propre beauté. La fin
del'unmarquoit à l'avantage du Roy,
queſi cet Invincible Monarque n'avoit
pas conquis le Monde , il avoit
fait voir qu'il avoiteſté en pouvoir
de le conquérir. Il s'eſtoit rencontré
avec M' Quinaut dans un autre ſur
la modeſtie de M'Colbert , qui luy
faisoit rejeter toute autre loüange que
cellesduRoy. Il en lûtun troifiéme
dont la derniere penſée estoit qu'on
devoit regarder le Siecle de Loüis
comme celuy des merveilles. Cette
penſée tomboit ſur M' l'Abbé Colbert
dont l'eſprit eſt un prodige à ſon
âge , & qui ena donné des marques
fur toute forte de matieres , que les
plus éclairez ne donnent ſouvent
qu'apres de longues années. Il finit
ce qu'il avoit à faire voir par lalecture
d'une Paraphrafe de l'Exaudiat .
M' Charpentier parla le dernier ; &
com92
MERCURE
comme la matiere des Ouvrages qui
ſe liſent publiquement dans cesjours
de Reception n'est jamais fixée , il
fit entendre une Traduction qu'il a
faite du Miserere. Elle est reſſerrée
enpeu deVers , & fut extrémement
applaudie. J'aurois pû vous envoyer
une partie de ces Pieces , mais j'ay
tant de choſes à vous apprendre ce
Mois-cy , qu'elles rendroient ma
Lettre trop longue. Il ſuffit que vous
en ayant marqué les principales penſées
, je vous aye donné lieu de juger
de leur beauté. Ily a une reflexion
à faire. Pluſieurs de ceux que
je vous viens de nommer , ſe ſont
attachez à vanter la modeſtie de M
Colbert dans leurs Ouvrages , & ils
ne peuvent l'avoir fait ſans qu'ils
ayent reconnu que cette vertu eſt
particuliere à ce grand Miniſtre. On
ne ſe rencontrejamais dans une mefme
penſée , que ſur des veritez inconteſtables.
Adire vray , les loüanges
ne ſemblent eſtre que pour ceux
dont
GALANT .
93
dont on peut ignorer les actions ;
mais celles des grands Hommes que
Sa Majesté employe dans les Affaires
les plus importantes de l'Etat , ſont
trop en veuë, pour eſtre cachées à
perſonne; & comme elles parlent
d'elles- meſmes , & que l'heureux
fuccés de tous les deſſeins du Roy ,
fait connoiſtre l'exactitude, le zele,
les foins , & la prudence de ceux
qui le ſervent , on chercheroit inutilement
à les loüer autant qu'ils méritent
; ce ne ſeroit qu'apprendre au
Public ce qu'il ſçait déja. MrCharpentier
ayant achevé de lire , toute
l'Aſſemblée fortit , fort fatisfaite des
belles choses qu'elle avoit entenduës;
& comme elle en eſtoit toute remplie,
les applaudiſſemens réſonnoient
de tous coſtez en faveur des Illuſtres
de l'Académie..
On ſe regle ſouvent ſur les Saiſons
pour les Airs qu'on fait. C'eſt ce
qui a donné lieu à Mª du Parc de
faire celuy-cy fur celle où nous ſommes.
94 MERCURE
mes . Divertiſſez vous à le chanter
aupres du feu , ſi vous ne voulez
pasy écouter ceux qui vous diroient
avec plaiſir que vous eſtes belle &
aimable.
MENUET.
NE croyez pas , jeune Bergere ,
Que l'Hyver ait banny les plaiſirs de ce lieu.
Onfait l'amour aupres du feu ,
Auſſi bien que fur la fougere:
J'adjoûte à cette Chanſon une ingénieuſe
Galanterie qui ne ſçauroit
manquer de vous plaire. Vous avez
le gouſt trop bon , pour n'eſtre pas
ſatisfaite & de l'enjoüement des penſées
, & de la facilité du ſtile.
PROPOSITION
DE MARIAGE
ENTRE
UNLINOT
ET UNE LINOTE.
A Madame R.
J'ay dans ma Chambre une Femelle
Jeune , amoureuse , tendre & belle ,
1
Qui
Pag. 94
humour auprés du feu ,
A
'humour auprés du feu ,
l'hmour auprés du feu ,
fe
fe
fe
DU PARC.
11-
GALANT.
95
Qui voudroit bien se marier.
Je connois ſon envieà ſon petit bec pâle.
Sçachez un peu de vostre Mâle
S'il ne veut point s'aparier.
Si vous voulez ſçavoir &ſon bien &ſon âge ,
Je vay vous le dire en un mot.
Ellea fix mois , pas davantage.
Tout fon bien est un petit Pot
Fait d'une coque d'Escargot ,
Avec une petite Cage.
Au reste elle fut toûjours fage ,
Et malgré de certains Eſprits
Le trop licentieux langage,
Elle n'eut jamais de Petits.
L'Oyſeleur qui me l'a venduë ,
M'a fait voir qu'elle est descenduë
D'une fort honneste Maiſon ,
Et que sa Race est répanduë
Au dela de nostre horizon.
Il m'a fait toute son hiſtoire ,
Etsi j'avois de la memoire ,
Je pourrois bien vous repéter
Tout ce qu'il a ſfeu m'en conter.
Comme en ce Pais chacun cause ,
Et que de peu l'on fait grand chose ,
Il nefaut pas vous alarmer ,
Si l'on dit qu'elle ſcent aimer ,
Car il est vray , je le confeffe.
Un jeune Oyſeau de méme espece ,
Alafaveur d'un Air nouveau ,
Fetta
96 MERCURE
Fetta dans fon petit cerveau
Quelque ſemence de tendreſſe.
Elle le tint le bec dans l'eau ;
Mais l'emplumé Godelureau
Qui la persécutoit fans ceſſe ,
Voulant la derniere faveur ,
La trouva Femelle d'honneur ,
Et ne pût l'obligerà manquer de ſageſſe ,
Dont il eut tres-grand mal au coeur.
Ecouter un Amant , rire de ſa fleurete ,
C'est le vray tour d'une Coquete :
Mais comme elle estoitjeune , elle nesçavoit pas
Qu'il faloit éviter ce pas,
Et que par la Coqueterie ,
Hommes , Oyſeaux , tout fedécrie.
Du depuis un Serin verdcomme un Perroquet ,
Jeune, badin, joly , coquet ,
Superbe, & fier de ſon plumage,
De quelques tendres tons embellit ſon ramage,
Pour l'enyvrer de ſon caquet ;
Mais elle luy fit bien connoiſtre
Que ce qu'il faisoit pour paroiſtre ,
Son air,fon chant , & sa façon ,
N'estoient qu'une pure Chanfon
Qui n'ébloüiffſoit point ſa veuë ,
Et qu'elle ne seroit émeuë ,
Ny ne soufriroit plus d'Amant ,
Que par un établiſſement ,
C'està dire pour mariage.
Depuis elle a fait davantage.
Quand
GALANT .
97
:
Quand elle a vefcu dans les Bois,
Dans les Fardins , à la Campagne ,
Ellea ſçeu faire un fage chois
D'une irreprochable Compagne.
On la vit s'éloigner toûjours
De la libertine Fauvette ,
Dont on connoit l'hiſtoriete,
Pour paſſer la plupart des jours
Chez l'Hirondelle ou l'Alonete .
Cette Piece eſt de M Corps de
Troyes en Champagne , qu'une difgrace
impréveuë tient preſentement
arreſté dans la Conciergerie. Il eſt
aiſé de voir à la liberté d'eſprit que
- luy laiſſe ſapriſon , qu'il ne sçauroit
eſtre que malheureux. Ceux qui
ont quelque choſeàcraindre dans un
lieu , où ils ne peuvent éviter un
Jugement Souverain , n'ont jamais
la tranquillité qui eſt neceſſaire pour
imaginer un Ouvrage auſſi galant
que celuy de ce ſpirituel Priſonnier.
La France me fournit tant de
nouvelles , que je vous entretiens
rarement des Etrangeres. Cependant
je ne puis m'empefcher de vous ap-
Novembre. E
pren98
MERCURE
prendre un incident particulier , auquel
les Mécontens de Hongrie ont
donné lieu . Il vous fera connoiſtre
qu'il ne faut pas toûjours juger de
l'intention ſur les apparences. Ces
Mécontens paſſant ily a déja quelque
temps par les Terres d'un Preſtre
, nommé Jofuas ou Joſeph , ce
Jofuas qui eſt un Homme d'eſprit ,
hardy , réfolu & qui ſe voyoit
fort accommodé , leur fit ſçavoir
que loin de ſe retirer comme laplûpart
des autres , & d'emporter avec
luy ce qu'il avoit de mellieur, il demeureroit
dans ſes Terres pour les
regaler , pourveu qu'ils vouluſſent
luy promettre de n'y faire aucun
dégaſt. La propoſition leur parut
d'un galant Homme , & ils luy promirent
ce qu'il demanda. Les Mécontens
pafferent. Jofuas les regala ,
& quoy que l'Aſſemblée fuſt fort
nombreuſe , ils s'en acquita ſi bien
que rien ne manqua à la reception
qu'il leur fit. Les Mécontens tin
rent
GALANT.
99
rent leur parole, & partirent fort
fatisfaits de fon procedé. Aquelque
temps de là, les Impériaux commandez
par le General Wirmena ,
vinrent ſur les terres de Jofuas , &
le regardant comme ennemy , parce
qu'il avoit régalé leurs Ennemis , ils
le ruinerent entierement , ſans confiderer
que ce n'eſtoit pas eſtre criminel
qu'avoir eu l'adreſſe de s'éxempter
du pillage , en donnant de
bonne grace beaucoup moins qu'il
n'auroit perdu en ſe retirant. Ce
General ne ſe contenta pas de cette
rigueur. Il le maltraita dans ſa Perfonne
, & le fit mener en prifon . Il
a trouvé moyen d'en fortir , & pour
s'en vanger il s'eſt mis avec les Mécontens
, dans l'Armée deſquels l'exercice
de la Religion Catholique eft
libre. Il eſt entré dans la Moravie
à la teſté de deux mille Chevaux ,
&en a fait fuïr la plus grande partie
des Habitans par dela le Danube.
De ces deux mille Chevaux il en a
E2 choi-
1.
100 MERCURE
choiſy deux cens , & a eſté ſacager
&brûler tout ce qu'il a ſceu qui appartenoit
auGeneral Wirmena. Il a
paffé en fuite en Silefie , où ila fait
un tres grand degaſt. Comme il eſt
Homme de réfolution , la Cour de
Vienne fait tout cequ'elle peut pour
luy faire quiter le Party qu'il a embraffé,
& il ne tient pas àdes offres
avantageuſes qu'elle ne repare ceque
le General Wirmena a causé de mal
en le traitantdecoupablefurde faufſes
apparences.
Ceux qui fervent fidellement le
Roy d'Eſpagne , ont tout ſujet de
ſe loüer de Di Juan. L'état où ſe
trouvent depuis longtemps les Affaires
de ce grand Royaume , qui
ne ſont pas mesme encor rétablies ,
ne l'a point empeſché de faire donner
par Sa Majesté Catholique des
récompenfes à ceux qu'il a crû qui
en méritoient. Le Duc de Villa-
Hermoſa , le Comte de Rache , le
Prince de Vaudemont , M'de LouviGALANT
. 101
vignies , & D. Franciſco- Marcos de
Velaſco , en ont eu de conſidérables.
S'ils ne les ont point acquiſes par de
grandes actions , le defir qu'ils avoient
d'en faire , & l'excés de leur
zele, les rendoient dignes de ce qui
a eſté fait en leur faveur. C'eſt ſouffrir
aſſez que d'eſtre toûjours malheureux.
Au moins quand on réüffit ,
la gloire qu'on en reçoit , & la fatisfaction
ſecrete qu'on en a, peuvent
tenir lieu de récompenſe ; mais
ſi on ne leur en euſt donné aucune ,
apres qu'ils ont employé tous leurs
efforts pour détourner l'orage qui
eſt ſi ſouvent tombé fur eux, ç'euft
eſté les punir de toutes les vertus
politiques & militaires de Loüis
LEOGRAND . Ce qu'ils ont fait
leur euſt aſſuré la victoire contre
tout autre Ennemy , & il leur doit
avoir beaucoup plus couſté de ne
l'avoir pas remportée , puis qu'outre
les meſmes fatigues , ils ont
- effuyé des chagrins qui n'accompai
E3 gnent
102 MERCURE
gnent jamais les Vainqueurs.
Madame laDucheſſede San-Pedro,
&Madame la Marquiſe de Quintana,
accompagnées de M' leDucde San-
Pedro , Mary de la premiere , ont
paffé par cette Ville pour prendre la
route d'Eſpagne. Elles font Filles de
M' le Marquis de los Balbazes premier
Ambaſſadeur de ſa Majesté Catholique
à Nimmegue, & qui doit
fucceder à M' de Villa- Hermoſa au
Gouvernement des Païs-Bas apres la
Paix genérale. La derniere eſt une
jeune Perſonne de ſeize ou dix- fept
ans, qui a eſté mariée à Vienne par
Procureur , & qui s'en va trouver
en Eſpagne le Marquis de Quintana
ſon Mary. C'eſt un jeune Seigneur
âgédedix- neuf à vingt ans , de grande
qualité , & fort riche. Ces deux
Mariez ne ſe ſont jamais veûs que
par les Portraits qu'ils ſe ſont envoyez
l'unjà l'autre. L'Epoux vien
dra au devant de la jeune Marquiſe
ſa Femme, juſqu'à Saint Jean de
Luz,
GALANT.
103
Luz , & quand on l'aura miſe entre
ſes mains , le Duc & la Ducheffe de
San-Pedro doivent revenir à Nimmegue
, aupres de Me le Marquis de
los Balbazes . Ces Dames ont reçeu
à Valenciennes , à Cambray , à Peronne
, à Gentilly, & dans toutes
les Villes &. lieux de l'obeïſſance du
Roy où elles ont paffé , tous les honneurs
qui font deûs à leur naiſſance
& au mérite de leurs Perſonnes .
Elles ont eſté ſalüer Leurs Majeftez
à Verſailles , & quoy qu'elles attendiffent
beaucoup de l'honneſteté du
Roy , elles l'ont trouvé civil pour
elles au dela de ce qu'elles ſe l'eftoient
promis . Apres avoir veu tout
ce qu'il y ade beau à Verſailles , elles
vinrent à Paris , où elles ſe donnerent
le divertiſſement de l'Opéra. La galanterie
Françoiſe ne les ſurprit point .
Elles avoient déja commencé à connoiſtre
la France à Nimmegue, car la
galanterie regne par tout où ily a des
François . Comme ils la communi-
1
E 4 quent
104
MERCURE
quent à toutes les autres Nations ,
ils font cauſe que cette Ville, où
les Miniſtres de tant de Souverains
font afſſemblez , est devenuë une
Ville de plaiſirs & de Parties agreables
, par les Régals qui s'y ſont
donnez , &qui continuënt às'ydonner
toutes les Semaines. La ſocieté
que ces agreables Parties ont fait lier,
⚫n'a pas peu contribué à établir de l'amitié&
de l'union entre la plupart
des Ambaſſadeurs & Ambaſſadrices.
Madame Colbert, qui ne ſe fait pas
moins diftinguer par la magnificence
qui accompagne tout ce qu'elle fait,
que par fon admirable conduite , a
donné lieu à ces Divertiſſemens .
Quelques autres Dames Ambaſſadrices
, & particulierement celles d'Efpagne&
de Dannemarc , l'ont imitée.
Ainfi les Aſſemblées de divertiſſement
ont alternativement continué
chez elles tous les jours de chaque
Semaine , par leJeu , par le Bal,
&par des Collations magnifiques. Il
s'en
GALAN T.. 105
١٠
s'en douna une le 22 du Moispafle
chez M' Colbert , où il parut defi
grandes démonftrations de joye de
la plupart des Ambaſſadeurs& Miniſtres
qui s'y trouverent , que ces
marques extraordinaires de fatisfaction
jointes aux Santez qui s'y bûrent
, firent des lors eſperer que la
Paix de France , d'Eſpagne , & de
Hollande , ſeroit bientoſt ſuivie de
la genérale. Les Ambaſſadeurs , qui
dans le Cabinet ont ſi bien exécuté
les ordres de leurs Maistres , n'ont
pas moins de part à cette Paix , que
ceux qui en expoſant leur fang&en
gagnantdes Victoires , l'ont fait fouhaiterà
nos Ennemis. Onpeut mefme
dire que MadameColbert , par
les Divertiſſemens que les autres Ambafſadrices
ontdonnez à fon exemple,
acommencé d'unir des Miniſtres que
des intereſts bien diférens tenoient
diviſez , & que pendant que M
Colbert fon.Mary travailloit avec
une entiere application à la grande
E5
Af
106 MERCURE
Affaire de la Paix, elle travailloit
de ſoncoſtéàentretenir entre les Par
ties l'intelligence qui leur eſtoit neceſſaire
pour traiter agreablement.
Les Ambaſſadrices ne ſe divertiſfoient
pas ſeules , les Ambaſſadeurs
eſtoient quelquefois de la partie , &
ſe délaſſoient dans ces illuftres Af
ſemblées de leurs pénibles & preſque
continuelles occupations .
Quoy que le calme ſoit rétably
dans les Provinces de Flandre , la
Mort qui y regne toûjours empeſche
qu'on ne ſe ſoit encor apperçeu du
bonheur qu'il y doit caufer. Vous
ſçavez les ravages qu'elle a faits à Anvers
, & combien elle y a emporté
de Peuple , mais vous n'en ſçavez
peut-eftre pas la cauſe. Quand le Roy
prit la Ville de Gand , celle d'Anvers
en fut fi fort alarmée , qu'elle
retint fes Ecluſes. Les eaux retenuës
ſe corrompirent. Comme on ne s'eſtoit
point apperçeu de cette corruption
, on continua de ſe ſervir de ces
eaux
GALANT.
107
eauxà faire de la Biere , & l'on a remarqué
qu'il n'eſt preſque échapé
perſonne de tous ceux qui en ont beû.
La Saiſon où nous ſommes a eſté
fatale à pluſieurs Perfonnes qui tenoient
les premieres Dignitez de l'Eglife.
Le Nonce que nous avions en
France eſt un de ceux qu'elle a emportez
. Il eſtoit Archeveſque titulaire
d'Andrinople, Anditeur de la
Rote , & d'une tres-bonne Maiſon
de Rome , dont il avoit eſté Gouverneur.
Il ſe nommoit Pompeïо
Vareſi. Il avoit toûjours eu l'avantage
d'eftre fort agreable au Roy ,
juſque- là qu'avant méme qu'il vinſt
en France , Sa Majesté avoit témoigné
qu'Elle agréeroit le choix que
le Pape feroit de ſa Perſonne pour
l'y envoyer. Son Corpsa eſté porté
à l'Egliſe de S. Sulpice ſa Paroiſſe ,
&de là dans celle des Théatins , où
il avoit choiſy ſa Sepulture. Le dernier
Noncemort en France du temps
de Henry III. fut enterré à Notre
E6 Da108
MERCURE
Dame aux deſpens du Roy; mais
comme celuy-cy avoit ordonné luymeſme
du lieu où il vouloitque ſon
Corps fuft mis , on a ſuivy ſes dernieres
volontez .
M' l'Eveſque d'Agen eſt mort
auſſi. Il tenoit rang parmy les plus
grands Prédicateurs , & vous n'en
douterez pas quand je vous auray
fait ſouvenir qu'il s'appelloit M
Joly , & qu'avant que ſon mérite
l'euſt fait élever à l'Epiſcopat , il eftoit
Curé de S. Nicolasdes Champs.
On aſſure qu'il a laiffé tous fes Biens
aux Pauvres.
Sa mort a eſté ſuivie de celle de
M' Sevin , Eveſque , Comte & Baron
de Cahors. Il eſtoit venu icy
pour les Affaires de ſon Diocefe , &
a finy comme il avoit commencé,
c'eſt à dire en donnant juſqu'au dernier
jour toutes les marques de pieté
qu'on pouvoit attendred'un Homme
qui n'avoit jamais eu de veuës que
pour le Ciel. Il a eſté trente ans
EvefGALANT
.
109
:
i
Eveſque , &pendant ce temps ſa conduite
a ſervyd'une grande édification
àtous les Peuples de fon Dioceſe. Il
faiſoit tres-ſouvent ſes viſites , &
vivoit dans une mortification extraordinaire
, couchant preſque toûjours
ſur la dure , & macerant fon
Corps de mortifications & de penitences.
Il eſtoit tres-bien fait , &
avec une grande modeſtie il confervoit
une gravité telleque la demandoit
la Dignité Epiſcopale où Dieu
l'avoit appellé. Il ne ſoufroit chez
luy aucune Perſonne de l'autre Sexe;
&quand il eſtoit obligé d'avoir quelque
converſation avec les Femmes ,
c'eſtoit avec une reſerve qui luy attiroit
une grande véneration & un
reſpect fingulier de toutes cellesqui
l'approchoient. Il avoit beaucoup
d'eſprit , & n'ignoroit rien de ce qui
eſtoit dû au rang qu'il avoit à ſoûtenir
dant l'Eglife. Il le maintenoit
avec tant de zele , que la moindre
choſe qui en bleſſaſt tant-ſoit-peu la
E 7
diIIO
MERCURE
dignité , luy eſtoit inſuportable.
Apres avoit eſté Eveſque de Sarlat
pendant dix ans , il fut choiſy par
un ſaint Homme pour luy fucceder
dans l'Eveſché de Cahors. Il eſt mort
icy dans la Maiſon des Miſſionnaires
de S. Lazare , où il avoit fouhaité
depuis longtemps de mourir ,
fi Dieu diſpoſoit de luy hors defon
Dioceſe. Vous ne ſçauriez croire le
concours de monde que la ſainteté
de ſa vie a attiré pendant trois jours
qu'il a eſté expoſé en public. Mª de
S. Lazare ont montré le zele qu'ils
avoient pour luy , en luy faiſantdes
Obſeques dignes de ce qu'il eſtoit.
Il s'eſt fait depuis peu une Cerémonie
, dont la fin a eſté toute contraire
à ce qu'on s'en eſtoit promis .
Le Cas eft particulier , & vaut bien
que je vous en faſſe un Article. Je
ne vous diray rien que de vray. La
choſe s'eft paffée à Troyes , & il vous
fera aifé d'en eſtre éclaircie. Une
jeune Demoiselle , ayant pris leVoile
GALANT. III
le blancdans un Convent de la Ville
que je vous nomme , eſtoit ſur le
point de faire ſes voeux. Elle y avoit
.efté miſe Penſionnaire dés l'âge de
huit ou neuf ans , & ſuivant la coûtume
des Filles qui dans leurs premieres
années ont preſque toutes
quelque tentation de ſe faire Religieuſes
, elle en avoit eu quelque
envie comme les autres.UneGuimpe
qu'on luy avoit donnée quelquefois
lu,y avoit paru la plus jolie choſedu
monde, & comme dans ces jours
qui n'eſtoient que de divertiſſement
pour elle , on ne luy parloit ny de
mortification , ny de penitence , elle
s'eſtoit laiſſée gagner aux charmes de
la nouveauté , & avoit cru qu'on
l'applaudiroit toûjours ſur l'agréement
qu'elle recevoit de cet ajuſtement
emprunté, Sa Mere luy dêmandoit
de temps en temps ce qu'elle
avoit deſſein d'eſtre. Vous jugez
bien qu'elle répondoit en baiffant
les yeux, Religieuse. La Mere s'ac
com112
MERCURE
commodoit affez de cette réponſe.
Elle avoit une autre Fille que cette
Vocation prétenduë laifſoit heritiere
d'une aſſez grande Succeſſion. Elle
devenoit par là un Party conſidérable,
& l'ambition jointe à un peu
plus de panchant que cette Mere
avoit toûjours eu pour elle, luyfaifoit
entretenir ſa Cadette dans la réſolution
de prendre l'Habit. Le
temps vint. Cette Cadette eut quinze
ans. On s'informa fi elle avoit le don
deperfeverance , &foit que fon coeur
ne luy euſt encor rien dit pour le
monde, ſoit qu'elle craigniſt ſaMere
qui témoignoit ſouhaiter qu'elle
y renonçaſt , elle perſiſta dans ſes
premiers ſentimens , prit le Voile ,
& le prit d'un air ſi content qu'on
ne douta point qu'elle ne fuſt inſpirée
d'enhaut. Peut-eſtre le crutelle
d'abord elle-meſme. Tout ce
qu'on luy ordonnoit luy plaiſoit.
Elle s'en acquitoit avec une gayeté
extraordinaire , mais elle ne sçavoit
pas
GALANT .
113
e
*
a
pas qu'à moins d'eſtre veritablement
appellée , on s'ennuye bientoſt de
faire toûjours la meſme choſe , &
qu'il en eſt , qui quoy que tresbonnes
Religieuſes , ſont réduites quelquefois
àſouhaiter un peu de diverſité
pour ſe délaſſer l'eſprit , ne fuſt- ce
que l'Enterrement de quelque Ancienne
qui ayant aſſez veſcu (car en
ce lieu-la on ne ſouhaite point la
mort du prochain) leur donne lieu
par les devoirs qui luy ſont rendus ,
de s'employer à quelque autre choſe,
qu'à ce qu'elles ſont obligées de faire
régulierement tous les jours. La
Belle dont je vous parle ne fut pas
plûtoſt Novice , que fa Soeur trouva
un Party fort avantageux. On la
maria ſur le pied d'unique heritiere.
Elle vint voir la Novice qui commença
de trouver qu'un Point de
France valoit bien la Guimpe qu'elle
ſe voyoit. Il y a toûjours je neſçay
quoy de brillant dans une nouvelle
Mariée qui ſauta aux yeux de cette
jeune
114 MERCURE
jeune Perſonne. Elle n'en dit rien ,
mais malheureuſement pour fon
Aînée , elle avoit une Compagne
dont le Frere luy avoit déja compté
des douceurs avant qu'elle euſt pris
l'habit. Il eſtoit bien fait, de condition
égale à la fienne , perfuafif
quandon l'écoutoit ; fielleluy avoit
paru aimable dans ſes habits negligez
du monde , il trouva ſa beauté ſi
augmentée par leVoile , qu'il commença
tout de bon à ſe déclarer. La
Soeur qu'il avoit dans le Convent ,
avec la Novice , luy facilitoit les
moyens deluy parler, &il tourna fi
bien l'eſprit de la Belle, que s'eſtant
rendu maiſtrede ſon coeur, il la contraignit
àne luy en pas faire un fecret.
Ils ſe voyoient fort ſouvent, & s'écrivoient
quand il ne leur eſtoit pas
permis de ſe voir. Jugez du chagrin
de la Novice. Elle avoit fait un
grand pas . Sa Mere eſtoit d'humeur
àne luy pardonner jamais. Le temps
de la Profeſſion aprochoit toûjours ,
&elle
GALANT 115
&ellenepouvoitplus eſtre heureuſe,
qu'en époufant celuy qu'elle aimoit.
Son Amant l'enhardiſſoit à ſe défaire
de la crainte qui l'empeſchoit de
parler. Elle luy promettoit merveilles
; mais dés qu'elle estoit avec ſa
Mere (car fon Pere ne vivoit plus)
ſes réſolutions s'évanoüiſſoient , jufque-
là, qu'elle luy laiſſa arreſter le
jour de la cerémonie des ſes Voeux
àun mois de là, & n'eut pas la
force de s'y oppoſer. SonAmant fut
au deſeſpoir de cette nouvelle , & il
auroit couru riſque de n'eſtrejamais
heureux , fi une fievre tres-violente
n'euſt enfin emporté la Mere en
quatre jours. C'eſtoit le ſeul obſtacle
qui arreſtoit la Novice. Cette mort
la rendoit maiſtreſſe de ſes volontez
& de faperfonne, & elle commença
de donner des afſurances plus poſitives
à fon Amant , quicontinuapourtant
de trembler quand il la vit obſtinée
à laiſſer aſlembler ſes Parens
pour lancerémonie dont on avoit
ar116
MERCURE
arreſté le jour. Elle le pria de ſe
trouver proche de la Grille , & de
nes'inquiéter de rien. Ilyvint tremblant
, mais fi propre , que comme
on fçavoit qu'il voyoit quelquefois
la Novice, on luy dit qu'on nedevoit
pas eſtre ſurpris qu'il vouluft
faire honneurà ſa Feſte. L'Aſſemblée
fut grande. On fit tout ce qui
précede la folemnité des Voeux , &
enfin il fut queſtion de venir à la
Novice pour luy faire déclarer le
deſſein où l'on croyoit qu'elle fuſt
encor. Mais à peine luy eut-on dit,
que demandez- vous ? que d'une voix
ferme , &fans balancer , Voila , ditelle,
ce que je demande. Elle montra
fon Amant en diſant ces mots , &
proteftaqu'elle le prenoit pour Mary,
comme elle ſçavoit qu'il vouloit la
prendre pour Femme. Jamais il n'y
eut un pareil étonnement. Tout le
monde ſe regardoit. L'Amant charmé
de la fermeté de ſa Maiſtreſſe ,
fit paroiſtre tant de reconnoiſſance ,
10
&parGALANT.
FI
& parla d'une maniere ft pleine d'amour
aux Parens de cette aimable
Perfonne, qu'ils ne pûrent ſediſpen-
- fer de luy eſtre favorables. Ainfa
quelques jours apres, ils s'aſſemblerent
tout de nouveau pour une Cerémonie
biendiférente decellequ'on
n'acheva point , puis que ce fut pour
les Nôces des deux Amans. Elles ſe
firent du coſté du Marié avec une
magnificencedignede l'avantage qu'il
trouvoit dans l'heureux ſuccésdefon
amour. 1
Le Samedy 12 de ce mois , Melſieurs
du Parlement s'affemblerent à
la Grand Chambre ſelon la coûtume
, & fortirent ſur les dix heures
pour aller entendre la Meffe , apres
avoir eſté avertis que Monfieurl'Eveſque
de Luçon qui la devoit celé
brer Pontificalement, estoit preft.
Elle fut chantée par la Muſique de
la Sainte Chapelle, à laquelle on
avoit adjoûté quantité des plus belles
Voix de Paris. La Meffe eftant
dite,
118 MERCURE
dite , Monfieur deNovion Premier
Préſident , amenace Prélat à la
Grand' Chambre. Tous ceux qui
compoſent cet auguſte Corps le ſuivirent
, &prirent leurs placesà l'ordinaire.
Apres quoy , Monfieur le
PremierPréſident remercia Monfieur
de Luçón. Ce qu'il dit fut court ,
mais fort bien penſé , &ben tres-beaux
termes de Luçon fit fon.
Compliment en fuite, & remercia
Mile Premier Préfident à ſon tour ,
de ce qu'il avoit bien voulu le choifir
pour faire l'Ouverture du Parlement.
Il parla des belles qualitez de
Monfieur de Novion; & comme la
matiere eſt ample, il luyfut impoffible
de finir fi-toft. Il fit voir par
le tour fin qu'il donnaà ſespenſées,
qu'il parloit en Homme à qui l'éloquence
effoit naturelle. On n'a pas
lieu d'en eſtre ſurpris. Il eſt d'une
Famille où il y a infiniment de l'efprit,
& le nom de Barillon qu'il porte
perfuadera toûjours aisément de
tout
GALANT . 119
1- tout ce qui ſe dira à fon avantage.
Les Complimens faits. ce Prélat ſe
rendit à l'Hostel de Monfieur le Premier
Préſident , qui dés l'entrée de
la Grand' Chambre avoit prié tous
ceux de ſa Compagnie de venirdifner
chez luy. Le Repas fut d'une
magnificence à laquelle il ne ſe peut
rien adjoûter. Les Harangues ayant
eſté remiſes à la fin du mois , je paffe
à celles qui furent faites ce meſme
jour à la Cour des Aydes.
Monfieur le Camus , Premier Préſident
, en fit l'ouverture , ſuivant
l'uſage ordinaire , par un Difcours
plein degrace & d'érudition , & auquel
il donna tout l'agrément pof.
ſible par la beauté de la prononciation.
Il fit voir la neceſſité dans laquelle
les Magistrats ſes trouvoient engagez
de s'établir dans un état de liberté &
& d'indépendance , pour pouvoir reſiſter
aux prieres, aux menaces , aux larmes ,
à lamiſere mesme , quoy qu'elle fust qnelquefois
injuste ; condamner leurs Amis ,
ab120
MERCURE
abfoudre leurs Ennemis, enfin pour rendre
la Justice dans toute son étenduë ;
à quoy ils devoient se croire d'autantplus
obligez , que le plus grand bonbeur qui
pouvoit arriver aux Fuges , c'estoit d'eſtre
lesMartyrs de la Fustice , apres en
avoir esté les Miniftres ; & que cette
Sageſſe éminente que l'Orateur Romain
diſoit estre feule libre , & qui demeuroit
toûjours en poſſeſſion de ſes droits dans
les êtatsheureux ou malheureux de la
vie , estoit le veritablepartage de laMagiftrature.
Il adjoûta , Queſuivant la
pensée d'un ancienPhiloſophe , l'Homme
juste estoit un préſent que le Ciel faisoit
aux autres Hommes pour leur utilité
commune , & qu'il estoit ſemblable à
ces Fontaines qui répandentgratuitement
& avec abondance leurs eauxfalutaires
à tous ceux qui en ont besoin. Il montra
en ſuite , Qu'encor que les Magiſtrats
düſſent estrefort libres & indépendans
, cependant il n'y avoit rien de
moins libre que lesFuges , puis qu'ils ne
ſe pouvoient diſpenſer , ſans commettre
une
ALANT. 121
une lacheté criminelle , de ſuivre avec
courage & avec soumiſſion les mouvemens
de leur confcience , &les déciſions
des Loix , & qu'ils en estoient les Dépofitaires&
les Protecteurs , comme les
Anciens avoient autrefois donné cet
avantageà Apollon l'un de leurs Dieux ,
n'ayant pas voulu commettre le ſoin d'une
choſe ſi prétieuse à un autre qu'à une
Divinité; Que fi un excellent Autheur
de l'Antiquité appelloit les Songes qui arrivoient
aux grands Hommes , des
Oracles naturels , la conscience estoit
l'Oracle le plus naturel que pûßent avoir
les Juges, puis que c'estoit elle qui les
conduiſoit dans les routes les plus feures
de la Verité & de la fustice ; & quả
Pégard des Loix , la ſoûmiſſion que devoient
y avoir lesfuges , estoit beaucoup
plus noble que l'indépendance imaginaire
de ceux qui s'abandonnent aux caprices
&aux irréglarite,z de leur imagination.
Ildità M les Gens du Roy , Qu'ils
estoient ſemblables à cet Officier des anciens
Roys de Perſe , qui marchoit toû-
Novembre. F jours
122 MERCURE
jours devant eux avec un Flambeau al
lumé quand ils ſortoient en public , &
qu'ils devoient par leurs lumieres tirées
de la diſpoſition des Loix , diſſiper les
obscuritez des Affaires quand elles paroißoient
aux yeux de la Fuſtice. Il finit
en exhortant la Compagnie de s'attacher
avec une extréme régularité à
l'administration de cette Fustice , puis
qu'un illustre Payen avoit dit autrefois à
un grand Empereur que la pureté de la
Justice avoit fait lespremieres Divinitez .
M' Ravot d'Ombreval , Avocat
General de cette Compagnie , parla
en fuite , & dit , Qu'autrefois on s'eftoit
contenté de la ſimple lecture des Ordonnances
, pour remettre devant les
yeux des Fuges les regles de leur devoir
au commencement du travail ; Que les
derniers temps avoient rendu cetteFournée
plus celebre , ſans qu'on eust pourtant
mépriſe la méthode d'inſtruire ces
mesmes Juges par la voix du Précepte ;
Que rien ne donnoit une plus haute idée
de la Magistrature , que quand leFuge
estoit
GALANT .
123
eftoit regardé comme l'image du Souverain
; Qu'il n'entendoit point parler d'un
Fuge formé par la seule ambition, mais
d'un Fuge dont l'entendement éclairé&
la volonté invincible à ſuivre toûjours
les fentimens de justice , faisoient un modelle
de perfection ; d'un Fuge sçavant
& vertueux , tenant plus de la raison
que de la nature , &à qui il ne manquoit
rien pour le bonheur des Royaumes
, que l'avantage d'estre immortel ;
Que l'éclat de la Pourpre , Fl'autorité,
qui accompagnent une Fonction fi auguſte,
ne rendoient pas les Fuges indépendans
& maistres abfolus de leurs déciſions ;
qu'au contraire elles estoient les marques
& les premiers titres de leur aßujettiſſe-.
ment à la Loy , que leur nom mesme
les obligeoit d'en poſſeder parfaitement
l'esprit , &d'en faire application àtous
les diférens qu'ils décidoient ; Que quelques
Sages de l'Antiquité avoient appellé
la Loy l'ame du Juge , parce qu'elledevoit
regler toutes ses actions , le déterminer
en tous ses conſeils , &luy ſervir
F2 de
124 MERCURE
de guide infaillible & afſurée dans toutes
les difficultezqui l'embaraſſoient ; &
que comme les mouvemens du Corps apres
la séparation de l'Ame , ne font plus
les actions d'un Homme , de mesme un
Fuge qui n'obeiſſoit point à la Loy ,
n'estoit pas un veritable Juge; qu'il
estoit seulement Homme , & mesme
quelque chose qui ne méritoit pas un
fi beau nom ; Que les premiers Legiflateurs
de Grece de Rome , pour empe-
Scherque dans la suitedes temps on nes'écartaft
de la Loy , avoient feint qu'ils
l'avoient apprisé dans pluſieurs conférences
avec les Divinitez de leur Religion;
& qu'en effet , foit qu'on la confideraft
dans l'éternité , avant qu'elle fust exposée
aux yeux des Hommes , & telle
qu'elle estoit en Dien ; Soit qu'on la regardast
dans le temps comme le chefd'oeuvre
d'ane ſageſſe& d'une prudence
achevée , le Fuge estoit toûjours obligé
de s'y conformer , Que l'Histoirequi nous
apprend que des Royaumes ont esté des
fieclés entiers fans Loy écrite , bien loin
de
GALANT.
125
de détruire cette verité , Pétabliſſoit invinciblement
, puis qu'elle nous fait connoiſtre
que le Roy& la Loy estoient une
mefme chose , & que ses paroles estoient
autant de Décisions &d'Arrests ; Qu'il
ne failloit pas pour cela estre du ſentiment
de Platon, qui ne permettoit à per-
Sanne de raiſonnersur la Loy; Que le
Fuge n'estoit pas réduit à eſtre ſeulement
le truchement de ſes paroles , qu'il devoit
estre l'interprete de ſes pensées dans
les Cas qui font disposez à l'équité, &
qui n'ont pû estre préveus par le Legilateur
; Que la Morale du Chriftianifme
leur permettoit de juger moins ſeverement
; Que les plus babiles Legislateurs
n'avoient pû faire autant d'Articles
d'Ordonnances qu'ilse preſentoit de diférentes
especes ſur lesquelles le Fuge estoit
obligé de donner ses décisions; Qu'ily
avoit entre le Juge& la Loy un de ces
mariages politiques où elle conſervoit toute
la fupériorité , & où elle empruntoit du
Fuge le droit de ſefaire obeir; Queſans
luy elle feroit dans une impuiſſance con-
: F3
ti126
MERCURE
tinuelle ; Que sans luy les Hommes qui
ont perdu par le peché la ſimpathie avec
le veritable bien , &qui fentent une augmentation
de plaifir à faire ce qui leur
est defendu, feroient dans un déreglement
&un desordre ſans reſource ; Que c'estoit
un avantage pour un Royaume , lors que
la Loy animoit les Juges , & que les
Fuges estoient l'organe de la Loy ; Que
cet avantage se trouvoit en ce Royaume
plus parfaitement qu'en aucun autre , &
qu'on devoit eſtre ſeûr deſa continuation
Jous un Monarque quiſçavoitparfaitement
unir aux vertus d'un Conquérant,
les lumieres des Juges les plus éclairez ,
& qui pourroit dire veritablement ce
que Libanius fait dire au plus puiſſant
des Dieux , que la Juſtice eſt aſſiſe
à ſes côtez , & qu'elle. luy ſert autant
que la Foudre & le Tonnerre
pour gouverner le Monde; Que c'e-
Stoit une grande gloireauxFuges devant
qui il parloit , d'avoir un si beau Modelle,
puis que l'imitant en ſa Justice ,
ils méritoient l'estime du plus juſte de
tous
ALANT .
127
tous les Roys , & s'attiroient en mesme
temps le respect & la venération desPeuples;
que pour luy ilſe pouvoit dire encor
plus heureux , puis qu'ayant le mefme
Modelle , il en avoit encor une parfaite
Copie en leurs perſonnes qui leconfirmoient
dans la réſolution qu'il avoit
priſe de s'unir parfaitement à la Loy.
Ces Diſcours qui estoient tous
remplis d'éloquence , me font ſouvenir
de celle qu'on admira dans le
Sermon que M' de Grignan fit à
Verſailles le jour deTous- les-Saints,
en préſence de Leurs Majeſtez . Il
ſeroit difficile d'exprimer les applaudiſſemens
qu'il en reçeut. Le Roy
luy-meſme l'en felicita , & eut la
bonté de luy dire qu'il n'avoit jamais
mieux entendu Prêcher .
M l'Abbé Deſmaretz , & M
l'Abbé de Bezons , ont eſté nommez
pour estre Agents du Clergé
dans la prochaine Affemblée. Comme
cet Employ demande des Perfonnes
d'un grand mérite , on ne peut
dou- F4
128 MERCURE
douter qu'ils n'en ayent beaucoup.
Je vous en informeray plus amplement
, quand ils agirontpour le fervice
de l'Egliſe & du Roy. Je ne
vous en parle aujourd'huy que pour
vous faire ſçavoir leur Nomination.
Sa Majefté a donné le Régiment
de Champagne à M' le Commandeur
Colbert. Il ſe ſignala dans lajournée
de Cateau. Auſſi peut-on dire qu'il
ne contribuë pas peu à faire connoiſtre
que la valeur n'eſt pas moinsattachéeà
cette Maiſon , que la
dence& l'eſprit.
pru-
Mr de Brouffelles , Conſeiller au
Parlement , eſt mort depuis peu. Il
eſtoit Fils de feu M' de Brouffelles
Conſeiller de la Grand Chambre ,
& fort eſtimé dans la ſienne. Ilméritoit
de l'eſtre , & par l'intelligence
qu'il avoit dans les affaires ,
& par l'exacte juſtice qu'il rendoit.
Ily a des chofes , qui quoy qu'elles
ſe faſſent ſouvent pendant le cours
d'une année , ne laiſſent pas d'avoir
un
GALANT.
129
un jour particulier où elles ſe font
plus folemnellement. Jeparledes divertiſſantes
auffi-bien quedes ſerieufes.
La Chaſſe ,mappellée de Saint
Hubert , parce qu'elle ſe fait le jour
où l'on celebre la Feſte de ce Saint,
eſt du nombre des premieres. Le
Roys'en donnaledivertiſſement ce
jour-là avec Monſeigneur le Dauphin
, Monfieur , Madame , & les
Perſonnes les plus qualifiées de la
Cour , de l'un &de l'autre Sexe.
Les Dames estoient toutes en habit
de Chaffereffes. On laiſſa courre un
Cerf àFofer-paule, qui donnabeaucoup
de plaiſir à ces Illuſtres Chaffeurs
. Il alla batre le Bois Beranger ,
& le Bois de la Selle , & s'en revint
dans ſon païs d'où on l'avoit fait partir.
Ily fut pris apres s'eſtre fait relancer
pluſieurs fois. Monfieur , &
toutes les Dames , ſe trouverent à
fa mort. Tous les Bois eſtoient remplis
de monde, & il n'y avoitpoint
d'avenue qui n'en fût couverte. Le
F5 Roy
130 MERCURE
Roy court quatre fois la Semaine
tantôt dans ſon Parc de Verſailles ,
& tantôt dehors. On peut juger par
ce pénible& continuel exercice , où
rien ne l'oblige que ſon divertiſſement,
que les fatigues d'une longue
Guerre n'eſtoient point capables de
l'étonner , & que s'il arenoncé à
vaincre , ç'a eſté moins pour s'acquerir
du repos , que pour en donner
à toute l'Europe.
La meſme Feſte ayant donné lieu
à une autre Chaſſe , eft caufe du
plaifir que je vous vay donner par
la lecture de deux Lettres dont on
m'a fait part. Meſſieurs les Chevaliers
de Lorraine & de Marfan , M
le Grand Maiſtre , Ms le Marquis
de Termes , d'Effiat , & de Manicamp
, & M's du Boulay , & Chapelle,
ayant demandé à M' le Duc
de Saint Aignan ſa Maiſon de la
Ferté Saint Aignan prés Chambort ,
poury faire la Saint Hubert, ceDuc
qui fait ſon plus grand plaifir d'o
bliGALANT
131
bliger de bonne grace , leur accorda
auſſi-toſt ce qu'ils fouhaitoient. Ils
s'y rendirent , & pour luy en marquer
leur reconnoiſſance , M' Chapelle
, dont le bel eſprit vous eſt
connu, luy envoya les Vers que
vous allez voir , dans lesquels il fait
preſque par tout alluſion à la Chaffe
d'un furieux Sanglier que M' de S.
Aignan tua autrefois , & dont le
Portrait eſt dans la Salle de cette
Maiſon. Il parle ſur la fin d'un autre
combat plus périlleux , lors que ce
meſme Duc ſe defendit avec tant de
courage& de valeur , contre quatre
Hommes qui estoient venus l'attaquer.
Cette avanture ſi glorieuſe
pour luy , eſt ſçeuë de tous ceux
qui ont un peu de commerce dans
le monde.
F.6 LET
132 MERCURE
LETTRE
DE MCHAPELLE,
A Monfieur le Duc de S. Aignan .
Grand Duc en tout , tout merveilleux ,
Sur tout pour estre affez heureux
D'avoir, contre ta propre attente ,
Sorty de cent dangers affreux ,
Et non ſeulement de tous ceux
Que pour le Païs Mars preſente ;
Mais ce que plus en toyje vante,
De mille autres Exploits fameux
Que ta grande Ame impatiente
De Paix , & nonjamais contente,
Qu'ellen'affronte le trépas ,
D'un noblefeu toûjours brulante ,
En tant de périlleux Combats
Dont le feul recit m'épouvante ,
Fit naiſtre à tout propos, & par tous fous
tes pas.
Qu'avec plaisir la Compagnie
En qui ton accueil gratieux ,
AToury redoubla l'envie
Deſe voir viste en ces beaux lieux ,
Ycontemple de tous ses yeux
Dés l'abordſurpriſe& ravie ,
CeMonstre vrayment furieux ,
Qui ſans ton Fer victorieux
Eust
GALANT.
133
Eust par tout sa rage afſouvie,
Et dont l'écumante furie
Capable de vanger les Cieux ,
Et d'aſſembler les Demy-Dieux ,
Atout autre qu'à toy n'eust point laiſſé de vie !
Mais quoy , la Beſte d'Erimante ,
Pour qui la Grèce eut le frifſſon ,
Quelque rude & mauvais Garçon
Quefon Méleagre elle vante ,
Ny tout ce qu'Homere nous chante
De Phénix & ſon Nouriſſon ,
Dont la colere trop conſtante ,
Et le trop cuiſant Mariſſon,
Pour la perte d'une Servante ,
Combla de tant morts le Xante ,
Ne font de vray qu'une Chanson ;
Auprix de ce que le Cauſſon
Aveu de ta valeur brillante ,
D'une bien plus guerriere & toute autrefaçon.
Cauſſon dont l'onde claire& pure
Tantoſt brille , & tantoſt ſe pert
Sous l'épaisſſe & fraiſche verdure
Du long & fidelle couvert ,
Qui forme ta belle bordure ;
Par ta Divinitéje jure
Quejamais rien ne s'est offert
Au petit talent de nature
Qui ſouvent affez bien me fert ,
Pour ofer faire une peinture;
F7 Rien
134
MERCURE
Rien dis-je tel , que l'avanture ,
Dont fut témoin l'affreux Defert,
Où mesme encorje ſens que dure
Une horreur , dont feul me raſſure
L'aspect toûjours riant & vert ,
De ton cours qui de loin m'en trace la ceinture.
Et n'estoit que la modeſtie
Est la grande & digne partie
D'un Héros à qui l'on écrit.
Cauſſon , il faut que je le die;
Comme jamais le Ciel ne vit
Rien d'égalà tout ce qu'il fit
Dans ce bel endroit de ſa vie ,
Rien auſſi n'auroit pû me donner tant d'efprit .
REPONSE INPROMPTU
De Monfieur de S. Aignan .
brillant Chapelle , Aimable
Enfin ſuivant mon ſouhait ,
Ta Lettre sçavante & belle
Vient me rendre satisfait;
Carfans blâmer le génie
De ceux de ta Compagnie ,
Dont les talens font divers ,
Si ma raiſon n'est trompée ,
La pointe de leur Epée
Vaut bien celle de leurs Vers.
Ce n'est pas que ta Flamberge
Ne
GALANT.
135
Ne pust prouver ta vigueur ,
Et qu'en mon petit Auberge
Elle ne fiſt voir ton coeur.
Les Sangliers de mes Boccages
Y demeureroient pour gages ;
Mais j'ay de fort grands soupçons ,
Que tu crois plus raisonnable..
De les percer fur la Table ,
Que dans leurs affreux Buiſſons.
F'en reviens donc à ta Muſe,
Et je foûtiendray ce point ,
Qu'il faudroit estre bien buse ,
Si l'on ne l'eſtimoit point.
Comme on tient pour des merveilles
Les fruits de tes doctes veilles ,
Quand Phébus vient t'embrafer;
Ton humeur libre & galante ,
Par mille agrémens enchante
Ceux qui t'entendent jazer.
Tes beaux Vers font sur mon ame
Dignes d'admiration ;
De Monfieur & de Madame
Ils ont l'approbation ;
D'un Prince tout plein d'eſtime ,
De qui l'eſpris eft fublime ,
Ils feront tout l'entretien ;
Mais je suis fort en demeure ,
Car cette Ode d'un quart-d'heure.
N'y répondra pas trop bien.
t
15
Ces
136 MERCURE
Ces Chaſſeurs dont la naiſſance
Eft égaleà la vertu ,
Sans-doute auront connoiffance
De ce meſchant Inpromptu .
Dis leur, illustre Chapelle ,
Que mon Cooeur, mon Alumelle ,
Ma Bourse , tous mes Amis ,
Mon Gibier , mes Bois , ma Plaine,
Mes Poissons , & ma Fontaine ,
Enfin , tout leur est ſoûmis .
Mais dis de plus , ſi tu m'aimes ,
Au jeune Prince Lorrain ,
Qui par des efforts extrémes
Fit rougir les Eaux du Rhin ,
Que quand le Destin contraire
Ramena fon brave Frere ,
Dont chez moy chacun pesta,
Mon ame alors defolée
Ne put estre consolée
Que parce qu'ily reſta.
O Chapelle , que j'eſtime ,
Et que j'aime tendrement ,
Sois certain que cette Rime
Eft faite dans un moment;
Allonge ta promenade ,
Redouble sauce & grillade
Dans mon antique Maiſon ,
Et cependant je vay boire
Taſanté deça la Loire;
Songe
GALANT.
137
Songeà m'enfaire raiſon.
Commeles choſes qui ſont belles
d'elles-meſmes ont l'avantage de ne
point vieillir , je croy pouvoir mettre
icy la Ballade que M le Marquis
de Mont-plaiſir , Lieutenant
de Roy d'Arras , tres- confidérable
pour ſa valeur & pour ſon ſçavoir ,
envoya à ce Duc , accompagnée d'un
Mouſqueton qui tiroit ſept coups ,
dont il luy fit preſent , apres le
combatdont il fortit avec tantd'honneur
contre quatre Hommes.
BALLADE.
Parmy les Bois & la gaye verdure
Où va cherchant ſouvent mainte avanture ,
Ainsi que vous , tout gentil Chevalier ,
Lors que chez vous vous alliez vous ébatre ,
Quatre Afſſaſſins venans vous défier ,
Vous avez fait (dit- on) le Diable à quatre.
En coucher deux roides morts ſur la dure ,
Arrester l'un d'une grande bleſſure ,
Et mettre encor en fuite le dernier !
Quoy que bleffé , comme un Démon ſe battre !
Dam Chevalier , on ne le peut nier,
C'est
:
138 MERCURE
C'eſt aſſex bien faire le Diableà quatre.
Les Demy-Dieux fi fiers de leur nature ,
N'euffent pas fait telle déconfiture ,
S'il eust fallu tel péril eſſuyer.
Celuy qui fçeut tant de Monstres abattre ,
N'eust pas ofé contre deux s'eſſayer ,
Et vous , Seigneur , faites le Diable àquatre.
ENVΟΥ.
UnMousqueton j'oſe vous envoyer,
Avec lequel , s'il vous plaiſt de combattre,
Vous en pourrez , Seigneur , ſept défier ,
Apres avoir tant fait le Diable à quatre.
Je vous ay promis des nouvelles
de ce qui s'eſt paffé dans nos Armées
pendant les deux derniers Mois.
Voicy celles d'Allemagne. Quand
les François ſont Maiſtres d'une
Place , ils en ſçavent tirer tous les
avantages qu'elle leur peut procurer.
Le Bourg de Chenaux ayant refuſé
de payer les Contributions qu'il devoit
, & fe fiant ſur les Soldats &
fur les Païfans armez qui le defendoient
, & plus encor ſur ce qu'il
eſtoit éloigné de 14 lieües de Fribourg
, M Mathieu qui comman
doit
GALANT. 139
doit dans cette derniere Place , s'en
rendit maiſtre il y a deux mois avec
un détachement de fa Garniſon . Il
ſe retira apres y avoir fait mettre le
feu. Le Prince Charles qui en estoit
fort éloigné , faiſoit cependant trembler
Frankendal , Worms , & Mayence,
& caufoit de grands deſordresdans
tout le Palatinat. Ses Troupes
brûlerent pluſieurs Villages , &
par l'incommodité qu'elles apporterent
à ceux qu'elles devoient foulager
, on peut dire qu'elles ſervoient
bien le Roy , puis qu'elles ne ſe faifoient
redouter que des Amis de
l'Empire. Pendant ce temps M' de
Créquy donnoit des Sauve-gardes à
la Ville de Spire , & faiſoit aporter
des grains dans ſon Camp par les
Bourgeois de Neuſtad, Ville du Palatinar.
M de la Fite , Lieutenant
des Gardes du Corps , eſtant allé au
dela de Landau , rencontra un Party
des Ennemis, preſque auſſi fort que
celuy qu'il commandoit. Il le batit.
Plus
140 MERCURE
Plus de quatre-vingts demeurerent
fur la place , avec deux Capitaines ,
&pluſieurs Officiers. Les Noftres
amenerent plus de cent Chevaux.
M' le Mareſchal de Créquy apres
avoir fait confumer tous les Fourrages
de laBaffe Alface , vint au Camp
d'Inguiler. Il alla en perſonne viſiter
leChaſteau de Lichtemberg , défendu
par une groſſe Garniſon Impériale
, & par un grand nombre de
Païfans . La Brigade de la Roque ,
les Dragons de Teffé , & deux Bataillons
, ſe ſaiſirent de toutes les
avenues. Voicy le Plande cette Place
eſtimée dans le Païs plus forte que
n'eſt Fribourg. Vous allez croire ,
apres que vous en aurez examiné
les Fortification & les Attaques ,
queje vous vay donner àmon ordinaire
un exact & ample Journal des
neurfjours que ce Siege a duré. Quoy
que je vous ayetoûjours fait ſçavoir
juſqu'aux moindres particularitez de
tout ce qui s'eſt paffé en de pareilles
AD Fol:140
a.
Chasteaufur un
detoutesparts
Wades
estencorfur
b.Donjon du Char que l'onperça
Maiſons
Bastion
g.Porte
ense retirantdans
aqueles ennemis ont
teau
Mines
Chassees
h.Corps deChasefes pour alleraux
deleta porte porgare
Pre
L.Fossés
remierepor
du
Chases
delaville quel'on
leRocetrem
m.Fossédela fans
n.Foussebraye
o.Lour quelonpelede
establituntogpour
P.Fausseporteps
Lavilleau Cha
aller
porte sebraye
duCor 9.Maison
r.Contrescarpe
corpert
5.Maisonrestce
quetonperca
nuer latranche
t.Corps degara
lelongde

GALANT. 141
4
les occaſions , n'attendez point la
mefme choſe de moy dans celle-cy.
Je vous manque pour la premiere
fois, & j'y ſuis forcé, parce que
nos Braves ont manqué à m'envoyer
des Mémoires. Ainſi c'eſt plus leur
faute que ce n'eſt la mienne. Mais
ils font tellement accoûtumez aux
grandes Actions , & ils en font ſi
ſouvent , qu'ils n'y refléchiffent pas.
Le nombre eft cauſe qu'ils les oublient
, & apres qu'ils ont vaincu ,
ils aiment mieux chercher de nouveau
à vaincre , que d'employer le
temps à écrire ce qu'ils ont fait.
Ceux qui défendoient la Ville de
Lichtemberg , voyant qu'elle n'eſtoit
pas en état de ſoûtenir la Vigueur
de nos Troupes , y mirent le feu ,
&ſe retirerent dans le Chaſteau. M
de Créquy fit avancer le Travail ,
& faire un Logement ſur la Contreſcarpe.
M' le Comte de Montperoux
eut ſon chapeau & une main
percée d'un coup de Mouſquet , en
par142
MERCURE
parlant à ce Mareſchal. Trois autres
àqui ce General montroit ce qu'ils
avoient à faire , furent dangereuſement
bleffez aupres de luy dans le
meſme temps. Il y en eut deux autres
tuez ſur la place. On perça la
muraille la nuit ſuivante, pour faire
la deſcente du Foffé ; mais parce que
le Roc y estoit ferme , on n'avança
pas beaucoup. Pendant ce temps ,
les Impériaux firent entrer beaucoup
de Troupes dans Strasbourg , dont
la Ville est fort incommodée... Le
Commandant de celles de l'Empereur
qui défendoit Lichtemberg ,
voyant pluſieurs Mineurs attachez ,
n'en voulut pas attendre l'effet. Il
obtint les conditions ordinaires à
ceux qui ſe ſont défendus en Gens
de coeur. Le Commandement de la
Place fut donné à M. Bertrandy
Lieutenant Colonel du Regiment du
Pleſſis . Ony trouvatrente Pieces de
Canon , & quantité de Fourrages ,
& de Meubles prétieux qu'on y
avoit
GALANT.
143
avoit aportez commedans une Place
imprénable. Le Prince Charles la
croyoit telle. Une de ſes Lettres qui
fut ſurpriſe le fait connoiſtre. Il
écrivoit au Prince de Baden qui estoit
dans Strasbourg , Que P'Empereur
n'avoit point de Sujet qui pust luy rendre
un ſervice plus conſidérable que celuy
que luy rendoit M'le Mareschal de Créquy
en affiegeant Lichtemberg ; Que de
Phumeur dont ce General estoit, il feroit
périr toutefon Infanterie avant que d'abandonner
cette entrepriſe ; Que fa Cavalerie
pourroit auſſi manquer de Fourrage
; Qu'il n'en remporteroit rien autre
chofe que le desavantage de voir dimi--
nuer tous les jours ſes Troupes par le fer
& par la faim ; Que de la maniere
qu'il connoifſſoit cette Place , &l'Homme
qui y commandoit , il estoit ſeûr ,
quand mesme M'de Créquy s'obſtineroit
fix mois à ce Siege, qu'il feroit contraint
dese retirer honteusement ; Qu'il estoit
Surpris qu'apres tous les mouvemens
qu'on luy avoit ven faire , il se fust attaché
144
MERCURE
taché au Lieu d'Allemagnedu plus dif
ficile accés , & qu'il falloit neceſſairement
qu'on l'eust trompé. Cette Lettre
fut cauſe que lors qu'on vit leGouverneur
de Lichtemberg à Strasboug
, on luy dit qu'il devoit s'attendre
à eſtre pendu en arrivant à
l'Armée du Prince Charles , puis
qu'il avoit rendu une Place qu'il
auroit pû défendre un an entier contre
la plus grande Armée. Sa Femme
qui entendit ces parolee , s'évanoüit.
Le Prince Charles eſtoit fi
bien perfuadé de ce qu'il avoit écrit,
que quand on eut ceffé de tirer dans
la Place , parce qu'elle eſtoit priſe ,
M" de Strasbourg luy ayant envoyé
dire qu'ils n'entendoient plus leCanon,
il répondit que ce qu'ils luy
mandoient , ſe rapportoit à ce qu'on
luy venoit de faire ſçavoir , que M'
de Créquy avoit levé leSiege. Cela
luy doit faire beaucoup de peine, adjouta-
il , car je le connois. Cependant
cette Place couſta peu de monde.
Mr de
GALANT .
145
M'de Tracy , Officier d'une valeur
= & d'une expérience conſommée , y
fut bleſſé d'un coupde Fauconneau.
Le meſme coup tua M'le Chevalier
de S. Hilaire , Commiſſaire de l'Artillerie.
Rien nel'obligeoit à ſe trouver
dans le lieu où il fut tué , mais
il vouloit partager le danger avec
ſon General qui alloit reconnoiſtre
un en droit propre à faire attaquer la
Place. Les circonstances de cette
mort font dignes d'eſtre remarquées.
Il eſtoit Fils de M. de S. Hilaire ,
Lieutenant General de l'Artillerie ,
qui ayant eu le bras emporté du
Boulet de Canon qui tua M² de Turenne
, ne veſcut apres luyque quelques
momens. Ainfi le Pere& le Fils
ſont morts chacun d'un coup de Canon
, & chacun aupres de fon General.
Cela fait voir que ſi ceux qui
commandentnos Armées , ont ſi ſou
vent la gloire de vaincre , ce n'eſt
pas ſars qu'ils s'expoſent beaucoup.
M. de S. Hilaire le Fils voyant fon
Novemve. G Pere
146
MERCURE
Pere à l'extrémité dans la malheureuſe
occaſion qui nous couſta M'de
Turenne , voulut luy donner quel
ques larmes ; mais cegenéreux Pere
luy défendit de le plaindre, & l'envoya
pleurer for le Corps de ſon General.
Le Roy pour récompenſer ſes
ſervices , l'honora l'année paffée ,
avec M' le Marquis de la Frezeliere,
du Brevet de Mareſchal de Camp .
M' de Mormaix Frere de celuy qui
vient d'eſtre tué , & digne Ecolier
de ſon Pere, commanda l'Artillerie
apres ſa mort , à la Retraite de noſtre
Armée. H la commande preſen
tement dans le Corps d'Armée dont
M' de Calvo à la conduite. Sa modeſtieatoûjours
empeſché qu'on n'ait
ſgeu que ce fut luy qui monta le
premier fur le Rampart deValenciennes
, & qui tourna leCanon ſi àpropos
fur la Ville, aſſiſté de M' de S.
Hilaire ſon Frere , & de quelques
autres Commiffaires. On a autfi perdu
devant le Chasteau de Lich
temGALANT
.
147
temberg M' le Chevalier de Vaubecour
, Capitaine dans le Regiment
de M. le Marquis deVaubecour ſfon
Frere. Ce Chevalier , quoy qu'il
n'euſt que dix ſept ans , avoit déja
fait pluſieurs Campagnes , & s'eſtoit
ſignalé à la priſe du Fort de Kell.
Il eſtoit d'une des plus illuftres Maiſons
de France. Son Bifayeul fut
bleffé à mort au Combat d'Aumale ,
en ſervant le Roy Henry IV. Et
fon Ayeul. Jean de Netancour ,
Comte de Vaubecour , Chevalier des
Ordres du Roy , reprit Javarin , &
fut eſtropié en petardant Belgrade.
Comme vous aimez qu'on rendejuſtice
à tous les Braves , je me perfuade
que cette digreſſion en faveur
de deux ou trois Perſonnes d'un
grand mérite , ne vous aura pas déplû.
Ces Braves ont répandu leur
fang. On n'en parlera plus , & ce
fouvenir est le moins qu'on doive à
des Familles auſſi conſidérables que
celles qui s'affligent de leur mort.
G2 Je
148 MERCURE
Je reviens à noſtre Campagne. M'
de Créquy va en quatre jours du
Camp d'Ingweiller en celuy de Molfheim.
Ce Mareſchal fait faire un
Pont fur le Rhin, qui ayant alarmé
le Prince Charles , l'oblige à le
remonter pour s'approcher des Places
qui luy reſtent dans le Briſgau. Il
ordonne des Fourneaux pour faire
fauter les Fortifications d'Offembourg
. C'eſt eſtre bien foible , que
ne ſe ſentir pas en état de défendre
unePlace qui avoit eſté fortifiée avec
tant de foin incontinent apres que
nous eûmes pris Fribourg. Les Gardes
ſe rendent maiſtres de vingt Chariots
qu'on conduiſoit à Strasbourg.
M de la Feüillée fait entrer un Convoy
dans les Forts du Rhin. Mr le
Comte de Schomberg , à la teſte de
quelques Officiers ſeulement , bat
un Party de cinquante Maiſtres ,
& en prend trente. Les Troupes de
l'Empereur continuent à deſoler
leurs Alliez , & ravagent les envi
rons
GALANT.
149
rons de Mayence. M' le Duc de la
Ferté eſt détaché avec ſa Brigade ,
& celle de Normandie , pour aller
joindre M' de Monclar à Gravenſtad
, à une heure & demie de Strasbourg.
Elles y arriverent à quatre
heures du foir , & allerent camper
à Illekirc , une demy lieuë endeça,
à la portée du Canon . M'de Créquy
yamena luy-meſme de nouvelles
Troupes le lendemain. Ily a en cet
endroit un double Foſſé qui va de
la Riviere d'Ill au Rhin. Les Allemans
l'appellent Landvverdt. Il eſtoit
gardé par une Tour où les Ennemis
avoient environ cent Hommes
. Un peu au delà eſt un grand
Canal fort profond , qui va de Strasbourg
au Rhin , & qui forme entre
le Canal des Forts & ce Fleuve , ce
qu'on appelle l'Ifle des Bouchers.
C'eſtoit pardedans cette Ifle que ceux
de Strasbourg s'eſtoient conſervez
la communication libre avec Offembourg.
Ils s'eſtoient retranchez dans
G3 un
150
MERCURE
un Moulin & dans une Maiſon fur
ce Canal , qui estoit affez pres de la
premiere Ifle du Rhin où leur Pont
volant abordoit. On marcha avec
quatorze cens Hommes de pied , &
fix Eſcadrons , droit à Landwerdt.
On laiſſa la Tour ſur la gauche , &
les Troupes n'ayant trouvé perſonne
derriere elles , firent en peu de
temps un Chemin pour faire paſſer
deux Efcadrons; apres quoy on
avança ſur le bord du Canal pour y
travailler à une Baterie, afin de faciliter
les moyens de faire un Pont
ſans lequel il auroit eſté impoſſible
de paffer. On fit auſſi ſommer la
Tour ſi-toſt que le jour parut.
L'Officier qui y commandoit ayant
demandéà voir le Canon, on le luy
montra , & il fe rendit prifonnier de
guerre, avec quatre- vingts quinze
Hommes . Le broüillard s'eſtant diffipé
, on vit quelques Eſcadrons de
l'autre coſté ; mais noſtre Canon
n'eut pas tiré quatre coups , que la
CaGALANT
.
ISI
Cavalerie prit le chemin de Strasbourg
au grand trot. Ceux qui
eſtoient dans la Maiſon retranchée ,
ſe retirerent apres y avoir mis le feu
du coſté du Rhin. Comme le trajet
ne ſe pouvoit faire que fort difficilement
, il n'y eut que peu de nos Gens
qui paſſerent dans des Bateaux. Ils
prirent ſept ou huit des Ennemis qui
ſe retiroient. On fit un Pont, & avec
un affez gros Corps on marcha aux
Fort du Rhin , où l'on donna les ordres
pour les démolir , & pour brû,
ler ce qui reſtoit du Pont de Strasbourg,
fans que douze mille Hommes
qui estoient dans cette Ville là ,
s'y opoſaffent. Il eſt vray qu'ils ſemblent
n'y eſtre entrez que pour affoiblir
l'Armée de l'Empire, puis qu'ayant
ces douze mille Hommes de
moins , elle n'a pas eſté en état de
rien entreprendre. Le Pont qu'on
dreſſa apres la priſe de la Tourdont
je vous viens de parler , fit croire à
Mts de Strasbourg qu'on les alloit
G4 affie
152
MERCURE
affieger , & que ce Pont eſtoit pour
lacommunication de nos Quartiers.
L'alarme fut ſi chaude , qu'ils brûlerent
un de leurs Fauxbourgs. M
le Mareſchal de Créquy a fait ruiner
Gravenſtad & Illekirc ſur la Riviere
d'Ill , avec leurs Chaſteaux& leurs
Moulins ; & apres avoir mis des
Troupes en Quartier dans l'Alface
&dans le Briſgau , il eſt venu à
Nancy. J'aprens tout preſentement
que M' d'Almani Meſtre de Camp
de Cavalerie, a eſté attaqué dans ſon
Quartier par des Partys ramafſez ,
& par des Chenapans , & qu'il n'a
pû éviter le malheur d'eſtretué. Mr
deBiſſy a eſté plus heureux. Il a fait
une Courſe fort conſidérable dans
Hunfruch , d'où il eſt revenu avec
quantité de Priſonniers , & un tresgrand
butin. Ces avantages font aifément
oublier les petites diſgraces
pareilles à celle que je viens de vous.
marquer. Je finis cet Article , en
faiſant reflexion à l'état où Strasbourg
GALANT .
153
bourg ſe trouve , auſſi bien que les
Troupes d'Allemagne. Cette Ville
fiere de fon Pont & de ſes trois Forts,
n'en a plus. Elle a perdu un de ſes
Fauxbourgs. Pluſieurs petites Places
de ſa Jurisdiction ſont brûlées , la
plupart de ſes Maiſons de plaiſance
ruinées ; & quoy que nos Troupes
ayent fait vendanges pour elle , il
faut qu'elle donne à boire à douze
mille Allemans qui y font en garniſon,
Elle pouvoit s'exempter de
tant de malheurs , en demeurant
neutre. Quant au reſte des Troupes
d'Allemagne , elles ont eſté occupées
tout l'Eté à courir le long du
Rhin pour en défendre les Places.
Elles ont veu ruiner le long de ſes
bords Rhinfeld & Sekingen, & le
Fort de Kell de leur coſté meſme.
Ellesy ont veu prendre des Chafteaux
; & dés qu'elles ont voulu faire
paffer quelques Troupes , elles ont
eſté batuës. Elles ont enfin paſſé la
Campagne chez elles , ce qu'elles
G n'a
154
MER CUARE
n'avoient point encor fair. Pendant
toutes les autres années elles avoient
crû pouvoir prendre des Quartiers
d'Hyver chez nous , mais elles ne
l'ont pas mefme eſperé celle- cy.
Il ſeroit injuſte de refuſer à laGarniſon
de Maſtric les loüanges qu'elle
mérite. Vous ſcavez par tout ce
que je vous en ay dit , qu'elle n'a
pas moins fait parler d'elle pendant
les cours de cette Guerre , qu'auroit
fait une Armée toûjours victorieuſe.
Le 24 Septembre on fit un détachement
de cette Place , pour aller
recüeillir les Contributions dans le
Païs de Cologne. Il fut rencontré
par un Party d'Allemans beaucoup
plus forts . M'le Marquis de Molac
qui commandoit le ſecond
d'Eſcadron du Régiment de l'Eſtang,
chargea ce Corps de Cavalerie
Allemande avec tant de vigueur
& de fuccés , qu'il le pouffa
dans un Défilé , & en ſuite juſqu'à
un Marais , où il prit le Commandant.
GALANT
155
dant. Il fit quarante Prifonniers ,
- & amena cinquante Chevaux au
Camp. Plus de trente cinq des Ennemis
demeurerent fur la place. M
le Comte de Rouſillon eſtoit reſté
fur une hauteur pour ſoûtenir ce
jeune Capitaine , en cas que les Ennemis
en plus grand nombre ſe fufſent
avancez pour le charger.CeComte
dont la valeur eſt connue , n'attendoit
que l'occaſion d'y courir ,
& il n'auroit pas manqué de fe fignaler;
mais le jeune Marquis de Molac
n'eut befoin que de ſon courage , &
quand de nouveaux Ennemis auroient
voulu s'approcher deluy , je
doute qu'ils en euſſent conſervé l'envie
en le voyant combatre avec tant
de conduite, &de valeur. Cejeune
Guerrier eſt Fils de M le Marquis
de Molac, Lieutenant General en
Bretagne , & Gouverneur du Païs
Nantois. Il eſt d'une des plus Illuſtres
Maiſons du Royaume, & il en
foutient l'éclat avec beaucoup de
G6 mat156
MERCURE
magnificence. L'eſtime particuliere
que toute ſa Province a pour luy
eſt unemarque de ſon mérite. Aufli
a-t- il toutes les qualitez d'un galant
Homme , & on ne doit pas eſtre ſurpris
de le voir genéralement aimé.
Je paſſe à ce que l'Armée de M' de
Luxembourg a fait depuis la Paix
fignée entre la France & l'Eſpagne.
Ce Duc vient dans le Païs de Liege,
& établit ſon Quartier genéral
prés de la Ville de Huy. Pendant
ce temps M'le Marquis d'Uxelles
fait payer les Contributions dans le
Païs de Waës. M' de Luxembourg
va entrois jours d'Huy à Aix la Chapelle,
dont il fe rend maiſtre apres
luy avoir ſeulement montré du Canon.
Il y demeure deux jours , &
y laiſſe douze Bataillons ſous le commandement
de M. de S. Rupt. Aix
la Chapelle eſt un nom fameux dont
vous ne ferez pas fachée queje vous
faſſe ſçavoir l'origine. C'eſt une Ville
Impérialedu Cercle de Weſtpha
lie ,
GALANT.
157
lie , enfermée dans le Duché de Julliers.
Ce mot vient de ſes Bains d'eau
chaude , &de la belle Egliſe de Noſtre
Dame , bâtie par Charlemagne.
Les Latins l'appellerent Aquifgranum
d'un Granus , Gouverneur du Païs
pour les Romains , qui le premier
trouva ces Eaux ſalutaires contre
pluſieurs maladies , & particulierement
contre les fievres étiques ; ce
quidonna occaſion d'y faire baſtir
une Ville. Elle fut depuis ruinée
par Attila Roy des Huns. Charlemagne
la rétablit , & en fit la Capitale
de l'Empire par une conſtitution
particuliere. Il y mourut en
l'année 814 & fut enterré dans l'Egliſe
de Noftre-Dame qu'il avoit
fait baſtir. Les Empereurs avoient
coûtume d'y prendre la Couronne
de Fer. Charles Quint eſt le dernier
qui ait voulu y eſtre couronné , la
plûpart de ſes Succeſſeurs l'ayant eſté
à Francfort . Quand ce Couronnement
ſe fait ailleurs , les Electeurs
font
G7
158 MERCURE
font venir le Chapitre de l'Eglife
Collegialede N. Dame d'aix , pour
en apporter les Pierreries & les autres
Ornemens qui ſervent à cette
Cerémonie, & dont ce Chapitre eſt
dépoſitaire au nom de l'Empire. Sitoſt
que l'Empereur est couronné ,
il preſte ſerment au Doyen & au Chapitre
de cette Eglife , dont en mef.
me temps ce Prince eſt reçeu Chanoine.
En 1614 la Ville d'Aix la
Chapelle fut ſurpriſepar le Marquis
de Spinola, &depuis elle a toûjours
eu Garniſon Eſpagnole juſqu'en
1632 qu'elle en fur délivrée quand
les Hollandois mirent le Siege devant
Maſtric. En 1636 elle reçeut
Garniſon Impériale , qui en fortit
peu de temps apres. En 1638 elle
fur affiegée par le Marquis de Grana,
Pere de celuy d'aujourd'huy.
Ainfi elle fut obligée de donner des
Quartiers aux Impériaux. En 1642
les François. Wimariens , & Heffiens
, commandez par le feu MareGALANT
.
159
reſchal de Guébriant , firent quelques
defordres dans ſon territoire ;
&dans la crainte d'en eſtre affiegée
, elle reçeut quinze cens Hommes
tirez des Garniſons Eſpagnols
voiſines. Elle a ſouffert un embraſement
general depuis 25 ou 30
ans. Plus de trois mille Maiſons furent
brûlées. Elle s'eſt rétablie depuis
ce temps- là. Ily adeux ou trois
ans que les Troupes du dernier Eveſque
de Munſter l'affiegerent , mais
elles ſe retirerent avec précipitation ,
ayant appris que M de Calvo s'avançoit
pour les combatre. Cette
Ville eſt à peu pres de la grandeurde
Soiffons , à quatre heures de Cologne
, à dix de Julliers , à quatre de
Limbourg , à fix de Liege , & à
cinq deDuren & de Maſtric. L'Armée
des Alliez épouvantée de voir
nos Troupes dans Aix la Chapelle,
ſe retire à Cologne. En ſe retirant ,
elle jette des Troupes dans Julliers ,
dans Hinsberg , & dans Duren. On
don160
MERCURE
donne des ſeûretez à M. de Luxembourg
pour l'argent du Roy qui
avoit eſté arreſté à Cologne, & mefme
pour les intereſts. Duren & Hinsberg
ſe rendent , Humbac eſt pris
auſſi bien que Montjoye , & toutes
les autres Places du Païs de Julliers.
Cette Ville Capitale reſte , mais coupée
de ſon coſtez. Quoy qu'elle
ſoit remplie de monde , on y manque
de toutes fortes de munitions,
&cela oblige tous les Soldats à ſe
débander. Il ne ſuffit pas dejetter
beaucoup de Troupes dans une Place.
Il faut avoir la prudence de nos
Miniſtres , & faire en forte que le
reſte n'ymanquepas. Sans cette prévoyance
, lesHommes ne fervent de
rien. Jugez de l'état où ſe doit trouver
Julliers avec un grand Secours
inutile. Cette Place eſt ſituée à un
jet de pierre de la Riviere de Roer ,
& Capitale du Duché dont elle
porte le nom. Elle est nomméeGulich
, ou Gulch , par les Allemans,
GALANT. 161
& Juliacum en Latin . Ce nom vient
de Jules-César ſon premier Fondateur
, quoyque quelques Hiſtoriens
- prétendenr qu'elle a eſté bâtie par
JulieAgripine, Mere de l'Empereur
Néron. Elle est défendue d'une bonne
Citadelle de meſme figure que
celle de Cambray. Apres la mort du
dernier Duc de Julliers arrivé en
1609 la Maiſon d'Autriche mit
Garniſon dans cette Ville , qui fut
priſe en ſuite par les Hollandois en
1610 Marie de Médicis , Mere du
Roy defunt , & Régente du. Royaume
, y envoya une Armée de
12000 Hommes ſous le Mareſchal
de la Chaſtre, pourfavorifer les Afſiegeans.
Les Clefs de la Ville , lors
de la priſe , furent miſes entre les
mains de ce Mareſchal par reſpect
que l'on devoit au Roy , comme
eſtant le plus conſidérable des Conféderez.
En 1622 elle fut repriſe
par lesEſpagnols ſous le Comte Henry
de Berg. Ils en ont gardé la Cita162
MERCURE
tadelle juſques au Traité des Pyrenées
, en execution duquel ils l'ont
reſtituée au Duc de Neubourg. La
Succeffion vacante des Ducs deCleves
& de Julliers a fait affez de bruit
dans l'Europe. Elle fut la cauſe ou
le prétexte du puiſſant armement
que fit le Roy Henry le Grand un
peu avant ſa mort. Les Ducs de Brandebourg
& de Neubourg eſtoient
les principaux Prétendans à cette Succeffion.
Ils l'ont partagée en ſuite.
Le Duché de Cleves & les Comtez
de la Marck&de Ravensberg , échûrent
à l'Electeur de Brandebourg ;
& les Duchez de Berg & de Julliers
, & la Seigneurie de Ravenſtein ,
au Duc de Neubourg. On entend
parler des Villes avec plus de plaifir
, quand l'hiſtoire en eſt connuë ,
& c'eſt par cette raiſon que j'ay crû
vous devoir marquer ces circonſtances
J'acheve cet Article , & peuteftre
tous ceux de guerre pour pluſieurs
années . M' leMarquis deRefuGALANT
. 163
fuges fait relever les Fortifications
de Sittard , & va commander dans
Hinsberg. M. de Luxembourg met
dans Verviers vingt- huit Compagnies
tant Cavalerie qu'Infanterie. Il
marche vers le Païs d'Eyffel , & fe
ſaiſit de la Ville de Blanckenheim.
Ily met Garniſon , & dans tous les
Chaſteaux & Maiſons fortes du Païs.
Trente Eſcadrons de ſes Troupes
commandez par M' le Comte de
Maulevrier-Colbert , vont en Flandre
dans les trois Chaſtellenies qu'on
doit rendre aux Eſpagnols apres l'échange
des Ratifications. Admirez
comme en peu de temps on a mis
dans de bonnes Villes hors de France,
une Armée de plus de cinquante
milleHommes en Quartier d'Hyver.
Toute la peine qu'il en a couſté
, a eſté le chemin qu'il a fallu faire
pour s'y rendre. Ce grand nombre
de Troupes ayant eſté mis à couvert
, Mº de Luxembourg eſt revenu
à Paris.
Je
:
164 MERCURE
Je devois vous parler au commencement
de cette Lettre du Mariage
de M' le Duc de Sforze, &de
Mademoiselle de Thiange , puis que
la Cerémonie s'en eſt faite dés le 30
du Mois paſſé ; mais quand on veut
décrire les choſes avec une entiere
exactitude , on a beſoin de temps
pour en apprendre toutes les particularitez
; ce qui ne ſe fait point
fans beaucoup de ſoins , & meſmes
ſansde grandes recherches. Vous ferez
aiſément perfuadéequeje n'ay pas negligé
d'en faire , en voyant d'abord
la Table genéalogique que je vous
envoye de la Maiſon Sforze , qui ſe
peut vanter d'eſtre depuis pluſieurs
Siecles une des premieres d'Italie ,
& dans l'Alliance de la plus grande
partie defes Princes. Vous n'y trouverez
que ce qui regarde les Deſcendans
de Mafle en Maſle. Commeje
n'y aypoint marqué les Alliances qui
ont eſté faites par les Filles de cette
Maiſon , parce que cela auroit eſté
à l'in1
JACQUES MUTIO, (
Sforze , Comte de
Cotignole dans la
Romagne pres de
Fuenza , fameux
General d'Armée
Jur
Fran
Nie
Paul
fans
pour le ſervice du
Pape Jean XXIII BOSIO , Gou- Gu
de Louis d'Anjou , verneur d'Or- Sant
du Roy de Naples | viete, mort en Fran
Ladiſlas , & de la
Reyne Jeanne ,
noyé dans le Fleuve|
Aterno le 3 Janv.
1426. Agé de 56
1477. lequel ) min
eutd'Eleonore )
Aldobrandin
FRA
Comteſſe de de C
Santa Fior.
AG
GDX
GALANT . 165
à l'infiny , vous jugez-bien que je
me diſpenſe de parler d'un tres-grand
nombre de cequ'il en y adeplus conſidérables
en Italie , dont vous devriez
voir les noms dans cette Table.
Elle ne laiſſera pas de vous faire
connoiſtre que Loüis Sforze qui
eſt celuy dont je vous aprens aujourd'huy
le Mariage , a des Alliances
qui le rendent Couſin iſſu de germain
de Monfieur le Duc. Ce nouveau
Marié eſt bien fait de ſa Perſonne ,
quoy que dans un âge un peuavancé.
Il a l'humeur agreable, & l'efprit
droit & folide. Il eſt Duc d'Onano
dans le Patrimoine de S. Pierre
, & de Segni dans la Campagne
de Rome , Comte de Santa Fior dans
le Terroir de Sienne , & Souverain
de Caſtel Arquato en Lombardie ,
& de la Sforzeſca dans le meſme
Patrimoine de S. Pierre. Outre toutes
ces Terres , le Duc Mario Sforze,
Pere de celuy d'apreſent , pofſedoit
le Duché de Valmontone dans
la
166 MERCURE
la Campagne de Rome. Il le vendit
aux Seigneurs Barberins pour onze
cens mille Ecus Romains. La nouvelle
Mariée méritoit les avantages
que cegrand Party luy donne. Vous
ſçavez qu'elle fort des Maiſons de
Damas , de Thiange , & de Rochechoüart-
Mortemar , Maiſon auſſi 11-
luftre par ſes puiſſantes Alliances,
que par fa propre grandeur , & par
fon ancienneté. Ainſi je n'ay rien à
vous dire fur cet Article. Mais i la
Naiffance rend cette nouvelle Ducheffe
tres-confiderable, elle ne l'eſt
pas moins par ſa beauté. Elle l'a
vive, touchante , & ſoûtenuë de
tant d'agréement , qu'on ne la peut
voir fans eftre furpris. Joignez à cela
mille autres belles qualitez qu'elle
ne sçauroit manquer d'avoir , puis
qu'elle eſt Fille de Madame de Thiange.
Je vous dis tout en vous la
nommant, eftant impoſſible d'enten
dre parler de Madame de Thiange ,
fans concevoir tout de qu'on peut
fouGALANT.
167
ſouhaiter de perfections dans une
Dame accomplie. En effet il n'ya
rien qui ne charme dans cette merveilleuſe
Perſonne, dont l'ame eſt
auſſi grande que l'eſprit, quoy qu'elle
ait l'efprit infiniment élevé. Sa
beauté ne vous eſt pas,inconnue ,
- mais c'eſt un des moindres avantages
de la Maiſon de Mortemar , où
l'on trouve tout ce qui peut contenter
les yeux les plus difficiles ,
comme on y trouve d'ailleurs tout
ce que la grandeur d'ame a de plus
noble , & de plus digne d'eſtre admiré.
La Cerémonie de ce grand&
celebre Mariage commença dés le
Samedy 29 de l'autre mois. Le Roy ,
laReyne , Monſeigneur le Dauphin ,
Monfieur , Madame , Mademoiſelle
, Mademoiselle de Valois , Mademoiselle
d'Orleans , Madame la
Grand Ducheſſe , Madame deGuyſe,
Monfieur le Prince , Monfieur
le Duc, Madame la Ducheſſe, Mef-
Geurs les Princes de Conti & de la
Ro
168 MERCURE
Roche-sur-Yon , Monfieur de Vermandois
, & Monfieur le Duc du
Maine , ſe rendirent dans la Chambre
du Roy ſur les neuf heures du
ſoir. Les Parens s'y trouverent de
part & d'autre , avec quantité de
Perſonnes du premier rang; ce qui
rendit l'Aſſemblée ſi nombreuſe , que
chacun ne pouvant avoir place ; on
futcontraintd'ouvrir diférentes Portes
qui rendent aux autres Chambres
, pour détourner la foule , &
foulager ceux dont la préſence eſtoit
neceſſaire.Apres qu'on eut ainſigagné
quelque peu d'eſpace , le Roy & la
Reyne prirent leurs placesdans deux
ſuperbes Fauteüils , au devant defquels
ily avoit une Table richement
ornée. Mª de Pompone s'avança ,
le Contract de Mariage à la main ,
qu'il venoit de prendre de celle du
Notaire qui l'avoit paffé auparavant.
Il eſtoit ſuivy du Secretaire du Cabinet
de quartier , qui portoit une
Ecritoire d'or garnie de tout. Un
des
GALANT .
169
des Commis de ce Miniſtre en portoit
une d'argent. Le Roy ordonna
- auſſitoſt qu'on fiſt avancer les deux
Parties. M'le Marquis deLavardin
parutdans le meſme temps , menant
Mademoiselle de Thiange par la
main. Ce Marquis avoit eſté choify
par Monfieur le Duc de Sforze, comme
un des plus proches Parensqu'il
euſt en France , pour l'époufer en
fon nom. Son Habit eſtoit de velours
noir , tout garny de Dentelles
& de Rubans tres-riches. Il avoitun
tres-beau Bouquet de Plumes , &
une Epée garnie de Pierreries. Il ne
ſe pouvoit rien voirde mieux entendu
, & toute la Cour en tomba d'accord.
Avant la Cerémonie , il avoit
envoyé à Mademoiſelle de Thiange,
ſuivant la coûtume , un Bouquet de
Fleurs les plus rares , dans une tresriche
Corbeille , & Mademoiselle de
Thainge en avoit fait un préſent de
devotion. Elle estoit veſtuë de fatin
blancà fleurs , ſous une gaze noire
Novembre .
clai170
MERCURE
claire&auſſi à fleurs , avecunegrandequeue.
Toutcet ajuſtement eſtoit
enrichy tant par haut que par bas ,
d'un nombre infinydePierreries. Ils
s'approcherent ainſi de la Table , &
firentuneprofonde revérence à Leurs
Majeſtez. Le Roy ordonna auſſitoſt:
àMª de Pompone de lire le Contract
de Mariage à haute voix. Il n'en lût
que le commencement , qui contenoit
les qualitez des Parties. La leture
entiere en auroit eſté trop longue.
Il commençaainſy. Aunomde
Dieu; Le tres-baut , tres- puißant , &
tres- illuftre Prince Loüis Duc de Sforce ....
avec toutes les autres qualitez de ſa
Maiſon. Cela ne fut lû qu'afin de
faire ſçavoir à la Compagnie que le
Roy traitoit ce Duc ſur le pied des
Princes Etrangers. Cette lecture
eſtant faite , le Secretaire du Cabinet
mit l'Ecritoire d'or fur laTable , &
Mr de Pompone en ayant pris la
plume, la mit entre les mains de Sa
Majesté , qui ſigna le Contract de
MaGALANT.
171
Mariage, & apres Elle , la Reyne ,
Monſeigneur le Dauphin , M' de
Lavardin comme Procureur, Mademoiſelle
de Thiange , & en ſuite
toute la Maiſon Royale , & les Parens.
M' de Pompone ſigna le dernier
avec une plume de l'Ecritoire
d'argent qu'un de ſes Commis avoit
portée. A cette Cerémonie ſucceda
celle des Fiançailles , qui fut faite
par M' le Comte de Noyon, Pair
de France. Le Loy l'avoit choiſy
pour faire cette fonction , non ſeulement
parce qu'il eſtoit un des plus
proches Parens de Mademoiſelle de
Thiange; mais encor par le rang
qu'il tient entre les plus Illuftres Prélats
de l'Eglife. Les Fiançailles ne
furent pas plûtoſt achevées , que
quantité de Pages du Roy aporterent
un fort grand nombre de Baffins
de Confitures , qui furent
répanduës par tout avec profuſion.
Le lendemain Dimanche , le Roy
avec toute l'Aſſemblée du jour precé-
H 2
172
MERCURE
cédent , ſe rendit entre midy&une
heure dans la Chapelle du Chaſteau
de Versailles , ornée , & gardée extraordinairement
, afin d'empeſcher
la confufion. Toute la Cour s'y
trouva fort ſuperbement veſtuë. M
de Noyon estoit en habit Pontifical
pour dire la Meſſe, & faire le reſte
de la Cerémonie. Toutes choſes
eſtant ainſi diſpoſées, le Roy ordonna
qu'on fift approcher les Fiancez.
M'le Marquis de Lavardin parut
avec un Habit tres-magnifique , &
diférent de celuy du premier jour.
Mademoiselle de Thiange en avoit
un de Toile d'argent relevée d'or
en fleurons. Il eſtoit chargé de Perles&
de Rubis , au lieu de Diamans
qu'elle avoit le jour precédent , &
ſa queüe meſme qui eſtoit fort longue
en estoit toute remplie. Ainfi
elle enavoitpourplus de fix millions
fur elle. Ils allerent de cette forte à
l'Autel , où ils ſe mirent à genoux ,
ayant tous deux unCierge à la main,
: avec
GALANT.
173
avec cette difference que celuy deM
de Lavardin ſeul eſtoit garny de bas
en haut d'Ecus d'or qui furent diſtribuez
aux Pauvres , plus par charité
que par coutume. LaMeſſe fut
chantée par la Muſique du Roy, &
laCerémonie finit par une courte&
utile remontrance que fit M' de
Noyon aux Mariez. Elle fut admirée
de toute cette grande Aſſemblée, &
fur tout du Roy qui ſe connoiſt
mieux que Perſonnes aux belles chofes
. Comme on ne peut eſtre trop
exact fur la ſignature des quatre Témoins
neceffaires , ou du moins ordonnez
, le Roy ſe fit apporter fur
ſon prie- Dieu , le Regiſtre dela Paroifle.
Il le figna , & le fit figner à
la Reyne , à Monſeigneur le Dauphin
, & à Monfieur le Duc. Mle
Marefchal Duc de Vivonne traita
ſuperbement une partie des Parens &
des Amis qu'on avoit conviez des
deux coſtez , & entr'aures M, le
Marquis Sforce qui a eſté un des
H 3 prin174
MERCURE
principaux Négociateurs de ce Mariage
, & quidepuis longtemps a fait
connoiſtreà la Cour de France , &
fon eſprit, & fon zele pour les divers
intereſts de ſa Maiſon. Madame de
Thiange, Madame de Monteſpan ,
&la nouvelle Mariée, eurent l'honneur
de dîner ce jour-là meſme avec
Sa Majesté , ainſi que Meſſieurs les
Princes du Sang. Immediatement
apres le Dîner , laReynerendit viſite
à Madame la Ducheſſe Sforce , qui
reçeut auſſi les complimens de tout
ce qu'ily a deplus qualifié à laCour.
Le foir cette nouvelle Ducheſſe alla
rendre ſes devoirs à la Reyne , & fut
miſe enpoſſeſſion de tous les rangs,
&honneurs dont joüiffent les Princeſſes
Etrangeres. Elle n'oublia pas
les liberalitez accoutumées en de
pareilles occaſions. La journée finit
par un Bal dans la nouvelle Salle de
Marbre, ornée de Luftres d'argent,
& de tout ce qui pouvoit enrichir
un Appartement ſi ſuperbe. LeRoy
l'ou-
1
GALANT.
175
l'ouvrit avec Madame la Ducheſſe
Sforce.
Quelques jours apres Monfieurde
Vertamon épouſa Mademoiselle Bignon.
Il eſt Maiſtre des Requeſtes,
& Fils de Madame de Vertamon ,
à preſent Madame la Mareſchale
d'Estrades , & petit-Fils de feu M
leChancelierd'Aligre. CejeuneMarié
a de l'eſprit , & des qualitez qui
luy font mériter l'eſtime que tout le
monde a pour luy. Mademoiselle
Bignon eft petite-Fille de ce grand
Hierôme Bignon , Avocat General,
auſſi pieux que ſçavant , qui avoit
une ſi parfaite connoiſſance des habiles
Gens de fon Siecle. Je n'entreprens
pas de le loüer apres feu M'le
Premier Préſident Molé , qui a dit
publiquement , que Rome & Athenes
n'avoientjamais porté un ſi grand
Homme. Le Pere de la Mariée'eſt
Préſident au Conſeil , & Maiſtre des
Requeſtes. Sa probité eſt univerſellement
connue. Il eſt Frere du Fa-
H4 meux
:
176 IERCURE
meuxM Bignon, cy-devant Avocat
General , & aujourd'huy Conſeiller
d'Etat. La Mere de Mademoiselle
Bignon eft Soeur de Monfieur l'AvocatGeneral
Talon , dont la réputation
eſt ſibien & fi juſtement établie.
Ainfi cette nouvelle Mariée ſe
trouve Niéce de ces deux grands Avocats
Genéraux. Elle eſt Fille unique
, riche , modeſte , vertueuſe , &
peu touchée de l'éclat du monde.
Vous ne ferez pas fâchée de voir
pour laſeconde fois un Madrigal que
vous avez déja lû avec plaifir , puis
queje vous le renvoye mis en Air par
Mª Charpentier. Comme ces fortes
d'Ouvrages parlent d'eux-meſmes ,
je vous laiſſeray juger à l'avenir de
leur bonté , & me contenteray de
vous en nommer les Autheurs.
AIR NOUVEAU.
Ab , qu'on est malheureux d'avoir eu des defirs,
D'avoir fait de l'amour ſes plus charmans
plaisirs ,
Quand
Pag.
176
D'renoncer à l'arqui
dref- ſe ; Heu-
*
x hon fe

GALANT.
177
:
Quand il faut renoncer à l'ardeur qui nous
preffe!
On ne peut oublier ce qui nous a charmé,
On ne gouverne pas comme on veut la tendreſſe.
Heureux qui peut hair ce qu'il a bien aime.
Anne de Bretagne , dont l'Hôtel de
Bourgogne nous adéja donné quelques
Repréſentations , eſt la premiere
Piece nouvelle qui ait paru au
Théatre de cet Hyver. Elle eſt de
Monfieur Ferrier. Les Vers en font
fort aiſez , & les penſées naturellement
exprimées. Il y a des endroits
dans la peinture qu'on y fait de Charles
VIII tres finement tournez à
l'avantage du Roy. Leurs Alteſſes
Royales l'ont eſté voir , & en font
forties fort fatisfaites.
On nous vient de donner en noſtre
Langue un des plus beaux Ouvrages
d'Italie , qui n'y avoit point
encor efté traduit. C'eſt la Secchia
rapita du Taffoni. M' Perraut qui
en a fait la Traduction , a mis le
Poëme Italien d'un coſté, afin de
Η 5 ne
178 MERCURE
ne rien oſterà ceux qui l'entendent
affez , pour bien gouſter toutes les
graces de l'Original. Il eſt digne
Frere de M Perraut de l'Académie
Françoiſe, &de celuy qui a traduit
Vitruve. Nous luy ſommesd'autant
-plus obligez de la peine qu'il s'eſt
donnée , que ce Poëme eſtant moitié
burleſque , &moitié ſérieux, il
y a des endroits fort difficiles à eſtre
entendus. Le ſujet en eſt fondé ſur
la Guerre qui s'éleva entre ceux de
Boulongne& de Modene , au temps
de l'Empereur Federic II. On prétend
que ce fut à l'occaſion d'un
Seau de bois, qu'on a toûjours conſervé
depuis ce temps là dans l'Egliſe
Cathédrale de Modene. On le voit
encor ſuſpendu à la voûte de laSalle
avec une chaîne de fer , dont on ſe
ſervoit pour fermer la Porte de Boulongne
, par laquelle les Modénois
entrerent quand ils ravirent ce Seau .
J'avois crû vous tromper , & le
Public apres vous, en vous envoyant
deux
GALANT. 179
deux Enigmes ſur le meſme Mot ;
mais pluſieurs Perſonnes ſe ſont apperçeuës
de la ſurpriſe queje voulois
faire, & M'Gardien aexplique ainſi
- l'une & l'autre.
.
Ces deux Enigmes font fort belles ,
Tous les rapports en font fidelles ,
Je nevoy rien de mieux écrit ;
Mais ce que je trouve de rare,
C'est que le ſujet s'y declare.
Comment cacher l'Eſprit avecque tant d'efprit
?
L'Esprit eſt donc le vray Mot de
toutes les deux. Pluſieurs l'ont connu.
En voicy les noms .
Meſſieurs Thabaud des Ferrons ;
- Jarroſſon , Avocat au Conſeil ; Joufſes
de la Chapeliere ; Chantreau , de
Paris ; L'Abbé Rateau ; Barrandy
& Marchand , de la Rochelle ; Des
Avaris , de Bourlague ; Miconet ,
de Villedieu , & Langlois , de Pontoiſe
; Rouffel , Aumônier du Roy ,
de Conches; De Bonnecamp , Medecin
à Quimpercorantin ; De Beauvoir
, Gentilhomme de Guerne
Zey ;
180 MERCURE
zey ; Le Mitron Normandie; Stoopen
, Suifle de Bafle ; Le Secretaire
fidelle d'Amiens ; Balamir amoureux
, & le Chevalier de la Porte
Paris ; Meſdemoiſelles Léger , de
Troyes ; De Maillerville , de S. Malo;
Du Collombier , de Thorigny ;
Turlis ; Rappé ; Mafficq , de la Flote
de Ré ; La belle Jouneau , & la
Veuve de la Ruë Chapon. Beaucoup
de Particuliers ont envoyé leurs
Explications en Vers , & ce font
Meſdemoiselles Penavaly , de Brest
en Bretagne ; Noman Anorry , de
Poitiers; Fredinic & Walcherie, de
Pontoiſe ; Meſſieurs de la Coudre ,
de Roüen ; De la Touche , de Saumur;
De Caſtelet Matématicien (il
a promis un nouveau Siſteme ;) De
la Marthe , Avocat en Parlement ;
De Mauvileu de Chauven, de Soifſons
; Aimez le Fils , de Beziers ;
L'aimable Alexandre , & le Solitaire
de Pontoiſe.
Ceux qui n'ont expliqué que l'une
des
GALANT. 181
des deux fur l'Eſprit , & qui ont
donné un ſens diférent à l'autre, ſont
Meſſieurs Baifé le jeune ; Lamory ,
Secretaire de Noyon ; De Bellefontaine;
Laffon le jeune ; De Laſtre ,
Avocat à Guyſe; Guatry, Géographe
à Tours ; Hervilſon , de Troyes
; Cheſnon , Directeur General
des Poſtes de Charleville; Les Inféparables
, du Périgord ; Le Céladon
d'Aſtrée; Le Bohemi , de Sens ;
Ariſte , de Guyſe; Millete , deMillefleurs
; L'aiſnée des trois Soeurs ,
de Charleville ; & la Marquiſe curieuſe
, de Coutance. Ceux qui ont
expliqué l'une ou l'autre en,Vers ,
font Meſſieurs Robert de Châlons
en Champagne ; De Tirman , Abbé
de S. Loüis lez Troyes ; D'Abloville
; Germain, de Caën ; Chappuis
, de Monbrifon ; De Glos ,
Matématicien Hydrographe à Honfleur
; De Blegny ; Mademoiſelle du
Bocage ; Le Poëte naiſſant; Lebon
Vigneron , d'Argenteüil; & l'In-
Novembre. I con182
MERCURE
confolable , de la Ruë S. Antoine.
J'ay ſuprimé les noms qui n'ontque
de ſimples lettres , & une partie de
ceux qui eſtant faux, ne ſe peuvent
mettre qu'an trois lignes. A l'avenir
meſme je ne vous envoyerayque
les véritables , ne doutantpointque
je ne faffe plaifir à ceux qui en prennentà
ſe cacher. Ils ne s'en divertiront
pas moins dans leurs Societez
, en faiſaut connoiſtrepar le vray
Motdes Enigmes qu'ils verrontdans
le Mercure de chaque Mois , que
c'eſt celuy meſmequ'ils avoient trouvé.
On a expliqué la premier des
deux de l'Eſprit , fur le Secret , le
Raisonnement , le Bon sens , le Juge.
ment , le Rafinement , le Silence , l'Eloquence
, la Galanterie , le Vin , l'Eau
, l'Or , l'Argent , la Mode , le Secret
, & le Ver à foye. Je vous en envoye
deux nouvelles . La premiere
eſt de Madame de Rambey. C'est
uneVeuve de la France-Comté qui
a beaucoup de naiſſance , & dont la
perGALANT
.
183
perſonne n'a pas moins de beauté &
d'agrément, que ſon eſprit a de délicateffe
& de lumieres.
ENIGME .
F'ay la peau douce, mais fort noire ;
Je ſuis baftie aſſez bizarrement ,
Je n'ay de moy que fort peu d'agrémens , "
Cependant le pourra-t- on croire ?
Je ne fors pas plutoſt d'une fombre priſon ,
Que l'on voit contester les yeux & la raison
Pour m'établir de bonne grace.
Tantoſt je suis en haut , tantoſt je fuis en bas .
Enfin apres pluſieurs debats ,
Sur unTrône de fleurs on me donnemaplace ;
Maisfije tombe par disgrace ,
Ce qui m'arrive affezſouvent ,
Autant en emporte le vent.
AUTRE ENIGME.
Devinez qui jeſuis ; mon Corps n'est plus
dumonde.
F'habite la moité d'une Machine ronde ,
Vivante, je n'avois qu'un sentiment brutal ;
Mais depuis que l'effort d'une main afſaſſine
M'a fait donner le coup fatal,
Je renferme ſouvent la plus haute Doctrine.
Ceux qui ont expliqué l'Enigme
12 en
184 MERCURE
1
en figures ſur le Masque , l'ont expliquée
dans ſon vray fens , & ce
font Meſſieurs Gardien Secretaire
du Roy , Rault , de Roüen , en
Vers ; Comparet Regnaud , Chantre
de S. Urbain de Troyes ; Mademoiselle
Noman-Anorri , de Poitiers
; &le faux Criſante. Voicy l'Explication
de ce dernier.
Persée en ce Tableau nous charme & nous
abuse
Avec sa teste de Meduse ;
Mais dequoy s'est-on avisé,
De luy laiſſer lefront ainsi nuſous un Caſque ?
Car on n'est pas fort deguisé ,
Quand on leve le Maſque.
Cette Enigme n'eſt preſque fondée
que ſur l'action& la diſpoſition
des Perſonnes qui y ſont dépeintes .
La teſte de Méduſe avec laquelle
Perſée ſemble ſe cacher le viſage ,
repreſante le Masque, qui n'eſt ſouvent
qu'une figure diforme , capa-
*ble d'effrayer ou de faire rire. Ces
deux effets font exprimez par les au
tres
GALANT . 185
tres Perſonnes de l'Enigme , dont
l'un s'enfuit , tandis que les deux :
autres ſemblent ſe moquer de Perſée.
J'adjoûte les divers mots fur
- leſquels elle a eſté expliquée , L'Hyver
, une Carcaffe de Guerre , la Mort ,
la Peur , le Tonnerre , le Froid , le Miroir
ardent , la Fronde , la Pareße , la
Lanterne fourde , le Pavot , le Chymiſte
, la Beauté , le Sel , la Glace , la
Pluye , la Grenade , la Trahison , l'Hirondelle
, la Diſcorde , la Guerre , la
Paix que Louis LE GRAND donne
aux trois grandes Puiſſances ſes Ennemis
; la force de l'Eloquence , le Difcours
concis , le Tombeau , la Vieilleße
, &le Contrepoison.
.
Reſvez à préſent ſur l'Enigme
d'Euridice. Elle mourut piquée d'un
Serpent. Orphée l'alla redemander
aux Dieux des Enfers , & les charma
fi bien par la douceur de fon
chant , qu'ils luy accorderent ce qu'il
vouloit. Il retournoit avec elle tout
remply de joye, lors que ſur le point
EVRYDICE ENIGME
GALANT.
187
de revoir le jour , il tourna la teſte
pour la regarder , contre la défenſe
qui luy en avoit eſté faite. En mefme
temps il eut la douleur de voir
Euridice qui luy tendoit les bras ,
& des Spectres qui s'en ſaiſiſſoient
pour la remener aux Enfers.
Il ne me reſte plus qu'à vous apprendre
la mort de Madame la Comteffe
de Froullay, arrivée depuis peu
en fonChaſteau de Monflaux au Bas
Maine. Quoy qu'elle fuſt dans un
âge peu avancé , elle s'y eſt préparée
avec une réſignation digne de la
ſolide vertu qu'elle a toûjours pratiquée.
Elle estoit tres-belle, & fut
Fille d'Honneur de la Reyne Mere
dés ſa plus tendre jeuneſſe, ſous le .
nom de Mademoiselle de Neüillan.
Quelques avantages qu'elle euft reçeus
de la Nature , elle ne s'en fervit
que pour faire mieux admirer ſa
conduite. Jamais elle ne donna lieu
à la moindre médiſance. Au contraire
, elle estoit regardée à laCour
14 com188
MERCURE
commeun mode le à eſtre ſuivy par
toutes les Perſonnes de fon Sexe.
Auſſi les bontez & la bienveillance
du Roy , de la Reyne , &de toute
laMaiſon Royale , n'ontjamais changé
à fon égard. Elle époufa M' le
Comte de Froullay Grand Maiſtre
des Logis du Roy en 1656 11 a eſté
Chevalier de ſes Ordres , & fortoit
d'une des meilleures & plus anciennes
Maiſons du Païs du Maine. Les
Titres qui ont eſté produits pour la
preuve de cette ancienneté , juſtifient
qu'il deſcendoit de Pere en Fils
d'un Roland Seigneur de Froullay,
qui vivoit vers l'an 1140. Feu M'
le Comte de Teflé eſtoit ſon aiſné.
Deux de ſes Cadets font encor vivans
, M'l'Evefque d'Auranche , &
M' l'Abbé de Froullay Comte de
Lyon . Il eſt peu de Gens qui n'ayent
eſté perfuadez du veritable mérite
de celuy dont je vous parle. II
eſtoit brave , & on ne peut guére
ſe diftinguer davantage qu'il avoit
fait
GALANT . 189
ک
fait eſtant Capitaine aux Gardes. Sa
droiture d'ame, ſa fidelité , & fa vertu
, luy avoient donné pour Amis
tout ce qu'il y a de Perſonnes du
premier rang. Il y a environ. ſept
ans qu'il eſt mort , & l'on peut dire
que cette mort commença celle de
Madame la Comteſſe de Froullay fa
Femme. Le ſaiſiſſement qu'elle en
eut fut tel, qu'il contribua beaucoup
au ſchire qui ſe forma avecle temps
dans fon foye , & qui l'a enfin emportée.
La douleur qu'elle eut de
perdre un Mary qui luy eſtoit fort
cher, fut ſuivie d'un autre encor
tres-ſenſible que luy cauſa la perte
d'un Fils aiſné , tuë en 1675 à la Bataille
qui ſe donna devant Treves. Il
eſtoit reveſtu dela Charge de Grand
Mareſchal des Logis , l'une des plus
confiderables de la Cour , & digne
heritier des vertus & du mérite de
M' le Comte de Froullay fon Pere.
Mais toutes cesdiſgraces , ny les embarras
d'un tres-grand-Procés , n'ont
1. pû
190
MERCURE
pû jamais ébranler la fermetéd'ame
qu'ellea fait paroiſtre juſqu'au dernier
moment de ſa vie; & malgré
tant de traverſes , on l'a toûjours
veuë d'une douceur & d'une ſoûmiffion
aux ordres d'Enhaut , dont l'Ecole
du grand monde enſeigne peu
lapratique. Elle estoit Fille deCharles
de Baudean-Parabere , Comte de
Neüillan , Gouverneur de Niort, &
petite-FilledeJean de Bandean Comte
de Parabere, qui avoit fait un Regimentpour
le ſervice de Henry IV
Roy de Navarre, & qui luy en rendit
detres-confiderables juſqu'à la Mort.
Il ſe trouva à la Bataille de Coutras,
où il acquitgrand honneur , & prit
la Ville de Niort& le Château où
eſtoit le Gouverneur de la Province.
Ce fut la premiere Place quifervit
auRoy pour difputer la Couronne
de France . Le Prince de Parme ,
que la Ligue avoit fait venir dans
le Royaume , ayant aſſiegé Corbeil ,
lè Comte de Parabere l'obligea de
1
1
lever
GALANT .
191
lever le Siege , & délivra Paris. Il
fit cinq cens Lanf- cadets priſfonniers ,
pritCorbie en ſuite ; & au Siege d'Amiens
où le Roy eſtoit préſent , il
commanda une Attaque & une Baterie
conjointement avec le Marefchal
de Biron qui en commendoit
une autre. Le Roy luy auroit donné
le Baſton de Mareſchal de France
, s'il euſt voulu changer de Religion
quand Sa Majefté en changea ;
mais il ne pût endurer qu'il entraſt
- un mouvement d'intereſt du monde
dans les motifs qui le devoient porter
à ſe convertir. Apres avoir demeuré
affez long temps Lieutenant
de Roy de Poitou , & Gouverneur
de Niort, il ſe retira dans ſa Maiſon
de Parabere , où il ſe fit Catholique.
Quoy qu'il y euſt tres-long temps
qu'il euſt renoncé à la Cour , ſon
mérite & les grands ſervices qu'il
avoit rendus , parloient tellement à
fon avantage , que pour les connoiſtre
, le feu Roy Louis XIII. luy
en-
1
192
MERCURE
envoya un Brevet de Mareſchal de
France , avec ordre de venir recevoir
cet honneur , & le Cordon bleu en
meſme temps. Pendant qu'il ſe préparoit
à ſe rendre aupres de Sa Majeſté,
il mourut tout couvert de gloire
, & laiſſa deux Fils , dont le Cadet
fut Pere de Madame la Comteffe
de Froullay. L'Aiſné fut fait Chevalier
des Ordres du Roy , & a eſté
Lieutenant de Roy de Xaintonge , &
Gouverneur de Cognac , Lieutenant
General & Gouverneur de Poitou .
J'ay oublié de vous dire ſur l'Article
de la Medaille des Hollandois ,
que les lettres qui ſont d'un plus
grand caractere que les autres dans
le Revers , s'appellent lettres numerales.
Elles fervent à marquer l'année
pendant laquelle la Médaille a
eſté faite. Cela ſe peut voir en les
affemblant, apres qu'on a rejetté les
petites.
Quede choſesj'aurois encor à vous
dire, ſi je voulois renfermer dans
cette
GALANT .
193
cette Lettre toutes les nouvelles de
ce Mois ? Le temps me preſſe , il
faut qu'elle parte , & malgré moyje
ſuis obligé d'attendre à vous entretenir
dans la premiere , des Publications
de la Paix qui ont eſté faites
dans pluſieurs grandes Villes du Royaume
, avec autant de magnificence
que de galanterie , & des Harangues
qui ſe font tous les ans au Parlement
à l'ouverture des Audiances.
J'y joindray l'Article des Modes.
Adieu Madame. Je ſuis , &c.
:
AParis ce 30. Novembre 1678.
TATABLE
des MATIERES
contenuës en ce Volume.
L
Avant propos , Page. I
Dêmeflé de Bellonne & de la Paix , 10
Belle Action de Justice de M. le Lieutenant
Civil Girardin ,
13
Retour de Madamela Comteſſe de Soissons , &
tout ce qui s'eſt paſſé à Turin pendant le
féjour qu'elle y a fait , 14
Madame la Duchefſſe de Leſdiguieres accouche
d'un Garçon , 18
Mort de M. du Boulay , 19
Mort de M. le Noir , Sieur deMaulou , 21
Mort de M. Esprit , Premier Medecin de Son
1
Alteſſe Royale, 1 22
Cette Charge est donnée à M. Lizot , ibid.
Le Charge de Premier Medecin de Madame eft
donnée à M. le Bel , ibid.
On appuye ſouvent le bonheur de ceux à qui
l'on cherche à nuire , Hiſtoire. 24
Tout ce qui s'eſt paſſéà la maladie de M. le
Duc de Chartres , 41
Extrait d'une Lettre écrite par un Evesque
aux Peres Capucins du Louvre, 45
Réponse des Peres Capucins , 46
M. de Bernardy .
Attaques d'un nouveau Fortà l'Academiede
Vers à M. Colbert Préſident à Mortiers , 70
lejourque M. l'Abbé Colberty fut reçeu, 73
68
Tout ce qui s'eſt paſſé à l'Academie Françoise
ProRI
TABLE.
:
Propoſition de Mariage entre un Linot& une
Linote,
94
Avanture qui a obligé le Sieur Fofuasà prendre
le party des Mécontens d'Hongrie , 98
Récompenſes données parle Roy d'Eſpagne, 100
Reception faite en France à Monsieur & à
Madame la Ducheſſe de Saint Pedro & à
Madame la Marquise de Quintana , 102
Sujet des maladies d'Anvers ,
Mort de M. le Nonce, :
Mort de M. l'Evesque d'Agen ,
106
107
108
Mort de M. l'Evesque de Cabors , ibid.
Le Mariage inpromptu , Histoire. ΙΙΟ
Tout ce qui s'est paſſé au Parlemens le lendemain
de la S. Martin, avec les Harangues
de la Cour des Aydes , 117
M. leCoadjuteurd'Arles prefcheàVersailles devant
Leurs Majestez lejour de la Fefte de
Tous les Saints , 127
-Meffieurs les Abbez Defmaretz & de Bezons
Jont nommez Agens du Clergé , ibid.
Le Roy donne le Regiment de Champagne à
M. le Commandeur Colbert , 128
Mort du M. de Brouffelles ibid.
Ce qui s'eſt paffé à Versailles le jour de la S.
Hubert , 129
Lettre de M. Chapelle à M. le Duc de S. Aignan
, 132
Réponſe inpromptu de M. le Duc de S. Aignan
, 134
1 BalTABLE.
Ballade de M. leMarquis de Mon-plaisir, 137
Tout ce qui s'eſt paſſé dans nos Armées pendant
les deux derniers Mois, 138
Mariage de M. le Duc Sforze &de Made-
( moiselle de Thiange , 164
Mariage de M. de Vertamon & de Mademoifelle
Bignon , 175
Air deM. Charpentier , 176
Anne de Bretagne , de M. Ferrier repreſentée
à l'Hostel de Bourgogne. 177
La Secchia rapita , Poëme Italien traduit
par M. Perraut , ibid.
Explication des deuxEnigmes en Vers duMois
d'Octobre , 179
Noms de ceux qui les ont expliquées , ibid.
Enigmes en Vers , 183
Autre Enigmes en Vers , ibid.
Noms de ceux qui ont expliqué l'Enigme en
figure , 184
Explication de cette mesme Enigme en figure,
ibid.
Nouvelle Enigme en figure , 185
Mort de M. la Comteſſe de Froullay , 187
Fin de la Table.
MERCURE
GALANT.
De L'An 1578 .
Jouste a copie
àParis
Au Paltis 1678 .

LE
NOUVEAU
MERCURE
GALANT.
Contenant tout ce qui s'eſt paſſée
de curieux au Mois de Decembre
de l'Année 1678 .
Suivant la Copie imprimée
A PARIS
Au Palais , l'An 1678 .

A
MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
M
ONSEIGNEUR ,
Voicy la seconde Année du Mercure
Galant finie , & la premiere dans laquelle
on luy a veu porter vostre auguste
Nom. Quoy que cette gloire luy ait fervy
de paſſeport dans toutes les Cours de
l'Europe , où les plus grands Princes ne
l'ont pas crû indigne de leur approbation,
ce n'est pas ce qui a causé sa plus forte
joye. La plus ſenſible qu'il ait reçenё ,
c'est , MONSEIGNEUR , d'avoir
eu occafion de parler douze fois de
Vous. Tantost il s'est étendu ſur vostre
adreße à manier les Chevaux les plus
indomptables ; hardieſſe qu'on peut nommerintrépidité
, dansl'dge où vous avez
commencé de vous appliquer à de fi pénibles
Exercices . Tantost il a fuit con-
*
3
noiEPISTRE.
noiſtre les avantages que vous avezeus .
dans les Courſes de Bague qui ſe ſont
faites, &qui ontre la hardieſſe demandent
beaucoup de jugement. Les Prix
que vous y avez remportez , n'ont pas
moins fait admirer la bonne grace avec
laquelle vous vous en estes acquité , que
la furprenante vigueur que vous y avez
fait paroistre. Mais , MONSE IGNEUR
, doit-on en eſtre ſurpris ,
apres ce qu'on vous a ven faire à la
Chaffe , tenant toûjours la queue des
Chiens, perçant les Forests , & courant
fur les plus hautes Montagnes , Sans
qu'aucun péril vous étonnast ? Vostre
Esprit n'est pas moins actif que vostre
Corps. Il conçoit avec une promptitude
merveilleuse. La Fable & l'Histoire
vous estoient presque connuës dés le Berceau
, & vous entendiez &parliez la
Langue Latine en Maiſtre , quand ceux
de vostre âge sçavoient àpeine parler
François. On vous voyoit dés lors expliquer
les Autheurs les plus difficiles,
ce qu'ils avoient de plus obscur l'estoit
rareEPISTRE.
rarement pour Vous . Les beaux Arts ne
vous ſont pas moins connus , & vous
avez fi parfaitement appris à deſſiner
dans vos heures de plaisir , que vous
avez esté au dela des connoißances que
vous penfiez acquérir. Ainsi , MONSEIGNEUR
, en croyant ne manier
un Burin que pour voſtre ſeul divertiſſement
, vous avez fait des Chefd'oeuvres
du premier coup. Apres cela ,
ne devons-nous pas estre fortement perfuadez,
que si la grandeur de nostre incomparable
Monarque , &celle qui vous
environne , vous attirent jamais des
-- Ennemis vous leur ferez voir qu'ils doivent
craindre le Sang qui vous anime.
Vous connoistrez le fort & le foible de
leurs Camps & de leurs Places , &
Sçaurez comment celles de France devront
estre fortifiées..Tant de Sciences
diverſes, MONSEIGNEUR, ne
proviennent que de la forte application
que vous avez euë à tout ce que vous
avez voulu apprendre , &de ce que
vous vous estes rendu infatigable en tra-
* 4
vailEPISTRE.
vaillant. Mais comme vosgrandesqualitez
augmentent tous les jours avec
vostre âge , le moyen d'en parler tous
les Mois , & d'en parler avec quelque
raport à ce que vous nous faites admirer
en vostre Perſonne ? f'aurois beſoin de
ces Mois entiers pour en faire la premiere
ébauche ; & ce qui ſe paſſe ſous
le Regne de LoüIS LE GRAND,
m'occupe trop pour me laißer mettre dans
leur jour les idées que je m'enforme.
MONSEIGNEUR ,
que le Mercure ait toûjours l'avantage
de paroiſtre ſous l'auguste Nomque vous
luy avez permis de porter , ce ne fera
plus que de temps en temps queje prendray
la liberté d'y mettre à la teste un
Portrait des rares Vertus que vousfaites
éclater. La continuelle admiration qu'elles
cauſent , n'a rien qui l'égale que leprofond
reſpect avec lequeljeſuis ,
Ainfi ,
MONSEIGNEUR,
quoy
Voſtre tres-humble , tresobeïffant
Serviteur,De
PREFACE.
Ce n'est pas ſeulement en France
que les Modes n'ont qu'un cours
borné. Les Royaumes Etrangers en
changent auffi-bien que nous ; & fi
ces changemens y arrivent ou plus
rarement , ou plus tard , ils ne laifſent
pas d'y arriver , & marquent en
eux lameſme inconſtance qu'on nous
reproche , & qui eſt naturelle à tous
les Hommes. Ainſi l'on voit fort fouvent
que des choſes médiocres font
beaucoup plus recherchées que de
plus belles , par le ſeul avantage de
la nouveauté; & par cette raiſon ce
quia eſté longtemps en vogue , peut
ceffer de plaire ſans devoir eſtre
moins eſtimé. Quand le Mercure
Galant auroit eu la mesme deſtinée
(ce qui n'eſt pourtant pas arrivé ) il
n'auroit aucun ſujet de ſe plaindre.
C'eſt le fort commun de tout ce qui
aeſté le plus en crédit , &nous naifſons
avec ſi peu de fermeté pour nos
propres ſentimens , que nous con-
* 5
damPREFACE.
damnons ſouvent ce que nous avons
le plus approuvé. Combien de belles
Perſonnes ont ceſſé de charmer leurs
Adorateurs , quoy qu'elles euffent
encor les meſmes attraits , par la
ſeule raiſon qu'il y avoit longtemps
qu'elles s'en eſtoient fait aimer ? Le
Mercure , apres deux années entieres
, n'a pas encor eu cette diſgrace,
& loin que ſa vieilleſſe luy ait fait
tort , il ſemble qu'elle le faſſe rechercher.
Il a effuyé tout ce quedoit
craindre un Livre qui réüffit , fitoutefois
onpeut dire qu'il doit appréhender
des attaques qui estoient autant
de marques de ſon ſuccés , &
que l'on ne devroit appeller que
d'heureux malheurs . On a fait imprimer
des Critiques ; & ce qui a :
fait voir qu'il n'y avoit que ſon ſuccés
qui fiſt peine , on s'eft engagé
d'en donner une au Public tous les
Mois ce qui marquoit une volonté
prémeditée de nuire , puis qu'on ne
pouvoit ſçavoir ſi ce qui n'avoit
point
PREFACE.
3
point encor paru feroit ou bon , ou
méchant. On mépriſe trop ces fortes
✔de Critiques poury répondre. Elles
ſe détruiſent d'elles-meſmes , & ce
qui devoit paroiſtre tous les mois eft
demeuré étouffé dés ſa naiſſance.
Ainſi peu de Gens ſçauroient qu'on
euſt fait une Critique , ſi l'on n'en
parloit dans cette Préface. D'autres
ont attaqué le Mercure d'une autre
maniere , & ne pouvant diſconvenir
de ſon ſuccés , ils ont crû qu'ils en
pouroient profiter , en faiſant des
Livres dont le nom de Mercure feroit
meſlé dans le titre ; mais ils
n'ont pû tromper longtemps. La
trop grande approbation qu'on a con-
-tinué de luy donner , a meſme chagriné
les Autheurs qui avoïent applaudyd'abord
au Mercure. Chacun
a voulu ſe perfuader qu'il en pouvoit
faire autant , & que la matiere
en eſtant toûjours toute faite, il
n'en pouvoit couſter à l'Autheur que
la peine de l'aſſembler. Si ce qu'ils
puPREFACE.
publient eſtoit vray , tout le Livre
ne feroit pas écrit d'un mesme ſtile,
& quoy qu'on y puſt mettre des Memoires
quelquefois mieux écrits que
n'eſt le Mercure, il ne laiſſeroit pas
d'eſtre une eſpece de Monſtre , à
-cauſe de l'inégalité de ſes parties.
Un Bâtiment uny , & d'une ſy-
•metrie bien obſervée, eſt toûjours
plus beau que ſi y voyoit un Pavillon
enrichy de tous les ornemens
que peut fournir la Sculpture , &
que tout le reſte de l'Edifice en manquaſt.
Le Mercure apres avoir efſuyé
la fureur des Critiques , triomphé
des ſtratagémes de ceux qui ſous
fon nom vouloient profiter de ſon
fuccés , & de l'envie de quelques
autres qui ſe croyoient capables d'y
travailler , a reçeu encor une plus
cruelle attaque par ceux qui ſembloient
obligez de le défendre; &
comme vray-femblablement on devoit
leur ajoûter foy , de pareils
coups eſtoient plus à craindre. J'entens
C
f
C
C
Π
C
PREFACE .
-tens par cette derniere attaque une
conjuration de pluſieurs Libraires
qui tous par diférens motifs avoient
réſolu de l'étoufer ; les uns , parce
qu'ils n'avoient plus droit d'en vendre;
& les autres , parce qu'ils ſe
perfuadoient qu'il empeſchoit le debit
de leurs autres Livres. Cette
conſpiration éclata il y a un mois .
Preſque tous les Libraires du Palais
dirent qu'ils ne ſe chargeoient plus
du Mercure, parce qu'ils n'en vendoient
preſque plus: mais comme
ils virent qu'on continuoit à le demander
avec autant d'empreſſement
qu'à l'ordinaire , & qu'il feroit difficile
de faire mourir la curioſité
qu'on a pour ce Livre, ils crûrent
que pour mettre fin a tout , il n'y
avoit qu'à faire mourir l'Autheur. Sa
mort fut donc publiée auſſitoſt ,
meſme écrite dans les Provinces à
ceux à qui ces Libraires fournif
foient le Mercure. Cependant on
croit eſtre obligé de faire ſçavoir icy
qu'il
PREFACE.
qu'il eſt toûjours plein de vie. Toutes
ces choſes ſont des preuves inconteſtables
du ſuccés qu'ils ont tâché
d'affoiblir. Le Mercure pouvoit- il
manquer d'en avoir , puis qu'on y
voit en vingt-deux Volumes qui
contiennent les Nouvelles de vingtquatre
Mois unabregé des plus grandes
Actions de LOUIS LE GRAND
pendant ces deux Années. Chacun
demeure d'accord que ces Volumes
renfermentdes choſes qu'on ne trouverapoint
ailleurs , &fur tout à l'égard
des Plans & des Articles de la
Guerre. On y trouve des Relations
de Sieges & de Combats , dont on
n'a jamais rien donné au Public &
qui font des morceaux d'Hiſtoire
qui doivent vivre éternellement.
On peut dire qu'il n'ya rien que de
veritable dans tous ces Volumes ,
puis queſi l'on eſt tombé dans quelque
erreur pour n'avoir pas eu d'abord
des Mémoires aſſez inſtructifs,
ces fautes ont eſté reparées dans le
Vo.
PREFACE.
-Volume ſuivant. Il y a meſme de
la verité juſques dans les Galanteries
, les Hiſtoires n'eſtant compoſées
que ſur des fondemens veritables.
L'Année mille fix cens ſoixante &
dix-neuf devoit eſtre une Année de
Paix (ce qui reſtera d'Ennemis au
Roy n'eſtant pas capable de l'occuper
tout entier apres qu'il a eu à combattre
preſque toutes les forces de
l'Europe) cette Année ſera remplie
de plus d'Hiſtoires que les deux qui
l'ont précedée. Ces Hiſtoires & d'autres
Galanteries , occuperont la place
de la Guerre. On prendra de nouveaux
ſoins pour rendre ce Livre
agreable , & l'on fera en forte qu'il
y ait des endroits pour tous les goufts
diférens . Quant à l'Extraordinaire ,
ſon ſuccés augmentant tous lesjours ,
on continuëra de le donner dans les
quatre Quartiers de l'Année ; & le
quatriéme , qui fera l'Année complete
, ſera diftribué le quinziéme
de Janvier. Pluſieurs ont crû juf
qu'icy
PREFACE.
qu'icy que c'eſtoit un Extrait des
Nouvelles qui estoient dans les Mercures
des trois Mois. Ceux qui ont
ſemé ces bruits ont eu leurs raiſons.
Cependant on croit devoir avertir
qu'ils ne contiennent que des choſes
dont il n'y a pas-un mot dans les
Mercures , & qu'il eſt composé de
matieres toutes diférentes.
Les Particuliers des Provinces qui
voudront avoir le Mercure fi- toft
qu'il fera achevé d'imprimer , n'ont
qu'à donner leuradreſſe au SieurBlageart
, Imprimeur- Libraire , ayant
ſa Boutique dans la Court-Neuve
du Palais , au Dauphin ; & ledit
Sieur Blageart aura le ſoin de faire
ſur l'heure leurs Pacquets , & de les
faire porter à la Poſte ou aux Mefſagers
qu'ils luy auront indiquez ,
ſans qu'il leur en couſte autre choſe
que le prix ordinaire des Volume
qu'ils voudront avoir. 07 :
"
Pag. 1
MERCURE
GALANT.
nfin , Madame, nous voicy
à la fin de l'Année mil fix
ſens ſoixante & dix-huit , Année
toute glorieuſe pour la France , &
fi glorieuſe , que la Poſterité aura
peine à croire les prodiges qui s'y
font paffez. Les Hiſtoriens qui en
parleront, ſeroient ſans doute ſuſpects
, ou d'exagerer , ou de raconter
des Fables , s'ils n'avoient un infaillible
moyen de convaincre ceux
qui viendront apres nous , de laverité
des ſurprenantes merveilles qu'ils
auront écrites. Ils n'ont pour cela
qu'à faire un Portrait au naturel de
LOUIS LE GRAND , qu'à peindre
une extréme prudence jointe à
une parfaite valeur , une haute modération
avec une puiſſance tres- étenduë,
une continuelle application dans
Decembre . A les
62
2 MERCURE
les Affaires , & enfin toutes les Vertus
politiques , militaires , & morales
, quine le rendent pas moins Auguſte
par ſa Perſonne , que par l'élevation
du Trône où nous le voyons
affis. Quand ces traits , auffi
éclatans qu'ils font particuliers à luy
ſeul , auront donné une entiere connoiſſance
de cet incomparable Monarque
, ce qu'il eſt fera croire facilement
ce qu'il a fait ; & pour en
eſtre mieux convaincu , on n'aura
qu'à faire reflexion ſur le ſecret de
ſes entrepriſes , qui n'eſt jamais échapé
de ſon Conſeil. Nous n'avons
aucune Hiſtoire qui nous ait encor
rien marqué de ſemblable , meſme
chez les Nations les plus politiques ,
& qui au defaut de la force ſe ſont
toûjours tirées d'affaires par l'adreſſe
de leur conduite. C'eſt ce qu'on ne
ſçauroit attribuer qu'aux grandes &
merveilleuſes qualitez du Roy. On
le ſert avec un zele tres-empreſſé ,
je l'avoüe; mais c'eſt beaucoup moins
1
Par
GALANT.
3
par un devoir de Sujet dont on apporte
l'obligation en naiſſant , que
parce qu'on aime veritablement ſa
Perſonne. Cet amour, ſi profondement
gravé pour ce grand Prince
dans le coeur de tous les François ,
fait executer ſes ordres par tout &
en tout temps , avec une diligence
- & avec une exactitude qui ne laif-
- ſent rien à ſouhaiter pour le prompt
ſuccés de tous fes deſſeins. Je vous
l'ay fait voir en détail dans chacun
des grands Evenemens qui font arrivez
depuis deux ans que je vous
écris des Nouvelles , & vous avez
veu faire des choſes qui paſſent l'imagination
, au Miniſtre, infatigable
qui conduit ce qui regarde la Guerre.
Celuyqui a le ſoin des Finances ,
ſans lesquelles rien ne peut agir ,
n'en a pas fait de moins ſurprenantes
, puis que rien n'a manqué , &
que les Affaires du Roy n'ont point
fouffert par ces fortes de retardemens
qui empeſchent quelquefois d'entre-
A 2
pren4
MERCURE
prendre de grandes chofes , ou qui
les font avorter apres qu'elles ont
eſté entrepriſes. Mais ſi Sa Majeſté
ſe trouve ſi bien ſervie , c'eſt parce
que le vif& juſte diſcernement qui
l'empeſche de ſe tromper en aucune
choſe, luya fait connoiſtre le ſolide
mérite de ceux qui pouvoient luy
aider à ſoûtenir le faix des grandes
Affaires ; qu'Elle en a fait un bon
choix , & qu'Elle n'a départy ſes lumieres
, & diſtribué ſes ordres qu'à
des Gens capables de les executer
avec l'eſprit , la prudence , & l'activité
neceſſaires , & de les faire exécuter
de la meſme forte. Diſons plus,
Madame. Le Roy n'a pas ſeulement
travaillé au bonheur de la France ,
en combatant avec de juſtes droitsi
pour l'agrandiſſement & pour la
gloire de ce floriſſant Royaume ,
mais en choiſiſſant de grands Hommes
, foit pour les plus conſidérables
Dignitez de l'Egliſe , ſoit pour les
premieres Charges de Magiſtrature .
Quel
GALANT. 5
0
e
• Quel plus digne Chefpouvoit-il donner
à la Justice , que l'Illuſtre Chancelier
què nous avons aujourd'huy ?
A-t- on jamais entendu parler d'un
choix plus genéralement approuvé ?
Toute la France a retenty du bruit
des acclamations dont il a efté ſuivy
, & il ne s'eſt fait aucune Action
publique où il y ait eu occafion de
s'étendre ſur les loüanges du Roy ,
qu'on n'y ait meſlé celles qu'il méritoit
pour le rang où il avoit élevé
ce ſage & prudent Miniſtre. Les autres
Chefs de Juſtice ont eſté choiſis
avec le meſme difcernement . On ne
voit point de Sujets oprimez dans
le Royaume. Tout y eſt tranquille.
L'Equité & les Arts y fleuriffent ,
& y ont mefme fleury pendant la
Guerre , ce qui ne ſe peut trouver
que ſous le Regne d'un auſſi grand
Prince que LoÜIS XIV. Voyez
les ſuperbes & commodes changemens
qui ont eſtéfaits à Paris depuis
quinze ou vingt années . Quel autre
A 3 :
de
6 MERCURE
de nos Roys a jamais eu tantde ſoin
d'ordonner de ſes embelliſſemens ?
Combien de Quais nouveaux ? Combien
de Ruës élargies ? Combien de
Portes magnifiques qui auroient paffé
pour des Arcs de Triomphe chez les
anciens Romains ? & cela , ſans parler
ny d'une Montagne applanie , &
changée toute entiere en Edifices
ſomptueux , ny du Cours commencé
fur le Rempart de la Porte S. Antoine
, & qui ne doit finir qu'à la
Porte de Richelieu , c'eſt à dire ,
qui contiendra l'eſpace de pluſieurs
lieuës. Ce n'est pas tout. Il ſemble
qu'une Ville d'une auſſi grande étenduë
qu'eſt cette Capitale de la France,
ne puiffe jamais eſtre ſans deſordre ,
eftant difficile que la confuſion ne
regne où l'on voit tant de Peuples ,
tant d'Etrangers & de Vagabonds ,
qui ne cherchent ordinairement qu'à
ſe mêler dans la foule , afin de vivre
aux deſpens d'autruy. Cependant
nous voyons icy cequ'onavoittenu
imGALANT
.
7
-
-
impoſſible d'y voir jamais. L'ordre
& la propreté y ſont compatibles avec
l'embarras de la Multitude ; & la
Police y eſt exercée avec une ſi exacte
régularité , qu'on n'a plus rien à
craindre des abus qui s'y commet-
_ toient. Ce font des miracles du Regne
du Roy , & ces miracles ſe font
parce que Sa Majesté a choiſy un
Magiſtrat vigilant , habile , juſte ,
& incorruptible , à qui toutes ces
qualitez eſtoient neceffaires pourſoûtenir
le poids du fardeau qu'Elle
a jugé à propos de luy commettre.
Il eſt certain que rien n'échape aux
vives & perçantes lumieres de ce
grand Prince , & qu'il connoit beaucoup
mieux dequoy chacun eft capable,
que ne le connoiffent ceuxmeſmes
que nous luy voyons choiſir
pour les plus importans Emplois de
l'Etat. La maniere dont ils s'en acquitent
, eſt une preuve éclatante
qu'il ne s'abuſejamais, &vous avez
dû eſtre perfuadée de cette verité par
A4 quan8
MERCURE
quantité d'Articles de mes Lettres
qui vous ont fait voir combien ils
eſtoient dignes du Miniſtere qui leur
a eſté confié. Ceux dont illuy a plû
faire choix pour ſe repoſer des Affaires
de la Mer ſur leurs foins , ne
peuvent auſſi recevoir trop de loüanges.
Ils n'en méritent pas ſeulement
par eux-meſmes , mais par leur vigilance
à ne donner les ordres de Sa
Majefté ſous eux , qu'à des Perſon
nes qui les ſcavent exécuter avec autant
de capacité que de zele. Ce que
je dis regarde particulierement les
Officiers ; mais ſi vous voulez deſcendre
juſqu'aux Ouvriers qu'ils font
agir , vous les trouverez dignes d'avoir
quelque part à cette loüange.
Je ne doute point que ce que j'ay à
vous apprendre fur ce ſujet , n'en
foit un d'étonnement pour les autres
Nations , ſi pourtant on peut
eftre étonné de ce que font les François
fous unRoy, dontchaque jour
de la vie ſemble eſtre deſtiné pour
nous
GALANT.
9
1
a
1
1
nous faire voir autant de prodiges .
C'en eſt un fort grand que ce que
vous allez lire dans la Lettre queje
vous envoye d'un Officier de l'Arſenal
de Marseille àun Commiſſaire
de la Marine de ſes Amis. Toute
éclairée que je vous connoy ſur les
matieres les moins communes , j'ay
peine à croire qu'on ne s'explique
pas dans celle-cy par quelques termes
qui vous feront inconnus. Pour
moy , je vous avoue que je ne les
entens pas tous, &qu'il y en a quel-
- ques-uns que je pourray mal écrire ,
parce que les caracteres n'en ſont
pas aſſez diſtinctement marquez dans
l'Original.
e
LETTRE
SUR UNE GALERE BASTIE
à Marseille en un ſeul jour.
Vous m'avez ſouvent demandé des
nouvelles de ce Pais , &j'ay voulu attendre
à vous fatisfaire que j'enſſe quel-
A5 que
8 MERCURE
quantité d'Articles de mes Lettres
qui vous ont fait voir combien ils
eſtoient dignes du Miniſtere qui leur
a eſté confié. Ceux dont il luy a plû
faire choix pour ſe repoſer des Affaires
de la Mer ſur leurs foins , ne
peuvent auſſi recevoir trop de loüanges.
Ils n'en méritent pas ſeulement
par eux-meſmes , mais par leur vigilance
à ne donner les ordres de Sa
Majefté ſous eux , qu'à des Perſon
nes qui les ſçavent exécuter avec autant
de capacité que de zele. Ce que
je dis regarde particulierement les
Officiers; mais ſi vous voulez deſcendre
juſqu'aux Ouvriers qu'ils font
agir , vous les trouverez dignes d'avoir
quelque part à cette loüange.
Je ne doute point que ce que j'ayà
vous apprendre fur ce ſujet , n'en
foit un d'étonnement pour les autres
Nations , ſi pourtant on peut
eftre étonné de ce que font les François
fous un Roy, dontchaque jour
de la vie ſemble eſtre deſtiné pour
nous
GALANT.
9 1
nous faire voir autant de prodiges
C'en eſt un fort grand que ce que
vous allez lire dans la Lettre queje
vous envoye d'un Officier de l'Arſenal
de Marſeilleàun Commiſſaire
de la Marine de ſes Amis. Toute
éclairée que je vous connoy ſur les
matieres les moins communes , j'ay
peine à croire qu'on ne s'explique
pas dans celle-cy par quelques termes
qui vous feront inconnus. Pour
moy , je vous avoue que je ne les
entens pas tous, & qu'il y en a quelques-
uns que je pourray mal écrire ,
parce que les caracteres n'en font
pas aſſez diſtinctement marquez dans
l'Original.
LETTRE
SUR UNE GALERE BASTIE
à Marseille en un feul jour.
Vous m'avez ſouvent demandé des
nouvelles de ce Pais , &j'ay voulu attendre
à vous fatisfaire que j'euſſe quel-
A5 que
10 MERCURE
que choſe d'extraordinaire à vous mander.
Je ne m'en sçaurois mieux acquiter
que par le recit d'une chose quiſurprendra
toute la France , puis qu'elle a
Surpris tous ceux qui l'ont veuë, &qui
ont trente années d'experience aux conſtructions
de Marine .
- Vous sçaurez donc que ſur le bruit
qui courut ily a quelque temps que le
Roy viendroit en Provence aucommencement
de l'Année prochaine , Mr Brodart
, Intendant Generaldeſes Galeres ,
projetta d'en faire construire & équiper
une en prefence de Sa Majesté dans
vingt- quatre heures , que est le mesme
temps que les Vénitiens employerent à celle
qu'ils firent construire en presence de
Henry III. lors qu'il paſſa par Venise
àfon retourde Pologne. Les Sieurs Chabert
, Maistres Constructeurs , à qui il
en parla , trouverent d'abord la chose
impoſſible , alleguant pour leurs raiſons
que ce que les Vénitiens avoient fait ,
n'estoit qu'un leger travail en comparai-
Son de celuy qu'il leur propoſoit. Ils luy
re- 1
GALANT. 11
1
4
remontroient que les Galeres des Vénitiens
ne fontque de 20 Bancs , au lieu
que celles de France ſont de 26 qui est
un tiers en longueur de plus , &que lors
que les Vénitiens firent ce petit miracle
(car ils ne le nommoient pas autrement)
ils ne firent point une Galere doublée ny
cloïée par tout pour pouvoir aller en
Mer, mais seulement un afſſemblage de
pieces qui formoient une belle Galere en
apparence , &qui en effet estoit hors d'état
de naviger. Toutes ces raiſons furent
foibles contre M' l'Intendant . Plus on
luy forma d'obstacles , plus il eut d'envie
d'executer ſon projet. Il voulut en
faire l'eſſay , & il n'eut pas plûtoſt dit
aux Constructeurs qu'il falloit qu'ils luy
aidaſſent à faire voir qu'il n'y avoit rien
qui ne fuſt poſſible aux François , qu'ils
commencerent à prendre courage. Mais
ils en eurent bien plus , quand cet habile
Intendant leur montra l'ordre qu'il
falloit tenir. Il l'avoit inventé, &écrit
luy mesme, pour empécher qu'il n'y eust
aucune confusion dans le travail. Voicy
A6 quel
12 MERCURE
(
quel estoit cet ordre. Il avoit mis cing
cens bons Ouvriers Charpentiers en dix
Eſcadres de cinquante Hommes chacune ,
conduits par un Ecrivain , &commandez
par un Chef, & un ſous-Chef,
qu'ils appellent parmy eux , Cap-maiſtre
sous- Cap-maiſtre . Il donna cing de
ces Efcadres au S Chabert l'ainé , qui
devoit construire le coſté droit de la Galere
, & les cing autres au S' Chabert
le cadet qui avoit le coſté gauche. Ilfit
prendreà chaque Escadre des Bonnets de
differentes couleurs , afin qu'ils fuſſent
tous reconnus , &qu'ils nese mêlaſſent
point les uns avec les autres. Ily avoit
outre ces dix Efcadres de Charpentiers ,
cinquante Cloüeurs pour clover toute la
Galere , avec des Bonnets d'une autre
couleur que les Maiſtres Charpentiers ,
conduits auſſi par un Ecrivain ; deux
Escadres de quarante Portefais chacune,
pour porter les pieces à ceux qui les devoient
poſer; une Eſcadre de Sculpteurs ;
une de Maistres Menuisiers , & cent
Maistres Calfats qui devoient commencer
à traGALANT.
13
2
-- à travailler, dés qu'on auroit posé les
Pieces qui devoient estre calfatées. Il fit
aßembler tous les Ouvriers dans l'Ar-
Senal lejour quipreceda l'eßay qu'il avoit
deffein de faire. Il les fit mettre chacun
dans l'ordre où ils devoient estre ,
leur demandafi chacun d'eux connoiſſoit
Son Chef. Fay oublié de vous dire que
quelques-jours auparavant il avoit donné
une instruction à chaque Ecrivain& à
chaque Chef d'Escadre , afin qu'ils
ſceuffent ce qu'ils auroient à faire pendant
tout le travail, & que chacun luy
avoit promis de bien s'acquiter de fon
devoir. Il leur recommandade travailler
Sans parler, ce qui est tresdifficile aux
Gens de Marine , & qui est pourtant
fort neceßaire pour empécher la confufion.
Enfin apres avoir parlé engeneral
& en particulier à tous ces Ouvriers ,
leur avoirprescrit l'ordre qu'ils devoient
tenir , & tiré parole de chacun qu'ils
s'appliqueroient fortement à ce qu'il leur
estoit ordonné , il les congedia , & leur
donna rendez-vous pour le lendemain
A 7

ma14
MERCURE
matin de 10 Novembre à la pointe du
jour. Il s'y trouva le premier , &tous
les Ouvriers estant venus , il parla encor
aux Chefs & aux Ecrivains , & fur
les ſept heures il fit commencer ce bel
Ouvrage. F'y estois preſent. Cependant
j'aurois peine à vous dire comme la chose
s'executoit. Tout ce que je voyois faire
me paroifſſoit tenir de l'enchantement. Il
Sembloit que chaque Ouvrier estoit un
Maistre , &qu'ils avoient employé toute
leur vie à faire depareils Ouvrages . Ils
travailloient avec une diligence qu'on ne
Sçauroit croire, & qui ne me ſurprenoit
pas moins que leur filence. On euſt dit
que prés de huit cens Hommes qu'on avoit
employez à ce travail , estoient conduits
par la mesme main. Tout se trouva
juste, & le projet de M l'Intendant
fut fi exactement ſuivy , qu'il ſembloit
que le moindre Ouvrier l'eust apris par
soeur. On n'eut beſoin que d'une demyheure
, & la Galere fut ce que l'on appelle
en Rames , c'est à dire , toutes les
Costes miſes, mais avec autant de ju-
Steffe
GALANT.
15
1
3.
ſteſſe quefi ony avoit employé les quinze
jours qu'on employe ordinairement àfai
re ce qu'on fit en cette demybeure. Apres
qu'on eut posé les Madiez , on mit les
Contrequilles , les Escoüets de chaque
coſté , les Perceintes & les Doublures ,
car à preſent en France on double toutes
les Galeres pour les fortifier davan-
I tage; ce qui fait qu'ily a autant detravail
au dedans d'une Galere comme au
dehors. On posa enſuite les Fils de chaque
Cofte, & au deſſous de la Couverte
120 lates. On boucha la Couverte
& les Coftez de la Galere. On miſt les
Contaux & Tringuenins , les Rais de
Coursier & Surcourſier qui ſont des piecesſi
lourdes , qu'il faut quarante Hommes
pour les remüer , apres quoy ontravailla
à poſer la Poupe d'une tres- belle
Sculpture. Dans le meſme temps que les
Peintres la peignirent , les Charpentiers
travaillerent à placer les Queües de late
Tapieres , foixante Baccalas de chaque
coſté , les Filerets adentées, les Apo-
Stis, les Bancs , Pedaigues , Banquet
tes,
16 MERCURE
tes , Aubarestieres , Contrepedaiques ,
Cordes , & Potences pour foûtenir les
Bancs. Tout cela ſe faifoit avec une fi
grande diligence , & avec ſi peu de confufion,
que ceux qui estoient preſens avoient
peineà croire ce qu'ils voyoient. LesMenuifiers
boiſerent le Plancher de la Poupe
, &tout le Courfier qui est le long
de la Galere de Poupe à Proüe là où l'on
marche. Le Chasteau devant fut mis ,
& enfin à 4 heures apres midy il n'y
eut pas la plus petite piece de bois à pofer;
& non seulement les Charpentiers
eurent construit la Galere , mais ils l'eurent
toute parée. Voussçavez que ce terme
fignifie oſter le bois superflu , rendre
tout égal, & achever de polir. Les
Calfats qui avoient déja commencé à
calfater tous les endroits où ils avoient
pû se placer , continüérent leur travail
avec tant de promptitude , que la Couverte
eſtant toute calfatée , ils la laiſſerent
libre , pour pouvoiryfaire mettre
les Arbres & Entennes deſſus , dans le
temps qu'ils allerent calfater tout le debors
GALANT.
17
hors de laGalere , & mettre de la Poix
dans chaque jointure. A 10 heures du
Soir les Calfats avoientfiny , &ils voulurent
employer le reſte de la nuit à vifiter
par tout ce qu'ils avoient fait. M
l'Intendant ordonna qu'onjetaſt de l'eau
dans la Galerepourfaire l'épreuve qu'on
fait ordinairement , afin de trouver les
trous qu'on peut avoir manqué de boucher.
Croiriez-vous , Monsieur , vous
qui ſçavez ce que c'est qu'une construction
, qu'il ne s'en trouva que trois petits
, auſquels on remedia incontinent?
Sur les 5 heures du matin M' l'Intendant
donna ordre que l'on miſt l'eau dans
le Baffin où l'on avoit conſtruit la Galere.
Ce sont des Baſſins en long dans
l'Arsenal, qu'on appelle Formes , où l'on
fait venir l'eau de la Mer par le moyen
d'une porte qu'ily a au milieu d'une
double Paliſſade de bois , qui est entre
la Mer & ces Formes , & qu'on ofte
en ſuite lors que la Galere flote dans la
Formes , &qu'on veut la faire entrer
dans le Port. Ilſe paſſa 2 heures avant
que
18 MERCURE
1
que l'eau fuſt dans la Forme , &qu'on
euſt ofté les Paliſſades. Il est vray que
dans le temps que l'eau entroit , M'l'Intendant
fit dire la Meſſe dans la Galere ,
où se firent toutes les Cerémonies qu'ona
de coûtume defaire pour labenir. Ainsi
précisement à ſept heures la Galere fût
hors de la Forme , & mise au milieu
du Port. On luy mit ſa Chiourne , &
Ses Canons. On la leſta. On dreßa les
Arbres & les Entennes. On l'agréa de
fes Cordages, Voiles , & Tendes. On y
embarqua les Armes , & Munitionsde
Guerre; & enfin on l'équipa de tout ce
qui luy estoit neceſſaire pour aller en Mer ,
en forte qu'à 9 heures du matin lamefme
Galere qui avoit eſté commencée le
jour precédent fût hors de la Chaine de
Marseille , &prit la haute Mer. Tout
contribuoit à la satisfaction de M l'Intendant
, car il faisoit le plus beautemps
qu'on puſt ſouhaiter , &je n'ay jamais
ven Galere aller mieux à la Rame &
à la Voile. Nous l'éprouvames de deux
façons.
Apres
GALANT.
19

Apres vous avoirparlé de cetteMerveille
, il est juste que je vous en faſſe
connoistre l'Atheur. M Brodart est le
plus Ancien Intendant de Marine quiſoit
dans le ſervice. Il a este employé ſans
discontinuation depuis le commencement
de l'année 1664 qu'il vint travailler
au Port de Toulon , où il fût fait Commiſſaire
general de la Marine. Ila ferizy
tres-utilement quelque temps apres
dans cette mesme qualité , tant auPort
de Toulon que dans l'Armée Navale
que le Roy envoya en Candie. Il a esté
Intendant à Dunkerque , & au Havre
de Grace , & a fait le premier l'éta
bliſſement des Claßes des Matelots. Le
Roy luy donna l'Intendance generale de
ſes Galeres au commencement de l'année
1675. Ils s'aquite si dignement de cet
employ, qu'on n'a jamais veu de Galeresſi
belles , si bonnes , ſi bien ornées ,
&faites avec tant de diligence &d'aconomie
, que celles que nous avonsaujourd'huy.
Tous les Officiers de l'Arsenal de
Marseille ont tres- bien executéſes ordres
dans
20 MERCURE
dans l'occaſion dontje vousparle , mais
particulierement Me Chalons Commis-
SairegeneraldesGaleres. Les Sieurs Chaberte
y ont tres-bienfait leur devoir. Ce
font les meilleurs Maiſires Conſtructeurs
de Galeres qui ſoient dans le monde.
C'est un talent qui leur est particulier de
Pere en Fils depuis plus dedeux cens ans.
La conſtruction des Galeres est fort diferente
de celle des Vaiſſeaux. Ily a trente
Perſonnes en France capables de conſtruire
de beaux Vaiſſeaux , mais pour
des Galeres il n'y a que ces deux Freres
qui ayent le don d'y bien réüſſir , avec
un autre Homme tres-habile qui commence
à faire parler de luy. Je suis
vosire, &c.
AMarſeille ce 12 Nov. 1678.
Ne croyez- vous pas , Madame ,
que j'aye eu raiſon dedonner le nom
deProdige à la prompte conſtruction |
de cette Galere ? & auriez-vous pû
vous imaginer que l'entrepriſe de la
baſtir, & de la mettre en Mer preſte
à voguer & à faire une Campagne,
GALANT. 21
خ
+

⚫gne, ne duft eſtre que l'ouvrage d'une
journée. On aſſure qu'elle ſe peut
démonter avec la meſme facilité
qu'ellea eſté conſtruite , fans qu'on
ait à craindre d'en gafter les pieces ,
& cela par le moyen des emboiſtemens
& des clous qu'on a faits exprés.
Si ceuxquivoulurent faire élever
la Tour de Babel , euſſent ordonnée
le ſilence qui a eſté obſervé
quand on a baſty cette Galere, la
diverſitédes Laugues n'y auroit point
mis d'obstacles , & ils ſeroient peuteſtre
venus à bout de leur deſſein .
Il eſt certain que ce n'a pas eſté un
petiteffetdeprudence , d'oſterà tant
d'Ouvriers la neceſſité de parler. Le
moyen qu'on euſt pû s'entendre parmy
le bruit continuel des coups de
marteau ? Ce qu'il y ade rare, c'eſt
que lapromptitude avec laquelle cette
Galere a eſté conſtruite , n'en a
point fait négliger les Ornemens.
Elle a ſa Poupe d'un fort beau Defſein,
& embellie d'une Sculpture
auffi
22 MERCURE
auſſi délicate que bien entenduë. On
doit en préparer une autre qui ſera
plus grande & plus belle , pour en
donner le divertiſſement au Roy,
s'ils fait voyage à Marseille.
Vous vous fouvenez fans doute
queje vous manday il ya deux mois
que M' leMarquis de la Pierre eſtoit
allé à Turin pour avoir l'agrément
de Madame Royale ſur ſon Mariage
avec Mademoiselle de l'Albe , & en
attendre la Diſpenſe de Rome. J'ay
à vous apprendre aujourd'huy qu'il
l'épouſa à Grenoble dés lecommencement
de Novembre , à la maniere
des Gens de qualité , dont la plûpart
fuyent le bruit & l'éclat en ſe
mariant. Elle eſt Fille unique de feu
M' le Préſident de l'Albe , fortyde
l'ancienne Maiſon des Vacca d'Italie,
& du coſté de ſa Mere , des Montenars
& des Allemands , deux Familles
illuftres & fort connues, mais
particulierement dans le Dauphiné.
La naiffance & le mérite de M le
MarGALANT.
23
1
Marquis de la Pierre , fi eſtimé à
1 la Cour de France & de Savoye ,
méritoient la conſidération que cette
riche Heritiere a euë pour luy.
La grande dépenſe où l'engagent les
- Emplois qu'il a à la Guerre , ne luy
adonné aucun ſcrupule , & elle n'a
pû tenir pour defauts certaines remarques
ſur ſa conduite , qui ont
peut-eſtre ſervy à rompre un autre
deffein de Mariage qu'il avoit témoigné
avoir , avant qu'il épouſaſt
cette aimable & jeune Perſonne.
Comme l'étroite amitié qui a toujours
eſté entre leurs Familles , a
beaucoup contribué à cette Alliance
, ils font fort contens l'un de l'autre
, & vous jugez bien que ce ne
fut pas fans déplaiſir queM' le Marquis
de la Pierre s'éloigna quelques
jours apres ſes Nôces ; mais les ordres
de Madame Royale luy en firent
une neceffité , & il ne ſe pût difpenſer
de venir icy recevoir ceux de
Sa Majesté à l'égard des quatre Re
gi24
ERCURE
gimensPiémontois d'Infanteriedont
il a la direction & le commandement,
ayant la qualité de Brigadier
en France , &de Mareſchal de Camp
dans les Troupes de Savoye.
Ce n'eſt pas unpetit avantage que
de bien choiſir enſe mariant. Lere
pentir ſuit ſouvent cette forte de
Contract. Voyez dans ce Madrigal
les plaintes que font deux Dames ;
l'une d'avoir pris un Mary trop
vieux , & l'autre d'en avoir pris un
tropjeune.
3 MADRIGAL.
ON blâme d'un Mary la trop grande vieilleſſe ,
Et j'accuse du mien la trop grande jeuneſſe.
Vous , dans vos regrets fuperflus ,
Souvent vous vous plaignez d'avoir ce qui
n'est plus ;
Et dans l'ennuy qui me devore ,
Moy, je me plains d'avoir ce qui n'est point
encore.
Il n'y a que le Vin qui réjoüiffe
toûjours les Partiſans de Bacchus .
Voicy des Paroles qui leur plairont.
Elles
6
Pag. 25
ronds, leur vandan- ge, Chan-
1 ronds, leur van- dan- ge , Chan-
T
fins !
eurez chez nous , pleurez chez
GALANT .
25
Elles ont eſté faites fur les dernieres
Vendanges. L'Air eft de M'Rigault
de Tours.
AIR A BOIRE.
Gillot , Fanin , deux Biberons ,
Tous deux bien ronds ,
Et tous deux dignes de loiange,
Voyant couler leur vendange ,
Chantoient d'un tonjoyeux ; pleurez , ô doux
Raiſins ,
N'arreſtez point le cours d'une liqueur ſi cherc.
Pleurez chez nous , pleurez chez nos Voiſins,
Vous nesçauriez mieux faire.
Vos pleurs conſolent nos esprits
Par leur douceur, & par leurs charmes ;
Et nous dirons voyant vos larmes ,
Apres les pleurs viendront les ris .
L'ouverture des Audiences du
Parlement de Dijon fut fait le Jeudy
17 Novembre par M' Brulart
Premier Préſident. Cette grande
Charge qu'il exerce avec tout l'éclat
qui luy eſt deû , n'a rien qui ſoit au
deffus de ſa naiſſance , & il ſoûtient
glorieusement les avantages del'une
& de l'autre par un grand nombre
Decembre. B de
26 MERCURE
de qualitez encor plus éminentes
que le Rang qu'il tient. La recherche
de la Verité fut le fondement
de fon difcours. Il dit , Que toute l'étude
des Hommes doit s'emplover à la
découvrir , parce queſans elle tout n'est
qu'obscurité &confufion. Ilrepreſenta
aux Avocats , de la maniere du monde
la plus honneſte, Que leur ministere
exige beaucoup plus deſincérité que toute
autre Profeſſion , puis que les raiſons
dont ils tâchent d'appuyer le droit des
Parties , fervent à former la décision de
la plus grande partie des Fagemens. Il
ajoûta , Qu'on ne pouvoit diſconvenir
que l'Eloquence ne fust un grand agrément&
un moyen fort propre pour attirer
des applaudiſſemens à l'Orateur ;
mais que la Verité avoit cela de particulier
, qu'elle entraînoit tous les Eſprits.
Il meſla fort adroitement l'éloge du
Roy dans ſa Harangue, & il le fit
en peu de mots , & avec la derniere
juſteſſe. Il dit entr'autres chofes ,
Que la Verité estant l'ame des loüanges
qu'on
GALANT.
27
qu'on donne à l'admirable Vie de Sa
Majeste, fon Nom fera toûjours également
glorieux juſque dans la Pofterité la
plus éloignée, parce que la Verité n'est
Sujette ny à la vieilleße ny à la mort ,
&qu'elle durera au dela des ruines du
Monde. Il fit en ſuite une tres-belle
peinture de la laideur du Menſonge.
Il dit , Qu'il n'estoit jamais plus dangereux
que quand il avoit l'air& l'apparence
de la Verité; & finit en exhortant
les Avocats & les Procureurs
à ſe propoſer toûjours la bonne-foy
& cette meſme Verité pour regle de
leur conduite.
Cee,éloquent Difcours , dont je
ne vous rapporte que des penſées tresimparfaites
, & fans aucun ordre ,
fut prononcé d'un ton de voix , &
accompagné d'un air de grandeur &
de majesté , qui acheva de charmer
toute l'Affemblée.
M' l'Avocat General d'Aligny
parla auſſi fort éloquemment ſur
l'excellence de la Justice , & fur le
B2 mé.
28 MERCURE
mélange que les Juges doivent faire
du Droit& de l'Equité; mais comme
ila la voix foible, onperdit une
partie des belles chofes qu'il dit.
Avant que de vous faire quiter
Dijon , il faut vous apprendre ce
qui a eſté fait pour deux jeunes
Soeurs qui n'y ſont pas moins confiderées
par le mérite de leurs perſonnes
, que par les avantages de leur
naiſſance. Il ne faut qu'avoir des
yeux pour eftre convaincu de leur
beauté ; & ce quieſt ungrand charme
, elles ont l'eſprit auſſi bien fait
que le corps. L'Aînée eſt d'un blond
le plus beau qu'on ſe puiſſe figurer ;
la taille fine & aiſée ; une douceur
&une majeſté qu'on ne trouvepoint
ailleurs . La Cadete eſt brune , mais
d'un brun admirable ; le plus beau
teint & le plus vif qu'on aitjamais
veu ; les yeux d'un brillant à ne le
pouvoir ſoûtenir; les traits tous régulierement
beaux, la plus belle
bouche du monde, &des dents qui
fem-
1
GALANT .
29
2
5
femblent avoir eſté faites au tour.
Vous jugez bien qu'avec tant d'agrémens
, & de l'eſprit à proportion ,
elles s'attireroient une grande foule
d'Adorateurs , fi comme elles ont le
don de plaire , elles vouloient recevoir
des ſoins; mais elles ont une
Mere d'une vertu ſi éminente , &
d'une pieté ſi peu commune , que
l'exemple qu'elle leur donne , ne
leur permet qu'un tres-foible commerce
avec les Societez de plaiſir &
fde divertiſſement. Elles l'accompafgnent
dans toutes ſes devotions , &
font accoûtumées à cette forte de retraite
, qu'elles ne regardent point
comme unepeine ; mais quoy qu'elles
ayent peu l'uſage du monde , elles
ne laiſſent pas d'en avoir la délicateſſe.
Auſſi ſont-elles Filles d'un
☑ Homme poly , galant , éclairé , &
I qui eſt un des premiers Magiſtrats
11
1 de la Province. Outre ſa Charge
✔ qui luy donne beaucoup de rang, il
a un Employ qui fait tous les jours
B 3 con30
MERCURE
connoiſtre ſa fidelité par ſes ſervices,
&qui ne luy a pas moins acquis l'eftime
du Roy , que celle d'un grand
Miniſtre qui l'honore particulierement
de fon amitié. Ce Magiſtrat a
une Maiſondeplaiſance àtrois lieuës
de Dijon , des plus agreables qui ſe
voyent. Il aime paſſionnément la
Chaffe, & le plaiſir qu'ilyprend luy
fait avoir un équipage des plus fuperbes
, & tout ce que demande la
fuite de cette dépenſe. Ainſi le jour
de la S. Hubert derniere, il invita
toute la Nobleſſe de ſon voiſinage
de l'un& de l'autre Sexe d'en venir
folemnifer la Feſte chez luy. L'Afſemblée
fut grande. Les Dames s'y
trouverent en Jufte-au- corps & Perruques
fort magnifiques. On fervit
un Repas où la délicateffe & la propreté
diſputoient avec l'abondance.
Le Repas finy , on alla courre le
Cerf dans une Foreſt prochaine , où
l'on rencontra une Troupe de Chafſeurs
que l'ardeur de la Chaſſe avoit
meGALANT.
31
5
5
1
menez à plus de quatre lieuës du
Canton où ils demeuroient. Ils ne
ſe connoiffoient les uns ny les autres ,
quoy qu'ils fuffent tous d'une qualité
diftinguée. Cependant ceux qui
venoient pour prendre , ſe trouverent
pris. Deux Freres des plus qualifiez
de la Province ne pûrent voir
les deux charmantes Perſonnes dont
je vous ay parlé , fans eſtre touchez
de leur beauté , & ils le furent d'une
telle forte, qu'on peut dire que dés
*ce premier moment , ils en devinrent
éperdûment amoureux. Ils eurent
toûjours les yeux attachez fur
elles , leur dirent tout ce qu'ils pûrent
d'obligeant pendant un moment
qu'ils trouverent occaſion de leur
parler , & ne s'en ſéparerent qu'avec
beaucoup de chagrin , mais la nuit
qui s'approchoit les força de quiter
cette belle Troupe. Ils s'en retournerent
fort refveurs , & ne penſant
plus qu'aux moyens de revoir les
Belles. La retraite dans laquelle ils
B 4 ap32
MERCURE
apprirent qu'elles vivoient les fir
trembler. Ils vouloient chercher à
plaire. Il faut voir & parler pour y
réüſſir , & ils ne voyoient aucune
facilité à l'un ny à l'autre , quand ils
regardoient ces aimables Filles ſous
la conduite d'une Mere qui ne recevoit
ny Jeuneſſe ny Galanterie. Il
n'y avoit pas d'apparence de ſe hazarder
à aller chez elle , n'en eſtant
connus que de nom. Ainſi le ſeul
party qu'ils virent à prendre, fut de
rendre viſite àune Dame deleur connoiſſance,
qui eftant voiſine des
Belles , pouvoit leur faciliter quelque
accés dans cette Maiſon. Apres
les premieres civilitez , on mit la
rencontre de la Chaſſe ſur le tapis .
Qn parla de toutes les Dames qui
avoient eſté de cette belle Partie ; &
quand on tomba fur le chapitre des
charmantes Soeurs , les Cavaliers
poufferent la matiere avec tant d'empreſſement
& de chaleur , qu'il ne
fut pas difficile de penetrer qu'elles
leur
GALANT
33
leur tenoient fortement au coeur.
Ils avoüérent de bonne- foy qu'ils
n'avoient pû s'empeſcher d'eſtre pris
par ces deux aimables Chaſſereſſes ;
&dans la paſſion de les connoiſtre
un peu davantage pour ſçavoir s'ils
ſeroient affez heureux pour ne leur
déplaire pas , ils propoſerent d'aller
rendre viſite à toute cette Illuſtre
Famille , & prierent leur Amie de
les preſenter. Elle réſiſta quelque
temps à ce qu'ils la conjuroient de
faire pour eux , fur la connoiffance
qu'elle avoit du caractere de la Mere
qui ne ſouffroit pas volontiers les
viſites de jeunes Gens ; mais fon
Mary vainquit ſes ſcrupules , & comme
la Dame qu'elle craignoit de fâ.
cher eſt devote , il s'aviſa d'intro--
duire les Cavaliers en les habillant ™
en Pelerins. Il prit le meſme équi--
page. Sa Femme s'habilla auſſi en
Pelerine avec deux ou trois de ſes:
Amies. Ils estoient propres , quoy
qu'ils n'euffent rien qui démentiſt-ce
B5 qu'ils
(
34
MERCURE
qu'ils vouloient qu'on les cruſt.
Dans ce déguiſement , ils allerent
rendre leur viſite , chantant la chanſon
de S. Jacques au milieu de la
court. Ainfi on nedoutapoint qu'ils
ne fuffent de vrais Pelerins. On les
regarda par les feneftres , & apres les
avoir laiſſé chanter plus d'une demyheure
, on leur envoya un Ecu blanc.
La Dame qui s'eſtoit chargée de les
introduire , ſe mit à rire d'une fi
grande forcede la charité qu'on leur
faiſoit, qu'elle fut aisément reconnuë.
Tout le monde deſcendit pour
venir recevoir les Pelerins & les Pelerines.
Les deux Freres furent reçeus
forthonneſtement..Apres qu'on
le fut diverty quelque temps à dire
d'agreables choſes fur l'équipage
qu'ils avoient pris , on fit ſervir la
Collation . Elle fut de la derniere
magnificence , mais les deux Freres
n'en connurent rien; ils n'avoient
des yeux que pour les Belles quiles
charmoient. Ils profiterent de cette
ос-
GALANT .
35
P
i
+
occafion de leur parler autant que la
bien- ſeance le pût permettre , & revinrent
de leur Pelerinage plus amoureux
qu'on ne l'a jamais efté . L'efprit
de ces admirables Filles ne les
avoit pas moins touchez , qu'un je
ne ſçay quel air modefte & majeſtueux
tout enſemble , dont leur beauté
eſtoit ſoûtenuë . Ainſi la paſſion
qu'ils ſentoient pour elles s'eſtant
augmentée , ils mirent tous leurs
foins à tâcher, de ſe rendre agreables ,
en contribuant le plus qu'il pourroient
à leur plaiſirs , pendant qu'elles
ſeroient à la Campagne. Dans ce
deſſein , ils prierent leur Amie d'agréer
qu'on fiſt une nouvelle Partie
qui fuſt un peu du bon air. Elle y
confentit. Apres differens projets ,
on s'arreſta à celuy de mener une
Nôce de Village , & de parer une
Epousée à la mode de Bourgogne.
On prit une Païfane des plus laides,
âgée d'environ quatre-vingts ans .
On la coëffa avec un Tour de la
B6 bon-
A
36 MERCURE
;
bonne Faiſeuſe; quantité de Pierreries
; force mouches ſur ſon viſage;
un habit de Brocard d'or bleu , &
la Jupe de la meſme parure. On fit
accommoder une maniere de Chariot
fort grand & fort vaſte , au haut duquel
on plaça cette Epousée comme
entriomphe. Les Dames & Demoiſelles
qui estoient de cette Partie ,
toutes habillées à la païſane fort proprement
&fort galamment , eſtoient
auſſi ſur ce Chariot , qu'on avoit
garny de Citronniers , d'Orangers ,
de Mirthes & de Lauriers. Ily avoit
du moins cinq cens Citrons nouveaux
, & autant d'Oranges nouvelles,
le tout attaché ſur les verdures de ce
Chariot avec des rubans ; mais d'une
maniere ſi propre , qu'il ſembloit que
ces Rubans ne ferviſſent que d'embelliffement
, & que les fruits fufſent
naturels aux Arbres . Ony avoit
ajoûté un tres- grand nombre d'Oranges
& de Citrons confits , entremelez
avec les autres de toutes fortes
de
GALANT .
37
i
L
de Confitures ſeches , qui peuvent
eftre attachées. Ce Chariot eſtoit traîné
par ſix Chevaux enharnachez auſſi
de Rubans & de verdure. Les Cavaliers
avoient pris auſſi l'équipage de
Païfans ; & comme on avoit mis des
Refnes de taffetas de toutes couleurs
autour du Chariot , ils ſuivoient de
chaque coſté , tenant chacun une
Guide d'une main , & uneHoulete
de l'autre. Douze Hautbois , & autant
de petits Tambours, précedoient
le Chariot , & tous eſtoient habillez
de verdure. On arrivadans cet ordre
chez le Pere des Belles , qui ayant
entendu dire quelque choſe de la
Partie qu'on devoit exécuter , s'eftoit
préparé à recevoir cette belle
Troupe à fon ordinaire , c'eſt àdire
avec une tres-grande magnificence.
Les deux aimables Perſonnes pour
qui ſe faifoit la Feſte , avoient eu
permiffion de s'habiller auſſi en Paаї-
ſanes. Elles ne parurent pas moins
brillantes dans cet équipage auxyeux
B7 des
38 MERCURE
1
des deux Cavaliers , qu'elles leur
avoient paru d'abord dans celuy de
Chaſſereſſes. Ils eurent quelque liberté
de leur parler en danſant. La
Collation fut ſervie , & en ſuite un
tres- grand Soupé. Je ne ſçay ce qui
arrivera du reſte. Cette paſſion fait
bruit, & ces fortes de galanteries
d'éclat ſentent fort le Mariage. Si
j'en apprens quelque choſe , je vous
le feray ſçavoir , & vous nommeray
alors les illuftres Perſonnes qui ont
partà ce que je vous viens de conter.
En attendant , je vous envoye un
Contract de liaiſon , paffé pardevant
l'Eſprit & le Coeur, qui font les
deux plus zélez Miniſtres dont l'Amour
ait accoutumé de ſe ſervir.
CONTRACT
GALANT.
Pardevant Nous , Miniſtres de l'Amour ,
Sous -fignez , réſidens dans l'lfle de Cythere ,
Et commis par ce Dieu dans cet heureuxfejour ,
Pour recevoir avec ce caractere
Des
GALANT.
39
2
1
1
5
Des fideles Amans les fermens ſolemnels ,
Et les unir apres par des noeuds eternels .
Furent prefens le Berger Clidamis ,
Demeurant aujourd'huy dans l'Iſle de Thémis ,
D'unepart , &laſage & charmante Iſabelle ,
Spirituelle encore plus que belle ,
Fille du Docteur Dorimont ,
Que fait sa réſidence au bas du ſacré Mont.
Ce Berger & cette Bergere ,
Accompagnez de leurs plus cher Amis ,
Se font de leur pleingré l'un à l'autre promis
Une foy constante & fincere ,
Et devaut tous ont preſté le ferment
De s'aimer eternellement .
Sous de commodes Loix d'un heureux Hymenée .
Cet aimable couple d'Amans ,
Pour bannir toute crainte , & fuir cent vains
tourmens ,
Ont par cet Acte uny leur destinée ,
Et prenant deformais la qualité d'Epoux ,
En prendront , s'il leur plaiſt , les plaiſirs les
plus doux.
• L'Epoux futur apporte à la Communauté
Un grand fond de tendreſſe & de fincerité
Qu'il a reçeu de la Nature :
Sur ce fond qu'avec ſoin il a ſçeu ménager ,
Et qu'en vain l'on tacha de luy faireengager .
Il affigne la Dot de l'Epouse future.
Item
40 MERCURE
Item, un autre fond degrande Complaisance ,
Semé dePetits-foins , meſlez de Belle-humeur ,
Clos tout autour d'un mur de Bienſeance
Et d'un profond Foſſé d'Honneur ;
C'est là le plus riche heritage
Qu'il ait de fes Parens reçeu pourſonpartage.
La Future de fon costé
Apporte pour ſa Dot un grandfond de Sageſſe ,
Qui rapporte par sa borté ,
Et beaucoup de Pudeur , & beaucoup deTendreffe
;
Mais pour n'en point mentir , au raport des
Témoins,
La derniere n'y croiſt qu'avec d'extrémesfoins .
Item, un tres-grand fond d'Esprit ,
Orné de beaux Discours rangez avec juſteſſe ,
Un champ libre & facile à coucher par écrit ,
Qui naturellement produit la politeſſe ,
Et mille beaux talens qu'elle poſſede encor ,
Qui valent un riche trésor.
L'Epoux accorde à l'Epouſe qu'il aime ,
Par préciput , le choix de leurs plaiſirs ,
Et par un rare effet de ſon amour extréme ,
Luyfoûmettantjuſques àſes defirs ,
Luy permet de donner des termes à ſa flame ,
Pour n'avoir en deux corps qu'un seul coeur
& qu'une ame.
Pour éviter toute raiſon de craindre
: Cer
1
GALANT . 41
1
:
Certains reproches déplaifans ,
Et tout prétexte de fe plaindre ,
Dont les nouveaux Epoux font rarement
exemts ,
D'autant que les Futurs en connoiſſent la cauſe ,
De l'an &jour ils adjoutent la Clause.
C'est à dire que dans ce temps ,
S'ils ne sont pas l'un de l'autre contens ,
Ils pourront fans façon rompre fi bon leur
semble;
Car il vaut mieux alorsſe quitter librement ,
Qu'attendre avec chagrin qu'un lugubre moment
Defunifſſe deux Corps qu'un triſte Hymen affemble.
Sans doute l'on fera de merveilleux progrés ,
Si l'on prévient ainſe les defordres fecrets ,
Que souvent l'imprudence ou l'interest fait
naiſtre :
Et pourquoy voyons- nous tant de Gens s'abufer ?
C'est qu'ils ne pensent pas qu'avant que s'époufer
,
Il faut se voir longtemps afin de se connoiſtre.
Signé , CLIDAMIS & ISABELLE Parties.
MELITON & ADAMAS , Témoins .
ESPRIT & LE Coeur , Notaires,
Onapublié la paix avec laHollande
dans toutes les Villes du Royau
me;
42 MERCURE
me ; mais cette Publication ne s'eſt
faite dans aucune avec plus de pompequedans
Montpellier. Voicy l'ordre
qui y fut tenu. Six Valets de
Confuls , marchoient d'abord à pied
avec leurs Pertuiſanes , ſuivis de fix
Efcudiers à Cheval , en Robes rouges
, & ayant leurs longues Maffes
d'argent. Apres venoient ſix Trompetes
auſſi à cheval , fix Hautbois à
pied , la grande Bande des Violons ,
& fixTambours. Ils precedoient les
Huiſſieurs du Seneſchal , qui venoient
ſuivis de deux Greffiers en
Robe & Bonnet comme eux. Ces
deux Greffiers publierent la Paix dans
tous les Coins & Carfours de la Ville
, chacun eftant découvert pendant
qu'ils liſoient ce qui donnoit tant
dejoye à tout le monde. Le Juge
Mage venoit apres eux. Il eſtoit à
cheval , en Robe rouge & en Bonnet
, à la droite du Premier Conful,
ſuivy des cinq autres Confuls ,
dans le mefme ordre. Les Confuls
MaGALANT
.
43
-
5
5
5
-
Majeurs ayant paffé ( on donne ce
nom à ceux de la Ville) on vit paroître
les Confuls de Mer. Ilsavoient
leur Chaperon , & eſtoient precédez
d'un Timbalier veſtu de bleu.
Je ne vous parle point de la plupart
de la Bourgeoiſieà cheval , qui ſuivoit
en foule. Cette Cavalcade eſtoit
fermée par les jeunes Gens de la Ville
, au nombre de plus de deux cens ,
tous tres-propres , & encor mieux
montez. Ils portoient chacun un
Tour de plumes bleuës , & estoient
ceintsde magnifiques Echarpes. Leur
Chef marchoit le premier , ayant le
Guidon attaché à ſon coſté . Les Armes
du Roy & de la Villey estoient
peintes. Ils pafferent par toutes les
Ruës dans l'ordre que je viens de
vous marquer , faiſant grand feu de
leurs Piſtolets. Le ſoir, les fix Sixains
qui font les Artiſans , ſe mirent
ſous les Armes pour aſſiſter au
Feu de joye qui ſe fit devant la Maiſon
de Ville , à la fanfare de tous les
In44
MERCURE
Inſtrumens queje vousay nommez ,
& au bruit de tous les Canons de la
Citadelle. Chaque Habitant fit un
Feu devant ſa Maiſon. Il y avoit
des lumieres à toutes les Fenestres ,
&jamais il n'y eut une nuit mieux
éclairée.
Autre Marche qui s'eſt faite pour
la Reception de Madame la Comteſſe
de S. Vallier , à la Ville qui
porte ce nom. Tous les Bourgeois
allerent au devant d'elle , juſqu'à
deux lieües , habillez en Arméniens ,
avec le Tambour & la Muſete. Le
Principal eſtoit à leur teſte. Il la
vint complimenter à ſon Carroffe ,
&en ſuite toute cette Troupe luy
ſervit d'eſcorte. En approchant de
Thein , qui eſt une petite Ville à
une lieüe de S. Vallier , elle trouva
quatre Compagnies d'Infaiterie qui
la falüérent de trois ou quatre cens
coups de Mouſquet , & qui formerentune
maniered'Arrieregarde dont
elle fut accompagnée dans le reſte
du
GALANT.
45
5
du chemin. Elle arriva enfin en un
lieu nommé Serve, qui n'eſt qu'à
un quart de lieüe de S. Vallier. On
la pria des'y arreſter , & elley trouva
une magnifique Collation , qui
- luy fut ſervie au bruit du Canondu
Chaſteau , d'où l'on fit pluſieurs ſalves.
A peine fut elle à quatre cens
pas dece lieu , qu'elle rencontraquatre
autres Compagnies d'Infanterie ,
qui la régalerent d'une pareille décharge
que les premieres , & qui ſe
joignant avec celles , compoſerent
une maniere de petite Arméede neuf
cens Hommes. Ils l'eſcorterent jufqu'à
fon Chaſteau deS. Vallier , autour
duquel l'Eſcadron d'Arméniens
firent pluſieurs décharges. La
Feſte finit par un grand Feu d'artifice
, & par quantité de Fuſées volantes.
Le lendemain , la meſme
Troupe d'Arméniens vint ſalüer fa
Maiſtreffe , & luy fit preſent de
quelques Ouvrages des Abeilles de
leur Païs. Celuy qui estoit à leur
tefte
A
1
46 MERCURE
teſte luy fit un Compliment qui en
fut tres-bien reçeu .
Je reviens à la Publication de la
Paix. Si toſt qu'elle eut eſté faite à
Saumur , M' des Hayes Lieutenant
de Roy , reçeut ordre de faire allumer
des Feux de joye. Lejour qui
fut choiſy pour cette Cerémonie
eſtant arrivé , tous les Ordres de la
Ville s'affemblerent dans l'Egliſe de
S. Pierre. On y chanta la leTeDeum ,
avec un grand nombre de Voix &
d'Inſtrumens , apres quoy on marcha
au fon des Trompetes vers le
Feu qui avoit eſté preparé , & qui
fut allumé par M" le Lieutenant de
Roy , le Maire , & les Echevins de
la Ville. Les cris de Vive le Roy ſe
firent auſſi - toſt entendre. Les Canons
du Chaſteau leur répondirent ,
& à peine eurent-ils ceffé de tirer ,
qu'on vit éclater un Feu d'artifice.
Mille Fuſées volantes parurent en
l'air dans le meſme temps , & finirent
une Feſte qui fut celébrée avec
touGALANT
.
47
e
toutes les démonstrations de joye ,
qu'exige la reconnoiffance qu'on
doit aux bontez que le Roy témoigne
avoir pour ſes Peuples.
On a fait auſſi à Romorantin en
- Berry , de grandes réjoüiſſances pour
la meſme occaſion. Afin que tout
le monde puſt prendre part aux divertiſſemens
préparez , & entendre
les loüanges du Roy , on fit dreffer
un Theatre , non pas dans une Salle
, mais dans la grande Court du
Chaſteau . Les Portraits de Sa Majefté
, de Son Alteſſe Royale , & de
tous ceux qui ſe ſont ſignalez pendant
le cours de cette Guerre , en
faifoient les ornemens . Ils eſtoient
ſeparez par des Feſtons , des Tro-
- phées , des Diviſes & des Inſcriptions
à leur gloire . On recita fur ce Théatre
pluſieurs Poëmes en l'honneur
du Roy. Comme la matiere en eſtoit
toute merveilleuse , il ne faut pas
s'étonner ſi on y trouvoit à chaque
moment de juſtes ſujets d'admiration.
48 MERCURE
!
1
tion. Le plaiſir qu'en reſſentirent les
Auditeurs fut ſuivy de celuy que
leur cauſa un tres-beau Feu d'artifice.
Il eſtoit d'une hauteur fi extraordinaire
, qu'on n'en avoit point
encor veu de ſemblable. Les Habitans
en firent en ſuite devant leurs
Maiſons , & les acclamations de
Vive leRoy furent ſi grandes & fi fréquentes;
qu'elles rendoient un ſfenſible
témoignagne de l'amour que
ce Peuple a pour Sa Majesté.
Jevous ay parlé trop fouvent des
cures merveilleuſes qui ont eſté faites
par les Capucins du Louvre ,
pour ne vous pas faire voir leur Laboratoire.
Je l'ay fait graver. Examinez-
le dans cette Planche , &
vous ferez convaincuë que ce n'eft
pasſans travaillerbeaucoup , & fans
ſe donner de grands fatigues , que
ces charitables Peres ont guéry tant
de Fievres , & tant d'autres maux
pour leſquels on avoit crû juſqu'icy
que la Medecine manquoit de Reme4
978
wvre
yomaus
Dr.Lib
tianPfal. 18
G

GALANT .
49
medes. J'ajoûte l'explication des Pieces
principales qui compoſent ce
Laboratoire , ſelon l'ordre du chiffre
que vous trouverez marqué dans
la Planché .
e Fourneau à Lampes , dont on
voit l'intérieur . Il eſt de trois étages
, pour contenir, davantage de
matras.
2. Deux Lampes, où il y a trois
méches , qui peuvent contenir une
pinte d'Huile.
3. Plaque de fer blanc , percée
en pluſieurs endroits , pour rompre
la pointe du feu des méches.
4. Baffins de fer blanc , longs de
deux pieds ou environ , & hauts
d'un demy , pour contenir les cendres
où ſont les matras figillez hermétiquement
, comme l'on voit au
chiffre 5 .
6. Regiſtre ſitué entre quatre autres
, de quatre étages diférens , pour
la graduation du feu.
7. & 8 , Quatre Regiſtres fituez
Decembre. C aux
/
50
MERCURE
aux quatre angles ovales du couvercle
du Fourneau..
9. Spatules, Crochets , & autres
Inſtrumens propres à travailler autour
des Fourneaux.
10. & 11. Refrigerans de cuivre ,
d'un uſage ordinaire.
12. Grand Alhanor de huitpieds
de long, fait à l'Egyptienne , où
l'on voit une Tour double en dedans
qui partage le charbon dans
chacundes baffins qui ſont aux deux
coſtez en ligne directe , & qui
échauffe en meſme temps deux autres
petits Baſſins en flanc , qui ſont
deuxBains-marie , où l'on peut mettre
deux grandes Cucurbites avec
leurs chapiteaux.
13. Les deux Bains-marie , où le
feu eſt gradué par les Regiſtres qui
font triples pour ce ſujet.
14. Deux grands Baſſins , dont
l'un eſt remply de cendres , & l'autre
de ſable , pourdes opérations diférentes
, felon le génie de l'Artiſte
inGALANT
.
51
induſtrieux. B. B. B. B. Regiſtres triples
pour la graduation du feu.
15. La grande Tour , dont il eſt
- parlé au chifre 12 .
16. Couvercle de la Tour . AA .
eſpece d'Etuve propre à faire un feu
dedigestion , qui fait l'étenduë des
grands Baffins 13 & qui n'eſt échauffée
que par la Plaque de fer qui foûtient
les cendres , qui communique
un feu égal.
17. Deux grands Refrigerans. D.
Fourneau tout d'une piece qui peut
ſervir à faire un feu de fuſion , &c.
18. Grand Bain- marie quarré ,
où il y a quatre grandes ouvertures
faites dans le Chaudron , & quiparoiffent
à ſon couvercle , où l'on
met quatre grandes Cucurbites.
19.20 . & 21. Planches qui ſoûtiennent
pluſieurs Vaiſſeaux de verre
de diférente figure.
22. Robinet qui monte dans le
Laboratoire , & qui fournit de l'eau
pour l'uſage.
C2
Je
52
MERCURE
A
Je vous ay toûjours veu rechercher
les Airs de Mª de Bacilly avec
tant de ſoin, que'j'ay lieu de croire
que vous ne ferez pas fachée d'en
voir un de la compoſition de M
Daniel , qu'il a choiſy comme un
digne Sujet pour luy mettre entre
les mains tout ce qu'il avoit de Gens
de la premiere qualité à inſtruire dans
la belle maniere de chanter. Vous
ſcavez , Madame , que peu de Perfonnes
en ont une connoiſſance auſſi
parfaite que M' de Bacilly , & qu'il
ena meſme fait unTraité fort utile
àceux qui veulent parler en public ,
àcauſe des Regles de prononciation ,
& de quantité de choſes tres-curieuſement
remarquées. Le choix qu'il
a fait de M' Daniel pour luy donner
toutes ſes pratiques , en luy faifant
épouſer une de ſes Niéces , vous
fait connoiſtre qu'il eſtoit fortement
perfuadé de ſon mérite. Auſſi celuy
dont je vous parle eft-il dans une
grande réputation ſoit pour le fond
de
et
W
لا
1
D
En vain vous m'ordo
dre ? Lors que l'one
T T
roiffe de l'indi- feren- (
Decembre.
10-
Pag. 53
T

jaloux Que nous avons à crain-
T
Il eſt mal-ayſe que l'amour Pace.
GALANT .
53
- de la Muſique , ſoit pour la compoſition
des Parties , pour le génie
de faire de tres -beaux Airs , & fur
tout pour la noble & agreable exécution
du Chant. Vous en jugerez
par ces Paroles qu'il a notées.
AIR NOUVEAU.
En vain vous m'ordonnez de feindre
De l'indiférence pour vous ,
Pour tromper les Faloux .
Que nous avons à craindre.
Lors que l'on joüit chaque jour
Des charmes de voſtre préſence ,
Il est malaiſe que l'amour
Paroiſſe de l'indiférence.
Tandis que nous ſommes ſur la
Muſique , il faut vous apprendre ,
Madame, à vous qui en faites un
de vos plus grands plaitirs , qu'on
vient de faire graver une Table pour
apprendre en fort peu de temps à
toucher le Theorbe ſur la Baffe-continuë
. Elle ſe vend chez M Ballard
, ſeul Imprimeur de la Mufique
du Roy , & eſt faite d'une ma--
C3
niere
54 MERCURE
niere qui ne la rend pas moins utile
pour les Etrangers que pour nous ,
en ce que la Muſique, ſes Chifres ,
&la Tablature dont ileſt fait mention
dans cet Ouvrage , ne diférent
en aucune forte , ny de la Mufique,
ny des Chifres , ny de la Tablature
du Theorbe , dont on ſe ſert
ordinairement en Italie , en Allemagne,
en Eſpagne & en Angleterre.
Joignez à cela qu'elle donne des
Regles auſſi bien ſans Chifres qu'avec
des Chifres , & qu'ainſi on peut
s'inſtruire aisément ſoy-meſme ſans
aucun ſecours de l'Autheur. Il s'appelleM'
Fleury. La façon dont vous
trouverez cette Table diſpoſée vous
perfuadera aifément de la parfaite intelligence
qu'il a de la Muſique. Le
diſcours qu'ily fait entrer , n'eſt remply
que de termes qui luy ſont propres,
&ce meſmediſcours eſt éclaircy
par des Exemples aiſez qui ne laiſſent
aucun embarras à ceux qui ont les
premieres teintures de cette Science.
On
GALANT.
55
ان
5
On imprime auſſi un Traité fort
curieux , & utile à tous les amateurs
de la Symphonie , par les premieres
ouvertures qu'il donne pour la nouvelle
invention Françoiſe des Sautereaux
à Languetes Impériales , perpetuelles
, infatigables , non fufceptibles
des inconſtances du temps ,
ny ſujetes aux ſoïes de Porc. Les
Languetes de bois & du plumage
ordinaire estoient d'une matiere poreuſe
& fragile qui les aſſujetifſſoità
de grandes varietez , & c'eſtoit pour
cela qu'on les appelloit avec beaucoup
de raiſon la ſource de toutes
les ſujettions journalieres & ennuyeuſes
qui arrivoient au Claveſſin ,
& qui en dégouſtoient ceux quil'eſtimoient
le plus. Par le moyen des
Sautereaux dont je vous parle, cet
Inſtrument va eſtre dans le point de
perfection , quia eſtéjuſqu'à aujourd'huy
ſouhaité de tout le monde , &
inutilement recherché par les plus
grands Maiſtres de l'Art , tant Etran-
C 4 gers
1
56 MERCURE
gersque François. Comme cette nouvelle
Invention regarde tout enſemble
& la Symphonie & les Arts , le
Roy a eu la bonté de ſoufrir qu'on
luy en ait fait voir le premier efſay.
L'utilité n'en eſt pas ſeulement fort
grande , à cauſe que ces Sautereaux
ſont ſtables , & qu'ils n'aſſerviſſent
point aux ſujettions ordinaires , mais
encor parce qu'ils font trouver au
Claveffin les mesmes Clavieres ſur
les meſmes Cordes , & enfin une diverſité
d'harmonie qui le rend doublement
conſidérable , ſans qu'il y
ait ny augmentation ny embarras ,
c'eſt à dire , que les Jeux doux s'y
rencontrent avec les Jeux brillans ,
& qu'on ſe peut fatisfaire diverſement
felon ſon génie. Ainſi leClaveſſin
accompagnera toute forte de
Voix & de Muſique Inſtrumentale.
Il ſera univerſel pour tous les Concerts
qu'on voudra faire , & l'un des
plus accomplis de tous les Inſtrumens
deMuſique.
Nous
GALANT.
57
t
Nous avons perdu depuis peu de
jours un des plus grands Hommes
dans ſa Profeſſion que la France ait
eu depuis fort longtemps. C'eſt le
fameux M' de Nanteüil , auffi Illuſtre
par fon Burin& par ſon Paſtel ,
que les plus excellens Peintres de
P'Antiquité l'ont eſté par leur Pinceau
, & les plus renommez Statuaires
par leur Ciſeau. Il eſtoit de
Rheims , & eſt mort âgé de cinquante-
cinq ans. La plupart des
Princes de l'Europe ont voulu avoir
leur Portrait fait de ſa main en Paſtel.
Ceux qu'il a faits au Burin eſtaut
publics , parlent affez à ſa gloire ,
fans que j'y doive rien ajoûter. Il a
eu l'honneur de faire ſouvent celuy
du Roy ; & commeil avoit l'eſprit
fort agreable , & que Sa Majefté ne
- dédaignoit pas de l'écouter , il luy
recita les Vers qui fuivent , un peu
avant fa mort , pour luy demander
du temps ſur un nouveau Portrait
qu'il enrreprenoit.
1
C5 VERS
1
58 MERCUREVERS
DE M DE NANTEUIL,
AU RΟΥ.
Apres les Actions qui vous couvrentdegloire ,
Apres tant de Faits éclatans ,
Il me faudroit , Grand Roy , donner un peu
de temps.
Pour rendre voſtre Image égale à voſtre Hiſtoire.
On verroit dans les traits de Voſtre Majesté
Une Grandeur parfaite unie à la Bonté ;
Cefoûrissi charmant , cet air fi magnanime,
Ces mouvemens cauſez par un Esprit fublime ,
Et tout ce qui compose & fait voir à la fois
Dans un Homme, un Grand Homme, &
le plus grands des Rois.
Mais pourquoy dans mes Vers achever vostre
Image?
Tant d'Ecrivains fur moy n'ont-ils pas l'avantage,
Quand nul autre Graveur par sa dexterité
Ne peut vous consacrer à la Poſterité?
Je me puis bien vanter , brûlant d'un zele
extréme ,
Jefçay mon Art , &j'aime.
Ainfi dans cet Ouvrage on pourra voirunjour
Ceque peuvent enſemble & l'adreſſe&l'amour.
Excusez ce transport, &pardonnez moy, Sire,
Ce qu'un Sujet fidele a bien ofé vous dire.
Tous
GALANT .
ر و
Tous les Princes qui connoiſſent
le beaux Arts , & qui les aiment ,
avoient beaucoup d'eſtime pour M'
de Nanteüil ; & Monfieur le Grand
Duc entretenoit le S' Dominique au-
• pres de luy , afin qu'il appriſt quelque
choſe d'un ſi grand Homme ,
& qu'il puſt un jour faire honneur
à la Toſcane.
En attendant queje puiſſe m'acquiter
de la parole que je vous ay
donnée de vous entretenir à fondde
l'établiſſement de Invalides , j'ay à
vous apprendre la mortde M' Dormoy
, qui estoit Gouverneur de cette
Maiſon. Monfieur le Marquis de
- Louvoys l'honoroit d'une eſtime
particuliere. Cette Place a eſté remplie
par M. de S. Martin. C'eſt un
Employ qui demande un Homme
qui joigne beaucoup d'intelligence à
-de grands talens pour la Guerre ; car
quoy qu'il n'y ait point d'Ennemis
àredouter , ny de Siege à craindre ,
il faut neantmoins avoir autant de
C6
pru
60 MERCURE
prudence que de conduite , pour
gouverner un grand nombre de braves
Gens qui ne font là que pour
'avoir eu beaucoup de valeur & de
courage.
Mr du Tronchet Conſeiller honoraire
au Parlement , & Frere de
M' du Tronchet Préſident aux Enqueſtes
, eſt mort auſſy. Cette Famille
a toûjours eſté fort estimée ,
& avec beaucoup de juſtice.
Je ne puis finir cette matiere ,
fans m'accuſer moy-meſme d'avoir
fait mourir un tres-galantHomme ,
qui eſt encor plein de vie , & qui
mérite fort d'en joüir longtemps.
C'eſt M de S. Hilaire le Pere. IL
eſt vray qu'il eut le bras emporté du
mefme coup de Canon qui nous fit
perdre M' de Turenne , mais il en
fut quitte pour cela ; & ce fut luy ,
& non pas fon Fils, qui n'avoit
que vingt& un an quand il fut tué ,
que Sa Majefté honora du Brevet de
Mareſchal de Camp. Quand je fais
des
GALANT.. 61
-
des crimes de la naturè de celuy dont
je m'accuſe , j'ay toûjours quelques
Complices , & ce font , ou ceux qui
n'ont pas eſté affez bien inſtruits des
nouvelles qu'ils me donnent , ou
ceux qui s'expliquent ſi peu intelligiblement
, que le ſens de leurs Mé-
-moires paroiſt tout contraire à ce
- qu'ils ont deſſein de me faire entendre.
Quoy qu'il en ſoit , il eſt certain
que M' de S. Hilaire vit encor
, & je le reſſuſcite avec grande
joye , apres l'avoir tué fort inno-
1
cemment.
Puis que je fuis devenu voſtre Hiſtorien
, je ne doy pas vous parler
ſeulement des chofes qui arrivent de
jour en jour dans le monde, mais
encor de celles qui font tant d'éelat,
qu'ily auroit de l'affectation à
ne vous en point entretenir. Lanouvelle
Comédie qui paroiſt depuis
quelque temps fur le Théatre des
-Italiens eft de ce nombre. Elle est
intitulée la Magie Naturelle , ou la
C7 Ma62
MERCURE
Magie Sans Magie. Je ne vous en
puis dire autre choſe, ſinon quec'eſt
un Enchantement. On y vient en
foule. Chacun s'en demande la raifon
, & court où il voit courir les
autres. Tout le monde y rit; les
uns , de la Piece; les autres , de voir
tant de Rieurs , &peut- eſtre les Comédiens
riënt des uns & des autres.
Sans la maladie de M' de Lully qui.
a reculé l'Opéra nouveau qu'ilnous
doit donner cet Hyver , il auroit
bientoft fon tour , & je ne doute
point qu'on n'euſt peine à trouver
place dans la Salle du Palais Royal.
Les Triomphes de Bellérophon en
font le Sujet. La victoire qu'il remporta
ſur la Chimere , compofée de
trois Monſtres diférens , eſt une de
ces ſurprenantes actions qui n'appartiennent
qu'aux plus grands Héros.
Nous n'aurons la Repréſentationde
cetOpéraque dans les derniers jours
du Mois prochain. Quelques Perſonnes
qui en ont entendu répeter
les
GALANT.
63
1
5
ef
1.
S
d
les premiers Actes , m'ont parlé fi
avantageuſement de la Muſique,
que je ne doute point qu'elle ne ſoit
le Chef-d'oeuvre de M'de Lully. Ils
font & bons Connoiffeurs, &dignes
de foy ; & quand ils loüent quelque
Ouvrage , on peut dire qu'il mérite
d'eſtre loüé .
M' Moliere a fait auſſi une maniere
de petit Opéra qu'il donne en
concert chez luy tous les Jeudis depuis
fix ſemaines. Les Aſſemblées y
font toûjours plus Illuſtres que nombreuſes
, le lieu eſtant trop petit pour
contenir tous ceux qui viennent y
demander place. Les Vers en font
naturels, coulans, &propres à eſtre
chantez . Andromede attachée au
Rocher , & délivrée par Perſée , en
eft le Sujet. Cette malheureuſe Princeſſe
eſt repreſentée par Mademoifelle
Itié , Fille de M' Moliere , qui
chante avectoute la juſteſſe poſſible.
Mademoiſelle Siglas , qui fait le perfonnage
de la Mere , entre dans tous
les
25
64 MERCURE
les mouvemens de la paffion , &conduit
ſa voix avec beaucoup d'agrément.
Perfée vient ſecourir la Princeffe.
Il eſt repreſenté par M de
Longueil , un des meilleurs Maiſtres
que nous ayons pour aprendre à bien
chanter , & qui fait les plus habiles
Ecoliers. La Symphonie eſt agreablement
diverſifiée , ſelon les diférentes
paſſions qui ſe doivent exprimer.
La merveille de noſtre Siecle ,
la petite Mademoiſelle Jaquier , y
touche le Claveſſin , & ce charmant
Divertiſſement finit par un Airque
chante une Demoiselle de Normandie
qui a la voix admirable. Il feroit
affurément difficile d'en trouver
une plus touchante , d'un plus
beau fon , & d'une auffi grande étendue.
Ce que cette Demoisellea d'avantageux
, c'eſt qu'elle eſt faite d'une
maniere à ſe faire regarder avec autant
de plaiſir , qu'on en peut recevoir
à l'écouter. Voicy les Paroles
de l'Air qu'elle chante.
Amans,
GALAΝ΄Τ . 65
-
Amans , qui chériſſez vos chaînes ,
Ne vous rebutez point des peines
Dont les timides coeurs ſe trouvent alarmez ;
Et pour forcer les plus puiſſans obstacles ...
Perſeverez , l'Amour est le Dieu des Miracles ,
Vous vaincrez tout , ſo vous aimez .
Ily a quelques jours que cetOpéra
fut chanté au Louvre pour Madame
de Thiange, en préſence de
Monfieur le Duc , & de pluſieurs
Dames du premier rang. M' Moliere
reçeût de toute cette illuſtre Af-
- ſemblée les applaudiſſemens qui luy
= font deûs & pour la beauté de ſon
Ouvrage , &pour lejuſte choix qu'il
a fait des belles Voix qui luy don-.
nent tant d'agrément.
A propos de belles Voix , M'de
d'Eſtival eſt mort , & le Roy a perdu
un de ſes grands Muſiciens en
ſa perſonne. 1
Feu M' le Premier Préſident de
Lamoignon ayant défendu par fon
Teftament qu'on luy fiſt aucune
Oraiſon Funebre , on obeït l'An
paffé
1
66 MERCURE
paſſé à ſes dernieres volontez ; mais
comme on ne sçauroit faire trop de
portraits des Actions d'un bonJuge,
&que rien ne peut eſtre plus utile
aux Magiſtrats , & par conséquent
au Public , ceux qui luy font faire
cequ'on appelle des Bouts-de- l'an ,
ont ſoin de luy rendre lajuſtice qu'il
s'eſt refufée . Il s'en fit un au commencement
de ce mois dans l'Eglife
des Mathurins , qui fut un témoignage
de la venération que Meſſieurs
de l'Univerſité ontpour ſa mémoire.
Son Elogey fut prononcé en Latin,
&admiré de tous ceux qui l'entendirent.
M'l'Abbé Fléchier doit parler
au premierjour ſur ce ſujet. Vous
ſcavez qu' il a déja fait pluſieurs
Oraiſons Funebres , & qu'elles font
autant de Chef- d'oeuvres. Ainſi on
n'en doit rien attendre_que d'achevé
fur une ſi belle matiere. L'Article
qui fuit vous fera connoiſtre
aveccombien d'éloquence elle a eſté
traitée depuis un Mois par un des
plus
GALANT. 67
ک
plus grands Hommes de la Robe.
Je vous ay parlé de l'ouverturedu
Parlement qui ſe fait tous les ans le
lendemain de la S. Martin, par une
Meſſe celebrée Pontificalement , &
qu'on appelle la Meſſe rouge, parce
que tous ceux qui compoſent cet
1 Auguſte Corps s'y trouvent en Ro-
-bes rouges , qui font leur habit de
Cerémonie. Je viens preſentement
à l'ouverture des Audiences qui ne ſe
fait que quinze jours ou trois ſemaines
apres . M' le Premier Préſident
en choiſit le jour , & comme il a
accouſtumé d'y faire un Diſcours
auffi-bien que le plus ancien Avocat
General , il y a toûjours une tresgrande
Aſſemblée pour les entendre.
Les Ducs & Pairs , les Confeillers
d'honneur , & les Maiſtres des Re-
- queſtes , y ont des places marquées.
Les Lieutenans Generaux , les Tréforiers
de France , & les anciens
Avocats, y en ont auſſi. Je ne ſçay,
Madame , ſi vous ſçavez ladiférence
qu'il
68 MERCURE
qu'ily a entre les Conſeillers d'honneur
dont je vous viens de parler ,
& les Conſeillers honoraires. Ces
derniers font les Conſeillers véterans
qui ayant ſervy aſſez de temps pour
conſerver leurs entrées , ſe ſont défaits
de leurs Charges ; & les Conſeillers
d'honneur ſont ceux qui ſans
eſtre du Corps , ne laiſſent pas d'y
eſtre admis en diferentes occafions .
LeRoy en donne les places , & comme
le nombren'eſt que de ſix , vous
n'aurez pas de peine à croire qu'il
faut un fort grand mérite poureſtre
choiſy. La Cerémonie dont j'ay à
vous entretenir ſe fit undes derniers
jours du Mois paffé ; & commec'eftoit
la premiere fois qu'elle ſe faiſoit
depuis que Mº de Novion eſt Premier
Préſident , l'Aſſemblée fut
nombreuſe & illustre . M'l'Archevefque
de Rheims , & M" les Eveſques
de Langres & de Noyon , s'y trouverent
comme Ducs & Pairs , auſſibien
que M' le Duc de S. Aignan.
PluGALANT
. 69
5
5
Pluſieurs Conſeillers d'honneur &
Maiſtres des Requeſtes s'y rendirent
auſſi , avec quantité d'autres Perſonnes
de mérite , de toutes fortes de
conditions. Si- toſt que Male Premier
Préſident fut entré , & que
Meſſieurs les Gens du Roy eurent
pris leur place , M. Talon ſe leva
&fit un fort beau Diſcours. Il le
commença par les plaintes qu'on faiſoit
avec justice de ce que l'Eloquence
ne regnoit plus au Barreau. Il dit ,
Qu'il ne s'en étonnoit point , quand il
voyoit que des Solliciteurs d'affaires , &
dejeunesGens , ſefaisoient recevoir Aνο-
cats au fortir de leurs études , quoy qu'ils
n'eußent jamais lû que quelques Recüeils
d'Arrests; Qu'ils parloient le plus ſouvent
ſans ſçavoir ce qu'ils avoient à dire,
Sans aucune grace & fans politeſſe;
Qu'ils étourdiſſoient & intérompoient les
Fuges mal à propos , en parlant quand
il ne le faloit pas , & diſant ce qu'ils
avoient oublié de dire quand il estoit neceßaire
de parler. Il ajoûta, Que de
pa
70
MERCURE
pareils Avocatsſe chargevient de toutes
fortes de Causes , & avoient la criminelle
complaisance de flater les Parties
qui leur demandoient leur avis. Toute
la remonſtrance qu'il leur fit fut de
leur confeiller d'abandonner le Barreau
, & de chercher des Emplois
proportionnez à leur foibleſſe. Il
s'adreſſa en ſuite aux Avocats dupremier
ordre , & dit , Que c'estoient de
genéreux Atletesqui défendoient les Cauſes
publiques , & qui vouloient bien estre
remis dans le vray chemin quand il leur
arrivoit de s'égarer. Il les exhorta à
continuer de bien faire , & leur dit ,
Que pour en avoir des regles certaines ,
ils n'avoient qu'à écouter ce qui leur
alloit estre dit. La maniere dont il
tourna la choſe fit connoiſtre qu'il
entendoit parlerdu Diſcours que M'
le Premier Préſidentavoit àleurfaire.
Il ajoûta , Qu'il faloit se proposer des
modelles , & choisir toûjours lesplus récens
quand ils estoient parfaits. Delà ,
fans nommer perſonne, il prit occaGALANT
.
71
caſion de faire un portrait desAmes
- du premier Ordre , & ce portrait en
donna une fi haute idée , qu'il ſeroit
malaiſé d'en trouver beaucoup de
- ſemblables. Il fit voir , QuelesAftres
n'y avoient aucune part, & cita pour
le prouver divers exemples de perſonnes
nées dans un mesme temps , dont l'humeur&
les actions avoient esté entierement
diférentes. Il montra, Que leſang
estoit incapable defaire atteindre à ce haut
degré de perfection , &queſi l'éducation
y pouvoit quelque chose , elle estoit bien
éloignée d'y pouvoir tout. Lacomparaiſon
du Laboureur qui ſe confume
inutilement à cultiver une terre ingrate
, ſans qu'il la puiſſe rendre
meilleure , fut une des preuves qu'il
en apporta. Il appuya ce raiſonnement,
✓ pour conclure , Que les Ames du premier
Ordre telles qu'il en venoit de dépeindre
, ſe devoient toutes à elles mesmes,
&se mettoient au deßus de la destinée.
Il dit ensuite , que feu M'le Premier
Préſident de Lamoignon eſtoit
du
1 MERCURE
72
du nombre de ces Ames toutes parfaites
, & fit un portrait de ſa vie
pendant les vingt- deux ans qu'il avoit
poffedé cette grande Charge. Il s'étendit
ſur l'établiſſement que les Pauvres
luy devoient à Paris , & qui
avoit eſté cauſe de celuy qu'ils avoient
eu enſuite dans toutes les Villes du
Royaume. Il fit voir les ſoins qu'il
avoit pris pour tous les autres Hoſpitaux.
Il parla de ſa devotion qui
n'avoit eu rien de faſtueux , de fon
extréme bonté, des abus auſquels il
avoit remedié par ſa vigilance , des
avis qu'il avoit donnez avec tant de
lumieres dans le temps qu'on avoit
reformé la Juſtice , de l'autorité des
Eveſques , pour laquelle il s'eſtoit
hautement declaré contre les prétentions
imaginaires de ceux qui la vouloient
affoiblir. Il fit enfin unepeinture
de toutes les Actions remarquables
de ce grand Homme , & ajoûta,
Que pour l'examiner dans des images
plus reſſemblantes , que ne seroient
celles
GALANT
73
celles de Phidias quand il auroit travaillé
àſa Statue , il faloit regarder ces Images
vivantes dans ceux qu'il avoit laiſſez
beritiers defa Gloire & de fon Nom ,
&dans ſes Alliances quipouvoientpaſſer
pour une espece d'adoption . l'Eloge qu'il
en fit en ſuite fut ſi juſte, &fi conforme
aux veritez , qu'ils donnent
lieu tous les jours de publier , qu'il
s'attira les applaudiſſemens de tout le
monde. Apres avoir propoſé ces modelles
, il excita encor les Avocats à
redoubler leurs foins pour devenir
de grands Jurifconfultes , & enfin de
grands Hommes , puis que le Roy
récompenſoit le mérite de tout ce
qu'il y avoit de Gens dans ſon Royaume
d'un mérite particulier. Delà
il entra dans les loüanges de ce grand
Prince , & parla de ces merveilleuſes
Campagnes où il eſtoit toûjours
en perſonne , & qui finiſſoient avant
le Printemps . Il dit, Qu'il estoit infatigable
dans le travail , Sage , Prudent,
Prévoyant, &qu'il avoit uny la
Decembre. D fou74
MERCURE
Souveraine Raiſon avec la souveraine
Puiſſance. Ce Panegyrique eut d'autant
plus d'approbation , que quelque
avantageuſement qu'on puiffe
parler de cet Auguſte Monarque ,
onn'en peut rien dire que de veritable
, & que ſi l'on manqueàquelque
choſe en le loüant , c'eſt parce
qu'il n'y a point d'Eloge qui puiffe
aller auſſi loinque la verité. Apres
que celuy du Roy fut finy, M'Talon
d'une voix plus baſſe , & d'un
ton plus familier , fit en peu de paroles
une remonſtrance aux Procureurs
, qui leur faiſoit voir ledanger
où ils ſe mettoient en négligeant de
fatisfaire aux obligations de leur
Employ.
Le Diſcours qu'un Avocat General
faifoit autrefois en pareil jour ,
n'eſtoit qu'un aigre recit des abus
qui s'eſtoient gliſlez pendant le cours
de l'année , & ceux qui les avoient
commisyestoient affez déſignez pour
avoir la honte d'eſtre reconnus. On
al
GALANT.
75
alloit enſuite aux opinions , & l'on
prononcoit. On conſerve encor aujourd'huy
quelque choſe de cet ancien
uſage, mais tout ſe paſſe plus
honneſtement. Les Perſonnes qu'on
reprend ne ſont point marquées. Les
Diſcours qu'on fait n'ont rien de
- piquant , & ſont ſeulement remplis
d'une éloquence perfuafive. Ainſi
par les peintures generalesqu'on fait
des bons& des mauvais Magiſtrats ,
on excite les Juges à n'écouter que
lebondroit des Parties, les Avocats
à ſe rendrehabiles , & les Procureurs
àbien s'acquiter de leur devoir. On
va encor aux opinions comme autrefois
, apres que l'Avocat General a
parlé, mais on n'opine qu'en donnant
à connoiſtre qu'on approuve le
Diſcours qui vient d'eſtre fait; apres
quoy M'le Premier Préſident , au
lieu de prononcer , commence celuy
qu'ilade couſtume de faire , &qu'on
appelleHarangue fort improprement,
àcauſe du jour qui eſt nommé le
D2 jour
76 MERCURE
jour des Harangues. Tout ſe paſſa à
Pordinaire dans cette derniere occafion.
Mr de Novion alla aux opini
ons apres que M' Talon eut achevé
de parler , & prenant la parole enfuite
, il dit , Que le filence estoit neceffaire
aux Avocats ; Qu'il estoit quel
quefois auſſi éloquent que la parole ;
Qu'on trouvoit toûjours affez toft le
temps de dire ce qu'on avoit refervé;
Que le filence & le secret avoient esté
cauſe des'grandes Conquestes du Roy, &
que ces Conquestes l'avoient esté de la
Paix ; & en parlant des longs difcours
qui estoient ſouvent inutiles ,
&qui ne fignifioient rien, il ajoûta,
Qu'il ne falloit pas prendre garde au nombre
des flêches , mais à celles qui frapoient
au but ; Que les plus profondes
Rivieres couloient avec le moins debruit ;
Que nous avions deux organes pourtous
lessens, & que nous n'avions que la
langue pour parler. Il finit en diſant ,
qu'un Medecin parleur estoit une ſeconde
maladie.
:
Ce
GALANT
77
Ce Diſcours ayant eſté tres- court,
ne pût avoir de diviſion ; & comme
il ne fut compofé que d'un amas de
penfées qui auroient pû fuffire pour
un Diſcours de trois heures , peuteſtre
que je ne vous les rapporte pas
dans le meſme ordre que ce grand
Homme leurdonna en les exprimant.
Jepuis meſme en avoir oublié quelques-
unes. Ce que je vous puis dire
de certain , c'eſt qu'il les fit paroiſtre
en termes choiſis , & qu'il ſe ſervit
d'un ſtile ſerré qui en augmentoit la
grace. Ainſi chaque parole avoit de
la force , & tout le monde demeura
d'accord qu'on n'avoitjamais dit tant
de choſes en ſi peu de mots.
Si je mefle ſouvent des Nouvelles
deTurinparmy celles queje vous
envoye, vous ne devez pas en eſtre
furpriſe. Quand la magnificence & la
galanterie regnent dans une Cour,
on a de fréquentes occaſions de parler
de ce qui s'y paffe. Ce font deux
choſes qu'on ne peut difputer à celle
D 3 de
78 MERCUR
de Savoye , & dont elle eſt en poffeffion
depuis longtemps. Maisquoy
que Madame Royale les y ait trouvées
établies , il ſemble qu'elles
n'ayent jamais eſté portées aupoint
où nous les voyons aujourd'huy par
la maniere dont cette grande Princeffe
agit en toute forte de rencontres.
M'leNonce , & M² de Villars
Ambaſſadeur de France , qui s'eſt
toûjours fait eſtimer dans tous les
lieux où ſes Emplois luy ont donné
occaſion de paroître, ayant complimenté
Madame Royale fur le rétabliſſement
de ſa ſanté, ils en furent
remerciez par des préſens , ainſi que
les autres Miniſtres Etrangers qui
s'acquiterent du meſme devoir.
Avoüez, Madame, qu'il ya du galant&
du magnifique dans cette façon
d'agir , & que lors qu'on fait
d'une maniere toute engageante ce
qui n'a pointdecoûtumed'eſtre pratiqué
, on ne s'attire pas ſeulement
l'applaudiſſement des Peuples , mais
les
GALANT.
79
- les coeurs de tous ceux à qui ces choſes
deviennent connuës.
Les Divertiſſemens continuënt
toutes les Semaines à Nimmégue, &
toûjours avec grand éclat , chez Madame
Colbert l'Ambaſſadrice , qui
s'y fait admirer chaque jour de plus
en plus par ſagalanterie , par ſa magnificence,
& par ſon eſprit . Vous
ne ſçauriez croire juſqu'à quel point
elle s'y eſt acquis l'eſtime de tous
les Ambaſſadeurs & Miniſtres Etrangers
, &meſme de ceux qui ont
toûjours paru eſtre le plus de nos
Ennemis. Voila ce que produit le
vray mérite. Il a des charmes par
tout , & iln'y a point d'intéreſts oppoſez
qui empefchent qu'on ne luy
rende ce qu'on ne luy ſcauroit refuſer
ſans injustice. Il eſt vray que le
nom d'Ennemy n'eſt plus connu à
Nimmégue. On n'y doute pointde
la Paix , & peut-eſtre ne finiray-je
point cette Lettre ſans vous apprendre
la Ratification de celle d'Eſpa-
D4 gne.
80 MERCURE
gne. Ainfi les Aſſemblées de plaifir
s'y font avec un redoublement de
joye'incroyable. Madame l'Ambaſſadrice
Colbert leur fournit un nouvel
&fort agreable ornement , par Mademoiſelle
Colbert ſa Fille , arrivée
depuis peu à Nimmégue. Elle n'a encor
que fept ans & demy , & poffede
déja toutes les qualitez du corps
&de l'eſprit qu'on pourroit ſouhaiter
dans la Perſonne la plus accomplie ,
& d'un âge plus avancé. Elle eſt
belle , bien faite , jouë admirablement
bien de pluſieurs Inſtrumens ,
danfe à charmer , & raiſonne avec
tant de vivacité & de juſteſſe , que
fi elle avoit quelques années davanrage
, elle pourroit caufer degrands
troubles dans une Aſſemblée , qui ne
ſe tient que pour le repos de l'Europe.
Necroyez pas, Madame, que je
luy donne plus de loüanges qu'elle
n'en mérite. LaGazettede Hollande
a rendu témoignage d'une partie de
ces veritez , &elle est d'une Maiſon
àla
GALANT. 81
à laquelle il feroit difficile de donner
tous les éloges qui luy ſont deûs.
Mr de Barillon-Morangis , Frere
de M' de Barillon Ambaſſadeur pour
le Roy en Angleterre , eſt Intendant
de Juſtice dans la Generalité d'Alencon.
C'est ce que vous ſçavez déja.
Vous ſçavez auſſi qu'il eſt infiniment
éclairé , & que les lumieres qui le
rendent capable des plus grandes &
des plus importantesAffaires , neluy
oftent point cet efprit aifé , fin &
délicat , qui s'appelle l'eſprit du
monde. Mais vous ignorez fans
doute que Madame ſa Femme eftant
accouchée ily a quelque temps d'un
Garçon , certains Sçavans luy porterent
des Vers Latins de congratulation
ſur cet Enfant nouveau né.
M' de Barillon les trouva tres-bien .
tournez , & auſſi Virgiliens qu'on
en puiffe faire, mais il ne pût s'empeſcher
de dire que s'eſtoient des
Vers Latins. Un Favory d'Apollon
qui estoit préſent (je luy donne ce
D5 nom
82 MERCURE
nom fans le connoiſtre pour lafacilité
de ſon génie) comprit la penſée
de M. de Barillon , & l'eſtant allé
voir le lendemain , il luy demanda
ſi apres avoir donné audience aux
Muſes Latines , il voudroit bien
perdre quelque temps à écouter les
Françoiſes. Lapropoſition fut reçeuë
avecplaifir. Il recita quelques Vers
qu'il venoit de faire. Le tour en fut
trouvé galant & fpirituel. Chacun
s'empreffa. pour les écrire. Il m'en
eft tombéune Copie entre les mains..
Je vous l'envoye.
:
L'AMOUR
AU PETIT DE MORANGIS.
Je viens , aimable Enfant , vous rendre une
visite,
Moy qui fuis Enfant comme vous.
Cettefaveur n'est pas petite ,
Bien d'autres en feront jaloux ;
Car avec des Enfans je ne m'amuseguére,
Je veux des Gens un peu plus avancez ;
Mais pour vous je vous confidere..
GALANT. 83
Fe connois Monfieur vostre Pere ,
Jepense auſſi qu'il me connoit affez ..
Il craignoit d'avoir une Fille ,
Elle n'eust passi bien ſoûtenu ſa Maiſon.
Jele craignois auſſi , mais par une raiſon
Qui n'est pas raison de Famille.
Je ſuis l'Amour ; tel que vous me voyez ,
Pour moy tous les Mortels ſont ſans ceffe
employez ;
A me fervir tout l'Univers conſpire
Une Fille eust sans doute étendu mon empire,
Euſt inſpiré l'amour, mais pour leſentir, non;
F'aime beaucoup mieux un Garçon ,
Et qui le ſente , & qui l'inspire.
Vous voila donc au monde ; bé bien qu'en dites-
vous ?
C'eſt du hazard un effet affez doux ,
Que de vousy trouver en auſſi belle paſſe.
Si , comme on croit, vous allez vous mesler
D'imiter ceux de voſtre Race ,
Vous trouverezà qui parler..
Prélats , Ambaſſadeurs , Gens de Robe
d'Epée ,
Héros detoutes les façons ,
On verroit voſtre vie aſſez bien occupée
Afoûtenir unseul de ces grands Noms..
Maissi vous imitez juſques à voſtre Pere ...
D6 Alrouss
84 MERCURE
Avous dire le vray, ce sera le meilleur.
Si le fang ne faisoit la moitié de l'affaire ,
Vous n'en pourriez jamais venir à voſtre
bonneur.
Quand vous travaillerez ſur de fi beaux
Exemples ,
Du moins ſouvenez- vous de moy de temps en
temps.
Adieu , dans ſeize ou dix-sept ans ,
Je vous rendray des viſites plus amples.
Monfieur le Cardinal de Bonzi
eſtant arrivé à Montpellier au mois
de Novembre dernier pour préſider
àl'Affemblée des Etats Genéraux de
la Province de Languedoc , Males
Tréſoriers de France au Bureau des
Finances de la meſme Ville , choifirent
M'le Baron de Pezene l'un
d'eux, pour faire Compliment à Son
Eminence de la part de leur Compagnie.
Il l'alla falüer à leur teſte ,
&s'acquita de cet employ avec un
applaudiſſement ſi géneral , que M'
DagueſſeauIntendant de la Province,
qui l'entendit , & qui eſt un des
Hommes de France qui parle le
১৮
mieux,
GALANT.
85
mieux , dit en meſme temps àM'le
Cardinal de Bonzi , qu'il voudroit
eſtre aſſuré de parler auſſi juſte le
lendemain à l'ouverture des Etats.
Il y fit pourtant un Diſcours inimitable.
Voicy les termes dont M'de
Pezene ſe ſervit pour ſon Compliment.
MONSEIGNEUR,
L'heureux retour de Vostre Eminence ,
oblige nostre Compagnie à vous venir rendre
ſes tres- humbles devoirs . Sa joye eft
figrande dans cette rencontre , qu'illuy
Semble que nous ne lafaiſonspoint aſſez
paroiſtre dans nos yeux & dans nosparoles.
Il faudroit pour la connoistre parfaitement
, que Vostre Eminence pût
penetrerjuſques dans nos coeurs. Elle les
verroit tous remplis de cette joge qui ſe
fait bien mieux ſentir, qu'elle ne ſeſçait
exprimer. Comme il n'en fut jamais de
plus fincere , avoüez aussi , Monfeigneur
, qu'il n'en fut jamais de mieux
1 D7 éta86
MERCURE
établie , puis qu'elle est entierement appuyée
sur les belles& rares qualitez de
Voftre Eminence. Ce font ces belles&
rares qualitez qui vous ont acquis l'eſtimede
toute l'Europe dansvosdiférentes
Ambaſſades, & dans le dernier
Conclave.. Ce font ces douces&infinuantes
manieres , qui vous ont gagné les
volontez& lesfuffrages de tous les Ordres
de cette Province dans les Aſſemblées
de nos Etats; & pour dire beaucoup
plus que tout cela enſemble , c'està
ces dons que vous avez reçeus du Ciel,
&aux importans ſervices que Vostre
Eminence a rendus à la France , que
vous eſtes redevable de la bien-veillance
que vous témoigne tous les jours noftre
Auguste Maistrel,e plus grand&le
plus éclairé Prince que la Terre aitjamais
porté. Puiſfiez-vous jouir longtemps
, Monseigneur , de ces glorieux
avantages, &puiſſions-nous, avoir celuy
de vous donner ſouvent des preuves
de nos tres-humbles refpects. Les occafions
ne s'en preſenteront jamais aßezteff
|
GALANT. 87
1
toſt pour noſtre impatience. Croyez-le ,
s'il vous plaiſt , Monseigneur , & voyant
nos bonnes intentions qui ne peuvent
échaper à voſtre penetration , ayez
aujourd'huy la bonté de nouscontinuer ,
&vos bonnes graces& voſtre protection .
Nous esperons avec confiance que vous
nous accordere,z ces deux grands biens ,
puis que nous vous les demandons avec
le dernier empreſſement , &que nous
vous les demandons pour une Compagnie
qui est entierement dévoüée à Voſtre
Eminence.
M' le Marquis de Bouffleurs a
preſté le Serment de fidelité entre
les mains du Roy pourla Charge de
Colonel General des Dragons. Il a
eſté tres favorablement reçeu de Sa
Majeſté. Il revenoit d'Allemagne ,
où il a fervy avec beaucoup de zele
&degloire. Le Commandement de
Fribourg, & la Charge dontjevous
viens de parler , qui luy ont eſté
donnez dans la meſme année , font
d'avantageuſes marques de la ſatisfaction
88 MERCURE
1
faction que le Roy a reçeuë de ſes
ſervices , puis qu'il ne récompenſe
que ceux qui n'ont négligé aucune
occaſion de ſe ſignaler. :
M'de la Baume , Comte de Montrevel
, Marquis de S. Martin& de
Savigny , Chevalier des Ordres du
Roy , & Lieutenant General, pour
Sa Majeté de Breffe , Bugeay , Valromey,
& Gex , eſt mort ily a fort
peu de temps Il avoit épousé une
Fille de Me Olier, Sieur de Nointel,
& eſtoit Fils aîné de M le Comte
de Montrevel , qui mourut de la
bleſſure qu'il réçeut au Siege de S.
Jean d'Angely , & de Jeanne d'Agouſt
de Sault. Je ne vous dis rien
de ſes ſervices. Il s'eſtoit trouvé avec
Mr le Comte de Montrevel fon Pere
au Siege de S. Jean d'Angely , &
depuis à ceux de Royan & de la Rochelle
, & aux Guerres de Lorraine
&de Picardie. Ce Nom eſt encor
fort connu aujourd'huy dans nos
Armées, & je ne vous ay gueré en-
1
voyé
GALANT . 89
1
ہ
voyé de Relations où vous ne l'ayez
veu employé.
On a fait à Breſt l'élection d'un
nouveau Maire depuis quelques mois.
Vous ſçavez que Breſt eſt unPort aufſi
conſidérable qu'il y en ait en toute
- l'Europe , & où Sa Majesté a les plus
beaux Vaiſſeaux , & en plus grand
nombre. Cette élection ſe fait tous
les trois ans le premier jour d'Octobre
avec grande ceremonie. M' le
Gouverneur, M' l'Intendant , tous
les Officiers de Terre & de la Marine
, les Bourgeois , & une partie
du reſte des Habitans , s'aſſemblent.
On propoſe trois de ceux qui ont
paſſé par l'Echevinage & par les autres
Charges de la Ville; & celuy
qui a le plus de voix eft préferé. On
peut dire qu'il n'y en a eu qu'une
cette année, & qu'elle a eſté genérale
pour M de S. Leger Sigurel.
Il eſt d'Agen proche de Bordeaux و
Homme d'honneur , magnifique en
tout ce qu'il fait , & qui n'a pas
moins,
၅၁
MERCURE
moins d'eſprit que de conduite. Le
Jour de l'An eſt celuy où la Reception
du nouveau Maire ſe fait.
On ne doute point que celle de M
de S. Leger ne ſe faſſeavec toutl'éclat
que demande le Poſte où fon
mérite l'a fait entrer. La Cerémonie
en eſt aſſez particuliere. Tous
les Habitans ſont ſous lesArmes. On
va prendre le Maire qui a fait ſon
temps , & en ſuite celuy qu'on a
nommé pour luy fucceder. Ils ont
l'un & l'autre une Soutane de ſoye ,
une Robe de velours avec des manches
pendantes , une Toque auſſi de
velours , un Cordon d'or enrichy de
Pierreries , & dans cet équipage , ils
marchent ſuivis des Echevins & des
Compagnies de Milices , au fon des
Tambours , des Trompetes , & des
Violons. Apres une Meſſe qu'on celébre
folemnellement, on s'arreſte
dans une Place qui eſt devant lePortailde
laprincipale Eglife. Ony trouve
une grande Pierre plate & ronde,
GALANT.
91
de, au milieu de laquelle il y a un
trou. Le nouveau Maire y met le
talon , & en meſmetemps celuy qui
fortd'exercice , luy fait un diſcours
pour luy faireconnoiſtre la conféquence
de ſa Charge. Pendant qu'il
luy parle, l'autre a toûjours le talon
dans ce trou , & le boutdu pied
- levé , & il ne l'en retire qu'apres
qu'il a preſté le ferment de fidelité
pour le ſervice du Roy , & pour le
maintien des Privileges. Cela fait ,
ils vont tous à la Citadelle , où le
nouveau Maire aſſure Mr le Gouverneur
de ſes reſpects. On le remeine
en ſuite chez luy avec pompe ,
& il donne un magnifique Repas .
Les Perſonnes les plus qualifiées , &
la plus grande partie de laNobleſſe ,
s'y trouvent. Le Dîner finy , on
va à la Mer joüir du divertiſſement
des Sauteurs. Tous ceux qui ſe ſont
mariez depuis trois ans , ou qui ont ,
non ſeulement fait baſtir une Maiſon,
mais élever un pignon , ou
dreffer
92
MERCURE
dreſſer quelque muraille , ſont obligez
de ſauter trois fois à la Mer. II
n'y a perſonne qui en foit exempt.
Les plus conſidérables d'entre les
Bourgeois , payent des Gens qui ſautent
pour eux. Ilabeau geler, comme
il gele ordinairement cejour- là. Les
Sauteurs ne laiſſlent pas d'eſtre en callegon
& en chemiſe , avec des Efcarpins
blancs , & des Bas de toile.
Celuy qui faute pour le Roy a une.
Couronne ſur ſa teſte. Le nouveau
Maire , ſuivy des Echevins , & de
pluſieurs autres Officiers , ſe promene
tout le jour par les Ruës avec
des Trompetes & des Violons.
L'heure de ſauter eſtant venuë , Mr
le Gouverneur entre dans un des plus
beaux Navires du Port. Les deux
Maires & le Corpsde Ville l'accompagnent.
Il y trouve les Sauteurs qui
s'y font rendus auparavant. Le nouveau
Maire a un Rôle , & dans le
meſme temps qu'il nomme ceux qui
doivent ſauter , on les voit qui s'élanGALANT.
93
.
4
lancent du Navire. Il y a toûjours
quinze ou vingt Chaloupes preſtes
pour les fecourir , ſi quelqu'un d'eux
eſtoit en périldeſe noyer. Ces Sauteurs
ſontquelquefois au nombre de
cinquante au de ſoixante , & ce divertiſſement
attire les Curieux de
toutes parts. "Apres qu'ils ont tous
fauté trois fois, ils ſe mettent dans
des Chaloupes . Elles ſont armées de
dixou douze Hommes , & vont
viſte comme unEclair. Ily a unRond
au bout d'une perche qui fort par
un Sabor du Navire. Cette perche eft
de douze ou quinze pieds , & c'eſt
entr'eux à qui pourra emporter"ce
Rond. Les Chaloupes vont ſivifte ,
que la plupart tombent dans la Mer.
Celuy qui a ou plus d'adreſſe , ou
plus de bonheur que les autres dans
cette eſpece de Courſe , eft récompenſé
d'un Prix. Le Rond emporté
en décide. On va en ſuite ſe mettre
de nouveau àtable , & c'eft toûjours
par la ſanté du Roy qu'on commen
ce.
94 MEERRCCURE
ce. Le Feſtin de la Mairie dure trois
jours , avec uneégale magnificence,
Il yaBal tous les foirs. Quantité de
Dames de qualité en ſont priées, &
on employe la plus grande partie de
la nuit à danſer.
Apres vous avoir parlé de pluſieurs
Actions éclatantes dans lefquelles
l'eſprit de M. l'Abbé Colbert
a paru , je luy ferois injustice
ſi je négligeois de vous entretenir
de ſa pieté. Il en vientde donnerun
grand exemple , en ſe retirant pour
trois mois dans le Seminaire de S.
Sulpice. Quoy que le veritable ef
prit ſoit affez rare , unepareille pieté
l'eſt encorplus , particulierement
quand on eft en pouvoir , où de ſe
diſpenſer de ces fortes de retraites ,
oudenelespas faire ſi longues. Cette
auſtere régularité fait connoiſtre
que cet Illuſtre Abbé fera toûjours
gloire de s'aſſujetir aux Loix du
plus ſervere devoir , & qu'il tâchera
de rendre de ſervices à l'Egliſe
avec
GALANT .
95
avec la meſme exactitude , & la
meſme zele que toute ſa Maiſon en
rend à l'Etat. On eſt aſſurément
fort redevable à la pieté de ceux qui
ont inſtitué les Seminaires. Celuy
de S. Nicolas du Chardonner eſt le
premier qui ait eſté étably à Paris .
Il le fut par M' Froger Docteur de
Sorbonne , & Curé de cette Paroif
ſe. C'eſtoit unHommedont lagrande
érudition répondoit aux ſentimens
tous Chreſtiens qui estoient
la regle de ſes actions. Il eut ſous
luy un Preſtre extraordinairement
zelé, nommé Mª Bardoiſi, lequel entreprit
de porter plus loin l'inſtruction
des Clercs , & tout ce qui regarde
la Cléricature. Le Pere Vincent,
Fondateur de la Miffion, jugea
avantageuſement de l'inſtitution
de ce Seminaire ; &' comme il fongeoit
uniquement à tout ce qui pou
voit avancer le bien de l'Eglife , il
obtint de feu M de Gondy , Archeveſque
de Paris , que ceux qui
:
vou96
MERCURE
voudroient prendre les Ordres , feroient
une eſpece de retraite pendant
dix ou douze jours , afin qu'on pût
employer ce temps à les inſtruirede
ce qu'ils devoient ſçavoir. On luy
accordapour celá leCollege desBons
Enfans , où ces fortes de retraites
ont commencé , & où elles ſe font
continuées fort longtemps par les
charitables contributions de quelques
Dames , & entr'autres de Meldames
les Préſidentes Gouffaut &
d'Erſe. Cette coûtume s'obſerve encncor
aujourd'huy à S. Lazare à
chaque Ordination. Depuis , pour
conſerver le fruit que ces retraites
faifoient , a crû devoir ramaſſer les
nouveaux Ordonnez , & les tenir
en Communauté. Celle de S. Sulpice
a eſté une des premiers. Les
bienfaits de feu M'de Bretonvilliers
ont beaucoup contribué à l'établir .
Feu M de Gondrin , dernier Archeveſque
de Sens, en fut tiré pour
fucceder à M' de Bellegarde fon Oncle,
GALANT .
97
cle , auſſi Archeveſque de Sens. Depuis
ce temps-là preſque tous les Archeveſques
, Eveſques , & Curez ,
ont pareillement étably des Seminaires
dans les lieux de leur réſidence
, pour élever des Clercs , & tenir
les Eccleſiaſtiques dans leur devoir.
Je vous envoye un Madrigal ſur
un langage qui n'eſt pas inconnu à
beaucoup d'aimables Perſonnes de
voſtre Sexe. Il eſt de M' Valette
d'Uſés. Une Belle luy avoit demandé
des Leçons ſur ce langage. Voyez
s'il peut eſtre mis au nombre
des habiles Maiſtres.
MADRIGAL.
Vous le sçaurez , Philis , oüy , je veux vous
apprendre
Ce que nous appellons le langage des yeux ;
Et de plus je m'oblige à vous lefaire entendre,
Jusqu'à me disputer à qui l'entendra mieux.
Je puis , fans meflater , dire à mon avantage,
Qu'on ne peut mieux parler cet amoureux
langage ,
Et queſi vous voulez pratiquer maleçon ,
Vous apprendrez bientoſt cet aimable jargon.
Decembre. E Vous
98 MERCURE
1
Vous riez ? que cela ne vous faſſe point rire.
Qüy , oüy, vous lesçaurez , Phitis , dans un
moment ,
Et vos yeux le pourront parler éloquemment,
Pourveuque vousfaſſiez cequeje vay vous dire.
Il vous faut.... (mais au moins j'y vais de
bonnefoy,
Ne prenez pas cecy pour quelqueftratagéme )
Il vous faut done , Philis , pour parler com-
:
:
memoy,.
M'aimer autant que je vous aime.
Ces Vers ont aſſurément de la
Rime & de la Raiſon. Ce ſont deux
choſes qui ne ſerencontrent pasdans
tous lesOuvrages qui échapent àbien
des Gens qui veulent eſtre Poëtes en
dépit des Muſes. Vous l'allez connoiſtre
par le Dialogue qui ſuit.
DIALOGUE
DE LA RAISON
ET DE LA RIΜΕ.
LARAISON.
Ou allez-vouz fi viſte ? Vous feignez
, ce ſemble , de ne mepas voir.
LA
GALANT.
99
1
LA RIME.
Vous voulez raiſonner , mais je n'ay pas le
temps.
Defirant de me voir toûjours en bonne eſtime,
Je vay trouver les Gens
Qui demandent la Rime .
LA RAISON .
Mais ne ſçavez-vous pas que vous
ne devez jamais vous trouver où je
ne ſuis point , & que la Rime ſans
laRaiſon fait une étrange figure ?
:
LA RIΜΕ.
Pourtant , quand je parois deſſous un riche
8. habit. 1
Ne pensez pas que jefois fans crédit .
LA RAISON.
Quel crédit , & quelle eſtime
peut acquérir un Corpshabillé richement,
s'il n'eſtpoint animé ? Ignorez-
vous encor queje dois eſtre l'ame
de tout ce que l'eſprit de l'Homme
peut produire , & que voſtre éclat
n'eſt ſolide que quand je le ſoûtiens ?
LA RIME.
Sije n'allois jamais qu'en voſtre compagnie.
Je paroiſtrois bien rarement :
L'on ne vous trouve pas , ou c'est mal-aifément.
E2 Pour
100 MERCURE
Pourmoy,jesuis facile, &dés que l'on meprie,
On me voit partir promptement.
LA RAISON.
Ah! ne vous ſuffit-il pas d'avoir
tenu juſqu'icy une conduite fi licentieuſe
& fi blamable ? Quelle démangeaiſon
avez-vous de vous donner à
tant de Gens qui vous deſ-honorent,
en vous faiſant ſervir à leursOuvrages
impertinens ? Vos Parens vous
ont-ils donné la vie pour une fin ſi
baffe , & fi indigne d'eux ? Vrayment
, fidés le point de voſtre naiffance
ils ne vous avoient miſeen ma
garde, ils ne ſe ſeroient pas acquis
en leur fiecle tant de réputation. Ils
fçavoient bien que mon alliance faifoit
toute voſtre force , & que la
Raiſon triomphe de tout. Ils jugeoient
bien que voſtre beauté ne dureroit
qu'avec moy , & que ſous
quelque habit que vous paruffiez
un jour , vous feriez ridicule , ſi
je ne faifois moy-meſme voſtre ornement.
Soûtenez donc mieux voſtre
:
+
GALANT. 101
ſtre caractere. Honorez davantage
par voſtre conduite la memoire de
vos Anceſtres , & mépriſant tous
ceux qui ne s'attachent pas à moy ,
laiffez -les vous chercher , & vous
appeller inutilement. Vous les fervirez
plus , en leur refuſant voſtre
préſence , qu'en vous donnant à
eux fi librement; car , comme ils
n'ont preſque point de commerce
avec moy , s'ils vous voyent toûjours
à ma ſuite , ils demeureront
en repos , ne penſeront plus à vous,
& ne produifant plus de fots Ouvrages
, ils ne feront moins riducules.
LA RIME
A
La tentation d'ecrire
Mal-aisément se guérit.
Si loin d'eux je me retire ,
Pensez-vous que leur Esprit
Ne veüille plus rien produire ?
Ah ! dans leur démangeaiſon
Il n'est rien qui les reprime ;
Et croyant vainement s'acquerir quelque eſtime,
Ils écriront plutoſt ſans Rime&ſans Raiſon.
Pour moy , je tiens cette maxime ,
E 3
Que
102 MERCURE
Que qui n'a la Raiſon , tout au moins ait
laRime.
LARAISON.
Que vous raifonnez mal , & que
vous me faites pitié, quand jevous
entens avancer ſi hardiment de telles
maximes ! Quoy ! vous voulez partager
le mépris & la raillerieques'attirent
ceux qui ne travaillent pas
avec moy , & vous ne sçauriez les
voir loin de ma compagnie , ſans
eſtre touchée en meſme temps du
defir de les foulager , & de vous
trouver avec eux ? Certes , j'admire
l'emportement de voſtre tendreſſe .
Vous aimez mieux foüiller voſtre
honneur , que de ne pas tomber ſous
leur main toutes les fois qu'ils vous
cherchent.
LA RIME.
Chacuna fon humeur, sa maniere d'agir;
Je consens que chacun s'y tienne ,
Maisje ne croy pas que la mienne
Doive me faire rougir.
Tantoſt nous sommes enſemble ,
Tanto ſi nous n'y ſommes pas.
Vous avez beaucoup d'appas ,
:
Faime
GALANT.
103
F'aime fort qu'on nous aſſemble ,
J'en marche d'un meilleur pas.
Mais quand quelqu'un ne le peut faire ,
Quand ce quelqu'un de moyſeule eft content,
Je ne vous en veux point faire icy de
mystere ,
Je cours fans vousà qui m'attend.
LA RAISON.
Qui vous a donc fait prendre des
ſentimens fi contraires à la Raiſon ?
Ma force & ma ſageſſe ne pourrontelles
pas vous faire rentrer un peu
en vous- meſme , pour voir s'il vous
eſt permis de vivre comme il vous
plaiſt ? Aurez-vous vous plus de
complaiſance pour la Folie, que pour
la Raifon ? Et quand la Raiſon vous
fera connoiſtre ce que vous luy devez
, & ce que vous vous devez à
vous-meſme , oferez-vous ſuivre
d'autres maximes que les ſiennes ? Y
en a-t- il de plus ſolides & de plus veritables
, & tout ce qui ne raiſonne
pas peut- il les combatre ? Vous devriez
plutoſt merendre graces du ſoin
que je prens de voſtre conduite , &
E 4 de
104 MERCURE
de l'éclat que je répans ſur vous ,
pour vous rendre aimable , & vous
attirer les applaudiſſemens queméritent
les belles choses ; & puis qu'il
eſt veritable que je fais tout voſtre
prix , & que vous n'eſtes rien fans
moy, la honte de paroiſtre ſeule
vous fiéroit bien mieux , que la liberté
que vous prenez ſouvent de
vous placer en des lieux où l'on ne
m'appelle pas.
LA RIME.
Je vous dois beaucoup , je l'avouë ,
Et c'est avec plaisir que la Rime vous louë
Soit dit pourtant , sans vous mettre en
couroux ,
Vous recevez de moy , fi je reçois de vous.
Quelque éclat qui vous environne ,
Quelque beauté que vous faſſiez briller .
De mes defauts vous avez beau railler ,
Il est certain air doux que la Rime vous donne,
Un certain agrément , certainje nesçay quoy.
Dont une Ame est charmée ,
Et qui fait , que je croy ,
Qu'iln'est rien deſi beauque laRaiſon rimée.
: Sans moy , vous marchez bien avecque
majesté i
Mais non avec tant de mesure.
Par
GALANT.1
165
Par moy jusqu'à vos pas tout en vous eft
compté. ١٧٠
N'est-il pas vray que la peinture
Aplus d'éclat & de beauté ,
Quand elle a l'ornement d'une riche bordure ?
Approuvez , s'il vous plaiſt , cette comparaiſon,
***Et que par elle je m'exprime.
Oiy, je dis hardiment qu'on peut nommer
la Rime ,
La bordure de la Raifon.
LA RAISON.
Vrayment , il vous fied bien de
vanter ce que vous avez de confidérable.
Sçachez que ce qui fait voſtre
gloire , & vous acquiert l'eſtime de
tout le monde , c'eſt de pouvoir
m'eſtre utile à quelque choſe, encor
que vous me vendiez quelquefois
bien cher vos petits ſervices. Oüy ,
vous m'oſtez alors plus que vous
n'avez l'honneur de me donner ; car
fi mes fideles Amans vous placent
aupres de moy , quoy qu'ils ne vous
mettent qu'à l'un des bouts demon
Trône , vous ne laiſſez pas de me
preſſer ſi fort , que j'en ſuis incommodée
, & meſme vous faites en
E 5 forte
106 MERCURE
forte qu'il eſt des occaſions où l'on
abeaucoup de peineà me voir.
LA RIΜΕ.
Pour vous mettre plus à voſtre aiſe ,
!
Vos Amans , ne leur en déplaiſe,
Me mettent quelquefois en unfort pawvre état.
Ils m'oſtent mon plus riche éclat ,
Et me faiſant voſtre victime ,
Ils font cauſe que je voy
Bien des Gens s'écrier , enferaillant de moy,
Riche Raiſon , & pauvre Rime !
LA RAISON
Comme il n'eſt pas néceſſaireque
vous soyez dans le monde, on ne
doit pas toûjours garder tantde mefures
avec vous ; mais il n'en eſtpas
ainſi de moy, de qui l'on ne peut
ſe paſſer ſi l'on veut bien faire les
choſes; & comme je diftingue
l'Homme d'avec la Beſte , il eſt obligé
indiſpenſablement de reconnoiſtre
l'avantage que je luy procure,
par le ſoin exact & fidele de
me faire régner dans tout ce qu'il
fait. Deſabuſez-vous done, je vous
en prie , & ne vous eſtimez pas tant
1. que
GALANT .
107
que vous faites: auſſi-bien laRaiſon
ne ſçauroit eſtre vancuë , elle ſeule
a des forces , du pouvoir , & de la
beauté, & tout ce qu'elle vous a diţ
eſtant tres ſolide & tres-veritable ,
vous ferez ſagement , ſi vous lacroyez.
Elle n'a pas beſoin de vous ;
elle s'en eſt paffée durant pluſieurs
fiecles , elle peut bien s'en paſſer en
cor. Mais enfin puis que vous eſtes
au monde , elle conſent qu'on ne
vous en chaſſe pas , pourveu que vous
viviez toûjours avec elle , & qu'il
ne vous prenne jamais envie de la
quitter pour vous donner à ceux qui
la négligent. Si vous aimez à courir,
&que la facilité que vous avez à
vous communiquer ne vous permette
pas de demeurer quelquefois en patience
, & d'eftre un peu plus refervée
, vous avez une infinité de beaux
Eſprits dans toute la France , &
dans les Païs Etrangers , qui vous
occuperontglorieuſement ; & leMercure
Galant vous va donner tant d'AE6
mans
1
108 MERCURE
mans raisonnables , & bien nez , qui
ſcauront nous unir enſemble , &
nous faire marcher d'un meſmepas,
comme pluſieurs ont déja fait , qu'il
ne vous ſera pas difficiled'oublir tous
ceux qui ſe contententde vous ſeule,
&qui ont plus d'empreſſement pour
vous que pour moy. N'ayez donc
plus decommerce qu'avec mes Amis,
puis que c'eſt une neceſſité que la
Raiſondoit impoſer , & que c'eſt là
l'unique moyen de faire croître inceſſamment
l'eſtime & l'amour qu'on
apour vous dans le monde..
LLA RIME.
Il est vray que le Mercure
Me donne ſouvent de l'employ :
Mais quelque employ qu'il me procure,
Je ne croy pas gagner fur moy
Defuir toujours la compagnie
Dont'vous estes bannie.
Je comprens bien qu'avecque vous
Je vaux beaucoup , je suis plus belle,
Et qu'il n'est rien deſi doux
Quercette union fidelle
Que l'on fait faire de
nous;
Que la Rime raisonnée
2 !
4
ץיוב "
Eft
GALANT. 109
Est le charme de l'Esprit :
Mais ma memoire estsi bornée ,
1
Quej'oublie aiſement tout ce que l'on me dit ,
Oüy, j'ay reçeu de vous un conſeil bienfolide:
Je rétracte mes sentimens ,
Et pour ne tomber plus dans mes égaremens ,
Je voudrois qu'ilmepût toûjours teniren bride.
Pourtant ne vous y fiez pas ,
:
Je pourrois manquer de parole
Si je vous promettois de ſuivre tous vos pas.
Courte memoire , & teſte fole ,
Me feront aller quelquefois
Où l'on ne connoiſt point vos loix. 1.70
Enfin ce que je puis promettre ma
Autant que mon panchant me le pourra permettre
,
C'est qu'avec VOUS
Le plus souvent
jelogeray
queje pourray.
1
LARAISON.
1
Vivez donccomme il vous plaira,
puis que je ne gagne rien fur vous.
J'ay crû devoir vous donner des con
ſeils raifonnables , voyant que vous
en aviezbeſoin , & que vous ne vous
ménagiez pas bien. Si vous aimez
mieux la liberté d'aller par tout fans
Raiſon , que la glorieuſe neceſſité
de me ſuivre toujours, que je voις
I. E 7 drois
110 MERCURE
drois vous impoſer , je vous abandonne
à vous-meſme. Me trouvant
avec vous , ou fans vous , j'auray
toûjours mes Admirateurs , & mes
Amis : au lieu que vous n'en aurez
jamais, au moins de ceux qui ſçavent
donner le prix aux belles choſes
, que quand ils vous verront aupres
de moy ; car de vous eſtimer
ailleurs qu'en ma compagnie , c'eſt
ſe rendre ridicule , & fe moquer de
vous. Adieu . Vous allez trouver les
Gens qui demandent la Rime ſans
la Raiſon , contentez- les bien. J'auray
le plaiſir de bien rire des uns&
des autres. Ne manquez pas cependant
de venir auſſitoſt que je vous
appelleray. Celuy de tous les Roys
qui m'aime le plus (vous entendez
bien par là LoüÜISLE GRAND)
nousa fourny à l'une & à l'autre une
ample matiere de travail. La Guerre
& la Paix qu'il a ſçeû ſi bien faire ,
demandent que nous nousjoignions
enſemble pour chanter ſa gloire& fa
vertu
GALANT
vertupartoute la Terre. Nous avons
deja commencé , achevons mieux ,
fi nous pouvons. M
LA RIME.
2F'aime bien le grand Monarque , I
Il me lege avec vous dans sa bellé Maison ;
Et ce qu'en luy chacun remarque ...
C'est qu'il entend Rime Raison.
Ona fait Réponſe à la Lettre que
je vous ay fait voir des Peres Capucins
du Louvre , fur la mort deM
Carpatry. C'eſt uneeſpece de Procés
dont on me met les Pieces entre les
mains , & il eſt juſte que je vous
communique les raiſons de l'une d
de l'autre Parties Je ne change rien
aux termes. S'il y en a quelques-uns
qui ne vous paroiffent pas affez
adoucis , vous les devez plûtoſt imputer
à la chaleur du raiſonnement ,
qu'à aucune envie qu'on ait fuede
chagriner les Intéreſfez Apparem
ment les Capucins répondront , &
je vous feray part de leur Replique
-1000
idol 49 sured at sh 297
SEN
112 MERACUARE
SENTIMENS
LOVE RUCE
D'UN MEDECIN ::
Ecrits à ſon Amy, furla Lettredes
C Peres Capucins du Louvre , employée
dans le MercureGalantdu
Mois de Novembre.
MONSIEURI
53799833_MAR RAHA Rao f
Mob nomi 101 ১ かつani
Apres toutes les Conferences que nous
avons euës plufteurs fois touchant ladiverſité
des perſonnages que l'onjovedans
le monde, il ne reſtoir plus qu'à voir
joüer le rôle de certains Ignorans dansle
fait de l'oftentation Medecine. Vousave
Lû le petit Discours Apologetique en forme
de Lettre inferé dans te Mercure
Galant du dernier Mois , fait par tes
ban's Peres. Capucins,fur lequel vous
me demandez mon avis. Vous estes trop
penetrant pour ne pas remarquer que ces
bons Peres ignorent à fond les grandes
maximesde la Medecine , &les Principes
de la bonne Philosophie, & qu'ils se
donGALANT.
113
donnent tant d'encens que la teſte leur en
tourne , ne s'appercevant pas qu'ils oublient
les mesures qu'ils devroientgarder ,
pour mieux ménager leur réputation &
leur modestie, lesquels ſur lefaitde l'Art
ne peuvent avoir rien de recommandable
, que l'autorité qu'usurpent ordinairement
ceux qui viennent de loin, pour
impoſer aux petits eſprit credules , à la
plebecule , & aux Gens qui n'ont pas
le goust des bonnes choses , & le difcernement
, aßez fin & affez délicat pour
demeſler la fourbe maſquée des apparences
de la verité. Il ne faut qu'obſerver
de quelle maniere & par quels raiſonnemens
les bons Peres se disculpent de la
mortprematurée &precipitée de M'Carpatry
, par la violence de leurs Remedes
, &la hardieſſe , pour ne pas dire
plus , avec laquelle ils s'attribuent l'honneur
de la gueriſon de Monfieur le Duc
deChartres.
1
Al'égarddu premier Chef, le fubterfuge
dont se fervent ces Medecins du
grandCatre, estfi groſſier qu'il ne sepeut
lire
114 MERCURE
1
lire ny foffrirfans quelque espece d'indi
gnation. Ils alleguent pour Raiſons peremptoires
, que les Medecins qui n'ont
eſté appellez qu'à l'agonie de M Carpatry
, n'ont pas dit&encor moins affuré,
que leurs Remedes euſſent reduit
leMalade au deplorable estat où cesMeffieurs
le trouverent. Donc leurs Remedes
n'ont pas tué M' Carpatry , parce
que les Medecine ne l'ont pas dit. Cette
conſequence n'est-elle pas bien tirée , non
Jeulement pour leur justification , mais
auſſi pour l'aprobation de leurs Remedes?
Et quand ils la voudroientfoutenir bonne,
elle se détruit en opposant le con
traire veritable , puis que les Medecins
qui ſontvenus auſecours de l'Agoniſant ,
Sont prests d'en paſſer Acte pardevant
Notaire , ſi l'on ne veut pas se contenter
de leurs affirmations publiées par tout
Paris , pour détromper le Public qui
pourroit se laißer ſurprendre aux Faits
articulez par ces bons Peres avec tant
d'apparence de certitude. Le raiſonnement
Suivant , par lequel ils tirent une
conGALANT.
115
confequence auſſi infaillible que lapremiere
, est d'une Philofophie toutefinguliere ,
&qui n'a aucun raport avectoutes ces
nouvelles dont on s'enteſteſi aiſement dans
leSiecle où nous sommes , &dans lequel
on cherche l'abrégé des longues études.
Voicy le raisonnement de ces bons Peres.
Si leurs Remedes avoient échaufféle Malade,
les Medecins qui ont esté appellez
n'auroient jamais ordonné le Vin
Emetique, qui est un Remede brûlant ,
caustique & gangrenant. Apres cette
décision , jugez de la capacitéde ces bons
Peres , qui tranchent bardiment ſur la
qualité & les effets d'un Remede qu'ils
n'ont jamais connu , comme il paroist
par la maniere dont ils en parlent, puis
que toute la Faculté de Medecine de Paris
eft opposée à ce sentiment prononcé
en Maistres , par ces bons Peres, lequel
a esté confirmé&autorisé parArreft
de la Cour, apresque les Commiſſaires
deputez du Parlement pour entendre
opiner tous les Docteurs d'une fi celebre
Faculté , eurent fait leur raport , &
L
4 de116
MERCURE
delivré Procés verbal de tout ce qui s'eſtoit
paſſe dans cette Aſſemblée ſi nombreuſe,
& remplie de tant de beaux Efprits.
L'on en pourroit ſçavoir des nouvelles
plus à fond deM. deMauvillain
ancien Doyen de la Faculté , lequel fit
finir toutes les contestations qui pouvoient
partager les Efpritsfur cette matiere dans
le temps de fon Decanat : ce qui marque
leur malice ou leur ignorance (Sauf
l'honneur de leur Caractere.) Ilfaudroit
faire icy une Differtation pour leur apprendre
les bonnes qualitez du Vin Emetique,
de quelle maniere il agiſt en évacuant
les humeurs rebelles & opiniatres,
qui ne cedent pas aisément aux Remedes
ordinaires , ny mesme aux Acides, Alkali
, & Sels volatils dont on eft pre-
Sentementfi fort enteſté , que l'on croit
meſme queſans eux il n'y a point dePanacéeà
esperer , & leurfaire concevoir
comment il rafraîchit plûtoſt qu'il n'échaufe,
comment il faut expliquer la chaleur
, que par accident ſeulement ilpeut
cauſerpar les copieuſes évacuationsd'humeurs
ALANT .
117
meurs atrabilaires , érugineuses & torrefiées
, par les intemperies des entrailles ,
& particulierement par les principales
parties nourricieres , dans les replis defquelles
ces humeursfarouches , indomptables
& brûlantes d'elles- mesmes , &incapables
d'aucune coction , se trouvent
cantonnées , lesquelles nese peuvent detacher
& mettre en mouvementſansfaire
reſſentir cette impreſſion de chaleur dont
ilsfont empreignez , laquelle n'est causée
par le Vin Emetique que par accident ,
comme il eſt dit cy deſſus , non plus
qu'une Fourche n'est point estimée puante
en ſoy , parce qu'elle remuë le vieux
fumier, ou d'autres ordures corrompues ,
dont les halenées peuvent faire bien du
defordre : mais il faut remettre ces profonds
éclairciſſemens en d'autre temps ,
parce que ce ne ſont pas des entretiens de
Ruelles. Il faut se contenterpour lepré-
Sent de ces petites réfléxions.
Paſſons au ſecond Chef, par lequel
ces bons Peres prétendent que la guérison
de M le Duc de Chartres est l'effet de
leurs
118 MERCURE
leursRemedes. Peut- on pouffer plus avant
la temerité avec laquelle ils s'attribuĉnt
Phonneurdu ſuccés de la conduite deMeffieurs
les Medecins ? Peut-onsouffrir la
vanité& la présomption de ces Medecins
figurez, en aſſurant comme une
verité que les Meſſieurs préposez à la
Santé du Prince leur en avoient rendu
mille actions des graces , & qu'ils ne
pouvoient aßez dignement les remercier
de ce qu'ils avoient fourny un Remedefi
Salutaire? Apres cela nepeut-onpas demander
à ces bons Peres ce qu'est devenu
leur pudeur , & où s'est retirée leur
modestie & leur humilité dont ils font
ſemblant de faire profeſſion ? Pourra-ton
jamais croire qu'ils puiſſent dire la
verité sur la guérison de M' le Duc de
Chartres , laquelle de confeffion publique
, meſme tous les Aimaphobes& les
plusjurez Ennemis braillards contre la
Saignée , n'est deuë qu'à ce grand Remede
qu'artificieusement ces bons Peres
ont teû & celé dans toute la narration
qu'ils en ont faite ? Que prétendent-ils
que
GALANT.
119
que l'on penſe de leur fincerité&de leur
conduite, apres un déguisementfi crimtnel?
Mais il est tres-certain que leurs
Remedes avoient tellement échauffé le
Prince, excité une ſi violente fermentation
dans les humeurs, & un méteoriſme
fi confiderable , que les convulfions,
la difficulté de reſpirer , pouſſerent
l'Illustre Malade dans les derniers extrémitez
qui firent absolument deſeſperer
de ſon ſalut , fi la Saignée reitirée
coup fur coupjuſques à trois fois, n'eust
viſiblement arraché des bras de la Mort
cejeunePrince, quepar une trop prompte
credulité on avoit abandonné à leur conduite.
Il faut eſtre ſincere quand on écrit
hiſtoriquement un Fait , puisfur lanature
des Remedes discourir par l'organe
des Sçavans dans l'Art , quand onn'en
est pas capable , & nepas faire des consparaiſonsfi
hors d'oeuvre , &fi peu applicables
au sujet , comme font ces bons
Peres tant par celle de Michel- Ange &
du Lanternier , que par la Phiole de verre
à laquelle ils souhaitent le mesme degré
120 MERCURE
gré de chaleur , &les mesmes pores de
P'estomach , afin de prouverpar la veuë
que leurs Remedes ne deſcendentpas dans
les boyaux , &par conséquent qu'ils ne
peuventjamais caufer aucune inflamation,
ny gangrene. En verité peut on
fouffrir une telle expreſſion &raiſonnement
fi abfurde dans la bonne Medecine?
On ne peut pas icy répondreà toutes
ces especes d'extravagances , parce
qu'il faudroit un Volume pour les refuter
à leur confusion. Il faudroit encor
parler àdes Perſonnes un peu Philoſophes,
on du moins qui eußent quelque
teinture des Principes de la Medecine.
Il suffit faire remarquer les beaux endroits
de leur esprit & de leur candeur.
Je ne puis encor obmettre une autre
vanité publiée dans le MercureGalant ,
à la confusion d'un jeune Medecin qu'ils
ont nommé M le Long , Docteurde la
Faculté de Paris. S'eſtant trop confié
aux Remedes des bons Peres, il en avoit
fait user à une de ſes Malades travaillée
d'un Afthme depuis longtemps apres
quelGALANT.
121
quelque tréve qu'elle avoit ordinairement
, elle retomba dans des accésplus
violens que jamais , & fi forts , que
M' le Long desespera de la pouvoir ti
rer , comme luy-mesme l'a publié dans
SaCompagnie, quoy qu'il eust rendu vi
fite à ces bons Peres , pour les remercier
, & leur témoigner qu'il estoit charmé
de la bonté & de l'excellence de
leurs Remedes ; civilité un peu forte
pour un Docteur , si elle est vraye , car
ces bons Peres ne font pas fcrupule d'impoſerà
la verité.
Achevons d'examiner lapreuvequ'ils
avancent pour confirmer l'infaillibilité ,
on du moins l'excellence de leurs Remedes.
Ils diſent deux choses. La premiere,
qu'ils ont guery un Malade en Egypte
, ce qui eſt ſoûtenu par la déposition
d'un seul Témoin , car il en coûteroit
trop pour en faire venir pluſieurs de fi
loin. Quand cela seroit vray , peut-on
legitiment ajoûter foy à un Témoin qui
pent estre mandié? Et pourquoy citer un
Malade guery hors de la Sphere des En-
Decembre. F
que122
MERCURE
questes s'ils ont tant fait de miracles
àParis? Puis en ſecond lieu , ces bons
Peres ajoûtent pour fortifier leur preuve,
qu'ils ont (indéterminement ) fait
une infinité de belles cures , certifiées admirables
par quelques Medecins Provinciaux
, dévoiez par politique aux interefts
de ces bons Peres: Mais ce qui est
de certain , c'est quefi leurs Remedes ont
réüffy en quelquee Perſonnes de ce Climat
, on remarquera que ce ne font que
Soldats , Laquais , Cracheteurs , ouquelques
miferables Yurognes , tombez dans
les apparences de quelque maladie confiderable
à leur égard, & qui n'estoit
que l'effet de leurs excés & de leurs débauches.
Fe Sçay bien qu'ils pourront m'objecter
qu'un Remede ne peut pas ſauver
tous ceux qui en ufent , & cette objection
est trop triviale pour ne s'y pas attendre
. Mais quand ils ont recours à
une querifon faite en Egypte , & à une
feconde faite à Paris , peut estre aussi
faufſſe que la premiere (cartoutes les au-
-tres
GALANT .
123
tres font des gueriſons en l'air) on peut
reciproquement avec un peu plus de certitude
leur oppoſer cent pour un quifont
morts , ou languißans , & tres- incommodez
, pour avoir usé de leurs Remedes
fur leur bonne foy , telle que vous
la pouvez conclure par ce qui est arrivé
cydessus.
M' Sauvage, demeurant Ruë Tiquetonne
, ayant en quelque accés de double-
tierce , & ne se trouvant pas bien
guery apres quelques jours qu'il eut perdu
la fievre, voulut pour plus grandeseûreté&
confirmation desa guerifon, user
des Remedes de ces bons Peres. Auſſi-toft
la fieure continuëfurvint , & il mourut
en quatre ou cinqjourspar un transport
au cerveau , &une alteration implacable
causée par l'excés de la chaleur
du Remede quile confumoit , & qu'aucun
rafraichiſſement ne pouvoit étiendre.
L'on en peut sçavoir le détail par M
FoſſonMaistre Apoticaire, dans la Ruë
desLombards. M Boivin de chezMonfieur
de Louvoys , & bon amy de M
F2 Car124
MERCURE
1
Carpatry , est encor dans un pitoyable
êtat pour en avoir pris . Un Reverend
Pere Minime, Frere de M' Defponty
Payeur des Rentes , en a esté malade à
la mort pour en avoir uséſur lafin d'une
ſimple fievre , de laquelleilpenſoitſe delivrer
plus viſtepar cettegrande panacée,
lequel a esté plus de trois mois à s'en
remettre. Un Particulier de chezMonfieur
le Grand, dans les Ecuries du
Roy , qui n'en peut encor revenir. Le
Fils de Me Poquelin , qui demeureRuë
des Petits Champs , proche S. Julien des
Menestriers, agéſeulement deſeizeà dix
huit ans , quidepuis quatre mois qu'il en
a pris à diverſes repriſes , est encor aujourd'huydans
des retours de fievre qui
n'ont aucune regle; cequi fait soupçonner
avec raiſon quelque maligne impreffionduRemededans
laſubſtancedequelque
partie qui ne pourra eſtre ſurmontée
que parla vigeur de la jeuneſſe, &par
la longueurdu temps ; Et pluſieurs autres
, dont le Volume que l'on diferejufqu'au
mois prochain à donner auPu
blic;
GALANT.
125
blic ; invitant toûjours par avance ces
bons Peres à tenirpreſts leurs Memoires
bien circonstanciez des belles cures qu'ils
ont faites àParis ; autrement ils cour
ront grand risque d'estre bientoſt de la
Claſſe des Abbez Fayol, Sanguin, Medecin
de Boeufs, Rabel, &autres Gens à Secrets,
&specifiques Guerifſſeurs de Cancers,
dont la vogue n'est que de peu de durée ,
parce qu'ils manqueront toûjours de cette
partie judiciaire , fi neceſſaire pour l'application
de leurs Remedes , quandmesme
on conviendroit de leurs bonnes qualitez.
Qu'ils fouffrent donc que le Public
se détrompe , & qu'on leurſouhaite une
retraite plus conforme à leurs voeux.
Qu'ils s'acquitent de leur veritable obli
gation , & qu'ils entrent comme ils devroient
dans l'esprit de la charité , en
donnant au Public le ſecret de leurs Remedes
, pour neplus abuſer de la foiblefſe&
de la credulité des petits Efprits ,
qui ſans difcernement en demandent pour
toutes fortes de maux , qu'ils faſſent ceffer
tant de dépenses inutiles , que la li-
F 3 libe126
MERCURE
:
beralité du plus grand des Roys n'apoint
voulu épargner pour le bien & le soulagement
deſes fideles Sujets. Iln'ont ,
ny ne doivent avoir aucun intereſt à cacher
ce mystere pour augmenter leur fortune
, mais seulement pour éviter de
rentrer dans les devoirs de bons Reli
gieux def-intereßez qui cherifſſent leur
condition , & qui ne doivent chercher
que la gloire de Dieu , &leſoulagement
des Pawores. Voila Monfieur , quel est
monsentiment ſur la conduite& les Remedes
de ces bons Peres qui se trouvent
bien mieux dans un Louvre , que dans
un Convent poury pratiquer leur Regle.
Vous me ſcaurez gré ſans doute
du troifiéme Air nouveau queje vous
envoye , puis qu'il vous donnera lieu
de faire retentir la gloire du Roy
dans voſtre Province.
AIR.
Hollandois , le grand Roy qui vous donne
la Paix ,
Au temps qu'il se defarme
Est plus fort quejamais.
It
1001
nbs
1
1901
il a
11901
e ?

GALANT .
127
Il porte alors fa gloire en un degré fupréme ;
Car que luy reſte-t-il . apres avoir foûmis
Par tout fes Ennemis ,
-:
Qu'à fe vaincre foy mefme ?
Cette Victoire quia ſi peu couſté
au plus grand Roy que nous ayons
jamais veu, n'eſt pas toûjours fort
facile à remporter. L'Hiſtoire queje
vous vay conter en eſt une marque.
Elle vous fera connoiſtre qu'une aimable
& jeune Perſonne, a foufert
longtemps , pour n'avoir pû ſe rendre
maiſtreſſe d'un ſentimentd'averſion
qui luy a fait rejetter obſtinément
tout ce qui pouvoit contribuer
à fon repos. Elle estoit belle , ſpirituelle
, de naiſſance , & ſous la conduite
d'une Tante qui en avoit pris
ſoin depuis la mortde fon Pere &
de ſa Mere. Ses belles qualitez luy
attiroient force Soupirans ; mais
comme elle n'avoit point de bien ,
ils ſe contentoient de foûpirer , &
aucun d'eux men fongeoit à parler
François. Cependant fi ce grand nom
F4
bre
128 MERCURE
bre d'Adorateurs établiſſoit l'honneur
de ſes charmes , il ne faiſoit
rien pour ſa fortune. C'eſtoit un
Mary qu'il luy falloit , & les douceurs
qui luy estoient contées de toutes
parts , demeurant toûjours tournées
en douceurs , elle paffoit des
jours agreables , & ne voyoit rien
defolidepour l'avenir. Pendant cette
inutile affiduité de Proteſtans , un
Vieillard , crû fort riche, & faiſant
affez bonne figure dans le monde ,
ſe trouve chez une Dameà laquelle
cette aimable Perſonne vient rendre
viſite, Il la voit, il en eſt charmé ,
&comme il n'avoit point de temps
àperdre , parce qu'il eſtoit preffé de
l'âge , il parleà laTante , offre d'épouſer
ſa Niéce , & la laiſſe arbitre
des conditions. On preffe la Belle.
Elle réſiſte. C'eſt fon grand-Pere
qu'on veut qu'elle épouse. L'inégalité
des années luy donne pour luy
une averfion invinciblex Elle ne voit
rien que de dégouſtant dans fa perſonne;
GALANT.
129
ſonne; mais apres une longue réſiſtance
, on luy montre tant d'avantages
dans ce Party , & on l'aſſure ſi
poſitivement qu'il mourra dans les
fix mois , que fur cette derniere
clauſe , elle ſe réſout enfinà en faire
fon Mary. Les grands mots ſe diſent .
Le bon Homme eſt dans des ravif
ſemens incroyables. Il l'adore plûtoſt
qu'il ne l'aime , & comme il ne
la quitte preſque jamais , cet excés
d'amour est un redoublement de
peines pour elle. Ce qu'elle trouve
de dégouſtant dans le Vieillard , ne
la furprend point. Elle s'y eſtattenduë,
& foufre puis qu'elle a bien
voulu s'y ſoûmettre : mais elle prétend
que le terme de ſes ſoufrances
doive eſtre borné. Les ſix mois ſe
paſſent. Le bon Homme ne meurt
point , comme on luy en avoit répondu
, & il ne témoigne pas meſme
avoir aucune penſée de mourir,
Grand ſujet de deſeſpoir pour la Belle..
Elle n'y trouve qu'un remede con-
F5 fo
130
MERCURE
folant. Il luy a promis de la mettre
dans uneopulence merveilleuſe ; elle
luy en demande l'effet. Le bon
Homme fournit autant qu'il le peut
à ſes dépenfes. Meubles , Bijoux ,
Habits , Points de France; c'eſt
tous les jours quelque achapt nouveau.
L'envie qu'il a de s'en faire
aimer le rend facile ſur tout ce qu'il
voit qu'elle ſouhaite; mais ſabourſe
s'épuiſant , il eſt enfin obligéde fermer
l'oreille à ſes continuelles demandes.
Elle s'en chagrine , & les
refus qu'il luy fait ne s'accordant
pas avec la réputation qu'il a d'eſtre
riche , elle examine ſes affaires , &
découvre qu'il n'a pas la moitié du
bien qu'il s'eſtoit donné. Riennela
conſole de ſe voir trompée fur cet
article. Elle ne peut plus eſtre maiſtreffe
del'averſion qu'elleatoûjours
euë pour le Vieillard. Les plaintes
accompagnent ſes chagrins. Les re
proches ſuivent ſes plaintes , &enfin
l'obſtination qu'il témoigne à ſe vouloir
GALANT.
131
loir toûjours accommoder de lavie,
l'emporte fur ce que l'éclat où elle
ſe réfoutvafaire courirde bruits dans
lemonde. Elle abandonne ſon vieux
Mary , & retourne chez la Tante
dont elle se connoit tendrement aimée,
& qui apres quelques remonſtrances
inutiles , ſe trouve obligée
de la recevoir. Le bon Homme qui
en eſt paſſionnément amoureux , fe
deſeſpere. Il court apres elle, luy dit
les choſes les plus touchantes pour
l'obliger à revenir avec luy ; prie ,
preffe, & toutes ſes prieres ne gagnentrien.
Il la quite , & fi- toft qu'il
refléchit fur ce qu'elle vaut , il conhoit
qu'en la revoyant , il a pris un
nouvel amour. Il écrit , envoye
Meſſagers ſur Meſſagers , & tout
cela inutilement. La Belle demeure
infléxible. Une de ſes plus particulieres
Amies , à qui elle n'a jamais
refufé aucune choſe , a beau luy repreſenter
qu'il vaut mieux qu'elle
Faffe aujourd'huy de bonne grace,
-100
F6 ce
132
MERCURE
ce qu'elle ne ſe pourra diſpenſer de
faire demain; que ſi ſon Mary fait
la moindre plainte en Justice , la
Tante ſera obligée de la renvoyer ,
&qu'ainſi elle ne ſe doit point expoſer
au chagrin d'une contrainte
qui ne luy ſçauroit eſtre que honteuſe.
La Belle n'écoute que fon
antipatie. Il n'eſt aucune réſolution
qu'elle ne prenne plutoſt que de retourner
avec le bon Homme , &
elle proteſte déterminement que cela
n'arrivera jamais quedans l'occaſion
de ſa mort. Son Amie traite cette
proteſtation d'emportement , l'aſſure
qu'elle reviendra dans ſon bon ſens,
& elles s'échaufent fi fort à ſoûtenir
toutes deux ce qu'elles prétendent
qui arrivera , qu'elles gagent enfin
enſemble , l'une , qu'elle n'entrera
jamais chez le bon Homme que
quand il fera tout preſt de mourir;
& l'autre , qu'elle ne pourra tenir
longtemps contre fon devoir & fa
confcience. Celle qui perdra doit
don
GALANT.
133
donner un Diamant, Trois mois ſe
paffent. Le Vieillard amoureux de
plus en plus, écrit, envoye ſes Amis,
&ne peut faire changer de ſentimens
à ſa jeune Epouſe. Enfin il a
recours au dernier remede. Il ſe met
au Lit , feint d'eſtre malade ; & afin
qu'on le croye plus facilement , il
fait dire chaque jour pendant quelque
temps , que ſon mal augmente .
Sa Femme en eſt avertie. On la
preſſe de l'aller voir , & elle ne ſe
laiſſe fléchir que quand on l'aſſure
qu'il eſt dans une telle extremité ,
qu'on ne croit pas qu'il paffe lejour.
Elle part contrainte par les importunitez
qu'elle reçoit , par la bienféance
, & par ſes Parens. Quoy que
le Diamant qu'elle avoit gagé luy
tinſt peu au coeur, elle ne laiffe pas
d'envoyer chercher ſon Amie. Elles
vont enſemble chez le Vieillard , &
ne voyent que viſages triſtes en entrant.
On les conduit avec toutes
fortes de marques d'afflictionjuſqu'à
F7 la
134 MERCURE
la Porte de l'Apartement du Malade.
C'eſt un filence lugubre , accompagné
meſme de pleurs. Jugez
de l'étonnement de la Belle. Apeine
a-t-elle mis le pied dans la Chambre
où l'on avoit eu ordre de la conduire
, que vingt-quatre Violons commencent
à luy donner un Concert.
Elle voit un magnifique Couvert
préparé , la plus conſidérable Nobleſſe
du Païs affemblée, & leVieillard,
qui en ſe jettant à ſes genoux,
la preſſe avec toute latendreſſe imaginable
de ſe vouloir raccomoder
avec luy. Tous ceux qui ſont préſensjoignent
leurs follicitations à ſes
prieres. L'attaque est forte , & la
Belle apeine à la foûtenir. On luy
donne le temps de ſe remettre , &&
quoy qu'elle ne ſoit pas tout-à- fait
rendue , on la trouve affez adoucie
pour efperer qu'on luy fera entendre
raifon. On fert un Repas des plus
fuperbes Son Amie prend place au
pres d'elle, la regarde , ſemet àrire,
&ne
GALANT.
135
& ne peut s'empeſcher de luy dire
un mot du Diamant. Il n'y avoit
rien de mieuxdécidé pour la gageure.
Le Repas finy , on propoſe la Promenade
, Le bon Homme , qui apres
ſa Femme n'aimoit rien tant que
les Chevaux , commande qu'on luy
en amene un qu'il avoit acheté depuis
peu , & qu'il neconnoiſſoit pas
encor. Il le monte pour faire voir à
la Belle que l'âge n'avoit pas épuiſé
toute ſa vigueur. Le Cheval eſtoir
fougueux , & il ne fe trouva pas fi
bien gourmandé par celuy qui le
montoit , qu'il ne l'entrainaſt dans
un Etang , où il s'abatit. On s'y
jetta pour le ſecourir; mais quoy
qu'on puſt faire, le bon Homme
s'y noya , & on ne l'en put retirer
que mort. Ainſi laBelle fut la cauſe
innocente de cet accident , & fe vit
Veuve dans le temps qu'elle avoit
tout ſujet d'en defefperer. La reflé
xion du Vieillard noyé , &noyé en
quelque façon pour elle, luy arracha
quel
136 MERCURE
quelques pleurs , qui ne coulerent
pourtant pas ſi abondamment , qu'elle
ne demandaſt à ſon Amie, à laquelle
des deux elle croyoit qu'il en
duſt couſter un Diamant.
Je viens à d'autres nouvelles. On
a tenu les Etats de Languedoc. L'Afſemblée
s'est faite à Montpellier. Μ'
le Duc de Verneüil , Gouverneur
de la Province , n'a pû s'y trouver.
Quand le Gouverneur est abſent ,
c'eſt au Lieutenant General à les
tenir. Ils font trois en Languedoc ,
parce que la Province eſt grande ;
& ces trois ont chacun leur Département.
Mr le Marquis de Calviſſon
eſt le premier, M'le Comte du
Roure le ſecond , & M'le Marquis
de Montanegre le troiſieme. L'ancien,
ny celuydans le Département
duquel les Etats s'aſſemblent , n'ont
pas pour cela plus de privilege de les
tenir. C'eſt tour à tour qu'ils ont
cet honneur. C'eſtoit cette année celuy
de M' le Marquis de Calviffon.
Il
GALANT. 137
11 eſt de la Maiſon de Nogaret , &
Lieutenant General des Armées du
Roy. On ne monte pas à ce degré
fans avoir donné en beaucoup d'occaſions
de grandes marques de courage&
de conduite. Il a eſté Meſtre
de Camp d'un vieux Corps. M' le
Chevalier de Calviſſon fon Frere
commandoit toutes les Compagnies
des Gardes à l'Affaire de Treves. Il
y fut tué en donnant des preuves
d'une valeur extraordinaire. Madame
leur Mere eſtoit Niéce du Mareſchal
de Thoiras , & portoit le
meſme Nom. Madame la Marquife
deCalviſſon eſt Fille de M' le Comte
de l'Iſle- Marivaut , Seigneur & Marquis
de la Rouë. C'eſt la meſme
qu'on admiroit il yaquelques années
à Paris , & que l'on n'y appelloit
que la belle de Marivaut , Nom
qu'elle s'y eſtoit acquis avec juſtice.
Pour reveniraux Etats , M'le Marquis
de Calviſſon , & M' Daguefſeau
Intendant , y ont expliqué les
vo138
MERCURE
volontez du Roy. M'l'Archeveſque
de Toulouſey a fait voirpar ſa Réponſe
la ſoûmiſſion des Etats aux
ordres de Sa Majesté ; & par une
diligence qui juſqu'icy avoiteſté inconnue
, les Etats ont arreſté le Don
gratuit à huit cens mille écus ; ce
qui fait voir l'affection des Peuples
pour noſtre Auguſte Monarque , &
la fage conduite de M' le Cardinal
de Bonzi , né Préſident des Etats
comme Archeveſque de Narbonne ,
l'un des plus habiles Négotiateurs
du temps , & connu pour tel dans
les Cours de Pologne , d'Eſpagne ,
&deVenife. Vous remarquerez , s'il
vous plaiſt , que ces meſmes Etats
donnerent l'année derniere trois millions
, & que leRoy pour faire goû
ter des fruits de la Paix à cetteProvince,
a bien voulu ſe contenter de
deux millions quatre cens mille
livres.
L'Aflemblée genérale des Com
munautez de Provence s'eſt auſſi tenuë
GALAN Τ . 139
nuë. Lamsbec eſt le lieu qui a eſté
choiſy pour cela. M' Roullié Intendant
de la Province , y a expliqué
- les volontez du Roy. Onya accordé
huit cens mille livres à Sa Majeſté
, laquellea eu la bonté d'en remettre
deux cens mille. C'eſt M'le
Comtede Grignan , Lieutenant General
de la Province , quia tenu cette
Affemblée , & le meſme qui nous
a enlevé la belle Mademoiſelle de
Sevigny , qui faisoit un des plus agreables
ornemens de la Cour.
M' le Mareſchal Duc de Navailles
, qui commandoit l'Armée du
Roy en Catalogne , & qui eſt tou
joursà Perpignan , ayant laiſſé deux
Bataillons, & quelque Cavaleriedans
le Comté de Cerdagne ; & fourny
les Garniſons des Places du Rouffil
lon , avoit envoyé en Provence toutes
les Troupes qui luy reſtoient. On
en avoit mis trois Regimens de Cavalerie
dans Arles; mais les Gouverneurs
& Confuls de cette Ville- là
ayant
140 MERCURE
ayant une entiereconfiance auxbontez
du Roy , luy députerent M' le
Marquis de Boche qui eſt connu de
Sa Majeſté par beaucoup de ſervices
qu'il luy a rendus dans ſes Armées ,
fur tout en ces dernieres Campagnes
à la teſte d'un Regiment de Cavalerie.
Le Roy qui connoiſt la fidelité
& la foûmiffion de la Ville d'Arles ,
reçeut favorablement latres-humble
priere de M le Marquis de Boche.
Sa Majesté n'a pas oublié le beau
Monument qu'on a élevé à ſa gloire
; j'entens l'Obeliſque dontje vous
ay envoyé la Figure , & qui a fait
tant de bruit dans le Monde. Aini
Elle voulut bien ſoulager cette Ville
de deuxRegimens, & luy laiſſa l'efpérance
de luy faire bien- toſt la meſme
grace pour le troiſieme. Le Pere
de ceMarquis , & tous ceux de cette
Maiſon , ont toûjours eſté fortement
attachez aux intereſts de leur
Païs , & n'ont épargnény leur ſang ,
ny leur bien pour le ſervice de l'E
tat ,
GALANT.
141
- tat , comme on le peut voir dans
l'Hiſtoire de Provence deNoſtradamus
, & de pluſieurs autres Hiſtoriens.
On ne doutera point de la
vigilance & du zele de l'Illuſtre Deputé
dont je viens de vous parler ,
quand on ſcaura qu'il a déja obtenu
le délogement du Regiment qui reſtoit
àArles .
M'de Maran Lieutenant Colonel
des Fuzeliers , & Brigadier d'Infanterie
, n'a pû reſiſter à une fiévre ,
apres avoir ſi ſouvent bravé les plus
fortes attaques de nos Ennemis.
On a fait paroiſtre beaucoup de
douleur à Troyes , pour la mort que
je vous ay déja appriſe de M' Mallier
du Houſſay ſon dernier Evefque.
Entre les autres honneurs qui
ont eſté rendus à ſa mémoire , on
luy a fait élever une eſpece de Maufolée
dans une desplusconſidérables
Eglifes de fon Dioceſe. Je vous en
envoye la Figure qui vous le prefentera.
Tout le corps de l'Ouvrage
eftoit
142 MERCURE
eſtoit d'un Marbre jaſpé rouge. Le
Marbre blanc avoit eſté employé aux
Panneaux du pied-d'eſtal , aux ornemens
, & aux quatre Enfans qui
s'y voyent. Les deux Panneaux de
devant & de derriere avoient de Inſcriptions.
Vous en pouvez lire une.
Voicy ce quiestoit dans l'autre. Piss
manibus R.R. In Chr . Pat. Fr. MallierduHoußay
, Trec. Dioec. Epifc. Cap.
Reg. Eccl. Trec. dicat, confecrat. Aux
Panneaux des deux coſtez eſtoient
des Baffe-tailles qui repreſentoient la
charité , & la douceur de ce grand
Eveſque.
Le nom du Pere de Bellemont Capucin
ne vous doit pas eſtre inconnu
, apres ce queje vous ay déja dit
de luy dans mes autres Lettres. Il
continuë à faire éclater par tout ce
zele ardent qui doit animerun Prédicateur
Miſſionnaire , & il fait de (
fi grands fruits par ſes charitables Remonftrances
, qu'un Cavalier penitent,
luy a depuis peu remis volontaipag.
142

GALANT .
143
tairement entre ſes mains une fomme
deniers pour eftre reſtituée au
Roy. Le Pere de Bellemont la por
ta à Sa Majefté, qui ne futpaspeu
furpriſe de cette délicateffe de confciencedans
unHomme d'épée. Elle
abandonna cette fomme auPerepour
en diſpoſer rommeil l'entendroiten
faveur; de ſon Convent; mais la
Regle des Capucins leur défendant
de rienrecevoir que pourune chofe
déterminée, le Roy eut la bonté
d'appliquer cette fomme pour leBatiment
de ceux de Conftantinople
que Sa Majeſtéentretient , avectoutes
les autres Maiſons des Capucins
Miſſionnaires dans la Turquie , &
dans les autresPaïs Infidelles ; ce qui
marque la grandeur du zele de ce
triomphant Monarque.
Nous avons depuis deux ans des
Bains & des Etuvesà la maniere des
Romains. Ils font tres-diférens de
ceux dont nous nous fommes ſervis
juſqu'icy. M' Dionis Chirurgien or
di144
MERCURE
dinaire de la Reyne , eſt le premier
& le ſeul qui en ait fait baſtir à Paris
. Quoy qu'il ait tiré ſes premieres
connoiffances des Bains dont on
ſe ſert à Rome , il a falu qu'il y ait
changé , & meſme ajoûté beaucoup ,
àcauſe de la diverſité du Climat ,
qui eſt moins chaud que n'eſt celuy
d'Italie. La diſpoſition du lieu eſt
riante , & fatisfait fort la veuë par
les Vaſes , Buſtes , Baffins , Porcelaines
, & Peintures , qui en font
les ornemens . Ces fortes de Bains &
d'Etuves ont tiré leur origine des
Levantins , qui ne reconnoiſſoient
point d'autre Medecine. Les Romains
en eurent connoiſſance apres
les Conqueſtes qu'ils firent dans le
Levant , & les ayant trouvez excellens
& pour la ſanté & pour la propreté,
ils en firent faire pluſieurs à
Rome . On y en a conſervé l'uſage
juſqu'àaujourd'huy. Les Empereurs
meſme en ont fait faire de ſi ſuperbespour
leur ſervice particulier, que
l'HiLANT
.
145
TE
G
Hiftoire
juſqu'à
quatre
employer
àla
deDiocletian
.
us marque qu'il y eut
cens mille Hommes
fonſtruction de ceux
On en voit encor les
Ruines, anh quedatceux deNéron , de Trajan , & d'Antonin, quitien- nent lieu parmy les Antiquitez de Rome. L'Italie nous avoit fourny plufieurs chofes que nous avonstrou- vées fort agreables; les Opéra, les Eaux glacées de toutes fortes de fleurs & de fruits, les Marbres, & mefme plufieurs manieres de baftir ;
épuiſétoutes
maisM'Dionis nous a fast voirque nous
n'avions
pas
encor
Refes
raretez
, ennous
donnant
cesmafnieres
deBains
quinous
avoient
efte
inconnuës
juſqu'à
préfent
.
Puis
que
vous
eſtes
Arbitre
des
Gageûres
qui
ſe ſont
faites
fur
les
Enigmes
du dernier
Mois
dans
quel
.
es
Societez
de
voſtre
Province
,
lez
les Diſputes
d'eſprit
qu'elles
fait
naiſtre
ſur
lesExplications je vous
fais
part
. Vous
troumbre
.
G ve146
MERCURE
verez le vray Mot de la premiere
dans celle qui fuit. Elle eſt de M'
Gardien Secretaire du Roy , qui n'a
fait ces Vers que pour rendre juſtice
au, mérite de Madame de Rambey.
Vous vous ſouvenez que c'eſt elle
qui a fait l'Enigme.
Croit- il donc m'échaperſans que je le devine ,
Ce noir & bizarre agrément ,
Qui fert aux Dames d'ornement ,
Amoy qui le premier chantay ſon origine ?
A l'entendre parler , diroit on qu'il y touche ,
Avecque fon Trône de fleurs !
En vain il prend mille couleurs ,
Je le connoyfort bien , c'est unefine Mouche.
Oliy Mouche , il est certain ; mais toute prétieuse
Pour sa grace & poursa beauté ,
Et l'on peut dire en veríté
Que l'on n'en vit jamais deſi bonne Faiſeuſe.
'D'une illustre Sapho , mais plus belle & plus
fage,
Dont l'esprit se fait renommer,
Et dont les yeux ſçavent charmer ,
Elle est le délicat & furprenant ouvrage .
Honneurde voſtre Sexe, &gloire du Parnaffe,
Si
ALANT .
ا ل
G
Si deres Mouche
Ne dites plus q
147
s-ry vous laissez chcirſouvent ,
putant en emporte le vent ,
qui les ramaffe
Vous trouverell
Avec le mesme
Que l'on ramasserdi
empressement,
Le plus beau Diamant.
J'ajoûte les noms deceux qui ont trouvé ce mesmeMot de la Mouche, Mele Chevalier du Terrië, Capi
taine
au
à Ath ; Regiment du Roy De Serival , Hautin, Fils d'unCon- Feiller honoraire du Chaftelet ; De
Lanonniere
-Jarroffon ,Fontanil Houppin le jeune; Fontaine des Ifles , d'Orleans ; Noiret , de Ro- üen; Chantreau; Des Avaris; Des Rofiers, de Rennes; Couliner, Fils d'unMaiſtre Des Comptes dePa- ris; Rault, de Roüen;Le Mau- Vileu , de Chauven; Germain, de aen; De Lonlay, de Valoigne; fixderniers en Vers;)Boytet, Jeans; DeBernicour
, deTour-
Meldem. Marie-Anne de S.
n, & du Colombier
; & pifelles de S. Paul, de S.
G2
Che148
MERCURE
Cheron. La Coife detafetas , unMajque
, un Loup , &un Manchon , font
d'autres Mots qu'on a appliquez à
cette Enigme.
M Maillet le Verd , Echevin de
Troyes , a expliqué ainſi la ſeconde
dans ſon vray ſens .
Reſvant un jour Tirfis & moy
Sur lesens qu'enfermoit cetteEnigme nouvelle .
Ma pauvre petite cervelle
En moins de rien fut toute en deſarroy.
Je renferme ſouvent une haute ſageſſe ,
Cela m'embaraſſoit le plus:
Mais Tirfis fans tant defineſſe
Mit tout d'un coup le doigt defſſus ;
Car m'oſtant ma Calotte , & me touchant
la teste ,
Si la chose dont il s'agit
Couvre ſouvent des Gons d'efprit ,
Souvent auffi , dit-il , elle couvre une Beste.
M' Maillard , du Quartier S.
Paul; Le bon Clerc , de Châlons ,
&M' de Manſec, S'de Pontdouble;
ont donnéle meſme ſens , le dernier
en Vers Les autres Explications ont
eſté ſur le Chapeau , la Plume à écri-
Te,
GALANT .
149
-
00
re, une Peau à couvrir un Livre, la
Mer , & un Tambour de Basque.
Ceux qui ontdeviné l'une & l'autre
Enignie, ſont M" Rouſſel , Aumônier
ordinaire du Roy , à Conches;
Panthot , Medecin ; Du Ry
de Champdoré ; Baillé le jeune ,
d'Agen ; De Bonnecamp, de Quimper;
De Bollain, Capitaine au Regiment
de Picardie ; Du Val l'aifné,
Medecin d'Evreux ; Frolant,
Avocat en Parlement ; Treblig , de
Villedieu ; D'Infré ; L'Anglois , de
Pontoiſe ; & Meſdemoiselles de la
Mariniere ; Raince, dela Rue Chapon
; Fredinie , de Pontoiſe ; La
Societé Cloiſtrée de Paris; Potier
de Lange , de Compeigne ; Du
Mont ; Les Dames inſéparables du
Périgord ; L'Amant def-intereſſé de
Bordeaux; Meſdemoiselles Rappé ,
Maficq , Metoyer, Meſchin; La
belleJoupeau de la Flote en l'ffle
de Ré; & Belamire amoureux. El
les ont eſté expliquées en Vers pa
G3 M
f
e
:
150
MERCURE
Ms le Coq de Boirivey ; De Lutel ,
de Soiffons ; Du Lampet, deClermonten
Auvergne ; De Lorne ; Aimés
le Fils , de Beziers ; Maillet le
Verd; L'Abbé de Sacy , deRouen;
Chantleu ; Du Mont Avocat à
Chaumont ; Hordé ; & le Chevalier
de Leffé.
G
Les deux nouvelles Enigmes que
je vous envoye ; font ; la premiere ,
de M. le P. la Tournelle ; & l'autre
, de Mr Taveault , de Nuis en
Bourgogne.
1
ENIGME
J'ay longtemps foûtenu ma Mere,
Qui m'a perduë en ſefauvant..
Fay des Soeurs à foiſon , ſans aavvooiirr un ſeul
Frere,
Ny rien qui paroiſſe vivant.
1
Mes Soeurs & moy pourtant nous faiſons des
querelles
Qu'on craint autant que les Duels.
Les traits que nous lançons, s'ils ne font pas
mortels,
Engendrent des haines mortelles.
Fieres comme des Amazonnes ;
६ Nous
i
1
GALANT. 151
Nous nous attaquons aux Etats ,
Et fans nous ménager avec les Couronnes ,
Frondons Edits & Magistrats.
C'est nous qui rempliſſons , ou qui vuidons la
bourse ,
Qui faiſons revivre les morts ,
Et dont il faut ſouvent fendre & foüiller le
corps.
Pour mettrefin à nostre course.
AUTRE ENIGME.
On ne voit point dans la Nature
De lemien, corps plus petit que
Et cependant je fais si bien ,
:
Que je suis plus fécond qu'aucune Creature.
F'aurois tropde fureur dans les grandes chaleurs,
L'Hyver eſt destiné pour me mettre en usage ;
Fay l'humeurfi piquante, &l'esprit ſi ſauvage,
Que plus on me chérit , plus on verſe de pleurs .
Pourse fervir de moy , qu'on me mette en
pouffiere ,
Qu'on employe à me battre , & la nuit &
lejour ,
Je n'en feraypas moins audacieuse &fiere ;
Malheur aux Gens qui me font trop laco
Mademoiſelle Fredinie, de Po
toife , a parcé les obſcuritez de
G4 nig
١٨٢٠
৩০-
Eme
152 MERCURE
nigme d'Euridice, en finiſſant par ces
Vers l'explication qu'elle luydonne.
Ouy, j'auray la confusion
De m'estre attachée au Mensonge;
La Fable d'Euridice eſt une illuſion ,
Et voſtre Enigme n'est qu'un Songe.
Ce dernier Mot eſt le veritable
de l'Enigme , & a eſté auſſi trouvé
par M's Robert , de Châlons en
Champagne ; De Serival ; Baillé le
jeune; Le Coq de Boiſrivey , &
Carré d'Anſey pres de Dijon. On
l'a encor expliquée ſur l'Echo, leMiroir
, la Fumée , la Curiosité , Eclypse
de Lune , & le Seau. Toutes
ces Explications ont leurs beautez ;
mais à l'égard du Songe , il ſeroit
difficile de rien imaginer deplus juſte.
Pluton rend Euridice à Orphée ,
avec defenſe de la regarder , qu'il
ne ſoit entierement forty des Enfers.
Il marche. Il fait quelque temps violence
à fon amour, mais à peine at-
il entre-veu la ſombre lumiere que
le Soleil fait deſcendre juſqu'à l'entrée
1
GALAN T.
153
a
t
P
trée de ces lieux de confufion & de
tenebres , qu'il tourne la teſte , &
cede à l'impatience de ſçavoir ſi ſa
chere Euridice le fuit. Il la voit entraînée
par des Ombres , qui la ramenentdans
les Enfers. Voila ce qui
nous arrive ſouvent en dormant.
Nous jouiſſons de tout le bonheur
que nous pouvons ſouhaiter. Mille
flateuſes Images nous le reprefentent.
Le jour vient. Nous ouvrons
les yeux , & cet imaginaire bonheur
s'évanoüit avec le ſommeil qui l'a
caufé. A vouloir pouffer un peu la
morale , il y auroit icy lieu dedire
que toute la vie n'eſt qu'un ſonge ,
mais je ſuis preffé de vous faire voir
l'Enigme d'Hercule & de Promethée.
Ce ne font pas des noms inconnus
pour vous. Vous ſçavez que cedernier
ayant dérobé le feu du Ciel ,
-fur attaché au Caucaſe; oùune Aigle
luy venoit tous les jours dé
rer le cooeur. Ce fuplice auroitpeuteftre
eſté eternel , auffi-bien qu
Gig
chieceluy
HERCULE ET PROMETHEE ENIGME
GALANT .
155
luy d'Ixion , de Sifyphe , & de beaucoup
d'autres fameux culpables, fi
Jupiter n'euſt aimé Thétis. Promethée
qui avoit une parfaite connoiffance
de l'avenir, le détourna
de ce Mariage , en luy faiſant dire
qu'il avoit eſté arreſté par le Deſtins
, que celuy qui naiſtroit de
Thétis feroit plus grand que fon Pe
re. Jupiter ſe ſouvenant de ce qu'il
avoit fait contre Saturne, étoufa
Pamour qu'il avoit pris pour cette
Déeffe; & pour récompenfer Promethée
, il envoya Hercule auCaucafe.
Hercule tua l'Aigle , & rompit
les chaînes de Promethće. Voila
la Fable. Trouvez le ſens de
l'Enigme.
Il ne mefuffitpoint de vous avoir
parlé des ouverture des Audiences
qui fofait toujours un Lundy, quin-
Séjours ou trois ſemaines apres la
S. Martin. Il faut vous entretenir
des Mercuriales. Elles ne manquens
jamais de ſe faire le Mercredy fui-
G6 vant,
156 MERCURE
/
vant , & on les appelle Mercuriales
par cette raiſon. Comme ces fortes
deDiſcours ſont des Remonſtrances,
ils font cauſe que tout ce qui eft
Reprimande , a pris le nom de Mercuriale.
Les Gens du Roy ſe tenoient
anciennement à l'entrée de la
Grand'Chambre ; & comme tous les
Conſeillers y devoient paſſer , ils prenoient
ce temps pour leur faire ces
Remonftrances; mais cet uſage a eſté
changé , & l'on a étably les Mercuriales
, qui confiſtent preſentement
en des Harangues publiques.
M' le Premier Préſident parle d'abord
aux Huiſſiers ; en ſuite on
vaquerir Meſſieurs les Gens du Roy ,
& il leur adreffe la parole en commençant
par ces mort, Gens du Roy.
Voicy à peu pres ce que Monfieur
de Novion leur dit la derniere fois.
Il fit connoiſtre , Qu'apres avoir deja
parlé des avantages du Silence , il fembloit
que c'estoit le bleffer , de faire une
autre foisson éloge; mais qu'il luy re
Stoit
GALANT . 157
ſtoit beaucoup de choses à dire qui pouvoient
estre d'une grande instruction. Il
dit en ſuite , Que lesilence fut fi bien
observé dans l'Aréopage , que lesGrecs
en firent un Proverbe parmy eux, &
que ce fut dans cette celebre Assemblée
que Caton parla avec tant de juſteße,
& queſon Interprete ſe rendit ſi ennuyeux
, qu'il donna licu de dire que les
discours Romains partoient de la teste ,
& ceux desAthéniensſeulement des levres.
Il ajoûta , Que les Egyptiens ne
s'expliquoient que par des hiérogliphes ,
& que le laconisme avoit toûjours
esté le caractere de la plus vive Eloquence
; Que Licurgue diſoit quefonPeuple
aimoit la briéveté, parce qu'elle approchoit
le plusdufilence. Ildit encor,
Que le filence estoit le langage du Ciel;
Que les Oracles avoient peu parlé; Que
Dieu mesme avoit blámé la prolixité
juſques dans la priere ; & que lorsque
Moiſe eust en l'avantagedeconféreravec
cette Majesté ſupréme, il connut qu'il
avoit moins de facilité à s'exprimer , &
G7 Sen158
MERCURE
Sentit que fa langne estoit empeſchée. Il
conclut de là , Que ce qu'ily a deplus
fublime nous apprend à peu parler , &
finit en diſant , Qu'ilne faloit rien obmettre
de neceſſaire , & ne rien de fuperflu
, &que Caton fut admiré de n'avoir
rien dit en ſa vie dont il eut eufujet
de ſe repentir.
Ce difcours eſtant finy , M le
Premier Préſident adreſſa la parole
aux Conſeillers , & ayant commencé
par le mot de Meſſfieurs , il leur
dit , Que fi le filence estoit bienſeant à
tout le monde , il l'estoit encor plus aux
Magistrats , dont laſuffisance estoit connuë;
Que l'Homme publicne devoit pas
toûjours dire tout ce qu'il sçavoit , &
devoit toûjourssçavoir ce qu'il eſtoit temps
de dire ; & que s'il n'estoit pas maistre
defa langue , il estoit incapable des grands
Emplois. Il dit en ſuite , Que legrand
Parleur estoit comme un Epileptiquequi
alloit tomber où le bazard & laviolèn
ce de fon mal leportoient ; que la Ma
giftrature estoit une Milice ; Que la Vic-
1
toire
GALAN T ..
159
1
toire ſuivoit le fecret , & qu'on liſoit
dans Homere, que les Troupes Troyennes
qui marchoient à grand bruit, estoient
toujours infortunées , tandis que lesGrecs
qui tenoient leurs marchesſecretes , rem
portoient des victoires continuelles. Il dit
encor, Que ces meſmes Grecs en loüant
la valeur d'Achille , n'avoient pû donner
une plus éclatante idée de celle de
noſtre incomparable Monarque; Que
tant de Troupes unies contre les interests
de la France , n'avoient pû autre chose
que publier des deſſeins inutiles , pendant
qu'il avoit ſcen se prévaloir des avantages
du ſecret, & qu'il avoit fait des
prodiges de valeur. Il parla du fameux
éloge qui fut donné au grand Capitaine
de laGrece , &dit , Qu'ilnavoit
jamais paru d'Homme qui ſçeust
tant , & qui dist moins. Il finit par
ces paroles. En effet , Meffieurs, c'est
toûjours affez dire , que de satisfaire à
ſon ſujet , &souvent mesme le filence
fait la réponſe du Sage.
:
Ceux qui m'ont fait part de ces
deux
160 MERCURE
deux Diſcours ayant une memoire
tres-heureuſe , je nedoutepoint que
les penſées n'en foient beaucoup
mieux ſuivies qu'elles ne le ſont dans
celuy du jourdes ouvertures des Audiences.
Si- toft que M'le Premier Préſident
eut achevé de parler , M' Talon
fit un éloge du Roy ſur ce qu'il
nous donne tant d'occaſions de l'admirer.
Cet Eloge fut ſuivy de trois
Portraits , dont l'un fut du Magiſtrat
pareſſeux , l'autredu voluptueux,
& le troiſiémeduparfait. Ilappliqua
ce dernier à M. le Premier Préſident
de Novion. Il parla de ſa vigilance,
deſa grande activité, de ſon extréme
application aux Affaires , de lagrande
intelligence qu'il en avoit , &de
la prompte expédition qu'il procuroit
aux Parties. Il finit en diſant
que ſa préſence l'empeſchoit de dire
des chofes auſquelles il ſçavoit bien
que ſa modeſtie répugneroit , & en
excitant tous les Juges à l'imiter.
TouGALANT,
161
Toute l'Aſſemblée fut charmée de
cet éloge , & la fatisfaction qu'elle
en fit paroiſtre fut unemarque qu'elle
eſtoit fortement convaincuë de
tout ce qui avoit eſté ditàl'avantage
de M'le Premier Préſident.
Je vous envoyeray au premier
jour un Livre nouveau qui va fortir
de la Preſſe. C'eſt une Differtation
ſur un Voyage de Grece publié par
M' Spon. VousytrouverezdesRemarques
fort curieuſes ſur les Medailles
& fur les Inſcriptions ; & ce
qui vous y plaira le plus, vous y
verrez la Défenſe d'un autre Livre
qui n'apas moins eftéde voſtregouft
que de celuy du Public. Je parle
d'Athenes ancienne &nouvelle , que M
de la Guilletiere nous donna il y a
trois ans. On l'aattaqué. Vousexaminerez
ſi ona eu raiſon de le faire .
On m'a envoyé un Air nouveau
de M'des Fontaines. Je vous en fais
part. En voicy les Paroles.
AIR
162 MERCURE
AIR NOUVEAU.
Ce n'est qu'au retour des beaux jours
Qu'on doit fuivre l'ardeur que l'Amour nous
inspire.
Mais dés que l'Eté ſe retire ,
Il faut renoncer aux Amours.
En récompense ,
Si-toſt que l'Automne s'avance .
Il faut , pour celébrer de Bacchus la memoire,
Vuider , en s'éveillant, cinq oufix Brocs de Vin;
Et le reste du jour l'employer à tant boire,
Que nous ne sçachions plus s'il eſt ſoir ou
matin.
Je ne vous diray rien dela Guerre.
Ces Articles auroient mauvaiſe grace
dans un temps où l'on ne parle par
tout que de Paix ; & d'ailleurs on
ne s'eſt preſque point batu depuis la
derniere Lettre que vous avez reçeuë
de moy. Nous n'avons pourtant
pas laiſſé de prendre quelques
Places dans le Dioceſe de Cologne ,
où nos Troupes vivent commodément
, ainſi que dans les Païs de
Julliers & du Liege. L'Armée du
17
PrinD
eur
rcor
Helen
Qe n
erous
1,
GALANT .
163
a
les
Prince Charles a beaucoup ſoufert
fans ſe batre ; & l'obſtination que ce
Princea euë de la faire tenirſurpied
dans un lieu oùelle manquoitdevivres
, pendant qu'ilfaifoitrelever
Fortifications du Fort de Kell, luy
a beaucoup couſté. On afaitun Pont
de Bateaux à la place de celuy que
nous avons brûlé , & qu'on appellé
le Pont de Strasbourg. Le nouveau
eft bien éloigné de reparer la perte
de l'ancien, puis qu'il faudroitplus
de temps pour en rétablir une ſeule
Arche, que pour en dreſſer un de
Bateaux tout entiers
Vous attendez peut-eſtre que je
vous apprenne des nouvelles d'Angleterre.
Quoy que la def- unionqui
s'y eft formée aitdéja couſtédufang,
elle peut n'eſtre qu'apparente , &
avoir eſté produite par des intelligences
dont il n'eſtpas aifé de déveloper
lemyſtere. De la maniere dont
on agit de ce coſté-là, il ſemble
qu'on n'y ſçaitpas trop bien cequ'on
veut.
164 MERCURE
veut. Quand le temps nous aurapermis
de mieux penétrer dans le ſecret
des Intereſſez , je vous feray ſçavoir
en peu de mots , ce que je ne vous
apprendrois pas aujour-d'huy dans
un Volume , fi je vous mandois tout
ce qui ſe debite parmy ceux , qui
dans l'avidité de parler , raiſonnent,
des journées entieres ſur un oüydire
dont il n'eſt plus queſtion le
lendemain.
Je finis par l'Article que vous
m'avez particulierement recommandé
de la part de vos Amies. C'eſt
celuy des Modes. Il ſeroit difficile
de vous en parler plus certainement
que je vay faire. La plupartdes Etofes
que l'on porte font des Satins &
des Gros de Tours rebrochez avec
un cordonnet. On porte auſſi beaucoup
de Velours cizelez. Les fleurs
& le fonds des uns font couleur de
cheveux bruns ; & les autres ontdes
fonds blancs , & des fleurs brunes.
Les Jupes ſont couvertes à plein de
broGALAN
T. 165
!
}
broderie de ſoye; & quand on y
met des dentelles , on les joint de ſi
pres , qu'il ſemble qu'uneſeule couvre
toute laJupe. Quand on nemet
qu'un rang au bas des Jupes , c'eſt
ordinairement une broderie, & l'on
n'y met plus rien de couché ny de
volant. On portebeaucoupd'Habits
noirs , & preſque point deTabliers.
On a veu au commencementdel'Hyver
plus decent fortes deManchons
de pluche. Chaque Marchand en
avoit d'une façon particuliere. Les
pluches estoient de couleurs diferentes
, ce qui donnoit lieu de faire des
Manchons en Zigzac, en Echiquier
ou Damier , & àbandes , de diverſes
couleurs. Les riches ont eſté d'Hermine,
avec des bandes de tiſſu, qui
eſtoient auſſi de toutes fortesdecouleurs.
On en a veu de Marte avec
de la franged'or , & d'autres de Marte
, & tous couverts deteftes. Cette
derniere mode n'a pas eſte ſuivie. Il
s'en fait preſentement dont la pluche
eft
166 MERCURE
eft toute d'une couleur , avec un
cordonnet couſu deſſus de pluſieurs
manieres. On en voit auſſi avec ces
cordonnets , qui ont undeſſeintresagreable
Quoy que ma Lettre ſoit datée
du 31. de ce Mois , des raiſons que
vous pouvez aifément vous imaginer,
m'ont obligé de la finir la veille des
Feſtes. Ainſi vous n'y trouverez aucune
des Nouvelles qu'on a eu foin
de m'envoyer pendant les huit derniers
jours de l'Année. J'en remets
les Articles juſqu'au Mois prochain,
& n'oubliray pas une Feſte galante
qui a eſté faite à Grenoble, & dont
la magnificence mérite d'eſtre publiée
par tout. Je vous entretiendray
en meſme temps des Régals qu'on a
faits icy aux Ambaſſfadeurs de Hollande
, de Charges qui ont eſté données
nouvellement , & de tout ce
qui s'eſt paſſé touchant la Paix d'en
tre la France & l'Eſpagne depuis que
la Ratification est venue. Cetteheureufe
1
ALANT. 167
reuſe Paix eſt le fameux Ouvrage de
LoüiS LE GRAND . Les Chifres
Romains qui marquent l'Année
1678 pendant laquelle cette Paix a
efté concluë , ſe rencontrent dans
quatre mots Latins par leſquels M
de Vaux Maiſtre des Comptes àDijon
, nous a exprimédans cette Langue
ce que je viens de vous diredans
la noſtre. PAX LVDOVICI
MAGNI OPVS . Ces lettres
numérales miſes en ordre , font
M.DC. LXVVVIII. Je ne
doute point qu'on ne m'envoye
quantité deGalanteries qui ſe ſeront
faites au ſujet des Etrennes. Ce fera
par elles que je commenceray àvous
faire voirque mes Lettres feront deformais
remplies de matieres agreables
& divertiſſantes , quoy que le
refte n'y foit pas oublié pour ceux
qui ne font pas leur plaifir de ce qui
plaiſt aux belles Ruelles. Je ſuis, &c.
A Paris ce 31 Decembre 1678.
TABLE des MATIERES
contenuës en ce Volume.
Avant-propos ,
I
Lettre fur une Galere bâtieà Marseille en un
feul jour, 9
Mariage de M. le Marquis de La Pierre & de
1
Mademoiselle de l'Albe , 22
Madrigal, 24
Ouverture du Parlement de Dijon , 25
Les Amans Pelerins , Hiſtoire, 28
Contract galant fait par M. Robbe 38
Ceremonies obſervées à Montpellier pour la
Publication de la Paix concluë entre la
France & la Hollande , 42
Reception faite à Madame la Comteſſe de S.
Valier , à S. Valier , 44
Publication de la Paix à Saumur , 46
Réjoüiſſances faîtes à Romorantin enBerryfur
leſujet de la Paix , 47
Laboratoire des Capucins du Louvre. 48
Air Nouveau
53
Deſſein d'une Table pour apprendre en fort peu
de temps à toucher le Theorbe fur la Baffe
continuë , ibid.
Traité touchant lanouvelle invention Françoise
des Sautereaux , 55
Mort de M. de Nanteüil ,
57
Mort de M. Dormoy Gouverneur des Invalides
,
59
Mort de M. du Tronchet , 60
M de S. Hilaire le Pere vit encore ibid.
TABLE.
4
La Magie naturelle repreſentée par les Comediens
Italiens ,
61
Sujet de l'Opera nouveau de M. de Lully , 62
Andromede , Opera donné tous les feudis en
Concert par M.de Moliere ,
Mort de M. d'Estival ,
63
65
Meſſieurs de l'Univerſité font faire un Boutde-
l' An & une Oraiſon funebre à feuM.le
Premier President de Lamoignon , ibid.
Tout ce qui s'eſt paſſé à l'ouverture des Audiences
du Parlement ,
Galanteries de la Cour de Savoye ,
67
77
Continuation des Divertiſſemens àNimmegue,79
Vers preſentez à M. Barillon Morangis , 81
Harangue faiteen Languedocà M. le Cardinal
de Bonzi au nom des Treſoriers de
France , 84
M. le Marquis de Boufflers preſte le Sernzent
defidelité entre les mains du Roy pour la
Charge de Colonel General des Dragons , 87
Mort de M. le Comte dela Baume Montrevel,88
Election d'un nouveau Maire à Brest , avec les
Ceremonies qui s'obſervent le jour deſa Reception
, 89
M.l'Abbé Colbert entre en retraite au Semi-
7
naire de S. Sulpice. Origine des Seminaires
,
94
و
0
Madrigal fur le langage des Yeux ,
Dialogue de la Raison & de la Rime ,
Sentimens d'un Medecin écrits àfon Amy ,
fur la Lettre des Peres Capucins du Lou-
97
98
Decembre. H vre
TABLE.
vre employée dans le Mercure Galant du
mois de Novemb.
Air Nouveau ,
La Veuve par hazard , Hiſtoire ,
112
126
127
Tout ce qui s'eſt paſſéà l'Aſſemblée des Etats
de Languedoc tenuë à Montpellier , 136
Aſſemblée generale des Communautez de Provence
tenuë à Lamsbec
139
Bontez du Roy pour la Ville d'Arles , ibid.
Mort de M. de Maran , 141
Effets du zele du P. de Bellemont , 142
Bains & Etuves à la maniere des Romains
établis à Paris , 143
Explication en Vers de la premiere Enigme du
mois de Novembre , 146
Noms de ceux qui l'ont devinée , 147
Explication en Vers de la ſeconde Enigme du
mois de Novembre , 148
Noms de ceux qui l'ont devinée , ibid.
Noms de ceux qui ont devinée les deux, 149
Enigme, 150
Autre Enigme, 151
Noms de ceux qui ont expliqué l'Enigme en
figure , 152
Tout ce qui s'est passé aux Mercuriales du
Parlement 155
Differtation fur un Voyage de Grece. 161
Air Nouveau , 162
Article de la Guerre. ibid.
Article des Modes. 164
Conclusion. 166
Fin de la Table..
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Remarque

Contrefaçon du Mercure de Paris.

Soumis par lechott le