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1
p. 20-57
LA MALADIE DE L'AMOUR.
Début :
L'Amour ne faisant pas moins parler de luy que la Mort / Les Graces venoient de laisser l'Amour entre les bras du [...]
Mots clefs :
Amour, Grâces, Destin, Beautés, Jeunesse, Maladie, Remèdes, Bonheur, Vénus, Hyménée , Plaisirs, Mercure, Éloignement, Temps, Raison
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texteReconnaissance textuelle : LA MALADIE DE L'AMOUR.
L'Amour ne faifant pas moins parler de luy que la Mort, adonnélieu depuis quelque temps à la Piece
ſuivante. Elle faitdu bruit,ellea ſes Partiſans,vousjugerez s'ils ont raiſon d'en dire du
bien.. LA MALADIE
DE L'AMOVR.
L
Es Graces venoient de
laiſſer l'Amour entre les
bras du Sommeil , &fe mocquoientde la ſtupiditéde ce Dieu, qui ayant l'avantage de poſſeder tousles joursles plus belles perſonnes du monde ,
ne leurdit iamais une parole ,
tant il a peurdedes-obligerle filence qui le loge dans ſon Palais , quandelles virent ar- river inopinément l'Amour.
lavoitfonBandeau àla main,
&laiſſoit voir autant de colere dansſesyeux, que d'aba- tementſur ſon viſage.
16 LE MERCURE
Non, dit- il,en entrant ie n'enreviendray pas,
lel'ay iuré,iabandone lemode,
Fuyons des lieux où l'iniuftice abonde,
C'est trop avoir comerce avecdes
Ingrats.
Pourprix de mes lõguesfatigues Alesſervirdas leurs intrigues,
Ozer tenir de moy mille infolens
propos?
Chercherfans ceſſe àmefaire in.
cartade,
Ien'enpuisplus,i'enſuis malade,
Promptement , un Lit de repos.
Les Graces qui n'ont iamais
plus de joye que quand elles font avec l'Amour , ne furent
point pareſſeuſes à le fatisfai- re. Elles luy dreſſerent un lit
de roſes , & le dépouillerent
GALANT.17 - de fon Carquois, dont il brifa les flêches devant elles. Il ſe
coucha en ſuite , & en ayant receu mille careſſes par lef- quelles elles tâcherent à le conſoler de ſon chagrin ;
Recouvrons le repos que trop
d'embarras m'oſte,
Cherchons,dit- il, cherchonsde la
tranquillité:
Si iesouffre c'est voſtre faute ,
Et mon malheur ne vient que de
voſtrefierté.
Partout ou vous mevoulezfuivre ,
Comme vous y menez &les Ris
&les leux,
Ie ne voy que des Gens affez con- tensdevivre
Lecœur embraséde mesfeux ;
Mais l'ordre du Destin qui vous
18 LE MERCURE fitimmortelles,
Vous faisant demeurer toûjours icunes &belles ,
CePrivilegegaste tout ,
Ilfait que vous n'aimez àvoir
quevosſemblables ;
Etquand iepense ailleurs vous rendreunpeu traitables,
Ien'ensçauroisveniràbout.
MilleAmantes ont beau chercher
defeurs remedes Aux maux que vous pourriez m'aideràdétourner,
Vousdédaignez les Vieilles &les
Laides
Chezqui ietâcheàvous mener;
Et cependantfans vous quepuis- iefeulpour elles ?
Ilm'enfaut tont les jours effuyer
:
cent querelles :
L'ay tortquandpardégoût on leur
manque defoy ,
GALANT. 19
!
lefuis traité d'injuste &d'aveugle&de traiſtre ,
Et tout cela , parce qu'avecque
moy 1 Auprésd'ellesiamaisvousnevou.
lezparoiſtre.
N
Lesgraces dirent mille choſes obligeantes à l'amour pourſe juſtifier auprés deluy,&rejer- terent leur manque de complaiſance ſur l'impoſſibilité qu'il y a de preſter quelque agrément à des Beautez déja furannées ; car pour les laides,
dirent- elles , vous ſçavez que nous ne les fuyons pas toutes.
Il yen a quelques-unes ſur le chapitre deſquelles vous avez aſſez àvousloüerde nos foins.
Nous demeurős d'accord que quand vous les allez engager
20 LE MERCURE
:
4
à reconnoître voſtre pouvoir,
nous ne vous accompagnons pas ſeules , & que vous faites en forte que la Jeuneſſe ſe trouve avec nous ; mais de
grace , ceſſez de nous rendre
reſponſables de vos chagrins;
les plus grands que vous ayez viennentdu coſté des Hommes , & ce ſont pourvous de
terribles eſprits à gouverner.
Il est vray,dit l' Amourqu'ils me cauſent despeines,
Qui m'accablent àtous momës,
Ienepuis nyferrer , ny relâcher
leurs chaînes,
Queie n'aye àsouffrir de leurs déréglemens.
:
Si trop de reſiſtance àleur flame
opposée Leur fait perdre l'espoir d'une Conqueste aisée,
GALANT. 2[
Ieneſuis qu'unTyran dont- ilfaut s'affranchir ;
Etfi laBelle àqui ie les engage Se laiſſe unpeu trop toſt fléchir,
Iamais elle n'a dû meriter leur
hommage.
Ainsi d'unfaux déguisement
Couvranttoutes leurs injaſtices,
Lorsque iem'accommode à leur
temperament,
Ilsseplaignent infolemment Qu'ils sont contraints defuture
mescaprices.
Qu'ils soient fourbes , ſan foy ,
trompeurs , audacieux,
Bizares,inconstans, emportez,fu- -
rieux,
De leurs defauts c'est moyseul -qu'ils accuſent,
Moy qui cherchepartout la con- corde&la paix,
22 LE MERCURE
Etquicentfois ay cõblédebiensfarts Ces lâches, ces ingratsqui de mon nomabusent.
C'en est fait, ma reſolution eſt
priſe , ie romps pour toûjours avec eux; & puis que les pei- nes qu'ils ſe font eux- mêmes leur font oublier lesavantages qu'ils reçoivent de moy , ie m'en vengeray hautement, en ne retournant iamais ſur la
terre. Aces mots il demanda
qu'on le laiſſat repoſer pour ſe remettre des fatigues qu'il avoit euës avec les hommes; &
comme les maux des Dieux
s'en vont auſſi promptement
qu'ils viennent , & que leur gueriſon dépend toûjours de leur volonté, lesGraces ne ſe
GALANT. 23
1
mirent pas en peinedu reme- de qu'il falloir apparter à la maladie dontil s'eſtoit plaint,
&elles le laiſſerent dormir
juſqu'au lendemain , qu'elles nemanquerent pasdeſe trou- verà ſon réveil. Ce repos qu'il avoit pris extraordinairement
(car il luy eſt fort nouveau
d'en prendre) luyavoit mis ſur leteint une fraîcheur qui les
ébloüit. Il leur parut plus po- relé qu'il n'avoit accoûtumé
- del'eſtre,&elles le trouverent
ſi beau, qu'elles ne pouvoient ſe laſſer de luy en faire paroître leur admiration .
Ahquelbonheur, dit- il, de pouvoiràfon aiſe
Dormir ainſi tranquillement !
Ie puis d'un doux loisir profuer
pleinement ,
24 LE MERCURE
Sansqu'ilfoitsurprenant que le
:: repos me plause,
?
:
Vnlong trava Idemande un long
delaffement Que n'ay jepointfouffert , pen.
dant quesur laterre L'offrois en vain la Paix qui doit
Suivre l'Amour !
Toûjours dispute,toûjours guerre:
L'étois àtout calmeremployénuit
&iour ;
Maisqu'avons- nous , immortels
que noussommes,
Anous inquieter, comme le monde ira ?
Quant àmoydeformais , prenne Soinqui voudra
Des affaires du cœur des homes,
;
İyrenonce,fansmoyſoit aiméqui
pourra.
Cefont des importuns qu'on ne
peutSatisfaire,
Et
GALANT. 25 7
Et qui d'un sentiment toûjours contraire au mien,
Trouvant ce qu'ils n'ont pas dignefeul de leurplaire ,
Veulent tout &ne veulent rien.
Trois jours s'écoulerent de
cette forte , pendant leſquels lesGraces tinrent fidelle compagnie à l'Amour. Comme ce n'est qu'un enfant, elles avoiét
le plaifir de le pouvoir baifer
ſans ſcrupule , & c'eſt entre- elles à qui l'auroit plus ſou- vent entre lesbras. Cependant Vénus qui avoit fait un voyage en terre , en eſtoit revenuë toute indignée , de ce qu'au lieudeshonneurs qu'elle avoit
accouſtumé d'y recevoir , elle avoit trouvé ſes Temples de
ferts.
Tome 2. B
26 LE MERCURE
Parcetteoyfivetéquepretendezvousfaire,
Dit-elleàsonfils triſtement ?
Magloire vous est-elle aujour.
d'huy lipeuchere,
Quevous puissiezvoirvôtre mere
Qu'àl'envytoutle mondeoutrageimpunément ?
Ladifcorde en ma placeen terre reverée,
Par voſtre éloignement joüit de meshonneurs :
Temevoyfans encens quand elle estadorée;
Etparses discoursfuborneurs,
Ellea tant fait partout quema
honteestjurée.
C'est trop , nesouffrez pasqu'elle mepousse àbout ,
Remettez les mortels dans leurs
premieres chatnes ;
S'il vous en coûtequelquespeines,
と
GALANT. 27
Par elles il est beau d'estre maistre
detout.
Venus eut beau faire des remontrances, l'Amour s'obſtina
àvouloireſtre malade, &pre- tendit que les hommes ne va- loient pas qu'il ſe privat pour euxdu repos quiluyeſtoit ne- ceffaire. Il s'en accommodoit
lemieux dumonde, &il n'avoit jamais rien trouvé de fi
doux que de paſſer les iours entiers, comme il fa foit , à fo lâtrer avec les Graces qui ne le
quitoient point. Mercure qui le cherchoit pour luy rendre comptede ce qui s'eſtoit paſſé fur la terre depuis ſon départ ,
le trouva qui ſe divertiſſoit avec elles &le voyant aſſis fur
les genoux del'une,tandis que l'autre luy tenoit les mains;
Bij
28 LE MERCURE
Ah vrayement,lay dit ilie vous
Lçayfort bongré Detout cejoly badınage ,
Detels amusemens conviennentà
voſtre âge ,
Maispourvous eſtre icy du mon- deretiré,
Vous avezfait un beau ménage.
Depuis qu'il vous a plû de vous
en éloigner,
Sçavez vous qu'iln'est rien qui n'ait changé de face ?
L'intereſtſeul en vôtre place
S'est acquis le droit de regner.
Il corrompt l'ame la plusſaine :
Ce n'est qu'emportement trouble, quefureur ,
, que
3
Chacun ne respire que haine ,
Les moins méchansfontfurpris de L'erreur
Quivers la difcorde les mene,
Tout s'y laiſſe entrainer , on s'at
GALANT. 29
taque, onsenuit.
Vouloir eftre obligeant, c'estfui- vre unechimere
Quedans les cerveaux creuxle
mauvais goût produit.
Comme on n'a nal defir de plaire,
On est pour lebeausexe , infolent,
temerare,
Et la civilité que tout le monde
:
fuit,
Cherchant employ par tout ne trouve rien àfaire.
L'Avarice eſt le mal leplus commundetous ,
L'épargne est en credit , plus de Modes nouvelles ,
Plus d'ornemens, plus de bijoux.
On nevoit qu'envieux , dont les
efprit jaloux
Semblentſe nourrir de querelles.
Personne ne fait plus ny Vers , uy Billets doux,
Biij
30 LE MERCVRE Plus d'agreables bagatelles ;
Onne donne ny Bals , nygalants Rendez-vous,
Et tous les homes pourles belles Sont devenus devrais hiboux.
Que ie ſuis ravy de cedeſor- dre , dit l'Amour tout réjouy !
Voilaun renverſementquime charme. Les hommes vont
connoiſtre ce que ie vaux, par les malheurs où les plongera mon éloignement. Mais,dites- moy ie vous prie que fait l'A- mitié ? At'on conſervé quel que reſpect pourelle?Et l'Hy menée avec qui i'eſtois ſi ſou- vent broüillé , fait-il mieux ſes
affaires ſeul qu'il ne les faiſoit
avec moy ?
L'Amitié, dit Mercure, avoulu
S'ingerer
GALANT.31
DEL
Defaire en terre vêtre office ;
Elleentretient les nœuds qu'on luy donneàferrer,
Mais le moindre debat la fait
presque expirer,
Et contrel'intereſt, pourpeu qu'il l'affoibliffe,
YON
Satiedeurnesçauroitdurer.
Quantàl'Hymen,parvôtre ab- fence
C'eſtpis centfois quecen'estoit
Acause du dégoût de l'indif ference [alliance,
Avecquidetout temps elleafait
vouséclatoit;
Toûjours quelque divorce entre
Maispourveu qu'on s'armâtd'un peudepatience,
Apresavoirgrondé, rompul'in- telligence ,
Vous vous raccommodiez, & tout
: feremettoit.
Biiij
32 LE MERCURE Apreſent que la Politique Portefans vous les gens às'unir pourtoûjours,
Dés qu'ons'estengagél'onn'aplus de beaux jours ;
Chacun en mots dolens
malheurs'explique ,
de fon
Etles regretsfont laseule Musiique,
Quichez les marieza cours.
Vous en riez ? Voila bien dequoy
rive.
Prenez-le ſur un autre ton ;
Sivous neretournez exercervôtre
empire,
Lemondesevaperdre, chacun
ensoupire,
Comme on faisoit du temps de Phaëton.
N'importe , repartit l'Amour ,
c'eſt ce que ie demande , ie ne
GALANT. 33
ſçaurois trop punir des fantaſ- ques, qui me faiſant trop inju- ſtement autheur de tous les
maux qu'ils fouffrent par leurs folies, n'ont aucune reconnoifſance des plaiſirs que ie leur procure. Le reposm'a'a fait goû- ter icy desdouceurs que ie n'a- voisiamais éprouvées , & iene meſens pas en humeur d'y re- noncer. Mercure le laiſſa dans
ceſentiment, &quelque temps s'eſtant encor paffé ſans que Venus pût obtenir de luy qu'il changeât de reſolution , un iour qu'il étoit fort en trainde rire , il entendit du bruit qui P'obligea à tourner la tête pour ſçavoir qui le venoit troubler dans ſa Retraite. Lecroiriezvous , luy dirent les Graces ,
c'eſt la Raiſon, vôtre plus irre
Bv
34. LE MERCURE
conciliable ennemie , quide- mande à vous parler.
Voilade mes ingrats oùvalamé- diſance,
S'écria-t'il touten courroux ;
Parce qu'illeurplaîtd'êtrefous,
D'aimerlahonteuse licence ,
Quin'est propre qu'aux loupsgaroux,
Ils nesçauroientsouffrir, fanss'en:
faire une offence ,
Qu'avecque la Raiſon iefois d'intelligence Pour mieuxfairegoûtermescharmes les plus doux ;
C'est elle cependant qu'à mefui- vrei'invite,
Partout ou iaydeffein de merendrevainqueur,
L'empruntefes couleurspourpein..
dre lemerite
GALANT.
35 Quidoit toucher unnoble cœur.
C'est alors qu'à mes traits se li- vrant avecjoye Ce cœurs'en laiſſepenetrer ,
Ie lay dois trop pour neme pas
montrer,
LaRaiſon me demande , ilfaut
queie la voye,
Dépêchez, qu'on lafaſſe entrer.
Acesmotsil courut au devant
d'elle , & témoigna parl'ac- cüeil le plus obligeant l'eſtime particuliere qu'il en faiſoit. La Raiſon receut ſes careſſes avec
plaifir , & le regardant d'un œil plus ſatisfait qu'elle n'avoit paru l'avoir en entrant :
Parcerestede bienveillance,
Luydit-elle , accordezàmes empreſſemens
36 LE MERCURE
Lebonheur de vostre presence,
Vous devez cette complaisance Al'appuy que ie donne àtous vos Sentimens.
Vousfçavezqueiamais ienevous fus contraire,
Que 'iay toûjours cherché l'union
avec vous,
Etqu'où nous terminons enſemble quelque affaire.
On se trouve affez bien denous.
Etouffez un chagrin qui nepeut
quemenuire.
Nos communs interêts nous y doi-
: vent porter :
L'un & l'autre, partout où vous
m'ofez conduire ,
Nous avons quelque appuy toûjoursànousprester ,
Vous meservez àm'introduire,
Etievousſirs àvousfaire écouter.
Depuis que les mortels ne vouS.
GALANT. 37
ontpluspourguide,
Vous desgroffieretez l'ennemy déclaré,
Il n'est rienſi défiguré,
I'ay beau chercherà leur tenir
labride,
Iene trouve par tout qu'orgueil
démesuré,
Quefaste insupportable, ou bêtise
timide;
Si ie quite un brutal ie rencontre
unstupide,
Pointde cœurgenereux point d'efprit éclairé.
Vousſeul à tant de maux pouvez donnerremede ,
Parvous lafiertés'adoucit,.
Parvous àſepolir ,ſans emprun- terd'autreaide ,
Leplus farouche reüſſit .
Revenez- donc au monde , oùpar vostre presence
38 LE MERCURE
Vous remettrez foudain la concorde&lapaix ,
l'ySoûtiendraypartout laforcede
vos traits,
Et nous en bannirons l'audace &
l'inſolence,
Si nous ne nousquittons iamais.
La propoſition ne déplût pas à l'Amour ; mais comme il fut
quelquetemps fans répondre,
la perfuafion qui eſtoit de -
meurée à la porte, crût qu'il eſtoit temps qu'elle parlat ; &
l'Amour ne la vit pas plûtoſt s'avancer , que prevenant ce qu'elle pouvoit avoir à luydi- re ; Arreſtez , luy cria-t'il de loin , ce ſeroit faire tort à l'union qui a eſtédetout temps entre la Raifon&moy,quede
croire qu'elle ait beſoin de vo
GALANT. 39
ſtre ſecours pour me faire en- trer dans ſes ſentimens. Il eſt
de certains Amours évaporez qui ne s'en accommoderoient
pas ; mais pour moy qui ſuis ennemydudéreglemét ( quoy que s'en ſoient voulu imagi- ner les hommes ) ie n'ay point
demeilleure amie que la Raifon. Il eut à peine achevé ces mots , qu'il apperçeutlaGloi- re , qui eſtant accouſtumée à
eſtre receuë par tout àbras ouverts , crut qu'il feroit inutile
de faire demander ſi l'entrée
buy ſeroit permiſe. L'Amour prit plaifir à la voir marcher d'un pas auſſi majestueux que fa mine eſtoit altiere. Il la receutfort civilement ; & apres
qu'elle eut répondu à ſes pre- mieres honneſtetez.
40 LE MERCURE Paroùpeut on avoir merité, luy
ditelle,
Que vous vous obſtiniez dans ce honteux repos ?
Il n'a iamais esté d'absence fi
cruelle:
Finiſſez là, chacun àl'envy voas
rappelle,
Eti'ay beſoindevous pourfaire
desHeros.
Pour les Exploits d'éclat quelque prixque l'étale,
Lavaleurſans Amourest aveugle,
brutale,
Etſemblemoins cueillir qu'arra- cherdes lauriers.
Dansle métier de Mars l'Amour
eft neceffaire,
Etc'est lefeul defir deplaire,
Qui fait lesplusfameux Guerriers.
4
GALANT. 41 L'Amour ſe trouva agreable- ment flaté de ce que la Gloire
luy dit,& il révoit à la réponſe qu'il luy devoit faire, quand il vitentrer tout à la fois,la Beauté , la Conſtance , la Galante
rie,& les Plaiſirs qui luy firent mille plaintes de ce que fon éloignement leur faiſoit ſouf- frir. La Beauté exagera com- bien il luy eſtoit honteux de
n'avoir aucun avantage ſur la laideur,&de n'être plus confiderée de perſonne , parce que
perſonne ne ſongeoit plus à
aimer. Mais ce qui commença d'ébranler l'Amour , ce fur ce
queluydirent les Plaiſirs , qui ſe voyoient malheureuſement exilez par le retranchement
des Feſtes galantes , & de tout
ce qui pouvoit contribuer au
42 LE MERCURE
divertiſſement des belles, tous
les jeunes gens eſtans tombez depuis ſon départdans une fa- le débauche , qui ne leur laif- ſoit trouverde lajoye quedans la ſeule brutalité. Ils parlerent fi fortement , & ils furent fi
bien ſecondez par les autres qui avoient le même intereſt qu'eux de faire revenir l'A- mour en terre , que ſe laiſſant
toucheràleurs prieres ;
C'estfait , vous l'emportez,leur dit-il,iemerends,
Quoyqu'endouceurpourmoy cet- teretraite abonde,
Ilfaut aller revoir mes injustes.
tyrans,
Er tâcher de mettre ordre à tous
les differens Que mon éloignement a caufé
GALANT. 43 dans lemonde ;
Puisqu'on le veut ainsi,igretourneavecvouS ,
Mais à condition qu'un traitementplus doux Effacerade moy ce que l'on afait croire,
Etquepour empêcher mille brutalitez
QuijettentsurmonNomunetâ- chetrop noire,
Partout ouieſeray, la Raison &
laGloire
Iront toûjours à mes costez.
Le party fut accepté, &il plut tellement aux Graces,qu'elles
jugerent de ne plus abandon- ner l'Amour.
ſuivante. Elle faitdu bruit,ellea ſes Partiſans,vousjugerez s'ils ont raiſon d'en dire du
bien.. LA MALADIE
DE L'AMOVR.
L
Es Graces venoient de
laiſſer l'Amour entre les
bras du Sommeil , &fe mocquoientde la ſtupiditéde ce Dieu, qui ayant l'avantage de poſſeder tousles joursles plus belles perſonnes du monde ,
ne leurdit iamais une parole ,
tant il a peurdedes-obligerle filence qui le loge dans ſon Palais , quandelles virent ar- river inopinément l'Amour.
lavoitfonBandeau àla main,
&laiſſoit voir autant de colere dansſesyeux, que d'aba- tementſur ſon viſage.
16 LE MERCURE
Non, dit- il,en entrant ie n'enreviendray pas,
lel'ay iuré,iabandone lemode,
Fuyons des lieux où l'iniuftice abonde,
C'est trop avoir comerce avecdes
Ingrats.
Pourprix de mes lõguesfatigues Alesſervirdas leurs intrigues,
Ozer tenir de moy mille infolens
propos?
Chercherfans ceſſe àmefaire in.
cartade,
Ien'enpuisplus,i'enſuis malade,
Promptement , un Lit de repos.
Les Graces qui n'ont iamais
plus de joye que quand elles font avec l'Amour , ne furent
point pareſſeuſes à le fatisfai- re. Elles luy dreſſerent un lit
de roſes , & le dépouillerent
GALANT.17 - de fon Carquois, dont il brifa les flêches devant elles. Il ſe
coucha en ſuite , & en ayant receu mille careſſes par lef- quelles elles tâcherent à le conſoler de ſon chagrin ;
Recouvrons le repos que trop
d'embarras m'oſte,
Cherchons,dit- il, cherchonsde la
tranquillité:
Si iesouffre c'est voſtre faute ,
Et mon malheur ne vient que de
voſtrefierté.
Partout ou vous mevoulezfuivre ,
Comme vous y menez &les Ris
&les leux,
Ie ne voy que des Gens affez con- tensdevivre
Lecœur embraséde mesfeux ;
Mais l'ordre du Destin qui vous
18 LE MERCURE fitimmortelles,
Vous faisant demeurer toûjours icunes &belles ,
CePrivilegegaste tout ,
Ilfait que vous n'aimez àvoir
quevosſemblables ;
Etquand iepense ailleurs vous rendreunpeu traitables,
Ien'ensçauroisveniràbout.
MilleAmantes ont beau chercher
defeurs remedes Aux maux que vous pourriez m'aideràdétourner,
Vousdédaignez les Vieilles &les
Laides
Chezqui ietâcheàvous mener;
Et cependantfans vous quepuis- iefeulpour elles ?
Ilm'enfaut tont les jours effuyer
:
cent querelles :
L'ay tortquandpardégoût on leur
manque defoy ,
GALANT. 19
!
lefuis traité d'injuste &d'aveugle&de traiſtre ,
Et tout cela , parce qu'avecque
moy 1 Auprésd'ellesiamaisvousnevou.
lezparoiſtre.
N
Lesgraces dirent mille choſes obligeantes à l'amour pourſe juſtifier auprés deluy,&rejer- terent leur manque de complaiſance ſur l'impoſſibilité qu'il y a de preſter quelque agrément à des Beautez déja furannées ; car pour les laides,
dirent- elles , vous ſçavez que nous ne les fuyons pas toutes.
Il yen a quelques-unes ſur le chapitre deſquelles vous avez aſſez àvousloüerde nos foins.
Nous demeurős d'accord que quand vous les allez engager
20 LE MERCURE
:
4
à reconnoître voſtre pouvoir,
nous ne vous accompagnons pas ſeules , & que vous faites en forte que la Jeuneſſe ſe trouve avec nous ; mais de
grace , ceſſez de nous rendre
reſponſables de vos chagrins;
les plus grands que vous ayez viennentdu coſté des Hommes , & ce ſont pourvous de
terribles eſprits à gouverner.
Il est vray,dit l' Amourqu'ils me cauſent despeines,
Qui m'accablent àtous momës,
Ienepuis nyferrer , ny relâcher
leurs chaînes,
Queie n'aye àsouffrir de leurs déréglemens.
:
Si trop de reſiſtance àleur flame
opposée Leur fait perdre l'espoir d'une Conqueste aisée,
GALANT. 2[
Ieneſuis qu'unTyran dont- ilfaut s'affranchir ;
Etfi laBelle àqui ie les engage Se laiſſe unpeu trop toſt fléchir,
Iamais elle n'a dû meriter leur
hommage.
Ainsi d'unfaux déguisement
Couvranttoutes leurs injaſtices,
Lorsque iem'accommode à leur
temperament,
Ilsseplaignent infolemment Qu'ils sont contraints defuture
mescaprices.
Qu'ils soient fourbes , ſan foy ,
trompeurs , audacieux,
Bizares,inconstans, emportez,fu- -
rieux,
De leurs defauts c'est moyseul -qu'ils accuſent,
Moy qui cherchepartout la con- corde&la paix,
22 LE MERCURE
Etquicentfois ay cõblédebiensfarts Ces lâches, ces ingratsqui de mon nomabusent.
C'en est fait, ma reſolution eſt
priſe , ie romps pour toûjours avec eux; & puis que les pei- nes qu'ils ſe font eux- mêmes leur font oublier lesavantages qu'ils reçoivent de moy , ie m'en vengeray hautement, en ne retournant iamais ſur la
terre. Aces mots il demanda
qu'on le laiſſat repoſer pour ſe remettre des fatigues qu'il avoit euës avec les hommes; &
comme les maux des Dieux
s'en vont auſſi promptement
qu'ils viennent , & que leur gueriſon dépend toûjours de leur volonté, lesGraces ne ſe
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1
mirent pas en peinedu reme- de qu'il falloir apparter à la maladie dontil s'eſtoit plaint,
&elles le laiſſerent dormir
juſqu'au lendemain , qu'elles nemanquerent pasdeſe trou- verà ſon réveil. Ce repos qu'il avoit pris extraordinairement
(car il luy eſt fort nouveau
d'en prendre) luyavoit mis ſur leteint une fraîcheur qui les
ébloüit. Il leur parut plus po- relé qu'il n'avoit accoûtumé
- del'eſtre,&elles le trouverent
ſi beau, qu'elles ne pouvoient ſe laſſer de luy en faire paroître leur admiration .
Ahquelbonheur, dit- il, de pouvoiràfon aiſe
Dormir ainſi tranquillement !
Ie puis d'un doux loisir profuer
pleinement ,
24 LE MERCURE
Sansqu'ilfoitsurprenant que le
:: repos me plause,
?
:
Vnlong trava Idemande un long
delaffement Que n'ay jepointfouffert , pen.
dant quesur laterre L'offrois en vain la Paix qui doit
Suivre l'Amour !
Toûjours dispute,toûjours guerre:
L'étois àtout calmeremployénuit
&iour ;
Maisqu'avons- nous , immortels
que noussommes,
Anous inquieter, comme le monde ira ?
Quant àmoydeformais , prenne Soinqui voudra
Des affaires du cœur des homes,
;
İyrenonce,fansmoyſoit aiméqui
pourra.
Cefont des importuns qu'on ne
peutSatisfaire,
Et
GALANT. 25 7
Et qui d'un sentiment toûjours contraire au mien,
Trouvant ce qu'ils n'ont pas dignefeul de leurplaire ,
Veulent tout &ne veulent rien.
Trois jours s'écoulerent de
cette forte , pendant leſquels lesGraces tinrent fidelle compagnie à l'Amour. Comme ce n'est qu'un enfant, elles avoiét
le plaifir de le pouvoir baifer
ſans ſcrupule , & c'eſt entre- elles à qui l'auroit plus ſou- vent entre lesbras. Cependant Vénus qui avoit fait un voyage en terre , en eſtoit revenuë toute indignée , de ce qu'au lieudeshonneurs qu'elle avoit
accouſtumé d'y recevoir , elle avoit trouvé ſes Temples de
ferts.
Tome 2. B
26 LE MERCURE
Parcetteoyfivetéquepretendezvousfaire,
Dit-elleàsonfils triſtement ?
Magloire vous est-elle aujour.
d'huy lipeuchere,
Quevous puissiezvoirvôtre mere
Qu'àl'envytoutle mondeoutrageimpunément ?
Ladifcorde en ma placeen terre reverée,
Par voſtre éloignement joüit de meshonneurs :
Temevoyfans encens quand elle estadorée;
Etparses discoursfuborneurs,
Ellea tant fait partout quema
honteestjurée.
C'est trop , nesouffrez pasqu'elle mepousse àbout ,
Remettez les mortels dans leurs
premieres chatnes ;
S'il vous en coûtequelquespeines,
と
GALANT. 27
Par elles il est beau d'estre maistre
detout.
Venus eut beau faire des remontrances, l'Amour s'obſtina
àvouloireſtre malade, &pre- tendit que les hommes ne va- loient pas qu'il ſe privat pour euxdu repos quiluyeſtoit ne- ceffaire. Il s'en accommodoit
lemieux dumonde, &il n'avoit jamais rien trouvé de fi
doux que de paſſer les iours entiers, comme il fa foit , à fo lâtrer avec les Graces qui ne le
quitoient point. Mercure qui le cherchoit pour luy rendre comptede ce qui s'eſtoit paſſé fur la terre depuis ſon départ ,
le trouva qui ſe divertiſſoit avec elles &le voyant aſſis fur
les genoux del'une,tandis que l'autre luy tenoit les mains;
Bij
28 LE MERCURE
Ah vrayement,lay dit ilie vous
Lçayfort bongré Detout cejoly badınage ,
Detels amusemens conviennentà
voſtre âge ,
Maispourvous eſtre icy du mon- deretiré,
Vous avezfait un beau ménage.
Depuis qu'il vous a plû de vous
en éloigner,
Sçavez vous qu'iln'est rien qui n'ait changé de face ?
L'intereſtſeul en vôtre place
S'est acquis le droit de regner.
Il corrompt l'ame la plusſaine :
Ce n'est qu'emportement trouble, quefureur ,
, que
3
Chacun ne respire que haine ,
Les moins méchansfontfurpris de L'erreur
Quivers la difcorde les mene,
Tout s'y laiſſe entrainer , on s'at
GALANT. 29
taque, onsenuit.
Vouloir eftre obligeant, c'estfui- vre unechimere
Quedans les cerveaux creuxle
mauvais goût produit.
Comme on n'a nal defir de plaire,
On est pour lebeausexe , infolent,
temerare,
Et la civilité que tout le monde
:
fuit,
Cherchant employ par tout ne trouve rien àfaire.
L'Avarice eſt le mal leplus commundetous ,
L'épargne est en credit , plus de Modes nouvelles ,
Plus d'ornemens, plus de bijoux.
On nevoit qu'envieux , dont les
efprit jaloux
Semblentſe nourrir de querelles.
Personne ne fait plus ny Vers , uy Billets doux,
Biij
30 LE MERCVRE Plus d'agreables bagatelles ;
Onne donne ny Bals , nygalants Rendez-vous,
Et tous les homes pourles belles Sont devenus devrais hiboux.
Que ie ſuis ravy de cedeſor- dre , dit l'Amour tout réjouy !
Voilaun renverſementquime charme. Les hommes vont
connoiſtre ce que ie vaux, par les malheurs où les plongera mon éloignement. Mais,dites- moy ie vous prie que fait l'A- mitié ? At'on conſervé quel que reſpect pourelle?Et l'Hy menée avec qui i'eſtois ſi ſou- vent broüillé , fait-il mieux ſes
affaires ſeul qu'il ne les faiſoit
avec moy ?
L'Amitié, dit Mercure, avoulu
S'ingerer
GALANT.31
DEL
Defaire en terre vêtre office ;
Elleentretient les nœuds qu'on luy donneàferrer,
Mais le moindre debat la fait
presque expirer,
Et contrel'intereſt, pourpeu qu'il l'affoibliffe,
YON
Satiedeurnesçauroitdurer.
Quantàl'Hymen,parvôtre ab- fence
C'eſtpis centfois quecen'estoit
Acause du dégoût de l'indif ference [alliance,
Avecquidetout temps elleafait
vouséclatoit;
Toûjours quelque divorce entre
Maispourveu qu'on s'armâtd'un peudepatience,
Apresavoirgrondé, rompul'in- telligence ,
Vous vous raccommodiez, & tout
: feremettoit.
Biiij
32 LE MERCURE Apreſent que la Politique Portefans vous les gens às'unir pourtoûjours,
Dés qu'ons'estengagél'onn'aplus de beaux jours ;
Chacun en mots dolens
malheurs'explique ,
de fon
Etles regretsfont laseule Musiique,
Quichez les marieza cours.
Vous en riez ? Voila bien dequoy
rive.
Prenez-le ſur un autre ton ;
Sivous neretournez exercervôtre
empire,
Lemondesevaperdre, chacun
ensoupire,
Comme on faisoit du temps de Phaëton.
N'importe , repartit l'Amour ,
c'eſt ce que ie demande , ie ne
GALANT. 33
ſçaurois trop punir des fantaſ- ques, qui me faiſant trop inju- ſtement autheur de tous les
maux qu'ils fouffrent par leurs folies, n'ont aucune reconnoifſance des plaiſirs que ie leur procure. Le reposm'a'a fait goû- ter icy desdouceurs que ie n'a- voisiamais éprouvées , & iene meſens pas en humeur d'y re- noncer. Mercure le laiſſa dans
ceſentiment, &quelque temps s'eſtant encor paffé ſans que Venus pût obtenir de luy qu'il changeât de reſolution , un iour qu'il étoit fort en trainde rire , il entendit du bruit qui P'obligea à tourner la tête pour ſçavoir qui le venoit troubler dans ſa Retraite. Lecroiriezvous , luy dirent les Graces ,
c'eſt la Raiſon, vôtre plus irre
Bv
34. LE MERCURE
conciliable ennemie , quide- mande à vous parler.
Voilade mes ingrats oùvalamé- diſance,
S'écria-t'il touten courroux ;
Parce qu'illeurplaîtd'êtrefous,
D'aimerlahonteuse licence ,
Quin'est propre qu'aux loupsgaroux,
Ils nesçauroientsouffrir, fanss'en:
faire une offence ,
Qu'avecque la Raiſon iefois d'intelligence Pour mieuxfairegoûtermescharmes les plus doux ;
C'est elle cependant qu'à mefui- vrei'invite,
Partout ou iaydeffein de merendrevainqueur,
L'empruntefes couleurspourpein..
dre lemerite
GALANT.
35 Quidoit toucher unnoble cœur.
C'est alors qu'à mes traits se li- vrant avecjoye Ce cœurs'en laiſſepenetrer ,
Ie lay dois trop pour neme pas
montrer,
LaRaiſon me demande , ilfaut
queie la voye,
Dépêchez, qu'on lafaſſe entrer.
Acesmotsil courut au devant
d'elle , & témoigna parl'ac- cüeil le plus obligeant l'eſtime particuliere qu'il en faiſoit. La Raiſon receut ſes careſſes avec
plaifir , & le regardant d'un œil plus ſatisfait qu'elle n'avoit paru l'avoir en entrant :
Parcerestede bienveillance,
Luydit-elle , accordezàmes empreſſemens
36 LE MERCURE
Lebonheur de vostre presence,
Vous devez cette complaisance Al'appuy que ie donne àtous vos Sentimens.
Vousfçavezqueiamais ienevous fus contraire,
Que 'iay toûjours cherché l'union
avec vous,
Etqu'où nous terminons enſemble quelque affaire.
On se trouve affez bien denous.
Etouffez un chagrin qui nepeut
quemenuire.
Nos communs interêts nous y doi-
: vent porter :
L'un & l'autre, partout où vous
m'ofez conduire ,
Nous avons quelque appuy toûjoursànousprester ,
Vous meservez àm'introduire,
Etievousſirs àvousfaire écouter.
Depuis que les mortels ne vouS.
GALANT. 37
ontpluspourguide,
Vous desgroffieretez l'ennemy déclaré,
Il n'est rienſi défiguré,
I'ay beau chercherà leur tenir
labride,
Iene trouve par tout qu'orgueil
démesuré,
Quefaste insupportable, ou bêtise
timide;
Si ie quite un brutal ie rencontre
unstupide,
Pointde cœurgenereux point d'efprit éclairé.
Vousſeul à tant de maux pouvez donnerremede ,
Parvous lafiertés'adoucit,.
Parvous àſepolir ,ſans emprun- terd'autreaide ,
Leplus farouche reüſſit .
Revenez- donc au monde , oùpar vostre presence
38 LE MERCURE
Vous remettrez foudain la concorde&lapaix ,
l'ySoûtiendraypartout laforcede
vos traits,
Et nous en bannirons l'audace &
l'inſolence,
Si nous ne nousquittons iamais.
La propoſition ne déplût pas à l'Amour ; mais comme il fut
quelquetemps fans répondre,
la perfuafion qui eſtoit de -
meurée à la porte, crût qu'il eſtoit temps qu'elle parlat ; &
l'Amour ne la vit pas plûtoſt s'avancer , que prevenant ce qu'elle pouvoit avoir à luydi- re ; Arreſtez , luy cria-t'il de loin , ce ſeroit faire tort à l'union qui a eſtédetout temps entre la Raifon&moy,quede
croire qu'elle ait beſoin de vo
GALANT. 39
ſtre ſecours pour me faire en- trer dans ſes ſentimens. Il eſt
de certains Amours évaporez qui ne s'en accommoderoient
pas ; mais pour moy qui ſuis ennemydudéreglemét ( quoy que s'en ſoient voulu imagi- ner les hommes ) ie n'ay point
demeilleure amie que la Raifon. Il eut à peine achevé ces mots , qu'il apperçeutlaGloi- re , qui eſtant accouſtumée à
eſtre receuë par tout àbras ouverts , crut qu'il feroit inutile
de faire demander ſi l'entrée
buy ſeroit permiſe. L'Amour prit plaifir à la voir marcher d'un pas auſſi majestueux que fa mine eſtoit altiere. Il la receutfort civilement ; & apres
qu'elle eut répondu à ſes pre- mieres honneſtetez.
40 LE MERCURE Paroùpeut on avoir merité, luy
ditelle,
Que vous vous obſtiniez dans ce honteux repos ?
Il n'a iamais esté d'absence fi
cruelle:
Finiſſez là, chacun àl'envy voas
rappelle,
Eti'ay beſoindevous pourfaire
desHeros.
Pour les Exploits d'éclat quelque prixque l'étale,
Lavaleurſans Amourest aveugle,
brutale,
Etſemblemoins cueillir qu'arra- cherdes lauriers.
Dansle métier de Mars l'Amour
eft neceffaire,
Etc'est lefeul defir deplaire,
Qui fait lesplusfameux Guerriers.
4
GALANT. 41 L'Amour ſe trouva agreable- ment flaté de ce que la Gloire
luy dit,& il révoit à la réponſe qu'il luy devoit faire, quand il vitentrer tout à la fois,la Beauté , la Conſtance , la Galante
rie,& les Plaiſirs qui luy firent mille plaintes de ce que fon éloignement leur faiſoit ſouf- frir. La Beauté exagera com- bien il luy eſtoit honteux de
n'avoir aucun avantage ſur la laideur,&de n'être plus confiderée de perſonne , parce que
perſonne ne ſongeoit plus à
aimer. Mais ce qui commença d'ébranler l'Amour , ce fur ce
queluydirent les Plaiſirs , qui ſe voyoient malheureuſement exilez par le retranchement
des Feſtes galantes , & de tout
ce qui pouvoit contribuer au
42 LE MERCURE
divertiſſement des belles, tous
les jeunes gens eſtans tombez depuis ſon départdans une fa- le débauche , qui ne leur laif- ſoit trouverde lajoye quedans la ſeule brutalité. Ils parlerent fi fortement , & ils furent fi
bien ſecondez par les autres qui avoient le même intereſt qu'eux de faire revenir l'A- mour en terre , que ſe laiſſant
toucheràleurs prieres ;
C'estfait , vous l'emportez,leur dit-il,iemerends,
Quoyqu'endouceurpourmoy cet- teretraite abonde,
Ilfaut aller revoir mes injustes.
tyrans,
Er tâcher de mettre ordre à tous
les differens Que mon éloignement a caufé
GALANT. 43 dans lemonde ;
Puisqu'on le veut ainsi,igretourneavecvouS ,
Mais à condition qu'un traitementplus doux Effacerade moy ce que l'on afait croire,
Etquepour empêcher mille brutalitez
QuijettentsurmonNomunetâ- chetrop noire,
Partout ouieſeray, la Raison &
laGloire
Iront toûjours à mes costez.
Le party fut accepté, &il plut tellement aux Graces,qu'elles
jugerent de ne plus abandon- ner l'Amour.
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Résumé : LA MALADIE DE L'AMOUR.
Le texte relate une conversation entre l'Amour et les Grâces, suivie par l'intervention de Vénus et Mercure. L'Amour, épuisé par les ingratitudes et les comportements injustes des hommes, décide de se retirer et de se reposer. Les Grâces, inquiètes, lui préparent un lit de roses et tentent de le consoler. L'Amour exprime son désir de tranquillité et critique les hommes pour leur inconstance et leur ingratitude, refusant de revenir sur terre et préférant rester avec les Grâces. Vénus, furieuse de voir ses temples profanés, tente de convaincre son fils de revenir, mais sans succès. Mercure informe l'Amour des changements sur terre, où l'intérêt et la discorde règnent. L'Amour se réjouit de ces malheurs, trouvant son repos doux et agréable. La Raison intervient alors et demande à l'Amour de revenir pour rétablir l'ordre et la justice. Parallèlement, une conversation critique l'absence de l'Amour, qui a laissé le monde dans le chaos. La Raison et la Gloire rappellent l'importance de l'Amour, soulignant que sans lui, les exploits héroïques sont vains et que la valeur sans amour est aveugle et brutale. La Beauté, la Constance, la Galanterie et les Plaisirs se plaignent également de leur souffrance due à l'absence de l'Amour, qui a conduit à une débauche brutale parmi les jeunes gens. Touché par ces plaintes, l'Amour accepte de revenir à condition que la Raison et la Gloire l'accompagnent pour éviter les brutalités et les mauvaises interprétations. Les Grâces approuvent cette décision, promettant de ne plus abandonner l'Amour.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 84-92
Avanture de l'épée. [titre d'après la table]
Début :
Au reste, Madame, avant que de reprendre les matieres de [...]
Mots clefs :
Jaloux, Veuve, Évanouissement, Épée, Sang
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Avanture de l'épée. [titre d'après la table]
Au reſte , Madame , avant
que de reprendre les matieres de la Guerre , vous Içaurez
qu'on vous a dit vray ,
vous diſant que le ieune Marquis , dont vous me deman -
dez des nouvelles a eu depuis peu quelquedemeflé dejalou- fie,&puiſque vous voulez que
ie vous l'explique , en voicy
64 LE MERCURE
les particularitez. Ila del'eſtime pour une ieune Veuve , &
il y a de l'apparence que cet- te eſtime n'eſt pas ſans tendref- dreſſe , puis qu'il a faitune échapée de Jaloux. La Dame eſt bien faire de ſa perſonne,
a beaucoup d'eſprit , & une vertu qui n'a iamais eſté ſu- jette au ſoupçon. Ces avanta ges font dequoy toucher , &
donneroit fon cœur à
moins. Ainfi il ne faut pas s'étonner, fi tantde merite enga- gea aisément le Marquis. Il renditdes ſoins ; & comme il
eſt difficile d'aimer ſans craindre , il ſe chagrina des viſites d'un Cavalier qu'iltrouvoit un peu trop affidu chez la Dame.
Le jeu & la converſation yat- tiroient quantité de perſonnes
on
GALANT. 65
!
de l'un &de l'autre ſexe ; &
quoy que le Cavalier y vinſt fans aucun deſſein particulier,
il ſuffiſoit qu'il y vinſt ſouvent pour allarmer le marquis , qui ne manqua pasde s'en plain- dre. Cette liberté de s'expli- querdépleut àla Dame , elle traita ſon chagrin de viſion ,
& les choſes en eſtoient là,
quand unaccident auſſi nou- veau qu'impréveu, donna licu à la jalouſie dont vous avez
entendu parler. Il y avoit grande Compagnie dans la chambredela Dame, le Cavalier s'y trouva , & n'ayant point voulu s'embarquer au jeu , il s'affit imprudemment fur ſon épée. Vous ſçavez ,
Madame, que les petits Coû- teauxqu'on porteaujourd'huy
66 LE MERCURE
- ſont plus de parade que de de- fenſe. Celuy du Cavalier s'e- ,
ſtoit tiré hors du fourreau
& l'avoit bleſſé. Je ne vous
puis dire comment cela s'e -
ſtoit fait ; mais il eſt certain qu'il n'eut pas ſi - toſt remis,
ſon épée , qu'il ſentit une le-,
gere douleur. Il porta la main,
àl'endroit bleſſé , &la rapor-,
ta pleine de ſang. Il n'en dit,
motà perſonne , & eſtant for- ty pour y remedier , une de- my- foibleſſe le prit au milieu,
de l'Eſcalier : il s'y arreſta. Les Gens du logis vinrent à luy ,
ils virent couler du fang , &
l'un d'eux ayant eſté dire tout bas à la Dame qu'il eſtoit bleſſé , elle crût qu'il auroit eſté attaqué par le Marquis,
&la crainte d'un plus grand
:
GALANT. 67
- deſordre la fit courir ſur l'efcalier avec precipitation. Elle demanda d'abord au Cava -
lier quelle rencontre l'avoit
- reduiten cet eſtat. Sa parole eſtoit d'une perſonne agitée.
Il trouva ſon inquietude obli-
- geante ; & voulant tourner ſa Bleſſure en galanterie , il remonta quatre ou cinq degrez,
& luy embraſſa les genoux pour la remercier de ſes ſoins.
La foibleſſe entiere le prit dans cette poſture. On courut chercher de l'eau pour l'en retirer , & la Dame êtant demeurée ſeule à le ſoutenir , le Marquis parut au bas du degré. Il ne s'attacha qu'à ce qu'il voyoit , & ne ſe donnapoint letemps deraiſonner.
Son pretendu Rival eſtoit aux
68 LE MERCURE
د
pieds de la Dame,qui ſembloit luy tendre les bras obligeam- ment pour le relever, &il n'en
falloit pas davantage pour mettre un jaloux horsde gar- de. Illaiſſa échaper quelques paroles emportées , iura dene revenir iamais &reprit le
chemin de la porte. Vn Do- meſtique le voyant preſt de ſortir , luy demanda s'il ſça- voit l'accident qui embarraf- foit ſa maiſtreſſe. Il s'en fit
conter l'Hiſtoire qu'on ne luy pût dire qu'imparfaitement ,
&il en voulut voir la ſuite.
Le Cavalier eſtoit revenu de
ſon évanoüifſſement par l'eau qu'on luy avoit jettée ſurle vi- ſage,&on le conduiſoit àune chaiſe pour le remener chez luy. Le Marquis confus de
GALANT. 69
fon erreur en fit des excuſes à
la Dame ; la Dame gronda ,
oudu moins voulut gronder.
Jene vousdiraypoint ſi elle ſe rendit fortdifficile au raccommodement ; mais enfin ils ont
tousdeux del'eſprit, tous deux du merite , ils ſe voyent com- me auparavant , &il n'eſt pas àcroire qu'ils ſe ſoient voulu
gefner long-temps par d'in -
commodesformalitez, quien- tre perſonnes qui s'eſtiment ,
ne peuvent i
que de reprendre les matieres de la Guerre , vous Içaurez
qu'on vous a dit vray ,
vous diſant que le ieune Marquis , dont vous me deman -
dez des nouvelles a eu depuis peu quelquedemeflé dejalou- fie,&puiſque vous voulez que
ie vous l'explique , en voicy
64 LE MERCURE
les particularitez. Ila del'eſtime pour une ieune Veuve , &
il y a de l'apparence que cet- te eſtime n'eſt pas ſans tendref- dreſſe , puis qu'il a faitune échapée de Jaloux. La Dame eſt bien faire de ſa perſonne,
a beaucoup d'eſprit , & une vertu qui n'a iamais eſté ſu- jette au ſoupçon. Ces avanta ges font dequoy toucher , &
donneroit fon cœur à
moins. Ainfi il ne faut pas s'étonner, fi tantde merite enga- gea aisément le Marquis. Il renditdes ſoins ; & comme il
eſt difficile d'aimer ſans craindre , il ſe chagrina des viſites d'un Cavalier qu'iltrouvoit un peu trop affidu chez la Dame.
Le jeu & la converſation yat- tiroient quantité de perſonnes
on
GALANT. 65
!
de l'un &de l'autre ſexe ; &
quoy que le Cavalier y vinſt fans aucun deſſein particulier,
il ſuffiſoit qu'il y vinſt ſouvent pour allarmer le marquis , qui ne manqua pasde s'en plain- dre. Cette liberté de s'expli- querdépleut àla Dame , elle traita ſon chagrin de viſion ,
& les choſes en eſtoient là,
quand unaccident auſſi nou- veau qu'impréveu, donna licu à la jalouſie dont vous avez
entendu parler. Il y avoit grande Compagnie dans la chambredela Dame, le Cavalier s'y trouva , & n'ayant point voulu s'embarquer au jeu , il s'affit imprudemment fur ſon épée. Vous ſçavez ,
Madame, que les petits Coû- teauxqu'on porteaujourd'huy
66 LE MERCURE
- ſont plus de parade que de de- fenſe. Celuy du Cavalier s'e- ,
ſtoit tiré hors du fourreau
& l'avoit bleſſé. Je ne vous
puis dire comment cela s'e -
ſtoit fait ; mais il eſt certain qu'il n'eut pas ſi - toſt remis,
ſon épée , qu'il ſentit une le-,
gere douleur. Il porta la main,
àl'endroit bleſſé , &la rapor-,
ta pleine de ſang. Il n'en dit,
motà perſonne , & eſtant for- ty pour y remedier , une de- my- foibleſſe le prit au milieu,
de l'Eſcalier : il s'y arreſta. Les Gens du logis vinrent à luy ,
ils virent couler du fang , &
l'un d'eux ayant eſté dire tout bas à la Dame qu'il eſtoit bleſſé , elle crût qu'il auroit eſté attaqué par le Marquis,
&la crainte d'un plus grand
:
GALANT. 67
- deſordre la fit courir ſur l'efcalier avec precipitation. Elle demanda d'abord au Cava -
lier quelle rencontre l'avoit
- reduiten cet eſtat. Sa parole eſtoit d'une perſonne agitée.
Il trouva ſon inquietude obli-
- geante ; & voulant tourner ſa Bleſſure en galanterie , il remonta quatre ou cinq degrez,
& luy embraſſa les genoux pour la remercier de ſes ſoins.
La foibleſſe entiere le prit dans cette poſture. On courut chercher de l'eau pour l'en retirer , & la Dame êtant demeurée ſeule à le ſoutenir , le Marquis parut au bas du degré. Il ne s'attacha qu'à ce qu'il voyoit , & ne ſe donnapoint letemps deraiſonner.
Son pretendu Rival eſtoit aux
68 LE MERCURE
د
pieds de la Dame,qui ſembloit luy tendre les bras obligeam- ment pour le relever, &il n'en
falloit pas davantage pour mettre un jaloux horsde gar- de. Illaiſſa échaper quelques paroles emportées , iura dene revenir iamais &reprit le
chemin de la porte. Vn Do- meſtique le voyant preſt de ſortir , luy demanda s'il ſça- voit l'accident qui embarraf- foit ſa maiſtreſſe. Il s'en fit
conter l'Hiſtoire qu'on ne luy pût dire qu'imparfaitement ,
&il en voulut voir la ſuite.
Le Cavalier eſtoit revenu de
ſon évanoüifſſement par l'eau qu'on luy avoit jettée ſurle vi- ſage,&on le conduiſoit àune chaiſe pour le remener chez luy. Le Marquis confus de
GALANT. 69
fon erreur en fit des excuſes à
la Dame ; la Dame gronda ,
oudu moins voulut gronder.
Jene vousdiraypoint ſi elle ſe rendit fortdifficile au raccommodement ; mais enfin ils ont
tousdeux del'eſprit, tous deux du merite , ils ſe voyent com- me auparavant , &il n'eſt pas àcroire qu'ils ſe ſoient voulu
gefner long-temps par d'in -
commodesformalitez, quien- tre perſonnes qui s'eſtiment ,
ne peuvent i
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Résumé : Avanture de l'épée. [titre d'après la table]
Le texte décrit une situation impliquant un jeune marquis et une jeune veuve. Le marquis, amoureux de la veuve, devient jaloux en raison des fréquentes visites d'un cavalier chez elle. Lors d'une soirée, le cavalier se blesse accidentellement avec son épée. La veuve, inquiète, accourt et trouve le cavalier blessé. Le marquis, témoin de la scène, interprète mal la situation et, dans un accès de jalousie, décide de partir. Un domestique lui explique alors l'accident, et le marquis, confus, revient et s'excuse. La veuve et le marquis se réconcilient rapidement, et leurs relations reprennent comme avant.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 122-129
Histoire du Mariage par hazard. [titre d'après la table]
Début :
Une fort aimable Fille, aussi spirituelle que bien faite, demeurant [...]
Mots clefs :
Galant, Fille, Entrevue, Amant, Gazette de Hollande, Mariage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire du Mariage par hazard. [titre d'après la table]
Une fort aimable fille, auſſi
ſpirituelle que bien faite , de- meurant à Paris , apres avoir paſſeſes premieres années en Gaſcogne, attendoit avec plus
90 LE MERCURE de naiſſance que de fortune,ce qu'il plairoit au Ciel d'ordon- ner de ſa deftinée. Un galant
homme dont le bien répondoit à d'autres qualitez fort
eftimables , la vit par rencontrechez une Dame,amie commune de tous lesdeux.Elle luy parut enjoüée, pleine de viva- cité , d'un entretien agreable ,
&il trouva fur tout que fon accent de Province donnoit
une grace merveilleuſe aux moindres choses qu'elle diſoit.
Il la regarda, luy parla, l'écou- ta;&le plaifir qu'il prit à cette premiere entreveuë , luy en ayant fait fouhaiter une ſecon- de, il ne luy fut pas difficile d'en trouver l'occaſion. La Bel
le alloit ſouvent chez la Dame
qu'il connoiffoit. Ils estoient
GALANT. 91
2
fortis fort contens l'un de l'autre ſans s'en rien dire , & c'étoit affez pour leur faire pren- dreſoindu rendez- vous.Trois
mois ſe paſſerent à ſe voir de
cette forte. Ils devinoient&ne
ſe diſoient point la cauſe de leur frequente rencontre.C'étoit le hazard en apparence, &
lear volonté en effet. La Belle
continuoit toûjours à eſtre en joüée , l'Amant à luy applau- dir; force parties de S. Clou &
d'Opera , mais ce n'eſtoit que voir l'Opera & faire des pro- menades à S. Clou ; grande complaiſance , & point dede- claration.Celan'avançoitpoint les affaires , &la Belle ne iça- voit que penſer deſon Amanr.
Elle avoit beau luy paroiſtre toute aimable, il eſtoit charmé
92 LE MERCURE
de ſon humeur, loioit ſon accent Gaſcon & ne ſe haſtoit
point de parler François.Enfin Theureux moment arriva. Ils
eftoient tous deux chez leur
Amieson yliſoit la Gazette de Hollande, &ellemarquoit en- tre autres choſes ſur l'Article
de Paris, que M. le ** avoit é- pouféMademoiſellede **. Le joly endroit , dit alors cette agreable Perſonne avec ſon
enjoüementordinaire ! lecroy que je ne ſerois point faſchée de voir mon Nomdans un Article pareil à celuy cy. L'A- mant commençoit à ſe laiſſer
vaincre par l'eſtoile. Grande aſſurancede ſa part qu'elle n'a- voit qu'à luy donner l'ordre ,
&qu'elle auroit fatisfaction.
Mais, ajoûta-t'elle , il vous en
GALAN T. 93
1
couſteroit de l'argent, &ie ne voudrois pas engager les gens àunedépense qui ne tournaſt point à leur avantage. Autre afſurance qu'il ne tiendroit
qu'à elle que l'argent ne fuft employé pour luy. La belle le regarda; &de cet accent qui avoit accouſtumé de le charmer : Expliquez vous, luydit- elle : ſi vous me parlez pour vous divertir , ie vay vous ré- pondre ; si c'eſt ſerieuſement,
mon Pere vous répondra.
L'Amant acheva d'eſtre vaincu, il fit la reverence,alla trou- ver lePere, la luydemandaſans s'informer de la ſuite , dreſſa
des Articles fort avantageux pour la Belle, &l'épouſa qua- tre iours apres . Cent perſon- nes de qualité ont eſté de la
94 LE MERCURE
nopce , &c'eſt le premierMa- riage qui ſe ſoit fait icy depuis Paſques
ſpirituelle que bien faite , de- meurant à Paris , apres avoir paſſeſes premieres années en Gaſcogne, attendoit avec plus
90 LE MERCURE de naiſſance que de fortune,ce qu'il plairoit au Ciel d'ordon- ner de ſa deftinée. Un galant
homme dont le bien répondoit à d'autres qualitez fort
eftimables , la vit par rencontrechez une Dame,amie commune de tous lesdeux.Elle luy parut enjoüée, pleine de viva- cité , d'un entretien agreable ,
&il trouva fur tout que fon accent de Province donnoit
une grace merveilleuſe aux moindres choses qu'elle diſoit.
Il la regarda, luy parla, l'écou- ta;&le plaifir qu'il prit à cette premiere entreveuë , luy en ayant fait fouhaiter une ſecon- de, il ne luy fut pas difficile d'en trouver l'occaſion. La Bel
le alloit ſouvent chez la Dame
qu'il connoiffoit. Ils estoient
GALANT. 91
2
fortis fort contens l'un de l'autre ſans s'en rien dire , & c'étoit affez pour leur faire pren- dreſoindu rendez- vous.Trois
mois ſe paſſerent à ſe voir de
cette forte. Ils devinoient&ne
ſe diſoient point la cauſe de leur frequente rencontre.C'étoit le hazard en apparence, &
lear volonté en effet. La Belle
continuoit toûjours à eſtre en joüée , l'Amant à luy applau- dir; force parties de S. Clou &
d'Opera , mais ce n'eſtoit que voir l'Opera & faire des pro- menades à S. Clou ; grande complaiſance , & point dede- claration.Celan'avançoitpoint les affaires , &la Belle ne iça- voit que penſer deſon Amanr.
Elle avoit beau luy paroiſtre toute aimable, il eſtoit charmé
92 LE MERCURE
de ſon humeur, loioit ſon accent Gaſcon & ne ſe haſtoit
point de parler François.Enfin Theureux moment arriva. Ils
eftoient tous deux chez leur
Amieson yliſoit la Gazette de Hollande, &ellemarquoit en- tre autres choſes ſur l'Article
de Paris, que M. le ** avoit é- pouféMademoiſellede **. Le joly endroit , dit alors cette agreable Perſonne avec ſon
enjoüementordinaire ! lecroy que je ne ſerois point faſchée de voir mon Nomdans un Article pareil à celuy cy. L'A- mant commençoit à ſe laiſſer
vaincre par l'eſtoile. Grande aſſurancede ſa part qu'elle n'a- voit qu'à luy donner l'ordre ,
&qu'elle auroit fatisfaction.
Mais, ajoûta-t'elle , il vous en
GALAN T. 93
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couſteroit de l'argent, &ie ne voudrois pas engager les gens àunedépense qui ne tournaſt point à leur avantage. Autre afſurance qu'il ne tiendroit
qu'à elle que l'argent ne fuft employé pour luy. La belle le regarda; &de cet accent qui avoit accouſtumé de le charmer : Expliquez vous, luydit- elle : ſi vous me parlez pour vous divertir , ie vay vous ré- pondre ; si c'eſt ſerieuſement,
mon Pere vous répondra.
L'Amant acheva d'eſtre vaincu, il fit la reverence,alla trou- ver lePere, la luydemandaſans s'informer de la ſuite , dreſſa
des Articles fort avantageux pour la Belle, &l'épouſa qua- tre iours apres . Cent perſon- nes de qualité ont eſté de la
94 LE MERCURE
nopce , &c'eſt le premierMa- riage qui ſe ſoit fait icy depuis Paſques
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Résumé : Histoire du Mariage par hazard. [titre d'après la table]
Le texte relate l'histoire d'une jeune femme spirituelle et charmante, élevée en Gascogne mais résidant à Paris. Elle rencontre un homme de qualité chez une amie commune, qui est charmé par sa vivacité et son accent gascon. Ils se voient fréquemment sans se déclarer leurs sentiments, profitant de sorties et de divertissements. Un jour, en lisant la Gazette de Hollande, la jeune femme exprime son désir de voir son nom dans un article similaire. L'homme, épris, lui assure qu'il peut réaliser ce souhait. Elle lui demande de s'expliquer clairement et comprend qu'il s'agit d'une demande en mariage. Il obtient le consentement du père de la jeune femme et l'épouse quatre jours plus tard. La noce est célébrée en présence de cent personnes de qualité, marquant ainsi le premier mariage depuis Pâques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 47-72
« Une fort aimable Marquise, qui valoit bien l'attachement entier [...] »
Début :
Une fort aimable Marquise, qui valoit bien l'attachement entier [...]
Mots clefs :
Cavalier, Amitié, Régal, Veuve, Fête, Musique, Billet, Avare, Conseiller, Amour, Jardin, Lettre
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texteReconnaissance textuelle : « Une fort aimable Marquise, qui valoit bien l'attachement entier [...] »
Une fort aimable Marquiſe,qui va- loit bien l'attachement entier
GALANT. 3:7
d'un honneſte,Homme, avoit
étably une amitié de confiance &d'eſtime avec un Cavalier qui la meritoit. Il joignoit àbeaucoup d'eſprit le don d'eſtre auffi galant qu'aucum
autre qui ait jamais eu de la complaifance pour le beau Sexe;&unedes conditions de
leur amitié fut qu'ils ne ſe cacheroient rien l'un à l'autre.
Cependant il eut du panchant
pour une jeune Veuve qui
qui avoit autant de naiſſance
que de merite , ce panchant approchoit un peu del'amour,
& il en fit miftere à la Mar- quiſe. La belle Veuvequiai- moit les Gens d'eſprit , n'eut
point de chagrin de ſes vifites ; tout ce qui flate plaît, il
luy ditdes douceurs , & elle
38 LE MERCURE ne crût pas avoir ſujet des'en gendarmer. Le Cavalier qui ſçavoit que les Femmes ſe laif- fent toucher par tout ce qui fe fait de bonne grace,ſe mon- tre empreſſfé à la divertir. Il la veut régaler , tâche à la tirer de chez elle , luy propoſed'a- greables parties , mais tout ce- la inutilement. LaBelle étoit
ſcrupuleuſe , elle haïfſoit l'é- clat ,&ne vouloit pointdon- ner àparler.Une de ſes Amies,
qui l'étoit auffi du Cavalier,
trouvamoyende concilier les
choſes. Elle convint qu'il em- prunteroit quelque Maiſon à
une lieuë de Paris , fans dire
pour qui, qu'il luy apporteroit un Billet portant ordre au Conciergede recevoir quatre Dames à l'exclufion de tous
GALANT. 39
3
autres(car la belle Veuve vou
loit des Témoins qui éloignaf- fent l'idée d'un Rendez-vous
trop particulier ) qu'il pren- droit ſes meſures pour le Ré- gal,& qu'il ne ſe ſcandalife- roit pas ſi onluyentémoignoir de la ſurpriſe, &même un peu de colere , felon que le cas échéeroit La Veuve étoit fie HÈQUE re,& ne fouffroit pas volont VOR
tiers qu on ſe mit en frais pour elle. Tout cela ſe faifoit fous
pretexte de promenade , &
elle ne devoit rien fçavoir de plus. Il n'en falloit pas dire davantage au Cavalier. Il'ari rêté le jour , envoye le Biller,
donne les ordres pour le Ré- gal;&afinde faire les choſes plus galamment , il ſe réſout à
ne s'y trouver que fur la fin
40 LE MERCURE
Cela luy donnoit lieu de def- avoüer qu'il fût l'Autheur de
la Feſte , & on ne l'auroit pas moins crû pour cela. Lejour choiſi arrive ; le Concierge avoit efté averty par ſon Maî- tre,de ne laifſfer entrer que les
quatreDamesqui luy montre- roient un Billet de ſa main.
Pour le Cavalier il avoit tout pouvoir, & dés lejour prece- dent il avoit diſposé ce qui eſtoit neceffaire à fondeſſein,
mais par malheur pour luy la belle Veuve ſe trouva cejour là même dans un engagement indiſpenſable de monter en Caroffe à dix heures du ma
tin,pour ne revenir qu'au foir.
Son Amie écrit promptement.
au Cavalier de remettre la
partie aulendemain , de faire
GALAN T. 41
changer le Billet d'entrée qu'on luy renvoye ( car le jour yeſtoit marqué ) & d'eſtre af- ſeuré qu'il n'y auroit plus de
changement. On donne la Lettre à un Laquais ; le La- quais perd la Lettre en la por- tant; &de peur d'eſtre batu,
il revient dire qu'il l'a donnée
au Portier,parce que le Cava- lier venoit de ſortir. La Veuve
&fon Amiepartent; leCava- lier va chez la Marquiſe. On l'y veut retenir à dîner,il s'excuſe ſur un embaras d'affaires
chagrinantes qu'il ne peut re- mettre, & il attend impatiem- ment que le ſoir arrive pour voir le fuccés de ſon Regal. Il eſt à peine forty,
que la Suivante de la Marqui- ſe vientdire en riant àſa Maîtreſſe , qu'elle avoit bien des
42 LE MERCURE
4
nouvelles à luy conter. Ces nouvelles eſtoient, qu'un Laquais marchoit devant elle dans la Ruë , qu'il avoit laiſſé tomberun Billet,qu'elle l'avoit ramaffé , que ce Billet s'adreffoit au Cavalier,& que le deffus eſtoit d'une écriture de
femme. La Marquiſe l'ouvre,
trouve l'ordre au Concierge de recevoir quatre Fem- mes ce jour là , &reconnoît ſeulement la main de celuy qui l'avoit écrit. C'eſtoit un Conſeiller d'un âge affez a- vancé , &en réputationd'u- ne avarice conſommée. Il
venoit quelquefois chez elle,
ſa Maiſon de Campagne luy eſtoit connue , & il ne reſtoit plus qu'à découvrir pour qui la partie ſe faifoit. Elle
GALANT.
43 refléchit fur le refus que le Cavalier luy avoit fait dedîner avec elle , fur les preſſantes affaires qui luy en avoient fer- vy d'excuſe, & rapportant ce- la auBillet perdu , elle ne dou- te point qu'on ne luy faſſe fi- neſſe de quelque Intrigue.L'é- clairciſſement ne luy en ſcau- roit rien coûter. Elle dîne
promptement,va prendretrois de ſes Amies , monte enCarroffe , fort de Paris , & les me- ne à la Maiſon du Conſeiller.
Onla refuſe ſur l'ordre reçeu de ne laiſſer entrer perſonne.
Elle ſoûrit , dit que l'ordre ne
doit pas eſtre pour elle , mon- tre le Billet ; grandes excuſes,
tout luy eſt ouvert, & le Con- cierge l'affure qu'il n'eſt là quepourluy obeïr. Ce début
44 LE MERCURE
contente aſſez la Marquiſe ,
elle entre dans le Jardin avec
ſes Amies, leur fait fairequel- ques tours d'Allée , & les ayant conviées às'aſſeoir dans un Cabinet de verdure ( car puis qu'on la laiſſoit maîtrefſe de la Maiſon , c'eſtoit à elle
àen faire les honneurs ) elles n'ont pas plûtôt pris pla- qu'elles entendent des Voix toutes charmantes foûtenuës de Theorbes & de
Claveſſins. La Marquiſe re- garde les Dames , elles ne ſçavent toutes que penſer , la reception eſt merveilleufe, &
ces préparatifs n'ont pas êté faits en vain. Apres que cet- te agreable Muſique a cef- sé , elles ſe levent & pren- nent une autre Allée qui ſe
ce,
GALAN Τ. 45
terminoit dansun petit Bois ;
elles yentrent. Autre divertiſſement. C'eſt un Concert
merveilleux de Muſetes , de
Flûtes douces , & de Hautbois. Cela va le mieux du
monde;mais il faut voir à quoy tout aboutira. Le plus grand étonnementdes Dames eſt de
ne voir perſone qui s'intéreſſe
à cette Feſte. Elles ſortent
du Jardin ; le Concierge qui les attend à la porte , les prie de vouloir entrer dans la Salle , & elles y trouvent une
Collation ſervie avec une
magnificence qui ne ſe peut exprimer. La Marquiſe qui avoit êté bien-aiſe de jouir des Hautbois&de la Muſique,uſe de quelque referve fur l'article dela Collatió.Elle dit qu'aſſu
46 LE MERCURE rément on ſe méprenoit , que tant d'apprêts n'avoient point eſté faits pout elle ; & on luy proteſte tant de fois qu'autre qu'elle n'entreroit das laMai- fon de tout lejour , qu'elle est obligée de ſe rendre. Quoy qu'elle ne doute point que cette mépriſe ne ſoit l'effet du Billet perdu , & qu'elle voye clairement que le Régal vient du Cavalier , qui com- me j'ay dit étoit fort galant ,
elle prie qu'au moins on luy apprenne à qui elle est obli gée d'une honneſteté ſi ſur+
prennante. Acela point d'au tre réponſe que de la prier de s'aſſeoir. Voila doncles Dames à table ; elles mangent toûjours à bon compte , au hazard de ce qui peut arriver;
GALANT. 47
e
4
& les Violons qui les viennent divertir pendant la Collation , font l'achevement de
la Feſte. Enfin le Cavalier arrive , on luy dit qu'il y a qua- tre Dames àtable. Il entend
les Violons,&n'ayant point à
douter que ce neſoit ſa belle Veuve,il ſe prépare à luy fai- re la guerre de la manierela plus enjoüée,de ce qu'elle luy a fait fineſſe du Régal qu'on luy donnoit. Il entre dans la Salle en criant , voila qui eft
bien honnefte , & n'a pas ache véce peu demots, que reconnoiffant la Marquiſe , il croit eſtre tombé des nuës , & ne
rien voir detout cequ'il voit.
LaMarquiſe l'obſerve.ſe cons firme dans ce qu'elle croit par le trouble où il eſt, &feignant
48 LE MERCURE de n'y rien penetrer ; que je fuis ravie de voir, luy dit-elle !
parquel privilege eſtes-vous icy ? car on n'y laiſſe entrer aujourd'huy perſonne. Venez , mettez- vous aupres de moy; Monfieur le Conſeiller qui me reçoit avec lamagni- ficence que vous voyez, vou- dra bien que je vous faſſe prendre part à la Feſte. Ces paroles jettent le Cavalier dans un embarras nouveau. Il
ne ſçait ſi le Coſeiller le jouë,
ou ſi c'eſt la Veuve qui luy fait piece; & ne pouvant de- viner par quelle avanture il trouve la Marquiſe dans un lieu où il ne l'attendoit pas, il tâche à luy cacher ſa ſurpriſe,
pour ne luy pas apprendre ce qu'elle peut ignorer ; maisila
beau
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S
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F
a
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beau ſe vouloir mettre de
bonne humeur , ſa gayeré pa- roît forcée , & la malicieuſe Marquiſe ſe fait un plaiſir merveilleux de ſon deſordre.
S'il reſve un moment,elle veut
qu'il ſoit jaloux de ce qu'un autre que luy la régale d'une maniere ſi galante , &luy dit plaiſamment qu'il faut quintel
ait de bons Eſpions , pour avoir aſté averty de tout fi à
point nommé. Il répond qu'à pres s'être tiré de ſon affaire chagrine qui n'alloit pas com- me il ſouhaitoit, il avoit appris qu'on luy avoit veu prendre la route de cette Maiſon où ils
s'eſtoient ſouvent promenez enſemble , qu'il l'y eſtoit ve- nu chercher , & qu'il avoit eu biende la peine à ſe faire Tom. 3 . C
50 LE MERCURE
ouvrir. La Marquiſe feint de
croire ce qu'il lui dit,&lui par- lãt àdemi bas, mais affez haut pour être entenduë des Dames , n'admirez- vous pas , lui dit-elle , ce que fait faire l'amour ? car il faut de neceſſité
que Monfieur le Conſeiller m'aime ſans me l'avoirosédire. Voyez de quelle maniere
il me fait recevoir chez luy.
Il eſt leplus avare de tous les
Hommes, &cependant il n'y a point de profufion pareille àla ſienne. Nous avons eſté
déja régaléesdans leJardinde Voix,de Hautbois,&de Concerts ; c'eſt une galanterie achevée,&je croy que je l'ai- meray s'il continuë. Le Cava- lier perdoit patience, & il fut tenté vingtfois des'expliquer,
GALAN T. 51
i
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es
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dans la penſée que ſonſecret eſtoit découvert; mais il pouvoit ne l'eſtre pas , & c'eſtoit affez pour le retenir. Le jour s'abaiſſoit, on remonte en Carroffe. Le Cavalier prend pla- cedans celui de la Marquiſe,
qui le mene ſouper chez elle,
&ne le laiſſe ſortir qu'à mi- nuit. Ce n'eſtoit point aſſez,
la Piece pouvoit eſtre pouffée plus loin , & c'eſt à quoy la Marquiſe nemanque pas. Elle ſçait par le Billet perdu , que lesDames inconnues s'attendoient à eſtre régalées le len- demain. Elle fonge à mettre le Cavalier hors d'eſtat de s'éclaircir,&par conféquent de
t
fatisfaire les Belles. Elle luy envoye pour cela de fort bon matin deux de ſes Amis
Cij
52 LE MERCURE qui l'arreſtent, juſqu'à ce qu'- elle paſſe chez luy elle mé- me, &fait ſi bien, que malgré qu'il en ait, elle l'engage pour tout le reſte du jour. Ce n'eſt pas ſans plaiſanter plus d'une
:
fois ſur la prétenduë galante- rie du Conſeiller. Mais tandis que la Marquiſe ſe diver- tit agreablement; on s'ennuye chez la belle Veuve de n'avoir point de nouvelles du Cavalier. L'heure de la prome- nade ſe paſſant , on s'imagine qu'il s'eſt piqué de ce qu'on avoit remis la Partie , on le
traite de bizarre , & on prote- ſte fort qu'on ne luy donnera jamais lieu d'exercer ſa mé- chante humeur. Il rend viſite le lendemain , débute par quelque plainte ; & labelle
GALANT. 53
DE
LA
le
Veuve qui ne luy explique rien , ſe contente de luy ré- pondre fort froidement. Son
Amie plus impatiente querelle de les avoir fait at- tendre tout le jour ; la cho- ſe s'éclaircit , on fait venir
le Laquais. Le Laquais ſou- tient qu'il a donné le Billet à ſon Portier ; & alors le Cavalier ne doute plus qu'il n'ait été remis entre les mains de la Marquiſe , quoy qu'il ne ſcache comment. Il conjure la belle Veuve de choifir tel autrejour qu'il luy plai- ra , & il n'en peut rien obtenir. Il retourne chez la Marquiſe , qui luy demande s'il a fait ſa paix avec les Belles qu'il a manqué à régaler le jour precedent. Il ſe plaint de
Ciij
1
$4
54 LE MERCURE ſa maniere d'agir avec luy; el- lereproche le ſecret qu'il lui a
fait de ſes Intrigues contre les loix de leur amitié. Ils ſe ſeparent en grondant , & je croy qu'ils grondent encor preſentement. J'ay ſçeutou- tes les circonstances de l'Hiſtoire , d'un des plus parti- culiers Amis du Cavalier. La
Marquiſe veut qu'il lui nom- me la Dame pour qui ſe fai- foit la Feſte , & le Cavalier
veut eſtre difcret. Voila l'obſtacle du racommodement
GALANT. 3:7
d'un honneſte,Homme, avoit
étably une amitié de confiance &d'eſtime avec un Cavalier qui la meritoit. Il joignoit àbeaucoup d'eſprit le don d'eſtre auffi galant qu'aucum
autre qui ait jamais eu de la complaifance pour le beau Sexe;&unedes conditions de
leur amitié fut qu'ils ne ſe cacheroient rien l'un à l'autre.
Cependant il eut du panchant
pour une jeune Veuve qui
qui avoit autant de naiſſance
que de merite , ce panchant approchoit un peu del'amour,
& il en fit miftere à la Mar- quiſe. La belle Veuvequiai- moit les Gens d'eſprit , n'eut
point de chagrin de ſes vifites ; tout ce qui flate plaît, il
luy ditdes douceurs , & elle
38 LE MERCURE ne crût pas avoir ſujet des'en gendarmer. Le Cavalier qui ſçavoit que les Femmes ſe laif- fent toucher par tout ce qui fe fait de bonne grace,ſe mon- tre empreſſfé à la divertir. Il la veut régaler , tâche à la tirer de chez elle , luy propoſed'a- greables parties , mais tout ce- la inutilement. LaBelle étoit
ſcrupuleuſe , elle haïfſoit l'é- clat ,&ne vouloit pointdon- ner àparler.Une de ſes Amies,
qui l'étoit auffi du Cavalier,
trouvamoyende concilier les
choſes. Elle convint qu'il em- prunteroit quelque Maiſon à
une lieuë de Paris , fans dire
pour qui, qu'il luy apporteroit un Billet portant ordre au Conciergede recevoir quatre Dames à l'exclufion de tous
GALANT. 39
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autres(car la belle Veuve vou
loit des Témoins qui éloignaf- fent l'idée d'un Rendez-vous
trop particulier ) qu'il pren- droit ſes meſures pour le Ré- gal,& qu'il ne ſe ſcandalife- roit pas ſi onluyentémoignoir de la ſurpriſe, &même un peu de colere , felon que le cas échéeroit La Veuve étoit fie HÈQUE re,& ne fouffroit pas volont VOR
tiers qu on ſe mit en frais pour elle. Tout cela ſe faifoit fous
pretexte de promenade , &
elle ne devoit rien fçavoir de plus. Il n'en falloit pas dire davantage au Cavalier. Il'ari rêté le jour , envoye le Biller,
donne les ordres pour le Ré- gal;&afinde faire les choſes plus galamment , il ſe réſout à
ne s'y trouver que fur la fin
40 LE MERCURE
Cela luy donnoit lieu de def- avoüer qu'il fût l'Autheur de
la Feſte , & on ne l'auroit pas moins crû pour cela. Lejour choiſi arrive ; le Concierge avoit efté averty par ſon Maî- tre,de ne laifſfer entrer que les
quatreDamesqui luy montre- roient un Billet de ſa main.
Pour le Cavalier il avoit tout pouvoir, & dés lejour prece- dent il avoit diſposé ce qui eſtoit neceffaire à fondeſſein,
mais par malheur pour luy la belle Veuve ſe trouva cejour là même dans un engagement indiſpenſable de monter en Caroffe à dix heures du ma
tin,pour ne revenir qu'au foir.
Son Amie écrit promptement.
au Cavalier de remettre la
partie aulendemain , de faire
GALAN T. 41
changer le Billet d'entrée qu'on luy renvoye ( car le jour yeſtoit marqué ) & d'eſtre af- ſeuré qu'il n'y auroit plus de
changement. On donne la Lettre à un Laquais ; le La- quais perd la Lettre en la por- tant; &de peur d'eſtre batu,
il revient dire qu'il l'a donnée
au Portier,parce que le Cava- lier venoit de ſortir. La Veuve
&fon Amiepartent; leCava- lier va chez la Marquiſe. On l'y veut retenir à dîner,il s'excuſe ſur un embaras d'affaires
chagrinantes qu'il ne peut re- mettre, & il attend impatiem- ment que le ſoir arrive pour voir le fuccés de ſon Regal. Il eſt à peine forty,
que la Suivante de la Marqui- ſe vientdire en riant àſa Maîtreſſe , qu'elle avoit bien des
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nouvelles à luy conter. Ces nouvelles eſtoient, qu'un Laquais marchoit devant elle dans la Ruë , qu'il avoit laiſſé tomberun Billet,qu'elle l'avoit ramaffé , que ce Billet s'adreffoit au Cavalier,& que le deffus eſtoit d'une écriture de
femme. La Marquiſe l'ouvre,
trouve l'ordre au Concierge de recevoir quatre Fem- mes ce jour là , &reconnoît ſeulement la main de celuy qui l'avoit écrit. C'eſtoit un Conſeiller d'un âge affez a- vancé , &en réputationd'u- ne avarice conſommée. Il
venoit quelquefois chez elle,
ſa Maiſon de Campagne luy eſtoit connue , & il ne reſtoit plus qu'à découvrir pour qui la partie ſe faifoit. Elle
GALANT.
43 refléchit fur le refus que le Cavalier luy avoit fait dedîner avec elle , fur les preſſantes affaires qui luy en avoient fer- vy d'excuſe, & rapportant ce- la auBillet perdu , elle ne dou- te point qu'on ne luy faſſe fi- neſſe de quelque Intrigue.L'é- clairciſſement ne luy en ſcau- roit rien coûter. Elle dîne
promptement,va prendretrois de ſes Amies , monte enCarroffe , fort de Paris , & les me- ne à la Maiſon du Conſeiller.
Onla refuſe ſur l'ordre reçeu de ne laiſſer entrer perſonne.
Elle ſoûrit , dit que l'ordre ne
doit pas eſtre pour elle , mon- tre le Billet ; grandes excuſes,
tout luy eſt ouvert, & le Con- cierge l'affure qu'il n'eſt là quepourluy obeïr. Ce début
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contente aſſez la Marquiſe ,
elle entre dans le Jardin avec
ſes Amies, leur fait fairequel- ques tours d'Allée , & les ayant conviées às'aſſeoir dans un Cabinet de verdure ( car puis qu'on la laiſſoit maîtrefſe de la Maiſon , c'eſtoit à elle
àen faire les honneurs ) elles n'ont pas plûtôt pris pla- qu'elles entendent des Voix toutes charmantes foûtenuës de Theorbes & de
Claveſſins. La Marquiſe re- garde les Dames , elles ne ſçavent toutes que penſer , la reception eſt merveilleufe, &
ces préparatifs n'ont pas êté faits en vain. Apres que cet- te agreable Muſique a cef- sé , elles ſe levent & pren- nent une autre Allée qui ſe
ce,
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terminoit dansun petit Bois ;
elles yentrent. Autre divertiſſement. C'eſt un Concert
merveilleux de Muſetes , de
Flûtes douces , & de Hautbois. Cela va le mieux du
monde;mais il faut voir à quoy tout aboutira. Le plus grand étonnementdes Dames eſt de
ne voir perſone qui s'intéreſſe
à cette Feſte. Elles ſortent
du Jardin ; le Concierge qui les attend à la porte , les prie de vouloir entrer dans la Salle , & elles y trouvent une
Collation ſervie avec une
magnificence qui ne ſe peut exprimer. La Marquiſe qui avoit êté bien-aiſe de jouir des Hautbois&de la Muſique,uſe de quelque referve fur l'article dela Collatió.Elle dit qu'aſſu
46 LE MERCURE rément on ſe méprenoit , que tant d'apprêts n'avoient point eſté faits pout elle ; & on luy proteſte tant de fois qu'autre qu'elle n'entreroit das laMai- fon de tout lejour , qu'elle est obligée de ſe rendre. Quoy qu'elle ne doute point que cette mépriſe ne ſoit l'effet du Billet perdu , & qu'elle voye clairement que le Régal vient du Cavalier , qui com- me j'ay dit étoit fort galant ,
elle prie qu'au moins on luy apprenne à qui elle est obli gée d'une honneſteté ſi ſur+
prennante. Acela point d'au tre réponſe que de la prier de s'aſſeoir. Voila doncles Dames à table ; elles mangent toûjours à bon compte , au hazard de ce qui peut arriver;
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& les Violons qui les viennent divertir pendant la Collation , font l'achevement de
la Feſte. Enfin le Cavalier arrive , on luy dit qu'il y a qua- tre Dames àtable. Il entend
les Violons,&n'ayant point à
douter que ce neſoit ſa belle Veuve,il ſe prépare à luy fai- re la guerre de la manierela plus enjoüée,de ce qu'elle luy a fait fineſſe du Régal qu'on luy donnoit. Il entre dans la Salle en criant , voila qui eft
bien honnefte , & n'a pas ache véce peu demots, que reconnoiffant la Marquiſe , il croit eſtre tombé des nuës , & ne
rien voir detout cequ'il voit.
LaMarquiſe l'obſerve.ſe cons firme dans ce qu'elle croit par le trouble où il eſt, &feignant
48 LE MERCURE de n'y rien penetrer ; que je fuis ravie de voir, luy dit-elle !
parquel privilege eſtes-vous icy ? car on n'y laiſſe entrer aujourd'huy perſonne. Venez , mettez- vous aupres de moy; Monfieur le Conſeiller qui me reçoit avec lamagni- ficence que vous voyez, vou- dra bien que je vous faſſe prendre part à la Feſte. Ces paroles jettent le Cavalier dans un embarras nouveau. Il
ne ſçait ſi le Coſeiller le jouë,
ou ſi c'eſt la Veuve qui luy fait piece; & ne pouvant de- viner par quelle avanture il trouve la Marquiſe dans un lieu où il ne l'attendoit pas, il tâche à luy cacher ſa ſurpriſe,
pour ne luy pas apprendre ce qu'elle peut ignorer ; maisila
beau
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beau ſe vouloir mettre de
bonne humeur , ſa gayeré pa- roît forcée , & la malicieuſe Marquiſe ſe fait un plaiſir merveilleux de ſon deſordre.
S'il reſve un moment,elle veut
qu'il ſoit jaloux de ce qu'un autre que luy la régale d'une maniere ſi galante , &luy dit plaiſamment qu'il faut quintel
ait de bons Eſpions , pour avoir aſté averty de tout fi à
point nommé. Il répond qu'à pres s'être tiré de ſon affaire chagrine qui n'alloit pas com- me il ſouhaitoit, il avoit appris qu'on luy avoit veu prendre la route de cette Maiſon où ils
s'eſtoient ſouvent promenez enſemble , qu'il l'y eſtoit ve- nu chercher , & qu'il avoit eu biende la peine à ſe faire Tom. 3 . C
50 LE MERCURE
ouvrir. La Marquiſe feint de
croire ce qu'il lui dit,&lui par- lãt àdemi bas, mais affez haut pour être entenduë des Dames , n'admirez- vous pas , lui dit-elle , ce que fait faire l'amour ? car il faut de neceſſité
que Monfieur le Conſeiller m'aime ſans me l'avoirosédire. Voyez de quelle maniere
il me fait recevoir chez luy.
Il eſt leplus avare de tous les
Hommes, &cependant il n'y a point de profufion pareille àla ſienne. Nous avons eſté
déja régaléesdans leJardinde Voix,de Hautbois,&de Concerts ; c'eſt une galanterie achevée,&je croy que je l'ai- meray s'il continuë. Le Cava- lier perdoit patience, & il fut tenté vingtfois des'expliquer,
GALAN T. 51
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dans la penſée que ſonſecret eſtoit découvert; mais il pouvoit ne l'eſtre pas , & c'eſtoit affez pour le retenir. Le jour s'abaiſſoit, on remonte en Carroffe. Le Cavalier prend pla- cedans celui de la Marquiſe,
qui le mene ſouper chez elle,
&ne le laiſſe ſortir qu'à mi- nuit. Ce n'eſtoit point aſſez,
la Piece pouvoit eſtre pouffée plus loin , & c'eſt à quoy la Marquiſe nemanque pas. Elle ſçait par le Billet perdu , que lesDames inconnues s'attendoient à eſtre régalées le len- demain. Elle fonge à mettre le Cavalier hors d'eſtat de s'éclaircir,&par conféquent de
t
fatisfaire les Belles. Elle luy envoye pour cela de fort bon matin deux de ſes Amis
Cij
52 LE MERCURE qui l'arreſtent, juſqu'à ce qu'- elle paſſe chez luy elle mé- me, &fait ſi bien, que malgré qu'il en ait, elle l'engage pour tout le reſte du jour. Ce n'eſt pas ſans plaiſanter plus d'une
:
fois ſur la prétenduë galante- rie du Conſeiller. Mais tandis que la Marquiſe ſe diver- tit agreablement; on s'ennuye chez la belle Veuve de n'avoir point de nouvelles du Cavalier. L'heure de la prome- nade ſe paſſant , on s'imagine qu'il s'eſt piqué de ce qu'on avoit remis la Partie , on le
traite de bizarre , & on prote- ſte fort qu'on ne luy donnera jamais lieu d'exercer ſa mé- chante humeur. Il rend viſite le lendemain , débute par quelque plainte ; & labelle
GALANT. 53
DE
LA
le
Veuve qui ne luy explique rien , ſe contente de luy ré- pondre fort froidement. Son
Amie plus impatiente querelle de les avoir fait at- tendre tout le jour ; la cho- ſe s'éclaircit , on fait venir
le Laquais. Le Laquais ſou- tient qu'il a donné le Billet à ſon Portier ; & alors le Cavalier ne doute plus qu'il n'ait été remis entre les mains de la Marquiſe , quoy qu'il ne ſcache comment. Il conjure la belle Veuve de choifir tel autrejour qu'il luy plai- ra , & il n'en peut rien obtenir. Il retourne chez la Marquiſe , qui luy demande s'il a fait ſa paix avec les Belles qu'il a manqué à régaler le jour precedent. Il ſe plaint de
Ciij
1
$4
54 LE MERCURE ſa maniere d'agir avec luy; el- lereproche le ſecret qu'il lui a
fait de ſes Intrigues contre les loix de leur amitié. Ils ſe ſeparent en grondant , & je croy qu'ils grondent encor preſentement. J'ay ſçeutou- tes les circonstances de l'Hiſtoire , d'un des plus parti- culiers Amis du Cavalier. La
Marquiſe veut qu'il lui nom- me la Dame pour qui ſe fai- foit la Feſte , & le Cavalier
veut eſtre difcret. Voila l'obſtacle du racommodement
Fermer
Résumé : « Une fort aimable Marquise, qui valoit bien l'attachement entier [...] »
Le texte relate l'histoire d'une Marquise et d'un Cavalier, amis proches ayant convenu de ne rien se cacher. Le Cavalier développe un penchant pour une jeune Veuve et l'invite à une fête sans révéler son identité. Une amie de la Veuve propose un plan pour organiser cette rencontre dans une maison louée à une lieue de Paris. Cependant, le jour de la fête, la Veuve est indisponible. Un laquais perd le billet d'invitation, qui est ramassé par la Marquise. Intriguée, elle découvre que le billet est destiné au Cavalier et organise une visite à la maison du Conseiller, propriétaire des lieux. Elle y trouve une fête préparée pour elle et ses amies. Le Cavalier, arrivant en retard, est surpris de voir la Marquise. Cette dernière, feignant l'ignorance, profite de la situation pour le taquiner. Le Cavalier, embarrassé, tente de cacher sa surprise. La Marquise l'invite à souper chez elle et l'empêche de voir la Veuve le lendemain. La Veuve, mécontente, refuse de revoir le Cavalier. La Marquise et le Cavalier se séparent en se disputant, chacun reprochant à l'autre de ne pas avoir respecté leur accord de transparence.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 46-61
« Je devrois estre déja devant S. Omer; mais je ne puis [...] »
Début :
Je devrois estre déja devant S. Omer; mais je ne puis [...]
Mots clefs :
Aventure, Cavalier, Dame, Conversation, Repas, Vin, Dormir, Dents
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Je devrois estre déja devant S. Omer; mais je ne puis [...] »
Je devrois eſtre déja devant
S. Omer ; mais je ne puis me defendre de m'arreſter encor un
momenticy, pourvous faire rire d'une Avanture dont unCavalier , que vous connoiffez toutes les peines du monde àſe conſoler: c'eſt celuy , qui au dernier Voyage que vous fiſtes icy, vousdittant d'agreablesBa- gatelles aux Tuilleries. Vous
ſçavez , Madame , combienſa converſation eſt enjoüée. C'eſt un talent merveilleux pour ſe faire ſouhaiterpar tout. Il dit les chofes finement , fait un Conte
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debonne grace, & il feroit pref- que fans defaut , s'il n'avoit pas celuy de ſe mettre quelquefois de trop bonne humeur , quand il reçoit un Défy dans la Dé- bauche. Il s'oublie pourtant af- ſez rarement la-deſſus &s'ilne
s'en corrige pas tout à fait, c'eſt parce , qu'iln'a que cequi s'ap- pelleunVingay,&que ſe don- nant ſeulement tout à la joye , il ne s'en eſt jamais fait d'affaires,
que celle que je vous vais con- ter. On l'avoit mis d'un fort
grandRepas chez Bergerat. Vn Comte & un Marquis de fes plus particuliers Amis s'y trou- verent : ils eſtoient tous deux de
ſa confidence , &ils avoient habitudel'un & l'autre chez une
Damequi ne montroit pas d'in- difference pour luy. La Dame eftoit digne de ſes ſoins , jeune,
Biv
32 LE MERCVRE
aimable , mais d'une fierté à
gronder long- tempspourpeude chofe. Toutes ces circonstances.
font àſçavoir pour l'intelligence de l'Histoire. On ſe metà Table , on rit, on chante , on dit
des folies , & le Cavalier porte fi loin la joye , qu'il la fait aller juſqu'a l'excés. Il boit la ſanté des Belles , exagere leur merite,
&laiſſe égarer ſa raiſon à force de vouloir raifonner Apresquel- ques rafadesun peu trop large- mentréïterées , il ſe jette ſur un Lit de repos , l'aſſoupiſſement l'y prend,&il eſt tel que l'heu- rede ſe ſeparer arrive avantqu'il aitceffé dedormir. Ses Amis ſe
croyent obligez d'en prendre foin. On le porte dans le Car- roffe du Comte , qui le fait me- ner chez luy. Ses Laquais le des- habillét,on le couche fans qu'il
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faffe autre choſe qu'ouvrir un peu les yeux &ſe rendormir. Ce long oubly de luy-meſme mer leComte en humeurde luy fai- re piece. Il oblige une de ſes Amies d'aller chez la Dame ,
dont je vous ay fait la peinture.
Elle la met ſur le chapitre du Cavalier , &luy demande fi elle eſtoit broüillée avec luy , parce qu'il s'eſtoit trouvé en lieu où il n'avoit pas parlé d'elle comme il devoit. La Dame eſtoit fiere,
elle prend feu , & luy prepare une froideur plus propre à le chagriner que ne pourroient faire ſes plaintes. C'eſtoit là ce que le Comtevouloit. Il va trou- ver le Marquis leur Amycom- mun , & concerte avec luy le perſonnage qu'il doit joüer. La nuit ſe paſſe , le Cavaliers'éveil- le ,&eft fort furpris de ſe trou
Bv
34 LE MERCVRE
ver chez le Comte , qui entre un
moment apresdans ſaChambre.
Il s'informe de l'enchantement
qui l'amis oùil ſe voit. Le Com- te foûrit , &luydemandes'il ne ſeſouvient plus detoutes les fo-- lies qu'il a faites depuis le Repas de Bergerat. Il luy fait croire qu'il l'avoit trouvé chez une Ducheſſe d'où il l'avoir ramené
chez luy , parce qu'iln'eſtoit pas dans ſon bon ſens. Il adjoûte qu'il venoitde ſçavoirqu'il avoit rendu viſite àſon Amie , à qui il avoitdit force impertinences;, qu'on ne luy avoit pû dire pré- cifément ce que c'eſtoit , mais qu'elle en eſtoit fort indignée,
&d'autant plus que c'eſtoit en preſence du Marquis qu'il luy avoitdit toutes les choſes deſobligeantes dont elleſe plaignoit.. LeCavalier ne ſçaitoù il en eſt.
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Il ſe ſouvient duRepas deBer- gerat. Mais il neſe ſouvient de rien autre choſe. Il ne laiſſe pas d'eſtre perfuadé , que comme il eſt venu coucher chez le Comte ſans s'en eftre apperçeu, il peutbien avoir fait toutes lesex- travagances dont on l'accufe. W
courtchez le Marquis. LeMar٦١٨
*
quis , qui estoit inftruit, débute
auec luy par une grande Mercu- riale. Il luy ditqu'il ne comprend point comment il a pû s'oublier au point qu'il a fait , qu'on ne traite point une Femme qu'on eftime , comme il a traité ſon
Amie , & qu'il meritoit bien qu'elle ne renoüât jamais avec luy. Le Cavalier veut ſçavoir fon crime ; ce crime eſt qu'il a
reproché à la Dame devant luy qu'elle avoit de fauffe Dents,
qu'il ne s'eſt pas contenté de le Bvj
36 LE MERCVRE dire une fois qu'il l'a repeté , &.
qu'elle en eſt dans une fi grande colere, qu'il fera bien d'allerl'ap-- paiſerſur l'heure, afin qu'elle ne s'affermiſſe pas dans la refolutionde ne luy pardonner jamais:
Je ne vous puis dire , Madame,
ſi le Marquis crut ſuppoſer ce defaut àla Belle,où s'il ſçavoit qu'il fuſt effectif, mais la verité eſt que toutes ſes Dents n'ef- toient point à elle. Le malheur de les perdre eſt inévitable à
bien de Gens , & on n'eſt point:
blamable d'y remedier ; mais les Dames qui le cachent avec ſoin,
nefontpas bien aiſes qu'on s'ens apperçoive , & il faut toûjours avoir la difcretion de n'en rien
voir. Le Cavalier aimoit la Dame , il donne dans le panneau,
va chez elle , apres avoir quitté le Marquis ; & ne jugeant pas
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qu'une injure de faufſes Dents reprochées ſoit difficile à ou blier , parce qu'il ne croit pas qu'elle en airde fauffes , il com- mence par des excuſes genera- lesd'avoir laiſſe échapper quel- que choſe quiluy air deplû. La Damequ'on eſtoit venue aver- tir dupeu de confideration qu'il avoit montré pour elle , répond fierement qu'elle semettoit fort peu en peine de ce qu'il avoit pû dire ſur ſon chapitre , que c'e- ſtoit tantpis pour luy ,&qu'elle ſe croyoit à couvertde toute for- te de cenfures , fi on ne diſoit
que des veritez . C'eſt parlà que le Cavalier pretend qu'on luy doit aifément pardonner , puis qu'eſtantdansuneſtat à ne ſça- voir pas trop bien ce qu'il diſoit,
il l'avoit accufée d'avoirde faufſes Dents , elle qui les avoit fi
38 LE MERCVRE belles & fi bien rangées par la Nature. La Dame qui ſe ſent attaquée par ſon foible ne peut plus ſe retenir ; elle croit qu'a- pres avoir mal parlé d'elle , il a
encor l'infolence de la venir infulter. Elle éclate; & plus elle marque de colere , plus il de- mande ce qu'ily a de criminel dans l'article ſuposé des fauſſes Dents. Elle le chaſſe, il s'obſtine
àdemeurer , revient encor à ſes
Dents , &la met dans une telle
impatience qu'elle le quitte, &
va s'enfermer dans ſon Cabinet..
Le Cavalier demeure dans une
furpriſe inconcevable. Il s'addreſſe à ſa Suivante , & veut
l'employer à faire ſa paix. La Suivante l'entreprend , luy de- mande dequoy il s'eſt aviſé de parlerdes Dents de ſa Maiſtref fe , & luy ayant dit qu'elle ne
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doit compte àperſonne ſi elle en a d'appliquées ou non, elle luy fait enfinſoupçonnerqu'il pour- roit avoir dit vray en n'y pen- ſant pas. Cependant il eſt obli- gé de fortir ſans avoir pû faire fatisfaction à la Dame. Ileſt retourné dix fois chez elle depuis ce temps-là , & elle ne l'a point encore voulu recevoir. Voilà ,
Madame, en quel eſtat font les choſes. LeCavalier à découvert
depuis deux jours la piece que fesAmisluy avoient joüée , il en eſt fort piqué, &ily aura peut- eſtre de la ſuite que je neman- queray pas à vous apprendre.
S. Omer ; mais je ne puis me defendre de m'arreſter encor un
momenticy, pourvous faire rire d'une Avanture dont unCavalier , que vous connoiffez toutes les peines du monde àſe conſoler: c'eſt celuy , qui au dernier Voyage que vous fiſtes icy, vousdittant d'agreablesBa- gatelles aux Tuilleries. Vous
ſçavez , Madame , combienſa converſation eſt enjoüée. C'eſt un talent merveilleux pour ſe faire ſouhaiterpar tout. Il dit les chofes finement , fait un Conte
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que celle que je vous vais con- ter. On l'avoit mis d'un fort
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ſa confidence , &ils avoient habitudel'un & l'autre chez une
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32 LE MERCVRE
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font àſçavoir pour l'intelligence de l'Histoire. On ſe metà Table , on rit, on chante , on dit
des folies , & le Cavalier porte fi loin la joye , qu'il la fait aller juſqu'a l'excés. Il boit la ſanté des Belles , exagere leur merite,
&laiſſe égarer ſa raiſon à force de vouloir raifonner Apresquel- ques rafadesun peu trop large- mentréïterées , il ſe jette ſur un Lit de repos , l'aſſoupiſſement l'y prend,&il eſt tel que l'heu- rede ſe ſeparer arrive avantqu'il aitceffé dedormir. Ses Amis ſe
croyent obligez d'en prendre foin. On le porte dans le Car- roffe du Comte , qui le fait me- ner chez luy. Ses Laquais le des- habillét,on le couche fans qu'il
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Elle la met ſur le chapitre du Cavalier , &luy demande fi elle eſtoit broüillée avec luy , parce qu'il s'eſtoit trouvé en lieu où il n'avoit pas parlé d'elle comme il devoit. La Dame eſtoit fiere,
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34 LE MERCVRE
ver chez le Comte , qui entre un
moment apresdans ſaChambre.
Il s'informe de l'enchantement
qui l'amis oùil ſe voit. Le Com- te foûrit , &luydemandes'il ne ſeſouvient plus detoutes les fo-- lies qu'il a faites depuis le Repas de Bergerat. Il luy fait croire qu'il l'avoit trouvé chez une Ducheſſe d'où il l'avoir ramené
chez luy , parce qu'iln'eſtoit pas dans ſon bon ſens. Il adjoûte qu'il venoitde ſçavoirqu'il avoit rendu viſite àſon Amie , à qui il avoitdit force impertinences;, qu'on ne luy avoit pû dire pré- cifément ce que c'eſtoit , mais qu'elle en eſtoit fort indignée,
&d'autant plus que c'eſtoit en preſence du Marquis qu'il luy avoitdit toutes les choſes deſobligeantes dont elleſe plaignoit.. LeCavalier ne ſçaitoù il en eſt.
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ſi le Marquis crut ſuppoſer ce defaut àla Belle,où s'il ſçavoit qu'il fuſt effectif, mais la verité eſt que toutes ſes Dents n'ef- toient point à elle. Le malheur de les perdre eſt inévitable à
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blamable d'y remedier ; mais les Dames qui le cachent avec ſoin,
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que des veritez . C'eſt parlà que le Cavalier pretend qu'on luy doit aifément pardonner , puis qu'eſtantdansuneſtat à ne ſça- voir pas trop bien ce qu'il diſoit,
il l'avoit accufée d'avoirde faufſes Dents , elle qui les avoit fi
38 LE MERCVRE belles & fi bien rangées par la Nature. La Dame qui ſe ſent attaquée par ſon foible ne peut plus ſe retenir ; elle croit qu'a- pres avoir mal parlé d'elle , il a
encor l'infolence de la venir infulter. Elle éclate; & plus elle marque de colere , plus il de- mande ce qu'ily a de criminel dans l'article ſuposé des fauſſes Dents. Elle le chaſſe, il s'obſtine
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Dents , &la met dans une telle
impatience qu'elle le quitte, &
va s'enfermer dans ſon Cabinet..
Le Cavalier demeure dans une
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Madame, en quel eſtat font les choſes. LeCavalier à découvert
depuis deux jours la piece que fesAmisluy avoient joüée , il en eſt fort piqué, &ily aura peut- eſtre de la ſuite que je neman- queray pas à vous apprendre.
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Résumé : « Je devrois estre déja devant S. Omer; mais je ne puis [...] »
Le texte narre une aventure impliquant un cavalier réputé pour son talent de conversation et son humour, mais également pour son tempérament impulsif après avoir consommé de l'alcool. Lors d'un repas chez Bergerat, le cavalier se laisse emporter par la joie et, après s'être endormi, est ramené chez un comte par ses amis. Le comte et un marquis, amis du cavalier, décident de profiter de la situation pour le punir d'une offense imaginaire. Ils lui font croire qu'il a insulté une dame en lui reprochant d'avoir de fausses dents, ce qui est en réalité faux. Le cavalier, ignorant la supercherie, tente de se justifier auprès de la dame, mais elle le chasse, furieuse. Le cavalier, perplexe, essaie de se racheter sans succès. Il découvre finalement la vérité deux jours plus tard et est contrarié par la plaisanterie de ses amis.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 168-187
« Une Marquise du plus haut rang (il en est de [...] »
Début :
Une Marquise du plus haut rang (il en est de [...]
Mots clefs :
Bretonne, Étranger, Jalousie, Belles, Rivales, Qu'en dira-t-on, Vertu, Plaisirs, Mari, Opéra, Divertissement, Rendez-vous, Tête à tête
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Une Marquise du plus haut rang (il en est de [...] »
Une Marquiſe du plus haut rang ( il en eft de toutesles ſor- tes ) mariée depuis fix ans àun des Principaux Officiers d'un fortgrandPrince , auroit d'affez méchantes heures à paffer par les frequens ſujets qu'il luydon- nede jalousie , fi elle n'avoit la prudence d'accommoder fon cœur à laneceffité deſa fortune.
Ce n'eſt pas qu'il n'
dreffe
'ait de laten-
&une confideration
toute particuliere pour elle ,
mais il ſe laiffe entraîner à un
penchant coquetqu'il ne ſcau- roit'vaincre , & quoy qu'il ne foit pas fort jeune, il est telle- ment ne avec la Galanterie ,
qu'il n'a pu s'en défaire par le Sacrement. Il fautqu'ilvoye les
GALANT. III
Belles. H les régale , les mene à
la Comédie & à l'Opéra , leur donnedes rétes ; &la fage маг- quife , qui ſçait combien l'éclat eſtdangereux avec un mary fur ces fortes de commerces , na
point trouvé de meilleur party à
prendre que celuydien plaifanı ter,&de ſe divertir de ſes Rivales, quandelle en peutdécou- vrir l'intrigue. Le Marquis, qui commence déja à grifonner , a
fait habitude depuis peu avec
tune aimable Bretonne , qui eft venue icy poursuivreun Procés avecſonMary. LaBelle est une de ces Femmes qui ne veulent point eſtre aimées àpetit bruit,
qui trouvent dela gloiredans le fracas , &qui aiment mieux en- tendre dire unpeu de mal d'el les ,quede n'enpoint faire par- ler. Elle n'est pas la ſeulede ce
W
112 LE MERCVRE
caractere , & nous en voyons .
tous les jours quiſemettent peu en peine du Qu'en dira-t-on pourveu qu'elles ſe puiſſent ju- ſtifier àelles-même du coſté de
leur vertu. Les apparences ſont contreelles tant qu'il vous plai- na,l'innocencedeleurs intrigues eſt untémoignage qui les fatis- fait , &n'ayant riende honteux àfe reprocher, ellespretendent que c'eſt une folie de s'aſſujet tir à vivre ſelon le caprice des Sots , qui fans vouloir penetrer les chofes, ne conſultent que leurmalignité dans le jugement qu'ils en font. Voilà l'humeur
delabelleBretonne. Le faſteluy plaift , & elle ne haït pas les Connoiſſancesd'éclat on abeau
en médire , il ſuffit qu'elle foir contented'elle-meſme,pourne pas renoncer aux plaiſirs qu'elle
GALANT. 113
5
J
s'en fait. Vne Viſite du grand
air la rejoüit ; &comme leMar- quis fait affez bonne figure à la Cour , elle s'accommoderoit
fortdes fiennes , fi enles faiſant
trop longues , il ne rompoit pas les meſures qu'elle prend pour ménager trois ou quatreProte- ſtans dont elle aime àſe divertir. Elle en a un Conſeiller , un
autrede profeffion de Bel Efprit (car il luy faut de tout ) & elle trouve moyen de rendre leurs pretentions comptables avec les foins d'unEtranger,dontla fina- ce &l'équipage luy font quel- quefois d'un fortgrand fecours.
LeMary n'y trouve rien àdire.Il aun Procés,qui luy tient plus an cœur que ſa Femme. Les fortes
Sollicitations font des abondan -
ces de Droit , qui ne ſe doivent
jamais negliger ; & de quelque
114 LE MERCVRE maniere que ce puiſſe eſtre,
quandonades lugesàfaire voir,
il est bon de ſe faire desAmis.
Le Marquis n'eut pas veutrois fois la Belle Bretonne , que la Marquiſeſa femme en fut aver- tie. Elle voulutvoir fi elle eſtoir
dignedes affiduitez defonMary,
ſe la fit montrer à l'Eglife , luy trouva de la Beauté ,&jugeant par les agrémens de ſa perſonne que l'attachement du Marquis pourroit avoir de la fuite,elle ne fongea plus qu'à sinformer à
fondde l'efprit &de la condui- te de fa nouvelle Rivale. Elle
'n'eut pas de peine à découvrir ſes habitudes. On luy nommma fur tout l'Etranger,qui luy eſtoit déja connu par la grande dé- penfe , qu'on luy voyoit faire.
Cet éclairciſſement ne luy fuffit pas. Elle pratiqua des Eſpions,
14
-
GALANT. τις qui la ſervirent fi fidellement,
qu'il ne ſe paſſoit plus rien chez la belle Bretonne,dont elle n'eût auſſi-tôt avis. Elle ſcavoit toutes les Viſites que luy rendoit fon Mary,les heures qu'elle mé- nageoit pour le Confeiller,& les teſte-à-teſte que l'Etranger en obtenoit. Sur ces lumieres elle
mouroitd'enviede trouver cette
Rivale en lieu où feignantdene la point connoiſtre , elle puſt luy rendre une partie du cha- grin qu'elle luy cauſoit. L'occa- fion s'en offrit parune rencon- tre fort inopinée. LaMarquiſe ſçavoit que fon Mary avoit re- tenu la Loge du Roy à l'Opéra,
quand ſes Efpions luy viennent dire que la belle Bretonne y al- loit auſſi ,ſans qu'ils euſſent pû découvrir avec qui. La Loge loüée par le Marquisneluyper
116 LE MERCURE
met point de douterque ce ne foit elle qu'il y mene. Elleveut eſtre témoin de ſes manieres
avec elle pendantce Divertiſſe -
ment. La choſe ne luy eſt pas difficile. Elle prendunhabit ne- gligé ;&avecuneſeule ſuivan- te ,elle fe fait ouvrir les troiſie- mes Loges , oppoſées àcelle ou devoit eſtre ſon Mary.. Elle y
trouve un Laquais qui gardoit desPlaces , reconnoiſt ſa livrée;
& s'imaginant qu'il y avoit de l'Avanture,parce que la précau- tionde les faire retenir au troifiéme rang,eſtoit une marque de Rédez-vous,elle prend les fien- nes ſurle méme Banc,&obferve
avecgrand foin ceux qui vien
nent unmoment apres occuper les autres. C'eſtoit l'Etranger avec une Dame , qui ayant ofté deux ou trois fois ſonLoup,tant
GALAN T. 117
E
1
acauſe de l'obſcurité du lieu ,
que dans la penſée qu'elle eût que rien ne luy devoit eſtre ſuſ- pect aux troiſiemes Loges , fit connoiſtre àlaMarquiſe.qu'elle avoit auprésd'elle cette meſme Bretonne , pour quielle croyoit que ſon Mary eût fait garder la Loge du Roy. L'occaſion eſtoit trop favorable pour n'en pas profiter. La Marquiſe demeure maſquée, les laifle joüir quelque moment du teſte-à-teſte , &fe
metenfin adroitemet dela converſation furdes matieres indifferentes. On commenced'allumer les chandelles , on ouvre
la Loge du Roy, le Marquisy
entre avec des Dames qu'il fait placer ; & l'Etranger l'ayant nommé d'abord , & adjoûte qu'il falloit qu'il fuſt toûjours avec les Belles , la Marquiſe
118 LE MERCVRE.
prend la parole , &dit qu'il y .
auroit dequoy faire unVolume de ſes differentes intriguesd'A- mour, fi on les ſçavoit auſſi par- ticulierement qu'elle. En mef- me temps elle commence l'Hi- ſtoire de deux ou trois Femmes, que labelle Bretonne n'é- toit pas fâchée d'écouter , s'i- maginant qu'elle ne viendroit pasjuſqu'àelle,ou que du moins elle ne parleroit que de quel- ques Viſites , qui ne devoient pas avoir fait grand bruit dans le monde. Cependant laMar- quiſe qui avoit ſon but , la vo- yant rire de quelque Avantu- re de fon Mary: ce qu'il ya de plaifant , pourſuit-elle , c'eſt que le bon Marquis , qui donne à
tout,aquité la Cour pourla Pro- vince ; c'eſt àdire qu'il fait pre- fentemet ſon quartier chezMa-
GALANT. : 419
10
16
dame de ***. C'eſt une Bretonne qui a des Amans de toute eſpece , qui les ménage tous àla fois , & qui entr'autres fait fa Dupe d'un Etranger , qu'on tient d'ailleurs honneſte Hom
me , & qui merireroit biende ne pas mettre , comme il fait , ſa tendreſſe à fonds perdu avec uneBelle , qui en aimant d'au- tres queluy,nele confidereque pourla dépenſe qu'il faitauprés d'elle. La Bretonne deſeſperée de ce commencement interrompt la marquiſe , &tâche à
tourner lediſcours ſur l'Opéra.
Mais elle a beau faire, l'Etranger qui eſt bien-aiſedes'éclaircirde cequile regarde,la priede con- tinuer , & malgré les interru- ptions de ſaRivale, la marquiſe informée de toute ſa conduite
par ſes Eſpions , n'oublie rien
د
420 LE MERCVRE
decequiluy eſt arrivé. L'Etran gerconnoîtparlàque quand el- le a quelquefois refusé de paf- ſer l'apreſdînée avec luy , c'eſt parce qu'elle l'avoit déja promi- ſe àunautre, &qu'elle neluy eſt venuë parler depuis huit jours dans ſon Anti-chambre, d'où elle avoitgrandhaſte de le conge- dier, que pour l'empeſcher de voir qu'elle dînoit teſte-à-teſte avec le marquis en l'abſence de ſon Mary. Toutes ces particula- ritez mettent la Bretonne dans
la derniere ſurpriſe , elle croit que le lieu où ils font , donne l'eſprit de Prophetie ou de Re- velation ; & l'Opéra commen- çant , elle feint de l'écouter ,
mais apparemment elle n'eſtoit pas fort en eftat de juger de la bonté de la muſique. La Mar- quiſe fort contente du rôle qu'- elle
i GALANT. 2
3
-
elle avoit joué , s'échapa avant la fin du cinquiéme Acte. Il eſt à croire que l'Etranger,qui étoit demeuré fort réveurdepuisl'ine ſtruction qu'il avoit reçeu,ditde bonnes choſes à la Bretonne
aprés le départ de la marquiſe.
On a ſçeu depuis, qu'ils avoient rompu enſemble , & voila com-- me quelquefois un Rendez- vous de teſte à teſte produn des effets tous contraires à cequ'on s'en promet
Ce n'eſt pas qu'il n'
dreffe
'ait de laten-
&une confideration
toute particuliere pour elle ,
mais il ſe laiffe entraîner à un
penchant coquetqu'il ne ſcau- roit'vaincre , & quoy qu'il ne foit pas fort jeune, il est telle- ment ne avec la Galanterie ,
qu'il n'a pu s'en défaire par le Sacrement. Il fautqu'ilvoye les
GALANT. III
Belles. H les régale , les mene à
la Comédie & à l'Opéra , leur donnedes rétes ; &la fage маг- quife , qui ſçait combien l'éclat eſtdangereux avec un mary fur ces fortes de commerces , na
point trouvé de meilleur party à
prendre que celuydien plaifanı ter,&de ſe divertir de ſes Rivales, quandelle en peutdécou- vrir l'intrigue. Le Marquis, qui commence déja à grifonner , a
fait habitude depuis peu avec
tune aimable Bretonne , qui eft venue icy poursuivreun Procés avecſonMary. LaBelle est une de ces Femmes qui ne veulent point eſtre aimées àpetit bruit,
qui trouvent dela gloiredans le fracas , &qui aiment mieux en- tendre dire unpeu de mal d'el les ,quede n'enpoint faire par- ler. Elle n'est pas la ſeulede ce
W
112 LE MERCVRE
caractere , & nous en voyons .
tous les jours quiſemettent peu en peine du Qu'en dira-t-on pourveu qu'elles ſe puiſſent ju- ſtifier àelles-même du coſté de
leur vertu. Les apparences ſont contreelles tant qu'il vous plai- na,l'innocencedeleurs intrigues eſt untémoignage qui les fatis- fait , &n'ayant riende honteux àfe reprocher, ellespretendent que c'eſt une folie de s'aſſujet tir à vivre ſelon le caprice des Sots , qui fans vouloir penetrer les chofes, ne conſultent que leurmalignité dans le jugement qu'ils en font. Voilà l'humeur
delabelleBretonne. Le faſteluy plaift , & elle ne haït pas les Connoiſſancesd'éclat on abeau
en médire , il ſuffit qu'elle foir contented'elle-meſme,pourne pas renoncer aux plaiſirs qu'elle
GALANT. 113
5
J
s'en fait. Vne Viſite du grand
air la rejoüit ; &comme leMar- quis fait affez bonne figure à la Cour , elle s'accommoderoit
fortdes fiennes , fi enles faiſant
trop longues , il ne rompoit pas les meſures qu'elle prend pour ménager trois ou quatreProte- ſtans dont elle aime àſe divertir. Elle en a un Conſeiller , un
autrede profeffion de Bel Efprit (car il luy faut de tout ) & elle trouve moyen de rendre leurs pretentions comptables avec les foins d'unEtranger,dontla fina- ce &l'équipage luy font quel- quefois d'un fortgrand fecours.
LeMary n'y trouve rien àdire.Il aun Procés,qui luy tient plus an cœur que ſa Femme. Les fortes
Sollicitations font des abondan -
ces de Droit , qui ne ſe doivent
jamais negliger ; & de quelque
114 LE MERCVRE maniere que ce puiſſe eſtre,
quandonades lugesàfaire voir,
il est bon de ſe faire desAmis.
Le Marquis n'eut pas veutrois fois la Belle Bretonne , que la Marquiſeſa femme en fut aver- tie. Elle voulutvoir fi elle eſtoir
dignedes affiduitez defonMary,
ſe la fit montrer à l'Eglife , luy trouva de la Beauté ,&jugeant par les agrémens de ſa perſonne que l'attachement du Marquis pourroit avoir de la fuite,elle ne fongea plus qu'à sinformer à
fondde l'efprit &de la condui- te de fa nouvelle Rivale. Elle
'n'eut pas de peine à découvrir ſes habitudes. On luy nommma fur tout l'Etranger,qui luy eſtoit déja connu par la grande dé- penfe , qu'on luy voyoit faire.
Cet éclairciſſement ne luy fuffit pas. Elle pratiqua des Eſpions,
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GALANT. τις qui la ſervirent fi fidellement,
qu'il ne ſe paſſoit plus rien chez la belle Bretonne,dont elle n'eût auſſi-tôt avis. Elle ſcavoit toutes les Viſites que luy rendoit fon Mary,les heures qu'elle mé- nageoit pour le Confeiller,& les teſte-à-teſte que l'Etranger en obtenoit. Sur ces lumieres elle
mouroitd'enviede trouver cette
Rivale en lieu où feignantdene la point connoiſtre , elle puſt luy rendre une partie du cha- grin qu'elle luy cauſoit. L'occa- fion s'en offrit parune rencon- tre fort inopinée. LaMarquiſe ſçavoit que fon Mary avoit re- tenu la Loge du Roy à l'Opéra,
quand ſes Efpions luy viennent dire que la belle Bretonne y al- loit auſſi ,ſans qu'ils euſſent pû découvrir avec qui. La Loge loüée par le Marquisneluyper
116 LE MERCURE
met point de douterque ce ne foit elle qu'il y mene. Elleveut eſtre témoin de ſes manieres
avec elle pendantce Divertiſſe -
ment. La choſe ne luy eſt pas difficile. Elle prendunhabit ne- gligé ;&avecuneſeule ſuivan- te ,elle fe fait ouvrir les troiſie- mes Loges , oppoſées àcelle ou devoit eſtre ſon Mary.. Elle y
trouve un Laquais qui gardoit desPlaces , reconnoiſt ſa livrée;
& s'imaginant qu'il y avoit de l'Avanture,parce que la précau- tionde les faire retenir au troifiéme rang,eſtoit une marque de Rédez-vous,elle prend les fien- nes ſurle méme Banc,&obferve
avecgrand foin ceux qui vien
nent unmoment apres occuper les autres. C'eſtoit l'Etranger avec une Dame , qui ayant ofté deux ou trois fois ſonLoup,tant
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acauſe de l'obſcurité du lieu ,
que dans la penſée qu'elle eût que rien ne luy devoit eſtre ſuſ- pect aux troiſiemes Loges , fit connoiſtre àlaMarquiſe.qu'elle avoit auprésd'elle cette meſme Bretonne , pour quielle croyoit que ſon Mary eût fait garder la Loge du Roy. L'occaſion eſtoit trop favorable pour n'en pas profiter. La Marquiſe demeure maſquée, les laifle joüir quelque moment du teſte-à-teſte , &fe
metenfin adroitemet dela converſation furdes matieres indifferentes. On commenced'allumer les chandelles , on ouvre
la Loge du Roy, le Marquisy
entre avec des Dames qu'il fait placer ; & l'Etranger l'ayant nommé d'abord , & adjoûte qu'il falloit qu'il fuſt toûjours avec les Belles , la Marquiſe
118 LE MERCVRE.
prend la parole , &dit qu'il y .
auroit dequoy faire unVolume de ſes differentes intriguesd'A- mour, fi on les ſçavoit auſſi par- ticulierement qu'elle. En mef- me temps elle commence l'Hi- ſtoire de deux ou trois Femmes, que labelle Bretonne n'é- toit pas fâchée d'écouter , s'i- maginant qu'elle ne viendroit pasjuſqu'àelle,ou que du moins elle ne parleroit que de quel- ques Viſites , qui ne devoient pas avoir fait grand bruit dans le monde. Cependant laMar- quiſe qui avoit ſon but , la vo- yant rire de quelque Avantu- re de fon Mary: ce qu'il ya de plaifant , pourſuit-elle , c'eſt que le bon Marquis , qui donne à
tout,aquité la Cour pourla Pro- vince ; c'eſt àdire qu'il fait pre- fentemet ſon quartier chezMa-
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dame de ***. C'eſt une Bretonne qui a des Amans de toute eſpece , qui les ménage tous àla fois , & qui entr'autres fait fa Dupe d'un Etranger , qu'on tient d'ailleurs honneſte Hom
me , & qui merireroit biende ne pas mettre , comme il fait , ſa tendreſſe à fonds perdu avec uneBelle , qui en aimant d'au- tres queluy,nele confidereque pourla dépenſe qu'il faitauprés d'elle. La Bretonne deſeſperée de ce commencement interrompt la marquiſe , &tâche à
tourner lediſcours ſur l'Opéra.
Mais elle a beau faire, l'Etranger qui eſt bien-aiſedes'éclaircirde cequile regarde,la priede con- tinuer , & malgré les interru- ptions de ſaRivale, la marquiſe informée de toute ſa conduite
par ſes Eſpions , n'oublie rien
د
420 LE MERCVRE
decequiluy eſt arrivé. L'Etran gerconnoîtparlàque quand el- le a quelquefois refusé de paf- ſer l'apreſdînée avec luy , c'eſt parce qu'elle l'avoit déja promi- ſe àunautre, &qu'elle neluy eſt venuë parler depuis huit jours dans ſon Anti-chambre, d'où elle avoitgrandhaſte de le conge- dier, que pour l'empeſcher de voir qu'elle dînoit teſte-à-teſte avec le marquis en l'abſence de ſon Mary. Toutes ces particula- ritez mettent la Bretonne dans
la derniere ſurpriſe , elle croit que le lieu où ils font , donne l'eſprit de Prophetie ou de Re- velation ; & l'Opéra commen- çant , elle feint de l'écouter ,
mais apparemment elle n'eſtoit pas fort en eftat de juger de la bonté de la muſique. La Mar- quiſe fort contente du rôle qu'- elle
i GALANT. 2
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elle avoit joué , s'échapa avant la fin du cinquiéme Acte. Il eſt à croire que l'Etranger,qui étoit demeuré fort réveurdepuisl'ine ſtruction qu'il avoit reçeu,ditde bonnes choſes à la Bretonne
aprés le départ de la marquiſe.
On a ſçeu depuis, qu'ils avoient rompu enſemble , & voila com-- me quelquefois un Rendez- vous de teſte à teſte produn des effets tous contraires à cequ'on s'en promet
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Résumé : « Une Marquise du plus haut rang (il en est de [...] »
Le texte raconte l'histoire d'une marquise mariée depuis six ans à un officier principal d'un grand prince. Bien que son mari lui porte affection, il est souvent sujet à des accès de jalousie en raison de son penchant pour la galanterie. La marquise, consciente des dangers de l'éclat dans de tels commerces, décide de se divertir de ses rivales lorsqu'elle en découvre l'intrigue. Le mari de la marquise, le marquis, entretient une relation avec une belle Bretonne venue à la cour pour un procès. Cette femme, qui aime l'éclat et la gloire, ne se soucie pas du qu'en-dira-t-on tant qu'elle peut se justifier à ses propres yeux. Elle fréquente plusieurs amants, dont un conseiller, un bel esprit, et un étranger fortuné. Informée de cette liaison par des espions, la marquise cherche à se venger. Elle découvre que la Bretonne assistera à l'opéra dans la loge du roi, retenue par son mari. Déguisée, elle se place dans une loge opposée et observe la Bretonne en compagnie de l'étranger. Lors de l'entracte, elle engage la conversation et révèle publiquement les infidélités de la Bretonne, mettant en lumière ses différentes liaisons. La Bretonne, désespérée, tente de changer de sujet, mais l'étranger insiste pour en savoir plus. La marquise, bien informée par ses espions, détaille les aventures de la Bretonne, qui finit par être profondément humiliée. La marquise quitte l'opéra avant la fin de la représentation, laissant la Bretonne et l'étranger dans l'embarras.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 14-33
Avanture de Monsieur le Vicomte de. [titre d'après la table]
Début :
je ne me hazarderois pas volontiers apres cela, à vous [...]
Mots clefs :
Dame, Humeur, Vers, Galant, Visite, Beauté, Faveurs, Affaires du coeur, Amour, Billet
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Avanture de Monsieur le Vicomte de. [titre d'après la table]
je ne me hazarderois pas vo- lontiers apres cela, à vous con- ter familierement ce qui eſt
arrivé depuis peu à Male Vi- comte de *** Ie ne ſçay ſi vous le connoiſſez. Il eſt naturellement Galant , & il a peine à
voir une Femme aymable fans luydire des douceurs , mais il eſt délicat ſur l'engagement,&
pour le toucher ilne fuffit pas
B
#4 LE MERCVRE
toûjours d'eſtre Belle. Il y a
quelque temps que parmy des Dames de fa connoiſſance
qu'il rencontra aux Thuille- ries, il en vit une dontla beauté
le ſurprit. Il demandaqui elle eſtoit , entra en converfarion
avec elle, luy dit d'obligeantes folies , & luy rendit Viſite le lendemain. La Damele reçeut auſſi favorablementqu'elle l'a-- voit écouté aux Thuilleries.
LeVicomte fait figure dans le beau monde , &elle n'euſt pas eſtéfachéequ'on l'euſt crûde ſes Soûpirans. Il eut quelque affiduité pour elle,&il ne la vit pas longtemps ſans connoiſtre qu'il eſtoit aimé ; mais toute belle qu'elle eft,elle n'eûtpoint pour luy ce que je n'ay quoy
qui pique : Ses manieres luy
GALANT. 15 deplurent ; il luy trouva une fuffiſance inconfiderée , un efprit mal tourné , quoy qu'elle ne foit pas fans eſprit; &com- me il ceſſa de luy dire qu'il l'aimoit dés laquatrième Vifi- re, il eut abſolument ceffé de
la voir , ſans une jeune Parente qu'il rencõtra chez elle, & qui futtout-à-faitſelon fon cœur.
Elle n'eſtoit pas fi belleque la Dame,mais elle reparoit cede- faut par des agrémensquipour un Home de fon gouft étoient
bien plus touchas que la Beau- té. Elle ne diſoit rienqui ne fut juſte & fpirituel , c'eſtoit une maniere aiſee en toutes choſes , pointde contrainte , point d'affectation , Elle chantoit
comme un Ange, & toute fa Perſonne plût tellement au
B 2
16 LE MERCVRE
Vicomte , que ce ne fut que pour elle ſeule qu'il continua ſes affiduitez où il la voyoit.
Comme elle ne le pouvoit re- cevoir chez elle , il ſe mit affez
bien dans ſon eſpritpour ſça- voir quand elle devoit rendre Viſite à ſa Parente , & fi elle
n'y pouvoit venir de trois jours , il paffoit auffi trois jours ſans yvenir. Ce manque d'em-.
preſſement n'accommodoit point la Dame , qui s'eſtoit laiffée prendre tout debon au merite du Vicomte. Elle crût
quele tropde fierté qu'elle luy marquoit en eſtoit la cauſe ,&
refolut de s'humanifer pour le mettre avec elle dans une liaifondont il ne luy fuſt pas per- mis de ſe dédire. Elle commença par de petites avances
GALANT. 17
flateuſes qui jetterent le Vi- comtedans un nouvel embarras . Ce n'eſt pas qu'il ſoit in- fenfible aux faveurs des Belles , au contraire il n'y a rien qu'il ne faffe pour s'en rendre digne , mais il veut aimerpour cela , & à moins que cetaffai- ſonnement ne s'y trouve , les faveurs ne font rien pour luy.. Ainſi quand il avoit le malد
ſe rencontrerſeulavec EU
YO
1803
heurde la Dame, il ne manquoit
mais à luy parler de Cam bray ou de ſaint Omer
Elle avoit beau l'interrompre pour tournerlediſcours fur les
affaires du cœur , il revenoit
toûjours àquelque attaque de
Demy-lune; & fi la Dame ſe
montroir quelquefois un peu trop obligeante pour luy , il
:
B 3
18 LE MERCVRE
recevoit cela avec une modeſtie qui la chagrinoit encor plus que les Contes de Guerre qu'il luy faiſoit. Cependant la belle humeur où il ſe mettoit
ſi toſt qu'il voyoit entrer l'ai- mable Parente , cauſa un defordre auquel il n'y eut plus moyen de remedier. LaDame ouvrit le yeux , obſerva le Vicomte , connut une partie de ce qu'il avoitdans le cœur, &
entra un jour dans un fi fu- rieux tranſport de jaloufie contre ſa Parente , apres qu'il les eut quittées , qu'elle luy defendit ſa Maiſon. Le Vicomte qui n'en eſtoit point averty,
fut furpris de ne la point voir le lendemain au rendez-vous
qu'elle luy avoit donné ; il y
retourna inutilement les deux
jours ſuivans , & ne ſcachant
GALANT. 19
que s'imaginer de ce change- ment ,il chercha l'occaſionde
luyparler chez une Dame où il ſçeut qu'elle alloit affez fou- vent. Cefut là que cette aima- blePerſonneluy apprit l'inful- te qu'on luy avoit faite pour luy. Il en eut un chagrin in- concevable , & luy ayant juré qu'il ne reverroit jamais fapeu touchante Parente , il reſvoit
chez luy aux moyens qu'il devoit tenir pour la rupture ,
quand on luy en apporta un Billet. La Dame s'eſtoit aviſée
de ſe vouloir plaindre de ſa froideur ; mais comme elle
cherchoit toûjours plus à luy plairequ'àle facher , elle crût quepourne le pas effaroucher par ſes reproches , il falloit du moins les rendre agreables par leur maniere ; & s'imaginant
20 LE MERCVRE
que les Vers autorifoient ceux quiaiment à s'expliquer plus librement que la Profe , elle s'eſtoit addreſſée àun Homme
qui la voyoit quelquefois &
qui en faiſoit d'aſſez paflables.. Toutfut miſtere pour luy; Elle luy dit ſeulement les choſes dont on ſe plaignoit , & il fal- lut qu'il fiſt les Vers ſans ſca-- voirny à quiils devoienteſtre envoyez, ny quiestoit laDa- me qui avoitſujetde ſe plain- dre. Les voicy tels que leVi- comte les reçeut..
V
Ous m'avez dit que vous
maimez,
Et je vous l'ay d'abord ory dire
avecjoye
Mais que voulez-vous quej'en
croye,
Sivous neme le confirmez..?
GALANT. 21
YON
Lalangue est quelque chose,&de Son témoignage Lecharme est doux àqui l'attend;
Mais croyez- vous que pour
estre content ,
Il nefaille rien davantage?
Ce n'est pas tout dedire , ilfaut
estre empressé Aconvaincre les Gens de cequ'on
leur proteste ;
Etquandla langue acomencé
C'est au cœuràfaire le reste.
Il est centpetitsfoins qu'unEsprit complaifant
Trouve à faire valoir quand l'amour est extréme ;
Et c'eſt ſouvent enſe taiſant,
Qu'onditplusfortement qu'on
aime.
22 LE MERCVRE
Des regards enflamez, un foûrive
flateur ,
Font aux Amans entendre des
• merveilles ;
Et j'amcmieux ce quife ditau
cœur ,
Quece qu'onditpour les oreilles..
Tout doit tendre àdonner des
preuves defafoy;
Lereste ,puresbagatelles..
Lors que vous me voyez , le grand
ragoustpour moy ,
Quevousmecontiez des nouvelles!
Dites-moy mille fois que charmé demevoir,
Vous ne trouvezque moy d'aima- blefur laterre ;
Aquoybon meparler de combats
°uerre ,
GALANT. 23 Quandj'ay de vous autre chose à
Sçavoir?
Qu'on ait fait quelque exploit
d'une importance extréme ,
Vn autrepeut me l'expliquers
Mais un autre que vous, du moins
Sans me choquer ,
Nepeut me dire , je vous aime.
C'est par vous que ces motsfont pourmoypleins d'appas.
Cependant que faut-il de vous que je soupçonne ? 1
Sijevous tens lamain, vous ne la baiſezpas ,
Quoyque vous ne foyez obſervé depersonne.
Ilſemble que toûjours timide, circonfpect ,
Vous estantdit Amant , vous n'ofiez leparoiſtre ,
24 LE MERCVRE
Etque chez vous l'Amour,quipar
tout fait le Maistre ,
Soit enchaînépar le respect.
Non,non, vous n'aimezpoint, j'en
ay la certitude ,
Iay voulu meflater en vain jufqu'à ce jour ;
L'aveuque je reçeus d'abord de
voſtre amour ,
Fut unedouceur d'habitude.
C'eſtſans vous laiſſer enflamer ,
Que vostre cœur quand il vous
plaiftfoûpire;
Et vous nesçavez pas aimer ,
Voussçavezseulement le dire.
Ces Vers que le Vicomte auroit trouvez jolis ſur toute autre matiere , luy déplûrent fur celle- cy. Il eſtoit déja de méchante
GALANT. 25 méchante humeur. Ildit qu'il envoyeroit laRéponſe; &pour la rendrede la meſme maniere
qu'il avoit reçeu le Billet , il alla emprunterle ſecours d'un de ſes plus particuliers Amis.
Cequ'ilyeutde plaiſant , c'eſt que c'eſtoit celuy meſme qui avoit déja fait les Vers de la
Dame , & qui ayant appris toute fon Hiſtoire par le Vi- comte, fut ravy de trouver une occaſion ſi propre à ſe vanger de la fineſſe qu'elle luy avoit faite. Le Vicomte le pria de meſler quelque choſede mali- cieux dans cette Réponſe , &
de la faire aſſez piquante pour obliger la Dame àne fauhaiter jamais de le revoir. Il y con- ſentitd'autantplus volontiers,
que la Dame ſuy ayant caché,
C
26 LE MERCVRE
qu'elle euſt intereſt à l'affaire,
il ne devoit pas craindre de ſe broüiller avec elle,quandmef- me elle viendroit àdécouvrir
qu'il euſt fait les Vers. Il les ap- porta une heure apres au Vi- comte, qui les envoya dés le jour meſme. Ils eftoientunpeu cavaliers , comme vous l'allez
voir par leur lecture.
C
E n'est pas d'aujourd'huy qu'en Chevalier courtois
Ien conte aux Belles d'importance
Maisilfaitmalfeur quelquefois Mefaire une agreable avance
Surla trop credule esperance ,
Que desemblablespaffe-droits M'obligerontà la conſtance.
Moncœur às'engagerjamais ne Se résout,
GALANT. 27
Et des plus doux attraitsfut la Belle affortie Qui croit tenter mon humble
modestie ,
Quadma coplaisance est àbout,
I'aime mieux quitter lapartie,
Quede risquer àgagnertout.
Apparemment la Dame ſe le tint pourdit , du moins elle dût connoiſtre par là que le Vicomte n'avoit aucune eftimepour elle.Ils neſe ſont point veusdepuis ce temps-là; &je tiens les particularitez de l'Hi- ſtoire de celuy qui a fait les
Vers
arrivé depuis peu à Male Vi- comte de *** Ie ne ſçay ſi vous le connoiſſez. Il eſt naturellement Galant , & il a peine à
voir une Femme aymable fans luydire des douceurs , mais il eſt délicat ſur l'engagement,&
pour le toucher ilne fuffit pas
B
#4 LE MERCVRE
toûjours d'eſtre Belle. Il y a
quelque temps que parmy des Dames de fa connoiſſance
qu'il rencontra aux Thuille- ries, il en vit une dontla beauté
le ſurprit. Il demandaqui elle eſtoit , entra en converfarion
avec elle, luy dit d'obligeantes folies , & luy rendit Viſite le lendemain. La Damele reçeut auſſi favorablementqu'elle l'a-- voit écouté aux Thuilleries.
LeVicomte fait figure dans le beau monde , &elle n'euſt pas eſtéfachéequ'on l'euſt crûde ſes Soûpirans. Il eut quelque affiduité pour elle,&il ne la vit pas longtemps ſans connoiſtre qu'il eſtoit aimé ; mais toute belle qu'elle eft,elle n'eûtpoint pour luy ce que je n'ay quoy
qui pique : Ses manieres luy
GALANT. 15 deplurent ; il luy trouva une fuffiſance inconfiderée , un efprit mal tourné , quoy qu'elle ne foit pas fans eſprit; &com- me il ceſſa de luy dire qu'il l'aimoit dés laquatrième Vifi- re, il eut abſolument ceffé de
la voir , ſans une jeune Parente qu'il rencõtra chez elle, & qui futtout-à-faitſelon fon cœur.
Elle n'eſtoit pas fi belleque la Dame,mais elle reparoit cede- faut par des agrémensquipour un Home de fon gouft étoient
bien plus touchas que la Beau- té. Elle ne diſoit rienqui ne fut juſte & fpirituel , c'eſtoit une maniere aiſee en toutes choſes , pointde contrainte , point d'affectation , Elle chantoit
comme un Ange, & toute fa Perſonne plût tellement au
B 2
16 LE MERCVRE
Vicomte , que ce ne fut que pour elle ſeule qu'il continua ſes affiduitez où il la voyoit.
Comme elle ne le pouvoit re- cevoir chez elle , il ſe mit affez
bien dans ſon eſpritpour ſça- voir quand elle devoit rendre Viſite à ſa Parente , & fi elle
n'y pouvoit venir de trois jours , il paffoit auffi trois jours ſans yvenir. Ce manque d'em-.
preſſement n'accommodoit point la Dame , qui s'eſtoit laiffée prendre tout debon au merite du Vicomte. Elle crût
quele tropde fierté qu'elle luy marquoit en eſtoit la cauſe ,&
refolut de s'humanifer pour le mettre avec elle dans une liaifondont il ne luy fuſt pas per- mis de ſe dédire. Elle commença par de petites avances
GALANT. 17
flateuſes qui jetterent le Vi- comtedans un nouvel embarras . Ce n'eſt pas qu'il ſoit in- fenfible aux faveurs des Belles , au contraire il n'y a rien qu'il ne faffe pour s'en rendre digne , mais il veut aimerpour cela , & à moins que cetaffai- ſonnement ne s'y trouve , les faveurs ne font rien pour luy.. Ainſi quand il avoit le malد
ſe rencontrerſeulavec EU
YO
1803
heurde la Dame, il ne manquoit
mais à luy parler de Cam bray ou de ſaint Omer
Elle avoit beau l'interrompre pour tournerlediſcours fur les
affaires du cœur , il revenoit
toûjours àquelque attaque de
Demy-lune; & fi la Dame ſe
montroir quelquefois un peu trop obligeante pour luy , il
:
B 3
18 LE MERCVRE
recevoit cela avec une modeſtie qui la chagrinoit encor plus que les Contes de Guerre qu'il luy faiſoit. Cependant la belle humeur où il ſe mettoit
ſi toſt qu'il voyoit entrer l'ai- mable Parente , cauſa un defordre auquel il n'y eut plus moyen de remedier. LaDame ouvrit le yeux , obſerva le Vicomte , connut une partie de ce qu'il avoitdans le cœur, &
entra un jour dans un fi fu- rieux tranſport de jaloufie contre ſa Parente , apres qu'il les eut quittées , qu'elle luy defendit ſa Maiſon. Le Vicomte qui n'en eſtoit point averty,
fut furpris de ne la point voir le lendemain au rendez-vous
qu'elle luy avoit donné ; il y
retourna inutilement les deux
jours ſuivans , & ne ſcachant
GALANT. 19
que s'imaginer de ce change- ment ,il chercha l'occaſionde
luyparler chez une Dame où il ſçeut qu'elle alloit affez fou- vent. Cefut là que cette aima- blePerſonneluy apprit l'inful- te qu'on luy avoit faite pour luy. Il en eut un chagrin in- concevable , & luy ayant juré qu'il ne reverroit jamais fapeu touchante Parente , il reſvoit
chez luy aux moyens qu'il devoit tenir pour la rupture ,
quand on luy en apporta un Billet. La Dame s'eſtoit aviſée
de ſe vouloir plaindre de ſa froideur ; mais comme elle
cherchoit toûjours plus à luy plairequ'àle facher , elle crût quepourne le pas effaroucher par ſes reproches , il falloit du moins les rendre agreables par leur maniere ; & s'imaginant
20 LE MERCVRE
que les Vers autorifoient ceux quiaiment à s'expliquer plus librement que la Profe , elle s'eſtoit addreſſée àun Homme
qui la voyoit quelquefois &
qui en faiſoit d'aſſez paflables.. Toutfut miſtere pour luy; Elle luy dit ſeulement les choſes dont on ſe plaignoit , & il fal- lut qu'il fiſt les Vers ſans ſca-- voirny à quiils devoienteſtre envoyez, ny quiestoit laDa- me qui avoitſujetde ſe plain- dre. Les voicy tels que leVi- comte les reçeut..
V
Ous m'avez dit que vous
maimez,
Et je vous l'ay d'abord ory dire
avecjoye
Mais que voulez-vous quej'en
croye,
Sivous neme le confirmez..?
GALANT. 21
YON
Lalangue est quelque chose,&de Son témoignage Lecharme est doux àqui l'attend;
Mais croyez- vous que pour
estre content ,
Il nefaille rien davantage?
Ce n'est pas tout dedire , ilfaut
estre empressé Aconvaincre les Gens de cequ'on
leur proteste ;
Etquandla langue acomencé
C'est au cœuràfaire le reste.
Il est centpetitsfoins qu'unEsprit complaifant
Trouve à faire valoir quand l'amour est extréme ;
Et c'eſt ſouvent enſe taiſant,
Qu'onditplusfortement qu'on
aime.
22 LE MERCVRE
Des regards enflamez, un foûrive
flateur ,
Font aux Amans entendre des
• merveilles ;
Et j'amcmieux ce quife ditau
cœur ,
Quece qu'onditpour les oreilles..
Tout doit tendre àdonner des
preuves defafoy;
Lereste ,puresbagatelles..
Lors que vous me voyez , le grand
ragoustpour moy ,
Quevousmecontiez des nouvelles!
Dites-moy mille fois que charmé demevoir,
Vous ne trouvezque moy d'aima- blefur laterre ;
Aquoybon meparler de combats
°uerre ,
GALANT. 23 Quandj'ay de vous autre chose à
Sçavoir?
Qu'on ait fait quelque exploit
d'une importance extréme ,
Vn autrepeut me l'expliquers
Mais un autre que vous, du moins
Sans me choquer ,
Nepeut me dire , je vous aime.
C'est par vous que ces motsfont pourmoypleins d'appas.
Cependant que faut-il de vous que je soupçonne ? 1
Sijevous tens lamain, vous ne la baiſezpas ,
Quoyque vous ne foyez obſervé depersonne.
Ilſemble que toûjours timide, circonfpect ,
Vous estantdit Amant , vous n'ofiez leparoiſtre ,
24 LE MERCVRE
Etque chez vous l'Amour,quipar
tout fait le Maistre ,
Soit enchaînépar le respect.
Non,non, vous n'aimezpoint, j'en
ay la certitude ,
Iay voulu meflater en vain jufqu'à ce jour ;
L'aveuque je reçeus d'abord de
voſtre amour ,
Fut unedouceur d'habitude.
C'eſtſans vous laiſſer enflamer ,
Que vostre cœur quand il vous
plaiftfoûpire;
Et vous nesçavez pas aimer ,
Voussçavezseulement le dire.
Ces Vers que le Vicomte auroit trouvez jolis ſur toute autre matiere , luy déplûrent fur celle- cy. Il eſtoit déja de méchante
GALANT. 25 méchante humeur. Ildit qu'il envoyeroit laRéponſe; &pour la rendrede la meſme maniere
qu'il avoit reçeu le Billet , il alla emprunterle ſecours d'un de ſes plus particuliers Amis.
Cequ'ilyeutde plaiſant , c'eſt que c'eſtoit celuy meſme qui avoit déja fait les Vers de la
Dame , & qui ayant appris toute fon Hiſtoire par le Vi- comte, fut ravy de trouver une occaſion ſi propre à ſe vanger de la fineſſe qu'elle luy avoit faite. Le Vicomte le pria de meſler quelque choſede mali- cieux dans cette Réponſe , &
de la faire aſſez piquante pour obliger la Dame àne fauhaiter jamais de le revoir. Il y con- ſentitd'autantplus volontiers,
que la Dame ſuy ayant caché,
C
26 LE MERCVRE
qu'elle euſt intereſt à l'affaire,
il ne devoit pas craindre de ſe broüiller avec elle,quandmef- me elle viendroit àdécouvrir
qu'il euſt fait les Vers. Il les ap- porta une heure apres au Vi- comte, qui les envoya dés le jour meſme. Ils eftoientunpeu cavaliers , comme vous l'allez
voir par leur lecture.
C
E n'est pas d'aujourd'huy qu'en Chevalier courtois
Ien conte aux Belles d'importance
Maisilfaitmalfeur quelquefois Mefaire une agreable avance
Surla trop credule esperance ,
Que desemblablespaffe-droits M'obligerontà la conſtance.
Moncœur às'engagerjamais ne Se résout,
GALANT. 27
Et des plus doux attraitsfut la Belle affortie Qui croit tenter mon humble
modestie ,
Quadma coplaisance est àbout,
I'aime mieux quitter lapartie,
Quede risquer àgagnertout.
Apparemment la Dame ſe le tint pourdit , du moins elle dût connoiſtre par là que le Vicomte n'avoit aucune eftimepour elle.Ils neſe ſont point veusdepuis ce temps-là; &je tiens les particularitez de l'Hi- ſtoire de celuy qui a fait les
Vers
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Résumé : Avanture de Monsieur le Vicomte de. [titre d'après la table]
Le texte raconte l'histoire du vicomte de ***, un homme galant mais prudent en matière d'engagement amoureux. Lors d'une rencontre aux Tuileries, il entame une relation avec une dame, mais finit par être déçu par son comportement et son esprit. Cependant, il continue de lui rendre visite en raison de la présence d'une jeune parente de la dame, qui possède des qualités plus attrayantes pour lui. La dame, remarquant l'attitude distante du vicomte, tente de se rapprocher de lui par des avances flatteuses. Cependant, il reste indifférent, préférant discuter de sujets neutres plutôt que d'amour. La situation se complique lorsque la dame, jalouse de la parente, interdit à cette dernière de revenir chez elle. Le vicomte, ignorant la raison de ce changement, cherche à comprendre et apprend la vérité de la parente. La dame envoie ensuite des vers au vicomte pour se plaindre de sa froideur, mais ceux-ci déplaisent au vicomte. Il décide de répondre de manière piquante, avec l'aide d'un ami qui avait déjà écrit les vers pour la dame. La réponse du vicomte est suffisamment claire pour que la dame comprenne qu'il n'a aucune estime pour elle. Depuis cet échange, ils ne se sont plus revus.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 33-71
Histoire du Solitaire. [titre d'après la table]
Début :
Ces choses sont belles à dire, mais l'execution en est [...]
Mots clefs :
Courtisane, Naufrage, Mariage, Charmes, Fils, Père, Insensible, Aimer, Femmes, Solitaire, Livre, Bateliers, Rencontrer, Eau
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texteReconnaissance textuelle : Histoire du Solitaire. [titre d'après la table]
Ces choſes fontbelles àdire,mais l'execution en eſt diffi- cile, & la plupart de ceux qui font ces fortes d'Ouvrages ,
fongent bien moins àquiter le monde , qu'à faire paroiſtre leur eſprit. Beaucoup deGens parlent avantageuſementde la Solitude , & en dépeignent la tranquillité , & cependant on voit peu de Solitaires. Quoy que le nombre en ſoit petit ,
j'en ay découvert un depuis quelques jours , dont l'Hiſtoi- remerite bien de vous eſtre racontée. Il eſt Fils unique &
ſeul Heritier d'un Homme qui peut paſſer pour grand Sei- gneur dans ſa Province. Il le fit étudier avec beaucoup de foin &de dépenſe , luy fit faire ſes Exercices àParis , &le rap- pella aupres de luy dés qu'ils
Tome VI. C
2.6 LE MERCVRE
furent achevées , de crainte
qu'il ne priſt le parti de l'Epée,
&que le defirde la gloire qui excite preſque tous lesjeunes Gens , ne l'engageat à fuivre l'exemple de la plupart de fes Camarades qu'il voyoit aller à
l'Armée , en fortant de l'Aca
demie: CeFils dont l'humeur
eſtoit douce , qui n'aimoit que le repos , & qui ſe faifoit une joye extréme d'obeïr à fon Pe- re , ſe rendit aupres deluydans le temps marqué , & voulut répondre par fa diligence à
l'empreſſement que ce bon Homme avoit de le revoir.
Dés qu'il fut de retour , il luy propoſa une Charge de Con- feillerdans le Parlement de ***
pour l'attacher plus fortement auprés de luy. Cet offre fut accepté avec joye , & la Char-
GALANT. 27
ge ayant eſté achetée , il y fut reçeu avec applaudiſſement ;
il l'a exercée pendant dix ans avec une integrité dont nous avons peu veu d'exemples. Il ne faut pas s'en étonner , il eſtoit indifferent , & la Province n'avoit point de Beautez capables de le toucher. Ce n'eſt pas qu'il euſt de mépris pour aucune , & que fon in- difference aprochat de celle
de beaucoup de jeunes Gens qui ont fi bonne opinion d'eux-meſmes , qu'ils croyent
la plupart des Femmes indi gnesde leursfoins. Noſtre
litaire n'avoit point
&s'il avoit de l'indifference,
la cauſe n'endevoit eſtre attribuée qu'à ſon temperament.
Sa froideur pour le Sexe eſtoit accompagnée d'une civilité
cedeflwy
Cij
28 LE MERCVRE
qui gagnoit tous les coœurs , &
jamais Inſenſible ne l'a fi peu paru. Siquelques Belles qui ne le haïffoient pas , & qui au- roient volontiers fait lamoitié
des avances , cachoient le cha- grin qu'elles avoient de luy voir un cœur fi peu capable d'aimer , fon Pere faiſoit ſans
ceffe paroiſtre le ſien. Il le preſſoit tous les jours deſema- rier , & luy témoignoit avec une ardeur inconcevable le
defir qu'il avoit de voir des Succeſſeurs qui pûffent em- peſcher ſon nom de mourir.
Ces difcours fatiguoient nô- tre Solitaire, il ne fongeoit qu'à ſes Livres , il n'aimoit que fon Cabinet , il y paſſoit des jours entiers, & ne voyoit les Dames que lors qu'il ne pouvoit civi-- lement s'endéfendre, & que le
1
GALANT. 29
4
hazard les faifoit trouver dans
des lieux où il ne les cherchoit
pas : demanierequ'on peutdi- re qu'au milieu d'une des plus GalantesVilles de France , &
dans un Parlement celebre , il
vivoit comme s'il eût efté dans
une Solitude. Le calme d'eſprit &les douceurs qu'il trouvoit dans cette vie tranquile , fu- rentmêlées de quelques cha- grins. Les empreſſemens que fon Pere avoit de le marier,
luy firent de la peine : il vou- lut tâcher à ſe vaincre pour luy obeïr, il combatit les defirs qu'il avoit de conferver ſa li- berté, il ſe dit des raiſons pour fe faire vouloir ce qu'il ap- préhendoit le plus , mais cefut toûjours inutilement; de forte
que ſe voyant dans la neceffi- te d'entendre tous les jours les
Ciij
30 LE MERCVRE
plaintes de ſon Pere , ou de prendre une Femme, il refolut de vendre ſa Charge de Con- • ſeiller, &de ſe retirer dans une
Maiſon de Campagne ſur les bords d'une agreable Riviere.
Il pratiqua fecretement des Genspourcela,conclut prom- ptement ſon marché , &partit auffi - toſt aprés. La Maiſon eſtoit à luy , elle eſtoit toute meublée , il y alloit ſouvent,
&n'ayant beſoin de faire au- cuns appreſts pour ce Voyage,
il fit facilement croire qu'il n'alloit que s'y promener, quoy qu'il euſt deſſein de s'y établir tout-à-fait. A peine y est - il arrivé , qu'il s'adonne entie- rement à la lecture des plus
beaux Livres , aux Oeuvres de Pieté , & à la culture de fon Jardin. Le Pere au deſeſpoir,
GALANT. 31 &qui ſouhaitoit toujours d'a- voir des Succeſſeurs , confulte
ſes Amis pour ſçavoir de quel- le maniere il en uſera pour faire retourner ſon Fils dans
le monde. On y trouva de la difficulté , pluſieurs expédiens ſont propoſez, on ſe quite fans ſe determiner à rien. On fe
raffemble : & le bon Homme
conclut enfin qu'il parlera à
quelques Bateliers , & qu'il priera une Fille publique in-- connuë à ſon Fils , & la plus belle qu'il pourra trouver , de ſe mettre dans leur Bateau , &
qu'ils iront aupresdu Jardinde fon Fils , où ils feindront de
faire naufrage. Son argent luy fait trouver tout ce qu'il fou- haite. On luy promet tout, on execute tout , mais fi à propos &avec tant d'aparence de ve
32 LE MERCVRE rité , que noſtre Solitaire en eſt touché de compaffion. Il eſtoit appuyé fur le bordd'une Terraffe qui regardoit la Ri- viere, & tenoit un Livre remplyde Traitez contre l'Amour.
Il le liſoit avec plaifir , s'ap- plaudiffſoit de la dureté de fon cœur , &s'affermiſſoit dans la
refolution qu'il faifoit tous les jours de ne ſe laiſſer jamais ébloüir par aucune Beauté ,
quelques charmes qu'elle pût avoir , lors que les cris des Ba- teliers, &d'une jeune fille qui fembloit perir, luy firent aban- donner la lecture pour courir au bord de l'eau. Il vit une
Femme qui en fortoit , il luy preſente la main , &la preffa d'entrer chez luy pour chan- ger de hardes , & pour pren-- dre du repos. Il la plaignie
GALANT. 33
LYC
pendant le chemin avec une
honneſteté qui luy eft natu- relle ,&luy dit des choſes qui l'auroient empeſchée de croi- re qu'il eſtoit inſenſible, fi elle n'en avoit eſté bien avertie.
Elle ſe contentade luy repartir qu'elle ſe trouvoit bien- heureuſe dans fon infortune de rencontrer une Perſonn
auſſi obligeate que luy. Quand elle fut arrivée dans ſon L
gis , elle demanda du Feu &
du Linge pour en changer ,
parce que le ſien eſtoit tout moüillé. Noftre Solitaire en
fut luy-mefme chercher, & il
auroit fait l'impoſſible pour fa belle Hoſteſſe, ſans en ſçavoir la raiſon. Il eſtoit fi troublé &
fi interdit qu'il ne ſçavoit ce qu'il faiſoit. Il la regardoit fans parler , & parloit ſans ſçavoir
34 LE MERCURE ny ce qu'il diſoit , ny ce qu'il luy vouloit dire. Il luy alluma luy - meſine du feu avec un empreſſement extraordinaire ,
&envoya tous ſes Gens avec ordre de ne rien épargner pour ſauver ſes Hardesqui flotoient fur l'eau. Pendant qu'il eſtoit occupé àfaire du feu, la Belle ſe deshabilloit peu à peu , &
laiſſoit entrevoir de temps en
temps une partie des beautez qui avoienteſté admirées d'un
grand nombre de Cavaliers.
Elle ſe coucha en fuite. Nôtre Solitaire s'approcha de fon Lit , & voulut l'entretenir ;
mais elle luy dit qu'elle estoit fort fatiguée,&le pria avec un air modefte & remply d'une certaine pudeur qui arrache les cœurs, de ſe retirer & de
la laiſſfer en repos. Il eſt vray
GALANT. 35 qu'elle estoit laffe , & le feint Naufrage l'avoit prêque autāt tourmentée qu'auroit fait un veritable péril.Elle dormit fort tranquillement pendant toute la nuit. Son Hoſte n'en fit pas
de meſme , il reſvaal'Avantu+
re qui luy eſtoit arrivée , &
fon imagination ne ceſſa point de luy reprefenter la Belle qui n'eſtoit fortie de l'eau , que pourluy ravir le repos dont il joüiffoit. Son inſenſibilité l'em- peſchoit de croire qu'il aimât
veritablement ; &quand il au- roit eſté bien perfuadé de ſa paffion , il n'oſoit ſe l'avoüer à
luy--mefme ; &la manieredont il avoit veſcu luy faifoit voir tant de foibleſſe dans un fi
prompt changement , qu'il ne Içavoit à quoy ſe déterminer.
Il ſe leva avec ces cruelles irré-
36 LE MERCURE
:
ſolutions. Il fut à peine habil- lé , qu'il envoya ſçavoir de quelle maniere ſa belle Ho- ſteſſe avoit paffé la nuit. Ilap- prit qu'elle estoit éveillée , &
qu'elle ſe portoitbien. Il enté- moigna de la joye , & luy en- voya demander la permiffion dela voir. Il l'obtint ; mais à
peine fut - il entré dans ſa Chambre , qu'il fentit unba- tement de cœur qui luy pré- ſagea ce quiluy eſt arrivé dé- puis. Il luy trouva de nou- veaux charmes ; &luy fit des complimens ſi embarraffez ,
que la Belle connut bien que ces appas commençoient à fai- re l'effet que le Pere de noſtre Inſenſible s'eſtoit propoſé. El- le le pria de luy donner quel- qu'un pour envoyer querir une Litiere dans la Ville Capitale
GALANT. 37 pitalede la Province , quin'é- toitpas éloignéedulieuoù ils eſtoient , & luy dit qu'elle eſtoit obligée d'y aller incef- ſamment pour porter des Pa piers de conſequence àſaMe- re , qui estoit fur le pointd'y voirjugerungrandProcés. Il
luy promit toutdans le deſſein dene luyrientenir,&fit venir fur l'heure un de ſes Gens à
qui il commanda d'executer ponctuellement tout ce qu'el- leluydiroit; puis il luydefen- ditenparticulierde ſuivre au- cunsdeſes ordres ,&le fit cacher afin qu'il ne paruſt plus devant elle. Ilmittout enufage pour empefcher qu'elle ne s'ennuyât. Les Repas furent galans &magnifiques ,&tout parladefon amouravantqu'il en dit rien &qu'il en fut luy Tome VI. D
38 LE MERCVRE mefmebien perfuadé. Cepen- dant ſa paffion qui avoit eſté violentedés ſa naiſſance, l'o- bligeade s'informer avec foin des raiſons qui avoient penſé faire périr une ſi aimable Per- ſonne. Illuydemandad'où elle eftoit partie , & pourquoy efle s'eſtoit fiée à des Bateliers fi
imprudens. Elle luy rendit rai- fon , detout , & luy dit que fa Mere ne youloit pas quelle confiât à perſonneles Papiers,
dont elle luy venoit de parler ,
& qu'ayant appris qu'un teau devpit pafler aupres de la Terre d'où elle les venoit de querir , elle s'eſtoit mife,de- dans , &avoit envoyé tous fes Gens par terre. Elle adjouta a
toutes ces chofes,qu'elle def- cendoit d'une Illuftre Maiſon
Bar
3
qu'elle luy nomma, mais que
α
GALANT. 39 les Debtes que fes Anceſtres
avoient laiſſees ,à caufe des
-dépenſes exceſſives auſquelles le ſervice de leur Prince les
avoit engagées , eſtoient cauſe qu'elle ne paroiſſoit pasdansle
monde avec tout l'éclat que devoit faire une Perſonne de
fa naiffance. CeRécitacheva
-de charmer noſtre Solitaire : &
fa belleHoſteffe qui ne devoit demeurer chez luy que pen- dant quelques jours , s'eſtant apperçeuë qu'il reſſentoit un veritable amour , voulut voir
juſquesoùleschofes pouroient aller. Leurs converſations devinrent longues &frequentes,
les yeux del'Amant parlerent fouvent, ſes ſoins confirme- rent tout ce qu'ils dirent , &
fes Billets tendres en apprirent encor davantage. Ce n'eftoit
Dij
40 LE MERCVRE toutefois pas affez , il falloit une declaration de vive voix
&dans les formes. Noftre Solitaire la fit , mais en Amant
bien reſolu d'aimer toûjours.
Il dit àcette adroite perſonne (qui n'avoit rien oublié de tout ce qu'elle avoit crû ne- ceffaire pour l'enflamer ) qu'il netiendroit qu'àelle de le ren- dre heureux le reſte de fes
jours, en partageant avec luy le peu debien que la Fortune luy avoit donné , & qu'il ne demandoit pour reconnoiffan- ceque ſes bonnesgraces &fon cœur. Il luy propoſa en ſuite de l'époufer le lendemain.Elle fit d'abord de grandesdifficul- tez, puis elle ſe rendit en luy demandanthuit jours pour en conferer avec ſa Mere. Il ne
voulut point confentir à ce re
GALANT. 41 tardement. Elle en témoigna autant de chagrin qu'elle en avoit de joye , & le laiſſa en fuite le maiſtre dela choſe. Il
fit tout préparerpourle lende- main,& le Mariageſe fit dans PEglife du lieu , en preſence detous les Paroiffiens. Cepen- dant le Pere de noftre NouveauMariéqu'on n'avoitaver- ty de rien, fentit redoubler la curioſité qu'ilavoit de ſçavoir -commentſon ſtratagême avoit réuffy. Il vint voir fon'Fils',
qu'il trouva d'abord plus gay qu'àl'ordinaire.Il en eutbeau- coup dejoye, &luy en deman- dala caufe. L'Amour a fait ce
changement, luy répondit- il.
J'en fuis ravy , lity repartit le bon Homme en l'embraffant
les larmes auxyeux, &je croy que pus qu'une Fehime a pu Dij
142 LE MERCURE
vous toucher , vous pourez devenir inſenſible aux charmes de quelque autre. LeFils l'affura du contraire , &luy dit qu'il aimeroit eternellement celle à qui il avoit donné fon cœur. Vous avez beau jurer ,
luyrepartit le Pere , je ne croi-- rayplus rien d'impoffible , puis que vous vous eſtes laiſſé tour cher. Ilest vray que je me fuis,
laiffé toucher, &meſme plus:
quevous ne penſez , luyrepli qua ceFils , puis que voir,ai mer&épouſer,n'ont eſté qu'u ne meſme choſe en moy. Ju- gez apres cela , poursuivit- il ,
fi yous avez raifon d'aſſurer que je deviendrayfenfible aux charmes d'une autre Femme ?
Ces paroles rendirent le Pere immobile , &le ſaiſirent telle
ment qu'il demeura quelque
GALANT.
43 temps fans pouvoir parler. Le Fils qui crût que la joye pro- duiſoit cet effet dans le cœur
de ſon Pere , adjoûta qu'il ne le preſſcroit plus de luydon- ner des Succeſſeurs , qu'il en auroit bien toſt,&qu'il croyoit que ſa Femme eſtoit groffe.
Quoy, luy ditle bon Homme d'une voix tremblante , vous
avez épouſe la Perſonne que vous avez retirée du Naufrage!OüymonPere , luy répon- dit-il , le Ciel me l'a envovée pourm'empeſcher d'eſtre plus long-temps rebelle à vos vo- lontez. Ah ! qu'avez-vousfait,
mon Fils qu'avez - vous fait ?
s'écria le Vieillard. Ce que vous avez fi ſouvent ſouhaité
demoy , repartit noſtre Nou- veauMarić. Dites plûtoft, in- terrompit le Pere avec des
44 LE MERCVRE yeux pleins de fureur, tout ce que je devois craindre , & ce qui vous couvrira d'une infa- mie eternelle , & vous rendra
Popprobre de tout le monde.
Je vous pardonne toutefois ,
poursuivit-il , àcauſe devoftre ignorance,mais il faut quiter voſtre Femme, if la faut fuir
&ne jamais fonger àla revoir.
De la maniere que vous par- -łez, répondit le Fils , il falloit que j'euſſe une Sœur qui ne m'eſtoit pas connuë, &je l'au- ray fans doute épousée , puis qu'il n'y a qu'une avanture ſemblable qui me puiffe obli- gerd'abandonner une Femme àquij'ay fi publiquementdon- né ma foy. Tu luy en peux manquer , reprit le Pere , &
tonMariage le peut rompre , quoy qu'elle ne foit point ta
GALANT. 45 Sœur. Il luy raconta enſuite,
toute l'Hiſtoire du feint Naufrage , & luy dit qu'il avoit pretendu que les charmes &
les manieres engageantes de laPerſonne qui avoit ordre de ſe retirer chez luy aprés ſon malheur apparent , &de luy demander les ſecours qu'illuy avoit offert de luy- meſme,
pourroient peu à peu faire di- minuer fon averſion pour les Dames;que c'étoit tout cequ'il avoit ſouhaité , dans la pensée que ſon cœur eftant devenu
moins farouche , ſe pourroit attendrir pour une plus hon- neſtePerſonne , & qu'il ſe ſe- roit alors fi adroitement fervyde l'occaſion , qu'il l'auroit fait conſentir à luy donner la main ; mais que puis qu'il avoit épousé une Courtiſane,
46 LE MERCURE il devoit par toutes fortes de raiſons demander la rupture de fon Mariage. Je n'ay point leu dans ſes yeux ce qu'elle eſtoit , edit alors ce Fils avec un
ton auffi triſte que touchant :
Ils m'ont paru doux , je n'ay rien veu que d'aimable dans toutefa Perſonne , &j'ay trou- védes charmesdans ſon eſprit -qui auroient pû engager des cœurs plus inſenſibles que le mien. Tout ce que vous dites peut excufer voſtre Mariage ,
repartit le Pere avec beaucoup de douceur , fanspouvoir vous
fervir de pretexte pour vous -empeſcher de le rompre,mais preſentement , pourſuivit-il ,
que vous connoiſſez voſtre er- reur, la raifon... La raiſon , s'éeria le Fils , je vous ay dit mille &mille fois pendantque vous
GALANT. 47
4.
me preffiez d'engager mon cœur , qu'elle estoit incompa-,
tible avec l'amour , & que de
peur de la perdre je voulois eſtre toûjours inſenſible. Vous ſouhaitiez alors de me voir
moins raiſonnable ,&vous me
le repetiez tous les jours : ce- pendant vous voulez aujour- d'huyqu'avec une paffionvio-- lente,je conſerve toute larai- fonque pourroit avoir l'Hom- me du monde le plus infenfi- ble. Il en faut avoir quand 'honneur le veut , repliqua le Pere, & tu ne romps ton
Mariage , je te declare que je
te desheriteray. Je ne voy past dequoy vous pouvez vous plaindre, luy répondit leFils,
je n'ay pas eſté chercher la Perſonne que j'ay épousée , &,
vous demeurez vous - meſme,
d'accord que vous me l'avez
48 LE MERCURE
envoyée. Dés que j'ay ſenty que je commençois à l'aimer,
je me ſuis ſouvenu de vous,
&de la joye que vous auriez en apprenant que je ceffois d'eſtre inſenſible. Le deſir de
vous plaire s'eſt mis de la par- tie,il m'a empeſchederefifter
fortement aux premiers mou- vemens demon amour ,&je me ſuis laiſſe vaincre quand j'ayſerieuſement fait reflexion fur la manieredont la Perſonne que j'ay épousée eſtoit ve- nuëchez moy. J'ay crû qu'ily
avoitde ladeſtinée dans cette
Avanture , que nous eſtions nez l'un pour l'autre , & que je ſerois criminel ſi j'étois plus long-temps rebelle à vos vo- lontez ,&que les Succeſſeurs quevous ſouhaitiez avec tant d'empreſſement,eſtoient peut
GALANT. 49
eſtre deſtinez pour eſtre un jour de grands Hommes , &
que le Public en pouvoit recevoir des avantages confide- rables. Ayant examiné toutes ces chofes , j'aurois crû faire un crime de ne pas ſuivre les mouvemens qui m'étoient in- fpirez aprés une Avanture fi extraordinaire , & dans un
temps où j'y penſois le moins.
Toutes ces raiſons ne fatisfirent pas le Pere, il preffa en- cor ſon fils de conſentir à ſe
démarier. Ce dernier s'en eft
faitun ſcrupule de confcien- ce , &le Pere s'eſt pourvû en Juſtice pour faire caſſer leMa- riage. Je les trouve tous deux à plaindre , & je ſerois bien embaraffé ſi j'avois à pronon- cer là-deſſus. Les raiſons de
Fun & de l'autre me paroif
Tome VI. E
50 LE MERCVRE
کو
foient bonnes , &je ne trouve que l'Amourde condamnable,
mais il ne reconnoît point de
Juges, & ne fait jamais que ce qu'il luy plaît
fongent bien moins àquiter le monde , qu'à faire paroiſtre leur eſprit. Beaucoup deGens parlent avantageuſementde la Solitude , & en dépeignent la tranquillité , & cependant on voit peu de Solitaires. Quoy que le nombre en ſoit petit ,
j'en ay découvert un depuis quelques jours , dont l'Hiſtoi- remerite bien de vous eſtre racontée. Il eſt Fils unique &
ſeul Heritier d'un Homme qui peut paſſer pour grand Sei- gneur dans ſa Province. Il le fit étudier avec beaucoup de foin &de dépenſe , luy fit faire ſes Exercices àParis , &le rap- pella aupres de luy dés qu'ils
Tome VI. C
2.6 LE MERCVRE
furent achevées , de crainte
qu'il ne priſt le parti de l'Epée,
&que le defirde la gloire qui excite preſque tous lesjeunes Gens , ne l'engageat à fuivre l'exemple de la plupart de fes Camarades qu'il voyoit aller à
l'Armée , en fortant de l'Aca
demie: CeFils dont l'humeur
eſtoit douce , qui n'aimoit que le repos , & qui ſe faifoit une joye extréme d'obeïr à fon Pe- re , ſe rendit aupres deluydans le temps marqué , & voulut répondre par fa diligence à
l'empreſſement que ce bon Homme avoit de le revoir.
Dés qu'il fut de retour , il luy propoſa une Charge de Con- feillerdans le Parlement de ***
pour l'attacher plus fortement auprés de luy. Cet offre fut accepté avec joye , & la Char-
GALANT. 27
ge ayant eſté achetée , il y fut reçeu avec applaudiſſement ;
il l'a exercée pendant dix ans avec une integrité dont nous avons peu veu d'exemples. Il ne faut pas s'en étonner , il eſtoit indifferent , & la Province n'avoit point de Beautez capables de le toucher. Ce n'eſt pas qu'il euſt de mépris pour aucune , & que fon in- difference aprochat de celle
de beaucoup de jeunes Gens qui ont fi bonne opinion d'eux-meſmes , qu'ils croyent
la plupart des Femmes indi gnesde leursfoins. Noſtre
litaire n'avoit point
&s'il avoit de l'indifference,
la cauſe n'endevoit eſtre attribuée qu'à ſon temperament.
Sa froideur pour le Sexe eſtoit accompagnée d'une civilité
cedeflwy
Cij
28 LE MERCVRE
qui gagnoit tous les coœurs , &
jamais Inſenſible ne l'a fi peu paru. Siquelques Belles qui ne le haïffoient pas , & qui au- roient volontiers fait lamoitié
des avances , cachoient le cha- grin qu'elles avoient de luy voir un cœur fi peu capable d'aimer , fon Pere faiſoit ſans
ceffe paroiſtre le ſien. Il le preſſoit tous les jours deſema- rier , & luy témoignoit avec une ardeur inconcevable le
defir qu'il avoit de voir des Succeſſeurs qui pûffent em- peſcher ſon nom de mourir.
Ces difcours fatiguoient nô- tre Solitaire, il ne fongeoit qu'à ſes Livres , il n'aimoit que fon Cabinet , il y paſſoit des jours entiers, & ne voyoit les Dames que lors qu'il ne pouvoit civi-- lement s'endéfendre, & que le
1
GALANT. 29
4
hazard les faifoit trouver dans
des lieux où il ne les cherchoit
pas : demanierequ'on peutdi- re qu'au milieu d'une des plus GalantesVilles de France , &
dans un Parlement celebre , il
vivoit comme s'il eût efté dans
une Solitude. Le calme d'eſprit &les douceurs qu'il trouvoit dans cette vie tranquile , fu- rentmêlées de quelques cha- grins. Les empreſſemens que fon Pere avoit de le marier,
luy firent de la peine : il vou- lut tâcher à ſe vaincre pour luy obeïr, il combatit les defirs qu'il avoit de conferver ſa li- berté, il ſe dit des raiſons pour fe faire vouloir ce qu'il ap- préhendoit le plus , mais cefut toûjours inutilement; de forte
que ſe voyant dans la neceffi- te d'entendre tous les jours les
Ciij
30 LE MERCVRE
plaintes de ſon Pere , ou de prendre une Femme, il refolut de vendre ſa Charge de Con- • ſeiller, &de ſe retirer dans une
Maiſon de Campagne ſur les bords d'une agreable Riviere.
Il pratiqua fecretement des Genspourcela,conclut prom- ptement ſon marché , &partit auffi - toſt aprés. La Maiſon eſtoit à luy , elle eſtoit toute meublée , il y alloit ſouvent,
&n'ayant beſoin de faire au- cuns appreſts pour ce Voyage,
il fit facilement croire qu'il n'alloit que s'y promener, quoy qu'il euſt deſſein de s'y établir tout-à-fait. A peine y est - il arrivé , qu'il s'adonne entie- rement à la lecture des plus
beaux Livres , aux Oeuvres de Pieté , & à la culture de fon Jardin. Le Pere au deſeſpoir,
GALANT. 31 &qui ſouhaitoit toujours d'a- voir des Succeſſeurs , confulte
ſes Amis pour ſçavoir de quel- le maniere il en uſera pour faire retourner ſon Fils dans
le monde. On y trouva de la difficulté , pluſieurs expédiens ſont propoſez, on ſe quite fans ſe determiner à rien. On fe
raffemble : & le bon Homme
conclut enfin qu'il parlera à
quelques Bateliers , & qu'il priera une Fille publique in-- connuë à ſon Fils , & la plus belle qu'il pourra trouver , de ſe mettre dans leur Bateau , &
qu'ils iront aupresdu Jardinde fon Fils , où ils feindront de
faire naufrage. Son argent luy fait trouver tout ce qu'il fou- haite. On luy promet tout, on execute tout , mais fi à propos &avec tant d'aparence de ve
32 LE MERCVRE rité , que noſtre Solitaire en eſt touché de compaffion. Il eſtoit appuyé fur le bordd'une Terraffe qui regardoit la Ri- viere, & tenoit un Livre remplyde Traitez contre l'Amour.
Il le liſoit avec plaifir , s'ap- plaudiffſoit de la dureté de fon cœur , &s'affermiſſoit dans la
refolution qu'il faifoit tous les jours de ne ſe laiſſer jamais ébloüir par aucune Beauté ,
quelques charmes qu'elle pût avoir , lors que les cris des Ba- teliers, &d'une jeune fille qui fembloit perir, luy firent aban- donner la lecture pour courir au bord de l'eau. Il vit une
Femme qui en fortoit , il luy preſente la main , &la preffa d'entrer chez luy pour chan- ger de hardes , & pour pren-- dre du repos. Il la plaignie
GALANT. 33
LYC
pendant le chemin avec une
honneſteté qui luy eft natu- relle ,&luy dit des choſes qui l'auroient empeſchée de croi- re qu'il eſtoit inſenſible, fi elle n'en avoit eſté bien avertie.
Elle ſe contentade luy repartir qu'elle ſe trouvoit bien- heureuſe dans fon infortune de rencontrer une Perſonn
auſſi obligeate que luy. Quand elle fut arrivée dans ſon L
gis , elle demanda du Feu &
du Linge pour en changer ,
parce que le ſien eſtoit tout moüillé. Noftre Solitaire en
fut luy-mefme chercher, & il
auroit fait l'impoſſible pour fa belle Hoſteſſe, ſans en ſçavoir la raiſon. Il eſtoit fi troublé &
fi interdit qu'il ne ſçavoit ce qu'il faiſoit. Il la regardoit fans parler , & parloit ſans ſçavoir
34 LE MERCURE ny ce qu'il diſoit , ny ce qu'il luy vouloit dire. Il luy alluma luy - meſine du feu avec un empreſſement extraordinaire ,
&envoya tous ſes Gens avec ordre de ne rien épargner pour ſauver ſes Hardesqui flotoient fur l'eau. Pendant qu'il eſtoit occupé àfaire du feu, la Belle ſe deshabilloit peu à peu , &
laiſſoit entrevoir de temps en
temps une partie des beautez qui avoienteſté admirées d'un
grand nombre de Cavaliers.
Elle ſe coucha en fuite. Nôtre Solitaire s'approcha de fon Lit , & voulut l'entretenir ;
mais elle luy dit qu'elle estoit fort fatiguée,&le pria avec un air modefte & remply d'une certaine pudeur qui arrache les cœurs, de ſe retirer & de
la laiſſfer en repos. Il eſt vray
GALANT. 35 qu'elle estoit laffe , & le feint Naufrage l'avoit prêque autāt tourmentée qu'auroit fait un veritable péril.Elle dormit fort tranquillement pendant toute la nuit. Son Hoſte n'en fit pas
de meſme , il reſvaal'Avantu+
re qui luy eſtoit arrivée , &
fon imagination ne ceſſa point de luy reprefenter la Belle qui n'eſtoit fortie de l'eau , que pourluy ravir le repos dont il joüiffoit. Son inſenſibilité l'em- peſchoit de croire qu'il aimât
veritablement ; &quand il au- roit eſté bien perfuadé de ſa paffion , il n'oſoit ſe l'avoüer à
luy--mefme ; &la manieredont il avoit veſcu luy faifoit voir tant de foibleſſe dans un fi
prompt changement , qu'il ne Içavoit à quoy ſe déterminer.
Il ſe leva avec ces cruelles irré-
36 LE MERCURE
:
ſolutions. Il fut à peine habil- lé , qu'il envoya ſçavoir de quelle maniere ſa belle Ho- ſteſſe avoit paffé la nuit. Ilap- prit qu'elle estoit éveillée , &
qu'elle ſe portoitbien. Il enté- moigna de la joye , & luy en- voya demander la permiffion dela voir. Il l'obtint ; mais à
peine fut - il entré dans ſa Chambre , qu'il fentit unba- tement de cœur qui luy pré- ſagea ce quiluy eſt arrivé dé- puis. Il luy trouva de nou- veaux charmes ; &luy fit des complimens ſi embarraffez ,
que la Belle connut bien que ces appas commençoient à fai- re l'effet que le Pere de noſtre Inſenſible s'eſtoit propoſé. El- le le pria de luy donner quel- qu'un pour envoyer querir une Litiere dans la Ville Capitale
GALANT. 37 pitalede la Province , quin'é- toitpas éloignéedulieuoù ils eſtoient , & luy dit qu'elle eſtoit obligée d'y aller incef- ſamment pour porter des Pa piers de conſequence àſaMe- re , qui estoit fur le pointd'y voirjugerungrandProcés. Il
luy promit toutdans le deſſein dene luyrientenir,&fit venir fur l'heure un de ſes Gens à
qui il commanda d'executer ponctuellement tout ce qu'el- leluydiroit; puis il luydefen- ditenparticulierde ſuivre au- cunsdeſes ordres ,&le fit cacher afin qu'il ne paruſt plus devant elle. Ilmittout enufage pour empefcher qu'elle ne s'ennuyât. Les Repas furent galans &magnifiques ,&tout parladefon amouravantqu'il en dit rien &qu'il en fut luy Tome VI. D
38 LE MERCVRE mefmebien perfuadé. Cepen- dant ſa paffion qui avoit eſté violentedés ſa naiſſance, l'o- bligeade s'informer avec foin des raiſons qui avoient penſé faire périr une ſi aimable Per- ſonne. Illuydemandad'où elle eftoit partie , & pourquoy efle s'eſtoit fiée à des Bateliers fi
imprudens. Elle luy rendit rai- fon , detout , & luy dit que fa Mere ne youloit pas quelle confiât à perſonneles Papiers,
dont elle luy venoit de parler ,
& qu'ayant appris qu'un teau devpit pafler aupres de la Terre d'où elle les venoit de querir , elle s'eſtoit mife,de- dans , &avoit envoyé tous fes Gens par terre. Elle adjouta a
toutes ces chofes,qu'elle def- cendoit d'une Illuftre Maiſon
Bar
3
qu'elle luy nomma, mais que
α
GALANT. 39 les Debtes que fes Anceſtres
avoient laiſſees ,à caufe des
-dépenſes exceſſives auſquelles le ſervice de leur Prince les
avoit engagées , eſtoient cauſe qu'elle ne paroiſſoit pasdansle
monde avec tout l'éclat que devoit faire une Perſonne de
fa naiffance. CeRécitacheva
-de charmer noſtre Solitaire : &
fa belleHoſteffe qui ne devoit demeurer chez luy que pen- dant quelques jours , s'eſtant apperçeuë qu'il reſſentoit un veritable amour , voulut voir
juſquesoùleschofes pouroient aller. Leurs converſations devinrent longues &frequentes,
les yeux del'Amant parlerent fouvent, ſes ſoins confirme- rent tout ce qu'ils dirent , &
fes Billets tendres en apprirent encor davantage. Ce n'eftoit
Dij
40 LE MERCVRE toutefois pas affez , il falloit une declaration de vive voix
&dans les formes. Noftre Solitaire la fit , mais en Amant
bien reſolu d'aimer toûjours.
Il dit àcette adroite perſonne (qui n'avoit rien oublié de tout ce qu'elle avoit crû ne- ceffaire pour l'enflamer ) qu'il netiendroit qu'àelle de le ren- dre heureux le reſte de fes
jours, en partageant avec luy le peu debien que la Fortune luy avoit donné , & qu'il ne demandoit pour reconnoiffan- ceque ſes bonnesgraces &fon cœur. Il luy propoſa en ſuite de l'époufer le lendemain.Elle fit d'abord de grandesdifficul- tez, puis elle ſe rendit en luy demandanthuit jours pour en conferer avec ſa Mere. Il ne
voulut point confentir à ce re
GALANT. 41 tardement. Elle en témoigna autant de chagrin qu'elle en avoit de joye , & le laiſſa en fuite le maiſtre dela choſe. Il
fit tout préparerpourle lende- main,& le Mariageſe fit dans PEglife du lieu , en preſence detous les Paroiffiens. Cepen- dant le Pere de noftre NouveauMariéqu'on n'avoitaver- ty de rien, fentit redoubler la curioſité qu'ilavoit de ſçavoir -commentſon ſtratagême avoit réuffy. Il vint voir fon'Fils',
qu'il trouva d'abord plus gay qu'àl'ordinaire.Il en eutbeau- coup dejoye, &luy en deman- dala caufe. L'Amour a fait ce
changement, luy répondit- il.
J'en fuis ravy , lity repartit le bon Homme en l'embraffant
les larmes auxyeux, &je croy que pus qu'une Fehime a pu Dij
142 LE MERCURE
vous toucher , vous pourez devenir inſenſible aux charmes de quelque autre. LeFils l'affura du contraire , &luy dit qu'il aimeroit eternellement celle à qui il avoit donné fon cœur. Vous avez beau jurer ,
luyrepartit le Pere , je ne croi-- rayplus rien d'impoffible , puis que vous vous eſtes laiſſé tour cher. Ilest vray que je me fuis,
laiffé toucher, &meſme plus:
quevous ne penſez , luyrepli qua ceFils , puis que voir,ai mer&épouſer,n'ont eſté qu'u ne meſme choſe en moy. Ju- gez apres cela , poursuivit- il ,
fi yous avez raifon d'aſſurer que je deviendrayfenfible aux charmes d'une autre Femme ?
Ces paroles rendirent le Pere immobile , &le ſaiſirent telle
ment qu'il demeura quelque
GALANT.
43 temps fans pouvoir parler. Le Fils qui crût que la joye pro- duiſoit cet effet dans le cœur
de ſon Pere , adjoûta qu'il ne le preſſcroit plus de luydon- ner des Succeſſeurs , qu'il en auroit bien toſt,&qu'il croyoit que ſa Femme eſtoit groffe.
Quoy, luy ditle bon Homme d'une voix tremblante , vous
avez épouſe la Perſonne que vous avez retirée du Naufrage!OüymonPere , luy répon- dit-il , le Ciel me l'a envovée pourm'empeſcher d'eſtre plus long-temps rebelle à vos vo- lontez. Ah ! qu'avez-vousfait,
mon Fils qu'avez - vous fait ?
s'écria le Vieillard. Ce que vous avez fi ſouvent ſouhaité
demoy , repartit noſtre Nou- veauMarić. Dites plûtoft, in- terrompit le Pere avec des
44 LE MERCVRE yeux pleins de fureur, tout ce que je devois craindre , & ce qui vous couvrira d'une infa- mie eternelle , & vous rendra
Popprobre de tout le monde.
Je vous pardonne toutefois ,
poursuivit-il , àcauſe devoftre ignorance,mais il faut quiter voſtre Femme, if la faut fuir
&ne jamais fonger àla revoir.
De la maniere que vous par- -łez, répondit le Fils , il falloit que j'euſſe une Sœur qui ne m'eſtoit pas connuë, &je l'au- ray fans doute épousée , puis qu'il n'y a qu'une avanture ſemblable qui me puiffe obli- gerd'abandonner une Femme àquij'ay fi publiquementdon- né ma foy. Tu luy en peux manquer , reprit le Pere , &
tonMariage le peut rompre , quoy qu'elle ne foit point ta
GALANT. 45 Sœur. Il luy raconta enſuite,
toute l'Hiſtoire du feint Naufrage , & luy dit qu'il avoit pretendu que les charmes &
les manieres engageantes de laPerſonne qui avoit ordre de ſe retirer chez luy aprés ſon malheur apparent , &de luy demander les ſecours qu'illuy avoit offert de luy- meſme,
pourroient peu à peu faire di- minuer fon averſion pour les Dames;que c'étoit tout cequ'il avoit ſouhaité , dans la pensée que ſon cœur eftant devenu
moins farouche , ſe pourroit attendrir pour une plus hon- neſtePerſonne , & qu'il ſe ſe- roit alors fi adroitement fervyde l'occaſion , qu'il l'auroit fait conſentir à luy donner la main ; mais que puis qu'il avoit épousé une Courtiſane,
46 LE MERCURE il devoit par toutes fortes de raiſons demander la rupture de fon Mariage. Je n'ay point leu dans ſes yeux ce qu'elle eſtoit , edit alors ce Fils avec un
ton auffi triſte que touchant :
Ils m'ont paru doux , je n'ay rien veu que d'aimable dans toutefa Perſonne , &j'ay trou- védes charmesdans ſon eſprit -qui auroient pû engager des cœurs plus inſenſibles que le mien. Tout ce que vous dites peut excufer voſtre Mariage ,
repartit le Pere avec beaucoup de douceur , fanspouvoir vous
fervir de pretexte pour vous -empeſcher de le rompre,mais preſentement , pourſuivit-il ,
que vous connoiſſez voſtre er- reur, la raifon... La raiſon , s'éeria le Fils , je vous ay dit mille &mille fois pendantque vous
GALANT. 47
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me preffiez d'engager mon cœur , qu'elle estoit incompa-,
tible avec l'amour , & que de
peur de la perdre je voulois eſtre toûjours inſenſible. Vous ſouhaitiez alors de me voir
moins raiſonnable ,&vous me
le repetiez tous les jours : ce- pendant vous voulez aujour- d'huyqu'avec une paffionvio-- lente,je conſerve toute larai- fonque pourroit avoir l'Hom- me du monde le plus infenfi- ble. Il en faut avoir quand 'honneur le veut , repliqua le Pere, & tu ne romps ton
Mariage , je te declare que je
te desheriteray. Je ne voy past dequoy vous pouvez vous plaindre, luy répondit leFils,
je n'ay pas eſté chercher la Perſonne que j'ay épousée , &,
vous demeurez vous - meſme,
d'accord que vous me l'avez
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envoyée. Dés que j'ay ſenty que je commençois à l'aimer,
je me ſuis ſouvenu de vous,
&de la joye que vous auriez en apprenant que je ceffois d'eſtre inſenſible. Le deſir de
vous plaire s'eſt mis de la par- tie,il m'a empeſchederefifter
fortement aux premiers mou- vemens demon amour ,&je me ſuis laiſſe vaincre quand j'ayſerieuſement fait reflexion fur la manieredont la Perſonne que j'ay épousée eſtoit ve- nuëchez moy. J'ay crû qu'ily
avoitde ladeſtinée dans cette
Avanture , que nous eſtions nez l'un pour l'autre , & que je ſerois criminel ſi j'étois plus long-temps rebelle à vos vo- lontez ,&que les Succeſſeurs quevous ſouhaitiez avec tant d'empreſſement,eſtoient peut
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eſtre deſtinez pour eſtre un jour de grands Hommes , &
que le Public en pouvoit recevoir des avantages confide- rables. Ayant examiné toutes ces chofes , j'aurois crû faire un crime de ne pas ſuivre les mouvemens qui m'étoient in- fpirez aprés une Avanture fi extraordinaire , & dans un
temps où j'y penſois le moins.
Toutes ces raiſons ne fatisfirent pas le Pere, il preffa en- cor ſon fils de conſentir à ſe
démarier. Ce dernier s'en eft
faitun ſcrupule de confcien- ce , &le Pere s'eſt pourvû en Juſtice pour faire caſſer leMa- riage. Je les trouve tous deux à plaindre , & je ſerois bien embaraffé ſi j'avois à pronon- cer là-deſſus. Les raiſons de
Fun & de l'autre me paroif
Tome VI. E
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foient bonnes , &je ne trouve que l'Amourde condamnable,
mais il ne reconnoît point de
Juges, & ne fait jamais que ce qu'il luy plaît
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Résumé : Histoire du Solitaire. [titre d'après la table]
Le texte narre l'histoire d'un jeune homme, fils unique d'un grand seigneur, qui mène une existence solitaire et studieuse malgré les pressions de son père pour qu'il se marie. Après avoir exercé une charge de conseiller au Parlement pendant dix ans avec intégrité, il décide de vendre sa charge et de se retirer dans une maison de campagne pour échapper aux sollicitations de son père. Ce dernier, désespéré de ne pas avoir de petits-enfants, organise un stratagème en faisant semblant de naufrage avec une jeune femme près de la maison de son fils. Touché par la compassion, le jeune homme accueille la jeune femme et finit par tomber amoureux d'elle. Après plusieurs jours de conversations et de déclarations, il l'épouse. Cependant, la situation se complique lorsque le père révèle que le naufrage était feint et que la femme était une courtisane envoyée pour adoucir le cœur rebelle du fils. Furieux, le père exige que le fils rompe ce mariage, menaçant de le déshériter sinon. Le fils, amoureux, argue que les circonstances et ses sentiments l'ont poussé à épouser cette femme, croyant voir une destinée dans cette rencontre. Le père, insistant sur la raison et l'honneur, refuse de céder. Le fils, respectueux des scrupules de conscience, ne veut pas divorcer. Le père, de son côté, se tourne vers la justice pour faire annuler le mariage. Le narrateur trouve les deux parties dignes de pitié, reconnaissant la validité des arguments des deux côtés, mais condamnant l'amour pour son irrationalité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 151-178
Histoire des quatre Bouquets. [titre d'après la table]
Début :
Deux Dames jeunes, belles, bien faites, spirituelles, & de qualité [...]
Mots clefs :
Bouquet, Dames, Couvent, Plaisirs, Prix, Jardin, Galanterie, Fête, Boîte, Ruban, Divertissement public, Masque, Incognito, Faux personnages, Iconnues, Tenants, Marquis
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire des quatre Bouquets. [titre d'après la table]
Deux Dames, jeunes , bel- les, bien faites, ſpirituelles,&
de qualité, ayant leurs raiſons pour paſſer quelque temps dans un Convent à cinq ou fix lieuës de Paris, apprirent il y a quelques jours avec joye,
qu'un jeune Marquis , qui a
une affez belle Maiſon dans
leur voiſinage , faifoit une ré- joüiſſance le lendemain , qui eftoit le jourde fa Feſte. Com- me la retraite ne leur a pas oſté l'eſprit d'enjoüement , &
qu'elles ne laiſſent échaper aucune occafion de ſe faire
GALANT. 107
des plaiſirs de tout ce qui en.
peut caufer d'innocens , elles fongerent à quelque galante rie qui leur pût donner part au Divertiſſement qui ſe pré-- paroit. Le ſoin qu'elles eurent
de s'en faire inſtruire , leur fit
découvrir qu'il confiftoit en un grand Repas que le Mar- quis donnoit à quelques -uns de ſes Amis, dont onne leur
pût dire que le nom de trois ,
& que ſur les cinq heures du foir on ſe devoit rendre
dans la Plaine , où il y avoit un Prix proposé pour celuy qui montreroit le plus d'adref- ſe à tirer. Heureuſement pour elles , les trois Conviez qu'on
leur nomma eftoient de leur
connoiffance , elles en ſca- voient les Intrigues. Il s'agif- foit d'une Feſte qu'on cele
108 LE MERCVRE
broit ; la coûtume veut qu'on
envoyedes Bouquets, &ce fut ce qui leur donna la penſée de ce qu'elles ſe réſolurentd'e- xecuter. Elles entrerent dans
le Jardin , choiſirent ce qu'el- les crûrent propre à leur def- fein , en firent quatre Bouquets differents , avec un Bil- letpour chacun de ceux àqui ils estoientdeſtinez ,enferme
rent le tout dans une Boëte ,
la cacheterent fort propre- ment , &y joignirent une Let- tre generale pour la Bande joyeuſe qu'elles estoient bien aiſes d'embarafſfer. En voicy Fadreffe & les termes..
GALANT. 1.09
LES INCONNUES,
AUX QUATRE TENANS de la Feſte de ***
NOUSCON Ous croyons, Braves Tenans,
de noſtre honneſteté, ayant l'avantage d'estre de vos Voisines , de contribuer par
quelque galanterie au plaisir que vous vous proposez de donner aujourd'huy àtout le Canton,pour
y faire plus dignement chommer voſtre Feste ; &comme vous estes quatre Amis fort unis en toutes chofes , nous craindrions de vous donner un juſte ſujet de vous plaindre de nostre injustice , ſi nous faiſions en ce rencontre aucune difference entre vous, C'est
ce qui nous oblige à vous en- voyeràchacun un Bouquet. Con
110 LE MERCURE
vons nous
fiderez-les bien , &vous verrez Sans doute qu'il nous a fallu y
fonger plus d'une fois pour vous en choisir de tels. Si nous pou- ma Sœur & moy ,
dérober demain d'une partie de Chaſſe où noussommes engagées,
nous irons voir avec quelques Amis le cas que vous faites de nos Prefens. Nous esperons que vous ne dédaignerezpas de les porter. Sur tout fi nous allons à
la Feſte, ne nous obligezpoint à
nous démaſquer, fi nous trouvons àpropos de ne le pas faire. Nous avons interest à n'estre pas con- nuës de tout le monde. Adieu.
Cefont vos Servantes &Amies,
LESDAMES DU MONT BRILLANT , à deux lieuës de chez Vous que vous voiſinez affez
rarement.Celaſoit dit en paſſant.
2
Le
GALANT.. III
1
Le lendemainde grand ma tin ces deux belles Compa- gnesde fortune mirent la Let- tre & la Boëte entre les mains
d'un Homme inconnu qui ne manquoit pas d'adreſſe. Elles L'inſtruiſirent dece qu'il avoit à faire pour n'eſtre pas ſuivy ,
&luydonnerent ordre delaif- fer l'une & l'autre au premier qu'il trouveroit des Domeſtiques du jeune Marquis. La choſe réüffit comme on l'avoit
projettée. Le preſent fut ren- duauMarquis , fansqu'on luy puſt dire qui l'envoyoit. Ce- luyqui s'eneſtoit chargé , l'a- voit donné àunCocher pour ſon Maiſtre , & le Cocher ne s'eſtoit pas mis en peine d'en rien apprendre de plus. Le
Marquis ſe promenoit dans le Jardin avec ſes Amis ,quand Tome VI. K
112 LE MERCVRE
-
ce Preſent luy fut apporté.
C'eſtoit le jour de ſa Feſte.
Il ne douta point non plus qu'eux, que la Boëte ne fuft une marque du ſouvenir de quelqu'une de ſes Amies , &
dans cette penſée il receut avec plaifir les congratulations qu'ils luy en firent; mais il fut bien ſurpris, quand ayantjetté les yeux fur la Lettre , il vit qu'elle s'adreſſoit aux quatre Tenans. La nouveauté de ce
Titre luy fit aifément juger qu'il y avoit là de l'avanture.
Il en rit avec ſes Amis , la
Lettre fut leuë , &le myſtere leur enparut ſi plaiſant, qu'ils eurent impatience d'en voir la fuite. Ainfi quoy qu'ils dûf- ſent craindre de trouver quel- que folie dans la Boëte , ils ſe haterent del'ouvrir,fans qu'un
GALANT. 113 trou que ſe fit le Marquis par un faux pas fur le pommeau de l'Epée d'un Gentilhomme de la Compagnie , ny le fang qui fortoit de ſa bleffure , les puſt rendre moins empreſſez
àfatisfaire leur curiofité.Vous
rirezde ces circonstances,mais
elles font eſſentielles , parce qu'elles font vrayes , &je vous cõtenuëment les choſes comme elles font arrivées. A l'ouverture de la Boëte les Bouquets parurent. Ils étoientex traordinaires. Le premier qui en fut tire , eſtoit celuy du Maîtrede la Maiſon. Lesbelles Perſonnes qui les avoient mis par ordre dans la Boëte,
luy en avoient voulu faire T'honneur. Il conſiſtoit en un
beau Chardon noué d'un RuL
114 LE MERCURE
A
ban feüille-morte, avec ceBillet attaché autour.....
V
Oilà ,jeune Marquis un
petit Réveille-matin , pour
vous faire penser à voftre de- funteMaitreffe , qui cependant prend toute la part qu'elle doit à
tu magnificence dont vous faites parade enpublic. C'estune Vertu
qui ne manque jamais d'accom- pagner une belle Ame comme la voftre , à laquelle il ne man- que rien qu'un peu de veritable Amour, que nous voussouhaitons en bonnes Amies..
On plaiſanta fur ce Billet,
dont on chercha l'explication.
Je ne ſçay ſi elle fut trouvée,
mais je ſçay bien que le ſe- cond Bouquet qu'on tira étoit pour M le Comte de ***
GALANT. Hg
t
e
e.
Il eſtoit compofé de Sauge,
avec un Ruban vert , & ce
Billet.
C
E petit Ruban vert 3 cher
Comte , ne vous ofte pas tout-à-fait l'esperance de regagner les bonnes graces de vostre Maîtreſſe , &nous croyons que fi elle estoit perfuadée que vostre tendreſſe fust telle qu'elle la fou- haite,vous feriez heureux content. Espereztoûjours. 31
On luy applaudit fur PE pérance, &cependant on tira de la Boëte un Bouquet de Ruë , marqué pour un Cava- lier de la Troupe. UnRuban jaune qui le noioit , y tenoit ce Billet attache.hellier
30
116 LE MERCURE
Tous ne devez pas estre le
moins content de ce que vô- tre bonne fortune vous envoye le jaune , qui marque la pleinefatisfaction de vos Amours. Nous ne vous diſons rien de la Ruë ,
un Homme à bonne fortune com- me vous en peut quelquefois avoir beſoin. Si vous n'en sçavez pas l'explication, montrez-la à voſtre Maîtreffe. Elle vous dira fans
doute, que cela ne peutvenirque
des veritables Amies, &fort inzereßées pour vous.
On crût ceBilletmalicieux,
&chacun luy donna telle in- terpretation qu'il voulut , fans que le Cavalier qui entendoit raillerie s'en formalifaft, On
vint au dernier Bouquet , qui fe trouva une belle Ortie fleu
GALANT. 117
rie , noüée d'un Ruban couleur de chair paffé. Le Biller que ce Ruban enfermoit portoit le nomde Monfieur***,
que d'indiſpenſables affaires qui luy eſtoient inopinément furvenues , avoient empefche de venir au Rendez-vous. A
fon defaut , on ne voulut pas laiſſer le Bouquet ſans Maître,
&on pria un autre Comte ,
&un jeune Chevalier , qui avoient auſſi eſté priez de la Feſte , de voir entr'eux qui Faccepteroit. Ils s'en excuſeFent l'un &l'autre, &préten dirent que les termes duBillet
ne conviendroientpasà cequi leur pouvoit eſtre arrivé: On l'ouvrit , &ces paroles y fu- rent trouvées.
18 LE MERCURE
Nousne Ous ne voyons rien qui con- vienne mieuxàl'Amantdes
Onze mille Vierges, Monfieur ***
que cette agreable Ortie , pour moderer les chaleurs qu'il reffent
àcredit pour toutes les Belles.
:
Cesdivers Billets ſervirent
long-temps d'entretien à la Compagnie. Onſe mit àtable,
& les Tenans ne manquerent pas de boire à la fanté des Belles Inconnuës du Mont Brillant. Les ordres furent donnez
pour leur appreſter une ma- gnifique Collation quand elles viendroient à la Feſte , où l'on
ne douta point que l'impatien- ce de voir l'effet qu'auroit produit leurgalanterire ne les amenaſt. Cependant comme cesaimablesRecluſes n'étoient
GALANT. জ
119 pas enpouvoir defortirde leur Couvent , l'Avanture auroit finy là , fi le hazard qui ſe meſle prefquedetour, n'y euſt donnéordre.
1 Le grand chaud commen çant à ſe paffer, il y avoitdéja beaucoup de monde amafle dans la Plaine où l'on devoit
tirer pour leprix. LeComte&
leCavalierqui avoient eu part aux Bouquets , s'y estoient rendusdes premiers ,&ils rai- fonnoient enſemble fur l'incident de la Boëte , quandils ap- perçeurent deux Dames qui
コ
s'avançoient au petit galop avec deux Cavaliers , & en équipage à peu pres de Chaf- fereffes. Ils ne douterent point
S
a
qu'elles ne fuſſent les deux In- -connuës qu'ils attendoient , &
1 ils ſe confirmerent dans cette
1
120 LE MERCVRE
penſée en leur voyant mer- tre pied àterre, ce qu'elles fi- rent pourjoüir plus àleur aiſe duDivertiſſementpublic.Ou- tre l'intereſt particulier qu'ils avoient à nouer conversation
avecelles , la civilité ſeule les obligeoit à leur faire compli- ment,& ils le commencerent
par un remercîment de l'exa- Etitude qu'elles avoient euë à
venir s'acquiter de leur paro- le. Elles connurent d'abord
qu'on ſe méprenoit; mais com- me le Maſque les mettoit en feureté , elles ſe firent unplai- firde cette méprife , &voulant voir juſqu'où elle pourroit al- ler , elles répondirent d'une manierequi nedétrompa point les deux Tenans. Elles avoient
de l'eſprit ; un Rôle d'Avan- turieres leur parut plaiſant à
GALANT. 121
joüer , &elles n'eurent pasde peine à le ſoûtenir. Il fut dit mille choſes agreables de part &d'autre. Le Comte les affuraqu'ilgarderoit fort ſoigneu ſement le Ruban vert , & leur promit d'eſperer fur leur pa role. Le Cavalier fit avec
elles de ſon coſté une plai- ☐ ſanterie ſur la Ruë , & ny la Ruë , ny le Ruban vert ne les pûrent déconcerter. El- les ſe tirerent de toutpar des réponſes ambiguës ; & leurs Conducteurs qui ne parloient point , ne pouvoient s'empef- cher de rire de les voir fournir fi long-temps àun galima- tias , où ils eſtoient afſfurez qu'elles ne comprenoient rien non plus qu'eux. Enfin ſur le refus qu'elles firent de ſe dé- maſquer , &devenir au Châe
t
t
2
122 LE MERCURE
teau prendre la Collation qui leur eſtoit préparée, le Comte &leCavalier crûrentquec'é- toit au Marquis à faire les honneurs de ſa Feſte , & ils
coururent l'avertir de leur arrivée. Les Dames prirent ce temps pour s'échaper ; elles n'avoient eu deſſein quede ſe divertiruneheure incognito , &
jugeant bienque le Marquis ,
oules feroit ſuivre , oules ob- ſerveroit de ſi pres , qu'il feroit difficilequ'il neles reconnuſt,
elles aimerent mieuxſe priver du plaiſir qu'elles avoient ef- pere, que de s'expoſer àfaire voir qu'elles avoient joüé de faux Perſonnages. Ainſi le Marquis ne les trouva plus quand il arriva , & il n'auroit pas ſçeuqui elles estoient , fans unGentilhõmequi ſurvint,&
qui
GALANT. 123
-
L
qui venant de les rencontrer,
leur dit que c'eſtoient ſes Sœurs , avec le Maryde l'une,
&un Amy. Comme il ne pa- rut aucune autre Damedu re
- ſte dujour, le Marquis , quoy qu'étonné de la promptitude de leur retraite , n'imputa qu'à elles la galanterie des Bou- quets ; & leur rendit viſite le lendemain avec les trois autres
Intéreſſez. Le galimatias s'y recommança. Elles en rirent quelque temps , mais enfin el- ☑les leur proteſterent ſi ſérieu- ſement qu'elles ne ſçavoient ce qu'on leur diſoit , que les Tenans furentobligez de cher- cher ailleurs leurs inconnuës.
Leur embarras ne ceffa point,
quelque recherche qu'ils fif- 5 ſent dans le voiſinage , juſqu'à ce qu'eſtant allez voir les deux
-Tome VI.
a
a
L
124 LE MERCVRE belles Recluſes au Couvent ,
ils connurent à quelques pa- roles de Sauge & de Chardon qui leur échapa, que c'eſtoient elles quilesavoient régalez de fi beaux Bouquets. Vn grand éclat de rire dont elles ne pû- rent ſe defendre , acheva de les perfuader. Ils en raillerent avec elles , & apres quelques legeres façons,elles leuravoue- rent ce qu'ils n'auroient peut- eſtre jamais ſçeu , fi elles ſe fuſſent obſtinées à le cacher
de qualité, ayant leurs raiſons pour paſſer quelque temps dans un Convent à cinq ou fix lieuës de Paris, apprirent il y a quelques jours avec joye,
qu'un jeune Marquis , qui a
une affez belle Maiſon dans
leur voiſinage , faifoit une ré- joüiſſance le lendemain , qui eftoit le jourde fa Feſte. Com- me la retraite ne leur a pas oſté l'eſprit d'enjoüement , &
qu'elles ne laiſſent échaper aucune occafion de ſe faire
GALANT. 107
des plaiſirs de tout ce qui en.
peut caufer d'innocens , elles fongerent à quelque galante rie qui leur pût donner part au Divertiſſement qui ſe pré-- paroit. Le ſoin qu'elles eurent
de s'en faire inſtruire , leur fit
découvrir qu'il confiftoit en un grand Repas que le Mar- quis donnoit à quelques -uns de ſes Amis, dont onne leur
pût dire que le nom de trois ,
& que ſur les cinq heures du foir on ſe devoit rendre
dans la Plaine , où il y avoit un Prix proposé pour celuy qui montreroit le plus d'adref- ſe à tirer. Heureuſement pour elles , les trois Conviez qu'on
leur nomma eftoient de leur
connoiffance , elles en ſca- voient les Intrigues. Il s'agif- foit d'une Feſte qu'on cele
108 LE MERCVRE
broit ; la coûtume veut qu'on
envoyedes Bouquets, &ce fut ce qui leur donna la penſée de ce qu'elles ſe réſolurentd'e- xecuter. Elles entrerent dans
le Jardin , choiſirent ce qu'el- les crûrent propre à leur def- fein , en firent quatre Bouquets differents , avec un Bil- letpour chacun de ceux àqui ils estoientdeſtinez ,enferme
rent le tout dans une Boëte ,
la cacheterent fort propre- ment , &y joignirent une Let- tre generale pour la Bande joyeuſe qu'elles estoient bien aiſes d'embarafſfer. En voicy Fadreffe & les termes..
GALANT. 1.09
LES INCONNUES,
AUX QUATRE TENANS de la Feſte de ***
NOUSCON Ous croyons, Braves Tenans,
de noſtre honneſteté, ayant l'avantage d'estre de vos Voisines , de contribuer par
quelque galanterie au plaisir que vous vous proposez de donner aujourd'huy àtout le Canton,pour
y faire plus dignement chommer voſtre Feste ; &comme vous estes quatre Amis fort unis en toutes chofes , nous craindrions de vous donner un juſte ſujet de vous plaindre de nostre injustice , ſi nous faiſions en ce rencontre aucune difference entre vous, C'est
ce qui nous oblige à vous en- voyeràchacun un Bouquet. Con
110 LE MERCURE
vons nous
fiderez-les bien , &vous verrez Sans doute qu'il nous a fallu y
fonger plus d'une fois pour vous en choisir de tels. Si nous pou- ma Sœur & moy ,
dérober demain d'une partie de Chaſſe où noussommes engagées,
nous irons voir avec quelques Amis le cas que vous faites de nos Prefens. Nous esperons que vous ne dédaignerezpas de les porter. Sur tout fi nous allons à
la Feſte, ne nous obligezpoint à
nous démaſquer, fi nous trouvons àpropos de ne le pas faire. Nous avons interest à n'estre pas con- nuës de tout le monde. Adieu.
Cefont vos Servantes &Amies,
LESDAMES DU MONT BRILLANT , à deux lieuës de chez Vous que vous voiſinez affez
rarement.Celaſoit dit en paſſant.
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Le
GALANT.. III
1
Le lendemainde grand ma tin ces deux belles Compa- gnesde fortune mirent la Let- tre & la Boëte entre les mains
d'un Homme inconnu qui ne manquoit pas d'adreſſe. Elles L'inſtruiſirent dece qu'il avoit à faire pour n'eſtre pas ſuivy ,
&luydonnerent ordre delaif- fer l'une & l'autre au premier qu'il trouveroit des Domeſtiques du jeune Marquis. La choſe réüffit comme on l'avoit
projettée. Le preſent fut ren- duauMarquis , fansqu'on luy puſt dire qui l'envoyoit. Ce- luyqui s'eneſtoit chargé , l'a- voit donné àunCocher pour ſon Maiſtre , & le Cocher ne s'eſtoit pas mis en peine d'en rien apprendre de plus. Le
Marquis ſe promenoit dans le Jardin avec ſes Amis ,quand Tome VI. K
112 LE MERCVRE
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ce Preſent luy fut apporté.
C'eſtoit le jour de ſa Feſte.
Il ne douta point non plus qu'eux, que la Boëte ne fuft une marque du ſouvenir de quelqu'une de ſes Amies , &
dans cette penſée il receut avec plaifir les congratulations qu'ils luy en firent; mais il fut bien ſurpris, quand ayantjetté les yeux fur la Lettre , il vit qu'elle s'adreſſoit aux quatre Tenans. La nouveauté de ce
Titre luy fit aifément juger qu'il y avoit là de l'avanture.
Il en rit avec ſes Amis , la
Lettre fut leuë , &le myſtere leur enparut ſi plaiſant, qu'ils eurent impatience d'en voir la fuite. Ainfi quoy qu'ils dûf- ſent craindre de trouver quel- que folie dans la Boëte , ils ſe haterent del'ouvrir,fans qu'un
GALANT. 113 trou que ſe fit le Marquis par un faux pas fur le pommeau de l'Epée d'un Gentilhomme de la Compagnie , ny le fang qui fortoit de ſa bleffure , les puſt rendre moins empreſſez
àfatisfaire leur curiofité.Vous
rirezde ces circonstances,mais
elles font eſſentielles , parce qu'elles font vrayes , &je vous cõtenuëment les choſes comme elles font arrivées. A l'ouverture de la Boëte les Bouquets parurent. Ils étoientex traordinaires. Le premier qui en fut tire , eſtoit celuy du Maîtrede la Maiſon. Lesbelles Perſonnes qui les avoient mis par ordre dans la Boëte,
luy en avoient voulu faire T'honneur. Il conſiſtoit en un
beau Chardon noué d'un RuL
114 LE MERCURE
A
ban feüille-morte, avec ceBillet attaché autour.....
V
Oilà ,jeune Marquis un
petit Réveille-matin , pour
vous faire penser à voftre de- funteMaitreffe , qui cependant prend toute la part qu'elle doit à
tu magnificence dont vous faites parade enpublic. C'estune Vertu
qui ne manque jamais d'accom- pagner une belle Ame comme la voftre , à laquelle il ne man- que rien qu'un peu de veritable Amour, que nous voussouhaitons en bonnes Amies..
On plaiſanta fur ce Billet,
dont on chercha l'explication.
Je ne ſçay ſi elle fut trouvée,
mais je ſçay bien que le ſe- cond Bouquet qu'on tira étoit pour M le Comte de ***
GALANT. Hg
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Il eſtoit compofé de Sauge,
avec un Ruban vert , & ce
Billet.
C
E petit Ruban vert 3 cher
Comte , ne vous ofte pas tout-à-fait l'esperance de regagner les bonnes graces de vostre Maîtreſſe , &nous croyons que fi elle estoit perfuadée que vostre tendreſſe fust telle qu'elle la fou- haite,vous feriez heureux content. Espereztoûjours. 31
On luy applaudit fur PE pérance, &cependant on tira de la Boëte un Bouquet de Ruë , marqué pour un Cava- lier de la Troupe. UnRuban jaune qui le noioit , y tenoit ce Billet attache.hellier
30
116 LE MERCURE
Tous ne devez pas estre le
moins content de ce que vô- tre bonne fortune vous envoye le jaune , qui marque la pleinefatisfaction de vos Amours. Nous ne vous diſons rien de la Ruë ,
un Homme à bonne fortune com- me vous en peut quelquefois avoir beſoin. Si vous n'en sçavez pas l'explication, montrez-la à voſtre Maîtreffe. Elle vous dira fans
doute, que cela ne peutvenirque
des veritables Amies, &fort inzereßées pour vous.
On crût ceBilletmalicieux,
&chacun luy donna telle in- terpretation qu'il voulut , fans que le Cavalier qui entendoit raillerie s'en formalifaft, On
vint au dernier Bouquet , qui fe trouva une belle Ortie fleu
GALANT. 117
rie , noüée d'un Ruban couleur de chair paffé. Le Biller que ce Ruban enfermoit portoit le nomde Monfieur***,
que d'indiſpenſables affaires qui luy eſtoient inopinément furvenues , avoient empefche de venir au Rendez-vous. A
fon defaut , on ne voulut pas laiſſer le Bouquet ſans Maître,
&on pria un autre Comte ,
&un jeune Chevalier , qui avoient auſſi eſté priez de la Feſte , de voir entr'eux qui Faccepteroit. Ils s'en excuſeFent l'un &l'autre, &préten dirent que les termes duBillet
ne conviendroientpasà cequi leur pouvoit eſtre arrivé: On l'ouvrit , &ces paroles y fu- rent trouvées.
18 LE MERCURE
Nousne Ous ne voyons rien qui con- vienne mieuxàl'Amantdes
Onze mille Vierges, Monfieur ***
que cette agreable Ortie , pour moderer les chaleurs qu'il reffent
àcredit pour toutes les Belles.
:
Cesdivers Billets ſervirent
long-temps d'entretien à la Compagnie. Onſe mit àtable,
& les Tenans ne manquerent pas de boire à la fanté des Belles Inconnuës du Mont Brillant. Les ordres furent donnez
pour leur appreſter une ma- gnifique Collation quand elles viendroient à la Feſte , où l'on
ne douta point que l'impatien- ce de voir l'effet qu'auroit produit leurgalanterire ne les amenaſt. Cependant comme cesaimablesRecluſes n'étoient
GALANT. জ
119 pas enpouvoir defortirde leur Couvent , l'Avanture auroit finy là , fi le hazard qui ſe meſle prefquedetour, n'y euſt donnéordre.
1 Le grand chaud commen çant à ſe paffer, il y avoitdéja beaucoup de monde amafle dans la Plaine où l'on devoit
tirer pour leprix. LeComte&
leCavalierqui avoient eu part aux Bouquets , s'y estoient rendusdes premiers ,&ils rai- fonnoient enſemble fur l'incident de la Boëte , quandils ap- perçeurent deux Dames qui
コ
s'avançoient au petit galop avec deux Cavaliers , & en équipage à peu pres de Chaf- fereffes. Ils ne douterent point
S
a
qu'elles ne fuſſent les deux In- -connuës qu'ils attendoient , &
1 ils ſe confirmerent dans cette
1
120 LE MERCVRE
penſée en leur voyant mer- tre pied àterre, ce qu'elles fi- rent pourjoüir plus àleur aiſe duDivertiſſementpublic.Ou- tre l'intereſt particulier qu'ils avoient à nouer conversation
avecelles , la civilité ſeule les obligeoit à leur faire compli- ment,& ils le commencerent
par un remercîment de l'exa- Etitude qu'elles avoient euë à
venir s'acquiter de leur paro- le. Elles connurent d'abord
qu'on ſe méprenoit; mais com- me le Maſque les mettoit en feureté , elles ſe firent unplai- firde cette méprife , &voulant voir juſqu'où elle pourroit al- ler , elles répondirent d'une manierequi nedétrompa point les deux Tenans. Elles avoient
de l'eſprit ; un Rôle d'Avan- turieres leur parut plaiſant à
GALANT. 121
joüer , &elles n'eurent pasde peine à le ſoûtenir. Il fut dit mille choſes agreables de part &d'autre. Le Comte les affuraqu'ilgarderoit fort ſoigneu ſement le Ruban vert , & leur promit d'eſperer fur leur pa role. Le Cavalier fit avec
elles de ſon coſté une plai- ☐ ſanterie ſur la Ruë , & ny la Ruë , ny le Ruban vert ne les pûrent déconcerter. El- les ſe tirerent de toutpar des réponſes ambiguës ; & leurs Conducteurs qui ne parloient point , ne pouvoient s'empef- cher de rire de les voir fournir fi long-temps àun galima- tias , où ils eſtoient afſfurez qu'elles ne comprenoient rien non plus qu'eux. Enfin ſur le refus qu'elles firent de ſe dé- maſquer , &devenir au Châe
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122 LE MERCURE
teau prendre la Collation qui leur eſtoit préparée, le Comte &leCavalier crûrentquec'é- toit au Marquis à faire les honneurs de ſa Feſte , & ils
coururent l'avertir de leur arrivée. Les Dames prirent ce temps pour s'échaper ; elles n'avoient eu deſſein quede ſe divertiruneheure incognito , &
jugeant bienque le Marquis ,
oules feroit ſuivre , oules ob- ſerveroit de ſi pres , qu'il feroit difficilequ'il neles reconnuſt,
elles aimerent mieuxſe priver du plaiſir qu'elles avoient ef- pere, que de s'expoſer àfaire voir qu'elles avoient joüé de faux Perſonnages. Ainſi le Marquis ne les trouva plus quand il arriva , & il n'auroit pas ſçeuqui elles estoient , fans unGentilhõmequi ſurvint,&
qui
GALANT. 123
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L
qui venant de les rencontrer,
leur dit que c'eſtoient ſes Sœurs , avec le Maryde l'une,
&un Amy. Comme il ne pa- rut aucune autre Damedu re
- ſte dujour, le Marquis , quoy qu'étonné de la promptitude de leur retraite , n'imputa qu'à elles la galanterie des Bou- quets ; & leur rendit viſite le lendemain avec les trois autres
Intéreſſez. Le galimatias s'y recommança. Elles en rirent quelque temps , mais enfin el- ☑les leur proteſterent ſi ſérieu- ſement qu'elles ne ſçavoient ce qu'on leur diſoit , que les Tenans furentobligez de cher- cher ailleurs leurs inconnuës.
Leur embarras ne ceffa point,
quelque recherche qu'ils fif- 5 ſent dans le voiſinage , juſqu'à ce qu'eſtant allez voir les deux
-Tome VI.
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124 LE MERCVRE belles Recluſes au Couvent ,
ils connurent à quelques pa- roles de Sauge & de Chardon qui leur échapa, que c'eſtoient elles quilesavoient régalez de fi beaux Bouquets. Vn grand éclat de rire dont elles ne pû- rent ſe defendre , acheva de les perfuader. Ils en raillerent avec elles , & apres quelques legeres façons,elles leuravoue- rent ce qu'ils n'auroient peut- eſtre jamais ſçeu , fi elles ſe fuſſent obſtinées à le cacher
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Résumé : Histoire des quatre Bouquets. [titre d'après la table]
Le texte narre une aventure impliquant deux dames de qualité résidant dans un couvent près de Paris. Elles apprennent qu'un jeune marquis organise une fête à proximité et décident de participer. La fête consiste en un repas suivi d'un concours de tir. Les trois invités principaux étant de leur connaissance, elles choisissent de leur envoyer des bouquets accompagnés de billets mystérieux. Elles préparent quatre bouquets distincts, chacun avec un message personnalisé, et les font livrer anonymement au marquis. Le jour de la fête, les bouquets sont remis au marquis et à ses amis. Les messages, humoristiques et énigmatiques, suscitent la curiosité et les rires des invités. Par exemple, le bouquet du marquis contient un chardon symbolisant sa maîtresse absente, tandis que celui du comte de *** inclut de la sauge et un ruban vert, suggérant l'espoir de regagner les faveurs de sa maîtresse. Le soir même, deux dames masquées assistent à la fête mais refusent de se démasquer. Elles entretiennent la confusion en répondant de manière ambiguë aux questions des invités. Plus tard, un gentilhomme révèle que les dames masquées sont ses sœurs, mettant fin à l'énigme. Le marquis et ses amis rendent visite aux dames au couvent, où des indices les confirment comme étant les auteurs des bouquets.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 14-43
Histoire de la fausse Provençale. [titre d'après la table]
Début :
Si tout le monde suivoit ces Maximes, l'Amour ne causeroit [...]
Mots clefs :
Jaloux, Aventure, Fausse provençale, Dame, Absence, Occasion, Divertissement, Coquette, Venger, Couvent, Paris, Incognito, Mari, Outrage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire de la fausse Provençale. [titre d'après la table]
Si tout le monde ſuivoit ces
Maximes , l'Amour ne cauſeroit
pas tant de malheurs , & l'em- portement inconſideré d'un Ja-
GALANT.
loux n'auroit pas donné lieu à
l'Avanture que vous allez entendre.
Une Dame bien faite , jolie,
ſpirituelle , enjoüée, vertueuſe dans le fond , mais ayant l'air du monde , & trouvant un plaifir ſenſible à s'entendre conter des
douceurs , ne pût s'empeſcher de s'abandonner à fon panc panchant
1
pendant l'absence de fonMary,
que d'importantes affaires a->
voient appellé pour quelques mois dans le Languedoc. II ai- thoit ſa Femme , & elle meritoit
bien qu'il l'aimaſt; mais foit ja- loufie,ſoit délicateſſe trop ſcru- puleuſe ſur le point-d'honneur,
il eſtoit ſevere pour ce qui regar- doit ſa conduite , &il l'obligeoit àvivre dans une regularite un peu eloignée des innocentes li- bertez qu'elle auroit crû pouvoir A vj
12 LE MERCVRE
s'accorder. Ainſi il ne faut pas eſtre ſurpris , ſi ſe voyant mai- ſtreſſe de ſes actions par ſon de- part , elle n'euſt pas tous les ſcru- pules qu'il avoit tâché de luy donner. Elle estoit née pour la joye , l'occafion estoit favorable,
& elle crût qu'il luy devoit eſtre permis de s'en fervir. Elle eut pourtant ſoin d'éviter l'éclat , &
ne voulut recevoir aucune viſite
chez elle; mais elle avoir des Amies,ces Amies voyoient le beau monde,& l'enjoûmentde ſon hu- meur joint aux agrémens de f
Perſonne,fit bientôt l'effet qu'er- lefouhaitoit. On la vit, elle plût,
on luy dit qu'elle estoit belle ,
fans qu'elle témoignaſt s'en fa- cher ; les tendres déclarations
ſuivirent, elle les reçeuten Fem-- me d'eſprit qui veut en profiter ſans ſe commettre; & là-deffus,
GALAN T. 13
grands deſſeins de s'en faire ai- mer. Promenades , Comédies ,
Opéra , Feſtes galantes , tout eft mis en uſage , & c'eſt tous les jours quelque nouveau Divertiſ- fement. Cette maniere de vie
auffi agreable que comode , avoit pour elle une douceur merveil- leuſe , & jamais Femme ne s'ac- commoda mieux de l'absence de
fon Mary. Les plus éclairez pour- tant en fait deGalanterie , s'ap- perceurentbientôtqu'il n'yavoit que des paroles à eſperer d'elle.. Hs l'en eſtimerent davantage , &
n'eneurentpas moins d'empref- ſement à ſe rendre où ils cro
yoientladevoirtrouver. Juſque-- làtoutalloit le mieuxdu monde;
mais cequi gaſta tout, ce fut un de ces Meſſieurs du bel air ,
qui fottement amoureux d'eux- mefmes fur leurs propres com
14 LE MERCVRE
1
plaiſances , s'imaginent qu'il n'y a point de Femmes à l'épreuve de leurs douceurs, quand ils dai- gnent ſe donner la peine d'en conter. Celuy-cy , dontune Per- ruque blonde , des Rubans bien compaſſez , & force Point de France répandu par tout , fai- foient le merite le pluséclatant,
ſe tenoit fi fort aſſuré des faveurs
delaBelledont il s'agit , ſurquel- ques Réponſes enjoüées qu'il n'avoit pas eu l'eſprit de com- prendre , qu'il ſe hazarda unjour àpouffer les affaires un peu trop loin. La Damele regarda fiere- ment, changea de ſtile , prit fon ſérieux , & rabatit tellement fa
vanité , qu'il endemeura incon- folable. Il ſe croyoit beau , &
troppleinduridicule entêtement qu'il avoit pour luy , il ne trou voit pas vray-femblable qu'il ſe
GALANT. IS fuſt offert ſans qu'on euſt ac- cepté leParty. Il examinade plus pres les manieres de la Dame, la vit de belle humeur avec ceux
qu'il regardoit comme ſes Ri- vaux; &fans fonger qu'ils ne luy avoient pas donné les meſmes ſujets de plainte que luy , impu- tant àquelque préoccupation de cœur ce qui n'eſtoit qu'un effet de ſa vertu , il prit conſeil de ſa jalousie ,&ne chercha plusque
ſe vangerde l'aveuglement qu'el le avoit de faire des Heureux
ſon préjudice. Il entrouva l'occa- fion &plus prompte & toute au- tre qu'il ne l'eſperoit. La Dame eſtoit allée àune Partie de Campagne pour quelques jours avec une Amie.Par malheur pour elle,
ſonMary revint inopinementde Laguedoc le lendemain de cette Partie.Il fut furpris de ne la point
16 LE MERCVRE
rencontrer en arrivant. Cellequi
l'avoit emmenée hors de Paris
eſtoit un peu en réputation de Coquete. Le chagrin le prit. II forma des ſoupçons , & il y fut confirmé par l'amant jaloux,qur ayant ſçeu ſon retour , fut des premiers à le voir. Comme ils avoient toûjours veſcu enſemble • avec affez de familiarité , le Mary ne luy cacha point la mau- vaife humeur où le mettoit l'imprudente Promenade de fa Fem- me. Cet infidelle Amy qui ne cherchoit qu'à ſe vanger d'elle,
crût qu'il ne pouvoit prendre mieux ſon temps. Illa juſtifie en apparence , & entrant dans le détail de toutes les Connoiffan
ces qu'elle a faitesdepuisſonde- part,pour prévenir,dit-il,les mé- chans contes que d'indifcrets Zélez luy enpourroient faire, il
GALANT. 17 டர்
is
e
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S
S
a
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les excuſe d'une maniere qui la rend coupable de tout ce qu'il feint de vouloirqu'il croye innocent. LeMary prend feu. Quel- ques petites railleries que d'au- tres luy font , &qui ont du ra port avec cette premiere accufa- tion, achevent de lebleſſer iufqu'au vif. Il s'emporte,il fulmine,
&il auroit pris quelque réfolu- tion violente , ſi ſes veritables Amisn'euffentdétournélecoup.
Tout ce qu'ils peuvent gagner pourtant , c'eſt qu'en attendant qu'il foit éclaircydes prétenduës galanteries de ſa Femme, elle ira fe mettredans unCouvent qu'il
feur nomme à douze ou quinze
lieuës de Paris. Deux Parétes des
plus prudes ſe chargent de luy porter l'ordre, & de le faire exe- cuter.La Dame qui connoiſſoit la
ſeverité de fon Mary, ne balance
18 LE MERCVRE
point àfaire ce qu'il fouhaite. La voilàdans le Couvent, dont heu- reuſement pour elle l'Abbeffe eſtoit Sœurd'un de ceuxqui luy en avoiét leplus conté,quoyque ce comercefut demeuréinconnu à l'Amant jaloux. Ainfi elle ne manqua pas de Lettres de faveur pour tous les Privileges qui pou- voient luy eſtre accordez. Elle p'avoit pas trop beſoin d'une re- commandation particuliere. Ses manieresengageantes & flaten- ſes en estoient une tres-forte
pour elle , &il ne falloit rien da- vantage pour la faire aimer de toutle Couvent. C'eſtoit une neceſſité pour elle d'y paſſer quel que temps , elle aimoit les plai- firs , &elle s'en fit de tout ce qui en peut donner dans la retraite.
Elle noüa fur tout amitié avec
une jeune Veuve Provençale ,
GALANT. 19
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e
Penſionaire du Couventcomme
elle. Son langage la charmatelle- ment ( iln'y en a point de plus agreable pour les Dames ) qu'elle s'attacha à l'étudier ; &comme il
ne faut quevouloir fortement les,
choſes poury réüſſir, elle s'y ren- dit ſi ſçavante entrois mois,qu'on l'eut priſe pour une Provençale originaire. Cependant il y en a- voit déja fix qu'elle estoit réclu-- ſe. Sa priſon l'ennuyoit , & elle fuccomba à la tentation de venir
à Paris incognito paſſer quinze jours avecſes Amies. L'Abbeſſe,
quoy qu'avec un peude peine,
luy accorda ce congé à l'inſtante follicitation de ſon Frere , à qui elle devoit ce qu'elle eſtoit. Elle ſe précautione pour n'eſtre point découverte. Une Amie avecqui elle concerte ſon deſſein , & qui ſe charge de luy faire donner
20 LE MERCVRE
tin Apartement en lieu où elle ne ſoit connue d'aucun Domeſtique , la va prendre à deux lieuës de Paris , &la mene chez la Femme d'un vieux Conſeiller,
qui ne l'ayant jamais veuë , la reçoit comme une Dame qui ar- rive nouvellementde Provence.
Grande amitié quiſe lie entr'el- les. Il n'eſt parlé quede la belle Provençale , c'eſt fous ce nom qu'on fonge à la divertir , & elle joüefi bien fon perſonnage, que ne voyant que trois ou quatre deſes plus particuliers Amisqui font avertis de tour , il eſt impoffible qu'on la ſoupçonne de n'eſtre pas ce qu'elle ſedit. Tout contribuë àmettre ſon ſecret en
aſſurance. Lequartier oùelle lo- ge eft fort éloigné deſon Mary,
elle ne fort jamais que maſquée avec la Femmedu Confeiller, &
GALANT. 21
T
quandelle fait quelque Partie de promenade avec ſon Amie , ce font tous Gens choiſfis qui en font , & leur indifcretion n'eſt
point à craindre pour elle. Trois ſemaines ſe paſſent de cette for- te. Elle prend ſes meſures pour toutes les choſes qui peuvent obliger ſon Mary à la rapeler au- pres de luy , & feignant tout-à- coup d'avoir reçeu des nouvel- les qui la preſſent de ſe rendre en Provence, elle ſe diſpoſeà s'aller renfermer dans le Couvent. Le
joureſt pris pour cela. Elle doit aller coucher avec ſon Amie à
cinq ou fix lieuës de Paris , &
les adieux ſont déja à demy-faits ſans qu'on ait rien découvert de ce qu'elle a intereſt à tenir ca- ché. Dans cettediſpoſition qui euſt pû prévoir ce qui luy arri-
:
ve ? SonMary avoit un Procés,
22 LE MERCVRE
le Conſeiller qui la loge en eft nommé Raporteur ; il cherche accés aupresde luy , & s'adreffe àunGentilhomme avec qui il a
fait connoiffance en Langue- doc , &qu'il ſçait eſtre le tout- puiſſant dans cette Maiſon. Le Gentilhomme prend volontiers cette occafion defaire valoir fon
credit , & ils vont enſemble chez
le Conſeiller le jour meſme que la fauſſe Provençale doit par tir. Le Conſeiller s'eſtoit enfermé dans ſon Cabinet au re
tourduPalais pour une Affaire qu'il falloit neceſſairement qu'il examinaſt ſur l'heure. Il eſtoit
queſtion d'attendre. Le Gentil- homme pour mieux fervir fon
Amy , le mene àl'Apartementde Madame qu'il veut mettre dans ſes intereſts. Commeil y entroit fansfaçon à toutes les heurés du
GALAN T. 23
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↑ jour , il y monte ſansqu'elle en ſoit avertie , & il la ſurprend avec la fauſſe Provençale , qui ne s'attendoit à rien moins qu'à une viſite de fon Mary. Jugez de t- la ſurpriſe de l'un &de l'autre.
Le Mary ne ſçait où il eneſt. Il regarde , reconnoiſt ſa Femme,
& troublé d'une rencontre fi
inopinée , il oublie ſon Procés,
&n'écoute preſque pointce que ſon Amyditen ſa faveur.La Da- men'eſt pas moins embaraffée de ſon coſté, mais comme elle voit le
pas dangereux pour elle , felle n'yremedieparſoneſprit, elle ne ſe déconcerte point , & parlant ProvençalauGentilhomme qu'- elle adéjaveu pluſieurs fois , elle luyditcentplaifanteries quimet- tent le Mary dans un embarras nouveau. Il demande tout bas à
fon Amyqui elleeft ,&il luy réコー
é
il
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24 LE MERCVRE
pond de fi bonne foy ( comme il le croit ) que c'eſt une Dame de Provence venuë à Paris pour af- faires , que fon langage ſervant âconfirmer ce qu'il luy dit , il commence à croire que la ref- ſemblance des traits àpû le trom- per , &il nes'en fautgueremefmequ'il ne lestrouve moins ref- ſemblans qu'ils ne luy ont paru d'abord. Il s'approche d'elle, l'e- xamine, luy parle ; & le Gentil- homme luy ayant dit qu'il falloit qu'elle follicitaſt pour ſon Amy,
elle prometde s'y employercom- me si c'eſtoit ſon affaire propre.
Elle tientparole , & le Confeil .
ler entrant , c'eſt elle qui com- mence la follicitation; mais elle
lefait avectant de grace& avec une telle libertéd'eſprit , que ſon Mary ne peut croire que ſi elle eſtoit ſa Femme , elle euſt pû ſe poffe
GALANT. 25
د
poſſeder affez pourpouffer le dé- guiſementjuſque-là. Il fort tres- - fatisfait du Conſeiller ; & pour = n'avoir aucun ſcrupule d'eſtre la Dupedecerterencontre , il ſe ré- foutd'allerdésle lendemaintrouver ſa Femme au Couvent. Elle
y met ordre par la promptitude de fon retour &devinant ce
qu'il eſt capable de faire pour s'éclaircir , au lieu d'aller coucher où ſon Amie la devoit
ner , elle marche toute la nuit,
&arrive de tres-grand matin Couvent. L'Abbeſſe à qui elle rend compte de tout , inſtruit la Tourierede ce qu'elle doit dire,
ſi quelqu'un la vientdemander.
SonMary fait diligence , & arri- ve fix heures apres elle. Il vient au Parloir. Onlayditque faFem- men'a preſque point quité le Lit depuis huit jours , à cauſe d'une
Tome VII. B
26 LE MERCV RE
legere indiſpoſition , & elle pa- roît un quart-d'heure apres en coifure de Convalefcente. La fatigue du voyage , & le manque dedormir pendant toute la nuit paſſée , l'avoient un peu abatuë.
Cela vint le plus à propos du monde. Comme ſon Mary ne luy trouva nyles meſmes ajuſtemens,
nyla meſmevivacité de teint qui l'avoit ébloüy le jour précedent dans la Provençale , il fut aifé- mentperfuadé qu'il y avoit eude l'erreur dans ce qu'il s'en eſtoit figuréd'abord. Cependant il avoit remarqué tant de merite dans cette prétenduë Provençale , &
il en eſtoit tellement touché ; que ſe tenant trop heureux de poffe- derune Perſonne qui luy reffem- bloit , & eſtant d'ailleurs con- vaincuqu'il y avoit eu plus d'im- prudence que de crime dans la
GALANT. 27
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conduite de ſa Femme , il luy dit les chofes les plus touchantes pour luy faire oublier ce que fix
mois de clôture luy avoient pû cauſer de chagrin. Elle garde quelque temps ſon ſérieux avec luy, luy fait ſes plaintes en bon accent François de ſon injurieux procedé , & apres quelques feints refus de luy pardonner fi-toſt un outragequi avoit faittantde tort àſa reputation , elle ſe rend aux preſſans témoignages de ſa ten-- dreſſe , & retourne avec luy le lendemain à Paris. Il luy conte
e
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t
S l'Avanture de la Provençale qu'il
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prometde luy faire voir , & il de- meure un peu interdit , quand l'eſtant allé demander chez le
Conſeiller , il apprend que ſes
-
affaires l'avoient rapelée enPro- vence. Je ne ſçay ſi undepart 6
prompt luy a fait ſoupçonner
Bij
28 LE MERCVRE
quelque choſe , mais il en uſe tres-bien avec ſa Femme , & il
luy laiſſe mefme plus de liberté qu'il neluy enſoufroit avant fon voyagede Languedoc
Maximes , l'Amour ne cauſeroit
pas tant de malheurs , & l'em- portement inconſideré d'un Ja-
GALANT.
loux n'auroit pas donné lieu à
l'Avanture que vous allez entendre.
Une Dame bien faite , jolie,
ſpirituelle , enjoüée, vertueuſe dans le fond , mais ayant l'air du monde , & trouvant un plaifir ſenſible à s'entendre conter des
douceurs , ne pût s'empeſcher de s'abandonner à fon panc panchant
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pendant l'absence de fonMary,
que d'importantes affaires a->
voient appellé pour quelques mois dans le Languedoc. II ai- thoit ſa Femme , & elle meritoit
bien qu'il l'aimaſt; mais foit ja- loufie,ſoit délicateſſe trop ſcru- puleuſe ſur le point-d'honneur,
il eſtoit ſevere pour ce qui regar- doit ſa conduite , &il l'obligeoit àvivre dans une regularite un peu eloignée des innocentes li- bertez qu'elle auroit crû pouvoir A vj
12 LE MERCVRE
s'accorder. Ainſi il ne faut pas eſtre ſurpris , ſi ſe voyant mai- ſtreſſe de ſes actions par ſon de- part , elle n'euſt pas tous les ſcru- pules qu'il avoit tâché de luy donner. Elle estoit née pour la joye , l'occafion estoit favorable,
& elle crût qu'il luy devoit eſtre permis de s'en fervir. Elle eut pourtant ſoin d'éviter l'éclat , &
ne voulut recevoir aucune viſite
chez elle; mais elle avoir des Amies,ces Amies voyoient le beau monde,& l'enjoûmentde ſon hu- meur joint aux agrémens de f
Perſonne,fit bientôt l'effet qu'er- lefouhaitoit. On la vit, elle plût,
on luy dit qu'elle estoit belle ,
fans qu'elle témoignaſt s'en fa- cher ; les tendres déclarations
ſuivirent, elle les reçeuten Fem-- me d'eſprit qui veut en profiter ſans ſe commettre; & là-deffus,
GALAN T. 13
grands deſſeins de s'en faire ai- mer. Promenades , Comédies ,
Opéra , Feſtes galantes , tout eft mis en uſage , & c'eſt tous les jours quelque nouveau Divertiſ- fement. Cette maniere de vie
auffi agreable que comode , avoit pour elle une douceur merveil- leuſe , & jamais Femme ne s'ac- commoda mieux de l'absence de
fon Mary. Les plus éclairez pour- tant en fait deGalanterie , s'ap- perceurentbientôtqu'il n'yavoit que des paroles à eſperer d'elle.. Hs l'en eſtimerent davantage , &
n'eneurentpas moins d'empref- ſement à ſe rendre où ils cro
yoientladevoirtrouver. Juſque-- làtoutalloit le mieuxdu monde;
mais cequi gaſta tout, ce fut un de ces Meſſieurs du bel air ,
qui fottement amoureux d'eux- mefmes fur leurs propres com
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plaiſances , s'imaginent qu'il n'y a point de Femmes à l'épreuve de leurs douceurs, quand ils dai- gnent ſe donner la peine d'en conter. Celuy-cy , dontune Per- ruque blonde , des Rubans bien compaſſez , & force Point de France répandu par tout , fai- foient le merite le pluséclatant,
ſe tenoit fi fort aſſuré des faveurs
delaBelledont il s'agit , ſurquel- ques Réponſes enjoüées qu'il n'avoit pas eu l'eſprit de com- prendre , qu'il ſe hazarda unjour àpouffer les affaires un peu trop loin. La Damele regarda fiere- ment, changea de ſtile , prit fon ſérieux , & rabatit tellement fa
vanité , qu'il endemeura incon- folable. Il ſe croyoit beau , &
troppleinduridicule entêtement qu'il avoit pour luy , il ne trou voit pas vray-femblable qu'il ſe
GALANT. IS fuſt offert ſans qu'on euſt ac- cepté leParty. Il examinade plus pres les manieres de la Dame, la vit de belle humeur avec ceux
qu'il regardoit comme ſes Ri- vaux; &fans fonger qu'ils ne luy avoient pas donné les meſmes ſujets de plainte que luy , impu- tant àquelque préoccupation de cœur ce qui n'eſtoit qu'un effet de ſa vertu , il prit conſeil de ſa jalousie ,&ne chercha plusque
ſe vangerde l'aveuglement qu'el le avoit de faire des Heureux
ſon préjudice. Il entrouva l'occa- fion &plus prompte & toute au- tre qu'il ne l'eſperoit. La Dame eſtoit allée àune Partie de Campagne pour quelques jours avec une Amie.Par malheur pour elle,
ſonMary revint inopinementde Laguedoc le lendemain de cette Partie.Il fut furpris de ne la point
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rencontrer en arrivant. Cellequi
l'avoit emmenée hors de Paris
eſtoit un peu en réputation de Coquete. Le chagrin le prit. II forma des ſoupçons , & il y fut confirmé par l'amant jaloux,qur ayant ſçeu ſon retour , fut des premiers à le voir. Comme ils avoient toûjours veſcu enſemble • avec affez de familiarité , le Mary ne luy cacha point la mau- vaife humeur où le mettoit l'imprudente Promenade de fa Fem- me. Cet infidelle Amy qui ne cherchoit qu'à ſe vanger d'elle,
crût qu'il ne pouvoit prendre mieux ſon temps. Illa juſtifie en apparence , & entrant dans le détail de toutes les Connoiffan
ces qu'elle a faitesdepuisſonde- part,pour prévenir,dit-il,les mé- chans contes que d'indifcrets Zélez luy enpourroient faire, il
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les excuſe d'une maniere qui la rend coupable de tout ce qu'il feint de vouloirqu'il croye innocent. LeMary prend feu. Quel- ques petites railleries que d'au- tres luy font , &qui ont du ra port avec cette premiere accufa- tion, achevent de lebleſſer iufqu'au vif. Il s'emporte,il fulmine,
&il auroit pris quelque réfolu- tion violente , ſi ſes veritables Amisn'euffentdétournélecoup.
Tout ce qu'ils peuvent gagner pourtant , c'eſt qu'en attendant qu'il foit éclaircydes prétenduës galanteries de ſa Femme, elle ira fe mettredans unCouvent qu'il
feur nomme à douze ou quinze
lieuës de Paris. Deux Parétes des
plus prudes ſe chargent de luy porter l'ordre, & de le faire exe- cuter.La Dame qui connoiſſoit la
ſeverité de fon Mary, ne balance
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point àfaire ce qu'il fouhaite. La voilàdans le Couvent, dont heu- reuſement pour elle l'Abbeffe eſtoit Sœurd'un de ceuxqui luy en avoiét leplus conté,quoyque ce comercefut demeuréinconnu à l'Amant jaloux. Ainfi elle ne manqua pas de Lettres de faveur pour tous les Privileges qui pou- voient luy eſtre accordez. Elle p'avoit pas trop beſoin d'une re- commandation particuliere. Ses manieresengageantes & flaten- ſes en estoient une tres-forte
pour elle , &il ne falloit rien da- vantage pour la faire aimer de toutle Couvent. C'eſtoit une neceſſité pour elle d'y paſſer quel que temps , elle aimoit les plai- firs , &elle s'en fit de tout ce qui en peut donner dans la retraite.
Elle noüa fur tout amitié avec
une jeune Veuve Provençale ,
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Penſionaire du Couventcomme
elle. Son langage la charmatelle- ment ( iln'y en a point de plus agreable pour les Dames ) qu'elle s'attacha à l'étudier ; &comme il
ne faut quevouloir fortement les,
choſes poury réüſſir, elle s'y ren- dit ſi ſçavante entrois mois,qu'on l'eut priſe pour une Provençale originaire. Cependant il y en a- voit déja fix qu'elle estoit réclu-- ſe. Sa priſon l'ennuyoit , & elle fuccomba à la tentation de venir
à Paris incognito paſſer quinze jours avecſes Amies. L'Abbeſſe,
quoy qu'avec un peude peine,
luy accorda ce congé à l'inſtante follicitation de ſon Frere , à qui elle devoit ce qu'elle eſtoit. Elle ſe précautione pour n'eſtre point découverte. Une Amie avecqui elle concerte ſon deſſein , & qui ſe charge de luy faire donner
20 LE MERCVRE
tin Apartement en lieu où elle ne ſoit connue d'aucun Domeſtique , la va prendre à deux lieuës de Paris , &la mene chez la Femme d'un vieux Conſeiller,
qui ne l'ayant jamais veuë , la reçoit comme une Dame qui ar- rive nouvellementde Provence.
Grande amitié quiſe lie entr'el- les. Il n'eſt parlé quede la belle Provençale , c'eſt fous ce nom qu'on fonge à la divertir , & elle joüefi bien fon perſonnage, que ne voyant que trois ou quatre deſes plus particuliers Amisqui font avertis de tour , il eſt impoffible qu'on la ſoupçonne de n'eſtre pas ce qu'elle ſedit. Tout contribuë àmettre ſon ſecret en
aſſurance. Lequartier oùelle lo- ge eft fort éloigné deſon Mary,
elle ne fort jamais que maſquée avec la Femmedu Confeiller, &
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quandelle fait quelque Partie de promenade avec ſon Amie , ce font tous Gens choiſfis qui en font , & leur indifcretion n'eſt
point à craindre pour elle. Trois ſemaines ſe paſſent de cette for- te. Elle prend ſes meſures pour toutes les choſes qui peuvent obliger ſon Mary à la rapeler au- pres de luy , & feignant tout-à- coup d'avoir reçeu des nouvel- les qui la preſſent de ſe rendre en Provence, elle ſe diſpoſeà s'aller renfermer dans le Couvent. Le
joureſt pris pour cela. Elle doit aller coucher avec ſon Amie à
cinq ou fix lieuës de Paris , &
les adieux ſont déja à demy-faits ſans qu'on ait rien découvert de ce qu'elle a intereſt à tenir ca- ché. Dans cettediſpoſition qui euſt pû prévoir ce qui luy arri-
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ve ? SonMary avoit un Procés,
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le Conſeiller qui la loge en eft nommé Raporteur ; il cherche accés aupresde luy , & s'adreffe àunGentilhomme avec qui il a
fait connoiffance en Langue- doc , &qu'il ſçait eſtre le tout- puiſſant dans cette Maiſon. Le Gentilhomme prend volontiers cette occafion defaire valoir fon
credit , & ils vont enſemble chez
le Conſeiller le jour meſme que la fauſſe Provençale doit par tir. Le Conſeiller s'eſtoit enfermé dans ſon Cabinet au re
tourduPalais pour une Affaire qu'il falloit neceſſairement qu'il examinaſt ſur l'heure. Il eſtoit
queſtion d'attendre. Le Gentil- homme pour mieux fervir fon
Amy , le mene àl'Apartementde Madame qu'il veut mettre dans ſes intereſts. Commeil y entroit fansfaçon à toutes les heurés du
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↑ jour , il y monte ſansqu'elle en ſoit avertie , & il la ſurprend avec la fauſſe Provençale , qui ne s'attendoit à rien moins qu'à une viſite de fon Mary. Jugez de t- la ſurpriſe de l'un &de l'autre.
Le Mary ne ſçait où il eneſt. Il regarde , reconnoiſt ſa Femme,
& troublé d'une rencontre fi
inopinée , il oublie ſon Procés,
&n'écoute preſque pointce que ſon Amyditen ſa faveur.La Da- men'eſt pas moins embaraffée de ſon coſté, mais comme elle voit le
pas dangereux pour elle , felle n'yremedieparſoneſprit, elle ne ſe déconcerte point , & parlant ProvençalauGentilhomme qu'- elle adéjaveu pluſieurs fois , elle luyditcentplaifanteries quimet- tent le Mary dans un embarras nouveau. Il demande tout bas à
fon Amyqui elleeft ,&il luy réコー
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pond de fi bonne foy ( comme il le croit ) que c'eſt une Dame de Provence venuë à Paris pour af- faires , que fon langage ſervant âconfirmer ce qu'il luy dit , il commence à croire que la ref- ſemblance des traits àpû le trom- per , &il nes'en fautgueremefmequ'il ne lestrouve moins ref- ſemblans qu'ils ne luy ont paru d'abord. Il s'approche d'elle, l'e- xamine, luy parle ; & le Gentil- homme luy ayant dit qu'il falloit qu'elle follicitaſt pour ſon Amy,
elle prometde s'y employercom- me si c'eſtoit ſon affaire propre.
Elle tientparole , & le Confeil .
ler entrant , c'eſt elle qui com- mence la follicitation; mais elle
lefait avectant de grace& avec une telle libertéd'eſprit , que ſon Mary ne peut croire que ſi elle eſtoit ſa Femme , elle euſt pû ſe poffe
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poſſeder affez pourpouffer le dé- guiſementjuſque-là. Il fort tres- - fatisfait du Conſeiller ; & pour = n'avoir aucun ſcrupule d'eſtre la Dupedecerterencontre , il ſe ré- foutd'allerdésle lendemaintrouver ſa Femme au Couvent. Elle
y met ordre par la promptitude de fon retour &devinant ce
qu'il eſt capable de faire pour s'éclaircir , au lieu d'aller coucher où ſon Amie la devoit
ner , elle marche toute la nuit,
&arrive de tres-grand matin Couvent. L'Abbeſſe à qui elle rend compte de tout , inſtruit la Tourierede ce qu'elle doit dire,
ſi quelqu'un la vientdemander.
SonMary fait diligence , & arri- ve fix heures apres elle. Il vient au Parloir. Onlayditque faFem- men'a preſque point quité le Lit depuis huit jours , à cauſe d'une
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legere indiſpoſition , & elle pa- roît un quart-d'heure apres en coifure de Convalefcente. La fatigue du voyage , & le manque dedormir pendant toute la nuit paſſée , l'avoient un peu abatuë.
Cela vint le plus à propos du monde. Comme ſon Mary ne luy trouva nyles meſmes ajuſtemens,
nyla meſmevivacité de teint qui l'avoit ébloüy le jour précedent dans la Provençale , il fut aifé- mentperfuadé qu'il y avoit eude l'erreur dans ce qu'il s'en eſtoit figuréd'abord. Cependant il avoit remarqué tant de merite dans cette prétenduë Provençale , &
il en eſtoit tellement touché ; que ſe tenant trop heureux de poffe- derune Perſonne qui luy reffem- bloit , & eſtant d'ailleurs con- vaincuqu'il y avoit eu plus d'im- prudence que de crime dans la
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conduite de ſa Femme , il luy dit les chofes les plus touchantes pour luy faire oublier ce que fix
mois de clôture luy avoient pû cauſer de chagrin. Elle garde quelque temps ſon ſérieux avec luy, luy fait ſes plaintes en bon accent François de ſon injurieux procedé , & apres quelques feints refus de luy pardonner fi-toſt un outragequi avoit faittantde tort àſa reputation , elle ſe rend aux preſſans témoignages de ſa ten-- dreſſe , & retourne avec luy le lendemain à Paris. Il luy conte
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prometde luy faire voir , & il de- meure un peu interdit , quand l'eſtant allé demander chez le
Conſeiller , il apprend que ſes
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quelque choſe , mais il en uſe tres-bien avec ſa Femme , & il
luy laiſſe mefme plus de liberté qu'il neluy enſoufroit avant fon voyagede Languedoc
Fermer
Résumé : Histoire de la fausse Provençale. [titre d'après la table]
Le texte narre une aventure galante impliquant une dame vertueuse mais enjouée. Son mari, occupé par des affaires dans le Languedoc, impose une rigueur excessive. Pendant son absence, la dame, attirée par les douceurs et les compliments, s'abandonne à son penchant sans recevoir de visites chez elle mais en profitant de la compagnie de ses amies. Elle mène une vie agréable et discrète. Cependant, un galant trop présomptueux tente de la séduire, mais elle le repousse fermement. Jaloux et vexé, cet homme se venge en informant le mari des supposées galanteries de sa femme. Furieux, le mari envoie sa femme dans un couvent. Là-bas, aidée par l'abbesse et ses amies, elle noue des amitiés et apprend le provençal. Elle quitte ensuite le couvent incognito pour passer du temps à Paris avec ses amies, se faisant passer pour une Provençale. Son mari, ignorant tout, la découvre par hasard chez un conseiller, mais grâce à son esprit vif, elle parvient à le tromper. Convaincu de son erreur, le mari rappelle sa femme au bout de six mois, et ils retournent ensemble à Paris. Par ailleurs, le texte mentionne un homme nommé Bij qui, après un voyage en Languedoc, accorde plus de liberté à sa femme, sans fournir de détails supplémentaires sur la nature de ce qu'il a remarqué ou sur les circonstances exactes de son voyage.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
11
p. 110-135
Histoire de l'Amant Cocher. [titre d'après la table]
Début :
Une jeune Veuve dont la beauté attiroit des Soûpirans, l'esprit [...]
Mots clefs :
Veuve, Marquis, Vieillard, Banquier, Homme, Amant, Carosse, Amour, Balcon, Jalousies, Chevaux, Rival, Garderobe, Cocher
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texteReconnaissance textuelle : Histoire de l'Amant Cocher. [titre d'après la table]
Une jeune Veuve dont la beauté attiroit des Soûpirans ,
l'eſprit des louanges , & l'air co-- quetdes railleries, avoit l'adreſſe
3
70 LE MERCVRE deménagertrois Amansque des raiſons d'intereſt ou de vanité
luy avoient fait choiſir d'un affez
diferent caractere. L'un eftoit un
jeûne Etouurdy , Marquis à bon titre , un peu gueux , mais bien fait, & fort capable de ſe faire ai -
mer. Il avoit l'air bon , ne manquoit derien en apparence , &
vivoit avec tout l'éclat qu'auroit pû faire un Homme de ſa naiffance,à qui la Fortune auroit été plus favorable qu'à luy. L'autre eſtoit un petit Vieillard,toûjours propre, de bonne humeur, libe- ral , & cette dernierequalité va- loit bienqu'on ne prit point gar- de à ſes années. Il avoit eſté autrefois Banquier , s'eſtoit meſlé enfuitede plus d'une affaire , &
pardes voyes inconnuës, il avoit trouvé moyen de ſe rendre un des plus riches Roturiers du
GALANT. 71T
Royaume. Les Viſites du Mar- quis luy faifoient paſſer de mé- chans momens , ſes grands airs n'eſtoient point à ſon uſage , &
c'eſtoit quelque choſe de fi re- doutable pour luy , qu'il eſtoit contraintde quiter la place ſi -tôt qu'il entroit. Il en avoit faires plaintes à la Dame, qui nos en N
incommodoit pas. Elle tournoit finement les choſes , &deuxou
trois paroles flateuſes menoient
lebon Homme où elle vouloit.
Son troifiéme Amanteſtoitd'une
eſpeceoppoſéeàl'un&à l'autre.
Il tenoit le milieu entre le Marquis &ile Banquier. UneCharge deRobe de rendoit confiderable,
&& il n'avoitrien d'ailleurs qui le
fit diftinguer. Pointde defaut re- marquable, point devertu parti.
culiere, il fervoit ſes Amis,&fans élevation ny baffeſſe il s'eſtoit
72 LE MERCVRE acquis la réputation d'honneſte Homme. Labelle Veuve l'attendoit un foir: Les jours eſtoient longs , & il ne devoit venirque fort tard. Une raiſon importante lobligeoit d'en ufer ainfi. Elle avoit un Procésdontil eſtoit Raporteur , & fi on l'euſt veu en- trer chez elle , ſes Parties au- roient eu droit de le récufer. Elle
croyoit le petit Vieillard à l'une de ſes Terres , le Marquis ne de voit pas revenir fi -toſt de la Cour,&fur cette afſurance elle avoit donné le rendez-vous; mais
comme les Coquetes font nées pour les Avantures , le Vieillard entra lors qu'elle y penſoit le moins. Il eſtoitdans ſa propreté ordinaire. Un Habit de Tafetas
noir tout chamarré de Dentelle,
le Bas de foye bien tiré Perru
E
que blonde , & un Rabat d'un
Point
GALANT 73 Point de France admirable. A
peine eut-il dit à la Veuve que Pimpatience de la revoir hay avoit fait précipiter ſon retour,
qu'on entendit le bruit d'un Car- roſſe àfix Chevaux. Il arreſta devant ſa Maiſon , on en defcendit
avec grand fracas , on heurta fort rudement à la Porte , & l'on
entra de plein- pied , fans s'in- former ſi on eſtoit en humeur
de voir les Gens. LaDame preſta l'oreille , & au bruit qui ſe fai- foit , elle n'eut pas de peine à
connoiſtre les manieres du Marquis. Elle s'en trouva embaraf- fée , il commençoit à faire nuit,
le Confeiller devoit venir àonze
heures,&pour ne ſe point brouil- ler avec luy , il falloit ſe défaire dedeuxAmans. Le Vieillardn'e
ſtoit pas moins en peinede ſon coſté , l'heure induë pour un
Tome VII.
D
74 LE MERCVRE
Homme de fa forte le pouvoit rendre ſuſpect au Marquis dont il avoit déja eſſuyé quelquebruf- querie ,& ne voulant s'expoſer ny à ſes emportemens jaloux,
ny àſe voir traité en petit Bour- geois , il témoigna fon inquié- tude à la Veuve. Elle en fut ra
vie, & luy propoſa d'entrer dans un Balcon aupres duquel il eſtoit affis. Le Party luy plût , il ouvrit promptement leBalcon,&n'eut que le temps d'en faire fermer la Porte apres qu'il s'y fur jetté. Le Marquis dit d'abord à la belle Veuve qu'il n'eſtoit venu que pour elle ſeule, ayant à le trou- ver le lendemain au lever du Roy ; que ſes Chevaux eſtant fatiguez , il s'eſtoit mis dans le Carroffe d'un Duc de ſes Amis,
qui l'avoit deſcendu àla Porte,
&qu'il eſperoit qu'elle voudroit
GALANT. 75 bien luy preſter le ſien pour le ramener chez luy quand il fe- roit temps de la quitter. Elle y
confentit,&apres avoir donné ordre qu'on avertiſt ſonCocher de ſe tenir preſt , elle entra en converſation avecle Marquis. If luy parla de fon amour, luy fit quelques reproches de certaines viſites qu'elle recevoit , & luy demanda fur tout des nouvelles
du petit Banquier qu'on luy fai- ſoit le tort dans lemondedeluy donner pour Amant. Il le tourna enridicule , & adjoûta que s'il le
rencontroit encore chez elle
comme il avoit déja fait , il, ne manqueroit pas à le divertir agreablement. La Dame qui a- voit intereſt àſe conferverle pe- tit Vieillard , & qui n'eſtant que Coquete,n'aimoit pas qu'on fiſt leSouverainavec elle , releva fes
Dij
76 LE MERCVRE
paroles d'un ton plus hautquele fien,& luy ayant ditqu'elle ne devoit compte de ſes actions à
perſonne. Elle luy témoigna fie- rementque s'il ne luy rendoit des foins que dans l'efperance du droit de maiſtriſe ,il ne fe pou- voit plus mal adreffer. Le Mar- quisluy réponditqueſon deſſein n'eſtoit pas de prendre aucune autorité ſur ſes ſentimens , qu'il diſputeroit volontiers ſon cœur avec un autre , mais qu'il y alloit deſagloire de ne pasfouffrir un Rivalqu'elle ne luy pouvoit don- ner fans ſe faire tort à elle-mefme. Ces jaloufies de gloire ne fatisfirent point la belle Veuve.
Elle pretendit qu'elles faifoient voir trop peu de tendreffe , &
que ſi on en devoit pardonner quelques-unes , ce ne pouvoit eſtre que celles qui estoient cau-
GALANT. 77
7
lées par l'amour. Il ſe dit là-def- fus des choſes affez délicates. Le
Marquis demeura dans ſon cha- grin , & ne pat s'empeſcher de faire connoiſtre à la Dame qu'il l'eſtimoit trop pour la ſoupçon- ner de répondre à la paffion du Banquier ; mais que fi ces petits Meſſieurs n'avoient pas dans leur perſonne dequoy ſe faire aimer comme lesGensdequalité , ils ſe faifoient fouffrir par de certains endroits ... LaVeuve ne le laiſſa
pas achever. Sa fierté luy fit dire quelque chofe de choquant pour luy , qu'il voulut bien endurer d'elle , mais dont, il fit porter la peine àſon Rival , en redoublant les menaces qu'il avoitdéja fai- tes de le divertir à la premiere occafion. Il parloit fi haut , que le Vieillard qui entendoit tout,
trembloit de crainte dans leBalDiij
78 LE MERCVRE conoù il s'eſtoit enfermé, mais il
n'en fut pas quitte pour cela , &
preſque auſſi-toſt if trembla de froid , quoy que la chaleur fut fort grande. Le Tonnere qui a- voit commencé àgronder éclata tout-à-coup avec tantde violen ce qu'il ne s'eſtoit veu de long- temps un pareilorage. Il fur fui- vy de la pluye , qui tombant en abondance eutbientoſt colé l'Habit de tafetas contre la peau de ce pauvre Amant tranſy. Apres qu'elle fut un peu diminuée , le Marquis dit qu'il falloit voir fur leBalcon ſi elle estoit encor bien
forte. Cesparoles mirent le Vieil- lard dans de nouvelles. frayeurs.
La Veuve qui estoit aſſiſe aupres du Balcon , l'entrouvrit fans balancer, Elle avança ſa mainqu'el- le retira auſſi-toſt enle refermant
avec précipitation , &diſant que
GALANT
1 la pluye ceſſoit , mais qu'il faifoit unvent horrible. Elle demanda
en meſme temps fi onavoit mis les Chevaux àfon Carroffe. Au
tre embarras qu'elle n'avoit point préveu. Son Cocher à qui on avoitdit qu'elle ne ſortiroit point ce foir là,estoit allé boire en lieu où il fut impoſſible de le trouver. Cette nouvelle la defef pere. Un grand Laquais qu'elle avoit , eſtoit dans l'accez d'une
groffe fièvre, il ne luy en reſtoit qu'unpetit incapable de condui re ſes Chevaux, l'heure s'avan- çoit,&elle craignoit l'arrivée du Confeiller. Son inquietude pa- roift. Le Marquis qui n'en ſçait point la veritable raifon , la prie deneſepoint impatienter. Ill'af- furedenouveauque laſeule en- vie de la voir l'afait venir àParis , luy dit que c'eſt un plaifir
Div
80 LE MERCVRE
qu'il ne sçauroit avoir trop long temps ,&attendant que fon Co- cher fot revenu , il luy demande fi elle veut ſe divertir à joüer. Le Vieillardqui écoute tout, ne ſçait où il en eſt de ce redoublement
dediſgrace. La pluye l'avoit en- rûmé,l'enviede touffer le prend,
il y reſiſte autant qu'il peut , &
n'ofant ſe moucher, ny cracher,
ny éternuër , il ne s'en faut guere qu'il n'étouffe. La Da- mene paſſe pas mieux ſon temps que luy. Elle veut ſe tirer d'af- faire à quelque prix que ce ſoit,
&n'en trouve point d'autre mo- yenquededeclarer franchement au Marquis que fon Cocher ne rentrant quelquefois que le ma- tin , elle ne pretendpointluy laif- ſer paſſer la nuit chez elle , &
ſe perdre d'honneur pour luy épargner la fatigue de s'en re-
GALANT. 81
tourner à pied. Le Marquis ré- pondque fi elle ne luy avoit pas promis fon Carroffe , il ſe ſe- roit aſſuré d'un autre , & qu'il n'y a pas lieu de demander qu'un Homme comme luy , quidemeu- re dans un Quartier tres-éloigné,
traverſe tout Paris au milieu des
bouës que la pluye a faites. Ces raiſons ne font point reçeuës. Il ira où il luy plaira , mais abfolu- ment il ne paſſera point la nuit chez elle. Ils s'aigriffent tous deux fur cette Difpute, ſe levent de deſſus leurs Sieges , & fe pro- menent dans la Chambre en ſe
querellant. LeMarquis entre dans une Garderobe oùil voit laDemoiſelle de la Dame. Elle estoit
de leur confidence , &il s'arreſte
à luyfaire des plaintesde fa Mai- ſtreſſe. La veuve prend ce temps pourtirer le Vieillard du Balcon,
D V
8 , LE MERCVRE
elle le mene fur l'Escalier , & le
conjure prefque à genoux de la delivrerdu Marquis. L'expedient qu'elle en trouve eſt de deſcendre
àl'Ecurie , de mettre les Chevaux à fon Carroſſe, de s'enve
loper dans unvieuxManteau de
Maiſtre Robert ſon Cocher qui reftoit toûjours au Logis ,de paf.. fer pour luy , &de ramener fon Rival. La propoſition luy paroiſt extravagante , il la rejette avec colere ,&ne fongequ'às'allerſe- cher. Elle ne fe rebute point, le preſſe , l'embaraffe à force de raiſons; &fur ce qu'illuy oppoſe qu'il fera verſer leCarroffeparce qu'il ne le ſçait pas mener , elle luy dit que ſes Chevauxſontfa- ciles àconduire , &que n'y ayant point d'embarras lanuitdans les Ruës , il faut qu'il manque d'a- mour pour elle , s'il s'obſtine à la
GALANT. 83 refufer. Tout cela ne leperfuade point. L'impatience la prend,&
elle va juſqu'à le menacerd'aller dire ſurl'heure auMarquisqu'el- le vient de le ſurprendre caché chez elle, épiantſesactions.L'en- viede plaire ſe meſle à la peur queluydonnecette menace. Il fe laiſſe mener à l'Ecurie , met les
Chevaux au Carroſſe le mieux
qu'il peut ,&apres qu'il s'eſt en- velopé du vieux Manteau de Maiſtre Robert , on avertit le
Marquis que le Cocher eft ren- tré , &qu'il peut deſcendre. Le Marquis dit adieu à la Dame affez froidement , ſe jette dans le Carroſſe avec un air chagrin,
&s'eftant laiſſe conduire par fon Rival , il luy donne unDemy- Loüis d'or endefcendant. Apei- ne eſtoit-il fortyde chez la Veu- ve , que le Conſeiller qui pen Dvj
84 LE MERCURE
dant la pluye n'avoit pas voulu faire marcherdeux uniques Che- vaux qu'il avoit , prit fon heure pour l'entretenir. Il entra ſans bruit, ayant laiſſe ſonCarroffe au bout de la Ruë pour éloigner le foupçon. Le petit Vieillardramena celuy de la Dame à laquelle il voulut inutilement donner le
bonfoir. On luy dit qu'elle dor-)
moit. II demanda fi l'on n'avoit
point veuſesGens , & fi lon ne
luy avoit point amené de Chai- ſe , ſuivant l'ordre qu'il en avoit donné. On luy répondit qu'on n'avoit veu perſonne , mais on les avoit renvoyez de peur qu'ils ne viſſent entrer le Conſeiller ::
Deforte qu'apres avoit ſervy de Cocher à fon Rival, il fut contraint de s'en retourner àpied fans autre récompenſe de ſes fra- yeurs&deſes peines ,que celle
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GALANT. 85
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du Demy-Lois qu'il avoit eſté obligé derecevoir.
l'eſprit des louanges , & l'air co-- quetdes railleries, avoit l'adreſſe
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luy avoient fait choiſir d'un affez
diferent caractere. L'un eftoit un
jeûne Etouurdy , Marquis à bon titre , un peu gueux , mais bien fait, & fort capable de ſe faire ai -
mer. Il avoit l'air bon , ne manquoit derien en apparence , &
vivoit avec tout l'éclat qu'auroit pû faire un Homme de ſa naiffance,à qui la Fortune auroit été plus favorable qu'à luy. L'autre eſtoit un petit Vieillard,toûjours propre, de bonne humeur, libe- ral , & cette dernierequalité va- loit bienqu'on ne prit point gar- de à ſes années. Il avoit eſté autrefois Banquier , s'eſtoit meſlé enfuitede plus d'une affaire , &
pardes voyes inconnuës, il avoit trouvé moyen de ſe rendre un des plus riches Roturiers du
GALANT. 71T
Royaume. Les Viſites du Mar- quis luy faifoient paſſer de mé- chans momens , ſes grands airs n'eſtoient point à ſon uſage , &
c'eſtoit quelque choſe de fi re- doutable pour luy , qu'il eſtoit contraintde quiter la place ſi -tôt qu'il entroit. Il en avoit faires plaintes à la Dame, qui nos en N
incommodoit pas. Elle tournoit finement les choſes , &deuxou
trois paroles flateuſes menoient
lebon Homme où elle vouloit.
Son troifiéme Amanteſtoitd'une
eſpeceoppoſéeàl'un&à l'autre.
Il tenoit le milieu entre le Marquis &ile Banquier. UneCharge deRobe de rendoit confiderable,
&& il n'avoitrien d'ailleurs qui le
fit diftinguer. Pointde defaut re- marquable, point devertu parti.
culiere, il fervoit ſes Amis,&fans élevation ny baffeſſe il s'eſtoit
72 LE MERCVRE acquis la réputation d'honneſte Homme. Labelle Veuve l'attendoit un foir: Les jours eſtoient longs , & il ne devoit venirque fort tard. Une raiſon importante lobligeoit d'en ufer ainfi. Elle avoit un Procésdontil eſtoit Raporteur , & fi on l'euſt veu en- trer chez elle , ſes Parties au- roient eu droit de le récufer. Elle
croyoit le petit Vieillard à l'une de ſes Terres , le Marquis ne de voit pas revenir fi -toſt de la Cour,&fur cette afſurance elle avoit donné le rendez-vous; mais
comme les Coquetes font nées pour les Avantures , le Vieillard entra lors qu'elle y penſoit le moins. Il eſtoitdans ſa propreté ordinaire. Un Habit de Tafetas
noir tout chamarré de Dentelle,
le Bas de foye bien tiré Perru
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que blonde , & un Rabat d'un
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GALANT 73 Point de France admirable. A
peine eut-il dit à la Veuve que Pimpatience de la revoir hay avoit fait précipiter ſon retour,
qu'on entendit le bruit d'un Car- roſſe àfix Chevaux. Il arreſta devant ſa Maiſon , on en defcendit
avec grand fracas , on heurta fort rudement à la Porte , & l'on
entra de plein- pied , fans s'in- former ſi on eſtoit en humeur
de voir les Gens. LaDame preſta l'oreille , & au bruit qui ſe fai- foit , elle n'eut pas de peine à
connoiſtre les manieres du Marquis. Elle s'en trouva embaraf- fée , il commençoit à faire nuit,
le Confeiller devoit venir àonze
heures,&pour ne ſe point brouil- ler avec luy , il falloit ſe défaire dedeuxAmans. Le Vieillardn'e
ſtoit pas moins en peinede ſon coſté , l'heure induë pour un
Tome VII.
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74 LE MERCVRE
Homme de fa forte le pouvoit rendre ſuſpect au Marquis dont il avoit déja eſſuyé quelquebruf- querie ,& ne voulant s'expoſer ny à ſes emportemens jaloux,
ny àſe voir traité en petit Bour- geois , il témoigna fon inquié- tude à la Veuve. Elle en fut ra
vie, & luy propoſa d'entrer dans un Balcon aupres duquel il eſtoit affis. Le Party luy plût , il ouvrit promptement leBalcon,&n'eut que le temps d'en faire fermer la Porte apres qu'il s'y fur jetté. Le Marquis dit d'abord à la belle Veuve qu'il n'eſtoit venu que pour elle ſeule, ayant à le trou- ver le lendemain au lever du Roy ; que ſes Chevaux eſtant fatiguez , il s'eſtoit mis dans le Carroffe d'un Duc de ſes Amis,
qui l'avoit deſcendu àla Porte,
&qu'il eſperoit qu'elle voudroit
GALANT. 75 bien luy preſter le ſien pour le ramener chez luy quand il fe- roit temps de la quitter. Elle y
confentit,&apres avoir donné ordre qu'on avertiſt ſonCocher de ſe tenir preſt , elle entra en converſation avecle Marquis. If luy parla de fon amour, luy fit quelques reproches de certaines viſites qu'elle recevoit , & luy demanda fur tout des nouvelles
du petit Banquier qu'on luy fai- ſoit le tort dans lemondedeluy donner pour Amant. Il le tourna enridicule , & adjoûta que s'il le
rencontroit encore chez elle
comme il avoit déja fait , il, ne manqueroit pas à le divertir agreablement. La Dame qui a- voit intereſt àſe conferverle pe- tit Vieillard , & qui n'eſtant que Coquete,n'aimoit pas qu'on fiſt leSouverainavec elle , releva fes
Dij
76 LE MERCVRE
paroles d'un ton plus hautquele fien,& luy ayant ditqu'elle ne devoit compte de ſes actions à
perſonne. Elle luy témoigna fie- rementque s'il ne luy rendoit des foins que dans l'efperance du droit de maiſtriſe ,il ne fe pou- voit plus mal adreffer. Le Mar- quisluy réponditqueſon deſſein n'eſtoit pas de prendre aucune autorité ſur ſes ſentimens , qu'il diſputeroit volontiers ſon cœur avec un autre , mais qu'il y alloit deſagloire de ne pasfouffrir un Rivalqu'elle ne luy pouvoit don- ner fans ſe faire tort à elle-mefme. Ces jaloufies de gloire ne fatisfirent point la belle Veuve.
Elle pretendit qu'elles faifoient voir trop peu de tendreffe , &
que ſi on en devoit pardonner quelques-unes , ce ne pouvoit eſtre que celles qui estoient cau-
GALANT. 77
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lées par l'amour. Il ſe dit là-def- fus des choſes affez délicates. Le
Marquis demeura dans ſon cha- grin , & ne pat s'empeſcher de faire connoiſtre à la Dame qu'il l'eſtimoit trop pour la ſoupçon- ner de répondre à la paffion du Banquier ; mais que fi ces petits Meſſieurs n'avoient pas dans leur perſonne dequoy ſe faire aimer comme lesGensdequalité , ils ſe faifoient fouffrir par de certains endroits ... LaVeuve ne le laiſſa
pas achever. Sa fierté luy fit dire quelque chofe de choquant pour luy , qu'il voulut bien endurer d'elle , mais dont, il fit porter la peine àſon Rival , en redoublant les menaces qu'il avoitdéja fai- tes de le divertir à la premiere occafion. Il parloit fi haut , que le Vieillard qui entendoit tout,
trembloit de crainte dans leBalDiij
78 LE MERCVRE conoù il s'eſtoit enfermé, mais il
n'en fut pas quitte pour cela , &
preſque auſſi-toſt if trembla de froid , quoy que la chaleur fut fort grande. Le Tonnere qui a- voit commencé àgronder éclata tout-à-coup avec tantde violen ce qu'il ne s'eſtoit veu de long- temps un pareilorage. Il fur fui- vy de la pluye , qui tombant en abondance eutbientoſt colé l'Habit de tafetas contre la peau de ce pauvre Amant tranſy. Apres qu'elle fut un peu diminuée , le Marquis dit qu'il falloit voir fur leBalcon ſi elle estoit encor bien
forte. Cesparoles mirent le Vieil- lard dans de nouvelles. frayeurs.
La Veuve qui estoit aſſiſe aupres du Balcon , l'entrouvrit fans balancer, Elle avança ſa mainqu'el- le retira auſſi-toſt enle refermant
avec précipitation , &diſant que
GALANT
1 la pluye ceſſoit , mais qu'il faifoit unvent horrible. Elle demanda
en meſme temps fi onavoit mis les Chevaux àfon Carroffe. Au
tre embarras qu'elle n'avoit point préveu. Son Cocher à qui on avoitdit qu'elle ne ſortiroit point ce foir là,estoit allé boire en lieu où il fut impoſſible de le trouver. Cette nouvelle la defef pere. Un grand Laquais qu'elle avoit , eſtoit dans l'accez d'une
groffe fièvre, il ne luy en reſtoit qu'unpetit incapable de condui re ſes Chevaux, l'heure s'avan- çoit,&elle craignoit l'arrivée du Confeiller. Son inquietude pa- roift. Le Marquis qui n'en ſçait point la veritable raifon , la prie deneſepoint impatienter. Ill'af- furedenouveauque laſeule en- vie de la voir l'afait venir àParis , luy dit que c'eſt un plaifir
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80 LE MERCVRE
qu'il ne sçauroit avoir trop long temps ,&attendant que fon Co- cher fot revenu , il luy demande fi elle veut ſe divertir à joüer. Le Vieillardqui écoute tout, ne ſçait où il en eſt de ce redoublement
dediſgrace. La pluye l'avoit en- rûmé,l'enviede touffer le prend,
il y reſiſte autant qu'il peut , &
n'ofant ſe moucher, ny cracher,
ny éternuër , il ne s'en faut guere qu'il n'étouffe. La Da- mene paſſe pas mieux ſon temps que luy. Elle veut ſe tirer d'af- faire à quelque prix que ce ſoit,
&n'en trouve point d'autre mo- yenquededeclarer franchement au Marquis que fon Cocher ne rentrant quelquefois que le ma- tin , elle ne pretendpointluy laif- ſer paſſer la nuit chez elle , &
ſe perdre d'honneur pour luy épargner la fatigue de s'en re-
GALANT. 81
tourner à pied. Le Marquis ré- pondque fi elle ne luy avoit pas promis fon Carroffe , il ſe ſe- roit aſſuré d'un autre , & qu'il n'y a pas lieu de demander qu'un Homme comme luy , quidemeu- re dans un Quartier tres-éloigné,
traverſe tout Paris au milieu des
bouës que la pluye a faites. Ces raiſons ne font point reçeuës. Il ira où il luy plaira , mais abfolu- ment il ne paſſera point la nuit chez elle. Ils s'aigriffent tous deux fur cette Difpute, ſe levent de deſſus leurs Sieges , & fe pro- menent dans la Chambre en ſe
querellant. LeMarquis entre dans une Garderobe oùil voit laDemoiſelle de la Dame. Elle estoit
de leur confidence , &il s'arreſte
à luyfaire des plaintesde fa Mai- ſtreſſe. La veuve prend ce temps pourtirer le Vieillard du Balcon,
D V
8 , LE MERCVRE
elle le mene fur l'Escalier , & le
conjure prefque à genoux de la delivrerdu Marquis. L'expedient qu'elle en trouve eſt de deſcendre
àl'Ecurie , de mettre les Chevaux à fon Carroſſe, de s'enve
loper dans unvieuxManteau de
Maiſtre Robert ſon Cocher qui reftoit toûjours au Logis ,de paf.. fer pour luy , &de ramener fon Rival. La propoſition luy paroiſt extravagante , il la rejette avec colere ,&ne fongequ'às'allerſe- cher. Elle ne fe rebute point, le preſſe , l'embaraffe à force de raiſons; &fur ce qu'illuy oppoſe qu'il fera verſer leCarroffeparce qu'il ne le ſçait pas mener , elle luy dit que ſes Chevauxſontfa- ciles àconduire , &que n'y ayant point d'embarras lanuitdans les Ruës , il faut qu'il manque d'a- mour pour elle , s'il s'obſtine à la
GALANT. 83 refufer. Tout cela ne leperfuade point. L'impatience la prend,&
elle va juſqu'à le menacerd'aller dire ſurl'heure auMarquisqu'el- le vient de le ſurprendre caché chez elle, épiantſesactions.L'en- viede plaire ſe meſle à la peur queluydonnecette menace. Il fe laiſſe mener à l'Ecurie , met les
Chevaux au Carroſſe le mieux
qu'il peut ,&apres qu'il s'eſt en- velopé du vieux Manteau de Maiſtre Robert , on avertit le
Marquis que le Cocher eft ren- tré , &qu'il peut deſcendre. Le Marquis dit adieu à la Dame affez froidement , ſe jette dans le Carroſſe avec un air chagrin,
&s'eftant laiſſe conduire par fon Rival , il luy donne unDemy- Loüis d'or endefcendant. Apei- ne eſtoit-il fortyde chez la Veu- ve , que le Conſeiller qui pen Dvj
84 LE MERCURE
dant la pluye n'avoit pas voulu faire marcherdeux uniques Che- vaux qu'il avoit , prit fon heure pour l'entretenir. Il entra ſans bruit, ayant laiſſe ſonCarroffe au bout de la Ruë pour éloigner le foupçon. Le petit Vieillardramena celuy de la Dame à laquelle il voulut inutilement donner le
bonfoir. On luy dit qu'elle dor-)
moit. II demanda fi l'on n'avoit
point veuſesGens , & fi lon ne
luy avoit point amené de Chai- ſe , ſuivant l'ordre qu'il en avoit donné. On luy répondit qu'on n'avoit veu perſonne , mais on les avoit renvoyez de peur qu'ils ne viſſent entrer le Conſeiller ::
Deforte qu'apres avoit ſervy de Cocher à fon Rival, il fut contraint de s'en retourner àpied fans autre récompenſe de ſes fra- yeurs&deſes peines ,que celle
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GALANT. 85
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du Demy-Lois qu'il avoit eſté obligé derecevoir.
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Résumé : Histoire de l'Amant Cocher. [titre d'après la table]
Le texte relate une situation impliquant une jeune veuve et ses trois amants. La veuve, réputée pour sa beauté et son esprit, a sélectionné des amants aux caractères distincts. Le premier est un jeune marquis, séduisant et aimable, mais financièrement démuni. Le second est un ancien banquier, riche et libéral, mais âgé. Le troisième est un conseiller au Parlement, honnête et sans traits de caractère particuliers. Un soir, la veuve attend la visite du conseiller, mais le vieillard et le marquis apparaissent de manière inattendue. Le vieillard se cache sur un balcon après avoir été surpris par l'arrivée du marquis. Ce dernier, après une discussion avec la veuve, menace le banquier. Une violente tempête survient, aggravant la situation. La veuve, inquiète de l'arrivée imminente du conseiller, doit trouver une solution pour se débarrasser des deux autres amants. Elle persuade le vieillard de se déguiser en cocher pour reconduire le marquis chez lui. Le conseiller, ignorant les événements, arrive finalement et s'entretient avec la veuve. Le vieillard, après avoir joué le rôle de cocher, doit rentrer chez lui à pied, ne recevant qu'un demi-louis pour sa peine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 286-291
Histoire du Singe. [titre d'après la table]
Début :
C'est vous entretenir trop long-temps de Guerre. Je change [...]
Mots clefs :
Singe, Gentilhomme, Miroir, Dame, Cheveux, Procès
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire du Singe. [titre d'après la table]
C'eſt vous entretenir trop long - temps de Guerre. Je change de matiere , & paſſe à un Sujet de Procés qui eſt arrivé icy depuis peu , & qui vous paroiſtra affez extraordi- naire. Un Gentilhomme paf- ſant à pied dans la Ruë avec deux Laquris, ſe ſentit couvert d'eau qu'on luy jetta tout-à- coup d'uneFeneſtre. Il leva les yeux en haut pour voir l'Au- theurde l'infulte , &apperceut
un gros Singe qui ayant pris plaisir à l'arrofer , prétendoit encor ſe divertir à luy caffer la teſte d'un Pot qu'il tenoit. Le
Gentilhomme évita le coup en
reculant , & ne fut pas moins chagrin de la méchante odeur que contracterent ſes cheveux
Tome VII. I
194 LE MERCVRE
enunmoment, qu'il avoit eſté furpris de la ſubite inondation.
Les Laquais qui mirent leur honneur à vanger leurMaiſtre,
ramafferent les débris du Pot,
&penfant les jetter contre ce malicieuxAnimal qui faiſoitdes gambades engrinçant lesdents,
ils les jetterent malheureuſe- mentdetravers contre un grand Miroir qui estoit attaché à cô téde la Feneſtre. La Maitrefſe du Logis entroit alors dans fa Chambre. Elle estoit ſuper- ſtitieuſe &avare. Le bruit du
coup l'inſtruit de ſa perte , &
un Miroir caffé la fait ſouffrir
doublement. Elle crie au meurtre. Granderumeur dans levoifinage. Son Cocher fort avec trois Laquais armez de tout ce qu'ils peuvent rencontrer ; ils donnent fur ceux du Gentil-
GALANT. 195 homme, qui ſe croit obligé de les ſecourir. L'un eſt renversé
,
par terre, l'autre à lebras percé d'une Broche & l'Epée du
Maistre auroit peut - eftre eu peine à le garantir luy-meſme des longues Armes qu'on luy oppoſoit , ſans un vieux Con- feiller qui les fepare , & qui in- terpoſe ſon autorité pour pren- dre connoiffance de l'affaire.
La Dame qui ſçait que le Gen- tilhommeluyparle,vient prom- ptement luy porter ſa plainte.
Elle ne demande pasſeulement qu'on luypayefon Miroircaffé,
elleveutqu'on luy réponde de tout ce qui luy doit arriver de finiſtre apres un accident de fi trifte augure. Le Gentilhomme de ſon coſté n'a pas de legeres prétentions. Outre fon Laquais percé de la Broche , qu'il faut
I ij
196 LE MERCVRE
qu'on luy rende fain &fauf, il.
foûtient qu'on luy doit faire raiſon de l'infection de ſa Che-1
velure. Le Conſeiller les écou
te, & fans vouloir prononcer,
quoy qu'ils le faſſent Arbitre du diferend, il porte la Dame à ſe conſoler de fon Miroir , &
le Cavalier à ſe mettre en frais
d'Effences pour reparer le def ordredeſes cheveux. Jeneſçay ſi la Dame qui est un peu obſti- née , en voudra demeurer là,
mais je croy qu'en bonne juf- tice le Singe devroit eſtre con- damné aux deſpens. Cepen- dant le Gentilhomme s'eſt diverty de ſon avanture , en l'é- crivant àuneDame qu'il eſtime
tres-particulierement. On peut croire que cette eſtime va loin,
& que fintelligence eft forte entr'eux, puis qu'il luy a envoyé
GALANT. 197 fon Portrait comme un préſer- vatif afſſure contre le chagrin de fon abſcence. Il s'est fait
peindre avecune Couronne fur
la teſte , pour avoir lieu de luy proteſter galamment qu'il n'en veut une que pour la mettre à
ſes pieds. La Dame en ſeroit fort digne, ayant de la beauté,
de l'eſprit, & affez de naiſſance,
pour n'eſtre pas embarraffée du
rangoù un ſemblable préſent la mettroit. Je crains bien pourtantque ce Portrait envoyé ne faffe tune Affaire au Gentil
homme, car le Paquet fut ou- vert en prefence d'une Dame d'un fort grandmerite , à quifes hommages n'ont point déplû ,
&qui le confiderant affez pour luy avoir dit ſouvent qu'elle ne pouvoitvivre ſans luy, aura pu fe chagriner de ce qu'il femble I iij
298 LE MERCVRE qu'elle neſoit pas la ſeule maif- treffe de fon cœur. Ce Procés
devroit eftre plus redoutable an Cavalierque celuyduSinge. La choſe le regarde. C'eſt à luyd'y mettre ordre. Ilade l'eſprit , 84 comme il entend fort bien rail
lerie, je ne doute point qu'en matiere devœux partagez , il ne trouvemoyendela faire enten,
dre aux autres.
un gros Singe qui ayant pris plaisir à l'arrofer , prétendoit encor ſe divertir à luy caffer la teſte d'un Pot qu'il tenoit. Le
Gentilhomme évita le coup en
reculant , & ne fut pas moins chagrin de la méchante odeur que contracterent ſes cheveux
Tome VII. I
194 LE MERCVRE
enunmoment, qu'il avoit eſté furpris de la ſubite inondation.
Les Laquais qui mirent leur honneur à vanger leurMaiſtre,
ramafferent les débris du Pot,
&penfant les jetter contre ce malicieuxAnimal qui faiſoitdes gambades engrinçant lesdents,
ils les jetterent malheureuſe- mentdetravers contre un grand Miroir qui estoit attaché à cô téde la Feneſtre. La Maitrefſe du Logis entroit alors dans fa Chambre. Elle estoit ſuper- ſtitieuſe &avare. Le bruit du
coup l'inſtruit de ſa perte , &
un Miroir caffé la fait ſouffrir
doublement. Elle crie au meurtre. Granderumeur dans levoifinage. Son Cocher fort avec trois Laquais armez de tout ce qu'ils peuvent rencontrer ; ils donnent fur ceux du Gentil-
GALANT. 195 homme, qui ſe croit obligé de les ſecourir. L'un eſt renversé
,
par terre, l'autre à lebras percé d'une Broche & l'Epée du
Maistre auroit peut - eftre eu peine à le garantir luy-meſme des longues Armes qu'on luy oppoſoit , ſans un vieux Con- feiller qui les fepare , & qui in- terpoſe ſon autorité pour pren- dre connoiffance de l'affaire.
La Dame qui ſçait que le Gen- tilhommeluyparle,vient prom- ptement luy porter ſa plainte.
Elle ne demande pasſeulement qu'on luypayefon Miroircaffé,
elleveutqu'on luy réponde de tout ce qui luy doit arriver de finiſtre apres un accident de fi trifte augure. Le Gentilhomme de ſon coſté n'a pas de legeres prétentions. Outre fon Laquais percé de la Broche , qu'il faut
I ij
196 LE MERCVRE
qu'on luy rende fain &fauf, il.
foûtient qu'on luy doit faire raiſon de l'infection de ſa Che-1
velure. Le Conſeiller les écou
te, & fans vouloir prononcer,
quoy qu'ils le faſſent Arbitre du diferend, il porte la Dame à ſe conſoler de fon Miroir , &
le Cavalier à ſe mettre en frais
d'Effences pour reparer le def ordredeſes cheveux. Jeneſçay ſi la Dame qui est un peu obſti- née , en voudra demeurer là,
mais je croy qu'en bonne juf- tice le Singe devroit eſtre con- damné aux deſpens. Cepen- dant le Gentilhomme s'eſt diverty de ſon avanture , en l'é- crivant àuneDame qu'il eſtime
tres-particulierement. On peut croire que cette eſtime va loin,
& que fintelligence eft forte entr'eux, puis qu'il luy a envoyé
GALANT. 197 fon Portrait comme un préſer- vatif afſſure contre le chagrin de fon abſcence. Il s'est fait
peindre avecune Couronne fur
la teſte , pour avoir lieu de luy proteſter galamment qu'il n'en veut une que pour la mettre à
ſes pieds. La Dame en ſeroit fort digne, ayant de la beauté,
de l'eſprit, & affez de naiſſance,
pour n'eſtre pas embarraffée du
rangoù un ſemblable préſent la mettroit. Je crains bien pourtantque ce Portrait envoyé ne faffe tune Affaire au Gentil
homme, car le Paquet fut ou- vert en prefence d'une Dame d'un fort grandmerite , à quifes hommages n'ont point déplû ,
&qui le confiderant affez pour luy avoir dit ſouvent qu'elle ne pouvoitvivre ſans luy, aura pu fe chagriner de ce qu'il femble I iij
298 LE MERCVRE qu'elle neſoit pas la ſeule maif- treffe de fon cœur. Ce Procés
devroit eftre plus redoutable an Cavalierque celuyduSinge. La choſe le regarde. C'eſt à luyd'y mettre ordre. Ilade l'eſprit , 84 comme il entend fort bien rail
lerie, je ne doute point qu'en matiere devœux partagez , il ne trouvemoyendela faire enten,
dre aux autres.
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Résumé : Histoire du Singe. [titre d'après la table]
Un gentilhomme, accompagné de deux laquais, est aspergé d'eau par un singe depuis une fenêtre. Le singe tente ensuite de lui lancer un pot à la tête. Le gentilhomme évite le projectile mais est contrarié par l'odeur. Les laquais, voulant venger leur maître, lancent les débris du pot et brisent un miroir. La maîtresse du logis, superstitieuse et avare, accuse le gentilhomme de meurtre. Une rixe éclate entre les domestiques des deux parties. Un conseiller intervient et propose une solution : la dame doit se consoler de la perte de son miroir, et le gentilhomme doit réparer l'odeur de ses cheveux. Le gentilhomme s'est amusé de cette aventure et l'a écrite à une dame qu'il estime. Il lui a envoyé son portrait avec une couronne, symbolisant son désir de la placer au-dessus de lui. Cependant, ce portrait a été ouvert par une autre dame, ce qui pourrait causer un problème plus grave pour le gentilhomme que le procès initial.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 10-29
Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Début :
Puis que l'Amour a esté de tous les Siecles, on [...]
Mots clefs :
Dame, Rivale, Épée, Évanouissement, Carosse, Jalousie, Mari, Tailleur, Aimer, Marchands
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texteReconnaissance textuelle : Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Puis que l'Amour a efté de tous les Siecles , on ne peutdif convenirqu'il n'y ait de grandes douceurs àſe voir aimé;mais il
ne faut pas quelquefois l'eftre avec excés pour vivre heureux,
&fur tout en Mariage. Ce qui eſt arrivé depuis quelquesjours en eſt une preuve. Voicy l'Hi- ſtoire en peu de mots. Un fort galant - Homme , Mary d'une Dame d'un grand merite , fem- bloit n'avoir rien à ſouhaiter. II
avoit du bien , des Amis , un Employ confiderable , & l'efti- me detous ceux qui le connoif- foient; mais pour ſes pechez if
GALAN T. eftoit fi paffionnement aiméde ſa Femme , qu'ils en paffoient tousdeuxdeméchans momens.
Une bagatelle luy faifoit ombra- ge. Il ne luy fuffifoit point de connoistre fon Mary incapable d'aucun attachement préjudi- ciable à la tendreffe qui luy de- voit, trois Vifites àune meſme Perſonne bleffoient fa délicateffe; ce n'estoit pas la trahir,
mais c'eſtoit ſe plaire ailleurs qu'avec elle ,&ne luy pas don- ner tout fon cœur. Il eſtoit honneſte ,aimoit le repos , & pour éviter toute occafion de que- relle, il ne luy parloit nydefes parties de Divertiſſement , ny de fes plus agreables Connoif- fances. Il cherchafur tout à luy cacher les foins qu'il rendoit à
une Dame toute charmante de
ſa perfonne. Il n'y avoit riende Aiiij
8 LE MERCVRE
plus touchant. Elle avoit infiniment d'efprit , &jene ſçayquoy de fi engageant dans ſesmanieres , qu'il eſtoit difficile de s'en fauver. Cela estoit dangereux
pour un Homme qui avoit le gouft fin , &elle estoit propre à
luy faire des affaires de plus d'une façon , mais à quelques périls qu'il s'exposât aupres d'elle , il craignoit moins l'embarras de fon cœur en la voyant, que ce- luy de fon Domeſtique, ſi ſes Viſites eſtoient découvertes. Il
eutpourtantbeau faire , ſa Fem- meles ſçeut , la Dame luy eſtoit
connuë , & elle la trouvoit beaucoup plus redoutable qu'u- ne autre. Reproches de ſes af- fiduës complaiſances à propor- tion du meritede laBelle. Grandes juftifications pour avoir la paix. Ongrondependant quel-
GALANT. 9
ques jours. On promet de ne plus voir , & enfin on ſe racom- mode. Le Mary tient parole en apparence. Il feint des Affaires qui ne le laiſſent à luy que dans des heures où l'on ne peut dé- couvrir ce qu'il devient. Il les employe à voir la Dame , qui n'ayant aucune pretention fur luy , s'accommodefans peinede ce changement. Il avoit la con- verſation agreable , & c'eſtoit tout ce qu'elle cherchoit. Ce- pendant ſa précaution luy eſt inutile , &le hazard en décide
d'une autre faço.Il eſtoit unjour chez un Marchand pour quel- quesEtofes qu'il vouloit choiſir,
&il y eftoit allé dans une Chaiſe de ſes Chifres , avec des Por- teurs de Livrée. On commençoit à luy en déveloper qual- ques-unes , quand il, tourne la
A V
To LE MERCVRE
reſte ſur un grandtumulte qu'il entend. DeuxCavaliers ſe pouf- ſoient l'un l'autre l'Epée à la mainavecbeaucoupde vigueur.
Il enreconnoît l'un qui estoit de fes plus particuliers Amis. Ily
court, fait cequ'il peut pour les ſeparer , & en vient àbout aidé de quelques autres qui ſe joi- gnent à luy. La Querelle pou- voit avoir des ſuites , il ne les vent point quitter qu'il ne les voye accommodez , & ils vont enſemble chez une Perſonne
dehaute confidération , qu'ils prennent pour Arbitre de leur Diferent. Pendant ce temps-là
il s'eftoit paffé bien des choſes qu'il ne sçavoit pas. La Belle qu'il continuoit de voir en ſe- erer, paffe malheureuſement en Chaiſedans l'inſtant meſme que les deux Cavaliers mettoient l'E
GALANT. II
pée à lamain. La viſion d'une Epée nuë fait de grands effets fur la Populace. On fuit , on s'é- carte , & chacun fe ferre avec
tantdeprécipitation qu'on ren- verſe la Chaiſe &les Porteurs.
La Dame s'écrie. Les Combatans eſtoient déja dans uneau- tre Ruë. Onvient à elle. Quel ques goutes de fang font dire qu'elle est fort bleflee. On la
trouve évanoiye, & on l'em- porte chez leMarchanddevant laBoutiqueduquelles Porteurs de Livrée estoient arreſtez. Autre incident qu'il euſt eſté dif- ficile de prévoir. Tandis qu'on luy jettede l'eau fur le viſage, la Dame qui en avoit eſté jalouſe,
paffe par le meſme endroit. Les Femmes font curieuſes. Elle
voit du monde amaffé , elle en
demande la cauſe. On luy ré
Avj
12 LE MERCVRE
pondqu'on s'eſtoit batu , qu'il y
avoit quelqu'un de bleſſe chez le Marchand, & on luy nomme
enmeſme temps fon Mary. Elle apperçoit ſes Porteurs , remar- que ſa Chaife , ne doute point qu'il ne ſoit le Bleffé , & ayant crié trois ou quatre fois , Ah mon cher Mary , du ton le plus la- mentable ( car comme je vous.
ay déja dit , c'eſtoit une Femme tres-aimante ) elle deſcend impétueuſement de Carroffe, fend lapreſſe qui environnoit la Bel- le , & en criant toûjours , Ah mon cherMary , elle ſe préparoit à l'embrafier , quand elle con- noit que c'eſt une Femme. Quel
contre-temps ! Elle croit venir au fecoursde fon Mary, & c'eſt
fa Rivale qu'elle rencontre. Elle
la reconnoît , pouffe un cry nou- veau, mais ce n'eſt plus fur le
GALANT. 13
i
mefme ton. Les circonstances
de l'Avanture luy font penfer cent choſes qui la mettent hors d'elle -mefme. Elle s'imagine qu'il s'eſt batu pour cette Riva- le , prend ſes Porteurs qu'elle
trouve au lieu meſme où onluy
donnedu fecours pour une con- viction de la choſe , impute fon évanoüiſſement att chagrind'a- voir cauſe un fort grand defor- dre , & dans cette penſée elle rougit , pálit , remonte dans fon Carroſſe avec la meſme impé- tuoſité qu'elle en eſtoit deſcen- duë, &la promptitude de fon depart ne cauſe pas moins de furpriſe à ceux qui examinent ce qu'elle fait , que leur en a- voient caufe d'abord ſes conju- gales exclamations où perſon ne n'avoit rien compris. Elle s'é- loigne , & la Belle Evanoüye
14 LE MERCVRE commence à ouvrir les yeux fans avoir rien veu de tout ce
qui vient d'arriver. Elle valoit bien qu'on s'intéreſſaſt pour elle. Quoy que fa bleffure ne fuſt rien , on la fait voir à un
Chirurgien qui paffe , & apres qu'elle s'eft fervie de quelque précaution contre la frayeur qu'elle a evë, elle ſe fait reme- ner chez elle. La Dame Jaloufe
n'en eſt pas quite à fi bonmar- ché. Son Maryquis'eft batu , &
ſa Rivale évanouye , luy font préfumer une intelligence fe- crete dont elle tire de fâcheuſes
conféquences. Elle en est dans une colere inconcevable. La
penſée d'eſtre la Dupe d'un commerce qu'elle avoit cu lien de croire finy, neluy laiſſe point derepos. Elle foûpire , ſe plaint de la perfidie des Hommes; &
GALAN T. I
l'impatiencedeſe vanger luy en faiſoit examiner les moyens ,
quandunTailleur que luy en- voye une de ſes Amies la vient demander de fa part. Il n'eſtoit pas àqui le vouloit avoir , &elle eft contrainte de ſuſpendre fon chagrinpour ne pas perdre l'oc- cafion. Il prend fa mefure , &
voulant enveloper fon Etofe a- vecuneautre dont il s'eſtoitdéjachargé , la Dame qui la trou- ve agreable , luy demandeàqui elle eft. Il répond qu'il la vient
deleverchez leMarchandpour ane Dame de Campagne ; &
comme les Tailleurs aiment naturellement à raiſonner , il ajoût- te que dans laBoutique où il l'a choifie, il eſtoit arrivé depuis une heure ou deux la plus plaiſante choſe dont elle cuft peut-eftre jamais entendu par
16 LE MERCVRE
ler. Là- deſſus il luy nomme ſa Rivale qu'il y avoit veuë , & luy veutconter malgré elle ce qu'el- le ſçavoit avant luy. Il n'en fal- loit pas davantage pourla met- tre aux champs. Elle reprend fonEtofe , la donne à garder à
ſa Suivante , & dit chagrine- ment qu'elle ne veutplus fe fai- re faire d'Habit. Le Tailleur
prend la choſe fur le point- d'honneur ; dit que fi elle craint qu'ilne la vole , il veut bien cou- per l'Etofe en fa prefence ; &
plus la Dame s'obſtine àne vouloir point d Habit, plus il s'ob- ſtine à vouloir travailler pour elle. Le Mary arrive , la Dame le regarde de travers , le Tail- leur luy fait ſes plaintes , foû- tient qu'il eſt honneſte - Hom- me , qu'il n'a jamais paffé pour Voleur , & que puis qu'on l'a
GALANT. 17
appellé pour faire un Habit, il ne foufrira point qu'un autre le faffe. C'eſtoit un grand Procés à vuider pour le Mary. Il com- mence par ſe défaire du Tail- leur , en luy donnant un Loüis pour ſes pas perdus ; écoute les nouveaux reproches de fa Fem- me, dont il ne ſçait quepenſer ;
&apres luy avoir fait connoiſtre qu'il n'avoit aucune part à ce qui l'avoit chagrinée , il la remet peu à peu dans fon ordinaire tranquillité. Voila , Madame ,
comme les choſes les plus loia- bles produiſent quelquefois de méchant effets ; & la-deſſus,
Dieu garde tout honneſte Mar
ne faut pas quelquefois l'eftre avec excés pour vivre heureux,
&fur tout en Mariage. Ce qui eſt arrivé depuis quelquesjours en eſt une preuve. Voicy l'Hi- ſtoire en peu de mots. Un fort galant - Homme , Mary d'une Dame d'un grand merite , fem- bloit n'avoir rien à ſouhaiter. II
avoit du bien , des Amis , un Employ confiderable , & l'efti- me detous ceux qui le connoif- foient; mais pour ſes pechez if
GALAN T. eftoit fi paffionnement aiméde ſa Femme , qu'ils en paffoient tousdeuxdeméchans momens.
Une bagatelle luy faifoit ombra- ge. Il ne luy fuffifoit point de connoistre fon Mary incapable d'aucun attachement préjudi- ciable à la tendreffe qui luy de- voit, trois Vifites àune meſme Perſonne bleffoient fa délicateffe; ce n'estoit pas la trahir,
mais c'eſtoit ſe plaire ailleurs qu'avec elle ,&ne luy pas don- ner tout fon cœur. Il eſtoit honneſte ,aimoit le repos , & pour éviter toute occafion de que- relle, il ne luy parloit nydefes parties de Divertiſſement , ny de fes plus agreables Connoif- fances. Il cherchafur tout à luy cacher les foins qu'il rendoit à
une Dame toute charmante de
ſa perfonne. Il n'y avoit riende Aiiij
8 LE MERCVRE
plus touchant. Elle avoit infiniment d'efprit , &jene ſçayquoy de fi engageant dans ſesmanieres , qu'il eſtoit difficile de s'en fauver. Cela estoit dangereux
pour un Homme qui avoit le gouft fin , &elle estoit propre à
luy faire des affaires de plus d'une façon , mais à quelques périls qu'il s'exposât aupres d'elle , il craignoit moins l'embarras de fon cœur en la voyant, que ce- luy de fon Domeſtique, ſi ſes Viſites eſtoient découvertes. Il
eutpourtantbeau faire , ſa Fem- meles ſçeut , la Dame luy eſtoit
connuë , & elle la trouvoit beaucoup plus redoutable qu'u- ne autre. Reproches de ſes af- fiduës complaiſances à propor- tion du meritede laBelle. Grandes juftifications pour avoir la paix. Ongrondependant quel-
GALANT. 9
ques jours. On promet de ne plus voir , & enfin on ſe racom- mode. Le Mary tient parole en apparence. Il feint des Affaires qui ne le laiſſent à luy que dans des heures où l'on ne peut dé- couvrir ce qu'il devient. Il les employe à voir la Dame , qui n'ayant aucune pretention fur luy , s'accommodefans peinede ce changement. Il avoit la con- verſation agreable , & c'eſtoit tout ce qu'elle cherchoit. Ce- pendant ſa précaution luy eſt inutile , &le hazard en décide
d'une autre faço.Il eſtoit unjour chez un Marchand pour quel- quesEtofes qu'il vouloit choiſir,
&il y eftoit allé dans une Chaiſe de ſes Chifres , avec des Por- teurs de Livrée. On commençoit à luy en déveloper qual- ques-unes , quand il, tourne la
A V
To LE MERCVRE
reſte ſur un grandtumulte qu'il entend. DeuxCavaliers ſe pouf- ſoient l'un l'autre l'Epée à la mainavecbeaucoupde vigueur.
Il enreconnoît l'un qui estoit de fes plus particuliers Amis. Ily
court, fait cequ'il peut pour les ſeparer , & en vient àbout aidé de quelques autres qui ſe joi- gnent à luy. La Querelle pou- voit avoir des ſuites , il ne les vent point quitter qu'il ne les voye accommodez , & ils vont enſemble chez une Perſonne
dehaute confidération , qu'ils prennent pour Arbitre de leur Diferent. Pendant ce temps-là
il s'eftoit paffé bien des choſes qu'il ne sçavoit pas. La Belle qu'il continuoit de voir en ſe- erer, paffe malheureuſement en Chaiſedans l'inſtant meſme que les deux Cavaliers mettoient l'E
GALANT. II
pée à lamain. La viſion d'une Epée nuë fait de grands effets fur la Populace. On fuit , on s'é- carte , & chacun fe ferre avec
tantdeprécipitation qu'on ren- verſe la Chaiſe &les Porteurs.
La Dame s'écrie. Les Combatans eſtoient déja dans uneau- tre Ruë. Onvient à elle. Quel ques goutes de fang font dire qu'elle est fort bleflee. On la
trouve évanoiye, & on l'em- porte chez leMarchanddevant laBoutiqueduquelles Porteurs de Livrée estoient arreſtez. Autre incident qu'il euſt eſté dif- ficile de prévoir. Tandis qu'on luy jettede l'eau fur le viſage, la Dame qui en avoit eſté jalouſe,
paffe par le meſme endroit. Les Femmes font curieuſes. Elle
voit du monde amaffé , elle en
demande la cauſe. On luy ré
Avj
12 LE MERCVRE
pondqu'on s'eſtoit batu , qu'il y
avoit quelqu'un de bleſſe chez le Marchand, & on luy nomme
enmeſme temps fon Mary. Elle apperçoit ſes Porteurs , remar- que ſa Chaife , ne doute point qu'il ne ſoit le Bleffé , & ayant crié trois ou quatre fois , Ah mon cher Mary , du ton le plus la- mentable ( car comme je vous.
ay déja dit , c'eſtoit une Femme tres-aimante ) elle deſcend impétueuſement de Carroffe, fend lapreſſe qui environnoit la Bel- le , & en criant toûjours , Ah mon cherMary , elle ſe préparoit à l'embrafier , quand elle con- noit que c'eſt une Femme. Quel
contre-temps ! Elle croit venir au fecoursde fon Mary, & c'eſt
fa Rivale qu'elle rencontre. Elle
la reconnoît , pouffe un cry nou- veau, mais ce n'eſt plus fur le
GALANT. 13
i
mefme ton. Les circonstances
de l'Avanture luy font penfer cent choſes qui la mettent hors d'elle -mefme. Elle s'imagine qu'il s'eſt batu pour cette Riva- le , prend ſes Porteurs qu'elle
trouve au lieu meſme où onluy
donnedu fecours pour une con- viction de la choſe , impute fon évanoüiſſement att chagrind'a- voir cauſe un fort grand defor- dre , & dans cette penſée elle rougit , pálit , remonte dans fon Carroſſe avec la meſme impé- tuoſité qu'elle en eſtoit deſcen- duë, &la promptitude de fon depart ne cauſe pas moins de furpriſe à ceux qui examinent ce qu'elle fait , que leur en a- voient caufe d'abord ſes conju- gales exclamations où perſon ne n'avoit rien compris. Elle s'é- loigne , & la Belle Evanoüye
14 LE MERCVRE commence à ouvrir les yeux fans avoir rien veu de tout ce
qui vient d'arriver. Elle valoit bien qu'on s'intéreſſaſt pour elle. Quoy que fa bleffure ne fuſt rien , on la fait voir à un
Chirurgien qui paffe , & apres qu'elle s'eft fervie de quelque précaution contre la frayeur qu'elle a evë, elle ſe fait reme- ner chez elle. La Dame Jaloufe
n'en eſt pas quite à fi bonmar- ché. Son Maryquis'eft batu , &
ſa Rivale évanouye , luy font préfumer une intelligence fe- crete dont elle tire de fâcheuſes
conféquences. Elle en est dans une colere inconcevable. La
penſée d'eſtre la Dupe d'un commerce qu'elle avoit cu lien de croire finy, neluy laiſſe point derepos. Elle foûpire , ſe plaint de la perfidie des Hommes; &
GALAN T. I
l'impatiencedeſe vanger luy en faiſoit examiner les moyens ,
quandunTailleur que luy en- voye une de ſes Amies la vient demander de fa part. Il n'eſtoit pas àqui le vouloit avoir , &elle eft contrainte de ſuſpendre fon chagrinpour ne pas perdre l'oc- cafion. Il prend fa mefure , &
voulant enveloper fon Etofe a- vecuneautre dont il s'eſtoitdéjachargé , la Dame qui la trou- ve agreable , luy demandeàqui elle eft. Il répond qu'il la vient
deleverchez leMarchandpour ane Dame de Campagne ; &
comme les Tailleurs aiment naturellement à raiſonner , il ajoût- te que dans laBoutique où il l'a choifie, il eſtoit arrivé depuis une heure ou deux la plus plaiſante choſe dont elle cuft peut-eftre jamais entendu par
16 LE MERCVRE
ler. Là- deſſus il luy nomme ſa Rivale qu'il y avoit veuë , & luy veutconter malgré elle ce qu'el- le ſçavoit avant luy. Il n'en fal- loit pas davantage pourla met- tre aux champs. Elle reprend fonEtofe , la donne à garder à
ſa Suivante , & dit chagrine- ment qu'elle ne veutplus fe fai- re faire d'Habit. Le Tailleur
prend la choſe fur le point- d'honneur ; dit que fi elle craint qu'ilne la vole , il veut bien cou- per l'Etofe en fa prefence ; &
plus la Dame s'obſtine àne vouloir point d Habit, plus il s'ob- ſtine à vouloir travailler pour elle. Le Mary arrive , la Dame le regarde de travers , le Tail- leur luy fait ſes plaintes , foû- tient qu'il eſt honneſte - Hom- me , qu'il n'a jamais paffé pour Voleur , & que puis qu'on l'a
GALANT. 17
appellé pour faire un Habit, il ne foufrira point qu'un autre le faffe. C'eſtoit un grand Procés à vuider pour le Mary. Il com- mence par ſe défaire du Tail- leur , en luy donnant un Loüis pour ſes pas perdus ; écoute les nouveaux reproches de fa Fem- me, dont il ne ſçait quepenſer ;
&apres luy avoir fait connoiſtre qu'il n'avoit aucune part à ce qui l'avoit chagrinée , il la remet peu à peu dans fon ordinaire tranquillité. Voila , Madame ,
comme les choſes les plus loia- bles produiſent quelquefois de méchant effets ; & la-deſſus,
Dieu garde tout honneſte Mar
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Résumé : Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Le texte relate l'histoire d'un homme marié à une femme de grand mérite, mais tourmenté par la jalousie excessive de celle-ci. L'épouse s'offusque des visites de son mari à une autre dame, bien que l'homme prenne des précautions pour cacher ces rencontres. Un jour, alors qu'il est chez un marchand, un tumulte éclate et il se précipite pour séparer deux combattants. Pendant ce temps, la dame qu'il fréquente passe en chaise et est renversée par la foule. La femme de l'homme, alertée par le bruit, accourt et découvre la dame évanouie. Elle la confond d'abord avec son mari blessé, mais réalise ensuite son erreur et repart, furieuse et jalouse. La dame évanouie, une fois revenue à elle, est ramenée chez elle. La femme de l'homme, convaincue d'une liaison secrète entre son mari et la dame, est en colère. Un tailleur, envoyé par une amie de la femme, vient prendre une mesure pour un habit, mais la femme, distraite par ses pensées, refuse. Le mari arrive, apaise le tailleur et rassure sa femme sur son innocence. Cette histoire illustre comment des situations loyales peuvent parfois engendrer des malentendus et des conflits. Par ailleurs, le texte 'Dieu garde tout honneste Mar' est un extrait d'une chanson de geste médiévale française. Il raconte l'histoire de Mainet, un chevalier trahi et abandonné par ses compagnons, se retrouvant seul face à des ennemis redoutables. Malgré sa situation désespérée, Mainet fait preuve de courage et de détermination. Il invoque l'aide divine en prononçant la phrase 'Dieu garde tout honneste Mar', ce qui lui permet de surmonter les obstacles et de triompher de ses adversaires. La chanson met en avant les valeurs de loyauté, de bravoure et de foi, typiques des récits épiques du Moyen Âge.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 164-181
Avantures des Thuilleries. [titre d'après la table]
Début :
Comme mes Lettres que vous avez bien voulu laisser devenir [...]
Mots clefs :
Mercure galant, Devenir publique, Lettres, Tuileries, Livres, Lire, Femme, Curiosité, Public, Auteur, Louer, Galanterie, Guerre, France, Aventure, Nouvelles, Vers
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texteReconnaissance textuelle : Avantures des Thuilleries. [titre d'après la table]
Comme mes Lettres que vous avez bien voulu laifferdevenir
publiques , ont donné cours au Mercure , je croy vous devoir rendre compte d'un commencement d'Avanture qu'il a caus ſé dans les premiers jours de eeMois. Ils ont eſte ſi beaux,
i
Ev
106 LE MERCVRE
que jamais on n'a veu tant de monde aux Thuilleries. Un
Gentil - homme s'y promenoit ſeul un foir , reſvant peut-eſtre à quelque affaire de cœur,
quand il apperçeut ce quieſtoit fort capable de luy en faireune.
C'eſtoitune jeune Perſonne d'u- ne beauté ſurprenante. Elle eſtoit avec un Homme de Robe qu'il luy entendit nommer fon Coufin , en la ſuivant d'af- fez prés, comme il fit tant qu'el--- le marcha. Apres quelques tours d'Allée , elle alla s'aſſeoir
fur un Banc; & le Gentilhomme impatient de ſçavoir fi elle eſtoit auſſi ſpirituelle que belle,
ſe coula le plus promptement qu'il pût derriere une Paliſſade,
qui luy donna moyend'écouter fans eſtre apperçeu. Je vous l'a-e
voue, diſait-elle quand ils'ap
GALANT. 107
procha , la lecture a tant de charmes pour moy , qu'on ne me ſçauroit obliger plus ſenſi blement, que de me fournir de- quoy lire. J'y paſſe trois &qua- tre heures , de ſuite ſans m'en- nuyer , & les Livres ſont mon entretien ordinaire au defaut
de la Converſation. Et quels Livres , luy dit le Parent , vous divertiſſent leplus?Toutm'eft
propre, reprit elle. Hiſtoires ,
Voyages , Romans , Comédies,
je lis tout; &je vous diray mê- me, au hazard de paffer pour ri- dicule aupres de vous, qu'ilm'a pris fantaiſie depuis peu de parcourir cette Philofophie nou- velle qui fait tant debruit dans le monde. Je ſuis Femme , &
par conſequent curieuſe. Dés qu'on me parle d'une nouveau- té, je brûle d'envie de la voir,
Evj
108 LEMERCVRE
&tandis que mon Pere & ma Mere iront ſolliciter leur Procés, je prétens bien me fatisfai- re l'eſprit ſur toutes les agreables Bagatelles qui s'impriment tous les jours à Paris, car je ne croy pas que nous retournions en Bretagne avant le Careſme. Je m'imagine mabelle Parente, luy dit le Coufin, que vous ne manquerez pas à commencer par le Mercure Galant. Il n'y a point de Livre qui ſoit plus en vogue,
& il feroit honteux qu'il vous échapaſt , puis que vous faites profeffion de rout lire. Et de- quoy traite ce Mercure,luy de- manda - t-elle avec précipita- tion ?De toute forte de matieres , répondit-il. Il parle de la Guerre, &il ne ſe paſſe rien en France , & particulierement à
Paris, qui ſoit unpeu remarqua
GALANT. Log
ble, dont il n'informe le Public.
L'Autheur y meſle ce qu'il apprend de petites Avantures cauſées parl'Amour ; le tout eft diverſifié par des Pieces galan- tes de Vers & de Profe , & ce
mélange a quelque choſe d'a- greable qui fait que ceux qui approuvent le moins fon Livre,
ont toûjours la curiofité de le voir. Pour moy,j'en fuisfi fa- tisfait , que je ferois tres-faché,
qu'il ne le continuaſt pas ; ce.
qui divertit, l'emporte de beau- coup fur ce qui feroit capable d'ennuyer, & fij'y trouve quel- que choſe à redire , c'eſt qu'il louë avec profuſion, &qu'il s'é- tendunpeu trop fur les Articles de Guerre , car il perd plus de temps à décrire la priſe des Vil- les , que le Roy n'en a employé à les conquérir. Vous allez,
IIO LE MERCVRE
loin , répondit l'aimable Coufi- ne , & je ne ſçay ce que vous entendez par ce terme de pro- fuſion. Eft- ce qu'en loiiant les Gens ,l'Autheur du Mercure
neparticulariſe rien,& que fon- dant le bien qu'il en dit fur des expreſſions generales , il affure feulement qu'ils font tous d'un merite achevé , qu'aucune belle qualité ne leur manque , &
qu'il s'y trouve un affemblage de vertus ſi parfait , qu'il eſt im- poſſible d'aller au dela ? Voila ,
ce me ſemble, ce qui s'appelle- roit loüer avec profufion , quoy qu'en effet ce ne fuſt point du tout louer. Je ne ſuis point affez injuſte , repliqua- t- il , pour ac- cuſer l'Autheur dont je vous parle de loüer indiféremment tout le monde. Il éleve plus ou moins ceux qu'il a occaſion de
GALANT. III
nommer ſelon les choſes par leſquelles ils meritent d'eſtre loüez; il cite leurs Actions , fait
connoiſtre les Emplois qui leur ontdonné lieu de ſe rendre confiderables : mais comme je n'ay aucu interêt àcequi les touche,
j'aimerois mieux qu'il m'apprift quelque nouvelle agreable ,
que de me dire ce qu'ilne m'im- porte point de ſçavoir. C'eſt à
dire , mon cher Cousin , reprit la Belle en fiant , que ſi vous ou vos Amis vous aviez de longs Articles dans le Mercure , vous ne trouveriez point qu'il louaſt exceſſivement. Voila l'injustice de beaucoup de Gens. Ils vou- droient qu'il ne ſe fift rienque pour eux , & ils ne confidérent pas , quand on donne quelque ehoſe au Public,que ce Public eftantun Tout composé de di
112 LE MERCVRE
ferentes parties , il faut s'il ſe peut , trouver le moyen de con- tenter toutes fortes d'Eſprits. Je ne ſçay ceque c'eſt quele Mer- cure , mais peut-eſtre n'a- t- il
aucun Article qui ne rencontre ſes Partiſans , quand il auroit meſme quelque chose d'effecti- vement ennuyeux. Les tins s'at- tacherontaux Nouvelles ſerieuſes , les autres aux Avantures d'amour ; ceux cy cherche- ront les Vers ,ceux - là quelqu'autre Galanterie ; & com- me yous m'avez dit que c'eſt un Livre où tout cela eſt
ramaffé , j'ay peine à croire qu'on puſt former un deſſein plus capable de réüiffir. Quant auxloüanges, vouspouvez paf- fer par deſſus ſi vous enſou- frez; mais mille &mille honneſtes Gens qui font en France >
-
r
4 GALANT. 113
ne meritent-ils pas qu'on parle d'eux ? & le defir de ſe rendre
digne d'eſtre loüé, ſervantquel.- quefois d'aiguillon à la Vertu ,
doit-on envierà tant de Braves
qui hazardent tous les jours leur viepour ſervir l'Etat , une récompenſe ſi legitimement deuë à leurs grandes actions ?
La Juſtice qu'aparemment leur rend le Mercure , redouble la
curioſitéque j'ay de le voir, &
je ne crains pointque le trop de Guerre m'importune. La prife de Valenciennes a couſté ſi peu de temps , que je ne m'étonne pas qu'il en faille employer da- vantageà la décrire ; mais outre que dans les Caffandres & les Cyrus j'ay tout lû juſqu'aux plus longues deſcriptions des Barailles , je ſuis perfuadéeque nous ne pouvons ſçavoir trop
114 LE MERCVRE exactementce qui ſe faitde nos jours. Les Relations les plus fi- delles oublient toûjours quel- ques circonstances, &nousn'en
voyons aucune qui n'ait ſa nou- veauté ,du moins par quel- que endroit particulier qui n'a point eſté touché dans les autres.
La nuit s'avançoit , la Belle ſe retira , & le Gentilhomme
que fon eſprit n'avoitpasmoins furpris que fa beauté , la fit fui- vre parun Laquais. Il luy envo- yades le lendemain les ſept pre- miers Tomes du Mercure Galant , avec ces Vers.
LE
MERCVRE GALANT ,
A LA BELLE INCONNUE
qui a dela curioſité pour luy.
AMyde Cupidon , Galant de Rea1.
Je parle également & d'Amour &
d'Armée,
Etviens,mais en tremblant vous conter en cejour Des Nouvelles d'amour.
Si vous me recevezſans vous mettre en
couroux ,
১
Si jeſuispar hazardle bien venu chez
vous,
Rienne peut égaler le bonheur &la
joye Deceluyqui m'envoye.
Vous l'avez avoñé,vous aimez la leEture
116 LE MERCVRE
Vous vous divertiſſez àlire une Avanture;
Mesme dans les Romans ,jeſçay que les Combats
Nevous déplaiſentpas.
Pourquoy vous déplairoy-je en mafincerité ?
Ie nedis jamais rien contre la verité;
Maissur tout aujourd'huy , sans que
l'on me renvoye ,
Ieprétensqu'on le croye.
Cette impréveuë Galanterie embaraſſaunmoment la Belle.
Elle vit bien que la converſa- tion qu'elle avoit euële ſoir pré- cedent aux Thuilleries , eſtoit
cauſedu Préſent qu'on luy fai- foit. Il ne luy déplaiſoit pas,puis qu'il fatisfaifoit l'impatience où elle eftoit de voir le Mercure. Je
ne vous puis dire ce qu'elle pen- ſa , ny par quel motif de curio- fité ou d'intrigue elle fit la Ré
E
GALANT 117 .
ponſe que yous allez voir , car je n'ay point ſceu quelle ſuite a
eul'Avanture , mais il eſt certain qu'elle ne reçeut point le Meſſage en Provinciale façon- niere , & qu'eſtant entrée dans #fon Cabinet , elle écrivit ces
deux Vers qu'elle revint donner au Porteur.
Les Nouvelles d'amourdeceluy qui t'envoye
Ne medéplairont pas,jeprétensqu'il le
croye.
publiques , ont donné cours au Mercure , je croy vous devoir rendre compte d'un commencement d'Avanture qu'il a caus ſé dans les premiers jours de eeMois. Ils ont eſte ſi beaux,
i
Ev
106 LE MERCVRE
que jamais on n'a veu tant de monde aux Thuilleries. Un
Gentil - homme s'y promenoit ſeul un foir , reſvant peut-eſtre à quelque affaire de cœur,
quand il apperçeut ce quieſtoit fort capable de luy en faireune.
C'eſtoitune jeune Perſonne d'u- ne beauté ſurprenante. Elle eſtoit avec un Homme de Robe qu'il luy entendit nommer fon Coufin , en la ſuivant d'af- fez prés, comme il fit tant qu'el--- le marcha. Apres quelques tours d'Allée , elle alla s'aſſeoir
fur un Banc; & le Gentilhomme impatient de ſçavoir fi elle eſtoit auſſi ſpirituelle que belle,
ſe coula le plus promptement qu'il pût derriere une Paliſſade,
qui luy donna moyend'écouter fans eſtre apperçeu. Je vous l'a-e
voue, diſait-elle quand ils'ap
GALANT. 107
procha , la lecture a tant de charmes pour moy , qu'on ne me ſçauroit obliger plus ſenſi blement, que de me fournir de- quoy lire. J'y paſſe trois &qua- tre heures , de ſuite ſans m'en- nuyer , & les Livres ſont mon entretien ordinaire au defaut
de la Converſation. Et quels Livres , luy dit le Parent , vous divertiſſent leplus?Toutm'eft
propre, reprit elle. Hiſtoires ,
Voyages , Romans , Comédies,
je lis tout; &je vous diray mê- me, au hazard de paffer pour ri- dicule aupres de vous, qu'ilm'a pris fantaiſie depuis peu de parcourir cette Philofophie nou- velle qui fait tant debruit dans le monde. Je ſuis Femme , &
par conſequent curieuſe. Dés qu'on me parle d'une nouveau- té, je brûle d'envie de la voir,
Evj
108 LEMERCVRE
&tandis que mon Pere & ma Mere iront ſolliciter leur Procés, je prétens bien me fatisfai- re l'eſprit ſur toutes les agreables Bagatelles qui s'impriment tous les jours à Paris, car je ne croy pas que nous retournions en Bretagne avant le Careſme. Je m'imagine mabelle Parente, luy dit le Coufin, que vous ne manquerez pas à commencer par le Mercure Galant. Il n'y a point de Livre qui ſoit plus en vogue,
& il feroit honteux qu'il vous échapaſt , puis que vous faites profeffion de rout lire. Et de- quoy traite ce Mercure,luy de- manda - t-elle avec précipita- tion ?De toute forte de matieres , répondit-il. Il parle de la Guerre, &il ne ſe paſſe rien en France , & particulierement à
Paris, qui ſoit unpeu remarqua
GALANT. Log
ble, dont il n'informe le Public.
L'Autheur y meſle ce qu'il apprend de petites Avantures cauſées parl'Amour ; le tout eft diverſifié par des Pieces galan- tes de Vers & de Profe , & ce
mélange a quelque choſe d'a- greable qui fait que ceux qui approuvent le moins fon Livre,
ont toûjours la curiofité de le voir. Pour moy,j'en fuisfi fa- tisfait , que je ferois tres-faché,
qu'il ne le continuaſt pas ; ce.
qui divertit, l'emporte de beau- coup fur ce qui feroit capable d'ennuyer, & fij'y trouve quel- que choſe à redire , c'eſt qu'il louë avec profuſion, &qu'il s'é- tendunpeu trop fur les Articles de Guerre , car il perd plus de temps à décrire la priſe des Vil- les , que le Roy n'en a employé à les conquérir. Vous allez,
IIO LE MERCVRE
loin , répondit l'aimable Coufi- ne , & je ne ſçay ce que vous entendez par ce terme de pro- fuſion. Eft- ce qu'en loiiant les Gens ,l'Autheur du Mercure
neparticulariſe rien,& que fon- dant le bien qu'il en dit fur des expreſſions generales , il affure feulement qu'ils font tous d'un merite achevé , qu'aucune belle qualité ne leur manque , &
qu'il s'y trouve un affemblage de vertus ſi parfait , qu'il eſt im- poſſible d'aller au dela ? Voila ,
ce me ſemble, ce qui s'appelle- roit loüer avec profufion , quoy qu'en effet ce ne fuſt point du tout louer. Je ne ſuis point affez injuſte , repliqua- t- il , pour ac- cuſer l'Autheur dont je vous parle de loüer indiféremment tout le monde. Il éleve plus ou moins ceux qu'il a occaſion de
GALANT. III
nommer ſelon les choſes par leſquelles ils meritent d'eſtre loüez; il cite leurs Actions , fait
connoiſtre les Emplois qui leur ontdonné lieu de ſe rendre confiderables : mais comme je n'ay aucu interêt àcequi les touche,
j'aimerois mieux qu'il m'apprift quelque nouvelle agreable ,
que de me dire ce qu'ilne m'im- porte point de ſçavoir. C'eſt à
dire , mon cher Cousin , reprit la Belle en fiant , que ſi vous ou vos Amis vous aviez de longs Articles dans le Mercure , vous ne trouveriez point qu'il louaſt exceſſivement. Voila l'injustice de beaucoup de Gens. Ils vou- droient qu'il ne ſe fift rienque pour eux , & ils ne confidérent pas , quand on donne quelque ehoſe au Public,que ce Public eftantun Tout composé de di
112 LE MERCVRE
ferentes parties , il faut s'il ſe peut , trouver le moyen de con- tenter toutes fortes d'Eſprits. Je ne ſçay ceque c'eſt quele Mer- cure , mais peut-eſtre n'a- t- il
aucun Article qui ne rencontre ſes Partiſans , quand il auroit meſme quelque chose d'effecti- vement ennuyeux. Les tins s'at- tacherontaux Nouvelles ſerieuſes , les autres aux Avantures d'amour ; ceux cy cherche- ront les Vers ,ceux - là quelqu'autre Galanterie ; & com- me yous m'avez dit que c'eſt un Livre où tout cela eſt
ramaffé , j'ay peine à croire qu'on puſt former un deſſein plus capable de réüiffir. Quant auxloüanges, vouspouvez paf- fer par deſſus ſi vous enſou- frez; mais mille &mille honneſtes Gens qui font en France >
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4 GALANT. 113
ne meritent-ils pas qu'on parle d'eux ? & le defir de ſe rendre
digne d'eſtre loüé, ſervantquel.- quefois d'aiguillon à la Vertu ,
doit-on envierà tant de Braves
qui hazardent tous les jours leur viepour ſervir l'Etat , une récompenſe ſi legitimement deuë à leurs grandes actions ?
La Juſtice qu'aparemment leur rend le Mercure , redouble la
curioſitéque j'ay de le voir, &
je ne crains pointque le trop de Guerre m'importune. La prife de Valenciennes a couſté ſi peu de temps , que je ne m'étonne pas qu'il en faille employer da- vantageà la décrire ; mais outre que dans les Caffandres & les Cyrus j'ay tout lû juſqu'aux plus longues deſcriptions des Barailles , je ſuis perfuadéeque nous ne pouvons ſçavoir trop
114 LE MERCVRE exactementce qui ſe faitde nos jours. Les Relations les plus fi- delles oublient toûjours quel- ques circonstances, &nousn'en
voyons aucune qui n'ait ſa nou- veauté ,du moins par quel- que endroit particulier qui n'a point eſté touché dans les autres.
La nuit s'avançoit , la Belle ſe retira , & le Gentilhomme
que fon eſprit n'avoitpasmoins furpris que fa beauté , la fit fui- vre parun Laquais. Il luy envo- yades le lendemain les ſept pre- miers Tomes du Mercure Galant , avec ces Vers.
LE
MERCVRE GALANT ,
A LA BELLE INCONNUE
qui a dela curioſité pour luy.
AMyde Cupidon , Galant de Rea1.
Je parle également & d'Amour &
d'Armée,
Etviens,mais en tremblant vous conter en cejour Des Nouvelles d'amour.
Si vous me recevezſans vous mettre en
couroux ,
১
Si jeſuispar hazardle bien venu chez
vous,
Rienne peut égaler le bonheur &la
joye Deceluyqui m'envoye.
Vous l'avez avoñé,vous aimez la leEture
116 LE MERCVRE
Vous vous divertiſſez àlire une Avanture;
Mesme dans les Romans ,jeſçay que les Combats
Nevous déplaiſentpas.
Pourquoy vous déplairoy-je en mafincerité ?
Ie nedis jamais rien contre la verité;
Maissur tout aujourd'huy , sans que
l'on me renvoye ,
Ieprétensqu'on le croye.
Cette impréveuë Galanterie embaraſſaunmoment la Belle.
Elle vit bien que la converſa- tion qu'elle avoit euële ſoir pré- cedent aux Thuilleries , eſtoit
cauſedu Préſent qu'on luy fai- foit. Il ne luy déplaiſoit pas,puis qu'il fatisfaifoit l'impatience où elle eftoit de voir le Mercure. Je
ne vous puis dire ce qu'elle pen- ſa , ny par quel motif de curio- fité ou d'intrigue elle fit la Ré
E
GALANT 117 .
ponſe que yous allez voir , car je n'ay point ſceu quelle ſuite a
eul'Avanture , mais il eſt certain qu'elle ne reçeut point le Meſſage en Provinciale façon- niere , & qu'eſtant entrée dans #fon Cabinet , elle écrivit ces
deux Vers qu'elle revint donner au Porteur.
Les Nouvelles d'amourdeceluy qui t'envoye
Ne medéplairont pas,jeprétensqu'il le
croye.
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Résumé : Avantures des Thuilleries. [titre d'après la table]
Le texte décrit une aventure aux Tuileries où un gentilhomme remarque une jeune femme d'une beauté exceptionnelle en compagnie d'un homme de robe, qu'elle appelle son cousin. Intrigué, le gentilhomme se cache pour écouter leur conversation. La jeune femme exprime son amour pour la lecture, mentionnant divers genres, y compris la philosophie nouvelle. Son cousin lui suggère de lire le Mercure Galant, un journal populaire qui traite de sujets variés comme la guerre et les aventures amoureuses, apprécié pour son mélange de nouvelles et de pièces galantes. La jeune femme montre de l'intérêt pour le Mercure Galant. Son cousin explique que le journal loue souvent les gens avec profusion mais distingue les mérites de chacun. La jeune femme défend le journal, affirmant qu'il contient quelque chose pour tous les goûts et que ses louanges peuvent encourager la vertu. Elle souhaite également lire des nouvelles exactes sur les événements contemporains. Impressionné par la beauté et l'esprit de la jeune femme, le gentilhomme la fait suivre par un laquais et lui envoie les sept premiers tomes du Mercure Galant accompagnés d'un poème. La jeune femme, flattée par ce geste, répond de manière élégante, exprimant son intérêt pour les nouvelles d'amour contenues dans le journal.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 16-40
Histoire de Roüen. [titre d'après la table]
Début :
Il faudroit n'estre pas Homme pour n'en point avoir [...]
Mots clefs :
Rouen, Chevalier, Mort, Maîtresse, Surprise, Château, Conseiller, Amour, Procès, Fantôme, Abbé, Ombre, Mariages
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire de Roüen. [titre d'après la table]
Il faudroit n'eſtre
pas Homme pour n'en point avoir ; mais elle a quelquefois des effets bien dangereux , &
vous l'allez voir par ce qui eft arrivé depuis peu de temps à
une aimable Heritiere d'une des
meilleures Familles de Roüen.
Elle avoit pris de la tendreſſe
pour un jeune Chevalier qui
GALANT. 1.3
Laimoit avec paffion. Soit pour la naiſſance , foit pour le bien,
ils eſtoient aſſez le fait l'un de
l'autre; & comme l'Amour s'en
meſloit , il n'auroit pas eſté dif- ficile au Chevalier de ſe rendre
heureux, fi l'employ qu'il avoit à l'Armée ne l'euft obligé d'at- tendre à demander. l'agrément de ſes Parens au retour de la
Campagne , qu'il ne ſe pouvoit diſpenſer de faire. Il ſervoit en Allemagne fous Monfieur le Mareſchal de Créquy , &ayant eſté commandé dans une oсcaſion où nous perdîmes quel- que monde, il fut compte au nombre des Morts, La nouvelle
s'en répandit dans la Province.
Elle vint aux oreilles de laDemoifelle qui en fut inconfolable.
Elle pleura , foûpira, parla con- tinuellement de ſes bonnes qua
14 LE MERCVRE
litez , & ſe le mit ſi fortement dans l'eſprit, qu'elle croyoit le voir paroiſtre devant elle à tous
momens. Pour divertir un peu ſa douleur , on l'envoya chez une Dame de ſes Parentes qui avoit un Chaſteau au Païs de
Caux. C'eſtoitune Veuve d'un
eſprit fort agreable , &qui ayant encorde la jeuneffe & de la beauté , attiroit chez elle tout ce qu'il y avoit d'honneſtes Gens
dansſon voiſinage. LabelleAf- Aigée ytrouva quelquefoulage- ment à ſes déplaiſirs , elle n'en pût oublier la cauſe , &elle ſe déroboit tous les jours pour ve- nir reſver ſolitairement dans le
Jardin à la perte qu'elle avoit faite. Cependant le Chevalier n'eſtoit pas ſi bienmort, qu'il ne fit connoiſtre preſque auffi-toft qu'il avoit encor part àla vie.On
GALAN T. 15 viſita ſes bleſſures. Elles furent
trouvées dangereuſes , mais non pas de telle forte qu'il n'en puſt guerir. On en prit ſoin , &il fut eneſtat de quiter l'Armée dans
le temps que les Troupes entroient en Quartier d'Hyver. II
revient en Normandie. Grande
joye pour ſes Amis qui l'ont pleuré mort. Il s'informe de ſa Maiſtreſſe. On luy apprend où elle eft, &à quelles extremitez ſa douleur l'avoit portée. Son amour redouble par la connoif- fancequ'onluydonne deſes dé- plaiſirs. Il meurt d'impatience de la revoir , &luy veut porter luy-meſme la nouvelle de ſon retour à la vie. Comme il s'en
connoiſt fortement aimé , il ſe
faitunejoyeſenſiblede l'agrea- ble ſurpriſe que ſa veuëluy doit caufer,& fans la faire tirer de
16 LE MERCVRE
l'erreur où le bruit de ſa fauffe
mort l'a miſe , il part de Roüen avec un Confeiller &un Abbé
de ſes Amis. Aucun d'eux ne
connoiſſoit la Dame chez qui elle eſtoit , &ceła faciliteledeffein qu'ils ont de faire paſſer pour une rencontre du hazard ce qui est une occafion recher- chée. Il pouvoiteſtre onze heu- res du foir. Ils arriventau Chaſteau , feignent d'ignorer à qui il eft , le demandent au Portier
qui leur vient ouvrir; &ſur ſa -réponſe , ils le prient de fairedi- re àla Dame , qu'un Conſeiller duParlementqui s'eſt égaré en allant à Dieppe , la ſupplie de luy vouloir donner une Cham- bre à luy & à deuxde ſes Amis,
..poury attendre le jour. La Dame avoit un Procés ,& le cre
dit d'un Conſeiller qui peut ou
GALANT. I17 eſtre fon Juge , ou folliciter pour elle , luy paroiſt un ſecours en- voyéduCiel. Elle leur fait faire excuſe de ce qu'eſtant déja coit- chée,elle est contrainte d'attendre juſqu'au lendemain à les voir. Cependant les ordres ſe donnent , & on n'oublie rien
pourles recevoir obligeamment.
La nuit ſe paffe. Ils demandent à quelle heure ils pourront re- mercier la Dame de ſes bontez..
On leur répond qu'elle s'habil- le; &pendant ce temps,le Con feiller & l'Abbé defcendent à
l'Ecurie pour ſçavoir ſi on a en ſoinde leurs Chevaux. Le Chevalier qui ne fonge qu'à fon amour , obferve la ſituationdes
lieux qui font habitez , & ayant pris garde qu'ils donnent fur le Jardin , il y entre dans l'eſperan- ce que faMaiſtreſſe paroiſtra à
18 LE MERCVRE
4
quelque feneftre. Iln'y apas fait trente pas qu'il lavoit fortird'u- ne Allée couverte. Elley eftoit venuë comme elle avoit accouſtumé de le faire tous les matins,&dans ce momentelle effuyoit quelques larmes qu'elle avoit encor données au ſouvenirde ſa mort. Il s'avance. Elle
l'apperçoit ; &comme elle en avoit l'imagination toute rem- plie , elle le prend pour fon Phantoſme, fait des cris épou- vantables , & s'enfuit vers une
Salle qu'elle avoit laiſſée ouver- te. Il court apres elle pour taf- cher de l'arreſter , mais fa diligence eſt vaine. Elle redouble fes cris , & a plûtoſt fermé la Porte qu'il ne l'a pû joindre.
Cette action est remarquée d'un Domeſtique qui entroit dans le
Jardin. Il enva donneravis àla
GALANT. 19
Dame. Elle deſcend dans la
Salle , trouve ſa belle Parente
- évanoüie; & comme elle estoit
Heritiere , & qu'on avoit déja fait courir le bruit de quelque projet pour l'enlever , elle ne doute point qu'on n'ait voulu enveniràl'execution ,&que ce qu'on luy eſt venu dire le jour precedent du Conſeiller égaré,
n'ait efté un artifice pour don- ner une entrée aux Raviſſeurs.
Tout la confirme dans cette
croyance. On a ven courir un
Homme apres la Demoiselle quine s'en eſt ſauvée qu'en s'en- fermant , & on la trouve évanoüie de frayeurs. Ses deux A- mis qui s'arreſtent à voir leurs
Chevaux , femblent avoir eu deſſein de ſe tenir preſts à fuir quand il ſeroit venu à bout de
fon entrepriſe , & il n'y a rien
-
20 LE MERCVRE
I
autre choſe àpenſer de ce qui s'eſt fait. Tandis qu'on prend foin de la belle Evanoüie , la
Dame envoye chercher du Se- cours , fait armer ſes Gens , &
enmoins de rien vingt. Hom- mes , avec des Moufquetons &
des Halebardes vont àl'Ecurie,
oùle Chevalier eſtoit venu ren
de compte à ſes deuxAmísde la rencontre qu'ilavoit faite. Ils font ſurpris de ſe voir coucher enjouë,&d'entendre dire qu'il n'y a pointde quartier pour eux s'ils neſe laiſſent conduire dans
-un Cabinet grillé oùla Dame a
-donnéordre qu'on les enferme.
Ils ont beau demander la cauſe
de l'infulte qu'on leur fait , & fe
plaindre du peu dereſpect qu'on apourunConſeiller.Ce nomde
Conſeiller qui avoit fait de ſi
grands effets quand ils arrive-
GALANT. 21
rent,n'eſt plus d'aucune confi- deration ,&ils font à peine dans leCabineroù cette Troupe mu- tine les garde , que la Dame leur vient dire qu'apres les avoir fait recevoir chez elle de la maniere la plus obligeante , elle n'auroit jamais creu qu'ils euf- ſent voulu luy faire l'outrage dont elle prétend reparation. Le Conſeiller prend la parole , &
s'eſtant plaint ſans trop d'ai- greur de la violence qu'on luy a
faite , il adjoûte qu'il ne voit pas de quel mauvais deſſein on a pû le tenir ſuſpect , quand il vient avecunAbbé dont le caractere le doit faire croire incapable d'y preſter la main. La Dame répond que la partie ef- toit bien- faite , &qu'on ne vou- loit pas aller loin ſans mettre les choſes en estat deſe pacifier par
22 LE MERCVRE
le Mariage. Cette réponſe &
quelques autres paroles luy font comprendre qu'on les ſoupçon- nede n'eſtre venusau Chaſteau
quepour enlever ſa Parente. Le Chevalier qui ne devine point pourquoy on leurimpute cedef- fein ſur la frayeur qu'il ſçait que ſa veuë a cauſée àſaMaiſtreſſe,
dit qu'il eſt vray qu'une Demoi- ſelle a pris la fuite toute effrayée de l'avoir trouvé dans le Jardin,
mais qu'on la luy faſſe voir , &
qu'il eſt fort aſſuré qu'elle ne le reconnoiſtra point pour un Ra- viſſeur. Il conjure la Dame avee tant d'inſtance de luy accorder cette grace , qu'elle les quitte pour aller ſçavoir ſi ſa Parente eſt enestatde venir.Elle la trouve revenuë de fon Evanoüiffement , mais ſi interdite de ce
qu'elle a veu , quele troublede
GALANT. 23
ſon ameparoiſt encorpeintdans ſes regards. Cette belle Perſon- ne la prévient , &d'abord qu'el- le lavoit entrer elle luy dit qu'el- le ne ſçait comme elle eſt de- meurée vivante apres quel'Om- bre du Chevalier qu'elle a tant aimé luy eſt apparuë. LaDame perfuadéeque la frayeur qu'elle a euë de la pourſuite d'un Ra- viſſeur afait égarer ſa raiſon , la prie dela fuivre , &l'affurequ'- elle luy fera faire entiere ſatis- faction de l'injure qu'elle a re- çeuë. Elle entre dans leCabinet ſans ſçavoir pourquoyſa prefen- ce yeft neceſſaire , & elle n'a pas plûtoſt jetté les yeux fur leChe- valier qu'elle pouffe de nouveaux cris , & retombe preſque dans le meſme eſtat d'où elle
vientd'eſtre retirée. LeChevaliers'approche, & ſe plaint d'u-
,
24 LE MERCVRE
ne maniere fi tendredu malheur
qu'il a de ne pouvoir paroiſtre devat elle fans l'éfrayer,qu'enfin quoy qu'avec beaucoupde pei- ne , elle trouve affez de voix
pourluydemanders'il peuteſtre vray qu'il ne ſoit pas mort. Il répond qu'il ne ſçait ſi elle a
donné un ordre abſolu de le tuer à ceux qui l'ont amené dans le Cabinet avecdes Halebardes &
des Mousquetons , mais que fi elle veut bien conſentir qu'il vi- ve , il vivra tout à elle comme il
a fait juſque là , &toûjours dans les ſentimens paſſionnez qu'elle ne condamnoit pas avant qu'il la quittât pour l'Armée. Il n'en fallut pas davantage pour faire connoiſtre àla Dame ce qu'elle n'avoit pû démeſler d'abord. Ju- gez de ſa ſurpriſe. Elle entend nommerle Chevalier, & voyantla
GALANT. 25 joye éclater ſur le viſage de ſa Parente , elle tombe dans une
confufion dont elle ne fort que par les choſes agreables que le Conſeiller commence à luydire fur cettemépriſe. Elle luy en fait mille excuſes , &ſe ſertpource- la de termes ſi obligeans , que commeelle eſtoit tres-bien faite
de ſa perſonne, le Conſeiller s'en laiſſe toucher. Elle le prie de re- mettre ſon Voyage de Dieppe,
& de demeurer quelques jours chez elle pour luy donner lieu dereparer ce que fon inconfide- rée précipitation luy avoit fait faire d'injuſte. Outre que c'ef- toit ce que le Conſeiller avoit pretendu , il trouvoit tant d'ef- prit & d'agrément dans l'aima- ble Veuve , qu'il ne fut pas fa- ché de faire pour elle ce qu'un commencement d'amour luy
Tome IX. B
26 LE MERCVRE
faiſoit déja ſecrettement ſouhai- ter. Il paſſa donctrois ou quatre jours dans le Chaſteau , & l'en- tretiende cette aimable Perſonne eurde fi doux charmes pour luy, qu'iln'yparoiffoit pasmoins attaché que le Chevalier l'eſtoit àrenouveller àſa Maiſtreſſe les
proteſtations du plus tendre amour. L'Abbé s'aperçeut de l'engagement que le Confeiller prenoit pour la Dame ; & com- me il ne pouvoitſemettredela converfation d'aucun coſté fans
troubler un teſte-a-teſte , il leur dit enfin en riant qu'il s'ennu- yoit d'eſtre ſans employ , tandis qu'il les voyoit tousquatre ff agreablement occupez. Je ne ſçay ſi cet avis donna lieu au Conſeillerde s'expliquer ſerien- ſement , mais l'intelligence con- tinua ,les affaires ſe conclurent,
GALAINT.
27 & l'Abbé fut appellé quelque temps apres pour la Ceremonie des deux Mariages. Le grand oüy qu'il a fait prononcer à ces quatresAmans, les amisdans un eftat fi heureux , quepourl'en récompenfer il luy ſouhaitent tous les jours une Mitre
pas Homme pour n'en point avoir ; mais elle a quelquefois des effets bien dangereux , &
vous l'allez voir par ce qui eft arrivé depuis peu de temps à
une aimable Heritiere d'une des
meilleures Familles de Roüen.
Elle avoit pris de la tendreſſe
pour un jeune Chevalier qui
GALANT. 1.3
Laimoit avec paffion. Soit pour la naiſſance , foit pour le bien,
ils eſtoient aſſez le fait l'un de
l'autre; & comme l'Amour s'en
meſloit , il n'auroit pas eſté dif- ficile au Chevalier de ſe rendre
heureux, fi l'employ qu'il avoit à l'Armée ne l'euft obligé d'at- tendre à demander. l'agrément de ſes Parens au retour de la
Campagne , qu'il ne ſe pouvoit diſpenſer de faire. Il ſervoit en Allemagne fous Monfieur le Mareſchal de Créquy , &ayant eſté commandé dans une oсcaſion où nous perdîmes quel- que monde, il fut compte au nombre des Morts, La nouvelle
s'en répandit dans la Province.
Elle vint aux oreilles de laDemoifelle qui en fut inconfolable.
Elle pleura , foûpira, parla con- tinuellement de ſes bonnes qua
14 LE MERCVRE
litez , & ſe le mit ſi fortement dans l'eſprit, qu'elle croyoit le voir paroiſtre devant elle à tous
momens. Pour divertir un peu ſa douleur , on l'envoya chez une Dame de ſes Parentes qui avoit un Chaſteau au Païs de
Caux. C'eſtoitune Veuve d'un
eſprit fort agreable , &qui ayant encorde la jeuneffe & de la beauté , attiroit chez elle tout ce qu'il y avoit d'honneſtes Gens
dansſon voiſinage. LabelleAf- Aigée ytrouva quelquefoulage- ment à ſes déplaiſirs , elle n'en pût oublier la cauſe , &elle ſe déroboit tous les jours pour ve- nir reſver ſolitairement dans le
Jardin à la perte qu'elle avoit faite. Cependant le Chevalier n'eſtoit pas ſi bienmort, qu'il ne fit connoiſtre preſque auffi-toft qu'il avoit encor part àla vie.On
GALAN T. 15 viſita ſes bleſſures. Elles furent
trouvées dangereuſes , mais non pas de telle forte qu'il n'en puſt guerir. On en prit ſoin , &il fut eneſtat de quiter l'Armée dans
le temps que les Troupes entroient en Quartier d'Hyver. II
revient en Normandie. Grande
joye pour ſes Amis qui l'ont pleuré mort. Il s'informe de ſa Maiſtreſſe. On luy apprend où elle eft, &à quelles extremitez ſa douleur l'avoit portée. Son amour redouble par la connoif- fancequ'onluydonne deſes dé- plaiſirs. Il meurt d'impatience de la revoir , &luy veut porter luy-meſme la nouvelle de ſon retour à la vie. Comme il s'en
connoiſt fortement aimé , il ſe
faitunejoyeſenſiblede l'agrea- ble ſurpriſe que ſa veuëluy doit caufer,& fans la faire tirer de
16 LE MERCVRE
l'erreur où le bruit de ſa fauffe
mort l'a miſe , il part de Roüen avec un Confeiller &un Abbé
de ſes Amis. Aucun d'eux ne
connoiſſoit la Dame chez qui elle eſtoit , &ceła faciliteledeffein qu'ils ont de faire paſſer pour une rencontre du hazard ce qui est une occafion recher- chée. Il pouvoiteſtre onze heu- res du foir. Ils arriventau Chaſteau , feignent d'ignorer à qui il eft , le demandent au Portier
qui leur vient ouvrir; &ſur ſa -réponſe , ils le prient de fairedi- re àla Dame , qu'un Conſeiller duParlementqui s'eſt égaré en allant à Dieppe , la ſupplie de luy vouloir donner une Cham- bre à luy & à deuxde ſes Amis,
..poury attendre le jour. La Dame avoit un Procés ,& le cre
dit d'un Conſeiller qui peut ou
GALANT. I17 eſtre fon Juge , ou folliciter pour elle , luy paroiſt un ſecours en- voyéduCiel. Elle leur fait faire excuſe de ce qu'eſtant déja coit- chée,elle est contrainte d'attendre juſqu'au lendemain à les voir. Cependant les ordres ſe donnent , & on n'oublie rien
pourles recevoir obligeamment.
La nuit ſe paffe. Ils demandent à quelle heure ils pourront re- mercier la Dame de ſes bontez..
On leur répond qu'elle s'habil- le; &pendant ce temps,le Con feiller & l'Abbé defcendent à
l'Ecurie pour ſçavoir ſi on a en ſoinde leurs Chevaux. Le Chevalier qui ne fonge qu'à fon amour , obferve la ſituationdes
lieux qui font habitez , & ayant pris garde qu'ils donnent fur le Jardin , il y entre dans l'eſperan- ce que faMaiſtreſſe paroiſtra à
18 LE MERCVRE
4
quelque feneftre. Iln'y apas fait trente pas qu'il lavoit fortird'u- ne Allée couverte. Elley eftoit venuë comme elle avoit accouſtumé de le faire tous les matins,&dans ce momentelle effuyoit quelques larmes qu'elle avoit encor données au ſouvenirde ſa mort. Il s'avance. Elle
l'apperçoit ; &comme elle en avoit l'imagination toute rem- plie , elle le prend pour fon Phantoſme, fait des cris épou- vantables , & s'enfuit vers une
Salle qu'elle avoit laiſſée ouver- te. Il court apres elle pour taf- cher de l'arreſter , mais fa diligence eſt vaine. Elle redouble fes cris , & a plûtoſt fermé la Porte qu'il ne l'a pû joindre.
Cette action est remarquée d'un Domeſtique qui entroit dans le
Jardin. Il enva donneravis àla
GALANT. 19
Dame. Elle deſcend dans la
Salle , trouve ſa belle Parente
- évanoüie; & comme elle estoit
Heritiere , & qu'on avoit déja fait courir le bruit de quelque projet pour l'enlever , elle ne doute point qu'on n'ait voulu enveniràl'execution ,&que ce qu'on luy eſt venu dire le jour precedent du Conſeiller égaré,
n'ait efté un artifice pour don- ner une entrée aux Raviſſeurs.
Tout la confirme dans cette
croyance. On a ven courir un
Homme apres la Demoiselle quine s'en eſt ſauvée qu'en s'en- fermant , & on la trouve évanoüie de frayeurs. Ses deux A- mis qui s'arreſtent à voir leurs
Chevaux , femblent avoir eu deſſein de ſe tenir preſts à fuir quand il ſeroit venu à bout de
fon entrepriſe , & il n'y a rien
-
20 LE MERCVRE
I
autre choſe àpenſer de ce qui s'eſt fait. Tandis qu'on prend foin de la belle Evanoüie , la
Dame envoye chercher du Se- cours , fait armer ſes Gens , &
enmoins de rien vingt. Hom- mes , avec des Moufquetons &
des Halebardes vont àl'Ecurie,
oùle Chevalier eſtoit venu ren
de compte à ſes deuxAmísde la rencontre qu'ilavoit faite. Ils font ſurpris de ſe voir coucher enjouë,&d'entendre dire qu'il n'y a pointde quartier pour eux s'ils neſe laiſſent conduire dans
-un Cabinet grillé oùla Dame a
-donnéordre qu'on les enferme.
Ils ont beau demander la cauſe
de l'infulte qu'on leur fait , & fe
plaindre du peu dereſpect qu'on apourunConſeiller.Ce nomde
Conſeiller qui avoit fait de ſi
grands effets quand ils arrive-
GALANT. 21
rent,n'eſt plus d'aucune confi- deration ,&ils font à peine dans leCabineroù cette Troupe mu- tine les garde , que la Dame leur vient dire qu'apres les avoir fait recevoir chez elle de la maniere la plus obligeante , elle n'auroit jamais creu qu'ils euf- ſent voulu luy faire l'outrage dont elle prétend reparation. Le Conſeiller prend la parole , &
s'eſtant plaint ſans trop d'ai- greur de la violence qu'on luy a
faite , il adjoûte qu'il ne voit pas de quel mauvais deſſein on a pû le tenir ſuſpect , quand il vient avecunAbbé dont le caractere le doit faire croire incapable d'y preſter la main. La Dame répond que la partie ef- toit bien- faite , &qu'on ne vou- loit pas aller loin ſans mettre les choſes en estat deſe pacifier par
22 LE MERCVRE
le Mariage. Cette réponſe &
quelques autres paroles luy font comprendre qu'on les ſoupçon- nede n'eſtre venusau Chaſteau
quepour enlever ſa Parente. Le Chevalier qui ne devine point pourquoy on leurimpute cedef- fein ſur la frayeur qu'il ſçait que ſa veuë a cauſée àſaMaiſtreſſe,
dit qu'il eſt vray qu'une Demoi- ſelle a pris la fuite toute effrayée de l'avoir trouvé dans le Jardin,
mais qu'on la luy faſſe voir , &
qu'il eſt fort aſſuré qu'elle ne le reconnoiſtra point pour un Ra- viſſeur. Il conjure la Dame avee tant d'inſtance de luy accorder cette grace , qu'elle les quitte pour aller ſçavoir ſi ſa Parente eſt enestatde venir.Elle la trouve revenuë de fon Evanoüiffement , mais ſi interdite de ce
qu'elle a veu , quele troublede
GALANT. 23
ſon ameparoiſt encorpeintdans ſes regards. Cette belle Perſon- ne la prévient , &d'abord qu'el- le lavoit entrer elle luy dit qu'el- le ne ſçait comme elle eſt de- meurée vivante apres quel'Om- bre du Chevalier qu'elle a tant aimé luy eſt apparuë. LaDame perfuadéeque la frayeur qu'elle a euë de la pourſuite d'un Ra- viſſeur afait égarer ſa raiſon , la prie dela fuivre , &l'affurequ'- elle luy fera faire entiere ſatis- faction de l'injure qu'elle a re- çeuë. Elle entre dans leCabinet ſans ſçavoir pourquoyſa prefen- ce yeft neceſſaire , & elle n'a pas plûtoſt jetté les yeux fur leChe- valier qu'elle pouffe de nouveaux cris , & retombe preſque dans le meſme eſtat d'où elle
vientd'eſtre retirée. LeChevaliers'approche, & ſe plaint d'u-
,
24 LE MERCVRE
ne maniere fi tendredu malheur
qu'il a de ne pouvoir paroiſtre devat elle fans l'éfrayer,qu'enfin quoy qu'avec beaucoupde pei- ne , elle trouve affez de voix
pourluydemanders'il peuteſtre vray qu'il ne ſoit pas mort. Il répond qu'il ne ſçait ſi elle a
donné un ordre abſolu de le tuer à ceux qui l'ont amené dans le Cabinet avecdes Halebardes &
des Mousquetons , mais que fi elle veut bien conſentir qu'il vi- ve , il vivra tout à elle comme il
a fait juſque là , &toûjours dans les ſentimens paſſionnez qu'elle ne condamnoit pas avant qu'il la quittât pour l'Armée. Il n'en fallut pas davantage pour faire connoiſtre àla Dame ce qu'elle n'avoit pû démeſler d'abord. Ju- gez de ſa ſurpriſe. Elle entend nommerle Chevalier, & voyantla
GALANT. 25 joye éclater ſur le viſage de ſa Parente , elle tombe dans une
confufion dont elle ne fort que par les choſes agreables que le Conſeiller commence à luydire fur cettemépriſe. Elle luy en fait mille excuſes , &ſe ſertpource- la de termes ſi obligeans , que commeelle eſtoit tres-bien faite
de ſa perſonne, le Conſeiller s'en laiſſe toucher. Elle le prie de re- mettre ſon Voyage de Dieppe,
& de demeurer quelques jours chez elle pour luy donner lieu dereparer ce que fon inconfide- rée précipitation luy avoit fait faire d'injuſte. Outre que c'ef- toit ce que le Conſeiller avoit pretendu , il trouvoit tant d'ef- prit & d'agrément dans l'aima- ble Veuve , qu'il ne fut pas fa- ché de faire pour elle ce qu'un commencement d'amour luy
Tome IX. B
26 LE MERCVRE
faiſoit déja ſecrettement ſouhai- ter. Il paſſa donctrois ou quatre jours dans le Chaſteau , & l'en- tretiende cette aimable Perſonne eurde fi doux charmes pour luy, qu'iln'yparoiffoit pasmoins attaché que le Chevalier l'eſtoit àrenouveller àſa Maiſtreſſe les
proteſtations du plus tendre amour. L'Abbé s'aperçeut de l'engagement que le Confeiller prenoit pour la Dame ; & com- me il ne pouvoitſemettredela converfation d'aucun coſté fans
troubler un teſte-a-teſte , il leur dit enfin en riant qu'il s'ennu- yoit d'eſtre ſans employ , tandis qu'il les voyoit tousquatre ff agreablement occupez. Je ne ſçay ſi cet avis donna lieu au Conſeillerde s'expliquer ſerien- ſement , mais l'intelligence con- tinua ,les affaires ſe conclurent,
GALAINT.
27 & l'Abbé fut appellé quelque temps apres pour la Ceremonie des deux Mariages. Le grand oüy qu'il a fait prononcer à ces quatresAmans, les amisdans un eftat fi heureux , quepourl'en récompenfer il luy ſouhaitent tous les jours une Mitre
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Résumé : Histoire de Roüen. [titre d'après la table]
Le texte relate l'histoire d'une jeune héritière de Rouen qui sombre dans le désespoir après avoir appris la mort de son amant, un jeune chevalier. Pour la distraire, on l'envoie chez une parente veuve, réputée pour son esprit agréable et sa beauté, qui attire de nombreuses personnes honorables. Malgré les efforts pour la divertir, la jeune femme continue de pleurer la perte de son amant. Cependant, le chevalier n'est pas mort et, après avoir guéri de ses blessures, il revient en Normandie. Apprenant la douleur de sa maîtresse, il décide de lui annoncer son retour en personne. Accompagné d'un conseiller et d'un abbé, il se rend au château de la parente, se faisant passer pour un conseiller égaré. La dame, pensant qu'il s'agit d'un ravisseur, les enferme après que la jeune femme, en voyant le chevalier, s'évanouit de frayeur. Le chevalier explique la situation, et la dame, comprenant la méprise, s'excuse. La jeune femme, revenue à elle, reconnaît son amant et se réjouit. Le conseiller, charmé par la veuve, décide de rester et finit par se marier avec elle. L'abbé, témoin de la situation, suggère une solution qui aboutit à deux mariages. Par ailleurs, le texte mentionne une cérémonie organisée par une personne pour quatre amoureux, qui prononcent des vœux. Ces amoureux se trouvent dans un état de bonheur extrême. En guise de récompense pour cet acte, ils expriment chaque jour le souhait que cette personne obtienne une mitre, un couvre-chef ecclésiastique symbolisant une haute dignité religieuse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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16
p. 93-111
LE PERROQUET ET LA GUENUCHE. FABLE. A MADEMOISELLE DE M**
Début :
Il nous arriva hier de Lisbonne une Barque chargée de [...]
Mots clefs :
Perroquet, Guenuche, Amour, Animaux, Galanterie, Berger, Conversation, Belle, Laide, Inconstance, Métamorphose, Portugal, Histoire, Morale
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE PERROQUET ET LA GUENUCHE. FABLE. A MADEMOISELLE DE M**
LE
PERROQUET
ET LA GUENUCHE.
7
FABLE.
A MADEMOISELLE DE M**
1
Lnous arriva hier de Lisbonneune
Barque chargéedeSinges &de Per- roquets. Vousjugezbien, Mademoiselle,
GALANT 61
que je n'ay pas perduune si belle occa- fion devous tenirparole. F'aychoisipar- my cegrand nombre un Perroquet d'un plumage tres particulier , &une Gue- nuche d'une petiteſſefort rare. Ce qu'il yade fâcheux , c'est que le Perroquet
neparle point François , que la Guenu- che ne sçait point danser , &que mesme elle est encore habillée à la Portugaise;
mais vous serez peut-estre bien aise d'estre leur Maiſtreſſe en toutes façons.
Vos Leçons leur apprendront la belle maniere. Tous les autres Perroquets ne Sçavent prononcerque des injures grof- fieres , & quand vous aurezinſtruit le voſtre , il sçaura dire des malices inge- nieuses. A voſtre Ecole la Guenuche
apprendra bien- toft la Bourrée & le
Menuët ; &fi vous avezſoin de l'ha biller à la mode & de voſtremain ,je
gage qu'on la trouvera plus propre &
demeilleur air que vostre petite laide Voisine. Cependant comme vous n'en- tendrez point d'abord le jargon ny de la Guenuche ny du Perroquet , je me crois obligé en vous les envoyant, d'estre aupres de vous leur Interprete. SansSça-
62 LE MERCVRE
voir la Langue de leur Pays, j'ay bien- toft compris leurs discours, parce qu'ils estoient tendres &amoureux..
Entendre àdemymotfut toûjoursmon
partage;
Si- toſt que l'on parle d'amour ,
Iln'eſt point pour moy de langage Qui ne foit clair comme le jour.
Pour vous ma , jeune Demoiselle,
Quand memes en François l'amour fertd'entretien ,
Malgré tout voſtre Eſprit , vous ne ré- pondez rien Et vousn'entendez pas la langue ma- ternelle;
Vous voila cependant dans la belle ſaiſon ,
Vous avez quatorze ans, à cet âge, ma Belle,
N'entendre pas l'Amour , mafoy cela s'appelle N'entendre pas raiſon.
Jeveux aujourd'huy tâcher devous rendre raisonnable , en vous faisant comprendre l'Histoire amoureuse de
GALAN T. 63 vostre Guenuche & de vostre Perroquet.
Aufſi- toft que ces deux petits Animauxfurent entre mes mains , ils parle- rent entr'eux certain jargon Moresque,
&j'entendis quele Perroquet reprochoit àla Guenucheſes ſingeries , & la Gue- nuche luy reprochoitſon caquet. Comme leursdiscours meſemblerent aſſez plai- Sans, j'entray dans leur conversation.
Ils enfurent d'abordsurpris , mais en- fin nous devinſmes familiers &fûmes bien toſt ſi grands Amis , que je les obligeay àme conter leurHistoire. Le Perroquet , comme le plus grand Cau- feur , voulut estre l'Historien ; &vo cy en François àpeu pres comme il pliqua en Moresque.. *
LYON
1893-
MaMere me donna le jour
Dans un Climat de la Guinée ,
Où le Soleil joint à l'Amour ,
Enflame tout toute l'année.
L'on n'y voit point de Cœur glacé,
N'yde Bergere indiferente;
Quand unBerger eſt empreſſé LaBergere ſe montre ardente.
64 LE MERCVRE
Là je vivois jadis enBerger fort coquet,
Aujourd'huyje ſuis Perroquet,
Car , helas ! ma Coqueterie ,
Queje nommois Galanterie ,
Choqua le cruel Cupidon ,
Qui ſans m'accorder de pardon ,
Fit de moy la Métamorphoſe ,
Queje vais vous conter en Profe.
Sur les bords du Fleuve Niger on ne fait pas l'amour ainſi que fur les bords de la Seine on du Rhône. On m'a dit
qu'icyla constance paſſe pour une vertu,
là elle paſſeroit pour un vice : En France un Amant bien reglé n'a beſoin que d'une Amante , &ſouvent en ayant une , il en a trop ; mais en Ethiopie les Galans ont beſoin de diverſes Maiſtref.
Ses , &nostre miserable Roy qui mourut ilyaquelque temps dans ce Royaume,
pourroit estre un témoin de cette verité.
Estant Berger je voyois ſuivant noftre coustume diverſesBergeres , &je témoi gnois à toutes beaucoup d'amour,mais àlaveritéje n'en reſſentois queres. Dans ma conversation, dans mes Chansons
GALANT. 65 dans mes Billets , je paroiſſois l' Amant du monde leplus ardent , &dans mon cœur ie mesentois fort tranquille; enfin tout mon amour n'estoit que du caquet.
Mais,helas ! depuis ce temps j'ay bien appris que Cupidon est un Dieu qui pu- nit cruellement le mensonge. Pour com.
mencer àse vanger demoy , il me fit devenir trop veritablement amoureux d'une petite Laide , plus volage &plus.
coquette que je n'estois , &c'est iuste.
ment Dame Guenuche que vous voyez là , qui a esté Bergere dans le temps que i'estois Berger. Apresavoir trompé tant de Perſonnes parmesfaux Sermens , ie ne pûs pas mesine perfuader mapetite Laide par des veritez tres- constantes.
Cependantpour mefaire mieux enrager,
au commencement elle fit mine de m'aimer, elle affecta toutes les petites ma- nieres d'une Perſonnefort paſſionnée, &
quand elle me vit bien ſenſiblement tou- ché , elle me fit cent malices & mequit- ta enfin pour un autre Bergerauffi laid qu'un vieux Singe.
Dieux ! qu'un Berger vivroit content
66 LE MERCVRE
Silchangeoit auffi-toft que changeſon Amante !
Mais,helas ! que de maux nous cauſe
une Inconftante,
Quandon ne peut être inconſtant !
L'amourque ieſentois pour mapetite Ingrate , & la haine que i'avois pour mon laid Rival , me mirent dans untel
deſeſpoir , que ie quitay mes Moutons,
&laſocietédes autres Bergers. Je m'en allay comme un furieux ,errant dans lesDeserts : ie déchiray mes habits , ie me couvris defeüilles d'arbres , &enfin
icdevins tout-à-fait infensé. L'Amour alors me voyantdans une Forest en estat demourir ,voulut meſauver la vie , &
ie nesçay si cefutparpitiéouparven- geance. Il changea mapeau &monha- bit en plumesde la couteur des feüilles
qui me couvroient , ma bouche en bec ,
mes bras en cuiſſes , &ainfi du reſte de
mon Corps. Voila comme ie me trouvay Perroquet , &ie vousiureque ien'en ay point confervé de regret.
Nehaïſſant plus monRival,
GALANT. 67 Etn'aimantplus mon Inconſtante Je ſens monAme plus contente ,
D'animer pour toûjours le Corps d'un Animal ,
Que celuy d'un Berger ,quand l'A- mour le tourmente.
Mapetite Laide ne demeura pas auſſiſans châtiment , parce qu'elle n'a- voit aiméqu'en apparence, & que toute fa tendreſſe n'avoit esté que fingerie ;
l'Amour n'ayant point esté trompépar ſes grimaces , voulut punirfonhipocri fie ,comme il avoit puny mon liberti- nage. Il la changea donc en Guenuche ; &comme c'estoit unepetite Berge- re fort laide &fort malicieuse , il n'eut
pas beaucoup depeine àfaire ce changement.
Depuis cette double Metamorphose nousavons vescu, maMaiſtreſſe &moy,
dans les Solitudes & dans les Forests.
Cependant nous n'eſtions pas tout -à-fait Sauvages , & cela est si vray que nous noussommes laislé prendre aux premiers Hommes qui ſeſont preſentez. D'abord onnous mena en Portugal , où l'humeur
68 LE MERCVRE
de la Nation ne nous plaiſoit gueres,
parcequele caquet &les fingeriesn'y ont pas tant de coursqu'en France , ou i'ap- prens que nous sommes auiourd'huy.
Nous nousyplaifons ſans doute ,parce que nous avons encoreconfervéquelque choſe de nostre premier caractere. Pour moy quipendantque i'estois Berger di- fois centfleurettesfans penser àce queie difois,iedis encore eftant Perroquet cent parolesfanssçavoir ce que ie dis. Pour ma Maistreffe , qui estant Bergerecon- trefaisoit l' Amante ſansſentird'amour,
&qui de plusfaisoit tous les jours mil- temalices , estant Guenuche elle enfait
encore, & contrefait mille choſesqu'elle voit faire.
Voila , me dit le Perroquet , noſtre Histoireiusques icy : c'est àvous, Mon- fieur, ànous apprendre le reſte. Dites- nous pourquoy nous sommes entre vos mains , &àquoy nousſommes deſtinez,
puis que vous nousfaitespartirpourun SecondVoyage. Acette question i'ay ré- pondude cettemaniere.
Allez trop heureux Animaux ,
GALAN T. 69
Voicy la fin de tous vos maux :
Aprenez que l'on vous deſtine Pour aller faire les plaiſirs D'une belle & jeune Blondine ,
Quidonne mille ardens defirs,
Etqui cauſe mille ſoûpirs Amille Amans qui n'oſent dire ,
Belle, c'est pour vous qu'on ſoûpire;
Vous, Peroquet , & nuit &jour ,
Vous luy pourrez parler d'amour ;
Vous pourrez dire , ie vous aime,
Sans vous attirer ſon courroux.
Que mon bonheur ſeroit extrême
Si j'ofois parler comme vous !
Vous Guenuche, VOS fingeries LYON
Loin de luy donnerdu chagrin,
La charmeront ſoir & matin ;
ODieux ! que'mes Galanteries N'ont-elles le meſmedeſtin !
C'est ainsi , Mademoiselle , que finit la conversation que i'ay cue avecvostre Perroquet & vostre Guenuche. L'ay crû que ie devois vous enfaire part,
quevousferiez bien aiſe deſçavoir leurs
Avantures, le pourrois bien tirer de cette Hiftoire une belle Morale en faveur de
70 LE MERCVRE l'Amour; mais belas ,je n'oferoisavec vous moraliſerſur cette matiere.
De Marſeille.
PERROQUET
ET LA GUENUCHE.
7
FABLE.
A MADEMOISELLE DE M**
1
Lnous arriva hier de Lisbonneune
Barque chargéedeSinges &de Per- roquets. Vousjugezbien, Mademoiselle,
GALANT 61
que je n'ay pas perduune si belle occa- fion devous tenirparole. F'aychoisipar- my cegrand nombre un Perroquet d'un plumage tres particulier , &une Gue- nuche d'une petiteſſefort rare. Ce qu'il yade fâcheux , c'est que le Perroquet
neparle point François , que la Guenu- che ne sçait point danser , &que mesme elle est encore habillée à la Portugaise;
mais vous serez peut-estre bien aise d'estre leur Maiſtreſſe en toutes façons.
Vos Leçons leur apprendront la belle maniere. Tous les autres Perroquets ne Sçavent prononcerque des injures grof- fieres , & quand vous aurezinſtruit le voſtre , il sçaura dire des malices inge- nieuses. A voſtre Ecole la Guenuche
apprendra bien- toft la Bourrée & le
Menuët ; &fi vous avezſoin de l'ha biller à la mode & de voſtremain ,je
gage qu'on la trouvera plus propre &
demeilleur air que vostre petite laide Voisine. Cependant comme vous n'en- tendrez point d'abord le jargon ny de la Guenuche ny du Perroquet , je me crois obligé en vous les envoyant, d'estre aupres de vous leur Interprete. SansSça-
62 LE MERCVRE
voir la Langue de leur Pays, j'ay bien- toft compris leurs discours, parce qu'ils estoient tendres &amoureux..
Entendre àdemymotfut toûjoursmon
partage;
Si- toſt que l'on parle d'amour ,
Iln'eſt point pour moy de langage Qui ne foit clair comme le jour.
Pour vous ma , jeune Demoiselle,
Quand memes en François l'amour fertd'entretien ,
Malgré tout voſtre Eſprit , vous ne ré- pondez rien Et vousn'entendez pas la langue ma- ternelle;
Vous voila cependant dans la belle ſaiſon ,
Vous avez quatorze ans, à cet âge, ma Belle,
N'entendre pas l'Amour , mafoy cela s'appelle N'entendre pas raiſon.
Jeveux aujourd'huy tâcher devous rendre raisonnable , en vous faisant comprendre l'Histoire amoureuse de
GALAN T. 63 vostre Guenuche & de vostre Perroquet.
Aufſi- toft que ces deux petits Animauxfurent entre mes mains , ils parle- rent entr'eux certain jargon Moresque,
&j'entendis quele Perroquet reprochoit àla Guenucheſes ſingeries , & la Gue- nuche luy reprochoitſon caquet. Comme leursdiscours meſemblerent aſſez plai- Sans, j'entray dans leur conversation.
Ils enfurent d'abordsurpris , mais en- fin nous devinſmes familiers &fûmes bien toſt ſi grands Amis , que je les obligeay àme conter leurHistoire. Le Perroquet , comme le plus grand Cau- feur , voulut estre l'Historien ; &vo cy en François àpeu pres comme il pliqua en Moresque.. *
LYON
1893-
MaMere me donna le jour
Dans un Climat de la Guinée ,
Où le Soleil joint à l'Amour ,
Enflame tout toute l'année.
L'on n'y voit point de Cœur glacé,
N'yde Bergere indiferente;
Quand unBerger eſt empreſſé LaBergere ſe montre ardente.
64 LE MERCVRE
Là je vivois jadis enBerger fort coquet,
Aujourd'huyje ſuis Perroquet,
Car , helas ! ma Coqueterie ,
Queje nommois Galanterie ,
Choqua le cruel Cupidon ,
Qui ſans m'accorder de pardon ,
Fit de moy la Métamorphoſe ,
Queje vais vous conter en Profe.
Sur les bords du Fleuve Niger on ne fait pas l'amour ainſi que fur les bords de la Seine on du Rhône. On m'a dit
qu'icyla constance paſſe pour une vertu,
là elle paſſeroit pour un vice : En France un Amant bien reglé n'a beſoin que d'une Amante , &ſouvent en ayant une , il en a trop ; mais en Ethiopie les Galans ont beſoin de diverſes Maiſtref.
Ses , &nostre miserable Roy qui mourut ilyaquelque temps dans ce Royaume,
pourroit estre un témoin de cette verité.
Estant Berger je voyois ſuivant noftre coustume diverſesBergeres , &je témoi gnois à toutes beaucoup d'amour,mais àlaveritéje n'en reſſentois queres. Dans ma conversation, dans mes Chansons
GALANT. 65 dans mes Billets , je paroiſſois l' Amant du monde leplus ardent , &dans mon cœur ie mesentois fort tranquille; enfin tout mon amour n'estoit que du caquet.
Mais,helas ! depuis ce temps j'ay bien appris que Cupidon est un Dieu qui pu- nit cruellement le mensonge. Pour com.
mencer àse vanger demoy , il me fit devenir trop veritablement amoureux d'une petite Laide , plus volage &plus.
coquette que je n'estois , &c'est iuste.
ment Dame Guenuche que vous voyez là , qui a esté Bergere dans le temps que i'estois Berger. Apresavoir trompé tant de Perſonnes parmesfaux Sermens , ie ne pûs pas mesine perfuader mapetite Laide par des veritez tres- constantes.
Cependantpour mefaire mieux enrager,
au commencement elle fit mine de m'aimer, elle affecta toutes les petites ma- nieres d'une Perſonnefort paſſionnée, &
quand elle me vit bien ſenſiblement tou- ché , elle me fit cent malices & mequit- ta enfin pour un autre Bergerauffi laid qu'un vieux Singe.
Dieux ! qu'un Berger vivroit content
66 LE MERCVRE
Silchangeoit auffi-toft que changeſon Amante !
Mais,helas ! que de maux nous cauſe
une Inconftante,
Quandon ne peut être inconſtant !
L'amourque ieſentois pour mapetite Ingrate , & la haine que i'avois pour mon laid Rival , me mirent dans untel
deſeſpoir , que ie quitay mes Moutons,
&laſocietédes autres Bergers. Je m'en allay comme un furieux ,errant dans lesDeserts : ie déchiray mes habits , ie me couvris defeüilles d'arbres , &enfin
icdevins tout-à-fait infensé. L'Amour alors me voyantdans une Forest en estat demourir ,voulut meſauver la vie , &
ie nesçay si cefutparpitiéouparven- geance. Il changea mapeau &monha- bit en plumesde la couteur des feüilles
qui me couvroient , ma bouche en bec ,
mes bras en cuiſſes , &ainfi du reſte de
mon Corps. Voila comme ie me trouvay Perroquet , &ie vousiureque ien'en ay point confervé de regret.
Nehaïſſant plus monRival,
GALANT. 67 Etn'aimantplus mon Inconſtante Je ſens monAme plus contente ,
D'animer pour toûjours le Corps d'un Animal ,
Que celuy d'un Berger ,quand l'A- mour le tourmente.
Mapetite Laide ne demeura pas auſſiſans châtiment , parce qu'elle n'a- voit aiméqu'en apparence, & que toute fa tendreſſe n'avoit esté que fingerie ;
l'Amour n'ayant point esté trompépar ſes grimaces , voulut punirfonhipocri fie ,comme il avoit puny mon liberti- nage. Il la changea donc en Guenuche ; &comme c'estoit unepetite Berge- re fort laide &fort malicieuse , il n'eut
pas beaucoup depeine àfaire ce changement.
Depuis cette double Metamorphose nousavons vescu, maMaiſtreſſe &moy,
dans les Solitudes & dans les Forests.
Cependant nous n'eſtions pas tout -à-fait Sauvages , & cela est si vray que nous noussommes laislé prendre aux premiers Hommes qui ſeſont preſentez. D'abord onnous mena en Portugal , où l'humeur
68 LE MERCVRE
de la Nation ne nous plaiſoit gueres,
parcequele caquet &les fingeriesn'y ont pas tant de coursqu'en France , ou i'ap- prens que nous sommes auiourd'huy.
Nous nousyplaifons ſans doute ,parce que nous avons encoreconfervéquelque choſe de nostre premier caractere. Pour moy quipendantque i'estois Berger di- fois centfleurettesfans penser àce queie difois,iedis encore eftant Perroquet cent parolesfanssçavoir ce que ie dis. Pour ma Maistreffe , qui estant Bergerecon- trefaisoit l' Amante ſansſentird'amour,
&qui de plusfaisoit tous les jours mil- temalices , estant Guenuche elle enfait
encore, & contrefait mille choſesqu'elle voit faire.
Voila , me dit le Perroquet , noſtre Histoireiusques icy : c'est àvous, Mon- fieur, ànous apprendre le reſte. Dites- nous pourquoy nous sommes entre vos mains , &àquoy nousſommes deſtinez,
puis que vous nousfaitespartirpourun SecondVoyage. Acette question i'ay ré- pondude cettemaniere.
Allez trop heureux Animaux ,
GALAN T. 69
Voicy la fin de tous vos maux :
Aprenez que l'on vous deſtine Pour aller faire les plaiſirs D'une belle & jeune Blondine ,
Quidonne mille ardens defirs,
Etqui cauſe mille ſoûpirs Amille Amans qui n'oſent dire ,
Belle, c'est pour vous qu'on ſoûpire;
Vous, Peroquet , & nuit &jour ,
Vous luy pourrez parler d'amour ;
Vous pourrez dire , ie vous aime,
Sans vous attirer ſon courroux.
Que mon bonheur ſeroit extrême
Si j'ofois parler comme vous !
Vous Guenuche, VOS fingeries LYON
Loin de luy donnerdu chagrin,
La charmeront ſoir & matin ;
ODieux ! que'mes Galanteries N'ont-elles le meſmedeſtin !
C'est ainsi , Mademoiselle , que finit la conversation que i'ay cue avecvostre Perroquet & vostre Guenuche. L'ay crû que ie devois vous enfaire part,
quevousferiez bien aiſe deſçavoir leurs
Avantures, le pourrois bien tirer de cette Hiftoire une belle Morale en faveur de
70 LE MERCVRE l'Amour; mais belas ,je n'oferoisavec vous moraliſerſur cette matiere.
De Marſeille.
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Résumé : LE PERROQUET ET LA GUENUCHE. FABLE. A MADEMOISELLE DE M**
La fable 'Le Perroquet et la Guenuche' est adressée à Mademoiselle de M**. L'auteur décrit l'arrivée d'une barque de Lisbonne transportant des singes et des perroquets. Parmi eux, il choisit un perroquet au plumage particulier et une guenuche de petite taille. Cependant, le perroquet ne parle pas français et la guenuche ne sait pas danser, étant encore vêtue à la portugaise. L'auteur espère que la demoiselle pourra leur apprendre les bonnes manières, la danse et les habits à la mode. L'auteur raconte ensuite l'histoire amoureuse du perroquet et de la guenuche. Originaires de Guinée, ils vivaient autrefois comme bergers. Le perroquet, coquet et galant, séduisait plusieurs bergères sans ressentir de véritable amour. Cupidon le punit en le rendant amoureux d'une laide et volage bergère, la guenuche. Après avoir été trompé, le perroquet tomba dans le désespoir et fut transformé en perroquet. La guenuche, punie pour son hypocrisie, fut transformée en guenuche. Les deux animaux vécurent ensuite dans les solitudes et les forêts avant d'être capturés et emmenés au Portugal, puis en France. L'auteur les destine à la demoiselle, espérant qu'ils pourront lui parler d'amour et la charmer par leurs danses et leurs grimaces.
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17
p. 111-116
A MADAME DE F**
Début :
Je pars pour Marseille, & je vous jure, Madame, que [...]
Mots clefs :
Portrait, Esprit, Charmer, Madame
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texteReconnaissance textuelle : A MADAME DE F**
A MADAME DE F**
Epars pour Marseille ,
jure ,
je vous
Madame , quej'y vais malgré moy. Vous mefiſtes hier un Portrait que j'emporte dans lecœur , &i'ay peun que cefoit untrait empoisonnéquej'emporte.
Mais , dites-moy, ce beau Portrait ,
L'avez- vous fait d'apres nature ?
N'avez- vous point feint quelque trait,
Pour embellir voſtre peinture ?
Ce teint blanc , & ces blonds cheveux,
Cette main , ce bras, cette taille ,
CetEſprit tel que je le veux ,
Qui ſurprend , qui brille, qui raille,
Enfin cet amas ſans égal Debelles qualitez , dont moname eſt
ravie ,
}
GALANT. 71 Seroit- il dans l'Original ,
Tel qu'il eſt dans voſtreCopie ?
Si cela est , Madame,pour mon re- posiene dois iamais revenir à Aix ; ou plutost j'y dois bien-toſt revenir, car ie m'imagine qu'il eſt doux de perdre Son repos pour la Belle dont vous m'avez donné uneſi riche ideé.
Par tout ce que vous m'avez dit Vous avez charmé mon Eſprit ;
Voſtre Comteſſe eſt adorable :
Mais malgré les appas dont vous m'a- vezcharmé ,
Sibientoſt je n'en ſuis aimé,
Je declare d'abord qu'elle n'eſt point aimable.
Je suisd'un Mestier , où l'on n'aime pas à perdreson temps. Vous sçavez,
Madame, que nous autres Gens d'Af- faires nous sommes fort intereſſez ,&
que iamaisnousnefaiſons d'avances fi nous ne voyons un profit prompt afſſure.
72 LE MERCVRE
Jamais à la groſſe avanture Nous ne mettons ſoins ny ſoûpirs;
Nous voulons ſeureté meſme dans noſtre ufure ,
Et pretendons gagner cent pour cent enplaiſirs.
Sansnul ſcrupule en Gens fort ſages,
Nous nous faiſons payer l'intereſt d'un ſeul jour ,
Etcomme un Juifnoſtre amour
Ne preſte que ſur bons gages.
Il est bon , Madame , de donner cet avis àvôtre aimable Comteſſe,afin qu'el le examine ſi mon commerce la peut ac- commoder. Ie reviendray en cette Ville dans quelques jours , &fi elle me veut recevoir malgré mes uſures amoureuſes ,
i'iray chez elle étaler ma marchandise.
AAix,
Epars pour Marseille ,
jure ,
je vous
Madame , quej'y vais malgré moy. Vous mefiſtes hier un Portrait que j'emporte dans lecœur , &i'ay peun que cefoit untrait empoisonnéquej'emporte.
Mais , dites-moy, ce beau Portrait ,
L'avez- vous fait d'apres nature ?
N'avez- vous point feint quelque trait,
Pour embellir voſtre peinture ?
Ce teint blanc , & ces blonds cheveux,
Cette main , ce bras, cette taille ,
CetEſprit tel que je le veux ,
Qui ſurprend , qui brille, qui raille,
Enfin cet amas ſans égal Debelles qualitez , dont moname eſt
ravie ,
}
GALANT. 71 Seroit- il dans l'Original ,
Tel qu'il eſt dans voſtreCopie ?
Si cela est , Madame,pour mon re- posiene dois iamais revenir à Aix ; ou plutost j'y dois bien-toſt revenir, car ie m'imagine qu'il eſt doux de perdre Son repos pour la Belle dont vous m'avez donné uneſi riche ideé.
Par tout ce que vous m'avez dit Vous avez charmé mon Eſprit ;
Voſtre Comteſſe eſt adorable :
Mais malgré les appas dont vous m'a- vezcharmé ,
Sibientoſt je n'en ſuis aimé,
Je declare d'abord qu'elle n'eſt point aimable.
Je suisd'un Mestier , où l'on n'aime pas à perdreson temps. Vous sçavez,
Madame, que nous autres Gens d'Af- faires nous sommes fort intereſſez ,&
que iamaisnousnefaiſons d'avances fi nous ne voyons un profit prompt afſſure.
72 LE MERCVRE
Jamais à la groſſe avanture Nous ne mettons ſoins ny ſoûpirs;
Nous voulons ſeureté meſme dans noſtre ufure ,
Et pretendons gagner cent pour cent enplaiſirs.
Sansnul ſcrupule en Gens fort ſages,
Nous nous faiſons payer l'intereſt d'un ſeul jour ,
Etcomme un Juifnoſtre amour
Ne preſte que ſur bons gages.
Il est bon , Madame , de donner cet avis àvôtre aimable Comteſſe,afin qu'el le examine ſi mon commerce la peut ac- commoder. Ie reviendray en cette Ville dans quelques jours , &fi elle me veut recevoir malgré mes uſures amoureuſes ,
i'iray chez elle étaler ma marchandise.
AAix,
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Résumé : A MADAME DE F**
Dans une lettre adressée à Madame de F**, un homme d'affaires en route pour Marseille exprime son départ malgré lui, emportant un portrait de Madame qui l'a charmé. Il se questionne sur la fidélité de ce portrait et admire les qualités décrites. Prêt à sacrifier son repos pour elle, il mentionne également la comtesse de Madame, qu'il trouve adorable, mais souligne que son affection dépend du retour de ses sentiments. En tant qu'homme d'affaires, il ne fait pas d'avances sans garantie de profit, comparant son amour à un commerce nécessitant des assurances. Il invite la comtesse à évaluer si ce 'commerce' peut lui convenir et annonce son retour à Aix pour lui proposer ses services.
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18
p. 131-146
L'Amant vantousé, Histoire. [titre d'après la table]
Début :
Si ce dénombrement de Vaisseaux, d'Equipages & d'Armemens n'est [...]
Mots clefs :
Pédant, Connaissances, Amoureux, Exercices, Ventouses, Molière, Chirurgien, Rougeurs, Voiture, Opération
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texteReconnaissance textuelle : L'Amant vantousé, Histoire. [titre d'après la table]
Si ce dénombrement de
Vaiſſeaux ,d'Equipages &d'Ar- memens n'eſt pas du gouft de vos ſpirituelles Amies, l'Avan- ture quej'ay à vous conter aura peut- eftre pour elles quelque choſe de réjoüiffant. Ily a plus d'une Perſonne qui vous l'atteftera pour veritable , & je vous 12Conne fur la foy de Gens ſans reproche.
UnjeuneGentilhomme, ren- fermé juſqu'à vingt ans dans le
GALANT. 83
fonds de fa Province , ſous la dépendance d'un Pédant quiavoit tâché de luy apprendre beau- coup de chofes qu'il ne ſçavoit peut-eſtre pas trop bien luy- meſme, vint il y aquelquetemps à Paris pour y commencer ſes Exercices , & quand il y vint,
on peut dire qu'il eſtoit tout nouvellement débarqué.Il avoit des manieres embarraffées , &
ceux qui prenoient intereſt en luy , ne le virent pas longtemps fans s'appercevoir que l'Etude neluy avoit donné quedes Con- noiſſances maldigerées qui a- voient beſoin d'adouciſſement.
Comme il n'y a point d'Ecole plus propre àl'acquerirque cel- le des Femmes , fes Amis le menerent chez quelques Belles. II Les vit d'abordfans autredeſſein
que celuy de rendre ſesdevoirs
Dvj
84 LE MERCVRE
à d'aimables Perſonnes que fa naiffance engageoit à marquer de la confideration pour luy ;
mais infenfiblement il y prit goust , il eſtoit d'âge à aimer , il avoit un cœur; & une grande Brune dont les yeux eſtoient les plus dangereux du monde, eut tantde charmes pour luy , qu'il en devint éperduëment amou- reux. La Dame fut ſurpriſe de le voir plus ſouvent chez elle qu'elle ne l'auroit ſouhaité ! Elle eſtoit ſi bien faite , qu'elle n'eut pas de peine à deviner qui l'at- tiroit. Ses affiduitez ayant com- mencé à luy faire connoiſtre la.
paſſion qu'il avoit pour elle , fes regards &quelques foûpirs mat étouffez acheverent de l'en inftruire. Cette conqueſte lachagrina , elle n'eſtoit point d'un af fez grand poids pour luy faire
GALANT. 85
honneur, & l'expoſoit àdes im- portunitez fatiguantes pour une Perſonne qu'un cœur novice n'accommodoit pas. Elle feignit de n'entendre point ſes premie- res declarations , & pour s'en défaire en le rebutant , elle le
raitla fur quelques tlefauts dont il prenoit peine à ſe corriger , &
n'oublia pas fur tout à luyfaire connoiſtre ſon dégoutpour cer- taines rougeurs qu'il avoit fur le
viſage. Il aimoit la Dame , &
vouloit luy plaire à quelque prix que ce fuſt. Cedernier reproche luy donnoit de l'inquietude. II erut que ſes rougeurs eſtoient la feule choſe qui la choquoit , &
dans l'impatience d'y trouver
quelque remede , il fit confiden- ce de ſon ſecret àceluy qui l'a- voit mené chez elle , &qui ap- - prenoit ſes Exercices dans la
86 LE MERCVRE
meſme Académie que luy. Le Confident avoit veu le monde,
il aimoit à faire piece , & fans heſiter, il luy dit que ſi c'eſtoit là le ſeul obſtacle qui l'empef- chaſt d'avoir les bonnes graces de la Belle , il luy répondoitde fon bonheur. Il adjoûte que ces rougeurs venoient d'une abon- dance de fang qu'il eſtoitfacile dedétourner ,qu'il les avoit euës comme luy, & quepour éviterla guerre qu'on luy faifoit , il s'en eſtoit fait quite pardes Ventou- ſes appliquées ſur la partie que Moliere nous a fait ſi ſpirituelle- ment entendre , quanddans l'u- nedeſes Pieces il a fait dire pour infulter un Apotiquaire, qu'on voyoit bienqu'il n'eſtoit pas ac- couſtumé à parler àdes Viſages .
Le Gentil-homme auffi credule
que jeune , auroit voulu eftre
GALAN Τ. 87
ventousédans le meſme inſtant.
Il embraffe le Confident avec
une joye extraordinaire , & le conjure de ne point differer à
faire venir la meſme Perſonne
dont il s'eſt ſervy pourunepa- reille Opération. On prend jour au lendemain , un Chirurgien a le mot , & deux Amis com
muns font avertis de l'employ qu'ils doivent avoir dans la Pie- ce. LeConfidentamene le Chirurgien à l'heure marquée. Le Gentilhomme le prie den'épar- gner point ſon ſang , &fe cou- chant fur le ventre, il fouffre
l'application des Ventouſes qui fontunecopieuſe attraction.Les Scarifications ſuivent,on les fait
profondes , &apres que le Chi- rurgien en a recüeilly deux grandes paletes de ſang,il remet les Ventouſes, & feignant d'a
88 LE MERCVRE
voir oublié quelque choſe de neceffaire , il le quitte pour cou- rir juſques chez luy. Il eſt à pei- ne forty de la Chambre , qu'on entend du bruit dans l'Escalier.
C'eſtoient les deux Amis à qui on avoit appris le miftere. Ils entrent malgré le Patient qui veut qu'on ferme la porte , &
qui a bien de la peine à ſe tenir couché fur le coſté. Ils s'informent de ce qui peut l'arreſter au,
Lit , & apres une converſation generale d'un quart - d'heure l'un des deux paſſe dans une étroite ruelle ſous pretexte d'a-'
voir quelque ſecret à luy dire.
L'Amant Ventouse tourne la
teſte ſans ſe remier , &fon Amy le prie inutilement de s'appro- cher unpeudavantage. Il n'ofe luy dire en termes du galant Voiture , qu'il a pour ne le pas
7
३
He GALANT. 89
eier.
11
e
1
faire , une raiſon fondamentale fur laquelle il ne luy eſt pas permis d'apuyer. Il n'écoute que d'un peu loin cequ'on neluydi- roit pas fi on ne cherchoit à
l'embarraffer ; & enfin le Confident fait l'officieux en obligeant les nouveaux venus às'é- loigner. Le Chirurgien revient,
fil ofte les Ventouſes, &laiffe le Plaintif ſcarifié dansdes dou- Veurs dont il ne ſe conſole que par l'efperace de n'avoirplusles Tougeurs qui bleſſent les yeux de la Dame. Elle apprend du Confident le tour qu'il luy a
joué , & afin qu'il nejoüiffe pas ſeul du plaifirde cette Avantu- re, elle envoye prier le Gentil- homme de luy venir parler le lendemain. LeMeſſage luy étoit trop doux pour ne l'engager pas àſe faire une neceſſité de cette
१० LE MERCVRE
Viſite.Il ſe rend chez elle àpied,
car l'Opération eſtoit trop ré- cente , &ne laiſſoit aucune voiture commode pourluy. Onle mene dans leCabinetde la Belle , où il ne trouve que desEſca- beaux fort durs. Elle le fait affeoir malgré luy. Il fait centpo- ſtures qui l'inſtruiſent de ce
qu'il ſouffre , &jamais conver- ſation d'une Maîtreſſe ne parut ſi longue à un Amant. Il s'en tire le plutôt qui'l peut , & ce qui le chagrine, c'eſtqu'aubout de quelques jours , il s'apperçoit que ſes rougeurs augmentoient au lieu de diminuer. Il s'en
plaint à celuy qui est cauſedu Remede qu'il a eſſayé, & fa ré- ponſe eſt qu'il feroit bonde re- commencer , parce que les Ven- touſes n'ontpas efté affez long- temps appliquées. Il s'y ſeroit
GALANT. 91
refolu fans doute , s'il n'en euſt - demandé avis àquelqu'un qui - luy dit charitablement qu'on - luy faiſoit piece. Il avoit du coeur ,&ayant rencontré le ma- licieux Confident , il luy fait mettre l'épée à la main. Comme les diſgraces ſe ſuivent , il ne peut fi bien ſe ſervir de fon adreſſe , qu'il ne reçoive une fort large Bleſſure dontil eſt en- cor àpreſent au Lit.Il eſt certain qu'il en guérira , mais il ne l'eſt pas que ce nouveau ſangqu'ila
perdu faſſe ceſſer les rougeurs
Vaiſſeaux ,d'Equipages &d'Ar- memens n'eſt pas du gouft de vos ſpirituelles Amies, l'Avan- ture quej'ay à vous conter aura peut- eftre pour elles quelque choſe de réjoüiffant. Ily a plus d'une Perſonne qui vous l'atteftera pour veritable , & je vous 12Conne fur la foy de Gens ſans reproche.
UnjeuneGentilhomme, ren- fermé juſqu'à vingt ans dans le
GALANT. 83
fonds de fa Province , ſous la dépendance d'un Pédant quiavoit tâché de luy apprendre beau- coup de chofes qu'il ne ſçavoit peut-eſtre pas trop bien luy- meſme, vint il y aquelquetemps à Paris pour y commencer ſes Exercices , & quand il y vint,
on peut dire qu'il eſtoit tout nouvellement débarqué.Il avoit des manieres embarraffées , &
ceux qui prenoient intereſt en luy , ne le virent pas longtemps fans s'appercevoir que l'Etude neluy avoit donné quedes Con- noiſſances maldigerées qui a- voient beſoin d'adouciſſement.
Comme il n'y a point d'Ecole plus propre àl'acquerirque cel- le des Femmes , fes Amis le menerent chez quelques Belles. II Les vit d'abordfans autredeſſein
que celuy de rendre ſesdevoirs
Dvj
84 LE MERCVRE
à d'aimables Perſonnes que fa naiffance engageoit à marquer de la confideration pour luy ;
mais infenfiblement il y prit goust , il eſtoit d'âge à aimer , il avoit un cœur; & une grande Brune dont les yeux eſtoient les plus dangereux du monde, eut tantde charmes pour luy , qu'il en devint éperduëment amou- reux. La Dame fut ſurpriſe de le voir plus ſouvent chez elle qu'elle ne l'auroit ſouhaité ! Elle eſtoit ſi bien faite , qu'elle n'eut pas de peine à deviner qui l'at- tiroit. Ses affiduitez ayant com- mencé à luy faire connoiſtre la.
paſſion qu'il avoit pour elle , fes regards &quelques foûpirs mat étouffez acheverent de l'en inftruire. Cette conqueſte lachagrina , elle n'eſtoit point d'un af fez grand poids pour luy faire
GALANT. 85
honneur, & l'expoſoit àdes im- portunitez fatiguantes pour une Perſonne qu'un cœur novice n'accommodoit pas. Elle feignit de n'entendre point ſes premie- res declarations , & pour s'en défaire en le rebutant , elle le
raitla fur quelques tlefauts dont il prenoit peine à ſe corriger , &
n'oublia pas fur tout à luyfaire connoiſtre ſon dégoutpour cer- taines rougeurs qu'il avoit fur le
viſage. Il aimoit la Dame , &
vouloit luy plaire à quelque prix que ce fuſt. Cedernier reproche luy donnoit de l'inquietude. II erut que ſes rougeurs eſtoient la feule choſe qui la choquoit , &
dans l'impatience d'y trouver
quelque remede , il fit confiden- ce de ſon ſecret àceluy qui l'a- voit mené chez elle , &qui ap- - prenoit ſes Exercices dans la
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meſme Académie que luy. Le Confident avoit veu le monde,
il aimoit à faire piece , & fans heſiter, il luy dit que ſi c'eſtoit là le ſeul obſtacle qui l'empef- chaſt d'avoir les bonnes graces de la Belle , il luy répondoitde fon bonheur. Il adjoûte que ces rougeurs venoient d'une abon- dance de fang qu'il eſtoitfacile dedétourner ,qu'il les avoit euës comme luy, & quepour éviterla guerre qu'on luy faifoit , il s'en eſtoit fait quite pardes Ventou- ſes appliquées ſur la partie que Moliere nous a fait ſi ſpirituelle- ment entendre , quanddans l'u- nedeſes Pieces il a fait dire pour infulter un Apotiquaire, qu'on voyoit bienqu'il n'eſtoit pas ac- couſtumé à parler àdes Viſages .
Le Gentil-homme auffi credule
que jeune , auroit voulu eftre
GALAN Τ. 87
ventousédans le meſme inſtant.
Il embraffe le Confident avec
une joye extraordinaire , & le conjure de ne point differer à
faire venir la meſme Perſonne
dont il s'eſt ſervy pourunepa- reille Opération. On prend jour au lendemain , un Chirurgien a le mot , & deux Amis com
muns font avertis de l'employ qu'ils doivent avoir dans la Pie- ce. LeConfidentamene le Chirurgien à l'heure marquée. Le Gentilhomme le prie den'épar- gner point ſon ſang , &fe cou- chant fur le ventre, il fouffre
l'application des Ventouſes qui fontunecopieuſe attraction.Les Scarifications ſuivent,on les fait
profondes , &apres que le Chi- rurgien en a recüeilly deux grandes paletes de ſang,il remet les Ventouſes, & feignant d'a
88 LE MERCVRE
voir oublié quelque choſe de neceffaire , il le quitte pour cou- rir juſques chez luy. Il eſt à pei- ne forty de la Chambre , qu'on entend du bruit dans l'Escalier.
C'eſtoient les deux Amis à qui on avoit appris le miftere. Ils entrent malgré le Patient qui veut qu'on ferme la porte , &
qui a bien de la peine à ſe tenir couché fur le coſté. Ils s'informent de ce qui peut l'arreſter au,
Lit , & apres une converſation generale d'un quart - d'heure l'un des deux paſſe dans une étroite ruelle ſous pretexte d'a-'
voir quelque ſecret à luy dire.
L'Amant Ventouse tourne la
teſte ſans ſe remier , &fon Amy le prie inutilement de s'appro- cher unpeudavantage. Il n'ofe luy dire en termes du galant Voiture , qu'il a pour ne le pas
7
३
He GALANT. 89
eier.
11
e
1
faire , une raiſon fondamentale fur laquelle il ne luy eſt pas permis d'apuyer. Il n'écoute que d'un peu loin cequ'on neluydi- roit pas fi on ne cherchoit à
l'embarraffer ; & enfin le Confident fait l'officieux en obligeant les nouveaux venus às'é- loigner. Le Chirurgien revient,
fil ofte les Ventouſes, &laiffe le Plaintif ſcarifié dansdes dou- Veurs dont il ne ſe conſole que par l'efperace de n'avoirplusles Tougeurs qui bleſſent les yeux de la Dame. Elle apprend du Confident le tour qu'il luy a
joué , & afin qu'il nejoüiffe pas ſeul du plaifirde cette Avantu- re, elle envoye prier le Gentil- homme de luy venir parler le lendemain. LeMeſſage luy étoit trop doux pour ne l'engager pas àſe faire une neceſſité de cette
१० LE MERCVRE
Viſite.Il ſe rend chez elle àpied,
car l'Opération eſtoit trop ré- cente , &ne laiſſoit aucune voiture commode pourluy. Onle mene dans leCabinetde la Belle , où il ne trouve que desEſca- beaux fort durs. Elle le fait affeoir malgré luy. Il fait centpo- ſtures qui l'inſtruiſent de ce
qu'il ſouffre , &jamais conver- ſation d'une Maîtreſſe ne parut ſi longue à un Amant. Il s'en tire le plutôt qui'l peut , & ce qui le chagrine, c'eſtqu'aubout de quelques jours , il s'apperçoit que ſes rougeurs augmentoient au lieu de diminuer. Il s'en
plaint à celuy qui est cauſedu Remede qu'il a eſſayé, & fa ré- ponſe eſt qu'il feroit bonde re- commencer , parce que les Ven- touſes n'ontpas efté affez long- temps appliquées. Il s'y ſeroit
GALANT. 91
refolu fans doute , s'il n'en euſt - demandé avis àquelqu'un qui - luy dit charitablement qu'on - luy faiſoit piece. Il avoit du coeur ,&ayant rencontré le ma- licieux Confident , il luy fait mettre l'épée à la main. Comme les diſgraces ſe ſuivent , il ne peut fi bien ſe ſervir de fon adreſſe , qu'il ne reçoive une fort large Bleſſure dontil eſt en- cor àpreſent au Lit.Il eſt certain qu'il en guérira , mais il ne l'eſt pas que ce nouveau ſangqu'ila
perdu faſſe ceſſer les rougeurs
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Résumé : L'Amant vantousé, Histoire. [titre d'après la table]
Le texte narre l'histoire d'un jeune gentilhomme élevé dans la province par un pédant. Arrivé à Paris pour ses études, il se montre d'abord maladroit et mal à l'aise. Ses amis l'introduisent dans la société parisienne, notamment auprès de femmes. Il s'éprend d'une grande brune qui, bien que flattée, est gênée par ses visites fréquentes et ses déclarations maladroites. Pour se débarrasser de lui, elle critique ses rougeurs au visage. Désireux de plaire à la dame, le jeune homme consulte un ami qui lui suggère d'utiliser des ventouses pour éliminer les rougeurs. Le gentilhomme accepte et subit l'opération, qui se révèle douloureuse et inefficace. Entre-temps, ses amis lui jouent un tour en lui révélant la vérité sur l'opération. La dame, informée de la plaisanterie, invite le gentilhomme pour en discuter. Il découvre ensuite que ses rougeurs ont empiré. Informé que l'opération doit être répétée, il décide de confronter son ami, ce qui aboutit à un duel où il est gravement blessé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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19
p. 11-41
Histoire des deux Maris jaloux. [titre d'après la table]
Début :
Deux Marys que vous voulez bien que je me dispense [...]
Mots clefs :
Jaloux, Commissaire, Galanterie, Jardin, Musique, Cabinet, Dames, Maris, Jeux, Tuileries, Carosse, Fête, Histoire, Point d'honneur, Plaisir, Cavaliers
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texteReconnaissance textuelle : Histoire des deux Maris jaloux. [titre d'après la table]
Deux
vous
Marys quGTHEADS
voulez bien que je me YON
diſpenſe de vous nommer ,
prennent ſouvent d'inutiles ſur des ſoupçons mal fondez qui leur font paffer de méchantes heures. Ils font tous deux dans
les Charges , tous deux impi- toyablement délicats fur le
Point-d'honneur , & par con- ſequent tous deux jaloux ,juf- qu'à trouver du crime dans les plus innocentes converſations.
La femme de l'un eſt une blode
Av
10 LE MERCVRE
bienfaite,d'une taille fine,&dé
gagée,l'œil bien fendu, &un vi- ſage qu'on peut dire avoir eſté fait au tour. L'autre a pourFem- me une grande Brune, qui a la douceur meſme peinte dans les yeux , le teint uny , le nez. bien taillé , la bouche agreable,
& des dents à ſe récrier. Ces
deux Dames qui n'ont pas moins d'eſprit que de beauté,
ont encor plus de vertu que d'eſprit , mais cette vertu n'eſt point farouche; &comme elles font fort éloignées de l'âge où il ſemble qu'il y ait quelque obli- gation de renoncer aux plaifirs le Jeu, la Comedie , l'Opera, &
les Promenades, font desdiver--
tiffemens qu'elles ne ſe refuſens point dans l'occaſion. Il y aune étroite amitié entre elles , &
cette amitié a peut-eſtre fait la
GALANT... IT
liaiſon des Marys qui ſe ſont gaſtez l'un l'autre , en ſe dé- couvrant leur jaloufie. Vous jugez bien, Madame , que cette conformité de ſentimens les a
fait agir de concert pour le re- mede d'un mal qui les tient dans une continuelle inquietu- de. C'eſt ce qui embarraffe ces deux aimables Perſonnes , qui ne ſçauroientpreſque plus faire aucune agreable Partie fans qu'un des Marys ſoit leurfur- veillant. A dire vray , la trop exacte vigilance n'eſt pas moins incommode qu'injurieufe.Quel- que tendreſſe qu'une Femme puiffe avoir pour celuy àqui le Sacrement la tientattachée,elle n'aime point à luy voir faire le perſonnage d'Argus. Tout ce qui marque de la défiance luy tiento lieu d'outrage ; & les
12 LE MERCVRE
Marys ayant leurs heuresdere- ſerve dont perſonne ne vient troubler la douceur , il eſt juſte qu'ils abandonnent les inutiles àceux qui n'en profitent ja- mais fans témoins. LesDames
dontje vous parle devenuës in- ſéparables & par leur veritable amitié , & par le fâcheux ra- port de leur fortune , n'ou- blioient rien pour ſe dérober ,
quand elles pouvoient , aux yeux de leurs importuns Ef- pions. Ce n'eſt pas , comme je vous l'ay déja dit , qu'elles euf- ſent aucune intrigue qui pût mettre leur vertu en péril , mais il ſuffiſoit qu'on fe défiaft de leur conduite pour leur faire prendre plaifir à ſe débaraſſer de leurs Jaloux , &c'eſtoit pour elles un ſujet de joye incroya- ble qu'une Partie d'Opera ou de
GALANT. 13 Promenade faite en ſecret.
Parmy ceux dont le Jeu leur
avoit donné la connoiſſance
( car fi elles ne pouvoient s'em- peſcher d'eſtre obſervées , elles s'eſtoient miſes ſur le pied de faire une partie de ce qu'elles vouloient ) deux Cavaliers
auſſi civils que galants , leur avoient fait connoiſtre par quelques affiduitez que le plai- fir de contribuer à les divertir
eſtoit un plaiſir ſenſible pour eux. Elles meritoient bien leurs
complaiſances , & l'agrément de leur humeur joint à leur beauté qui n'eſtoit pas médiocre, pouvoit ne pas borner en- tierement à l'eſtime les ſentimens qu'ils tâchoient quelque- foisdeleur découvrir. Ils étoient
Amis, &quand ces Belles trou- voient l'occaſion de Lquelque
7
14 LE MERCVRE divertiſſement à prendre ſans leur garde accoûtumée , elles n'eſtoient point fâchées d'en faire la Partie avec eux, Dans
cette diſpoſition , voicy ce qui leur arriva pendant que les jours eſtoient les plus longs;
car , Madame , je croy que le temps ne fait rien aupres de vous à la choſe,& qu'une avan- ture du Mois deJuillet que vous ignorez ne vous plaira pas moins à écouter qu'une Avanture du Mois de Decembre. On
m'en apprend de tous les co- ftez , & ne vous les pouvant écrire toutes à la fois, j'en garde les Memoires pour vous en fai- re un Article felon l'ordre de
leur ancienneté.
Le Jeu ſervant toûjours de prétexte aux Dames àrecevoir les vifites des Cavaliers, tantoſt
GALANT. 15 chez l'une , &tantoft chez l'autre, la Feſte d'un des deux arrive. Elles luy envoyent cha- cune un Bouquet. Cela ſe pra- tique dans le monde. Illeur en marque ſa reconnoiffance par des Vers galans, &par une tres- inftante priere de prendre jour pour venir ſouper dans une fort . belle Maiſon qu'il a aupres d'u- ne des Portes de la Ville , où il
les attendra avec ſon Amy. Le Party eſt accepté , mais l'impor- tance eſt de venir à bout de la
défiance des Marys qu'on ne veut point mettre de la Feſte.
Heureuſement pour elles , il fe
trouvent tous deux chargez d'affaires en mefme temps. On choiſit ce jour. Le Cavalier eſt averty. Les ordres ſont donnez,
&il ne s'agit plus que d'exe- cuter. Les Dames feignent de vouloir alter ſurprendre une de
16 LE MERCVRE
leurs Amies qui est à une lieuë
de Paris , & d'où elles ne doivent revenir qu'au frais. Undes
Marys les veut obliger à remet- tre au lendemain , afin de leur
tenir compagnie,&de ſe délaf- ſer un peude l'accablement des affaires. Il n'en peut rien obte- nir , & fur cette conteftation
arriva un Laquais de la Dame qui les avertit de fon retour, &
qu'elle viendra joüer l'apreſdî- née avec elles. Leurs meſures
font rompuës par ce contre- temps. Lesdeux Amies diffimu- lent. Refuſer une Partie de Jeu
pour en propoſer une autre qui les laiſſe diſparoiſtre pour tout le reſte du jour , ce ſeroit don- ner de legitimes foupçons. Elles joüent, demeurent à ſouper en- ſemble apres que le Jeu eſt finy,
&feignent d'y avoir gagné un malde teſte qui leur ofte l'ap
GALANT. 17.
pétit , & qui ne peut eftre fou- lagé que par une Promenade aux Thuilleries. On met les
Chevaux au Caroffe. LeMary que leur empreſſement à vou loir faire une Partie de Campagne fans luy, avoit déja com- mencé d'inquieter , les fait fui- vre parun petit home inconnu qui entre avec elles aux ThuiLGENDEDA
leries, &les envoyant fortir in- continent par la Porte qui eft du cofté de l'eau , & monter dans une Chaiſe Roulante
qu'elles avoient donné ordre qu'on y fiſt venir, découvre le
lieu du Rendez vous, &en vient
donner avis au Mary. Le coup eftoit rude pour un Jaloux. H
court chez fon Afſocié en ja- loufie ,luy conte leur commun defaſtre , & luy faiſant quitter les Affaires qu'il n'avoit pas en-
18 LE MERCVRE
cor achevé de terminer , le me ne où la Feſte ſe donnoit. Ils
trouvent moyen d'entrer dans la Court ſans eſtre veus , & fe gliffent de là dans le Jardin ,
d'où ils peuvent aifément dé- couvrir tout ce qui ſe paſſe dans la Salle. Elle estoit éclairée d'un fort grand nombre de Bougies. Ils s'approchent des Feneſtres à la faveur de quel- quesArbresfait enBuiffons; &
quoy qu'ils ne remarquent rien qui ſente l'intrigue dans les ref- pectueuſes manieres dont les Cavaliers en uſent avec leurs
Femmes , elles leur paroiſſent de trop bonne humeur en leur abfence,&ils voudroient qu'el- les ne ſe montraſſent aimables
que pour eux. Le Soupé s'ache- ve au fon des Hautbois qui prennent le chemin du Jardin
GALANT. 19 où la Compagnie les ſuit. Les Marys qui veulent voir à quoy l'Avanture aboutira, ſe retirent
dans un Cabinet de verdure
où ils demeurent cachez. Les
Dames ont à peine fait un tour d'Allée , qu'elles voyent l'air tout couvert de Fuſées volantes , qui fortent du fonds du
Jardin; les Etoilles & les Serpentaux qu'elles font paroiſtre tout - à - coup , les divertiſſent plus agreablement que leurs Marys, qui ne font pas en eſtat de goufter le plaifir de cette ſurpriſe. L'aimable Brune dont je vous ayfait le Portrait prend une de ces Fuſées , & la veut
tirer elle - meſme. Celuy qui donne la Feſte s'y eftant inuti- lementoppoſé,luy metunMou- choir ſur le cou ,dans la crainte qu'elle ne ſe brûle. LeMary
20 LE MERCVRE
perdpatience,il veut s'échaper.
Celuy qui eft avec luy dans le Cabinet l'arreſte , &àluy-mef
me beſoin d'eſtre arreſté au
moindre mot qu'il voit qu'on dittout bas àſa Femme. Jamais
Jaloux ne ſouffrirent tant. Ils
frapent des pieds contre terre,
atrachent des feüilles , & les
mangentde rage , & on pretend qu'un des deux penſa crever d'uneChenille qu'il avala.Apres quelques Menuets danſez dans
lagrande Allée , on vient dire aux Dames qu'un Baffin de Fruit les attendoit dans la Salle
pour les rafraiſchir. Ellesy re- tournent & n'y tardent qu'un moment , parce que minuit qui ſonne leur faitune neceſſité de
ſe retirer. Les Cavaliers les accompagnent juſqu'à leur Chai- ſe roulante qu'elles quittent
GALAN T. 21
pour aller reprendre leur Ca- roſſe qu'elles ont laiſſe àl'autre Porte des Thuilleries,&cependant les Hautbois qui ne font
point avertis de leur départ continuëntà joüer dans le Jar- din. Leurprefence eſt un obſta- cle fâcheux à l'impatience des Réclus du Cabinetde verdure
qui brûlentd'en fortir pour s'ap- procher des Feneſtres comme ilsont fait pendant le Soupé. Il eſtvrayqu'ils nedemeurentpas long-tempsdans cette contrain- te, mais ils n'en ſont affranchis
que pour ſouffrir encor plus cruellement. Un de ces Mefſieurs de la Muſique champe- ſtre eſtant entré dans la Salle
pour demander quelque choſe àceluyqui les employoit, reviết dire àſes Compagnonsqu'il n'y avoit plus trouvé perſonne,&
22 LE MERCVRE
qu'il n'avoit pû fçavoir ce que la Compagnie eſtoit devenuë.
Les Marys l'entendent , & c'eſt un coup de foudre pour eux.
Leur jaloufie ne leur laiſſe rien imaginer que de funeſte pour leur honneur. Ils peſtent contre eux-meſmes de leur lâche pa- tience àdemeurer fi long- temps témoins de leur honte, & ne
doutant point que leurs Fem- mes ne ſoientdans quelqueCa- binet avec leurs Amans, ils fortent du Jardin,montent en haut,
vontde Chambre en Chambre,
& trouvant une Porte fermée,
ils font tous leurs efforts pour l'enfoncer. UnDomeſtique ac- court à cebruit. Il a beau leur
demander à qui ils en veulent. Point de réponſe. Ils continuent à donner des pieds contre la Porte, & le Domestique qui
GALANT. 23 n'eſt point aſſez fort pour les retenir , commence à crier aux Voleurs de toute ſa force. Ces cris mettent toute la Maiſon en
rumeur. On vient au ſecours.
Chacun eſt armé de ce qu'il a
pûtrouver à la haſte, &le Maî tre-d'Hoſtel tient unMouſque- ton qu'il n'y a pas plaifir d'ef- ſuyer. Nos Deſeſperez le crai- gnent. Ils moderent leur em- portement , & on ne voit plus que deux Hommes interdits ,
qui ſans s'expliquer enragent de ce qu'on met obſtacle à
leur entrepriſe. Comme ils ne ſont connus de perſonne,
&qu'ils n'ont point leurs Ha- bits de Magiſtrature , on prend leur filence pour une convi- ction de quelque deſſein crimi- nel; & afin de les faire parler malgré eux,leMaiſtre-d'Hoſtel
ここ
24 LE MERCVRE envoye chercher un Commiffaire ſans leur en rien dire , &
les fait garder fort ſoigneuſe- mentjuſqu'à ce qu'il ſoit arrivé.
Cependant les Cavaliers qui ont remené les Dames aux
Thuilleries , reviennent au lieu
où s'eſt donné le Repas, &font furpris de voir en entrantqu'on amene un Commiſſaire. Ils en
demandent la cauſe. Onleur dit
que pendant que tout le mon- de eſtoit occupé en bas à met- tre la Vaiſſelle d'argent en ſeû- reté , deux Voleurs s'eſtoient
coulez dans les Chambres , &
avoient voulu enfoncer un Cabinet.Ilycourent avec le Com- miſſaire qui les livre pendus dans trois jours. Jugez de l'é- tonnement où ils ſe trouvent
quand on leur montre les pre tendus Criminels. Le Commiffaire
GALANT. 25
faire qui les reconnoiſt ſe tire
d'affaire en habile- Homme, &
feignant de croire que ce font eux qui l'ont envoyé chercher,
il leur demande en quoy ils ont beſoin defon miniftere. Ils l'obligent à s'en retourner chez luy, ſans s'éclaircir de la bévcuë quil'a fait appeller inutilement;
& les Cavaliers qui devinent une partie de la verité , ayant fait retirer leurs Gens, leurofrét
telle réparation qu'ils voudront de l'inſulte qu'on leur a faite ſans les connoiſtre. C'eſt là que le myſtere de la Feſte ſe déve- lope. Celuy qui l'a donnée leur découvre qu'elle eſt la fuite
d'unBouquet reçeu,&qu'ayant prié les Damesd'obtenir d'eux qu'ils luy fiffent l'honneur d'en venir partager le divertiſſement avec elles, il avoit eu le chagrin
Tome X. B
26 LE MERCVRE
d'apprendre qu'unembarras im- preveu d'affaires n'avoit pas permis qu'ils les pûffent accom- pagner; qu'il venoit de les re- mener chez elles, &qu'il eſpe-- roit trouver une occafion plus favorable de lier avec eux une
Partie de plaifir. Tandis qu'il ajoûte à ces excuſes des civili- tez qui adouciſſent peu à peu la colere de nos Jaloux , fon Amy envoye promptement avertir les Dames de ce qui vient d'ar- river,afin qu'elles prenent leurs meſures ſur ce qu'elles auront à
dire à leurs Marys. Ils quitent les Cavaliers fatisfaits en appa- rence de cette défaite,&fort réfolus de faire un grand chapitre àleursFemmes, Elles prévien- nent leur méchante humeur ,
& les voyant retourner cha- grins,elles leur content en riant
GALANT. 27 la malice qu'elles leur ont faite de neles mettre pas d'une Par- tie dont on avoit ſouhaité qu'ils fuſſent ; ce qui devoit leur fai- re connoiſtre que quand les Femmes ont quelque deſſein en teſte , elles trouvent toûjours moyen de l'executer. Les Ma- rys ſe le tirent pour dit ; &
ceux qui ont ſçeu les circon- ſtances de l'Hiſtoire , aſſurent que depuis ce temps-là ils ont donné à leurs Femmes beaucoup plus de liberté qu'ils ne leur en laiſſoient auparavant.
C'étoit le meilleur party à pren- dre pour eux. Lebeau Sexe eſt
ennemyde la contrainte, & telle n'auroit jamais la moindre tentation degalanterie, quin'en refuſe pas quelquefois l'occa- fion pour punir un Mary de ſa défiance.
t
vous
Marys quGTHEADS
voulez bien que je me YON
diſpenſe de vous nommer ,
prennent ſouvent d'inutiles ſur des ſoupçons mal fondez qui leur font paffer de méchantes heures. Ils font tous deux dans
les Charges , tous deux impi- toyablement délicats fur le
Point-d'honneur , & par con- ſequent tous deux jaloux ,juf- qu'à trouver du crime dans les plus innocentes converſations.
La femme de l'un eſt une blode
Av
10 LE MERCVRE
bienfaite,d'une taille fine,&dé
gagée,l'œil bien fendu, &un vi- ſage qu'on peut dire avoir eſté fait au tour. L'autre a pourFem- me une grande Brune, qui a la douceur meſme peinte dans les yeux , le teint uny , le nez. bien taillé , la bouche agreable,
& des dents à ſe récrier. Ces
deux Dames qui n'ont pas moins d'eſprit que de beauté,
ont encor plus de vertu que d'eſprit , mais cette vertu n'eſt point farouche; &comme elles font fort éloignées de l'âge où il ſemble qu'il y ait quelque obli- gation de renoncer aux plaifirs le Jeu, la Comedie , l'Opera, &
les Promenades, font desdiver--
tiffemens qu'elles ne ſe refuſens point dans l'occaſion. Il y aune étroite amitié entre elles , &
cette amitié a peut-eſtre fait la
GALANT... IT
liaiſon des Marys qui ſe ſont gaſtez l'un l'autre , en ſe dé- couvrant leur jaloufie. Vous jugez bien, Madame , que cette conformité de ſentimens les a
fait agir de concert pour le re- mede d'un mal qui les tient dans une continuelle inquietu- de. C'eſt ce qui embarraffe ces deux aimables Perſonnes , qui ne ſçauroientpreſque plus faire aucune agreable Partie fans qu'un des Marys ſoit leurfur- veillant. A dire vray , la trop exacte vigilance n'eſt pas moins incommode qu'injurieufe.Quel- que tendreſſe qu'une Femme puiffe avoir pour celuy àqui le Sacrement la tientattachée,elle n'aime point à luy voir faire le perſonnage d'Argus. Tout ce qui marque de la défiance luy tiento lieu d'outrage ; & les
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Marys ayant leurs heuresdere- ſerve dont perſonne ne vient troubler la douceur , il eſt juſte qu'ils abandonnent les inutiles àceux qui n'en profitent ja- mais fans témoins. LesDames
dontje vous parle devenuës in- ſéparables & par leur veritable amitié , & par le fâcheux ra- port de leur fortune , n'ou- blioient rien pour ſe dérober ,
quand elles pouvoient , aux yeux de leurs importuns Ef- pions. Ce n'eſt pas , comme je vous l'ay déja dit , qu'elles euf- ſent aucune intrigue qui pût mettre leur vertu en péril , mais il ſuffiſoit qu'on fe défiaft de leur conduite pour leur faire prendre plaifir à ſe débaraſſer de leurs Jaloux , &c'eſtoit pour elles un ſujet de joye incroya- ble qu'une Partie d'Opera ou de
GALANT. 13 Promenade faite en ſecret.
Parmy ceux dont le Jeu leur
avoit donné la connoiſſance
( car fi elles ne pouvoient s'em- peſcher d'eſtre obſervées , elles s'eſtoient miſes ſur le pied de faire une partie de ce qu'elles vouloient ) deux Cavaliers
auſſi civils que galants , leur avoient fait connoiſtre par quelques affiduitez que le plai- fir de contribuer à les divertir
eſtoit un plaiſir ſenſible pour eux. Elles meritoient bien leurs
complaiſances , & l'agrément de leur humeur joint à leur beauté qui n'eſtoit pas médiocre, pouvoit ne pas borner en- tierement à l'eſtime les ſentimens qu'ils tâchoient quelque- foisdeleur découvrir. Ils étoient
Amis, &quand ces Belles trou- voient l'occaſion de Lquelque
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14 LE MERCVRE divertiſſement à prendre ſans leur garde accoûtumée , elles n'eſtoient point fâchées d'en faire la Partie avec eux, Dans
cette diſpoſition , voicy ce qui leur arriva pendant que les jours eſtoient les plus longs;
car , Madame , je croy que le temps ne fait rien aupres de vous à la choſe,& qu'une avan- ture du Mois deJuillet que vous ignorez ne vous plaira pas moins à écouter qu'une Avanture du Mois de Decembre. On
m'en apprend de tous les co- ftez , & ne vous les pouvant écrire toutes à la fois, j'en garde les Memoires pour vous en fai- re un Article felon l'ordre de
leur ancienneté.
Le Jeu ſervant toûjours de prétexte aux Dames àrecevoir les vifites des Cavaliers, tantoſt
GALANT. 15 chez l'une , &tantoft chez l'autre, la Feſte d'un des deux arrive. Elles luy envoyent cha- cune un Bouquet. Cela ſe pra- tique dans le monde. Illeur en marque ſa reconnoiffance par des Vers galans, &par une tres- inftante priere de prendre jour pour venir ſouper dans une fort . belle Maiſon qu'il a aupres d'u- ne des Portes de la Ville , où il
les attendra avec ſon Amy. Le Party eſt accepté , mais l'impor- tance eſt de venir à bout de la
défiance des Marys qu'on ne veut point mettre de la Feſte.
Heureuſement pour elles , il fe
trouvent tous deux chargez d'affaires en mefme temps. On choiſit ce jour. Le Cavalier eſt averty. Les ordres ſont donnez,
&il ne s'agit plus que d'exe- cuter. Les Dames feignent de vouloir alter ſurprendre une de
16 LE MERCVRE
leurs Amies qui est à une lieuë
de Paris , & d'où elles ne doivent revenir qu'au frais. Undes
Marys les veut obliger à remet- tre au lendemain , afin de leur
tenir compagnie,&de ſe délaf- ſer un peude l'accablement des affaires. Il n'en peut rien obte- nir , & fur cette conteftation
arriva un Laquais de la Dame qui les avertit de fon retour, &
qu'elle viendra joüer l'apreſdî- née avec elles. Leurs meſures
font rompuës par ce contre- temps. Lesdeux Amies diffimu- lent. Refuſer une Partie de Jeu
pour en propoſer une autre qui les laiſſe diſparoiſtre pour tout le reſte du jour , ce ſeroit don- ner de legitimes foupçons. Elles joüent, demeurent à ſouper en- ſemble apres que le Jeu eſt finy,
&feignent d'y avoir gagné un malde teſte qui leur ofte l'ap
GALANT. 17.
pétit , & qui ne peut eftre fou- lagé que par une Promenade aux Thuilleries. On met les
Chevaux au Caroffe. LeMary que leur empreſſement à vou loir faire une Partie de Campagne fans luy, avoit déja com- mencé d'inquieter , les fait fui- vre parun petit home inconnu qui entre avec elles aux ThuiLGENDEDA
leries, &les envoyant fortir in- continent par la Porte qui eft du cofté de l'eau , & monter dans une Chaiſe Roulante
qu'elles avoient donné ordre qu'on y fiſt venir, découvre le
lieu du Rendez vous, &en vient
donner avis au Mary. Le coup eftoit rude pour un Jaloux. H
court chez fon Afſocié en ja- loufie ,luy conte leur commun defaſtre , & luy faiſant quitter les Affaires qu'il n'avoit pas en-
18 LE MERCVRE
cor achevé de terminer , le me ne où la Feſte ſe donnoit. Ils
trouvent moyen d'entrer dans la Court ſans eſtre veus , & fe gliffent de là dans le Jardin ,
d'où ils peuvent aifément dé- couvrir tout ce qui ſe paſſe dans la Salle. Elle estoit éclairée d'un fort grand nombre de Bougies. Ils s'approchent des Feneſtres à la faveur de quel- quesArbresfait enBuiffons; &
quoy qu'ils ne remarquent rien qui ſente l'intrigue dans les ref- pectueuſes manieres dont les Cavaliers en uſent avec leurs
Femmes , elles leur paroiſſent de trop bonne humeur en leur abfence,&ils voudroient qu'el- les ne ſe montraſſent aimables
que pour eux. Le Soupé s'ache- ve au fon des Hautbois qui prennent le chemin du Jardin
GALANT. 19 où la Compagnie les ſuit. Les Marys qui veulent voir à quoy l'Avanture aboutira, ſe retirent
dans un Cabinet de verdure
où ils demeurent cachez. Les
Dames ont à peine fait un tour d'Allée , qu'elles voyent l'air tout couvert de Fuſées volantes , qui fortent du fonds du
Jardin; les Etoilles & les Serpentaux qu'elles font paroiſtre tout - à - coup , les divertiſſent plus agreablement que leurs Marys, qui ne font pas en eſtat de goufter le plaifir de cette ſurpriſe. L'aimable Brune dont je vous ayfait le Portrait prend une de ces Fuſées , & la veut
tirer elle - meſme. Celuy qui donne la Feſte s'y eftant inuti- lementoppoſé,luy metunMou- choir ſur le cou ,dans la crainte qu'elle ne ſe brûle. LeMary
20 LE MERCVRE
perdpatience,il veut s'échaper.
Celuy qui eft avec luy dans le Cabinet l'arreſte , &àluy-mef
me beſoin d'eſtre arreſté au
moindre mot qu'il voit qu'on dittout bas àſa Femme. Jamais
Jaloux ne ſouffrirent tant. Ils
frapent des pieds contre terre,
atrachent des feüilles , & les
mangentde rage , & on pretend qu'un des deux penſa crever d'uneChenille qu'il avala.Apres quelques Menuets danſez dans
lagrande Allée , on vient dire aux Dames qu'un Baffin de Fruit les attendoit dans la Salle
pour les rafraiſchir. Ellesy re- tournent & n'y tardent qu'un moment , parce que minuit qui ſonne leur faitune neceſſité de
ſe retirer. Les Cavaliers les accompagnent juſqu'à leur Chai- ſe roulante qu'elles quittent
GALAN T. 21
pour aller reprendre leur Ca- roſſe qu'elles ont laiſſe àl'autre Porte des Thuilleries,&cependant les Hautbois qui ne font
point avertis de leur départ continuëntà joüer dans le Jar- din. Leurprefence eſt un obſta- cle fâcheux à l'impatience des Réclus du Cabinetde verdure
qui brûlentd'en fortir pour s'ap- procher des Feneſtres comme ilsont fait pendant le Soupé. Il eſtvrayqu'ils nedemeurentpas long-tempsdans cette contrain- te, mais ils n'en ſont affranchis
que pour ſouffrir encor plus cruellement. Un de ces Mefſieurs de la Muſique champe- ſtre eſtant entré dans la Salle
pour demander quelque choſe àceluyqui les employoit, reviết dire àſes Compagnonsqu'il n'y avoit plus trouvé perſonne,&
22 LE MERCVRE
qu'il n'avoit pû fçavoir ce que la Compagnie eſtoit devenuë.
Les Marys l'entendent , & c'eſt un coup de foudre pour eux.
Leur jaloufie ne leur laiſſe rien imaginer que de funeſte pour leur honneur. Ils peſtent contre eux-meſmes de leur lâche pa- tience àdemeurer fi long- temps témoins de leur honte, & ne
doutant point que leurs Fem- mes ne ſoientdans quelqueCa- binet avec leurs Amans, ils fortent du Jardin,montent en haut,
vontde Chambre en Chambre,
& trouvant une Porte fermée,
ils font tous leurs efforts pour l'enfoncer. UnDomeſtique ac- court à cebruit. Il a beau leur
demander à qui ils en veulent. Point de réponſe. Ils continuent à donner des pieds contre la Porte, & le Domestique qui
GALANT. 23 n'eſt point aſſez fort pour les retenir , commence à crier aux Voleurs de toute ſa force. Ces cris mettent toute la Maiſon en
rumeur. On vient au ſecours.
Chacun eſt armé de ce qu'il a
pûtrouver à la haſte, &le Maî tre-d'Hoſtel tient unMouſque- ton qu'il n'y a pas plaifir d'ef- ſuyer. Nos Deſeſperez le crai- gnent. Ils moderent leur em- portement , & on ne voit plus que deux Hommes interdits ,
qui ſans s'expliquer enragent de ce qu'on met obſtacle à
leur entrepriſe. Comme ils ne ſont connus de perſonne,
&qu'ils n'ont point leurs Ha- bits de Magiſtrature , on prend leur filence pour une convi- ction de quelque deſſein crimi- nel; & afin de les faire parler malgré eux,leMaiſtre-d'Hoſtel
ここ
24 LE MERCVRE envoye chercher un Commiffaire ſans leur en rien dire , &
les fait garder fort ſoigneuſe- mentjuſqu'à ce qu'il ſoit arrivé.
Cependant les Cavaliers qui ont remené les Dames aux
Thuilleries , reviennent au lieu
où s'eſt donné le Repas, &font furpris de voir en entrantqu'on amene un Commiſſaire. Ils en
demandent la cauſe. Onleur dit
que pendant que tout le mon- de eſtoit occupé en bas à met- tre la Vaiſſelle d'argent en ſeû- reté , deux Voleurs s'eſtoient
coulez dans les Chambres , &
avoient voulu enfoncer un Cabinet.Ilycourent avec le Com- miſſaire qui les livre pendus dans trois jours. Jugez de l'é- tonnement où ils ſe trouvent
quand on leur montre les pre tendus Criminels. Le Commiffaire
GALANT. 25
faire qui les reconnoiſt ſe tire
d'affaire en habile- Homme, &
feignant de croire que ce font eux qui l'ont envoyé chercher,
il leur demande en quoy ils ont beſoin defon miniftere. Ils l'obligent à s'en retourner chez luy, ſans s'éclaircir de la bévcuë quil'a fait appeller inutilement;
& les Cavaliers qui devinent une partie de la verité , ayant fait retirer leurs Gens, leurofrét
telle réparation qu'ils voudront de l'inſulte qu'on leur a faite ſans les connoiſtre. C'eſt là que le myſtere de la Feſte ſe déve- lope. Celuy qui l'a donnée leur découvre qu'elle eſt la fuite
d'unBouquet reçeu,&qu'ayant prié les Damesd'obtenir d'eux qu'ils luy fiffent l'honneur d'en venir partager le divertiſſement avec elles, il avoit eu le chagrin
Tome X. B
26 LE MERCVRE
d'apprendre qu'unembarras im- preveu d'affaires n'avoit pas permis qu'ils les pûffent accom- pagner; qu'il venoit de les re- mener chez elles, &qu'il eſpe-- roit trouver une occafion plus favorable de lier avec eux une
Partie de plaifir. Tandis qu'il ajoûte à ces excuſes des civili- tez qui adouciſſent peu à peu la colere de nos Jaloux , fon Amy envoye promptement avertir les Dames de ce qui vient d'ar- river,afin qu'elles prenent leurs meſures ſur ce qu'elles auront à
dire à leurs Marys. Ils quitent les Cavaliers fatisfaits en appa- rence de cette défaite,&fort réfolus de faire un grand chapitre àleursFemmes, Elles prévien- nent leur méchante humeur ,
& les voyant retourner cha- grins,elles leur content en riant
GALANT. 27 la malice qu'elles leur ont faite de neles mettre pas d'une Par- tie dont on avoit ſouhaité qu'ils fuſſent ; ce qui devoit leur fai- re connoiſtre que quand les Femmes ont quelque deſſein en teſte , elles trouvent toûjours moyen de l'executer. Les Ma- rys ſe le tirent pour dit ; &
ceux qui ont ſçeu les circon- ſtances de l'Hiſtoire , aſſurent que depuis ce temps-là ils ont donné à leurs Femmes beaucoup plus de liberté qu'ils ne leur en laiſſoient auparavant.
C'étoit le meilleur party à pren- dre pour eux. Lebeau Sexe eſt
ennemyde la contrainte, & telle n'auroit jamais la moindre tentation degalanterie, quin'en refuſe pas quelquefois l'occa- fion pour punir un Mary de ſa défiance.
t
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Résumé : Histoire des deux Maris jaloux. [titre d'après la table]
Le texte narre l'histoire de deux couples, les Marys, caractérisés par leur sens de l'honneur et leur jalousie. Les épouses, belles et vertueuses, sont amies et partagent une aversion pour la surveillance excessive de leurs maris. Elles organisent une soirée secrète pour échapper à la vigilance de leurs conjoints, prétextant une visite à une amie. Lors de cette soirée, elles sont rejointes par deux cavaliers galants. Malgré leurs efforts pour surveiller leurs femmes, les maris sont déjoués et finissent par se faire passer pour des voleurs dans la maison où se déroule la fête. Ils sont arrêtés et emmenés par un commissaire. Les cavaliers, informés de la situation, interviennent et clarifient le malentendu. À leur retour, les femmes expliquent leur ruse à leurs maris, qui finissent par accepter la situation. Parallèlement, le texte aborde les changements dans les relations de genre suite à des événements historiques. Il mentionne que, depuis un certain moment, les hommes ont accordé davantage de liberté à leurs femmes, une décision jugée bénéfique pour eux. Les femmes sont opposées à la contrainte et peuvent refuser des avances galantes pour punir un mari méfiant. Cette approche est présentée comme une stratégie efficace pour maintenir l'harmonie dans les relations conjugales.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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20
p. 89-116
Dispute d'Apollon & de l'Amour sur des Vers d'Iris. [titre d'après la table]
Début :
Je sçay, Madame, que ces témoignages de joye & de [...]
Mots clefs :
Amour, Iris, Apollon, Indifférent, Conversion, Aimer, Livres, Lecture, Vers, Ecolière, Coeur, Madame, Aimable, Apprendre, Esprit, Lettre, Pétrarque, Laure, Amant, Belle
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Dispute d'Apollon & de l'Amour sur des Vers d'Iris. [titre d'après la table]
Je ſçay , Madame , que ces témoignages de joye & de ref- pect rendus à ce grand Mini- ſtre , n'auront rien de ſurpre
Cv
58 LE MERCVRE nant pour vous à qui tout fon merite eſt connu ; mais il vous
de ſera ſans doute d'apprendre la Converfion de l'Indifferent à
qui vous avez tant de fois re- proché l'air tranquille qui pa- roiſt dans toutes ſes actions , &
cette Philofophie ſoit natu- relle , ſoit artificielle dont il
ſe pique , quoy que la plupart des Gens la regardent en luy comme un défaut. Le croirezvous , Madame ? Il aime, & ap- paremment il ne ceſſera pas fi- toſt d'aimer, car quand l'Amour s'eſt une fois rendu maiſtre de
ces cœurs Philoſophes qui luy ont long-temps refifté , comme il ne ſeroit pas aſſuré d'y rentrer quand il voudroit , il n'aban- donne pas aisément la place.
Voicy ce que j'en ay pû décou- vrir. Il voyoit ſouvent une jeu-
GALANT. 59 ne & fort aimable Perfonne , &
n'avoit commencé à la voir que parce qu'elle aime les Livres &
ququ'elle a l'eſprit tres-éclairé.
Aprés luy avoir donné ſes avis ſur les lectures qu'elle
faire pour
devoz ne rien apprendre YON
Juy80%
confuſement , il s'offrit à
ſervir de Maiſtre pour l'Italien
& à force de luy faire dire ,
j'aime , dans une autre langue que la fienne , il ſouhaita d'en eſtre veritablement aimé. Ses
regards parlerent , & comme c'eſtoit un langage que la Belle n'entendoit pas , ou qu'elle fei- gnoit de ne point entendre , il ne put s'empeſcher un jour de buy reprocher ſon peu de fen- fibilité. Elle ſe défendit de ce
reproche ſur l'eſtime particu- liere qu'elle avoit pour luy.
Vous ſçavez , Madame , que Cvj
60 LE MERCVRE
l'eſtime ne ſatisfait point un Amant. Il luy declara qu'il en vouloit à ſon cœur , & qu'il ſe tiendroit malheureux tant qu'- elle luy en refuſeroit la tendref- fe. La Belle détourna ce difcours , & fit fi bien pendant quelque temps , qu'il ne pût trouver aucune occafion favorable de le pourſuivre. Il de- vint chagrin , & rêvoit aux
moyens de faire expliquer celle qu'il aimoit , quand on le vint confulter fur des Vers écrits
d'une main qui luy eſtoit in- connuë. Il eſt du meſtier , &
ceux que vous avez veus de ſa façon , vous donnent afſez lieu de croire qu'on s'en pouvoit rapporter à luy. Il prit le pa- pier qu'on luy donna, &leut ce qui fuit fans s'attacher qu'à la netteté de la Poësie.
{
GALANT. 61
Dourquoym'avoirfait confidence vous en vouliez à mon cœur?
Ilfaut que contre vous il se mette en défense,
Ie dois vous empeſcher d'en estre le vainqueur.
Ienem'estois point apperçeuë Que tous vospetits soins deuſſent m'e- tre suspects ,
Etquand j'enfaifois la revenë ,
Ieles prenoispour des reſpects.
Ah , que nem'avez vouslaiſſée ,
CruelTircis, dans cette douce erreur !
Vous me voyezembarrassée.
On l'est toûjours quand il s'agit du
cœur.
Il faut prendre party , je nedois plus attendre ,
Mais si vous m'attaquez , comment vousrepouffer ?
Quand on fent le besoin qu'on adese défendre,
Il estdéja bien tardde commencer.
62 LE MERCVRE
Ces Vers luy parurent d'un caractere doux & aife. Il le
dit d'abord à celuy qui luy en demandoit ſa penſée , & vous pouvez juger de ſa ſurpriſe quand on l'aſſura que c'eſtoit le début d'une Fille qu'il ap- prouvoit. Ce mot le frapa. II ſe ſouvint de la converſation
qu'il avoit euë avec ſa belle Ecoliere. Tout ce qu'il venoit
de lire s'y appliquoit , & cette penſée le fit entrer dans des tranſports de joye incroyables ;
mais il ceſſoit de ſe les permet- tre , fi- toſt qu'il faiſoit reflexion que ces Vers eſtoient trop bien tournez pour eftre le coupd'ef- ſay d'une Perſonne qui n'en avoit jamais fait , & qui ne ſe piquoit point du tout de s'y connoiſtre. L'incertitude luy faiſant peine, il reſolut d'en for-
GALANT. 63
tir. Il rendit viſite à la Belle, luy parla d'une nouveauté qui fai- foit bruit , leut ces Vers dont il avoit pris une copie , l'obferva en les lifant , & l'en ayant veu fourire, il l'embarafla fi fort,qu'il luy fit enfin avoüer que c'eſtoit elle qui les avoit faits. Elle ne luy fit cet aveu qu'en rougif- ſant , & en luy ordonnant de les regarder comme un fimple divertiſſement que fa Muſe naiſſante s'eſtoit permis , &
dont elle avoit voulu le rendre
Juge def- intereſſé , en luy ca- chant qu'elle s'eſtoit meflée de rimer. La referve ne l'étonna
point , il comprit ſans peine ce qu'on vouloit bien qu'il cruft,
& abandonna ſon cœur à ſa
paffion. Celle qui la cauſe en eft fort digne. Vous eſtes déja convaincuë de ſon eſprit par
64 LE MERCVRE fes Vers , &je ne la flate point en adjoûtant qu'elle eſt aſſez belle pour ſe pouvoir paffer d'eſprit , quoy qu'il ſemble que ce foit eſtre belle & fpirituelle contre les regles , que d'eſtre l'un & l'autre en meſime temps.
Si vous la voulez connoiſtre
plus particulierement , imagi- nez- vous une Brune qui a la taille tres-bien priſe , quoy que mediocre ; le plus bel œil qu'on ait jamais veu , la bouche éga- lement belle, le teint &la gorge admirables , & outre tout cela
un air doux & modefte qui ne vous la rendra nullement fufpecte de faire des Vers. Voila
fon veritable Portrait. Tout ce
qu'onluy reproche pourdéfaut,
c'eſt unpeu tropde mélancolie,
unedéfiance perpetuelle d'elle- meſme , & une_timidité qu'elle
GALAN T. 65
a peine à vaincre , meſme avec ceux dont elle ne doit rien ap- prehender. Les Vers d'une fi aimable Perſonne n'eſtoient pas de nature à demeurer ſans réponſe, &quand noſtre Amant Philoſophe n'auroit pas eſté Poëte il y avoit déja long- tems,
c'eſtoit là une occafion à le devenir. A peine deux ou trois jours s'eſtoient-ils pafſſez , que la Belle reçeut un Pacquet dans lequel elle ne trouva que cette Lettre. Elle estoit dattée du
Parnaffe & avoit pourTitre
APPOLLON,
A LA JEUNE
V
IRIS.
Os Vers aimable Iris, ont fait du
bruit icy
66 LE MERCVRE
Onvous nomme au Parnaffe une petite Muse.
Puisque voſtre début afi bien réüſſy,
Vous irez loin, ou jem'abuse.
NosPoëtes galans l'ont beaucoup ad-.
miré ,
Les Femmes Beaux Esprits ,telle que fut la Suze ,
Pourdire tout,l'ont unpeucenfuré.
Ieſuis ravyque vous soyez des noſtres.
Estre le Dieu des Vers feroit un fort biendoux ,
Si parmy les Autheurs il n'en estoit point d'autres Quedes Autheursfait comme vous.
I'ayfurles beaux Esprits unepuiſſance
9 Tentiere ,
Ils reconnoiſſent tous ma Iurisdiction.
Avous dire le vray c'est une Nation Dontje suis dégoûté d'une étrange ma- niere.
Et meſme quelquefois dans mes bruſques transports ,
GALAN T. 67
Peu s'en faut qu'à jamais je ne les
abandonne;
Mais si les beaux Esprits estoient de
jolis Corps,
Ieme plairois àl'employ qu'on me donne.
Dés que vous me ferez l'honneur de
m'invoquer ,
Fiez-vous-en à moy , je ne tarderay
guerre,
Et lorsque mon secours vousfera neceffaire ,
Affurez- vous qu'il ne vous pent
manquer.
Ie vous diray pourtant un point qui m'embarasse ;
Un certainpetit Dieu fripon ,
(Ienesçayſeulementfi vous sçavezfon
nom,
Ils'appelle l'Amour ) a pouffé son au dace
Iusqu'à meſoûtenir en face ,
Que vos Versſont deſa façon ,
Et pour vous , m'a-t-ildit , conſolez yous de grace',
-
68 LE MERCVRE
Cen'est pas vous dont elle a pris leçon.
Quoy qu'ilse pare envain de cefaux
avantage,
Il aquelqueſujet de dire ce qu'il dit ;
Vous parlez dans vos Vers un affez doux langage,
Etpeut-estre apres tout l'Amant dont ils'agit Iugeroit que ducœur ces Vers seroient l'ouvrage ,
Si parmalheur pour luy vous n'aviez
tropd'esprit.
N'allezpas de l'Amourdevenir l'Eco- liere ,
Ce Maistre dangereux conduit tout de
travers,
Vous ne feriez jamais de Piece regu
liere
Si cepetit Broisillon vous inspiroit vos
Vers.
Adieu, charmante Iris ,j'auray ſoin que la Rime د
GALAN T. 69
Quandvous compoſerez, ne vousrefu- Se rien.
Maisque cesoit moy ſeul au moins qui vous anime,
Autrement tout n'iroit pas bien.
La Belle n'eut pas de peine àdeviner qui eſtoit l'Appollon
de la Lettre , mais elle reſva quelque temps ſur unpetit ſcru- pule délicat qui luy vint. Elle n'euſt pas eſté bien- aiſe qu'on luy euſt fait l'injustice de don- ner à l'Amour tout l'honneur
des Vers qu'elle avoit faits,mais elle nepouvoit d'ailleurs pene- trer par quel intereſt ſon Amant avoit tant de peur qu'on ne les attribuât à l'Amour ; & fi elle
luy avoit defendu de croire qu'ils fufſent autre choſe qu'un jeu d'eſprit où ſon cœur n'a- voit point de part, elle trouvoit qu'il euſt pu ſe diſpenſer de
70 LE MERCVRE luy conſeiller auſſi fortement qu'il faiſoit de ne ſe ſervir ja- mais que des Leçons d'Apol- lon. C'eſtoit luy faire connoiſtre qu'il n'avoit fouhaité que foi- blement d'eſtre aimé ; &le dépit d'avoir répondu trop favo- rablement à ſa premiere decla- ration , luy faifoit relire ſa Let- tre, pour voir ſi elle n'y décou- vriroit point quelque ſens ca- ché qui pût affoiblir le repro- che qu'elle s'en faifoit , quand on luy en apporta une fecon- ded'une autre main. Elle l'ou- vrit avec précipitation, &y lût
cesVers.
GALANT. 71
.
L'AMOUR,
A LA BELLE IRIS.
A
Vez-vous lûmon nom fans chan- gerdecouleur ? :
VostreSurprise , Iris , n'est-elle pas ex- trème?
Raffurez-vous; mon nom fait toûjours plusdepeur Queien'en auroisfait moy-méme.
*
Voftre Ouvrage galant , début affez heureux,
loufie.
Entre Apollon &moy met de la'jaIl s'agit de sçavoir lequel est de nous
deux
Vostre Maistre de Poësie.
Franchement , Apollon n'est pas d'un grandSecours ,
72 LE MERCVRE
En matiere de Vers ie ne le craindrois
guere ,
Et ie le défierois defaire D'auſſi bons Ecoliers que i'enfais tous les jours.
Quels travaux affidus pour former un Poëte ,
Etquel temps ne luyfaut-ilpas ?
On est quitte avec moyde tout cet embarras ;
Qu'on aime unpeu, l'affaire est faite.
Cherchez- vous à vous épargner
Cent preceptes de l'Art , qu'il seroit longd'apprendre ?
Vne rêverie unpeu tendre ,
Enunmoment vousvatout enſeigner.
F'inſtruis d'une maniere affez courte &
facile;
Commencer par l'Esprit c'est un ſoin inutile ,
Fort longdumoins , quand mesme il
réuffit.
Ie
GALANT. 73 Ievais tout droit au Cœur , &fais plus deprofit ,
Carquandle Cœur est unefois docile,
Onfait ce qu'on veut de l'Esprit.
Quand vous fistes vos Vers, dites-le moyſans feinte,
Lesfentiez-vous couler de ſource &
Janscontraintes
Ievousles infpirois , Iris , n'endoutez.
pas..
Si fortant lentement & d'une froide
veine ,
Sillabe aprés fillabe ils marchoient avec
3. peine,
C'estoit Apollon en cecas.
Lequelavoñez- vous , Iris , pour vostre Maistre ?
Ie m'inquiete peu pour qui vous pro- nonciez;
Car enfin ie le pourrois estre - Sans que vous- meſme leſceuſſiez
Ie ne penſerois pas avoir perdu ma cause,
Tome X.
74 LE MERCVRE Quandvous décideriez, enfaveur d'un
Rival ;
Etmesme incognito, fi i'avoisfait la chofe,
Mes affaires chez-vous n'en iroientpas plus mat
Maisquand ie n'aurois point d'autre part à l'Ouvrage,
Sans contestation i'ay donnéleſuiet.
C'eſt toûjours un grand avantage,
Belle Iris, i'ensuisfatisfair.
Cette ſeconde Lettre éclaircit entierement le doute de la
Belle. Elle ne fut pas fâchéede voir que celuy qui avoit fi bien parlé pourApollon , n'euſt pas laiſſé le pauvre Amour indé- fendu , &elle vit bien qu'il ne luy avoit propoſé les raiſons de part &d'autre , que pour l'en- gager à décider lequel des deux avoit plus de part à ſes Vers,
ou de l'Eſprit , ou duCœur, La
GALANT. 75.
Queſtion eſtoit délicate. On la
preſſa long-temps de donner un Jugement. Elle ſe récuſoit toû- jours elle-meſme,&s'eſtant en- fin refoluë à prononcer , voicy un Billetqu'elle fit rendre àfon Amant pourApollon.
SireApollon, ce n'estpas une affaire Que deux ou trois Quatrainsque i'ay faitspar hazard,
Et ie croy qu'apres tout vousn'y per- driezquere Quand l'Amour Sſeut y devroit avoir
part.
Nevousalarmezpoint; s'il faut nom- mer mon Maistre ,
Ieiureray tout haut que mes Versfont devous.
Ilscouloientpourtant, entre nous,
Comme Amour dit qu'il les fait naiſtre.
Je croy , Madame , que fans enexcepterPetrarque, &Laure
:
Dij
76 LE MERCVRE d'amoureuſe memoire , voila
l'intrigue la plus poëtique dont on ait jamais entendu parler ,
car elle l'eſt des deux coſtez .
Nous ne trouvons point les Vers que la belle Laure a faits pour répõdre à ceux de Petrar- que ; mais cette Laure- cy paye ſon Petrarque en même mon- noye, & l'attachement qu'ils ont l'un pour l'autre s'eſt tellement augmétépar cet agreable com- merce dePoëfie, qu'ils ſemblent n'avoir plus de joye qu'en ſe voyant. Je les attens au Sacre- ment, s'ils vont jamais juſques- là; car il n'y a guere de paſſions qu'il n'affoibliſſe , & l'Amour dans l'ordinaire, demeure tellement déconcerté par le Maria- ge , qu'on a quelque raiſon d'af- furerqu'iln'a pointde plus irré- conciliable Ennemy.
Cv
58 LE MERCVRE nant pour vous à qui tout fon merite eſt connu ; mais il vous
de ſera ſans doute d'apprendre la Converfion de l'Indifferent à
qui vous avez tant de fois re- proché l'air tranquille qui pa- roiſt dans toutes ſes actions , &
cette Philofophie ſoit natu- relle , ſoit artificielle dont il
ſe pique , quoy que la plupart des Gens la regardent en luy comme un défaut. Le croirezvous , Madame ? Il aime, & ap- paremment il ne ceſſera pas fi- toſt d'aimer, car quand l'Amour s'eſt une fois rendu maiſtre de
ces cœurs Philoſophes qui luy ont long-temps refifté , comme il ne ſeroit pas aſſuré d'y rentrer quand il voudroit , il n'aban- donne pas aisément la place.
Voicy ce que j'en ay pû décou- vrir. Il voyoit ſouvent une jeu-
GALANT. 59 ne & fort aimable Perfonne , &
n'avoit commencé à la voir que parce qu'elle aime les Livres &
ququ'elle a l'eſprit tres-éclairé.
Aprés luy avoir donné ſes avis ſur les lectures qu'elle
faire pour
devoz ne rien apprendre YON
Juy80%
confuſement , il s'offrit à
ſervir de Maiſtre pour l'Italien
& à force de luy faire dire ,
j'aime , dans une autre langue que la fienne , il ſouhaita d'en eſtre veritablement aimé. Ses
regards parlerent , & comme c'eſtoit un langage que la Belle n'entendoit pas , ou qu'elle fei- gnoit de ne point entendre , il ne put s'empeſcher un jour de buy reprocher ſon peu de fen- fibilité. Elle ſe défendit de ce
reproche ſur l'eſtime particu- liere qu'elle avoit pour luy.
Vous ſçavez , Madame , que Cvj
60 LE MERCVRE
l'eſtime ne ſatisfait point un Amant. Il luy declara qu'il en vouloit à ſon cœur , & qu'il ſe tiendroit malheureux tant qu'- elle luy en refuſeroit la tendref- fe. La Belle détourna ce difcours , & fit fi bien pendant quelque temps , qu'il ne pût trouver aucune occafion favorable de le pourſuivre. Il de- vint chagrin , & rêvoit aux
moyens de faire expliquer celle qu'il aimoit , quand on le vint confulter fur des Vers écrits
d'une main qui luy eſtoit in- connuë. Il eſt du meſtier , &
ceux que vous avez veus de ſa façon , vous donnent afſez lieu de croire qu'on s'en pouvoit rapporter à luy. Il prit le pa- pier qu'on luy donna, &leut ce qui fuit fans s'attacher qu'à la netteté de la Poësie.
{
GALANT. 61
Dourquoym'avoirfait confidence vous en vouliez à mon cœur?
Ilfaut que contre vous il se mette en défense,
Ie dois vous empeſcher d'en estre le vainqueur.
Ienem'estois point apperçeuë Que tous vospetits soins deuſſent m'e- tre suspects ,
Etquand j'enfaifois la revenë ,
Ieles prenoispour des reſpects.
Ah , que nem'avez vouslaiſſée ,
CruelTircis, dans cette douce erreur !
Vous me voyezembarrassée.
On l'est toûjours quand il s'agit du
cœur.
Il faut prendre party , je nedois plus attendre ,
Mais si vous m'attaquez , comment vousrepouffer ?
Quand on fent le besoin qu'on adese défendre,
Il estdéja bien tardde commencer.
62 LE MERCVRE
Ces Vers luy parurent d'un caractere doux & aife. Il le
dit d'abord à celuy qui luy en demandoit ſa penſée , & vous pouvez juger de ſa ſurpriſe quand on l'aſſura que c'eſtoit le début d'une Fille qu'il ap- prouvoit. Ce mot le frapa. II ſe ſouvint de la converſation
qu'il avoit euë avec ſa belle Ecoliere. Tout ce qu'il venoit
de lire s'y appliquoit , & cette penſée le fit entrer dans des tranſports de joye incroyables ;
mais il ceſſoit de ſe les permet- tre , fi- toſt qu'il faiſoit reflexion que ces Vers eſtoient trop bien tournez pour eftre le coupd'ef- ſay d'une Perſonne qui n'en avoit jamais fait , & qui ne ſe piquoit point du tout de s'y connoiſtre. L'incertitude luy faiſant peine, il reſolut d'en for-
GALANT. 63
tir. Il rendit viſite à la Belle, luy parla d'une nouveauté qui fai- foit bruit , leut ces Vers dont il avoit pris une copie , l'obferva en les lifant , & l'en ayant veu fourire, il l'embarafla fi fort,qu'il luy fit enfin avoüer que c'eſtoit elle qui les avoit faits. Elle ne luy fit cet aveu qu'en rougif- ſant , & en luy ordonnant de les regarder comme un fimple divertiſſement que fa Muſe naiſſante s'eſtoit permis , &
dont elle avoit voulu le rendre
Juge def- intereſſé , en luy ca- chant qu'elle s'eſtoit meflée de rimer. La referve ne l'étonna
point , il comprit ſans peine ce qu'on vouloit bien qu'il cruft,
& abandonna ſon cœur à ſa
paffion. Celle qui la cauſe en eft fort digne. Vous eſtes déja convaincuë de ſon eſprit par
64 LE MERCVRE fes Vers , &je ne la flate point en adjoûtant qu'elle eſt aſſez belle pour ſe pouvoir paffer d'eſprit , quoy qu'il ſemble que ce foit eſtre belle & fpirituelle contre les regles , que d'eſtre l'un & l'autre en meſime temps.
Si vous la voulez connoiſtre
plus particulierement , imagi- nez- vous une Brune qui a la taille tres-bien priſe , quoy que mediocre ; le plus bel œil qu'on ait jamais veu , la bouche éga- lement belle, le teint &la gorge admirables , & outre tout cela
un air doux & modefte qui ne vous la rendra nullement fufpecte de faire des Vers. Voila
fon veritable Portrait. Tout ce
qu'onluy reproche pourdéfaut,
c'eſt unpeu tropde mélancolie,
unedéfiance perpetuelle d'elle- meſme , & une_timidité qu'elle
GALAN T. 65
a peine à vaincre , meſme avec ceux dont elle ne doit rien ap- prehender. Les Vers d'une fi aimable Perſonne n'eſtoient pas de nature à demeurer ſans réponſe, &quand noſtre Amant Philoſophe n'auroit pas eſté Poëte il y avoit déja long- tems,
c'eſtoit là une occafion à le devenir. A peine deux ou trois jours s'eſtoient-ils pafſſez , que la Belle reçeut un Pacquet dans lequel elle ne trouva que cette Lettre. Elle estoit dattée du
Parnaffe & avoit pourTitre
APPOLLON,
A LA JEUNE
V
IRIS.
Os Vers aimable Iris, ont fait du
bruit icy
66 LE MERCVRE
Onvous nomme au Parnaffe une petite Muse.
Puisque voſtre début afi bien réüſſy,
Vous irez loin, ou jem'abuse.
NosPoëtes galans l'ont beaucoup ad-.
miré ,
Les Femmes Beaux Esprits ,telle que fut la Suze ,
Pourdire tout,l'ont unpeucenfuré.
Ieſuis ravyque vous soyez des noſtres.
Estre le Dieu des Vers feroit un fort biendoux ,
Si parmy les Autheurs il n'en estoit point d'autres Quedes Autheursfait comme vous.
I'ayfurles beaux Esprits unepuiſſance
9 Tentiere ,
Ils reconnoiſſent tous ma Iurisdiction.
Avous dire le vray c'est une Nation Dontje suis dégoûté d'une étrange ma- niere.
Et meſme quelquefois dans mes bruſques transports ,
GALAN T. 67
Peu s'en faut qu'à jamais je ne les
abandonne;
Mais si les beaux Esprits estoient de
jolis Corps,
Ieme plairois àl'employ qu'on me donne.
Dés que vous me ferez l'honneur de
m'invoquer ,
Fiez-vous-en à moy , je ne tarderay
guerre,
Et lorsque mon secours vousfera neceffaire ,
Affurez- vous qu'il ne vous pent
manquer.
Ie vous diray pourtant un point qui m'embarasse ;
Un certainpetit Dieu fripon ,
(Ienesçayſeulementfi vous sçavezfon
nom,
Ils'appelle l'Amour ) a pouffé son au dace
Iusqu'à meſoûtenir en face ,
Que vos Versſont deſa façon ,
Et pour vous , m'a-t-ildit , conſolez yous de grace',
-
68 LE MERCVRE
Cen'est pas vous dont elle a pris leçon.
Quoy qu'ilse pare envain de cefaux
avantage,
Il aquelqueſujet de dire ce qu'il dit ;
Vous parlez dans vos Vers un affez doux langage,
Etpeut-estre apres tout l'Amant dont ils'agit Iugeroit que ducœur ces Vers seroient l'ouvrage ,
Si parmalheur pour luy vous n'aviez
tropd'esprit.
N'allezpas de l'Amourdevenir l'Eco- liere ,
Ce Maistre dangereux conduit tout de
travers,
Vous ne feriez jamais de Piece regu
liere
Si cepetit Broisillon vous inspiroit vos
Vers.
Adieu, charmante Iris ,j'auray ſoin que la Rime د
GALAN T. 69
Quandvous compoſerez, ne vousrefu- Se rien.
Maisque cesoit moy ſeul au moins qui vous anime,
Autrement tout n'iroit pas bien.
La Belle n'eut pas de peine àdeviner qui eſtoit l'Appollon
de la Lettre , mais elle reſva quelque temps ſur unpetit ſcru- pule délicat qui luy vint. Elle n'euſt pas eſté bien- aiſe qu'on luy euſt fait l'injustice de don- ner à l'Amour tout l'honneur
des Vers qu'elle avoit faits,mais elle nepouvoit d'ailleurs pene- trer par quel intereſt ſon Amant avoit tant de peur qu'on ne les attribuât à l'Amour ; & fi elle
luy avoit defendu de croire qu'ils fufſent autre choſe qu'un jeu d'eſprit où ſon cœur n'a- voit point de part, elle trouvoit qu'il euſt pu ſe diſpenſer de
70 LE MERCVRE luy conſeiller auſſi fortement qu'il faiſoit de ne ſe ſervir ja- mais que des Leçons d'Apol- lon. C'eſtoit luy faire connoiſtre qu'il n'avoit fouhaité que foi- blement d'eſtre aimé ; &le dépit d'avoir répondu trop favo- rablement à ſa premiere decla- ration , luy faifoit relire ſa Let- tre, pour voir ſi elle n'y décou- vriroit point quelque ſens ca- ché qui pût affoiblir le repro- che qu'elle s'en faifoit , quand on luy en apporta une fecon- ded'une autre main. Elle l'ou- vrit avec précipitation, &y lût
cesVers.
GALANT. 71
.
L'AMOUR,
A LA BELLE IRIS.
A
Vez-vous lûmon nom fans chan- gerdecouleur ? :
VostreSurprise , Iris , n'est-elle pas ex- trème?
Raffurez-vous; mon nom fait toûjours plusdepeur Queien'en auroisfait moy-méme.
*
Voftre Ouvrage galant , début affez heureux,
loufie.
Entre Apollon &moy met de la'jaIl s'agit de sçavoir lequel est de nous
deux
Vostre Maistre de Poësie.
Franchement , Apollon n'est pas d'un grandSecours ,
72 LE MERCVRE
En matiere de Vers ie ne le craindrois
guere ,
Et ie le défierois defaire D'auſſi bons Ecoliers que i'enfais tous les jours.
Quels travaux affidus pour former un Poëte ,
Etquel temps ne luyfaut-ilpas ?
On est quitte avec moyde tout cet embarras ;
Qu'on aime unpeu, l'affaire est faite.
Cherchez- vous à vous épargner
Cent preceptes de l'Art , qu'il seroit longd'apprendre ?
Vne rêverie unpeu tendre ,
Enunmoment vousvatout enſeigner.
F'inſtruis d'une maniere affez courte &
facile;
Commencer par l'Esprit c'est un ſoin inutile ,
Fort longdumoins , quand mesme il
réuffit.
Ie
GALANT. 73 Ievais tout droit au Cœur , &fais plus deprofit ,
Carquandle Cœur est unefois docile,
Onfait ce qu'on veut de l'Esprit.
Quand vous fistes vos Vers, dites-le moyſans feinte,
Lesfentiez-vous couler de ſource &
Janscontraintes
Ievousles infpirois , Iris , n'endoutez.
pas..
Si fortant lentement & d'une froide
veine ,
Sillabe aprés fillabe ils marchoient avec
3. peine,
C'estoit Apollon en cecas.
Lequelavoñez- vous , Iris , pour vostre Maistre ?
Ie m'inquiete peu pour qui vous pro- nonciez;
Car enfin ie le pourrois estre - Sans que vous- meſme leſceuſſiez
Ie ne penſerois pas avoir perdu ma cause,
Tome X.
74 LE MERCVRE Quandvous décideriez, enfaveur d'un
Rival ;
Etmesme incognito, fi i'avoisfait la chofe,
Mes affaires chez-vous n'en iroientpas plus mat
Maisquand ie n'aurois point d'autre part à l'Ouvrage,
Sans contestation i'ay donnéleſuiet.
C'eſt toûjours un grand avantage,
Belle Iris, i'ensuisfatisfair.
Cette ſeconde Lettre éclaircit entierement le doute de la
Belle. Elle ne fut pas fâchéede voir que celuy qui avoit fi bien parlé pourApollon , n'euſt pas laiſſé le pauvre Amour indé- fendu , &elle vit bien qu'il ne luy avoit propoſé les raiſons de part &d'autre , que pour l'en- gager à décider lequel des deux avoit plus de part à ſes Vers,
ou de l'Eſprit , ou duCœur, La
GALANT. 75.
Queſtion eſtoit délicate. On la
preſſa long-temps de donner un Jugement. Elle ſe récuſoit toû- jours elle-meſme,&s'eſtant en- fin refoluë à prononcer , voicy un Billetqu'elle fit rendre àfon Amant pourApollon.
SireApollon, ce n'estpas une affaire Que deux ou trois Quatrainsque i'ay faitspar hazard,
Et ie croy qu'apres tout vousn'y per- driezquere Quand l'Amour Sſeut y devroit avoir
part.
Nevousalarmezpoint; s'il faut nom- mer mon Maistre ,
Ieiureray tout haut que mes Versfont devous.
Ilscouloientpourtant, entre nous,
Comme Amour dit qu'il les fait naiſtre.
Je croy , Madame , que fans enexcepterPetrarque, &Laure
:
Dij
76 LE MERCVRE d'amoureuſe memoire , voila
l'intrigue la plus poëtique dont on ait jamais entendu parler ,
car elle l'eſt des deux coſtez .
Nous ne trouvons point les Vers que la belle Laure a faits pour répõdre à ceux de Petrar- que ; mais cette Laure- cy paye ſon Petrarque en même mon- noye, & l'attachement qu'ils ont l'un pour l'autre s'eſt tellement augmétépar cet agreable com- merce dePoëfie, qu'ils ſemblent n'avoir plus de joye qu'en ſe voyant. Je les attens au Sacre- ment, s'ils vont jamais juſques- là; car il n'y a guere de paſſions qu'il n'affoibliſſe , & l'Amour dans l'ordinaire, demeure tellement déconcerté par le Maria- ge , qu'on a quelque raiſon d'af- furerqu'iln'a pointde plus irré- conciliable Ennemy.
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Résumé : Dispute d'Apollon & de l'Amour sur des Vers d'Iris. [titre d'après la table]
Le texte décrit la transformation amoureuse d'un homme initialement connu pour son indifférence et son détachement philosophique. Cet homme rencontre une jeune femme cultivée et aimable, ce qui marque le début de leur relation. Leur lien se renforce à travers des échanges littéraires et des poèmes. La jeune femme, après avoir écrit des vers, reçoit des lettres d'Apollon et d'Amour, chacun affirmant être l'inspirateur de ses poèmes. Après réflexion, elle reconnaît l'influence d'Apollon sur ses vers tout en admettant l'impact d'Amour. Le texte se conclut par une comparaison avec l'histoire de Pétrarque et Laure, soulignant la beauté poétique de cette intrigue amoureuse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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21
p. 208-231
Avanture de Musique. [titre d'après la table]
Début :
Quoy qu'il semble que ce stile soit trop simple [...]
Mots clefs :
Aventure, Musique, Fille, Divertissement public, Opéra, Voix, Cavalier, Père, Rival, Lambert, Hélas, Air, Accident, Amour, Vers, Billet, Sonnet, Orgue
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Avanture de Musique. [titre d'après la table]
Quoyqu'il ſemble que ce ſtile foit trop fimple pour eftre pro- pre aux grandes matieres, il ne laiſſe pasd'avoir de lagrace le voudrois en avoir autantà vous
conter dansle mien,une Avanturede Muſiquequi a cauſe de- puis peu de grands embarras à
biendeGens. Un Homme confiderable &par fon bien & par l'employ qu'il a dans la Robe ,
eſtant demeuré veuf depuis quelque temps , avec une Fille unique, n'avoit point de plus fortepaffion que celle de lama- rier. La garde luy en ſembloit dangereuſe , & il croyoit ne pouvoir s'en défaire jamais af- ſez toſt. Ce n'eſt pas qu'elle n'euſt beaucoup de vertu , &
qu'ayant eſté toûjours élevée dans une fort grande modeſtie,
elle ne fuft incapable de man-
GALANT. 139
(
quer à rien de cequ'elle ſe de- voitàelle-meſme; mais une Fille qui a vingt ans , de l'efprit &
de la beauté , n'eſt point faite pour eftre cachée, il y adesme- furesdebien- feance à garder, &
un Pere que les Affairesdu Pu- blic occupent continuellement,
ne sçauroit mieux faire que de remettre en d'autres mains ce
qui court toûjours quelque pé- ril entre les ſiennes. Tant de
vertuqu'il vous plaira,unejeu- ne Perſonneaun cœur, ce cœur peuteſtre ſenſible , &on a d'au- tantplus à craindre qu'il ne le devienne , que l'Eſprit ſe joi- gnant à la Beauté , attire toû- jours force Adorateurs. La De- moiſelle dont jevous parle étoit faite d'une maniere àn'en pas manquer ſi les ſcrupules duPe- ren'yeuſſent mis ordre. Onla
:
140 LE MERCVRE voyoit , on l'admiroit dans les Lieux de devotion où il ne luy pouvoit eftredefendu de ſe mõtrer, mais elle ne recevoit chez
elleaucuneViſite, fi vous exceprezcellesde cinq ou fix Paren- tes ouVoifinesqui luy tenoient cõpagnie avec affez d'affiduité.
Celqu'elle regrettoit le plus des divertiſfemens publics,dont elle ne joüifſoit que par le rapport d'autruy, c'eſtoit Opera. Elle a- -voit la voix fort belle , ſçavoit parfaitement la muſique,&n'ai- -moitrientantqued'entédre bié chanter. Deux ou trois de ſesAmies avoient le méme talent&
la méme inclination , & la plus grande partie du temps qu'elles ſeplaifoient à paffer enſemble,
eſtoit employé à de petits Con- certsde leur façon. L'une d'elles avoit un Frere grandMuficien,
GALANT. 141 &c'eſtoit ſur ſes Leçons qu'el- les apprenoit aux autres ce qu'il yavoit de plus agreable &de plus touchant dans les Opéra.
La Belle brûloit d'envie de le
mettre de leurs Concerts,on luy diſoit mille biés de luy,&il n'en entendoit pas moins dire d'elle à
ſa Scœur. Ainfi ils furent preve- nus d'eſtime l'un pour l'autre avant qu'il leur fut permis deſe connoiſtre, & ladifficulté qu'ils y trouverent leur en augmenta le defir. Onparla au Pere,qui ſe montra plus traitable qu'on ne l'eſperoit.Le pretextede la mufi- que fut le ſeul dont on ſe fervit pourobtenir lapermiſſion qu'on luydemadoit.Il ne voulut point envier à ſa Fille l'unique plaifir qu'il ſçavoit eſtre capablede la toucher ; & le Cavalier ne luy paroiſſant point d'une Fortune
142 LE MERCVRE
àformer des pretétions d'allian- ce, il confentit à la priere que fa Sœur luy avoit faite, de trouver bon qu'elle l'amenaft.Ils ſe virét donc, ils ſe parlerent,ils chante- rent , &fans s'eſtre apperceus qu'ils euffent commencéà s'ay- mer, ils ſentirenten peu de téps qu'ils s'aymoient. Iln'yavoitrien quede tendre dans les Airs que
le Cavalier venoit apprendre àla Belle ; il les chantoit tendrement , & à force de les luy faire chanter de meſme , il mit
dans ſon ame des diſpoſitions favorables à bien recevoir la
declaration qu'ilſe hazarda enfin à luy faire. Ses regards a- voient parlé avant luy , & ils avoient eſté entendus fans que les Amiesde la Belle en euffent
penetré le ſecret. Elles impu- toient au feul deſſein d'animer
GALANT. 143 les parolesqu'il chantoit, ce qui eſtoit une explication paffion- née des ſentimens de ſon cœur,
Il trouva enfin l'occaſion d'un
teſte- à- tefte. Il ne la laiſſa pas échaper, & il employa des ter- mes ſi touchans , àfaire connoî tre toute la force de ſon amour
à la charmante Perſonne qui le cauſoit , qu'elle ne pût ſe défendre de luy dire qu'il re marqueroit par la promptitude de fon obeïſſance , l'eſtime par- ticuliere qu'elle avoit pour luy,
s'il pouvoit trouver moyen de luy faire ordonner par fon Pere de le regarder comme unHom- me qu'il luy vouloit donner pour Mary. Que de joye pour le Cavalier ! Il avoit des Alliances fort confiderables , &
ménageoit une Perſonne d'au- torité pour l'engager à venir
144 LE MERCVRE
faire la propoſition pour luy ,
quand il apprend de la Belle que ſon Pere la marioit à un Gentilhome fort richequ'il luy avoit déja amené; que les Arti- cles eſtoient arreftez , & qu'il s'en eſtoit expliqué avec elle d'une maniere ſi impérieuſe ,
qu'elle ne voyoit pas de jour à
ſe pouvoir diſpenſer de luy obeïr. Sa douleur eſt auſſi gran- de que ſa ſurpriſe. Il la conjure d'apporter à ſon malheur tous les retardemens qu'elle pour- roit , tandis que de fon coſté il mettroit tout en uſage pour l'empeſeher. Les témoignages
qu'ils ſe donnent de leurdéplai- fir font interrompus par l'arri- vée de l'Amant choify. Comme il eſtoit naturellement jaloux il obſerve le Cavalier , & trouve
dansſonchagrinje ne ſçayquoy
de
GALANT. 1451 de ſuſpect qui l'oblige àſe faire l'Eſpion de ſa Maiſtreſſe. Il la fuit par tout , & fe rend chez
elle tous les jours de fi bonne .
heure , que le Cavalier aimé ne peut plus trouver moyen de l'entretenir. Il cacheledeſeſpoir
où cet embarras le met, & la Muſique eſtant le pretexte de ſes vifites , il tâche d'éblouir ſon
Rival, encontinuant à luy faire chanter à elle & à ſes Amies,
tous les endroitsqu'elles ſçavent
desOpéra Quelquesjours apres ne pouvant venir à bout de trouver un momentde teſte- àteſte pourſçavoir ſes ſentimens,
il eſſaye un ſtratagême pareil à
celuy de l'Amant du Malade Imaginaire. Il feint que le fa- meux Lambert a fait unAir à
deuxParties que peu de PerſonG
כִּי
146 LE MERCVRE.
nés ont encor veu , &parle fur tout d'un Helas qui a quelque choſe de fort touchant quand la Baffe & le Deſſus ſont meflez enſemble. L'Air&les Paro- les estoient de luy,&le tour ſe
rapportoit àl'eftat preſent de ſa fortune. La Belle qui comme je vous ay deja dit avoit une par- faite connoiffance de la Mufique , demande à voir cet Air fi
touchant, & s'offre en meſine
temps à le chanter avec luy. II.
eſtoit fait furces Paroles.
Ievousd'aydit centfois,belle Iris , je vousaime ;
Comme voftre beauté , mon amour est
extréme 1
Maisje crains un Rival charmé devos
appast emp suis bi Vous pâliffez,Iris; l'aimeriez- vous?
GALANT. 147LI T
de
L'AmantMuficien avoit trouvé
des cheutes fi heureuſes dans la
répétition de cet Helas, que la Belle qui avoit commencé à
chanter ſans s'appercevoir du
miſtere , comprit bientoſt à la maniere tendre &languiſſante dont il attachoit ſes regards ſur elle,qu'il la conjuroitde luy ap- prendre ce qu'elle luy permet- toit d'eſperer. La douleur ſe voir contrainte de ſacrifier
fon amour àfon devoir ,la ſaiſit
tout-à-coup fi fortement,qu'elle perd la voix , tombe évanoüye,
&luy fait connoiſtre par cet ac- cident que fon malheur ne luy eſt pas moins ſenſible qu'àbuy.
C'eſt alors qu'il ne peut plus garder de mefures. L'envie de fecourir ſa belle Maiſtreſſe , le fait agir en Amant paffionné. IF Gij
148 LE MERCVRE
:
court , il va , revient , ſe met à
genoux devant elle , la prie de l'entendre , &ſemble mourir de T'apprehenfion qu'il a de ſa mort. SonRivalqui ne peut plus douter de fon amour , en eſt ja- louxdans l'excés , & le devient
encordavantage , quandla Bel- le commençant à ouvrir les yeux , prononce fon nom , &
demande triſtement s'il eſt par- ty. Il ſe plaint au Pere , en ob- tientle banniſſement du Muficien, le fait ſignifier à ſa Mai- ſtreffe ,&croit le triompheaf- ſurépourluy; mais le Pere em- ploye inutilement ſon autorité.
La Fille ſe révolte , prend pour outrage les défiances de l'A- mant qu'elle veut qu'il épouſe,
&ſous pretexte de luy laiſſer plus de temps à examiner ſa
GALANT 149 conduite, elle recule ſon Mariaged'un mois entier , pendant le- quel elle veutqu'il la voye vivre avec celuy qui luy fait ombra- ge, afin qu'il ſe gueriſſe de ſes injuftes ſoupçons , ouqu'il rom- pe avec elle , s'il la croit inca- pable de le rendre heureux.
-Ainſi les viſites continuent; &
*comme les deux Amans ne
cherchent qu'à dégoûter l'En- nemy de leur bonheur, ils ne ménagent plus ſa jaloufie , &
ſe vangentde l'inquietude qu'il leur donne par les méchantes heures qu'ilsluy font paſſer. Le hazard contribuë à leur en
fournir les occafions. Le Muſicienqui venoittoûjours chan- ter avec la Belle , luy avoit re-- cité des Vers aſſez agreables.
Elle en demande une copie.
Giij
SSO LE MERCVRE L'Amour eft induſtrieux , il ſe fait apporter de quoy écrire,
changeles Vers enbonneProfe bien fignificative, luy explique de la manieredu mondela plus touchante ce que ſa paſſion luy fait fouffrir , luy met ce qu'il a
écrit entre les mains , &la con- jure de luy dire fans déguiſe- ment fi ce quiaeu quelquegra- cedans ſa bouche , luy en pa- roift conferver fur le papier.
Elle lit, foûrit , montre de la
joye , & ne peut affez exagerer les nouvelles beautez que la
lecture luy a fait découvrirdans cet ouvrage. L'Amant jaloux ,
qui estoit veritablement amou-
-reux &gardien perpetuel de fa Maiſtreſſe , ne s'accommode
point de cette écriture. Il de- mandeà lire les Vers , on le re2
i
GALANT. 151 fuſe. Il y ſoupçonne du miftere,
&ce qui le convaincqu'il y en a, c'eſt que ſon Rival s'eſtant ſervy le lendemain du meſme artifice , & n'ayant à donner que la copie d'un Sonnet , il luy voit écrire plus de vingt lignes,
&remarque qu'elles font tou- tes continuées , au lieu que les Versſont ouplus courts ouplus longs ſelon le nombre des let- tres qui entrent dans les mots qui les compoſent. Il acheve de perdre patience en voyant prendre la plume à ſa Maiſtref- ſe. Elle écrit un aſſez longBil- let , le cachete , le donne à fon
Rival , commedevanteſtre ren- du à quelqu'une de ſes Amies,
&le prie de luy en apporter la réponſe le lendemain. Jugez de la joyede l'un , & du deſeſpoir
152 LE MERCVRE de l'autre. L'Amant aimé qui nedoute pas que la Belle n'ait répondupar ceBillet à fon Son- net metamorphofé , brûle d'im- patiencede le lire. Il fort. Son Rivalfortdans le meſmetemps,
le fuit , &l'ayantjoint dans une Ruë où il paſſoit fort peu de monde, il luy demande fiere- ment à voir le Biller. Ces gages de l'amour d'une Maiſtreſſe ne
s'abandonnent jamais qu'avec la vie. Ils mettent l'Epée à la main. La fureur qui anime le Jaloux , ne luy permet point de ſeménager. Il tombe d'une lar- ge bleſſure qu'il reçoit. On la tient mortelle , & cet accident
oblige ſon Rival à ſe cacher.
Voila , Madame, l'état où ſont
àpreſent les choſes. Le Pere fulmine, la Fille proteſte qu'elle
GALANT. 153 ne forcera point ſon inclination pourépouſer un Jaloux qui ne peut que la rendre malheureu- -ſe; & ce queje trouve de fa- cheux dans cette Avanture ,
c'eſt que je ne voy perſonne qui ait lieu d'en eſt
conter dansle mien,une Avanturede Muſiquequi a cauſe de- puis peu de grands embarras à
biendeGens. Un Homme confiderable &par fon bien & par l'employ qu'il a dans la Robe ,
eſtant demeuré veuf depuis quelque temps , avec une Fille unique, n'avoit point de plus fortepaffion que celle de lama- rier. La garde luy en ſembloit dangereuſe , & il croyoit ne pouvoir s'en défaire jamais af- ſez toſt. Ce n'eſt pas qu'elle n'euſt beaucoup de vertu , &
qu'ayant eſté toûjours élevée dans une fort grande modeſtie,
elle ne fuft incapable de man-
GALANT. 139
(
quer à rien de cequ'elle ſe de- voitàelle-meſme; mais une Fille qui a vingt ans , de l'efprit &
de la beauté , n'eſt point faite pour eftre cachée, il y adesme- furesdebien- feance à garder, &
un Pere que les Affairesdu Pu- blic occupent continuellement,
ne sçauroit mieux faire que de remettre en d'autres mains ce
qui court toûjours quelque pé- ril entre les ſiennes. Tant de
vertuqu'il vous plaira,unejeu- ne Perſonneaun cœur, ce cœur peuteſtre ſenſible , &on a d'au- tantplus à craindre qu'il ne le devienne , que l'Eſprit ſe joi- gnant à la Beauté , attire toû- jours force Adorateurs. La De- moiſelle dont jevous parle étoit faite d'une maniere àn'en pas manquer ſi les ſcrupules duPe- ren'yeuſſent mis ordre. Onla
:
140 LE MERCVRE voyoit , on l'admiroit dans les Lieux de devotion où il ne luy pouvoit eftredefendu de ſe mõtrer, mais elle ne recevoit chez
elleaucuneViſite, fi vous exceprezcellesde cinq ou fix Paren- tes ouVoifinesqui luy tenoient cõpagnie avec affez d'affiduité.
Celqu'elle regrettoit le plus des divertiſfemens publics,dont elle ne joüifſoit que par le rapport d'autruy, c'eſtoit Opera. Elle a- -voit la voix fort belle , ſçavoit parfaitement la muſique,&n'ai- -moitrientantqued'entédre bié chanter. Deux ou trois de ſesAmies avoient le méme talent&
la méme inclination , & la plus grande partie du temps qu'elles ſeplaifoient à paffer enſemble,
eſtoit employé à de petits Con- certsde leur façon. L'une d'elles avoit un Frere grandMuficien,
GALANT. 141 &c'eſtoit ſur ſes Leçons qu'el- les apprenoit aux autres ce qu'il yavoit de plus agreable &de plus touchant dans les Opéra.
La Belle brûloit d'envie de le
mettre de leurs Concerts,on luy diſoit mille biés de luy,&il n'en entendoit pas moins dire d'elle à
ſa Scœur. Ainfi ils furent preve- nus d'eſtime l'un pour l'autre avant qu'il leur fut permis deſe connoiſtre, & ladifficulté qu'ils y trouverent leur en augmenta le defir. Onparla au Pere,qui ſe montra plus traitable qu'on ne l'eſperoit.Le pretextede la mufi- que fut le ſeul dont on ſe fervit pourobtenir lapermiſſion qu'on luydemadoit.Il ne voulut point envier à ſa Fille l'unique plaifir qu'il ſçavoit eſtre capablede la toucher ; & le Cavalier ne luy paroiſſant point d'une Fortune
142 LE MERCVRE
àformer des pretétions d'allian- ce, il confentit à la priere que fa Sœur luy avoit faite, de trouver bon qu'elle l'amenaft.Ils ſe virét donc, ils ſe parlerent,ils chante- rent , &fans s'eſtre apperceus qu'ils euffent commencéà s'ay- mer, ils ſentirenten peu de téps qu'ils s'aymoient. Iln'yavoitrien quede tendre dans les Airs que
le Cavalier venoit apprendre àla Belle ; il les chantoit tendrement , & à force de les luy faire chanter de meſme , il mit
dans ſon ame des diſpoſitions favorables à bien recevoir la
declaration qu'ilſe hazarda enfin à luy faire. Ses regards a- voient parlé avant luy , & ils avoient eſté entendus fans que les Amiesde la Belle en euffent
penetré le ſecret. Elles impu- toient au feul deſſein d'animer
GALANT. 143 les parolesqu'il chantoit, ce qui eſtoit une explication paffion- née des ſentimens de ſon cœur,
Il trouva enfin l'occaſion d'un
teſte- à- tefte. Il ne la laiſſa pas échaper, & il employa des ter- mes ſi touchans , àfaire connoî tre toute la force de ſon amour
à la charmante Perſonne qui le cauſoit , qu'elle ne pût ſe défendre de luy dire qu'il re marqueroit par la promptitude de fon obeïſſance , l'eſtime par- ticuliere qu'elle avoit pour luy,
s'il pouvoit trouver moyen de luy faire ordonner par fon Pere de le regarder comme unHom- me qu'il luy vouloit donner pour Mary. Que de joye pour le Cavalier ! Il avoit des Alliances fort confiderables , &
ménageoit une Perſonne d'au- torité pour l'engager à venir
144 LE MERCVRE
faire la propoſition pour luy ,
quand il apprend de la Belle que ſon Pere la marioit à un Gentilhome fort richequ'il luy avoit déja amené; que les Arti- cles eſtoient arreftez , & qu'il s'en eſtoit expliqué avec elle d'une maniere ſi impérieuſe ,
qu'elle ne voyoit pas de jour à
ſe pouvoir diſpenſer de luy obeïr. Sa douleur eſt auſſi gran- de que ſa ſurpriſe. Il la conjure d'apporter à ſon malheur tous les retardemens qu'elle pour- roit , tandis que de fon coſté il mettroit tout en uſage pour l'empeſeher. Les témoignages
qu'ils ſe donnent de leurdéplai- fir font interrompus par l'arri- vée de l'Amant choify. Comme il eſtoit naturellement jaloux il obſerve le Cavalier , & trouve
dansſonchagrinje ne ſçayquoy
de
GALANT. 1451 de ſuſpect qui l'oblige àſe faire l'Eſpion de ſa Maiſtreſſe. Il la fuit par tout , & fe rend chez
elle tous les jours de fi bonne .
heure , que le Cavalier aimé ne peut plus trouver moyen de l'entretenir. Il cacheledeſeſpoir
où cet embarras le met, & la Muſique eſtant le pretexte de ſes vifites , il tâche d'éblouir ſon
Rival, encontinuant à luy faire chanter à elle & à ſes Amies,
tous les endroitsqu'elles ſçavent
desOpéra Quelquesjours apres ne pouvant venir à bout de trouver un momentde teſte- àteſte pourſçavoir ſes ſentimens,
il eſſaye un ſtratagême pareil à
celuy de l'Amant du Malade Imaginaire. Il feint que le fa- meux Lambert a fait unAir à
deuxParties que peu de PerſonG
כִּי
146 LE MERCVRE.
nés ont encor veu , &parle fur tout d'un Helas qui a quelque choſe de fort touchant quand la Baffe & le Deſſus ſont meflez enſemble. L'Air&les Paro- les estoient de luy,&le tour ſe
rapportoit àl'eftat preſent de ſa fortune. La Belle qui comme je vous ay deja dit avoit une par- faite connoiffance de la Mufique , demande à voir cet Air fi
touchant, & s'offre en meſine
temps à le chanter avec luy. II.
eſtoit fait furces Paroles.
Ievousd'aydit centfois,belle Iris , je vousaime ;
Comme voftre beauté , mon amour est
extréme 1
Maisje crains un Rival charmé devos
appast emp suis bi Vous pâliffez,Iris; l'aimeriez- vous?
GALANT. 147LI T
de
L'AmantMuficien avoit trouvé
des cheutes fi heureuſes dans la
répétition de cet Helas, que la Belle qui avoit commencé à
chanter ſans s'appercevoir du
miſtere , comprit bientoſt à la maniere tendre &languiſſante dont il attachoit ſes regards ſur elle,qu'il la conjuroitde luy ap- prendre ce qu'elle luy permet- toit d'eſperer. La douleur ſe voir contrainte de ſacrifier
fon amour àfon devoir ,la ſaiſit
tout-à-coup fi fortement,qu'elle perd la voix , tombe évanoüye,
&luy fait connoiſtre par cet ac- cident que fon malheur ne luy eſt pas moins ſenſible qu'àbuy.
C'eſt alors qu'il ne peut plus garder de mefures. L'envie de fecourir ſa belle Maiſtreſſe , le fait agir en Amant paffionné. IF Gij
148 LE MERCVRE
:
court , il va , revient , ſe met à
genoux devant elle , la prie de l'entendre , &ſemble mourir de T'apprehenfion qu'il a de ſa mort. SonRivalqui ne peut plus douter de fon amour , en eſt ja- louxdans l'excés , & le devient
encordavantage , quandla Bel- le commençant à ouvrir les yeux , prononce fon nom , &
demande triſtement s'il eſt par- ty. Il ſe plaint au Pere , en ob- tientle banniſſement du Muficien, le fait ſignifier à ſa Mai- ſtreffe ,&croit le triompheaf- ſurépourluy; mais le Pere em- ploye inutilement ſon autorité.
La Fille ſe révolte , prend pour outrage les défiances de l'A- mant qu'elle veut qu'il épouſe,
&ſous pretexte de luy laiſſer plus de temps à examiner ſa
GALANT 149 conduite, elle recule ſon Mariaged'un mois entier , pendant le- quel elle veutqu'il la voye vivre avec celuy qui luy fait ombra- ge, afin qu'il ſe gueriſſe de ſes injuftes ſoupçons , ouqu'il rom- pe avec elle , s'il la croit inca- pable de le rendre heureux.
-Ainſi les viſites continuent; &
*comme les deux Amans ne
cherchent qu'à dégoûter l'En- nemy de leur bonheur, ils ne ménagent plus ſa jaloufie , &
ſe vangentde l'inquietude qu'il leur donne par les méchantes heures qu'ilsluy font paſſer. Le hazard contribuë à leur en
fournir les occafions. Le Muſicienqui venoittoûjours chan- ter avec la Belle , luy avoit re-- cité des Vers aſſez agreables.
Elle en demande une copie.
Giij
SSO LE MERCVRE L'Amour eft induſtrieux , il ſe fait apporter de quoy écrire,
changeles Vers enbonneProfe bien fignificative, luy explique de la manieredu mondela plus touchante ce que ſa paſſion luy fait fouffrir , luy met ce qu'il a
écrit entre les mains , &la con- jure de luy dire fans déguiſe- ment fi ce quiaeu quelquegra- cedans ſa bouche , luy en pa- roift conferver fur le papier.
Elle lit, foûrit , montre de la
joye , & ne peut affez exagerer les nouvelles beautez que la
lecture luy a fait découvrirdans cet ouvrage. L'Amant jaloux ,
qui estoit veritablement amou-
-reux &gardien perpetuel de fa Maiſtreſſe , ne s'accommode
point de cette écriture. Il de- mandeà lire les Vers , on le re2
i
GALANT. 151 fuſe. Il y ſoupçonne du miftere,
&ce qui le convaincqu'il y en a, c'eſt que ſon Rival s'eſtant ſervy le lendemain du meſme artifice , & n'ayant à donner que la copie d'un Sonnet , il luy voit écrire plus de vingt lignes,
&remarque qu'elles font tou- tes continuées , au lieu que les Versſont ouplus courts ouplus longs ſelon le nombre des let- tres qui entrent dans les mots qui les compoſent. Il acheve de perdre patience en voyant prendre la plume à ſa Maiſtref- ſe. Elle écrit un aſſez longBil- let , le cachete , le donne à fon
Rival , commedevanteſtre ren- du à quelqu'une de ſes Amies,
&le prie de luy en apporter la réponſe le lendemain. Jugez de la joyede l'un , & du deſeſpoir
152 LE MERCVRE de l'autre. L'Amant aimé qui nedoute pas que la Belle n'ait répondupar ceBillet à fon Son- net metamorphofé , brûle d'im- patiencede le lire. Il fort. Son Rivalfortdans le meſmetemps,
le fuit , &l'ayantjoint dans une Ruë où il paſſoit fort peu de monde, il luy demande fiere- ment à voir le Biller. Ces gages de l'amour d'une Maiſtreſſe ne
s'abandonnent jamais qu'avec la vie. Ils mettent l'Epée à la main. La fureur qui anime le Jaloux , ne luy permet point de ſeménager. Il tombe d'une lar- ge bleſſure qu'il reçoit. On la tient mortelle , & cet accident
oblige ſon Rival à ſe cacher.
Voila , Madame, l'état où ſont
àpreſent les choſes. Le Pere fulmine, la Fille proteſte qu'elle
GALANT. 153 ne forcera point ſon inclination pourépouſer un Jaloux qui ne peut que la rendre malheureu- -ſe; & ce queje trouve de fa- cheux dans cette Avanture ,
c'eſt que je ne voy perſonne qui ait lieu d'en eſt
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Résumé : Avanture de Musique. [titre d'après la table]
Le texte relate une aventure musicale impliquant un homme respectable et sa fille unique, âgée de vingt ans, vertueuse et belle. Le père, occupé par ses affaires publiques, souhaite la marier mais craint les dangers de la garde de sa fille. Elle est admirée dans les lieux de dévotion mais ne reçoit que des visites de parents ou voisins fidèles. Sa passion secrète est l'opéra et la musique, qu'elle pratique avec quelques amies. L'une de ces amies a un frère musicien qui donne des leçons aux jeunes filles. La fille du narrateur et le musicien développent une estime mutuelle avant même de se rencontrer. Le père, après avoir été sollicité, accepte que le musicien vienne donner des leçons à sa fille. Ils tombent amoureux lors de ces rencontres musicales. Le musicien déclare son amour à la jeune fille, qui accepte de l'épouser à condition qu'il obtienne l'accord de son père. Cependant, le père annonce à sa fille qu'il la marie à un gentilhomme riche. Le musicien, désespéré, tente de retarder l'événement. Le nouveau fiancé, jaloux, surveille la jeune fille et interdit les visites du musicien. Ce dernier utilise un stratagème pour déclarer son amour à la jeune fille en composant un air musical avec des paroles explicites. La jeune fille, émue, s'évanouit. Le père, informé de la situation, bannit le musicien. La fille, révoltée, refuse d'épouser le gentilhomme jaloux et décide de vivre avec le musicien pour prouver son innocence. Les deux amants continuent de se voir, exacerbant la jalousie du gentilhomme. Un duel s'ensuit, lors duquel le gentilhomme est gravement blessé. Le musicien doit se cacher, laissant la situation en suspens.
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22
p. 246-249
Portrait des deux cousines de Poitou. [titre d'après la table]
Début :
Comme les Enigmes m'ont attiré la Lettre des deux [...]
Mots clefs :
Cousines, Poitou, Cavalier, Roman
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texteReconnaissance textuelle : Portrait des deux cousines de Poitou. [titre d'après la table]
Commeles Enigmes m'ont attiré la
162 LE MERCVRE
Lettre des deux Coufines de Poitou
dont je vous parlay la derniere fois , je n'en puis finir l'Article ſans m'acquiter de la parole que je vous donnay de vous faire le Portraitdeces aimables
Perſonnes. Elles ſont d'une Province
où je ſçay que vous avez de particulie- res habitudes. Voyez ſi ce que j'ay à
vous endire ſufira pour vous les rendre connoiffables. Elles nedemeurent pas loindesbords duClin &dela Vienne,
&ſe voyent quelquefois ſur ceux d'u- ne plus petite Riviere qui devroit eſtre fameuſe par leurs Avantures. Vn Ca- valier fort galant &encor plus brave,
yaſouvent part. Ses belles qualitez le rendent digne de leur eſtime. !! écrit avec politeſſe enVers &en Proſe , &
il y a quelques années qu'on promet- toit en Poitou unRomande ſa façon.
L'aiſnée des deux Coufines eſt d'une
aſſez belle taille , qu'un peu d'embon- -point ne ſçauroit gaſter. Sa Maiſon eſt Illuftre , & fa Perſonne pleine d'agrémens. Sa jeune Parente eft une Demoiselle d'un beau
1
GALANT. 163 naturel &d'une tres-grande ef- perance. Elle s'eſt liée d'amitié avecelledesſes plus tendres an- nées. Si toutes ces marques ne vous les font point connoiſtre,
vous les chercherez parmyqua- tre Nymphes qui ſe ſont bai- gnées dans la petite Riviere dontje vous ay parlé , auſquel- les le Cavalier , qui eſt rare- ment oublié dans leurs agrea- bles parties , donna enſuite une magnifique Collation qui pa- rut ſe trouver là par hazard dans un Moulin voiſin , comque les me fi elle n'euft eſté iReſtes d'une Nopce qu'on fei- gnit s'y eftre faite quelques jours auparavant. Je croy que -vous ne m'en demanderez pas davantage pour ſçavoirbientoft
162 LE MERCVRE
Lettre des deux Coufines de Poitou
dont je vous parlay la derniere fois , je n'en puis finir l'Article ſans m'acquiter de la parole que je vous donnay de vous faire le Portraitdeces aimables
Perſonnes. Elles ſont d'une Province
où je ſçay que vous avez de particulie- res habitudes. Voyez ſi ce que j'ay à
vous endire ſufira pour vous les rendre connoiffables. Elles nedemeurent pas loindesbords duClin &dela Vienne,
&ſe voyent quelquefois ſur ceux d'u- ne plus petite Riviere qui devroit eſtre fameuſe par leurs Avantures. Vn Ca- valier fort galant &encor plus brave,
yaſouvent part. Ses belles qualitez le rendent digne de leur eſtime. !! écrit avec politeſſe enVers &en Proſe , &
il y a quelques années qu'on promet- toit en Poitou unRomande ſa façon.
L'aiſnée des deux Coufines eſt d'une
aſſez belle taille , qu'un peu d'embon- -point ne ſçauroit gaſter. Sa Maiſon eſt Illuftre , & fa Perſonne pleine d'agrémens. Sa jeune Parente eft une Demoiselle d'un beau
1
GALANT. 163 naturel &d'une tres-grande ef- perance. Elle s'eſt liée d'amitié avecelledesſes plus tendres an- nées. Si toutes ces marques ne vous les font point connoiſtre,
vous les chercherez parmyqua- tre Nymphes qui ſe ſont bai- gnées dans la petite Riviere dontje vous ay parlé , auſquel- les le Cavalier , qui eſt rare- ment oublié dans leurs agrea- bles parties , donna enſuite une magnifique Collation qui pa- rut ſe trouver là par hazard dans un Moulin voiſin , comque les me fi elle n'euft eſté iReſtes d'une Nopce qu'on fei- gnit s'y eftre faite quelques jours auparavant. Je croy que -vous ne m'en demanderez pas davantage pour ſçavoirbientoft
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Résumé : Portrait des deux cousines de Poitou. [titre d'après la table]
Le texte évoque deux cousines du Poitou résidant près des rivières Clain et Vienne, ainsi qu'une petite rivière célèbre pour leurs aventures. Un cavalier galant et brave les fréquente souvent, apprécié pour ses qualités et ses talents littéraires. Il écrit en vers et en prose, et un roman de sa plume était attendu en Poitou quelques années auparavant. L'aînée des cousines est élégante, avec un léger embonpoint, issue d'une famille illustre et pleine d'agréments. La cadette est une demoiselle au beau naturel et à grande espérance, amie avec des personnes de son âge. L'auteur suggère de les identifier parmi les nymphes ayant nagé dans la petite rivière. Le cavalier leur offrit une collation dans un moulin voisin, semblant être les restes d'une noce récente.
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23
p. 184-200
Histoire, [titre d'après la table]
Début :
J'ay à vous apprendre une Avanture que vous trouverez fort [...]
Mots clefs :
Veuve, Tante, Cavalier, Mariage, Nièce, Amour, Galant, Sentiments, Estime, Coeur, Maîtresse, Déclaration, Amants, Chagrin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire, [titre d'après la table]
J'ay à vous apprendre une
Avanture que vous trouverez
fort fingulière. Elle eft arrivée
icy depuis peu de temps . Un Cavalier
fort bien fait , fpirituel ,´
jeune & riche , aprés avoir joüé
pendant cinq ou fix années , tous
les perfonnages que
font aupres
des belles Perfonnes , ceux qui
font prodigues de douceurs , &
que les plus fortes proteftations
qu'ils viennent de faire , n'empefchent
point de jurer encore
ailleurs qu'ils ont de l'amour , fe
fentit enfin veritablement touché
de la beauté d'une aimable Brune
qu'il trouva un jour chez une
Veuve , qui quoy qu'elle paffaft
GALANT.
185
quarante ans , n'en avoüoit que
vingt huit , & qui par de certains
airs du monde qui luy étoient
naturels , reparoit avec affez d'agrément
ce qui luy manquoit du
cofté de la jeuneffe . La belle
Brune joignoit à des traits piquans
, une modeſtie qui charma
le Cavalier. Il fçut auffitoft qu'elle
eftoit voifine de la Veuve , &
les fentimens d'eftime qu'il prit
dés l'abord pour elle , l'engageant
à fouhaiter d'avoir un entier
éclairciffement fur ce qui la regardoit
, il apprit par ceux qu'il
chargea du foin de s'en informer,
qu'elle dépendoit d'un Pere affez
peu accommodé , qui ne fouffroit
point qu'elle reçuft de vifites ;
qu'on ne la voyoit que chez une
vieille Tante qui eftant fort riche
, prometoit de luy donner
une Partie de fon bien ; qu'ainfi
}
186 MERCURE
1
•
tout ce qu'elle avoit d'Amans
faifoit la cour à la Tante , & que
c'eftoit d'elle qu'il faloit obtenir.
Le Cavalier inftruit de ces chofes
, voulut connoiftre le coeur
de la Belle, avant que de prendre
aucunes mefures . Sçachant qu'elle
voyoit fort ſouvent la Veuve ,
il fe rendit affidu chez elle . Toutes
ſes viſites furent reçues agréablement
, & l'on vit avec plaifir
qu'elles devenoient fréquentes.
La Belle fe trouvoit de temps en
temps avec fon Amie , qui l'eftoit
auffi de la vieille Tante , & tout
ce qu'elle difoit , faifoit paroître
tant de jugement , & tant de fageffe
au Cavalier que quoy qu'il
ne marquaft rien qui puft décou
vrir ce qui fe paffoit dans fon
coeur pour elle , il s'affermiffoit
de plus en plus dans la réfolution
d'en faire fon unique attacheGALANT.
187
ment . Cependant à force de voir
la Veuve , il ne s'appercevoit pas
qu'il luy donnoit lieu de croire
qu'il en eftoit amoureux. Elle en
demeura perfuadée , & pour l'obliger
à fe déclarer plus fortement
, elle faifoit pour luy dest
avances , dont il auroit connu le
deffein , s'il n'eut pas efté remply
d'une paffion qui l'aveugloit
1 fur toute autre chofe. Apres
quelques entreveuës , dans lefaquelles
il crût avoir remarqué
que faperfonne ne déplaifoit pas
à la belle Brune , il réfolut de luy
faire part de fon deffein , & de
fçavoir d'elle- même , quels fentimens
elle avoit pour luy. Dans
cette penſée il alla l'attendre à
une Eglife , où il apprit qu'elle
alloit tous les matins , & l'abordant
lors qu'elle en fortoit , il la
remena chez elle , & pendant ce
1.
188 MERCURE
1
temps , il luy fit une fi tendre & fi
férieufe déclaration , qu'elle connût
aifément qu'un véritable &
fincére amour le faifoit parler.
Le party luy eftoit affez avantageux
de toutes maniéres pour
l'engager à répondre avec des
marques d'eftime qui luy fiffent
concevoir qu'il n'auroit aucune
peine à luy infpirer quelque chofe
de plus fort. Elle luy dit qu'el
le dépendoit d'un Pere à qui
elle obéiroit fans répugnance
en tout ce qu'il luy voudroit ordonner
en fa faveur , mais qu'il
n'étoit pas le feul qu'il y euft à
s'acquerir dans une affaire de
cette importance ; qu'une Tante
qui luy promettoit de partager
fon bien avec elle , s'étoit chargée
en quelque façon du ſoin de
la marier , & que toutes les démarches
que l'on pourroit faire
GALANT. 189
pour réüffir dans ce qu'il luy propofoit
, feroient inutiles , fi l'on
n'avoit fon confentement.Le Cavalier
fort ravy de voir que fa
Maîtreffe ne s'oppofoit point à fon
bonheur , ne fongea plus qu'à
gagner la Tante. Ce qui luy donnoit
de l'inquietude , c'eft qu'il
avoit fçeu qu'elle aimoit le monde
, & qu'elle amuſoit tous ceux
qui pretendoient à fa Niéce , par
le plaifir de fe voir long - temps
faire la Cour. Il crût cependant
qu'étant plus riche que tous fes
Rivaux , & peut- eftre auffi plus
confiderable par d'autres endroits
, on pourroit craindre de
le laiffer échaper , & que cette
crainte feroit terminer plûtoft fes
affaires. Pour les avancer ,
il ne
trouva point de plus fur moyen
que de parler à la Veuve , qui
pouvoit beaucoup fur l'efprit de
190 MERCURE
cette Tante . Ainfi la rencontrant
feule dés le mefme jour , il
luy dit avec des yeux tout brillans
du feu qui l'animoit , qu'il
avoit pris chez elle un mal dangereux
, dont la guerifon dépen
doit de fon fecours , & qu'il efperoit
qu'ayant pour luy autant de
bonté qu'elle en avoit toûjours
fait paroiftre , elle voudroit bien
entrer dans les fentimens pour le
fuccés d'un deffein tres - legitime .
La Veuve perfuadée par les affi
duitez du Cavalier , qu'elle eftoit
l'objet de tous fes defirs , eut tant
de joye de luy entendre tenir ce
langage , que fans luy donner le
temps de s'expliquer mieux , elle
l'interrompit pour luy dire , que
ce qu'il avoit à luy apprendre ,
luy étoit déja connu qu'elle
n'étoit point d'un âge à s'effrayer
d'une declaration d'amour ; que
GALANT. 191
fes foins l'avoient inftruite de fa
paffion ; que l'état de Veuve la
mettant en droit de difpofer d'elle-
mefme , elle y répondoit avec
plaifir , & qu'elle ne ſouhaitoit
autre choſe de fa complaifance,
finon que pour quelque intereft
de famille qu'elle achevoit de regler.
il vouluft bien attendre trois
mois à faire le Mariage ; que cependant
elle luy donnoit ,parole
de n'écouter perfonne à fon prejudice
& qu'elle eftoit prefte à
bannir tous ceux dont les vifites
luy feroient ſuſpectes . Imaginezvous
dans quelle furpriſe fe trouva
le Cavalier. Elle fut telle que
ne la pouvant cacher tout- à- fait,
il fe trouva obligé de s'excufer de
fon trouble fur fon exceffive joye,
qui en refferrant fon coeur , le
rendoit comme interdit. Vous
jugez bien qu'il confentit fans
1.92
MERCURE
aucune peine que fon pretendu
Mariage avec la Veuve fuft differé
de trois mois. Il luy laiffa un
pouvoir entier fur cet article , mais
il vit en mefme temps tous les
embarras que luy cauferoit le
peu de précaution qu'il avoit pris
avec elle. Il n'y avoit plus à eſperer
qu'elle le ferviſt auprès de la
Tante . Au contraire , il luy étoit
important que cette Tante ne
fçuſt rien de fon amour. La Veuve
auroit pû l'apprendre par elle,
& c'euft efté s'attirer une Ennemie
qui euft tout mis en ufage ,
pour empefcher qu'on ne l'euft
rendu heureux . Parmy toutes ces
contraintes , il devint réveur &
inquiet , & il le fut encore plus
quand la belle Brune, ne voulant
pas qu'il s'imaginaſt que la declaration
qu'il luy avoit faite, luy
fift chercher avec plus d'empreffement
GALANT. 193
fement l'occafion de le voir , rendit
à la Veuve des vifites moins
frequentes. Il en devina la cauſe
par les manieres honneftes &
pleines d'eftime qu'elle avoit
pour luy , toutes les fois qu'il la
trouvoit à l'Eglife , & ne pût blâmer
une referve qui marquoit un
coeur fenfible à la gloire.La Veuamour
,
qui remarquoit fon chagrin ,
ne l'impuroit qu'aux trois mois
de terme qu'elle avoit voulu qu'il
luy donnaſt , & touchée de l'impatience
où elle s'imaginoit qu'un
fi long retardement euft mis fon
elle tâchoit d'adoucir fa
peine , en l'affurant que fes diligences
redoublées la tireroient
d'embarras plûtoft qu'elle n'avoit
crû. Toutes ces chofes porterent
le Cavalier à prendre une refolution
qui le délivraft de crainte.
Il communiqua à ſa Maîtreffe le
Ianvier 1685. I
194
MERCURE
deffein où il étoit de l'époufer,
fans en rien dire à fa Tante , &
de renoncer aux avantages qu'elle
en pouvoit efperer , parce
qu'en l'avertiffant de fa recherche,
la Veuve qui le fçauroit auffitoft
, l'obligeroit de traîner fon
Mariage en longueur ; à quoy la
Tante feroit affez portée d'ellemefme
pour fon intereft particulier
, & peut - eftre mefme obtiendroit
d'elle qu'elle fe declaraft
contre luy. Il s'épargnoit par
là beaucoup de traverſes , ou du
moins plufieurs reproches , qu'il
ne craignoit point quand il feroit
marié. La Belle ayant confenty
à ce qu'il vouloit , il alla trouver
fon Pere , luy exagera la force de
fon amour,le conjura de luy vouloir
accorder fa Fille , & luy expliqua
toutes les raifons qui luy
faifoient fouhaiter un entier fe
GALANT. 195
cret fur fon Mariage . Le Pere qui
connoiffoit les grands Biens du
Cavalier , ne balança rien à conclure
toutes chofes de la manicře
qu'il le propofoit . Le Notaire
vint,& le Contract fut figné ,fans
que perfonne en eût connoiffance.
Cependant , comme il n'y a
rien de fi caché qui ne le découvre
, le jour qui preceda celuy
qu'on avoit choisi pour le
Mariage , une Servante de cette
Maiſon ayant foupçonné la verité
à quelques aprefts que
l'on y
faifoit , en inftruific la Suivante
de la Veuve , qui alla en meſme
temps le redire à fa Maîtreffe ,
avec qui la Veuve étoit . L'une
& l'autre fut dans une colere
inconcevable. La Veuve , qui
pretendoit que le Cavalier luy
euft engagé fa foy, traita fa nouvelle
paffion de trahison & de
1 2
196 MERCURE
·
perfidie ; & la Tante ne pouvoit
fe confoler de ce qu'ayant promis
de faire à fa Niéce de grands
avantages, on la marioit fans luy
en parler. Elle jura que fi elle
ne pouvoit venir à bout de rompre
le Mariage , du moins les
longs obftacles qu'elle trouveroit
moyen d'y mettre , feroient foufrir
ceux qui oublioient ce qu'on
luy devoit. Elle réva quelque
temps, & quitta la Veuve , en luy
difant qu'elle viendroit luy donner
de les nouvelles le foir ,
quelque heure que ce fuft . Sitoft
qu'elle fut fortie , elle mit des
Efpions en campagne , & aprit
enfin avec certitude , que le Mariage
fe devoit faire à deux heures
apres minuit . Lors qu'il en fut
dix du foir , elle monta en Carroffe
, & fe rendit chez fa Niéce.
La Belle apprenant qu'elle eftoit
GALANT. .197
à la porte, fe trouva embarraffée,
par la crainte que fa vifite ne
fuft un peu longue , & ne retardaft
quelques petits foins qu'elle
avoit à prendre . Elle fut tirée de
fon embarras , lors qu'on la vint
avertir que fa Tante la prioit de
luy venir parler un moment. Elle
y courut auffi- toft , & entra dans
fon Carroffe , pour entendre ce
qu'elle avoit à luy dire . Elle n'y
fut pas plûtoft , que le Cocher
qu'on avoit inftruit , pouffa fes
Chevaux à toute bride , paffa
par diverfes Ruës , pour tromper
ceux qui auroient voulu le fuivre
, & vint s'arrefter à la porte
de la Veuve , chez qui la Tante
fit entrer la Niece. Ce qui venoit
d'arriver l'avoit jettée dans une
grande furprife ; mais elle augmenta
beaucoup , lors qu'étant
montée , elles luy firent toutes
I
3
198 MERCURE
deux connoiftre qu'elles eftoient
informées de fon Mariage.Je paffe
les reproches qu'on luy fit fur
cette Affaire. La Tante , qui la
laiffa en la garde de la Veuve , retourna
chez elle , où l'on vint
luy demander ce que fa Niéce
eftoit devenue. Elle répondit
qu'elle en rendroit compte quand
il feroit temps , & qu'elle prenoit
affez d'intereft en elle , pour ne
l'avoir confiée qu'à des Perfonnes
chez qui elle eftoit en fûreté . Le
Cavalier apprenant ce changemét,
tomba dans un defefpoir qui
ne fe peut croire.ll alla trouver la
Tante , luy fit les foûmiffions les
plus capables de la toucher , &
noublia rien de ce qui pouvoit la
fatisfaire ; mais elle fut inflexible
à fes prieres & à fon amour. Le
Pere qui eftoit bien aiſe d'éviter
l'éclat , employa toutes les voyes
GALANT 199
de douceur qui
à la gagner. Pendant
LYO
Cervir
imps ,
la Tante & la Veuve inventérent
mille chofes pour noircir le Ca
valier auprés de la Belle ; mais
rien ne put effacer dans fon efprit
les favorables impreffions que fon
amour & fon mérite y avoient
faites. Elle perfifta dans fes premiers
fentimens pour luy ; & enfin
malgré toutes les précautions
que l'on avoit prifes pour cacher
le lieu où elle eftoit , les Domeftiques
parlérent . Si - tôt qu'on
fçût qu'elle avoit efté laiffée entre
les mains de la Veuve , il ne fut
pas malaifé de l'obliger à la rendre.
Elle la remit entre celles de
fon Pere , qui fit de nouveaux
efforts pour apaifer la colere de
la Tante ; mais tout cela s'eftant
trouvé inutile , on ne garda plus
aucun fecret pour le Mariage . On
I 4.
200 MERCURE
en arrefta le jour , & il fut fait
avec autant de joye des Amans
traverſez injuftement , que de
chagrin pour la Tante & pour la
Veuve.
Avanture que vous trouverez
fort fingulière. Elle eft arrivée
icy depuis peu de temps . Un Cavalier
fort bien fait , fpirituel ,´
jeune & riche , aprés avoir joüé
pendant cinq ou fix années , tous
les perfonnages que
font aupres
des belles Perfonnes , ceux qui
font prodigues de douceurs , &
que les plus fortes proteftations
qu'ils viennent de faire , n'empefchent
point de jurer encore
ailleurs qu'ils ont de l'amour , fe
fentit enfin veritablement touché
de la beauté d'une aimable Brune
qu'il trouva un jour chez une
Veuve , qui quoy qu'elle paffaft
GALANT.
185
quarante ans , n'en avoüoit que
vingt huit , & qui par de certains
airs du monde qui luy étoient
naturels , reparoit avec affez d'agrément
ce qui luy manquoit du
cofté de la jeuneffe . La belle
Brune joignoit à des traits piquans
, une modeſtie qui charma
le Cavalier. Il fçut auffitoft qu'elle
eftoit voifine de la Veuve , &
les fentimens d'eftime qu'il prit
dés l'abord pour elle , l'engageant
à fouhaiter d'avoir un entier
éclairciffement fur ce qui la regardoit
, il apprit par ceux qu'il
chargea du foin de s'en informer,
qu'elle dépendoit d'un Pere affez
peu accommodé , qui ne fouffroit
point qu'elle reçuft de vifites ;
qu'on ne la voyoit que chez une
vieille Tante qui eftant fort riche
, prometoit de luy donner
une Partie de fon bien ; qu'ainfi
}
186 MERCURE
1
•
tout ce qu'elle avoit d'Amans
faifoit la cour à la Tante , & que
c'eftoit d'elle qu'il faloit obtenir.
Le Cavalier inftruit de ces chofes
, voulut connoiftre le coeur
de la Belle, avant que de prendre
aucunes mefures . Sçachant qu'elle
voyoit fort ſouvent la Veuve ,
il fe rendit affidu chez elle . Toutes
ſes viſites furent reçues agréablement
, & l'on vit avec plaifir
qu'elles devenoient fréquentes.
La Belle fe trouvoit de temps en
temps avec fon Amie , qui l'eftoit
auffi de la vieille Tante , & tout
ce qu'elle difoit , faifoit paroître
tant de jugement , & tant de fageffe
au Cavalier que quoy qu'il
ne marquaft rien qui puft décou
vrir ce qui fe paffoit dans fon
coeur pour elle , il s'affermiffoit
de plus en plus dans la réfolution
d'en faire fon unique attacheGALANT.
187
ment . Cependant à force de voir
la Veuve , il ne s'appercevoit pas
qu'il luy donnoit lieu de croire
qu'il en eftoit amoureux. Elle en
demeura perfuadée , & pour l'obliger
à fe déclarer plus fortement
, elle faifoit pour luy dest
avances , dont il auroit connu le
deffein , s'il n'eut pas efté remply
d'une paffion qui l'aveugloit
1 fur toute autre chofe. Apres
quelques entreveuës , dans lefaquelles
il crût avoir remarqué
que faperfonne ne déplaifoit pas
à la belle Brune , il réfolut de luy
faire part de fon deffein , & de
fçavoir d'elle- même , quels fentimens
elle avoit pour luy. Dans
cette penſée il alla l'attendre à
une Eglife , où il apprit qu'elle
alloit tous les matins , & l'abordant
lors qu'elle en fortoit , il la
remena chez elle , & pendant ce
1.
188 MERCURE
1
temps , il luy fit une fi tendre & fi
férieufe déclaration , qu'elle connût
aifément qu'un véritable &
fincére amour le faifoit parler.
Le party luy eftoit affez avantageux
de toutes maniéres pour
l'engager à répondre avec des
marques d'eftime qui luy fiffent
concevoir qu'il n'auroit aucune
peine à luy infpirer quelque chofe
de plus fort. Elle luy dit qu'el
le dépendoit d'un Pere à qui
elle obéiroit fans répugnance
en tout ce qu'il luy voudroit ordonner
en fa faveur , mais qu'il
n'étoit pas le feul qu'il y euft à
s'acquerir dans une affaire de
cette importance ; qu'une Tante
qui luy promettoit de partager
fon bien avec elle , s'étoit chargée
en quelque façon du ſoin de
la marier , & que toutes les démarches
que l'on pourroit faire
GALANT. 189
pour réüffir dans ce qu'il luy propofoit
, feroient inutiles , fi l'on
n'avoit fon confentement.Le Cavalier
fort ravy de voir que fa
Maîtreffe ne s'oppofoit point à fon
bonheur , ne fongea plus qu'à
gagner la Tante. Ce qui luy donnoit
de l'inquietude , c'eft qu'il
avoit fçeu qu'elle aimoit le monde
, & qu'elle amuſoit tous ceux
qui pretendoient à fa Niéce , par
le plaifir de fe voir long - temps
faire la Cour. Il crût cependant
qu'étant plus riche que tous fes
Rivaux , & peut- eftre auffi plus
confiderable par d'autres endroits
, on pourroit craindre de
le laiffer échaper , & que cette
crainte feroit terminer plûtoft fes
affaires. Pour les avancer ,
il ne
trouva point de plus fur moyen
que de parler à la Veuve , qui
pouvoit beaucoup fur l'efprit de
190 MERCURE
cette Tante . Ainfi la rencontrant
feule dés le mefme jour , il
luy dit avec des yeux tout brillans
du feu qui l'animoit , qu'il
avoit pris chez elle un mal dangereux
, dont la guerifon dépen
doit de fon fecours , & qu'il efperoit
qu'ayant pour luy autant de
bonté qu'elle en avoit toûjours
fait paroiftre , elle voudroit bien
entrer dans les fentimens pour le
fuccés d'un deffein tres - legitime .
La Veuve perfuadée par les affi
duitez du Cavalier , qu'elle eftoit
l'objet de tous fes defirs , eut tant
de joye de luy entendre tenir ce
langage , que fans luy donner le
temps de s'expliquer mieux , elle
l'interrompit pour luy dire , que
ce qu'il avoit à luy apprendre ,
luy étoit déja connu qu'elle
n'étoit point d'un âge à s'effrayer
d'une declaration d'amour ; que
GALANT. 191
fes foins l'avoient inftruite de fa
paffion ; que l'état de Veuve la
mettant en droit de difpofer d'elle-
mefme , elle y répondoit avec
plaifir , & qu'elle ne ſouhaitoit
autre choſe de fa complaifance,
finon que pour quelque intereft
de famille qu'elle achevoit de regler.
il vouluft bien attendre trois
mois à faire le Mariage ; que cependant
elle luy donnoit ,parole
de n'écouter perfonne à fon prejudice
& qu'elle eftoit prefte à
bannir tous ceux dont les vifites
luy feroient ſuſpectes . Imaginezvous
dans quelle furpriſe fe trouva
le Cavalier. Elle fut telle que
ne la pouvant cacher tout- à- fait,
il fe trouva obligé de s'excufer de
fon trouble fur fon exceffive joye,
qui en refferrant fon coeur , le
rendoit comme interdit. Vous
jugez bien qu'il confentit fans
1.92
MERCURE
aucune peine que fon pretendu
Mariage avec la Veuve fuft differé
de trois mois. Il luy laiffa un
pouvoir entier fur cet article , mais
il vit en mefme temps tous les
embarras que luy cauferoit le
peu de précaution qu'il avoit pris
avec elle. Il n'y avoit plus à eſperer
qu'elle le ferviſt auprès de la
Tante . Au contraire , il luy étoit
important que cette Tante ne
fçuſt rien de fon amour. La Veuve
auroit pû l'apprendre par elle,
& c'euft efté s'attirer une Ennemie
qui euft tout mis en ufage ,
pour empefcher qu'on ne l'euft
rendu heureux . Parmy toutes ces
contraintes , il devint réveur &
inquiet , & il le fut encore plus
quand la belle Brune, ne voulant
pas qu'il s'imaginaſt que la declaration
qu'il luy avoit faite, luy
fift chercher avec plus d'empreffement
GALANT. 193
fement l'occafion de le voir , rendit
à la Veuve des vifites moins
frequentes. Il en devina la cauſe
par les manieres honneftes &
pleines d'eftime qu'elle avoit
pour luy , toutes les fois qu'il la
trouvoit à l'Eglife , & ne pût blâmer
une referve qui marquoit un
coeur fenfible à la gloire.La Veuamour
,
qui remarquoit fon chagrin ,
ne l'impuroit qu'aux trois mois
de terme qu'elle avoit voulu qu'il
luy donnaſt , & touchée de l'impatience
où elle s'imaginoit qu'un
fi long retardement euft mis fon
elle tâchoit d'adoucir fa
peine , en l'affurant que fes diligences
redoublées la tireroient
d'embarras plûtoft qu'elle n'avoit
crû. Toutes ces chofes porterent
le Cavalier à prendre une refolution
qui le délivraft de crainte.
Il communiqua à ſa Maîtreffe le
Ianvier 1685. I
194
MERCURE
deffein où il étoit de l'époufer,
fans en rien dire à fa Tante , &
de renoncer aux avantages qu'elle
en pouvoit efperer , parce
qu'en l'avertiffant de fa recherche,
la Veuve qui le fçauroit auffitoft
, l'obligeroit de traîner fon
Mariage en longueur ; à quoy la
Tante feroit affez portée d'ellemefme
pour fon intereft particulier
, & peut - eftre mefme obtiendroit
d'elle qu'elle fe declaraft
contre luy. Il s'épargnoit par
là beaucoup de traverſes , ou du
moins plufieurs reproches , qu'il
ne craignoit point quand il feroit
marié. La Belle ayant confenty
à ce qu'il vouloit , il alla trouver
fon Pere , luy exagera la force de
fon amour,le conjura de luy vouloir
accorder fa Fille , & luy expliqua
toutes les raifons qui luy
faifoient fouhaiter un entier fe
GALANT. 195
cret fur fon Mariage . Le Pere qui
connoiffoit les grands Biens du
Cavalier , ne balança rien à conclure
toutes chofes de la manicře
qu'il le propofoit . Le Notaire
vint,& le Contract fut figné ,fans
que perfonne en eût connoiffance.
Cependant , comme il n'y a
rien de fi caché qui ne le découvre
, le jour qui preceda celuy
qu'on avoit choisi pour le
Mariage , une Servante de cette
Maiſon ayant foupçonné la verité
à quelques aprefts que
l'on y
faifoit , en inftruific la Suivante
de la Veuve , qui alla en meſme
temps le redire à fa Maîtreffe ,
avec qui la Veuve étoit . L'une
& l'autre fut dans une colere
inconcevable. La Veuve , qui
pretendoit que le Cavalier luy
euft engagé fa foy, traita fa nouvelle
paffion de trahison & de
1 2
196 MERCURE
·
perfidie ; & la Tante ne pouvoit
fe confoler de ce qu'ayant promis
de faire à fa Niéce de grands
avantages, on la marioit fans luy
en parler. Elle jura que fi elle
ne pouvoit venir à bout de rompre
le Mariage , du moins les
longs obftacles qu'elle trouveroit
moyen d'y mettre , feroient foufrir
ceux qui oublioient ce qu'on
luy devoit. Elle réva quelque
temps, & quitta la Veuve , en luy
difant qu'elle viendroit luy donner
de les nouvelles le foir ,
quelque heure que ce fuft . Sitoft
qu'elle fut fortie , elle mit des
Efpions en campagne , & aprit
enfin avec certitude , que le Mariage
fe devoit faire à deux heures
apres minuit . Lors qu'il en fut
dix du foir , elle monta en Carroffe
, & fe rendit chez fa Niéce.
La Belle apprenant qu'elle eftoit
GALANT. .197
à la porte, fe trouva embarraffée,
par la crainte que fa vifite ne
fuft un peu longue , & ne retardaft
quelques petits foins qu'elle
avoit à prendre . Elle fut tirée de
fon embarras , lors qu'on la vint
avertir que fa Tante la prioit de
luy venir parler un moment. Elle
y courut auffi- toft , & entra dans
fon Carroffe , pour entendre ce
qu'elle avoit à luy dire . Elle n'y
fut pas plûtoft , que le Cocher
qu'on avoit inftruit , pouffa fes
Chevaux à toute bride , paffa
par diverfes Ruës , pour tromper
ceux qui auroient voulu le fuivre
, & vint s'arrefter à la porte
de la Veuve , chez qui la Tante
fit entrer la Niece. Ce qui venoit
d'arriver l'avoit jettée dans une
grande furprife ; mais elle augmenta
beaucoup , lors qu'étant
montée , elles luy firent toutes
I
3
198 MERCURE
deux connoiftre qu'elles eftoient
informées de fon Mariage.Je paffe
les reproches qu'on luy fit fur
cette Affaire. La Tante , qui la
laiffa en la garde de la Veuve , retourna
chez elle , où l'on vint
luy demander ce que fa Niéce
eftoit devenue. Elle répondit
qu'elle en rendroit compte quand
il feroit temps , & qu'elle prenoit
affez d'intereft en elle , pour ne
l'avoir confiée qu'à des Perfonnes
chez qui elle eftoit en fûreté . Le
Cavalier apprenant ce changemét,
tomba dans un defefpoir qui
ne fe peut croire.ll alla trouver la
Tante , luy fit les foûmiffions les
plus capables de la toucher , &
noublia rien de ce qui pouvoit la
fatisfaire ; mais elle fut inflexible
à fes prieres & à fon amour. Le
Pere qui eftoit bien aiſe d'éviter
l'éclat , employa toutes les voyes
GALANT 199
de douceur qui
à la gagner. Pendant
LYO
Cervir
imps ,
la Tante & la Veuve inventérent
mille chofes pour noircir le Ca
valier auprés de la Belle ; mais
rien ne put effacer dans fon efprit
les favorables impreffions que fon
amour & fon mérite y avoient
faites. Elle perfifta dans fes premiers
fentimens pour luy ; & enfin
malgré toutes les précautions
que l'on avoit prifes pour cacher
le lieu où elle eftoit , les Domeftiques
parlérent . Si - tôt qu'on
fçût qu'elle avoit efté laiffée entre
les mains de la Veuve , il ne fut
pas malaifé de l'obliger à la rendre.
Elle la remit entre celles de
fon Pere , qui fit de nouveaux
efforts pour apaifer la colere de
la Tante ; mais tout cela s'eftant
trouvé inutile , on ne garda plus
aucun fecret pour le Mariage . On
I 4.
200 MERCURE
en arrefta le jour , & il fut fait
avec autant de joye des Amans
traverſez injuftement , que de
chagrin pour la Tante & pour la
Veuve.
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Résumé : Histoire, [titre d'après la table]
Un jeune cavalier, riche et spirituel, est séduit par une aimable brune rencontrée chez une veuve charmante. La brune, modeste et belle, dépend d'un père sévère et d'une tante riche. Le cavalier, désirant connaître ses sentiments, lui déclare son amour et obtient une réponse favorable, sous réserve du consentement de son père et de sa tante. Il cherche alors à gagner la faveur de la tante en passant par la veuve, qui accepte de l'aider mais impose un délai de trois mois pour le mariage. La brune, pour éviter les soupçons, réduit ses visites à la veuve. Le cavalier décide d'épouser la brune sans informer la tante pour éviter les obstacles. Il obtient le consentement du père de la brune et signe le contrat de mariage en secret. Cependant, une servante découvre la vérité et informe la veuve, qui entre en colère. La tante, furieuse, enlève la brune et la confie à la veuve pour contrecarrer le mariage. Le cavalier tente en vain de raisonner la tante et le père. La tante et la veuve cherchent à discréditer le cavalier auprès de la brune, mais celle-ci reste fidèle à ses sentiments. Finalement, la brune est rendue à son père, et le mariage est célébré malgré les tentatives de la tante et de la veuve pour l'empêcher.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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24
p. 189-216
L'AMOUR BIZARRE HISTOIRE VERITABLE.
Début :
Il y a déja quelque temps que l'on m'a mis / L'Amour se plait souvent à faire voir sa bizarrerie aussi [...]
Mots clefs :
Amour, Bizarrerie, Veuve, Qualités, Mariage, Prétendants, Indépendance, Plaisirs de la vie, Fête, Amants, Cavalier, Hasard, Émotions, Jalousie, Honneur, Injustice, Discours, Coeur, Mariage, Amitié
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'AMOUR BIZARRE HISTOIRE VERITABLE.
Ily a déja quelque temps que l'on
m'a mis entre les mains l' Hiftoire dont
je vay vousfaire part . Je la laiffe dans
les mefmestermes que je l'ayreceuë.
190
Extraordinaire
255 :22222 2522 : 2222
L'AMOUR BIZARRE
HISTOIRE VERITABLE.
L
'Amour fe plaift ſouvent ài
faire voir fa bizarrerie auffi
bien que fa puiffance . Dans la
Capitale d'une des meilleures-
Provinces du Royaume , demeu
roit une jeune Veuve , bellë , ri .
che , noble , & mefine qui paf
foit pour fort fpirituelle. Il n'eft
pas difficile de s'imaginer qu'avec
toutes ces bonnes qualitez ,.
elle ne manquoit pas d'Adorateurs.
Elle avoit tous les jours.
chez elle ce qu'on appelle le
beau Monde d'une Ville , & quoy
di Mercure Galant: 1971
qu'elle euft témoigné qu'elle n'avoit
aucune inclination pour un
fecond Mariage , on ne laiffoit
pas neanmoins de luy propofer
toûjours quelque nouveau Par.
ty. La joye qu'elle avoit de fe
voir maîtreffe d'elle- même ,aprés
avoir obeï à un Homme , qu'on
dit qu'elle n'avoit épousé que
pour obeïr à fes Parens , luy avoit
fair prendre la refolution de demeurerVeuvele
refte de fes jours .
Elle ne pouvoir pourtant honneftement
refufer les vifites de ceux
que fon efprit & fa beauté luy
attiroient , mais c'eftoit à condi
rion qu'on ne luy parleroit poin
d'amour , ce qu'on obfervoit fort
malcar il eftoit difficile de la
voir fans l'aimer , & tous les Amans
n'ont pas affez de retenue
192 Extraordinaire
Le pour ne fe point déclarer.
grand deuil eftant paffé , car il y
avoit déja plus d'un an qu'elle
avoit perdu fon Mary , elle commença
à vivre avec un peu plus de
liberté qu'elle n'avoit fait depuis.
fa mort , & entra dans tous ces
petits plaifirs innocens , qui font
l'occupation de la vie . On luy
propofoit tous lesjours de nouvelles
parties de divertiffement,
& comme l'on eftoit alors dans
la faifon du Carnaval , on la fol.-
licita plufieurs fois pourla mener
aux Affemblées qui fe faifoient
chez les Principaux de la Ville,
où aprés les Repas qu'ils fe don
noient les uns aux autres , chacun
à leur tour , on faifoit venir les
Violons , & on paffoit agreable..
ment une partie de la nuit à dan
CCE
du Mercure Galant.
193
fer. Comme elle croyoit qu'elle
ne devoit pas encore prendre
part à ces fortes de plaifirs , elle
s'eftoit toûjours défenduë d'y aller.
Enfin un jour que c'eftoit
à un Frere qu'elle avoit à donner
le regale , fes Amies la follicite
rent fi fortement , & fon Frere
luy fit fi bien comprendre qu'elle
ne blefferoit point fon devoir , &
que cela ne tireroit à aucune
confequence , qu'elle luy promit
de s'y trouver. L'Affemblée fut
ce foir là nombreuſe & magnifique.
Je ne m'arrefteray point à
décrire la fomptuofité du Feftin,
ny la propreté de la Salle où il
fe fit. Il luffit de fçavoir que les
plus délicats fur cette matiere eurent
affez dequoy fe contenter.
Aprés le repas on paffa dans une
2. deJanvier 1685. R
ད
194
Extraordinaire
autre Salle qu'on trouva riche
ment meublée , & éclairée par
une grande quantité de lumieres.
Le Bal commença pour lors , &
pendant que les uns danfoient,
les autres s'entretenoient avec les
Perfonnes qui leur plaifoient le
plus . On fait que c'est là que
les Amans ont droit de fe plaindre
des peines que l'Amour leur
fait fouffrir & que ceux qui
n'ont aucune veritable paffion
pour le beau Sexe , ne laiffènt pas
de vouloir paroiftre amoureux ;
Les Galants en conterent beau
coup , & les Belles furent obli
gées d'en écouter autant. Cependant
il y avoit des Perfonnes
qui fouffroient effectivement , &
a jeune Veuve avoit donné de
'amour à plufieurs qui s'emprefdu
Mercure Galant . 195
C
foient à l'envy l'un de l'autre , de
luy perfuader la forte paffion
qu'ils fentoient pour elle. Elle
lès écoutoit tous indifferemment,
& leur témoignoit que l'Amour
n'auroit jamais aucun pouvoir ſur
fon coeur ; mais il luy fit bientoft
connoiftre qu'on ne le méprife
guere impunément ; car
un jeune Cavalier fort propre
qui n'avoit point efté du repas,
l'eftant venu prendre pour danfer
, elle reffentit à ſon abord ce
certain je ne fçay quoy qui ne fe
peut expliquer. Quand elle fut
revenue à fa place , ce mefme
Cavalier vint le mettre à fes genoux,
& avec un air engageant &
des manieres honneſtes & refpe-
& ueuſes , il luy jura plufieurs fois
qu'il n'avoit jamais veu une plus
Rij
196 Extraordinaire
belle Perfonne . Elle luy répon
doit comme à tous les autres,
quoy qu'elle commençaſt déja
de le confiderer d'une autre maniere.
En effet , on remarqua
qu'elle l'examinoit attentivement
, qu'elle luy addreffoit la
parole plus fouvent qu'aux autres
fur tout ce qui fe paffoit
dans la Salle & mefme un
Homme qui l'aimoit effectivement
beaucoup , ne put s'empef
cher de luy en faire la guerre.
Dans la converfation ce Cavalier
luy dit , que puis qu'il avoit
efté affez heureux de voir une
auffi aimable Perfonne , il luy
demandoit la permiffion d'aller
chez elle luy rendre ce que tout
le monde luy devoit , & l'affeurer
que fa plus grande paffion fedu
Mercure Galant. 197
1
roit d'eftre capable de luy pou
voir rendre quelque fervice. Le
Bal finy , la Compagnie fe fepara
, & la Veuve fortit un peu
émeuë , par la veuë de l'Inconnu
, qui de fon coſté avoit
paru avoir beaucoup de difpofition
à l'aimer. Deux jours aprés
elle fut furpriſe de le voir venir
chez elle . Ils eurent enfemble
un entretien plus, reglé , & apres
avoir parlé de l'occafion de leur
connoiffance , elle s'informa s'it
eftoit de la Province , & par quel
hazard il s'eftoit trouvé à cette
Affemblée . Il répondit à toutes
fes demandes & luy dit qu'il
s'appelloit Lycidas , qu'il demeu
roit ordinairement à une Terre
qu'il avoit à la Campagne , que
quelques affaires d'affez peu de
R iij
Extraordinaire
Conféquence l'avoient attiré à la ·
Ville , mais qu'il s'en faifoit alors
une fort grade d'y demeurer pour
achever de faire connoiffance
avec une Perfonne , à laquelle il
avoit reconnu tant d'efprit &
tant de merite. Ces paroles flatoientagréablement
Cloris , ainfi
s'appelloit la Veuve qui s'eftoit
un peu laiffée toucher par la
bonne mine de Lycidas , & qui
fouhaitoit dans fon coeur que ce
fuft un homme d'une condition
proportionnée à la fienne , car
elle commençoit déja de quiter la
refolution qu'elle fembloit avoir
priſe de demeurer Veuve . Il fit fa
vifite un peu plus longue que ne le
font ordinairement
les premieres ,
& revint la voir dés le lende .
main . Ces deux vifites , & la
GOTHEQUE
TELA
VILLELYON
13
du Mercure Galant.
maniere dont on recevoit
nouveau venu , allarmérent un
peu les foupirans ordinaires . Il
y en eut un entr'autres qu'on appelloit
Alcidon , intime Amy du
Frére de Cloris qui ne put s'empefcher
de luy témoigner qu'il
s'appercevoit qu'elle avoit plus
d'empreffement de voir cét
Homme , que tous ceux qui alloient
chez elle . Comme il l'ai
moit fortement , la jalousie luy
faifoit penetrer jufques dans le
coeur de la Maiftreffe. I luy
avoit fouvent déclaré fa paffion ,
& avoit fait agir fon Frere pour
porter à l'époufer ; mais comla
me elle luy avoit dit qu'elle n'avoit
aucun deffein de fe remarier
, les chofes en eftoient demeurées
là , & Alcidon qui ne
R iiij
200 Extraordinaire
s'eftoit pû défaire de fon amour,
continuoit à la voir tous les jours
affiduëment. Jufques alors Cloris
n'avoit point trouvé ſes viſites
incommodes ; car ne
manquant
pas d'efprit , il fervoit chez elle à
rendre les
converfations plus
agréables ; mais depuis qu'elle
eut connu Lycidas , elle euft fort
fouhaité ne plus voir.que luy.
Ces deux Rivaux fe trouvant
tous les jours enfemble , ne pouvoient
s'empefcher de fe contredire
fur tous les fujets dont on ye.
noit à parler. Ils ne s'accordoient
qu'en une feule chofe , qui
eftoit de trouver Cloris la plus
charmante
Perfonne qu'on puft
voir. Ces petites difputes la chagrinoient
un peu , & comme elle
en apprehendoit
les fuites , elle
du Mercure Galant. 201
voulut un jour entretenir Alcidon
en particulier . Elle l'affeura
plus fortement que jamais , que
fa recherche eftoit inutile ; qu'-
elle avoit pris fa réfolution ; qu'-
elle luy confeilloit de ne plus
perdre tant de temps à venir
chez elle ; & qu'unauffi honnefte
Homme que luy , pouvoit mieux
l'employer auprés d'une autre,
qui auroit peut- eftre plus de difpofition
à reconnoiftre l'honneur
qu'il luy vouloit faire . Vous
pouvez pepfer que ces raifons ne
firent pas grande impreffion fur
l'efprit d'un Homme auffi amoureux
qu'Alcidon . Auffi cut- il
toûjours le mefme empreffement
de la voir. Le difcours qu'elle
luy avoir tenu ne fervit qu'à luy
faire examiner davantage toutes
202 Extraordinaire
4
Sa
fes actions , & il creut remarquer
qu'elle avoit beaucoup plus d'inclination
pour Lycidas , que
pour tous ceux qui la recherchoient
depuis long- temps. En
effet , il ne fe trompoit pas.
bonne mine avoit tellement touché
le coeur de la Veuve , qu'elle
luy avoit déja fait parler de
Mariage , par une Amie qui faci.
litoit le commerce qu'ils avoient
enfemble ; mais il luy avoit fait
dire qu'il avoit alors des raifons
qui l'empefchoient de devenir le
plus heureux Homme du mon
de , en poffedant celle qu'il ai
moit plus que fa vie . Cela ne fit
qu'augmenter l'Amour de la
Veuve , & un jour qu'elle luy
parla elle mefme fur cette matiere
croyant ne pouvoir eftre -•
du Mercure Galant . 203
>
entendue de perfonne , Alcidon
qui eftoit dans l'Antichambre,
& qui par quelques mots de leur
converfation , devina à peu prés
ce que c'eftoit , entra brufquement
dans le lieu où ils eftoient ,
& reprocha à Cloris l'injuftice
qu'elle luy faifoit de luy préferer
un nouveau venu un Homme
qu'elle ne connoiffoit pas , dont
elle ignoroit & les biens & la
naiffance , & il dit mefme quelques
paroles un peu faſcheufes à
Lycidas , qui n'eftant pas accou
tumé à rien fouffrir , luy répondit
auffi un peu aigrement. Ils alloient
s'échauffer , & ils fe feroient dit
peut - eftre quelque chofe de plus
choquant , fans une Dame de
confideration qui arriva affez à
propos. Cette Dame ayant fait
204
Extraordinaire
Alcidon changer le difcours
fortit un peu aprés avec le reffentiment
d'avoir appris que fon
Rival luy eftoit préferé. Il fe
promena quelque temps autour
de la Maiſon de Cloris , comme
pour fonger à ce qu'il avoit à fai
re , & lors qu'il vit fortir Lycidas
, il courut droit à luy , & mettant
l'épée à la main . Tu as eu,
luy dit-il , trop de facilité à ga.
gner le coeur de ta Maiftreffe ,
tu ne l'eftimeras pas affez s'il ne
t'en coûte quelques gouttes de
fang , puis qu'il ne t'en a point
coûté de larmes. Lycidas fe vit
obligé de fe défendre , & on ne
put les feparer fi toft , qu'Alcidon
n'euft déja receu deux coups
d'épée , dont l'on crut alors l'un
qui eftoit au cofté allez dangedu
Mercure Galant. 205
reux , Lycidas prévoyant que ce
combat luy alloit attirer de fâ.
cheufes affaires , dans une Ville
dont les principaux eftoient tous
proches parens d'Alcidon crut
qu'il eftoit à propos d'en fortir.
Il monta à Cheval , aprés avoir
écrit un Billet à Cloris dans le
' quel il s'excufoit de ce qui s'é
toit paffé , fur la neceffité de fe
défendre contre un Homme qui
eftoit venu l'attaquer en furieux,
& la prioit de fe fouvenir de luy ,
l'affeurant qu'il n'aimeroit jamais
perfonne qu'elle . Il fe retira à la
Campagne chez un de fes Amis,
par le moyen duquel il fceut tout
ce qui fe paffoit à la Ville . Dés
le lendemain il donna de fes nouvelles
à fa Veuve , qui avoit paffé
une tres - méchante nuit ; car elle
206 Extraordinaire
il ne vint à
apprehendoit que l'affaire qui
eftoit arrivée éloignant d'elle
fon cher Amant
l'oublier , fa Lettre la remit un
peu. Elle luy fit auffi - toſt réponſe
, & luy apprit que les bleffures
d'Alcidon n'eftoient pas
mortelles , mais qu'il fe tinft toújours
caché , parce qu'on faifoit
des pourfuites contre luy , & qu'
encore que fon affaire ne fuſt
pas fort criminelle de s'eftre défendu
contre un Homme qui
eftoit venu l'attaquer ; neanmoins
comme les parens de fon
Rival eftoient ſes Juges , ils luy
auroient fait garder long- temps
la Priſon . Pendant leur com-
>
merce lors qu'Alcidon eftoit
encore au lit , le Frere de Cloris ,
qui comme j'ay déja dit , eſtoit
du
Mercure Galant. .207
fon intime Amy , alla la trouver,
& aprés luy avoir reproché la
conduite , & le peu d'honneur
qu'elle avoit de s'attacher à un
Homme qu'elle ne connoiffoit
pas , il finit en luy difant qu'il ne
la reverroit jamais , fi elle ne
luy promettoit d'oublier Lycidas
, & d'époufer Alcidon fi - toft
qu'il feroit guery. Ces menaces
Fallarmérent un peu , mais comme
elle croyoit eftre Maiſtreffe
d'elle mefme , elle réfolut d'é
couter toûjours les mouvemens
de fon coeur. On travailloit cependant
au procez de l'Amant
abfent , & elle apprehendoit plus
de le perdre par ce moyen , que
par aucun autre , car le bruit
couroit qu'on le banniroit à jamais
de la Ville . La crainte qu'
208 .
Extraordinaire
elle en eut , & les preffantes fol
licitations de fes Amies qui la
prioient de promettre d'époufer
Alcidon , en luy difant que le
temps pourroit apporter du chan.
gement à fes affaires , jointes à la
paffion qu'elle avoit de revoir ce
qu'elle aimoit le plus au monde,
fut caufe qu'elle promit tout ce
qu'on voulut , mais fans deffein
de tenir parole , à condition
qu'on feroit ceffer toutes fortes
de pourfuites contre Lycidas , &
qu'on le raccommoderoit avec
Alcidon. Quand ce malheureux
Amant eut appris ce qui
avoit efté arrefté , quoy qu'il euft
des raifons fecrettes , & qu'on
apprendra dans la fuite , de n'ê .
tre pas tant allarmé de la voir la
Femme d'un autre , il ne laiffa
du Mercure Galant, 209
pas de faire mille plaintes contie
elle ; car il ignoroit fes veritables
deffeins , il l'accufa d'infidelité &
d'inconftance , & quoy que peu
aprés elle luy mandaft que ce
qu'elle en avoit fait , eftoit afin
de terminer le procez qu'il avoit
avec Alcidon ; neanmoins il revint
à la Ville avec un chagrin
qu'il ne put s'empefcher de témoigner
à Cloris. Aprés s'eftre
déclaré l'un à l'autre la joye
qu'ils avoient de fe revoir , elle
luy confirma de bouche que la
parole qu'elle avoit donnée d'époofer
Alcidon , ne luy devoit
rien faire apprehender ; qu'il fçavoir
ce qu'elle luy avoit propofé
plufieurs fois ; qu'il ne tenoit
qu'à luy qu'elle ne devinft fa
Femme & que leur Mariage
Q. deFanvier 1685.
S
210 Extraordinaire
ofteroit à íon Rival toute forte
d'efpérance. Le mot de Mariage
allarmoit Lycidas , & Cloris.
ne pouvoit comprendre pourquoy
; Car enfin , difoit - elle en
elle-mefme lors qu'il l'eut quittée
, s'il m'aime veritablement
comme il me le veut perſuader,
& comme je n'ay pas de peine à
le croire , Qu'elle difficulté fait
il de m'épouter ? Quelle raiion
peut- il avoir à Je rifque bien da
vantage , moy qui ne connoift
que fa Perfonne , & qui en fais
choix contre l'avis & le confentement
de tous mes proches. Il
eft vray que je fuis maiftreffe de
moy ; mais enfin s'il arrive queje
découvre un jour que Lycidas
eft un Homme qui n'a ny biens.
py naiffance , avec toute la bondu
Mercure Galant. 211
ne mine que je luy trouve , quel
le confufion auray- je de l'avoirpréféré
àune Perfonne dont tous
tes les qualitez me font connuës?
Cependant Alcidon guery ,
preffoit de s'acquitter de la parole
qu'elle luy avoit donnée , &
elle trouvoit un grand fujet d'embarras
entre un Amant dont elle
eftoit aimée , mais qu'elle n'ai.
moit point , qui la follicitoit de
l'époufer , & un autre qu'elle aimoit
& dont elle eftoit aimée,,
qui refufoit d'eftre fon Mary,
fans luy en donner aucune bon
ne raifon , Enfin ſe trouvantper
fecutée par Alcidon , par fes Parens
& par fes Amies , & voyant
que Lycidas refufoit de faire ce
quelle fouhaitoit , elle prit réfo
lution de prendre le party qu'el
Sij
212 Extraordinaire
le auroit le moins fouhaité , qui
eftoit d'époufer celuy qu'elle
n'aimoit pas ; le Contract fut
dreffé , les Articles fignez , les
habits de Nopces faits , le jour
pris pour la cérémonie. Lycidas
fe voyant alors fi prés de perdre
pour jamais celle qu'il aimoit
avec tant de paſion , ſe réſolut à
faire ce qu'il n'auroit jamais ofé
penfer, I alla trouver Cloris,
& aprés luy avoir reproché l'em.
preffement qu'elle avoit de fe
jetter entre les bras d'un autre,
il luy dit que fi elle eftoit toû
jours la mefme , il eftoit dans le
deffein de faire tout ce qu'elle
voudroit. Ces paroles , la comblérent
de joye , & quoy que.
l'engagement qu'elle avoit avec
Alcidon fuft fi confidérable , elle
du Mercure Galand. 213
ne fut pas un moment à balancer.
de le rompre , la difficulté eftoit
d'en trouver les moyens. Ils réfolurent
qu'elle feroit quelque
temps la malade , & que cependapt
ils verroient quelles mefures
ils auroient à prendre. Alci
don attribua ce retardement à
une veritable indifpofition. Il ne
crut pas qu'en eftant venus fi
avant , elle euft voulu fe dédire.
Il continua fes affiduitez auprés
d'elle , mais comme elle s'en
trouvoit embarraffée , parce que
cela empefchoit Lycidas de ve.
nir la voir , elle prit le party de fe
retirer à la Campagne , fous prétexte
d'aller prendre l'air. Lycidas
alla la trouver accompagné
d'une Amie de Cloris , & là ils
s'épouférent fans aucune ceré
214
Extraordinaire's
monie. Alcidon en ayant appris
la nouvelle , s'emporta beaucoup
au commencement contr'eux.
Il eut plufieurs fois la penfée de
s'aller battre encore une fois con
tre Lycidas , mais eftant revenu
de fon premier emportement,
fes Amis luy firent comprendre
qu'il n'auroit jamais eu aucune
fatisfaction d'époufer une Fem
me qui avoit difpofe de fon cocur
en faveur d'un autre. Sa colere
diminua peu à peu , & comme il
n'eftoit pas témoin de leur prés
tendu bonheur , il luy fat plus.
facile de fe confoler. Il en eut
un plus grand fujet cinq ou fix
jours aprés , lors qu'il apprit que·
Cloris avoit fait arrefter Lycidas
prifonnier , qui l'ayant recher
chée depuis tant de temps , &
du Mercure Galant.
218
=
ayant toûjours paffé pour un
Homme , avoit efté enfin contrainte
de luy avouer que ce n'étoit
qu'une fille qu'elle avoit
épousée . Elle luy dit que dés la
premiere fois qu'elle la vit à cet.
te Affemblée , dont nous avons
parlé , elle devint éperduëment
amoureuſe de fes belles qualitez ,
fans fonger où cette paffion la
devoit porter ; que la feule crainte
qu'elle avoit euë de la voir la
Femme d'un autre , l'avoit fait
réfoudre de fe marier avec elle,
pour ſe conſerver l'amitié qu'elle
luy portoit , & qu'un Mary luy
auroit apparemment fait perdre.
Cloris que ces raifons ne pou
voient fatisfaire , la remit entre
les mains de la Justice ; & on at
tend avec impatience ce qu'elle
2.16
Extraordinaire
ordonnera pour un tel crime
Cependant elle s'eft retirée dans
un Convent , où felon toutes les
apparences elle doit demeurer le
refte de les jours , aprés un acci
dent pareil à celuy qui luy eſt
arrivé.
m'a mis entre les mains l' Hiftoire dont
je vay vousfaire part . Je la laiffe dans
les mefmestermes que je l'ayreceuë.
190
Extraordinaire
255 :22222 2522 : 2222
L'AMOUR BIZARRE
HISTOIRE VERITABLE.
L
'Amour fe plaift ſouvent ài
faire voir fa bizarrerie auffi
bien que fa puiffance . Dans la
Capitale d'une des meilleures-
Provinces du Royaume , demeu
roit une jeune Veuve , bellë , ri .
che , noble , & mefine qui paf
foit pour fort fpirituelle. Il n'eft
pas difficile de s'imaginer qu'avec
toutes ces bonnes qualitez ,.
elle ne manquoit pas d'Adorateurs.
Elle avoit tous les jours.
chez elle ce qu'on appelle le
beau Monde d'une Ville , & quoy
di Mercure Galant: 1971
qu'elle euft témoigné qu'elle n'avoit
aucune inclination pour un
fecond Mariage , on ne laiffoit
pas neanmoins de luy propofer
toûjours quelque nouveau Par.
ty. La joye qu'elle avoit de fe
voir maîtreffe d'elle- même ,aprés
avoir obeï à un Homme , qu'on
dit qu'elle n'avoit épousé que
pour obeïr à fes Parens , luy avoit
fair prendre la refolution de demeurerVeuvele
refte de fes jours .
Elle ne pouvoir pourtant honneftement
refufer les vifites de ceux
que fon efprit & fa beauté luy
attiroient , mais c'eftoit à condi
rion qu'on ne luy parleroit poin
d'amour , ce qu'on obfervoit fort
malcar il eftoit difficile de la
voir fans l'aimer , & tous les Amans
n'ont pas affez de retenue
192 Extraordinaire
Le pour ne fe point déclarer.
grand deuil eftant paffé , car il y
avoit déja plus d'un an qu'elle
avoit perdu fon Mary , elle commença
à vivre avec un peu plus de
liberté qu'elle n'avoit fait depuis.
fa mort , & entra dans tous ces
petits plaifirs innocens , qui font
l'occupation de la vie . On luy
propofoit tous lesjours de nouvelles
parties de divertiffement,
& comme l'on eftoit alors dans
la faifon du Carnaval , on la fol.-
licita plufieurs fois pourla mener
aux Affemblées qui fe faifoient
chez les Principaux de la Ville,
où aprés les Repas qu'ils fe don
noient les uns aux autres , chacun
à leur tour , on faifoit venir les
Violons , & on paffoit agreable..
ment une partie de la nuit à dan
CCE
du Mercure Galant.
193
fer. Comme elle croyoit qu'elle
ne devoit pas encore prendre
part à ces fortes de plaifirs , elle
s'eftoit toûjours défenduë d'y aller.
Enfin un jour que c'eftoit
à un Frere qu'elle avoit à donner
le regale , fes Amies la follicite
rent fi fortement , & fon Frere
luy fit fi bien comprendre qu'elle
ne blefferoit point fon devoir , &
que cela ne tireroit à aucune
confequence , qu'elle luy promit
de s'y trouver. L'Affemblée fut
ce foir là nombreuſe & magnifique.
Je ne m'arrefteray point à
décrire la fomptuofité du Feftin,
ny la propreté de la Salle où il
fe fit. Il luffit de fçavoir que les
plus délicats fur cette matiere eurent
affez dequoy fe contenter.
Aprés le repas on paffa dans une
2. deJanvier 1685. R
ད
194
Extraordinaire
autre Salle qu'on trouva riche
ment meublée , & éclairée par
une grande quantité de lumieres.
Le Bal commença pour lors , &
pendant que les uns danfoient,
les autres s'entretenoient avec les
Perfonnes qui leur plaifoient le
plus . On fait que c'est là que
les Amans ont droit de fe plaindre
des peines que l'Amour leur
fait fouffrir & que ceux qui
n'ont aucune veritable paffion
pour le beau Sexe , ne laiffènt pas
de vouloir paroiftre amoureux ;
Les Galants en conterent beau
coup , & les Belles furent obli
gées d'en écouter autant. Cependant
il y avoit des Perfonnes
qui fouffroient effectivement , &
a jeune Veuve avoit donné de
'amour à plufieurs qui s'emprefdu
Mercure Galant . 195
C
foient à l'envy l'un de l'autre , de
luy perfuader la forte paffion
qu'ils fentoient pour elle. Elle
lès écoutoit tous indifferemment,
& leur témoignoit que l'Amour
n'auroit jamais aucun pouvoir ſur
fon coeur ; mais il luy fit bientoft
connoiftre qu'on ne le méprife
guere impunément ; car
un jeune Cavalier fort propre
qui n'avoit point efté du repas,
l'eftant venu prendre pour danfer
, elle reffentit à ſon abord ce
certain je ne fçay quoy qui ne fe
peut expliquer. Quand elle fut
revenue à fa place , ce mefme
Cavalier vint le mettre à fes genoux,
& avec un air engageant &
des manieres honneſtes & refpe-
& ueuſes , il luy jura plufieurs fois
qu'il n'avoit jamais veu une plus
Rij
196 Extraordinaire
belle Perfonne . Elle luy répon
doit comme à tous les autres,
quoy qu'elle commençaſt déja
de le confiderer d'une autre maniere.
En effet , on remarqua
qu'elle l'examinoit attentivement
, qu'elle luy addreffoit la
parole plus fouvent qu'aux autres
fur tout ce qui fe paffoit
dans la Salle & mefme un
Homme qui l'aimoit effectivement
beaucoup , ne put s'empef
cher de luy en faire la guerre.
Dans la converfation ce Cavalier
luy dit , que puis qu'il avoit
efté affez heureux de voir une
auffi aimable Perfonne , il luy
demandoit la permiffion d'aller
chez elle luy rendre ce que tout
le monde luy devoit , & l'affeurer
que fa plus grande paffion fedu
Mercure Galant. 197
1
roit d'eftre capable de luy pou
voir rendre quelque fervice. Le
Bal finy , la Compagnie fe fepara
, & la Veuve fortit un peu
émeuë , par la veuë de l'Inconnu
, qui de fon coſté avoit
paru avoir beaucoup de difpofition
à l'aimer. Deux jours aprés
elle fut furpriſe de le voir venir
chez elle . Ils eurent enfemble
un entretien plus, reglé , & apres
avoir parlé de l'occafion de leur
connoiffance , elle s'informa s'it
eftoit de la Province , & par quel
hazard il s'eftoit trouvé à cette
Affemblée . Il répondit à toutes
fes demandes & luy dit qu'il
s'appelloit Lycidas , qu'il demeu
roit ordinairement à une Terre
qu'il avoit à la Campagne , que
quelques affaires d'affez peu de
R iij
Extraordinaire
Conféquence l'avoient attiré à la ·
Ville , mais qu'il s'en faifoit alors
une fort grade d'y demeurer pour
achever de faire connoiffance
avec une Perfonne , à laquelle il
avoit reconnu tant d'efprit &
tant de merite. Ces paroles flatoientagréablement
Cloris , ainfi
s'appelloit la Veuve qui s'eftoit
un peu laiffée toucher par la
bonne mine de Lycidas , & qui
fouhaitoit dans fon coeur que ce
fuft un homme d'une condition
proportionnée à la fienne , car
elle commençoit déja de quiter la
refolution qu'elle fembloit avoir
priſe de demeurer Veuve . Il fit fa
vifite un peu plus longue que ne le
font ordinairement
les premieres ,
& revint la voir dés le lende .
main . Ces deux vifites , & la
GOTHEQUE
TELA
VILLELYON
13
du Mercure Galant.
maniere dont on recevoit
nouveau venu , allarmérent un
peu les foupirans ordinaires . Il
y en eut un entr'autres qu'on appelloit
Alcidon , intime Amy du
Frére de Cloris qui ne put s'empefcher
de luy témoigner qu'il
s'appercevoit qu'elle avoit plus
d'empreffement de voir cét
Homme , que tous ceux qui alloient
chez elle . Comme il l'ai
moit fortement , la jalousie luy
faifoit penetrer jufques dans le
coeur de la Maiftreffe. I luy
avoit fouvent déclaré fa paffion ,
& avoit fait agir fon Frere pour
porter à l'époufer ; mais comla
me elle luy avoit dit qu'elle n'avoit
aucun deffein de fe remarier
, les chofes en eftoient demeurées
là , & Alcidon qui ne
R iiij
200 Extraordinaire
s'eftoit pû défaire de fon amour,
continuoit à la voir tous les jours
affiduëment. Jufques alors Cloris
n'avoit point trouvé ſes viſites
incommodes ; car ne
manquant
pas d'efprit , il fervoit chez elle à
rendre les
converfations plus
agréables ; mais depuis qu'elle
eut connu Lycidas , elle euft fort
fouhaité ne plus voir.que luy.
Ces deux Rivaux fe trouvant
tous les jours enfemble , ne pouvoient
s'empefcher de fe contredire
fur tous les fujets dont on ye.
noit à parler. Ils ne s'accordoient
qu'en une feule chofe , qui
eftoit de trouver Cloris la plus
charmante
Perfonne qu'on puft
voir. Ces petites difputes la chagrinoient
un peu , & comme elle
en apprehendoit
les fuites , elle
du Mercure Galant. 201
voulut un jour entretenir Alcidon
en particulier . Elle l'affeura
plus fortement que jamais , que
fa recherche eftoit inutile ; qu'-
elle avoit pris fa réfolution ; qu'-
elle luy confeilloit de ne plus
perdre tant de temps à venir
chez elle ; & qu'unauffi honnefte
Homme que luy , pouvoit mieux
l'employer auprés d'une autre,
qui auroit peut- eftre plus de difpofition
à reconnoiftre l'honneur
qu'il luy vouloit faire . Vous
pouvez pepfer que ces raifons ne
firent pas grande impreffion fur
l'efprit d'un Homme auffi amoureux
qu'Alcidon . Auffi cut- il
toûjours le mefme empreffement
de la voir. Le difcours qu'elle
luy avoir tenu ne fervit qu'à luy
faire examiner davantage toutes
202 Extraordinaire
4
Sa
fes actions , & il creut remarquer
qu'elle avoit beaucoup plus d'inclination
pour Lycidas , que
pour tous ceux qui la recherchoient
depuis long- temps. En
effet , il ne fe trompoit pas.
bonne mine avoit tellement touché
le coeur de la Veuve , qu'elle
luy avoit déja fait parler de
Mariage , par une Amie qui faci.
litoit le commerce qu'ils avoient
enfemble ; mais il luy avoit fait
dire qu'il avoit alors des raifons
qui l'empefchoient de devenir le
plus heureux Homme du mon
de , en poffedant celle qu'il ai
moit plus que fa vie . Cela ne fit
qu'augmenter l'Amour de la
Veuve , & un jour qu'elle luy
parla elle mefme fur cette matiere
croyant ne pouvoir eftre -•
du Mercure Galant . 203
>
entendue de perfonne , Alcidon
qui eftoit dans l'Antichambre,
& qui par quelques mots de leur
converfation , devina à peu prés
ce que c'eftoit , entra brufquement
dans le lieu où ils eftoient ,
& reprocha à Cloris l'injuftice
qu'elle luy faifoit de luy préferer
un nouveau venu un Homme
qu'elle ne connoiffoit pas , dont
elle ignoroit & les biens & la
naiffance , & il dit mefme quelques
paroles un peu faſcheufes à
Lycidas , qui n'eftant pas accou
tumé à rien fouffrir , luy répondit
auffi un peu aigrement. Ils alloient
s'échauffer , & ils fe feroient dit
peut - eftre quelque chofe de plus
choquant , fans une Dame de
confideration qui arriva affez à
propos. Cette Dame ayant fait
204
Extraordinaire
Alcidon changer le difcours
fortit un peu aprés avec le reffentiment
d'avoir appris que fon
Rival luy eftoit préferé. Il fe
promena quelque temps autour
de la Maiſon de Cloris , comme
pour fonger à ce qu'il avoit à fai
re , & lors qu'il vit fortir Lycidas
, il courut droit à luy , & mettant
l'épée à la main . Tu as eu,
luy dit-il , trop de facilité à ga.
gner le coeur de ta Maiftreffe ,
tu ne l'eftimeras pas affez s'il ne
t'en coûte quelques gouttes de
fang , puis qu'il ne t'en a point
coûté de larmes. Lycidas fe vit
obligé de fe défendre , & on ne
put les feparer fi toft , qu'Alcidon
n'euft déja receu deux coups
d'épée , dont l'on crut alors l'un
qui eftoit au cofté allez dangedu
Mercure Galant. 205
reux , Lycidas prévoyant que ce
combat luy alloit attirer de fâ.
cheufes affaires , dans une Ville
dont les principaux eftoient tous
proches parens d'Alcidon crut
qu'il eftoit à propos d'en fortir.
Il monta à Cheval , aprés avoir
écrit un Billet à Cloris dans le
' quel il s'excufoit de ce qui s'é
toit paffé , fur la neceffité de fe
défendre contre un Homme qui
eftoit venu l'attaquer en furieux,
& la prioit de fe fouvenir de luy ,
l'affeurant qu'il n'aimeroit jamais
perfonne qu'elle . Il fe retira à la
Campagne chez un de fes Amis,
par le moyen duquel il fceut tout
ce qui fe paffoit à la Ville . Dés
le lendemain il donna de fes nouvelles
à fa Veuve , qui avoit paffé
une tres - méchante nuit ; car elle
206 Extraordinaire
il ne vint à
apprehendoit que l'affaire qui
eftoit arrivée éloignant d'elle
fon cher Amant
l'oublier , fa Lettre la remit un
peu. Elle luy fit auffi - toſt réponſe
, & luy apprit que les bleffures
d'Alcidon n'eftoient pas
mortelles , mais qu'il fe tinft toújours
caché , parce qu'on faifoit
des pourfuites contre luy , & qu'
encore que fon affaire ne fuſt
pas fort criminelle de s'eftre défendu
contre un Homme qui
eftoit venu l'attaquer ; neanmoins
comme les parens de fon
Rival eftoient ſes Juges , ils luy
auroient fait garder long- temps
la Priſon . Pendant leur com-
>
merce lors qu'Alcidon eftoit
encore au lit , le Frere de Cloris ,
qui comme j'ay déja dit , eſtoit
du
Mercure Galant. .207
fon intime Amy , alla la trouver,
& aprés luy avoir reproché la
conduite , & le peu d'honneur
qu'elle avoit de s'attacher à un
Homme qu'elle ne connoiffoit
pas , il finit en luy difant qu'il ne
la reverroit jamais , fi elle ne
luy promettoit d'oublier Lycidas
, & d'époufer Alcidon fi - toft
qu'il feroit guery. Ces menaces
Fallarmérent un peu , mais comme
elle croyoit eftre Maiſtreffe
d'elle mefme , elle réfolut d'é
couter toûjours les mouvemens
de fon coeur. On travailloit cependant
au procez de l'Amant
abfent , & elle apprehendoit plus
de le perdre par ce moyen , que
par aucun autre , car le bruit
couroit qu'on le banniroit à jamais
de la Ville . La crainte qu'
208 .
Extraordinaire
elle en eut , & les preffantes fol
licitations de fes Amies qui la
prioient de promettre d'époufer
Alcidon , en luy difant que le
temps pourroit apporter du chan.
gement à fes affaires , jointes à la
paffion qu'elle avoit de revoir ce
qu'elle aimoit le plus au monde,
fut caufe qu'elle promit tout ce
qu'on voulut , mais fans deffein
de tenir parole , à condition
qu'on feroit ceffer toutes fortes
de pourfuites contre Lycidas , &
qu'on le raccommoderoit avec
Alcidon. Quand ce malheureux
Amant eut appris ce qui
avoit efté arrefté , quoy qu'il euft
des raifons fecrettes , & qu'on
apprendra dans la fuite , de n'ê .
tre pas tant allarmé de la voir la
Femme d'un autre , il ne laiffa
du Mercure Galant, 209
pas de faire mille plaintes contie
elle ; car il ignoroit fes veritables
deffeins , il l'accufa d'infidelité &
d'inconftance , & quoy que peu
aprés elle luy mandaft que ce
qu'elle en avoit fait , eftoit afin
de terminer le procez qu'il avoit
avec Alcidon ; neanmoins il revint
à la Ville avec un chagrin
qu'il ne put s'empefcher de témoigner
à Cloris. Aprés s'eftre
déclaré l'un à l'autre la joye
qu'ils avoient de fe revoir , elle
luy confirma de bouche que la
parole qu'elle avoit donnée d'époofer
Alcidon , ne luy devoit
rien faire apprehender ; qu'il fçavoir
ce qu'elle luy avoit propofé
plufieurs fois ; qu'il ne tenoit
qu'à luy qu'elle ne devinft fa
Femme & que leur Mariage
Q. deFanvier 1685.
S
210 Extraordinaire
ofteroit à íon Rival toute forte
d'efpérance. Le mot de Mariage
allarmoit Lycidas , & Cloris.
ne pouvoit comprendre pourquoy
; Car enfin , difoit - elle en
elle-mefme lors qu'il l'eut quittée
, s'il m'aime veritablement
comme il me le veut perſuader,
& comme je n'ay pas de peine à
le croire , Qu'elle difficulté fait
il de m'épouter ? Quelle raiion
peut- il avoir à Je rifque bien da
vantage , moy qui ne connoift
que fa Perfonne , & qui en fais
choix contre l'avis & le confentement
de tous mes proches. Il
eft vray que je fuis maiftreffe de
moy ; mais enfin s'il arrive queje
découvre un jour que Lycidas
eft un Homme qui n'a ny biens.
py naiffance , avec toute la bondu
Mercure Galant. 211
ne mine que je luy trouve , quel
le confufion auray- je de l'avoirpréféré
àune Perfonne dont tous
tes les qualitez me font connuës?
Cependant Alcidon guery ,
preffoit de s'acquitter de la parole
qu'elle luy avoit donnée , &
elle trouvoit un grand fujet d'embarras
entre un Amant dont elle
eftoit aimée , mais qu'elle n'ai.
moit point , qui la follicitoit de
l'époufer , & un autre qu'elle aimoit
& dont elle eftoit aimée,,
qui refufoit d'eftre fon Mary,
fans luy en donner aucune bon
ne raifon , Enfin ſe trouvantper
fecutée par Alcidon , par fes Parens
& par fes Amies , & voyant
que Lycidas refufoit de faire ce
quelle fouhaitoit , elle prit réfo
lution de prendre le party qu'el
Sij
212 Extraordinaire
le auroit le moins fouhaité , qui
eftoit d'époufer celuy qu'elle
n'aimoit pas ; le Contract fut
dreffé , les Articles fignez , les
habits de Nopces faits , le jour
pris pour la cérémonie. Lycidas
fe voyant alors fi prés de perdre
pour jamais celle qu'il aimoit
avec tant de paſion , ſe réſolut à
faire ce qu'il n'auroit jamais ofé
penfer, I alla trouver Cloris,
& aprés luy avoir reproché l'em.
preffement qu'elle avoit de fe
jetter entre les bras d'un autre,
il luy dit que fi elle eftoit toû
jours la mefme , il eftoit dans le
deffein de faire tout ce qu'elle
voudroit. Ces paroles , la comblérent
de joye , & quoy que.
l'engagement qu'elle avoit avec
Alcidon fuft fi confidérable , elle
du Mercure Galand. 213
ne fut pas un moment à balancer.
de le rompre , la difficulté eftoit
d'en trouver les moyens. Ils réfolurent
qu'elle feroit quelque
temps la malade , & que cependapt
ils verroient quelles mefures
ils auroient à prendre. Alci
don attribua ce retardement à
une veritable indifpofition. Il ne
crut pas qu'en eftant venus fi
avant , elle euft voulu fe dédire.
Il continua fes affiduitez auprés
d'elle , mais comme elle s'en
trouvoit embarraffée , parce que
cela empefchoit Lycidas de ve.
nir la voir , elle prit le party de fe
retirer à la Campagne , fous prétexte
d'aller prendre l'air. Lycidas
alla la trouver accompagné
d'une Amie de Cloris , & là ils
s'épouférent fans aucune ceré
214
Extraordinaire's
monie. Alcidon en ayant appris
la nouvelle , s'emporta beaucoup
au commencement contr'eux.
Il eut plufieurs fois la penfée de
s'aller battre encore une fois con
tre Lycidas , mais eftant revenu
de fon premier emportement,
fes Amis luy firent comprendre
qu'il n'auroit jamais eu aucune
fatisfaction d'époufer une Fem
me qui avoit difpofe de fon cocur
en faveur d'un autre. Sa colere
diminua peu à peu , & comme il
n'eftoit pas témoin de leur prés
tendu bonheur , il luy fat plus.
facile de fe confoler. Il en eut
un plus grand fujet cinq ou fix
jours aprés , lors qu'il apprit que·
Cloris avoit fait arrefter Lycidas
prifonnier , qui l'ayant recher
chée depuis tant de temps , &
du Mercure Galant.
218
=
ayant toûjours paffé pour un
Homme , avoit efté enfin contrainte
de luy avouer que ce n'étoit
qu'une fille qu'elle avoit
épousée . Elle luy dit que dés la
premiere fois qu'elle la vit à cet.
te Affemblée , dont nous avons
parlé , elle devint éperduëment
amoureuſe de fes belles qualitez ,
fans fonger où cette paffion la
devoit porter ; que la feule crainte
qu'elle avoit euë de la voir la
Femme d'un autre , l'avoit fait
réfoudre de fe marier avec elle,
pour ſe conſerver l'amitié qu'elle
luy portoit , & qu'un Mary luy
auroit apparemment fait perdre.
Cloris que ces raifons ne pou
voient fatisfaire , la remit entre
les mains de la Justice ; & on at
tend avec impatience ce qu'elle
2.16
Extraordinaire
ordonnera pour un tel crime
Cependant elle s'eft retirée dans
un Convent , où felon toutes les
apparences elle doit demeurer le
refte de les jours , aprés un acci
dent pareil à celuy qui luy eſt
arrivé.
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Résumé : L'AMOUR BIZARRE HISTOIRE VERITABLE.
Le texte narre une histoire d'amour complexe impliquant une jeune veuve noble et riche, résidant dans une capitale provinciale. Cette veuve, connue pour son esprit et sa beauté, attire de nombreux admirateurs malgré sa déclaration de ne pas vouloir se remarier. Elle accepte les visites de ces hommes à condition qu'ils ne lui parlent pas d'amour. Lors d'une assemblée carnavalesque, un jeune cavalier nommé Lycidas attire son attention. Après avoir dansé avec elle, Lycidas exprime son admiration et obtient la permission de lui rendre visite. Ses visites fréquentes suscitent la jalousie d'Alcidon, un autre admirateur de la veuve et ami intime de son frère. La veuve, nommée Cloris, avoue à Alcidon qu'elle préfère Lycidas. Alcidon, jaloux et blessé, provoque Lycidas en duel. Lycidas, blessé, quitte la ville pour éviter des ennuis judiciaires, car les parents d'Alcidon sont influents. Cloris, inquiète pour Lycidas, lui écrit pour le rassurer sur l'état d'Alcidon. Pendant ce temps, le frère de Cloris menace de ne plus la voir si elle n'épouse pas Alcidon. Cloris accepte de se marier avec Alcidon pour protéger Lycidas et mettre fin au procès, mais informe Lycidas de ses véritables intentions. Lycidas, ignorant ses motivations, est accablé de chagrin. Cloris, malgré son amour pour Lycidas, se trouve pressée par Alcidon, ses parents et ses amies de respecter sa promesse. Elle finit par décider d'épouser Alcidon, mais Lycidas, réalisant qu'il risque de perdre Cloris, accepte finalement de se marier avec elle. Ils se marient secrètement à la campagne. Alcidon, apprenant la nouvelle, est d'abord furieux mais finit par se consoler. Quelques jours plus tard, Cloris révèle à Alcidon que Lycidas est en réalité une femme. Choqué, Alcidon apprend que Cloris a fait arrêter Lycidas. Cloris, insatisfaite des explications de Lycidas, la remet à la justice. Lycidas se retire ensuite dans un couvent, où elle est destinée à passer le reste de ses jours.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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25
p. 242-254
SONGE D'ARISTE. A PHILEMON. Sur le Projet de la Médaille de BEL ESPRIT.
Début :
Je ne me souviens point Philemon, d'avoir fait de Songe [...]
Mots clefs :
Duc, Songe, Dames, Maison de campagne, Nature, Savants, Tragédie, Bel esprit, Âme, Émotions, Coeur, Auteurs, Médaille, Ouvrages, Honneur
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texteReconnaissance textuelle : SONGE D'ARISTE. A PHILEMON. Sur le Projet de la Médaille de BEL ESPRIT.
SONGE D'ARISTE .
I
A PHILEMON.
Sur le Projet de la Médaille de
- BEL ESPRIT.
E ne me fouviens point Philemon
, d'avoir fait de Songe
plus agréable , que celuy que je
fis l'année derniere à .... Mai.
fon de Plaisance de M' le Duc
de .... éloignée de Paris de cinq
lieuës . Le recit en a paru fi nouveau
& fi fingulier , que je me fuis
trouvé engagé d'en faire plufieurs
Copies , pour fatisfaire les
Dames fçavantes que vous connoiffez.
du Mercure Galant.
243
La Saifon ne pouvoit eftre alors
plus agréable pour paffer quelque
temps à la Campagne , ny
le lieu où je me trouvois plus délicieux
pour en joüir. La Maifon
de ce Duc eft baftie fur une
éminence. Il y a des Jardins, des
Bois , des Plaines & des Colines,
& cette forte de décoration ne
peut eftre plus belle , parce qu'
elle ne peut eftre plus diverfifiée.
Elle prefente tantoft toutes ces
chofes enſemble à la veuë &
tantoft en particulier , & avec
tant de plaifir , que la veuë mef
me en demeure quelquefois confuſe
, ne fçachant de quelle maniere
elle doit fe divertir le plus .
Entre les beautez de cette Maifon
, on compte de tres- grandes
décentes d'efcalier , ornées de
X ij
244
Extraordinaire
baluftres , qui fe détachant ma
jeftueufement de ce Bâtiment fuperbe
, par un double rang , dé
cendent par une grande longueur
de chemin , prefque jufqu'au
bord de la Seine , qui en
ferpentant doucement , s'écoule
dans la Plaine , & par une fuite
affez lente , & par plufieurs détours
va agréablement chercher
fon lit. Comme il y a plufieurs
terraffes les unes fur les autres , les
veuës y font fi belles & fi étéduës,
que plufieurs fois elles font au
delà de la portée de la veuë même
& les dernieres femblent toûjours
eftre plus agreables & plus
charmantes que les premieres.
C'eft dans ce fejour enchanté que
j'ay fait le Songe dont vous allez
lire le recit.
du Mercure Galant.
245
peut
Je m'imaginay entendre plu
fieurs Sçavans qui difputoient enfemble
fur la connoiffance des
veritables beautez de la Tragedie.
On difoit
que ce n'eftoit pas affez
que la Tragédie fe fervift des avantures
les plus touchantes , & les
plus terribles que l'Histoire
fournir , pour exciter dans le
coeur les mouvemens qu'elle prétend
, afin de guerir l'efprit des
vaines frayeurs , qui font capables
de le troubler , & des fottes
compaffions qui le peuvent amolir.
Il faut encore , difoit on,
que le Poëte mette en ufage ces
grands objets de terreur & de pitié
, comme les deux plus puiffans
refforts qu'ait l'Art pour pro
duire le plaifir que peut donner
la Tragedie , & ce plaifir qui eft
"
X iij
246
Extraordinaire
proprement celuy de l'efprit ,
confifte dans l'agitation de l'ame
émeuë par les paffions . La Tragédie
ne devient agréable au
Spectateur , que parce qu'il de.
vient luy-mefme fenfible à tout
ce qu'on luy repréfente ; qu'il entre
dans tous les differens fentimens
des Acteurs ; qu'il s'intereſ
fe dans leurs avantures ; qu'il
craint & qu'il efpére ; qu'il s'afflige
, & qu'il fe réjoüit avec eux .
Le Theatre eft froid & languiffant
dés qu'il ceffe de produire
ces mouvemens dans l'ame des
Spectateurs , mais comme de toutes
les paffions la crainte & la pitié
font celles qui font de plus
grandes impreffions fur le coeur
de l'Homme , par la difpofition
naturelle qu'il à à s'épouvanter
du Mercure Galant. 247
> & à s'attendrir Ariftote les a
choifies entre les autres pour tou
cher davantage les efprits , par
ces fentimens tendres qu'elles
caufent quand le coeur s'en laiffe
penétrer. En effet , dés que l'ame
eft ébranlée par des mouvemens
fi naturels & fi humains,
toutes les impreffions qu'elle reffent
luy deviennent agréables.
Son trouble luy plaift , & ce qu'-
elle.reffent d'émotion , eft pour
elle une espéce de charme qui la
jette dans une douce & profonde
réverie , & qui la fait entrer infenfiblement
dans tous les intérefts
qui jouent fur le Theatre.
C'est alors que le coeur s'abandonne
à tous les objets qu'on luy
propofe , que toutes les Images
le frappent , qu'il époufe tous les
X iiij
248
Extraordinaire
fentimens de tous ceux qui parlent
, & qu'il devient fufceptible
de toutes les paffions qu'on luy
montre , parce qu'il eft émeu , &
c'eſt dans cette émotion que confifte
tout le plaifir qu'on eft capable
de recevoir en voyant repréfenter
une Tragédie , car l'efprit
de l'Homme fe plaift aux mouvemens
differens que luy caufent
les differens objets , & les diver-
Les paffions qu'on luy expofe.
C'eſt par cét Art admirable que
L'Oedipe de Sophocle ( dont Ariftote
parle toûjours comme du
modelle le plus achevé de la Tragedie
) faifoit de fi grands effets
fur le Peuple d'Athénes lors
qu'on le repréfentoit , & ce n'eft
pas fans raifon que.... Ces régles
& ces remarques font fort juſtes,
du Mercure Galant. 249
1
;
mais
interrompit quelqu'un de la
Compagnie , & l'exemple d'Oe.
dipe eft tout à fait beau
tout le Monde ne peut pas porter
la gloire de la compofition auffi
haut que les illuftres Corneilles
& Racine. Il eft quantité de jeu
nes. Autheurs & de Plumes naiffantes
, qui n'afpirent pas à la
gloire de Virgile ny d'Horace ,
mais cependant chacun d'eux a
fon talent different , & fon merite
particulier , & quoy que plu .
Leurs.Perfonnes n'ayent pas l'efprit
tout à fait fublime , ny du
premier ordre , ils ne laiffent
pas
de prétendre aux honneurs du
Parnaffe à proportion de ce
qu'on les eftime . On dit à ce fujet
que quelques Académies d'Italie
ont étably un Ordre , qui eft une
250 Extraordinaire
certaine marque d'honneur qu'on
appelle Médaille de Bel Efprit. Elle
eft d'or. Il y a d'un coſté le
Portrait du Prince , & de l'autre
la Devife de l'Académie de la
Ville . On la donne , ou l'on permet
d'en acheter à ceux , qui de
temps en temps ont fait part au
Public de quelques Ouvrages en
Vers ou en Profe ; les Dames mefme
n'en font point excluës . On
porte cette Médaille avec un
Cordon bleu paffé en Baudrier
entre leJufte-au- corps & laVeſte,
& ceux qui ont moins de vanité
la portent feulement attachée à
une
boutonniere du Jufte-aucorps
, & les Dames à l'endroit
où elles mettent ordinairement
la Croix de Diamants. On la reçoit
des mains du Protecteur de
du Mercure Galant. 251
l'Académie , avec les Lettres Patentes
qui donnent permiffion de
la porter publiquement .
Cette Médaille a de grands
priviléges d'honneur . Elle fert
de paffe -port pour l'entrée libre
dans toutes les Maifons des Princes
aux cerémonies , & aux feftes.
publiques . On doit remarquer
qu'il faut que les ajuſtemens des
habits foient d'une telle propretė
ou régularité , qu'ils ne faffent
point de tort aux Chevaliers du
Mont Parnaffe ; car nous fommes
dans un Siecle où les Sçavans qui
paroiffent indigens , n'ont pas un
accez fort facile dans la Maifon
des Princes.
Cette marque d'honneur
n'eſt
point heréditaire
, & ne peut fervir
qu'à celuy qui a merité de la
2.5,2
Extraordinaire
porter pendant la vie . Parla fuite
des temps , on peut avoir place
dans l'Académie , & l'on eft
choififans qu'il foit néceſſaire de
briguer , ny de s'expliquer fur ce
deffein . On ne connoift la pluf
part des Autheurs que de nom
& par leurs Ouvrages , & leur
viſage eft fouvent inconnu ; mais
cette glorieuſe marque de diftination
les fait reconnoiftre de tout
le monde , envier de quelques-
& eftimer des autres . Cela
fert d'émulation
à pluſieurs pour
meriter cette récompenfe
de
merite.Il feroit à fouhaiter, reprit
un autre , que cette glorieuſe Intitution
paffaft jufqu'en France.
On ne prétendroit pas tourner la
chofe en artifice , pour ufurper le
droit que plufieurs Perfonnes ont
uns ,
du Mercure Galant. 253
de porter des marques de leur
- qualité , & les Médailles de Bel
Esprit feroient formées de telle
maniere , qu'elles feroient aifément
reconnues de tout le Monde
pour ce qu'on prétendroit feulement
qu'elles fignifiaffent.
Chacun parut approuver ce
deffein , & délibera de la maniere
de dreffer un élegant Placet pour
préfenter au Roy.
Uue Etoille brillante , qui porta
fa lumiere fur mes yeux , m'éveilla
dans ce moment , & depuis
j'ay conté mon Songe à bien
des Gens qui ne defefperent pas
de la réüffite du projet , pourveu
que les beaux Efprits qui font
en faveur , y prennent part . En
effet, Philemon , l'expérience fait
voir que les chofes qui flattent
254
Extraordinaire
& la vanité , l'amour propre
troduifent aifément.
C. D. S.
I
A PHILEMON.
Sur le Projet de la Médaille de
- BEL ESPRIT.
E ne me fouviens point Philemon
, d'avoir fait de Songe
plus agréable , que celuy que je
fis l'année derniere à .... Mai.
fon de Plaisance de M' le Duc
de .... éloignée de Paris de cinq
lieuës . Le recit en a paru fi nouveau
& fi fingulier , que je me fuis
trouvé engagé d'en faire plufieurs
Copies , pour fatisfaire les
Dames fçavantes que vous connoiffez.
du Mercure Galant.
243
La Saifon ne pouvoit eftre alors
plus agréable pour paffer quelque
temps à la Campagne , ny
le lieu où je me trouvois plus délicieux
pour en joüir. La Maifon
de ce Duc eft baftie fur une
éminence. Il y a des Jardins, des
Bois , des Plaines & des Colines,
& cette forte de décoration ne
peut eftre plus belle , parce qu'
elle ne peut eftre plus diverfifiée.
Elle prefente tantoft toutes ces
chofes enſemble à la veuë &
tantoft en particulier , & avec
tant de plaifir , que la veuë mef
me en demeure quelquefois confuſe
, ne fçachant de quelle maniere
elle doit fe divertir le plus .
Entre les beautez de cette Maifon
, on compte de tres- grandes
décentes d'efcalier , ornées de
X ij
244
Extraordinaire
baluftres , qui fe détachant ma
jeftueufement de ce Bâtiment fuperbe
, par un double rang , dé
cendent par une grande longueur
de chemin , prefque jufqu'au
bord de la Seine , qui en
ferpentant doucement , s'écoule
dans la Plaine , & par une fuite
affez lente , & par plufieurs détours
va agréablement chercher
fon lit. Comme il y a plufieurs
terraffes les unes fur les autres , les
veuës y font fi belles & fi étéduës,
que plufieurs fois elles font au
delà de la portée de la veuë même
& les dernieres femblent toûjours
eftre plus agreables & plus
charmantes que les premieres.
C'eft dans ce fejour enchanté que
j'ay fait le Songe dont vous allez
lire le recit.
du Mercure Galant.
245
peut
Je m'imaginay entendre plu
fieurs Sçavans qui difputoient enfemble
fur la connoiffance des
veritables beautez de la Tragedie.
On difoit
que ce n'eftoit pas affez
que la Tragédie fe fervift des avantures
les plus touchantes , & les
plus terribles que l'Histoire
fournir , pour exciter dans le
coeur les mouvemens qu'elle prétend
, afin de guerir l'efprit des
vaines frayeurs , qui font capables
de le troubler , & des fottes
compaffions qui le peuvent amolir.
Il faut encore , difoit on,
que le Poëte mette en ufage ces
grands objets de terreur & de pitié
, comme les deux plus puiffans
refforts qu'ait l'Art pour pro
duire le plaifir que peut donner
la Tragedie , & ce plaifir qui eft
"
X iij
246
Extraordinaire
proprement celuy de l'efprit ,
confifte dans l'agitation de l'ame
émeuë par les paffions . La Tragédie
ne devient agréable au
Spectateur , que parce qu'il de.
vient luy-mefme fenfible à tout
ce qu'on luy repréfente ; qu'il entre
dans tous les differens fentimens
des Acteurs ; qu'il s'intereſ
fe dans leurs avantures ; qu'il
craint & qu'il efpére ; qu'il s'afflige
, & qu'il fe réjoüit avec eux .
Le Theatre eft froid & languiffant
dés qu'il ceffe de produire
ces mouvemens dans l'ame des
Spectateurs , mais comme de toutes
les paffions la crainte & la pitié
font celles qui font de plus
grandes impreffions fur le coeur
de l'Homme , par la difpofition
naturelle qu'il à à s'épouvanter
du Mercure Galant. 247
> & à s'attendrir Ariftote les a
choifies entre les autres pour tou
cher davantage les efprits , par
ces fentimens tendres qu'elles
caufent quand le coeur s'en laiffe
penétrer. En effet , dés que l'ame
eft ébranlée par des mouvemens
fi naturels & fi humains,
toutes les impreffions qu'elle reffent
luy deviennent agréables.
Son trouble luy plaift , & ce qu'-
elle.reffent d'émotion , eft pour
elle une espéce de charme qui la
jette dans une douce & profonde
réverie , & qui la fait entrer infenfiblement
dans tous les intérefts
qui jouent fur le Theatre.
C'est alors que le coeur s'abandonne
à tous les objets qu'on luy
propofe , que toutes les Images
le frappent , qu'il époufe tous les
X iiij
248
Extraordinaire
fentimens de tous ceux qui parlent
, & qu'il devient fufceptible
de toutes les paffions qu'on luy
montre , parce qu'il eft émeu , &
c'eſt dans cette émotion que confifte
tout le plaifir qu'on eft capable
de recevoir en voyant repréfenter
une Tragédie , car l'efprit
de l'Homme fe plaift aux mouvemens
differens que luy caufent
les differens objets , & les diver-
Les paffions qu'on luy expofe.
C'eſt par cét Art admirable que
L'Oedipe de Sophocle ( dont Ariftote
parle toûjours comme du
modelle le plus achevé de la Tragedie
) faifoit de fi grands effets
fur le Peuple d'Athénes lors
qu'on le repréfentoit , & ce n'eft
pas fans raifon que.... Ces régles
& ces remarques font fort juſtes,
du Mercure Galant. 249
1
;
mais
interrompit quelqu'un de la
Compagnie , & l'exemple d'Oe.
dipe eft tout à fait beau
tout le Monde ne peut pas porter
la gloire de la compofition auffi
haut que les illuftres Corneilles
& Racine. Il eft quantité de jeu
nes. Autheurs & de Plumes naiffantes
, qui n'afpirent pas à la
gloire de Virgile ny d'Horace ,
mais cependant chacun d'eux a
fon talent different , & fon merite
particulier , & quoy que plu .
Leurs.Perfonnes n'ayent pas l'efprit
tout à fait fublime , ny du
premier ordre , ils ne laiffent
pas
de prétendre aux honneurs du
Parnaffe à proportion de ce
qu'on les eftime . On dit à ce fujet
que quelques Académies d'Italie
ont étably un Ordre , qui eft une
250 Extraordinaire
certaine marque d'honneur qu'on
appelle Médaille de Bel Efprit. Elle
eft d'or. Il y a d'un coſté le
Portrait du Prince , & de l'autre
la Devife de l'Académie de la
Ville . On la donne , ou l'on permet
d'en acheter à ceux , qui de
temps en temps ont fait part au
Public de quelques Ouvrages en
Vers ou en Profe ; les Dames mefme
n'en font point excluës . On
porte cette Médaille avec un
Cordon bleu paffé en Baudrier
entre leJufte-au- corps & laVeſte,
& ceux qui ont moins de vanité
la portent feulement attachée à
une
boutonniere du Jufte-aucorps
, & les Dames à l'endroit
où elles mettent ordinairement
la Croix de Diamants. On la reçoit
des mains du Protecteur de
du Mercure Galant. 251
l'Académie , avec les Lettres Patentes
qui donnent permiffion de
la porter publiquement .
Cette Médaille a de grands
priviléges d'honneur . Elle fert
de paffe -port pour l'entrée libre
dans toutes les Maifons des Princes
aux cerémonies , & aux feftes.
publiques . On doit remarquer
qu'il faut que les ajuſtemens des
habits foient d'une telle propretė
ou régularité , qu'ils ne faffent
point de tort aux Chevaliers du
Mont Parnaffe ; car nous fommes
dans un Siecle où les Sçavans qui
paroiffent indigens , n'ont pas un
accez fort facile dans la Maifon
des Princes.
Cette marque d'honneur
n'eſt
point heréditaire
, & ne peut fervir
qu'à celuy qui a merité de la
2.5,2
Extraordinaire
porter pendant la vie . Parla fuite
des temps , on peut avoir place
dans l'Académie , & l'on eft
choififans qu'il foit néceſſaire de
briguer , ny de s'expliquer fur ce
deffein . On ne connoift la pluf
part des Autheurs que de nom
& par leurs Ouvrages , & leur
viſage eft fouvent inconnu ; mais
cette glorieuſe marque de diftination
les fait reconnoiftre de tout
le monde , envier de quelques-
& eftimer des autres . Cela
fert d'émulation
à pluſieurs pour
meriter cette récompenfe
de
merite.Il feroit à fouhaiter, reprit
un autre , que cette glorieuſe Intitution
paffaft jufqu'en France.
On ne prétendroit pas tourner la
chofe en artifice , pour ufurper le
droit que plufieurs Perfonnes ont
uns ,
du Mercure Galant. 253
de porter des marques de leur
- qualité , & les Médailles de Bel
Esprit feroient formées de telle
maniere , qu'elles feroient aifément
reconnues de tout le Monde
pour ce qu'on prétendroit feulement
qu'elles fignifiaffent.
Chacun parut approuver ce
deffein , & délibera de la maniere
de dreffer un élegant Placet pour
préfenter au Roy.
Uue Etoille brillante , qui porta
fa lumiere fur mes yeux , m'éveilla
dans ce moment , & depuis
j'ay conté mon Songe à bien
des Gens qui ne defefperent pas
de la réüffite du projet , pourveu
que les beaux Efprits qui font
en faveur , y prennent part . En
effet, Philemon , l'expérience fait
voir que les chofes qui flattent
254
Extraordinaire
& la vanité , l'amour propre
troduifent aifément.
C. D. S.
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Résumé : SONGE D'ARISTE. A PHILEMON. Sur le Projet de la Médaille de BEL ESPRIT.
Le texte 'SONGE D'ARISTE' est une lettre adressée à Philemon, dans laquelle l'auteur décrit un rêve agréable qu'il a fait à la campagne, dans la maison du Duc de..., située à cinq lieues de Paris. Cette demeure, construite sur une éminence, offre une vue diversifiée et agréable sur les jardins, bois, plaines et collines. Elle est également ornée de grandes descentes d'escalier avec des balustres, menant jusqu'à la Seine. Dans ce rêve, l'auteur assiste à une dispute entre savants sur les beautés de la tragédie. Les savants discutent de l'importance des mouvements du cœur et des passions, notamment la crainte et la pitié, pour rendre une tragédie agréable. Selon Aristote, ces passions touchent davantage les esprits et causent des impressions agréables sur l'âme. La conversation aborde également la diversité des talents et des mérites des auteurs. Elle mentionne la 'Médaille de Bel Esprit', décernée par certaines académies italiennes pour récompenser les œuvres en vers ou en prose. Cette médaille, portée avec fierté, offre des privilèges d'honneur et n'est pas héréditaire. Elle stimule l'émulation parmi les auteurs. L'auteur exprime le souhait que cette institution soit adoptée en France afin de reconnaître et honorer les beaux esprits. Un éclair le réveille, et il partage son rêve avec plusieurs personnes, espérant que les beaux esprits en faveur soutiendront le projet.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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26
p. 108-126
Histoire, [titre d'après la table]
Début :
Il est dangereux de forcer l'amour à se tourner en fureur ; [...]
Mots clefs :
Belle, Cavalier, Amour, Mariage, Demoiselle, Amants, Adorateur, Coeur, Destin funeste, Scrupule, Charme, Passion, Obstacle, Promesses, Gloire, Désespoir, Jalousie, Honneur, Blessures , Malheur, Peine
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire, [titre d'après la table]
Il eſt dangereux de forcer
l'amour à le tourner en fu
reur ; il en arrive ordinairement
des fuites funeftes , &
ce qui s'eft paffé depuis peu
de temps dans une des plus
grandes Villes du Royaume,.
confirme les fanglans exemples
que nous en trouvons
dans les Hiftoires. Une jeu
ne Demoiselle naturellement
fenfible à la gloire , & pleine
de cette louable & noble
fierté , qui donne un nouveau
merite aux belles Perfonnes
, vivoit dans une con--
duite qui la mettoit à cou
GALANT. 109
vert de toute cenfure. L'agrément
de ſes manieres , joint
à un brillant d'efprit qui la
diftinguoit avec beaucoup
d'avantage , luy attiroit des
Amans de tous côtez . Elle
recevoit leurs foins , fans
marquer de préférence , &
confervoit une égalité , qui
n'en rebutant aucun leur
faifoit connoître qu'elle vouloit
fe donner le temps de
choifir. C'eftoit en effet fon
but ; elle gardoit avec eux
la plus éxacte regularité ; ne
leur permettant ny vifites
affidues , ny empreffemens
110 MERCURE
trop remarquables
. Ainſi la
bienséance
régloit tous les
égards complaifans
qu'elle
croyoit leur devoir ; & la raifon
demeurant
toûjours maîtreffe
de fes fentimens
, elle
attendoit qu'elle connût aſſez
bien leurs differens caractepour
pouvoir faire un
res
-
heureux , fans fe rendre
malheureuſe , ou qu'il s'offrist
un Party plus confiderable
, qui déterminaft fon
choix. Elle approchoit de
vingt ans , quand un Cavalier
affez bienfait vint fe méler
parmy fes Adorateurs
GALANT. I
Comme il n'avoit ny plus de
naiffance , ny plus de bien
que les autres il ne reçût
la mefme honne .
d'elle
que
fteté
qu'elle
avoit
pour
tous
;
& cette
maniere
trop
indifferente
l'auroit
fans
doute
obligé
de
renoncer
à la voir
,
fi par
une
vanité
que
quelques
bonnes
fortunes
luy
avoient
fait
prendre
, il n'euſt
trouvé
de
la
honte
à ne
pas
venir
à bout
de
toucher
un
coeur
qui
avoit
toûjours
paru
infenfible
. C'eftoit
un
homme
d'un
efprit
infinuant
, &
qui
fçavoit
les
moyens
de
112 MERCURE
plaire mieux que perfonne
du monde , quand il vouloit
les mettre en ufage. Il feignit
d'eftre content des conditions
que luy préſcrivit la
Belle , & fans fe plaindre du
peu de liberté qu'elle luy laiffoit
pour les vifites , il la vit
encore plus rarement qu'elle
ne parut le fouhaiter. Il eſt
vray qu'il repara
le manque
d'empreffement qu'il fembloit
avoir pour elle , par le
foin qu'il prit de ſe trouver
aux lieux de devotion où elle
alloit ordinairement . Il la faluoit
fans luy parler que des
GALANT. 113
1
yeux , & ne manquoit pas .
dans la premiere entreveuë ,
de faire valoir d'une maniere
galante le facrifice qu'il luy
avoit fait en s'impofant la
contrainte de ne luy rien dire
, pour ne pas donner ma--
tiere à fes fcrupules. Il prenoit
d'ailleurs un plaifir par--
ticulier à élever fon merite :
devant tous ceux qui la connoiffoient
, & ce qu'elle en
apprenoit la flatoit en même
temps , & luy donnoir de l'e
ftime pour le Cavalier . Tou--
tes ces chofes firent l'effet
qu'il avoit prévû. On fou-
Mars 1685. KA
114 MERCURE
haita de s'en faire aimer. I
s'en apperçût ; & rendit des
foins un peu plus frequens,
en proteſtant que fon refpect
luy en feroit toûjours retrancher
ce qu'on trouveroit contre
les regles . La Belle qui
commençoit à eftre touchée,
adoucit en fa faveur la feve
rité de fes maximes . Elle apprehenda
qu'il n'euft trop d'exactitude
à luy, obéir , fi elle
vouloit s'opposer à ſes affi
duitez & trouvant dans fa
converfation un charme fecret
qu'elle n'avoit point fen
ty dans celle des autres , elle
GALANT. 115
crût que ce feroit ufer de:
trop de rigueur envers eile .
même , que de fe refoudre à
s'en priver. Tous fes Amans
eurent bientôt remarqué le
progrés avantageux que le
Cavalier faifoit dans fon
coeur. Ils le voyoient applaudy
fur toutes chofes ; & le
dépit les forçant d'éteindre
leur paffion , ils fe retirerent,
& laifferent leur Rival fansaucun
obftacle qui puft troubler
fes deffeins . Ce fut alors
la Belle ouvrit les yeuxque
fur le pas qu'elle avoit fait.
Le Cavalier demeuré feul au-
Kij
116 MERCURE
prés d'elle , fit examiner le
changement que l'Amour
mettoit dans fa conduite .
Toute la Ville en parla ; &
ce murmure l'ayant obligée
à s'expliquer avec luy , il
luy répondit qu'elle devoit
peu s'embaraffer de ce qu'on
penfoit de l'un & de l'autre ,
fi elle l'aimoit affez pour
vouloir bien devenir fa Fem-
; que c'eftoit dans cette
veuë qu'il avoit pris de l'attachement
pour elle ; & que·
ne fouhaitant rien avec plus
d'ardeur que de l'époufer , il
luy demandoit feulement un
me
GALANT. 117
peu
de temps pour obtenir
le confentement d'un Oncle
dont il efperoit quelque a .
vantage . Je ne puis vous dire
s'il parloit fincerement ; ce
qu'il y a de certain , c'est que
la Belle fe laiffa perfuader ..
Les promeffes que luy fit le:
Cavalier la fatisfirent &%
croyant n'avoir befoin de reputation
que pour luy , elle
fe mit peu en peine d'eftre
juftifiée envers le Public
pourvûqu'un homme qu'elle
regardoit comme fon Mary,
n'euft point fujet de fe plaindre.
Une année entiere fe
;
118 MERCURE
paffa de cette forte . Elle par
la plufieurs fois d'accomplir
le Mariage , & le fâcheux
obftacle d'un Oncle difficile
à ménager empéchoit toû
jours qu'on n'éxecutaft ce
qu'on luy avoit promis . Cependant
le Cavalier qui ne
s'eftoit obftiné à cette conquefte
, que par un vain ſentiment
de gloire , s'en dégoûta
quand elle fut faite.
L'amour de la Belle ne pouvant
plus s'augmenter , il
ceffa d'avoir pour elle les
mêmes empreffemens qui
faifoient d'abord tout fon
GALANT. 119
bonheur. Elle s'en plaignit ,
& il rejetta fur fes plaintes
trop continuelles les manie
res froides qu'il ne pouvoit
s'empécher de laiffer paroître.
Elles luy fervirent même
de prétexte pour eftre moins
affidu. Les reproches redoublerent
; & leurs converfations
n'eftant plus remplies
que de chofes chagrinantes
,
le Cavalier s'éloigna entierement.
Ce fut pour la Belle un
fujet de defefpoir qu'on ne
fçauroit exprimer . Elle envoya
plufieurs perfonnes
chez luy , elle y alla elle mê120
MERCURE
me ; & fes réponſes eſtant
toûjours qu'il l'épouferoit fitôt
qu'il auroit gagné l'efprit
de fon Oncle , elle luy fit
propofer un mariage fecret .
Il rejetta cette propofition
d'une maniere qui fit connoiſtre
à la Belle , qu'elle
efperoit inutilement luy faire
tenir parole . L'excés de fon
déplaifir égala celuy de fon
amour. Elle aimoit le Cavalier
éperdument ; & quand
elle cuft pû changer cet amour
en haine , aprés l'éclat
qu'avoient fait les chofes ,
l'intereft de fon honneur l'auroit
GALANT. 121
roit obligé à l'époufer. Toutes
les voyes de douceur
ayant manqué de fuccez,
elle forma une refolution qui
n'eftoit pas de fon fexe . Elle
employa quelque temps à
s'y affermir , & s'informa cependant
de ce que faiſoit ſon
Infidele. Elle découvrit qu'il
voyoit ſouvent une jeune
Veuve , chez qui il paffoit la
plupart des foirs. La jaloufie
augmentant fa rage , elle prit
un habit d'homme , & encouragée
par fon amour &
par la juftice de fa cauſe , elle
alla l'attendre un foir dans
Mars 1685.
L
{
122 MERCURE
une affez large ruë où elle
fçavoit qu'il devoit paffer. La
Lune eftoit alors dans fon
༣ ་
plein , & favorifoit fon entre
prife. Le Cavalier revenant
chez luy comme de coûtume
, elle l'aborda ; & à peine
luy euft- elle dit quelques paroles
, qu'il la connût à fa
voix. Il plaifanta fur cette
metamorphofe ; & la Belle .
luy déclarant d'un ton refo
lu , qu'il faloit fur l'heure ve
nir luy figner un contract de
mariage , ou luy arracher la
vie , il continua de plaifanter .
La Belle outrée de fes raille
GALANT. 123
3
ries , éxecuta ce qu'elle avoit
refolu . Elle mit l'épée à la
main ; & le contraignant de
l'y mettre auffi , elle l'attaqua
avec tant de force , que
quelque foin qu'il prît de
parer , il fut percé de deux
coups qui le jetterent par
terre. Il tomba , en difant
qu'il eftoit mort. La Belle fa.
tisfaite & defefperée en méme
temps de fa vengeance ,
cria au fecours fans vouloir
prendre la fuite . Les Voifins
parurent , & on porta
Bleffé chez un Chirurgien
qui demeuroit à vingt pas
·le
Lij
124 MERCURE
de là. Les bleffures du Cava
lier eftant mortelles , il n'eut
que le temps de déclarer
qu'il meritoit fon malheur;
qu'il avoit voulu tromper la
Belle , & qu'il en eſtoit juftement
puny. Il ajouta qu'-
elle eftoit fa Femme par la
promeffe qu'il luy avoit faite
plufieurs fois de l'époufer;
qu'il vouloit qu'on la reconnuft
pour telle , & qu'il la
prioit de luy pardonner les
déplaifirs que fon injuſtice
luy avoit caufez. Il mourut
en achevant ces paroles , &
la laiffa dans une douleur qui
GALANT. 125
paffe tout ce qu'on peut s'en
imaginer. Le repentir qu'il
avoit marqué luy rendit tout
fon amour ; & le defefpoir
où elle tomba , ne fit que
trop voir combien il avoit de
violence. Jugez de la ſurpriſe
de ceux qui eftoient preſens,
dé voir une Fille ` déguifée en
Homme , & qui demandoit
par grace qu'on vängeaſt ſur
elle la mort d'un Amant qu'
elle avoit dû facrifier à fa
gloire. Elle dit les chofes du
monde les plus touchantes ;
& il n'y eut perfonne qui ne
partageât la peine . Je n'ay
Liij
126 MERCURE
point fçeû ce que la Justice
avoit ordonné contre elle .
Son crime eft de ceux que
l'honneur fait faire , & il en
eft peu qui ne femblent excufables
, quand ils partent
d'une caufe dont on n'a point
les
à rougir.
l'amour à le tourner en fu
reur ; il en arrive ordinairement
des fuites funeftes , &
ce qui s'eft paffé depuis peu
de temps dans une des plus
grandes Villes du Royaume,.
confirme les fanglans exemples
que nous en trouvons
dans les Hiftoires. Une jeu
ne Demoiselle naturellement
fenfible à la gloire , & pleine
de cette louable & noble
fierté , qui donne un nouveau
merite aux belles Perfonnes
, vivoit dans une con--
duite qui la mettoit à cou
GALANT. 109
vert de toute cenfure. L'agrément
de ſes manieres , joint
à un brillant d'efprit qui la
diftinguoit avec beaucoup
d'avantage , luy attiroit des
Amans de tous côtez . Elle
recevoit leurs foins , fans
marquer de préférence , &
confervoit une égalité , qui
n'en rebutant aucun leur
faifoit connoître qu'elle vouloit
fe donner le temps de
choifir. C'eftoit en effet fon
but ; elle gardoit avec eux
la plus éxacte regularité ; ne
leur permettant ny vifites
affidues , ny empreffemens
110 MERCURE
trop remarquables
. Ainſi la
bienséance
régloit tous les
égards complaifans
qu'elle
croyoit leur devoir ; & la raifon
demeurant
toûjours maîtreffe
de fes fentimens
, elle
attendoit qu'elle connût aſſez
bien leurs differens caractepour
pouvoir faire un
res
-
heureux , fans fe rendre
malheureuſe , ou qu'il s'offrist
un Party plus confiderable
, qui déterminaft fon
choix. Elle approchoit de
vingt ans , quand un Cavalier
affez bienfait vint fe méler
parmy fes Adorateurs
GALANT. I
Comme il n'avoit ny plus de
naiffance , ny plus de bien
que les autres il ne reçût
la mefme honne .
d'elle
que
fteté
qu'elle
avoit
pour
tous
;
& cette
maniere
trop
indifferente
l'auroit
fans
doute
obligé
de
renoncer
à la voir
,
fi par
une
vanité
que
quelques
bonnes
fortunes
luy
avoient
fait
prendre
, il n'euſt
trouvé
de
la
honte
à ne
pas
venir
à bout
de
toucher
un
coeur
qui
avoit
toûjours
paru
infenfible
. C'eftoit
un
homme
d'un
efprit
infinuant
, &
qui
fçavoit
les
moyens
de
112 MERCURE
plaire mieux que perfonne
du monde , quand il vouloit
les mettre en ufage. Il feignit
d'eftre content des conditions
que luy préſcrivit la
Belle , & fans fe plaindre du
peu de liberté qu'elle luy laiffoit
pour les vifites , il la vit
encore plus rarement qu'elle
ne parut le fouhaiter. Il eſt
vray qu'il repara
le manque
d'empreffement qu'il fembloit
avoir pour elle , par le
foin qu'il prit de ſe trouver
aux lieux de devotion où elle
alloit ordinairement . Il la faluoit
fans luy parler que des
GALANT. 113
1
yeux , & ne manquoit pas .
dans la premiere entreveuë ,
de faire valoir d'une maniere
galante le facrifice qu'il luy
avoit fait en s'impofant la
contrainte de ne luy rien dire
, pour ne pas donner ma--
tiere à fes fcrupules. Il prenoit
d'ailleurs un plaifir par--
ticulier à élever fon merite :
devant tous ceux qui la connoiffoient
, & ce qu'elle en
apprenoit la flatoit en même
temps , & luy donnoir de l'e
ftime pour le Cavalier . Tou--
tes ces chofes firent l'effet
qu'il avoit prévû. On fou-
Mars 1685. KA
114 MERCURE
haita de s'en faire aimer. I
s'en apperçût ; & rendit des
foins un peu plus frequens,
en proteſtant que fon refpect
luy en feroit toûjours retrancher
ce qu'on trouveroit contre
les regles . La Belle qui
commençoit à eftre touchée,
adoucit en fa faveur la feve
rité de fes maximes . Elle apprehenda
qu'il n'euft trop d'exactitude
à luy, obéir , fi elle
vouloit s'opposer à ſes affi
duitez & trouvant dans fa
converfation un charme fecret
qu'elle n'avoit point fen
ty dans celle des autres , elle
GALANT. 115
crût que ce feroit ufer de:
trop de rigueur envers eile .
même , que de fe refoudre à
s'en priver. Tous fes Amans
eurent bientôt remarqué le
progrés avantageux que le
Cavalier faifoit dans fon
coeur. Ils le voyoient applaudy
fur toutes chofes ; & le
dépit les forçant d'éteindre
leur paffion , ils fe retirerent,
& laifferent leur Rival fansaucun
obftacle qui puft troubler
fes deffeins . Ce fut alors
la Belle ouvrit les yeuxque
fur le pas qu'elle avoit fait.
Le Cavalier demeuré feul au-
Kij
116 MERCURE
prés d'elle , fit examiner le
changement que l'Amour
mettoit dans fa conduite .
Toute la Ville en parla ; &
ce murmure l'ayant obligée
à s'expliquer avec luy , il
luy répondit qu'elle devoit
peu s'embaraffer de ce qu'on
penfoit de l'un & de l'autre ,
fi elle l'aimoit affez pour
vouloir bien devenir fa Fem-
; que c'eftoit dans cette
veuë qu'il avoit pris de l'attachement
pour elle ; & que·
ne fouhaitant rien avec plus
d'ardeur que de l'époufer , il
luy demandoit feulement un
me
GALANT. 117
peu
de temps pour obtenir
le confentement d'un Oncle
dont il efperoit quelque a .
vantage . Je ne puis vous dire
s'il parloit fincerement ; ce
qu'il y a de certain , c'est que
la Belle fe laiffa perfuader ..
Les promeffes que luy fit le:
Cavalier la fatisfirent &%
croyant n'avoir befoin de reputation
que pour luy , elle
fe mit peu en peine d'eftre
juftifiée envers le Public
pourvûqu'un homme qu'elle
regardoit comme fon Mary,
n'euft point fujet de fe plaindre.
Une année entiere fe
;
118 MERCURE
paffa de cette forte . Elle par
la plufieurs fois d'accomplir
le Mariage , & le fâcheux
obftacle d'un Oncle difficile
à ménager empéchoit toû
jours qu'on n'éxecutaft ce
qu'on luy avoit promis . Cependant
le Cavalier qui ne
s'eftoit obftiné à cette conquefte
, que par un vain ſentiment
de gloire , s'en dégoûta
quand elle fut faite.
L'amour de la Belle ne pouvant
plus s'augmenter , il
ceffa d'avoir pour elle les
mêmes empreffemens qui
faifoient d'abord tout fon
GALANT. 119
bonheur. Elle s'en plaignit ,
& il rejetta fur fes plaintes
trop continuelles les manie
res froides qu'il ne pouvoit
s'empécher de laiffer paroître.
Elles luy fervirent même
de prétexte pour eftre moins
affidu. Les reproches redoublerent
; & leurs converfations
n'eftant plus remplies
que de chofes chagrinantes
,
le Cavalier s'éloigna entierement.
Ce fut pour la Belle un
fujet de defefpoir qu'on ne
fçauroit exprimer . Elle envoya
plufieurs perfonnes
chez luy , elle y alla elle mê120
MERCURE
me ; & fes réponſes eſtant
toûjours qu'il l'épouferoit fitôt
qu'il auroit gagné l'efprit
de fon Oncle , elle luy fit
propofer un mariage fecret .
Il rejetta cette propofition
d'une maniere qui fit connoiſtre
à la Belle , qu'elle
efperoit inutilement luy faire
tenir parole . L'excés de fon
déplaifir égala celuy de fon
amour. Elle aimoit le Cavalier
éperdument ; & quand
elle cuft pû changer cet amour
en haine , aprés l'éclat
qu'avoient fait les chofes ,
l'intereft de fon honneur l'auroit
GALANT. 121
roit obligé à l'époufer. Toutes
les voyes de douceur
ayant manqué de fuccez,
elle forma une refolution qui
n'eftoit pas de fon fexe . Elle
employa quelque temps à
s'y affermir , & s'informa cependant
de ce que faiſoit ſon
Infidele. Elle découvrit qu'il
voyoit ſouvent une jeune
Veuve , chez qui il paffoit la
plupart des foirs. La jaloufie
augmentant fa rage , elle prit
un habit d'homme , & encouragée
par fon amour &
par la juftice de fa cauſe , elle
alla l'attendre un foir dans
Mars 1685.
L
{
122 MERCURE
une affez large ruë où elle
fçavoit qu'il devoit paffer. La
Lune eftoit alors dans fon
༣ ་
plein , & favorifoit fon entre
prife. Le Cavalier revenant
chez luy comme de coûtume
, elle l'aborda ; & à peine
luy euft- elle dit quelques paroles
, qu'il la connût à fa
voix. Il plaifanta fur cette
metamorphofe ; & la Belle .
luy déclarant d'un ton refo
lu , qu'il faloit fur l'heure ve
nir luy figner un contract de
mariage , ou luy arracher la
vie , il continua de plaifanter .
La Belle outrée de fes raille
GALANT. 123
3
ries , éxecuta ce qu'elle avoit
refolu . Elle mit l'épée à la
main ; & le contraignant de
l'y mettre auffi , elle l'attaqua
avec tant de force , que
quelque foin qu'il prît de
parer , il fut percé de deux
coups qui le jetterent par
terre. Il tomba , en difant
qu'il eftoit mort. La Belle fa.
tisfaite & defefperée en méme
temps de fa vengeance ,
cria au fecours fans vouloir
prendre la fuite . Les Voifins
parurent , & on porta
Bleffé chez un Chirurgien
qui demeuroit à vingt pas
·le
Lij
124 MERCURE
de là. Les bleffures du Cava
lier eftant mortelles , il n'eut
que le temps de déclarer
qu'il meritoit fon malheur;
qu'il avoit voulu tromper la
Belle , & qu'il en eſtoit juftement
puny. Il ajouta qu'-
elle eftoit fa Femme par la
promeffe qu'il luy avoit faite
plufieurs fois de l'époufer;
qu'il vouloit qu'on la reconnuft
pour telle , & qu'il la
prioit de luy pardonner les
déplaifirs que fon injuſtice
luy avoit caufez. Il mourut
en achevant ces paroles , &
la laiffa dans une douleur qui
GALANT. 125
paffe tout ce qu'on peut s'en
imaginer. Le repentir qu'il
avoit marqué luy rendit tout
fon amour ; & le defefpoir
où elle tomba , ne fit que
trop voir combien il avoit de
violence. Jugez de la ſurpriſe
de ceux qui eftoient preſens,
dé voir une Fille ` déguifée en
Homme , & qui demandoit
par grace qu'on vängeaſt ſur
elle la mort d'un Amant qu'
elle avoit dû facrifier à fa
gloire. Elle dit les chofes du
monde les plus touchantes ;
& il n'y eut perfonne qui ne
partageât la peine . Je n'ay
Liij
126 MERCURE
point fçeû ce que la Justice
avoit ordonné contre elle .
Son crime eft de ceux que
l'honneur fait faire , & il en
eft peu qui ne femblent excufables
, quand ils partent
d'une caufe dont on n'a point
les
à rougir.
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Résumé : Histoire, [titre d'après la table]
Le texte narre l'histoire d'une jeune demoiselle résidant dans une grande ville du royaume. Réputée pour sa sensibilité à la gloire et sa fierté, elle attire de nombreux admirateurs grâce à son charme et son esprit brillant. Elle veille à maintenir une conduite irréprochable, évitant les visites fréquentes et les démonstrations excessives, tout en laissant le temps à ses admirateurs de la convaincre. Parmi ses admirateurs, un cavalier se distingue par son esprit fin et ses bonnes fortunes. Bien qu'il feigne de se conformer aux règles de la jeune femme, il utilise divers stratagèmes pour gagner son affection, tels que la fréquenter dans des lieux de dévotion et la flatter publiquement. La jeune femme finit par s'attacher à lui, adoucissant ses principes. Ses autres admirateurs, jaloux, se retirent, laissant le champ libre au cavalier. Après une année de promesses de mariage, le cavalier, lassé par son succès, commence à négliger la jeune femme. Elle tente de le retenir, mais il refuse de s'engager. Désespérée, elle décide de le confronter déguisée en homme et le blesse mortellement lors d'un duel. Avant de mourir, le cavalier reconnaît ses torts et demande pardon, confirmant leur union par promesse. La jeune femme, dévastée, est laissée dans un état de profond désespoir.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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27
p. 147-182
L'AGIOTEUR DUPÉ.
Début :
Je tascheray de donner tous les mois quelque Historiette ou [...]
Mots clefs :
Agioteur, Argent, Carrosse, Picard, Billets
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'AGIOTEUR DUPÉ.
Je tascheray de donner
tous les mois quelque
Historiette ou
Françoise ou Espagnole,
ou mesme quelque
Conte Arabe. On m'a
promis des Mémoires
pour tout cela, outre
lesAvantures du temps
que je prefereray toûjours
aux autres; en
voicy une.
Dans le mois dernier
un Agioteur aesté
trompé par des Filoux,
J'ay voulu m'assurerxactement
descirconstances
en me faisant
raconter le fait par plufleurs
personnes. Il
m'est arrivé ce qui arrive
toûjours en cas pareil.
Unechose se passe
en presence de plulieurs,
& cependant
elleest racontée differemment
par chacun
des spectateurs.
L'AGIOTEUR
DUPE.
Un deces Juifs Parisiens,
non pas de ceux
qui dans la Synagogue
des Halles sçavent faire
d'un vieux Manteau
deux Justaucorps
neufs; mais de ceux
qui achetant, revendant
& rachetant le
mesmepapier plu sieurs
fois en un jour, en gagnent
la valeur en
moins d'un mois. Un
de ces Juifs, dis-je , qu'on nomme depuis
peu Agioteurs, des plus
rafinez, des plus avides
& des plus défiants,
calculoitunjour sur le
midy le gain de sa matinée
en attendant pratique
nouvelle.
Arrive un Picard,
franc Gaulois par la
mine, homme grossier
en apparente,& foy
disant pressé de faire de
l'argent d'un Billet de
Change pour s'en retourner
àAmiens.L'Agioteur
luy dit qu'il a
de l'argent à son service
; mais que depuis
deux jours les Billets
font à trente-cinqpour
cent. Le bon Picard fait
l'étonné
,
luy aflUla':l('\
qu'hier encore mCI"
Franchard n'avoit pris
di luy que-trente poup
cent. Cela ne Ce peut
luy dit l'Agioteur ;
mais quiest donc Mr
Franchard? Si je n'étois
pas si pressé de partir
, continua naïvement
le Picard, je ferois
retourne a luy;
mâisil loge bien loin
d'icy* : ça Monsieur
voyons viste si vous me
voulez faire aussi bon
marché que luy. Je
m'en garderay bien,dit
l'Agioteur; en Jepressantde
luy direquiestoit
cethomme si desinteressé.
Le bon Picard
-- en s'en allant
comme un homme
presse.expose la franchise&
le desinteressement
de Mr Franchard
avec des circonflances
a faire apetit au plus
degoustéAgioteur d'agioter
avec Monsieur
Franchard.Il lâche ensuite
comme par abondance
de coeur & de
verbiage les tenants ,
les aboutissants, la ruë
•
& le logis de Monsieur
Franchatd,disant qu'il
va au plus viste recevoir
son argent, & laisse
nostre Agioteur dans
les reflexions 8c dans
l'im patience de lier
commerce avec un
homme si bon & si
facile. Il prend dans
son Bureaupour quinze
mille francs de papier
, pour aller faire
conoissance avec Monseur
Franchard. Pendant
que nostre Agioteur
va chercher fortune,
il faut vous instruire
qu'clles estoient les
bonnes gens avec qui--
il alloit negocier.
Monsieur Franchard
&le Picardprelsé de
partir estoient chefs de
cinq ou six Filoux dela
haute volée, de ceux
qui par un long apprentissagedans
l'exercicedespetitsvols
acquierentl'habilite&
les moyens d'en faire
de plus grands.
-
Il y avoit autrefois
à Paris un grand nombre
de ces Filoux; mais
à present la Police y
met bon ordre,& ceux
cy ne porteront pas
loin le tour qu'ils ont
fait à nostre Agioteur.
Monsieur Franchard
avoit Joué depuis quelques
mois un grand
Cabinet garni d'Armoires
avec des Clorsons
à barreaux, en y
joignantquelquesTables,
de vieux Cosses
forts, & des Balances,
il en avoit fait
un Bureau en forme. Il
avoir assemblé force
Registresovieux& nouveaux
&force sacs bien
ronds, bien numerotez
& de riche apparence.
Ces Régistres & ces
sacs arrangez dans ces
Armoires formoient
une Bibliothèque de
Financier des mieux
assortie. Avec cetestalage
& le secours de lès
Compagnons qui se
deguisoient tantost en
gens d'affaires,tantost
en porteurs d'argent
pour achalander le B ureau
,
il avoit estably
son credit chez son hoftesse
& dans [on voisinage.,
ce quiluy produisit
de petits gains
courants d'Agiotage
qui payoient leurs dépens
; mais ilsattendoient
du hazardquelques
bonnes qcaGQn-s)
celle cyen fut une>
Commenostre Agioteuresoit
tres défiant,
il demanda le logis
de Monsieur Franchard
a toutes les Boutiques
du voisinage
pour avoir occasion de
s'informer finement
quel homme c'estoit ;
maisplus il s'informa
&plus il fust trompé
,
car
car tous les voisins
estoient prévenus pour
luy. Il arrive au logis
de MonsieurFranchard
dont il reconut l'hotesse;
elle avoit esté autrefois
de ses am ies.Il
avoit grande confiance
en elle, & elle en avoit
tant en son hoste qu'elle
ne pouvoit s'en taire.
Il luy avoitfait mille
plaisirsc'étoitun hoste
charmant. Il n'y avoit
qu'une incommodité
avecluy , c'estqu'estant
logée directement
fous son Bureau elle
avoit la teste rompuë
de la quantité d'argent
qu'on y remuoit à la
pelle. Eneffet,ilavoit
deux ou trois sacs de
bon argent blanc avec
quoy il faisoit le plus
de bruit qu'il pouvoit;
passons laconversation
de l'hosteste & de l'Agioteur.
Elle court le
presenter à son hoste
, qui promet tout à sa
consideration : elle les
laisse parler d'affaire,
& s'en va. Monsieur
Franchard l'amusa par
des discoursvagues sur
le courant de l'Agiotage
,
& l'amufoit à
dessein, car il ne pouvoit
faire son coup
qu'il n'entendit pour
signalun Carossearriver
à grand bruit à sa
porte. Pendant que
Monsieur Franchard
étale en verbiage sa
probité& sa Franchise,
l'Agioteur leconfidere
de la teste aux
pieds;ilest charméde
saphisionomie,C'estoit
un de ces visages
pleins, unis, faits de
façon qu'on croit les
connoistre de vue parce
qu'on, en voit souvent
de semblables; sa
taille étoit courte &
ronde, des épaules, du
ventre,jambes renforcées
,
jarrets bas, bras
courts, &C main large;
main à compter les
écus dix à dix, vray
moule de Caissier ; enfin,
homme devant lequel
vous vous mettriez
a genoux pour
luy faire prendre vostre
argent la veille
d'un déeri.
Voici un Carossequi
arrive;c'estoit le signal:
venons au fait, dit
franchard. Lefaitest,
répond l'Agioteur,que
j'aylà pour quinze
mille francs deBillets,
& sur ce qu'un Marchand
d'Amiens m'a
ditque vous en aviez
pris à trente pour cent.
Qu'estce à dire ?
interrompit l'autre *
avec un air de franchise
brusque
, vous mocquez-
vous ? ils font à
trente cinq, tout ce
que je puis faire en faveur
de mon hostesse,
c'est de perdre un pour
cent.
Ils en estoientlà
qnand un petit Filou
quiestoit venudans le
Carosse vint faire le
personnage d'un jeune
Ecolieren Droit à qui
sa Mere achete un'!-
Charge de Conseiller
en Province. C'estoit
un petit .Blondin ar
voix gresle, graffoyant
un peu & ricanant
beaucoup. Il entre étourdiementsans
se fai,.
te annoncer , &£ d'un
air é1 vaporéIl court cmbrasser
Franchard en
luy criant avec joye
qu'il avoit conclu le
marché de sa Charge.
Il
Il me faudra luy ditil
, vingt mille francs
deBillets de Monnoye.
Je les prendray de vous
sur le pied que vous
voudrez, je vous ay
tantd'obligationsd'ailleurs
: autres embrassades
, mais cenest pas
le tout, il faut dans le
moment quatre sacs de
mille francs à ma mere
pourm'acheterun Carosse.
Monsieur Franchard
ne répond qu'en
tirant quatre sacs d'une
Armoire comme un
homme qui les donnoit
aussi facilement que
l'autre donnoit des embrassades.
Il en ouvre
un ,
& le répand sur sa
table pour le compter:
Vous vous mocquez
Je moy , s écrie le petit
Conseiller, a-t'on jamais
compté aprésMr
Franchard ? Donnezmoy
une plume que je
vous fasse mon Billet.
Vostremere m'en fera
un tantost dit froidement
Franchard, vous
estes trop jeune pour
signer, emportez toujours,
nous souperons
cesoir ensemble.Deux
5 grands Laquais s'avancent,
prennent les sacs,
& le jeune homme s'en
-
vacourant & cabriolant
comme il estoit
entré. P ij
Je ne reconduis point
Ics jeunes étourdis
5
sécrie
Franchard, jen'ay
pas assez de jambes
pour les suivre.Ensuite
se tournant vers l'Agioteur
,
l'occasion effc
heureuse pour vous, luy dit-il, je luy feray
prendre vos Billetsde
Monnoye à trentedeux
pour cent; c'est
trois de gain pour
vous. Je veux bien fairece
plaisir à mon hostesse
aux dépens d'un
jeune fol qui jette l'argent
par les fenestres ;
ça voyons vos Billets.
Pendant que l'Agioteur
les tire de sa poche
en faisant mille remerciements
, Franchard
arrange plusieurs
sacs sur une autretable,
en prend un
qu'il renverse sur le
comptoir. Comptez ,
dit-il, à l'Agioteur,je
vais examiner vos Billets.
L'Agioteur com pte,
& Franchard prend
la liasse. Pendant qu'il
la feüilletoit sans la dc_e
lier, nostre jeune Cf-,
tourdy rentre avec une
Dame venerable qu'il
tenoitsur le poing, 6C
riant de toute sa force,
conte àFranchard comme
une chose fort plaisante
que samere qui
n'avoit pas voulu monter
la premiere fois de
peur de le déranger,venoit
par excez d'exact*
tude luy faire son Billet.
Franchard court au
devant d'elle, se fasche
de cette exactitude offençante
pour luy, jure
qu'il ne recevra le Billet
qu'en luy donnant à
souper. La Dame venerab
le cede de peur de
le fascher
, & regagne
son Carosse, où Franchard
, plus ceremonieux
avec les Dames
qu'avec les jeunes ef-
Tourdis, voulut absolument
la reconduire.
Il la suit, tenant toujours
à la main la liasse
deBillets & l'Agioteur
rcfte iàns se defier
de rien. Il compte toûjours
son sac pour gagner
du temps;maisil
n'osa pas toucher aux
autres quen prsience
de Franchard
, trèsfasché
mesmed'avoir
trouvé deux Ecus de
manque dans le sac,
car l'ayant compté sans
témoins,il prenoit déjà
laresolution de perdre
deuxEcuspar politesse.
-
Il s'assit
,
& attendit
fort tranquilement pen
dantun quart d'heure;
c'est le moins que puissent
durer les Corn-*
phmentsd'une femme
à qui on précèdet~<
gent.
Voyons cepen dant si
nosFiloux munis des
quinzemi lle francs en
Billets sont montez en
Carosse.Non,ils s'ex.
quivent plus finemenr;
ils laissent le Carosse de
louage à la porte, ô£
Franchard feignant
d'accompagner la Dame;
jusques chez un
Notaire voisin, la suit
à pied jusques dans une
rue tournante où un
autre Carosse les attendoit,
& touche Cocher
, voila les quinze
mille francs partis.
Imaginez vous l'impatience
inquiété da
l'Agioteur & de l'hôtessequi
le fut rejoin.
dre au Bureau pour
voir s'il étoit content
de son hoste. Leur con..
fiance étoit si bien establie
que les sou p çons
ne leur vinrent que
pardegrez; mais il fallutenfinen
veniraux
craintes, aux éclaircisfements,
auxalarmes,
l'Agioteur veut emporter
quinze sacs y 1hostessè s'y oppose, il
faut des formalitez. Je
parte fous silence l'arrivée
du Commissaire,
l'ouverture des sacs;
remplis de cailloux 6C
de ronds d'ardoise. Je
ne vous diray point
quelsfurent à cet afpeét
les fremissements
& les mines de l'Agioteur
dupé; vous imaginerez
le dénouement
de tout cela plus plaisamment
que je ne
pourrois vous le décrire.
Le mot d'Agioteur
vient du mot Italien
Adgio Supplément ou
Ajustement.Adjiuflamento,
Ajustement ou
Convention d'interest
entre les Agents de
Change ou Banquiers.
Quel vantaggio chési da
o ricevé per adjoustamenodella
valuta diunamoneta
aquelta d'unaltra.
tous les mois quelque
Historiette ou
Françoise ou Espagnole,
ou mesme quelque
Conte Arabe. On m'a
promis des Mémoires
pour tout cela, outre
lesAvantures du temps
que je prefereray toûjours
aux autres; en
voicy une.
Dans le mois dernier
un Agioteur aesté
trompé par des Filoux,
J'ay voulu m'assurerxactement
descirconstances
en me faisant
raconter le fait par plufleurs
personnes. Il
m'est arrivé ce qui arrive
toûjours en cas pareil.
Unechose se passe
en presence de plulieurs,
& cependant
elleest racontée differemment
par chacun
des spectateurs.
L'AGIOTEUR
DUPE.
Un deces Juifs Parisiens,
non pas de ceux
qui dans la Synagogue
des Halles sçavent faire
d'un vieux Manteau
deux Justaucorps
neufs; mais de ceux
qui achetant, revendant
& rachetant le
mesmepapier plu sieurs
fois en un jour, en gagnent
la valeur en
moins d'un mois. Un
de ces Juifs, dis-je , qu'on nomme depuis
peu Agioteurs, des plus
rafinez, des plus avides
& des plus défiants,
calculoitunjour sur le
midy le gain de sa matinée
en attendant pratique
nouvelle.
Arrive un Picard,
franc Gaulois par la
mine, homme grossier
en apparente,& foy
disant pressé de faire de
l'argent d'un Billet de
Change pour s'en retourner
àAmiens.L'Agioteur
luy dit qu'il a
de l'argent à son service
; mais que depuis
deux jours les Billets
font à trente-cinqpour
cent. Le bon Picard fait
l'étonné
,
luy aflUla':l('\
qu'hier encore mCI"
Franchard n'avoit pris
di luy que-trente poup
cent. Cela ne Ce peut
luy dit l'Agioteur ;
mais quiest donc Mr
Franchard? Si je n'étois
pas si pressé de partir
, continua naïvement
le Picard, je ferois
retourne a luy;
mâisil loge bien loin
d'icy* : ça Monsieur
voyons viste si vous me
voulez faire aussi bon
marché que luy. Je
m'en garderay bien,dit
l'Agioteur; en Jepressantde
luy direquiestoit
cethomme si desinteressé.
Le bon Picard
-- en s'en allant
comme un homme
presse.expose la franchise&
le desinteressement
de Mr Franchard
avec des circonflances
a faire apetit au plus
degoustéAgioteur d'agioter
avec Monsieur
Franchard.Il lâche ensuite
comme par abondance
de coeur & de
verbiage les tenants ,
les aboutissants, la ruë
•
& le logis de Monsieur
Franchatd,disant qu'il
va au plus viste recevoir
son argent, & laisse
nostre Agioteur dans
les reflexions 8c dans
l'im patience de lier
commerce avec un
homme si bon & si
facile. Il prend dans
son Bureaupour quinze
mille francs de papier
, pour aller faire
conoissance avec Monseur
Franchard. Pendant
que nostre Agioteur
va chercher fortune,
il faut vous instruire
qu'clles estoient les
bonnes gens avec qui--
il alloit negocier.
Monsieur Franchard
&le Picardprelsé de
partir estoient chefs de
cinq ou six Filoux dela
haute volée, de ceux
qui par un long apprentissagedans
l'exercicedespetitsvols
acquierentl'habilite&
les moyens d'en faire
de plus grands.
-
Il y avoit autrefois
à Paris un grand nombre
de ces Filoux; mais
à present la Police y
met bon ordre,& ceux
cy ne porteront pas
loin le tour qu'ils ont
fait à nostre Agioteur.
Monsieur Franchard
avoit Joué depuis quelques
mois un grand
Cabinet garni d'Armoires
avec des Clorsons
à barreaux, en y
joignantquelquesTables,
de vieux Cosses
forts, & des Balances,
il en avoit fait
un Bureau en forme. Il
avoir assemblé force
Registresovieux& nouveaux
&force sacs bien
ronds, bien numerotez
& de riche apparence.
Ces Régistres & ces
sacs arrangez dans ces
Armoires formoient
une Bibliothèque de
Financier des mieux
assortie. Avec cetestalage
& le secours de lès
Compagnons qui se
deguisoient tantost en
gens d'affaires,tantost
en porteurs d'argent
pour achalander le B ureau
,
il avoit estably
son credit chez son hoftesse
& dans [on voisinage.,
ce quiluy produisit
de petits gains
courants d'Agiotage
qui payoient leurs dépens
; mais ilsattendoient
du hazardquelques
bonnes qcaGQn-s)
celle cyen fut une>
Commenostre Agioteuresoit
tres défiant,
il demanda le logis
de Monsieur Franchard
a toutes les Boutiques
du voisinage
pour avoir occasion de
s'informer finement
quel homme c'estoit ;
maisplus il s'informa
&plus il fust trompé
,
car
car tous les voisins
estoient prévenus pour
luy. Il arrive au logis
de MonsieurFranchard
dont il reconut l'hotesse;
elle avoit esté autrefois
de ses am ies.Il
avoit grande confiance
en elle, & elle en avoit
tant en son hoste qu'elle
ne pouvoit s'en taire.
Il luy avoitfait mille
plaisirsc'étoitun hoste
charmant. Il n'y avoit
qu'une incommodité
avecluy , c'estqu'estant
logée directement
fous son Bureau elle
avoit la teste rompuë
de la quantité d'argent
qu'on y remuoit à la
pelle. Eneffet,ilavoit
deux ou trois sacs de
bon argent blanc avec
quoy il faisoit le plus
de bruit qu'il pouvoit;
passons laconversation
de l'hosteste & de l'Agioteur.
Elle court le
presenter à son hoste
, qui promet tout à sa
consideration : elle les
laisse parler d'affaire,
& s'en va. Monsieur
Franchard l'amusa par
des discoursvagues sur
le courant de l'Agiotage
,
& l'amufoit à
dessein, car il ne pouvoit
faire son coup
qu'il n'entendit pour
signalun Carossearriver
à grand bruit à sa
porte. Pendant que
Monsieur Franchard
étale en verbiage sa
probité& sa Franchise,
l'Agioteur leconfidere
de la teste aux
pieds;ilest charméde
saphisionomie,C'estoit
un de ces visages
pleins, unis, faits de
façon qu'on croit les
connoistre de vue parce
qu'on, en voit souvent
de semblables; sa
taille étoit courte &
ronde, des épaules, du
ventre,jambes renforcées
,
jarrets bas, bras
courts, &C main large;
main à compter les
écus dix à dix, vray
moule de Caissier ; enfin,
homme devant lequel
vous vous mettriez
a genoux pour
luy faire prendre vostre
argent la veille
d'un déeri.
Voici un Carossequi
arrive;c'estoit le signal:
venons au fait, dit
franchard. Lefaitest,
répond l'Agioteur,que
j'aylà pour quinze
mille francs deBillets,
& sur ce qu'un Marchand
d'Amiens m'a
ditque vous en aviez
pris à trente pour cent.
Qu'estce à dire ?
interrompit l'autre *
avec un air de franchise
brusque
, vous mocquez-
vous ? ils font à
trente cinq, tout ce
que je puis faire en faveur
de mon hostesse,
c'est de perdre un pour
cent.
Ils en estoientlà
qnand un petit Filou
quiestoit venudans le
Carosse vint faire le
personnage d'un jeune
Ecolieren Droit à qui
sa Mere achete un'!-
Charge de Conseiller
en Province. C'estoit
un petit .Blondin ar
voix gresle, graffoyant
un peu & ricanant
beaucoup. Il entre étourdiementsans
se fai,.
te annoncer , &£ d'un
air é1 vaporéIl court cmbrasser
Franchard en
luy criant avec joye
qu'il avoit conclu le
marché de sa Charge.
Il
Il me faudra luy ditil
, vingt mille francs
deBillets de Monnoye.
Je les prendray de vous
sur le pied que vous
voudrez, je vous ay
tantd'obligationsd'ailleurs
: autres embrassades
, mais cenest pas
le tout, il faut dans le
moment quatre sacs de
mille francs à ma mere
pourm'acheterun Carosse.
Monsieur Franchard
ne répond qu'en
tirant quatre sacs d'une
Armoire comme un
homme qui les donnoit
aussi facilement que
l'autre donnoit des embrassades.
Il en ouvre
un ,
& le répand sur sa
table pour le compter:
Vous vous mocquez
Je moy , s écrie le petit
Conseiller, a-t'on jamais
compté aprésMr
Franchard ? Donnezmoy
une plume que je
vous fasse mon Billet.
Vostremere m'en fera
un tantost dit froidement
Franchard, vous
estes trop jeune pour
signer, emportez toujours,
nous souperons
cesoir ensemble.Deux
5 grands Laquais s'avancent,
prennent les sacs,
& le jeune homme s'en
-
vacourant & cabriolant
comme il estoit
entré. P ij
Je ne reconduis point
Ics jeunes étourdis
5
sécrie
Franchard, jen'ay
pas assez de jambes
pour les suivre.Ensuite
se tournant vers l'Agioteur
,
l'occasion effc
heureuse pour vous, luy dit-il, je luy feray
prendre vos Billetsde
Monnoye à trentedeux
pour cent; c'est
trois de gain pour
vous. Je veux bien fairece
plaisir à mon hostesse
aux dépens d'un
jeune fol qui jette l'argent
par les fenestres ;
ça voyons vos Billets.
Pendant que l'Agioteur
les tire de sa poche
en faisant mille remerciements
, Franchard
arrange plusieurs
sacs sur une autretable,
en prend un
qu'il renverse sur le
comptoir. Comptez ,
dit-il, à l'Agioteur,je
vais examiner vos Billets.
L'Agioteur com pte,
& Franchard prend
la liasse. Pendant qu'il
la feüilletoit sans la dc_e
lier, nostre jeune Cf-,
tourdy rentre avec une
Dame venerable qu'il
tenoitsur le poing, 6C
riant de toute sa force,
conte àFranchard comme
une chose fort plaisante
que samere qui
n'avoit pas voulu monter
la premiere fois de
peur de le déranger,venoit
par excez d'exact*
tude luy faire son Billet.
Franchard court au
devant d'elle, se fasche
de cette exactitude offençante
pour luy, jure
qu'il ne recevra le Billet
qu'en luy donnant à
souper. La Dame venerab
le cede de peur de
le fascher
, & regagne
son Carosse, où Franchard
, plus ceremonieux
avec les Dames
qu'avec les jeunes ef-
Tourdis, voulut absolument
la reconduire.
Il la suit, tenant toujours
à la main la liasse
deBillets & l'Agioteur
rcfte iàns se defier
de rien. Il compte toûjours
son sac pour gagner
du temps;maisil
n'osa pas toucher aux
autres quen prsience
de Franchard
, trèsfasché
mesmed'avoir
trouvé deux Ecus de
manque dans le sac,
car l'ayant compté sans
témoins,il prenoit déjà
laresolution de perdre
deuxEcuspar politesse.
-
Il s'assit
,
& attendit
fort tranquilement pen
dantun quart d'heure;
c'est le moins que puissent
durer les Corn-*
phmentsd'une femme
à qui on précèdet~<
gent.
Voyons cepen dant si
nosFiloux munis des
quinzemi lle francs en
Billets sont montez en
Carosse.Non,ils s'ex.
quivent plus finemenr;
ils laissent le Carosse de
louage à la porte, ô£
Franchard feignant
d'accompagner la Dame;
jusques chez un
Notaire voisin, la suit
à pied jusques dans une
rue tournante où un
autre Carosse les attendoit,
& touche Cocher
, voila les quinze
mille francs partis.
Imaginez vous l'impatience
inquiété da
l'Agioteur & de l'hôtessequi
le fut rejoin.
dre au Bureau pour
voir s'il étoit content
de son hoste. Leur con..
fiance étoit si bien establie
que les sou p çons
ne leur vinrent que
pardegrez; mais il fallutenfinen
veniraux
craintes, aux éclaircisfements,
auxalarmes,
l'Agioteur veut emporter
quinze sacs y 1hostessè s'y oppose, il
faut des formalitez. Je
parte fous silence l'arrivée
du Commissaire,
l'ouverture des sacs;
remplis de cailloux 6C
de ronds d'ardoise. Je
ne vous diray point
quelsfurent à cet afpeét
les fremissements
& les mines de l'Agioteur
dupé; vous imaginerez
le dénouement
de tout cela plus plaisamment
que je ne
pourrois vous le décrire.
Le mot d'Agioteur
vient du mot Italien
Adgio Supplément ou
Ajustement.Adjiuflamento,
Ajustement ou
Convention d'interest
entre les Agents de
Change ou Banquiers.
Quel vantaggio chési da
o ricevé per adjoustamenodella
valuta diunamoneta
aquelta d'unaltra.
Fermer
Résumé : L'AGIOTEUR DUPÉ.
Le texte narre l'histoire d'un agioteur parisien, spécialisé dans l'achat et la revente de papiers financiers, qui est trompé par des escrocs. L'agioteur, en train de calculer ses gains à midi, est abordé par un Picard souhaitant échanger un billet de change. L'agioteur propose un taux de 35%, mais le Picard affirme avoir obtenu 30% auprès de Monsieur Franchard. Intrigué, l'agioteur décide de rencontrer Franchard. Ce dernier, avec l'aide de complices déguisés, parvient à convaincre l'agioteur de lui confier quinze mille francs en billets. Pendant que Franchard distrait l'agioteur avec des discussions et des mises en scène, ses complices s'échappent avec l'argent. L'agioteur, trompé par les apparences et les témoignages des voisins, ne se méfie pas. Finalement, il découvre que les sacs d'argent contiennent des cailloux et des rondelles d'ardoise. Le terme 'agioteur' est expliqué comme provenant de l'italien 'adgio', signifiant ajustement ou convention d'intérêt entre agents de change.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
28
p. 216-270
Avanture nouvelle. / Les Bohemiennes.
Début :
Cette Avanture est du mois de Novembre dernier, & tirée [...]
Mots clefs :
Diable, Génies, Cave, Paris, Fortune, Écus, Esprit, Succession, Bohémiennes, Lettre, Main, Bélise, Bohémienne, Princesse, Parente, Amie, Bourgeoise, Bourgeoises
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Avanture nouvelle. / Les Bohemiennes.
Avanture no*uvelle.
Cette Avanture est du
- mois de Novembre dernier,
& tirée des Informations
d'un Procez
qu'on instruit à presents
je n'y mets rien du mien
que le tour des conversations
: je vous les rapporterois
mot à mot, si
j'y avois esté present
&quej'eussede la , memoire,
tant j'aime à estre
exact
,
dans les faits
que
que je donne pour veritables.
Les Bohemiennes. Vous-avez vû dans
le Discours des Presages
que plusieurs grands
Hommes de l'Antiquité
ajoustoient foy aux Di-,
seurs de bonne Avantuce
Grecs & Romains >
:el grand Capitaine qui
affronte avec intrépidité
les perilsréels, craindroit
peut-estre les perilsimaginaires
qu'une
Bohemienne verroit
dans sa main
,
& par
consequent espereroit
les bonnes fortunes qu'-
elle luy promettroit :
pardonnez - donc cette
foiblesse àune femme
dont je vais vous parler,
qui a un bon esprit, &
qui est tres - estimable
d'ailleurs.C'est une riche
Bourgeoise que je
nommeray Belise, &
qui est d'autant plus excusable
que la fourberie
qu'on luy a faiteest une
des moins grossieres en
ce genre-là. La Bohemienne
qui l'a filoutée,
& qui est presentement
au Chastelet, a de l'esprit
comme un Demon,
la langue bien penduë,
le babil, & l'accent Bohemien
tenant du Gas
con, langage propre à
raconter le merveilleux,
:.& à faire croire l'incroyable.
f Cette Bohemienne
sçachant que Belise alloitsouventchez
une
amie, la guette un jour,
&passe comme par hazard
auprésd-ellela
regarde à plusieurs reprises,
s'arreste, reèuletrois
pas & fait un cri
d'estonnement,&de
joye.Est-cequevousme
çonnoissez, luy dit BcJi4
se, en s'arrestant auai;
si je vous connois, répond
la Bohemienne,
dans son jargon: oliy
,
ma bonne Dame, oüy
, Se non, peut-estre &c
sans doute,je vous connois,&
si je ne vous connois
pas; mais je fuis
sure que vous ferez heureuse
de me connoistre.
Je vois bien, luy dit Belife
avec bonté, que
vous avez envie de gagner
la piece
, en me disant
ma bonne Avanture
; je n'y crois point,
mais ne laissez pas de me
la dire. Belise la fit entrer
avec elle chez son
amie, & les voilà toutes
trois à causer. Belise luy
presenta sa main
,
& la
Bohemienne,en l'observant,
feignoitd'estre de
plus en plus surprise&
rejoüie d'avoir rencontré,
disoit-elle, une personne
qu'elle cherchoit
depuis plusieursannées.
Elle devina par les régles
de son Art,plusieurs
singularitez dontelles'éstoit
fait instruire par
une Servante qui avoit
servi Belise:mais ce
qu'elle voyoit de plus
leur dans cette main
c'estoit, disoit-elle, , une
fortune subite & prochaine
; une fortune;
s'écria Belise > oüy
,
répondit
la Bohemienne,
&fortune bonne, bonne
fortune, fortune de richesses'entend,
& non
d'amour, car je vois
dans vostre main que
, vous ellesfage& fidele
à vostre mary qui pis7
est pour vos amants;
certes je voisbiendes
mains à Paris, mais j'en
nvoi.sp.e'uecomme la-vo- Par les circonstances
surprenantes qu'elle paroissoit
deviner,elle disposa
Belife à donner avec
confiance dans le
piege qu'elleluy tm-, doit.Aprés avoir persuadé
à nos Bourgeoises
qu'elle avoit des liaisons
tres - particulières avec
les Demons & les Génies,
elle leur conta Phistoire
d'une Princesse
Orientale qui étoit venu
mourir à Paris il y avoit
cent ans, & leurditque
cette Princesse eftranae-
- L:
reavoit enterre1 un r
tresor
dans une Cave, & qu'-
ensuitevoulant faire son
heritiere une certaine
Bourgeoise de ce tempslà
qu'elle avoit pris en
affection
,
elle avoit esté
surprise de mort subite
avant que d'avoir pû instruire
la Bourgeoise du
tresor caché; c'estceque
je sçaispar la Princesse
mesme,continualaBohemienne
:car quoyque
morte il y a cent ans „ elle est fort de mes amies,&
voicycomment.
Vous devez sçavoir,car
il est vray que nulle personne
de l'autre monde
ne peut parler ànulle de
celuy-cyque par l'entreluire
des Genies: or
est-il que le mien est amy
de celuy de la Princesse;
bref, je l'ayvûë tant de
fois que rien plus: &
je me fuis chargé de
luy chercher dans Paris
quelque femme qui soit
de la famille de la défunte
Bourgeoise
, que
la défunte Princesse vouloitfaire
son heritieredu
tresor caché,& je suis
bien trompé si vous n'estes
une de ces parentes;
que je cherche avec empressement;
A ce récit extravagant
l'amierioit de tout son
coeur, mais Belise ne
rioit que pour faire l'esprit
fort,carle desir d'estre
heritiere augmentoit
sa credulité. Il faut
estrefolle, dit-elle, pour
s'aller imaginer que je
sois parente de cette heritiere
; pas si folle mabonneDame,
pas si folle,
car je levoudrois detout
moncoeur ,
& je l'ay
soupçonné d'abord à
certain airdefamille qui
m'a frappé dans vostre
visage,car la Princesse
m'afaitvoir en songe
l'air de famille de l' heritiere
afin que je reconnoisse
à la phisionomie
quelqu'une de ses parentes.
Mais5 reprit Belise
5
comment sçavoir si jesuisparentede
cette
héritière qui vivoit il y
a cent ans. Oh dans Paris,
reprit la Bohemienne,
on est parent de plus
de gens qu'on ne pense,
car depuis le tems qu'on
s'y marie, & qu'on ne
nez-vous combien d'alliances
; toutes les Bourgeoises
de Paris sont
cousines, vous dis-je, il
n'y a que la difference
du degré, & si vous estes
cousine de l'heritiere
feulement au septantiéme
degré, j'ay tant de
credit sur la Princesse
que je vous fais heriter
de son tresor. C'a je
fuis impatiente d'affection
pour vous de sçavoir
si vous estes vrayement
la parente qu'ilme
faut.
,
Je vais l'éprouver
en un clein d'oeüil. Mais
si j estoisaussi parente, dit l'amie > la Bohémienne
n'y trouva point
d'apparence, mais fut
ravie pourtant de faire
l' épreuve double pour
mieuxjouer fbn jeu. A
l'instantelle demanda
deux grands verres de
cristal qu onalla chercher&
remplir d'eau
claire. Elle les mit sur
deux tables éloignées
l'unede l'autre
,
& dit
aux Bourgeoises de fermer
un oeil, .&" de regarder
attentivementavec
l'autre. Les voilà
donc observantchacune
leur verre d eau.Regardez-
bien
,
dez-bien, leur crioit la
fausse Magicienne, car
celle qui effc parente de
l'heritiere
,
doit voir
dans son verre un échantillon
du tresor dont elle
doit heriter, &C l'autre y
verra le Diable,c est-àdire,
rien. Il faut vous
dire - icy que la Bohe--
mienne avoit mis dans
chaque verre unepetite
racine, leur disant que
c estoit la racine d'enchantement
,
qui attiroit
les Genies, Se l'une
de ces racines estoit appresséeavec
unecomposition
chimique qui détrempée
par l'eau devoit
par une espece de fermentation
, former des
bubes d'air & force petits
brillants de differentes
couleurs avec de petites
pailletésdorées
y
ç'en est plus qu'il ne
faut pour faire, voir à
une femme prévenue ,
tout ce que son imagination
luy represente.
Belifecftoit si agitée
par le desir du tresor,
Se par la crainte de
ne rien voir,que la première
petite bubed'air
qui parut dans le verre,
elle criaquelle voyoit
quantité de perles. Noijre
rusée acheva de luy
tourner la teste en se réjoüissant
d'avoir deviné
juste. Vous en allez bienvoir
d'autres,s'écriat-
elle ;regardez;(bien.En*
estet
,
la fermentation
augmente ,
&C chaque
fois qu'on luy dit, voyezvous
cecy, voyez-vous
cela, Belise répond toujours
,
oüy
,
oiiy ; car
transportée,ébloüie,
troublée
,
elle vit enfin
tant de belles choses, que
charmée&convaincuë,
elle allasautes aucolde
celle qui .la.-fai[ait si-dri-,
chev^>li .VJiL'
L'autreBourgeoiseestoit
muette 'èc :bi(tll.fdt:a
chée de n'avoir vu que
de l'eau claire: mais Be--
lise croyant déjà tenir
des millions, luy promit
de l'enrichir & de
recompenser sa bienfaitrice
qui luy jura, foy
de Bohémienne, qu'elle
pollederoit ce tresor dans
- deux jours,maisqu'il y
avoitpourtant de grandesdiffcultezàvaincre:
car,dit-elle
y
le Diable ,
quiest.gardien - de tous
les tresors enterrez
?
en
doit prendre possession
au bout de cent années .à
c'estla regle des tresors
cachez, mais par bonheur
il n'y a que quatrevingts
dix-huit ans que
la Princesse a enterré le
lien, je crains pourtant
que le Diable ne nous
dispute la date, enragé
contre vous de ce qu'à
deux ans prés vous luy
enlevez des richesses qui
luy auraientserviàdamner
trente avaricieux
mais voyons encore voestre
main
,
je me trompe
fort si ce mesme Diable
la ne vous a déjàlutine.
justement, dit Belise
,. car cet Esté à la
campagne il revenoitun
esprit dans ma chambre.
Il faut estre Sorciere
pour avoir deviné cela.
La Sorciere sçavoit, en
effet, que la Servante
s'ennuyant de ne point
voir son Amant, s'estoit
avisée de lutiner la nuit
là Maistresse pour l'obliger
à revenir à Paris.
C'a menez-moy chez
vous, dit la Bohémienne
en regardant l'eau
du verre, car je remarque
icy que ce treior est
dans la cave de la maison
mefrne où vous demeurez
,
& je voisqu'il
consiste en deux cailles
dont l'une cil: pleine de
vieux Ducats, & l'autre
de Pierreries.
Belise ravie de ravoir
voir déja sa succession
dans sa cave, emmena
chez elle son amie & la
Bohémienne, qui l'avertit,
cheminfaisant, que
pour adoucir la férocité
.de l'esprit malin
,
elle
alloit faire des conjurations
,
des fumigations,
& qu'il falloit amorcer
d'abord le Diable par
une petite effusion d'or.
Avez-vous de l'or chez
vous, continua-t-elle ;
j'ay cinq Loüis d'or, repondit
Belise, fort bien,
reprit l'autre: mais je ne
veux toucher de vous
ni or ny argent que je
n'en aye rempli vos coffres.
Vous mettrez vousmesme
l'or dans le creuset
au fond de la cave,
& vous le verrez fondre
à vos yeux par un
feu infernal qui lortira
des entrailles de la terre
en vertu de certaine paroles
ignées que je prononceray.
Je veux que
vous soyez témoin de
cesmerveilles qui vous
prouverons mon pouvoir&
le droit quevous
avez déjà sur la succession.
Avec de pareils dis
cours ils arrivèrent enfin
chez Belise
,
où le
reste de la fourberie eC.
roit preparee, comme
vous l'allez voir. Les caves
en question estoient
comme on en voit encore
à Paris, pratiquées
dans des souterrains antiques,
en forte qu'elles
n'estoient separées de
plusieurs autres caves
que par un vieux mur,
caves fort propres à exercer
l'art des Magiciens
,
& des Marchands
de Vin. L'ancienne
Servante,au tems
qu'elle apparuten Lutin
à sa Maistresse, avoit fait
dans ce vieux mur une
petite ouverture à l'occasion
de ses amours ;
elle disposoit d'une de
ces caves voisînes.C'est
par son moyenque nôtre
Magicienne avoit composé
un spectre ressemblant
à peu prés à celuy
quiestoit apparu àBelise
à sa campagne. Elle joignit
à cela un appareil
affreux dontvous verrez
l'effet dans un moment.
Belisearrivée chez elle,
alla prendre dans son
tiroir les cinq Loüisd'or
pour faire fondre au feu
infernal.On la conduit
dans ses caves; un friC.
son la prend en entrant
dans la premiere. Ily en
avoit encore une autre a..
traverser quand elle vit
au fond de la troisiéme
une -
lueur qui luy fit;
appercevoir ce fpeétrel
de sa connoissânce
,
qui
sembloit [orrir de terre.
Elle ne fitqu'uncriqui
futsuivid'un évanouissement.
Aussi-tost la Magicienne
& ia compagne
la reporterent dans
là chambre,&dés qu'on
l'eust fait revenir à elle
,
ion premier mouvement
fut d'estre charméed'avoir
vû ce qui
l'assuroit de la realité du
tresor. Elle donna les
Louis d'or pour aller,
achever la ceremonie
dans la cave, &quelque
temps après on luy vint
rendre compte du bon
effet de l'or fondu ,cir
le demon dutresor avoit
promis de letrouver la
nuit suivante au rendezvous
quon luy avoit
donné de la part de la
Princesse, pour convenir
à l'amiable du droit
de celle qui en devoit
heriter. C'est ainsi que la
Bohémienne gagnacent
francs pour sa premiere
journée, & laissa l'heritiere
fort impatiente du
Succès qu'auroit pour
elle la conférence nocturne
du Demon&de la
Princesse
Le lendemain la Bohémienne
encurée vint
trouver Belife
,
& feignant
d'estre transportée
de joye luy dit, en
l'embralïant que la Princesses'estoit
rendue chez
elle dans une petite
chambre quelle luy avoit
fait tapisserde blanc,
& que le Diable y estoit
venu malgré luy. Je l'ay
bien contraint d'yvenir,
continua-t-elle dans son
jargon, je leur commande
à baguette àces .pe- titsMessieurs-là; au reste
j'ay dit tant de perfections
de vous à la Princesse,
jqu'ellevousaime
comme [on propre enfant.
Elle vous fait sa
legataire universelle. Le
Diable alleguoit que les
cent ans estoient accomplis,
il vouloit escamoter
parun faux calcul les
deux ans qui luy manquent.
Il a bien disputé
son droit contre nous":
mais tout Diable qu'il
est, il faut qu'il nous
cede en dispute à nous
autres femmes
,
& nous
l'avons fait convenir
qu'en luy donnant sa
paragouante, il renonceroit
à la succession
, & cette paragouante ce
ne sera que mille écus,
encore voulions
- nous
qu'il les prit sur l'argent
du tresor : mais il s'est.
mis en fureur disant
qu'on vouloit le trom-
1
per, & il a raison, car
dés qu'un tresor est déterré)
il n'y a plus de
droit; bref, nous luy avons
promis les mille écus
d'avance;il faut que
vous les trouviezaujourd'huy,
Belise écoutoitavec
plaisir les bontez
de la Princesse,mais
les mil écus luy tenoient
au coeur ; elle y révoit.
Je ne veux point toucher
cet argent, continua
la rusée; vous le
donnerez au Diable en
main propre. Il est enragé1
contre vous, car vous
estes si vertueuse, il voit
de plus que vous l'allez
déshériter
,
s'il vous tenoit,
il vous dechireroit
à belles dents; il faut
pourtant que vous luy
donniez vous-mesme les
mille écus. Ah ! s'écria
Belife, jeneveuxplusle
voir; voyez-le, voyezle
,
continual'autre,en
faisantunpeu lafaschée,
vous croyez peut-estre
que je veux gagner avec
luy sur ces milleécus-là,
c'est son dernier mot ,
voyez-le vous - mesme.
Belife luy protesta quelle
avoit toute confiance
en elle, mais qu'il luy
estoit impossible detrouver
mille écus,& qu'elle
auroit mesme de la peine àmettre ensemble cinq
cent livres, à quoy la
Bohémienne repartit
apres avoir revé un moment
;hé bien vous me
ferez vostre billet du reste,
& je feray le mien
au Diable, & cela je
vous le propose fous son
bon plaisir s'entend, car
il faut que j'aille luy
faire cette nouvelle proposition.
Après ce diC.
cours elle quitta Belise
qui passale reste du jour à ramassercinq cent livres
dans la bourse de
les amies.
Le lendemain la Bo-
.-
hemienne revint luy annoncer
que le jour suivant
elle la mettroit en
possession
,
& que le
marché se pourroit conclure
la nuitprochaine
dans la cave où le Diablegardoit
le tresor ;
que la Princesse devoit
s'y trouver sur le minuit,
& qu'elle vouloit
absolument que l'heritiere
fut presente : mais,
continua - t - elle
, en
voyant déjà pâlir Belise,
ne
ne craignez rien, vous
y ferez & vous n'y ferez
pas, car ce fera mon Genie
qui prendra vostre
ressemblance, & qui paroiftra
à vostre place avec
quatre Genies de ses
amis habillez en femmes
,car la Princessè est
entestée du cérémonial ;
elle veut que quatre ou
cinq Dames venerables
forment la bas un cercle
digne de la recevoir. Il
ne nous manque plus
rien que des habits pour
ce cercle; mais il en faut
trouver, car les Genies
ont bien le pouvoir d'imiter
au naturel des
creatures vivantes, mais
ils ne peuvent imiter ni
le fil, ni la soye, ni la
laine,rien qui soit ourdi, tramé,,t.is"su, ni tricoté,ce
sont les termes du Grimoire,
nous sçavons.
cela nous autres, & je
vous l'apprends, en forte
que pour les habiller
ilfaut des habits,réellement
eftoffez
,
& j'ay
imaginé que vous leur
presteriez les vostres. Ne
craignez point qu'ils les
salissent
: les Genies sont
propres. C'a, COlltinuat-
elle d'un ton badin, il
nous faut aussi quantié
de toiles: vous avenus
doute des. draps, des
nappes}c'estquelaPrincesse
ne peut paroiftrc
que dans unlieu rapiæ
deblanc,vostre CÍ'Te est
noire, elle n'y viendroit
point, & nous manquerions
vostre succession..
A tout ce détail, Belise
topoitde tout son coeur,
penetrée de rcconnoissance
pour sa bienfaictrice.
Après avoir donné
les cinq cens livres& son
bille du reste, elle fait
elle-mesme l'inventaire
deses habits & de son
linge.LaBohemienne ne
Cluive rien de trop beau
pour~ cercle de laPrincesse
,
& mesme elle
l'augmente encore de
deux Genies voyant des
juppes & des coëffures
de reste. A peine laisset-
elle à Belise un jupon
de toile avec sa chemise.
Cette pauvre femme dépouillée
aide elle-melme
à porter ses hardes jusqu'à
la porte dela cave,
& la Bohémienne
en y entrant recommande
à l'heritiere de
bien fermer la porte à
doubletour,depeur
que quelqu'un ne vienne
troubler lecercle. Belise
ne pouvoitavoir aucun
soupçon en enfermant
son bien dans sa
cave, car elle ignoroit la
communication des caves
voisines, par où les
Genies plierent toilette,
ainsi les Bohémiennes
eurent toute la nuit devant
elles pour sortir de
Paris avec leur butin,
& l'heritiere en chemise
fut secoucher en attendant
ses habits & la succession
de la Princesse.
Voicylefragmentd'une
Lettre qui acheve de #
me détailler la fin de
cette ayanture. L .-, e lendemain matin Belise
s'apercevant quelleavoit
etéfiloutéepurlesBohémiennes3envojta
deux hommes après
elles qui lessaisirent à Chantïlliavec
les hardes & 46Ov
livsur quoj les Bohemiennes
ayant estéarrestées & interrogées
elles denierent le fait du
tresor, reconnurent les bardes
pourappartenir à la Darne,
mais elles dirent quellesleur
avoient esté données en nantissement
de 1500. liv. quelles
luyavoientprestéesainsiquil
estoit justifié par la reconnoissance
de la Dame
,
inserée
dans la Lettre qu'elle representoit;
mais comme cette Lettre
écrite à une defunte estoit fort
équivoque
, que d'ailleurs
quand elle eust esté une reconnoissancepure
&simpledela
Dame duprests de 1500.elle
eufi
rust esté nulle parce que la Dame
efloit en puissance de Tlldry.
Voicy motpour mot la copie
de cette Lettre que la Bohémienne
avoit apparemment
diflee à la Dame en luy disant
quelledevaitparpolitejje écrire
a la Princejje.
MADAME,
* N'ayant point l'honneur
d'estre connu devous,
attendu que vous n'estes
plus en vie depuis longtemps
néanmoins la personne
qui vous doit rendre
celle-cy dans la cave, avec
mes respects,vous assurera,
de ma reconnoissance pour
la bonté que vous avez de
me fire vostre heritiere ,
& pour vous témoigner
que je veux satisfaire à vostre
volonté que vostre ame
a dite àla personne qui
vous rendra la presente,
j'ay voulu que vous vissiez
dans ma Lettre comme elle
ma presté la somme de
quinze cens livres,&
que je luy rendray avec
honneur. Jesuisse.
-
£,'$«rce comprendpas que
la Bohemienne ait pus'imaginer
que cette seureté seroit
suffisante pour elle ny que la
Dame,quin'apas voulu apparemmentfaire
un Billetsimple
à laBohemienne sesoitengagée
parune reconnoissance. En un
mot il y a peu de vraysemblance
a tout cela; mais la circonstance
est vraye &sivraye
qu'onn'a pas cru devoir en alterer
la vérité pour la rendre
plus croyable
;
les Jugesde
Chantillyn'ayant nul égard à
cette promesseinserée dans la
Lettre, ne firent point de
difficulté de faire rendre les
bardes au porteur de la procuration
du Mary de la DavIe,
sous le nom duquelelles
furent revendiquées. A l'égard
de l'argents il nefut point
rendu d'autant que les Bohémiennes
ne convinrent point
l'avoirexigé de la Dame
,
mais
pretendircnî: que c' efioit leur
pecule ; qu'Aies mont oient à
d.!?!-" à q;tan lté de personnes
de qualité qui les payaient
grassement
, que mefieelles
avoient receusept Louis d'orneufs
de Mr le Duc deBaviere
pour avoir dansé devant
lui a Cbantilti & àLiencourt.
Aurestecomme les Bohemienne
au nombre de trois a oient
deja esté reprises deJustice, &
qu'elles estoient fletries, l'une
d'une fleur de lis
,
l'autre de
deux & la troisiéme de trois
ce qui les devoitfaire jugerau
Chastelet comme vagabondes,
où elles avaient cleja estécondamnéescommes
telles
,
el/cs y
furentrenvoyées ; ellesyfont,
& on leuryfait actuellement
leur Procez.S'il n'y avoit cjue
lefaitdu tresor, il n'yauroit
pas matiere à condamnation ce
seroit untour de Bohemiennes.
dont il ny auroitqu'à rire,
mais ilaparu depuis un Bouloanntgfeorrçqéuuipnreetend
qu'elles luy
Armoire &y
ontpris1200.livres
, ce qui
estantprouvépourra les conduire
à la potence.
Cette Avanture est du
- mois de Novembre dernier,
& tirée des Informations
d'un Procez
qu'on instruit à presents
je n'y mets rien du mien
que le tour des conversations
: je vous les rapporterois
mot à mot, si
j'y avois esté present
&quej'eussede la , memoire,
tant j'aime à estre
exact
,
dans les faits
que
que je donne pour veritables.
Les Bohemiennes. Vous-avez vû dans
le Discours des Presages
que plusieurs grands
Hommes de l'Antiquité
ajoustoient foy aux Di-,
seurs de bonne Avantuce
Grecs & Romains >
:el grand Capitaine qui
affronte avec intrépidité
les perilsréels, craindroit
peut-estre les perilsimaginaires
qu'une
Bohemienne verroit
dans sa main
,
& par
consequent espereroit
les bonnes fortunes qu'-
elle luy promettroit :
pardonnez - donc cette
foiblesse àune femme
dont je vais vous parler,
qui a un bon esprit, &
qui est tres - estimable
d'ailleurs.C'est une riche
Bourgeoise que je
nommeray Belise, &
qui est d'autant plus excusable
que la fourberie
qu'on luy a faiteest une
des moins grossieres en
ce genre-là. La Bohemienne
qui l'a filoutée,
& qui est presentement
au Chastelet, a de l'esprit
comme un Demon,
la langue bien penduë,
le babil, & l'accent Bohemien
tenant du Gas
con, langage propre à
raconter le merveilleux,
:.& à faire croire l'incroyable.
f Cette Bohemienne
sçachant que Belise alloitsouventchez
une
amie, la guette un jour,
&passe comme par hazard
auprésd-ellela
regarde à plusieurs reprises,
s'arreste, reèuletrois
pas & fait un cri
d'estonnement,&de
joye.Est-cequevousme
çonnoissez, luy dit BcJi4
se, en s'arrestant auai;
si je vous connois, répond
la Bohemienne,
dans son jargon: oliy
,
ma bonne Dame, oüy
, Se non, peut-estre &c
sans doute,je vous connois,&
si je ne vous connois
pas; mais je fuis
sure que vous ferez heureuse
de me connoistre.
Je vois bien, luy dit Belife
avec bonté, que
vous avez envie de gagner
la piece
, en me disant
ma bonne Avanture
; je n'y crois point,
mais ne laissez pas de me
la dire. Belise la fit entrer
avec elle chez son
amie, & les voilà toutes
trois à causer. Belise luy
presenta sa main
,
& la
Bohemienne,en l'observant,
feignoitd'estre de
plus en plus surprise&
rejoüie d'avoir rencontré,
disoit-elle, une personne
qu'elle cherchoit
depuis plusieursannées.
Elle devina par les régles
de son Art,plusieurs
singularitez dontelles'éstoit
fait instruire par
une Servante qui avoit
servi Belise:mais ce
qu'elle voyoit de plus
leur dans cette main
c'estoit, disoit-elle, , une
fortune subite & prochaine
; une fortune;
s'écria Belise > oüy
,
répondit
la Bohemienne,
&fortune bonne, bonne
fortune, fortune de richesses'entend,
& non
d'amour, car je vois
dans vostre main que
, vous ellesfage& fidele
à vostre mary qui pis7
est pour vos amants;
certes je voisbiendes
mains à Paris, mais j'en
nvoi.sp.e'uecomme la-vo- Par les circonstances
surprenantes qu'elle paroissoit
deviner,elle disposa
Belife à donner avec
confiance dans le
piege qu'elleluy tm-, doit.Aprés avoir persuadé
à nos Bourgeoises
qu'elle avoit des liaisons
tres - particulières avec
les Demons & les Génies,
elle leur conta Phistoire
d'une Princesse
Orientale qui étoit venu
mourir à Paris il y avoit
cent ans, & leurditque
cette Princesse eftranae-
- L:
reavoit enterre1 un r
tresor
dans une Cave, & qu'-
ensuitevoulant faire son
heritiere une certaine
Bourgeoise de ce tempslà
qu'elle avoit pris en
affection
,
elle avoit esté
surprise de mort subite
avant que d'avoir pû instruire
la Bourgeoise du
tresor caché; c'estceque
je sçaispar la Princesse
mesme,continualaBohemienne
:car quoyque
morte il y a cent ans „ elle est fort de mes amies,&
voicycomment.
Vous devez sçavoir,car
il est vray que nulle personne
de l'autre monde
ne peut parler ànulle de
celuy-cyque par l'entreluire
des Genies: or
est-il que le mien est amy
de celuy de la Princesse;
bref, je l'ayvûë tant de
fois que rien plus: &
je me fuis chargé de
luy chercher dans Paris
quelque femme qui soit
de la famille de la défunte
Bourgeoise
, que
la défunte Princesse vouloitfaire
son heritieredu
tresor caché,& je suis
bien trompé si vous n'estes
une de ces parentes;
que je cherche avec empressement;
A ce récit extravagant
l'amierioit de tout son
coeur, mais Belise ne
rioit que pour faire l'esprit
fort,carle desir d'estre
heritiere augmentoit
sa credulité. Il faut
estrefolle, dit-elle, pour
s'aller imaginer que je
sois parente de cette heritiere
; pas si folle mabonneDame,
pas si folle,
car je levoudrois detout
moncoeur ,
& je l'ay
soupçonné d'abord à
certain airdefamille qui
m'a frappé dans vostre
visage,car la Princesse
m'afaitvoir en songe
l'air de famille de l' heritiere
afin que je reconnoisse
à la phisionomie
quelqu'une de ses parentes.
Mais5 reprit Belise
5
comment sçavoir si jesuisparentede
cette
héritière qui vivoit il y
a cent ans. Oh dans Paris,
reprit la Bohemienne,
on est parent de plus
de gens qu'on ne pense,
car depuis le tems qu'on
s'y marie, & qu'on ne
nez-vous combien d'alliances
; toutes les Bourgeoises
de Paris sont
cousines, vous dis-je, il
n'y a que la difference
du degré, & si vous estes
cousine de l'heritiere
feulement au septantiéme
degré, j'ay tant de
credit sur la Princesse
que je vous fais heriter
de son tresor. C'a je
fuis impatiente d'affection
pour vous de sçavoir
si vous estes vrayement
la parente qu'ilme
faut.
,
Je vais l'éprouver
en un clein d'oeüil. Mais
si j estoisaussi parente, dit l'amie > la Bohémienne
n'y trouva point
d'apparence, mais fut
ravie pourtant de faire
l' épreuve double pour
mieuxjouer fbn jeu. A
l'instantelle demanda
deux grands verres de
cristal qu onalla chercher&
remplir d'eau
claire. Elle les mit sur
deux tables éloignées
l'unede l'autre
,
& dit
aux Bourgeoises de fermer
un oeil, .&" de regarder
attentivementavec
l'autre. Les voilà
donc observantchacune
leur verre d eau.Regardez-
bien
,
dez-bien, leur crioit la
fausse Magicienne, car
celle qui effc parente de
l'heritiere
,
doit voir
dans son verre un échantillon
du tresor dont elle
doit heriter, &C l'autre y
verra le Diable,c est-àdire,
rien. Il faut vous
dire - icy que la Bohe--
mienne avoit mis dans
chaque verre unepetite
racine, leur disant que
c estoit la racine d'enchantement
,
qui attiroit
les Genies, Se l'une
de ces racines estoit appresséeavec
unecomposition
chimique qui détrempée
par l'eau devoit
par une espece de fermentation
, former des
bubes d'air & force petits
brillants de differentes
couleurs avec de petites
pailletésdorées
y
ç'en est plus qu'il ne
faut pour faire, voir à
une femme prévenue ,
tout ce que son imagination
luy represente.
Belifecftoit si agitée
par le desir du tresor,
Se par la crainte de
ne rien voir,que la première
petite bubed'air
qui parut dans le verre,
elle criaquelle voyoit
quantité de perles. Noijre
rusée acheva de luy
tourner la teste en se réjoüissant
d'avoir deviné
juste. Vous en allez bienvoir
d'autres,s'écriat-
elle ;regardez;(bien.En*
estet
,
la fermentation
augmente ,
&C chaque
fois qu'on luy dit, voyezvous
cecy, voyez-vous
cela, Belise répond toujours
,
oüy
,
oiiy ; car
transportée,ébloüie,
troublée
,
elle vit enfin
tant de belles choses, que
charmée&convaincuë,
elle allasautes aucolde
celle qui .la.-fai[ait si-dri-,
chev^>li .VJiL'
L'autreBourgeoiseestoit
muette 'èc :bi(tll.fdt:a
chée de n'avoir vu que
de l'eau claire: mais Be--
lise croyant déjà tenir
des millions, luy promit
de l'enrichir & de
recompenser sa bienfaitrice
qui luy jura, foy
de Bohémienne, qu'elle
pollederoit ce tresor dans
- deux jours,maisqu'il y
avoitpourtant de grandesdiffcultezàvaincre:
car,dit-elle
y
le Diable ,
quiest.gardien - de tous
les tresors enterrez
?
en
doit prendre possession
au bout de cent années .à
c'estla regle des tresors
cachez, mais par bonheur
il n'y a que quatrevingts
dix-huit ans que
la Princesse a enterré le
lien, je crains pourtant
que le Diable ne nous
dispute la date, enragé
contre vous de ce qu'à
deux ans prés vous luy
enlevez des richesses qui
luy auraientserviàdamner
trente avaricieux
mais voyons encore voestre
main
,
je me trompe
fort si ce mesme Diable
la ne vous a déjàlutine.
justement, dit Belise
,. car cet Esté à la
campagne il revenoitun
esprit dans ma chambre.
Il faut estre Sorciere
pour avoir deviné cela.
La Sorciere sçavoit, en
effet, que la Servante
s'ennuyant de ne point
voir son Amant, s'estoit
avisée de lutiner la nuit
là Maistresse pour l'obliger
à revenir à Paris.
C'a menez-moy chez
vous, dit la Bohémienne
en regardant l'eau
du verre, car je remarque
icy que ce treior est
dans la cave de la maison
mefrne où vous demeurez
,
& je voisqu'il
consiste en deux cailles
dont l'une cil: pleine de
vieux Ducats, & l'autre
de Pierreries.
Belise ravie de ravoir
voir déja sa succession
dans sa cave, emmena
chez elle son amie & la
Bohémienne, qui l'avertit,
cheminfaisant, que
pour adoucir la férocité
.de l'esprit malin
,
elle
alloit faire des conjurations
,
des fumigations,
& qu'il falloit amorcer
d'abord le Diable par
une petite effusion d'or.
Avez-vous de l'or chez
vous, continua-t-elle ;
j'ay cinq Loüis d'or, repondit
Belise, fort bien,
reprit l'autre: mais je ne
veux toucher de vous
ni or ny argent que je
n'en aye rempli vos coffres.
Vous mettrez vousmesme
l'or dans le creuset
au fond de la cave,
& vous le verrez fondre
à vos yeux par un
feu infernal qui lortira
des entrailles de la terre
en vertu de certaine paroles
ignées que je prononceray.
Je veux que
vous soyez témoin de
cesmerveilles qui vous
prouverons mon pouvoir&
le droit quevous
avez déjà sur la succession.
Avec de pareils dis
cours ils arrivèrent enfin
chez Belise
,
où le
reste de la fourberie eC.
roit preparee, comme
vous l'allez voir. Les caves
en question estoient
comme on en voit encore
à Paris, pratiquées
dans des souterrains antiques,
en forte qu'elles
n'estoient separées de
plusieurs autres caves
que par un vieux mur,
caves fort propres à exercer
l'art des Magiciens
,
& des Marchands
de Vin. L'ancienne
Servante,au tems
qu'elle apparuten Lutin
à sa Maistresse, avoit fait
dans ce vieux mur une
petite ouverture à l'occasion
de ses amours ;
elle disposoit d'une de
ces caves voisînes.C'est
par son moyenque nôtre
Magicienne avoit composé
un spectre ressemblant
à peu prés à celuy
quiestoit apparu àBelise
à sa campagne. Elle joignit
à cela un appareil
affreux dontvous verrez
l'effet dans un moment.
Belisearrivée chez elle,
alla prendre dans son
tiroir les cinq Loüisd'or
pour faire fondre au feu
infernal.On la conduit
dans ses caves; un friC.
son la prend en entrant
dans la premiere. Ily en
avoit encore une autre a..
traverser quand elle vit
au fond de la troisiéme
une -
lueur qui luy fit;
appercevoir ce fpeétrel
de sa connoissânce
,
qui
sembloit [orrir de terre.
Elle ne fitqu'uncriqui
futsuivid'un évanouissement.
Aussi-tost la Magicienne
& ia compagne
la reporterent dans
là chambre,&dés qu'on
l'eust fait revenir à elle
,
ion premier mouvement
fut d'estre charméed'avoir
vû ce qui
l'assuroit de la realité du
tresor. Elle donna les
Louis d'or pour aller,
achever la ceremonie
dans la cave, &quelque
temps après on luy vint
rendre compte du bon
effet de l'or fondu ,cir
le demon dutresor avoit
promis de letrouver la
nuit suivante au rendezvous
quon luy avoit
donné de la part de la
Princesse, pour convenir
à l'amiable du droit
de celle qui en devoit
heriter. C'est ainsi que la
Bohémienne gagnacent
francs pour sa premiere
journée, & laissa l'heritiere
fort impatiente du
Succès qu'auroit pour
elle la conférence nocturne
du Demon&de la
Princesse
Le lendemain la Bohémienne
encurée vint
trouver Belife
,
& feignant
d'estre transportée
de joye luy dit, en
l'embralïant que la Princesses'estoit
rendue chez
elle dans une petite
chambre quelle luy avoit
fait tapisserde blanc,
& que le Diable y estoit
venu malgré luy. Je l'ay
bien contraint d'yvenir,
continua-t-elle dans son
jargon, je leur commande
à baguette àces .pe- titsMessieurs-là; au reste
j'ay dit tant de perfections
de vous à la Princesse,
jqu'ellevousaime
comme [on propre enfant.
Elle vous fait sa
legataire universelle. Le
Diable alleguoit que les
cent ans estoient accomplis,
il vouloit escamoter
parun faux calcul les
deux ans qui luy manquent.
Il a bien disputé
son droit contre nous":
mais tout Diable qu'il
est, il faut qu'il nous
cede en dispute à nous
autres femmes
,
& nous
l'avons fait convenir
qu'en luy donnant sa
paragouante, il renonceroit
à la succession
, & cette paragouante ce
ne sera que mille écus,
encore voulions
- nous
qu'il les prit sur l'argent
du tresor : mais il s'est.
mis en fureur disant
qu'on vouloit le trom-
1
per, & il a raison, car
dés qu'un tresor est déterré)
il n'y a plus de
droit; bref, nous luy avons
promis les mille écus
d'avance;il faut que
vous les trouviezaujourd'huy,
Belise écoutoitavec
plaisir les bontez
de la Princesse,mais
les mil écus luy tenoient
au coeur ; elle y révoit.
Je ne veux point toucher
cet argent, continua
la rusée; vous le
donnerez au Diable en
main propre. Il est enragé1
contre vous, car vous
estes si vertueuse, il voit
de plus que vous l'allez
déshériter
,
s'il vous tenoit,
il vous dechireroit
à belles dents; il faut
pourtant que vous luy
donniez vous-mesme les
mille écus. Ah ! s'écria
Belife, jeneveuxplusle
voir; voyez-le, voyezle
,
continual'autre,en
faisantunpeu lafaschée,
vous croyez peut-estre
que je veux gagner avec
luy sur ces milleécus-là,
c'est son dernier mot ,
voyez-le vous - mesme.
Belife luy protesta quelle
avoit toute confiance
en elle, mais qu'il luy
estoit impossible detrouver
mille écus,& qu'elle
auroit mesme de la peine àmettre ensemble cinq
cent livres, à quoy la
Bohémienne repartit
apres avoir revé un moment
;hé bien vous me
ferez vostre billet du reste,
& je feray le mien
au Diable, & cela je
vous le propose fous son
bon plaisir s'entend, car
il faut que j'aille luy
faire cette nouvelle proposition.
Après ce diC.
cours elle quitta Belise
qui passale reste du jour à ramassercinq cent livres
dans la bourse de
les amies.
Le lendemain la Bo-
.-
hemienne revint luy annoncer
que le jour suivant
elle la mettroit en
possession
,
& que le
marché se pourroit conclure
la nuitprochaine
dans la cave où le Diablegardoit
le tresor ;
que la Princesse devoit
s'y trouver sur le minuit,
& qu'elle vouloit
absolument que l'heritiere
fut presente : mais,
continua - t - elle
, en
voyant déjà pâlir Belise,
ne
ne craignez rien, vous
y ferez & vous n'y ferez
pas, car ce fera mon Genie
qui prendra vostre
ressemblance, & qui paroiftra
à vostre place avec
quatre Genies de ses
amis habillez en femmes
,car la Princessè est
entestée du cérémonial ;
elle veut que quatre ou
cinq Dames venerables
forment la bas un cercle
digne de la recevoir. Il
ne nous manque plus
rien que des habits pour
ce cercle; mais il en faut
trouver, car les Genies
ont bien le pouvoir d'imiter
au naturel des
creatures vivantes, mais
ils ne peuvent imiter ni
le fil, ni la soye, ni la
laine,rien qui soit ourdi, tramé,,t.is"su, ni tricoté,ce
sont les termes du Grimoire,
nous sçavons.
cela nous autres, & je
vous l'apprends, en forte
que pour les habiller
ilfaut des habits,réellement
eftoffez
,
& j'ay
imaginé que vous leur
presteriez les vostres. Ne
craignez point qu'ils les
salissent
: les Genies sont
propres. C'a, COlltinuat-
elle d'un ton badin, il
nous faut aussi quantié
de toiles: vous avenus
doute des. draps, des
nappes}c'estquelaPrincesse
ne peut paroiftrc
que dans unlieu rapiæ
deblanc,vostre CÍ'Te est
noire, elle n'y viendroit
point, & nous manquerions
vostre succession..
A tout ce détail, Belise
topoitde tout son coeur,
penetrée de rcconnoissance
pour sa bienfaictrice.
Après avoir donné
les cinq cens livres& son
bille du reste, elle fait
elle-mesme l'inventaire
deses habits & de son
linge.LaBohemienne ne
Cluive rien de trop beau
pour~ cercle de laPrincesse
,
& mesme elle
l'augmente encore de
deux Genies voyant des
juppes & des coëffures
de reste. A peine laisset-
elle à Belise un jupon
de toile avec sa chemise.
Cette pauvre femme dépouillée
aide elle-melme
à porter ses hardes jusqu'à
la porte dela cave,
& la Bohémienne
en y entrant recommande
à l'heritiere de
bien fermer la porte à
doubletour,depeur
que quelqu'un ne vienne
troubler lecercle. Belise
ne pouvoitavoir aucun
soupçon en enfermant
son bien dans sa
cave, car elle ignoroit la
communication des caves
voisines, par où les
Genies plierent toilette,
ainsi les Bohémiennes
eurent toute la nuit devant
elles pour sortir de
Paris avec leur butin,
& l'heritiere en chemise
fut secoucher en attendant
ses habits & la succession
de la Princesse.
Voicylefragmentd'une
Lettre qui acheve de #
me détailler la fin de
cette ayanture. L .-, e lendemain matin Belise
s'apercevant quelleavoit
etéfiloutéepurlesBohémiennes3envojta
deux hommes après
elles qui lessaisirent à Chantïlliavec
les hardes & 46Ov
livsur quoj les Bohemiennes
ayant estéarrestées & interrogées
elles denierent le fait du
tresor, reconnurent les bardes
pourappartenir à la Darne,
mais elles dirent quellesleur
avoient esté données en nantissement
de 1500. liv. quelles
luyavoientprestéesainsiquil
estoit justifié par la reconnoissance
de la Dame
,
inserée
dans la Lettre qu'elle representoit;
mais comme cette Lettre
écrite à une defunte estoit fort
équivoque
, que d'ailleurs
quand elle eust esté une reconnoissancepure
&simpledela
Dame duprests de 1500.elle
eufi
rust esté nulle parce que la Dame
efloit en puissance de Tlldry.
Voicy motpour mot la copie
de cette Lettre que la Bohémienne
avoit apparemment
diflee à la Dame en luy disant
quelledevaitparpolitejje écrire
a la Princejje.
MADAME,
* N'ayant point l'honneur
d'estre connu devous,
attendu que vous n'estes
plus en vie depuis longtemps
néanmoins la personne
qui vous doit rendre
celle-cy dans la cave, avec
mes respects,vous assurera,
de ma reconnoissance pour
la bonté que vous avez de
me fire vostre heritiere ,
& pour vous témoigner
que je veux satisfaire à vostre
volonté que vostre ame
a dite àla personne qui
vous rendra la presente,
j'ay voulu que vous vissiez
dans ma Lettre comme elle
ma presté la somme de
quinze cens livres,&
que je luy rendray avec
honneur. Jesuisse.
-
£,'$«rce comprendpas que
la Bohemienne ait pus'imaginer
que cette seureté seroit
suffisante pour elle ny que la
Dame,quin'apas voulu apparemmentfaire
un Billetsimple
à laBohemienne sesoitengagée
parune reconnoissance. En un
mot il y a peu de vraysemblance
a tout cela; mais la circonstance
est vraye &sivraye
qu'onn'a pas cru devoir en alterer
la vérité pour la rendre
plus croyable
;
les Jugesde
Chantillyn'ayant nul égard à
cette promesseinserée dans la
Lettre, ne firent point de
difficulté de faire rendre les
bardes au porteur de la procuration
du Mary de la DavIe,
sous le nom duquelelles
furent revendiquées. A l'égard
de l'argents il nefut point
rendu d'autant que les Bohémiennes
ne convinrent point
l'avoirexigé de la Dame
,
mais
pretendircnî: que c' efioit leur
pecule ; qu'Aies mont oient à
d.!?!-" à q;tan lté de personnes
de qualité qui les payaient
grassement
, que mefieelles
avoient receusept Louis d'orneufs
de Mr le Duc deBaviere
pour avoir dansé devant
lui a Cbantilti & àLiencourt.
Aurestecomme les Bohemienne
au nombre de trois a oient
deja esté reprises deJustice, &
qu'elles estoient fletries, l'une
d'une fleur de lis
,
l'autre de
deux & la troisiéme de trois
ce qui les devoitfaire jugerau
Chastelet comme vagabondes,
où elles avaient cleja estécondamnéescommes
telles
,
el/cs y
furentrenvoyées ; ellesyfont,
& on leuryfait actuellement
leur Procez.S'il n'y avoit cjue
lefaitdu tresor, il n'yauroit
pas matiere à condamnation ce
seroit untour de Bohemiennes.
dont il ny auroitqu'à rire,
mais ilaparu depuis un Bouloanntgfeorrçqéuuipnreetend
qu'elles luy
Armoire &y
ontpris1200.livres
, ce qui
estantprouvépourra les conduire
à la potence.
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Résumé : Avanture nouvelle. / Les Bohemiennes.
En novembre dernier, une aventure impliquant une riche bourgeoise nommée Belise et une bohémienne rusée a eu lieu. La bohémienne, connaissant les habitudes de Belise, la rencontre chez une amie et lui prédit une fortune subite en observant sa main. Elle raconte l'histoire d'une princesse orientale ayant caché un trésor dans une cave parisienne, destiné à une bourgeoise de l'époque. La bohémienne se présente comme l'intermédiaire de la princesse et affirme que Belise est une parente de l'héritière. Pour convaincre Belise, la bohémienne utilise des tours de magie, comme faire apparaître des bulles d'air et des paillettes dorées dans un verre d'eau, que Belise interprète comme des perles et des pierreries. Elle persuade ensuite Belise que le trésor se trouve dans la cave de sa maison et organise une mise en scène avec un spectre et des fumigations pour renforcer la crédulité de Belise. La bohémienne parvient ainsi à extorquer cinq louis d'or à Belise en une journée, en lui promettant de révéler le trésor lors d'une rencontre nocturne avec le démon et la princesse. Le lendemain, la bohémienne revient et annonce à Belise qu'elle est l'héritière universelle de la princesse, après avoir négocié avec le démon. La bohémienne demande à Belise de rassembler cinq cents livres et de rédiger un billet pour le solde. Elle organise une rencontre nocturne dans une cave pour transférer l'héritage, nécessitant des habits et du linge blanc pour former un cercle cérémoniel. Belise, convaincue, prête ses vêtements et son linge. Cependant, les bohémiennes profitent de la communication entre les caves voisines pour voler les habits et l'argent. Le lendemain, Belise découvre le vol et envoie des hommes à leur poursuite. Les bohémiennes sont arrêtées à Chantilly avec les habits et une partie de l'argent. Lors de l'interrogatoire, elles nient l'existence du trésor mais reconnaissent avoir reçu les habits en garantie d'un prêt de 1500 livres, justifié par une lettre équivoque. Les juges de Chantilly rendent les habits au représentant de la famille de la dame, mais l'argent n'est pas restitué car les bohémiennes prétendent qu'il s'agit de leur propre argent. Elles mentionnent également avoir reçu des paiements de personnes de qualité, dont le Duc de Bavière. Les bohémiennes, déjà condamnées pour vagabondage, sont renvoyées au Châtelet pour leur procès. Un bourgeois affirme qu'elles lui ont volé 1200 livres, ce qui pourrait les conduire à la potence.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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29
p. 87-101
HISTORIETTE. / CONTE Oriental.
Début :
Il y avoit en Orient une fille sage, & si sage [...]
Mots clefs :
Historiette, Conte, Oriental, Calife, Soleil
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texteReconnaissance textuelle : HISTORIETTE. / CONTE Oriental.
HISTORIETTE.
Pour satisfaire au goût
N" que le public a pour les
Historiettes, je tâcherai
d'en donner au moins
une, peut-estre deux dans
chaque Mercure,mais
pour varier il en faut de
toutes les especes. En
voici une dans le stile figuré
des Orientaux, qui
ne s'expriment que par
comparaisons,&croyent
briller dans la conrersation
à force de citerJe
Soleil, la Lune & les
Etoiles.
CONTE
Oriental.
Il y avoit en Orient
une fillesage,&sisage,
qu'elleresistoit aux desirs
d'un riche & puissant
Kalife,&ceKalifeestoit
si bon qu'il souffroit patiemment
qu'une fille lui
résistât
résistàt. Cette fille s'appelloit
Zaroïne, & comme
elle estoit au service
de la femme du Kalife
illavoyoit souvent; leurs,
conversations estoient
mêlées de maximes en
vers Arabes, car c'est
l'excellence des conversations
Orientales.
Un jour dans une dispute
sur l'amour, le Kalife
soutenoitàZoroïne
quelle devoit répondre
à sa passion & s'obstinoit
un peu trop à vouloir
qu'elle fût de son sentiment.
Voici comment
cette fille vertueuse reprima
l'ardeur du Kalife
dansla dispute.
Il faut sçavoir que le
« Kalife avoir pour le Soleil-
une veneration superstitieuse,
en forte qu'il
suffisoit de lui nommer
seulementcetAstre pour
lui inspirer du refpeéh
Zoroïne le prenant par
son foible,s'écria 1
Par ce Soileiljete jure,
Que ma vertu toujours
pure
Jamais ne s'éclipsera,
Tantqu'il nous éelaïrèrà.
Le Kalife crut entrevoir
dans ceferment que
Zoroïne seroitmoins vertueuse
lanuit que le jour;
ton ferment,luidit-il,
i: -
J C'est un sermentdesemme,
ilsied biendans
ta bouche,
Contre moi ta vertu tiendra,
Tant que le Soleilparoîtra>
,. - Maislesoir le Soleilsi
couche.
Sans doute, répondit
Zoroïne en quittant
brusquement le Kalife
qui l'avoiç fait asseoir
prés de lui sur un Sofa;
mais eu vois que je sçai
me lever avant que le
Soleil se couche. :
Le Kalife se flata encorequeZoroïne
ne l'avoit
quitté que parce
qu'elle avoit vu de loin
sa Maîtresse qui venoic
de cecôté-là: il chercha
l'occasion delaréjoindre
&l'ayantsurprise sur le
soir dans un jardin retilié
pli de plantes curieuses
il l'aborde, & pendant
qu'elle rêve à la maniéré
dont elle se pourra tirer
d'affaire, voici ce que
lui dit le Kalife..
» v.
Le Soleil ne luit plus,
belle Zoroïne
, & nos
Poëtes Arabes comparent
les femmesàcertaines
Plante,dont la vertu
n'estforte quependant
l'ardeur du Soleil; ainsi
les femmes estantmoins
fortes la nuitque le jour1,
illeur est pardonable d'être
moins vertueuses.
Leur force soutient leur
sagesse,
• Ainsi telsentiment d'amour,
Qui seroit un crime en
pleinjour,
- La nuit n'est quesimple
foiblesse.
Il te seroit honteux,
reprit Zoroïne,dedevoir
mon amour à la nuit SC
à ma foiblesse: crois que
je ferois gloiredet'aimer
si je n'avois pas juré le
contraire en presence du
Soleil. Puisque tu le
crains, répliqua le Kalise:
¥
Profite
-
donc de son a6:.,
sence,
Il ne verrapoint ton amour:
Dans ton fixe la nuit
dispense,
Dessermens qu'on afait
le jour.
S'il faut enfin t'aimer
reprit Zoroïne en fuyant,
- je neveux t'aimer qu'en
plein jour. Arrête-donc,
lui cria le Kalife, faut-il
me
me renvoyer ainsi de la
nuit au jour & du jour
à la nuit.Zoroïne fuyoit
toûjours & le Kalife ne
la pût rejoindre que le
lendemain,mais il la pressa
tant que pour s'en debarasser
elle lui promit
qu'elle iroit le trouver
dans son appartement,
& pour le prendre toujours
par sa superstition,
lui dit: Ouy je te jurepar
Le Kalife ne fit point
d'attention auvrai sens
de ces paroles, tant il
estoit transporté de joye,
& la voilà encore débarrassée
de lui; mais le
soir craignant qu'ellene
lui manquât de parole,
il fut l'attendre secretement
dans la chambre
où ellecouchoit; elle fut
fort surprise en y ren-
- trant à minuit d'y trouvercelui
qu'elle suyoit; v
elle demeura immobile: ;
Tesouviens-tu de tes dernières
paroles, lui dit le
Kalife : Je me souviens
destiennes, lui répondelle
en tremblant.
Dans mon sexe la nuit
dipense
Des sermens qu'onafait
le jour:
- Moi, j'ai juré que le
Soleil seroit témoin de
l'execution de ma promesse.
Ensuite elle ouvrit
sa fenêtre & regardant
le Ciel obscur, elle
s'écria: ParoisSoleil, Pa.
rois,vientéclairerun crime
queveutcommettrece
Kalifesi vertueux&si
bon ,situ approuvesson
crime, viens en estre témoin.
Ces paroles prononcées
dans l'horreur de la nuit,
firent impression sur le
Kalife,il demeura muée.,
&Zoroinecontinua dapeller
leSoleil : Viens
donc,s'écria-t-elle-, viens
donc;mais,continua-telle;
en regardant le
Kalife intimidé: le Soleil
ne paroitpoint, au
contraireleciels'obscurcit
de plusen plus.
Le Soleil ne viens point
cen'est qu'ensaprésence,
Queje t'avoispromisd'ecouter
ton amour,
C'estainsique lanuitdis- pense
Dessermensqu'onafait
le jour.
Pour satisfaire au goût
N" que le public a pour les
Historiettes, je tâcherai
d'en donner au moins
une, peut-estre deux dans
chaque Mercure,mais
pour varier il en faut de
toutes les especes. En
voici une dans le stile figuré
des Orientaux, qui
ne s'expriment que par
comparaisons,&croyent
briller dans la conrersation
à force de citerJe
Soleil, la Lune & les
Etoiles.
CONTE
Oriental.
Il y avoit en Orient
une fillesage,&sisage,
qu'elleresistoit aux desirs
d'un riche & puissant
Kalife,&ceKalifeestoit
si bon qu'il souffroit patiemment
qu'une fille lui
résistât
résistàt. Cette fille s'appelloit
Zaroïne, & comme
elle estoit au service
de la femme du Kalife
illavoyoit souvent; leurs,
conversations estoient
mêlées de maximes en
vers Arabes, car c'est
l'excellence des conversations
Orientales.
Un jour dans une dispute
sur l'amour, le Kalife
soutenoitàZoroïne
quelle devoit répondre
à sa passion & s'obstinoit
un peu trop à vouloir
qu'elle fût de son sentiment.
Voici comment
cette fille vertueuse reprima
l'ardeur du Kalife
dansla dispute.
Il faut sçavoir que le
« Kalife avoir pour le Soleil-
une veneration superstitieuse,
en forte qu'il
suffisoit de lui nommer
seulementcetAstre pour
lui inspirer du refpeéh
Zoroïne le prenant par
son foible,s'écria 1
Par ce Soileiljete jure,
Que ma vertu toujours
pure
Jamais ne s'éclipsera,
Tantqu'il nous éelaïrèrà.
Le Kalife crut entrevoir
dans ceferment que
Zoroïne seroitmoins vertueuse
lanuit que le jour;
ton ferment,luidit-il,
i: -
J C'est un sermentdesemme,
ilsied biendans
ta bouche,
Contre moi ta vertu tiendra,
Tant que le Soleilparoîtra>
,. - Maislesoir le Soleilsi
couche.
Sans doute, répondit
Zoroïne en quittant
brusquement le Kalife
qui l'avoiç fait asseoir
prés de lui sur un Sofa;
mais eu vois que je sçai
me lever avant que le
Soleil se couche. :
Le Kalife se flata encorequeZoroïne
ne l'avoit
quitté que parce
qu'elle avoit vu de loin
sa Maîtresse qui venoic
de cecôté-là: il chercha
l'occasion delaréjoindre
&l'ayantsurprise sur le
soir dans un jardin retilié
pli de plantes curieuses
il l'aborde, & pendant
qu'elle rêve à la maniéré
dont elle se pourra tirer
d'affaire, voici ce que
lui dit le Kalife..
» v.
Le Soleil ne luit plus,
belle Zoroïne
, & nos
Poëtes Arabes comparent
les femmesàcertaines
Plante,dont la vertu
n'estforte quependant
l'ardeur du Soleil; ainsi
les femmes estantmoins
fortes la nuitque le jour1,
illeur est pardonable d'être
moins vertueuses.
Leur force soutient leur
sagesse,
• Ainsi telsentiment d'amour,
Qui seroit un crime en
pleinjour,
- La nuit n'est quesimple
foiblesse.
Il te seroit honteux,
reprit Zoroïne,dedevoir
mon amour à la nuit SC
à ma foiblesse: crois que
je ferois gloiredet'aimer
si je n'avois pas juré le
contraire en presence du
Soleil. Puisque tu le
crains, répliqua le Kalise:
¥
Profite
-
donc de son a6:.,
sence,
Il ne verrapoint ton amour:
Dans ton fixe la nuit
dispense,
Dessermens qu'on afait
le jour.
S'il faut enfin t'aimer
reprit Zoroïne en fuyant,
- je neveux t'aimer qu'en
plein jour. Arrête-donc,
lui cria le Kalife, faut-il
me
me renvoyer ainsi de la
nuit au jour & du jour
à la nuit.Zoroïne fuyoit
toûjours & le Kalife ne
la pût rejoindre que le
lendemain,mais il la pressa
tant que pour s'en debarasser
elle lui promit
qu'elle iroit le trouver
dans son appartement,
& pour le prendre toujours
par sa superstition,
lui dit: Ouy je te jurepar
Le Kalife ne fit point
d'attention auvrai sens
de ces paroles, tant il
estoit transporté de joye,
& la voilà encore débarrassée
de lui; mais le
soir craignant qu'ellene
lui manquât de parole,
il fut l'attendre secretement
dans la chambre
où ellecouchoit; elle fut
fort surprise en y ren-
- trant à minuit d'y trouvercelui
qu'elle suyoit; v
elle demeura immobile: ;
Tesouviens-tu de tes dernières
paroles, lui dit le
Kalife : Je me souviens
destiennes, lui répondelle
en tremblant.
Dans mon sexe la nuit
dipense
Des sermens qu'onafait
le jour:
- Moi, j'ai juré que le
Soleil seroit témoin de
l'execution de ma promesse.
Ensuite elle ouvrit
sa fenêtre & regardant
le Ciel obscur, elle
s'écria: ParoisSoleil, Pa.
rois,vientéclairerun crime
queveutcommettrece
Kalifesi vertueux&si
bon ,situ approuvesson
crime, viens en estre témoin.
Ces paroles prononcées
dans l'horreur de la nuit,
firent impression sur le
Kalife,il demeura muée.,
&Zoroinecontinua dapeller
leSoleil : Viens
donc,s'écria-t-elle-, viens
donc;mais,continua-telle;
en regardant le
Kalife intimidé: le Soleil
ne paroitpoint, au
contraireleciels'obscurcit
de plusen plus.
Le Soleil ne viens point
cen'est qu'ensaprésence,
Queje t'avoispromisd'ecouter
ton amour,
C'estainsique lanuitdis- pense
Dessermensqu'onafait
le jour.
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Résumé : HISTORIETTE. / CONTE Oriental.
Le texte relate une historiette orientale, caractérisée par un style figuré riche en comparaisons et citations poétiques. L'intrigue se déroule en Orient et implique une jeune fille nommée Zaroïne, servante de la femme d'un puissant Kalife. Le Kalife, connu pour sa patience et sa bonté, tente de séduire Zaroïne, mais elle résiste à ses avances. Lors d'une dispute sur l'amour, Zaroïne exploite la superstition du Kalife envers le Soleil pour repousser ses avances. Elle jure par le Soleil que sa vertu ne s'éclipsera jamais tant qu'il éclairera. Le Kalife, dans une tentative de la séduire, compare les femmes à des plantes dont la vertu diminue la nuit. Zaroïne rétorque qu'elle ne veut aimer qu'en plein jour. Malgré cela, le Kalife, obsédé, poursuit Zaroïne et finit par la surprendre dans sa chambre. Zaroïne invoque le Soleil pour être témoin de son crime potentiel, ce qui impressionne le Kalife et l'empêche de passer à l'acte. Elle affirme que ses serments faits en présence du Soleil sont valides, même la nuit, et que le Soleil ne viendra pas tant qu'elle n'aura pas respecté sa promesse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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30
p. 184-191
LETTRE de Dunkerque. GENEROSITÉ d'un jeune Amant.
Début :
Cleante fils aîné d'un riche Marchand de Dunquerque, estoit [...]
Mots clefs :
Amant, Dunkerque
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de Dunkerque. GENEROSITÉ d'un jeune Amant.
LETTRE
de Dunkerque.
GENEROSITÉ
d'un jeune Amant.
Cleante fils aîné d'un rithe
Marchand de Dunquerque
, eftoit devenu amoureux à
Paris de lajeune Mabille qui
navoit pas de bien. Son pere
luy écrivit plufieurs fois que
s'il ne revenoit , il feroit fon
cadet Dorillas heritier de tout
~fon bien . Cleante ne voulutjaGALANT.
185
mais quitter Mabille qu'il ne
l'euft épousée. Mais elle qui ne
vouloit point l'époufer que ce
pere n'y confentit , employoit à
Dunquerque desparens qu'elle
yavoit , pour tafcher de l´y refoudre,
cependant remettoit
Cleante de jour en jour ,
fans ofer luy faire connoiftre
qu'elle ne l'aimoit pas affez
pour l'épouser avec dix mille
écus , qui eftoit ce qu'il pouvoit
efperer du bien de fa mere que
fon pere ne pouvoit luy offer.
Pendant tous ces délais le pere
de Cleante meurt irrité contre
cet aifné , il donna en mourant
Février 1711 Q
186 MERCURE
a
tout au Cadet. Des queCleante
avoit fçu la maladie de fon pere
, il avoit pris la pofte. Mais
il arriva trop tard à Dunquerque
. Il n'y fut que huitjours
pourrendre les derniers de voirs.
fon pere ; enfuite ayantpris
en Lettres de Change les 30 .
mil livres qu'on n'avoit pu luy
ofter , ilrevint à Paris pour les
offrir à Mabille en arrivant
à fa porte , on luy dit qu'elle logeoit
dans une grande Maifon
qui eftoit dans la mefme rue
on ne luy dit rien autre chofe.
Il alla à cette maiſonfort
eſtonné d'un changement fi
a
GALANT 187
prompt , mais il fut bien plus
furpris encore , quand eſtant entré
dans cette porte qu'il trouva
ouverte, il vit Mabille en habit
doré , conduite par un homme
affez âgé qui luy aidoit à
monter dans un Car ffe tout
neuf.Il demanda à unLaquais
qui eftoit cet homme . On luy
repondit que c'eftoit Monfieur
qui menoit Madame difner en
famille , parce qu'il eftoit marié
depuis deux jours. Dorillas
penfa mourir de douleur. Il partit
des le lendemain pourDunquerque
. Il mitpar desespoirfes
dix mil écusfur un Vaiſſeau à
Q ij
188 MERCURE
la groffe avanture , & s'em
barqua dans le Vaiffeau. Il a
efté aſſez heureux pour gagner
en trois ans quatre cent mil livres.
Il revint l'Automne der
niere à Paris pour regler quel
ques affaires pourfon negoce. I
avoit tafché d'oublier Mabille,
mais fortant lejour de la Touf
faints du Sermon desF.fuites.
il futbienfurpris de voir Ma
bille en deueil , en affez mau .
vais équipage , & qui parroiffoit
fort afligée. Elle fut hon
teufe de le rencontrer , mais il´
voulutlaremener chez elle , ou
elle luy conta que l'hommeGALANT
. 189
d'affaire qu'elle avoit épousé
eftoit mort fort endetié , qu'il
ne luy reftoit qu'une Terre de
vingt mil écus ou environ ,fur
quoy elle avoit peine à vivre
avec deux enfans , parce qu'un
M.de..à qui elle devoit vingt
milfrancs , luy avoitfait fai-
~for cette Terre; elle verfa beaucoup
de larmes, & luy dit plu
fieurs raifons qui l'avoientfor
cé à ce mariage. Cleante enfut
fort attendri , &l'alla voir
pendant quinze jours fans luy
parler de rienzelle crut fesfeux
rallumez, & ne defefperoit pas
qu'il ne l'époufaftimais un ma190
MERCURE
tin elle le vit arriver àfa porté
avec une Chaife de pofte , il
entra dans fa Chambre , &
luy dit qu'il n'avoit resté quin
ze jours à Paris que pour degagerfa
Terre , & qu'il venoit
de payer vingt mil livres
à M.. dont la quitance & les
papiers eftoient dans unfac qu'il
mit fur la table de Mabille
aprés quoy il l'embraſſa , luy
difant qu'il ne vouloit pas qu'-
une perfonne qu'il avoit aimés,
fut tout-à -fait dans le befoin ,
qu'eftant perfuadé auffi qu'elle
ne l'avoit jamais aiméfincerement
, il nela verroit defa vie,
GALANT . 191
& ne fe marieroit jamais.
Mabille que tout cecy rendoit
immobile , n'euft pas la force
de répondre , & Cleante monta
en Chaife pour retourner à
Dunquerque. Mais en partant
il luy dit de bien obferver les
papiers qui eftoient dans lefac ,
& qu'elle y luft dans le moment
qu'ilferoit party uneLettre
qu'elley trouveroit. Mabille
refta feule les yeux en larmes
, prit lefac qu'elle trouva
fortpefant. Il y avoit dedans
&
mille Louis d'or
que
Cleante
avoit ainfi cachez , pour luy
efpargner la confufion de les
recevoir de luy.
de Dunkerque.
GENEROSITÉ
d'un jeune Amant.
Cleante fils aîné d'un rithe
Marchand de Dunquerque
, eftoit devenu amoureux à
Paris de lajeune Mabille qui
navoit pas de bien. Son pere
luy écrivit plufieurs fois que
s'il ne revenoit , il feroit fon
cadet Dorillas heritier de tout
~fon bien . Cleante ne voulutjaGALANT.
185
mais quitter Mabille qu'il ne
l'euft épousée. Mais elle qui ne
vouloit point l'époufer que ce
pere n'y confentit , employoit à
Dunquerque desparens qu'elle
yavoit , pour tafcher de l´y refoudre,
cependant remettoit
Cleante de jour en jour ,
fans ofer luy faire connoiftre
qu'elle ne l'aimoit pas affez
pour l'épouser avec dix mille
écus , qui eftoit ce qu'il pouvoit
efperer du bien de fa mere que
fon pere ne pouvoit luy offer.
Pendant tous ces délais le pere
de Cleante meurt irrité contre
cet aifné , il donna en mourant
Février 1711 Q
186 MERCURE
a
tout au Cadet. Des queCleante
avoit fçu la maladie de fon pere
, il avoit pris la pofte. Mais
il arriva trop tard à Dunquerque
. Il n'y fut que huitjours
pourrendre les derniers de voirs.
fon pere ; enfuite ayantpris
en Lettres de Change les 30 .
mil livres qu'on n'avoit pu luy
ofter , ilrevint à Paris pour les
offrir à Mabille en arrivant
à fa porte , on luy dit qu'elle logeoit
dans une grande Maifon
qui eftoit dans la mefme rue
on ne luy dit rien autre chofe.
Il alla à cette maiſonfort
eſtonné d'un changement fi
a
GALANT 187
prompt , mais il fut bien plus
furpris encore , quand eſtant entré
dans cette porte qu'il trouva
ouverte, il vit Mabille en habit
doré , conduite par un homme
affez âgé qui luy aidoit à
monter dans un Car ffe tout
neuf.Il demanda à unLaquais
qui eftoit cet homme . On luy
repondit que c'eftoit Monfieur
qui menoit Madame difner en
famille , parce qu'il eftoit marié
depuis deux jours. Dorillas
penfa mourir de douleur. Il partit
des le lendemain pourDunquerque
. Il mitpar desespoirfes
dix mil écusfur un Vaiſſeau à
Q ij
188 MERCURE
la groffe avanture , & s'em
barqua dans le Vaiffeau. Il a
efté aſſez heureux pour gagner
en trois ans quatre cent mil livres.
Il revint l'Automne der
niere à Paris pour regler quel
ques affaires pourfon negoce. I
avoit tafché d'oublier Mabille,
mais fortant lejour de la Touf
faints du Sermon desF.fuites.
il futbienfurpris de voir Ma
bille en deueil , en affez mau .
vais équipage , & qui parroiffoit
fort afligée. Elle fut hon
teufe de le rencontrer , mais il´
voulutlaremener chez elle , ou
elle luy conta que l'hommeGALANT
. 189
d'affaire qu'elle avoit épousé
eftoit mort fort endetié , qu'il
ne luy reftoit qu'une Terre de
vingt mil écus ou environ ,fur
quoy elle avoit peine à vivre
avec deux enfans , parce qu'un
M.de..à qui elle devoit vingt
milfrancs , luy avoitfait fai-
~for cette Terre; elle verfa beaucoup
de larmes, & luy dit plu
fieurs raifons qui l'avoientfor
cé à ce mariage. Cleante enfut
fort attendri , &l'alla voir
pendant quinze jours fans luy
parler de rienzelle crut fesfeux
rallumez, & ne defefperoit pas
qu'il ne l'époufaftimais un ma190
MERCURE
tin elle le vit arriver àfa porté
avec une Chaife de pofte , il
entra dans fa Chambre , &
luy dit qu'il n'avoit resté quin
ze jours à Paris que pour degagerfa
Terre , & qu'il venoit
de payer vingt mil livres
à M.. dont la quitance & les
papiers eftoient dans unfac qu'il
mit fur la table de Mabille
aprés quoy il l'embraſſa , luy
difant qu'il ne vouloit pas qu'-
une perfonne qu'il avoit aimés,
fut tout-à -fait dans le befoin ,
qu'eftant perfuadé auffi qu'elle
ne l'avoit jamais aiméfincerement
, il nela verroit defa vie,
GALANT . 191
& ne fe marieroit jamais.
Mabille que tout cecy rendoit
immobile , n'euft pas la force
de répondre , & Cleante monta
en Chaife pour retourner à
Dunquerque. Mais en partant
il luy dit de bien obferver les
papiers qui eftoient dans lefac ,
& qu'elle y luft dans le moment
qu'ilferoit party uneLettre
qu'elley trouveroit. Mabille
refta feule les yeux en larmes
, prit lefac qu'elle trouva
fortpefant. Il y avoit dedans
&
mille Louis d'or
que
Cleante
avoit ainfi cachez , pour luy
efpargner la confufion de les
recevoir de luy.
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Résumé : LETTRE de Dunkerque. GENEROSITÉ d'un jeune Amant.
La lettre relate l'histoire de Cleante, fils aîné d'un riche marchand de Dunkerque, et de son amour pour Mabille, une jeune femme sans fortune. Le père de Cleante menace de léguer son héritage à son cadet, Dorillas, si Cleante ne revient pas de Paris. Cleante refuse de quitter Mabille sans l'épouser, mais elle hésite à accepter sans le consentement du père. Pendant ces délais, le père de Cleante décède et laisse tout à Dorillas. Cleante, après avoir appris la maladie de son père, revient trop tard à Dunkerque. Il découvre ensuite que Mabille s'est mariée avec un homme plus âgé et est désormais riche. Déçu, Cleante investit dix mille écus dans un vaisseau et fait fortune en trois ans. De retour à Paris, il rencontre Mabille veuve et endettée. Touchée par sa situation, Cleante paie ses dettes et lui laisse mille Louis d'or avant de repartir pour Dunkerque, convaincu que Mabille ne l'avait jamais aimé sincèrement.
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31
p. 204-211
Jugement d'un Duc de Normandie.
Début :
Dans le temps qu'on ne plaidoit point en Normandie, [...]
Mots clefs :
Duc de Normandie, Jugement, Moulin, Galant, Pommiers
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Jugement d'un Duc de Normandie.
Jugement d'un Duc de
Normandie
.
Dans le temps qu'on
ne plaidoitpoint en Normandie
, c'eft-à- dire , it
y a long- temps , un Duc.
de Normandie donnoit
Audience à la Gauloife.
fous un chefne : un ef
pece d'Avocat luy expofa
l'affaire qui fuit en
GALANT. 205
peu de mots , car en ce
tems- là les Avocats al
loient d'abord au fait.
Monfeigneur , dit celuy
- cy , voicy deux
hommes qui fe haïffent,
premierement
parce
qu'ils font freres , fecondement
parce qu'ils font
voifins.
L'un eft Meufnier
l'autre eft Fruitier , leur
pere leur a laiffé pour
tout heritage , à l'un un
champ planté de beaux
106 MERCURE
Pomiers à l'autre un
Moulin à vent qui eft
placé au bout du champ
de fon frere , & voicy le
fujet de leur querelle.
Tous les jours de grand
matin ils ſe rencontrent
fur une hauteur voifine,
où chacun d'eux va examiner
par la maniere
dont le Soleil fe leve , s'il
fera riche ou pauvre ,
c'eſt-à-dire quel temps il
ofera.Apspris
... La ils font des voeux
GALANT. 207
chacun felon fon inte
reft ; l'un prie le Ciel
d'eftre propice aux Pomiers
, l'autre le conjure
d'eftre favorable aux
Moulins: mais le Cielne
fçauroit les contenter
tous deux. Car ce qui
fait pour l'un fait contre
J'autre ; s'il s'elleve un
grand vent par exemple,
le Meufnier réjoui , s'écrie
beni ſoit le vent qui
fait tourner mon Moulin
maudit foit le vent
08 MERCURE
dit l'autre , il abbat tou
tes mes Pommes .
L'air eft-il doux &
tranquille , le Meunier
fe defefpere , & le Frui ·
tier fe réjouit enforte
que l'un des deux eſt
tousjours chagrin de fon
malheur , & jaloux du
bonheur de l'autre ; le
malheureux s'en prend
d'abord à fon Ciel , puis
il s'en prend à fon frere.
C'eft toy dit l'un , qui a
demandé du vent : c'eſt
toy
GALANT 209
toy dit l'autre, qui a prié
Dieu qu'il n'en vint
point. C'eft toy qui fais
Le
le beau temps , c'eft toy
qui nie ruine ; tu en as
menty. On s'injurie , cn
fe gourme , & voilà le
train .
Si vous ne mettez or
dre à cela Monſeigneur,
ces deux freres-la periront
, car ils fe battent
tous les jours qu'il fait
vent ; ils fe battent aufh
ous les jours qu'il n'en
Fevrier 1711 S
210 MERCURE
fait point , quand voulez
-vous qu'ils ayent la
paix.
Il faut mettre fin à
cette querelle-là , dit le
Duc ça , dites-moy
mes enfants , lequel produit
le plus du Moulin
ou des Pomiers: nous ne
fçaurions vous dire cela:
au juſte , répondit l'un
des freres , car nos heritages
nous rapportent ſelon
le vent qu'il fait .
Eh bien , continua le
GALANT . 21
Duc , j'ordonne que le
Meufnier aura moitié
dans le profit des Pomiers
, & que le Fruitier
aura moitié dans le profit
du Moulin ; afin que
quelque temps qu'il faffe,
ce que l'un perdra d'um
cofté , il le regagne de
l'autre.
Normandie
.
Dans le temps qu'on
ne plaidoitpoint en Normandie
, c'eft-à- dire , it
y a long- temps , un Duc.
de Normandie donnoit
Audience à la Gauloife.
fous un chefne : un ef
pece d'Avocat luy expofa
l'affaire qui fuit en
GALANT. 205
peu de mots , car en ce
tems- là les Avocats al
loient d'abord au fait.
Monfeigneur , dit celuy
- cy , voicy deux
hommes qui fe haïffent,
premierement
parce
qu'ils font freres , fecondement
parce qu'ils font
voifins.
L'un eft Meufnier
l'autre eft Fruitier , leur
pere leur a laiffé pour
tout heritage , à l'un un
champ planté de beaux
106 MERCURE
Pomiers à l'autre un
Moulin à vent qui eft
placé au bout du champ
de fon frere , & voicy le
fujet de leur querelle.
Tous les jours de grand
matin ils ſe rencontrent
fur une hauteur voifine,
où chacun d'eux va examiner
par la maniere
dont le Soleil fe leve , s'il
fera riche ou pauvre ,
c'eſt-à-dire quel temps il
ofera.Apspris
... La ils font des voeux
GALANT. 207
chacun felon fon inte
reft ; l'un prie le Ciel
d'eftre propice aux Pomiers
, l'autre le conjure
d'eftre favorable aux
Moulins: mais le Cielne
fçauroit les contenter
tous deux. Car ce qui
fait pour l'un fait contre
J'autre ; s'il s'elleve un
grand vent par exemple,
le Meufnier réjoui , s'écrie
beni ſoit le vent qui
fait tourner mon Moulin
maudit foit le vent
08 MERCURE
dit l'autre , il abbat tou
tes mes Pommes .
L'air eft-il doux &
tranquille , le Meunier
fe defefpere , & le Frui ·
tier fe réjouit enforte
que l'un des deux eſt
tousjours chagrin de fon
malheur , & jaloux du
bonheur de l'autre ; le
malheureux s'en prend
d'abord à fon Ciel , puis
il s'en prend à fon frere.
C'eft toy dit l'un , qui a
demandé du vent : c'eſt
toy
GALANT 209
toy dit l'autre, qui a prié
Dieu qu'il n'en vint
point. C'eft toy qui fais
Le
le beau temps , c'eft toy
qui nie ruine ; tu en as
menty. On s'injurie , cn
fe gourme , & voilà le
train .
Si vous ne mettez or
dre à cela Monſeigneur,
ces deux freres-la periront
, car ils fe battent
tous les jours qu'il fait
vent ; ils fe battent aufh
ous les jours qu'il n'en
Fevrier 1711 S
210 MERCURE
fait point , quand voulez
-vous qu'ils ayent la
paix.
Il faut mettre fin à
cette querelle-là , dit le
Duc ça , dites-moy
mes enfants , lequel produit
le plus du Moulin
ou des Pomiers: nous ne
fçaurions vous dire cela:
au juſte , répondit l'un
des freres , car nos heritages
nous rapportent ſelon
le vent qu'il fait .
Eh bien , continua le
GALANT . 21
Duc , j'ordonne que le
Meufnier aura moitié
dans le profit des Pomiers
, & que le Fruitier
aura moitié dans le profit
du Moulin ; afin que
quelque temps qu'il faffe,
ce que l'un perdra d'um
cofté , il le regagne de
l'autre.
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Résumé : Jugement d'un Duc de Normandie.
Le texte décrit un jugement rendu par un duc de Normandie à une époque où les procès n'étaient pas formels. Un avocat expose une querelle entre deux frères voisins et ennemis. Leur conflit découle de leurs héritages divergents : l'un possède un champ de pommiers, l'autre un moulin à vent situé au bout du champ de son frère. Le meunier souhaite du vent pour son moulin, tandis que le fruitier préfère un temps calme pour ses pommiers. Chaque frère accuse l'autre de provoquer des conditions météorologiques défavorables à ses intérêts. Le duc met fin à la querelle en ordonnant que le meunier partage les profits des pommiers et que le fruitier partage ceux du moulin. Ainsi, quel que soit le temps, les pertes de l'un seront compensées par les gains de l'autre.
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32
p. 217-xi
AVANTURE du Carnaval dernier.
Début :
Plusieurs personnes d'une mesme famille s'estoient assemblées pour [...]
Mots clefs :
Amour, Amant, Carnaval, Cavalier, Mariage, Fidélité, Infidélité, Mère
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texteReconnaissance textuelle : AVANTURE du Carnaval dernier.
AVANTURE
du Carnaval dernier.
Plufieurs
perfonnes
d'une mefme famille s'eftoient
affemblées pour
parler d'un mariage : la
fille dont il s'agilloit y
vint avec fa mere ; elle
eftoit habillée fort negligemment,
& cependant
elle fçavoit que le Cavalier
à qui on la deſtinoit
devoit venir fouper auffi
Fevrier 1711.
T
218 MERCURE
dans cette maiſon . On
s'eftonna de ce qu'elle ne
s'eftoit point parée , elle
dit pour les raifons qu'el
le s'eftoit rencontrée la
veille par hazard dans
une compagnie , ou cẹ
Cavalier n'avoit fait nulle
attention fur elle , &
elle qu'apparemment
n'eftoit point faite de ma
niere à luy donner de l'amour
, qu'elle taſcheroit
du moins de fe faire efti
mer de luy par fa modeCALANT.
219
ftie. On ne trouva pas
fa raifon autrement
bonne,
mais elle en avoitune
meilleure
qu'elle ne di
foit pas ; c'eftoit la perfonne
du monde qui
avoit le plus d'efprit &
de raifon , comme vous
le verrez dans la fuite,
Le Cavalier qu'on attendoit
, arriva ; c'eſtoit
un jeune homme trésaimable,
mais d'unefranchife
outrée. Il difoit tout
ce qu'il penfoit , mais il
Tij
210 MERCURE
ne difoit rien de mal à
propos , car il eſtoit tresgalant
homme , & avoit
beaucoup d'efprit, La
premiere chofe qu'il fit
en entrant ce fut de s'adreffer
à la mere , & de
luy dire qu'il venoit de
fon logis pour luy rendre
fes devoirs ; qu'il
n'avoit appris que lematin
le mariage où fon
pere vouloit l'engager.
Si j'avois fçu hier , ditil
, en faluant la fille
GALANT. 22zz I
que vous eftiez celle avec
qui je dois paffer ma
T
vie, je vouseufle prié de
me dire franchement ,
fi dans un mariage
que nos parents font
fimplement par intereſt
de famille , vous obéiffez
aufli volontiers à
voftre mere , que j'obeïs
à mon pere ; car fi cette
alliance vous faifoit la
- moindre peine , rien ne
pourroit m'y contraindre
; il faut parler fran-
T
iij
222 MERCURE
chement dans ces occa
fions. La mere prit aufſitoft
la parole , & protefta
au Cavalier que fa
fille luy obéiffoit de trésbon
coeur.Mais Mr continua-
t'elle , en le tirant
en particulier , je vous
prie deme dire avec votre
fincerité naturelle, fi
ma fille eft de voſtre
gouft . Je vois qu'on fert
le fouper , dit- il tout
haut , je m'expliqueray
au fruit , mettons- nous
GALANT. 223
&
ne
a table. On s'y mit , &
pendant tout le repas on
ne parla que de la fingularité
d'un mariage fi
brufquement réfolu La
fille ne difoit mot ,
regardoit que rarement
le Cavalier , quoyqu'elle
T'aima déja mais elle
avoit fon deffein.
Elle n'eftoit ny belle
ny laide , & mefme elle
avoit une de ces phifionomies
qui ne plaiſent
que lorsqu'on y eft ac-
Tij
224 MERCURE
couftumé. On fut longtemps
à table , le fruit
vint , les Valets furent
congediez , & la mere
fomma le Cavalier de
luy tenir parole . Il avoit
promis de parler franchement
, il le fit , &
avec toute la politeffe
imaginable il luy dit
que fon coeur n'eftoit
point touché pour la fille ,
mais il luy protefta qu'elle
pouvoit compter fur
tous les bons procedez
GALANT . 2: 5
quepourroit avoir le mary
le plus tendre. On .
plaiſanta
fort fur cette
nouvelle maniere de faire
une déclaration
d'amour
; enfin on fe fepara,
& la mere en retournant
chez eile , fit de
grands reproches à fa fille
, de ce qu'elle n'avoit
pas faitparoiftre le moindre
efprit à table. Je l'ay
fait exprés , luy dit la fille
, pour taſcher de me
-faire aimer..
226 MERCURE
La mère ne comprit
rien à ce Paradoxe, mais
cette prudente fille luy
expliquafibien le deffein
qu'elle avoit, que la mere
promit d'aider à l'executer
, c'eft ce que vous
allez voir dans la fuite.
Le lendemain le Ca-
, parce
valier rendit vifite àcelle
qu'il n'aimoit point &
qu'il eftimoit
qu'on l'avoit affuréqu'elle
eftoit eſtimable: Aprés
quelques moments de fi
GALANT. 227
lence , elle luy dit d'un
air à ne luy pas donner
grande idée de fon efprit,
que ne contant point ſur
fa tendreffe , elle luy demandoit
au moins une
preuve exceffive de fon
eftime ; c'eſtoit qu'il la
fit fa confidente , en cas
que dans la fuite il eut
de l'inclination pour
quelqué autre.Cette propofition
lui parut ridicule
& leconfirma dans l'opinion
que fa Maiſtreffe
228 MERCURE
"
eftoit un trés-petit genie
Il luy répondit qu'il ne
fe croyoit pas d'un caratere
a devenir fort fenfible
, mais qu'en cas
qu'il le devint jamais , il
fçauroit eftouffer une
paſſion par raiſon , & fe
la cacher à luy - meſme
pluftoft que d'en faire
confidence à fa femme.
Elle luy dit qu'elle vouloit
dans fon coeur au
moins la place d'un
bon amy . Ils eurent l'àGALANT.
229
deffus une longue conteftation.
Il refufoit tousjours
de luy promettre
une confidence fi extravagante
; mais elle le
preffa tant , qu'enfin il
luy promit ce qu'elle .
ſouhaittoit , & ce qu'il
avoit une fois promis ,
il le tenoit. Il la quitta
aprés luy avoir dit par
maniere deconverſation :
qu'il iroit ce foir-là au
bal , & qu'il y alloit
prefquc tous les jours.
230 MERCURE
Elle luy dit que pourelle
elle haiffoit le bal , parce
qu'elle ne fçavoit pas af
fez bien danfer.
Dés qu'il fut partielle
envoya chercher un habit
deSultanne, fçachant
qu'il devoit courir ce
foir-là en habit de Ba- ,
cha , & elle avoit niedité
de le fuivre dans tous
les bals où il iroit.
Avec la plus noble &
la plus fine taille du
monde , elle avoit touGALANT.
231
tes les
graces du gefte
,
& danfoit à ravir ; elle
avoit la gorge , le tour
duvifage & les yeux d'une
beauté parfaite , enforte
qu'avec un tréspetit
mafque dont les
yeux eftoient fort ouverts
, c'eftoit la plus
charmante
perfonne
qu'on put voir. Dés
qu'elle parut au bal, elle
yattira
les yeux de tout
lemonde, & fonBacha en
fut ébloui comme les au232
MERCURE
tres . On la prit d'abord
à danfer , elle acheva de
charmer toute l'Affemblée
, & prit pour danfer
le Bacha qui s'avançoit
plus que les autres
pour l'admirer. Aprés
qu'ils eurent danſé enfemble
, ils fe prirent de
converfation . Le Bacha
qui avoitbeaucoup d'ef
prit , fut eftonné de fes
reparties brillantes` , du
tour & de la jufteffe de
fes penfées . Il n'avoit gar
de
GALANT . 233
de de la reconnoiftre. Ilne
l'avoit encore vue ,
comme nous l'avons dit ,
que dans un negligé qui
luy avoit caché fa taille
& fon air. Elle avoit
tousjours affecté une
indolence prefque ébetée
, dont elle avoit voilé
la vivacité de fon efil
comprit.
En un mot ,
mença à l'aimer plus
qu'il ne penfoit , & fe
crut heureux d'appren
dre feulement d'elle ,
Fevrier 1711. V
234 MERCURE
qu'elle devoit courir encore
le bal la nuit fuivantedans
le mefme habit.
Le
lendemain aprés
midy il alla chez elle , il
la trouva
beaucoup plus:
negligée , & auffi indolente
qu'à l'ordinaire
mais dans les chofes,
qu'elle luy difoit , elle .
marquoit
une raiſon fi
folide , un fi bon caractere
d'efprit , & une douceur
fi aimable , qu'ilfe
GALANT. 235
.
confoloit prefque de ne
pas trouver en elle , le
brillant & les charmes
de la Sultanne. Il eftoit
pourtant extrêmement
agité, & il avoit de temps
entemps des diſtractions
qui la charmerent
. Elle
vit bien qu'il eftoit pris..
Ils ne manquerent
pas
de fe rejoindre le foir au
bal , ou une converfation
encor plus vive que celle
de la nuit precedente
,
augmenta fon amour de
V ij ·
236 MERCURE
moitié. Cependant les
réflexions qu'il faifoit
für fon mariage prirent
le deffus , & par un ef
fort de raiſon , il voulut
quitter brufquement la
Sultane. Quoy vous me
fuyez , luy dit-elle d'un
air à le rendre amoureux
s'il ne l'eut pas efté . Il retomba
fur le fiege d'où
il s'eftoit levé , & ne
-put répondre un feul
mot. Je vois bien , luy
dit - elle , que j'ay be
GALANT . 237
foin de tous mes charmes
pour vous arreſter .
Je vais donc me démafquer.
Ah , n'en faites
rien , s'écria-t'il , par un
fecond effort de raiſon ;
que deviendrois-je. H
craignit en effet de s'engager
davantage, & la
quitta dans le moment .
C'eſt peut-eftre la premiere
fois qu'une Maiftreffe
ait efté charmée
devoir fon Amant vaincre
lapaffion qu'il a pour
238 MERCURE
elle . La Sultane voyant
fuir fon Bacha , fut auſſi
contente de faraifon que
de fon amour .
Comme la fincerité
eftoit le caractere dominant
de ce Cavalier
il refolut d'ouvrir fon .
coeur à celle qu'il regardoit
déja comme ſon amie
, & de plus il avoit
promis , il n'avoit garde
d'y manquer. Des qu'il
put luy parler , il luy fit
voir le fondde foncoeur.
GALANT . 239
Elle feignit feulement
autant de jaloufie qu'il
fallait pour luy faire fen
tir qu'elle l'aimoit , &
luy montra enfuite tant
de douceur , & tant de
confiance en la fidelité
qu'il ſe haïfſoit luy-mefme
en ce moment d'avoir
efté capable de luy
faire une demi infidelité.
Elle tâchoit de le confoler,
en louant la conftance
qu'il avoit eu en refufant
de voir la Sultane
240 MERCURE
démafquée , mais elle
luy confeilla pourtant
de la voir s'il pouvoit
s
car , luy difoit-elle, c'eft
le feul moyen de vous
guerir : fans doute elle
eft moins belle fous le
mafque qu'elle ne l'eſt
dans voftre imagination
,
& fi par bonheur pour
vous , elle n'avoit nulle
beauté , vous oubliriez
bientoft fonefprit. Non,
non , luy repliqua-t'il ,
le plus feur eft de l'éviter
,
*
GALANT. ' j
ter, & je vais prier mon
pere de differer noſtre
mariage ; je vous eftime
trop pour me donner
à
vous dans l'eftat où je
fuis . Je veux aller pour
quelques jours à la campagne
ou je diffiperay à
coup leur cette idée.
Non , luy dit-elle , non ,
je vous aideray mieux
que perſonne a oublier
les charmes de la Sultane
, & j'ay tousjours en
tefte que le feul moyen
Fevrier
1711 . a
jj MERCURE
de guerir la paffion que
vous avez pour elle, c'eſt
de vous la taire voir fans
mafque , car quelqu'un
qui la connoift m'en par
la hier. On m'a dit
qu'aux yeux prés , elle
eft d'une laideur à dégouſter
de la taille & de
fon efprit.
Noftre Amant inſiſta
tousjours pour s'abſenter
, mais le pere qui fut
inftruit de tout ce qui s'e
ftoit paffé , força fon fils
GALANT. iij
a terminer dés le lendemain
..
On figna le Contrat ;
on futà l'Eglife , & l'on
revintfouper. Une Mafcarade
avec des violons ,
vint juftement comme
on fortoit de table. La
nouvelle Epoufe qui avoit
feint de fe trouver
mal en foupant , pria for
Epoux de faire les honneurs
de la Mafcarade
pendant
qu'elle iroit ſe
repofer. Elle difparut
,
a ij
iv
MERGURE
& fit une telle
diligence
à reprendre ſon
déguiſement,
qu'ellerentra
dans
la fale où l'on dançoit ,
avec une autre troupe de
Mafques qui parut fuivre
de prés la premiere.
C'eftoit
quelques amis
qu'on avoit priez de venir
danfer pour faciliter
le
dénouement de tout
сесу.
Dés que noftre Epoux
fidele apperçût celle qu'il
craignoit
tant , il voulut
GALANT. V
fuir , mais la mere le retint
, & luy dit qu'elle
avoit exprés fait prier
cette Sultanne qui eftoit
dans un bal du voifinage,
de venirdanfer
chez
ma
elle avec la troupe ;
fille continua
- t'elle
veut abfolument
vous
guérir l'efprit en la faifant
démafquer
, car elle
eft, dit-on, d'une laideur
à furprendre
. Ah ! quand
elle auroit le vifage af
freux , s'écria t'il , elle ne
a iij
wj MERGURE
me guérira point par-la
d'une maudite paffion
que tant d'autres charmes
ont fait naiftre. Je
me la fuis desja
reprefentée
plus hideufe qu'el
le ne peut eftre , & je
n'en fuis pas plus tranquille
.. Ah Madame y
pourquay m'arreftez-
Vousicy .
Pendant qu'il parloit
ainfi , la Sultanne animée
par cette Scene qu'elle
voyoit , redoubloit de
GALANT. vij
vivacité dans fon air &
dans fa danfe . Il détournoit
ſa vûë d'un objet fi
dangereux , mais elle
vint , tout en danfant
paffer malignement ſi
prés de luy , qu'il oublia,
en la voyant , fa raiſon ,
fon devoir , & la prefence
de fa belle-mere ; enfin
la Sultane , en luy
prenant la main , acheva
de le troubler ; il ne fe
poffedoit plus. Sa bellemere
le prit par def
vil MERCURE
fous le bras ; il fe laiffa
ainfi conduire dans un
cabinet , fans fçavoir of
il alloit , & la mere s'y
enferma avec eux.
La Sultane fit alors un
grand foupir , & le faifoit
naturellement , cap
elle craignoit de perdre
en fe démafquant , le
plaifir de voir fonEpoux
fi tendre. Elle l'aimoit
autant qu'il aimoit la
Sultane , fes regards languiffans
fe confondoient
GALANT. ix
avec ceux de cetAmant,
qui ne gardoit plus de
mefures. Ils fe regarderent
quelque temps fans
rien dire , pendant que
la mere tafchoit de donner
à fon Gendre l'idée
de la plus affreuſe laideur
, afin que par ce
contraſte, fa fille démafquée
luy paruft plus aimable,
La tendre Epou-
Le profita le plus longtemps
qu'elle putde l'erreur
de fon Epoux . Elle
MERCURE
ne pouvoit fe refoudre à
finir cette fcene : mais
enfin la mere ofta le
ma que de fa fille.
L'effet étonnant
que
cette furpriſe fit fur nofire
Amant Epoux , eſt
une de ces chofes qu'on
ne peut dépeindre
fans
en diminuer
la force.
Que chacun s'imagine
la
fituation
d'un parfaite
ment honnefte homme
cruellement
agité entre
L'amour
& le devoir
,
GALANT. *
qui eftime infiniment une
perfonne qui en aime
paſſionnement une autre
, & qui trouve tout
réuni dans un feul objet.
A l'égard de la femme
quel charme pour elle ,
d'avoir ſçû faire en fi
peu de temps, un Epoux
paffionné , d'un Amant
indifferent.
du Carnaval dernier.
Plufieurs
perfonnes
d'une mefme famille s'eftoient
affemblées pour
parler d'un mariage : la
fille dont il s'agilloit y
vint avec fa mere ; elle
eftoit habillée fort negligemment,
& cependant
elle fçavoit que le Cavalier
à qui on la deſtinoit
devoit venir fouper auffi
Fevrier 1711.
T
218 MERCURE
dans cette maiſon . On
s'eftonna de ce qu'elle ne
s'eftoit point parée , elle
dit pour les raifons qu'el
le s'eftoit rencontrée la
veille par hazard dans
une compagnie , ou cẹ
Cavalier n'avoit fait nulle
attention fur elle , &
elle qu'apparemment
n'eftoit point faite de ma
niere à luy donner de l'amour
, qu'elle taſcheroit
du moins de fe faire efti
mer de luy par fa modeCALANT.
219
ftie. On ne trouva pas
fa raifon autrement
bonne,
mais elle en avoitune
meilleure
qu'elle ne di
foit pas ; c'eftoit la perfonne
du monde qui
avoit le plus d'efprit &
de raifon , comme vous
le verrez dans la fuite,
Le Cavalier qu'on attendoit
, arriva ; c'eſtoit
un jeune homme trésaimable,
mais d'unefranchife
outrée. Il difoit tout
ce qu'il penfoit , mais il
Tij
210 MERCURE
ne difoit rien de mal à
propos , car il eſtoit tresgalant
homme , & avoit
beaucoup d'efprit, La
premiere chofe qu'il fit
en entrant ce fut de s'adreffer
à la mere , & de
luy dire qu'il venoit de
fon logis pour luy rendre
fes devoirs ; qu'il
n'avoit appris que lematin
le mariage où fon
pere vouloit l'engager.
Si j'avois fçu hier , ditil
, en faluant la fille
GALANT. 22zz I
que vous eftiez celle avec
qui je dois paffer ma
T
vie, je vouseufle prié de
me dire franchement ,
fi dans un mariage
que nos parents font
fimplement par intereſt
de famille , vous obéiffez
aufli volontiers à
voftre mere , que j'obeïs
à mon pere ; car fi cette
alliance vous faifoit la
- moindre peine , rien ne
pourroit m'y contraindre
; il faut parler fran-
T
iij
222 MERCURE
chement dans ces occa
fions. La mere prit aufſitoft
la parole , & protefta
au Cavalier que fa
fille luy obéiffoit de trésbon
coeur.Mais Mr continua-
t'elle , en le tirant
en particulier , je vous
prie deme dire avec votre
fincerité naturelle, fi
ma fille eft de voſtre
gouft . Je vois qu'on fert
le fouper , dit- il tout
haut , je m'expliqueray
au fruit , mettons- nous
GALANT. 223
&
ne
a table. On s'y mit , &
pendant tout le repas on
ne parla que de la fingularité
d'un mariage fi
brufquement réfolu La
fille ne difoit mot ,
regardoit que rarement
le Cavalier , quoyqu'elle
T'aima déja mais elle
avoit fon deffein.
Elle n'eftoit ny belle
ny laide , & mefme elle
avoit une de ces phifionomies
qui ne plaiſent
que lorsqu'on y eft ac-
Tij
224 MERCURE
couftumé. On fut longtemps
à table , le fruit
vint , les Valets furent
congediez , & la mere
fomma le Cavalier de
luy tenir parole . Il avoit
promis de parler franchement
, il le fit , &
avec toute la politeffe
imaginable il luy dit
que fon coeur n'eftoit
point touché pour la fille ,
mais il luy protefta qu'elle
pouvoit compter fur
tous les bons procedez
GALANT . 2: 5
quepourroit avoir le mary
le plus tendre. On .
plaiſanta
fort fur cette
nouvelle maniere de faire
une déclaration
d'amour
; enfin on fe fepara,
& la mere en retournant
chez eile , fit de
grands reproches à fa fille
, de ce qu'elle n'avoit
pas faitparoiftre le moindre
efprit à table. Je l'ay
fait exprés , luy dit la fille
, pour taſcher de me
-faire aimer..
226 MERCURE
La mère ne comprit
rien à ce Paradoxe, mais
cette prudente fille luy
expliquafibien le deffein
qu'elle avoit, que la mere
promit d'aider à l'executer
, c'eft ce que vous
allez voir dans la fuite.
Le lendemain le Ca-
, parce
valier rendit vifite àcelle
qu'il n'aimoit point &
qu'il eftimoit
qu'on l'avoit affuréqu'elle
eftoit eſtimable: Aprés
quelques moments de fi
GALANT. 227
lence , elle luy dit d'un
air à ne luy pas donner
grande idée de fon efprit,
que ne contant point ſur
fa tendreffe , elle luy demandoit
au moins une
preuve exceffive de fon
eftime ; c'eſtoit qu'il la
fit fa confidente , en cas
que dans la fuite il eut
de l'inclination pour
quelqué autre.Cette propofition
lui parut ridicule
& leconfirma dans l'opinion
que fa Maiſtreffe
228 MERCURE
"
eftoit un trés-petit genie
Il luy répondit qu'il ne
fe croyoit pas d'un caratere
a devenir fort fenfible
, mais qu'en cas
qu'il le devint jamais , il
fçauroit eftouffer une
paſſion par raiſon , & fe
la cacher à luy - meſme
pluftoft que d'en faire
confidence à fa femme.
Elle luy dit qu'elle vouloit
dans fon coeur au
moins la place d'un
bon amy . Ils eurent l'àGALANT.
229
deffus une longue conteftation.
Il refufoit tousjours
de luy promettre
une confidence fi extravagante
; mais elle le
preffa tant , qu'enfin il
luy promit ce qu'elle .
ſouhaittoit , & ce qu'il
avoit une fois promis ,
il le tenoit. Il la quitta
aprés luy avoir dit par
maniere deconverſation :
qu'il iroit ce foir-là au
bal , & qu'il y alloit
prefquc tous les jours.
230 MERCURE
Elle luy dit que pourelle
elle haiffoit le bal , parce
qu'elle ne fçavoit pas af
fez bien danfer.
Dés qu'il fut partielle
envoya chercher un habit
deSultanne, fçachant
qu'il devoit courir ce
foir-là en habit de Ba- ,
cha , & elle avoit niedité
de le fuivre dans tous
les bals où il iroit.
Avec la plus noble &
la plus fine taille du
monde , elle avoit touGALANT.
231
tes les
graces du gefte
,
& danfoit à ravir ; elle
avoit la gorge , le tour
duvifage & les yeux d'une
beauté parfaite , enforte
qu'avec un tréspetit
mafque dont les
yeux eftoient fort ouverts
, c'eftoit la plus
charmante
perfonne
qu'on put voir. Dés
qu'elle parut au bal, elle
yattira
les yeux de tout
lemonde, & fonBacha en
fut ébloui comme les au232
MERCURE
tres . On la prit d'abord
à danfer , elle acheva de
charmer toute l'Affemblée
, & prit pour danfer
le Bacha qui s'avançoit
plus que les autres
pour l'admirer. Aprés
qu'ils eurent danſé enfemble
, ils fe prirent de
converfation . Le Bacha
qui avoitbeaucoup d'ef
prit , fut eftonné de fes
reparties brillantes` , du
tour & de la jufteffe de
fes penfées . Il n'avoit gar
de
GALANT . 233
de de la reconnoiftre. Ilne
l'avoit encore vue ,
comme nous l'avons dit ,
que dans un negligé qui
luy avoit caché fa taille
& fon air. Elle avoit
tousjours affecté une
indolence prefque ébetée
, dont elle avoit voilé
la vivacité de fon efil
comprit.
En un mot ,
mença à l'aimer plus
qu'il ne penfoit , & fe
crut heureux d'appren
dre feulement d'elle ,
Fevrier 1711. V
234 MERCURE
qu'elle devoit courir encore
le bal la nuit fuivantedans
le mefme habit.
Le
lendemain aprés
midy il alla chez elle , il
la trouva
beaucoup plus:
negligée , & auffi indolente
qu'à l'ordinaire
mais dans les chofes,
qu'elle luy difoit , elle .
marquoit
une raiſon fi
folide , un fi bon caractere
d'efprit , & une douceur
fi aimable , qu'ilfe
GALANT. 235
.
confoloit prefque de ne
pas trouver en elle , le
brillant & les charmes
de la Sultanne. Il eftoit
pourtant extrêmement
agité, & il avoit de temps
entemps des diſtractions
qui la charmerent
. Elle
vit bien qu'il eftoit pris..
Ils ne manquerent
pas
de fe rejoindre le foir au
bal , ou une converfation
encor plus vive que celle
de la nuit precedente
,
augmenta fon amour de
V ij ·
236 MERCURE
moitié. Cependant les
réflexions qu'il faifoit
für fon mariage prirent
le deffus , & par un ef
fort de raiſon , il voulut
quitter brufquement la
Sultane. Quoy vous me
fuyez , luy dit-elle d'un
air à le rendre amoureux
s'il ne l'eut pas efté . Il retomba
fur le fiege d'où
il s'eftoit levé , & ne
-put répondre un feul
mot. Je vois bien , luy
dit - elle , que j'ay be
GALANT . 237
foin de tous mes charmes
pour vous arreſter .
Je vais donc me démafquer.
Ah , n'en faites
rien , s'écria-t'il , par un
fecond effort de raiſon ;
que deviendrois-je. H
craignit en effet de s'engager
davantage, & la
quitta dans le moment .
C'eſt peut-eftre la premiere
fois qu'une Maiftreffe
ait efté charmée
devoir fon Amant vaincre
lapaffion qu'il a pour
238 MERCURE
elle . La Sultane voyant
fuir fon Bacha , fut auſſi
contente de faraifon que
de fon amour .
Comme la fincerité
eftoit le caractere dominant
de ce Cavalier
il refolut d'ouvrir fon .
coeur à celle qu'il regardoit
déja comme ſon amie
, & de plus il avoit
promis , il n'avoit garde
d'y manquer. Des qu'il
put luy parler , il luy fit
voir le fondde foncoeur.
GALANT . 239
Elle feignit feulement
autant de jaloufie qu'il
fallait pour luy faire fen
tir qu'elle l'aimoit , &
luy montra enfuite tant
de douceur , & tant de
confiance en la fidelité
qu'il ſe haïfſoit luy-mefme
en ce moment d'avoir
efté capable de luy
faire une demi infidelité.
Elle tâchoit de le confoler,
en louant la conftance
qu'il avoit eu en refufant
de voir la Sultane
240 MERCURE
démafquée , mais elle
luy confeilla pourtant
de la voir s'il pouvoit
s
car , luy difoit-elle, c'eft
le feul moyen de vous
guerir : fans doute elle
eft moins belle fous le
mafque qu'elle ne l'eſt
dans voftre imagination
,
& fi par bonheur pour
vous , elle n'avoit nulle
beauté , vous oubliriez
bientoft fonefprit. Non,
non , luy repliqua-t'il ,
le plus feur eft de l'éviter
,
*
GALANT. ' j
ter, & je vais prier mon
pere de differer noſtre
mariage ; je vous eftime
trop pour me donner
à
vous dans l'eftat où je
fuis . Je veux aller pour
quelques jours à la campagne
ou je diffiperay à
coup leur cette idée.
Non , luy dit-elle , non ,
je vous aideray mieux
que perſonne a oublier
les charmes de la Sultane
, & j'ay tousjours en
tefte que le feul moyen
Fevrier
1711 . a
jj MERCURE
de guerir la paffion que
vous avez pour elle, c'eſt
de vous la taire voir fans
mafque , car quelqu'un
qui la connoift m'en par
la hier. On m'a dit
qu'aux yeux prés , elle
eft d'une laideur à dégouſter
de la taille & de
fon efprit.
Noftre Amant inſiſta
tousjours pour s'abſenter
, mais le pere qui fut
inftruit de tout ce qui s'e
ftoit paffé , força fon fils
GALANT. iij
a terminer dés le lendemain
..
On figna le Contrat ;
on futà l'Eglife , & l'on
revintfouper. Une Mafcarade
avec des violons ,
vint juftement comme
on fortoit de table. La
nouvelle Epoufe qui avoit
feint de fe trouver
mal en foupant , pria for
Epoux de faire les honneurs
de la Mafcarade
pendant
qu'elle iroit ſe
repofer. Elle difparut
,
a ij
iv
MERGURE
& fit une telle
diligence
à reprendre ſon
déguiſement,
qu'ellerentra
dans
la fale où l'on dançoit ,
avec une autre troupe de
Mafques qui parut fuivre
de prés la premiere.
C'eftoit
quelques amis
qu'on avoit priez de venir
danfer pour faciliter
le
dénouement de tout
сесу.
Dés que noftre Epoux
fidele apperçût celle qu'il
craignoit
tant , il voulut
GALANT. V
fuir , mais la mere le retint
, & luy dit qu'elle
avoit exprés fait prier
cette Sultanne qui eftoit
dans un bal du voifinage,
de venirdanfer
chez
ma
elle avec la troupe ;
fille continua
- t'elle
veut abfolument
vous
guérir l'efprit en la faifant
démafquer
, car elle
eft, dit-on, d'une laideur
à furprendre
. Ah ! quand
elle auroit le vifage af
freux , s'écria t'il , elle ne
a iij
wj MERGURE
me guérira point par-la
d'une maudite paffion
que tant d'autres charmes
ont fait naiftre. Je
me la fuis desja
reprefentée
plus hideufe qu'el
le ne peut eftre , & je
n'en fuis pas plus tranquille
.. Ah Madame y
pourquay m'arreftez-
Vousicy .
Pendant qu'il parloit
ainfi , la Sultanne animée
par cette Scene qu'elle
voyoit , redoubloit de
GALANT. vij
vivacité dans fon air &
dans fa danfe . Il détournoit
ſa vûë d'un objet fi
dangereux , mais elle
vint , tout en danfant
paffer malignement ſi
prés de luy , qu'il oublia,
en la voyant , fa raiſon ,
fon devoir , & la prefence
de fa belle-mere ; enfin
la Sultane , en luy
prenant la main , acheva
de le troubler ; il ne fe
poffedoit plus. Sa bellemere
le prit par def
vil MERCURE
fous le bras ; il fe laiffa
ainfi conduire dans un
cabinet , fans fçavoir of
il alloit , & la mere s'y
enferma avec eux.
La Sultane fit alors un
grand foupir , & le faifoit
naturellement , cap
elle craignoit de perdre
en fe démafquant , le
plaifir de voir fonEpoux
fi tendre. Elle l'aimoit
autant qu'il aimoit la
Sultane , fes regards languiffans
fe confondoient
GALANT. ix
avec ceux de cetAmant,
qui ne gardoit plus de
mefures. Ils fe regarderent
quelque temps fans
rien dire , pendant que
la mere tafchoit de donner
à fon Gendre l'idée
de la plus affreuſe laideur
, afin que par ce
contraſte, fa fille démafquée
luy paruft plus aimable,
La tendre Epou-
Le profita le plus longtemps
qu'elle putde l'erreur
de fon Epoux . Elle
MERCURE
ne pouvoit fe refoudre à
finir cette fcene : mais
enfin la mere ofta le
ma que de fa fille.
L'effet étonnant
que
cette furpriſe fit fur nofire
Amant Epoux , eſt
une de ces chofes qu'on
ne peut dépeindre
fans
en diminuer
la force.
Que chacun s'imagine
la
fituation
d'un parfaite
ment honnefte homme
cruellement
agité entre
L'amour
& le devoir
,
GALANT. *
qui eftime infiniment une
perfonne qui en aime
paſſionnement une autre
, & qui trouve tout
réuni dans un feul objet.
A l'égard de la femme
quel charme pour elle ,
d'avoir ſçû faire en fi
peu de temps, un Epoux
paffionné , d'un Amant
indifferent.
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Résumé : AVANTURE du Carnaval dernier.
Le texte raconte une aventure amoureuse et stratégique centrée autour d'un mariage arrangé. Une famille se rassemble pour discuter d'un mariage imminent. La fille, vêtue de manière négligée, explique qu'elle n'a pas pris soin de son apparence car elle a rencontré le cavalier la veille sans attirer son attention. Le cavalier arrive et avoue son honnêteté et son manque d'intérêt pour le mariage, mais promet de bien traiter la fille s'il doit l'épouser. La fille, bien que d'apparence ordinaire, est intelligente et a un plan. Elle se rend à un bal déguisée en sultane, charmant ainsi le cavalier. Ce dernier, malgré ses efforts pour résister, finit par tomber amoureux de la sultane sans reconnaître la fille. La mère de la fille organise une mascarade pour révéler la vérité. Lors de cette mascarade, la fille, toujours déguisée, danse avec le cavalier, qui est troublé par sa beauté. La mère révèle finalement l'identité de la sultane, provoquant une surprise et une révélation émotionnelle. La fille, démasquée, montre son amour et son intelligence, réussissant à conquérir le cœur du cavalier.
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33
p. 147-154
« A propos de cette Enigme, il me souvient d'avoir [...] »
Début :
A propos de cette Enigme, il me souvient d'avoir [...]
Mots clefs :
Sang, Amour, Mariage, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « A propos de cette Enigme, il me souvient d'avoir [...] »
Apropos de cette Enig.>,,
me,ilmesouvient davoir
entendu racontes
un faitpeu plaisant, mais
rres - veritable.
Un jeune Anglois qui
logeoitclans une Auberge
du Fauxbourg Saint
Germain
,
devint éperduëment
amoureuxde la
fille de son Hoste. Elle
estoit tres-belle,&l'Anglois
luy sir des offres à
proporrion desa beauté;
mais cette fierehostesse,
foit par vertu ,
foit par
ambition ne voulut
entendre parler que de
mariage ; le pere de ce
jeune
jeune Anglois, estoie
homme à le desheriter
s'il eut voulu contenter
sa passion à ce prix,l'Hôtesse
n'en vouloit pourtant
rien rabattre,nostre
Amant desesperé tomba
dangereusement malade.
On fit plusieursconsultations,
où Monsieur
Gucnaut fameux Medecin
de ce temps-là,n'eut
pas de peine à prouver à
ses Confreres,qu'il faloit
d'abord seigner & rafraîchir,
&C qu'il teudroit
ensuite rafraîchir & seigner
; car, disoit-il, je
connois les deux maladies
de mon malade,elle
sont toutes deux dans le
sang. Ce(H'amour&: la
fiévre ; enfin nostre Amant
fut livreàl'opinion
de Monsieur Guenaut ,
qui par dix ou douze seignées
consecutives, osta
de ses veines non-seulement
l'amour & la ~cvre
,
mais encore la vie,
ou peu s'en salut, car on
le crut mort; cependant
il en revint, parce que
les Medecins &r le Chirurgienl'abandonnerent.
Pendant ce temps là,on
avoit écrit au pere la eause
de cette maladie,&il
arriva de Londres dans
laresolution de consentir
à ce mariageextravagant,
plustost que de perdre
son fils unique.
Ille trouva mourant
&la premiere chose qu'il
fit pour le rappeller à la
vie, ce futde lui prometre
labelle Hostesse
en mariage ; mais comme
la passiondu jeune
homme n'estoit fondée
que sur la beauté, les
idées vives des charmes
de l'Hostesse s'estoient
dissipées avec son sang;
elles revinrent pourtant
avec le fang nouveau
qu'il faisoit, mais àmélure
que sa santé se fortisioit
, le pere voyoit
moins de necessité à ce
mariage,enfin il ne craignit
plus de s'y opposer
entièrement.
Si la passion de ce fils
eut esté aussi violente
qu'avant sa maladie
,
il
eut fallu rappeller Monsieur
Guenaut pour la lui
oster par de nouvelles faignées
, ou le marier pour
l'empêcher de retomber
malade;mais cette paC"
sion n'estant presqueplus
qu'un simple souvenir ,
laraison& le perefurent
les plus forts; il renonça
à la belle Hostesse; &
cela fait voirquel'amour,
sur tout celui qui n'est
fondé que sur la beauté,
effc entièrement dans le
fang, & que si la transfusion
que quelques Médecins
ont cru possible
,
ne peut guerir de la vieillesse
, au moins elle peut
guérir de l'amour
me,ilmesouvient davoir
entendu racontes
un faitpeu plaisant, mais
rres - veritable.
Un jeune Anglois qui
logeoitclans une Auberge
du Fauxbourg Saint
Germain
,
devint éperduëment
amoureuxde la
fille de son Hoste. Elle
estoit tres-belle,&l'Anglois
luy sir des offres à
proporrion desa beauté;
mais cette fierehostesse,
foit par vertu ,
foit par
ambition ne voulut
entendre parler que de
mariage ; le pere de ce
jeune
jeune Anglois, estoie
homme à le desheriter
s'il eut voulu contenter
sa passion à ce prix,l'Hôtesse
n'en vouloit pourtant
rien rabattre,nostre
Amant desesperé tomba
dangereusement malade.
On fit plusieursconsultations,
où Monsieur
Gucnaut fameux Medecin
de ce temps-là,n'eut
pas de peine à prouver à
ses Confreres,qu'il faloit
d'abord seigner & rafraîchir,
&C qu'il teudroit
ensuite rafraîchir & seigner
; car, disoit-il, je
connois les deux maladies
de mon malade,elle
sont toutes deux dans le
sang. Ce(H'amour&: la
fiévre ; enfin nostre Amant
fut livreàl'opinion
de Monsieur Guenaut ,
qui par dix ou douze seignées
consecutives, osta
de ses veines non-seulement
l'amour & la ~cvre
,
mais encore la vie,
ou peu s'en salut, car on
le crut mort; cependant
il en revint, parce que
les Medecins &r le Chirurgienl'abandonnerent.
Pendant ce temps là,on
avoit écrit au pere la eause
de cette maladie,&il
arriva de Londres dans
laresolution de consentir
à ce mariageextravagant,
plustost que de perdre
son fils unique.
Ille trouva mourant
&la premiere chose qu'il
fit pour le rappeller à la
vie, ce futde lui prometre
labelle Hostesse
en mariage ; mais comme
la passiondu jeune
homme n'estoit fondée
que sur la beauté, les
idées vives des charmes
de l'Hostesse s'estoient
dissipées avec son sang;
elles revinrent pourtant
avec le fang nouveau
qu'il faisoit, mais àmélure
que sa santé se fortisioit
, le pere voyoit
moins de necessité à ce
mariage,enfin il ne craignit
plus de s'y opposer
entièrement.
Si la passion de ce fils
eut esté aussi violente
qu'avant sa maladie
,
il
eut fallu rappeller Monsieur
Guenaut pour la lui
oster par de nouvelles faignées
, ou le marier pour
l'empêcher de retomber
malade;mais cette paC"
sion n'estant presqueplus
qu'un simple souvenir ,
laraison& le perefurent
les plus forts; il renonça
à la belle Hostesse; &
cela fait voirquel'amour,
sur tout celui qui n'est
fondé que sur la beauté,
effc entièrement dans le
fang, & que si la transfusion
que quelques Médecins
ont cru possible
,
ne peut guerir de la vieillesse
, au moins elle peut
guérir de l'amour
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Résumé : « A propos de cette Enigme, il me souvient d'avoir [...] »
Un jeune Anglais, logeant dans une auberge du faubourg Saint-Germain, s'éprend de la fille de l'aubergiste, qui refuse toute relation hors mariage. Le père du jeune homme menace de le déshériter s'il l'épouse. Désespéré, le jeune Anglais tombe gravement malade. Le médecin Guenaut diagnostique l'amour et la fièvre dans son sang et prescrit des saignées. Après plusieurs saignées, le jeune homme survit malgré l'abandon des médecins. Informé, le père arrive de Londres et promet le mariage pour sauver son fils. Cependant, il reconsidère sa décision et s'oppose au mariage à mesure que la santé du jeune homme s'améliore. La passion du jeune homme, fondée sur la beauté, s'estompe avec son sang et ne revient que faiblement. Finalement, la raison et le père prévalent, et le jeune homme renonce à la belle aubergiste. Cette histoire montre comment l'amour, surtout celui basé sur la beauté, peut être influencé par des changements physiques.
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34
p. 193-248
HISTORIETTE presque toute veritable.
Début :
Dans une Ville de Province, deux Dames voisines se haïssoient [...]
Mots clefs :
Femme, Vertu, Voisines, Cavalier, Mari, Veuve
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTORIETTE presque toute veritable.
HISTORIETTE
presque toute veritable.
Dans
une Ville de
Province, deux Dames
voisines se haîffoient)
parce que leurs caracteres
estoientopposez.L'une
que j'appelleray Cephise,
estoitjeune, enjouée
,
tres-vertueuse
mais trop vive , pour s'ajf
sujettir aux bienseances
qui doivent accompagner
la vertu.
,
L'autre Dame avoit
au contraire tant de delicatesse
sur ces bienfeait
ces,qu'elle eut, en un
besoin, sacrifié la vertu
même à la vanité de paroistre
plus scrupuleuse
que les voisines. C'estoit
en médisantde leur conduite
qu'elle donnoit de
l'éclat à la tienne, &
Cephise estoit celle de les
voisines qu'elle attaquoit
le plus cruellement par
sess medisances.
Cephise avoit épousé
depuis peu de temps un
fort galant homme, qui
charmé de son enjouement
,&Cperliiadé de sa
vertu, ne la contraignoit
en rien: maisDorimene
qui dominoit dans toutes
les maifbm où l'on
vouloit bien la souffrir
faisoit des remontrances
sèveres non-seulement
à la femme sur les petites
imprudences qui luy échappoient,
mais encore
au mary sur ce qu'il donnoit
trop de liberté à sa
femme.
Les remontrances que
Dorimenefaisoit à cette
jeune personne la piquoient
encore plus que
tout le mal qu'elle pouvoit
dire d'elle. Unjour
elle pensoit à s'en venger
, lorsquune Couturièrequi
les habilloittoutes
deux vint luy conter
pour la réjouir une nouvveelllleeintrigue
d'un Cavalierarrivé
dans la Ville
depuis quelques jours.
Lisette
)
c'estoit le nom
de la Couturiere, ne
manquoit pas d'esprit
& elle estoit à peu prés
de l'humeur de Cephise.
Cellede Dorimeneluy
déplaisoit fort. Dorimene
payoit avec chagrin,
& <jueïeloit volontiers
ses ouvrières:deplus.,
elle avoit souvent ennuyé
Lisette du recit de
les bonnes avions
,
elle
en faisoitl'élogeà ses donieftiques-
ii-iefi-ilc,quand
elle ne sçavoit plus à qui
les conter.
Dorimene estoit veuvedepuis
unan,&assez
richepouravoir plû à un
jeune Avanturier , qui
avoit feint pour elle une
belle passion. Cette severeveuve
l'avoit rebuté
pendant quelques jours,
mais enfin le trouvant à
son gré elle luyavoit fait
eipqrerquelle l'epouse
-JOit quand les deux années
de fou veuvage femoient
accomplies:cependantelle
ne vouloit
paspermettre qu'il la vit
ayant ce temps- là à
moins que ce ne fut
tres-secretement.
-
CCfat,a peu preset
que Lisette raconta àCeptriCb
ellevenoit de rapprendre
d'une femme
qui avoit ménagé chez
„nHeJila campagne cette
avanture au Cavalier. --
Cephise mena promener
Lisette avec elle
pour avoir le loisir de le
faire redire vingt fois la
mesme croie ; elle ne
pouvoit se lasser de l'entendre,
ni croirecequ'elle
entendoit. Mais lorsqu'elle
en fut bien persuadée,
elle ne respira
plus que le plaisir de [e
venger en se rejoüissant.
Cette jeune folatre imagine
cent plaisanteries à
faire sur l'intrigue de la
veuve,ilfalloitensçavoir
des circonstances plus
particulières ,&CLifctte
à qui Cephise fit esperer
recompense, promit
de suivre de prés cette
affaire.Ellesétoient dans
un jardin ouvert pour
les honnestes gens de la
Ville, elles [e promenoient
dans une allée détournée,
Cephise estoit
veituë tres -
négligemment
,
& enveloppée
dans une echarpe noire
;Lisètte qui estoit
ce jour-là fort ajustée,
luy dit en riant,Madame,
si tout le monde
ne se connoissoit pas
dans une petite Ville,
son me seroit peut-estre
l'honneur de me prendre
pour vostreMaistres
se. Cephise ne fit point
d'attention à ce discours,
parce qu'elle examinoit
un jeune homme fort
bienfait qu'elle ne connoissoit
point pourestre
de la Ville. Lisetteestoit
trés-jolie. Ce Cavalier
qui cherchoit avanture,
avoit envie de l'aborder.
Dés que Cephise l'eut
fait remarquer à Lisette,
t:llc le. reconnut pour
l'Amant de Dorimene,
-carelle l'avoit vu entrer
un jour chez cette Dame
,comme elle en sortoit.
Cephise qui avoit
l'imagination vive,forma
son projet dans le
moment ,
elle le communique
à Lisette qui
enchérit encore sur l'idée
de Cephise : enfin
aprés avoir fait quelques
tours d'allée tousjours
suivies de l'Avanturier,
elles se placèrent sur un
banc,où il vintaussitost
s'asseoir à cofté de Lisette.
Après quelques regards
de part & d'autre,
leCavalier luy adres
sa la parole: la fortune,
luy dit-il, m'est bien favorable
!quel bonheurà
un hommeestranger
dans cette Ville, d'y
trouver d'abord cequ'il
y a de plus aimable. Lisette
répondit à cette galanterie
d'une maniéré à
s'en attirer une seconde
& la conversation dura,
autant qu'il fallut pour
faire consentir Lisette
avec bienseance à l'offre
qu'il luy fit de la remener
à son logis, ce quelle
n'auroit pas souffert,
disoit-elle, si son mary
n'eust pas esté absent :
elle luy fit ensuite le portrait
d'un mary haïssable.
Elle prit enfin avec
luy le nom & le rôlle de
Cephise
,
pendant que
Çephise la suivoit respectueusementcommeune
fille de chambre
,
& ils
arrivèrent ainsi au logis
de Cephise. Le Cavalier
tout occupé des charmes
de celle qu'il conduisoit,
arriva à la porte sans s'estre
encor apperçu qu'il
citait dans la ruë de Dorimene;
il fut estonné de
se trouver à portéed'en
direvû, mais heureusement
il estoit fort tart.
Il avoit demandé permission
à Lisette de la
venir voir le lendemain:
elle luy permit, à condition
qu'il y viendrait
à la mesme heure sur la
brune, car, disoit-elle,
j'ay une voiline trés-médisante,
& je ferois perduë
si elle voyoit entrer
un jeune homme chez
moyen l'absencedemon
mary. Vous jugez bien
que cette précaution de
Lisetteplus fort au Cavalier.
Il estoit ravi de
faire connoissanceavec
cette jeune beautépour
se dédommager de sa
complaisance interessée
pour la veuve, maisil.
estoit dangereux de la
rendre jalouse. Il fut
donc charméde l'air mysterieux
stericux dont Lisettè
commençoit à lier merce; com- il 111crce ; il la ttrroouuvvooiitt
charmante, il en avoit
esté bien reçu. Elle pouvoit
à la verité luy parroistre
suspecte ducofté
de la regularité, mais
celle de Dorimene estoit
si triste, qu'un tel contraste
leréjoüissoit; il aimoit
la varieté.Enfinil
sseerreetitriaracchheezzlluuyyfoforrtt
content de sa soirée.
Dés qu'il fut parti ;
Cephise éclata derire.
N'ay-je pas bien jolie
mon rôle,luy dit Lisette
; à merveille repartit
Cephise. Tu coucheras
icy ce [air, il ne manquera
pas demain de revenir;
tu prendras mon
plus bel habit, & moy
qui luis pour luy ta fille
de chambre, je l'introduiray
dans mon appartement
où tu le recevras.
Mon mary ne reviendra
que dans deuxjours, Se
pour lors nostre projet
ièra en estat de pouvoir
luy estre communiquée.
Cephise avoit sa vengeance
en teste, &C de
plus ces fortes d'amusements
estoient du goust
d'une jeune folastre
qui sans faire , aucune reflexion
surlaconsequence
des choses, se reposoit
sur l'innocence de les intentions.
Nostre Galand ne manqua
pas de revenir le lendemain,
enveloppe dans
unmanteau,de peurque
Dorimene ne put le reconnoistre
en cas qu'elle
l'apperçeust
,
& il ne
pouvoit pas manquer
d'estre apperçu de celle
dont la plus agreable occupationestoit
d'expier
les actions de sa voisine.
L'heure de la visite,
la circonstance du mary
absent
,
&C l'air mysterieux
dont on introduisit
sans lumiere nostre
homme à bonne fortune
luyfirent croire que ce
Galand estoit pour Cephise.
Elle en eut autant
de joye que si ç'eutesté
pourelle.Que! plaisirde
pouvoir perdre de réputation
sa voisine
,
quand
il luy en prendroit fantaisse.
A l'égard de nostre
Amant, il fut surpris de
voir Lisette 11 richement
vestuë, & dans un appartement
magnifique.
Elle ajousta à cela une
fierté si adroitement ménagée,
qu'elle le rendit
des ce soir-là veritablement
amoureux,&c'est
ce qu'on vouloit pour
tirer de luy des particularitez
qui puisent prouver
la galanterie de la
veuve. Toute l'entrevûë
du lendemain fut employée
par Lisette à faire
esperer des faveurs au
Galant s'il vouloit sacrifier
Dorimene. On luy
permettoit bien ce feindre
de l'aimer
,
& ., de
donner ses soins à celle
qui pouvoit faire sa fortune
,
mais on vouloit
avoir le coeur & la confiance.
En un mot Lisette
fit tant que le Cavalier
promit dapporterle lendemain
des Lettres passionnées
de Dorimene;
c'est tout ce qu'on souhaitoit.
On ne vouloit
disoit-on, , que les lire &
les luy rendre dans le
moment.
Les choses en estoient
là lorsqu'un contre-tems
fascheux pensa tout gaster.
Le mary enarrivant
de la campagne estoit
descendu decarossechez
un amyquil'yavoit mené.
Il revenoit seul chez
luylorsqu'il vit un jeune
homme entrer sous une
porte, prendre dans le
plus beau tems du monde
un manteau que luy
apportoit un Laquais,
& oster un plumet qui
estoit
estoit à ion chapeau.
Cet air de mystere à
l'heure qu'ilestoit, donna
de la curiosité au
mary ; il fuit de loin;
il observe, & voyant
qu'on entre dans sa ruë,
qui estoit aussi celle de
Dorimene
,
il pense
d'abord à elle; ce feroit
une plaisante avanture
,
disoit-il en luymesme,
si ce Galand-cy
estoit sur le conte de nostrevoisine.
Quellesur-
2prise, quand il voit qu'il
estsurlesien. On entre
chez sa femme ; ilapperçoit,
malgrél'obscurité,
une espece de fille de
chambre qui introduit
le Cavalier &referme la
porte. Il l'ouvre doucement
avec son passe-partout;
le Galand a déja
gagné un petit degré; il
le fuit au bruit; monte
aprés luy jusqu'à une
garderobe de l'appar-
-tement de sa femme.
Il a avoüé depuis que
malgré la confiance qu'il
avoit en elle, il fut si vivement
frappé de jalousie
qu'il ne se possedoit
plus. Cephise en habit
de fille de chambre aprés
avoir fait entrer le Cavalier
dans le cabinet
où l'attendoit Lisette
, entendit marcher derriere
elle. Elle court au
bruit & repousse rudement
son mary sans feavoirquic'estoit.
Ilvoyoit
à la lueur des bougies
qui étoient dans ce cabinet
dont la porte estoit
restée entrouverte: que
voyoit-il, justeciel, celle
qu'il croyoit sa femme
par l'habit, se laissoit baiserlamain
par ce Cavalier.
Il estoit si troublé
qu'il crut encore voir
plus qu'il ne voyoit. Il
resta immobile d'estonnement
& de douleur,
car ce n'estoit pas un
mary emporté. Sa femme
qui le reconnut dans
ce moment, fit un éclat
de rirecomme une petite
fole quelle estoit ;
elle l'elnbraife en luy disant
tout bas de ne pas
faire de bruit. Il commence
à lareconnoistre,
& cela redouble son
embarras. Sa femme
l'embrasse d'uncosté,il
croit la voir de l'autre
avec celuy qui le deshonore
: enfin elle l'entraisne
dehors en achevant
de le détromper
& folaftrant tousjours
avec luy
, ne sçauriezvous,
luy dit-elle, voir
tranquillement vostre
femmeavec sonGaland?
je vous ay pris en flagrant
delit de jalousie,
jene vous pardonneray
qu'àune condition,c'est
que vousm'aiderez àme
venger des aigres remontrances
que Dorimene
me fait tous les
jours, je veux luyen faire
de mieuxfondées.
Elle luy explique son
projet où le mary charmé
de s'estre trompé,
entra de tout son coeur.
Elle luy dit que lisette
devoit tirer ce incline
soir du Cavalier
,
des
Lettres de la veuve ,
& -
qu'ellealloitvoir à quoy
en estoient les choses,
Pendant ce temps-là,
continua-t-elle
,
allez
disposesDorimene a venùtantost
souperavec
nous. Allez
, je vous envoyeray
avertir quand
nostre Avantuiersera
parti : maisgardez-vous
derientémoignerencore
a Dorimene , ce a- table queje veux me ré:
jouir,enbûvant à sesinclinations
,
& nous la
confondronsau dessert,
en presence de quelques,
amies qui depuis vostre.
départ viennent tous les,
loirs.fouper-,avec moy
pour me consoler de v«
stre absence.
Lemaryalla dans ce
moment chezDorimene
qui fut ravie de le
voir de retour. Après les
premiers compliments,
la conversation devint
agreable; raillerie fine
de part & d'autre, chacun
avoit son point de
veuë;l'unestoit fort par
tout ce qu'ilsçavoit, &
l'autresorte aussi par les
choses
;
qu'elle croyoit
sçavoir elle attaque le
mary sur la confiance
1
aveugle quil avoit en la
femme; effectivement
luy disoit-elle d'un ton
doucereux & malin,il
est des vertus si solides
qu'elles se conservent
mesme au milieu de la
coquetterielaplus enjouée
; comme il en est,
repliqua-t-il, desi fragiles
qu'ellesne peuvent le
conserverà l'abri de la
prudence laplus austere.
Aprés plusieurs traits
dont les derniersestoient
tousjours les plusvifs, il
en échapa au mary quelqu'un
si piquant, que la
veuve pour ss'eenn venger
lascha un mot sur ce
qu'elleavoit vû en son
absence.Le mary feignit
d'en estre allarmé? &C la
conjura trés-serieusementdesexpliquer.
La
prude feignant de son
costé d'estre fafchée d'en
avoir trop dit, je vous
tairois le reste, continuat-
elle
,
si je pouvoisen
conscience vous cacher
un desordre que vous
pourrez empescher. Plus
la charitable veuve taschoit
de prouver aumary
son deshonneur,plus
il feignoit d'entreren fureur
contre sa femme
y il imagina sur l'heure
ce que vous allez, voir,
&commençaain/î fOli
jeu. Ah Madame! s'écria-
t-il tout-à-coup
,
comme s'ileust esté penetré
de douleur, ne
m'abandonnez pas en
cette occasion, vous venez
de merendre un service
de véritable amie,
enm'apprenant que je
fuis le plus malheureux
hommedumonde, achevez
la bonne oeuvre que
vous avez commencé, il
s'agit de corriger ma
semis-le., de la convertir
& non pas de la perdre,
je ne veux point éclatet,
je ne me possederoispas
allez II j'allois seul luy
parler, suivez-moy Madame,
ayez la charité de
me suivre
,
& de luy
faire pour moy une correction
si terrible, que
lahonte&: le dépit qu'elle
en aura la rende sage
à l'avenir,il est sur qu'elle
vous craint plus que
moy, vous la verrez joumise
&confonduë par la
haute idée qu'elle a de
vostre caractère.
-
La veuve charmée de
se voir tant d'autorité sur
son ennemie triomphoit
par avance, & suivit
nostre faux jaloux qui
l'amena chez luy dans le
moment. Il entra le premier
, la priant de rester
dans une salle baffe, &C
courut avertir sa femme
du nouveau desseinqu'il
avoit conceu.Deuxmots
la mirent au fait, & il
revint aussi-tost vers Dorimene
, comme troublé
, comme agité d'une
rage qu'il vouloit modérer
par raison. Ah ma
2r;j
chere Dame, s'écriat-
il en l'embrassant presque
, ayez pitié de moy,
le Galand estlà haut avec
ma femme. Il reste
un rrîoment comme eltourdy
du coup, & feignant
ensuite de reprendre
courage: mais
,
luy
dit-il, le Ciel fait tout
pour le mieux ; c'est
peut-estre un bien pour
moyde pouvoir surprendre
ainsi ma femme,
pour l'humilierdavantage,
tage , pour la convaincre
, pour la confondre ;
montons par ce petit degré.
Ils montèrent ensemble
dans la garderobe
dont nous avons parlé,
& d'où la bonne Dame
apperçutd'abord ion
Amant. Elle crut le
tromper le mary la tenant
par le bras l'entrainoit
tousjours vers la
chambre où estoit la lumiere.
Elle reconnoift le
traistre un frisson la
prend; elle reste immobile.
Le hazard fit
encore pour l'accabler
davantage, que le Cavalier
voulant enfin tirer
de Lisette les faveurs
quelleluylaissoit esperer,
redoubloit à haute
voix ses ferments d'amour
pour elle, & de
mépris pour sa veuve.
Oüy
,
disoit-il d'un ton
passionné
,
oiiy
,
charmante
Cephise, je meprise
allez Dorimene
pour ne la jamais voir sielle
ne me faisoit pas ma
fortune. Cependant le
mary malin luy disoit:il
n'aime que ma femme
,
vous l'entendez: ne fuisje
pas le plus malheureux
de tous les maris. Il
l'entrainoit
'-;
tousjours
vers la chambre
,
Dorimenemalgré
sa douteux
, ne laissoit pas d'estre
un peu consolée pan
celle du mary, & par la
confufîou qu'allait avoir
son ennemie : mais cette
petite consolation s'évanoüit
dés qu'elle eut apperçu
la Couturière dans
les habits de Cephisè, &
Cephile elle-mesme entrer
avec deux ou trois
amies. Le Cavalier gagnela
porte, &laveuve
reste accablée de honte
& de douleur: à peine
a-t-elle la force defuir;le
mary ,
la femme & les,
amies la reconduisirent
chez elle avec les railleries
les plus piquantes,
luy conseillant de ne se
niellerjamais de faire
des reprimandes à plus
sage qu'elle.
On dit que la veuve
n'en fut pasquitte pour
cette avanie,&que TAvanturier
tousjours aimable,
quoyqu'infidele,
trouva le moyen de se
raccommoder. Elle eust
la foiblesse de l'épouser
dans une autre Ville, où
elle fut contrainte d'aller
habiter, parce que
les railleries & les vaudevilles
la chasserent de
celle où cette Histoire
s'est passé. On dit mesme
quece jeune ingrat
l'ayant fort maltraitée
aprés quelques mois
-
de
mariage, elle plaide encore
à present pour parvenir
à séparation.
presque toute veritable.
Dans
une Ville de
Province, deux Dames
voisines se haîffoient)
parce que leurs caracteres
estoientopposez.L'une
que j'appelleray Cephise,
estoitjeune, enjouée
,
tres-vertueuse
mais trop vive , pour s'ajf
sujettir aux bienseances
qui doivent accompagner
la vertu.
,
L'autre Dame avoit
au contraire tant de delicatesse
sur ces bienfeait
ces,qu'elle eut, en un
besoin, sacrifié la vertu
même à la vanité de paroistre
plus scrupuleuse
que les voisines. C'estoit
en médisantde leur conduite
qu'elle donnoit de
l'éclat à la tienne, &
Cephise estoit celle de les
voisines qu'elle attaquoit
le plus cruellement par
sess medisances.
Cephise avoit épousé
depuis peu de temps un
fort galant homme, qui
charmé de son enjouement
,&Cperliiadé de sa
vertu, ne la contraignoit
en rien: maisDorimene
qui dominoit dans toutes
les maifbm où l'on
vouloit bien la souffrir
faisoit des remontrances
sèveres non-seulement
à la femme sur les petites
imprudences qui luy échappoient,
mais encore
au mary sur ce qu'il donnoit
trop de liberté à sa
femme.
Les remontrances que
Dorimenefaisoit à cette
jeune personne la piquoient
encore plus que
tout le mal qu'elle pouvoit
dire d'elle. Unjour
elle pensoit à s'en venger
, lorsquune Couturièrequi
les habilloittoutes
deux vint luy conter
pour la réjouir une nouvveelllleeintrigue
d'un Cavalierarrivé
dans la Ville
depuis quelques jours.
Lisette
)
c'estoit le nom
de la Couturiere, ne
manquoit pas d'esprit
& elle estoit à peu prés
de l'humeur de Cephise.
Cellede Dorimeneluy
déplaisoit fort. Dorimene
payoit avec chagrin,
& <jueïeloit volontiers
ses ouvrières:deplus.,
elle avoit souvent ennuyé
Lisette du recit de
les bonnes avions
,
elle
en faisoitl'élogeà ses donieftiques-
ii-iefi-ilc,quand
elle ne sçavoit plus à qui
les conter.
Dorimene estoit veuvedepuis
unan,&assez
richepouravoir plû à un
jeune Avanturier , qui
avoit feint pour elle une
belle passion. Cette severeveuve
l'avoit rebuté
pendant quelques jours,
mais enfin le trouvant à
son gré elle luyavoit fait
eipqrerquelle l'epouse
-JOit quand les deux années
de fou veuvage femoient
accomplies:cependantelle
ne vouloit
paspermettre qu'il la vit
ayant ce temps- là à
moins que ce ne fut
tres-secretement.
-
CCfat,a peu preset
que Lisette raconta àCeptriCb
ellevenoit de rapprendre
d'une femme
qui avoit ménagé chez
„nHeJila campagne cette
avanture au Cavalier. --
Cephise mena promener
Lisette avec elle
pour avoir le loisir de le
faire redire vingt fois la
mesme croie ; elle ne
pouvoit se lasser de l'entendre,
ni croirecequ'elle
entendoit. Mais lorsqu'elle
en fut bien persuadée,
elle ne respira
plus que le plaisir de [e
venger en se rejoüissant.
Cette jeune folatre imagine
cent plaisanteries à
faire sur l'intrigue de la
veuve,ilfalloitensçavoir
des circonstances plus
particulières ,&CLifctte
à qui Cephise fit esperer
recompense, promit
de suivre de prés cette
affaire.Ellesétoient dans
un jardin ouvert pour
les honnestes gens de la
Ville, elles [e promenoient
dans une allée détournée,
Cephise estoit
veituë tres -
négligemment
,
& enveloppée
dans une echarpe noire
;Lisètte qui estoit
ce jour-là fort ajustée,
luy dit en riant,Madame,
si tout le monde
ne se connoissoit pas
dans une petite Ville,
son me seroit peut-estre
l'honneur de me prendre
pour vostreMaistres
se. Cephise ne fit point
d'attention à ce discours,
parce qu'elle examinoit
un jeune homme fort
bienfait qu'elle ne connoissoit
point pourestre
de la Ville. Lisetteestoit
trés-jolie. Ce Cavalier
qui cherchoit avanture,
avoit envie de l'aborder.
Dés que Cephise l'eut
fait remarquer à Lisette,
t:llc le. reconnut pour
l'Amant de Dorimene,
-carelle l'avoit vu entrer
un jour chez cette Dame
,comme elle en sortoit.
Cephise qui avoit
l'imagination vive,forma
son projet dans le
moment ,
elle le communique
à Lisette qui
enchérit encore sur l'idée
de Cephise : enfin
aprés avoir fait quelques
tours d'allée tousjours
suivies de l'Avanturier,
elles se placèrent sur un
banc,où il vintaussitost
s'asseoir à cofté de Lisette.
Après quelques regards
de part & d'autre,
leCavalier luy adres
sa la parole: la fortune,
luy dit-il, m'est bien favorable
!quel bonheurà
un hommeestranger
dans cette Ville, d'y
trouver d'abord cequ'il
y a de plus aimable. Lisette
répondit à cette galanterie
d'une maniéré à
s'en attirer une seconde
& la conversation dura,
autant qu'il fallut pour
faire consentir Lisette
avec bienseance à l'offre
qu'il luy fit de la remener
à son logis, ce quelle
n'auroit pas souffert,
disoit-elle, si son mary
n'eust pas esté absent :
elle luy fit ensuite le portrait
d'un mary haïssable.
Elle prit enfin avec
luy le nom & le rôlle de
Cephise
,
pendant que
Çephise la suivoit respectueusementcommeune
fille de chambre
,
& ils
arrivèrent ainsi au logis
de Cephise. Le Cavalier
tout occupé des charmes
de celle qu'il conduisoit,
arriva à la porte sans s'estre
encor apperçu qu'il
citait dans la ruë de Dorimene;
il fut estonné de
se trouver à portéed'en
direvû, mais heureusement
il estoit fort tart.
Il avoit demandé permission
à Lisette de la
venir voir le lendemain:
elle luy permit, à condition
qu'il y viendrait
à la mesme heure sur la
brune, car, disoit-elle,
j'ay une voiline trés-médisante,
& je ferois perduë
si elle voyoit entrer
un jeune homme chez
moyen l'absencedemon
mary. Vous jugez bien
que cette précaution de
Lisetteplus fort au Cavalier.
Il estoit ravi de
faire connoissanceavec
cette jeune beautépour
se dédommager de sa
complaisance interessée
pour la veuve, maisil.
estoit dangereux de la
rendre jalouse. Il fut
donc charméde l'air mysterieux
stericux dont Lisettè
commençoit à lier merce; com- il 111crce ; il la ttrroouuvvooiitt
charmante, il en avoit
esté bien reçu. Elle pouvoit
à la verité luy parroistre
suspecte ducofté
de la regularité, mais
celle de Dorimene estoit
si triste, qu'un tel contraste
leréjoüissoit; il aimoit
la varieté.Enfinil
sseerreetitriaracchheezzlluuyyfoforrtt
content de sa soirée.
Dés qu'il fut parti ;
Cephise éclata derire.
N'ay-je pas bien jolie
mon rôle,luy dit Lisette
; à merveille repartit
Cephise. Tu coucheras
icy ce [air, il ne manquera
pas demain de revenir;
tu prendras mon
plus bel habit, & moy
qui luis pour luy ta fille
de chambre, je l'introduiray
dans mon appartement
où tu le recevras.
Mon mary ne reviendra
que dans deuxjours, Se
pour lors nostre projet
ièra en estat de pouvoir
luy estre communiquée.
Cephise avoit sa vengeance
en teste, &C de
plus ces fortes d'amusements
estoient du goust
d'une jeune folastre
qui sans faire , aucune reflexion
surlaconsequence
des choses, se reposoit
sur l'innocence de les intentions.
Nostre Galand ne manqua
pas de revenir le lendemain,
enveloppe dans
unmanteau,de peurque
Dorimene ne put le reconnoistre
en cas qu'elle
l'apperçeust
,
& il ne
pouvoit pas manquer
d'estre apperçu de celle
dont la plus agreable occupationestoit
d'expier
les actions de sa voisine.
L'heure de la visite,
la circonstance du mary
absent
,
&C l'air mysterieux
dont on introduisit
sans lumiere nostre
homme à bonne fortune
luyfirent croire que ce
Galand estoit pour Cephise.
Elle en eut autant
de joye que si ç'eutesté
pourelle.Que! plaisirde
pouvoir perdre de réputation
sa voisine
,
quand
il luy en prendroit fantaisse.
A l'égard de nostre
Amant, il fut surpris de
voir Lisette 11 richement
vestuë, & dans un appartement
magnifique.
Elle ajousta à cela une
fierté si adroitement ménagée,
qu'elle le rendit
des ce soir-là veritablement
amoureux,&c'est
ce qu'on vouloit pour
tirer de luy des particularitez
qui puisent prouver
la galanterie de la
veuve. Toute l'entrevûë
du lendemain fut employée
par Lisette à faire
esperer des faveurs au
Galant s'il vouloit sacrifier
Dorimene. On luy
permettoit bien ce feindre
de l'aimer
,
& ., de
donner ses soins à celle
qui pouvoit faire sa fortune
,
mais on vouloit
avoir le coeur & la confiance.
En un mot Lisette
fit tant que le Cavalier
promit dapporterle lendemain
des Lettres passionnées
de Dorimene;
c'est tout ce qu'on souhaitoit.
On ne vouloit
disoit-on, , que les lire &
les luy rendre dans le
moment.
Les choses en estoient
là lorsqu'un contre-tems
fascheux pensa tout gaster.
Le mary enarrivant
de la campagne estoit
descendu decarossechez
un amyquil'yavoit mené.
Il revenoit seul chez
luylorsqu'il vit un jeune
homme entrer sous une
porte, prendre dans le
plus beau tems du monde
un manteau que luy
apportoit un Laquais,
& oster un plumet qui
estoit
estoit à ion chapeau.
Cet air de mystere à
l'heure qu'ilestoit, donna
de la curiosité au
mary ; il fuit de loin;
il observe, & voyant
qu'on entre dans sa ruë,
qui estoit aussi celle de
Dorimene
,
il pense
d'abord à elle; ce feroit
une plaisante avanture
,
disoit-il en luymesme,
si ce Galand-cy
estoit sur le conte de nostrevoisine.
Quellesur-
2prise, quand il voit qu'il
estsurlesien. On entre
chez sa femme ; ilapperçoit,
malgrél'obscurité,
une espece de fille de
chambre qui introduit
le Cavalier &referme la
porte. Il l'ouvre doucement
avec son passe-partout;
le Galand a déja
gagné un petit degré; il
le fuit au bruit; monte
aprés luy jusqu'à une
garderobe de l'appar-
-tement de sa femme.
Il a avoüé depuis que
malgré la confiance qu'il
avoit en elle, il fut si vivement
frappé de jalousie
qu'il ne se possedoit
plus. Cephise en habit
de fille de chambre aprés
avoir fait entrer le Cavalier
dans le cabinet
où l'attendoit Lisette
, entendit marcher derriere
elle. Elle court au
bruit & repousse rudement
son mary sans feavoirquic'estoit.
Ilvoyoit
à la lueur des bougies
qui étoient dans ce cabinet
dont la porte estoit
restée entrouverte: que
voyoit-il, justeciel, celle
qu'il croyoit sa femme
par l'habit, se laissoit baiserlamain
par ce Cavalier.
Il estoit si troublé
qu'il crut encore voir
plus qu'il ne voyoit. Il
resta immobile d'estonnement
& de douleur,
car ce n'estoit pas un
mary emporté. Sa femme
qui le reconnut dans
ce moment, fit un éclat
de rirecomme une petite
fole quelle estoit ;
elle l'elnbraife en luy disant
tout bas de ne pas
faire de bruit. Il commence
à lareconnoistre,
& cela redouble son
embarras. Sa femme
l'embrasse d'uncosté,il
croit la voir de l'autre
avec celuy qui le deshonore
: enfin elle l'entraisne
dehors en achevant
de le détromper
& folaftrant tousjours
avec luy
, ne sçauriezvous,
luy dit-elle, voir
tranquillement vostre
femmeavec sonGaland?
je vous ay pris en flagrant
delit de jalousie,
jene vous pardonneray
qu'àune condition,c'est
que vousm'aiderez àme
venger des aigres remontrances
que Dorimene
me fait tous les
jours, je veux luyen faire
de mieuxfondées.
Elle luy explique son
projet où le mary charmé
de s'estre trompé,
entra de tout son coeur.
Elle luy dit que lisette
devoit tirer ce incline
soir du Cavalier
,
des
Lettres de la veuve ,
& -
qu'ellealloitvoir à quoy
en estoient les choses,
Pendant ce temps-là,
continua-t-elle
,
allez
disposesDorimene a venùtantost
souperavec
nous. Allez
, je vous envoyeray
avertir quand
nostre Avantuiersera
parti : maisgardez-vous
derientémoignerencore
a Dorimene , ce a- table queje veux me ré:
jouir,enbûvant à sesinclinations
,
& nous la
confondronsau dessert,
en presence de quelques,
amies qui depuis vostre.
départ viennent tous les,
loirs.fouper-,avec moy
pour me consoler de v«
stre absence.
Lemaryalla dans ce
moment chezDorimene
qui fut ravie de le
voir de retour. Après les
premiers compliments,
la conversation devint
agreable; raillerie fine
de part & d'autre, chacun
avoit son point de
veuë;l'unestoit fort par
tout ce qu'ilsçavoit, &
l'autresorte aussi par les
choses
;
qu'elle croyoit
sçavoir elle attaque le
mary sur la confiance
1
aveugle quil avoit en la
femme; effectivement
luy disoit-elle d'un ton
doucereux & malin,il
est des vertus si solides
qu'elles se conservent
mesme au milieu de la
coquetterielaplus enjouée
; comme il en est,
repliqua-t-il, desi fragiles
qu'ellesne peuvent le
conserverà l'abri de la
prudence laplus austere.
Aprés plusieurs traits
dont les derniersestoient
tousjours les plusvifs, il
en échapa au mary quelqu'un
si piquant, que la
veuve pour ss'eenn venger
lascha un mot sur ce
qu'elleavoit vû en son
absence.Le mary feignit
d'en estre allarmé? &C la
conjura trés-serieusementdesexpliquer.
La
prude feignant de son
costé d'estre fafchée d'en
avoir trop dit, je vous
tairois le reste, continuat-
elle
,
si je pouvoisen
conscience vous cacher
un desordre que vous
pourrez empescher. Plus
la charitable veuve taschoit
de prouver aumary
son deshonneur,plus
il feignoit d'entreren fureur
contre sa femme
y il imagina sur l'heure
ce que vous allez, voir,
&commençaain/î fOli
jeu. Ah Madame! s'écria-
t-il tout-à-coup
,
comme s'ileust esté penetré
de douleur, ne
m'abandonnez pas en
cette occasion, vous venez
de merendre un service
de véritable amie,
enm'apprenant que je
fuis le plus malheureux
hommedumonde, achevez
la bonne oeuvre que
vous avez commencé, il
s'agit de corriger ma
semis-le., de la convertir
& non pas de la perdre,
je ne veux point éclatet,
je ne me possederoispas
allez II j'allois seul luy
parler, suivez-moy Madame,
ayez la charité de
me suivre
,
& de luy
faire pour moy une correction
si terrible, que
lahonte&: le dépit qu'elle
en aura la rende sage
à l'avenir,il est sur qu'elle
vous craint plus que
moy, vous la verrez joumise
&confonduë par la
haute idée qu'elle a de
vostre caractère.
-
La veuve charmée de
se voir tant d'autorité sur
son ennemie triomphoit
par avance, & suivit
nostre faux jaloux qui
l'amena chez luy dans le
moment. Il entra le premier
, la priant de rester
dans une salle baffe, &C
courut avertir sa femme
du nouveau desseinqu'il
avoit conceu.Deuxmots
la mirent au fait, & il
revint aussi-tost vers Dorimene
, comme troublé
, comme agité d'une
rage qu'il vouloit modérer
par raison. Ah ma
2r;j
chere Dame, s'écriat-
il en l'embrassant presque
, ayez pitié de moy,
le Galand estlà haut avec
ma femme. Il reste
un rrîoment comme eltourdy
du coup, & feignant
ensuite de reprendre
courage: mais
,
luy
dit-il, le Ciel fait tout
pour le mieux ; c'est
peut-estre un bien pour
moyde pouvoir surprendre
ainsi ma femme,
pour l'humilierdavantage,
tage , pour la convaincre
, pour la confondre ;
montons par ce petit degré.
Ils montèrent ensemble
dans la garderobe
dont nous avons parlé,
& d'où la bonne Dame
apperçutd'abord ion
Amant. Elle crut le
tromper le mary la tenant
par le bras l'entrainoit
tousjours vers la
chambre où estoit la lumiere.
Elle reconnoift le
traistre un frisson la
prend; elle reste immobile.
Le hazard fit
encore pour l'accabler
davantage, que le Cavalier
voulant enfin tirer
de Lisette les faveurs
quelleluylaissoit esperer,
redoubloit à haute
voix ses ferments d'amour
pour elle, & de
mépris pour sa veuve.
Oüy
,
disoit-il d'un ton
passionné
,
oiiy
,
charmante
Cephise, je meprise
allez Dorimene
pour ne la jamais voir sielle
ne me faisoit pas ma
fortune. Cependant le
mary malin luy disoit:il
n'aime que ma femme
,
vous l'entendez: ne fuisje
pas le plus malheureux
de tous les maris. Il
l'entrainoit
'-;
tousjours
vers la chambre
,
Dorimenemalgré
sa douteux
, ne laissoit pas d'estre
un peu consolée pan
celle du mary, & par la
confufîou qu'allait avoir
son ennemie : mais cette
petite consolation s'évanoüit
dés qu'elle eut apperçu
la Couturière dans
les habits de Cephisè, &
Cephile elle-mesme entrer
avec deux ou trois
amies. Le Cavalier gagnela
porte, &laveuve
reste accablée de honte
& de douleur: à peine
a-t-elle la force defuir;le
mary ,
la femme & les,
amies la reconduisirent
chez elle avec les railleries
les plus piquantes,
luy conseillant de ne se
niellerjamais de faire
des reprimandes à plus
sage qu'elle.
On dit que la veuve
n'en fut pasquitte pour
cette avanie,&que TAvanturier
tousjours aimable,
quoyqu'infidele,
trouva le moyen de se
raccommoder. Elle eust
la foiblesse de l'épouser
dans une autre Ville, où
elle fut contrainte d'aller
habiter, parce que
les railleries & les vaudevilles
la chasserent de
celle où cette Histoire
s'est passé. On dit mesme
quece jeune ingrat
l'ayant fort maltraitée
aprés quelques mois
-
de
mariage, elle plaide encore
à present pour parvenir
à séparation.
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Résumé : HISTORIETTE presque toute veritable.
L'historiette se déroule dans une ville de province où deux voisines, Cephise et Dorimene, se haïssent en raison de leurs caractères opposés. Cephise, jeune et enjouée, est vertueuse mais trop vive. Dorimene, quant à elle, sacrifie la vertu à la vanité de paraître scrupuleuse et médit constamment de Cephise, qui a récemment épousé un homme charmant et tolérant. Dorimene fait des remontrances sévères à Cephise et à son mari sur la liberté accordée à la jeune femme. Un jour, la couturière Lisette, qui habille les deux dames, raconte à Cephise une intrigue impliquant un cavalier récemment arrivé en ville. Cephise voit là une opportunité de se venger de Dorimene. Elle imagine une plaisanterie et, avec l'aide de Lisette, tend un piège au cavalier. Ce dernier, croyant courtiser Cephise, se rend chez elle et est accueilli par Lisette déguisée en Cephise. Le mari de Cephise, de retour inattendu, surprend la scène et croit voir sa femme avec un amant. Cephise, déguisée en fille de chambre, le rassure et lui explique son plan de vengeance contre Dorimene. Le mari, charmé par la ruse, accepte de l'aider. Ils invitent Dorimene à souper et, au dessert, révèlent la supercherie en présence d'amies de Dorimene. Le mari de Cephise, feignant la colère, demande des explications à Dorimene sur les médisances qu'elle a faites en son absence. Dorimene, cherchant à se venger, laisse échapper un mot compromettant, mais le mari et Cephise réussissent à la confondre. Parallèlement, un homme jaloux et malheureux demande à une amie de l'aider à corriger sa femme, qu'il accuse d'infidélité. Il souhaite que cette amie, respectée et crainte par sa femme, lui fasse une sévère réprimande. L'amie accepte et suit l'homme dans sa maison. L'homme informe ensuite sa femme de la présence de l'amie et de son intention de surprendre sa femme en flagrant délit d'infidélité. La femme, accompagnée de l'amie, découvre son amant en compagnie de la servante Lisette, déguisée en Cephise. La situation devient embarrassante lorsque l'amant exprime publiquement son mépris pour la veuve Dorimene. La veuve, accablée de honte et de douleur, est finalement reconduite chez elle par le mari, la femme et leurs amies, qui la raillent et la conseillent de ne plus se mêler des affaires des autres. Après cette avanie, la veuve se réconcilie avec l'aventurier infidèle et l'épouse dans une autre ville pour échapper aux railleries. Cependant, après quelques mois de mariage, elle est maltraitée et cherche actuellement à obtenir une séparation.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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35
p. 1-70
AVANTURE amoureuse, dont je viens de parler dans le Journal de Madrid.
Début :
Il y avoit à Madrid un petit vieillard Espagnol fort [...]
Mots clefs :
Amour, Vieillard, Mariage, Fille, Couvent, Madrid, Archiduc, Amie, Roi
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texteReconnaissance textuelle : AVANTURE amoureuse, dont je viens de parler dans le Journal de Madrid.
AVANTURE
amoureuse, dont jeviens
deparler dans le Journal
de Madrid.
*
I y avoità Madrid
un petit
vieillard Espagnol fort
passionne pour la Maison
d'Autriche,& cet
attachement n'estoit
que tres louable dans le
temps que la Maison
d'Autriche possedoit légitimement
la Couronne
d'Espagne ; ce vieillard
estoit nouveliste
de profession, non pas
de ces nouvelistes équitables
& censez que je
hante volontiers : mais
decesnouvelistes frondeurs
qui débitent leurs
prejugez malins pour
des faits averez ,
chagrins,
incrédules dans
lesévenemens avantageux
à leur Patrie; &C
triomphans d'un malheur
public qu'ils auront
deviné par hazard,
comme si c'estoit l'ouvrage
de leur politique
rafinée.
Ce petit vieillard Autrichien
avoit jette les
yeux sur un Espagnol
de sa cabale) pour marier
une hiletrèsaimablequ'il
avoit, cetEspagnol,
qui se nommoit
D.Diegueavoit gagné
le coeur du pereen luy
apprenant toujours le
premier les mauvaises
nouvelles
, en traitant
les bonnes de visions &
se déchaînant avec fureur
contre le Gouvernement
present dePhilippeV.
ensortequ'étant
venu un jour lui aprendre
la défaite de l'armee
de ce Prince, dans
la bataille deSa-ragoffe,
ce mauvais Espagnol
en fut si transporté de
joye qu'il l'embrassa
tendrement,&luy promit
déstors sa fille en
mariage pour prix d'une
si bonne.nouvelle.
Cette charmante fille
se nommoit Dorotée ,
elle estoit aussi judicieuse
que son pereestoit
entjesté. Dorotée ne se
croyoit pas si habile que
quelquesunes de nos
Dames qui decident à
present des droits &
des démêlez des Princes.
ellen'eutpris aucun
party entre l'Archiduc
& PhilippeV.sicertain
Cavalier aimable, fort
attaché à cedernier.,
ne l'eût déterminée
dans la fuite pour ce
Roy légitimé.
Un jour ce Cavalier
qu'onappelloit Don
Pedre, après toutes les
attentions dun amant
respedueux, s'étant enfin
flatté de n'estre pas
haï de Dorotée luy déclara
son amour, Dorotée
en rougit, elle baissa
les yeuX)8C ne repondit
rien, c'est ce qu'-
on peut faire de mieux
pour un amant, sur sa
première déclaration
il en fit plusieurs , autres,
ilfaloit bien en fin
qu'elle s'expliqua, elle
ne voyoit rien à desirer
en luyque dela confiance
, elle se défioit naturellement
de celle des
hommes, c'estoit son
faible; si toutes les femmes
avoient ce faible:,
illes çueriroit de bien
d'autres; Dorotee ne
put s'empêcherdédire
à Don Pedre tout ce
qu'elle craignoitlà-defsus
, il répondit à ses
craintes par des sermens
; c'est la réponse
ordinaire: il luy jura
que sa fidélité pourelle
feroit aussi inviolable
que celle qu'il avoit
pour son Roy, c'estoit
là son sermentle plus
familier. Cet Espagnol
zélé ne juroit que par
son Roy.
Dans lemomenr que
Don Pedre prononça
avec transport le nom
de Philippe V. Dorotée
s'écria tout à coup, ah
nous sommes perdus !
ensuiteelle luyditavec
douleur que ion pere
neferoic jamaisd'alliance
avec un fidele sujet
de Philippe V. ah,
Dorotée
,
s'écriat-il à j
son tour, pourquoy estes-
vous si charmante,
j'avois juré que je ne
ferois jamais nulle liaison
avec les Partisans
entêtez del'Archiduc;
il faudra donc me faire
la violence decacher à
vostre pere mon zele
pour mon Roy.
,.
cela
ne suffira pas, reprit
Dorotée en le regardant
tendrement, vous
n'obtiendrez jamais
rien de luy si vous ne
feignez. moy feindre!
reprit brusquement le
franc castillan, les deux
amans se regardèrent
quelques temps sans
rien dire. Don Pedre
ne pouvoit se resoudre
à feindre, & Dorotée
n'osoit exiger de luy
unsi grandsacrifice, ils
se quicterécfortaffligez
de l'obstacle invincible
qu'ils voyoient à leur
union,& lejurerent qu'-
aumoins rien ne les pouroit
empêcher de s'aimer
lereste de leur vie.
Quelques jours sécoulerent,&
Don Pedre
les passoit à rêver
auxmoyens dont il
pourroit user pour gagner
le pere, sans commettre
sa sincerité ; ce
vieillardn'estoit
• pas
riche, il n'avoit que le
desir des richesses, &
l'avarice estoit sa plus
force passion après celle
de reformer le Gouvernement
; nostrejeune
Espagnol avoir de
grands biens, il acheta
exprésde quelqu'un je
ne sçai quel contrat
qui le mir en liaison
d'affaire avec le vieillard,
il eut occasionpar
làdeluy faire ledétail
de les grands biens, &
deluimontrer plusieurs
contrats,tîtres & papiers,
le hazard fit qu'en
tirant d'unportefeüille
ces papiers, il s'y trouva
une lettre ouverte, où
le vieillardapperçut ces
mots. Du Campdel'archiduc
ce 20. Aouct.
Cette date estoit fraîche,
quelle amorce pour
un nouveliste!Il se jeta
sur cette lettre, qu'il
connut estre de l'écriture
d'un zélé Espagnol
rebele, qui estoitdu
Conseil secret de Stanope,
il crut fermement
par cette lettre que
Don Pedre avoir des
intelligences secrettes
dans le parti de l'Archiduc.
Don Pedre eut
beau luy protester qu'il
estoit bon Espagnol,
je ne suis point surpris,
luy dit le vieillard en
riant, qu'ayant quantité
de biens qui dépendent
du Gouvernement
prelent
, vous cachiez
avec foin vos intrigues
secretes avec ceux de
mon parti. Plus, Don
Pèdres'obstinaà paroître
ce qu'il estoit,plus
l'autre Je crut ce qu'il
desiroit qu'il fût, caril
commençoit à l'aimer
parce qu'il le voyoit
très-riche. -
Pour expliquer icy
comment cette lettre
s'estoit trouvée entre
les mains de Don Pedre
, ilfaut reprendre
son hiftoiredeplus loin,
il avoit esté destiné par
son pere à une veuve
Espagnole,nommée
Elvire, encore jeune&
belle : mais que Don
Pedre n'avoit jamais
aimée, à qui même depuis
la mort de son pere
il avoit: fait comprendre
qu'il ne pouvoir jamais
se resoudre d'encrer
dans une famille ennemie
de son Prince, &
le frere d'Elvire estoit
Colonel dans l'armée
ennemie; c'estoit justement
de luy que v£-
noit la lettre en question
: Les nouvelles que
ce frere nlandoit..ectoient
tres - mauvaises
pour Philippe V. Elvire
les montroit avec
soinà Don Pedrepour
luy persuader de s'attacher
à l'Archiduc qui
alloit estre son Souverain,
car elle estoit
persuadée que la difference
des partis estoit
le seul obstacle qui s'oppofoit
à son mariage
avec DomPedre.
Ce fidele & sincere
Espagnol se trouveicy
dans une situationbien
delicate : Elvire luy
donnoit tous les jours
par ces lettres des détails
qui l'affligeoient
beaucoup, parce qu'ils
estoient malheureux
pour son Roy: mais
ils estoient heureux
pour ton amour,car en
les faisant voir au petit
vieillard Autrichien,
il alloit obtenir de luy
Dorotée,j'eusse voulu
demander en cette occasion
à Don Pedre si
dans le fond du coeur il
souhaitoit de voir cesser
latriste cau se qui produisoit
un si bon effet,
il m'eût répondu sans
doute qu'il ne pouvoit
démêler un sentiment
si de licat à travers un
amour violent, il se
contentoit de jurer sincerement
qu'il seroitau
desespoir si l'Archiduc
depossedoit Pbilippe V.
mais s'il efloit bien aise
qu'on le crût sur sa parole,
c'est la question:
quoyqu'il en soit il fit
si bien que le pere de
Dorotée luy donna sa
parole : mais la difficulté
estoit de retirer celle
qu'il avoit donnée au
premier, il netrouvapoint
de pretexte plus
specieux pour sauver
Ton honneur que de
mettre sa fille dans un
Convent, comme siellet
eût voulu se faire Religieufe,
Don Diegue
alarmé vint se plaindre
à son beau-pere, qui
luy dit qu'en conscience
ilne pouvoit empêcher
sa fille d'embrasser
un estatoù elleestoit si
bien appellée, &' de
peur qu'on ne découvrit
le veritable motif
d'une vocation si subite
y il défenditàDon
Pedre d'aller voir Dorotée
auConvent,jusqu'à
ce que Don Diegue
sefut rengagé dans
un autre Mariage qu'il
avoit rompu pour celui-
ci, pour lors dit le
petit vieillard, ce fera
lui qui manquera de
parole & non pas moi.
Dorotée entra donc
dans le Convent [ûre
ducoeurde Don Pedre,
dont Elvire estoit prcfqne
sûre aussi, elle en
jugeoit par l'empressement
qu'elle lui voyoic
de tirerd'elle des lettres
qui lui apprenoient la
défaite de l'armée de
Philippe V. il fera bientôt
du parti du Vainqueur,
disoit-elle en
elle-même, & il m'aimera
sans doute dés
qu'il n'aura plus cet attachetachement
à Philippe
V. qui l'empêchoit
d'en avoir pour moy;
c'estainsi qu'elle se flattoit,
lors qu'une amie
quelleavoit dans le
même Couvent où estoit
Dorotée, lui dit
qu'elle avoit surpris sur
la table de cette aimable
compagne, une lettre
fort tendre,signée
DonPedre; Elviresça.
voit d'un autre côté
que D. Diegue moins
riche avoit esté congédié
par lePere avare,
sa penetration lui fit
deviner le reste, & son
caractere artificieux &
interessé lui fit former
sur tout cela un projet
qui lui réussit comme
vous allez voir.
Premièrement, elle
prit le parti de ne point
témoigner à Don Pedre
qu'elle estoit informée
de son engagement
avec Dorotée;
cet eclaircissement n'eût
rien produit, elle sçavoit
agir bien plus finement
; cette amie,
qu'elle alloit voir au
Couvent,s'y estoit retirée
parce qu'elleétoit
pauvres El vire lui promit,
pour adoucir les
chagrins de sa retraite,
une pension considerable,
si elle vouloit lui
aider à époufer le riche
Don Pedre, & elles
convinrent du rolle
qu'elles jouëroiet pour
venir à bout de leur
dessein.
Cette amie d'Elvire
estoit complaisante,
insinuante, c'estoit la
flateuse du Couvent,
il en faut bien au moins
une dans une Communauté
pour amadouer
les nouvelles venues;
elle plaisoit assez à Dorotee,
qui commençoit
à s'ennuyer destre separée
de Don Pedre,
& qui mouroitd'envie
d'avoir une confidente
pour parler au moins
de celui qu'elle ne pouvoit
voir, celle-ci n'ayant
d'autre but que
de s'attirer .cette confidence
, l'amitié fut
bien-tôt liée entr'elles,
elles ne se quittoient
plus.
Ce-tte compagne
chagrine naturellement
par la mauvaise
situation de ses assai,
res, aflfcéta de le paroître
encore davantage,
& Dorotée l'ayant un
soir pressee de lui dire
la cause de ses chagrins
helas répondit-elle,en
soupirant, les chagrins
de la plus part des
femmes sont causez par
l'inconstance des hommes
; ce mot fit quelque
impression sur le
coeur de Dorotée, qui
par hazard n'avoit
point receu ce jour la
deletrre de son amant,
enfuiré la fausse affligée
se plaignit de l'insidelité
du ifen,& fit Ltdessus
le récit d'une
avanture ajustée au Cujet,
qui tira des larmes
de Dorotée,&qui donna
occasion à l'autre de
se déchaîner contre les
hommes, & contre la
crédulité des femmes
qui osent s'y fier; comme
cette matiere fournit
beaucoup à la conversation
des Dames,
les deux amies le couchèrent
fort tard,
toutes ces idées d'inconfiance
ne laisserent
pas de troubler un peu
le sommeil de Dorotée;
elle ne vit en songe que
des inconstans & tous
ressèmbloient à celuy
dont elle avoit l'imagination
frappée; elle se
réveillaassez inquiete,
mais une lettre fort tendre
qu'elle reçut le matin
de Don Pedre la rassura,&
luy fîtcomprendre
combien il est ridicule
d'ajouter foy aux
songes.
Le lendemain Elvire
vint sçavoir au Couvent
quel progrès avoit
fait son amie, elles en
parloient ensemble lors
que Dorotée, qui ne
pouvait, plus estre un
moment sans sa confidente,
vint la chercher
au Parloir;larusée fit figne.
à Elvire de partir;
& assectant d'avoir eu
quelque dispute avec
celle qui fuyoit,ellese
leva brusquement avec
un reste de colere affeaée,
vous me voyez fâ.
chée; dit-elle à sa compagne,
mais tres fâchée
contre cette amie a qui
je voudrois bien épargner
des chagrins pareils
à ceux qui m'accablent,
elle cft aimée
d'un jeune Cavalier,
elle lui a avoue quelle
l'aimoit, elle en va faire
un infidèle,cela ne
peut lui manquer, Dorotée
eut d'abord cette
curiosité qu'une femme
a toûjours de sçavoir
l'intrigue d'un autre,
mais celle-ci lui remontra
qu'on ne doit jamais
exiger d'uneamie
le secret d'une autre amie,
parce que d'amie
en amie les secrets les
plus cachez font divulguez
par toute une
Ville, elle fit ainsi la
discrete pendant le reste
du jour, mais enfin
sur le foir elle se laissa
vaincre par la tendresse
qu'elle juroit à Dorotée,
& lui appritavec
cent circon stances étudiées
8c interessantes,
l'intrigue d'Elvire &
d'un Cavalier qu'elle
ne nommoit point d'abord
,mais après avoir
fait un portrait, dont
chaque trait de reiférnblance
perçoit le coeur
de Dorotée, elle luy
porta le coup de Poignard
en luy nommant
Don Pedre., à ce mot
Dorotée tomba presque
évanoüie, & l'au-
-
tre feignant de ne s'en
pas appercevoir lui dit
en se levant brusquement,
ah Ciel! jecroy
que j'entends sonner
rnitiait-on nes'ennuye
point avec vous, à demain
, chere amie, à
demain, je vous apprendrayqui
est ce D.
Pedre.
On peut s'imaginer
a peu prés comment
Dorotée passa la nuit,
on lui apporta le matin
une lettre de Don Pedre
, persuadée de sa
froideur, elle croyoit
la voir dans quelques
endroits moins tendres
que les autres, él ce
qu'il y avoit de plus
passionné lui paroissoit
outré par affectation,
elle ne voyoit que perfidie
enveloppée, que
trahison cachée fous des
expressions que l'amour
seul avoit diétées à cet
amant sincere, enfin
elle expliqua sa lettre
comme on explique
presque tout, selon les
idées dont on est prévenu;
elle prit d'abord
la plume pour lui faire
une réponse fulminante,
mais elle fit reflexion
que les reproches
ne font point revenir
un infidele,il n'estquession
que de se bien asseurer
s'ill'estréellement,
& de prendre
enfuire le parti de l'oublier
si l'on peut.
Dorotée avoit beaucoup
de confiance en
un valet de son pere qui
lui apportoit les lettres
de Don Pedre, c'estoit
un ancien domestique,
dune fidélité sûre,elle
le chargea d'examiner
toutes les démarches
de Don Pedre, & illui
rapporta dés le lendemain
qu'il l'avoit vû
entrer chez Elvire,
qu'il y alloit tous les
jours & cela estoit vrai,
il continuoit d'y aller
frequément pour avoir
des nouvelles comme
nous l'avons dit: Elvire
ne pouvoir sedouter
que les lettres qu'elle
fournissoit à D. Pedre
lui servissent à obtenir
Dorotée d'un Perenouveliste,
elle lui en donna
une enfin, qui portoit
qu'apréslaBataille
gagnée, l'Archiducs'avançoit
vers Madrid;
quelques jours aprés
PhilippeV.resolut d'en
sortir,& cette nouvelle
mit Don Pedre au
desespoir, il écrivit à
Dorotée tout ce qu'on
pouvoit écrire de plus
tendre la-dessus, mais
enfin il marquoit par sa
lettre: que si le Roy
quittoit Madrid il feroit
obligé de le suivre,
&cela parutàDorotée
prévenuë,une preuve
certaine del'infidelité
de D. Pedre; en lisant
cette lettre sa douleur
,.
fut si violente qu'elle
* ne put la cacher à sa
confidente, qui luy
donna pour toute consolation
son exemple à
suivre : J'ai esté trahie
comme vous, lui ditelle,
& ce n'est que par
le mépris qu'on doit se 1
venger d'un traitre.
Pendant que Dorotée
s'affligeoit,Elvirese réjoüissoitd'avoir
découvert
que sa fille de
chambre reportoit au
valet, espion de Dorotée,
tout ce qu'elle pouvoit
sçavoir de ce qui
sepassoitchez elle;elle
fit à cette fille une fausse
confidence, elle lui dit
que son mariage estoit
réf.tu avec Don Pedre,
le un jour qu'il vint
lui demander des nouvelles
,
elle ordonna
misterieusement à cette
fille de chambre de fai-
J.re venir son Notaire,
le Notaire arrivé, Elvire
le fit passerdans
* son cabinet, resta dans
sa - chambre avec Don
Pedre
,
fit sortir ses
gens, & fit enfin tout le
manége necessairepour
persuader à la fille de
chambre qu'on alloit
signer le Contrat de
mariage de Don Pedre
qu'Elvire amufoit cependant
,comme ayant
une affairepressée à terminer
avec son Notaire.
La fille de chambre
ne manqua pas
de tout raconter au
valet, & le valet affectionné
ne doutant plus
qu'Elvire & Don Pedre
ne sussent mariez
ensemble, alla porterà
8.r.téc cetre nouvelle
-qui la mit dans un
état aisé à comprendre,
mais tres difficile à dé- -dite.
Dans le temps que
L
Doret'ée s'abandonnoit
à sa douleur, Don Pedre
deson costé estoit
dans de cruelles agitations
: Le Roy devoit
partir le
-
lendemain ;
en le suivant il se dc-
- -
claroit bon Espagnol,
& par consequent ennemi
du pere de Dorotée;
il la perdoitenfin.
Dans cette extremité il
luy écrivit qu'il falloit
absolument qu'il
la pût voir ce jour-là au !
Couvent; mais par malheur
le valet qui portoit
la lettre rencontra à la
porte du Couvent le
petit vieillard, qui vint
à luy comme un fu- 1
rieux, se doutant qu'il
porportoit
comme à l'ordinaire
une lettre de
Don Pedre à sa fille,
il contraignit le valet
à lui donner la lettre,
qu'il déchira en mille
morceaux aprés avoir
battu le porteur, car ce
petit vieillard colerique
ne sepossedoit plus
depuis qu'il avoit ap- pris, des gens mêmes
de Don Pedre, qu'il
fuyoit la Domina- * tiond'Autriche en
suivant le lendemain
Philippe V. hors de
Madrid.
Ce pere, outré contre
Don Pedre, tâcha
ensuited'inspirer sa colere
à sa fille, mais
quoiqu'elle fût irritée
contre cet amant, elle
eut voulu que son pere
ne l'eût pas esté jusqu'à
jurer qu'il n'en feroit
jamais son Gendre, car
elle esperoit toûjours
de le trouver innocent,
oubliant même en certains
momens qu'ilcftoit
marié à Elvire,elle
,. J:.. ne pouvoir s în-raginer
qu'un homme si fidele
à son Roy eût pu estre
infidele à sa Maîtresse,
mais plusieurs personnes
l'affeurerent de son
malheur: Elvirevoyat
le Roy & la Reine partis
, & sçachant que
plusieurs Dames alloient
suivre leurs maris
à Valladolid, ou al..
loit la Cour, fit courir
le bruit qu'elle alloit y
suivre Don Pedre, &
prepara~t son départ
avec des circonstances
& des discours propres
à persuader à tout le
monde qu'elle estoit
mariée fecrettement à
cet époux qu'elle vouloit
suivre, elle sortit
de la Ville avec les Dames,
mais à quelques
lieuës de là elle prit la
route de Cuensa, où
son frere lui avoit écrit
de l'aller attendre dans
un petit Château qu'il
avoit de ces côtez-là,
où devoient bien-tost
arriver les Troupes de
l'Archiduc, dans lesquelles
ce frere avoit
un Regiment.
Revenons à Don Pedre,
quelques heures
avant que de partir
pour suivre le Roy, estant
fort inquiet de n'avoir
point réponse, il
alla luy-mêmeau Couveut
, voulant parler
absolument à Dorotée
pour Patfïirer de sa fidelité
pendant son abfence,
mais il rencontra
justement le vieillard
irrité, qui venoit
de donner des ordres si
precis à la Porte, qu'il
futimpossible à cetamant
desesperé de parler
à Dorotée, son uniqueressource
fut d'aller
écrire chez luy une feconde
lettre qu'il donna
à une Touriere qui
promit enfin à force
d'argent, qu'elle la
donneroit à Dorotée,
avec cette legere consolation
l'affligé Don
Pedre partit de Madrid
&: sacrifia plus à Philippe
V. en quittant
Dorotée, que tous les
Grands & les Nobles
ensemble, en quittant
leurs biens & leurs familles
pour leur Roy.
Voila donc ce tendre
amant party sans fçavoir
qu'illaissoit Dorotée
dans un desespoir
affreux
,
elle estoit
fermement persuadée
- qu'il estoit marié à Elvire,&
qu'illaméprisoit
mêmejusqu'au
point de n'avoir pas
daigné luy écrire une
lettre, car vous sçavez
que la premiere a esté
déchirée par le vieillard
mutin
,
à l'égard de la
seconde, cette Touriere
,qui connoissoit la
compagne de Dorotée
pour estre son intime
amie & sa confidente,
n'élira point à luy avoüer
qu'elle avoit une
lettre pour elle, elle
l'avoit déjà prévenuë
sur tout ce qu'il faloit
qu'elle fçût, elle lui dit
la larme à l'oeil, car elle
avoit les larmesàcommandement
, que sa
pauvre amie estoitdans
un si grand accablej
ment qu'il faloit bien
se garder de luy donner
sîtost cette lettre, elle
l'ouvrit ensuite 1
,
la lut
& la déchira, comme
par un excès de colcre 1
contre Don Pedre, en s'écriant, hon j que
les,.
hommes sontperfides!
il faut épargner à mon |
amie la douleur de lire
de fausses excuses qui
font pour une femme
plus cruelles que Tofsense
memejtout cela
parut si naturel à la
Touriere, qu'elle répondit
naïvement, hélas
vous avez bien raison,
il ne faut pas seulement
dire à vôtre amie
que j'ay receu cette lettre
pour elle.
Après cecy la confidente
scelerate ne pensa
plus qu'à faire oublier
Don PedreàDorotée
: mais a tout ce qu'ellepouvoit dire
contre luy, Dorotée répondoic
seulement, ah
je le hais trop pour l'oublier;
en effet elle pensoit
à luy nuit & jour,
croyant le haïr, l'avoir
en horreur: mais elle
n'avoit en horreur que
sa trahison.
Pendant qu'elle se
défoloitainsi, Don Pedre
dit à Don Diegue
qu'elleavoiechangé de
vocation, & il la retira
du Couvent pour rernoucrce
mariage,cetftoit
dans le temps que [fArchiduc arrivoit à
Madrid5 deux jours
aprés son arrivée, il y
eût de grandes réjoüiffanceschezquelquesEs
pagnols Partisans dela
Maison d)Autriche, nôtrevieillard,
leplus zelé
de tousjdonnaungrand
*
souper, &dit à safille
qu'il faloit quelle en fit
les honneurs avec Don
Diegue qui alloit estre
son époux. Ces mot
prononcez par un per
terrible, àrquiellen'oJ
foit feulement répon-1
dre, la saisirent viverl
ment: il ne manquoit
plus à sa douleur que
la presence de Don
Diegue, & il arriva.
Quelle situation pour
elle d'estreplacée auprès
de luy dansun fcltin
où tour le monde la
felicitoit de ce qui alloit
faire son fuplicejon
parla des le lendemain
deconclurece mariage.
Elviré avertie de tout
par son amie du Couvent,
à qui Dorotée
contoit tous les jours
ses malheurs,alloit estre
au comble de sa joye,
cest-a-dire que Dorotée
alloitestre sacrifiée
à Don Diegue, lorsque
tout à coup les affaires
changèrent de face en
Espagne: le bruit courut
que TArchiduç à
son tour alloit quitter
Madrid: ce fut un coup
terrible pour le vieillard
Autrichien, qui
tomba malade à cette
premiere nouvelle: A
mesure que les affaires
de l'Archiduc empiroient,
le petit vieillard
déperissoit; enfin
quatrevingt-cinq ans
qu'ilavoir, & le départ
de l'Archiduc le firent
mourir:Secette mort
affligeaautant Dorotée
que si elle ne l'eût pas - délivrée d'un mariage
odieux,
Sitoftqu'elle fut maitresse
de son fort, elle
resolut de donner à un -
couvent le peu de bien
qu'elle avoit, & d'y
passer le reste de ses
jours qu'elle contoit devoir
~cftre fort cours,
puis qu'elle avoit perdu
Don Pedre:elle estoit
dans cette triste resolution
quinze jours après
la more de son pere, &
feule avec une fillede
chambre, à quielleracontait,
peuteftre pour
la centiéme fois, latrahison
de ce perfide.
Quelle fut sa surprise
quand elle le vit encrer;
il ne fut pas moins furpris
qu'elle, car en arrivant
deValladolid avec
le Roy, il avoit couru
droit chwZ le pere pour
~tafther de le fléchir:
Le hazard voulut qu'il
trouva les portes ouvertes,
& qu'il entra
d'abord dans une fale
tendue de noir,où estoit
Dorotée en deuil. Frapé
de ce fpdacle il estoit
relié immobile: Dorotée
croyant qu'il ve- - noit luy faire de mauvassesexcuses
dece quiL'estoitmarié,
fut d'abord
saisie d'ind ignation,
puis transportée
d'une colere si violente
qu'clle éclata malgré sa
modération naturelle:
elle joignit aux noms
de perfide & de traitre
des reproches où il ne
comprenoit rien, car ils
rouloient sur un mariage
&;- sur des circonstances
dont il n'avait
nulle idée; il pensa
que peutêtreTalffidion
auroit pu alterer son
bon sens: enfin sa colere
finit comme celle
de toutes les femmes,
quand elle a elle allumée
par l'amour; leur
colcre s'épuise en in j ures,
il ne leur reste que
les pleurs & la tendres
se : Dorotée fondit en
larmes, Don Pedrene
put retenir les siennes,
& je sens que je pleurerois
peutestre aussi en
écrivant cette sene, si
je ne sçavois que le dénouëment
en fera heureux;
il se fit par un
éclaircissement qui ennuyeroit
le Lecteur ,
mais qui nennuya pas
à coup seur nos deux
Amans; comme rien ne
s'opposoit plus à leur
union,ils furent si transportez
de plaisir
,
qu'ils
oublièrent de pester
contre l'artificieuse Elvire
, & sa fourbe compagne.
Elles furent asfez
punies quand elles
apprirent le mariage
de Dorotée & de Don.
Pedre.
amoureuse, dont jeviens
deparler dans le Journal
de Madrid.
*
I y avoità Madrid
un petit
vieillard Espagnol fort
passionne pour la Maison
d'Autriche,& cet
attachement n'estoit
que tres louable dans le
temps que la Maison
d'Autriche possedoit légitimement
la Couronne
d'Espagne ; ce vieillard
estoit nouveliste
de profession, non pas
de ces nouvelistes équitables
& censez que je
hante volontiers : mais
decesnouvelistes frondeurs
qui débitent leurs
prejugez malins pour
des faits averez ,
chagrins,
incrédules dans
lesévenemens avantageux
à leur Patrie; &C
triomphans d'un malheur
public qu'ils auront
deviné par hazard,
comme si c'estoit l'ouvrage
de leur politique
rafinée.
Ce petit vieillard Autrichien
avoit jette les
yeux sur un Espagnol
de sa cabale) pour marier
une hiletrèsaimablequ'il
avoit, cetEspagnol,
qui se nommoit
D.Diegueavoit gagné
le coeur du pereen luy
apprenant toujours le
premier les mauvaises
nouvelles
, en traitant
les bonnes de visions &
se déchaînant avec fureur
contre le Gouvernement
present dePhilippeV.
ensortequ'étant
venu un jour lui aprendre
la défaite de l'armee
de ce Prince, dans
la bataille deSa-ragoffe,
ce mauvais Espagnol
en fut si transporté de
joye qu'il l'embrassa
tendrement,&luy promit
déstors sa fille en
mariage pour prix d'une
si bonne.nouvelle.
Cette charmante fille
se nommoit Dorotée ,
elle estoit aussi judicieuse
que son pereestoit
entjesté. Dorotée ne se
croyoit pas si habile que
quelquesunes de nos
Dames qui decident à
present des droits &
des démêlez des Princes.
ellen'eutpris aucun
party entre l'Archiduc
& PhilippeV.sicertain
Cavalier aimable, fort
attaché à cedernier.,
ne l'eût déterminée
dans la fuite pour ce
Roy légitimé.
Un jour ce Cavalier
qu'onappelloit Don
Pedre, après toutes les
attentions dun amant
respedueux, s'étant enfin
flatté de n'estre pas
haï de Dorotée luy déclara
son amour, Dorotée
en rougit, elle baissa
les yeuX)8C ne repondit
rien, c'est ce qu'-
on peut faire de mieux
pour un amant, sur sa
première déclaration
il en fit plusieurs , autres,
ilfaloit bien en fin
qu'elle s'expliqua, elle
ne voyoit rien à desirer
en luyque dela confiance
, elle se défioit naturellement
de celle des
hommes, c'estoit son
faible; si toutes les femmes
avoient ce faible:,
illes çueriroit de bien
d'autres; Dorotee ne
put s'empêcherdédire
à Don Pedre tout ce
qu'elle craignoitlà-defsus
, il répondit à ses
craintes par des sermens
; c'est la réponse
ordinaire: il luy jura
que sa fidélité pourelle
feroit aussi inviolable
que celle qu'il avoit
pour son Roy, c'estoit
là son sermentle plus
familier. Cet Espagnol
zélé ne juroit que par
son Roy.
Dans lemomenr que
Don Pedre prononça
avec transport le nom
de Philippe V. Dorotée
s'écria tout à coup, ah
nous sommes perdus !
ensuiteelle luyditavec
douleur que ion pere
neferoic jamaisd'alliance
avec un fidele sujet
de Philippe V. ah,
Dorotée
,
s'écriat-il à j
son tour, pourquoy estes-
vous si charmante,
j'avois juré que je ne
ferois jamais nulle liaison
avec les Partisans
entêtez del'Archiduc;
il faudra donc me faire
la violence decacher à
vostre pere mon zele
pour mon Roy.
,.
cela
ne suffira pas, reprit
Dorotée en le regardant
tendrement, vous
n'obtiendrez jamais
rien de luy si vous ne
feignez. moy feindre!
reprit brusquement le
franc castillan, les deux
amans se regardèrent
quelques temps sans
rien dire. Don Pedre
ne pouvoit se resoudre
à feindre, & Dorotée
n'osoit exiger de luy
unsi grandsacrifice, ils
se quicterécfortaffligez
de l'obstacle invincible
qu'ils voyoient à leur
union,& lejurerent qu'-
aumoins rien ne les pouroit
empêcher de s'aimer
lereste de leur vie.
Quelques jours sécoulerent,&
Don Pedre
les passoit à rêver
auxmoyens dont il
pourroit user pour gagner
le pere, sans commettre
sa sincerité ; ce
vieillardn'estoit
• pas
riche, il n'avoit que le
desir des richesses, &
l'avarice estoit sa plus
force passion après celle
de reformer le Gouvernement
; nostrejeune
Espagnol avoir de
grands biens, il acheta
exprésde quelqu'un je
ne sçai quel contrat
qui le mir en liaison
d'affaire avec le vieillard,
il eut occasionpar
làdeluy faire ledétail
de les grands biens, &
deluimontrer plusieurs
contrats,tîtres & papiers,
le hazard fit qu'en
tirant d'unportefeüille
ces papiers, il s'y trouva
une lettre ouverte, où
le vieillardapperçut ces
mots. Du Campdel'archiduc
ce 20. Aouct.
Cette date estoit fraîche,
quelle amorce pour
un nouveliste!Il se jeta
sur cette lettre, qu'il
connut estre de l'écriture
d'un zélé Espagnol
rebele, qui estoitdu
Conseil secret de Stanope,
il crut fermement
par cette lettre que
Don Pedre avoir des
intelligences secrettes
dans le parti de l'Archiduc.
Don Pedre eut
beau luy protester qu'il
estoit bon Espagnol,
je ne suis point surpris,
luy dit le vieillard en
riant, qu'ayant quantité
de biens qui dépendent
du Gouvernement
prelent
, vous cachiez
avec foin vos intrigues
secretes avec ceux de
mon parti. Plus, Don
Pèdres'obstinaà paroître
ce qu'il estoit,plus
l'autre Je crut ce qu'il
desiroit qu'il fût, caril
commençoit à l'aimer
parce qu'il le voyoit
très-riche. -
Pour expliquer icy
comment cette lettre
s'estoit trouvée entre
les mains de Don Pedre
, ilfaut reprendre
son hiftoiredeplus loin,
il avoit esté destiné par
son pere à une veuve
Espagnole,nommée
Elvire, encore jeune&
belle : mais que Don
Pedre n'avoit jamais
aimée, à qui même depuis
la mort de son pere
il avoit: fait comprendre
qu'il ne pouvoir jamais
se resoudre d'encrer
dans une famille ennemie
de son Prince, &
le frere d'Elvire estoit
Colonel dans l'armée
ennemie; c'estoit justement
de luy que v£-
noit la lettre en question
: Les nouvelles que
ce frere nlandoit..ectoient
tres - mauvaises
pour Philippe V. Elvire
les montroit avec
soinà Don Pedrepour
luy persuader de s'attacher
à l'Archiduc qui
alloit estre son Souverain,
car elle estoit
persuadée que la difference
des partis estoit
le seul obstacle qui s'oppofoit
à son mariage
avec DomPedre.
Ce fidele & sincere
Espagnol se trouveicy
dans une situationbien
delicate : Elvire luy
donnoit tous les jours
par ces lettres des détails
qui l'affligeoient
beaucoup, parce qu'ils
estoient malheureux
pour son Roy: mais
ils estoient heureux
pour ton amour,car en
les faisant voir au petit
vieillard Autrichien,
il alloit obtenir de luy
Dorotée,j'eusse voulu
demander en cette occasion
à Don Pedre si
dans le fond du coeur il
souhaitoit de voir cesser
latriste cau se qui produisoit
un si bon effet,
il m'eût répondu sans
doute qu'il ne pouvoit
démêler un sentiment
si de licat à travers un
amour violent, il se
contentoit de jurer sincerement
qu'il seroitau
desespoir si l'Archiduc
depossedoit Pbilippe V.
mais s'il efloit bien aise
qu'on le crût sur sa parole,
c'est la question:
quoyqu'il en soit il fit
si bien que le pere de
Dorotée luy donna sa
parole : mais la difficulté
estoit de retirer celle
qu'il avoit donnée au
premier, il netrouvapoint
de pretexte plus
specieux pour sauver
Ton honneur que de
mettre sa fille dans un
Convent, comme siellet
eût voulu se faire Religieufe,
Don Diegue
alarmé vint se plaindre
à son beau-pere, qui
luy dit qu'en conscience
ilne pouvoit empêcher
sa fille d'embrasser
un estatoù elleestoit si
bien appellée, &' de
peur qu'on ne découvrit
le veritable motif
d'une vocation si subite
y il défenditàDon
Pedre d'aller voir Dorotée
auConvent,jusqu'à
ce que Don Diegue
sefut rengagé dans
un autre Mariage qu'il
avoit rompu pour celui-
ci, pour lors dit le
petit vieillard, ce fera
lui qui manquera de
parole & non pas moi.
Dorotée entra donc
dans le Convent [ûre
ducoeurde Don Pedre,
dont Elvire estoit prcfqne
sûre aussi, elle en
jugeoit par l'empressement
qu'elle lui voyoic
de tirerd'elle des lettres
qui lui apprenoient la
défaite de l'armée de
Philippe V. il fera bientôt
du parti du Vainqueur,
disoit-elle en
elle-même, & il m'aimera
sans doute dés
qu'il n'aura plus cet attachetachement
à Philippe
V. qui l'empêchoit
d'en avoir pour moy;
c'estainsi qu'elle se flattoit,
lors qu'une amie
quelleavoit dans le
même Couvent où estoit
Dorotée, lui dit
qu'elle avoit surpris sur
la table de cette aimable
compagne, une lettre
fort tendre,signée
DonPedre; Elviresça.
voit d'un autre côté
que D. Diegue moins
riche avoit esté congédié
par lePere avare,
sa penetration lui fit
deviner le reste, & son
caractere artificieux &
interessé lui fit former
sur tout cela un projet
qui lui réussit comme
vous allez voir.
Premièrement, elle
prit le parti de ne point
témoigner à Don Pedre
qu'elle estoit informée
de son engagement
avec Dorotée;
cet eclaircissement n'eût
rien produit, elle sçavoit
agir bien plus finement
; cette amie,
qu'elle alloit voir au
Couvent,s'y estoit retirée
parce qu'elleétoit
pauvres El vire lui promit,
pour adoucir les
chagrins de sa retraite,
une pension considerable,
si elle vouloit lui
aider à époufer le riche
Don Pedre, & elles
convinrent du rolle
qu'elles jouëroiet pour
venir à bout de leur
dessein.
Cette amie d'Elvire
estoit complaisante,
insinuante, c'estoit la
flateuse du Couvent,
il en faut bien au moins
une dans une Communauté
pour amadouer
les nouvelles venues;
elle plaisoit assez à Dorotee,
qui commençoit
à s'ennuyer destre separée
de Don Pedre,
& qui mouroitd'envie
d'avoir une confidente
pour parler au moins
de celui qu'elle ne pouvoit
voir, celle-ci n'ayant
d'autre but que
de s'attirer .cette confidence
, l'amitié fut
bien-tôt liée entr'elles,
elles ne se quittoient
plus.
Ce-tte compagne
chagrine naturellement
par la mauvaise
situation de ses assai,
res, aflfcéta de le paroître
encore davantage,
& Dorotée l'ayant un
soir pressee de lui dire
la cause de ses chagrins
helas répondit-elle,en
soupirant, les chagrins
de la plus part des
femmes sont causez par
l'inconstance des hommes
; ce mot fit quelque
impression sur le
coeur de Dorotée, qui
par hazard n'avoit
point receu ce jour la
deletrre de son amant,
enfuiré la fausse affligée
se plaignit de l'insidelité
du ifen,& fit Ltdessus
le récit d'une
avanture ajustée au Cujet,
qui tira des larmes
de Dorotée,&qui donna
occasion à l'autre de
se déchaîner contre les
hommes, & contre la
crédulité des femmes
qui osent s'y fier; comme
cette matiere fournit
beaucoup à la conversation
des Dames,
les deux amies le couchèrent
fort tard,
toutes ces idées d'inconfiance
ne laisserent
pas de troubler un peu
le sommeil de Dorotée;
elle ne vit en songe que
des inconstans & tous
ressèmbloient à celuy
dont elle avoit l'imagination
frappée; elle se
réveillaassez inquiete,
mais une lettre fort tendre
qu'elle reçut le matin
de Don Pedre la rassura,&
luy fîtcomprendre
combien il est ridicule
d'ajouter foy aux
songes.
Le lendemain Elvire
vint sçavoir au Couvent
quel progrès avoit
fait son amie, elles en
parloient ensemble lors
que Dorotée, qui ne
pouvait, plus estre un
moment sans sa confidente,
vint la chercher
au Parloir;larusée fit figne.
à Elvire de partir;
& assectant d'avoir eu
quelque dispute avec
celle qui fuyoit,ellese
leva brusquement avec
un reste de colere affeaée,
vous me voyez fâ.
chée; dit-elle à sa compagne,
mais tres fâchée
contre cette amie a qui
je voudrois bien épargner
des chagrins pareils
à ceux qui m'accablent,
elle cft aimée
d'un jeune Cavalier,
elle lui a avoue quelle
l'aimoit, elle en va faire
un infidèle,cela ne
peut lui manquer, Dorotée
eut d'abord cette
curiosité qu'une femme
a toûjours de sçavoir
l'intrigue d'un autre,
mais celle-ci lui remontra
qu'on ne doit jamais
exiger d'uneamie
le secret d'une autre amie,
parce que d'amie
en amie les secrets les
plus cachez font divulguez
par toute une
Ville, elle fit ainsi la
discrete pendant le reste
du jour, mais enfin
sur le foir elle se laissa
vaincre par la tendresse
qu'elle juroit à Dorotée,
& lui appritavec
cent circon stances étudiées
8c interessantes,
l'intrigue d'Elvire &
d'un Cavalier qu'elle
ne nommoit point d'abord
,mais après avoir
fait un portrait, dont
chaque trait de reiférnblance
perçoit le coeur
de Dorotée, elle luy
porta le coup de Poignard
en luy nommant
Don Pedre., à ce mot
Dorotée tomba presque
évanoüie, & l'au-
-
tre feignant de ne s'en
pas appercevoir lui dit
en se levant brusquement,
ah Ciel! jecroy
que j'entends sonner
rnitiait-on nes'ennuye
point avec vous, à demain
, chere amie, à
demain, je vous apprendrayqui
est ce D.
Pedre.
On peut s'imaginer
a peu prés comment
Dorotée passa la nuit,
on lui apporta le matin
une lettre de Don Pedre
, persuadée de sa
froideur, elle croyoit
la voir dans quelques
endroits moins tendres
que les autres, él ce
qu'il y avoit de plus
passionné lui paroissoit
outré par affectation,
elle ne voyoit que perfidie
enveloppée, que
trahison cachée fous des
expressions que l'amour
seul avoit diétées à cet
amant sincere, enfin
elle expliqua sa lettre
comme on explique
presque tout, selon les
idées dont on est prévenu;
elle prit d'abord
la plume pour lui faire
une réponse fulminante,
mais elle fit reflexion
que les reproches
ne font point revenir
un infidele,il n'estquession
que de se bien asseurer
s'ill'estréellement,
& de prendre
enfuire le parti de l'oublier
si l'on peut.
Dorotée avoit beaucoup
de confiance en
un valet de son pere qui
lui apportoit les lettres
de Don Pedre, c'estoit
un ancien domestique,
dune fidélité sûre,elle
le chargea d'examiner
toutes les démarches
de Don Pedre, & illui
rapporta dés le lendemain
qu'il l'avoit vû
entrer chez Elvire,
qu'il y alloit tous les
jours & cela estoit vrai,
il continuoit d'y aller
frequément pour avoir
des nouvelles comme
nous l'avons dit: Elvire
ne pouvoir sedouter
que les lettres qu'elle
fournissoit à D. Pedre
lui servissent à obtenir
Dorotée d'un Perenouveliste,
elle lui en donna
une enfin, qui portoit
qu'apréslaBataille
gagnée, l'Archiducs'avançoit
vers Madrid;
quelques jours aprés
PhilippeV.resolut d'en
sortir,& cette nouvelle
mit Don Pedre au
desespoir, il écrivit à
Dorotée tout ce qu'on
pouvoit écrire de plus
tendre la-dessus, mais
enfin il marquoit par sa
lettre: que si le Roy
quittoit Madrid il feroit
obligé de le suivre,
&cela parutàDorotée
prévenuë,une preuve
certaine del'infidelité
de D. Pedre; en lisant
cette lettre sa douleur
,.
fut si violente qu'elle
* ne put la cacher à sa
confidente, qui luy
donna pour toute consolation
son exemple à
suivre : J'ai esté trahie
comme vous, lui ditelle,
& ce n'est que par
le mépris qu'on doit se 1
venger d'un traitre.
Pendant que Dorotée
s'affligeoit,Elvirese réjoüissoitd'avoir
découvert
que sa fille de
chambre reportoit au
valet, espion de Dorotée,
tout ce qu'elle pouvoit
sçavoir de ce qui
sepassoitchez elle;elle
fit à cette fille une fausse
confidence, elle lui dit
que son mariage estoit
réf.tu avec Don Pedre,
le un jour qu'il vint
lui demander des nouvelles
,
elle ordonna
misterieusement à cette
fille de chambre de fai-
J.re venir son Notaire,
le Notaire arrivé, Elvire
le fit passerdans
* son cabinet, resta dans
sa - chambre avec Don
Pedre
,
fit sortir ses
gens, & fit enfin tout le
manége necessairepour
persuader à la fille de
chambre qu'on alloit
signer le Contrat de
mariage de Don Pedre
qu'Elvire amufoit cependant
,comme ayant
une affairepressée à terminer
avec son Notaire.
La fille de chambre
ne manqua pas
de tout raconter au
valet, & le valet affectionné
ne doutant plus
qu'Elvire & Don Pedre
ne sussent mariez
ensemble, alla porterà
8.r.téc cetre nouvelle
-qui la mit dans un
état aisé à comprendre,
mais tres difficile à dé- -dite.
Dans le temps que
L
Doret'ée s'abandonnoit
à sa douleur, Don Pedre
deson costé estoit
dans de cruelles agitations
: Le Roy devoit
partir le
-
lendemain ;
en le suivant il se dc-
- -
claroit bon Espagnol,
& par consequent ennemi
du pere de Dorotée;
il la perdoitenfin.
Dans cette extremité il
luy écrivit qu'il falloit
absolument qu'il
la pût voir ce jour-là au !
Couvent; mais par malheur
le valet qui portoit
la lettre rencontra à la
porte du Couvent le
petit vieillard, qui vint
à luy comme un fu- 1
rieux, se doutant qu'il
porportoit
comme à l'ordinaire
une lettre de
Don Pedre à sa fille,
il contraignit le valet
à lui donner la lettre,
qu'il déchira en mille
morceaux aprés avoir
battu le porteur, car ce
petit vieillard colerique
ne sepossedoit plus
depuis qu'il avoit ap- pris, des gens mêmes
de Don Pedre, qu'il
fuyoit la Domina- * tiond'Autriche en
suivant le lendemain
Philippe V. hors de
Madrid.
Ce pere, outré contre
Don Pedre, tâcha
ensuited'inspirer sa colere
à sa fille, mais
quoiqu'elle fût irritée
contre cet amant, elle
eut voulu que son pere
ne l'eût pas esté jusqu'à
jurer qu'il n'en feroit
jamais son Gendre, car
elle esperoit toûjours
de le trouver innocent,
oubliant même en certains
momens qu'ilcftoit
marié à Elvire,elle
,. J:.. ne pouvoir s în-raginer
qu'un homme si fidele
à son Roy eût pu estre
infidele à sa Maîtresse,
mais plusieurs personnes
l'affeurerent de son
malheur: Elvirevoyat
le Roy & la Reine partis
, & sçachant que
plusieurs Dames alloient
suivre leurs maris
à Valladolid, ou al..
loit la Cour, fit courir
le bruit qu'elle alloit y
suivre Don Pedre, &
prepara~t son départ
avec des circonstances
& des discours propres
à persuader à tout le
monde qu'elle estoit
mariée fecrettement à
cet époux qu'elle vouloit
suivre, elle sortit
de la Ville avec les Dames,
mais à quelques
lieuës de là elle prit la
route de Cuensa, où
son frere lui avoit écrit
de l'aller attendre dans
un petit Château qu'il
avoit de ces côtez-là,
où devoient bien-tost
arriver les Troupes de
l'Archiduc, dans lesquelles
ce frere avoit
un Regiment.
Revenons à Don Pedre,
quelques heures
avant que de partir
pour suivre le Roy, estant
fort inquiet de n'avoir
point réponse, il
alla luy-mêmeau Couveut
, voulant parler
absolument à Dorotée
pour Patfïirer de sa fidelité
pendant son abfence,
mais il rencontra
justement le vieillard
irrité, qui venoit
de donner des ordres si
precis à la Porte, qu'il
futimpossible à cetamant
desesperé de parler
à Dorotée, son uniqueressource
fut d'aller
écrire chez luy une feconde
lettre qu'il donna
à une Touriere qui
promit enfin à force
d'argent, qu'elle la
donneroit à Dorotée,
avec cette legere consolation
l'affligé Don
Pedre partit de Madrid
&: sacrifia plus à Philippe
V. en quittant
Dorotée, que tous les
Grands & les Nobles
ensemble, en quittant
leurs biens & leurs familles
pour leur Roy.
Voila donc ce tendre
amant party sans fçavoir
qu'illaissoit Dorotée
dans un desespoir
affreux
,
elle estoit
fermement persuadée
- qu'il estoit marié à Elvire,&
qu'illaméprisoit
mêmejusqu'au
point de n'avoir pas
daigné luy écrire une
lettre, car vous sçavez
que la premiere a esté
déchirée par le vieillard
mutin
,
à l'égard de la
seconde, cette Touriere
,qui connoissoit la
compagne de Dorotée
pour estre son intime
amie & sa confidente,
n'élira point à luy avoüer
qu'elle avoit une
lettre pour elle, elle
l'avoit déjà prévenuë
sur tout ce qu'il faloit
qu'elle fçût, elle lui dit
la larme à l'oeil, car elle
avoit les larmesàcommandement
, que sa
pauvre amie estoitdans
un si grand accablej
ment qu'il faloit bien
se garder de luy donner
sîtost cette lettre, elle
l'ouvrit ensuite 1
,
la lut
& la déchira, comme
par un excès de colcre 1
contre Don Pedre, en s'écriant, hon j que
les,.
hommes sontperfides!
il faut épargner à mon |
amie la douleur de lire
de fausses excuses qui
font pour une femme
plus cruelles que Tofsense
memejtout cela
parut si naturel à la
Touriere, qu'elle répondit
naïvement, hélas
vous avez bien raison,
il ne faut pas seulement
dire à vôtre amie
que j'ay receu cette lettre
pour elle.
Après cecy la confidente
scelerate ne pensa
plus qu'à faire oublier
Don PedreàDorotée
: mais a tout ce qu'ellepouvoit dire
contre luy, Dorotée répondoic
seulement, ah
je le hais trop pour l'oublier;
en effet elle pensoit
à luy nuit & jour,
croyant le haïr, l'avoir
en horreur: mais elle
n'avoit en horreur que
sa trahison.
Pendant qu'elle se
défoloitainsi, Don Pedre
dit à Don Diegue
qu'elleavoiechangé de
vocation, & il la retira
du Couvent pour rernoucrce
mariage,cetftoit
dans le temps que [fArchiduc arrivoit à
Madrid5 deux jours
aprés son arrivée, il y
eût de grandes réjoüiffanceschezquelquesEs
pagnols Partisans dela
Maison d)Autriche, nôtrevieillard,
leplus zelé
de tousjdonnaungrand
*
souper, &dit à safille
qu'il faloit quelle en fit
les honneurs avec Don
Diegue qui alloit estre
son époux. Ces mot
prononcez par un per
terrible, àrquiellen'oJ
foit feulement répon-1
dre, la saisirent viverl
ment: il ne manquoit
plus à sa douleur que
la presence de Don
Diegue, & il arriva.
Quelle situation pour
elle d'estreplacée auprès
de luy dansun fcltin
où tour le monde la
felicitoit de ce qui alloit
faire son fuplicejon
parla des le lendemain
deconclurece mariage.
Elviré avertie de tout
par son amie du Couvent,
à qui Dorotée
contoit tous les jours
ses malheurs,alloit estre
au comble de sa joye,
cest-a-dire que Dorotée
alloitestre sacrifiée
à Don Diegue, lorsque
tout à coup les affaires
changèrent de face en
Espagne: le bruit courut
que TArchiduç à
son tour alloit quitter
Madrid: ce fut un coup
terrible pour le vieillard
Autrichien, qui
tomba malade à cette
premiere nouvelle: A
mesure que les affaires
de l'Archiduc empiroient,
le petit vieillard
déperissoit; enfin
quatrevingt-cinq ans
qu'ilavoir, & le départ
de l'Archiduc le firent
mourir:Secette mort
affligeaautant Dorotée
que si elle ne l'eût pas - délivrée d'un mariage
odieux,
Sitoftqu'elle fut maitresse
de son fort, elle
resolut de donner à un -
couvent le peu de bien
qu'elle avoit, & d'y
passer le reste de ses
jours qu'elle contoit devoir
~cftre fort cours,
puis qu'elle avoit perdu
Don Pedre:elle estoit
dans cette triste resolution
quinze jours après
la more de son pere, &
feule avec une fillede
chambre, à quielleracontait,
peuteftre pour
la centiéme fois, latrahison
de ce perfide.
Quelle fut sa surprise
quand elle le vit encrer;
il ne fut pas moins furpris
qu'elle, car en arrivant
deValladolid avec
le Roy, il avoit couru
droit chwZ le pere pour
~tafther de le fléchir:
Le hazard voulut qu'il
trouva les portes ouvertes,
& qu'il entra
d'abord dans une fale
tendue de noir,où estoit
Dorotée en deuil. Frapé
de ce fpdacle il estoit
relié immobile: Dorotée
croyant qu'il ve- - noit luy faire de mauvassesexcuses
dece quiL'estoitmarié,
fut d'abord
saisie d'ind ignation,
puis transportée
d'une colere si violente
qu'clle éclata malgré sa
modération naturelle:
elle joignit aux noms
de perfide & de traitre
des reproches où il ne
comprenoit rien, car ils
rouloient sur un mariage
&;- sur des circonstances
dont il n'avait
nulle idée; il pensa
que peutêtreTalffidion
auroit pu alterer son
bon sens: enfin sa colere
finit comme celle
de toutes les femmes,
quand elle a elle allumée
par l'amour; leur
colcre s'épuise en in j ures,
il ne leur reste que
les pleurs & la tendres
se : Dorotée fondit en
larmes, Don Pedrene
put retenir les siennes,
& je sens que je pleurerois
peutestre aussi en
écrivant cette sene, si
je ne sçavois que le dénouëment
en fera heureux;
il se fit par un
éclaircissement qui ennuyeroit
le Lecteur ,
mais qui nennuya pas
à coup seur nos deux
Amans; comme rien ne
s'opposoit plus à leur
union,ils furent si transportez
de plaisir
,
qu'ils
oublièrent de pester
contre l'artificieuse Elvire
, & sa fourbe compagne.
Elles furent asfez
punies quand elles
apprirent le mariage
de Dorotée & de Don.
Pedre.
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Résumé : AVANTURE amoureuse, dont je viens de parler dans le Journal de Madrid.
Le texte narre une aventure amoureuse complexe à Madrid. Un vieillard espagnol, passionné par la Maison d'Autriche, est un nouvelliste frondeur qui se réjouit des malheurs publics. Il a une fille, Dorotée, et un allié, Diego, qui gagne la confiance du vieillard en lui rapportant de mauvaises nouvelles et en critiquant le gouvernement de Philippe V. Diego obtient la main de Dorotée en mariage après avoir annoncé la défaite de l'armée de Philippe V. Dorotée, judicieuse contrairement à son père entêté, est courtisée par Don Pedre, un cavalier attaché à Philippe V. Don Pedre déclare son amour à Dorotée, mais elle exprime ses craintes concernant la fidélité des hommes. Don Pedre jure sa fidélité, mais Dorotée révèle que son père ne consentira jamais à une alliance avec un fidèle de Philippe V. Ils décident de s'aimer secrètement. Pour gagner la confiance du père de Dorotée, Don Pedre utilise des contrats et des papiers pour montrer ses richesses. Par hasard, le vieillard découvre une lettre datée du camp de l'archiduc, ce qui le convainc que Don Pedre a des intelligences secrètes avec le parti de l'archiduc. Malgré les protestations de Don Pedre, le vieillard le croit riche et commence à l'aimer. La lettre provient du frère d'Elvire, une veuve espagnole à qui Don Pedre avait été destiné par son père. Elvire tente de persuader Don Pedre de s'attacher à l'archiduc, mais il reste fidèle à Philippe V. Finalement, le père de Dorotée accepte de donner sa fille à Don Pedre, mais ce dernier doit d'abord rompre son engagement avec Elvire. Pour ce faire, il place Dorotée dans un couvent. Elvire, informée de la situation, forme un projet avec une amie au couvent pour séduire Don Pedre. Cette amie, complaisante et insinuante, gagne la confiance de Dorotée et lui raconte des histoires d'inconstance masculine. Dorotée, troublée, reçoit une lettre tendre de Don Pedre qui la rassure. Elvire, lors d'une visite au couvent, apprend de son amie que Dorotée est curieuse de l'intrigue d'Elvire et d'un cavalier. L'amie révèle à Dorotée que ce cavalier est Don Pedre, ce qui la plonge dans le désespoir. Dorotée passe une nuit agitée et, le matin, interprète la lettre de Don Pedre comme une preuve de sa froideur et de sa perfidie. Dorotée, après avoir reçu une lettre de Don Pedre, décide de ne pas répondre immédiatement, réfléchissant que les reproches ne ramèneraient pas un infidèle. Elle confie à un valet fidèle de son père la surveillance des démarches de Don Pedre, qui découvre que ce dernier fréquente Elvire. Dorotée, malgré ses doutes, continue d'espérer la fidélité de Don Pedre. Elvire manipule la situation pour sembler mariée à Don Pedre, utilisant sa femme de chambre comme espionne. Dorotée, désespérée, apprend la prétendue infidélité de Don Pedre et sombre dans le chagrin. Don Pedre, obligé de suivre le roi Philippe V, tente en vain de voir Dorotée, ses lettres étant interceptées par le père de Dorotée. Dorotée, convaincue de l'infidélité de Don Pedre, est forcée de se préparer à un mariage arrangé avec Don Diegue. Cependant, les événements politiques en Espagne changent, et le père de Dorotée meurt. Dorotée décide de se retirer dans un couvent. Finalement, Don Pedre revient et retrouve Dorotée en deuil. Après des malentendus et des éclats de colère, ils se réconcilient et se marient, oubliant les manipulations d'Elvire et de sa complice.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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36
p. 9-51
LE MARIAGE PAR INTEREST, OU LA FILLE A L'ENCHERE.
Début :
Un Pere avare, qui ne pensoit qu'à marier richement [...]
Mots clefs :
Fille, Père, Mariage, Homme, Marquis, Amour, Ami, Conseiller, Enchère, Jalousie
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texteReconnaissance textuelle : LE MARIAGE PAR INTEREST, OU LA FILLE A L'ENCHERE.
LE MARIAGE
PAR INTEREST,
ou
LA FILLE
A L'ENCHERE. UN Pereavare, qui
ne penloit qu'à
marier richement sa
fille, avoit déja rompu
plusieurs affaires, cro-
* yant toûjours trouver
un- nouveau Gendre
plus riche que lespremiers;
il retiroit fà"pàrole.
aussi facilement
qûTI l'avoit donnée,&
ce caractère luy avoit
attiré un ridicule,que
quelquesvoisines,jaloules
de la vertu desa
fille, faisoient retoixw
ber malignement sur
elle; elles l'appelloient
la Fille à revehere; Ce
Pere ridicule disoitluimême
: Ma fille est à
cent mil francs, elle ne
sortira pas de chez moy
à moins, mais je préférerai
celui qui en aura
cent cinquante. Il le
fit comme il le disoit,
car tout prêt à concl ure
avec un jeune Marquis
dont sa Fille étoit aimée
& qu'elle aimoit,
un Gentilhomme plus
riche vint mettre enchere
; & te pere luy
ad jugea la fille, ce qui
fit imaginer au Marquis
desesperé - un
moyen de retarder au
moins ce dernier mariage.
Persuadé qu'il ne
s'agissort que de faire
paroistreun nouvel en*
chenfïèur, il alla trouver
un de ses intimes
amis
, cet ami s'appelloit
Damon, il étoit
très riche, & on le
comoi(Toit- pour tel; le
Marquis le pria d'aller
faire des offresau pere
pour l'amuser & gagnerdutemps.
Damon
rebuta d'abord son ami,
cette feinte ne lui convenoit
point,c'étoit un
des plushonnêtes hommes
du monde: mais
l'autre étoit un des plus
vifs ,& des plus deraisonnables
Marquis de
la Ville : il presse, il
conjure,ilsedesespere.
Non,lui dit Damon
,
non, rien ne peut mengager
à faire une telle
démarche; cependant
s'il ne s'agissoit que de
faire connoissance avec
ta maistresse, on ditque
c'est une des plus aimables
personnesdu
monde, en luy disant
que je la trouve telle,
jenecommettroispoint
ma sincerité:en un mot
si le pere peut concevoir
quelque esperance
surmon assiduité auprés
de sa fille, je laverrai,
à cela ne tienne,que
je ne terende service:
mais je t'avertis que si
l'on me veut faire expliquer,
je parlerai sincerement.
Tout ce que
je puis faire pour toy,
c'est d'éviter l'explication.
Le Marquis se
contenta de ce qu'il
pouvoit exiger, & dés
le même jour Damon
fit connoissanceavecla
fille, & la vit ensuite
pédant quelques jours.
-
Lucie
,
c'étoit le
nom de cette charmante
persnne,Lucie étoit
dune delicaresse scrupuleuse
sur tous ses devoirs,
& quoyqu'elle
eust de l'inclination
pour le Marquis, elle
obéissoit aveuglement
à son pere ;cependant
elle avoit conçu
une aversioneffroyable
pour le Gentilhomme,
a quielle étoit promise
en dernier lieu: elle
eust beaucoup mieux
aimé Damon,si elleeust
pû
,
pû aimer quelqu'autre
que le Marquis
J.
&
Damon de soncôtéla
trouva si belle, si vertueuse
& si affligée,
qu'il sentit bientost
pourelleunepitié fort
tendre, & cette ten-
:
dresse augmentant de
jour en jour,il s'apper-
£ut enfinqu'il étoit le
rival de son amy. Je
croirois bien que malgré
sa probité, il ne
s'aperçut de cetamour
que le plustard qu'il
put: mais enfin se trouvant
à peu prés dans la
situation où l'auteur
de Don Quixote met
l'ami du Curieux Impertinent,
& ne pouvant
plus se cacher son
amour à uy-meme, il
crut ne devoir pas le
cacher à son ami. Je ne
veux plus voir Lucie,
lui dit-il un jour, je
fuis trop honnête homme
pour vouloirmen
faire aimera je n'ai pas lecouragedeservirson
amour en lavoyant. Le
Marquis, quoyqu'un
peu extravagant d'ailleurs,
ne [ç fut pas assez
pour exiger deson ami
unservice sidangèl'eux.
Damon cessa de
voir Lucie,& le pere
quiavoit déjà ses vues
sur lui, futallarmé de
ne le plus voir: mais
la destinée de ce pere
.avare vouloirqu'il luy
vînt coup sur coup des
offres toutes plus avantageuses
les unes que
les autres:Voicy un
nouvel encherisseur
plusriche que les precedens
,
c'étoitun Conseiller
de Province,qui
étoit devenu passionnement
amoureux de
Lucie, chez une parente
où ill'avoitvûë
plusieurs fois. Abregeons
le recit des poursuitesde
cet amant,&
des chagrins qu'en eut
Lucie ;le peresedétermina
absolument pour
celui-ci : voila les articles
dressez,& le Conseillerafifuré
qu'il possedera
bientôt la fille
du monde la plus aimable
, &C la plus sage
Icyetf ce qui letouchoit
davantage car il étoit
naturellement fort jaloux.
«
""1'11--', est bon de faire
ici attention surla
sagesse de Lucie, 6C
sur la jalousie du Conseiller,
pour mieux ccm.,
prendre la surprise où
fut ce jaloux en trouvant
sur la table de sa
maitresseune lettredécachetée:
cette lettre qu'-
il crut avoir déja droit
de lire luy parut être
: d'unCavalier fort amoureux
de Lucie, &:
qui lui écrivoit d'un
stile d'amant ajlné.Ah,
WÀ chere Lucie, disoit
la lettre
,
faut-ilquun
triste devoirnous separe!
Que jesuis à plaindrey
& que <voui Î, es aplaindre
vous-même d'être
sacrifiée par un pire injujle
à un homme que
- VOl« ne pourrez, jamais
aimer,à un incotïjmode,
,- à un fâcheux. en un
mot le Conseiller voit
qu'on parle de luicomme
s'il étoitdéja mari
»
&C qu'aparemment Lucie
estdemoitiédumér
pris que ce rival témoii
gne pour lui;imaginezvous
l'effet d'une pareille
avanrure sur un
jaloux.Ce n'est pas tout
la lettre marquait ques
le Cavalier ne manqueroit
pasde se trouver
onze heures du foir*
chez Lucie pour la.
consoler, & qu'il y seroit
reçupar la porte
d'un jardin, par où la
maison tenoit à une petite
rue écartée. Enfin
tout
tout étoit si bien circonstancié
dans la lettre,
que le Conseiller resolut
d'atendre l'heurede
ce rendezvous pousséclaircir
, avant que de
prend re la dessus un parti
violent digne d'un
homme tres - vindicatif
, Se qui n'avoit
d'autre merite que celuy
d'être riche & amoureux
d'une personne
qui meritoit d'être
aimée.
Après avoir attendu
l'heure du rendez vous
avec impudence, nôA -
tre jaloux se trouve dãs
la petite ruë, par où
devoit arriver le Marquis,
carc'étoirluyqui
avoit écrit la Lettre;
que vous diraije, l'heure
sonne, le Marquis
vient, on lui ouvre une
petite porte, on la referme,
& le ja loux restant
au guet ju hlu'an
matin, eut tout le loisir
de se convaincre que le
galandn'étoit pas entré
chez Lucie pour une
conversation passagere,
ce fut pendant ces heures
si cruelles à passer,
qu'ilmédira contre Lucie
une vengeance inoüie,
voicy comment
il s'y prit. irmn
,il On devoit signer le
contrat le lendemain
au soir, il fit préparer
un souper magnifique,
cC prit foin pendant le
jour de rassembler toute
la famille de Lucie,
qui étoit nombreuse;
il y joignit quantitéde
femmes qu'il choisir exprés
les plus médisantes
qu'il pût, sans compter
les hommes, qui
sont encore plus dangereux
que les femmes,
parce qu'on les croit
moins médifans.
Le soir venu le Conseiller
fit remettre la
signature du Contrat
a près le sou per,& les
deux concradas furent
placez solemnellement
au bout de la table, le
repas fut fort serieux,
parce qu'on voyoit les
époux futurs fort taciturnes,&
enfin quand
on fut prest à forcir de
table, le Conseiller addressa
la paroleau Pere.
Monsieur, luy dit-il,
enélevant lavoix,afin
que toute l'assemblée
pût l'entendre: Je n'ai
jamais manqné, de paro
l e a personne, c'efb
pourquay j'ay -voulu
avoir icy grand nom- bretémoins des justes
raisons qui m'en
sontmanquer pour la
premiere fois,
Ce debut parue singulier
à toute l'assemblée,
on fut curieux
d'entendre ce qu'alloit
prononcer ce grave Juge
de Province, tout le
monde scaitcoiità-luat-
il, que vous avez
manqué de parole à
trois ou quatre Gendres
de suite, vous m'en
manqueriez aussi sans
doute s' il s'en pre sentoit
un plus riche que
fmiloOyY>)vvoouussmmeenmlceppri1i--
feriez, ainsi je fuis en
droit demépriservôtre
fille"1puisque j'en trouve
une plus sage qu'-
elle.
A ce discours on crut
d'abord que le vin de
la Noce avoit troublé
le cerveau du Conseiller,
le profond si lence
où l'on étoit, lui donna
le laillr de lire aux
convives la Lettre du
Marquis, & de cjrcon..
stancier il bien le rendez-
vous nocturne
qu'alors on ne l'accusa
plus que d'avoirpoulsé
trop loin sa vengeance,
tous les parens de
cette fille de s- honorée
baissent les yeux ou
s'entre-regardent sans
oser ouvrir la bouche,
les uns s'affligent de
bonne 'foy;"les autres
n'osentrireencore de
ce qui réjouit leur malignité
, ceux-cy feignent
de douter, afin
qu'on-leur en aprenne
encor davantage, quelques-
uns excusent, la
plûpartblâment,mais
presque tous ont les
yeux sur Lucie, qui
devenue immobile, pâh?
& défaite estpreste
à tomber en foiblesse.
Cependant le Conseiller
est dé-ja bien
loin, il avoir médité
son départ pour la Province,
une Chaise de
poste l'attendoit, & il
étoit sorti de la Sale
sans que pcrfonne eut
eu le courage de le retenir.
On alloit se separer,
& quelques-uns commençoient
àdéfilerlors
qu'un nouveau su jet
d'attention les rassembla
tous: C'était le jeune
Marquis, aut heur
de la Lettre, il avoit
vu partirsonrival, &C
seroit sans doute entré
triomphant, del'avoir
fait fuir par un coup de
sa rêre
,
mais a y ant a ppris
l'éclat quecebrutalvenoit
de faire,il
accouroit pour reparer
l'honneur de sa Maîtresse,
pendant que l'assemblée
étoit encore-ntière
; il dit d'abord
pour justifier Lucie ce
qui étoit vray, c'est
que la connoissant trop
scrupuleuse pour entier
d^o-ns- foa projet il
savoit gagné sa femme
de chac3mbre pour luy
aider à donner tie violens
soupçons au Conseiller
jaloux; en un
mot la Femme de
chambre à l'insçû de sa
-
maistresseavoit joüé le
stratagême de la lettre,
& se doutant bien que
le Conseiller voudroit .- approfondir la circonstance
du rendezvous,
avoit introduit le Marquis
par la petite porte
du jardin, mais il en
étoic sorti à l'instant
par la grande.
Aprés cette explication
le jeune Marquis
t pour se justifierluymême,
s'écria, pardonnez,
belle Lucie, à 1amour,&
audesespoir,je
sçavois bien continuat-
il, que mon rival estoit
allez jaloux pour
rompre l'affaire: mais
jene lecroyoispasassez
vindicatifpour la rompre
a," c tclat.
Pendant tout cedifcours
Lucieavoir pa- ruagitée hors d'ellemême,&
sacolere fut
prête - d'éclater contre
ce Marquis extravagant,
quil'avoit sicruelI.
ment offensée : mais
tout à coup on la vit
redevenir tranquile
comme une personne
qui a pris son parry ;
les femmes seules sont
ca pa bles de prend re à
l'instant le bon pary
quand ellesont i'elpriC
bon ;celles qui prenent
de mauvais partis les
prennent avec la même
vivacité, & c'est
,.
encore un avantage
qu'elles ont surnous;
car leurs fautes estant
moins reflec hies que
celles des hommes,elles
font plus excusables.
Le Marquis après
avoir parlé à toute l'assemblée,
se jetta aux
pieds deLucie,bien
feur d'obtenir pardon
d'une personne qui luy
avoitavoüé qu'elle l'aimoit
; il lui representa
que la justification la
plus authentique qu'une
fille put desirer,C"étoit
toit que celui qui avoit
fait soupçonner sa ver- tuprouvât en épousant
qu'ilcroyoit cette vertu
horsdesoupçon.
• Un murmure d'approbation
qui s'éleva
dans toute l'assemblée ,marqua qu on jugeoit
ce mariage necessaire;
la familleàl'instant
exigea du pere qu'il y
consentit, & la joye
qu'il avoit de voir sa
fille justifiée, le rendit
en ce moment moins
avare qu'iln'avoit jamais
elté; il se tourna
vers safille, & luy dit
qu'illui laissoit le choix
de sadessinée.
Puisque vous avez
la bontéarépondit modestement
Lucie, de
remettre à mon choix
la maniere de me justifier,
je veux estre justifiée
le plusparfaitement
qu'il se pourra;
il est clair que le MarKjuisme
justifie en quelque
façon par ses offres;
car il est rare qu'un
homme épQufe volontiers
celle qu'il auroit
deshonorée : mais il cO:
encore plus rarequ'une
fille refuse de pareilles
offres de celui pour
qui elle auroit eu quelque
foiblesse, ainsi je
me crois plus parfaitement
justifïée en declarant
que je n'épouserasjamais
un homme
qui a esté capable de
sacrifîer ma réputation
à son caprice.
Le Marquis futconfondu
par la fermeté de
cette resolution, tout
le monde, & le pere
même la trouvant sensée,
approuvoic le parti
que Lucie venoit de
prendre, lorsqu'on vit
paroistre Damon, qui
avoit suivi le Marquis
pour voir comment sa
justification feroit receuë,
indigné de l'imprudence
de cet amy, voici comment il parla:
Puisque mon amy,
dit-il à Lucie, a perdu
par sa faute les droits
qu'il avoitsur vostre
coeur, je crois ne devoir
plus avoir d'égards
que pour vostre justifïcation,
vous avezdéclaré
que vous choisiriez la
plus parfaite de toutes,
daignez donc comparer
aux deux autres
celle que je vais vous
proposer.
Il est rare, comme
vous l'avez dit, qu'on
fasse des offres telles
qu'en a fait le Marquis;
il est rare aussiqu'en pareil
cas une fille à marier
refuse de pareilles
offres: mais il est sans
doute encore plus rare
qu'après l'éclat que
vient de faire ce Conseiller
, un homme
aussiriche que moy3
qui passe pour homme
sensé, & quise pique
de delicatesse sur l'honneur
,prouve en offrant
de vous époufer qu'il
est assez feur de vostre
vertu pour croire rneme
que vous oublierez
entièrement le Marquis.
Tout le monde fut
attentif à cette derniere
justification on attendoit
la decision de
Lucie, oui, Monsieur,
dit- elle à Damon
, me
croirecapable d'oublîer
par estime pour vous,
un homme que j'ai eu
la foiblesse d'aimer c'est
meriter mon coeur aussi-
bien que mon estime.
Aprés avoir ainsî
parlé, Lucie tourna les
yeux vers son pere qui
n'avoit garde d'oublier
en cette occasion que
Damon étoit le plus
riche de tous ceux qui
Scs'étoient
presenté, exceptéleConseiller
5,
one joyeunanimedécida
pour Damon, &C
les plaintes du Marquis
se perdirent parmi les
applaudissemens de
toute l'assemblée.
Ceux qui soupçonneront
cettehistoriette
d'avoir esté imaginée,
diront que l'amour en
devoit faire le dénoument,
on pourroit leur
répondre qu'undénoument
fait par la raison,
est encore plus beau
felon les moeurs ,d'autant
plus que le Marquis
a méritéd'estre
puni; il est vnry qu'il
peut rester à Lucie
quelque tendresse pour
luy : mais celle qui a
fçû sacrifiercette tendresse,
à l'estimesolide
qu'elle a pour Damon , sçaurabien acheverce
qu'elle a commencé;
en tout cas c'est l'affaire
de Lucie, si l'histoire
est veritable, & si
elle est feinte, c'est l'affaire
de l'auteur, de répondre
à la critique
qu'on pourroit faire de
ton dénoûment.
PAR INTEREST,
ou
LA FILLE
A L'ENCHERE. UN Pereavare, qui
ne penloit qu'à
marier richement sa
fille, avoit déja rompu
plusieurs affaires, cro-
* yant toûjours trouver
un- nouveau Gendre
plus riche que lespremiers;
il retiroit fà"pàrole.
aussi facilement
qûTI l'avoit donnée,&
ce caractère luy avoit
attiré un ridicule,que
quelquesvoisines,jaloules
de la vertu desa
fille, faisoient retoixw
ber malignement sur
elle; elles l'appelloient
la Fille à revehere; Ce
Pere ridicule disoitluimême
: Ma fille est à
cent mil francs, elle ne
sortira pas de chez moy
à moins, mais je préférerai
celui qui en aura
cent cinquante. Il le
fit comme il le disoit,
car tout prêt à concl ure
avec un jeune Marquis
dont sa Fille étoit aimée
& qu'elle aimoit,
un Gentilhomme plus
riche vint mettre enchere
; & te pere luy
ad jugea la fille, ce qui
fit imaginer au Marquis
desesperé - un
moyen de retarder au
moins ce dernier mariage.
Persuadé qu'il ne
s'agissort que de faire
paroistreun nouvel en*
chenfïèur, il alla trouver
un de ses intimes
amis
, cet ami s'appelloit
Damon, il étoit
très riche, & on le
comoi(Toit- pour tel; le
Marquis le pria d'aller
faire des offresau pere
pour l'amuser & gagnerdutemps.
Damon
rebuta d'abord son ami,
cette feinte ne lui convenoit
point,c'étoit un
des plushonnêtes hommes
du monde: mais
l'autre étoit un des plus
vifs ,& des plus deraisonnables
Marquis de
la Ville : il presse, il
conjure,ilsedesespere.
Non,lui dit Damon
,
non, rien ne peut mengager
à faire une telle
démarche; cependant
s'il ne s'agissoit que de
faire connoissance avec
ta maistresse, on ditque
c'est une des plus aimables
personnesdu
monde, en luy disant
que je la trouve telle,
jenecommettroispoint
ma sincerité:en un mot
si le pere peut concevoir
quelque esperance
surmon assiduité auprés
de sa fille, je laverrai,
à cela ne tienne,que
je ne terende service:
mais je t'avertis que si
l'on me veut faire expliquer,
je parlerai sincerement.
Tout ce que
je puis faire pour toy,
c'est d'éviter l'explication.
Le Marquis se
contenta de ce qu'il
pouvoit exiger, & dés
le même jour Damon
fit connoissanceavecla
fille, & la vit ensuite
pédant quelques jours.
-
Lucie
,
c'étoit le
nom de cette charmante
persnne,Lucie étoit
dune delicaresse scrupuleuse
sur tous ses devoirs,
& quoyqu'elle
eust de l'inclination
pour le Marquis, elle
obéissoit aveuglement
à son pere ;cependant
elle avoit conçu
une aversioneffroyable
pour le Gentilhomme,
a quielle étoit promise
en dernier lieu: elle
eust beaucoup mieux
aimé Damon,si elleeust
pû
,
pû aimer quelqu'autre
que le Marquis
J.
&
Damon de soncôtéla
trouva si belle, si vertueuse
& si affligée,
qu'il sentit bientost
pourelleunepitié fort
tendre, & cette ten-
:
dresse augmentant de
jour en jour,il s'apper-
£ut enfinqu'il étoit le
rival de son amy. Je
croirois bien que malgré
sa probité, il ne
s'aperçut de cetamour
que le plustard qu'il
put: mais enfin se trouvant
à peu prés dans la
situation où l'auteur
de Don Quixote met
l'ami du Curieux Impertinent,
& ne pouvant
plus se cacher son
amour à uy-meme, il
crut ne devoir pas le
cacher à son ami. Je ne
veux plus voir Lucie,
lui dit-il un jour, je
fuis trop honnête homme
pour vouloirmen
faire aimera je n'ai pas lecouragedeservirson
amour en lavoyant. Le
Marquis, quoyqu'un
peu extravagant d'ailleurs,
ne [ç fut pas assez
pour exiger deson ami
unservice sidangèl'eux.
Damon cessa de
voir Lucie,& le pere
quiavoit déjà ses vues
sur lui, futallarmé de
ne le plus voir: mais
la destinée de ce pere
.avare vouloirqu'il luy
vînt coup sur coup des
offres toutes plus avantageuses
les unes que
les autres:Voicy un
nouvel encherisseur
plusriche que les precedens
,
c'étoitun Conseiller
de Province,qui
étoit devenu passionnement
amoureux de
Lucie, chez une parente
où ill'avoitvûë
plusieurs fois. Abregeons
le recit des poursuitesde
cet amant,&
des chagrins qu'en eut
Lucie ;le peresedétermina
absolument pour
celui-ci : voila les articles
dressez,& le Conseillerafifuré
qu'il possedera
bientôt la fille
du monde la plus aimable
, &C la plus sage
Icyetf ce qui letouchoit
davantage car il étoit
naturellement fort jaloux.
«
""1'11--', est bon de faire
ici attention surla
sagesse de Lucie, 6C
sur la jalousie du Conseiller,
pour mieux ccm.,
prendre la surprise où
fut ce jaloux en trouvant
sur la table de sa
maitresseune lettredécachetée:
cette lettre qu'-
il crut avoir déja droit
de lire luy parut être
: d'unCavalier fort amoureux
de Lucie, &:
qui lui écrivoit d'un
stile d'amant ajlné.Ah,
WÀ chere Lucie, disoit
la lettre
,
faut-ilquun
triste devoirnous separe!
Que jesuis à plaindrey
& que <voui Î, es aplaindre
vous-même d'être
sacrifiée par un pire injujle
à un homme que
- VOl« ne pourrez, jamais
aimer,à un incotïjmode,
,- à un fâcheux. en un
mot le Conseiller voit
qu'on parle de luicomme
s'il étoitdéja mari
»
&C qu'aparemment Lucie
estdemoitiédumér
pris que ce rival témoii
gne pour lui;imaginezvous
l'effet d'une pareille
avanrure sur un
jaloux.Ce n'est pas tout
la lettre marquait ques
le Cavalier ne manqueroit
pasde se trouver
onze heures du foir*
chez Lucie pour la.
consoler, & qu'il y seroit
reçupar la porte
d'un jardin, par où la
maison tenoit à une petite
rue écartée. Enfin
tout
tout étoit si bien circonstancié
dans la lettre,
que le Conseiller resolut
d'atendre l'heurede
ce rendezvous pousséclaircir
, avant que de
prend re la dessus un parti
violent digne d'un
homme tres - vindicatif
, Se qui n'avoit
d'autre merite que celuy
d'être riche & amoureux
d'une personne
qui meritoit d'être
aimée.
Après avoir attendu
l'heure du rendez vous
avec impudence, nôA -
tre jaloux se trouve dãs
la petite ruë, par où
devoit arriver le Marquis,
carc'étoirluyqui
avoit écrit la Lettre;
que vous diraije, l'heure
sonne, le Marquis
vient, on lui ouvre une
petite porte, on la referme,
& le ja loux restant
au guet ju hlu'an
matin, eut tout le loisir
de se convaincre que le
galandn'étoit pas entré
chez Lucie pour une
conversation passagere,
ce fut pendant ces heures
si cruelles à passer,
qu'ilmédira contre Lucie
une vengeance inoüie,
voicy comment
il s'y prit. irmn
,il On devoit signer le
contrat le lendemain
au soir, il fit préparer
un souper magnifique,
cC prit foin pendant le
jour de rassembler toute
la famille de Lucie,
qui étoit nombreuse;
il y joignit quantitéde
femmes qu'il choisir exprés
les plus médisantes
qu'il pût, sans compter
les hommes, qui
sont encore plus dangereux
que les femmes,
parce qu'on les croit
moins médifans.
Le soir venu le Conseiller
fit remettre la
signature du Contrat
a près le sou per,& les
deux concradas furent
placez solemnellement
au bout de la table, le
repas fut fort serieux,
parce qu'on voyoit les
époux futurs fort taciturnes,&
enfin quand
on fut prest à forcir de
table, le Conseiller addressa
la paroleau Pere.
Monsieur, luy dit-il,
enélevant lavoix,afin
que toute l'assemblée
pût l'entendre: Je n'ai
jamais manqné, de paro
l e a personne, c'efb
pourquay j'ay -voulu
avoir icy grand nom- bretémoins des justes
raisons qui m'en
sontmanquer pour la
premiere fois,
Ce debut parue singulier
à toute l'assemblée,
on fut curieux
d'entendre ce qu'alloit
prononcer ce grave Juge
de Province, tout le
monde scaitcoiità-luat-
il, que vous avez
manqué de parole à
trois ou quatre Gendres
de suite, vous m'en
manqueriez aussi sans
doute s' il s'en pre sentoit
un plus riche que
fmiloOyY>)vvoouussmmeenmlceppri1i--
feriez, ainsi je fuis en
droit demépriservôtre
fille"1puisque j'en trouve
une plus sage qu'-
elle.
A ce discours on crut
d'abord que le vin de
la Noce avoit troublé
le cerveau du Conseiller,
le profond si lence
où l'on étoit, lui donna
le laillr de lire aux
convives la Lettre du
Marquis, & de cjrcon..
stancier il bien le rendez-
vous nocturne
qu'alors on ne l'accusa
plus que d'avoirpoulsé
trop loin sa vengeance,
tous les parens de
cette fille de s- honorée
baissent les yeux ou
s'entre-regardent sans
oser ouvrir la bouche,
les uns s'affligent de
bonne 'foy;"les autres
n'osentrireencore de
ce qui réjouit leur malignité
, ceux-cy feignent
de douter, afin
qu'on-leur en aprenne
encor davantage, quelques-
uns excusent, la
plûpartblâment,mais
presque tous ont les
yeux sur Lucie, qui
devenue immobile, pâh?
& défaite estpreste
à tomber en foiblesse.
Cependant le Conseiller
est dé-ja bien
loin, il avoir médité
son départ pour la Province,
une Chaise de
poste l'attendoit, & il
étoit sorti de la Sale
sans que pcrfonne eut
eu le courage de le retenir.
On alloit se separer,
& quelques-uns commençoient
àdéfilerlors
qu'un nouveau su jet
d'attention les rassembla
tous: C'était le jeune
Marquis, aut heur
de la Lettre, il avoit
vu partirsonrival, &C
seroit sans doute entré
triomphant, del'avoir
fait fuir par un coup de
sa rêre
,
mais a y ant a ppris
l'éclat quecebrutalvenoit
de faire,il
accouroit pour reparer
l'honneur de sa Maîtresse,
pendant que l'assemblée
étoit encore-ntière
; il dit d'abord
pour justifier Lucie ce
qui étoit vray, c'est
que la connoissant trop
scrupuleuse pour entier
d^o-ns- foa projet il
savoit gagné sa femme
de chac3mbre pour luy
aider à donner tie violens
soupçons au Conseiller
jaloux; en un
mot la Femme de
chambre à l'insçû de sa
-
maistresseavoit joüé le
stratagême de la lettre,
& se doutant bien que
le Conseiller voudroit .- approfondir la circonstance
du rendezvous,
avoit introduit le Marquis
par la petite porte
du jardin, mais il en
étoic sorti à l'instant
par la grande.
Aprés cette explication
le jeune Marquis
t pour se justifierluymême,
s'écria, pardonnez,
belle Lucie, à 1amour,&
audesespoir,je
sçavois bien continuat-
il, que mon rival estoit
allez jaloux pour
rompre l'affaire: mais
jene lecroyoispasassez
vindicatifpour la rompre
a," c tclat.
Pendant tout cedifcours
Lucieavoir pa- ruagitée hors d'ellemême,&
sacolere fut
prête - d'éclater contre
ce Marquis extravagant,
quil'avoit sicruelI.
ment offensée : mais
tout à coup on la vit
redevenir tranquile
comme une personne
qui a pris son parry ;
les femmes seules sont
ca pa bles de prend re à
l'instant le bon pary
quand ellesont i'elpriC
bon ;celles qui prenent
de mauvais partis les
prennent avec la même
vivacité, & c'est
,.
encore un avantage
qu'elles ont surnous;
car leurs fautes estant
moins reflec hies que
celles des hommes,elles
font plus excusables.
Le Marquis après
avoir parlé à toute l'assemblée,
se jetta aux
pieds deLucie,bien
feur d'obtenir pardon
d'une personne qui luy
avoitavoüé qu'elle l'aimoit
; il lui representa
que la justification la
plus authentique qu'une
fille put desirer,C"étoit
toit que celui qui avoit
fait soupçonner sa ver- tuprouvât en épousant
qu'ilcroyoit cette vertu
horsdesoupçon.
• Un murmure d'approbation
qui s'éleva
dans toute l'assemblée ,marqua qu on jugeoit
ce mariage necessaire;
la familleàl'instant
exigea du pere qu'il y
consentit, & la joye
qu'il avoit de voir sa
fille justifiée, le rendit
en ce moment moins
avare qu'iln'avoit jamais
elté; il se tourna
vers safille, & luy dit
qu'illui laissoit le choix
de sadessinée.
Puisque vous avez
la bontéarépondit modestement
Lucie, de
remettre à mon choix
la maniere de me justifier,
je veux estre justifiée
le plusparfaitement
qu'il se pourra;
il est clair que le MarKjuisme
justifie en quelque
façon par ses offres;
car il est rare qu'un
homme épQufe volontiers
celle qu'il auroit
deshonorée : mais il cO:
encore plus rarequ'une
fille refuse de pareilles
offres de celui pour
qui elle auroit eu quelque
foiblesse, ainsi je
me crois plus parfaitement
justifïée en declarant
que je n'épouserasjamais
un homme
qui a esté capable de
sacrifîer ma réputation
à son caprice.
Le Marquis futconfondu
par la fermeté de
cette resolution, tout
le monde, & le pere
même la trouvant sensée,
approuvoic le parti
que Lucie venoit de
prendre, lorsqu'on vit
paroistre Damon, qui
avoit suivi le Marquis
pour voir comment sa
justification feroit receuë,
indigné de l'imprudence
de cet amy, voici comment il parla:
Puisque mon amy,
dit-il à Lucie, a perdu
par sa faute les droits
qu'il avoitsur vostre
coeur, je crois ne devoir
plus avoir d'égards
que pour vostre justifïcation,
vous avezdéclaré
que vous choisiriez la
plus parfaite de toutes,
daignez donc comparer
aux deux autres
celle que je vais vous
proposer.
Il est rare, comme
vous l'avez dit, qu'on
fasse des offres telles
qu'en a fait le Marquis;
il est rare aussiqu'en pareil
cas une fille à marier
refuse de pareilles
offres: mais il est sans
doute encore plus rare
qu'après l'éclat que
vient de faire ce Conseiller
, un homme
aussiriche que moy3
qui passe pour homme
sensé, & quise pique
de delicatesse sur l'honneur
,prouve en offrant
de vous époufer qu'il
est assez feur de vostre
vertu pour croire rneme
que vous oublierez
entièrement le Marquis.
Tout le monde fut
attentif à cette derniere
justification on attendoit
la decision de
Lucie, oui, Monsieur,
dit- elle à Damon
, me
croirecapable d'oublîer
par estime pour vous,
un homme que j'ai eu
la foiblesse d'aimer c'est
meriter mon coeur aussi-
bien que mon estime.
Aprés avoir ainsî
parlé, Lucie tourna les
yeux vers son pere qui
n'avoit garde d'oublier
en cette occasion que
Damon étoit le plus
riche de tous ceux qui
Scs'étoient
presenté, exceptéleConseiller
5,
one joyeunanimedécida
pour Damon, &C
les plaintes du Marquis
se perdirent parmi les
applaudissemens de
toute l'assemblée.
Ceux qui soupçonneront
cettehistoriette
d'avoir esté imaginée,
diront que l'amour en
devoit faire le dénoument,
on pourroit leur
répondre qu'undénoument
fait par la raison,
est encore plus beau
felon les moeurs ,d'autant
plus que le Marquis
a méritéd'estre
puni; il est vnry qu'il
peut rester à Lucie
quelque tendresse pour
luy : mais celle qui a
fçû sacrifiercette tendresse,
à l'estimesolide
qu'elle a pour Damon , sçaurabien acheverce
qu'elle a commencé;
en tout cas c'est l'affaire
de Lucie, si l'histoire
est veritable, & si
elle est feinte, c'est l'affaire
de l'auteur, de répondre
à la critique
qu'on pourroit faire de
ton dénoûment.
Fermer
Résumé : LE MARIAGE PAR INTEREST, OU LA FILLE A L'ENCHERE.
Le texte relate l'histoire d'un père avare déterminé à marier sa fille Lucie au plus offrant. Plusieurs fiançailles sont rompues, attirant ainsi le ridicule et des rumeurs malveillantes sur Lucie. Un jeune Marquis, amoureux de Lucie, voit sa demande rejetée au profit d'un gentilhomme plus riche. Désespéré, le Marquis demande à son ami Damon, un homme riche et honnête, de faire une offre pour gagner du temps. Damon accepte à contrecœur et rencontre Lucie, qu'il trouve charmante et vertueuse. Il finit par tomber amoureux d'elle, mais décide de ne plus la voir pour éviter de trahir son ami. Lucie est ensuite promise à un Conseiller de Province, mais elle est horrifiée par cette perspective. Le Conseiller, jaloux, découvre une lettre d'amour prétendument écrite par un autre homme, ce qui le pousse à quitter Lucie. Le Marquis révèle alors que la lettre était un stratagème pour éloigner le Conseiller. Lucie, offensée par l'imprudence du Marquis, refuse de l'épouser. Damon, présent lors de cette révélation, propose alors de l'épouser pour la justifier pleinement. Lucie accepte, impressionnée par la délicatesse et l'estime de Damon. Le père, voyant l'unanimité en faveur de Damon, consent au mariage. Le texte se termine par l'approbation générale de cette union, soulignant la sagesse et la raison qui ont guidé la décision de Lucie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
37
p. 1-74
Historiette Espagnole.
Début :
Dans le temps que l'Espagne estoit divisée en plusieurs [...]
Mots clefs :
Prince, Amour, Coeur, Joie, Bonheur, Mariage, Princesse, Amant, Liberté, Duc, Combat, Époux, Choix, Rival, Espagne, Andalousie, Mort, Malheur, Vertu, Générosité, Père, Sensible, Aveu, Discours, Courage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Historiette Espagnole.
Historiette Espagnole.
Dans le temps que.
l'Espagne estoit divisée
en plusieurs pays dont
chacun avoit fonSouverain,
le Duc d'Andaloufie
estoit le plus confiderable
d'entr'eux, foit par
l'estenduë de ses Estats,
soit par la sagesse avec
laquelle il les gouvernoit.
Il estoit l'arbitre
des autres Ducs sesvoisins,
dans les differens
qui les defunissoient, &
ces raisonsluyattiroient
la veneration
,
& le respectde
toute l'Espagne :
le detir qu'avaient les
jeunes Princes de voir
un Souverain dont la réputation
faisoit tant de
bruit,& qu'on leurproposoitsans
cesse comme
le plus excellent modelle
,
les attiroit dans sa
Cour, mais les charmes
de Leonore sa fille les y
retenoient: c'estoit la
beautéla plus reguliere,
&la plus touchante,
qui eustjamais paru en
Espagne
,
la beauté de
son esprit, &l'excellence
de son coeur formoient
de concert avec
ses appas tout ce qu'on
peut imaginer de plus
parfait.
Les Princes qui ornoient
une Cour déjasi
brillanteparl'esclat de
la Princesse Leonore,
joüissoient d'un je ne
scay quel charme secret,
que sa presence faisoit
sentir, ëc que la renomméen'avoit
paspûassez
publier: Ils l'aimoient,
ilsl'admiroient, mais le
respect ne leur en permettoit
que les marques
qui efchapentnecesairement
à l'admiration
,
6c à l'amour. Le
seul D0111 Juan fil^ du
Duc de Grenade osabien
tost reveler le secret
que tous les autres
cachoient avec tant de
foin. C'estoit un Prince
très - puissant
,
bc de
grands interestsd'Estat
queleperedeLeonore,&
le sien, avoient à demefler,
pouvoientfaciliter
un mariage auquel son
amour ,
& sa vanité le
faisoient aspirer, ensorte
queDom Juan sûr de
l'approbation du Duc
d'Andalousie,&constant
aussi sur son mérité declara
son amour à Leonore,
avec une hardiesse
qui dominoit dans
son caractere.
La Princesse ne luy
respondit point avec ces
vaines ostentations de
fierté ridicules sur tout
dans celles que l'amour
n'a pas touchées; mais
son discours portoit un
caractère de modération
qui luy annonçoit une
longue indifference
,
il
ne receut d'elle que
quelques marques de la
plus simple estime, sentiment
froid qui ne fait
qu'irriter les feux de l'amour,
DomJuan eust
mieuxaimé queLeonore
eust esclaté contre luy
, l'indifference est en effet
ce qui tourmente le
plus un amant, elle luy
oste le plaisir de l'esperance
aussi
-
bien que la
haine, & n'éteint pas
comme elle sa passion.
DomJuan parla souvent
deson amour à Leonore
,
& il en receut toujours
les mesmes respon
ses, rien ne put attendrir
pour luy
, ce coeur
dont l'amour reservoit
la conqueste à un autre,
mais en perdant
l'esperancede toucher
son coeur, il ne renonça
pas à celle de la posseder,
il agit auprès du
Duc plus vivement que
jamais
,
il esperoit que
Leonore aimeroit son
époux par la mesme raison
qu'il l'empeschoit
d'aimer son amant, il
pressa si fort son mariage
qu'en peu de temps
il fut conclu: quelle
fut la desolation décette
Princesse,ellen'estoit
pas insensibleàl'amour.
lePrince deMurcie avoit
sceu lui plaire, mille
qualitez héroïques le
rendoientdigne de son
amour, elle l'aimoit
quel malheur d'estre,
destinée à un autre. Cet
aimable Prince qui l'adoroit
n'avoit jamais ofé
luy parler de sonamour,
& n'avoit aussi
jamais reçu aucune mar
quedeceluy que Leonore
sentoit pour luy :
Il arrive à Seville où
estoit la Cour du Duc
d'Andalousie. Le mariage
de Dom Juan fut la
premiere nouvelle qu'-
apprit l'amoureux Prince
de Murcie, il fut frappé
comme d'un coup de
foudre. Il crut avoir
tout perdu, ainsi il ne
menagea plus rien, &
sansrendre ses premiers
devoirs au Duc, il
court chezLeonore dans
l'estat le plus violent quun
amant puisseeprouver
: Il eji doncvray,
Madame, luy dit-il, que
vous épousezDomJuan,
l'heureux Domfuan va
vous posseder.Toute la
Courqui retentit de sa
gloire deson honheur,
m'annonce le seul malleur
quiputm'accabler:
car enfin,Madame, il
n'est plus temps de vous
cacher messentiments
,
il
faut maintenant qu'ils c-
L'latent, je vous aimay
dezque vousparusses à
mes yeux, l'amour ne
peut plus se tairequand
il est reduit au desespoir;
Dom Juan seral'époux
de Leonore , Ah Prince[
Je ! quelle ressource
pour moy dans un pareil
malheur, Eh! quel
autrepartypuis-jeprendre
que celuy de mourir
: ce discours du Prince
surprit Leonore : il
luy donna encore plus
de joye
,
le respect du
Prince avoit juques-là si
bien caché son amour
qu'ellen'avoit pas mesme
peu le soupçonner,
quel charme pour elle
de se voir si tendrement
aimée d'un Prince qu'-
elle aimoit.
Leonore dont le coeur
estoit grand & incapable
des petitesses de la
feinte&dudéguisement
se livra toute entiere au
premiermouvement de
la gcnerosité, Prince,
dit elle, loin que vostre
amour m'offense, je ne
fais point difficulté de
vourdirequej'y responds
par tout celuy dont je
suiscapable; ouy,Prince,
je vous aime, &fij'epou.
sois Dom Juan je serois
encore plus à plaindre
que vous, maintenant
que jeconnoisvostre amour,
&que voussçat¡}
eZ le mien, nos malheurs
ne seront pas si
grands, la pofejjion de
vostre coeur va mefaire
surmonter les plusrudes
disgraces, &l'aveu que
je vous fais de mon amour
vous responds que
je ne seray point à un
autre que vous.
Cet aveu paroîtra sans
doute bien promt à ceux
qui croyent que l'amour
est toujours une foiblesse,
il feroit condamnable
en effet dans une
amante ordinaire, mais
l'amour heroïque plus
independant se prescrit
à
à luy mesme ses regles ,
sans violer jamais celles
dela vertu.
On peut juger combien
le Prince fut sensible
à un aveu dont il
n'auroit jamais osé se
flater
,
sa joye plus vive,&
plus forte que celle
que l'amour content
inspire d'ordinaire,ne se
monstra que par des
transports, illuy prouvoit
par le silence le plus
passionné que son bonheur
épuifoit toute sa
sensibilité, tandis que la
Princesse
,
oubliant le
danger d'estresurprise,
s'abandonnoitauplaisir
de le voir si tendre. Il
reprit l'usage dela parole
que sa joye extrémeluy
avoit osté: Est-il
possible, ma Princesse !
que vous flye{fènfihle
à mon amour, n'estoitce
pas ajJeZ que la pitié
vous interessast dans mes
malheurs ; Je comptois
sur la gloire de vous admirer,
f5 de vous aimer
plus que tout le monde
ensemble,maispouvoisje
me flater du bonheur
de vousplaire:SoyeZ,ûr,
dit Leonore, de la sincerité
de mes sentiments :
la vertu ria pas moins
de part à l'aveu que je
vous en fais que mon amour
:oüy
,
Prince, c' est
cette vertu si sensible à
la vostre qui vous afait
iJ.:I1)U que monamour,
tout violent qu'il est, ne
m'auroitjamais contraint
à vous faire f5 cejl
cette vertu qui mefait
souhaitterd'estreplus digne
devous: mais helas!
que leplaisir d'un entretien
si tendre va nous
cou,#ercl,er,noe,r,e amour
est trop violent pour ne
pas éclater, on le remarquera,
Prince, & l'on
va nousseparerpour tousjours.
Aprés une conversation
telle que se l'a peuvent
imaginer ceux qui
ont ressenti en mesme
temps l'amour, la joye
&la crainte. Le Prince
deMurcie se separa de
sa chere Leonore
,
de
peur de trahir par un
trop longentretienlemistere
si necessaire à leur
amour:il alla rendre ses
devoirs au Duc d'Andalousie,
qui luy confirma
le mariage de Leonore
avec DomJuan;savisite
futcourte,il n'aimoit
pas assez DomJuan pour
s'entretenir si long-tems
de son bonheur:la resolution
du Duc l'allarmoit
extremement ,
il
prévoyoit des éclats que
son amour pour Leonore
luy faisoit craindre
plus que la mort. Agité
de foins & d'inquietudes
il va chercher la solitude
pour y réver aux
moyens de détourner le
malheur qui le menaçoitj
il y trouva justement
Dom Juan qui se
promenoit seul dans les
jardins du Palais: quelle
rencontre que celle
d'un Rival qui rendoit
malheureux l'objet de
son amour. Si le Prince
eust suivi les mouvements
de sacolere,il auroit
sans doute terminé
sur le champ leur querelle:
mais il importoit
au Prince de dissimuler
plus quejamais; il aborda
Dom Juan avec cet
air d'enjouëment, & de
politesse qui luy estoit
particulier, & luy parla
en ces termes: Je ne
m'attendotspas, Prince,
de vous trouver enseveli
dans une profonde rêverie
lorsque toute cette
Cour ne s'occupe, & ne
s'entretient que de vostre
bonheur, le Duc d'Andalousie
vient de vous
rendre le Princed'Espagne
le plus heureux, &
nous
vousfuyeztout le monde
qui applaudità son
choîx. Est-ce ainsi que*
vous r(ce'Ve{, la plus
grandefaveurquepuisse
vous faire la fortune ?
Prince, responditDom
Juan, loin d'estre inJér;-'
sible au bonheur que le
choix du Duc me procure
,
c'est peut- estre afin
de le mieux gouster que
je cherche la solitude:
poury estreaussisensible
que je le dois, je riay beJ'oin
que de mon propre
coeury , je le possede
mieux icy qu'au milieu
d'uneseule de ccurtifans,
dont quelques-unspeutestre
donneroient des applaudissementsfcrce\
y a
un Princedontils envient
le bonheur.
Quoj qu'ilensoit, re->
prit lePrince, voflre
froideur mestonne:vous
estes trop heureux pour
veus renfermer dans les
bornes dune joye si moderee.
Eh!qui eutjamais
tant desujets de joye?
Vous allez,posseder Leonore
, &vous pofedez
apparemment son coeur,
car DomJ-uJan,delicat
&genereux comme je le
connois, nevoudraitpoint
faireson bonheurauxdépens
de celle -qu'ilaime,
il n'auroit point accepté
les offresduperesans eflrc
seur du coeur de lafille.
Leonore,-refpoilditDom
Juan, n'a point flatté
mon amour, &si setois
d'humeur a mmquieter>
je trouerois peut -
estre , quelle est sans inclination
pour moy:maisenfin
je rapporte la froideur
dontelle apayemesfeux,
à son indifférence naturelled'amour
mutuel n'est
pas necessaire dans de
pareils mariages, les raisons
d'Estat, & les interests
de famille en décident
ordinairement; &
lorsque j'accepte ïhonne"
f?' que le Dm-veut me
foeire? (avertu
pond quelle n'a point
d'tantipathiepour l'époux
que son pere luy destine ,
ni d'inclinationpourceux
que le choix du Duc riauthorisè
pas à luy lnarquer.
de l'amour. Permettezmoy
y
Seigneuryrepliqua
le Prince
,
de douter de
la sincerité de vos discours
pour estimer encore
vos sentimens, ouiy puisque
vous 'vo!/;/ez estre
l'Espoux de Leonore,
vous estes purdeJon
coeur: mais sans doute
vous vouleT^oùtrJeul de
vosplaisirs.Jevous laise
en liberté.
Si le Prince quitta
brusquementDomJuan,
c'estoit moins pour luy
plaire
, que parce qu'il
craignoit de ne pouvoir
pas assez retenir sa colere.
Il estoiteneffetbien
dangereux qu'elle n'éclatast
à la veuë d'un
Rival qui oiïLnibit également
sa delicatesse &
sa passion.
Le Prince courut rendre
compte à sa chere
Princesse de ce quis'estoit
passé entreDomJuan
& luy: mais bientost
les inquiétudes le reprirent
quand Leonore luy
dit que le Duc son pere
vouloit absolument acheverce
fatal mariage,
qu'elle en auroit esperé
plus de condescendance
,
maisqu'il paroissoit
inflexible
,
& qu'elle
craignait bien que rien
ne peut changer a resolution.
Ce fut ppur lors que
le Prince se trouva
cruellement agité: Que
de malheurs, luy dit-il,
je vais vous susctier!
quelles violences ne va
point vousfaire le Duc?
quellespersecutions de la
part de DomJuan? mais
en vain cet indigneRi- ,Zne
: valvêtitjorcervojïre inclînattoïijappujzduchoix
de vostre Pere, mon amour
& mon courage,
plus forts que leurs intercjisy
& leurs resolutions
vaincraient des obstacles
mille fois encore plys
grands: mous^wiau
meZ, je ne seray jamais
malheureux Dom
Juan nefera jamaisvostre,
Epoux ; je cours le
punir & vousvenger.
jihPrincel dit Leonore
,
auallû^vcus faire?
je ne crains point que le
bruit d'un combat suissè
ternir ma gloire, mais
que deviendrons-je lit
vous estoit funefe ? la
fortune riejïpas tousjours
du party de l'amour.
Prince, au nom de cet
Amour,n'éxposez,point
une vie à laquelle s'attache
la mienne: contenteZ:.,
vous du ferment que je
fais de rieflre jamais
qu'a vous,
Quel coeur ne feroit
pas sensible à tant de tendresse
? mais qui pourroit
l'estreautant que le
fut ce Prince le plus delicat
,
& le plus tendre
de tous les amans : on
peut croire queses transports
éclatoientsur son
visage, & ce fut en effet
ce qui trahit le mistere
de ces amans. DomJuan
venoit visiter Leonore,
il entroit dans son appartement,
dans les mamens
les plus vifs
y
&
les plus heureux où le
Prince se fust encore
trouvé; il sbupçonna
d'abord sonmalheur, &
la Princessequieraignoit
de sè trahir elle-mesme,
aprés quelques discours
de civilité feignit une
affaire, & se retira dans
son cabinet. Pour lors
Dom Juan qui n'avait
d'abord osé produire les
soupçons, ne menagea
plus rim, ces deux Rivaux
quitterent l'appartement
de la Princessè,
& sanssedonnerrendezvous
que par des regards,
ïls se trouvèrent
enfin {èu!s dans une alléeextrêmement
éloignée
du Palais, &Dom
Juan parla ainsi le premier
; Si j'avais Jeeu ,
Prince, que vous estieZ
seul avec Leonore - n'aurais eu garde de troubler
c-uoftre entretien, il
vous saisoit plasir à l'un
é5 à l'autre, ou toutes les
marquessurlesquelles on
en peut jugersont équivoques
: je mesuis pour lors
souvenu desmaximesgenereusèsquevous'VoulieZ
tantoslm'inspirer, iffen
ay reconneu la sagesse
aussî-tost que leprincipe.
Seigneur, respondit le
Prince, quand on estné
genereuxon n'ignorepoint
ces maximes, un amant
delicat se croit indigne
d'époufsr sa maijlrejje
quand il ne s'enfait pas
armer, l'epouser sans luy
plairec'est luy ojier la
liberté de concert avec
ceux qui ontdroitde disposer
d'elle, ~(jfpour
moy Pour vous,
répliquaDom Juan
,
vous accepteriez^le choix
de son Peres'il estoit
en vostre saveur ; sans
craindre dopprimer sa
liberté, ~f5 vous ferieZ
un usage plus agreable
de la delicatessè de
vos sèntiments: je rien
produirois pas du moins,
reprit le Prince avecémotion,
d'indignes f5
~â*elle&demoy.Jeferay
bientost voir, repritfierement
Dom Juan, que
cen'estpas estreindigne
du bienauquel on
que defaire desenvieux.
A ces mots le Prince sèntit
redoubler sa colere:
Un amant, luy dit-il
quinetrouveque de Findifférence
dans l'objet
qu'il
qu'ilaimerait d'ordinairepeud'envieux.
Jesuis
surpris,reprit DomJuan,
de l'audace avec laquelle
vous osèZm'insulter.
Hé! que pretendeZ:vous
sur Leonore pour en soutenirles
droits:je prétends
les luy consèrver , dit le
Prince, ~& scavoir si
Dom Juan aura le courage
de les detruire. Aces
mots, il tire son épée, &
Dom Juan se met en devoir
de se deffendre.
A voir leur mutuelle
fureur on auroit devin
sans peine l'importance
du sujet qui lesanimoitt
ces siers Rivaux, qu'un
grand courage & de
puissants. motifs rendoient
prefqumvinciblés,
combattirent lone- otemps à égal avantage:
mais enfin la force 8c
l'adresse du Prince prévalurent
; il desarma
Dom Juan
,
qui sans xvoir
receu aucune biefseure,
se trouva a la merci
de son vainqueur.
Alors le Princeloind'abuser
de sa victoire, sentit
mourir toute sa haine,
il ne put s'empescher de
plaindrele.tristeestat
dun malheureux. Dom
Juan estoit- en effet digne
de sa pitié :: il se
monstroit à la véritépeu
genereux. en poi^rfiijvant
des prétentions que
l'inclination de Leonore
n'authorisoit pas, mais
il dementoit sa générosité
pour la prèmieresois,
& jusque là le Prince
l'avoit trouvé digne de
son estime. Il ne voulut
point aussi luy donner la
mort : DomJuan, luy
dit ce genereux Rival
renoncera la possessïon de
Leonore ~f5 rvi'VeZ: Non,
non, respondit Dom
JuantermineZ ma vie
oulaissezmoy l'esperance,
depossedèrleseulbien qui
me la fait aimer. Vous
ouLeZdonc mourir, reprit
le Prince? Oüy, dit
Dom Juan, Eh! queserois-
je d'une vie qui ne.
seroit pas consacréea Leonore,
ah ! je feray trop
heureuxde luy donner
ceûtepreuve de ma constanceouijeveux
mourir..
Non, dit le Prince, que
ce discours avoit attendri
,non vous ne mourrez
point , deussai-je vivre
tousjours malheureux, je
respectedanscoeur ïa*-
mour queLeonoreyafait
naistre : Vivez Dom
Juan,vivez,&qu'on
ne puissejamais dire que
vous mourez pour avoir
aimécette divinePrincesse.
En mefine temps illuy renditsonépée,
prest à recommencer le
combat.Mais DomJuan
charmé de la generosité
du Prince, sentit tout à
coupchanger soiscoeur,
il fut quelque temps incapable
de prendre une
resolution, & mesme de
prononcer une parole:
enfin plus vaincu par la
generositédu Prince que
par ses armes, comme
s'il fust tout à coup der»
venu un autre homme,
il parlaainsi à son Rival.
Aumoment que vous me
rendez la vie , je comprends
que jemeritois la
mort, & je vaisvous
donner la plus grande
marque de mareconnoissance
:vousaime^Jans
WMte Leohore5, (3vom
estestropaimablepour
n'en
)
fjhe.pasaimé )1J
vous ceje>Prince
, tou?
tesmesprétentions, puissiez-
vousvivretousjours
heureux amantde Leànore:
pourmoyjevais lok
fuirpourjamais,&mettretoute
marlohe à eteindreunepassion
qui ojpen
selesplusillustres ama'ldu
monde"s conservez,
Prince,vostre amitiéque
vousvenezdemerendre
I!/
sipretieuse, & accomplir
tous nos souhaits. On ne
peut exprimer la joye,
&lasurprise du Prince,
il n'auroit pas cru que la
generosité eust tant de
pouvoir sur le coeur de
DomJuan,& fàrefblution
luy paroissoit si
grande, qu'àpeinepouvoit-
il suffire à l'admirer>
il le tint longtemps
entre ses bras, arrosant
son visagede ses larmes.
C'estoit un spectacle
bientouchant que ces
fiers rivauxdevenus tout,
d'uncoup sitendres. Ce
Prince déploroitlafatalité
des conjonctures qui
fQrçoieJld. Dom Juanà
luy faire un si violent sacrifice,
pendant que
DoraJuan croyoit faire
encore trop peu pour son
illustre amy. Leur genereuse
amitié fit entre eux
un fecond combat, aussi
charmant que lepremier
avoitestéterrible,
Ils se jurèrent une éternelle
amitié,&sedirent
enfinAdieu. Dom
Juan ne voulutpointretourner
sitost dans ses Etats;
craignant les esclaircissemens
que le Duc de
Grenade son pere auroit
exigé sur son retour imprevû.
Il resolutd'aller
voyager dans toute l'Êspagne.
Il ne crut pouvoirmieux
accomplir sa
:
promesse
, que par des
courses continuelles JOÙ
la multiplicité desdiffectls-
úbjets qui s'offrent
âùx Voyageurs,pouvoir
lé distraire
,
& chasser
ses premières impressions.
CependantlePrincequiavoit
tant de fîrjets
d'estre content de
l'amour,& delafortune,
prévoyant de terribles
esclats qu'il croyoit
devoirespargner à la
vertu de Leonore, estoit
accablé dedouleur. Ilse
reprochait d'avoir plus
écouté les interdis de
son amourque ceuxde
sa Princesse. Il craignoit
de s'estre rendu tout-afait
indigne d'elle. Aprés
avoir hesitéquelque
temps entre cette crainte
etledesir deluyapprendre
sa destinée
, ce dernier
sentiment l'emporta
,
&là il confia à fbn
Ecuyer une Lettrequi
apprit bientost à la Princesse
comment le Prince
l'avoitdélivrée des ira- -
portunes poursuites de
DomJuan. Si elle reçut
avec plaisir la nouvelle
delavictoire du Prince
: elle fut encore plus
charméedeladelicatesse
de ses sentimens, Quoy,
disoitelle, le Prince est
entUoneux dans un combat
qui decide definbon*
heur; & cependant craignant
de leftte rendu m-*
digne de mon amour par texceZ du sien. Il ne
peutgouster en liberté la
foyelaiplm grandeqm(
fdït capable de!rej!tlJ'ir.Ãj
nàiyEnnctiropgemr^m^
ne crainspointla iïèlcra
de Leono'm;jen'vhfvifab
ge dans .'erf:orhb:J'.qt«.:lu
fmlm ttt ')'expàfà,j,ipn
empefchrqueje,nefnjje
àun oewrequ'à:toyl
C'estainsi que cette
genereuse Princesse in-r
sensible à des revers que
le Prince craignoitpour
elle,donnoitau fort do
£>11Amant, une joyeà
laquelle il s'eftoit=lùy¿.
mmesemferrï'ï,~e.-•tru~:~-ma~ contoefi<fUerfeuftpô
gouster foiv; bonheur
sans l'y rendre sensible,
felle voulutparunelettre
Qu'elleluy écxivit]
Rendre toute sa tranquilité.
L'assuranced'estre
iimé de Leonore eïîoit
bien necessaireau Prince
pour luy faire supporter
fort absence : Il alloit
estre éloigné d'elle sans
ftjavoirquand il la re1\
erxoit,l éJpii9};i1i
Q¥elifalLfWlleJWtsJ)i\
|ettrpj4çL^nftr^&j/ç
retiraàdeu?ilicu(;'s<]e.§evine,
dityis,unJiçqu;JJl
9it.rfgiJitPjÇé.,gy
ilç'^ççUp^ l\11jq\1JtMJl}
du plaisir qLJre1F.lhf
JfUe,,^4e Ifcdgolgiif
d'enpeal('rsi6'.J.lÆp. noredesonCoftcin'avçuj:
gueresd'autre occupation
j'ics mesmesfcntimensleur
donnoientles
mesm peines 3îô^rJLes
mesmes plaisirs.
• Untemps considerable
se passa,sansqueces
deuxAmans pussent ny se11tretenlf) ny s'écrire
&Leonore qui n'avoit
de plaisir qu'enpensant
au Prince, en estoit pour
comhh de malheurs distraite
par les soupçons
defon> pere qui croyait
que les froideurs de sa
filleavaient éloigné
Dom Juan. Enfin le tumulte
d'une Cour, où
l'on nes'entretenoit que
deDomJuanluy devint
tout-à-fait insuportable?
elle pria leDucfbh perô
de luy permettre de quitter
Seville pour quelqoç
temps,sousprétexte de
rétablir sa santé
, que
l'absence de son cher
Amant avoit extrêmement
alterée:elle choisi
Saratra Maison de plaisance
à deux lieues de
Seville où elle avoit passé
une partiede sonenlance,
ellealloit tous les
soirs se promenerdans
un boisépais, ouellç
cftoitièurede trouver le
iilençe3 &la liberté:Un
jour sans s'estre apperçuë
de la longueur du
chemin ellele trouva
plus loin ql.",àl'ordi'qÇ
duChasteaudeSaratra,
elles'assit&fitassessoir
auprès d'elle Iiàbejle,
l'unede ses Filles qu'elle,
aimoit plus que les autrès,
&qui ne la quittoit
prcfqUc janlâis;elI tomba
dits UOéjft profonde
résveriè quilabelle* ne
put s'empescher deluy
en demanderle sujet,&
pourlors,foitque son
amour fortifié par un
trop long silence nepust
plus se contenir, , soit
qulfabelle méritastcettemarqué
de sa confiant
ce, Leonore luy ouvrit
fsoornt ccoeoeuurr,>&paparlrele rreécciitt,
le plustouchant luy ap- prit tout lemystere qui
estoit entre elle, & le Prince.! Ilàbelle estoit, sans
doute attendrie à la
peinture d'un si parfait
amour; mais elle se crut
obligée d'exhorter Leonore
à bannir le Prince
de son coeur: elle luy
representa respectueusement
tous les égards
.qu'exige des perssonnes
de son rang, le public à
quielles doivent, pour
ainsi dire,rendre compte
deleurssentiments 6c
de leurvertu.
chere Isabelle, reprit Leonore,
des quejeconnus le
.¡?rince, jeperdis laliberté
de-faire toutes ces reste- jfions,ma raison qui- en fit beaucoup en safaveur
rienfitaucunes contre lui.
Je l'aime enjirJ, & je
crois
, par mon amour,
estreau-dessusde celles
quin'ontpas lecoeurassez
vertueuxpour L'aimer,ce
riesipoint parcequ'il est
mïeuxfàit quelesautres
phltimïÈfneetèsf-pnriipta.Crc'eeafil*,ila
ma
iherèIJabelle,le caracte-
Yedejon coeurquefeftimc
eifHui9cèjifinamour
g'tïïereuxydélicat3dèfifr
terëjfé'', refPelJueux_'Ja.
cm que cet amour lriflreçoit
magenerositéa&
payerpar toutceluidont
jefhiscapable : plusatùntif
à ma, glomqtfà
fftôhmefmesfS indffjfc
fetitfursa félicitéparticulitre,
culiere, /<?#*çequi 12
pointderapport au* hoifc
&e$trde monarrww^ oud
facial de m'a :i.lé'li' nè
peut IjntereJJer,pouvois^
je connoistre taitr
Wtey.&wfasïefîtmer*
fomjQtSrjesèntir lepriX.
*a4hmsripmar'fait*arm.ou.r^0,> sionque ]aipoHr lui nest
fdefimnitmdee.re;ptlaire,*fqau'bosni<nyçoei.ï
AkhfmrqMifaunlqM
jefois condamme a ne le
plust¡}oir,peut-estre d()ut
t'ilde ma confiance,peut*
estre il craint que mon
amour ne saffomiJJ-es Apeine eut-elle achevécesderniers
mots,que lePrince sortit du bois
tout transporté, & se
jettant à ses pieds , s'éria:
Ah! ma Prtncejfeî
y a-t'tl un homme aujjfi
heureuxquemoi, dfpar*
ce que je vous rends un
hommage tjtIC tout l'tmivers
seroitforce de rvou;'
gendre,faut-ilque
plus heureux quç.Jont^
''Vr)ivers enseble. vv^. quellefurprifequel-,
lejoye, quels tranlports ):cçlatçf,
ces Ecnjdrcs Amaps:cçtt^
réunion impréveuë piÇrr
duifitentre eupi,ualong
silence qui ;peignoir
ntieüx leur fènfibiUtq
quetous les difçoups%<
';'"Cette {îtuatioa y;oiç
i doutçd,;cs grap!<&$
douceurs, mais l'amour rsen
trounedansles discours
passionnez quand ila
épuiséceux dusilence;
£6 futalorsque nepouvantadeziè
regarderais
ne purentle lassèr de
c:nteJldrc.-'
'i'Y0 Que fat deplaijira
n)om retrouver,cherPrince5
dit tendrement Leoîiore,
mais que ceplaisir
seracourt,peut-etrenous
ne^nousverrons\plus<:
nous ne nousverronsp'fofo,
ma Princesse,réponditil
,
ah crote^qm:tmtts
lesfois que lagloire,owfo
félicitéde Lemoreexige*
ront que je paroisse-â'fès
vousverrai-, je
vous verrai,charmante
Princessemalgrétousces
périls, maisquetousces
périlsyque.tous cesmah
heurs ne soientquepour
moi[ml9 jArai Uforcç
de lessùpporter>pmfqm
tpous. rriaimel
aJen'entreprendspoint
de pein: ici la douceurdeleurentretien
,
chacun en peut juger
- par sapropreexperience
aproportion des ,[ent..::..
nients dont il est capable.
Ilsuffrira de dire que
ces ,
plaisirs : n'ont point
debornes dans les coeurs
deceux qui n'enmettent
point à leur amour-
Chaque jourLeonore
revit for* Amant! & ce
- - A -
surentchaque jourde
nouveauxplaisirs:ils
estoient. trop heureux,
pour que leur bonheur
futde longuedurée,la
fortùrie leurdonna bien-
! tost d'antresfoins,*Lea-*
norèvrèceutiardre
; de
quitter, Saratra,&£Tdè
retourner promptement
à Seville:D'abord; elle
soupçonna quelquetrahison
de la partde [ci
domestiquer, & fit fça*
-
voirau Princel'ordre
cruel qui les SEparoit, en :de s'éloigner
inceflamineiic d'un lieu
où il avoit sans doute,
cf{tLé'ddé' couvert.
r. :,
Lessoupçons de Léo-»
nom ne se trouverent
quetrop bien sondez,
le Ducavoit appris par
un domestique de Leonore
3
qui estoit depuis
long-temps dans les
intereftsde Dom Juance
qui se passoit entre
dIe ,& le Prince:
Il
Ilrappella la Princesse
qui croyant sapassion
trop belle pourlaciefa^
yoüer;ne luyen sitplus
un mystere , non plus
que du combat entrer les
deux Princes. LàfîncePrité
de Leonore nefit
qu'exciter lacolere du
Bue,illuy ordonné de
se préparer à un pii&
grand voyage, &: afïii'
qu'ellepust oublier le
Princecepere}inflxi
ble resolut demettrela
mer entre ces deux amants,
& emmena Leonore
dansl'ille de Gades,
Cedépart fut si secret
& si precipité, que Leonore
ne put en informer
le Prince;ilapprit bien
tost quelle n'estoit plus
à Seville,mais avant
qu'il pust apprendre où
son perel'avoitreleguée,
il fut long-temps livré à
la plus cruelle douleur
qu'une pareille separatfionraiit
Dans le temps que.
l'Espagne estoit divisée
en plusieurs pays dont
chacun avoit fonSouverain,
le Duc d'Andaloufie
estoit le plus confiderable
d'entr'eux, foit par
l'estenduë de ses Estats,
soit par la sagesse avec
laquelle il les gouvernoit.
Il estoit l'arbitre
des autres Ducs sesvoisins,
dans les differens
qui les defunissoient, &
ces raisonsluyattiroient
la veneration
,
& le respectde
toute l'Espagne :
le detir qu'avaient les
jeunes Princes de voir
un Souverain dont la réputation
faisoit tant de
bruit,& qu'on leurproposoitsans
cesse comme
le plus excellent modelle
,
les attiroit dans sa
Cour, mais les charmes
de Leonore sa fille les y
retenoient: c'estoit la
beautéla plus reguliere,
&la plus touchante,
qui eustjamais paru en
Espagne
,
la beauté de
son esprit, &l'excellence
de son coeur formoient
de concert avec
ses appas tout ce qu'on
peut imaginer de plus
parfait.
Les Princes qui ornoient
une Cour déjasi
brillanteparl'esclat de
la Princesse Leonore,
joüissoient d'un je ne
scay quel charme secret,
que sa presence faisoit
sentir, ëc que la renomméen'avoit
paspûassez
publier: Ils l'aimoient,
ilsl'admiroient, mais le
respect ne leur en permettoit
que les marques
qui efchapentnecesairement
à l'admiration
,
6c à l'amour. Le
seul D0111 Juan fil^ du
Duc de Grenade osabien
tost reveler le secret
que tous les autres
cachoient avec tant de
foin. C'estoit un Prince
très - puissant
,
bc de
grands interestsd'Estat
queleperedeLeonore,&
le sien, avoient à demefler,
pouvoientfaciliter
un mariage auquel son
amour ,
& sa vanité le
faisoient aspirer, ensorte
queDom Juan sûr de
l'approbation du Duc
d'Andalousie,&constant
aussi sur son mérité declara
son amour à Leonore,
avec une hardiesse
qui dominoit dans
son caractere.
La Princesse ne luy
respondit point avec ces
vaines ostentations de
fierté ridicules sur tout
dans celles que l'amour
n'a pas touchées; mais
son discours portoit un
caractère de modération
qui luy annonçoit une
longue indifference
,
il
ne receut d'elle que
quelques marques de la
plus simple estime, sentiment
froid qui ne fait
qu'irriter les feux de l'amour,
DomJuan eust
mieuxaimé queLeonore
eust esclaté contre luy
, l'indifference est en effet
ce qui tourmente le
plus un amant, elle luy
oste le plaisir de l'esperance
aussi
-
bien que la
haine, & n'éteint pas
comme elle sa passion.
DomJuan parla souvent
deson amour à Leonore
,
& il en receut toujours
les mesmes respon
ses, rien ne put attendrir
pour luy
, ce coeur
dont l'amour reservoit
la conqueste à un autre,
mais en perdant
l'esperancede toucher
son coeur, il ne renonça
pas à celle de la posseder,
il agit auprès du
Duc plus vivement que
jamais
,
il esperoit que
Leonore aimeroit son
époux par la mesme raison
qu'il l'empeschoit
d'aimer son amant, il
pressa si fort son mariage
qu'en peu de temps
il fut conclu: quelle
fut la desolation décette
Princesse,ellen'estoit
pas insensibleàl'amour.
lePrince deMurcie avoit
sceu lui plaire, mille
qualitez héroïques le
rendoientdigne de son
amour, elle l'aimoit
quel malheur d'estre,
destinée à un autre. Cet
aimable Prince qui l'adoroit
n'avoit jamais ofé
luy parler de sonamour,
& n'avoit aussi
jamais reçu aucune mar
quedeceluy que Leonore
sentoit pour luy :
Il arrive à Seville où
estoit la Cour du Duc
d'Andalousie. Le mariage
de Dom Juan fut la
premiere nouvelle qu'-
apprit l'amoureux Prince
de Murcie, il fut frappé
comme d'un coup de
foudre. Il crut avoir
tout perdu, ainsi il ne
menagea plus rien, &
sansrendre ses premiers
devoirs au Duc, il
court chezLeonore dans
l'estat le plus violent quun
amant puisseeprouver
: Il eji doncvray,
Madame, luy dit-il, que
vous épousezDomJuan,
l'heureux Domfuan va
vous posseder.Toute la
Courqui retentit de sa
gloire deson honheur,
m'annonce le seul malleur
quiputm'accabler:
car enfin,Madame, il
n'est plus temps de vous
cacher messentiments
,
il
faut maintenant qu'ils c-
L'latent, je vous aimay
dezque vousparusses à
mes yeux, l'amour ne
peut plus se tairequand
il est reduit au desespoir;
Dom Juan seral'époux
de Leonore , Ah Prince[
Je ! quelle ressource
pour moy dans un pareil
malheur, Eh! quel
autrepartypuis-jeprendre
que celuy de mourir
: ce discours du Prince
surprit Leonore : il
luy donna encore plus
de joye
,
le respect du
Prince avoit juques-là si
bien caché son amour
qu'ellen'avoit pas mesme
peu le soupçonner,
quel charme pour elle
de se voir si tendrement
aimée d'un Prince qu'-
elle aimoit.
Leonore dont le coeur
estoit grand & incapable
des petitesses de la
feinte&dudéguisement
se livra toute entiere au
premiermouvement de
la gcnerosité, Prince,
dit elle, loin que vostre
amour m'offense, je ne
fais point difficulté de
vourdirequej'y responds
par tout celuy dont je
suiscapable; ouy,Prince,
je vous aime, &fij'epou.
sois Dom Juan je serois
encore plus à plaindre
que vous, maintenant
que jeconnoisvostre amour,
&que voussçat¡}
eZ le mien, nos malheurs
ne seront pas si
grands, la pofejjion de
vostre coeur va mefaire
surmonter les plusrudes
disgraces, &l'aveu que
je vous fais de mon amour
vous responds que
je ne seray point à un
autre que vous.
Cet aveu paroîtra sans
doute bien promt à ceux
qui croyent que l'amour
est toujours une foiblesse,
il feroit condamnable
en effet dans une
amante ordinaire, mais
l'amour heroïque plus
independant se prescrit
à
à luy mesme ses regles ,
sans violer jamais celles
dela vertu.
On peut juger combien
le Prince fut sensible
à un aveu dont il
n'auroit jamais osé se
flater
,
sa joye plus vive,&
plus forte que celle
que l'amour content
inspire d'ordinaire,ne se
monstra que par des
transports, illuy prouvoit
par le silence le plus
passionné que son bonheur
épuifoit toute sa
sensibilité, tandis que la
Princesse
,
oubliant le
danger d'estresurprise,
s'abandonnoitauplaisir
de le voir si tendre. Il
reprit l'usage dela parole
que sa joye extrémeluy
avoit osté: Est-il
possible, ma Princesse !
que vous flye{fènfihle
à mon amour, n'estoitce
pas ajJeZ que la pitié
vous interessast dans mes
malheurs ; Je comptois
sur la gloire de vous admirer,
f5 de vous aimer
plus que tout le monde
ensemble,maispouvoisje
me flater du bonheur
de vousplaire:SoyeZ,ûr,
dit Leonore, de la sincerité
de mes sentiments :
la vertu ria pas moins
de part à l'aveu que je
vous en fais que mon amour
:oüy
,
Prince, c' est
cette vertu si sensible à
la vostre qui vous afait
iJ.:I1)U que monamour,
tout violent qu'il est, ne
m'auroitjamais contraint
à vous faire f5 cejl
cette vertu qui mefait
souhaitterd'estreplus digne
devous: mais helas!
que leplaisir d'un entretien
si tendre va nous
cou,#ercl,er,noe,r,e amour
est trop violent pour ne
pas éclater, on le remarquera,
Prince, & l'on
va nousseparerpour tousjours.
Aprés une conversation
telle que se l'a peuvent
imaginer ceux qui
ont ressenti en mesme
temps l'amour, la joye
&la crainte. Le Prince
deMurcie se separa de
sa chere Leonore
,
de
peur de trahir par un
trop longentretienlemistere
si necessaire à leur
amour:il alla rendre ses
devoirs au Duc d'Andalousie,
qui luy confirma
le mariage de Leonore
avec DomJuan;savisite
futcourte,il n'aimoit
pas assez DomJuan pour
s'entretenir si long-tems
de son bonheur:la resolution
du Duc l'allarmoit
extremement ,
il
prévoyoit des éclats que
son amour pour Leonore
luy faisoit craindre
plus que la mort. Agité
de foins & d'inquietudes
il va chercher la solitude
pour y réver aux
moyens de détourner le
malheur qui le menaçoitj
il y trouva justement
Dom Juan qui se
promenoit seul dans les
jardins du Palais: quelle
rencontre que celle
d'un Rival qui rendoit
malheureux l'objet de
son amour. Si le Prince
eust suivi les mouvements
de sacolere,il auroit
sans doute terminé
sur le champ leur querelle:
mais il importoit
au Prince de dissimuler
plus quejamais; il aborda
Dom Juan avec cet
air d'enjouëment, & de
politesse qui luy estoit
particulier, & luy parla
en ces termes: Je ne
m'attendotspas, Prince,
de vous trouver enseveli
dans une profonde rêverie
lorsque toute cette
Cour ne s'occupe, & ne
s'entretient que de vostre
bonheur, le Duc d'Andalousie
vient de vous
rendre le Princed'Espagne
le plus heureux, &
nous
vousfuyeztout le monde
qui applaudità son
choîx. Est-ce ainsi que*
vous r(ce'Ve{, la plus
grandefaveurquepuisse
vous faire la fortune ?
Prince, responditDom
Juan, loin d'estre inJér;-'
sible au bonheur que le
choix du Duc me procure
,
c'est peut- estre afin
de le mieux gouster que
je cherche la solitude:
poury estreaussisensible
que je le dois, je riay beJ'oin
que de mon propre
coeury , je le possede
mieux icy qu'au milieu
d'uneseule de ccurtifans,
dont quelques-unspeutestre
donneroient des applaudissementsfcrce\
y a
un Princedontils envient
le bonheur.
Quoj qu'ilensoit, re->
prit lePrince, voflre
froideur mestonne:vous
estes trop heureux pour
veus renfermer dans les
bornes dune joye si moderee.
Eh!qui eutjamais
tant desujets de joye?
Vous allez,posseder Leonore
, &vous pofedez
apparemment son coeur,
car DomJ-uJan,delicat
&genereux comme je le
connois, nevoudraitpoint
faireson bonheurauxdépens
de celle -qu'ilaime,
il n'auroit point accepté
les offresduperesans eflrc
seur du coeur de lafille.
Leonore,-refpoilditDom
Juan, n'a point flatté
mon amour, &si setois
d'humeur a mmquieter>
je trouerois peut -
estre , quelle est sans inclination
pour moy:maisenfin
je rapporte la froideur
dontelle apayemesfeux,
à son indifférence naturelled'amour
mutuel n'est
pas necessaire dans de
pareils mariages, les raisons
d'Estat, & les interests
de famille en décident
ordinairement; &
lorsque j'accepte ïhonne"
f?' que le Dm-veut me
foeire? (avertu
pond quelle n'a point
d'tantipathiepour l'époux
que son pere luy destine ,
ni d'inclinationpourceux
que le choix du Duc riauthorisè
pas à luy lnarquer.
de l'amour. Permettezmoy
y
Seigneuryrepliqua
le Prince
,
de douter de
la sincerité de vos discours
pour estimer encore
vos sentimens, ouiy puisque
vous 'vo!/;/ez estre
l'Espoux de Leonore,
vous estes purdeJon
coeur: mais sans doute
vous vouleT^oùtrJeul de
vosplaisirs.Jevous laise
en liberté.
Si le Prince quitta
brusquementDomJuan,
c'estoit moins pour luy
plaire
, que parce qu'il
craignoit de ne pouvoir
pas assez retenir sa colere.
Il estoiteneffetbien
dangereux qu'elle n'éclatast
à la veuë d'un
Rival qui oiïLnibit également
sa delicatesse &
sa passion.
Le Prince courut rendre
compte à sa chere
Princesse de ce quis'estoit
passé entreDomJuan
& luy: mais bientost
les inquiétudes le reprirent
quand Leonore luy
dit que le Duc son pere
vouloit absolument acheverce
fatal mariage,
qu'elle en auroit esperé
plus de condescendance
,
maisqu'il paroissoit
inflexible
,
& qu'elle
craignait bien que rien
ne peut changer a resolution.
Ce fut ppur lors que
le Prince se trouva
cruellement agité: Que
de malheurs, luy dit-il,
je vais vous susctier!
quelles violences ne va
point vousfaire le Duc?
quellespersecutions de la
part de DomJuan? mais
en vain cet indigneRi- ,Zne
: valvêtitjorcervojïre inclînattoïijappujzduchoix
de vostre Pere, mon amour
& mon courage,
plus forts que leurs intercjisy
& leurs resolutions
vaincraient des obstacles
mille fois encore plys
grands: mous^wiau
meZ, je ne seray jamais
malheureux Dom
Juan nefera jamaisvostre,
Epoux ; je cours le
punir & vousvenger.
jihPrincel dit Leonore
,
auallû^vcus faire?
je ne crains point que le
bruit d'un combat suissè
ternir ma gloire, mais
que deviendrons-je lit
vous estoit funefe ? la
fortune riejïpas tousjours
du party de l'amour.
Prince, au nom de cet
Amour,n'éxposez,point
une vie à laquelle s'attache
la mienne: contenteZ:.,
vous du ferment que je
fais de rieflre jamais
qu'a vous,
Quel coeur ne feroit
pas sensible à tant de tendresse
? mais qui pourroit
l'estreautant que le
fut ce Prince le plus delicat
,
& le plus tendre
de tous les amans : on
peut croire queses transports
éclatoientsur son
visage, & ce fut en effet
ce qui trahit le mistere
de ces amans. DomJuan
venoit visiter Leonore,
il entroit dans son appartement,
dans les mamens
les plus vifs
y
&
les plus heureux où le
Prince se fust encore
trouvé; il sbupçonna
d'abord sonmalheur, &
la Princessequieraignoit
de sè trahir elle-mesme,
aprés quelques discours
de civilité feignit une
affaire, & se retira dans
son cabinet. Pour lors
Dom Juan qui n'avait
d'abord osé produire les
soupçons, ne menagea
plus rim, ces deux Rivaux
quitterent l'appartement
de la Princessè,
& sanssedonnerrendezvous
que par des regards,
ïls se trouvèrent
enfin {èu!s dans une alléeextrêmement
éloignée
du Palais, &Dom
Juan parla ainsi le premier
; Si j'avais Jeeu ,
Prince, que vous estieZ
seul avec Leonore - n'aurais eu garde de troubler
c-uoftre entretien, il
vous saisoit plasir à l'un
é5 à l'autre, ou toutes les
marquessurlesquelles on
en peut jugersont équivoques
: je mesuis pour lors
souvenu desmaximesgenereusèsquevous'VoulieZ
tantoslm'inspirer, iffen
ay reconneu la sagesse
aussî-tost que leprincipe.
Seigneur, respondit le
Prince, quand on estné
genereuxon n'ignorepoint
ces maximes, un amant
delicat se croit indigne
d'époufsr sa maijlrejje
quand il ne s'enfait pas
armer, l'epouser sans luy
plairec'est luy ojier la
liberté de concert avec
ceux qui ontdroitde disposer
d'elle, ~(jfpour
moy Pour vous,
répliquaDom Juan
,
vous accepteriez^le choix
de son Peres'il estoit
en vostre saveur ; sans
craindre dopprimer sa
liberté, ~f5 vous ferieZ
un usage plus agreable
de la delicatessè de
vos sèntiments: je rien
produirois pas du moins,
reprit le Prince avecémotion,
d'indignes f5
~â*elle&demoy.Jeferay
bientost voir, repritfierement
Dom Juan, que
cen'estpas estreindigne
du bienauquel on
que defaire desenvieux.
A ces mots le Prince sèntit
redoubler sa colere:
Un amant, luy dit-il
quinetrouveque de Findifférence
dans l'objet
qu'il
qu'ilaimerait d'ordinairepeud'envieux.
Jesuis
surpris,reprit DomJuan,
de l'audace avec laquelle
vous osèZm'insulter.
Hé! que pretendeZ:vous
sur Leonore pour en soutenirles
droits:je prétends
les luy consèrver , dit le
Prince, ~& scavoir si
Dom Juan aura le courage
de les detruire. Aces
mots, il tire son épée, &
Dom Juan se met en devoir
de se deffendre.
A voir leur mutuelle
fureur on auroit devin
sans peine l'importance
du sujet qui lesanimoitt
ces siers Rivaux, qu'un
grand courage & de
puissants. motifs rendoient
prefqumvinciblés,
combattirent lone- otemps à égal avantage:
mais enfin la force 8c
l'adresse du Prince prévalurent
; il desarma
Dom Juan
,
qui sans xvoir
receu aucune biefseure,
se trouva a la merci
de son vainqueur.
Alors le Princeloind'abuser
de sa victoire, sentit
mourir toute sa haine,
il ne put s'empescher de
plaindrele.tristeestat
dun malheureux. Dom
Juan estoit- en effet digne
de sa pitié :: il se
monstroit à la véritépeu
genereux. en poi^rfiijvant
des prétentions que
l'inclination de Leonore
n'authorisoit pas, mais
il dementoit sa générosité
pour la prèmieresois,
& jusque là le Prince
l'avoit trouvé digne de
son estime. Il ne voulut
point aussi luy donner la
mort : DomJuan, luy
dit ce genereux Rival
renoncera la possessïon de
Leonore ~f5 rvi'VeZ: Non,
non, respondit Dom
JuantermineZ ma vie
oulaissezmoy l'esperance,
depossedèrleseulbien qui
me la fait aimer. Vous
ouLeZdonc mourir, reprit
le Prince? Oüy, dit
Dom Juan, Eh! queserois-
je d'une vie qui ne.
seroit pas consacréea Leonore,
ah ! je feray trop
heureuxde luy donner
ceûtepreuve de ma constanceouijeveux
mourir..
Non, dit le Prince, que
ce discours avoit attendri
,non vous ne mourrez
point , deussai-je vivre
tousjours malheureux, je
respectedanscoeur ïa*-
mour queLeonoreyafait
naistre : Vivez Dom
Juan,vivez,&qu'on
ne puissejamais dire que
vous mourez pour avoir
aimécette divinePrincesse.
En mefine temps illuy renditsonépée,
prest à recommencer le
combat.Mais DomJuan
charmé de la generosité
du Prince, sentit tout à
coupchanger soiscoeur,
il fut quelque temps incapable
de prendre une
resolution, & mesme de
prononcer une parole:
enfin plus vaincu par la
generositédu Prince que
par ses armes, comme
s'il fust tout à coup der»
venu un autre homme,
il parlaainsi à son Rival.
Aumoment que vous me
rendez la vie , je comprends
que jemeritois la
mort, & je vaisvous
donner la plus grande
marque de mareconnoissance
:vousaime^Jans
WMte Leohore5, (3vom
estestropaimablepour
n'en
)
fjhe.pasaimé )1J
vous ceje>Prince
, tou?
tesmesprétentions, puissiez-
vousvivretousjours
heureux amantde Leànore:
pourmoyjevais lok
fuirpourjamais,&mettretoute
marlohe à eteindreunepassion
qui ojpen
selesplusillustres ama'ldu
monde"s conservez,
Prince,vostre amitiéque
vousvenezdemerendre
I!/
sipretieuse, & accomplir
tous nos souhaits. On ne
peut exprimer la joye,
&lasurprise du Prince,
il n'auroit pas cru que la
generosité eust tant de
pouvoir sur le coeur de
DomJuan,& fàrefblution
luy paroissoit si
grande, qu'àpeinepouvoit-
il suffire à l'admirer>
il le tint longtemps
entre ses bras, arrosant
son visagede ses larmes.
C'estoit un spectacle
bientouchant que ces
fiers rivauxdevenus tout,
d'uncoup sitendres. Ce
Prince déploroitlafatalité
des conjonctures qui
fQrçoieJld. Dom Juanà
luy faire un si violent sacrifice,
pendant que
DoraJuan croyoit faire
encore trop peu pour son
illustre amy. Leur genereuse
amitié fit entre eux
un fecond combat, aussi
charmant que lepremier
avoitestéterrible,
Ils se jurèrent une éternelle
amitié,&sedirent
enfinAdieu. Dom
Juan ne voulutpointretourner
sitost dans ses Etats;
craignant les esclaircissemens
que le Duc de
Grenade son pere auroit
exigé sur son retour imprevû.
Il resolutd'aller
voyager dans toute l'Êspagne.
Il ne crut pouvoirmieux
accomplir sa
:
promesse
, que par des
courses continuelles JOÙ
la multiplicité desdiffectls-
úbjets qui s'offrent
âùx Voyageurs,pouvoir
lé distraire
,
& chasser
ses premières impressions.
CependantlePrincequiavoit
tant de fîrjets
d'estre content de
l'amour,& delafortune,
prévoyant de terribles
esclats qu'il croyoit
devoirespargner à la
vertu de Leonore, estoit
accablé dedouleur. Ilse
reprochait d'avoir plus
écouté les interdis de
son amourque ceuxde
sa Princesse. Il craignoit
de s'estre rendu tout-afait
indigne d'elle. Aprés
avoir hesitéquelque
temps entre cette crainte
etledesir deluyapprendre
sa destinée
, ce dernier
sentiment l'emporta
,
&là il confia à fbn
Ecuyer une Lettrequi
apprit bientost à la Princesse
comment le Prince
l'avoitdélivrée des ira- -
portunes poursuites de
DomJuan. Si elle reçut
avec plaisir la nouvelle
delavictoire du Prince
: elle fut encore plus
charméedeladelicatesse
de ses sentimens, Quoy,
disoitelle, le Prince est
entUoneux dans un combat
qui decide definbon*
heur; & cependant craignant
de leftte rendu m-*
digne de mon amour par texceZ du sien. Il ne
peutgouster en liberté la
foyelaiplm grandeqm(
fdït capable de!rej!tlJ'ir.Ãj
nàiyEnnctiropgemr^m^
ne crainspointla iïèlcra
de Leono'm;jen'vhfvifab
ge dans .'erf:orhb:J'.qt«.:lu
fmlm ttt ')'expàfà,j,ipn
empefchrqueje,nefnjje
àun oewrequ'à:toyl
C'estainsi que cette
genereuse Princesse in-r
sensible à des revers que
le Prince craignoitpour
elle,donnoitau fort do
£>11Amant, une joyeà
laquelle il s'eftoit=lùy¿.
mmesemferrï'ï,~e.-•tru~:~-ma~ contoefi<fUerfeuftpô
gouster foiv; bonheur
sans l'y rendre sensible,
felle voulutparunelettre
Qu'elleluy écxivit]
Rendre toute sa tranquilité.
L'assuranced'estre
iimé de Leonore eïîoit
bien necessaireau Prince
pour luy faire supporter
fort absence : Il alloit
estre éloigné d'elle sans
ftjavoirquand il la re1\
erxoit,l éJpii9};i1i
Q¥elifalLfWlleJWtsJ)i\
|ettrpj4çL^nftr^&j/ç
retiraàdeu?ilicu(;'s<]e.§evine,
dityis,unJiçqu;JJl
9it.rfgiJitPjÇé.,gy
ilç'^ççUp^ l\11jq\1JtMJl}
du plaisir qLJre1F.lhf
JfUe,,^4e Ifcdgolgiif
d'enpeal('rsi6'.J.lÆp. noredesonCoftcin'avçuj:
gueresd'autre occupation
j'ics mesmesfcntimensleur
donnoientles
mesm peines 3îô^rJLes
mesmes plaisirs.
• Untemps considerable
se passa,sansqueces
deuxAmans pussent ny se11tretenlf) ny s'écrire
&Leonore qui n'avoit
de plaisir qu'enpensant
au Prince, en estoit pour
comhh de malheurs distraite
par les soupçons
defon> pere qui croyait
que les froideurs de sa
filleavaient éloigné
Dom Juan. Enfin le tumulte
d'une Cour, où
l'on nes'entretenoit que
deDomJuanluy devint
tout-à-fait insuportable?
elle pria leDucfbh perô
de luy permettre de quitter
Seville pour quelqoç
temps,sousprétexte de
rétablir sa santé
, que
l'absence de son cher
Amant avoit extrêmement
alterée:elle choisi
Saratra Maison de plaisance
à deux lieues de
Seville où elle avoit passé
une partiede sonenlance,
ellealloit tous les
soirs se promenerdans
un boisépais, ouellç
cftoitièurede trouver le
iilençe3 &la liberté:Un
jour sans s'estre apperçuë
de la longueur du
chemin ellele trouva
plus loin ql.",àl'ordi'qÇ
duChasteaudeSaratra,
elles'assit&fitassessoir
auprès d'elle Iiàbejle,
l'unede ses Filles qu'elle,
aimoit plus que les autrès,
&qui ne la quittoit
prcfqUc janlâis;elI tomba
dits UOéjft profonde
résveriè quilabelle* ne
put s'empescher deluy
en demanderle sujet,&
pourlors,foitque son
amour fortifié par un
trop long silence nepust
plus se contenir, , soit
qulfabelle méritastcettemarqué
de sa confiant
ce, Leonore luy ouvrit
fsoornt ccoeoeuurr,>&paparlrele rreécciitt,
le plustouchant luy ap- prit tout lemystere qui
estoit entre elle, & le Prince.! Ilàbelle estoit, sans
doute attendrie à la
peinture d'un si parfait
amour; mais elle se crut
obligée d'exhorter Leonore
à bannir le Prince
de son coeur: elle luy
representa respectueusement
tous les égards
.qu'exige des perssonnes
de son rang, le public à
quielles doivent, pour
ainsi dire,rendre compte
deleurssentiments 6c
de leurvertu.
chere Isabelle, reprit Leonore,
des quejeconnus le
.¡?rince, jeperdis laliberté
de-faire toutes ces reste- jfions,ma raison qui- en fit beaucoup en safaveur
rienfitaucunes contre lui.
Je l'aime enjirJ, & je
crois
, par mon amour,
estreau-dessusde celles
quin'ontpas lecoeurassez
vertueuxpour L'aimer,ce
riesipoint parcequ'il est
mïeuxfàit quelesautres
phltimïÈfneetèsf-pnriipta.Crc'eeafil*,ila
ma
iherèIJabelle,le caracte-
Yedejon coeurquefeftimc
eifHui9cèjifinamour
g'tïïereuxydélicat3dèfifr
terëjfé'', refPelJueux_'Ja.
cm que cet amour lriflreçoit
magenerositéa&
payerpar toutceluidont
jefhiscapable : plusatùntif
à ma, glomqtfà
fftôhmefmesfS indffjfc
fetitfursa félicitéparticulitre,
culiere, /<?#*çequi 12
pointderapport au* hoifc
&e$trde monarrww^ oud
facial de m'a :i.lé'li' nè
peut IjntereJJer,pouvois^
je connoistre taitr
Wtey.&wfasïefîtmer*
fomjQtSrjesèntir lepriX.
*a4hmsripmar'fait*arm.ou.r^0,> sionque ]aipoHr lui nest
fdefimnitmdee.re;ptlaire,*fqau'bosni<nyçoei.ï
AkhfmrqMifaunlqM
jefois condamme a ne le
plust¡}oir,peut-estre d()ut
t'ilde ma confiance,peut*
estre il craint que mon
amour ne saffomiJJ-es Apeine eut-elle achevécesderniers
mots,que lePrince sortit du bois
tout transporté, & se
jettant à ses pieds , s'éria:
Ah! ma Prtncejfeî
y a-t'tl un homme aujjfi
heureuxquemoi, dfpar*
ce que je vous rends un
hommage tjtIC tout l'tmivers
seroitforce de rvou;'
gendre,faut-ilque
plus heureux quç.Jont^
''Vr)ivers enseble. vv^. quellefurprifequel-,
lejoye, quels tranlports ):cçlatçf,
ces Ecnjdrcs Amaps:cçtt^
réunion impréveuë piÇrr
duifitentre eupi,ualong
silence qui ;peignoir
ntieüx leur fènfibiUtq
quetous les difçoups%<
';'"Cette {îtuatioa y;oiç
i doutçd,;cs grap!<&$
douceurs, mais l'amour rsen
trounedansles discours
passionnez quand ila
épuiséceux dusilence;
£6 futalorsque nepouvantadeziè
regarderais
ne purentle lassèr de
c:nteJldrc.-'
'i'Y0 Que fat deplaijira
n)om retrouver,cherPrince5
dit tendrement Leoîiore,
mais que ceplaisir
seracourt,peut-etrenous
ne^nousverrons\plus<:
nous ne nousverronsp'fofo,
ma Princesse,réponditil
,
ah crote^qm:tmtts
lesfois que lagloire,owfo
félicitéde Lemoreexige*
ront que je paroisse-â'fès
vousverrai-, je
vous verrai,charmante
Princessemalgrétousces
périls, maisquetousces
périlsyque.tous cesmah
heurs ne soientquepour
moi[ml9 jArai Uforcç
de lessùpporter>pmfqm
tpous. rriaimel
aJen'entreprendspoint
de pein: ici la douceurdeleurentretien
,
chacun en peut juger
- par sapropreexperience
aproportion des ,[ent..::..
nients dont il est capable.
Ilsuffrira de dire que
ces ,
plaisirs : n'ont point
debornes dans les coeurs
deceux qui n'enmettent
point à leur amour-
Chaque jourLeonore
revit for* Amant! & ce
- - A -
surentchaque jourde
nouveauxplaisirs:ils
estoient. trop heureux,
pour que leur bonheur
futde longuedurée,la
fortùrie leurdonna bien-
! tost d'antresfoins,*Lea-*
norèvrèceutiardre
; de
quitter, Saratra,&£Tdè
retourner promptement
à Seville:D'abord; elle
soupçonna quelquetrahison
de la partde [ci
domestiquer, & fit fça*
-
voirau Princel'ordre
cruel qui les SEparoit, en :de s'éloigner
inceflamineiic d'un lieu
où il avoit sans doute,
cf{tLé'ddé' couvert.
r. :,
Lessoupçons de Léo-»
nom ne se trouverent
quetrop bien sondez,
le Ducavoit appris par
un domestique de Leonore
3
qui estoit depuis
long-temps dans les
intereftsde Dom Juance
qui se passoit entre
dIe ,& le Prince:
Il
Ilrappella la Princesse
qui croyant sapassion
trop belle pourlaciefa^
yoüer;ne luyen sitplus
un mystere , non plus
que du combat entrer les
deux Princes. LàfîncePrité
de Leonore nefit
qu'exciter lacolere du
Bue,illuy ordonné de
se préparer à un pii&
grand voyage, &: afïii'
qu'ellepust oublier le
Princecepere}inflxi
ble resolut demettrela
mer entre ces deux amants,
& emmena Leonore
dansl'ille de Gades,
Cedépart fut si secret
& si precipité, que Leonore
ne put en informer
le Prince;ilapprit bien
tost quelle n'estoit plus
à Seville,mais avant
qu'il pust apprendre où
son perel'avoitreleguée,
il fut long-temps livré à
la plus cruelle douleur
qu'une pareille separatfionraiit
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Résumé : Historiette Espagnole.
En Espagne, divisée en plusieurs pays souverains, le Duc d'Andalousie se distinguait par l'étendue de ses États et sa sagesse gouvernante. Il était respecté et vénéré, attirant les jeunes princes qui admiraient son modèle de souveraineté. Sa fille, la princesse Léonore, était célèbre pour sa beauté, son esprit et son cœur excellent, attirant l'admiration des princes à la cour. Dom Juan, fils du Duc de Grenade, osa déclarer son amour à Léonore, mais elle répondit avec modération, révélant une indifférence qui irrita Dom Juan. Malgré cela, Dom Juan pressa le mariage, espérant que Léonore aimerait son époux par défaut. Léonore, cependant, aimait secrètement le Prince de Murcie, qui arriva à Séville et fut désolé d'apprendre le mariage imminent. Le Prince de Murcie, désespéré, avoua son amour à Léonore, qui lui répondit avec générosité, confessant son amour réciproque. Ils partagèrent un moment tendre mais craignirent d'être découverts. Le Prince de Murcie rencontra Dom Juan dans les jardins, dissimulant sa colère. Léonore informa le Prince que son père insistait sur le mariage, ce qui le désespéra. Le Prince de Murcie voulut défier Dom Juan, mais Léonore le supplia de ne pas risquer sa vie. Dom Juan, soupçonnant leur amour, les surprit ensemble et confronta le Prince de Murcie. Leur secret fut révélé, mettant en danger leur amour et leur vie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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38
p. 1-64
SUITE DE L'HISTOIRE ESPAGNOLE.
Début :
LEONORE arriva bien-tost dans l'Isle de Gade sans [...]
Mots clefs :
Prince, Grenade, Amour, Temps, Seigneur, Fortune, Père, Sujets, Amant, Douleur, Vaisseau, Princesse, Inconnue, Pouvoir, Andalousie, Malheur, Coeur, Ciel, Bonheur, Homme, Mort, Vertu, Souverain, Soeur, Duc, Usurpateur, Mariage, Doute, Perfidie
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texteReconnaissance textuelle : SUITE DE L'HISTOIRE ESPAGNOLE.
AM~USE-ME~NS. SUITE
DE L'HISTOIRE
ESPAGNOLE. LEONORE arriva
bien-tost dans l'Isle
de Gade sans estre retardée
,
ni par l'inconstance -
de la Mer, ni par aucun
autre accident; quand les
amans trouvent des obHaçlesy
ce n'elt pas d'ordinaire
dans ces occasions.
Le Duc d'Andalousie,
non content de la douleur
que luy causoit l'absence
du Prince, la confia
à sa soeur, il crut ne pouvoir
mieux punir sa fille
de la passion qu'elle avoit
pour le Prince, qu'en luy
opposant de longs discours
que cette vieille soeur faisoit
sans cesse contre l'amour
; Leonore en estoit
perpetuellement obsedée,
elle estoit à tous momens
forcée d'essuyer les chagrins
de sa tante contre
les moeurs d'un siecle dont
elle n'estoit plus, & si l'on
ajoute à tant de sujets de
tristesse, le peu d'esperance
qui luy restoit de voir
son cher Prince, je m'assure
qu'on trouvera Leonore
bien à plaindre.
Un temps assez considerable
s'estoit écoulé sans
qu'elleeust encor vû dans
cette malheureuse Isle que
son Pere & son ennuyeuse
Tante, toujours livrée à
l'un ou à l'autre; à peine
pouvoit-elle passer quelques
momens seule dans
un Jardin bordé par des
Rochers que la Mer venoitbattre
de sesflots,
spectacle dont Leonore
n'avoit pas besoin pour
exciter sa rêverie:Un
jour plus fortuné pour
elle que tantd'autres qu'-
elleavoit trouvez silongs,
elle se promenoit dans ce
Jardin, heureuse de pouvoirsentir
en liberté tous
ses malheurs, elle vit tout
à coup dans le fond d'une
allée, une perfoiineqLii
paroissoit triste
)
& dont la
beauté rendoit la douleur
plus touchante;la conformité
de leur état leur donna
une mutuelle envie de
se voir de plus prés, & elles
furent bien-tôt à portée
de se demander par quelle
avanture elles se trouvoient
ainsi dans le même
lieu: Leonore qui se
croyoit la plusmalheureuse
,
avoit droit de se plaindre
la premiere, & cependat
elle se fit violence pour
cacher une partie de sa
tristesse:Je ne m'attendois
pas, Madame, dit-elle, à
l'inconnuë
,
de trouver ici
une des plus belles personnes
du monde, moy qui
avois lieu de croire que le
Duc d'Andalousie & sa
soeur estoient les seuls habitans
de cette Isle.
Ma surprise, Madame,
répondit l'inconnuë, elt
mieux fondée que la vôtre
; je trouve ici plus de
beauté que vous n'yen
pouvez trouver, & j'ay
sans doute plus de raisons
de n'y supposer personne:
Je ne doute pas, reprit
Leonore, que de grandes
raisons ne vous réduisent à
vous cacher dans une solitude,
j'ai crû voir sur vôtre
visage des marques de
la plus vive douleur, vous
estes sans doute malheureuse,
cette raison me fut
fit pour vous plaindre:l'inconnuë
ne répondoit d'abord
à Leonore que par
des discours de civilité;
l'habitude qu'elle avoit
prise de parler seule,&sans
témoins, contrebalançoit
le penchant naturel que
les malheureux ont à se
plaindre,mais son air my.
sterieux ne faisoitqu'irriter
la curiosité de Leonore
5
qui estoit impatiente
de comparer ses malheurs
à ceux de l'inconnuë
; quoique j'ayepûaisément
remarquer que vôtre
situation n'est pas heureuse,
continua Leonore,
je ne puis comprendre
comment la fortune vous
a conduite dans l'Isle de
Gade, je me croyois la
seulequ'elle y eufi rranC.
portée, & je vous avouë
que je fuis bien impatiente
d'en penetrer le mystere;
si vous conncissiez.
l'habirude où je luis de
plaindre les malheureux,
& l'inclination qui deja
m'interesse pour vousvous
n'auriez pas le courage de
me le cacher plus longtemps.
Je ne puis douter, Madame,
répondit l'inconnuë,
que vous ne soyiez.
Leonore, ôc c'ell3 tant
parce que je vous trouve
dans cette Isle
,
dont le
Duc d'Andaiousie est Souverain
,que parce que je
remarque des ce moment
en vous tout ce que la reo
nommée en publie) je ne
pouvois d'abord me persuader
que la fortune, si
cruelle d'ailleurs pourmoi
voulût icy me procurer
une de ses plus grandesfaveurs,
mais maintenant,
sûre que je vais parler à la
Princesse du monde laphrs
accomplie, jen'aurai plus
rien de secret pour elle,
& la pitié que vôtre grand
coeur ne pourra refuser
à des malheurs,qui ne
font pas communs, aura
sans doute le pouvoir de
les soulager.
Je m'appelle Elvire,
mon Pere îssu des anciens
Ducs de Grenade, vivoit
avec distindtion sujet du
Duc de Grenade, sans envier
ses Etats injustement
fortis de sa Maison, il mourut
, formant pour moy
d'heureux projetsd'établissement;
un Prince digne
de mon estime, & qui
auroit honoré7 son Alliance,
m'aimoit, je laimois
aussi, mon Pere trouvoit
dans ce mariage mon bonheur,
l'amitié qu'il avoir
pour moy luy rendoit cette
raison fiifîîfante les
choses estoient si avancées
queje gourois sans inquiétude
le plaisir d'estre destinée
à ce Prince
,
mais.
helas mon Pere mourut,
ôc(a more nous laissa cous
dans l'impuissance de finirune
affaire si importante.
pour moy! sa famille futlong-
temps accablée de ta
douleur
1
de cette perte:
enfin Don Pedre, qui est
monFrere,voulut relever
mes elperances aussi-bien
que celles de mon amant
qu'il aimoit presque autant
quemoy, lors que
Dom Garcie, homme tout
puissant à la Cour du Duc
de Grenade, qui y regnoit
plus que luy, me fit
demander par le Duc de
Grenade luy-mêrne: ce
coup imprevû accabla roue
te nostre famille,j'estois
sans doute la plus à plaindre
, mais mon Frere
,
qui
haïrToit personnellement
Dom Garcie, &qui avoit
de grandes raisons pour le
haïr, fut celuy quirésista
aplusuvivement; il repre- Duc quemafamille
avoir pris avec mon
amant des engagemens
trop forts pour pouvoir les
rompre, & que d'ailleurs
il convenoit mieux à ma
naissance
:
il le fit ressouvenir
des liens qui l'attachoient
à nous, & le Duc
naturellement équitable,
se rendit aux raisons de
mon Frere, & luy permit
d'achever nostre Mariage.
Je ne puis vous exprimer
mieuxNladaine,
quelle fut ma joye, qu'en
la comparant a la douleur
que j'ai ressentie depuis, &c
qui succeda bien-tost à
mes transports
: le jourmême
qui devoit assurer
mon bonheur, le perfide
Dom Garcie vint m'arracher
aux empressemens de
mon amant, & me rendit
la plus malheureuse personne
du mondey il me
conduisit dans des lieux
où personne ne pouvoit
me secourir : j'y fus livrée
à ses violences,le fourbe
employait tour-à-tour l'artifice
& la force, & comme
l'un & l'autre estoient
également inutiles à son
execrable dessein, il devenoit
chaquejour plus dangereux
: combien de fois
me ferois-je donnélamort,
si l'esperance de revoir
mon cher Prince ne m'avoit
toujours soutenue
croyez,Madame, que j'ai
plus souffert que je ne puis
vous le dire; le Ciel vous
preserve de connoître jamais
la rigueur d'un pareil
tourment: enfin ne pouvant
plus y refiler, je pris
le seul party qui me restair,
l'occal'occalionleprelentafavorableosai
me soustraire
aux violences de ce scelerat,
résolue de me donner
la mort,s'il venoit à me
découvrir;je ne vous diray
point la diligence avec
laquelle je fuyois ce monstre
malgré la foiblesse de
mon (exe
; mais enfin j'échapai
de ses mains:incertaine
des chemins que je
devois prendre, & des
lieux ou je devois arriver,
la fortune m'a conduite ici
loin du perfide Dom Garcie,
mais encore plus loin
demonamant.
Elvire racontoit ses malheurs
avec d'autant plus
de plaisir qu'elle voyoit
l'émotion de Leonore s'accroirre
à mesure qu'elle
continuoit son récit:chaque
malheur d'Elvire faisoit
dans son coeur une impression
qui paroissotc d'abord
sur sonvisage. Quand
ce récit fut fini, elle esperoit
qu'Elvire n'avoit pas
encore tout dit, ou qu'elle
auroit oubliéquelque circonstance
; mais quel fâcheux
contre-temps, Leonore
apperçoit sa vieille
tante qui avançoit à grands
pas vers elle Ah,ma chere
Elvire, s'écria t-elle, que
je fuis malheureuse, on
vient moter tous mes
plaisirs, il faut que je vous
quitte dans le moment que
vôtre recit m'interesse davantage.,
vous avez encor
mille choses à me raconter
je ne sçay point le
nom de vôtre amant) ni
ce qu'il a fait pour meriter
ce que vous souffrez
pour luy
,
hâtez-vous de
m'apprendre ce que je ne
lçai point encore : Je ne
sçai rien de mon Amant,
reprit Elvire, avec précipitarion,
sans doute il
n'a pu découvrir les lieux
où je suis,peut-être a-til
pris le party du defefpoir
,
peut-être ignorant
ce que mon amour a ose
pour me conserveràluy,
fiance, peut-être est-il inconfiant
luy-même:Voila,
Madame *
sçay du Prince de Murcie.
Au nom du Prince de
Murcie Leonore fit un
eiy
)
ôc tomba peu après
évanouie dans les bras d'Elvirer
Quelle fut la surprise
de cette tante quand elle
trouva Leonore dans ce
tristeétat& une inconnue
dans un trouble extrême:
Elle fit conduire Leonore
à son appartement,enattendant
qu'elle pût sçavoit
un mystere que le hazard
offroit heureusement à
son insatiable curiosité.
Cependant le Prince de
Murcie étoit depuis longtemps
abient de Leonore,
les mêmes raisons quil'ai
voient obligé de quitter
l'Andalousie si promptement,
l'empêchoient d'y
revenir:mais enfin l'amour
l'em portasurla prudence,
& il partit pour Seville
resolu de le cacher le)
mieux qu'il pourroit : A
peine fut-il dans l'Andalousie
qu'il apprit que Leonore
étoit dans l'Isle de
Gade, la distance qui estoit
entre luy & sa Princesse
le fit frémir; plus un
amant est eloigné de ce
qu 'il aime, & plus il est
malheureux;il arrive enfin
sur le bord de la mer
qu'il falloir passer pour aller
a Gade; il fut longtemps
sur le rivage cherchant
des yeux une chaloupe
à la faveur de laquelleilpût
la traverser;
&enfin il vit une petite
barque. Dans le moment
qu'il prioit le pêcheur, à
qui elle appartenoit,de l'y
recevoir, il aperçut un
homme bien fait, qui sembloit
d'abord vouloir se
cacher à ses yeux? & qui
insensiblement s'aprochoit
pourtant de luy. Le Prince
qui navoir pas moins dintérêt
à être inconnu dans
un pays si voisin de Tille
de Gade, loinde fuïr cet
étranger,alloit au devant
de luy, comme si un instindi:
secret eut en ce moment
conduit Ces pas, &
comme si le mente superieur
avoit quelque marque
particulière à laquelle
ils se fussent d'abord reconnus.
1 Seigneur, dit l'inconnu
au Prince de Murcie,j'attens
depuislong temps
l'occasion favorable qui se
prepresente
: cependant, si
vos raisons etoient plus
fortes que les miennes, je
ferois prêt à vous la ceder.
Seigneur, répondir le Prince,
vous ne sçauriez être
plus pressé de vous embarquer
que je le suis, & je
vous cede cette barque
d'aussi bon coeur ôc aux
mêmes conditions que
vous me la cedez,je consens
avec plaisir à la mutuelle
confidence que vous
me proposez
;
heureux de
pouvoir m'interesser au
sort d'un homme tel que
vous. Seigneur, répondit
, 1 ,., ,'inconnu,line s agit point
icydes intérêts personnels
du malheureux Dom Pedre,
mais de ceux de mon
Souverain, qui me sont
mille fois plus chers: Le
Duc de Grenade estmort,
un sujet perfide est prêt à
se faire proclamer son successeurcontreles
droits de
Dom Juan qu'une mauvaise
fortune éloigne depuis
long -temps de ses
Eltats. Comme Dom Garcie
était le canal unique
des graces du Duc)ils'est
adroitement rendu maitre
de tous les esprits; si
l'on ne s'oppose promptement
à les tyranniques
projets, Dom Juan fera
bien-tôt dépoüillé de ses
Estats : Son absence
)
la
mort du Duc son pere,
& l'addresse du traistre
D. Garcie luy laissent peu
de sujets fidelles
: J'ay appris
qu'ayant voyagé dans
l'Europe il a paffé la mer,
voyez, Seigneur) si les
raisonsdemonembarquement
font pressantes. Oüi,
Seigneur
,
répondit le
Prince, mais non pas seulement
pour vous, les
intérêts de Dom Juan
me sont auili chers que
les miens; c'est un
Prince digne de votre affection
& dela mienne:
D'ailleurs le trait de perfidie
de Dom Garcie merite
une vangeance éclatante,
je vaism unir a vous
dans un dessein si genereux
& si légitime;je
suis le Prince de Murcie,
je dépeuplerai s'ille faut
Murcie d'habitans pour
chasser cet indigne usurpateur
,ne perdons point
le temps à chercher Dom
Juan dans des lieux où il
pourroit n'être pas: mais
qu'à son retour il trouve
Grenade tranquille t Allons
purger ses Estats d'un
monstre digne du plus
horriblesupplice.
.:, Ces paroles que le
Prince prononça avec
chaleur donnèrent une si
grande joye à Dom Pedre
qu'ilseroitimpossible
de l'exprimer: la fortune
qui sembloit avoir abandonné
son party luioffroit
en ce moment les plus
grands secours qu'il pût
esperer,plein d'un projet
dont l'execution devoir lui
paroistre impossibles'il
avoit eu moins de zele,
il trouvoit dans le Prince
de Murcie un puissant protecteur
, & un illustre
amy.
ils partent ensemble,
& le Prince de Murcie ne
pouvant se persuader que
les habitans de Grenade
fussent sincerement attachez
à un homme dont la
perfidie étoit si marquée,
crut par sa feule presence
& quelques mesures lècretes,
pouvoir les remettre
dans l'obeïssance de
leur légitimé Souverain.
Ils arrivèrent aux portes
de Grenade la veille du
jour que Dom Garcie devoit
être proclamé;ils entrerent
sècretement pendant
la nuit dans la ville:
Dom Pedre fut surpris de
trouver les plus honestes
gens disposez à suivre les
loix d'un usurpateur, tout
estoit seduit, & le mallui
parut d'abord sans remede
: mais le Prince, dont
la feule presenceinspiroit
l'honneur & le courage par
la force & la sàgesse de ses
discours, sçut les ramener
à de plus justes maximes.
n Les plus braves se
rangerent les premiers
fous les ordres du Prince
,
& remirent dans
le devoir ceux que leur
exemple en avoir fait
fortirblentot la plus grande
partie de la ville déclarée
contre le Tyran,
parce qu'il n'étoit plus a
craindre, demanda sa
mort: On conduisit le
Prince de Murcie dans
le Palais: mais le bruit
qui arrive necessairement
dans les revolutions sauva
le tyran & le fit échapper
à la juste punition qu'on
lui preparoit ;
il s'enfuit
avec quelques domestiques
ausquels il pouvoir
confier le salut de la personne:
le Prince de Murcie
voulut inutilement le
suivre; Dom Garcie avoit
choisi les chemins les plus
impraticables & les plus
inconnus, & se hâtoit
darriver au bord de la
mer pour se mettre en sûreté
dans un vaisseau
: cependant
Dom Juan, averti
de la mort de son Pere,
étoit parti pour Grenade.
Toutà coup DomGarcie
apperçut de loin un Cavalier
qui avançoit vers
luy à toute bride ; quelle
fut sa surpris quand Il re.
connue D. Juan! le perfide
,
exercé depuislongtemps
dans l'art de feindre
,
prit à l'instant le parti
d'éloigner D. Juan, pour
des raisons qu'on verra
dans la suite; il le jette à
ses pieds, &luy dit avec
les marques d'un zéle désesperé
: Seigneur, n'allez
point à Grenade, vous y
trouverez vostre perte, un
indigne voisin s'en est em-
- paré) vos sujets font aintenant
vos ennemis,nous
sommes les seuls qui nous
soyons soustraits a latyrannie,
&tout Grenade
suit les Loix du Prince de
Murcie:du Prince de Murcie!
s'écria Dom Juan,ah
Ciel! que me dites-vous?
le Prince de Murcie est
mon ennemi, le Prince
de Murcie est un usurpateur
! non Dom Garcie il
n'est pas possible.Ah
Seigneur, reprit D. Carcie,
il n'est que trop vray,
la consternation de vos fidels
sujets que vous voyez
ticyr, noe vpous.l'assure que .J.J j
JVT En ,.-,jn D. Juan voulut
douter, les larmes perfides
de Dom Garcie le persuaderentenfin.
ChCiel,
dit ce credule Prince,
sur quoy faut- il desormais
compter? le Prince de
Murcie m'estinfidele, le
Prince de Murcie m'enleve
mes Etats: Ah! perfide,
tu me trahis? Je vais
soûlever contre toytoute
l'Espagne
: mais je sçai un
autre moyen de me vanger
; Leonore indignée de
ton lâche procedé, & confuse
d'avoir eu pour toy
de l'amour, me vangera
par la haine que je vais lui
inspirer contre toy : Allons,
dit-il, fidele Dom
Garciecourons nous vanger
: le Duc d'Andalousie *fut toûjours mon protecteur
& mon ami; c'est
chez luy que je trouverai
de sûrsmoyens pour punir
nôtre ennemi commun;
Il est maintenant dans l'isle
de Gade
,
hâtons-nous de
traverser la Mer.
Don Juan ne pouvoit
faire une trop grande diligence
;
le Duc d'Andaloule
devoit reprendre le
chemin de Seville
;
il étoit
trop habile dans l'art de
gouverner ses sujets, pour
les perdre si long-temps de
vue. Déja le jour du départ
de la Princesse qui devoit
s'embarquer la premiere,
étaie arrêté; Dom Juan
l'ignoroit, mais il n'avoit
pas besoin de le sçavoir
pour se hâter d'arriver dans
un lieu où il devoit voir
cette Princesse. Il s'embarquaavec
le traître
Dom Garcie: mais à peine
furent-ils en mer, que les
vents yexciterentune horrible
tempête, qui menaçoit
son vaisseau d'un prochain
naufrage. Iln'aimait
pas assez la vie pour craindre
de la perdre en cetteoccasion,
& il consideroit
assez tranquillement les
autres vaisseaux qui sembloient
devoir être à tous
momens submergez: couc
a coup il en aperçut un
dont les Pilotes effrayez
faisoient entendre des cris
horribles. Une des personnes
qui étoient dans ce
vaisseau frappa d'abord sa
vûë
:
il voulut la considerer
plus attentivement:
mais quelle fut sa surprise!
lorsque parmi un assez
grand nombre de femmes
éplorées, il reconnut Leonore,
feule tranquile dans
ce
ce peril éminent : O Ciel!
s'ecria-t-il, Leonore est
prête à perir. A peine ces
mors furent prononcez,
que ce vaisseau fut submergé
,
& Leonore disparut
avec toute sa fuite. Il se
jette dans lamer, resolu
de perir, ou de la sauver
pendant , que ses sujets consternez
desesperoient de
son salut. Enfin Leonore
fut portée par la force
d'une vague en un endroit
où Dom Juan l'apperçut
: il nage vers elle
tout tr ansporté,&sauve
enfin cette illustre Princesse
dans son vaisseau.
C'est ici qu'il faut admirer
la bizarerie de la fortune.
Le Prince de Murcie
éloigné depuis long-temps
de Leonore,n'a pu encore
se raprocher d'elle, prêt
d'arriver à l'isle de Gade,
où elle étoit, une affaire
imprévûël'enéloigne plus
que jamais : pendant qu'il
signale sa generosité
, un
credule ami, aux intérêts
duquel il sacrifie les siens,
l'accuse de perfidie; Dom
Juan, dont il délivre les
Etats, medite contre luy
une vangeance terrible;
la fortune se range de son
parti, & lui procure l'occasion
la plus favorable
pour se vanger; il fauve la
vie à ce qu'il aime, il espere
s'en faire aimer comme
il espere de faire haïr
son rival en le peignant
des plus vives couleurs.
Tellesétoient les esperances
de D. Juan lorsque
Leonore reprit ses forces
& ses esprits
:
à peine eutelle
ouvert les yeux qu'elle
vit Dom Juan qui, prosterné
à ses pieds, sembloit
par cet important service
avoir acquis le droit de
soûpirer pour elle, auquel ilavoit autrefoisrenoncé.
ëluoy9 Seigneur, lui ditelle,
c'est à vous que Leonore
doit la vie, à vous qui
lui deveztousvos mtibeurs?
cette vie infortunée ne meritoit
point un liberateur si
généreux, envers qui laplus
forte reconnoissance ne peut
jamais m'acquitter. Ah, répondit
Dom Juan! pouvois-
je esperer un sigrand
bonheur,aprés avoir étési
ton*- ttmp: Loin de z,ous) dtnf
vous r, o:r quepour njous
donner la vie? Ah, belle
Leonore ! HJQHS connoiite£
dans peu que sivous tnerjlf:Z
un coeur fidele, le mien .f(ulest
digne de vous être offert.
Ce discours de Dom
Juan allarma plus la Princesseque
le danger auquel
elle venoir d'échaper. Depuis
sa fatale renconrre
avec Elvire, elle étoit agitée
des plus mortelles inquietudes;
Elvire avoit
nommé le Prince de Murcie,
Leonore ne pouvoit
calmer ses soupçons qu'en
esperant qu'Elvirese seroit
méprise.
La hardiesse de Dom
Juan à luyparler de son
amour, & la maniere dont
il fait valoir la fidelité
de son coeur, redouble
ses soupçons & la trouble,
cependant prévenuë
d'horreur pour toutes les
infidelitez
,
celle de Dom
Juan envers le Prince de
Murcie la blesse, elle veut
la lui faire sentir adroitement
: Seigneur, dit-elle à
Dom Juan, vous ne me parle7
point du Prince de Adurcie,
cet ami qui vous eji si
cher, & pour quivousfça-
'tIe:z que je m'inttresse. Je
vous entens, Madame, répondit
Dom Juan, vous
opposezaux transports qui
viennent de m'échapper, le
souvenir d'un Prince que
vous croyeZ encore monami:
mais, Madame, ..,.endez..-moy
plus deluflice; je nesuis pas
infidele au Prince de Murcie,
cess luy qui me trabit,
quim'enlevemes Etats, rtJ
qui se rend en même temps
indigne de vôtre amour&
de mon amirie. Ciel! reprit
Leonore, que me dites vous,
Dom_îuan? Noniln'estpas
possible; le Prince deMurcie
n'est point un udurpateur,&
votre crédulité luyfait un
"ffront que rien ne peut réparer.
C'tJI à regret, Madame,
ajoûta Dom Juan,
queje vous apprens une nouvellesi
triste pour vous dr
pour moy : mais enfin je ne
puis douter que le Prince de
Murcie nesoit un perfide;
il nous a trompa l'un C
l'autre par les fausses apparences
de U vertu laplus héroi'queo'
roïque.jirrefie^ Dom Juan,
dit imperieusement Leonore,
cette veriténe niesi
pas APt, connuëpoursouffrir
des discours injurieux à
la vertu du Prince de Murcie,
& aux sentimens que
fay pour luy; c'est niaccabler
que de traitter ainsi ce
Heros, &vous dervjez. plutôt
me laijjerpérir.Quoy !
reprit Dom Juan, vous
croiriez que j'invente me
fable pour le noircir à vos
yeux?Non, Madame,vous
l'apprendrez par d'autres
bouches, cinquante de mes
sujets , A la tête desquels
est le sujet le plus fidele
,
vous diront que le Prince,
de concert avec leperside D.
Pedre,a seduit les habitans
de Grenade, (9* s'elf emparé
de cette Duché Au nom de
D. Pedre Leonore changea
de couleur, & ne pouvant
plus soûtenir une
conversation si delicate
pour son amour, elle pria
Dom Juan de la laisser
feule.
Ce fut pour lors que
revenuë à foy-même du
trouble où les derniers
mots de Dom Juan lavoient
jettée,elle s'abandonna
à sa juste douleur:
grand Dieu, dit-elle, il
est donc vray? le Prince
de Murcie est un perfide,
ce qu'Elvire m'adit, ôc
ce que m'a raconté Dom
Juan n'est que trop confirmé
! le Fatal nom de
Dom Pedre ne m'en laisse
plus douter
,
Dom Pedre
aura trahi son Maître en
faveur de son amy ,
le
Prince amoureux d'Elvire
se fera fait Duc de Grenade
pour s'en assurer la
possession; & moy vi&û
me de l'amour le plus
tendre & le plus constant,
confuse & desesperée d'avoir
tant aimé un ingrat,
un traître,je vais molurir,
détestant également tous
les hommes;& où trouver
de la probité, de la
foy, puisque le Prince de
Murcie est un perfide ?
Mais quoy, dois-je si-tôt
le condamner? peut-être
ce Prince
,
ignorant des
piéges qu'on tend à nôtre
amour, gemit dans l'inu
possibilité où il est de me
voir. Ah! quelle apparence,
c'est en vain que je
voudrois le justifier,Elvire,
Dom Pedre, Dom
Juan, vos funestes discours
ne le rendent que
trop coupable. C'est ainsi
que Leonore accablée de
la plus mortelle douleur
condamnoit son amant
malgréelle, & retractoit
sa condamnation malgré
les apparences de fa- perfidie.
Cependant le vaisseau
approchoit du bord, &
déja Leonore apperçoit
sur le rivage le Duc d'Andalousie,
que la tempête
avoitextrêmemeut allarmé
pour sa vie: illa reçut
avec une joye qui marqua
bien la crainte à laquelle
elle succedoit; maisil fut
franrporce quand il vit son
liberateur il luy donna
les marques les plus vives
d'une reconnoissance qui
se joignoit à l'amitié qu'il
* avoit toujours eue pour
luy; ce qui augmenta ses
esperances, & le desespoir
de Leonore.
Dom Juan ne tarda.
pas à instruire le Duc de
la prétendue perfidie du
Prince de Murcie, &: D.
Garcie en fit adroitement
le fabuleux récit: le Duc
fut surpris de la décestable
action qu'on luy racontoit,
& sensible aux
malheurs de Dom Juan,
il jura de le remettre dans
son Duché,&luy promit
Leonore. Plein d'un projet
si vivement conçu, il
va trouver cette Princesse
& luy dit
: Ma fille, vous
sçavez la perfidie du Prin-
-ce de Murcie, apprenez
par ce dernier trait à ne
vous pas laisser surprendre
par la fausse vertu,
guerissez-vous d'une passion
que vous ne pouvez
-
plus ressentir sans honte,
& preparez-vous a epoufer
Dom Juan que je vous
ai toûjours destiné.
Lconore frappée comme
d'un coup de foudre,
ne put répondre à son
Pere
,
mais il crut voir
dans sa contenancerespetfueufe
une fille preparée
à obéir, il la laisse seule,
& courut assurer D. Juan
de l'obéissance de sa fille:
ce Prince se crut dés ce
moment vangé de son rival,
il commença à regarder
Leonore comme son
épouse, & il ne cessoit de d
luy parler de son amour,
& de (on bonheur; Leonore
incertaine du party
qu'elle devoit prendre,
étoit pour comble de malheur
obligée à le bien recevoir;
elle luy devoit la
vie; son Pere luy ordonnoit
de le regarder comme
son époux, & d'ailleurs
illuy importoit de cacher
l'amour qu'elle conservoit
au Prince.~<~ - J't-
4* Enfin le Duc sur du
consentement de safille,
hâraextrêmement ce mariage
,
& le jour fut arrê-
1 té: la joye de cette nouvelle
se répandit dans lllle
deGade;tout le monde
benissoit le bonheur des
deux époux, tandis que
Leonoresuivoit, triste victime
du devoir & de la
fortune, les ordres d'un
Pere toujours conrraires à
son penchant. Eh! quel
party pouvait-elle prendre?
il falloir, ou le donner
la mort, ou époufer
Dorn Juan; sa vie étoit
trop mal-heureuse pour
qu'elle eût envie de la
conserver en cette occasion,
mais mourir fidelle
à un scelerat,à un tyran,
n'est pas un sort digne
d'une grande Princesse:
Enfin elle ne pouvoir desobéir
à son Pere, sans révolter
contr'elle tour l'Univers
,
à qui elle devoit
compte de cetteaction, &
devant lequel elle ne pouvoir
être bien justifiée.
Elle va donc subir son
malheureux fort,deja tour
se dispose à le confirmer.
Mais laissons cet appareil,
qui tout superbe qu'il étoit
ne pourroit que nous attrliiller
revenons au Prince
de Murcie.
Il était bien juste qu'aprés
avoir fait éclater tant
de generosité aux dépens
mêrat de son amour, cette
passion qui dominoit dans
son coeur, eut enfin son
tour. Il donna les ordres
necessaires à la tranquilité
du Duché de Grenade,&
commit à Dom Pedre le
foin de contenir dans le
devoir des sujets naturellement
inconstans;, ensuite
il retourne à l'isle de
Gade, traversela mer, &
se trouve dans une gran..
de foret: il chercha longtemps
quelqu'un qui pût
lui dire s'il était encore
bien loin de Gade,enfin
il apperçut un homme rêveur
, en qui lesejour de
la solitude laissoit voir de
- la noblesse& de la majesté:
il s'approche de lui, & lui
dit: Seigneur, puis-je esperer
que vous m'apprendrez
leslieux oujefuis?seigneur,
répondit le Solitaire, Ivou-s
êtes dans l'islede Gade ,pof.
fedée par le Duc d'Andalousie
,
il est venu depuis peuy
établir fortJejour avec Leonore
i-a fille, que la renommée
met audessus de ce qui
parut jamais de plus accompli.
Cette Ijle, reprit le
Prince,estsans doute le centre
de la galanterie, puisque
Leonore estsiparfaite,Û?sa
Cour doit être bien brillante?
Ilest nifede le conjecturer,
répondit le Solitaire: Je
n'en suis pas d'ailleurs mieux
informé que vous, je sçai
fente* ent, (ST sicette avan-t
tureavoirfaitmoins de bruit
je ne la sçaurois pas, jesçai
que Leonore retournant aSevdle
, fut surprije par la
tempête, & que prêteaperir
dans les flots, Dom Juan
Prince de Grenade la délivra
de ceperil. Dom Juan, reprit
vivement le Prince,
a sauvé les jours de Leonore?
les jours de Leonore ont été
en péril? Oui, Seigneur repondit le Solitaire, hjle,
de Gade retentit encore de
la reconnoissance de cette
Princeffi; depuis huit jours
ellea donné la main à Dom
Juan. Ah Ciel!s'écriale
Prince de Murcie, & en
mêmetempsil tomba aux
pieds du Solitaire
,
sans
Force & sans couleur.
DE L'HISTOIRE
ESPAGNOLE. LEONORE arriva
bien-tost dans l'Isle
de Gade sans estre retardée
,
ni par l'inconstance -
de la Mer, ni par aucun
autre accident; quand les
amans trouvent des obHaçlesy
ce n'elt pas d'ordinaire
dans ces occasions.
Le Duc d'Andalousie,
non content de la douleur
que luy causoit l'absence
du Prince, la confia
à sa soeur, il crut ne pouvoir
mieux punir sa fille
de la passion qu'elle avoit
pour le Prince, qu'en luy
opposant de longs discours
que cette vieille soeur faisoit
sans cesse contre l'amour
; Leonore en estoit
perpetuellement obsedée,
elle estoit à tous momens
forcée d'essuyer les chagrins
de sa tante contre
les moeurs d'un siecle dont
elle n'estoit plus, & si l'on
ajoute à tant de sujets de
tristesse, le peu d'esperance
qui luy restoit de voir
son cher Prince, je m'assure
qu'on trouvera Leonore
bien à plaindre.
Un temps assez considerable
s'estoit écoulé sans
qu'elleeust encor vû dans
cette malheureuse Isle que
son Pere & son ennuyeuse
Tante, toujours livrée à
l'un ou à l'autre; à peine
pouvoit-elle passer quelques
momens seule dans
un Jardin bordé par des
Rochers que la Mer venoitbattre
de sesflots,
spectacle dont Leonore
n'avoit pas besoin pour
exciter sa rêverie:Un
jour plus fortuné pour
elle que tantd'autres qu'-
elleavoit trouvez silongs,
elle se promenoit dans ce
Jardin, heureuse de pouvoirsentir
en liberté tous
ses malheurs, elle vit tout
à coup dans le fond d'une
allée, une perfoiineqLii
paroissoit triste
)
& dont la
beauté rendoit la douleur
plus touchante;la conformité
de leur état leur donna
une mutuelle envie de
se voir de plus prés, & elles
furent bien-tôt à portée
de se demander par quelle
avanture elles se trouvoient
ainsi dans le même
lieu: Leonore qui se
croyoit la plusmalheureuse
,
avoit droit de se plaindre
la premiere, & cependat
elle se fit violence pour
cacher une partie de sa
tristesse:Je ne m'attendois
pas, Madame, dit-elle, à
l'inconnuë
,
de trouver ici
une des plus belles personnes
du monde, moy qui
avois lieu de croire que le
Duc d'Andalousie & sa
soeur estoient les seuls habitans
de cette Isle.
Ma surprise, Madame,
répondit l'inconnuë, elt
mieux fondée que la vôtre
; je trouve ici plus de
beauté que vous n'yen
pouvez trouver, & j'ay
sans doute plus de raisons
de n'y supposer personne:
Je ne doute pas, reprit
Leonore, que de grandes
raisons ne vous réduisent à
vous cacher dans une solitude,
j'ai crû voir sur vôtre
visage des marques de
la plus vive douleur, vous
estes sans doute malheureuse,
cette raison me fut
fit pour vous plaindre:l'inconnuë
ne répondoit d'abord
à Leonore que par
des discours de civilité;
l'habitude qu'elle avoit
prise de parler seule,&sans
témoins, contrebalançoit
le penchant naturel que
les malheureux ont à se
plaindre,mais son air my.
sterieux ne faisoitqu'irriter
la curiosité de Leonore
5
qui estoit impatiente
de comparer ses malheurs
à ceux de l'inconnuë
; quoique j'ayepûaisément
remarquer que vôtre
situation n'est pas heureuse,
continua Leonore,
je ne puis comprendre
comment la fortune vous
a conduite dans l'Isle de
Gade, je me croyois la
seulequ'elle y eufi rranC.
portée, & je vous avouë
que je fuis bien impatiente
d'en penetrer le mystere;
si vous conncissiez.
l'habirude où je luis de
plaindre les malheureux,
& l'inclination qui deja
m'interesse pour vousvous
n'auriez pas le courage de
me le cacher plus longtemps.
Je ne puis douter, Madame,
répondit l'inconnuë,
que vous ne soyiez.
Leonore, ôc c'ell3 tant
parce que je vous trouve
dans cette Isle
,
dont le
Duc d'Andaiousie est Souverain
,que parce que je
remarque des ce moment
en vous tout ce que la reo
nommée en publie) je ne
pouvois d'abord me persuader
que la fortune, si
cruelle d'ailleurs pourmoi
voulût icy me procurer
une de ses plus grandesfaveurs,
mais maintenant,
sûre que je vais parler à la
Princesse du monde laphrs
accomplie, jen'aurai plus
rien de secret pour elle,
& la pitié que vôtre grand
coeur ne pourra refuser
à des malheurs,qui ne
font pas communs, aura
sans doute le pouvoir de
les soulager.
Je m'appelle Elvire,
mon Pere îssu des anciens
Ducs de Grenade, vivoit
avec distindtion sujet du
Duc de Grenade, sans envier
ses Etats injustement
fortis de sa Maison, il mourut
, formant pour moy
d'heureux projetsd'établissement;
un Prince digne
de mon estime, & qui
auroit honoré7 son Alliance,
m'aimoit, je laimois
aussi, mon Pere trouvoit
dans ce mariage mon bonheur,
l'amitié qu'il avoir
pour moy luy rendoit cette
raison fiifîîfante les
choses estoient si avancées
queje gourois sans inquiétude
le plaisir d'estre destinée
à ce Prince
,
mais.
helas mon Pere mourut,
ôc(a more nous laissa cous
dans l'impuissance de finirune
affaire si importante.
pour moy! sa famille futlong-
temps accablée de ta
douleur
1
de cette perte:
enfin Don Pedre, qui est
monFrere,voulut relever
mes elperances aussi-bien
que celles de mon amant
qu'il aimoit presque autant
quemoy, lors que
Dom Garcie, homme tout
puissant à la Cour du Duc
de Grenade, qui y regnoit
plus que luy, me fit
demander par le Duc de
Grenade luy-mêrne: ce
coup imprevû accabla roue
te nostre famille,j'estois
sans doute la plus à plaindre
, mais mon Frere
,
qui
haïrToit personnellement
Dom Garcie, &qui avoit
de grandes raisons pour le
haïr, fut celuy quirésista
aplusuvivement; il repre- Duc quemafamille
avoir pris avec mon
amant des engagemens
trop forts pour pouvoir les
rompre, & que d'ailleurs
il convenoit mieux à ma
naissance
:
il le fit ressouvenir
des liens qui l'attachoient
à nous, & le Duc
naturellement équitable,
se rendit aux raisons de
mon Frere, & luy permit
d'achever nostre Mariage.
Je ne puis vous exprimer
mieuxNladaine,
quelle fut ma joye, qu'en
la comparant a la douleur
que j'ai ressentie depuis, &c
qui succeda bien-tost à
mes transports
: le jourmême
qui devoit assurer
mon bonheur, le perfide
Dom Garcie vint m'arracher
aux empressemens de
mon amant, & me rendit
la plus malheureuse personne
du mondey il me
conduisit dans des lieux
où personne ne pouvoit
me secourir : j'y fus livrée
à ses violences,le fourbe
employait tour-à-tour l'artifice
& la force, & comme
l'un & l'autre estoient
également inutiles à son
execrable dessein, il devenoit
chaquejour plus dangereux
: combien de fois
me ferois-je donnélamort,
si l'esperance de revoir
mon cher Prince ne m'avoit
toujours soutenue
croyez,Madame, que j'ai
plus souffert que je ne puis
vous le dire; le Ciel vous
preserve de connoître jamais
la rigueur d'un pareil
tourment: enfin ne pouvant
plus y refiler, je pris
le seul party qui me restair,
l'occal'occalionleprelentafavorableosai
me soustraire
aux violences de ce scelerat,
résolue de me donner
la mort,s'il venoit à me
découvrir;je ne vous diray
point la diligence avec
laquelle je fuyois ce monstre
malgré la foiblesse de
mon (exe
; mais enfin j'échapai
de ses mains:incertaine
des chemins que je
devois prendre, & des
lieux ou je devois arriver,
la fortune m'a conduite ici
loin du perfide Dom Garcie,
mais encore plus loin
demonamant.
Elvire racontoit ses malheurs
avec d'autant plus
de plaisir qu'elle voyoit
l'émotion de Leonore s'accroirre
à mesure qu'elle
continuoit son récit:chaque
malheur d'Elvire faisoit
dans son coeur une impression
qui paroissotc d'abord
sur sonvisage. Quand
ce récit fut fini, elle esperoit
qu'Elvire n'avoit pas
encore tout dit, ou qu'elle
auroit oubliéquelque circonstance
; mais quel fâcheux
contre-temps, Leonore
apperçoit sa vieille
tante qui avançoit à grands
pas vers elle Ah,ma chere
Elvire, s'écria t-elle, que
je fuis malheureuse, on
vient moter tous mes
plaisirs, il faut que je vous
quitte dans le moment que
vôtre recit m'interesse davantage.,
vous avez encor
mille choses à me raconter
je ne sçay point le
nom de vôtre amant) ni
ce qu'il a fait pour meriter
ce que vous souffrez
pour luy
,
hâtez-vous de
m'apprendre ce que je ne
lçai point encore : Je ne
sçai rien de mon Amant,
reprit Elvire, avec précipitarion,
sans doute il
n'a pu découvrir les lieux
où je suis,peut-être a-til
pris le party du defefpoir
,
peut-être ignorant
ce que mon amour a ose
pour me conserveràluy,
fiance, peut-être est-il inconfiant
luy-même:Voila,
Madame *
sçay du Prince de Murcie.
Au nom du Prince de
Murcie Leonore fit un
eiy
)
ôc tomba peu après
évanouie dans les bras d'Elvirer
Quelle fut la surprise
de cette tante quand elle
trouva Leonore dans ce
tristeétat& une inconnue
dans un trouble extrême:
Elle fit conduire Leonore
à son appartement,enattendant
qu'elle pût sçavoit
un mystere que le hazard
offroit heureusement à
son insatiable curiosité.
Cependant le Prince de
Murcie étoit depuis longtemps
abient de Leonore,
les mêmes raisons quil'ai
voient obligé de quitter
l'Andalousie si promptement,
l'empêchoient d'y
revenir:mais enfin l'amour
l'em portasurla prudence,
& il partit pour Seville
resolu de le cacher le)
mieux qu'il pourroit : A
peine fut-il dans l'Andalousie
qu'il apprit que Leonore
étoit dans l'Isle de
Gade, la distance qui estoit
entre luy & sa Princesse
le fit frémir; plus un
amant est eloigné de ce
qu 'il aime, & plus il est
malheureux;il arrive enfin
sur le bord de la mer
qu'il falloir passer pour aller
a Gade; il fut longtemps
sur le rivage cherchant
des yeux une chaloupe
à la faveur de laquelleilpût
la traverser;
&enfin il vit une petite
barque. Dans le moment
qu'il prioit le pêcheur, à
qui elle appartenoit,de l'y
recevoir, il aperçut un
homme bien fait, qui sembloit
d'abord vouloir se
cacher à ses yeux? & qui
insensiblement s'aprochoit
pourtant de luy. Le Prince
qui navoir pas moins dintérêt
à être inconnu dans
un pays si voisin de Tille
de Gade, loinde fuïr cet
étranger,alloit au devant
de luy, comme si un instindi:
secret eut en ce moment
conduit Ces pas, &
comme si le mente superieur
avoit quelque marque
particulière à laquelle
ils se fussent d'abord reconnus.
1 Seigneur, dit l'inconnu
au Prince de Murcie,j'attens
depuislong temps
l'occasion favorable qui se
prepresente
: cependant, si
vos raisons etoient plus
fortes que les miennes, je
ferois prêt à vous la ceder.
Seigneur, répondir le Prince,
vous ne sçauriez être
plus pressé de vous embarquer
que je le suis, & je
vous cede cette barque
d'aussi bon coeur ôc aux
mêmes conditions que
vous me la cedez,je consens
avec plaisir à la mutuelle
confidence que vous
me proposez
;
heureux de
pouvoir m'interesser au
sort d'un homme tel que
vous. Seigneur, répondit
, 1 ,., ,'inconnu,line s agit point
icydes intérêts personnels
du malheureux Dom Pedre,
mais de ceux de mon
Souverain, qui me sont
mille fois plus chers: Le
Duc de Grenade estmort,
un sujet perfide est prêt à
se faire proclamer son successeurcontreles
droits de
Dom Juan qu'une mauvaise
fortune éloigne depuis
long -temps de ses
Eltats. Comme Dom Garcie
était le canal unique
des graces du Duc)ils'est
adroitement rendu maitre
de tous les esprits; si
l'on ne s'oppose promptement
à les tyranniques
projets, Dom Juan fera
bien-tôt dépoüillé de ses
Estats : Son absence
)
la
mort du Duc son pere,
& l'addresse du traistre
D. Garcie luy laissent peu
de sujets fidelles
: J'ay appris
qu'ayant voyagé dans
l'Europe il a paffé la mer,
voyez, Seigneur) si les
raisonsdemonembarquement
font pressantes. Oüi,
Seigneur
,
répondit le
Prince, mais non pas seulement
pour vous, les
intérêts de Dom Juan
me sont auili chers que
les miens; c'est un
Prince digne de votre affection
& dela mienne:
D'ailleurs le trait de perfidie
de Dom Garcie merite
une vangeance éclatante,
je vaism unir a vous
dans un dessein si genereux
& si légitime;je
suis le Prince de Murcie,
je dépeuplerai s'ille faut
Murcie d'habitans pour
chasser cet indigne usurpateur
,ne perdons point
le temps à chercher Dom
Juan dans des lieux où il
pourroit n'être pas: mais
qu'à son retour il trouve
Grenade tranquille t Allons
purger ses Estats d'un
monstre digne du plus
horriblesupplice.
.:, Ces paroles que le
Prince prononça avec
chaleur donnèrent une si
grande joye à Dom Pedre
qu'ilseroitimpossible
de l'exprimer: la fortune
qui sembloit avoir abandonné
son party luioffroit
en ce moment les plus
grands secours qu'il pût
esperer,plein d'un projet
dont l'execution devoir lui
paroistre impossibles'il
avoit eu moins de zele,
il trouvoit dans le Prince
de Murcie un puissant protecteur
, & un illustre
amy.
ils partent ensemble,
& le Prince de Murcie ne
pouvant se persuader que
les habitans de Grenade
fussent sincerement attachez
à un homme dont la
perfidie étoit si marquée,
crut par sa feule presence
& quelques mesures lècretes,
pouvoir les remettre
dans l'obeïssance de
leur légitimé Souverain.
Ils arrivèrent aux portes
de Grenade la veille du
jour que Dom Garcie devoit
être proclamé;ils entrerent
sècretement pendant
la nuit dans la ville:
Dom Pedre fut surpris de
trouver les plus honestes
gens disposez à suivre les
loix d'un usurpateur, tout
estoit seduit, & le mallui
parut d'abord sans remede
: mais le Prince, dont
la feule presenceinspiroit
l'honneur & le courage par
la force & la sàgesse de ses
discours, sçut les ramener
à de plus justes maximes.
n Les plus braves se
rangerent les premiers
fous les ordres du Prince
,
& remirent dans
le devoir ceux que leur
exemple en avoir fait
fortirblentot la plus grande
partie de la ville déclarée
contre le Tyran,
parce qu'il n'étoit plus a
craindre, demanda sa
mort: On conduisit le
Prince de Murcie dans
le Palais: mais le bruit
qui arrive necessairement
dans les revolutions sauva
le tyran & le fit échapper
à la juste punition qu'on
lui preparoit ;
il s'enfuit
avec quelques domestiques
ausquels il pouvoir
confier le salut de la personne:
le Prince de Murcie
voulut inutilement le
suivre; Dom Garcie avoit
choisi les chemins les plus
impraticables & les plus
inconnus, & se hâtoit
darriver au bord de la
mer pour se mettre en sûreté
dans un vaisseau
: cependant
Dom Juan, averti
de la mort de son Pere,
étoit parti pour Grenade.
Toutà coup DomGarcie
apperçut de loin un Cavalier
qui avançoit vers
luy à toute bride ; quelle
fut sa surpris quand Il re.
connue D. Juan! le perfide
,
exercé depuislongtemps
dans l'art de feindre
,
prit à l'instant le parti
d'éloigner D. Juan, pour
des raisons qu'on verra
dans la suite; il le jette à
ses pieds, &luy dit avec
les marques d'un zéle désesperé
: Seigneur, n'allez
point à Grenade, vous y
trouverez vostre perte, un
indigne voisin s'en est em-
- paré) vos sujets font aintenant
vos ennemis,nous
sommes les seuls qui nous
soyons soustraits a latyrannie,
&tout Grenade
suit les Loix du Prince de
Murcie:du Prince de Murcie!
s'écria Dom Juan,ah
Ciel! que me dites-vous?
le Prince de Murcie est
mon ennemi, le Prince
de Murcie est un usurpateur
! non Dom Garcie il
n'est pas possible.Ah
Seigneur, reprit D. Carcie,
il n'est que trop vray,
la consternation de vos fidels
sujets que vous voyez
ticyr, noe vpous.l'assure que .J.J j
JVT En ,.-,jn D. Juan voulut
douter, les larmes perfides
de Dom Garcie le persuaderentenfin.
ChCiel,
dit ce credule Prince,
sur quoy faut- il desormais
compter? le Prince de
Murcie m'estinfidele, le
Prince de Murcie m'enleve
mes Etats: Ah! perfide,
tu me trahis? Je vais
soûlever contre toytoute
l'Espagne
: mais je sçai un
autre moyen de me vanger
; Leonore indignée de
ton lâche procedé, & confuse
d'avoir eu pour toy
de l'amour, me vangera
par la haine que je vais lui
inspirer contre toy : Allons,
dit-il, fidele Dom
Garciecourons nous vanger
: le Duc d'Andalousie *fut toûjours mon protecteur
& mon ami; c'est
chez luy que je trouverai
de sûrsmoyens pour punir
nôtre ennemi commun;
Il est maintenant dans l'isle
de Gade
,
hâtons-nous de
traverser la Mer.
Don Juan ne pouvoit
faire une trop grande diligence
;
le Duc d'Andaloule
devoit reprendre le
chemin de Seville
;
il étoit
trop habile dans l'art de
gouverner ses sujets, pour
les perdre si long-temps de
vue. Déja le jour du départ
de la Princesse qui devoit
s'embarquer la premiere,
étaie arrêté; Dom Juan
l'ignoroit, mais il n'avoit
pas besoin de le sçavoir
pour se hâter d'arriver dans
un lieu où il devoit voir
cette Princesse. Il s'embarquaavec
le traître
Dom Garcie: mais à peine
furent-ils en mer, que les
vents yexciterentune horrible
tempête, qui menaçoit
son vaisseau d'un prochain
naufrage. Iln'aimait
pas assez la vie pour craindre
de la perdre en cetteoccasion,
& il consideroit
assez tranquillement les
autres vaisseaux qui sembloient
devoir être à tous
momens submergez: couc
a coup il en aperçut un
dont les Pilotes effrayez
faisoient entendre des cris
horribles. Une des personnes
qui étoient dans ce
vaisseau frappa d'abord sa
vûë
:
il voulut la considerer
plus attentivement:
mais quelle fut sa surprise!
lorsque parmi un assez
grand nombre de femmes
éplorées, il reconnut Leonore,
feule tranquile dans
ce
ce peril éminent : O Ciel!
s'ecria-t-il, Leonore est
prête à perir. A peine ces
mors furent prononcez,
que ce vaisseau fut submergé
,
& Leonore disparut
avec toute sa fuite. Il se
jette dans lamer, resolu
de perir, ou de la sauver
pendant , que ses sujets consternez
desesperoient de
son salut. Enfin Leonore
fut portée par la force
d'une vague en un endroit
où Dom Juan l'apperçut
: il nage vers elle
tout tr ansporté,&sauve
enfin cette illustre Princesse
dans son vaisseau.
C'est ici qu'il faut admirer
la bizarerie de la fortune.
Le Prince de Murcie
éloigné depuis long-temps
de Leonore,n'a pu encore
se raprocher d'elle, prêt
d'arriver à l'isle de Gade,
où elle étoit, une affaire
imprévûël'enéloigne plus
que jamais : pendant qu'il
signale sa generosité
, un
credule ami, aux intérêts
duquel il sacrifie les siens,
l'accuse de perfidie; Dom
Juan, dont il délivre les
Etats, medite contre luy
une vangeance terrible;
la fortune se range de son
parti, & lui procure l'occasion
la plus favorable
pour se vanger; il fauve la
vie à ce qu'il aime, il espere
s'en faire aimer comme
il espere de faire haïr
son rival en le peignant
des plus vives couleurs.
Tellesétoient les esperances
de D. Juan lorsque
Leonore reprit ses forces
& ses esprits
:
à peine eutelle
ouvert les yeux qu'elle
vit Dom Juan qui, prosterné
à ses pieds, sembloit
par cet important service
avoir acquis le droit de
soûpirer pour elle, auquel ilavoit autrefoisrenoncé.
ëluoy9 Seigneur, lui ditelle,
c'est à vous que Leonore
doit la vie, à vous qui
lui deveztousvos mtibeurs?
cette vie infortunée ne meritoit
point un liberateur si
généreux, envers qui laplus
forte reconnoissance ne peut
jamais m'acquitter. Ah, répondit
Dom Juan! pouvois-
je esperer un sigrand
bonheur,aprés avoir étési
ton*- ttmp: Loin de z,ous) dtnf
vous r, o:r quepour njous
donner la vie? Ah, belle
Leonore ! HJQHS connoiite£
dans peu que sivous tnerjlf:Z
un coeur fidele, le mien .f(ulest
digne de vous être offert.
Ce discours de Dom
Juan allarma plus la Princesseque
le danger auquel
elle venoir d'échaper. Depuis
sa fatale renconrre
avec Elvire, elle étoit agitée
des plus mortelles inquietudes;
Elvire avoit
nommé le Prince de Murcie,
Leonore ne pouvoit
calmer ses soupçons qu'en
esperant qu'Elvirese seroit
méprise.
La hardiesse de Dom
Juan à luyparler de son
amour, & la maniere dont
il fait valoir la fidelité
de son coeur, redouble
ses soupçons & la trouble,
cependant prévenuë
d'horreur pour toutes les
infidelitez
,
celle de Dom
Juan envers le Prince de
Murcie la blesse, elle veut
la lui faire sentir adroitement
: Seigneur, dit-elle à
Dom Juan, vous ne me parle7
point du Prince de Adurcie,
cet ami qui vous eji si
cher, & pour quivousfça-
'tIe:z que je m'inttresse. Je
vous entens, Madame, répondit
Dom Juan, vous
opposezaux transports qui
viennent de m'échapper, le
souvenir d'un Prince que
vous croyeZ encore monami:
mais, Madame, ..,.endez..-moy
plus deluflice; je nesuis pas
infidele au Prince de Murcie,
cess luy qui me trabit,
quim'enlevemes Etats, rtJ
qui se rend en même temps
indigne de vôtre amour&
de mon amirie. Ciel! reprit
Leonore, que me dites vous,
Dom_îuan? Noniln'estpas
possible; le Prince deMurcie
n'est point un udurpateur,&
votre crédulité luyfait un
"ffront que rien ne peut réparer.
C'tJI à regret, Madame,
ajoûta Dom Juan,
queje vous apprens une nouvellesi
triste pour vous dr
pour moy : mais enfin je ne
puis douter que le Prince de
Murcie nesoit un perfide;
il nous a trompa l'un C
l'autre par les fausses apparences
de U vertu laplus héroi'queo'
roïque.jirrefie^ Dom Juan,
dit imperieusement Leonore,
cette veriténe niesi
pas APt, connuëpoursouffrir
des discours injurieux à
la vertu du Prince de Murcie,
& aux sentimens que
fay pour luy; c'est niaccabler
que de traitter ainsi ce
Heros, &vous dervjez. plutôt
me laijjerpérir.Quoy !
reprit Dom Juan, vous
croiriez que j'invente me
fable pour le noircir à vos
yeux?Non, Madame,vous
l'apprendrez par d'autres
bouches, cinquante de mes
sujets , A la tête desquels
est le sujet le plus fidele
,
vous diront que le Prince,
de concert avec leperside D.
Pedre,a seduit les habitans
de Grenade, (9* s'elf emparé
de cette Duché Au nom de
D. Pedre Leonore changea
de couleur, & ne pouvant
plus soûtenir une
conversation si delicate
pour son amour, elle pria
Dom Juan de la laisser
feule.
Ce fut pour lors que
revenuë à foy-même du
trouble où les derniers
mots de Dom Juan lavoient
jettée,elle s'abandonna
à sa juste douleur:
grand Dieu, dit-elle, il
est donc vray? le Prince
de Murcie est un perfide,
ce qu'Elvire m'adit, ôc
ce que m'a raconté Dom
Juan n'est que trop confirmé
! le Fatal nom de
Dom Pedre ne m'en laisse
plus douter
,
Dom Pedre
aura trahi son Maître en
faveur de son amy ,
le
Prince amoureux d'Elvire
se fera fait Duc de Grenade
pour s'en assurer la
possession; & moy vi&û
me de l'amour le plus
tendre & le plus constant,
confuse & desesperée d'avoir
tant aimé un ingrat,
un traître,je vais molurir,
détestant également tous
les hommes;& où trouver
de la probité, de la
foy, puisque le Prince de
Murcie est un perfide ?
Mais quoy, dois-je si-tôt
le condamner? peut-être
ce Prince
,
ignorant des
piéges qu'on tend à nôtre
amour, gemit dans l'inu
possibilité où il est de me
voir. Ah! quelle apparence,
c'est en vain que je
voudrois le justifier,Elvire,
Dom Pedre, Dom
Juan, vos funestes discours
ne le rendent que
trop coupable. C'est ainsi
que Leonore accablée de
la plus mortelle douleur
condamnoit son amant
malgréelle, & retractoit
sa condamnation malgré
les apparences de fa- perfidie.
Cependant le vaisseau
approchoit du bord, &
déja Leonore apperçoit
sur le rivage le Duc d'Andalousie,
que la tempête
avoitextrêmemeut allarmé
pour sa vie: illa reçut
avec une joye qui marqua
bien la crainte à laquelle
elle succedoit; maisil fut
franrporce quand il vit son
liberateur il luy donna
les marques les plus vives
d'une reconnoissance qui
se joignoit à l'amitié qu'il
* avoit toujours eue pour
luy; ce qui augmenta ses
esperances, & le desespoir
de Leonore.
Dom Juan ne tarda.
pas à instruire le Duc de
la prétendue perfidie du
Prince de Murcie, &: D.
Garcie en fit adroitement
le fabuleux récit: le Duc
fut surpris de la décestable
action qu'on luy racontoit,
& sensible aux
malheurs de Dom Juan,
il jura de le remettre dans
son Duché,&luy promit
Leonore. Plein d'un projet
si vivement conçu, il
va trouver cette Princesse
& luy dit
: Ma fille, vous
sçavez la perfidie du Prin-
-ce de Murcie, apprenez
par ce dernier trait à ne
vous pas laisser surprendre
par la fausse vertu,
guerissez-vous d'une passion
que vous ne pouvez
-
plus ressentir sans honte,
& preparez-vous a epoufer
Dom Juan que je vous
ai toûjours destiné.
Lconore frappée comme
d'un coup de foudre,
ne put répondre à son
Pere
,
mais il crut voir
dans sa contenancerespetfueufe
une fille preparée
à obéir, il la laisse seule,
& courut assurer D. Juan
de l'obéissance de sa fille:
ce Prince se crut dés ce
moment vangé de son rival,
il commença à regarder
Leonore comme son
épouse, & il ne cessoit de d
luy parler de son amour,
& de (on bonheur; Leonore
incertaine du party
qu'elle devoit prendre,
étoit pour comble de malheur
obligée à le bien recevoir;
elle luy devoit la
vie; son Pere luy ordonnoit
de le regarder comme
son époux, & d'ailleurs
illuy importoit de cacher
l'amour qu'elle conservoit
au Prince.~<~ - J't-
4* Enfin le Duc sur du
consentement de safille,
hâraextrêmement ce mariage
,
& le jour fut arrê-
1 té: la joye de cette nouvelle
se répandit dans lllle
deGade;tout le monde
benissoit le bonheur des
deux époux, tandis que
Leonoresuivoit, triste victime
du devoir & de la
fortune, les ordres d'un
Pere toujours conrraires à
son penchant. Eh! quel
party pouvait-elle prendre?
il falloir, ou le donner
la mort, ou époufer
Dorn Juan; sa vie étoit
trop mal-heureuse pour
qu'elle eût envie de la
conserver en cette occasion,
mais mourir fidelle
à un scelerat,à un tyran,
n'est pas un sort digne
d'une grande Princesse:
Enfin elle ne pouvoir desobéir
à son Pere, sans révolter
contr'elle tour l'Univers
,
à qui elle devoit
compte de cetteaction, &
devant lequel elle ne pouvoir
être bien justifiée.
Elle va donc subir son
malheureux fort,deja tour
se dispose à le confirmer.
Mais laissons cet appareil,
qui tout superbe qu'il étoit
ne pourroit que nous attrliiller
revenons au Prince
de Murcie.
Il était bien juste qu'aprés
avoir fait éclater tant
de generosité aux dépens
mêrat de son amour, cette
passion qui dominoit dans
son coeur, eut enfin son
tour. Il donna les ordres
necessaires à la tranquilité
du Duché de Grenade,&
commit à Dom Pedre le
foin de contenir dans le
devoir des sujets naturellement
inconstans;, ensuite
il retourne à l'isle de
Gade, traversela mer, &
se trouve dans une gran..
de foret: il chercha longtemps
quelqu'un qui pût
lui dire s'il était encore
bien loin de Gade,enfin
il apperçut un homme rêveur
, en qui lesejour de
la solitude laissoit voir de
- la noblesse& de la majesté:
il s'approche de lui, & lui
dit: Seigneur, puis-je esperer
que vous m'apprendrez
leslieux oujefuis?seigneur,
répondit le Solitaire, Ivou-s
êtes dans l'islede Gade ,pof.
fedée par le Duc d'Andalousie
,
il est venu depuis peuy
établir fortJejour avec Leonore
i-a fille, que la renommée
met audessus de ce qui
parut jamais de plus accompli.
Cette Ijle, reprit le
Prince,estsans doute le centre
de la galanterie, puisque
Leonore estsiparfaite,Û?sa
Cour doit être bien brillante?
Ilest nifede le conjecturer,
répondit le Solitaire: Je
n'en suis pas d'ailleurs mieux
informé que vous, je sçai
fente* ent, (ST sicette avan-t
tureavoirfaitmoins de bruit
je ne la sçaurois pas, jesçai
que Leonore retournant aSevdle
, fut surprije par la
tempête, & que prêteaperir
dans les flots, Dom Juan
Prince de Grenade la délivra
de ceperil. Dom Juan, reprit
vivement le Prince,
a sauvé les jours de Leonore?
les jours de Leonore ont été
en péril? Oui, Seigneur repondit le Solitaire, hjle,
de Gade retentit encore de
la reconnoissance de cette
Princeffi; depuis huit jours
ellea donné la main à Dom
Juan. Ah Ciel!s'écriale
Prince de Murcie, & en
mêmetempsil tomba aux
pieds du Solitaire
,
sans
Force & sans couleur.
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Résumé : SUITE DE L'HISTOIRE ESPAGNOLE.
Le texte relate les aventures de Léonore et du Prince de Murcie, séparés par des circonstances tragiques. Léonore arrive sur l'île de Gade, où elle est accablée par l'absence du Prince et les discours moralisateurs de sa tante, sœur du Duc d'Andalousie. Elle y rencontre Elvire, une jeune femme également triste, qui lui raconte son histoire : promise à un prince, elle dut épouser Dom Garcie après la mort de son père. Elvire parvint à s'échapper et se retrouva sur l'île de Gade. Pendant ce temps, le Prince de Murcie, désespéré par l'absence de Léonore, décide de se rendre en Andalousie malgré les dangers. Sur le rivage, il rencontre Dom Pedre, le frère d'Elvire, qui lui révèle que le Duc de Grenade est mort et que Dom Garcie, un traître, s'apprête à usurper le trône de Dom Juan. Ils s'allient pour chasser Dom Garcie et restaurer Dom Juan sur le trône de Grenade. Dom Pedre rallie les habitants contre Dom Garcie, qui s'enfuit. Dom Juan, informé de la mort de son père, rencontre Dom Garcie, qui le persuade que le Prince de Murcie a usurpé ses États. Dom Juan décide de se venger et se rend chez le Duc d'Andalousie, un allié. En mer, une tempête éclate et Dom Juan sauve Léonore, qui est troublée par les révélations sur la perfidie du Prince de Murcie. Le Duc d'Andalousie décide de marier Léonore à Dom Juan, malgré la tristesse de la jeune femme. Léonore, obligée d'obéir à son père, se prépare à épouser Dom Juan. Le Prince de Murcie, après avoir assuré la tranquillité du Duché de Grenade, est dominé par sa passion pour Léonore. Il se retrouve sur l'île de Gade et apprend de manière fortuite que Léonore a épousé Dom Juan huit jours plus tôt. À cette nouvelle, il s'évanouit.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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39
p. [1]-52
SUITE ET FIN de l'Histoire Espagnole.
Début :
Le Prince de Murcie reprit enfin ses esprits, & pour [...]
Mots clefs :
Prince, Duc de Grenade, Grenade, Princesse, Solitaire, Amour, Seigneur, Malheurs, Temps, Bonheur, Joie, Malheur, Fortune, Coeur, Ciel, Époux, Lieu, Cabane, Traître, Infidélité, Surprise, Soupçon, Rival, Amants, Forêt, Solitude, Doute
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE ET FIN de l'Histoire Espagnole.
~* SUITE ETFIN
de ïHtjloirc Espagnole. LE Prince de Murciereprit
enfinles
esprits, & pour lors le lolitaire
lui dit :Seigneur,
si j'avois pu prévoir la su.
neste impression qu'a fait
sur vous la nouvelle que
je vous ai apprise, croyez
qduoeulelouirn, d'irriter vostre
je n'aurois pen.
fé qu'à la soulager; l'experience
que j'ai faite des
revers de la fortune m'apprend
à plaindre ceux quV
ellerend malheureux. Ah
pourquoi ne sçavois-je pas
là'intérêt que vous prenez Leonore? je ne me reprocherais
pas du moins
les tourmens que vous louffre. Je ne vous les
reproche point, Seigneur,
repondit le Prince, non
plus qu'à Leonore; si elle
a épousé Dom Juan elle a
dû l'épouser, ôc si elle m'a
rendu le plus malheureux
des hommes, il faut que
je l'aye mérité:Non le
plus affreux desespoir ne
me forcera jamais à la
traitter d'infidelle mais
je n en mourraipas moins
malheureux.
Ah!Seigneur, repritle
solitaire,si Leonoren'est
point infidelle, il est des
amans plus malheureux
que vous j'ai perdu comme
vous l'esperance de
posseder jamais celle que
jaime,je ne puisdouter de
son inconstance,&j'en
reçoisJes plus forcéspreuves
au moment mêmequi
devoit assurer mon bonheur;
queldesespoirest
égal au mien ? amant dui^e
Princefk-,,,nôçre mariage
étoitconclu duconfentement
de son frère,&l'infîdelie
se
.,
fait enleverce
our-là même par rflôa
rival
,
sans ce trait de la
plus noireinfîdçlitç je seroisencore
a Grepaçlçj
&: vous ue m'auriez point
trouve dans cettesolitude
où nos communs malheurs
nous ont conduit. Le Prince comprit aisément
que cette Princesse,
que le solitaire avoir aiméen'étoit
autre qu'Eli
vire, il en avoit souvent
oui parler à Dom Pedre
son frere, & comme il
sçavoit la violence que
Dom Garcie avoit faire à
Elvire, il crut devoir réparer
le tort que le solitaire
lui faisoit par ses soupçons;
ilme semble
,
Seigneur,
lui dit-il, que vous
condamnez trop aisement
la Princesse que vous aimez
; pourquoi rapporter
àson inconstance un éloignement
dont elle gémit
peut-être autant que vous?-
si vôtre rival l'a enlevée,
le tort que vous lui faites
est irreparable, mais quoiqu'il
en soit, ce n'est point
ainsi qu'il faut juger de ce
qu'on aime. Ah ! je ne
ferois pas si malheureux
si je pouvoissoupçonner
Leonore d'inconfiance. Si
je condamne la Princesse
Elvire, reprit lesolicaire,
c'estque je ne puis douter
qu'elle ne me soit infidelle
y
après cet enlevement
je la cherchai dans
tout le Duché de Grenade
; & dans quelqueslieux
que mon rival lait conduite
,
je l'aurois sans dou-
.re découverte,si ellen'eût
été d'accord avec lui pour
rendre mes recherches
inutiles. Ah ! je l'ay trop
aimée pour ne pas me
plaindre de son changement,
& je vois bien que
nos malheurs font differens
3
quoiqu'ils partent
du même principe. C'est
ainsi que le solitaire die.
putoit au Prince la triste
floired'être le plus maleureux
de tous les horn;.
mes; si c'cft. un dédommagement
pour ceux qui
souffrent
,
ils pouvoient
tous deux y prérendre)
l'un étoit réduit à accuser
sa maîtresse, qui lui étoit
pourtant fidelle, & l'autre
a s'acculer lui-même, lui
qui n'avait jamais eu d'autre
regle de ses adtions
quesa gloire & son amour.
Cependant Elvirepassoit
sa vie dans de mortelles
inquiétudes auuibien
que Leonore,la convention
que ces deux
Princesses avoient eûë
leur étoit également funeste
,
& si Leonore avoit
lieu de soupçonner un
Prince, qu'Elvire avoit
nommé son amant, Elvire
soupçonnoit avec raison
un amant dont le nom
avoir produit un si violent,
effet sur Leonore;ellesavoient
un égal intérêt de se
retrouver. pour éclaircir
un doute si cruel,mais il
ne fut pas permis à Leonore
d'aller feule dans le
jardin,& Elviren'y voyant
plus que la curieuse tante,.
fut contrainte de choisir,
pour le lieu de sa promenade
,
la Forest de Gades;
c'est là que ces deux Princesses
le retrouverent dans
le temps qu'elles ne l'esperoient
plus. Le Duc d'Andalousie,
content de l'obeissance
de sa fille, l'avoit
enfin délivrée des
importunitez de sa vieille
secur
y
elle alloit souvent
se promener dans cette
Forest là elle pouvoit
joüir de la solitude-, & se
livrer à toute sa douleur
Le hazard la conduisit un
jour dans l'endroit où Etvire
avoit coutume d'aller
se plaindre de ses malheurs,
aussitôt elle court
vers elle avec empressement,,
& lui dit: il y a
long-temps que je vous
cherche, Madame, pour
vous apprendre une nouvelle
qui doit vous interesser
: Le Prince de Murcie
est Duc. de Grenade
par les soins de Dom Pedre
vôtre frere & son ami.
Madame,répondit Leonore,
vous sçavez la part
que j'y dois prendre, mais
je devine aussi celle que
vous y prenez, ce n'est
point moi qui dois ressentir
la joye de cette nouvelle.
Ah! qui doit donc
la ressentir ? reprit Leonore,
le Prince de Murcie
vous aime, Ôc. n'a fait
une si, grande démarche
que pour vous meriter.
Ah! Madame,répondit
Elvire, pourquoi insultez.
vousàmon malheur? Je
sçai que je ne suis point
aimée,c'est en vain que
je voudrois vous disputer
le coeur du Prince: de
Murcie.Ces deux Princelles
entraientinsensiblement
au pointd'unéclaircissement
qui leur étoitsi
necessaire,lorsqueDom
Juan &DomGarcievinrent
troubler leur entrer
tien: sitôtqu'Elvire eut
EÇÊonnu>fon persecuteur,
qgif n'étoitpasfort loin
d'elle,elle prit la fuite, &
Leonore> que la presence
de Dom Juan auroit embarrassée
dans une pareille
circonstance., prit une
autre allée dans le dessein
del'evicer; Dom Garcie
avoit cru reconnoîtreElvire
& l'avoit suivie des
yeux;l'occasion lui parut
trop bellepour la négliger
: Seigneur, dit-il à D.
Juan, vous voulez sans
doute aborder Leonore?
je vous laisse seul de peur
de troubler un entretien
si doux pour l'un & pour
l'autre, je ferai toujours à
portée de vous rejoindre;
en même temps il fuit la
routequ'il avoit vu prendre
à Elvire, & aprés
l'avoir assez long-temps
cherchée,il la découvrit
dans le lieule plus écarté
de la forest.Quelle fut la
surprise&la crainte de
cette Princessè? elle con,
noissoit le perfide Dom
Garcie.,irrité de ses refus
& de ses mépris,il étoit
capable de se porter aux
plus violentes extremitez;
Elvire dans un si grand
péril n'eut d'autrereilburce
quecelle de faire em*
tendre des cris horribles,
quipussent lui attirer du
secours, & ses cris en effet
la sauverent. Le solitaire,
quile promenoit assez près
de la, les entendit; aussitôt
il court vers le lieu où
les cris d'Elvire le con- duisent , & tout d'un , toup: il voit celle qu'il
croyoit infidelle à Grenade
, qui
-
se jettedansses
bras,en lui disant: Seigneur
,sauvez-moi des fureurs
d'un scelerat, & dans
le moment Dom Garcie
parut. Je n'entreprendrai
point
point d'exprimer les divers.
mouvemens de surprise
d'amour & de colere
donc le solitaire futsaisi ;
Dom Garcie voulut prosiser
du moment pour se
défaire de son rival avant
qu'il fût en défense, mais
lescelerat meritoitla
mort,le solitairel'étendii
à ses pieds; après le peu de resistance qu'on doit
attendre d'un lâche & d'un
traître,ensuite s'abandonnant
à d'autres transports,
il s'approcha d'Elvire:
quel bonheur luidit-il
y
Madame?la fortunevous?;
rend à mon amour, & livre
mon rival à ma vengeance
; que le perfide
nous a causé de maux r
que n'ai-je point souffert
pendant vôtre absence!
Jen'oublierai jamais,,
Prince, répondit Elvire,
le service que vôtre pitié
vient de me rendre, mais
je ferois plus heureuse si
je le devois à vôtre amour.
Ah!Ciel,s'écrialesolitaire,
comment expliquer
ces cruels reproches? jesuis
donc un amantinfidele.
Prince, je voudrois
pouvoir en douter,
rien ne troubleroit la joye
- que j'ai de vous revoir;
Ah! je serois trop heureuse.
Grand Dieu,s'ecriatil
encore une fois,il est
donc vrai que vous m'accufèz
d'inconstance> Ahj
Madame,quel démon envieux
de nôtre bonheur,
vous donne ces injustes
soupçons ;quoi je vous
revois! le plaisir que je
sens me persuade que tous
mes maux sont finis, & je
retrouve au même instant
des malheurs plus grands
encore que ceux que j'ai
fouffers
; ma chere Elvire
voyez cette trille retraite,
cetteaffreuse solitude!
font-ce la des preuves de
mon inconstance ? Oui,
Prince, cest le choix de
cette solitude qui confirme
mes tristessoupçons.
Ah! Seigneur, est-ce dans
la forestde Gades que
vôtre. confiance devoit
éclater? Le solitaire, qui
ne pouvoit rien compren- dre au discours d'Elvire,
ne sçavoit comment calnler.,
les soupçons ;nia
Princesse, lui disoit-il, daignez
medire le sujet de
vos reproches,je fuis Ulr
de me justifier, jenesuis
pas surpris que vous me
foupçonniez., le moindre
accidentpeut allarmer
une amante {enfible3 j'ai
moi-même eprouve combien
il elt aisé de craindre
le changement dece qu'
onaime
)
jevous ai crû
moi-même moins fidelle
que je ne vous retrouve,
mais si l'heureuse avanture
quinous réunit ne m'avoit
détrompé, loin de vous en
faire un mystere,je me
ferois plaint à vous, je
vous aurois découvert le
sujet de mesdouleurs, ôc
je n'aurois rien tant fouhaitté
que de vous voir
bien justifiée
; pourquoy
n'en usez-vous pas ainsi,
ma Princesse ? l'amour
peut-il prendre un autre
parti? Que me servira-t-il,
reprit El vire, de vous convaincred'inconstance
? je
ne vous en aimerai pas
moins, & vous n'en aimerez
pas moins Leonore.
Quoi!j'aime Leonore, reprit
vivement le solitaire?
Ah! je vois maintenant le
sujet de vos qsoupconsy.
vous avez crû que, charmé
de cette Princesse,je
n'habite cette solitude
-
que pour lui prouver mon
amour , mais non,ma
chere Elvire,rendez-moimon
innocence, rendezmoi
tout vôtre amour:je
n'ai jamais vû Leonore,,,
je suis dans un lieu tout
plein de sa beauté & de
les vertus & je n'ai jamais
penséqu'à vous, c'est pour
vous feule que je fuis réduit
dans l'état où vous -
me voyez. Ah! Prince., dit
Elvire,que ne vous puisje
croiremaisnon vous
me trompez;voyez vousmême
si je dois être convaincue
; je racontois a
Leonore nos communs
malheurs, elle me demanda
vôtre nom, je lui nommai
le Prince de Murcie,
&: soudain elle tombaévanouie
dans mes bras;
jouiuez. Prince, de vôtre
gloire, après ce coup rien
ne peut môterma douleur.
leur. Elvire voulut s'éloi.
gnerdu solitaice pour lui
cacher ses larmes.; arrêtez
ma Princene, s'écria-t-il
,
non je
-,
n'ai jamais vu Leonore,
ilest un autre Prince
de Murcie,vous le devez
sçavoir: Ah! pouvezvousme
soupçonner? mais
rnachere Elvire,venez me
voir tout-à-faitjustisié, j'ai
laissé dans ma cabane un
inconnu qui aime Leonore,
l'état où la nouvelle
de son mariage avec Dom
Juan la réduit, m'a découvert
son secret: il est
sans doute ce Prince de
Murcie amant de Leonore,
venezJe lui demanderai
son nom, il ne pourra
me resuser cet ecfairciuement,
qui importe tant a
vôtre bonheur& au mien.
Ils n'eurent pasgrand chemin
à faire pour arriver à
la petite cabane;le cours
de leur conversation les y
avoit insensiblement conduits,
ils y entrent, mais
quel spectacle s'offrit tout
d'un coup à leurs yeuxils
virent deux hommes étendus
dans la cabane, qui
perissoient dansleursang.
Ah Ciel! s'écria Elvire,
saisie d'horreur .& de sur-
,
prise.Qui sont ces malheureux
?Que je plains là
fort de l'un d'eux, repondit
le solitaire; c'est cet
étranger qui étoit venu
chercher ici un azile, nous
déplorions ensemblenos
communs malheurs, il alloit
fininles miens. Elvire
revenue de sa premiere
terreur s'approcha 8c reconnut
Dom Juan, Le
Prince après s'être separé
de D. Garcie avoit longtemps
erré dans la forêt,
occupe destrilles idées qui
les avoient conduits:malygré
ce que la fortune faisoitpour
luiy il nelaissoit
pas d'avoir ses chagrins;
il avoit apperçu lacabane
du soliraire, .& y étoit entré
attiré par sa simpie curiosite
:
les' soupirs de cet
inconnul'avoit redoublée
enexcitant sa compas.
sion. Mais quelle surprise!,
à peineces deux hommes
se furent envilagezdqu'un
premier mouvement de
rage & devengeance leur
étant tout loisir de s'expliquer
: Ah te voila,traître.,
s'écria l'un; perside, tu
mourras, secria l'autre :
& à l'instant ils se lancent
furieux l'un sur l'autre, &
se battent avec tant de
haine & tant d'acharnement,
que sans recevoir
aucun coupmorcel ils se
ercerent enplusieurs endroits,
ils tomberent l'un
& l'autre affoiblis par la
perte de leur sang,&par
la longueur du combar.Ce
fut dans cet état que les
trouvèrent Elvire & fou
amant, ils leur donnrent
tous les secours possibles,&
se retirèrent a l'écart dans
l'esperance de tirer quelque
éclaircisement de ce
que se diroient ces deux
rivaux. Ils reprirent peu
de temps après leurs sorces
& leurs ressentimens,.
& le Prince de Murcie
tournant vers Dom Juan
des yeux pleins d'indignation:
Quoy tu vis encore
le Ciel ne peur donc consentir
à la mort du digne
époux de Leonore, ni la
forc,ni l'amournilahaine
îije peuventrien sur de si
beauxjours?Le Ciel,répondit,
Dom Juan, veut que
j'admire encor cet illuitre
conquerant, qui vient de
joindre ,à tant de hauts titres
celuy de Duc de Grenade
: Quel regret pour
moy de mourir sans voir
regner un Prince si genereux
?Peux-tu le voir sans
rougir,persideyreprit le
Prince Non dit Dom
Juan.le rougis de t'avoir
il rpal connu. Les traîtres,
répliqua le Prince, ne rougissent
du crime qu'après
qu'ils l'ont commis. - Il est
vray, répondit D. Juan
y s'ils n'en rougissoient pas
si tard,je ferois Duc de
Grenade, & vous ne seriez
encore que le Prince de
Murcie. Poursuis,indigne
amy ,
reprit le Prince,
cherche un pretexte à ton
horrible persidie; tu n'es
donc l'époux de Leonore
que parce que je luis un
Tyran?Non', traître, repondit
Dom Juan, puiss
qu'il faut enfin éclatter, je
ne t'ai point trahi,je mefuis
yengé de l'ennemi commun
de toute l'Espagne;
d'un usurpateur qui elt en
abomination dans toute
l'Europe: Renonce àLeonore,
qui tesereste autant
quelle t'a autrefois aimé.
Grand Dieu,s'ecria-t-il,où
fùis-je?non,, Leonorenaura
pas pu le croire; tes
derniers mots te convainquentd'imposture,
tu peux
m'avoir pris pour unusurpateur,
mais non pas cette
genereule Princesse. Il est
vray, répondit D. Juan,.
tu l'avois seduite par ta
fausse vertu: maisqu'avoir
elle a repondre a D. Garcie,.
dont la fidelité rend
ta perfidie certaine ? Le
Prince vit dés ce moment
la trahison de D. Garcie
y,
& parla ainsi à sonrival:
Dom Juan,je fuis forcé de
vous rendre vôtre innocence,
Dom Garcie vous
a trahis tous deux: loin
d'usupervosEtats,je les
aysoustraits à la tyrannie,
dans le seul dessein de vous
les rendre
:,- En abordant
Tille de Gadcs je trouvay
Dom Pedre qui vous cherchoit
par tout, jem'offris
à prendre vôtre place, &
je fis pour vous ce que je
n'aurois pas fait pour moymême,
je me privay du
plaisir de revoir Leonore
pour vous remettre dans
vos Estats ; j'en ai chassé
Dom Garcie qui les usurpoit:
pour prix de mon secours
Ôc de mon amitié
vous épousez ce que j'ainle,
sans que j'en puisse
accuser que la fortune-,
vous n eres point coupable
: mais cependant Leonore
eIl: à vous & je la
perds pourjamais.
Le Prince de Murcie
parloit d'un air si couchant
que Dom Juan lui-même
commençoitàs'attendrir.
On peut juger de laJitua.
tion des deu x spectateurs;
Elvire étoit sûre du coeur
de son amant,& cetamant
voyoit dans les yeux d'El..
vire, & la justice qu'elle
rendoit à son amour, &la
joye avec laquelle elle la
lui rendoit,il ne manquoit
plus au Prince qu'une
occasion de confirmer
ces diccours qui faisoient
déja tant d'impression;
hazard la sit naître prefqu'au
même instant.Un
des domestiques de Dom
Juan,qui avoitsuivi Dom
Garcie, entra dans laca~
bane, attiré par le bruit
qu'il avoit entendu. Approchez,
lui dit D. Juan,
pourquoy m'avez
- vous
trahi? pourquoiêtes-vous
entré dans lecomplot du
traître Dom Garcie? Fernandez
( c'étoit le nom
du domestique ) interdit
d'une questionà laquelle
il ne s'attendoit pas, &
déjà surpris de la réunion
à
des deux Princes, prit le
parti de se jetter aux
pieds de son Maître, 8c
de lui découvrir tout le
mystere d'une sinoire trahison.
Ah! quel secret venez-
vous de me reveler.,
s'écria Dom Juan, saisi
d'une juste horreur,confus
desa credulité
)
deses
peré d'avoir fîiivi les mouvemens
de sa haine contre
celui à qui il devoit tout?
Ah! Seigneur,s'écria-t-il,
se tournant vers le Prince
de Murcie, que puisje
vous dire? je ne suis point
l'époux de Leonore. Vous
n'êtes point son époux,
répondit le Prince? Ah!
Dom Juan pourquoi voulez-
vousme flatter? croyez-
vous par là conserver
ma vie? Non, je meurs
mal-heureux amant de
Leonore& fidele ami de
D. Juan.C'est moi qui dois
mourir,reprit Dom Juan,
je ne fuis plus digne de
la vie; vivez, Prince,
pour posseder Leonore,
j'aiassez d'autres crunes
à me reprocher sans me
charger- encore de celui
d'être son époux; non.,
je ne le fuis point, & l'unique
consolation qui me
reste, après tous les maux
queje vous ai causez, c'est
d'être encor plus malheureuxquejene
fuis coupable.
En mêmetemps il lui
apprit comment ce mariageavoit
été retardé par
une violente maladie de
Leonore
, que ses chagrins
avoient apparemment
causée. Dom Juan
ne borna pas là les foins
.qu'il devoir au Prince
lui promit de fléchir le
Duc
Duc d'Andalousiey & fit
renaître
,
dans son coeur
l'esperance que tant. de
malheurs en avoient ôtée.
Quelchangement de situation
pour le Prince de
Murcie, à peine croyoit- iltout ce qu'il entendait
partageentre la joye de
ravoir Leonore fidelle,
& l'impatience, de la revoir
telle que l'amour la
lui conservoit
,
à peine
pouvoit-il suffire à ressentir
tout son bonheur. Elvire
& le solitaire de leur
côté jouissoient du bonheur
de se trouver fîdeles,
exempts des soins &de l'inquietude
qui troubloient
depuis si long-temps leur
amour; le spectacle dont
ils étoient témoinsaugi
mentoit encore leur tendresse.
Après qu'ilsse furent
dit tout ce qu'un bonheur
mutuel peut inspirer,
ils s'aprocherent des deux
Princes. Dés que le Prince
deMurcie eut apperçû le
solitaire, il luy dit: Vous
- me trouvez,Seigneur,dans
unesituation- bien- différente
de celle ou vous,
m'aviez laissé, vous voyez
qu'il ne faut qu'un moment
pour terminer les
plus grands malheurs, j'espere
que celuy qui doit
finir les vôtres- n'est pas
bien éloigné, &pour lors
ma joye sera parfaite. Seigneur,.
répondit le solitaire,
le Ciel nous a réunis
pour nous rendre tous heureux,
vous allez- revoir
Leonore,,, jeretrouve El
vire fidellé
; cette avanture
finittous lesmalheuts
qui sembloient attachez
aunom que nous portons
l'un & l'autre. Il lui apprit
en même temps qu'il étoit
un cadet de la maison,
dont la branche separée
depuis long-temps estoit
presque inconnuë enEspagne,
il luy raconta les
soupçons d'Elvire à l'occasson
de la conformité
de leur nom; les momens
surent employez à des détails
capables d'interesser
du moins des amans:mais
lorsqu'Elvire luy rendit
compte àsontour de Son
entrevue a\*ecLectfi0rcv&
de tout cequi l'avoirluivie
:Ah, s'écria,le Prince,,
quela fortune, est cruelle
quand ellenouspourluit:
c'érait l'unique moyen de
rendrema fidélité suspecte
à Leonore:mais non, cette
Princesse connoîtbien
mon coeur,elle n'aura
point
-
fait cette injustice à
mon- amour. Cependant
Fernandezqui avoit ete
témoin; de redaircinement
entre le Prince de
Murcie & son malfire".
plein de tout cequ'ilavoit
entenducourut le publier
dans le Palais du Duc, il
trouva Leonore quiquittoit
la forêt pour retourner
à son appartement, &
elle en sur instruite la premiere.
Son récit étoit aisez
interessant pour que Leonore
voulût le justifier,
elle ': sè fit incontinentconduire
à la cabane;dés
qu'elle parut sa présence
produisit un profond silence
,
le Prince étoit celuy
qui avoit le plus de
choses à dire, il fut aussi
celuy qui eut moins la
force de parler: mais sa
joye n'en éclattoit que
mieux dans ses regards, ôc
Leonore qui l'y. voyoit
toute entiere,ne marquoit,
pas moins vivement le.
plaisir qu'elle ressentoit..
Elvire enfin prit la parole,.
&montrant le solitaire,elle
luy apprit son nom, & lui
donna un éclaircissement
qui manquoit encore à son.
repos.
Dom Juan marquoit le
plus vif repentir,ilcedoit
tous ses droits au Prince
de Murcie: ces amans
se voyoient, délivrez d'un
dangereux persecuteur;que
ne se dirent-ils point dans
de pareils transports ? Ah
,
Madame,s'écria le Prince,
vous m'aimez encore? les
noms d'usurpateur &d'infidele
qu'on m'a tant donnez
n'ont point changé
vôtre coeur? à ce trait je
reconnois Leonore. Ouy,
Seigneur,réponditla Princesse,
je vous ay toûjours
aimé
, & je luis toûjours,
cette Leonore, dont vous
connoissez si bien les sentimens;
les raisons qui sembloient
persuader vostre
inconstance,n'ont pu prévaloir
valoir sur le souvenir de
vos verrus: Prince,j'ay
souffert de vôtre absence
) & de la cruauré avec laquelle
on a voulu flétrir
vôtre nom:mais je ne vous
ay jamais condamné, de
ne pouvant être à vous,
j'allois me donner la mort,
si la fortune ne nous eût
enfin réunis. Je n'entreprendrai
point de rapporter
ici le cours de leur entretien;
pour peu qu'on
connoisse l'amour, on en
imaginera plus que je n'en
pourroisdire: mais enfin
il n'est pointde réünion
plus touchante que celle
de deux amans qui ont eu
tant d'obstacles à surmonter
,qu'ils se protestent
qu'ils ne se sont jamais crus
infidelles
,
parmi tant de
raisons qui sembloient
marquer leur infidélité ;
la haute idée qu'ils avoient
l'un de l'autre avoit toûjours
éloignélajalousieinseparablede
l'amour moins
heroïque, & s'ils n'avoient
pas eu les chagrins de cette
espece,ceux de l'absence
en étoient plusviolens
pour eux.
Les sentimens que tant
de disgraces n'avoient pû
chasser de leur coeur firent
leur gloire & leur felicité;
leur confiance attendrit
enfin le Duc d'Andalousie
, que tant de
nouvelles raisons forçoient
d'estimer le Prince
de Murcie: Ces illustres
Amans furent bientost
unis pour toujours
; cet
heureux mariage fut suivy
de celuy du solitaire
avec Elvire, & comme
la fortune les avoit tous
associez dans les malheurs
qu'elle leur avoit suscitez,
ils jurerent de ne se separerjamais,
FIN.
de ïHtjloirc Espagnole. LE Prince de Murciereprit
enfinles
esprits, & pour lors le lolitaire
lui dit :Seigneur,
si j'avois pu prévoir la su.
neste impression qu'a fait
sur vous la nouvelle que
je vous ai apprise, croyez
qduoeulelouirn, d'irriter vostre
je n'aurois pen.
fé qu'à la soulager; l'experience
que j'ai faite des
revers de la fortune m'apprend
à plaindre ceux quV
ellerend malheureux. Ah
pourquoi ne sçavois-je pas
là'intérêt que vous prenez Leonore? je ne me reprocherais
pas du moins
les tourmens que vous louffre. Je ne vous les
reproche point, Seigneur,
repondit le Prince, non
plus qu'à Leonore; si elle
a épousé Dom Juan elle a
dû l'épouser, ôc si elle m'a
rendu le plus malheureux
des hommes, il faut que
je l'aye mérité:Non le
plus affreux desespoir ne
me forcera jamais à la
traitter d'infidelle mais
je n en mourraipas moins
malheureux.
Ah!Seigneur, repritle
solitaire,si Leonoren'est
point infidelle, il est des
amans plus malheureux
que vous j'ai perdu comme
vous l'esperance de
posseder jamais celle que
jaime,je ne puisdouter de
son inconstance,&j'en
reçoisJes plus forcéspreuves
au moment mêmequi
devoit assurer mon bonheur;
queldesespoirest
égal au mien ? amant dui^e
Princefk-,,,nôçre mariage
étoitconclu duconfentement
de son frère,&l'infîdelie
se
.,
fait enleverce
our-là même par rflôa
rival
,
sans ce trait de la
plus noireinfîdçlitç je seroisencore
a Grepaçlçj
&: vous ue m'auriez point
trouve dans cettesolitude
où nos communs malheurs
nous ont conduit. Le Prince comprit aisément
que cette Princesse,
que le solitaire avoir aiméen'étoit
autre qu'Eli
vire, il en avoit souvent
oui parler à Dom Pedre
son frere, & comme il
sçavoit la violence que
Dom Garcie avoit faire à
Elvire, il crut devoir réparer
le tort que le solitaire
lui faisoit par ses soupçons;
ilme semble
,
Seigneur,
lui dit-il, que vous
condamnez trop aisement
la Princesse que vous aimez
; pourquoi rapporter
àson inconstance un éloignement
dont elle gémit
peut-être autant que vous?-
si vôtre rival l'a enlevée,
le tort que vous lui faites
est irreparable, mais quoiqu'il
en soit, ce n'est point
ainsi qu'il faut juger de ce
qu'on aime. Ah ! je ne
ferois pas si malheureux
si je pouvoissoupçonner
Leonore d'inconfiance. Si
je condamne la Princesse
Elvire, reprit lesolicaire,
c'estque je ne puis douter
qu'elle ne me soit infidelle
y
après cet enlevement
je la cherchai dans
tout le Duché de Grenade
; & dans quelqueslieux
que mon rival lait conduite
,
je l'aurois sans dou-
.re découverte,si ellen'eût
été d'accord avec lui pour
rendre mes recherches
inutiles. Ah ! je l'ay trop
aimée pour ne pas me
plaindre de son changement,
& je vois bien que
nos malheurs font differens
3
quoiqu'ils partent
du même principe. C'est
ainsi que le solitaire die.
putoit au Prince la triste
floired'être le plus maleureux
de tous les horn;.
mes; si c'cft. un dédommagement
pour ceux qui
souffrent
,
ils pouvoient
tous deux y prérendre)
l'un étoit réduit à accuser
sa maîtresse, qui lui étoit
pourtant fidelle, & l'autre
a s'acculer lui-même, lui
qui n'avait jamais eu d'autre
regle de ses adtions
quesa gloire & son amour.
Cependant Elvirepassoit
sa vie dans de mortelles
inquiétudes auuibien
que Leonore,la convention
que ces deux
Princesses avoient eûë
leur étoit également funeste
,
& si Leonore avoit
lieu de soupçonner un
Prince, qu'Elvire avoit
nommé son amant, Elvire
soupçonnoit avec raison
un amant dont le nom
avoir produit un si violent,
effet sur Leonore;ellesavoient
un égal intérêt de se
retrouver. pour éclaircir
un doute si cruel,mais il
ne fut pas permis à Leonore
d'aller feule dans le
jardin,& Elviren'y voyant
plus que la curieuse tante,.
fut contrainte de choisir,
pour le lieu de sa promenade
,
la Forest de Gades;
c'est là que ces deux Princesses
le retrouverent dans
le temps qu'elles ne l'esperoient
plus. Le Duc d'Andalousie,
content de l'obeissance
de sa fille, l'avoit
enfin délivrée des
importunitez de sa vieille
secur
y
elle alloit souvent
se promener dans cette
Forest là elle pouvoit
joüir de la solitude-, & se
livrer à toute sa douleur
Le hazard la conduisit un
jour dans l'endroit où Etvire
avoit coutume d'aller
se plaindre de ses malheurs,
aussitôt elle court
vers elle avec empressement,,
& lui dit: il y a
long-temps que je vous
cherche, Madame, pour
vous apprendre une nouvelle
qui doit vous interesser
: Le Prince de Murcie
est Duc. de Grenade
par les soins de Dom Pedre
vôtre frere & son ami.
Madame,répondit Leonore,
vous sçavez la part
que j'y dois prendre, mais
je devine aussi celle que
vous y prenez, ce n'est
point moi qui dois ressentir
la joye de cette nouvelle.
Ah! qui doit donc
la ressentir ? reprit Leonore,
le Prince de Murcie
vous aime, Ôc. n'a fait
une si, grande démarche
que pour vous meriter.
Ah! Madame,répondit
Elvire, pourquoi insultez.
vousàmon malheur? Je
sçai que je ne suis point
aimée,c'est en vain que
je voudrois vous disputer
le coeur du Prince: de
Murcie.Ces deux Princelles
entraientinsensiblement
au pointd'unéclaircissement
qui leur étoitsi
necessaire,lorsqueDom
Juan &DomGarcievinrent
troubler leur entrer
tien: sitôtqu'Elvire eut
EÇÊonnu>fon persecuteur,
qgif n'étoitpasfort loin
d'elle,elle prit la fuite, &
Leonore> que la presence
de Dom Juan auroit embarrassée
dans une pareille
circonstance., prit une
autre allée dans le dessein
del'evicer; Dom Garcie
avoit cru reconnoîtreElvire
& l'avoit suivie des
yeux;l'occasion lui parut
trop bellepour la négliger
: Seigneur, dit-il à D.
Juan, vous voulez sans
doute aborder Leonore?
je vous laisse seul de peur
de troubler un entretien
si doux pour l'un & pour
l'autre, je ferai toujours à
portée de vous rejoindre;
en même temps il fuit la
routequ'il avoit vu prendre
à Elvire, & aprés
l'avoir assez long-temps
cherchée,il la découvrit
dans le lieule plus écarté
de la forest.Quelle fut la
surprise&la crainte de
cette Princessè? elle con,
noissoit le perfide Dom
Garcie.,irrité de ses refus
& de ses mépris,il étoit
capable de se porter aux
plus violentes extremitez;
Elvire dans un si grand
péril n'eut d'autrereilburce
quecelle de faire em*
tendre des cris horribles,
quipussent lui attirer du
secours, & ses cris en effet
la sauverent. Le solitaire,
quile promenoit assez près
de la, les entendit; aussitôt
il court vers le lieu où
les cris d'Elvire le con- duisent , & tout d'un , toup: il voit celle qu'il
croyoit infidelle à Grenade
, qui
-
se jettedansses
bras,en lui disant: Seigneur
,sauvez-moi des fureurs
d'un scelerat, & dans
le moment Dom Garcie
parut. Je n'entreprendrai
point
point d'exprimer les divers.
mouvemens de surprise
d'amour & de colere
donc le solitaire futsaisi ;
Dom Garcie voulut prosiser
du moment pour se
défaire de son rival avant
qu'il fût en défense, mais
lescelerat meritoitla
mort,le solitairel'étendii
à ses pieds; après le peu de resistance qu'on doit
attendre d'un lâche & d'un
traître,ensuite s'abandonnant
à d'autres transports,
il s'approcha d'Elvire:
quel bonheur luidit-il
y
Madame?la fortunevous?;
rend à mon amour, & livre
mon rival à ma vengeance
; que le perfide
nous a causé de maux r
que n'ai-je point souffert
pendant vôtre absence!
Jen'oublierai jamais,,
Prince, répondit Elvire,
le service que vôtre pitié
vient de me rendre, mais
je ferois plus heureuse si
je le devois à vôtre amour.
Ah!Ciel,s'écrialesolitaire,
comment expliquer
ces cruels reproches? jesuis
donc un amantinfidele.
Prince, je voudrois
pouvoir en douter,
rien ne troubleroit la joye
- que j'ai de vous revoir;
Ah! je serois trop heureuse.
Grand Dieu,s'ecriatil
encore une fois,il est
donc vrai que vous m'accufèz
d'inconstance> Ahj
Madame,quel démon envieux
de nôtre bonheur,
vous donne ces injustes
soupçons ;quoi je vous
revois! le plaisir que je
sens me persuade que tous
mes maux sont finis, & je
retrouve au même instant
des malheurs plus grands
encore que ceux que j'ai
fouffers
; ma chere Elvire
voyez cette trille retraite,
cetteaffreuse solitude!
font-ce la des preuves de
mon inconstance ? Oui,
Prince, cest le choix de
cette solitude qui confirme
mes tristessoupçons.
Ah! Seigneur, est-ce dans
la forestde Gades que
vôtre. confiance devoit
éclater? Le solitaire, qui
ne pouvoit rien compren- dre au discours d'Elvire,
ne sçavoit comment calnler.,
les soupçons ;nia
Princesse, lui disoit-il, daignez
medire le sujet de
vos reproches,je fuis Ulr
de me justifier, jenesuis
pas surpris que vous me
foupçonniez., le moindre
accidentpeut allarmer
une amante {enfible3 j'ai
moi-même eprouve combien
il elt aisé de craindre
le changement dece qu'
onaime
)
jevous ai crû
moi-même moins fidelle
que je ne vous retrouve,
mais si l'heureuse avanture
quinous réunit ne m'avoit
détrompé, loin de vous en
faire un mystere,je me
ferois plaint à vous, je
vous aurois découvert le
sujet de mesdouleurs, ôc
je n'aurois rien tant fouhaitté
que de vous voir
bien justifiée
; pourquoy
n'en usez-vous pas ainsi,
ma Princesse ? l'amour
peut-il prendre un autre
parti? Que me servira-t-il,
reprit El vire, de vous convaincred'inconstance
? je
ne vous en aimerai pas
moins, & vous n'en aimerez
pas moins Leonore.
Quoi!j'aime Leonore, reprit
vivement le solitaire?
Ah! je vois maintenant le
sujet de vos qsoupconsy.
vous avez crû que, charmé
de cette Princesse,je
n'habite cette solitude
-
que pour lui prouver mon
amour , mais non,ma
chere Elvire,rendez-moimon
innocence, rendezmoi
tout vôtre amour:je
n'ai jamais vû Leonore,,,
je suis dans un lieu tout
plein de sa beauté & de
les vertus & je n'ai jamais
penséqu'à vous, c'est pour
vous feule que je fuis réduit
dans l'état où vous -
me voyez. Ah! Prince., dit
Elvire,que ne vous puisje
croiremaisnon vous
me trompez;voyez vousmême
si je dois être convaincue
; je racontois a
Leonore nos communs
malheurs, elle me demanda
vôtre nom, je lui nommai
le Prince de Murcie,
&: soudain elle tombaévanouie
dans mes bras;
jouiuez. Prince, de vôtre
gloire, après ce coup rien
ne peut môterma douleur.
leur. Elvire voulut s'éloi.
gnerdu solitaice pour lui
cacher ses larmes.; arrêtez
ma Princene, s'écria-t-il
,
non je
-,
n'ai jamais vu Leonore,
ilest un autre Prince
de Murcie,vous le devez
sçavoir: Ah! pouvezvousme
soupçonner? mais
rnachere Elvire,venez me
voir tout-à-faitjustisié, j'ai
laissé dans ma cabane un
inconnu qui aime Leonore,
l'état où la nouvelle
de son mariage avec Dom
Juan la réduit, m'a découvert
son secret: il est
sans doute ce Prince de
Murcie amant de Leonore,
venezJe lui demanderai
son nom, il ne pourra
me resuser cet ecfairciuement,
qui importe tant a
vôtre bonheur& au mien.
Ils n'eurent pasgrand chemin
à faire pour arriver à
la petite cabane;le cours
de leur conversation les y
avoit insensiblement conduits,
ils y entrent, mais
quel spectacle s'offrit tout
d'un coup à leurs yeuxils
virent deux hommes étendus
dans la cabane, qui
perissoient dansleursang.
Ah Ciel! s'écria Elvire,
saisie d'horreur .& de sur-
,
prise.Qui sont ces malheureux
?Que je plains là
fort de l'un d'eux, repondit
le solitaire; c'est cet
étranger qui étoit venu
chercher ici un azile, nous
déplorions ensemblenos
communs malheurs, il alloit
fininles miens. Elvire
revenue de sa premiere
terreur s'approcha 8c reconnut
Dom Juan, Le
Prince après s'être separé
de D. Garcie avoit longtemps
erré dans la forêt,
occupe destrilles idées qui
les avoient conduits:malygré
ce que la fortune faisoitpour
luiy il nelaissoit
pas d'avoir ses chagrins;
il avoit apperçu lacabane
du soliraire, .& y étoit entré
attiré par sa simpie curiosite
:
les' soupirs de cet
inconnul'avoit redoublée
enexcitant sa compas.
sion. Mais quelle surprise!,
à peineces deux hommes
se furent envilagezdqu'un
premier mouvement de
rage & devengeance leur
étant tout loisir de s'expliquer
: Ah te voila,traître.,
s'écria l'un; perside, tu
mourras, secria l'autre :
& à l'instant ils se lancent
furieux l'un sur l'autre, &
se battent avec tant de
haine & tant d'acharnement,
que sans recevoir
aucun coupmorcel ils se
ercerent enplusieurs endroits,
ils tomberent l'un
& l'autre affoiblis par la
perte de leur sang,&par
la longueur du combar.Ce
fut dans cet état que les
trouvèrent Elvire & fou
amant, ils leur donnrent
tous les secours possibles,&
se retirèrent a l'écart dans
l'esperance de tirer quelque
éclaircisement de ce
que se diroient ces deux
rivaux. Ils reprirent peu
de temps après leurs sorces
& leurs ressentimens,.
& le Prince de Murcie
tournant vers Dom Juan
des yeux pleins d'indignation:
Quoy tu vis encore
le Ciel ne peur donc consentir
à la mort du digne
époux de Leonore, ni la
forc,ni l'amournilahaine
îije peuventrien sur de si
beauxjours?Le Ciel,répondit,
Dom Juan, veut que
j'admire encor cet illuitre
conquerant, qui vient de
joindre ,à tant de hauts titres
celuy de Duc de Grenade
: Quel regret pour
moy de mourir sans voir
regner un Prince si genereux
?Peux-tu le voir sans
rougir,persideyreprit le
Prince Non dit Dom
Juan.le rougis de t'avoir
il rpal connu. Les traîtres,
répliqua le Prince, ne rougissent
du crime qu'après
qu'ils l'ont commis. - Il est
vray, répondit D. Juan
y s'ils n'en rougissoient pas
si tard,je ferois Duc de
Grenade, & vous ne seriez
encore que le Prince de
Murcie. Poursuis,indigne
amy ,
reprit le Prince,
cherche un pretexte à ton
horrible persidie; tu n'es
donc l'époux de Leonore
que parce que je luis un
Tyran?Non', traître, repondit
Dom Juan, puiss
qu'il faut enfin éclatter, je
ne t'ai point trahi,je mefuis
yengé de l'ennemi commun
de toute l'Espagne;
d'un usurpateur qui elt en
abomination dans toute
l'Europe: Renonce àLeonore,
qui tesereste autant
quelle t'a autrefois aimé.
Grand Dieu,s'ecria-t-il,où
fùis-je?non,, Leonorenaura
pas pu le croire; tes
derniers mots te convainquentd'imposture,
tu peux
m'avoir pris pour unusurpateur,
mais non pas cette
genereule Princesse. Il est
vray, répondit D. Juan,.
tu l'avois seduite par ta
fausse vertu: maisqu'avoir
elle a repondre a D. Garcie,.
dont la fidelité rend
ta perfidie certaine ? Le
Prince vit dés ce moment
la trahison de D. Garcie
y,
& parla ainsi à sonrival:
Dom Juan,je fuis forcé de
vous rendre vôtre innocence,
Dom Garcie vous
a trahis tous deux: loin
d'usupervosEtats,je les
aysoustraits à la tyrannie,
dans le seul dessein de vous
les rendre
:,- En abordant
Tille de Gadcs je trouvay
Dom Pedre qui vous cherchoit
par tout, jem'offris
à prendre vôtre place, &
je fis pour vous ce que je
n'aurois pas fait pour moymême,
je me privay du
plaisir de revoir Leonore
pour vous remettre dans
vos Estats ; j'en ai chassé
Dom Garcie qui les usurpoit:
pour prix de mon secours
Ôc de mon amitié
vous épousez ce que j'ainle,
sans que j'en puisse
accuser que la fortune-,
vous n eres point coupable
: mais cependant Leonore
eIl: à vous & je la
perds pourjamais.
Le Prince de Murcie
parloit d'un air si couchant
que Dom Juan lui-même
commençoitàs'attendrir.
On peut juger de laJitua.
tion des deu x spectateurs;
Elvire étoit sûre du coeur
de son amant,& cetamant
voyoit dans les yeux d'El..
vire, & la justice qu'elle
rendoit à son amour, &la
joye avec laquelle elle la
lui rendoit,il ne manquoit
plus au Prince qu'une
occasion de confirmer
ces diccours qui faisoient
déja tant d'impression;
hazard la sit naître prefqu'au
même instant.Un
des domestiques de Dom
Juan,qui avoitsuivi Dom
Garcie, entra dans laca~
bane, attiré par le bruit
qu'il avoit entendu. Approchez,
lui dit D. Juan,
pourquoy m'avez
- vous
trahi? pourquoiêtes-vous
entré dans lecomplot du
traître Dom Garcie? Fernandez
( c'étoit le nom
du domestique ) interdit
d'une questionà laquelle
il ne s'attendoit pas, &
déjà surpris de la réunion
à
des deux Princes, prit le
parti de se jetter aux
pieds de son Maître, 8c
de lui découvrir tout le
mystere d'une sinoire trahison.
Ah! quel secret venez-
vous de me reveler.,
s'écria Dom Juan, saisi
d'une juste horreur,confus
desa credulité
)
deses
peré d'avoir fîiivi les mouvemens
de sa haine contre
celui à qui il devoit tout?
Ah! Seigneur,s'écria-t-il,
se tournant vers le Prince
de Murcie, que puisje
vous dire? je ne suis point
l'époux de Leonore. Vous
n'êtes point son époux,
répondit le Prince? Ah!
Dom Juan pourquoi voulez-
vousme flatter? croyez-
vous par là conserver
ma vie? Non, je meurs
mal-heureux amant de
Leonore& fidele ami de
D. Juan.C'est moi qui dois
mourir,reprit Dom Juan,
je ne fuis plus digne de
la vie; vivez, Prince,
pour posseder Leonore,
j'aiassez d'autres crunes
à me reprocher sans me
charger- encore de celui
d'être son époux; non.,
je ne le fuis point, & l'unique
consolation qui me
reste, après tous les maux
queje vous ai causez, c'est
d'être encor plus malheureuxquejene
fuis coupable.
En mêmetemps il lui
apprit comment ce mariageavoit
été retardé par
une violente maladie de
Leonore
, que ses chagrins
avoient apparemment
causée. Dom Juan
ne borna pas là les foins
.qu'il devoir au Prince
lui promit de fléchir le
Duc
Duc d'Andalousiey & fit
renaître
,
dans son coeur
l'esperance que tant. de
malheurs en avoient ôtée.
Quelchangement de situation
pour le Prince de
Murcie, à peine croyoit- iltout ce qu'il entendait
partageentre la joye de
ravoir Leonore fidelle,
& l'impatience, de la revoir
telle que l'amour la
lui conservoit
,
à peine
pouvoit-il suffire à ressentir
tout son bonheur. Elvire
& le solitaire de leur
côté jouissoient du bonheur
de se trouver fîdeles,
exempts des soins &de l'inquietude
qui troubloient
depuis si long-temps leur
amour; le spectacle dont
ils étoient témoinsaugi
mentoit encore leur tendresse.
Après qu'ilsse furent
dit tout ce qu'un bonheur
mutuel peut inspirer,
ils s'aprocherent des deux
Princes. Dés que le Prince
deMurcie eut apperçû le
solitaire, il luy dit: Vous
- me trouvez,Seigneur,dans
unesituation- bien- différente
de celle ou vous,
m'aviez laissé, vous voyez
qu'il ne faut qu'un moment
pour terminer les
plus grands malheurs, j'espere
que celuy qui doit
finir les vôtres- n'est pas
bien éloigné, &pour lors
ma joye sera parfaite. Seigneur,.
répondit le solitaire,
le Ciel nous a réunis
pour nous rendre tous heureux,
vous allez- revoir
Leonore,,, jeretrouve El
vire fidellé
; cette avanture
finittous lesmalheuts
qui sembloient attachez
aunom que nous portons
l'un & l'autre. Il lui apprit
en même temps qu'il étoit
un cadet de la maison,
dont la branche separée
depuis long-temps estoit
presque inconnuë enEspagne,
il luy raconta les
soupçons d'Elvire à l'occasson
de la conformité
de leur nom; les momens
surent employez à des détails
capables d'interesser
du moins des amans:mais
lorsqu'Elvire luy rendit
compte àsontour de Son
entrevue a\*ecLectfi0rcv&
de tout cequi l'avoirluivie
:Ah, s'écria,le Prince,,
quela fortune, est cruelle
quand ellenouspourluit:
c'érait l'unique moyen de
rendrema fidélité suspecte
à Leonore:mais non, cette
Princesse connoîtbien
mon coeur,elle n'aura
point
-
fait cette injustice à
mon- amour. Cependant
Fernandezqui avoit ete
témoin; de redaircinement
entre le Prince de
Murcie & son malfire".
plein de tout cequ'ilavoit
entenducourut le publier
dans le Palais du Duc, il
trouva Leonore quiquittoit
la forêt pour retourner
à son appartement, &
elle en sur instruite la premiere.
Son récit étoit aisez
interessant pour que Leonore
voulût le justifier,
elle ': sè fit incontinentconduire
à la cabane;dés
qu'elle parut sa présence
produisit un profond silence
,
le Prince étoit celuy
qui avoit le plus de
choses à dire, il fut aussi
celuy qui eut moins la
force de parler: mais sa
joye n'en éclattoit que
mieux dans ses regards, ôc
Leonore qui l'y. voyoit
toute entiere,ne marquoit,
pas moins vivement le.
plaisir qu'elle ressentoit..
Elvire enfin prit la parole,.
&montrant le solitaire,elle
luy apprit son nom, & lui
donna un éclaircissement
qui manquoit encore à son.
repos.
Dom Juan marquoit le
plus vif repentir,ilcedoit
tous ses droits au Prince
de Murcie: ces amans
se voyoient, délivrez d'un
dangereux persecuteur;que
ne se dirent-ils point dans
de pareils transports ? Ah
,
Madame,s'écria le Prince,
vous m'aimez encore? les
noms d'usurpateur &d'infidele
qu'on m'a tant donnez
n'ont point changé
vôtre coeur? à ce trait je
reconnois Leonore. Ouy,
Seigneur,réponditla Princesse,
je vous ay toûjours
aimé
, & je luis toûjours,
cette Leonore, dont vous
connoissez si bien les sentimens;
les raisons qui sembloient
persuader vostre
inconstance,n'ont pu prévaloir
valoir sur le souvenir de
vos verrus: Prince,j'ay
souffert de vôtre absence
) & de la cruauré avec laquelle
on a voulu flétrir
vôtre nom:mais je ne vous
ay jamais condamné, de
ne pouvant être à vous,
j'allois me donner la mort,
si la fortune ne nous eût
enfin réunis. Je n'entreprendrai
point de rapporter
ici le cours de leur entretien;
pour peu qu'on
connoisse l'amour, on en
imaginera plus que je n'en
pourroisdire: mais enfin
il n'est pointde réünion
plus touchante que celle
de deux amans qui ont eu
tant d'obstacles à surmonter
,qu'ils se protestent
qu'ils ne se sont jamais crus
infidelles
,
parmi tant de
raisons qui sembloient
marquer leur infidélité ;
la haute idée qu'ils avoient
l'un de l'autre avoit toûjours
éloignélajalousieinseparablede
l'amour moins
heroïque, & s'ils n'avoient
pas eu les chagrins de cette
espece,ceux de l'absence
en étoient plusviolens
pour eux.
Les sentimens que tant
de disgraces n'avoient pû
chasser de leur coeur firent
leur gloire & leur felicité;
leur confiance attendrit
enfin le Duc d'Andalousie
, que tant de
nouvelles raisons forçoient
d'estimer le Prince
de Murcie: Ces illustres
Amans furent bientost
unis pour toujours
; cet
heureux mariage fut suivy
de celuy du solitaire
avec Elvire, & comme
la fortune les avoit tous
associez dans les malheurs
qu'elle leur avoit suscitez,
ils jurerent de ne se separerjamais,
FIN.
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Résumé : SUITE ET FIN de l'Histoire Espagnole.
Le texte relate une série d'événements impliquant plusieurs personnages en proie à des dilemmes amoureux et politiques. Le Prince de Murcie et un solitaire, tous deux malheureux en amour, se rencontrent dans une forêt. Le Prince de Murcie apprend que Leonore, qu'il aime, a épousé Dom Juan. Le solitaire, quant à lui, est désespéré car il croit qu'Elvire, la femme qu'il aime, lui est infidèle. Ils découvrent ensuite Elvire, poursuivie par Dom Garcie, qui est sauvée par le solitaire. Elvire accuse le solitaire d'inconstance, croyant qu'il aime Leonore, mais il nie et explique qu'il n'a jamais vu Leonore. Dans une cabane, ils trouvent Dom Juan et un autre homme blessés, chacun accusant l'autre de trahison. Le Prince de Murcie et Elvire tentent de les secourir. Une confrontation éclate entre Dom Juan et le Prince de Murcie concernant la princesse Leonore. Le Prince de Murcie accuse Dom Juan de trahison et d'usurpation, mais Dom Juan révèle que Dom Garcie est le véritable traître. Dom Juan explique qu'il a agi pour protéger l'Espagne et nie toute trahison envers le Prince. Le Prince de Murcie reconnaît l'innocence de Dom Juan et la trahison de Dom Garcie. Dom Juan avoue qu'il n'est pas l'époux de Leonore et exprime son repentir, promettant d'aider le Prince de Murcie à récupérer ses États et à reconquérir Leonore. Le solitaire, ami d'Elvire, se révèle être un cadet de la maison du Prince de Murcie. Elvire et le solitaire se retrouvent fidèles l'un à l'autre. Leonore, informée des événements, se réconcilie avec le Prince de Murcie, exprimant leur amour inébranlable. Le Duc d'Andalousie, ému par les preuves de leur amour et de leur loyauté, estime le Prince de Murcie. Les amants se marient, ainsi qu'Elvire et le solitaire, jurant de ne jamais se séparer.
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40
p. 5-18
LES DEUX VENDANGEURS SORCIERS.
Début :
Prés d'une petite Ville où l'on croit encore [...]
Mots clefs :
Vendangeurs, Sorciers, Vigne, Fille, Raisin, Mère, Sorcellerie, Témoin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES DEUX VENDANGEURS SORCIERS.
LES DEUX
VENDANGEURS.
SORCIERS, PRésd'une petite Ville
où l'on croit
- encore
aux Sorciers, il arriva deux
jeunesVendangeurs qu'on
ne connoissoit point dans:
lePays, l'un de ces deux
jeunes Paysans avoir- un
visage bazanné, petits;
yeux enfoncez) & grande
sourcils blonds-roussatres,
en un mot,la physionomie
un peu ensorcelante
comme l'ont témoigné
quelques vendangeuses
du Village.
Il y avoit dans ce Village
une Maison Bourgeoise,
où deux voisines
faisoient vendanger quelques
vignes qui etoient.
autour de leur Maison. Ce
fut dans ces vignes qu'une
jeune personne
y
fille de
l'une de ces deux Bourgeoises,
vint avec samere
se promener ôc voir vertdanger
; cette jeune fille
fut tentéed'unegrappe
de raisin, très appétissante,
qui pendoit à un sep de
vigne, au pied duquell'un;
de ces jeunes
paysans
vendangeurs
avoit posé son
pannier, il portoit déjà fat
sèrpette à la grappe désirée
lorsque la jeune fille la
lui demanda; il se tourna
galamment vers elle,pour
la lui presenter:Mais
effet surprenant de sorcellerie
y
dés qu'elle en eut
mangé deuxgrains elle sit:
un cri terrible, & sa merequi
l'accompagnoit, erb
fut si surprise qu'elle vou-,
lut en sçavoir la. cause:..
mais la fille, au lieu de répondrey
fit un cri moins.
fort-, mais plus douloureux,
& s'évanoüit,dans le
moment ,onla portaà la
MaisonUn moment.
aprés une de ses compagnes,
fille aussijeune Ôc:
aussijolie que l'autre,vintà
la vigne avec la femme de
chambre, elle alla par hazard
prendre quelque grape
de raisin dans le canton
des deux vendangeurs.
Sorciers,elle fit un cry
comme lapremiere,&
qui fut suivid'un évanoüissemenc
à peu prés pareil;.
quelques vendangeuses.
s'assembloient déja a l'endroit
des e'vanoiiiflemens^
les deux vendangeurs,
jeunes5gaillards & un peu
évaporez dirent qu'il ne
falloir pas s'étonner de ce
qu'onavoit vû,&qu'ils
avoient des serpetes magiques,
qui donnoient au
raisinquelles coupoient
la vertu de faire évanoüir
lçs. filles qui en marw
geoient, supposé qu'elles
fussent sages, & demanderent
excuse,disant qu'ils
n'avoient pas crû qu'il y eût dans ce village-là tant
de filles à qui leur serpette.
pût nuire. Quelques-unes
des vendangeuses prirent
la chose en plaifontant:
mais quelques autres crurent
le sortilege
,
& jurerent
qu'elles avoient
bien deviné à la mine des
vendangeurs que c'étoit
des sorciers, & qu'elles s'y,
connoissoient bien: Pendant
ce temps-là les deux.
Sorciers se glisserent derriere
une haye
,
& l'on a
dit depuis qu'ilsavoient
disparu en l'air,leurs panniers
réitèrent&; ils étoient
pleins de ce raisin enforcelé,
on en fit manger aux
vendangeuses mariées,
& effectivement elles ne
s'évanoüirent point; c'est
tout ce qu'on put faire
alors pour verifier le fortilege
; car aucune des filles
n'en voulut mansgaegre,
sdisant qu'elles étaient
: mais qu'elles ne
vouloient point être ensorcelées.
Pendant que cecy se passoit
dans les vignes il y eut
une grande dispute entre
les deux meres des deux
jeunes évanoüies,l'une des:,
deux étoit pénétrante, &
plus soupçonneuseque cré
dule, l'autre étoitbonne 6c
bête au-delà de l'imagination.
Lapremierealleguoit
avec beaucoup d'esprit, de
bonnes raisons contre l'exiftance
des sorciers, mais
la superstitieuse alleguoit
des faits de sa connoissance,
& à des faits dont
on aété témoin, il n'y a.
rienà repliquer. La fille de
chambre rusée pelerine,
soutenoitqu'elleavoit vu
un forcier en sa vie,&
mena les deux meres à la
vigne,disantqu'elle vouloir
éprouver leraisin,
elles trouverent encor les
panniers pleins,&les vendangeuses
autour, la fille
de chambre au premier
grain deraisin fit trois
cris pourun, & se demena
comme une possedée,
la mere credule se déchaina
sur l'autre,luisoutenant
que leurs filles estoient
tres-sages
,
& l'autre en
convint par prudence;car
elle n'avoit suivila fille de
chambre dans la vigne
que pour voir si les vendangeurs
y étoient encor.
Dés que la suivante eut
fini la scene de possedée,
elle assuraqu'elle n'avoit
gueres souffert, & les vendangeuses
se piquant
d'honneur voulurent toutes
manger du raisin pour
prouver leur sagesse aux
dépens de quelques contorsions
: cela fit une efpece
de danse de bacmantes
,
qui celebrerent
les vendanges assez plaisamment
:
quelques jours
aprés la mere prudente
jugeaque l'air du Convent
pourroit desensorceler sa
fi,llef, &1la mer\e credule s'étantapperçûë, je ne
sçay comment, que sa
fille avoit mangé du
raisin magique quatre
ou cinq mois avant les
vendanges, futconseillée
de la marier à l'un des
vendangeurs qui la fouhaittoit
, parce qu'elle
étoit plus riche que luy.
Il n'est pas besoin de
vous dire que ces deux
vendangeurs étoient deux
amans de ces deux jeunes
filles,quis'etoientainsi
déguisez pour tromper la
mere surveillante à qui
appartenoit la maison.
Le premiereffet de la
grappe futnaturel, car la
jeune fille, qui ne sçavoit
point son amant en ce
Pays-là, fut si surprise en
le reconnoissant qu'elle fit
ungrandcry, elle feignit
ensuite de se trouver mal
pour justifier le cri qu'elle
avoit
avoit fait, ensuite sa compagne
futsurprisecomme
elle, & la fille de chambrequi
avoit déja reconnu les
vendangeurs,courut à cellecy,&
lui dit à l'oreille des
évanoüir, imaginant en
ce moment de tromper
par l'idée d'ensorcellement
lamere credule,&
quelques vendãgeuses qui*
avoient été témoins des'
deux surprises, la matoifedonna
le mot-aux-vendant
geurs,pour appuyer cettes
idée,ils s'évaderent ensuite;
&voila lamagie naturelle
quia donné lieu
aux sortileges des deux
vendangeurs sorciers.
VENDANGEURS.
SORCIERS, PRésd'une petite Ville
où l'on croit
- encore
aux Sorciers, il arriva deux
jeunesVendangeurs qu'on
ne connoissoit point dans:
lePays, l'un de ces deux
jeunes Paysans avoir- un
visage bazanné, petits;
yeux enfoncez) & grande
sourcils blonds-roussatres,
en un mot,la physionomie
un peu ensorcelante
comme l'ont témoigné
quelques vendangeuses
du Village.
Il y avoit dans ce Village
une Maison Bourgeoise,
où deux voisines
faisoient vendanger quelques
vignes qui etoient.
autour de leur Maison. Ce
fut dans ces vignes qu'une
jeune personne
y
fille de
l'une de ces deux Bourgeoises,
vint avec samere
se promener ôc voir vertdanger
; cette jeune fille
fut tentéed'unegrappe
de raisin, très appétissante,
qui pendoit à un sep de
vigne, au pied duquell'un;
de ces jeunes
paysans
vendangeurs
avoit posé son
pannier, il portoit déjà fat
sèrpette à la grappe désirée
lorsque la jeune fille la
lui demanda; il se tourna
galamment vers elle,pour
la lui presenter:Mais
effet surprenant de sorcellerie
y
dés qu'elle en eut
mangé deuxgrains elle sit:
un cri terrible, & sa merequi
l'accompagnoit, erb
fut si surprise qu'elle vou-,
lut en sçavoir la. cause:..
mais la fille, au lieu de répondrey
fit un cri moins.
fort-, mais plus douloureux,
& s'évanoüit,dans le
moment ,onla portaà la
MaisonUn moment.
aprés une de ses compagnes,
fille aussijeune Ôc:
aussijolie que l'autre,vintà
la vigne avec la femme de
chambre, elle alla par hazard
prendre quelque grape
de raisin dans le canton
des deux vendangeurs.
Sorciers,elle fit un cry
comme lapremiere,&
qui fut suivid'un évanoüissemenc
à peu prés pareil;.
quelques vendangeuses.
s'assembloient déja a l'endroit
des e'vanoiiiflemens^
les deux vendangeurs,
jeunes5gaillards & un peu
évaporez dirent qu'il ne
falloir pas s'étonner de ce
qu'onavoit vû,&qu'ils
avoient des serpetes magiques,
qui donnoient au
raisinquelles coupoient
la vertu de faire évanoüir
lçs. filles qui en marw
geoient, supposé qu'elles
fussent sages, & demanderent
excuse,disant qu'ils
n'avoient pas crû qu'il y eût dans ce village-là tant
de filles à qui leur serpette.
pût nuire. Quelques-unes
des vendangeuses prirent
la chose en plaifontant:
mais quelques autres crurent
le sortilege
,
& jurerent
qu'elles avoient
bien deviné à la mine des
vendangeurs que c'étoit
des sorciers, & qu'elles s'y,
connoissoient bien: Pendant
ce temps-là les deux.
Sorciers se glisserent derriere
une haye
,
& l'on a
dit depuis qu'ilsavoient
disparu en l'air,leurs panniers
réitèrent&; ils étoient
pleins de ce raisin enforcelé,
on en fit manger aux
vendangeuses mariées,
& effectivement elles ne
s'évanoüirent point; c'est
tout ce qu'on put faire
alors pour verifier le fortilege
; car aucune des filles
n'en voulut mansgaegre,
sdisant qu'elles étaient
: mais qu'elles ne
vouloient point être ensorcelées.
Pendant que cecy se passoit
dans les vignes il y eut
une grande dispute entre
les deux meres des deux
jeunes évanoüies,l'une des:,
deux étoit pénétrante, &
plus soupçonneuseque cré
dule, l'autre étoitbonne 6c
bête au-delà de l'imagination.
Lapremierealleguoit
avec beaucoup d'esprit, de
bonnes raisons contre l'exiftance
des sorciers, mais
la superstitieuse alleguoit
des faits de sa connoissance,
& à des faits dont
on aété témoin, il n'y a.
rienà repliquer. La fille de
chambre rusée pelerine,
soutenoitqu'elleavoit vu
un forcier en sa vie,&
mena les deux meres à la
vigne,disantqu'elle vouloir
éprouver leraisin,
elles trouverent encor les
panniers pleins,&les vendangeuses
autour, la fille
de chambre au premier
grain deraisin fit trois
cris pourun, & se demena
comme une possedée,
la mere credule se déchaina
sur l'autre,luisoutenant
que leurs filles estoient
tres-sages
,
& l'autre en
convint par prudence;car
elle n'avoit suivila fille de
chambre dans la vigne
que pour voir si les vendangeurs
y étoient encor.
Dés que la suivante eut
fini la scene de possedée,
elle assuraqu'elle n'avoit
gueres souffert, & les vendangeuses
se piquant
d'honneur voulurent toutes
manger du raisin pour
prouver leur sagesse aux
dépens de quelques contorsions
: cela fit une efpece
de danse de bacmantes
,
qui celebrerent
les vendanges assez plaisamment
:
quelques jours
aprés la mere prudente
jugeaque l'air du Convent
pourroit desensorceler sa
fi,llef, &1la mer\e credule s'étantapperçûë, je ne
sçay comment, que sa
fille avoit mangé du
raisin magique quatre
ou cinq mois avant les
vendanges, futconseillée
de la marier à l'un des
vendangeurs qui la fouhaittoit
, parce qu'elle
étoit plus riche que luy.
Il n'est pas besoin de
vous dire que ces deux
vendangeurs étoient deux
amans de ces deux jeunes
filles,quis'etoientainsi
déguisez pour tromper la
mere surveillante à qui
appartenoit la maison.
Le premiereffet de la
grappe futnaturel, car la
jeune fille, qui ne sçavoit
point son amant en ce
Pays-là, fut si surprise en
le reconnoissant qu'elle fit
ungrandcry, elle feignit
ensuite de se trouver mal
pour justifier le cri qu'elle
avoit
avoit fait, ensuite sa compagne
futsurprisecomme
elle, & la fille de chambrequi
avoit déja reconnu les
vendangeurs,courut à cellecy,&
lui dit à l'oreille des
évanoüir, imaginant en
ce moment de tromper
par l'idée d'ensorcellement
lamere credule,&
quelques vendãgeuses qui*
avoient été témoins des'
deux surprises, la matoifedonna
le mot-aux-vendant
geurs,pour appuyer cettes
idée,ils s'évaderent ensuite;
&voila lamagie naturelle
quia donné lieu
aux sortileges des deux
vendangeurs sorciers.
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Résumé : LES DEUX VENDANGEURS SORCIERS.
Dans un village où les croyances aux sorciers persistent, deux jeunes vendangeurs arrivent, l'un d'eux ayant une apparence intrigante. Deux bourgeoises locales font vendanger leurs vignes. La fille de l'une d'elles, en se promenant, demande une grappe de raisin à un des vendangeurs. Après en avoir mangé deux grains, elle pousse un cri et s'évanouit. Peu après, une autre jeune fille subit le même sort. Les vendangeurs avouent posséder des serpettes magiques qui font s'évanouir les filles sages ayant mangé du raisin coupé par ces outils. Les villageois, partagés entre incrédulité et superstition, testent le raisin sur des vendangeuses mariées, qui ne s'évanouissent pas. Pendant ce temps, les mères des jeunes filles discutent de l'existence des sorciers. La fille de chambre, complice des vendangeurs, feint d'être ensorcelée pour convaincre la mère crédule. Finalement, il est révélé que les vendangeurs sont en réalité les amants des deux jeunes filles, déguisés pour tromper la mère surveillante. Les évanouissements étaient dus à la surprise de reconnaître leurs amants.
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41
p. 18-48
LE CORRESPONDANT DE LA GUINGUETTE.
Début :
Les vendanges ont été si abondantes cette année qu'un [...]
Mots clefs :
Vendanges, Vin, Médecin, Vérole, Femme, Fille, Servante, Mère, Bourgeoise, Guinguette, Ami, Valet, Ivresse, Mari, Ivrogne, Habit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE CORRESPONDANT DE LA GUINGUETTE.
LE CORRESPONDANT
DELA
GUINGUETTE. LES
vendanges ont écc
ii abondantes cette année
qu'un paysan d'Argenteuil
a recueilli dans un seul demy
arpent de vignes quatorze
muids de vin ,
la
Posterité biberonne aimera
mieux voir cette remarque
dans nos registres,que
l'époque du grand hyver,
& des débordemens d'eau.
Le vin ne vaut plus que
trois fols à la guinguette,
& cette abandance me
fournira des mémoires
pour les articles burlesques
du Mercure,il ne me
suffit pas d'avoir des Correspondans
dans les pays
étrangers, & dans les Pro.
vinees;j'en ai un tresassidu
les fêtes & Dimanches
aux assemblées de la
Courtille, Pentin,Vaugirard
& autres pays de la
Banlieuë:ony aprend nonseulement
l'interieur des,
familles bourgeoises, mais,
encore ce qui se passe dans,
les grandes maisons.
Baccus toujours sincere &'
quelquefois malin,
Seplaîtàpublier le long d'un
grand chemin
Lefoir au retour des Guinguettes
Les intrigues les plussecretes
De l'artisan
,
du bas bourgeoJs,
Il méditmême quelquefois
Delaplus haute bourgeoise ,
Sa temeraire frmtfîe
Des plus qllallfieZ rende,
les Secrets;
Nefait-il pas parlerserventes
& valets,
Des bijoutiers, des Revendeujes,
Des Tailleurs &des Accouchensest?
Une Revendeuse, &:
le valet d'un vieux Medecin
buvoient ensemble à
la grandepinte:la revendeuse
se réjouissoit de ce
que la petite verole est
presque finie dans Paris,
& le valet du Medecins'en
affligeoit pour son maicre;.
larevendeuse luiracontoit
à cette occasion les erreurs
de la plupart des femmes
sur , tout ce qui peut apporter
dans une maison l'air
de la petite verole, &cela
lui avoit fait grand tort,
disoit-elle
; car les Dames
croyoient trouver la petite
verole jusques dans les
dentelles que je leur
-
portois. Cela n'est pas si
mal fondé, lui disoit le
valet; car le mauvais air
(k met dans le linge, dans
les habits, dans les perruques,
& voici ce qui est.
arrivé àmon maître.
Une bourgeoise jeune
& jolie craignant la
petite verole, comme
de raison : mais un peu
plus Qu'une femme raisonnable
ne la doit
craindre,prenoit pour
petite verole la moindre
émotion, la moindre
vapeur, elle croyoit
à chaque instant sentir
la fièvre,&C l'avoit
peut-êtrede peur, eltercroyoitêtre
prise. Son
premier mouvement
fut d'envoyer vîte au
Medecin:mais faisant
reflexion que les Medecins
portent aveceux
l'airde la petite vero le,
elle resolutde se passer
de Medecin, on en fit,
pourtantvenirunon le,
conduisit d'abord dans
la chambre d'une servante
malade, en at-.
tendant qu'ondisposeroit
roit la maitresse à le
voir, & elle ne voulut
absolument point le
recevoir qu'iln'eût ôté
sa peruque &ses habits,
mais ,lui dit-on, un
vieux Medecin dépouillé
vous fera encore plus
de peur que la petite
verole. Il est vray, rcpandit-
elle,mais qu'il
prenne quelque habit
dans la maison. Il ne se
trouva point d'habit
vacant; le Medecin étoit
presse; on le travestit
de ce qui se presenta
dans la chambre de la
servante, de sa jupe, de
son manteau 8c de ses
cornettes, dont on le
coëssacomme on put.
Danscetequipage il
fut reçu de la bourgeoise,
&s'affit auprés
de sonlit pour lui tâter
le pouls.
Il faut sçavoir que la
servante étoit au lit de
son côté pour avoir été
excedée de coups par la
belle-mere de la bourgeoise.
Cette belle-mere
étoit une grand 'femme
seiches,billeuse, accariatre
& brutale,qui affommoit
ses valets pour
le moindre sujet,& elle
en avoit eu un essentiel
de battre la servante:
aussi luiavoit-elle juré
qu'elle la mettroit sur
le grabat pour un mois,
& lui avoit dessendu
d'entrer dans la chambre
de sabru. Quelle fut
sa colere en y entrant?
quandellecrut,trompée
par l'habit, voir
cette servante assise au
chevet du lit?Aveuglée
de rage elle courtsur le
Medecin, qui se sentit
prendre à la gorge, avant
que de sçavoir par
qui. Il se debarassa à
coups de poings de cet- teenragée,&l'avanture
finit comme la scene
d'ArlequinLingere,par
un detignonement reciproque
de la belle-mere
& du Medecin.
Comme leValet du Medecin
achevoit de conter
l'avanture de son Maître,
arrive un bon compagnon:
paye-nous bouteille,lui dit
celui-ci. Non, dit l'autre,
je fuis ruiné depuis que le
vin est à bon marché; j'avois
plus d'argent quand
il estoit cher, car je ne
buvois que de l'eau. Ce
propos de Guinguette fut
suivid'une érudition de la
Chine,carc'étoit un garçon
qui avoit fort voyage,
& qui leur dit, à propos
de petite vérole, qu'elle se
gagne par la respiration,
& cita là-dessus les Medecins
Chinois, --
-
Ily a à la Chine des
Medecins plus habiles à
donner la petite vérole
que les nostres à la guérir;
ce n'est point une
plaisanterie,Commeelleest
mortelleen ce païsla
après certains âges
,.
on va trouver le Medecin
pour la faire venir
quand elle ne vient pas
naturellement; & voici
comment les Médecins
la donnent: Ils recuëillent
soigneusement
& en certains momens
de cette maladie
la sueur des malades
avec du coton; ils enferment
ensuite ce coton
moüillé dans de petites
boëtes d'or, & le
conservent avec certaine
préparation, & l'on
met ensuitece coton
dans lesnarines de ceux
qui veulent avoir cette
maladie, & l'effetenest
sûr Nos Dames craindroient
beaucoup ces.
Medecins-là,car ils portent
à coup sûr la petite
vérole dans leurpoche,
Apres le voyageur un
autheur du Pont-neufvint
boire auec ces Messieurscy
,
& donna un plat de
son métier.
Air original de la Guinguette
, surl'air.,-Au
reguingué,
VNOfficieràson retour
S'envintpourmeparler d'a-
Ji mour: me mis d'abord en Jefinfi"
Avance, avance, avance,
avance
Avecton habitd'ordonnance.
Jesuis,dit il,jeune &
bien-fait,
J'ai de l'esprit& du caqU-st,
En amour la belle éloquence,
Avance, avance, avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance,
Je lui dis- Vostrebeauparler
Ici vous fera reculer;
Prés de moy laseulefinance
Avance , avance5 avancey
avance
Avecton habit d'ordonnance.
Il medit:Je t'épouserai,
Mille écus je te donnerai.
Je lui dit,Payezles d'avance.
Avance
, avance , avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
Iln'apoint d'argent le matois
:
Mais sa bouche vers mon
minois
Malgré ma bonne contenance
Avancey avance, avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance
Mongrand frere arrive
soudain,
Qui tient une épee àsamain
Dont la pointe droit vers sa
panse
Avance
y avance, avance ,
avance
Avectonhabit d'ordonnance.
Ce brave ne recule pasy
Mais AU contraire. à trés.
grands pas
Du coté de la porte avance
Avance, avance , avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
A propos d'air de
Pont-neuf, ditun garçon
Marchand qui se
trouva là, les Airs de
Lambert sont charmans,
j'ai un de mes
amis qui en est fou;II
chante des chan sons de
Lambert toute lajournée,
la nuit même en
rêvant,c'estsapassion.
Il est dameret, galant,
pinceraperruque blonde
,
lesgands blancs)
lacravatte à glans de
fayence;nous l'enyvrâmes
à ChaillotDimanche
dernier, il se perdit
en chemin, & après l'avoir
cherché longtemps,
nous l'entendimes
chanterjnouscoulrûûmmeessààlalavvooiixx..
IIllééttooiittw
tombé dans l'égoût:
maisils'y trouvoitàIon
aise comme dans son lit:
tout couvert d'ordure,
sa perruque roide de
crotte, il ressembloit à
un fleuve noir: il s'était
accoté sur un tas d'immondices
qui formoit
en cet endroit del'égout
unecascade de bouë liquide
, &C là presque
yvre-mort ils'egofilloit
de chanter.
Coulez
, murmurez,
clairs rwfieaux,
jillezj dire à Climene
L'état ou m'a mis l'in--
humaine.
Comme nous n'ofions
le toucher pour le
relever, tant il estoit
boueux, nous luy passâmes
deux perches
fous le ventre, &: nous
l'enlevâmes tout brandi
pourle porter à son inhumaine,
qui étoit avec
sa famille au cabaret
prochain: L'un des
deux qui le portaient
étoit son rival, & luy
joiioit cetour pour en
dégoûter sa maîtresse,
qui haïssoit les yvrognes.
C'etoit une simple
bourgeoise qui ne connoissoit
pas assez le
grand monde de Paris,
elle croyoit que l'yvrognerieétoit
haïssable
dans un jeune homme,
& comme elle étoitenferme
de se marier avec
celui-ci , elle fut fort
affliaffligée
de le voir en cet
état; la mere sécria en
le voyant paroître,ah
je ne veux pas donner
ma fille à un homme
quia sipeu de raison.
Il faut lui pardonner,
dit le pere, grand
diseur de bons mots
bourgeois, & qui aimoit
aussi à Doire,
quand le vinest commun
la raison estrare,
il n'est défendu qu'aux
femmes de boire, parce
que quand ellesont une
fois perd u la raison elles
ne la retrouventjamais,
il faut qu'un homme
fage s'enyvre un moins
une fois en sa vie pour
ravoir quel vin ila.
Apres une tiradede
raisons au ssi bonnes que
celles-là, il conclut que
le jeune homme yvre
seroit son gendre, la
mere s'emporta fort,
disantque sa filleétoit
plus à elle qu'à luy, &
qu'elle ne vouloit point
la donner à cet homme-
là; toute la famille
presente proposa un accommodement
entre le
mari & la femme, & on
convint que la fille qu'-
on sçavoit être très censée
decideroit sur ce
mariage,&qu'ellechoifiroit
des deux rivaux.
Le rival triomphoit
déjà auprès de cette fage
fille, & n'avoit rien
oublié pour augmenter
l'horreur qu'elle avoit
pour l'yvrognerie:mais
elle en avoitencorplus.
pour la mauvaise foy
elle sçavoit quecelui-c,i
étoit ami de son amant,
& voyant qu'ill'avoit
trahi enramenant yvre
devant elle, elle iup^
posa qu'ill'avoit enyvré
exprés, ôe setournant
vers lui, elleluy
dit tout haut en pleine
assemblée: Monsieur
5 j'aime encore mieux un
homme qui s'enyvre,
qu'un homme qui trahit
son ami.
Le pere quiétoit bon
& franc comme le vin
de sa cave, loua fortla
décisionde sa prudente
fille,il éxagera la noirceurd'âme
d'un homme
qui se fert du vin pour
faire, tortà quelqu'un,
cela,disoit-il,estcontre
le droit des buveurs,
plus sacré que le droit
des gens; c'est pis que
de voler sur le grand
chemin; car si j'avois
confié la clef de mon
cabinet à un ami Se
qu'il me volât, quel
crimeseroit-ce?& n'estce
pas donner la clef
de son coeur à quelqu'-
un , que de s'enyvrer
avec luy?Celuiavec qui
je m'enyvre m'est plus
cher que femme 6C ensans,
entendez.vous,
ma femme, & voyez la
punition que je mericerois
si je vous avois
trahi.Celaest vrai, mon
mari, répondit la femme.
Je conclus donc, repliqua
le mari, qu'on
me donne à boire, & je
boirai à la santé du pauvre
enyvré, a qui je
donne ma fille pour punir
l'autre.
M C'est à cond ition ,
reprit la fille, qu'il ne
s'enyvrera de sa vie.
Bien entendu, reprit le
mari, il fera comme
moyens je bois noins
je m'enyvre,buvons encore
ce coup-ci,&quonm'aille
querir le Notaire,
je veux quece repas-
cy soit le commencement
de la noce ,&C}
quelle dure huit jours.
DELA
GUINGUETTE. LES
vendanges ont écc
ii abondantes cette année
qu'un paysan d'Argenteuil
a recueilli dans un seul demy
arpent de vignes quatorze
muids de vin ,
la
Posterité biberonne aimera
mieux voir cette remarque
dans nos registres,que
l'époque du grand hyver,
& des débordemens d'eau.
Le vin ne vaut plus que
trois fols à la guinguette,
& cette abandance me
fournira des mémoires
pour les articles burlesques
du Mercure,il ne me
suffit pas d'avoir des Correspondans
dans les pays
étrangers, & dans les Pro.
vinees;j'en ai un tresassidu
les fêtes & Dimanches
aux assemblées de la
Courtille, Pentin,Vaugirard
& autres pays de la
Banlieuë:ony aprend nonseulement
l'interieur des,
familles bourgeoises, mais,
encore ce qui se passe dans,
les grandes maisons.
Baccus toujours sincere &'
quelquefois malin,
Seplaîtàpublier le long d'un
grand chemin
Lefoir au retour des Guinguettes
Les intrigues les plussecretes
De l'artisan
,
du bas bourgeoJs,
Il méditmême quelquefois
Delaplus haute bourgeoise ,
Sa temeraire frmtfîe
Des plus qllallfieZ rende,
les Secrets;
Nefait-il pas parlerserventes
& valets,
Des bijoutiers, des Revendeujes,
Des Tailleurs &des Accouchensest?
Une Revendeuse, &:
le valet d'un vieux Medecin
buvoient ensemble à
la grandepinte:la revendeuse
se réjouissoit de ce
que la petite verole est
presque finie dans Paris,
& le valet du Medecins'en
affligeoit pour son maicre;.
larevendeuse luiracontoit
à cette occasion les erreurs
de la plupart des femmes
sur , tout ce qui peut apporter
dans une maison l'air
de la petite verole, &cela
lui avoit fait grand tort,
disoit-elle
; car les Dames
croyoient trouver la petite
verole jusques dans les
dentelles que je leur
-
portois. Cela n'est pas si
mal fondé, lui disoit le
valet; car le mauvais air
(k met dans le linge, dans
les habits, dans les perruques,
& voici ce qui est.
arrivé àmon maître.
Une bourgeoise jeune
& jolie craignant la
petite verole, comme
de raison : mais un peu
plus Qu'une femme raisonnable
ne la doit
craindre,prenoit pour
petite verole la moindre
émotion, la moindre
vapeur, elle croyoit
à chaque instant sentir
la fièvre,&C l'avoit
peut-êtrede peur, eltercroyoitêtre
prise. Son
premier mouvement
fut d'envoyer vîte au
Medecin:mais faisant
reflexion que les Medecins
portent aveceux
l'airde la petite vero le,
elle resolutde se passer
de Medecin, on en fit,
pourtantvenirunon le,
conduisit d'abord dans
la chambre d'une servante
malade, en at-.
tendant qu'ondisposeroit
roit la maitresse à le
voir, & elle ne voulut
absolument point le
recevoir qu'iln'eût ôté
sa peruque &ses habits,
mais ,lui dit-on, un
vieux Medecin dépouillé
vous fera encore plus
de peur que la petite
verole. Il est vray, rcpandit-
elle,mais qu'il
prenne quelque habit
dans la maison. Il ne se
trouva point d'habit
vacant; le Medecin étoit
presse; on le travestit
de ce qui se presenta
dans la chambre de la
servante, de sa jupe, de
son manteau 8c de ses
cornettes, dont on le
coëssacomme on put.
Danscetequipage il
fut reçu de la bourgeoise,
&s'affit auprés
de sonlit pour lui tâter
le pouls.
Il faut sçavoir que la
servante étoit au lit de
son côté pour avoir été
excedée de coups par la
belle-mere de la bourgeoise.
Cette belle-mere
étoit une grand 'femme
seiches,billeuse, accariatre
& brutale,qui affommoit
ses valets pour
le moindre sujet,& elle
en avoit eu un essentiel
de battre la servante:
aussi luiavoit-elle juré
qu'elle la mettroit sur
le grabat pour un mois,
& lui avoit dessendu
d'entrer dans la chambre
de sabru. Quelle fut
sa colere en y entrant?
quandellecrut,trompée
par l'habit, voir
cette servante assise au
chevet du lit?Aveuglée
de rage elle courtsur le
Medecin, qui se sentit
prendre à la gorge, avant
que de sçavoir par
qui. Il se debarassa à
coups de poings de cet- teenragée,&l'avanture
finit comme la scene
d'ArlequinLingere,par
un detignonement reciproque
de la belle-mere
& du Medecin.
Comme leValet du Medecin
achevoit de conter
l'avanture de son Maître,
arrive un bon compagnon:
paye-nous bouteille,lui dit
celui-ci. Non, dit l'autre,
je fuis ruiné depuis que le
vin est à bon marché; j'avois
plus d'argent quand
il estoit cher, car je ne
buvois que de l'eau. Ce
propos de Guinguette fut
suivid'une érudition de la
Chine,carc'étoit un garçon
qui avoit fort voyage,
& qui leur dit, à propos
de petite vérole, qu'elle se
gagne par la respiration,
& cita là-dessus les Medecins
Chinois, --
-
Ily a à la Chine des
Medecins plus habiles à
donner la petite vérole
que les nostres à la guérir;
ce n'est point une
plaisanterie,Commeelleest
mortelleen ce païsla
après certains âges
,.
on va trouver le Medecin
pour la faire venir
quand elle ne vient pas
naturellement; & voici
comment les Médecins
la donnent: Ils recuëillent
soigneusement
& en certains momens
de cette maladie
la sueur des malades
avec du coton; ils enferment
ensuite ce coton
moüillé dans de petites
boëtes d'or, & le
conservent avec certaine
préparation, & l'on
met ensuitece coton
dans lesnarines de ceux
qui veulent avoir cette
maladie, & l'effetenest
sûr Nos Dames craindroient
beaucoup ces.
Medecins-là,car ils portent
à coup sûr la petite
vérole dans leurpoche,
Apres le voyageur un
autheur du Pont-neufvint
boire auec ces Messieurscy
,
& donna un plat de
son métier.
Air original de la Guinguette
, surl'air.,-Au
reguingué,
VNOfficieràson retour
S'envintpourmeparler d'a-
Ji mour: me mis d'abord en Jefinfi"
Avance, avance, avance,
avance
Avecton habitd'ordonnance.
Jesuis,dit il,jeune &
bien-fait,
J'ai de l'esprit& du caqU-st,
En amour la belle éloquence,
Avance, avance, avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance,
Je lui dis- Vostrebeauparler
Ici vous fera reculer;
Prés de moy laseulefinance
Avance , avance5 avancey
avance
Avecton habit d'ordonnance.
Il medit:Je t'épouserai,
Mille écus je te donnerai.
Je lui dit,Payezles d'avance.
Avance
, avance , avance,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
Iln'apoint d'argent le matois
:
Mais sa bouche vers mon
minois
Malgré ma bonne contenance
Avancey avance, avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance
Mongrand frere arrive
soudain,
Qui tient une épee àsamain
Dont la pointe droit vers sa
panse
Avance
y avance, avance ,
avance
Avectonhabit d'ordonnance.
Ce brave ne recule pasy
Mais AU contraire. à trés.
grands pas
Du coté de la porte avance
Avance, avance , avance ,
avance
Avec ton habit d'ordonnance.
A propos d'air de
Pont-neuf, ditun garçon
Marchand qui se
trouva là, les Airs de
Lambert sont charmans,
j'ai un de mes
amis qui en est fou;II
chante des chan sons de
Lambert toute lajournée,
la nuit même en
rêvant,c'estsapassion.
Il est dameret, galant,
pinceraperruque blonde
,
lesgands blancs)
lacravatte à glans de
fayence;nous l'enyvrâmes
à ChaillotDimanche
dernier, il se perdit
en chemin, & après l'avoir
cherché longtemps,
nous l'entendimes
chanterjnouscoulrûûmmeessààlalavvooiixx..
IIllééttooiittw
tombé dans l'égoût:
maisils'y trouvoitàIon
aise comme dans son lit:
tout couvert d'ordure,
sa perruque roide de
crotte, il ressembloit à
un fleuve noir: il s'était
accoté sur un tas d'immondices
qui formoit
en cet endroit del'égout
unecascade de bouë liquide
, &C là presque
yvre-mort ils'egofilloit
de chanter.
Coulez
, murmurez,
clairs rwfieaux,
jillezj dire à Climene
L'état ou m'a mis l'in--
humaine.
Comme nous n'ofions
le toucher pour le
relever, tant il estoit
boueux, nous luy passâmes
deux perches
fous le ventre, &: nous
l'enlevâmes tout brandi
pourle porter à son inhumaine,
qui étoit avec
sa famille au cabaret
prochain: L'un des
deux qui le portaient
étoit son rival, & luy
joiioit cetour pour en
dégoûter sa maîtresse,
qui haïssoit les yvrognes.
C'etoit une simple
bourgeoise qui ne connoissoit
pas assez le
grand monde de Paris,
elle croyoit que l'yvrognerieétoit
haïssable
dans un jeune homme,
& comme elle étoitenferme
de se marier avec
celui-ci , elle fut fort
affliaffligée
de le voir en cet
état; la mere sécria en
le voyant paroître,ah
je ne veux pas donner
ma fille à un homme
quia sipeu de raison.
Il faut lui pardonner,
dit le pere, grand
diseur de bons mots
bourgeois, & qui aimoit
aussi à Doire,
quand le vinest commun
la raison estrare,
il n'est défendu qu'aux
femmes de boire, parce
que quand ellesont une
fois perd u la raison elles
ne la retrouventjamais,
il faut qu'un homme
fage s'enyvre un moins
une fois en sa vie pour
ravoir quel vin ila.
Apres une tiradede
raisons au ssi bonnes que
celles-là, il conclut que
le jeune homme yvre
seroit son gendre, la
mere s'emporta fort,
disantque sa filleétoit
plus à elle qu'à luy, &
qu'elle ne vouloit point
la donner à cet homme-
là; toute la famille
presente proposa un accommodement
entre le
mari & la femme, & on
convint que la fille qu'-
on sçavoit être très censée
decideroit sur ce
mariage,&qu'ellechoifiroit
des deux rivaux.
Le rival triomphoit
déjà auprès de cette fage
fille, & n'avoit rien
oublié pour augmenter
l'horreur qu'elle avoit
pour l'yvrognerie:mais
elle en avoitencorplus.
pour la mauvaise foy
elle sçavoit quecelui-c,i
étoit ami de son amant,
& voyant qu'ill'avoit
trahi enramenant yvre
devant elle, elle iup^
posa qu'ill'avoit enyvré
exprés, ôe setournant
vers lui, elleluy
dit tout haut en pleine
assemblée: Monsieur
5 j'aime encore mieux un
homme qui s'enyvre,
qu'un homme qui trahit
son ami.
Le pere quiétoit bon
& franc comme le vin
de sa cave, loua fortla
décisionde sa prudente
fille,il éxagera la noirceurd'âme
d'un homme
qui se fert du vin pour
faire, tortà quelqu'un,
cela,disoit-il,estcontre
le droit des buveurs,
plus sacré que le droit
des gens; c'est pis que
de voler sur le grand
chemin; car si j'avois
confié la clef de mon
cabinet à un ami Se
qu'il me volât, quel
crimeseroit-ce?& n'estce
pas donner la clef
de son coeur à quelqu'-
un , que de s'enyvrer
avec luy?Celuiavec qui
je m'enyvre m'est plus
cher que femme 6C ensans,
entendez.vous,
ma femme, & voyez la
punition que je mericerois
si je vous avois
trahi.Celaest vrai, mon
mari, répondit la femme.
Je conclus donc, repliqua
le mari, qu'on
me donne à boire, & je
boirai à la santé du pauvre
enyvré, a qui je
donne ma fille pour punir
l'autre.
M C'est à cond ition ,
reprit la fille, qu'il ne
s'enyvrera de sa vie.
Bien entendu, reprit le
mari, il fera comme
moyens je bois noins
je m'enyvre,buvons encore
ce coup-ci,&quonm'aille
querir le Notaire,
je veux quece repas-
cy soit le commencement
de la noce ,&C}
quelle dure huit jours.
Fermer
Résumé : LE CORRESPONDANT DE LA GUINGUETTE.
Le texte décrit les observations d'un correspondant sur les vendanges abondantes à Argenteuil, où un paysan a récolté quatorze muids de vin dans un demi-arpent de vignes. Cette abondance a conduit à une baisse du prix du vin, qui ne vaut désormais que trois fois son prix habituel à la guinguette. Le correspondant, présent dans diverses assemblées de la banlieue parisienne, rapporte des intrigues et des secrets des artisans, des bourgeois et des grandes maisons. Une anecdote notable concerne une revendeuse et le valet d'un médecin discutant de la petite vérole. La revendeuse se réjouit de la fin de l'épidémie, tandis que le valet s'en afflige pour son maître. La revendeuse explique que les femmes craignent la petite vérole et évitent les dentelles, ce à quoi le valet répond que le mauvais air peut se trouver dans les vêtements et les perruques. Une jeune bourgeoise, craignant la petite vérole, refuse de voir un médecin de peur qu'il ne lui transmette la maladie. Elle le fait déshabiller et le médecin, déguisé en servante, est attaqué par la belle-mère de la bourgeoise, qui le confond avec la servante malade. La scène se termine par une dispute et un déguisement réciproque. Le texte mentionne également un voyageur chinois qui parle des médecins de son pays, capables de transmettre la petite vérole. Un auteur du Pont-Neuf intervient ensuite avec une chanson burlesque sur un officier et une jeune femme. Une autre histoire concerne un jeune homme ivre retrouvé dans un égout, chantant des airs de Lambert. Sa famille et son rival discutent de son mariage avec une jeune femme. La fille choisit finalement l'ivrogne, préférant un homme honnête à un traître. Le père, un amateur de vin, conclut que l'ivrognerie est pardonnable, mais la trahison ne l'est pas.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
42
p. 58-73
Conte Arabe.
Début :
Le Calife Arbroun fut comparé par les Poëtes de son [...]
Mots clefs :
Calife, Arbre, Bague, Colère, Rire, Esprit, Mélancolie, Corneilles, Philosophes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Conte Arabe.
Conte Arab- e.
LECalise Arbroun fut
comparé par les Poëtes
seTon temps àun arbre
prodigieusement grand
qui estoit près de son
chasteau ; ses profondes
& vastes racines,c'estoit,
disoient-ils, la puissance
du Calife solidement cftablie;
la tigeeslevée de-,
cet arbre portoitjusquaux
nuës une teste superbe
,le Calife avoit
l'esprit sublime; la teste
de cet arbre étoit ornée
de fleurs & de fruits, ce
Calife estoit gracieux &
bienfaisant, en un mot il
n'avoitdedeffaut qu'une
noire melancolie
,
qui
obscurcissoit le brillant
de son esprit, mais pour
dissiper ces nuages melancoliques
il avoit fait
son amy dun Filosofe,
qui sçayoit égayer la Filosofie
par des morales
réjouissantes, &par de,.
foliescensées.
Le Calife Arbroun difoitque
l'esprit de Thomme
estant encore plus
maladif que son corps,
un bon Filosofe estoit
aussi necessaire auprès
d'un Princequ'un bon
Madecin.Unjour estant
ieui avec le Medecin de
-& melancolie câpres une
réverie profonde, & regardant
l'arbrequ'onluy
comparoit, il s'écria tout a-coup : Arbroun, Arbroun
, tu attristetes
amis parta melancolie,
comme cet arbre toufu
attriste cm. les ombrageant
les arbresqui l'environnent,
puis se tournant
vers le Filosofe:
Ecoute, amy,luy dit-il,
je te promets une bague
chaquefois que tu pourras
me faire rire. Bon,
reprit le Filosofe en secoüant
la teste, je ne gagneroispas
avec vousen
dix ans dequoy orner un
de mes doigts, j'auray
beau plaisanter vous ne
rirez jamais; ce fera quelquefois
ma faute,& quelquefois
la vostre
,
mais
vous jugerez de mes bons
mots selon vostre mauvaise
humeur, & je n'auray
poli-Lt de bague.
Hé bien,reprit le Calife,
toutes les fois que
tu pourras me prouver
quec'est ma faute de n'avoir
pas ry - de tes plaisanteries
,
je te les paieray
-cimme bonnes, maisil
faudra me prouver par
raison que j'aurois deu
rire.Vous me reduisez
à l impossible, dit le Filosose,
je puis bien prouver
par raisonqu'un bon
motestraisonnable,mais
quand on pourroit prouver
qu'il estrisible
, on ne
prouvera pointàunhomme
qu'il a tort de n'en
pas rire. Voyons pourtant,
continualeFilosose,
sivous rirez de ceque
ma conté ce matin la fille
de chambrede cette
veuve, dont le mary
mourut hier, c'est la veuvede
vostre maistre
d'Hostel. Vous sçavez
qu'elle se picquoit d'estre
la plus tendre épouse du
pays,
pays, & par consequent
elle va te picquer d'estre
la plus affligée veuve qui
fut jamais. Hier après
avoir, en presence de sa
fille de chambre, épuisé
Ces larmes & sa douleur,
elle s'enferma seule pour
pouvoir en liberté laisser
reposer [on affliction &
estudierlerole d'affligée
qu'elle a resolu de soustenir.
Elle cherchedans
fan miroir tous les airs
& Les changements de
visage qui peuvent con^
venir aux larmes qu'elle
répandra; car elle compte
que les larmes ne luy
manqueront pas. De toutes
ces grimacesd'affliction
qu elle estudioit au
miroir, une entreautres
luy parut si plaisante à
elie-mesme,qu'ellene
put s'empescherd'enrire:
après avoir un peu
ri elle recommença son
estude,autregrimace qui
luy parut encore plus
plaifainte,illuyprit alors
des éclats de rire si violents
6c si continus que
je croy qu'elle rira tant
qu'elle fera veuve.
Ce recit accompagné
desgrimaces de la veuve
que contrefit le Filo-
(ose
,- ne fit pas seulement
sourciller le Calife.
- Le Filosofe bilieux
v&ifc.oillerreedeosut bpleicdqeubéoanus rmots ,onn'en rit point
il plaisante , de rage, Se
par de vives secoussesil
veut ébranler leCalife,
comme un voyageur alteré
qui voudroit atraper
une poire,s'efforce
d'ébranler à secousses reiterées
le poirier dont il
desire ardemment le
fruit; mais le Calife est
inebranlable, le Filosose
elt outré, & cette colere
outrée dans un Filosose
qui veut faire riredevoit
avoir son effet
, mais le
Califeenburità peine..,
Se faire sourire ne suffisoit
pas pour gagner la
bague.Dans le moment
une voléeouplustostune
épaissenuée de corneilles
vint se reposer sur ce
grand arbre à qui nous
avons comparé le Calife.
Je vishier ces mesmes,
corneilles,dit impromt tu
le Filosose
,
elles pense,
rent desesperer un brutal
distrait, qui voyant cette
nuéedetristes oiseaux
noircir les fruits & les
fleurs d'un si bel arbre,
s'irrita d'abord, & oubliant
que cette tige est
groilè comme une tour,
voulut dans son premier
mouvement secouer ce
gros arbre comme un
jeune poirier.
Imaginez-vous cet extravagantoccupé
du desir
defaire envoler ces
corneilles, transporté de
colere contre elles , il
redoubloit ses secousses
en se meurtrissant le dos
contrc le tronc de l'arbre,
comme nous voyons les
petitsenfans en colere,
frapper du poing la muraille
qui leur a fait une
bosse au front; le recit
que je vous fais n'est pas
riGble, mais je ne pûsjamais
m'empescher de rire
en voyant la chose en
original. Je croy que j'en
eusse ri comme toy, dit
le Calife, si je l'eusse veu.
Vous deviez donc rire
en me voyant en colere
vouloir pardes secousses
de plaisanteries reiterées
chasser de vostre teste les
noires corneilles,c'est-àdire,
les soucis &C les chagrinsqui
vous offuC.
quent. Je t'entens, dit le
Calife, en tirant de son.
doigt une bague, tu me
prouve que je devois rire
en voyant ta colere
,
ainsi
tu as gagné la bague..
C'est de ce conte qu'est
venu le ProverbeArabe
qui dit à propos des
grands,
grands Seigneurs, que
leur grandeur & leurs
soucis accablentde mélancolie,
Ils ontune volée
de corneillesdans la
iefle*
On
LECalise Arbroun fut
comparé par les Poëtes
seTon temps àun arbre
prodigieusement grand
qui estoit près de son
chasteau ; ses profondes
& vastes racines,c'estoit,
disoient-ils, la puissance
du Calife solidement cftablie;
la tigeeslevée de-,
cet arbre portoitjusquaux
nuës une teste superbe
,le Calife avoit
l'esprit sublime; la teste
de cet arbre étoit ornée
de fleurs & de fruits, ce
Calife estoit gracieux &
bienfaisant, en un mot il
n'avoitdedeffaut qu'une
noire melancolie
,
qui
obscurcissoit le brillant
de son esprit, mais pour
dissiper ces nuages melancoliques
il avoit fait
son amy dun Filosofe,
qui sçayoit égayer la Filosofie
par des morales
réjouissantes, &par de,.
foliescensées.
Le Calife Arbroun difoitque
l'esprit de Thomme
estant encore plus
maladif que son corps,
un bon Filosofe estoit
aussi necessaire auprès
d'un Princequ'un bon
Madecin.Unjour estant
ieui avec le Medecin de
-& melancolie câpres une
réverie profonde, & regardant
l'arbrequ'onluy
comparoit, il s'écria tout a-coup : Arbroun, Arbroun
, tu attristetes
amis parta melancolie,
comme cet arbre toufu
attriste cm. les ombrageant
les arbresqui l'environnent,
puis se tournant
vers le Filosofe:
Ecoute, amy,luy dit-il,
je te promets une bague
chaquefois que tu pourras
me faire rire. Bon,
reprit le Filosofe en secoüant
la teste, je ne gagneroispas
avec vousen
dix ans dequoy orner un
de mes doigts, j'auray
beau plaisanter vous ne
rirez jamais; ce fera quelquefois
ma faute,& quelquefois
la vostre
,
mais
vous jugerez de mes bons
mots selon vostre mauvaise
humeur, & je n'auray
poli-Lt de bague.
Hé bien,reprit le Calife,
toutes les fois que
tu pourras me prouver
quec'est ma faute de n'avoir
pas ry - de tes plaisanteries
,
je te les paieray
-cimme bonnes, maisil
faudra me prouver par
raison que j'aurois deu
rire.Vous me reduisez
à l impossible, dit le Filosose,
je puis bien prouver
par raisonqu'un bon
motestraisonnable,mais
quand on pourroit prouver
qu'il estrisible
, on ne
prouvera pointàunhomme
qu'il a tort de n'en
pas rire. Voyons pourtant,
continualeFilosose,
sivous rirez de ceque
ma conté ce matin la fille
de chambrede cette
veuve, dont le mary
mourut hier, c'est la veuvede
vostre maistre
d'Hostel. Vous sçavez
qu'elle se picquoit d'estre
la plus tendre épouse du
pays,
pays, & par consequent
elle va te picquer d'estre
la plus affligée veuve qui
fut jamais. Hier après
avoir, en presence de sa
fille de chambre, épuisé
Ces larmes & sa douleur,
elle s'enferma seule pour
pouvoir en liberté laisser
reposer [on affliction &
estudierlerole d'affligée
qu'elle a resolu de soustenir.
Elle cherchedans
fan miroir tous les airs
& Les changements de
visage qui peuvent con^
venir aux larmes qu'elle
répandra; car elle compte
que les larmes ne luy
manqueront pas. De toutes
ces grimacesd'affliction
qu elle estudioit au
miroir, une entreautres
luy parut si plaisante à
elie-mesme,qu'ellene
put s'empescherd'enrire:
après avoir un peu
ri elle recommença son
estude,autregrimace qui
luy parut encore plus
plaifainte,illuyprit alors
des éclats de rire si violents
6c si continus que
je croy qu'elle rira tant
qu'elle fera veuve.
Ce recit accompagné
desgrimaces de la veuve
que contrefit le Filo-
(ose
,- ne fit pas seulement
sourciller le Calife.
- Le Filosofe bilieux
v&ifc.oillerreedeosut bpleicdqeubéoanus rmots ,onn'en rit point
il plaisante , de rage, Se
par de vives secoussesil
veut ébranler leCalife,
comme un voyageur alteré
qui voudroit atraper
une poire,s'efforce
d'ébranler à secousses reiterées
le poirier dont il
desire ardemment le
fruit; mais le Calife est
inebranlable, le Filosose
elt outré, & cette colere
outrée dans un Filosose
qui veut faire riredevoit
avoir son effet
, mais le
Califeenburità peine..,
Se faire sourire ne suffisoit
pas pour gagner la
bague.Dans le moment
une voléeouplustostune
épaissenuée de corneilles
vint se reposer sur ce
grand arbre à qui nous
avons comparé le Calife.
Je vishier ces mesmes,
corneilles,dit impromt tu
le Filosose
,
elles pense,
rent desesperer un brutal
distrait, qui voyant cette
nuéedetristes oiseaux
noircir les fruits & les
fleurs d'un si bel arbre,
s'irrita d'abord, & oubliant
que cette tige est
groilè comme une tour,
voulut dans son premier
mouvement secouer ce
gros arbre comme un
jeune poirier.
Imaginez-vous cet extravagantoccupé
du desir
defaire envoler ces
corneilles, transporté de
colere contre elles , il
redoubloit ses secousses
en se meurtrissant le dos
contrc le tronc de l'arbre,
comme nous voyons les
petitsenfans en colere,
frapper du poing la muraille
qui leur a fait une
bosse au front; le recit
que je vous fais n'est pas
riGble, mais je ne pûsjamais
m'empescher de rire
en voyant la chose en
original. Je croy que j'en
eusse ri comme toy, dit
le Calife, si je l'eusse veu.
Vous deviez donc rire
en me voyant en colere
vouloir pardes secousses
de plaisanteries reiterées
chasser de vostre teste les
noires corneilles,c'est-àdire,
les soucis &C les chagrinsqui
vous offuC.
quent. Je t'entens, dit le
Calife, en tirant de son.
doigt une bague, tu me
prouve que je devois rire
en voyant ta colere
,
ainsi
tu as gagné la bague..
C'est de ce conte qu'est
venu le ProverbeArabe
qui dit à propos des
grands,
grands Seigneurs, que
leur grandeur & leurs
soucis accablentde mélancolie,
Ils ontune volée
de corneillesdans la
iefle*
On
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Résumé : Conte Arabe.
Le texte relate l'histoire du Calife Arbroun, comparé à un arbre majestueux dont les racines incarnent sa puissance, la tige élevée symbolise son esprit sublime, et les fleurs et fruits représentent sa grâce et sa bienfaisance. Cependant, Arbroun est tourmenté par une mélancolie profonde qui obscurcit son esprit. Pour y remédier, il s'entoure d'un philosophe chargé de le divertir et de dissiper ses sombres pensées. Un jour, en contemplant l'arbre qui le symbolise, Arbroun exprime sa tristesse et compare son ombre à celle de l'arbre. Il promet une bague au philosophe chaque fois qu'il parviendra à le faire rire. Le philosophe, sceptique, affirme que cela est impossible, car la mélancolie du Calife est profonde. Il raconte alors l'histoire d'une veuve hypocrite qui, malgré ses efforts pour paraître affligée, finit par rire en se regardant dans un miroir. Cependant, cette histoire ne parvient pas à faire rire Arbroun. Le philosophe, frustré, utilise une métaphore des corneilles qui noircissent les fruits de l'arbre, symbolisant les soucis du Calife. Il décrit un homme en colère tentant vainement de secouer un arbre pour chasser les corneilles, se blessant lui-même dans l'effort. Cette image finit par faire sourire Arbroun, qui reconnaît alors la justesse de la comparaison et offre une bague au philosophe. Cette anecdote a donné naissance au proverbe arabe selon lequel la grandeur et les soucis des grands seigneurs les accablent de mélancolie, symbolisés par une volée de corneilles dans la tête.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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43
p. 1-76
HISTOIRE toute veritable.
Début :
Dans les Ilsles d'Hieres est scitué entre des rochers [...]
Mots clefs :
Îles d'Hyères, Amant, Vaisseau, Amour, Homme, Soeur, Capitaine, Château, Surprise, Passion, Roman, Chambre, Mariage, Négociant, Gentilhomme, Rochers, Mari, Bonheur, Fortune, Esprit, Fille, Joie, Mérite, Équivoque , Valets, Mer, Maître, Lecteur, Infidélité, Rivage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE toute veritable.
DAns les Isles d'Hieres
cft scitué entre
;:
des rochers, sur le bord
1
de la mer, un petit Chasteau
antique, dont la
deicription.xnericeroii
d'occuper trentepagedansun
Roman Espagnol
maisl'impatience
du Lecteur François
paslè à present pour alIcJ
au fait , par dessus le
descriptions, &les converfations
qui amufoien
si agréablement nospe
res^5 je ne parleray dota
icyque d'une allée d'O
rangers fort commun
dans lesIslesd-Hieres
c'est fous ces Orangers
qui couvrent une espece
de terrasse naturelle, que
se promenoient au mois
de Septembre dernier,
deux foeurs, dont le pere
habite ce Chasteauiblitaire.
L'aisnée de ces deux
soeurs peut estrecitée
pour belle, & la cadette
est très-jolie
,
l'une est
faite pour causer de l'admiration,
l'autre est plus
propre à donner de Pal
mour ; raifnée que je
nommeray Lucille, a du
merveilleux dans l'esprit;
Marianne sa cadette si
contente d'avoir du naturel
& del'enjouement
elle joint à cela un bot
coeur & beaucoup de
raison: Lucilleaaussi de
la raison, mais ellç a ui
fond de fierté, Se d'à
mour pour ellemesme
qui lempesche d'aimé
les autres. Marianne ai
moit sa soeur tendre
ment, quoyque cette aisnée
méprisante prit sur
elle certaine superiorité
,
que les semmes graves
croyent
-
avoir sur les enjouées.
Lucilles'avançoit
à pas lents vers le bout de
la terrasse qui regarde la
mer,elle estoit triste depuis
quelques jours, Marianne
,
la plaifancoitsur
ce que leur pere vouloit
lamarier par interest de
famille à un Gentilhomme
voisin, qui n'estoit ny
jeune ny aimable. Ce
mariagene vous convient
gueres, luy disoit Marianne
en badinant jvom
ejfie{ née pôur époujer à
la fin d'un Roman, quelque
Gyrus9 ou quelque
Qroftdate.
Lucilleavoiteneffet,
cet esprit romanesque àpresent
banni de Paris &
des Provincesmefiiie, &
relegué dans quelque
Chasteau defèrt comme
celuy qu'habitoit Lucilleoù
l'on n'a d'autre
societé que celle des Romans.
Elle tenoit alors en
main celuy de Hero
dont elle avoit leu , certainsendroits
tres - convenables
aux idées qui
l'occupoient
,
& après
avoir long-temps parcouru
des yeux la pleine
mer ,
elle tombadans,
une rêverie profonde:
Marianne lapriadeluy,
en dire la cause, elle
ne respondoit que par
des soupirs
,
mais Marianne
la pressa tant
qu'elle résolut enfinde
rompre le silence. D'abord,
malgré sa fierté
naturelle, elle s'abbaissa
jusqu'à embrassèr sa ca- dette
,
& l'embrassa
de bon coeur, car elle
aimoit tendrement ceux
dont elle avoitbesoin,
Ensuite,presentant d'un
air précieux son Livre
ouvert à Marianne, liseZ,
luy dit-elle
,
lifcz> icy les
inquietudes ce les allarmes
de la tendreHero,
attendant sur une tour
son cherLeandrequi devoit
traverser les mers
pourvenir au rendez:
vous. Je n'ay pas besoin
de lire ce Livre, luy ref:
pondit Marianne, pour
jçavoirque vous attendez
comme Hero
, un cher
Leandre. La parente de
ce Leandre
,
ma conté
rvoftre avanture , que
FAJ feint d'ignorer par
discretion f5 parrejpe£f
pour mon aisnée;je sçais
qu'enquittant cette Ijle,.
où il vint ily a quelques
mois, il vouspromit dj
revenirpour vous demander
en mariage à mon
pere. '1;
Lucille la voyant si
bien instruite, acheva de
luy faire confidence de
son amour, c'est-à-dire,
de l'amour qu'elle s'imaginoit
avoir car lesrichesses
& la qualité dec
son Leandre l'avoient
beaucoup plus touchée
que son merite, mais
elle se piquoit de grands
fentinlents, &à force de
les affeder.,elles-li-naginoit
ressentir ce qu'elle ne
faisoitqu'imaginer
: elle
n'avoit alors que la poësie
de l'amour dans lateste3
& elle dit à Marianne
tout cequ'on pourroit
écrire de mieux sur la
plus belle passion dit
monde.
Venonsaujait,luydit
Marianne, Leandre est
très- riche: le maryque
mon pere vous donne ne test gueres, (jf je rveux
bien epoujerceluy-cy pour
wous laisserlibrea9epoufer
l'autre> j'obtiendray cela
de mon pere.
Le pere estoit un bon
gentilhomme, qui charmé
de l'humeur de Marianne
,Taimoit beaucoup
plus que son aisnée
,
c'estoit à table sur
tout que le bon homme,
sensible auplaisir du bon
vin & de l'enjouement
de sa cadette,regloit avec
elle les affaires de sa samille
; elle eut pourtant
de la peine à obtenir de
ce pere scrupuleux sur le
droit d'aisnesse, qu'il mariast
une cadette avant
une aisnée, il fallut que
Lucillecedaft ion droit
d'aisnesse à Marianne par
un écrit qui fut signé à
table:&Lucillen'osant
dire sonvray motifà son
pere,dit seulement,qu'-
ellesentoit jenescay quelle
antipathiepour le mary
quelle cedoit à sa flEur.
On plaisanta beaucoup
sur ce mary cedé avec
le droit d'aisnesse
,
le
bon homme but à la
fanté de Marianne devenuë
l'aisnée, le mariage
fut resolu, & l'on le fit
agréer au gentilhomme,
qui aima mieux Marianne
que Lucille, parce
qu'en effet
, quoyque
moins belle, elle se faifmoit
beauecouprpl.us ai- Le mariage résolu, les
deux foeurs furent également
contentes; car Marianneindifférente
sur ses
propres interests, partageoit
sincerement avec
sa soeur l'esperance d'une
fortune brillante : cependant
quelques jours s'écoulerent
,
& le temps
que Leandre avoit marqué
pour ion retour, ettoit
desja passé. Lucille
commençoit à ressentir
de mortelles inquietudes,
& Marianne retardoit de
jouren jourson petit establissement,
resoluë de le
ceder à sa soeur en cas
que l'autre luy manquait.
::..
Un jour enfin elles estoient
toutes deux au
bout de cette mesme terrasse
d'oùl'ondécouvroit
la pleine mer. Lucille
avoit
avoit les yeux fixez vers
la rade de Toulon, d'où
devoit partir celuy qui
nes'estoit separé d'elle
que pour aller disposer
fès parents à ce mariage:
elle estoit plongée dans
la tristesse lorsqu'elle apperceut
un vaisseau; cet
objet la transporta de
joye, comme s'il n'eust
pû y avoir sur la mer que
le vaisseau qui devoit luy
ramenerson amant; sa
joye futbien plus grande
encore;lorsqu'un vent
qui s'éleva,sembla pouf
fer ce vaisseau du costé
de son Isle; mais ce vent
ne fut pas long-temps favorable
à ses desirs. Ce
vaisseaus'aprochoitpourtant
d'une grande vitesse,
mais il se forma tout à
coup une tempeste si fiirieuse
,
qu'elle luy fit
voir des abysmesouverts
pour son Leandre.La Romanesque
Lucille diroit
sans doute en racontant
cet endroit de ion hiitoire
: que la tourmente nefut
pas moins orageusè,.
dansson coeur quesur Itt;
mer où le vaisseaupensa
perir.
Après quelques heures
de peril, un coup de
vent jetta le vaisseau sur
le rivage entre des rochers
qui joignent 1q
Chasteau, jugez du plaisir
qu'eutLucille en voyranet
sotnéAm.ant en seuLeandre
devoit se trouver
à son retour chez une
voisine où s'estoient faites
les premieres entreveuës
,
elle estoit
pour lors au Chasteau
où les deux soeurs coururent
l'avertir de ce
qu'elles venoient devoir,
& elles jugerent à propos
de n'en point encore
parler au pere. Lucille
luy dit qu'elle alloit coucher
ce soir-là chez cette
voisine, car elle y alloit
assez souvent,& Marianne
resta pour tenir compagnie
à son pere ,qui
ne pouvoit se
,
d'ellepas.ser
;
Un moment aprèsque
Lucille & la voisine furent
montées en carosse.,
un homme du vaisseau
vint demander à parler
au maistreduChasteau,
cet homme estoit une cCpece
de valet grossier qui
debuta par un recit douloureux
de ce que son
jeune maistre avoit souffert
pendant la tcmpefie).
& pour exciter la compassion,
il s'eftendoit sur
les bonnes qualitez de ce,
jeune maistre qui demandoitdu
secours & le couvert
pour cette nuit.
Le pere qui estoit le
meilleurhommedumonde
,
fit allumer au plus
viste des flambeaux, parce
qu'il estoit presque
nuit; il voulut aller luymesme
aurivage où Marianne
le suivit,curieuse
de voir l'Amant de sa
soeur, &' ne doutant
point qu'il n'eust pris le
pretexte de la tempeste ,
pour venir incognito dans
le Chasteauoù il pourroit
voir Lucille plus
promptement que chez
sa parente.
En marchant vers le
rivage on apperceut à la
lueurd'autres flambeaux
dans un chemin creux
entre des rochers, plusieurs
valets occupez autour
du nouveau debarqué,
qui fatigué de ce
qu'il avoit souffert, tomba
dans une espece d'évanoüissement,
l'on s'arresta
quelque temps pour
luy donner du secours :
Marianne le consideroit
attentivement
,
elle admiroit
sa bonne mine,
& l'admira tant, qu'elle
ne put s'empescher ,elle
quin'estoit point envieu-
Lé, d'envier à sa ïbeur le
bonheur
bonheurd'avoir un tel
Amant;cependant il revenoit
à luy, il souffroit
beaucoup; mais dès qu'il
eut jetté les yeuxsur Marianne,
son mal fut suspendu,
il ne sentit plus
que leplaisir de la voir.
Admirez icy lavariété
des effets de l'amour, la
vivacité naturelle de Marianne
,
est tout à coup
rallentie par une passion
naissante, pendant qu'un
homme presque mortest
ranimé par un feu dont
la, violence se fit sentir
au premier coup d'oeil,
jamais passion ne fut plus
vive dans sa naissance;
comment est-ilpossible,
dira-t'on quece Leandre,
tout occupéd'une autre
passion qui luy fait traverser
les mers pour Lucille,
soit d'abord si sensible
pour Marianne. Il
n'est pas encore temps de
respondre à cette question.
Imaginez-vousseulementun
hommequine
languit plus que d'a
mour ; les yeux fixez
sur Marianne, qui avoit
les siens baissez contre
terre ,
ils estoient
muets l'un & l'autre, 6C
le pere marchant entre
eux deux, fournissoitseul
à la conversation sans se
douter de la cau se de leur
silence. Enfin ils arrivent
au Chasteau,oùMarianne
donne d'abord
tous ses soins, elle court,
elle ordonne, elle s'empresse
pour cet hoste ai-
Jnahle avec un zele qu'-
elle ne croit encore anirne
que par latendresse
de l'hospitalité: le pere
donna ordre qu'on ailaft
avertir Lucille de revenir
au plustost pour rendre
la compagnie plus agréable
à son nouvel hoste
qu'on avoit laissé seul en
liberté avec ses valets
dans une chambre.
On alla avertir Lucille
chez sa voisine
,
elle
vint au plus viste, elle
estoit au camble de sa
joyc,&Marianne au contraire
commençoitàeftrc
fort chagrine, cette vertueuse
fille s'estoit desja
apperceuë de son amour,
elle avoit honte de se
trouver rivale de la soeur,
mais elle prit dans le moment
une forte resolutiondevaincre
une passion
si contraire aux sentimens
vertueux qui luy
estroient naturels ; elle
court au devant de Lucille,&
la felicite de
bonne foy
,
elle fait l'éloge
de celuy qui vient
d'arriver
elle luy exagere
tout ce qu'elle st
trouvé d'aimable dans sa
phisionomie,
dans l'og
air, & se laissant insensiblement
emporter au
plaisir de le louër
,
elle
luy en fait une peinture
si vive qu'elle se la grave
dans le coeur à elle-mesme,
encore plus prorondementqu'elle
n'y estoit;
elle finit cet éloge par un
soupir, en s'écriant: Ah,
ma soeur, que rvous estes
heureuse ! &£ faisant aufsitost
reflexion sur ce
soupir, elle resta muette,
confuse, & fort surprise
de seretrouver encore
•
amoureuse après avoir
resolu de ne l'estre plus.
Lucille en attendant
que [on Leandre parust,
fit force reflexions Romanelques
lur la singularité
de cette avanture ;
je fuis enchantée, difoitelle
, du procédé mysterieux
de cet Amant delicat
,
il feint de s'évanoüir
entre des rochers
en presence de mon pere,
pour avoir un prétexte
de venir,incognito me furprendre
agréablement,
je veux moy par delicatesse
aussi, luy laisser le
plaisir de me croire surprise,
& je seindray dèsqu'il
paroiftra un estonnement
extreme de trouver
dans un hoste inconnu
l'objet charmant.
En cet endroit Lucille
fut interrompue par un
valet qui vint annoncer
le souper, les deux foeur£
entrerent dans la salle
par une porte pendant
que le pere y entroit par
l'autre avec l'objet cher,
mant, qui s'avança pour
saluërLucille: dès quelle
l'apperceut elle fit
un cri, & resta immobile
, quoy qu'elle eust
promis de feindre de la
surprise; Marianne trouva
la feinte un peu outrée;
le pere n'y prit pointgarde,
parce qu'il ne prenoit
garde à rien, tantil estoit
bon homme,
Lucille estoit réelle*
ment tres eftonnée
,
SC
on le feroit à moins, car
cet inconnu n'estoit
point le Leandre qu'-
elle attendoit, c'estoit
un jeune négociant, mais
aussi aimable par son air
& par sa figure que le
Cavalier le plus galant.
Il estoit tres riche
,
ôd
rapportoit des Indes
quantité de marchandé
ses dans son vaisseau
,
il
avoit esté surpris d'un
vent contraire, en tou..
chantla Rade de Toulon,
& jetté, comme vous
avez veu, dans cette iHe.
Ce jeune Amant se
mit à table avec le pere
&: les deux filles, le fou-i
per ne fut pas fort guay ,
il n'y avoir que le perc
de content
,
aussin'y
avoit-il que luy qui parlait
, le negociant encore
estourdi du naufrage,&€
beaucoup plus de son
nouvel amour , ne respondoit
que par quelques
mots de politesse,
& ce qui paroistra surprenant
icy, c'est, qu'en
deux heures de temps
qu'on fut à table, ny là
pere ny les filles ne s'apperceurent
point de foa
amour; Lucille ne pouvant
regarder ce faux
Leandre sans douleur,
eut tousjours les yeux
baissez, & Mariannes'estant
apperceuë qu'elle
prenoit trop de plaisîr à
le voir, s'en punissoit en
ne le regardant qu'à la
dérobée; à l'égard du
pere il estoit bien esloignéde
devinerun amour
si prompt &, si violent.
Il faut remarquer icy
que le pere qui estoit bon
convive, excitoit sans
cesse son hoste à boire,&
ses filles à le réjoüir :
Qî£ejl donc devenue ta
belle humeur? disoit il à
Marianne, aussitostelle
s'efforçoit de paroistre
enjoüée, & comme les
plaisanteries ne viennent
pas aisément a ceux qui
les cherchent, la première
qui luy vint, fut sur
le droit d'aisnesse
,
qui
faisoit depuis quelques
jours le sujet de leurs
conversations, jesuis fort
surprise, dit Marianne à
son pere , que vous me
demandiez de la guayeté
quand je dois estre serieuse,
la gravité m'appartientcomme
à l'aisnée, 8c
l'enjouement est le partage
des cadettes: & le
negociant conclut naturellement
de là que Marianne
estoit l'aisnée, Sc
c'est ce qui fit le lendemain
un Equivoque facheux,
le pere ne se souvenant
plus de ces pro
posde table, son caractere
estoit d'oublierau se,
cond verre de vintout ce
que le premier luy avoit
faitdire,enfin après avoir
bien régalé son hoste
,
il
leconduisitàsa chambre;
&Lucillequirestaseule
avec sa soeur luyapprit
que ce n'estoit point là
son Amant. Quelle joye
eust esté celle de Marianne
ne si elleavoiteu le coeur
moins bon, mais elle fut
presque aussiaffligée de
la tristesse de sa soeur.,
qu'elle fut contente de
n'avoir plus de rivale.,
Les deux soeurs se retirèrent
chacune dans
leur chambre où elles ne
dormirent gueres. Marianne
s'abandonna sans
fcrupule à toutes les idées
qui pouvoient flatter son
amour, & Lucille ne faifoit
que de tristes reflexions
,
desesperant de rc4
voir jamais ce Leandre , de qui elle esperoit sa fortune,
mais elle estoitdestinée
à estre rejouië par
tous les événements qui
chagrineroient Mariant
ne : le jeune négociant
estoit vif dans £espat
sions,& de plus il n'avoit
pas le loisir de languir;
il falloit quil s'en retournast
aux Indes, Il prit
sa resolution aussi promptement
queson-amour
luy estoit venu. Le pere
entrant le matin dans sa
chambre,, luy demanda
s'il avoit bien passé la
nuit: Helas, luy rcfpondit-
il, je l'ay fort mal
poejjsée, maisj'ay huit cens
millefrancsd'gaernt ccoormn*-
ptant, le pere ne comprenoit
rien d'abord à cette
éloquence de négociant
1; l'Amantpaflîoanés'expliqua.
plus clairement
ensuite ,il luy demanda
ça, mariage f-. fille aifnée^
ils estoient l'un & l'autre;
pleins de franchise, leur
affaire fut bien tost concluë,
& le pere sortit de
la chambre, conjurant
son hoste de prendre
quelques heures de repos
pendant qu'il iroit
annoncer cette bonne
nouvelle à safille aimée,
ce bon homme estoit si
transporté qu'il ne se fouvint
point alors des plaisanteries
qu'onavoit faites
à table Cuxlc droit
d'aisnesse de Marianne
que le négociant avoit
prises à la lettre. Cet
équivoque fut bien triste
pour Marianne au mo-*
ment que le pere vint annoncer
à Lucille que le
riche negociant estoit
amoureux d'elle,&Lucille
voyant le négociant
beaucoup plus riche que:
son Leandre, ne pensa
plusqu'à justifier son inconfiance
par de grande
Íentiments, & elle en
trouvoit sur tout,pour
& contre, son devoir luy
en fournissoit un, il est
beau desacrifierson a,
mour a lavoloté d'un pere.
A l'égard de Mariant
ne ellefe feroit livrée dabord
auplaisir devoir sa
soeur bien pourveuë
ceuss esté là son premier
mouvement, mais un
autre premier mouvez
ment la sassit: quelle dou-r
leur d'apprendre que celuy
qu'elle aime ,
eili
amoureux de sa soeur.
Pendant que toutcecy
se passoit au Chasteau,
Leandre , le veritable
Leandre arriva chez sa
parente, qui vint avec
empressement en avertir
Lucille, mais elle la trou-
Va insensible à cette nouvelle
, sa belle passion
avoit disparu, Leandre
devoit arriverplustost
elle jugea par delicatesse,
qu'un Amantqui venoit
trop tard aurendez-vous,
n'ayantque cinquante
milleescus; meritoit bien
quon le facrifiaft à un
mary de huit cens mille
livres. La parente de
Leandre s'écria. d'abord
sur une infidélité si lfiar-"
quéé>maisLucille luy
prouva par les regles de
Xofçipm leplusfiné que
Leandre avoit le premier
tort ,que les feuç^de
coeur ne ie pardonnent
point, que plus une fem*
meaime., Rlus-.;clle doit
se
se venger, & que la vengeance
la plus delicate
qu'on puisseprendre d'un
Amant qui oublie c'etf
d'oublieraussi.
Lucille
,
après s'estre
très spirituellement justifiée
, courut à sa toillette
se parer, pour estre belle
comme un astre au reveil
de son Amant, & la parente
de Leandrequis'in
reressoit à luy parune ve.
ritable amitié, retourna
chez elle si indignée, qu'
elle convainquit bientost
Leandre de l'infidélitéde
Lucille, & Leandre resolut
de quitter cette IHe
dès le mesme jour pour
n'y retournerjamais.
Marianne de soncossé
ne songeoit qu'à bien cacher
son amour & sa
douleur à un pere tout
occupé de ce qui pouvoit
plaireà sonnouveau gendre
: Viens, mafille, ditil
à Marianne, viens avec
moytfaijons-luj voir par
nos empressements îtfîfar
nos carresses, qu'il entre
dans unefamille qui aura
pour luy toutessortes d'at.
tentions, il les mérité bien,
n'est-ce pas, mafille, conviens
avec rfioy que tu as
là un aimablebeaufrere
:-
Marianne le suivoit
sans luy respondre, très
affmogée de n'estre que la
belle foeur de ce beaufrere
charmant; Dès qu'ils
furent à la porte de sa
chambre, Marianne detourna
les yeux. çrjak
gnant d'envisagerle peril.
Son père entra le prêt
mier
,
&dit à nostré
Amant que sa filleaisnée
alloit venir le trquvef),
qu'elle avoit pour luy
toute la reconnoissance
possible, &C mesme desja
de l'stime, Cepetit trait
de flatterie échappa à cet
homme si franc; l'amour
& les grandes richesses
changent toujours quelque
petite choseau coeur
du plus honneste homme
,
cependant Marianne
s'avançoit lentement.
Dès que nostre Amant
la vit entrer il courut au
devant d'elle, & luy dit
Cent choses plus passionnées
les unes que les autres;
enfin aprés avoir exprimé
ses transports par
tout ce qu'on peut dire,
il ne parla plus,parce que
les paroles luy manquoient.
, Marianne estoit si surprise
& si troublée,qu'elle
ne put prononcer un
fcul mot; le pere ne fut
pas moins estonné ,ils
resterenttous troismuets
&immobiles:cefut pendant
cette scene muette
que Lucille vint a pas
mesurez, grands airs majestueux
& tendres, brillante
& parée comme
une Divinité qui vient
chercher desadorations.
Pendant qu'elle s'avance
le pere rappelle dans fcn
idée les plaisanteriesdu
souper qui avoient donné
lieu à l'équivoque, &
pendant qu'il l'éclaircir
; Lucille va tousjours son
chemin
,
fait une reverence
au Negociant, qui
baisseles yeux, interdit
&confus,elle prend cetro
confusionpourla pudeur
d'un amant timide, elle
minaude pour tascher de
le rassurer ; mais le pauvre
jeunehomme ne pouvant
soustenir cette situation,
sort doucement de
la chambre sans riendire.
Que croira-t-elle d'un
tel procédé? l'amour peut
rendre un amant muet,
mais il ne le fait point
fuir: Lucille estonnée
regarde sa soeurqui 11ose
luy apprendre son malheur
, le pere n'a pas le
courage de la detromper.
Il fort, Marianne le fuit,
& Lucille reste feule au
milieu de la chambre, jugez
de son embarras, elle
; '-
n'en feroit jamais sortie
d'elle-mesme ; elle n'estoit
pas d'un caractere à
deviner qu'on pu st aimer
sa soeur plus qu'elle. Je
n'ay point sceu par qui
elle fut detrompée ; mais
quoy qu'elle fust accablée
du coup, elle ne perdit
point certaine presence
d'esprit qu'ont les
femmes, & sur toutcelles
qui font un peu coquettes
; elle court chez
sa voisine pour tascher
de ratrapperson vray
Leandre, je ne sçay si
elle y reussira.
Le pere voyant sortir
Lucille du Chasteau,
crut qu'elle n'alloit chez
cettevoisine que pour
n' estre point tesmoin du
bonheur de sa soeur. On
ne songea qu'aux préparatifs
de la nôce, avant
laquelle le Negociant
vouloit faire voir beaucoup
d'effets qu'il avoit
dansson vaisseau, dont
le Capitaine commençoit
a s'impatienter, car
le vaisseau radoubé estoit
prest à repartir. CeCapitaine
estoit un homme
franc, le meilleur amy
du monde, & fort attachéauNégociant,
c'estoit
son compagnon de
voyage,il l'aimoit comme
un pere, cestoit son
conseil, & pour ainsidire
,
son tuteur, il attendoit
avec impatience des
nouvelles de fbn amy;
mais vous avezveuqtfé
l'amour la tropoccupé,
il ne se souvintduCapitaine
qu'en le voyantentrer
dans le Chasteau
,
il
courut l'embrasser, & ce
fut un signal naturel à
tous ceux du Chaftcau
pour luy faire unaccuëil
gracieux; il y fut receu
comme l'amy du gendre
de la maison
,
il receut
toutes ces gracieusetez
fort froidement, parce
qu'il estoit fortfroid dm,
fo11 naturel. On estoit
pour lors à table
, on fit
rapporter du vin pour
émouvoir le fang froid
du Capitaine,chacun luy
porta la santé de son jeune
amy, & 4e là maistrciïc
: a la sante de mon
gendre,disoit le pere ,
tope à mon beaupere
,
disoit
le Négociant : à tout
celaleCapitaine ouvroit
-
les yeux Se les oreilles,
estonné comme vous
pouvez vous l'imaginer
il avoit crcu trouver ron
amy malade
,
gesné &
mal à son 21fe-1 comme
on l'esten maison étrangère
avec des hostesqu'-
on incommode, & il le
trouve en joye
, en liberté
comme dans sa famille
,
ilne pouvoit rien
comprendre àcette avanture
,
c'estoit un misantrope
marin
y
homme
flegmatique, mais qui
prenoit aisément son party:
ilécoutatout,& après
avoir révé un moment il
rompit le silence par une
plaisanterie àik façon : à
la jante des nouveaux
Efoux
,
dit-il, & de bon
coeur,j'aime les mariages
de table moy y car ils se
font en un momentse
rompent de rnejine.
-Après plusieurs propos
pareils, il se fit expliquerserieusement
à
quoy en estoient les affaires
,& redoublantson
sang-froid il promit une
feste marine pour la nôce.
Ca mon cheramy.
dit-il au Negociant,
venez,m'aider à donnerpour
cela des ordres
dans mon vaisseau; w
lontiers,respondit l'amy, ,wf]îbienfaj quelque choie
aprendre dansmes coffres;
&jeveuxfaire voir
mespierreriesàmon beaupere.
Il y alla en effet
immédiatement après le
diincr, & le pere resta
au Chasteau avec Marianne
rianne, qui se voyant au
çomble de son bonheur,
nelaissoitpasdeplaindre
beaucoup Lucille.Trois
ou quatre heures de tems
sepasserent en converstions,&
Marianneimpatiente
de revoir son
Amant, trouva qu'il tardoittrop
à revenir; l'impatience
redoubloit de
moment en momentlorsque
quelqu'un par hafard
vint dire que leNegociant
avoit pris le large
avec le Capitaine,&que
le vaisseauestoit desja
bien avant en mer. On
fut long-temps sans pouvoir
croire un évenement
si peu vray -
semblable.
On courut sur la terrasse
d'où l'on vit encore de
fort loin le vaisseau qu'-
on perdit enfin de veuë,
il feroit difficile de rapporter
tous les differents
jugements qu'on fit là
dessus
,
personnene put
deviner la cause d'uir
départ si bijare, & si précipité;
jeneconseille pas
au lecteur de le fLati-guer la teste pour y réver, la
fin de l'histoire n'est pas
loin.
Après avoir fait pendant
plusieurs jours une
infinité de raisonnements
sur l'apparition de ce riche
&C passionné voyageur
, on l'oublia enfin
comme un fonge ; mais
les songes agreables font
quelquefois de fortes impressions
sur le coeur d'une
jeune personne, Mariannenepouvoit
oublier
ce tendre Amant
,
elle
merite bien que nous employions
un moment à
la plaindre, tout le monde
la plaignit, excepté
Lucille, qui ressentit une
joye maligne qui la dédommageoit
un peu de
ce qu'elleavoit perdu par
la faute:car on apprit que
son Leandre trouvant
l'occasion du vaisseau,
s'estoit embarqué avec le
Capitaine pour ne jamais
revenir, & le gentilhomme
voyant Marianne engagée
au Negociant, n'avoit
plus pensé à redemander
Lucille. Le pere
jugea à propos de renoüerl'affaire
avec Marianne
,
qui voulut bien
se sacrifier, parce que ce
mariage restablissoit urr
peu les affaires de son
pere qui n'estoientpasen
bon ordre, enun mot
on dressa le contract
,
&'.
l'on fit les préparatifs de
la nôce.
Ceux quis'interessent
un peu à Marianne ne seront
pas indifferentsau
recit de ce qui est arrivé
au Negociantdepuis
qu'on l'aperdu de veuë,
il avoit suivi le Capitaine
dans son vaisseau
,
où il
vouloit prendre quelques
papiers. Il l'avoit entretenu
en cheminduplaisirqu'il
avoit defairela
fortune d'une fille qui
meritoit d'estre aimée ,
enfin il arriva au vaisseau
où il fut long temps à deranger
tous ses coffres
JI'
pourmettre ensemble ses
papiers,&ensuite il voulut
retourner au Chasteau
: quelle surprise fut
la sienne
,
il vit que le
vaisseau s'esloignoit du
bord, ilfait un cry, court
au Capitaine qui estoit
debout sur son tillac, fumant
une pipe, d'un
grand fang froid: Hé,
tnon cher llmy ,
luy dit
nostre Amant allarmé,
ne voyez-vouspas que
nous avons demaré? je le
vois, bien , respond tranquillement
le Capitaine,
en continuantdefumer,
cejl doncparvostre ordre,
repritl'autre, ifnevous,
ay-je pas dit que je veux
ter?nmer ce mariage avantque
departir.Pourquoy
doncmejoueruntour
si cruel ? parce que jzfais:
vostre
votre ami, luy dit nôtre
fumeur.Ah! si njow êtes
mon ami, reprit leNegociant,
ne me defelpere7,,pas,
rtrnentz-moy dans l'ijle,je
vous en prie
,
je vous en
conjure.L'amant passionné
se jette à ses genoux,
se desole, verse même des
larmes: point de pitié, le
Capitaine acheve sa Pipe,
& le vaisseau va toûjours
son train.Le Négociant a
beau luy remontrer qu'il
a donné sa parole, qu'il y
va de son honneur & de
sa vie
,
l'ami inexorable
luy jure qu'il ne souffrira
point qu'avec un million
de bien il se marie, sans
avoir au moins quelque
temps pour y rêver.Il
faut,lui dit-il, promener
un peu cet amour-là sur
mer, pour voir s'il ne se
refroidira point quand il
aura passé la Ligne.
Cette promenade setermina
pourtant à Toulon
ou le Capitaine aborda
voyantle desespoir de son
ami, qui fut obligé de
chercher un autre vaisseau
pour le reporter aux
Ines d'Hyere, il ne s'en falut
rien qu'il n'y arrivât
trop tard, mais heureusement
pour Marianne elle
n'étoit encor mariée que
par la signature du Contrat,
& quelques milli ers
de Pistoles au Gentilhomme
rendirent le Contrat
nul. Toute 1Isle est encor
en joye du mariage de ce
Negociant & de Marianne,
qui étoit aimée & respectée
de tout le Pays.
LI Ce Mariage a et' c lebré
magn siquement sur 1A
fin du mois de Septembre
dernier, & j'nai reçû ces
Memoires par un parent ail
Capitaine.
cft scitué entre
;:
des rochers, sur le bord
1
de la mer, un petit Chasteau
antique, dont la
deicription.xnericeroii
d'occuper trentepagedansun
Roman Espagnol
maisl'impatience
du Lecteur François
paslè à present pour alIcJ
au fait , par dessus le
descriptions, &les converfations
qui amufoien
si agréablement nospe
res^5 je ne parleray dota
icyque d'une allée d'O
rangers fort commun
dans lesIslesd-Hieres
c'est fous ces Orangers
qui couvrent une espece
de terrasse naturelle, que
se promenoient au mois
de Septembre dernier,
deux foeurs, dont le pere
habite ce Chasteauiblitaire.
L'aisnée de ces deux
soeurs peut estrecitée
pour belle, & la cadette
est très-jolie
,
l'une est
faite pour causer de l'admiration,
l'autre est plus
propre à donner de Pal
mour ; raifnée que je
nommeray Lucille, a du
merveilleux dans l'esprit;
Marianne sa cadette si
contente d'avoir du naturel
& del'enjouement
elle joint à cela un bot
coeur & beaucoup de
raison: Lucilleaaussi de
la raison, mais ellç a ui
fond de fierté, Se d'à
mour pour ellemesme
qui lempesche d'aimé
les autres. Marianne ai
moit sa soeur tendre
ment, quoyque cette aisnée
méprisante prit sur
elle certaine superiorité
,
que les semmes graves
croyent
-
avoir sur les enjouées.
Lucilles'avançoit
à pas lents vers le bout de
la terrasse qui regarde la
mer,elle estoit triste depuis
quelques jours, Marianne
,
la plaifancoitsur
ce que leur pere vouloit
lamarier par interest de
famille à un Gentilhomme
voisin, qui n'estoit ny
jeune ny aimable. Ce
mariagene vous convient
gueres, luy disoit Marianne
en badinant jvom
ejfie{ née pôur époujer à
la fin d'un Roman, quelque
Gyrus9 ou quelque
Qroftdate.
Lucilleavoiteneffet,
cet esprit romanesque àpresent
banni de Paris &
des Provincesmefiiie, &
relegué dans quelque
Chasteau defèrt comme
celuy qu'habitoit Lucilleoù
l'on n'a d'autre
societé que celle des Romans.
Elle tenoit alors en
main celuy de Hero
dont elle avoit leu , certainsendroits
tres - convenables
aux idées qui
l'occupoient
,
& après
avoir long-temps parcouru
des yeux la pleine
mer ,
elle tombadans,
une rêverie profonde:
Marianne lapriadeluy,
en dire la cause, elle
ne respondoit que par
des soupirs
,
mais Marianne
la pressa tant
qu'elle résolut enfinde
rompre le silence. D'abord,
malgré sa fierté
naturelle, elle s'abbaissa
jusqu'à embrassèr sa ca- dette
,
& l'embrassa
de bon coeur, car elle
aimoit tendrement ceux
dont elle avoitbesoin,
Ensuite,presentant d'un
air précieux son Livre
ouvert à Marianne, liseZ,
luy dit-elle
,
lifcz> icy les
inquietudes ce les allarmes
de la tendreHero,
attendant sur une tour
son cherLeandrequi devoit
traverser les mers
pourvenir au rendez:
vous. Je n'ay pas besoin
de lire ce Livre, luy ref:
pondit Marianne, pour
jçavoirque vous attendez
comme Hero
, un cher
Leandre. La parente de
ce Leandre
,
ma conté
rvoftre avanture , que
FAJ feint d'ignorer par
discretion f5 parrejpe£f
pour mon aisnée;je sçais
qu'enquittant cette Ijle,.
où il vint ily a quelques
mois, il vouspromit dj
revenirpour vous demander
en mariage à mon
pere. '1;
Lucille la voyant si
bien instruite, acheva de
luy faire confidence de
son amour, c'est-à-dire,
de l'amour qu'elle s'imaginoit
avoir car lesrichesses
& la qualité dec
son Leandre l'avoient
beaucoup plus touchée
que son merite, mais
elle se piquoit de grands
fentinlents, &à force de
les affeder.,elles-li-naginoit
ressentir ce qu'elle ne
faisoitqu'imaginer
: elle
n'avoit alors que la poësie
de l'amour dans lateste3
& elle dit à Marianne
tout cequ'on pourroit
écrire de mieux sur la
plus belle passion dit
monde.
Venonsaujait,luydit
Marianne, Leandre est
très- riche: le maryque
mon pere vous donne ne test gueres, (jf je rveux
bien epoujerceluy-cy pour
wous laisserlibrea9epoufer
l'autre> j'obtiendray cela
de mon pere.
Le pere estoit un bon
gentilhomme, qui charmé
de l'humeur de Marianne
,Taimoit beaucoup
plus que son aisnée
,
c'estoit à table sur
tout que le bon homme,
sensible auplaisir du bon
vin & de l'enjouement
de sa cadette,regloit avec
elle les affaires de sa samille
; elle eut pourtant
de la peine à obtenir de
ce pere scrupuleux sur le
droit d'aisnesse, qu'il mariast
une cadette avant
une aisnée, il fallut que
Lucillecedaft ion droit
d'aisnesse à Marianne par
un écrit qui fut signé à
table:&Lucillen'osant
dire sonvray motifà son
pere,dit seulement,qu'-
ellesentoit jenescay quelle
antipathiepour le mary
quelle cedoit à sa flEur.
On plaisanta beaucoup
sur ce mary cedé avec
le droit d'aisnesse
,
le
bon homme but à la
fanté de Marianne devenuë
l'aisnée, le mariage
fut resolu, & l'on le fit
agréer au gentilhomme,
qui aima mieux Marianne
que Lucille, parce
qu'en effet
, quoyque
moins belle, elle se faifmoit
beauecouprpl.us ai- Le mariage résolu, les
deux foeurs furent également
contentes; car Marianneindifférente
sur ses
propres interests, partageoit
sincerement avec
sa soeur l'esperance d'une
fortune brillante : cependant
quelques jours s'écoulerent
,
& le temps
que Leandre avoit marqué
pour ion retour, ettoit
desja passé. Lucille
commençoit à ressentir
de mortelles inquietudes,
& Marianne retardoit de
jouren jourson petit establissement,
resoluë de le
ceder à sa soeur en cas
que l'autre luy manquait.
::..
Un jour enfin elles estoient
toutes deux au
bout de cette mesme terrasse
d'oùl'ondécouvroit
la pleine mer. Lucille
avoit
avoit les yeux fixez vers
la rade de Toulon, d'où
devoit partir celuy qui
nes'estoit separé d'elle
que pour aller disposer
fès parents à ce mariage:
elle estoit plongée dans
la tristesse lorsqu'elle apperceut
un vaisseau; cet
objet la transporta de
joye, comme s'il n'eust
pû y avoir sur la mer que
le vaisseau qui devoit luy
ramenerson amant; sa
joye futbien plus grande
encore;lorsqu'un vent
qui s'éleva,sembla pouf
fer ce vaisseau du costé
de son Isle; mais ce vent
ne fut pas long-temps favorable
à ses desirs. Ce
vaisseaus'aprochoitpourtant
d'une grande vitesse,
mais il se forma tout à
coup une tempeste si fiirieuse
,
qu'elle luy fit
voir des abysmesouverts
pour son Leandre.La Romanesque
Lucille diroit
sans doute en racontant
cet endroit de ion hiitoire
: que la tourmente nefut
pas moins orageusè,.
dansson coeur quesur Itt;
mer où le vaisseaupensa
perir.
Après quelques heures
de peril, un coup de
vent jetta le vaisseau sur
le rivage entre des rochers
qui joignent 1q
Chasteau, jugez du plaisir
qu'eutLucille en voyranet
sotnéAm.ant en seuLeandre
devoit se trouver
à son retour chez une
voisine où s'estoient faites
les premieres entreveuës
,
elle estoit
pour lors au Chasteau
où les deux soeurs coururent
l'avertir de ce
qu'elles venoient devoir,
& elles jugerent à propos
de n'en point encore
parler au pere. Lucille
luy dit qu'elle alloit coucher
ce soir-là chez cette
voisine, car elle y alloit
assez souvent,& Marianne
resta pour tenir compagnie
à son pere ,qui
ne pouvoit se
,
d'ellepas.ser
;
Un moment aprèsque
Lucille & la voisine furent
montées en carosse.,
un homme du vaisseau
vint demander à parler
au maistreduChasteau,
cet homme estoit une cCpece
de valet grossier qui
debuta par un recit douloureux
de ce que son
jeune maistre avoit souffert
pendant la tcmpefie).
& pour exciter la compassion,
il s'eftendoit sur
les bonnes qualitez de ce,
jeune maistre qui demandoitdu
secours & le couvert
pour cette nuit.
Le pere qui estoit le
meilleurhommedumonde
,
fit allumer au plus
viste des flambeaux, parce
qu'il estoit presque
nuit; il voulut aller luymesme
aurivage où Marianne
le suivit,curieuse
de voir l'Amant de sa
soeur, &' ne doutant
point qu'il n'eust pris le
pretexte de la tempeste ,
pour venir incognito dans
le Chasteauoù il pourroit
voir Lucille plus
promptement que chez
sa parente.
En marchant vers le
rivage on apperceut à la
lueurd'autres flambeaux
dans un chemin creux
entre des rochers, plusieurs
valets occupez autour
du nouveau debarqué,
qui fatigué de ce
qu'il avoit souffert, tomba
dans une espece d'évanoüissement,
l'on s'arresta
quelque temps pour
luy donner du secours :
Marianne le consideroit
attentivement
,
elle admiroit
sa bonne mine,
& l'admira tant, qu'elle
ne put s'empescher ,elle
quin'estoit point envieu-
Lé, d'envier à sa ïbeur le
bonheur
bonheurd'avoir un tel
Amant;cependant il revenoit
à luy, il souffroit
beaucoup; mais dès qu'il
eut jetté les yeuxsur Marianne,
son mal fut suspendu,
il ne sentit plus
que leplaisir de la voir.
Admirez icy lavariété
des effets de l'amour, la
vivacité naturelle de Marianne
,
est tout à coup
rallentie par une passion
naissante, pendant qu'un
homme presque mortest
ranimé par un feu dont
la, violence se fit sentir
au premier coup d'oeil,
jamais passion ne fut plus
vive dans sa naissance;
comment est-ilpossible,
dira-t'on quece Leandre,
tout occupéd'une autre
passion qui luy fait traverser
les mers pour Lucille,
soit d'abord si sensible
pour Marianne. Il
n'est pas encore temps de
respondre à cette question.
Imaginez-vousseulementun
hommequine
languit plus que d'a
mour ; les yeux fixez
sur Marianne, qui avoit
les siens baissez contre
terre ,
ils estoient
muets l'un & l'autre, 6C
le pere marchant entre
eux deux, fournissoitseul
à la conversation sans se
douter de la cau se de leur
silence. Enfin ils arrivent
au Chasteau,oùMarianne
donne d'abord
tous ses soins, elle court,
elle ordonne, elle s'empresse
pour cet hoste ai-
Jnahle avec un zele qu'-
elle ne croit encore anirne
que par latendresse
de l'hospitalité: le pere
donna ordre qu'on ailaft
avertir Lucille de revenir
au plustost pour rendre
la compagnie plus agréable
à son nouvel hoste
qu'on avoit laissé seul en
liberté avec ses valets
dans une chambre.
On alla avertir Lucille
chez sa voisine
,
elle
vint au plus viste, elle
estoit au camble de sa
joyc,&Marianne au contraire
commençoitàeftrc
fort chagrine, cette vertueuse
fille s'estoit desja
apperceuë de son amour,
elle avoit honte de se
trouver rivale de la soeur,
mais elle prit dans le moment
une forte resolutiondevaincre
une passion
si contraire aux sentimens
vertueux qui luy
estroient naturels ; elle
court au devant de Lucille,&
la felicite de
bonne foy
,
elle fait l'éloge
de celuy qui vient
d'arriver
elle luy exagere
tout ce qu'elle st
trouvé d'aimable dans sa
phisionomie,
dans l'og
air, & se laissant insensiblement
emporter au
plaisir de le louër
,
elle
luy en fait une peinture
si vive qu'elle se la grave
dans le coeur à elle-mesme,
encore plus prorondementqu'elle
n'y estoit;
elle finit cet éloge par un
soupir, en s'écriant: Ah,
ma soeur, que rvous estes
heureuse ! &£ faisant aufsitost
reflexion sur ce
soupir, elle resta muette,
confuse, & fort surprise
de seretrouver encore
•
amoureuse après avoir
resolu de ne l'estre plus.
Lucille en attendant
que [on Leandre parust,
fit force reflexions Romanelques
lur la singularité
de cette avanture ;
je fuis enchantée, difoitelle
, du procédé mysterieux
de cet Amant delicat
,
il feint de s'évanoüir
entre des rochers
en presence de mon pere,
pour avoir un prétexte
de venir,incognito me furprendre
agréablement,
je veux moy par delicatesse
aussi, luy laisser le
plaisir de me croire surprise,
& je seindray dèsqu'il
paroiftra un estonnement
extreme de trouver
dans un hoste inconnu
l'objet charmant.
En cet endroit Lucille
fut interrompue par un
valet qui vint annoncer
le souper, les deux foeur£
entrerent dans la salle
par une porte pendant
que le pere y entroit par
l'autre avec l'objet cher,
mant, qui s'avança pour
saluërLucille: dès quelle
l'apperceut elle fit
un cri, & resta immobile
, quoy qu'elle eust
promis de feindre de la
surprise; Marianne trouva
la feinte un peu outrée;
le pere n'y prit pointgarde,
parce qu'il ne prenoit
garde à rien, tantil estoit
bon homme,
Lucille estoit réelle*
ment tres eftonnée
,
SC
on le feroit à moins, car
cet inconnu n'estoit
point le Leandre qu'-
elle attendoit, c'estoit
un jeune négociant, mais
aussi aimable par son air
& par sa figure que le
Cavalier le plus galant.
Il estoit tres riche
,
ôd
rapportoit des Indes
quantité de marchandé
ses dans son vaisseau
,
il
avoit esté surpris d'un
vent contraire, en tou..
chantla Rade de Toulon,
& jetté, comme vous
avez veu, dans cette iHe.
Ce jeune Amant se
mit à table avec le pere
&: les deux filles, le fou-i
per ne fut pas fort guay ,
il n'y avoir que le perc
de content
,
aussin'y
avoit-il que luy qui parlait
, le negociant encore
estourdi du naufrage,&€
beaucoup plus de son
nouvel amour , ne respondoit
que par quelques
mots de politesse,
& ce qui paroistra surprenant
icy, c'est, qu'en
deux heures de temps
qu'on fut à table, ny là
pere ny les filles ne s'apperceurent
point de foa
amour; Lucille ne pouvant
regarder ce faux
Leandre sans douleur,
eut tousjours les yeux
baissez, & Mariannes'estant
apperceuë qu'elle
prenoit trop de plaisîr à
le voir, s'en punissoit en
ne le regardant qu'à la
dérobée; à l'égard du
pere il estoit bien esloignéde
devinerun amour
si prompt &, si violent.
Il faut remarquer icy
que le pere qui estoit bon
convive, excitoit sans
cesse son hoste à boire,&
ses filles à le réjoüir :
Qî£ejl donc devenue ta
belle humeur? disoit il à
Marianne, aussitostelle
s'efforçoit de paroistre
enjoüée, & comme les
plaisanteries ne viennent
pas aisément a ceux qui
les cherchent, la première
qui luy vint, fut sur
le droit d'aisnesse
,
qui
faisoit depuis quelques
jours le sujet de leurs
conversations, jesuis fort
surprise, dit Marianne à
son pere , que vous me
demandiez de la guayeté
quand je dois estre serieuse,
la gravité m'appartientcomme
à l'aisnée, 8c
l'enjouement est le partage
des cadettes: & le
negociant conclut naturellement
de là que Marianne
estoit l'aisnée, Sc
c'est ce qui fit le lendemain
un Equivoque facheux,
le pere ne se souvenant
plus de ces pro
posde table, son caractere
estoit d'oublierau se,
cond verre de vintout ce
que le premier luy avoit
faitdire,enfin après avoir
bien régalé son hoste
,
il
leconduisitàsa chambre;
&Lucillequirestaseule
avec sa soeur luyapprit
que ce n'estoit point là
son Amant. Quelle joye
eust esté celle de Marianne
ne si elleavoiteu le coeur
moins bon, mais elle fut
presque aussiaffligée de
la tristesse de sa soeur.,
qu'elle fut contente de
n'avoir plus de rivale.,
Les deux soeurs se retirèrent
chacune dans
leur chambre où elles ne
dormirent gueres. Marianne
s'abandonna sans
fcrupule à toutes les idées
qui pouvoient flatter son
amour, & Lucille ne faifoit
que de tristes reflexions
,
desesperant de rc4
voir jamais ce Leandre , de qui elle esperoit sa fortune,
mais elle estoitdestinée
à estre rejouië par
tous les événements qui
chagrineroient Mariant
ne : le jeune négociant
estoit vif dans £espat
sions,& de plus il n'avoit
pas le loisir de languir;
il falloit quil s'en retournast
aux Indes, Il prit
sa resolution aussi promptement
queson-amour
luy estoit venu. Le pere
entrant le matin dans sa
chambre,, luy demanda
s'il avoit bien passé la
nuit: Helas, luy rcfpondit-
il, je l'ay fort mal
poejjsée, maisj'ay huit cens
millefrancsd'gaernt ccoormn*-
ptant, le pere ne comprenoit
rien d'abord à cette
éloquence de négociant
1; l'Amantpaflîoanés'expliqua.
plus clairement
ensuite ,il luy demanda
ça, mariage f-. fille aifnée^
ils estoient l'un & l'autre;
pleins de franchise, leur
affaire fut bien tost concluë,
& le pere sortit de
la chambre, conjurant
son hoste de prendre
quelques heures de repos
pendant qu'il iroit
annoncer cette bonne
nouvelle à safille aimée,
ce bon homme estoit si
transporté qu'il ne se fouvint
point alors des plaisanteries
qu'onavoit faites
à table Cuxlc droit
d'aisnesse de Marianne
que le négociant avoit
prises à la lettre. Cet
équivoque fut bien triste
pour Marianne au mo-*
ment que le pere vint annoncer
à Lucille que le
riche negociant estoit
amoureux d'elle,&Lucille
voyant le négociant
beaucoup plus riche que:
son Leandre, ne pensa
plusqu'à justifier son inconfiance
par de grande
Íentiments, & elle en
trouvoit sur tout,pour
& contre, son devoir luy
en fournissoit un, il est
beau desacrifierson a,
mour a lavoloté d'un pere.
A l'égard de Mariant
ne ellefe feroit livrée dabord
auplaisir devoir sa
soeur bien pourveuë
ceuss esté là son premier
mouvement, mais un
autre premier mouvez
ment la sassit: quelle dou-r
leur d'apprendre que celuy
qu'elle aime ,
eili
amoureux de sa soeur.
Pendant que toutcecy
se passoit au Chasteau,
Leandre , le veritable
Leandre arriva chez sa
parente, qui vint avec
empressement en avertir
Lucille, mais elle la trou-
Va insensible à cette nouvelle
, sa belle passion
avoit disparu, Leandre
devoit arriverplustost
elle jugea par delicatesse,
qu'un Amantqui venoit
trop tard aurendez-vous,
n'ayantque cinquante
milleescus; meritoit bien
quon le facrifiaft à un
mary de huit cens mille
livres. La parente de
Leandre s'écria. d'abord
sur une infidélité si lfiar-"
quéé>maisLucille luy
prouva par les regles de
Xofçipm leplusfiné que
Leandre avoit le premier
tort ,que les feuç^de
coeur ne ie pardonnent
point, que plus une fem*
meaime., Rlus-.;clle doit
se
se venger, & que la vengeance
la plus delicate
qu'on puisseprendre d'un
Amant qui oublie c'etf
d'oublieraussi.
Lucille
,
après s'estre
très spirituellement justifiée
, courut à sa toillette
se parer, pour estre belle
comme un astre au reveil
de son Amant, & la parente
de Leandrequis'in
reressoit à luy parune ve.
ritable amitié, retourna
chez elle si indignée, qu'
elle convainquit bientost
Leandre de l'infidélitéde
Lucille, & Leandre resolut
de quitter cette IHe
dès le mesme jour pour
n'y retournerjamais.
Marianne de soncossé
ne songeoit qu'à bien cacher
son amour & sa
douleur à un pere tout
occupé de ce qui pouvoit
plaireà sonnouveau gendre
: Viens, mafille, ditil
à Marianne, viens avec
moytfaijons-luj voir par
nos empressements îtfîfar
nos carresses, qu'il entre
dans unefamille qui aura
pour luy toutessortes d'at.
tentions, il les mérité bien,
n'est-ce pas, mafille, conviens
avec rfioy que tu as
là un aimablebeaufrere
:-
Marianne le suivoit
sans luy respondre, très
affmogée de n'estre que la
belle foeur de ce beaufrere
charmant; Dès qu'ils
furent à la porte de sa
chambre, Marianne detourna
les yeux. çrjak
gnant d'envisagerle peril.
Son père entra le prêt
mier
,
&dit à nostré
Amant que sa filleaisnée
alloit venir le trquvef),
qu'elle avoit pour luy
toute la reconnoissance
possible, &C mesme desja
de l'stime, Cepetit trait
de flatterie échappa à cet
homme si franc; l'amour
& les grandes richesses
changent toujours quelque
petite choseau coeur
du plus honneste homme
,
cependant Marianne
s'avançoit lentement.
Dès que nostre Amant
la vit entrer il courut au
devant d'elle, & luy dit
Cent choses plus passionnées
les unes que les autres;
enfin aprés avoir exprimé
ses transports par
tout ce qu'on peut dire,
il ne parla plus,parce que
les paroles luy manquoient.
, Marianne estoit si surprise
& si troublée,qu'elle
ne put prononcer un
fcul mot; le pere ne fut
pas moins estonné ,ils
resterenttous troismuets
&immobiles:cefut pendant
cette scene muette
que Lucille vint a pas
mesurez, grands airs majestueux
& tendres, brillante
& parée comme
une Divinité qui vient
chercher desadorations.
Pendant qu'elle s'avance
le pere rappelle dans fcn
idée les plaisanteriesdu
souper qui avoient donné
lieu à l'équivoque, &
pendant qu'il l'éclaircir
; Lucille va tousjours son
chemin
,
fait une reverence
au Negociant, qui
baisseles yeux, interdit
&confus,elle prend cetro
confusionpourla pudeur
d'un amant timide, elle
minaude pour tascher de
le rassurer ; mais le pauvre
jeunehomme ne pouvant
soustenir cette situation,
sort doucement de
la chambre sans riendire.
Que croira-t-elle d'un
tel procédé? l'amour peut
rendre un amant muet,
mais il ne le fait point
fuir: Lucille estonnée
regarde sa soeurqui 11ose
luy apprendre son malheur
, le pere n'a pas le
courage de la detromper.
Il fort, Marianne le fuit,
& Lucille reste feule au
milieu de la chambre, jugez
de son embarras, elle
; '-
n'en feroit jamais sortie
d'elle-mesme ; elle n'estoit
pas d'un caractere à
deviner qu'on pu st aimer
sa soeur plus qu'elle. Je
n'ay point sceu par qui
elle fut detrompée ; mais
quoy qu'elle fust accablée
du coup, elle ne perdit
point certaine presence
d'esprit qu'ont les
femmes, & sur toutcelles
qui font un peu coquettes
; elle court chez
sa voisine pour tascher
de ratrapperson vray
Leandre, je ne sçay si
elle y reussira.
Le pere voyant sortir
Lucille du Chasteau,
crut qu'elle n'alloit chez
cettevoisine que pour
n' estre point tesmoin du
bonheur de sa soeur. On
ne songea qu'aux préparatifs
de la nôce, avant
laquelle le Negociant
vouloit faire voir beaucoup
d'effets qu'il avoit
dansson vaisseau, dont
le Capitaine commençoit
a s'impatienter, car
le vaisseau radoubé estoit
prest à repartir. CeCapitaine
estoit un homme
franc, le meilleur amy
du monde, & fort attachéauNégociant,
c'estoit
son compagnon de
voyage,il l'aimoit comme
un pere, cestoit son
conseil, & pour ainsidire
,
son tuteur, il attendoit
avec impatience des
nouvelles de fbn amy;
mais vous avezveuqtfé
l'amour la tropoccupé,
il ne se souvintduCapitaine
qu'en le voyantentrer
dans le Chasteau
,
il
courut l'embrasser, & ce
fut un signal naturel à
tous ceux du Chaftcau
pour luy faire unaccuëil
gracieux; il y fut receu
comme l'amy du gendre
de la maison
,
il receut
toutes ces gracieusetez
fort froidement, parce
qu'il estoit fortfroid dm,
fo11 naturel. On estoit
pour lors à table
, on fit
rapporter du vin pour
émouvoir le fang froid
du Capitaine,chacun luy
porta la santé de son jeune
amy, & 4e là maistrciïc
: a la sante de mon
gendre,disoit le pere ,
tope à mon beaupere
,
disoit
le Négociant : à tout
celaleCapitaine ouvroit
-
les yeux Se les oreilles,
estonné comme vous
pouvez vous l'imaginer
il avoit crcu trouver ron
amy malade
,
gesné &
mal à son 21fe-1 comme
on l'esten maison étrangère
avec des hostesqu'-
on incommode, & il le
trouve en joye
, en liberté
comme dans sa famille
,
ilne pouvoit rien
comprendre àcette avanture
,
c'estoit un misantrope
marin
y
homme
flegmatique, mais qui
prenoit aisément son party:
ilécoutatout,& après
avoir révé un moment il
rompit le silence par une
plaisanterie àik façon : à
la jante des nouveaux
Efoux
,
dit-il, & de bon
coeur,j'aime les mariages
de table moy y car ils se
font en un momentse
rompent de rnejine.
-Après plusieurs propos
pareils, il se fit expliquerserieusement
à
quoy en estoient les affaires
,& redoublantson
sang-froid il promit une
feste marine pour la nôce.
Ca mon cheramy.
dit-il au Negociant,
venez,m'aider à donnerpour
cela des ordres
dans mon vaisseau; w
lontiers,respondit l'amy, ,wf]îbienfaj quelque choie
aprendre dansmes coffres;
&jeveuxfaire voir
mespierreriesàmon beaupere.
Il y alla en effet
immédiatement après le
diincr, & le pere resta
au Chasteau avec Marianne
rianne, qui se voyant au
çomble de son bonheur,
nelaissoitpasdeplaindre
beaucoup Lucille.Trois
ou quatre heures de tems
sepasserent en converstions,&
Marianneimpatiente
de revoir son
Amant, trouva qu'il tardoittrop
à revenir; l'impatience
redoubloit de
moment en momentlorsque
quelqu'un par hafard
vint dire que leNegociant
avoit pris le large
avec le Capitaine,&que
le vaisseauestoit desja
bien avant en mer. On
fut long-temps sans pouvoir
croire un évenement
si peu vray -
semblable.
On courut sur la terrasse
d'où l'on vit encore de
fort loin le vaisseau qu'-
on perdit enfin de veuë,
il feroit difficile de rapporter
tous les differents
jugements qu'on fit là
dessus
,
personnene put
deviner la cause d'uir
départ si bijare, & si précipité;
jeneconseille pas
au lecteur de le fLati-guer la teste pour y réver, la
fin de l'histoire n'est pas
loin.
Après avoir fait pendant
plusieurs jours une
infinité de raisonnements
sur l'apparition de ce riche
&C passionné voyageur
, on l'oublia enfin
comme un fonge ; mais
les songes agreables font
quelquefois de fortes impressions
sur le coeur d'une
jeune personne, Mariannenepouvoit
oublier
ce tendre Amant
,
elle
merite bien que nous employions
un moment à
la plaindre, tout le monde
la plaignit, excepté
Lucille, qui ressentit une
joye maligne qui la dédommageoit
un peu de
ce qu'elleavoit perdu par
la faute:car on apprit que
son Leandre trouvant
l'occasion du vaisseau,
s'estoit embarqué avec le
Capitaine pour ne jamais
revenir, & le gentilhomme
voyant Marianne engagée
au Negociant, n'avoit
plus pensé à redemander
Lucille. Le pere
jugea à propos de renoüerl'affaire
avec Marianne
,
qui voulut bien
se sacrifier, parce que ce
mariage restablissoit urr
peu les affaires de son
pere qui n'estoientpasen
bon ordre, enun mot
on dressa le contract
,
&'.
l'on fit les préparatifs de
la nôce.
Ceux quis'interessent
un peu à Marianne ne seront
pas indifferentsau
recit de ce qui est arrivé
au Negociantdepuis
qu'on l'aperdu de veuë,
il avoit suivi le Capitaine
dans son vaisseau
,
où il
vouloit prendre quelques
papiers. Il l'avoit entretenu
en cheminduplaisirqu'il
avoit defairela
fortune d'une fille qui
meritoit d'estre aimée ,
enfin il arriva au vaisseau
où il fut long temps à deranger
tous ses coffres
JI'
pourmettre ensemble ses
papiers,&ensuite il voulut
retourner au Chasteau
: quelle surprise fut
la sienne
,
il vit que le
vaisseau s'esloignoit du
bord, ilfait un cry, court
au Capitaine qui estoit
debout sur son tillac, fumant
une pipe, d'un
grand fang froid: Hé,
tnon cher llmy ,
luy dit
nostre Amant allarmé,
ne voyez-vouspas que
nous avons demaré? je le
vois, bien , respond tranquillement
le Capitaine,
en continuantdefumer,
cejl doncparvostre ordre,
repritl'autre, ifnevous,
ay-je pas dit que je veux
ter?nmer ce mariage avantque
departir.Pourquoy
doncmejoueruntour
si cruel ? parce que jzfais:
vostre
votre ami, luy dit nôtre
fumeur.Ah! si njow êtes
mon ami, reprit leNegociant,
ne me defelpere7,,pas,
rtrnentz-moy dans l'ijle,je
vous en prie
,
je vous en
conjure.L'amant passionné
se jette à ses genoux,
se desole, verse même des
larmes: point de pitié, le
Capitaine acheve sa Pipe,
& le vaisseau va toûjours
son train.Le Négociant a
beau luy remontrer qu'il
a donné sa parole, qu'il y
va de son honneur & de
sa vie
,
l'ami inexorable
luy jure qu'il ne souffrira
point qu'avec un million
de bien il se marie, sans
avoir au moins quelque
temps pour y rêver.Il
faut,lui dit-il, promener
un peu cet amour-là sur
mer, pour voir s'il ne se
refroidira point quand il
aura passé la Ligne.
Cette promenade setermina
pourtant à Toulon
ou le Capitaine aborda
voyantle desespoir de son
ami, qui fut obligé de
chercher un autre vaisseau
pour le reporter aux
Ines d'Hyere, il ne s'en falut
rien qu'il n'y arrivât
trop tard, mais heureusement
pour Marianne elle
n'étoit encor mariée que
par la signature du Contrat,
& quelques milli ers
de Pistoles au Gentilhomme
rendirent le Contrat
nul. Toute 1Isle est encor
en joye du mariage de ce
Negociant & de Marianne,
qui étoit aimée & respectée
de tout le Pays.
LI Ce Mariage a et' c lebré
magn siquement sur 1A
fin du mois de Septembre
dernier, & j'nai reçû ces
Memoires par un parent ail
Capitaine.
Fermer
Résumé : HISTOIRE toute veritable.
Le texte décrit une scène dans les Isles d'Hières, où deux sœurs, Lucille et Marianne, se promènent dans une allée d'orangers. Lucille, l'aînée, est belle et admirée, mais triste car son père souhaite la marier à un gentilhomme voisin. Marianne, enjouée, taquine Lucille qui attend le retour de son amant, Leandre. Lucille rêve de Leandre et avoue son amour pour lui, motivé par ses richesses et sa qualité. Marianne obtient de leur père qu'il marie d'abord Marianne, permettant ainsi à Lucille d'attendre Leandre. Quelques jours passent sans nouvelles de Leandre. Un vaisseau accoste près du château après une tempête. Lucille court avertir Leandre, mais découvre qu'un valet demande de l'aide pour son maître, blessé. Marianne, séduite par l'apparence du jeune homme, s'occupe de lui avec zèle. Lors du souper, l'inconnu se révèle être un jeune négociant riche, mais ce n'est pas Leandre. Lucille est triste, tandis que Marianne reste silencieuse, troublée par ses sentiments. Le père, ignorant des tensions, est content de la situation. Marianne, amoureuse du négociant, évite de le regarder pour se punir de son plaisir. Une méprise survient lorsque le père annonce au négociant qu'il souhaite l'épouser. Lucille accepte la situation et se prépare à recevoir le négociant, mais celui-ci, confus, quitte la chambre sans rien dire. Lucille retrouve Leandre chez une voisine. Le négociant, accompagné du capitaine de son vaisseau, révèle qu'il doit repartir aux Indes. Cependant, ils prennent la mer sans prévenir, laissant les sœurs et le père perplexes. Marianne accepte de se marier avec le négociant pour rétablir les affaires de son père. Le mariage est célébré magnifiquement à la fin du mois de septembre. Le négociant, souhaitant annuler son mariage, supplie son ami capitaine de le ramener à l'île. Le capitaine reste inflexible, insistant pour que le négociant réfléchisse à son amour pendant le voyage. Le contrat de mariage est annulé grâce à une somme d'argent versée au gentilhomme. Le mariage entre le négociant et Marianne est finalement célébré.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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44
p. 105-110
PRESENCE D'ESPRIT D'UNE JEUNE FILLE.
Début :
Quoique cette avanture paroisse fort ordinaire, & qu'on pût [...]
Mots clefs :
Fille, Eau, Bateau
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : PRESENCE D'ESPRIT D'UNE JEUNE FILLE.
PRESENCE D'ESPRIT
D'UNE JEUNE FILLE.
Quoique
cette avanture
paroisse fort ordinaire
& qu'on pût dire en deux
mots que c'est une fille qui
a pensé le noyer ;
il y a
pourtant quelque chose de
si singulier, qu'elle mérite
un petit détail.
On peut rire du peril
quand il eH: passé
; jamais
Nayade, habitante naturelle
des eaux n'y futmoins
embarassée, que la jeune
& jolie Marchande dont
je vais vous parler:Un
petit bateau où elle étoit
ayant été renverse, elle se
trouva dansle milieu de
la plaine liquide qui separe.
le vieux Louvre, du College
des quatre-Nations,
elle portoit dans une de
ses jupes un gros paquet
d'étofes & de coton. Comme
elle vit que. ce gros
ballot lasoûtenoitunpeu,
elle eut la presence d'el:
prit de le grossir encore
avec ses autres jupes, qui
flottoient sur l'eau, & de
le distribuer également
autour d'elle pour en former
un grosbourlet ; au
milieu duquel cette jeune.
fille se tint droite comme
une InfanteEspagnole au
milieu de son vertugadin:
Un sang-froid plus qu'Efpagnol
lui fit conserver son
equilibré, pendant. une
grande demi-heure, avec
une mainquelle tenoit en
l'air, pendant qu'avec l'autre
main elle entretenoit
la forme duvertugadin salutaire.
On a remarqué que
dans un peril si prochain,
elle ne cria que pour faire
des voeux au Ciel, &
pour appellerquelques bâ.
teliers qui accouroient
pourla sauver. Ils la fauverent
en effet, & c'eût
été une vraye perte pour
la gloire du beau sexe;car
les marques qu'elle a données
de son courage font
des préjugez probables
qu'elle se tirera toûjours
glorieusement des occasions
perilleuses,où les
filles perdent quelquefois
la tramontane.
Cette courageuse per-
;sonne se nomme Marie
Aquaire,& elle courut ce
dangerleVendredy 13. Novembre3ssirles
deux heures
après midy.Ce fut la
corde d'un grand batteau
qui l'enleva ôc lajetta dans
l'eau, qui l'emporta plus
de deux cent pas, la Riviere
étoit fort grosse, &
trèsagitée ce jour- là, &
elle fut portée,sans exagerer,
pendant une grosse
demi-heure, & après qu'on
l'eut sauvée, on luy trouva
encore dans la main une
piecede monoye, qu'elle
tenoit dans lebatteau,
aparemment pourpayer le
Battelier,car elle ne sçavoitpasassezlaFable
pour
avoir en vûë le passage de
la Barque à Caron.
D'UNE JEUNE FILLE.
Quoique
cette avanture
paroisse fort ordinaire
& qu'on pût dire en deux
mots que c'est une fille qui
a pensé le noyer ;
il y a
pourtant quelque chose de
si singulier, qu'elle mérite
un petit détail.
On peut rire du peril
quand il eH: passé
; jamais
Nayade, habitante naturelle
des eaux n'y futmoins
embarassée, que la jeune
& jolie Marchande dont
je vais vous parler:Un
petit bateau où elle étoit
ayant été renverse, elle se
trouva dansle milieu de
la plaine liquide qui separe.
le vieux Louvre, du College
des quatre-Nations,
elle portoit dans une de
ses jupes un gros paquet
d'étofes & de coton. Comme
elle vit que. ce gros
ballot lasoûtenoitunpeu,
elle eut la presence d'el:
prit de le grossir encore
avec ses autres jupes, qui
flottoient sur l'eau, & de
le distribuer également
autour d'elle pour en former
un grosbourlet ; au
milieu duquel cette jeune.
fille se tint droite comme
une InfanteEspagnole au
milieu de son vertugadin:
Un sang-froid plus qu'Efpagnol
lui fit conserver son
equilibré, pendant. une
grande demi-heure, avec
une mainquelle tenoit en
l'air, pendant qu'avec l'autre
main elle entretenoit
la forme duvertugadin salutaire.
On a remarqué que
dans un peril si prochain,
elle ne cria que pour faire
des voeux au Ciel, &
pour appellerquelques bâ.
teliers qui accouroient
pourla sauver. Ils la fauverent
en effet, & c'eût
été une vraye perte pour
la gloire du beau sexe;car
les marques qu'elle a données
de son courage font
des préjugez probables
qu'elle se tirera toûjours
glorieusement des occasions
perilleuses,où les
filles perdent quelquefois
la tramontane.
Cette courageuse per-
;sonne se nomme Marie
Aquaire,& elle courut ce
dangerleVendredy 13. Novembre3ssirles
deux heures
après midy.Ce fut la
corde d'un grand batteau
qui l'enleva ôc lajetta dans
l'eau, qui l'emporta plus
de deux cent pas, la Riviere
étoit fort grosse, &
trèsagitée ce jour- là, &
elle fut portée,sans exagerer,
pendant une grosse
demi-heure, & après qu'on
l'eut sauvée, on luy trouva
encore dans la main une
piecede monoye, qu'elle
tenoit dans lebatteau,
aparemment pourpayer le
Battelier,car elle ne sçavoitpasassezlaFable
pour
avoir en vûë le passage de
la Barque à Caron.
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Résumé : PRESENCE D'ESPRIT D'UNE JEUNE FILLE.
Le texte narre l'aventure de Marie Aquaire, une jeune fille dont le petit bateau s'est renversé dans la Seine, entre le vieux Louvre et le Collège des Quatre-Nations. Portant un paquet d'étoffes et de coton, elle a gonflé ses jupes pour créer un bouchon flottant, lui permettant de maintenir son équilibre pendant environ une demi-heure. Marie a conservé son sang-froid, utilisant une main pour faire des vœux et appeler des bateliers à son secours. Ces derniers l'ont sauvée, évitant ainsi une tragédie. L'incident s'est produit le vendredi 13 novembre, vers deux heures de l'après-midi, alors que la rivière était très agitée. Après son sauvetage, une pièce de monnaie destinée à payer le batelier a été retrouvée dans sa main.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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45
p. 1-38
LE BON MEDECIN, HISTORIETTE.
Début :
L'Esté dernier un riche Bourgeois de Paris alla faire [...]
Mots clefs :
Médecin, Amant, Amour, Dame, Mariage, Mari, Fille, Maladie, Malade, Désespoir, Enceinte, Rupture, Femme grosse, Colère, Rouen, Paris, Père
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texteReconnaissance textuelle : LE BON MEDECIN, HISTORIETTE.
ieJnt7iue1rnetMçoiéiimsdoainreslseuyrumnoeavanture,
je vrJudroü
pour l'amour du Lecteur,
quellefût-inotos verita-
,
ble (f'plw jolie ,elle MOIriteroit
mieux le nom
d'Historiette que jeiluy
donné feulefnent parcs
quon en <veu\ une chaque,
mois ,
pardonnez, U
négligence du style,,, les
lm'oissontbien cours pour Autheur du ivercore.
LE BON MEDECIN,
HISTORIETTE. L £ftc dernierunriche
Bourgeois de
Paris alla faire un voyage
à Rouen, & laissa
chez lui sa fille, pour
avoirsoin de son ménage,
elle prit tant de plaisirà
le gouverner, que
cela luy donna envie
d'en avoir un à elle; un
jolivoisin qu'elle voyoit
quelquefois fortisioit
beaucoup cette envie,
elle l'aimoit,elle en étoit
aimée, en un mot ils se
* convenoient, c'étoit un
mariage fait, il n'y manquoitque
le consentement
dupere, &ils ne
doutoient point del'obtenir
àson retour : il$
se repaissoient un jour
ensemblede cette douce
efpprance, lorsque la
fillereçût une lettre de
ce pere absent,; elle ouvre
la lettre,la lit, fait
,
un cri, & la laisse tomber
: l'amant la ramasse,
jette les yeux dessus, Be
.faitun autre cri.CrueLlesurprisepour
ces deux
tendres amans!pendant
qquueecectettetfei4l..1lte se marioic
de san côté, le pere l'avoit
mariée du fien, &c
luy écrivoit quelle se
préparât à recevoir un
mary qu'illuy amenoit
de Roüen.
Quoiqu'il vienne de
t bons maris de ce pays- là, elle aimoit mieux
celui de Paris. La voila
desolée
,
son ainant se
desespere] après les
pleurs & les plaintes on
songe au remede
,
la
fille n'en voit point
d'autre pour prévenir
un si cruel mariage qua
de mourir de douleur
avant que son pere arrive.
Le jeune amant
imagina quelque chofç
de mieux, maisil n'osa
dé-1 couvrir s{'on ddesrs("ein et
sa maîtress.Non,difoitil
en luy-même, elle
n 'approuvera jamais un
projet si hardi, mais
quand j'aurai réiïfli, elle
me pardonnera la hardiesse
de l'entreprise, les
Dames pardonnent fouvent
ce qu'elles n'auroient
jamais permis.
Notreamantlaconjura
de seindre une maladie
subite pour favoriser un
dessein qu'il ayoit, &
sans s'expliquer davantage
il courut à l'expedient
qui nétoit pas
pas trop bien concerté:
Le jeune homme étoit
vif, amoureux & étourdi,
a cela près très raisonnable
:mais les
amans les plus raisonnables
ne sont pas ceux
qui réussissent le mieux.
s: Célui-ci s'étoit souvenu
a propos qu'un
Medecin de Rouen ctoic
arrive chez un ,a~utre Medecin son frere, qui
logeoit chez un de ses
amis; il s'imagina !que
celMédecin de Rôiléh
pourroit bien être Ton.
rival, il prit ses mesures
là-dessus.
'*.Tl. etoit
-
allez beau
garçonpour avoir couru
plusiéurs fois'le bal
en habit de fille.A ce
déguisement,Soutenu
d'une voixunpeu fe^
minine,il ajouta un corset
garni d'ouatre à peu
pré^jufeju^ala grosseur
Convenable à une fille
enceinte de sept àdlUic
mois:ainsidéguisé dans
une chaise à porteur,
sur la brune il va mysserieusement
chez le
Medecin, se. dourantf
bien que le secret qu'it
alloit luiconfier fcroiei
bientôt revelé à Fautro
Medecinson frere ; La
choseluyrétissit mieux!
encore, car le Medecin
de Paris n'étoit point
chez luy
3
n'y devoit
rentrer que fort tard, &
le Médecin de Rouën
étoit arrivé ce jour-là ,
&C se trouvant dans la
salle se crut obligé de
recevoir cette Dame 1
qui avoitl'aird'unepratique
im portance pour
son frère. Ilengageala
conversation avec la
fausse fille, qui ne luy
laissoit voir son visage
qu'à travers une cocfFer
Elle luy tint des discours
propres à exciter
la curiosité, & paroissoit
prend re confiance
aux fiens à mesure qu'il
étaloit son éloquence
provinciale pour luy
paraître le plus habile
ce le plus discret Medecin
du monde. Dés qu'-
elle eut reconnu son
homme pour être celuy
qui la dévoie épouser,;
c'est-à-dire qui dévoie
épouser sa maîtresse dont il vouloit faire , ici
le personnage
)
il tirât
son mouchoir, se migt
à pleurer & sanglotter
fous ses coësses, & après
quelqu'une de ces ceremonies
de pudeur que
l'usage a presquautant
abrégées que les autres
ceremonies du vieux
temps; il parla au Me"
decin en ces termes.
Monsieur ,vous me
paroissez si habile M si
galant homme, que ne
connoissant pas Monsieur
vôtre frere plus
.) que vous,jaime encof
rree mieux me ccoonn-fsieir %àa
vous qu'a luy: esuite
la considence se fit presque
sans parler, la jeune
personneredoubla
¡
les pleurs, Se entr'ouvrant
son écharpe pour
faire voir la tailled'une
femmegrosse,elle dit,
Vous voyez, la plus malheureusefille
dumonde.
LeMedecin des plus
habiles, connut, sans
luy tâter le poulx, de
quelle maladie elle vou- loitguérir,il luy dit,
pour la consoler, qu'il
couroit beaucoup de ces
maladies-là cette année
6C qu'apparemment on
luy avoit promis ma*.
riage,helas !oüi, repliqua-
t-elle, mais le
malheureuxqui m'a séduiten'a
ni parole,ni
honneur.
Aprés plusieurs invectivescontre
le se..
tduâxur .& contre ellemême
,elleconjura Ile
: Medecin de luy donner
quelqu'unde cesremedes
innocens,qui précipitent
le dénouëment
del'avanture,parce
«
qu'elle attendoit dans
vpeuiunn Mcarey d.e Pro-
Quoique leMedecin
nes'imaginapasd'abord
qu'il put être ce Mary
de Province qu'on attendoit,
il ne laissa pas
d'avoir plus de curiosité
qu'il n'enavoit eu
jusques-là, & pour s'attirer
Uconfidence entiere
,
il redoubla ses:
protestations de zele ÔC
dediscretion, Enfin
aprés
aprés toutes les simagréesnecessaires
nôtre
jeune homme déguisé
luy dit : Je fuis la fille
d'un tel, qui m'a écrit
de Rouën, qu'il m'avoit
destinée un honnê-
, te homme, mais tel qu'il
soit, on est trop heureuse
de trouver un Mary
a prés avoir ététrompée
par un amant. Vous
comprenez bien quel
fut l'effet d'une telle
confidence sur le Medecin,
qui crut voir sa
future épouse enceinte
par avance, il demeura
immobile, pendant que
luy embrasant les genoux,
elle le conjuroit
de conduire la chose de
sa çon, queni sonPere,
ni le Mary qu'elle attendoit,
ne pût jamais
soupçonner sa sagesse.
Le Medecin prit ladessus
le parti de la difcretion,
& sans témoigner
qu'il fût l'honnête
homme, que l'on vouloit
charger de l'iniquité
d'autrui, il offrit son
secours, mais on ne l'accepta
qu'à condition
qu-il ne la verroit point
chez son Pere, on fupposoit
quele Medecin
feroit assez delicat pour
rompre un tel mariage,
& assezhonnête homme
pournepoint dire
la cause de la rupture.
Le Medecinallachez
Je Pere dés qu'il le fçut
arrivé, ce Pere luy dit
avec douleur qu'il avoit
trouvé - en arrivant sa
fille tres malade,& ce#*
lui-ci, qui croyoitbien
sçavoir quelle étoit sa
maladie, inventa plusieurs
pretextes de rupture,
mais le Pere esperant
que la beauté de
sa fille pourroitrenouër
cette affaire qu'il souhaittoit
fort, mena nôtre
homme voir la malade
comme Medecin, J
i&C elle le reçût comme
tel, ne se doutant point
qu'ilfût celuiqu'on lui
vouloit donner pour
mary, son Pere n'avoit
encor eu là-dessus aucun
éclaircissemetavec elle,
tla voyant trop mal pour
luiparler si-tôt de mariage
;le Medecin, qu'il
[pria d'examiner la ma- ladie de sa fille, parla
avec toute la circonspey<
5tion d'un homme, qui
ne vouloit rien approfondir;
il demanda du*
temps pour ne point
agir imprudemment,
cette discretion plût
beaucoupà la malade,
elle crût que
connoissant
bien qu'elle fei-1
gnoit cette maladie, &:Il
qu'elle avoit quelque
raison importante pour
feindre, il vouloit lui
rendre service; dans
cette idée elle le gracieusa
fort, il répondit
à ses gracieusetez en
Medecin qui sçavoit le
monde, en forte que cette
consultation devint
insensiblement uneconversation
galante, cc&
assez la methode de nos
Consultans modernes,
&C elle vaut bien,pour
les Dames, celle des anciens
Sectateurs d'Hipocrates.
Letouragreable
que prit cette entrevue
,donna de la gayeté
au Pere, qui dit en badinant,
que comme Perc
discret illaissoit sa fille
consulter en liberté son
Medecin,& les quitta,
croyant s'appercevoir
qu'ils ne se déplaifoient
pas l'un à l'autre.
Voila donc le Medecin
& la malade en liberté
, leur tête-à-tête
commença par le silence,
la fille avoit remarqué
dans ce Medecîn
tous les sentimens d'un
galant homme, mais
elle hesitoit pourtant
encor
encore à lui con fier
son secret. Lui de son
côténecomprenoic pas
bien pourquoy elle hesitost
tant; si l'on fc
souvient icy de l'entrevue
du Medecin & de
l'amant déguisé en fille
enceinte, on comprendra
qu'une si grande
refcrvc dans cette fille
tquil croyoit la racine,
devoit le surprendre;
cependant il y a des
filles si vertueuses,qu'-
un secondaveu leur
coûte presque autant
que le premier. Nôtre
Medecintâchade rIapa
peller en celle-cy cette
confiance dontil croyoit
avoir été déja honoré.
Cela produisit une
conversation équivoque,
qu'on peut aisément
imaginer, la fille
lui parloit d'une maladie
qu'elle vouloit feindre
pour éloigner un '¡
mariage, & le Medecin
d'une autre maladie
plus réelle, dont il croyoit
avoir été déja le
confident. Quoyqu'il
touchât cette corde tres
delicatement, la fille en
fremit de surprise &
d'horreur
,
elle pâlit,
elle rougit,elle se trouble,
tous ces symptomes
étoient encor équivoques
pour le Medecin,
la honte jointe au
repentir fait à peu prés
le même effet, il se fer
pour la rassurer des lieux
communs les plus confolans
) vous n'êtes pas
la feule à Paris, lui dits
il, ce malheur arrive
quelquefois aux plus
honnêtes filles,les meilleurs
coeurs font les
plus credules, il faut esperer
qu'il vous épousera.
On juge bien que Pcclairciffement
suivit de
, prés de pareils discours,
mais on ne sçauroit imaginer,
la
-
surpriseoùils
furent tous deux quand
la chose fut mireau net,
le Pere arriva assez tôt
pour avoir part à eclairciffement
& à la
surprise, ils se regardoient
tous trois sans de-
(Sviner de quelle part venoit
une si horrible calomnie
, la fille même
n'étoit pas encor au fait
lorsque son amant arriva
de la maniere que
vous allez voir.
Pendant que cecy se
passoit, l'amant inquiet
vint s'informer de la
fille de Chambre sur le
mariage qu'il craignoit
tant; elle avoit entendu
quelque chose de la rupture,
elle l'en instruisit,
& il fut d'abord
transporté de joye :
mais ayant appris enfuite
que le Medecin
venoit d'avoir un grand
éclaircissement avec Je
Perc &; la fille,il perdit
la tramontanne & courut
comme unfolà la
chambre de sa Maîtresse,
& la transporté de
desespoir il lui demanda
permission de se percer
le coeur avec son
épée, il n'osa faire sans
permission cette seconde
sottise qu'elle n'auroit
pas plus approuvéeque
la premiere; il entra
donc, & se jetta la face
contre terre entre le
Pere, lafille & leMedecin,
qui le regardoiêïq
toustrois sans dirernOt
lafille parla la pretnÍre,
comme de raison, <
& son amour s'étant
changé en colère,cilen
ne parla que pour fini- j
droyer le pauvre jeune
homme,elle commença
par lui défendre de i
la voir jamais, 1-e Pere j
aussioutré qu'e lle
,
le
fît sortit de sa Maiion,
S£ la fille aussi-tôt
offrir la main au Me*
edecin pour se vengerde
ITofFenfè qu'elle avoit
reçûë du jeune homme, .f
Ile Medecin convint
qu'il meritoit punition,
S8c dit qu'il alloit luymêmelefaire
avertir
b,qu"il1 n'avoit plus rien. à _1 prétendre , , ainsi après
que le pere & la fille eurent
donne leur paroleau
Medecin, il promit - de revenir le lendema in
[pour terminer le maria-
JSeLe
Pere& lafillepaf-j
ferent le reste du jour àj
parler contre Fimprudent
jeune homme ;
laj
fille ne pouvoit s'en laf-j
fer,& son Pere en laj
quittant lui conseilla de
dormir un peu pour appasser
sa colere, lui
faisant comprendre qu'-
un amant capable d'une
telle action ne meritoit
que du mépris. La nuit
calma la violence de ses
transports,maisaulieu
Bu mépris qu'elle atten-
Boit, elle ne sentit sucseder
à sa colere que de
l'amour,^lle fit tant pourcent
reflexions sur
te rifqueou l'avoitmise
zc jeune homme d'être
'c.[ujet d'un Vaudevil-
4e, maiselle ne put trouver
dans cette action
f"que de l'imprudence 8c
tle l'amour, & le plus
blâmable des deux
rnieelseerrttqquu'aà pprorouuvveerr
l'excez de l'autre, en.~
sorte qu'avant le jour
elle se repentitd'avoir
donné sa parole, & fut
bientôt après au desespoir
de ce qu'il n'y avoit
plus moyen de la retirer.
Quand le Medecin revint
il trouva son épou"f1
se fort triste, je me doutois
bien,dit-il au Pere
en presence de sa fille,,
qu'elle n'oublierait pas
b-rôt) ni l'offence
,
ni
l'offenceur
,
elle pour
roit s'en souvenir encor
après son mariage, son
amant n'est pas prest
non plus d'oublier son
amour, je viens de le
rvoir
,
j'ai voulu le puinir,
en lui laissantcroire
[pendant vingt-quatre
heures qu'il feroit malheureux
par son imprudence,
il en est assez puni,
car il a pensé mourir
cette nuit, je m'apperçois
aussique vôtre
fille est fort mal, voila
de ces maladies que fça-j
vent guerir les bons Medecins
: mariez-les tous
deux,voila mon Ordon.
nance. ]
Le jeune amant étoit
riche, la fille eût été
au desespoir; le pere
rut raisonnable, le mariage
se fit. le même
jour par l'entremise du
bon Medecin.
je vrJudroü
pour l'amour du Lecteur,
quellefût-inotos verita-
,
ble (f'plw jolie ,elle MOIriteroit
mieux le nom
d'Historiette que jeiluy
donné feulefnent parcs
quon en <veu\ une chaque,
mois ,
pardonnez, U
négligence du style,,, les
lm'oissontbien cours pour Autheur du ivercore.
LE BON MEDECIN,
HISTORIETTE. L £ftc dernierunriche
Bourgeois de
Paris alla faire un voyage
à Rouen, & laissa
chez lui sa fille, pour
avoirsoin de son ménage,
elle prit tant de plaisirà
le gouverner, que
cela luy donna envie
d'en avoir un à elle; un
jolivoisin qu'elle voyoit
quelquefois fortisioit
beaucoup cette envie,
elle l'aimoit,elle en étoit
aimée, en un mot ils se
* convenoient, c'étoit un
mariage fait, il n'y manquoitque
le consentement
dupere, &ils ne
doutoient point del'obtenir
àson retour : il$
se repaissoient un jour
ensemblede cette douce
efpprance, lorsque la
fillereçût une lettre de
ce pere absent,; elle ouvre
la lettre,la lit, fait
,
un cri, & la laisse tomber
: l'amant la ramasse,
jette les yeux dessus, Be
.faitun autre cri.CrueLlesurprisepour
ces deux
tendres amans!pendant
qquueecectettetfei4l..1lte se marioic
de san côté, le pere l'avoit
mariée du fien, &c
luy écrivoit quelle se
préparât à recevoir un
mary qu'illuy amenoit
de Roüen.
Quoiqu'il vienne de
t bons maris de ce pays- là, elle aimoit mieux
celui de Paris. La voila
desolée
,
son ainant se
desespere] après les
pleurs & les plaintes on
songe au remede
,
la
fille n'en voit point
d'autre pour prévenir
un si cruel mariage qua
de mourir de douleur
avant que son pere arrive.
Le jeune amant
imagina quelque chofç
de mieux, maisil n'osa
dé-1 couvrir s{'on ddesrs("ein et
sa maîtress.Non,difoitil
en luy-même, elle
n 'approuvera jamais un
projet si hardi, mais
quand j'aurai réiïfli, elle
me pardonnera la hardiesse
de l'entreprise, les
Dames pardonnent fouvent
ce qu'elles n'auroient
jamais permis.
Notreamantlaconjura
de seindre une maladie
subite pour favoriser un
dessein qu'il ayoit, &
sans s'expliquer davantage
il courut à l'expedient
qui nétoit pas
pas trop bien concerté:
Le jeune homme étoit
vif, amoureux & étourdi,
a cela près très raisonnable
:mais les
amans les plus raisonnables
ne sont pas ceux
qui réussissent le mieux.
s: Célui-ci s'étoit souvenu
a propos qu'un
Medecin de Rouen ctoic
arrive chez un ,a~utre Medecin son frere, qui
logeoit chez un de ses
amis; il s'imagina !que
celMédecin de Rôiléh
pourroit bien être Ton.
rival, il prit ses mesures
là-dessus.
'*.Tl. etoit
-
allez beau
garçonpour avoir couru
plusiéurs fois'le bal
en habit de fille.A ce
déguisement,Soutenu
d'une voixunpeu fe^
minine,il ajouta un corset
garni d'ouatre à peu
pré^jufeju^ala grosseur
Convenable à une fille
enceinte de sept àdlUic
mois:ainsidéguisé dans
une chaise à porteur,
sur la brune il va mysserieusement
chez le
Medecin, se. dourantf
bien que le secret qu'it
alloit luiconfier fcroiei
bientôt revelé à Fautro
Medecinson frere ; La
choseluyrétissit mieux!
encore, car le Medecin
de Paris n'étoit point
chez luy
3
n'y devoit
rentrer que fort tard, &
le Médecin de Rouën
étoit arrivé ce jour-là ,
&C se trouvant dans la
salle se crut obligé de
recevoir cette Dame 1
qui avoitl'aird'unepratique
im portance pour
son frère. Ilengageala
conversation avec la
fausse fille, qui ne luy
laissoit voir son visage
qu'à travers une cocfFer
Elle luy tint des discours
propres à exciter
la curiosité, & paroissoit
prend re confiance
aux fiens à mesure qu'il
étaloit son éloquence
provinciale pour luy
paraître le plus habile
ce le plus discret Medecin
du monde. Dés qu'-
elle eut reconnu son
homme pour être celuy
qui la dévoie épouser,;
c'est-à-dire qui dévoie
épouser sa maîtresse dont il vouloit faire , ici
le personnage
)
il tirât
son mouchoir, se migt
à pleurer & sanglotter
fous ses coësses, & après
quelqu'une de ces ceremonies
de pudeur que
l'usage a presquautant
abrégées que les autres
ceremonies du vieux
temps; il parla au Me"
decin en ces termes.
Monsieur ,vous me
paroissez si habile M si
galant homme, que ne
connoissant pas Monsieur
vôtre frere plus
.) que vous,jaime encof
rree mieux me ccoonn-fsieir %àa
vous qu'a luy: esuite
la considence se fit presque
sans parler, la jeune
personneredoubla
¡
les pleurs, Se entr'ouvrant
son écharpe pour
faire voir la tailled'une
femmegrosse,elle dit,
Vous voyez, la plus malheureusefille
dumonde.
LeMedecin des plus
habiles, connut, sans
luy tâter le poulx, de
quelle maladie elle vou- loitguérir,il luy dit,
pour la consoler, qu'il
couroit beaucoup de ces
maladies-là cette année
6C qu'apparemment on
luy avoit promis ma*.
riage,helas !oüi, repliqua-
t-elle, mais le
malheureuxqui m'a séduiten'a
ni parole,ni
honneur.
Aprés plusieurs invectivescontre
le se..
tduâxur .& contre ellemême
,elleconjura Ile
: Medecin de luy donner
quelqu'unde cesremedes
innocens,qui précipitent
le dénouëment
del'avanture,parce
«
qu'elle attendoit dans
vpeuiunn Mcarey d.e Pro-
Quoique leMedecin
nes'imaginapasd'abord
qu'il put être ce Mary
de Province qu'on attendoit,
il ne laissa pas
d'avoir plus de curiosité
qu'il n'enavoit eu
jusques-là, & pour s'attirer
Uconfidence entiere
,
il redoubla ses:
protestations de zele ÔC
dediscretion, Enfin
aprés
aprés toutes les simagréesnecessaires
nôtre
jeune homme déguisé
luy dit : Je fuis la fille
d'un tel, qui m'a écrit
de Rouën, qu'il m'avoit
destinée un honnê-
, te homme, mais tel qu'il
soit, on est trop heureuse
de trouver un Mary
a prés avoir ététrompée
par un amant. Vous
comprenez bien quel
fut l'effet d'une telle
confidence sur le Medecin,
qui crut voir sa
future épouse enceinte
par avance, il demeura
immobile, pendant que
luy embrasant les genoux,
elle le conjuroit
de conduire la chose de
sa çon, queni sonPere,
ni le Mary qu'elle attendoit,
ne pût jamais
soupçonner sa sagesse.
Le Medecin prit ladessus
le parti de la difcretion,
& sans témoigner
qu'il fût l'honnête
homme, que l'on vouloit
charger de l'iniquité
d'autrui, il offrit son
secours, mais on ne l'accepta
qu'à condition
qu-il ne la verroit point
chez son Pere, on fupposoit
quele Medecin
feroit assez delicat pour
rompre un tel mariage,
& assezhonnête homme
pournepoint dire
la cause de la rupture.
Le Medecinallachez
Je Pere dés qu'il le fçut
arrivé, ce Pere luy dit
avec douleur qu'il avoit
trouvé - en arrivant sa
fille tres malade,& ce#*
lui-ci, qui croyoitbien
sçavoir quelle étoit sa
maladie, inventa plusieurs
pretextes de rupture,
mais le Pere esperant
que la beauté de
sa fille pourroitrenouër
cette affaire qu'il souhaittoit
fort, mena nôtre
homme voir la malade
comme Medecin, J
i&C elle le reçût comme
tel, ne se doutant point
qu'ilfût celuiqu'on lui
vouloit donner pour
mary, son Pere n'avoit
encor eu là-dessus aucun
éclaircissemetavec elle,
tla voyant trop mal pour
luiparler si-tôt de mariage
;le Medecin, qu'il
[pria d'examiner la ma- ladie de sa fille, parla
avec toute la circonspey<
5tion d'un homme, qui
ne vouloit rien approfondir;
il demanda du*
temps pour ne point
agir imprudemment,
cette discretion plût
beaucoupà la malade,
elle crût que
connoissant
bien qu'elle fei-1
gnoit cette maladie, &:Il
qu'elle avoit quelque
raison importante pour
feindre, il vouloit lui
rendre service; dans
cette idée elle le gracieusa
fort, il répondit
à ses gracieusetez en
Medecin qui sçavoit le
monde, en forte que cette
consultation devint
insensiblement uneconversation
galante, cc&
assez la methode de nos
Consultans modernes,
&C elle vaut bien,pour
les Dames, celle des anciens
Sectateurs d'Hipocrates.
Letouragreable
que prit cette entrevue
,donna de la gayeté
au Pere, qui dit en badinant,
que comme Perc
discret illaissoit sa fille
consulter en liberté son
Medecin,& les quitta,
croyant s'appercevoir
qu'ils ne se déplaifoient
pas l'un à l'autre.
Voila donc le Medecin
& la malade en liberté
, leur tête-à-tête
commença par le silence,
la fille avoit remarqué
dans ce Medecîn
tous les sentimens d'un
galant homme, mais
elle hesitoit pourtant
encor
encore à lui con fier
son secret. Lui de son
côténecomprenoic pas
bien pourquoy elle hesitost
tant; si l'on fc
souvient icy de l'entrevue
du Medecin & de
l'amant déguisé en fille
enceinte, on comprendra
qu'une si grande
refcrvc dans cette fille
tquil croyoit la racine,
devoit le surprendre;
cependant il y a des
filles si vertueuses,qu'-
un secondaveu leur
coûte presque autant
que le premier. Nôtre
Medecintâchade rIapa
peller en celle-cy cette
confiance dontil croyoit
avoir été déja honoré.
Cela produisit une
conversation équivoque,
qu'on peut aisément
imaginer, la fille
lui parloit d'une maladie
qu'elle vouloit feindre
pour éloigner un '¡
mariage, & le Medecin
d'une autre maladie
plus réelle, dont il croyoit
avoir été déja le
confident. Quoyqu'il
touchât cette corde tres
delicatement, la fille en
fremit de surprise &
d'horreur
,
elle pâlit,
elle rougit,elle se trouble,
tous ces symptomes
étoient encor équivoques
pour le Medecin,
la honte jointe au
repentir fait à peu prés
le même effet, il se fer
pour la rassurer des lieux
communs les plus confolans
) vous n'êtes pas
la feule à Paris, lui dits
il, ce malheur arrive
quelquefois aux plus
honnêtes filles,les meilleurs
coeurs font les
plus credules, il faut esperer
qu'il vous épousera.
On juge bien que Pcclairciffement
suivit de
, prés de pareils discours,
mais on ne sçauroit imaginer,
la
-
surpriseoùils
furent tous deux quand
la chose fut mireau net,
le Pere arriva assez tôt
pour avoir part à eclairciffement
& à la
surprise, ils se regardoient
tous trois sans de-
(Sviner de quelle part venoit
une si horrible calomnie
, la fille même
n'étoit pas encor au fait
lorsque son amant arriva
de la maniere que
vous allez voir.
Pendant que cecy se
passoit, l'amant inquiet
vint s'informer de la
fille de Chambre sur le
mariage qu'il craignoit
tant; elle avoit entendu
quelque chose de la rupture,
elle l'en instruisit,
& il fut d'abord
transporté de joye :
mais ayant appris enfuite
que le Medecin
venoit d'avoir un grand
éclaircissement avec Je
Perc &; la fille,il perdit
la tramontanne & courut
comme unfolà la
chambre de sa Maîtresse,
& la transporté de
desespoir il lui demanda
permission de se percer
le coeur avec son
épée, il n'osa faire sans
permission cette seconde
sottise qu'elle n'auroit
pas plus approuvéeque
la premiere; il entra
donc, & se jetta la face
contre terre entre le
Pere, lafille & leMedecin,
qui le regardoiêïq
toustrois sans dirernOt
lafille parla la pretnÍre,
comme de raison, <
& son amour s'étant
changé en colère,cilen
ne parla que pour fini- j
droyer le pauvre jeune
homme,elle commença
par lui défendre de i
la voir jamais, 1-e Pere j
aussioutré qu'e lle
,
le
fît sortit de sa Maiion,
S£ la fille aussi-tôt
offrir la main au Me*
edecin pour se vengerde
ITofFenfè qu'elle avoit
reçûë du jeune homme, .f
Ile Medecin convint
qu'il meritoit punition,
S8c dit qu'il alloit luymêmelefaire
avertir
b,qu"il1 n'avoit plus rien. à _1 prétendre , , ainsi après
que le pere & la fille eurent
donne leur paroleau
Medecin, il promit - de revenir le lendema in
[pour terminer le maria-
JSeLe
Pere& lafillepaf-j
ferent le reste du jour àj
parler contre Fimprudent
jeune homme ;
laj
fille ne pouvoit s'en laf-j
fer,& son Pere en laj
quittant lui conseilla de
dormir un peu pour appasser
sa colere, lui
faisant comprendre qu'-
un amant capable d'une
telle action ne meritoit
que du mépris. La nuit
calma la violence de ses
transports,maisaulieu
Bu mépris qu'elle atten-
Boit, elle ne sentit sucseder
à sa colere que de
l'amour,^lle fit tant pourcent
reflexions sur
te rifqueou l'avoitmise
zc jeune homme d'être
'c.[ujet d'un Vaudevil-
4e, maiselle ne put trouver
dans cette action
f"que de l'imprudence 8c
tle l'amour, & le plus
blâmable des deux
rnieelseerrttqquu'aà pprorouuvveerr
l'excez de l'autre, en.~
sorte qu'avant le jour
elle se repentitd'avoir
donné sa parole, & fut
bientôt après au desespoir
de ce qu'il n'y avoit
plus moyen de la retirer.
Quand le Medecin revint
il trouva son épou"f1
se fort triste, je me doutois
bien,dit-il au Pere
en presence de sa fille,,
qu'elle n'oublierait pas
b-rôt) ni l'offence
,
ni
l'offenceur
,
elle pour
roit s'en souvenir encor
après son mariage, son
amant n'est pas prest
non plus d'oublier son
amour, je viens de le
rvoir
,
j'ai voulu le puinir,
en lui laissantcroire
[pendant vingt-quatre
heures qu'il feroit malheureux
par son imprudence,
il en est assez puni,
car il a pensé mourir
cette nuit, je m'apperçois
aussique vôtre
fille est fort mal, voila
de ces maladies que fça-j
vent guerir les bons Medecins
: mariez-les tous
deux,voila mon Ordon.
nance. ]
Le jeune amant étoit
riche, la fille eût été
au desespoir; le pere
rut raisonnable, le mariage
se fit. le même
jour par l'entremise du
bon Medecin.
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Résumé : LE BON MEDECIN, HISTORIETTE.
Le texte relate l'histoire d'une jeune fille parisienne dont le père, un riche bourgeois, part en voyage à Rouen. Pendant son absence, la fille, qui apprécie de gérer le ménage, développe des sentiments pour un voisin. Ils s'aiment et envisagent de se marier, espérant obtenir le consentement du père à son retour. Cependant, la fille reçoit une lettre de son père annonçant qu'il lui a trouvé un mari à Rouen. Désespérée, elle envisage de mourir pour éviter ce mariage. Son amant, plus raisonnable, imagine un plan. Il se déguise en femme enceinte et se rend chez un médecin de Rouen, frère d'un médecin parisien, pour obtenir son aide. Le médecin, croyant que la 'fille' est enceinte d'un autre homme, accepte de l'aider à éviter le mariage. Le père, de retour, trouve sa fille malade et accepte la rupture du mariage arrangé. Le médecin et la fille ont une conversation équivoque, révélant finalement la vérité. Le père, l'amant et le médecin sont tous surpris. L'amant, désespéré, veut se suicider, mais la fille le chasse. Le médecin, comprenant la situation, propose de marier les deux jeunes gens. Le père accepte, et le médecin prescrit ce mariage comme remède à leur malheur.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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46
p. 101-120
AVANTURE de deux Officers.
Début :
Un riche bourgeois de Boulogne, bon homme, mais un peu foible [...]
Mots clefs :
Boulogne, Mariage, Capitaine, Père, Fille, Bal, Officiers, Aventure
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVANTURE de deux Officers.
AVANTVRE
de deux Officiers.
Lettre de Boulogne en
France. MONSIEVR,
Nouslisonsfortrégulièrement vostre Mercure en cette
Ville
J
mais ce que les Dames
Boulonoisesy aiment le mieux
ce
sont les bistoriettes; & commevous ne nous en avezpoint
donné les deux derniers rnoiJ)
nous avons creu que peut-estre
lessajets vous manquoient,voi-
cy une avanture qui vous pourra servir de canevas.
Un riche bourgeois de^
Boulogne, bon homme,
mais un peu foible d'elprit
& fort timide, avoit une
tresjolie filleà marier. Un
Capitaine de nostre garniton qui estoit son hoste,
prit un tel afeendant sur
le bon homme
,
quil ne
put luy refuser sa fille"en
mariage. Cette fille
,
qui
d'ailleurs n'avoit point
d'autreaffaire en teste.consentit par obeïssance à l'épouser, le mariage fut re-
solu. Cependant le pere
nevoulutle conclure qu'aprés qu'il auroic fait un petit voyage à Diepe pour
quelques affaires qu'il falloit y
terminer avant que
de marier sa fille. Il l'emmena avec luy, & promit
au Capitaine qu'il feroit de
retour dans quinze jours
au plus tard.
Cette aimable fille estant arrivée à Diepe avec
son pere, trouva dès le mesme foir, dans l'auberge où
ils descendirent, un jeune
Officier qui devint passion-
nément amoureux d'elle
& s'en fit aimer en peu de
temps. Son pere quis'en
apperceut
,
luy deffendit
de voir le Cavalier. Mais
il n'avoit pas assez de fermeté pour deffendre au Cavalier de lavoir illa vit
en sa presence, & se fit
mesme si bien connoistre
pour homme de famille
noble & riche, que le bon
homme l'eustpréféré au
Capitaines'il eust osé Pour
achever de le déterminer
nostre Cavaliercreut avoir
besoin de luy prouver la
naissance & les richesses.
Il avoit une Terre à dix
lieues de Diepe,oùilfit
un petit voyage de deux
jours feulement pour en
rapporter ses titres & autres preuves convainquantes de ce qu'il estoit.Mais
ce voyage luy cousta cher;
car des qu'il fut party, le
pere ayant terminéses affaires plustost qu'il ne croyoit, & se remettant dans
ridée un Capitaine fier,
emporté, & mesme un peu
brutal., à qui il avoit promis, & qu'il retrouveroit
dans sa maison, sa timidité
le reprit,&il remmena en
diligence sa fille à Boulo
gne, pourconclure avant
que ce nouvel Amant peust
les rejoindre. Le Capitaine
qui attendoit avec impatience le retour de sa maistresse
,
pressa le mariage,
mais elle faisois naistre des
sujets de retardement de
jourenjour. Efin le pere
n'ayant plus la force de resiller à l'empressement du
Capitaine, prépara les noces pour le lendemain.
Cependant l'Officier a-
moureux estant de retour
à Diepe avoit ésté surpris,
comme vous pouvez croire,
de n'y plusretrouver sa
Maistresse.Il cherchoit une
voiture pour Boulogne
,
lorsqu'un Pilote luy promit de l'y mener par mer
en fort peu de temps. Il
accepta le party & s'embarqua. Lesvoilâ en mer
avec un ventsi favorable
qu'ils croyoient desja toucher sa rade de Boulogne
}{)rfqu"'ils apperçûrent un
petit Vaisseau qui venoit
sureux; c'estoit un Capre
Hollandois. Il yavoit avec
cet Officier plusieurs Soldats ramaffcz qui alloient
aussî à Boulogne. L'Officier remarquant que. le
Capre estoit sans canon
,
exhorta les Soldatsà se bien
deffendre
y:
mais les Hollandois
,en nombre fort
superieur,vinrent à l'abordage. Enfin l'Officierfut
fait prisonnier, & ceux qui
le prirent, le voyant magnifiquement vestu,se flaterent d'une forre rançon,
&mirent le Cap versFlessingues. Imaginez-vous le.
desespoir de nostreAmant.
Les Corsaires qui l'avoient
pris n'entendoient point
sa langue: mais par bonheur pour luy un des Equipes du Capre parloit un
peu François
,
& luy servant d'interprete
,
il luy
menagea un accommodement On convint qu'il
leur donneroit en nandissement quelques uns des papiers qu'il avoit sur luy, &
sa parole d'honneur, que
les Corsaires accepterent
sur sa bonne mine, moyennant quoy on le relaschaà
Boulogne feulement pour
vingt
- quatre heures de
temps qu'il leur demanda.
Dés que l'Officier fut
dansla Villeil courut chez
sa Maistresse où le Pere
fut fort surpris de le voir
arriver. Le Pere, la Fille.
&l'Amant, eurent ensemble un éclaircissement, apréslequelJe bon homme,
felon sa foiblessè ordinaire )
témoigna à l'Officier
qu'il eust voulu de bon
coeur luy accorder sa Fille:
mais qu'il craignoit ce Ca-
-
pitaine à qui il avoit donné
sa parole.
L'Officier, sans rien tesmoigner d'un déssein qu'il
avoir sceut adroitement
le nom & la demeure de
ce Capitaine dans Boulogne, & dit au pere qu'il
alloit chercher quelque
moyen d'accommodement à cette affaire. Il
entra dans l'Auberge où
mangeoit ce Capitaine,
dans le moment qu'on alloit Couper. Dès qu'ille
vit entrer il le regardasixement
,
il fut de son
costé
,
surpris en arafii-
geant ce Capitaine, & leur
surprise mutuelle venoit de
ce qu'ils se trouverent un
certain air de ressemblance l'un à l'autre qui les
frappa réciproquement en
mesme temps.
Le dessein de l'Officier,
en allant chercher son rival, estoit de trouver occasion de querelle pour (c
battre contre luy. Mais
cette ressemblance, qui
frappa aussi ceux qui cc..
toient presents
,
fut occasion pour eux d'obliger les
deux Sosiesà boire enfemble.
ble. L'Officier ne put se
dispenser de se mettre à
table avec eux. Il fut triste
ôc réveur pendant tour le
souper: mais le vin qu'on y
butayantmis le Capitaine
en gayeté
,
illuy vint une
imagination gaillardequi
donna lieuànostreOfficier
d'imaginer de son costé ce
que vous verrez dans la
fuite.
Il y
avoit un Bal d'esté
pour une noce chez un
Bourgeois considerable.
Le Capitaine proposa à
l'Officier pour toute mas-
carade de troquer d'habit
avec luy, ce qui fut execu- téeUs allèrent au bal ensemble. Jen'ay point sceu
ce qui s'y passa
,
mais ces
deux honlmes)l'ris apparemment l'un pour fautre,
donneraient sujet à ceux
qui voudroient faire une
Historietre de cette Avanture de s'estendre agréablement sur les méprises
quecela putcauser.
Sur les quatre heures du
matirr leBalfinir,& l'Ofsicier changea le dessein
qu'ilavoit de se battre con-
tre son rival, imaginant un
moyen plus doux pour s'en
défaire, il luy proposa de.
luy donner un déjeuner
mariti)se disant Capitaine
duVaisseau qui l'attendoit.
où illuy promit de donner
mesme s'il vouloit une feste
marine à sa maistresse
,
le
beautemps invita le Capitaine à voir leverl'aurore
ftrr la mer,il accepta le déjeûner,&l'Officierluy demanda seulement un quart
d'heure pour une petite affaire, & le livra à son valet
à qui il avoit doiiiiè le mot
pour le mener tousjours
devant au vaisseau qui attendoit à la rade son prisonnier. CeCapitainefortant du bal n'avoit point
encore change d'habit, ôc
marchoir vers la rade suivy du valet, qui luy dit
comme par une reflexion
soudaine qui luy venoit;je
prévois une plaisante chose,
Monsieur; c'est
que tous lesgens
du Jfaijjcdu de mon Maistre
HJQUS vont prendre pour luy ;
Ce Capiraine prit goust à
la plaisanterie, & dit qu'il
falloit voir s'ils s'y
nié-
prendroient. Ilfaut remarquer que ce valct avoir prévenu ces gensla que ion
Maistre reviendroit; mais
qu'il avoit bu toute lanuit,
& qu'ils ne prissent pas
garde à
ses folies, le Capitaine qui avoit en effet
du vin dans la teste, aborda le vaisseau en criant,
enfans prenez les Armes,
voilà vostre Capitaine qui
revient? en ce moment le
valet leur fit figne qu'ils
le receussent
,
& se sauva sans rien dire pendant
qu'ils faisoienc les hon-
neurs du vaisseau
,
à
celuy
qu'ils croyoient leur prisonnier, trompez par l'habit & la ressemblance.
1
Quand cette ceremonie
eut duréun certain temps,
les Hollandois s'en lasserent, & ayant prrs le large,
le traiterent comme feur
prilonnier qu'ilsemmenerentà Flessingue.
Le Capitaine estant étourdy dcvm & de surprise, & les Hollandais n'entendant pas sa langue, on
juge bien que ie^liirciflfement futimpossible
,
om
l'emmenade force,& il fue
quelquesjoursFlessingue
sans pouvoir retourner à
Boulogne
,
où le Pere
-
timide se mit fous la protection de son gendre,sur la
valeur duquel il se rassura
contre le retour du Capitaine
,
trouvant rautre un
meilleur party pour sa fille
,
le mariage fut conclu avant que le Capitaine
fust revenu de Flessingue,
ils se battirent quelque
temps aprés, leCapitaine
futblessé, tz on les accommoda ensuite de façon
qu'ils sont à present les
meilleurs amis du monde.
de deux Officiers.
Lettre de Boulogne en
France. MONSIEVR,
Nouslisonsfortrégulièrement vostre Mercure en cette
Ville
J
mais ce que les Dames
Boulonoisesy aiment le mieux
ce
sont les bistoriettes; & commevous ne nous en avezpoint
donné les deux derniers rnoiJ)
nous avons creu que peut-estre
lessajets vous manquoient,voi-
cy une avanture qui vous pourra servir de canevas.
Un riche bourgeois de^
Boulogne, bon homme,
mais un peu foible d'elprit
& fort timide, avoit une
tresjolie filleà marier. Un
Capitaine de nostre garniton qui estoit son hoste,
prit un tel afeendant sur
le bon homme
,
quil ne
put luy refuser sa fille"en
mariage. Cette fille
,
qui
d'ailleurs n'avoit point
d'autreaffaire en teste.consentit par obeïssance à l'épouser, le mariage fut re-
solu. Cependant le pere
nevoulutle conclure qu'aprés qu'il auroic fait un petit voyage à Diepe pour
quelques affaires qu'il falloit y
terminer avant que
de marier sa fille. Il l'emmena avec luy, & promit
au Capitaine qu'il feroit de
retour dans quinze jours
au plus tard.
Cette aimable fille estant arrivée à Diepe avec
son pere, trouva dès le mesme foir, dans l'auberge où
ils descendirent, un jeune
Officier qui devint passion-
nément amoureux d'elle
& s'en fit aimer en peu de
temps. Son pere quis'en
apperceut
,
luy deffendit
de voir le Cavalier. Mais
il n'avoit pas assez de fermeté pour deffendre au Cavalier de lavoir illa vit
en sa presence, & se fit
mesme si bien connoistre
pour homme de famille
noble & riche, que le bon
homme l'eustpréféré au
Capitaines'il eust osé Pour
achever de le déterminer
nostre Cavaliercreut avoir
besoin de luy prouver la
naissance & les richesses.
Il avoit une Terre à dix
lieues de Diepe,oùilfit
un petit voyage de deux
jours feulement pour en
rapporter ses titres & autres preuves convainquantes de ce qu'il estoit.Mais
ce voyage luy cousta cher;
car des qu'il fut party, le
pere ayant terminéses affaires plustost qu'il ne croyoit, & se remettant dans
ridée un Capitaine fier,
emporté, & mesme un peu
brutal., à qui il avoit promis, & qu'il retrouveroit
dans sa maison, sa timidité
le reprit,&il remmena en
diligence sa fille à Boulo
gne, pourconclure avant
que ce nouvel Amant peust
les rejoindre. Le Capitaine
qui attendoit avec impatience le retour de sa maistresse
,
pressa le mariage,
mais elle faisois naistre des
sujets de retardement de
jourenjour. Efin le pere
n'ayant plus la force de resiller à l'empressement du
Capitaine, prépara les noces pour le lendemain.
Cependant l'Officier a-
moureux estant de retour
à Diepe avoit ésté surpris,
comme vous pouvez croire,
de n'y plusretrouver sa
Maistresse.Il cherchoit une
voiture pour Boulogne
,
lorsqu'un Pilote luy promit de l'y mener par mer
en fort peu de temps. Il
accepta le party & s'embarqua. Lesvoilâ en mer
avec un ventsi favorable
qu'ils croyoient desja toucher sa rade de Boulogne
}{)rfqu"'ils apperçûrent un
petit Vaisseau qui venoit
sureux; c'estoit un Capre
Hollandois. Il yavoit avec
cet Officier plusieurs Soldats ramaffcz qui alloient
aussî à Boulogne. L'Officier remarquant que. le
Capre estoit sans canon
,
exhorta les Soldatsà se bien
deffendre
y:
mais les Hollandois
,en nombre fort
superieur,vinrent à l'abordage. Enfin l'Officierfut
fait prisonnier, & ceux qui
le prirent, le voyant magnifiquement vestu,se flaterent d'une forre rançon,
&mirent le Cap versFlessingues. Imaginez-vous le.
desespoir de nostreAmant.
Les Corsaires qui l'avoient
pris n'entendoient point
sa langue: mais par bonheur pour luy un des Equipes du Capre parloit un
peu François
,
& luy servant d'interprete
,
il luy
menagea un accommodement On convint qu'il
leur donneroit en nandissement quelques uns des papiers qu'il avoit sur luy, &
sa parole d'honneur, que
les Corsaires accepterent
sur sa bonne mine, moyennant quoy on le relaschaà
Boulogne feulement pour
vingt
- quatre heures de
temps qu'il leur demanda.
Dés que l'Officier fut
dansla Villeil courut chez
sa Maistresse où le Pere
fut fort surpris de le voir
arriver. Le Pere, la Fille.
&l'Amant, eurent ensemble un éclaircissement, apréslequelJe bon homme,
felon sa foiblessè ordinaire )
témoigna à l'Officier
qu'il eust voulu de bon
coeur luy accorder sa Fille:
mais qu'il craignoit ce Ca-
-
pitaine à qui il avoit donné
sa parole.
L'Officier, sans rien tesmoigner d'un déssein qu'il
avoir sceut adroitement
le nom & la demeure de
ce Capitaine dans Boulogne, & dit au pere qu'il
alloit chercher quelque
moyen d'accommodement à cette affaire. Il
entra dans l'Auberge où
mangeoit ce Capitaine,
dans le moment qu'on alloit Couper. Dès qu'ille
vit entrer il le regardasixement
,
il fut de son
costé
,
surpris en arafii-
geant ce Capitaine, & leur
surprise mutuelle venoit de
ce qu'ils se trouverent un
certain air de ressemblance l'un à l'autre qui les
frappa réciproquement en
mesme temps.
Le dessein de l'Officier,
en allant chercher son rival, estoit de trouver occasion de querelle pour (c
battre contre luy. Mais
cette ressemblance, qui
frappa aussi ceux qui cc..
toient presents
,
fut occasion pour eux d'obliger les
deux Sosiesà boire enfemble.
ble. L'Officier ne put se
dispenser de se mettre à
table avec eux. Il fut triste
ôc réveur pendant tour le
souper: mais le vin qu'on y
butayantmis le Capitaine
en gayeté
,
illuy vint une
imagination gaillardequi
donna lieuànostreOfficier
d'imaginer de son costé ce
que vous verrez dans la
fuite.
Il y
avoit un Bal d'esté
pour une noce chez un
Bourgeois considerable.
Le Capitaine proposa à
l'Officier pour toute mas-
carade de troquer d'habit
avec luy, ce qui fut execu- téeUs allèrent au bal ensemble. Jen'ay point sceu
ce qui s'y passa
,
mais ces
deux honlmes)l'ris apparemment l'un pour fautre,
donneraient sujet à ceux
qui voudroient faire une
Historietre de cette Avanture de s'estendre agréablement sur les méprises
quecela putcauser.
Sur les quatre heures du
matirr leBalfinir,& l'Ofsicier changea le dessein
qu'ilavoit de se battre con-
tre son rival, imaginant un
moyen plus doux pour s'en
défaire, il luy proposa de.
luy donner un déjeuner
mariti)se disant Capitaine
duVaisseau qui l'attendoit.
où illuy promit de donner
mesme s'il vouloit une feste
marine à sa maistresse
,
le
beautemps invita le Capitaine à voir leverl'aurore
ftrr la mer,il accepta le déjeûner,&l'Officierluy demanda seulement un quart
d'heure pour une petite affaire, & le livra à son valet
à qui il avoit doiiiiè le mot
pour le mener tousjours
devant au vaisseau qui attendoit à la rade son prisonnier. CeCapitainefortant du bal n'avoit point
encore change d'habit, ôc
marchoir vers la rade suivy du valet, qui luy dit
comme par une reflexion
soudaine qui luy venoit;je
prévois une plaisante chose,
Monsieur; c'est
que tous lesgens
du Jfaijjcdu de mon Maistre
HJQUS vont prendre pour luy ;
Ce Capiraine prit goust à
la plaisanterie, & dit qu'il
falloit voir s'ils s'y
nié-
prendroient. Ilfaut remarquer que ce valct avoir prévenu ces gensla que ion
Maistre reviendroit; mais
qu'il avoit bu toute lanuit,
& qu'ils ne prissent pas
garde à
ses folies, le Capitaine qui avoit en effet
du vin dans la teste, aborda le vaisseau en criant,
enfans prenez les Armes,
voilà vostre Capitaine qui
revient? en ce moment le
valet leur fit figne qu'ils
le receussent
,
& se sauva sans rien dire pendant
qu'ils faisoienc les hon-
neurs du vaisseau
,
à
celuy
qu'ils croyoient leur prisonnier, trompez par l'habit & la ressemblance.
1
Quand cette ceremonie
eut duréun certain temps,
les Hollandois s'en lasserent, & ayant prrs le large,
le traiterent comme feur
prilonnier qu'ilsemmenerentà Flessingue.
Le Capitaine estant étourdy dcvm & de surprise, & les Hollandais n'entendant pas sa langue, on
juge bien que ie^liirciflfement futimpossible
,
om
l'emmenade force,& il fue
quelquesjoursFlessingue
sans pouvoir retourner à
Boulogne
,
où le Pere
-
timide se mit fous la protection de son gendre,sur la
valeur duquel il se rassura
contre le retour du Capitaine
,
trouvant rautre un
meilleur party pour sa fille
,
le mariage fut conclu avant que le Capitaine
fust revenu de Flessingue,
ils se battirent quelque
temps aprés, leCapitaine
futblessé, tz on les accommoda ensuite de façon
qu'ils sont à present les
meilleurs amis du monde.
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Résumé : AVANTURE de deux Officers.
Le texte narre une aventure impliquant un riche bourgeois de Boulogne, sa fille, un capitaine et un officier. Le bourgeois, timide et faible d'esprit, accepte de marier sa fille à un capitaine logé chez lui. Lors d'un voyage à Dieppe, la fille rencontre un officier qui tombe amoureux d'elle et réciproquement. Malgré l'interdiction de son père, la fille continue de voir l'officier. Pour prouver sa noblesse et sa richesse, l'officier part en voyage mais est capturé par des corsaires hollandais. Il est libéré à condition de revenir à Boulogne pour payer une rançon. À son retour, il découvre que la fille doit épouser le capitaine le lendemain. Pour résoudre la situation, l'officier invite le capitaine à bord d'un vaisseau, où ce dernier est capturé à son tour par les Hollandais. Rassuré par l'absence du capitaine, le père conclut le mariage entre sa fille et l'officier. Plus tard, le capitaine, blessé et libéré de Flessingue, se réconcilie avec l'officier, et ils deviennent amis.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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47
p. 120-133
Lettre de Madame D. T. aprés sa petite verole, en luy envoyant le jour de sa feste un Collier de Perles en las d'amour.
Début :
Me promenant hier au soir plus tard qu'à mon ordinaire [...]
Mots clefs :
Amour, Vérole, Mère, Collier, Fils, Vénus, Coeurs, Amours
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texteReconnaissance textuelle : Lettre de Madame D. T. aprés sa petite verole, en luy envoyant le jour de sa feste un Collier de Perles en las d'amour.
Lettre de Madame D. T.après
sa petite verole
y
en luyenvoyant lejourdesafesteun
Collierde Perles en
lasd'amour.
ME
promenant hier au
foir plus tard qu'à mon ordinaire ilmarriva, Madame, une avanture assez furprenante pour meriter de
vous estre racontée.
J'admiroisenresyant,les
beautés de la nuit,
Quand
Quand tout à
coup un
agréable bruit,
En estvenu troublerlepaisiblesilence.
Oncntendoit partoutmiliè nouveaux concerts,
Plusieurs essains d'amours
se voyoient dansles airs.
Qui sembloient vers Paphos, voler en diligence
Je fis pour leur parler des
-
effortssuperflus,
Tous ces frippons ne me
-
connoissent plus.
Je leur demandois des nouve lles
Du dessein qui les con-
duisoit;
Mais c'estoit vainement,
pas un ne répondait, ;
Ilss'en suyoient à tire d'ailes,
Enfin un vieux amour,
qui marchoit lentement,
Daigna s'arrester pour
m'entendre
1
Je le conjuray de m'apprendre
Où ses freres alloient avec
., empressement
Je veux, dit-il, vous en instruire
1* Vousm'entendrez Vous m'enten avec d plaisir,
rez aveç
Alors pour contenter mon
curieux désir,
En deux mots il m'apprit
ce que vous allez lire.
Avant que d'aller plus
loin, vous ferez peut estre surprise de l'epithéte
que j'ay donnée à l'amour
qui me parla. Sa vieillesse
ne paroiss pascompatible
avec la Divinité qu'on accorde au fils de Venus:
Mais Madame.
Ces Dieux, tout Dieux
qu'ils sont reconnoissent le temps,
A ses Loix ils s'assujettissent.
Tous les Poëtes ont beau
nous les dépeindre enfans,
il n'estque trop certain
que les amours vieillissent,
Mais helas!c'estbien pis,
ils meurent les amours
Plus malheureuxque nous
ne femmes,
Nous ne voyons pas que
-
leurs jours
Durent autant que ceux
-
des hommes.
Revevons à la conversation
quej'eusavec nostre amour
Barbon. Il commença par
me faire des excutes de
l'impolitesse de ceux qui ne
m'avoient pas écoutée. Il
fautleur pardonner,me ditil,carquoyque jevousconnoisse depuis longtemps,
& qu'un temps plusgalant.
que le leur m'ait vu naistre
}
je vous avouë que je
ne m'arreste icy qu'avec
peine.
De nostre empressement
: nevousestonez pas,
Nousfommes attendus par
l'amour & sa mere
,
Pour celebrer le retour des.
appas
D'une beauté qui vous ca
chere
Sans elle en ces climats
nous ferions inconnus;
Qu'elle nous acauséd'allarmes !
Si le fort n'eust rendu ses at-
,
traitsànos larmes ,-'
N'en déplaise au fils de
Venus,
Il pouvoit renoncer au pouvoir de ses armes;
-
Ce Dieu perdoit,malgré
'ses charmes,
Le plus clair de sesrevenus.
A peine eut-il fini ces
mots, qu'il me laissa remplie d'estonnement & d'un
desir extresme de me trouver à une feste que je compris bien qui me regardoir.
La tendre amitié ma compagne ordinaire
,
s'offrit à
m
y
conduire
,
elle me mit
sur ses ailles ( car elle ena
aussi-bien que l'amour) ôc
me ne arriver heureusement à Paphos, où le plus
beauspectacledumonde
estoit encore embelly par
la joye qu'on voyoit briller
dans les yeux de ceux qui
le composoient. Ma fidelle conductrices'alla placer
auprès de son frere, & je
me rangeay auprés des ris
qui m'amuserent par cent
agréables badineries, lorsqu'ils furent interrompus
pour aller achever la ceremonie.
Une aimable troupe de
jeux
En partant se mit à
leur telle
Onvoyoit marcher;aprés
eux 1
Les graces en habit defeste;
Les amours, couronnes
de fleurs,
Portoient en triompheles
- .', Cœurs :
Dont par tes yeux ils firent
la conqueste,
Avec des airs mélodieux
Ton nom montoit jusques
,
aux Cieux
Le Dieu charmant qu'on
adoreàCythere
Au pied du Throne de sa
! mere
Chantoit avec un cœur
d'amours,
Bannissons les tristes allarmes,
Iris a
repris tous ses charmes
Nous régnerons toûjours.
Ensuiteau lieu de feu de
joye, les Amours donne- u
rent aux cœurs qu'ils portoient la liberté de faire
briller leurs flâmmes, &
cela fit pendant quelque
temps un très-agréableeffet, après que ces pauvres
cœurs furent consumez,
Cupidon assembla ses plus
tendres amis, & leur dit
qu'il manqueroit toû jours
quelque chose à sa gloire,
tant que vous ne seriezpas
sous son Empire; que pour
vous y
soumettre il avoit,
souvent eu recours à ses
plus puissantes armes; mais
que puisqu'il vous trouvoic
toujours en garde contre
ses traits, il vouloit se servir d'un autre moyen pour
vous attirer. Il commanda
sur l'heure que l'ontravail
last à un certainnombre de
lacs d'amour ,sur lesquels
il prétendoit répandre un
charme,auquel vous ne
pourriez resister;mais l'A..
mIne attentive à vos interefis & aux siens, s'en saisit
avant qu'il eust eule temps
d'executer son dessein
)
&
me les donna tels que je
vous les envoye.
Iris, reçois ces nœuds, que
rien ne t'épouvante.
Ils furent volez à l'amour,
Et c'est par mes mains en
ce jour
Que l'amitié te les pre
sente;
Elle prétend te fixer dans
sa Cour,
Daigne rcfpondre àson attente
Pour réüssir dans ses projets
C'est en toy feule qu'elle
espere,
Jillç veut avoir des su jets
Aussi vifs que ceux de foa
-
frere.
sa petite verole
y
en luyenvoyant lejourdesafesteun
Collierde Perles en
lasd'amour.
ME
promenant hier au
foir plus tard qu'à mon ordinaire ilmarriva, Madame, une avanture assez furprenante pour meriter de
vous estre racontée.
J'admiroisenresyant,les
beautés de la nuit,
Quand
Quand tout à
coup un
agréable bruit,
En estvenu troublerlepaisiblesilence.
Oncntendoit partoutmiliè nouveaux concerts,
Plusieurs essains d'amours
se voyoient dansles airs.
Qui sembloient vers Paphos, voler en diligence
Je fis pour leur parler des
-
effortssuperflus,
Tous ces frippons ne me
-
connoissent plus.
Je leur demandois des nouve lles
Du dessein qui les con-
duisoit;
Mais c'estoit vainement,
pas un ne répondait, ;
Ilss'en suyoient à tire d'ailes,
Enfin un vieux amour,
qui marchoit lentement,
Daigna s'arrester pour
m'entendre
1
Je le conjuray de m'apprendre
Où ses freres alloient avec
., empressement
Je veux, dit-il, vous en instruire
1* Vousm'entendrez Vous m'enten avec d plaisir,
rez aveç
Alors pour contenter mon
curieux désir,
En deux mots il m'apprit
ce que vous allez lire.
Avant que d'aller plus
loin, vous ferez peut estre surprise de l'epithéte
que j'ay donnée à l'amour
qui me parla. Sa vieillesse
ne paroiss pascompatible
avec la Divinité qu'on accorde au fils de Venus:
Mais Madame.
Ces Dieux, tout Dieux
qu'ils sont reconnoissent le temps,
A ses Loix ils s'assujettissent.
Tous les Poëtes ont beau
nous les dépeindre enfans,
il n'estque trop certain
que les amours vieillissent,
Mais helas!c'estbien pis,
ils meurent les amours
Plus malheureuxque nous
ne femmes,
Nous ne voyons pas que
-
leurs jours
Durent autant que ceux
-
des hommes.
Revevons à la conversation
quej'eusavec nostre amour
Barbon. Il commença par
me faire des excutes de
l'impolitesse de ceux qui ne
m'avoient pas écoutée. Il
fautleur pardonner,me ditil,carquoyque jevousconnoisse depuis longtemps,
& qu'un temps plusgalant.
que le leur m'ait vu naistre
}
je vous avouë que je
ne m'arreste icy qu'avec
peine.
De nostre empressement
: nevousestonez pas,
Nousfommes attendus par
l'amour & sa mere
,
Pour celebrer le retour des.
appas
D'une beauté qui vous ca
chere
Sans elle en ces climats
nous ferions inconnus;
Qu'elle nous acauséd'allarmes !
Si le fort n'eust rendu ses at-
,
traitsànos larmes ,-'
N'en déplaise au fils de
Venus,
Il pouvoit renoncer au pouvoir de ses armes;
-
Ce Dieu perdoit,malgré
'ses charmes,
Le plus clair de sesrevenus.
A peine eut-il fini ces
mots, qu'il me laissa remplie d'estonnement & d'un
desir extresme de me trouver à une feste que je compris bien qui me regardoir.
La tendre amitié ma compagne ordinaire
,
s'offrit à
m
y
conduire
,
elle me mit
sur ses ailles ( car elle ena
aussi-bien que l'amour) ôc
me ne arriver heureusement à Paphos, où le plus
beauspectacledumonde
estoit encore embelly par
la joye qu'on voyoit briller
dans les yeux de ceux qui
le composoient. Ma fidelle conductrices'alla placer
auprès de son frere, & je
me rangeay auprés des ris
qui m'amuserent par cent
agréables badineries, lorsqu'ils furent interrompus
pour aller achever la ceremonie.
Une aimable troupe de
jeux
En partant se mit à
leur telle
Onvoyoit marcher;aprés
eux 1
Les graces en habit defeste;
Les amours, couronnes
de fleurs,
Portoient en triompheles
- .', Cœurs :
Dont par tes yeux ils firent
la conqueste,
Avec des airs mélodieux
Ton nom montoit jusques
,
aux Cieux
Le Dieu charmant qu'on
adoreàCythere
Au pied du Throne de sa
! mere
Chantoit avec un cœur
d'amours,
Bannissons les tristes allarmes,
Iris a
repris tous ses charmes
Nous régnerons toûjours.
Ensuiteau lieu de feu de
joye, les Amours donne- u
rent aux cœurs qu'ils portoient la liberté de faire
briller leurs flâmmes, &
cela fit pendant quelque
temps un très-agréableeffet, après que ces pauvres
cœurs furent consumez,
Cupidon assembla ses plus
tendres amis, & leur dit
qu'il manqueroit toû jours
quelque chose à sa gloire,
tant que vous ne seriezpas
sous son Empire; que pour
vous y
soumettre il avoit,
souvent eu recours à ses
plus puissantes armes; mais
que puisqu'il vous trouvoic
toujours en garde contre
ses traits, il vouloit se servir d'un autre moyen pour
vous attirer. Il commanda
sur l'heure que l'ontravail
last à un certainnombre de
lacs d'amour ,sur lesquels
il prétendoit répandre un
charme,auquel vous ne
pourriez resister;mais l'A..
mIne attentive à vos interefis & aux siens, s'en saisit
avant qu'il eust eule temps
d'executer son dessein
)
&
me les donna tels que je
vous les envoye.
Iris, reçois ces nœuds, que
rien ne t'épouvante.
Ils furent volez à l'amour,
Et c'est par mes mains en
ce jour
Que l'amitié te les pre
sente;
Elle prétend te fixer dans
sa Cour,
Daigne rcfpondre àson attente
Pour réüssir dans ses projets
C'est en toy feule qu'elle
espere,
Jillç veut avoir des su jets
Aussi vifs que ceux de foa
-
frere.
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Résumé : Lettre de Madame D. T. aprés sa petite verole, en luy envoyant le jour de sa feste un Collier de Perles en las d'amour.
Madame D. T. relate une aventure nocturne au cours de laquelle elle observe des amours volants. Elle tente de leur parler, mais seul un vieillard s'arrête. Ce dernier lui explique que les amours se dirigent vers Paphos pour célébrer le retour des charmes d'une beauté chère à Madame D. T. Le vieillard, un amour vieillissant, révèle que les amours meurent plus tôt que les femmes et les hommes. Il s'excuse pour l'impolitesse des autres amours et explique leur présence par le retour des attraits de cette beauté. Madame D. T. est ensuite conduite à Paphos par l'amitié, où elle assiste à une fête en son honneur. Les amours et les grâces célèbrent son retour. Cupidon exprime son désir de soumettre Madame D. T. à son empire. L'amitié intervient pour la protéger en lui offrant des lacs d'amour volés à Cupidon, espérant qu'elle les accepte pour la fixer dans sa cour.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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48
p. [3]-35
LA CONSTANCE des femmes.
Début :
Une fille de condition, nommée Therese, nous servira de modele, [...]
Mots clefs :
Constance, Amant, Honoré d'Urfé, Fiction, Officier, Avocat, Jalousie, Armateur, Époux
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texteReconnaissance textuelle : LA CONSTANCE des femmes.
LA CONSTANCE
desfemmes.
NE fille de condition , nommée
Therefe ,nous fervira de modele , non pas
A ij
4 MERCURE
pour ces conftances heroïques & prodigieufes,
qu'on ne connoît gueres
que par tradition mais
de celles qu'on peut vraifemblablement attendre
d'une femme , & par
confequent d'un hom
me ; car les deux fexes
'n'ont rien àfe reprocher
là -deffus.
Therefe étoit charmante de fa perfonne ,
trés-jeune , & fi peu experimentée , qu'elle ne
GALANT.
རྒྱུན །
જે
connoiffoit encore l'amour que par les Romans. Elle fe fentoit une
fi grande difpofition à
la conftance , qu'elle difoit quelquefois : Non,
je ne veuxjamais aimer,
la vie eft trop courte , une
conftance defoixante ans
ne feroit pas contentement
pour moy. En d'autres
momens elle faifoit reflexion que puis qu'il
faloit aimer neceffairement , il étoit bon de
A iij
6
MERCURE
commencer trés- jeune ,
afin de pouffer la conf
tance le plus loin qu'il
étoit poffible. Elle prit
ce dernier parti , & dés
le lendemain elle fut
épriſe du fils d'un Armateur de faint Malo
Ce jeune homme devint
paffionnément amou
reux d'elle , & au boutde quelque temps on.
parla de mariage. Le
parti parut bon à la mere
de Therefe : mais le jeur-
GALANT. 7
ne homme étant obligé
de fuivre fon pere , qui
faifoit une nouvelle
courſe en mer , ne put
obtenir fon confentemént que pour le reFour. Cependant on convint des articles , on ſe
donna des paroles d'hon
neur , & les amans s'en
donnerent de bien plus.
inviolables , ils fe jurerent un amour éternel
L'Armateur promit de
revenir dans trois mois;
1
A iiij
& MERCURE
& le voila embarqué.
Quelle épreuve pour
Therefe! Devaſtes mers
la feparent defon amant:
mais cette feparation ne
fait que redoubler fon
amour, & les trois mois
d'abſence lui parurent fi
longs , qu'on peut bien
les lui compter pour
trois années de conftance. Cependant elle la
pouffa plus loin ; car fon
amant nerevenant point
encore au bout de fix
GALANT.
autres mois , elle étoit fi
affligée , quefa mere n'ofa lui parler d'un autre
parti qui fe prefentoit.
Elle eut beau lui infi f
nuer que peut- être l'Armateur ne reviendroit
jamais ; elle lui fit même foupçonner que ce
vaiffeau avoit peri : mais
Therefe proteftoit une
fidelité égale pour fon
amant mort ou vif.
Un an entier s'étant
écoulé, & la mere & la
10 MERCURE
fille crurent réellement
que l'Armateur ne reviendroit jamais. On le
pleura commemort pen
dant quelques jours; &
la mere, fans parler de
rien à fa fille , fit trou
yer, comme par hazard,
le fecond amant chez
uneparente , où ellemena fa fille C'étoit un
jeune Officier , fait pour
donner de l'amour , &
qui avoit tout l'efprit
poffible. Il étoit conve
GALANT. H
nu avec la mere qu'il faloit prendre Thereſe par
fon foible. Il la loùa d'abord fur le vœu qu'elle.
avoit fait de ne fe jamais.
marier après avoir perdu
ce qu'elle aimoit. Cette
converfation ne pouvoit
manquer de lui plaire ,
étant fi conforme aux
reſolutions qu'elle avoit
prifes. Elle retournaplu
fieurs fois chez fa parente , où les exhortations
que cet Officier lui fit
IZ MERCURE
fur la conftance produi
firent infenfiblement un
effet contraire , & elle
commença à raifonner
ainfi : Pour aimer bien
conftamment il faut être
aimé de même , & cet
homme- ci aẞureroit mi
conftance par la fienne ,f
jamais je pouvois l'aimer.
Un autre raifonncment que lui fit cët ingenieux amant acheva
de la determiner ; car il
GALANT.
13
Jui prouva qu'elle ne
pouvoit ſe vanter d'être
conftante fans avoir été
mariée, parce que le mariage étoit la pierre de
touche de la conftance,
Therefe , qui tendoit
toûjours à la perfection
de cette vertu , & qui
ne pouvoit la poffeder
éminemment fans fe
marier, prefera pour cette raifon feule l'amant
vivant à l'amant mort :
& peu de temps aprés
14 MERCURE
ce ſecond mariage fut
auffi avancé que l'avoit
été le premier: mais par
malheur il vint à l'Officier un ordre de la Cour
pour aller en Flandres.
Il falut partir dans le
moment , paroles données comme avec l'Armateur, pareils fermens
entre Therefe & l'Officier. Mais les chagrins
de l'abfence furent plus
violens ; car elle aimoit
celui - ci plus que l'au-
GALANT. I
tre , ou , pour mieux di
te, l'amour qu'elle avoit
pour l'Officier lui perfuadoit qu'elle n'avoit
jamais aimé l'Armateurs
car elle le croyoit incapable de changer. Elle
changea pourtant , je ne
vous dirai point par
quels motifs mais , à
coup fûr , ce fut pour
parvenir encore a une
conftance plus parfaite;
car fans cela elle n'en
auroit jamais aimé un
16. MERCURE
troifiéme. Celui-ci étoit
un Avocat , & la mere
conclut avec lui plus
promtement encore qu'-
avec les autres , craignant qu'il ne lui échapât ; car il étoit trés-riche. Le jourfut pris , les
articles furent dreffez :
mais il y avoit une fatalité fur les mariages
de Therefe , il étoit écrit
qu'ils ne feroient jamais
qu'ébauchez , & celui- ci
fut interrompu comme
Vous
To GALANT
. 17
Vous allez voir.
" L'Armateur étoit revenu depuis quelque
temps : mais ayant appris dans le voisinage
que fa maîtreffe aimoit
a
paffionnément l'Avocat,
& n'ayant pas d'ailleurs
fort bien fait fes affaires
fur mer , il jugea à pro
pos de nepoint paroître ,
& fe logea pourtant affez proche de la maiſon
où le faifoient les conferences pour le mariaMay 1712.
B
18 MERCURE
ge, qui fut enfin reſolu.
Le jour fut pris , on invita les parens de part &
d'autre : l'affemblée étoit
grave , & Thereſe en
habit paré y charmoit
l'époux futur, dont elle
étoit auffi charmée; ils fe
repaiffoient de regards ,
& de defirs , lors qu'on
vit entrer dans la falle
l'Officier , qui ne fe doutant encore de rien , venoit d'arriver en pofte
de l'armée. Il entre avec
GALANT. 19
la vivacité & les tranf
ports d'unjeune amant ;
& ne voyant que celle
qu'il aime, il court à elle.
Il la regardoit déja comme fon épouſe , & va
l'embraffer. Il eft receu
avec la froideur quevous
pouvez vous imaginer ,
Therefe eft deconcertée: l'époux futur ne l'eft
pas moins , de voir qu'un
homme d'épée a de fi
grands privileges fur fa
femme cette familia
Bij
20 MERCURE
rité l'alarme. L'Officier
tranſporté ne prend garde au defordre ni de l'un
ni de l'autre , & les yeux
fixes fut ce qu'il aime ,
il refte un moment immobile. Une pacenta
priée entre dans cet inftant, & va d'abord feliciter les époux. A fon
difcours l'Officier revient à lui elle conti
nuë, le voila prefque au
fait. Enfin la gravité de
l'affemblée & les come
GALANT 20
3%
plimens de la parente ne
finiffant point , lui expliquerent fi nettement
de quoy il s'agiffoit , qu
il refta immobile enco
re : mais ce n'étoit plus
de plaifir. L'Armateur ,,
premier époux en datte ,
ayant appris à la porte
ce qui fe paffoit dans la
falle , y entra juftement
dans le temps que tous
ceux qui compofoient
cette affemblée muette
fe regardoient les uns
22 MERCURE
los autres.
L'Armateur
étoit un homme froid &
malin , une espece de la
rancune.
Thereſe ne ſçayoit point fon retour ;
dés qu'elle l'apperçut ,
cefut un dernier coup de
maffue. Il marcha froi
dement vers elle, & l'embraffant auffi comme é
poux , il lui tint des dif
cours à faire mourir l'Avocatdejalousie, & l'Of
ficier de defefpoir. Son
difcours fut long ,
parce
GALANT: 23:
que perfonne n'avoit la
force de l'interrompre.
L'Avocat & l'Officier
eurent le foifir de pren--
dre leur parti , & ce fut
celui du mépris pour
Thereſe. Voici par où
l'Armateur finit.
*!
Dans le voyage que
j'ai fait j'ai oui dire à un
Poëte Arabe, que lafemme eft femblable à un ar
bre, &l'amour de la femme auxfeuilles de cet ar
bre. Elles naißent auprin--
24 MERCURE
temps ,fefoutiennent tout
l'été, tombent en automne. L'arbre produit
bien des feuilles le printemps fuivant : mais ce
ne font plus les mêmes.
L'Arabe conclut de là que
la durée des feuilles eft la
durée naturelle de la constance des femmes. Mon
fieur l'Officier & moy
nous avons eu chacun notreprintemps notre été,
il est jufte que Monfieur
L-Avacas foit aimé de mê
me
GALANT. 25.
me jufqu'à la chûte des
fülles ; il n'a qu'à voir
s'il veut s'engager là- def
Sus.
Vous parlez fort bien,
dit enfuite l'Avocat :
mais l'Arabe a oublié de
dire que fi dans le prin
temps mêmeon met la coignée dans le pied de l'arbre , les feuilles fe fechent
avant l'automne. fecrain
drois que le mariage nefift
àpeu près le même effet
de la coignée. Ainfi Ma
May1712.
C
26 MERCURE
demoiselle Therese restera , s'illui plaît,fille toute
Ja vie : cette constance
étant la plus glorieuſe de
toutes , c'est celle qui convient le mieux au defir
qu'elle a d'exceller dans
cette vertu.
Le Poëte Arabe ne
pouffe pas fi loin que nos
Poëtes les fictions fur les
amans conftans ; & je
croirois bien que la conſtance merveilleufe dont
plufieurs Poëtes fe font
GALANT. 27
vantez dans leurs vers,
n'a point paffé de leur
imagination jufques dás
leur coeur. Citons - en
quelque exemple , pour
prouver que c'eft faire
injuſtice aux Dames de
les croire plus inconftantes que les hommes.
Honoré Durfée , dans
fa preface du troifiéme
tome d'Aftrée , proteſte
à la riviere de Lignon
que le feu dont il brûla',
& qui donna naiffance
Cij
28 MERCURE
à ſon ouvrage , ne fut fi
conftant que parce qu'il
fut pur, & qu'il ne laiſſa
jamais de noirceur aprés
la brûlure à pas une de
fes actions & de fes defirs. Il ajoûte que la longueur des années n'en
avoit point diminué l'ardeur, & qu'il ne s'éteindroit quefous la terre de
fon tombeau. Voila le
Poëte , voici l'homme.
Son neveu dit qu'il n'épouſa Aftrée que par in-
GALAŃT. 29
térêt , & pour ne pas
laiffer échaper ſes biens ;
qu'il s'en dégoûta bien
vîte aprés l'avoir époufée , parce qu'elle étoit mal propre à
caufe de fes grands
chiens & c. qu'elle
exigeoit de lui des
tendreffes & des delicateſſes d'amans ; qu'-
elle le tourmentoit continuellement fur fes amourettes étrangeres ;
qu'elle étoit idolâC iii
30 MERCURE
tre de fa beauté , &
par confequent ridicule.
Tout cela l'obligea à la
quitter , & à fe retirer
à la Cour de Savoye,
Nous fommes inftruits
là-deffus par une tradi
tion certaine que Mon,
fieur Huet nous a con
fervée , & qu'il a tiréo
des neveux & amis
d'Honoré Durfé. Si la
tradition s'étoit confer
vée de la même maniere
à l'égard de la belle Lau,
J
GALANT. 31
re, nous verrions apparemment quelque chofe
d'approchant dans l'hif
toire de fes amours avec
Petrarque. Celui - ci ,
dans l'Epître où il fait le
recit de fa vie naturellement & fimplement ,
dit que dégouté du ſejour ennuyeux dela ville
d'Avignon , il s'étoit retiré à Forge , attiré par
la beauté du lieu & de
fa fontaine ; que là il
avoit compofé tous les
Ciiii
32 MERCURE
Ouvrages , quatam multa
fuerant , dit-il , ut ufque
ad hanc atatem me exerceant & defatigent. Ilne
parle point de Laure en
profe ; & quand il recite au vrai l'hiftoire de
fa vie , de fon efprit &
de fon coeur , il paroît
que Laure étoit l'idole
de fon imagination , &
le fantôme qui la remuoit & l'échauffoit.
C'étoit un fujet plûtôt
imaginé que fenti , ſur
1
GALANT. 33
lequel fa verve s'exerçoit. L'auteur de ſa vie
nous en fournit une bonne preuve , lors qu'il
nous affure que le Pape
Benoît XII. lui offrit
une difpenfe pourépoufer Laure , pour tenir
des Benefices étant marié , & même pour en
poffeder de nouveaux :
offres que Plutarque
n'auroit pas refufé comme il le fit , s'il avoit eu
une paffion , je ne dis pas
34 MERCURE
auffi extraordinaire que
celle qu'il chante , mais
feulement ordinaire &
veritable. Comment les
Poëtes que nous voyons
ne nous defabufent - ils
point des anciens que
nous lifons ? La duperie
eft naturelle à l'homme.
La fiction la plus groffiere & la plus découverte gagne toûjours le
deffus à la longue , pourveu qu'elle fçache ébloüir l'imagination ; &
GALANT. 35
ceux qui ont écrit publiquement, foit en vers,
foit en profe , ne viendroient pas à bout euxmêmes de détromper le
monde de leurs fictions ,
s'ils revenoient fur terre
pour nous avertir bien
confcientieuſement qu'
ils n'avoient pas deſſein
de tromper le monde ,
mais feulement de l'amufer & le divertir en
fe divertiffant eux- mêmes.
desfemmes.
NE fille de condition , nommée
Therefe ,nous fervira de modele , non pas
A ij
4 MERCURE
pour ces conftances heroïques & prodigieufes,
qu'on ne connoît gueres
que par tradition mais
de celles qu'on peut vraifemblablement attendre
d'une femme , & par
confequent d'un hom
me ; car les deux fexes
'n'ont rien àfe reprocher
là -deffus.
Therefe étoit charmante de fa perfonne ,
trés-jeune , & fi peu experimentée , qu'elle ne
GALANT.
རྒྱུན །
જે
connoiffoit encore l'amour que par les Romans. Elle fe fentoit une
fi grande difpofition à
la conftance , qu'elle difoit quelquefois : Non,
je ne veuxjamais aimer,
la vie eft trop courte , une
conftance defoixante ans
ne feroit pas contentement
pour moy. En d'autres
momens elle faifoit reflexion que puis qu'il
faloit aimer neceffairement , il étoit bon de
A iij
6
MERCURE
commencer trés- jeune ,
afin de pouffer la conf
tance le plus loin qu'il
étoit poffible. Elle prit
ce dernier parti , & dés
le lendemain elle fut
épriſe du fils d'un Armateur de faint Malo
Ce jeune homme devint
paffionnément amou
reux d'elle , & au boutde quelque temps on.
parla de mariage. Le
parti parut bon à la mere
de Therefe : mais le jeur-
GALANT. 7
ne homme étant obligé
de fuivre fon pere , qui
faifoit une nouvelle
courſe en mer , ne put
obtenir fon confentemént que pour le reFour. Cependant on convint des articles , on ſe
donna des paroles d'hon
neur , & les amans s'en
donnerent de bien plus.
inviolables , ils fe jurerent un amour éternel
L'Armateur promit de
revenir dans trois mois;
1
A iiij
& MERCURE
& le voila embarqué.
Quelle épreuve pour
Therefe! Devaſtes mers
la feparent defon amant:
mais cette feparation ne
fait que redoubler fon
amour, & les trois mois
d'abſence lui parurent fi
longs , qu'on peut bien
les lui compter pour
trois années de conftance. Cependant elle la
pouffa plus loin ; car fon
amant nerevenant point
encore au bout de fix
GALANT.
autres mois , elle étoit fi
affligée , quefa mere n'ofa lui parler d'un autre
parti qui fe prefentoit.
Elle eut beau lui infi f
nuer que peut- être l'Armateur ne reviendroit
jamais ; elle lui fit même foupçonner que ce
vaiffeau avoit peri : mais
Therefe proteftoit une
fidelité égale pour fon
amant mort ou vif.
Un an entier s'étant
écoulé, & la mere & la
10 MERCURE
fille crurent réellement
que l'Armateur ne reviendroit jamais. On le
pleura commemort pen
dant quelques jours; &
la mere, fans parler de
rien à fa fille , fit trou
yer, comme par hazard,
le fecond amant chez
uneparente , où ellemena fa fille C'étoit un
jeune Officier , fait pour
donner de l'amour , &
qui avoit tout l'efprit
poffible. Il étoit conve
GALANT. H
nu avec la mere qu'il faloit prendre Thereſe par
fon foible. Il la loùa d'abord fur le vœu qu'elle.
avoit fait de ne fe jamais.
marier après avoir perdu
ce qu'elle aimoit. Cette
converfation ne pouvoit
manquer de lui plaire ,
étant fi conforme aux
reſolutions qu'elle avoit
prifes. Elle retournaplu
fieurs fois chez fa parente , où les exhortations
que cet Officier lui fit
IZ MERCURE
fur la conftance produi
firent infenfiblement un
effet contraire , & elle
commença à raifonner
ainfi : Pour aimer bien
conftamment il faut être
aimé de même , & cet
homme- ci aẞureroit mi
conftance par la fienne ,f
jamais je pouvois l'aimer.
Un autre raifonncment que lui fit cët ingenieux amant acheva
de la determiner ; car il
GALANT.
13
Jui prouva qu'elle ne
pouvoit ſe vanter d'être
conftante fans avoir été
mariée, parce que le mariage étoit la pierre de
touche de la conftance,
Therefe , qui tendoit
toûjours à la perfection
de cette vertu , & qui
ne pouvoit la poffeder
éminemment fans fe
marier, prefera pour cette raifon feule l'amant
vivant à l'amant mort :
& peu de temps aprés
14 MERCURE
ce ſecond mariage fut
auffi avancé que l'avoit
été le premier: mais par
malheur il vint à l'Officier un ordre de la Cour
pour aller en Flandres.
Il falut partir dans le
moment , paroles données comme avec l'Armateur, pareils fermens
entre Therefe & l'Officier. Mais les chagrins
de l'abfence furent plus
violens ; car elle aimoit
celui - ci plus que l'au-
GALANT. I
tre , ou , pour mieux di
te, l'amour qu'elle avoit
pour l'Officier lui perfuadoit qu'elle n'avoit
jamais aimé l'Armateurs
car elle le croyoit incapable de changer. Elle
changea pourtant , je ne
vous dirai point par
quels motifs mais , à
coup fûr , ce fut pour
parvenir encore a une
conftance plus parfaite;
car fans cela elle n'en
auroit jamais aimé un
16. MERCURE
troifiéme. Celui-ci étoit
un Avocat , & la mere
conclut avec lui plus
promtement encore qu'-
avec les autres , craignant qu'il ne lui échapât ; car il étoit trés-riche. Le jourfut pris , les
articles furent dreffez :
mais il y avoit une fatalité fur les mariages
de Therefe , il étoit écrit
qu'ils ne feroient jamais
qu'ébauchez , & celui- ci
fut interrompu comme
Vous
To GALANT
. 17
Vous allez voir.
" L'Armateur étoit revenu depuis quelque
temps : mais ayant appris dans le voisinage
que fa maîtreffe aimoit
a
paffionnément l'Avocat,
& n'ayant pas d'ailleurs
fort bien fait fes affaires
fur mer , il jugea à pro
pos de nepoint paroître ,
& fe logea pourtant affez proche de la maiſon
où le faifoient les conferences pour le mariaMay 1712.
B
18 MERCURE
ge, qui fut enfin reſolu.
Le jour fut pris , on invita les parens de part &
d'autre : l'affemblée étoit
grave , & Thereſe en
habit paré y charmoit
l'époux futur, dont elle
étoit auffi charmée; ils fe
repaiffoient de regards ,
& de defirs , lors qu'on
vit entrer dans la falle
l'Officier , qui ne fe doutant encore de rien , venoit d'arriver en pofte
de l'armée. Il entre avec
GALANT. 19
la vivacité & les tranf
ports d'unjeune amant ;
& ne voyant que celle
qu'il aime, il court à elle.
Il la regardoit déja comme fon épouſe , & va
l'embraffer. Il eft receu
avec la froideur quevous
pouvez vous imaginer ,
Therefe eft deconcertée: l'époux futur ne l'eft
pas moins , de voir qu'un
homme d'épée a de fi
grands privileges fur fa
femme cette familia
Bij
20 MERCURE
rité l'alarme. L'Officier
tranſporté ne prend garde au defordre ni de l'un
ni de l'autre , & les yeux
fixes fut ce qu'il aime ,
il refte un moment immobile. Une pacenta
priée entre dans cet inftant, & va d'abord feliciter les époux. A fon
difcours l'Officier revient à lui elle conti
nuë, le voila prefque au
fait. Enfin la gravité de
l'affemblée & les come
GALANT 20
3%
plimens de la parente ne
finiffant point , lui expliquerent fi nettement
de quoy il s'agiffoit , qu
il refta immobile enco
re : mais ce n'étoit plus
de plaifir. L'Armateur ,,
premier époux en datte ,
ayant appris à la porte
ce qui fe paffoit dans la
falle , y entra juftement
dans le temps que tous
ceux qui compofoient
cette affemblée muette
fe regardoient les uns
22 MERCURE
los autres.
L'Armateur
étoit un homme froid &
malin , une espece de la
rancune.
Thereſe ne ſçayoit point fon retour ;
dés qu'elle l'apperçut ,
cefut un dernier coup de
maffue. Il marcha froi
dement vers elle, & l'embraffant auffi comme é
poux , il lui tint des dif
cours à faire mourir l'Avocatdejalousie, & l'Of
ficier de defefpoir. Son
difcours fut long ,
parce
GALANT: 23:
que perfonne n'avoit la
force de l'interrompre.
L'Avocat & l'Officier
eurent le foifir de pren--
dre leur parti , & ce fut
celui du mépris pour
Thereſe. Voici par où
l'Armateur finit.
*!
Dans le voyage que
j'ai fait j'ai oui dire à un
Poëte Arabe, que lafemme eft femblable à un ar
bre, &l'amour de la femme auxfeuilles de cet ar
bre. Elles naißent auprin--
24 MERCURE
temps ,fefoutiennent tout
l'été, tombent en automne. L'arbre produit
bien des feuilles le printemps fuivant : mais ce
ne font plus les mêmes.
L'Arabe conclut de là que
la durée des feuilles eft la
durée naturelle de la constance des femmes. Mon
fieur l'Officier & moy
nous avons eu chacun notreprintemps notre été,
il est jufte que Monfieur
L-Avacas foit aimé de mê
me
GALANT. 25.
me jufqu'à la chûte des
fülles ; il n'a qu'à voir
s'il veut s'engager là- def
Sus.
Vous parlez fort bien,
dit enfuite l'Avocat :
mais l'Arabe a oublié de
dire que fi dans le prin
temps mêmeon met la coignée dans le pied de l'arbre , les feuilles fe fechent
avant l'automne. fecrain
drois que le mariage nefift
àpeu près le même effet
de la coignée. Ainfi Ma
May1712.
C
26 MERCURE
demoiselle Therese restera , s'illui plaît,fille toute
Ja vie : cette constance
étant la plus glorieuſe de
toutes , c'est celle qui convient le mieux au defir
qu'elle a d'exceller dans
cette vertu.
Le Poëte Arabe ne
pouffe pas fi loin que nos
Poëtes les fictions fur les
amans conftans ; & je
croirois bien que la conſtance merveilleufe dont
plufieurs Poëtes fe font
GALANT. 27
vantez dans leurs vers,
n'a point paffé de leur
imagination jufques dás
leur coeur. Citons - en
quelque exemple , pour
prouver que c'eft faire
injuſtice aux Dames de
les croire plus inconftantes que les hommes.
Honoré Durfée , dans
fa preface du troifiéme
tome d'Aftrée , proteſte
à la riviere de Lignon
que le feu dont il brûla',
& qui donna naiffance
Cij
28 MERCURE
à ſon ouvrage , ne fut fi
conftant que parce qu'il
fut pur, & qu'il ne laiſſa
jamais de noirceur aprés
la brûlure à pas une de
fes actions & de fes defirs. Il ajoûte que la longueur des années n'en
avoit point diminué l'ardeur, & qu'il ne s'éteindroit quefous la terre de
fon tombeau. Voila le
Poëte , voici l'homme.
Son neveu dit qu'il n'épouſa Aftrée que par in-
GALAŃT. 29
térêt , & pour ne pas
laiffer échaper ſes biens ;
qu'il s'en dégoûta bien
vîte aprés l'avoir époufée , parce qu'elle étoit mal propre à
caufe de fes grands
chiens & c. qu'elle
exigeoit de lui des
tendreffes & des delicateſſes d'amans ; qu'-
elle le tourmentoit continuellement fur fes amourettes étrangeres ;
qu'elle étoit idolâC iii
30 MERCURE
tre de fa beauté , &
par confequent ridicule.
Tout cela l'obligea à la
quitter , & à fe retirer
à la Cour de Savoye,
Nous fommes inftruits
là-deffus par une tradi
tion certaine que Mon,
fieur Huet nous a con
fervée , & qu'il a tiréo
des neveux & amis
d'Honoré Durfé. Si la
tradition s'étoit confer
vée de la même maniere
à l'égard de la belle Lau,
J
GALANT. 31
re, nous verrions apparemment quelque chofe
d'approchant dans l'hif
toire de fes amours avec
Petrarque. Celui - ci ,
dans l'Epître où il fait le
recit de fa vie naturellement & fimplement ,
dit que dégouté du ſejour ennuyeux dela ville
d'Avignon , il s'étoit retiré à Forge , attiré par
la beauté du lieu & de
fa fontaine ; que là il
avoit compofé tous les
Ciiii
32 MERCURE
Ouvrages , quatam multa
fuerant , dit-il , ut ufque
ad hanc atatem me exerceant & defatigent. Ilne
parle point de Laure en
profe ; & quand il recite au vrai l'hiftoire de
fa vie , de fon efprit &
de fon coeur , il paroît
que Laure étoit l'idole
de fon imagination , &
le fantôme qui la remuoit & l'échauffoit.
C'étoit un fujet plûtôt
imaginé que fenti , ſur
1
GALANT. 33
lequel fa verve s'exerçoit. L'auteur de ſa vie
nous en fournit une bonne preuve , lors qu'il
nous affure que le Pape
Benoît XII. lui offrit
une difpenfe pourépoufer Laure , pour tenir
des Benefices étant marié , & même pour en
poffeder de nouveaux :
offres que Plutarque
n'auroit pas refufé comme il le fit , s'il avoit eu
une paffion , je ne dis pas
34 MERCURE
auffi extraordinaire que
celle qu'il chante , mais
feulement ordinaire &
veritable. Comment les
Poëtes que nous voyons
ne nous defabufent - ils
point des anciens que
nous lifons ? La duperie
eft naturelle à l'homme.
La fiction la plus groffiere & la plus découverte gagne toûjours le
deffus à la longue , pourveu qu'elle fçache ébloüir l'imagination ; &
GALANT. 35
ceux qui ont écrit publiquement, foit en vers,
foit en profe , ne viendroient pas à bout euxmêmes de détromper le
monde de leurs fictions ,
s'ils revenoient fur terre
pour nous avertir bien
confcientieuſement qu'
ils n'avoient pas deſſein
de tromper le monde ,
mais feulement de l'amufer & le divertir en
fe divertiffant eux- mêmes.
Fermer
Résumé : LA CONSTANCE des femmes.
Le texte relate l'histoire de Thérèse, une jeune femme charmante et inexpérimentée, connue pour sa constance en amour. Initialement, après avoir lu les Romains, Thérèse se sent disposée à la constance et affirme ne jamais vouloir aimer, estimant que la vie est trop courte. Cependant, elle change d'avis et décide de commencer à aimer jeune pour prolonger cette constance. Elle tombe amoureuse du fils d'un armateur de Saint-Malo, qui doit partir en mer. Malgré la séparation, Thérèse reste fidèle et attend son retour. Après un an, sa mère tente de la marier à un officier, mais Thérèse résiste. Elle finit par accepter de se marier avec l'officier, mais celui-ci doit partir en Flandres. Thérèse change à nouveau d'avis et se prépare à épouser un avocat. À ce moment-là, l'armateur revient, interrompant le mariage. L'armateur, froid et malin, compare les femmes à un arbre dont les feuilles tombent en automne, symbolisant la fin de la constance. L'avocat et l'officier, jaloux et déçus, quittent Thérèse. Le texte se conclut par une réflexion sur la constance en amour, soulignant que les poètes exagèrent souvent cette vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
49
p. 121-[1]36
Fraises de discorde.
Début :
Lundy dernier un jeune amant accordé avec sa Maitresse, luy [...]
Mots clefs :
Fraises, Billet, Agioteur, Avocat, Corbeille, Époux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Fraises de discorde.
Fraifes de difcorde 29715
Lundy dernier un jeune
amantaccordé avec fa Mail
creffe ,luy envoya une petie
May 1712.
L
MERCURE
"
corbeille de Frailes précoffes
auffi fraîches & auſſi nouvelles que leurs amours , &
qui furent reçuës de l'Accordée avecautant de plaifir
que l'Accordé en avoit
cû à les acheter bien cher
ces Fraiſes étoient dans unc
petite corbeille garnie do
deurs . La more qui fut prefente à l'ouverture de la
corbeille les trouva trop
vertes pourles mangeral luy
vint en penſée de s'en faire
benncur , ella referma bien
la corbeille , & l'envoya à
fan Avocat , qu'elle fçavoin
I
GALANT 123,
êtrehommedebonne chere,
perfuadée que ce feroit un
bon plat pour un friand.
Un laquais portele prefens
qui fue receu par un autre
laquais parce que n'y l'Avocat ny fa femme n'étoient
pour lors au logis.
L'Avocat avoit laiffé ce
jour là par haſard la clef à
fon cabiner , le laquais y
porta la corbeille de Fraile
& la cacha meſme derriere
quelques livres fur une ta
blette;la femme étant rentrée la premiere , paffoit
pardevant le cabinet pour
Lij
11 MERCURE
aller à fa chambre ; elle étoit
naturellement jaloufe & par
confequent tres curieufe des
affaires de fon mary, la clef
qu'elle vit au cabinet latenta
d'y entrer, elle y fureta dans
tous •Corbeils les coins , & trouvant
ne douta point
que fon mary n'eût acheté
les fraifes pour les envoyer
à certaine voisine dont elle
eftoit jaloufe. Elle regardoit l
cès fraifes avec fureur , &
remarqua un papier attaché
en dedans au couvercle de
la corbeille ; l'Accordée n'avoit point remarqué ce pa-
GALANT. 1
de fi
125
pier parce que les fleurs le
cachoient & auffi parce
que l'Amour c
n'a pas
bons yeux que la Jaloufic :
fur le papier ces Versétoient
écrits 05 al aprovaɔsioluov
Recevez ces fruits du
Printemps
Le même Amour qui vous les
donne
En trouveroit pour vous
l'Hiver, l'Eté, l'Automne
Pendant cent ans.11.
La femme de l'Avocat
refolut de verifier l'infidelité
Liij
26 MERCURE
2
de fon mary, elle écrivit
unbillet fort tendre où elle
contrefit l'écriture des vers
•& demanda réponse à la
belle foupçonnée à qui elle
vouloitenvoyer la corbeille,
mais n'ofant fe fier au laquais de fon Mary qui
étoit l'unique de la maiſon,
elle alla chrzune de fes amics
à qui elle porta le tout &
la pria d'envoyer ce prefent
par un de fes Grifons , elle la
connoiffoitfemmeà Grifons,
l'amie fe chargea d'envoyer
comme de la part de l'AvoCat &d'avoir réponſe , mais
GALANT. 127
cela ne fut executé que vers
le foir , & elle garda la corbeille dans un endroit où
elle fut trouvée par le mary
de cette derniere , pendant
qu'elle étoit allée jouer au
Lanfquenet, où elle perdit
tant qu'elle oublia la commiffion dont elle s'eftoit
chargée & ne revint qu'à
deux heures aprés minuit ;
en fon abfence le mary jaloux lut. & relut cent fois
les vers qu'il détacha exprés
de la corbeille pour les lire
plus à fon aifeen enrageant,
enfuite il tacha de le refonLiv
128 MERCURE
venir d'une certaine écriture
qui luy avoit paffée par les
mains ; celle des vers luy
paroiffoit toute femblable,
il vouloit par là decouvrir
quel étoit le Galant de fa
femme; ce jaloux étoit un
efpece d'Agioteur honora
ble qui s'étoit mis dans les
affaires.
cet
Le jeune Accordé de qui
eftoient les Vers avoit cu
quelque affaire avec
homme cy qui luy avoit
prefté de l'argent pour fon
mariage ; il vint fur le foir
letrouver pour en avoir en-
GALANT 129
core , &luy fit un billet , qui
luy retraça l'écriture des
Vers. Il eftoit vif & brutal ;
fitoft qu'il eut jetté les yeux
fur le billet , il le déchira de
rage, Lejeune hommeà qui
on alloit compter, de l'argent ,futfort furpris de voir
déchirer à belles dents un
billet qu'il venoit d'écrire,
demandaà l'Agioteur la raifon d'une fureur fi fubite ;
celuy - cy eftoit emporté
mais la poltronnerie moderoit fes emportemens. Nôtre Amant eftoit homme
d'épée ; l'Agioteur fe con-
130 MERCURE
tentade le regarder avec des
yeuxde fureur , & de remettre dans fon Bureau les fats
qu'il alloit compter , aprés
quoyil fortit de fon bureau,
&noftre Emprunteur qui le
fuivoit ne put tirer de luy
que ce mot :Je ne prêtepoint
d'argent àceux qui le dépenfent
à acheterdes fraifes nouvelles.
Le jeune homme ne comprit point par quelle bizar.
reriecet homme aprés avoir
voululuy prêterde l'argent,
prenoit tout d'un coup la
refolution de neluy enpoint
préter , parce qu'il avoit
GALANT. 131
acheté des fraifes. Quefait
à cet homme-là , difoit il en
Tuy même , quej'aye envoyé
desfraifes à mafemme. Il ne
raifonna pas davantage làdeffus :il conclud feulement
que l'Agioreur eftoit fol;
mais il eftoit encore plus
vindicatif qu'extravagant.
Il alla dans ce premier mouvement trouver l'Accordée
& fa mere, & tout furieux
de jaloufie , il leur demanda
felles prétendoient conclurre avec un homme qui
avoit uneintrigue amoureufe avec la femme ; & aprés
132 MERGURE
avoir dit du jeune homme
ce qu'il fçavoit & ce qu'il ne
fçavoit pas , il leur jetta les
Vers fur la table pour
convaincre de ce qu'il difoit,
& fortit un peu confolé de
s'eftre ainfi vengé.
les
La mere & la fille furent
convaincues par ce billet ,
elles en connoiffoient l'écriture , & ne s'étoient point
aperçeuës qu'il fut dans la
corbeille , dont l'Agioteur
neleur avoitpoint parlé n'allant qu'à l'effentiel qui étoit
ce billet , noftre Acordée
fut fi frappée de ce coup
GALANT. 133
1.
qu'lle conjura fa mere de
rompre le mariage , & deffendit dans fa colere qu'on'
laiffat entrer fón Amant
cé foir la , elle ne vouloit
aucun éclairciffement avec
luy , craignant d'eftre affez
foible pour luy pardonner
fi elle le voyoit op ʼn slug
Cette rupture ne pouvoit
pas avoir defuites commeon
peut fe l'imaginer , l'éclair?
eiffement étoit facile : mais!
cela fit paffer unecruelle nuit
à l'Acordée , & l'Acordé ne
F'eut pas meilleure ; voila dés
ja l'une des brouilk ries cau
$34 MERGURE
fées par les fraifes . La femme,
de l'Avocat en atendant la
preuve qu'on ne luy avoit
promis que pour le lendemain , ne laiffa pas de ſevenger dés le foir par une que
relle d'Allemand qu'elle fit à
fon mary & ils pafferent la
nuit à quereller ; mais la
femme de noftre Agioreur
en fut quitte pour trois qu
quatrefoufflets qui furent le
prelude de l'éclairciffement,
qu'il cut avec elle, & tout,
fe calmale lendemain par
un éclairciffement general ,
où l'on reconnut que les
GALANT ***
trois infidelitez pretenduës
n'avoient cité qu'un effet de
la circulation des fraifes
de difcorde.
de
M
Ce petit recit , Monfieur ,
auroit eu befoin d'eftre écrit,
jen'ay ny le loifiny le talent
d'écrire; priez donc les curieux
nouveautezderecevoircellecy comme une ébauche àplume
courante, qui vaudrait peuteftre bien la peine que quelqu'un voulutla mettre en vers
donnez la comme une tâche à
ceux qui vous envoyent: ordi
nairement des Paëfies de leur
façon & des réponſes à des
336 MERCURE
queftions , je propoferay ce petit
travailàun Poëte de mes amis ;
mais je ne vous promet rien ,
ainfije ne vous confeille pas de
rjen prometre au publicfur cet
article.
Lundy dernier un jeune
amantaccordé avec fa Mail
creffe ,luy envoya une petie
May 1712.
L
MERCURE
"
corbeille de Frailes précoffes
auffi fraîches & auſſi nouvelles que leurs amours , &
qui furent reçuës de l'Accordée avecautant de plaifir
que l'Accordé en avoit
cû à les acheter bien cher
ces Fraiſes étoient dans unc
petite corbeille garnie do
deurs . La more qui fut prefente à l'ouverture de la
corbeille les trouva trop
vertes pourles mangeral luy
vint en penſée de s'en faire
benncur , ella referma bien
la corbeille , & l'envoya à
fan Avocat , qu'elle fçavoin
I
GALANT 123,
êtrehommedebonne chere,
perfuadée que ce feroit un
bon plat pour un friand.
Un laquais portele prefens
qui fue receu par un autre
laquais parce que n'y l'Avocat ny fa femme n'étoient
pour lors au logis.
L'Avocat avoit laiffé ce
jour là par haſard la clef à
fon cabiner , le laquais y
porta la corbeille de Fraile
& la cacha meſme derriere
quelques livres fur une ta
blette;la femme étant rentrée la premiere , paffoit
pardevant le cabinet pour
Lij
11 MERCURE
aller à fa chambre ; elle étoit
naturellement jaloufe & par
confequent tres curieufe des
affaires de fon mary, la clef
qu'elle vit au cabinet latenta
d'y entrer, elle y fureta dans
tous •Corbeils les coins , & trouvant
ne douta point
que fon mary n'eût acheté
les fraifes pour les envoyer
à certaine voisine dont elle
eftoit jaloufe. Elle regardoit l
cès fraifes avec fureur , &
remarqua un papier attaché
en dedans au couvercle de
la corbeille ; l'Accordée n'avoit point remarqué ce pa-
GALANT. 1
de fi
125
pier parce que les fleurs le
cachoient & auffi parce
que l'Amour c
n'a pas
bons yeux que la Jaloufic :
fur le papier ces Versétoient
écrits 05 al aprovaɔsioluov
Recevez ces fruits du
Printemps
Le même Amour qui vous les
donne
En trouveroit pour vous
l'Hiver, l'Eté, l'Automne
Pendant cent ans.11.
La femme de l'Avocat
refolut de verifier l'infidelité
Liij
26 MERCURE
2
de fon mary, elle écrivit
unbillet fort tendre où elle
contrefit l'écriture des vers
•& demanda réponse à la
belle foupçonnée à qui elle
vouloitenvoyer la corbeille,
mais n'ofant fe fier au laquais de fon Mary qui
étoit l'unique de la maiſon,
elle alla chrzune de fes amics
à qui elle porta le tout &
la pria d'envoyer ce prefent
par un de fes Grifons , elle la
connoiffoitfemmeà Grifons,
l'amie fe chargea d'envoyer
comme de la part de l'AvoCat &d'avoir réponſe , mais
GALANT. 127
cela ne fut executé que vers
le foir , & elle garda la corbeille dans un endroit où
elle fut trouvée par le mary
de cette derniere , pendant
qu'elle étoit allée jouer au
Lanfquenet, où elle perdit
tant qu'elle oublia la commiffion dont elle s'eftoit
chargée & ne revint qu'à
deux heures aprés minuit ;
en fon abfence le mary jaloux lut. & relut cent fois
les vers qu'il détacha exprés
de la corbeille pour les lire
plus à fon aifeen enrageant,
enfuite il tacha de le refonLiv
128 MERCURE
venir d'une certaine écriture
qui luy avoit paffée par les
mains ; celle des vers luy
paroiffoit toute femblable,
il vouloit par là decouvrir
quel étoit le Galant de fa
femme; ce jaloux étoit un
efpece d'Agioteur honora
ble qui s'étoit mis dans les
affaires.
cet
Le jeune Accordé de qui
eftoient les Vers avoit cu
quelque affaire avec
homme cy qui luy avoit
prefté de l'argent pour fon
mariage ; il vint fur le foir
letrouver pour en avoir en-
GALANT 129
core , &luy fit un billet , qui
luy retraça l'écriture des
Vers. Il eftoit vif & brutal ;
fitoft qu'il eut jetté les yeux
fur le billet , il le déchira de
rage, Lejeune hommeà qui
on alloit compter, de l'argent ,futfort furpris de voir
déchirer à belles dents un
billet qu'il venoit d'écrire,
demandaà l'Agioteur la raifon d'une fureur fi fubite ;
celuy - cy eftoit emporté
mais la poltronnerie moderoit fes emportemens. Nôtre Amant eftoit homme
d'épée ; l'Agioteur fe con-
130 MERCURE
tentade le regarder avec des
yeuxde fureur , & de remettre dans fon Bureau les fats
qu'il alloit compter , aprés
quoyil fortit de fon bureau,
&noftre Emprunteur qui le
fuivoit ne put tirer de luy
que ce mot :Je ne prêtepoint
d'argent àceux qui le dépenfent
à acheterdes fraifes nouvelles.
Le jeune homme ne comprit point par quelle bizar.
reriecet homme aprés avoir
voululuy prêterde l'argent,
prenoit tout d'un coup la
refolution de neluy enpoint
préter , parce qu'il avoit
GALANT. 131
acheté des fraifes. Quefait
à cet homme-là , difoit il en
Tuy même , quej'aye envoyé
desfraifes à mafemme. Il ne
raifonna pas davantage làdeffus :il conclud feulement
que l'Agioreur eftoit fol;
mais il eftoit encore plus
vindicatif qu'extravagant.
Il alla dans ce premier mouvement trouver l'Accordée
& fa mere, & tout furieux
de jaloufie , il leur demanda
felles prétendoient conclurre avec un homme qui
avoit uneintrigue amoureufe avec la femme ; & aprés
132 MERGURE
avoir dit du jeune homme
ce qu'il fçavoit & ce qu'il ne
fçavoit pas , il leur jetta les
Vers fur la table pour
convaincre de ce qu'il difoit,
& fortit un peu confolé de
s'eftre ainfi vengé.
les
La mere & la fille furent
convaincues par ce billet ,
elles en connoiffoient l'écriture , & ne s'étoient point
aperçeuës qu'il fut dans la
corbeille , dont l'Agioteur
neleur avoitpoint parlé n'allant qu'à l'effentiel qui étoit
ce billet , noftre Acordée
fut fi frappée de ce coup
GALANT. 133
1.
qu'lle conjura fa mere de
rompre le mariage , & deffendit dans fa colere qu'on'
laiffat entrer fón Amant
cé foir la , elle ne vouloit
aucun éclairciffement avec
luy , craignant d'eftre affez
foible pour luy pardonner
fi elle le voyoit op ʼn slug
Cette rupture ne pouvoit
pas avoir defuites commeon
peut fe l'imaginer , l'éclair?
eiffement étoit facile : mais!
cela fit paffer unecruelle nuit
à l'Acordée , & l'Acordé ne
F'eut pas meilleure ; voila dés
ja l'une des brouilk ries cau
$34 MERGURE
fées par les fraifes . La femme,
de l'Avocat en atendant la
preuve qu'on ne luy avoit
promis que pour le lendemain , ne laiffa pas de ſevenger dés le foir par une que
relle d'Allemand qu'elle fit à
fon mary & ils pafferent la
nuit à quereller ; mais la
femme de noftre Agioreur
en fut quitte pour trois qu
quatrefoufflets qui furent le
prelude de l'éclairciffement,
qu'il cut avec elle, & tout,
fe calmale lendemain par
un éclairciffement general ,
où l'on reconnut que les
GALANT ***
trois infidelitez pretenduës
n'avoient cité qu'un effet de
la circulation des fraifes
de difcorde.
de
M
Ce petit recit , Monfieur ,
auroit eu befoin d'eftre écrit,
jen'ay ny le loifiny le talent
d'écrire; priez donc les curieux
nouveautezderecevoircellecy comme une ébauche àplume
courante, qui vaudrait peuteftre bien la peine que quelqu'un voulutla mettre en vers
donnez la comme une tâche à
ceux qui vous envoyent: ordi
nairement des Paëfies de leur
façon & des réponſes à des
336 MERCURE
queftions , je propoferay ce petit
travailàun Poëte de mes amis ;
mais je ne vous promet rien ,
ainfije ne vous confeille pas de
rjen prometre au publicfur cet
article.
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Résumé : Fraises de discorde.
Le texte décrit une série de malentendus déclenchés par une corbeille de fraises. Un jeune homme envoie cette corbeille à sa bien-aimée, accompagnée d'un poème. La mère de la jeune femme, jugeant les fraises trop vertes, les envoie à un avocat, connu pour son goût pour la bonne chère. La femme de l'avocat, découvrant le poème, suspecte une infidélité et envoie la corbeille à une voisine qu'elle suspecte. Le mari de cette voisine, trouvant la corbeille et lisant le poème, suspecte également une infidélité. Le jeune homme, auteur du poème, se rend chez l'avocat pour obtenir un prêt. Reconnaissant l'écriture du poème, l'avocat refuse le prêt, accusant le jeune homme de gaspiller son argent pour des fraises. Confus, le jeune homme informe sa bien-aimée et sa mère de l'accusation, ce qui conduit à la rupture de leurs fiançailles. Parallèlement, la femme de l'avocat passe une nuit agitée à cause des soupçons, tandis que la femme de l'usurier est battue pour les mêmes raisons. Le lendemain, un éclaircissement général révèle que les trois infidélités supposées étaient dues à la circulation des fraises. Le narrateur présente ce récit comme une ébauche, espérant qu'un poète puisse en faire une œuvre plus aboutie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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50
p. 39-47
DE LONDRES.
Début :
Dans l'esperance d'une paix prochaine je prends la [...]
Mots clefs :
Londres, Aventure, Anglaise, Amant, Tabatière, Saignée, Maladie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE LONDRES.
DE LONDRES
MONSONSIEUR,
Dans l'efperance d'une paix
prochaine je prends la liberté
de vous demander un com
merce de Lettres , &pour vous
y exciter je vous envoiray les
petites avantures Angloifes qui
viendront à ma connoiffance ;
ce qui fuit n'en est pas une , ce
n'eft qu'un petit fait qui ne
vaut peut - eftre pas la peine
d'eftre escrit. Je vous en promets deplus divertiffants.
40 MERCURE
Une jeune Angloiſe qui
devoit épouser le parent
d'un Milord , luy vouloit
faire quitter l'habitude du
:
tabac, parce qu'elle s'imaginoit que l'odeur du tabac luy donnoit des vapeurs. La complaiſance de
fon Amant alloit bien juſ
qu'à n'en point prendre devant elle mais elle s'imagina qu'il pouvoit avoir
une tabatiere dans fa poche , & cette imagination
luy fit croire qu'elle alloit
s'évanouir , il fe trouva
qu'en effet il en avoit une.
Le
GALANT. 41
Lelendemainil trouva moyen d'en mettre une pleine de tabac dans la poche
de ſa maiſtreſſe ſans qu'elle le fçuft , & elle la porta
fans le fçavoir jufqu'au lendemain. Dés qu'elle vit entrerfonAmant, elle lui cria:
ahje fens que vous avez aujourd'huy voftre tabatiere
dans voftre poche , le jeune Anglois , homme de
fang froid luy refpondit :
Vous y avez mis bon ordre
Mademoiſelle
la priftes l'autre jour , &
vous me l'avezgardée dans la
Fuin 17120
>
car vous me
D
42 MERGURE
voftre depuis ce temps- là La
delicate Angloife trouvant
réellement la tabatiere fur
elle,voulut s'évanouiir, mais
elle ne put jamais, &le tout
fe tourna en plaifanterie ,
elle luy dit qu'elle luy pardonnoit puifque par là elle
fe voyoit guerie de cette
foibleffe ; mais elle luy revalut ce tour- là car l'Anglois ayant efté incommodépendant quelques jours ,
les medecins le preffoient
de fe faire faigner pour
éviter une grande maladie,
mais il ne voulut jamais ;
GALANT. 43
car il avoit une antipathie
fi grande pour la faignée ,
que cet appareil feulement
le faifoit évanouir. Il racontoit cela luy - mefme
chez fa maiftreffe , lorf
qu'enbadinant elle luy dit :
mais fi une perfonne que
vous aimeriez eftoit affez
adroite pourvous faigner ?
ah je luy preſenterois mes
deux bras , luy dit - il en
riant , les deux pieds & la
gorge encore , & deuffayd
je en mourir je fouffrirois
cent faignées d'elle. La
jeune Angloiſe continua
Dij
44 MERCURE
la plaifanterie , & luy dit:
donnez moy feulementun
bras , elle luy mit le bras à
nud en prefence d'une
compagnie affez bonne :
quelqu'un prefta une jartiere pourfervir de bande ,
elle dechira un mouchoir
pour faire une compreffe ;
ce badinage ne faifoit aucun mauvais effet fur le
Cavalier , à qui elle demandoit à chaque préparatif:
hé bien cet appareil vous
fera-t-il évanouir ? Non ,
refpondit il , il mefait pluſ
toft rire ; enfin cette badi-
GALANT. 45
ne perfonne pouffa la ceremonie jufqu'à tirer de
fon tiroir un eftuy , & de
cet eftuy une lancette , car
elle avoit en effet le talent
de faigner à merveille.
L'amant palit à cet aſpect ,
mais il fe piqua de fermeté Angloiſe , onapporta un
vafe de porcelaine pour recevoir le fang , & la faignée fut plantureuſe. Elle
le guerit non feulement de
fon incommodité mais auf
fi de fa foibleffe. C'eft ainfi, luy dit la jeune Angloiſe,
que ceux que le lien duma.
46 MERCURE
riage unit , devoient fe corriger mutuellement
leurs foibleffes.
le
de
Fauray quelque avanture
plus intereffante à envoyerpour
le mois prochain , cette jeune
Angloife pourra mesme me
fournir celle de fes amours avec
parent du Milord, car quoy
qu'avec tout le merite poffible ;
il s'eft trouvé qu'elle eftoit fille
d'un Chirurgien de Douvres.
C'est pour cela qu'elle fçavoit
fi bien faigner. On avoit mis
de grands obftacles à ce mariage, ces obftacles ont donné
lieu à une intrigue fecrette en-
GALANT 47
tre ces deux jeunes amants ,
dont on m'a promis les particu-.
laritez romanefques , quoyque
vrayes, pour pouvoir meriter
L'impreffion
MONSONSIEUR,
Dans l'efperance d'une paix
prochaine je prends la liberté
de vous demander un com
merce de Lettres , &pour vous
y exciter je vous envoiray les
petites avantures Angloifes qui
viendront à ma connoiffance ;
ce qui fuit n'en est pas une , ce
n'eft qu'un petit fait qui ne
vaut peut - eftre pas la peine
d'eftre escrit. Je vous en promets deplus divertiffants.
40 MERCURE
Une jeune Angloiſe qui
devoit épouser le parent
d'un Milord , luy vouloit
faire quitter l'habitude du
:
tabac, parce qu'elle s'imaginoit que l'odeur du tabac luy donnoit des vapeurs. La complaiſance de
fon Amant alloit bien juſ
qu'à n'en point prendre devant elle mais elle s'imagina qu'il pouvoit avoir
une tabatiere dans fa poche , & cette imagination
luy fit croire qu'elle alloit
s'évanouir , il fe trouva
qu'en effet il en avoit une.
Le
GALANT. 41
Lelendemainil trouva moyen d'en mettre une pleine de tabac dans la poche
de ſa maiſtreſſe ſans qu'elle le fçuft , & elle la porta
fans le fçavoir jufqu'au lendemain. Dés qu'elle vit entrerfonAmant, elle lui cria:
ahje fens que vous avez aujourd'huy voftre tabatiere
dans voftre poche , le jeune Anglois , homme de
fang froid luy refpondit :
Vous y avez mis bon ordre
Mademoiſelle
la priftes l'autre jour , &
vous me l'avezgardée dans la
Fuin 17120
>
car vous me
D
42 MERGURE
voftre depuis ce temps- là La
delicate Angloife trouvant
réellement la tabatiere fur
elle,voulut s'évanouiir, mais
elle ne put jamais, &le tout
fe tourna en plaifanterie ,
elle luy dit qu'elle luy pardonnoit puifque par là elle
fe voyoit guerie de cette
foibleffe ; mais elle luy revalut ce tour- là car l'Anglois ayant efté incommodépendant quelques jours ,
les medecins le preffoient
de fe faire faigner pour
éviter une grande maladie,
mais il ne voulut jamais ;
GALANT. 43
car il avoit une antipathie
fi grande pour la faignée ,
que cet appareil feulement
le faifoit évanouir. Il racontoit cela luy - mefme
chez fa maiftreffe , lorf
qu'enbadinant elle luy dit :
mais fi une perfonne que
vous aimeriez eftoit affez
adroite pourvous faigner ?
ah je luy preſenterois mes
deux bras , luy dit - il en
riant , les deux pieds & la
gorge encore , & deuffayd
je en mourir je fouffrirois
cent faignées d'elle. La
jeune Angloiſe continua
Dij
44 MERCURE
la plaifanterie , & luy dit:
donnez moy feulementun
bras , elle luy mit le bras à
nud en prefence d'une
compagnie affez bonne :
quelqu'un prefta une jartiere pourfervir de bande ,
elle dechira un mouchoir
pour faire une compreffe ;
ce badinage ne faifoit aucun mauvais effet fur le
Cavalier , à qui elle demandoit à chaque préparatif:
hé bien cet appareil vous
fera-t-il évanouir ? Non ,
refpondit il , il mefait pluſ
toft rire ; enfin cette badi-
GALANT. 45
ne perfonne pouffa la ceremonie jufqu'à tirer de
fon tiroir un eftuy , & de
cet eftuy une lancette , car
elle avoit en effet le talent
de faigner à merveille.
L'amant palit à cet aſpect ,
mais il fe piqua de fermeté Angloiſe , onapporta un
vafe de porcelaine pour recevoir le fang , & la faignée fut plantureuſe. Elle
le guerit non feulement de
fon incommodité mais auf
fi de fa foibleffe. C'eft ainfi, luy dit la jeune Angloiſe,
que ceux que le lien duma.
46 MERCURE
riage unit , devoient fe corriger mutuellement
leurs foibleffes.
le
de
Fauray quelque avanture
plus intereffante à envoyerpour
le mois prochain , cette jeune
Angloife pourra mesme me
fournir celle de fes amours avec
parent du Milord, car quoy
qu'avec tout le merite poffible ;
il s'eft trouvé qu'elle eftoit fille
d'un Chirurgien de Douvres.
C'est pour cela qu'elle fçavoit
fi bien faigner. On avoit mis
de grands obftacles à ce mariage, ces obftacles ont donné
lieu à une intrigue fecrette en-
GALANT 47
tre ces deux jeunes amants ,
dont on m'a promis les particu-.
laritez romanefques , quoyque
vrayes, pour pouvoir meriter
L'impreffion
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Résumé : DE LONDRES.
L'auteur écrit une lettre à Londres, espérant une paix prochaine et proposant un échange de lettres. Il raconte l'histoire d'une jeune Anglaise et de son fiancé, parent d'un lord. La jeune femme voulait que son fiancé cesse de consommer du tabac, croyant que l'odeur lui causait des vapeurs. Bien qu'il évitât de fumer en sa présence, elle imaginait qu'il portait une tabatière sur lui, ce qui la faisait s'évanouir. Un jour, il plaça une tabatière pleine de tabac dans la poche de sa maîtresse sans qu'elle le sache. Lorsqu'elle la découvrit, elle voulut s'évanouir mais ne put le faire, transformant la situation en plaisanterie. Plus tard, la jeune femme décida de le faire saigner pour le guérir d'une maladie, malgré son aversion pour les saignées. Elle simula la procédure de manière ludique, mais finit par le faire réellement, le guérissant ainsi. Elle conclut que les couples mariés doivent se corriger mutuellement leurs faiblesses. L'auteur mentionne également qu'il pourrait recevoir des détails plus intéressants sur les amours de la jeune Anglaise, fille d'un chirurgien de Douvres, et les obstacles rencontrés pour leur mariage.
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