EXTRAIT d'une Lettre de M. Collin
, Chirurgien Major de l'Hôpital
Royal de Phaltz- Bourg , à M. Garengeot
, Chirurgien - Furé de Paris , Démonstrateur
Royal en matiere Chirurgicale
, et Membre de la Société Royale de
Londres,
E viens , Monsieur , de lire , avec un
Jplaisir singulier ,votre Traité d'Opérations
, imprimé en 1731. seconde Edition
, n'ayant pas vû la premiere. Cet
Ouvrage est une suite de toutes les beautez
qui se trouvent répandues dans tous
ceux que vous avez donnés au Public, sur
tout dans votre Splanchnologie. On peut
dire avec verité , qu'aucun Autheur n'a
encore écrit , ni si sçavamment, ni si élégamment
sur ces sortes de matieres , et
tous les Eleves en Chirurgie , ne sçau-
' roient trop vous remercier .
Mais permettez - moi de me plaindre
de la Peinture affreuse que vous faites
dans votre Traité d'Opérations , des Eleves
de feu M" de Méry , Arnaud et Thi
bault. J'ai l'honneur d'être un de ces Eleves,
et je m'en fais une gloire . J'ose pour-
Al.Vol.
tant
JUIN. 1733. 1327
,
tant défier aucun de ceux qui m'ont vû
travailler,de m'accuser de panser, comme
vous dites , que pansent ces Eleves . C'est
à la page 343. tom. 1. en parlant des Hernies
, que vous faites cette affirmation .
» Qüi , malgré le nombre de malheureux
qui périssent par une Pratique , qui n'a
» d'autre authorité que la coutume , nous
» apprenons que le peu d'Eleves qui res-
» tent de ces Chirurgiens , sont si enthou-
» siasmés de la longue Tente , qu'ils l'em-
>> ploient même dans des Playes faites par
» des Instrumens tranchans , et qui ne de-
>> mandent que la simple réunion .
Il semble dans certains endroits de vos
Ouvrages, que vous avez à coeur d'élever
ces grands Hommes , tandis que dans
d'autres vous les rabaissez . de façon à
faire comprendre qu'ils n'étoient rien
moins , que ce que vous en avez dit.
Si ces Illustres sont morts , sans répondre
à tout ce que vous avez écrit contre
eux , vous n'ignorez pas qu'ils étoient
bien capables de le faire . Ils ont laissé au
Public le soin de deffendre leur réputation
, que personne ne pourra jamais
ternir .
La Chirurgie étoit- elle , il y a soixante
ans , au dégré où nous la voyons de nos
jours ? Si nous n'avions suivi que les rou-
11. Vol. D tes
1828 MERCURE DE FRANCE
tes tracées par nos Peres , nous ne ferions
pas aujourd'hui des Opérations si
heureuses : chaque siecle a augmenté ou
perfectionné les connoissances que nous
avions déja ; mais nous n'en devons pas
moins de reconnoissance à ceux qui nous
ont précédés , et qui nous ont, pour ainsi
dire , tracé le chemin .
Vous dites dans la Préface , qui est à ļa
tête de vos Opérations : » Si quelqu'un
» croit se voir dépeint dans quelques-
» unes de nos Observations , nous aver-
» tissons ici que notre intention n'est pas
» de faire de la peine à personne,& c . Nous
» redressons leurs deffauts d'une maniere
» si generale , qu'on ne peut nous taxer
» de violer la bienséance , et la charité
»que l'on se doit les uns aux autres.Mais
quelle est , Monsieur , cette charité , qui
vous engage à faire comprendre au Public
, que tous les Eleves , qu'ont faits ces
M" sont des Ignorans et des Hommes à
détester ?
J'avoue qu'il est bon de redresser ceux
qui ne sont point dans le bon chemin ;
et qu'il est même charitable de leur montrer
le plus court , pour arriver au but ;
mais il est contre les regles de la charité,
que vous affectez , de perdre de réputation
des Hommes , qui semblent n'avoir
II. Vel.
méJUIN.
1733. 1329
mérité votre critique , que par ce qu'ils
sont Disciples des trois plus grands Chirurgiens
de leur temps .
au
Quelle idée donnez - vous , en effet ,
Ministre de la Guerre , de la capacité de
ces Eleves ? Et en dédiant votre Traité
d'Opérations à l'Illustre Chef de la Chirurgie
, que peut - il penser de la Peinture
que vous faites de ces mêmes Eleves , sans
nulle exception ? Si je n'étois bien persuadé
du discernement qu'il sçait faire du
vrai merite , je pourrois dire à tous ces
Disciples , mes Confreres : La Porte des
Graces est fermée à tous tant que nous
sommes , et cela par la charité de M.Garangeot.
Si les Chefs des Régimens sont instruits
de votre façon de panser , ils se garderont
bien de prendre un Disciple de
l'Hôtel - Dieu de Paris , pour Chirurgien-
Major ; et c'est une injustice que vous,
devez vous reprocher.
Tout le monde sçait qu'il y a aujourd'hui
de ces Eleves , qui sont vos Confreres
, qui certainement ne déshonorent
point le Corps de S.Cosme. Il y en a plusieurs
dans les Hôpitaux et dans les Régimens
, qui ne sont pas tout - à- fait indignes
de votre estime , et qui ont mérité
l'approbation de vos Superieurs.
II. Vol. Dij M.
1330 MERCURE DE FRANCE
M. le Blanc , Ministre de la Guerre
jugeant tout autrement que vous , Monsieur
, des Eleves de feu M. Thibault
me nomma en 1727. pour l'Hôpital de
Phaltz - Bourg. Si quelques Observations
que j'ai envoyées à l'Académie de Chirurgie
, peuvent vous faire bien penser
sur mon compte , et vous désabuser sur
ma façon de panser , je vous demande
l'honneur de votre amitié , et je vous
prie d'être persuadé que je suis , &c.