Titre
HISTOIRE de JONATHAN WILD le Grand, traduit de l'Anglois de M. FIELDING, Auteur de JOSEPH ANDREWS & de TOM JONES, &c A Londres, & se trouve à Paris chez Duchesne, Libraire, rue S. Jacques, au Temple du Goût, 1763 ; deux volumes in-12.
Titre d'après la table
HISTOIRE de Jonathan Wild le Grand, traduit de l'Anglois de M. Fielding, Auteur de Joseph Andrews & de Tom Jones.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
94
Page de début dans la numérisation
559
Page de fin
103
Page de fin dans la numérisation
568
Incipit
L'OUVRAGE que nous annonçons est d'un genre singulier ; & le nom de
Texte
HISTOIRE de JONATHAN WILD
le Grand , traduit de l'Anglois de
M. FIELDING, Auteur de JOSEPH
ANDREWS & de TOM JONES , &c
A Londres , & fe trouve à Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques,
au Temple du Goût , 1763 ; deux volumes
in- 12.
L'OUVRAGE que nous annonçons
eft d'un genre fingulier ; & le nom de
fon Auteur , fi connu en France par les
AVRIL. 1763. 95
Traductions qui ont été faites de plufieurs
de fesromans , prévient d'avance
en faveur de celui- ci. Sous le voile d'une
ironie foutenue depuis le commencement
jufqu'à la fin de l'Ouvrage, l'Au
teur cherche à défabufer les hommes
des idées fauffes & prèfque toujours
dangereufes , qu'ils fe forment communément
de la grandeur. Un infigne Scélérat
que des crimes de toute efpéce
conduifent enfin au dernier fupplice , eft
le héros qu'il a choifi pour relever &
cenfurer les préjugés , le mauvais goût,
l'efprit de parti & différens autres défauts
de fes compatriotes ; & quoique,
l'ouvrage foit fait principalement pour
la Nation Angloife , il n'y a point de
Peuple qui ne puiffe s'y reconnoître, ni
de Lecteur qui ne puiffe en profiter. On
ne s'attend pas que nous faffions le récit
des attentats horribles que l'on fait
commettre au fameux Scélérat qui joue
le premier rôle dans ce roman. Il n'eft
question que de vols , d'affaffinats & de
perfidies les plus atroces ; contentonsnous
d'en citer quelques exemples pour
faire connoître le genre de critique de
notre Auteur , toujours préfenté fous le
-voile de l'ironie.
Jonathan Wild , dit Legrand , chef
96 MERCURE DE FRANCE .
»
d'une troupe de voleurs , étoit iffu de
parens diftingués dans cette profeffion .
On l'envoya à l'école avec les autres
enfans de fon âge ; mais il montra
» pour l'étude la répugnance la plus
» marquée . Son Maître , homme de
» beaucoup de fens & de mérite , le
» difpenfa bientôt de toute peine à cet
» égard ; & tandis qu'il affuroit à fes
parens qu'il faifoit les plus grands
» progrès , il lui permettoit de fe livrer
» entiérement à fes inclinations , parce
» qu'il fentoit bien qu'elles le porte-
» roient à des objets plus nobles que les
» fciences , qui , comme on en convient
généralement , ne rendent aucun pró-
» fit , & ne font propres , qu'à empêcher
» un galant homme de s'avancer dans
» le monde. "
Wild y débuta par quelques traits de
friponnerie qui donnerent dès - lors de
grandes efpérances de fon talent. Il fit
connoiffance avec le Comte de la Rufe,
Chevalier d'induftrie ; & ils eurent enfemble
de fréquentes conférences fur
les principes fondamentaux de leur art.
On croit communément que les voleurs
confervent entr'eux une forte de probité
qui les empêche de fe nuire mutuellement.
Le grand. Wild étoit bien audeffus
AVRIL 1763: 97
deffus de ces petites foibleffes : nonfeulement
il croyoit qu'il eft indigne
d'un grand coeur de refpecter la bourfe
de fes camarades ; » mais il n'étoit pas
» même de ces hommes mal -nés , qui
» rougiroient de voir un ami , après
» l'avoir volé ou trahi. Ce caractère
» pufillanime a fouvent produit dans le
» monde les crimes les plus monstrueux .
" Un excès de modeftie dans ce genre
» a porté bien des gens à affaffiner , ou
» du moins à ruiner fans reffource ceux
>> contre qui leur confcience leur repro-
" choit d'avoir commis quelque pecca-
» dille , foit en débauchant leurs fem-
» mes on leurs filles , foit en trahiffant
» leur confiance , foit en rendant contre
>> eux un faux témoignage. Mais dans
» notre héros , tout étoit véritablement
» grand. Toujours maître de lui , il ne
"
craignoit point d'aller boire avec un
» homme qu'il avoit dévalifé le mo-
» ment d'auparavant. »
Sa conduite à l'égard de fon ami
Francoeur fut un chef- d'oeuvre d'héroïfme
en ce genre. Ce dernier étoit
un Marchand Jouiallier , qui affervi aux
idées populaires avoit la foibleffe d'être
compatiffant , fenfible & généreux . Il
portoit la fimplicité au point de ne jamais
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
tirer avantage de l'ignorance de ceux
~ qui venoient acheter chez lui , & de fe
contenter du profit le plus modique.
Sa femme étoit une ame commune
efpèce d'animal domeftique , qui avoit
la petiteffe de fe borner aux foins de
fa famille & de fe faire un devoir de
plaire à fon mari & de bien élever fes
enfans. Ce fut à cette femme , fi peu
manièrée , que Francoeur. préfenta le
grand Wild comme le meilleur de fes
amis. Les premières preuves que notre
héros lui donna de fon amitié , furent
de lui faire efcamoter fes bijoux , tirer
de lui des lettres de change , de le faire
mettre en prifon , de lui enlever fa femme
, &c. &c . & à chaque trait de perfidie
, il avoit la force & le courage de
fe préfenter à lui , tandis que des âmes
vulgaires fe feroient fait un devoir d'éviter
fa rencontre. » Il n'avoit ni l'ex-
» térieur foumis d'un Curé qui aborde
» fon Seigneur après s'être oppofé à
» fon élection , ni l'air, qu'affecte un
» un Médecin , qui apprend à la porte
» de fon malade , que , graces à fes foins ,
» le pauvre patient eft parti pour l'autre
» monde, nila contenance abbattue d'un
» homme, qui , après avoir long-temps
» lutté entre la vertu & le vice , &
»
AVRIL 1763.
TOPHEQUE
Gron
DE
LA
ה ד ו
s'être enfin
déterminé
pour le dern
» eft malheureufement
pris fur le fa
» dans fa première friponnerie
: Mais
» fon maintien noble , hardi , magna-
» nime & plein de confiance , étoit
» celui d'un homme en place , lorſqu'il
" affure un des fes protégés
, que le
» pofte qu'il lui avoit promis n'eft plus
» vacant , & qu'il eft actuellement
rem-
» pli par un autre qui le lui avoit de-
» mandé avant lui . Car de même que
» l'homme en place ne manque pas de
» vous reprocher aigrement
, que vous
» n'avez perdu l'emploi que vous fou: -
haitiez , que par votre négligence
» de même auffi notre héros commen-
» çoit par blâmer fon ami fans lui don-
» ner le tems de répondre ; & c . »
Wild ne croit pas avoir affez fait
contre Francoeur , s'il ne vient à bout
de le conduire à la potence . Déjà il á
trouvé le moyen de le repréfenter comme
un banqueroutier frauduleux , &
de faire arrêter fa femme comme complice.
Wild en impofe tellement aux
Juges de fon ami , qu'un Arrêt définitif
condamne enfin au dernier fupplice
l'infortuné Francoeur , qui , tout innocent
& tout honnête homme qu'il eft ,
eft fur le point de voir fa fentencé
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
à
éxécutée. Il eft vrai que lorfqueJonathan
apprit le fort de fon ami , il eut un
un inftant de foibleffe. Il pâlit pour la
première fois ; il faillit de fuccomber
fous le poids des horreurs que lui caufoit
la destinée d'un innocent que luimême
avoit fait condamner injuftement.
Mais fa grandeur d'âme vint toutà-
coup à fon fecours , & lui fir blâmer
ces penfées ignobles , qui s'étoient élevées
malgré lui dans fon efprit. » Quoi !
» difoit-il , femblable à un enfant
» une femme , je perdrois en un inf
tant cet honneur que j'ai acquis avec
» tant de gloire ? .... Qu'est - ce après
tout que la vie d'un homme ? Des
armées , des nations entiéres n'ont-
» elles pas été fouvent immolées à la
» fantaifie d'un grand homme ? Et fans
» parler ici de cette première claffe de
» la grandeur , qui comprend les con
» quérans du genre- humain , combien
» de gens n'ont-ils pas été facrifiés fous
» de vains prétextes pour fatisfaire le
" reffentiment particulier , ou même
» pour exercer le génie d'un héros du
» fecond ordre ? Mais qu'ai-je fait après
tout ? J'ai ruiné une famille ; j'ai con-
» duit un innocent à la potence. Loin
de m'en repentir , je devrois pleurer
AVRIL 1763.
ΤΟΙ
?
comme Alexandre de n'en avoir
» pas ruiné davantage , ou fait pendre
un plus grand nombre.
Francoeur n'eut cependant pas le fort
qui fembloit l'attendre. Son innocence
fut reconnue de fes Juges ; & le grand
Wild reçut enfin la récompenfe dûe à
fon héroïfme. Il fut convaincu & condamné
à une mort qu'on ne pourra
s'empêcher d'appeller honorable , fi on
confidére les grands hommes qui ont
eu l'honneur de la mériter.
6
??
par
Jamais ce héros ne fut arrêté.
aucune de ces foibleffes qui déconcertent
les petites âmes , & qui font
» généralement comprifes fous la dé-
» nomination d'honnêteté. Il avoit entiérement
renoncé à toute pudeur ,
à tout fentiment de compaffion &
» d'humanité ; défauts , qui , comme il
» ne craignoit pas de le dire , étoient
» directement contraires à la grandeur ,
" & fuffifoient pour rendre un homme
» abfolument incapable de faire dans le
» monde une figure un peu honnête ...
» Il avoit compofé des maximes qu'il
» regardoit comme autant de moyens
» fùrs pour parvenir à la grandeur , &
» qu'il obferva conftamment dans toutes
fes démarches. En voici quelques-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» unes. Ne faire jamais à perfonne plus
» de mal qu'il n'eft néceffaire pour
» l'éxécution de fon projet ; parce que
le mal eft quelque chofe de trop
précieux pour le prodiguer inutile-
"
» ment.
» N'admettre parmi les hommes au-
» cune diftinction fondée fur l'amitié
» ou fur quelqu'autre raifon que ce foit ,
mais les facrifier tous également à ſon
» intérêt.
2
» Éviter la pauvreté & la mifére , &
» ne s'attacher , autant qu'il eft poffible ,
» qu'au pouvoir & aux richeffes.
» Ne jamais récompenfer perſonne
" felon fon mérité , & lui infinuer ce-
» pendant toujours que la récompenfe
» eft fort au- deffus de ce qu'on lui doit.
» Une bonne réputation eft comme
» l'argent ; on peut s'en défaire , ou
,, du moins la rifquer pour fe procurer
» quelqu'avantage.
" Les vertus , femblables à des pièrres
» précieuſes , fon aifément contrefaites.
» Parmi les unes & les autres , les fauf-
» fes parent également ceux qui les
" poffedent , & il y a bien ly. peu de con-
» noiffeurs affez habiles pour diftinguer
le vrai diamant du diamant factice.
Eien des fripons fe font perdus pour
AVRIL. 1763 . 103
»ne s'être pas livrés fans réferve à la
» friponnerie. Un homme qui ne joue
» pas tout fon jeu doit naturellement
» perdre ».
En voilà affez pour faire connoître
le genre de critique contenu dans ce
Roman , & le tour d'efprit qu'employe
l'Auteur pour reprendre les défauts qui
font l'objet de fa cenfure. On doit
fçavoir gré au Traducteur de nous avoir
procuré la connoiffance de cet Ouvrage
agréable & plaifant. Sa verfion nous a
paru fidéle fans fervitude , fon ftyle
aifé , mais fans négligence :
le Grand , traduit de l'Anglois de
M. FIELDING, Auteur de JOSEPH
ANDREWS & de TOM JONES , &c
A Londres , & fe trouve à Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques,
au Temple du Goût , 1763 ; deux volumes
in- 12.
L'OUVRAGE que nous annonçons
eft d'un genre fingulier ; & le nom de
fon Auteur , fi connu en France par les
AVRIL. 1763. 95
Traductions qui ont été faites de plufieurs
de fesromans , prévient d'avance
en faveur de celui- ci. Sous le voile d'une
ironie foutenue depuis le commencement
jufqu'à la fin de l'Ouvrage, l'Au
teur cherche à défabufer les hommes
des idées fauffes & prèfque toujours
dangereufes , qu'ils fe forment communément
de la grandeur. Un infigne Scélérat
que des crimes de toute efpéce
conduifent enfin au dernier fupplice , eft
le héros qu'il a choifi pour relever &
cenfurer les préjugés , le mauvais goût,
l'efprit de parti & différens autres défauts
de fes compatriotes ; & quoique,
l'ouvrage foit fait principalement pour
la Nation Angloife , il n'y a point de
Peuple qui ne puiffe s'y reconnoître, ni
de Lecteur qui ne puiffe en profiter. On
ne s'attend pas que nous faffions le récit
des attentats horribles que l'on fait
commettre au fameux Scélérat qui joue
le premier rôle dans ce roman. Il n'eft
question que de vols , d'affaffinats & de
perfidies les plus atroces ; contentonsnous
d'en citer quelques exemples pour
faire connoître le genre de critique de
notre Auteur , toujours préfenté fous le
-voile de l'ironie.
Jonathan Wild , dit Legrand , chef
96 MERCURE DE FRANCE .
»
d'une troupe de voleurs , étoit iffu de
parens diftingués dans cette profeffion .
On l'envoya à l'école avec les autres
enfans de fon âge ; mais il montra
» pour l'étude la répugnance la plus
» marquée . Son Maître , homme de
» beaucoup de fens & de mérite , le
» difpenfa bientôt de toute peine à cet
» égard ; & tandis qu'il affuroit à fes
parens qu'il faifoit les plus grands
» progrès , il lui permettoit de fe livrer
» entiérement à fes inclinations , parce
» qu'il fentoit bien qu'elles le porte-
» roient à des objets plus nobles que les
» fciences , qui , comme on en convient
généralement , ne rendent aucun pró-
» fit , & ne font propres , qu'à empêcher
» un galant homme de s'avancer dans
» le monde. "
Wild y débuta par quelques traits de
friponnerie qui donnerent dès - lors de
grandes efpérances de fon talent. Il fit
connoiffance avec le Comte de la Rufe,
Chevalier d'induftrie ; & ils eurent enfemble
de fréquentes conférences fur
les principes fondamentaux de leur art.
On croit communément que les voleurs
confervent entr'eux une forte de probité
qui les empêche de fe nuire mutuellement.
Le grand. Wild étoit bien audeffus
AVRIL 1763: 97
deffus de ces petites foibleffes : nonfeulement
il croyoit qu'il eft indigne
d'un grand coeur de refpecter la bourfe
de fes camarades ; » mais il n'étoit pas
» même de ces hommes mal -nés , qui
» rougiroient de voir un ami , après
» l'avoir volé ou trahi. Ce caractère
» pufillanime a fouvent produit dans le
» monde les crimes les plus monstrueux .
" Un excès de modeftie dans ce genre
» a porté bien des gens à affaffiner , ou
» du moins à ruiner fans reffource ceux
>> contre qui leur confcience leur repro-
" choit d'avoir commis quelque pecca-
» dille , foit en débauchant leurs fem-
» mes on leurs filles , foit en trahiffant
» leur confiance , foit en rendant contre
>> eux un faux témoignage. Mais dans
» notre héros , tout étoit véritablement
» grand. Toujours maître de lui , il ne
"
craignoit point d'aller boire avec un
» homme qu'il avoit dévalifé le mo-
» ment d'auparavant. »
Sa conduite à l'égard de fon ami
Francoeur fut un chef- d'oeuvre d'héroïfme
en ce genre. Ce dernier étoit
un Marchand Jouiallier , qui affervi aux
idées populaires avoit la foibleffe d'être
compatiffant , fenfible & généreux . Il
portoit la fimplicité au point de ne jamais
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
tirer avantage de l'ignorance de ceux
~ qui venoient acheter chez lui , & de fe
contenter du profit le plus modique.
Sa femme étoit une ame commune
efpèce d'animal domeftique , qui avoit
la petiteffe de fe borner aux foins de
fa famille & de fe faire un devoir de
plaire à fon mari & de bien élever fes
enfans. Ce fut à cette femme , fi peu
manièrée , que Francoeur. préfenta le
grand Wild comme le meilleur de fes
amis. Les premières preuves que notre
héros lui donna de fon amitié , furent
de lui faire efcamoter fes bijoux , tirer
de lui des lettres de change , de le faire
mettre en prifon , de lui enlever fa femme
, &c. &c . & à chaque trait de perfidie
, il avoit la force & le courage de
fe préfenter à lui , tandis que des âmes
vulgaires fe feroient fait un devoir d'éviter
fa rencontre. » Il n'avoit ni l'ex-
» térieur foumis d'un Curé qui aborde
» fon Seigneur après s'être oppofé à
» fon élection , ni l'air, qu'affecte un
» un Médecin , qui apprend à la porte
» de fon malade , que , graces à fes foins ,
» le pauvre patient eft parti pour l'autre
» monde, nila contenance abbattue d'un
» homme, qui , après avoir long-temps
» lutté entre la vertu & le vice , &
»
AVRIL 1763.
TOPHEQUE
Gron
DE
LA
ה ד ו
s'être enfin
déterminé
pour le dern
» eft malheureufement
pris fur le fa
» dans fa première friponnerie
: Mais
» fon maintien noble , hardi , magna-
» nime & plein de confiance , étoit
» celui d'un homme en place , lorſqu'il
" affure un des fes protégés
, que le
» pofte qu'il lui avoit promis n'eft plus
» vacant , & qu'il eft actuellement
rem-
» pli par un autre qui le lui avoit de-
» mandé avant lui . Car de même que
» l'homme en place ne manque pas de
» vous reprocher aigrement
, que vous
» n'avez perdu l'emploi que vous fou: -
haitiez , que par votre négligence
» de même auffi notre héros commen-
» çoit par blâmer fon ami fans lui don-
» ner le tems de répondre ; & c . »
Wild ne croit pas avoir affez fait
contre Francoeur , s'il ne vient à bout
de le conduire à la potence . Déjà il á
trouvé le moyen de le repréfenter comme
un banqueroutier frauduleux , &
de faire arrêter fa femme comme complice.
Wild en impofe tellement aux
Juges de fon ami , qu'un Arrêt définitif
condamne enfin au dernier fupplice
l'infortuné Francoeur , qui , tout innocent
& tout honnête homme qu'il eft ,
eft fur le point de voir fa fentencé
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
à
éxécutée. Il eft vrai que lorfqueJonathan
apprit le fort de fon ami , il eut un
un inftant de foibleffe. Il pâlit pour la
première fois ; il faillit de fuccomber
fous le poids des horreurs que lui caufoit
la destinée d'un innocent que luimême
avoit fait condamner injuftement.
Mais fa grandeur d'âme vint toutà-
coup à fon fecours , & lui fir blâmer
ces penfées ignobles , qui s'étoient élevées
malgré lui dans fon efprit. » Quoi !
» difoit-il , femblable à un enfant
» une femme , je perdrois en un inf
tant cet honneur que j'ai acquis avec
» tant de gloire ? .... Qu'est - ce après
tout que la vie d'un homme ? Des
armées , des nations entiéres n'ont-
» elles pas été fouvent immolées à la
» fantaifie d'un grand homme ? Et fans
» parler ici de cette première claffe de
» la grandeur , qui comprend les con
» quérans du genre- humain , combien
» de gens n'ont-ils pas été facrifiés fous
» de vains prétextes pour fatisfaire le
" reffentiment particulier , ou même
» pour exercer le génie d'un héros du
» fecond ordre ? Mais qu'ai-je fait après
tout ? J'ai ruiné une famille ; j'ai con-
» duit un innocent à la potence. Loin
de m'en repentir , je devrois pleurer
AVRIL 1763.
ΤΟΙ
?
comme Alexandre de n'en avoir
» pas ruiné davantage , ou fait pendre
un plus grand nombre.
Francoeur n'eut cependant pas le fort
qui fembloit l'attendre. Son innocence
fut reconnue de fes Juges ; & le grand
Wild reçut enfin la récompenfe dûe à
fon héroïfme. Il fut convaincu & condamné
à une mort qu'on ne pourra
s'empêcher d'appeller honorable , fi on
confidére les grands hommes qui ont
eu l'honneur de la mériter.
6
??
par
Jamais ce héros ne fut arrêté.
aucune de ces foibleffes qui déconcertent
les petites âmes , & qui font
» généralement comprifes fous la dé-
» nomination d'honnêteté. Il avoit entiérement
renoncé à toute pudeur ,
à tout fentiment de compaffion &
» d'humanité ; défauts , qui , comme il
» ne craignoit pas de le dire , étoient
» directement contraires à la grandeur ,
" & fuffifoient pour rendre un homme
» abfolument incapable de faire dans le
» monde une figure un peu honnête ...
» Il avoit compofé des maximes qu'il
» regardoit comme autant de moyens
» fùrs pour parvenir à la grandeur , &
» qu'il obferva conftamment dans toutes
fes démarches. En voici quelques-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» unes. Ne faire jamais à perfonne plus
» de mal qu'il n'eft néceffaire pour
» l'éxécution de fon projet ; parce que
le mal eft quelque chofe de trop
précieux pour le prodiguer inutile-
"
» ment.
» N'admettre parmi les hommes au-
» cune diftinction fondée fur l'amitié
» ou fur quelqu'autre raifon que ce foit ,
mais les facrifier tous également à ſon
» intérêt.
2
» Éviter la pauvreté & la mifére , &
» ne s'attacher , autant qu'il eft poffible ,
» qu'au pouvoir & aux richeffes.
» Ne jamais récompenfer perſonne
" felon fon mérité , & lui infinuer ce-
» pendant toujours que la récompenfe
» eft fort au- deffus de ce qu'on lui doit.
» Une bonne réputation eft comme
» l'argent ; on peut s'en défaire , ou
,, du moins la rifquer pour fe procurer
» quelqu'avantage.
" Les vertus , femblables à des pièrres
» précieuſes , fon aifément contrefaites.
» Parmi les unes & les autres , les fauf-
» fes parent également ceux qui les
" poffedent , & il y a bien ly. peu de con-
» noiffeurs affez habiles pour diftinguer
le vrai diamant du diamant factice.
Eien des fripons fe font perdus pour
AVRIL. 1763 . 103
»ne s'être pas livrés fans réferve à la
» friponnerie. Un homme qui ne joue
» pas tout fon jeu doit naturellement
» perdre ».
En voilà affez pour faire connoître
le genre de critique contenu dans ce
Roman , & le tour d'efprit qu'employe
l'Auteur pour reprendre les défauts qui
font l'objet de fa cenfure. On doit
fçavoir gré au Traducteur de nous avoir
procuré la connoiffance de cet Ouvrage
agréable & plaifant. Sa verfion nous a
paru fidéle fans fervitude , fon ftyle
aifé , mais fans négligence :
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine