Titre
COMÉDIE FRANÇOISE.
Titre d'après la table
COMÉDIE Françoise.
Titre simplifié de l'article récurrent
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
180
Page de début dans la numérisation
429
Page de fin
192
Page de fin dans la numérisation
441
Incipit
LE Mercredi, 2 Mars, on donna la premiere représentation de Théagêne &
Texte
COMÉDIE
FRANÇOISE.
L E Mercredi , 2 Mars , on donna la
premiere repréſentation de Théagêne &
Cariclée , Tragédie nouvelle. Le pre- .
mier Acte de cette Tragédie fut applaudi
, de même que plufieurs endroits
dans les autres Actes ; mais le Public.
'ayant pas paru approuver la conduite
de ce Poëme , il a été retiré après cette
repréfentation. Cet événement ne doit
ni préjudicier à l'opinion avantageufe
qu'on avoit des talens de l'Autenr , nî
AVRIL. 1763.
181
à l'encouragement qu'ils méritent.
Quand on applaudit à la touche & au
coloris d'un Peintre , il peut fe tromper
fur l'effet de la difpofition dans un tableau
, fans perdre du côté de la gloire
de fon art , & fans que les Amateurs
attendent moins de fes autres productions
dans la fuite ...
Il y avoit , pour la repréſentation de
cette Tragédie , une décoration d'un
effet très-pittorefque. Les ruines qu'elle
repréfentoit , interrompoient cette ouverture
uniforme que l'on laiffe toujours
au milieu de nos Théâtres. Ce genre de
décorer , lorfque les fites de la Scène
y prêtent , devroit être regardé par nos
Décorateurs comme un effai propre à
les éclairer fur les moyens de varier plus
fçavament leurs ouvrages.
Les Comédiens François ont remis
au Théâtre le 28 Février le Somnam
bule , (a) Comédie en profe en un A&te.
Cette Piéce ( Auteur Anonyme ) que
l'on croît être l'ouvrage d'une Société
de gens du monde & de beaucoup d'efprit
, a eu plus de fucès à cette repriſe
que dans fa nouveauté. Elle a été jouée
très agréablement. M. BELCOUR repréfentoit
le Somnambule de la manière la
plus vraie & la plus amufante. Mlle
fa) Premiere Bépréfent. le 19 Janvier 1739.
182 MERCURE DE FRANCE.
DROUIN , qui jouoit un rôle de carac
tère , a mis auffi un comique d'intelligence
que la Piéce éxige & qui contribuoit
à fon agrément. La vivacité de M.
MOLÉ & les graces comiques de M.
PRÉVILLE , complétoient l'effet heureux
des repréſentations de cette Comédie
qui a été fuivie avec fuccès.
Une autre remife de Piéce fur laquelle
nous nous permettons fans fcrupule de
répéter les éloges que méritent les Comédiens
François , eft celle des Femmes
Sçavantes , de MOLIERE , repriſe
le même jour ( 28 Février. ) Nous en
avons parlé ci- devant dans l'Article des
Spectacles de la Cour. Nous annonçons
avec plaifir qu'il reft encore parmi nous,
une portion de Spectateurs ( ce n'eft pas
à la vérité la plus nombreufe , ) qu'un
goût de préférence attache à ces beanrés
, malgré leur ancienneté & malgré la
mode de certaines gentilleffes dramatiques
fardées des graces volatiles de la
Mufique nouvelle .
Les repréſentations des Femmes Sçavantes
ont été fort applaudies ; & ces
applaudiffemens n'avoient certainement
pas leur fource dans la frivolité du goût
dominant.
La Débutante pour l'emploi des caAVRIL.
1763. 183
+
ractéres qui a paru dans quelques rôles
de ce genre eft Mlle DORVILLE , foeur
de. Mlle RIVIERE ( ci-devant Mlle
CATINON , ) de Mlle CARELIN & de
Mlle BOGNIOLI . Le Public a reconnu
dans cette Débutante , qu'elle avoit part
à l'efpèce de patrimoine de cette famlle
pour les talens du Théâtre. Les fuccès
dans ce genre , où l'on ne paroît jamais
dans l'age qui féduit & intéreffe ne
peuvent être auffi brillans que dans d'autres
; mais Mlle DORVILLE a eu la
fatisfaction de montrer à des Spectateurs
éclairés une connoiffance raifonnée de
fon talent & une pratique du Théâtre
qui peut la rendre très - utile à tous ceux
pour lefquels elle fera employée.
›
Le Lundi 14 Mars on a donné la
première repréfentation de l'Anglois
à Bordeaux Comédie nouvelle en
vers libres & en un Acte , fuivie d'un
Divertiffement au fujet de la Paix, Le
plus grand fuccès , le plus unanime &
le moins fufpe & a couronné cet ouvra
ge . Le Public impatient de n'en pas voir
paroître l'Auteur, que fa modeftie avoit
fait fortir du Spectacle longtemps avant
la fin , après l'avoir inutilement deman
dé près d'un quart d'heure , ne permit
pas que l'on commençât le Divertiffe
V
184 MERCURE DE FRANCE .
W
ment , qu'au moins on n'eût publiquement
déclaré fon nom ; & lorfqu'un des
Acteurs eut nommé M. FAVART ( a ) ,
on applaudit pendant longtemps avec
une vivacité univerfelle. Cet Auteur a
été obligé à la feconde repréfentation
de céder à un empreffement auffi flat-
(a) Nous faififfons avec empreffement l'occa→
fion de rendre à cet égard un témoignage pur
blic à la vérité , & un témoignage que des circonftances
particulières nous ont mis en état
d'affirmer par ferment , s'il en étoit befoin . Nous
atteftons ici que M. FAVART eft feul l'Auteur de
cette Piéce. L'envie fecrette du Lecteur ou du
Spectateur qui cherche à fe venger pour ain
dire de ce qu'elle eft forcée d'admirer , le penchant
à croire autre chofe que ce que l'on nous
préfente ; la fauffe vanité de paroître inftruit de
certains fecrets de la Société toutes ces petites
caufes réunies , avoient concouru à accréditer une
efpéce de propos courant à la mode pour enlever
très-injuftement à M. FAVART l'honneur de
les talens , déja connus & eftimés , & fur le
loris defquels les Gens de Lettres , ( Juges natarels
en cette partié ) ne pourront jamais ſe méprendre
que volontairement. Au refte cet Auteur
, quoique dans un genre moins élevé , peut
Te flatter du même honneur qu'on a fait longtemps
à un grand homme , ( par la ridicule Fable
du Chartreux ) petit ftratagême de l'Envie
publique qui fe renouvellera fouvent contre bien
des Auteurs , tant qu'il y aura des Méchaas intéreffés
à femer un faux bruit , des Etourdis pour
Le débiter & des Sots pour le croire.
CoAVRIL
1763. 185
teur de la part du Public , & a reçu en
perfonne les témoignages éclatans de
fon fuffrage.
La morale la plus philofophique, embellie
des grâces & de toutes les fleurs
d'un ftyle où l'efprit & l'élégance brillent
toujours ; une délicateffe adroite à
peindre avec vérité deux Nations plus
rivales qu'ennemies ; des éloges fans flaterie
pour l'une & pour l'autre ; des critiques
fines & vives fans amertume fur
les caractères , les ufages & les moeurs
des François & des Anglois ; pardeffus,
tout , un fentiment vrai & touchant des
vertus de l'humanité ; voilà le précis de
l'ouvrage dont nous différons avec le
plus grand regret de donner un Extrait
détaillé : mais le peu d'efpace que l'abondance
des autres matières laiffe à
notre Article des Spectacles,nous oblige
à le remettre au Vol. du 15 de ce mois.
Cette Piéce a été jouée parfaitement;
& M. PREVILLE dans le rôle de Sudmner
a fait un plaifir tout nouveau .
Nous n'ofons prèfqu'ici rendre à Mlle,
DANGEVILLE le tribut d'éloges trop
mérités en cette occafion. Si ce tribut,
eft le dernier que nous devions payer
à cette inimitable Actrice , c'est renouveller
des regrets trop bien fondés.
186 MERCURE DE FRANCE.
AVIS SUR L'ÉDITION DE
L'ANGLOIS A BORDEAUX.
N. B. On apprend que plufieurs per
fonnes fefont affociées pour copier cette
Piéce aux repréfentations , afin d'envoyer
ces Copies à des Chefs de Troupes
de Province. On ne doute pas qu'il n'y
ait quelqu'Edition faite fur ces copies
& fans doute très-informe: On avertit
le Public que la véritable Edition fefait
chez DUCHESNE , rue S. Jacques ;
qu'elle fera facile à reconnoître par le
Divertiffement dont la Mufiquefera imprimée
à la fin , & par le Paraphe de
Auteur qui fera fur le titre.
9 Le Samedi , 19 Mars on donna
pour la clôture de ce Théâtre la quatriéme
repréſentation de cette même
Piéce ( l'Anglois à Bordeaux. ) Le concours
des Spectateurs y étoit auffi confidérable
qu'il puiffe être , les applau
diffemens perpétuels. Cette foirée ainfi
que toutes celles où cette Piéce avoit
été repréſentée , l'extérieur de l'Hôtel
des Comédiens a été illuminé.
L'Anglois à Bordeaux fut précédé
d'une repréſentation de Tancréde , dans
!
AVRIL. 1763. 187
laquelle Mlle DUBOIS , repréfentant à
la place de Mlle CLAIRON , eut un
fuccès très-agréable , & d'autant plus
flateur qu'il lui fut confirmé en fortant
du Théâtre , par le fuffrage de l'admirable
A&trice qu'elle avoit doublée &
qui avoit affifté à la repréſentation . ( b )
Mlle DUBOIS avoit déjà joué avec fuc
cès dans la repréfentation de Théagéne
& Cariclée , & dans celle de l'Orphelin
de la Chine . Paroître dans des rôles
que le Public eft accoutumé à voir ren
dre par Mlle CLAIRON & n'y être
que foufferte fans dèfagrément , feroit
pour une Actrice un titre de talent ; y
faire plaifir en beaucoup de parties , y
être applaudie de bonne foi , & ne paroître
dèfagréablement en aucun en
droit , c'eft , à ce qu'il femble , décider
Mlle DUBOIS , l'efpérance de ce Théâtre
pour le tragique . La conduite de
ce jeune Sujet dans l'étude de fon art ,
confirmera ou détruira cette efpérance.
Le même jour M. DAUBERVAL ,
Acteur du Théatre François , prononça
le Difcours fuivant.
(b ) La fanté de Mlle CLAIRON , quoiqu'extrémement
altérée , laiſſe eſpérer avec les fecours du
repos & du temps , un rétabliffement qui la ren
dra aux yeux du Public.
188 MERCURE DE FRANCE.
MESSIEURS ,
» Chargé de vous préfenter l'homma❤
» ge de notre reconnoiffance , il m'eft
» doux de penfer que cet emploi pré-,
> cieux à mon coeur appartient à celui
» fur lequel votre indulgence a le plus
» éclaté.
» Il eſt de ces momens où la Nature
» pour ainfi dire épuifée paroît rallen-
» tie dans fes productions,où les grands
» Modéles qui ont précédé , femblent
» avoir été formés aux dépens de leurs
Succeffeurs. Alors les difpofitions les.
» plus communes paroiffent avoir acquis
» quelques droits à votre bienveil-
» lance.
.
» Oui , Meffieurs , vous voulez bien
» avoir égard aux circonftances , & ne
pas nous juger toujours à la rigueur.
» Vous avez daigné jetter un regard
» favorable fur nos efforts , dans un
» temps où la retraite de M. GRAND-
" VAL vous laiffoit à regretter un Ac-
» teur inimitable , qui au talent le plus
» vrai joignoit l'art de rendre le Ridicule
fans rien faire perdre à fes rô-
" les dans leur nobleffe ; vous applau-
» diffiez en lui ce mérite fi rare d'être
AVRIL. 1763. 189
" le Peintre de fon Siécle , & de paroî-
» tre fur la Scène moins Acteur qu'-
» homme du monde ; l'homme même ;
» du jour qu'il repréfentoit.
כ
» Vous avez été frappés depuis , Mef-
» fieurs , d'une perte plus grande encore
: ce Spectacle vous la retracera
dans tous les temps. L'Auteur d'A-
» trée , de Rhadamifte , d'Electre, dont
le génie avoit porté tant de fois la
» terreur dans votre âme , l'Efchyle
François n'eft plus ; mais fes fublimes
» productions vous reftent , & fa gloi-
» re perfonnelle devient aujourd'hui
> celle de toute la Nation.
"
» Qu'il me foit permis , Meffieurs
» de guider vos regards vers ce Mau-
» folée que fait élever à ce grand Hom-
» me un Roi dont la tendreffe pater-
» nelle
pour fes Sujets perçe les ombres
?> de la mort.
» Nous ne vous envierons plus , Na-
» tions voiſines ! ces témoignages publics
de vénération pour les talens fu-
» blimes. Le marbre va vous exprimer
» cette grande vérité que le Père des
» Peuples eft auffi celui des Arts.
» Mais cet honneur rendu aux mâ-
» nes de CRÉBILLON eft encore atten-
» du de ceux du Grand CORNEILLE ,
190 MERCURE DE FRANCE .
» de RACINE , de MOLIERE ; oferaije
le dire , Meffieurs , ces mânes il-
» luftres l'attendent de vous.
»
» Héritiers de cette grandeur qui furt
" l'âme du fiécle dernier , tout ce qui
» lui eft échappé d'actions glorieuſes
» vous appartient . Ce lieu même vous
» rappelle encore à ces fentimens géné-
» reux qui ont arraché à l'infortune la
» petite fille du Grand CORNEILLE.
» Ce que vous avez fait pour le fang de
» ce grand homme marque ce qui vous
» refte à faire pour fa mémoire .
·
» Qu'il fera beau de voir un Monar-
» que & un Peuple rivaux fe difputer
» la gloire utile d'honorer les talens !
» quoi de plus propre à les encourager
» que ces témoignages éternels de votre
» admiration ? que ne devez - vous point
» attendre , Meffieurs , des Auteurs dra-
» matiques , lorfqu'ils pourront ſe flat-
» ter que les fuffrages dont vous les
» avez honorés feront perpétués fur le
» marbre ? oui , Meffieurs , les talens
» vous doivent tout leur éclat. Ils s'éteignent
loin du charme des applau
» diffemens & du flambeau de la criti-
» que . Que n'ont-ils de même leur four-
» ce dans le fentiment vrai du befoin de
> votre indulgence ! J'aurois en vous
AVRIL. 1763. 191
ม» la demandant , Meffieurs , l'efpoir fatisfaisant
de mériter un jour vos bon
» tés.
Ce Difcours fut généralement applaudi.
Le principal objet ( feu M. CRÉ-
BILLON , auquel pour la dernière fois
nous ajoutons - le Monfieur ) étoit récemment
renouvellé dans la mémoire
des Spectateurs , par un très -beau Portrait
de ce grand Poëte , que les Comédiens
venoient de faire placer depuis
quelques jours , au rang des illuftres
foutiens du Théâtre François. Ce Portrait
, admirable par la vérité de la reffemblance
& par toutes les grandes parties
de la Peinture , eft-l'ouvrage de M.
DOYEN , Peintre du ROI .
ne ,
Quoique la retraite de Mlle Dan-
GEVILLE ne paroiffe que trop certainous
remettons à donner les anecdotes
que nous fommes dans l'ufage
d'inférer dans nos Journaux fur les Sujets
de ce Théâtre en ces fortes d'occafions
: mais nous communiquerons un
des hommages que la Poëfie , qu'elle
a fi bien fervie , rend à cette excellente
Actrice.
#92 MERCURE DE FRANCE.
VERS à l'occafion de la retraite de
Mlle DAN GEVILLE.
Tout Paris l'adoroit , tout Paris la regrette ;
Du Théâtre François elle étoit l'ornement.
On ne perdra jamais d'Actrice plus parfaite :
Jamais on ne verra plus modeſte talent.
Chacun peut en juger par ce trait furprenant
Elle force l'envie à pleurer ſa retraite.
FRANÇOISE.
L E Mercredi , 2 Mars , on donna la
premiere repréſentation de Théagêne &
Cariclée , Tragédie nouvelle. Le pre- .
mier Acte de cette Tragédie fut applaudi
, de même que plufieurs endroits
dans les autres Actes ; mais le Public.
'ayant pas paru approuver la conduite
de ce Poëme , il a été retiré après cette
repréfentation. Cet événement ne doit
ni préjudicier à l'opinion avantageufe
qu'on avoit des talens de l'Autenr , nî
AVRIL. 1763.
181
à l'encouragement qu'ils méritent.
Quand on applaudit à la touche & au
coloris d'un Peintre , il peut fe tromper
fur l'effet de la difpofition dans un tableau
, fans perdre du côté de la gloire
de fon art , & fans que les Amateurs
attendent moins de fes autres productions
dans la fuite ...
Il y avoit , pour la repréſentation de
cette Tragédie , une décoration d'un
effet très-pittorefque. Les ruines qu'elle
repréfentoit , interrompoient cette ouverture
uniforme que l'on laiffe toujours
au milieu de nos Théâtres. Ce genre de
décorer , lorfque les fites de la Scène
y prêtent , devroit être regardé par nos
Décorateurs comme un effai propre à
les éclairer fur les moyens de varier plus
fçavament leurs ouvrages.
Les Comédiens François ont remis
au Théâtre le 28 Février le Somnam
bule , (a) Comédie en profe en un A&te.
Cette Piéce ( Auteur Anonyme ) que
l'on croît être l'ouvrage d'une Société
de gens du monde & de beaucoup d'efprit
, a eu plus de fucès à cette repriſe
que dans fa nouveauté. Elle a été jouée
très agréablement. M. BELCOUR repréfentoit
le Somnambule de la manière la
plus vraie & la plus amufante. Mlle
fa) Premiere Bépréfent. le 19 Janvier 1739.
182 MERCURE DE FRANCE.
DROUIN , qui jouoit un rôle de carac
tère , a mis auffi un comique d'intelligence
que la Piéce éxige & qui contribuoit
à fon agrément. La vivacité de M.
MOLÉ & les graces comiques de M.
PRÉVILLE , complétoient l'effet heureux
des repréſentations de cette Comédie
qui a été fuivie avec fuccès.
Une autre remife de Piéce fur laquelle
nous nous permettons fans fcrupule de
répéter les éloges que méritent les Comédiens
François , eft celle des Femmes
Sçavantes , de MOLIERE , repriſe
le même jour ( 28 Février. ) Nous en
avons parlé ci- devant dans l'Article des
Spectacles de la Cour. Nous annonçons
avec plaifir qu'il reft encore parmi nous,
une portion de Spectateurs ( ce n'eft pas
à la vérité la plus nombreufe , ) qu'un
goût de préférence attache à ces beanrés
, malgré leur ancienneté & malgré la
mode de certaines gentilleffes dramatiques
fardées des graces volatiles de la
Mufique nouvelle .
Les repréſentations des Femmes Sçavantes
ont été fort applaudies ; & ces
applaudiffemens n'avoient certainement
pas leur fource dans la frivolité du goût
dominant.
La Débutante pour l'emploi des caAVRIL.
1763. 183
+
ractéres qui a paru dans quelques rôles
de ce genre eft Mlle DORVILLE , foeur
de. Mlle RIVIERE ( ci-devant Mlle
CATINON , ) de Mlle CARELIN & de
Mlle BOGNIOLI . Le Public a reconnu
dans cette Débutante , qu'elle avoit part
à l'efpèce de patrimoine de cette famlle
pour les talens du Théâtre. Les fuccès
dans ce genre , où l'on ne paroît jamais
dans l'age qui féduit & intéreffe ne
peuvent être auffi brillans que dans d'autres
; mais Mlle DORVILLE a eu la
fatisfaction de montrer à des Spectateurs
éclairés une connoiffance raifonnée de
fon talent & une pratique du Théâtre
qui peut la rendre très - utile à tous ceux
pour lefquels elle fera employée.
›
Le Lundi 14 Mars on a donné la
première repréfentation de l'Anglois
à Bordeaux Comédie nouvelle en
vers libres & en un Acte , fuivie d'un
Divertiffement au fujet de la Paix, Le
plus grand fuccès , le plus unanime &
le moins fufpe & a couronné cet ouvra
ge . Le Public impatient de n'en pas voir
paroître l'Auteur, que fa modeftie avoit
fait fortir du Spectacle longtemps avant
la fin , après l'avoir inutilement deman
dé près d'un quart d'heure , ne permit
pas que l'on commençât le Divertiffe
V
184 MERCURE DE FRANCE .
W
ment , qu'au moins on n'eût publiquement
déclaré fon nom ; & lorfqu'un des
Acteurs eut nommé M. FAVART ( a ) ,
on applaudit pendant longtemps avec
une vivacité univerfelle. Cet Auteur a
été obligé à la feconde repréfentation
de céder à un empreffement auffi flat-
(a) Nous faififfons avec empreffement l'occa→
fion de rendre à cet égard un témoignage pur
blic à la vérité , & un témoignage que des circonftances
particulières nous ont mis en état
d'affirmer par ferment , s'il en étoit befoin . Nous
atteftons ici que M. FAVART eft feul l'Auteur de
cette Piéce. L'envie fecrette du Lecteur ou du
Spectateur qui cherche à fe venger pour ain
dire de ce qu'elle eft forcée d'admirer , le penchant
à croire autre chofe que ce que l'on nous
préfente ; la fauffe vanité de paroître inftruit de
certains fecrets de la Société toutes ces petites
caufes réunies , avoient concouru à accréditer une
efpéce de propos courant à la mode pour enlever
très-injuftement à M. FAVART l'honneur de
les talens , déja connus & eftimés , & fur le
loris defquels les Gens de Lettres , ( Juges natarels
en cette partié ) ne pourront jamais ſe méprendre
que volontairement. Au refte cet Auteur
, quoique dans un genre moins élevé , peut
Te flatter du même honneur qu'on a fait longtemps
à un grand homme , ( par la ridicule Fable
du Chartreux ) petit ftratagême de l'Envie
publique qui fe renouvellera fouvent contre bien
des Auteurs , tant qu'il y aura des Méchaas intéreffés
à femer un faux bruit , des Etourdis pour
Le débiter & des Sots pour le croire.
CoAVRIL
1763. 185
teur de la part du Public , & a reçu en
perfonne les témoignages éclatans de
fon fuffrage.
La morale la plus philofophique, embellie
des grâces & de toutes les fleurs
d'un ftyle où l'efprit & l'élégance brillent
toujours ; une délicateffe adroite à
peindre avec vérité deux Nations plus
rivales qu'ennemies ; des éloges fans flaterie
pour l'une & pour l'autre ; des critiques
fines & vives fans amertume fur
les caractères , les ufages & les moeurs
des François & des Anglois ; pardeffus,
tout , un fentiment vrai & touchant des
vertus de l'humanité ; voilà le précis de
l'ouvrage dont nous différons avec le
plus grand regret de donner un Extrait
détaillé : mais le peu d'efpace que l'abondance
des autres matières laiffe à
notre Article des Spectacles,nous oblige
à le remettre au Vol. du 15 de ce mois.
Cette Piéce a été jouée parfaitement;
& M. PREVILLE dans le rôle de Sudmner
a fait un plaifir tout nouveau .
Nous n'ofons prèfqu'ici rendre à Mlle,
DANGEVILLE le tribut d'éloges trop
mérités en cette occafion. Si ce tribut,
eft le dernier que nous devions payer
à cette inimitable Actrice , c'est renouveller
des regrets trop bien fondés.
186 MERCURE DE FRANCE.
AVIS SUR L'ÉDITION DE
L'ANGLOIS A BORDEAUX.
N. B. On apprend que plufieurs per
fonnes fefont affociées pour copier cette
Piéce aux repréfentations , afin d'envoyer
ces Copies à des Chefs de Troupes
de Province. On ne doute pas qu'il n'y
ait quelqu'Edition faite fur ces copies
& fans doute très-informe: On avertit
le Public que la véritable Edition fefait
chez DUCHESNE , rue S. Jacques ;
qu'elle fera facile à reconnoître par le
Divertiffement dont la Mufiquefera imprimée
à la fin , & par le Paraphe de
Auteur qui fera fur le titre.
9 Le Samedi , 19 Mars on donna
pour la clôture de ce Théâtre la quatriéme
repréſentation de cette même
Piéce ( l'Anglois à Bordeaux. ) Le concours
des Spectateurs y étoit auffi confidérable
qu'il puiffe être , les applau
diffemens perpétuels. Cette foirée ainfi
que toutes celles où cette Piéce avoit
été repréſentée , l'extérieur de l'Hôtel
des Comédiens a été illuminé.
L'Anglois à Bordeaux fut précédé
d'une repréſentation de Tancréde , dans
!
AVRIL. 1763. 187
laquelle Mlle DUBOIS , repréfentant à
la place de Mlle CLAIRON , eut un
fuccès très-agréable , & d'autant plus
flateur qu'il lui fut confirmé en fortant
du Théâtre , par le fuffrage de l'admirable
A&trice qu'elle avoit doublée &
qui avoit affifté à la repréſentation . ( b )
Mlle DUBOIS avoit déjà joué avec fuc
cès dans la repréfentation de Théagéne
& Cariclée , & dans celle de l'Orphelin
de la Chine . Paroître dans des rôles
que le Public eft accoutumé à voir ren
dre par Mlle CLAIRON & n'y être
que foufferte fans dèfagrément , feroit
pour une Actrice un titre de talent ; y
faire plaifir en beaucoup de parties , y
être applaudie de bonne foi , & ne paroître
dèfagréablement en aucun en
droit , c'eft , à ce qu'il femble , décider
Mlle DUBOIS , l'efpérance de ce Théâtre
pour le tragique . La conduite de
ce jeune Sujet dans l'étude de fon art ,
confirmera ou détruira cette efpérance.
Le même jour M. DAUBERVAL ,
Acteur du Théatre François , prononça
le Difcours fuivant.
(b ) La fanté de Mlle CLAIRON , quoiqu'extrémement
altérée , laiſſe eſpérer avec les fecours du
repos & du temps , un rétabliffement qui la ren
dra aux yeux du Public.
188 MERCURE DE FRANCE.
MESSIEURS ,
» Chargé de vous préfenter l'homma❤
» ge de notre reconnoiffance , il m'eft
» doux de penfer que cet emploi pré-,
> cieux à mon coeur appartient à celui
» fur lequel votre indulgence a le plus
» éclaté.
» Il eſt de ces momens où la Nature
» pour ainfi dire épuifée paroît rallen-
» tie dans fes productions,où les grands
» Modéles qui ont précédé , femblent
» avoir été formés aux dépens de leurs
Succeffeurs. Alors les difpofitions les.
» plus communes paroiffent avoir acquis
» quelques droits à votre bienveil-
» lance.
.
» Oui , Meffieurs , vous voulez bien
» avoir égard aux circonftances , & ne
pas nous juger toujours à la rigueur.
» Vous avez daigné jetter un regard
» favorable fur nos efforts , dans un
» temps où la retraite de M. GRAND-
" VAL vous laiffoit à regretter un Ac-
» teur inimitable , qui au talent le plus
» vrai joignoit l'art de rendre le Ridicule
fans rien faire perdre à fes rô-
" les dans leur nobleffe ; vous applau-
» diffiez en lui ce mérite fi rare d'être
AVRIL. 1763. 189
" le Peintre de fon Siécle , & de paroî-
» tre fur la Scène moins Acteur qu'-
» homme du monde ; l'homme même ;
» du jour qu'il repréfentoit.
כ
» Vous avez été frappés depuis , Mef-
» fieurs , d'une perte plus grande encore
: ce Spectacle vous la retracera
dans tous les temps. L'Auteur d'A-
» trée , de Rhadamifte , d'Electre, dont
le génie avoit porté tant de fois la
» terreur dans votre âme , l'Efchyle
François n'eft plus ; mais fes fublimes
» productions vous reftent , & fa gloi-
» re perfonnelle devient aujourd'hui
> celle de toute la Nation.
"
» Qu'il me foit permis , Meffieurs
» de guider vos regards vers ce Mau-
» folée que fait élever à ce grand Hom-
» me un Roi dont la tendreffe pater-
» nelle
pour fes Sujets perçe les ombres
?> de la mort.
» Nous ne vous envierons plus , Na-
» tions voiſines ! ces témoignages publics
de vénération pour les talens fu-
» blimes. Le marbre va vous exprimer
» cette grande vérité que le Père des
» Peuples eft auffi celui des Arts.
» Mais cet honneur rendu aux mâ-
» nes de CRÉBILLON eft encore atten-
» du de ceux du Grand CORNEILLE ,
190 MERCURE DE FRANCE .
» de RACINE , de MOLIERE ; oferaije
le dire , Meffieurs , ces mânes il-
» luftres l'attendent de vous.
»
» Héritiers de cette grandeur qui furt
" l'âme du fiécle dernier , tout ce qui
» lui eft échappé d'actions glorieuſes
» vous appartient . Ce lieu même vous
» rappelle encore à ces fentimens géné-
» reux qui ont arraché à l'infortune la
» petite fille du Grand CORNEILLE.
» Ce que vous avez fait pour le fang de
» ce grand homme marque ce qui vous
» refte à faire pour fa mémoire .
·
» Qu'il fera beau de voir un Monar-
» que & un Peuple rivaux fe difputer
» la gloire utile d'honorer les talens !
» quoi de plus propre à les encourager
» que ces témoignages éternels de votre
» admiration ? que ne devez - vous point
» attendre , Meffieurs , des Auteurs dra-
» matiques , lorfqu'ils pourront ſe flat-
» ter que les fuffrages dont vous les
» avez honorés feront perpétués fur le
» marbre ? oui , Meffieurs , les talens
» vous doivent tout leur éclat. Ils s'éteignent
loin du charme des applau
» diffemens & du flambeau de la criti-
» que . Que n'ont-ils de même leur four-
» ce dans le fentiment vrai du befoin de
> votre indulgence ! J'aurois en vous
AVRIL. 1763. 191
ม» la demandant , Meffieurs , l'efpoir fatisfaisant
de mériter un jour vos bon
» tés.
Ce Difcours fut généralement applaudi.
Le principal objet ( feu M. CRÉ-
BILLON , auquel pour la dernière fois
nous ajoutons - le Monfieur ) étoit récemment
renouvellé dans la mémoire
des Spectateurs , par un très -beau Portrait
de ce grand Poëte , que les Comédiens
venoient de faire placer depuis
quelques jours , au rang des illuftres
foutiens du Théâtre François. Ce Portrait
, admirable par la vérité de la reffemblance
& par toutes les grandes parties
de la Peinture , eft-l'ouvrage de M.
DOYEN , Peintre du ROI .
ne ,
Quoique la retraite de Mlle Dan-
GEVILLE ne paroiffe que trop certainous
remettons à donner les anecdotes
que nous fommes dans l'ufage
d'inférer dans nos Journaux fur les Sujets
de ce Théâtre en ces fortes d'occafions
: mais nous communiquerons un
des hommages que la Poëfie , qu'elle
a fi bien fervie , rend à cette excellente
Actrice.
#92 MERCURE DE FRANCE.
VERS à l'occafion de la retraite de
Mlle DAN GEVILLE.
Tout Paris l'adoroit , tout Paris la regrette ;
Du Théâtre François elle étoit l'ornement.
On ne perdra jamais d'Actrice plus parfaite :
Jamais on ne verra plus modeſte talent.
Chacun peut en juger par ce trait furprenant
Elle force l'envie à pleurer ſa retraite.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine
Est adressé ou dédié à une personne