Titre d'après la table
Les Dons des Enfans de Latone, &c.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
322
Page de début dans la numérisation
355
Page de fin
335
Page de fin dans la numérisation
368
Incipit
LES DONS DES ENFANS DE LATONE, la Musique est la Chasse du Cerf, Poëmes
Texte
LES DONS DES ENFANS DE LATONE ,
la Musique et la Chasse du Cerf, Poëmes
dédiez au Roy. A Paris , Quay de Gêvres
, ruë S. Jean de Beauvais , et Quay
des Augustins , chez Prault , Desaint , et
Guerin , 1734. in 8. de 330. pages , sans
l'Epitre et la Préface , et sans les Tons
de Chasse et Fanfares , à une et deux
Trompes , dont la Lettre et la Musique
sont gravées en 32. pages.
Epitre
FEVRIER 1734- 323
L'Epître au Roy commence ainsi .
Digne présent des Dieux , doux fruit de leur
Largesse ,
Grand Roy , dont la bonté , la grace , la Sa
gesse ,
Enchantent des François les regards et le coeur,
Pendant que ton nom vole et seme la terreur ,
Avant d'entrer au Char que t'aprête Bellone ,
Reçoi les dons flatteurs des Enfans de Latone,
Mais que ne dois- tu pas au zele d'Apollon ?
Est-il quelque détour dans le sacré Vallon,
Où de ses feux féconds la lumineuse trace ,
N'ait ouvert à tes yeux les trésors du Parnasse ›
Un guide que ce Dieu lui même t'a donné , -
Dans le champ des Beaux Arts longtemps t'a
promené ;
Il porta devant toi ce flambeau qui t'éclaire ,
Ta sagesse est son bien, ta gloire est son salaire.
Sans doute dans le cours de ses doctes leçons
Il ne fit point entrer la science des sons.
Phoebus se reservoit le droit de t'en instruire :
Ecoute les accents que vient t'offrir sa Lyre ;
D'une Muse empressée il soutient les efforts ,
Pour t'annoncer les Loix de ses divins accords.
Le premier Poëme est celui d'Apollon
ou de l'origine des Spectacles en Musi-
Fiiij que,
324
MERCURE DE FRANCE
que rien n'est plus ingenieux et mieux
conduit que la Fable dont l'Auteur s'est
servi pour établir les principes de la
Musique , la création successive de divers
Instrumens , quelques regles de la
composition ; et pour parvenir enfin à
l'établissement des Opéras , il a sçu mettre
en action tous les Dieux , dont Apollon
est le Héros, et dans une matiere qui
sembloit ne devoir étre que Didactique
il y met un mouvement si interessant
avec tant de clarté et rempli de tant
d'images agréables , qu'on ne s'apperçoit
plus qu'on s'instruit d'un art difficile.
Dans le premier Chant après avoir établi
les trois dons ; de voir , de parler et
d'entendre , accordez à l'homme par la
nature, dont on fait une description aussi
noble que singuliere , l'Auteur suppose
qu'Apollon déguisé en Berger d'Admete
trouvant les Bergers de l'Amphrise attroupez
pour entendre le concert des
Oyseaux , et se plaignant des Dieux d'avoir
refusé à l'homme un talent si merveilleux
, leur reproche leur injustice ,
et leur apprend que le don de la voix a
été accordé aux hommes d'une maniere
infiniment supérieure aux chants des Oiseaux
, qu'il ne leur manque que la connoissance
d'un art inventé pour les Dieux
СЕ
FEVRIER. 1734- 3.25
et dont il offre de leur faire part .
On ne sera pas fâché de voir ici comment
s'exprime l'Auteur dans les premieres
pages de son premier Chant .
"
L'air dans un sein fecond est à peine reçû ,
Que le son aussitôt repoussé que conçû ,
D'un flexible gosier s'ouvrant la trace humide
Se fait entendre du gré ûu souffle qui le guide ;
Des muscles , des tendons au passage attachez
En bordent les contours plus ou moins relâchez ;
S'ils se serrent , le son avec éclat s'élance ;
S'ils s'ouvrent , il grossit : de cette différence ,
Du grave ou de l'aigu nait le genre opposé ;
Entr'eux se forme encore un ordre composé ,
Dont les accens suivis , s'élevent ou descendent ;
Se détachent par bonds , voltigent , ou s'étendent
.
Pour l'homme c'étoit peu de parler et de voir ,
Si de s'oüir soi - même il n'eût eu le pouvoir :
Trois osselets legers que cet étuy renferme, ( a )
L'un par l'autre frappez , trouvent un nerfpour
terme.
Si-tôt que pénétrant ces tortueux détours ,
La voix jusques au fond a prolongé son cours ,
Du même mouvement dont elle fût poussée
Elle heurte des os la suite compassée.
か
(( a ); Latête,.
F * Le
326 MERCURE DE FRANCE
"Le premier sous la forme et le nom d'un mar,
1
teau ,
N'est pas plutôt frappé d'un froissement ˝nouvcau
,
Qu'il le rend à l'instant dans le même volume ,
Au second qui le suit et qui lui sert d'enclume.
Cette enclume à son tour fait frémir son sou
tien :
Là le nerf attaché par un leger lien ,
De cette impulsion sentant la violence ,
Du son dans le cerveau porte la connoissance ;
Qui tel qu'en une voute ou d'yvoire ou d'airain
,
Retentit et des voix forme l'écho certain.
Dans quarante Vers l'Auteur fait ensuite
un précis des principaux Elemens
de la Musique ; il les borne cependant
à la seule connoissance des modes naturels
, leur cache les transpositions par les
diezes et par les B. mols , et toutes les
fausses dissonances dont la sensibilité luf
paroît dangereuse , et pourroit troo
amollir: il dit :
Les Dieux seuls à leur gré vertueux , invincibles ,
Se reservent pour eux ces délices sensibles, &c.
C'est cette réserve qui fait le noud
du Poëme ; après les avoir suffisamment
instruits Apollon se fait connoître et
paroît
FEVRIER. 1734 327.
paroît aux Bergers revêtu de son éclat.
Ce Chant a du coûter à l'Auteur pour
rendre avec netteté les Elemens de la
Musique aussi est-ce le seul où on
trouve plus de didactique ; les trois
autres Chants sont en action , et
ne représentent que des images amusantes.
>
SECOND CHANT.
Les Bergers reconnoissans des bienfaits
d'Apollon , ne s'occupent plus qu'à
mettre en pratique leurs nouvelles connoissances
; Minerve devient jalouse du
culte rendu à Apollon , et , pour attirer
au sien les Bergers , elle imagine de former
un instrument des rozeaux qui se
trouvent sous sa main ; elle donne les
commencemens de la Flute à bec ; mais
elle s'apperçoit bien - tôt que les traits
de son visage en sont alterez .
Elle en rougit de honte , et quittant le rivage ,
Abandonne aux mortels le fruit de son ouvrage.
Pan l'apperçoit, en étudie les positions,
les découvre , et en fait usage avec succès
; en voicy la description.
Le Canal qui le perce , également concave ,
Sous l'empire des mains , y tient le son'esclave ;
F vj Sc
328 MERCURE DE FRANCE
Sa tête s’extenuë , en courbe finissant ;
L'autre bout évasé , Louvre en s'arrondiss ant ;
· Ses trous , daps un long ordre, arrangez par me-
..sure ,
Divisent de ce corps l'harmonique figure ;
Le premier plus ouvert , des autres détaché ,
Rend tout l'air qu'il reçoit et n'est jamais bouché.
Cette description finit par l'effet qu'elle
produit dans les Campagnes .
Il module avec art une chanson nouvelle ;
Non content de l'apprendre aux Echos des For
rêts ,
Il en veut dans les Champs étaler les attraits ;
A l'éclat de ses sons , les timides Bergeres ,
Les Faunes , les Sylvains , et les Nimphes légeres
Volent autour de lui , le suivent en tous lieux
Et forment , en dansant , un cercle gracieux.
L'Email , de mille fleurs , sous leurs pas se déploye
,
Et la terre paroît en tressaillir de joye..
Apollon devient jaloux à son tour de
Minerve , et pour la surpasser il invente
la Lyre ou le Violon toutes les parties:
en sont exprimées avec bien de la netteté
et de la précision . Le Lecteur en va juger.
DonFEVRIER.
1734 329
Donnons la voix aux Nerfs , et que le Bois
resonne.
T Ildit : Et le Laurier qu'un nouvel art façonne
D'un Instrument nouveau , prend la forme soudain
,
Deux Tables de ce bois , qu'a refendu sa main .
Répondent l'une à l'autre , et leur mesure égale,
A la vue , offriroit l'image d'un ovale ,
Si le trait transversal de deux cintres rentrans ,
De son juste milieu , ne recourboit les flancs,
Quatre Nerfs que Latone elle-même a filez ;
Inégaux en grosseur , par dégré redoublez ,
se roulent sur leurs Clefs , dociles à s'étendre ,
Et prompts à se prêter aux sons qu'ils doivent :
rendre.
Un Archet manque encor qu'il naisse du Lau
rier ,
Die Phoebus ; que Pégaze accoure y déployer ,.
Be son col argenté , l'étincelante Soye.
Icy on voit une brillante image de tous
les Dieux descendus du Ciel, pour enten →
dre jouer Apollon ; l'Amour s'en approche
de plus près , et le
de lui appresse
prendre et la Musique et l'Art de jouer
du Violon . Cette peinture est trop charmante
pour n'en pas mettre icy quelques.
raits.
330 MERCURE DE FRANCE
Sous un nuage épais , le Tiran de Cithere ,
L'Amour dormoit panché sur le sein de sa înere,
A ce bruit il s'éveille , et dessillant ses yeux ,
Va porter de plus près ses regards curieux.
Phoebus impatient , souffre à regret sa vuë ,
Il connoît d'un enfant , la main peu retenuë ;'
Il le fuit , mais en vain ; l'Amour pose cent
fois ,
Sur les Nerfs résonnans , ses téméraires doigts ;
Il interrompt le cours des divines cadences ,
L'accable imprudemment d'importunes instances
.
&c.
Phébus lui refuse les secrets de son Art,
et lui parle en ces termes :
La Lyre , répond-t - il, n'est point faite à Pusage
,
D'un Dieu , qui des humains , amollit le courage
;.
Elle ne doit servir qu'à chanter les Héros ,
Vainqueurs de la mollesse , ennemis du repos ,
Dont les noms sont gravez au Temple de mémoire
,
Ou , qu'à chanter des Dieux , les bienfaits et la
gloire .
Comme Apollon joüant devant les
Dieux, n'avoit rien caché de tous les mys
teres de son Art, qu'il avoit jusques-là jugé
FEVRIER 1734. 331
gé à propos de celer aux Mortels , l'Amour
se taît , et s'applique à en décou
vrir toute la finesse ; il apprend toutes les
transpositions par les Dièses et par les B
mols , et toutes les Dissonnances. Apollon
ne s'en apperçoit point ; les Dieux se
séparent , et l'Amour chargé de son nou
veau larcin , se prépare à s'en servir pour
augmenter ses conquêtes.
TROISIEME CHANT.
L'Amour va trouver Pan dans l'Arcadie,
il l'instruit de tous ses secrets , lui
apprend le different usage qu'on doit faire
des Dièzes et des B mols , pour remuer
, étonner ou amollir les coeurs des
Mortels , selon les passions différentes
qu'on leur veut inspirer.Leur union produit
bien- tôt un effet surprenant; tout cede
,tout se rend auxChansons amoureuses.
Minerve reparoît et indignée de la corruption
générale que font dans la Grece
les Chants effeminez de Pan et de l'Amour
, elle va trouver Apollon , lui expose
l'abus qu'on fait de son Art ; ils concertent
les moyens d'y remédier. Apollon
invente la Trompette , et la fait emboucher
par Bellone.
Bellonne vient , l'embouche , et court de toutes
parts
Ras
332 MERCURE DE FRANCE
Rassembler sur ses pas tous les peuples épars.
Tout céde aux sentimens que la Déesse inspire
Il n'est plus de Mortel qui d'un fatal dêlire ,
Par de cuisans remords , reconnoissant l'erreur
Ne brûle de donner des marques de valeur.
:
Tout est changé , l'Amour ne reçoit plus de
Fêtes ,
Il voit évanouir ses nouvelles conquêtes ,
V
Ses Autels sont déserts , il part ; et furieux ,
Au deffaut des Mortels va corrompre les Dieux.
Les Syrenes , filles d'Achelaüs , sont les
seules qui s'obstinent à ne point renoncer
aux Chansons amoureuses.
QUATRIEME CHANT.
Minerve irritée de l'obstination des Syrenes,
résout de les corriger ou de les perdre
; elle prend le temps d'un jour qu'elles
se promenoient sur la Mer , dans un
Esquif, où se croyant seules , elles se livróient
au plaisir de chanter des Chansons
libres et prophanes. Sous ; la forme
d'une Matrône Minerve les aborde dans
un pareil Esquif, leur reproche leur indécence
; elle est bien- tôt l'objet de leur
mépris; elle soûrit ; et changeant de forme
, d'un coup de sa Lance elle renverse
- leux:
FEVRIER. 1734. 333
leur Esquif. Les Syrenes reparoissent encore
, mais c'est pour être des Monstres ,
avec la tête seule d'une femme ; elles se
précipitent de honte dans les Flots , où
après avoir parcouru l'immensité des
Mers pendant long temps , elles fixent.
leur course et s'arrêtent aux bords de l'orageux
Pélore ; depuis plusieurs siècles
elles y avoient perdu la voix , lorsqu'Appollon
prend pitié de leur malheur : leur
pardonne leurs impiétez , leur rend la voix ,
mais leur prescrit l'usage qu'il faut faire
des Chants et de la Musique .
Il pousse plus loin sa bienveillance , il
forme le dessein de se servir d'elles pour
l'établissement d'un Théatre Lyrique ,
soumis aux Loix de Melpomene ; il leur
ordonne d'apprendre l'art du Chant aux
Tritons et aux Naïades ; il charge Circé sa
fille , d'offrir sur les Eaux un Spectacle
magnifique , orné de machines et de décorations
, et mêlé de toutes sortes de
danses , de caracteres différents Circé
fait d'abord paroître pour le Prologue le
sacré Vallon ; ce Prologue est fait à l'honneur
d'Appollon ; il est suivi d'une nouvelle
décoration , qui représente le Palais
de Proserpine où l'on doit celebrer son
enlevement par Pluton .
On choisit ce sujet préférablement à un
antre
334 MERCURE DE FRANCE
tre pour flatter les peuples de Sicile , qui
d'abord en sont les spectateurs,parce que
les Poëtes ont feint que Proserpine avoit
été enlevée dans cette Isle. C'est là qu'on
voit un détail exact et ingénieux de toutes
les différentes parties qui composent
l'Opéra.
Les peuples de Sicile en paroissent peu
enchantés , ils prennent bien - tôt la résolution
d'imiter ce genre de Spectacles
et de le porter dans leurs Villes , c'est
en imitation de ce premier Opera , representé
sur les Eaux que les Italiens ont
inventé et établi ce Spectacle pompeux.
Dans la suite des temps Lully étant né
parmi eux en a apporté l'idée en France
et c'est par lui qu'on a vû triompher
ce nouveau Spectacle dont il est regardé
comme second inventeur.
L'Epître sur la Musique est la troisiéme
Edition d'un Ouvrage déja reçu du Public
avec un applaudissement general.
Le premier Chant contient l'Histoire
de la Musique en France depuis 80 ans
l'Eloge détaillé de tous les Operas de
Lully et de Quinaut , dont les descriptions
ont reçu de grands Eloges de tous
les connoisseurs et par les Journaux et
par les Mercures.
Le
FEVRIER 1734- 335
Le deuxième, après avoir donné quelques
préceptes sur la Poësie et la Musique
des Operas, entre dans le détail de
tous les Operas nouveaux qui ont été faits
depuis Lully et avec une grande impartialité
porte de justes decisions sur le mérite
de chaque ouvrage.
Le troisiéme Chant expose en quoi
consiste le mérite des Operas d'Italie ,
quelle est la nature de leur bonne Musique
, leurs beautez , leurs deffauts et le
nom des Maîtres qui y ont le plus
excellé.
Le quatrième Chant parle du nouveau
genre de Musique que nous avons goûté
et imité des Italiens depuis quelques
années ; sçavoir , les Sonnates , et les
Cantates , on nomme les Auteurs qui
ont le mieux réussi dans ce genre , et
l'Auteur finit en proposant de réunir les
deux gouts ensemble pour donner à l'Art
de la Musique toute la perfection qu'elle
peut trouver dans les graces Françoises
et dans la science Italienne.
la Musique et la Chasse du Cerf, Poëmes
dédiez au Roy. A Paris , Quay de Gêvres
, ruë S. Jean de Beauvais , et Quay
des Augustins , chez Prault , Desaint , et
Guerin , 1734. in 8. de 330. pages , sans
l'Epitre et la Préface , et sans les Tons
de Chasse et Fanfares , à une et deux
Trompes , dont la Lettre et la Musique
sont gravées en 32. pages.
Epitre
FEVRIER 1734- 323
L'Epître au Roy commence ainsi .
Digne présent des Dieux , doux fruit de leur
Largesse ,
Grand Roy , dont la bonté , la grace , la Sa
gesse ,
Enchantent des François les regards et le coeur,
Pendant que ton nom vole et seme la terreur ,
Avant d'entrer au Char que t'aprête Bellone ,
Reçoi les dons flatteurs des Enfans de Latone,
Mais que ne dois- tu pas au zele d'Apollon ?
Est-il quelque détour dans le sacré Vallon,
Où de ses feux féconds la lumineuse trace ,
N'ait ouvert à tes yeux les trésors du Parnasse ›
Un guide que ce Dieu lui même t'a donné , -
Dans le champ des Beaux Arts longtemps t'a
promené ;
Il porta devant toi ce flambeau qui t'éclaire ,
Ta sagesse est son bien, ta gloire est son salaire.
Sans doute dans le cours de ses doctes leçons
Il ne fit point entrer la science des sons.
Phoebus se reservoit le droit de t'en instruire :
Ecoute les accents que vient t'offrir sa Lyre ;
D'une Muse empressée il soutient les efforts ,
Pour t'annoncer les Loix de ses divins accords.
Le premier Poëme est celui d'Apollon
ou de l'origine des Spectacles en Musi-
Fiiij que,
324
MERCURE DE FRANCE
que rien n'est plus ingenieux et mieux
conduit que la Fable dont l'Auteur s'est
servi pour établir les principes de la
Musique , la création successive de divers
Instrumens , quelques regles de la
composition ; et pour parvenir enfin à
l'établissement des Opéras , il a sçu mettre
en action tous les Dieux , dont Apollon
est le Héros, et dans une matiere qui
sembloit ne devoir étre que Didactique
il y met un mouvement si interessant
avec tant de clarté et rempli de tant
d'images agréables , qu'on ne s'apperçoit
plus qu'on s'instruit d'un art difficile.
Dans le premier Chant après avoir établi
les trois dons ; de voir , de parler et
d'entendre , accordez à l'homme par la
nature, dont on fait une description aussi
noble que singuliere , l'Auteur suppose
qu'Apollon déguisé en Berger d'Admete
trouvant les Bergers de l'Amphrise attroupez
pour entendre le concert des
Oyseaux , et se plaignant des Dieux d'avoir
refusé à l'homme un talent si merveilleux
, leur reproche leur injustice ,
et leur apprend que le don de la voix a
été accordé aux hommes d'une maniere
infiniment supérieure aux chants des Oiseaux
, qu'il ne leur manque que la connoissance
d'un art inventé pour les Dieux
СЕ
FEVRIER. 1734- 3.25
et dont il offre de leur faire part .
On ne sera pas fâché de voir ici comment
s'exprime l'Auteur dans les premieres
pages de son premier Chant .
"
L'air dans un sein fecond est à peine reçû ,
Que le son aussitôt repoussé que conçû ,
D'un flexible gosier s'ouvrant la trace humide
Se fait entendre du gré ûu souffle qui le guide ;
Des muscles , des tendons au passage attachez
En bordent les contours plus ou moins relâchez ;
S'ils se serrent , le son avec éclat s'élance ;
S'ils s'ouvrent , il grossit : de cette différence ,
Du grave ou de l'aigu nait le genre opposé ;
Entr'eux se forme encore un ordre composé ,
Dont les accens suivis , s'élevent ou descendent ;
Se détachent par bonds , voltigent , ou s'étendent
.
Pour l'homme c'étoit peu de parler et de voir ,
Si de s'oüir soi - même il n'eût eu le pouvoir :
Trois osselets legers que cet étuy renferme, ( a )
L'un par l'autre frappez , trouvent un nerfpour
terme.
Si-tôt que pénétrant ces tortueux détours ,
La voix jusques au fond a prolongé son cours ,
Du même mouvement dont elle fût poussée
Elle heurte des os la suite compassée.
か
(( a ); Latête,.
F * Le
326 MERCURE DE FRANCE
"Le premier sous la forme et le nom d'un mar,
1
teau ,
N'est pas plutôt frappé d'un froissement ˝nouvcau
,
Qu'il le rend à l'instant dans le même volume ,
Au second qui le suit et qui lui sert d'enclume.
Cette enclume à son tour fait frémir son sou
tien :
Là le nerf attaché par un leger lien ,
De cette impulsion sentant la violence ,
Du son dans le cerveau porte la connoissance ;
Qui tel qu'en une voute ou d'yvoire ou d'airain
,
Retentit et des voix forme l'écho certain.
Dans quarante Vers l'Auteur fait ensuite
un précis des principaux Elemens
de la Musique ; il les borne cependant
à la seule connoissance des modes naturels
, leur cache les transpositions par les
diezes et par les B. mols , et toutes les
fausses dissonances dont la sensibilité luf
paroît dangereuse , et pourroit troo
amollir: il dit :
Les Dieux seuls à leur gré vertueux , invincibles ,
Se reservent pour eux ces délices sensibles, &c.
C'est cette réserve qui fait le noud
du Poëme ; après les avoir suffisamment
instruits Apollon se fait connoître et
paroît
FEVRIER. 1734 327.
paroît aux Bergers revêtu de son éclat.
Ce Chant a du coûter à l'Auteur pour
rendre avec netteté les Elemens de la
Musique aussi est-ce le seul où on
trouve plus de didactique ; les trois
autres Chants sont en action , et
ne représentent que des images amusantes.
>
SECOND CHANT.
Les Bergers reconnoissans des bienfaits
d'Apollon , ne s'occupent plus qu'à
mettre en pratique leurs nouvelles connoissances
; Minerve devient jalouse du
culte rendu à Apollon , et , pour attirer
au sien les Bergers , elle imagine de former
un instrument des rozeaux qui se
trouvent sous sa main ; elle donne les
commencemens de la Flute à bec ; mais
elle s'apperçoit bien - tôt que les traits
de son visage en sont alterez .
Elle en rougit de honte , et quittant le rivage ,
Abandonne aux mortels le fruit de son ouvrage.
Pan l'apperçoit, en étudie les positions,
les découvre , et en fait usage avec succès
; en voicy la description.
Le Canal qui le perce , également concave ,
Sous l'empire des mains , y tient le son'esclave ;
F vj Sc
328 MERCURE DE FRANCE
Sa tête s’extenuë , en courbe finissant ;
L'autre bout évasé , Louvre en s'arrondiss ant ;
· Ses trous , daps un long ordre, arrangez par me-
..sure ,
Divisent de ce corps l'harmonique figure ;
Le premier plus ouvert , des autres détaché ,
Rend tout l'air qu'il reçoit et n'est jamais bouché.
Cette description finit par l'effet qu'elle
produit dans les Campagnes .
Il module avec art une chanson nouvelle ;
Non content de l'apprendre aux Echos des For
rêts ,
Il en veut dans les Champs étaler les attraits ;
A l'éclat de ses sons , les timides Bergeres ,
Les Faunes , les Sylvains , et les Nimphes légeres
Volent autour de lui , le suivent en tous lieux
Et forment , en dansant , un cercle gracieux.
L'Email , de mille fleurs , sous leurs pas se déploye
,
Et la terre paroît en tressaillir de joye..
Apollon devient jaloux à son tour de
Minerve , et pour la surpasser il invente
la Lyre ou le Violon toutes les parties:
en sont exprimées avec bien de la netteté
et de la précision . Le Lecteur en va juger.
DonFEVRIER.
1734 329
Donnons la voix aux Nerfs , et que le Bois
resonne.
T Ildit : Et le Laurier qu'un nouvel art façonne
D'un Instrument nouveau , prend la forme soudain
,
Deux Tables de ce bois , qu'a refendu sa main .
Répondent l'une à l'autre , et leur mesure égale,
A la vue , offriroit l'image d'un ovale ,
Si le trait transversal de deux cintres rentrans ,
De son juste milieu , ne recourboit les flancs,
Quatre Nerfs que Latone elle-même a filez ;
Inégaux en grosseur , par dégré redoublez ,
se roulent sur leurs Clefs , dociles à s'étendre ,
Et prompts à se prêter aux sons qu'ils doivent :
rendre.
Un Archet manque encor qu'il naisse du Lau
rier ,
Die Phoebus ; que Pégaze accoure y déployer ,.
Be son col argenté , l'étincelante Soye.
Icy on voit une brillante image de tous
les Dieux descendus du Ciel, pour enten →
dre jouer Apollon ; l'Amour s'en approche
de plus près , et le
de lui appresse
prendre et la Musique et l'Art de jouer
du Violon . Cette peinture est trop charmante
pour n'en pas mettre icy quelques.
raits.
330 MERCURE DE FRANCE
Sous un nuage épais , le Tiran de Cithere ,
L'Amour dormoit panché sur le sein de sa înere,
A ce bruit il s'éveille , et dessillant ses yeux ,
Va porter de plus près ses regards curieux.
Phoebus impatient , souffre à regret sa vuë ,
Il connoît d'un enfant , la main peu retenuë ;'
Il le fuit , mais en vain ; l'Amour pose cent
fois ,
Sur les Nerfs résonnans , ses téméraires doigts ;
Il interrompt le cours des divines cadences ,
L'accable imprudemment d'importunes instances
.
&c.
Phébus lui refuse les secrets de son Art,
et lui parle en ces termes :
La Lyre , répond-t - il, n'est point faite à Pusage
,
D'un Dieu , qui des humains , amollit le courage
;.
Elle ne doit servir qu'à chanter les Héros ,
Vainqueurs de la mollesse , ennemis du repos ,
Dont les noms sont gravez au Temple de mémoire
,
Ou , qu'à chanter des Dieux , les bienfaits et la
gloire .
Comme Apollon joüant devant les
Dieux, n'avoit rien caché de tous les mys
teres de son Art, qu'il avoit jusques-là jugé
FEVRIER 1734. 331
gé à propos de celer aux Mortels , l'Amour
se taît , et s'applique à en décou
vrir toute la finesse ; il apprend toutes les
transpositions par les Dièses et par les B
mols , et toutes les Dissonnances. Apollon
ne s'en apperçoit point ; les Dieux se
séparent , et l'Amour chargé de son nou
veau larcin , se prépare à s'en servir pour
augmenter ses conquêtes.
TROISIEME CHANT.
L'Amour va trouver Pan dans l'Arcadie,
il l'instruit de tous ses secrets , lui
apprend le different usage qu'on doit faire
des Dièzes et des B mols , pour remuer
, étonner ou amollir les coeurs des
Mortels , selon les passions différentes
qu'on leur veut inspirer.Leur union produit
bien- tôt un effet surprenant; tout cede
,tout se rend auxChansons amoureuses.
Minerve reparoît et indignée de la corruption
générale que font dans la Grece
les Chants effeminez de Pan et de l'Amour
, elle va trouver Apollon , lui expose
l'abus qu'on fait de son Art ; ils concertent
les moyens d'y remédier. Apollon
invente la Trompette , et la fait emboucher
par Bellone.
Bellonne vient , l'embouche , et court de toutes
parts
Ras
332 MERCURE DE FRANCE
Rassembler sur ses pas tous les peuples épars.
Tout céde aux sentimens que la Déesse inspire
Il n'est plus de Mortel qui d'un fatal dêlire ,
Par de cuisans remords , reconnoissant l'erreur
Ne brûle de donner des marques de valeur.
:
Tout est changé , l'Amour ne reçoit plus de
Fêtes ,
Il voit évanouir ses nouvelles conquêtes ,
V
Ses Autels sont déserts , il part ; et furieux ,
Au deffaut des Mortels va corrompre les Dieux.
Les Syrenes , filles d'Achelaüs , sont les
seules qui s'obstinent à ne point renoncer
aux Chansons amoureuses.
QUATRIEME CHANT.
Minerve irritée de l'obstination des Syrenes,
résout de les corriger ou de les perdre
; elle prend le temps d'un jour qu'elles
se promenoient sur la Mer , dans un
Esquif, où se croyant seules , elles se livróient
au plaisir de chanter des Chansons
libres et prophanes. Sous ; la forme
d'une Matrône Minerve les aborde dans
un pareil Esquif, leur reproche leur indécence
; elle est bien- tôt l'objet de leur
mépris; elle soûrit ; et changeant de forme
, d'un coup de sa Lance elle renverse
- leux:
FEVRIER. 1734. 333
leur Esquif. Les Syrenes reparoissent encore
, mais c'est pour être des Monstres ,
avec la tête seule d'une femme ; elles se
précipitent de honte dans les Flots , où
après avoir parcouru l'immensité des
Mers pendant long temps , elles fixent.
leur course et s'arrêtent aux bords de l'orageux
Pélore ; depuis plusieurs siècles
elles y avoient perdu la voix , lorsqu'Appollon
prend pitié de leur malheur : leur
pardonne leurs impiétez , leur rend la voix ,
mais leur prescrit l'usage qu'il faut faire
des Chants et de la Musique .
Il pousse plus loin sa bienveillance , il
forme le dessein de se servir d'elles pour
l'établissement d'un Théatre Lyrique ,
soumis aux Loix de Melpomene ; il leur
ordonne d'apprendre l'art du Chant aux
Tritons et aux Naïades ; il charge Circé sa
fille , d'offrir sur les Eaux un Spectacle
magnifique , orné de machines et de décorations
, et mêlé de toutes sortes de
danses , de caracteres différents Circé
fait d'abord paroître pour le Prologue le
sacré Vallon ; ce Prologue est fait à l'honneur
d'Appollon ; il est suivi d'une nouvelle
décoration , qui représente le Palais
de Proserpine où l'on doit celebrer son
enlevement par Pluton .
On choisit ce sujet préférablement à un
antre
334 MERCURE DE FRANCE
tre pour flatter les peuples de Sicile , qui
d'abord en sont les spectateurs,parce que
les Poëtes ont feint que Proserpine avoit
été enlevée dans cette Isle. C'est là qu'on
voit un détail exact et ingénieux de toutes
les différentes parties qui composent
l'Opéra.
Les peuples de Sicile en paroissent peu
enchantés , ils prennent bien - tôt la résolution
d'imiter ce genre de Spectacles
et de le porter dans leurs Villes , c'est
en imitation de ce premier Opera , representé
sur les Eaux que les Italiens ont
inventé et établi ce Spectacle pompeux.
Dans la suite des temps Lully étant né
parmi eux en a apporté l'idée en France
et c'est par lui qu'on a vû triompher
ce nouveau Spectacle dont il est regardé
comme second inventeur.
L'Epître sur la Musique est la troisiéme
Edition d'un Ouvrage déja reçu du Public
avec un applaudissement general.
Le premier Chant contient l'Histoire
de la Musique en France depuis 80 ans
l'Eloge détaillé de tous les Operas de
Lully et de Quinaut , dont les descriptions
ont reçu de grands Eloges de tous
les connoisseurs et par les Journaux et
par les Mercures.
Le
FEVRIER 1734- 335
Le deuxième, après avoir donné quelques
préceptes sur la Poësie et la Musique
des Operas, entre dans le détail de
tous les Operas nouveaux qui ont été faits
depuis Lully et avec une grande impartialité
porte de justes decisions sur le mérite
de chaque ouvrage.
Le troisiéme Chant expose en quoi
consiste le mérite des Operas d'Italie ,
quelle est la nature de leur bonne Musique
, leurs beautez , leurs deffauts et le
nom des Maîtres qui y ont le plus
excellé.
Le quatrième Chant parle du nouveau
genre de Musique que nous avons goûté
et imité des Italiens depuis quelques
années ; sçavoir , les Sonnates , et les
Cantates , on nomme les Auteurs qui
ont le mieux réussi dans ce genre , et
l'Auteur finit en proposant de réunir les
deux gouts ensemble pour donner à l'Art
de la Musique toute la perfection qu'elle
peut trouver dans les graces Françoises
et dans la science Italienne.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs