Titre
DIALOGUE. EPICURE, SARDANAPALE.
Titre d'après la table
Dialogue entre Epicure & Sardanapale,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
17
Page de début dans la numérisation
20
Page de fin
22
Page de fin dans la numérisation
25
Incipit
SARDANAPALE. J'aurois bien voulu avoir votre connoissance quand je
Texte
DIALOGUE.
EPICURE , SARDANAPALE.
SARDANA PALE.
'Aurois bien voulu avoir votre conquand
je
> nonriez
enfeigné la route du bonheur ; car
vous avez , m'a- t- on dit , beaucoup philofophé
fur le fouverain bien .
EPICURE.
Il eft vrai que j'ai fait comme font tous
les hommes , j'ai cherché à adoucir ma
condition ; mais votre langage m'étonne ,
vous avez paffé pour l'homme du monde
le plus voluptueux .
SARDANA PALE.
Et j'en étois le plus malheureux . Ayant
tous les moyens pour fixer le plaifir , je
n'ai jamais pû l'arrêter ; quand je voulois
jouir il difparoiffoit , il épuifoit mes defirs
fans les fatisfaire. Vous ne diriez pas
que je me fuis trouvé dans des fituations
où je croyois n'avoir point d'ame . Venus ,
les Graces, tout Cythere auroit paru devant
18 MERCURE DE FRANCE.
moi , fans tirer mon coeur de la langueur
où il étoit plongé.
EPICUR E.
Il eft vrai que fi nous euffions vêcu enfemble
, je vous aurois donné un remede
qui vous auroit tiré de cette eſpèce de léthargie.
SARDANA PAL É.
Quel étoit- il donc ce remede que j'ai
tant cherché ?
EPICUR E.
La tempérance.
SARDANA PALE.
Bon , c'eſt une vraie privation ,
ÉPICURE.
Ce n'eft qu'une fage économie. Vous
vous trompiez ; la jouiffance n'eft pas toujours
ce qui donne le bonheur , ce n'eſt
que la façon dont on jouit. Quand vous
aviez fait un grand dîner , quelque bons
mets qu'on vous eût préfenté, ne vous fentiez-
vous pas du dégoût pour eux , & n'étiez-
vous pas
forcé de vous priver du ſouper?
AVRIL. 1755.
19
SARDANA PALE.
Il eſt vrai.
EPICURE.
Hé bien les fenfations de notre ame
s'émouffent par le grand ufage des plaiſirs,
comme l'appétit fe perd dans un grand repas
bien plus , je croirois que les viciffitudes
& les traverfes , que les humains
regardent comme des maux , font néceffaires
au bonheur , cela réveille les goûts.
L'uniformité eſt la- compagne de l'ennui .
SARDANA PALÉ.
C'est ce que j'ai éprouvé , perfonne n'a
recherché le plaifir avec plus de conſtance
que moi , & perfonne n'a été plus ennuyé.
Croiriez- vous que je ne fuis forti de la vie
que parce que j'en étois dégoûté ? Je ſçai
bien qu'on a attribué la caufe de ma mort
à ma molleffe ; & à la crainte que j'avois
de l'esclavage ; ce que je vous dis eft
pourtant très-vrai.
EPICUR E.
Je veux bien vous croire ; cependant
quand on a vêcu comme vous , on ne fupporte
gueres les infortunes : la plus petite
peine devient un mal confidérable pour les
20 MERCURE DE FRANCE.
gens délicats. J'ai oui dire qu'un habitant
de Sibaris ne put dormir fur un lit de roſes ,
parce qu'une feuille fe trouva pliée ; une
telle délicateffe eft bien incommode .
SARDANA PALE.
Je ne l'ai jamais pouffée auffi loin , je
me fuis contenté de paffer ma vie dans.
la compagnie de mes femmes , à raffiner
fur des amuſemens qui n'ont jamais pu
remplir le vuide de mon ame.
EPICURE .
Je le vois bien , nous nous accordons
tous dans le defir d'être heureux , mais
ce n'eſt que dans le choix des moyens que
nous différons étrangement ; vous cherchiez
le bonheur dans une jouiffance continue
, j'ai connu des gens qui ne le trouvoient
que dans l'efpérance.
SARDANA PALE.
C'eft la mere de l'illufion & de l'erreur.
EPICUR E.
Une erreur agréable plaît toujours . Si
vous vous en étiez tenu aux plaifirs de
l'imagination , vous ne vous plaindriez
point de votre fort ; ce n'eft que pour les
avoir trop approfondis que vous les avez
vû difparoître.
AVRIL.
1755. 21
SARDANA PALE.
tenu Vous ne vous en êtes pourtant pas
aux chimeriques plaifirs de l'imagination ;.
vos difciples d'aujourd'hui me font croire
que vous avez cherché plus de réalité .
EPICURE.
On a abufé de ma doctrine & prostitué
mon nom : les libertins qui s'en décorent ,
fe donnent pour mes diſciples , mais je les
defavoue .
SARDANA PALE.
Mais quel a donc été votre fyftême ?
EPICURE.
Quant à la théorie , j'ai regardé le plaifir
comme une fleur délicate , qu'il në falloit
point cueillir pour jouir plus long- tems
& de fa beauté & de fon odeur.
SARDANA PALE.
Et quant à la pratique ?
EPICUR E.
J'ai cru qu'un jardin agréable à cultiver
, une compagne douce & fidelle , des
amis choifis , des repas gais , affaifonnés
par la frugalité , une étude amufante &
22 MERCURE DE FRANCE.
modérée , devoit rendre l'homme auffi heureux
qu'il pouvoit l'être.
SARDANA PALE.
Je me ferois affez accommodé de votre
fyftême-pratique fi je l'euffe connu ; mais
croyez -vous qu'il ait pû ainfi accommoder
tout le monde ? le bonheur n'eft point un
être de raifon , le fentiment doit le produire
, il eft fait pour le goûter , & chaque
perfonne a fa façon de fentir particuliere.
J'ai oui dire à des morts de bon
fens , qu'on n'étoit jamais moins heureux
que quand on en étoit réduit aux ſyſtêmes
; je peux fervir d'exemple à cette judicieufe
remarque.
EPICURE,
Vous parlez en homme d'expérience ;
je n'ai rien à vous répondre ; mais je croirois
pourtant toujours qu'on peut prévenir
le dégoût ; que fans s'exciter à jouir d'un
plaifir qu'on ne fent pas , on peut fe mettre
dans une difpofition propre à le recevoir
; le refte eft l'ouvrage du tempérament
& des circonftances.
G. N. De Bord.
EPICURE , SARDANAPALE.
SARDANA PALE.
'Aurois bien voulu avoir votre conquand
je
> nonriez
enfeigné la route du bonheur ; car
vous avez , m'a- t- on dit , beaucoup philofophé
fur le fouverain bien .
EPICURE.
Il eft vrai que j'ai fait comme font tous
les hommes , j'ai cherché à adoucir ma
condition ; mais votre langage m'étonne ,
vous avez paffé pour l'homme du monde
le plus voluptueux .
SARDANA PALE.
Et j'en étois le plus malheureux . Ayant
tous les moyens pour fixer le plaifir , je
n'ai jamais pû l'arrêter ; quand je voulois
jouir il difparoiffoit , il épuifoit mes defirs
fans les fatisfaire. Vous ne diriez pas
que je me fuis trouvé dans des fituations
où je croyois n'avoir point d'ame . Venus ,
les Graces, tout Cythere auroit paru devant
18 MERCURE DE FRANCE.
moi , fans tirer mon coeur de la langueur
où il étoit plongé.
EPICUR E.
Il eft vrai que fi nous euffions vêcu enfemble
, je vous aurois donné un remede
qui vous auroit tiré de cette eſpèce de léthargie.
SARDANA PAL É.
Quel étoit- il donc ce remede que j'ai
tant cherché ?
EPICUR E.
La tempérance.
SARDANA PALE.
Bon , c'eſt une vraie privation ,
ÉPICURE.
Ce n'eft qu'une fage économie. Vous
vous trompiez ; la jouiffance n'eft pas toujours
ce qui donne le bonheur , ce n'eſt
que la façon dont on jouit. Quand vous
aviez fait un grand dîner , quelque bons
mets qu'on vous eût préfenté, ne vous fentiez-
vous pas du dégoût pour eux , & n'étiez-
vous pas
forcé de vous priver du ſouper?
AVRIL. 1755.
19
SARDANA PALE.
Il eſt vrai.
EPICURE.
Hé bien les fenfations de notre ame
s'émouffent par le grand ufage des plaiſirs,
comme l'appétit fe perd dans un grand repas
bien plus , je croirois que les viciffitudes
& les traverfes , que les humains
regardent comme des maux , font néceffaires
au bonheur , cela réveille les goûts.
L'uniformité eſt la- compagne de l'ennui .
SARDANA PALÉ.
C'est ce que j'ai éprouvé , perfonne n'a
recherché le plaifir avec plus de conſtance
que moi , & perfonne n'a été plus ennuyé.
Croiriez- vous que je ne fuis forti de la vie
que parce que j'en étois dégoûté ? Je ſçai
bien qu'on a attribué la caufe de ma mort
à ma molleffe ; & à la crainte que j'avois
de l'esclavage ; ce que je vous dis eft
pourtant très-vrai.
EPICUR E.
Je veux bien vous croire ; cependant
quand on a vêcu comme vous , on ne fupporte
gueres les infortunes : la plus petite
peine devient un mal confidérable pour les
20 MERCURE DE FRANCE.
gens délicats. J'ai oui dire qu'un habitant
de Sibaris ne put dormir fur un lit de roſes ,
parce qu'une feuille fe trouva pliée ; une
telle délicateffe eft bien incommode .
SARDANA PALE.
Je ne l'ai jamais pouffée auffi loin , je
me fuis contenté de paffer ma vie dans.
la compagnie de mes femmes , à raffiner
fur des amuſemens qui n'ont jamais pu
remplir le vuide de mon ame.
EPICURE .
Je le vois bien , nous nous accordons
tous dans le defir d'être heureux , mais
ce n'eſt que dans le choix des moyens que
nous différons étrangement ; vous cherchiez
le bonheur dans une jouiffance continue
, j'ai connu des gens qui ne le trouvoient
que dans l'efpérance.
SARDANA PALE.
C'eft la mere de l'illufion & de l'erreur.
EPICUR E.
Une erreur agréable plaît toujours . Si
vous vous en étiez tenu aux plaifirs de
l'imagination , vous ne vous plaindriez
point de votre fort ; ce n'eft que pour les
avoir trop approfondis que vous les avez
vû difparoître.
AVRIL.
1755. 21
SARDANA PALE.
tenu Vous ne vous en êtes pourtant pas
aux chimeriques plaifirs de l'imagination ;.
vos difciples d'aujourd'hui me font croire
que vous avez cherché plus de réalité .
EPICURE.
On a abufé de ma doctrine & prostitué
mon nom : les libertins qui s'en décorent ,
fe donnent pour mes diſciples , mais je les
defavoue .
SARDANA PALE.
Mais quel a donc été votre fyftême ?
EPICURE.
Quant à la théorie , j'ai regardé le plaifir
comme une fleur délicate , qu'il në falloit
point cueillir pour jouir plus long- tems
& de fa beauté & de fon odeur.
SARDANA PALE.
Et quant à la pratique ?
EPICUR E.
J'ai cru qu'un jardin agréable à cultiver
, une compagne douce & fidelle , des
amis choifis , des repas gais , affaifonnés
par la frugalité , une étude amufante &
22 MERCURE DE FRANCE.
modérée , devoit rendre l'homme auffi heureux
qu'il pouvoit l'être.
SARDANA PALE.
Je me ferois affez accommodé de votre
fyftême-pratique fi je l'euffe connu ; mais
croyez -vous qu'il ait pû ainfi accommoder
tout le monde ? le bonheur n'eft point un
être de raifon , le fentiment doit le produire
, il eft fait pour le goûter , & chaque
perfonne a fa façon de fentir particuliere.
J'ai oui dire à des morts de bon
fens , qu'on n'étoit jamais moins heureux
que quand on en étoit réduit aux ſyſtêmes
; je peux fervir d'exemple à cette judicieufe
remarque.
EPICURE,
Vous parlez en homme d'expérience ;
je n'ai rien à vous répondre ; mais je croirois
pourtant toujours qu'on peut prévenir
le dégoût ; que fans s'exciter à jouir d'un
plaifir qu'on ne fent pas , on peut fe mettre
dans une difpofition propre à le recevoir
; le refte eft l'ouvrage du tempérament
& des circonftances.
G. N. De Bord.
Signature
G. N. De Bord.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Domaine