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1677, 12, t. 10 (Lyon)
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Archiepifcopus &Prorex Lugdunenfis
Camillus de Neufville Collegio SS .
Trinitatis Patrum Societatis JESU
Teſtamenti tabulis attribuit anno 1693 .
M
807155
LE NOUVEAU
MERCURE
GALANT.
CONTENANT LES NOUVELLES
du Mois de Decembre 1677 .
B
& pluſieurs autres.,
KYOTO ME
X.
*
1893*
RIE
DE LA
VILIK
NO
DE
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
Libraire, ruë Merciere, à la Victoire.
M. DC . LXXVII .
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
泰秀泰秀秀
AV LECTEUR.
OICY le dixiéme Volume
du Mercure , &
le dernier de l'Année
1677. car quoy qu'il
paroiſſe en Ianvier , il ne contient
que les Nouvelles du Mois deDecembre
, & on ne donnera que le
premier jour de Fevrier celuy qui
commencera l'Année 1678. Le
fuccés de ce Livre a esté extraordinaire.
Ie ne doute point qu'il ne
foit deû auxprodiges de cette Campagne,
aux Vers galans&ferieux,
& aux Pieces d'Eloquence qu'on
m'a fait la grace de me donnerde
toutes parts , & c'est peut- estre le
feul Livre dont un Autheur puiffe
publier le fuccés Sans paroiſtre
wain , puis qu'en cela il ne love
a ij
AU LECTEUR .
que les ouvrages d'autruy. Ie me
trouve meſme dans quelque obligation
de ne pas taire l'approbation
qu'on a donnée au Mercure ,
afin que ceux qui m'ont envoyé les
agreables Pieces qui te composent,
connoiſſfent qu'elles ont plû par tout;
ce qu'il me feroit aisé de justifier
parplus de quatre cens Lettres qui
m'ont été écrites fur le plaisir que
falecture a caufé. Lest certain que
pour s'en declarer l'ennemy, ilfau
droit vouloir qu'iln'y eût ny Braves
my beaux Esprits en France , & condamner
en même temps toutes les
Actions de valeur , & tous les galans
Ouvrages de ceux qui écrivět.
Ie ſçay que le Titre afait croire
d'abord que le Mercure estoit fimplement
galant , &qu'il ne devoit
tenir place que dans la Bibliotheque
des Femmes , mais on est forty
de cette erreur quand on y a ven
AU LECTEUR.
des Pieces d'éloquence, desHarangues
, des Relations fidelles & exa-
Etes,des Sieges & des Batailles,des
Evenemens remarquables,des morceaux
d'Histoire , &des Memoires
glorieux àdes Familles . Alors il eft
devenu le Livre des Sçavans &des
Braves,aprés avoir étéle divertiſ
Semet du beau Sexe;&une marque
incontestable deſonſuccés, c'est qu'il
a esté affez heureux pour plaire à
Monseign. leDAUPHIN , & que
ce Grand Prince veut bien foufrir
qu'il paroiſſe toûjours à l'avenir
SousSonNom. Ainsivous verrez ce
Nom auguste àla tefte de celuy qui
contiendra les Nouelles de Ianvier,
&pour le redre moins indigne d'un
figrandhonneur, il commencera en
ce temps- lààparoître avec tous les -
ornemens dont un Livre de cette
nature puiſſe eſtre embelly. Onfera
graver dans chaque Volume trois
aij
AU LECTEUR.
ou quatre Planches,ſuivant les Sujets
dont le Mercure parlera ; &
come les Enigmesfont devenuës un
Ieu d'esprit quiplaiſt , comme on be
voit par un nombre infiny de Gens
qui cherchent à y donner des Explications,
outre celles qui feront en
Vers àl'ordinaire,on en mettra tous.
Les Mois une autre en Figures, dont
on laifſfera le mot à deviner. Ony
trouvera trois ou quatre Chansons
dont les Notes feront gravées.Elles
feront compofées par les meilleurs
Maistres , & notées exprés pour le
Mercure,deforte qu'on peut s'afſfurer
qu'elles auront toute la grace
de la nouveauté, puis que perſonne
ne les aura venës avant que le
Volume où ellesferont,foit envente ..
Ceux qui voudront envoyer des Pa
roles,le pourront faire,on aura ſoin
de les faire noterfiellesse trouvent
propres à être chantées. Il y aura
FesCartes dagalanterie, la pre
AU LECTEUR.
miere qui paroiſtra , Sera l'Empire
de la Poësie de M.de Fontenelle.On
peut croire fur ce nom qu'elle ne
manquera pas d'agrément. On donnera
auſſichaque Mois des Deffeins
gravez des Modes nouvelles , &
quand on aura commencé , on ne
discontinueraplus,mais ilfaut établir
beaucoupde chofes pour cela,&
lier commerce avec bien des Gens.
Cefera une commodité pour ceux
qui aurot inventé quelque chose de
nouveau, dans l'envie de contribuer
auplaisir deMgleDAUPHIN on
qui auront quelque chef-d'oeuvre
d'Art à propoſer au Public. Ils
pourrot en aporter les deſſeins,&on
lesfera graver , s'ils meritent cette
dépense. Ellefera grande pour tous
ces embelliffemens, &devroit faire
rencherir le Mercure de beaucoup
cependant come on s'attacke plus à
la gloire qu'à l'interêt,l'augmentatiadu
prixſeratres-pen coſiderable
AU LECTEUR.
puis qu'ilneſevědra chez l'Imprimeurqueseizefols
en blanc , & au
Palais vintgfols en parchemin,&
vingt-cingfols en veau. Le Public
areçeu ce Livreſifavorablement,
qu'il est juste de luy en marquer de
La reconnoiffance par les nouvelles
beautez qu'on luy prestera. Mais
pour estre aſſuré d'en joüir , il doit
prendre garde si on ne luy vend
point deMercures contrefaits. Il
ne suffit pas de voirau bas qu'ils
ont esté imprimez àParis ; c'est ce
qu'on nemanque jamais d'ymettre
pour empeſcher qu'on ne les rejette
commefaux. Il faudra exami
ners'ils auront les Lettres fleuronnées
& figurées , les vignetes , le
Frontispice,&generalement toutes
les Planches que je viens de dire,
qui feront àl'avenir dans les veritables.
Ceuxquife hazarderont
àles contrefaire dans les ProvinAU
LECTEUR.
ces , s'il s'en trouve qui s'y veüitlent
expofer , comme ils les debiteront
fans Figures , feront obligez
d'ofter beaucoup de la matiere qui
aura relation avec les Planches ,&
tout le reste demeurant fant liaifon,
fera unpurgalimatias ; outre
qu'un Livre contrefait eft toûjours
remply de fautes,&qu'un Libraire
qui fonge à l'épargne,en retranche
beaucoup de chofes pour y employer
moins de feüilles. Il ne faut pas
s'étonner ſi des Livres fi défigurez
Se donnent à meilleur marchéque
les veritables ,& c'est cette mediocrité
de prix qui peut encorfaire
voir qu'ils ne lefont pas. On prie
ceux qui auront des Memoires à
dõner, de les adreſſfer au Sieur Blageart
Imprimeur &Libraire , demeurant
à Paris Ruë S. Iacques, à
l'entrée de la Rue du Plâtre,& de
fairesçavoiren quel lieu on pourra
AU LECTEUR.
eftre éclaircy des circonstances das
letemps que lesArticlesferont employez.
Pour les Histoires envoyées
pardes Particuliers,on croit devoir
avertirune fois pour toutes , quefi
on y retouche, c'est seulement pour
les mettre dans le ſtile ferré du
Mercure,qui doit eftre le méme par
tout ou pour ofter quelquefois des
chofes qui font trop libres , ou qui
fatirisant trop,pourroient chagriner
les Intéreſſez. S'il arrive qu'on
difére à mettre dans le Mois les
choses qu'on donne,ce n'est qu'à l'égard
des Galanteries,qui n'ont autun
beſoin de l'ordre du temps,mais
toft ou tard on y met tout ce qui est
bon,ou quand on ne le met point, ce
n'estpas qu'on n'y trouve beaucoup
d'eſprit,mais ily a des chofes tres-
Spirituelles &tres-bie tournées qui
neſont pas bonnes à imprimer. On
nesçauroit avoir trop de circonfpeAU
LECTEUR .
LA
VILLE
Etion à rendre le Mercure digne
d'eſtre toûjours lû dans des lieux
d'où lamoindre libertéle banniroit.
Comme beaucoup de Perſonnesfont
la grace d'écrireà l'Autheur,il les
priede ne point trouver mauvais
s'il se diſpenſe de leur répondre.
Outre qu'il a besoin deson temps
pour travailler &pour s'informer
des Nouvelles de chaque Mois, it
2006
croit répondre affez quand il met
les Ouvrages qu'on tuy envoye. Les
Libraires de Province font avertis
qu'on leur fera bon marchéàpro
portion de l'éloignement des lieux,
&de ce qu'il leur pourra couster
pour leport. Chacun n'aura qu'à
envoyer Son Correspondant chez
led.Sieur Blageart, &onyféra les
Paquets tant pour les Libraires que
pour les Particuliers. Leprix des
dix Volumes de l'Année 1677.ne
Serapoint augmenté. Ils contiennet
lesNouvelles desdouzeMois ,parce
AU LECTEUR .
qu'on a ramassé dans le premier
celles de lanvier,de Fevrier,&de
Mars, jamais Conquérant n'ayant
fait de fi grandes Conquestes que
LOUIS LE GRAND dans le cours
d'une seule Année. Il n'y a point
d'Histoire qui en faſſe voir de paveilles
, fi on a égardà la force des
Places quinemaquoient ny d'Hommesny
de Munitions.Elles auroient
esté imprénables autrefois . Tant
d'Actionsſurprenantes rendent ces
dix Tomes considérables.On y rend
la gloire qui est deuë à ceux qui
ont fait les Coquestes,&àceux qui
les ont chantées , & on y ramaſſe
mille choſes curieuses qu'on n'auroit
pû trouver enſemble si leMercuren'avoit
jamais esté fait. Les
unes auroient estéſeparées; les autres
n'estat qu'enfeüilles volates ,ſe
ferviet perduës, & il y en auroit eu
beaucoup que lanégligere de les recuillir
auroit empêchéde coſerver,
NOUVEAU ..
MERCURE
GALANT.
TOME X.
THEQUE
YON
A
E vous ſçay bon gré ,
Madame , de l'amitié
que vous témoignez
avoir priſe pour le Ruiflſeau.
Elle ne me furprend point.
Vous avez l'eſprit délicat , &
j'eſtois perfuade en vous l'envoyant
, qu'il ſeroit favorablement
reçeu . Comme le merite
fait effet par tout , ce Ruif-
Tome X. A
12 LE MERCVRE
ſeau que vous appellez le plus
galant des Ruiſſeaux , avoit fait
un ſi grand bruit par les avantages
que promettoit l'égalité
de fon cours , que toutes les
Prairies qui pouvoient prétendre
à ſes complaiſances, étoient
charmées de ſa reputation.
Ainfi, quoy que ce foit quelque
choſe d'aſſez fingulier qu'un
Ruiſſeau Amant , celle qui euit
la gloire de s'attirer ſon hommage
, avoit déja entendu parler
de ce qu'il valoit , & vous
pouvez croire que l'offre de
ſes ſoins ne luy déplût pas.
Vous en jugerez par cette Réponſe
qu'elle luy fit , aprés l'avoir
écouté ſans l'interrompre.
GALANT.
3
LA PRAIRIE
AU RUISSEAU.
Ve voſtre éloignement
Q fouffrir de peine
m'a fait
IeSéchois ſur lepied de me voir loin de
vous ,
le n'avois plus de Fleurs , & j'estois
entre nous ,
Semblable à ces guérets que l'on voit
dans les Plaines ;
Mais puisque je vous voy , je m'en
vay refleurir ,
Etfeûre de vos Eaux , je ne sçaurois
perir.
Mais puis -je me flater que ces Eaux fi
cheries ,
Ne coulent que pour moy ? n'est- il point
de Prairies
Dont l'émail éclatant puiſſe arreſter
Ie crainstout , mais enfin ie ne lepenvos
pas?
Sepas.
٤٠
A ij
4 LE MERCVRE
Vous estes décendu d'une Source trop
pure ,
Pourternirpar cette action
Vostre crystal, &vostre nom ;
Etsi j'en croy voſtre murmure,
Vous ne ferez jamais inconstant ny
parjure.
Cependant la rapidité
Dont je vous voy courir le long de ce
rivage,
Estde vostre infidelité
Vn affez funeste préſage.
Ah , fi pour mon malheur , commeun
Ruiſſeau volage ,
Après avoir ſçeu m'engager ,
Ie voyois voſtre cours ailleurs se par-
De
3
tager ,
combien de Soucis
remplie?
me verrois- je
Mais quand on va fi viſte,il fautqu'on
foit leger ;
Etfi ie m'en rapporte à ce qu'on en
publie,
Vous estessujet àchanger.
GALANT.
Iefuisjalouſe enfin , & quand l'Ocean
mesme ,
Riche de tant de flots qu'il reçoit dans
Sonfein ,
Anroit pourmoy quelque deſſein ,
Si ſon amourn'estoit extrême ,
J'aimerois cent fois mieux un fidelle
Ruiffean
Qui pour Thétis , ny pour fon Diadéme
,
Ne voudroit pas ailleurs puiſer deux
goutes d'eau ;
Voila comme ie fuis , &c'est ainsi que
j'aime.
Ne me voir qu'en courant ! ah ien'ofe
ypenser,
Le Sens à ce discours mes Fleurs se hériffer,
Et le Cruel Hyver me donne moins d'a-
Larmes :
Helas, où courez-vous ? coulez plus
lentement ,
Le Lit que je vous offre a- t-ilfi peu de
charmes ,
Qu'il ne puiſſe fixer la courſe d'un
Amant ? A iij
6 LE MERCVRE
Venez vous égayer au bord de nos Fontaines
,
Leurs ondespar vostre moyen
Se trouveront en moins de rien
DesHélicons,des Hippocrenes ,
Car ie n'ignore pas au bruit que vous
menez
Que vous boüillez de vousy rendre,
C'est vainement que vous tournez,
Ieſçay que c'est là voſtre tendre.
Que vous diray-je plus ? jaydes tapis
deFleurs
Surqui vouspourez vous étendre,
L'Aurore chaque jour les baigne de
Sespleurs
Quicompofent un douxmélange
Qui fait honte à la fleur d'Orange.
Ah laiſſez- vous tenter ! au nom de nos
amours
Faitesfur vous quelques retours,
Et coulez tout au moins avec plus de
pareſſe :
Si vous n'arrestez vostre cours ,
Vous allez dans la Mer vous perdre
Pour toûjours,
GALANT.
7
7
Et ieneSeray plus qu'un objet
ſteſſe ;
de tri-
Mais c'est en vain que ie vous preſſe
De retarder un peu vostre extréme vi
teffe ,
Et qu'un vent opposé seconde mes fouhaits;
L'Amour&lesRuiffeeaauuxxne remontens
-jamais.
Iene demande point que vous veniez
Sans ceffe
M'arroser nuit & iour
fechereffe
non , quelque
Qui puiſſe me brûler, ie ne m'en plaindraypas,
Pourven qu'en d'antres lieux , toûjours
fidelle & tendre ,
Vos Eaux , vos cheres Eaux , n'aillent
point se répandre ;
le ne me fonde point sur mes foibles
appas ,
Quoy qu'un Fleuve pompeux ſuivy de
cent Rivieres,
Qui font ſes humbles Tributaires,
En ſuperbe appareil me vienne tous les
ans
A ij
8 LE MERCVRE
Apporter sur mes bords cent liquides
prefens.
Mais ilfaut dire tont , c'est un Fleuve
volage
Dont les débordemens Sans mesure ny
choix
S'étendent dans les Champs ainsi que
dansles Bois.
Qui peut s'accommoder d'un ſemblable
partage,
Ne me reſſemble pas : Euffiez- vous
plus d'attraits
Que l'on ne voit d'Epis chez la blonde
Cerés,
Si vous alliez ainsi de rivage en ri
vage,
Ie vous préfererois le moindre Maré
cage,
Et deuſſay-je en mourir , je romprois
pourjamais.
7
La netteté de ces Vers vous
fait affez voir qu'ils viennent
de Source. Ils font d'un Gentilhomme
qui cherche la Nature
&
GALANT. 9
dans tout ce qu'il fait , & qui
par là ne fait jamais rien que
d'agreable. Cet Ouvrage n'étant
pas le ſeul que vous ayez
veu de luy, le ſtyle vous en doit
faire deviner le nom. Il y a des
expreſſions heureuſes qui le diſtinguent
affez pour ne vous
donner aucune peine à le reconnoiftre.
Deux
vous
Marys quGTHEADS
voulez bien que je me
YON
diſpenſe de vous nommer ,
prennent ſouvent d'inutiles ſur
des ſoupçons mal fondez qui
leur font paffer de méchantes
heures . Ils font tous deux dans
les Charges , tous deux impitoyablement
délicats fur le
Point -d'honneur , & par conſequent
tous deux jaloux , jufqu'à
trouver du crime dans les
plus innocentes converſations.
La femme de l'un eſt une blode
Av
10 LE MERCVRE
bien faite,d'une taille fine,& dé
gagée,l'oeil bien fendu, & un viſage
qu'on peut dire avoir eſté
fait au tour. L'autre a pour Femme
une grande Brune, qui a la
douceur meſme peinte dans les
yeux , le teint uny , le nez .
bien taillé , la bouche agreable,
& des dents à ſe récrier. Ces
deux Dames qui n'ont pas
moins d'eſprit que de beauté,
ont encor plus de vertu que
d'eſprit , mais cette vertu n'eſt
point farouche ; & comme elles
font fort éloignées de l'âge où il
ſemble qu'il y ait quelque obligation
de renoncer aux plaifirs
le Jeu, la Comedie , l'Opera, &
les Promenades , font des diver--
tiffemens qu'elles ne ſe refuſens
point dans l'occaſion. Il y aune
étroite amitié entre elles , &
cette amitié a peut- eſtre fait la
GALANT... IT
liaiſon des Marys qui ſe ſont
gaſtez l'un l'autre , en ſe découvrant
leur jaloufie . Vous
jugez bien , Madame , que cette
conformité de ſentimens les a
fait agir de concert pour le remede
d'un mal qui les tient
dans une continuelle inquietude.
C'eſt ce qui embarraffe ces
deux aimables Perſonnes , qui
ne ſçauroient preſque plus faire
aucune agreable Partie fans
qu'un des Marys ſoit leur furveillant.
A dire vray , la trop
exacte vigilance n'eſt pas moins
incommode qu'injurieufe.Quelque
tendreſſe qu'une Femme
puiffe avoir pour celuy à qui le
Sacrement la tientattachée,elle
n'aime point à luy voir faire le
perſonnage d'Argus. Tout ce
qui marque de la défiance luy
tiento lieu d'outrage ; & les
12 LE MERCVRE
Marys ayant leurs heuresde reſerve
dont perſonne ne vient
troubler la douceur , il eſt juſte
qu'ils abandonnent les inutiles
àceux qui n'en profitent jamais
fans témoins. Les Dames
dont je vous parle devenuës inſéparables
& par leur veritable
amitié , & par le fâcheux raport
de leur fortune , n'oublioient
rien pour ſe dérober ,
quand elles pouvoient , aux
yeux de leurs importuns Efpions.
Ce n'eſt pas , comme je
vous l'ay déja dit , qu'elles eufſent
aucune intrigue qui pût
mettre leur vertu en péril , mais
il ſuffiſoit qu'on fe défiaft de
leur conduite pour leur faire
prendre plaifir à ſe débaraſſer
de leurs Jaloux , & c'eſtoit pour
elles un ſujet de joye incroyable
qu'une Partie d'Opera ou de
GALANT.
13
Promenade faite en ſecret.
Parmy ceux dont le Jeu leur
avoit donné la connoiſſance
( car fi elles ne pouvoient s'empeſcher
d'eſtre obſervées , elles
s'eſtoient miſes ſur le pied de
faire une partie de ce qu'elles
vouloient ) deux Cavaliers
auſſi civils que galants , leur
avoient fait connoiſtre par
quelques affiduitez que le plaifir
de contribuer à les divertir
eſtoit un plaiſir ſenſible pour
eux. Elles meritoient bien leurs
complaiſances , & l'agrément
de leur humeur joint à leur
beauté qui n'eſtoit pas médiocre,
pouvoit ne pas borner entierement
à l'eſtime les ſentimens
qu'ils tâchoient quelquefoisde
leur découvrir. Ils étoient
Amis, & quand ces Belles trouvoient
l'occaſion de quelque L
7
14 LE MERCVRE
divertiſſement à prendre ſans
leur garde accoûtumée , elles
n'eſtoient point fâchées d'en
faire la Partie avec eux, Dans
cette diſpoſition , voicy ce qui
leur arriva pendant que les
jours eſtoient les plus longs ;
car , Madame , je croy que le
temps ne fait rien aupres de
vous à la choſe,& qu'une avanture
du Mois de Juillet que vous
ignorez ne vous plaira pas
moins à écouter qu'une Avanture
du Mois de Decembre. On
m'en apprend de tous les coftez
, & ne vous les pouvant
écrire toutes à la fois, j'en garde
les Memoires pour vous en faire
un Article felon l'ordre de
leur ancienneté.
Le Jeu ſervant toûjours de
prétexte aux Dames à recevoir
les vifites des Cavaliers, tantoſt
GALANT. 15
chez l'une ,& tantoft chez l'autre
, la Feſte d'un des deux arrive.
Elles luy envoyent chacune
un Bouquet. Cela ſe pratique
dans le monde. Illeur en
marque ſa reconnoiffance par
des Vers galans, & par une tresinftante
priere de prendre jour
pour venir ſouper dans une fort .
belle Maiſon qu'il a aupres d'une
des Portes de la Ville , où il
les attendra avec ſon Amy . Le
Party eſt accepté , mais l'importance
eſt de venir à bout de la
défiance des Marys qu'on ne
veut point mettre de la Feſte.
Heureuſement pour elles , il fe
trouvent tous deux chargez
d'affaires en mefme temps . On
choiſit ce jour. Le Cavalier eſt
averty. Les ordres ſont donnez,
& il ne s'agit plus que d'executer.
Les Dames feignent de
vouloir alter ſurprendre une de
16 LE MERCVRE
leurs Amies qui est à une lieuë
de Paris , & d'où elles ne doivent
revenir qu'au frais. Un des
Marys les veut obliger à remettre
au lendemain , afin de leur
tenir compagnie,& de ſe délafſer
un peu de l'accablement des
affaires. Il n'en peut rien obtenir
, & fur cette conteftation
arriva un Laquais de la Dame
qui les avertit de fon retour, &
qu'elle viendra joüer l'apreſdînée
avec elles . Leurs meſures
font rompuës par ce contretemps
. Les deux Amies diffimulent.
Refuſer une Partie de Jeu
pour en propoſer une autre qui
les laiſſe diſparoiſtre pour tout
le reſte du jour , ce ſeroit donner
de legitimes foupçons. Elles
joüent, demeurent à ſouper enſemble
apres que le Jeu eſt finy,
& feignent d'y avoir gagné un
mal de teſte qui leur ofte l'ap
GALANT.
17.
pétit ,& qui ne peut eftre foulagé
que par une Promenade
aux Thuilleries. On met les
Chevaux au Caroffe. LeMary
que leur empreſſement à vou
loir faire une Partie de Campagne
fans luy, avoit déja commencé
d'inquieter , les fait fuivre
par un petit home inconnu qui entre avec elles aux
ThuiLGENDE DA
leries, & les en voyant fortir incontinent
par la Porte qui eft
du cofté de l'eau , & monter
dans une Chaiſe Roulante
qu'elles avoient donné ordre
qu'on y fiſt venir , découvre le
lieu du Rendez vous, & en vient
donner avis au Mary. Le coup
eftoit rude pour un Jaloux. H
court chez fon Afſocié en jaloufie
,luy conte leur commun
defaſtre , & luy faiſant quitter
les Affaires qu'il n'avoit pas en18
LE MERCVRE
cor achevé de terminer , le me
ne où la Feſte ſe donnoit. Ils
trouvent moyen d'entrer dans
la Court ſans eſtre veus , & fe
gliffent de là dans le Jardin ,
d'où ils peuvent aifément découvrir
tout ce qui ſe paſſe
dans la Salle. Elle estoit éclairée
d'un fort grand nombre de
Bougies. Ils s'approchent des
Feneſtres à la faveur de quelquesArbres
fait en Buiffons ; &
quoy qu'ils ne remarquent rien
qui ſente l'intrigue dans les refpectueuſes
manieres dont les
Cavaliers en uſent avec leurs
Femmes , elles leur paroiſſent
de trop bonne humeur en leur
abfence,& ils voudroient qu'elles
ne ſe montraſſent aimables
que pour eux. Le Soupé s'acheve
au fon des Hautbois qui
prennent le chemin du Jardin
GALANT.
19
où la Compagnie les ſuit. Les
Marys qui veulent voir à quoy
l'Avanture aboutira, ſe retirent
dans un Cabinet de verdure
où ils demeurent cachez . Les
Dames ont à peine fait un tour
d'Allée , qu'elles voyent l'air
tout couvert de Fuſées volantes
, qui fortent du fonds du
Jardin ; les Etoilles & les Serpentaux
qu'elles font paroiſtre
tout - à - coup , les divertiſſent
plus agreablement que leurs
Marys, qui ne font pas en eſtat
de goufter le plaifir de cette
ſurpriſe. L'aimable Brune dont
je vous ay fait le Portrait prend
une de ces Fuſées ,& la veut
tirer elle - meſme. Celuy qui
donne la Feſte s'y eftant inutilementoppoſé,
luy met unMouchoir
ſur le cou ,dans la crainte
qu'elle ne ſe brûle. Le Mary
20 LE MERCVRE
perd patience,il veut s'échaper.
Celuy qui eft avec luy dans le
Cabinet l'arreſte , & àluy-mef
me beſoin d'eſtre arreſté au
moindre mot qu'il voit qu'on
dittout bas à ſa Femme . Jamais
Jaloux ne ſouffrirent tant. Ils
frapent des pieds contre terre,
atrachent des feüilles , & les
mangent de rage , & on pretend
qu'un des deux penſa crever
d'une Chenille qu'il avala.Apres
quelques Menuets danſez dans
la grande Allée , on vient dire
aux Dames qu'un Baffin de
Fruit les attendoit dans la Salle
pour les rafraiſchir. Ellesy retournent
& n'y tardent qu'un
moment , parce que minuit qui
ſonne leur faitune neceſſité de
ſe retirer. Les Cavaliers les accompagnent
juſqu'à leur Chaiſe
roulante qu'elles quittent
GALAN T. 21
pour aller reprendre leur Caroſſe
qu'elles ont laiſſe à l'autre
Porte des Thuilleries ,& cependant
les Hautbois qui ne font
point avertis de leur départ
continuënt à joüer dans le Jardin.
Leurprefence eſt un obſtacle
fâcheux à l'impatience des
Réclus du Cabinet de verdure
qui brûlentd'en fortir pour s'approcher
des Feneſtres comme
ils ont fait pendant le Soupé. Il
eſtvrayqu'ils nedemeurentpas
long-temps dans cette contrainte,
mais ils n'en ſont affranchis
que pour ſouffrir encor plus
cruellement. Un de ces Mefſieurs
de la Muſique champeſtre
eſtant entré dans la Salle
pour demander quelque choſe
àceluyqui les employoit, reviết
dire à ſes Compagnons qu'il n'y
avoit plus trouvé perſonne ,&
22 LE MERCVRE
qu'il n'avoit pû fçavoir ce que
la Compagnie eſtoit devenuë.
Les Marys l'entendent , & c'eſt
un coup de foudre pour eux.
Leur jaloufie ne leur laiſſe rien
imaginer que de funeſte pour
leur honneur. Ils peſtent contre
eux-meſmes de leur lâche patience
à demeurer fi long- temps
témoins de leur honte , & ne
doutant point que leurs Femmes
ne ſoient dans quelque Cabinet
avec leurs Amans, ils fortent
du Jardin,montent en haut,
vont de Chambre en Chambre,
& trouvant une Porte fermée,
ils font tous leurs efforts pour
l'enfoncer. Un Domeſtique accourt
à ce bruit. Il a beau leur
demander à qui ils en veulent .
Point de réponſe. Ils continuent
à donner des pieds contre la
Porte , & le Domestique qui
GALANT. 23
n'eſt point aſſez fort pour les
retenir , commence à crier aux
Voleurs de toute ſa force. Ces
cris mettent toute la Maiſon en
rumeur. On vient au ſecours .
Chacun eſt armé de ce qu'il a
pû trouver à la haſte, & le Maî
tre-d'Hoſtel tient un Mouſqueton
qu'il n'y a pas plaifir d'efſuyer.
Nos Deſeſperez le craignent.
Ils moderent leur emportement
, & on ne voit plus
que deux Hommes interdits ,
qui ſans s'expliquer enragent
de ce qu'on met obſtacle à
leur entrepriſe. Comme ils
ne ſont connus de perſonne ,
& qu'ils n'ont point leurs Habits
de Magiſtrature , on prend
leur filence pour une conviction
de quelque deſſein criminel;
& afin de les faire parler
malgré eux,le Maiſtre-d'Hoſtel
ここ
24 LE MERCVRE
envoye chercher un Commiffaire
ſans leur en rien dire , &
les fait garder fort ſoigneuſement
juſqu'à ce qu'il ſoit arrivé.
Cependant les Cavaliers qui
ont remené les Dames aux
Thuilleries , reviennent au lieu
où s'eſt donné le Repas, & font
furpris de voir en entrantqu'on
amene un Commiſſaire. Ils en
demandent la cauſe. On leur dit
que pendant que tout le monde
eſtoit occupé en bas à mettre
la Vaiſſelle d'argent en ſeûreté
, deux Voleurs s'eſtoient
coulez dans les Chambres , &
avoient voulu enfoncer un Cabinet.
Ily courent avec le Commiſſaire
qui les livre pendus
dans trois jours. Jugez de l'étonnement
où ils ſe trouvent
quand on leur montre les pre
tendus Criminels. Le Commiffaire
GALANT.
25
faire qui les reconnoiſt ſe tire
d'affaire en habile- Homme, &
feignant de croire que ce font
eux qui l'ont envoyé chercher,
il leur demande en quoy ils ont
beſoin de fon miniftere. Ils l'obligent
à s'en retourner chez
luy, ſans s'éclaircir de la bévcuë
qui l'a fait appeller inutilement;
& les Cavaliers qui devinent
une partie de la verité , ayant
fait retirer leurs Gens, leur ofrét
telle réparation qu'ils voudront
de l'inſulte qu'on leur a faite
ſans les connoiſtre. C'eſt là que
le myſtere de la Feſte ſe dévelope.
Celuy qui l'a donnée leur
découvre qu'elle eſt la fuite
d'un Bouquet reçeu,& qu'ayant
prié les Dames d'obtenir d'eux
qu'ils luy fiffent l'honneur d'en
venir partager le divertiſſement
avec elles , il avoit eu le chagrin
Tome X. B
26 LE MERCVRE
d'apprendre qu'unembarras impreveu
d'affaires n'avoit pas
permis qu'ils les pûffent accompagner
; qu'il venoit de les remener
chez elles,& qu'il eſpe--
roit trouver une occafion plus
favorable de lier avec eux une
Partie de plaifir. Tandis qu'il
ajoûte à ces excuſes des civilitez
qui adouciſſent peu à peu la
colere de nos Jaloux , fon Amy
envoye promptement avertir
les Dames de ce qui vient d'arriver,
afin qu'elles prenent leurs
meſures ſur ce qu'elles auront à
dire à leurs Marys. Ils quitent
les Cavaliers fatisfaits en apparence
de cette défaite,& fort réfolus
de faire un grand chapitre
àleurs Femmes, Elles préviennent
leur méchante humeur ,
& les voyant retourner chagrins,
elles leur content en riant
GALANT.
27
la malice qu'elles leur ont faite
de neles mettre pas d'une Partie
dont on avoit ſouhaité qu'ils
fuſſent ; ce qui devoit leur faire
connoiſtre que quand les
Femmes ont quelque deſſein en
teſte , elles trouvent toûjours
moyen de l'executer. Les Marys
ſe le tirent pour dit ; &
ceux qui ont ſçeu les circonſtances
de l'Hiſtoire , aſſurent
que depuis ce temps- là ils ont
donné à leurs Femmes beaucoup
plus de liberté qu'ils ne
leur en laiſſoient auparavant.
C'étoit le meilleur party à prendre
pour eux. Le beau Sexe eſt
ennemy de la contrainte, & telle
n'auroit jamais la moindre
tentation de galanterie, qui n'en
refuſe pas quelquefois l'occafion
pour punir un Mary de ſa
défiance.
t
Bij
28 LE MERCVRE
1
Comme une peine qu'on a
meritée ne donne jamais ſujet
de plaindre celuy qui la ſouffre
, on peut dire tout au contraire
qu'on voit rarement recompenfer
la Vertu ſans qu'on
en témoigne de la joye. C'eſt
ce qui a paru depuis peu quand
Monfieur le Comte d'Ayen a
eſté reçeu Duc & Pair au Parlement.
Ses belles qualitez luy
ont acquis une eſtime fi generale
, que toute la Cour s'eſt
intereſſée aux avantages que
luy donne ce nouveau Rang.
Il eſt Fils de Monfieur le Duc
de Noailles , & c'eſt aſſez dire
pour faire connoiſtre qu'il partage
la Pieté ,qui eft comme un
Bien hereditaire dans toute
cette Illuſtre Maiſon. Les foins
qu'il a pris de ſe rendre les
belles Lettres familieres , ne
"GALANT.
29
l'ont pas empeſché d'aprendre
tout ce qu'on peut ſçavoir dans
la Guerre. Il commença de
donner des marques de fon
courage , lors qu'on envoya du
Secours aux Hollandois contre
l'Eveſque de Munſter. Il a toûjours
ſervy depuis ce temps - là ;
& le Roy voulant montrer la
ſatisfaction qu'il avoitde ſa conduite
, le fit l'Année derniere
Mareſchal de Camp.
Sa Majesté a fait le mefme
honneur depuis quelques
jours à Meſſieurs de Tracy &
de Rubantel. Je vous ay appris
tant de choſes avantageuſes du
premier dans ma Lettre du
Mois d'Avril , que je n'ay plus
rien à vous en dire , finon qu'il
a continué depuis ce temps à
ſervir comme il avoit fait auparavant.
On ne peut mieux
Bij
30 LE MERCVRE
ſçavoir ſon Meſtier , avoir plus
courage , ny prévoir de plus
loin les choſes qui doivent arriver.
M' de Rubantel qui a le
meſme Employ que luy dans les
Gardes , a fait auffi paroiſtre
beaucoup de zele , de valeur &
d'application , toutes les fois
que l'occaſion s'eſt offerte d'en
donner des marques. Pluſieurs
de cette Famille ont finy glorieuſement
leurs jours dans le
Service , & ont merité par là
de vivre toûjours.
C'eſt un avantage qui eſt
afſuré à Dom Joſeph d'Ardenne
, Comte d'Illes , Lieutenant
General des Armées du Roy.
* Il eſt mort apres avoir tres-bien
ſervy en ſon temps. Il eſtoit
d'une Maiſon fort confiderable
, & la Nobleſſe du Rouffillon
avoit beaucoup de créance
en luy.
GALANT. 31
M l'Abbé de Caſtelan eſt
mort auſſi , fort regreté de quantité
de Perſonnes de la plus haute
Qualité , qui avoient beaucoup
d'eſtime pour luy. Il étoit
Frere de M. de Caſtelan Major
des Gardes , dont la bonne
mine & le courage eſtoient
connus, & que nous avons perdu
à Gigery.
Apres ces triſtes Nouvelles,
voudrez-vous bien , Madame,
écouter les Plaintes d'un Malheureux
, que plus d'une infidelité
ſoufferte n'a pû guerir de
la foibleſſe d'engager toûjours
fon coeur ? Il les fait avec affez
d'eſprit pour meriter que vous
perdiez un peu de temps à
l'entendre ; & quoy que vous
vous ſoyez renduë inſenſible
aux maux de l'Amour , la maniere
dont il exprime les fiens
vous pourra toucher.
32
LE MERCVRE
L'AMANT
TROMP Ε΄ .
DEgoûté pour toujours des Beautez
de la Cour ,
le pestois hautement contre leur incon-
Stance ,
Et d'un Homine, ennemy declaré de
l'Amour ,
L'affectois en tous lieux l'heurense Indiference.
LaChaſſe me plaiſoit , & toûjours dans
lesBois,
Pour mieux me garantir des ſurpriſes
des Belles ,
L'évitois avec ſoin lepiege des Ruellles,
Et la Retraite estoit mon dernier
choix ,
Si mes traits poursuivoient quelque
Bestesauvage,
GALANT.
33
Ie n'apprehendois point d'en eſtre maltraité,
Et des Oyſeaux ,
tendre ramage,
d'accord dans leur
L'enviois lafidelité
Deleur commerce heureux le tranquille
avantage,
Mefaisoit plaindre le malheur
D'un Amant qui ſurpris d'une douce
langueur ,
Sur la foy d'un bel oeil imprudemment
s'engage
۱
Ariſquer en aimant , le repos de fon
coeur.
Le mien que les dehors d'une belle ap
parence
As'en laiſſer duper avoient cent fois
reduit ,
-En retiroit au moins cefruit
Qu'une affez longue experience
Le mettoit en estat de n'estre plus
Seduit.
Mais pour ne pas aimer quand lepanchantypousse,
By
34 LE MERCVRE
En vain nous employons nosfoins ;
C'est une habitude fi douce ,
Qu'on la reprend lors qu'on le croit le
moins.
Vn jour affis fur la Fougere ,
Ie prenois des Zéphirs lefrais délicieux
,
Quand j'aperceus une jeune Bergere
Dont l'éclat ébloüit mes yeux.
Bart ne luy prestoit rien ; sa beauté
naturelle
Brilloit avec tant d'agrément ,
Queplein d'un douxſaiſiſſement ,
Au peril de nefaire encor qu'une Infidelle
Ie courus rendre hommage à cet Objet
charmant .
Quel bonheur fut le mien ! nos coeurs
d'intelligence
Se trouverent tous deux en mefmetemps
charmez ;
Il ſembloit que l'Amour jaloux de fa
puissance ,
L'un pour l'autre les eust formez.
GALANT
35
Depuis ce temps , unis par lesplus belles
chaînes ,
Nous ignorons l'usage des soupirs;
Et dans leur pureté , fans mélange de
peines ,
Nous goustions lesplus douxplaiſirs.
Nosflames chaque jour devenoient plus
ardentes ,
Tout nous rendoit heureux dans ce
charmantSéjour ;
Et des paffions violentes ,
Nous n'y Sentions que celle de l'Amour.
L'ame pleinement satisfaite ,
Ien'enviois lefort ny des Rois, nydes
Dieux ,
Et je préferois la Houlette
Au Destin le plus glorienx.
Vn Habit de Berger m'en donnoit l'innocence,
Ie ne dédaignois point de garder des
Troupeaux ,
Et d'accorder des Chalumeaux ,
Favorisé de l'Ombre & du Silence
Au doux murmure des Ruiſſeaux.
Bvj
36 LE MERCVRE
Tel Iupiter deſcendu ſur la Terre ,
Quitta l'éclat pompeux de ſa Divinité
,
Etfit hommage du Tonnerre
Aux pieds d'une jeune Beauté.
L'Amourcaufa cette métamorphose
D'Apollon il fit un Pasteur ,
Et fur ce grand Exemple il n'est rien
que l'on n'ofe
Pourse rendremaiſtre d'un coeur.
I'aurois plus fait encorpour toucherma
Bergere.
Falloit-il qu'un Rival vinst corrompre
Sa foy
Ou devoit-il affez luy plaire
Pour partager des voeux qui n'estoient
deus qu'àmoy
L'Ingrate me trahit ; Dieux, qui l'auroit
pü croire ?
Mon feu se repoſoit ſurſafimplicité;
Cent fermens m'aſſuroient elle enperd
Lamémoire ,
Et court à l'infidelité.
GALANT.
37
Pour me vanger de l'Inhumaine ,
En vain d'un vif dépit j'écoute le
transport.
I'aybeaum'abandonner tout entier à la
haine,
L'Amour est toûjours le plus fort.
Monfort a bien changé , ie pers tout ce
que j'aime ,
Ladouceur d'eſtre aimé rempliſſoit mes
defirs ;
On me l'ofte , & le Ciel dans mon malheur
extréme
Me condamne peut- eftre à d'eternels
foupirs.
Amour, toy qui d'abord me fusfi favo
rable ,
Dans cette triſte extremité ,
Rens-moy cette belle Coupable,
Ou ma premiere liberté.
Cette Piece a quelque choſe
de champeſtre, & je l'ay choifie
exprés de ce caractere parmy
38 LE MERCVRE
beaucoup d'autres que j'ay à
vous faire voir , pour donner à
ma Lettre une plus agreable
diverſité . On ne m'en a point
nommé l'Autheur. J'ay ſçeu feulement
qu'il n'avoit pas unGénie
moins heureux dans les matieres
badines , que dans celles
qui font éloignées de l'enjoüement
, & qu'il achevoit de mettre
en Vers libres le Teſtament
de Mademoiselle du Puy. Il n'en
fut jamais un plus extraordinaire.
Il fait grand bruit icy. Tout
le monde en parle ,tout le monde
ſouhaite l'avoir , & je n'en ay
pû encor recouvrer de Copie
entiere à vous envoyer. Mademoiſelle
du Puy eſt cette celebre
Joüeuſe de Harpe qui mourut
il y a deux ou trois mois,&
voicy entr'autres Articles ce
que j'ay entendu debiter du
GALANT.
39
Teſtament dont il s'agit. Il porte
qu'il n'y auroit à ſon Enterrement
ny Boffus , ny Boiteux ,
ny Borgnes , & on y trouve
marqué le nombre d'Hommes
mariez , de Femmes & de Filles
qu'elle ſouhaitoit qu'on en
priaſt. Elle ordonne que ſa
Maiſon ne ſera loüée pendant
vingt ans qu'à des Perſonnes qui
feront Preuve de Nobleſſe , &
donne une Place pour faire un
Jardin , à condition que celuy à
qui elle la laiſſé n'y fera point
planter d'Arbres nains. Vous
jugez bien parlà, Madame,que
la Demoiselle eſtoit raiſonnablement
viſionnaire . Vous en ſerez
encore mieux perfuadée
quand je vous auray appris,que
comme il n'y preſque perſonne
quin'ait fon Animal favory, elle
avoit des Chats qu'elle n'a pû
40 LE MERCVRE
oublier en mourant. Ainſi elle
a étably une Rente pour leur
nourriture , & un Revenu conſidérable
dont doit joüir celuy à
qui elle en confie le ſoin. Vous
direz que cette Rente luy afſfurant
dequoy vivre , il y a du
moins quelqu'un qui profite de
fa folie. La choſe ne recevroit
point de difficulté , ſi c'eſtoit
pour ce quelqu'un que la Rente
euſt eſté faite viagere , mais
elle ne l'eft que pour ſes Chats;
& comme elle s'éteint par leur
mort , il faut qu'il meure avant
eux, s'il veut empeſcher qu'elle
ne luy manque. Elle avoit leu
fans doute que quelques Peuples
avoient autrefois étably des
Hoſpitaux pour les Chiens , &
qu'il y en a encor aujourd'huy
en Turquie , quoy que les Ma---
hometans aiment moins les
1
-
GALANT.
41
Chiens que les Chats , pour
leſquels ils ont une grande veneration
. Pour ſa Harpe qui
luy avoit fait gagner tant de
Bien , elle la laiſſe à un Aveugle
des Quinze- vingts , qu'elle
avoit entendu dire qui joüoit
admirablement des Inſtrumens.
Comme vous aimez la Muſique
, je vous ſouhaitay fort
dernierement dans une Aſſemblée
où il y eut un tres-grand
Concert. I'y recouvray les Paroles
du dernier Air que feu
Monfieur le Camus a compoſé.
Vous me les avez demandées,
&je vous les envoye. La belle
Mademoiſelle de Villeneuve
les chanta avec une juſteſſe à laquelle
on ne peut rien ajoûter ;
tout le monde en fut charmé,
& jamais il n'y eut tant de
loüanges , ny ſi juſtement donnees
.
42 LE MERCVRE
:
AIR.
N'Eſtes- vous point reſvenſe & tria
quelquefois ?
De vos Rochers & de vos Bois-
N'allez- vous point chercher les plus
Sombres demcures ,
Et dans ces Lieux charmans , ſenſible
àmon amour ,
Ne paſſez- vous point quelques henres
,
Commej'y paſſe tout le jour ?
M. de Frontiniere a fait ces
Paroles . Elles font touchantes
d'elles-meſmes. Jugez ce qu'-
elles me parurent dans la bouche
d'une Perſonne qui eſt ſi
propre à toucher. A vous dire
vray , Madame , il y a un peu
de riſque à courir , & la beauté
de Mademoiselle de Villeneuve
jointe à celle de ſa voix,
eft quelque choſe de ſi dangeGALAN
T. 43
reux , que pour le repos de
bien des Gens , il ſeroit à fouhaiter
qu'elle ne ſe laiſſaſt point
voir quand elle chante. Voicy
d'autres Paroles ſur un ſujet
tout diferent. M. Moliere en a
fait l'Air depuis peu avec ſon
fuccés ordinaire.
J
AIR.
Aime l'Eau pour l'amour du Ellefringue
mon Verre,
Elle arroſe la Terre ,
*
inYONE
1893 *
Et nourrit le Raisin.
P'aime l'Ean pour l'amour du Vin,
Vous voulez bien , Madame,
que j'ajoûte quatre Vers à ces
Paroles. Une Dame qui eſt encor
fort belle , quoy que dans
un âge où il ſemble qu'il ne
foit plus permis de prétendre
à la Beauté , diſoit agreable44
LE MERCVRE
ment ces derniers jours , ſur le
fujet de ſa Fête qui approchoit,
que ſa belle ſaiſon eſtoit paffée,
& que ce n'eſtoit plus pour
elle que naiſſoient les Fleurs.
Un Cavalier auffi galant que
ſpirituel , l'entendit , & le jour
de cette Feſte eſtant venu , il
luy envoya un Bouquet de
Tubéreuſes , qui ſont aſſez
rares au Mois de Decembre .
Le Bouquet eſtoit accompagné
de ce Quadrain.
La Beauté que le temps croit avoir
effacée ,
Nevous doit point couſter de pleur s;
De ces Fleurs , belle Iris , la Saiſon eft
passée,
Cefont pourtant des belles Fleurs.
C'eſtoit quelque choſe d'admirable
que les Jardins enchantez
du Palais d'Armide ,
GALANT.
45
où il en naiſſoit en tout temps
& de toutes les façons. Quoy
que vous ſoyez inſtruite de
tout ce qui eſt arrivé à cette
belle Princeſſe par la lecture
du Taſſe , liſez je vous prie ce
qui en a eſté imprimé depuis
peu ſous le titre des Avantures
d'Armide & de Renaud . Vous
en ſerez fatisfaite . Ce Livre eſt
ført agreable , & vous dire qu'il
eſt de M. le Chevalier de Meré,
c'eſt vous dire que vous y trouverez
autant de pureté de langage
, que de delicateſſe d'expreffion.
Vous ne ſerez pas moins
contente du Compliment que
M' Doujat eut l'honneur de faire
à Monfieur le Chancelier ,
lors qu'il le fut ſalüer pour la
Faculté de Droit de l'Univerfité
de Paris , dont il eſt le plus
46 LE MERCVRE
ancien Docteur Régent. Il étoit
accompagné de ſes Collègues,
& fut preſenté par Monfieur
Pelletier Conſeiller d'Etat , comme
il l'avoit eſté en pareille
rencontre par M' de Lamoignon
à feu Monfieur Daligre .
COMPLIMENT
A MONSIEVR
LE CHANCELIER.
MONSEIGNEUR ,
Lejuſte choix que le Roy a faitde
voftre Personne, pour l'élever à la plus.
haute Dignitéde la Robe, eſt ſans doute
laplus infaillible marque d'un merite
achevé. Mais c'est encore une preuve
bien convainquante , que ce merite eft
GALANT.
47
generalement reconnu , de voir que les
Loix , qui ordinairement font muettes
au milieu des Armes, prennent d'abord
un tel éclat entre vos mains , qu'on
n'entend de tous coſtez que des acclamations
& des applaudiſſemens , pour une
action pacifique , dans un temps où les
Triomphes de nostre invincible Monarque
font tant de bruit en tous lieux, par
des miracles de guerre fi continuels &
fiſurprenans.
Onpeut bien , Monseigneur , les appellerSurprenans
,puis qu'ils n'ont point
d'exemple dans toute l'Antiquité,
que l'on n'a gueres moins de peine àles
croire apres qu'ils font arrivez , qu'à
les imaginer avant qu'ils arrivent. En
effet , il n'y apersonne qui ſoit capable
de les concevoir , que cet incomparable
Génie qui ſeul les ſçait executer. Car
enfin peut-on comprendre cetteſage con
duite qui pourvoit à tout ; cette activité
qui est par tout ; cette intrépidité heroïque
qui anime tout ; & enfin cette auguste
presence qui vient à bout de
tout ?
Mais peut-on affez admirer les pro
48 LE MERCVRE
diges que ces grands refforts ont produit
dans le cours de cetteseule Année, qui
n'est pas encore finis ? une Campagne
qui en vaut pluſieurs ,ſi hautement achevée,
en la Saiſon qu'on l'ouvroit à peine
autrefois ;& recommencée avec un
pareilfuccés, auſſi-toſt que les Ennemis
ont finy les marches & les contremarches
qu'ils ont appellées leur Campagne:
pluſieurs Placesqu'on n'avoit osé attaquer
, ou qu'on avoit attaquées inutilement
en divers temps , emportées dans
peu de jours : une Bataille gagnée par
un autre Soy-mesme pendant deux Sie
ges ; ces Braves de toutes Nations forcez
en un moment derriere leurs plus
forts Remparts , auſſi-bien qu'en rafe
Campagne; & leurs prodigieuses Armées
également défaites en combatant
&fans combatre ?
4 Vostre Zele pour le ſervice &pour la
gloire du Roy , me fait esperer , Mon-
Seigneur, que vous excuſerezfacilement
cette diſgreſſion ſur un Sujet fi agreable,
& où vous & les Vostres avez toujours
en tant de part.
Nous voyons , Monseigneur , dans
VOS
GALANT.
49
wos fages Conseils , dans vosfoins vigilans
& fideles ,& dans toute voſtre Vie,
-de grandes matieres de pluſieurs Panegyriques
; & nous voudrions bien nous
pouvoir acquiterde ce qui vous est deû
en cette occafion. Mais le temps d'un
Compliment , dont je vois bien que j'ay
déjapassé les bornes , ne me permet pas
deſuivre cette juſte inclination ; & je
connois trop ma foibleſſe , pour me hazarder
à une fi difficile entrepriſe. Il
meſuffira de dire , en paſſant, ce qui est
connude tout le monde , que vous ſçavez
joindre admirablement bien des
choses qui nese trouvent gueres d'accord
que dans les Hommes extraordinaires ;
unEsprit penétrant , avec un jugement
folide ; une modération fans exemple,
avec une éminente fortune ; & une pro.
bité infléxible,qui ne confidere perſonne
quand il faut juger , avec une affabili_
té obligeante qui ne rebute personne ,
-quand il faut écouter.
Ainfi,Monseigneur , la justice que
le Roy vient defaire à voſtre vertu ,
& à vos longs & importans Services,
est un moyen aſſuré pour la rendre par
Tome X. C
5o LE MERCVRE
uneseule action , au reſte deſes Sujets ;
& la connoiſſance que l'on a de cette
verité , dont on voit déja les effets , répanddans
tous les Coeurs une ioyequi
n'est pas concevable.
Cependant, Monseigneur , la Faculté
de Droit oſe ſe flater de l'espérance que
dans cette commune allegreſſe vous aurez
la bonté de distinguer ſon zele parmy
celuy des autres Corps , qui ont eu
•déja,ou qui auront en ſuite l'honneur de
rendre de ſemblables devoirs à Voftre
Grandeur.
Pour nous attirer cet avantage , il
Suffiroit de l'attachement particulier
qu'exige de nous la profeſſion des Loix,
dont vous estes l'Oracle & l'appuy tout
ensemble.
Mais outre cette dépendance auſſi
glorieuse que neceſſaire, aux obligations
de laquelle nous tâchons de répondre
paruneprofonde véneration , &par des
voeux ardens & finceres; que ne de.
vons-nous pas à V. G. pour l'inclination
qu'elle a toûjours témoignée de voir
rétablir l'Etude de la Iurisprudence ;
qui vous est chere , parce que vous la
GALANT .
SI
poffedez parfaitement , & parce que
vous en connoiffez mieux que perſonne
l'importance & la neceſſité ? Vous ſçavez,
Monseigneur, combien elle est décheuë
de sa premiere ſplendeur dans ce
Royaume où on l'a venë si florifſfante
pendant plusieurs Siecles.
Maintenant que vous eſtes en étar
de la vanger dumépris iniurieux qu'en
font ceux à qui elle est inconnuë ; que
pouvons-nous souhaiter deplus honora_
ble pour V. G. & de plus utile pour le
Public , fi ce n'est l'entier accompliſſe
ment de vos grands &loüables def-
Seins ; &que pour en avoir l'effet, vous
puiſſiez Servir le Roy & l'Etat dans
les nobles fonctions d'une Dignité si
éminente auffi longuement que dans celles
de tous les autres Emplois que vous
avezfi dignement remplis ?
Monfieur le Chancelier reçeut
cette Députation d'une
maniere toute obligeante. Le
merite particulier de M' Doujat
luy eſtoit connu,& il ſçavoit
Cij
52 LE MERCVRE
la reputation qu'il a permy tous
ceux qui eftiment les belles
Lettres. La place qu'on luy a
*donnée dans l'Académie Françoiſe
en eſt une marque. Il eſt
originaire de Toulouſe, defcen
du d'un Loüis Doujat , qui fut
pourveu le premier ily a environ
160. ans de la Charge d'Avocat
General du Grand Confeil,
cette Compagnie n'en
ayant point eu avant luy. Un
de ſes Fils ſe fit Conſeiller au
Parlement de Toulouſe , l'autre
demeura à Paris , & depuis ce
temps-là il y a toûjours eu des
Officiers de ce nom dans quelqu'une
des Cours Souveraines
de ces deux Villes.
Apres la mort de M. du Nozet,
Auditeur de Rote, M. l'Abbé
Doujat dont je vous parle ,
fut propofé par M. de Marca
GALANT.
53
Archeveſque de Toulouſe,pour
eſtre envoyé à ſa place , & feu
M. le Cardinal Mazarin, inſtruit
de ſa haute capacité , luy avoit
fait dire qu'il ſe tinſt preſt à partir
; mais les grandes Alliances
&les correſpondances queM
de Bourlemont avoient en Italie
, jointes à quelques autres
confiderations importantes , firent
tourner les chofes , fur la
priere de M' l'Eveſque de Caſtres
depuis Archeveſque de
Toulouſe , en faveur de Monfieur
ſon Frere qui s'eſt dignement
acquité de cet Employ
dans des conjonctures affez
difficiles . Ce changement n'eut
pas lieu de le chagriner , puis
qu'il fut cauſede l'honneur qu'il
reçeut d'eſtre employé par feu
M le Prefident de Perigny , à
donner àMonſeigneur le Dau-
Cij
34 LE MERCVRE
phin les premieres teintures de
'Hiſtoire & de la Fable. Il fut
furpris des talens extraordinaires
qui éclatoient en ce jeune
Prince dés l'âge de fix ans. Il s'agiſſoit
deles cultiver , & celaluy
donna occafion de compoſer
un Abregé de l'Hiſtoire Gréque
& Romaine ſur Velleïus
Paterculus. Cet Ouvrage merite
l'approbation que luy a
donnée le Public. Il a fait imprimer
depuis ce temps- là un
Recüeil en Latin de tout ce qui
regarde le Droit Eccleſiaſtique
particulier à la France , & enfuite
une Hiſtoire du Droit Ca.-
non. Il travaille preſentement
à celle du Droit Civil qui paroiſtra
bien-toſt, & à.des Notes
fur Tite- Live pour l'uſage de
Monſeigneur le Dauphin. On
les imprime ; & comme le Païs
GALANT.
55
Latin n'eſt pas un Païs inconnu
pour vous , je me perfuade ,
Madame , que vous ne manquerez
pas de curioſité pour les
voir.
Dans le temps que tous les
Corps ſe ſont empreſſez à venir
faire leurs Complimens à
Monfieur le Chancelier , ſur le
nouveau rang où le Roy l'a élevé
, les Muſes ne font pas demeurées
muetes ; & voicy des
Vers qui ont eſté adreſſez à M.
Calpatri,Maiſtre des Comptes.
POUR MONSIEUR
LE CHANCELIER.
L
Oüis le Grand , & leplus grand
des Rois ,
Nepeut faire que de grands choix,
Et celuy-cy n'a rien, Calpatri, qui m'é
tonne.
Cij
36 LE MERCVRE
C'est un grand Monarque quis
donne ,
Et c'est un grand Suiet par foy, parses
Emplois
Qui reçoit ,dés long-temps fidele àla
Couronne ,
Capable auſſi plus que perſonne
Par les ſoins qu'il apris des Armes &
des Loix,
Defoûtenir l'éclat dont Themis l'environne
.
Enfin c'est leTELLIER , tout utile à
lafois
Au Public , à l'Etat ce Ministre
.
d'élite
Dont le Prince aujourd'huy couronne
le merite.
Il eſt certain que le choix
que le Roy a fait de Monfieur
le Tellier pour la plus importante
Charge de l'Etat , a eſté
reçeu avec les acclamations de
toute la France , & c'eſt ce qui a
donné lieu aux deux Quadrins
ſuivans. La Juſtice parle dans
le premier.
GALAN T.
57
QUATRAIN.
E ne veux plus ſonger qu'à goûter le
JE
repos ,
!
Que vient de me donner le plus grand
desHéros :
Ainſi ſi je parois n'estre plus occupée,
Le Pere a ma Balance , & le Fils mon
Epée.
AUTRE .
Lors par fa vare prudence
En foulageant Thémis , montre que
par fon choix ,
Il veut que le TELLIER en tienne
la Balance ,
Quand fon Fer eft tenu par l'Illuftre
Louvors .
Je ſçay , Madame , que ces
témoignages de joye & de refpect
rendus à ce grand Miniſtre
, n'auront rien de ſurpre
Cv
58 LE MERCVRE
nant pour vous à qui tout fon
merite eſt connu ; mais il vous
de ſera ſans doute d'apprendre
la Converfion de l'Indifferent à
qui vous avez tant de fois reproché
l'air tranquille qui paroiſt
dans toutes ſes actions , &
cette Philofophie ſoit naturelle
, ſoit artificielle dont il
ſe pique , quoy que la plupart
des Gens la regardent en luy
comme un défaut. Le croirezvous
, Madame ? Il aime , & apparemment
il ne ceſſera pas fitoſt
d'aimer, car quand l'Amour
s'eſt une fois rendu maiſtre de
ces coeurs Philoſophes qui luy
ont long-temps refifté , comme
il ne ſeroit pas aſſuré d'y rentrer
quand il voudroit , il n'abandonne
pas aisément la place.
Voicy ce que j'en ay pû découvrir.
Il voyoit ſouvent une jeuGALANT
.
59
ne & fort aimable Perfonne , &
n'avoit commencé à la voir que
parce qu'elle aime les Livres &
qu
qu'elle a l'eſprit tres-éclairé.
Aprés luy avoir donné ſes avis
ſur les lectures qu'elle
faire pour
devoz
ne rien apprendre YON
Juy
80%
confuſement , il s'offrit à
ſervir de Maiſtre pour l'Italien
& à force de luy faire dire ,
j'aime , dans une autre langue
que la fienne , il ſouhaita d'en
eſtre veritablement aimé. Ses
regards parlerent , & comme
c'eſtoit un langage que la Belle
n'entendoit pas , ou qu'elle feignoit
de ne point entendre , il
ne put s'empeſcher un jour de
buy reprocher ſon peu de fenfibilité.
Elle ſe défendit de ce
reproche ſur l'eſtime particuliere
qu'elle avoit pour luy.
Vous ſçavez , Madame , que
Cvj
60 LE MERCVRE
l'eſtime ne ſatisfait point un
Amant. Il luy declara qu'il en
vouloit à ſon coeur , & qu'il ſe
tiendroit malheureux tant qu'-
elle luy en refuſeroit la tendreffe.
La Belle détourna ce difcours
, & fit fi bien pendant
quelque temps , qu'il ne pût
trouver aucune occafion favorable
de le pourſuivre. Il devint
chagrin , & rêvoit aux
moyens de faire expliquer celle
qu'il aimoit , quand on le vint
confulter fur des Vers écrits
d'une main qui luy eſtoit inconnuë.
Il eſt du meſtier , &
ceux que vous avez veus de ſa
façon , vous donnent afſez lieu
de croire qu'on s'en pouvoit
rapporter à luy. Il prit le papier
qu'on luy donna, & leut ce
qui fuit fans s'attacher qu'à la
netteté de la Poësie .
{
GALANT. 61
Dourquoy m'avoirfait confidence
vous en vouliez à mon coeur?
Il faut que contre vous il se mette en
défense,
Ie dois vous empeſcher d'en estre le
vainqueur.
Iene m'estois point apperçeuë
Que tous vos petits soins deuſſent m'etre
suspects ,
Et quand j'en faifois la revenë ,
Ie les prenois pour des reſpects.
Ah , que ne m'avez vous laiſſée ,
Cruel Tircis, dans cette douce erreur !
Vous me voyezembarrassée.
On l'est toûjours quand il s'agit du
coeur.
Il faut prendre party , je ne dois plus
attendre ,
Mais si vous m'attaquez , comment
vous repouffer ?
Quand on fent le besoin qu'on a de se
défendre,
Il estdéja bien tard de commencer.
62 LE MERCVRE
Ces Vers luy parurent d'un
caractere doux & aife. Il le
dit d'abord à celuy qui luy en
demandoit ſa penſée , & vous
pouvez juger de ſa ſurpriſe
quand on l'aſſura que c'eſtoit
le début d'une Fille qu'il approuvoit
. Ce mot le frapa. II
ſe ſouvint de la converſation
qu'il avoit euë avec ſa belle
Ecoliere . Tout ce qu'il venoit
de lire s'y appliquoit , & cette
penſée le fit entrer dans des
tranſports de joye incroyables ;
mais il ceſſoit de ſe les permettre
, fi- toſt qu'il faiſoit reflexion
que ces Vers eſtoient trop bien
tournez pour eftre le coup d'efſay
d'une Perſonne qui n'en
avoit jamais fait , & qui ne ſe
piquoit point du tout de s'y
connoiſtre. L'incertitude luy
faiſant peine, il reſolut d'en forGALANT
. 63
tir. Il rendit viſite à la Belle, luy
parla d'une nouveauté qui faifoit
bruit , leut ces Vers dont il
avoit pris une copie , l'obferva
en les lifant , & l'en ayant veu
fourire, il l'embarafla fi fort,qu'il
luy fit enfin avoüer que c'eſtoit
elle qui les avoit faits . Elle ne
luy fit cet aveu qu'en rougifſant
, & en luy ordonnant de
les regarder comme un fimple
divertiſſement que fa Muſe
naiſſante s'eſtoit permis , &
dont elle avoit voulu le rendre
Juge def- intereſſé , en luy cachant
qu'elle s'eſtoit meflée de
rimer. La referve ne l'étonna
point , il comprit ſans peine ce
qu'on vouloit bien qu'il cruft,
& abandonna ſon coeur à ſa
paffion. Celle qui la cauſe en
eft fort digne. Vous eſtes déja
convaincuë de ſon eſprit par
64 LE MERCVRE
fes Vers , & je ne la flate point
en adjoûtant qu'elle eſt aſſez
belle pour ſe pouvoir paffer
d'eſprit , quoy qu'il ſemble que
ce foit eſtre belle & fpirituelle
contre les regles , que d'eſtre
l'un & l'autre en meſime temps .
Si vous la voulez connoiſtre
plus particulierement , imaginez
- vous une Brune qui a la
taille tres -bien priſe , quoy que
mediocre ; le plus bel oeil qu'on
ait jamais veu , la bouche également
belle, le teint & la gorge
admirables , & outre tout cela
un air doux & modefte qui ne
vous la rendra nullement fufpecte
de faire des Vers. Voila
fon veritable Portrait. Tout ce
qu'on luy reproche pour défaut,
c'eſt un peu trop de mélancolie,
une défiance perpetuelle d'ellemeſme
, & une_timidité qu'elle
GALAN T.
65
a peine à vaincre , meſme avec
ceux dont elle ne doit rien apprehender.
Les Vers d'une fi
aimable Perſonne n'eſtoient pas
de nature à demeurer ſans réponſe
, & quand noſtre Amant
Philoſophe n'auroit pas eſté
Poëte il y avoit déja long- tems,
c'eſtoit là une occafion à le devenir.
A peine deux ou trois
jours s'eſtoient-ils pafſſez , que la
Belle reçeut un Pacquet dans
lequel elle ne trouva que cette
Lettre. Elle estoit dattée du
Parnaffe & avoit pour Titre
APPOLLON ,
A LA JEUNE
V
IRIS.
Os Vers aimable Iris, ont fait du
bruit icy
66 LE MERCVRE
Onvous nomme au Parnaffe une petite
Muse.
Puis que voſtre début afi bien réüſſy,
Vous irez loin, ou je m'abuse.
NosPoëtes galans l'ont beaucoup ad-.
miré ,
Les Femmes Beaux Esprits ,telle que
fut la Suze ,
Pour dire tout, l'ont un peu cenfuré.
Ieſuis ravy que vous soyez des noſtres.
Estre le Dieu des Vers feroit un fort
biendoux ,
Si parmy les Autheurs il n'en estoit
point d'autres
Que des Autheurs fait comme vous.
I'ayfur les beaux Esprits une puiſſance
9 Tentiere ,
Ils reconnoiſſent tous ma Iurisdiction.
Avous dire le vray c'est une Nation
Dontje suis dégoûté d'une étrange maniere.
Et meſme quelquefois dans mes bruſques
transports ,
GALAN T. 67
Peu s'en faut qu'à jamais je ne les
abandonne ;
Mais si les beaux Esprits estoient de
jolis Corps,
Ie me plairois à l'employ qu'on me
donne.
Dés que vous me ferez l'honneur de
m'invoquer ,
Fiez- vous-en à moy , je ne tarderay
guerre ,
Et lors que mon secours vous fera neceffaire
,
Affurez - vous qu'il ne vous pent
manquer.
Ie vous diray pourtant un point qui
m'embarasse ;
Un certain petit Dieu fripon ,
( Ienesçay ſeulementfi vous sçavez fon
nom ,
Ils'appelle l'Amour ) a pouffé son au
dace
Iusqu'à meſoûtenir en face ,
Que vos Vers ſont de ſa façon ,
Et pour vous , m'a-t-il dit , conſolez
yous de grac'e ,
-
68 LE MERCVRE
Ce n'est pas vous dont elle a pris
leçon.
Quoy qu'il se pare en vain de cefaux
avantage ,
Il aquelqueſujet de dire ce qu'il dit ;
Vous parlez dans vos Vers un affez
doux langage,
Etpeut-estre apres tout l' Amant dont
il s'agit
Iugeroit que du coeur ces Vers seroient
l'ouvrage ,
Si par malheur pour luy vous n'aviez
trop d'esprit.
N'allezpas de l'Amour devenir l'Ecoliere
,
Ce Maistre dangereux conduit tout de
travers ,
Vous ne feriez jamais de Piece regu
liere
Si ce petit Broisillon vous inspiroit vos
Vers.
Adieu , charmante Iris ,j'auray ſoin
que la Rimeد
GALAN T. 69
Quand vous compoſerez, ne vous refu-
Se rien.
Mais que cesoit moy ſeul au moins qui
vous anime
,
Autrement tout n'iroit pas bien.
La Belle n'eut pas de peine
à deviner qui eſtoit l'Appollon
de la Lettre , mais elle reſva
quelque temps ſur un petit ſcrupule
délicat qui luy vint. Elle
n'euſt pas eſté bien- aiſe qu'on
luy euſt fait l'injustice de donner
à l'Amour tout l'honneur
des Vers qu'elle avoit faits,mais
elle ne pouvoit d'ailleurs penetrer
par quel intereſt ſon Amant
avoit tant de peur qu'on ne les
attribuât à l'Amour ; & fi elle
luy avoit defendu de croire
qu'ils fufſent autre choſe qu'un
jeu d'eſprit où ſon coeur n'avoit
point de part, elle trouvoit
qu'il euſt pu ſe diſpenſer de
70 LE MERCVRE
luy conſeiller auſſi fortement
qu'il faiſoit de ne ſe ſervir jamais
que des Leçons d'Apollon.
C'eſtoit luy faire connoiſtre
qu'il n'avoit fouhaité que foiblement
d'eſtre aimé ; & le dépit
d'avoir répondu trop favorablement
à ſa premiere declaration
, luy faifoit relire ſa Lettre,
pour voir ſi elle n'y découvriroit
point quelque ſens caché
qui pût affoiblir le reproche
qu'elle s'en faifoit , quand
on luy en apporta une feconde
d'une autre main. Elle l'ouvrit
avec précipitation, & y lût
cesVers.
GALANT. 71
.
L'AMOUR ,
A LA BELLE IRIS .
A
Vez-vous lûmon nom fans changerde
couleur ? :
VostreSurprise , Iris , n'est-elle pas extrème
?
Raffurez-vous ; mon nom fait toûjours
plus de peur
Que ie n'en aurois fait moy-méme.
*
Voftre Ouvrage galant , début affez
heureux,
loufie.
Entre Apollon & moy met de la'ja-
Il s'agit de sçavoir lequel est de nous
deux
Vostre Maistre de Poësie.
Franchement , Apollon n'est pas d'un
grandSecours ,
72
LE MERCVRE
En matiere de Vers ie ne le craindrois
guere ,
Et ie le défierois defaire
D'auſſi bons Ecoliers que i'enfais tous
les jours.
Quels travaux affidus pour former un
Poëte ,
Et quel temps ne luyfaut- ilpas ?
On est quitte avec moyde tout cet embarras
;
Qu'on aime un peu , l'affaire est faite.
Cherchez- vous à vous épargner
Cent preceptes de l'Art , qu'il seroit
long d'apprendre ?
Vne rêverie un peu tendre ,
En un moment vous va tout enſeigner.
F'inſtruis d'une maniere affez courte &
facile;
Commencer par l'Esprit c'est un ſoin
inutile ,
Fort longdu moins , quand mesme il
réuffit.
Ie
GALANT. 73
Ievais tout droit au Coeur , &fais plus
de profit ,
Carquandle Coeur est une fois docile,
On fait ce qu'on veut de l'Esprit.
Quand vous fistes vos Vers , dites-le
moyſans feinte ,
Les fentiez-vous couler de ſource &
Jans contraintes
Ievous les infpirois , Iris , n'en doutez.
pas..
Si fortant lentement & d'une froide
veine ,
Sillabe aprés fillabe ils marchoient avec
3. peine ,
C'estoit Apollon en ce cas.
Lequelavoñez- vous , Iris , pour vostre
Maistre ?
Ie m'inquiete peu pour qui vous prononciez;
Car enfin ie le pourrois estre
- Sans que vous- meſme le ſceuſſiez
Ie ne penſerois pas avoir perdu ma
cause,
Tome X.
74 LE MERCVRE
Quandvous déciderie,z enfaveur d'un
Rival ;
Etmesme incognito , fi i'avois fait la
chofe ,
Mes affaires chez-vous n'en iroient pas
plus mat
Mais quand ie n'aurois point d'autre
part à l'Ouvrage,
Sans contestation i'ay donné le ſuiet.
C'eſt toûjours un grand avantage,
Belle Iris, i'ensuisfatisfair.
Cette ſeconde Lettre éclaircit
entierement le doute de la
Belle. Elle ne fut pas fâchéede
voir que celuy qui avoit fi bien
parlé pour Apollon , n'euſt pas
laiſſé le pauvre Amour indéfendu
, & elle vit bien qu'il ne
luy avoit propoſé les raiſons de
part & d'autre , que pour l'engager
à décider lequel des deux
avoit plus de part à ſes Vers,
ou de l'Eſprit , ou du Coeur, La
GALANT. 75.
Queſtion eſtoit délicate. On la
preſſa long- temps de donner un
Jugement. Elle ſe récuſoit toûjours
elle-meſme,& s'eſtant enfin
refoluë à prononcer , voicy
un Billet qu'elle fit rendre àfon
Amant pour Apollon.
SireApollon, ce n'est pas une affaire
Que deux ou trois Quatrains que i'ay
faits par hazard ,
Et ie croy qu'apres tout vous n'y perdriezquere
Quand l'Amour Sſeut y devroit avoir
part.
Nevous alarmez point ; s'il faut nommer
mon Maistre ,
Ieiureray tout haut que mes Vers font
devous.
Ils couloient pourtant, entre nous ,
Comme Amour dit qu'il les fait
naiſtre.
Je croy , Madame , que fans
en excepter Petrarque,& Laure
:
Dij
76 LE MERCVRE
d'amoureuſe memoire , voila
l'intrigue la plus poëtique dont
on ait jamais entendu parler ,
car elle l'eſt des deux coſtez .
Nous ne trouvons point les
Vers que la belle Laure a faits
pour répõdre à ceux de Petrarque
; mais cette Laure- cy paye
ſon Petrarque en même monnoye,&
l'attachement qu'ils ont
l'un pour l'autre s'eſt tellement
augmété par cet agreable commerce
de Poëfie , qu'ils ſemblent
n'avoir plus de joye qu'en ſe
voyant. Je les attens au Sacrement,
s'ils vont jamais juſqueslà;
car il n'y a guere de paſſions
qu'il n'affoibliſſe , & l'Amour
dans l'ordinaire, demeure tellement
déconcerté par le Mariage
, qu'on a quelque raiſon d'affurer
qu'il n'a point de plus irréconciliable
Ennemy.
EG
GALANT. 77
Ce n'est pas pourtant une
regle abſolument generale , &
ce que je vay vous dire d'une
jeune Perſonne de la plus haute
Qualité , vous en fera voir
l'exception. Il y a peu de temps
qu'elle eſt mariée , & les belles
qualitez del'Epoux qu'elle ait YON
heureux le rendent fi digne de
poſſeder tout fon coeur , qu'elle
n'a point mis de bornes à ſa
tendreſſe . Elle voudroit le voir
dans tous les momens du jour,
&vous pouvez jugerdu plaifir
qu'elle s'en fait par le genre de
conſolation qu'elle choisit dernierement
pendant un Voyage
qu'ilfut obligé de faire ſans elle
à la Cour. Elle ſe ſouvint
d'avoir veu ſon Portraitdans un
lieu où elle avoit tout pouvoir.
Elle y courut , le détacha ellemeſme
de l'endroit où il avoit
F
Diij
78 LE MERCVRE
eſté,placé , le fit porter à ſa
Chambre , paffa la plus grande
partie de la nuit à le regarder,
&je ne ſçay ſi elle ne luy fit
point de tendres careſſes. Si
toutes les Femmes aimoient
avec une auffi forte paffion , il
n'y auroit pas un fi grand nombre
de Marys Coquets , & on
feroit ravy de trouver chez ſoy
l'Amour Complaifant que le
chagrin engage quelquefois à
chercher ailleurs.Quelque eftat
de viequ'on ait embraffe , il eſt
toûjours bon d'avoir une grande
exactitude à s'aquiter des devoirs
qu'il nous impoſe. Nous
en voyons la récompenſe en la
Perfonne de Monfieur l'Abbé
du Pleffis de Geſté de la Broutiere,
dont la longue application
à remplir toutes les obligations
de fon caractere , luy a fait me
GALANT9
riter le choix que le Roy a fait
de luy pour luy confier la conduite
de l'Egliſe de Xaintes dont
il fut facré Eveſque ces derniers
jours. S'il fuccede à un grand
Prelat qui fut fort aimé dans ce
Dioceſe , ſa doctrine & ſa piete,
jointes à fon humeur honneſte
&obligeante, ne luy gagneront
pas moins les coeurs des Peuples
qu'on luy a commis. Il y
avoit quinze ans qu'il eſtoit
Grand Vicaire de Paris. Il eſt
Docteurde Sorbonne , & d'une
tres- Illuftre Famille d'Anjou .'
Le Roy qui aime à répandre
fes bienfaits par tout , a gratifié
M l'Abbé Daquin , Fils de
ſon Premier Medecin , de l'Abbaye
de la Seube pres de Bordeaux
; & comme Sa Majeſté
n'oublie jamais les Services
qu'on luy rend , Elle a recom-
Dij
80 LE MERCVRE
expofe
penſe ceux de Me Puylegur,
qui a eſté long-temps Lieutenant
Colonel & Meſtre de
Camp du Regiment de Piedmont,
par une Abbaye qu'Elle
luy a donnée dans Toul. Prendre
ce party eſt une maniere
fort honneſte de dire adieu au
Monde apres avoir expoſe ſa
vie pour fon Prince , pendant
un fort grand nombre d'années.
Des Adieux de cette forte ne
me paroiſtront jamais devoir
eſtre retractez ; mais vous allez
voir, Madame , que j'avois quelque
ſujet de n'en pas croire entierement
celuy qui pretendoit
l'avoir dit pour toûjours aux
Muſes. Ses Amis n'ont pû ſoûfrir
qu'il ſe dérobât plus longtemps
lagloire qui luy eſt deuë .
Ils l'ont fait connoiſtre , & j'ay
à vous apprendre qu'il s'appelle
GALAN T. 81I
M.Ferrier. Les loüanges qu'il a
reçeuës ſur le tour aiſe qu'il
donne à ſes Vers , l'ont engagé
à faire un Ouvrage Galant
qu'on croit déja ſous la Preffe.
On ne m'en a pû dire le Titre,
mais vous pouvez juger de
quelle beauté il ſera par cette
Elegie qui en doit faire le commencement.
Elle donne lieu
de conjecturer que cet Ouvrage
contiendra les manieres qui
peuvent faire acquerir l'eftime
du beau Sexe aux honneſtes
Gens , & on ne peut douter que
cette matiere ne ſoit traitée delicatement
par un Homme qui
penſe juſte ,& qui écrit avec
une fort grande netteté.
Dv
82. LE MERCVRE
LIO THE
好好好好好好好好好好好好好好
1893
ELEGIE
.
Maistre de tous les Dieux dont fubtilesflames
Nebrûlentpoint les coeurs fans éclairer
lesames ,
Amour, c'est à toy ſeul que confacrant
mes Vers ,
Ie vay de tes fecrets instruire l'Univers
.
:
Ainsi , dans mes écrits revelant la
Science ,
De tes droits ſur les coeurs j'étendray
la puiſſance ,
Et ma Muse à ton Temple appellant
les Mortels,
Fera de toutes parts encenfer tes Autels
;
Ces Vers dont je te fais un heureuxfas
crifice ,
Am'en récompenser engagent ta juffice.
Quoy,pourrois-tu me voir Esclave rebuté
GALANT. 83
D'une ingrate Maiſtreſſe effuyer la
fierté ,
Moy, qui par des avis auſſi ſeurs que
fidelles,
Montre l'art de toucher les Maiſtreſſes
cruelles?
Non,Amour, tu le vois, qu'il eſt de ton
honneur A
D'employer tous tes ſoins auſoin demon
bonheur.
Ie ne demandepas qu'à mes voeux fam
vorable ,
Atoutes les Beauteztu me rendes aimable
,
T
Jen'étenspas si loin mes projets amou
reux ,
Et ce n'est que Philis que demandent
mes voeux ,
Philis que j'aime en vain , &dont l'indifference
Par de longues froideurs éprouve ma
constance.
Mais cette ame inſenſible aux preuves
de mafoy ,
Lefera-t-elle encore fi tu combats pour
moy ?
Dvj
84 LE MERCVRE
Si i'obtiensfurſon coeur une entierevi-
Etoire,
Le fruit que i'en auray t'en aſſure la
gloire .
Pour toy plus que pour moy fois ialoux
de tes droits ,
Aux coeurs indifferens fais réverer tes
Loix ,
Et foûmettant l'orgueil d'une Beauté
rebelle ,
Fay luy sentirpour moy ce que je sens
pour elle.
Pendant que je pouffois ces regrets
amoureux ,
L'Amour vint me promettre un destin
plusheureux.
•Toy qu'un zele fi fort attache à mon
fervice ,
Espere tous , dit-il , quand je te ſuis
propice :
Tu m'as fait une offrande à n'oublier
jamais.
Et mes gracespour toy préviendront tes
Soubaits.
Des Dieux pour les Mortel's la bonné
Sans mesure,
D'un peu d'encens brûlé les paye aves
usures
GALANT. 85
Mais en est-il aucun de ces Dieux bienfaifans
,
Qui puiſſe par ses dons égaler mes pre-
Sens?
Helene,de Paris fut le digne ſalaire
Désqu'on l'eut veu juger en faveur de
ma Mere.
Iulie, aux yeux de Rome , au milieu de
La Cour ,
D'Ovide ,par mes foins favoriſa l'amour.
Crois- tu que maintenant à tes veux
moins propice ,
Iemanque de puiſſance ,ou manque de
justice,
Moy qui ſans borne juste ,& puiſſant
en tous lieux ,
Aurang de mes Sujets compte mesme
les Dieux ?
Ainsi,que ta Philis s'arme d'indiference
,
Elle doit sa tendreſſe à ta perſeverance.
Ne crains rien , &fidelle aux yeux qui
t'ont charmé ,
Aime,le Dieu d'Amour t'affure d'estre
aimé. L
86 LE MERCVRE
Ah , Philis , vondrois-tu démentirfes
Oracles ,
Aux biens qu'il me promet oposer des
obstacles ?
Non,Sans doute, & ton coeur moins rebelle
àfes loix ,
Suivra l'avis d'un Dieu qui parle par
ma voix.
Si tu n'écoutes point fon fidelle Interprete,
Aumoins de ta raiſon entens la voix
Secrete ,
Quitefollicitant de te laiſſer charmer ,
Te dit tout bas qu'un coeur n'est fait
que pour aimer.
Aux douceurs de l'amourne fois donc
plus contraire ,
On ne peut en joüir qu'autant que l'on
Sçait plaire ,
Etle Soleil,d'ailleurs fi juſte dansfon
cours,
D'un plusrapide pas mesure nos beaux
jours.
La Nature ,que regle une haute Prudence
,
En joignant de ſi prés la mort à ta
naiſſance ,
GALANT. 87
Semble nous avertir qu'il nous faut
ménager
Iusqu'au moindre moment d'un temps ſe
paſſager.
Quelque courte en effet que paiſſe eſtre
lavie,
Elle pourroit fuffire à remplir nostre
envie ,
Sidonnant libre effor ànos jeunes defirs,
Désque l'onpeut les prendre on prenoit
les plaisirs.
Mais loin que la raison regte nos de
ſtinées ,
Nous perdons ſans aimer nos plus belles
années ,
Et lors que la vieilleffe efface nos
appas,
Nous cherchons les Amours & ne les
trouvonspas.
Ne croy point que des ans l'injurieux
• outrage
Epargnepar respect les lis de ton vi-
Sage.
Non, Philis , la beauté doit un jour te
quitter.
Avant qu'elle te quitte il en faut pro
fiver
88 LE MERCVRE
C'eſt aſſurément un fort
grand ſecret en toutes chofes,
que de ſçavoir profiter du
temps. Il eſt le maiſtre de tout,
& c'eſt luy qui a fait renouveller
depuis peu l'Alliance que le
Prince d'Orange avoit déja
avec la Maiſon Royale d'Angleterre
. La feu Princeſſe d'Orange
ſaMere, eftoit Soeur de Charles
II. qui regne à preſent , &
vous eſtes trop ſçavante dans
l'Hiſtoire pour ignorer que ce
jeune Prince qui vient d'époufer
la Princeſſe Marie Fille du
Duc d'Yorck , eſt de l'illustre &
ancienne Maiſon de Naſſau,qui
a eu l'avantage de donner un
Empereur. Les Princes de ce
nom n'ont pas eſté ſeulement
Comtes de l'Empire , ils y ont
tenu long - temps le premier
rang ,& cette Branche particuGALAN
T. 89
liere, a joint àune naiſſance qui
en voit peu au deſſus d'elle , un
merite ſi éclatant & une valeur
ſi extraordinaire , que fi Loürs
LE GRAND n'avoit fait la Guerre
&gouverné ſes Peuples d'une
maniere qui n'a point encor
eu d'exemple, les grands Hommes
dont le Prince d'Orange
defcend , pourroient ſervir de
modele à tous ceux qui cherchent
la Gloire par la Politique
& par les Armes. Quant à ce
qui le regarde , on peut dire
qu'il a toutes les qualitez qui
font à ſouhaiter dans une Perſonne
de fon rang. Il eſt brave
autant qu'un General d'Armée
le peut eſtre , & fon malheur
ne l'a point empeſché de
faire paroiſtre ſon couragedans
toutes les occaſions qu'il en a
pû rencontrer. Trouvez bon
9. LE MERCVRE
que je m'explique. Je n'appelle
point malheur le mauvais fuccez
d'une entrepriſe , qui ſelon
les évenemens ordinaires , n'en
doit point avoir un heureux.
Auſſi n'est - ce point ce genre
de malheur que le Prince d'Orange
a éprouvé. Il n'a rien
entrepris que ſur des apparences
favorables , & ayant autant
de valeur qu'il en a, il auroit
infailliblement réüſſy en d'autres
temps , & contre de plus
foibles Ennemis. Le péril ne
l'étonne point. Il s'expoſe , ſe
trouve par tout , & ne fait pas
moins l'office de Soldat que de
Capitaine ; mais il eſt malheureux
d'eſtre né dans le Siecle
de Loürs XIV. & d'avoir en
teſte un Conquérant à qui rien
n'eſt capable de reſiſter. C'eſt
ce qui redouble la gloire du
GALANT.
91
Roy , & les loüanges qu'on doit
aux Miniſtres & aux Generaux
qui agiffent& combattent fous
ſes ordres. Nous gagnons des
Batailles & prenons des Places
en peu de temps, mais ce n'eſt
point ſans obſtacle. On nous
oppoſe de grandes forces , on
ſe bat , on vient au ſecours ; &
fi la Victoire nous demeure , le
Prince d'Orange emporte toûjours
l'honneur d'avoir beaucoup
entrepris . La jeune Prin
ceſſe qu'il a épousée eſt grande
& bien- faite , mais je ne
fuis point encor affez inſtruit
de ſon merite pour vous en
parler. Il eſt difficile qu'elle
n'en ait beaucoup, eftant Fille
d'un Prince qui peut regarder
ſa naiſſance , toute Royale qu'- .
elle eft , pour le moindre de ſes
avantages. Il eſt brave , gene-
1
92 LE MERCVRE
reux , fort aimé dans l'Angleterre
, & on ne le peut eſtre de
tout un grand Peuple, qu'on ne
s'en ſoit montré digne par les
plus éminentes qualitez.
Le Mariage qui eſt le plus
fort lien de la Societé civile ,
auroit de grandes douceurs fi
elles n'eſtoient pas le plus fouvent
troublées par la mort.C'eſt
une cruelle peine à éprouver,
&Madame du Vauroüy , Soeur
de M de Ribere , qui a eſté
dépuis peu Lieutenant Civil,
nous le fait connoître. Elle a
pleuré ſi ameremét depuis quelques
mois la perte d'un Mary à
qui elle avoit donné toute ſa
tendreſſe,qu'elle eſt enfin morte
elle-meſme apres des ſouffrances
extraordinaires.
eſtoit belle , jeune , ſpirituelle
& digne de vivre plus longtemps
qu'elle n'a fait.
Elle
GALANT.
93
M Muſnier de Mouligneuf,
Conſeiller au Parlement , eſt
mort auſſi . Ils eſtoient trois
Freres Conſeillers , dont il y en
a un à la Grand Chambre.
On meurt par tout , & hors
la guerre auſſi - bien que dans
les occafions de peril. M. d'Audijaux
avoit levé un Regiment
de Dragons pour le ſervice du
Roy à Meſſine. C'eſtoit- là , les
armes à la main , que vray- femblablement
il devoit perir , &
cependant il y eſt mort de maladie.
Il avoit du coeur , & on
n'a guere veu d'Homme plus
entreprenant.
Cette indiſpenſable neceſſité
de mourir doit avoir quelque
choſe de bien rigoureux , puis
que les Fleurs qui ne meurent
que pour renaiſtre , ne font pas
fatisfaites de leur deſtin . La ré
94 LE MERCVRE
ponſe qu'elles font à l'Illuſtre
&belle Madame Des- Houlieres
qui les avoit conſolées làdeſſus
avec tant d'eſprit , en eſt
une preuve. Celuy qui les fait
parler eſt d'Aix en Provence, &
je croy que ce qu'elles ont à
dire ne vous déplaira pas à
écouter.
REPONSE
DES FLEURS ,
A MADAME
DES-HOULIERES.
SinouriaidonneSome
Inous naiſſons ſouvent , c'est pour
Et pour mourir d'abord.
Un matin paſſager nom voit changerde
fort,
.
:
GALANT. 95
Plaignez , Amarillis , nostre malheur
extréme.
En est-il un plus grand pour de jeunes
appas,
Que d'eſtre le butin d'un ſi ſoudain
trépas?
La Loy de mourir toſt est une Loy trop
dure,
Où nous affuiettit l'inégale Nature.
On fait plus de pitié qu'on nefait de
jaloux ,
Quandon dureauſſi peu que nous.
Ilfaut que nous mourions à la fleurde
noftre âge
En attendant le retour du Printems.
Onse conſolepeu d'un futur avantage,
Quand on peut se paſſer d'attendre un
autre temps.
Que nous fert-il que le Zephire
Si délicatement aupres de nous souûpire,
Qu'il soit infinuant , que son espritſoit
doux ,
Sidans le tems qu'il nous careſſe,
Et nousmarque de la tendreſſe,
La mort vient , & finit tout commerce
entre nous ?
96 LE MERCVRE
Vous dites cependant ; Jonquilles ,Tubéreuſes,
Vous vivez peu de jours , mais vous
vivez heureuſes ,
Quand on a de beaux jours,
Il n'est pas bon qu'ilssoient fi courts.
Nulle de nous pourtant ne conferve
-l'envie
De ſe voirprolonger la vie,
Quand il s'en faut priver pour parer
vos Moutons
De Guirlandes & de Festons.
Sans peine &fans regret chacunealors
Sedonne
Avec ses plus vives couleurs.
Pourqui peut en mourant leur ſervir de
Couronne ,
Mourir bientoft n'est pas le plus grand
desmalheurs.
Voyez , Madame, comme je
me laiſſe inſenſiblement emporter
à l'enchaînement de la
matiere. Je vous devois faire
part dés le Mois paffé des Ceremonies
qui s'obſervent à l'ouverture
GALANT.
97
verture du Parlement. Le nou -
veau fuccés des armes du Roy
en Allemagne dont j'ay eu à
vous écrire , me les ayant fait
remettre juſqu'à celuy - cy , cet
Article ſembloit devoir eſtre un
des premiers de ma Lettre , &
je ne vous en ay pas encore
dit la moindre choſe. On ſçait
que la couſtume eſt tous les *
1896
*
ans de faire des Harangues à
cette Ouverture. Ceux qui n'y
vont point n'en ſçavent rien
davantage , & peut-eſtre même
que la plupart de ceux qui y
vont n'en reviennent gueres
plus ſçavans. Voicy par ordre
tout ce qui s'y paffe.
Le lendemain de la Saint
Martin , le Parlement en Corps
& en Robes rouges entend la
Meſſe dans la GrandSalle du
Palais. C'eſt toûjours un Evê-
Tome X. E
98 LE MERCVRE
que qui la dit. Elle a eſté ce--
lebrée cette année par celuy de
S. Omer. Le Parlement rentre
apres l'avoir entenduë , & remercie
l'Eveſque , qui luy témoigne
de fon,coſte tenir à
honneur d'avoir eſté choiſi
pour cette Ceremonie par un
fi Auguſte Corps. Les Avocats
&ales Procureurs preſtent le
Serment en ſuite ; apres quoy
Monfieur le Premier Preſident
traite une partie de la Compagnie
, & quelques - uns de
Meſſieurs des Enqueſtes. Les
Séances ne recommencent
que le Lundy de la huitaine
franche d'apres la S. Martin . -
Le meſme jour de cette Ouverture
, Meſſieurs de la Cour
des Aydes font des Harangues
entr'eux qu'on peut appeller
Mercuriales , puis qu'elles n'ont
EQUE DELA
GALANT. 99 A
Conſeil TO
THEOU
pour but que de faire voir en
quoy les Juges manquent , &
ce qu'ils doivent faire pour répondre
dignement aux obligations
de leurs Charges. Meffieurs
les Preſidens &
lers de cette Cour s'eſtant af
ſemblez cette année à leur or
dinaire,Monfieur le Camus qui
en eſt le Chefprit la parole ,&
apres s'eſtre long- temps étendu
ſur la difference qu'ily avoit de
l'integrité &de la pureté de vie
des Siecles paſſez , à la corruption
qui s'eſt gliſſée dans ce-
-Iuy-cy , & avoir montré par un
diſcours fort net & fort éloquent,
que nous eſtions treséloignez
de cette candeur qui
eſtoit inséparable de tout ce
qui ſe faiſoit dans ces temps
heureux, il fit voir les deſordres
qui naiſſent des Jugemens trop
*
E ij
100 LE MERCVRE
précipitez , & marqua fortement
que les Juges ne pouvoient
apporter trop de précaution
avant que de pronon--
cer ſur l'intereſt des Parties .
Voicy une comparaiſon dont il
ſe ſervit. Souvenez - vous , Ма-
dame , que tout ce que je vous
dis eſt fort imparfait, & que les
penſées que je vous explique
perdent beaucoup de leur grace,
dénüées des vives expreſſions
qui les mettoient dans leur
jour.
De meſme , dit - il , que les
Eaux qui fe répandent dansles
Campagnes par divers détours ,
y portent la fertilité & l'abondance
, ainſi quand lcs Magiſtrats
accompagnent leurs Iugemens
de toutes les reflexions
neceſſaires pour déveloper avec
ſoin les differens intereſts des
GALAN T. 101
Particuliers , leurs Arreſts ſe
trouvent ſoûtenus de cette
équité dont Dieu recommande
aux Hommes de ne s'éloigner
jamais. Au contraire lors que
cesEaux ſe débordent avecl'impétuoſité
d'un Torrent , elles
les gaſtent , elles y mettent la
ſterilité, ce qui eſt en quelque
façon l'image des Juges , qui ſe
laiſſant emporter au premier
feu de leur génie , & ne prenant
pour regle de leurs Décifions
que leur enteſtement , &
leur opiniâtreté , confondent le
bon droit avec le mauvais , &
font injuſtement des malheureux.
Le ſujet que M. du Boiſmenillet
, Avocat General de la
Cour des Aydes , prit pour fon
Diſcours , fut la connoiſſance
de la Verité . Il montra qu'elle
Eij
1102 LE MERCVRE
*étoit fi neceffaire aux Juges,que
fans elle ils ne pouvoient goûter
* de veritable plaifir dansle monde
, ny joüir d'une fortune affurée.
Il fit voir que ce que
l'Homme appelle Fortune, confiftoit
dans la ſeule elevation,
que nous cherchions cette éle-
* vation par tout , & que nous tâchions
de nous la procurer à
1 nous-mefme , en abaiffant ceux
en qui nous décotivtions plus
de merite qu'en notis , ce qui
eftoit caufe qu'il nous fachoit
naturellement d'entendre loüer,
-au lieu que la Satyre nons donnoit
toûjours de la joye , parce
qu'elle a l'adreſſe de changer
les vertus en defauts , & que
nous ne trouvons point d'abaifſement
pour les autres qui ne
nous ſemble une eſpece d'élevation
pour nous ; mais qu'en
GALAN T.
103
fin cette Fortune eſtoit injuſte
fans la connoiſſance de la Verité.
Il adjoûta que la Fortune
& les Plaiſirs eſtoient les deux
principaux motifs qui nous fai-
*foient agir dans la vie , que c'étoit
ſur eux que tous les autres
rouloient , & que nous eſtions
*obligez de prendre party. Ce
raiſonnement fut ſuivy d'un
grand Eloge de Monfieur le
Chancelier , qui attira un ap-
- plaudiſſement general.
Le Lundy que le Parlement
recommence ſes Séances ,qui eſt
le jour où les Audiances font
ouvertes , & qu'on appelle lour
- des Harangues , M. le Premier
Prefident parle aux Avocats , &
apres leur avoir fait connoiſtre
leur devoir il finit en adreſſant
la parole aux Procureurs . C'eſt
ce qui s'eſt toûjours pratiqué ,
Eij
104 LE MERCVRE
& ce qui ſe pratiqua encor la
derniere fois . Monfieur de Lamoignon
, avec cette gravité de
Magiſtrat fi digne de celuy qui
tient le premier rang dans ce
grand Corps , dit d'abord que
c'eſtoit pour la vingtième fois
qu'il voyoit renouveller l'ancienne
Ceremonie depuis que
la Iuftice s'expliquoit par ſa
bouche ſur toutes les obligations
que les Avocats avoient
contractées avec elle par le
Serment de fidelité qu'ils luy
avoient folemnellement juré;
que dans cette longue révolution
d'années qui avoit paſſé
comme un fonge , il avoit veu
changer preſque tout le Barreau
, & qu'à peine y reftoit- il
encor quelques - uns de ceux
qui estoient alors dans une ſi
haute reputation , & que l'age
GALANT.
105
ou l'infirmité avoient contraints
d'abandonner un employ fi
labourieux. Il exagera fort le
merite de ces Avocats celebres,
& dit qu'il ſembloit qu'ils n'eufſent
pas eu plus de durée que
cos Etoilles élementaires qu'on
voit ſe détacher du Ciel dans
un temps calme , qui marquent
par une trace de lumiere leur
chute précipitée & qui ſe perdent
pour jamais dansl'obſcurité
de la nuit. Il les compara en
fuite à des Torches ardentes
qui jettent une fort grande
lueur , qu'on ne voit paroiſtre
que pour la voir s'évanoüir dans
lemeſme temps. Il adjoûta que
leur memoire vivroit toûjours
dans le Parlement , où l'idée en
eſtoit fi forte , & le ſouvenir fi
agreable, qu'il eſtoit comme impoſſible
de ne pas croire qu'ils
Ev
1106 LE MERCVRE
fuffent encor prefens , & qu'on
*entendiſt leur voix parmy cette
multitude d'Avocats qui venoient
en foule pour écouter. Il
*les exhorta tous à ſe rendre infatigables
dans leur employ
comme avoient fait ceux dont
il leur parloit , & leur fit voir
qu'ils estoient d'autant plus obligez
de s'en acquiter dignement,
que noftre grand Monarque, au
*milieu des foins qui demandoiet
totute ſon application pour ce
qui regardoit la Guerre , ne
* perdoir jamais celuy de conferver
l'éclat de la Justice & de
*maintenir ſes intereſts , ce qu'il
avoit encor fait paroiſtre depuis
*peu de jours en luy donnant
pour Chefun grand Homme
-dont le choix avoit eſté prévenu
par les voeux de toute la France,
& fuivy de fes plus finceres acclamations.
GALANT. 107
M. l'Avocat General Lamoignon
ſon Fils parla apres
luy , M. Talon eftant tout couvert
de la gloire que ces fortes
de Harangues font acquerir.
Son Exorde fut que ſi les Difcours
que la couſtume veut
qu'on faſſe en de pareils temps
n'eſtoient confiderez que comme
des Effais d'Eloquence ſemblables
à ces Concerts de Muſique
qui flatent l'oreille ſans penetrer
le coeur , ce feroit un
abus de porter la parole dans
un ſi Auguſte Parlement pour
maintenir les intereſts de la Juſtice,
en repreſentant aux Avo--
cats à quoy les oblige le Serment
qu'ils renouvellent tous
Ies ans. Il pourſuivit en faiſant
connoiſtre que la perfection de
ce Serment confiftoit dans la
-verité ,la juſtice & le jugement ;
Evj
108 LE MERCVRE
Que fans ces trois conditions
tous les Sermens estoient des
Parjures, & les Parjures, la fourcede
tous les malheurs; Qu'ainfi
les Payens avoient dévoie à la
colere du Ciel , & à l'execration
de la Terre , ceux qui ſe trouvoient
coupables des deux
plus grands crimes qu'on puiſſe
commettre dans le monde , l'un
d'avoir mépriſé la Divinité qui
préſide aux Sermens , & l'autre
d'avoir violé la Verité , ſans la.-
quelle les plus ſages Legiſlateurs
marquoient qu'il n'y avoit point
deReligion parmy les Hommes,
ny de fidelité parmy les Dieux.
Il finit par une peinture de
l'honneſte Homme qu'il exhorta
les Avocats de ſe propofer
pour modelle , afin que s'appliquant
avec plus d'ardeur à
rendre juſtice qu'à chercher les
GALAN T. 109
occafions de s'enrichir , ils euffent
un zele parfait à défendre
la verité .
Le Mercredy ſuivant on tient
la Mercuriale. M le Premier
Preſident parle à Meſſieurs les
Gens du Roy , qui luy ayant
adreſſé la parole enſuite , continuent
en l'adreſſant aux Juges
en general . M. de Lamoignon,
Chefde ce grand Corps,tourna
fon Diſcours la derniere fois fur
la Verité. Il dit que les Juges
eſtoient dans une obligation indiſpenſable
de la chercher ſans
ſe mettre en peine de la calomnie
, ny de ce qu'on pourroit
dire contre eux quand ils feroiet
leur devoir ; Qu'ils étoient
dans un rang élevé , mais expoſe
à tout,Qu'en cherchant cette
Verité , ils devoient craindre
qu'on ne les perfuadat trop ai
TIO LE MERCVRE
fément ; Que chacun croyant
avoir droit , croyoit en mêmetemps
que la Verité eſtoit pour
luy , & que cependant elle ne
pouvoit eftre que d'un coſté ;
Que pour la bien découvrir au
travers des voiles qui l'envelopent
, ils devoient tout entendre
, ne rebuter perſonne ,& fi
cela ſe peut dire , écouter jufqu'à
l'injuſtice meſme, pour n'avoir
aucune negligence à ſe reprocher
; Que tout leur devant
eſtre ſuſpects , ils le devoient
eſtre à eux-meſmes ; que les
Amis ſe laiſſant aveugler par
leurs Amis, tâchoient à perfuader
des injuftices aux Iuges ,
dans la penſée qu'ils ne leur de-
-< mandoient rien que de juſte, &
qu'ainſi ils avoient ſujet de fe
défier de tout , & particulierement
d'un Sexe qui ayant des
GALANT. III
privileges particuliers , vouloit
toûjours eftre crû , & ne prioit
jamais qu'avec quelque forte
d'autorité. Il finit par quantité
de belles choses qu'il dit ſur la
grandeur du Roy , & fur la fidelité
que les Juges doivent à leur
confcience , à ſa Majesté , & à
leur miniſtere.
Monfieur de Harlay Procureur
General parla en ſuite. II
dit que le repos faiſoit fubfifter
toute la Nature ; Que Dieu même
en avoit étably un jour dans
chaque Semaine ; que les Corps
apres avoir travaillé tout le jour,
eſtoient obligez de ſe délaſſer
*la nuit pour reprendre de nouvelles
forces , & qu'ainſi on
avoit ordonné les Vacations afin
que l'Eſprit ſe repoſaſt des fatigues
de l'année , & puſt s'appliquer
aux Affaires avec une
112 LE MERCVRE
nouvelle vigueur ; mais qu'au
lieu d'employer ce relâchement
à l'uſage auquel on l'a deſtiné,
beaucoup de Juges rentroient
auffi crus qu'auparavant , il explique
ce terme,adjoûtant qu'ils
n'avoient point aſſez digeré les
preſſans devoirs qui leur font
impoſez par leurs Charges , &
qu'ils ne s'eſtoint pointmis dans
l'eſtat où il faut eſtre pour s'en
acquiter ; Qu'il les conjuroit de
mieux profiter du temps,& que
ce fuſt pour la derniere fois ,
s'ils remarquoient qu'ils en
euſſent jamais abuſé .Apres cela
il entra dans le détail de ce que
doit ſçavoir un Juge , & ayant
parlé des Ordonnances , du
Droit Ciuil , & de quelques
autres dont la connoiſſance luy
eſtoit abfolument neceſſaire , il
tomba fur la foibleſſe des HomGALANT.
113
mes ſi ſujets à ſe tromper euxmeſmes
, ou à ſe laiſſer tromper.
Il leur fit connoiſtre que la prévention
eſtoit la choſe du monde
la plus dangereuſe , puis que
l'Innocence en pouvoit ſuffrir ;
&leur ayant marqué ce defaut
comme un des plus grands &
des plus préjudiciables qu'ils
puſſent avoit , il les exhorta à
fonger ſerieuſement à s'en defendre
, & à ne donner jamais
de Jugement fans avoir examiné
juſqu'aux moindres circonſtancesdes
Affaires ſur leſquelles ils
avoient à prononcer.
Je vous ay déja priće ,Madame
, de ne regarder ce que j'avois
à vous dire ſur cette matiere
, que comme une ébauche
qui a efté faite confufément fur
des Portraits achevez. Ce ſont
moins en effet les penſeées de
114 LE MERCVRE
ces grands Hommes , que quelque
choſe de leurs penſées . Ils
leur ont donné un tour qu'il ne
m'eſt pas poſſible de trouver ,
*& j'en laiſſe beaucoup que la
memoire de ceux qui les ont
Sentenduës avec admiration ne
m'a pû fournir.
3
Ce qui m'en cauſe tous les
jours ,& qui en cauſe ſans doute
à toute l'Europe, c'eſt de voir
qu'en quelque lieu que ce puiffe
eftre , & pour quelque occafion
que ce foit , les Armes du Roy
*portent la terreur où elles paroiffent.
Voyez ce qui eſt arrivé
, quand Sa Majesté ſollicitée
" par les Mécontens de Hongrie
de les ſecourirdans lear oppreffion,
refolut enfin de les aſſiſter.
Elle fit donner ſes ordres àM
*de Boham par M' le Marquis de
Bethune ſon Ambaſfadeur ExGALANT.
115
2
traordinaire en Pologne , & on
y trouva des François tous preft
àmarcher. Il n'eſt pas ſurprenantqu'ily
en euft. Ils courent
• par tout apres la Gloire ,& dés
que la paix eſt en France , ils
" vontchercher à ſe ſignaler chez
-tous les Princes Chreftiens qu*-
Kils ſcavent en Guerre. Mr de
Boham qui en avoit appris le
-meſtier parmy les Braves de ces
deux Belliqueuſes Nations , af-
-ſembla des Troupes en peu de
temps.Il le fit avec d'autant plus
de facilité , que les Polonois qui
ne reſpirent que les armes , ne
prennent ſouvent aucun autre
aveu que celuy de leur courage
pour s'engager. L'ardeur de la
gloire , & l'activité qui eft ordinaire
aux François , luy furent
d'ailleurs un grand avantage
pour luy faire amaffer prompte
116 LE MERCVRE
ment quatre mille huit cens
Hommes effectifs avec leſquels
il alla au ſecours de Mécontans.
Remarquez , Madame , que je
ne vous ay rien dit d'abord que
de veritable Les ſuccés avoient
efté balancez depuis pluſieurs
années en Hongrie, Nos François
y arrivent. Ils n'ont encor
joint que peu de Hongrois , &
ils gagnent une celebreVictoire.
Il eſt vray que les Polonois qu'ils
commandoient y ont eu part,
ayant montré das cette fameuſe
Iournée la meſme valeur qu'ils
avoient fait paroiſtre tant de
fois ſous le Grand Mareſchal
Sobieski , que ſon merite extradrdinaire
a misdans le Trône,&
qui eſtant devenu leur Roy , ne
les a pas moins accouſtumez à
vaincre qu'auparavant. Plus de
mille morts fontdemeurez ſur la
GALANT.
117
place, ſans compter ceux qui ſe
ſont noyez. Joignez à cela plus
de huit cens Priſonniers , avec
toutes les dépdüilles , & vous avoüerez
que cet avantage peut
paſſer pour une pleine Victoire.
M.deBoham a fait voir das cette
occafion toute la prudence &
toute la conduite d'un grad Chef
avec la fermeté d'un Soldat. M.
le Chevalier d'Alembon porta
ſes ordres par tout,& paya deſa
perſonne d'une maniere qui fit
connoiſtre que le peril ne l'étonnoit
pas. Ilneſe peut rien adjoûter
aux marquesde courage que
donna M. de Sorbual qu'on vit
toûjours à la teſte des Troupes
Hondroiſes. M. le Marquis de
Guenegaud nequitta point celle
de laCavalerie.Il arreſta les Ennemis
qui voulurent forcer le
Poſte qu'il gardoit,& les empef
118 LE MERCVRE
cha meſme de paſſer. Il eſt Fils
de M. de Guenegaud qui a eſté
Treſorier de l'Epargne. M. de
Chanleu commandant l'Infanterie,
donna l'exemple à ſon Regiment,
& alla Pique baiſſée aux
Ennemis.M.de Valcour premier
Capitaine du Regiment de Boham
ne ſe fit pas moins remarquer.
Je ne vous nomme point
les Polonois,Hongrois & Tartares
qui ſe ſignalerent , il y en eut
beaucoup , & vous n'aurez pas
de peine à le croire , puis qu'ils
combatoient avec des François,
& qu'il eſt impoffible qu'en leurs
voyant faire des choſes ſurprenantes,
on ne tâche de les imiter.
Leur entrée enHongrie n'a pas
eſté ſeulement ſuivie de la Vitoire,
elle a obligé deux grades
Comtez qui ſoufroient fans ofer
ſedeclarer à ſe ranger du party .
:
GALANT.
119
des Mécontens , dont enfin le
Manifeſte a paru touchant les
juſtes raiſons qui leur ont fait
implorer l'aſſiſtace du RoyTres-
Chreftien.Depuis tout ce queje
viens de vous marquer,ces Peuples
oppreſſez ont encor remporté
des avantages confiderables.
Il n'y a pas lieu d'en eſtre
furpris , puis que la France s'en
meſle. Voyez, Madame, ce que
fait le Nom du Roy.Il ſe declare,
& la Victoire devient infaillible,
mais ſi ces Armes ſe font redouter
par tout, ſes Triomphes font
en meſme temps l'inépuiſable
matiere des Eloges de tout le
monde , & ceux que l'embarras
des Affaires du Public oblige à
rompre commerce avec les Muſes,
cherchent à le renoüer pour
ne demeurer pas muets quand il -
s'agit de la gloire de ce grand
120 LE MERCVRE
Monarque. Vous n'en douterez
point quand vous aurez leu ce
Sonnet de M.de Brion Conſeiller
au Parlement.
Sonnet pour le Roy.
Destins, veillez toûjours pour conſerver
ceRoy ,
Devosſoins affidus le plus parfait onvrage.
Ne l'abandonnez point , lorſque ſon
grand courage
Luyfait porter par tout la terreur
l'effroy.
Quoy qu'il traiſne toûjours la Victoire
apresfoy,
Comme il court ſans rien craindre ou la
gloire l'engage,
Dans les divers perils que fon grand
coeur partage ,
Du ſoinde le garder faites-nous une
Loy.
Vous
GALANT. 121
Vous avez employéplus de cing mille
années
Aformer de Loüis les nobles deſtinées
;
Vostre plus grand effort nous paroist aujourd'huy.
Ne livrez donc jamais à la fureur des
Parques
Ce Roy victorieux , la gloire des Monarques
,
Vous ne sçauriez donner un plus grand
Royque luy.
- Cette verité eſt ſi conſtante,
que le plaiſir d'admirer ſes grandes
Actions adoucit les maux de
ceux qui ſouffrent ; & cet autre
Sonnet de M² l'Abbé Flanc arreſté
dans la Conciergerie par
ſes malheurs , en eſt une mar...
que.
Tome X. F
122 LE MERCVRE
Au ROY, Sonnet. ***
Roy feul de tous les Roys digne d'eftre imité,
Ta grandeur m'ébloüit , OmaMuse
tremblante
S'égare&se confond de voir, lors qu'on
tevante ,
Ton meriteplus grand que tafelicité.
Tuportes tous les traits de la Divinité,
Au ſeul bruit de ton Nom l'Europe
s'épouvante د
Et les Faits inoüls de ta main fipuis-
Sante
Feront l'étonnement de la Pofterité. 7
Mais lors que'tu parois environné de
gloire ,
Qu'en tout temps tes Drapeaux devancent
la Victoire ,
Qu'un seul de tes deſſeins suspend tout
l'Univers ;
GALANT.
123
QuedufierEspagnol les Villesſont conquiſes,
Qu'à l'éclat de tes Lys les Aigles font
Soumiſes,
:
A t'admirer , Grand Roy , j'adoucis
tous mesfers.
LYON
*
1893
Ce ſentiment n'eſt pas ſeule
ment commun à tous les Fran .
çois. Le General Major Harang
qui fut pris à la Journée de
Corberg , n'a pû s'empeſcher
de trouver du bon-heur dans
une diſgrace qui luy a procuré
le plaifir de voir la plus belle
Cour de l'Europe , & le plus
grand Monarque du monde. Il
en a receu depuis peu une Epée
toute couverte de Diamans .
Entre autres choſes que l'excés
de ſa joye luy fir dire au Roy
pour le remercier d'une fi glorieuſe
marque de fon eſtime , il
Fij
124 LE MERCVRE
dit qu'il alloit ſubſtituer cette
Epée dans ſa Famille , afin que
ſes Deſcendans ne perdiſſentjamais
le ſouvenir de l'honneur
que luy avoit fait un ſi grand
Prince.
Sa Majeſté qui connoiſt parfaitement
le merite & qui ſe
plaiſt à récompenfer les ſervices
qu'on luy a rendus, a donné
la Lieutenance - Colonelle du
Regiment de Picardie à M. de
Villemander qui en eſtoit premier
Capitaine , & celle du Regiment
de Normandie à M. de
Guilerville qui eſtoit en la même
qualité à la teſte de ce
Corps.
Vous avez ſçeu , Madame ,
que M. l'Abbé de Grandmont
qui estoit Agent du Clergé ,
avoit eſté nommé par le Roy à
l'Eveſché de S.Papoul . Vous api
GALANT. 125
prendrez aujourd'huy qu'il fut
ſacré il y a quelques jours à
Pezenas par Monfieur le Cardinal
de Bonzi , Archeveſque de
Narbonne & Preſident des
Etats , aſſiſté de Meſſieurs les
Eveſques de Beziers & de
Montpellier. Les Etats s'y trouverent
en Corps. Monfieur le
Duc de Verneüil Gouverneur
de Languedoc,& M. Dagueſſeau
Intendant auſdits Etats , &
Commiſſaire du Roy , ne manquerent
pas auffi de s'y rendre ;
& comme une pareille Cerémonie
n'avoir eſté faite depuis
long-temps dans cette Province,
une infinité de Perſonnes des
Villes voiſines y fut attirée par
la curiofité . Monfieur le Cardi,
de Bonzi traita en ſuite magnifiquement
Monfieur le Duc de
Verneüil,avec les Commiffaires
F iij
116 LE MERCVRE
du Roy , & tous les Eveſques .
Celuy dont je vous parle eſt
Neveu de M. de Grandmont ,
qui estoit Agent perpétuel des
Etats de Languedoc , & qui fut
à feu M. le Duc d'Orleans . Son
merite l'avoit mis dans une fort
grande confideration . м.lе маг-
quis de Montanegre n'afſiſta
point à cette Cerémonie , parce
qu'il eſtoit party quelques jours
auparavant pour aller faire vérifier
au Parlement de Toulouſe
ſes Proviſions de Lieutenant de
Roy de la Province.On nedoute
point qu'elles n'y foient receuës
avec joye par la connoiffance
qu'on a de ſes ſervices, &
de la juftice qu'on luy a renduë.
Vous m'avez marqué que
vous l'eſtimez ; & comme je
fçay que vous ferez bien-aiſe
que je vous parle de luy toutes
of GALANT. 127
D
des fois que l'occafion s'en offrira
, j'auray ſoin de vous fatisfaire.
Cependant apres vous avoir
entretenuë de la grande Affemblée
qui s'eſt faite à Pezenas ,je
ne puis m'empefcher de vous
dire quelque choſe de celle qui
ſe fit icy dernierement au Collegedu
Pleſſis , où M. l'Abbé de
Boiſtel foûtint des Theſes de
Philoſophie dédiées à M. le marquis
de Louvois , qui honora
l'Acte deſa prefence. Un nombre
infiny de Gens de la premiere
qualitéy affiſta , quelques
Dames meſme s'y trouverent,&
la capacité du Soûtenant y parut
avec éclat. Il eſt Fils de M.
leBoiftel , fr connu par l'important
Employ qu'il exerce ſous
ce miniſtre,mais plus encor pour
eſtre un des plus obligeans &
Fiiij
128 LE MERCVRE
des plus honneſtes Hommes de
France . Je ſoay que la matiere
des Theſes eſt peu galante , &
que ce n'eſt pas un Article qui
doive eſtre employé ſouvent
dans mes Lettres ; mais quand
les choſes ordinaires , & dontje
n'ay pas accouſtumé de vous
parler , font accompagnées de
circonſtances extraordinaires ,
elles meritent bien que vous les
ſçachiez . Ce qu'il y eut de nouveau
das cet Acte ſouſtenu , c'eſt
qu'on donna en François à toutes
les Dames le Compliment
Latin qui eſt au defſousdu Portrait
de M. de Louvois , fans cela
elles auroient eſté privées du
plaifir que leur cauſal'Eloge de
ceGrand Miniſtre. Je vous ay
parlé de luy dans toutes mes
Lettres,quoy que je ne l'aye pas
toûjours nommé, il y'a fi peu de
GALANT . 129
perſonnes qui luy reſſemblent ,
qu'ils ne vous a pas dû eſtre
difficilede le reconnoiſtre.Apres
les glorieuſes veritez que je
vous en ay dites , il eſt bon que
vous les entendiez d'une autre
bouche , & que je vous explique
au moins en peu de mots
le fujet du Compliment de M
F'Abbé le Boiſtel. Il commence
par l'élevation de M. le Tellier
à la Charge de Chancelier de
France , qu'il regarde comme
une preuve éclatante que le
Roy a voulu donner à toute
l'Europe de l'amour qu'il a pour
ſes Peuples, il vient de la au merite
de M' le Marquis de Louvois
, que des travaux ſans relache
ont entierement devoüé à
la gloire de ſon Maiſtre. II dit
que jamais Prince n'ayant couru
à l'immortalité à fi grands
Fv
130 LE MERCVRE
pas , jamais Miniſtre n'avoit ſi
promptement applany les difficultez
qui auroient pû l'arrefter
; Qu'il venoit plûtoſt à bout
luy feul de fournir aux beſoins
de quatre Armées , que plufieurs
enſemble ne fourniſſoient
autrefois aux neceffitez d'une
feule ; que quelques deſſeins
qu'on eut formez , les choſes ſe
trouvoient toûjours executées
avant qu'on eut ſçeu qu'elles le
devoient entreprendre ; Que
par les foins qu'il prenoit à
maintenir la Diſcipline Militaire
dans toute ſon exactitude ,le
paffage des gens de guerre ne
Tembloit eſtre par tout que celuy
d'une Colonie d'Amis ; &
que le ſomptueux Baſtiment des
Invalides , rendroit un eternell
témoignage de ſa bonté pour les
Soldats auſquels il avoit procu
GALAN T.
131
ré un azile glorieux, pour le reſte
de leurs jours,quand l'âge ou
les bleſſeures les rendoient incapables
de continuer leurs fervices.
Ces penſées ſont beaucoup
mieux tournées dans une langue
à laquelle la force de l'expreffion
eſt particuliere. Vous y
fuppleerez, s'il vous plaiſt, Madame
, & pour marque de la reconnoiſſance
que j'en auray , je
vous envoye une ſeconde Let
tre de M. Petit, écrite comme la
premiere à M. le Duc de S. Aignan.
Vous aimez tout ce qui
regarde la gloire du Roy, & fon
ſtile qu'il appelle badin, nedeshonnore
peut- eftre pas la matiere
qui luy faitpeur. Lifez , je
vous prie , & m'en dites voſtre
penfte.
Risdo
F
第
هو
132 LE MERCVRE
De Ronen le 9. Decembre, 1677.
MONSEIGNEVR ,
Ce n'apas esté fans ſurpriſe que j'ay
veu dans le dernier Tome du Mercure
les vers badins qu'ilya deux ou trois
mois que je pris la liberté de vous envoyer.
Ce m'est , Monseigneur , une
marque bien glorieuse &bien obligeante
de l'honneur de voſtre ſouvenir; & comme
ce n'a pû estre que par vos ordres
qu'ils avent en place dans ce recueilde
-Pieces Galantes, je ne vous ſuispasmediocrement
obligé de la bonté que vous
avez de vouloir deterrer mon nomenfeveli
en Province depuis uneaffezlonque
fuitte d'années : Mais , Monfeigneur,
je suis si accoutumé àrecevo
de vous des graces que je ne me
point que
voir
merite
cetje
dois peum'étonner de
-sederniera,qui m'engage plus que jamais
àvous honnorer ,&àpousserjufqu'où
elle peut aller lapaffion toutepprlei
ne de respect avec laquelle je fuis
MONSEIGNEVR,
Voffre tres humble, tres obeiffant, & tresobligé
Serviteur , PETIT.
GALANT. 133
১
HerDuc, apres ce Compliment ,
Et GE cet humble Remerciment
Vn pen ſerieux pour ma Plume
Dont ( vous lesçavez ) la coûtume-
Eft d'écrire en style badin ,
Sansſe piquer de rien de fin ;
Trouvezbon qu'elle s'y remetta,
Et que ma Muse, humble Soubrette
De celledont les chants fi douxw1
Vousfont faire mille Laloux ,
Vous entretienne à l'ordinaire , ة
Songeant que je fuis vostre Frere
EnApollon, l'aymable Dieu , ..
Qui de cent plaisirs me tient liens T
Et certesj'auroispeine àdire ,
Si le feu badin qui m'inspire ,
Me touche onplus, ou moins au Coeur,
Que celuy du Dieu dont l'ardeur
Fait desesperer l'Idolatre 3615000
D'une Coquette acariatre ,
Qui rit destraits da Dieu Fripon;
Mais iln'en est plus,codition,
Les Coquettes font fort
Comme enbuitjours on prenddesVilles
(Secret denostre Mars François ,
PlusRoy luy feul que trente Rois)
dociles,
134 LE MERCVR E
Enhuit ioursfans autre remise ,
La plus fine Coquette est priſe.
Quoy qu'il enſoit, j'aime a rimer ,
Et ma Muſe ſçait s'animer ,
Quand à Vous s'addreſſe ſa rime ;
Mais,n'est- cepoint commettre un crime
Que de vous derober du temps
Aumilieu des plaisirs charmans
Dant laplus belle Cour du monde ,
Pour l'un & l'autre Sexe abonde ?
Danscette Cour où le Soleil
Brilleenſon ſuperbe appareil ,
Où des Beautez faites à plaire
Où des Heros hors du vulgaire
Forment un éclat qui surprend
Leſçayqu'ilfaut que tout foit grand.
Etd'une splendeurſans pareille.
Ainsidonc, ce n'est pas merveille
Sipar tout oùparoît Loün
On voit des brillans inovis
Vous tenez-bien là vostreplace ,
Et, fansquerienvous embaraſſes
Vostre plus ordinaire employ ,
Eft d'admirer noſtre Grand Rey
Dont le Bras,fecondant laTefto ,
Adjoûte Conqueſte à Conqueſte. )
Tout le monde en est étonné
SH
GALANT. 135
Désque son Canon a tonné ,
Les Villes en craignent la foudre ,
Et de peurqu'on les mette en poudrez
Surpriſes de fes grands Exploits ,
Viennentse rangerſousſes Lois.
Si l'on voyoit des Faits ſemblables ,
Dans l'Histoire; ceſont des Fables,
Et des Fictions , diroit- on :
Mais, certes,lepauvreLyon ,
Etl'Aigle, battus de l'orage,
Connoiſſent trop à leurdommage,
Queces Exploitspar tout vantez,
Sont de feures realitez .
NosMuses fort embarrassées
Vont au filence eſtre forcées ,
Ayant dit que ce nouveau Mars,
Paſſe de bien loin les Cefars,
LesAlexandres, les Achilles ,
Et les plus grandspreneurs de Villes,
Ellespenſent avoir tout dit ;
C'est jusqu'on va leur bel esprit.
Puisse trouvant loin de leur Compte,
Elles confeffent avec honte ,
Qu'elles n'en onpas dit affez,
Et que trop de Faits entaſſez
De leur éclat les ébloüiffent ,
Etfont que leurs rimestariffent.
136 LE MERCVRE
1
Mais,digne Duc,permettez-moy,
Dedire icy, que ce grand Roy
N'a rien qui luy foit comparable
Dans l'Histoire, ny dans la Fable.
Quelques-uns veulent qu'il foit né
Sous un Aftre bien fortuné ,
Etfous une Etoile inuincible;
Mais c'est à ce Heros terrible
Ofter de fa Gloire un Fleuron.
Son Aftre eſt, ſon coeur de Lion ;
Etfon Etoile,Sa Prüdence ,
Son grand sens &sa Vigilance.
C'eſt luy qui monte les refforts,
Quifont mouvoir tout ce grand Corps
DeCombatans,fous qui tout tremble
Et mesme dans le temps qu'ilſemble
Que ce Herosse divertit,
Sa Teste inceſſamment agit .
Ses Ordres ſi justes ſedonnent,
Que les Ennemis s'en eſtonnent ,
Et la mesme peur qu'il leur fait.
Quandil
Oula
estdans le Cabinet,
Gloire avec luy raisonne,
L
Quequandil commande en Perſonne..
Enfin, pourfinir ce Discours,
C'est le Miracle de nos jours.
Mais ma Muse est bien temeraire ,
GALANT. 137
;
i
Ne le trouvez-vous pas cher Frere ?
Toûjours en Apollon , s'entend ,
Car il est affez important ,
Pour le respect que je vousporte ,
D'adoucir l'endroit de la forte.
C'est trop que d'élevermes Vers
Anplus GRAND ROY de l'Univers ;
Maissi je manque de prudence ,
I'attens de vous quelque indulgence.
Sçachaut que de ce Demy-Dien
Lahaute Gloire vous tient lieu ,
D'unplaisirsi grand, qu'il furpaffe
Tous ceux de la premiere Claffe .
Et que lors que le juſte Encens
Qu'on doit àfesrares talens,
Fume pour ce Prince adorable ,
Rien ne vous estplus agreable.
Ah! que n'en ay-je du meilleur !
Etque je me plairois , Seigneur ,
Afaire te Panegiryque
De ceGrandRoy tout Heroïque !
Ie m'en trouve l'esprit fi plein .
Que j'ay laiſſé là le deſſein
Defaire une lettre badine ;
Mais, apres tout je m'imagine
Que vous me le pardonnerez ,
Et que mesme vousm'en louerez
:
Γ
138 LE MERCVRE
Quoy qu'il ſemble que ce ſtile
foit trop fimple pour eftre propre
aux grandes matieres, il ne
laiſſe pasd'avoir de la grace le
voudrois en avoir autant à vous
conter dans le mien,une Avanture
de Muſique qui a cauſe depuis
peu de grands embarras à
biendeGens. Un Homme confiderable
& par fon bien & par
l'employ qu'il a dans la Robe ,
eſtant demeuré veuf depuis
quelque temps , avec une Fille
unique , n'avoit point de plus
forte paffion que celle de lamarier.
La garde luy en ſembloit
dangereuſe , & il croyoit ne
pouvoir s'en défaire jamais afſez
toſt. Ce n'eſt pas qu'elle
n'euſt beaucoup de vertu , &
qu'ayant eſté toûjours élevée
dans une fort grande modeſtie,
elle ne fuft incapable de manGALANT.
139
(
quer à rien de ce qu'elle ſe devoit
àelle-meſme ; mais une Fille
qui a vingt ans , de l'efprit &
de la beauté , n'eſt point faite
pour eftre cachée, il y a des mefures
de bien-feance à garder, &
un Pere que les Affaires du Public
occupent continuellement,
ne sçauroit mieux faire que de
remettre en d'autres mains ce
qui court toûjours quelque péril
entre les ſiennes. Tant de
vertu qu'il vous plaira,une jeune
Perſonnea un coeur, ce coeur
peut eſtre ſenſible , & on a d'autant
plus à craindre qu'il ne le
devienne , que l'Eſprit ſe joignant
à la Beauté , attire toûjours
force Adorateurs. La Demoiſelle
dont je vous parle étoit
faite d'une maniere à n'en pas
manquer ſi les ſcrupules du Pere
n'y euſſent mis ordre. On la
:
140 LE MERCVRE
voyoit , on l'admiroit dans les
Lieux de devotion où il ne luy
pouvoit eftre defendu de ſe mõtrer
, mais elle ne recevoit chez
elleaucune Viſite, fi vous exceprez
celles de cinq ou fix Parentes
ou Voifinesqui luy tenoient
cõpagnie avec affez d'affiduité.
Celqu'elle regrettoit le plus des
divertiſfemens publics,dont elle
ne joüifſoit que par le rapport
d'autruy, c'eſtoit Opera. Elle a-
-voit la voix fort belle , ſçavoit
parfaitement la muſique,& n'ai-
-moit rien tantque d'entédre bié
chanter. Deux ou trois de ſesAmies
avoient le méme talent&
la méme inclination , & la plus
grande partie du temps qu'elles
ſe plaifoient à paffer enſemble,
eſtoit employé à de petits Concertsde
leur façon.L'une d'elles
avoit un Frere grand Muficien,
GALANT.
141
&c'eſtoit ſur ſes Leçons qu'elles
apprenoit aux autres ce qu'il
yavoit de plus agreable & de
plus touchant dans les Opéra.
La Belle brûloit d'envie de le
mettre de leurs Concerts,on luy
diſoit mille biés de luy,& il n'en
entendoit pas moins dire d'elle à
ſa Scoeur. Ainfi ils furent prevenus
d'eſtime l'un pour l'autre
avant qu'il leur fut permis deſe
connoiſtre, & la difficulté qu'ils
y trouverent leur en augmenta
le defir. On parla au Pere,qui ſe
montra plus traitable qu'on ne
l'eſperoit.Le pretexte de la mufique
fut le ſeul dont on ſe fervit
pour obtenir la permiſſion qu'on
luy demadoit.Il ne voulut point
envier à ſa Fille l'unique plaifir
qu'il ſçavoit eſtre capable de la
toucher ; & le Cavalier ne luy
paroiſſant point d'une Fortune
142 LE MERCVRE
à former des pretétions d'alliance,
il confentit à la priere que fa
Soeur luy avoit faite, de trouver
bon qu'elle l'amenaft.Ils ſe virét
donc, ils ſe parlerent,ils chanterent
, & fans s'eſtre apperceus
qu'ils euffent commencé à s'aymer,
ils ſentirent en peu de téps
qu'ils s'aymoient. Iln'y avoitrien
que de tendre dans les Airs que
le Cavalier venoit apprendre
à la Belle ; il les chantoit tendrement
, & à force de les luy
faire chanter de meſme , il mit
dans ſon ame des diſpoſitions
favorables à bien recevoir la
declaration qu'il ſe hazarda enfin
à luy faire. Ses regards avoient
parlé avant luy , & ils
avoient eſté entendus fans que
les Amies de la Belle en euffent
penetré le ſecret. Elles imputoient
au feul deſſein d'animer
GALANT. 143
les paroles qu'il chantoit , ce qui
eſtoit une explication paffionnée
des ſentimens de ſon coeur,
Il trouva enfin l'occaſion d'un
teſte- à- tefte. Il ne la laiſſa pas
échaper,& il employa des termes
ſi touchans , à faire connoî
tre toute la force de ſon amour
à la charmante Perſonne qui
le cauſoit , qu'elle ne pût ſe
défendre de luy dire qu'il re
marqueroit par la promptitude
de fon obeïſſance , l'eſtime particuliere
qu'elle avoit pour luy,
s'il pouvoit trouver moyen de
luy faire ordonner par fon Pere
de le regarder comme un Homme
qu'il luy vouloit donner
pour Mary. Que de joye pour
le Cavalier ! Il avoit des Alliances
fort confiderables , &
ménageoit une Perſonne d'autorité
pour l'engager à venir
144 LE MERCVRE
faire la propoſition pour luy ,
quand il apprend de la Belle
que ſon Pere la marioit à un
Gentilhome fort riche qu'il luy
avoit déja amené; que les Articles
eſtoient arreftez , & qu'il
s'en eſtoit expliqué avec elle
d'une maniere ſi impérieuſe ,
qu'elle ne voyoit pas de jour à
ſe pouvoir diſpenſer de luy
obeïr. Sa douleur eſt auſſi grande
que ſa ſurpriſe. Il la conjure
d'apporter à ſon malheur tous
les retardemens qu'elle pourroit
, tandis que de fon coſté il
mettroit tout en uſage pour
l'empeſeher. Les témoignages
qu'ils ſe donnent de leur déplaifir
font interrompus par l'arrivée
de l'Amant choify. Comme
il eſtoit naturellement jaloux il
obſerve le Cavalier , & trouve
dansſon chagrinje ne ſçayquoy
de
GALANT. 1451
de ſuſpect qui l'oblige à ſe faire
l'Eſpion de ſa Maiſtreſſe. Il la
fuit par tout , & fe rend chez
elle tous les jours de fi bonne .
heure , que le Cavalier aimé ne
peut plus trouver moyen de
l'entretenir.Il cache le deſeſpoir
où cet embarras le met , & la
Muſique eſtant le pretexte de
ſes vifites , il tâche d'éblouir ſon
Rival, en continuant à luy faire
chanter à elle & à ſes Amies,
tous les endroitsqu'elles ſçavent
des Opéra Quelques jours apres
ne pouvant venir à bout de
trouver un moment de teſte- àteſte
pour ſçavoir ſes ſentimens ,
il eſſaye un ſtratagême pareil à
celuy de l'Amant du Malade
Imaginaire. Il feint que le fameux
Lambert a fait un Air à
deux Parties que peu de Perſon-
G
י כִּ
146 LE MERCVRE.
nés ont encor veu , & parle fur
tout d'un Helas qui a quelque
choſe de fort touchant quand
la Baffe & le Deſſus ſont meflez
enſemble . L'Air &les Paroles
estoient de luy,& le tour ſe
rapportoit à l'eftat preſent de ſa
fortune. La Belle qui comme je
vous ay deja dit avoit une parfaite
connoiffance de la Mufique
, demande à voir cet Air fi
touchant , & s'offre en meſine
temps à le chanter avec luy. II.
eſtoit fait fur ces Paroles .
Ie vousd'aydit centfois, belle Iris , je
vous aime ;
Comme voftre beauté , mon amour est
extréme
1
Mais je crains un Rival charmé de vos
appast emp suis bi
Vous pâliffez, Iris ; l'aimeriez- vous?
GALANT.
147
LI
T
de
L'Amant Muficien avoit trouvé
des cheutes fi heureuſes dans la
répétition de cet Helas , que la
Belle qui avoit commencé à
chanter ſans s'appercevoir du
miſtere , comprit bientoſt à la
maniere tendre & languiſſante
dont il attachoit ſes regards ſur
elle,qu'il la conjuroit de luy apprendre
ce qu'elle luy permettoit
d'eſperer. La douleur
ſe voir contrainte de ſacrifier
fon amour àfon devoir ,la ſaiſit
tout-à-coup fi fortement,qu'elle
perd la voix , tombe évanoüye,
&luy fait connoiſtre par cet accident
que fon malheur ne luy
eſt pas moins ſenſible qu'àbuy.
C'eſt alors qu'il ne peut plus
garder de mefures. L'envie de
fecourir ſa belle Maiſtreſſe , le
fait agir en Amant paffionné. IF
Gij
148 LE MERCVRE
:
court , il va , revient , ſe met à
genoux devant elle , la prie de
l'entendre , & ſemble mourir de
T'apprehenfion qu'il a de ſa
mort. Son Rival qui ne peut plus
douter de fon amour , en eſt jaloux
dans l'excés , & le devient
encor davantage , quand la Belle
commençant à ouvrir les
yeux , prononce fon nom , &
demande triſtement s'il eſt party.
Il ſe plaint au Pere , en obtient
le banniſſement du Muficien,
le fait ſignifier à ſa Maiſtreffe
,& croit le triomphe afſurépour
luy ; mais le Pere employe
inutilement ſon autorité.
La Fille ſe révolte , prend pour
outrage les défiances de l'Amant
qu'elle veut qu'il épouſe,
& ſous pretexte de luy laiſſer
plus de temps à examiner ſa
GALANT
149
conduite , elle recule ſon Mariage
d'un mois entier , pendant lequel
elle veutqu'il la voye vivre
avec celuy qui luy fait ombrage,
afin qu'il ſe gueriſſe de ſes
injuftes ſoupçons , ou qu'il rompe
avec elle , s'il la croit incapable
de le rendre heureux.
-Ainſi les viſites continuent ; &
*comme les deux Amans ne
cherchent qu'à dégoûter l'Ennemy
de leur bonheur , ils ne
ménagent plus ſa jaloufie , &
ſe vangent de l'inquietude qu'il
leur donne par les méchantes
heures qu'ilsluy font paſſer. Le
hazard contribuë à leur en
fournir les occafions. Le Muſicien
qui venoit toûjours chanter
avec la Belle , luy avoit re--
cité des Vers aſſez agreables.
Elle en demande une copie.
Giij
SSO LE MERCVRE
L'Amour eft induſtrieux , il ſe
fait apporter de quoy écrire ,
change les Vers en bonne Profe
bien fignificative, luy explique
de la manieredu monde la plus
touchante ce que ſa paſſion luy
fait fouffrir , luy met ce qu'il a
écrit entre les mains ,& la conjure
de luy dire fans déguiſement
fi ce qui a eu quelquegracedans
ſa bouche , luy en paroift
conferver fur le papier.
Elle lit , foûrit , montre de la
joye , & ne peut affez exagerer
les nouvelles beautez que la
lecture luy a fait découvrir dans
cet ouvrage. L'Amant jaloux ,
qui estoit veritablement amou -
-reux & gardien perpetuel de fa
Maiſtreſſe , ne s'accommode
point de cette écriture. Il demande
à lire les Vers , on le re-
2
i
GALANT. 151
fuſe. Il y ſoupçonne du miftere,
&ce qui le convainc qu'il y en
a, c'eſt que ſon Rival s'eſtant
ſervy le lendemain du meſme
artifice , & n'ayant à donner
que la copie d'un Sonnet , il luy
voit écrire plus de vingt lignes,
& remarque qu'elles font toutes
continuées , au lieu que les
Vers ſont ou plus courts ou plus
longs ſelon le nombre des lettres
qui entrent dans les mots
qui les compoſent. Il acheve de
perdre patience en voyant
prendre la plume à ſa Maiſtrefſe.
Elle écrit un aſſez long Billet
, le cachete , le donne à fon
Rival , commedevant eſtre rendu
à quelqu'une de ſes Amies,
& le prie de luy en apporter la
réponſe le lendemain . Jugez de
la joyede l'un , & du deſeſpoir
152 LE MERCVRE
de l'autre. L'Amant aimé qui
ne doute pas que la Belle n'ait
répondu par ceBillet à fon Sonnet
metamorphofé , brûle d'impatience
de le lire. Il fort. Son
Rival fort dans le meſme temps,
le fuit , & l'ayant joint dans une
Ruë où il paſſoit fort peu de
monde , il luy demande fierement
à voir le Biller. Ces gages
de l'amour d'une Maiſtreſſe ne
s'abandonnent jamais qu'avec
la vie. Ils mettent l'Epée à la
main. La fureur qui anime le
Jaloux , ne luy permet point de
ſeménager. Il tombe d'une large
bleſſure qu'il reçoit. On la
tient mortelle , & cet accident
oblige ſon Rival à ſe cacher.
Voila , Madame , l'état où ſont
àpreſent les choſes. Le Pere fulmine
, la Fille proteſte qu'elle
GALANT.
153
ne forcera point ſon inclination
pour épouſer un Jaloux qui ne
peut que la rendre malheureu-
-ſe; & ce que je trouve de facheux
dans cette Avanture ,
c'eſt que je ne voy perſonne
qui ait lieu d'en eſtre content.
Nous en ſçaurons les ſuites avec le
temps,c'eſt un Avenir un peu plus obſcur
que mon Enigme du Mois paſſé.
Vos Amies qui croyent que ce ſoit les
Orgues , n'en ont pas découvert le vray
ſens, quoy que l'Explication que vous
m'en donnez pour elles ſoit toute pleine
d'eſprit. On m'en a envoyé une autre
de Roüen qui convient à tous les Articles
fur ce meſme mot.Un bel Eſprit de
Paris tes a expliquez ſur une Riviere
glacée;un autre de Noyon,ſur la Neige;&
il ne ſe peut rien de mieux tourné
qu'une Lettre que j'ay receuë de
Lyon des ſpirituelles Ecolieres d'Appollonius
, qui m'avoient déja fait la
grace de m'écrire ſur l'Enigme de la
lettre V, & qui veulent que le vaſte
.
G V
154 LE MERCVRE
1
Corps de celle- cy cache le Nuage qui
ayantplus deBras que le fabuleux Bria-
-rée, s'en ſert à couvrir pluſieurs Provinces.
Tous ces divers ſens y ſont appliqué
ſi juſte , qu'il ſemble que chacun
ait deviné. Je tenois le veritable afſſez
difficile à trouver , pour croire que
vous ne l'apprendriez que de moy , cependant
vous l'apprendrez de Mon-
Tieur le Duc de S.Aignan , qui connut
ce que je cachois , incontinent apres
que ma derniere Lettre eut paru. Ce
qu'il m'a fait l'honneur de m'en écrire
vous dévelopera les obſcuritez qui ont
embaraffé vos Amies.
GALANT. 155
033333333
LETTRE DE MONSIEVR
LE DUC DE S.AIGNAN.
A l'Autheur du Mercure.
Enesçay , Monsieur ,fi j'ay trouve
le veritable sens de vostre Enigme,
mais je nepuis eſtre le maistre d'un premier
mouvement qui me porte d'abord à
vous annoncer une Victoire que je ne
tiens pas encor trop aſſurée. S'il est vray
quej'aye effectivement deviné cetteEnigme
,je dois en estre plus fier que vous
ne pensez , car je crois avoir découvert
qu'elle est de vous , & par conséquent
qu'elle ne pouvoit estre que fort fubtile.
Enfin , Monsieur , c'est à mon sens non
Seulement l'Armée , mais celle des Confederez
,puiſque je trouve tant de choſes
qui conviennent à cela , qu'il nefe
peut pas davantage.
Ce Corps est composé de plusieurs
Princes inégaux en pouvoir. Avant que
Gvj
156 LE MERCVRE
1
les Troupes de chacun d'euxfuſſentjoin
tes , elles avoient esté levéesſeparément.
Il n'est animéquede ces meſimes Troupes
qui ne laiſſoient pas d'estre avant que
leur jonctionformaſt un Corps.
Il n'a point de Teste , c'est à dire
point de Chef entierement abſolu. Les
Bras font aifez à trouver dansle grand
nombre de Soldats qui font dans ces
Troupes ,& qui eſtant d'une naiſſance
fort éloignée de celle des Commandans,
font l'illustre &baffe Famille dont il eft
parlé.
Quelque grand que foit ce Corps , au
lien de se rendre formidable par le
nombre , il a fait voir quelquefois qu'il
n'estoit pas fans appréhenſion de nos
armes.
Lesnouveaux Membres qui luy viennent
, font les nouvelles Troupes des
Alliez , qu'onſepare bien souvent pour
les faire agir en divers lieux ; & l'heure
du repos estant venue , c'est àdire te
temps des Quartiers d'Hyver ,
Troupes font obligées quelquefois en les
cherchant d'en venir aux mains avec
ces
GALANT. 157
ceux de leur Party qui ne les veulent
pas recevoir ,parce qu'ellesfont maldifciplinées.
Ce grand Corps doit afſfurément ex.
pirer un jour , l'Alliance des Princes
qui le compoſent n'eſtant que pour un
temps;mais s'ils la renouveltent avant
qu'elle vienne à expirer tout- à-fait , ils
lefont revivre.
Quelques soins que prennent tant
d'Alliez pour maintenir cette Union,
ilsfe broüillent quelquefois , & blâment
la conduite les uns des autres ,comme
ont fait depuis pen deux des plus confiderables
d'entr'eux.
Enfin le grand éclat qui bleſſe ce
Corps, vient du Roy ,& ce vaillant
Monarque est le Soleil dont les brillans
rayons ſe dardant contre luy , le font
tantfouffrir.
f
:
Confeffex, Monsieur , que j'ay devine
, ou tout au moinsque vostre Enigme
a tant de raport avec ceſens , que
difficilement en pourroit- on trouver un
autre qui y convinst mieux. Mais fi ce
n'est pas une chose facile , c'en est une
138 LE MERCURE
impoſſible de trouver perſonne quiſoit
plus que moy voſtre ,&c..
Vous n'avez preſque reçeu
aucune Lettre de moy cette année
, qui ne vous ait parlé de
Monfieur de S. Aignan ; je vous
ay entretenuë de ſa valeur , de
ſa conduite , & de tout ce que
cet illuftre Duc a fait dans fon
Gouvernement. Je vous ay fait
-part de fa Profe & de ſes Vers.
Le feu de fon efprit vous a paru
dans ſes Inpromptu , mais je ne
vous avois point encor fait voir
combien il eſt penetrant. Vous
le pouvez connoiſtre par l'Explication
de cette Enigme. Depuis
que je l'ay reçeuë , lemefme
ſens a efté trouvé par un
tres- illuftre & fpirituel Abbé,
par M du Ry de Chamdoré qui
GALANT. 159
avoit deviné le Trictrac , par un
Inconnu de Roüen , par un autre
de Blois , & par un Homme
dequalité , d'eſprit&de merite,
qui a fait pluſieurs Campagnes.
Ce dernier m'en a envoyé l'Explication
en Vers , mais comme
elle eſt preſque la méme , article
par article , que celle que
vous venez de lire en Profe , je
Ia ſuprime pour éviter la répetition.
Il me reſte beaucoup d'Enigmes
qui auront leur tour. J'en
ay dont on ne m'a point dit le
mot , & ne le devinant pas , je
ne puis les mettre ſans ſçavoir
fi elles ſont juſtes. On m'en a
envoyé de tres-ſpirituelles ſur la
lettre Ls mais comme vous trouvez
que toutes les lettres de
-I'Alphabetne peuvent faire qu'-
160 LE MERCVRE
:
une ſeule Enigme , parce qu'elles
roulent toutes fur le mefme
tour, & que d'ailleurs on les devine
dés le ſecond Vers, je m'arreſteray
aujourd'huy à cellecy
, dont vous ferez part à vos
Amies .
ややややややややややややや
ENIGME.
E fuis aimé des uns,
Je barfeme
lesautres me
le fais &du bien &du mat ;
Et s'il en est àqui mon aſpectſoit fatal,
P'en ſçay qui de me voir toûjours se réjouiffent.
LesAvares les Ingrats
Avecque moy ne trouvent point leur
compte;
८
Ma prefence leur est uneſecrete honte,
Quand de ceque j'attens ils ne s'acquitentpas.
GALANT. 161
Avecplaisirsles Amansmereçoivent,
Il en est peu dont je nefois content,
Et qui pour m'honorer ne cherchent à
l'instant ,
Lors quej'arrive ,àfaire ce qu'ils doin
ventS
Si monregne est d'éclat , il est prompt
finir ,
Mon Cadet le termine, & mourantpour
renaiſtre ,
Apres que j'ay fçen disparoiſtre,
Lefuis longtemps ſans revenir
le fuis vieux, cependant mes heuresfont
bornées ,
Et qui prendra le ſoin d'en mesurer le
cours ,
11)
Trouvera que j'auray vefcu fortpeu de
iours ,
Quoy que ie fois chargéd'un grand nombre
d'années.
A
:
Comme les Enigmes m'ont attiré la
162 LE MERCVRE
Lettre des deux Coufines de Poitou
dont je vous parlay la derniere fois , je
n'en puis finir l'Article ſans m'acquiter
de la parole que je vous donnay de
vous faire le Portraitde ces aimables
Perſonnes . Elles ſont d'une Province
où je ſçay que vous avez de particulieres
habitudes. Voyez ſi ce que j'ay à
vous endire ſufira pour vous les rendre
connoiffables. Elles ne demeurent pas
loin des bords du Clin & de la Vienne,
&ſe voyent quelquefois ſur ceux d'une
plus petite Riviere qui devroit eſtre
fameuſe par leurs Avantures. Vn Cavalier
fort galant& encor plus brave,
y a ſouvent part. Ses belles qualitez le
rendent digne de leur eſtime. !! écrit
avec politeſſe en Vers & en Proſe , &
il y a quelques années qu'on promettoit
en Poitou un Roman de ſa façon.
L'aiſnée des deux Coufines eſt d'une
aſſez belle taille , qu'un peu d'embon-
-point ne ſçauroit gaſter. Sa Maiſon eſt
Illuftre , & fa Perſonne pleine
d'agrémens . Sa jeune Parente
eft une Demoiselle d'un beau
1
GALANT. 163
naturel & d'une tres- grande efperance.
Elle s'eſt liée d'amitié
avec elledes ſes plus tendres années.
Si toutes ces marques ne
vous les font point connoiſtre,
vous les chercherez parmy quatre
Nymphes qui ſe ſont baignées
dans la petite Riviere
dontje vous ay parlé , auſquelles
le Cavalier , qui eſt rarement
oublié dans leurs agreables
parties , donna en ſuite une
magnifique Collation qui parut
ſe trouver là par hazard
dans un Moulin voiſin , comque
les
me fi elle n'euft eſté
iReſtes d'une Nopce qu'on feignit
s'y eftre faite quelques
jours auparavant. Je croy que
-vous ne m'en demanderez pas
davantage pour ſçavoirbientoft
avec certitude qui elles font.
164 LE MERCVRE
Il y a plus de plaifir de s'informer
des Vivans , que d'entendre
de quel merite ont eſté
ceux que la mort nous fait regretter
. Cependant il n'y a pas
moyen de me taire ſur celuy de
M le Marquis de Rouville
Gouverneur d'Ardres , Lieutenant
General des Armées du
Roy , qui eſt mort dans ſon
Gouvernement. Le rang de
Lieutenant General ſuffit pour
faire connoiſtre dans quelle
confideration ſon courage & fa
valeur l'avoient mis , puis qu'on
n'y peut parvenir ſans avoir
paffé par tous les degrez qui
-peuvent acquerir de la gloire
dans les armes. M. le Marquis
de Rouville fon Fils , qui a épouſe
Mademoiselle de Bethune
, n'ignore rien de tout ce
GALAN T.
165
qu'unHommede ſa qualité doit
ſçavoir. Il poſſede les belles
Lettres , il a de l'eſprit ,&n'eſt
pas le ſeul de cette Famille qui
en ait . M. le Comte de Rouvillevous
eſt connu,&vous ſçavez
combien il eſt eſtimé de tout
ce qu'il y a d'honneſtes Gens
dans le Royaume. Cette Maifon'eſt
une des plus anciennesde
Normandie. Elle a porté le
Nom de Gougeüil avant celuy
de Rouville. Jean I. eſtoitChevalier
Sire de Rouville dés l'an
1319. & prit Femme dans la
Maiſon des Eſſards. Pierre de
Rouville fut Chambellan des
Rois Charles V. & Charles VI.
Il eſtoit Gouverneur du Pont de
l'Arche qu'il defendit contre les
Anglois , & fut tué à la Bataille
d'Afincour. Pierre II . de Rou-
4
166 LE MERCVRE
ville , épouſa la Fille de Robert
Admiral de France. Charles IX.
eut pour Chambellan un Guillaume
de Rouville ; & un Loüis
du meſme Nom fut Grand Veneur
de France , & Lieutenant
General au Gouvernement de
Normandie. Voyez , Madame,
combien de grands Hommes,
sãs vous parler de ceux de cette
Maiſon qui ont eſté Eveſques &
Ambaſſadeurs.
Cette Dignité d'Eveſque ,
quoy que tres- relevée, n'a point
de privilege contre la mort qui
nous a enlevé depuis peu celuy
d'Alet. Il eſtoit d'une tres-bonne
Famille de la Robe ,connuë
par beaucoup de merite &d'efprit,&
il fuffit de dire qu'il s'appelloitM.
Pavillon. Il fut choi-
Ty pour l'Epifcopat du temps du
1
L
4
GALANT.
167
T
Cardinalde Richelieu. Le peu
qu'il préſumoit de luy-meſme,
l'obligea à le refufer , comme
s'en connoiffant indigne ;
& ce grand Miniſtre vainquit
ſes longs refus , en luy diſant
que plus il parloit contre luy,
plus il parloit pour l'Eglife. II
accepta la conduite de ce Dioceſe,
ſe rendit à Alet ,& n'en eft
jamais revenu.
Les morts ſubites qui ſont ſi
fréquentes icy depuis quelque
temps , ont coufte un Fils à
M. Leſeau Conſeiller d'Etat , &
Doyen du Confeil. C'eſtoit un
tres-honneſte Homme , Chanoine
de N. Dame de Paris.
Vous ſçavez combien ce Corps
eft conſidérable,& qu'il eſt remply
de Perſonnes de merite &
de qualité , dont il y en a plu
I
168 LE MERCVRE
fieurs qui font Officiers des
Cours Souveraines . On y a veu
M de Ventadour & Monfieur
d'Aubigny , qui tenoit rang de
Prince , eſtant de la Maiſonde
Stuart.
Monfieur de Miramion eſt
mort preſque dans le meſme
temps. On l'appelloit Sevinde
Miramion . Il eſtoit de ces
Sevins qui font d'une des plus
anciennes & des meilleures
Maiſons de la Robe. La Charge
de Confeiller du Grand Conſeil
qu'il a exercée vingt-unan,
luy avoit acquis la réputation
d'un tres - bon & tres - juſte
Juge , & il n'eſtoit pas moins
aimé de ſa Compagnie , qu'-
eſtimé de tous ceux dont il
avoit cu les affaires entre les
mains.
Ces
GALANT. 169
Ces diverſes pertes ont eſté
ſenſibles à beaucoup de Familles
particulieres ; mais ce qui a
cauſé une deſolation generale,
ç'a eſté celle de Monfieur le
Premier Preſident de Paris . Il
avoit eſté reçen Conſeiller au
Parlement dés l'âge de dix - ſept
ans ; & lors qu'il fut Maiſtre des
Requeſtes , Sa Majesté l'envoya
pour Commiſſaire aux Etats de
Bretagne, où les Eſprits eſtoient
extrémement diviſez . Il trouva
des tempéramens ſi juſtes,qu'en
executant les Ordres du Roy ,
il contenta également le Gouverneur
de la Province , les
Etats , le Parlement , & le Peuple.
Il fut fait Premier Prefident
en 1658. & il a ſoûtenu la
dignité de cette Charge avec
un ſuccés fi extraordinaire ,
qu'il a laiſſé à la Poſterité un
Tome X. H
170 LE MERCVRE
exemple rare & preſque inimitable
de toutes les parties neceſſaires
aux grands Magiſtrats.
Il avoit une memoire tres- fidelle
, un jugement tres- folide , &
un difcernement tres-juſte. Il
poſſedoit les belles Lettres avec
une délicateſſe inconcevable.
La force de ſon raiſonnement
répondoit à la netteté qu'il avoit
à s'exprimer ; & fon éloquence
eſtoit telle , qu'on peut dire
qu'il ne le falloit pas entendre
quand on ne vouloit point
ſe laiſſer perfuader. Sa Porte
eſtoit ouverte aux plus beaux
Eſprits , & il ſe tenoit une efpece
d'Académie chez luy où
diférentes Queſtions eſtoient
agitées. Vous en pouvez connoiſtre
la matiere par le Livre
que le P. Rapin Jeſuiſte en a
fait. Monfieur le Premier PreGALANT...
171
fident y diſoit ſes ſentimens , &
ne donoint jamais que de fort
juſtes déciſions.Outre qu'il étoit
extrémement éclairé ſur tout
ce qui regarde la connoiſſance
des Loix , il avoit une facilité
merveilleuſe à concevoir d'abord
une Affaire ; mais quelques
grands que fuſſent ces
avantages de ſon Eſprit, ſa douceur
que rien n'a jamais alteré ,
ſa probité generalement reconnuë
, fa grande modération , ſa
modeſtie , ou s'il m'eſt permis
de le faire deſcendre juſque-là,
fon humilité ſi rare avec un fi
vraymerite,& fon integrité inébranlable
, eſtoient encor plus
dignes d'admiration. Jamais perſonne
ne s'eſt retiré mécontent
de luy , & jamais Plaideur
dans ſa paſſion n'a ofé l'accuſer
d'injustice. Il eſtoit plein de
Hij
172 LE MERCVRE
zele pour le ſervice de ſon Prince
& pour le bien de l'Etat , & la
vie Chreftienne & toute exemplaire
qu'il menoit , mettoit ſes
actions à couvert du moindre
reproche , & luy attiroit le refpect
de tous ceux qui avoient
l'avantage de l'approcher. II
eſt mort âgé de ſoixante ans &
deux mois quelques jours moins,
& a laiſſe deux Fils , dont l'un
eft Avocat General au Parlement,
& l'autre Maiſtre des Requeſtes.
Ils s'acquitent ſi dignement
l'un & l'autre de ces
grands Emplois , que le Public
a lieu de ne point douter qu'ils
ne cherchent à imiter parfaitement
un Pere qui estoit auſſi
juſte que capable , & auffi vertueux
que ſçavant. M. de Lamoignon
Pere de l'illuſtre Mort
dont je vous parle , eſtoit un
GALANT .
173
Homme d'une probité reconnuë
, qui ſçavoit beaucoup , &
que tout le mõde eſtimoit pour
ft pieté . Il avoit étudié à Bourges
ſous le celebre Cujas. Il ſe
fit recevoir Conſeiller au Parlement,&
eſtant devenu Doyen
de la Troiſième des Enqueftes,
il traita de la Charge de Prefident
de certe Chambre avec un
applaudiſſement general.Quelques
années apres il entra en la
Grand Chambre en qualité de
Conſeiller , & enfin le Roy récompenſa
ſes grands ſervices en
l'honorant de la Charge de Prefident
à Mortier , où il eſt mort
Doyen. Il tiroit ſon origine du
Païs Nivernois , d'une des plus
nobles & plus anciennes Familles
de cette Province , qui portoit
les Titres de Chevaliers ,
Damoiſeaux & Ecuyers , depuis
Hiij
174 LE MERCVRE
quatre cens ans . Le premier
dont on les a , prenoit celuy de
Chevalier dés le temps de Saint
Loüis , & on ſçait qu'il ne ſe
donnoit alors qu'à ceux qui êtoient
d'une tres - illustre Naiffance.
On trouve un Helin de
Lamoignon , Seigneur de Riviere
, parmy les Tenans d'un
Tournoy qui fut fait à Paris en
1549. ſous Henry II. Il y a eu
plufieurs grands Perſonnages
dans cette Maiſon. Charles de
Lamoignon , Chevalier , Seigneur
de Baville , Launay ,
Courſon , &c. rendit des fervices
fi conſidérables en fon
temps , que le Roy Charles IX.
luy fit l'honneur de le viſiter
ſouvent dans ſa maladie , & rémoigna
avoir perdu en fa Perſonne
un Serviteur auffi capable
des premieres Charges de
GALAN T. 175
l'Etat qu'il y en euſt dans le
Royaume . Il y feroit parvenu ,
fi la mort ne l'euſt emporté à
cinquante - cinq ans. Il avoit
pris Femme dans la Maiſon de
Besançon , qui est une des plus
anciennes & des mieux alliées
de France . La Mere de feu
M. le Premier Prefident eſtoit
de l'Illuſtre Famille des Landes .
La nobleſſe en eſt connuë. II
avoit époufé Magdelaine Potier
, Fille de Meffire Nicolas
Potier , Seigneur d'Ocquerre ,
Secretaire d'Etat , & Niece de
Meſſfire André Potier Seigneur
de Novion , Preſident au Parlement
de Paris , & de Meffire
Auguſtin Potier Eveſque &
Comte de Beauvais , Pair de
France .
Quoy que la mort ſoit une
Image funeſte , il faut vous la
Hij
176 LE MERCVRE
laiſſer encor un moment pour
vous apprendre que ces mêmes
morts ſubites qui nous ont ofté
M. Leſeau, nous ont fait perdre
auffi deux grands Hommes dans
ce meſme Mois. L'un eſt M. de
Sainte Beuve , & l'autre M.
Neuré. Le premier eftoit Docteur
& Profeſſeur de Sorbonne
, Homme d'une tres - pro
fonde érudition , aimé non ſeulement
de tous ceux qui le connoiſſoient
, mais encor de tous
ceux qui avoient entendu parler
de fon merite. Le Clergé
de France avoit une eſtime
toute particuliere pour luy , &
luy donnoit penſion. Il regloit
un nombre infiny de confciences
, & il euft eſté mal-aiſé de
trouver un plus habile Caſuiſte .
Quoy qu'il n'ait jamais voulu
permettre qu'on ait fait fon
GALANT.
177
Portrait pendant ſa vie , nous
ne laiſſons pas de l'avoir par le
talent merveilleux de M. Berthinet
, qui a eſté Payeur des
Rentes de l'Hoſtel de Ville de
Paris . Il a l'imagination fi vive,
que ſur le ſouvenir qu'il a confervé
de ſes traits , il en a fait la
Medaille en cire apres ſa mort,
avec l'admiration & l'étonnement
de tous ceux qui l'ont
connu . On dit qu'il en a fait
une de bronze du Roy , par
cette meſme force d'imagination
, dont Sa Majesté a eſté
tres - fatisfaite. Beaucoup de
Perſonnes de la premiere Qualité
qui ont veu cette Medaille,
en parlent comme d'une merveille
.
M. Neuré , que je vous ay
nommé avec M. de Sainte-
H
178 LE MERCVR E
Beuve , eftoit ce grand & fameux
Philofophe qui avoit eſté
à feu M. d'Angouleſme , à M.
de Longueville , & à M. le
Marquis de Vardes. Il ſçavoit
beaucoup , & meritoit la réputation
qu'il s'eſtoit acquiſe.
Comme vous m'avez ordonné
de vous parler de tous ceux qui
ont quelque talent extraordinaire
, je me crois obligé de
vous dire que nous avons auſſi
perdu M. Michel , qui touchoit
les Orgues à S. Leu. C'eſtoit
un charme que de l'entendre ,
& on y venoit en foule de toutes
parts.
Le Monde ſe renouvelle infenfiblement
, & c'eſt un changement
imperceptible qui arrive
tous les jours par de nouveaux
établiſſemens de Famil..
les que le Mariage fait fucce
GALANT.
179
der d'un coſté à celles qui ont
finy de l'autre par la mort.
M. le Marquis de S. Germain-
Beaupré , de la Maiſon de Foucaut
, reçeu en ſurvivance du
Gouvernement de la Marche,
en a fait un dépuis peu fort
confiderable , en épouſant Mademoiſelle
de Janvry. Elle eſt
d'une tres-bonne Famille de la
Robe , & n'avoit pas beſoin
d'eſtre auſſi riche qu'elle eſt
pour mériter le choix d'un fort
honneſte Homme , ayant beaucoup
de bonnes qualitez qui la
rendent recommandable. Il ne
faut que la voir pour connoître
qu'elle ne manque pas de
beauté.
Mademoiſelle Roullié , Fille
de M Roullié Maiſtre des Requeſtes
, Homme d'un grand
merite , & fort eſtimé dans le
Hvj
180. LE MERCVRE
Conſeil , s'eſt mariée dans le
mefine temps , & a porté plus
de cent mille écus à Mr le Marquis
de Bonnelle qu'elle a époufé
. Il eſt Fils du Marquis de ce
mefme nom , qui avoit époufé
Mademoiselle de Touffy Soeur
de Madame la Marefchale de la
Mothe-Houdancour , & Petit-
Fils de feu M' de Bullion qu'on
a veu Prefident à Mortier &
Sur- Intendant des Finances .
Tandis que nous ſommes fur
les Articles de joye , il faut vous
apprendre celle qu'a reçeuë
M Deſtanchau , par l'honneur
que luy a fait le Roy de luy
donner la qualité de Serretaire
de Monſcigneur le Dauphin.
Il avoit eu juſqu'icy l'avantage
d'en faire ſeul les fonctions , &
il ſuffit de ſçavoir dans quelle
conſidération il eſt aupres de
GALANT. 180
Monfieur le Duc de Montaufier
, pour eſtre perfuadé de ce
qu'il vaut .C'eſt un Homme fort
ſage , & qui joint à beaucoup de
prudence & de politeffe , un
zele dont l'exactitude ne ſe peut
affez eſtimer. Vous auriez eu
tout lieu de vous loüer de la
mienne , à vous rendre compte
des Harangues qui ont eſté
faites à Monfieur le Chancelier ,
outre celles dontje vous ay déja
parlé , ſi je n'eufſe appris qu'un
Homme de beaucoup d'eſprit
qui s'eſt ſoigneuſement trouvé
à toutes , en fait un Recueil
pour le Public . Il auroit déja
paru , s'il n'avoit pas deſſein d'y
joindre les Difcours qui ſe doivent
encor faire à la gloire de
ce grand Homme au Parlement
& au Grand Conſeil , le 20. du
Mais prochain. Iln'y aura rien
182 LE MERCVRE
de plus curieux que ce Recueil,
& celuy qui le fait ne pouvoit
former une entrepriſe plus noble
que de travailler à éterniſer
la memoire de ce digne Chef
de la Justice . Celle des merveilleuſes
Actions du Roy ne s'effacera
jamais , mais je ne ſçay ſi
l'éloignement des temps ne les
rendra point incroyables . En
effet , il fera difficile de concevoir
qu'une Campagne ouverte
avant le Printemps , n'ait point
efté terminée par le retour de
l'Hyver. Ces Prodiges donnent
de l'occupation à tous ceux qui
ſcavent ſe diftinguer par leur
Eſprit. Il n'y a pas juſqu'aux
Dames qu'une fi belle matiere
n'engage à prendre la plume, &
voicy ce qu'elle a fait écrire à
Mademoiſelle de Racilly.
1
GALAN T. 183
AU ROY..
RandRoy, quelle est laDestinée
tous vos Explois ?
Les quatre Saiſons de l'Année
Reglent leur courspar vostre choi.x..
Campagne n'est plus bornée La
Ainsi qu'elle estoit autrefois ,
Toute la Terre est étonnée
De la voir durer douze Mois .
Si j'avois parlé toûjours auffi
juſte que celle qui a fait ces
Vers, je ne ſerois pas obligé de
me dédire aujourd'huy fur la
Situation de Fribourg. Je l'ay
mis en Suiſſe dans ma derniere
Lettre , & il eſt en Briſgau , fur
la petite Riviere de Treiſeim.
Cette faute m'eſt d'autant plus
pardonnable , qu'il y a deux
Villes de ce meſme nom qui ne
font pas fort éloignées l'une de
l'autre , & que deux des plus
184 LE MERCVRE
en
confiderables Chapitres de
Suiffe s'y font retirez , à ſçavoir
celuy de l'Egliſe Cathedrale
de Lozanne à Fribourg en
Suiffe , & celuy de Bafle à Fribourg
en Briſgau. Apres la
priſe de celuy qui eft preſentement
à nous, on ne ſe contenta
pas de s'appliquer à y faire de
nouvelles Fortifications ,
attendant M. de Choiſy Ingenieur
de grande réputation, qui
fut auffi - toft nommé pour les
conduire , on fit démolir celles
de pluſieurs petites Villes , avec
quelques Chaſteaux voiſins , &
on travailla à l'établiſſement
des Contributions , dont les
grandes ſommes rendent cette
Conqueſte tres - confiderable.
M. le Marquis de Bouflairs &
M.le Chevalier d'Eſtrades , qui
doivent commander l'un dans
GALANT. 185
la Place , & l'autre la Cavalerie
des environs , ne manqueront
pas de ſoin à conſerver tous les
avantages qu'un Poſte ſi important
nous donne. Sa prife a
produit de grands effets. La
plupart des Places que les Ennemis
ont de ce coſté-là , font
dans une alarme continuelle.
L'une ſe fortifie , les Habitans
de l'autre l'abandonnent ; celle
cy traite des Contributions ; &
Straſbourg que rien n'avoit encor
étonné dépuis le commencement
de la Guerre , fait fortifier
ſes Forts , & fonge meſme à
en faire conſtruire de nouveaux.
C'eſt un coup de tonnerre dont
les Ennemis ne reviennent pas.
Ils ſe ſont fatiguez en retournant
à grands pas au delà du
Rhin,& ont trouvé toutes leurs
meſures rompuës pour leurs
186 LE MERCVRE
Quartiers d'Hyver. Il leur en
a falu chercher d'autres que
ceux qui leur avoient eſté aſſignez
; & cependant nos Troupes
apres avoir confumé tous
les Fourrages de la Vallée de
S.Pierre , ont repaffé le Rhin,
&joüiffent en repos de leurs
Quartiers , les Ennemis ayant
abandonné tous les Poſtes qu'ils
tenoient ſur la Sarre. Ils s'étoient
propoſez de prendre la
Petite-Pierre pour achever leur
Campagne ; mais loin de venir
àbout de leurs deſſeins , ils ont
perdu toutes leurs petite Conqueſtes
, comme Sarbruk qui
eſtoit la plus importante. Le
Chaſteau en a eſté pris par
M le Marquis de Ranes apres
neuf volées de Canon. Vous
fçavez quelles cruautez les Ennemis
exercerent contre leur
GALAN T. 187
parole quand nous le perdîmes .
Ceux que M'de Ranes trouva
dedans ne doutoient point qu'ils
ne dûſſent recevoir le meſme
traitement qui avoit eſté fait
aux Noftres ; mais ayant eſté
envoyez à Monfieur le Marefchal
de Créquy , cet illuſtre
General leur fit connoiſtre que
les François avoient plus d'humanité,
qu'ils estoient genereux
de toutes manieres , & amoureux
de cette belle gloire qui
fait aimer les Conquérans , mefme
de leurs Ennemis. Pendant
que nos Troupes ſe ſignalent
par tout , la valeur de la Garnifon
de Maftric ne demeure pas
oiſive; elle fait des courſes qui
luy ſont glorieuſes & profitables
, s'aſſure de pluſieurs Châteaux
,& fans eſtre deſtinée aux
travaux de la Campagne , en
188 LE MERCVRE
fait une plus glorieuſe que celle
d'un monde d'Ennemis , s'il eſt
permis de parler ainſy. Voicy
des Vers fur celles de tant
d'Alliez . Ils ont eſté faits par
M de la Monnoye Auditeur
des Comptes à Dijon. Les
Prix de l'Académie Françoiſe
qu'il a tant de fois remportez,
l'ont fait connoiſtre à toute la
France.
Au milieu des Estez, au milieu des
Hyvers ,
Loüis de fes beaux faits étonne l'Vnivers
,
Ildéploye en tout temps ſes Bannieres
fatales.
Mais confefſons la verité,
Ses Ennemis plus fins , sans bruit
Sansfierté ,
Trouvent bien mieux que luy toutes
Saiſons égales ,
Ils n'entreprennent rien ny l'Hyver,
ny Γ'Ελέ.
GALAN T. 189
A peine eut-on apporté la
nouvelle de Fribourg rendu ,
qu'elle fit méditer une autre
Conqueſte . M. de S. Poüange
partit en poſte de la Cour pour
porter les ordres du Roy , faire
préparer toutes chofes ,& pref.
ſer l'execution de ce qu'on avoit
réſolu . Son ardeur pour le fervice
de Sa Majesté eſt connuë,
& le zele qu'il fit voir pour la
gloire de ſes armes à la Bataille
de Caffel , fut fi grand , qu'il
chargea luy-meſme les Ennemis
l'Epée à la main , quoy que
fon Employl'en duſt diſpenſer.
Son départ fit faire de grands
raiſonnemens , mais perſonne
n'en devina le veritable ſujet,
&pluſieurs meſme crûment qu'il
eſtoit envoyé en Allemagne.
Peu de jours apres nos Troupes
de Flandre firent quelquesmou
190 LE MERCVRE
vemens. Elles inquiéterent les
Ennemis , qui furent bientoft
perfuadez qu'on alloit affieger
Ypres , & c'eſtoit ce que l'on
vouloit qu'ils crûffent. Cependant
S. Guilain ſe trouva inveſty
, & le Gouverneur ne
l'apprit qu'en le voyant. Le
nombre des Troupes augmenta
en peu de temps,& il y eut devant
cette Place juſques à cent
Eſcadrons , & quarante Bataillons
qui ne demandoient qu'à
combatre , & qui avoient meſme
témoigné ſouhaiter qu'on
fiſt un Siege , parce qu'ils commençoient
à s'ennuyer dans
leurs Garnifſons. Comme ils
avoient eſté tirez des Places des
environs , on nomma pour Officiers
Generaux les Gouverneurs
de ces meſmes Places , à
cauſe de la facilité que chacun
GALAN T. 191
d'eux pouvoit avoir à faire venir
de fonGouvernement toutes les
choſes neceſſaires pendant le
Siege ; auſſi n'y manqua-t-on
de rien. Toutes les Troupes furent
auſſi -bien nourries,& auffi
bien chaufées , qu'elles auroient
pû l'eſtre dans leurs Quartiers
d'Hyver , & on ne peut trop
donner de loüanges aux Gouverneurs
pour les foins qu'ils
ont eu de leur faire fournir tout
ce que la mauvaiſe Saifon demandoit
qu'on leur donnaſt au
delà de ce qu'elles avoient accoûtumé
d'avoir dans le temps
ordinaire de la Campagne.
Vous ne devez point vous étonner
apres cela , Madame , fi on
s'eſt rendu Maiſtre de S. Guilain
, quoy que ce ſoit une Place
qu'on n'euſt jamais crû de voir
eſtre aſſiegée dans l'Hyver à
192 LE MERCVRE
cauſe des eaux qui l'environnent.
C'eſt ce qui ne paroiſſoit
pas vray - ſemblable ; mais les
François prennent fans menacer
, au lieu que les Ennemis
menacent & ne viennent à bout
de rien ; & il eſt ſi vray que nos
entrepriſes réüſſiſſent toûjours,
& mefme en fort peu de temps,
que je ne vous écris jamais le
Siege d'une Place , que dans la
meſme Lettre je ne vous en
marque la priſe ; mais il faut
que je vous avoue que je manque
d'expreſſions pour parler,
comme il faudroit de la merveilleuſe
conduite de la France .
Tous les termes ſont épuiſez ,
toutes les loüanges ſont uſées ,
& cependant les reſſorts qui
font tout mouvoir , ne le font
pas : Au contraire , nous les
voyons tous les jours agir avec
plus
GALANT. 193
plus de force , & cette derniere
Conqueſte en eſt une preuve.
Pour vous en informer plus particulierement
, il faut vous dire
que S. Guilain eſt une petite
Ville du Hainault,à laquelle un
Abbé qui vivoit vers le ſeptieme
Siecle , a donné ſon nom. Elle
n'eſt qu'à une bonne lieuë de
Mons , ſur la Riviere de Haine.
Meſſieurs de Turenne & de la
Ferté , la prirent en 1635. en
meſme temps que Condé, apres
qu'on ſe fut rendu maiſtre de
Landrecies . L'année ſuivante,
le Siege de Valenciennes eſtant
levé , & Condé repris par les
Eſpagnols, elle fut afſiegée pendant
que M. de Turenne eſtoit
devant laCapelle ; mais comme
cette derniere Place reſiſta peu ,
M. de Turenne eut le temps
d'aller traverſer les Ennemis à
Tome X. I
194 LE MERCVRE
S. Guilain. Ils leverent le Siege
fans l'attendre , & l'ayant formé
de nouveau au mois de Mars
de l'année 1657. ils en vinrent à
bout par la trahiſon de quelques
Etrangers qui leur livrerent les
Dehors qu'ils gardoient.Quand
à ce qui regarde la force de la
Place , elle est environnée de
Marais . La Riviere de Haine
qui paſſe au milieu , ſe ſepare en
trois bras dans la Ville , & fe
rejoint en deux pour en fortir.
Elle eſt defenduë par trois Fofſez
pleins d'eau , par un Ouvrage
appellé le Pâté , qui eſt
une eſpece de Boulevart , par
un autre Ouvrage à corne, une
Demy- Lune , & pluſieurs Redoutes
, dont quelques - unes
font entourées d'eau. Il me
reſte à vous apprendre les noms
detous les Officiers Generaux
GALANT.
195
qui ont eu la conduite de ce
Siege ſous M. le Mareſchal de
Humieres. Les Lieutenans Generaux
furent M. de Nancre
Gouverneur d'Ath , & M. le
Comte Bardi - Magaloti , Gouverneur
de Valenciennes. On
choiſit pour Mareſchaux de
Camp M. de Pertuis Gouverneur
de Courtray , M. du Ranché
Gouverneur du Queſnoy,
M.de SainfandouxGouverneur
de Tournay , m.le Chevalier de
Tilladet , м. le Baron de Quin-
су , м. de Cezan Gouverneur
de Cambray, & M. de Rubantel
Capitaine au Regiment des
Gardes. Mrs de Vauban & du
mez, qui ont la meſme qualité,
furent commandez pour la conduite
des Travaux &de l'Artillerie
, & l'on peut juger par lå
que le ſuccésde ces deux cho-
Iij
196 LE MERCVRE
ſes eſtoit infaillible. Les Brigadiers
qui ont ſervy à ce Siege ;
font M. d'Aubarede Meſtre de
Camp du Regiment des Vaifſeaux
, M. de S. George Meſtre
deCamp du Regiment du Roy,
M. le Chevalier de Souvray
Lieutenant Colonel de Navarre
, & M. Chimene. M. de Momont
y a fait les fonctions de
Major General. Un Siege entrepris
apres de ſi juſtes meſures
, & qui devoit eſtre pouffé
par tant de Braves , ne pouvoit
manquer de réüffir. C'eſt ce
qui a fait dire à un bel Eſprit
de Lile , en s'adreſſant aux Ennemis
,
Espagnols, Hollandois , courez à Saint
Guilain ,
Malgré les Elemens d'Humieres le va
prendre ,
Et l'on ne croitpas que demain
GALANT.: 197
La Place puiſſe ſe défendre.
Dépeſchez, & venez au moins
Voir de plus prés une Victoire
Que vous auriez peut - estre peine à
croire ,
:
ON
Si vous n'en eſtiez les Témoins .YOM
Ils ont ſuivy ce confeil , & femblent
n'eſtre venus fort pres de
S. Guilain que pour en apprendre
plûtoſt la priſe. Voicy par
ordre ce qui s'eſt paſſé au Siege
de cette Place.
J Monfieur le mareſchal de
Humieres partit de Lile le 30.
de Novembre , avec м . lе маг-
quis de Humieres ſon Fils , &
M. le Baron de Quincy. Il
eſtoit accompagné de lept Eſcadrons
de Cavalerie , & fuiuy
de M. de Sainfandoux , avec les
Troupes qui venoient du coſté
de la Lys. Il arriva le premier
de Decembre devant S. Guil-
I iij
198 LE MERCVRE
lain , à la pointe du jour. Mude
Nancré , deMagaloti , leChevalier
de Tilladet , du Ranché,
& de S. Riche , s'y trouverent
en meſme temps, ſuivant les ordres
qui leur avoient eſté envoyez
le jour précedent. Ils
conduiſoient la Cavalerie,& les
Dragons d'Ath , Condé , Valenciennes
, Doüay , S. Amant,
Orchies , Marchiennes , Bouchain
, & du Queſnoy , le tour
au nombre de cinquante Eſcadrons.
Deux Pieces de Canon
arriverent le meſme jour , & furent
menées à un Moulin proche
la Redoute de Baudours .
Deux cens Dragons des Regimens
Dauphin & Fimarcon ,
avec cinquante Mouſquetaires
de la Garniſon d'Ath , l'attaquerent
à l'entrée de la nuit.
Elle estoit gardée par cinquante
GALANT. 199
Hommes , qui l'abandonnerent
apres avoir tiré cinquante ou
ſoixante coups. Nos Gens les
pourſuivirent,& en prirent dixhuitou
vingt.
La Circonvalation fut reglée
le lendemain , & l'Infanterie
qui devoit faire le Siege arriva
au Camp. On ordonna trois
Attaques. La premiere fut celle
des Gardes. Elle devoit emporter
une grande Redoute environnée
de Foffez remplis d'eau ,
avant que d'aprocher du Corps
de la Place. Il faloit en fuite
arracher des Paliſſades qui defendoient
le Pâté. Il ne pouvoit
eſtre pris qu'en paſſant par deffus
une Digue fort étroite , &
fur laquelle on ne pouvoit aller
qu'un à un.
La ſeconde Attaque , appellée
celle de Navarre, avoit deux
I iiij
200 LE MERCVRE
grandes Redoutes à prendre ,
avec de grands Foffez pleins
d'eau.
L'Attaque de Boſſu eſtoit la
troiſieme , & il faloit qu'elle
gagnaſt un Ouvrage à corne ,
& une Demy -Lune , avant que
d'arriver au Corps de la Place.
Le 4. on ouvrit la Tranchée
à ces trois Attaques. On avança
beaucoup le travail , principalementà
celles de M du Ranché
& de S. George. M. le Marefchal
de Humieres demeura jufques
àune heure apres minuit à
les viſiter continuellement depuis
la teſte juſques à la queuë.
Les deux premiers Bataillons
des Gardes , de Navarre , & un
du Royal , monterent la Garde,
& furent relevez le lendemain
par autant de Bataillons des
meſmes Corps. Les Ennemis ne
GALANT. :
201
tirerent que trois coups de
Mouſquet , & un de Canon.
Le noſtre leur répondit le 6. au
matin avec une Baterie de fix
Pieces.
une
Le 7. apres midy , on prit à.
l'Attaque de Navarre ,
grande Redoute qui n'eſtoit
qu'à quarante pas du Pâté. Elle
eſtoit gardée par trois cens
Hommes , qui ſe défendirent
avec beaucoup de vigueur,mais
ce ne fut que pour augmenter
la gloire de Monfieur le Comte
de Soiffons , qui s'expoſa toutà-
fait à cette Attaque,où il alla
l'Epée à la main. Son Lieute.-
nant Colonel eut le bras caffé,
celuy du Regiment du Pleſſis y
fut tué , & M. d'Aubarede dangereuſement
bleſſe d'un coup
de Mouſquet à la teſte .
Le 8. au foir , M. de Sainfan-
Iv
202 LE MERCVRE
doux monta laTranchée à l'Attaque
des Gardes , avec le Regiment
de Rouffillon ; Mrs de
Cezan & de Villechauve , à
celle de Navarre , avec le Regiment
de Humieres ; & M. du
Ranché , avec M. de Chimene,
à celle de Boſſu , avec le Regiment
de Conty. On s'établit
pendant la nuit à celle de Navarre,
dans les Logemens qu'on
avoit faits. A celle de Boffu ,
on paſſa l'Avant-foſſé de l'Ouvrage
à corne , & l'on y fit un
Logement ſur le glacis. On
dreſſa la meſme nuit une Baterie
de fix Pieces,qui tira dés le point
du jour ; & l'on augmenta celle
de Navarre juſques au nombre
de neuf ; de maniere que ces
deux Bateries qui voyoient le
Pâte à revers , incommoderent
fort chacune de ſon coſté.
GALANT.
203
Le 9. apres midy , fur l'avis
que M. le mareſchal de Humieres
eut que les Ennemis s'avançoient
, & qu'ils n'eſtoient
qu'à trois petites lieuës de mons,
il alla choiſir un Camp pour aller
au devantd'eux,& leur donner
Bataille , s'ils oſoient combatre.
Il refolut en ſuite l'Attaque
generale des Dehors ; &
comme lesglaces ne ſe trouverent
pas affez fortes pour porter
lesGardes qui devoient inſulter
le Pâté , ils paſſerent un à un
avec leur intrepidité ordinaire,
fur la Digue qui conduit à cet
Ouvrage ; puis ils ſe raffemblerent
pour donner tous en...
femble à l heure de l'Attaque.
Elle commença à une heure
apres minuit. Huit coups de
Canon en furent le ſignal.Toutes
nos Troupes firent égale
Ivj
104 LE MERCVRE
ment bien ; il eſtoit neceffaire
qu'elles montraſſent de la vigueur
pour forcer la reſiſtance
des Ennemis qui fut tres-grande
dans tous les endroits qu'on attaqua
. On ne peut voir un plus
grand feu de Grenades & de
Mouſqueterie que celuy qu'efſuyerent
nos Gens pendant trois
heures. M. le Chevalier de Tilladet
commandoit l'Attaque de
Navarre , & ſe rendit maiſtre
de tous les Ouvrages juſques à
la muraille de la Ville. Les
deux Bataillons de Bourgogne
y eſtoient de garde , avec M. le
Chevalier de Souvray , qui s'y
eſt particulierement diftingué.
On y avoit auffi envoyé les
Compagnies des Grenadiers de
Humieres , Navarre , & Languedoc.
L'Attaque des Gardes
eut tout le ſuccès qu'on pouGALANT.
205
voit defirer. M. de Rubantel y
ſervoit de mareſchal de Camp,
& M. de S. Germain de la Breteche
y commandoit trois cens
Hommes détachez du Regiment
des Gardes , avec leſquels
il chaſſa les Ennemis des Ouvrages
qui regardent le Baſtion
de Horn , juſques à l'Attaque
de Navarre, où il joignit le Regiment
de Bourgogne . Les
deux Bataillons des Fuziliers ,
& un de Stoup , eſtoient de
garde à l'Attaque de Boffu.
м. de Quincy mareſchal de
Camp , y commandoit , ayant
ſous luy M. de Chimene Brigadier.
Les Troupes de cette
Attaque , avec les Grenadiers
de la Reyne qui avoient à leur
teſte M. Paſſillon 1un de leurs,
Capitaines, ſe mirent dans l'eau
glacée juſques à la ceinture ,
206 LE MERCVRE
& ayant paſſe l'Avant - Foffé
de l'Ouvrage à corne , emporterent
cet Ouvrage avec une
Demy- Lune. C'eſtoit tout ce
qu'on leur avoit donné ordre
d'attaquer. Trois cens Dragons
commandez par M. de
Fimarcon , firent une fauffe
Attaque à la Digue de Bodours.
Ils prirent quatre- vingts
fix Soldats , & deux Officiers .
M. de Sainfandoux voulut ſe
charger de cette Attaque, quoy
qu'il ne fuſt pas de jour. On
auroit entré dans la Ville , ſi on
avoit eu les choſes neceſſaires
pour en rompre la Porte , ou
des Echelles pour monter.
Apres la priſe du Pâté , les
TT
roupes des deux autres Attaques
ſe joignirent , & il en
couſta aux Ennemis quatre Pieces
de Canon qui estoient au
GALANT.
207
bout de leur Pont- Levis , & tiroient
par des embraſures . Ces
meſmes Troupes apres avoir
fait des Retranchemens avec
des Gabions , tournerent contre
la Porte de la Ville les quatre
Pieces de Canon qu'elles venoient
de gagner. Il y en avoit
encor trois autres en état de
foudroyer les Affiegez; & tout
eſtant preparé pour donner un
Affaut general la nuit du dix
au onze , le Gouverneur qui le
ſçeut fit battre la Chamade à
deux heures apres midy. M. le
Mareſchal ſe rendit à l'inſtant
meſme à la Thanchée , où il
trouva les Oftages qu'on luy
amenoit. Il convint avec eux
qu'ils luy remettroient une des
Portes de la Ville , où il fit entrer
auffi-toſt un Bataillon des
Gardes Françoiſes , & un des
208 LE MERCVRE
Gardes Suiſſes. La Garnison
de plus de mille Hommes fortit
le onzième au matin , avec
Armes & Bagages , & une Piece
de Canon , pour aller à Bruxelles
, eſcortée par quatrevingts
Maiſtres des Troupes du
Roy qui devoient revenir à Ath.
Les Ennemis eſtoient arrivez
le 10. au ſoir à Mons , où ils
avoient fait tous les préparatifs.
neceſſaires pour le ſecours de la
Place. Ils ne manquoient pas
de Troupes , mais l'importance
eſtant de choiſir un Chef , tous
ceux qui pouvoient en efperer
le Commandement , avoient
long- temps conferé enſemble
pour voir fur qui on trouvoit à
propos qu'on le fiſt tomber.
Monfieur le Mareſchal de
Humieres a paru infatigable
pendant ce Siege ; on ne ſcauGALAN
T. 209
roit exprimer ſa vigilance ; a
paffé les nuits entieres ou à la
Tranchée,ou à visiter les Poſtes,
ou au Bioüac , & preſque tous
les jours à cheval. Il ſembloit
auffi que les Troupes fufſent
animées par ſon exemple. La
rigueur du temps n'a pû les refroidir
un moment , & on a
trouvé la meſme facilité à leur
faire faire toutes choſes qu'on
auroit euë dans le Mois de Juin.
M. le Prince d'Iſenghien ayant
eſté averty de ce Siege , prit
auffi - toft la Poſte pour y aller
joindre M. le marefchal deHumieres
fon Beaupere , & donna
des preuves de fon courage avec
le marquis de ce nom fon Beaufrere.
Comme l'impatience des
François eft grande , fur tout
quand il faut courir à la gloire,
des que M. le marquis de Na
210 LE MERCVRE
vailles eut appris qu'il y avoit
une Place afſiegée , il s'y rendit
auſſi- toſt en poſte , & fervit dés
le ſoir meſme en qualité de Volontaire
. Il monta la Tranchée
avec le ſecond Bataillon des
Gardes ,& il continua à faire la
meſme choſe pendant tout le
Siege. Ayant ſçeu que le ſoir
qu'on devoit attaquer la Contreſcarpe
, le Regiment de Navarre
auroit le plus à fouffrir , il
ſe mit à la teſte de ce Regiment;
où ſon intrépidité & ſa valeur
ſe firent admirer. M. le Comte
de Tonnerre alla auſſi Volontaire
à la Tranchée , & il y reçeut
un coup de Mouſquet. M
le Marquis des Hiſſars qui commande
le Regiment de Languedoc,
fit des choſes ſurprenantes
à la teſte de ce Regiment , qui
s'eſt acquis beaucoup de repu
GALANT. 211
:
tation. Celuy du Pleffis ne s'eft
pas moins fignalé , & s'il avoit
eu desHaches pour rompre les
Portes de la Ville , il feroit entré
dedans comme nos Troupes
firent à Valenciennes . M du
Poncer qui en eſtoit Lieutenant
Colonel , a eſté tué. M.
Deshoy Capitaine de ce Regiment
, & M. Bienfait de Beaulieu,
s'y ſont ſignalez . M.Champagne
premier Brigadier des
Gardes de M. le Marefchal de
Humieres , s'eſt fort diſtingué
pendant ce Siege , ainſi que
M. Duparc Garde dans le mefme
Corps , & M. de Tangis qui
en eſtoit forty pouragir en qualité
d'Ingénieur. On ne peut
douter qu'il n'y ait donné beaucoup
de marques de courage ,
puis qu'il y fut bleſſé. M. de
S. Germain de la Breteche le
212 LE MERCVRE
fut auffi à l'Attaque des Gardes,
& tomba du haut de la Digue
, apres avoir receu deux
bleffures. M. de Soify , Fils de
M. le Preſident le Bailleul , fut
bleſſé dans la meſme occafion ;
tomba dans le Foffé , & paffa
la nuit fur la glace, parce qu'on
ne le pût trouver que le lendemain.
Mª de Seraucour & de
Chéviere Sous-Lieutenans aux
Gardes , & м . de Torcy Enſeigne,
ont eſté bleſſez , & м. Сі-
gogne Lieutenant , tué. M. de
Pierrebaſſe Ayde- major des
Gardes , a eu la teſte emportée
d'une volée de Canon .
rs
La nouvelle de la priſe de
S. Guilain fut apportée au Roy
par M. de la Taulade Ayde de
Camp de M. le mareſchal de
Humieres. M. le marquis de
Louvois qui le preſenta , dit à
4
GALAN T.
213
Sa majeſté que les Ennemis
publioient que les Anges Tutelaires
de la France luy fervoient
d'Eſpions dans le Ciel
pour l'avertir des changemens
du temps qui luy eſtoient prefque
toûjours favorable. Le
Duc de Villa - Hermoſa eſtoit
à Haurec fort prés de la Place,
avec douze à treize mille Hommes,
faiſant porter des Echelles
pour paffer les Marais , & fe
vantant qu'il attaqueroit les
Lignes. Lors qu'il entendit que
le Canon tiroit fort peu,& puis
qu'il ceſſoit entierement, il crût
le Siege levé , & ayant détaché
trois cens Chevaux pour prendre
langue , ils en trouverent
cinquante des Noftres envoyez
pour le meſme deſſein. Celuy
qui les commandoit ayant eſté
pris pour avoir eu fon Cheval
tué ſous luy , eut peine àdeſa
214 LE MERCVRE
bufer ce Duc, en l'aſſurant qu'il
avoit veu entrer les Troupes de
Sa majeſté dans la Place ; &
lors que les Affiegez batoient
la Chamade , Monfieur le ма-
reſchal de Humieres faifoit
monter ſa Cavalerie à cheval
pour aller vers les Ennemis dont
il venoit d'apprendre des nouvelles.
Le Roy a donné le Gouvernement
de S. Guilain à м. Са-
tinal Capitaine aux Gardes, qui
a fait la Campagne paſſée en
qualité de major des Gardes.
M. de Longpré Capitaine au
Regiment de Picardie, en a eſté
fait Lieutenant de Roy ; & M.
de l'Apparat Capitaine dans
Piémont , en a eu la majorité.
Jamais Campagne ne fut plus
glorieuſement finie. Cette derniere
Conqueſte a donné lieu
à ces Vers.
GALANT .
215
C'est à ce coup qu'il se faut rendre,
O Flandre ,
Puisque contre Loüis
Sontvains.
tous tes efforts
Saint Omer , Saint Guilain t'en donnant
des exemples
Tres-amples,
Tunepeuxfaire mieux que d'imiter tes
Saints.
Les Gardes du Corps ſont de
retour , & le Roy a fait depuis
peu la Reveuë de tous ces Braves
qui ſont devenus la terreur
des Allemans. Sa majeſté avoit
cinq censGardes nouveau,bien
montez, bien veſtus, & de tres
bonne mine , qu'elle diſtribua
dans les Compagnies pour les
augmenter , & les rendre encor
plus fortes qu'elles n'eſtoient
avant la Campagne. Voicy les
Noms de ceux qu'elle fit
Exempts , & à qui Elle voulut
donner par làdes marquesde la
fatifa
216 LE MERCVRE
:
ſatisfaction qu'Elle avoit reçeuë
de leurs ſervices .
Dans la Compagnie de Noailles.
M le Marquis de S. Chamant
du Peſcher , Cadet. Il eſt
originaire de Limousin , d'une
tres-bonne Maiſon , & Parent
de M. le Duc de Noailles .
M.de la Meſſeliere, auſſi Cadet.
M. de Tierceville , de Normandie,
Brigadier.
M. de Verduiſant, de Guyenne.
Il a efté Lieutenant des Gardes
de feu M. le Mareſchal
d'Albret , & Capitaine de Cavalerie.
M. de Granpré , Premier
Capitaine d'un Regiment de
Cavalerie.
Je vous ay déja parlé , madame
, de M. de la meſſeliere ,
qui a fait pluſieurs Campagnes.
Il eſt bien fait, a du coeur,
&
GALANT. 217
&s'eſt fignalé dans la Journée de
Cokberg. Il fort d'une des meil
leures Maiſons de Poitou &de la Marche
, & eft allié de celles de Rochechoüart,
de la Rochefoucaut, de Maillé,
de Brezé, de Polignac, &de toutes
les plus qualifiées de Poitu & de Limoufin.
Son Grad Pere fut nourry Enfant
d'Honneur aupres de Loüis XIII.
& ſes Anceſtres ont eu de grandes
Charges & des Emplois conſidérables
dans les Maiſons de nos Rois.
Dans la Compagnie de Duras.
M. Desforges. Ileſt Neveu de M.
de Chaſeron Lieutenant General des
Armées du Roy , & luy a ſervy d'Ayde
de Camp.
1 M. Meffier. Il a eſté bleſſé , & eft
retourné dans l'Occaſion avec plus
d'ardeur , apres avoir eſté query de fes
bleffures.
M. Danglar , Brigadier.
Dans la Compagnie de Luxembourg.
M. de la Chaume, M. de S. Pierre,
M. de la Tolnele , & M. le Chevalier
de S. Lucé. Ie n'en ay pû apprendre
que les noms.
Tome X. K
218 LE MERCVRE
Dans la Compagnie de Lorge.
M. le Chevalier de Rhodes. Il eſt
Frere de M. de Rhodes Grand-Maiſtre
des Cerémonies.
M. de S. Martin. Il a trente années
de ſervice , & n'a perdu aucune occafion
de ſe ſignaler. Il a eſté Capitaine
d'Infanterie , Brigadier des Mouſquetaires
, & fut fait Major de Nimégue
dans le temps de cette Conquefte. Il
a toûjours ſervy d'Ayde de Camp dans
l'Armée du Roy ſous M. de Lorge, &
fes manieres honneſtes le font eſtimer
de tous ceux qui le connoiffent.
Ie ne puis mieux finir ce qui regarde
la Guerre , qu'en vous apprenant
le retour de Monfieur le Mareſchal de
Créquy. il a eu l'honneur de ſalüer
le Roy , & en a eſté reçeu comme le
meritoient les actions de conduite &
de vigueur qui luy ont acquis tant de
gloire dans toute cette Campagne,
Sa Majefté a donné à M. de Tiergeville-
Mahaut le Gouvernement de
Dieppe , vacant par la mort de M. de
Montulé. Ie vous ay déja parlé de fon
merite , & il y a peu de Perſonnes à
GALANT. 219
qui ſes ſervices ne ſoient connus. Ila
eſté dés ſa premiere jeuneſſe Capitaine
dans leRegiment du Havre,puis Lieutenant
Colonel dans un autre , & en
fuite Lieutenant de la Mestre de
Camp , & Capitaine du Regiment de
Cavalerie d'Armagnac durant les
Guerres de Guyenne. Il y fut fait prifonnier
au Combat de Montanſé , où
Monfieur le Duc de Montaufier qui
commandoit l'Armée du Roy, batit les
Ennemis, & eut le bras caffé.
Si tant d'Articles d'Armée ſemblent
trop ſerieux à vos Amies , qui peuvent
moins aimer la Guerre que vous, voicy
un Conte d'un ſtile à leur délaſſer l'efprit.
Il eſt d'un Gentilhomme de Provence
, & je croy que vous demeurerez
d'accord avec luy de ſa Morale.
DEMOSTHENE
Amoureux.
JAdis dans Corinthe une Dame
Kij
220 LE MERCVRE
Etaloit des attraits que chacun admiroit
,
Attraits,digne de toucher l'ame
Des Dieux qu'alors on adoroit.
Qui ne croiroit d'abord qu'une Beauté
pareille,
Pour ſes Amans n'eust beaucoup de
fierté?
Cependant on feroit grand tort à sa
bonté
Atous elle prestoit l'oreille ,
Oufi quelqu'un en estoit rebuté,
Ilne devoit dece malheur extréme,
Se prendre qu'àsoy-méme,
S'accufant d'eſtre avare , ou bien d'estre
indigent .
Lachons le mot enfin , la Belle aimoit
l'argent.
Le docte &fameux Démosthene
Crût que fans un pareil ſecours
Il s'en feroit aimer ſans peine ,
Luy qui perfuadoit toûjours ;
Maisfon éloquence fut vaine
On ne luyfait grace de rien
Et le traitant comme un autre Homme,
On luy demande une affez grandeſomme
د
GALANT. 221
Pourprix d'unſecret entretien.
Surpris d'une telle demande ,
Ilfuit, diſant je ne puis conſentir
Daller donner une fommesi grande
Pour n'acheter au fonds qu'un repentir.
Moraliſons au moment sur ce Conte.
Noftre Orateur n'avoit donc point de
honte
De contenterſa paſſion ,
Et ce n'est qu'à son avarice
Qu'il dût samoderation .
Quand nous nous défaiſons d'un vice
Souvent nous nefaisons au fonds
Que changerſeulement de genre de foibleffe,
Et cependant nous en voulons
Faire honneur à noſtre ſageſſe.
Comme nous allons entrer dans la
Saiſon des Plaiſirs, je croy que l'auray
à vous parler le Mois prochain de
pluſieurs Divertiffemens. On n'a veu
que les anciens Opéra pendant celuycy
, & rien n'a paru de nouveau fur le
Theatre , à l'exception de l'Electre de
M. Pradon , qui a eſté joiée par la
Troupe du Fauxbourg S. Germain.
Celle de l'Hostel de Bourgogne pro
Kiij
222 LE MERCVRE
met pour le lendemain des Rois ſans
remiſe la premiere Repreſentation du
Comte d'Effex de M. de Corneille le
jeune. Ce Sujet eft grand, &de nôtre
Siecle , puis que fa diſgrace arriva au
commencent de l'Année 1601. On
dit qu'il n'y a rien de plus touchant
que cette Piece. Elle a fait du moins
affez de bruit par quelques Lectures,
pour obliger l'autre Troupe à promettre
auſſi un Comte d'Effex qu'elle luy
doit oppoſer. S'il a autant de beautez
qu'on affure qu'il y en a dans celuy
dont je vous parle , on peut ſe promettre
beaucoup de plaifir de cette oppofition.
Comme l'Autheur de ſe dernier
ne ſe nomme point, quelques-uns
veulent que ce foit l'ancien . Comte
d'Eſſex de M. de la Calprenede rac
commode. Il eſt vray qu'on n'a ſongé
à remettre ce Sujet ſur le Théatre de
Guenegaud que depuis que les Affiches
de 1 Hoſtel ont fait connoiſtre
que M. de Corneille le jeune l'avoit
traité ; mais il importe peu du temps ,
pourveu que l'Ouvrage foit affez bon
pour fatisfaire le Public....
GALANT.
223
Cependant je vous avertis de ne
point chercher à Roüen l'Hiſtoire de
ma derniere Lettre qui parle d'un Conſeiller
& d'un Abbé égarez en allant à
Dieppe . J'ay ſçeu que l'Avanture
s'eſtoit paffée ailleurs , & qu'on avoit
changé le lieu de la Scene par quelques
intereſts particuliers.
Adieu , Madame , je me tiens bien
glorieux d'avoir pû vous faire part avec
une exacte ponctualité de toutes les
Nouvelles de cette Année. Attendez
demoy un redoublement de ſoins pendant
celle où nous allons entrer , &
croyez que je ſuis voſtre, &c.
AParis ce 31. Decembre 1677 .
Et par apoſtille , Madame , vous
fçaurez que Sa Majeſté ne voulant pas
moins faire pour Mademoiselle de la
Marck que pour toutes celles qui ont
eſté Filles d'Honneur de laReyne , luv
a donné la Lieutenance de Roy de
Xaintonge & d'Angoulmois , vacante
par la mort de M. le Comte de Jonfac.
Vous jugez bien qu'elle tirera heaucoup
de cette Charge ; mais le Roy
qui ne fait jamais de petites faveurs , a
224 LE MERCVRE
bien voulu luy promettre d'ajoûter à
cé qu'elle en pourra tirer, dequoy faire
une fomme confiderable. Vous ne doutez
point , Madame , qu'une Perſonne
auſſi bien faite qu'elle eft, qui a beaucoup
de bien de patrimoine, & dont on
connoit fi parfaitement le merite& la
vertu , ne ſoit tres - avantageufement
pourveuë. Heureux celuy dont elle
fera le partage ! Ie ne vous apprendrois
rien , quand je vous parlerois de
ſa naiſſance. Son Nom la diftingue fi
fort , qu'il feroit inutile de vous rien
dire de plus. 2.
Monfieur le Duc de Vitry a eſté
fait Conſeiller d'Etat d'Epée.
M. de Guilleragues a efté nommé
Ambafladeur à Conſtantinople.
M. l'Abbé de Valbelle Aumônier
du Roy , a eu l'Eveſché d'Arlet ; &
M. Robert Maiſtre de Muſique de la
Chapelle , l'Abbaye de M. Leſeau.
M. le Marquis d'Obigné , Frere de
Madame de Maintenon, a épousé Mademoiselle
de Froiſgny.
Souvenez- vous , Madame, que tout
cela vous eſt écrit par apoftille , c'eſt à
GALANT. 22
direque ce ſont Nouvelles que j'apprens
en fermant ma Lettre, ſans avoir
le tempsde vous dire un mot du meritede
tous ceux que je vous nomme.
I'y ſupléeray la premiere fois ,& n'oublieray
pas de vous parler de l'Action
éclatante de M. l'Abbé Colbert .
Pajoûteray cependant icy que M. le
Marquis de la Ferté vient d'eſtre declaré
Duc & Pair. Sa Majesté le voyant
marcher ſi dignement ſur les tracesde
M. le Mareſchal ſon Pere ,dont les
grands ſervices & la longue ſuite d'Ations
glorieuſes ſont connues à toute
la France , a voulu faire voir par cette
marque d'honneur la bienveillance
particuliere dont elle les honnore l'un
&l'autre. Ie vous ay parlé dans la plûpart
de mes Lettres des diférentes Occafions
où ce nouveau Duc s'eſt ſignalé.
O
que
FINSTA
I donnera un Tome du Nouveau Mer.
cure Galant , le ſixiéme jour de cha-
Mois,sans aucun retardement.
2
TABLE DES MATIERES.
Reponse de La Prairie au Ruisseau.
Hiſtoire des deux Maris jaloux.
M. le Comte d' Ayen eft receu Duc& Pair de
France au Parlement .
Sa Majesté nomme M. de Rubantel & de
Tracy Mareschaux de Camp.
Mort de Dom Iofeph dArdennes Comte
d'Illes.
Mort de M. I Abbé Castelan .
LAmant Trompé.
Fragment du Testament de Mad. du Puy
celebre loveuſe de Harpe.
Paroles du dernier Air defeu M. le Camus.
Autre Air de M. de Moliere.
Vers envoyezavec un Bouquet de Tubereuſes
au mois de Decembre.
Les Avantures d'Armide & de Renaud,
composées par M. le C. de Meré.
Compliment fait à Monsieur le Chancelier
par M. Doujat , lors qu'il le fut faliser
pour la Faculté de Droit de l'Université
deParis.
Madrigaux & Quatrains à M.le Chancelier.
Dispute d'Apollon de l'Amourſur des Vers
d'Iris.
Excez d'amour d'une jeune Perſonne nouvel--
lement mariée..
M. l'Abbé du Pleſſis eſt ſacré Evesque de
Xaintes .
Le Roy donne une Abbaye à M. l'Abbé dAquin
, une autre à M. de Puyfegur.
Elegie de M. Ferier Autheur de l' Adieu aux
Muses.
A
TABLE.
Mariage du Prince d'Orange avec la PrinceffeMarie,
Fille aiſnée du Duc d'Yorck .
Tout ce qui s'est passé de remarquable au
au Parlement le lendemain de la S. Martin,
Le jour des Harangues & celuy des Mercuriales.
Avantage remporté ſur les Hongrois par be
Colonel Boham.
Sonnets au Roy.
Sa Majesté fait preſent d'une Etée au General
Major Harang , & elle donne la Lieutenance
Colonelle du Regiment de Picardie à
M. de Villemandor , & celle du Regimer
de Normandie à M. de Guilerville .
M. l'Abbé deGrandmont qui avoit eſté nomnéà
l'Eveſché de S. Papoul , eſtſacré à Pe-
Zenas.
M. l'Abbé le Boistel ſoûtient des Theſes de
Philofophie dediées à M. le Marquis de
Louveys,où plusieurs Dames se trouverent.
Lettre de M.Petit à Mole Duc de S.Aignan.
Avanture deMusique.
Pluſieurs Explications qui ont esté données
par divers Particuliers à l'Enigme du 9.
Tome du Mercure Galant.
Lettre de M.le Duc de S. Aignan sur ce
Sujet. Enigme.
Portrait des deux Coufines de Poitu.
Mort de M.le Marquis de Rouville.
Mort de M. l'Evesque d' Alet.
Mort de M. Leſeau, Chanoinede N.Dame de
Paris.
Mort de M. de Miramion .
TABLE.
Mort deM. le Premier President.
Mort de M. de Szinte Beuve.
Mort deM. Neuré &deM.Michel.
Mariage de M.le Marquis de Saint Germain
Beaupré.
Mariage de M. le Marquis de Bonnelle.
Qualitéde Secretaire de Monseigneur le Daw
phin, donnée à M. Destanchau.
Vers de Mademoiselle de Racilly..
Priſe de Sarbruc.
Vers de M. de la Monnoye.
Siege & Prise de S. Guilain.
Noms des morts & des bleffez & de ceux qui
ſeſont ſignalez à ce Siege.
LeRoy donne le Gouvernement de Dieppeà
M. de Tiergeville.
Noms des nouveaux Exempts nommez par
SaMajesté.
Demosthene amoureux.
:
Nouvelles Pieces de Theatre , dont le Comte
d'Effex de M. de Corneille le jeune doit
paroiſtre la premiere.
SaMajesté donne la Lieutenance de Roy de
Xaintonge&d'Angoumois à Mademoiselle
de laMarck.
M. de Guilleragues est nomméàl'Ambassade
de Conftantinople , & M. de Valbelle à
l'Eveſché d'Alet.
Le Roy fait M. le Marquis de la Ferté Duc&
Pair.
Fin de la Table.
Camillus de Neufville Collegio SS .
Trinitatis Patrum Societatis JESU
Teſtamenti tabulis attribuit anno 1693 .
M
807155
LE NOUVEAU
MERCURE
GALANT.
CONTENANT LES NOUVELLES
du Mois de Decembre 1677 .
B
& pluſieurs autres.,
KYOTO ME
X.
*
1893*
RIE
DE LA
VILIK
NO
DE
A LYON ,
Chez THOMAS AMAULRY,
Libraire, ruë Merciere, à la Victoire.
M. DC . LXXVII .
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
泰秀泰秀秀
AV LECTEUR.
OICY le dixiéme Volume
du Mercure , &
le dernier de l'Année
1677. car quoy qu'il
paroiſſe en Ianvier , il ne contient
que les Nouvelles du Mois deDecembre
, & on ne donnera que le
premier jour de Fevrier celuy qui
commencera l'Année 1678. Le
fuccés de ce Livre a esté extraordinaire.
Ie ne doute point qu'il ne
foit deû auxprodiges de cette Campagne,
aux Vers galans&ferieux,
& aux Pieces d'Eloquence qu'on
m'a fait la grace de me donnerde
toutes parts , & c'est peut- estre le
feul Livre dont un Autheur puiffe
publier le fuccés Sans paroiſtre
wain , puis qu'en cela il ne love
a ij
AU LECTEUR .
que les ouvrages d'autruy. Ie me
trouve meſme dans quelque obligation
de ne pas taire l'approbation
qu'on a donnée au Mercure ,
afin que ceux qui m'ont envoyé les
agreables Pieces qui te composent,
connoiſſfent qu'elles ont plû par tout;
ce qu'il me feroit aisé de justifier
parplus de quatre cens Lettres qui
m'ont été écrites fur le plaisir que
falecture a caufé. Lest certain que
pour s'en declarer l'ennemy, ilfau
droit vouloir qu'iln'y eût ny Braves
my beaux Esprits en France , & condamner
en même temps toutes les
Actions de valeur , & tous les galans
Ouvrages de ceux qui écrivět.
Ie ſçay que le Titre afait croire
d'abord que le Mercure estoit fimplement
galant , &qu'il ne devoit
tenir place que dans la Bibliotheque
des Femmes , mais on est forty
de cette erreur quand on y a ven
AU LECTEUR.
des Pieces d'éloquence, desHarangues
, des Relations fidelles & exa-
Etes,des Sieges & des Batailles,des
Evenemens remarquables,des morceaux
d'Histoire , &des Memoires
glorieux àdes Familles . Alors il eft
devenu le Livre des Sçavans &des
Braves,aprés avoir étéle divertiſ
Semet du beau Sexe;&une marque
incontestable deſonſuccés, c'est qu'il
a esté affez heureux pour plaire à
Monseign. leDAUPHIN , & que
ce Grand Prince veut bien foufrir
qu'il paroiſſe toûjours à l'avenir
SousSonNom. Ainsivous verrez ce
Nom auguste àla tefte de celuy qui
contiendra les Nouelles de Ianvier,
&pour le redre moins indigne d'un
figrandhonneur, il commencera en
ce temps- lààparoître avec tous les -
ornemens dont un Livre de cette
nature puiſſe eſtre embelly. Onfera
graver dans chaque Volume trois
aij
AU LECTEUR.
ou quatre Planches,ſuivant les Sujets
dont le Mercure parlera ; &
come les Enigmesfont devenuës un
Ieu d'esprit quiplaiſt , comme on be
voit par un nombre infiny de Gens
qui cherchent à y donner des Explications,
outre celles qui feront en
Vers àl'ordinaire,on en mettra tous.
Les Mois une autre en Figures, dont
on laifſfera le mot à deviner. Ony
trouvera trois ou quatre Chansons
dont les Notes feront gravées.Elles
feront compofées par les meilleurs
Maistres , & notées exprés pour le
Mercure,deforte qu'on peut s'afſfurer
qu'elles auront toute la grace
de la nouveauté, puis que perſonne
ne les aura venës avant que le
Volume où ellesferont,foit envente ..
Ceux qui voudront envoyer des Pa
roles,le pourront faire,on aura ſoin
de les faire noterfiellesse trouvent
propres à être chantées. Il y aura
FesCartes dagalanterie, la pre
AU LECTEUR.
miere qui paroiſtra , Sera l'Empire
de la Poësie de M.de Fontenelle.On
peut croire fur ce nom qu'elle ne
manquera pas d'agrément. On donnera
auſſichaque Mois des Deffeins
gravez des Modes nouvelles , &
quand on aura commencé , on ne
discontinueraplus,mais ilfaut établir
beaucoupde chofes pour cela,&
lier commerce avec bien des Gens.
Cefera une commodité pour ceux
qui aurot inventé quelque chose de
nouveau, dans l'envie de contribuer
auplaisir deMgleDAUPHIN on
qui auront quelque chef-d'oeuvre
d'Art à propoſer au Public. Ils
pourrot en aporter les deſſeins,&on
lesfera graver , s'ils meritent cette
dépense. Ellefera grande pour tous
ces embelliffemens, &devroit faire
rencherir le Mercure de beaucoup
cependant come on s'attacke plus à
la gloire qu'à l'interêt,l'augmentatiadu
prixſeratres-pen coſiderable
AU LECTEUR.
puis qu'ilneſevědra chez l'Imprimeurqueseizefols
en blanc , & au
Palais vintgfols en parchemin,&
vingt-cingfols en veau. Le Public
areçeu ce Livreſifavorablement,
qu'il est juste de luy en marquer de
La reconnoiffance par les nouvelles
beautez qu'on luy prestera. Mais
pour estre aſſuré d'en joüir , il doit
prendre garde si on ne luy vend
point deMercures contrefaits. Il
ne suffit pas de voirau bas qu'ils
ont esté imprimez àParis ; c'est ce
qu'on nemanque jamais d'ymettre
pour empeſcher qu'on ne les rejette
commefaux. Il faudra exami
ners'ils auront les Lettres fleuronnées
& figurées , les vignetes , le
Frontispice,&generalement toutes
les Planches que je viens de dire,
qui feront àl'avenir dans les veritables.
Ceuxquife hazarderont
àles contrefaire dans les ProvinAU
LECTEUR.
ces , s'il s'en trouve qui s'y veüitlent
expofer , comme ils les debiteront
fans Figures , feront obligez
d'ofter beaucoup de la matiere qui
aura relation avec les Planches ,&
tout le reste demeurant fant liaifon,
fera unpurgalimatias ; outre
qu'un Livre contrefait eft toûjours
remply de fautes,&qu'un Libraire
qui fonge à l'épargne,en retranche
beaucoup de chofes pour y employer
moins de feüilles. Il ne faut pas
s'étonner ſi des Livres fi défigurez
Se donnent à meilleur marchéque
les veritables ,& c'est cette mediocrité
de prix qui peut encorfaire
voir qu'ils ne lefont pas. On prie
ceux qui auront des Memoires à
dõner, de les adreſſfer au Sieur Blageart
Imprimeur &Libraire , demeurant
à Paris Ruë S. Iacques, à
l'entrée de la Rue du Plâtre,& de
fairesçavoiren quel lieu on pourra
AU LECTEUR.
eftre éclaircy des circonstances das
letemps que lesArticlesferont employez.
Pour les Histoires envoyées
pardes Particuliers,on croit devoir
avertirune fois pour toutes , quefi
on y retouche, c'est seulement pour
les mettre dans le ſtile ferré du
Mercure,qui doit eftre le méme par
tout ou pour ofter quelquefois des
chofes qui font trop libres , ou qui
fatirisant trop,pourroient chagriner
les Intéreſſez. S'il arrive qu'on
difére à mettre dans le Mois les
choses qu'on donne,ce n'est qu'à l'égard
des Galanteries,qui n'ont autun
beſoin de l'ordre du temps,mais
toft ou tard on y met tout ce qui est
bon,ou quand on ne le met point, ce
n'estpas qu'on n'y trouve beaucoup
d'eſprit,mais ily a des chofes tres-
Spirituelles &tres-bie tournées qui
neſont pas bonnes à imprimer. On
nesçauroit avoir trop de circonfpeAU
LECTEUR .
LA
VILLE
Etion à rendre le Mercure digne
d'eſtre toûjours lû dans des lieux
d'où lamoindre libertéle banniroit.
Comme beaucoup de Perſonnesfont
la grace d'écrireà l'Autheur,il les
priede ne point trouver mauvais
s'il se diſpenſe de leur répondre.
Outre qu'il a besoin deson temps
pour travailler &pour s'informer
des Nouvelles de chaque Mois, it
2006
croit répondre affez quand il met
les Ouvrages qu'on tuy envoye. Les
Libraires de Province font avertis
qu'on leur fera bon marchéàpro
portion de l'éloignement des lieux,
&de ce qu'il leur pourra couster
pour leport. Chacun n'aura qu'à
envoyer Son Correspondant chez
led.Sieur Blageart, &onyféra les
Paquets tant pour les Libraires que
pour les Particuliers. Leprix des
dix Volumes de l'Année 1677.ne
Serapoint augmenté. Ils contiennet
lesNouvelles desdouzeMois ,parce
AU LECTEUR .
qu'on a ramassé dans le premier
celles de lanvier,de Fevrier,&de
Mars, jamais Conquérant n'ayant
fait de fi grandes Conquestes que
LOUIS LE GRAND dans le cours
d'une seule Année. Il n'y a point
d'Histoire qui en faſſe voir de paveilles
, fi on a égardà la force des
Places quinemaquoient ny d'Hommesny
de Munitions.Elles auroient
esté imprénables autrefois . Tant
d'Actionsſurprenantes rendent ces
dix Tomes considérables.On y rend
la gloire qui est deuë à ceux qui
ont fait les Coquestes,&àceux qui
les ont chantées , & on y ramaſſe
mille choſes curieuses qu'on n'auroit
pû trouver enſemble si leMercuren'avoit
jamais esté fait. Les
unes auroient estéſeparées; les autres
n'estat qu'enfeüilles volates ,ſe
ferviet perduës, & il y en auroit eu
beaucoup que lanégligere de les recuillir
auroit empêchéde coſerver,
NOUVEAU ..
MERCURE
GALANT.
TOME X.
THEQUE
YON
A
E vous ſçay bon gré ,
Madame , de l'amitié
que vous témoignez
avoir priſe pour le Ruiflſeau.
Elle ne me furprend point.
Vous avez l'eſprit délicat , &
j'eſtois perfuade en vous l'envoyant
, qu'il ſeroit favorablement
reçeu . Comme le merite
fait effet par tout , ce Ruif-
Tome X. A
12 LE MERCVRE
ſeau que vous appellez le plus
galant des Ruiſſeaux , avoit fait
un ſi grand bruit par les avantages
que promettoit l'égalité
de fon cours , que toutes les
Prairies qui pouvoient prétendre
à ſes complaiſances, étoient
charmées de ſa reputation.
Ainfi, quoy que ce foit quelque
choſe d'aſſez fingulier qu'un
Ruiſſeau Amant , celle qui euit
la gloire de s'attirer ſon hommage
, avoit déja entendu parler
de ce qu'il valoit , & vous
pouvez croire que l'offre de
ſes ſoins ne luy déplût pas.
Vous en jugerez par cette Réponſe
qu'elle luy fit , aprés l'avoir
écouté ſans l'interrompre.
GALANT.
3
LA PRAIRIE
AU RUISSEAU.
Ve voſtre éloignement
Q fouffrir de peine
m'a fait
IeSéchois ſur lepied de me voir loin de
vous ,
le n'avois plus de Fleurs , & j'estois
entre nous ,
Semblable à ces guérets que l'on voit
dans les Plaines ;
Mais puisque je vous voy , je m'en
vay refleurir ,
Etfeûre de vos Eaux , je ne sçaurois
perir.
Mais puis -je me flater que ces Eaux fi
cheries ,
Ne coulent que pour moy ? n'est- il point
de Prairies
Dont l'émail éclatant puiſſe arreſter
Ie crainstout , mais enfin ie ne lepenvos
pas?
Sepas.
٤٠
A ij
4 LE MERCVRE
Vous estes décendu d'une Source trop
pure ,
Pourternirpar cette action
Vostre crystal, &vostre nom ;
Etsi j'en croy voſtre murmure,
Vous ne ferez jamais inconstant ny
parjure.
Cependant la rapidité
Dont je vous voy courir le long de ce
rivage,
Estde vostre infidelité
Vn affez funeste préſage.
Ah , fi pour mon malheur , commeun
Ruiſſeau volage ,
Après avoir ſçeu m'engager ,
Ie voyois voſtre cours ailleurs se par-
De
3
tager ,
combien de Soucis
remplie?
me verrois- je
Mais quand on va fi viſte,il fautqu'on
foit leger ;
Etfi ie m'en rapporte à ce qu'on en
publie,
Vous estessujet àchanger.
GALANT.
Iefuisjalouſe enfin , & quand l'Ocean
mesme ,
Riche de tant de flots qu'il reçoit dans
Sonfein ,
Anroit pourmoy quelque deſſein ,
Si ſon amourn'estoit extrême ,
J'aimerois cent fois mieux un fidelle
Ruiffean
Qui pour Thétis , ny pour fon Diadéme
,
Ne voudroit pas ailleurs puiſer deux
goutes d'eau ;
Voila comme ie fuis , &c'est ainsi que
j'aime.
Ne me voir qu'en courant ! ah ien'ofe
ypenser,
Le Sens à ce discours mes Fleurs se hériffer,
Et le Cruel Hyver me donne moins d'a-
Larmes :
Helas, où courez-vous ? coulez plus
lentement ,
Le Lit que je vous offre a- t-ilfi peu de
charmes ,
Qu'il ne puiſſe fixer la courſe d'un
Amant ? A iij
6 LE MERCVRE
Venez vous égayer au bord de nos Fontaines
,
Leurs ondespar vostre moyen
Se trouveront en moins de rien
DesHélicons,des Hippocrenes ,
Car ie n'ignore pas au bruit que vous
menez
Que vous boüillez de vousy rendre,
C'est vainement que vous tournez,
Ieſçay que c'est là voſtre tendre.
Que vous diray-je plus ? jaydes tapis
deFleurs
Surqui vouspourez vous étendre,
L'Aurore chaque jour les baigne de
Sespleurs
Quicompofent un douxmélange
Qui fait honte à la fleur d'Orange.
Ah laiſſez- vous tenter ! au nom de nos
amours
Faitesfur vous quelques retours,
Et coulez tout au moins avec plus de
pareſſe :
Si vous n'arrestez vostre cours ,
Vous allez dans la Mer vous perdre
Pour toûjours,
GALANT.
7
7
Et ieneSeray plus qu'un objet
ſteſſe ;
de tri-
Mais c'est en vain que ie vous preſſe
De retarder un peu vostre extréme vi
teffe ,
Et qu'un vent opposé seconde mes fouhaits;
L'Amour&lesRuiffeeaauuxxne remontens
-jamais.
Iene demande point que vous veniez
Sans ceffe
M'arroser nuit & iour
fechereffe
non , quelque
Qui puiſſe me brûler, ie ne m'en plaindraypas,
Pourven qu'en d'antres lieux , toûjours
fidelle & tendre ,
Vos Eaux , vos cheres Eaux , n'aillent
point se répandre ;
le ne me fonde point sur mes foibles
appas ,
Quoy qu'un Fleuve pompeux ſuivy de
cent Rivieres,
Qui font ſes humbles Tributaires,
En ſuperbe appareil me vienne tous les
ans
A ij
8 LE MERCVRE
Apporter sur mes bords cent liquides
prefens.
Mais ilfaut dire tont , c'est un Fleuve
volage
Dont les débordemens Sans mesure ny
choix
S'étendent dans les Champs ainsi que
dansles Bois.
Qui peut s'accommoder d'un ſemblable
partage,
Ne me reſſemble pas : Euffiez- vous
plus d'attraits
Que l'on ne voit d'Epis chez la blonde
Cerés,
Si vous alliez ainsi de rivage en ri
vage,
Ie vous préfererois le moindre Maré
cage,
Et deuſſay-je en mourir , je romprois
pourjamais.
7
La netteté de ces Vers vous
fait affez voir qu'ils viennent
de Source. Ils font d'un Gentilhomme
qui cherche la Nature
&
GALANT. 9
dans tout ce qu'il fait , & qui
par là ne fait jamais rien que
d'agreable. Cet Ouvrage n'étant
pas le ſeul que vous ayez
veu de luy, le ſtyle vous en doit
faire deviner le nom. Il y a des
expreſſions heureuſes qui le diſtinguent
affez pour ne vous
donner aucune peine à le reconnoiftre.
Deux
vous
Marys quGTHEADS
voulez bien que je me
YON
diſpenſe de vous nommer ,
prennent ſouvent d'inutiles ſur
des ſoupçons mal fondez qui
leur font paffer de méchantes
heures . Ils font tous deux dans
les Charges , tous deux impitoyablement
délicats fur le
Point -d'honneur , & par conſequent
tous deux jaloux , jufqu'à
trouver du crime dans les
plus innocentes converſations.
La femme de l'un eſt une blode
Av
10 LE MERCVRE
bien faite,d'une taille fine,& dé
gagée,l'oeil bien fendu, & un viſage
qu'on peut dire avoir eſté
fait au tour. L'autre a pour Femme
une grande Brune, qui a la
douceur meſme peinte dans les
yeux , le teint uny , le nez .
bien taillé , la bouche agreable,
& des dents à ſe récrier. Ces
deux Dames qui n'ont pas
moins d'eſprit que de beauté,
ont encor plus de vertu que
d'eſprit , mais cette vertu n'eſt
point farouche ; & comme elles
font fort éloignées de l'âge où il
ſemble qu'il y ait quelque obligation
de renoncer aux plaifirs
le Jeu, la Comedie , l'Opera, &
les Promenades , font des diver--
tiffemens qu'elles ne ſe refuſens
point dans l'occaſion. Il y aune
étroite amitié entre elles , &
cette amitié a peut- eſtre fait la
GALANT... IT
liaiſon des Marys qui ſe ſont
gaſtez l'un l'autre , en ſe découvrant
leur jaloufie . Vous
jugez bien , Madame , que cette
conformité de ſentimens les a
fait agir de concert pour le remede
d'un mal qui les tient
dans une continuelle inquietude.
C'eſt ce qui embarraffe ces
deux aimables Perſonnes , qui
ne ſçauroient preſque plus faire
aucune agreable Partie fans
qu'un des Marys ſoit leur furveillant.
A dire vray , la trop
exacte vigilance n'eſt pas moins
incommode qu'injurieufe.Quelque
tendreſſe qu'une Femme
puiffe avoir pour celuy à qui le
Sacrement la tientattachée,elle
n'aime point à luy voir faire le
perſonnage d'Argus. Tout ce
qui marque de la défiance luy
tiento lieu d'outrage ; & les
12 LE MERCVRE
Marys ayant leurs heuresde reſerve
dont perſonne ne vient
troubler la douceur , il eſt juſte
qu'ils abandonnent les inutiles
àceux qui n'en profitent jamais
fans témoins. Les Dames
dont je vous parle devenuës inſéparables
& par leur veritable
amitié , & par le fâcheux raport
de leur fortune , n'oublioient
rien pour ſe dérober ,
quand elles pouvoient , aux
yeux de leurs importuns Efpions.
Ce n'eſt pas , comme je
vous l'ay déja dit , qu'elles eufſent
aucune intrigue qui pût
mettre leur vertu en péril , mais
il ſuffiſoit qu'on fe défiaft de
leur conduite pour leur faire
prendre plaifir à ſe débaraſſer
de leurs Jaloux , & c'eſtoit pour
elles un ſujet de joye incroyable
qu'une Partie d'Opera ou de
GALANT.
13
Promenade faite en ſecret.
Parmy ceux dont le Jeu leur
avoit donné la connoiſſance
( car fi elles ne pouvoient s'empeſcher
d'eſtre obſervées , elles
s'eſtoient miſes ſur le pied de
faire une partie de ce qu'elles
vouloient ) deux Cavaliers
auſſi civils que galants , leur
avoient fait connoiſtre par
quelques affiduitez que le plaifir
de contribuer à les divertir
eſtoit un plaiſir ſenſible pour
eux. Elles meritoient bien leurs
complaiſances , & l'agrément
de leur humeur joint à leur
beauté qui n'eſtoit pas médiocre,
pouvoit ne pas borner entierement
à l'eſtime les ſentimens
qu'ils tâchoient quelquefoisde
leur découvrir. Ils étoient
Amis, & quand ces Belles trouvoient
l'occaſion de quelque L
7
14 LE MERCVRE
divertiſſement à prendre ſans
leur garde accoûtumée , elles
n'eſtoient point fâchées d'en
faire la Partie avec eux, Dans
cette diſpoſition , voicy ce qui
leur arriva pendant que les
jours eſtoient les plus longs ;
car , Madame , je croy que le
temps ne fait rien aupres de
vous à la choſe,& qu'une avanture
du Mois de Juillet que vous
ignorez ne vous plaira pas
moins à écouter qu'une Avanture
du Mois de Decembre. On
m'en apprend de tous les coftez
, & ne vous les pouvant
écrire toutes à la fois, j'en garde
les Memoires pour vous en faire
un Article felon l'ordre de
leur ancienneté.
Le Jeu ſervant toûjours de
prétexte aux Dames à recevoir
les vifites des Cavaliers, tantoſt
GALANT. 15
chez l'une ,& tantoft chez l'autre
, la Feſte d'un des deux arrive.
Elles luy envoyent chacune
un Bouquet. Cela ſe pratique
dans le monde. Illeur en
marque ſa reconnoiffance par
des Vers galans, & par une tresinftante
priere de prendre jour
pour venir ſouper dans une fort .
belle Maiſon qu'il a aupres d'une
des Portes de la Ville , où il
les attendra avec ſon Amy . Le
Party eſt accepté , mais l'importance
eſt de venir à bout de la
défiance des Marys qu'on ne
veut point mettre de la Feſte.
Heureuſement pour elles , il fe
trouvent tous deux chargez
d'affaires en mefme temps . On
choiſit ce jour. Le Cavalier eſt
averty. Les ordres ſont donnez,
& il ne s'agit plus que d'executer.
Les Dames feignent de
vouloir alter ſurprendre une de
16 LE MERCVRE
leurs Amies qui est à une lieuë
de Paris , & d'où elles ne doivent
revenir qu'au frais. Un des
Marys les veut obliger à remettre
au lendemain , afin de leur
tenir compagnie,& de ſe délafſer
un peu de l'accablement des
affaires. Il n'en peut rien obtenir
, & fur cette conteftation
arriva un Laquais de la Dame
qui les avertit de fon retour, &
qu'elle viendra joüer l'apreſdînée
avec elles . Leurs meſures
font rompuës par ce contretemps
. Les deux Amies diffimulent.
Refuſer une Partie de Jeu
pour en propoſer une autre qui
les laiſſe diſparoiſtre pour tout
le reſte du jour , ce ſeroit donner
de legitimes foupçons. Elles
joüent, demeurent à ſouper enſemble
apres que le Jeu eſt finy,
& feignent d'y avoir gagné un
mal de teſte qui leur ofte l'ap
GALANT.
17.
pétit ,& qui ne peut eftre foulagé
que par une Promenade
aux Thuilleries. On met les
Chevaux au Caroffe. LeMary
que leur empreſſement à vou
loir faire une Partie de Campagne
fans luy, avoit déja commencé
d'inquieter , les fait fuivre
par un petit home inconnu qui entre avec elles aux
ThuiLGENDE DA
leries, & les en voyant fortir incontinent
par la Porte qui eft
du cofté de l'eau , & monter
dans une Chaiſe Roulante
qu'elles avoient donné ordre
qu'on y fiſt venir , découvre le
lieu du Rendez vous, & en vient
donner avis au Mary. Le coup
eftoit rude pour un Jaloux. H
court chez fon Afſocié en jaloufie
,luy conte leur commun
defaſtre , & luy faiſant quitter
les Affaires qu'il n'avoit pas en18
LE MERCVRE
cor achevé de terminer , le me
ne où la Feſte ſe donnoit. Ils
trouvent moyen d'entrer dans
la Court ſans eſtre veus , & fe
gliffent de là dans le Jardin ,
d'où ils peuvent aifément découvrir
tout ce qui ſe paſſe
dans la Salle. Elle estoit éclairée
d'un fort grand nombre de
Bougies. Ils s'approchent des
Feneſtres à la faveur de quelquesArbres
fait en Buiffons ; &
quoy qu'ils ne remarquent rien
qui ſente l'intrigue dans les refpectueuſes
manieres dont les
Cavaliers en uſent avec leurs
Femmes , elles leur paroiſſent
de trop bonne humeur en leur
abfence,& ils voudroient qu'elles
ne ſe montraſſent aimables
que pour eux. Le Soupé s'acheve
au fon des Hautbois qui
prennent le chemin du Jardin
GALANT.
19
où la Compagnie les ſuit. Les
Marys qui veulent voir à quoy
l'Avanture aboutira, ſe retirent
dans un Cabinet de verdure
où ils demeurent cachez . Les
Dames ont à peine fait un tour
d'Allée , qu'elles voyent l'air
tout couvert de Fuſées volantes
, qui fortent du fonds du
Jardin ; les Etoilles & les Serpentaux
qu'elles font paroiſtre
tout - à - coup , les divertiſſent
plus agreablement que leurs
Marys, qui ne font pas en eſtat
de goufter le plaifir de cette
ſurpriſe. L'aimable Brune dont
je vous ay fait le Portrait prend
une de ces Fuſées ,& la veut
tirer elle - meſme. Celuy qui
donne la Feſte s'y eftant inutilementoppoſé,
luy met unMouchoir
ſur le cou ,dans la crainte
qu'elle ne ſe brûle. Le Mary
20 LE MERCVRE
perd patience,il veut s'échaper.
Celuy qui eft avec luy dans le
Cabinet l'arreſte , & àluy-mef
me beſoin d'eſtre arreſté au
moindre mot qu'il voit qu'on
dittout bas à ſa Femme . Jamais
Jaloux ne ſouffrirent tant. Ils
frapent des pieds contre terre,
atrachent des feüilles , & les
mangent de rage , & on pretend
qu'un des deux penſa crever
d'une Chenille qu'il avala.Apres
quelques Menuets danſez dans
la grande Allée , on vient dire
aux Dames qu'un Baffin de
Fruit les attendoit dans la Salle
pour les rafraiſchir. Ellesy retournent
& n'y tardent qu'un
moment , parce que minuit qui
ſonne leur faitune neceſſité de
ſe retirer. Les Cavaliers les accompagnent
juſqu'à leur Chaiſe
roulante qu'elles quittent
GALAN T. 21
pour aller reprendre leur Caroſſe
qu'elles ont laiſſe à l'autre
Porte des Thuilleries ,& cependant
les Hautbois qui ne font
point avertis de leur départ
continuënt à joüer dans le Jardin.
Leurprefence eſt un obſtacle
fâcheux à l'impatience des
Réclus du Cabinet de verdure
qui brûlentd'en fortir pour s'approcher
des Feneſtres comme
ils ont fait pendant le Soupé. Il
eſtvrayqu'ils nedemeurentpas
long-temps dans cette contrainte,
mais ils n'en ſont affranchis
que pour ſouffrir encor plus
cruellement. Un de ces Mefſieurs
de la Muſique champeſtre
eſtant entré dans la Salle
pour demander quelque choſe
àceluyqui les employoit, reviết
dire à ſes Compagnons qu'il n'y
avoit plus trouvé perſonne ,&
22 LE MERCVRE
qu'il n'avoit pû fçavoir ce que
la Compagnie eſtoit devenuë.
Les Marys l'entendent , & c'eſt
un coup de foudre pour eux.
Leur jaloufie ne leur laiſſe rien
imaginer que de funeſte pour
leur honneur. Ils peſtent contre
eux-meſmes de leur lâche patience
à demeurer fi long- temps
témoins de leur honte , & ne
doutant point que leurs Femmes
ne ſoient dans quelque Cabinet
avec leurs Amans, ils fortent
du Jardin,montent en haut,
vont de Chambre en Chambre,
& trouvant une Porte fermée,
ils font tous leurs efforts pour
l'enfoncer. Un Domeſtique accourt
à ce bruit. Il a beau leur
demander à qui ils en veulent .
Point de réponſe. Ils continuent
à donner des pieds contre la
Porte , & le Domestique qui
GALANT. 23
n'eſt point aſſez fort pour les
retenir , commence à crier aux
Voleurs de toute ſa force. Ces
cris mettent toute la Maiſon en
rumeur. On vient au ſecours .
Chacun eſt armé de ce qu'il a
pû trouver à la haſte, & le Maî
tre-d'Hoſtel tient un Mouſqueton
qu'il n'y a pas plaifir d'efſuyer.
Nos Deſeſperez le craignent.
Ils moderent leur emportement
, & on ne voit plus
que deux Hommes interdits ,
qui ſans s'expliquer enragent
de ce qu'on met obſtacle à
leur entrepriſe. Comme ils
ne ſont connus de perſonne ,
& qu'ils n'ont point leurs Habits
de Magiſtrature , on prend
leur filence pour une conviction
de quelque deſſein criminel;
& afin de les faire parler
malgré eux,le Maiſtre-d'Hoſtel
ここ
24 LE MERCVRE
envoye chercher un Commiffaire
ſans leur en rien dire , &
les fait garder fort ſoigneuſement
juſqu'à ce qu'il ſoit arrivé.
Cependant les Cavaliers qui
ont remené les Dames aux
Thuilleries , reviennent au lieu
où s'eſt donné le Repas, & font
furpris de voir en entrantqu'on
amene un Commiſſaire. Ils en
demandent la cauſe. On leur dit
que pendant que tout le monde
eſtoit occupé en bas à mettre
la Vaiſſelle d'argent en ſeûreté
, deux Voleurs s'eſtoient
coulez dans les Chambres , &
avoient voulu enfoncer un Cabinet.
Ily courent avec le Commiſſaire
qui les livre pendus
dans trois jours. Jugez de l'étonnement
où ils ſe trouvent
quand on leur montre les pre
tendus Criminels. Le Commiffaire
GALANT.
25
faire qui les reconnoiſt ſe tire
d'affaire en habile- Homme, &
feignant de croire que ce font
eux qui l'ont envoyé chercher,
il leur demande en quoy ils ont
beſoin de fon miniftere. Ils l'obligent
à s'en retourner chez
luy, ſans s'éclaircir de la bévcuë
qui l'a fait appeller inutilement;
& les Cavaliers qui devinent
une partie de la verité , ayant
fait retirer leurs Gens, leur ofrét
telle réparation qu'ils voudront
de l'inſulte qu'on leur a faite
ſans les connoiſtre. C'eſt là que
le myſtere de la Feſte ſe dévelope.
Celuy qui l'a donnée leur
découvre qu'elle eſt la fuite
d'un Bouquet reçeu,& qu'ayant
prié les Dames d'obtenir d'eux
qu'ils luy fiffent l'honneur d'en
venir partager le divertiſſement
avec elles , il avoit eu le chagrin
Tome X. B
26 LE MERCVRE
d'apprendre qu'unembarras impreveu
d'affaires n'avoit pas
permis qu'ils les pûffent accompagner
; qu'il venoit de les remener
chez elles,& qu'il eſpe--
roit trouver une occafion plus
favorable de lier avec eux une
Partie de plaifir. Tandis qu'il
ajoûte à ces excuſes des civilitez
qui adouciſſent peu à peu la
colere de nos Jaloux , fon Amy
envoye promptement avertir
les Dames de ce qui vient d'arriver,
afin qu'elles prenent leurs
meſures ſur ce qu'elles auront à
dire à leurs Marys. Ils quitent
les Cavaliers fatisfaits en apparence
de cette défaite,& fort réfolus
de faire un grand chapitre
àleurs Femmes, Elles préviennent
leur méchante humeur ,
& les voyant retourner chagrins,
elles leur content en riant
GALANT.
27
la malice qu'elles leur ont faite
de neles mettre pas d'une Partie
dont on avoit ſouhaité qu'ils
fuſſent ; ce qui devoit leur faire
connoiſtre que quand les
Femmes ont quelque deſſein en
teſte , elles trouvent toûjours
moyen de l'executer. Les Marys
ſe le tirent pour dit ; &
ceux qui ont ſçeu les circonſtances
de l'Hiſtoire , aſſurent
que depuis ce temps- là ils ont
donné à leurs Femmes beaucoup
plus de liberté qu'ils ne
leur en laiſſoient auparavant.
C'étoit le meilleur party à prendre
pour eux. Le beau Sexe eſt
ennemy de la contrainte, & telle
n'auroit jamais la moindre
tentation de galanterie, qui n'en
refuſe pas quelquefois l'occafion
pour punir un Mary de ſa
défiance.
t
Bij
28 LE MERCVRE
1
Comme une peine qu'on a
meritée ne donne jamais ſujet
de plaindre celuy qui la ſouffre
, on peut dire tout au contraire
qu'on voit rarement recompenfer
la Vertu ſans qu'on
en témoigne de la joye. C'eſt
ce qui a paru depuis peu quand
Monfieur le Comte d'Ayen a
eſté reçeu Duc & Pair au Parlement.
Ses belles qualitez luy
ont acquis une eſtime fi generale
, que toute la Cour s'eſt
intereſſée aux avantages que
luy donne ce nouveau Rang.
Il eſt Fils de Monfieur le Duc
de Noailles , & c'eſt aſſez dire
pour faire connoiſtre qu'il partage
la Pieté ,qui eft comme un
Bien hereditaire dans toute
cette Illuſtre Maiſon. Les foins
qu'il a pris de ſe rendre les
belles Lettres familieres , ne
"GALANT.
29
l'ont pas empeſché d'aprendre
tout ce qu'on peut ſçavoir dans
la Guerre. Il commença de
donner des marques de fon
courage , lors qu'on envoya du
Secours aux Hollandois contre
l'Eveſque de Munſter. Il a toûjours
ſervy depuis ce temps - là ;
& le Roy voulant montrer la
ſatisfaction qu'il avoitde ſa conduite
, le fit l'Année derniere
Mareſchal de Camp.
Sa Majesté a fait le mefme
honneur depuis quelques
jours à Meſſieurs de Tracy &
de Rubantel. Je vous ay appris
tant de choſes avantageuſes du
premier dans ma Lettre du
Mois d'Avril , que je n'ay plus
rien à vous en dire , finon qu'il
a continué depuis ce temps à
ſervir comme il avoit fait auparavant.
On ne peut mieux
Bij
30 LE MERCVRE
ſçavoir ſon Meſtier , avoir plus
courage , ny prévoir de plus
loin les choſes qui doivent arriver.
M' de Rubantel qui a le
meſme Employ que luy dans les
Gardes , a fait auffi paroiſtre
beaucoup de zele , de valeur &
d'application , toutes les fois
que l'occaſion s'eſt offerte d'en
donner des marques. Pluſieurs
de cette Famille ont finy glorieuſement
leurs jours dans le
Service , & ont merité par là
de vivre toûjours.
C'eſt un avantage qui eſt
afſuré à Dom Joſeph d'Ardenne
, Comte d'Illes , Lieutenant
General des Armées du Roy.
* Il eſt mort apres avoir tres-bien
ſervy en ſon temps. Il eſtoit
d'une Maiſon fort confiderable
, & la Nobleſſe du Rouffillon
avoit beaucoup de créance
en luy.
GALANT. 31
M l'Abbé de Caſtelan eſt
mort auſſi , fort regreté de quantité
de Perſonnes de la plus haute
Qualité , qui avoient beaucoup
d'eſtime pour luy. Il étoit
Frere de M. de Caſtelan Major
des Gardes , dont la bonne
mine & le courage eſtoient
connus, & que nous avons perdu
à Gigery.
Apres ces triſtes Nouvelles,
voudrez-vous bien , Madame,
écouter les Plaintes d'un Malheureux
, que plus d'une infidelité
ſoufferte n'a pû guerir de
la foibleſſe d'engager toûjours
fon coeur ? Il les fait avec affez
d'eſprit pour meriter que vous
perdiez un peu de temps à
l'entendre ; & quoy que vous
vous ſoyez renduë inſenſible
aux maux de l'Amour , la maniere
dont il exprime les fiens
vous pourra toucher.
32
LE MERCVRE
L'AMANT
TROMP Ε΄ .
DEgoûté pour toujours des Beautez
de la Cour ,
le pestois hautement contre leur incon-
Stance ,
Et d'un Homine, ennemy declaré de
l'Amour ,
L'affectois en tous lieux l'heurense Indiference.
LaChaſſe me plaiſoit , & toûjours dans
lesBois,
Pour mieux me garantir des ſurpriſes
des Belles ,
L'évitois avec ſoin lepiege des Ruellles,
Et la Retraite estoit mon dernier
choix ,
Si mes traits poursuivoient quelque
Bestesauvage,
GALANT.
33
Ie n'apprehendois point d'en eſtre maltraité,
Et des Oyſeaux ,
tendre ramage,
d'accord dans leur
L'enviois lafidelité
Deleur commerce heureux le tranquille
avantage,
Mefaisoit plaindre le malheur
D'un Amant qui ſurpris d'une douce
langueur ,
Sur la foy d'un bel oeil imprudemment
s'engage
۱
Ariſquer en aimant , le repos de fon
coeur.
Le mien que les dehors d'une belle ap
parence
As'en laiſſer duper avoient cent fois
reduit ,
-En retiroit au moins cefruit
Qu'une affez longue experience
Le mettoit en estat de n'estre plus
Seduit.
Mais pour ne pas aimer quand lepanchantypousse,
By
34 LE MERCVRE
En vain nous employons nosfoins ;
C'est une habitude fi douce ,
Qu'on la reprend lors qu'on le croit le
moins.
Vn jour affis fur la Fougere ,
Ie prenois des Zéphirs lefrais délicieux
,
Quand j'aperceus une jeune Bergere
Dont l'éclat ébloüit mes yeux.
Bart ne luy prestoit rien ; sa beauté
naturelle
Brilloit avec tant d'agrément ,
Queplein d'un douxſaiſiſſement ,
Au peril de nefaire encor qu'une Infidelle
Ie courus rendre hommage à cet Objet
charmant .
Quel bonheur fut le mien ! nos coeurs
d'intelligence
Se trouverent tous deux en mefmetemps
charmez ;
Il ſembloit que l'Amour jaloux de fa
puissance ,
L'un pour l'autre les eust formez.
GALANT
35
Depuis ce temps , unis par lesplus belles
chaînes ,
Nous ignorons l'usage des soupirs;
Et dans leur pureté , fans mélange de
peines ,
Nous goustions lesplus douxplaiſirs.
Nosflames chaque jour devenoient plus
ardentes ,
Tout nous rendoit heureux dans ce
charmantSéjour ;
Et des paffions violentes ,
Nous n'y Sentions que celle de l'Amour.
L'ame pleinement satisfaite ,
Ien'enviois lefort ny des Rois, nydes
Dieux ,
Et je préferois la Houlette
Au Destin le plus glorienx.
Vn Habit de Berger m'en donnoit l'innocence,
Ie ne dédaignois point de garder des
Troupeaux ,
Et d'accorder des Chalumeaux ,
Favorisé de l'Ombre & du Silence
Au doux murmure des Ruiſſeaux.
Bvj
36 LE MERCVRE
Tel Iupiter deſcendu ſur la Terre ,
Quitta l'éclat pompeux de ſa Divinité
,
Etfit hommage du Tonnerre
Aux pieds d'une jeune Beauté.
L'Amourcaufa cette métamorphose
D'Apollon il fit un Pasteur ,
Et fur ce grand Exemple il n'est rien
que l'on n'ofe
Pourse rendremaiſtre d'un coeur.
I'aurois plus fait encorpour toucherma
Bergere.
Falloit-il qu'un Rival vinst corrompre
Sa foy
Ou devoit-il affez luy plaire
Pour partager des voeux qui n'estoient
deus qu'àmoy
L'Ingrate me trahit ; Dieux, qui l'auroit
pü croire ?
Mon feu se repoſoit ſurſafimplicité;
Cent fermens m'aſſuroient elle enperd
Lamémoire ,
Et court à l'infidelité.
GALANT.
37
Pour me vanger de l'Inhumaine ,
En vain d'un vif dépit j'écoute le
transport.
I'aybeaum'abandonner tout entier à la
haine,
L'Amour est toûjours le plus fort.
Monfort a bien changé , ie pers tout ce
que j'aime ,
Ladouceur d'eſtre aimé rempliſſoit mes
defirs ;
On me l'ofte , & le Ciel dans mon malheur
extréme
Me condamne peut- eftre à d'eternels
foupirs.
Amour, toy qui d'abord me fusfi favo
rable ,
Dans cette triſte extremité ,
Rens-moy cette belle Coupable,
Ou ma premiere liberté.
Cette Piece a quelque choſe
de champeſtre, & je l'ay choifie
exprés de ce caractere parmy
38 LE MERCVRE
beaucoup d'autres que j'ay à
vous faire voir , pour donner à
ma Lettre une plus agreable
diverſité . On ne m'en a point
nommé l'Autheur. J'ay ſçeu feulement
qu'il n'avoit pas unGénie
moins heureux dans les matieres
badines , que dans celles
qui font éloignées de l'enjoüement
, & qu'il achevoit de mettre
en Vers libres le Teſtament
de Mademoiselle du Puy. Il n'en
fut jamais un plus extraordinaire.
Il fait grand bruit icy. Tout
le monde en parle ,tout le monde
ſouhaite l'avoir , & je n'en ay
pû encor recouvrer de Copie
entiere à vous envoyer. Mademoiſelle
du Puy eſt cette celebre
Joüeuſe de Harpe qui mourut
il y a deux ou trois mois,&
voicy entr'autres Articles ce
que j'ay entendu debiter du
GALANT.
39
Teſtament dont il s'agit. Il porte
qu'il n'y auroit à ſon Enterrement
ny Boffus , ny Boiteux ,
ny Borgnes , & on y trouve
marqué le nombre d'Hommes
mariez , de Femmes & de Filles
qu'elle ſouhaitoit qu'on en
priaſt. Elle ordonne que ſa
Maiſon ne ſera loüée pendant
vingt ans qu'à des Perſonnes qui
feront Preuve de Nobleſſe , &
donne une Place pour faire un
Jardin , à condition que celuy à
qui elle la laiſſé n'y fera point
planter d'Arbres nains. Vous
jugez bien parlà, Madame,que
la Demoiselle eſtoit raiſonnablement
viſionnaire . Vous en ſerez
encore mieux perfuadée
quand je vous auray appris,que
comme il n'y preſque perſonne
quin'ait fon Animal favory, elle
avoit des Chats qu'elle n'a pû
40 LE MERCVRE
oublier en mourant. Ainſi elle
a étably une Rente pour leur
nourriture , & un Revenu conſidérable
dont doit joüir celuy à
qui elle en confie le ſoin. Vous
direz que cette Rente luy afſfurant
dequoy vivre , il y a du
moins quelqu'un qui profite de
fa folie. La choſe ne recevroit
point de difficulté , ſi c'eſtoit
pour ce quelqu'un que la Rente
euſt eſté faite viagere , mais
elle ne l'eft que pour ſes Chats;
& comme elle s'éteint par leur
mort , il faut qu'il meure avant
eux, s'il veut empeſcher qu'elle
ne luy manque. Elle avoit leu
fans doute que quelques Peuples
avoient autrefois étably des
Hoſpitaux pour les Chiens , &
qu'il y en a encor aujourd'huy
en Turquie , quoy que les Ma---
hometans aiment moins les
1
-
GALANT.
41
Chiens que les Chats , pour
leſquels ils ont une grande veneration
. Pour ſa Harpe qui
luy avoit fait gagner tant de
Bien , elle la laiſſe à un Aveugle
des Quinze- vingts , qu'elle
avoit entendu dire qui joüoit
admirablement des Inſtrumens.
Comme vous aimez la Muſique
, je vous ſouhaitay fort
dernierement dans une Aſſemblée
où il y eut un tres-grand
Concert. I'y recouvray les Paroles
du dernier Air que feu
Monfieur le Camus a compoſé.
Vous me les avez demandées,
&je vous les envoye. La belle
Mademoiſelle de Villeneuve
les chanta avec une juſteſſe à laquelle
on ne peut rien ajoûter ;
tout le monde en fut charmé,
& jamais il n'y eut tant de
loüanges , ny ſi juſtement donnees
.
42 LE MERCVRE
:
AIR.
N'Eſtes- vous point reſvenſe & tria
quelquefois ?
De vos Rochers & de vos Bois-
N'allez- vous point chercher les plus
Sombres demcures ,
Et dans ces Lieux charmans , ſenſible
àmon amour ,
Ne paſſez- vous point quelques henres
,
Commej'y paſſe tout le jour ?
M. de Frontiniere a fait ces
Paroles . Elles font touchantes
d'elles-meſmes. Jugez ce qu'-
elles me parurent dans la bouche
d'une Perſonne qui eſt ſi
propre à toucher. A vous dire
vray , Madame , il y a un peu
de riſque à courir , & la beauté
de Mademoiselle de Villeneuve
jointe à celle de ſa voix,
eft quelque choſe de ſi dangeGALAN
T. 43
reux , que pour le repos de
bien des Gens , il ſeroit à fouhaiter
qu'elle ne ſe laiſſaſt point
voir quand elle chante. Voicy
d'autres Paroles ſur un ſujet
tout diferent. M. Moliere en a
fait l'Air depuis peu avec ſon
fuccés ordinaire.
J
AIR.
Aime l'Eau pour l'amour du Ellefringue
mon Verre,
Elle arroſe la Terre ,
*
inYONE
1893 *
Et nourrit le Raisin.
P'aime l'Ean pour l'amour du Vin,
Vous voulez bien , Madame,
que j'ajoûte quatre Vers à ces
Paroles. Une Dame qui eſt encor
fort belle , quoy que dans
un âge où il ſemble qu'il ne
foit plus permis de prétendre
à la Beauté , diſoit agreable44
LE MERCVRE
ment ces derniers jours , ſur le
fujet de ſa Fête qui approchoit,
que ſa belle ſaiſon eſtoit paffée,
& que ce n'eſtoit plus pour
elle que naiſſoient les Fleurs.
Un Cavalier auffi galant que
ſpirituel , l'entendit , & le jour
de cette Feſte eſtant venu , il
luy envoya un Bouquet de
Tubéreuſes , qui ſont aſſez
rares au Mois de Decembre .
Le Bouquet eſtoit accompagné
de ce Quadrain.
La Beauté que le temps croit avoir
effacée ,
Nevous doit point couſter de pleur s;
De ces Fleurs , belle Iris , la Saiſon eft
passée,
Cefont pourtant des belles Fleurs.
C'eſtoit quelque choſe d'admirable
que les Jardins enchantez
du Palais d'Armide ,
GALANT.
45
où il en naiſſoit en tout temps
& de toutes les façons. Quoy
que vous ſoyez inſtruite de
tout ce qui eſt arrivé à cette
belle Princeſſe par la lecture
du Taſſe , liſez je vous prie ce
qui en a eſté imprimé depuis
peu ſous le titre des Avantures
d'Armide & de Renaud . Vous
en ſerez fatisfaite . Ce Livre eſt
ført agreable , & vous dire qu'il
eſt de M. le Chevalier de Meré,
c'eſt vous dire que vous y trouverez
autant de pureté de langage
, que de delicateſſe d'expreffion.
Vous ne ſerez pas moins
contente du Compliment que
M' Doujat eut l'honneur de faire
à Monfieur le Chancelier ,
lors qu'il le fut ſalüer pour la
Faculté de Droit de l'Univerfité
de Paris , dont il eſt le plus
46 LE MERCVRE
ancien Docteur Régent. Il étoit
accompagné de ſes Collègues,
& fut preſenté par Monfieur
Pelletier Conſeiller d'Etat , comme
il l'avoit eſté en pareille
rencontre par M' de Lamoignon
à feu Monfieur Daligre .
COMPLIMENT
A MONSIEVR
LE CHANCELIER.
MONSEIGNEUR ,
Lejuſte choix que le Roy a faitde
voftre Personne, pour l'élever à la plus.
haute Dignitéde la Robe, eſt ſans doute
laplus infaillible marque d'un merite
achevé. Mais c'est encore une preuve
bien convainquante , que ce merite eft
GALANT.
47
generalement reconnu , de voir que les
Loix , qui ordinairement font muettes
au milieu des Armes, prennent d'abord
un tel éclat entre vos mains , qu'on
n'entend de tous coſtez que des acclamations
& des applaudiſſemens , pour une
action pacifique , dans un temps où les
Triomphes de nostre invincible Monarque
font tant de bruit en tous lieux, par
des miracles de guerre fi continuels &
fiſurprenans.
Onpeut bien , Monseigneur , les appellerSurprenans
,puis qu'ils n'ont point
d'exemple dans toute l'Antiquité,
que l'on n'a gueres moins de peine àles
croire apres qu'ils font arrivez , qu'à
les imaginer avant qu'ils arrivent. En
effet , il n'y apersonne qui ſoit capable
de les concevoir , que cet incomparable
Génie qui ſeul les ſçait executer. Car
enfin peut-on comprendre cetteſage con
duite qui pourvoit à tout ; cette activité
qui est par tout ; cette intrépidité heroïque
qui anime tout ; & enfin cette auguste
presence qui vient à bout de
tout ?
Mais peut-on affez admirer les pro
48 LE MERCVRE
diges que ces grands refforts ont produit
dans le cours de cetteseule Année, qui
n'est pas encore finis ? une Campagne
qui en vaut pluſieurs ,ſi hautement achevée,
en la Saiſon qu'on l'ouvroit à peine
autrefois ;& recommencée avec un
pareilfuccés, auſſi-toſt que les Ennemis
ont finy les marches & les contremarches
qu'ils ont appellées leur Campagne:
pluſieurs Placesqu'on n'avoit osé attaquer
, ou qu'on avoit attaquées inutilement
en divers temps , emportées dans
peu de jours : une Bataille gagnée par
un autre Soy-mesme pendant deux Sie
ges ; ces Braves de toutes Nations forcez
en un moment derriere leurs plus
forts Remparts , auſſi-bien qu'en rafe
Campagne; & leurs prodigieuses Armées
également défaites en combatant
&fans combatre ?
4 Vostre Zele pour le ſervice &pour la
gloire du Roy , me fait esperer , Mon-
Seigneur, que vous excuſerezfacilement
cette diſgreſſion ſur un Sujet fi agreable,
& où vous & les Vostres avez toujours
en tant de part.
Nous voyons , Monseigneur , dans
VOS
GALANT.
49
wos fages Conseils , dans vosfoins vigilans
& fideles ,& dans toute voſtre Vie,
-de grandes matieres de pluſieurs Panegyriques
; & nous voudrions bien nous
pouvoir acquiterde ce qui vous est deû
en cette occafion. Mais le temps d'un
Compliment , dont je vois bien que j'ay
déjapassé les bornes , ne me permet pas
deſuivre cette juſte inclination ; & je
connois trop ma foibleſſe , pour me hazarder
à une fi difficile entrepriſe. Il
meſuffira de dire , en paſſant, ce qui est
connude tout le monde , que vous ſçavez
joindre admirablement bien des
choses qui nese trouvent gueres d'accord
que dans les Hommes extraordinaires ;
unEsprit penétrant , avec un jugement
folide ; une modération fans exemple,
avec une éminente fortune ; & une pro.
bité infléxible,qui ne confidere perſonne
quand il faut juger , avec une affabili_
té obligeante qui ne rebute personne ,
-quand il faut écouter.
Ainfi,Monseigneur , la justice que
le Roy vient defaire à voſtre vertu ,
& à vos longs & importans Services,
est un moyen aſſuré pour la rendre par
Tome X. C
5o LE MERCVRE
uneseule action , au reſte deſes Sujets ;
& la connoiſſance que l'on a de cette
verité , dont on voit déja les effets , répanddans
tous les Coeurs une ioyequi
n'est pas concevable.
Cependant, Monseigneur , la Faculté
de Droit oſe ſe flater de l'espérance que
dans cette commune allegreſſe vous aurez
la bonté de distinguer ſon zele parmy
celuy des autres Corps , qui ont eu
•déja,ou qui auront en ſuite l'honneur de
rendre de ſemblables devoirs à Voftre
Grandeur.
Pour nous attirer cet avantage , il
Suffiroit de l'attachement particulier
qu'exige de nous la profeſſion des Loix,
dont vous estes l'Oracle & l'appuy tout
ensemble.
Mais outre cette dépendance auſſi
glorieuse que neceſſaire, aux obligations
de laquelle nous tâchons de répondre
paruneprofonde véneration , &par des
voeux ardens & finceres; que ne de.
vons-nous pas à V. G. pour l'inclination
qu'elle a toûjours témoignée de voir
rétablir l'Etude de la Iurisprudence ;
qui vous est chere , parce que vous la
GALANT .
SI
poffedez parfaitement , & parce que
vous en connoiffez mieux que perſonne
l'importance & la neceſſité ? Vous ſçavez,
Monseigneur, combien elle est décheuë
de sa premiere ſplendeur dans ce
Royaume où on l'a venë si florifſfante
pendant plusieurs Siecles.
Maintenant que vous eſtes en étar
de la vanger dumépris iniurieux qu'en
font ceux à qui elle est inconnuë ; que
pouvons-nous souhaiter deplus honora_
ble pour V. G. & de plus utile pour le
Public , fi ce n'est l'entier accompliſſe
ment de vos grands &loüables def-
Seins ; &que pour en avoir l'effet, vous
puiſſiez Servir le Roy & l'Etat dans
les nobles fonctions d'une Dignité si
éminente auffi longuement que dans celles
de tous les autres Emplois que vous
avezfi dignement remplis ?
Monfieur le Chancelier reçeut
cette Députation d'une
maniere toute obligeante. Le
merite particulier de M' Doujat
luy eſtoit connu,& il ſçavoit
Cij
52 LE MERCVRE
la reputation qu'il a permy tous
ceux qui eftiment les belles
Lettres. La place qu'on luy a
*donnée dans l'Académie Françoiſe
en eſt une marque. Il eſt
originaire de Toulouſe, defcen
du d'un Loüis Doujat , qui fut
pourveu le premier ily a environ
160. ans de la Charge d'Avocat
General du Grand Confeil,
cette Compagnie n'en
ayant point eu avant luy. Un
de ſes Fils ſe fit Conſeiller au
Parlement de Toulouſe , l'autre
demeura à Paris , & depuis ce
temps-là il y a toûjours eu des
Officiers de ce nom dans quelqu'une
des Cours Souveraines
de ces deux Villes.
Apres la mort de M. du Nozet,
Auditeur de Rote, M. l'Abbé
Doujat dont je vous parle ,
fut propofé par M. de Marca
GALANT.
53
Archeveſque de Toulouſe,pour
eſtre envoyé à ſa place , & feu
M. le Cardinal Mazarin, inſtruit
de ſa haute capacité , luy avoit
fait dire qu'il ſe tinſt preſt à partir
; mais les grandes Alliances
&les correſpondances queM
de Bourlemont avoient en Italie
, jointes à quelques autres
confiderations importantes , firent
tourner les chofes , fur la
priere de M' l'Eveſque de Caſtres
depuis Archeveſque de
Toulouſe , en faveur de Monfieur
ſon Frere qui s'eſt dignement
acquité de cet Employ
dans des conjonctures affez
difficiles . Ce changement n'eut
pas lieu de le chagriner , puis
qu'il fut cauſede l'honneur qu'il
reçeut d'eſtre employé par feu
M le Prefident de Perigny , à
donner àMonſeigneur le Dau-
Cij
34 LE MERCVRE
phin les premieres teintures de
'Hiſtoire & de la Fable. Il fut
furpris des talens extraordinaires
qui éclatoient en ce jeune
Prince dés l'âge de fix ans. Il s'agiſſoit
deles cultiver , & celaluy
donna occafion de compoſer
un Abregé de l'Hiſtoire Gréque
& Romaine ſur Velleïus
Paterculus. Cet Ouvrage merite
l'approbation que luy a
donnée le Public. Il a fait imprimer
depuis ce temps- là un
Recüeil en Latin de tout ce qui
regarde le Droit Eccleſiaſtique
particulier à la France , & enfuite
une Hiſtoire du Droit Ca.-
non. Il travaille preſentement
à celle du Droit Civil qui paroiſtra
bien-toſt, & à.des Notes
fur Tite- Live pour l'uſage de
Monſeigneur le Dauphin. On
les imprime ; & comme le Païs
GALANT.
55
Latin n'eſt pas un Païs inconnu
pour vous , je me perfuade ,
Madame , que vous ne manquerez
pas de curioſité pour les
voir.
Dans le temps que tous les
Corps ſe ſont empreſſez à venir
faire leurs Complimens à
Monfieur le Chancelier , ſur le
nouveau rang où le Roy l'a élevé
, les Muſes ne font pas demeurées
muetes ; & voicy des
Vers qui ont eſté adreſſez à M.
Calpatri,Maiſtre des Comptes.
POUR MONSIEUR
LE CHANCELIER.
L
Oüis le Grand , & leplus grand
des Rois ,
Nepeut faire que de grands choix,
Et celuy-cy n'a rien, Calpatri, qui m'é
tonne.
Cij
36 LE MERCVRE
C'est un grand Monarque quis
donne ,
Et c'est un grand Suiet par foy, parses
Emplois
Qui reçoit ,dés long-temps fidele àla
Couronne ,
Capable auſſi plus que perſonne
Par les ſoins qu'il apris des Armes &
des Loix,
Defoûtenir l'éclat dont Themis l'environne
.
Enfin c'est leTELLIER , tout utile à
lafois
Au Public , à l'Etat ce Ministre
.
d'élite
Dont le Prince aujourd'huy couronne
le merite.
Il eſt certain que le choix
que le Roy a fait de Monfieur
le Tellier pour la plus importante
Charge de l'Etat , a eſté
reçeu avec les acclamations de
toute la France , & c'eſt ce qui a
donné lieu aux deux Quadrins
ſuivans. La Juſtice parle dans
le premier.
GALAN T.
57
QUATRAIN.
E ne veux plus ſonger qu'à goûter le
JE
repos ,
!
Que vient de me donner le plus grand
desHéros :
Ainſi ſi je parois n'estre plus occupée,
Le Pere a ma Balance , & le Fils mon
Epée.
AUTRE .
Lors par fa vare prudence
En foulageant Thémis , montre que
par fon choix ,
Il veut que le TELLIER en tienne
la Balance ,
Quand fon Fer eft tenu par l'Illuftre
Louvors .
Je ſçay , Madame , que ces
témoignages de joye & de refpect
rendus à ce grand Miniſtre
, n'auront rien de ſurpre
Cv
58 LE MERCVRE
nant pour vous à qui tout fon
merite eſt connu ; mais il vous
de ſera ſans doute d'apprendre
la Converfion de l'Indifferent à
qui vous avez tant de fois reproché
l'air tranquille qui paroiſt
dans toutes ſes actions , &
cette Philofophie ſoit naturelle
, ſoit artificielle dont il
ſe pique , quoy que la plupart
des Gens la regardent en luy
comme un défaut. Le croirezvous
, Madame ? Il aime , & apparemment
il ne ceſſera pas fitoſt
d'aimer, car quand l'Amour
s'eſt une fois rendu maiſtre de
ces coeurs Philoſophes qui luy
ont long-temps refifté , comme
il ne ſeroit pas aſſuré d'y rentrer
quand il voudroit , il n'abandonne
pas aisément la place.
Voicy ce que j'en ay pû découvrir.
Il voyoit ſouvent une jeuGALANT
.
59
ne & fort aimable Perfonne , &
n'avoit commencé à la voir que
parce qu'elle aime les Livres &
qu
qu'elle a l'eſprit tres-éclairé.
Aprés luy avoir donné ſes avis
ſur les lectures qu'elle
faire pour
devoz
ne rien apprendre YON
Juy
80%
confuſement , il s'offrit à
ſervir de Maiſtre pour l'Italien
& à force de luy faire dire ,
j'aime , dans une autre langue
que la fienne , il ſouhaita d'en
eſtre veritablement aimé. Ses
regards parlerent , & comme
c'eſtoit un langage que la Belle
n'entendoit pas , ou qu'elle feignoit
de ne point entendre , il
ne put s'empeſcher un jour de
buy reprocher ſon peu de fenfibilité.
Elle ſe défendit de ce
reproche ſur l'eſtime particuliere
qu'elle avoit pour luy.
Vous ſçavez , Madame , que
Cvj
60 LE MERCVRE
l'eſtime ne ſatisfait point un
Amant. Il luy declara qu'il en
vouloit à ſon coeur , & qu'il ſe
tiendroit malheureux tant qu'-
elle luy en refuſeroit la tendreffe.
La Belle détourna ce difcours
, & fit fi bien pendant
quelque temps , qu'il ne pût
trouver aucune occafion favorable
de le pourſuivre. Il devint
chagrin , & rêvoit aux
moyens de faire expliquer celle
qu'il aimoit , quand on le vint
confulter fur des Vers écrits
d'une main qui luy eſtoit inconnuë.
Il eſt du meſtier , &
ceux que vous avez veus de ſa
façon , vous donnent afſez lieu
de croire qu'on s'en pouvoit
rapporter à luy. Il prit le papier
qu'on luy donna, & leut ce
qui fuit fans s'attacher qu'à la
netteté de la Poësie .
{
GALANT. 61
Dourquoy m'avoirfait confidence
vous en vouliez à mon coeur?
Il faut que contre vous il se mette en
défense,
Ie dois vous empeſcher d'en estre le
vainqueur.
Iene m'estois point apperçeuë
Que tous vos petits soins deuſſent m'etre
suspects ,
Et quand j'en faifois la revenë ,
Ie les prenois pour des reſpects.
Ah , que ne m'avez vous laiſſée ,
Cruel Tircis, dans cette douce erreur !
Vous me voyezembarrassée.
On l'est toûjours quand il s'agit du
coeur.
Il faut prendre party , je ne dois plus
attendre ,
Mais si vous m'attaquez , comment
vous repouffer ?
Quand on fent le besoin qu'on a de se
défendre,
Il estdéja bien tard de commencer.
62 LE MERCVRE
Ces Vers luy parurent d'un
caractere doux & aife. Il le
dit d'abord à celuy qui luy en
demandoit ſa penſée , & vous
pouvez juger de ſa ſurpriſe
quand on l'aſſura que c'eſtoit
le début d'une Fille qu'il approuvoit
. Ce mot le frapa. II
ſe ſouvint de la converſation
qu'il avoit euë avec ſa belle
Ecoliere . Tout ce qu'il venoit
de lire s'y appliquoit , & cette
penſée le fit entrer dans des
tranſports de joye incroyables ;
mais il ceſſoit de ſe les permettre
, fi- toſt qu'il faiſoit reflexion
que ces Vers eſtoient trop bien
tournez pour eftre le coup d'efſay
d'une Perſonne qui n'en
avoit jamais fait , & qui ne ſe
piquoit point du tout de s'y
connoiſtre. L'incertitude luy
faiſant peine, il reſolut d'en forGALANT
. 63
tir. Il rendit viſite à la Belle, luy
parla d'une nouveauté qui faifoit
bruit , leut ces Vers dont il
avoit pris une copie , l'obferva
en les lifant , & l'en ayant veu
fourire, il l'embarafla fi fort,qu'il
luy fit enfin avoüer que c'eſtoit
elle qui les avoit faits . Elle ne
luy fit cet aveu qu'en rougifſant
, & en luy ordonnant de
les regarder comme un fimple
divertiſſement que fa Muſe
naiſſante s'eſtoit permis , &
dont elle avoit voulu le rendre
Juge def- intereſſé , en luy cachant
qu'elle s'eſtoit meflée de
rimer. La referve ne l'étonna
point , il comprit ſans peine ce
qu'on vouloit bien qu'il cruft,
& abandonna ſon coeur à ſa
paffion. Celle qui la cauſe en
eft fort digne. Vous eſtes déja
convaincuë de ſon eſprit par
64 LE MERCVRE
fes Vers , & je ne la flate point
en adjoûtant qu'elle eſt aſſez
belle pour ſe pouvoir paffer
d'eſprit , quoy qu'il ſemble que
ce foit eſtre belle & fpirituelle
contre les regles , que d'eſtre
l'un & l'autre en meſime temps .
Si vous la voulez connoiſtre
plus particulierement , imaginez
- vous une Brune qui a la
taille tres -bien priſe , quoy que
mediocre ; le plus bel oeil qu'on
ait jamais veu , la bouche également
belle, le teint & la gorge
admirables , & outre tout cela
un air doux & modefte qui ne
vous la rendra nullement fufpecte
de faire des Vers. Voila
fon veritable Portrait. Tout ce
qu'on luy reproche pour défaut,
c'eſt un peu trop de mélancolie,
une défiance perpetuelle d'ellemeſme
, & une_timidité qu'elle
GALAN T.
65
a peine à vaincre , meſme avec
ceux dont elle ne doit rien apprehender.
Les Vers d'une fi
aimable Perſonne n'eſtoient pas
de nature à demeurer ſans réponſe
, & quand noſtre Amant
Philoſophe n'auroit pas eſté
Poëte il y avoit déja long- tems,
c'eſtoit là une occafion à le devenir.
A peine deux ou trois
jours s'eſtoient-ils pafſſez , que la
Belle reçeut un Pacquet dans
lequel elle ne trouva que cette
Lettre. Elle estoit dattée du
Parnaffe & avoit pour Titre
APPOLLON ,
A LA JEUNE
V
IRIS.
Os Vers aimable Iris, ont fait du
bruit icy
66 LE MERCVRE
Onvous nomme au Parnaffe une petite
Muse.
Puis que voſtre début afi bien réüſſy,
Vous irez loin, ou je m'abuse.
NosPoëtes galans l'ont beaucoup ad-.
miré ,
Les Femmes Beaux Esprits ,telle que
fut la Suze ,
Pour dire tout, l'ont un peu cenfuré.
Ieſuis ravy que vous soyez des noſtres.
Estre le Dieu des Vers feroit un fort
biendoux ,
Si parmy les Autheurs il n'en estoit
point d'autres
Que des Autheurs fait comme vous.
I'ayfur les beaux Esprits une puiſſance
9 Tentiere ,
Ils reconnoiſſent tous ma Iurisdiction.
Avous dire le vray c'est une Nation
Dontje suis dégoûté d'une étrange maniere.
Et meſme quelquefois dans mes bruſques
transports ,
GALAN T. 67
Peu s'en faut qu'à jamais je ne les
abandonne ;
Mais si les beaux Esprits estoient de
jolis Corps,
Ie me plairois à l'employ qu'on me
donne.
Dés que vous me ferez l'honneur de
m'invoquer ,
Fiez- vous-en à moy , je ne tarderay
guerre ,
Et lors que mon secours vous fera neceffaire
,
Affurez - vous qu'il ne vous pent
manquer.
Ie vous diray pourtant un point qui
m'embarasse ;
Un certain petit Dieu fripon ,
( Ienesçay ſeulementfi vous sçavez fon
nom ,
Ils'appelle l'Amour ) a pouffé son au
dace
Iusqu'à meſoûtenir en face ,
Que vos Vers ſont de ſa façon ,
Et pour vous , m'a-t-il dit , conſolez
yous de grac'e ,
-
68 LE MERCVRE
Ce n'est pas vous dont elle a pris
leçon.
Quoy qu'il se pare en vain de cefaux
avantage ,
Il aquelqueſujet de dire ce qu'il dit ;
Vous parlez dans vos Vers un affez
doux langage,
Etpeut-estre apres tout l' Amant dont
il s'agit
Iugeroit que du coeur ces Vers seroient
l'ouvrage ,
Si par malheur pour luy vous n'aviez
trop d'esprit.
N'allezpas de l'Amour devenir l'Ecoliere
,
Ce Maistre dangereux conduit tout de
travers ,
Vous ne feriez jamais de Piece regu
liere
Si ce petit Broisillon vous inspiroit vos
Vers.
Adieu , charmante Iris ,j'auray ſoin
que la Rimeد
GALAN T. 69
Quand vous compoſerez, ne vous refu-
Se rien.
Mais que cesoit moy ſeul au moins qui
vous anime
,
Autrement tout n'iroit pas bien.
La Belle n'eut pas de peine
à deviner qui eſtoit l'Appollon
de la Lettre , mais elle reſva
quelque temps ſur un petit ſcrupule
délicat qui luy vint. Elle
n'euſt pas eſté bien- aiſe qu'on
luy euſt fait l'injustice de donner
à l'Amour tout l'honneur
des Vers qu'elle avoit faits,mais
elle ne pouvoit d'ailleurs penetrer
par quel intereſt ſon Amant
avoit tant de peur qu'on ne les
attribuât à l'Amour ; & fi elle
luy avoit defendu de croire
qu'ils fufſent autre choſe qu'un
jeu d'eſprit où ſon coeur n'avoit
point de part, elle trouvoit
qu'il euſt pu ſe diſpenſer de
70 LE MERCVRE
luy conſeiller auſſi fortement
qu'il faiſoit de ne ſe ſervir jamais
que des Leçons d'Apollon.
C'eſtoit luy faire connoiſtre
qu'il n'avoit fouhaité que foiblement
d'eſtre aimé ; & le dépit
d'avoir répondu trop favorablement
à ſa premiere declaration
, luy faifoit relire ſa Lettre,
pour voir ſi elle n'y découvriroit
point quelque ſens caché
qui pût affoiblir le reproche
qu'elle s'en faifoit , quand
on luy en apporta une feconde
d'une autre main. Elle l'ouvrit
avec précipitation, & y lût
cesVers.
GALANT. 71
.
L'AMOUR ,
A LA BELLE IRIS .
A
Vez-vous lûmon nom fans changerde
couleur ? :
VostreSurprise , Iris , n'est-elle pas extrème
?
Raffurez-vous ; mon nom fait toûjours
plus de peur
Que ie n'en aurois fait moy-méme.
*
Voftre Ouvrage galant , début affez
heureux,
loufie.
Entre Apollon & moy met de la'ja-
Il s'agit de sçavoir lequel est de nous
deux
Vostre Maistre de Poësie.
Franchement , Apollon n'est pas d'un
grandSecours ,
72
LE MERCVRE
En matiere de Vers ie ne le craindrois
guere ,
Et ie le défierois defaire
D'auſſi bons Ecoliers que i'enfais tous
les jours.
Quels travaux affidus pour former un
Poëte ,
Et quel temps ne luyfaut- ilpas ?
On est quitte avec moyde tout cet embarras
;
Qu'on aime un peu , l'affaire est faite.
Cherchez- vous à vous épargner
Cent preceptes de l'Art , qu'il seroit
long d'apprendre ?
Vne rêverie un peu tendre ,
En un moment vous va tout enſeigner.
F'inſtruis d'une maniere affez courte &
facile;
Commencer par l'Esprit c'est un ſoin
inutile ,
Fort longdu moins , quand mesme il
réuffit.
Ie
GALANT. 73
Ievais tout droit au Coeur , &fais plus
de profit ,
Carquandle Coeur est une fois docile,
On fait ce qu'on veut de l'Esprit.
Quand vous fistes vos Vers , dites-le
moyſans feinte ,
Les fentiez-vous couler de ſource &
Jans contraintes
Ievous les infpirois , Iris , n'en doutez.
pas..
Si fortant lentement & d'une froide
veine ,
Sillabe aprés fillabe ils marchoient avec
3. peine ,
C'estoit Apollon en ce cas.
Lequelavoñez- vous , Iris , pour vostre
Maistre ?
Ie m'inquiete peu pour qui vous prononciez;
Car enfin ie le pourrois estre
- Sans que vous- meſme le ſceuſſiez
Ie ne penſerois pas avoir perdu ma
cause,
Tome X.
74 LE MERCVRE
Quandvous déciderie,z enfaveur d'un
Rival ;
Etmesme incognito , fi i'avois fait la
chofe ,
Mes affaires chez-vous n'en iroient pas
plus mat
Mais quand ie n'aurois point d'autre
part à l'Ouvrage,
Sans contestation i'ay donné le ſuiet.
C'eſt toûjours un grand avantage,
Belle Iris, i'ensuisfatisfair.
Cette ſeconde Lettre éclaircit
entierement le doute de la
Belle. Elle ne fut pas fâchéede
voir que celuy qui avoit fi bien
parlé pour Apollon , n'euſt pas
laiſſé le pauvre Amour indéfendu
, & elle vit bien qu'il ne
luy avoit propoſé les raiſons de
part & d'autre , que pour l'engager
à décider lequel des deux
avoit plus de part à ſes Vers,
ou de l'Eſprit , ou du Coeur, La
GALANT. 75.
Queſtion eſtoit délicate. On la
preſſa long- temps de donner un
Jugement. Elle ſe récuſoit toûjours
elle-meſme,& s'eſtant enfin
refoluë à prononcer , voicy
un Billet qu'elle fit rendre àfon
Amant pour Apollon.
SireApollon, ce n'est pas une affaire
Que deux ou trois Quatrains que i'ay
faits par hazard ,
Et ie croy qu'apres tout vous n'y perdriezquere
Quand l'Amour Sſeut y devroit avoir
part.
Nevous alarmez point ; s'il faut nommer
mon Maistre ,
Ieiureray tout haut que mes Vers font
devous.
Ils couloient pourtant, entre nous ,
Comme Amour dit qu'il les fait
naiſtre.
Je croy , Madame , que fans
en excepter Petrarque,& Laure
:
Dij
76 LE MERCVRE
d'amoureuſe memoire , voila
l'intrigue la plus poëtique dont
on ait jamais entendu parler ,
car elle l'eſt des deux coſtez .
Nous ne trouvons point les
Vers que la belle Laure a faits
pour répõdre à ceux de Petrarque
; mais cette Laure- cy paye
ſon Petrarque en même monnoye,&
l'attachement qu'ils ont
l'un pour l'autre s'eſt tellement
augmété par cet agreable commerce
de Poëfie , qu'ils ſemblent
n'avoir plus de joye qu'en ſe
voyant. Je les attens au Sacrement,
s'ils vont jamais juſqueslà;
car il n'y a guere de paſſions
qu'il n'affoibliſſe , & l'Amour
dans l'ordinaire, demeure tellement
déconcerté par le Mariage
, qu'on a quelque raiſon d'affurer
qu'il n'a point de plus irréconciliable
Ennemy.
EG
GALANT. 77
Ce n'est pas pourtant une
regle abſolument generale , &
ce que je vay vous dire d'une
jeune Perſonne de la plus haute
Qualité , vous en fera voir
l'exception. Il y a peu de temps
qu'elle eſt mariée , & les belles
qualitez del'Epoux qu'elle ait YON
heureux le rendent fi digne de
poſſeder tout fon coeur , qu'elle
n'a point mis de bornes à ſa
tendreſſe . Elle voudroit le voir
dans tous les momens du jour,
&vous pouvez jugerdu plaifir
qu'elle s'en fait par le genre de
conſolation qu'elle choisit dernierement
pendant un Voyage
qu'ilfut obligé de faire ſans elle
à la Cour. Elle ſe ſouvint
d'avoir veu ſon Portraitdans un
lieu où elle avoit tout pouvoir.
Elle y courut , le détacha ellemeſme
de l'endroit où il avoit
F
Diij
78 LE MERCVRE
eſté,placé , le fit porter à ſa
Chambre , paffa la plus grande
partie de la nuit à le regarder,
&je ne ſçay ſi elle ne luy fit
point de tendres careſſes. Si
toutes les Femmes aimoient
avec une auffi forte paffion , il
n'y auroit pas un fi grand nombre
de Marys Coquets , & on
feroit ravy de trouver chez ſoy
l'Amour Complaifant que le
chagrin engage quelquefois à
chercher ailleurs.Quelque eftat
de viequ'on ait embraffe , il eſt
toûjours bon d'avoir une grande
exactitude à s'aquiter des devoirs
qu'il nous impoſe. Nous
en voyons la récompenſe en la
Perfonne de Monfieur l'Abbé
du Pleffis de Geſté de la Broutiere,
dont la longue application
à remplir toutes les obligations
de fon caractere , luy a fait me
GALANT9
riter le choix que le Roy a fait
de luy pour luy confier la conduite
de l'Egliſe de Xaintes dont
il fut facré Eveſque ces derniers
jours. S'il fuccede à un grand
Prelat qui fut fort aimé dans ce
Dioceſe , ſa doctrine & ſa piete,
jointes à fon humeur honneſte
&obligeante, ne luy gagneront
pas moins les coeurs des Peuples
qu'on luy a commis. Il y
avoit quinze ans qu'il eſtoit
Grand Vicaire de Paris. Il eſt
Docteurde Sorbonne , & d'une
tres- Illuftre Famille d'Anjou .'
Le Roy qui aime à répandre
fes bienfaits par tout , a gratifié
M l'Abbé Daquin , Fils de
ſon Premier Medecin , de l'Abbaye
de la Seube pres de Bordeaux
; & comme Sa Majeſté
n'oublie jamais les Services
qu'on luy rend , Elle a recom-
Dij
80 LE MERCVRE
expofe
penſe ceux de Me Puylegur,
qui a eſté long-temps Lieutenant
Colonel & Meſtre de
Camp du Regiment de Piedmont,
par une Abbaye qu'Elle
luy a donnée dans Toul. Prendre
ce party eſt une maniere
fort honneſte de dire adieu au
Monde apres avoir expoſe ſa
vie pour fon Prince , pendant
un fort grand nombre d'années.
Des Adieux de cette forte ne
me paroiſtront jamais devoir
eſtre retractez ; mais vous allez
voir, Madame , que j'avois quelque
ſujet de n'en pas croire entierement
celuy qui pretendoit
l'avoir dit pour toûjours aux
Muſes. Ses Amis n'ont pû ſoûfrir
qu'il ſe dérobât plus longtemps
lagloire qui luy eſt deuë .
Ils l'ont fait connoiſtre , & j'ay
à vous apprendre qu'il s'appelle
GALAN T. 81I
M.Ferrier. Les loüanges qu'il a
reçeuës ſur le tour aiſe qu'il
donne à ſes Vers , l'ont engagé
à faire un Ouvrage Galant
qu'on croit déja ſous la Preffe.
On ne m'en a pû dire le Titre,
mais vous pouvez juger de
quelle beauté il ſera par cette
Elegie qui en doit faire le commencement.
Elle donne lieu
de conjecturer que cet Ouvrage
contiendra les manieres qui
peuvent faire acquerir l'eftime
du beau Sexe aux honneſtes
Gens , & on ne peut douter que
cette matiere ne ſoit traitée delicatement
par un Homme qui
penſe juſte ,& qui écrit avec
une fort grande netteté.
Dv
82. LE MERCVRE
LIO THE
好好好好好好好好好好好好好好
1893
ELEGIE
.
Maistre de tous les Dieux dont fubtilesflames
Nebrûlentpoint les coeurs fans éclairer
lesames ,
Amour, c'est à toy ſeul que confacrant
mes Vers ,
Ie vay de tes fecrets instruire l'Univers
.
:
Ainsi , dans mes écrits revelant la
Science ,
De tes droits ſur les coeurs j'étendray
la puiſſance ,
Et ma Muse à ton Temple appellant
les Mortels,
Fera de toutes parts encenfer tes Autels
;
Ces Vers dont je te fais un heureuxfas
crifice ,
Am'en récompenser engagent ta juffice.
Quoy,pourrois-tu me voir Esclave rebuté
GALANT. 83
D'une ingrate Maiſtreſſe effuyer la
fierté ,
Moy, qui par des avis auſſi ſeurs que
fidelles,
Montre l'art de toucher les Maiſtreſſes
cruelles?
Non,Amour, tu le vois, qu'il eſt de ton
honneur A
D'employer tous tes ſoins auſoin demon
bonheur.
Ie ne demandepas qu'à mes voeux fam
vorable ,
Atoutes les Beauteztu me rendes aimable
,
T
Jen'étenspas si loin mes projets amou
reux ,
Et ce n'est que Philis que demandent
mes voeux ,
Philis que j'aime en vain , &dont l'indifference
Par de longues froideurs éprouve ma
constance.
Mais cette ame inſenſible aux preuves
de mafoy ,
Lefera-t-elle encore fi tu combats pour
moy ?
Dvj
84 LE MERCVRE
Si i'obtiensfurſon coeur une entierevi-
Etoire,
Le fruit que i'en auray t'en aſſure la
gloire .
Pour toy plus que pour moy fois ialoux
de tes droits ,
Aux coeurs indifferens fais réverer tes
Loix ,
Et foûmettant l'orgueil d'une Beauté
rebelle ,
Fay luy sentirpour moy ce que je sens
pour elle.
Pendant que je pouffois ces regrets
amoureux ,
L'Amour vint me promettre un destin
plusheureux.
•Toy qu'un zele fi fort attache à mon
fervice ,
Espere tous , dit-il , quand je te ſuis
propice :
Tu m'as fait une offrande à n'oublier
jamais.
Et mes gracespour toy préviendront tes
Soubaits.
Des Dieux pour les Mortel's la bonné
Sans mesure,
D'un peu d'encens brûlé les paye aves
usures
GALANT. 85
Mais en est-il aucun de ces Dieux bienfaifans
,
Qui puiſſe par ses dons égaler mes pre-
Sens?
Helene,de Paris fut le digne ſalaire
Désqu'on l'eut veu juger en faveur de
ma Mere.
Iulie, aux yeux de Rome , au milieu de
La Cour ,
D'Ovide ,par mes foins favoriſa l'amour.
Crois- tu que maintenant à tes veux
moins propice ,
Iemanque de puiſſance ,ou manque de
justice,
Moy qui ſans borne juste ,& puiſſant
en tous lieux ,
Aurang de mes Sujets compte mesme
les Dieux ?
Ainsi,que ta Philis s'arme d'indiference
,
Elle doit sa tendreſſe à ta perſeverance.
Ne crains rien , &fidelle aux yeux qui
t'ont charmé ,
Aime,le Dieu d'Amour t'affure d'estre
aimé. L
86 LE MERCVRE
Ah , Philis , vondrois-tu démentirfes
Oracles ,
Aux biens qu'il me promet oposer des
obstacles ?
Non,Sans doute, & ton coeur moins rebelle
àfes loix ,
Suivra l'avis d'un Dieu qui parle par
ma voix.
Si tu n'écoutes point fon fidelle Interprete,
Aumoins de ta raiſon entens la voix
Secrete ,
Quitefollicitant de te laiſſer charmer ,
Te dit tout bas qu'un coeur n'est fait
que pour aimer.
Aux douceurs de l'amourne fois donc
plus contraire ,
On ne peut en joüir qu'autant que l'on
Sçait plaire ,
Etle Soleil,d'ailleurs fi juſte dansfon
cours,
D'un plusrapide pas mesure nos beaux
jours.
La Nature ,que regle une haute Prudence
,
En joignant de ſi prés la mort à ta
naiſſance ,
GALANT. 87
Semble nous avertir qu'il nous faut
ménager
Iusqu'au moindre moment d'un temps ſe
paſſager.
Quelque courte en effet que paiſſe eſtre
lavie,
Elle pourroit fuffire à remplir nostre
envie ,
Sidonnant libre effor ànos jeunes defirs,
Désque l'onpeut les prendre on prenoit
les plaisirs.
Mais loin que la raison regte nos de
ſtinées ,
Nous perdons ſans aimer nos plus belles
années ,
Et lors que la vieilleffe efface nos
appas,
Nous cherchons les Amours & ne les
trouvonspas.
Ne croy point que des ans l'injurieux
• outrage
Epargnepar respect les lis de ton vi-
Sage.
Non, Philis , la beauté doit un jour te
quitter.
Avant qu'elle te quitte il en faut pro
fiver
88 LE MERCVRE
C'eſt aſſurément un fort
grand ſecret en toutes chofes,
que de ſçavoir profiter du
temps. Il eſt le maiſtre de tout,
& c'eſt luy qui a fait renouveller
depuis peu l'Alliance que le
Prince d'Orange avoit déja
avec la Maiſon Royale d'Angleterre
. La feu Princeſſe d'Orange
ſaMere, eftoit Soeur de Charles
II. qui regne à preſent , &
vous eſtes trop ſçavante dans
l'Hiſtoire pour ignorer que ce
jeune Prince qui vient d'époufer
la Princeſſe Marie Fille du
Duc d'Yorck , eſt de l'illustre &
ancienne Maiſon de Naſſau,qui
a eu l'avantage de donner un
Empereur. Les Princes de ce
nom n'ont pas eſté ſeulement
Comtes de l'Empire , ils y ont
tenu long - temps le premier
rang ,& cette Branche particuGALAN
T. 89
liere, a joint àune naiſſance qui
en voit peu au deſſus d'elle , un
merite ſi éclatant & une valeur
ſi extraordinaire , que fi Loürs
LE GRAND n'avoit fait la Guerre
&gouverné ſes Peuples d'une
maniere qui n'a point encor
eu d'exemple, les grands Hommes
dont le Prince d'Orange
defcend , pourroient ſervir de
modele à tous ceux qui cherchent
la Gloire par la Politique
& par les Armes. Quant à ce
qui le regarde , on peut dire
qu'il a toutes les qualitez qui
font à ſouhaiter dans une Perſonne
de fon rang. Il eſt brave
autant qu'un General d'Armée
le peut eſtre , & fon malheur
ne l'a point empeſché de
faire paroiſtre ſon couragedans
toutes les occaſions qu'il en a
pû rencontrer. Trouvez bon
9. LE MERCVRE
que je m'explique. Je n'appelle
point malheur le mauvais fuccez
d'une entrepriſe , qui ſelon
les évenemens ordinaires , n'en
doit point avoir un heureux.
Auſſi n'est - ce point ce genre
de malheur que le Prince d'Orange
a éprouvé. Il n'a rien
entrepris que ſur des apparences
favorables , & ayant autant
de valeur qu'il en a, il auroit
infailliblement réüſſy en d'autres
temps , & contre de plus
foibles Ennemis. Le péril ne
l'étonne point. Il s'expoſe , ſe
trouve par tout , & ne fait pas
moins l'office de Soldat que de
Capitaine ; mais il eſt malheureux
d'eſtre né dans le Siecle
de Loürs XIV. & d'avoir en
teſte un Conquérant à qui rien
n'eſt capable de reſiſter. C'eſt
ce qui redouble la gloire du
GALANT.
91
Roy , & les loüanges qu'on doit
aux Miniſtres & aux Generaux
qui agiffent& combattent fous
ſes ordres. Nous gagnons des
Batailles & prenons des Places
en peu de temps, mais ce n'eſt
point ſans obſtacle. On nous
oppoſe de grandes forces , on
ſe bat , on vient au ſecours ; &
fi la Victoire nous demeure , le
Prince d'Orange emporte toûjours
l'honneur d'avoir beaucoup
entrepris . La jeune Prin
ceſſe qu'il a épousée eſt grande
& bien- faite , mais je ne
fuis point encor affez inſtruit
de ſon merite pour vous en
parler. Il eſt difficile qu'elle
n'en ait beaucoup, eftant Fille
d'un Prince qui peut regarder
ſa naiſſance , toute Royale qu'- .
elle eft , pour le moindre de ſes
avantages. Il eſt brave , gene-
1
92 LE MERCVRE
reux , fort aimé dans l'Angleterre
, & on ne le peut eſtre de
tout un grand Peuple, qu'on ne
s'en ſoit montré digne par les
plus éminentes qualitez.
Le Mariage qui eſt le plus
fort lien de la Societé civile ,
auroit de grandes douceurs fi
elles n'eſtoient pas le plus fouvent
troublées par la mort.C'eſt
une cruelle peine à éprouver,
&Madame du Vauroüy , Soeur
de M de Ribere , qui a eſté
dépuis peu Lieutenant Civil,
nous le fait connoître. Elle a
pleuré ſi ameremét depuis quelques
mois la perte d'un Mary à
qui elle avoit donné toute ſa
tendreſſe,qu'elle eſt enfin morte
elle-meſme apres des ſouffrances
extraordinaires.
eſtoit belle , jeune , ſpirituelle
& digne de vivre plus longtemps
qu'elle n'a fait.
Elle
GALANT.
93
M Muſnier de Mouligneuf,
Conſeiller au Parlement , eſt
mort auſſi . Ils eſtoient trois
Freres Conſeillers , dont il y en
a un à la Grand Chambre.
On meurt par tout , & hors
la guerre auſſi - bien que dans
les occafions de peril. M. d'Audijaux
avoit levé un Regiment
de Dragons pour le ſervice du
Roy à Meſſine. C'eſtoit- là , les
armes à la main , que vray- femblablement
il devoit perir , &
cependant il y eſt mort de maladie.
Il avoit du coeur , & on
n'a guere veu d'Homme plus
entreprenant.
Cette indiſpenſable neceſſité
de mourir doit avoir quelque
choſe de bien rigoureux , puis
que les Fleurs qui ne meurent
que pour renaiſtre , ne font pas
fatisfaites de leur deſtin . La ré
94 LE MERCVRE
ponſe qu'elles font à l'Illuſtre
&belle Madame Des- Houlieres
qui les avoit conſolées làdeſſus
avec tant d'eſprit , en eſt
une preuve. Celuy qui les fait
parler eſt d'Aix en Provence, &
je croy que ce qu'elles ont à
dire ne vous déplaira pas à
écouter.
REPONSE
DES FLEURS ,
A MADAME
DES-HOULIERES.
SinouriaidonneSome
Inous naiſſons ſouvent , c'est pour
Et pour mourir d'abord.
Un matin paſſager nom voit changerde
fort,
.
:
GALANT. 95
Plaignez , Amarillis , nostre malheur
extréme.
En est-il un plus grand pour de jeunes
appas,
Que d'eſtre le butin d'un ſi ſoudain
trépas?
La Loy de mourir toſt est une Loy trop
dure,
Où nous affuiettit l'inégale Nature.
On fait plus de pitié qu'on nefait de
jaloux ,
Quandon dureauſſi peu que nous.
Ilfaut que nous mourions à la fleurde
noftre âge
En attendant le retour du Printems.
Onse conſolepeu d'un futur avantage,
Quand on peut se paſſer d'attendre un
autre temps.
Que nous fert-il que le Zephire
Si délicatement aupres de nous souûpire,
Qu'il soit infinuant , que son espritſoit
doux ,
Sidans le tems qu'il nous careſſe,
Et nousmarque de la tendreſſe,
La mort vient , & finit tout commerce
entre nous ?
96 LE MERCVRE
Vous dites cependant ; Jonquilles ,Tubéreuſes,
Vous vivez peu de jours , mais vous
vivez heureuſes ,
Quand on a de beaux jours,
Il n'est pas bon qu'ilssoient fi courts.
Nulle de nous pourtant ne conferve
-l'envie
De ſe voirprolonger la vie,
Quand il s'en faut priver pour parer
vos Moutons
De Guirlandes & de Festons.
Sans peine &fans regret chacunealors
Sedonne
Avec ses plus vives couleurs.
Pourqui peut en mourant leur ſervir de
Couronne ,
Mourir bientoft n'est pas le plus grand
desmalheurs.
Voyez , Madame, comme je
me laiſſe inſenſiblement emporter
à l'enchaînement de la
matiere. Je vous devois faire
part dés le Mois paffé des Ceremonies
qui s'obſervent à l'ouverture
GALANT.
97
verture du Parlement. Le nou -
veau fuccés des armes du Roy
en Allemagne dont j'ay eu à
vous écrire , me les ayant fait
remettre juſqu'à celuy - cy , cet
Article ſembloit devoir eſtre un
des premiers de ma Lettre , &
je ne vous en ay pas encore
dit la moindre choſe. On ſçait
que la couſtume eſt tous les *
1896
*
ans de faire des Harangues à
cette Ouverture. Ceux qui n'y
vont point n'en ſçavent rien
davantage , & peut-eſtre même
que la plupart de ceux qui y
vont n'en reviennent gueres
plus ſçavans. Voicy par ordre
tout ce qui s'y paffe.
Le lendemain de la Saint
Martin , le Parlement en Corps
& en Robes rouges entend la
Meſſe dans la GrandSalle du
Palais. C'eſt toûjours un Evê-
Tome X. E
98 LE MERCVRE
que qui la dit. Elle a eſté ce--
lebrée cette année par celuy de
S. Omer. Le Parlement rentre
apres l'avoir entenduë , & remercie
l'Eveſque , qui luy témoigne
de fon,coſte tenir à
honneur d'avoir eſté choiſi
pour cette Ceremonie par un
fi Auguſte Corps. Les Avocats
&ales Procureurs preſtent le
Serment en ſuite ; apres quoy
Monfieur le Premier Preſident
traite une partie de la Compagnie
, & quelques - uns de
Meſſieurs des Enqueſtes. Les
Séances ne recommencent
que le Lundy de la huitaine
franche d'apres la S. Martin . -
Le meſme jour de cette Ouverture
, Meſſieurs de la Cour
des Aydes font des Harangues
entr'eux qu'on peut appeller
Mercuriales , puis qu'elles n'ont
EQUE DELA
GALANT. 99 A
Conſeil TO
THEOU
pour but que de faire voir en
quoy les Juges manquent , &
ce qu'ils doivent faire pour répondre
dignement aux obligations
de leurs Charges. Meffieurs
les Preſidens &
lers de cette Cour s'eſtant af
ſemblez cette année à leur or
dinaire,Monfieur le Camus qui
en eſt le Chefprit la parole ,&
apres s'eſtre long- temps étendu
ſur la difference qu'ily avoit de
l'integrité &de la pureté de vie
des Siecles paſſez , à la corruption
qui s'eſt gliſſée dans ce-
-Iuy-cy , & avoir montré par un
diſcours fort net & fort éloquent,
que nous eſtions treséloignez
de cette candeur qui
eſtoit inséparable de tout ce
qui ſe faiſoit dans ces temps
heureux, il fit voir les deſordres
qui naiſſent des Jugemens trop
*
E ij
100 LE MERCVRE
précipitez , & marqua fortement
que les Juges ne pouvoient
apporter trop de précaution
avant que de pronon--
cer ſur l'intereſt des Parties .
Voicy une comparaiſon dont il
ſe ſervit. Souvenez - vous , Ма-
dame , que tout ce que je vous
dis eſt fort imparfait, & que les
penſées que je vous explique
perdent beaucoup de leur grace,
dénüées des vives expreſſions
qui les mettoient dans leur
jour.
De meſme , dit - il , que les
Eaux qui fe répandent dansles
Campagnes par divers détours ,
y portent la fertilité & l'abondance
, ainſi quand lcs Magiſtrats
accompagnent leurs Iugemens
de toutes les reflexions
neceſſaires pour déveloper avec
ſoin les differens intereſts des
GALAN T. 101
Particuliers , leurs Arreſts ſe
trouvent ſoûtenus de cette
équité dont Dieu recommande
aux Hommes de ne s'éloigner
jamais. Au contraire lors que
cesEaux ſe débordent avecl'impétuoſité
d'un Torrent , elles
les gaſtent , elles y mettent la
ſterilité, ce qui eſt en quelque
façon l'image des Juges , qui ſe
laiſſant emporter au premier
feu de leur génie , & ne prenant
pour regle de leurs Décifions
que leur enteſtement , &
leur opiniâtreté , confondent le
bon droit avec le mauvais , &
font injuſtement des malheureux.
Le ſujet que M. du Boiſmenillet
, Avocat General de la
Cour des Aydes , prit pour fon
Diſcours , fut la connoiſſance
de la Verité . Il montra qu'elle
Eij
1102 LE MERCVRE
*étoit fi neceffaire aux Juges,que
fans elle ils ne pouvoient goûter
* de veritable plaifir dansle monde
, ny joüir d'une fortune affurée.
Il fit voir que ce que
l'Homme appelle Fortune, confiftoit
dans la ſeule elevation,
que nous cherchions cette éle-
* vation par tout , & que nous tâchions
de nous la procurer à
1 nous-mefme , en abaiffant ceux
en qui nous décotivtions plus
de merite qu'en notis , ce qui
eftoit caufe qu'il nous fachoit
naturellement d'entendre loüer,
-au lieu que la Satyre nons donnoit
toûjours de la joye , parce
qu'elle a l'adreſſe de changer
les vertus en defauts , & que
nous ne trouvons point d'abaifſement
pour les autres qui ne
nous ſemble une eſpece d'élevation
pour nous ; mais qu'en
GALAN T.
103
fin cette Fortune eſtoit injuſte
fans la connoiſſance de la Verité.
Il adjoûta que la Fortune
& les Plaiſirs eſtoient les deux
principaux motifs qui nous fai-
*foient agir dans la vie , que c'étoit
ſur eux que tous les autres
rouloient , & que nous eſtions
*obligez de prendre party. Ce
raiſonnement fut ſuivy d'un
grand Eloge de Monfieur le
Chancelier , qui attira un ap-
- plaudiſſement general.
Le Lundy que le Parlement
recommence ſes Séances ,qui eſt
le jour où les Audiances font
ouvertes , & qu'on appelle lour
- des Harangues , M. le Premier
Prefident parle aux Avocats , &
apres leur avoir fait connoiſtre
leur devoir il finit en adreſſant
la parole aux Procureurs . C'eſt
ce qui s'eſt toûjours pratiqué ,
Eij
104 LE MERCVRE
& ce qui ſe pratiqua encor la
derniere fois . Monfieur de Lamoignon
, avec cette gravité de
Magiſtrat fi digne de celuy qui
tient le premier rang dans ce
grand Corps , dit d'abord que
c'eſtoit pour la vingtième fois
qu'il voyoit renouveller l'ancienne
Ceremonie depuis que
la Iuftice s'expliquoit par ſa
bouche ſur toutes les obligations
que les Avocats avoient
contractées avec elle par le
Serment de fidelité qu'ils luy
avoient folemnellement juré;
que dans cette longue révolution
d'années qui avoit paſſé
comme un fonge , il avoit veu
changer preſque tout le Barreau
, & qu'à peine y reftoit- il
encor quelques - uns de ceux
qui estoient alors dans une ſi
haute reputation , & que l'age
GALANT.
105
ou l'infirmité avoient contraints
d'abandonner un employ fi
labourieux. Il exagera fort le
merite de ces Avocats celebres,
& dit qu'il ſembloit qu'ils n'eufſent
pas eu plus de durée que
cos Etoilles élementaires qu'on
voit ſe détacher du Ciel dans
un temps calme , qui marquent
par une trace de lumiere leur
chute précipitée & qui ſe perdent
pour jamais dansl'obſcurité
de la nuit. Il les compara en
fuite à des Torches ardentes
qui jettent une fort grande
lueur , qu'on ne voit paroiſtre
que pour la voir s'évanoüir dans
lemeſme temps. Il adjoûta que
leur memoire vivroit toûjours
dans le Parlement , où l'idée en
eſtoit fi forte , & le ſouvenir fi
agreable, qu'il eſtoit comme impoſſible
de ne pas croire qu'ils
Ev
1106 LE MERCVRE
fuffent encor prefens , & qu'on
*entendiſt leur voix parmy cette
multitude d'Avocats qui venoient
en foule pour écouter. Il
*les exhorta tous à ſe rendre infatigables
dans leur employ
comme avoient fait ceux dont
il leur parloit , & leur fit voir
qu'ils estoient d'autant plus obligez
de s'en acquiter dignement,
que noftre grand Monarque, au
*milieu des foins qui demandoiet
totute ſon application pour ce
qui regardoit la Guerre , ne
* perdoir jamais celuy de conferver
l'éclat de la Justice & de
*maintenir ſes intereſts , ce qu'il
avoit encor fait paroiſtre depuis
*peu de jours en luy donnant
pour Chefun grand Homme
-dont le choix avoit eſté prévenu
par les voeux de toute la France,
& fuivy de fes plus finceres acclamations.
GALANT. 107
M. l'Avocat General Lamoignon
ſon Fils parla apres
luy , M. Talon eftant tout couvert
de la gloire que ces fortes
de Harangues font acquerir.
Son Exorde fut que ſi les Difcours
que la couſtume veut
qu'on faſſe en de pareils temps
n'eſtoient confiderez que comme
des Effais d'Eloquence ſemblables
à ces Concerts de Muſique
qui flatent l'oreille ſans penetrer
le coeur , ce feroit un
abus de porter la parole dans
un ſi Auguſte Parlement pour
maintenir les intereſts de la Juſtice,
en repreſentant aux Avo--
cats à quoy les oblige le Serment
qu'ils renouvellent tous
Ies ans. Il pourſuivit en faiſant
connoiſtre que la perfection de
ce Serment confiftoit dans la
-verité ,la juſtice & le jugement ;
Evj
108 LE MERCVRE
Que fans ces trois conditions
tous les Sermens estoient des
Parjures, & les Parjures, la fourcede
tous les malheurs; Qu'ainfi
les Payens avoient dévoie à la
colere du Ciel , & à l'execration
de la Terre , ceux qui ſe trouvoient
coupables des deux
plus grands crimes qu'on puiſſe
commettre dans le monde , l'un
d'avoir mépriſé la Divinité qui
préſide aux Sermens , & l'autre
d'avoir violé la Verité , ſans la.-
quelle les plus ſages Legiſlateurs
marquoient qu'il n'y avoit point
deReligion parmy les Hommes,
ny de fidelité parmy les Dieux.
Il finit par une peinture de
l'honneſte Homme qu'il exhorta
les Avocats de ſe propofer
pour modelle , afin que s'appliquant
avec plus d'ardeur à
rendre juſtice qu'à chercher les
GALAN T. 109
occafions de s'enrichir , ils euffent
un zele parfait à défendre
la verité .
Le Mercredy ſuivant on tient
la Mercuriale. M le Premier
Preſident parle à Meſſieurs les
Gens du Roy , qui luy ayant
adreſſé la parole enſuite , continuent
en l'adreſſant aux Juges
en general . M. de Lamoignon,
Chefde ce grand Corps,tourna
fon Diſcours la derniere fois fur
la Verité. Il dit que les Juges
eſtoient dans une obligation indiſpenſable
de la chercher ſans
ſe mettre en peine de la calomnie
, ny de ce qu'on pourroit
dire contre eux quand ils feroiet
leur devoir ; Qu'ils étoient
dans un rang élevé , mais expoſe
à tout,Qu'en cherchant cette
Verité , ils devoient craindre
qu'on ne les perfuadat trop ai
TIO LE MERCVRE
fément ; Que chacun croyant
avoir droit , croyoit en mêmetemps
que la Verité eſtoit pour
luy , & que cependant elle ne
pouvoit eftre que d'un coſté ;
Que pour la bien découvrir au
travers des voiles qui l'envelopent
, ils devoient tout entendre
, ne rebuter perſonne ,& fi
cela ſe peut dire , écouter jufqu'à
l'injuſtice meſme, pour n'avoir
aucune negligence à ſe reprocher
; Que tout leur devant
eſtre ſuſpects , ils le devoient
eſtre à eux-meſmes ; que les
Amis ſe laiſſant aveugler par
leurs Amis, tâchoient à perfuader
des injuftices aux Iuges ,
dans la penſée qu'ils ne leur de-
-< mandoient rien que de juſte, &
qu'ainſi ils avoient ſujet de fe
défier de tout , & particulierement
d'un Sexe qui ayant des
GALANT. III
privileges particuliers , vouloit
toûjours eftre crû , & ne prioit
jamais qu'avec quelque forte
d'autorité. Il finit par quantité
de belles choses qu'il dit ſur la
grandeur du Roy , & fur la fidelité
que les Juges doivent à leur
confcience , à ſa Majesté , & à
leur miniſtere.
Monfieur de Harlay Procureur
General parla en ſuite. II
dit que le repos faiſoit fubfifter
toute la Nature ; Que Dieu même
en avoit étably un jour dans
chaque Semaine ; que les Corps
apres avoir travaillé tout le jour,
eſtoient obligez de ſe délaſſer
*la nuit pour reprendre de nouvelles
forces , & qu'ainſi on
avoit ordonné les Vacations afin
que l'Eſprit ſe repoſaſt des fatigues
de l'année , & puſt s'appliquer
aux Affaires avec une
112 LE MERCVRE
nouvelle vigueur ; mais qu'au
lieu d'employer ce relâchement
à l'uſage auquel on l'a deſtiné,
beaucoup de Juges rentroient
auffi crus qu'auparavant , il explique
ce terme,adjoûtant qu'ils
n'avoient point aſſez digeré les
preſſans devoirs qui leur font
impoſez par leurs Charges , &
qu'ils ne s'eſtoint pointmis dans
l'eſtat où il faut eſtre pour s'en
acquiter ; Qu'il les conjuroit de
mieux profiter du temps,& que
ce fuſt pour la derniere fois ,
s'ils remarquoient qu'ils en
euſſent jamais abuſé .Apres cela
il entra dans le détail de ce que
doit ſçavoir un Juge , & ayant
parlé des Ordonnances , du
Droit Ciuil , & de quelques
autres dont la connoiſſance luy
eſtoit abfolument neceſſaire , il
tomba fur la foibleſſe des HomGALANT.
113
mes ſi ſujets à ſe tromper euxmeſmes
, ou à ſe laiſſer tromper.
Il leur fit connoiſtre que la prévention
eſtoit la choſe du monde
la plus dangereuſe , puis que
l'Innocence en pouvoit ſuffrir ;
&leur ayant marqué ce defaut
comme un des plus grands &
des plus préjudiciables qu'ils
puſſent avoit , il les exhorta à
fonger ſerieuſement à s'en defendre
, & à ne donner jamais
de Jugement fans avoir examiné
juſqu'aux moindres circonſtancesdes
Affaires ſur leſquelles ils
avoient à prononcer.
Je vous ay déja priće ,Madame
, de ne regarder ce que j'avois
à vous dire ſur cette matiere
, que comme une ébauche
qui a efté faite confufément fur
des Portraits achevez. Ce ſont
moins en effet les penſeées de
114 LE MERCVRE
ces grands Hommes , que quelque
choſe de leurs penſées . Ils
leur ont donné un tour qu'il ne
m'eſt pas poſſible de trouver ,
*& j'en laiſſe beaucoup que la
memoire de ceux qui les ont
Sentenduës avec admiration ne
m'a pû fournir.
3
Ce qui m'en cauſe tous les
jours ,& qui en cauſe ſans doute
à toute l'Europe, c'eſt de voir
qu'en quelque lieu que ce puiffe
eftre , & pour quelque occafion
que ce foit , les Armes du Roy
*portent la terreur où elles paroiffent.
Voyez ce qui eſt arrivé
, quand Sa Majesté ſollicitée
" par les Mécontens de Hongrie
de les ſecourirdans lear oppreffion,
refolut enfin de les aſſiſter.
Elle fit donner ſes ordres àM
*de Boham par M' le Marquis de
Bethune ſon Ambaſfadeur ExGALANT.
115
2
traordinaire en Pologne , & on
y trouva des François tous preft
àmarcher. Il n'eſt pas ſurprenantqu'ily
en euft. Ils courent
• par tout apres la Gloire ,& dés
que la paix eſt en France , ils
" vontchercher à ſe ſignaler chez
-tous les Princes Chreftiens qu*-
Kils ſcavent en Guerre. Mr de
Boham qui en avoit appris le
-meſtier parmy les Braves de ces
deux Belliqueuſes Nations , af-
-ſembla des Troupes en peu de
temps.Il le fit avec d'autant plus
de facilité , que les Polonois qui
ne reſpirent que les armes , ne
prennent ſouvent aucun autre
aveu que celuy de leur courage
pour s'engager. L'ardeur de la
gloire , & l'activité qui eft ordinaire
aux François , luy furent
d'ailleurs un grand avantage
pour luy faire amaffer prompte
116 LE MERCVRE
ment quatre mille huit cens
Hommes effectifs avec leſquels
il alla au ſecours de Mécontans.
Remarquez , Madame , que je
ne vous ay rien dit d'abord que
de veritable Les ſuccés avoient
efté balancez depuis pluſieurs
années en Hongrie, Nos François
y arrivent. Ils n'ont encor
joint que peu de Hongrois , &
ils gagnent une celebreVictoire.
Il eſt vray que les Polonois qu'ils
commandoient y ont eu part,
ayant montré das cette fameuſe
Iournée la meſme valeur qu'ils
avoient fait paroiſtre tant de
fois ſous le Grand Mareſchal
Sobieski , que ſon merite extradrdinaire
a misdans le Trône,&
qui eſtant devenu leur Roy , ne
les a pas moins accouſtumez à
vaincre qu'auparavant. Plus de
mille morts fontdemeurez ſur la
GALANT.
117
place, ſans compter ceux qui ſe
ſont noyez. Joignez à cela plus
de huit cens Priſonniers , avec
toutes les dépdüilles , & vous avoüerez
que cet avantage peut
paſſer pour une pleine Victoire.
M.deBoham a fait voir das cette
occafion toute la prudence &
toute la conduite d'un grad Chef
avec la fermeté d'un Soldat. M.
le Chevalier d'Alembon porta
ſes ordres par tout,& paya deſa
perſonne d'une maniere qui fit
connoiſtre que le peril ne l'étonnoit
pas. Ilneſe peut rien adjoûter
aux marquesde courage que
donna M. de Sorbual qu'on vit
toûjours à la teſte des Troupes
Hondroiſes. M. le Marquis de
Guenegaud nequitta point celle
de laCavalerie.Il arreſta les Ennemis
qui voulurent forcer le
Poſte qu'il gardoit,& les empef
118 LE MERCVRE
cha meſme de paſſer. Il eſt Fils
de M. de Guenegaud qui a eſté
Treſorier de l'Epargne. M. de
Chanleu commandant l'Infanterie,
donna l'exemple à ſon Regiment,
& alla Pique baiſſée aux
Ennemis.M.de Valcour premier
Capitaine du Regiment de Boham
ne ſe fit pas moins remarquer.
Je ne vous nomme point
les Polonois,Hongrois & Tartares
qui ſe ſignalerent , il y en eut
beaucoup , & vous n'aurez pas
de peine à le croire , puis qu'ils
combatoient avec des François,
& qu'il eſt impoffible qu'en leurs
voyant faire des choſes ſurprenantes,
on ne tâche de les imiter.
Leur entrée enHongrie n'a pas
eſté ſeulement ſuivie de la Vitoire,
elle a obligé deux grades
Comtez qui ſoufroient fans ofer
ſedeclarer à ſe ranger du party .
:
GALANT.
119
des Mécontens , dont enfin le
Manifeſte a paru touchant les
juſtes raiſons qui leur ont fait
implorer l'aſſiſtace du RoyTres-
Chreftien.Depuis tout ce queje
viens de vous marquer,ces Peuples
oppreſſez ont encor remporté
des avantages confiderables.
Il n'y a pas lieu d'en eſtre
furpris , puis que la France s'en
meſle. Voyez, Madame, ce que
fait le Nom du Roy.Il ſe declare,
& la Victoire devient infaillible,
mais ſi ces Armes ſe font redouter
par tout, ſes Triomphes font
en meſme temps l'inépuiſable
matiere des Eloges de tout le
monde , & ceux que l'embarras
des Affaires du Public oblige à
rompre commerce avec les Muſes,
cherchent à le renoüer pour
ne demeurer pas muets quand il -
s'agit de la gloire de ce grand
120 LE MERCVRE
Monarque. Vous n'en douterez
point quand vous aurez leu ce
Sonnet de M.de Brion Conſeiller
au Parlement.
Sonnet pour le Roy.
Destins, veillez toûjours pour conſerver
ceRoy ,
Devosſoins affidus le plus parfait onvrage.
Ne l'abandonnez point , lorſque ſon
grand courage
Luyfait porter par tout la terreur
l'effroy.
Quoy qu'il traiſne toûjours la Victoire
apresfoy,
Comme il court ſans rien craindre ou la
gloire l'engage,
Dans les divers perils que fon grand
coeur partage ,
Du ſoinde le garder faites-nous une
Loy.
Vous
GALANT. 121
Vous avez employéplus de cing mille
années
Aformer de Loüis les nobles deſtinées
;
Vostre plus grand effort nous paroist aujourd'huy.
Ne livrez donc jamais à la fureur des
Parques
Ce Roy victorieux , la gloire des Monarques
,
Vous ne sçauriez donner un plus grand
Royque luy.
- Cette verité eſt ſi conſtante,
que le plaiſir d'admirer ſes grandes
Actions adoucit les maux de
ceux qui ſouffrent ; & cet autre
Sonnet de M² l'Abbé Flanc arreſté
dans la Conciergerie par
ſes malheurs , en eſt une mar...
que.
Tome X. F
122 LE MERCVRE
Au ROY, Sonnet. ***
Roy feul de tous les Roys digne d'eftre imité,
Ta grandeur m'ébloüit , OmaMuse
tremblante
S'égare&se confond de voir, lors qu'on
tevante ,
Ton meriteplus grand que tafelicité.
Tuportes tous les traits de la Divinité,
Au ſeul bruit de ton Nom l'Europe
s'épouvante د
Et les Faits inoüls de ta main fipuis-
Sante
Feront l'étonnement de la Pofterité. 7
Mais lors que'tu parois environné de
gloire ,
Qu'en tout temps tes Drapeaux devancent
la Victoire ,
Qu'un seul de tes deſſeins suspend tout
l'Univers ;
GALANT.
123
QuedufierEspagnol les Villesſont conquiſes,
Qu'à l'éclat de tes Lys les Aigles font
Soumiſes,
:
A t'admirer , Grand Roy , j'adoucis
tous mesfers.
LYON
*
1893
Ce ſentiment n'eſt pas ſeule
ment commun à tous les Fran .
çois. Le General Major Harang
qui fut pris à la Journée de
Corberg , n'a pû s'empeſcher
de trouver du bon-heur dans
une diſgrace qui luy a procuré
le plaifir de voir la plus belle
Cour de l'Europe , & le plus
grand Monarque du monde. Il
en a receu depuis peu une Epée
toute couverte de Diamans .
Entre autres choſes que l'excés
de ſa joye luy fir dire au Roy
pour le remercier d'une fi glorieuſe
marque de fon eſtime , il
Fij
124 LE MERCVRE
dit qu'il alloit ſubſtituer cette
Epée dans ſa Famille , afin que
ſes Deſcendans ne perdiſſentjamais
le ſouvenir de l'honneur
que luy avoit fait un ſi grand
Prince.
Sa Majeſté qui connoiſt parfaitement
le merite & qui ſe
plaiſt à récompenfer les ſervices
qu'on luy a rendus, a donné
la Lieutenance - Colonelle du
Regiment de Picardie à M. de
Villemander qui en eſtoit premier
Capitaine , & celle du Regiment
de Normandie à M. de
Guilerville qui eſtoit en la même
qualité à la teſte de ce
Corps.
Vous avez ſçeu , Madame ,
que M. l'Abbé de Grandmont
qui estoit Agent du Clergé ,
avoit eſté nommé par le Roy à
l'Eveſché de S.Papoul . Vous api
GALANT. 125
prendrez aujourd'huy qu'il fut
ſacré il y a quelques jours à
Pezenas par Monfieur le Cardinal
de Bonzi , Archeveſque de
Narbonne & Preſident des
Etats , aſſiſté de Meſſieurs les
Eveſques de Beziers & de
Montpellier. Les Etats s'y trouverent
en Corps. Monfieur le
Duc de Verneüil Gouverneur
de Languedoc,& M. Dagueſſeau
Intendant auſdits Etats , &
Commiſſaire du Roy , ne manquerent
pas auffi de s'y rendre ;
& comme une pareille Cerémonie
n'avoir eſté faite depuis
long-temps dans cette Province,
une infinité de Perſonnes des
Villes voiſines y fut attirée par
la curiofité . Monfieur le Cardi,
de Bonzi traita en ſuite magnifiquement
Monfieur le Duc de
Verneüil,avec les Commiffaires
F iij
116 LE MERCVRE
du Roy , & tous les Eveſques .
Celuy dont je vous parle eſt
Neveu de M. de Grandmont ,
qui estoit Agent perpétuel des
Etats de Languedoc , & qui fut
à feu M. le Duc d'Orleans . Son
merite l'avoit mis dans une fort
grande confideration . м.lе маг-
quis de Montanegre n'afſiſta
point à cette Cerémonie , parce
qu'il eſtoit party quelques jours
auparavant pour aller faire vérifier
au Parlement de Toulouſe
ſes Proviſions de Lieutenant de
Roy de la Province.On nedoute
point qu'elles n'y foient receuës
avec joye par la connoiffance
qu'on a de ſes ſervices, &
de la juftice qu'on luy a renduë.
Vous m'avez marqué que
vous l'eſtimez ; & comme je
fçay que vous ferez bien-aiſe
que je vous parle de luy toutes
of GALANT. 127
D
des fois que l'occafion s'en offrira
, j'auray ſoin de vous fatisfaire.
Cependant apres vous avoir
entretenuë de la grande Affemblée
qui s'eſt faite à Pezenas ,je
ne puis m'empefcher de vous
dire quelque choſe de celle qui
ſe fit icy dernierement au Collegedu
Pleſſis , où M. l'Abbé de
Boiſtel foûtint des Theſes de
Philoſophie dédiées à M. le marquis
de Louvois , qui honora
l'Acte deſa prefence. Un nombre
infiny de Gens de la premiere
qualitéy affiſta , quelques
Dames meſme s'y trouverent,&
la capacité du Soûtenant y parut
avec éclat. Il eſt Fils de M.
leBoiftel , fr connu par l'important
Employ qu'il exerce ſous
ce miniſtre,mais plus encor pour
eſtre un des plus obligeans &
Fiiij
128 LE MERCVRE
des plus honneſtes Hommes de
France . Je ſoay que la matiere
des Theſes eſt peu galante , &
que ce n'eſt pas un Article qui
doive eſtre employé ſouvent
dans mes Lettres ; mais quand
les choſes ordinaires , & dontje
n'ay pas accouſtumé de vous
parler , font accompagnées de
circonſtances extraordinaires ,
elles meritent bien que vous les
ſçachiez . Ce qu'il y eut de nouveau
das cet Acte ſouſtenu , c'eſt
qu'on donna en François à toutes
les Dames le Compliment
Latin qui eſt au defſousdu Portrait
de M. de Louvois , fans cela
elles auroient eſté privées du
plaifir que leur cauſal'Eloge de
ceGrand Miniſtre. Je vous ay
parlé de luy dans toutes mes
Lettres,quoy que je ne l'aye pas
toûjours nommé, il y'a fi peu de
GALANT . 129
perſonnes qui luy reſſemblent ,
qu'ils ne vous a pas dû eſtre
difficilede le reconnoiſtre.Apres
les glorieuſes veritez que je
vous en ay dites , il eſt bon que
vous les entendiez d'une autre
bouche , & que je vous explique
au moins en peu de mots
le fujet du Compliment de M
F'Abbé le Boiſtel. Il commence
par l'élevation de M. le Tellier
à la Charge de Chancelier de
France , qu'il regarde comme
une preuve éclatante que le
Roy a voulu donner à toute
l'Europe de l'amour qu'il a pour
ſes Peuples, il vient de la au merite
de M' le Marquis de Louvois
, que des travaux ſans relache
ont entierement devoüé à
la gloire de ſon Maiſtre. II dit
que jamais Prince n'ayant couru
à l'immortalité à fi grands
Fv
130 LE MERCVRE
pas , jamais Miniſtre n'avoit ſi
promptement applany les difficultez
qui auroient pû l'arrefter
; Qu'il venoit plûtoſt à bout
luy feul de fournir aux beſoins
de quatre Armées , que plufieurs
enſemble ne fourniſſoient
autrefois aux neceffitez d'une
feule ; que quelques deſſeins
qu'on eut formez , les choſes ſe
trouvoient toûjours executées
avant qu'on eut ſçeu qu'elles le
devoient entreprendre ; Que
par les foins qu'il prenoit à
maintenir la Diſcipline Militaire
dans toute ſon exactitude ,le
paffage des gens de guerre ne
Tembloit eſtre par tout que celuy
d'une Colonie d'Amis ; &
que le ſomptueux Baſtiment des
Invalides , rendroit un eternell
témoignage de ſa bonté pour les
Soldats auſquels il avoit procu
GALAN T.
131
ré un azile glorieux, pour le reſte
de leurs jours,quand l'âge ou
les bleſſeures les rendoient incapables
de continuer leurs fervices.
Ces penſées ſont beaucoup
mieux tournées dans une langue
à laquelle la force de l'expreffion
eſt particuliere. Vous y
fuppleerez, s'il vous plaiſt, Madame
, & pour marque de la reconnoiſſance
que j'en auray , je
vous envoye une ſeconde Let
tre de M. Petit, écrite comme la
premiere à M. le Duc de S. Aignan.
Vous aimez tout ce qui
regarde la gloire du Roy, & fon
ſtile qu'il appelle badin, nedeshonnore
peut- eftre pas la matiere
qui luy faitpeur. Lifez , je
vous prie , & m'en dites voſtre
penfte.
Risdo
F
第
هو
132 LE MERCVRE
De Ronen le 9. Decembre, 1677.
MONSEIGNEVR ,
Ce n'apas esté fans ſurpriſe que j'ay
veu dans le dernier Tome du Mercure
les vers badins qu'ilya deux ou trois
mois que je pris la liberté de vous envoyer.
Ce m'est , Monseigneur , une
marque bien glorieuse &bien obligeante
de l'honneur de voſtre ſouvenir; & comme
ce n'a pû estre que par vos ordres
qu'ils avent en place dans ce recueilde
-Pieces Galantes, je ne vous ſuispasmediocrement
obligé de la bonté que vous
avez de vouloir deterrer mon nomenfeveli
en Province depuis uneaffezlonque
fuitte d'années : Mais , Monfeigneur,
je suis si accoutumé àrecevo
de vous des graces que je ne me
point que
voir
merite
cetje
dois peum'étonner de
-sederniera,qui m'engage plus que jamais
àvous honnorer ,&àpousserjufqu'où
elle peut aller lapaffion toutepprlei
ne de respect avec laquelle je fuis
MONSEIGNEVR,
Voffre tres humble, tres obeiffant, & tresobligé
Serviteur , PETIT.
GALANT. 133
১
HerDuc, apres ce Compliment ,
Et GE cet humble Remerciment
Vn pen ſerieux pour ma Plume
Dont ( vous lesçavez ) la coûtume-
Eft d'écrire en style badin ,
Sansſe piquer de rien de fin ;
Trouvezbon qu'elle s'y remetta,
Et que ma Muse, humble Soubrette
De celledont les chants fi douxw1
Vousfont faire mille Laloux ,
Vous entretienne à l'ordinaire , ة
Songeant que je fuis vostre Frere
EnApollon, l'aymable Dieu , ..
Qui de cent plaisirs me tient liens T
Et certesj'auroispeine àdire ,
Si le feu badin qui m'inspire ,
Me touche onplus, ou moins au Coeur,
Que celuy du Dieu dont l'ardeur
Fait desesperer l'Idolatre 3615000
D'une Coquette acariatre ,
Qui rit destraits da Dieu Fripon;
Mais iln'en est plus,codition,
Les Coquettes font fort
Comme enbuitjours on prenddesVilles
(Secret denostre Mars François ,
PlusRoy luy feul que trente Rois)
dociles,
134 LE MERCVR E
Enhuit ioursfans autre remise ,
La plus fine Coquette est priſe.
Quoy qu'il enſoit, j'aime a rimer ,
Et ma Muſe ſçait s'animer ,
Quand à Vous s'addreſſe ſa rime ;
Mais,n'est- cepoint commettre un crime
Que de vous derober du temps
Aumilieu des plaisirs charmans
Dant laplus belle Cour du monde ,
Pour l'un & l'autre Sexe abonde ?
Danscette Cour où le Soleil
Brilleenſon ſuperbe appareil ,
Où des Beautez faites à plaire
Où des Heros hors du vulgaire
Forment un éclat qui surprend
Leſçayqu'ilfaut que tout foit grand.
Etd'une splendeurſans pareille.
Ainsidonc, ce n'est pas merveille
Sipar tout oùparoît Loün
On voit des brillans inovis
Vous tenez-bien là vostreplace ,
Et, fansquerienvous embaraſſes
Vostre plus ordinaire employ ,
Eft d'admirer noſtre Grand Rey
Dont le Bras,fecondant laTefto ,
Adjoûte Conqueſte à Conqueſte. )
Tout le monde en est étonné
SH
GALANT. 135
Désque son Canon a tonné ,
Les Villes en craignent la foudre ,
Et de peurqu'on les mette en poudrez
Surpriſes de fes grands Exploits ,
Viennentse rangerſousſes Lois.
Si l'on voyoit des Faits ſemblables ,
Dans l'Histoire; ceſont des Fables,
Et des Fictions , diroit- on :
Mais, certes,lepauvreLyon ,
Etl'Aigle, battus de l'orage,
Connoiſſent trop à leurdommage,
Queces Exploitspar tout vantez,
Sont de feures realitez .
NosMuses fort embarrassées
Vont au filence eſtre forcées ,
Ayant dit que ce nouveau Mars,
Paſſe de bien loin les Cefars,
LesAlexandres, les Achilles ,
Et les plus grandspreneurs de Villes,
Ellespenſent avoir tout dit ;
C'est jusqu'on va leur bel esprit.
Puisse trouvant loin de leur Compte,
Elles confeffent avec honte ,
Qu'elles n'en onpas dit affez,
Et que trop de Faits entaſſez
De leur éclat les ébloüiffent ,
Etfont que leurs rimestariffent.
136 LE MERCVRE
1
Mais,digne Duc,permettez-moy,
Dedire icy, que ce grand Roy
N'a rien qui luy foit comparable
Dans l'Histoire, ny dans la Fable.
Quelques-uns veulent qu'il foit né
Sous un Aftre bien fortuné ,
Etfous une Etoile inuincible;
Mais c'est à ce Heros terrible
Ofter de fa Gloire un Fleuron.
Son Aftre eſt, ſon coeur de Lion ;
Etfon Etoile,Sa Prüdence ,
Son grand sens &sa Vigilance.
C'eſt luy qui monte les refforts,
Quifont mouvoir tout ce grand Corps
DeCombatans,fous qui tout tremble
Et mesme dans le temps qu'ilſemble
Que ce Herosse divertit,
Sa Teste inceſſamment agit .
Ses Ordres ſi justes ſedonnent,
Que les Ennemis s'en eſtonnent ,
Et la mesme peur qu'il leur fait.
Quandil
Oula
estdans le Cabinet,
Gloire avec luy raisonne,
L
Quequandil commande en Perſonne..
Enfin, pourfinir ce Discours,
C'est le Miracle de nos jours.
Mais ma Muse est bien temeraire ,
GALANT. 137
;
i
Ne le trouvez-vous pas cher Frere ?
Toûjours en Apollon , s'entend ,
Car il est affez important ,
Pour le respect que je vousporte ,
D'adoucir l'endroit de la forte.
C'est trop que d'élevermes Vers
Anplus GRAND ROY de l'Univers ;
Maissi je manque de prudence ,
I'attens de vous quelque indulgence.
Sçachaut que de ce Demy-Dien
Lahaute Gloire vous tient lieu ,
D'unplaisirsi grand, qu'il furpaffe
Tous ceux de la premiere Claffe .
Et que lors que le juſte Encens
Qu'on doit àfesrares talens,
Fume pour ce Prince adorable ,
Rien ne vous estplus agreable.
Ah! que n'en ay-je du meilleur !
Etque je me plairois , Seigneur ,
Afaire te Panegiryque
De ceGrandRoy tout Heroïque !
Ie m'en trouve l'esprit fi plein .
Que j'ay laiſſé là le deſſein
Defaire une lettre badine ;
Mais, apres tout je m'imagine
Que vous me le pardonnerez ,
Et que mesme vousm'en louerez
:
Γ
138 LE MERCVRE
Quoy qu'il ſemble que ce ſtile
foit trop fimple pour eftre propre
aux grandes matieres, il ne
laiſſe pasd'avoir de la grace le
voudrois en avoir autant à vous
conter dans le mien,une Avanture
de Muſique qui a cauſe depuis
peu de grands embarras à
biendeGens. Un Homme confiderable
& par fon bien & par
l'employ qu'il a dans la Robe ,
eſtant demeuré veuf depuis
quelque temps , avec une Fille
unique , n'avoit point de plus
forte paffion que celle de lamarier.
La garde luy en ſembloit
dangereuſe , & il croyoit ne
pouvoir s'en défaire jamais afſez
toſt. Ce n'eſt pas qu'elle
n'euſt beaucoup de vertu , &
qu'ayant eſté toûjours élevée
dans une fort grande modeſtie,
elle ne fuft incapable de manGALANT.
139
(
quer à rien de ce qu'elle ſe devoit
àelle-meſme ; mais une Fille
qui a vingt ans , de l'efprit &
de la beauté , n'eſt point faite
pour eftre cachée, il y a des mefures
de bien-feance à garder, &
un Pere que les Affaires du Public
occupent continuellement,
ne sçauroit mieux faire que de
remettre en d'autres mains ce
qui court toûjours quelque péril
entre les ſiennes. Tant de
vertu qu'il vous plaira,une jeune
Perſonnea un coeur, ce coeur
peut eſtre ſenſible , & on a d'autant
plus à craindre qu'il ne le
devienne , que l'Eſprit ſe joignant
à la Beauté , attire toûjours
force Adorateurs. La Demoiſelle
dont je vous parle étoit
faite d'une maniere à n'en pas
manquer ſi les ſcrupules du Pere
n'y euſſent mis ordre. On la
:
140 LE MERCVRE
voyoit , on l'admiroit dans les
Lieux de devotion où il ne luy
pouvoit eftre defendu de ſe mõtrer
, mais elle ne recevoit chez
elleaucune Viſite, fi vous exceprez
celles de cinq ou fix Parentes
ou Voifinesqui luy tenoient
cõpagnie avec affez d'affiduité.
Celqu'elle regrettoit le plus des
divertiſfemens publics,dont elle
ne joüifſoit que par le rapport
d'autruy, c'eſtoit Opera. Elle a-
-voit la voix fort belle , ſçavoit
parfaitement la muſique,& n'ai-
-moit rien tantque d'entédre bié
chanter. Deux ou trois de ſesAmies
avoient le méme talent&
la méme inclination , & la plus
grande partie du temps qu'elles
ſe plaifoient à paffer enſemble,
eſtoit employé à de petits Concertsde
leur façon.L'une d'elles
avoit un Frere grand Muficien,
GALANT.
141
&c'eſtoit ſur ſes Leçons qu'elles
apprenoit aux autres ce qu'il
yavoit de plus agreable & de
plus touchant dans les Opéra.
La Belle brûloit d'envie de le
mettre de leurs Concerts,on luy
diſoit mille biés de luy,& il n'en
entendoit pas moins dire d'elle à
ſa Scoeur. Ainfi ils furent prevenus
d'eſtime l'un pour l'autre
avant qu'il leur fut permis deſe
connoiſtre, & la difficulté qu'ils
y trouverent leur en augmenta
le defir. On parla au Pere,qui ſe
montra plus traitable qu'on ne
l'eſperoit.Le pretexte de la mufique
fut le ſeul dont on ſe fervit
pour obtenir la permiſſion qu'on
luy demadoit.Il ne voulut point
envier à ſa Fille l'unique plaifir
qu'il ſçavoit eſtre capable de la
toucher ; & le Cavalier ne luy
paroiſſant point d'une Fortune
142 LE MERCVRE
à former des pretétions d'alliance,
il confentit à la priere que fa
Soeur luy avoit faite, de trouver
bon qu'elle l'amenaft.Ils ſe virét
donc, ils ſe parlerent,ils chanterent
, & fans s'eſtre apperceus
qu'ils euffent commencé à s'aymer,
ils ſentirent en peu de téps
qu'ils s'aymoient. Iln'y avoitrien
que de tendre dans les Airs que
le Cavalier venoit apprendre
à la Belle ; il les chantoit tendrement
, & à force de les luy
faire chanter de meſme , il mit
dans ſon ame des diſpoſitions
favorables à bien recevoir la
declaration qu'il ſe hazarda enfin
à luy faire. Ses regards avoient
parlé avant luy , & ils
avoient eſté entendus fans que
les Amies de la Belle en euffent
penetré le ſecret. Elles imputoient
au feul deſſein d'animer
GALANT. 143
les paroles qu'il chantoit , ce qui
eſtoit une explication paffionnée
des ſentimens de ſon coeur,
Il trouva enfin l'occaſion d'un
teſte- à- tefte. Il ne la laiſſa pas
échaper,& il employa des termes
ſi touchans , à faire connoî
tre toute la force de ſon amour
à la charmante Perſonne qui
le cauſoit , qu'elle ne pût ſe
défendre de luy dire qu'il re
marqueroit par la promptitude
de fon obeïſſance , l'eſtime particuliere
qu'elle avoit pour luy,
s'il pouvoit trouver moyen de
luy faire ordonner par fon Pere
de le regarder comme un Homme
qu'il luy vouloit donner
pour Mary. Que de joye pour
le Cavalier ! Il avoit des Alliances
fort confiderables , &
ménageoit une Perſonne d'autorité
pour l'engager à venir
144 LE MERCVRE
faire la propoſition pour luy ,
quand il apprend de la Belle
que ſon Pere la marioit à un
Gentilhome fort riche qu'il luy
avoit déja amené; que les Articles
eſtoient arreftez , & qu'il
s'en eſtoit expliqué avec elle
d'une maniere ſi impérieuſe ,
qu'elle ne voyoit pas de jour à
ſe pouvoir diſpenſer de luy
obeïr. Sa douleur eſt auſſi grande
que ſa ſurpriſe. Il la conjure
d'apporter à ſon malheur tous
les retardemens qu'elle pourroit
, tandis que de fon coſté il
mettroit tout en uſage pour
l'empeſeher. Les témoignages
qu'ils ſe donnent de leur déplaifir
font interrompus par l'arrivée
de l'Amant choify. Comme
il eſtoit naturellement jaloux il
obſerve le Cavalier , & trouve
dansſon chagrinje ne ſçayquoy
de
GALANT. 1451
de ſuſpect qui l'oblige à ſe faire
l'Eſpion de ſa Maiſtreſſe. Il la
fuit par tout , & fe rend chez
elle tous les jours de fi bonne .
heure , que le Cavalier aimé ne
peut plus trouver moyen de
l'entretenir.Il cache le deſeſpoir
où cet embarras le met , & la
Muſique eſtant le pretexte de
ſes vifites , il tâche d'éblouir ſon
Rival, en continuant à luy faire
chanter à elle & à ſes Amies,
tous les endroitsqu'elles ſçavent
des Opéra Quelques jours apres
ne pouvant venir à bout de
trouver un moment de teſte- àteſte
pour ſçavoir ſes ſentimens ,
il eſſaye un ſtratagême pareil à
celuy de l'Amant du Malade
Imaginaire. Il feint que le fameux
Lambert a fait un Air à
deux Parties que peu de Perſon-
G
י כִּ
146 LE MERCVRE.
nés ont encor veu , & parle fur
tout d'un Helas qui a quelque
choſe de fort touchant quand
la Baffe & le Deſſus ſont meflez
enſemble . L'Air &les Paroles
estoient de luy,& le tour ſe
rapportoit à l'eftat preſent de ſa
fortune. La Belle qui comme je
vous ay deja dit avoit une parfaite
connoiffance de la Mufique
, demande à voir cet Air fi
touchant , & s'offre en meſine
temps à le chanter avec luy. II.
eſtoit fait fur ces Paroles .
Ie vousd'aydit centfois, belle Iris , je
vous aime ;
Comme voftre beauté , mon amour est
extréme
1
Mais je crains un Rival charmé de vos
appast emp suis bi
Vous pâliffez, Iris ; l'aimeriez- vous?
GALANT.
147
LI
T
de
L'Amant Muficien avoit trouvé
des cheutes fi heureuſes dans la
répétition de cet Helas , que la
Belle qui avoit commencé à
chanter ſans s'appercevoir du
miſtere , comprit bientoſt à la
maniere tendre & languiſſante
dont il attachoit ſes regards ſur
elle,qu'il la conjuroit de luy apprendre
ce qu'elle luy permettoit
d'eſperer. La douleur
ſe voir contrainte de ſacrifier
fon amour àfon devoir ,la ſaiſit
tout-à-coup fi fortement,qu'elle
perd la voix , tombe évanoüye,
&luy fait connoiſtre par cet accident
que fon malheur ne luy
eſt pas moins ſenſible qu'àbuy.
C'eſt alors qu'il ne peut plus
garder de mefures. L'envie de
fecourir ſa belle Maiſtreſſe , le
fait agir en Amant paffionné. IF
Gij
148 LE MERCVRE
:
court , il va , revient , ſe met à
genoux devant elle , la prie de
l'entendre , & ſemble mourir de
T'apprehenfion qu'il a de ſa
mort. Son Rival qui ne peut plus
douter de fon amour , en eſt jaloux
dans l'excés , & le devient
encor davantage , quand la Belle
commençant à ouvrir les
yeux , prononce fon nom , &
demande triſtement s'il eſt party.
Il ſe plaint au Pere , en obtient
le banniſſement du Muficien,
le fait ſignifier à ſa Maiſtreffe
,& croit le triomphe afſurépour
luy ; mais le Pere employe
inutilement ſon autorité.
La Fille ſe révolte , prend pour
outrage les défiances de l'Amant
qu'elle veut qu'il épouſe,
& ſous pretexte de luy laiſſer
plus de temps à examiner ſa
GALANT
149
conduite , elle recule ſon Mariage
d'un mois entier , pendant lequel
elle veutqu'il la voye vivre
avec celuy qui luy fait ombrage,
afin qu'il ſe gueriſſe de ſes
injuftes ſoupçons , ou qu'il rompe
avec elle , s'il la croit incapable
de le rendre heureux.
-Ainſi les viſites continuent ; &
*comme les deux Amans ne
cherchent qu'à dégoûter l'Ennemy
de leur bonheur , ils ne
ménagent plus ſa jaloufie , &
ſe vangent de l'inquietude qu'il
leur donne par les méchantes
heures qu'ilsluy font paſſer. Le
hazard contribuë à leur en
fournir les occafions. Le Muſicien
qui venoit toûjours chanter
avec la Belle , luy avoit re--
cité des Vers aſſez agreables.
Elle en demande une copie.
Giij
SSO LE MERCVRE
L'Amour eft induſtrieux , il ſe
fait apporter de quoy écrire ,
change les Vers en bonne Profe
bien fignificative, luy explique
de la manieredu monde la plus
touchante ce que ſa paſſion luy
fait fouffrir , luy met ce qu'il a
écrit entre les mains ,& la conjure
de luy dire fans déguiſement
fi ce qui a eu quelquegracedans
ſa bouche , luy en paroift
conferver fur le papier.
Elle lit , foûrit , montre de la
joye , & ne peut affez exagerer
les nouvelles beautez que la
lecture luy a fait découvrir dans
cet ouvrage. L'Amant jaloux ,
qui estoit veritablement amou -
-reux & gardien perpetuel de fa
Maiſtreſſe , ne s'accommode
point de cette écriture. Il demande
à lire les Vers , on le re-
2
i
GALANT. 151
fuſe. Il y ſoupçonne du miftere,
&ce qui le convainc qu'il y en
a, c'eſt que ſon Rival s'eſtant
ſervy le lendemain du meſme
artifice , & n'ayant à donner
que la copie d'un Sonnet , il luy
voit écrire plus de vingt lignes,
& remarque qu'elles font toutes
continuées , au lieu que les
Vers ſont ou plus courts ou plus
longs ſelon le nombre des lettres
qui entrent dans les mots
qui les compoſent. Il acheve de
perdre patience en voyant
prendre la plume à ſa Maiſtrefſe.
Elle écrit un aſſez long Billet
, le cachete , le donne à fon
Rival , commedevant eſtre rendu
à quelqu'une de ſes Amies,
& le prie de luy en apporter la
réponſe le lendemain . Jugez de
la joyede l'un , & du deſeſpoir
152 LE MERCVRE
de l'autre. L'Amant aimé qui
ne doute pas que la Belle n'ait
répondu par ceBillet à fon Sonnet
metamorphofé , brûle d'impatience
de le lire. Il fort. Son
Rival fort dans le meſme temps,
le fuit , & l'ayant joint dans une
Ruë où il paſſoit fort peu de
monde , il luy demande fierement
à voir le Biller. Ces gages
de l'amour d'une Maiſtreſſe ne
s'abandonnent jamais qu'avec
la vie. Ils mettent l'Epée à la
main. La fureur qui anime le
Jaloux , ne luy permet point de
ſeménager. Il tombe d'une large
bleſſure qu'il reçoit. On la
tient mortelle , & cet accident
oblige ſon Rival à ſe cacher.
Voila , Madame , l'état où ſont
àpreſent les choſes. Le Pere fulmine
, la Fille proteſte qu'elle
GALANT.
153
ne forcera point ſon inclination
pour épouſer un Jaloux qui ne
peut que la rendre malheureu-
-ſe; & ce que je trouve de facheux
dans cette Avanture ,
c'eſt que je ne voy perſonne
qui ait lieu d'en eſtre content.
Nous en ſçaurons les ſuites avec le
temps,c'eſt un Avenir un peu plus obſcur
que mon Enigme du Mois paſſé.
Vos Amies qui croyent que ce ſoit les
Orgues , n'en ont pas découvert le vray
ſens, quoy que l'Explication que vous
m'en donnez pour elles ſoit toute pleine
d'eſprit. On m'en a envoyé une autre
de Roüen qui convient à tous les Articles
fur ce meſme mot.Un bel Eſprit de
Paris tes a expliquez ſur une Riviere
glacée;un autre de Noyon,ſur la Neige;&
il ne ſe peut rien de mieux tourné
qu'une Lettre que j'ay receuë de
Lyon des ſpirituelles Ecolieres d'Appollonius
, qui m'avoient déja fait la
grace de m'écrire ſur l'Enigme de la
lettre V, & qui veulent que le vaſte
.
G V
154 LE MERCVRE
1
Corps de celle- cy cache le Nuage qui
ayantplus deBras que le fabuleux Bria-
-rée, s'en ſert à couvrir pluſieurs Provinces.
Tous ces divers ſens y ſont appliqué
ſi juſte , qu'il ſemble que chacun
ait deviné. Je tenois le veritable afſſez
difficile à trouver , pour croire que
vous ne l'apprendriez que de moy , cependant
vous l'apprendrez de Mon-
Tieur le Duc de S.Aignan , qui connut
ce que je cachois , incontinent apres
que ma derniere Lettre eut paru. Ce
qu'il m'a fait l'honneur de m'en écrire
vous dévelopera les obſcuritez qui ont
embaraffé vos Amies.
GALANT. 155
033333333
LETTRE DE MONSIEVR
LE DUC DE S.AIGNAN.
A l'Autheur du Mercure.
Enesçay , Monsieur ,fi j'ay trouve
le veritable sens de vostre Enigme,
mais je nepuis eſtre le maistre d'un premier
mouvement qui me porte d'abord à
vous annoncer une Victoire que je ne
tiens pas encor trop aſſurée. S'il est vray
quej'aye effectivement deviné cetteEnigme
,je dois en estre plus fier que vous
ne pensez , car je crois avoir découvert
qu'elle est de vous , & par conséquent
qu'elle ne pouvoit estre que fort fubtile.
Enfin , Monsieur , c'est à mon sens non
Seulement l'Armée , mais celle des Confederez
,puiſque je trouve tant de choſes
qui conviennent à cela , qu'il nefe
peut pas davantage.
Ce Corps est composé de plusieurs
Princes inégaux en pouvoir. Avant que
Gvj
156 LE MERCVRE
1
les Troupes de chacun d'euxfuſſentjoin
tes , elles avoient esté levéesſeparément.
Il n'est animéquede ces meſimes Troupes
qui ne laiſſoient pas d'estre avant que
leur jonctionformaſt un Corps.
Il n'a point de Teste , c'est à dire
point de Chef entierement abſolu. Les
Bras font aifez à trouver dansle grand
nombre de Soldats qui font dans ces
Troupes ,& qui eſtant d'une naiſſance
fort éloignée de celle des Commandans,
font l'illustre &baffe Famille dont il eft
parlé.
Quelque grand que foit ce Corps , au
lien de se rendre formidable par le
nombre , il a fait voir quelquefois qu'il
n'estoit pas fans appréhenſion de nos
armes.
Lesnouveaux Membres qui luy viennent
, font les nouvelles Troupes des
Alliez , qu'onſepare bien souvent pour
les faire agir en divers lieux ; & l'heure
du repos estant venue , c'est àdire te
temps des Quartiers d'Hyver ,
Troupes font obligées quelquefois en les
cherchant d'en venir aux mains avec
ces
GALANT. 157
ceux de leur Party qui ne les veulent
pas recevoir ,parce qu'ellesfont maldifciplinées.
Ce grand Corps doit afſfurément ex.
pirer un jour , l'Alliance des Princes
qui le compoſent n'eſtant que pour un
temps;mais s'ils la renouveltent avant
qu'elle vienne à expirer tout- à-fait , ils
lefont revivre.
Quelques soins que prennent tant
d'Alliez pour maintenir cette Union,
ilsfe broüillent quelquefois , & blâment
la conduite les uns des autres ,comme
ont fait depuis pen deux des plus confiderables
d'entr'eux.
Enfin le grand éclat qui bleſſe ce
Corps, vient du Roy ,& ce vaillant
Monarque est le Soleil dont les brillans
rayons ſe dardant contre luy , le font
tantfouffrir.
f
:
Confeffex, Monsieur , que j'ay devine
, ou tout au moinsque vostre Enigme
a tant de raport avec ceſens , que
difficilement en pourroit- on trouver un
autre qui y convinst mieux. Mais fi ce
n'est pas une chose facile , c'en est une
138 LE MERCURE
impoſſible de trouver perſonne quiſoit
plus que moy voſtre ,&c..
Vous n'avez preſque reçeu
aucune Lettre de moy cette année
, qui ne vous ait parlé de
Monfieur de S. Aignan ; je vous
ay entretenuë de ſa valeur , de
ſa conduite , & de tout ce que
cet illuftre Duc a fait dans fon
Gouvernement. Je vous ay fait
-part de fa Profe & de ſes Vers.
Le feu de fon efprit vous a paru
dans ſes Inpromptu , mais je ne
vous avois point encor fait voir
combien il eſt penetrant. Vous
le pouvez connoiſtre par l'Explication
de cette Enigme. Depuis
que je l'ay reçeuë , lemefme
ſens a efté trouvé par un
tres- illuftre & fpirituel Abbé,
par M du Ry de Chamdoré qui
GALANT. 159
avoit deviné le Trictrac , par un
Inconnu de Roüen , par un autre
de Blois , & par un Homme
dequalité , d'eſprit&de merite,
qui a fait pluſieurs Campagnes.
Ce dernier m'en a envoyé l'Explication
en Vers , mais comme
elle eſt preſque la méme , article
par article , que celle que
vous venez de lire en Profe , je
Ia ſuprime pour éviter la répetition.
Il me reſte beaucoup d'Enigmes
qui auront leur tour. J'en
ay dont on ne m'a point dit le
mot , & ne le devinant pas , je
ne puis les mettre ſans ſçavoir
fi elles ſont juſtes. On m'en a
envoyé de tres-ſpirituelles ſur la
lettre Ls mais comme vous trouvez
que toutes les lettres de
-I'Alphabetne peuvent faire qu'-
160 LE MERCVRE
:
une ſeule Enigme , parce qu'elles
roulent toutes fur le mefme
tour, & que d'ailleurs on les devine
dés le ſecond Vers, je m'arreſteray
aujourd'huy à cellecy
, dont vous ferez part à vos
Amies .
ややややややややややややや
ENIGME.
E fuis aimé des uns,
Je barfeme
lesautres me
le fais &du bien &du mat ;
Et s'il en est àqui mon aſpectſoit fatal,
P'en ſçay qui de me voir toûjours se réjouiffent.
LesAvares les Ingrats
Avecque moy ne trouvent point leur
compte;
८
Ma prefence leur est uneſecrete honte,
Quand de ceque j'attens ils ne s'acquitentpas.
GALANT. 161
Avecplaisirsles Amansmereçoivent,
Il en est peu dont je nefois content,
Et qui pour m'honorer ne cherchent à
l'instant ,
Lors quej'arrive ,àfaire ce qu'ils doin
ventS
Si monregne est d'éclat , il est prompt
finir ,
Mon Cadet le termine, & mourantpour
renaiſtre ,
Apres que j'ay fçen disparoiſtre,
Lefuis longtemps ſans revenir
le fuis vieux, cependant mes heuresfont
bornées ,
Et qui prendra le ſoin d'en mesurer le
cours ,
11)
Trouvera que j'auray vefcu fortpeu de
iours ,
Quoy que ie fois chargéd'un grand nombre
d'années.
A
:
Comme les Enigmes m'ont attiré la
162 LE MERCVRE
Lettre des deux Coufines de Poitou
dont je vous parlay la derniere fois , je
n'en puis finir l'Article ſans m'acquiter
de la parole que je vous donnay de
vous faire le Portraitde ces aimables
Perſonnes . Elles ſont d'une Province
où je ſçay que vous avez de particulieres
habitudes. Voyez ſi ce que j'ay à
vous endire ſufira pour vous les rendre
connoiffables. Elles ne demeurent pas
loin des bords du Clin & de la Vienne,
&ſe voyent quelquefois ſur ceux d'une
plus petite Riviere qui devroit eſtre
fameuſe par leurs Avantures. Vn Cavalier
fort galant& encor plus brave,
y a ſouvent part. Ses belles qualitez le
rendent digne de leur eſtime. !! écrit
avec politeſſe en Vers & en Proſe , &
il y a quelques années qu'on promettoit
en Poitou un Roman de ſa façon.
L'aiſnée des deux Coufines eſt d'une
aſſez belle taille , qu'un peu d'embon-
-point ne ſçauroit gaſter. Sa Maiſon eſt
Illuftre , & fa Perſonne pleine
d'agrémens . Sa jeune Parente
eft une Demoiselle d'un beau
1
GALANT. 163
naturel & d'une tres- grande efperance.
Elle s'eſt liée d'amitié
avec elledes ſes plus tendres années.
Si toutes ces marques ne
vous les font point connoiſtre,
vous les chercherez parmy quatre
Nymphes qui ſe ſont baignées
dans la petite Riviere
dontje vous ay parlé , auſquelles
le Cavalier , qui eſt rarement
oublié dans leurs agreables
parties , donna en ſuite une
magnifique Collation qui parut
ſe trouver là par hazard
dans un Moulin voiſin , comque
les
me fi elle n'euft eſté
iReſtes d'une Nopce qu'on feignit
s'y eftre faite quelques
jours auparavant. Je croy que
-vous ne m'en demanderez pas
davantage pour ſçavoirbientoft
avec certitude qui elles font.
164 LE MERCVRE
Il y a plus de plaifir de s'informer
des Vivans , que d'entendre
de quel merite ont eſté
ceux que la mort nous fait regretter
. Cependant il n'y a pas
moyen de me taire ſur celuy de
M le Marquis de Rouville
Gouverneur d'Ardres , Lieutenant
General des Armées du
Roy , qui eſt mort dans ſon
Gouvernement. Le rang de
Lieutenant General ſuffit pour
faire connoiſtre dans quelle
confideration ſon courage & fa
valeur l'avoient mis , puis qu'on
n'y peut parvenir ſans avoir
paffé par tous les degrez qui
-peuvent acquerir de la gloire
dans les armes. M. le Marquis
de Rouville fon Fils , qui a épouſe
Mademoiselle de Bethune
, n'ignore rien de tout ce
GALAN T.
165
qu'unHommede ſa qualité doit
ſçavoir. Il poſſede les belles
Lettres , il a de l'eſprit ,&n'eſt
pas le ſeul de cette Famille qui
en ait . M. le Comte de Rouvillevous
eſt connu,&vous ſçavez
combien il eſt eſtimé de tout
ce qu'il y a d'honneſtes Gens
dans le Royaume. Cette Maifon'eſt
une des plus anciennesde
Normandie. Elle a porté le
Nom de Gougeüil avant celuy
de Rouville. Jean I. eſtoitChevalier
Sire de Rouville dés l'an
1319. & prit Femme dans la
Maiſon des Eſſards. Pierre de
Rouville fut Chambellan des
Rois Charles V. & Charles VI.
Il eſtoit Gouverneur du Pont de
l'Arche qu'il defendit contre les
Anglois , & fut tué à la Bataille
d'Afincour. Pierre II . de Rou-
4
166 LE MERCVRE
ville , épouſa la Fille de Robert
Admiral de France. Charles IX.
eut pour Chambellan un Guillaume
de Rouville ; & un Loüis
du meſme Nom fut Grand Veneur
de France , & Lieutenant
General au Gouvernement de
Normandie. Voyez , Madame,
combien de grands Hommes,
sãs vous parler de ceux de cette
Maiſon qui ont eſté Eveſques &
Ambaſſadeurs.
Cette Dignité d'Eveſque ,
quoy que tres- relevée, n'a point
de privilege contre la mort qui
nous a enlevé depuis peu celuy
d'Alet. Il eſtoit d'une tres-bonne
Famille de la Robe ,connuë
par beaucoup de merite &d'efprit,&
il fuffit de dire qu'il s'appelloitM.
Pavillon. Il fut choi-
Ty pour l'Epifcopat du temps du
1
L
4
GALANT.
167
T
Cardinalde Richelieu. Le peu
qu'il préſumoit de luy-meſme,
l'obligea à le refufer , comme
s'en connoiffant indigne ;
& ce grand Miniſtre vainquit
ſes longs refus , en luy diſant
que plus il parloit contre luy,
plus il parloit pour l'Eglife. II
accepta la conduite de ce Dioceſe,
ſe rendit à Alet ,& n'en eft
jamais revenu.
Les morts ſubites qui ſont ſi
fréquentes icy depuis quelque
temps , ont coufte un Fils à
M. Leſeau Conſeiller d'Etat , &
Doyen du Confeil. C'eſtoit un
tres-honneſte Homme , Chanoine
de N. Dame de Paris.
Vous ſçavez combien ce Corps
eft conſidérable,& qu'il eſt remply
de Perſonnes de merite &
de qualité , dont il y en a plu
I
168 LE MERCVRE
fieurs qui font Officiers des
Cours Souveraines . On y a veu
M de Ventadour & Monfieur
d'Aubigny , qui tenoit rang de
Prince , eſtant de la Maiſonde
Stuart.
Monfieur de Miramion eſt
mort preſque dans le meſme
temps. On l'appelloit Sevinde
Miramion . Il eſtoit de ces
Sevins qui font d'une des plus
anciennes & des meilleures
Maiſons de la Robe. La Charge
de Confeiller du Grand Conſeil
qu'il a exercée vingt-unan,
luy avoit acquis la réputation
d'un tres - bon & tres - juſte
Juge , & il n'eſtoit pas moins
aimé de ſa Compagnie , qu'-
eſtimé de tous ceux dont il
avoit cu les affaires entre les
mains.
Ces
GALANT. 169
Ces diverſes pertes ont eſté
ſenſibles à beaucoup de Familles
particulieres ; mais ce qui a
cauſé une deſolation generale,
ç'a eſté celle de Monfieur le
Premier Preſident de Paris . Il
avoit eſté reçen Conſeiller au
Parlement dés l'âge de dix - ſept
ans ; & lors qu'il fut Maiſtre des
Requeſtes , Sa Majesté l'envoya
pour Commiſſaire aux Etats de
Bretagne, où les Eſprits eſtoient
extrémement diviſez . Il trouva
des tempéramens ſi juſtes,qu'en
executant les Ordres du Roy ,
il contenta également le Gouverneur
de la Province , les
Etats , le Parlement , & le Peuple.
Il fut fait Premier Prefident
en 1658. & il a ſoûtenu la
dignité de cette Charge avec
un ſuccés fi extraordinaire ,
qu'il a laiſſé à la Poſterité un
Tome X. H
170 LE MERCVRE
exemple rare & preſque inimitable
de toutes les parties neceſſaires
aux grands Magiſtrats.
Il avoit une memoire tres- fidelle
, un jugement tres- folide , &
un difcernement tres-juſte. Il
poſſedoit les belles Lettres avec
une délicateſſe inconcevable.
La force de ſon raiſonnement
répondoit à la netteté qu'il avoit
à s'exprimer ; & fon éloquence
eſtoit telle , qu'on peut dire
qu'il ne le falloit pas entendre
quand on ne vouloit point
ſe laiſſer perfuader. Sa Porte
eſtoit ouverte aux plus beaux
Eſprits , & il ſe tenoit une efpece
d'Académie chez luy où
diférentes Queſtions eſtoient
agitées. Vous en pouvez connoiſtre
la matiere par le Livre
que le P. Rapin Jeſuiſte en a
fait. Monfieur le Premier PreGALANT...
171
fident y diſoit ſes ſentimens , &
ne donoint jamais que de fort
juſtes déciſions.Outre qu'il étoit
extrémement éclairé ſur tout
ce qui regarde la connoiſſance
des Loix , il avoit une facilité
merveilleuſe à concevoir d'abord
une Affaire ; mais quelques
grands que fuſſent ces
avantages de ſon Eſprit, ſa douceur
que rien n'a jamais alteré ,
ſa probité generalement reconnuë
, fa grande modération , ſa
modeſtie , ou s'il m'eſt permis
de le faire deſcendre juſque-là,
fon humilité ſi rare avec un fi
vraymerite,& fon integrité inébranlable
, eſtoient encor plus
dignes d'admiration. Jamais perſonne
ne s'eſt retiré mécontent
de luy , & jamais Plaideur
dans ſa paſſion n'a ofé l'accuſer
d'injustice. Il eſtoit plein de
Hij
172 LE MERCVRE
zele pour le ſervice de ſon Prince
& pour le bien de l'Etat , & la
vie Chreftienne & toute exemplaire
qu'il menoit , mettoit ſes
actions à couvert du moindre
reproche , & luy attiroit le refpect
de tous ceux qui avoient
l'avantage de l'approcher. II
eſt mort âgé de ſoixante ans &
deux mois quelques jours moins,
& a laiſſe deux Fils , dont l'un
eft Avocat General au Parlement,
& l'autre Maiſtre des Requeſtes.
Ils s'acquitent ſi dignement
l'un & l'autre de ces
grands Emplois , que le Public
a lieu de ne point douter qu'ils
ne cherchent à imiter parfaitement
un Pere qui estoit auſſi
juſte que capable , & auffi vertueux
que ſçavant. M. de Lamoignon
Pere de l'illuſtre Mort
dont je vous parle , eſtoit un
GALANT .
173
Homme d'une probité reconnuë
, qui ſçavoit beaucoup , &
que tout le mõde eſtimoit pour
ft pieté . Il avoit étudié à Bourges
ſous le celebre Cujas. Il ſe
fit recevoir Conſeiller au Parlement,&
eſtant devenu Doyen
de la Troiſième des Enqueftes,
il traita de la Charge de Prefident
de certe Chambre avec un
applaudiſſement general.Quelques
années apres il entra en la
Grand Chambre en qualité de
Conſeiller , & enfin le Roy récompenſa
ſes grands ſervices en
l'honorant de la Charge de Prefident
à Mortier , où il eſt mort
Doyen. Il tiroit ſon origine du
Païs Nivernois , d'une des plus
nobles & plus anciennes Familles
de cette Province , qui portoit
les Titres de Chevaliers ,
Damoiſeaux & Ecuyers , depuis
Hiij
174 LE MERCVRE
quatre cens ans . Le premier
dont on les a , prenoit celuy de
Chevalier dés le temps de Saint
Loüis , & on ſçait qu'il ne ſe
donnoit alors qu'à ceux qui êtoient
d'une tres - illustre Naiffance.
On trouve un Helin de
Lamoignon , Seigneur de Riviere
, parmy les Tenans d'un
Tournoy qui fut fait à Paris en
1549. ſous Henry II. Il y a eu
plufieurs grands Perſonnages
dans cette Maiſon. Charles de
Lamoignon , Chevalier , Seigneur
de Baville , Launay ,
Courſon , &c. rendit des fervices
fi conſidérables en fon
temps , que le Roy Charles IX.
luy fit l'honneur de le viſiter
ſouvent dans ſa maladie , & rémoigna
avoir perdu en fa Perſonne
un Serviteur auffi capable
des premieres Charges de
GALAN T. 175
l'Etat qu'il y en euſt dans le
Royaume . Il y feroit parvenu ,
fi la mort ne l'euſt emporté à
cinquante - cinq ans. Il avoit
pris Femme dans la Maiſon de
Besançon , qui est une des plus
anciennes & des mieux alliées
de France . La Mere de feu
M. le Premier Prefident eſtoit
de l'Illuſtre Famille des Landes .
La nobleſſe en eſt connuë. II
avoit époufé Magdelaine Potier
, Fille de Meffire Nicolas
Potier , Seigneur d'Ocquerre ,
Secretaire d'Etat , & Niece de
Meſſfire André Potier Seigneur
de Novion , Preſident au Parlement
de Paris , & de Meffire
Auguſtin Potier Eveſque &
Comte de Beauvais , Pair de
France .
Quoy que la mort ſoit une
Image funeſte , il faut vous la
Hij
176 LE MERCVRE
laiſſer encor un moment pour
vous apprendre que ces mêmes
morts ſubites qui nous ont ofté
M. Leſeau, nous ont fait perdre
auffi deux grands Hommes dans
ce meſme Mois. L'un eſt M. de
Sainte Beuve , & l'autre M.
Neuré. Le premier eftoit Docteur
& Profeſſeur de Sorbonne
, Homme d'une tres - pro
fonde érudition , aimé non ſeulement
de tous ceux qui le connoiſſoient
, mais encor de tous
ceux qui avoient entendu parler
de fon merite. Le Clergé
de France avoit une eſtime
toute particuliere pour luy , &
luy donnoit penſion. Il regloit
un nombre infiny de confciences
, & il euft eſté mal-aiſé de
trouver un plus habile Caſuiſte .
Quoy qu'il n'ait jamais voulu
permettre qu'on ait fait fon
GALANT.
177
Portrait pendant ſa vie , nous
ne laiſſons pas de l'avoir par le
talent merveilleux de M. Berthinet
, qui a eſté Payeur des
Rentes de l'Hoſtel de Ville de
Paris . Il a l'imagination fi vive,
que ſur le ſouvenir qu'il a confervé
de ſes traits , il en a fait la
Medaille en cire apres ſa mort,
avec l'admiration & l'étonnement
de tous ceux qui l'ont
connu . On dit qu'il en a fait
une de bronze du Roy , par
cette meſme force d'imagination
, dont Sa Majesté a eſté
tres - fatisfaite. Beaucoup de
Perſonnes de la premiere Qualité
qui ont veu cette Medaille,
en parlent comme d'une merveille
.
M. Neuré , que je vous ay
nommé avec M. de Sainte-
H
178 LE MERCVR E
Beuve , eftoit ce grand & fameux
Philofophe qui avoit eſté
à feu M. d'Angouleſme , à M.
de Longueville , & à M. le
Marquis de Vardes. Il ſçavoit
beaucoup , & meritoit la réputation
qu'il s'eſtoit acquiſe.
Comme vous m'avez ordonné
de vous parler de tous ceux qui
ont quelque talent extraordinaire
, je me crois obligé de
vous dire que nous avons auſſi
perdu M. Michel , qui touchoit
les Orgues à S. Leu. C'eſtoit
un charme que de l'entendre ,
& on y venoit en foule de toutes
parts.
Le Monde ſe renouvelle infenfiblement
, & c'eſt un changement
imperceptible qui arrive
tous les jours par de nouveaux
établiſſemens de Famil..
les que le Mariage fait fucce
GALANT.
179
der d'un coſté à celles qui ont
finy de l'autre par la mort.
M. le Marquis de S. Germain-
Beaupré , de la Maiſon de Foucaut
, reçeu en ſurvivance du
Gouvernement de la Marche,
en a fait un dépuis peu fort
confiderable , en épouſant Mademoiſelle
de Janvry. Elle eſt
d'une tres-bonne Famille de la
Robe , & n'avoit pas beſoin
d'eſtre auſſi riche qu'elle eſt
pour mériter le choix d'un fort
honneſte Homme , ayant beaucoup
de bonnes qualitez qui la
rendent recommandable. Il ne
faut que la voir pour connoître
qu'elle ne manque pas de
beauté.
Mademoiſelle Roullié , Fille
de M Roullié Maiſtre des Requeſtes
, Homme d'un grand
merite , & fort eſtimé dans le
Hvj
180. LE MERCVRE
Conſeil , s'eſt mariée dans le
mefine temps , & a porté plus
de cent mille écus à Mr le Marquis
de Bonnelle qu'elle a époufé
. Il eſt Fils du Marquis de ce
mefme nom , qui avoit époufé
Mademoiselle de Touffy Soeur
de Madame la Marefchale de la
Mothe-Houdancour , & Petit-
Fils de feu M' de Bullion qu'on
a veu Prefident à Mortier &
Sur- Intendant des Finances .
Tandis que nous ſommes fur
les Articles de joye , il faut vous
apprendre celle qu'a reçeuë
M Deſtanchau , par l'honneur
que luy a fait le Roy de luy
donner la qualité de Serretaire
de Monſcigneur le Dauphin.
Il avoit eu juſqu'icy l'avantage
d'en faire ſeul les fonctions , &
il ſuffit de ſçavoir dans quelle
conſidération il eſt aupres de
GALANT. 180
Monfieur le Duc de Montaufier
, pour eſtre perfuadé de ce
qu'il vaut .C'eſt un Homme fort
ſage , & qui joint à beaucoup de
prudence & de politeffe , un
zele dont l'exactitude ne ſe peut
affez eſtimer. Vous auriez eu
tout lieu de vous loüer de la
mienne , à vous rendre compte
des Harangues qui ont eſté
faites à Monfieur le Chancelier ,
outre celles dontje vous ay déja
parlé , ſi je n'eufſe appris qu'un
Homme de beaucoup d'eſprit
qui s'eſt ſoigneuſement trouvé
à toutes , en fait un Recueil
pour le Public . Il auroit déja
paru , s'il n'avoit pas deſſein d'y
joindre les Difcours qui ſe doivent
encor faire à la gloire de
ce grand Homme au Parlement
& au Grand Conſeil , le 20. du
Mais prochain. Iln'y aura rien
182 LE MERCVRE
de plus curieux que ce Recueil,
& celuy qui le fait ne pouvoit
former une entrepriſe plus noble
que de travailler à éterniſer
la memoire de ce digne Chef
de la Justice . Celle des merveilleuſes
Actions du Roy ne s'effacera
jamais , mais je ne ſçay ſi
l'éloignement des temps ne les
rendra point incroyables . En
effet , il fera difficile de concevoir
qu'une Campagne ouverte
avant le Printemps , n'ait point
efté terminée par le retour de
l'Hyver. Ces Prodiges donnent
de l'occupation à tous ceux qui
ſcavent ſe diftinguer par leur
Eſprit. Il n'y a pas juſqu'aux
Dames qu'une fi belle matiere
n'engage à prendre la plume, &
voicy ce qu'elle a fait écrire à
Mademoiſelle de Racilly.
1
GALAN T. 183
AU ROY..
RandRoy, quelle est laDestinée
tous vos Explois ?
Les quatre Saiſons de l'Année
Reglent leur courspar vostre choi.x..
Campagne n'est plus bornée La
Ainsi qu'elle estoit autrefois ,
Toute la Terre est étonnée
De la voir durer douze Mois .
Si j'avois parlé toûjours auffi
juſte que celle qui a fait ces
Vers, je ne ſerois pas obligé de
me dédire aujourd'huy fur la
Situation de Fribourg. Je l'ay
mis en Suiſſe dans ma derniere
Lettre , & il eſt en Briſgau , fur
la petite Riviere de Treiſeim.
Cette faute m'eſt d'autant plus
pardonnable , qu'il y a deux
Villes de ce meſme nom qui ne
font pas fort éloignées l'une de
l'autre , & que deux des plus
184 LE MERCVRE
en
confiderables Chapitres de
Suiffe s'y font retirez , à ſçavoir
celuy de l'Egliſe Cathedrale
de Lozanne à Fribourg en
Suiffe , & celuy de Bafle à Fribourg
en Briſgau. Apres la
priſe de celuy qui eft preſentement
à nous, on ne ſe contenta
pas de s'appliquer à y faire de
nouvelles Fortifications ,
attendant M. de Choiſy Ingenieur
de grande réputation, qui
fut auffi - toft nommé pour les
conduire , on fit démolir celles
de pluſieurs petites Villes , avec
quelques Chaſteaux voiſins , &
on travailla à l'établiſſement
des Contributions , dont les
grandes ſommes rendent cette
Conqueſte tres - confiderable.
M. le Marquis de Bouflairs &
M.le Chevalier d'Eſtrades , qui
doivent commander l'un dans
GALANT. 185
la Place , & l'autre la Cavalerie
des environs , ne manqueront
pas de ſoin à conſerver tous les
avantages qu'un Poſte ſi important
nous donne. Sa prife a
produit de grands effets. La
plupart des Places que les Ennemis
ont de ce coſté-là , font
dans une alarme continuelle.
L'une ſe fortifie , les Habitans
de l'autre l'abandonnent ; celle
cy traite des Contributions ; &
Straſbourg que rien n'avoit encor
étonné dépuis le commencement
de la Guerre , fait fortifier
ſes Forts , & fonge meſme à
en faire conſtruire de nouveaux.
C'eſt un coup de tonnerre dont
les Ennemis ne reviennent pas.
Ils ſe ſont fatiguez en retournant
à grands pas au delà du
Rhin,& ont trouvé toutes leurs
meſures rompuës pour leurs
186 LE MERCVRE
Quartiers d'Hyver. Il leur en
a falu chercher d'autres que
ceux qui leur avoient eſté aſſignez
; & cependant nos Troupes
apres avoir confumé tous
les Fourrages de la Vallée de
S.Pierre , ont repaffé le Rhin,
&joüiffent en repos de leurs
Quartiers , les Ennemis ayant
abandonné tous les Poſtes qu'ils
tenoient ſur la Sarre. Ils s'étoient
propoſez de prendre la
Petite-Pierre pour achever leur
Campagne ; mais loin de venir
àbout de leurs deſſeins , ils ont
perdu toutes leurs petite Conqueſtes
, comme Sarbruk qui
eſtoit la plus importante. Le
Chaſteau en a eſté pris par
M le Marquis de Ranes apres
neuf volées de Canon. Vous
fçavez quelles cruautez les Ennemis
exercerent contre leur
GALAN T. 187
parole quand nous le perdîmes .
Ceux que M'de Ranes trouva
dedans ne doutoient point qu'ils
ne dûſſent recevoir le meſme
traitement qui avoit eſté fait
aux Noftres ; mais ayant eſté
envoyez à Monfieur le Marefchal
de Créquy , cet illuſtre
General leur fit connoiſtre que
les François avoient plus d'humanité,
qu'ils estoient genereux
de toutes manieres , & amoureux
de cette belle gloire qui
fait aimer les Conquérans , mefme
de leurs Ennemis. Pendant
que nos Troupes ſe ſignalent
par tout , la valeur de la Garnifon
de Maftric ne demeure pas
oiſive; elle fait des courſes qui
luy ſont glorieuſes & profitables
, s'aſſure de pluſieurs Châteaux
,& fans eſtre deſtinée aux
travaux de la Campagne , en
188 LE MERCVRE
fait une plus glorieuſe que celle
d'un monde d'Ennemis , s'il eſt
permis de parler ainſy. Voicy
des Vers fur celles de tant
d'Alliez . Ils ont eſté faits par
M de la Monnoye Auditeur
des Comptes à Dijon. Les
Prix de l'Académie Françoiſe
qu'il a tant de fois remportez,
l'ont fait connoiſtre à toute la
France.
Au milieu des Estez, au milieu des
Hyvers ,
Loüis de fes beaux faits étonne l'Vnivers
,
Ildéploye en tout temps ſes Bannieres
fatales.
Mais confefſons la verité,
Ses Ennemis plus fins , sans bruit
Sansfierté ,
Trouvent bien mieux que luy toutes
Saiſons égales ,
Ils n'entreprennent rien ny l'Hyver,
ny Γ'Ελέ.
GALAN T. 189
A peine eut-on apporté la
nouvelle de Fribourg rendu ,
qu'elle fit méditer une autre
Conqueſte . M. de S. Poüange
partit en poſte de la Cour pour
porter les ordres du Roy , faire
préparer toutes chofes ,& pref.
ſer l'execution de ce qu'on avoit
réſolu . Son ardeur pour le fervice
de Sa Majesté eſt connuë,
& le zele qu'il fit voir pour la
gloire de ſes armes à la Bataille
de Caffel , fut fi grand , qu'il
chargea luy-meſme les Ennemis
l'Epée à la main , quoy que
fon Employl'en duſt diſpenſer.
Son départ fit faire de grands
raiſonnemens , mais perſonne
n'en devina le veritable ſujet,
&pluſieurs meſme crûment qu'il
eſtoit envoyé en Allemagne.
Peu de jours apres nos Troupes
de Flandre firent quelquesmou
190 LE MERCVRE
vemens. Elles inquiéterent les
Ennemis , qui furent bientoft
perfuadez qu'on alloit affieger
Ypres , & c'eſtoit ce que l'on
vouloit qu'ils crûffent. Cependant
S. Guilain ſe trouva inveſty
, & le Gouverneur ne
l'apprit qu'en le voyant. Le
nombre des Troupes augmenta
en peu de temps,& il y eut devant
cette Place juſques à cent
Eſcadrons , & quarante Bataillons
qui ne demandoient qu'à
combatre , & qui avoient meſme
témoigné ſouhaiter qu'on
fiſt un Siege , parce qu'ils commençoient
à s'ennuyer dans
leurs Garnifſons. Comme ils
avoient eſté tirez des Places des
environs , on nomma pour Officiers
Generaux les Gouverneurs
de ces meſmes Places , à
cauſe de la facilité que chacun
GALAN T. 191
d'eux pouvoit avoir à faire venir
de fonGouvernement toutes les
choſes neceſſaires pendant le
Siege ; auſſi n'y manqua-t-on
de rien. Toutes les Troupes furent
auſſi -bien nourries,& auffi
bien chaufées , qu'elles auroient
pû l'eſtre dans leurs Quartiers
d'Hyver , & on ne peut trop
donner de loüanges aux Gouverneurs
pour les foins qu'ils
ont eu de leur faire fournir tout
ce que la mauvaiſe Saifon demandoit
qu'on leur donnaſt au
delà de ce qu'elles avoient accoûtumé
d'avoir dans le temps
ordinaire de la Campagne.
Vous ne devez point vous étonner
apres cela , Madame , fi on
s'eſt rendu Maiſtre de S. Guilain
, quoy que ce ſoit une Place
qu'on n'euſt jamais crû de voir
eſtre aſſiegée dans l'Hyver à
192 LE MERCVRE
cauſe des eaux qui l'environnent.
C'eſt ce qui ne paroiſſoit
pas vray - ſemblable ; mais les
François prennent fans menacer
, au lieu que les Ennemis
menacent & ne viennent à bout
de rien ; & il eſt ſi vray que nos
entrepriſes réüſſiſſent toûjours,
& mefme en fort peu de temps,
que je ne vous écris jamais le
Siege d'une Place , que dans la
meſme Lettre je ne vous en
marque la priſe ; mais il faut
que je vous avoue que je manque
d'expreſſions pour parler,
comme il faudroit de la merveilleuſe
conduite de la France .
Tous les termes ſont épuiſez ,
toutes les loüanges ſont uſées ,
& cependant les reſſorts qui
font tout mouvoir , ne le font
pas : Au contraire , nous les
voyons tous les jours agir avec
plus
GALANT. 193
plus de force , & cette derniere
Conqueſte en eſt une preuve.
Pour vous en informer plus particulierement
, il faut vous dire
que S. Guilain eſt une petite
Ville du Hainault,à laquelle un
Abbé qui vivoit vers le ſeptieme
Siecle , a donné ſon nom. Elle
n'eſt qu'à une bonne lieuë de
Mons , ſur la Riviere de Haine.
Meſſieurs de Turenne & de la
Ferté , la prirent en 1635. en
meſme temps que Condé, apres
qu'on ſe fut rendu maiſtre de
Landrecies . L'année ſuivante,
le Siege de Valenciennes eſtant
levé , & Condé repris par les
Eſpagnols, elle fut afſiegée pendant
que M. de Turenne eſtoit
devant laCapelle ; mais comme
cette derniere Place reſiſta peu ,
M. de Turenne eut le temps
d'aller traverſer les Ennemis à
Tome X. I
194 LE MERCVRE
S. Guilain. Ils leverent le Siege
fans l'attendre , & l'ayant formé
de nouveau au mois de Mars
de l'année 1657. ils en vinrent à
bout par la trahiſon de quelques
Etrangers qui leur livrerent les
Dehors qu'ils gardoient.Quand
à ce qui regarde la force de la
Place , elle est environnée de
Marais . La Riviere de Haine
qui paſſe au milieu , ſe ſepare en
trois bras dans la Ville , & fe
rejoint en deux pour en fortir.
Elle eſt defenduë par trois Fofſez
pleins d'eau , par un Ouvrage
appellé le Pâté , qui eſt
une eſpece de Boulevart , par
un autre Ouvrage à corne, une
Demy- Lune , & pluſieurs Redoutes
, dont quelques - unes
font entourées d'eau. Il me
reſte à vous apprendre les noms
detous les Officiers Generaux
GALANT.
195
qui ont eu la conduite de ce
Siege ſous M. le Mareſchal de
Humieres. Les Lieutenans Generaux
furent M. de Nancre
Gouverneur d'Ath , & M. le
Comte Bardi - Magaloti , Gouverneur
de Valenciennes. On
choiſit pour Mareſchaux de
Camp M. de Pertuis Gouverneur
de Courtray , M. du Ranché
Gouverneur du Queſnoy,
M.de SainfandouxGouverneur
de Tournay , m.le Chevalier de
Tilladet , м. le Baron de Quin-
су , м. de Cezan Gouverneur
de Cambray, & M. de Rubantel
Capitaine au Regiment des
Gardes. Mrs de Vauban & du
mez, qui ont la meſme qualité,
furent commandez pour la conduite
des Travaux &de l'Artillerie
, & l'on peut juger par lå
que le ſuccésde ces deux cho-
Iij
196 LE MERCVRE
ſes eſtoit infaillible. Les Brigadiers
qui ont ſervy à ce Siege ;
font M. d'Aubarede Meſtre de
Camp du Regiment des Vaifſeaux
, M. de S. George Meſtre
deCamp du Regiment du Roy,
M. le Chevalier de Souvray
Lieutenant Colonel de Navarre
, & M. Chimene. M. de Momont
y a fait les fonctions de
Major General. Un Siege entrepris
apres de ſi juſtes meſures
, & qui devoit eſtre pouffé
par tant de Braves , ne pouvoit
manquer de réüffir. C'eſt ce
qui a fait dire à un bel Eſprit
de Lile , en s'adreſſant aux Ennemis
,
Espagnols, Hollandois , courez à Saint
Guilain ,
Malgré les Elemens d'Humieres le va
prendre ,
Et l'on ne croitpas que demain
GALANT.: 197
La Place puiſſe ſe défendre.
Dépeſchez, & venez au moins
Voir de plus prés une Victoire
Que vous auriez peut - estre peine à
croire ,
:
ON
Si vous n'en eſtiez les Témoins .YOM
Ils ont ſuivy ce confeil , & femblent
n'eſtre venus fort pres de
S. Guilain que pour en apprendre
plûtoſt la priſe. Voicy par
ordre ce qui s'eſt paſſé au Siege
de cette Place.
J Monfieur le mareſchal de
Humieres partit de Lile le 30.
de Novembre , avec м . lе маг-
quis de Humieres ſon Fils , &
M. le Baron de Quincy. Il
eſtoit accompagné de lept Eſcadrons
de Cavalerie , & fuiuy
de M. de Sainfandoux , avec les
Troupes qui venoient du coſté
de la Lys. Il arriva le premier
de Decembre devant S. Guil-
I iij
198 LE MERCVRE
lain , à la pointe du jour. Mude
Nancré , deMagaloti , leChevalier
de Tilladet , du Ranché,
& de S. Riche , s'y trouverent
en meſme temps, ſuivant les ordres
qui leur avoient eſté envoyez
le jour précedent. Ils
conduiſoient la Cavalerie,& les
Dragons d'Ath , Condé , Valenciennes
, Doüay , S. Amant,
Orchies , Marchiennes , Bouchain
, & du Queſnoy , le tour
au nombre de cinquante Eſcadrons.
Deux Pieces de Canon
arriverent le meſme jour , & furent
menées à un Moulin proche
la Redoute de Baudours .
Deux cens Dragons des Regimens
Dauphin & Fimarcon ,
avec cinquante Mouſquetaires
de la Garniſon d'Ath , l'attaquerent
à l'entrée de la nuit.
Elle estoit gardée par cinquante
GALANT. 199
Hommes , qui l'abandonnerent
apres avoir tiré cinquante ou
ſoixante coups. Nos Gens les
pourſuivirent,& en prirent dixhuitou
vingt.
La Circonvalation fut reglée
le lendemain , & l'Infanterie
qui devoit faire le Siege arriva
au Camp. On ordonna trois
Attaques. La premiere fut celle
des Gardes. Elle devoit emporter
une grande Redoute environnée
de Foffez remplis d'eau ,
avant que d'aprocher du Corps
de la Place. Il faloit en fuite
arracher des Paliſſades qui defendoient
le Pâté. Il ne pouvoit
eſtre pris qu'en paſſant par deffus
une Digue fort étroite , &
fur laquelle on ne pouvoit aller
qu'un à un.
La ſeconde Attaque , appellée
celle de Navarre, avoit deux
I iiij
200 LE MERCVRE
grandes Redoutes à prendre ,
avec de grands Foffez pleins
d'eau.
L'Attaque de Boſſu eſtoit la
troiſieme , & il faloit qu'elle
gagnaſt un Ouvrage à corne ,
& une Demy -Lune , avant que
d'arriver au Corps de la Place.
Le 4. on ouvrit la Tranchée
à ces trois Attaques. On avança
beaucoup le travail , principalementà
celles de M du Ranché
& de S. George. M. le Marefchal
de Humieres demeura jufques
àune heure apres minuit à
les viſiter continuellement depuis
la teſte juſques à la queuë.
Les deux premiers Bataillons
des Gardes , de Navarre , & un
du Royal , monterent la Garde,
& furent relevez le lendemain
par autant de Bataillons des
meſmes Corps. Les Ennemis ne
GALANT. :
201
tirerent que trois coups de
Mouſquet , & un de Canon.
Le noſtre leur répondit le 6. au
matin avec une Baterie de fix
Pieces.
une
Le 7. apres midy , on prit à.
l'Attaque de Navarre ,
grande Redoute qui n'eſtoit
qu'à quarante pas du Pâté. Elle
eſtoit gardée par trois cens
Hommes , qui ſe défendirent
avec beaucoup de vigueur,mais
ce ne fut que pour augmenter
la gloire de Monfieur le Comte
de Soiffons , qui s'expoſa toutà-
fait à cette Attaque,où il alla
l'Epée à la main. Son Lieute.-
nant Colonel eut le bras caffé,
celuy du Regiment du Pleſſis y
fut tué , & M. d'Aubarede dangereuſement
bleſſe d'un coup
de Mouſquet à la teſte .
Le 8. au foir , M. de Sainfan-
Iv
202 LE MERCVRE
doux monta laTranchée à l'Attaque
des Gardes , avec le Regiment
de Rouffillon ; Mrs de
Cezan & de Villechauve , à
celle de Navarre , avec le Regiment
de Humieres ; & M. du
Ranché , avec M. de Chimene,
à celle de Boſſu , avec le Regiment
de Conty. On s'établit
pendant la nuit à celle de Navarre,
dans les Logemens qu'on
avoit faits. A celle de Boffu ,
on paſſa l'Avant-foſſé de l'Ouvrage
à corne , & l'on y fit un
Logement ſur le glacis. On
dreſſa la meſme nuit une Baterie
de fix Pieces,qui tira dés le point
du jour ; & l'on augmenta celle
de Navarre juſques au nombre
de neuf ; de maniere que ces
deux Bateries qui voyoient le
Pâte à revers , incommoderent
fort chacune de ſon coſté.
GALANT.
203
Le 9. apres midy , fur l'avis
que M. le mareſchal de Humieres
eut que les Ennemis s'avançoient
, & qu'ils n'eſtoient
qu'à trois petites lieuës de mons,
il alla choiſir un Camp pour aller
au devantd'eux,& leur donner
Bataille , s'ils oſoient combatre.
Il refolut en ſuite l'Attaque
generale des Dehors ; &
comme lesglaces ne ſe trouverent
pas affez fortes pour porter
lesGardes qui devoient inſulter
le Pâté , ils paſſerent un à un
avec leur intrepidité ordinaire,
fur la Digue qui conduit à cet
Ouvrage ; puis ils ſe raffemblerent
pour donner tous en...
femble à l heure de l'Attaque.
Elle commença à une heure
apres minuit. Huit coups de
Canon en furent le ſignal.Toutes
nos Troupes firent égale
Ivj
104 LE MERCVRE
ment bien ; il eſtoit neceffaire
qu'elles montraſſent de la vigueur
pour forcer la reſiſtance
des Ennemis qui fut tres-grande
dans tous les endroits qu'on attaqua
. On ne peut voir un plus
grand feu de Grenades & de
Mouſqueterie que celuy qu'efſuyerent
nos Gens pendant trois
heures. M. le Chevalier de Tilladet
commandoit l'Attaque de
Navarre , & ſe rendit maiſtre
de tous les Ouvrages juſques à
la muraille de la Ville. Les
deux Bataillons de Bourgogne
y eſtoient de garde , avec M. le
Chevalier de Souvray , qui s'y
eſt particulierement diftingué.
On y avoit auffi envoyé les
Compagnies des Grenadiers de
Humieres , Navarre , & Languedoc.
L'Attaque des Gardes
eut tout le ſuccès qu'on pouGALANT.
205
voit defirer. M. de Rubantel y
ſervoit de mareſchal de Camp,
& M. de S. Germain de la Breteche
y commandoit trois cens
Hommes détachez du Regiment
des Gardes , avec leſquels
il chaſſa les Ennemis des Ouvrages
qui regardent le Baſtion
de Horn , juſques à l'Attaque
de Navarre, où il joignit le Regiment
de Bourgogne . Les
deux Bataillons des Fuziliers ,
& un de Stoup , eſtoient de
garde à l'Attaque de Boffu.
м. de Quincy mareſchal de
Camp , y commandoit , ayant
ſous luy M. de Chimene Brigadier.
Les Troupes de cette
Attaque , avec les Grenadiers
de la Reyne qui avoient à leur
teſte M. Paſſillon 1un de leurs,
Capitaines, ſe mirent dans l'eau
glacée juſques à la ceinture ,
206 LE MERCVRE
& ayant paſſe l'Avant - Foffé
de l'Ouvrage à corne , emporterent
cet Ouvrage avec une
Demy- Lune. C'eſtoit tout ce
qu'on leur avoit donné ordre
d'attaquer. Trois cens Dragons
commandez par M. de
Fimarcon , firent une fauffe
Attaque à la Digue de Bodours.
Ils prirent quatre- vingts
fix Soldats , & deux Officiers .
M. de Sainfandoux voulut ſe
charger de cette Attaque, quoy
qu'il ne fuſt pas de jour. On
auroit entré dans la Ville , ſi on
avoit eu les choſes neceſſaires
pour en rompre la Porte , ou
des Echelles pour monter.
Apres la priſe du Pâté , les
TT
roupes des deux autres Attaques
ſe joignirent , & il en
couſta aux Ennemis quatre Pieces
de Canon qui estoient au
GALANT.
207
bout de leur Pont- Levis , & tiroient
par des embraſures . Ces
meſmes Troupes apres avoir
fait des Retranchemens avec
des Gabions , tournerent contre
la Porte de la Ville les quatre
Pieces de Canon qu'elles venoient
de gagner. Il y en avoit
encor trois autres en état de
foudroyer les Affiegez; & tout
eſtant preparé pour donner un
Affaut general la nuit du dix
au onze , le Gouverneur qui le
ſçeut fit battre la Chamade à
deux heures apres midy. M. le
Mareſchal ſe rendit à l'inſtant
meſme à la Thanchée , où il
trouva les Oftages qu'on luy
amenoit. Il convint avec eux
qu'ils luy remettroient une des
Portes de la Ville , où il fit entrer
auffi-toſt un Bataillon des
Gardes Françoiſes , & un des
208 LE MERCVRE
Gardes Suiſſes. La Garnison
de plus de mille Hommes fortit
le onzième au matin , avec
Armes & Bagages , & une Piece
de Canon , pour aller à Bruxelles
, eſcortée par quatrevingts
Maiſtres des Troupes du
Roy qui devoient revenir à Ath.
Les Ennemis eſtoient arrivez
le 10. au ſoir à Mons , où ils
avoient fait tous les préparatifs.
neceſſaires pour le ſecours de la
Place. Ils ne manquoient pas
de Troupes , mais l'importance
eſtant de choiſir un Chef , tous
ceux qui pouvoient en efperer
le Commandement , avoient
long- temps conferé enſemble
pour voir fur qui on trouvoit à
propos qu'on le fiſt tomber.
Monfieur le Mareſchal de
Humieres a paru infatigable
pendant ce Siege ; on ne ſcauGALAN
T. 209
roit exprimer ſa vigilance ; a
paffé les nuits entieres ou à la
Tranchée,ou à visiter les Poſtes,
ou au Bioüac , & preſque tous
les jours à cheval. Il ſembloit
auffi que les Troupes fufſent
animées par ſon exemple. La
rigueur du temps n'a pû les refroidir
un moment , & on a
trouvé la meſme facilité à leur
faire faire toutes choſes qu'on
auroit euë dans le Mois de Juin.
M. le Prince d'Iſenghien ayant
eſté averty de ce Siege , prit
auffi - toft la Poſte pour y aller
joindre M. le marefchal deHumieres
fon Beaupere , & donna
des preuves de fon courage avec
le marquis de ce nom fon Beaufrere.
Comme l'impatience des
François eft grande , fur tout
quand il faut courir à la gloire,
des que M. le marquis de Na
210 LE MERCVRE
vailles eut appris qu'il y avoit
une Place afſiegée , il s'y rendit
auſſi- toſt en poſte , & fervit dés
le ſoir meſme en qualité de Volontaire
. Il monta la Tranchée
avec le ſecond Bataillon des
Gardes ,& il continua à faire la
meſme choſe pendant tout le
Siege. Ayant ſçeu que le ſoir
qu'on devoit attaquer la Contreſcarpe
, le Regiment de Navarre
auroit le plus à fouffrir , il
ſe mit à la teſte de ce Regiment;
où ſon intrépidité & ſa valeur
ſe firent admirer. M. le Comte
de Tonnerre alla auſſi Volontaire
à la Tranchée , & il y reçeut
un coup de Mouſquet. M
le Marquis des Hiſſars qui commande
le Regiment de Languedoc,
fit des choſes ſurprenantes
à la teſte de ce Regiment , qui
s'eſt acquis beaucoup de repu
GALANT. 211
:
tation. Celuy du Pleffis ne s'eft
pas moins fignalé , & s'il avoit
eu desHaches pour rompre les
Portes de la Ville , il feroit entré
dedans comme nos Troupes
firent à Valenciennes . M du
Poncer qui en eſtoit Lieutenant
Colonel , a eſté tué. M.
Deshoy Capitaine de ce Regiment
, & M. Bienfait de Beaulieu,
s'y ſont ſignalez . M.Champagne
premier Brigadier des
Gardes de M. le Marefchal de
Humieres , s'eſt fort diſtingué
pendant ce Siege , ainſi que
M. Duparc Garde dans le mefme
Corps , & M. de Tangis qui
en eſtoit forty pouragir en qualité
d'Ingénieur. On ne peut
douter qu'il n'y ait donné beaucoup
de marques de courage ,
puis qu'il y fut bleſſé. M. de
S. Germain de la Breteche le
212 LE MERCVRE
fut auffi à l'Attaque des Gardes,
& tomba du haut de la Digue
, apres avoir receu deux
bleffures. M. de Soify , Fils de
M. le Preſident le Bailleul , fut
bleſſé dans la meſme occafion ;
tomba dans le Foffé , & paffa
la nuit fur la glace, parce qu'on
ne le pût trouver que le lendemain.
Mª de Seraucour & de
Chéviere Sous-Lieutenans aux
Gardes , & м . de Torcy Enſeigne,
ont eſté bleſſez , & м. Сі-
gogne Lieutenant , tué. M. de
Pierrebaſſe Ayde- major des
Gardes , a eu la teſte emportée
d'une volée de Canon .
rs
La nouvelle de la priſe de
S. Guilain fut apportée au Roy
par M. de la Taulade Ayde de
Camp de M. le mareſchal de
Humieres. M. le marquis de
Louvois qui le preſenta , dit à
4
GALAN T.
213
Sa majeſté que les Ennemis
publioient que les Anges Tutelaires
de la France luy fervoient
d'Eſpions dans le Ciel
pour l'avertir des changemens
du temps qui luy eſtoient prefque
toûjours favorable. Le
Duc de Villa - Hermoſa eſtoit
à Haurec fort prés de la Place,
avec douze à treize mille Hommes,
faiſant porter des Echelles
pour paffer les Marais , & fe
vantant qu'il attaqueroit les
Lignes. Lors qu'il entendit que
le Canon tiroit fort peu,& puis
qu'il ceſſoit entierement, il crût
le Siege levé , & ayant détaché
trois cens Chevaux pour prendre
langue , ils en trouverent
cinquante des Noftres envoyez
pour le meſme deſſein. Celuy
qui les commandoit ayant eſté
pris pour avoir eu fon Cheval
tué ſous luy , eut peine àdeſa
214 LE MERCVRE
bufer ce Duc, en l'aſſurant qu'il
avoit veu entrer les Troupes de
Sa majeſté dans la Place ; &
lors que les Affiegez batoient
la Chamade , Monfieur le ма-
reſchal de Humieres faifoit
monter ſa Cavalerie à cheval
pour aller vers les Ennemis dont
il venoit d'apprendre des nouvelles.
Le Roy a donné le Gouvernement
de S. Guilain à м. Са-
tinal Capitaine aux Gardes, qui
a fait la Campagne paſſée en
qualité de major des Gardes.
M. de Longpré Capitaine au
Regiment de Picardie, en a eſté
fait Lieutenant de Roy ; & M.
de l'Apparat Capitaine dans
Piémont , en a eu la majorité.
Jamais Campagne ne fut plus
glorieuſement finie. Cette derniere
Conqueſte a donné lieu
à ces Vers.
GALANT .
215
C'est à ce coup qu'il se faut rendre,
O Flandre ,
Puisque contre Loüis
Sontvains.
tous tes efforts
Saint Omer , Saint Guilain t'en donnant
des exemples
Tres-amples,
Tunepeuxfaire mieux que d'imiter tes
Saints.
Les Gardes du Corps ſont de
retour , & le Roy a fait depuis
peu la Reveuë de tous ces Braves
qui ſont devenus la terreur
des Allemans. Sa majeſté avoit
cinq censGardes nouveau,bien
montez, bien veſtus, & de tres
bonne mine , qu'elle diſtribua
dans les Compagnies pour les
augmenter , & les rendre encor
plus fortes qu'elles n'eſtoient
avant la Campagne. Voicy les
Noms de ceux qu'elle fit
Exempts , & à qui Elle voulut
donner par làdes marquesde la
fatifa
216 LE MERCVRE
:
ſatisfaction qu'Elle avoit reçeuë
de leurs ſervices .
Dans la Compagnie de Noailles.
M le Marquis de S. Chamant
du Peſcher , Cadet. Il eſt
originaire de Limousin , d'une
tres-bonne Maiſon , & Parent
de M. le Duc de Noailles .
M.de la Meſſeliere, auſſi Cadet.
M. de Tierceville , de Normandie,
Brigadier.
M. de Verduiſant, de Guyenne.
Il a efté Lieutenant des Gardes
de feu M. le Mareſchal
d'Albret , & Capitaine de Cavalerie.
M. de Granpré , Premier
Capitaine d'un Regiment de
Cavalerie.
Je vous ay déja parlé , madame
, de M. de la meſſeliere ,
qui a fait pluſieurs Campagnes.
Il eſt bien fait, a du coeur,
&
GALANT. 217
&s'eſt fignalé dans la Journée de
Cokberg. Il fort d'une des meil
leures Maiſons de Poitou &de la Marche
, & eft allié de celles de Rochechoüart,
de la Rochefoucaut, de Maillé,
de Brezé, de Polignac, &de toutes
les plus qualifiées de Poitu & de Limoufin.
Son Grad Pere fut nourry Enfant
d'Honneur aupres de Loüis XIII.
& ſes Anceſtres ont eu de grandes
Charges & des Emplois conſidérables
dans les Maiſons de nos Rois.
Dans la Compagnie de Duras.
M. Desforges. Ileſt Neveu de M.
de Chaſeron Lieutenant General des
Armées du Roy , & luy a ſervy d'Ayde
de Camp.
1 M. Meffier. Il a eſté bleſſé , & eft
retourné dans l'Occaſion avec plus
d'ardeur , apres avoir eſté query de fes
bleffures.
M. Danglar , Brigadier.
Dans la Compagnie de Luxembourg.
M. de la Chaume, M. de S. Pierre,
M. de la Tolnele , & M. le Chevalier
de S. Lucé. Ie n'en ay pû apprendre
que les noms.
Tome X. K
218 LE MERCVRE
Dans la Compagnie de Lorge.
M. le Chevalier de Rhodes. Il eſt
Frere de M. de Rhodes Grand-Maiſtre
des Cerémonies.
M. de S. Martin. Il a trente années
de ſervice , & n'a perdu aucune occafion
de ſe ſignaler. Il a eſté Capitaine
d'Infanterie , Brigadier des Mouſquetaires
, & fut fait Major de Nimégue
dans le temps de cette Conquefte. Il
a toûjours ſervy d'Ayde de Camp dans
l'Armée du Roy ſous M. de Lorge, &
fes manieres honneſtes le font eſtimer
de tous ceux qui le connoiffent.
Ie ne puis mieux finir ce qui regarde
la Guerre , qu'en vous apprenant
le retour de Monfieur le Mareſchal de
Créquy. il a eu l'honneur de ſalüer
le Roy , & en a eſté reçeu comme le
meritoient les actions de conduite &
de vigueur qui luy ont acquis tant de
gloire dans toute cette Campagne,
Sa Majefté a donné à M. de Tiergeville-
Mahaut le Gouvernement de
Dieppe , vacant par la mort de M. de
Montulé. Ie vous ay déja parlé de fon
merite , & il y a peu de Perſonnes à
GALANT. 219
qui ſes ſervices ne ſoient connus. Ila
eſté dés ſa premiere jeuneſſe Capitaine
dans leRegiment du Havre,puis Lieutenant
Colonel dans un autre , & en
fuite Lieutenant de la Mestre de
Camp , & Capitaine du Regiment de
Cavalerie d'Armagnac durant les
Guerres de Guyenne. Il y fut fait prifonnier
au Combat de Montanſé , où
Monfieur le Duc de Montaufier qui
commandoit l'Armée du Roy, batit les
Ennemis, & eut le bras caffé.
Si tant d'Articles d'Armée ſemblent
trop ſerieux à vos Amies , qui peuvent
moins aimer la Guerre que vous, voicy
un Conte d'un ſtile à leur délaſſer l'efprit.
Il eſt d'un Gentilhomme de Provence
, & je croy que vous demeurerez
d'accord avec luy de ſa Morale.
DEMOSTHENE
Amoureux.
JAdis dans Corinthe une Dame
Kij
220 LE MERCVRE
Etaloit des attraits que chacun admiroit
,
Attraits,digne de toucher l'ame
Des Dieux qu'alors on adoroit.
Qui ne croiroit d'abord qu'une Beauté
pareille,
Pour ſes Amans n'eust beaucoup de
fierté?
Cependant on feroit grand tort à sa
bonté
Atous elle prestoit l'oreille ,
Oufi quelqu'un en estoit rebuté,
Ilne devoit dece malheur extréme,
Se prendre qu'àsoy-méme,
S'accufant d'eſtre avare , ou bien d'estre
indigent .
Lachons le mot enfin , la Belle aimoit
l'argent.
Le docte &fameux Démosthene
Crût que fans un pareil ſecours
Il s'en feroit aimer ſans peine ,
Luy qui perfuadoit toûjours ;
Maisfon éloquence fut vaine
On ne luyfait grace de rien
Et le traitant comme un autre Homme,
On luy demande une affez grandeſomme
د
GALANT. 221
Pourprix d'unſecret entretien.
Surpris d'une telle demande ,
Ilfuit, diſant je ne puis conſentir
Daller donner une fommesi grande
Pour n'acheter au fonds qu'un repentir.
Moraliſons au moment sur ce Conte.
Noftre Orateur n'avoit donc point de
honte
De contenterſa paſſion ,
Et ce n'est qu'à son avarice
Qu'il dût samoderation .
Quand nous nous défaiſons d'un vice
Souvent nous nefaisons au fonds
Que changerſeulement de genre de foibleffe,
Et cependant nous en voulons
Faire honneur à noſtre ſageſſe.
Comme nous allons entrer dans la
Saiſon des Plaiſirs, je croy que l'auray
à vous parler le Mois prochain de
pluſieurs Divertiffemens. On n'a veu
que les anciens Opéra pendant celuycy
, & rien n'a paru de nouveau fur le
Theatre , à l'exception de l'Electre de
M. Pradon , qui a eſté joiée par la
Troupe du Fauxbourg S. Germain.
Celle de l'Hostel de Bourgogne pro
Kiij
222 LE MERCVRE
met pour le lendemain des Rois ſans
remiſe la premiere Repreſentation du
Comte d'Effex de M. de Corneille le
jeune. Ce Sujet eft grand, &de nôtre
Siecle , puis que fa diſgrace arriva au
commencent de l'Année 1601. On
dit qu'il n'y a rien de plus touchant
que cette Piece. Elle a fait du moins
affez de bruit par quelques Lectures,
pour obliger l'autre Troupe à promettre
auſſi un Comte d'Effex qu'elle luy
doit oppoſer. S'il a autant de beautez
qu'on affure qu'il y en a dans celuy
dont je vous parle , on peut ſe promettre
beaucoup de plaifir de cette oppofition.
Comme l'Autheur de ſe dernier
ne ſe nomme point, quelques-uns
veulent que ce foit l'ancien . Comte
d'Eſſex de M. de la Calprenede rac
commode. Il eſt vray qu'on n'a ſongé
à remettre ce Sujet ſur le Théatre de
Guenegaud que depuis que les Affiches
de 1 Hoſtel ont fait connoiſtre
que M. de Corneille le jeune l'avoit
traité ; mais il importe peu du temps ,
pourveu que l'Ouvrage foit affez bon
pour fatisfaire le Public....
GALANT.
223
Cependant je vous avertis de ne
point chercher à Roüen l'Hiſtoire de
ma derniere Lettre qui parle d'un Conſeiller
& d'un Abbé égarez en allant à
Dieppe . J'ay ſçeu que l'Avanture
s'eſtoit paffée ailleurs , & qu'on avoit
changé le lieu de la Scene par quelques
intereſts particuliers.
Adieu , Madame , je me tiens bien
glorieux d'avoir pû vous faire part avec
une exacte ponctualité de toutes les
Nouvelles de cette Année. Attendez
demoy un redoublement de ſoins pendant
celle où nous allons entrer , &
croyez que je ſuis voſtre, &c.
AParis ce 31. Decembre 1677 .
Et par apoſtille , Madame , vous
fçaurez que Sa Majeſté ne voulant pas
moins faire pour Mademoiselle de la
Marck que pour toutes celles qui ont
eſté Filles d'Honneur de laReyne , luv
a donné la Lieutenance de Roy de
Xaintonge & d'Angoulmois , vacante
par la mort de M. le Comte de Jonfac.
Vous jugez bien qu'elle tirera heaucoup
de cette Charge ; mais le Roy
qui ne fait jamais de petites faveurs , a
224 LE MERCVRE
bien voulu luy promettre d'ajoûter à
cé qu'elle en pourra tirer, dequoy faire
une fomme confiderable. Vous ne doutez
point , Madame , qu'une Perſonne
auſſi bien faite qu'elle eft, qui a beaucoup
de bien de patrimoine, & dont on
connoit fi parfaitement le merite& la
vertu , ne ſoit tres - avantageufement
pourveuë. Heureux celuy dont elle
fera le partage ! Ie ne vous apprendrois
rien , quand je vous parlerois de
ſa naiſſance. Son Nom la diftingue fi
fort , qu'il feroit inutile de vous rien
dire de plus. 2.
Monfieur le Duc de Vitry a eſté
fait Conſeiller d'Etat d'Epée.
M. de Guilleragues a efté nommé
Ambafladeur à Conſtantinople.
M. l'Abbé de Valbelle Aumônier
du Roy , a eu l'Eveſché d'Arlet ; &
M. Robert Maiſtre de Muſique de la
Chapelle , l'Abbaye de M. Leſeau.
M. le Marquis d'Obigné , Frere de
Madame de Maintenon, a épousé Mademoiselle
de Froiſgny.
Souvenez- vous , Madame, que tout
cela vous eſt écrit par apoftille , c'eſt à
GALANT. 22
direque ce ſont Nouvelles que j'apprens
en fermant ma Lettre, ſans avoir
le tempsde vous dire un mot du meritede
tous ceux que je vous nomme.
I'y ſupléeray la premiere fois ,& n'oublieray
pas de vous parler de l'Action
éclatante de M. l'Abbé Colbert .
Pajoûteray cependant icy que M. le
Marquis de la Ferté vient d'eſtre declaré
Duc & Pair. Sa Majesté le voyant
marcher ſi dignement ſur les tracesde
M. le Mareſchal ſon Pere ,dont les
grands ſervices & la longue ſuite d'Ations
glorieuſes ſont connues à toute
la France , a voulu faire voir par cette
marque d'honneur la bienveillance
particuliere dont elle les honnore l'un
&l'autre. Ie vous ay parlé dans la plûpart
de mes Lettres des diférentes Occafions
où ce nouveau Duc s'eſt ſignalé.
O
que
FINSTA
I donnera un Tome du Nouveau Mer.
cure Galant , le ſixiéme jour de cha-
Mois,sans aucun retardement.
2
TABLE DES MATIERES.
Reponse de La Prairie au Ruisseau.
Hiſtoire des deux Maris jaloux.
M. le Comte d' Ayen eft receu Duc& Pair de
France au Parlement .
Sa Majesté nomme M. de Rubantel & de
Tracy Mareschaux de Camp.
Mort de Dom Iofeph dArdennes Comte
d'Illes.
Mort de M. I Abbé Castelan .
LAmant Trompé.
Fragment du Testament de Mad. du Puy
celebre loveuſe de Harpe.
Paroles du dernier Air defeu M. le Camus.
Autre Air de M. de Moliere.
Vers envoyezavec un Bouquet de Tubereuſes
au mois de Decembre.
Les Avantures d'Armide & de Renaud,
composées par M. le C. de Meré.
Compliment fait à Monsieur le Chancelier
par M. Doujat , lors qu'il le fut faliser
pour la Faculté de Droit de l'Université
deParis.
Madrigaux & Quatrains à M.le Chancelier.
Dispute d'Apollon de l'Amourſur des Vers
d'Iris.
Excez d'amour d'une jeune Perſonne nouvel--
lement mariée..
M. l'Abbé du Pleſſis eſt ſacré Evesque de
Xaintes .
Le Roy donne une Abbaye à M. l'Abbé dAquin
, une autre à M. de Puyfegur.
Elegie de M. Ferier Autheur de l' Adieu aux
Muses.
A
TABLE.
Mariage du Prince d'Orange avec la PrinceffeMarie,
Fille aiſnée du Duc d'Yorck .
Tout ce qui s'est passé de remarquable au
au Parlement le lendemain de la S. Martin,
Le jour des Harangues & celuy des Mercuriales.
Avantage remporté ſur les Hongrois par be
Colonel Boham.
Sonnets au Roy.
Sa Majesté fait preſent d'une Etée au General
Major Harang , & elle donne la Lieutenance
Colonelle du Regiment de Picardie à
M. de Villemandor , & celle du Regimer
de Normandie à M. de Guilerville .
M. l'Abbé deGrandmont qui avoit eſté nomnéà
l'Eveſché de S. Papoul , eſtſacré à Pe-
Zenas.
M. l'Abbé le Boistel ſoûtient des Theſes de
Philofophie dediées à M. le Marquis de
Louveys,où plusieurs Dames se trouverent.
Lettre de M.Petit à Mole Duc de S.Aignan.
Avanture deMusique.
Pluſieurs Explications qui ont esté données
par divers Particuliers à l'Enigme du 9.
Tome du Mercure Galant.
Lettre de M.le Duc de S. Aignan sur ce
Sujet. Enigme.
Portrait des deux Coufines de Poitu.
Mort de M.le Marquis de Rouville.
Mort de M. l'Evesque d' Alet.
Mort de M. Leſeau, Chanoinede N.Dame de
Paris.
Mort de M. de Miramion .
TABLE.
Mort deM. le Premier President.
Mort de M. de Szinte Beuve.
Mort deM. Neuré &deM.Michel.
Mariage de M.le Marquis de Saint Germain
Beaupré.
Mariage de M. le Marquis de Bonnelle.
Qualitéde Secretaire de Monseigneur le Daw
phin, donnée à M. Destanchau.
Vers de Mademoiselle de Racilly..
Priſe de Sarbruc.
Vers de M. de la Monnoye.
Siege & Prise de S. Guilain.
Noms des morts & des bleffez & de ceux qui
ſeſont ſignalez à ce Siege.
LeRoy donne le Gouvernement de Dieppeà
M. de Tiergeville.
Noms des nouveaux Exempts nommez par
SaMajesté.
Demosthene amoureux.
:
Nouvelles Pieces de Theatre , dont le Comte
d'Effex de M. de Corneille le jeune doit
paroiſtre la premiere.
SaMajesté donne la Lieutenance de Roy de
Xaintonge&d'Angoumois à Mademoiselle
de laMarck.
M. de Guilleragues est nomméàl'Ambassade
de Conftantinople , & M. de Valbelle à
l'Eveſché d'Alet.
Le Roy fait M. le Marquis de la Ferté Duc&
Pair.
Fin de la Table.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères