→ Vous voyez ici les données brutes du contenu. Basculez vers l'affichage optimisé.
Titre

ETAT De la Poësie Dramatique en Allemagne.

Titre d'après la table

Etat de la Poësie dramatique en Allemagne,

Fait partie d'une section
Page de début
78
Page de début dans la numérisation
535
Page de fin
88
Page de fin dans la numérisation
545
Incipit

Michel Sachse, Historien Allemand, nous apprend dans la quatrieme

Texte
ETAT
De la Poëfie Dramatique en Allemagne.
M
Ichel Sachfe , Hiftorien Allemand ,
nous apprend dans la quatrieme
partie de fa Chronique des Empereurs ,
que la premiere Comédie fur jouée en
Allemagne en 1497 ; que Reuchlin en fut
l'auteur ; qu'il la compofa en l'honneur
de Jean de Dalberg , Evêque de Worms
& que le peuple la regarda comme un prodige
: c'eft là la premiere trace de l'origine
des fpectacles en Allemagne. L'ufage ne
peut gueres en avoir été plus ancien en
>
DECEMBRE . 1754. 79
France puifque fous François I on y
jouoit des comédies faintes , qui , autant
qu'on en peut juger par les titres , devoient
être monftrueufes. Il eft vrai que
fi l'on remonte à cet Anfelme Faidet dont
parle M. de Fontenelle dans fon Hiftoire
du Théatre François , & qui après avoir
promené fes tragédies & fes comédies
avec un grand fuccès dans plufieurs Cours ,
mourut en 1220 , le fpectacle fe trouvera
au moins de 277 ans plus ancien en France
qu'en Allemagne.
La principale caufe qui a empêché le
théatre allemand d'acquerir le dégré de
perfection auquel font parvenus les théâtres
d'Italie , d'Angleterre , & fur-tout celui
de France ; c'eft qu'ayant été en proye
à des troupes de bâteleurs errans , qui couroient
de foire en foire par toute l'Allemagne
, jouant de mauvaiſes farces pour
amufer la populace , les honnêtes gens fe
font revoltés contre cette forte de fpectacles
, & l'Eglife les a condamnés comme
propres par leur indécence , à corrompre
les moeurs. Il ne s'eft pas trouvé un homme
du monde , pas un génie d'un certain
ordre qui ait voulu travailler pour de pareils
hiftrions.
Le premier vice du théatre allemand
étoit donc de manquer de bonnes pieces ;
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
celles qu'on y repréfentoit , devenoient
également odieufes , & par le plan & par
l'exécution . On n'y voyoit jamais une
époque de la vie , un événement développé
; c'étoit toujours des hiftoires , quelquefois
de plufieurs fiécles : les régles du
dramatique y étoient tout- à - fait inconnues
, & les Comédiens donnoient une
pleine carriere à leur imagination.
La comédie qu'on jouoit le plus univerfellement
, c'étoit Adam & Eve , ou la
chute du premier homme ; elle n'eft pas encore
tout -à - fait profcrite , & il n'y a que
quelques années qu'on l'a repréfentée à
Strasbourg. On y voit une groffe Eve ,
dont le corps eft couvert d'une fimple
toile couleur de chair , exactement collée
fur la peau avec une petite ceinture de
feuilles de figuier , ce qui forme une nudité
très dégoûtante . Adam eft fagoté de
même. Le pere Eternel paroît avec une
vieille robe de chambre , affeublé d'une
vafte perruque & d'une grande barbe blanche
; les diables font les bouffons & les
mauvais plaifans.
Une autre piece que les Comédiens regardoient
comme une tragédie fublime ,
& qu'ils nommoient dans leurs affiches ,
une action d'éclat & d'état , c'eft Bajazet
Tamerlan. Après que ces deux rivaux
DECEMBRE. 1754. 81
de la tyrannie fe font fait dire par leurs
Ambaffadeurs , les invectives les plus atroces
& les faletés les plus groffieres , ils en
viennent à la bataille qui fe donne fur le
théatre. On voit Tamerlan qui terraffe
Bajazet : ces Princes fe prennent à braffecorps
, & font des efforts terribles pour s'étrangler
mutuellement , en jettant des cris
& des hurlemens affreux .
Dans une tragédie , intitulée Diocletien
, cet Empereur , grand perfécuteur des
Chrétiens , apprend que la belle Dorothée
a embraffé en cachette le Chriftianifme :
tranſporté de colere il fait venir fon Général
Antonin ; & lui commande de violer publiquement
cette Princeffe.Bien loin d'exécuter
cet étrange ordre , Antonin conçoit
pour elle un amour refpectueux & tâche de
la fauver. L'Empereur féduit par les mauvais
confeils de fon Chancelier , fait couper
la tête à la Princeffe , & cette exécution fe
paffe fur le théatre à la vûe des fpectateurs.
Dioclétien ne tarde point à fe repentir
de fon crime ; mais un moment
après il eft englouti par la terre. Le Général
Antonin perd la raifon de defefpoir , &
fait mille extravagances ; il s'endort à la
fin : Arlequin furvient , & le réveille avec
un jeu de cartes , en lui criant aux oreilles :
quatre matadors & fans prendre.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Le bouffon ou plaiſant de la véritable
comédie allemande eft appellé Jean fauciffe
( Hans-Wurft ) ; c'eft une efpéce de
balourd. Pour être parfait en fon genre ,
on veut qu'il ait l'accent Saltzbourgeois ; il
a le privilége de dire des faletés : au prix
de lui le Polichinel François eft très- poli .
Dans une piece intitulée Charles XII ,
Roi de Suede , le Général Fierabras commande
dans la fortereffe de Friderichshall
; il paroît fur les remparts , provoque
Charles XII , lui chante pouille , & l'appelle
fanfaron. Charles de fon côté le menace
qu'il le fera hacher menu comme
chair a pâté. Sur quoi le Roi va reconnoître
la ville. Jean Sauciffe qui est en faction ,
lui crie : Qui va là ? Le Roi répond , Charles
XII , & ajoute : Et toi , qui es -tu ?
Jean Sauciffe XIII , lui replique le bouffon
, en lui faifant la généalogie des Jean
Sauciffe. A la fin Charles fe met de mauvaiſe
humeur & fait commencer la canonnade
; mais il est bientôt étendu fur le
carreau. Fierabras fuivi de Jean Sauciffe ,
fort de la place ; & après avoir chanté victoire
fur le cadavre du Roi Suédois , il regagne
la ville , & la piece finit.
Ce n'eft pas que parmi tant de fottifes
on ne voye de tems en tems fur l'ancien
théatre allemand quelques bluettes d'efDECEMBRE
. 1754- 85
prit , quelques faillies plaifantes. Il y a
certainement des traits qui font rire , même
les honnêtes gens ; mais ils font rares &
prefque toujours défigurés par des poliffonneries
groffieres , ou par le noeud ridicule
de la piece.
Un autre défaut de ces anciennes pieces
allemandes , & qui n'eft pas des moindres ,
c'eft qu'elles ne font pas écrites d'un bout
à l'autre. Les Comédiens pour l'ordinaire
n'en ont que le cannevas , & jouent le
refte d'imagination . Jean Sauciffe fur-tout
y trouve unbeau champ pour donner carriere
à fes plaifanteries.
Au refte tout étoit mauffade dans ce
fpectacle : une mauvaiſe cabanne de planches
fervoit de maifon ; les décorations y
étoient pitoyables ; les acteurs vêtus de
de haillons & coëffés de grandes & vieilles
perruques , reflembloient à des fiacres
habillés en héros : en un mot , la comédie
étoit un divertiffement abandonné à la lie
du peuple.
Au milieu de cette barbarie une femme
aimable ofa concevoir le deffein d'épurer
le théatre allemand , de lui donner une
forme raisonnable , & de le porter , s'il étoit
Foffible , à la perfection ; but que les ef-
Frits d'un certain ordre fe propofent toujours
dans leurs entrepriſes. Cette femme
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
étoit Madame Neuber , épouſe d'un affez
mauvais Comédien , mais bonne actrice :
outre fon talent pour le théatre , elle en a
beaucoup pour la Poëfie , fuite du génie &
du goût avec lefquels elle eft née . Ses premiers
fuccès furent d'abord très- brillans ;
elle commença par s'affarer de plufieurs
bons acteurs , & en forma d'autres . Ce ne
fut pas une petite acquifition que celle
qu'elle fit en Monfieur Koch , Comédien ,
qui auroit paffé même à Paris pour excellent
, s'il avoit fçu la langue Françoiſe
auffi bien qu'il poffedoit l'Allemande : c'étoit
d'ailleurs un homme d'efprit qui avoit
de bonnes études , & qui dans la fuite a
traduit en vers allemands quelques-unes
des meilleures pieces Françoifes.
Mais ce n'étoit pas le tout d'avoir de
bons acteurs ; Madame Neuber crut avec
raifon qu'il falloit auffi fe pourvoir de
bonnes pieces , & rien n'étoit plus difficile
par les raifons qu'on vient de rapporter.
Elle s'avifa du meilleur expédient qu'elle
pût prendre , & réfolut de commencer par
donner au public de bonnes traductions
avant que de fonger à lui préfenter des
originaux. Son premier début fut en Saxe ,
& elle y trouva des fecours . M. Gottſched
accorda une espece de protection à ce théatre
naiflant , & le fournit non feulement
DECEMBRE . 1754. 85
de quelques bonnes verfions de pieces
françoifes , mais auffi de plufieurs Comédies
de fa façon ou de celle de fes amis ,
& entr'autres d'une tragédie qui feroit
belle dans toutes les langues du monde ;
c'eſt la mort de Caton , imitée en partie
de l'Anglois de M. Addiffon , & en partie
de l'invention de M. Gottfched. M. Koch
travailla auffi de fon côté avec fuccès à la
traduction des meilleures pieces du théatre
François , & le public goûta avec avidité
ces beautés nouvelles qui parurent fur
la fcene allemande .
Le théatre de Madame Neuber avoit
déja fait de grands progrès , lorqu'elle vint
débuter à Hambourg ; elle y trouva des
perfonnes de goût & des gens de lettres ,
amateurs des beaux Arts , dont les travaux
contribuerent beaucoup aux progrès dramatiques.
M. de Stuven dont les talens ont
été employés depuis plus utilement par
deux grands Princes , fut excité par fon
beau génie à confacrer fes momens de loifir
aux ouvrages dramatiques Il traduifit
en peu de tems , avec autant d'élégance que
de fidélité , Phédre & Hippolyte , Britannicus
, le Comte d'Effex , Brutus & Alzire. Il
a été depuis imité par plufieurs de fes compatriotes
; & peu s'en faut qu'on n'ait aujourd'hui
en Allemand les meilleures pie86
MERCURE DE FRANCE.
ces de Corneille , de Racine , de Voltaire ,
de Crébillon , de Campiftron , de Moliere ,
de Regnard , de Deftouches , en un mot
des plus célebres tragiques & comiques
François. Les Allemands font à cet égard
auffi riches que les Anglois , qui ont approprié
à leur théatre des traductions des plus
excellentes pieces Françoifes.
Ceux qui font au fait des détails du
théatre , fçavent combien il faut de dépenfes
& de goût pour l'habillement des
acteurs , pour les décorations & pour mille
autres befoins , dont le fpectateur s'apperçoit
à peine , mais qui font ruineux pour
les entrepreneurs. Mme Neuber n'eut pour
fubvenir à tous ces frais & pour la réuffite
de toutes fes entrepriſes , que la générosité
de quelques particuliers & les reffources
de fon efprit. Mais le croira- t- on ? Cette
femme à laquelle on ne fçauroit difputer
la gloire d'avoir produit en Allemagne le
premier théatre raisonnable , a été pendant
plufieurs années en bute à la fatyre la plus
noire & la plus amere , & fe trouve maintenant
réduite par les perfécutions de fes
ennemis à un état d'indigence , qui fait
honte au fiécle & à la nation. Au lieu de
reconnoiffance & d'encouragement, elle n'a
rencontré que des traverfes & de l'envie.
La defunion s'eft mife auffi dans fa troupe ,
DECEMBRE. 1754. 87
& plufieurs autres circonstances ont concouru
à la décadence de ce théatre , chacun
des principaux acteurs ayant eu l'ambition
d'être chef de troupe , & de fe former une
compagnie féparée. Cette mefintelligence
a tout ruiné. Du fein de la troupe de Mme
Neuber font forties celles de Schonemann
de Koch , de Shuch & d'autres , qui fe n
fant réciproquement n'ont pu s'élever chacune
en particulier à la perfection qu'elles
auroient atteinte fi elles fuffent demeurées
unies. Aujourd'hui chacune de ces troupes
eft défectueufe par quelque endroit , &
fur-tout par les acteurs , qui faifant de leur
art une fimple profeffion méchanique
jouent pour l'ordinaire fans efprit & fans
ame. Ils font ou froids à glacer, ou furieux.
Ce qui choque d'ailleurs beaucoup fur la
ene allemande , c'eft la façon mauffade
& prefque indécente dont s'habillent , fe
chauffent & fe coëffent les Comédiens Allemands
, fur-tout les femmes : on n'y
trouve point ce goût & ces graces fi néceffaires
pour plaire au public raifonnable .
Tout cet expofé prouve qu'il feroit poffible
de porter le théatre allemand à un
certain dégré de perfection ; mais il fait
voir en même tems que la chofe ne fe fera
jamais à moins que quelque Prince éclairé
ne s'en mêle , & n'entretienne à fes dépens
38 MERCURE DE FRANCE.
une bonne troupe , dirigée par un de ſes
courtifans , qui foit au fait du fpectacle.
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Soumis par kipfmullerl le