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Titre

ESSAI PHILOSOPHIQUE.

Titre d'après la table

Essai philosophique,

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Incipit

L'Histoire de l'esprit humain est l'étude la plus flateuse & en même tems la

Texte
ESSAI PHILOSOPHIQUE.
'Hiftoire de l'efprit humain eft l'étude
la plus flateufe & en même tems la
plus humiliante pour un fage. Après bien
des réflexions , l'homme n'eft plus à fes yeux
qu'une efpece bizarre en qui la mifere &
la grandeur fe tiennent par la main , &
dont l'être entier eft un paradoxe. Si on
le confidere du côté des lumieres de l'efprit
, il n'eft jamais fi petit que lorfqu'il
paroît monté à fon plus haut point d'élévation.
Les connoiffances les plus refé7
DECEMBRE 1754 . 47
chies n'ont fervi aux efprits bienfaits qu'à
leur faire voir de plus près leur ignorance
, & n'ont fait qu'égarer les autres . La
Philofophie dont le but doit être de nous
apprendre nos devoirs , n'a gueres fervi
qu'à fournir des prétextes pour fe difpenfer
de les remplir . La religion fur tour
cet objet fi intéreſſant pour nous , puif
qu'il décidé de notre fort dans cette vie
& de celui qui nous attend dans l'immenfité
de la nature ; la religion , dis- je , a
prefque toujours été la victime des fauffes
lumieres de la raifonte Suivons la marche
de l'incrédulité , nous la verrons , à la honte
de l'efprit humain , s'élever avec l'aurore
de la Philofophie , s'accroître avec elle
par dégrès , & la fuivre dans tous fes développemens.
L'existence d'une divinité , cette vérité fi
fimple que le fentiment démontre à tous les
hommes , ne devint un paradoxe que lorfque
la raifon voulut la foumettre à l'analy
fe. Prefque tous les Philofophes anciens la
nierent ; Philofophe & Athée chez les Grecs
& les Romains étoient à peu- près fynonymes
, & on mettoit , dit Cicéron , au nombre
des propofitions probables celles - ci :
Les meres aiment leurs enfans : les Philofophes
ne croyent point de dieux . Thalés , Démocrite
, Epicure , &c. enfeignerent l'Athéif48
MERCURE DE FRANCE.
me : on ne fçaitpas fi Ariftote a été Athée ,
parce qu'il ne s'eft pas expliqué affez clairement
, mais au moins nia- t-il , la providence.
Pour Straton fon difciple , il fit un
fyftême de matérialiſme des plus décidés.
Tous les autres embrafferent le Scepticifme
, qui ne vaut pas mieux que l'Athéifme..
L'impiété ne prit chez les Romains que
fort tard , parce qu'ils ne connurent la
Philofophie que fort tard. Quelques Sçavans
qui voyagerengen Gréce , y puiferent
avec les principes de la Philofophie , ceux
de l'irréligion . Lucrece afficha le Matérialifme
; & les écrits de Cicéron , de Pline
& Senéque , refpirent le Scepticiſme.
Si nous paffons au Judaïfme , nous verrons
la religion de Moïfe confervée avec
vénération chez les Hébreux , malgré la
captivité , la difperfion & les révolutions
qu'ils eurent à effuyer , jufqu'à ce que la
Philofophie s'étant mêlée parmi eux , on
vit naître le Saducéïfme qui rejetta la fpiritualité
& l'immortalité de l'ame . Cette
fecte impie fut non feulement tolérée &
admife à la communion judaïque ; mais
on vit même un de fes plus zélés partifans ,
le célebre Hircan , affis fur le thrône pontifical.
Dans les premiers fiécles du Chriftianifine
,
DECEMBRE. 1754 49
nifme , où la religion devoit être d'autant
plus pure qu'elle étoit plus près de fa
fource , l'introduction de la Philofophie
payenne ouvrit la porte à l'erreur. Le Platoniſme
étoit pour lors en regne , la conformité
de ce lyftême avec quelques dogmes
de la religion le firent adopter : de
là cette foule d'héréfies , qui ne font qu'un
mêlange monstrueux des principes du
Chriftianifme avec quelques idées des
Philofophes payens , & qui ne furent enfantées
ni par l'erreur ni par le fanatif
me. Leurs Auteurs étoient des ambitieux
fans religion , qui fe jouant de la crédulité
des peuples , en firent l'inftrument de
leur ambition .
La Philofophie ayant été tranſplantée
chez les Arabes dans le VIII fiécle , ne
manqua pas de répandre fes influences fur
la religion de ces peuples. Le célebre Almanzor
, ce Calife Aftronome & Philofophe
, & après lui Abdallah & Almamon
voulant faire fleurir les Arts & les Sciences
chez cette nation , jufques- là barbare ,
y attirerent plufieurs fçavans , & firent traduire
en Arabe les meilleurs Auteurs anciens
& fur-tout leurs ouvrages philofophiques.
Le goût de la Philofophie s'étant
répandu , les efprits devinrent plus éclairés,
& l'Alcoran perdit en même tems beau-
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
coup de la vénération qu'on lui portoit.
On vit naître une fecte de Philofophes ,
Médecins & Chymiftes , la plûpart Athées.
On ne connoît que trop le fameux Aver
roës , dont le fyftême de matérialiſme trouva
des profelites jufqu'en Europe . La dégradation
du Mahometifme ne manqua pas
d'exciter les murmures des zélés Mufulmans.
Bayle rapporte que Takiddin , un
de leurs Auteurs , s'éleva fort contre Almanzor
qu'il menaça de la colere célefte
pour avoir altéré la dévotion des vrais
croyans par l'introduction de la Philofophie.
Enfin par tout où vous trouverez les
traces de la Philofophie , vous trouverez
celles de l'irréligion qui la fuit toujours.

Lotfque Mahomet II eut pris Conftantinople
, où l'empire des Lettres avoit été
tranfplanté avec l'Empire Romain , les plus
fçavans hommes de la Grece fe retirerent
en Italie , où ils porterent les femences de
l'athéifme , qui s'y développa avec une rapidité
prodigieufe. Il est étonnant combien
on vit paroître d'athées en Italie dans les 15
& 16 fiécles ; on n'en a point connu en
France avant la reftauration des lettres par
François I. Mais depuis cette époque , la
philofophie y ayant monté au point de perfection
où elle eft aujourd'hui , l'incrédu
lité a gagné du terrein , & a ſuivi les mêDECEMBRE
. 1754
Sx
mes proportions dans fes progrès.
Les abus que les efprits forts ont fait
de tous les fyftêmes philophiques prouvent
que les principes de la philofophie ne font
pas faits
pour être adaptés à ceux de la
religion. Le pere de la philofophie mo-
1 derne , Descartes a malheureuſement
moins réuffi à démontrer l'exiſtence d'un
Dieu qu'à prouver que l'univers a pû fe
former & fe conferver tel qu'il eft par les
loix générales du mouvement. Quelque
éloigné que Defcartes ait voulu paroître
d'appuyer l'athéifme par ſon ſyſtême , il
n'en eft pas moins vrai que Spinofa n'a
fondé fon hypothèſe que fur les principes
du Cartefianifme. Bayle s'eft fervi de
ces mêmes principes pour établir fon fyftême
de pyrronifme , & pour combattre
tous les raifonnemens que l'on pouvoit
faire en faveur de la religion.
L'optimisme du célébre Leibnitz conduit
naturellement au fatalifme , & eft
d'autant plus féduifant qu'il juftifie la providence
de l'imputation du mal moral &
du mal phyfique ; l'harmonie préétablie du
même philofophe exclut toute liberté dans
l'homme.
Locke , ce fage & dangereux métaphyficien
, doit être regardé comme le pere du
matérialiſme moderne. Démontrer, comme
Cij
52. MERCURE DE FRANCE.
il prétendoit l'avoir fait , que la matiere
peut penfer , c'étoit en bonne logique démontrer
qu'elle penfe effectivement ; car
fi la matière eft fufceptible d'intelligence ,
la création d'une autre fubftance feroit
un hors d'oeuvre , & nous ferions d'autant
plus autorisés à la rejetter qu'il n'y a
que la néceffité de fon exiftence pour expliquer
la penfée , qui puiffe faire recourir
à un être qu'il nous eft impoffible de
concevoir.
Le grand Newton , malgré fon reſpect
pour la Divinité , n'a pû empêcher que
fon fyftême ne foit un des plus favorables
à l'irréligion ; & les pfeudo-Newtoniens ,
je veux dire ceux qui regardent , certe le
fentiment de Newton , l'attraction comme
une qualité effentielle à la matiere , font
de ce principe la baſe de l'athéifme le plus
décidé.
Mallebranche , qui a été le philofphe le
plus pénétré des fentimens de la religion ,
eft un de ceux dont les opinions ont été les
plus dangereufes ; fes principes l'avoient
conduit à nier l'existence des corps , & il
ne la croyoit que parce que l'Ecriture Sainte
le lui enfeignoit. En fuivant fes idées ,
d'autres ont conclu de la non - exiſtence de
la matiere , que les livres de l'écriture n'étoient
, ainfi que les corps , qu'une illufion
DECEMBRE . 1754 $ 3
des fens. Je regarde Mallebranche comme
l'auteur de la fecte des idéaliſtes , plus étendue
qu'on ne penfe , & dont l'opinion eft
un pur fcepticiſme , abfurde au premier
coup d'oeil , mais qui n'en devient que plus
dangereux dès qu'on l'approfondit.
Ce font là cependant les oracles de la
philofophie : fi les lumieres de leur efprit
& la droiture de leur coeur n'ont pû les
mettre à l'abri de l'erreur , croyons que
notre raiſon eft un flambeau trop foible
pour nous éclairer , & cherchons une
lumiere plus fûre , que nous ne pouvons
trouver que dans la religion : notre ame
ne fe connoît pas elle-même , ni le corps
qu'elle gouverne , ni les objets avec lefquels
elle a des rapports immédiats ; comment
connoîtroit- elle les rapports de l'homme
avec l'être fuprême ? elle ne peut parcourir
la chaîne immenfe qui les fépare :
qu'elle refte donc dans fa fphere. Reconnoiffons
la foibleffe & l'impuiffance de
notre raison , qui n'eft pas même capable
de me prouver l'existence de mon propre
corps , le fentiment feul me le perfuade ,
& je ne puis en douter : ainfi je ne fuis
pas convaincu , mais je fens l'exiſtence
d'un être fuprême , & la néceffité d'un
culte ; cela me me fuffit , je me tais , &
j'adore .
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Soumis par kipfmullerl le