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Titre

HISTOIRE MORALE.

Titre d'après la table

Histoire morale,

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Incipit

Un jour en me promenant avec mon air abstrait & négligé, les yeux égarés

Texte
HISTOIRE MORALE.
UNF
jour en me promenant avec mon
air abitrait & négligé , les yeux égarés
& la tête baiffée , je m'étois écarté plus
loin qu'à mon ordinaire ; je m'approchai
prefque fans m'en appercevoir du château
de C*** De vaftes parterres bordés d'orangers
, femés de mille fleurs brillantes
qu'arrofent des ruiffeaux argentés , & que
careffoit le tendre zéphir , parfumoient
l'air de leurs délicieufes odeurs . Des allées
dont les extrêmités échappoient à la vûe
formoient ici des berceaux fombres & folitaires
, qui ne laifoient pas échapper
un feul rayon du foleil. Là des ombrages
moins épais fe mêlangeoient agréablement
avec la foible lumiere du foleil fur fon
déclin . D'un autre côté , des grottes tapiffées
de verdure , ou des cafcades orageufes
précipitoient du haut d'un rocher des
ondes de cryftal . En un mot , l'art & la nature
femblent s'être difputés la gloire d'embellir
ce féjour . Un palais majestueux &
commode fitué au fommet d'un amphithéatre
, formé par un côteau riant , acheve
de rendre magnifique cette demeure délicicufe.
Je fortois peu à- peu de ma rêverie ,
DECEMBRE. 1754. 3.I
& je commençois à jouir du fpectacle
dont je n'ai tracé qu'une foible peinture ,
lorfque j'entendis des foupirs lugubres ,
interrompus par des fanglots fréquens . Je
me tournai avec émotion , & j'apperçus un
vieillard vénérable courbé fur fes genoux ,
& qui paroiffoit accablé de douleur . Je
m'approchai à la faveur d'une charmille
fans être vû ; & plein d'une agitation d'autant
plus grande que la pitié pour laquelle
nous fommes faits , trouva mon coeur tranquille
, je le confiderai quelque tems . Mon
trouble augmenta fenfiblement quand je
reconnus ce vieillard pour une perfonne
avec qui j'avois eu quelque liaiſon , que
j'eftimois beaucoup , & que mon âge ,
profeffion , mes voyages , m'avoient fait
perdre de vûe depuis long- tems.
ma
Je l'abordai auffi - tôt , & le priai de
m'apprendre la caufe de fes pleurs. Il ne
me répondit qu'en verfant de nouvelles
larmes . Je pleurai avec lui , je le preſſai de
répandre fon chagrin dans mon coeur : je
mérite de l'adoucir , lui dis -je , puifque.
ma douleur me le fait partager avec vous.
Sa ſurpriſe ſembla calmer fa douleur. Il
me reconnut , il m'embraffa , & il me répondit
ces mots que fes fanglots interrompirent
mille fois : vous voyez , me ditil
en étendant la main , ce palais , ces
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jardins ! hélas ! l'unique héritier de ces
» biens n'eft plus ; la mort vient de l'enle-
» ver à la fleur de fon âge ; fa jeuneſſe me
» fut confiée , & mes foins n'avoient pas
» été fuperflus ; il étoit vertueux . Occupé
» depuis deux jours à confoler les parens
» infortunés de ce jeune homme , je cache
ע
avec peine le chagrin qui me dévore . Je
» venois un moment dans cette retraite
» donner un libre cours à mes pleurs , &
» chercher dans l'abandon à ma douleur
» le courage néceffaire pour effuyer leurs
» larmes. Si j'en dois juger par l'amertume
»de votre douleur , lui répondis-je , quelle
ne doit point être celle des parens qui
» ent perdu un fils chéri , un fils unique ,
» vertueux , déja avancé , & qui font eux-
» mêmes dans un âge où ils ne peuvent
plus efperer d'en avoir ! Cependant ,
» ajoutai- je , il faut l'efperer , le tems &
vos foins adouciront leurs peines. Hélas
! me repliqua - t- il , le tems appaiſe- til
les remords ? Quels remords peuvent-
» ils avoir , lui dis- je , s'ils ont donné
» tous leurs foins au fils qu'ils ont perdu ?
"
و ر
Ce n'eft pas lui qui les excite , reprit- il ,
» mais vous fçavez la coutume des riches :
» à peine ont- ils un ou deux enfans qu'ils
craignent de ne pouvoir pas les élever, les
doter d'une maniere affez diftinguée ; ils
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"fe privent de ce qu'il y ade plus doux dans
» le lien conjugal , afin de ne pas augmen
» ter une famille qui leur paroît d'autant
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plus à charge que leurs biens font plus
» confidérables. C'eft là le crime que fe
» reprochent les poffeffeurs , d'ailleurs fi
» vertueux , de ce château : ils fentent à
préfent de quels biens , de quelle confolation
ils fe font privés . Telles font les
» leçons de l'adverfité ! Faut il donc que
» les hommes apprennent leur devoir d'un
» maître fi rude ? Mais , ajoûta-t-il les lar-
» mes aux yeux , je ne fçaurois les aban-
» donner plus long- tems ; il faut aller les
» diftraire , s'il eft poffible , finon pleurer
» avec eux . Adieu .
A ces mots il me laiffa étourdi comme
វ je fuffe forti d'un profond fommeil . Les
objets les plus ordinaires ont une face fous
laquelle ils font en droit de nous furprendre.
Il faudroit n'avoir jamais effuyé de
difgraces ou n'être pas hómme , pour être
infenfible au malheur des autres . Je fus
vivement frappé du fort de ce pere infortuné
, qui venoit de perdre fon fils . Je me
le repréfentois errant çà & là dans fes vaftes
appartemens , cherchant à fe rappeller
un fils dont le fouvenir déchire fon coeur.
Ici après une longue abfence , il avoit reçu
fes premiers embraffemens : là il avoit
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34 MERCURE DE FRANCE.
eu avec lui les plus doux entretiens ailleurs
fon fils prenoit fes recréations , & les
recréations du fils étoient les plaifirs du
pere. Par-tout il retrouve l'image d'un fils
chéri ; par-tout il lit ces triftes mots , il
n'eft plus, il n'est plus ! ... Quel abandon '
quelle défolation ! Il n'y a donc plus de
plaifir pour lui , plus de momens heureux ,
plus de tranquillité , plus de repos ! Il va
paffer les triftes reftes d'une vie malheureufe
, fans foutien , fans confiance , fans parens
, fans amis : car quels parens & quels
amis , que ceux qu'attireront auprès de
lui de grandes richeffes dont ils efperent
la fucceffion !
C'est maintenant qu'il fent de quels
biens il s'eft privé , en refufant les enfans
qu'il ne tenoit qu'à lui d'avoir. Si fa famille
eût été nombreuſe ( j'ofe l'affurer , &
ceux qui fe connoiffent en fentiment ne
me démentiront pas ) , fes plaifirs auroient
augmenté avec les enfans ; chacun d'eux
l'auroit confolé des chagrins & des allarmes
que les autres lui auroient donnés
& maintenant il auroit de la douleur , je
l'avoue , mais il ne feroit pas inconfolable
; il feroit du moins fans remords . Un
pere feroit fans doute bien injufte & bien
cruel , qui laifferoit à l'un de fes enfans des
biens immenſes , tandis qu'il réduiroit les
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autres à la mendicité . Mais n'eft-il pas encore
plus injufte de priver les uns de l'exiftence
avant qu'ils foient nés , & de leur
refufer la vie , pour procurer aux autres
quelques prétendus avantages ?
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Soumis par kipfmullerl le