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Titre d'après la table

Eloge de feu Mr de Corneille.

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Incipit

Je vous tiens parole, & je m'acquitte de ce que je vous ay promis

Texte
Je vous tiens parole , &je
m'acquitte de ce que je vous
ay promis en vous envoyant
l'Eloge de feu Mr de Corneille, Ecuyer, mort à l'âge de 84.
ans. Il a porté le nom de
Jeune , dans un âge fort avancé , à caufe qu'il avoit un frere
plus âgé que luy , connu fous
le nom du grand Corneille , &
qui s'eftoit acquis ce furnom
a jufte titre. On avoit encore
donné au cadet le furnom
d'honneste homme , à caufe de la
GALANT 271-
droiture de fon cœur generalement connue. Il eftoit univerfellement aimé , & il n'a
pas paru qu'il ait jamais eu
aucun ennemy ni qu'il fe foit
brouillé avec perfonne. Il étoit
obligeant, d'une humeur douce, & fe faifoit un plaifir d'en
faire à tous ceux qui en fouhaitoient de luy.
Comme l'efprit eftoit hereditaire dans fa famille , il ne
faut pas s'eftonner s'il prit le
party des Lettres. Il eftoit univerfel , & la Poëſie n'a pas fait
fon unique occupation. Il a
donné cinq gros Volumes in
Z iiij
272 MERCURE
F
Folio au Public , dont je vous
parleray dans la fuite , ainfi
que d'autres ouvrages de Profe. Ses premiers ont efté des
preuves du talent qu'il avoit
pour la Poësie , & c'eft ordinairement par où les jeunes
gens commencent à exercet
leur efprit. Iltraduifit les Methamorphofes d'Ovide, &p'ufieurs autres Ouvrages de ce
galant Auteur en Vers François , dont on a fait un grand
nombre d'Editions. Ses Ouvrages de Theatre ont diverty
la Cour pendant tout le temps
de la Regence , & long- temps.

GALANI 273
aptés , &parmy fes Comedies
& fes Tragedies , dont je ne
vous nommeray que quelquesunes , puifque le Recueil de
fes Pieces eft imprimé , il y en
a eu dont les fuccés ont furpaffe ceux des Pieces des plus
fameux Auteurs ; & entre fes
Comedies , Dom Bertrand de
Sigaralle , a cfté fi eftimé & fi
fuivy, que l'on a remarqué que
pendant un certain nombre
d'années , il a efté joué plus de
vingt fois à la Cour , fans les
reprefentations qui en ont efté
données au Public. Mr de
Corneille n'eftoit encore que
274 MERCURE
dans un âge tres-peu avancé,
lors qu'ilfit jouer fur le Theatre du Marais , le Tymocrate.
Nous n'avons point yû d'Ouvrage de nos jours qui ait efté
reprefenté fi long- temps de
fuite , puifque les reprefentations en furent continuées pendant un hyver entier ; & cette
Piece fit tant de bruit , que le
Roy l'alla voir fur le Theatre
du Marais. Le fujet de cette
Piece fut fi heureux , & cette
Tragedie fut fi intereſſante,
qu'on vit paroiftre auffi toſt
plufieurs Pieces, dont les Heros eftoient haïs fous un nom
GALANT 275
& aimez fous un autre. Comme la Troupe des Comediens
du Marais ne paffoit pas pour
eftre la meilleure de Paris , &
que celle de l'Hoſtel de Bourgogne la furpaffoit infiniment,
& qu'elle avoit toutes les voix,
cetteTroupe entreprit de jouer
cette Piece , à caufe de la reputation extraordinaire qu'el
le avoit euë ; mais comme
tout Paris la fçavoit par cœur,
cette Troupe n'eût pas tous
les applaudiffemens qu'elle at.
tendoit , & le grand nombre
de Reprefentations qu'en avoient donné les Comediens
+
276 MERCURE
du Marais , avoient fait qu'ils
poffedoient fi bien cette Piece , qu'il fut impoffible aux
Copies d'atteindre jufqu'à la
perfection des Originaux ; de
maniere que lors qu'il eftoit
queftion de la voir reprefenter on preferoit les Comediens du Marais à ceux del'Hôtel de Bourgogne.
Mr de Corneille fit jouer
quelque temps aprés la mort
de l'Empereur Comode fur le
mefine Theatre des Coinediens du Marais , où le Roy
& toute la Cour , fur le bruit
qui fe répandit des grands ap
GALANT 277
plaudiffemens que cette Piece
recevoit , allerent en voir la
reprefentation & quelque
temps aprés elle fut jouée fur
le Theatre du Louvre , où l'on
en donna encore enſuite plufieurs reprefentations.
Les Comediens de l'Hoftel
de Bourgogne , chagrins des
avantages que recevoient les
Comediens du Marais , mirent
tout en ufage pour s'acquerir
M'de Corneille , & il fe trouva obligé de travailler pour
eux , parce qu'ils avoient fait
entrer dans leur Troupe quelques Comediens du Marais ,
278 MERCURE
fans lefquels fes Pieces auroient
eſté mal jouées. Il fit donc reprefenter le Stilicon fur le
Theatre de l'Hoftel de Bourgogne. Je ne vous dis rien de
cette Piece. Perfonne n'ignore
qu'elle fut le charme de tout
Paris. M' de Corneille donna
enfuite Camma , Reine de Galatie , & la Cour & la Ville ſc
trouverent en fi grand nombre aux Repreſentions de cette Piece , que les Comediens
ne trouvoient pas de place fur
le Theatre pour pouvoir jouer
avec tranquilité , & il arriva
une chofe en ce temps- là qui
GALANT 279
n'avoit point encore eſté faite
par aucune Troupe. Les Comediensjufqu'à cette Piece n'avoient joué la Comedie que
les Dimanches , les Mardis , &
les Vendredis ; mais ils commencerent à caufe de la foule ,
à jouer les Jeudis , ce qui leur
arriva dans la fuite , lors que
les Pieces eftoient fort fuivies ,
ce qu'ils ont toûjours fait depuis, & ce qui leur a vallu beaucoup d'argent.
Parmi fes Tragedies on en
trouve une qui a paffé pour un
Chef-d'œuvre. Jamais Piece.
n'a efté plus touchante & plus
-
280 MERCURE
fuivie. C'eft de l'Ariane dont
je veux parler , & ce qui doit
furprendre tout le monde , eft
que M' de Corneille eftant retiré à la Campagne avoit fait
cette Piece en quarante jours.
Il n'avoit pas moins de facilité
à travailler à fes ouvrages de
Theatre, que de memoire pour
les retenir , & tous ceux qui
l'ont connu particulierement.
ont efté témoins que lors qu'il
eftoit prié delire fes Pieces dans
quelques Compagnies , ce qui
cftoit autrefois fort en ufage ,
il les recitoit mieux qu'aucun
Comedien n'auroit pû faire ,
GALANT 281
fans rien lire ; il eftoit fi fûr de
fa memoire , quefouvent il ne
portoit point fes Pieces avec
luy.
Les Comediens m'ayant
preffé avec de fortes inftances ,
de mettre aprés la mort de M
Voifin tout ce qui s'eftoit paf
fé chez elle pendant fa vie à
l'occafion du mêtier dont elle
s'eitoit mêlée , je fis un grand
nombre de Scenes qui auroient
pû fournir de la matiere pour
trois ou quatre Pieces ; mais
qui ne pouvoient former un
fujet parce qu'il eftoit trop uniforme, & qu'il nes'agiffoit que
Fanvier 1710. Aa
282 MERCURE
de gens qui alloient demander
leur bonne - avanture , & faire
des propofitions qui la regardoient ; mais toutes ces Scenes.
ne pouvant former le neud
d'une Comedie , parce que
toutes ces perfonnes ſe fuyant
& évitant de fe parler , il eftoit
impoffible de faire une liaifon
de Scenes , & que la Piece puſt
avoir unnœud ; je luy donnay
mes Scenes , & il en choifit un
nombre avec lefquelles il compofa un fujet dont le noud
parut des plus agreable , &qui
a efté regardé comme un Chefd'œuvre. Le fuccés de cette
GALANT 283
Piece qui a efté un des plus prodigieux du fiecle , en fait foy.
Le fuccés de la Comedie de
'Inconnu a efté auffi des plus
grands. Il y avoit des raifons
pour donner promptement
cette Piece au Public ; de maniere que pour avancer , je fis
toute la Piece en Profe , &
pendant que je faifois la Profe
du fecond Acte , il mettoit
celle du premier Acte en Vers ;
& comme la Profe eft plus facile que les Vers , j'eus le temps
de faire ceux des Divertiffemens , & fur tout du Dialogue
Aa ij
284 MERCURE
de l'Amour & de l'Amitié qui
n'a pas déplu au Public. Nous
avons fait encore enfemble la
fuperbe Piece de Machines de
Circé , de laquelle je n'ay fait
que les Divertiffemens. Les
Comediens avoient traité du
Theatre des Opera de feu M
le Marquis de Sourdeac ; &
comme tous les mouvemens
des Opera y eftoient reftez ,
je crus qu'en fe fervantedes
mefines mouvemens qui a
voient fervi aux Machines de
ces Opera , on pourroit faire
une Piece qui feroit recitées
GALANT 285
& non chantée , & nous
cherchâmes un fujet favora
ble à mettre ces Machines
dans leur jour. De maniere
que lorsque la Piece parut elle
ne reffembloit en rien aux Opera qui avoient eſté chantez
fur le même Theatre. Le fuccés de cette Piece fut fi prodigieux qu'elle fut jouée fans
interruption depuis le commencement du Carefme jufqu'au mois de Septembre ,
& les Reprefentations en auroient encore duré plus longtemps fi les intereſts d'un Par
ticulier n'en euffent point fait
286 MERCURE
retrancher les voix. Il eft à remarquer que pendant les fix
premieres femaines , la Salle de
la Comedie fe trouva toute
remplie dés midi ; & que com
me l'on n'y pouvoit trouver
de place on donnoit un demi
Louis d'or à la porte , feulement pour y avoir entrée , &
que l'on eftoit content quand
pour la même fomme que l'on
donnoit aux premieres Loges ,
on eftoit placé au troisième
rang. Je n'avance rien dontles
Regitres des Comediens ne
faffent foy.
Comme feu Mr de Cor-
GALANT 287
neille , avoit le bonheur de
réüffir dans tout ce qu'il entreprenoit & que l'Opera cût
efté étably au Palais Royal ,
il fut follicité d'y travailler ,
& il fit l'Opera de Bellerophon,
quifut auffi joué pendant prés
d'une année entiere. Outre
la beauté des Vers & de la
Mufique on remarqua dans
cette Piece ce qui ne s'eftoit
pas encore vu dans aucun Opera ; c'eft à- dire , un fujet auffi
plein & auffi intrigué qui fi la
Piece avoit eu quinze cens
Vers , quoyqu'à caufe de l'étenduëque donne la Mufique,
288 MERCURE
les Opera n'en contiennent
ordinairement que quatre 3
cinq cens. Son genie parut
encore dans l'Opera de Pfiché ;
ce fujet avoit efté mis en Comedie pour le Roy , avec des
Intermedes fi remplis & fi
fuperbes pour tout ce qui en
regardoit les ornemens , que
la France n'a rien vû de plus
beau que ce Spectacle qui avoit
eſté donné dans la fuperbe
Salle des Machines qui fe voit
dans le Palais des Thuileries.
-
Les Comediens voulurent
donner cette Piece au Public ,
en y laiffant les Intermedes , &
fans
GALANT 289
fans que le Corps de la Piece
fuft mife en Opera ; mais la
dificulté parut grande à tous
les Auteurs , car la Piece qui
avoit cité recitée avoit autant
de Vers que les Tragedies ordinaires , & il n'en falloit pas
le quart pour eftre chantée ,
& que cependant tout le fujet
yentraft ; c'eft de quoy Mr de
Corneille vint à bout , & il
fçut la reduire en Opera fans
rien changer du fujer de la'
Piece ; demaniere qu'en n'employant que quatre cens Vers ,
le Public vit les mêmes incidens qu'il avoit trouvez dans
Fanvier 1710.
Bb
290 MERCURE
la Piece de dix huit cens , ce
qui furprit tous les Auditeurs ,
& luy attira beaucoup de
loüanges.
Je nefinirois point cet Elogefi je voulois faire l'Hiftoire
de tous les Ouvrages de Theatre de Mr de Corneille , &
j'aurois quelque chofe de fingulier à vous dire fur chacune
de fes Pieces. La Poëfie cftoit
le moindre de les talens , &
on enjugera par Les Ouvrages
de Profe que je vais vous
raporter. Il fçavoit parfaitement la Langue. Rien ne luy
eftoit caché dans les Arts , &
GALANT 291
toute la terre luy eftoit connuë. Voicy des preuves ' parlantes & inconteftables de ces
trois chofes.
Les remarques que cet
homme univerfel a fait fur
Vaugelas font une preuve
fans replique qu'il connoiffoit
la Langue dans toutela pureté,
&l'on peut en lifant ce Livre
s'éclaircir des doutes que l'on
peut avoir lorfque l'on veut
écrire & parler jufte. Auffi
ce Livre eft il fort recherché
& confulté de ceux qui yeulent acquerirle nom de Puriftes,
.que feu Mr de Corneille , a
Bb ij
292 MERCURE
mieux merité que beaucoup
d'autres , & j'ay fouvent oui
dire à Mr l'Abbé de Dangcau ,
qui comme vous fçavez eft de
l'Academie Françoiſe , & qui
fe plaifoit à luy rendre juſtice ,
qu'il eftoit leur Maître.
Les deux Volumes in fulio
qu'il a donnez au Public fous .
le nom de Dictionnaire des
Arts, doivent faire connoiſtre,
fans qu'il foit befoin d'en dire
davantage, que tout ce qui les
regarde , luy eftoit parfaitementconnu. Il me faudroit faireun Volume, fi je voulois par-,
de tout ce qu'ils contien- jer
GALANT 293
nent ,& de tous les Intrumens
qui regardent les Arts. J'ajouteray feulement que que ces deux .
Volumes ont efté trouvez fi
beaux & fi utiles , que l'impreffion en a efté entierement
enlevée prefque dans le temps
qu'elle a paru , quoy qu'elle
fe foit vendue dans le temps
que l'Academic Françoiſe a
donné fon Dictionnaire au
Public. Il avoit beaucoup travaillé avant la mort, pour en
donner une feconde, Edition ;
& il eftoit ſi laborieux , qu'il
travailloit en mefme temps aux
trois gros Volumes in folio
Bb jij
294 MERCURE
qu'il a donnez au Public un
peu avant fa mort, & qui font
• connoiftre qu'il eftoit univerfel, & qu'il connoiffoit la Terre entiere. 曹 Ces Volumes ont
pour titre , Dictionnaire univerfel , Geographique & Hiftorique , contenant la Defcription
des Royaumes, Empires , Eftats,
Provinces , Pays, Contrées, Dea
ferts , Villes , Bourgs , Abbayes;
Chafteaux , Fortereffes , Mers,
Rivieres , Lacs , Bayes ; Golphes , Détroits , Caps , Ifles,
Prefqu'Ifles, Montagnes , Vallées ; lafituation , l'étendue , les
limites , les diftances de chaque
GALANT 295
Pays ; la Religion , les Mœurs,
les Coûtumes , le Commerce , lesCeremonies particulieres des Peuples , ce que l'Hiftoire fournit
de plus curieux touchant les chofes qui s'y font passées. Le tout
recueilly des meilleures Livres de
Voyages , autres qui agent
paru jusqu'à prefent , par
Corneille de l'Academie Frangoife , & de celle des Infcriptions
des Medailles. موع
Mr
Le Public eftoit tellement
perfuadé de la bonté de fes
Ouvrages , quedés qu'il apprenoit qu'il en avoit quelqu'un
fous la Preffe , il en retenoit &
Bb iiij
296 MERCURE
en payoit d'avance des Exemplaires , chacun témoignant
par cet empreffement le defir
qu'il avoit d'en avoir des premicrs ; de maniere que l'Edition de ce Dictionnaire s'eft
trouvée vendue prefque auffitoft qu'elle a efté achevée , &
Mr de Corneille, dans le temps
qu'il eft mort , avoit déja fait
beaucoup de remarques fur
fonOuvrage, & ramaffe beaucoup de chofes curieuſes pour
en compoſer une feconde Edition .
Je dois avoüer icy que je
tiens de luy tour ce que je
GALANT 297
fçay de la Langue Françoife,
& que pendant un affez grand
nombre d'années, j'ay foûmis
mes Ouvrages à fa correction;
ce qui a fait croire davantage,
& ce qui eftoit ceffé depuis
douze années , ce grand homme eftant affez occupé d'ail .
leurs , & beaucoup détourné
par des incommoditez que
années & un travail immenſe
& continuel luy avoienr attirées.ople

fes
Il avoit un grand fond de
probité , de droitute , de fageffe , de bonté , de modeftie,
de charité , & de vertu. Enne-
298 MERCURE
mi de la médifance , il ne pouvoitfouffrir les perfonnes dont
l'unique converfation eft de
faire inventaire des actions
d'autruy. Jamais homme n'a
eu plus de Religion , & n'eft
mort avec plus de refignation
aux volontez de Dieu , & il
voyoit tous les jours approcher la mort avec une fermeté
incroyable , fans ceffer neanmoins fon travail qui luy cftoit
neceffaire , parce que les gens
de Lettres ne font pas ordinairement les plus favorifez de
la fortune , & que l'Ecriture
dit , QUI LABORAT ORAT,
qui travaille prie.
THEQUE
GALANT
20
BIBLIO
ge VILLE
Ce grand homme efton res
commandable par tant d'endroits differens, que je ne doute point que celuy qui aura
le bonheur de remplir la place
qu'il occupoit dans l'Academie Françoife , ne trouve encore de nouveaux fujets d'en
faire un bel Eloge. Perfonne
n'ignore qu'il eftoit auffi de
l'Academie Royale des Medailles & Infcriptions.
Je crois pouvoir placer une
Chanfon aprés l'Eloge d'un
homme qui en a fait de fi belles ; elle eft du Solitaire du
Bois du Val- Dieu.
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Soumis par delpedroa le