Titre
COMPARAISON des deux Philosophies de Descartes et de Newton, avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
Titre d'après la table
Comparaison des deux Philosophies de Descartes et de Newton,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
495
Page de début dans la numérisation
92
Page de fin
507
Page de fin dans la numérisation
104
Incipit
La Philosophie Péripatéticienne avoit remporté une entiere victoire sur le Platonisme et
Texte
COMPARAISON des deux
Philosophies de Descartes et de Newton,
avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
Lportéuns avoitsteer
A Philosophie Péripatéticienne avoit remsur
tous les autres Sectes de l'Antiquité .L'Empire
d'Aristote étoit despotique . Les raisons qui sont
les Loix de la Philosophie , n'étoient point écou
tées , des veritez nouvelles étoient traitées de séditieuses
, et cette Philosophie , après avoir été
long- temps proscrite par le concours des deux
autoritez , ( Launoi , de fortun . Aristot . ) avoit sçû
les engager si bien dans son parti , que ceux qui
prétendoient secouer le joug des préjugez, étoient
punis comme perturbateurs. Malgré tous ces obstacles
, il parut un homme qui joignit la fermeté
du courage à l'élevation du génie . Toutes ses
vûes ne tendoient qu'à la verité ; plein d'ardeur
pour la tirer d'esclavage , il osa établir pour
principe , ( Cartes. Méditat. 1. ) que le commencement
de la Philosophie est de rejetter toutes les
opinions reçues jusqu'alors , de remonter à un
Scepticisme general , non pour demeurer dans
cet état de Pyrrhonien , incompatible avec les
lumieres naturelles , mais pour n'admettre au
pombre des veritez , que celles qui sont fondées
sur
496 MERCURE DE FRANCE
sur des notions claires , certaines et évidentes.
René Descartes , par ce seul principe , porta le
coup mortel aux décisions philosophiques for
dées sur les préjugez ; par cette voye d'un doute
general , il s'éleva ( Cartes . Méditat. 2. 3. 6. )
aux veritez primitives , de sa propre existence
de l'existence de Dieu , de la distinction de l'ame
et du corps ; des veritez les plus simples il passa
aux plus composées , il entreprit de connoître et
de dévoiler même la Nature ; et développant
quelques germes obscurs , informes et peu connus
, qui étoient enfermez dans les Livres des
Anciens sans explication suffisante , il en forma
un Systême Physique ( Cartes , Princip . part. 3. )
si étendu et si brillant , qu'il surpasse de bien
loin tout ce qu'on avoit imaginé jusqu'à lui de la
magnificence de l'Univers. Descartes n'est pas
bien d'accord avec lui- même sur la réalité de
l'Edifice qu'il a construit. Tantôt reconnoissant
tout ce que ses idées ont d'incertain.et de vague, il
les traite de Fables ( Trait . de la Lum. ) et de Romans
; tantôt paroissant rempli de confiance pour
ses découvertes , il n'hésite point à dire , que
persuadé par des notions si claires et si distinctes ,
il ne croit pas ( Princip . part . 4. et Epist. t. z .
Epist. 37. ) que la plupart des choses qu'il a
écrites , puissent être autrement.
Toute la Physique de Descartes se rapporte
aux loix generales du mouvement, établies par Ie
souverain Etre , en même - temps qu'il a créé la
matiere. C'est conformément à ces Loix que la
Providence Divine a construit le Monde , et
qu'elle le conserve ; Descartes définit la Nature ;
(Méditat. 6. ) l'ordre et la disposition que Dieu
a donnez aux choses créées. Quelqu'un peut- il
nier que la Physique ne consiste dans la recherche
MARS. 1734
497
che et la connoissnce de ces loix prescrites à la
Nature par son Auteur ? L'harmonie et la régularité
de l'Univers sont des témoignages continuels
de la sagesse infinie , dont elles sont émanées .
Aucune étude ne ramene davantage l'esprit au
Créateur , que la contemplation de la Nature.
C'est en quoi le Cartésianisme excelle , et jamais
aucune Philosophie ne fut plus diamétralement
opposée auSpinosisme qui, par l'hypothèse de tou- ,
tes la plus absurde , ne reconnoît dans les effets'
naturels qu'une matiere aveugle , privée d'intelligence
et de sentiment, et coufond les substances
spirituelles et corporelles ; ou à la Philosophic
Epicurienne , qui donne pour principe general
, des accrochemens d'admes unis fortuitement
par un mouvement de déclinaison , dont
l'Antiquité s'est mocquée . C'est uniquement à la
gloire du Cartesianisine et à l'envie des autres
Sectes , qu'on doit attribuer les accusations si
dénuées de toute vraye - semblance au sujet des
liaisons supposées de cette Philosophie avec les
absurditez de Spinosa et d'Epicure ; il est même
impossible de lire les Ouvrages de Descartes sans
être autant édifié de sa picté , qu'on est charmé
de sa modestie .
Descartes pose pour principes trois regles de
mouvement ( Princip. part. 2. ) qu'il appelle génerales
; la premiere , que tout corps persiste naturellement
dans l'état où il se trouve de mouvement
ou de repos , et il fonde cet axiome sur
une pensée fort juste , que rien ne se porte de soimême
et par sa nature à son contraire ou à sa
destruction. La seconde regle est que le mouvement
est proportionnel à l'impression de la force
qui le produit , er que tout corps qui se meut ,
tend à continuer son mouvement en ligne droite.
La
298 MERCURE DE FRANCE
La troisiéme est que si un corps qui se meut ên
rencontre un autre auquel il ne communique
aucune partie de son mouvement, il rejaillit avec
une force égale , et que , s'il lui communique une
partie de son mouvement , il en perd autant qu'il
en communique. De cette . Loi generale , Descartes
déduit les loix particulieres des rencontres
des corps à proportion des differens degrez de
vitesse et de masse ; loix particulieres , qui ne
peuvent , suivant son aveu , avoir une application
entierement juste , qu'en supposant que les deuxcorps
qui se rencontrent , fussent parfaitement
durs , et tellement séparez de tous les autres
corps , qu'aucun ne pût contribuer ou nuire à
leur mouvement , et il remarque au même en
droit que cela est impossible. Nous aurons plusieurs
observations à faire sur cette troisiéme loi
de mouvement.
La matiere est une , suivant les Principes de
Descartes , et toutes ses differences ne consistent
que dans les divisions , figures , situations et
mouvemens de ses parties . Il soutient que comme
il est impossible que la matiere soit sans étenduë
, l'espace ou l'étenduë ne peuvent aussi être
sans matiere ; qu'il y a la même contradiction à
concevoir un lieu sans un corps qui le remplisse ,
qu'à imaginer la rondeur sans une matiere qui
soit ronde , la blancheur sans un sujet qui soit
blanc , ou une montagne sans vallée . Puisque
tout est plein dans l'Univers , un corps qui se
meut , ne peut avancer , que la matiere qui est à
ses côtez ne passe en arriere , poussée par celle de
devant , qui est obligée de refluer aux côtez , ce
qui arrive avec une extrême facilité , lorsque le
corps , qui fait effort pour se mouvoir , a plus de
force que la matiere qui se trouve au -devant de
lui
MARS. 1734. 499
lui , n'en a pour résister. Le mouvement direct ,
le plus simple et le plus naturel , est moins
commun dans la Nature, que le mouvement circulaire
produit par les obstacles de la mutuelle
action et réaction des corps , mais le mouvement
circulaire retient toujours de son origine , que
tout corps qui se meut en rond , tend à s'échapper
dès qu'il est libre , par un mouvement direct ;
ce que les Géometres expriment en disant , que
tout corps qui par son mouvement décrit un
cercle , s'efforce continuellement d'en parcourir
la tangente.
La pression et le mouvement brisent les parties
de la matiere , qui sont divisibles à l'infini ,
leur fragilité ou leur disposition à s'unir , rend
les Elemens toujours conversibles l'un dans l'autre.
Descartes en admet trois ; la matiere subtile
ou le premier Element composé des partiès les
plus atténuées par le froissement; la matiere globuleuse
ou le second élement dont les particules
ont été arrondies et ont conservé une figure sphérique
dans le froissement ; et la matiere compac
te ou le troisiéme élement dont les particules
branchuës et de figures irrégulieres , ont le mieux
résisté au froissement . Ces trois élemens sont
imperceptibles ; et pour imaginer avec plus de
facilité leur effet dans la composition de tous les
corps matériels , représentez - vous un amas de
fruits ayant des figures fort irregulieres , comme
grenades , poires , pommes, concombres , nêfles,
grappes de raisins ; voilà la matiere compacte
ou le troisième élement . Répandez sur ce monceau
de fruits , des coriandes ; toutes ces petites
boules rondes se répandront de côté et d'autre
pour remplir les interstices des figures irrégulie
ICS c'est la matiere globuleuse ou le second
élement
38618 )
300 MERCURE DE FRANCE
élement. Versez enfin de la poudre à canon sur
le tas de fruits , elle ira s'insinuer dans les interstices
les plus petits , échappez aux dragées , et
elle représentera ici la matiere subtile ou le premier
élement . Si cette poudre à canon domine
assez dans les interstices des fruits et qu'elle y
ait assez de force pour leur communiquer la rapidité
de son mouvement en chassant les dragées ,
et les repoussant de toutes parts , l'amas tout entier
devient enflammé et lumineux , et ce feu est
d'autant plus violent , que la solidité des parties
les plus grossieres du troisiéme élement y est
jointe à la rapidité du mouvement du premier ,
et que la force de masse , comme disent les Physiciens
, accompagne la force de vitesse. Si la matiere
compacte reçoit dans ses interstices les globules
du second élement qui y temperent l'extrême
mouvement du premier ou de la matiere
subtile , le corps est opaque et plus ou moins solide
, suivant la grossiereté des parties du troisiéme
élement. Si la matiere globuleuse trouve
les pores disposez à lui laisser un passage libre
pour traverser de part en part , le corps est transparent.
On ne peut donner des images trop sensibles
des principes qu'on explique , sur tout dans
un temps où il s'est introduit un usage presque
general , de ne traiter les Sciences que par quelques
caracteres Algebriques et d'une manière si
abstraite , qu'elle ne donne aucune prise à l'imagination.
Passons à l'application que Descartes a faite
de ses Principes . Les mouvemens directs de la
matiere ont été changez en mouvemens circulaires
par les obstacles de l'action et de la réaction
des corps. Des tourbillons de grandeur inégales
se sont formez , ils en ont aussi contenu d'autres,
comme
MARS. 1734.
501
•
comme on voit des torrens qui se traversent ,
être agitez circulairement et renfermer au-dedans
d'eux - mêmes des courants plus petits , qui
tournant sur leur propre centre , sont emportez
par le mouvement circulaire du plus grand. Le
froissement de la matiere l'ayant divisée en trois
élemens , Descartes suppose qu'il s'est fait au centre
du tourbillon un amas de matiere subtile ,
dont ce Philosophe a composé les Etoiles , qu'il
a regardées comme autant de Soleils . Le prodigieux
mouvement de la matiere subtile qui repousse
de toute part les globules du second éle
ment , rend les globes des étoiles enflammez et
lumineux par eux- mêmes. Mais il est arrivé â
quelques- uns de ces globes que leurs mouvemens
se sont , rallentis , que leurs interstices ont été
differemment disposez , et que le globe , d'enflammé
et de lumineux , est devenu dense et
opaque , qu'alors privé de la force et de l'activité
de son mouvement , il n'a pû deffendre
son tourbillon contre la pression des tourbillons .
voisins qui ont envahi son atmosphere ; et le
globe lui- même a passé dans un autre tourbillon,
au mouvement duquel il a été assujetti après s'y
être mis en équilibre. C'est l'origine que Descar
tes donne ( Cartes . Princip . part. 3. ) à la Terre
et aux autres Planétes , qui ont commencé , suivant
son Systême , par être des Soleils ou des
Etoiles. Il donne la même explication des Cométes
comme de Soleils récemment éteints et
encroûtez , qui traversent les espaces éthérées
jusqu'à ce qu'ils ayent rencontré dans quelque
tourbillon un fluide d'une épaisseur et d'un mouvement
proportionnez , et propres à les fixer en
équilibre.
La lumiere consiste dans l'impulsion des parties
582
MERCURE
DE FRANCE
ties globuleuses du second élement répandues de »
toutes parts , à peu près comme un grain de poudre
à canon en se développant , chasse de tout
côté les corps qu'il rencontre. La prodigieuse rapidité
de la lumiere est causée parce que tous les
globules du second élement sont contigus et que,
Pimpression qui agit sur le premier , se fait sentir
en même- temps sur tous les autres , comme
un bâton ne
ne peut être remué par un bout , que le
mouvement ne soit aussi - tôt communiqué à
l'autre extremité , quelque éloignée qu'elle soit.
Cette rapidité de la lumiere transmise par la continuité
des globules du second élement , est une
des preuves d'experience , qu'il n'y a point de
vuide dans la Nature
Le mouvement circulaire des tourbillons est
dans le Systême Cartésien , la cause de la pesanteur.
Ce qu'on appelle pesanteur est proprement
une moindre legereté . Les trois élemens ont dif
ferens degrez de, force centrifuge ; la matiere'
subtile du premier élement a plus d'action
( Cartes. Princip . part . 4 ) pour s'éloigner du
centre , que pareille quantité du second élement,
parce que la matiere subtile se meut plus vîte ; etpar
la même raison le second élement a plus de
force centrifuge que pareille quantité des parties
du troisième , et le corps qui à plus de force cen
trifuge , répercute et chasse vers le centre celui
qui en a moins ; ce qui cause la chute des corps
massifs et produit toutes les apparences auxquelles
on a donné le nom de legereté et de pesanteur.
Ainsi jettez de l'huille dans un vase qui est
vuide , ( Tr. de l'Opin Liv . 4. Ch. 2. ) c'est- àdire
, rempli seulement d'air , l'huile est forcée
de descendre au fond et de ceder au mouvement
plus agite de l'air ; sur l'huile versez de l'eau , les
parties
MARS. 1734. 503
les parties de l'huile plus déliées que celles de
l'eau et qui par consequent ont plus de force
pour s'éloigner du centre , s'élevent au- dessus de
l'ean ; si vous y jettez ensuite du sable , l'eau
chasse au- dessous d'elle les parties plus compactes
du sable , ce dernier a le même avantage sur
le vif- argent encore plus solide ; et enfin l'or
fondu , le plus massif de tous les corps , sera
précipité au - dessous de tous les autres .
Descartes a apperçû la contrarieté ( Trait. de
la Lum. Chap. 11. ) qui se rencontre ici dans le
méchanisme, sur lequel il a fondé son Systême ,
ayant dit plus haut que la matiere subtile s'est
amassée au centre pour y former le Soleil , au
lieu que pour expliquer la pesanteur , il donne
ici cette raison , que les corps massifs ayant
moins de mouvement , ont moins de force que
la matiere subtile n'en a pour s'élever à la circonference.
Cette objection qu'il s'est faite à
lui- même , ne l'a pas engagé à corriger la contradiction
de son méchanisme , et il s'est contenté
de répondre que lorsqu'il a placé les corps
solides à la circonference , est parce qu'il a
supposé que dès le commencement ils étoient
agitez du mouvement genefal du tourbillon , et
à l'égard de la pesanteur , il se restraint à soutenir
que les corps les plus massifs qui sortent
du repos et qui commencent à se mouvoir , ont
moins de force centrifuge , et doivent être renvoyez
vers le centre .
Descartes ( Princip . part. 4. ) attribuë le flux
et le reflux à la pression des eaux de la Mer par
le globe Lunaire , lorsque dans la révolution que
la Terre fait sur son axe en vingt - quatre heures,
les eaux de la Mer se trouvent directement sous
la Lune . Les Phénomenes quadrent à merveilles
To4 MERCURE DE FRANCE
à cette hypothese ; car la Lune décrivant
une ellipse autour de la Terre , c'est - à - dire
une orbite plus ovale que ronde , lorsqu'elle est
en conjonction ou en opposition avec le Soleil ,
elle se trouve en même-temps dans son perigée
ou dans sa plus grande proximité de la Terre
et dans le plus étroit de l'oval ; ainsi la Mer se
trouvant beaucoup plus pressés par les nouvelles.
et pleines Lunes , les marées doivent être alors
plus hautes , ce qui est conforme à l'Experience,
au lieu que les quadrats de la Lune se rencontrant
dans son apogée ou dans son plus grand
éloignement de la Terre et dans le plus large
de l'ellipse , la pression est moindre et les marées
plus basses ; et ce qui paroit encore d'une
justesse extrême , c'est que les marées retardent
tous les jours d'environ quarante- neuf minutes ,
comme le retour de la Lune au même méridien .
Les deux proprietez de l'Aiman d'attirer le fer
et de se tourner vers l'un des Poles , ont , suivant
Descartes , un même principe dans le tourbillon
magnétique , qui traverse et entoure la
Terre. Ce tourbillon doit être regardé comme
une file de matiere disposée en forme de visses qui
ne penetre que dans de petits écroux propres
la recevoir , n'entrant par cette raison que par
un des Poles de la Terre , et sortant toujours par
l'autre. Les poles de l'Aiman disposez de même ,
ne donnent entrée à cette matiere que d'un côté,
et son issue , comme dans le Globe Terrestre ,
est à l'opposite ; ce qui a fait dire que la Terre
est un grand Aiman , et qu'un Aiman sphérique
est une petite Terre . Si la matiere magnétique
sortant d'un Aiman , trouve du fer ou un autre
Aiman , qui ayent les mêmes dispositions à la
recevoir , elle s'y insinue avec vitesse , et chassant
MARS. 1734. 505
sant l'air intermediaire plus grossier et moins;
agité qu'elle , cet air , par la force de son ressort
, revient sur lui- même , et pressant les côrez
oposez de l'Aiman et du fer , les pousse
l'un contre l'autre . La matiere magnétique conservant
toujours sa direction vers le même pole ,
tourne du même côté l'aiguille aimantée , dans
laquelle elle s'insinuë.
Descartes explique d'une maniere qui n'est pas
moins ingenieuse , la formation.des corps particuliers
par leurs particules roides ou fléxibles ,
par leurs interstices plus ou moins ouverts, par
les differens degrez de leurs mouvemens ; mais
les bornes que nous nous sommes prescrites ne
nous permettent pas de le suivre dans ces differens
détails . Nous observerons seulement qu'il
fait consister la densité ou la rarefaction des
corps dans des particules plus ou moins déliées
et agitées , soutenant que la quantité de matiere
dépend uniquement de l'étendue , et que dans un
lingot d'or il n'y a pas plus de matiere que dans
une éponge d'un pareil volume . La difference des
couleurs , des odeurs , des saveurs , du chaud et
du froid , du sec et de l'humide , de la dureté et
de la mollesse , &c. n'est attribuée dans cette
Philosophie qu'aux situations , figures et mouvemens
des particules ; et les qualitez occultes ,
vertus sympathiques, formes substantielles et autres
expressions Péripatéticiennes , qui ne signifioient
rien et qu'on recevoit neanmoins pour
des explications , ont été proscrites par le Cartesianisme.
La Géometrie a fait plus d'honneur.
encore à Descartes que la Physique. Il est le premier
qui ait fait l'application de l'Algebre à la
Géometrie , et il a étendu fort loin les limites de
Fune et de Pautre.
I Cette
5c6 MERCURE DE FRANCE
'Cette Philosophie avoit à peine surmonté les
obstacles qui avoient traversé ses progrès , lorsqu'une
rivale , par des voyes entierement contraires
, a prétendu lui disputer la préference ;
et même l'emporter entierement sur elle. Descartes
se met à la portée des plus simples , conduisant
l'esprit des veritez primitives aux plus
composées ; Newton ne daigne parler qu'aux
plus sçavans Géometres et aux plus patiens Algebristes.
L'un descend des principes aux Phénomenes,
et des causes à leurs effets ; l'autre renfer
me toute sa théorie dans la liaison des Phéno
menes. Descartes vous engage par des idées
brillantes et des conjectures vrai- semblables ;
Newton prétend vous soumettre par des démonstrations
obscures et des calculs effrayants. L'un
tâche de vous faire connoître la Nature ; l'autre
connoît parfaitement l'esprit humain , toujours.
disposé à admirer ce qu'il ne comprend pas.
Descartes ne cherche qu'à éclairer l'esprit , Newton
mérite le surnom de Tenebreux, donné autrefois
à Héraclite. Descartes a paru dans un
temps où les nouveautez étoient haies et suspectes
; Newton a débité les siennes dans les circonstances
les plus favorables pour elles ,
lorsque
le génie des sciences étoit entierement tourné
du côté des nouveautez . Descartes se propose
davantage de découvrir pourquoi les choses sont
telles ; Newton paroît plus occupé d'examiner
comment elles sont . Le premier a tiré moins d'avantage
de la connoissance du Ciel , beaucoup
moins étendue de son temps ; le second plus aidé
par l'Astronomie , n'en a répandu dans sa Physique
que des nuages plus épais . Descartes établit
une hypothèse , il explique les Phénomenes ,
le plus qu'il lui est possible , par des loix generales
,
MARS. 1734. 507
sans
atrales , constantes et uniformes Newton
Nevvt. Princip . Mathem. in fin. Libr. 3 .
pag. 483. Edition 172.3 . ) déclare qu'il ne
forme aucune hypothese , il explique les Plénomenes
par la force de la gravité , et il attribue
cette gravité à quelque cause qui penetre
jusqu'aux centres du Soleil et des Planettes ,
diminution , et qui agit , non pas relativement
aux superficies des particules , comme les causes
méchaniques , mais à proportion de la matiere
solide, et dont l'action étendue jusqu'à des distances
immenses , va toujours décroissant en raison
doublée de ces distances. Tâchons de déve→
lopper ce qu'il nous a été possible de concevoir
de cette Philosophie Newtonienne , et en mê
me temps de réparer plusieurs deffectuositez justement
imputées au Systême Cartésien .
L
La suite pour le Mercure prochain.
Philosophies de Descartes et de Newton,
avec des Remarques sur l'une et sur l'autre.
Lportéuns avoitsteer
A Philosophie Péripatéticienne avoit remsur
tous les autres Sectes de l'Antiquité .L'Empire
d'Aristote étoit despotique . Les raisons qui sont
les Loix de la Philosophie , n'étoient point écou
tées , des veritez nouvelles étoient traitées de séditieuses
, et cette Philosophie , après avoir été
long- temps proscrite par le concours des deux
autoritez , ( Launoi , de fortun . Aristot . ) avoit sçû
les engager si bien dans son parti , que ceux qui
prétendoient secouer le joug des préjugez, étoient
punis comme perturbateurs. Malgré tous ces obstacles
, il parut un homme qui joignit la fermeté
du courage à l'élevation du génie . Toutes ses
vûes ne tendoient qu'à la verité ; plein d'ardeur
pour la tirer d'esclavage , il osa établir pour
principe , ( Cartes. Méditat. 1. ) que le commencement
de la Philosophie est de rejetter toutes les
opinions reçues jusqu'alors , de remonter à un
Scepticisme general , non pour demeurer dans
cet état de Pyrrhonien , incompatible avec les
lumieres naturelles , mais pour n'admettre au
pombre des veritez , que celles qui sont fondées
sur
496 MERCURE DE FRANCE
sur des notions claires , certaines et évidentes.
René Descartes , par ce seul principe , porta le
coup mortel aux décisions philosophiques for
dées sur les préjugez ; par cette voye d'un doute
general , il s'éleva ( Cartes . Méditat. 2. 3. 6. )
aux veritez primitives , de sa propre existence
de l'existence de Dieu , de la distinction de l'ame
et du corps ; des veritez les plus simples il passa
aux plus composées , il entreprit de connoître et
de dévoiler même la Nature ; et développant
quelques germes obscurs , informes et peu connus
, qui étoient enfermez dans les Livres des
Anciens sans explication suffisante , il en forma
un Systême Physique ( Cartes , Princip . part. 3. )
si étendu et si brillant , qu'il surpasse de bien
loin tout ce qu'on avoit imaginé jusqu'à lui de la
magnificence de l'Univers. Descartes n'est pas
bien d'accord avec lui- même sur la réalité de
l'Edifice qu'il a construit. Tantôt reconnoissant
tout ce que ses idées ont d'incertain.et de vague, il
les traite de Fables ( Trait . de la Lum. ) et de Romans
; tantôt paroissant rempli de confiance pour
ses découvertes , il n'hésite point à dire , que
persuadé par des notions si claires et si distinctes ,
il ne croit pas ( Princip . part . 4. et Epist. t. z .
Epist. 37. ) que la plupart des choses qu'il a
écrites , puissent être autrement.
Toute la Physique de Descartes se rapporte
aux loix generales du mouvement, établies par Ie
souverain Etre , en même - temps qu'il a créé la
matiere. C'est conformément à ces Loix que la
Providence Divine a construit le Monde , et
qu'elle le conserve ; Descartes définit la Nature ;
(Méditat. 6. ) l'ordre et la disposition que Dieu
a donnez aux choses créées. Quelqu'un peut- il
nier que la Physique ne consiste dans la recherche
MARS. 1734
497
che et la connoissnce de ces loix prescrites à la
Nature par son Auteur ? L'harmonie et la régularité
de l'Univers sont des témoignages continuels
de la sagesse infinie , dont elles sont émanées .
Aucune étude ne ramene davantage l'esprit au
Créateur , que la contemplation de la Nature.
C'est en quoi le Cartésianisme excelle , et jamais
aucune Philosophie ne fut plus diamétralement
opposée auSpinosisme qui, par l'hypothèse de tou- ,
tes la plus absurde , ne reconnoît dans les effets'
naturels qu'une matiere aveugle , privée d'intelligence
et de sentiment, et coufond les substances
spirituelles et corporelles ; ou à la Philosophic
Epicurienne , qui donne pour principe general
, des accrochemens d'admes unis fortuitement
par un mouvement de déclinaison , dont
l'Antiquité s'est mocquée . C'est uniquement à la
gloire du Cartesianisine et à l'envie des autres
Sectes , qu'on doit attribuer les accusations si
dénuées de toute vraye - semblance au sujet des
liaisons supposées de cette Philosophie avec les
absurditez de Spinosa et d'Epicure ; il est même
impossible de lire les Ouvrages de Descartes sans
être autant édifié de sa picté , qu'on est charmé
de sa modestie .
Descartes pose pour principes trois regles de
mouvement ( Princip. part. 2. ) qu'il appelle génerales
; la premiere , que tout corps persiste naturellement
dans l'état où il se trouve de mouvement
ou de repos , et il fonde cet axiome sur
une pensée fort juste , que rien ne se porte de soimême
et par sa nature à son contraire ou à sa
destruction. La seconde regle est que le mouvement
est proportionnel à l'impression de la force
qui le produit , er que tout corps qui se meut ,
tend à continuer son mouvement en ligne droite.
La
298 MERCURE DE FRANCE
La troisiéme est que si un corps qui se meut ên
rencontre un autre auquel il ne communique
aucune partie de son mouvement, il rejaillit avec
une force égale , et que , s'il lui communique une
partie de son mouvement , il en perd autant qu'il
en communique. De cette . Loi generale , Descartes
déduit les loix particulieres des rencontres
des corps à proportion des differens degrez de
vitesse et de masse ; loix particulieres , qui ne
peuvent , suivant son aveu , avoir une application
entierement juste , qu'en supposant que les deuxcorps
qui se rencontrent , fussent parfaitement
durs , et tellement séparez de tous les autres
corps , qu'aucun ne pût contribuer ou nuire à
leur mouvement , et il remarque au même en
droit que cela est impossible. Nous aurons plusieurs
observations à faire sur cette troisiéme loi
de mouvement.
La matiere est une , suivant les Principes de
Descartes , et toutes ses differences ne consistent
que dans les divisions , figures , situations et
mouvemens de ses parties . Il soutient que comme
il est impossible que la matiere soit sans étenduë
, l'espace ou l'étenduë ne peuvent aussi être
sans matiere ; qu'il y a la même contradiction à
concevoir un lieu sans un corps qui le remplisse ,
qu'à imaginer la rondeur sans une matiere qui
soit ronde , la blancheur sans un sujet qui soit
blanc , ou une montagne sans vallée . Puisque
tout est plein dans l'Univers , un corps qui se
meut , ne peut avancer , que la matiere qui est à
ses côtez ne passe en arriere , poussée par celle de
devant , qui est obligée de refluer aux côtez , ce
qui arrive avec une extrême facilité , lorsque le
corps , qui fait effort pour se mouvoir , a plus de
force que la matiere qui se trouve au -devant de
lui
MARS. 1734. 499
lui , n'en a pour résister. Le mouvement direct ,
le plus simple et le plus naturel , est moins
commun dans la Nature, que le mouvement circulaire
produit par les obstacles de la mutuelle
action et réaction des corps , mais le mouvement
circulaire retient toujours de son origine , que
tout corps qui se meut en rond , tend à s'échapper
dès qu'il est libre , par un mouvement direct ;
ce que les Géometres expriment en disant , que
tout corps qui par son mouvement décrit un
cercle , s'efforce continuellement d'en parcourir
la tangente.
La pression et le mouvement brisent les parties
de la matiere , qui sont divisibles à l'infini ,
leur fragilité ou leur disposition à s'unir , rend
les Elemens toujours conversibles l'un dans l'autre.
Descartes en admet trois ; la matiere subtile
ou le premier Element composé des partiès les
plus atténuées par le froissement; la matiere globuleuse
ou le second élement dont les particules
ont été arrondies et ont conservé une figure sphérique
dans le froissement ; et la matiere compac
te ou le troisiéme élement dont les particules
branchuës et de figures irrégulieres , ont le mieux
résisté au froissement . Ces trois élemens sont
imperceptibles ; et pour imaginer avec plus de
facilité leur effet dans la composition de tous les
corps matériels , représentez - vous un amas de
fruits ayant des figures fort irregulieres , comme
grenades , poires , pommes, concombres , nêfles,
grappes de raisins ; voilà la matiere compacte
ou le troisième élement . Répandez sur ce monceau
de fruits , des coriandes ; toutes ces petites
boules rondes se répandront de côté et d'autre
pour remplir les interstices des figures irrégulie
ICS c'est la matiere globuleuse ou le second
élement
38618 )
300 MERCURE DE FRANCE
élement. Versez enfin de la poudre à canon sur
le tas de fruits , elle ira s'insinuer dans les interstices
les plus petits , échappez aux dragées , et
elle représentera ici la matiere subtile ou le premier
élement . Si cette poudre à canon domine
assez dans les interstices des fruits et qu'elle y
ait assez de force pour leur communiquer la rapidité
de son mouvement en chassant les dragées ,
et les repoussant de toutes parts , l'amas tout entier
devient enflammé et lumineux , et ce feu est
d'autant plus violent , que la solidité des parties
les plus grossieres du troisiéme élement y est
jointe à la rapidité du mouvement du premier ,
et que la force de masse , comme disent les Physiciens
, accompagne la force de vitesse. Si la matiere
compacte reçoit dans ses interstices les globules
du second élement qui y temperent l'extrême
mouvement du premier ou de la matiere
subtile , le corps est opaque et plus ou moins solide
, suivant la grossiereté des parties du troisiéme
élement. Si la matiere globuleuse trouve
les pores disposez à lui laisser un passage libre
pour traverser de part en part , le corps est transparent.
On ne peut donner des images trop sensibles
des principes qu'on explique , sur tout dans
un temps où il s'est introduit un usage presque
general , de ne traiter les Sciences que par quelques
caracteres Algebriques et d'une manière si
abstraite , qu'elle ne donne aucune prise à l'imagination.
Passons à l'application que Descartes a faite
de ses Principes . Les mouvemens directs de la
matiere ont été changez en mouvemens circulaires
par les obstacles de l'action et de la réaction
des corps. Des tourbillons de grandeur inégales
se sont formez , ils en ont aussi contenu d'autres,
comme
MARS. 1734.
501
•
comme on voit des torrens qui se traversent ,
être agitez circulairement et renfermer au-dedans
d'eux - mêmes des courants plus petits , qui
tournant sur leur propre centre , sont emportez
par le mouvement circulaire du plus grand. Le
froissement de la matiere l'ayant divisée en trois
élemens , Descartes suppose qu'il s'est fait au centre
du tourbillon un amas de matiere subtile ,
dont ce Philosophe a composé les Etoiles , qu'il
a regardées comme autant de Soleils . Le prodigieux
mouvement de la matiere subtile qui repousse
de toute part les globules du second éle
ment , rend les globes des étoiles enflammez et
lumineux par eux- mêmes. Mais il est arrivé â
quelques- uns de ces globes que leurs mouvemens
se sont , rallentis , que leurs interstices ont été
differemment disposez , et que le globe , d'enflammé
et de lumineux , est devenu dense et
opaque , qu'alors privé de la force et de l'activité
de son mouvement , il n'a pû deffendre
son tourbillon contre la pression des tourbillons .
voisins qui ont envahi son atmosphere ; et le
globe lui- même a passé dans un autre tourbillon,
au mouvement duquel il a été assujetti après s'y
être mis en équilibre. C'est l'origine que Descar
tes donne ( Cartes . Princip . part. 3. ) à la Terre
et aux autres Planétes , qui ont commencé , suivant
son Systême , par être des Soleils ou des
Etoiles. Il donne la même explication des Cométes
comme de Soleils récemment éteints et
encroûtez , qui traversent les espaces éthérées
jusqu'à ce qu'ils ayent rencontré dans quelque
tourbillon un fluide d'une épaisseur et d'un mouvement
proportionnez , et propres à les fixer en
équilibre.
La lumiere consiste dans l'impulsion des parties
582
MERCURE
DE FRANCE
ties globuleuses du second élement répandues de »
toutes parts , à peu près comme un grain de poudre
à canon en se développant , chasse de tout
côté les corps qu'il rencontre. La prodigieuse rapidité
de la lumiere est causée parce que tous les
globules du second élement sont contigus et que,
Pimpression qui agit sur le premier , se fait sentir
en même- temps sur tous les autres , comme
un bâton ne
ne peut être remué par un bout , que le
mouvement ne soit aussi - tôt communiqué à
l'autre extremité , quelque éloignée qu'elle soit.
Cette rapidité de la lumiere transmise par la continuité
des globules du second élement , est une
des preuves d'experience , qu'il n'y a point de
vuide dans la Nature
Le mouvement circulaire des tourbillons est
dans le Systême Cartésien , la cause de la pesanteur.
Ce qu'on appelle pesanteur est proprement
une moindre legereté . Les trois élemens ont dif
ferens degrez de, force centrifuge ; la matiere'
subtile du premier élement a plus d'action
( Cartes. Princip . part . 4 ) pour s'éloigner du
centre , que pareille quantité du second élement,
parce que la matiere subtile se meut plus vîte ; etpar
la même raison le second élement a plus de
force centrifuge que pareille quantité des parties
du troisième , et le corps qui à plus de force cen
trifuge , répercute et chasse vers le centre celui
qui en a moins ; ce qui cause la chute des corps
massifs et produit toutes les apparences auxquelles
on a donné le nom de legereté et de pesanteur.
Ainsi jettez de l'huille dans un vase qui est
vuide , ( Tr. de l'Opin Liv . 4. Ch. 2. ) c'est- àdire
, rempli seulement d'air , l'huile est forcée
de descendre au fond et de ceder au mouvement
plus agite de l'air ; sur l'huile versez de l'eau , les
parties
MARS. 1734. 503
les parties de l'huile plus déliées que celles de
l'eau et qui par consequent ont plus de force
pour s'éloigner du centre , s'élevent au- dessus de
l'ean ; si vous y jettez ensuite du sable , l'eau
chasse au- dessous d'elle les parties plus compactes
du sable , ce dernier a le même avantage sur
le vif- argent encore plus solide ; et enfin l'or
fondu , le plus massif de tous les corps , sera
précipité au - dessous de tous les autres .
Descartes a apperçû la contrarieté ( Trait. de
la Lum. Chap. 11. ) qui se rencontre ici dans le
méchanisme, sur lequel il a fondé son Systême ,
ayant dit plus haut que la matiere subtile s'est
amassée au centre pour y former le Soleil , au
lieu que pour expliquer la pesanteur , il donne
ici cette raison , que les corps massifs ayant
moins de mouvement , ont moins de force que
la matiere subtile n'en a pour s'élever à la circonference.
Cette objection qu'il s'est faite à
lui- même , ne l'a pas engagé à corriger la contradiction
de son méchanisme , et il s'est contenté
de répondre que lorsqu'il a placé les corps
solides à la circonference , est parce qu'il a
supposé que dès le commencement ils étoient
agitez du mouvement genefal du tourbillon , et
à l'égard de la pesanteur , il se restraint à soutenir
que les corps les plus massifs qui sortent
du repos et qui commencent à se mouvoir , ont
moins de force centrifuge , et doivent être renvoyez
vers le centre .
Descartes ( Princip . part. 4. ) attribuë le flux
et le reflux à la pression des eaux de la Mer par
le globe Lunaire , lorsque dans la révolution que
la Terre fait sur son axe en vingt - quatre heures,
les eaux de la Mer se trouvent directement sous
la Lune . Les Phénomenes quadrent à merveilles
To4 MERCURE DE FRANCE
à cette hypothese ; car la Lune décrivant
une ellipse autour de la Terre , c'est - à - dire
une orbite plus ovale que ronde , lorsqu'elle est
en conjonction ou en opposition avec le Soleil ,
elle se trouve en même-temps dans son perigée
ou dans sa plus grande proximité de la Terre
et dans le plus étroit de l'oval ; ainsi la Mer se
trouvant beaucoup plus pressés par les nouvelles.
et pleines Lunes , les marées doivent être alors
plus hautes , ce qui est conforme à l'Experience,
au lieu que les quadrats de la Lune se rencontrant
dans son apogée ou dans son plus grand
éloignement de la Terre et dans le plus large
de l'ellipse , la pression est moindre et les marées
plus basses ; et ce qui paroit encore d'une
justesse extrême , c'est que les marées retardent
tous les jours d'environ quarante- neuf minutes ,
comme le retour de la Lune au même méridien .
Les deux proprietez de l'Aiman d'attirer le fer
et de se tourner vers l'un des Poles , ont , suivant
Descartes , un même principe dans le tourbillon
magnétique , qui traverse et entoure la
Terre. Ce tourbillon doit être regardé comme
une file de matiere disposée en forme de visses qui
ne penetre que dans de petits écroux propres
la recevoir , n'entrant par cette raison que par
un des Poles de la Terre , et sortant toujours par
l'autre. Les poles de l'Aiman disposez de même ,
ne donnent entrée à cette matiere que d'un côté,
et son issue , comme dans le Globe Terrestre ,
est à l'opposite ; ce qui a fait dire que la Terre
est un grand Aiman , et qu'un Aiman sphérique
est une petite Terre . Si la matiere magnétique
sortant d'un Aiman , trouve du fer ou un autre
Aiman , qui ayent les mêmes dispositions à la
recevoir , elle s'y insinue avec vitesse , et chassant
MARS. 1734. 505
sant l'air intermediaire plus grossier et moins;
agité qu'elle , cet air , par la force de son ressort
, revient sur lui- même , et pressant les côrez
oposez de l'Aiman et du fer , les pousse
l'un contre l'autre . La matiere magnétique conservant
toujours sa direction vers le même pole ,
tourne du même côté l'aiguille aimantée , dans
laquelle elle s'insinuë.
Descartes explique d'une maniere qui n'est pas
moins ingenieuse , la formation.des corps particuliers
par leurs particules roides ou fléxibles ,
par leurs interstices plus ou moins ouverts, par
les differens degrez de leurs mouvemens ; mais
les bornes que nous nous sommes prescrites ne
nous permettent pas de le suivre dans ces differens
détails . Nous observerons seulement qu'il
fait consister la densité ou la rarefaction des
corps dans des particules plus ou moins déliées
et agitées , soutenant que la quantité de matiere
dépend uniquement de l'étendue , et que dans un
lingot d'or il n'y a pas plus de matiere que dans
une éponge d'un pareil volume . La difference des
couleurs , des odeurs , des saveurs , du chaud et
du froid , du sec et de l'humide , de la dureté et
de la mollesse , &c. n'est attribuée dans cette
Philosophie qu'aux situations , figures et mouvemens
des particules ; et les qualitez occultes ,
vertus sympathiques, formes substantielles et autres
expressions Péripatéticiennes , qui ne signifioient
rien et qu'on recevoit neanmoins pour
des explications , ont été proscrites par le Cartesianisme.
La Géometrie a fait plus d'honneur.
encore à Descartes que la Physique. Il est le premier
qui ait fait l'application de l'Algebre à la
Géometrie , et il a étendu fort loin les limites de
Fune et de Pautre.
I Cette
5c6 MERCURE DE FRANCE
'Cette Philosophie avoit à peine surmonté les
obstacles qui avoient traversé ses progrès , lorsqu'une
rivale , par des voyes entierement contraires
, a prétendu lui disputer la préference ;
et même l'emporter entierement sur elle. Descartes
se met à la portée des plus simples , conduisant
l'esprit des veritez primitives aux plus
composées ; Newton ne daigne parler qu'aux
plus sçavans Géometres et aux plus patiens Algebristes.
L'un descend des principes aux Phénomenes,
et des causes à leurs effets ; l'autre renfer
me toute sa théorie dans la liaison des Phéno
menes. Descartes vous engage par des idées
brillantes et des conjectures vrai- semblables ;
Newton prétend vous soumettre par des démonstrations
obscures et des calculs effrayants. L'un
tâche de vous faire connoître la Nature ; l'autre
connoît parfaitement l'esprit humain , toujours.
disposé à admirer ce qu'il ne comprend pas.
Descartes ne cherche qu'à éclairer l'esprit , Newton
mérite le surnom de Tenebreux, donné autrefois
à Héraclite. Descartes a paru dans un
temps où les nouveautez étoient haies et suspectes
; Newton a débité les siennes dans les circonstances
les plus favorables pour elles ,
lorsque
le génie des sciences étoit entierement tourné
du côté des nouveautez . Descartes se propose
davantage de découvrir pourquoi les choses sont
telles ; Newton paroît plus occupé d'examiner
comment elles sont . Le premier a tiré moins d'avantage
de la connoissance du Ciel , beaucoup
moins étendue de son temps ; le second plus aidé
par l'Astronomie , n'en a répandu dans sa Physique
que des nuages plus épais . Descartes établit
une hypothèse , il explique les Phénomenes ,
le plus qu'il lui est possible , par des loix generales
,
MARS. 1734. 507
sans
atrales , constantes et uniformes Newton
Nevvt. Princip . Mathem. in fin. Libr. 3 .
pag. 483. Edition 172.3 . ) déclare qu'il ne
forme aucune hypothese , il explique les Plénomenes
par la force de la gravité , et il attribue
cette gravité à quelque cause qui penetre
jusqu'aux centres du Soleil et des Planettes ,
diminution , et qui agit , non pas relativement
aux superficies des particules , comme les causes
méchaniques , mais à proportion de la matiere
solide, et dont l'action étendue jusqu'à des distances
immenses , va toujours décroissant en raison
doublée de ces distances. Tâchons de déve→
lopper ce qu'il nous a été possible de concevoir
de cette Philosophie Newtonienne , et en mê
me temps de réparer plusieurs deffectuositez justement
imputées au Systême Cartésien .
L
La suite pour le Mercure prochain.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Est rédigé par une personne
Remarque
Nous apprenons que l'auteur de cette comparaison est « M. de S. Aubin » dans le troisième article de la série, Mercure de juin 1734, vol. 1, p. 1104.