Titre
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople du 7. Avril 1731.
Titre d'après la table
Diverses Lettres de Constantinople sur la seconde Révolution, &c.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
1364
Page de début dans la numérisation
173
Page de fin
1373
Page de fin dans la numérisation
181
Incipit
La nuit du 24. au 25. Mars 200. Janissaires allerent enfoncer la maison du Janissaire
Texte
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople '
du 7. Avril 1731.
LA
A nuit du 24. au 25. Mars 200. Janissaires
allerent enfoncer la maison du Janissaire
Aga , et voulurent en enlever les Marmites pour
lés porter dans la Place d'Atmeiaan , où les Ja
nissaires s'assemblent ordinairement lorsqu'ils
veulent exciter quelque révolte. Le Janissaire
Aga s'y étant opposé reçut un coup de Fusil au
bras , et sa maison fut entierement pillée , il eut
cependant le bonheur de se sauver par la porte
de son Jardin et de se rendre au Serrail : il rendit.
compte au G. S. de ce qui venoit de lui arriver.
On fit appeller sur le champ le Grand Vizir ,
le Mufti , le Capitan Pacha , et quelques uns des
principaux Effendis , pour déliberer sur le parti
qu'on avoit à prendre. Il fut resolu de rassembler
le plus de Monde qu'on pourroit , et d'aller atta
quer les Rébelles à l'Atmeydan dès qu'il seroit
jour , pour n'en pas laisser grossir le nombre ,.
et d'y faire porter l'Etendart de Mahomet ; la
chose fut éxécutée, on forma deux Corps , dont
l'un étoit commandé par le G. Vizir , suivi du
Janissaire Aga , quoique blessé , et l'autre étoit
sous les ordres du Capitan Pacha ; ils rencontre
rent dans les rues quantité de Gens armés qui
alloient se joindre aux Rebelles , dont la plûpart:
furent tués , ils trouverent dans la Place de l'At
meydan , où ils se rendirent par deux differens.
I. Vol. endroits,
JUIN. 1731. 1365
endroirs , soo. hommes armés , avec quelques.
Etendarts déployés , qui firent d'abord assés de
résistance , mais qui furent contraints de ceder.
La plupart furent massacrés ; on en saisit une
soixantaine que l'on conduisit au Serrail pour dé
couvrir les motifs , et les Chefs de la Rebellion ,
et quelques- uns furent assés heureux pour se sau
ver. Depuis les Caffés , les Bains , et les autres
Lieux publics ont été fermés .
Le G.V. n'a point tenu de Divan hier ni aujour
d'hui ; il n'estoccupé qu'à faire des rondes dans la
Ville,et à en faire faire par le Janissaire Aga, et par
les autres principaux Officiers des differens Corps de
Milice qui arrêtent et font étrangler sur le champ
tous ceux qu'on soupçonne avoir eu part à la ré
volte. On assure que quoyqu'il ne se soit trouvé
que quatre ou cinq cens révoltés dans la Place
d'Atmeydan , il y en avoit plus de 3000 autres.
dispersés dans plusieurs endroits de Constanti
nople , avec des Drapeaux pour assembler du
monde et grossir leur Troupe.
Ils avoient aussi mis le feu en trois diff. rens quar
tiers de la Vilie,dans la vue que le G.V.er les autres
Ministres étant occupés à le faire éteindre , ils trou
veroient moins d'obstacles à l'execution de leur
projet. Il est certain que si l'on eût tardé trois heu
res de plus à dissiper les Rébelles , ils auroient été
les Maîtres de Constantinople , et qu'ils auroient
fait les mêmes changemens , et beaucoup plus de
désordre que lors de la premiere révolte ; il étoit
même à craindre qu'on n'eût pas eu les mêmes.
égards pour nous , par la raison que quoique la
sédition n'ait duré que dépuis la pointe du jour
jusqu'à neufheures du matin , il y a eu beancoup
de Grecs , d'Arméniens et de Juifs qui ont été
insultés et volés , et que depuis l'autre révolution,,
I. Vol.
il
2366 MERCURE DE FRANCE
il s'est rassemblé dans cette Capitale une infini
té d'Asiatiques , tous voleurs et assassins ; et
qu'ils ne s'y sont établis que dans l'Esperance
d'y trouver quelque conjoncture à pouvoir met
tre leurs talens à profit ; s'il en faut croire les
bruits publics , ce sont les Partisans d'Achmet
III. qui avoient tramé cette révolte.
Les particularitez suivantes sont tirées de plu
sieurs Lettres.
Le 24. Mars , quelques Dgebedgis , ou Soldats
d'Artillerie , s'étant trouvez dans un Caffé , s'en
tretenoient en fumant, de l'état présent du Gou
vernement. Plusieurs d'entr'eux se plaignoient de
ce qu'on n'avoit pas encore distribué les 25. Pias
tres qu'on a coûtume de donner à chaque Sol
dat à l'avenement au Trône d'un nouveau Sul
tan ; d'autres témoignoient leur mécontentement
de ce que nonobstant le changement de Minis
tere, on n'avoit pas encore remedié à la disette et à
la cherté des vivres , ce qui avoit été le but de la
précedente Révolte . Après plusieurs discours de
cette nature , ils sortirent sur les 9. heures du
soir du Caffé , fort animez ; et ayant été joints
par un grand nombre de leurs Compagnons , ils
s'amuserent ensemble et allerent vers les dix heu
res piller la maison de l'Aga des Janissaires , où
ils firent un butin considerable , tant en argent
comptant , qu'en bijoux.
; L'Aga eut le bonheur de se sauver le Grand
Visir ayant appris par le Lieutenant de l'Aga ,
la nouvelle de cette révolte , se rendit d'abord au
Serrail, et envoya ordre auCapitan PachaDgianum
Codgia , de se rendre en toute diligence auprès
de lui , et d'amener autant de monde qu'il pour
roit ; ce que celui cy executa : pendant ce tems
Lâ les soulevez , dont le nombre s'étoit accrû jus
Is Vola
qu'à
JUIN. 1731 1367
qu'à 3000. hommes , se rendirent dans la Place ,
nommée Atmeïdan , où ils arborerent le Pavillon
et y passerent la nuit . Le lendemain de grand
matin le G. V. et l'Aga des Janissaires sortirent
du Serrail, à la tête des Ichoglans , et autres Do
mestiques du Serrail , suivis du Capitan Pacha ,
à la tête de ses Gens de Mer , précedez par le
Sangiac-Scherif, portant l'Etendart de Mahomet,
et ils allerent attaquer les Rebelles , qui , quoique
surpris , firent d'abord feu sur eux sans respecter
l'Etendart du Prophete , et obligerent d'abord les
Ichoglans à reculer , mais ceux- cy ranimezpar
ceux qui les suivoient , attaquerent de nouveau
les Rebelles avec tant d'ardeur , qu'après une le
gere résistance , ils furent mis en fuite ; plusieurs
furent tuez sur la place et les autres dispersez , en
sorte qu'à dix heures du matin tout étoit aussi
tranquille qu'avant la Révolte ..
Le Grand Seigneur avoit d'abord voulu mar
cher en personne contre les Rebelles , mais il en
fut détourné par Dgianum Codgia. S. H. a fair
present à ce dernier et au G. V. d'une Fourure de
Martre Zibeline très- riche , en consideration du
service qu'ils venoient de lui rendre , d'autant
plus important , que les Rebelles avoient déja
proclamé le vieux Sultan .
L'Aga des Janissaires , voyant qu'il n'étoit pas
aimé de ce Corps , a demandé la permission au
G.S. de se retirer , qui la lui a accordée . Dgianum
Codgia a aussi jugé à propos par le même motif
de se retirer sur les Vaisseaux de guerre.
Sur le bruit qui s'étoit répandu que la veuve
du dernier G. V. fille du Sultan déposé , avoir
fomenté cette Révolte , elle fut d'abord enfermée
dans le Serrail , mais son innocence
été re
ayant
connuë , elle a été remise en liberté ; mais on as--,
1
1. Vol
Surc
1358 MERCURE DE FRANCE
sure qu'elle a été arrêtée une seconde fois , sur
ce qu'on a découvert qu'elle avoit promis 20000.
Bourses de cent Reaux chacune aux Janissaires
mécontens qui remettroient le Sultan son pere
sur le Trône.
Le G. S. a , dit-on , obligé depuis le Mufti à
prononcer une Sentence de mort contre son Pré
decesseur , qui a été arrêté dans un Village â
quelques lieues de Constantinople , où il se tenoit
Caché.
Le Capitan Pacha Dgianum- Codgia , n'étant
pas en sureté depuis qu'il a opiné dans le Divan
en faveur de la Paix avec les Princes Chrétiens
a obtenu de S. H. une Garde de Janissaires qui
doivent l'accompagner , même dans le voyage
qu'il fera dans les principales Iles de l'Archipel.
Le G. V. a été d'avis contraire ; et ayant propo
sé de faire la Paix avec les Persans , et d'occuper
les Janissaires et les autres Milices à une guerre
avec les Princes Chrétiens , il demande à S. H. de
l'exiler en Egypte , si son avis ne lui étoit pas
agréable. Depuis ce Divan on a dépêché trois
Couriers en Perse , pour porter , à ce qu'on croit,
des pleins pouvoirs aux Generaux Turcs , afin de
terminer un accommodement avec le Roi de
Perse.
Une autre Lettre de Constantinople porte que
la même nuit du 2 5. Mars , une troupe de Revol
tez qu'on fait monter environ à 4000. hommes ,
après avoir couru tumultuairement les ruës , en
foncerent les portes de la maison du Janissaire
Aga , et la pillerent ; après quoi ils allerent dans
les chambres des Janissaires , enleverent leurs
Marmites , ustanciles et leurs Etendarts , qu'ils
porterent à l'Atmeïdan , principale Place de Cons
tantinople.
1. Vol. Ce
JUIN. 1731 .
1369
Ce desordre saisit de crainte tous les habitans,
et la terreur atigmentoit par les cris des Révoltez
qui couroient dans tous les Quartiers , disant qu'on
eut à se rendre à l'Atmeïdan , où ils devoient ,
disoient - ils , prendre des mesures pour réformer
de nouveau le Gouvernement , et détrôner le Sul
tan Mahmoud, qui étoit déchû de la Souveraine
té du moment qu'il avoit fait massacrer et jetter
à la voirie l'Aga Patrona -Kalil et ses Camarades ;
qu'un pareil exemple étoit inoui et entierement
contraire au Kanoun ou Ordonnance de Sultan
Soliman II. Beaucoup de monde se joignit à ces
sédicieux , ce qui grossit considerablement la
troupe qui se formoit à l'Atmeidan , où lon com
mençoit à dresser des Tentes.
Cependant le G. V. le Mufti , Dgianum Cod
gia , Capitan - Pacha , et tous les Grands Officiers
de l'Empire , de même que les Gens de Loi- , se
rendirent au Serrail , auprès du G. S. où il fut
résolu qu'on exposeroit l'Etendart du Prophete ,
et que tout le Peuple seroit invité de courir à sa
defense . Le Mufti donna aussi -tôt une Sentence
par laquelle les Rebelles étoient déclarez infideles
et traîtres , et que tout bon Musulman ou vrai
Croyant devoit sacrifier sa vie pour la conserva
tion du Sultan Mahmoud , leur legitime Souve
rain. On promit aussi à chacun de ceux qui
apporteroient quelque tête des Rebelles , des ré
compenses proportionnées au service qu'il auroit
rendu dans cette occasion . En même -tems le
Defterdar our Grand - Trésorier , fit porter du
Trésor Imperial , quantité de sacs d'or et d'ar
gent à la Porte du Serrail et se mit en devoir de
disrribuer cent Piastres à chacun de ceux qui ap
porteroient quelque tête .
Cette disposition ainsi faite , le G. S. remit la
1. Vol.
fameuse
1370 MERCURE, DE FRANCE
fameuse Banniere entre les mains du G. V. et ce
Fui- ci la remit à un Kapigi- Bachi . Ensuite ce pre
mier Ministre s'étant mis à la tête de la Maison
de S. H. et de la sienne , et le Capitan- Pacha , à
la tête de 400. Leventis , on fit ouvrir les Portes
du Serrail , et en marcha en bon ordre à la Place
d'Atmeïdan.
•
Le Peuple n'eut pas plutôt appris qu'on devoit
faire sortir l'Etendart de Mahometh , qu'on s'em
pressa , à l'envi, pour le venir deffendre, et l'affluence
fut si grande en très - peu de tems , qu'on ne pou
voit qu'à peine se remuer dans les rues . Les To
pigis , Dgebedgis et même les Janissaires , qui
un moment auparavant étoient eux- mêmes du
nombre des Rebelles , vinrent aussi se rendre sous
PEtendart du Prophete.
Le G. V. marchant fierement , s'avança avec
tout son Cortege jusques à l'Atmeïdan ; près d'y
arriver il fit une petite alte et continua sa marche
par la même rue qui aboutit à une des Portes de
cette Place,mais Dgianum Codgia avec ses Léven
tis , se détacha et prit par une autre ruë qui abou
tit à une autre Porte de la même Place.
Non-seulement les Rebelles firent bonne con
tenance , mais ils attaquerent courageusement
les Troupes du Visir et du Capitan - Pacha , et ils
firent tous leurs efforts pour se saisir de l'Eten
dart ; mais obligez de plier , ils furent mis en dé
route en même tems le G. V. étant entré
dans la Place par un côté et le Capitan - Pacha
un autre , ils firent main basse sur tous ceux qui
s'y trouverent ; qui n'étoient pas , à la verité ,
si grand nombre , parce que la plupart des Ré
voltez eurent le tems de se sauver dans les Cazer
nes des Janissaires , qui sont joignant cette Place.
Les autres ayant pris la fuite par diverses ruës
par
en
;
I. Vol. · le
JUI N. 1731. 1371
le G. V. les fit poursuivre sans perte de tems , & c,
Peu de tems après on vit un spectacle bien ter
rible dans la Place qui est devant la porte du Ser
rail , où le Tefterdar s'étoit placé , prêt à don
ner cent écus pour chaque tête de Ribelle qu'on
lui apporteroit ; en moins de deux heures de tems
on lui en apporta de tous côtez une quantité si
prodigieuse , que cela fit croire avec raison , que
quantité d'innocens étoient péris dans cette mal
heureuse journée ; car les Bostangis et les Leven
tis , plus empressez à gagner cent Piastres , qu'on
donnoit pour chaque tête , qu'à punir les Re
belles , assommoient les premiers venus et ceux
qui étoient les plus sans deffense . On assure qu'un
Eunuque , favori du Sultan , apporta lui seul neuf
têtes , et qu'il fut largement récompensé.
On prétend que cette derniere Révolte a été
suscitée par les Créatures du Sultan Achmet , et
ce bruit se fortifie d'autant plus , qu'on a appris
que les Sultanes , filles de ce Prince , mariées
a Ibrahim Pacha , dernier G V. et à son fils , qui
étoient libres dans leurs Palais depuis le malheur
arrivé à leurs Maris , viennent d'être étroitement
enfermées dans le Serrail .
Pour les principaux Chefs de cette Rebellion ,
ce sont des gens de la lie du peuple , dons les noms
auroient pû devenir aussi fameux que ceux de Pa
trona et de Mousloub , si leur audacieuse témeri
té avoit éte suivie d'un plus heureux succès. Par
mi ceux qui ont le plus contribué à l'arrêter et à
faire punir les coupables , on parle du fameux
Dgianum Codgia qui a agi de la tête et de la main
avec toute la prudence et la valeur imaginable ,
ainsi qu'il avoit fait dans la premiere Révolte.
Depuis le Dimanche 25. Mars , chaque jour
est marqué par quelque exécution publique , ou
Le Vol.
H particu
1372 MERCURE DE FRANCE
particuliere. La quantité de gens qu'on fait périr
est incroyable. Il suffit de n'avoir pas une phi
fionomie heureuse , pour être proscrit et perdre
la vie ; séverité , sans doute , bien nécessaire dans
une conjoncture aussi délicate ; mais aussi il y a
de l'excès.
On a chassé et banni de Constantinople tous
les Arnaouds et Albanois , qui étoient devenus
trés - insolens , dépuis que leur Compatriotte Pa
zrona , les favorisant en toutes choses pendant
la premiere révolte , les avoit mis sur un pied
d'aisance pour lequel ils n'étoient pas nés..
On assure qu'on va aussi chasser les Las ,
Peuples originaires des Côtes de la Mer Noire
prés de Trébisonde , établis à Constantinople.
On prétend que ce sont eux qui ont pillé tout le
Besestin des Ispahis, et qui ont fait la plupart des
autres vols , qui sont très considerables.
Pour nous , nous en avons été quitte pour quel
ques allarmes ; mais je doute que c'eût été à si
bon marché , si la sédition n'avoit pas été assou
pie dans son commencement. Il seroit difficile
de pouvoir dire le nombre des morts , du jour
de la grande expédition . Le G. Vizir perdit quel
ques Agas , et plusieurs des siens furent blessez .
Il courut grand risque lui - même ; car un des
Rebelles qui avoit trouvé le moyen de s'appro
cher de sa Personne , alloit luy tirer un coup
de Pistolet presque à bout portant , lorsque son
favori Mustapha Aga , le prévint et lui abatit le
bras d'un coup de Sabre,ce qui garantit le G. V.
Mais le Rebelle , doublement outré de désespoir
d'avoir manqué son coup , et de voir son bras
droit par terre , tira de sa main gauche un Poi
gnard qu'il avoit à sa ceinture , et s'élançant sur
Mustapha , le lui plongea dans le coeur , et le fit
IVsi
somber
JUI N. 1731.
1373
tomber mort à ses pieds : ce malheureux fut
massacré et mis en pieces sur le moment.
du 7. Avril 1731.
LA
A nuit du 24. au 25. Mars 200. Janissaires
allerent enfoncer la maison du Janissaire
Aga , et voulurent en enlever les Marmites pour
lés porter dans la Place d'Atmeiaan , où les Ja
nissaires s'assemblent ordinairement lorsqu'ils
veulent exciter quelque révolte. Le Janissaire
Aga s'y étant opposé reçut un coup de Fusil au
bras , et sa maison fut entierement pillée , il eut
cependant le bonheur de se sauver par la porte
de son Jardin et de se rendre au Serrail : il rendit.
compte au G. S. de ce qui venoit de lui arriver.
On fit appeller sur le champ le Grand Vizir ,
le Mufti , le Capitan Pacha , et quelques uns des
principaux Effendis , pour déliberer sur le parti
qu'on avoit à prendre. Il fut resolu de rassembler
le plus de Monde qu'on pourroit , et d'aller atta
quer les Rébelles à l'Atmeydan dès qu'il seroit
jour , pour n'en pas laisser grossir le nombre ,.
et d'y faire porter l'Etendart de Mahomet ; la
chose fut éxécutée, on forma deux Corps , dont
l'un étoit commandé par le G. Vizir , suivi du
Janissaire Aga , quoique blessé , et l'autre étoit
sous les ordres du Capitan Pacha ; ils rencontre
rent dans les rues quantité de Gens armés qui
alloient se joindre aux Rebelles , dont la plûpart:
furent tués , ils trouverent dans la Place de l'At
meydan , où ils se rendirent par deux differens.
I. Vol. endroits,
JUIN. 1731. 1365
endroirs , soo. hommes armés , avec quelques.
Etendarts déployés , qui firent d'abord assés de
résistance , mais qui furent contraints de ceder.
La plupart furent massacrés ; on en saisit une
soixantaine que l'on conduisit au Serrail pour dé
couvrir les motifs , et les Chefs de la Rebellion ,
et quelques- uns furent assés heureux pour se sau
ver. Depuis les Caffés , les Bains , et les autres
Lieux publics ont été fermés .
Le G.V. n'a point tenu de Divan hier ni aujour
d'hui ; il n'estoccupé qu'à faire des rondes dans la
Ville,et à en faire faire par le Janissaire Aga, et par
les autres principaux Officiers des differens Corps de
Milice qui arrêtent et font étrangler sur le champ
tous ceux qu'on soupçonne avoir eu part à la ré
volte. On assure que quoyqu'il ne se soit trouvé
que quatre ou cinq cens révoltés dans la Place
d'Atmeydan , il y en avoit plus de 3000 autres.
dispersés dans plusieurs endroits de Constanti
nople , avec des Drapeaux pour assembler du
monde et grossir leur Troupe.
Ils avoient aussi mis le feu en trois diff. rens quar
tiers de la Vilie,dans la vue que le G.V.er les autres
Ministres étant occupés à le faire éteindre , ils trou
veroient moins d'obstacles à l'execution de leur
projet. Il est certain que si l'on eût tardé trois heu
res de plus à dissiper les Rébelles , ils auroient été
les Maîtres de Constantinople , et qu'ils auroient
fait les mêmes changemens , et beaucoup plus de
désordre que lors de la premiere révolte ; il étoit
même à craindre qu'on n'eût pas eu les mêmes.
égards pour nous , par la raison que quoique la
sédition n'ait duré que dépuis la pointe du jour
jusqu'à neufheures du matin , il y a eu beancoup
de Grecs , d'Arméniens et de Juifs qui ont été
insultés et volés , et que depuis l'autre révolution,,
I. Vol.
il
2366 MERCURE DE FRANCE
il s'est rassemblé dans cette Capitale une infini
té d'Asiatiques , tous voleurs et assassins ; et
qu'ils ne s'y sont établis que dans l'Esperance
d'y trouver quelque conjoncture à pouvoir met
tre leurs talens à profit ; s'il en faut croire les
bruits publics , ce sont les Partisans d'Achmet
III. qui avoient tramé cette révolte.
Les particularitez suivantes sont tirées de plu
sieurs Lettres.
Le 24. Mars , quelques Dgebedgis , ou Soldats
d'Artillerie , s'étant trouvez dans un Caffé , s'en
tretenoient en fumant, de l'état présent du Gou
vernement. Plusieurs d'entr'eux se plaignoient de
ce qu'on n'avoit pas encore distribué les 25. Pias
tres qu'on a coûtume de donner à chaque Sol
dat à l'avenement au Trône d'un nouveau Sul
tan ; d'autres témoignoient leur mécontentement
de ce que nonobstant le changement de Minis
tere, on n'avoit pas encore remedié à la disette et à
la cherté des vivres , ce qui avoit été le but de la
précedente Révolte . Après plusieurs discours de
cette nature , ils sortirent sur les 9. heures du
soir du Caffé , fort animez ; et ayant été joints
par un grand nombre de leurs Compagnons , ils
s'amuserent ensemble et allerent vers les dix heu
res piller la maison de l'Aga des Janissaires , où
ils firent un butin considerable , tant en argent
comptant , qu'en bijoux.
; L'Aga eut le bonheur de se sauver le Grand
Visir ayant appris par le Lieutenant de l'Aga ,
la nouvelle de cette révolte , se rendit d'abord au
Serrail, et envoya ordre auCapitan PachaDgianum
Codgia , de se rendre en toute diligence auprès
de lui , et d'amener autant de monde qu'il pour
roit ; ce que celui cy executa : pendant ce tems
Lâ les soulevez , dont le nombre s'étoit accrû jus
Is Vola
qu'à
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qu'à 3000. hommes , se rendirent dans la Place ,
nommée Atmeïdan , où ils arborerent le Pavillon
et y passerent la nuit . Le lendemain de grand
matin le G. V. et l'Aga des Janissaires sortirent
du Serrail, à la tête des Ichoglans , et autres Do
mestiques du Serrail , suivis du Capitan Pacha ,
à la tête de ses Gens de Mer , précedez par le
Sangiac-Scherif, portant l'Etendart de Mahomet,
et ils allerent attaquer les Rebelles , qui , quoique
surpris , firent d'abord feu sur eux sans respecter
l'Etendart du Prophete , et obligerent d'abord les
Ichoglans à reculer , mais ceux- cy ranimezpar
ceux qui les suivoient , attaquerent de nouveau
les Rebelles avec tant d'ardeur , qu'après une le
gere résistance , ils furent mis en fuite ; plusieurs
furent tuez sur la place et les autres dispersez , en
sorte qu'à dix heures du matin tout étoit aussi
tranquille qu'avant la Révolte ..
Le Grand Seigneur avoit d'abord voulu mar
cher en personne contre les Rebelles , mais il en
fut détourné par Dgianum Codgia. S. H. a fair
present à ce dernier et au G. V. d'une Fourure de
Martre Zibeline très- riche , en consideration du
service qu'ils venoient de lui rendre , d'autant
plus important , que les Rebelles avoient déja
proclamé le vieux Sultan .
L'Aga des Janissaires , voyant qu'il n'étoit pas
aimé de ce Corps , a demandé la permission au
G.S. de se retirer , qui la lui a accordée . Dgianum
Codgia a aussi jugé à propos par le même motif
de se retirer sur les Vaisseaux de guerre.
Sur le bruit qui s'étoit répandu que la veuve
du dernier G. V. fille du Sultan déposé , avoir
fomenté cette Révolte , elle fut d'abord enfermée
dans le Serrail , mais son innocence
été re
ayant
connuë , elle a été remise en liberté ; mais on as--,
1
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Surc
1358 MERCURE DE FRANCE
sure qu'elle a été arrêtée une seconde fois , sur
ce qu'on a découvert qu'elle avoit promis 20000.
Bourses de cent Reaux chacune aux Janissaires
mécontens qui remettroient le Sultan son pere
sur le Trône.
Le G. S. a , dit-on , obligé depuis le Mufti à
prononcer une Sentence de mort contre son Pré
decesseur , qui a été arrêté dans un Village â
quelques lieues de Constantinople , où il se tenoit
Caché.
Le Capitan Pacha Dgianum- Codgia , n'étant
pas en sureté depuis qu'il a opiné dans le Divan
en faveur de la Paix avec les Princes Chrétiens
a obtenu de S. H. une Garde de Janissaires qui
doivent l'accompagner , même dans le voyage
qu'il fera dans les principales Iles de l'Archipel.
Le G. V. a été d'avis contraire ; et ayant propo
sé de faire la Paix avec les Persans , et d'occuper
les Janissaires et les autres Milices à une guerre
avec les Princes Chrétiens , il demande à S. H. de
l'exiler en Egypte , si son avis ne lui étoit pas
agréable. Depuis ce Divan on a dépêché trois
Couriers en Perse , pour porter , à ce qu'on croit,
des pleins pouvoirs aux Generaux Turcs , afin de
terminer un accommodement avec le Roi de
Perse.
Une autre Lettre de Constantinople porte que
la même nuit du 2 5. Mars , une troupe de Revol
tez qu'on fait monter environ à 4000. hommes ,
après avoir couru tumultuairement les ruës , en
foncerent les portes de la maison du Janissaire
Aga , et la pillerent ; après quoi ils allerent dans
les chambres des Janissaires , enleverent leurs
Marmites , ustanciles et leurs Etendarts , qu'ils
porterent à l'Atmeïdan , principale Place de Cons
tantinople.
1. Vol. Ce
JUIN. 1731 .
1369
Ce desordre saisit de crainte tous les habitans,
et la terreur atigmentoit par les cris des Révoltez
qui couroient dans tous les Quartiers , disant qu'on
eut à se rendre à l'Atmeïdan , où ils devoient ,
disoient - ils , prendre des mesures pour réformer
de nouveau le Gouvernement , et détrôner le Sul
tan Mahmoud, qui étoit déchû de la Souveraine
té du moment qu'il avoit fait massacrer et jetter
à la voirie l'Aga Patrona -Kalil et ses Camarades ;
qu'un pareil exemple étoit inoui et entierement
contraire au Kanoun ou Ordonnance de Sultan
Soliman II. Beaucoup de monde se joignit à ces
sédicieux , ce qui grossit considerablement la
troupe qui se formoit à l'Atmeidan , où lon com
mençoit à dresser des Tentes.
Cependant le G. V. le Mufti , Dgianum Cod
gia , Capitan - Pacha , et tous les Grands Officiers
de l'Empire , de même que les Gens de Loi- , se
rendirent au Serrail , auprès du G. S. où il fut
résolu qu'on exposeroit l'Etendart du Prophete ,
et que tout le Peuple seroit invité de courir à sa
defense . Le Mufti donna aussi -tôt une Sentence
par laquelle les Rebelles étoient déclarez infideles
et traîtres , et que tout bon Musulman ou vrai
Croyant devoit sacrifier sa vie pour la conserva
tion du Sultan Mahmoud , leur legitime Souve
rain. On promit aussi à chacun de ceux qui
apporteroient quelque tête des Rebelles , des ré
compenses proportionnées au service qu'il auroit
rendu dans cette occasion . En même -tems le
Defterdar our Grand - Trésorier , fit porter du
Trésor Imperial , quantité de sacs d'or et d'ar
gent à la Porte du Serrail et se mit en devoir de
disrribuer cent Piastres à chacun de ceux qui ap
porteroient quelque tête .
Cette disposition ainsi faite , le G. S. remit la
1. Vol.
fameuse
1370 MERCURE, DE FRANCE
fameuse Banniere entre les mains du G. V. et ce
Fui- ci la remit à un Kapigi- Bachi . Ensuite ce pre
mier Ministre s'étant mis à la tête de la Maison
de S. H. et de la sienne , et le Capitan- Pacha , à
la tête de 400. Leventis , on fit ouvrir les Portes
du Serrail , et en marcha en bon ordre à la Place
d'Atmeïdan.
•
Le Peuple n'eut pas plutôt appris qu'on devoit
faire sortir l'Etendart de Mahometh , qu'on s'em
pressa , à l'envi, pour le venir deffendre, et l'affluence
fut si grande en très - peu de tems , qu'on ne pou
voit qu'à peine se remuer dans les rues . Les To
pigis , Dgebedgis et même les Janissaires , qui
un moment auparavant étoient eux- mêmes du
nombre des Rebelles , vinrent aussi se rendre sous
PEtendart du Prophete.
Le G. V. marchant fierement , s'avança avec
tout son Cortege jusques à l'Atmeïdan ; près d'y
arriver il fit une petite alte et continua sa marche
par la même rue qui aboutit à une des Portes de
cette Place,mais Dgianum Codgia avec ses Léven
tis , se détacha et prit par une autre ruë qui abou
tit à une autre Porte de la même Place.
Non-seulement les Rebelles firent bonne con
tenance , mais ils attaquerent courageusement
les Troupes du Visir et du Capitan - Pacha , et ils
firent tous leurs efforts pour se saisir de l'Eten
dart ; mais obligez de plier , ils furent mis en dé
route en même tems le G. V. étant entré
dans la Place par un côté et le Capitan - Pacha
un autre , ils firent main basse sur tous ceux qui
s'y trouverent ; qui n'étoient pas , à la verité ,
si grand nombre , parce que la plupart des Ré
voltez eurent le tems de se sauver dans les Cazer
nes des Janissaires , qui sont joignant cette Place.
Les autres ayant pris la fuite par diverses ruës
par
en
;
I. Vol. · le
JUI N. 1731. 1371
le G. V. les fit poursuivre sans perte de tems , & c,
Peu de tems après on vit un spectacle bien ter
rible dans la Place qui est devant la porte du Ser
rail , où le Tefterdar s'étoit placé , prêt à don
ner cent écus pour chaque tête de Ribelle qu'on
lui apporteroit ; en moins de deux heures de tems
on lui en apporta de tous côtez une quantité si
prodigieuse , que cela fit croire avec raison , que
quantité d'innocens étoient péris dans cette mal
heureuse journée ; car les Bostangis et les Leven
tis , plus empressez à gagner cent Piastres , qu'on
donnoit pour chaque tête , qu'à punir les Re
belles , assommoient les premiers venus et ceux
qui étoient les plus sans deffense . On assure qu'un
Eunuque , favori du Sultan , apporta lui seul neuf
têtes , et qu'il fut largement récompensé.
On prétend que cette derniere Révolte a été
suscitée par les Créatures du Sultan Achmet , et
ce bruit se fortifie d'autant plus , qu'on a appris
que les Sultanes , filles de ce Prince , mariées
a Ibrahim Pacha , dernier G V. et à son fils , qui
étoient libres dans leurs Palais depuis le malheur
arrivé à leurs Maris , viennent d'être étroitement
enfermées dans le Serrail .
Pour les principaux Chefs de cette Rebellion ,
ce sont des gens de la lie du peuple , dons les noms
auroient pû devenir aussi fameux que ceux de Pa
trona et de Mousloub , si leur audacieuse témeri
té avoit éte suivie d'un plus heureux succès. Par
mi ceux qui ont le plus contribué à l'arrêter et à
faire punir les coupables , on parle du fameux
Dgianum Codgia qui a agi de la tête et de la main
avec toute la prudence et la valeur imaginable ,
ainsi qu'il avoit fait dans la premiere Révolte.
Depuis le Dimanche 25. Mars , chaque jour
est marqué par quelque exécution publique , ou
Le Vol.
H particu
1372 MERCURE DE FRANCE
particuliere. La quantité de gens qu'on fait périr
est incroyable. Il suffit de n'avoir pas une phi
fionomie heureuse , pour être proscrit et perdre
la vie ; séverité , sans doute , bien nécessaire dans
une conjoncture aussi délicate ; mais aussi il y a
de l'excès.
On a chassé et banni de Constantinople tous
les Arnaouds et Albanois , qui étoient devenus
trés - insolens , dépuis que leur Compatriotte Pa
zrona , les favorisant en toutes choses pendant
la premiere révolte , les avoit mis sur un pied
d'aisance pour lequel ils n'étoient pas nés..
On assure qu'on va aussi chasser les Las ,
Peuples originaires des Côtes de la Mer Noire
prés de Trébisonde , établis à Constantinople.
On prétend que ce sont eux qui ont pillé tout le
Besestin des Ispahis, et qui ont fait la plupart des
autres vols , qui sont très considerables.
Pour nous , nous en avons été quitte pour quel
ques allarmes ; mais je doute que c'eût été à si
bon marché , si la sédition n'avoit pas été assou
pie dans son commencement. Il seroit difficile
de pouvoir dire le nombre des morts , du jour
de la grande expédition . Le G. Vizir perdit quel
ques Agas , et plusieurs des siens furent blessez .
Il courut grand risque lui - même ; car un des
Rebelles qui avoit trouvé le moyen de s'appro
cher de sa Personne , alloit luy tirer un coup
de Pistolet presque à bout portant , lorsque son
favori Mustapha Aga , le prévint et lui abatit le
bras d'un coup de Sabre,ce qui garantit le G. V.
Mais le Rebelle , doublement outré de désespoir
d'avoir manqué son coup , et de voir son bras
droit par terre , tira de sa main gauche un Poi
gnard qu'il avoit à sa ceinture , et s'élançant sur
Mustapha , le lui plongea dans le coeur , et le fit
IVsi
somber
JUI N. 1731.
1373
tomber mort à ses pieds : ce malheureux fut
massacré et mis en pieces sur le moment.
Lieu
Date, calendrier grégorien
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Provient d'un lieu