Titre
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Constantinople le 9. Octobre 1730. au sujet de la derniere Révolution arrivée dans cette Ville.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
2953
Page de début dans la numérisation
190
Page de fin
2956
Page de fin dans la numérisation
193
Incipit
Je ne veux pas, Monsieur, vous laisser ignorer un Evenement aussi singulier qu'interessant,
Texte
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Conftantinople le 9. Octobre 1730 , au sujet
de la derniere Révolution arrivée dans
cette Ville.
JE
E ne veux pas , Monfieur , vous laiffer ignorer
un Evenement auffi fingulier qu'intereffant ,
dont nous venons d'être les témoins. Sur la fin
du mois dernier , les Janniffaires fe révolterent.
fous un Chef nommé Patrona , c'eft un homme
qui avoit dépensé tout fon petit argent à ſe ménager
un équipage pour fuivre l'Armée Turque ,
deftinée contre la Perfe ; voyant qu'elle ne partoit
point, il employa la derniere Piaftre qui lui reftoit
11. Vela
2954 MERCURE DE FRANCE
à l'achat d'un Mouton , dont il régala fes Camarades
, au nombre de 12. Janniffaires . Après le
Repas il leur dit : Vous venez de manger tout ce
qui me reftoit au monde , demain je n'aurai
pas de quoi payer une taffe de Caffé ; fi vous êtes
gens
à
vous procurer une meilleure fortune, il n'y
a qu'à m'aider à fecouer le joug. Le complot fut
à peine projetté , qu'il fut exccuté ; ces douze
convives fe répandirent dans la Ville , en criant
Liberté , & ils exciterent une fédition qui a eu
des fuites très-confiderables , comme vous allez
le voir.
Si le G. S. eût eu la prudence d'étouffer d'abord
cette émeute , ce qui étoit facile , il ne feroit pas
réduit à l'état où il eft aujourd'hui ; mais ayant
méprifé tous les avis qui lui furent donnez , il fe
contenta de quitter fon Serrail d'Afie , pour venir
occuper celui d'Europe , il s'y enferma avec quelques
Pieces de Canon & des munitions de bouche
& de guerre pour trois mois. A peine y fut-il
entré qu'il arbora le Pavillon Imperial, & promit
20. Piaftres à tous ceux qui viendroient ſe ranger
deffous.On étoit fi mécontent du Gouvernement,
que perfonne ne bougea.
Le lendemain les Janniffaires qui n'étoient pas
plus de 12. le jour précedent , furent renforcez
par les Rebelles qui quittoient l'Armée, & par la
populace qu'ils contraignirent d'entrer dans leur
parti , par des promeffes ou par de mauvais traitemens.
Quand les Mutins fe virent les maîtres , ils allerent
en tumulte à la porte du Serrail, demander
qu'on leur livrât le G. V. le Capitan Pacha & le
Kiaya; le Sultan eut la foibleffe de les faire étrangler
tous trois , & il envoya leurs corps aux Rebelles
, qui vinrent lui faire audacieuſement des
reproches de ce qu'il ne les leur avoit pas livrez
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2955
en vie, ajoutant que c'étoit à eux de les faire mourir.
Ils pendirent ces cadavres par les pieds , leur
firent mille indignitez & les abandonnerent enfin
aux chiens.
Le Mufti fut arrêté quelque temps après , on
lui donna la qualité de Pacha , pour effacer en
quelque maniere le caractere dont il étoit revêtu ,
on le décapita enfuite. Il n'eſt pas permis de faire
mourir un Mufti qu'il n'ait été auparavant dégradé.
Le nombre des Grands que les Rebelles ont
profcrit eft de 90. la plupart ont pris la fuite ;
mais on en arrête tous les jours quelqu'un , auquel
les Rebelles font fouffrir les plus cruels fupplices.
De la maniere dont ils s'y prennent , il n'y
a pas d'apparence qu'aucun puiffe échapper à leur
fureur. Enfin le 30. Septembre ils dépoferent le
G. S. qu'ils mirent en prifon , & ils éleverent fur
le Trône Sultan Mahmout , Prince de grande efperance,
& fous lequel on fe flate que les chofes
prendront une meilleure face .
Il faut avouer que le Sultan dépofé s'eſt attiré
lui-même fa difgrace par le peu de part qu'il prenoit
au Gouvernement , duquel il fe repofoit entierement
fur le G. V. celui- cy en faifoit autant
à l'égard de fon Kiaya , qui étoit l'homme du
monde le plus méchant. Les autres Seigneurs
fuivoient , à l'envi , l'exemple du Maître.
&
On dit que Patrona , Chef de la Revolte , veut
obliger le nouvel Empereur à demeurer à Andrinople
, & de faire la guerre aux Chrétiens ,
qu'en attendant il lui fait dire de demeurer tranquille
& de le laiffer faire. Enfin cet homme qui
n'avoit pas le fol il y a 8. jours , eft aujoud'hui
le Maître à Conftantinople ; il eſt monté fur un
Cheval de mille Piaftres,& jette les Sequins à pleiges
mains. Il fit hier un Capitan Pacha, & il vient
II. Vol.
2956 MERCURE DE FRANCE
aujourd'hui de lui faire couper la tête : il a faiɛ
auffi un G. V. mais il le menace de le faire
mourir , s'il ne lui trouve dans trois jours un
certain homme qu'il lui demande. On dit qu'on.
a trouvé trente-cinq millions dans les Coffres du
Capitan Pacha.
Conftantinople le 9. Octobre 1730 , au sujet
de la derniere Révolution arrivée dans
cette Ville.
JE
E ne veux pas , Monfieur , vous laiffer ignorer
un Evenement auffi fingulier qu'intereffant ,
dont nous venons d'être les témoins. Sur la fin
du mois dernier , les Janniffaires fe révolterent.
fous un Chef nommé Patrona , c'eft un homme
qui avoit dépensé tout fon petit argent à ſe ménager
un équipage pour fuivre l'Armée Turque ,
deftinée contre la Perfe ; voyant qu'elle ne partoit
point, il employa la derniere Piaftre qui lui reftoit
11. Vela
2954 MERCURE DE FRANCE
à l'achat d'un Mouton , dont il régala fes Camarades
, au nombre de 12. Janniffaires . Après le
Repas il leur dit : Vous venez de manger tout ce
qui me reftoit au monde , demain je n'aurai
pas de quoi payer une taffe de Caffé ; fi vous êtes
gens
à
vous procurer une meilleure fortune, il n'y
a qu'à m'aider à fecouer le joug. Le complot fut
à peine projetté , qu'il fut exccuté ; ces douze
convives fe répandirent dans la Ville , en criant
Liberté , & ils exciterent une fédition qui a eu
des fuites très-confiderables , comme vous allez
le voir.
Si le G. S. eût eu la prudence d'étouffer d'abord
cette émeute , ce qui étoit facile , il ne feroit pas
réduit à l'état où il eft aujourd'hui ; mais ayant
méprifé tous les avis qui lui furent donnez , il fe
contenta de quitter fon Serrail d'Afie , pour venir
occuper celui d'Europe , il s'y enferma avec quelques
Pieces de Canon & des munitions de bouche
& de guerre pour trois mois. A peine y fut-il
entré qu'il arbora le Pavillon Imperial, & promit
20. Piaftres à tous ceux qui viendroient ſe ranger
deffous.On étoit fi mécontent du Gouvernement,
que perfonne ne bougea.
Le lendemain les Janniffaires qui n'étoient pas
plus de 12. le jour précedent , furent renforcez
par les Rebelles qui quittoient l'Armée, & par la
populace qu'ils contraignirent d'entrer dans leur
parti , par des promeffes ou par de mauvais traitemens.
Quand les Mutins fe virent les maîtres , ils allerent
en tumulte à la porte du Serrail, demander
qu'on leur livrât le G. V. le Capitan Pacha & le
Kiaya; le Sultan eut la foibleffe de les faire étrangler
tous trois , & il envoya leurs corps aux Rebelles
, qui vinrent lui faire audacieuſement des
reproches de ce qu'il ne les leur avoit pas livrez
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2955
en vie, ajoutant que c'étoit à eux de les faire mourir.
Ils pendirent ces cadavres par les pieds , leur
firent mille indignitez & les abandonnerent enfin
aux chiens.
Le Mufti fut arrêté quelque temps après , on
lui donna la qualité de Pacha , pour effacer en
quelque maniere le caractere dont il étoit revêtu ,
on le décapita enfuite. Il n'eſt pas permis de faire
mourir un Mufti qu'il n'ait été auparavant dégradé.
Le nombre des Grands que les Rebelles ont
profcrit eft de 90. la plupart ont pris la fuite ;
mais on en arrête tous les jours quelqu'un , auquel
les Rebelles font fouffrir les plus cruels fupplices.
De la maniere dont ils s'y prennent , il n'y
a pas d'apparence qu'aucun puiffe échapper à leur
fureur. Enfin le 30. Septembre ils dépoferent le
G. S. qu'ils mirent en prifon , & ils éleverent fur
le Trône Sultan Mahmout , Prince de grande efperance,
& fous lequel on fe flate que les chofes
prendront une meilleure face .
Il faut avouer que le Sultan dépofé s'eſt attiré
lui-même fa difgrace par le peu de part qu'il prenoit
au Gouvernement , duquel il fe repofoit entierement
fur le G. V. celui- cy en faifoit autant
à l'égard de fon Kiaya , qui étoit l'homme du
monde le plus méchant. Les autres Seigneurs
fuivoient , à l'envi , l'exemple du Maître.
&
On dit que Patrona , Chef de la Revolte , veut
obliger le nouvel Empereur à demeurer à Andrinople
, & de faire la guerre aux Chrétiens ,
qu'en attendant il lui fait dire de demeurer tranquille
& de le laiffer faire. Enfin cet homme qui
n'avoit pas le fol il y a 8. jours , eft aujoud'hui
le Maître à Conftantinople ; il eſt monté fur un
Cheval de mille Piaftres,& jette les Sequins à pleiges
mains. Il fit hier un Capitan Pacha, & il vient
II. Vol.
2956 MERCURE DE FRANCE
aujourd'hui de lui faire couper la tête : il a faiɛ
auffi un G. V. mais il le menace de le faire
mourir , s'il ne lui trouve dans trois jours un
certain homme qu'il lui demande. On dit qu'on.
a trouvé trente-cinq millions dans les Coffres du
Capitan Pacha.
Lieu
Date, calendrier grégorien
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Provient d'un lieu