Titre
MEMOIRE sur la question proposée dans le Mercure de Juin 1733. seconde Partie, pag. 1410.
Titre d'après la table
Mémoire sur la question du Plain-chant &c.
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
2369
Page de début dans la numérisation
50
Page de fin
2380
Page de fin dans la numérisation
61
Incipit
La question est proposée en ces termes : Si les Musiciens peuvent et doivent
Texte
MEMOIRE sur la question proposée
dans le Mercure de Juin 1733. seconde
Partie , pag. 1410.
LA
A question est proposée en ces teres
mes : Si les Musiciens peuvent et doivent
être écoutez, et suivis dans les raisonnemens
qu'ils tiennent sur le Plain - chant
ou chant d'Eglise , s'ils sont en état de raisonner
et d'être crûs sur les manieres dont il
est varié dans les Eglises différentes ; et s'ils
en sont juges tout- à -fait compétens et irréfragables
? S'il n'y a pas deux extrêmitez à
éviter ; l'une de ne les croire juges en rien
l'autre de les crcire juges en tout , et en quoi
donc ils peuvent être consultez et écoutez ?
>
Il ne me seroit pas aisé de répondre à
toutes les parties de cette question . Je ne
suis pas instruit de tous les raisonnemens
que tiennent les Musiciens sur le Plainchant.
Il peut y en avoir de mauvais , il
peut aussi y en avoir de bons ; il y a quel-'
que chose que je n'entends pas bien dans
ce qui suit , s'ils sont en état de raisonner
et d'être crûs sur les différentes maniéres
dont il est varié dans les différentes Eglises.
Je m'en tiendrai donc à la derniere partie
de la question , que je réduits à ces
ter
2370. MERCURE DE FRANCE
termes fort simples , jusqu'à quel point on
doit déférer à l'autorité des Musiciens en
matiére de Chant Ecclesiastique ?
C'est un préjugé presque universellement
répandu , que la science du Plainchant
est inséparable de celle de la Musique
, et que tout homme qui est assez
hable pour réussir dans la composition
des Piéces de Musique d'Eglise , réussira
à plus forte raison à composer du Plainchant,
qui est sans comparaison plus simple
et plus aisé ; ainsi dès qu'il s'agit de
mettre en chant de nouveaux Offices , it
est ordinaire qu'on en charge quelques
Musiciens , et qu'on adopte leurs Ouvrages
sans beaucoup d'examen : Je dis sansbeaucoup
d'examen, mais je pourrois dire
absolument , sans examen ; car on croit
ne pouvoir rien faire de mieux , que de
s'en rapporter entierement au goût et au
jugement de ce qu'on appelle les Gens
du métier.
A la faveur de ce préjugé , les Musi
ciens se sont emparez presque par tout du
Chant Ecclésiastique,ils l'ajustent à leurs
idées ; ils changent , ils ajoûtent , ils retranchent
tout ce qu'il leur plaît , et leur
goût décide seul dans les choses mêmes
où les régles et les usages de l'antiquité
devroient seuls être écoutez et suivis.
Pour
NOVEMBRE. 1733. 2371.
Pour sçavoir si le préjugé commun est
bien fondé , il n'y a qu'à prendre la pluspart
des Chants nouveaux , qui sont de
la composition des Musiciens , et examinet
s'ils sont selon les regles et dans le
goût de l'ancien Plain- chant , ou Chant
Grégorien ; car c'est à ces deux choses ,
les regles et le goût, qu'il faut faire attention
dans l'examen des Ouvrages de
Plain chant ; et c'est sur ce pied là qu'on
doit juger de leur mérite.
Premiérement , les regles de la composition
y sont elles exactement suivies &
Conserve t on à chaque Ton ses proprié
tez? Y fait-on sentir la différence du Ton
Plagal ou Pair , d'avec l'Authente ou Impair
? Les chûtes et les repos quadrent-ils
avec la ponctuation? Les Antiennes et lest
Modes de psalmodie sont- ils en proportion
réciproque ? Le Chant est - il varié
selon la diversité des Piéces et selon ce qui
est propre à chacune? Y voit- on une dif
férence bien marquée , non seulement entre
les Antiennes et les Répons , entre
les Chants de la Messe et ceux des autres
Offices ; mais encore entre les diverses ,
Parties de la Messe , dont chacune a sa
propriété , et, pour ainsi dire , son gé
nie particulier
Secondement , la Mélodie de ces nouvelles
SEA
372 MERCURE DE FRANCE
velles Piéces est- elle dans le goût de l'antiquité
et dans celui des Chants modernes
, dont les Auteurs se sont attachez à
prendre pour modéles les Ouvrages des
anciens Maîtres ? A- t'elle la gravité , la
simplicité , la modestie , la douceur que
tout le monde admire dans les Chants
des Offices du Saint Sacrement , ( 1 ) de la
Trinité , et dans plusieurs autres ? Du
moins en approche - t-elle ? Et peut - on
dire, en comparant ces nouvelles compositions
avec les anciennes, que quoiqu'elles
leur soient inférieures en beauté, il paroît
néanmoins que leurs Auteurs ont
travaillé dans le même goût.
Voilà , si je ne me trompe , les princi
pés suivant lesquels nous devons juger
des nouveaux Ouvrages de Plain- chant.
Si tous , ou du moins la plûpart , y sont
conformes; je souscris au sentiment commun
; et je reconnois avec plaisir que la
composition du Plain - chant ne peut- être
dans de meilleures mains que dans celles
de nos Musiciens. Si au contraire ces Ouvrages
montrent le plus souvent dans
leurs Auteurs une ignorance inexcusable
( 1 )Je regarde principalement eet Office comme
il est aujourd'hui dans l'Antiphonaire de Paris , où
l'on a été attentif à faire quadrer les repos des
Chant avec la ponctuation de la Lettre.
ou
NOVEMBRE . 1733. 2371
ou un mépris formel des régles ; si j'y vol
regner une dépravation de goût, qui tend
évidemment à faire disparoître des Offices
divins l'ancien Chant Grégorien , pour
y substituer une composition guindée et
bizarre , qui n'est ni Plain- chant ni Musique
; j'en conclurai que c'est mal-à- propos
qu'on défére sans discernement une
autorité absolue aux Musiciens dans cesmatieres,
Qu'on prenne donc les Offices
propres
de la Paroisse de S. Eustache , du Séminaire
des Bons Enfans , de S. Etienne du
Mont , les nouveaux Chants qu'on a
insérez dans le Rituel de Paris , l'Office
des Morts du prétendu nouveau Manuel
de Beauvais , dont le Chant est d'un
tres-habile Maître de Musique . Qu'on
prenne l'Antiphonaire de l'Ordre de Cluny
, qui est de la composition de Nivers,
le Graduel du même Ordre , qu'on imprime
actuellement ; les nouvelles Hymnes
de l'Antiphonaire , et plusieurs Proses
du Graduel de Rouen, Qu'on examine
, sans prévention , tous ces Ouvrages
de Plain - chant moderne , et qu'on les
compare avec l'ancien Chant ; je m'assure
qu'il n'y a personne parmi ceux qui s'y
connoissent tant soit peu , à qui la diffe
rence , ou plutôt l'opposition de l'un à
Pau2374
MERCURE DE FRANCE
l'autre ne saute aux yeux . Les uns pêchent
contre les régles , les autres contre le bon
goût , plusieurs contre les deux ensémble.
Il me seroit aisé de justifier par des
exemples ce que j'avance ; mais ces sortes
de démonstrations ne peuvent se faire
qu'en représentant les Piéces mêmes , qui
ne peuvent entrer icy . J'y renvoye donc
ceux qui sçavent les régles et qui ont étudié
le vrai caractére du Plain- chant.
Il paroît d'abord étonnant que des
gens nourris dès l'enfance dans l'étude et
dans l'exercice du Chant , contribuent
plus que tous les autres à le gâter. Cependant
rien n'est plus vrai , et il n'est pas ,
ce me semble , bien difficile d'en appercevoir
les raisons ; elles se tirent du génie
même de la Musique moderne et de l'éducation
qu'on donne aux Enfans de
Choeur dans les Maîtrises ou Ecoles de
Chant , d'où sont sortis la plupart des
Musiciens.
Le Plain- chant et la Musique ont les
mêmes principes , et , pour ainsi dire , la
même origine et le même berceau ; mais
à cela près , ils se ressemblent fort peu ,
sur tout dans ces derniers temps , où la
Musique , qui autrefois ne différoit guére
du Plain-chant que par la mesure et
l'harmonie , est aussi différente d'ellemême
NOVEMBRE . 1733. 2375
même, que la seroit une femme, qui après
avoir paru dans le monde , vétuë et coëffée
très- simplement et avec une contenance
modeste et sérieuse , se montreroit
parée de riches étoffes , la tête chargée
des ornemens les plus recherchez , avec
-la démarche affectée , et les airs enjouez
-d'une Coquette.
Doit-on être surpris que des Gens qui
sont élevez dans l'estime et dans le goût
-d'une telle Musique , qui passent toute
leur jeunesse à l'étudier , et à s'y perfectionner
; qui enchérissént les uns sur les
autres pour trouver de nouveaux raffinemens
dans cet Art ; doit - on , ' dis -je , être
surpris que de telles gens ne puissent
communément revenir à cette noble sim,
plicité , qui fait le caractére essentiel du
Plain - chant. Les idées de Musique dont
ils sont pleins , se présentent à chaque
moment ; tout se montre à eux sous cette
forme. S'ils s'abandonnent à leur génie ,
ils ne peuvent produire qu'un Chant
musical . S'ils font effort pour se contraindre
, leur composition se sent presque pár
tour de la gêne où est leur esprit , elle
est dure , inégale et n'a rien de cet air
aisé , simple et naturel , qu'on admire
dans les Chants anciens ; marchant sans
régle , sans dessein, sans autre art qu'une
froide
1376 MERCURE DE FRANCE
•
froide expression , qui consiste le plus
souvent à appliquer au hazard certains
tons sur certaines paroles , sans s'embar
rasser de l'effet que cela peut produire ,
avec ce qui peut précéder ou ce qui suit.
Je m'imagine voir un Cheval fougueux
à qui l'on tient la bride courte ; son allure
n'a rien de réglé , il va à droit , à gau
che , il avance , il recule , parce qu'il est
contraint et qu'on ne lui permet pas de
suivre sa fougue. Une imagination livrée
de longue main à ses caprices et exercée ,
pour ainsi dire , à des sauts périlleux , se
trouve à la gêne , lorsqu'on veut la faire
marcher d'un pas égal dans un chemin
droit et uni; elle s'échappe , malgré qu'on
en ait , ou , si elle est retenuë , tous ses
mouvemens sont forcez et de mauvaise
grace.
D'ailleurs les Musiciens sçavent peu les
regles et les respectent encore moins ; ils
les sçavent peu , parce qu'on n'a pas eu
soin de les en instruire, et qu'eux- mêmes
tout occupez de leur grand objet qui est
la Musique , négligent de les apprendre.
Il y a à la tête de l'Antiphonaire Parisien
plusieurs observations tres-utiles , sur tout
en ce qui regarde les usages de l'Eglise de
Paris ; mais il y a tres - peu de gens , même
parmi les Maîtres , qui prennent la peine
de
NOVEMBRE. , 1733. 2377
de les lire. Celui qui a composé le Chant
du Propre de S. Germain l'Auxerrois ,
està Paris depuis près de trente ans, chargé
d'apprendre le Chant aux Enfans , et c'est
peut-être le plus sçavant Musicien qu'il
yait en France. Il ne paroît pas cependant
qu'il ait jamais lû les observations
dont je parle ; ou , s'il les a lûës , il s'est
peu soucié de les réduire en pratique ;
car ces Messieurs traitent le Plain- chant
cavalierement , et ne se mettent pas fort
en peine de marcher sur les traces des anciens
Maîtres. Ils cherchent de nouvelles
routes et des beautez d'un autre genre ;
et dédaignant d'être de bons et de judicieux
imitateurs , ils deviennent de mauvais
originaux.
Il y a donc peu de Musiciens , même
parmi les Maîtres , à qui on puisse confier
sûrement la composition du Chant
Ecclésiastique ; et un homme tel que feu
M. l'Abbé Chastelain , Auteur de l'Antiphonaire
Parisien , qui avec quelque
teinture de Musique , a bien étudié et
médité les bons Ouvrages de Plain- chant,
et qui s'est rempli des justes et nobles
idées des anciens Maîtres , est plus capaẻ
ble de faire d'excellentes compositions
dans ce genre , que plusieurs de ceux qui
passent pour les meilleurs Musicien ,
C Ja
2378 MERCURE DE FRANCE
4
ges
Je ne prétens pas , au reste , les récuser
absolument pour juges dans cette matiére;
et je suis bien éloigné de penser qu'il
ne doivent pas être consultez ; ils sentent.
parfaitement les beautez d'une Piéce de
Chant ; ils ne sont pas moins que nous ,
passionnez admirateurs des bons Ouvraanciens
et modernes . L'Office du saint
Sacrement , l'ancien Office de la Trinité ;
le Chant Parisien de l'Hymne Deus tuorum
militum , celui du dernier Répons de
l'Office nocturne du Samedi Saint ; l'Antienne
, Qui docti fuerint ; les Répons de
l'Office des Morts ; les Hymnes O quam
glorifica . Ave maris stella.Ut queant laxis;
les Proses Veni sancte Spiritus. Mittit ad
Virginem , et plusieurs autres Piéces les
charment et les enlevent, J'ai oui dire
que le fameux Lully ne trouvoit rien de
plus beau ni de plus touchant que la
modulation si simple de la Préface de la
Messe . La bénédiction du Cierge Paschal
, selon l'usage de Rouen , paroissoit
à un habile Organiste de la Cathédrale
de cette Ville un chef d'oeuvre inimitable.
J'ajoûte que la Musique donne à co
Messieurs une grande délicatesse de dis
cernement pour appercevoir dans ur-
Piéce , de petites négligences qui échaj:
pent à d'autres moins habiles qu'eux da
la science des sons, }
NOVEMBRE . 1733. 2379
Ils sont donc en état de juger par le
sentiment et le goût du mérite d'une
Piéce ; et par conséquent on doit les consulter
pour ce qui regarde la mélodie et
profiter de leurs avis.
Je suis même persuadé qu'il y a des
Musiciens , dont l'heureux génie réünit
ensemble le goût du Plain - chant et celui
de la Musique, sans mélange et sans confusion
. Il est bien sûr qu'avec la connoissance
de l'histoire du Chant et des anciens
usages, et l'attention aux Régles, de
tels Musiciens feroient de très - beaux
Ouvrages dans le genre de Chant Ecclésiastique.
Mais je persiste à croire que la qualité
de Musicien et d'habile Musicien , ne
donne point par elle- même à ceux de cette
profession la capacité de bien composer
en Plain- chant , ni le droit de juger
souverainement de ces matiéres. Qu'ils
donnent leurs avis , à la bonne heure ,
sur les compositions des autres , pour ce
qui ne dépend que d'un certain goût que
la Musique peut donner.Mais on ne peut,
sans risque d'altérer le Chant Ecclésiastique,
ni leur abandonner la composition
des nouveaux Offices , ni s'en rapporter à
leur jugement dans les choses qui dépendent
de la connoissance des régles et des
Cij
usi2330
MERCURE DE FRANCE
usages ; à moins qu'ils n'ayent fait preuve
qu'ils sçavent ces régles , qu'ils les respectent,
et qu'ils sont capables d'une compo
sition sage , modeste , grave , conforme
au génie et au goût des Anciens.
Par M ***
dans le Mercure de Juin 1733. seconde
Partie , pag. 1410.
LA
A question est proposée en ces teres
mes : Si les Musiciens peuvent et doivent
être écoutez, et suivis dans les raisonnemens
qu'ils tiennent sur le Plain - chant
ou chant d'Eglise , s'ils sont en état de raisonner
et d'être crûs sur les manieres dont il
est varié dans les Eglises différentes ; et s'ils
en sont juges tout- à -fait compétens et irréfragables
? S'il n'y a pas deux extrêmitez à
éviter ; l'une de ne les croire juges en rien
l'autre de les crcire juges en tout , et en quoi
donc ils peuvent être consultez et écoutez ?
>
Il ne me seroit pas aisé de répondre à
toutes les parties de cette question . Je ne
suis pas instruit de tous les raisonnemens
que tiennent les Musiciens sur le Plainchant.
Il peut y en avoir de mauvais , il
peut aussi y en avoir de bons ; il y a quel-'
que chose que je n'entends pas bien dans
ce qui suit , s'ils sont en état de raisonner
et d'être crûs sur les différentes maniéres
dont il est varié dans les différentes Eglises.
Je m'en tiendrai donc à la derniere partie
de la question , que je réduits à ces
ter
2370. MERCURE DE FRANCE
termes fort simples , jusqu'à quel point on
doit déférer à l'autorité des Musiciens en
matiére de Chant Ecclesiastique ?
C'est un préjugé presque universellement
répandu , que la science du Plainchant
est inséparable de celle de la Musique
, et que tout homme qui est assez
hable pour réussir dans la composition
des Piéces de Musique d'Eglise , réussira
à plus forte raison à composer du Plainchant,
qui est sans comparaison plus simple
et plus aisé ; ainsi dès qu'il s'agit de
mettre en chant de nouveaux Offices , it
est ordinaire qu'on en charge quelques
Musiciens , et qu'on adopte leurs Ouvrages
sans beaucoup d'examen : Je dis sansbeaucoup
d'examen, mais je pourrois dire
absolument , sans examen ; car on croit
ne pouvoir rien faire de mieux , que de
s'en rapporter entierement au goût et au
jugement de ce qu'on appelle les Gens
du métier.
A la faveur de ce préjugé , les Musi
ciens se sont emparez presque par tout du
Chant Ecclésiastique,ils l'ajustent à leurs
idées ; ils changent , ils ajoûtent , ils retranchent
tout ce qu'il leur plaît , et leur
goût décide seul dans les choses mêmes
où les régles et les usages de l'antiquité
devroient seuls être écoutez et suivis.
Pour
NOVEMBRE. 1733. 2371.
Pour sçavoir si le préjugé commun est
bien fondé , il n'y a qu'à prendre la pluspart
des Chants nouveaux , qui sont de
la composition des Musiciens , et examinet
s'ils sont selon les regles et dans le
goût de l'ancien Plain- chant , ou Chant
Grégorien ; car c'est à ces deux choses ,
les regles et le goût, qu'il faut faire attention
dans l'examen des Ouvrages de
Plain chant ; et c'est sur ce pied là qu'on
doit juger de leur mérite.
Premiérement , les regles de la composition
y sont elles exactement suivies &
Conserve t on à chaque Ton ses proprié
tez? Y fait-on sentir la différence du Ton
Plagal ou Pair , d'avec l'Authente ou Impair
? Les chûtes et les repos quadrent-ils
avec la ponctuation? Les Antiennes et lest
Modes de psalmodie sont- ils en proportion
réciproque ? Le Chant est - il varié
selon la diversité des Piéces et selon ce qui
est propre à chacune? Y voit- on une dif
férence bien marquée , non seulement entre
les Antiennes et les Répons , entre
les Chants de la Messe et ceux des autres
Offices ; mais encore entre les diverses ,
Parties de la Messe , dont chacune a sa
propriété , et, pour ainsi dire , son gé
nie particulier
Secondement , la Mélodie de ces nouvelles
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velles Piéces est- elle dans le goût de l'antiquité
et dans celui des Chants modernes
, dont les Auteurs se sont attachez à
prendre pour modéles les Ouvrages des
anciens Maîtres ? A- t'elle la gravité , la
simplicité , la modestie , la douceur que
tout le monde admire dans les Chants
des Offices du Saint Sacrement , ( 1 ) de la
Trinité , et dans plusieurs autres ? Du
moins en approche - t-elle ? Et peut - on
dire, en comparant ces nouvelles compositions
avec les anciennes, que quoiqu'elles
leur soient inférieures en beauté, il paroît
néanmoins que leurs Auteurs ont
travaillé dans le même goût.
Voilà , si je ne me trompe , les princi
pés suivant lesquels nous devons juger
des nouveaux Ouvrages de Plain- chant.
Si tous , ou du moins la plûpart , y sont
conformes; je souscris au sentiment commun
; et je reconnois avec plaisir que la
composition du Plain - chant ne peut- être
dans de meilleures mains que dans celles
de nos Musiciens. Si au contraire ces Ouvrages
montrent le plus souvent dans
leurs Auteurs une ignorance inexcusable
( 1 )Je regarde principalement eet Office comme
il est aujourd'hui dans l'Antiphonaire de Paris , où
l'on a été attentif à faire quadrer les repos des
Chant avec la ponctuation de la Lettre.
ou
NOVEMBRE . 1733. 2371
ou un mépris formel des régles ; si j'y vol
regner une dépravation de goût, qui tend
évidemment à faire disparoître des Offices
divins l'ancien Chant Grégorien , pour
y substituer une composition guindée et
bizarre , qui n'est ni Plain- chant ni Musique
; j'en conclurai que c'est mal-à- propos
qu'on défére sans discernement une
autorité absolue aux Musiciens dans cesmatieres,
Qu'on prenne donc les Offices
propres
de la Paroisse de S. Eustache , du Séminaire
des Bons Enfans , de S. Etienne du
Mont , les nouveaux Chants qu'on a
insérez dans le Rituel de Paris , l'Office
des Morts du prétendu nouveau Manuel
de Beauvais , dont le Chant est d'un
tres-habile Maître de Musique . Qu'on
prenne l'Antiphonaire de l'Ordre de Cluny
, qui est de la composition de Nivers,
le Graduel du même Ordre , qu'on imprime
actuellement ; les nouvelles Hymnes
de l'Antiphonaire , et plusieurs Proses
du Graduel de Rouen, Qu'on examine
, sans prévention , tous ces Ouvrages
de Plain - chant moderne , et qu'on les
compare avec l'ancien Chant ; je m'assure
qu'il n'y a personne parmi ceux qui s'y
connoissent tant soit peu , à qui la diffe
rence , ou plutôt l'opposition de l'un à
Pau2374
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l'autre ne saute aux yeux . Les uns pêchent
contre les régles , les autres contre le bon
goût , plusieurs contre les deux ensémble.
Il me seroit aisé de justifier par des
exemples ce que j'avance ; mais ces sortes
de démonstrations ne peuvent se faire
qu'en représentant les Piéces mêmes , qui
ne peuvent entrer icy . J'y renvoye donc
ceux qui sçavent les régles et qui ont étudié
le vrai caractére du Plain- chant.
Il paroît d'abord étonnant que des
gens nourris dès l'enfance dans l'étude et
dans l'exercice du Chant , contribuent
plus que tous les autres à le gâter. Cependant
rien n'est plus vrai , et il n'est pas ,
ce me semble , bien difficile d'en appercevoir
les raisons ; elles se tirent du génie
même de la Musique moderne et de l'éducation
qu'on donne aux Enfans de
Choeur dans les Maîtrises ou Ecoles de
Chant , d'où sont sortis la plupart des
Musiciens.
Le Plain- chant et la Musique ont les
mêmes principes , et , pour ainsi dire , la
même origine et le même berceau ; mais
à cela près , ils se ressemblent fort peu ,
sur tout dans ces derniers temps , où la
Musique , qui autrefois ne différoit guére
du Plain-chant que par la mesure et
l'harmonie , est aussi différente d'ellemême
NOVEMBRE . 1733. 2375
même, que la seroit une femme, qui après
avoir paru dans le monde , vétuë et coëffée
très- simplement et avec une contenance
modeste et sérieuse , se montreroit
parée de riches étoffes , la tête chargée
des ornemens les plus recherchez , avec
-la démarche affectée , et les airs enjouez
-d'une Coquette.
Doit-on être surpris que des Gens qui
sont élevez dans l'estime et dans le goût
-d'une telle Musique , qui passent toute
leur jeunesse à l'étudier , et à s'y perfectionner
; qui enchérissént les uns sur les
autres pour trouver de nouveaux raffinemens
dans cet Art ; doit - on , ' dis -je , être
surpris que de telles gens ne puissent
communément revenir à cette noble sim,
plicité , qui fait le caractére essentiel du
Plain - chant. Les idées de Musique dont
ils sont pleins , se présentent à chaque
moment ; tout se montre à eux sous cette
forme. S'ils s'abandonnent à leur génie ,
ils ne peuvent produire qu'un Chant
musical . S'ils font effort pour se contraindre
, leur composition se sent presque pár
tour de la gêne où est leur esprit , elle
est dure , inégale et n'a rien de cet air
aisé , simple et naturel , qu'on admire
dans les Chants anciens ; marchant sans
régle , sans dessein, sans autre art qu'une
froide
1376 MERCURE DE FRANCE
•
froide expression , qui consiste le plus
souvent à appliquer au hazard certains
tons sur certaines paroles , sans s'embar
rasser de l'effet que cela peut produire ,
avec ce qui peut précéder ou ce qui suit.
Je m'imagine voir un Cheval fougueux
à qui l'on tient la bride courte ; son allure
n'a rien de réglé , il va à droit , à gau
che , il avance , il recule , parce qu'il est
contraint et qu'on ne lui permet pas de
suivre sa fougue. Une imagination livrée
de longue main à ses caprices et exercée ,
pour ainsi dire , à des sauts périlleux , se
trouve à la gêne , lorsqu'on veut la faire
marcher d'un pas égal dans un chemin
droit et uni; elle s'échappe , malgré qu'on
en ait , ou , si elle est retenuë , tous ses
mouvemens sont forcez et de mauvaise
grace.
D'ailleurs les Musiciens sçavent peu les
regles et les respectent encore moins ; ils
les sçavent peu , parce qu'on n'a pas eu
soin de les en instruire, et qu'eux- mêmes
tout occupez de leur grand objet qui est
la Musique , négligent de les apprendre.
Il y a à la tête de l'Antiphonaire Parisien
plusieurs observations tres-utiles , sur tout
en ce qui regarde les usages de l'Eglise de
Paris ; mais il y a tres - peu de gens , même
parmi les Maîtres , qui prennent la peine
de
NOVEMBRE. , 1733. 2377
de les lire. Celui qui a composé le Chant
du Propre de S. Germain l'Auxerrois ,
està Paris depuis près de trente ans, chargé
d'apprendre le Chant aux Enfans , et c'est
peut-être le plus sçavant Musicien qu'il
yait en France. Il ne paroît pas cependant
qu'il ait jamais lû les observations
dont je parle ; ou , s'il les a lûës , il s'est
peu soucié de les réduire en pratique ;
car ces Messieurs traitent le Plain- chant
cavalierement , et ne se mettent pas fort
en peine de marcher sur les traces des anciens
Maîtres. Ils cherchent de nouvelles
routes et des beautez d'un autre genre ;
et dédaignant d'être de bons et de judicieux
imitateurs , ils deviennent de mauvais
originaux.
Il y a donc peu de Musiciens , même
parmi les Maîtres , à qui on puisse confier
sûrement la composition du Chant
Ecclésiastique ; et un homme tel que feu
M. l'Abbé Chastelain , Auteur de l'Antiphonaire
Parisien , qui avec quelque
teinture de Musique , a bien étudié et
médité les bons Ouvrages de Plain- chant,
et qui s'est rempli des justes et nobles
idées des anciens Maîtres , est plus capaẻ
ble de faire d'excellentes compositions
dans ce genre , que plusieurs de ceux qui
passent pour les meilleurs Musicien ,
C Ja
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ges
Je ne prétens pas , au reste , les récuser
absolument pour juges dans cette matiére;
et je suis bien éloigné de penser qu'il
ne doivent pas être consultez ; ils sentent.
parfaitement les beautez d'une Piéce de
Chant ; ils ne sont pas moins que nous ,
passionnez admirateurs des bons Ouvraanciens
et modernes . L'Office du saint
Sacrement , l'ancien Office de la Trinité ;
le Chant Parisien de l'Hymne Deus tuorum
militum , celui du dernier Répons de
l'Office nocturne du Samedi Saint ; l'Antienne
, Qui docti fuerint ; les Répons de
l'Office des Morts ; les Hymnes O quam
glorifica . Ave maris stella.Ut queant laxis;
les Proses Veni sancte Spiritus. Mittit ad
Virginem , et plusieurs autres Piéces les
charment et les enlevent, J'ai oui dire
que le fameux Lully ne trouvoit rien de
plus beau ni de plus touchant que la
modulation si simple de la Préface de la
Messe . La bénédiction du Cierge Paschal
, selon l'usage de Rouen , paroissoit
à un habile Organiste de la Cathédrale
de cette Ville un chef d'oeuvre inimitable.
J'ajoûte que la Musique donne à co
Messieurs une grande délicatesse de dis
cernement pour appercevoir dans ur-
Piéce , de petites négligences qui échaj:
pent à d'autres moins habiles qu'eux da
la science des sons, }
NOVEMBRE . 1733. 2379
Ils sont donc en état de juger par le
sentiment et le goût du mérite d'une
Piéce ; et par conséquent on doit les consulter
pour ce qui regarde la mélodie et
profiter de leurs avis.
Je suis même persuadé qu'il y a des
Musiciens , dont l'heureux génie réünit
ensemble le goût du Plain - chant et celui
de la Musique, sans mélange et sans confusion
. Il est bien sûr qu'avec la connoissance
de l'histoire du Chant et des anciens
usages, et l'attention aux Régles, de
tels Musiciens feroient de très - beaux
Ouvrages dans le genre de Chant Ecclésiastique.
Mais je persiste à croire que la qualité
de Musicien et d'habile Musicien , ne
donne point par elle- même à ceux de cette
profession la capacité de bien composer
en Plain- chant , ni le droit de juger
souverainement de ces matiéres. Qu'ils
donnent leurs avis , à la bonne heure ,
sur les compositions des autres , pour ce
qui ne dépend que d'un certain goût que
la Musique peut donner.Mais on ne peut,
sans risque d'altérer le Chant Ecclésiastique,
ni leur abandonner la composition
des nouveaux Offices , ni s'en rapporter à
leur jugement dans les choses qui dépendent
de la connoissance des régles et des
Cij
usi2330
MERCURE DE FRANCE
usages ; à moins qu'ils n'ayent fait preuve
qu'ils sçavent ces régles , qu'ils les respectent,
et qu'ils sont capables d'une compo
sition sage , modeste , grave , conforme
au génie et au goût des Anciens.
Par M ***
Signature
Par M***
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
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