Titre
SUITE des Memoires historiques sur les personnes illustres originaires du Comté d'Eu.
Titre d'après la table
Suite des personnes Illustres du Comte d'Eu,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
1056
Page de début dans la numérisation
455
Page de fin
1070
Page de fin dans la numérisation
469
Incipit
Aprés avoir fait connoître les Personnes originaires du Comté d'Eu qui
Texte
SUITTE des Memoires historiques sur les
perfonnes illustres originaires du Comté
d'En.
A
Prés avoir fait connoître les Personnes
originaires du Comté d'Eu qui
se sont distinguées par leurs sciences, ou
par leur pieté , je vais presentement parler
de celles qui par leur valeur , ou par
leur habileté dans les Arts , ont merité
d'être particulicrement estimées. Je commence
par Guillaume d'Eu , fils ainé d'Eustache
d'Eu ; Seigneur de la Chaussée ,
Chevalier
MAY. 1057 1731 .
1
Chevalier et Vicomte hereditaire du Comté
d'Eu , et d'Alix de Piquigni . Ce Seigneur
avoit pris naissance dans un Châ-
Iteau qui subsistoit alors au fauxbourg de
la chaussée d'Eu , dont on voit encore les
vestiges , et qui faisoit le chef- lieu et le domicile
ordinaire de cette ancienne et illustre
maison qui descend des premiers Comtes
d'Eu ; et parceque ce fief de la chaussée
d'Eu,quoique membre du Comté d'Eu
et de la Province de Normandie , est néanmoins
situé du côté de la Picardie , et du
Diocèse d'Amiens , les Historiens ont
donné quelquefois à ce Seigneur le nom
de brave et vaillant Picard .
Elevé d'une maniere conforme à sa naissance
, il ne fut pas plutôt en âge d'exercer
la profession des Armes , qu'il l'embrassa.
Il est vrai que l'Histoire * ne nous
a pas transmis tout ce que ce Seigneur a fait
de singulier et d'heroïque , où nous eussions
sans doute trouvé des preuves abondantes
de sa valeur : elle ne nous fournit
qu'une seule action ; mais qui , quoique
seule , est plus que suffisante pour justifier
quel étoit , l'excès de son courage.
C'est de la fameuse bataille de Nicopolis
en Bulgarie , donnée l'an 1396.
* Froiffart. T. IV. Ch. 72.
Nicopolis
to58 MERCURE DE FRANCE
dont je veux parler , le jeune Seigneur
ayant suivi en .... le Comte d'Eu Phillipe
d'Artois , Connétable de France .
On voit dans ce que l'Histoire rapporte
de cette bataille , que la trop grande
vivacité du Comte d'Eu , ayant engagé
mal à propos les troupes Françoises à marcher
indiscrettement vers l'armée ennemie
, sans être suivie de l'armée chrétienne
, elles se trouverent à l'instant envelopées
par soixante mille Turcs. Ce fût dans
cette funeste occasion que Guillaume d'Eu
fit connoître jusqu'où alloit son intrépidité
et sa valeur ; car les Historiens ont particulierement
remarqué que pendant l'horrible
massacre que les Turcs faisoient des
François , Guillaume d'Eu se fit jour deux
fois , l'épée à la main , au travers de cette
nombreuse armée ; ce qui lui donnoit , s'il
avoit voulu une entiere liberté de se tirer
du peril ; mais persuadé qu'il étoit indigne
pour lui de survivre à la perte du Corps
des
troupes Françoises , il aima mieux
retourner daus la mêlée , où il perit avec
les autres. ( a )
Je vais maintenant parler d'un autre
Seigneur du Comté d'Eu qui s'est rendu
fameux pour avoir été le premier qui a
(a) Froiff. ibid. Baudier, Hist . des Turcs L. 2 .
Ch. 1.
tenté
MAY. 1731 . 1059
tenté la découverte d'un nouveau Monde ;
et qui a ouvert un chemin pour passer dans
l'Amerique. Ce Seigneur est Jean de
Bethencourt, Baron deS. Martin leGaillard ,
au Comté d'Eu , lequel a commencé le
premier établissement qui s'est fait aux
ifles des Canaries . ( a ) Ces Ifles , à la verité
,avoient été connuës des Anciens sous
le nom des Ifles Fortunées ; et quelques
Avanturiers sétant hazardés d'y aborder
y avoient quelquefois réussi ; mais l'usage
de la Boussole n'étant pas encore connu,
peu avoient osé se hazarder à faire un
semblable voiage, Lorsqu'enfin la direction
de l'éguille aimantée vers le Nord fût découverte,
et l'usage qu'on en pouvoit faire
pour régler sa route sur Mer confirmé ;
Jean de Bethencourt fût le premier qui
entreprit de tenter par cette voye l'accès
de ces Ifles , qui étoient alors abandonnées.
Robert de Bracquemont son cousin y
donna lieu ; comme il avoit de l'inclination
pour les expeditions de Mer , il forma
le dessein d'aborder ces Isles, et de s'en
mettre en possession . C'est pourquoi il
obtint en 1401. du Roy de Castille Jean
II. la permission d'en faire la Conquête :
ce qui lui fût accordé en consideration des
services qu'il avoit rendus à ce Prince dans
(a) Jean de Verrier,Hist, des Canaries,
les
1060 MERCURE DE FRANCE
les guerres contre le Portugal . Mais soit
que dans la suite il eût prit son parti d’avancer
plutôt sa fortune en France , que
de l'aller chercher si loin , comme en effet
il y fût pourvû quelque tems aprés de la
qualité d'Amiral ; soit enfin qu'il voulût
donner la gloire de cette découverte à Jean
de Bethencourt son parent , et lui procurer
un établissement , il lui en donna la
commission , et lui ceda ses droits qui lui
furent confirmés par la Reine Catherine ,
veuve du Roy Jean II.
Le Baron de S. Martin aiant pris toutes
ses mesures pour son embarquement , mit
enfin à la voile dans l'été de l'année 1402 .
et aborda heureusement aux Canaries ,
dont il conquit d'abord quelques Isles .
Mais ne se trouvant pas assés fort pour
se rendre Maître des autres , il revint en
Espagne où il reçût des munitions et de
l'argent de Henry III . Roy de Castille ,
qui lui donna la souveraineté de ces Isles ,
à condition qu'il lui en feroit hommage ;
étant retourné il se saisit encore de quelques
unes , et en particulier de celle qui
se nomme Lancelote , où il fit bâtir un Fort.
Il y prit même la qualité de Roy : mais
étant mort peu de tems aprés , il y laissa
Y
pour surcesseur son neveu nommé Me-
Baut , avec la même qualité . Tout le monde
MAY. 1731. 1061
de convient que ce voyage est le premier
qui se soit fait avec ordre , et le plus loin
vers la ligne. Ce qui donna lieu ensuite aux
Portugais , et aux Castillans de hazarder
d'autres voyages de long cours ; comme
de doubler le cap de BonneEsperance pour
passer aux Indes , et de faire enfin la découverte
de l'Amerique.
Je ne doute pas que ceux qui ont par
la lecture quelque connoissance du fameux
armateur Jacques Sore dont je vais présentement
parler , ne soient surpris que je
lui donne place dans le rang des personnes
illustres qui sont sorties du Comté d'Eu
parceque la pluspart des Historiens qui
en parlent , le regardent comme un insigne
Pirate , et un veritable scelerat : mais
c'est justement ce qui doit m'y engager ;
car il ne paroît pas que les Historiens
` lui aient rendu la justice qui lui est duë.
Deux choses , il est vrai , ont contribué
à le rendre odieux de son vivant. La premiere,
parcequ'il étoit Calviniste , et protegé
des principaux Chefs de cette secte.
La seconde , en ce que s'étant un jour rendu
maître d'un Bâtiment Espagnol qui alloit
au Bresil , sur lequel étoient embarquez
des Jesuites qui y passoient pour annoncer
la foy , il les fit tous mourir et jetter ensuite
dans la mer,
J'avoije
ト
1062 MERCURE DE FRANCE
>
J'avoue que ce fût un malheur pour
Jacques Sore d'avoir vêcu dans l'héresie
dont les funestes sentimens ont pû contribuer
à l'animer contre les Jesuites : c'est
surquoy je ne prétend s pas le disculper ;
mais à cela près , il peut avoir eu d'ailleurs
de bonnes qualités naturelles , lesquelles
ont pû le mettre fort audessus du commun.
C'est aussi sous cet aspect que je
pretends le faire régarder,apuïé comme je
suis sur ce qu'en a pensé un excellent connoisseur
qui devoit bien sçavoir ce qu'il
étoit , puisqu'il vivoit de son tems , qu'il
étoit en place pour en juger , et qu'il
ne peut être soupçonné de lui avoir été
favorable par la conformité de réligion :
sçavoir Pierre Bourdeille , Abbé de Brantome
, connu sous ce dernier nom ; lequel
parlant par occasion dans ses Mémoires
de Jacques Sore , fait son éloge en´
deux mots , en disant qu'il avoit été un
des bons hommes de Mer qui fût de
son tems , ajoûtant même qui eût été
depuis. (a)
Jacques Sore étoit natif du village de
Floques , situé proche de la Mer à une
petite lieuë de la Ville d'Eu , il avoit
comme j'ai dit , cu le malheur d'être élevé
>
(a)Mem . de Brant. Eloge de M. de Mont-luc.
dans
ΜΑΥ. 1731. 1063
dans la secte de Calvin ; mais étant d'un
esprit vif , et hardi , né avec quelques
biens , voyant la guerre déclarée contre
la France et l'Angleterre lors du Siége
du Havre de grace en 1563. il prit le
parti d'armer une frégate pour aller en
course contre les ennemis de l'Etat , sur
lesquels il ne tarda pas à faire des prises
considerables , et à se rendre formidable
sur la mer. Mais la paix ayant été faite
plutôt qu'il ne le souhaittoit , il lui fallût
chercher un prétexte qui l'autorisat à continuer
une profession de son goût , et
où il se voioit en état d'avancer sa fortune.
Il le trouva , ce prétexte , dans son protecteur
le fameux Amiral de Châtillon
lequel non content de lui faire une pension
, lui procura des lettres de Jeanne
d'Albret , Reine de Navarre , par les
quelles elle l'établissoit Amiral de Navarre
, ce qui lui donnoit droit de courir
sur les vaisseaux Espagnols , comme il
fit en effet. Pour y mieux reüssir il prit
avec lui un autre Armateur nommé
Didacus d'Andrada , s'engageant de par
tager le butin. ( a )
Ce für alors qu'il donna vigoureusement
la chasse aux vaisseaux d'Espagne ,
(a) Flarim, de Raim. Hist, de l'Heresie. L.
5. p. 738.
D
of
1664 MERCURE DE FRANCE
·
et qu'il prit celui dont les Historiens
ont fait tant de bruit, Il est vrai que ce
bâtiment alloit au Bresil , et qu'il y por
toit des Jesuites destinés pour les Missions
du Pays , dont le Chef s'appelloit
Ignace , du nom du Fondateur de sa
Compagnie. Les Auteurs varient sur le
nombre , les uns disent qu'il y en avoit
douze , les autres trente- huit , d'autres
enfin quarante . N'importe , il est toûjours
certain que Jacques Sore prit ce bâtiment
l'an 1570. et qu'il fit mourir les
Jesuites , comme je l'ai dit plus haut,
( a ) Je sçay que tous les Auteurs crient
avec raison contre cette action pleine de
cruauté , et qu'ils la regardent comme
un effet de la haine de Jacques Sore
contre la Catholicité. Les anciens de ce
pays-cy rapportoient la chose d'une maniere
qui la rendoit un peu moins odieuse ;
sçavoir , que Jacques Sore n'en avoit
agi ainsi que par réprésailles , en ce que
les Espagnols aiant traité de la même
maniere un particulier qui lui appartenoit
, et qui étoit tombé entre leurs
mains , il crût d'ailleurs que les Jesuites
y avoient eu part. Mais cela ne sçauroit
jamais le disculper.
fc) Florim, de Raim, ibid, Hist. gener. d'Hora
griz, liv, 15,
Nôtre
MAY. 1731. 1065
Nôtre Amiral de Navarre fit , au rapport
de Brantôme , une autre prise qui
fit beaucoup de bruit pour le bien et
le mal qu'elle causa au parti Calviniste.
Ce fût un vaisseau Venitien , du port
de douze à treize cens tonneaux , qu'il
aborda , et qu'il prit en déçà du détroit
de Gibraltar , lequel faisoit voile vers
l'Angleterre. L'ayant conduit à la Rochelle
, les Calvinistes le firent passer
quelque tems aprés au Port de Broüage
dont ilsvouloient se rendre les maîtres . Če
qui en effet leue facilita la prise de cette
place , est que s'étant avisé de placer
de l'artillerie sur la hune de ce vaisseau
qu'il avoit extrémement large , ils
tuoient de-là à coup sûr tous ceux qui
se présentoient pour défendre la bréche ;
mais aiant malheureusement pour eux
laissé le vaisseau désarmé dans ce Port ,
et le Roy Charles IX . étant venu assiéger
peu de temps aprés la Rochelle
, il
ly fit repasser
; et l'ayant
fait couler à
fond à l'entrée
du Port , il fit placer dessus
une batterie
qui fit des merveilles
battre la Ville , et pour empêcher
le secours
d'y entrer.
,
pour
Enfin l'Amiral Sore , las d'une vie si
agitée , prit le parti d'abandonner la Marine
, et de se retirer au Comté d'Eu ,
Dij son
+
1066 MERCURE DE FRANCE
son pays , pour y finir le reste de ses
jours dans le repos , et encore mieux ,
si on en croit la tradition du même pays,
pour y rentrer dans le sein de l'Eglise .
On tient qu'il y est mort , et qu'il a été
inhumé comme Catholique dans l'Eglise
du Village de Floques , qui étoit, comme
j'ay dit , le lieu de sa naissance ; au
moins est- il certain , que c'est une insigne
calomnie ce qu'a avancé celui qui
à fait les Additions à l'Histoire de Portugal
par Jerôme Ozorius ( a ) ,sçavoir , que
le Capitaine Sore se retira dans sa patrie ,
pour y mourir comme enragé , écumant
sa mort comme un Sanglier , ce qui
n'a nulle vrai- semblance, puisque qui que
ce soit dans le pays n'a jamais entendu
parler de pareille chose , le tems n'en
étant pas si éloigné , moi- même m'étant
souvent entretenu des Avantures de Jacques
Sore avec ceux dont les Peres l'avoient
parfaitement connu , et dont les
proches parens avoient eû part à ses expeditions.
D'ailleurs les habitans de cette
ville ayant toûjours été fort opposés
au Calvinisme , et Jacques Sore étant
mort à leur porte , il n'est pas vrai- semblable
qu'une mort si tragique eût
échapé à leur connoissance , et à leur
mémoire ; ils n'auroient pas ignorés
(4) Liv. ag. ch. 3.
même
MAY. 1731. 1067
même , fameux comme il étoit , le lieu
profane où on l'auroit inhumé , s'il étoit
mort Calviniste .
Voici encore un autre Capitaine de
vaisseau , et depuis Chef d'Escadre , natifdu
Comté d'Eu , lequel a dû aussi son
élevation à la seule force de son génie
sçavoir,Abraham Du Quesne , Pere de l'illustre
Du Quesne , Géneral des Armées
Navales de France. Il naquit au Bourg
de Blangi, dans le Comté d'Eu , de parens
peu favorisés de la Fortune , et qui
avoient le malheur , comme ceux de l'Amiral
Sore, d'être infectés, de l'héresie de
Calvin ; ce qui est assez particulier , vû le
peu de progrès que cette héresie avoit
fait dans le Comté d'Eu. Il y a apparen
ce que ce fût ce qui lui donna lieu de se
retirer à Dieppe où le Calvinisme étoit
plus en vogue. Il y apprit la Carte Marine
, se mit sur les vaisseaux et se rendit
capable d'être Pilote .
Aprés avoir exercé cette profession
pendant quelque temps , il passa en Sue -
de , où s'étant fait connoître , il obtint une
place de Pilote dans les vaisseaux de la
• Reine Christine. Comme cette Princesse
trouva à propos d'envoyer quelques
vaisseaux en France , il fut choisi préferablement
à d'autres pour les conduire
D iij parcequ'il
1068 MERCURE DE FRANCE
parcequ'il étoit François. S'étant distingué
dans cette occasion , il fut fait Capitaine
de vaisseau du Roy dans l'Armée
navale de France , où il se signala de maniere
, que le Roy Louis XIV. ne fit. pas
difficulté de l'envoyer en Suede avec une
Escadre pour y ménager des affaires qui
regardoient la Marine. Comme la France
étoit alors en guerre avec l'Espagne ,
Abraham Du Quesne ne pouvoit guére
éviter d'être attaqué par les vaisseaux
Espagnols qui tenoient la Mer , lesquels
d'ailleurs le surpassoient de beaucoup en
nombre. En effet , comme il revenoit en
France , il se donna un combat entre les
deux Flottes ; et quoique Du Quesne fit
des prodiges de valeur , il reçut une blessure
considerable , et fut fait Prisonnier.
Ayant été conduit à Dunkerque , il y
mourut peu aprés de sa blessure , l'an
1535. dans les sentimens de la Réligion
Prétendue Reformée.
,
Il ne me reste presentement qu'à parler
des deux freres Anguier , qui ont excellé
dans la Sculture , et qui ont primé de
nos jours dans ce bel Art. Ils naquirent
tous deux à Eu dans la Paroisse de S. Jean,
d'un pere menuisier. Nés tous deux pour
la Sculture , et le Dessein ; dès qu'ils commencerent
à faire usage de leur esprit ,
on
MAY. 1731 . 1069
on les vit s'occupper à faire de petites
figures de bois ou de pierre avec leurs coû
teaux , en quoy ils réussissoient passablement
bien , ce qui frappa un honnête
Bourgeois de la ville , et l'engagea à en
prendre soin par charité. Voyant enfin
qu'ils commençoient d'être en âge à pouvoir
travailler , et que le goût pour la
Sculture se fortifioit de plus en plus en
eux , il obtint d'un Jesuite qui alloit à
Paris , qu'il les y meneroit pour les placer
chez un Maître où ils pussent se perfectionner
, ce que ce Pere fit en effet.
A peine eurent-ils commencé à modeler
des figures , que le Maître s'apperçût
bientôt qu'ils iroient fort loin un
jour , s'ils continuoient de travailler. Il
le connût encore mieux , lorsqu'ils eurent
commencé à se servir du cizeau sur le
bois et sur la pierre. Après s'être ainsi
formés quelque tems à Paris , ils allerent
à Rome, afin qu'il ne leur manquât rien
pour se perfectionner dans leur Art .
Etant enfin de rétour à Paris , ils y acquirent
une telle réputation , qu'ils furent
employés pour les plus considerables morceaux
de Sculture ; tels que le grand Crucifix
de marbre qui tient lieu de Tableau
à l'Autel de l'Eglise de Sorbonne , tous
les ornemens et les bas- reliefs de la porte
D iiij
de
D070 MERCURE DE FRANCE
de S. Denis , et les deux figures de celle
de S. Antoine dans l'Eglise des Celestins
le Tombeau du Duc de Rohan , et l'Obelisque
du Duc de Longueville. Tous
les Ornemens de l'Autel de l'Eglise du
Val de grace , et sur le même Autel le
petit Jesus dans la Crèche , avec la Sainte
Vierge et S. Joseph , et quantité d'autres
ouvrages dont on peut voir le détail
dans la Déscription de Paris par Germain
Brice.
Enfin , aprés avoir si dignement employé
le talent que Dieu leur avoit donné ,
ils finirent leurs jours ; sçavoir , François
qui étoit l'ainé le 8. Août 1669. et Michel
le 11. Juillet 1686. Ils furent tous
deux inhumez dans la Nef de l'Eglise de
S. Roch leur Paroisse , sous une Tombe
de marbre blanc , sur laquelle fût gravée
I'Epitaphe suivante ,
Dans sa concavité ce funeste Tombeau
Tient les os renfermés de l'un et l'autre frere ;
Il leur étoit aisé d'en avoir un plus beau
Si de leurs propres mains ils l'eussent voulu faire
Mais il importe peu de loger noblement
Ce qu'aprés le trépas un corps laisse de reste
Et pourvûque ce Corps quittant le logement
L'Ame trouve le sien dans le séjour celeste..
perfonnes illustres originaires du Comté
d'En.
A
Prés avoir fait connoître les Personnes
originaires du Comté d'Eu qui
se sont distinguées par leurs sciences, ou
par leur pieté , je vais presentement parler
de celles qui par leur valeur , ou par
leur habileté dans les Arts , ont merité
d'être particulicrement estimées. Je commence
par Guillaume d'Eu , fils ainé d'Eustache
d'Eu ; Seigneur de la Chaussée ,
Chevalier
MAY. 1057 1731 .
1
Chevalier et Vicomte hereditaire du Comté
d'Eu , et d'Alix de Piquigni . Ce Seigneur
avoit pris naissance dans un Châ-
Iteau qui subsistoit alors au fauxbourg de
la chaussée d'Eu , dont on voit encore les
vestiges , et qui faisoit le chef- lieu et le domicile
ordinaire de cette ancienne et illustre
maison qui descend des premiers Comtes
d'Eu ; et parceque ce fief de la chaussée
d'Eu,quoique membre du Comté d'Eu
et de la Province de Normandie , est néanmoins
situé du côté de la Picardie , et du
Diocèse d'Amiens , les Historiens ont
donné quelquefois à ce Seigneur le nom
de brave et vaillant Picard .
Elevé d'une maniere conforme à sa naissance
, il ne fut pas plutôt en âge d'exercer
la profession des Armes , qu'il l'embrassa.
Il est vrai que l'Histoire * ne nous
a pas transmis tout ce que ce Seigneur a fait
de singulier et d'heroïque , où nous eussions
sans doute trouvé des preuves abondantes
de sa valeur : elle ne nous fournit
qu'une seule action ; mais qui , quoique
seule , est plus que suffisante pour justifier
quel étoit , l'excès de son courage.
C'est de la fameuse bataille de Nicopolis
en Bulgarie , donnée l'an 1396.
* Froiffart. T. IV. Ch. 72.
Nicopolis
to58 MERCURE DE FRANCE
dont je veux parler , le jeune Seigneur
ayant suivi en .... le Comte d'Eu Phillipe
d'Artois , Connétable de France .
On voit dans ce que l'Histoire rapporte
de cette bataille , que la trop grande
vivacité du Comte d'Eu , ayant engagé
mal à propos les troupes Françoises à marcher
indiscrettement vers l'armée ennemie
, sans être suivie de l'armée chrétienne
, elles se trouverent à l'instant envelopées
par soixante mille Turcs. Ce fût dans
cette funeste occasion que Guillaume d'Eu
fit connoître jusqu'où alloit son intrépidité
et sa valeur ; car les Historiens ont particulierement
remarqué que pendant l'horrible
massacre que les Turcs faisoient des
François , Guillaume d'Eu se fit jour deux
fois , l'épée à la main , au travers de cette
nombreuse armée ; ce qui lui donnoit , s'il
avoit voulu une entiere liberté de se tirer
du peril ; mais persuadé qu'il étoit indigne
pour lui de survivre à la perte du Corps
des
troupes Françoises , il aima mieux
retourner daus la mêlée , où il perit avec
les autres. ( a )
Je vais maintenant parler d'un autre
Seigneur du Comté d'Eu qui s'est rendu
fameux pour avoir été le premier qui a
(a) Froiff. ibid. Baudier, Hist . des Turcs L. 2 .
Ch. 1.
tenté
MAY. 1731 . 1059
tenté la découverte d'un nouveau Monde ;
et qui a ouvert un chemin pour passer dans
l'Amerique. Ce Seigneur est Jean de
Bethencourt, Baron deS. Martin leGaillard ,
au Comté d'Eu , lequel a commencé le
premier établissement qui s'est fait aux
ifles des Canaries . ( a ) Ces Ifles , à la verité
,avoient été connuës des Anciens sous
le nom des Ifles Fortunées ; et quelques
Avanturiers sétant hazardés d'y aborder
y avoient quelquefois réussi ; mais l'usage
de la Boussole n'étant pas encore connu,
peu avoient osé se hazarder à faire un
semblable voiage, Lorsqu'enfin la direction
de l'éguille aimantée vers le Nord fût découverte,
et l'usage qu'on en pouvoit faire
pour régler sa route sur Mer confirmé ;
Jean de Bethencourt fût le premier qui
entreprit de tenter par cette voye l'accès
de ces Ifles , qui étoient alors abandonnées.
Robert de Bracquemont son cousin y
donna lieu ; comme il avoit de l'inclination
pour les expeditions de Mer , il forma
le dessein d'aborder ces Isles, et de s'en
mettre en possession . C'est pourquoi il
obtint en 1401. du Roy de Castille Jean
II. la permission d'en faire la Conquête :
ce qui lui fût accordé en consideration des
services qu'il avoit rendus à ce Prince dans
(a) Jean de Verrier,Hist, des Canaries,
les
1060 MERCURE DE FRANCE
les guerres contre le Portugal . Mais soit
que dans la suite il eût prit son parti d’avancer
plutôt sa fortune en France , que
de l'aller chercher si loin , comme en effet
il y fût pourvû quelque tems aprés de la
qualité d'Amiral ; soit enfin qu'il voulût
donner la gloire de cette découverte à Jean
de Bethencourt son parent , et lui procurer
un établissement , il lui en donna la
commission , et lui ceda ses droits qui lui
furent confirmés par la Reine Catherine ,
veuve du Roy Jean II.
Le Baron de S. Martin aiant pris toutes
ses mesures pour son embarquement , mit
enfin à la voile dans l'été de l'année 1402 .
et aborda heureusement aux Canaries ,
dont il conquit d'abord quelques Isles .
Mais ne se trouvant pas assés fort pour
se rendre Maître des autres , il revint en
Espagne où il reçût des munitions et de
l'argent de Henry III . Roy de Castille ,
qui lui donna la souveraineté de ces Isles ,
à condition qu'il lui en feroit hommage ;
étant retourné il se saisit encore de quelques
unes , et en particulier de celle qui
se nomme Lancelote , où il fit bâtir un Fort.
Il y prit même la qualité de Roy : mais
étant mort peu de tems aprés , il y laissa
Y
pour surcesseur son neveu nommé Me-
Baut , avec la même qualité . Tout le monde
MAY. 1731. 1061
de convient que ce voyage est le premier
qui se soit fait avec ordre , et le plus loin
vers la ligne. Ce qui donna lieu ensuite aux
Portugais , et aux Castillans de hazarder
d'autres voyages de long cours ; comme
de doubler le cap de BonneEsperance pour
passer aux Indes , et de faire enfin la découverte
de l'Amerique.
Je ne doute pas que ceux qui ont par
la lecture quelque connoissance du fameux
armateur Jacques Sore dont je vais présentement
parler , ne soient surpris que je
lui donne place dans le rang des personnes
illustres qui sont sorties du Comté d'Eu
parceque la pluspart des Historiens qui
en parlent , le regardent comme un insigne
Pirate , et un veritable scelerat : mais
c'est justement ce qui doit m'y engager ;
car il ne paroît pas que les Historiens
` lui aient rendu la justice qui lui est duë.
Deux choses , il est vrai , ont contribué
à le rendre odieux de son vivant. La premiere,
parcequ'il étoit Calviniste , et protegé
des principaux Chefs de cette secte.
La seconde , en ce que s'étant un jour rendu
maître d'un Bâtiment Espagnol qui alloit
au Bresil , sur lequel étoient embarquez
des Jesuites qui y passoient pour annoncer
la foy , il les fit tous mourir et jetter ensuite
dans la mer,
J'avoije
ト
1062 MERCURE DE FRANCE
>
J'avoue que ce fût un malheur pour
Jacques Sore d'avoir vêcu dans l'héresie
dont les funestes sentimens ont pû contribuer
à l'animer contre les Jesuites : c'est
surquoy je ne prétend s pas le disculper ;
mais à cela près , il peut avoir eu d'ailleurs
de bonnes qualités naturelles , lesquelles
ont pû le mettre fort audessus du commun.
C'est aussi sous cet aspect que je
pretends le faire régarder,apuïé comme je
suis sur ce qu'en a pensé un excellent connoisseur
qui devoit bien sçavoir ce qu'il
étoit , puisqu'il vivoit de son tems , qu'il
étoit en place pour en juger , et qu'il
ne peut être soupçonné de lui avoir été
favorable par la conformité de réligion :
sçavoir Pierre Bourdeille , Abbé de Brantome
, connu sous ce dernier nom ; lequel
parlant par occasion dans ses Mémoires
de Jacques Sore , fait son éloge en´
deux mots , en disant qu'il avoit été un
des bons hommes de Mer qui fût de
son tems , ajoûtant même qui eût été
depuis. (a)
Jacques Sore étoit natif du village de
Floques , situé proche de la Mer à une
petite lieuë de la Ville d'Eu , il avoit
comme j'ai dit , cu le malheur d'être élevé
>
(a)Mem . de Brant. Eloge de M. de Mont-luc.
dans
ΜΑΥ. 1731. 1063
dans la secte de Calvin ; mais étant d'un
esprit vif , et hardi , né avec quelques
biens , voyant la guerre déclarée contre
la France et l'Angleterre lors du Siége
du Havre de grace en 1563. il prit le
parti d'armer une frégate pour aller en
course contre les ennemis de l'Etat , sur
lesquels il ne tarda pas à faire des prises
considerables , et à se rendre formidable
sur la mer. Mais la paix ayant été faite
plutôt qu'il ne le souhaittoit , il lui fallût
chercher un prétexte qui l'autorisat à continuer
une profession de son goût , et
où il se voioit en état d'avancer sa fortune.
Il le trouva , ce prétexte , dans son protecteur
le fameux Amiral de Châtillon
lequel non content de lui faire une pension
, lui procura des lettres de Jeanne
d'Albret , Reine de Navarre , par les
quelles elle l'établissoit Amiral de Navarre
, ce qui lui donnoit droit de courir
sur les vaisseaux Espagnols , comme il
fit en effet. Pour y mieux reüssir il prit
avec lui un autre Armateur nommé
Didacus d'Andrada , s'engageant de par
tager le butin. ( a )
Ce für alors qu'il donna vigoureusement
la chasse aux vaisseaux d'Espagne ,
(a) Flarim, de Raim. Hist, de l'Heresie. L.
5. p. 738.
D
of
1664 MERCURE DE FRANCE
·
et qu'il prit celui dont les Historiens
ont fait tant de bruit, Il est vrai que ce
bâtiment alloit au Bresil , et qu'il y por
toit des Jesuites destinés pour les Missions
du Pays , dont le Chef s'appelloit
Ignace , du nom du Fondateur de sa
Compagnie. Les Auteurs varient sur le
nombre , les uns disent qu'il y en avoit
douze , les autres trente- huit , d'autres
enfin quarante . N'importe , il est toûjours
certain que Jacques Sore prit ce bâtiment
l'an 1570. et qu'il fit mourir les
Jesuites , comme je l'ai dit plus haut,
( a ) Je sçay que tous les Auteurs crient
avec raison contre cette action pleine de
cruauté , et qu'ils la regardent comme
un effet de la haine de Jacques Sore
contre la Catholicité. Les anciens de ce
pays-cy rapportoient la chose d'une maniere
qui la rendoit un peu moins odieuse ;
sçavoir , que Jacques Sore n'en avoit
agi ainsi que par réprésailles , en ce que
les Espagnols aiant traité de la même
maniere un particulier qui lui appartenoit
, et qui étoit tombé entre leurs
mains , il crût d'ailleurs que les Jesuites
y avoient eu part. Mais cela ne sçauroit
jamais le disculper.
fc) Florim, de Raim, ibid, Hist. gener. d'Hora
griz, liv, 15,
Nôtre
MAY. 1731. 1065
Nôtre Amiral de Navarre fit , au rapport
de Brantôme , une autre prise qui
fit beaucoup de bruit pour le bien et
le mal qu'elle causa au parti Calviniste.
Ce fût un vaisseau Venitien , du port
de douze à treize cens tonneaux , qu'il
aborda , et qu'il prit en déçà du détroit
de Gibraltar , lequel faisoit voile vers
l'Angleterre. L'ayant conduit à la Rochelle
, les Calvinistes le firent passer
quelque tems aprés au Port de Broüage
dont ilsvouloient se rendre les maîtres . Če
qui en effet leue facilita la prise de cette
place , est que s'étant avisé de placer
de l'artillerie sur la hune de ce vaisseau
qu'il avoit extrémement large , ils
tuoient de-là à coup sûr tous ceux qui
se présentoient pour défendre la bréche ;
mais aiant malheureusement pour eux
laissé le vaisseau désarmé dans ce Port ,
et le Roy Charles IX . étant venu assiéger
peu de temps aprés la Rochelle
, il
ly fit repasser
; et l'ayant
fait couler à
fond à l'entrée
du Port , il fit placer dessus
une batterie
qui fit des merveilles
battre la Ville , et pour empêcher
le secours
d'y entrer.
,
pour
Enfin l'Amiral Sore , las d'une vie si
agitée , prit le parti d'abandonner la Marine
, et de se retirer au Comté d'Eu ,
Dij son
+
1066 MERCURE DE FRANCE
son pays , pour y finir le reste de ses
jours dans le repos , et encore mieux ,
si on en croit la tradition du même pays,
pour y rentrer dans le sein de l'Eglise .
On tient qu'il y est mort , et qu'il a été
inhumé comme Catholique dans l'Eglise
du Village de Floques , qui étoit, comme
j'ay dit , le lieu de sa naissance ; au
moins est- il certain , que c'est une insigne
calomnie ce qu'a avancé celui qui
à fait les Additions à l'Histoire de Portugal
par Jerôme Ozorius ( a ) ,sçavoir , que
le Capitaine Sore se retira dans sa patrie ,
pour y mourir comme enragé , écumant
sa mort comme un Sanglier , ce qui
n'a nulle vrai- semblance, puisque qui que
ce soit dans le pays n'a jamais entendu
parler de pareille chose , le tems n'en
étant pas si éloigné , moi- même m'étant
souvent entretenu des Avantures de Jacques
Sore avec ceux dont les Peres l'avoient
parfaitement connu , et dont les
proches parens avoient eû part à ses expeditions.
D'ailleurs les habitans de cette
ville ayant toûjours été fort opposés
au Calvinisme , et Jacques Sore étant
mort à leur porte , il n'est pas vrai- semblable
qu'une mort si tragique eût
échapé à leur connoissance , et à leur
mémoire ; ils n'auroient pas ignorés
(4) Liv. ag. ch. 3.
même
MAY. 1731. 1067
même , fameux comme il étoit , le lieu
profane où on l'auroit inhumé , s'il étoit
mort Calviniste .
Voici encore un autre Capitaine de
vaisseau , et depuis Chef d'Escadre , natifdu
Comté d'Eu , lequel a dû aussi son
élevation à la seule force de son génie
sçavoir,Abraham Du Quesne , Pere de l'illustre
Du Quesne , Géneral des Armées
Navales de France. Il naquit au Bourg
de Blangi, dans le Comté d'Eu , de parens
peu favorisés de la Fortune , et qui
avoient le malheur , comme ceux de l'Amiral
Sore, d'être infectés, de l'héresie de
Calvin ; ce qui est assez particulier , vû le
peu de progrès que cette héresie avoit
fait dans le Comté d'Eu. Il y a apparen
ce que ce fût ce qui lui donna lieu de se
retirer à Dieppe où le Calvinisme étoit
plus en vogue. Il y apprit la Carte Marine
, se mit sur les vaisseaux et se rendit
capable d'être Pilote .
Aprés avoir exercé cette profession
pendant quelque temps , il passa en Sue -
de , où s'étant fait connoître , il obtint une
place de Pilote dans les vaisseaux de la
• Reine Christine. Comme cette Princesse
trouva à propos d'envoyer quelques
vaisseaux en France , il fut choisi préferablement
à d'autres pour les conduire
D iij parcequ'il
1068 MERCURE DE FRANCE
parcequ'il étoit François. S'étant distingué
dans cette occasion , il fut fait Capitaine
de vaisseau du Roy dans l'Armée
navale de France , où il se signala de maniere
, que le Roy Louis XIV. ne fit. pas
difficulté de l'envoyer en Suede avec une
Escadre pour y ménager des affaires qui
regardoient la Marine. Comme la France
étoit alors en guerre avec l'Espagne ,
Abraham Du Quesne ne pouvoit guére
éviter d'être attaqué par les vaisseaux
Espagnols qui tenoient la Mer , lesquels
d'ailleurs le surpassoient de beaucoup en
nombre. En effet , comme il revenoit en
France , il se donna un combat entre les
deux Flottes ; et quoique Du Quesne fit
des prodiges de valeur , il reçut une blessure
considerable , et fut fait Prisonnier.
Ayant été conduit à Dunkerque , il y
mourut peu aprés de sa blessure , l'an
1535. dans les sentimens de la Réligion
Prétendue Reformée.
,
Il ne me reste presentement qu'à parler
des deux freres Anguier , qui ont excellé
dans la Sculture , et qui ont primé de
nos jours dans ce bel Art. Ils naquirent
tous deux à Eu dans la Paroisse de S. Jean,
d'un pere menuisier. Nés tous deux pour
la Sculture , et le Dessein ; dès qu'ils commencerent
à faire usage de leur esprit ,
on
MAY. 1731 . 1069
on les vit s'occupper à faire de petites
figures de bois ou de pierre avec leurs coû
teaux , en quoy ils réussissoient passablement
bien , ce qui frappa un honnête
Bourgeois de la ville , et l'engagea à en
prendre soin par charité. Voyant enfin
qu'ils commençoient d'être en âge à pouvoir
travailler , et que le goût pour la
Sculture se fortifioit de plus en plus en
eux , il obtint d'un Jesuite qui alloit à
Paris , qu'il les y meneroit pour les placer
chez un Maître où ils pussent se perfectionner
, ce que ce Pere fit en effet.
A peine eurent-ils commencé à modeler
des figures , que le Maître s'apperçût
bientôt qu'ils iroient fort loin un
jour , s'ils continuoient de travailler. Il
le connût encore mieux , lorsqu'ils eurent
commencé à se servir du cizeau sur le
bois et sur la pierre. Après s'être ainsi
formés quelque tems à Paris , ils allerent
à Rome, afin qu'il ne leur manquât rien
pour se perfectionner dans leur Art .
Etant enfin de rétour à Paris , ils y acquirent
une telle réputation , qu'ils furent
employés pour les plus considerables morceaux
de Sculture ; tels que le grand Crucifix
de marbre qui tient lieu de Tableau
à l'Autel de l'Eglise de Sorbonne , tous
les ornemens et les bas- reliefs de la porte
D iiij
de
D070 MERCURE DE FRANCE
de S. Denis , et les deux figures de celle
de S. Antoine dans l'Eglise des Celestins
le Tombeau du Duc de Rohan , et l'Obelisque
du Duc de Longueville. Tous
les Ornemens de l'Autel de l'Eglise du
Val de grace , et sur le même Autel le
petit Jesus dans la Crèche , avec la Sainte
Vierge et S. Joseph , et quantité d'autres
ouvrages dont on peut voir le détail
dans la Déscription de Paris par Germain
Brice.
Enfin , aprés avoir si dignement employé
le talent que Dieu leur avoit donné ,
ils finirent leurs jours ; sçavoir , François
qui étoit l'ainé le 8. Août 1669. et Michel
le 11. Juillet 1686. Ils furent tous
deux inhumez dans la Nef de l'Eglise de
S. Roch leur Paroisse , sous une Tombe
de marbre blanc , sur laquelle fût gravée
I'Epitaphe suivante ,
Dans sa concavité ce funeste Tombeau
Tient les os renfermés de l'un et l'autre frere ;
Il leur étoit aisé d'en avoir un plus beau
Si de leurs propres mains ils l'eussent voulu faire
Mais il importe peu de loger noblement
Ce qu'aprés le trépas un corps laisse de reste
Et pourvûque ce Corps quittant le logement
L'Ame trouve le sien dans le séjour celeste..
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Vers et prose
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