Titre
IDYLLE. A M. de Fontenelle, de l'Academie Françoise, par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne.
Titre d'après la table
Idylle à M. de Fontenelle par Mlle de la Vigne,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
1941
Page de début dans la numérisation
66
Page de fin
1953
Page de fin dans la numérisation
78
Incipit
Corisque. Vous m'aimez, Ménalis, à quoy sert ce langage?
Texte
IDYLL E.
A M. de Fontenelle , de l'Academie Françoise , par Me de Malcrais de la Vigne,
du Croisic en Bretagne.
Corisque.
Vous m'aimez, Ménalis ? à quoy sert ce langage ?
Ces mots étudiez , ces complimens polis ,
D'un esprit déguisé m'apportent le message ;
Mais le cœur s'adresse à Philis.
Finissons un discours dont la douceur m'outrage.'
Vos sermens dans les airs semez' ,
Je n'ai
Des Zephirs inconstans deviendront le partage ,
que trop d'égards pour un Berger volage;
Ce n'est pas moi que vous aimez.
Menalis.
Croyez-vous , après tout , puisque votre injustice
M'oblige à dévoiler les sentimens d'un cœur!
Qui s'exprime sans artifice ,
Vous figurez- vous que je puisse ,
Nepoint être sensible aux traits de votre humeur?
Vous m'aimez, je l'avoue , un instant par caprice;
Où pour me voir languir auprès de vos appas ,
Yous feignez de m'aimer, et vous ne m'aimez pss.
Cv Corisque
1942 MERCURE DE FRANCE
Corisque.
Hé bien, s'il est ainsi , sans se causer de peine ,
Ménalis , il vaut mieux pour toujours se quitter.
Ménalis.
Vous pensez m'allarmer > votre entreprise est
vaine ;
Je fuis , je pars , vos yeux me voudroient arrêter.
Corisque.
Mes yeux moi ? non.
· Ménalis.
Pourquoi rester donc la derniere a
Corisque.
Yous qui partez , pourquoi regarder par derriere?
Ménalis.
Adieu , Bergere , adieu , cœur ingrat et leger.
Corisque.
Adieu , perfide , adieu , témeraire Berger.
Ménalis.
Vous fuyez est- il vrai ? pouvez-vous ●● •
cruelle !
Me laisser si facilement !
Je ne m'éloignois seulement ,
• ah
Quepourvoir àquel point vous me seriez fidelle,
Revenez, cher objet que j'aime uniquement ;
Inflexible
SEPTEMBRE. 1732. 1943
Inflexible ! avec vous vous emportez mon ame.
Corisque.
Non, je n'emporte rien que mon cœur.
Ménalis.
Pour un autre Berger.
Tout en flamme
Corisque.
Non, trompeur , non , c'est toi ,
Qui m'ôtes lâchement le tribut de ta foi.
Ménalis.
Elle vole ; et le Fan timide ,
Par un bruit soudain effrayé ,
Fuit moins vîte où la peur le guide.
Zéphirs , opposez vous à sa course rapide ,
Vous, Ronces, qui bordez ce chemin peu frayé,
De grace enlassez - vous dans sa robbe flotante,
Afin de retenir ses pas ;
Mais prenez garde aussi qu'une pointe piquante ,
Ne blesse ses pieds délicats.
Devenez , s'il se peut , de coton sous sa trace.
Haliers , écartez -vous , moderez votre audace ,
Respectez son beau sang , ah cuels ! tout le mien
Seroit payé trop cher d'une goute du sien.
Je vous ai joint , enfin me voici hors d'haleine ;
UnEclair sur ses feux m'a porté jusqu'à vous ;
Cvj Adou
1944 MERCURE DE FRANCE
Adoucissez- vous , inhumaine ,
Calmez un injuste couroux.
Corisque.
Je te haïs , le dépit et les transports jaloux ,
Contre un Berger volage ónt allumé ma haine ;
Que ne puis-je à mon gré t'accabler sous ses coups!
Ménalis.
Vos funestes rigueurs rendent ma mort certaine
Du fer de ma houlette ouvrez , ouvrez mon sein;
Si sur lui vous daignez mettre un moment la
main,
Vous sentirez que ma tendresse ,
Vous porte tous ses sentimens ,
;
Et que mon cœur brulé dans ses chauds battemens ,
Repete Corisque sans cesse.
Ah! Corisque , Corisque , au moins apprenez-moi
Le forfait inconnu qui m'arrache à la vie.
Le coupable qui sçait pourquoi ,
Du plus affreux trépas , sa sentence est suivie ,
Par avance en lui-même obéït à la Loi.
Corisque.
2.
Mon ame en ta faveur , malgré moi s'est fléchie ,
Et monsecret échappe à ma langue affranchie ,
Mais après cet aveu , ne me parle jamais.
Te souvient-il de la journée ,
Où sous des Cerisiers épais
On celebroit d'Hilas l'agréable Hymenée !
On
SEPTEMBRE. 1732. 1945
Ménalis.
Quel brillant , ce jour-là , relevoit vos attraits !
L'Amour s'étoit peint dans VOS
Venus vous avoit amenée,
traits.
Les Roses et les Lys ....
Corisque.
Puisque tu m'interromps ;
Je me tais.
Ménalis.
Achevez ; les tourmens les plus prompts
Sont pour les malheureux la moitié de leur grace.
Corisque.
Le Soleil à la nuit , alloit ceder la place ;
Jusques-là sur le vert gazon ,
Tous les Amans colez auprès de leurs Amantes,
Les amusoient , assis en rond ,
Par des jeux differens et des farces galantes ;
Attendant à passer en cette âpre Saison ,
Du grand Astre enflammé qui jaunit la moisson,
La chaleur qui sembloit ce jour- là redoublée ;
Quand les tiedes Zéphirs soufflant dans les Ra- meaux ,
Le son joyeux des Chalumeaux ,
Sur le champ pour danser fit lever l'Assemblée.
Tu me donnas la main , et de l'autre aussi-tôt ,
Tu tiras Philis dans la Danse ,.
Tu lui parlois tout bas , et souvent ton silence ,
S'ex-
1946 MERCURE DE FRANCE
S'expliquoit plus qu'à demi mot ; *
Mais ce qui m'irrita , juste Ciel ! quand j'y
pense ....
Tu lui serras la main , et sans attention ,
Tu serras tant-soit- peu la mienne ,
Dirigeant autre part un œil plein d'action ;
Et tu te souviendrois qu'en cette occasion ,
Je fus prête à quitter la tienne ,
Si l'amoureuse émotion ,
T'avoit encor laissé quelque refléxion.
Ménalis.
Falloit-il que ma foi fût si - tôt soupçonnée ,
Que dis-je ? en un moment sans appel con- damnée ,
Si vous m'eussiez vraiment aimé ?
Vit-on une petite pluye ,
Quand le feu dans un Bois fut long- temps
allumé ,
Arrêter sur le champ le rapide incendie ?
Je parlois à Philis , et lui disois tout bas ,
Sans dessein lui pressant le bras ,
Et lui montrant Daphné , cette Etrangere ai
mable ,
Dont les Bergers font tant de cas ,
Regardez si Daphné , qu'enflent ses vains appas ,
Peut se croire à Corisque , à bon droit comparable ?
Corisque a dans un de ses yeux
Plus
SEPTEMBR E. 1732. 1947
Plus d'attraits que Daphné , dans sa personne
entiere.
Corisque.
Le parallele est glorieux ,
Tu m'honorois , Berger ; par son air , sa ma- niere ,
Daphné peut briller en tous lieux,
Ménalis à ton tour dis - moi sur quelle injure ,
Ton amour a fondé la nouvelle imposture ,
Des reproches que tu me fais ?
Ménalis.
Le souvenir en est trop frais ;
Mon doigt , en la touchant , aigriroit ma bles- sure ,
Et , peut - être , au surplus , que niant l'aven;
ture ,
Et , bravant mes justes douleurs ,
Vous vous offenseriez du sujet de mes pleurs.
Corisque.
Non , non , tu peux parler sans péril ; je t'assure
Que je rendrai injuſtice à ton sincere aveu ,
Tu devrois me connoître un peu ,
Et d'un cœur qui t'aimoit avoir meilleur augure.
Ménalis.
Avant-hier Mirtil conduisant son Troupeau ,
Cheminoit à pas lents sur la molle Prairie
Du
"
1948 MERCURE DE FRANCE
Du plus loin qu'il me vit , il montra son Cha- peau ,
Dont le Bouton s'ornoit de l'Œillet le plus beau ;
C'est , dit-il , de Corisque une galanterie ;
Ses faveurs ne sont pas pour moi du fruit nouveau.
Je Pen remerciai , je voulus le lui rendre ,
Mais son empressement me força de le prendre
Pour le dire en deux mots , Corisque et ses presens ,
Me sont assez indifferens.
Ace discours j'eus peine à cacher ma colere.
Cent fois agité dans l'esprit ,
Je fus prêts d'arracher cette fleur par dépit ;
Mais par respect pour vous , je m'abstins de le faire.
Corisque.
L'Efronté ce fut lui qui malgré moi la prit ;
J'en atteste Cloris , Célimene et Florise ,
Pour r'avoir cet Œillet , d'abord je l'attaquai
Par les moyens civils que l'usage authorise 3.
Sur son honneur je le piquai ,
>
Mais m'ayant mise à bout , alors je le brusquai ,
Comme on use à l'égard d'un Berger qu'on méprise.
J'éclatai , j'employai d'inutiles efforts ,
Dont le Scélérat osoit rire.
Que mesbras contre lui n'étoient-ils assez forts!
Dans
SEPTEMBRE. 1732. 1949
Dans les fougueux excès que la fureur inspire ,
Je lui dis , l'arrêtant , tout ce que je pus dire ;
Il m'échapa , le traitre , et quand il fut enfui ,.
Vainement , et très - loin , je courùs après-lui.
Cette fleur , dont les soins occupoient ma pensée ,
Avoit exprès pour toi la saison devancée ;-
Je l'allois visiter le matin et le soir ,
Et lui disois tout bas en tenant l'arrosoir ,
Croissez , aimable Eillet , et couronnant ma
peine ,
Pour le seul Ménalis réservez votre halcine.
Croissez , et que de mon Berger ,
Dont le cœur m'a promis de ne jamais changer
Puisse ainsi croître la tendresse !
Dès qu'ils seront épanouis...
Mos apas en un jour seront évanouis 2.
Mais son feu durera sans cesse.
Ménalis.
J'accusois donc à tort votre fidélité !
Mirtil par sa malignité ,
Me rendoit moi-même infidéle !
Que d'un vif repentir , je me sens tourmenté !
Vous en croirai- je ? O Dieux ! quoi mon cœur se rappelle ,
De ses premiers soupçons , l'allarme criminelle?
Aux Amans , par un sort contraire à leurs dê- sirs,
Dans
1950 MERCURE DE FRANCE
ļ
Dans le sein même des plaisirs ,
L'inquiétude est naturelle .
Permettez qu'à vos pieds , mes sanglots , mes
soupirs...
Corisque.
Léve- toi, Méñalis , que les Vents , et la Grêle
Puissent ravager , si je mens ;
L'esperance , hêlas ! rare , et frêle
De nos Jardins et de nos Champs.
Mais moi , dois-je , à tes assurances ,
Livrer de ses soupçons mon esprit revenu ?
M'offrirois- tu les apparences ,
D'un amour autre part , peut-être retenu ?
Ménalis.
Ciel ? que Pan courroucé , laisse ma Bergerie ,
En Proye, aux Loups impétueux !
Puissai-je sous mes pas , foulant l'herbe fleurie
Ne rencontrer qu'Aspics , qu'Animaux veni- meux. ..
Corisque.
Arrête , Berger , je te prie ,
C'en est trop; la bonté des Dieux ,
S'offenseroit de la furie ,
De tes sermens audacieux.
Je te crois; je vais même en coucher sur ta levre »
Le gage apétissant d'un baiser gracieux.
Ménalis:
SEPTEMBRE. 1732. 1951
Ménalis.
Le Miel du Mont Himette est moins délicieux.
Suis- je icy ? Me trompai- je ? Ah votre amou»
me sevre ,
Trop-tôt d'un bien précieux ,
Le baiser apprêté , dont la brillante Flore ,
Enivre son Zéphir de ses charmes épris ,
Celui dont la naissante Aurore ,
Régale l'Epoux de Procris ,
Les baisers de Diane , et tous ceux de Cypris ,
Au vôtre comparez sont languissans encore ,
Mais souffrez qu'au lieu d'un , je vous en rende deux.
Le Dieu , qui pour Psiché , jadis sentit éclore
Le germe impatient ? Des désirs amoureux ,
Se plaît en nombre impair , à seconder nos -jeux.
Corisque.
Ah ! dans mon cœur brulant , j'ai Paphos et Ci- there :
Berger , mon cher Berger , je ne suis plus à
moi ,
Mais que dis-je ! Est- il temps de garder du mys- tere ?
Tu me montres assez que je suis toute à toi.
Ainsi se réconcilierent ,
Corisque et Ménalis imprudemment fâchez ;
Et les chaînes qui les lierent ,
Re-
1952 MERCURE DE FRANCE
Retinrent à jamais leurs deux cœurs attachez ;
Les tendres Rossignols dans les Rameaux ca- chez ,
Jaloux des douceurs qu'ils goûterent ,
Les virent et les imiterent ,
Et leurs petits goziers , sans être interrompus ,
La nuit suivante repeterent
Et leurs propres plaisirs , et ceux. qu'ils avoient
vûs.
Fontenelle , la gloire et l'honneur de notre âge ,
Toi , qui par des talens divers ,
As fait voir de nos jours que la Prose , et les Vers' ,
Sur les siècles passez , remportent l'avantage ;
Suspens tes illustres emplois ,
Pour entendre un moment mon rustique Haut- bois ,
Je lis et je relis tes Eglogues sans cesse ,
Et les admire à chaque fois.
Tes Bergers par un tour de ta subtile adresse ,
Sont moins fardez , moins pointilleux,
Que ceux dont en ses Vers doux , faciles , heu- reux ,
Racan fit parler la tendresse ,
Quoique ceux de Ségrais soient galans , ingénus,
Ils sont trop copiez , et de Rome , et de Grèce ,
Leur style un peu rude me blesse ,
Et leurs discours par tout ne sont pas soutenus ,
Des
SEPTEMBRE. 1732. 1953
Des tiens je prise beaucoup plus ,
L'originale politesse .
N'ont-ils pas réüni tous les suffrages dûs
A leur douce délicatesse ?
Les miens dépourvûs d'agrément ,
N'entreront point en parallele ;
Il seront trop fiers seulement ,
S'ils attirent les yeux du Sçavant Fontenelle,
A M. de Fontenelle , de l'Academie Françoise , par Me de Malcrais de la Vigne,
du Croisic en Bretagne.
Corisque.
Vous m'aimez, Ménalis ? à quoy sert ce langage ?
Ces mots étudiez , ces complimens polis ,
D'un esprit déguisé m'apportent le message ;
Mais le cœur s'adresse à Philis.
Finissons un discours dont la douceur m'outrage.'
Vos sermens dans les airs semez' ,
Je n'ai
Des Zephirs inconstans deviendront le partage ,
que trop d'égards pour un Berger volage;
Ce n'est pas moi que vous aimez.
Menalis.
Croyez-vous , après tout , puisque votre injustice
M'oblige à dévoiler les sentimens d'un cœur!
Qui s'exprime sans artifice ,
Vous figurez- vous que je puisse ,
Nepoint être sensible aux traits de votre humeur?
Vous m'aimez, je l'avoue , un instant par caprice;
Où pour me voir languir auprès de vos appas ,
Yous feignez de m'aimer, et vous ne m'aimez pss.
Cv Corisque
1942 MERCURE DE FRANCE
Corisque.
Hé bien, s'il est ainsi , sans se causer de peine ,
Ménalis , il vaut mieux pour toujours se quitter.
Ménalis.
Vous pensez m'allarmer > votre entreprise est
vaine ;
Je fuis , je pars , vos yeux me voudroient arrêter.
Corisque.
Mes yeux moi ? non.
· Ménalis.
Pourquoi rester donc la derniere a
Corisque.
Yous qui partez , pourquoi regarder par derriere?
Ménalis.
Adieu , Bergere , adieu , cœur ingrat et leger.
Corisque.
Adieu , perfide , adieu , témeraire Berger.
Ménalis.
Vous fuyez est- il vrai ? pouvez-vous ●● •
cruelle !
Me laisser si facilement !
Je ne m'éloignois seulement ,
• ah
Quepourvoir àquel point vous me seriez fidelle,
Revenez, cher objet que j'aime uniquement ;
Inflexible
SEPTEMBRE. 1732. 1943
Inflexible ! avec vous vous emportez mon ame.
Corisque.
Non, je n'emporte rien que mon cœur.
Ménalis.
Pour un autre Berger.
Tout en flamme
Corisque.
Non, trompeur , non , c'est toi ,
Qui m'ôtes lâchement le tribut de ta foi.
Ménalis.
Elle vole ; et le Fan timide ,
Par un bruit soudain effrayé ,
Fuit moins vîte où la peur le guide.
Zéphirs , opposez vous à sa course rapide ,
Vous, Ronces, qui bordez ce chemin peu frayé,
De grace enlassez - vous dans sa robbe flotante,
Afin de retenir ses pas ;
Mais prenez garde aussi qu'une pointe piquante ,
Ne blesse ses pieds délicats.
Devenez , s'il se peut , de coton sous sa trace.
Haliers , écartez -vous , moderez votre audace ,
Respectez son beau sang , ah cuels ! tout le mien
Seroit payé trop cher d'une goute du sien.
Je vous ai joint , enfin me voici hors d'haleine ;
UnEclair sur ses feux m'a porté jusqu'à vous ;
Cvj Adou
1944 MERCURE DE FRANCE
Adoucissez- vous , inhumaine ,
Calmez un injuste couroux.
Corisque.
Je te haïs , le dépit et les transports jaloux ,
Contre un Berger volage ónt allumé ma haine ;
Que ne puis-je à mon gré t'accabler sous ses coups!
Ménalis.
Vos funestes rigueurs rendent ma mort certaine
Du fer de ma houlette ouvrez , ouvrez mon sein;
Si sur lui vous daignez mettre un moment la
main,
Vous sentirez que ma tendresse ,
Vous porte tous ses sentimens ,
;
Et que mon cœur brulé dans ses chauds battemens ,
Repete Corisque sans cesse.
Ah! Corisque , Corisque , au moins apprenez-moi
Le forfait inconnu qui m'arrache à la vie.
Le coupable qui sçait pourquoi ,
Du plus affreux trépas , sa sentence est suivie ,
Par avance en lui-même obéït à la Loi.
Corisque.
2.
Mon ame en ta faveur , malgré moi s'est fléchie ,
Et monsecret échappe à ma langue affranchie ,
Mais après cet aveu , ne me parle jamais.
Te souvient-il de la journée ,
Où sous des Cerisiers épais
On celebroit d'Hilas l'agréable Hymenée !
On
SEPTEMBRE. 1732. 1945
Ménalis.
Quel brillant , ce jour-là , relevoit vos attraits !
L'Amour s'étoit peint dans VOS
Venus vous avoit amenée,
traits.
Les Roses et les Lys ....
Corisque.
Puisque tu m'interromps ;
Je me tais.
Ménalis.
Achevez ; les tourmens les plus prompts
Sont pour les malheureux la moitié de leur grace.
Corisque.
Le Soleil à la nuit , alloit ceder la place ;
Jusques-là sur le vert gazon ,
Tous les Amans colez auprès de leurs Amantes,
Les amusoient , assis en rond ,
Par des jeux differens et des farces galantes ;
Attendant à passer en cette âpre Saison ,
Du grand Astre enflammé qui jaunit la moisson,
La chaleur qui sembloit ce jour- là redoublée ;
Quand les tiedes Zéphirs soufflant dans les Ra- meaux ,
Le son joyeux des Chalumeaux ,
Sur le champ pour danser fit lever l'Assemblée.
Tu me donnas la main , et de l'autre aussi-tôt ,
Tu tiras Philis dans la Danse ,.
Tu lui parlois tout bas , et souvent ton silence ,
S'ex-
1946 MERCURE DE FRANCE
S'expliquoit plus qu'à demi mot ; *
Mais ce qui m'irrita , juste Ciel ! quand j'y
pense ....
Tu lui serras la main , et sans attention ,
Tu serras tant-soit- peu la mienne ,
Dirigeant autre part un œil plein d'action ;
Et tu te souviendrois qu'en cette occasion ,
Je fus prête à quitter la tienne ,
Si l'amoureuse émotion ,
T'avoit encor laissé quelque refléxion.
Ménalis.
Falloit-il que ma foi fût si - tôt soupçonnée ,
Que dis-je ? en un moment sans appel con- damnée ,
Si vous m'eussiez vraiment aimé ?
Vit-on une petite pluye ,
Quand le feu dans un Bois fut long- temps
allumé ,
Arrêter sur le champ le rapide incendie ?
Je parlois à Philis , et lui disois tout bas ,
Sans dessein lui pressant le bras ,
Et lui montrant Daphné , cette Etrangere ai
mable ,
Dont les Bergers font tant de cas ,
Regardez si Daphné , qu'enflent ses vains appas ,
Peut se croire à Corisque , à bon droit comparable ?
Corisque a dans un de ses yeux
Plus
SEPTEMBR E. 1732. 1947
Plus d'attraits que Daphné , dans sa personne
entiere.
Corisque.
Le parallele est glorieux ,
Tu m'honorois , Berger ; par son air , sa ma- niere ,
Daphné peut briller en tous lieux,
Ménalis à ton tour dis - moi sur quelle injure ,
Ton amour a fondé la nouvelle imposture ,
Des reproches que tu me fais ?
Ménalis.
Le souvenir en est trop frais ;
Mon doigt , en la touchant , aigriroit ma bles- sure ,
Et , peut - être , au surplus , que niant l'aven;
ture ,
Et , bravant mes justes douleurs ,
Vous vous offenseriez du sujet de mes pleurs.
Corisque.
Non , non , tu peux parler sans péril ; je t'assure
Que je rendrai injuſtice à ton sincere aveu ,
Tu devrois me connoître un peu ,
Et d'un cœur qui t'aimoit avoir meilleur augure.
Ménalis.
Avant-hier Mirtil conduisant son Troupeau ,
Cheminoit à pas lents sur la molle Prairie
Du
"
1948 MERCURE DE FRANCE
Du plus loin qu'il me vit , il montra son Cha- peau ,
Dont le Bouton s'ornoit de l'Œillet le plus beau ;
C'est , dit-il , de Corisque une galanterie ;
Ses faveurs ne sont pas pour moi du fruit nouveau.
Je Pen remerciai , je voulus le lui rendre ,
Mais son empressement me força de le prendre
Pour le dire en deux mots , Corisque et ses presens ,
Me sont assez indifferens.
Ace discours j'eus peine à cacher ma colere.
Cent fois agité dans l'esprit ,
Je fus prêts d'arracher cette fleur par dépit ;
Mais par respect pour vous , je m'abstins de le faire.
Corisque.
L'Efronté ce fut lui qui malgré moi la prit ;
J'en atteste Cloris , Célimene et Florise ,
Pour r'avoir cet Œillet , d'abord je l'attaquai
Par les moyens civils que l'usage authorise 3.
Sur son honneur je le piquai ,
>
Mais m'ayant mise à bout , alors je le brusquai ,
Comme on use à l'égard d'un Berger qu'on méprise.
J'éclatai , j'employai d'inutiles efforts ,
Dont le Scélérat osoit rire.
Que mesbras contre lui n'étoient-ils assez forts!
Dans
SEPTEMBRE. 1732. 1949
Dans les fougueux excès que la fureur inspire ,
Je lui dis , l'arrêtant , tout ce que je pus dire ;
Il m'échapa , le traitre , et quand il fut enfui ,.
Vainement , et très - loin , je courùs après-lui.
Cette fleur , dont les soins occupoient ma pensée ,
Avoit exprès pour toi la saison devancée ;-
Je l'allois visiter le matin et le soir ,
Et lui disois tout bas en tenant l'arrosoir ,
Croissez , aimable Eillet , et couronnant ma
peine ,
Pour le seul Ménalis réservez votre halcine.
Croissez , et que de mon Berger ,
Dont le cœur m'a promis de ne jamais changer
Puisse ainsi croître la tendresse !
Dès qu'ils seront épanouis...
Mos apas en un jour seront évanouis 2.
Mais son feu durera sans cesse.
Ménalis.
J'accusois donc à tort votre fidélité !
Mirtil par sa malignité ,
Me rendoit moi-même infidéle !
Que d'un vif repentir , je me sens tourmenté !
Vous en croirai- je ? O Dieux ! quoi mon cœur se rappelle ,
De ses premiers soupçons , l'allarme criminelle?
Aux Amans , par un sort contraire à leurs dê- sirs,
Dans
1950 MERCURE DE FRANCE
ļ
Dans le sein même des plaisirs ,
L'inquiétude est naturelle .
Permettez qu'à vos pieds , mes sanglots , mes
soupirs...
Corisque.
Léve- toi, Méñalis , que les Vents , et la Grêle
Puissent ravager , si je mens ;
L'esperance , hêlas ! rare , et frêle
De nos Jardins et de nos Champs.
Mais moi , dois-je , à tes assurances ,
Livrer de ses soupçons mon esprit revenu ?
M'offrirois- tu les apparences ,
D'un amour autre part , peut-être retenu ?
Ménalis.
Ciel ? que Pan courroucé , laisse ma Bergerie ,
En Proye, aux Loups impétueux !
Puissai-je sous mes pas , foulant l'herbe fleurie
Ne rencontrer qu'Aspics , qu'Animaux veni- meux. ..
Corisque.
Arrête , Berger , je te prie ,
C'en est trop; la bonté des Dieux ,
S'offenseroit de la furie ,
De tes sermens audacieux.
Je te crois; je vais même en coucher sur ta levre »
Le gage apétissant d'un baiser gracieux.
Ménalis:
SEPTEMBRE. 1732. 1951
Ménalis.
Le Miel du Mont Himette est moins délicieux.
Suis- je icy ? Me trompai- je ? Ah votre amou»
me sevre ,
Trop-tôt d'un bien précieux ,
Le baiser apprêté , dont la brillante Flore ,
Enivre son Zéphir de ses charmes épris ,
Celui dont la naissante Aurore ,
Régale l'Epoux de Procris ,
Les baisers de Diane , et tous ceux de Cypris ,
Au vôtre comparez sont languissans encore ,
Mais souffrez qu'au lieu d'un , je vous en rende deux.
Le Dieu , qui pour Psiché , jadis sentit éclore
Le germe impatient ? Des désirs amoureux ,
Se plaît en nombre impair , à seconder nos -jeux.
Corisque.
Ah ! dans mon cœur brulant , j'ai Paphos et Ci- there :
Berger , mon cher Berger , je ne suis plus à
moi ,
Mais que dis-je ! Est- il temps de garder du mys- tere ?
Tu me montres assez que je suis toute à toi.
Ainsi se réconcilierent ,
Corisque et Ménalis imprudemment fâchez ;
Et les chaînes qui les lierent ,
Re-
1952 MERCURE DE FRANCE
Retinrent à jamais leurs deux cœurs attachez ;
Les tendres Rossignols dans les Rameaux ca- chez ,
Jaloux des douceurs qu'ils goûterent ,
Les virent et les imiterent ,
Et leurs petits goziers , sans être interrompus ,
La nuit suivante repeterent
Et leurs propres plaisirs , et ceux. qu'ils avoient
vûs.
Fontenelle , la gloire et l'honneur de notre âge ,
Toi , qui par des talens divers ,
As fait voir de nos jours que la Prose , et les Vers' ,
Sur les siècles passez , remportent l'avantage ;
Suspens tes illustres emplois ,
Pour entendre un moment mon rustique Haut- bois ,
Je lis et je relis tes Eglogues sans cesse ,
Et les admire à chaque fois.
Tes Bergers par un tour de ta subtile adresse ,
Sont moins fardez , moins pointilleux,
Que ceux dont en ses Vers doux , faciles , heu- reux ,
Racan fit parler la tendresse ,
Quoique ceux de Ségrais soient galans , ingénus,
Ils sont trop copiez , et de Rome , et de Grèce ,
Leur style un peu rude me blesse ,
Et leurs discours par tout ne sont pas soutenus ,
Des
SEPTEMBRE. 1732. 1953
Des tiens je prise beaucoup plus ,
L'originale politesse .
N'ont-ils pas réüni tous les suffrages dûs
A leur douce délicatesse ?
Les miens dépourvûs d'agrément ,
N'entreront point en parallele ;
Il seront trop fiers seulement ,
S'ils attirent les yeux du Sçavant Fontenelle,
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Domaine
Est probablement adressé ou dédié à une personne
Est rédigé par une personne
Provient d'un lieu
Remarque
Republié dans [Paul Desforges-Maillard], Poësies de Mademoiselle de Malcrais de La Vigne, Paris, veuve Pissot, Chaubert, Clousier, Neuilly, Ribou, 1735, p. 71-82.
Fait partie d'un dossier