Titre
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Châlons en Champagne, au mois de Decembre 1732. dans laquelle il est parlé des Ouvrages de differens Peintres renommez.
Titre d'après la table
Lettre sur les Ouvrages de differens Peintres,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
489
Page de début dans la numérisation
90
Page de fin
494
Page de fin dans la numérisation
95
Incipit
Je n'ai pas de meilleur moïen pour prévenir les accès de l'ennui que de
Texte
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Chálons
en Champagne , au mois de Decembre
1732. dans laquelle il est parlé des
Ouvrages de differens Peintres renammez.
E n'ai pas de meilleur moïen pour
prévenir les accès de l'ennui que de
me rappeller ces beaux jours dont nous
avons passé ensemble la plus grande
partie. Je me transporte en esprit auprès
de vous . Il me semble que nous allons encore
, avec M. le Chevalier Dorigny, voir
le riche Cabinet de M. de Julienne aux
Gobelins. L'esprit également rempli des
idées riantes , que nous ont données les
Ouvrages de Katean, et de celles lais
J ledeche de
que
D v sept
490 MERCURE DE FRANCE
•
sent les manieres gracieuses de l'illustre
Curieux qui travaille avec tant de succès
à l'immortaliser ; nous courons chercher
de nouveaux plaisirs chez M. d'Argenville.
Il nous ouvre le Porte - feü: lle qui
contient un grand nombre de desseins
Originaux des meilleurs Maîtres des
Païs bas. Alors je ne me crois plus renfermé
dans l'enceinte de son appartement.
Je me promene avec vous dans les agréa
bles Païsages de Brugbel. Herman Svavenwelt
nous conduit auprès des Ruines
et des Solitudes des environs de Rome ,
dans lesquelles il se retiroit pour étudier
plus tranquillement la nature. Fosse de
Mompré nous égare quelquefois dans de
vastes Déserts , er du Sommet d'un Montagne
escarpée , où son génie nous transport
, il nous fait découvrir une prodigieuse
étendue de Païs . Ici nous voïons
des Vallées profondes ; là des Forêts de
Chênes et de Sapins , qui les couvrent de
leur ombre ; un amas de Cabannes nous
présente un peu plus loin l'Image de la
retraite de l'Innocence .
ť
A quelque distance s'éleve un Château
, dont les Jardins délicieux s'étendent
jusqu'aux bords d'un Fleuve , qui
serpente en formant plusieurs Isles . Ne
diroit- on pas que ses Eaux portent l'abonMAR
S. 1733 . 491
bondance dans les Campagnes qu'il ar-
Fose , et qu'elles facilitent le commerce
d'un nombre de Villes et de Bourgades
qui se perdent dans l'éloignement ? A
peine sommes - nous descendus de la Mon
tagne de Mompré , que Bloemaert nous
invite à nous reposer avec ses Bergers.
Appuyez contre le Tronc noüeux d'un
vieux Chesne , nous les considerons quel
que- temps ; leur simplicité , leur candeur
nous disposent à trouver du plaisir dans
une Chaumine enfumée , dans laquelle
Rinbrant nous conduit.
Après que nous avons raisonné sur la
Phisionomie d'un vieux Pere de famille
qui fixe Pattention de son Epouse et de
ses Enfans , par la lecture qu'il leur fait ,
à la clarté d'une Lampe. D. Teniers , nous
tire de ce réduit , pour nous donner le
Spectacle d'une . Fête de Village, Pierre
de Laert , Brauver et Van Ostade , nous
font entrer au Cabaret : par bonheur malgré
ce qu'ils nous y montrent de divertissant
nous n'aimons pas à y rester autant
qu'eux ; nous sortons pour prendre
dans les Champs un plaisir plus digne de
nous. Bergheim nous le Procure ; nous
entendons le Bêlement de ses Brebis , et le
Mugissement de ses Boeufs , auprès d'une
Cascade qui se précipite à travers des Ro
Dvj chers
492 MERCURE DE FRANCE
chers qui ne paroissent accessibles qu'aux
Chévres qui vont y dépouiller les Buissons.
Cette vûë nous porte à d'agréables réveries
; mais tout à'coup nous voïons accourir
une troupe de Dames et de Cavaliers
, montez sur les plus beaux Chevaux
de l'Ecurie de Vanverman. Ils reviennent
ensemble de la Chasse ; nous
nous en appercevons aux Veneurs , aux
Fauconniers , aux Chiens , aux Оyseaux
de Proye , aux Valets chargez de Gibier ,
qui les suivent. Les Païsans sortent de
feurs Maisons pour admirer leur Equipage
leste et galant ; d'un côté les Meres
font remarquer à leurs Enfans la grosseur
énorme du Sanglier qui vient d'être
pris ; et d'un autre elles retirent avec
précipitation ceux qu'une curiosité témeraire
expose trop à la vivacité des
Chevaux .
Que dirai - je du Regal dont nous sommes
redevables aux attentions de Jean
Bol? Rien ne lui a échappé dans la nature
de tout ce qui pouvoit nous réjouir
la Chasse , la Pêche , les Occupations
, les Amusemens de la Campagne ,
les Oyseaux , les Animaux , les Poissons ,
les Insectes , les Reptiles , les Fleurs , les
Fruits , les Plantes et les Coquillages
pous
MAR S. 1733-
493
nous sont offerts dans le petit espace de
son Domaine. Enfin Corneille Poclenbourg
permet à Diane et à ses Nimphes de se
baigner devant nous , et Rotenhamer n'a
pas moins de complaisance.
Voilà , Monsieur , les douces illusions
que je ne cesse d'entretenir ; voilà les temedes
les plus efficaces que j'employe
pour détourner la mélancolie , qui pourroit
répandre sur mon esprit autant de
nuages que la triste saison de l'Hyver répand
autour de moi de Brouillars et de
Frimats. C'est ainsi que j'écarte l'ennui
de ma solitude je suis aidé par quelques:
Estampes que je viens de recevoir d'Allemagne
, le dessein et la gravure ne les
rendent pas recommandables . Qu'importe
? Elles m'ainusent par la variété des objets
qu'elles représentent , et, mon imagination
prend plaisir à finir ce qu'ellės:
n'ont fait qu'ébaucher ; je m'y promene
dans de vastes Jardins sans me lasser, j'en
parcours les Labyrintes sans m'égarer , je
m'y retire dans des Grottes dont je ne
crains pas que l'humidité m'incommode
; j'y vois de près les Ours et les Sangliers
sans redouter ni les Grifes des uns ,
ni les Deffenses meutrieres des autres; j'y
partage les travaux des Païsans de Souabe
sans me fatiguer , et leurs divertissemens
Sans
494 MERCURE
DE FRANCE
sans me compromettre
; enfin il me sems
ble ( n'est- ce pas ce que l'on peut penser
de plus flateur ? ) que je fais l'amour aux
plus jolies Bergeres sans avoir rien à
craindre , ni de la satire des envieux , ni
de la persécution des jaloux.
en Champagne , au mois de Decembre
1732. dans laquelle il est parlé des
Ouvrages de differens Peintres renammez.
E n'ai pas de meilleur moïen pour
prévenir les accès de l'ennui que de
me rappeller ces beaux jours dont nous
avons passé ensemble la plus grande
partie. Je me transporte en esprit auprès
de vous . Il me semble que nous allons encore
, avec M. le Chevalier Dorigny, voir
le riche Cabinet de M. de Julienne aux
Gobelins. L'esprit également rempli des
idées riantes , que nous ont données les
Ouvrages de Katean, et de celles lais
J ledeche de
que
D v sept
490 MERCURE DE FRANCE
•
sent les manieres gracieuses de l'illustre
Curieux qui travaille avec tant de succès
à l'immortaliser ; nous courons chercher
de nouveaux plaisirs chez M. d'Argenville.
Il nous ouvre le Porte - feü: lle qui
contient un grand nombre de desseins
Originaux des meilleurs Maîtres des
Païs bas. Alors je ne me crois plus renfermé
dans l'enceinte de son appartement.
Je me promene avec vous dans les agréa
bles Païsages de Brugbel. Herman Svavenwelt
nous conduit auprès des Ruines
et des Solitudes des environs de Rome ,
dans lesquelles il se retiroit pour étudier
plus tranquillement la nature. Fosse de
Mompré nous égare quelquefois dans de
vastes Déserts , er du Sommet d'un Montagne
escarpée , où son génie nous transport
, il nous fait découvrir une prodigieuse
étendue de Païs . Ici nous voïons
des Vallées profondes ; là des Forêts de
Chênes et de Sapins , qui les couvrent de
leur ombre ; un amas de Cabannes nous
présente un peu plus loin l'Image de la
retraite de l'Innocence .
ť
A quelque distance s'éleve un Château
, dont les Jardins délicieux s'étendent
jusqu'aux bords d'un Fleuve , qui
serpente en formant plusieurs Isles . Ne
diroit- on pas que ses Eaux portent l'abonMAR
S. 1733 . 491
bondance dans les Campagnes qu'il ar-
Fose , et qu'elles facilitent le commerce
d'un nombre de Villes et de Bourgades
qui se perdent dans l'éloignement ? A
peine sommes - nous descendus de la Mon
tagne de Mompré , que Bloemaert nous
invite à nous reposer avec ses Bergers.
Appuyez contre le Tronc noüeux d'un
vieux Chesne , nous les considerons quel
que- temps ; leur simplicité , leur candeur
nous disposent à trouver du plaisir dans
une Chaumine enfumée , dans laquelle
Rinbrant nous conduit.
Après que nous avons raisonné sur la
Phisionomie d'un vieux Pere de famille
qui fixe Pattention de son Epouse et de
ses Enfans , par la lecture qu'il leur fait ,
à la clarté d'une Lampe. D. Teniers , nous
tire de ce réduit , pour nous donner le
Spectacle d'une . Fête de Village, Pierre
de Laert , Brauver et Van Ostade , nous
font entrer au Cabaret : par bonheur malgré
ce qu'ils nous y montrent de divertissant
nous n'aimons pas à y rester autant
qu'eux ; nous sortons pour prendre
dans les Champs un plaisir plus digne de
nous. Bergheim nous le Procure ; nous
entendons le Bêlement de ses Brebis , et le
Mugissement de ses Boeufs , auprès d'une
Cascade qui se précipite à travers des Ro
Dvj chers
492 MERCURE DE FRANCE
chers qui ne paroissent accessibles qu'aux
Chévres qui vont y dépouiller les Buissons.
Cette vûë nous porte à d'agréables réveries
; mais tout à'coup nous voïons accourir
une troupe de Dames et de Cavaliers
, montez sur les plus beaux Chevaux
de l'Ecurie de Vanverman. Ils reviennent
ensemble de la Chasse ; nous
nous en appercevons aux Veneurs , aux
Fauconniers , aux Chiens , aux Оyseaux
de Proye , aux Valets chargez de Gibier ,
qui les suivent. Les Païsans sortent de
feurs Maisons pour admirer leur Equipage
leste et galant ; d'un côté les Meres
font remarquer à leurs Enfans la grosseur
énorme du Sanglier qui vient d'être
pris ; et d'un autre elles retirent avec
précipitation ceux qu'une curiosité témeraire
expose trop à la vivacité des
Chevaux .
Que dirai - je du Regal dont nous sommes
redevables aux attentions de Jean
Bol? Rien ne lui a échappé dans la nature
de tout ce qui pouvoit nous réjouir
la Chasse , la Pêche , les Occupations
, les Amusemens de la Campagne ,
les Oyseaux , les Animaux , les Poissons ,
les Insectes , les Reptiles , les Fleurs , les
Fruits , les Plantes et les Coquillages
pous
MAR S. 1733-
493
nous sont offerts dans le petit espace de
son Domaine. Enfin Corneille Poclenbourg
permet à Diane et à ses Nimphes de se
baigner devant nous , et Rotenhamer n'a
pas moins de complaisance.
Voilà , Monsieur , les douces illusions
que je ne cesse d'entretenir ; voilà les temedes
les plus efficaces que j'employe
pour détourner la mélancolie , qui pourroit
répandre sur mon esprit autant de
nuages que la triste saison de l'Hyver répand
autour de moi de Brouillars et de
Frimats. C'est ainsi que j'écarte l'ennui
de ma solitude je suis aidé par quelques:
Estampes que je viens de recevoir d'Allemagne
, le dessein et la gravure ne les
rendent pas recommandables . Qu'importe
? Elles m'ainusent par la variété des objets
qu'elles représentent , et, mon imagination
prend plaisir à finir ce qu'ellės:
n'ont fait qu'ébaucher ; je m'y promene
dans de vastes Jardins sans me lasser, j'en
parcours les Labyrintes sans m'égarer , je
m'y retire dans des Grottes dont je ne
crains pas que l'humidité m'incommode
; j'y vois de près les Ours et les Sangliers
sans redouter ni les Grifes des uns ,
ni les Deffenses meutrieres des autres; j'y
partage les travaux des Païsans de Souabe
sans me fatiguer , et leurs divertissemens
Sans
494 MERCURE
DE FRANCE
sans me compromettre
; enfin il me sems
ble ( n'est- ce pas ce que l'on peut penser
de plus flateur ? ) que je fais l'amour aux
plus jolies Bergeres sans avoir rien à
craindre , ni de la satire des envieux , ni
de la persécution des jaloux.
Lieu
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine
Provient d'un lieu