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Titre

LES SERMENS INDISCRETS, Comédie en Prose et en cinq Actes, de M. de Marivaux, representée pour la premiere fois au Théatre François, le 8 Juin.

Titre d'après la table

Les Sermens Indiscrets; Extraits,

Fait partie d'une section
Page de début
1408
Page de début dans la numérisation
597
Page de fin
1417
Page de fin dans la numérisation
606
Incipit

Cette Piéce a d'abord éprouvé le sort de beaucoup

Texte
LES SERMENS INDISCRETS
Comédie en Prose et en cing Actes , de
M. de Marivaux , representée pour la
premierefois au Théatre François , le &
Juin.
9
Cette Piéce a d'abord éprouvé le sort de
beaucoup d'autres; la premiere Représentation fût des plus tumultueuses , peutêtre auroit-elle été écoutée plus tranquille
ment , si elle avoit été donnée tout autre
jour qu'un Dimanche le Parterre des
jours de Fête est ordinairement plus impatient et plus turbulent que les autres ;
'Auteur en fit la triste expérience , et
quoique son dernier Acte fut le plus
beau , comme on l'a reconnu dans les
Représentations suivantes , on ne laissa
pas aux Acteurs la liberté de l'achever ;
le plus grand deffaut qu'on trouve dans
toute la Piéce , c'est de n'avoir pas assez.
d'action et trop d'esprit. Voici ce qui
concerne l'action..
Lucile , fille de M. Orgon , doit être mariée à Damis , fils de M. Ergaste. Ils ne se
sont jamais vûs , et d'ailleurs ils ont tous
deux une égale aversion pour le mariage.
Lucile paroît d'abord , écrivant une Lettre , qu'elle charge Lisette , sa Suivante
II. Vol. de
JUIN. 1732. 1409 •
de remettre entre les mains de Damis ,
dès qu'il sera arrivé. Lisette qui craint
que le changement d'état de sa Maîtresse
ne lui fasse perdre l'empire qu'elle a pris
sur elle , la confirme dans le dessein qu'elle a de ne perdre aucun engagement , et
de jouir autant qu'elle pourra de sa precieuse liberté..
Damis arrivé , Lucile se retire à son apa
proche , Lisette demeure pour s'acquitter de la commission que sa Maîtresse lui
a donnée. Elle est ravie d'apprendre que
le futur époux n'a pas moins d'aversion
pour tout ce qui s'appelle engagement ,
que sa future ; elle agit en Plénipotentiaire , et fait entendre à Damis que sa
Maîtresse se trouve heureusement dans
les mêmes dispositions que lui..
2
Lucile qui a écouté la conversation de
Damis et de Lisette , vient confirmer les
articles du Traité. Dámis la trouve si
belle , qu'il commence à se repentir en
secret de la résolution qu'il a formée
sans connoissance de cause ; la même cho--
se se passe à peu près dans le cœur de Lucile ; mais elle le cache avec plus de soin.-
Lisette qui a interêt à les faire perseverer
tous deux dans leur premiere résolution ,
les lie par un serment indiscret, et pourtant
réciproque. Damis , devenu jaloux aussi--
11. Vol, - Gay τον
1410 MERCURE DE FRANCE

tôt qu'amoureux , s'imagine que Lucile
n'auroit pas l'aversion qu'elle vient de lui
témoigner pour le mariage , si son cœur
n'avoit point d'engagement pour un autre que lui. Il craindroit de la rendre
malheureuse, s'il rompoit le serment qu'il
vient de lui faire , de rompre le mariage
que leurs Peres ont projetté sans les avoir
consultez ; c'est donc par probité qu'il
veut être fidele à son serment ; mais cette
probité se trouve un peu en deffaut dans
les nouvelles mesures qu'ils prennent
pour l'éxécution de leur dessein. Damis
promet de feindre de l'amour pour Phenice , stir cadette de Lucile ; on n'a pas
trouvé que cette feinte fût assez dans les
régles de l'honneur dont il paroît qu'il
se pique.
Le feint attachement de Damis pour
Phenice embarasse et afflige également
M. Orgon , et M. Ergaste ; le premier
est pere de Lucile et de Phenice , et l'autre eft pere de Damis. Frontin , qui s'est
acquis la même autorité sur Damis que
Lisette sur Lucile , se lie d'interêt avec
cette Suivante , et tous deux par le même motif se promettent de ne rien négli
ger pour empêcher le mariage de Damis
et de Lucile. Phenice , pour se disculper
envers sa sœur , vient dire à Frontin
II. Vol. en
JUIN 1732. 1411
en présence de Lisette , qu'elle ne veut
point absolument que Damis continue à
s'attacher à elle. Lisette se sert d'un artifice qui produit dans l'esprit de Phénice
l'effet qu'elle s'en eft promis. Elle lui dit
assez désobligemment qu'il n'y a point
de beauté qui ne doive baisser le pavillon devant celle de sa Maîtresse. Phenice
en a un dépit qu'elle ne peut dissimuler ,
et fait entendre, en se retirant,qu'on pourroit se repentir de l'injure qu'on vient
de lui faire. L'attachement que Damis
affecte pour Phenice , dérange le projet
d'hymen , dont M. Orgon et M. Ergaste
s'étoient flattez ; mais ils en forment un
nouveau pour se dédommager du mauvais succès du premier ; il n'y a , se disent-ils , pour former l'alliance que nous
avons concertée ensemble , qu'à changer
d'objet , et qu'à marier Damis avec Phenice , puisque leurs cœurs sont fait l'un
pour Fautre. Ce dernier projet n'est pas
plutôt arrangé qu'on travaille à le mettre
en éxécution. Damis et Lucile en sont
également allarmez ; Lucile par fierté le
fait moins paroître que son Amant, mais
elle en témoigne assez pour faire entendre à Lisette qu'elle est disgraciée , et
qu'elle pourroit bien être chassée. Frontin n'est point déconcerté , surtout de- H.Vol. G vj puis
1412 MERCURE DE FRANCE
2
puis qu'Ergaste lui a dit d'un ton ferme
que si son fils ne répare les chagrins qu'il
lui a causez par une prompte obéissance ,
il le punira , lui Frontin , des mauvais
conseils qu'il donne à son fils. Il lui commande de fui dire qu'il ne le verra jamais,,
et qu'il le desheritera , s'il n'épouse Phénice au deffaut de Lucile. Tous ces inconvéniens que Lisette et Frontin n'avoient pas prévus dans leur premiere
conspiration , les déterminent à changer
de batterie, et à contribuer de leur mieux
à ce même hymen qu'ils ont voulu empêcher ,, de sorte que cette même Lisette
qui avolt dit à M. Orgon , que Damis er
Lucile avoient un égal éloignement l'un
pour l'autre, est la plus ardente à faire
entendre tout le contraire ; elle fait plus
elle assûre Damis de l'amour que Lucile·
a pour lui. Damis doute de son bonheur ;.
Lisette acheve de le persuader. Frontin
lui porte un coup mortel , en lui disant
que son pere veut absolument qu'il épouse Phénice sur peine d'exheredation . II
ne sçait comment se tirer d'embarras avec
cette derniere , à qui Frontin et Lisette
ont déja annoncé qu'elle ne sert que de
prétexte ; elle en a d'abord été picquée au
-vif; mais pour son bonheur, ne s'étant pas
engagée trop avant avec ce feint Amant
·
11. Kol qui
JUIN 1732. 1413
Y
qui la joue , elle borne sa vengeance à lui
fire peur de l'hymen que son pere luiordonne. La scene qu'elle a avec lui fait
naître des incidens très- comiques. Elle lui
parle d'abord de son mariage avec lui comme d'une affaire conclue. Damis
loin d'en paroître embarrassé , lui dit
que c'est à elle à parer un coup si fatal'
-puisqu'elle lui à déja fait connoître
que son cœur est engagé ailleurs ;-
Phenice lui répond avec la même fer- meté affectée qu'elle ne lui a pas
dit alors ses véritables sentimens ; que
cet engagement prétendu dont elle lui
a parlé n'étoit qu'un prétexte pour ne
point déranger ce que son pere avoit réglé ; mais que depuis qu'elle a sçû qu'on
a résolu toute autre chose , elle n'a pas
Balancé à suivreson devoir , età le suivre
sans répugnance. Damis qui s'imagine.
qu'elle joue au plus fin avec lui , et qu'elle veut qu'il se charge lui-même de la
rupture de ce mariage , lui proteste qu'il
obeïra à son pere , et qu'il ne veut pas
courir le risque d'être desherité , en s'opposant à un établissement pour lequel il
ne se sent nulle répugnance. Pour le lui
mieux persuader, il lui dit qu'il n'est plus
temps de feindre , et qu'il l'aime veritablement il se jette à ses pieds pour
A
:
El Vol micux
1414 MERCURE DE FRANCE
mieux achever de la tromper et pour la
remercier de son obéissance à son pere;
M. Orgon et M. Ergaste le surprennent
dans cette posture suppliante ; ils en sont
charmez , et ne doutant point qu'ils ne
s'aiment , ils les quittent pour aller faire dresser le Contrat. Cet incident est suivi
d'un autre , qui fait encore plus de peine
à Damis ; il cesse de feindre, et suppliant.
Phénice de le tirer d'un si mauvais pas
il lui baise la main avec transport. Lucile arrive sur le champ , Damis se retire tout confus , la vindicative Phénice
jouit malignement de la jalousie de sa
sœur ; et après en avoir essuyé de vifs
reproches , elle se retire très - satisfaite
d'elle- même. Lisette vient porter un dernier coup à la jalousie de Lucile ; elle lui
avoue qu'elle s'est mépris: quand elle a
crû que Damis l'aimoit , et qu'elle a voulu le luii persuader; elle convient que Phénice en est aimée , et cet adroit mensonge n'est que pour l'obliger à lui avoüer
qu'elle aime Damis ; cet aveu décisif arrive enfin , il est même suivi d'une prie
re que sa Maîtresse est forcée de lui faire ,
d'aller trouver Damis , et de lui faire entendre qu'il estaimé , sans pourtant qu'il
paroisse qu'elle lui en ait fait confidence ,
encore moins qu'elle l'ait chargée de faire
11. Vol. une
JUIN. 1732. 1415
une démarche si humiliante pour sa fierté. Si l'Auteur eût encore voulu multiplier les incidens ingénieux , son esprit
n'eut pas manqué de ressources ; mais il
falloit enfin dénouer sa Piéce voici
comment il s'y prend dans son dernier
Acte.
Lucile , toujours persuadée que Damis
aime sa sœur , n'a point d'autre ressource
que de s'opposer à leur hymen ; elle se
plaint amérement à son pere de ce qu'il
lui fait l'injure de marier sa cadette avant
elle ; M. Orgon lui represente en bon pere l'injustice de sa plainte , d'autant mieux
qu'il n'a tenu qu'à elle d'accepter Damis
pour époux , et que Phénice ne reçoit sa
main qu'à son refus ; cette remontrance ,
toute juste qu'elle est , ne calme point
Lucile , elle dit à son pere qu'après l'affront qu'elle va essuyer , elle n'a point
d'autre parti à prendre qu'une clôture
éternelle. Phénice vient toute disposée à
finir le cours de sa petite vengeance ; l'amitié qu'elle a pour sa sœur ne peut souffrir qu'elle porte plus loin le ressentiment
qu'elle doit avoir du personnage qu'on
lui a fait jouer , en la faisant servir de
prétexte ; elle dit à Lucile qu'elle lui cede de bon cœur ce Damis avec qui il ne
tiendroit qu'à elle d'être unie ; l'esprit de
II. Vol. Lucile
1416 MERCURE DE FRANCE
Lucile est aigrie à un tel point , qu'elle
donne un mauvais sens à tout ce que sa
sœur lui peut dire de plus obligeant ;
Orgon ne sçachant plus comment mettre
d'accord ses deux filles , les quitte dans le
dessein d'achever le mariage concerté entre son ami Ergaste et lui , ce qui déses-
-pere de plus en plus la jalouse Lucile
elle accable sa sœur de reproches , dont
cette sœur maltraitée ne peut lui faire
sentir l'injustice. Damis arrive enfin , il
veut se retirer par respect , Phénice lui dic
d'approcher er lui ordonne de rendre
Hommage à son vainqueur , en se jettant
aux genoux de Lucile; cette scene qu'on
n'avoit point vûë à la premiere Représentation est jouée par ces trois Acteurs avec
toute la finesse et toute la précision qu'on
peut souhaitter au théatre ; Phénice rem
plit la fonction de médiatrice avec une
grace géneralement applaudie. Orgon et
Ergaste arrivent dans le dessein dé conclure le mariage entre Damis et Phénice ,
et sont agréablement surpris d'un changement auquel ils n'osoient s'attendre ,.
et qui remet toutes choses dans l'ordre
qu'ils s'étoient d'abord prescrit. Voilà
quelle est cette piéce qui a paruë d'abord
si mal reçûë , et qu'on n'a cessé d'applau--
dir depuis la seconde Représentation ; on
11.Vol. ne
JUIN. 17328 1417
ne désespere pas qu'elle n'ait dans la suite le sort de tant d'autres dont les commencemens ont été malheureux. Tous les
gens qui en jugent sans prévention conviennent qu'elle leur fait plaisir ; il est
vrai qu'ils souhaiteroient qu'il y eut plus
de consistance dans l'action , et moins.
d'expressions un peu trop recherchées.
dans le Dialogue ; en un mot, que l'esprit de l'Auteur fut moins abondant ;
c'est un défaut que d'avoir trop d'esprit ,
mais c'est un excès dont le reproche a
toujours quelque chose de flateur , et dont
on a bien de la peine à se corriger au
reste, on n'a guére mis au Théatre François de Piéce mieux jouée que celle-ci
le sieur Quinault l'aîné , la Elle Quinault,
sa sœur , parfaitement secondée des Dlle
Dangeville et Gossin , et de leurs autres
camarades , y brillent à qui mieux mieux,
et remplissent l'attente des Spectateurs
les plus difficiles et les plus délicats.
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Soumis par delpedroa le