Titre
HUITIÈME Lettre écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta.
Titre d'après la table
Huitiéme Lettre sur Oran et Ceuta,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
292
Page de début dans la numérisation
321
Page de fin
298
Page de fin dans la numérisation
327
Incipit
Je continue, Monsieur, dans la Lettre que je me donne aujourd'hui l'honneur de vous écrire,
Texte
HUITIE' ME Lettre écrite par
M. D. L. R. à M. le Marquis de B.
au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta .
J
E continue , Monsieur , dans la Lettre que je
me donne aujourd'hui l'honneur de vous écri
re , et je compte achever le Memoire Historique
que j'ai commencé au sujet de la Ville de Ceuta.
Nous avons laissé cette Ville sous la domination
des Maures ; mais à la veille d'être conquise par
un Monarque Chrétien ; il faut commencer par
vous rendre compte de cet Evenement qui doit
tenir un rang considerable dans les Annales de
la Religion , et dans les Révolutions du XV .
Siecle.
*
Jean I. Roy de Portugal , surnommé Pere de
la Patrie , cut cinq fils de son Mariage avec Philippe
de Lancastre , sçavoir , Edouard , Pierre ,
Henri , Jean et Fernand . Quand les trois ainez
de ces Princes curent atteint un certain âge , le
Roy , charmé de leurs belles qualitez , pour les
faire entrer plus glorieusement dans la carriere de
la vertu militaire , résolut de les armer lui - même
Chevalier , avec toute la solemnité qu'exigeoit
une telle Ceremonie. On en faisoit déja les préparatifs,
qui mettoient tout le Royaume en mouyement
, lorsque le Grand- Trésorier de Portu-
5262-
* Philippe de Lancastre étoit fille de Jean ,
nommé le Grand , Duc de Lancastre et de Blanche
sa premiere femme , soeur de Henry IV, Roy d'Angleterre.
gal,
1
FEVRIER. 1733. 253
gal , chargé de faire les fonds de cette dépense ,
vint trouver le Roy , et comme bon oeconome ,
bon serviteur , excellent Ministre , lui tint un de
ces discours , tels qu'en a tenu long- temps après
en France un parfait Ministre de votre Sang à
P'un de nos plus grands Rois.
L'Endroit le plus pathétique de ce Discours ;
et le mieux touché , fut de soutenir que la dépense
de cette Chevalerie seroit immense , et
qu'il en coûteroit moins de prendre une Place sur
les Maures ajoûtant que l'Expedition seroit plus
glorieuse et plus utile à la Religion et à l'Etat
et qu'après un tel Exploit rien n'empêcheroit
d'armer les Princes Chevaliers , la Céremonie
devenant alors , pour ainsi - dire , autorisée , juste
et plus convenable en toutes manieres.
Le Discours qui contenoit un avis si important
, plut au Roy , et l'avis d'attaquer les Maures
ayant été proposé au Conseil , il fut résolu
de leur enlever la Ville de Ceuta , comme la
Place qui étoit le plus à la bienséance des Portugais
, et qui pouvoit ouvrir le chemin à d'autres
Conquêtes. On délibera en même temps que
l'entreprise seroit tenue secrette , et qu'en faisant
les préparatifs on publieroit , pour amuser les
Maures , que l'Armement regardoit le Duc de
Bretagne , contre qui la Couronne de Portugal
avoit en effet des prétentions , et on fit sçavoir
secretement à ce Prince qu'il n'avoit rien
craindre.
Tout étant prêt pour mettre à la voile , le Roy
et les trois Princes ses Enfans , après s'être préparez
par des Actes de Religion , s'embarquerent
sur une Flote des mieux équipées , laquelle vint
heureusement moniller au Port de Barbasote , à
E l'Ouest .
294 MERCURE DE FRANCE
P'Ouest de Ceuta le 14. d'Août * de l'année 1415.
Les Maures , malgré leur surprise , s'opposerent
tant qu'ils purent à la descente , se deffendirent
au- dehors et en - dedans de la Place avec toute la
valeur possible ; mais enfin ils ne purent résister
à la bravoure des Portugais , animez par la présence
et par l'exemple du Roy et des Princes qui
se signalerent au-delà de toute expression. La
Victoire et la Place leur demeurerent , et rien nẹ
parut plus juste que de faire au retour la Céremonic
proposée avant l'Expedition de Ceuta, duë,
sans doute , avec son heureux succès , aux conseils
éclairez d'un sage Ministre. C'est ainsi que
Ceuta fut démembré du Royaume de Fez et de
la Province de Stabat , pour être unie à la
Couronne de Portugal.
Cette Couronne a toûjours possedé cette Place,
malgré diverses tentatives des Maures pour la
reprendre , jusqu'en l'année 1580. temps auquel
Philippe II . Roy d'Espagne , acheva de réduire
tout le Portugal sous son obéissance. Ce Prince
eut la précaution de mettre à Ceuta un Gouver
neur Espagnol , à cause de l'importance de la
Place , précaution dont les Espagnols sentirent
P'utilité en l'année 1640. lors de la Révolution
de Portugal , qui secoua le joug de l'Espagne , et
se déclara pour la Maison de Bragance. Les Gouverneurs
Espagnols ayant toujours été continuez
à Ceuta , celui qui l'étoit alors se maințint dans
son poste, et demeura fidele à son Maître , fidelité
* Quelques Historiens marquent que le Roy et les
Princes jeûnerent rigoureusement ce jour l'à , veille
de l'Assomption de la sainte Vierge , et d'autres ,
qu'ils ne mangerent qu'après la réduction de la
Place,
qui
FEVRIER. 1733. 295
qui a mérité d'être confirmée par le Traité de
1658. fait entre les deux Couronnes , en vertu
duquel la Ville de Ceuta a été cedée à l'Espagne.
Vous jugez bien , Monsieur , qu'après la prise
de la Ville par le Roy Jean , le Christianisme y
triompha bien-tôt du Mahometisme. On établit
à Ceuta une principale Eglise avec un College de
Chanoines , sous le titre de Cathedrale , parce
qu'on forma un Evêché des Villes de Tanger et
deCeuta,dont le nouvel Evêque devint Suffragant
de l'Archevêque de Lisbonne. Aujourd'hui que
Tanger est retombé au pouvoir des Maures, après
avoir été possedé par les Anglois , et que Ceuta
est unie à la Monarchie d'Espagne , on a changé
cette disposition Ecclesiastique. Ceuta seule est
érigée en Evêché suffragant de l'Archevêché de
Séville , et c'est le Roy qui fournit les revenus de
F'Evêque et de son Chapitre.
: Il est surprenant , au reste , qu'une Place aussi
importante par sa situation , aussi nécessaire au
Roy de Maroc et de Fez , Prince puissant , et
dont les Etats sont d'une si vaste étenduë , il est ,
dis-je , surprenant qu'une telle Place démembrée
d'une Monarchie Mahométane, et qui lui est contigue
du côté du Levant , ait pû se maintenir jusqu'à
présent sous la domination d'un Prince
Chrétien , dont les Etats sont séparez par la Mer.
Il est encore aussi surprenant qu'après un Siege
de plus de quarante années , les Maures soient
aussi peu avancez devant cette Place qua le premier
jour qu'ils l'ont investie.
4
- Ce Siege commença d'être formé en l'année
1690. sous le Regne de Mouley- Ismaël , Roy
de Maroc , & c. et sous le commandement de
l'Alcaide Ali Ben Abdala , Gouverneur de Tanger
et de Tetuan. Ce Commandant , après une
E ij somⓇ
296 MERCURE DE FRANCE
sommation inutile de rendre la Place , campa
autour , fit ouvrir la Tranchée et les autres dispositions
convenables, Mais il fut bien- tôt déconcerté
par la valeur des Espagnols , qui firent
des sorties heureuses et tuerent beaucoup de
monde aux Ennemis. Ceux-cy tenterent ensuite
de faire des Mines , puis l'escalade des murailles,
et enfin ils se contenterent de jetter quelques
Bombes dans la Ville , le tout sans aucun succès.
Cependant les Lettres menaçantes du Roy de
Maroc , tenoient toujours le General Ali devant
Ceuta , mais un nouveau Gouverneur Espagnol
de cette Place imagina un stratagême qui le déconcerta
, et fit retirer l'Armée des Infideles.
Comme il faisoit faire plusieurs sorties en un
même jour , à chaque sortie il habilloit differem .
ment les mêmes Soldats , tantôt de rouge , tantôt
de bleu , et tantôt de blanc. Rien ne décou
rageoit davantage les Maures , qui croyoient
avoir toujours à combattre contre des Troupes
fraîches ; de sorte qu'après avoir perdu bien du
monde ils abandonnerent enfin leurs Tranchées
et leverent honteusement le Siege.
Je n'entrerai point , Monsieur , dans le détail
des autres entreprises des Maures contre la mê→
me Ville qui ont suivi sous differens Regnés et
sous differens Generaux. Ce détail seroit immen¬
se , Sieges , Blocus , Combats , Escarmouches
&c. toujours au desavantage des Infideles qui
ont continué de faire paroître une grande ignorance
dans l'Art Militaire , sur tout dans celui
d'attaquer les Places , et souvent beaucoup de lâ–
cheté. Ensorte qu'à moins d'une į trahison ( ou
d'une surprise , il n'y a aucune apparence que les
Maures reprennent jamais la Ville de Ceuta.
L'occasion d'une trahison s'est présentée dans
FEVRIER. 1733. 297
ees derniers temps , et je crois , Monsieur , vous
en avoir touché quelque chose dans une de mes
Lettres. Vous vous rappellez , sans doute , ce que
je vous ai marqué de l'infidélité de Riperda , lequel
après avoir été Secretaire d'Etat , puis illus
tré de la dignité de Duc , * quoiqu'étranger , mit
le comble à ses trahisons , en prenant l'année
derniere 1732. des engagemens avec le Roy de
Maroc, et en embrassant le Mahometisme.
Presque dans le même temps les Algeriens
ayant perdu Oran et Marsalquibir , ils
envoyerent une Ambassade au Roy de Maroc ,
pour lui demander des secours , celui , du moins,
d'une diversion en leur faveur , en redoublant ses
efforts pour enlever enfin la Ville de Ceuta aux
Espagnols. Un nouveau Siege de cette Place fut
aussi- tôt résolu , et le Roy Maure en donna le
commandement à Ali- Pacha , avec Riperda pour
Adjoint et pour Directeur du Siege. Celui - cy
promit beaucoup , et les Infideles ne douterent
du succès de l'entreprise. pas
Ils parurent en effet bien - tôt à la vûë de Ceuta
jusqu'au nombre de 7. ou 8000. hommes , au
rapport de quelques Esclaves fugitifs , avec de.
PArtillerie et prêts à faire les dispositions du
Siege. Mais le Gouverneur Espagnol ne leur donna
pas le temps
de les commencer , par la vigou
reuse sortie qu'il fit sur les Ennemis le matin du
17. Octobre dernier , sous le commandement de
D. Joseph d'Arambaru , Brigadier et Capitaine
des Gardes Espagnoles.
Les Maures furent attaquez et chargez avec
tant de valeur et tant de conduite , qu'ils furent
d'abord contraints d'abandonner leurs postes et
* Riperda est originaire de Hollande.
E iij de
&
298 MERCURE DE FRANCE
de se retirer au Fort de leur Camp , où ils furene
poursuivis et mis en déroute , le Pacha même
prenant la fuite. Enfin malgré quelque ralliment
et quelque résistance de la part des Maures , on
combla toutes leurs tranchées , on détruisit leurs
Ouvrages , et on enleva quantité de munitions
sans compter les Prisonniers et quelques Etendarts.
La perte a été grande du côté des Infideles
et peu considerable du côté des Espagnols.
>
•
C'est ainsi , Monsieur , que le Ciel a continué
de favoriser les pieux desseins et les Armes de
S. M. C. lesquelles ont glorieusement triomphé
presque en même temps en deux differens endroits
de l'Affrique ; car après cette action du 17.
Octobre devant Ceuta , la Garnison d'Oran eut
comme vous sçavez , le même succès et remporta
une pareille victoire contre les Maures qui en
avoient entrepris le Siege , dans les actions du
21. et du 23. du mois de Novembre. Les principaux
Etendarts des Maures pris devant les deux
Places furent dabord arborez dans le Palais
Royal de Séville , le Roy n'étant pas encore en
état de sortir de ses Appartemens , et après les
actions de graces particulieres rendues dans la
Chapelle du Palais , ces mêmes Etendarts furent
déposez dans l'Eglise Métropolitaine , où l'on
rendit à Dieu des actions de graces plus solemnelles
pour les deux victoires , ce qui a été pareillement
executé par toute l'Espagne.
la
J'espère, Monsieur,que le retour du Printemps,
Popiniâtreté des Maures et d'autres circonstances,
donneront lieu à de nouveaux évenemens , que
protection du Ciel continuera de rendre favora
bles à la Chrétienté.Je ne manquerai pas de vous
en rendre un fidele compte en cas que vous soyez
absent deParis. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, &c.
A Paris le 15 Janvier 1733•
M. D. L. R. à M. le Marquis de B.
au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta .
J
E continue , Monsieur , dans la Lettre que je
me donne aujourd'hui l'honneur de vous écri
re , et je compte achever le Memoire Historique
que j'ai commencé au sujet de la Ville de Ceuta.
Nous avons laissé cette Ville sous la domination
des Maures ; mais à la veille d'être conquise par
un Monarque Chrétien ; il faut commencer par
vous rendre compte de cet Evenement qui doit
tenir un rang considerable dans les Annales de
la Religion , et dans les Révolutions du XV .
Siecle.
*
Jean I. Roy de Portugal , surnommé Pere de
la Patrie , cut cinq fils de son Mariage avec Philippe
de Lancastre , sçavoir , Edouard , Pierre ,
Henri , Jean et Fernand . Quand les trois ainez
de ces Princes curent atteint un certain âge , le
Roy , charmé de leurs belles qualitez , pour les
faire entrer plus glorieusement dans la carriere de
la vertu militaire , résolut de les armer lui - même
Chevalier , avec toute la solemnité qu'exigeoit
une telle Ceremonie. On en faisoit déja les préparatifs,
qui mettoient tout le Royaume en mouyement
, lorsque le Grand- Trésorier de Portu-
5262-
* Philippe de Lancastre étoit fille de Jean ,
nommé le Grand , Duc de Lancastre et de Blanche
sa premiere femme , soeur de Henry IV, Roy d'Angleterre.
gal,
1
FEVRIER. 1733. 253
gal , chargé de faire les fonds de cette dépense ,
vint trouver le Roy , et comme bon oeconome ,
bon serviteur , excellent Ministre , lui tint un de
ces discours , tels qu'en a tenu long- temps après
en France un parfait Ministre de votre Sang à
P'un de nos plus grands Rois.
L'Endroit le plus pathétique de ce Discours ;
et le mieux touché , fut de soutenir que la dépense
de cette Chevalerie seroit immense , et
qu'il en coûteroit moins de prendre une Place sur
les Maures ajoûtant que l'Expedition seroit plus
glorieuse et plus utile à la Religion et à l'Etat
et qu'après un tel Exploit rien n'empêcheroit
d'armer les Princes Chevaliers , la Céremonie
devenant alors , pour ainsi - dire , autorisée , juste
et plus convenable en toutes manieres.
Le Discours qui contenoit un avis si important
, plut au Roy , et l'avis d'attaquer les Maures
ayant été proposé au Conseil , il fut résolu
de leur enlever la Ville de Ceuta , comme la
Place qui étoit le plus à la bienséance des Portugais
, et qui pouvoit ouvrir le chemin à d'autres
Conquêtes. On délibera en même temps que
l'entreprise seroit tenue secrette , et qu'en faisant
les préparatifs on publieroit , pour amuser les
Maures , que l'Armement regardoit le Duc de
Bretagne , contre qui la Couronne de Portugal
avoit en effet des prétentions , et on fit sçavoir
secretement à ce Prince qu'il n'avoit rien
craindre.
Tout étant prêt pour mettre à la voile , le Roy
et les trois Princes ses Enfans , après s'être préparez
par des Actes de Religion , s'embarquerent
sur une Flote des mieux équipées , laquelle vint
heureusement moniller au Port de Barbasote , à
E l'Ouest .
294 MERCURE DE FRANCE
P'Ouest de Ceuta le 14. d'Août * de l'année 1415.
Les Maures , malgré leur surprise , s'opposerent
tant qu'ils purent à la descente , se deffendirent
au- dehors et en - dedans de la Place avec toute la
valeur possible ; mais enfin ils ne purent résister
à la bravoure des Portugais , animez par la présence
et par l'exemple du Roy et des Princes qui
se signalerent au-delà de toute expression. La
Victoire et la Place leur demeurerent , et rien nẹ
parut plus juste que de faire au retour la Céremonic
proposée avant l'Expedition de Ceuta, duë,
sans doute , avec son heureux succès , aux conseils
éclairez d'un sage Ministre. C'est ainsi que
Ceuta fut démembré du Royaume de Fez et de
la Province de Stabat , pour être unie à la
Couronne de Portugal.
Cette Couronne a toûjours possedé cette Place,
malgré diverses tentatives des Maures pour la
reprendre , jusqu'en l'année 1580. temps auquel
Philippe II . Roy d'Espagne , acheva de réduire
tout le Portugal sous son obéissance. Ce Prince
eut la précaution de mettre à Ceuta un Gouver
neur Espagnol , à cause de l'importance de la
Place , précaution dont les Espagnols sentirent
P'utilité en l'année 1640. lors de la Révolution
de Portugal , qui secoua le joug de l'Espagne , et
se déclara pour la Maison de Bragance. Les Gouverneurs
Espagnols ayant toujours été continuez
à Ceuta , celui qui l'étoit alors se maințint dans
son poste, et demeura fidele à son Maître , fidelité
* Quelques Historiens marquent que le Roy et les
Princes jeûnerent rigoureusement ce jour l'à , veille
de l'Assomption de la sainte Vierge , et d'autres ,
qu'ils ne mangerent qu'après la réduction de la
Place,
qui
FEVRIER. 1733. 295
qui a mérité d'être confirmée par le Traité de
1658. fait entre les deux Couronnes , en vertu
duquel la Ville de Ceuta a été cedée à l'Espagne.
Vous jugez bien , Monsieur , qu'après la prise
de la Ville par le Roy Jean , le Christianisme y
triompha bien-tôt du Mahometisme. On établit
à Ceuta une principale Eglise avec un College de
Chanoines , sous le titre de Cathedrale , parce
qu'on forma un Evêché des Villes de Tanger et
deCeuta,dont le nouvel Evêque devint Suffragant
de l'Archevêque de Lisbonne. Aujourd'hui que
Tanger est retombé au pouvoir des Maures, après
avoir été possedé par les Anglois , et que Ceuta
est unie à la Monarchie d'Espagne , on a changé
cette disposition Ecclesiastique. Ceuta seule est
érigée en Evêché suffragant de l'Archevêché de
Séville , et c'est le Roy qui fournit les revenus de
F'Evêque et de son Chapitre.
: Il est surprenant , au reste , qu'une Place aussi
importante par sa situation , aussi nécessaire au
Roy de Maroc et de Fez , Prince puissant , et
dont les Etats sont d'une si vaste étenduë , il est ,
dis-je , surprenant qu'une telle Place démembrée
d'une Monarchie Mahométane, et qui lui est contigue
du côté du Levant , ait pû se maintenir jusqu'à
présent sous la domination d'un Prince
Chrétien , dont les Etats sont séparez par la Mer.
Il est encore aussi surprenant qu'après un Siege
de plus de quarante années , les Maures soient
aussi peu avancez devant cette Place qua le premier
jour qu'ils l'ont investie.
4
- Ce Siege commença d'être formé en l'année
1690. sous le Regne de Mouley- Ismaël , Roy
de Maroc , & c. et sous le commandement de
l'Alcaide Ali Ben Abdala , Gouverneur de Tanger
et de Tetuan. Ce Commandant , après une
E ij somⓇ
296 MERCURE DE FRANCE
sommation inutile de rendre la Place , campa
autour , fit ouvrir la Tranchée et les autres dispositions
convenables, Mais il fut bien- tôt déconcerté
par la valeur des Espagnols , qui firent
des sorties heureuses et tuerent beaucoup de
monde aux Ennemis. Ceux-cy tenterent ensuite
de faire des Mines , puis l'escalade des murailles,
et enfin ils se contenterent de jetter quelques
Bombes dans la Ville , le tout sans aucun succès.
Cependant les Lettres menaçantes du Roy de
Maroc , tenoient toujours le General Ali devant
Ceuta , mais un nouveau Gouverneur Espagnol
de cette Place imagina un stratagême qui le déconcerta
, et fit retirer l'Armée des Infideles.
Comme il faisoit faire plusieurs sorties en un
même jour , à chaque sortie il habilloit differem .
ment les mêmes Soldats , tantôt de rouge , tantôt
de bleu , et tantôt de blanc. Rien ne décou
rageoit davantage les Maures , qui croyoient
avoir toujours à combattre contre des Troupes
fraîches ; de sorte qu'après avoir perdu bien du
monde ils abandonnerent enfin leurs Tranchées
et leverent honteusement le Siege.
Je n'entrerai point , Monsieur , dans le détail
des autres entreprises des Maures contre la mê→
me Ville qui ont suivi sous differens Regnés et
sous differens Generaux. Ce détail seroit immen¬
se , Sieges , Blocus , Combats , Escarmouches
&c. toujours au desavantage des Infideles qui
ont continué de faire paroître une grande ignorance
dans l'Art Militaire , sur tout dans celui
d'attaquer les Places , et souvent beaucoup de lâ–
cheté. Ensorte qu'à moins d'une į trahison ( ou
d'une surprise , il n'y a aucune apparence que les
Maures reprennent jamais la Ville de Ceuta.
L'occasion d'une trahison s'est présentée dans
FEVRIER. 1733. 297
ees derniers temps , et je crois , Monsieur , vous
en avoir touché quelque chose dans une de mes
Lettres. Vous vous rappellez , sans doute , ce que
je vous ai marqué de l'infidélité de Riperda , lequel
après avoir été Secretaire d'Etat , puis illus
tré de la dignité de Duc , * quoiqu'étranger , mit
le comble à ses trahisons , en prenant l'année
derniere 1732. des engagemens avec le Roy de
Maroc, et en embrassant le Mahometisme.
Presque dans le même temps les Algeriens
ayant perdu Oran et Marsalquibir , ils
envoyerent une Ambassade au Roy de Maroc ,
pour lui demander des secours , celui , du moins,
d'une diversion en leur faveur , en redoublant ses
efforts pour enlever enfin la Ville de Ceuta aux
Espagnols. Un nouveau Siege de cette Place fut
aussi- tôt résolu , et le Roy Maure en donna le
commandement à Ali- Pacha , avec Riperda pour
Adjoint et pour Directeur du Siege. Celui - cy
promit beaucoup , et les Infideles ne douterent
du succès de l'entreprise. pas
Ils parurent en effet bien - tôt à la vûë de Ceuta
jusqu'au nombre de 7. ou 8000. hommes , au
rapport de quelques Esclaves fugitifs , avec de.
PArtillerie et prêts à faire les dispositions du
Siege. Mais le Gouverneur Espagnol ne leur donna
pas le temps
de les commencer , par la vigou
reuse sortie qu'il fit sur les Ennemis le matin du
17. Octobre dernier , sous le commandement de
D. Joseph d'Arambaru , Brigadier et Capitaine
des Gardes Espagnoles.
Les Maures furent attaquez et chargez avec
tant de valeur et tant de conduite , qu'ils furent
d'abord contraints d'abandonner leurs postes et
* Riperda est originaire de Hollande.
E iij de
&
298 MERCURE DE FRANCE
de se retirer au Fort de leur Camp , où ils furene
poursuivis et mis en déroute , le Pacha même
prenant la fuite. Enfin malgré quelque ralliment
et quelque résistance de la part des Maures , on
combla toutes leurs tranchées , on détruisit leurs
Ouvrages , et on enleva quantité de munitions
sans compter les Prisonniers et quelques Etendarts.
La perte a été grande du côté des Infideles
et peu considerable du côté des Espagnols.
>
•
C'est ainsi , Monsieur , que le Ciel a continué
de favoriser les pieux desseins et les Armes de
S. M. C. lesquelles ont glorieusement triomphé
presque en même temps en deux differens endroits
de l'Affrique ; car après cette action du 17.
Octobre devant Ceuta , la Garnison d'Oran eut
comme vous sçavez , le même succès et remporta
une pareille victoire contre les Maures qui en
avoient entrepris le Siege , dans les actions du
21. et du 23. du mois de Novembre. Les principaux
Etendarts des Maures pris devant les deux
Places furent dabord arborez dans le Palais
Royal de Séville , le Roy n'étant pas encore en
état de sortir de ses Appartemens , et après les
actions de graces particulieres rendues dans la
Chapelle du Palais , ces mêmes Etendarts furent
déposez dans l'Eglise Métropolitaine , où l'on
rendit à Dieu des actions de graces plus solemnelles
pour les deux victoires , ce qui a été pareillement
executé par toute l'Espagne.
la
J'espère, Monsieur,que le retour du Printemps,
Popiniâtreté des Maures et d'autres circonstances,
donneront lieu à de nouveaux évenemens , que
protection du Ciel continuera de rendre favora
bles à la Chrétienté.Je ne manquerai pas de vous
en rendre un fidele compte en cas que vous soyez
absent deParis. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, &c.
A Paris le 15 Janvier 1733•
Signature
A Paris le 15 Janvier 1733.
Lieu
Date, calendrier grégorien
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine
Constitue la suite d'un autre texte
Est probablement rédigé par une personne
Provient d'un lieu