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1790, 04, n. 14-17 (3, 10, 17, 24 avril)
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23.60 Mo
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537
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
COMPOSÉ & rédigé , quant à la partie littéraire , par
MM. MARMONTEL , DE LA HARPE & CHAMFORT
, tous trois de l'Académie Françoife ; &
par M. IMBERT , ancien Editeur : quant à la
partie hiftorique & politique , par M. MALLET
DU PAN, Citoyen de Genève.
SAMEDI 3
AVRIL
1790.
A
PARIS ,
Au Burean du Mercure , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , No. 18 .
Avec Privilége du Roi.
THE NEW YO“
PUBLIC LIBRART A B
335351
BLE
Du mois de Mars
I-79 0.
TILDEN FOUNDAT.s
ASTOR, LEPOX D
1003
T ERS.
Suite de la Veillée.
Lettre de l'Abbé Rayna!. ´ 15
Variétés, 32
40
Charade, Enig. & Logog. 14 Théatre de la Nation.
EXPITRE.
Charade, En. Log.
Voyage. 57
49 Effai fur l'Hiftoire.
55 Acad. Roy. de Mufiq.
Théatre de la Nation .
83
3
94
91
Le Réveil d'Epimenide.
Ames Camarades .
Traduction,
8 Théatre Italien.
27 Pétition des Juifs. 115
98 l'Amour & Psyché.
119
100 Lucrèce. 125
Diogène & Glycère. 102 Variétés. 133
Charade , En . Log. 113 Theatre de Monfieur.
Chanfon.
A Paris , de l'Imprimerie de MOUTARDA
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni.
MERCURE
DE FRANCE.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN. PROSE.
MA PROFESSION DE FOI EN CUISINE ,
Epitre à ma Coufine ( 1 ).¸
ENFIN , mon aimable Coufine ,
J'ai rencontré cette Ifabeau ,
Cette Virtuofe en cuiſine ;
Son talent fans doute eft fort beau
Pour dédommager de fa mine ,
Que je n'ai pas vue auffi fine
Que dans votre indulgent tableau.
On m'affure que l'Ifabelle
Entend fort bien le fricandeau ,
Et le civet , & la rouelle ;
(1) Nous avons cru que ce badinage , cette folie, fi l'on
veut ,ne paroîtroit pas hors de propos dans les circonstances
préfentes , qui femblent amener le befoin de dérider un
peu les Mules Fraugoifes
A
THE
MERCURE
PUBLIC
1
Qu'elle fait faire à l'a'oyau
Une fauce toute nouvelle :
On dit fur- tout que fon talent
Eclate principalement
>
Dans les poulets en fiicaflée ....
Ce point arrête ma pensée.
Hélas ! facile à prévenir ,
Sans en demander davantage
A mon fort je viens de l'unir
Pour vingt & quatre écus de gage.
Ainfi je vais couler mon temps
A l'abri de ma Cuifinière .
La blanquette & la buyandière
Me diftrairont quelques inftans.
Je fais qu'un préjugé barbare
A toujours fiétri ces deux plats ;
Mon choix aux hommes délicats
Paroîtra bourgeois & bizarre ;
Mais moi', qui n'en rougirai pas ,
Dans mon très -modefte ménage
Libre , paifible & bien foigné ,
Je vais vivre & manger en fage
De deux plats , & pas davantage ,
Mais où rien ne foit épargné .
Fi de cette chair importune
Qui femble nourrir par-·les yeux !
Faifons comme nos bons aïeux ,
Qui du pot & de fa fortune
,
Vivoient bien , & s'en portoient mieux ;
DE FRANCE.
Chaffons à jamais de nos tables
Ces plats favamment déteftables ,
Enfans du luxe & de l'orgueil ,
Qui fort agréables à l'oeil ,
A l'eftema : infupportables ,
Nous acheminent au cercueil
Par des coliques honorables.
J'aime mieux un tendie gigot
Qui fans pompe & fans écalage ,
Se montre avec un entourage
De laitue ou de haricot."
Gigot , recevez mon´hommage :
Souvent j'ai dédaigné pour vous ,
Chez la Baronne ou la Marquife ,
La poularde la plus exquiſe ,
Et même la perdrix aux choux.
J'ai vu dévorer fans envies ,
Er des pâtés de Périgueux
Et des coulis ingénieux "
>
Et les têtes les mieux farcies ;
Heureux & mille fois heureux
"
Quand un Cuifinier trop barbare ,
Par un artifice bizarre ,
Ne vous cachoit pas à mes yeux
Je le déclare fans ryſtère :
Je ne fais rien dire à demi ;
!
Oui , jufqu'au bout de ma carrière ,
Gigot , vous ferez mon ami.
A 3
MERCURE
í
Mais foyons juftes ; Dieu me garde
De vouloir jarais outrager
Des chofes bonnes à manger !
Je rends juftice à la poularde ,
Et je refpecte un bon canard :
Un levreau bien piqué de lard
Eft une chofe auffi fort bonne ;
Car il ne faut fâcher perfonne ;
Et jamais le fiel n'affaiſonne
Mes écrits fimples & fans fard.
Mais en tout j'aime la Nature ;
Je blâme fans rémiffions
Ces dangereufes mixtions ,
Ces fauces à prétentions ,
Et ces viandes qu'on défigure
Par de folles inventions.
Je prévois bien que mes maximes
Seront de véritables crimes
Aux yeux des favans marmitons ;
Qu'ils vont crier au facrilege ....
Le Cuisinier François , ô Ciel !
N'eft-il pas un livre immortel ?
Le Roi féant en fon Confeil
A pourtant mis fon privilége
A ce livre fi criminel ...
Je le fais ; mais j'ai le courage ,
Dûr tout Paris crier haro ,
De n'en pas moins blâmer l'ouvrage :
Vitam impendere verò,
DE FRANCE. 7
Je vous ai fait , belle Coufine ,
Dans cet écrit audacieux
L'aveu , peut- être dangereux ,
De mes fentimens en cuifine .
Je me fuis mis à découvert
Aux regards feuls de mon amie
Mais vous pouvez à l'univers
Dire le fecret de ma vie ;
Je faurai braver les caquets
De ces empoisonneurs à gage
Dont j'ai dévoilé les forfaits.
Non , je ne changerai jamais
De goût , non plus que de langage.
Je n'ajouterai plus qu'un mot :
Jufques à mon heure dernière
J'eftimerai la buyandière ,
Et je défendrai le gigot.
Et vous auffi , belle Parente 3
Sur une amitié bien conftante ,
Comptez au moins jufqu'au trépas ;
A vos pieds je fais la promeffe
De ne prodiguer ma tendreſſe
Qu'à vous ſeule entre mes repas.
Par M. Berchoux aîné.
A 4
8
MERCURE
CHAN SON
Sur la convalefcence d'une jeune perfonne.
Air Chantez, danfez , amufez-vous.
LE bonheur fuyoit de ces lieux ,
Et nous daiffoit dans les alarmes ;
Le jour n'offroit plus à nos yeux
Que d'éternels fujets de lares ;
Et nous étions en danger tous ,
Puifque de trait tomboit.fur vous.
Le frère en vous voyoit fa foeur ,
Chaque mère perdoit la fille ,
Et pour pleurer dans ce malheur
L'on ne formoit qu'une famille .
Soyez contens , parens heureux ;
Le Ciel enfin comble nos veux.
Pour exprimer notre bonheur ,
Il me faudroit, en traits de flamme,
Peindre ce que fent notre coeur ;
Mais pour talent , je n'ai qu'une ame .
L'efprit a befoin d'ornement ,
Il n'en faut pas au fentiment.
( Par M. le Prince Baris de Galiwin. )
έ
EE FRANCE.
LA VEILLÉE ,
4. Hiftoire.
Ce fut aufli à peu de frais , dit Olympe. ,
que je fus heureufe moi-même toute cette
belle faifon , la dernière , hélas ! que ton
père devoit paller dans ce féjour , où il fe
plaif it tant !
Ces mots furent fuivis de quelques momens
de filence ; & un nuage de triftefle fe
répandoit dans la foci'cé. Olympe , qui s'en
apperçut , voulue le diliper: elle reprit
ainfi .
Ma fille vous a dit que Suzanne avoit
deux enfans , le frère de lait de ma fille ,
Marcellin , le plus éveillé des garçons du
Village , & Louife , fa foeur aînée. Louifeétoit
jolie ; mais elle avoit fur- tout un air
de candeur , d'innocence , qui laiffoit voir
toute fon ame , comme à travers une glace
pure . Si on vouloit peindre l'Ingénuité ,
on lui donneroit ce regard. On voyoi que
Pid'e de diffimulation étoit étrangère à
Louife : le menfonge n'avoit jamais terni
fon heureux naurel ; & la vérité fur fos
lèvres, fembloit n'attendre, pour s'échapper,.
que le foufle de la par le. De tous les caraftè
es de la beauté dans er ferante ,
c'eft à mon gré le plus touchant . Aufli
A f
ΤΟ MERCURE
Louife , en paroiffant dans le Village de
Verval y fit- elle bien des conquêtes .
Je donnois à danfer tous les Dimanches
dans la cour du Château ; & au milieu de la
jeuneffe que les violons y raffembloient ,
Louife , fans s'appercevoir qu'elle fût diftinguće
, attiroit tous les yeux. Mais fon aimable
molestie lui faifoit pardonner , même
par fes compagnes , la gloire de les effacer :
car l'envie n'eft pas toujours auſſi injuſte
qu'on le penfe, & les avantages qui la
bleffent , font le plus fouvent ceux dont on
fait vanité. Loin de fe prévaloir des hers
pour hamilier fes compagnes , Louiſe avoit
toujours l'air de s'oublier feule , & de céder
aux autres les hommages qu'on lui
adreffoit. A dire vrai , tous ces hommages
la touchoient peu ; & entre vingt rivaux
que je voyois , timidement empreffés autour
d'elle , fe difputer le bonheur de lui
plaire , un fea! obtenoit quelquefois la
faveur d'un fourire , ou celle d'un regard
doucement prolongé. C'étoit le jeune Eloi ,
le fils aîné de mon Fermier , l'exemple du
Village pour les vertus de fon état , dont
il avoit la plus noble idée . Je l'avois vu
quelquefois au travail ; il étoit glorieux de
mener la chartue. Vous auriez dit qu'il
cominandoit à la terre d'être féconde ; &
lorfqu'il arrivoit , debout fur fon chariot
chargé de gerbes , la tête haute , le regard
affuré , l'air triomphant, vous auriez dit
qu'il fe eroyoit fur le trône de l'abondance.
DE FRANCË.
1
M. de Verval l'avoit pris en amitié ; & ,
en félicitant fon père : Vincent , lui difoit-
il , vous êtes un brave homme , un bon
Cultivateur ; mais votre fils vous vaudra
bien . A cet éloge , Eloi , férieux & mo .
defte , baiffoit la tête & la relevoit fièrement.
Tel étoit l'Amant de Louife !
Au Village , comme à la Ville , la malice
& la jalousie on: les yeux pénétrans. Bientôt
on s'apperçut & l'on le dit tout bas ,
que le choix de Louife étoit fait dans fon
coeur , & qu'Eloi feroit préféré . Ce bruit
vint jufqu'à moi ; & je fis appeler Louife.
Ma fille , lui dis-je , on m'apprend que
votre modeftie , votre bon naturel , furtout
les tendres foins que vous rendez à vos
parens vous font chérir dans le Village , &
font fouhaiter à toutes les mères de vous
donner pour époufs à leurs fils . Elles font
bien boines , Madame , de penfer à moi ,
me dit- elle. Mais vous , Louife , ne feriez
-vous flattée de rendre heureuſe aucune
de ces mères ? Après la mienne , celle à qui
je fouhaite le plus de bien , Madame ,
-
la bonne Auguftine , la femme de ve
Fermier. Elle me fait tant d'amitiés ! - J'en
fuis bien aife. Et fon mari ? - Ah Madame
, l'excellent homme ! Ils ont one
fille de votre âge ? Oui , Made , Cécile
; c'est ma meilleure amie . Elle a un
frère, qui , quoique jeune , eft déjà un homme
eftimable. Oui , Madame , bien eftimable
( & , à ces mots , deux belles rofes s'épa
A G
-
MERCURE
-
--
nouirent fur les deux joues ). On dit ,
Louife , qu'il vous cftime auffi beaucoup.
Il me femble qu'oui , Madame , & je
le crois. Mais , Louife , à votre âge, lorf
qu'on s'eftime tant ,, on n'eft pas loin de
s'aimer.Oh non , Madame , on n'en eft
pas loin , & dès que nos parens voudront
bien le permettre , nous y fommes tout
difpofés. Vos parens favent- ils ce que
vous penfez l'un de l'autre ? Certainement
, Madame : je l'ai dit à mi mere ; je
n'ai rien de caché pour elle. Et lui , dès la
troisième fois que nous danfions enſemble ,
dans la cour du Château, ne confia-t- il pas fon
fecret à fon père ? Tencz , mon père , lui ditil
, en lui paffant le bras autour du cou , remarquez
cette jeune fille : ce fera votre bru ,
ou bien vous n'en aurez jamais . Le bon
père fousit en me regardant , & lui dit :
Rien ne preife ; encore quelques moiffons ,
& nous verrons cela . Er- Suzanne , qu'en
penfe -t- elle ? Que je ne fuis pas affez riche,
& que Vincent voudra du bien.
Copendant
, dices- vous , Eloi a déclaré
qu'il
ne
vouloit
que vous
pour
ferame
. -Oui
, mais
fifon
père commande
, il faudra
qu'il obéiſſe
,
& je fçaurai
bien
l'y obliger
. N'obéiroisje
pas à mon
père , à ma mère
, s'ils difpofcient
de moi ?
Jefus , comme vous croyez bien , fatisfaire
de ce dialogne , & je le rép tỏi à M.
de Verval , Laiffez - moi , me dit-il , commer
la négociation. Je veux d'abordsperle , à
DE FRANCE. 13.
Baptife. Il l'alla voir à fon moulin . Baptifte ,
lui dit- il , favez vous que votre fille & le
fils du Fermier ont un pour l'autre beaucoup
d'eftime ? Vraiment oui , dit Baptifle ,
de certe , eftime , dent M. le Curé feroit
bien vire de l'amour. Je l'ai dit au Fermier.
Il m'a répondu qu'à leur âge lamour étoit
rde garde , & que deux ou trois ans , au lieu
ide le gâter , le mûriroient & le rendroient
meilleur Le vrai , Monfieur le Comte ,
ajouta Baptifte , c'eft que Vincent , avant de
marier fon fils , veut s'affurer d'un nouveau
bail. Il voit que dans tout le pays le prix
des baux augmente confidérablement . Il
penfe bien que vous allez faire -monter celui
de votre ferme, il a des envieux ; ils
ne manqueront pas de renchérir fur lui ; &
c'est là ce qui l'inquiète. Vincent doit bien
favoir , dir . M. de Verval , que je ne fuis.
pas unArabe , & il le vit le lenderna n .
Eh bien , lui dit-il , la récolte nous promet-
elle d'etre bonne ? Elle promet , dit le
Fermier ; mais elle eft fi forvent trompeufe !
quelquefois à la veille d'une belle moiffon ,
un vent , un orage , une grêle ravage tout.
En vérité , le pauvre Laboureur , en fe donnant
bien de la peine , en a fouvent bien
peu defruit. Cependant , reprit mon masi ,
le prix des baux augmente ; & j'efpère bien
que celui que nous allons renouveler ..
Ah ! Monfieur le Comte , épargnicz - nous. "
Vous êpes fi jufle , & fi bon vous venez
d'enrichir une honnéte famille , n en ruinez
14 MERCURE
pas une qui jufqu'à préfent vous a fervi de
fi bon coeur. Tu veux parler de Baptiſte mon
Meunier , reprit le Comte ; & tu me fais
penfer que fa fille & ton fils ont de l'amitié
l'un pour l'autre. Hélas , oui , dit le bon
Fermier ; mais le moyen d'expofer fes enfans
au malheur d'en avoir eux- mêmes , lorfque
l'on n'a rien d'affuré ? Tu parles en
bon père & en homme ,fage , reprit le
Comte. Mais , Vincent , fi un nouveau bail
de neuf ans t'affuroit ma ferme au prix du
bail courant ; & fi un autre bail , pour la
dot de Louiſe , te l'affuroit neufans encore
au même prix ? .... Ah ! le plus généreux
des hommes , s'écria le Fermier , difpofez
de mon fils : les baux & le contrat , je fignerai
tout à la fois.
Tout eft conclu , me dit le Comte en revenant
: j'ai la parole des deux pères ; &
pour cela je n'ai promis que ce que j'aurois
fait fans cela. Je n'avois nulle envie affurément
d'ajouter ma propre avarice à celle
de la terre , qui vend déjà fi chérement fes
dons aux pauvres laboureurs . Mais puifqu'enfin
c'eft pour eux un bienfait que de les laiffer
dans l'aiſance , j'ai cru pouvoir y faire participer
Louife & enrichir ma ferme de
deux heureux de plus.
Ma fille , à l'inftant même , en alla porter
la nouvelle à Suzanne . Mais Vincent
l'avoit devancée ; & Juliette trouva au moulin
les deux familles raffemblées , les deux
amans fe regardant l'un autre avec des yeux
DE FRANCE. Is
humides de tendreffe & de joie , les pères
fe ferrant la main , les mères s'embrallant
& Marcellin , lui feul , d'un air pensif &
trifte , retiré dans un coin & regardant Cécile
, qui , la tête appuyée fur l'épaule de
Louife , n'ofoit regarderMarcellin .
Ma fille avoit été frappée de ce tableau.
Elle vint me le peindre ; & je dis en moimême
: Voilà encore un mariage à faire ;
mais ceci n'eft pas fi preffé , Matcellin n'a
que dix-fept ans.
Le lendemain , Suzanne vint fe jeter à
mes genoux ; & après l'effufion de ſa reconnoiffance
, Eh bien , Madame , le croirez-
vous , me dit- elle ? Ma joie , toute vive
qu'elle eft dans ce moment , n'eft pas fans
amertume . Ce perit fou de Marcellin fe
défole de voir marier fa foeur avant lui. S'il
ne s'agit que d'être amoureux , il l'eft , ditil
, mille fois plus de Cécile , la foeur d'Eloi
, qu'Eloi ne l'eft de Louife fa foeur. J'ai
voulu me moquer de lui ; mais il m'a dit
qu'au lieu de rire je pleurerois bientôt d'avoir
défefpéré ce pauvre Marcellin , qui
aimoit tant fon père & fa mère ; & , en
fondant en lanes , il eft retourné au travail.
Il faut le confoler , lui dis -je . Que ce
foit lui qui demain matin m'apporte la
crême du déjeûner .
Il arriva fi pâle & fi abattu , que j'en
cus pitié. Eft- ce toi , Marcellin , lui dis-je ?
Je fuis bien aife de te voir. Mais tu n'as
16
MERCURE
-- --
pas l'air au content & aulli gai que de
coutume. Non , me dit-il , Madame , il n'y
a plus de gaîté pour moi. On veut que je
fois trifle, & ce n'eft pas ma fanre , car je
ne demandois pas mieux que de me réjouir.
Qu'est ce donc qui t'afflige ?
Vous le voyez , Madame , c'eft ma foeur
qu'on marie ; on s'empreffe à la rendre heureufe
; & moi , on me rebute , on m'oublie
, on me luiffe là , moi , le frère de lait
de Mademoifcle Juliette ! Ah , Madame ! il
m'eft bien crul de voir que , pour ma
foeur , on me dérobe vos bontés ! -Non ,
Marcellin , tu auras ton tour. Mais tu es fi
jeune encore ! -Hélas , oui , je fuis jeune ,
on me le dit fans ceffe ; mais pour fe marier
faut - il être fi vieux : Jai , Madame ,
vous le favez , neuf mois plus que Madsmoifelle.
Et demandez fi du matin au foir
à la vigne , au moulin , par-tour , je ne fais
pas e travail d'un homme. Ce n'eft pas
quand je mets li min à la hone , à la bêche
, ni quand j'enlève comme une plume
un fac de blé, qu'on me croit un enfant.-
Je fais que tu es faberieux , & que tu fouliges
ton père. Mon père ? Ah ! je me
vante qu'il auroit bientôt pu fe repofer ,
fi j'avois en le coeur content. Mais , Madafi
vous faviez comme le chagrin rompt
les bras ! Et quand j'aurai perde la fanté ,
Je courage , qui l'aidera , ce pauvre père ?
E ma nie! Vorez , Madame , quand fa
file Paura quée , voyez-la feule daps
me ,
DE FRANCE. 17
6
י
fon moulin , ayant toute la peine , tout le
foin du ménage ! Au lieu que fi elle avoit
une jeune bru qui feroit là , comme fa fille ,
elle n'auroit qu'à lui ordonner. Cécile , ayez
foin du troupeau ; Cécile , cueillez la laitue ;
Cécile allez porter le lait & la crême au
Château; faites ceci , faites cela , puis telle
chofe & puis telle autre ; & Cécile , toujours
obéiffante , careffante , empreffée à
lui plaire , à la fervir ! & moi , revenant
le foir de l'ouvrage , & trouvant pour me
-délaffer une femme agréable , qui me diroit :
Viens , mon ami , viens te repofer près de
moi. Quel bonheur ! quelle différence ! d'y
penfer feulement cela me fait treffaillir de
coeur. C'eft donc Cécile , la fille du Fermier
, que tu voudrois donner pour compagne
là ta mère ? -Qui , Madame ; & qui
donc On ne m'avoit pas dit que tu
étois épris de Cécile. Vraiment , je le
crois bien . Eft : ce qu'on penfe à moi ? Eftsce
qu'on en dit quelque chofe ? - Tulecachois
peut-être.- Oh ! mon dieu , non ; je
Fai dit à tout le Village. Et Cécile ? Atelle
pour toi la même inclination — La
même , non ; mais cela commence . D'abord
toutes les fois qu'elle me voit paffer devant
la Ferme , un petit falut d'amitié : Ou
vas-u , Marcellin ? D'où viens - tu , Mar-
-cellin ? Vous penfez bien , Madame , qu'on
ne fait pas cette faveur à tout le monde .
Et puis , ce nom de Marcellin a dans fa
bouche un fon.fi doux , fi gracieux ! on di-


--
18 MERCURE
}
J
-
roit que les lèvres fe plaifent à le careffer.
Oh ! fi , de fon côté , l'amour n'eft pas venu
encore , il n'eft pas loin , j'en fuis bien für.
D'ailleurs c'eft mon affaire . Qu'on me la
donne feulement , le refte me regarde. Je
l'aime tant qu'il y aura du malheur , fi je
ne m'en fais pas aimer. Mais , Marcelfin
, Cécile a deux ans plus que toi.
Tant
mieux , Madame ! elle en fera plus raiſon-
· nable ; & , ſi je ne le fuis pas affez , elle le
fera pour nous deux. Son père aura bien
de la peine à lui donner un mari auffi jeune!
Oui , c'eft là ce que dit ma mère.
Mais fi Monſeigneur le vouloit bien , il
n'auroit qu'à dire deux mots. Tenez , Madame
, fi j'étois que de lui , je ferois venir
les deux pères , & je dirois à mon Meunier:
Baptifte , es-tu content de ton fils Marcel-
Jin ? Oui , Monſeigneur , diroit mon père :
cela promet de valoir quelque chofe ; cela
travaille de bonne volonté ; cela n'a point
de vices ; cela fait comme on doit chérir
fes père & mère , & comme on doit aimer
fa femme & fes enfans ; cela doit faire
un bon mari. Et toi , Vincent , dirois - je ,
ne penfes-tu pas bientôt à marier ta fille ?
Voilà un gendre fous ta main ; troc pour
troc , les foeurs & les frères , rien de plus
naturel; & les deux mariages ne feroient
qu'une noce. Qu'en penfes - tu? - Ah ! Monfieur
le Comte , Marcellin eft bien jeune !-
Bon ! laiffe dire les envieux , les médifans :
jeuneffe n'eft pas vice . Marcellin eft honDE
FRANCE. 19
nête , il est laborieux , & c'eft ce qu'il
faut en ménage . Ecoute , Vincent , fi tu
veux , je fais pour lui tout de même que
pour Eloi , je paffe , en faveur de Baptifte &
de fon fils , un bail à vie du petit Domaine
de la Cafcade ; & voilà ta fille nichée ; &
voilà le moulin peuplé d'une couvée de
petits Vignerons & de petits Meuniers ,
que protégeront mes enfans. Eh bien , Madame
, je gagerois que les deux pères con--
fentiroient , & rendroient graces à Monfeigneur.
Tu t'expliques fort bien , lui disje.
Va-t-en , & fois tranquille ; je parlerai
pour toi.
-
Il a raiſon , dit mon mari , quand je lui
contai certe fcène : le bail à vie eft juftement
ce que je m'étois propoſé ; & j'entends
bien que de père en fils le moulin foit
leur héritage. Voilà pour nous encore un
moyen bien facile de faire deux heureux ;
il ne m'en coute rien que le repas de noce .
Vous , Madame , ayez la bonté de prendre
foin des deux trouffeaux ; & vous , ma fille ,
quand votre mère fera le trouffeau de Cécile
, fouvenez-vous que Marcellin a été fevré
à neuf mois.
Le bail fut donc figné le lendemain.
Mais la célébration des mariages fut différée
de quelques jours , pour une cauſe dont on
nous fit myſtère.
A ces mots , le Curé du Village , qui
étoit préfent , vouloit fe retirer. Olympe le
retint , & continua fon récit.
20 MERCURE
Au même autel , à la même heure , les
deux foeurs , les deux frères furent unis . La
noce en fut commune. Le feftin fe fit au
Château ; nous y invitâmes tout le Village ; F
& le fpectacle du bonheur des époux & des
deux familles fut ce qu'il y eut de moins
touchant.
Ce bon Vieillard venoit de les bénir ; il
fur aflis entre les deux mères, leurs filles
étoient auprès d'elles , & vis- à- vis étoient
les deux époux , chacun à côté de fon père .
Dès que tout le monde eut pris place , &
que nous cûmes entouré la table du banquet
( car notre cercle étoit nombreux )
Vincent , avec une dignité villageoife qui
nous imprima le refpect , fe leva & dit ces
paroles :
Mes amis, ce bienheureux jour, que deux
bons pères ont choisi pour unir leurs enfans,
n'eft pas feulement une fête pour deux fa
milles ; c'eft une fête pour le Village ; c'eſt
notre fêre à tous tant que nous fommes.
Il y a aujourd'hui cinquante ans, que notre
bon Pafteur , cet homme vénérable , notre
ami , l'ami de nos pères , l'ami de nos aïeux ,
qui nous a prefque tous vu naître , qui
nous a reçus dans fes bras au moment de
notre naiffance , qui depuis a veillé fur nous
comme un fidèle & bon Paſteur , il y a
aujourd'hui cinquante ans qu'il eft venu fe
mettre à la tête de fon troupeau ; & , dans
l'efpace de tant d'années , il n'a pas lai é
paffer un jour fans nous faire du bien.
DE FRANCE. 21
Arbitre & conciliateur de tous les démêlés
de la commune & de chaque famille , il
a appaifé mille plaintes & n'en a excité aucune
; il a terminé mille procès & n'en a
jamais eu aucun : les malheureux n'ont jamais
eu de plus tendre confolateur , ni les
pauvres un meilleur père. Enfin , il y a
cinquante ans que fes leçons & fes exemples
nous enfeignent à vivre en amis & en´
gens de bien. C'eft fon amour pour nous ,
d'eft notre amour pour lui , c'eft cette manière
d'alliance religieufe & fainte qui fe
renouvelle aujourd'hui ; c'eſt à la noce de la
Paroiffe que nous vous avons invités. Puifle-'
t-elle attirer les bénédictions du Ciel fur
le mariage de nos enfans !
Quel fur, à ce difcours, l'attendriffement
de tout le Village & le nôtre , c'eft ce que
je ne puis exprimer. Ah ! qu'il vive encore
cinquante ans , s'il eft poffible , s'écrioit-on,
le faint homme ,, le digne & vertueux Pafteur
qui n'a jamais fait que du bien !
Ah ! Madame, ceffez , s'écria- t-il ! —Non,
non , je veux tout dire . Plus attendzi lui-même
que vous ne le voyez ( car ceci n'eſt
qu'un fouvenir) , le bon Vieillard étoit comme
abîné dans fon humble reconnoiflance . Ses
deux mains couvroient fon vifage , & des
ruiffeaux de larmes couloient entre les doigts.
De temps en temps il regardoit le Ciel , foit
pour lui rapporter ce tribut de louanges ,
foit pour lui préfenter , lui recommander
fes enfans.
22 MERCURE
Que vous dirai - je enfin ? cet incident inopiné
fe faifit tellement de tous les efprits
& de toutes les ames , que les nouveaux
époux s'oublièrent eux-même. Les pères & les
mères ne penfoient plus à leurs enfans . Suzanne
regardoit de temps en temps Louiſe ,
mais c'étoit pour la voir fenfible au triomphe
de la vertu . Quant à moi , mon émotion
fut telle en ce moment, que je ne crois
pas avoir éprouvé de ma vie une impreffion
de bonheur plus vive & plus délicieuſe ;
& , fi les violons n'étoient pas venus ramener
l'enjouement & réveiller la joie , chacun
fe feroit retiré de la noce en plearan
Mais M. le Curé fut le premier à porter
fanté des époux , des pères & mères ; & il
n'oublia pas la nôtre . Le vin égaya les efprits,
le chant rendit la fcène encore plus
animée & plus riante ; & la danſe , au fortir
de table , acheva la révolution. >
Par M. Marmontel. )
la
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Foibleſſe , celui
de l'Enigme eft Oni ; & celui du Logogriphe
eft Misère , où l'on trouve Eris , Sire ,
Emir , Mer , Ire, Semer , Merife , Ros, Se ,
Me, Ere, Rime, Si, Ré, Mi.
DE FRANCE.
23
CHARADE.
JE vois la Liberté rouler fur mon premier ;
A l'État obéré je porte mon dernier ;
Tout mauvais citoyen doit brouter mon entier.
Par M. Verlhac , Capitaine Aide- Major
de la Garde Nationale de Brive.
JE
ÉNIG ME.
E fuis un meuble néceſſaire ,
Principalement en hiver ;
Prenez-moi dans un fens contraire ;
Et je fais dégaîner le fer.
Par le même.
LOGO GRIPHE.
JE fuis avec cinq pieds un piteux animal ;
De mes peines fouvent c'eft le terme fatal.
Avec deux de mes pieds j'entretiens la molleffe ,
Et fans moi maint Auteur va puiſer au Permefle.
Changeant un de ces pieds , je foutiens ta ſtructure
Mes deux extrémités font d'un temps la meſure :
Quatre pieds au Printemps me font - Reine des fleurs ;
Sans mon tout renversé bien froids font les Auteurs.
( Par un Abonné. )
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES de Mde. la Princeffe de G*** ,
écrites à fes amis , pendant le cours de
fes voyages d'Italie en 1779 & années
fuivantes. 2 Vol. in- 12 . A Paris ,
Duplain , Libraire , Cour da Commerce ,
rue de l'ancienne Comédie Françoife.
chez
1
Nous avons une foule de Voyages d'Italie ,
dont la plupart font des copies les uns
des autres ; & il y a tel homme ” , qui
fe croyant obligé de faire un livre , parce
qu'il a voyagé dans la patrie des Arts
imprime , non pas ce qu'il a vu & ce qu'il
a fenti , mais ce qu'il a lu dans d'autres
Voyageurs . C'eft ce qu'on ne dira pas de
ces Lettres . L'Auteur paroît avoir écrit à
mefare que les objets la frappeient . Ils ré
veillent en elle des fontimens & des idées ,
Elte a le befoin de les répandie & une
grande facilité à les exprimer avec zefpric
& imagination, dans toute la liberté du com- )
nierce épiftolaire, & toute la confiance de
l'amitié. Ses deferiptions font VIVES
quelquefois brillantes , toujours agréa-
J
bles
,
>
DE
25'
FRANCE.
"
.
3
bles , & leur multiplicité inévitable augmente
le mérite de la variété dans les formes
& le ton . On trouve peu de ces Lettres
où il n'y ait des traits ingénieux , des traits
de fentiment , des expreffions heureufes.
L'Auteur s'ennuie à Bologne : « Je n'aime
point la Nature en hiftoire , & encore
» moins en pétrifications ; tout cela ne
» dit rien à mon coeur & le glace . Heu-
» reufement les Beaux Arts font venus à
» mon fecours . Sans eux je ne fais trop ce
» que j'aurois fait de mon ennui , car il
commençoit à paroître ; je le chaffois
par refpect pour la ſcience . Mais j'avois
» beau le chaffer ; l'ennui eft comme le
» fommeil ; c'eft le fommeil du plaifir ;
plus on le chaffe , plus il accable ». Elle
écrit de Padoue : » J'erre autour des tombeaux
; les êtres vivans que je rencontre
difent fi peu de chofe à mon coeur &
» à mon efprit , que je vais chercher les
» morts. Leurs cendres me parlent davan
» tage. Je viens de voir à Arquata , à
quelques milles de Padoue , celui de l'im-
» mortel Pétrarque . Ce tendre Poëte y eft
» couronné de lauriers . Pourquoi n'avoir
» pas mêlé des myrtes à cette couronne ?
" il eft vrai que le myrte eft l'arbre de la
» vie & non celui de la mort. Maïs Pé-
" trarque eft-il mort ?
33
33
"3
n
La defcription de Venile eft d'une touche
forte qui peut étonner dans une
N°. 14. 3 Avril 1790.
B
26
MERCURE
femme , & qui fait croire que Mde. la
P. de G. fait monter fon efprit & fon ſtyle
à tous les fujets.
22
22
32
33
ور
» Mon étonnement va toujours en croîffant.
Tout frappe ici mes fens d'une
manière nouvelle. J'habite les ondes , &
, c'eft dans un palais magnifique. Je ne vois
plus dans la Nature que le ciel,& l'élément
majeftueux qui m'environe . Tout a dif
paru ; je n'apperçois par-tout que l'ou-
» vrage des hommes ; ils règnent feuls
ici. Les animaux les plus gais , les plus
aimables n'y trouvent plus d'afile; le papil
lon & la fauvette fuient dans les airs ;
» ils ne s'arrêten : ni fur les fleurs , ni fur
,, le feuillage , & l'onde a pris la place
» de la verte prairie , L'homme lui-même ,
» privé des couleurs de la Nature , fem-
» ble l'avoir oubliée , il n'eft plus fenfble
à fes, beautés; & voulant auffi s'oublier
lui-même, il cache les traits qu'elle
» lui donna, fous un inafque qui devient fa
figure pendant fix mois de l'année ; on
diroit qu'il eft honteux d'être homme.
» Seroit - ce pour voiler fon ame , qu'il
» cache ainfi les traits de fon vifage la
pour qu'il a de lui même me le feroit
croire. Dans le fein du vaſte élément qu'il
» a choif pour la demeure , & dont il
s'eft rendu maître avec tant de hardieffe
» s'eft lié lui-même avec des chaînes
" de fer , en voulant pourtant être libre.
ود
"2
22
१२
1
".
2
DE FRANCE. 27
33
"
D
33
ود
و ر
Voilà de plaifans Républicains ! La liberté
& le courage font pour eux ce
qu'eft la vertu & la chafteté pour les
» courtifanes. Mais favez-vous où on trou-
» ve la force , la hardieffe & la grandeur
républicaine fur la toile & dans le
marbre. On pourroit prefque dire que les
Artiftes ont été ici les vrais Républicains,
puifqu'ils ont fu donner une forte de
gloie à cette République , en élevant
» dans la Capitale des monumens de magnificence
, qui , joints au merveilleux de
" fa -fituation , en font la plus étonnante
ville du monde. Ainfi le génie a fait
» pour l'orgueil te qu'il auroit dû faire
» pour le bonheur , & la verru ; mais il
a fait ces prodiges en parlant à l'ame
les fens. Ge langage fur tout eft bien
éloquent dans les temples ; le marbre
» & la toile y refpirent ; leur expreffion
communique à l'ame l'enthoufiafme
qui l'a produite . Les Italiens ont bien
" raifon d'être dévots ; leurs temples fone
» fi impofans , fi magnifiques , les fens
font fiheureux , que l'on devient dévot
fans s'en appercevoir. Le pauvre y va
» au moins oublier fa chaumière , & fe
" diftraire de fa mifère , en contemplant
" des chef- d'oeuvres dont fes fens lui
donnent la propriété.
" par
כ
33
"
"
د
Le mérite de la diction eft toujours trèsremarquable
chez un Auteur qui n'écrit pas
BA
28 MERCURE
و ر
dans fon idiome naturel ; mais il l'eft id
d'autant plus qu'on y diftingue des nuan
ces d'une fingulière delicateffe. J'ai vu ce
» matin le palais du Roi , il n'a guère
» l'air royal ; c'eft un grand édifice fans
aucune décoration extérieure , & qui a
l'air ancien fans avoir l'air antique «
Voilà ce qu'on appelle un fynonyme par
faitement indiqué. Ce qui a l'air ancien
ne montre que l'ouvrage du temps ; ce qui
a l'air antique montre celui de l'Art qui
imité la belle Nature & le bon goût de l'any
tiquité. Il faut pardonner à la critique de
he pas manquer une occafion d'inftruire
fans cela je me ferois bien gardé de définis
ce que Mde. la P. de G. laiffe fi agréable
ment à deviner. Elle laiffe percer de temps
en temps fa prédilection pour fa Patrie ,
& fans doute on ne lui en fera pas un reproche
, Voici un paffage bien contraire à
de vieux préjugés trop répandus fur l'ef
pèce d'efclavage où l'on a fuppofé longtemps
que les Italiennes étoient condamnées,
préjugés détruits aujourd'hui , il est vrai ,
foit que les voyageurs ayent été mieux
inftruits , foit que les moeurs ayent changé.
L'Italie eft la patrie des femmes;
c'eft là qu'elles font chéries & refpectées ,
que la loi les protège , les favorife , &
» que les hommes , loin d'exercer fur
elles un empire dur & tyrannique , baifent
les chaînes avec lefquelles nous les
" lions ".
»
DE FRANCE. 29
0
Ceux qui ont pris à la lettre ce qu'on
a répété fi fouvent , que la France étoit
le paradis des femmes , feront un peu
étonnés de ce que dit ici Mde . la P. de
G ***. Il eft pourtant très vrai qu'il n'y a
point de pays en Europe où les femme
foient en effet plus généralement libres &
heureufes qu'en Italie. L'Auteur ne traite
pas trop bien celles de Paris , ni la fociété
de cette capitale.
و و
>
Pourquoi cette Nation Françoife f
» aimable & fi brillante , a- t - elle changé de
" caractère ? Que je regrette fa franchiſe ,
fa loyauté , la gaîté , & même fa frivo
» lité qu'elle a abandonnée pour une philofophie
adolefcente qui ne va point au
bonheur , & pour une raifon qui les empêche
de rire ! On devient gauche lorfque
l'on quitte fon naturel ; & leur efprit
à préfent n'eft plus qu'une raiſon
" ornée. Quel dommage !
22
"
>
x
Si une femme ouvre la bouche , au
» lieu de répandre des fleurs & des graces,
au lieu d'une narration où régneroit l'ai-
" mable défordre de l'imagination c'eft
» une deſcription méthodique froide
>
" qui ne vous montre ni les chofes ni les
hommes , tableau dont les figures mamquent
de vie & de couleur ; le fentiment
meurt en fortant de leur bouche
& leur imagination éteinte fait de l'efprit
un perfonnage aufli grave , auffi
ور
B 3
MERCURE
3
22
29
férieux
que la raifon. Peignent elles les
plaifirs champêtres , ou les horreurs d'un
» naufrage , ce font les mêmes couleurs
» les mêmes nuances , les mêmes ombres ;
» leurs accens , leurs yeux , leurs geftes ,
» l'inflexion de leur voix , & leurs expref
» fions ne changent ni ne varient avec le
fujet ; on croiroit , à les veir , que c'eſt
toujours la même chofe qu'elles racontent.
Leur organifation eft pen délicate.
» J'ai même trouvé en elles notre fexe un
pen effacé leur phyfionomie a du carác
tère , mais ce n'eft pas celui des femmes.
Ce font des rraits fortement deflinés
mais peu délicats ; la vivacité eſt
dans leurs yeux , l'expreffion du fentiment
y manque ; elles ont la voix forte
mais elles cachent ce défaut en parlant
bas. Sans cet artifice on croiroit quelquefois
entendre la voix d'un homme ;
elles font en général grandes , bien fai-
» tes , fveltes , & poffèdent par excellence
» l'art de s'embellir & celui des Graces.
"
33
>
}
Elles ne m'ont pourtant pas paru coquer-
» tes il m'a femblé , au contraire , voir
dans leurs yeux qu'elles regardent la coquetterie
comme une perte de temps.
Quelques -unes ont auffi , comme certains
Philofophes , leur athéifine ; elles ne
croient plus à l'amour , & n'ayant pas le
coeur de leur Amant à étudier , elles
étudient le corps humain. Cette fcience
» a pour elles quelque chofe de plus réel ;
DE FRANCE.
34
» le défaut ou le dégoût de la fenfibilité
» fait courir aux objets phyfiques.
D'abord , qu'est-ce donc que l'efprit , fi
ce n'eft pas la raifon ornée ? & puis ,
toutes ces qualifications générales font par
elles mêmes très - fufpectes d'injuftice . En
fuppofant que l'Auteur ait toujours bien
obfervé , il s'enfuivroit feulement que tel
étoit le plus grand nombre des femmes
qu'elle a rencontrées , & cela même n'eſt
guère croyable , vu l'efpèce de fociété
qu'elle devoir voir , & qui devoit être en
général la mieux élevée . Ce qu'elle dit de
leur voix forte ne tient- il pas à ce que l'accent
de la langue Italienné et plus doux que
celui de la nôtre ? Tous les reproches contenus
dans cet article font à peu près ceux
que Rouffeau énonçoit bien plus durement
dans fon Héloïfe ; je ne les crois pas deftitués
de tout fondement , mais fort exas
gérés. Il eft vrai que les Françoiſes ont communément
plus de vivacité que de douceur
mais il eft rare que parmi celles qui ont
reçu de l'éducation & ce font celles - là
qu'il faut juger ) , cette vivacité aille juſqu'à
la dureté. Plufieurs ont un fon de voix fi
doux qu'on ne croit pas qu'il foit poffible
de tromper avec un tel parler ; il eft un de
leurs plus grands charmes , & malheureu
fement c'est un des grands moyens de tromper
mieux. Quant à leur manière froide
le raconter ou de décrire,jene comprends riem
de
B 4
32 MERCURE
*
à ce reproche. Perfonne , ee me ſemble , ne
fait mieux exprimer , peindre avec la parole
& les geftes ; elles animent tout , & même
ce qu'elles hafardent en fait d'expreffions ,
aux dépens de la régularité , ne fait que
leur donner plus de mouvement & de vie.
Enfin comment consilier tous ces défauts
avec cet éloge qui vient tout de fuite après ?
Mais les ombres légères de cette peinture
difparoiffent par de belles & vives couleurs.
Si la Parifienne eft privée de quel-
" ques nuances fines & délicates que la Nature
mit dans les traits de notre viſage
» & dans ceux de notre efprit , elle poffède
des qualités plus rares & plus effentielles
; & c'eft par là qu'elle eft fi attachante
& fi long - temps aimable. Sans
flatter mon fexe , on peut dire que les
femmes font ce qu'il y a de plus inté
» reffant à Paris ".
22
33
و و

Seroient-elles donc fi aimables & fi at.
tachantes , fi elles manquoient des agrémens
& des qualités qui font l'apanage le
plus naturel de leur fexe , & qui ont le:
plus de pouvoir fur nous ; fi elles manquoient
de douceur de modeftie & de
Ces graces qui ne font point un art ?
Si Mde. la P. de G *** a vu avec tranfport
les Arts de l'Italie,je 'crains qu'en France
elle n'ait vu les hommes avec un peu d'humeur.

Tous les foirs les femmes y paroif
3
DE FRANCE. 13
"
" fent ( aux Champs Élifées ) habillées de
» blanc , car nous ne portons plus d'autre,
» couleur. On veut avoir l'air de la can-
» deur lorfqu'on a perdu l'innocence ; elles
» ont fenti que les graces fimples & mo-
» deftes ont un charme qui féduit , même
» les hommes les plus corromputs & les
plas infenfibles. Voilà comment le raffinement
de la coquetterie nous ramène
à la fimplicité de la Nature . Il me fembloit
voir , lorfqu'elles fe promenoient
» en robe de gaze blanche , que les Zéphics
agitoient , il me fembloit voir en elles
» des ombres inquiètes de leur deftivée .
Elles n'avoient point ce calme que donne
» la jouiffance du vrai bonheur , & la
tranquillité qu'infpire ce lieu paifible.
Inquiètes , agitées , elles avoient l'air de
» regretter ou de défirer autre chofe « .
»
""
"
""
Mde. la P. de G*** youdroit elle qué
notre promenade des Champs Elifées pros
duisit le même effet que l'Elifée de la Fable ,
& portât dans les coeurs cette tranquillité profondément
apathique qui ne convient qu'à
des ombres, & donne même un air fi infipide
à celles que nous voyons paffer &
repaffer fous les décorations de l'Opéra ?
Elle eft fâchée que nos femmes en fe promenant
ayent l'air de regretter ou de défirer
quelque chofe ; & qu'y a - t- il donc de
mieux à faire ici bas ? il faut bien nous
contenter de ce partage , jufqu'à ce que nous
foyons devenus des intelligences célestes ."
BS
34
MERCURE
Le féjour de Naples a fourni à l'Auteur
des idées fur la Mufique qui peuvent faire
naître quelques réflexions dans l'efprit des
amateurs.
22
"
*
*
و و
>
>
par
J'ai perdu ici l'opinion où j'étois que
Naples fût la patrie de la Mufique , com-
» me on le croit généralement. Le chant
défagréable du peuple qui ne confifte
que dans des fons confus &
mal articulés , fon organe dur , fon intonation
toujours fauffe , tout cela m'a
fait connoître que fi Naples cût la
primauté fur toutes les villes d'Italie
23 - dans cet Art agréable , c'eſt fes écoles
muficales , qui donnèrent des Muficiens
» célèbres à toute l'Europe , & non pas
» cette henteufe organiſation qui diftingue
les autres peuples d'Italie. On dit pourtant
que dans certaines provinces du
2 royaume de Naples , le peuple eft mieux
organifé , & laille encore un peu deviner
fon origine grecque . Aprile , mon Maitre
de chant l'un des plus célèbres
Chanteurs d'Italie , né dans une de ces
provinces , m'a dit , que le chant de ces
peuples eft fi bean , fi agréable , leur or
gane eft fi flexible , & leur intonation fi
jufte & fi parfaite , qu'il a paffe fou
vent des nuits eutières à les entendre
chanter. La plupart des modulations de
leurs airs reffemblent parfaitement à l'ancienne
Malique Italienne , qui eft la
22
59
-39
»
DE FRANCE. 35
و د
>
>
Mufique par excellence , & que les Italiens
pourroient bien avoir imitée des Grecs,
qui ayant excellé dans tous les Arts
" avoient fans doute atteint la perfection
» dans celui - ci , où il ne faut pas moins
» de génie & d'imagination que dans les
autres ce qui me le feroit croire , c'eſt
» que les peuples de ces contrées , ancien-
» nement Grecs , confervent encore un
» chant parfait , & qui a très- peu de rap-
" port avec le chant de la nouvelle Mufique
» Italienne.
"
ود
10
A
J'ai examiné plufieurs de leurs airs ;
» il feroit à défirer pour la perfection
» de l'Art , que les nouveaux Maîtres de
" Mufique Italienne imitaffent ee goût fim-
" ple & fubljine , cette mélodie fans prétention
, pleine d'expreflion & de naturel
& quia je, ne fais quoi d'antique ,
" & refpire le bon & le vrai goût
ود
"
,
! J'ai fait à ce fujet une remarque , qu
ne me laiffe prefque aucun doute fur la
véritable origine de la Mufique Italienne .
En examinant les airs du peuple des
provinces de Naples , j'ai trouvé qu'ils
" avoient beaucoup de rapport , & même
alde reffemblance avec ceux que chantent
"3
les Payfans des canipagnes de Marfeille ,
» qui coume Naples , eft une Colonie
Grecque. La compofition des uns & des
" autres de ces airs eft abfolument la mê
me , & ne paroît différer , quand on
3 6
MERCURE
2
»
les entend fans les lire , que par la
» différente manière de chanter , qui
» chez les Provençaux , eft groffière &
barbare , & dans les peuples des provinces
de Naples a une fineffe , une
" grace , une délicateffe dans les modula-
» tion's , prefque inimitable. Je penfe
» donc que l'ancienne Mufique Italienne
» n'eft qué la Mufique Grecque régénéréo ».
Je laiffe ces idées à difcuter à ceux qui
font en état de les apprécier , & je me
contente , par amour pour l'Antiquité , de
défirer qu'elles foient vraies . En voici fur
les hôpitaux qui ne me paroiffent pas juſ
93
es
&
C:
Les hôpitaux ( à Gênes ) font des pa-
" lais conftruits & décorés avec la plus gran-
» de magnificence ; que d'humanité dans
" ce luxe qu'il eft beau de faire oublier ;
même un inftant , la mifère , quand on
ne peut pas entièrement la foulager !
elle fe fair là au moins illufion
perd le fouvenir d'elle même. Cette illu
fon , en adouciffant les bleffures de l'ame,
guérit fouvent le corps. Que j'aime ce
luxe que je le refpecte fi j'étois Souveraine
, la maifon des pauvres feroit le
plus beau de mes Palais.
قو
35
12
و د
33
33
Je ferois , je l'avoue , tout le contraires
on trouveroit tout dans les hôpitaux , excepté
le luxe. Pourquoi rappeler le fuper-
Au à ceux qui ne doivent même le néDE
FRANCE. 37
ceffaire qu'à la pitié d'autrui ? La mifère &
les infirmités ne doivent point loger dans
des palais ; il fuffit qu'elles repofent dans
les bras de la compatiffante humanité.
A propos de quelques inftrumens de
toilette que l'Auteur a vus dans une collection
d'antiques , au Mufeum de Portici
Je fuis bien aife ( dit- elle ) d'avoir
appris que les femmes ont été coquettes
» dans tous les temps ; cela me feroit pref-
» que croire que la coquetterie eft dans
"
la Nature . Voilà un doute d'une réferve
bien extraordinaire. En prenant ce mot de
coquetterie dans fon acception la plus gé
nérale & pour ce qu'elle fignifie en cet
endroit , c'eft- à- dire pour ce défir de plaire
que prouve le foin de fe parer , on pourroit
affirmer fans trop de témérité que ce
défir eft naturel au fexe depuis les Harems
de Conftantinople & d'Hifpahan ,
jufqu'aux hutres des Hottentotes & des
Kamſchadales ; & je ne vois pas pourquoi on
en feroit un reproche ni aux femmes ni à la
Nature.
Comme ces Lettres ne font point écrites
avec la négligence épiftolaire , on peut
¥ blâmer quelques défauts de goût
quelques abus des termes tecniques tranfportés
d'un Art à un autre , comme le clair
obfcur en Mufique , expreffion qui ne préfente
pas une te bien nette , du moins
pour moi , des femmes qui font chien &
chat avec la Nature , les Apennins qui
38
「T
MERCURE
font humanifes par de jolies maifons de
plaifance ; quelques jeux de mots , tels que
celui-ci en parlant d'un tableau : L'incontance
m'a fixée, & c. Mais ces taches rares
& légères , & que je n'ai même relevées que
parce qu'elles contraftent avec le ton général
du ftyle , ne nuifent en rien ni à
l'effet ni à l'agrément de l'Ouvrage .
D ...... )
DISSERTATION fur cette Question :
Eft-il quelque moyen de rendre les Juifs
plus heureux & plus utiles en France?
Ouvrage couronné par la Société Royale
des Sciences & des Arts de Metz ; par
M. THIÉRY , Avocat au Parlement de
Nanci. A Paris, chez Knapen fils , Imp-
Libr. rueSaint- André- des Art- s, en face du
PontSt- Michel;& chez la veuveDelaguette
& Fils , rue de la Vieille-Draperie. Prix,
liv. to f. port franc.
CETTE
95
7
1 D 49.2953
ertation
eft
divifée
en
deux
Parties
. Dans
la
première
, l'Auteur
s'atta
che
à prouver
que
les
Juifs
méritent
d'être
plus
heureux
, &
par
conféquent
plus
tiles
;
dans
la feconde
, il propole
les
moyens
de
feur
procurer
ce
double
avantage
. Cette
naturelle
dans
un
Cuvrage
de
cette
efpèce
, conduit
le
Défenfcur
des
Juifs
à lever
tous
les
obftacles
qui
divifion
DE FRANCE. 39
*
s'opposent au bonheur de cette Nation
parmi nous. Ces obftacles font , comme il
le dit lui-même , la Religion , les moeurs
le caractère , les préjugés & l'habitude. Il
les combat tous en employant le raiſonnement
le plus folide , orné fouvent des charmes
de l'éloquence.
Pour nous apprendre d'abord ce que les
Juifs peuvent devenir parmi nous , il examine
ce qu'ils ont été dans tous les temps
& chez tous les Peuples : il les confidère
dès leur origine , & la peinture qu'il fait
de leur état primitif, ne peut que donner
une idée avantageufe de fes talens. Voici
comme il sexprime :
>>
23
" Les Juifs , nés dans les premiers jours de
» la Nature , confervèrent long - temps la
fimplicité des moeurs , la douceur , la pureté
des penchans qu'elle infpire . Occupés
feulement alors du foin de leur
» fubfiftance , ils fe livrèrent à l'Agricul
» ture, que leurs tranquilles vertus avoient
anoblie parmi eux : ils partageoient leurs
inftans entre la culture des terres , la garde
» des troupeaux , & l'étude de leur Loi ;
effrayés de l'exemple des Peuples voiſins,
craignant leur luxe , méprifant leur molleffe
, ils leur abandonnèrent le foin d'ac
croître les progrès de la raifon & de l'in-
» duftrie. Cet éloignement pour les Scien-
» ces donna aux Juifs un efprit minutieux,
une défiance toujours inquiète , peu propre
à diffiper les ténèbres dont ils s'enveloppoient
eux-mêmes ".
"
ו נ
و ر
و ر
40 MERCURES
L'Auteur les fuit dans tous les pays où
ils ont habité avant & depuis leur difperfion
, & il ajoute :
"
و د
ود
Après tant d'agitations , les Juifs fem-
» blent enfin fixés dans le morne repos
» auquel nous les avons condamnés . Souples
, paifibles , familiarifés avec notre
mépris & l'aviliflement , ils cherchent à
» s'en confoler par des richeffes. Sans appui
, fans Patrie , fans autre propriété qué
» leur or , forcés par conféquent d'étoatter
" toutes les paffions qui exercent les facul
tés des autres hommes, qui élèvent l'ame,
» enflamment le génie , & occupent l'activité
, mais qui , fans objet pour eux , ne
» feroient que les tourmenter & les déchi-
» rer , ils n'ont d'autre but que de s'enrichir.
C'eft vers ce feul point qu'ils s'oc-
-"
.
و د
"
cupent à plier l'énergie que la Nature à
» mife dans toutes les ames , & que chez
» les autres , le goût , le caprice où les cir-
» conftances dirigent. Livrés uniquement à
un efprit d'intérêt , ils femblent eux- mêmies
habitués à fe croire faits pour être
avilis ; du moins leur facilité à courber
fous notre joug , l'infenfibilité qu'ils oppofent
à nos outrages , la patience avec
laquelle il les fupportent , font bien câpables
d'entretenir le mépris du Peuple
» pour eux , & l'idée qu'il a prefque toujours
conçue de leur inertie & de leur
incapacité ".
30
"2
و و
.39
1
DE FRANCE.
41
Après ces triftes tableaux que l'Auteur a'
tracés avec les couleurs qui leur conviennent
, fon fujet lui en fournit de plus
riantes & de plus gracieufes pour la peinture
qu'il fait des moeurs d'un Peuple plus
malheureux fans doute , que vicieux.
Le Défenfeur des Juifs n'eft pas moins
heureux dans la manière dont il combat les
préjugés , ces idoles chéries du Peuple ,
dit il , ces dangereux ennemis de la raifon ,
toujours terribles quand ils font enracinés
par le temps , temps & fortifiés par l'exemple .
Pour lever enfuite les obftacles réfultans
de notre Religion , il emploie les plus refpectables
autorités , & s'appuie de notre
Religion même. Cette difcuffion , où l'Auteur
paroît toujours éclairé par la raifon , &
infpiré par l'humanité , eft fuivie d'une defcription
exacte de l'état actuel des Juifs
dans tous les pays de l'Univers où ils font
plus heureux qu'en France .
"
Dans la feconde Partie , l'Auteur indique
les moyens qué le Gouvernement peut employer
pour opérer l'heureux changement
qu'il a démontré poffible dans la Nation
Juive. » Commençons , dit-il , par détruire
» tous les fignes humilians qui défigurent
» les Juifs ; ne faillons fur leur figure au-
" cune des traces que nous y aavons impri-
" mées ; que leurs vêtemens & tout leur
extérieur ne nous montrent que des concitoyens
"..
و د
ور
L'Auteur propofe enfuite d'admettre leurs
42
MERCURE
enfans dans nos Ecoles publiques ; & enfin ,
fans leur donner une exclufion formelle , mais
auli fans les appeler dans nos Camps &
au milieu de nos Tribunaux , de leur laiffer
fimplement l'exercice des droits que la Nature
accordé à tous les hommes , l'ufage
libre & volontaire de leur fortune , toutes
les prérogatives , en un mot , que nos Loix
affurent à tous ceux qui les refpectent.
Après la difcuffion de tous ces moyens ,
où l'Auteur répond victorieufement à toutes
les objections qu'on pourroit lui faire , il
donne une idée de la Loi qu'il follicite en
faveur des Juifs.
Cet Ouvrage fait honneur aux talens & à
la fenfibilité de l'Auteur , & il peut être
utile à la Nation dont il a entrepris la dé:
fenfe.
BIBLIOTHÈQUE Phyfico- économique, inf
tructive& amusante , année 1790 , &c . 2 vol.
in- 12 , avec des Planches en taille-douce'
Prix , liv. 4f. br. francs de port par la
Pofte. A Paris , chez Buiffon , Libraire ,
rue Haute -feuille , N° . 20.
EN rendant compte toutes les années des
nouveaux volumes de cet Ouvrage , nous
avons fait affez connoître fon mérite , fon
utilité, fa forme , & la nature des objets qu'il
contient. Son fuccès conftant juftifie les élo
DE FRANCE. 43
ges que nous lui avons donnés. La Bibliothèque
Phyfico- économique eft aujourd'hui
an Livre claffique pour un grand nombre
de perfonnes , & particulièrement pour les
Cultivateurs . Les Tables qui terminent cha
que volume font une effèce de Dictionnaire
où tous les objets qui intéreffent l'économie
politique font traités de diverfes manières
plus ou moins fatisfallantes , mais toujours
exemptes de danger , à l'aide des notes qu'y
joignent les Editeurs , & fur- tout des récapitulations
que contient chaque livraiſon
annuelle ,& dans laquelle ils rendent compte,
d'après l'expérience , du plus ou moins de
confiance que méritent les annonces publiées
ci- devant.
On fent combien un Ouvrage de ce genre
fe refuſe à toute eſpèce d'analyſe ; mais nous
dirons quelques mots des Préfaces qui font
à la tête de chaque volume. Celle du tome
premier préfente des obfervations infiniment
intéreffantes fur le mauvais état de l'Agriculture
en France , comparée à l'état brillant
de celle d'Angleterre.L'Auteur fait voir d'après
M. de Frefne , dans fon Traité d'Agriculture
confidérée tant en elle- même , que
dans fes rapports d'économie politique, comment
ces deux Royaumes , partis à peu près
du même point , font parvenus à des réſultats
fi différens. Il entrouve la caufe & m'en indique
le remède en répondant avec détail
aces diverfes queftions : Pourquoi par
l'Agriculture Françoife, la terre eft- elle
"

44
MERCURE .
» moins fertile que par l'Agriculture Angloifet
pourquoi l'AgricultureAngloife eft - elle
» dans toutes fes parties plus productive que
» la Françoife ? Eft- il poffible de remédier,
" à ces défavantages en France , & quels
» en font les moyens ? & c.
La caufe de ces défavantages développée
& prouvée dans ce difcours , vient , felon
l'Auteur , de ce que les Agriculteurs François
ont trop augmenté les labours & les
défrichemens aux dépens des pâturages ;
ce qui diminue les engrais fi utiles pour la
fertilité , diminue les élèves de beftiaux &
augmente le prix des laines , des fuifs , des
peaux , de la viande, & c. que nousfommes
obligés de tirer de l'étranger à grands frais
& de moindre qualité. Tous ces objets qui
n'exigent aucuns travaux , ce qui devroit toujours
les tenir à bas prix , font plus chers
à poids égal que beaucoup de reproductions
qui exigent des travaux & des frais confidérables
, & que l'on préfère de faire venir des
pays étrangers & fouvent des extrémités
du monde. Le beurre eft plus cher que le
fucre , la laine prefque aufli chère que le
coton ; le fuif plus cher que le riz ; le lait
auffi cher que le vin ; le foin quelque
fois plus cher que le pain , & c.
C'eft en fuivant une méthode toute oppofée
, & dont l'Auteur trace le parallele ,
que l'Angleterre , avec un fol peut-être moins
bon , a fu en tirer un parti beaucoup
meilleur.
"
DE FRANCE. 45
La Préface du fecond volume eſt un réfumé
des décrets de l'Affemblée Nationale
en faveur de l'Agriculture , & un tableau
des nouveaux bienfaits que les nourriciers
du peuple doivent attendre des Légiflatures
fuivantes.
La Bibliothèque Phyfico-économique forme
actuellement 14 volumes avec 43 grandes
planches ; chaque année fe vend feule ou
féparément , au prix de 2 liv. 10 f. broché,
franc de port par la Pofte. En voici le détail
années 1782 , vol. 1783 , 1 vol.;
§ 34, 1 vol .; 85 , 1 vol. ; 86 , 1 vol . ; 87 ,
2 vol . , 88 , 2 vol.; 89 , 2 vol .; & 1790 ,
2 vol.
:
› Etrennes aux Parifiens Patriotes ou Almanach
militaire national de Paris , contenant les
noms , demeures , & décoration patriotique , de
MM. les Officiers , Bas- Officiers , Soldats , &c.
formant le corps de l'armée Parifienne. Précédé
d'un précis fur fa compofition & organiſation ,
avec un réfultat général de fes forces . Rédigé
fous l'autorisation de M. le Marquis de la
Fayette , & dédié à ce Général. Par MM. Bretelle
& Alletz , foldats citoyens. Prix , 48 fous br.
A Paris , chez Gueffier jeune , Libr . quai des
Auguftins ,
Cet Ouvrage , revêtu d'une autoriſation honorable
de M. le Marquis de la Fayette , mérite
d'être diftingué . On doit des éloges à l'en-
*cadrement méthodique des nombreux détails qui
le compofent , ainfi qu'aux réſultats qui terminent
chaque partic.
MERCURE
SPECTACLES
.
L'ABOGDAN
'ABOGDANCE des matières & le défatt
d'efpace nous ont forcé de paffer fous filence
deux Ouvrages dramatiques ; mais l'un eſt
peu important , & l'autre a eu fort peu dé
fuccès.
Le premier eft le District de Village ,
petite Pièce de circonftance , jouée far le
Théatre Italien , & que des détails gris ,
des couplets bien faits , & des tableaux
agréables ont fait applaudir.
--Le fecond , donné au Théatre de Monfieur
, eft intitulé , les Efclaves par amour.
Le Poeme n'a pas réuffi ; la Mulique , qui
eft de Paisiello , a été juſtement applaudie .
THEATRE DE LA NATIO N.
A la clôture de ce Théatre , M. Dazincourt
a prononcé le difcours qu'on va lire.
On verra qu'il rouloit fur une matière affez
périlleufe ; & que les Comédiens François
ont fagement fait , de choisir , pour le
prononcer un de leurs camarades , en
poffeffion de l'eftime publique..
و
DE FRANC E.
Nous profitons avec empreflement du
jour que l'ufage a confacré , pour vous
préfenter nos refpects & l'hommage de
notre reconnoiffance . Mais une jufte confiance
dans vos bontés nous encourage en
même temps à dépofer dans votre fein
la douleur dont nous fommes pénétrés,
Depuis long- temps le Théatre eft en butte
à des rigueurs affligeantes . Il femble qu'on
ait tenté de nous faire perdre cer e liberté
d'ame & d'efprit fi néceffaire à l'art du
Comédien. Des études multipliées , des
efforts fans nombre , des bienfaits fage,
ment répandus , & publiés malgré nous ,
ne nous ont valu que des interprétations
injurieufes, Une jaloufe cupidité , dont
nous ne nous permettrons pas de dévoiler
le fecret , & qui voudroit s'élever fur nos
débris , a cherché conftamment , depuis
plufieurs mois , à fatiguer , à décourager
notre zèle
Pour ne nous arrêter que fur un feul
point , on a demandé la repréfentation
de tel ou tel Ouvrage , fans fonger que .
les pièces déjà reçues avoient le droit
d'être repréfentées auparavant de manière
qu'on ne pourroit adhérer à de pareils
voux , fans attenter aux propriétés , ce qui ,
nous ofons le croire , feroit aller contre l'intention
de ceux même qui , par cès demandes
, croyant réparer des torts , ne font
que folliciter une injuftice «.
48
"
ܠܰܐ
MERCURE DE FRANCE .
Enfin , Meffieurs , fi quelques abus
fe font gliffés dans un établiffement dont
les détails font aufli difficiles que multipliés
, fi le temps femble avoir amené
befoin de quelques changemens utiles ,
nous eft- il pas permis d'obferver qu'une
difcuffion fage , & dirigée par la bonne foi ,
feroit plus propre à ramener un meilleur
ordre de chofes , à concilier les divers
intérêts & à contribuer plus complétement
à vos plaiſirs , ainfi qu'à la gloire de
votre Théatre « ?
Agréez , Meffieurs , que nous n'oppofions
déformais à tous ces orages qu'un
filence refpectueux , un zèle toujours renaiffant
, & ce courage qui doit animer ceux
à qui vous avez confié le dépôt de vos r
cheffes dramatiques «.
Ce difcours , hardi quant au fujer , me
furé du côté de l'expreflion , & intercífant
par la manière dont il a été débité , a obtenu
beaucoup d'applaudiffemens .
Ja
TABLE..
MAProfeffion de Foi | Differtations.
Chanfon .
Charale. Enig, Lag.
-Lettres,
7 Bibliotheque.
23 Théatre de la Nation.
MERCURE
HISTORIQUE ET POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 10 Mars 1799.
La proposition , par laquelle la Cour
de Berlin demande à la République de
lui céder le domaine de Thorn et de
Dantzick , contre des échanges peu importans
, à produit ici une sensation fåcheuse.
Abandonner à un voisin si redoutable
le seul port de la Pologne , le
rendre par là maître du Commerce de
P'Etat , et combler nos pertes passées par
une nouvelle dépouille dont on n'osa pas
exiger le sacrifice à l'époque du partage ,
et qu'on nous présente à signer , au moment
même de notre régénération politique
et militaire , ce seroit acheter bien
cher une alliance. Aussi la Députation
des Affaires Etrangères a- t - elle répondu
No. 14. 3 Avril 1790. A
( 2 )
à M. de Lucchesini , qu'elle n'oseroit
pas même soumettre cette proposition à
la Diète . Le 27 du mois dernier , ce Mi- -
nistre Prussien fit passer à sa Cour cette
réponse ; l'on attendoit avec inquiétude la
résolution définitive du Cabinet de Berlin.
Elle est arrivée , et il se répand que le Ministère
Prussien aabandonné sa demande.
Si cette crisera refroidi le zèle pour
l'alliance projetée , si les offres utiles de
la Cour de Vienne ont acquis plus de
crédit , d'un autre côté la Russie achève
de perdre celui qu'elle obtint si longtemps
dans la République. Les conditions
impolitiques qu'elle veut imposer
au Roi de Suède , sans en avoir acquis
le droit par des succès , cette forme de
Gouvernement qu'elle entend lui prescrire
dans un Traité de paix , ont rappelé
le terrible usage qu'on fit au milieu
de nous de cette politique . Le Roi de
Suède , dans une Note de son Ministre ,
communiquée à la Diète , a eu soin de
lui rappeler cet exemple , en annoncant
qu'il rejetoit ces articles , par lesquels la
Russie vouloit renverser la Constitution
actuelle de la Suède.
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 15 Mars .
Léopold II , Roi de Hongrie , est
arrivé en cette Capitale le douze à dix
( 3 )
1
heures du soir. Le départ de la Reine ,
et de la Famille Royale est différé jusqu'à
l'Eté prochain . C'est l'Archiduc
Ferdinand qui , conjointement avec le
Conseil d'Etat , gouvernera le Grand
Duché de Toscane . S. M. a donné les
premiers jours au repos , et le lendemain
de son arrivée ( le 13 ) Elle a eu la douleur
de voir mourir le vieux Maréchal
Comte de Haddick , Président du Con- ›
seil Aulique de Guerre , et décédé à l'âge
de 79 ans il sera inhumé dans sa terre
de Futak en Hongrie. La guerre de sept
ans fit la réputation de ce Général , qui
se distingua dans le service des Troupes
légères. Le Roi de Prusse , dans son Histoire
, a rendu justice aux qualités de
M, de Haddick, et à Thumanité qu'il
montra envers les Habitans de Berlin
lorsqu'il s'empara de cette Capitale.
Depuis long- temps il avoit pris un embonpoint
démesuré , qui l'appesantissoit
autant que l'âge .
L'administration tranquille , régulière ,
uniforme de la Toscane , qui jusqu'ici a
occupé tous les soins de notre Souverain
, forme un contraste avec la multitude
d'intérêts difficiles , au milieu desquels
ce Monarque prend les rênes des
Etats Héréditaires . L'un des premiers
objets de sa sollicitude sera les remontrances
des Etats d'Autriche , de Moravie
et de Bohême , qui demandent la
suppression du nouveau plan d'imposi
A ij
( 4 )
1
tion territoriale , si malheureusement copié
par le dernier Empereur , des théories
métaphysiques de l'Economisme étranger
. Par-tout l'on s'en plaint , et l'expé
rience décidera sans doute le nouveau
Roi à abandonner ce systême réprouvé .
La Gallicie et la Lodomerie démandent
d'être incorporées à la Hongrie
dont elles firent autrefois partie , ainsi
que l'annonça , en 1772 , la réclamation
de la Maison'd'Autriche sur ces Provinces
passées à la Pologne .
On présume que le Roi se fera couronner
en Hongrie dans le mois de
Juin. Quelques Comitats , entre autres
celui de Pest , ont arrêté de nouvelles
remontrances respectueuses , sur les
trois exceptions contenues dans la Déclaration
Royale du 28 Janvier dernier ,
par laquelle les anciens droits et priviléges
ont été restitués à la Nation , ou plutôt
à la Noblesse . Quant aux subsides , ils
ne peuvent être accordés que dans l'Assemblée
générale des Etats . On attend
ici au premier jour le Cardinal Primat
et le Grand- Juge de Hongrie , Comte
de Zichy.
Quoique toutes les dispositions soient
faites , et déja même en exécution pour l'ouverture
de la troisième campagne , les espérances
de paix ne se ralentissent point.
Les négociations continuent à Jassy , où sont
toujours réunis le Baron de Thugut , M. de
Bulgakofet les deux Commissaires du Grand-
$
( 5 )
-
Visir . En attendant l'issue de ce Congrès ,
l'Armée du Prince de Cobourg s'est mise en
marche vers Widdin . Tous les Régimens
dans le Bannat ont déja passé Mehadie.
-Le Général de Vartensleben a passé de
Lugosch à Kladowa , où , le 4 , se trouvoient.
rassemblés 18 bataillons d'Infanterie , et 16
escadrons de Cavalerie.
M. de Hutten est à Lemberg depuis
le 26 Février dernier. Il est le quatrième
Général, qui se trouve dans cette Ville où
étoient déja réunis les Généraux Comte
Wenceslas de Colloredo , le Baron
d'Alvinzi et le Prince de Furstemberg.
On a d'ailleurs exagéré le nombre de
-Troupes qui sont dans la Province . I '
- ne se trouve actuellement entre Cracovie-
et Wielizka que 6 bataillons d'Infanterie
et quelques divisions de Hussards
; 4,000 hommes devoient arriver
près de Bochnie , mais ils ont reçu en
route l'ordre de faire halte . Le Corps
venant de la Hongrie , qui est encore
attendu en Gallicie , ne s'élèvera guères
au- delà de 9,000 hommes .
Il ne paroît pas douteux que notre
Cabinet compte sur la neutralité de la
Saxe Electorale , puisqu'on pense à ne
Axisser en Bohême qu'un Corps de 25
à 30,000 hommes , et d'en rassembler
80,000 en Moravie ; on tirera un cordon
par Tropau et Jogendorf jusqu'au- delà
de Bielitz ; le Prince de Holenhoe, qui
A iij
( 6 )
vient d'arriver ici de Bucharest , sera
employé dans cette Arinée .
De Francfort sur le Mein, le 21 Mars.
L'Empire est sans Chef, et après une
révolution de 45 années , le Vicariat
du Corps Germanique exerce actuellement
les principales fonctions de l'Autorité
Impériale. Le Conseil Aulique
fermé , sera remplacé provisoirement
par les Conseils des deux Vicaires , l'Electeur-
Palatin et celui de Saxe ; enfin
la Chambre Impériale de Wetzlar voit
approcher le terme de la Visitation ordinaire
, proscrite par les Lois . Les intérêts
divers de plusieurs grandes Cours
d'Allemagne augmentent l'importance de
la crise actuelle , et semblent près de
s'entrechoquer. La prochaine Election.
occupe toutes les intrigues et tous les
mouvemens , non-seulement des Cours
Electorales , mais encore de celles des
Princes qui voudront influer dans la
nouvelle Capitulation .
L'Electeur de Mayence a envoyé les
lettres de Convocation au Collège Electoral
, qui doit être réuni ici au premier
Juillet prochain , pour ouvrir ses
Séances à cette époque. Elles seront
précédées de conférences , et par-tout
de beaucoup d'intrigues ; on sait déja
qu'à Carlsruhe , il y a eu une Assem(
7 )
blée des Ministres de plusieurs Cours
de l'Empire .
-
On ne doit pas perdre une ligne à
réfuter je ne sais quels Ecrivains Etraogers
, qui annoncent à des Lecteurs aussi
crédules qu'eux , qu'ébloui des fumières
du siècle , le Corps Germanique va casser
la dignité Impériale pour se rendre libre.
Ces singularités ne méritent aucun examen.
Il est vraisemblable que l'opposition
de plusieurs Cours aura pour objet ,
moins le choix du nouvel Empereur
que la Capitulation à laquelle on l'assujétira.
L'exemple déplorable de Charles
VII a surement dégoûté pour jamais
du rôle de compétiteur à la Suprématic
Germanique , tout Prince qui ne pourroit
se la procurer , ni la soutenir par
ses propres forces. Ainsi , offrît - on cette
dignité , ou à ' Electeur, de Saxe , ou à
l'Electeur-Palatin , ils sont trop sages
pour tomber dans ce piége . Quelle Puissance
disputera donc l'Empire à la Maison
d'Autriche ? La Prusse ? elle perdroit
sur- le- champ une partie de son
crédit , de sa force d'opinion , de lå
Ligue Germanique , et le rôle bien plus
beau de Défenseur de l'indépendance
de tous. Cette Cour , en eût- elle le projet
, ne pourroit guères compter que
sur trois voix , la sienne et celles de
Saxe et d'Hanovre . Les trois Electeurs
Ecclésiastiques , l'Electeur Palatin et la
1
A iv
( 8 )
voix de Bohême assurent presque infailliblement
le succès du Roi de Hongrie
; mais il est très - vraisemblable que
l'Union Germanique proposera des-changemens
à la Capitulation Impériale , et
qu'ils seront acceptés. On sait que M.
le Comte de Hertzberg a depuis longtemps
un plan réfléchi sur ces modifications..
L'Electeur de Cologne a nommé le
Comte régnant d'Octingie et le Ministre
d'Etat Baron de Waldenfels, l'un
premier et l'autre second Ministre Plénipotentiaire
à la Diète d'Election...
L'Electeur-Palatin a donné ordre de faire
frapper dans la monnoie de Munich des espèces
d'or et d'argent et de billon , sur lesquelles
se trouvera la légende du Vicariat
de l'Empire.On prépare aussi dans cette Ville
l'Hotel où sera établie la Chancellerie de
ce Vicariat , dont le Comte de Linange sera
Président.
On parle de nouveau du rétablissement
du neuvième Electorat , en faveur
du Duc de Wirtemberg.
Il s'est fait un rassemblement de
Troupes Saxonnes auprès de Dresde ;
tout le Corps d'Artillerie est cantonné
aux environs de cette résidence , ainsi
qu'un Régiment de Cavalerie et quelques
Escadrons de Dragons. On ne remar
queroit pas ces mouvemens de précaution
, sans les dispositions Militaires de
( 9 )
deux grandes Puissances voisines de l'Electorat.
On continue sans interruption les approvisionnemens
des Magasins Autrichiens
établis à Trèves , et pour lequels
on a acheté en Hollande plusieurs
chargemens de bled .
-- Pendant que les Ordres de l'Etat disputent
dans Liège , à qui payera le séjour
onéreux des Troupes Prussiennes ;
pendant que les uns ergotent pour dé-´
fendre l'argenterie des Eglises, et les autres
pour la prendre , il reste constant que
chaque compliment des Bourguemestres
au Général et au Ministre Prussien ,
coûte fort cher à l'Etat , qui sentira
trop tard l'imprudence. d'ouvrir sa Mai-
'son divisée à des Conciliateurs Etracgers.
Le Roi de Prusse vient de faire
son dernier adieu au Prince-Evêque de
Liège , dans une réponse du 9 Mars à
la, Lettre précédente de S. A. Cette
dépêche de S. M. P. est péremptoire
et définitive , ainsi qu'on le verra par
les fragmens qui suivent :
"f Je crois bien , dit le Roi , que mes
Troupes pourroient faire à présent une exécution
plénière des Décrets de Wetzlaer ,
depuis qu'elles sont en possession de la Ville
et de la Citadelle de Liege , et qu'elles ont , en
quelque manière , désarmé les Liégeois ; mais
comme cela s'est fait par une soumission volontaire
et par une sorte de Capitulation.
les droits de l'honneur et de la droiture ne
'
Av
( 10 )
me permettent pas que j'abuse de la confiance
de la Nation Liégeoise , et que j'exé
cute contre elle par la force les volontés arbitraires
de V. A. et de ses Conseillers ;
mais je me verois obligé en conscience de
leur remettre la Principauté de Liege dans
l'état dans lequel je l'ai trouvée lorsque mes
Troupes l'ont occupée. Je pourrois le faire
sans aucun reproche ; je pourrois ainsi abandonner
V. A. et la Nation Liegeoise à leur
sort , à leurs résolutions reciproques et à
leurs propres forces . Si V. A. continue à
douter de mes suppositions , et si elle se
croit sûre des sept huitiemes de la Nation
Liégeoise , et qu'on pourroit faire l'exécution
plénière avec quelques bataillons des
Troupes du Cercle , elle pourroit en faire
Bessai alors à son bon plaisir ; mais comme
j'ai quelque lieu de prévoir que cela ne
pourra pas réussir , et qu'il en résultera une
guerre civile qui peut mener à ruiner totalement
la Principauté de Liege , et à la séparer
même du Corps de l'Empire Germanique
, je veux encore une fois , mais pour
la dernière , offrir à V. A. des moyens de
conciliation , que je crois justes , raisonnables
modérés , et tels qu'ils pourront , à
mon avis , servir à concilier les intérêts de
V. A. et ceux des Etats de Liege , ainsi que
les droits , les prérogatives et l'autorité de
la Chambre Impériale et du Directoire du
Cercle de Westphalie , que je suis toujours
prêt de respecter et de maintenir , et particulierement
le Reces de Dorsten , dans tous
les cas où l'exécution des Sentences peut se
faire selon les règles de la Justice ordinaire
avec des forces médiocres et sans des efforts
guerriers , et où il s'agit plutôt d'une media(
II
tion et composition , que les circonstances
de l'affaire rendent nécessaires , comme c'est
le cas présent de Liège,
Suivent après les propositions du Roi,
dont voici la substance :
"« 1 °. V. A. renoncera à l'idée dangereuse
de rentrer dans son Pays par la force des
armes , et d'obtenir une exécution plénière
et littérale des Décrets de la Chambre Impériale.
»
2º . Je souhaite ardemment que V. A,
retourne sans délai dans le Pays de Liège ,
et qu'elle envoie ici des Députés , comme il
s'en trouve déjà ici de la Ville et du Tiers-
Etat de Liège. "
60 3 Publication d'amnistie générale , et
d'un ordre rigoureux d'observer les Lois , et
de s'abstenir de toute violence et voie de
fait arbitraire . "
་ ་
4. Qu'immédiatement après l'arrivée de
V. A. les Magistrats qui sont entrés pendant
la révolution , résignent leurs places entre
les mains des Directeurs du Cercle. "
"(
5°. Qu'on élise , sous les auspices de la
Commission Directoriale , les nouveaux Magistrats
, cette fois - ci par les voix libres de
tous les Bourgeois et Citoyens de chaque
Ville' , ' sans la concurrence de V. A. Il se
manifestera alors par cette libre Election ,
si V. A. peut compter sur sept huitièmes
de la Nation pour l'ancienne Constitution ,
ou si les Députés de Liege ici ont raison
de soutenir qu'ils auront onze douzièmes des
voix pour la nouvelle Constitution . Par cette
nouvelle Election , on établira seulement pour
cette fois-ci , et pour un an , une Administration
Intérimistique . »
A vi
( 12 )
"C
6. Quand cette Administration sera
établie , les Commissaires des trois Princes-
Directeurs travailleront à un accommodement
général . »
" 7°.Quand l'accommodement général sera
fait , on pourra le soumettre à l'approbation
et à la confirmation de la Chambre Impériale
; et même , si l'on veut , à celle de
l'Empereur et de l'Empire.
"
Cette Lettre est terminéé par les mots
suivans :
« Si V. A. n'agréoit pas les susdites propositions
, je la prie également de m'en
informer bientôt ; daus ce cas- là je renonce
à toute Commission , et je rappellerai mes
Troupes du Pays de Liège , en me déchargeant
de toutes les suites qui peuvent en
résulter pour V. A. et pour le Pays de Liège ,
et dont je me crois justifié auprès de l'Empire
et de l'Europe entière. J'attendrai cette
réponse tout au plus jusqu'au 30 de Mars ;
et si elle n'arrive pas pendant ce temps -là ,
je prendrai le silence de V. A. pour un
refus ; je donnerai à mes Troupes un ordre
éventuel de quitter le 31 de Mars le Pays
de Liège , et je m'estimerai autorisé de
croire , que V. A. n'a pour but dans ce
silence et dans ces tergiversations , que de
fatiguer le Pays par un long séjour des
Troupes et par les charges qui en sont inséparables
, et de le réduire par ce moyen à
sa discrétion . Je me flatte encore que V. A.
ne se portera pas à ces extrémités ; mais
qa'en bon Pere et Pasteur du Peuple , elle
voudra lui rendre sa bienveillance , écouter
la voie de la modération , et me fournir
l'occasion si agréable pour moi de lui rendre
f
( 13 )
tous les bons services qui dépendent de
moi. "
ÉTATS BELGIQUES.
De Bruxelles , le 24 Mars 1790 .
A moins d'avoir été témoin , ou instruit
par des témoins dignes de créance , il est
difficile de rendre avec exactitude les
détails d'une violence populaire , prolongée
trois jours entiers : il faut donc
s'en tenir à quelques faits généraux , en
écartant les particularités , et le secret
des motifs que peu de gens sont à portée
de constater dans les premiers instans.
Les excès dont cette Ville a été le
théâtre ont duré trois jours , du 15 au
17. Ils ont pris leur source , et dans la
maladresse enthousiaste du Parti Réfor
mateur , qui a voulu opérer en trois
semaines ce qu'on ne pouvoit faire
qu'en trois ans , et dans les manoeuvres
du Parti Aristocratique pour retenir le
Peuple dans ses intérêts. En vain trente
Gazettes exagéroient les forces de la
Faction aujourd'hui battue , en nous
montrant la Nation entière sous ses
Drapeaux : il n'en étoit rien ; on avoit
donc tort de parler au nom de la Nation
, et il étoit nécessaire de l'éclairer
avant de la mettre en mouvement. On
ne l'éclairoit point par des Ecrits inflammatoires
et des Personnalités fu(
14 )
rieuses ; car les brochures de cette espèce
brûlent , et ne donnent point dé
lumière . On comptoit sur la réunion de
beaucoup de gens de marque , puissans
par leur nom , leur crédit , leur opulence,
sur les Volontaires , et sur la force des
principes. Environ 40. Membres de ce
Parti , réuni sous le titre de Société
Patriotique, avoient présenté aux Etats
de Brabant une Adresse , avec un Plan
d'organisation pour unenouvelle Assemblée
Nationale.
Ce Projet étoit celui de M. Vonck ;
Avocat , dont nous avons présenté l'esquisse
et la critique. Bientôt l'on excità
le Peuple contre cette Requête et contre
les Signataires : pour perdre ces derniers
, on se servit du moyen des scélérats,
des Catilina , des Triumvirs , savõir,
des listes de proscriptions : la multitude
eût ainsi des points de mire , afin de
diriger sa férocité à coup sûr.
Le 15 , on commença à insulter quelques
Proscrits ou adherens à leur cause ; on prétend
, ce que nous n'affirmons pas ,
mais que
d'autres exemples notoires rendent vraisemblable
, qu'on aiguisa la cupidité du Peuple
autant que sa rage , en lui distribuant de
l'argent. Le 16 , on commença à casser les
vitres de plusieurs maisons menacées ; on
finit par les dévaster et les piller. On rapporte
que quelques - unes furent traitées à
l'Angloise , c'est - à- dire , qu'on les démeubla ,
en jetant ensuite les effets dans le feu sans
y toucher. Divers Propriétaires connus pa
( 15 )
:
leur adhésion à la Requéte , furent en danger
, maltraités , blessés , ou ne durent leur
salut qu'à la fuite parmi ces derniers fut
l'Avocat Vonck. Les Volontaires sur lesquels
on avoit compté refusèrent le service : la seule -
Compagnie de M. Edouard IValkiers tint
ferme et tira ; mais sans succès : le Peuple
demanda la suppression de cette Compagnie
et la démission de son Chef; il obtint l'un
et l'autre. Le 17 , les désordres continuoient.
M. Van der Noot parut , harangua le Peuple ,
lui fit , dit - on , distribuer 3000 florins. Les
séditieux se dispersèrent , non sans assouvir
leur rage sur quelques Volontaires qu'ils
trouvèrent isolés . On demanda la tête de
M. Valkiers ; il se rendit aux Etats pour y
donner sa démission ; il en sortit sous l'escorte
de M. Van der Noot , aux huées de la
multitude , remercia sa Compagnie par une
Lettre circulaire , et partit la même nuit
avec son frère et sa soeur . Presque toutes
ces violences ont été l'ouvrage des gens de
rivière , surnommés les Capons , auxquels cependant
s'étoient réunis nombre de petits
Bourgeois . La défection des Volontaires
prouve à quel point les Chefs du Parti d'Aremberg
s'étoient fait illusion sur leurs ressources.
On a accusé M. Van der Noot et
d'autres Membres des Etats d'avoir conduit
ces excès , qu'encourageoit , dit on encore , la
Maîtresse même de ce Chef de la Révolution .
On a vu ailleurs , et récemment , des femmes
donner la preuve d'une ferocité non moins
énergique , et danser sur des cadavres égorgés
; mais ces imputations ne reposent encore
que sur l'autorité de quelques Gazettes. Le
calme n'a été rétabli que le 19 , lorsque le
Parti triomphant a vu ses Adversaires fugi(
16 )
tifs et dispersés , et qu'il a cru , pour son
intérêt et son honneur , devoir mettre fin à
ee brigandage .
Les Déclamateurs , qui avoient promis
tout succès aux Martyrs actuels
de l'insanité populaire , dans la persua
sion que la multitude leur étoit dévouée
; ces Déclamateurs qui en même
temps nous répétoient chaque jour que
plus le Peuple commet de violences , plus
il faut le chérir ; que l'incendie , le pillage
et l'assassinat sont l'exercice néces
saire de sa liberté ; enfin , qu'il n'y
a point de milieu , ou à l'investir de
tous les pouvoirs , ou à le rendre es
clave , ne sont pas peu embarrassés
maintenant d'expliquer le quiproquo
déplorable
de cette Ville. Il est aisé néanmoins
d'en donner la solution , Voulezvous
perdre l'Etat , la liberté et le Peuple
, donnez une part active à celui - ci
dans les contestations politiques : mêlez-
le à un mouvement qui sera bientôt
plus fort que lui et que vous comme
dans sa fougue il n'estjamais que l'instrument
des Chefs de factions , tôt ou tard
illeur sacrifie et l'intérêt public et le sien
propre , à moins que le long usage de la
liberténeluiait appris à la respecter dans
autrui , à vénérer religieusement les
Lois , et à se former une vertu publique,
qui disparoît même bientôt dans les Ré(
17 )
publiques , lorsqu'une fois elles ont perdu
leurs moeurs .
Pour obvier au retour de ces affreux
excès , pour se laver du reproche d'y
avoir concouru , et pour dissiper les
alarmes , les Etats ont rendu , le 19 ,
l'Ordonnance suivante . Elle est d'une
sévérité telle , qu'elle met le Brabant entier
sous une Loi Martiale , à la discrétion
de chaque Offensé .
Les trois Etats représentant le Peuple du
Duché de Brabant , à tous ceux qui ces présentes
verront , ou lire ouïront ; Salut : faisons
savoir. Comme la conservation du repos public
doit être une des vues principales d'un
pays bien policé , et que cependant ce repos
se trouve en ce moment troublé extrêmement
par des pillages de maisons , meubles et effets
, et par d'autres violences et excès , si
est- il que voulant y pourvoir le plus efficacement
, Nous avons , de l'avis et à la délibération
du Conseil Souverain de ce Duché
ordonné et statué , comme Nous ordonnons
et statuons par les présentes : »
་་
Art. I. Que tous ceux qui auront pillé
quelque maison , de qui que ce puisse être ,
ou qui auront attenté de la piller par force
ou menaces , seront punis de mort comme
voleurs publics et perturbateurs du pays ,
quand même ils n'auroient point commis
d'effraction de la maison ou demeure , ou
qu'ils n'en auroient rien emporté. "
II. Permettons à tous ceux qui seront
ainsi insultés , ou dont on aura pris , ότι
voulu prendre , par force ou par menaces ,
quelqu'argent , meubles ou effets , de se dé(
18 )
fendres, et repousser la force par la force ,
même de tuer les aggresseurs , sans que pour
ce ils seront responsables , ni actionnables ,
en quelque maniere que ce soit .
"C
"}
III. Que tous les Bourgeois et inhabi
tans , de quelqu'état ou condition qu'ils puissent
être , nuls exceptés , ni réservés , aussitôt
qu'ils s'apercevront de quelqu'attroupement
ou insulte , fait ou commencé dans leur
rue , quartier ou voisinage , devront s'armer
et venir au secours de ceux qui seront atta
qués ou menacés dans leurs maisons , demeures
, ou Personnes , et empêcher , autant
qu'il leur sera possible , tous les excès et
désordres , saisir les malfaiteurs , les garder
et délivreràla Garde la plus voisine , laquelle
les délivrera ensuite aux Officiers de Justice.
"
*
IV. Que ceux qui resteront en faute de
venir ainsi au secours , encourront l'amende
de cent florins .
"
"
V. Qu'en cas de résistance à ceux qui
viendront au secours des maisons ou Personnes
attaquées , ils pourront de même repousser
la force par la force , et les tuer *
sans pour ce méfaire , ni être recherché en
manière quelconque. »
" VI. Que Personne ne pourra se présenter
ou attrouper près des maisons ou endroits
où ces dé ordres et exces se commettent ,
que pour les empêcher , à peine d'encourir
pareille amende de cent florins .
« VII. Que les parens seront responsables
pour leurs enfans , les maîtres et inaîtresses
pour leurs domèstiques , au regard desdites
amendes pécuniaires ; et que ceux qui ne seront
pas en état de les payer , seront punis
( 19 )
et corrigés arbitrairement , selon l'exigence
du cas. "
"(
VIII. Que tous ceux qui formeront quelque
complot , ou tiendront des discours séditieux
, ou autres tendant à piller quelques
maisons ou demeures , attaquer ou insulter
quelques Personnes , seront fouettés et colloqués
à la maison de correction de cette Province
, et même punis de mort , selon Pexigence
du cas , quand même ledit complot ou
discours séditieux n'auroit point eu d'exécution.
"}
" IX. Que ceux qui entendront pareils discours
cu complot , seront tenus d'en informer
sur-le-champ l'Officier de Justice , en
nommant ou désignant ceux qui les auront
tenus , comme ils seront aussi obligés de dénoncer
ceux qui auront été présens aux
mêmes discours , à peine qu'ils seront châtiés
comme s'ils en étoient complices ; déclarant
qué leur nom sera tenu secret . »
X. Ordonnons à tous Officiers de Justice
de toutes les Villes , Quartiers , Maieries
, Bourgs et Villages , de prêter tout secours
et assistance à ceux qui seront menacés
, maltraités ou poursuivis , soit par une
ou plusieurs Personnes , à peine qu'il sera
pourvu à leur charge , selon l'exigence du
cas. "
"
XI. Et attendu que ces sortes d'excès
et désordres doivent être punis sans délai ' ,
Nous enchargeons et autorisons , dans ces
circonstances , tous les Magistrats et Officiers
des Villes , Maieries-, Quartiers et
Districts , de procéder contre lesdits Delinquans
le plus sommairement que faire se
peat , afin que l'exécution s'en puisse faire
au plutôt , en les condamnant aux peines
( 20 )
statuées par la présente Ordonnance et
autres antérieures , sans user d'aucune dissimulation
, à peine que l'on procédera contre
eux comme fauteurs desdits délinquans.
Si mandons et ordonnons , etc. " #
FRANCE.
De Paris , le 31 Mars.
ASSEMBLÉE NATIONALE . 47° . Semaine.
Dans la Séance du Samedi soir zo de ce
mois , une Députation de la Bretagne et de
l'Anjou , fit lecture à l'Assemblée du Pacte
Fédératif arrêté entre ces deux Provinces
dans le Congrès de Ponthivy. On connoîtra
l'objet de
ce Traité par le serment suivant
qui y est joint.
<<
*C
«
64
48
་ ་ C'est aux yeux de l'Univers , c'est sur
l'Autel du Dieu qui punit les parjures ,
que nous promettons et que nous jurons
d'être fidèles à la Nation , à la Loi et
au Roi , et de maintenir la Constitution
Françoise. Périsse l'infracteur de ce Pacte
sacré Prospère à jamais son religieux observateur
! S
Dans la même Séance , on discuta deux
nouveaux articles proposés par M. Treilhard
au nom du Comité Ecclésiastique. Ces
Décrets modifiés par quelques amendemens
reçus furent rendus en ces termes :
་་
<<
*
"
ART. I. Les Officiers Municipaux se
transporteront , dans la huitaine de la pu
blication du présent Décret , dans toutes
les Maisons de Religieux de leur territoire
; ils s'y feront représenter tous les
( 21 )

་་
21
Registres et Comptes de Régie , les aret
formeront rêteront , un résultat des
" revenus et des époques de leurs échéances ;
ils dresseront sur papier libre et sans frais ,
" un état et description sommaire de l'argenterie
, argent monnoyé , des effets de la
Sacristie , Bibliothèque , Livres , Manuscrits
, Médailles , et du mobilier le plus
précieux de la Maison , en présence de
tous les Religieux , à la charge et garde
desquels ils laisseront lesdits objets , et dont
ils recevront les déclarations sur l'état ac-
« tuelde leurs Maisons, de leurs dettes mobiliaires
et immobiliaires , et des titres qui les
" constatent. "
་ ་
"I
"
"
"

" Les Officiers Municipaux dresseront aussi.
un état des Religieux - Profes de chaque
Maison et de ceux qui y sont affiliés , avec
lear nom , leur âge , et la place qu'ils occupent;
ils recevront la déclaration de ceux.
qui voudront s'expliquer sur leur intention
« de sortir des Maisons de leur Ordre , ou
" d'y rester , et ils vérifieront le nombre des
Sujets que chaque Maison pourroit conu
((
" tenir. »
"
་་

"
24

" Dans le cas où une Maison Religieuse
ne dépendroit d'aucune Municipalité , et
formeroit seule un territoire séparé , toutes
les opérations ci- dessus y seront faites par
les Officiers Municipaux de la Ville la
plus prochaine. "
་ ་
II . Huitaine après , les Officiers Muni- ~~
cipaux enverront à l'Assemblée Nationale
une expédition des Procès- verbaux et des
Etats mentionnés en l'article précédent ;
l'Assemblée Nationale règlera ensuite l'époque
et les caisses où commencéront à
être acquittés les traitemens fixés tant pour
( 16 )
tifs et dispersés , et qu'il a cru , pour son
intérêt et son honneur , devoir mettre fin à
ee brigandage.
Les Déclamateurs , qui avoient promis
tout succès aux Martyrs actuels
de l'insanité populaire , dans la persua
sion que la multitude leur étoit dévouée
; ces Déclamateurs qui en même
temps nous répétoient chaque jour que
plus le Peuple commet de violences , plus
il faut le chérir ; que l'incendie , le pillage
et l'assassinat sont l'exercice nécessaire
de sa liberté ; enfin , qu'il n'y
a point de milieu , ou à l'investir de
tous les pouvoirs , ou à le rendre es
clave , ne sont pas peu embarrassés
maintenant d'expliquer le quiproquo déplorable
de cette Ville. Il est aisé néanmoins
d'en donner la solution . Voulezvous
perdre l'Etat , la liberté et le Peuple
, donnez une part active à celui - ci
dans les contestations politiques : mêlez-
le à un mouvement qui sera bientôt
plus fort que lui et que vous : comme
dans sa fougue il n'est jamais que l'instrument
des Chefs de factions , tôt ou tard
illeur sacrifie et l'intérêt public et le sien
propre, à moins que le long usage de la
liberté ne lui ait appris à la respecter dans
autrui , à vénérer religieusement les
Lois , et à se former une vertu publique ,
qui disparoît même bientôt dans les Ré(
17 )
publiques , lorsqu'une fois elles ont perdu
leurs moeurs .
Pour obvier au retour de ces affreux
excès , pour se laver du reproche d'y
avoir concouru , et pour dissiper les
alarmes , les Etats ont rendu , le 19 ,
l'Ordonnance suivante . Elle est d'une
sévérité telle , qu'elle met le Brabant entier
sous une Loi Martiale , à la discrétion
de chaque Offensé.

Les trois Etats représentant le Peuple du
Duché de Brabant , à tous ceux qui ces présentes
verront , ou lire ouïront ; Salut : faisons
savoir. Comme la conservation du repos public
doit être une des vues principales d'un
pays bien policé , et que cependant ce repos
se trouve en ce moment troublé extrêmement
par des pillages de maisons , meubles et effets
, et par d'autres violences et excès , si
est- il que voulant y pourvoir le plus efficacement
, Nous avons , de l'avis et à la délibération
du Conseil Souverain de ce Duché ,
ordonné et statué , comme Nous ordonnons
et statuons par les présentes : "
"
Art. I. Que tous ceux qui auront pillé
quelque maison , de qui que ce puisse être ,
ou qui auront attenté de la piller par force
ou menaces , seront punis de mort comme
voleurs publics et perturbateurs du pays ,
quand même ils n'auroient point commis
d'effraction de la maison ou demeure , ou
qu'ils n'en auroient rien emporté. "
"
II. Permettons à tous ceux qui seront
ainsi insultés , ou dont on aura pris , our`
voulu prendre , par force ou par menaces ,
quelqu'argent , meubles ou effets , de se dé(
18 )
fendre , et repousser la force par la force ,
même de tuer les aggresseurs , sans que pour
ce ils seront responsables , ni actionnables ,
en quelque maniere que ce soit . "
III. Que tous les Bourgeois et inhabitans
, de quelqu'état ou condition qu'ils puissent
être , nuls exceptés , ni réservés , aussitôt
qu'ils s'apercevront de quelqu'attroupement
ou insulte , fait ou commencé dans leur
rue , quartier ou voisinage , devront s'armer
et venir au secours de ceux qui seront attaqués
ou menacés dans leurs maisons , demeures
, ou Personnes , et empêcher , autant
qu'il leur sera possible tous les excès et
désordres , saisir les malfaiteurs , les garder
et délivrerà la Garde la plus voisine , laquelle
les délivrera ensuite aux Officiers de Justice.
"}
IV. Que ceux qui resteront en faute de
venir ainsi au secours , encourront l'amende
de cent florins .
"
"3
V. Qu'en cas de résistance à ceux qui
viendront au secours des maisons ou Personnes
attaquées , ils pourront de même repousser
la force par la force , et les tuer
sans pour ce méfaire , ni être recherché en
manière quelconque . »
"
་་ VI. Que Personne ne pourra se présenter
ou attrouper près des maisons ou endroits
où ces dé ordres et exces se commettent
que pour les empêcher , à peine d'encourir
pareille amende de cent florins. »
"C
VII. Que les parens seront responsables
pour leurs enfans , les maîtres et inaîtresses
pour leurs domèstiques , au regard desdites
amendes pécuniaires ; et que ceux qui ne seront
pas en état de les payer , seront punis
( 19 )
et corrigés arbitrairement , selon l'exigence
du cas . "
« VIII. Que tous ceux qui formeront quelque
complot , ou tiendront des discours séditieux
, ou autres tendant à piller quelques
maisons ou demeures , attaquer ou insulter
quelques Personnes , seront fouettés et colloqués
à la maison de correction de cette Province
, et même punis de mort , selon l'exigence
du cas , quand même ledit complot ou
discours séditieux n'auroit point eu d'exécution
. »
« IX. Que ceux qui entendront pareils discours
cu complot , seront tenus d'en informer
sur- le -champ l'Officier de Justice , en
nommant ou désignant ceux qui les auront
tenus , comme ils seront aussi obligés de dénoncer
ceux qui auront été présens aux
mêmes discours , à peine qu'ils seront châ
tiés comme s'ils en étoient complices ; déclarant
que leur nom sera tenu secret. »
X. Ordonnons à tous Officiers de Justice
de toutes les Villes , Quartiers , Maieries
, Bourgs et Villages , de prêter tout secours
et assistance à ceux qui seront menacés
, maltraités ou poursuivis , soit par une
ou plusieurs Personnes , à peine qu'il sera
pourvu à leur charge , selon l'exigence du
cas. "
" XI. Et attendu que ces sortes d'excès
et désordres doivent être punis sans délai ' ,
Nous enchargeons et autorisons , dans ces
circonstances , tous les Magistrats et Officiers
des Villes , Maieries , Quartiers et
Districts , de procéder contre lesdits Delinquans
le plus sommairement que faire se
peat , afin que l'exécution s'en puisse faire
au plutôt , en les condamnant aux peines
( 20 )
statuées par la présente Ordonnance et
autres antérieures , sans user d'aucune dissimulation
, à peine que l'on procédera contre
eux comme fauteurs desdits délinquans .
Si mandons et ordonnons , etc. "
FRANCE.
De Paris , le 31 Mars.
ASSEMBLÉE NATIONALE . 47 ° . Semaine.
Dans la Séance du Samedi soir zo de ce
mois , une Députation de la Bretagne et de
l'Anjou , fit lecture à l'Assemblée du Pacte
Fédératif arrêté entre ces deux Provinces
dans le Congrès de Ponthivy. On connoîtra
l'objet de ce Traité par le serment suivant
qui y est joint.
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་་
C'est aux yeux de l'Univers , c'est sur
« l'Autel du Dieu qui punit les parjures
44
2
que nous promettons et que nous jurons
d'être fidèles à la Nation , à la Loi et
" au Roi , et de maintenir la Constitution
Françoise. Périsse l'infracteur de ce Pacte
sacre! Prospère à jamais son religieux ob-
64
"8
14 servateur ! »
Dans la même Séance , on discuta deux
nouveaux articles proposés par M. Treilhard
au nom du Comité Ecclésiastique . Ces
Décrets modifiés par quelques amendemens
reçus furent rendus en ces termes :
་་
"
16
་ ་
ART. I. Les Officiers Municipaux se
transporteront , dans la huitaine de la publication
du présent Décret , dans toutes
les Maisons de Religieux de leur territoire
; ils s'y feront représenter tous les
( 21 )
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44
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"

Registres et Comptes de Régie , les arrêteront
, et formeront un résultat des
revenus et des époques de leurs échéances ;
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" un état et description sommaire de l'argenterie
, argeat monnoyé , des effets de la
Sacristie , Bibliothèque , Livres , Manus-
" crits , Médailles , et du mobilier le plus
précieux de la Maison , en présence de
tous les Religieux , à la charge et garde
desquels ils laisseront lesdits objets , et dont
ils recevront les déclarations sur l'état actuel
de leurs Maisons , de leurs dettes mobiliaires
et immobiliaires , et des titres qui les
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constatent. "
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un état des Religieux - Profes de chaque
Maison et de ceux qui y sont affiliés , avec
« lear nom , leur âge , et la place qu'ils occupent
; ils recevront la déclaration de ceux
qui voudront s'expliquer sur leur intention
« de sortir des Maisons de leur Ordre , ou
d'y rester , et ils vérifieront le nombre des
Sujets que chaque Maison pourroit contenir.
"
"
"
"
Dans le cas où une Maison Religieuse
ne dépendroit d'aucune Municipalité , et
formeroit seule un territoire séparé , toutes
" les opérations ci- dessus y seront faites par
les Officiers Municipaux de la Ville la
plus prochaine . "
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(1
"
II. Huitaine après , les Officiers Municipaux
enverront à l'Assemblée Nationale
une expédition des Procès - verbaux et des
Etats mentionnés en l'article précédent ;
« l'Assemblée Nationale règlera ensuite l'époque
et les caisses où commencéront à
être acquittés les traitemens fixés tant pour
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( 22 )
"
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"
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les Religieux qui sortiront , que pour les
Maisons dans lesquelles seront tenus de
« se retirer ceux qui ne voudront pas sortir. »
L'Assemblée Nationale ajourne les autres
articles du Rapport de son Comité Ecclesiastique
; en attendant , les Religieux ,
tant qu'ils resteront dans leurs Maisons ,
y vivront comme par le passé , et seront
les Officiers desdites Maisons tenus de donner
aux différentes natures de biens qu'ils
exploitént , les soins nécessaires pour leur
conservation , et pour préparer la prochaine
recolte ; et en cas de négligence de leur
part , les Municipalités y pourvoiront aux
« frais desdites Maisons .
"
"
་་
"
"(
"
"
DU DIMANCHE 27 MARS .
M. de Cernon , l'un des Commissaires
Adjoints au Comité de Constitution pour
la division du Royaume , proposa à l'ouverture
d'autoriser le Comité à rayer des
cartes et Procès- verbaux des Départemens ,
les protestations de quelques Députés ;
cette proposition ayant été accueillie , M.
Dupont se présenta ensuite avec un chane
gement de rédaction à adopter dans le Décret
de la veille , concernant les Minottiers
et Regrattiers de sel . Sur le voeu de plusieurs
Opinans , on finit par décréter l'addition suivante
à cet article.
"
"
Et pour jouir du bénéfice de cet article ,
« lesdits revendeurs seront tenus de faire
dans les 24 heures de la publication du
présent Décret , à la Municipalité du lieu
« de leur résidence , la déclaration de la
quantité de sel qu'ils auront entre les mains
provenant de la ferme générale. La qualité.
« sera vérifiée par les Municipalités , qui en a
demanderont échantillon . »
"(

( 23 )
M. Dupont passa de là à un dernier article
, portant cassation de tous les Proces
criminels commencés pour faits de gabelle ,
et la liberté des galériens détenus pour la
même cause.
Divers amendemens furent inutilement demandés
et discutés ; cette proposition fut
statuée en ces termes :
"
ce
"
"
« Les Procès criminels commencés pour
faits de Gabelle , seront annulles sans frais .
Le Roi sera supplié de faire remettre en
liberté les Personnes détenues dans les
prisons ou aux galères , pour faits de Gabelles
seulement.
"
ORDRE DE TRAVAIL.
M. le Baron de Ménou fit lecture à la Tribune
d'une Motion relative à l'Ordre de
travail que devoit suivre l'Assemblée ; motion
précédée d'un Préambule , où M. de
Menou revint à l'apologie des Représentans
de la Nation . Il représenta , ainsi que l'avoient
fait MM . l'Evêque d'Autun et Rabaud
de St. Etienne , que l'Assemblée étoit allée
plus loin que ce qu'aucune Nation avoit jamais
osé ; détruire toutes les erreurs , toutes
les institutions , tous les abus toutes les
habitudes ; substituer la raison et la justice
sur les ruines de tous les intérêts personnels ,
bâtir les fondemens d'un nouvel ordre de
choses.
"
« Les détracteurs de nos travaux , ajouta
l'Opinant , nous accusent d'avoir tout renverse.
Eh ! pourquoi la Nation s'est- elle assemblée
, si non pour détruire à-la- fois tous
ces abus , et prévenir la banqueroute à laquelle
ils nous entraînoient ? Il n'étoit plus
( 24 )
temps d'employer des palliatifs ; tout étant
vicieux , tout devoit être anéanti . »
" Ils nous reprochent de détruire la Monarchie
! Qu'ils jettent les yeux sur nos tra,
vaux ; tous tendent aux principes d'une Monarchie
libre par les Lois . De quelle autorité
jouissoit le Roi avant l'Assemblée Nationale ?
de celle de la force. Le Monarque étoitil
heureux ? chargé d'un fardeau immense
dont il ne pouvoit seul soutenir le poids ,
trompé , tyrannisé par ses Courtisans , il
n'avoit que les formes de la Puissance , sans
en avoir la dignité. Que va- t- il arriver ? Let
Roi, centre du Pouvoir , Chef de l'ordre exé.
cutif et administratif , donnera le mouvement
à toute la machine politique ; toujours
obéi , parce qu'il commandera au nom de
la Loi , et que tous les Citoyens protégeront
les Lois qu'ils ont faites . Il aura la Puissance
de faire le bien , et sera dans l'heureuse impuissance
de faire le mal ; Chef d'un Peuple
libre , il sera le plus puissant Monarque de
l'Univers.
" Mais , objecte- t- on , l'Assemblée Nationale
ne parle que de la liberté , de la tran
quillité, de l'autorité du Roi ; elles n'existent
pas . Répondez , hommes pervers qui semez
la discorde , avant que la Constitution soit
terminée , le Roi peut-il y trouver toute la
liberté , toute l'autorité qu'elle lui accordera
? "
M. de Menou lut ensuite une formule de
Décret en dix articles , que voici :
« L'assemblée Nationale considérant qu'elle
a déja décrété que les Lundi , Mardi , Mercredi
et Jeudi seront entièrement consacrés
à la Constitution , et les Vendredi , Samedi
et
( 25 )
et Dimanché aux Finances , et que toutes
autres affaires seront portées aux Séances
du soir , décrète :
1° . Que dorénavant les Séances du matin
commenceront à neuf heures , excepté
celle du Dimanche , qui commencera à onze
heures.
"
2 °. Que chaque Séance du matin sera
divisée en deux parties ; la première , de
neuf heures à une heure , sera employee à
lire les Procès- verbaux et à discuterla Constitution
et les objets majeurs d'intérêt général
; la seconde , à examiner , des, objets
d'intérêt général , moins importans et moins
majeurs.
1
3°. Qu'elle n'entend cependant pas s'astreindre
à ne point employer la Séance entiere
aux objets les plus importans , quand
les circonstances l'exigeront,"
4. Afin que tous les Députés soient
instruits des matières dont l'Assemblée s'occupera
, on affichera au bas de chaque Tribune
un Tableau de l'ordre du lendemaix ,
qui contiendra l'énumération des objets qui
devroient être traités ou qui auront été
ajournés.
2
5. Que tous les Députés qui auront
quelque Motion importante à proposer , en
préviendront d'avance le Président , afin
qu'on puisse afficher l'objet de la Motion
et le nom de son Auteur . "
« 6°. Que le Comité de Constitution présentera
le Dimanche 28 de ce mois , laserie
ou tableau raisonné de tous les objets à
décréter pour achever la Constitution , et
des articles necessaires pour expliquer les
Décrets dans lesquels les principes ont été
consacrés. "
Nº. 14. 3 Avril 1790. B
( 26 )
2
་ ་ °. Que l'Assemblée s'occupera , sans
discontinuer , de decreter les Projets de Décrets
relatifs aux Finances , et présentés par
le Comité ; et qu'ensuite elle reprendra
les jours désignés , le travail de la Constitution
, en commençant par l'Ordre judiciaire
.
"
"}
8°. Que dans l'espace de huit jours , les
différens Comités présenteront l'ordre de
leurs travaux , et dresseront le tableau des
objets primitifs de leur travail , et des objets
qui leur ont été renvoyés. "
9° . Que désormais il ne sera reçu de
Députation que dans les Séances du soir. "
10º. Qu'enfin , dans aucun cas , l'Assemblée
ne lèvera la Séance que le Prési
dent ne l'ait prononcé. "
"
M. de la Fayette appuya la Motion` précédente
, en rappelant l'importance du tra
vail sur les Finances et sur la Constitution
il représenta celle- ci sous les traits sui
vans :-
" Avec la Constitution , dit- il , on a tout;
Législatures représentatives , où la Loi s
forme avec sagesse ; Ordre judiciaire don
les Jusés soient la base ; Administration
électives , mais graduellement subordonnée
au Chef suprême ; Armée disciplinée san
qu'on puisse en abuser ; Education qui grav
tous les principes et recueille tous les ta
Jens ; une Nation tranquille sous les arme
de la Liberté ; un Rai investi de toute l
force qu'exige une grande Monarchie
de l'éclat qui convient à la Majesté d'u
grand Peuple; enfin , une organisation ferm
et complète du Gouvernement , et cette dé
efinition distincte de chaque Pouvoir , q
seule exclut toutes les tyrannies ,
.0 .
"
( 27 )
Je dois rappeler à l'Assemblée que let
Gardes Nationales , dont le zèle est aussi
constant qu'énergique , brûlent de trouver
dans nos Décrets leur place constitutionnelle
, et d'y lire leurs devoirs ; mais je conviens,
que le travail judiciaire presse d'autant
plus , que trop souvent la Loi rencontre
dans ses principaux organes des Adversaires ,
et que des factions de tout genre peuvent
encore- tenter , dans leurs coupables égaremens
, d'opposer des obstacles ou des prétextes
à l'etablissement de l'ordre public. "
Et peut-être quelque impatience est-
' elle permise à celui qui , ayant promis au
Peuple , non de le flatter , mais de le défendre
, s'est promis à lui-même , que la fin
de la Révolution , en le replaçant exactement
où il étoit lorsqu'elle commença , le
laisseroit tout entier à la pureté de ses souvenirs.
"
་་
La Motion présentée par M. de Menou,
dit M. de Clermont - Tonnerre , me paroît
tellement propre à rapprocher et réunir tons
ceux qui , differant peut-être d'opinion , ne
different pas de sentiment , et sont également
attachés à la Constitution , que je me
reprocherois de vous arrêter un moment . Si
quelqu'un veut parler contre la Motion , je
réserve la parole pour lui répondre.
DD
Le plan de M. de Menou , observa M.
4, l'Evêque de Dijon , n'est autre chose qu'une
addition au Reglement , dont l'Assemblee
s'est fréquemment écartée . Il est donc nécessaire
qu'elle s'engage à ne jamais déroger
au nouvel ordre de travail qu'on lui
propose.
་ ་ Je demande , dit M. de Montlauzier
une exception en faveur de la Compagnie

( 28 )
>
ani des Indes . Je demande encore que le Comité
a: de Constitution soit chargé de nous presen-
397 ter un terme à la Session actuelle; qu'il le
-noprésente pour asserer la liberté , la confiance ,
-no'ordre la paix publique . Disons à Europe
sentiere qui nous regarde existe une Asnosemblée
Nationale Permanente ; mais ce
asmonstre d'autorité , cette réunion de tous
ales pouvoirs ne sera pas éternelle.
+
Cette Motion , sur laquelle M. Mathieu de
Montmorenci raisonna quelques momens , et
contradictoirement , fut écartée par la ques-
→ tion préalable. Quant au plan de M. de Meis
mou , il fut adopté en entier , à la réserve de
b l'art. 2 qu'on supprima.
"
Pendant le cours de cette discussion
M. Charles de Lameth avoit fait une Motion
incidente d'une autre nature ; en parlant de
la nécessité d'accélérer Porganisation du
Pouvoir Militaire : « Il y a trois semaines ,
dit- il , que vous avez décrété une douzaine
esd'articles constitutionnels sur cette matière.
Le Ministre de la guerre doit vous présenter
un nouveau Plan . Cependant vous avez senti
la nécessité de présenter sur le champ ,
articles Constitutionnels à l'acceptation du
Roi, et depuis trois semaines que vous la sollicitez
, elle n'est pas donnée encore . "
ces
A Versailles le Roi a différé seulement
24 heures d'accepter des Décrets de Constitution
et l'Assemblée delibera qu'elle ne désempareroit
pas que cette acceptation ne fût .
donnée. C'est avec cette énergie , ce courage
inébranlable que nous sommes arrivés
jusqu'à cette époque ; et je dirai que ce
n'est pas celle où nous avons le moins de besoin
.
**
Je demande que le Président se retire
( 29 ) )
dans le jour , partievers le Rois pour le prier .
de donner son acceptation à ces Décrets
et que demain l'Assemblée ne désempare pas
qu'ils n'aient été acceptés.
La dernière partie de cet avis fut reçue
et rejetée avec une improbation presque universelle
. M. de Saint-Fargeau en fit sentir
l'improprieté et le danger , et demanda la
division de la Motion dontle premier Mem- 1
bre fut seul accepté.
On remarqua , nous tenons le fait de plu -´ ›
sieurs Députés , qu'à l'instant où M. de Saint-
Fargeau ouvrit son , opinion , très - sage , une
dame connue , qui s'étoit placée à la Barre
de la Chambre , laissa échapper une imprécation
qui fut ouie et retenue des Députés circonvoisins.ha
DU LUNDI 22 MARS .
"
M. le Président a rendu , compte d'une
Députation envoyée hier chez le Roi et chez
la Reme, à l'occasion de la mort de l'Empereur,
ainsi que des discours qui ont été
prononcés à cette occasion . Dans une phrase
de sa harangue à la Reine , M. le Président
a rendu au caractere de cette auguste Prin
cesse , un hommage qui étoit déja celui de
' Europe entiere. « L'Assemblée , a- t- il dit ,
place son espoir dans cet e force de caractere
, qui éleve Votre Majesté si fort au
dessus des revers. "
14
16
་་
FINANCES.
*
M. Dupont a présenté differens Décrets
servant de suite à ceux qui ont fixé le remplacement
de la Gabelle. Ces Décrets ༤ མ་ sont
si nombreux , qu'il ne nous reste aucune
place à donner à la discussion légère et fas-
Bi
( 30 )
tidieuse qui s'est élevée sur quelques articles.
Ils ont pour objet les droits sur la marque
des Cuirs , sur les Amidons , sur la marque
des Fers , et sur la fabrication des Huiles .
Tous ont été décrétés dans l'ordre suivant
Décret sur la marque des Cuirs.
L'Assemblée Nationale a décrété et décrète
ce qui suit :
" I. L'exercicé du Droit de marque des
Cuirs será supprimé dans toute l'étendue du
Royaume , à compter du premier avril prochain
, à la charge , par les tanneurs et autres
fabricans de cuirs et de peaux , d'acquitter
en douze payemens , et dans l'espace de
douze mois , la valeur des droits dus par les
marchandises qu'ils ont chargées , sur le piedd'une
estimation moyenne qui sera réglée ,
par un Décret particulier. "
"
"
II. L'abonnement du droit de marque
des cuirs et peaux , pour toutes les marchandises
de cette espèce qui seront mises en fabrication
, et fabriquées à l'avenir sera
rendu général au moyen d'une contribution
sur le pied de six millions par année , qui
sera répartie provisoirement et pour la présente
année seulement , à compter dù premier
avril prochain , sur tous les propriétaires
et habitans du royaume , en proportion
de toutes les impositions directes et de
tous les droits d'entrée des Villes , laquelle
répartition aura lieu , quant aux impositions,
directes , au marc la livre , par simple émargement
sur les
d'entrées
réglée par un Décret particulier
des Vites
, et quant
aux droits
27
1

J
12
J
)

1
Τ
( 31 )
Décret sur la fabrication des Amidons.
L'Assemblée Nationale a décrété et décrete
ce qui suit :
I. Le droit sur la fabrication des Amidons
sera supprimé , à compter du premier
avril prochain. "
" Les abonnemens relatifs au même droit
cesseront , à compter du même jour.
ע
II . Il sera établi provisoirement , et pour
la présente année seulement , à compter aussi
du même jour , une contribution sur le pied
d'un million par année , sur toutes les Villes
du royaume , en proportion de toutes leurs
impositions directes , au mare la livre , et
par simple émargement sur les rôles , et
quant aux droits d'entrée , en la forme qui
sera réglée par un Décret particulier. »
Décret sur le droit de marque des Fers,
L'Assemblée Nationale a décrété et décrète
ce qui suit :
I. L'exercice du droit de marque des fers à
la fabrication et au transport dans l'intérieur
du Royaume , sera supprimé , à compter du
premier avril prochain .
"
"
II. « Les maîtres de forges et de fonderies ,
dans les Departemens où les droits avoient
lieu à la fabrication , seront tenus d'acquitter
en six mois , et en six payemens égaux , les
droits qui peuvent être dûs par leurs fers
deja fabriqués.
"
Et à compter du premier octobre prochain
, ceux qui ont des marchés à terme
bonifieront à leurs acquéreurs , pendant le
cours desdits marchés , la valeur du droit
dont leurs fers sont dechargés à la fabrication
par le présent Decret. "
Biv
( 32 )
"
III . L'abonnement dudit droit de fabrication
et desdits droits de traite sur les
fers et ouvrages de fer et acier , sera rendu
général , à compter dudit jour premier avril
prochain provisoirement , et pour la présente
année seulement , au moyen d'une contribution
réglée sur le pied d'un million par année
sur les Departemens et Districts qui formoient
le ressort du Parlement de Paris ,
de Dijon , de Metz , et de la Cour des Aides
de Clermont - Ferrand , à l'exception des
Districts formant partie du ressort desdites
Cours , où le droit de la fabrication n'auroit
été ǹi établi ni perçu , et d'une contribution
de 500 mille livres sur tout le reste
du Royaume . "
་་ Lesdites contributions
seront établies en
proportion des impositions réelles et personnelles
de tous les Départemens
où elles doivent
avoir lieu , et des droits d'entrée des
Villes dans ces mêmes Départemens ; savoir ,
quant aux impositions directes , au mare la.
livre , et par simplé émargement
sur les
roles ; et quant aux droits d'entrée des Villes ,
en la forme qui sera réglée par un Décret
particulier. "
IV. Il sera établi à toutes les entrées
du Royaume un droit uniforme , égal à celui
qui avoit déja lieu dans les Provinces ou Départemens,
où se percevoit le droit de marque
des fers . 28
Décret sur le droit à la fabrication et au
transpo.t des Huiles et des Savons.
L'Assemblée Nationale a décrété et décrète
ce qui suit:
I. Les abonnemens du droit de fabrica
tion des Huiles , qui ont eu lieu en diffé(
83 ) )
rentes Provinces continueront provisoirement
, et pour la présente année seulement ,
dans les Départemens et Districts qui fornoient
autrefois ces Provinces.
Hon Les droits de traite que payoient
lesi Huiles et les Savons de ces mêmes Provinces
, lorsqu'ils en sortoient pour entrer
dans la consommation du reste du Royaume,,.
seront pareillement abonnes provisoirement ,
et pour la présente année seulement , par une
contributions à raison de cinq cents , mille
livres par année , sur hes, Departemens et ..
Districts qui n'ont abonne que le droit de
fabrication ,
" II. L'abonnement sera rendu général par
une contribution , à raison d'un million par
année , établi provisoirement sur les Depar
temens et Districts , où la perception du droit
à la fabrication des Huiles, avoit lien. »
"
f
IV. Lesdites contributions seront pro
portionnées à toutes les impositions réelles.
ou personnelles , et à tous les droits d'entrée .
des villes , et réparties , savoir , quant aux
impositions directes , au mare la livre , et
par simple émargement sur les roles ; et quanthi
aux droits d'entrée des Villes , en la forme
qui sera réglée par un Décret particulier.
Décret sur la forme de Contribution des Villes,
T
1
ART. I. La sonrme dont chaque Ville sera
contribuable , à raison de ses droits d'entrée ,
pour le remplacenient de la portion qu'elle
acquittoit dans les differens droits supprimés
ou abonnés par les Decrets de ce jour , sera
incessamment réglée ; et sur la notion qui
sera officiellement donnée à chaque ville de
sa part contributoire , la Municipalité sera
tenue de proposer , sous 15 jours au plus
tard, laforme del'etablissement qu'elle jugera
>
By
( 34 ) )
"
t
ny
le plus convenable pour procurer cette somme,
soit par une addition de sols pour livre à
ses anciens Octrois , soit par une augmentation
dans quelques parties de ceux- ci , qui
paroîtroient n'avoir pas été suffisamment
élevés dans les tarifs , soit par un Octroi
nouveau sur quelques marchandises dont 7
les anciens tarifs auroient omis l'énonciation , b
soit par un plus grand accroissement dans
les contributions personnelles , soit par les
autres Impositions qui peuvent être regardées
comme mitoyennes entre les impositions per
sonnelles et les impositions réelles , et qui
sont relatives aux loyers ou à quelques circonstances
particulières des maisons. II!
II. Les Directoires de Districts feront
passer, dans le délai de huit jours , avec leur c
avis , la délibération desdites Villes au Directoire
de leur Département , qui les en- s
verra dans le même espace de huit jours ,
avec son avis , à l'Assemblée Nationale
laquelle , d'après lesdits avis , hoinologuera
ou modifiera lesdites délibération et décré-35
tera la perception. Et dans le cas où les
Municipalités pourroient donner leur opi- q
nion avant la formation du Directoire , elles
sont autorisées à les adresser à l'Assemblée
Nationale.

III. Dans le cas où le produit excéderoit
dans quelques villes , la somme demandéer
la Législature décidera de l'emploi de l'excé oq
dent au profit de ces Villes , sur l'avis duos
Directoire de District et du Directoire de
Département , Dans le cas de déficit , il y
sera pourvu par augmentation sur les impo
sitions directes de la Ville.
Suivoit un autre Projet de M. Dupont t
pour restreindre l'usage des contre seings et
( 35 )
-
des franchises des Lettres , en obligeant tous
les Particuliers ou Municipalités , d'affranchir
les ports , lorsqu'ils écriroient à l'Assemblée
Nationale , aux Ministres , aux Directoires
de leur Département ou de leurs
Districts , etc. L'article 2 portoit qu'il n'y
auroit de Lettres franches que celles envoyées
par l'Assemblée Nationale , ou par
les Ministres aux Directoires , et récipioquement.
Les contradicteurs de cet article , ont prin
cipalement insisté sur la nécessite de conserver
une entière liberté aux correspondances
des Membres de l'Assemblée ave
les Municipalités , et même avec les Particuliers
, dont ils reçoivent des instructions ,
des projets utiles .
1
M. Dupont a répliqué que la multiplicité .
des Assemblées Administratives et Munici
pales , les abus tous les jours plus nombreux
du contre seing , livré à chaque Meubre de
l'Assemblée , mettoient l'Administration des
Postes dans l'impossibilité d'acquitter ses
engagemens , et qu'au lieu d'une augmen-.
tation de revenu sur cet objet , il surviendroit
une grande diminution . « Il s'agit , a - t-il
ajouté , de débarrasser l'Assemblee et les
Ministres , de tant de paquets inutiles qui
leur sont adressés ; et de rejeter plutôt sur
les faiseurs de projets le port de leur envoi ;
ce qui , pour chacun individuellement , né
formera pas une grande dépense.
Ces considérations ont paru moins fortes
que les raisons opposées , et le Décret a été
ajourné dans sa totalité.
M. Voidel a proposé ensuite , à l'exemple
de l'Angleterre , un impót modéré sur les
B vj
( 36 )
Journaux et Feuilles publiques ( 1 ) ; cette
proposition goûtée a été renvoyée au Comité
des Finances .
Un autre Projet du Comité sur les débets
et sur l'arriéré , a été ensuite mis en discussion
et adopté en ces termes ;
1. Les debets qui peuvent avoir lieu sur I.
les droits d'aides et autres y réunis , seront
acquittés par tiers , de mois en mois , dans
les trois mois d'Avril , Mai et Juin . (»
" II. Les droits de traites , aides et autres
qui n'ont été ni supprimés , ui abonnés par
les Décrets de l'Assemblée Nationale , seront
exactement acquittés dans la forme prescrite
par les Ordonnances et les Réglemens , jusqu'à
ce qu'il en ait été autrement ordonné
par l'Assemblée Nationale , et les barrières
nécessaires à leur perception seront incessamment
et efficacement rreétablies.
III . Les Villes , Paroisses et Communautés
qui sont arriérées dans le payement
de leurs impositions , seront tenues de se
rapprocher dans le cours de la présente
année , d'une somme équivalente aux deux
tiers de ce qu'aura produit , dans chacune
4
( 1 ) En Angleterre , les Journaux et tout
Imprimé qui passe une feuille , n'est point
soumis au timbre . Les raisons de cette
différence , et les précautions à prendre
pour ne pas anéantir le produit de la taxe
à sa naissance , ne semblent pas avoir été
assez approfondies , quoiqu'elles aient été
développées avec netteté et exactitude dans le
No. 5 du Mercure de France de cette
année.
( 37 )
desdites Villes , Paroisses et Communautés ,
la contribution des ci - devant Privilégiés
pour les six derniers mois de 1789 , et pour
Î'année 1790.. ”
IV. L'Assemblée Nationale dispense du
rapprochement ordonné par l'article précé--
dent , les Villes , Paroisses et Communautés
qui ont fait ou feront, don patriotique à la
Nation de la portion de contribution des
ci- devant Privilégiés , pour les six derniers
mois de 1789.
Le Décret suivant n'ayant éprouvé aucune
contradiction , l'Assemblee l'a décrété en ces
termes :
" L'Assemblée Nationalé voulant assurer ,
dans tous les cas , le service public de l'année
1790 , a décrété et décrète que , si par de
nouvelles économies ou la bonne administration
des moyens de Finance adoptés par
elle , il se trouvoit de l'excédent , cet excédent
sera versé dans la Caisse de l'Extraor
dinaire , et employé au remboursement des
dettes les plus onéreuses ; et que , si
quelqu'obstacle ou quelqu'événement inattendu
, il se trouvoit encore du déficit , il
y sera pourvu par la Caisse de l'Extraordinaire.
"
L'Assemblée a également décrété l'annullation
de tous Proces commencés pour raison
des contraventions à l'exercice des droits
supprimés ou abonnés par les Décrets 2 , -3 ,
4 et 5.
M. Anson , l'un des Trésoriers des Dons
Patriotiques , a proposé à l'Assemblée un
Projet de Décret qu'elle a adopté. Il autorise
les Trésoriers de ces Dons à verser dans
la Caisse des Payeurs de rentes le produit
des Dons Patriotiques. Il doit être employé
( 38 )
à payer à Bureau ouvert et en écus , les
rentes viagères et perpétuelles de l'année.
1788 , qui n'excedent pas 50 liv. Il prescrit
les formes à employer pour la représentation
des quittances de répartition de six livres
et au- dessous , et les quittances de pareilles
sommes ou autres impositions , pour la Lorraine
et les Provinces où la Capitation n'est
pas en usage. Les six premiers mois de ces
rentes pour 1789 , seront acquittés par ordre'
de lettres , et sans aucun retard , après l'acquittement
des arrérages de 1788 .
Un des Secrétaires a annoncé l'envoi de
plusieurs Décrets sanctionnés , accompagnes
d'une note de M. le Garde - des - Sceaux , où
se trouvent les mots suivans ; Sa Majesté
ayant égard aux instances réitérées de
" l'Assemblée , a donné son acceptation aux
Décrets concernant l'Armée.
་་
H
«<
"
M. Regnaud de Saint - Jean - d'Angely a
pris feu sur cette notification . « J'aurai l'honneur
de deinander à M. le Président , s'est il
écrié , si la note de M. le Garde - des- Sceaux
est signée ; et j'observe , eu passant , qu'il
seroit plus décent qu'il envoyât l'acceptation
même du Roi . Je fais la Motion expresse
que M. le Président soit chargé de demander
au Ministre si c'est par les ordres du Roi
qu'il a ajouté cette phrase : ayant égard aux
instances réitérées de l'Assemblée.
Une improbation si nombreuse et si manifeste
a repoussé ce voeu de M. Regnaud ,
que personne n'a osé s'opposer à la question
préalable.
M. Charles de Lameth, il est vrai , a trouré
dans les expressions du Ministre , une inten
tion de confondre l'acceptation avec la sanction.
Il a trouvé qu'un Corps Constituant ,
1
( 39 )
n'avoit pas besoin d'instances pour obtenir
l'acceptation des Lois Constitutionnelles
qu'il est exclusivement chargé de faire. Il a
découvert dans la note un piège Ministériel;
ce qui l'a conduit à ajouter qu'on devoit tou
jours séparer la conduite d'un Roi adoré ,
de la conduite sourde et obscure des Ministres
, que l'on a tant raison de craindre.
Pour témoigner au Roi toute la confiance
qui lui est due , M. de Lameth a donc pensé
que la Motion n'étoit pas soutenable , quoique
très-salutaire , et qu'il n'y avoit pas lieu
à délibérer. Tel aussi avoit été l'avis de la
grande Majorité , avant que M. de Lameth
se fût fait entendre.
1
M. le Marquis de Montesquiou , Président
du Comité des Finances , s'est ensuite présenté
avec un Projet de Décrets , relatifs à
la suspension des anticipations , à l'emploi
des fonds de la Caisse de l'Extraordinaire, etc.
Déjà le premier de ces articles , la suspension
du payement des anticipations , paroissoit
décrété sans examen , lorsqu'à force de
cris , un grand nombre de Membres ont ramené
la réflexion sur le danger de cette précipitation
, et sur celui du Projet lui - même ,
qui bouleverseroit le crédit , si l'on refusoit
le renouvellement des anticipations , sans
déclarer en même temps que les anticipa- )
tions actuelles seroient remboursées en effetser
courans. La prudence des Opposans fit ajour- i,
ner ce Projet à Vendredi
M. l'Abbé Gouttes termiņa la Séance par
une Motion non moins étrange , tendante à
charger les Municipalités de visiter les Caisses
de tous les Percepteurs d'impositions , et à
ordonner que les sommes trouvées soient immédiatement
versées au Trésor Royal.
1
( 40 )
Je vois l'Abbé TERRAF , s'écria M. de
Folleville , ressuscité sous la robe de l'Abbé
GOUTTES. La Motion fat renvoyée au Comité ,
des Finances . Tous les Journalistes qui en
ont rendu compte , l'ont présentée comme
une inestimable ressource pour la circulati●
du numéraire
DU MARDI 22 MARS.
6 91
A l'ouverture de la Séance , M. Bouche
a proposé un Projet de Décret Réglemen-r
taire , tendant à assurer la sanction de cette
multitude de Décrets , qui parla mapidité
avee laquelle ils se suivent , echappent à lave
mémoire même de ceux qui les portent. Ces
Réglement portant l'établissement d'un Re
gistre des Décrets , avec leur date , a été h
adopté.
1
Quelques voir ayant demandé que l'on s
mit à l'ordre de la Séance du soir , la ques- l
tion sur l'état civil des Juifs en France , M. ([
Fréteau a jugé plus instant encore , de s'oe- la
cuper d'une Declaration interprétative, dese
Décrets rendus , il y a six mbis , surla réforme
provisoire de la Procédure criminelle . En
conséquence , la demande des Juifs à été
écartée par un ajournement indéfini .
2
M. Target , Rapporteur du Comité . de
Constitution , a exhibé encore un Projet de
Décret , portant que l'appel des Jugemens )
de Police , rendus par les Corps Municipaun , o
seroit , jusqu'à la nouvelle organisation de r
P'Ordre judiciaire , porté pardevant les Tribunaux
en possession d'en connoître .
Plusieurs Membres ont d'abord considéré »
cet appel comme inutile , et ont raisonné
d'après cette idée ; mais le plus grand nombre
a témoigné moins de confiance dans la capaci-La
1
( 41 )
té de tant d'Officiers Municipaux , dont plusieurs
encore novices dans cette partie : l'appel
leur a douc paru indispensable , sur tout en
fait de police contentieuse. Les Juges Royaux
out semble propres à exercer des fonctions ,
dont la confiance publique est la base. L'article
du Comité amende par cette nouvelle
disposition , a été décrété en ces termes :
"
L'appel des Jugemens de Police rendus
par les Corps Municipaux , aura lieu provisoirement
et jusqu'à l'organisation de l'Ordre
judiciaire , dans les cas où il est autorisé par
les Reglemens actuels ; et provisoirement
aussi , cet appel sera porté pardevant les
Bailliages et Sénéchaussées Royaux ou autres
Siéges qui en tiennent lieu dans quelqués
Provinces , pour y être jugé en dernier ressort
, au nombre de trois Juges au moins.
"
M. Anson a rendu compte d'un nouveau
Mémoire , adressé par la Caisse d'Escompte
au Comité des Finances cette Compagnie
réitère sa demande d'une nomination de
Commissaires qui suivent ses opérations , et
la mettent à l'abri des effets de la défiance
et de la calomnie . Sur les motifs de
cette Pétition , le Comité a proposé le Décret
suivant .:
« Les douze Commissaires nommés pour
aviser au choix et à l'estimation des Biens
Ecclésiastiques et du Domaine , qui seront
vendus ou aliénés à la Municipalité de Paris
et aux autres Municipalités du Royaume ,
sont autorisés à choisir quatre d'entre eux ,
pour prendre connoissance successivement
de la situation et des opérations habituelles
de la Caisse d'Escompte , pour mettre la
Compagnie en état de concilier les intérêts
des porteurs de ses billets , avec les mesures
( 42 )
qui pourroient être prises avec lesdites Mu
nicipalités , à l'égard des Biens Domaniaux
et Ecclésiastiques qui pourroient être aliénés
. >>
M. Fréteau a attaqué ce Décret , que la
Caisse regardoit comme essentiel à sa sureté ,
en objectant que l'Assemblée s'étoit deja
refusée deux fois à cette demande . La Caisse
d'Escompte , suivant lui , ne doit point
prendre pour motif les sommes qu'elle dit
avoir fournies dans l'emprunt de 1789 , parce
que ce prêt a été fait non pas par la Caisse ,
mais par les Actionnaires , comme individus .
D'ailleurs , pour prononcer sur ce qui vous
est proposé , il faudroit prendre connoissance
de plusieurs faits qui vous sont inconnus.
Je demande donc l'ajournement.
M. le Couteux de Canteleux s'est , au contraire
, attaché à justifier la conduite des
Administrateurs de la Caisse d'Escompte ,
et à détruire le préjugé ou cette inculpation
de mauvaise foi , qui fait regarder comme
autant d'agioteurs , tous les Créanciers de
l'Etat. }
M. Péthion de Villeneuve, traitant la Caisse
d'Escompte de Caisse particuliere , venoit
de répéter tous les argumens de M. Fréteau , 5
en faveur de l'ajournement , lorsque M. Garat
l'aîné a pris la parole , et s'en est servi victorieusement.
Je ne sais pas , a- t- il dit avec force et
jugement , quel est l'état actuel de la Caisse
d'Escompte , mais je sais que sa destinée
est incontestablement liée à celle de l'Etat.
J'ignore encore pourquoi l'on veut répandre
tant de défaveur sur cette Caisse , à laquelle
le rapport de vos Commissaires a été favorable.
Son prêt de 25 millions à l'Adminis-
44
?
2
t
( 43 ).
tration'est imprudent , mais honorable pouri
elle , et prouve le patriotisme de ses Administrateurs
et de ses Actionnaires . Sans ce
prêt peut- être n'aurions - nous point d'Assem
blée Nationale .... En ce moment le moindre
soupçon de votre part seroit funesté à
la Caisse d'Escompte et à la Nation . - Depuis
quand a - t - on pu imaginer que surveiller
une Caisse nécessaire , ce seroit s'identifier
avec elle ? Jamais vous n'avez rejeté la proposition
qui vous est faite , que par un il
n'y a pas lieu à délibérer ; ce qui n'est pas
un jugement effectif. D'ailleurs les circonstances
ont changé depuis que vous avez
adopté le plan de la Municipalité de Paris .
Je conclus à l'adoption du Décret qui vous
est proposé par M. Anson..
Ge discours à été universellement approuvé
, et le projet de Décret presque unanimement
adopté.
M. Barnave a fait , au nom du Comité de
Constitution , lecture de l'instruction relative
à la nouvelle convocation des Assemblées
Coloniales.
M. de Reynaud, Député de Saint- Domingue
, s'est élevé contre plusieurs des dispositions
de ce réglement , dont on a ordonné
l'impression. La même demande a
été faite pour le discours de M. de Reynaud ,
et refusée . En même temps l'on a prononcé
l'ajournement à huitaine des questions relatives
à la Compagnie des Indes.
M. le Président a communiqué une lettre
de M. de la Tour- du- Pin , par laquelle ce
Ministre de la Guerre demande l'interprétation
d'un Décret de l'Assemblée , du 23
janvier. L'Assemblée a - t - elle entendu comprendre
dans l'arriéré , dont elle a suspendu j
}
}
}}
( 44 )
le paiement par ce Décret , les traitemens .
des Etats - Majors des places , pour l'annee
1789 traitemens dûs pour activité de services
? Ces places sont les récompenses d'anciens
Militaires , qui ont la plupart que
ces légers appointemens pour subsister.
"
MM. Prieur et Camus , au lieu de répondre
précisément à la question du Ministre
se sont jelés sur les Gouverneurs des places
, sur les places inutiles , etc. M. le Duc
du Chatelet ayant fait observer à M. Camus
que les Gouverneurs n'avoient jamais été
considérés comme des Officiers en activité ,
et qu'ainsi la demande de M. de la Tour-du-
Pin ne les regardoit pas , M. Camus l'a denoncé
, comme se trouvant pour 3000 liv.
sur les états payés.
и
"
Je n'ai touché , a repliqué M. du Châtelet,
que ce qu'on a bien voulu me payer' : je
" n'ai rien demandé. Vous avez alloué mille
« écus de paiement à quiconque se trouveroit
» pourvu de traitemens , pensions , appointe-
« mens arriérés je peux avoir été compris
dans cette règle générale ; mais je l'ignore ;
mon homme d'affaires peut , à mon inscu,
avoir touché cette somine ; mais , sur ma
parole d'honneur , je n'en ai pas été ins
truit , et bien loin de solliciter une exception
, je restituerois sur - le - champ la
somme , si je l'avois recue. "
"
"
"

༣༥
La question fut renvoyée au Comité des
Pensions ; et la Seance levée à trois heures
et demie.
DÚ MARDI 23. SÉANCE DU SOIR.
M. de Beaumetz , au nom du Comité des
Sept , a fait un rapport sur la réformation
provisoire de la Jurisprudence criminelle.
( 45 )
Ce rapport a été suivi d'un projet de Décret
en onze articles . Nous les rapporterons
lorsqu'ils seront decrétés.
L'Assemblée a rendu un Décret concernant
la repartition des impôts dans la Province
du Languedoc .
Une Députation dela Commune de Paris ,
présidée par M. Bailly , a été introduite a
la Barre . Elle a présenté une Adresse au
nom de la majorité des Districts , pour demander
la Permanence active de ces Sections.
M. Bailly a prononcé un Discours dans lequel
il a encore rappelé le patriotisme des
Habitans de la Capitale , le serment civique,
etc. Un Membre de la Députation a fait ensuite
la lecture de l'Adresse ; nous en avons
indiqué l'objet la semaine dernière.
DU MERCREDI 24 MARS.
Sur le Rapport du Comité Domanial ,
l'Assemblée a ouvert la Séance par l'adoption
du Décret suivant :
"
19
Il sera sursis à toutes opérations relatives
aux échanges non consommés des
domaines , et notamment aux expéditions
des Sceaux et des lettres de ratification
« desdits échanges , jusqu'à ce qu'il en ait
été autrement ordonné par l'Assemblée .
M. PAbbé Gouttes , au nom du Comité
de Liquidation , a présenté , en ces termes ,
un projet de Décret , relatif à la lettre de
M. de la Tour- du- Pin , dont nous avons rapporté
l'objet.
<< Les appointemens des Officiers des Etats-
Majors des places frontieres pour 1789 , seront
compris dans les dépenses courantes
et comme tels acquittés au Trésor Royal .
› L'Assemblée n'entend comprendre dans
( 46
К
cette disposition que les Lieutenans de
" Roi , Majors , A des- Majors , Sous - Aides-
Majors , Capitaines des portes , et autres
officiers subalternes des portes , qui sont
" en activité de service. "
K
Avant que la discussion commençât , M.
Camus en a fait naître une accessoire , en
exhibant deux états de paiemens effectués au
Trésor Royal , pour traitemens des Gouver
nemens de Provinces ou de places , sur l'arriéré
de 1788 , et cela depuis le premier
janvier , jusqu'au 4 mars 1790. Le 18 janvier ,
c'est- à- dire , quatre jours après la sanction
du Décret qui défendoit de payer aux Emigrans
, et de donner aux personnes qui ne
seroient point en activité de service , plus
de 3000 Îiv. , il a été payé , à M. le Prince
de Condé , pour son gouvernement de Bourgogne
, 35,000 liv. sur les six derniers mois
de 1788 ; et à M. le Duc de Bourbon , Gouverneur
de la Champagne . 31,510 liv.; et
à M. le Duc du Chatelet , Gouverneur de
Toul et du pays Toulois , 27,000 liv. La
valeur totale de ces états payés est de 620,471 ;
mais M. Camus n'a fait connoître que les
trois articles ci- dessus , et il a proposé de
mander à la Barre le Caissier de l'extraor
dinaire des guerres , pour rendre compte des
ordres en vertu desquels il avoit fait ces paiemens.
M. Fréteau a objecté que,, l'Assemblée
n'ayant point encore décrété l'usage de cette
formalité en pareil cas , il convenoit апра-
ravant de la faire sanctionner par le Roi,
MM. Camus et Target ont réfuté cette observation
, et le Caissier a été mandé.
Pendant l'intervalle , M. le Duc du Châtelet
qui avoit dit hier n'avoir touché que 1000
( 47 )
écus , et qui se trouvoit aujourd'hui compris
sur les états pour 27,000 liv , expliqua et
prouva les faits , non de maniere à satisfaire
la malignité , qu'on ne satisfait jamais , mais
à mériter la confiance qu'accordent les esprits
sains à la parole d'un homme distingué
par de longs services , et estimé par tous
ses emules dans le Corps le plus sévère sur
la délicatesse de l'honneur.
Quand hier , j'ai été interpellé , dit - il ,
j'ignorois que mon homme d'affaires eût
touché plus de 1000 écus. Effectivement ,
il n'a touché en deniers que 2655 liv. , et le
reste en ordonnances payables de mois en
mois, suivant l'ordre de l'état de distribution ...
Cette note ne lui a été remise que le 20 de
ce mois , et je ne compte pas tous les jours
avec lui. C'est au Trésor Royal à savoir ce
qu'il doit payer , et non à des gens d'affaires
dont toute la fonction se borne à recevoir.
Un Décret de l'Assemblée m'eût d'ailleurs
autorisé à toucher 3000 liv.; mais puisqu'on
en fait un sujet d'ombrage , je dépose ces
2555 liv . sur le bureau des dons patriotiques.
"
་་
Malgré cette interprétation , quelques
Membres persistoient à faire à M. du Châtelet
des interrogatoires , et des difficultés , auxquels
il répondit avec une constante moderation
, et par tous les éclaircissemens désirables,
« On a dit hier, ajouta - t - il , que les
Gouvernemens étoient donnés à la faveur :
je serois bien fâché d'avoir ainsi obtenu les
graces dont je jouis . Cinquante ans de services
, un coup de fusil à travers du corps ,
dix années de campagnes , huit d'ambassades ;
voilà mes titres .
M. Garat l'aîné , qui crút entrevoir dans
( 48 )
12-
"
ce débat un acharnement peu équitable , y mit
fin par des réflexions sages : « Lorsqu'un fait ,
dit-il , est sujet à deux interpretations , Fune
bonne et l'autre mauvaise , la justice et la
raison veulent que l'on s'arrête à la premiere.
Lorsqu'il s'eleve des soupçons sur un
Membre de l'Assemblée , nous devrions être
plus ardens à les dissiper qu'a les défendre.
Il suffit que M. du Châtelet atteste , pour
que vous deviez le croire .
"
"
jes
11
ce done Une restitution pourroit dans ces circonstances
paroître forcée ;
que , pour la delicatesse même de M. le Duc
du Chatelet , nous devons refuser son offre.
རྩྭ
">
M. du Châtelet insista de plus fort , soit
en portant la somme à M. le Président , soit
au refus de celui- ci , en offrant de laremettre
à la Caisse de l'extraordinaire des Guerres.
La discussion s'étant reportée sur la Motion
de M. l'Abbé Gouties , deux, amende
mens furent proposés : le premier , de comprendre
parmi les Officiers de l'Etat - Major,
les Gouverneurs de place ; 2 ° . d'étendre le
Décret à toutes les places de guerre , frontières
et autres . L'un et l'autre furent successivement
appuyés et combattus , et l'on
finit par charger le Comité de Liquidation
d'éclaircir les faits , et de concerter uu nouveau
Décret avec le Ministre.
«
Le Caissier mandé étant arrivé à la Barre ,
ily subit un interrogatoire de la part de
M. Camus : Des que les sommes , dit- il ,
sont portées sur les états comme acquittées ,
elles ont été payées , soit en argent , soit en
billets . Mais les sommes portées sur les
états avoient- elles été payées toutes en deniers
, ou partie en ordonnances sur le Trésor
Royal ? Telle étoit la seconde question.
- Nous
( 49 )

Nous ne connoissons pas , ajouta le Caissier
, les ordres sur lesquels les paiemens
sont faits ; nous payons sur les mandats des
Administrateurs ou de leurs Représentans :
ce sont eux qui conservent ces ordres.
" L'Administrateur sur les mandats duquel
ces états ont été acquittés , est M. de
Biré. »
Cette information n'ayant produit aucun
éclaircissement , il fut décidé de mander M.
de Biré.
M. Dubois de Crancé présenta ensuite , au
nom du Comité des Finances , un Projet de
Décret en onze articles , concernant le paiement
de la Contribution patriotique , que le
.Comité charge les Municipalités de taxer
sur les Déclarations VÉRIFIÉES . On ordonna
l'impression de ce Projet , en l'ajournant à
Vendredi .
M. Thouret , Rapporteur du Comité de
Constitution , exposa de nouveau , mais succinctement
, les motifs du Comité dans la rédaction
de son Plan sur l'institution du pouvoir
judiciaire , plan qui nécessite la destruction
totale de tous les Tribunaux existans.
Le Rapporteur renouvela toutes les plaintes
Isi connues , si développées anciennement
divers Publicistes , contre les usurpapar
tions des Cours Souveraines , et contre les
abus intolérables de l'Administration de la
Justice.
Ces vices notoires , et démontrés par une
longue et funeste expérience , ne laissoient
douter aucun homme impartial , de la nécessité
d'unegrande réforme ; mais M. Thouret
ne vit de salut que dans une régénération.
L'impression de son tableau ne put être
affoiblie par l'opinion de M. de Cazalès , qui ,
No. 14. 3 Avril 1799. C
( 50 )
*
se jetant dans un autre extrême , représenta
les Parlemens , comme ils se représentoient
eux-mêmes dans leurs remontrances . Ce n'étoit
pas là une logique adroite ; car la vérité
qui veut persuader , a besoin même d'art ,
et sur-tout de se défendre de l'exagération .
On vous propose , dit done M. de Cazalès
, de détruire ces Corps antiques , qui
liés au berceau de la troisième race , ont
depuis 800 ans , par leurs lumières et par
leurs vertus , mérité la vénération et l'amour
des Peuples. Organes impassibles de la Loi ,
les premiers ils l'ont étendue sur tous les
Citoyens sans distinction . C'est eux qui ont
détruit cette odieuse aristocratie qui n'existoit
plus , quand on en a méchamment renouvelle
le nom , pour égarer et pour épouvanter
les Peuples.
"
>i
« Je ne vous rappellerai pas que c'est au
généreux patriotisme des Parlemens que vous
devez la convocation des Etats- Généraux ,
et par conséquent l'Assemblée Nationale. Je
ne vous inviterai pas à la reconnoissance ;
je sais qu'elle n'est pas la vertu des Nations.
Mais je vous rappellerai un fait qui honore
notre histoire ; c'est que depuis huit siècles ,
il n'est jamais arrivé qu'un Citoyen injustement
poursuivi par l'autorité , ait été condamné
par les Parlemens.... Les Rois , lorsqu'ils
vouloient abuser de leur autorité , nommoient
ces Commissions dont le nom seul
faisoit connoître l'innocence de la victime
qu'elles devoient immoler. "
се
« Combien est- il important que les Lois
soient confiées à ces Corps de judicature ,
qui aient assez de consistance pour résister
et aux effervescences du Peuple , et à l'autorité
des tyrans ! »
( 51 )
Il faut moins prendre le temps d'examiner
les reproches qu'on fait aux Parlemens .
Il seroit si facile de les lier utilement à la
Constitution ! Si vous les détruisez , vous
précipitez le Royaume dans une nouvelle
anarchie ; vous rendez ces Tribunaux ennemis
de votre Constitution .
Considérons ensuite le désordre de nos
finances , nous serons obligés de rembourser
500 millions de charges , dont aujourd'hui
nous n'en payons qu'un pour cent. "
"
N'est-il pas plus utile d'établir un Ordre
tel que le Roi , en qui doit résider la plénitude
du Pouvoir exécutif, dont le Pouvoir
judiciaire n'est qu'une branche et une émanation
; que le Roi , Juge suprême de la
Nation , qui répond de tous les jugemens ,
ait une influence directe dans le choix des
Juges ; au lieu de cónfier ces places à l'élection
, c'est -à- dire , chez un Peuple córrompu
, à la vénalité et à l'intrigue ?
"
»
Je conclus à ce qu'avant tout , vous décidiez
cette première question : L'Ordre judiciaire
sera- t-il détruit, ou seulement réformé? »
Les murmures qui s'étoient élevés vers la
fin de ce discours , se convertent en ap
plaudissemens universels , dont le motif fut
bientôt palpable ; car , sur - le-champ , la
grande majorité se leva pour demander l'anéantissement
de tous les Tribunaux .
M. le Marquis de Foucault , voulant modérer
cette impatience , proposa de déclarer
qu'aucun Membre de l'Assemblée ne seroit
éligible aux nouveaux Tribunaux . Une explosion
de clameurs forcèrent bientôt l'Opinant
à descendre de la Tribune.
Vainement M. de Cazalès invoqua le renvoi
de cette discussion à la Session prochaine ,
C ij
( 52 )
ce qui n'étoit guère praticable ; vainement invoqua-
t-il , avec plus de fondement , le Règlement
positif de l'Assemblée , qui ordonne trois
jours de discussion sur toute Motion importante.
Plusieurs autres Membres opinèrent successivement
, les uns pour appuyer la motion
de M. de Cazalès , mais par des motifs opposés
; les autres pour appuyer l'ordre de travail
proposé par le Comité en observant que
la déclaration que proposoit M. de Cazalès
n'étoit propre qu'à décourager tous les Tribunaux
.
"
« Le seul moyen de détruire l'opposition ,
cria M. de Toulongeon , est de détruire l'espérance.
Je demande donc que la question
soit mise aux voix en ces termes : "
" L'Ordre judiciaire sera- t - il , ou non , reconstitué
en entier ? »
L'affirmative fut décidée à une très -grande
majorité. Ainsi , en deux heures , furent anéantis
tous les Tribunaux de la Monarchie
Françoise .
DU JEUDI 25 MARS .
M. de Bé , mandé la veille , étoit arrivé
à l'instant où l'on levoit la Séance : il
s'est présenté aujourd'hui à l'ouverture . M,
le Président lui ayant demandé les ordres
ministériels en vertu desquels ont été faits
les payemens dont l'Assemblée avoit ordonnée
la suspension , M. de Biré a répondu
qu'il alloit sur le champ les envoyer pren
dre. M. le , Président lui a permis d'assister
à la Séance , quoique M. Bouche insistât
violemment contre cette disposition : comme
si un homme mandé pour donner des éclair(
53 )
cissemens devoit être réputé coupable , ou
comme si celui qui est l'objet d'une information
judiciaire , ne pouvoit pas assister à
l'information.
M. l'Abbé Gouttes , Membre du Comité
des pensions , a d'abord présenté plusieurs
observations à la décharge de M. de Biré.
L'état des appointemens des Gouverneurs ,
a-t-il dit , est arrêté chaque année le premier
Janvier , pour les six premiers mois
de l'année précédente , et le premier Juillet
pour les six derniers mois . Les états dont
il s'agit ici , ont été expédiés , le premier en
Juillet 1789 , et le second le premier Janvier
de cette année. Le Ministre des Finances
arrête toutes les semaines l'état de distribution
de ces payemens ; et ces payemens
se font ordinairement en ordonnances payables
de mois en mois , dans l'espace quelquefois
d'une année d'où il suit , 1 ° Que ces
dépenses ne peuvent être comprises dans
l'arriéré , puisque ce sont les appointemens
courans ; 2°. Qu'une partie des sommes
comprises dans ces états n'a pas encore
été acquitée en deniers , mais seulement
en Ordonnances sur le Trésor Royal.
"
M. Camus a trouvé cet usage très- répréhensible
d'après le Décret qui défendoit
de payer aux émigrans , on ne devoit point
payer M. le Prince de Condé , ni M. le
Duc de Bourbon . Ces ordonnances sont des
Bons payables à termes fixes , et négociables
sur la place ; ce sont donc des payemens
effectifs , faits contre vos Décrets.
"
Je demande donc , a - t-ajouté , 1 ° . Que M.
de Biré présente les ordres en vertu desquels il
a fait des payemens depuis le 18 Janvier. 2°.
Ci
...
( 54 ).
Que le Décret du 22 Janvier , concernant le
payement de l'arriéré , soit présenté à la
Sanction Royale. 3° . Que l'Etat soit arrêté
dès que le Décret sera sanctionné , et rendu
public par la voie de l'impression .
Un Député Ecclesiastique a prié M.
Camus de calmer sa bile patriolique.
Quoique le Décret sur les dépenses arriérées
a dit M. d'Harambure Président du
Comité de liquidation , ait été porté le 22
Janvier , le Comité de liquidation n'a été
nommé que le 6 Février Je n'ai écrit que
le 8 aux Ministres pour les instruire des
dépenses qu'ils devoient suspendre ; ainsi ils
ne sont condamnables que pour tout ce qu'ils
ont fait payer depuis.
M. le Duc du Châtelet , qui avoit prouvé
n'avoir touché que 2555 liv. , et en ordonnances
seulement le reste des 27000 liv. pour
lesquelles il étoit compris sur les états de
payemens , a réclamé de plus fort la lecture
de ces états : on l'a commencée ; on y a
trouvé M. le Duc d'Aiguillon pour 31000 ,.
et divers autres.
&
"
"
Vous voyez , Messieurs a repris M. le
Duc du Châtelet
que mon prétendu
crime est celui de plusieurs. J'affirme de
« nouveau qu'au 23 de ce mois , j'ignorois que mon homme d'affaires eût touché 2555 :
j'ai offert , j'offre encore de les rendre ;
il ne me reste rien à faire de plus .
a
1
M. Camus insistoit toujours et revenoit à sa
motion. M. Fréteau a ensuite pris la parole.
Quand vous statuez sur les Finances , at
- il dit , vous usez d'un droit qui est à
et qu'aucune atteinte du Pouvoir
exécutif ne peut vous ôter. Organes immédiats
de la volonté nationale , vous avez seuls
Yous
( 55 )
dit : "
le droit de désigner et de surveiller l'emploi
des deniers publics , au nom du peuple.
Qu'il me soit permis de vous rappler une
parole dite à Charles VIII , par l'Orateur
des Etats - Généraux . L'on demandoit aux
Etats deux millions d'or ; l'Orateur répon-
Lorsqu'on nous exposera les besoins
de l'Etat , nous y subviendrons toujours.
Nous vous donnons deux millions cinq
« cent mille livres ; mais à condition qu'ils ;
ne seront pas pris sur nous à titre de
taille , dont nous voulons que le nom soit
oublié , et nous ne nous séparerons pas
que les mesures qui doivent en diriger
l'emploi n'aient été exécutées , etc. »
"
"
66
"
"T
་་
C'est ainsi que la Nation doit parler
quand elle défend ses propriétés . S'il est
juste et prudent de faire sanctionner les
Décrets qui doivent être exécutés antérieurement
il faut bien se garder de confondre
cette Sanction avec celle des autres loix
obligatoires pour le peuple. C'est par les
ordres du peuple que vous surveillez l'administration
des fonds publics , et que vous
étes autorisés à faire toutes les dispositions
nécessaires pour en diriger l'emploi. Ces
600,000 liv. qui ont été payées à des gens la
plupart très riches , c'est autant d'ôté sur
la subsistance des peuples,
"
20
On m'observe que les Bons de caisse ne
sont pas encore réalisés ; mais il n'en est
pas moins vrai que le Trésor royal va être
obligé de les payer. Beaucoup de créanciers
manquent du nécessaire , et on acquitte
les personnes les plus opulentes , etc.
M. Fréteau conclut à ce que le Décret du
22 Janvier fût présenté , dans le jour , à la
Sanction royale.
Civ
( 56 )
Par une lettre de M. de la Luzerne à
l'Assemblée , ce Ministre demandoit qu'on
déterminât si les Lettres de change sur les
Colonies , seroient comprises dans l'arriéré
suspendu : cette discussion s'est mêlée à la
précédente , et il est intervenu le Décret
suivant :
16
"
« Les Lettres de change expédiées pour -
le service de la Marine et des Colonies , seront
exceptées de l'arriéré compris dans
« le Décret du 22 Janvier , et il sera statué
demain sur les autres objets portés dans la
Olettre du Ministre de la Marine. »
"
"
Il a été de plus statué que le Décret du
22 Janvier seroit dans le jour porté à la
Sanction du Roi:
Une nouvelle discussion s'est ensuite élevée
sur l'impression des états dont il avoit
été fait lecture : cette impression a été ordonnée
; la nomenclature ne devant commencer
qu'à la date du 14 Janvier.
Bientôt M. Camus a dénoncé le Trésor
royal qui refusoit de payer les petites pensions
sur la Loterie royale. On ne savoit quel
seroit le terme de tant d'investigations
accumulées lorsque M. le Président l'a
interrompu , en donnant communication
d'une lettre qu'il venoit de recevoir du
Roi , par M. le Garde des Sceaux ; elle est
ainsi conçue :
"
2
« Je suis surpris , Monsieur , que l'Assemblée
n'ait pas encore mis en délibération
la demande qui lui a été faite de ma
part , par le premier Ministre des Finances
, sur un Bureau de Trésorerie , dont je
compte prendre presque tous les Membres
dans l'Assemblée . Cette mesure devient de
jour en jour plus instante : je demande'
1
( 57 )
donc que cet objet soit pris en considération.
"
Signé LOUIS .
Sur la Motion de MM. Demeunier et de
la Galissonnière , il a été décidé que M. le
Président se retireroit dans le jour par devers
le Roi , pour l'instruire que l'Assemblée
s'occuperoit demain de la proposition
de Sa Majesté .
Enfin , l'on est revenu à M. de Biré, dont
les documens venoient d'arriver. Il a présenté
à sa décharge un état signé du Roi 2
et un bulletin signé de M. Melin. L'un et
l'autre sont signés depuis le commencement
de l'année dernière ; d'où il suit que le caissier
devoit exécuter ces payemens jusqu'à
ce qu'il eût reçu du Ministre un ordre de
les suspendre.
M. de Biré a attesté n'avoir point encore
payé M. le Prince de Condé réellement ;
sauf un petit à compte , qu'il a offert de
bonifier lui- même à sa Caisse.
Nous ne détaillerons point le long interrogatoire
que lui fit subir M. Camus , nonseulement
sur ce qu'il avoit fait , mais encore
sur ce qu'il auroit fait en tel cas donné
: sur quoi , M. Dufraisse Duchey observa
que ces interrogations sur l'éventuel , étoient
plus dignes d'un Tribunal d'inquisition , que'
d'un Corps constituant.
((
M. le Président finit par dire à M. de
Biré : L'Assemblée est satisfaite de la candeur
de votre langage et des éclaircirsse-
«< mens que vous lui avez donnés ; elle vous
permet " de vous retirer. "
Quant à la demande renvoyée la veille
au Comité des Finances , sur la demande
du Ministre de la guerre , il a été décrété
Cv
( 58 )
que les Commandans , Lieutenans de Rei ,
Majors , Aides- Majors et Sous - Aides Majors
des Flaces de guerre en activité , continueront
d'être payés de leurs appointemens
par le Trésor public , comme par le passé.
Cette Séance , dans l'analyse de laquelle
il nous a été impossible de mettre de l'ordre
, a été terminée par une Motion formelle
de M. Alexandre de Lameth touchant la
promptitude avec laquelle le Roi doit faire
connoître ses intentions sur les Décrets.
Cette Motion a été convertie en résolution
de l'Assemblée par le Décret suivant.
04
es
>
L'Assemblée Nationale a arrêté que
" ses Décrets seront constamment présentés
par son Président à l'acceptation ou
à la Sanction du Roi , dans le délai de
trois jours au plus après celui où ils auront
été rendus , et que dans la huitaine
M. le Garde
après ladite présentation
des Sceaux instruira M. le Président de
l'Assemblée Nationale , soit de la Sanction
, soit des raisons qui auront pu porter
à la différer ; enfin , que les Commissaires
de l'Assemblée , ci - devant nommés
pour surveiller l'expédition et l'envoi des
Décrets sanctionnés , seront chargés de
veiller à l'exécution de la présente disposition
04
14

33 .
DU VENDREDI 26 MARS.
Sur la Motion de M. Goupil de Préfeln ,
on a décrété , en commençant ,
que les
payemens
compris dans les deux états lus hier ,
et faits depuis le 18 janvier , en ordonnances
payables au Trésor Royal , ne seroient point
effectués.
. M. le Due d'Aiguillon , dont le nom s'é(
59 )
toit trouvé sur les états , pour une somme
de 31,000 liv. , s'est disculpé aux yeux de
l'Assemblée , dont une partie avoit ironiquement
applaudi au nom de M. le Duc. Il
résulte des éclaircissemens qu'il a donnés ,
que ces 31,000 liv. sont des arrérages dus
sur le Gouvernement d'Alsace , que possédoit
feu M. le Duc d'Aiguillon . Ils ont été
délégués aux créanciers de la succession
lesquels ont reçu les payemens du Trésor
Royal .
Il a été décidé que cette déclaration seroit
insérée dans le procès-verbal. M. de
Bonnay a réclamé la même justice pour M.
le Duc du Chatelet et M. le Marquis d'Avaray
, ce qui ne pouvoit être et n'a pas
été refusé ..
M. Camus , renouvellant la Motion faite
hier quant au payement des petites pensions
sur la Loterie Royale , qui montent à
120,000l . , on a décrété que ce payement continueroit
provisoirement , sauf celui des
pensions qui excèdent 600 liv.
1
BUREAU DE TRÉSORERIE .
D'après l'ordre du jour , on a passé à la
discussion de la dernière lettre de S. M. ,
concernant le Bureau de Trésorerie. M.
Reubell s'est opposé le premier au voeu du
Roi et de M. Necker , en relevant la forme
dans laquelle ce voeu avoit été communiqué
à l'Assemblée .
་་
Il n'est pas encore temps d'examiner
a - t- il dit , si le Premier Ministre des Finances
n'auroit pas dû réserver sa surprise ,
pour le moment où l'Assemblée adoptera
la proposition inconstitutionnelle qu'il nous
a faite. Il faut avant tout qu'un champion
Cvj
( 60 )
ministériel monte à la Tribune , et convertisse
la proposition du Roi en Motion formelle.
Je ne doute pas qu'il ne se présente
alors plus d'un Chevalier pour la combattre ,
et je demande la parole à mon tour. »
"
« Le Président , objecta M. Lucas , a été
chargé hier d'annoncer au Roi que l'Assem
blée s'occuperoit aujourd'hui de sa proposition.
Je demande que vous soyez fidèles
à votre propre Décret ; et s'il faut une Motion
expresse pour vous y ramener , je la fais ,
quoique mon avis soit contraire à la pro-.
position.
·M. de Lépaux, Député d'Anjou ,la combattit
long- temps , et d'abord en vertu du Décret
qui exclut de l'Administration tout Membre
de la Législature actuelle , et de celui qui
rend les Ministres responsables
Je me permettrai , ajouta - t- il ensuite ,
quelques reflexions sur la lettre anti - constitutionnelle
que les Ministres ont suggérée au
meilleur des Rois. Elle devoit être contresignée
par un Ministre. M. Je Garde- des-
Sceaux s'est rendu coupable en nous la transmettant
, puisqu'il nous expose à l'alternative
ou d'être réfractaire à nos principes
et aux intérêts du Peuple , ou d'affliger le
coeur d'un Roi si digne de notre amour. "
Dire la vérité à un Souverain , c'est
prouver qu'il est digne de l'entendre ; c'est
le plus bel éloge que puissent ambitionner
les Rois . Disons donc avec franchise , que
nous ne pouvons délibérer sur la proposition
*
de S. M. »i
Veillez sur les Ministres ; rappelez - vous
leurs tentatives réitérées , pour la perte de
notre liberté ; l'exagératian des troubles en
Quercy , et les efforts de tout genre pour
( 61 )
;
soumettre notre liberté à l'autorité ministérielle
»
Il existe un Plan ministériel pour empêcher
l'affermissement de la Constitution , et
pour faire passer entre leurs mains les droits
du peuple . Songez que vous n'êtes pas appelés
ici pour stipuler les intérêts des Rois ,
mais les intérêts des peuples . J'insiste sur
une déclaration précise qu'il n'y a pas lieu
à délibérer.
M. Barnave renouvella les mêmes argumens
, et y ajouta quelques nouvelles considérations
.
" Le Bureau de Trésorerie qu'on vous
propose , dit -il , est contraire à vos Décrets,
il ne tend qu'à soustraire les Ministres à la
responsabilité, pour latransmettre aux Membres
de l'Assemblée . Elle renferme , suivant
le premier Ministre , les principales lumières.
N'est- ce pas vous aussi qui faites les lois ?"
quelles lumières faut -il pour les exécuter ?
N'avez -vous pas donné à votre Comité des
Finances les pouvoirs nécessaires pour établir
l'harmonie entre le Corps Législatif et.
l'Administration ? Vous avez de plus constamment
admis le Premier Ministre des Finances
à vous présenter ses projets. Vous
avez donc fait tout ce qui dépendoit de
vous pour établir le concert qu'il demande.
Un Bureau de Trésorerie seroit donc nonseulement
dangereux , mais inutile . Je conclus
qu'il n'y a pas lieu à délibérer. "
J'adopte , dit M. Démeunier , les prineipes
des Préopinans , mais je propose de
rédiger votre Décret en ces termes :
L'Assemblée Nationale , après avoir en-
« tendu la lecture du Mémoire du Premier
Ministre des Finances , et le rapport de
"
62 )
a son Comité , voulant donner une preuve
- de sa déférence pour le voeu du Roi , ainsi
« que de son respect et de son amour pour
le voeu de S. M. a examiné de nouveau "
"
les motifs de ses Décrets du 7 novembre
" 1789 et du 26 janvier 1790 , et elle dé-
« clare qu'elle y persiste . "
Cette opinion étoit sans doute générale ; car
personne n'éleva la voix pour la contredire ,
ni pour approfondir cette question , si mûrement
pesée par M. Necker. Le Décret proposé
par M. Demeunier fut donc mis aux
voix , et unanimement confirmé.
M. Demeunier demanda alors que le Président
fût envoyé pardevers le Roi , pour lui
exposer les regrets de PAssemblée , et lui
énoncer les motifs de sa détermination .
M. de Mirabeau l'aîné ajouta qu'il existoit
un motif beaucoup plus pressant , celui
de représenter au Roi que nulle proposition
de sa part ne pouvoit être proposée de sa
part , sans le contre- seing d'un Ministre.
Cette Motion , d'abord approuvée d'un
grand nombre de Membres , fut combattue
avec le plus grand succès par M. Garat
l'aîné.
Je combats , dit-il , la proposition qui
vous est présentée comme constitutionnelle
par M. de Mirabeau ; et je la fais , la Constitution
même à la main.
16
L'art. 13 porte : Le Roi peut inviter
« l'Assemblée à prendre un objet en considération
; mais la proposition des lois ap-
" partient exclusivement aux Représentans
de la Nation ,
#
"
"
L'art. 18 : Les Ministres et Agens du
" pouvoir exécutif seront responsables des
fonds de leur Département. Aucun ordre
( 63 )
"
du Roi ne pourra être exécuté , s'il n'a été
signé par le Roi et contresigné par l'ordonnateur
du Département. "
" Vous voyez donc , Messieurs , que le contre-
seing ne regarde que les ordres du Roi ;
mais en aucune manière les invitations du
Roi à l'Assemblée , et que ce seroit contrevenir
à votre Constitution que d'adopter ce
principe. Qu'en résulteroit - il en effet ? Que
toute communication personnelle avec le
Roi seroit interdite aux Représentans de la
Nation. Là-dessus je consulte votre raison
et votre coeur. Si le Roi étoit trompé , si
vous vouliez l'éclairer , auriez - vous un autre
moyen de le prémunir contre les suggestions
des Ministres ? Il faut qu'il puisse vous
communiquer directement ses vues , et que
vous puissiez lui exposer sans détour la vérité
, et l'intérêt des Peuples. Je conclus à ce
que, sans s'arrêter à la proposition de M. de
Mirabeau , on passe à l'ordre du jour.
M. de Mirabeau répliqua que , des articles
constitutionnels lus par le Préopinant , il
ne s'ensuivoit nullement que les messages du
Roi ne dussent avoir aucune légalisation .
Ce seroit , dit - il , accorder au Pouvoir
exécutifl'initiative des Lois , que la Constitution
lui ôte. La personne du Roi étant
sacrée , et une fiction de la Loi lui ayant
accordé une infaillibilité purement idéale ,
je demande s'il ne doit pas toujours apparoître
au Consell un garant de ses propositions
.
66
>>
Je demande ce que veut dire l'objection
emphatique que le Roi pourroit être.
trompé , comme si la Loi du contré-seing
Ministériel empêchoit l'Assemblée Nationale
de correspondre directement avec lui ? Et
( 64 )
s'il pouvoit être trompé par l'effet de ce
contre-seing , les Ministres , sans ce contreseing
, ne pouvoient-ils pas , mille fois plus
souvent , lui suggérer des démarches de pure
insinuation et de complaisance ? S'il étoit
une circonstance qui pût étayer mon opinion
, ne seroit- ce pas celle où nous nous
trouvons , où l'on vient vous proposer des
Projets inconstitutionnels et insidieux , où
l'on vous demande de déroger à vos Décrets
que le Monarque lui-même a sanctionnés ?
Que ceux qui se sont engagés dans le labyrinthe
de difficultés où ils se débattent , n'en
cherchent le fil que pour l'intérêt du Peuple . "
Je conclus que le Président soit chargé de
représenter respectueusement au Roi que sa
Lettre ne portant aucun caractère de légalisation
, est contraire aux dogmes de la responsabilité.
"
Une partie de l'Assemblée applaudit à
ces argumens : le plus grand nombre réclama
l'ajournement ; et après avoir flotté
quelque temps dans ce débat , l'on passa à
l'ordre du jour , c'est - à - dire , à la discussion
du Projet de Décret , tendant à établir le
payement forcé de la Contribution Patriotique
.
((
'
Si vous convertissez cette Contribution
volontaire dans le plus onéreux , le plus accablant
des impôts , dit M. Robespierre
quel effet une disposition pareille produira- telle
sur les esprits ; quelle facilité ne donnera-
t - elle pas aux insinuations des ennemis
du bien public ? » L'Opinant s'étendit ensuite
sur le détail des opérations à faire pour rétablir
la confiance , pour fortifier l'espoir
par le patriotisme , et le patriotisme par l'espoir
, etc.
( 65 )
M. Roederer. « Les dispositions qui vous
sont présentées aujourd'hui sont contraires
à deux de vos Décrets. Vous avez voulu que
la Contribution Patriotique eût toutes les
formes du patriotisme , vous avez décrété
qu'il ne seroit fait aucune poursuite . Pourquoi
aujourd'hui vous propose - t- on de convertir
en Contribution forcée ce qui ne devoit
être que volontaire ? Un impôt ne peut être
établi de cette manière , et ce seroit un piege
tendu à la bonne foi des Citoyens . Ne demandez
que des sacrifices volontaires , et
laissez pour récompense l'honneur de les
avoir faits. "
"
Vous ne connoissez pas encore le nombre
des déclarations ; illest impossible que toutes
soient faites. Le Clergé ignore son sort ; les
Propriétaires des droits féodaux , et même
les Contribuables , ont été jusqu'ici dans
l'incertitude. Les pensions sont réduites ou
suspendues , etc. Il n'est pas douteux que
cette inquiétude ne se dissipera bientôt , et
qu'alors tous les Citoyens s'empresseront de
justifier l'opinion que vous avez conçue de
leur civisme.
" La publication des Listes des Déclarations
est le moyen le plus salutaire ; il soumettra
chaque Contribuable à la censure
morale de ses Concitoyens . "
M. Dubois de Crancé annonça que les
Députés mêmes du Commerce étoient venus
au Comité des Finances , pour demander le
rétablissement de la publicité des Listes.
M. le Chapelier proposa que chaque Citoyenfût
tenu , en se présentant aux Assemblées
Primaires , d'exhiber l'extrait de sa
Déclaration et les cotes de ses Impositions ,
lesquels seront lus à haute voix ; mais comme
( 66 )
ce moyen ne porteroit que sur ceux qui assistent
aux Elections , l'on a adopté ce moyen
conjointement avec celui proposé par M.
Roederer ; ces dispositions furent refondues
avec les premiers articles du Projet du Comité
des Finances , articles purement réglementaires.
c'est
Pendant le cours de cette discussion , un
Membre s'écria : « Voici le vrai moyen ,
de donner nous - mêmes l'exemple ; justifions
ici de nos Déclarations , et ajoutons -y le
quart de nos appointemens.
»
La seconde partie de cette Motion fut
vivement appuyée par plusieurs Membres .
MM. de Croy et Alexandre de Lameth la
combattirent sous le prétexte qu'elle avoit
déja été rejetée . Suivant eux , le traitement
des Députés n'est point une faveur , mais
une indemnité due à ceux qui sacrifient leur
état et leur fortune au bien public.
L'Auteur de cette Motion , ajoutèrentils
, a- t-il voulu nous imposer uue nouvelle
Contribution ? Par quel motif serions- nous
astreints à payer plus que nos Concitoyens ?
L'Assemblée a établi dans son sein un Bureau
de secours , et j'invite les personnes qui
montrent tant de désintéressement , d'y porter
les leurs. »··
CO
pas
Un don doit être libre . Les riches n'ont
le droit de forcer les pauvres de donner.
« Celui qui n'ayant que ses appointemens
pour vivre , en donneroit le quart , donneroit
trop ; et celui qui donneroit ses appoin-1
temens tout entiers , jouissant d'un revenu
de_100,000 liv. ne donneroit pas assez . »
Les différentes Motions ayant été relues ,
M. Dupont demanda l'ajournement. En réfutant
sette opinion , M. Demeunier peignit
( 69 )
les mouvemens sourds de Paris qui feroient
craindre une explosion , sans les soins infatigables
de la Garde Nationale . Sans la Contribution
Patriotique , les Finances s'écrouleroient
, et avec elles , la Constitution ; et
les Députés , chargés de malédictions , iroient
cacher dans les Provinces leur désespoir et
leur servitude.
M. Charles de Lameth effaça ces terreurs ,
en assurant qu'elles étoient l'ouvrage des
Ennemis de la Constitution , qu'on offroit
de superbes gages aux Créanciers de l'Etat ,
et qu'aucune Nation n'avoit des Finances
aussi florissantes que la France .
La Motion de M. le Chapelier ayant obtenu
la priorité , elle fut décrétée en ces
termes :
I. Toutes personnes jouissant de ses
droits et de ses biens , qui ont au - delà de
400 livres de revenu net , devant payer la
Contribution patriotique établie par le Décret
du 6 Octobre dernier , sanctionné par
le Roi , ceux dont les revenus , ou partie des
revenus , consistent en redevances en grains ,
ou autres fruits , doivent évaluer ce revenu
sur le pied du terme moyen du prix d'une
année sur les dix dernières. »
« II. Tous bénéfices , traitemens annuels ,
pensions ou appointemens , excepté la solde
des Troupes , tous gages et revenus d'Offices
, qui , avec les autres biens d'un Particulier
, excéderont 400 livres de revenu
net , doivent servir , comme les produits
territoriaux ou industriels , de base à sa
déclaration , sauf à diminuer ses deux derniers
payemens dans la proportion de la
perte ou diminution des traitemens , pensions
, appointemens et revenus quelconques ,
( 68 )
qui pourroit avoir lieu par les économies
l'Assemblée Nationale se propose , ou
par l'effet de ses Décrets . "
que
« III. La perte d'une pension , d'un em.
ploi , ou d'une partie quelconque de l'aisance
, n'est pas une raison pour se dispenser
de faire une déclaration , et contribuer
à raison de ses profits industriels , s'ils excèdent$
4400 liv. de revenu net. »
"« IV. Les Tuteurs Curateurs et autres.
Administrateurs seront tenus de faire les
déclarations pour les Mineurs et interdits ,
et pour l'établissement dont ils ont l'administration
, excepté les Hôpitaux et Maisons
de Charité ; et la Contribution qu'ils paieront
leur sera allouée dans leurs comptes.
"
"
V. Les Officiers Municipaux imposeront
ceux qui , domiciliés , ou absens du
Royaume,, et jouissant de plus de 400 liv.
de rente , n'auront pas fait la déclaration
prescrite par le Décret du 6 Octobre ; ils
feront notifier cette taxation à la personne
ou au dernier domicile de ceux qu'elle concernera
. "
VI. Dans un mois du jour de cette notification
, les personnes ainsi imposées par
la Municipalité pourront faire leurs déclarations
, lesquelles seront reçues et vaudront
comme si elles avoient été faites avant la
taxation de la Municipalité , lesdites' personnes
affirmant que leurs déclarations contiennent
vérité. Ce délai d'un mois expiré ,
la taxation des Officiers Municipaux ne pourra
plus être contestée ; elle sera insérée dans
le rôle de la Contribution patriotique , et
le premier payement sera exigible conformément
au Décret du 6 Octobre. »
"
VII. Tout Citoyen actif sujet à la Con(
69 )
tribution patriotique , parce qu'il posséde
roit plus de 400 liv. de revenu net , sera tenu ,
s'il assiste aux Assemblées primaires , de
représenter , avec l'extrait de ses cotes d'im
positions , tant réelles que personnelles , dans
les lieux où il a son domicile ou ses propriétés
territoriales , l'extrait de sa décla
ration pour sa Contribution patriotique ; et
ces pièces seront , avant les Elections , lues
à haute voix dans les Assemblées primaires.
«
"
VIII. Les Municipalités enverront à l'Assemblée
primaire le tableau des déclarations
pour la Contribution patriotique. Ce
tableau contiendra les noms de, ceux qui
les auront faites , et les dates auxquelles
elles auront été reçues ; il sera imprimé et
affiché pendant trois années consécutives
dans la Salle où les Assemblées primaires
tiendront leurs Séances . "
"
IX. S'il s'est tenu des Assemblées primaires
et fait des Elections avant la publication
du présent Décret , elles ne seront
pas recommencées , et on ne pourra
pas en attaquer la validité , sur le motif
que les dispositions de ce Décret n'y auroient
pas été exécutées .
" X. L'Assemblée Nationale charge son
Président de présenter dans le jour le présent
Décret à la Sanction du Roi. :
DU SAMEDI 27 MARS.
>>
Il a été fait lecture d'un grand nombre
d'Adresses patriotiques , parmi lesquelles l'on
a remarqué celle de M. le Curé de Sormerý
près de Sens ; il fait la remise d'une
année de son revenu montant à 1700 liv ..
unique ressource qu'il possède , et qu'il destine
à combler le déficit des Finances. L'Eté
2
( 70 )
dernier on avoit refusé un don à - peu - près
semblable , offert par un Curé du Limousin .
Après avoir annoncé l'indigence de ses Paroissiens
, le Curé de Sormery ajoute : Ils
voudront bien partager avec moi leur pain de
son ; je vivrai de leurs aumônes ; une année
de charités pour eux et de misère pour moi
sera bientôt passée.
On a decrété l'impression de l'Adresse
de M. le Curé de Sormery , pour servir
d'exemple à tout le Clergé Pastoral . Si 44
mille Curés du Royaume veulent aussi vivre
des vertus de leurs Paroissiens , ils fourniront
53millionsà l'Etat. Les Ordres Mendians
donneroient aussi leurs pensions , en continuant
leurs quêtes , par patriotisme : ce seroit
un impôt d'environ 58 millions , ajouté cette
année aux charges du Peuple.
Après la lecture des Adresses et des Procèsverbaux
, l'Assemblée étant devenue plus nombreuse
, M. le Chapelier a relu les articles
décrétés hier sur la Contribution Patriotique.
Cette nouvelle rédaction a été décrétée telle
que nous l'avons rendue à la fin de la Séance
précédente.
M. Castellanet , Député de Marseille , a
ensuite fixé l'attention par le narré d'un événement
récent , survenu à Marseille , et dont
il avoit en main les Pièces justificatives.
Le 21 de ce mois , M. de Merle d'Ambert ,
Colonel du Régiment de Royal- Marine , en
garnison à Marseille , arrivant d'Avignon ,
fut interpellé à la porte d'Aix par le factionnaire
de la Garde Nationale , de déclarer ,
suivant la règle , son nom et son domicile.
Il refusa. Un Officier du poste et le Capitaine
se présentèrent . Même refus , accompagné
d'injures. M. d'Ambert appercevant
( 71 )
"
un piquet de son Régiment , l'appela , se
mit à sa tête , entra dans le corps -de - garde
de la Milice Nationale , prit l'Officier par
le collet , en lui disant : « Voulez- vous faire
la guerre ? Je vais me rendre à la plaine
Saint-Michel . Je me fais fort de détruire
avec mon Régiment toute cette canaille.
Vous pouvez dire à la Municipalité que je
me f. …… du Maire et de ses Officiers Municipaux.
"
Sur-le-champ Procès -verbal de cette violence
l'information ouverte a constaté les
faits.
:
Le lendemain à 10 heures , la Municipalité
reçut la visite des Bas- Officiers du Régiment
de M. d'Ambert , venant déclarer
qu'ils ne s'écarteroient jamais des sentimens
qu'ils ont jurés à la Patrie : ils publièrent
sans délai cette Déclaration . M. d'Ambert
lui- même vint à la tête de son Corps d'Officiers
; effrayé des huées et de la fermentation
du Peuple , il demanda d'être gardé
dans la Maison commune , où il est encore
détenu .
La Municipalité demande , 1 °. quel est le
-Tribunal qui doit juger cette affaire ; 2º. le
renvoi des Troupes réglées.
M. le Président a annoncé qu'il venoit de
recevoir une Lettre des Bas- Officiers du
Régiment de Royal - Marine , qui prient
l'Assemblée de ne rien juger avant d'avoir
pris connoissance des rapports des deux
Parties ; ils annoncent un Mémoire qu'ils rédigent
en faveur de leur Colonel . Comme il
ne s'agissoit point ici de juger , mais seulement
d'indiquer le Tribunal , l'affaire à été
renvoyée à la Séance du soir.
Les Villes de Besançon et de Valenciennes
( 72 )
ont été autorisées à faire un emprunt , l'une
de 150,000 liv. la seconde de 120,000 liv .
Un Membre du Comité de Commerce a
présenté le Projet de Décret suivant , littéralement
adopté.
"
" « 1 ° . Qu'à compter de la publication du
présent Décret , la Ville et le Port de
« l'Orient rentreront , quant aux droits de
traite , au même état où ils étoient avant
l'Arrêt de 1784.
"
« 2°. Qu'il sera pris par le Pouvoir exécu-
« tif des précautions suffisantes pour que les
marchandises étrangères qui se trouvent
dans le Port de l'Orient , ne puissent en-
« trer en contrebande ou en fraude des droits
dans l'intérieur du Royaume. "
M. Péthion de Villeneuve s'étant présenté
à la Tribune , M. Lanjuinais invoqua la parole
pour ce Député , qui , dit- il , alloit exposer
un Plan de Finances , propre à combler
la dette publique , et à procurer 200
millions de revenus à l'Etat. Etonné de
cette bonne fortune , chacun prêta l'oreille
très -attentivement. Ce Plan consiste à établir
dans chaque Département une Banque
territoriale , dans laquelle tout Citoyen pourroit
puiser des secours , en donnant pour
gage un contrat affecté sur ses propriétés.
Ces contrats auront cours par- tout le Royaume
, et même chez l'Etranger ; ils porteront
quatre pour cent d'intérêt . Les fonds des
impositions , qui actuellement profitent jusqu'à
leur versement au Trésor Royal entre
les mains des Fermiers -Généraux , seroient
affectés pendant le même intervalle à ces
Caisses territoriales . 1
Ce Projet , s'est écrié M. Dupont , est
renouvelé des Grecs. C'est celui de M. de
Ferrière ,
( 73 )
Ferrières , de M. l'Abbé d'Espagnac , de M.
Reinier , et avant tout , c'est celui de l'Ecossois
Stewart , c'est celui de la Banque
d'Ecosse. Il a un grand inconvénient , car
il est inexécutable ; et , ne le fût- il pas , il
seroit pernicieux . J'opine à ce qu'il soit renvoyé
à la dixième Legislature. "
Quelques Membres en ont cependant défendu
l'idée générale ; l'on a décidé de l'imprimer
, et d'en renvoyer l'examen aux Comités
des Finances , de Commerce et d'Agriculture.
A la suite de cette décision , M. le Président
a fait connoître une Lettre qu'il a
reçue de M. d'Antraigues , au sujet de quel
ques propos à Bourg en Bresse , imputés à
ce Membre de l'Assemblée . Nous la rapporterons
la semaine prochaine.
Quelqu'un ayant demandé l'insertion de
çette Lettre dans le Procès - verbal , M. de
Lameth s'y opposa dans des termes violens ,
qui exciterent un grand tumulte . M. Gauthier
des Orcières , Député de Bourg, objecta,
contre l'insertion demandée , qu'avant de la
décréter , il falloit attendre l'information
que faisoit en ce moment la Municipalité
de Bourg. En conséquence , l'Assemblée ne
prit aucune délibération .
DU SAMEDI 27. SÉANCE DU SOIR.
On a rapporté l'affaire de Marseille , dont
nous venons de rendre compte : il ne s'est
élevé aucun doute , aucune réclamation sur
les faits. Quant au délit de M. d'Ambert
il paroit d'autant plus répréhensible , que
dans la situation actuelle de Marseille , cette
violence , si au - dessous d'un Militaire
et, si blâmable dans un Citoyen , pouvoit
N° . 14. 3 Avril 1799.
D
( 74 )
avoir les suites les plus funestes. S. M. et.
le Gouvernement ont témoigné leur opinion
à cet égard , dans une lettre écrite par M.
le Comte de Saint- Priest à la Députation de
Marseille , lettre qui porte :
"
De Paris ce 27. Mars 1790 .
Le Comte de Saint -Priest a l'honneur de
prévenir MM. les Députés de la Ville de
Marseille , que M. le Comte de la Tour-du-
Pin a rendu compte au Roi de la conduite
de M. d'Ambert , Colonel du Régiment de
Royal Marine dans ladite ville . Sur l'exposé
des faits , Sa Majesté , justement indignée ,
a ordonné que M. le Marquis d'Ambert soit
arrêté , et que son proces lui soit fait par le
Tribunal qui sera determiné . En même temps
le Roi a donné de justes éloges à la sagesse
de la Milice Nationale de Marseille , ainsi
qu'à la prudence et à la fermeté de sa Municipalité.
Le Comte de Saint- Priest s'attend
de recevoir des ordres pour lui témoignerdes
satisfactions de S. M. " *
L'avis du Comité étoit de renvoyer le
jugement de M. d'Ambert à la Sénéchaussée
de Marseille ; M. Castellanet y ajouta celui
de feliciter de leur conduite la Municipalité
et la Garde Nationale de Marseille , au nom
de l'Assemblée . Elle le décréta ainsi , après
une courte discussion , en écartant par la
question préalable , la demande du renvoi
des Troupes réglées qui sont à Marseille ;
demande sur laquelle M. de Mirabeau insista
inutilement.
Par le résultat du Scrutin pour la Présidence
, M. le Baron de Menou a réuni 347
voix , et M. le Marquis de Bonnay zài : le premier
a été élu. Les nouveaux Secrétaires
( 75 )
sont , MM. le Prince de Broglie , Brevet de
Beaujour , et la Poule.
Dimanche 28 , l'Assemblée à décrété l'Instruction
pour les Colonies , selon le Rapport
du Comité Colonial.
Dans le cours de la semaine dernière
, M. Necker a publié des Observations
sur le Rapport fait au nom du
Comité des Finances , par M. le Marquis
de Montesquiou , le 12 Mars ; rapport
que nous avons analysé dans le
temps. M. Necker démontre les erreurs
du Comité sur six articles principaux .
Suivant le Comité , il n'existera cette année
que trente millions de déficit sur la
perception des droits. M. Necker établit que
ce déficit sera au moins de 71 millions ; il
l'établit article par article , et il invoque
en preuve les Fermiers et Régisseurs de ces
différens Droits Les 40 millions en remplacement
de la Gabelle , diminuerost peu ce
déficit , puisqu'ils seront payables en grande
partie au marc la livre des impositions directes
de 1790 , dont il n'y aura que sept
douzièmes dé payés dans cette année.
Le Rapporteur a affirmé qu'à 10 millions
près , l'emprunt de 80 millions étoit rempli ,
et qu'il le seroit dans le cours de l'année .
Il manque encore 33 millions à cet emprunt
, dit M. Necker , et l'on n'y porte plus
rien.
Suivant le Rapporteur , cet emprunt étoit
à 6 et demi pour l'emprunteur. Suivant
M. Necker , l'emprunt pe coûtoit que cing
Dij
( 76 )
pour cent à l'emprunteur. Il pouvoit valoir
davantage pour le prêteur , parce qu'il pouvoit
se procurer au- dessous du pair les effets
admis pour moitié en payement . Lea
autres affirmations du Rapport sont détruites
avec la même clarté. Le Comité des Finances
prétend qu'aucune anticipation ne
doit être renouvelée , même lorsque le crédit
le permettroit , comme étant le plus
coûteux des emprunts .
Passant à l'établissement du Bureau de
Trésorerie , le Principal Ministre des Fi-
Hances , cet Homme public auquel , il y a
neuf mois , la France attachoit sa destinée "
et dont le retour occasionna an ébranlement
d'alégresse enthousiaste , dit :
Il n'est aucune des objections du Comité
contre le Bureau de Trésorerie , à laquelle
je n'aie déja répondu par les observations
présentées à deux reprises à l'Assemblée
Nationale . Le premier argument
du Rapporteur porte sur la responsabilité
ministérielle , qu'il craint de voir affoiblie
par la conversion d'une garantie individuelle
dans une garantie collective ; mais j'ai tout
dit sur ce sujet dans mon dernier Mémoire .
Le second argument est ce prétendu lien
indissoluble qui doit dériver du Décret anciennement
rendu sur une question à-peuprès
semblable ; mais que deviendroient les
véritables intérêts de la Nation , si scs Députés
s'interdisoient à eux- mêmes la faculté
de modifier un de leurs Décrets , lorsque
de justes motifs les y engageroient ? Il faudroit
, avant de prendre une pareille détermination
, se reconnoître infaillibles et s'assurer
un pouvoir au- dessus des facultés humaines
, celui de bien juger de tout à losgue
( 77 )
distance , et d appercevoir tout en un seul
moment. "
«Ε
« Je crois que si l'on adopte l'opinion
présentée dans le Rapport du Comité des
Finances , on regrettera trop tard de n'avoir
voulu donner aucun secours à l'Administration
; on regrettera trop tard d'avoir craint
d'en partager les périls ; on regrettera trop
tard de l'avoir affoiblie continuellement en
la laissant néanmoins combattre seule contre
les obstacles les plus difficiles ; on regrettera
trop tard enfin de l'avoir souvent séparée
de la confection journalière des Lois qui
doivent déterminer et son action et ses
moyens . J'aurai du moins rempli mon devoir
en revenant si obstinément sur la même
idée ; et j'avoue que je trouverors toujours
extraordinaire l'association de deux volontés ,
dont l'une conduiroit l'Assemblée Nationale
à refuser toute espèce de part à l'Administration
du Trésor public , même par
la seule médiation de quelques - uns de ses
Députés , et l'autre l'engageroit à déterminer,
sans concert avec cette Administration , les
dispositions qui l'intéressent ; c'est s'interdire
de toucher au gouvernail , et se réserver
la direction des voiles sans consulter le
point.
La seconde partie de ces Observations
répond principalement à la Motion de
M. l'Abbé Maury , dans la Séance du
18 , sur la profonde ignorance où FOrateur
prétendit que l'on tenoit l'Assemblée
Nationale . Ce morceau ne peut
être analysé ; ceux qui connoissent l'histoire
des Finances et celle de l'Assem-
Diij
( 78 )
blée depuis un an , ont d'ailleurs déja
porté leur jugement .
Parmi les nouveaux Maires dont les noms
sont parvenus à notre connoissance se
trouvent à Toul , M. Bicquilley , Garde-du-
Corps du Roi ; à Verdun , M. Perrin , Droguiste
; à Sarlouis , M. de Verlhac , Chevalier
de St. Louis , et ancien Commandant
de la Ville ; à Blaye , M. Chery ; à Arles ,
M. le Chevalier d'Antonelle ; à Colmar , M.
Salomon , Président au Conseil Souverain
d'Alsace ; à Melun , M. Chamblain , Notaire;
à Péronne , M. de Haussy de Robecourt
Avocat du Roi , ancien Maire continué à
la presque unanimité des suffrages ; à Crepy
en Valois , M. Laurens, Avocat , qui a réuni
119 suffrages , sur 170 Electeurs ; à Autun ,
M. de Fontenay de Sommunt , qui a prononcé
an Discours plein de sagesse et de vrai patriotisme
, où il félicite la Ville d'avoir recueilli
dans son sein nombre d'Etrangers ,
et d'y avoir maintenu , par son attention , le
calme , la sureté et l'ordre public. La nouvelle
Municipalité de Strasbourg compte àpeu
près autant de Catholiques que de Protestaus
, comme autrefois. M. le Baron de
Dietrich, Protestant , en est le Maire.
Trois Lettres d'Alsace , que nous avons
lues , rapportent que Marmoutiers ,
riche Abbaye près de Saverne , et qui
possède de grandes forêts , avoit vu ses
propriétés dévastées au commencement
des troubles : ces ravages cessèrent ; ils
ont recommencé . On a de nouveau coupé
les bois ; un détachement du Régiment
de la Fère et de la Maréchaussée sont
( 79 )
partis pour aller réprimer ces désordres ;
ils ont arboré le Drapeau rouge , et publié
la Loi Martiale. Mille à 1200 paysans
, qui ravageoient les forêts , ont
résisté , ont repoussé le détachement ,
et se sont emparés du Drapeau rouge ,
qu'ils ont planté ensuite à la place de
chaque arbre qu'ils abattoient . La Milice
Nationale ayant été requise de
prêter main--forte , et arrivée sur le ter--
rain , a , disent ces Lettres , abandonné
son Chef, et joint les délinquans. Si ces
faits ne sont pas exacts , ils seront contestés
; et en ce cas , nous ferons part
des éclaircissemens .
M. Bergasse a dernièrement publié
un ouvrage digne de la plus sérieuse
attention , sur les crimes et les Tribunaux
de Haute Trahison. La tyrannie
des Despotes et des Démagogues , celle
des autorités arbitraires et des autorités
usurpées , les factions et les inquisitions ,
uvèrent de tout temps dans ce genre
de crimes et de Tribunaux , l'Arsenal
de leurs attentats contre la liberté et
contre l'innocence . A l'instant de son
réveil , la Nation Françoise , encore
étourdie de la secousse qui lui a donné
des convulsions avec la vie , ne sauroit
trop réfléchir sur cette matière ; sa
sureté , sa liberté dépendent absolument
des Lois qu'on va instituer sur les crimes
de Haute Trahison , et de la composition
du Tribunal qui doit en connoître.
( 80 )
Qu'elle veuille donc sortir un instant
du cercle des folies et des horreurs que
vomit l'Imprimerie , pour méditer , l'histoire
en main , ce terrible sujet.
L'ouvrage de M. de Bergasse contraste
avec les déclamations qui font
maintenant notre politique et notre
littérature. Il est écrit d'une main ferme ,
mais avec cette raison calme qui a disparu
du milieu de nous ; car on ne nous
abreuve plus que d'eau- de- vie . On y dé
couvre l'esprit d'analyse , et des vérités
du premier ordre , liées à l'expérience du
coeur humain , des Gouvernemens et des
temps passés .
M. Bergasse combat , disons plus
il détruit , aux yeux de l'Europe éclairéc
le systême du Comité de Constitution
sur les crimes de Lèze-Nation ,
et sur le Tribunal qui doit en juger.
Il développe les dangers de ce système:
personne ne s'est encore avancé pour
le réfuter ; les Journalistes, enfoncés dans
les calomnies , les délations et le fatras.
Législatif ou Financier , n'ont pas encore
daigné l'analyser.
M. Bergasse démontre que , suivant
les idées du Comité , les délits les
plus vulgaires deviendroient crimes de
Lèze Nation, et que le Tribunal appellé
Haute Cour Nationale par ce Comité ,
seroit , par le fait , le Tribunal ordinaire
qui jugeroit presque tous les crimes . II
réduit , avec raison , les crimes de Haute
( 81 )
Trahison à trois cas. 1°. Conspiration
contre l'Etat , soit pour en trahir la sûreté
extérieure , soit pour en renverser
la Constitution par des moyens violens
, ou par des moyens de corrup
tion. 2°. L'abus de pouvoir contre la
liberté , ou le Trésor public , de la part
des Agens de la Puissance exécutive .
3º. Attentats contre la Personne du Roi .
Dans la seconde partie , l'Auteur fait
sentir le danger d'une Haute Cour Nationale,
telle que la propose le Comité ;
il prouve qu'elle détruiroit aussi-tôt la
liberté politique et individuelle , et convertiroit
la Constitution Françoise en
un Despotisme Oligarchique , auquel
nul Citoyen ne pourroit résister , et qui
engloutiroit à-la-fin tout le Pouvoir National.
On a contesté l'existence des brigandages
commis dans quelques bourgades :
on a poussé cet amour du mal d'autrui
jusqu'à accuser, selon l'usage , les victimes
de ces violences de les avoir provoquées
ou commises . Une Commune respectabie
, celle d'Uzerche en Bas Limousin ,
vient de prendre un Arrêté qui justifie
tout ce que nous avions dit à ce sujet.
Cet Arrêté a été rendu sur le requisitoire
du Maire qui s'indigne , avec raison
, que differentes Feuilles de Paris
ayent traité de bons Citoyens , des brigands
; d'erreurs légères , des énormités.
Voici la teneur littérale de l'Arrêté
( 8. 2 )
dont nous avons eu une copie légalisée
, signée de M. de Chiniac , Maire, des
Officiers Municipaux , du Commandant,
des Officiers de la Garde Nationale , etc.
" Lecture faite de la lettre de M. Sere
à M. Grivel ; du No. 155 des Annales Patriotiques
, et de diverses lettres venues de Paris ,
qui annoncent le Discours de M. l'Abbé
Mulot à l'Assemblée Nationale , concernant
les troubles du Bas Limousin ; la matiere
mise en Déliberation.
"
"
La Commune a arrêté d'une voix unanime
, de solliciter l'Assemblée Nationale +
pour qu'elle donne des ordres afin de faire
instruire avec le plus grand éclat le procès
du Sieur Durieux et des autres particu
liers accusés d'être moteurs , instigateurs
et auteurs des trouble , séduction et désordres
tant à Aliassac qu'à Glandier et autres lieux ;
elle supplie l'Assemblée Nationale de vouloir
bien considérer que c'est la voix publique
et non les Aristocrates qui accusent
ceux qui sont detenus dans les prisons de
Tulle ; que la Province s'est vue à deux doigts
de sa perte , par les troubles que les ennemis
de l'ordre public ont suscités depuis quelque
tems ; et la Province ne doit son
salut qu'à la conduite ferme et généreuse
que la Garde Nationale de Tulle a tenue à Fa
vières , à celle que la Garde Nationale de Lubersac
a tenue à la Chartreuse de Glandier, et
à l'arrivée du détachement du Régiment de
Royal - Navarre , qui a été envoyé à Tulle ,
et dont la ville de Tulle a cédé une partie
pour aller à Allassac y maintenir le bon
ordre et capturer les principaux coupables
des désordres arrivés à Allassac ; que sans
que
( 83 )
les exemples qui ont été faits , malgré toute
la vigilance des Municipalités amies de
l'ordre , il seroit resulté de nouveaux désastres
, parce que les moteurs et instigateurs
avoient persuadé au peuple qu'on n'oseroit
faire périr aucun des coupables ; que c'est
un fait de notoriété publique dans la Province
, que le Comité de la ville de Brive ,
inculpé par l'opinion publique pour être
le foyer où résident les incendiaires et les
moteurs et instigateurs de séductions , a
voulu les disculper dans les Provinces étran
gères , en publiant une lettre circulaire aux
habitans de la Campagne , dont les principes
sont du plus pur patriotisme , mais dont
le Comité auroit mieux fait de pratiquer
dans le principe la morale qu'ils recommandent,
que de chercher à inculper les Communautés
de la ville de Tulle et d'Uzerche , après
avoir perdu entièrement la confiance des
autres Communautés de la Province . La
Commune d'Uzerche supplie l'Assemblée
Nationale de vouloir bien se souvenir
qu'elle a été des premières à montrer la plus
parfaite soumission à la nouvelle Constitution
, et qu'elle a consigné dans ses Arrêtés ,
qu'elle verseroit jusqu'à la derniere goutte
de son sang pour maintenir l'exécution des
Décrets de l'Assemblée Nationale. Ainsi
lorsque la Commune d'Uzerche demandé
avec instance que l'on fasse le Procès à ceux
qui se sont rendus coupables de séductions
dans le Bas -Limousin , et à plus forte raison
à ceux qui sont les moteurs et instigateurs
de ces séductions , on ne peut pas dire que
c'est le cri des Aristocrates qui accusent
les coupables , mais que c'est le cri des bons
Citoyens qui veulent rétablir l'ordre et la
tranquillité dans la Province . Ce voeu n'est
( 84 )
pas celui de la seule Commune de la Ville
d'Uzerche ; mais c'est le voeu unanime de
toutes les Communes de la Province et
et
l'on ne connoît que la Commune de Brive ,
dont les principes ne sont pas d'accord avec
ceux des autres Communes de la Province :
encore a-t- on sujet de croire que si les bons
Citoyens de Brive osoient se montrer ,
n'avoient pas encore si présens les dangers
qu'ils ont courus , ils s'éleveroient hautement
contre les manoeuvres de leurs Compatriotes ,
qui , depuis long -temps , ont porté le désordre
dans le sein de leur Commune , et l'ont
déshonorée. »
" La Commune a arrêté que pour faire
plus amplement connoître à l'Assemblée
Nationale le véritable principe des désor
dres arrivés dans le Bas - Limousin , et combien
il importe au bon ordre qu'il soit fait
un exemple des principaux coupables , il
sera envoyé , de concert avec les principales .
Communes du Département du Bas-Limousin,
une Députation à l'Assemblée Nationale. "
Fait à l'Hôtel-de - Ville d'Uzerche , ledit
jour 11 Mars 1790. "
P. S. Lundi 19 , le Châtelet a jugé définitivement
, et pleinement décharge M. Augeard.
Ordre au Procureur du Roi de faire imprimer
, publier et afficher la Sentence .
On parle depuis quelques jours d'une accr
sation pareille , et plus grave , contre M. de
Maillebois qu'on dit avoir été aussi trahi par
un Secrétaire , et en fuite . Nous parlerons
plus amplement de cette affaire la semaine
prochaine.
Nous sommes encore forcés , malgré un
Supplément de demi -feuille , de remettre au
No, suivant une lettre de M. de Blaire , une
autre de M. de Prez de Crussier , etc.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI TO AVRIL 1790.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
É PIT A PHE
DE M. L'ABBE DE L'EPÉ E
Hrc jacet , egregio cæli qui munere pollens ;
Natura impofuit , Vifû mirabile ! leges ,
Auditum & furdis tribuit , mutis que loquelam ;
Anfit , ùt hunc laudet , mutus vèl furdus in orbe ?
( Par M. Audet de la Méfenquère ,
Maître ès - Arts & de Penfion à
Picpus , ancien Profeffeur de Belles-
Lettres , & Membre, de l'Académie
de Châlons-fur-Marne. )
N°. 15. 10 Avril 1790 .
50 MERCURE
LE SOUHAIT RÉALISÉ ,
ΑΙ
ou Retour à mes Pénates.
Du 28 Juillet 1789. ·
J'Ax vifité ces lieux où de mes jeunes ans ( 1 ) ·
L'amitié , l'innocence embelliffoient l'aurore ;
Où de mes premiers vers, où de mes premiers chants ,
Je faluai le Dieu qu'au Parnaffe on implore ;
Où les biens & les maux ,pour mon coeur neuf encore,
Étoient un ciel couvert , ou l'azur du beau temps. ·
Quel changement , hélas ! dans les rameaux du lière
L'efpalier meurt enveloppé.
Plus d'ombre , plus de fleurs . Par la ronce uſurpé ,
Le parterre a perdü fa dignité première.
Des lauriers qui fur moi s'uniffoient en berceau ,
Le fouffle des hivers a détruit le feuillage ;
Et mon front aujourd'hui domine l'arbrifleau.
Qui pouvoit autrefois me prêter fon ombrage.
Par un dédaigneux Maître acquis & délaiffé ,
Ce lieu jadis fi cher n'a plus rien qui m'enchante .
Sur mon nouveau féjour tout fon charme a paſſé ;
De ce qui plaît au coeur la raison fe contente.
(1) Maifon d'éducation où j'ai été élevé.
DE
FRANCE.
SI
Un jardin, deux tilleuls dont l'afile eft permis
Aux amoureux moineaux que mes goûts favorisent ;
Une étroite mailon , de celles qui fuffifent
Pour loger nos feuls bons amis ;
Plaifirs naïfs & purs que je m'étois promis ,
Là , mon frère & ma foeur enfin vous réaliſent.
Tout ce que la tendreffe a de fincérité ;
Égale & douce humeur , ce don dun efprit fage
Qui puife en un bon coeur fa grace & fa gaîté ,
En faisant leur félicité,
Fixent la mienne au fond de leur humble hermitage.
J'y puis toucher la lyre & cultiver les fleurs.
Ma lyre fut long- temps muette au bruit des armes
La paix renaît enfin ; & nos foudres vengeurs
Out à nos entremis renvoyé les alarmes.
Brapeaux, rcployez-vous. Que nos jayeux enfans ,
De nos fiers démê és imitateurs charmans ,
Ceignent en baudriers les rubans de leurs mères ,
Et changent en jeux innocens,
Le bruit de nos tambours & nos marches guerrières.
O mes Concitoyens ! quand d'un beau zèle épris ,
Déjà vous appeliez les périls , la victoire,
Au récit des complots qui menaçoient Paris ;
Il fallut être humains ce fut là votre gloire.
Vers vous de tous côtés des Citoyens bannis
Accourent. Ils fuyoient innocens & profcrits
Par un Peuple réduit à tout craindre , à
tout croire.
C 2
2674 MERCURE
Oppofant aux fureurs de ce Peuple éperdu
D'une heureufe pitié le mouvement rapide ,
ود
دد
Vous le donnez cet exemple intrépide
D'encourir le foupçon à force de vertu.
La prudence confulte , & l'honneur vous décide .
» Qu'ils entrent ces bannis à notre foi livrés !
Fut-ce nos oppreffeurs , recevons- les encore ,
Qu'en touchant nos remparts ils deviennent facrés ,
Qui fe livse eft abfous pour celui qu'il implore.
Généreux Citoyens ! vous nés fous les lauriers
Cueillis par vos acux devant Riojaneirę ;
Vous , qui joignez encore à la vertu guerrière
Cette mâle candeur de nos vieux Chevaliers ;
D'une Mufe champêtre agréez cet hommage.
Qu'un chêne çonfacrant vos procédés humains ,
S'élève en monument , cultivé par mes mains ,
Et décore mon hermitage.
Là , j'irai du repos favourer les douceurs.
Quel charme de revoir fa chaumière tranquille !
De paffer tout à coup des impures vapeurs ,
Qui s'élèvent fans ceffe & nagent fur la vilic ,
Dans un air embaumé du doux parfum des fleurs !
Qu'en r'ouvrant fa maifon, l'on aime à reconnoître
Le cri de les verroux long - temps reftés muets !
La table, les gazons , le cadran , les bofquets ,
Combien de fouvenirs leur afpect fait renaître
Que l'oeil avidement court d'objets en objets !
Les aigres fors des fifres , des trompettes
Bans cet heureux féjour ne troublent point les airs.
Vous n'entendez que les joyeux concerts
DE FRANCE. 53
Des rollignols & des fauvettes ;
Et loin du cliquait des fières baionnettes
Qui le mouvoient en file & brilloient par éclairs ,
A chaque pas fe déploie à la vue
De nos blés mûriflans l'ondeiante étendue .
Du fragile pavot le fuperbe incarnat
A l'azur des bluects oppofe fon éclat ;
Et dans l'or des moiffons qu'il épuife & décore ,
Parafite brillant , il s'embellit encore .
Heureux qui peut jouir de ces tableaux divers ,
Qu'à nos regards charmés prodigue la Nature !
Plus heureux qui , caché dans fa retraite obfcure ,
De leur frais coloris fait animer fes vers !
Vous fur-tout , que l'étude a mis au rang des fages
Vous qui de la Nature expliquez les fecrets ;
Quittez votre lycée ; errez dans les bocages
Dans l'ombre des vallons , autour de nos guerets,
Et venez méditer fur nos côtes fauvages.
Quel contrafte s'y montre à l'oeil obfervateur !
Là , le fapin s'élance & monte avec vigueur
Où le fombre genêt peut fe nourrir à peine .
Du trident redoutable , ici le foc vainqueur
S'avance , & de la mer infulte le domaine ;
Plus loin , vous la verrez précipiter fes flots
Sur le flanc des rochers qui bordent le rivage ,
Et la vague en broyant ces reftes du chaos ,
Du Dieu qui l'anima ſemble achever l'ouvrage .
Leurs fragmens qu'elle brife en gravier font réduits;
Sur la plage pouffés des fables s'amoncèlent ,
C 3
54
MERCURE
Et le foleil couvant les germes qu'ils recèlent ,
De légers végétaux fous fes feux font produks .
La plante croît & meart , fe diffout , fertilife
Ce fol vierge ou des fruits doivent mêrir un jour.
Des chênes , des ormeaux y naltrout à leur tour.
O mort ! ainfi par toi l'univers s'éternife .
Eh bien donc ? fi la feuille en tombant des rameaux,
Pour l'arbre qui la perd fe change en fucs nouveaux;
Si l'homme en retournant au fein de la matière ,
Des corps qu'elle produit parcourt la chaîne entière;
Quand à fubir mon fort par les Parques forcé ,
J'aurai , mes chers amis , parmi vous dépenfé
Ma portion du fil qui charge leur quenouille ,
N'allez pas loin de vous dépofer ma dépouille
Sous la ftérile ardoife , au fond d'un monument
Dans ces parcs confacrés aux larmes , aux prières ;
Je veux d'un frais gazon devenu l'aliment ,
Etre encore témoin des plaifirs des Bergères .
A nos premiers penchans nous revenons toujours.
O rêve féducteur de la Métempfycofe !
>
Je lègue mon ame à la rofe .
Qu'après le dernier de mes jours ,
Je puiffe encore être pour quelque chofe ,
Dans le culte charmant, dans les jeux des Amours.
Par M. Duault de Saint-Malo.
DE FRANCE. 55
VERS à Madame de ***.
.
POURQUOI , mère aimable & chérie ,
Me priver des foupés charmans
Où la tendreffe & la folie
Egayolent nos heureux inftans ?
Me priver de votre préfence ,
C'eft me réduire au défefpoir ;
Maman il faudroit à l'offenfe
Micux appliquer la pénitence ;
M'empêcher de parler , & non pas de vous voir.
Par Mlle. Hombere du Havre, âgée de 15 ans.
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Chardon ; celui
de l'Enigme eft Soufler ; & celui du Logogriphe
et Roffe , où l'on trouve Or, Os,
Ré, Rofe , Effor.
CHARADE...
Au fon de mon prenter, fur les pas d'une biche,
Souvent on voit courir l'intrépide chaffeur ;
La queueen main, fouvert le noble & l'homme riche
Rifquent fur mon dernier leur bourfe & leur honnur
z
C 4
56
MERCURE
Le Grand , après la mort , refpirant l'opulence ,
Porté dans mon entier , infulte à l'indigence,
Par M. Damife , Av. en Par!.
FILLED
ÉNIG ME
ILLE de la Nature , & mère des abus ,
J'ai beaucoup de parens que l'on prend pour mot
même ;
L'Europe , en m'adorant pár de juftes tributs ,
Annonce à l'univers fa conquête fuprême :
Mais fi l'enthoufrafme allok défigurer
Aux yeux de mes vainqueurs , mes traits chéris
célestes ,
Je cauferois des maux & nombreux & fijnefies,
Au lieu du vrai bonheur que je do's procurer.
Par M. Rarrio.
JA
LOGO GRIPHE.
ADIS j'étois au rang des Dieux ;
A Jupiter par fois j'étois utile ;
Mais je n'habite plus les cieux
Et j'ai fixé mon domicile
Chez les François , toujours joyeux
J'aime le bien , je le public ;
J'accueille avec plaifir Fajmable Poćke j
DE FRANCE.
Je fais connoître les talens ,
Et je ne connois point l'envie ,
( Mérite rare dans ce temps ).
Si ton Amant , belle Louiſe
Te jure encore , à ce moment
De t'idolâtrer conftamament
Il fe fert de mon entremiſe >
Ne pouvant le faire autrement .
Si , comme moi jadis , il portoit aile ,
On le verreit fouvent traverſer l'air
Comme un éclair →
Et tomber aux pieds de fa belle..
Puifque tu me tiens dans ta main ,
Louife , fouille dans mon fein ..
Dans les fept pieds qui compofent mon être ,
Tu trouveras un titre précieux ,

!
Et que les jufles Dieux peut-être ,
Quelque jour te feront connoître
Puifque ton coeur est vertueus.
Sur le point d'obtenir ce furnom glorieux ,
que de pleurs vont couler de tes yeux
Que la douleur n'abatte point ton ame z
Songe , Louife , au bonheur qui t'attend 3
Quoi de plus doux pour une jeune femme
Que le fouris de fon premier enfant !
( Par un Abonne. )
CS
158
MERCURE
*
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
PLAN de l'Organisation fociale , divifée
dansfes trois parties effentielles à l'ordre
de l'Adminiftration du revenu public ; le
droit & le devoir des propriétaires d'en
remplir gratuitement les différens emplois ;
manière d'eftimer le revenu de toutes les
propriétés foncières ; par M. D. S. P. A
Paris , chez P. J. Duplain ; Libraire ,
Cour du Commerce , rue de l'ancienne Comédie
Françoife , 2. voi.-in. 8 ° . de plus
de soo pages chacun. Prix broch . 12 liv.
& 13 liv. francs de port par la Pofte.
L
ES François ont été long- temps des enfans
aimables qui amufoient l'Europe ; depuis
quelques années , ils ne méritoient plus
leur réputation ; les livres les mûriffoient ,
& préparoient en filence notre révolution
qui étonnera la postérité , & notre Conftitution
qui , malgré fes légères imperfections ,
eft la meilleure des Conftitutions connues .
Que ne doit on pas attendie d'un Peuple
qui s'eft trouvé digne d'entendre prefque
toutes les vérités ? Les Etrangers lui demanderont
compte de fes lumières ; &
il montrera qu'il a renverfé la tyrannie ,
le fanatifme , qu'il refpecte les droits de
DE FRANCE. 59
chaque individu , qu'il fait naître le bonheur
général , du bonheur particulier. Rendons
graces aux hommes qui nous ont
inftruits , à la majorité de nos Représentans
qui obéir à la fageffe , aux provinces qui
envoient à l'Allemblée Nationale des
adreffes fimples & fublimes , qui pcnfent
& agiffent comme fi elles avoient toujours
été libres ! Qu'elle eft belle' , 'qu'elle eft impofante
, cette union de tous les cours ,
de tous les efprits ! Alors je n'entends plus
les cris de ces vils anibitieux qui regrettent
Fancien régime , parce qu'ils ne font pas
affez forts pour être quelque chofe par euxmêmes
; de ces fiers intrigans qui citent
leurs illuftres ancêtres , parce qu'ils ne s'illuftreront
jamais ; de ces frondeurs empefés
qui haident les opinions nouvelles ,
parce qu'ils ont profité des opinions ridicules,
dit :
Tout n'eft pas fait ; mais tout fe fera ;
les livres ont commencé l'ouvrage , & ils
le finiront ; parmi ceux qui doivent y contribuer
, il faut compter celui que nous
annonçons. En parlant du Clergé , l'Auteur
Ce feroit une profufion , peutêtre
même un facrilege , que d'admettre
» au partage des revenus de la Religion ceuxqui
ne lui rendent aucun fervice , & de
» donner à confommer dans la diffipation
» ou dans l'oifiveté , la fubfiftance des Miniftres
du culte ... ces opinions ont déjà été
établies dans les difcours que le vertueux
و ر
و د
C 6
60 MERCURE
N
Maffillon , alors Oratorien , prononoit
dans le Séminaire de Saint-Magloire. » On
doit , continue l'Auteur , on doit le faire
» une loi inviolable de n'accorder des ho-
» noraires qu'aux différens offices compris
dans l'ordre de la hiérarchie de l'Eglife
, tels que les Evêques, les Curés, leurs
Vicaires & un Chapitre par chaque diocèfe
Je ne fais pas comment les Cha-
20
"
23
pitres
on
peut
feulement
les
regarder
peuvent entrer dans la hiérarchie de
comme des retraites deftinées aux vieux
Curés , aux vieux Vicaires ; & ne feroit- il
pas plus avantageux pour l'Etat , pour la
Religion , de leur donner une penfion &
de leur laiffer la liberté de vivre où bon
leur fembleroit? Un peuple libre d'ailleurs
ne peut pas forcer un homme de vivre
dans un lieu plutôt que dans un autre.
Mais lorfque M. D. S.P. dit que les poftes
les plus élevés du Sacerdoce ne doivent recevoir
que les émolumens qui feront réglés par
la décence , tous les amis de la Religion &
de l'Etat feront de fon avis.
Les impôts indirects , que l'ignorance &
l'avidité des Miniftres & des Pailemens
ont horriblement multipliés , font tous les
jours dépérir l'Agriculture ; l'Auteur le
prouve par des calculs très - fimples ; il
donne la manière d'inventorier les propriétés
foncières , montre ce qu'elles rapportent
dans leur dégradation actuelle
ce qui les empêche de rapporter davantage ,
DE FRANCE. 61
& ce qu'elles rapporteroient fi les obftacles
n'exiftoient plus , fi la Gabelle , les
Aides , la Taille , les Vingtièmes étoient
convertis en un Impôt territorial . Les élémens
de ces calculs paroiffent quelquefois
un peu hypothétiques ; mais il eft vrai que
les cultivateurs font dans la plus affreufe
misère , &que , par une fuite néceffaire , la
terre ne donne qu'une très- modique quantité
de productions ; il eſt vrai qu'une taxefur
les denrées en avilit les valeurs vénales
ou en diminue la confommation dans la
même raifon qu'elle la renchérit , & que ces.
deux effets inévitables & funeftes influent
également fur la culture pour anéantir la
denrée, dont on ne peut plus retirer le prix
néceffaire, ou ce que les confommateurs n'ont
p'us la faculté de payer.
Quel fera donc le revenu public ? La
Nature donne fpécialementfes leçonspour le
revenu public & pour celui des Autels .....
Elle déclare 1 °. qu'elle n'offre qu'une
fource unique pour les deux branches
de revenu , qui eft la terre ; 2 ° qu'elle
» détermine exactement leur meſure dans
" le partage de la reproduction générale « .
Je vais examiner ces deux propofitions ; &
comme il eft des vérités qu'il ne faut peutêtre
pas dire actuellement , je ne montrerai
pas que le revenu des Autels ne doit pas
être affimilé au revenu public. La première
propofition eft la bafe du fyftême des Economiftes
, qui ont beaucoup d'efprit & de
6.2
MERCURE
favoir , dit illuftre Smith . , L'erreur capi
tale de ce fyftême confifte , felon , M.
Smith , à représenter la claffe des Artifans
des Manufacturiers & des Marchands
comme abfolument ftérile & ne produifant
rien. C'eft en effet fur cette opinion
que s'appuient MM. Quefnay , de la Rivière
, D. S. P. Il prouve ailément qu'elle
eft mal fondée ; il n'auroit pas dû , s'il
m'eft permis de le dire , rejeter l'impôt
nique . Une vérité, pour être mal défendue,
n'eft pas une erreur ; & je vais peut- être
l'établir d'après les principes mêmes de M.
Smith. L'importance de la queftion fera
excufer ma digreffion .
Toutes les fonimes annuellement difponibles
, viennent de trois fources , du revenu
des propriétés , du falaire d'un travail
quelconque , ou de l'intérêt des capitaux
employés. Or eft - il impoffible qu'un
impôt mis fur un de ces trois revenus , ne
foit pas payé par les propriétaires ? M. Smith
a démontré que celui qui emploie immé
diatement l'ouvrier , avance réellement non
feulement l'impôt , mais quelque chofe en
fus , & que le payement final tombe fur las
propriétaires & les capitaliftes. L'impôt mis
fur les capitaliftes tombe- t- il fur les propriétaires
? L'intérêt de l'argent , dit M. Smith
" eft le produit net reftant après que le
rifque & la peine d'employer les fonds
» ont été pleinement compenfés «. Il en
conclut qu'un impôt fur l'intérêt de l'ar
""
رو
DE FRANCE.
63
gent ne pourroit faite hauffer le prix de
l'argent. Cependant la difficulté infurmontable
d'évaluer même par approximation
le rifque du prêteur , qui varie fuivant la
probité , l'intelligence , la fortune de l'emprunteur
, & la peine qui varie fuivant
les lieux , les faifons , feroit que l'impôt
feroit toujours levé arbitrairement , que
la claffe la plus nombreufe des emprunteurs
, les petits propriétaires , les petits
négocians , ne trouveroient pas aifément à
emprunter, & acheteroient l'argent fort cher;
que les denrées brutes ou manufacturées
augmenteroient néceflairement de valeur ;
& que Pimpôt feroit mis fur les confommations.
Concluons donc que , même
d'après les principes de M. Smith , l'impôt
fera toujours payé par les propriétaires ,
de quelque manière qu'on l'établiffe.
Je reviens à l'Ouvrage que j'annonce
où l'on trouve des vérités importantes &
quelques erreurs que je combattrai , quoiqu'il
foit pénible de penfer autrement qu'un
homme que l'on eftime. La Nature détermine
exactement la mesure de l'impôt dans
le partage de la reproduction générale. Cette
opinion , que M. D. S. P. appuie fur des argumens
très-fpécieux , me femble terraffée
par cette feule phrafe ; les impôts font levés
pour les befoins de l'Etat , qui ne font
pas les mêmes en temps de paix & en
temps de guerre ; & ces mots befoins de
l'Etat , qui étoient autrefois très-vagues
64
MERCURE
& très-abufifs , ne le font plus aujourd'hui ,
quoi qu'il en dife ; les repréfentans libres
d'un peuple libre peuvent & doivent connoître
les befoins de l'Etat , comme un tutear
doit connoître ceux de fon pupille .
Mais lorfque M. D. S. P. affigne les fonctions
des affemblées & des Tribunaux provinciaux
, montre le bien qu'elles ont à
faire , compare les recettes & les dépenſes
de l'Etat , indique les réformes , les réductions
à opérer , il eft difficile de penfer autrement
que lui. Cette première partie eft
en général utile , comme on vient de le
voir.
Le résultat de la feconde , eft que les
propriétaires ont le droit & le devoir de
remplir feuls & gratuitement les différens
emplois de l'adminiſtration publique. L'opinion
publique a rejeté la première partie
de cette propofition ; & ceux qui l'ont dirigée ,
liront M. D. S. P. comme on lit les Ou
vrages d'un adverfaire refpectable que l'on
a vaincu ; ils trouveront quelques - unes de
fes objections nouvelles ils répondront ;
& alors cette queftion fera peut- être une erreur
pour tout le monde. La feconde quef
tion eft indépendante de la première : nous
ne l'examinerons pas ; car il paroît con.
venu que toutes les fonctions doivent
être falariées ; que les falaires doivent être
affez confidérables pour qu'un homme peu
riche puiffe accepter la place , & ne doi
vent pas être affez confidérables pour tenter
l'ambition , la cupidité.
DE FRANCE.
Cer Ouvrage entrepris , ce me femble ,
pour montrer que toutes les impofitions
doivent êne changées en un impôt territorial
, renferme des idées vraiment neuves
fur la manière d'eftimer exactement les revenus
des biens - fonds dans les différens
genres de culture. M. Smith qu'il faut citer
fouvent , peut- être combattre quelquefois ,
mais toujours étudier , toujours admirer, a
dir , que le prix du grain eft en dernière anav
lyfe compofé de larente de la terre, du falaire
de la main d'oeuvre , & du bénifice des fonds.
Rien n'eft plus vrai ; cependant le propriétaire
, le cultivateur qui veut connoître fon
revenu défalqué de fes avances , eft trèsembarraffé.
M. D S. P. divife d'abord la
culture des grains , en grande & petite ;
it fous-divife la première , en grande culture
opulente , riche , médiocre , & foible ;
il fous divife la feconde , en petite culture
aifée , foible , pauvre , miférable. » Le pre-
» mier coup d'oeil , dit- il , doit être em-
» ployé à déterminer dans laquelle des
claffes de culture doit être rangée la
» propriété dont on s'occupe , ou du moins
quelle eft celle dont elle approche le plus .
» L'incertitude fur ce point doit être bien-
» tôt diffipée, en obſervant feulement la
quantité de terres exploitées par chaque
» charrue , avec la quantité de chevaux
( ou de boeufs ) qu'on y emploie «. Les
formulles de M. D. S. P. déterminent clairément
la claffe de culture .
»
30
39
V
66
MERCURE
3
2°. Après qu'on aura claré une pro
priété , il fuffit de parcourir le tableau
" des avances primitives , en tâchant d'obtenir
des renfeignemens pofitifs & affurés
fur les valeurs des objets qui y font dé-
» taillés favoir , le prix des chevaux , ce-
» lui des beftiaux , la quantité de ſemence
» qu'on emploie , avec fa valeur moyenne.
3 °. Le nombre des domeftiques , le
» taux de leurs bagages , avec un apperçu
» raisonnable de la dépenfe de leur nour-
» riture .
"
ޔ
4°. » Ce que peuvent couter les frais
» de la moiffon.
5. Ce qu'il paroît naturel d'affigner
pour la dépenfe & l'entretien du Fer-
» mier , de fa famille , pendant les deux
» années qui précèdent fa première récolte
«. Voilà pour les avances premières ,
& en partie pour les avances annuelles ;
on doitfeulement y ajouter la dépense pour
la nourriture da troupeau & le battage des
grains . Les calculs de l'Auteur , que quelques
perfonnes regarderont peut - être comme
hypothétiques , font des tableaux très importans.
On aura enfuire le produit total en
fachant la quotité des grains que produit
chaque arpent , leur prix ; le nombre des
beftiaux , des moutons , &c. à vendre ,
leur prix . On aura le produit net ou téel ,
en retranchant du prix total , l'intérêt des
avances primitives , & les avances annuelles.
Celt avec la même fagacité que M.
DE FRANCE. 67
D. S. P. examine les autres propriétés ,
les bois , les vignes , les prairies , & donne
les moyens d'évaluer leurs revenus .
Heft inurile de dire que cet Ouvrage eft
néceffaire àceux qui auront à répartir l'impor
fur les terres , & plus encore à tous les
propriétaires qui veulent connoître avec
préciſion , la valeur de leurs biens.
THEORIE des Dixmes , par M. HERVE ,
Avocat au Parlement , Auteur de la
Théorie des matières féodales & cenfuelles.
A Paris , chez Knapen , Savoye ,
Née de la Rochelle , & Blin. 4 Sens ,
chez la veuve Tarbé , 2 vol. in - 12.

UN Traité des matières féodales & cenfuelles
! un Traité des Dixmes ! le temps
paroît bien mal choifi pour publier de pareils
Ouvrages ; ce fera d'abord la réflexion
de tous les Lecteurs frivoles , & furtout
de ces Auteurs éphémères , qui
n'ayant rien étudié , font toujours prêts à
écrire fur les objets du moment ; dont
tour le talent littéraire confifte à improvifer
, pour ainsi dire , fur toutes les matières
à la mode , & à paroître à propos ,
c'est - à- dire , dans le temps le plus favo
rable à la vogue. Jamais Ouvrage de circonftances
n'a été un bon Livre , & c'est
un bon Livre que nous annonçons ; ce
n'eft point une Brochure du moment ;
63 MERCURE
c'eft l'Ouvrage du temps ; c'eft le produit
de vaftes recherches & de profondes méditations
; c'eft le travail de plufieurs années.
Cer Onvrage peut encore ne point arriver
trop tard ; les principes qui ont jufqu'ici
réglé la Dixme, pourront influer auffi
fur le remplacement annoncé.
Mais quand même si la Dixme ni aucun
remplacement analogue & foumis aux
mêmes principes , ne devroit avoir lieu , un
bon Traité des Dixmes fubfifteroit toujours
comme objet d'érudition , comme monument
hiſtorique' , comme témoignage
d'une inftitution qui a exifl jufqu'à préfent
dans l'Eglife & dans l'Etat ; qui avoit
fes principes , fa légflation , fa Jurifprudence
; qui marquera la différence des fièces
qui l'ont confervée , & des fiècles qui l'ont
abolie. Chaque fiècle charmé de les avantages
, amnirateur de les lumières , a peine
à comprendre l'eſprit d'un autre fiècle ; &
les Philofophes mêmes , à qui l'Hiftoire
n'eft pas affez familière , font naturellement
portés à croire que ce qui leur paroît
la vérité , a toujours dû paroître la
vérité , idée qui , pour l'obferver en paffant
, n'eft pas trop philofophique.
4 Si ce que l'Auteur nous préfente aujourd'hui
fur les Dixmes eft la vérité , la
vérité peut toujours fe montrer, fes droits
font imprefcriptibles ; fi ce n'eft qu'une opinion
comme tant d'autres , le temps la mettra
comme les autres à fa place.
DE FRANCE. 69
Nous allons expofer fes idées fans les
modifier , fans y mêler les nôtres , fans approuver
, fans critiquer .
Les Dixmes étoient de précepte dans le
Loi de Moife, nous apprenons même de
beaucoup d'Auteurs profanes , tels qu'Hér
rodote , Xénophon, Paufanias , Diedore de
Sicile , Denis d'Halicarnalle , Tite- Live, Feltus
, line , Diogène Laerce , que les Dixmes
ont été payées chez d'autres peuples
que les Juifs , avant l'établitlement de lá
Religion Chrétienne.
·
L'Auteur , malgré la foule des décisions
contraires , & malgré la nature de quelquesunes
de ces décifions , avoue que dans la
Loi nouvelle les Dixmes ne font pas de droit
divin , c'est à dire , que la Loi nouvelle
n'a nulle past confirmé ni adopté expreffément
& par un précepte formel , le précepre
del'ancienne Loi , relatifà la Dixme. Mais ,
dit l'Auteur , la Religion Chrétienne a
» dû emprunter directement les Dixmes
» de la Religion de Moife dont elle . eft
l'accomplitlement & la perfection . Nées
dans la Judée l'une & l'autre , faintes
» l'une & l'autre , révélées l'une & l'autre ,
» liées l'une à l'autre , ces deux Religions
" ont néceffairement eu des idées & des
pratiques communes “,
ور
"9
Cependant les traces du paffage d'une
Religion à l'autre , en ce qui concerne les
Dixmes, ne font pas fenfiblement marquées
dans les deux ou trois premiers fiècles de
l'Ere Chrétienne .
70 MERCUREA
L'Evangile & les Apôtres parlent des
offrandes & en fuppofent l'ufage & la
néceflité ; mais ces différens textes ne s'appliquent
pas néceffairement aux Dixmes.
Saint Clément , Difciple des Apôtres
parle dans fes Epîtres , de bonis & reditibus
Ecclefiarum & earum difpenfatoribus.
Ceci ne paroît pas encore embrailer les
Dixmes.
Saint Irénée , qui fouffrir le martire
l'an 202 , paroît diftinguer les oblations
de la nouvelle Loi , des Dixmes de la Loi
ancienne , en ce que les oblations étoient
volontaires , & que les Dixies avoient été
forcées.
Tertullien , mort vers l'an 216 , parle
auffi de la liberté des oblations , & ne dit
rien des Dixines.
Origène, qui vécut jufqu'au milieu du ze.
frècle, femble énoncer l'obligation de payer
la Dixme ; mais les expreffions fur cet article
ne font pas fans difficulté .
Saint Cyprien , qui fouffrit le martyre
en 258 , s'exprime fur la Dixme d'une manière
encore plus fujette à des interprétations
diverfes.
Les Conftitutions Apoftoliques , recueillies
dans le troisième fiècle , parlent des
Dixmes comme d'une preftation de précepte
; c'eft fans doute en étendant à la
nouvelle Loi , la Loi de Moife , comme
n'ayant pas été révoquée , & comme
ayant même été tacitement adoptée.

DE FRANCE. 71
Les Conférences de Caffien font également
précifes fur la preftation de la
Dixme.
Saint Chryfoftome , qui mourut en 407 ,
penfoit que l'obligation de payer la Dixme
étoit encore plus étroite pour les Chrétiens
que pour les Juifs.
Saint Jérôme, mort en 420 , Saint Auguftin
en 430 , recommandent le payement de
la Dixme.
Au 6e. & au 7e fiècle , les autorités en
faveur de la Dixme deviennent plus nombreufes
, plus expreffes & plus fortes.
Saint Remy , mort en 533 , affure dans
fon teftament des fecours à 4 pauvres
veuves , fur les Dixmes de quelques villages.
Le Concile de Mâcon , en 585 , ordonne,
de payer la Dixme , fous peine d'excommunication
, première Loi pénale qu'on connoiffe
fur les Dixmes.
Le Concile de Séville , en 190 , charge
de malédictions quiconque négligera de
payer la Dixme.
Le Concile de Nantes , en 658 , règle le
partage & l'emploi de la Dixme,
Grégoire de Tours , mort en 595 , attefte
l'ufage des Dixmes en France.
Les Statuts de Théodore , Archevêque de
Cantorbéri , en 688 , & le vénérable Bede ,
né en 673 , l'atteftent en Angleterre.
Si l'on objecte que des pères de l'Eglife
, des Conciles mêmes , ont parlé des Dix72
MERCURE
i
93
ود
>>
mes comme d'une rétribution libre & volontaire
, voici la réponſe de l'Auteur.
" On peut dire de prefque tous les
» biens de l'Eglife qu'ils proviennent de
la charité & de la libéralité des fidèles ;)
& néanmoins elle les poffède & ils lui
appartiennent bien légitimemeat. Une
action libre dans fon principe , peut de-
» venir un droit inviolable dans fes conféquences.
Quelque volontaire que foit
» un don , par exemple, il devient une
propriété irrévocable , lorfqu'il eft con-
» fommé. D'ailleurs il a été indifpenfable
de pourvoir pour toujours à l'entretien
des Autels & des Miniftres d'une manière
» ou d'une autre manière. Ala vérité, le choix
» entre un moyen & un autre moyen a été libre;
mais quand une fois il aété fait , quand
une fois la détermination a été prife ,
la preftation qui a été réglée est devenue
néceffaire ; car s'il fut refté de l'arbi
traire ; fi chaque fidèle eût confervé la
faculté de varier à fon gré , il n'y eûr
eu de certain que les charges du culte
& les befoins des Miniftres. C'est pour
» cela que dans l'ancienne Loi la Dixme
étoit de précepte rigoureux , & que
» dans la Loi nouvelle elle a le plus communément
été , tantôt prêchée , tantôt
» ordonnée comme une rétribution à laquelle
on ne pouvoit fe fouftraire, La
liberté n'a donc jamais été telle qu'on
» en puiſſe rien inférer , foir contre l'exif-
و د
"
و ر
و ر
93
tence >
DE FRANCE.
73
tence, foit contre la légitimité de la Dixme.
Les Dixmes Eccléfiaftiques ne proviennent
point des Dimes Impériales , comme
l'a prétendu l'Auteur d'un Mémoire publié
en 1785 , contre le Clergé , fous le titre de
défenfe des droits du Roi contre les prétentions
du Clergé de France. La Dixme Impériale
n'eut pas lieu dans tout l'Empire
Romain ; elle n'eut pas lieu en partieulier
dans les Gaules ; elle n'a donc pu devenir
Dixme Eccléfiaftique en France
ni par ufurpation , ni par conceffion. Les
Dixmes ne proviennent point de la libéralité
des Princes & des Seigneurs particuliers
; car des monumens antérieurs à toute
conceffion poffible , repréſentent la Dix me
comme un tribut religieux, offert à Dieu par
l'ordre de Dieu même ; fi elle avoit eu pour
titre une conceffion , ce titre eût été allégué
; une conceffion certaine & légitime
eft un affez bon titre pour qu'on ne néglige
pas de le faire valoir.
Enfin les Dixmes n'ont point été établies
par Charlemagne ; car quelque beau , quelque
refpectable que fût ce titre d'inftitution
, tout ce qui a été dit jufqu'à préſent
prouve l'antériorité de la Dine, & Charlemagne
lui-même en parle comme d'une inftitution
ancienne.
La Dixme eft confirmée par les Capitulaires
de Louis le Débonnaire & de Charles
le Chauve , commie par ceux de Charlemagne
..
Nº. 15. 10 Avril 1790 .
D
74 MERCURE
Quels ont été dans tous les temps les
objets décimables ? Pour réfoudre cette queftion
, il faudroit en effet parcourir tous
les temps , car l'ufage a infiniment varié à
cet égard , & ces variations ont prévalu
fur l'ufage primitif qui fembloit devoir
former la Loi , Dans celle de Moile , tout
étoit décimable , jufqu'aux ouvrages de la
main. Decimas facultatum , omnem decimam
, decimas ex omni facultate ; telles
font les expreffions indéfinies qu'on trouve
dans les plus anciens titres concernant la
Dixme .
Les Loix Eccléfiaftiques de S. Edouard ,
Roi d'Angleterre , mort en 1066 , ordonnent
qu'on paye la Dixme de apibus , de
bofco , de prato, de aquis & molendinis, par
chis , vivariis , pifcariis , virgultis , hortis
& negotiationibus , & omnibus rebus quas
ded rit Dominus.
Tout cela fe règle aujourd'hui par l'ufage
particulier des lieux.
La Dixme eft deffinée dans le Deuteronome
, à la fubfiftance des Lévites , "des
voyageurs , des veuves & des orphelins ,
en un mot, des Miniftres du culte , &
des pauvres Chez les Chrétiens , elle ne
fe payoir d'abord qu'à l'Evêque & aux
Prêtres , fous la condition d'en faire aux
pauvres le partage qu'exigeroient la juſtice
& la charit,
La Dixme des Chrétiens eut donc ,
dès les premiers temps , la plus parfaite
DE
FRANCE.
75
analogie avec celle des Juifs ; les premiers
Chrétiens , comme les Juifs , payoient la
Dixnte de tout , des ouvrages de l'Art
comme des productions de la Nature . Les
Pères de l'Eglife , dès qu'ils parlent de la
Dixme, rappellent la pratique des Juifs &
le précepte de la Loi de Moïfe. Les Papes ,
les Conciles , les Evêques , fuivent leur
exemple & répèrent leur Doctrine.
Les Capitulaires la confirment; ils font fim,
plement déclaratffs & non conftitutifs; ils reffemblent
à nos coutumés, dont la rédaction
n'a point été une légiflation nouvelle. Les Loix
Canoniques & Civiles ont également ordormela
prestation de la Dixme , non comme
d'une inftitution nouvelle , mais comme
une mflitution établie & jugée néceſſaire,
» Analyfez bien les fairs & les monumens ,
" reduiféz- les & leur jufte valeur , cherchez
la vérité de Bonne foi, & fans ef
» prit de fyfteme & de partialité, & vous
" ne trouverez pas d'autre réfultat fur
" l'origine & finftitution de la Dixme «.
La Dime ne s'eft pourtant pas également
établie dans tous les pays Chrétiens ;
if en eff of elle a toujours été inconnue ;
if en eft ou l'on a plufieurs fois tenté vainement
de Fintroduire ; l'Auteur en fait l'énumération
.
Diverfes exemptions ont après coup reftreint
la preftation de la Dixme dans les
pays mêmes où elle étoit établie ; ces exemptions
pouvoient bien n'être que des abus ;
Ꭰ .
76 MERCURE
T
l'Auteur obferve feulement qu'elles furent
l'ouvrage des Papes & de quelques Conciles
, & qu'on fut plufieurs , fiècles fans
recourir à la fanction des Rois & à la formalité
des Lettres Patentes ; ce qui pourroit
venir de ce que l'autorité eccléfiaftiicque
faifoit tout alors , & laiffoit peu de chofe à
faire à l'autorité Royale ; mais l'Auteur, tire
de ces exemptions accordées par l'autorité
eccléfiaftique , une preuve de plus , que la
Dixme eft une inftitution religieufe qui
a été dans tous les temps fous la main
de l'autorité eccléfiaftique , & à laquelle
la puiffance civile n'a pris part que pour
prêter fecours à la première , quant à la
preftation feulement.
Comment arrive- t-il qu'il fe trouve des
Dixmes entre les mains des Laïcs ?.
10. Par des ufurpations faites fur l'E
glife ; & l'Auteur prouve ces ufurpations ,
2º. Par des aliénations de Dixmes faites
par les Eccléfiaftiques eux-mêmes ; & l'Auz
reur prouve ces aliénations.
Il établit que les monumens ne fournif
fent aucun exemple d'une Dixme d'oris
gine profane & purement laïque. Jamais ,
dit - il , aucun laïc n'a répondu aux réclamations
, aux cenfures , aux excom-
» munications des Conciles , des Papes
& des Evêques , que les Dixmes , qu'on
lui demandoit , étoient un bien profane
& patrimonial ; il ajoute que les Dixmes
partagées entre les Curés & les Seigneurs
و د
F
DE FRANCE
77
»
"
font fi peu d'une nature profane & cen
fuelle,qu'ellesfubfiftentavec le champart ,
dans toutes les Provinces où le champart a
lieu , qu'elles fe lèvent avant le champart
, & qu'elles font fujettes à des
" charges étrangères au champart & à
toutes les propriétés foncières ordinaires"
Pour ne rien omettre de tout ce qui
peut concerner l'hiftoire de la Dixme
Auteur parle même de la Dixme Saladine
, quoiqu'étrangère à la Dixme ordinaire.
On fait que la Dixme Saladine fut une fubvention
extraordinaire & paffagère qui s'établit
en France , & en Angleterre en 1188 ,
forfque Philippe Augufte & Richard
Coeur de Lion voulurent fe procurer
promptement les fonds néceffaires à la
Croifade qu'ils entreprirent contre Sala→
din , après que ce Sultan d'Egypte eur pris
Jérufalem , qui , depuis la première Croifade
de 109 , étoit reftée entre les mains
des Chrétiens,
Tout ce qui vient d'être dit concerne
uniquement l'hiftoire de la Dixme , objer
de la première Partie de cet Ouvrage. La
feconde Partie eft proprement la partie
juridique , mais l'Auteur tire de la première
les principes qu'il applique à la feconde
, & qu'il modifie feulement par les
ufages fubfequens & les Loix poftérieures.
Le principe originaire , même lorfqu'on
eft obligé de l'abandonner , fournit quelquefois
la folution des diverfos queftions
D 3
78
MERCURE
que les variations
de l'ufage
& la com plication
des droits
ont fait naître
.
La théorie de la Dixie étoit infiniment
fimple lorfquon devoit la Dixme de tour,
& qu'on ne la devoir qu'aux Miniftres de
la Religion .
Aujourd'hui cette matière reçoit beau
coup de divifions & de fous- divifions.
En Dixmes eccléfiaftiques , qui font poffédées
par des gens d'églife , & Dixmes pro
fanes qui fe trouvent en des mains laïques.
2º. En Dixmes inféodées , c'eft-à- dire
tenues en fief & fujettes aux devoirs ftodaux
, & Dixmes ordinaires ou non inféodées
, c'est- à- dire , qui n'ont reçu aucune
impreffion feodale , en quelques mains
qu'elles fe trouvent .
3. En Dixies réelles qui fe perçoivent
fur les fruits naturels ou induftriels des immeubles
réels, & Dixmes mixtes , qui font
en partie le produit de la terre , & en
partie le produit des foins & de l'induftrie
de l'honime ; ce font les Dixmes d'animaux
& de laine.
4. En groffes Dixmes ou Dixmes des
gros fruits ; ce font en général celles du
froment, dufeigle , de Porge & de l'avoine; &
menues & verres Dixmes, qui font auffi , en
général, celles des légumes & menus grains ;
mais cette 4e. divifton reçoit beaucoup de
diftinctions à raifon des productions diverfes
de chaque terrein .
5. En Dixmes anciennes , qui fe pers
DE FRANCE.
79
çoivent fur des terres en culture depuis
quarante ans au moins, & en novales , qui
fe perçoivent fur des terres nouvellement
mifes en culture décimable.
Telles font les divifions principales ;
mais il y en a un grand nombre d'autres
qu'il faut voir dans l'Ouvrage même , ainfi
que les différentes règles qui s'appliquent
aux différentes efpèces de Dixmes . Les principes
& les conféquences senchainent rellement
ici , que nous n'en pouctions rien
détacher fans faire tort à l'Ouvrage. "
Les obligations refpectives , les devoirs
réciproques du Décimateur & du Décimable
y font exposés fous toutes curs faces ,
ainfi que les droits des différens Décinateurs,
lorfqu'ils fe trouvent en concurrence.
Toutes les queftions font bien pofées ,
bien difcutées , bien réfolues ; les opinions.
des Auteurs font rapportées , ainfi que les
principaux Arrêts qui ont décidé chaque
matière . On explique plufieurs de ceux
qui femblent faire exception , & alors il
arrive fouvent que l'exception difparoît ;
mais on n'a pas non plus la manie de tout
expliquer & de tout juftifier. Il eft des Arrês
qu'on ne peut pas défendre & qu'il
faut favoir abandonner. L'Auteur a toujours
ou paroît avoir toujours raifon ; il métite
du moins toujours de l'avoir ; on fent
qu'un grand efprit d'équité l'anime . Son
ton et toujours fage & modéré ; c'eft vraiment
celui d'un Jurifconfulte qui cher-
D 4
So MERCURE
che paisiblement & de bonne foi la vérité
, & qui ne fe paffionne fur rien ; aucun
de ceux dont il combat les opinions
ne peut avoir à fe plaindre de lui . Il règne
dans fon Livre une méthode capable ſeule de
fairegoûter les fujets même les moins agréables.
Rien d'effentiel ne paroît y être omis ;
Le Lecteur ne défire rien de plus ni de
moins. Ces deux petits.volumes in- 12 contiennent
avec précifion & avec affez de
développement la fubftance d'une mulitude
d'in-folio. C'eft un précis excellent
de tout ce qu'on a écrit de fenfé fur
la matière .
Le flyle eft pur , correct , précts ;
l'Auteur écrit affez bien pour qu'on puiffe
lui propofer d'abandonner entièrement la
vieille méthode de nos Jurifconfultes , de
mêler dans leur François & fans citation ,
des formules latines comme putà , verbi
gratiâ, pour dire , par exemple. Quid juris
? pour dire , quel eft le droit ? Que
faut- il croire ? Id eft , pour , "c'est- à- dire.
A pari pour , de même , &c.
DE la Religion à l'Afemblée Nationale..
Difcours philofophique & politique , où
l'on établit les principaux Caractères qu'il
importe d'affigner au Systême religieux ,
pour le réunir au Syftême politique dans
DE FRANCE. St.
و د
une même Conftitution ; & où l'on exa
mine fi ces caractères peuvent également¸
convenir à la Religion Catholique , avec
cette épigraphe :
Haud fcio an pietate adverfus Deos fublatâ
, fides etiam & focietas humani generis
, & una excellentiffima virtus juftitia
tollatur. Cic . de Nat. Deorum , L. 2 .
A Paris , chez Leclerc , Libraire , rue
Saint-Martin , près celle aux Ours , Nº.
264. Froullé , quai des Auguftins , au
coin de la rue Pavée. Prix, liv. 10f. d
Paris ; 2 liv. franc de port pour la
Province.
» L'OUVRAGE que nous préfentons au
" Public , dir, l'Auteur , eft loin d'avoir.
» acquis fa maturité & fa perfection ; mais
tout imparfait qu'il eft , il a peut-être
quelque droit à l'indulgence des gens
» de bien. Il manquoit aux circonftances;
» & s'il ne remplit pas le vide , il fer--
" vira du moins à l'indiquer Trop de
modeftie n'eſt pas toujours le défaut des
Préfaces ; c'est pourtant le premier res
proche , ou phiôt lẹ, plutôt le premie : (loge que
Lérie Aureu de la front Ouviage
Toft dign
pr
Si MERCURE
2
la philofophie. Son but eft d'établir une
vérité qu'ont fentie tous les fages , & qu'ont
atteflé tous les fiècles ; c'eft la liaiſon intime
du fyftême politique & dufyftême religieux ,
& l'influence qu'on doit donner à la Religion
dans un moment de régénération univerfelle.
On aime à voir cette caufe fouvent
déshonorée par ceux mêmes qui en ont entrepris
la défenfe foutenue enfin par
l'éloquence fans fanatifme , & la raifon
fans préjugés. L'Auteur reconnoît tous les
torts que les paffions des hommes ont faits
à la Religion, en y mêlant tant d'abus fi
étrangers à fon effence , & fi fermement
proferits par elle - même. Dans fon plan
it embraffe le grand fujet qu'il traite , &
le dirige habilement vers un feul but' , la
néceffité d'unir les deux fyftêmes.
Il examine dans une première Partie les
principaux caractères qu'il importe d'affigner
au fyftême, religieux , pour le réunic
au fyftême politique. La feconde eft l'appli
cation des principes établis dans la première
Partie, à l'ancienne Religion de BEtat
& à la Religion Catholique...
L'Auteur établit d'abord fes principaux
caractères , & il en trouve huit . Premier
wactère. La Religion nationale doit concourir
au bonheur de tous.
En expofant ce premier Caractère ;
PAnteur développe avec intérêt & d'une
manière neuve , ces idées qui font fans
DE FRANCE. 83
doute le plus bel hommage que puiffe rendre
à la puiffance de la Religion la foibleffe
des Loix humaines. Celles- ci peuvent réprimer
les actions ; la Religion feule peut
atteindre les penfées . Seule , elle offre des
confolations à tous les genres de mifère ;
feule , elle adoucit & elle foulage ces infortunes
déchirantes qu'on enfevelit dans
le fecret de la folitude , & dont le fentiment
feroit plus douloureux encore s'il
falloit les expofer à tous les regards. Les
fublimes efpérances font l'unique remède
de ces maux de l'ame que toutes les Légiflations
& tous les Codes ne fçauroient
guérir.
Second caractère . Elle doit confolider les
droits de tous . Les Anciens ont connu la .
néceffité de mettre les Loix fous la tutelle
de la Religion. Les Codes reçus des mains
des Légiflateurs étoient portés aux pieds
des Autels , où l'on juroit d'y refter ſoumis.
L'Auteur répond avec autant d'éloquence
que de raifon à ceux qui ont ofé dire
que ces exemples n'étoient pas bons à
fuivre. J'accorde à vos Loix toute la
» perfection dont vous n'avez pas cru vous-
» même pouvoir les revêsir ; fi ces Loix ne
» portent pas avec elles un caractère religieux
, & que le peuple puifle en fépa-
» rer un feul inftant le refpect qu'il doit
» à la Divinité même , il ne tardera pas à
» les expliquer à fa manière , & à les vio-
לכ
"
33
DE
MERCURE
» ler ouvertement toutes les fois qu'il
» pourra le faire avec impunité .
Il répond très - bien auffi à ceux qui
prétendent que les lumières fuffifent pour
faire obferver toutes les Loix . Oui , fans
doute , il fuffit de les éclairer ceux à qui'
il importe qu'il y ait des Loix , pour que
toutes leurs jouiffances foient protégées ;
mais quelles lumières en rendront l'obfervance
factée à ceux qui n'ont que la mifere
en partage : Ceft pour ceux-là à qui
la voix de fon intérêt ne fe fait pas enzendre
, qu'il faut des motifs plus puiffans
& plus faints. Et qu'eft ce que
toutes les Loix humaines en comparaifon
de cette Légiflatien divine qui commande
de faire le bien , tandis que les autres fe
contentent d'interdire le mal?
20
Ayons donc une Religion qui profcrive
yous les abus , en affermiflant tous les droits,
dont les maximes foient les plus beaux
& les plus fublimes principes du droit na-
Farel anobtis & épurés encore ; » & alors
l'amour ou la crainte du fouverain Juge
rendra le nombre des crimes fecrets plus
» rares fur la terre : & fous la fauve- garde
du fyftême politique uni au fyftême religieux
, chaque Citoyen repofera plus
tranquille à l'ombre des Loix divines &
humaines , qui veilleront enfemble pour
le défendre ".
و د
ود
"
"7
35'
Troiènic carate. Elle doit concier
DE FRANCE 852

la liberté & l'égalité de tout avec l'ordre
&la fubordination néceffaires dans l'état de
fociété. La manière de faire fentir tout le
mérite de cet excellent Ouvrage , feroit d'en
copier un grand nombre de morceaux.
Les citations fréquentes en feroient le
meilleur éloge. Mais les bornes de cet
extrait ne le permettent pas. L'Auteur
peint ici avec énergie les juftes alarmes
qu'a dû caufer aux amis de la liberté la crainte
de la licence. Il rappelle en gémiflant ces
fcènes honteufes & fanglantes qui ont fouillé
le berceau de la liberté françoife. Il penfe
que la Religion peut feule nous épargner
à l'avenir ces fcandales & ces excès .
» un peuple eft libre, plus il a beſoin de
ce frein puiflant fans lequel nous rede
» viendrions bientôt efclaves.- Hâtez-vous
donc , Légiffateurs , hâtez - vous d'accorder
votre appui à la Religion , fi vous
voulez qu'à fon tour la Religion protège
vos Décrets ".
22
">
ور
99 Plus
Quatrième caractère. Elle doit affurer
fur la bafe la plus folide , l'ouvrage de la
Confiitution . L'Auteur développe très-bien
Falliance étroite & naturelle , qui unit
Pefclavage & les vices , la fervitude & la
corruption , les mauvaifes moeurs & l'afferviffement.
Législateurs de la France ,
voulez-vous long- temps régner fur elle
* . par vos Loix , bâtilfez fur un plan éga-
» lement uniforme & folide, & fajtes woul
"
86 MERCURE
» de la confcience même des peuples un
» rempart plus affuré contre toute révolu
" tion nouvelle " ....
>
Cinquième caractère. Elle doit fans ceffe
nourrir dans l'ame des citoyens l'amour de
la Patrie , les fentimens nobles & généreux
le dévouement de l'intérêt particulier à l'intérêt
général. Quelle Religion faut- il à un
Etat régénéré , à un État où l'on veut établir
ce grand principe de l'égalité primitive
, fur les ruines de toutes les diftinctions
& de tous les priviléges ? C'eſt une Religion
qui recommande cette égalité avec
plus de force encore que la nouvelle Conftitution
une Religion qui ne veut point
qu'il y ait des miférables dans fon fein
qui ne foient confolés , point de pauvres
qui ne foient fecourus , point de foibles qui
ne foient protégés , une Religion qui faffe
à fes Difciples un précepte de s'aimer les
uns les autres , & qui renferme en ce feul
mot tout le fommaire de fa Loi . Et comnie
le remarque très - bien l'Auteur une pareille
Religion ne doit être floriffante que
là où règnent la liberté & l'égalité. Tout
Gouvernement dont le defpotifme eft le
but , dont la molleffe & la corruption font
les moyens , a dû l'avilir , la dégrader ,
la couvrir d'abus . Mais que l'Émt fe renouvelle
& la Religion régénérée avec
lui deviendra bientôt elle- même le plus
ferme appui de cette régénération.
>
?
DE FRANCE. ST
Sixième caractère. Elle doit donner une
continuelle affifiance aux bonnes moeurs,
Ceft ici fur-tout que l'Auteur développe
avec éloquence l'étonnante fupériorité de
la Religion fur la Police humaine . Que
peut cette Police pour donner des moeurs?
L'homine public , l'homme extérieur , l'homme
de repréſentation eft foumis à fon empire.
Ses chaînes peuvent le contraindre ,
& fa main peut le faifir . Mais comme
Thomme privé échappe à fa puriffance , fon
eil peut- il percer les enceintes domeftiques
? ... Et cependant ce n'eft pas dans
les lieux publics , c'eft, au fein de fes foyers
que chaque citoyen forme fes moeurs ;
c'eft donc là auffi qu'il faut lui donner
un Cenfeur toujours préfent & toujours
redouté & la Religion feule peut exercer
cet obfcur mais utile miniftère .
Septième caractère . Elle doit prêter incef
famment unmotiffublime à la Loi, & ajouter
jufqu'à l'infini , foit au triomphe & à la
gloire des bons citoyens , foit à la honte
& à l'infamie des méchans. Nous regrettons
de ne pouvoir tranfcrire tout entier
le beau développement de ce principe inconteftable.
L'Auteur nous montre la prof
périté des anciens Empires intimement liée
à la croyance de ce dogme fi effentiel à
la morale. Il nous rappelle ce difcours fi éloquent
& fi impie que Céfar prononça dans
le Sénat Romain lors de la conjuration de
-$8 MERCURE
Catilina. Ses maximes hardies ébranlorent
cette opinion tutrice de la vertu des peuples
; & l'Auteur ajoute avec beaucoup
de feu & de vérité » Il eût fuffi à un
fage d'affifter à cette délibération du Sénat,
» pour prédire la ruine prochaine de Rome.
"
Huitième earactère. Elle doit être pour
le peuple le plus éclairé , la plus croyable
de toutes les Religions. Avant tout , il faut
que les peuples foient perfuadés que cette
Religion vient de Dieu , & ils en feront in,
timement convaincus d'abord, fi fes dogmes
& fa morale concourent également à la mat
nifeftation de la puiffance & de la fageffe
divine , & à la perfection de l'homme ; fi
elle ajoute à ces premières preuves un code
facré qui le tranfmette d'âge en âge , depuis
les temps les plus anciens , & qui ait pour
dépofitaire la majeure partie du genre humain
, &c.
La feconde Partie , divifée en huit articles,
correfpondans à ceux de la première , eft
l'application de ces différens caractères
à la Religion Catholique. C'eft fur- tout dans
cette feconde Partie , plus fufceptible de
mouvemens & de développemens , que
brille le talent de l'Auteur. Il en résulte
une
démonftration évidente aux yeux de la rai
fon , mais peut- être plus propre encore à
toucher le coeur.
' ז
La modifilne Partie , inrillée Notes, cri
cut defi vis ob ervations
DE FRANCE. 89
pleines de jufteffe , fur ce qu'il eft à défiror
que l'Affemblée Nationale faffe par rapport
à la Religion . L'Auteur y flếtrit auffi
avec une vertueufe indignation des abus
dont la Religion a eu tant à gémir.
Cer Ouvrage eft du petia nombre de ceux
| qui donnent des réſultats nouveaux fans les
promettre avec emphaſe , & qui prouvent
à la fois des connoiffances vaftes , une raifon
éclairée , & une ame fenfible. Le ftyle ,
les principes , les réflexions , tout y plaît
également ; & nous ne pouvons finir fans
faire à fon eftimable Auteur un reproche
du genre de celui par lequel nous avons
commencé cette Analyfe. Une fi belle caufe
eft bien digne qu'on s'en avoue le Défenfeur.
C'eft être trop modefte que de cacher
tant de mérite fous le voile de l'anonyme ;
& de refufer à fon nom les fuffrages de
tous les bons citoyens & les éloges fi
flatteurs de ceux qui favent apprécier les
talens & les vertus.
>
LES Joueurs , traduit de l'Anglois ; 2 vol.
in 12. A Genève , chez Barde Manget
& Compagnie ; & à Paris , chez Defer
de Maisonneuve , rue du Foin - Saint-
Jacques.
LES deux principaux perfonnages de
ce Roman , font deux frères d'un carac
>
90 MERCURE
tère très- oppofé , mais qui fe refferablent
par une paffion qui leur eft commune , celle
du jeu. L'aîné eft un vil coquin , dont
une mort prématurée termine la coupable
vie ; le cadet , ruiné d'abord par fa facilité ,
toujours honnête , mais long - temps malhenreux
, accablé de chagrins , rentre én
grace avec la fortune , triomphe de fes ennemis
, & finit par couler des jours heureux
au fein d'une famille refpectable.
Il y a de la vérité & quelquefois de
l'intérêt dans ce Roman. Les caractères que,
l'Auteur fait agir font affez variés ; mais
it fe complaît trop à les peindre ; ce qui
l'entraîne dans des détails longs & minutieux.
Un autre reproche à lui faire , c'eft
de n'avoir rempli fon titre que très -impar
faitement. On voit bien , dans la première
Partie , que les deux frères aiment le jeu ,
mais on n'en parle d'abord que par de froids
récits ; bientôt même on n'en parle plus.
Enfin on oublie le fujet en lifant l'Ouvrage
; & fans le titre on n'y auroit jamais
fongé.
DE FRANCE.
VARIE TÉ S.
NOTE fur la Communauté de Sainte-Barbe.
DANS ANS l'expofé précis que nous avons fait de
la difcipline intérieure & des études de cette Mai-
* fon , il s'eft gliffé à notre infçu quelques légères
incxactitudes , que notre refpect pour la vérité
nous engage à reétifier.
Dans la première diftribution des Prix de l'U
miverfité , en 1747, le College du Pleflis en obtine
huit , & fur ce nombre Sainte-Barbe en eut cing.
Mr. Boullemet de la Martinière , aujourd'hui
Procureur de la Commune , alors Ecolier de Sainte-
Ba be , obtint trois de ces Prix . M. Thomas , Etudiant
en feconde à la même Ecole , en cut deux.
A cette époque les plus forts Colléges de Paris
& les plus nombreux , celui des Graffins & celui
de Beauvais , n'euront chacun que le rême nonbre
de Prix que la petite Ecole de Sainte -Barbe.
Celui d'Harcourt n'en eut que quatre , celui de
Mazarin que deix. Ainfi , vu la très- grande inégalité
du nombre d'Ecoliers dans les mêmes claffes,
Favantage de Sainte- Barbe fe trouve dès -lors trèsmarqué.
En 1748 , M. Thomas eut quatre Prix en Rhétorique
; & il est vrai qu'il étoit alors au Collége
de Lifieux mais il avoit fait toutes fes
claffes & la moitié de cette année de Rhétorique
à Sainte-Barbe , lorfque fon frère aîné , Profef
:
MERCURE
F
feur au Collège de Lifieux , l'y appela auprès de
lui.
M. Thomas fut toujours attaché de coeur à la
Maiſon de Sainte-Barbe ; & il fe plaiſoit à dire
que c'étoit là qu'il avoit été formé.
M. l'Abbé Delille avoit fait fes études d'Humanités
au Collége de Lifieux ; mais ce fut à Sainte-
Barbe qu'il fit fon cours de Philofophie. Enfuite
il y fut Maître de Rhétorique ; & ce fut là
qu'il compofa fes premiers Ouvrages , fon Épître
à M. Laurent , & les premiers livres de fes Géotgiques,
Comme M. Thomas , M. l'Abbé Delille
a toujours aimé cette Maifon , & il n'écrit jamais
au Supérieur fans lui rappeler qu'il eft un de fes
Elèves.
L'Ecole de Sainte -Barbe a continué fans inter
ruption d'avoir la bonne part aux honneurs du Col-
Lége du Pleffis auquel elle est affociée ; & dans les
différentes diftributions des Prix de l'Univerfité ,
ee College a eu conftamment fur les autres une
fupériorité marquée. C'eſt une vérité reconnue
& inconteftable.
Ainfi fur les articles mêmes qui ont été critiqués
dans les Notes que l'on nous avoit données ,
il refle bien avéré que , du régime & de la méthode
de Sainte -Barbe , dans fes études ont
réfulté de très- grands avantages , & des fuccès
que nulle autre Ecole n'eft en état de balancer ;
& c'est ce qu'il étoit intéreffant de prouver &
de publier.
DE FRANCE. 23
+
A V. I S.
M. Dorez , ancien Chirurgien de l'Hôpital
Militaire du Gap François , & c. , actuellement rue
+ & Ifle St - Louis , No. 105 , près le Pont Rouge
à Paris , eft connu pour la guérifon des Caneers
au fein. Il prévient le Public qu'il entreprendra de
guérir les femmes pauvres , de Paris , gratis,,
quant aux panfemens & médicamens , pourvu
qu'elles foient logées à côté de fa demeure , autant
qu'il fera poffible , à condition aufli qu'on
ear fournira les comeftibles & tous les acceffoires
du traitement : les femmes de Province ne doivent
donc pas compter fur fa bonne volonté.
Les perfonnes de Province qui s'intéreffent pour
ces malheureufes victimes , ne doivent donc plus
infifter à demander fon cauftique ; il ne peut l'envoyer
, parce qu'il ne le confie à perfonne.
Il prévient encore qu'il entreprendra de guérir
les Cancers au fein des filles & femines de Province
:
1º . Que quand le volume ne fera que comme celui
d'une groffe orange , ( ce volume eft abfolument
le même que celui du fein de Mad. la Marquife
de Kerfaint , de Breft , guéri depuis 4 mois , ainfi
qu'il en a été fait mention dans le Supplément au
Journal de Paris , du 4 Septembre 1789 , No
247. ), foit rond , foit applati ; 29 que ce Cancer
ne fera pas ouvert ; 3. qu'il ne fera pas adhérent
aux côtes ; 49. qu'il n'y aura aucune tumeur
fous Taiffelle . D'après cet avertiffement , les filles
ou femmes qui auront des Cancers tels que ci34
MERCURES
deffus dits , peuvent venir à Paris fans avoir bes
foin d'écrire ni d'envoyer des conſultations.
Celles qui malgré cela , voudroient écrire au
Sr. Dorez , font priées de lui faire remettre , par
la Pofte , franc de port , liv. il leur enverroit
un imprimé qui leur expliqueroit , le plus laconi
quement poffible , fa manière de voir. Ne pas
manquer d'affranchir auffi les lettres , autrement
elles refteroient à la Pofte.
On ne le trouve chez lui , tous les jours , que
depuis une heure après midi , jufqu'à trois.
Café de Santé. Cette Liqueur a des avantages
contre les maladies de Poitrine , Migraine , Vapeurs
, Vertiges &&c. fe vend 30fous la livre , à
Paris , chez le Sr. Fernchard, rue Ste- Marguerite ,
près, celle des Cifeaux, entre un Md . de Bas &
un Boulanger, au 3e. 。
La Dlle. Fernehard , fa foeur , vend une Eau
qui teint les cheveux.
MUSIQUE.
Journal d'Ariertes Italiennes del Signor Cherubini
, abonnement de Mars. Prix , 2 liv. 7 fous,
A Paris , chez Bailleux, Md . de Mufique , fue St-
Honoré.
Journal d'Ariettes Italiennes del Signor Sarti ,
Abonnement de Mars. Prix , 2 liv . 8 fous . Méme
adreffe.
GRA UR I.
Bible. Tome I. 26, Livraiſon , compofée de
12 Eftampes, Prix, 12 div. l'in- 8 . grandpapier, &
DE FRANCE
-
24 liv. l'in 4. grand papier. A Paris , chez
Defer de Maisonneuve , Libr. rue du Foin-
Saint-Jacques ; & chez Ponce , Graveur , rue
Hyacinthe , n° 19 ; en Province , & chez l'Etranger
, chez tous les Libraires.
La ze. Livraison mérite les mêmes éloges que la
première de cette fuperbe Edition , fi remarquable
par la gravure , le papier & le texte.
Prélude de Nina , peint par Louis Bailly,
gravé par Alexandre Chaponnier. Prix, 6 liv. A
Paris , chez l'Auteur , rue St-Honoré , entre la rue
des Bons- Enfans , & le Palais- Royal , maifon du
Parfumeur.
Le Modele difpofe , peint par Frédéric Schall ,
gravé par Alexandre Chaponnier ; même prix
& même adreffe .
Ces deux Eftampes font agréablement gravées
&font pendant.
L'Espoir du retour, fajet en hauteur, gravé d'après
Mademoiſelle Gérard , par M. Gérard ſon frère ,
faifant pendant à Dors mon enfant par les mêmes
Prix , 6 liv. A Paris , chez Bafan , frères , Mar
chands d'Eftampes, rue & Hôtel Serpente.
Cette Eftampe n'aura pas moins de fuccès que
Dors mon enfant , que nous avons annoncé avec
de juftes éloges.
La Partie de Musique , ſujet en travers , gravé
d'après Lavreince par Langlois jeune. Prix, 6 liv.
A la même adreffé.
Cette Eftampe eft gravée avec foin , & a de
T'effet.
art
96 MERCURE DE FRANCE.
Portraits de MM. les Députés. Le Sieur de Jabin,
Editeur & Directeur de la Collection en Gravure
des Portraits de MM. les Députés , prévoyant que
cette entrepriſe entraîneroit des avances confidérables
pour la porter à la perfection ; & voulant
affocier à fes travaux tous les Citoyens dont la
reconnoiffance, envers les auteurs de la Liberté
Françoife devient un devoir de concourir à l'améloration
de ce précieux Ouvrage , continue fa
Soufcription pour Paris , jufqu'à la fin du préfent
mois , fur le pied de 240 liv..; & pour la Province,
jufqu'au 15 Mai fuivant , fur le pied de 336 liv.
franc de port , aux conditions , en foufcrivant , de
payer pour Paris 60 liv. , & 6 liv. par mois jufqu'à la
fin du payement des 240 liv. , & pour la Province
le quart de la Soufcription , qui fera renouvel
auffi- tôt après la réception de la 32e. Livraiſon ,
& ainfi de fuite jufqu'à ce que le payement de
la fomme entière foit effectué .
t
En fouſcrivant on recevra 4 Livraiſons, chacune
de 8 Portraits , & enfuite au moins une Livrai
fon par femaine ou quatre par mois , au choix du
Soufcripteur , & ce jufqu'à parfaite Collection .
* ,
Le prix de chaque Livraifon pour les non Souf
eripteurs , eft de 4 liv. , & pour chaque Portrait ,
20 lous .
On foufcrit chez lui , rue Neuve- Ste -Geneviève
& chez le Sr. Beljambe , Graveur , & Membre de
plufieurs Académies , rue des Petits - Auguftins ,
N°. 3 , F. B. S. G. On eft prié d'affranchir les
lettres,
Expitaphe.
TABLL E.
Le Souhait real fé .
Vers à Mad. dé ..
Cherade, Enig, & Leg .
49Théorie des Dixmes.
5º De la Religion .
55
ibid.ter Joueurs.
Plan de l'organiſation . 58 Mazienda,
MERCURE
HISTORIQUE ET POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 17 Mars 1790.
LA Cour de Berlin a , en effet , positivement
abandonné la demande du domaine
de Thorn et de Dantzick ; elle
en a fait la Déclaration officielle , et
offre de s'en tenir à d'autres équivalens
des avantages qu'elle assurera à la République
par un Traité de Commerce :
jusqu'à la fixation de ces équivalens , les
droits de la Douane de Fordan et autres
sur les bâtimens Polonois qui se rendent
à Dantzick , seront perçus comme auparavant.
Les deux Puissances négocieront
ensemble deux Traités séparés , l'un
d'Alliance définitive , et l'autre de Com
merce. Sur cette base , les Conférences
ont été reprises entre la Députation des
No. 15. 10 Avril 1790. E
( 86 )
Affaires Etrangères et le Marquis de
Lucchesini , Envoyé de Prusse . Depuis
hier , on dit les Parties contractantes
absolument d'accord.
La crainte des desseins de la Russie
servira puissamment à accélérer la formation
de ces nouveaux liens . On vient
de donner un nouvel aliment à cette
crainte , en publiant une Déclaration en
ces termes , que l'Envoyé Extraordinaire
de Suède a remise à la Diète.
N
Le Roi , mon Maître , voulant prouver
à toute l'Europe , et particulièrement à la
Sérénissime République de Pologne son amie,
qu'on ne peut lui imputer les malheurs de
la guerre , si elle continue de ravager le
monde , m'a ordonné de communiquer aux
illustres Etats assemblés à la Diète , les conditions
auxquelles S. M. l'Impératrice de
toutes les Russies veut bien accepter la
paix , lesquelles conditions se trouvent consignées
dans la Lettre officielle que le Comte
de Borck, Cominissaire - général de S. M. le
Roi de Prusse , a écrite sous la date du 4
Février dernier à S. M. Suédoise. ( Nous
avons rapporté ces conditions le mois dernier
). »
Ces conditions sont si peu admissibles ,
que les Illustres Etats n'hésiteront pas à
adhérer au sentiment du Roi , qui , quelque
animé qu'il soit du desir de faire la paix ,
croiroit trahir les intérêts de ses Etats , ainsi
que sa gloire , s'il balançoit un instant à rejeter
de pareilles propositions.
"
a Le Soussigné se fait un devoir d'observer
( 87 )
aux illustres Etats , 1 ° . que l'inclination que
l'impératrice manifeste dans ces propositions
de se mêler dans les affaires intérieures du
Royaume de Suède ? prouve évidemment
qu'elle n'a point perdu de vue son desir de
dominer dans le Nord , desir qui se trouve
clairement annoncé dans la note remise par
le Comte de Stackelberg , le 5 Novembre
1788 ; laquelle note n'ayant pas été retirée
ni contredite par aucune de celles plus modérées
que le même Ministre a subséquemment
fait remettre , pourra un jour être envisagée
comme une protestation formelle ,
dans le cas que la Russie parvienne à regagner
Pinfluence sur les affaires de la République
, qu'elle vient de perdre par la
constance et la fermeté des illustres Etats ;
2 °. que le dessein de l'Impératrice est de
faire une paix partielle sans l'intervention
d'aucune Puissance médiatrice , et conséquemment
sans garantie ; d'affoiblir les parties
en les désunissant , et de se mettre par
là en état d'exécuter les projets qu'elle a
conçus ou qu'elle pourroit encore méditer
dans la suite contre ses voisins. »
"
Ce danger qui vous est commun , illustres
Etats , doit naturellement vous porter
à conclure et à consolider des alliances qui
seules sont capables de mettre des bornes
aux vues dangereuses d'une puissance , qui
semble ne vouloir en mettre aucune à son
ambition .
"
Varsovie , le 3 Mars 1790.
Signé, LAURENT D'ENGESTROM .
L'on savoit qu'il se négocioit un Traité
d'Alliance Offensive et Défensive entre
;
Eij
( 88 )
la Prusse et la Porte Ottomane ; Alliance,
qui , réunie à celle de la Pologne et de la
Suède , mettroit un obstacle respectable
aux entreprises ultérieures qu'en pourroit
tenter contre la Porte. Aujourd'hui ,
l'on est informé que cette Alliance á été
définitivement conclue le 31 Janvier dernier.
L'on conjecture , d'après cet évènement,
que les Turcs vont ouvrir une troisième
campagne : cependant les négociations
n'ont point encore totalement dis-
Continué à Yassy. Le Grand- Visir Hassan
Pachaayant inutilement recommandé
la paix , d'après l'épuisement des forces
Ottomanes , a envoyé sa démission depuis
son camp de Schiumla. Lés rapports
sont partagés sur le choix de son
Successeur , qui , selon les uns , sera l'ancien
Grand- Visir YussufPacha ; selon
d'autres , Giaffer Bey , ci- devant Pacha
d'Alep , réputé homme de guerre : il auroit
sous lui , en qualité de Commandans
en second, l'Hospodar Maurojeni et le
Pacha de Trawnick.
ALLEMAG.NE.
De Hambourg , le 25 Mars.
Suivant nos dernières lettres de Stockholm
, en date du 18 , tous les Régimen s
ont reçu ordre de se tenir prêts : les
Officiers de Marine doivent être rendus
( 89 )
à leurs postes le 20 du mois prochain :
incessamment le Roi se rendra à Carlscrone
, d'où trois vaisseaux et quelques
cutters ont fait voile , le 3 , pour une expédition
secrète. L'escadre de Gothenbourg
va prendre à bord quelques Régimens
, et les conduira en Finlande.- Les
Russes ont commencé à faire des mouvemens
sur la frontière de cette Province
, et en conséquence le Général
Stedingk a donné ordre aux Troupes
Suédoises de sortir de leurs cantonuc
mens , et de s'approcher des limites.
On prétendoit que le Roi avoit défendu
d'insérerdans les Gazettes et Journaux de
ła Suède aucuns articles concernant la
Révolution de France , à cause de l'inexactitude
de ces rapports, souvent contraires
aux égards dus à Sa Maj . T. C. On
datoit l'Ordonnance à ce sujet du 10 de
'ce mois nous avons les Gazettes de
Stockholm du 10 au 18 inclusivement ;
elles sont pleines d'articles concernant
la France , et ne disent mot de cette prés
tendue Ordonnance.
De Vienne , le 25 Mars.
C'est incognito et de nuit que notre
nouveau Souverain , le Roi Léopold 11,
est entré dans sa Capitale ; ce Prince modeste
, auquel ses vertus et l'amour de
ses Peuples font par-tout un assez beau
E iij
1
( 90 )
cortège , a paru vouloir se dérober aux
témoignages publics d'affection et de
respect il lui est même arrivé , dans
quelques endroits , d'attendre des heures
entières l'ouverture des portes de la
ville. Il nous apporte le gouvernement
paternel dont la Toscane a joui sous son
règne ; par-tout il a accueilli , avec la
bonté la plus touchante , tous ceux qui
se sont adressés à lui ; et quoique les circonstances
l'aient souvent forcé de différer
à statuer sur les demandes , jusqu'à
ce que des informations ultérieures en
aient prouvé la légitimité , tout le monde
s'est retiré satisfait .
Le 17 , Sa Majesté donna audience aux
Députés des Etats de la Basse Autriche ,
qui lui remirent les remontrances adoptées
dans leur dernière Diète , relativement
à l'imposition territoriale . Les Etats
de la Gallicie , représentés par le Prince
Stanislas deJablonowsky et les Comtes
d'Ossolinsky , de Potoky et de Bakowsky
, eurent également audience le
même jour. br
On porte à la Présidence du Conseil
Aulique de guerre le Feld- Maréchal
Comte de Wallis ; et l'on ajoute , qu'en
cas de besoin le Comte de Brown con.-
mandera dans la Bohême un Corps de
Troupes composé de io bataillons de
Grenadiers actuellement ici , de 5 qui
sont à Prague , et de 3 dans la Moravie .
Un autre bruit qui se répand, c'est
( 91 )
que to mille Croates vont traverser
la Bohême , pour se porter à Luxembourg
; on leur fait faire ce voyage
en cinq semaines ; dix mille autres sont
également prêts , dit -on , à venir en Autriche
: le Corps de Chasseurs du Tyrol
sera augmenté de cinq Compagnies ,
commandées par des Officiers du pays.
Il passe beaucoup de recrues par le Danube
: on en a déja vu débarquer 1800 .
Une liste des malades et des morts dans
les Armées Autrichiennes , depuis le 1.Juin
1788 jusqu'au 31 Mai 1789 , donne les détails
suivans sur l'exactitude desquels on peut
compter , puisque c'est M. Schmidt , Secrétaire
de M. Brambilla , qui les a recueillis.
Sur 250 mille hommes , 172,386 ont été atteints
de maladie , et il en est mort 33,543 ;
ce qui fait 7 sur 36 , ou un peu plus du septième
de toute l'Armée , et du cinquième des
malades. Les hommes tués dans les rencontres
, escarmouches , siéges , etc. n'entreat
point dans ce calcul.
Le 11 du mois d'Avril sera le jour solennel
où les Vassaux et Sujets de l'Autriche
prêteront , à leur nouveau Souverain
, foi et hommage , ainsi que le scrment
de fidélité.
Le 9 du mois passé , les Etats de Bohême
ont élu un Comité qui doit examiner
les inconvéniens du nouveau plan
suivi dans la perception des impôts , inconvéniens
dont il fera le rapport . Le
Gouvernement de Hongrie a notifié , le
3 Mars , à tous les Comitats , que Sa
E iv
( 92 )
Majesté se propose de se faire couronner
conformément aux Lois constitutionnelles
, et qu'Elle a donné ses ordres pour
la convocation d'une Assemblée générale
des Etats de ce Royaume.
MM. de Cobentzel et de Trautmansdorffsont
de retour ici depuis quelques
jours .
De Francfort sur le Mein, le 30 Mars.
Le Prince Clément de Saxe , Electeur
de Trèves , se détache des partisans du
systême d'Ems , relativement aux non
ciatures ; il a demandé à l'ordinaire
auprès de la Cour de Rome les Facul
tés Quinquennales . Quelques Religieux
de l'Abbaye d'Echternach , qui
avoient obtenu de lui leur sécularisation
, viennent de la voir révoquer ; et
l'Abbaye repasse sous la jurisdiction du
St. Siége . Le parti des Emsiens sera bien.
tôt également abandonné , à ce que l'on
assure , par l'Electeur de Cologne .
Comme il n'y a que 8 Electeurs, si leurs
voix se trouvoient partagées , on seroit
forcé d'en faire un neuvième , pour avoir
le nombre impair qui décideroit ; mais
cet incident prolongeroit beaucoup l'interrègne
, parce qu'il faudroit alors dis
euter plusieursgrandes questions, savoir :
qui élira le nouvel Electeur ? seront- ce
Les Electeurs seuls , ou tous les Etats de
( 93 )
Empire ? peut - on élire un Electeer
pendant l'interrègne ? quelle influca
aura le Pape dans cette élection , et quei
sera le Prince auquel il faudra donner la
préférence ? Les Publicistes d'Allemagne
s'occupent déja d'approfondir ces questions.
Des avis de la Silésie portent que les
places frontières ont reçu de plus fortes
garnisons , et que l'on a monté du canon
sur les remparts. Un Corps considérable
de Cavalerie Prussienne est cantonné
entre la Bohême et la Moravie . - Le recrutement
se fait avec succès en Bohême,
on établit de grands magasins dans les
forteresses de Pless et de Theresienstadt,
sur les remparts desquelles on pointe
'du canon . On forme aussi un grand
magasin à Freudenthal dans la Haute
Silésie . L'Armée Autrichienne sera portée
à 160,000 hommes ; les Troupes déja
en marche seront rendues dans la Bchême
et la Moravie au commencement
d'Avril.
On cite , peut- être sans fondement , les
propositions suivantes , comme ayant été
faites par la Cour de Vienne à celle de
Berlin . 1 °. La Cour de Berlin donnera son
consentement aux articles de paix proposés
dernièrement à la Porte Ottomane parles deux
Cours Impériales , et les garantira ; 2 ° . dans
le cas où la Porte s'obstineroit à vouloir
continuer la guerre , la Cour de Berlin n'y
prendra aucune part , à moins que les deux
Cours alliées ne passassent les bornes des de
Ev
( 94 )
mandes faites à la Porte , ou de l'équité naturelle
; 3° . la Cour de Berlin fera tout
ce qui dépendra d'elle pour déterminer les
Etats Belgiques à la tranquillité et à une
soumission raisonnable ; 4°. enfin cette Cour
s'expliquera sur ce qu'elle exige des deux
Cours alliées .
Les offres de la Cour de Vienne à la Ré
publique de Pologne sont en substance ,
. que la Maison d'Autriche s'engagera a
garantir l'indépendance et l'indivisibilite des
Provinces qui composent actuellement les
possessions de la République ; 2 ° . les Polonois
, Propriétaires de terres dans la Gallicie ,
seront traités comme les domiciliés dans cette
Province, et ne paieront , quoique absens , que
la Contribution simple ; 3 ° on diminuera
autant qu'il sera possible le prix du sel fossile
de Wielicza ; 4. on accordera à la
République autant et plus d'avantages de
Commerce qu'aucune autre Cour ne pourra
lui en offrir , et cela sans demander aucun
sacrifice quelconque.
རཧཱུྃ
Nous avons parlé plus d'une fois de l'im :
pression désavantageuse qu'a produite
dans l'Empire la conduite du Directoire
de Clèves à Liège, Malgré la force et la
pureté des motifs de la Cour de Berlin ,
différens Membres de la Ligue Germa
nique n'ont pu s'empêcher de blâmer la
forme et les suites de cette intervention .
L'Electeur de Mayence lui même , l'un
des principaux Chefs de cette Ligue , et
sincèrement attaché aux intérêts du Roi
de Prusse , a exposé à ce Monarque l'irrégularité
de la conduite du Ministre
( 95 )
Directorial de Clèves , dont , en qualité
d'Archi-Chancelier de l'Empire , et plus
encore comme Ami rempli d'affection et
de respect pour S. M. P. , elle demande
expressément le rappel , ainsi que celui
de toutes les Personnes qui ont eu part
aux procédés illégaux et inconstitution
nels , tenus au nom de ce Monarque ,
pour favoriser les Auteurs et Fauteurs
de la Révolte Liégeoise . Dans cette lettre ,
qui vient d'être communiquée au Public
, l'Electeur rappelle au Roi de Prusse
les principes de la Confédération Germanique
, et ajoute : « Il convient à V. M.
« en qualité de Prince Directeur du Cer-
« cle , et il est de votre devoir indubitable,
« en vertu de la Constitution , d'exécuter
«< le Mandat du Tribunal Impérial , sans
< aucune interprétation , au moins arbi-
<<traire , et en général mal- fondée , etc. »
PAYS - BAS.
´De Bruxelles , le 31 Mars 1790.
Le Château d'Anvers s'est enfin rendu
le 29 aux Troupes Belgiques , sous le
commandement du Général Schonfeld.
La Garnison , au nombre de 900 hommes
, restant prisonnière de guerre , a été
désarmée , et répartie en divers lieux.
On va procéder à la démolition de ce
Château , ensorte qu'à la première ba-
E vi
( 96-)
taille perdue , il ne restera pas un lieu
tenable huit jours , dans toute l'étendue
des Pays- Bas, contre l'Armée victorieuse.
On a trouvé dans cette citadelle cent
vingt pièces d'artillerie de bronze et 110
mortiers de fer."
Notre situation intérieure n'a pas
changé on seroit surpris qu'elle n'amenât
pas de nouveaux incidens prochains.
MM. le Duc d'Ursel et le Comte de la
Marck ont écrit chacun une lettre énergique
aux Etats , au sujet des dernières
violences exercées contre leur Parti .
FRANCE.
De Paris , le 6 Avril.
ASSEMBLÉE NATIONALE . 48 ° . Semaine.
DU LUNDI 29 MARS.
Parmi les Adresses de Communautés , il
a été fait lecture d'une Lettre particulière
adressée par une Dame de Lannion ; elle
demande que l'Assemblée veuille bien approuver
une action que le patriotisme lui
a inspirée mère de dix enfans , et prête
d'en avoir un onzième , elle les a tous rassemblés
autour d'elle , et a juré devant Dieu ,
avec eux et pour eux , d'être fidèle à la Nation
, à la Loi et au Roi .
:
M. Goupil de Préfeln vouloit que l'on portât
expressément un Décret pour autoriser toutes
les mères de familles à prêter le serment en
présence des Officiers Municipaux ; cette
Motion a été ajournée .
M: le Chapelier a obtenu ensuite la pa(
97 )
"
role pour faire un rapport au nom du Comité
de Constitution : Un grand nombre de
Municipalités , a- t-il dit , se sont alarmées de
la présence des Commissaires nommés par le
Roi, pour diriger l'établissement des Assemblées
Administratives. La Municipalité de
Troyes , dans une délibération dont je vais
donner lecture , a arrêté qu'elle ne reconnoîtroit
point ces Commissaires , tant qu'ils
n'auront pas été avoués par l'Assemblée
Nationale ; elle a adressé une Lettre circulaire
à toutes les Municipalités du Royaume ,
pour les engager à suivre la même marche .
C'est la Municipalité de Versailles qui nous
a fait parvenir cette Lettre circulaire , ainsi
que la délibération . Le Comité de Constitution
pense qu'il seroit extrêmement dangereux
que les Municipalités s'arrogeassent
le droit d'écrire des Lettres circulaires semblables.
La Municipalité de Troyes a contrevenu
à un de vos Décrets , par lequel
vous avez établi que le Roi seroit supplié
de prendre les moyens de surveiller et de
diriger la formation des Assemblées de
Districts et de Départemens . Voici les mandats
et les instructions dont le Roi a chargé
ces Commissaires. Nous n'y avons rien vu
de contraire à vos Décrets ; nous croyons
seulement qu'il seroit utile d'y ajouter que
les jugemens de ces Commissaires seront
provisoires , et que les difficultés majeures ,
concernant l'Election des Municipalités ,
doivent être renvoyées à l'Assemblée Nationale.
Nous avons cru aussi que pour détruire
tout sujet d'alarme , il étoit nécessaire de
déclarer que les fonctions des Commissaires.
cesseront dès que le Procès -verbal de la
dernière Election sera signé. Nous vous pro(
98 )
posons un projet de Décret conforme à ces
principes.
"
Immédiatement après , M. Roberspierre
s'est élevé contre ces dispositions judicieuses ,
en annonçant qu'il dénonçoit au nom de la
patrie et de la liberté la nomination de
ces Commissaires : « Ce sont , s'est - il écrié ,
de nouveaux instrumens du despotisme ministériel
, qui feront tourner à leur choix
les Elections. Le Parti Aristocratique a encore
de grands avantages ; il est riche et
puissant , soutenu par le Parti de l'autorité.
On n'a choisi pour ces Commissaires que
les ennemis de la révolution , des Nobles
audacieux , des Prelats faits pour décourager
le Public. On va jusqu'à dire expressément
qu'ils seront éligibles. Voilà un de ces traits
qui décèlent le but du Gouvernement . Le
Pouvoir exécutif sort de ses bornes en prononçant
sur le droit d'éligibilité. Je ne
sais ce qui doit paroître plus étonnant , ou
de l'audace ministérielle à violer l'autorité
Nationale , ou de votre patience à la souffrir.
Je pense qu'il n'y a pas lieu à délibérer
sur la Motion du Comité de Constitution ,
et que les Commissaires doivent sur-le -champ
être révoquées comme inutiles et dangereux .
La très-longue harangue de M. Roberspierre
a été interrompue par les murmures échappés
à l'impatience et à l'indignation ; cependant il
s'est encore étendu sur les trames et les
conspirations dont il avoit le secret tout
seul , et il a demandé une Séance pour les
faire connoître à l'Assemblée .
U
Un autre Membre s'est plaint de ce que ,
dans son Departement , l'on avoit expressément
choisi un Ecclesiastique , un Noble et
un Magistrat , triumvirat qui fait renaître
( 99
l'ancienne distinction d'Ordres , et sur-tout
la suprématie du premier , puisque les Commissaires
s'étoient réunis chez le Membre Ecclésiastique.
MM. Reubell et d'André ont réfuté les
objections des Préopinans , en faisant apercevoir
que le Pouvoir exécutif chargé par
la Constitution de faire exécuter les Lois ,
ne le peut que par des Agens , qui , sous
quelque dénomination qu'on les considère ,
seront toujours des Commissaires . Dans
un grand nombre de Provinces , le choix des
Commissaires a été applaudi par tous les bons
Citoyens ; ils s'acquittent de leurs fonctions
avec le plus grand succès. Les Ministres
se sont conformés au vou des Députés de
Départemens , et dans presque tous , ces
Députés ont influé sur la nomination des
Commissaires.
Plusieurs amendemens ont été adoptés ;
d'autres , en plus grand nombre , rejetés par
la question préalable , et il a été décidé :
1° . Que les pouvoirs des Commissaires
expireront le jour de la derniere Election ;
2º. les Commissaires ne pourront decider que
provisoirement ; ils renverront à l'Assemblée
Nationale toutes les difficultés majeures qui
ne seront résolues ni par le texte de ses
Décrets , ni par les consequences nécessaires
et evidentes qu'ils entraînent. 3º . Ils ne pourront
juger les difficultés relatives à la formation
des Municipalités , lesquelles seront ren
voyées aux Assemblées de Départemens . 4° . Ils
prêteront le Serment Civique par- devant la
Municipalité du Chef lieu du Département ,
et ne pourront être éligibles dans ce même
Département. "
( 100 )
POUVOIR JUDICIAIRE.
M. Viefville des Essarts , Député du Vermandois
, a ouvert la discussion par des
observations simples , modérées ; mais dont
la mesure , s'éloignant des systémes plus
hardis qui tendent à créer un nouvel Ordre
Judiciaire , comme Dieu crea la lumière ,
n'ont pas reçu un accueil favorable.
M. des Essarts a d'abord développé les
dangers et l'impossibilité de l'exécution du
Plan du Comité. Etablissant les titres incontestables
des Propriétaires actuels d'Offices ,
au remboursement du prix de leurs Charges ,
il å dit :
" Il est devenu nécessaire de déterminer
le mode , le taux , les époques de remboursemens
; ou , si l'on a manque de prendre
ces précautions , l'opération est nécessairement
marquée du sceau de l'imprudence et
de l'injustice. Or , si l'on a consulté l'état
des Finances , on a dú être convaincu qu'il
n'étoit pas possible d'exécuter , présentement
et tout- à-coup , ce Projet , et qu'il n'étoit
même pas permis d'en avoir la pensée : jamais
le Royaume ne s'est trouvé dans une
position aussi critique , et n'a éprouvé autant
de besoins avec si de ressources .
L'organisation actuelle des Tribunaux
ne lui coûte pas en gages , traitemens et frais
de toute espèce , la moitié de ce que les
Officiers paient en centième denier , pour la
conservation de leurs Offices ; elle revient
au Trésor Royal à un et demi pour cent
environ , du montant des Finances . L'organisation
qu'on propose coûteroit , suivant le
Rapport du Comité , neuf millions ; mais on
peut la porter à douze , peut- être à quinze. "
се
peu
"}
( 101 )
En établissant ce nouvel Ordre , il est
de nécessité de faire le remboursement de
tous les Offices de Judicature ; car on ne
présumera point qu'on veuille supprimer un
titre et en garder le prix ; et ce remboursement
, suivant M. Bergasse , doit être fait
sur le pied des contrats d'acquisition .
"l
13
On croit cependant qu'il y auroit une
base plus juste et plus certaine , au moins
pour les Offices qui sont sujets au centième
denier ; c'est l'évaluation qui a été faite en
1771. Les Titulaires n'auroient pas à s'en
plaindre , puisque c'est le prix qu'ils ont
donné eux- mêmes à leurs Offices . On pourroit
donc prendre ces deux bases ; les contrats
d'acquisitions pour les Offices qui sont
affranchis du centième denier , et le centième
denier pour les Offices qui y sont
sujets et en les adoptant , le remboursement
ne sera pas un objet de quatre à cinq
cents millions , à quoi on le porte communément
; il ira à près de huit cents millions.
Ainsi , pour l'exécution du Plan , il fau
droit donc , dans l'exacte justice , rembourser
près de huit cents millions , surcharger en
outre le Peuple de douze millions d'impositions
annuelles , pour les gages des nouveaux
Officiers ; ou , si l'on veut se dispenser du
remboursement , ce qui seroit injuste , il
faut augmenter l'impôt de 52 millions ou
environ. "
« Ce n'est pas tout : la suppression de la
vénalité des Offices comprend la suppression
du centième denier , porté dans le tableau
des Finances pour six millions ; celle des
droits de mutation , marc d'or, provisions, etc.
La gratuité de la dispensation de la Justice
( 102 )
exige également la suppression de tous les
droits du fisc , comme timbre , parchemin
scel , contrôle , sol pour livre , qu'on peut ,
sans exagération , porter à dix millions. "
" On se plaint du discrédit et de la défiance
générale , on en cherche par- tout la
cause ne la trouvons nous pas dans la
marche trop peu mesurée de nos opérations ,
dans la rapidité avec laquelle nous détruisons
, réformons , supprimons , sans avoir
pourvu aux moyens de remplacer et de récréer
? »>
44 La Nation éclairée nous suit dans notre
marche , en combine les résultats . Nous
avons beau dire que nous allons supprimer
les Aides , la Gabelle , faire administrer gratuitement
la Justice , acquitter la dette publique
à des époques fixes , que nous la mettons
sous la sauve- garde de la Loyauté Françoise
; elle ne donnera de confiance à ces
belles et magnifiques promesses , qu'en raison
de la possibilité qu'elle nous verra , et
des moyens que nous prendrons pour les
remplir.
23
" Qu'on substitue brusquement à des Corps.
antiques de Magistrature , dépositaires des
Lois , et d'une masse de lumières acquises
depuis tant de siècles , qu'on leur substitue ,
disons- nous , des Juges d'une création nouvelle
, dénués d'expérience et de talens propres
à statuer en dernier ressort sur les plus
importans intérêts de la Société cette subite
révolution dans l'administration de la
Justice , ne peut guère s'opérer sans entraîner
avec elle les plus grands maux .
И
Nous en avons fait une cruelle épreuve
lors de la création des Conseils - Supérieurs
établis par M. de Maupeou . On ne fait pas des
( 103 )
Juges avec une hache , comme on faisoit des
Dieux à Rome au temps du paganisme . "
་་
A des motifs aussi puissans , il faut en
joindre d'autres plus décisifs encore . On sera
sans doute touché du sort de plus de 200
mille familles dont on renverseroit la fortune
; car ce ne sera pas les Titulaires des
Offices seulement qui vont être frappés du
Décret de suppression , mais encore , tout
ce qui les touche et ce qu'ils ont de plus
cher ; ils en doivent le prix à leurs femmes ,
à leurs enfans , à leurs parens , à leurs amis ;
et en leur enlevant , avec leurs Offices , les
moyens d'exister , il faut bien qu'ils entraînent
dans leur chûte tous ceux que les liens
du sang, ceux de la confiance et de l'amitié
ont attachés à leur sort . »
# Une femme s'est mariée sous la foi de
l'Office de son mari ; sa dot en a acquitté le
prix l'état est tout - à - coup enlevé à son
mari , sa dot perdue , elle et ses enfans sans
8
ressources. »
" Cette pensée seule est affreuse ; elle est
surement loin de l'esprit qui dirige toutes
les opérations de l'Assemblée Nationale : le
nombre de malheureux est déja assez grand ,
sans y ajouter ceux- ci . Quel bien , d'ailleurs ,
en résulteroit- il pour le Public ? On ne le
voit pas.
On objecta à M. de Essarts qu'il n'étoit
pas à l'Ordre du jour , et qu'il devoit passer
d'une question de Finances à l'Ordre judiciaire
; il le fit , en développant avec sagacité
plusieurs objections principales au Plan
du Comité , et les changemens par lesquels
il étoit nécessaire de le corriger . En terminant
, il conclut à ne pas délibérer sur ce
Projet, tant que le taux des remboursemens
( 104 )
et la manière d'y pourvoir resteroient indéterminés
.
M. Duport , fit ensuite lecture d'un nouveau
Projet d'Organisation Judiciaire
qui , dans les vues de son Auteur , ne doit
laisser aucune trace de l'ancienne , et éviter
tous les inconvéniens du Plan du Gomité.
Les détails très - étendus de ce Projet ne
peuvent être analysés qu'en les séparant de
tout accessoire , pour mieux suivre le fil des
principaux raisonnemens.
L'intérêt du Peuple , dit M. Duport ,
demande que la Justice soit prompte , facile ,
impartiale ; que les Juges aient la confiance
publique , et ne puissent jamais porter atteinte
à la Liberté. Pour réunir ces avantages
, je propose d'instituer des Jurés , tant
en matière civile que criminelle , des Juges
ambulans , tenant des Assises dans les différens
Cantons , des Grands -Juges pour tout
le Royaume , une Partie publique et un
Grand- Officier de la Couronne. "
"
Le premier principe sur lequel est fondé
ce Plan, c'est la nécessité de distinguer les
fonctions de Juge de celles de Magistrats.
Les Juges doivent être seulement occupés
de rendre la Justice ; leur attribuer diverses
fonctions politiques , e'est les soustraire à la
responsabilité morale ; car la division des
emplois est nécessaire pour que l'opinion
publique puisse rendre à chacun sa valeur ;
les devoirs de tout homme public doivent
être simples et connus de tout le monde ,
afin que chacun puisse voir comment il s'en
acquitte. Il résule de la , 1 °. que toute interprétation
de la Loi doit leur être interdite
; 2°. qu'ils ne doivent prononcer que
sur un fait déja éclairci par d'autres Ma
( 105 )
gistrats. Dans tout Jugement , l'éclaircissement
du fait doit donc être distingué de
l'application de la Loi ; car s'il y a plusieurs
Juges , et que l'on délibère en même temps
sur le fait et sur le droit , il arrive très- souvent
que celui qui a raison a la Majorité
contre lui. Par exemple , sur 12 Juges , 7
croient que le fait existe ; 9 croient que le
droit existe. Les 5 Juges qui croient que le
fait n'existe pas , opineront négativement avec
les 3 qui croient que le droit n'existe pas ,
et la cause sera perdue.
ཀ "L
n
Le premier soin doit être de savoir si le
fait est vrai ; ensuite seulement il faut déterminer
de quelle manière la Loi doit être
appliquée. Les hommes qui ne seront chargés
que d'appliquer la Loi , seront éloignés
de toute partialité , de toute prévention
qu'auroit pu faire naître l'examen du fait.
a Seconde question . Par qui le fait doit-il
être jugé ? Par des hommes soumis aux
mêmes Lois , qui sont , pour ainsi dire , témoins
du fait , par un certain nombre de
Citoyens , parmi lesquels l'accusé pourra ré
cuser tous ses ennemis ; ces Jurés n'auront
pas besoin de grandes connoissances ; c'est
ainsi que nos Peres décidoient les différends .
En admettant cette institution des Jurés ,
vous ferez beaucoup pour les moeurs . Quel
est l'homme , qui , après avoir été Juré ,
n'abborre la chicane , et ne se soit imprimé
dans l'esprit et dans le coeur les principes
de la Justice ?
})
« L'établissement des Jurés , de ces Tribunaux
populaires , est un droit qui ne peut
être refusé au Peuple ; car l'éclaircissement
du fait est un pouvoir que le Peuple peut
exercer lui-même ; or , il n'y a que ceux
( 106 )
dont l'exercice lui est impossible qu'il doit
déléguer. Dans les pays libres , l'instruction
par Jurés est établie tant au Civil qu'au
Criminel. "
" Troisième question . Les Juges doiventils
être nommés à vie ou à temps ? Lorsqu'ils
étoient nommés par le Pouvoir exécutif,
il étoit sans doute utile qu'ils le fussent pour
la vie ; c'étoit le seul moyen d'assurer leur
indépendance ; mais lorsqu'ils sont nommés
par le Peuple , ils peuvent obéir sans crainte
à la Loi et à la conscience . Les hommes qui
savent qu'ils ne redescendront plus , regardent
comme une propriété le pouvoir qu'on
leur a confié ; ils se co sidèrent comme d'une
classe différente , au lieu que s'ils ne sont
élus qu'à temps , ils songent à ce qu'ils doivent
redevenir ; ils conservent de l'estime
pour l'état qu'ils peuvent reprendre ; ils
cherchent à établir leur réputation , et sont
justes envers les autres afin qu'on le soit envers
eux.
"
"
On a dit que le métier de Juge consistoit
beaucoup dans l'expérience , et qu'il lui
falloit de longues et penibles études. Cela
peut être jusqu'à ce que les Lois soient devenues
claires et précises. Il faut détruire
cette pédanterie et ce charlatanisme , qui
tendent à faire des états l'apanage d'un
petit nombre d'hommes . Mais tant que vous
aurez des Juges à vie et des Tribunaux
permanens , jamais vous n'aurez de Lois
claires et simples . Les hommes aiment à
faire une science compliquée de ce qui les
occupe habituellement. »
" Je crois donc
que les Juges doivent être
amovibles ; qu'ils doivent demeurer plus
( 107 )
long- temps en place que les Administrateurs ,
et être réeligibles .
Н
13
Quand les Jugemens sont rendus légalement
, il faut nécessairement qu'ils soient
exécutés , afin que la volonté particuliere ne
résiste pas à la volonté générale . Il faut
donc qu'il y ait auprès des Juges , des hommes
chargés d'une force publique , et dépendans
du pouvoir exécutif. »
. Il faut encore que la Justice soit impartiale
, prompte et facile. Si les Juges
exercent leurs fonctions dans le lieu de leur
habitation , il sera difficile de rompre ces :
considérations locales , ees préventions générales
et particulières , venant de l'intimité
des personnes , sur - tout dans les petites
villes . Vous aurez rendu cette partialité impossible
, lorsque des Jurés éclaireront le
fait sur le lieu , et que des Juges éloignés
viendront appliquer la Loi ; ils y viendront
avec toute l'indifference nécessaire sur les
personnes et sur les choses ; ils auront la
confiance et le respect des Peuples , que
tendent à affoiblir la familiarité et la connoissance
trop intime. Il faut éviter en
même temps l'inconvénient des Justices trop
éloignées , et celui des Justices familières .
Je ne vois qu'un moyen humainement possible
, celui des Juges ambulans . On doit
forcer les Juges à aller porter et répandre
la Justice dans les maisons , au lieu de forcer
les Citoyens d'aller la solliciter comme une
faveur , loin de leurs foyers. C'est là encore
P'unique moyen d'avoir des Juges et point
de Tribunaux .
"
Nous devons principalement fixer notre
attention sur les Juges de paix et les Tribunaux
de conciliation . Je ne crois pas ce(
108 )
pendant qu'ils doivent entrer dans le systéme
judiciaire. Je propose d'etablir dans chaque
Canton et Ville un Juge de paix ; dans
chaque Canton , un Juge de police pour les
inventaires , les scellés , les tutelles . Ces
Juges ne doivent pas être multipliés ; ce
n'est pas sans danger qu'on approcheroit
des campagnes ces instrumens de vengeances ,
de haines particulières . Les Huissiers et les
Praticiens sont un fléau plus funeste pour
les campagnes que le Despotisme , et le plus
cruel des impôts. Il est donc nécessaire d'établir
des Arbitres qui dispensent les Juges
de toute jurisdiction contentieuse. C'est dans
les villes qu'il faut en établir le premier
degré ; ainsi je propose d'établir dans chaque
District deux Hommes de Lois , ou Officiers
de Justice , qui alterneront dans leurs fonctions
chaque année , et jouiront d'un traitement
honnête et même avantageux. Ils auroient
trois fonctions principales , 1º . présider
à l'Election annuelle des Jurés , en
présenter le tableau aux Parties , recevoir les
actes de récusation , et tirer les Jurés au
sort ; 2. assembler les Jurés , les éclairer
recevoir leurs signatures et y apposer la
leur ; faire entendre les témoins , ordonner
les visites et tous les préparatifs du Jugement
; 3°. rendre des Sentences provisoires
sur les questions urgentes et possessoires.
"
"
"Je proposerois d'etablir auprès d'eux deux
Solliciteurs publics , chargés de veiller à l'intérêt
des mineurs , d'assurer l'exécution de la
Loi, l'observation des formes , etc. L'Offcier
de Justice de chaque District iroit tenir
les Assises dans les trois autres Districts de
son arrondissement. La même règle seroit
suivie pour les Départemens , et les tiendroit
<
( 109 )
droit dans une mutuelle dépendance les uns
des autres. On pourroit établir vingt cheflieux
de Justice dans le Royaume , dont chacun
seroit la résidence d'un Officier de la
Couronne , ainsi que d'un grand Référendaire
, chargé de veiller à l'exécution des
Lois dans tout le ressort de son arrondissement.
Il y auroit dans toute la France 48
grands Juges , dont 8 resteroient auprès de
la Législature ; les 40 autres se diviseroient ,
par le sort , en dix sections , et iroient tenir
deux ou quatre Assises par an dans chacun
des 8 Départemens qui leur seroient assignés.
"
Comme il étoit déja très - tard , la suite
de ce Discours a été renvoyée au lendemain , et
l'on en a ordonné l'impression.
DU MARDI 3ɔ MARS .
A l'ouverture de la Séance , M. le Président
a communiqué une Lettre de M. le
Garde- des-Sceaux , qui annonce la Sanction
donnée par le Roi à divers Décrets de l'Assemblée
, ainsi que diverses considérations
que le Roi a voulu lui soumettre avant de
sanctionner quelques Décrets dont la rédaction
lui paroît exiger des interprétations .
Sa Majesté , entre autres , témoigne le desir
que le Trésor Royal indemnise les Propriétaires
des droits de hallage , minage et véage
supprimés. Ces observations ont été renvoyces
aux Comités respectifs qu'elles concernent.
Sa Majesté a encore fait part à l'Assemblée
de deux Arrêts du Conseil , dont le premier
casse un Arrêt du Parlement de Nancy , qui
prétendoit s'arroger une jurisdiction sur les
Municipalités ; l'autre supprime les Réglemens
qui exigeoient des preuves de Noblesse
Nº. 15. 10 Avril 1792. F
( 110 )
pour entrer dans les différentes Maisons
d'éducation , qui seront désormais indistinctement
ouvertes à tous les enfans d'Officiers .
M. de Fumel et M. Garat l'aîné ont renouvelé
avec force la Motion , que tous les
Membres Commissaires de plusieurs Comités
, fussent tenus d'opter , pour se livrer
tout entiers à un seul travail , et hâter les
affaires. Cette demande , déja plusieurs fois
rejetée par la section de l'Assemblée qui
compte le plus de ses adhérens dans les
Comités , a entraîné aujourd'hui une trèslongue
discussion , à la suite de laquelle ou
a décidé de repasser à l'ordre du jour.
M. Duport a fait ensuite lecture de la
seconde partie de son Discours , contenant
les réponses aux objections qu'on pouvoit
lui faire , et il a fini par un Projet de Décret ,
conforme aux principes qu'il avoit développés
la veille.
IC
M. Chabroud , Député du Dauphiné , à lu
ensuite un autre Projet , à- peu près semblable
à celui de M. Duport. Après avoir
découvert dans celui du Comité de Consti-
' tution tous les vices et les inconvéniens de
l'ancien régime , il s'est arrêté sur les avantages
des Juges d'Assises . Il est dangereux
, a- t- il ajouté , que les Juges soient institués
par le pouvoir exécutif, et même sur
la présentation de plusieurs Sujets nommés
par le Peuple ; car je ne conçois pas comment
il est de la dignité du Roi d'écarter
un Sujet qu'il ne connoît pas , pour donner
la préférence à un autre qu'il ne connoit
pas davantage. Le Peuple , dit -on , peut se
tromper dans son choix ; l'amovibilité des
Juges en est le remède . Je voudrois que le
blame d'un mauvais choix ne pût jamais at(
111 )
teindre le Roi. Le Roi ne doit être que le Censeur
des Juges et le Protecteur des Lois. Voilà
pourquoi je desirerois qu'il y eût un Ministère
public établi par le Prince , sous le nom
de Procureur du Roi. »
« Vous ne voulez pas que le Juge puisse
juger sans avoir la confiance du Peuple , et
vous ne voulez pas qu'il puisse la perdre ,
sans cesser d'être Juge. Vous devez done
reconnoître le principe de l'amovibilité des
Juges. Voulez -vous que l'homme garde son
emploi après le terme que la nature lui a
prescrit ? J'ai vu des hommes ne pouvoir
plus conduire leurs propres affaires , et vou
loir encore juger celles des autres. On objecte
que le Juge a besoin de beaucoup de
connoissances ; que lorsqu'il se livre tout entier
à son état , son état doit lui appartenir
tout entier. Dans le nouvel ordre de choses ,
un jeune homme en sortant du Collège , ne
dira pas je veux me faire Juge , comme un
autre dit je veux me faire Marchand . Il entrera
dans la carriere des Lois , les étudiera ,
cherchera à se faire connoître , et sera élu
pour son mérite. Je sais que sous le régime
actuel nous avons un amas confus de Lois
qu'il est difficile de débrouiller , des Commentaires
pour épaissir les erreurs , que nos
Gens de Lois sont intéressés à défendre ,
comme un Prêtre ses Oracles. Faisons des
Lois simples et à la portée de tout le monde.
Rédigeons les principes d'un nouveau Code ,
que nous transmettrons à la Législature
suivante. Lorsque vous aurez de bonnes
Lois , il sera moins difficile de trouver des
Juges. La permanence des Tribunaux et
l'obscurité des Lois , sont les deux moyens
qui ont servi à agrandir leur puissance et
Fij
( 112 )
1
à rendre leur pouvoir arbitraire ; en commençant
par interpréter la Loi , ils ont fini
par rivaliser avec elle .
>>
Je conclus en vous proposant quelques
principes constitutionnels de la nouvelle
Organisation Judiciaire. »
1º . Etablissement des Jurés et des Juges
d'Assises ; 2°. le Roi ne doit point instituer
les Juges , mais les Procureurs du Roi ;
3°. les Juges seront élus par le Peuple , à
temps ; 4° . il n'y aura point de degrés de
jurisdiction ; 5 ° . il n'y aura plus de Tribunaux
d'exception ; 6° . Il sera tracé un Plan
de Législation , pour servir de guide à la
Législature suivante. "
Če Discours , d'une étendue qui nous
force de l'abréger , a été applaudi , et l'on
en a ordonné l'impression.
M. Garat l'aîné a demandé que la discussion
fût suspendue , pour donner le temps à
la méditation particulière d'examiner ces
nouveaux Projets , qu'il est difficile de saisir
à la rapidité d'une première lecture . D'autres
Membres vouloient que l'on continuât
une discussion sur les principes généraux
qui doivent présider à l'examen même et à
la comparaison des divers Projets . Après un
long débat , cet avis a prévalu , et la Séance
a été levée à trois heures et demie.
DU MERCREDI 31 MARS.
A l'ouverture de la Séance , MM . Bouche ,
de Noailles et Roussillon réclamèrent contre
l'ajournement de l'affaire de la Compagnie
des Indes après la Constitution ; ajournement
prononcé la veille au soir . Ils objectèrent
qu'un Décret antérieur l'avoit ajournée à aufourd'hui
; qu'en conséquence le Décret d'hier
( 113 )
étoit illegal , puisqu'on n'avoit encore entendu
que l'une des parties , les Administrateurs
de la Compagnie , et non l'autre , les Députés
du Commerce ; enfin qu'une quantité d'Armateurs
attendoient la décision de l'Assemblée
, et se trouvoient prêts à mettre à la
voile. ( L'Assemblée étant trop peu nombreuse
, on remit la question à la fin de la
Séance. )
M. Target présenta ensuite un ordre de
travail , qui fut rejetté comme inutile ; l'on
passa delà à l'ultérieure discussion de l'organisation
de la Justice .
M.. Lanjuinais prit la parole pour combattre
M. Duport , en 'soutenant un nouveau
plan que M. l'Abbé Syeyes vient de
faire imprimer.
" Je crois , dit- il , le projet de M. Duport inutile
, impraticable et dangereux. Je dis premièrement
que ce n'est pas un médiocre avantage
que celui d'avoir des Juges instruits , appliqués
, et rompus aux affaires . Vous connoissez
, Messieurs , les Scrutins épuratoires
par lesquels les parties peuvent exclure les
Juges en qui ils n'ont point confiance ; voilà
ce qui vaut mieux que l'amovibilité des
Juges. "
" On veut détruire les Avocats ; ils
sont un mal nécessaire , aussi bien que tous
les autres établissemens publics , aussi bien
que l'Assemblée Nationale . Eh ! Messieurs ,
songez donc que nulle part il ny a plus
d'Avocats qu'en Angleterre ; nulle part ils
ne s'enrichissent plus vite.
te
Il est impossible , dans le plus grand nom
bre des procès , de distinguer le fait du droit ;
et quand cette distinction est faite , il n'y a
Fiij
( 114 )
plus de procès ; ainsi tombe la base fondamentale
du plan de M. Duport. »
" Chez une grande Nation opulente, quia des
usages , des Coutumes locales , une foule d'établissemens
publics , où l'on reconnoît le
droit de donation , de testament , etc.; les
lois se compliquent nécessairement , parce
qu'on est obligé de les multiplier. Il faudra
toujours de longues études et de la réflexion
pour être propre à juger les affaires . Que
doit- on espérer des sentences de ces Juges
vagabonds , qui jugeront le pied dans l'étrier?
Nos pères ont fait l'expérience de ces
Juges par rencontre ; ils ont corrigé cette institution
comme celle du combat judiciaire ,
qui seroit assurément plus simple que celle
des Jurés. >>
Je crois que ce projet est impraticable
jusqu'à la réforme des lois , et je crois cette
réforme de long - temps très- impossible
parce que vous êtes trop profondément civi
lisés , et entourés d'institutions et de coutumes
qu'ils ne tient pas à vous de détruire . "
" M. l'Abbé Syeyes vous propose de choisir
les Jurés parmi les hommes de loi ; j'adopte
cette disposition qui supprime une partie
des inconvéniens , et je crois que les Tribunaux
doivent être sédentaires , et les Juges
permanens , etc. »
M. Barrère de Vieusac a ramené la discussion
aux convenances actuelles , et a proposé une
série de questions , ainsi adoptées par l'As
semblée :
On discutera , 1 ° . la question de l'établissement
des Jurés ; 2 ° . les Jurés seront- ils
institués tant en matière civile que criminelle
? 3 °. la justice sera- t - elle rendue par
des Tribunaux permanens ou par des Juges
( 115 )
d'assises ? 4° . les Juges seront- ils établis à
vie ou élus périodiquement ? 5 ° . les Juges
élus par le Peuple doivent - ils être institués
par le Roi ? 6. le Ministère public sera - t- il
entièrement établi par le Roi ? 7º y aurat
- il des dégrés de jurisdictions , ou la voie de
l'appel sera - t- elle supprimée ; et en cas que
l'appel existe , y aura-t-il des juges d'assises
pour l'appel seulement ? 8° . les mêmes Juges
seront- ils chargés de toutes les matières de
police , de commerce , d'impôts ? 9 ° . établirat
-on un Comité pour préparer les dispositions
de la réforme des lois civiles et criminelles
dans le nouvel ordre judiciaire ? 10 °. y
aúra- t-il un Tribunal de cassation ?
Après l'adoption de ce plan de travail , on
revint à la discussion de l'ajournement des
questions relatives au commerce des Indes.
Les motife furent de nouveau développés de
part et d'autre , et le Décret d'hier révoqué .
M. de Noailles ouvrit la discussion par la
lecture d'un mémoire en faveur de la liberté
du commerce. « Tout privilége , en général ,
dit-il , est injuste : celui de la Compagnie des
Indes est d'autant plus illégitime , qu'il n'a
été accordé qu'en vertu d'un simple arrêt du
Conseil ; et l'on sait que nul arrêt du Conseil
n'avoit force de Loi que lorsqu'il étoit
suivi de Lettres - patentes enregistrées . Ce
privilége est défavorable au Commerce ; la
plus forte année de la Compagnie des Indes
n'est montée qu'à 21 millions ; celle du Com
merce libre , à 33 .
La Compagnie des Indes a beaucoup coûté
à l'Etat. Nous lui avons donné des Hôtels ,
des comptoirs , etc. Pourquoi payer si cher
la peine d'accorder ce privilége exclusif ,
Fiv
( 116 )
lorsque tant de particuliers demandent å
faire ce commerce pour rien ?
"
" Elle dit que les particuliers ne pourront
soutenir sa concurrence ; en ce cas , elle ne
doit pas redouter la perte de son privilége :
elle n'auroit à craindre que la concurrence
des Compagnies ; c'est là précisément ce qui
feroit refleurir notre commerce . La Compagnie
actuelle auroit d'ailleurs toujours
l'avantage d'être déja établie , d'avoir 40
millions de fonds , etc. Je crois que dans
aucun cas , nous ne devrions lui accorder
une indemnité ; en a- t-on accordé une aux
Négocians , lorsqu'un ordre arbitraire leur
a ôté le commerce de l'Inde ? »
La Compagnie a seule l'avantage d'approvisionner
l'Isle- de -France et de Bourbon ,
et les particuliers le feroient à bien meilleur
compte.
" Les Actions de la Compagnie des Indes
se trouvent en grande partie entre les mains
des riches Capitalistes , parce qu'elles sont
très- cheres. Le Peuple ne peut point y participer.
Ces Actions forment l'objet d'un
agiotage infiniment préjudiciable aux moeurs.
Je conclus donc que le privilége exclusif
de la Compagnie des Indes doit être supprimé.
M. d'Espremenil a pensé que ces raisonnemens
, déja tant de fois exposés antérieu
rement , étoient loin de résoudre la question ,
dont l'ultérieure discussion a été ajournée à
demain .
DU JEUDI 1 AVRIL .
M. de la Chèze , Député du Quercy , a
ouvert la Séance par une proposition , dans
laquelle on a reconnu les sentimens , la sa(
117 ).
gesse ; l'excellent esprit qui ont toujours distingué
ce Député. Sur sa demande , il a été
décidé que chaque Membre verseroit dans
la Caisse de charité , ses appointemens des
deux jours de vacances ; ce qui produira
pour les pauvres de la Capitale , une somme
de 40,000 liv .
M. de l'Epaux a ensuite annoncé que la
Municipalité d'Angers souscrivoit une acquisition
de dix millions de Biens Ecclésiastiques.
L'ordre du jour portoit l'ultérieure discussion
du privilége exclusif du Commerce
de l'Inde. M. d'Eprémesnil avoit dit hier
qu'il s'agissoit de savoir si l'on pouvoit se
passer d'une Compagnie , pour soutenir dans
l'Inde , la concurrence des Nations étrangères.
Cet aspect de la question , paroissant l'écueil
des partisans du Commerce libre , M.
Bouche prit la parole pour représenter cette
discussion comme une extravagance oiseuse ,
et il demanda que les opinions fussent restreintes
à discuter la théorie du privilége
exclusif. Cette motion ne soutint
pas l'épreuve de la question préalable . M.
de la Jacqueminière lut ensuite un très -long
Mémoire , dans lequel il prouva d'abord le
désavantage de notre Commerce des Indes ;
ensuite le tort qu'il feroit à nos Manufactures
et à notre industrie , lors même que la balance
avec l'Etranger seroit en notre faveur.
Plus ce Commerce , dit- il , sera étendu et
florissant , plus le Commerce intérieur et
l'industrie nationale languiront ; on nous apporte
des marchandises de luxe , et on exporte
notre numéraire. Je crois donc que la
fiberté de ce Commerce , utile à quelques
Fv
( 118 )
1
Armateurs , seroit nuisible à l'Etat ; je propose
en conséquence le projet de Décret
suivant :
« 1 ° . Le privilége de la Compagnie actuelle
sera supprimé , à compter du premier
Avril ; et cependant elle continuera
ses exploitations comme ci - devant.
10 2º. Il sera nommé des Commissaires
pour gérer ses affaires , et pour procéder à
la liquidation de ses actions . »
«
" 3 °. Le Comité de Commerce s'occupera
du plan d'une association libre qui sera
substitué à l'administration vicieuse de cette
Compagnie , etc. »
M. de Sinetty s'attacha uniquement à
prouver les avantages du Commerce libre.
Les Armateurs Marseillois , dit- il , ont
continué leurs voyages avec succès , malgré
les entraves dont ils sont chargés ; ils sont
obligés de commercer sous Pavillon étranger
; il leur en coûte un droit de Commission
de 6 pour ico ; ils paient un droit considérable
aux Correspondans qui leur prêtent
leur nom ; ils entretiennent un double équipage
ce qui nous fait d'autant plus de
tort , que les Matelots qu'ils employent sont
des étrangers . Eh bien ! Messieurs , malgré
toutes ces charges , ils réussissent encore.
Il n'est donc pas nécessaire de donner un
privilége exclusif, et de favoriser une Compagnie.
Deja il s'étoit elevé à Marseille de
nombreuses Manufactures ; le privilége exelusif
les a détruites.
'
Les Marseillois alloient se rendre maîtres
du Commerce de la Porte dans les Indes...
Déja ils s'occupoient de faciliter les routes
des caravannes ; aucune Nation n'auroit eu
un Commerce plus florissant que le nôtre.
( 119 )
Je demande donc que la liberté du Commerce
soit rétablie , et que le Décret soit
porté dans le jour à la Sanction , afin que
les Armateurs qui attendent dans nos Ports ,
puissent encore prévenir la mauvaise saison .
M. l'Abbé Maury. Il ne s'agit point ici
d'une question de Commerce , mais d'une
grande question d'Etat. Trois Nations ont
entrepris le Commerce des Indes : l'Angleterre
, la Hollande et la France. Les Gouvernemens
des deux premières sont républicains
et libres , et ils ont adopté le privilege exclusif.
Trois fois cette question fut agitée en Angleterre
et en Hollande , devant les premiers
Négocians ; trois fois les hommes les plus
habiles , les Commerçans les plus éclairés ,
oat décidé en faveur du privilége exclusif.
La France est la premiere Nation qui l'ait
mis sérieusement en question..... On a répandu
une grande défaveur sur cette cause ,
par deux objections : 1º. a - t - on dit ,
tout privilége exclusif est attentatoire aux
droits de l'homme . 2º . Les titres de la Compagnie
sont un monument du despotisme ,
et même illégitimes , puisqu'ils n'ont point
été enregistrés. »
D'abord je ne vois point de connexité entre
une question commerciale et les droits primitifs
de l'homme . Je vous observerai ensuite
que tout est privilége dans le Commerce.
C'est un privilége exclusif que le
droit du Port de Marseille , de faire seul
le Commerce du Levant ; un pareil droit
existe dans le Port de l'Orient , qui seul reçoit
les vaisseaux des Indes. Beaucoup d'autres
Ports ont des franchises , et les foires "
les marchés , etc. sont des priviléges . Si vous
détruisez l'un , il faut détruire l'autre , et
F vi
( 120 )
le Commerce de France est anéanti .... Vous
voyez , Messieurs , que ces priviléges sont
nécessaires ; ils ne sont donc pas incompatibles
avec votre Constitution. »
« Quant à la seconde objection que je viens
de citer , j'avoue que je respecte les formes
de l'enregistrement ; mais je réponds que le
Roi a été jusqu'ici au moins le Législateur
provisoire. Vous devez respecter les priviÎéges
que le Gouvernement a accordés ,
comme vous devez respecter les Lois que
le Roi a sanctionnées , les engagemens qu'il
a contractés. Ainsi , quoique l'Arrêt du
Conseil de 1785 n'ait point été enregistré ,
il n'en est pas moins vrai qu'il émanoit de
l'autorité souveraine et que l'expédition
des Lettres- Patentes fut ordonnée. D'ailleurs
, Messieurs , ce n'est point cet Arrêt
qui a établi la Compagnie des Indes ; son
privilége existoit ; l'exercice n'en étoit
que suspendu par un Arrêt non enregistré ;
un Arrêt non enregistré a donc pu le ré
tablir. »
"
J'entre dans le fond de la question du privilége
exclusif. Je prouverai , comme l'a fait
un des Préopinans , 1 ° . Que le Commerce
des Indes est infiniment nuisible à la France .
2° Que par cette raison là même , loin de
lui accorder des encouragemens , notre patriotisme
doit lui opposer des barrières insurmontables
. Je découvrirai les mystères,
de l'intérêt personnel ; je ferai voir comment
la cupidité prend ici le masque du patriotisme.
Je nommerai les ennemis de la
Nation par leurs noms , et j'ai les preuves
de mes accusations....
Je n'hésite pas de déclarer que le Commerce
de l'Inde est un fléau public ; il in(
121 )
troduit ce luxe qui nous a créé une multitude
de besoins . Vous connoissez cet ancien
adage de Sully : Toutes les fois que vous
voyez un homme couvert de galons , il y a
auprès un homme couvert de haillons ....
Nos marchandises territoriales ne peuvent
pas former un huitième des cargaisons ; la
plupart ne résistent pas au transport , et les
Indiens , sobres dans leur nourriture , simples
dans leurs vêtemens , ne demandent que de
l'argent qu'ils enterrent avec eux , espérant
en retrouver la jouissance dans une autre
vie.... Vous perdez 33 millions annuellement
dans la balance de votre Commerce
avec l'Angleterre et la Suisse ; cette dernière
République vous fournit pour 15 millions
de Mousselines , et vous ne lui vendez
que pour 4 millions de Coton que vous allez
chercher aux Indes , et vous perdez aujourd'hui
avec l'Angleterre 22 millions . Et l'on
s'étonne de la rareté du numéraire ! si vous
continuez encore 10 ans , l'Etat est perdu .
Les Anglois nous tendent des piéges ; ils
font des spéculations annuelles sur les folies
des François .... L'Angleterre est peuplée
de Négocians ; ils n'osent s'élever contre
l'intérêt de la Fatrie , contre le privilege de
la Compagnie , ils ont sacrifié leur intérêt
à l'intérêt public . Je crois vous prouver
par des pieces authentiques , que c'est à cette
sagesse des Négocians que l'Angleterre doit
sa prospérité. Qui sommes - nous , pour donner
à un pareil Peuple des leçons de Liberté
ou de Commerce ? ( Une voix ayant
dit , ils n'ont point de liberté , M. d'Eprémesnil
s'écria : Sans doute , car ils n'ont pas
de Comité des Recherches . ) Il a restreint son
Commerce de l'Inde au privilége d'une seule
( 122 )
Compagnie il a renoncé à la consommation
des Marchandises de l'Inde , et les vend à
l'Etranger. Et nous , nous sacrifions au
luxe nos Manufactures ; ce sont des Apôtres
du luxe qui viennent s'annoncer comme
les Apôtres de la liberté ! En Angleterre
, 979,000 faseaux sont occupés au coton ;
379,000 ouvriers le travaillent , etc.
« Je vous demande la permission de vous
lire des lettres écrites à M. de Calonne , par
un des Membres de cette Assemblée , dont
vous estimez le plus les lumières en finances ,
et qui aujourd'hui parle pour la liberté du
commerce des Indes. ( Cette lettre de M.
Dupont parle d'un projet de Compagnie des
Indes ; cet établissement , y est - il dit , doit
faire le bien du Roi , le bien du commerce
et celui des Protégés de M. le Contrôleur-général
, etc. Un Extrait de Mémoire joint à cette
lettre , porte:Les Administrateurs de cette Messagerie
des Indes pourroient étre M. DUPONT,
MM... Le Gouvernement , pour encouragement,
lui donneroit des vaisseaux que la Marine paroîtroit
réformer. Ces vaisseaux appartiendroient
toujours au Roi , mais seroient entretenus
auxfrais de la Compagnie , etc. Une
dernière lettre de M. Dupont à M. de Calonne,
datée du mois de mai 1784 , contient cette
phrase : Chacun vous donne des plans pour
son intérêt personnel ; je ne suis pas insensible
au mien ; mais ilfaudroit connoître combienje
suis romanesque , pour savoir combien
je préfère celui de l'Etat, celui du Roi et le
vôtre. )
"
Une grande partie de l'Assemblée vouloit
empêcher cette lecture comme attentatoire
à l'inviolabilité du secret des letrres
comme inutile , comme portant le carac-
>
( 123 )
tère d'une personnalité ; mais cette lecture
étant commencée , M. Dupont pria qu'elle
fût achevée , en se réservant d'y répondre.
M. l'Abbé Maury fit lire ensuite la requête
présentée en 1785 au Roi, par M. de Calonne ,
pour le rétablissement de la Compagnie des
Indes. Il continua à entrer dans des détails
sur le désavantage de notre Commerce des
Indes ; perte , ajouta -t-il , qui seroit bien
plus grande si le commerce devenoit libre ;
car les Négocians particuliers ne feroient
point le commerce à leur compte , et ne
pourroient suffire aux avances immenses
que ce commerce exige. Ils seroient les facteurs
des Anglois ; de sorte que pour 300,000
liv. qu'ils gagneroient , il sortiroit 5 millions
du Royaume. Rappellez -vous les nombreuses
banqueroutes auxquelles a donné lieu la
liberté du commerce.
་་
Les Anglois , calculant sur la prochaine.
destruction de votre Compagnie , ont déja
fait deux projets : 1 ° . De ruiner vos Commerçans
dans l'Inde ; 2 ° . de les ruiner en
Europe. Ils ont autorisé leurs Capitaines de
vaisseaux à transporter dans l'Inde des Marchandises
Françoises , et les ont déchargées
de plusieurs droits , afin qu'ils puissent les
vendre à si bas prix , que vos Négocians ne
puissent plus soutenir la concurrence . Ils
sacrifieront 10 millions , s'il le faut , pour en
gagner ensuite 40 par année . Vous deviendrez
leurs tributaires ; et comment résisteriezvous
à une Compagnie qui possède le Bengale
en entier , et tant d'autres possessions ,
où vous n'avez que des comptoirs ? Si quelques-
uns de vos Négocians , devenant les
facteurs des Anglois , s'enrichissent , votre
commerce intérieur sera détruit , votre in(
124 )
dustrie anéantie ; vos marchandises ne serviront
plus au commerce ; il faudra exporter
le numéraire , et l'Etat périra. "
Conservez donc le privilége , devenu nécessaire
, de la Compagnie des Indes ; qu'elle
soit surveillee par le Gouvernement ; ordonnez
qu'au - delà du bénéfice de 8 pour cent
l'Etat partagera
.
M. Dupont : « Le Préopinant vous a dit
que mon travail avoit concouru au rétablissement
de la Compagnie des Indes ; et pour
cela il a choisi un Memoire qui prouve tout
le contraire. J'ai fait cinq Memoires pour
l'empêcher , et pour y parvenir j'ai fait un
grand Projet. J'ai prouvé que la Compagnie
Angloise étoit mauvaise ; elle a de grands
établissemens dans les Indes , et elle ne gagne
que sur ses revenus territoriaux . Voici la
combinaison que je proposois de substituer
à la Compagnie : une Messagerie qui porteroit
dans les Indes toutes les marchandises
que les Négocians François voudroient y envoyer.
Le Roi auroit donné à cette Messa
gerie des vaisseaux de la Marine en confiance.
Cette Messagerie n'ayant point ces avances
à faire , auroit pu mettre son fret au - dessous
de toute concurrence , puisque ces vaisseaux
lui auroient été prêtés , tandis qu'elle
auroit paru les avoir achetés . Ce n'eût été
qu'une Compagnie fictive. Le Roi , déchargé
de l'entretien des vaisseaux , en auroit progressivement
augmenté le nombre. Sur un
simple aviso tous ces bâtimens eussent été
avertis ; on en eût envoyé d'autres , et bientôt
le Bengale seroit tombé sous notre domination
. Je ne négligeai rien pour faire réussir
ce Projet ; j'avois demandé que le nombre
des Administrateurs de la Messagerie fût
( 125 )
petit , pour que le secret fût plus sûrement
observé ; je voulois être du nombre pour
diriger mon projet , pour lequel je ne pouvois
me fier qu'à moi - même. Je suis fâché
que des vues aussi utiles aient été divulguées
par des hommes que je ne qualifierai pas de
Citoyens , puisqu'ils cherchent à compromettre
les autres.
Cette justification de M. Dupont a été
applaudie par la partie la plus nombreuse
de l'Assemblée ; et la Séance levée à neuf
heures et demie .
DU VENDREDI 2 AVRIL.
Il a été donné lecture d'une Adresse des
Ligues Grises à l'Assemblée Nationale de
France ; Adresse qui sera insérée dans le
Procès- Verbal , et dont les principales phra
ses méritent d'être mentionnées .
" Les Hautes-Alpes que nous habitons au
fond de l'ancienne Rhétie , sont comme un
Temple saint , où , à la faveur d'une démoeratie
pure , se conserve depuis plusieurs siècles
le germe sacré de la liberté . Nous en
profitions seuls , et il étoit réservé à la Nation
la plus ingénieuse de l'univers , de le
féconder pour le bonheur du monde. C'est
ce que vous venez de faire , Messieurs , par
les Droits que vous avez déclarés , par les
principes que vous avez donnés à votre Constitution
. "
La République des Grisons est composée
de vingt - sept Communes libres , indépendantes
même dans ce qui concerne leur
Administration et leur police particulière ;,
et dont les Chefs et les Juges sont élus par le
Peuple. Les Communes, réunies plusieurs ensemble
, forment de plus grandes Commu(
126
une
nautés , régies sur le même principe . Les
Représentans ou Députés des Communes se
réunissent sous trois divisions territoriales
qu'on nomme LIGUES , et ensuite en
seule Assemblée qu'on nomme DIÈTE GÉNÉ-
RALE . C'est celle - ci qui exerce le droit de ·
souveraineté par rapport à la confédération
entière. Qu'il nous soit permis un mouvement
d'orgueil en comparant nos administrations
de Communes à vos Municipalités, nos grandes
Communautés à vo: Districts , nos trois
Ligues à vos Départemens , et notre grande
Diète à votre Assemblée Nationale. De profonds
Législateurs ont tracé votre Constitution
; des hommes simples , guidés seulement
par le besoin d'échapper à l'oppression , dès
l'an 1400 out commencé la nôtre , et leur
rapport veessez combien vous avez connu
la Nature et ses droits. Une seule différence
vous étoit commandée par l'étendue de l'Empire
, et vous l'avez trouvée heureusement
établie dans l'existence et la succession déterminée
d'un Chef Suprême et inamovible
qui lui- même a coopéré avee magnanimité
à votre sublime Ouvrage. »
Н
Le systême des subsides secrets ne peut
s'allier avec vos principes. Or , au nombre
des dépenses extraordinaires que la Légation
Françoise fait dans notre Pays , il en est
dont la nature et la distribution corrompent
notre Gouvernement sans aucune utilité pour
la France , et c'étoit un mal à vous dénoncer.
Un autre concourt au même effet . L'inclination
du Peuple Grison pour le service
militaire , son affection pour la France , la
liberté illimitée que lui donne notre Constitution
, pour se livrer à ce doux penchant ,
nous permettent d'avoir un certain nombre .
( 127 )
de Troupes à votre solde ; mais un Régiment
entier , outre les Compagnies Guisounes qui
se trouvent dans les Régimens Suisses , s'honore
de porter le nom de notre Nation ; et
cependant , à la faveur d'un Règlement auquel
notre République n'a pris aucune part ,
Te Chief y dispose de tous les emplois , de
toutes les Compagnies , de toutes les places
d'Officiers Supérieurs. Si vous observez que
ce Chefsera toujours un de nos Concitoyens
vous comprendrez quelle influence dangereuse
lui donnent de tels moyens dans nos affaires
intérieures , en même temps qu'ils établissent
un régime absolument destructeur
des vrais principes militaires. "
"
Faltr
9
ensem-
Nous espérons donc , Messieurs , que le
nouvean mode d'avancement que vous projetez
, sera rendu commur à nos Troupes par
un de vos Décrets , et qu'il fera ren
ble les temps célèbres de l'Armée Françoise
et ceux des anciennes Milices . Rien ne s'y
oppose . Notre République n'a aucune capitulation
avec la France ; celles des Suisses sont
au moment d'être renouvelées , et nos troupes
n'existent dans vos Années qu'en vertu
d'une confiance réciproque , etc. etc. "
Cette Adresse est signée de soixante- dix
Députés des trois Ligues , formant la Diète
générale.
Il a été décrété que le Président y répon
droit directement , et qu'il se retireroit pardevers
le Roi , pour le prier de prendre les
demandes des Grisons en consideration (1 ).
(1 ) Cette Adresse paroîtra très - remarquable
par la conformité , en effet très - frappante
, quelle présente entre le Gouvernement
François et la Démocratie des Grisons .
( 128 )
COMPAGNIE DES INDES. 1
M. l'Abbé Berardier a r'ouvert la discussion
concernant le Privilège exclusif de la
Compagnie des Indes . « Toutes les notions
que j'ai recueillies de Personnes bien instruites
, a- t- il dit , prouvent que notre Compagnie
, sans la suspension de son Privilège ,
seroit bientôt devenue la plus florissante.
Maîtres de Madras en 1746 , si l'on n'eût
rappelé MM. Dupleix et de la Bourdonnais ,
Il existe néanmoins une différence essentielle
, en ce que les Ligues Grises sont composées
d'un grand nombre de petites Répu
bliques indépendantes , et Souveraines chacune
tout ce qui ne touche pas aux
intérêts généraux de la Confédération . Les
Sessions annuelles de la Diète durent ordinairement
trois semaines . On sent bien qu'un
pareil Gouvernement peut se soutenir au
milieu des Alpes , et chez un Peuple pres
que exclusivement Pasteur ou Agricole.
Quant à ses effets , on peut consulter ce qu'en
dit M. Core dans la dernière édition de son
Voyage de Suisse , et le Magistrat Helvétique
, aussi instruit qu'exact , auquel nous
devons le Dictionnaire de la Suisse . Ils remarquent
l'un et l'autre que ces Démocraties
subdivisées ont perpétué l'esprit de fac-.
tion et la vénalité . Les Ligues Grises n'appartiement
aucunement au Corps Helvétique
, elles sont simplement Alliées de certains
Cantons . La République fournit des
Troupes au Roi de Sardaigne , à la Hollande ,
et à la France un Regiment et quelques
Compagnies détachées.
( 129 )
nous serions aujourd'hui les Souverains de
l'Inde. Ce ne fut point à sa foiblesse que la
Compagnie dût sa chúte , puisqu'alors elle
avoit sur le Gouvernement une créance de
sept millions ; les intrigues des Ministres la
perdirent. Il ne s'agit pas ici de savoir si le
Privilège est juste ou injuste , mais s'il est
nécessaire. Ce n'est pas même un Privilège ,
puisque le Commerce de la Compagnie est
ouvert à tous les Citoyens ; il n'y a pas de
jour qu'il ne se trouve 2000 Actions sur la
Place ; on peut prendre même des moitiés ,
des quarts d'Actions : ainsi , tout le monde
est à portée d'y participer. »
" Que les Négocians qui veulent commercer
par eux -mêmes se livrent au Commerce
de l'Europe , des Colonies , de l'Amérique ;
mais protégeons un Etablissement utile à la
Société entière , contre les spéculations inconsidérées
de quelques Particuliers . Lorsque
ce Commerce étoit libre , on vit que dès
qu'une espèce de marchandise devenoit rare
dans l'Inde , tous les Négocians s'empressoient
d'en apporter , et bientôt ces marchandises
perdoient de leur valeur par leur
multiplicité , ou ne pouvoient plus se vendre ;
il en étoit de même des marchandises des
Indes relativement à la France.
a En temps de guerre , les vaisseaux particuliers
, partant à différentes époques , de
différens Ports , peuvent- ils être tous escorfés
? L'Etat a reçu divers secours de la Compagnie
, jamais il n'en reçut du Commerce
libre. La Compagnie peut seule encourager
lés Matelots , les elever , les faire monter en
grade , les attacher, à son service par des
récompenses viagères .
"
Je conclus 1 ° . que le Privilège de la Com(
130 )
pagnie des Indes doit être conservé jusqu'au
mois d'Avril 1792 , époque de son expiration
; 2 qu'il soit nomme des Commissaires
pour surveiller ses opérations , en calculer
les avantages et les inconvéniens , et faire
leur Rapport à l'Assemblée Nationale .
"
M. Nérac , Négociant de Bordeaux , déprécia
la Compagnie des Indes par les mêmes
moyens que M. l'Abbé Bérardier venoit
d'employer pour déprécier le Commerce
libre ; il cita divers faits pour prouver que
notre Compagnie est entièrement subordonnée
à celle d'Angleterre , dont elle achète
en seconde main une grande partie des objets
de son Commerce. Cependant , son Discours
fut principalement dirigé contre M. l'Abbé
Maury , dont il réfuta plus les paroles que
les argumens . M. le Président l'ayant rappelé
à l'ordre : « J'ai raison , poursuivit-il
dans sa chaleur , de venger le Commerce
des injures qui lui ont été faites . Je suis
plus instruit que M. l'Abbé Maury , et de
meilleure foi que lui . Les Commerçans sont
des hommes utiles qui travaillent tous les
jours à enrichir la Patrie ; qu'il dise ce qu'il
a fait pour elle. "
M. de Clermont - Tonnerre ramena le calme
à la Tribune . « Je n'ai , dit - il , dans cette
grande question d'Etat , que des doutes à.
apporter ni le Discours éloquent de M.
l'Abbé Maury , ni la réfutation du Préopinant
ne m'ont convaincu ; le premier ne
m'a paru qu'un rêve triste , et le second qu'un
songe flatteur. Je ne vois dans tout ce qui
a été dít que des éclaircissemens à desirer ,
et des faits à prouver ; et si je ne me rappelois
pas que le Parlement d'Angleterre a
( 131 )
employé trois mois à discuter cette ques
tion ; qu'il a eu recours à l'audition de toutes
les personnes instruites , je croirois n'avoir
qu'à rougir de mon ignorance. Nul doute sur
le Privilege ; mais je crois que ce régime
tout vicieux qu'il est , est impossible à réformer
dans ce moment -ci . L'expérience est
douteuse dans plusieurs points , et cependant
elle fait connoître qu'une Compagnie
puissante qui existe en Angleterre , est infiniment
utile à ce Royaume. Plusieurs des
faits essentiels qui vous ont été allégués par
le Rapporteur de votre Comité de Commerce ,
sont contredits par les Administrateurs de
la Compagnie des Indes. Par exemple , on
vous a dit que le Commerce libre avoit employé
341 vaisseaux , tandis que la Compagnie
prétend prouver que ce calcul fut de
150 vaisseaux .
La Compagnie prouve que le Commerce
libre sentant son désavantage , s'est réduit au
fret et à la commission pour l'Etranger. On
n'a comparé le Commerce libre qu'avec la
Compagnie ancienne , au lieu de le comparer
avec le Bilan de la nouvelle ; et même on a
produit , relativement à l'ancienne Compagnie
, de fausses citations. Le Commerce
porte les fonds de cette Compagnie à 21
millions. Il y a 28 millions sur ses Registres .
M. l'Abbé Maury n'a point démontré que le
Commerce des Indes fût funeste à la France ,
ni que sa destruction fût possible . Il faudroit
connoître quels sont les rapports de
ce Commerce avec nos Manufactures. Vous
n'avez point ces données , et vous ne pouvez
les avoir en ce moment ; vous ne pouvez
donc juger. Je conclus qu'il ne soit rien
( 132 )
innové quant à présent ; que les droits de
traite et d'indult soient rétablis , et que
votre Comité de Commerce se procure tous
les renseignemens nécessaires pour l'éclaircissement
de cette question .
M. Begouen défendit , à l'exemple de M.
Nérac , la cause et l'honneur du commerce :
" Ce ne sont pas , dit- il , quelques Négocians
intéressés , mais toutes les grandes villes du
Royaume qui demandent d'une voix unanime
la liberté du Commerce . Sans doute celui de
l'Inde peut être nuisible à l'Europe ; mais
l'Europe le fait ; il ne tient pas à nous de
l'empêcher. La rigueur d'une loi somptuaire
seroit impossible . Mettez des droits de traite
sur les marchandises de l'Inde , analogues à
nos consommations , sur toutes celles qui ne
sont pas de nécessité ; ne mettez point de
droits sur celles qui se vendront à l'étranger;
voilà le seul moyen de rendre ce commerce
le moins dangereux sous certains rapports ,
et le plus utile sous d'autres , etc. »
Une partie de l'Assemblée demanda que
la discussion fût fermée ; mais le grand
nombre de partisans , même du commerce
libre , reconnurent combien il y avoit encoe
de faits à éclaircir.
"
En conséquence , M. de Cazales reprit
ainsi la discussion : « On vous a dit hier que
le commerce des Indes étoit nuisible , parce
qu'il exigeoit une exportation du numéraire.
Je combats cette opinion , en vous exposant
comment l'exportation du numéraire n'est
pas toujours un malheur. La prospérité du
commerce dépend de la proportion du numéraire
et des denrées. De la multiciplité
du numéraire , résulte la cherté de la maind'oeuvre
.
1
( 133 )
d'oeuvre. Les manufactures ne peuvent plus
soutenir la concurrence des manufactures
étrangères . Nous avons un commerce considérable
avec l'Espagne . Si les métaux que
nous tirons de ce commerce n'avoient pas
un débouché dans les Indes , ils s'aviliroient
parlear multiplication . Les manufactures qui
fournissent les marchandises , qui servent en
Espagne d'échange à ces métaux , seroient
perdues. "
"
Depuis la révolution tout a changé de
face ; les émigrations , le papier- monnoie ,
tout a fait disparoître notre numéraire , et
peut-être actuellement notre commerce des
Îndes est- il dangereux . »

Ne portons pas un Décret qui , pour
une influence passagère , auroit un effet
éternel . Jusqu'à ce que la confiance et le
numéraire aient reparu , nous ne pourrons
connoître ni les rapports du numéraire et du
commerce , ni les relations qu'ont les différentes
branches de commerce entre elles.
Nous ne pourrons donc décider si le commerce
doit être avantagé ou restreint , ni
choisir entre les différentes manières de le
faire. Je propose donc de renvoyer cette
question aux Législatures suivantes. »
M. d'Espréménil , parlant ensuite pour le
même systême , entra dans de longs détails
sur l'histoire de la Compagnie des Indes et
sur celle du commerce libre ; son résultat
fut que le privilége de la compagnie est une
propriété qu'on doit respecter jusqu'à l'exp : -
ration du bail ; que les haines particulières
des Ministres , ont seules obtenu la suspension
du privilége , et nui à la prospérité de
son commerce ; que les bilans de la Compagnie
et du commerce libre ne sont point
No. 15. 10 Avril 1799. G
( 134 )
encore connus , mais qu'il y a une grande
supériorité en faveur de la Compagnie ; car ,
dit - il , quelques Negocians gagnoient par
la commission tandis que le commerce
et les bailleurs de fonds perdoient. Qu'on
jette les yeux sur la liste des Intéressés ; on
verra toujours de nouveaux noms , parce
qu'ils se ruinoient successsivement ; les Commissaires
sont toujours les mêmes , parce
qu'ils sont les seuls qui gagnent. Le plus
grand nombre des particuliers n'ont point
fait le commerce à leur compte , et c'est
alors que le Commerce devient desavantageux
à l'Etat. Il faut contracter dans le pays
un an d'avance pour avoir des marchandises ;
il faut avancer le prix : les petits marchands ,
qui n'ont pas les fonds nécessaires pour faire
de si grandes avances , n'achètent que les
marchandises de rebut , ou celles de la
Compagnie Angloise . Tous les faits que
j'ai cités sont importans ; il est de la dignité
de l'Assemblée de les vérifier , et c'est pour
cela que je conclus à l'ajournement.
Elevons- nous à des idées d'une plus haute
importance. Le commerce de l'Inde ne peut
se faire qu'avec une Compagnie Souveraine
armée , ayant par conséquent une puissance
territoriale ; je le prouve par des faits et
par l'expérience. Le Gouvernement de l'Inde
est absolument despotique ; rien de plus
commun que d'être soumis , sous le plus
léger prétexte , à des taxes arbitraires , qu'on
appelle des avanies ; c'est ce qui est arrivé
aux premières compagnies lorsqu'elles étaient
encore foibles , et tres - souvent au commerce
particulier. Il a fallu appuyer les contrats
des hommes armés... La nature du commerce
exige encore une souveraineté , ou une
par
( 135 )
puissance territoriale , pour retirer ses revenus
sur les lieux mêmes : c'est le seul
moyen d'éviter la trop grande extraction du
numéraire du Royaume , et de faire payer
aux Indiens leurs marchandises par leur
propre argent. M. Dupleix avoit entrepris ce
systême , et bientôt , par les intrigues des
Anglois , il fut rappelé.
M. d'Espréménil alloit ajouter des réflexions
particulières à la Compagnie actuelle
, à son administration , à l'indemnité
qu'elle auroit droit d'exiger au cas qu'on la
supprimât. Mais l'heure étant avancée , et
l'auditoire fatigué d'une si longue attention ,
la discussion fut remise au lendemain , à la
même heure .
Cette question qui occupe l'Assemblée
depuis plusieurs jours , ayant été précé- ·
demment traitée à deux reprises , par
des Ecrivains distingués , on nous pardonnera
d'élaguer la suite de ce débat , c'està-
dire , la répétition des mêmes argumens
.
DU SAMEDI 3 AVRIL .
Le grand nombre de Députés qui demandent
tous les jours des congés , a enfin
déterminé l'Assemblée à dresser une liste
des absens , à laquelle on joindra l'époque
du retour.
Un Membre Ecclésiastique commençoit à
faire la lecture d'un Mémoire contre les caricatures
infâmes par lesquelles on vilipende
le Clergé: des huées indécentes lui ont étouffé
la parole ( 1 ) .
(1 ) Ces Estampes se distinguent par un
caractère propre de platitude et de férocités
Gij
( 136 )
COMPAGNIE DES INDES.
"
M. le Duc de Praslin a demandé la parole
pour relever une erreur de fait . Il
est faux , a- t- il dit , que la dissolution de
l'ancienne Compagnie des Indes ait résulté
des intrigues du Ministère . La guerre désastreuse
de 1756 l'avoit ruinée et pour
se soutenir elle auroit eu besoin des efforts
de l'Etat . La France épuisée , ne pouvoit
continuer des sacrifices aussi multipliés en
faveur de la Compagnie. Depuis 1764 , les
Actionnaires ne cessèrent de présenter au Roi
des Requêtes , pour obtenir que l'Etat se
chargeât de leurs dettes , jusqu'à ce qu'en
1769 , on se vit obligé de suspendre leur
privilége .
· M. Dupré , Député de Carcassonne , parla
dans les mêmes principes , en exposant que
l'Etat avoit fait les plus grands sacrifices ,
sans avoir reçu aucun avantage de la Compagnie.
Il combattit plusieurs des assertions
de M. l'Abbé Maury , et developpa quelquesuns
des argumens indiqués par les défenseurs
de la liberté du Commerce.
M. Malouet sortit de ce cercle , et présenta
une observation neuve , en faveur de
l'ajournement.
" . Nous ignorons , dit- il très - judicieusement
, l'état de nos relations politiques dans
'Inde . Récemment il s'y est élevé une grande
Rien de plus éloigné de l'esprit François ,
et de l'humour, qui rend très piquantes les caricatures
Angloises. Célles qu'on étale sur
nos quais rappellent les Vandales , et ne
sont pas même bonnes à tapisser un cabaret ,
( 137 )
puissance. Tipoo - Saïb , à la tête d'une armée
de 100,000 hommes , et souverain d'un vaste
territoire , a demandé notre alliance. Il a
fait une paix utile avec les Marattes par
l'entremise du Commandant François M.
de Cossigny. Dans ses Etats se fabriquent une
partie des mousselines et des toiles les plus
estimées . Nous sommes réduits peut- être à
mettre nos comptoirs sous la garde de ce Souverain.
La certitude de voir au commencement
d'une déclaration de guerre nos troupes
chassées par celles de Madras , et l'économie
, ont motivé l'évacuation de nos garnisons.
Si, pendant que nous retirons nos Troupes
, la Compagnie est forcée de retirer ses
Agens et d'évacuer ses magasins , Tipoo
n'aura- t-il pas lieu de croire que nous rejetons
son alliance , et que de gré ou de force nous
abandonnons ce commerce ? Il faudroit donc
chercher à avoir des établissemens sur le territoire
de ce Prince , à préparer une révolu
tion utile , en conservant des relations politiques
dans l'Inde. Le Ministre de la Marine
devroit être consulté sur ces vues . Je propose
donc 1 ° . de décréter l'ajournement , quant
au fond , jusqu'à la prochaine Législature ,
et de retrancher la navigation de la Mer
Rouge , du Golphe Persique et de l'Isthme
de Suez , du Privilége de la Compagnie ;
2º. de soumettre aux droits de traite et d'indult
, les marchandises introdu tes de l'Inde
par cette voie , ainsi que celles de la Compagnie
; 3°. d'employer ces droits à des primes
d'encouragemens pour la fabrication et
l'exportation des cotons et des laines ; 4°.
enfin de supplier le Roi de faire solliciter
la protection du Grand - Seigneur , pour le
GIN
( 138 )
libre transport des marchandises de Suez au
Grand Caire .
a
La Compagnie des Indes Angloise ,
ajouta M. le Coulteux de Canteleu ,
pris , le 2, novembre 1789 , un Arrêté qui
tend à nous priver entièrement du commerce
de l'Inde 2 si nous supprimons notre Com
pagnie ; elle permet aux Capitaines de rem
plir la capacité de leurs vaisseaux , non entployée
par les marchandises de la Com
pagnie , de cargaisons à leur compte à un frêt
modéré. De plus elle a fait défense à tous
ses Agens de fournir aucun secours d'avance,
de payement , et même de ravitaillement
aux Etrangers. »
"
D'après des dispositions aussi hostiles ,
peut -on , sans prendie de mesures , livrer le
Commerce de l'Inde à des particuliers ? On
m'objecte les principes de la Déclaration
des droits ; mon expérience me prédit que
jamais vous ne pouvez faire fléchir devant
ces principes , la politique extérieure ; vous
l'avez déja éprouvé à l'occasion de vos Co
lonies. Dans la circonstance actuelle , il se
roit nuisible de détruire subitement le pri
vilége de la Compagnie ; et je crois que la
Déclaration des droits exige que l'intérêt du
Royaume soit préféré à celui de quelques
Négocians particuliers. »
"
Tout est confondu dans cette capitale :
Emissaires Anglois , d'Ostende , d'Hollande,
de Bruxelles ; ils se répandent dans nos
Sociétés , dans nos Clubs , dans nos Districts.
Ils vont bien plus loin que nous - mêmes :
défions - nous de ces manoeuvres sourdes. Les
Anglois se felicitent ; ils attendent avec joje
le Décret qu'ils pensent que nous allons
porter.
( 139)
ae-
« Les Actions de la Compagnie ont ac
tuellement une grande influence sur nos
finances ; ce sont des effets circulans qui
tiennent la place de numéraire ; ainsi vous
frapperiez de paralysie 40 millions actuellement
en circulation . La Compagnie se trouve
chargée de 30 millions d'engagemens s'il
falloit les rembourser subitement , n'en résulteroit-
il pas une révolution sur nos changes,
bien plus désastreuse que celle qui provient
de l'impossibilité où nous sommes d'acquitter
en marchandises nationales nos dettes étrangères
? »
:
« Le Gouvernement Espagnol se propose
d'imposer un droit de 5 pour cent sur les
marchandises étrangères , et même de donner
à cette loi un effet rétroactif, en imposant
les marchandises emmagasinées sur la
réclamation de l'Ambassadeur de France
cette décision a été suspendue au Conseil
de Madrid . Il seroit prudent d'en attendre
le résultat ; car si la Loi avoit son effet , elle
suspendroit l'envoi de nos marchandises en
Espagne , et les retours en piastres que nous
employons au Commerce de l'Inde. Je propose
donc un ajournement indéfiai.
"
Beaucoup de Membres demandèrent que
la discussion fût fermée. M. de Tracy obtenant
avec peine la parole , récapitula plusieurs
des argumens opposés à la Compagnie , et
fut sur tout vivement applaudi lorsqu'il
"
-
s'ecria : «C'est un Ministre abhorré qui nous
« discrédite ; c'est l'esprit de Calonne qui a
établi la Compagnie des Indes ; c'est lui qui
inspire les détracteurs du commerce et les
défenseurs du monopole. »
u
Le premier objet de la délibération fut la
Giv
( 140 )
question préalable sur l'ajournement. Deux
épreuves , par assis et levé , ayant été équivoques
, on fut obligé , après divers débats
de passer à un appel nominal. Pendant que
l'on s'agiteit , pour chercher les moyens d'éviter
cette nomenclature de deux heures , la
fatigue d'une longue Séance fit sortir un
grand nombre de Membres et sur- tout
d'Ecclésiastiques . 385 voix contre 275 décidèrent
qu'il n'y avoit pas lieu à délibérer sur
l'ajournement. Lorsqu'on passa au fond de
la question , la partie droite étoit presque
évacuée , l'autre ne paroissoit que plus nombreuse
; ainsi tous les efforts des premiers
furent repoussés .
?
M. de Virieu ayant demandé que tout
privilég e de commerce fût détruit , les débats
qui s'élévèrent sur cette proposition embarrassante
pour les théoristes , furent terminés par
une acclamation qui appela le Président à
mettre la question aux voix , telle que M. le
Chapelier la proposoit . En conséquence ,
fut décidé , par une grande majorité , que
le commerce de l'Inde au- delà du Cap de
Bonne-Espérance sera libre pour tous les Francois
.
Deux Courriers pour Londres attendoient
à la porte , et partirent à la levée de la
Séance , à onze heures et demie.
Encore une conspiration ! C'est der- 1
nièrement M. de Maillebois qui a paru
sur la scène , après tant d'autres Conjurés
, dont les horribles projets se sont
évanouis aux regards des Tribunaux . Un
0
( 141 ),
Folliculaire de Paris , qui veille attentivement
pour la Nation , et qu'on peut
considérer comme étant la Nation même
des Dénonciateurs , nous a révélé , la semaine
dernière , dans les termes suivans ,
la nouvelle découverte du Comité des
Recherches.
" Cet horrible projet , dit le Journaliste
a été dénoncé aux Comités des Recherches ,
par un Secrétaire et un Valet- de - Chambre
du Conspirateur. Nous ne demandons rien ,
ont dit ces généreux Citoyens ; mais , quoiqu'attachés
à M. de Maillebois , nous croyons
remplir le plus saint des devoirs , en venant
le denoncer ; car le premier des devoirs est
celui qui nous attache à la Patrie.
"
39
Voici à - peu- près le plan que ce Général
avoit tracé. Il demandoit au Roi de Sardaigne
huit millions , autant au Roi d'Espagne
et au Roi de Naples . De plus , il proposoit
de faire un emprunt cautionné par
le Roi de Sardaigne . Ce Monarque étoit prié
de fournir une Armée de vingt- cinq mille
hommes , qui , partagée en trois divisions ,
devoit entrer dans le Dauphiné par Embrun ;
dans le Lyonnois , par la Savoie ; dans la Provence
, par Nice. Les mécontens de ces Provinces
devoient joindre cette Armée , et y
être engagés par des Adresses et un Manifeste
publiés par des hommes vendus à l'Aristocratie
. Ces Armées devoient se rendre
à Lyon , où l'on espéroit être favorisé par
les annoblis. Le Roi devoit être invité de
s'y rendre , et M. de Maillehois assuroit avoir
les moyens sûrs pour l'y faire conduire sans
danger. "
Les petits Princes d'Allemagne étoient
Gv
( 142 )
·
aussi engagés à entrer dans l'Alsace et dans
la Haute - Champagne , avec deux Armées
de dix à douze mille hommes , pour faire diversion.
>>
« Le Roi arrivé à Lyon , l'Armée combinée
s'avançoit vers Paris , et massacroit tout
ce qui s'opposoit à son passage. Aucune des
Municipalités qui auroient osé faire quelque
résistance , ne devoit être épargnée . Enfin
arrivée à Paris , cette Armée en formoit le
blocus , et menaçoit les habitans du pillage ,
de la famine et de la mort , s'ils refusoient
de se soumettre . »
"
"
« On assure que le Mémoire original de
ce projet , écrit en entier de la main de M.
de Maillebois , a été déposé au Comité des
Recherches . Le Secrétaire de ce Général
l'avoit soustrait , en laissant à sa place une
copie qu'il en avoit faite par son ordre. Il
étoit alors avec lui à Thury , château appartenant
à Madame de Cassini . Il étoit parti
pour venir à Paris , d'où il écrivit à M. de
Maillebois , qu'ayant trouvé de l'emploi , il
se retourneroit plus auprès de lui . Le Général
, étonné de cette détermination qu'il
n'avoit pas provoquée , se doutant qu'il pouvoit
être trahi , courut à son porte - feuille
et ne trouvant point la minute de son Projet,
demanda des chevaux , et partit sur- lechamp
. "
Les petits Princes Allemands subjuguant
l'Alsace et la Champagne , par
forme de diversion ; le Roi de Sardaigne
conquérant le Royaume avec 25 mille
hommes et 24 millions ; des légions de
mécontens passant sur le ventre de six à
sept cent mille Gardes Nationales , et ,
( 143 )
réunis au Roi de Sardaigne , attendant
Louis XVI à Lyon , Ville Aristocrate,
comme chacun sait ; les femmes et les
enfans éventrés sur la route ; toutes.
les Municipalités faites prisonnières de
guerre ; enfin Paris bloqué , pillé , affamé,
massacré , afin de rétablir la splendeur
de cette Capitale , et l'enivrer d'amour
pour les Vainqueurs ; tout cela ,
il faut en convenir , formoit un plan
vaste , judicieux , parfaitement conçu
dans toutes ses parties , et sur-tout d'une
facile exécution . Il n'appartenoit qu'à
un Homme de guerre aussi expérimenté
que M. de Maillebois de s'élever à cette
grandeur d'idées .
On ne sauroit douter de leur existence
, puisque les Journalistes l'affirment
; ils ont même nommé l'Aidede-
Camp de M. le Maréchal, de Broglio,
qui, sur les avances d'un Conseiller
au Parlement , avoit été porter le plan
à Turin . Par un mouvement d'équité
qu'il est bon de dénoncer aux vrais
Citoyens , ces Journalistes ont cependant
appris de M. le Comte d'Artois
qu'il s'étoit refusé à cette Contre- révolution
« Ce Prince , disent - ils , a ré-
<< pondu qu'il n'adopterõit jamais de plan
«< capable de porter le trouble dans le
<< Royaume , et d'affliger le Roi et la
Reine. Son intention étoit de vivre
<< tranquille auprès d'un Rói qui le traitoit
comme son fils , et de réaliser des
Gvj
( 144 )

<< économies pour satisfaire à ses enga-
<< gemens en France. »
Personne ne doutera que M. le Comte
d'Artois n'eût en effet adressé une réponse
semblable à l'écervelé qui auroit osé lui
communiquer un plan tel que celui que
nous venons de rapporter. Mais ce plan
a-t- il existé ? C'est ce que beaucoup de
gens nient formellement ; ils assurent
qu'au lieu de l'original , on n'a qu'une
copie de la main du Secrétaire-Déla
teur ; qu'à moins d'être fou , eût- il formé
un pareil Projet , M. de Maillebois
après l'exemple récent de M. Augeard,
ne pouvoit s'être confié à un Secrétaire ;
que le complot se réduit à des plans
Militaires dressés par le Feld- Maréchal
des Provinces- Unies ; qu'il devoit se
rendre à Breda dans huit jours , et que
la délation de son Secrétaire , dont les
exemples de MM. de Besenval , Augeard
, Favras et autres , lui avoient
appris à prévoir les conséquences , ont
accéléré son départ . Quoi qu'il en soit de
tous ces rapports qué nous parrons sans
en adopter aucun , cette affaire a beau
coup perdu de son éclat , et les Amateurs
craignent que cette nouvelle Contre-révolution
n'aille se perdre dans le gouffre
des dénonciations , découvertes , inquisitions
, suppositions de tout genre , dont
on entretient depuis un an le Public ,
qui commence à en être bien rassassié.
Les seules Contre - révolutions à
9.
1
( 145 )
craindre sont celles de l'opinion , de
l'expérience et de la raison , qui amènent
les ouvrages des hommes en jugement
définitif. Tout autre moyen de changement
séroit extravagant autant que criminel
; aussi n'entrera- t - il jamais dans la
tête d'un homme sensé.
>
Le projet de M. de Maillebois , ou tel autre
, eût- il existé son Auteur ne pourroit
devenir responsable aux lois , qu'autant que
ses pensées , confiées même au papier , l'auroient
été aussi à des complices , ou à des Aggens
de l'exécution . Les lois Angloises , qui définissent
le crine de haute- trahison , ont
sagement distingué l'intention de l'entreprise.
Ce fut au mépris de ces lois , et en particulier
du Statut d'Edouard III , que le célèbre
Algernon-Sidney fut traîné à l'echaffaud sous
Charles II. On le condamna principalement
sur des papiers trouvés chez lui , et où il décrioit
le Gouvernement Monarchique. Aussi ,
sous le règne de Guillaume III, le Parlement
fit biffer ce jugement inique , rétablit
la mémoire de Sidney , et redonna aux lois
une nouvelle vigueur.
Le Châtelet a absous et remis en
liberté Mademoiselle de Bissy, et MM.
de Livron , Douglas , Regnier , Comeyras
, autres prétendus Conspirateurs
, dénoncés et enfermés depuis le
mois de Novembre.
Le Modérateur, Journal digne de son
titre , ce qui est aujourd'hui en faire
le plus grand éloge , et où l'on trouve
ce qui se perd de jour en jour , de
( 146 )
l'esprit et de la raison , a rapporté dernièrement
une Anecdote remarquable .
" Un domestique âgé de trente ans , s'est
tiré , le 31 Mars , rue Saint - Méry , à cinq
heures du matin , un coup de pistolet. On
est accouru au bruit , et on a fait ouvrir la
porte sur laquelle étoit collé en gros caractere
le mot suicide. Le malheureux étoit
étendu sur le parquet , baigné dans son sang ,
et tenant encore dans sa main le fatal pistolet
, sur lequel étoit attaché un papier
où il avoit écrit : Quand on n'est rien , et
qu'on est sans espoir , la vie est un opprobre
et la mort un devoir. Un autre pistolet étoit
préparé avec une devise du même genre et
en vers de sa façon . Sur le mur de sa chambre
étoit écrit en gros caractère : Aujourd'hui
mon tour , demain le tien . On a trouvé sur
sa table deux cahiers , dont l'un contenoit des
pensées diverses et tout son testament de mort .
On voit dans le premier , que cet homme ,
imbu de tout ce que les Philosophes modernes
ont écrit de plus sérieux et de plus
profond , et n'ayant pas reçu par son éducation
la culture nécessaire pour s'occuper
de ce genre d'idées , les a assez mal combinées
pour s'en être rendu la victime. Il a
fait connoître qu'il détestoit son état , audessus
duquel il se croyoit par sa façon de
penser , et au- dessus duquel il étoit véritablement
, parce qu'à une sagesse très - rare ,
à une probité scrupuleuse , il joignoit une
très- grande délicatesse de sentimens , et un
goût si décidé pour la Littérature , qu'il
passoit des nuits entières à lire , à écrire , à
faire des vers. Il avoit l'attention d'acheter
la lumière qu'il employoit à ce travail , ne
( 147 )
se croyant pas permis de faire usage de celle
que ses Maîtres lui donnoient pour des mo
mens qui devoient être employés au sommeil.
Dans le cahier où est son testament de mort ,
il dit qu'il est fils naturel , et peint d'une
manière touchante les soins de la nourrice
que le hasard lui a fournie : il la regarde
comme sa véritable mère , et lui a envoyé
130 liv. sur ses épargnes . Il donne à la Patrie
100 liv. en Don Patriotique ; 48 liv. pour les
pauvres de la Paroisse ; 48 autres liv. pour
délivrer des malheureux détenus pour mois
de nourrice , et de quoi boire à ceux qui voudroient
bien confier son cadavre à la terre . Le
Commissaire a posé les scellés sur tous ses
effets , et sur son argent dont le montant
peut offrir 400 liv. "
Les nouveaux Maires parvenus à notre
connoissance , sont à Brive , en Limosin , M.
Salviat, Conseiller au grand Conseil ; à Sedan,
M. Baudin , Directeur des Postes ; à Vendôme
, M. Buscheron de Bois- Richard , Conseiller
au Bailliage; Tonnerre,M. Deschamps,
Président de l'Election , Député- Suppléant
à l'Assemblée Nationale ; le Mans , M. de
Foisy , Conseiller au Présidial ; Beaumontle
- Vicomte , M. Delelès , Lieutenant- particulier
au Siége Royal et Sénéchaussée de
cette ville ; Guise , M. de Viefville , anciën
Maire ; Montignaç - le - Comte , M. Pommerel ,
Prieur de Brenac : M. aurillon , Chevalier,
Seigneur de la Bermondie , a été le concurrent
de M. Pommerel ; il a même réuni 97
voix , sur 200. Ce témoignage de l'estine de
ses Concitoyens , doit le consoler des vexations
qu'il a éprouvées de la part de quelques intrigans
, graces aux menées desquels il a passé
( 148 )
deux mois en prison. Un Décret de l'Assemblée
Nationale , rendu en sa faveur le Jeudi
17 Septembre , est la réponse la plus péremptoire
aux calomnies de ses ennemis.
Après l'explication , assurément bien
modérée , que nous avons donnée dans
le No. 13, touchant notre premier rapport
sur l'élection de la Municipalité de
Marseille , nous aurions desiré épargner
à nos Lecteurs le dégoût de reporter
leurs yeux sur ce différend . On a contesté
avec outrage les faits que nous avions
annoncés ; il est juste de faire connoître
ces dénégations : nous n'en retranchons
pas une seule des invectives qui en font
Pornement. On nous a demandé , avec
des menaces réitérées , une rétractation ;
on nous en a présenté les motifs dans
quelques Imprimés publiés à Marseille :
nous transcrirons littéralement ces Imprimés.
La raison et l'équité publiques
prononceront entr'eux et nous. Quant
aux faits disputés , ce n'est pas notre
faute , comme on le verra , si nous ne
pouvons opposer à notre récit des témoignages
plus positifs : nous les avons
invoqués ; nous y aúrions donné la plus
grande notoriété , et , Narrateurs impartiaux
, nous ne chercherons pas même
à combattre les Imprimés qu'on va parcourir
, en publiant les Pièces contradictoires
qui sont en grand nombre entre
nos mains.
( 149 )`*
Extrait des Registres du District des Capucins,
de la Ville de Marseille.
N.2 :
Cejourd'hui 14 Mars 1790 , le District
des Capucins , No. 2 , s'est assemblé.
Un Membre , après avoir demandé la parole
à M. le Président , a dit :
"C
MESSIEURS ,
J'ai à vous dénoncer M. Mallet du Pan ,
Rédacteur de la partie politique du Mercure
de France , qui , dans son No. 10 ,
page 75 , a inséré l'article dont je vais avoir
l'honneur de vous faire lecture , et auquel
vous me permettrez de joindre quelques réflexions.
»
ཐ་
"
"
#
་་
"
"
" La sagesse des Electeurs d'un grand
nombre de Municipalités , dédommage les
vrais Citoyens des choix moins heureux
qui ont pu se faire en d'autres lieux . » .
་ ་ M. Martin a été élu Maire de Marseille
, et la pluralité des Electeurs de
cette Cité , dont les intérêts sont assez précieux
pour être confiés à des hommes res-
-ponsables , a cru devoir placer dans le
Corps Municipal plusieurs des Prisonniers
détenus à la Citadelle , et poursuivis juridiquement
pour crime de sédition , et
pour instigation de violences publiques . "
Le premier crime dont ce Libelliste gratifie
les Prisonniers élus aux charges Municipales
, c'est la non responsabilité. Aucun
d'eux , il est vrai , n'a jamais eu d'Intendant
à sa table , mais tous jouissent d'une fortune
honnête , ou exercent des professions honorables
qui leur procurent de quoi vivre décemment.
Ils jouissent en outre d'une bonne
réputation , et sont doués d'une grande pro
( 150 )
bité , qualité essentielle dans des Administrateurs
, à l'aide de laquelle ils ne tergiverseront
pas , lorsqu'ils seront requis de
produire les comptes. Leurs autres crimes
nous sont encore inconnus ; le Prévôt seul
et ses Agens les connoissent , et il faut qu'ils
soient bien chimériques , puisqu'il n'a pas
encore été possible à aucune puissance de
les faire paroitre au grand jour. Jusqu'à
ce que le Publie en soit instruit par la publicité
de la procédure , il sera loisible au
Prévôt et à ses adhérans de leur donner telle
qualification qu'ils jugeront leur être la plus
favorable. Ils sont , ajoute- t- il , poursuivis
juridiquement ; et nous , nous savons qu'ils
le sont despotiquement et tyranniquement ,
puisque toutes les regles de la justice et de
T'humanité ont été violées dans cette monstrueuse
procédure. »
"
« On a , dit-on , persuadé au Peuple qu'il
devoit écraser l'Aristocratie des Négocians ,
" et exclure les Commerçans et les Capita-
" listes de l'Administration d'une Ville de
« Commerce. »
་་
Vous n'avez pas eu besoin , Messieurs ,
qu'on travaillât à vous persuader d'exclure
de la nouvelle Administration , les Partisans
de l'ancienne ; le sentiment de vos malheurs
passes vous en faisoit une Loi impérieuse.
Mais vous n'avez pas hésité , au contraire ,
de choisir des persounes de mérite et de
probité , dans quelque classe qu'elles se trouvassent
, les Commerçans et les Capitalistes
n'ont point été exclus de vos Elections . M. le
Maire est Négociant , MM . les Officiers-
Municipaux et MM . les Notables sont presque
tous ou Negocians , ou Fabriquans , ou Capitalistes
; et si , dans leur nombre , il y a
(
( 151 )
quelques Artistes et quelques Gens de Lettres,
vous avez eu égard à leurs lumières et à
leur patriotisme. Ils ont d'ailleurs toutes
les qualités requises pour être éligibles . Le
seul crime des uns et des autres , c'est de
n'être pas partisans de l'ancien systeine , systême
oppressif. »
11
"
Elle la Ville ) a changé de face depuis
l'Election .
"
"}
Nous bénissons tous les jours le Seigneur
de cet heureux changement. M. le
Maire n'est point escorté par des Dragons ,
comme les Officiers de l'ancienne Municipalité
. Il n'entend sur son passage que les
Bénédictions que les honnêtes gens lui prodiguent.
Il n'a d'autre escorte que ses vertus.
MM. Jes Officiers Municipaux et MM. les
Notables , qui coopèrent si bien à ses vues
bienfaisantes et patriotiques , reçoivent les
mêmes témoignages d'estime , d'affection et
de reconnoissance dans toutes les occasions
qui se présentent. C'est véritablement là un
grand changement dans notre Ville , et nous
bénirons éternellement les Augustes Représentans
de la Nation à qui nous en sommes
redevables.."
48
L'inquiétude y a pris la place de la sé-
« curité. "
« Le règne des méchans n'est que passager
, celui de la vertu est seul permanent .
Il est donc passé , graces à Dieu , ce temps
où les méchans tyrannisoient impunément
le Peuple . Ils ont raison de le regretter. Le
départ des Triumvirs est d'un mauvais augure
pour eux . »
"
" Nombre de familles , à ce qu'on nous
mande , partent , ou se préparent à partir.
"
( 152 )
Sans doute ils partent , ou doivent se
préparer à partir , ceux qui ne vivoient que
des abus , et qui s'engraissoient de la substance
des Pauvres et des Misérables ; ceux
qui on lâchement calomnié la vertu et le
patriotisme dans une procédure infernale .
Comment pourroient- ils regarder en face les
'malheureuses victimes de leurs trames
odieuses dans la publicité qui va être donnée
à cette procédure , qui , comme le hibou ,
a constamment fui la lumière jusqu'à ce
jour ? comment pourroient- ils soutenir les
regards de tous les honnêtes gens que leurs
infâmes délations ont révoltés ? La Ville
ne se ressentira qu'en bien de leur émigration
. Elle ne sera plus vexée et spoliée par
les premiers , et le souffle empesté des derniers
n'infectera plus nos murs. Ils sont
déja partis les Sieurs Laget , Faucon et
Carbonel , les dignes coopérateurs de notre
grand Inquisiteur ; quelle perte pour la
Cité ! "
La Garde Nationale , dont les services
" avoient été aussi sages que louables , craignant
de se compromettre avec le Peuple
qui l'insultoit , a donné sa démission. "

"
"
Les services sages et louables que cette
Garde Nationale a rendus à la Ville nous
sont inconnus , à moins qu'on n'entende ceux
qu'elle arendus aux ennemis de la révolution
en prêtant main - forte lors de la capture
des Prisonniers . Il en est un cependant qu'elle
auroit pu nous rendre , et nous lui en autions
conservé une éternelle reconnoissance.
Elle auroit dû donner cette démission aussitôt
qu'elle vit qu'elle n'avoit pas le voeu
du Peuple ; le sang de nos Concitoyens n'au(
153 )
roit pas coulé à la Tourrette et à la Place
de Saint-Martin . ·
"
"
»
Les Poufs que les moteurs d'émeutes
avoient substitues à la Cocarde , ont re-
« paru , dominent, et seront l'enseigne de la
" nouvelle Milice . »
« Les méchans qui , jusqu'ici , n'avoient
péché que contre la vérité , péchent ici contre
la chronologie ; les Poufs ont précédé les
Cocardes au lieu de les suivre , puisqu'elles
n'ont eu lieu qu'au mois de Juillet après la
prise de la Bastille . Ils ont été le premier
signal de la liberté à Marseille , et si l'on
n'étoit pas parvenu à noircir auprès de l'ancien
Ministère cette institution patriotique ,
qui a donné l'exemple de la défense au reste
de la France , Marseille n'auroit pas à gémir
sur les malheurs dont elle est accablée
depuis huit mois . Plusieurs des Capitaines
de cette Milice , qui est celle qui a véri
blement rendu des services aussi sages que
louables , en purgeant la Ville , dans moins
d'un mois , de six cents brigands de toute Nation
, qui n'attendoient qu'un moment d'ef
fervescence pour se livrer au pillage ; plusieurs
de ces Capitaines , dis-je , que le
Libelliste qualifie généreusement de moteurs
d'émeutes , sont Membres de la nouvelle
Municipalité ; ils ont mérité la confiance
publique , et vous connoissiez particulièrement
, Messieurs , les qualités du
coeur et de l'esprit de M. Jean - François
Lieutaud dont notre District se glorifie .
"
"
On ajoute que le Peuple a formé trois
demandes , ni impôts , ni Troupes réglées ,
" et liberté des Prisonniers. "
3
" Point d'impôt , c'est -à- dire , sur le co(
154 )
mestible ; et il a raison , parce que , dans
ce systême d'imposition , le pauvre paie tout ,
et le riche presque rien , et toujours moins
que le pauvre. Point de Troupes réglées ,
parce qu'elles sont à charge à la Ville. Elles
lui sont en outre nuisibles . Les méchans s'en
prévalent encore . Les Bourgeois sont tous
les jours exposés à se compromettre . Il démande
encore la liberté des Prisonniers. Eh !
quel tort a-t- il encore 3 doit- il oublier ses
défenseurs ? Son crime seroit en cela semblable
à celui des Parisiens qui oublieroient
un instant les services de leurs braves Concitoyens
morts à la prise de la Bastille . »
Non , nous ne nous souillerons point de
cette indignité. Nous transmettrons à nos
neveux leur patriotisme et leur fortune ; et
si le nom de Bournissac figure dans nos fastes
à côté de celui des Erostrates Marseillois ,
le leur y figurera à côté de ceux de Libertat
et du Comte de Mirabeau. Mais en attendant
, seuls dans la France , seront- ils privés
du bien précieux de la libérté que nous
avons reconquise ? Dès qu'il n'existe plus
de Bastille à Paris , doit- il en exister ailleurs
? Il est une quatrième demande que
forme le Peuple , et qui a échappé au Libelliste
; c'est le retour des méchans dans la
bonne voie.
a
D
Voilà , Messieurs , le contenu de cet
article calomnieux et incendiaire. Les Prisonniers
à qui vous avez donné vos suffrages
avec connoissance de cause , sont calomniés
; toute votre Election est calomniée ;
les intérêts de la Comune sont confiés à
des personnes non responsables ; tout est
sans dessus dessous dans cette Ville ; les
"
( 155 )
bons Citoyens partent , les mauvais seuls
restent ; Marseille n'est plus une Ville habitable.
Que penseront de nous les Etrangers
? Quel Peuple voudra se lier d'affaires
et d'intérêt avec nous ? Vous sentez aussi
bien que moi les maux incalculables que
peut causer à notre Ville ce Libelle infame.
Je vous prie de vouloir bien prendre
mon exposé en considération , et l'annexer
à votre Procès- verbal . "}
Sur quoi , l'Assemblée pénétrée des mêmes
sentimens que l'Exposant , considérant que
les faits coarctés dans l'article dont il vient
d'être fait lecture , sont de toute fausseté
et que la publicité que cet ouvrage périodique
leur donne , pourroit causer le plus
grand préjudice à notre Commerce , et attirer
les plus grands malheurs aux Citoyens ,
si l'on ne se hâtoit pas de les démentir solennellement
, a unanimement délibéré de
dénoncer ce Libelle à la Commune , pour
qu'elle le dénonce , à son tour , à qui de
droit , et particulièrement à la Commune
de Paris et à ses Districts ; qu'elle poursuive
, et fasse poursuivre par toutes les voies
de droit que sa sagesse lui suggerera , le
Sieur Mallet du Pan et son Correspondant
qu'il sera contraint de nommer et qu'il
soit donné la plus grande publicité à la rétractation
qu'il sera tenu de faire ; et qu'extrait
de la présente Délibération sera incessamment
porté à la Commune pour y avoir
tel égard que de raison .
"
Il a été de plus délibéré unanimement ,
que l'exposé ci- dessus et la Délibération ;
seroient rendus publics par la voie de l'impression
aux dépens du District , et qu'un
( 156 )
exemplaire seroit envoyé à M. Mercier , Auteur
des Annales Patriotiques.
Rien de plus n'a été proposé ni délibéré.
Jean-Etienne RONZEL , Président ; AUBANEL,
Secrétaire.
On voit que tous les faits de notre narration
sont confirmés par cet Arrêté , qui
les interprête ; les Personnes instruites
des troubles de Marseille apprécieront
ces interprétations : notre devoir est seulement
d'en donner connoissance.
Marseille vengée des fausses imputations
renfermées dans le Mercure de
France , No. 10. A Marseille , chez
Mossy , père et fils.
« M. Mallet du Pan , Rédacteur de la partie
historique et politique du Mercure de
France , nous tient à peu-près ce langage dans
son No. 10 ( suit l'article ) .
"
"
Voilà , M. du Pan , un libelle diffamatoire
des mieux conditionnés ; meş Concitoyens
feront très - bien de s'abonner à votre
Mercure il est bon de connoître à fond votre
opinion sur notre Ville. "
"
Il faut , M. du . Pan , faire connoître à
l'Univers toute l'étendue de votre véracité
historique , pour que nos successeurs sachent
jusqu'à quel point ils peuvent ajouter foi
à vos fidèles narrations. Or , écoutez , mais
gardez votre philosophie pour vous-même ,
vous en aurez besoin.
"
D
Avant d'entrer en matière , il n'est pas
hors de propos de vous observer qu'un Journaliste
payé par une grande Ville pour l'ennuyer
d'un Mercure Aristocratique , court
grand
( 157 )
grand risque de se couper les vivres , lorsqu'il
se permet de mentir aussi impunément
sur son compte . Si vous aviez consulté vos
coopérateurs , ils vous auroient peut être fait
entendre que ce n'est pas tout d'être historien
, mais qu'il faut être vrai , et sur - tout
plus honnête envers ceux qui nous jettent du
foin.
n
Vous n'avez , sans doute , nulle connais
sance de la Ville dont vous parlez si lestement
dans votre Numéro 10 ; vous connoissez
encore moins le grand procès qui
existe entre tous les Français du règne des
Louis XVI et ceux du règne des Lettres- de-
Cachet ; eh bien ! M. du Pan , ce grand procès
est celui des bons et loyaux Marseillois
contre un Prevót - Général des Maréchaussées
, qui a fait revivre à Marseille les jours
les plus désastreux des Lettres - de - Cachet....
Mais vous le savez mieux que moi , petit Aristocrapoliticon
, et vous faites semblant de
ne pas savoir tout cela pour le plaisir de
mentir et calomnier ; cependant il y a assez
de papier barbouillé de part et d'autre ; la
tribune a retenti assez souvent de nos cris à
la Nation d'où sortez -vous done , mon trèsmalin
confrère , si vous ignorez tout cela ? »
" Vous ignorez absolument l'histoire de
cette Ville que vous calomniez à dire d'experts
; vous ne savez point ce qui a pu s'y
passer depuis le 23 Mars 1789 , jusqu'au Nº.
To de votre Mercure . Il seroit beaucoup trop
long de vous instruire comme vous en auriez
besoin ; il suffit de vous apprendre QU'IL EST
FAUX que les intérêts de la Cité ne soient
pas confiés à des hommes responsables , puisqu'il
est vrai que la Municipalité actuelle est
composée d'un Maire , négociant , choisi
No. 15. 10 Avril 1790. I
:
( 158 )
parmi les Echevins qui avoient été nommés
par l'anciene Administration ; de dix Officiers
Municipaux , négocians , deux desquels
étoient également Echevins de l'ancien régime
: des dix autres Officiers trois sont bourgeois , Municipaux ,
"
un de
Royale des Belles Lettres de cette Ville
trois sont fabricans , trois sont artistes , et un
Ecclésiastique , Comte de Saint- Victor , actuellement
Député à Paris avec notre premier
Notable , que tous ses collègues chargeront
sans doute , de vous remercier- Ah !
M. du Pan , que vous êtes heureux que je ne
sois pas un troisième Député ! j'aurois fait
lanterner votre Mercure comme criminel de
lèze-vérité ; tous ces Messieurs que je viens
de citer , sont pour la plupart grands propriétaires
, hommes de lettres , et tous parfaitement
honnêtes gens.
་་
20
Votre Mercure les a tous affligés , M.
du Pan , parce que nous avons , depuis 7 à 8
mois , le grand malheur d'être à 200 lieues
de la Capitale ; mais rassurez - vous , ils méprisent
assez les calomniateurs pour dédaignerde
vous attaquer au Châtelet en diffamation
;
ils se sont contentés de vous laisser à
P'opinion des Français ; et entre nous , collègue
, vous n'y gagnez pas. "
46

IL EST DONC FAUX qu'on ait exclu les
Négocians et les Capitalistes de l'Administration
, puisque l'ancien régime n'avoit que
trois Négocians et un Bourgeois à la tête
de la Commune , et que le choix unanime
et libre du Peuple a placé onze Négocians ,
trois Fabricans - Négocians et trois Bourgeois ,
parmi vingt -un Officiers Municipaux , suivant
la nouvelle organisation.
30
« IL EST FAUX que depuis cette élection
( 159 )
l'inquiétude ait pris la place de la sécurité ,
et que nombre de familles partent ou se préparent
à partir. Si quelques brigands qui ont
semé la discorde , le meurtre et l'épouvante
dans cette Ville , pendant tout le temps que
la contre-révolution y a eu lieu , sont disparus
, leur départ a produit l'effet absolu-.
ment contraire à celui que nous annonce
votre Dieu des Journaux .
"
"
IL EST FAUX que le simulacre de Garde-
Bourgeoise , composé de cent quatre-vingt
personues , dont l'Assemblée Nationale nous
a renvoyé la liste , ait donné sa démission ,
avant que notre Milice Nationale , composée
de douze mille bons Citoyens , pères de famille
, fût établie; mais il est vrai qu'elle a
planté là tous ses postes , un beau jour , parce
qu'elle comprit que la contre - révolution
n'existoit plus , et que les Troupes réglées
ne pouvoient pas tuer les Citoyens de toute
une Ville sans se compromettre.
«
19
IL EST FAUX que des moteurs d'émeutes
aient jamais substitué des poufs à des
Cocardes , et qu'ils en aient fait l'enseigne
d'une Milice. Il paroît , M. du Pan , que vous
ne savez pas mieux votre Code Militaire que
votre digeste de vérité , puisque vous substituez
un pouf à une Cocarde , et que vous
en faites ensuite les enseignes d'une Armée.
Il est vrai que le 23 Mars 1789 , la brillante
jeunesse de Marseille se réunit pour chasser
les brigands , qui pilloient et dévastoient la
Ville ; qu'elle n'avoit pour marque distinetive.
que Ja Cocarde aux trois couleurs et
une aigrette en plumes dans son chapeau ;
et que la Milice Nationale n'a pris d'autre
distinction que celle qu'avoit honorée cette
Jeunesse courageuse
. "
Hij
( 160 )
& Voilà , M. du Pan , cette histoire de
pouf dont vous êtes l'historien inintelligible ;
vous concevez que tout cela n'est pas aussi
effrayant que voudroit nous le faire accroire
votre Dieu , No. 10 : mais ce n'est pas tout
encore . "
" Votre Mercure ment pour la 100,000e
fois , en nous apprenant les demandes du_
Peuple ; ni impót , ni troupes réglées , et la
liberté des prisoniers .
})
« IL EST FAUX que le Peuple se soit refusé
à l'impót ; la contribution provisoire a
été payée exactement par le People ; mais
il est vrai que beaucoup de ces grands propriétaires
, dont la plupart sont nés de la lie
du peuple , et possedent cependant des fortunes
brillantes , ont refusé net de payer la
contribution . Et comme ils étoient étayés
par un Prévôt , 4000 hommes de Troupes
réglées et 180 Officiers sans soldats , suivis
d'un grand nombre de cavaliers de Maréchaussée
, il n'est pas étonnant que cette partie
du peuple ait profité d'un instant de puissance
arbitraire pour dénier l'impôt . Si c'est
comme cela que vous l'entendez , nous sommes
d'accord , mon confrère . Mais avouez
qu'une telle manoeuvre met bien une Municipalité
dans le cas de demander que ces gensà
n'aient pas de Troupes à leur solde ; car
cette Aristocratie des Négocians finiroit par
anéantir l'Assemblée Nationale , si elle étoit
égale dans toutes les Villes de commerce.
Quant à la demande des prisonniers , ah !
M. du Pan , quoique votre article calomniateur
ait infiniment plus mérité le sort de nos
Citoyens-prisonniers , que l'article Patriotique
qui leur a valu les décrets du Prévôt , je suis
trop humain pour vous souhaiter leur place
pendant six mois ; mais , si jamais votre ma(
161 )
nière de narrer vous occasionnoit cette infortune
, souvenez vous alors que je vous
ai dit , dans mon N° . 6 , que la demande des
prisonniers par le Peuple , est l'acte d'humanité
et de justice qui l'honore le plus .
J'espère , M. du Pan , que la sagesse de notre
élection vous dédommagera du choix moins
heureux que celui que vous auriez pu faire
pour remplir cette page de votre Journal .
Je vous envoie cette petite éponge pour tâcher
de l'effacer , s'il est possible , aux yeux
de la Capitale ; heureusement elle ne lit jamais
assez pour parvenir jusqu'à cet article
du Mercure .
"
:
33
Au surplus , c'est sans rancune , mon
confrere si je me livre à toute votre Aristocratie
mercurielle , c'est à charge de revanche
; je suis bon joueur. Vous pouvez
broyer du noir; mais tâchez toujours d'être
bien instruit , avant que de vous immiscer à
instruire le genre humain . Bon soir, mon ami.
On ne peut écrire avec plus de grace ,
d'esprit et de netteté que l'Auteur de cet
Imprimé : il a paru d'abord dans les Annales
patriotiques de Marseille , Journal
qui fait trembler les Puissances voisines
, et les contient ; on l'a ensuite réimprimé
séparément sous le titre de Mar
seille vengée ( 1) .
( 1) Par un Arrêté du 13 Mars , un autre
District de Marseille , N° . 8 , apres avoir
décidé que la Chambre de Commerce devoit
rendre ses comptes depuis dix ans , et qu'il
étoit nécessaire de réunir la Caisse de cette
Chambre à la Commune , declare le Rédacteur
du Mercure Serpent d'Aristocratie , Au-
Il iij
( 162 )
Nous avons rempli notre devoir envers
la partie des Citoyens de Marseille
qui nous ont brûlé , décrété , dénoncé ,
en publiant leurs défenses ; nous devons
maintenant nous acquitter de la même
tâche envers nous - même , et nous le ferons
en transcrivant les deux Lettres
suivantes que nous avons adressées ,
l'une à MM. les Députés de Marseille ,
l'autre à un Chef éminent de la Municipalité
de Paris. Le Public y verra
en quoi consiste maintenant la liberté
d'écrire , et ce que deviendra la liberté
publique , tant que les Lois n'en auront
pas exactement limité l'exercice et déterminé
la responsabilité.
Copie d'une Lettre du Rédacteur à MM. les
Députés de Marseille.
" J'ai reçu hier , à cinq heures , un billet
teur de sarcasmes criminels , Folliculaire incendiaire
digne de la haine de tous les Marseillois
; arrête au surplus de supplier MM.
les Députés de la Ville à l'Assemblée , et
M. le Comte de Mirabeau , Protecteur de leur
chère patrie , de demander que le Mercu e
soit lacéré par la main du bourreau , et mis
au feu ; et que le Redactenr ait à se rétracter
à la face de l'Univers.
Ceux qui seroient curieux de lire cet Arrêté
en entier peuvent recourir au Patriote
François par J. P. Brissot de Warville ,
Membre du Comité des Recherches de Paris ,
intrépide défenseur de la liberté de la Presse ,.
comme de l'utilité des délations , et qui' a
recueilli dans sa Feuille la dénonciation dont
nous venons de rendre la substance .
( 163 )
de MM. les Députés de Marseille ; et sans
m'arrêter , pour le moment , aux expressions
de cette note , j'en désabuserai les Auteurs ,
qui se seroient trompés en me considérant
comme un de ces Folliculaires faisant commerce
d'impostures , et avec lesquels il suffit
de prendre un langage élevé.
"
Je ne m'intimide d'aucune poursuite
légale ; en tout temps , j'ai été prêt à rendre
compte aux Tribunaux de mes actions et
de mes écrits : je les invoquerois à mon
tour pour demander vengeance des atroces
calomnies qu'on s'est permises à Marseille
contre moi , et je le ferai pour l'intérêt de
Ja Liberté légitime de la presse , comme pour
le mien. »
Mais comme je ne veux avoir à me reprocher
aucune trace d'obstination à soutenir
des erreurs dont on m'auroit fait connoître
la réalité ; comme je ne me refuse
jamais à avouer mes torts , parce que mon
intention est toujours droite ; enfin , comme
en tout ce démêlé je veux paroître irréprochable
jusqu'au bout , je donnerai à Messieurs
les Députés de Marseille la seule
marque de déférence qui soit au pouvoir
d'un homme qui se respecte et qui respecte
la vérité.
"
>>
On n'auroit eu besoin , certainement ,
ni de menaces , ni d'instances pour me faire
rétracter des faussetés : j'aurois pu être trompé
, mon devoir eût été de le dire , et je
l'eusse fait avec empressement ; mais il m'est
impossible de concevoir même la nature de
la rétractation qu'exigent MM. les Députés
de Marseille. Voici celle à laquelle jeme préterai
tout de suite sans la moindre difféuhé.
J'ai dit que plusieurs des nouveaux
Membres de la Municipalité , étoient pri-
"
( 164 ) |
"
sonniers ou décrétés : j'en ai la Liste , elle
a été imprimée dans le Journal de Provence
et dans plusieurs autres Feuilles publiques.
Si MM . les Députés me prouvent que ce fait
est faux, ou si , seulement , ils veuleut m'autori
er à le nier sur leur parole , je le ferai.
J'ai dit qu'il y avoit eu des émeutes à
Marseille l'année dernière , et que les , Auteurs
de ces émeutes avoient pris des Poufs.
Si le contraire m'est démontré , ou si MM.
les Députés me l'affirment , je l'annoncerai
avec force . »
10
"
J'ai dit que la nouvelle Milice Nationale
avoit également pris ces Poufs. Il y a
eu le 10 , une Ordonnance de la Commune
à tous les Gardes Nationaux de porter cette
distinction ; elle a été affichée et proclamér.
Cependant , si c'est encore là une erreur ,
l'autorisation de MM . les Députés me suffira
pour la désavouer .
" Je ne pense pas qu'ils demandent une
nouvelle explication à l'égard de M. Martin ,
après celle que j'ai donnée dans le dernier
Mercure , et dont il me paroît qu'ils n'ont
aucune connoissance . "
Je persiste à penser que des hommes ,
prisonniers ou decretés pour accusations crininelles
, ne sont ni éligibles , ni responsables
jusqu'après leur Jugement. L'Âssemblée
Nationale l'a pensé de même ; et , ne
l'eût- elle point pensé , aucune Loi de l'Etat
ne m'interdit cette opinion , fondée sur
l'usage de tous les Pays , et sur la simple
raison . Personne ne me forcera jamais d'ab
jurer une opinion , tant que subsistera la
Déclaration des droits de l'idomme , et je n'ai
pas besoin de cette Declaration pour persister
dans cette honorable fermete. »
( 165 )
Je n'imagine point qu'on entende m'inoulper
d'avoir dit ce que je n'ai point dit ;
savoir , que la Municipalité de Marseille
n'étoit pas composée d'hommes responsables.
J'ai parlé des seuls prisonniers : les autres
me sout inconnus , et je suis prêt , s'il restoit
le moindre doute , à caractériser cette
di. tinction . »
« Si MM. les Députés de Marseille avoient
été instruits que dix Feuilles publiques ont
annoncé avant moi , les mêmes faits , et
beaucoup d'autres ( Feuilles que j'ai et que
je produirai ) ; que ces faits ont été répétés
en cinquante Lettres que je produirai , et
qui passent pour être de notoriété publique ,
ils verroient qu'il y a loin de répéter une
erreur accréditée , à calomnier gratuitement.
"
S'ils connoissoient et mon caractère et
mes opinions indignement calomniés par des
scélérats que je rougirois de réfuter , et la
réserve avec laquelle j'ai écrit constamment
au milieu de toutes les passions qui agitent
la France , et mon empressement habituel
à réparer mes erreurs , sans distinction quelconque
de partis , ni d'opinions ; si enfin , ils
avoient pris la peine de lire attentivement
l'explication que j'ai publiée dans le dernier
Mercure , avec des ménagemens dont les
excès qu'on s'est permis contre ma réputation
me dispensoient , ils auroient peut - être
rendu plus de justice à un homme , qui ne
craint point celle des Tribunaux . »
MALLET DU PAN .
Paris , ce 31 Mars 1790.
Copie de la Lettre du Rédacteur à M. *****
Paris , le 1 Avril 1790.
MONSIEUR ,
M. Panckouke vient de me communiquer
( 166 )
44
"
une Lettre de votre part , concernant les
plaintes d'un District de Marseille . Si je
pouvois espérer quelque justice dans cette
Ville , je l'invoquerois contre les calomniateurs
incendiaires qui m'yont brulé et diffamé ;
et je croirois servir la liberté , l'ordre public
et les droits de la vérité encore plus
que les miens. Vous verrez , Monsieur , par
les pièces que je joins à cette Lettre , et
dont je vous prie instamment de faire lecture
, à quel point on a tenté de surprendre
votre justice , et une preuve de l'esprit de
modération et de candeur qui constamment
a dicté ma rédaction . Les excès qu'on s'est
permis contre moi me dispensoient de tous
ménagemens vous reconnoîtrez ceux que
j'ai conservés dans l'article imprimé que je
prends la liberté de vous soumettre : il a été
inséré dans le dernier Mercure , immédiatement
après que j'ai été informé des plaintes
de Marseille : il me paroît que vous n'en
avez pas connoissance. J'y ai rendu à M.
Martin l'hommage qu'il mérite , et j'ai détruit
l'interprétation insidieuse qu'on a donnée
à mon rapport de son élection .
་་ être
Tous les autres faits ont passé pour
de notoriété publique : on m'en a offert toutes
les preuves légales . Dix mille témoins , m'assure-
t -on , pourroient les certifier . J'offre
- néanmoins à MM . les Députés de Marseille ,
de les démentir , s'ils veulent souscrire à
ce que je le fasse sur leur autorité nominative
, ou de publier les preuves de la fausseté..
of
"
Il me semble , Monsieur , que ce n'est
pas là la conduite d'un calomniateur , comme
il plait à Messieurs de Marseille de me
qualifier. Si , en écrivant des faits notoires ,
( 167 )
et en offrant d'imprimer ensuite la preuve
de leur altération , dès qu'elle lui sera démontrée
, un Historien peut encourir des
reproches , il faut renoncer à écrire : si , au
lieu de répondre à la loi seule de ses actions
et de ses ouvrages , on est appelé à
en répondre à toutes les passions humaines ,
et à chaque autorité qui voudra s'en rendre
le juge , il faut aller vivre à Constantinople.
Que deviendroit donc ce bienfait de la liberté
de la presse , si chacun pouvoit la
rendre inutile , en étouffant des vérités authentiques
par des Arrêtés calomnieux , et ,
des dénonciations irrégulières ?
"
Puisque l'occasion se présente , j'ose
dire , Monsieur , avec la fierté d'un honnête
homme , que dans ces jours malheureux
nul Ecrivain n'a porté aussi loin que moi
l'amour de la justice , de la paix , de la
seule liberté compatible avec l'ordre social
et les égards les plus scrupuleux pour la
vérité. Qui que ce soit ne peut s'élever , et
dire qu'il m'a montré une erreur , et que
j'ai refusé de la désavouer ; et c'est précisément
cette sévérité de principes , qui depuis
le mois de Septembre dernier , me met
en butte à toutes les fureurs. J'ai gémi
pendant cinq ans sous la censure des Ministres
; mais jamais ces rigueurs , qui plus
d'une fois ont menacé ma liberte , n'approchèrent
de la tyrannie qu'exerce aujourd'hui
l'esprit de Parti. On veut tout se permettre
et ne rien tolérer ; on aime beaucoup la
liberté pour soi , mais en opprimant celle
'd'autrui ; au milieu de nos chaînes brisées ,
on retrouve par- tout l'esprit de servitude
pour qui la liberté n'est qu'instrument de malfaisance.
Je frémis , non pour moi , on m'a
Dieu merci habitué à tous les dangers , mais
( 168 )
pour la chose publique , de me voir chaque,
jour dénoncé , dénaturé , diffamé , tandis
que les feuilles les plus criminelies restent
impunies. Il est permais , à leur exemple , de
précher le regicide ; il ne l'est pas de déploter
des meurtres et des incendies. Il est
permis de calomnier les Députés de la Nation
, les Ministres les plus irréprochables ,
et vous - même , Monsieur ; il ne l'est pas
de relever la moindre faute du moindre
Corps armé de quelque pui sance. J'aurois
déchiré sans risque la Famille Royale et imprimé
des listes de proscription ; mais c'est un
delit de croire , que jusqu'après leurjugement,
des hommes poursuivis criminellement , prisonniers
ou décrétés , ne sont pas éligibles
à l'administration de la premiere ville commerçante
du Royaume . Dat veniam corvis.
19
" Pardonnez - moi de déposer dans votre sein
ce témoignage de mon amertume , d'invoquer
votre intégrité et votre jugement ,
enfin de vous rendre arbitre de mes plaintes.
Je serois surpris de n'avoir pas quelques
droits à votre estime ; et c'est dans cette
confiance , que j'ai l'honneur d'être avee
respect.
MALLET DU PAN.
Vendredi dernier , M. le Prince de
Conti est arrivé de Francfortenson Hôtel
rue de Grenelle. Il est allé rendre ses devoire
à LL. MM. , et s'est ensuite présenté
à son District , où il a renouvelé le Serment
Civique , qu'il avoit déja prêté
épistolairement depuis Francfort. Ce
Prince a donné 2,000 liv. aux Pauvres
de son District , et a reçu les visites des
Poissardes.
( Nous sommes encore forcés de renvoyer
à huit jours plusieurs articles arriérés. )
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 17 AVRIL 1790.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'INS OM NIE.
C'EN eft fait , je fens bien qu'il faut que j'y re- સી
nonce.
"
Depuis une heure en vain dans mes draps je m'enfonce
,
Sans pouvoir reffaifir le fommeil qui m'a fui.
Hé bien, ne dormous plus ; mais prévenons l'ennar,
Oui , de sette Infomnie il faut que je profite .
Rimons à ce plaifir auffi bien tout m'invite. :
Je fuis fort à mon aife , & dans un bon moment ,
Dans cet état de calme & de recueillement ,
Où le vers , heureux fruit d'une fertile veine ,
Se conçoit nettement & s'arrange fans peine.
N°, 16. 17 Avril 1799.
98
MERCURE
Tout dort autour de moi , tout dort..... juſques au
vent .
Je n'entends rien , finon l'horloge du couvent ,
Qui , fans troubler la paix de ces douces demeures,
Retentit dans nos bois ... Elle fonne... trois heures!
Déjà ? de tout l'hiver je n'avois tant dormi :
Car je n'ai fi fouvent repofé qu'à demi !
La Nature aujourd'hui doit être fatisfaite :
Quatre heures ! c'eft affez, c'eſt trop pour un Poëte.
Rimons donc jufqu'au jour. Je n'aurai pas beſoin
D'aller chercher, je penfe, un Apollon bien loin.
J'ai ce bon La Fontaine , ici , dans mon alcove.
Contre les importuns , c'eft-là que je me fauve,
Sous la protection j'aime à paſſer la nuit ;
Et fon portrait charmant , fi-tôt que le jour luit ,
Eft le premier objet que me montre l'Aurore. "
Mon oeil en ce moment ne le voit pas encore ;
Mais je fais qu'il eft là tout prêt à fe montrer ;
Je le touche , & cela fuffit pour m'inſpirer .
Ton nom , cher La Fontaine , oui , ton nom fêt
m'enflamme ;
Dis-moi donc ; car il faut que je t'ouvre mon ame :
Mon Maître ! mon ami ! ... te ferois-tu douté
De ce haut rang d'honneur où te voilà monté ?
Jamais , de ton vivant , tu ne l'euffes pu croire :
Tu ferois le premier étonné de ta gloire.
Et Racine ! & Boileau ! couple de Beaux- Efprits ,
S'ils revenoient au monde , ô qu'ils feroient ſurpris,
En voyant de quel nom la Poftérité nomme
Celui que, de leur temps, ils appeloient Bonhomme !
DE FRANCE.
99
Le Bonhomme peut-être a fu vous ſurpaſſer ,
Meffieurs.... Non que je veuille ici vous rabaiſſer :
De vos fots détracteurs je ne fuis point complice ;
Et crois , ô Defpréaux ! que je te rends jukice.
Le bon goût n'eut jama's défenfeur plus zélé :
Jamais en fi bons vers la raifon n'a parlé.
Tu me vois profterné devant ton Athalie ,
Divin Racine ! Eh bien, pardon, je vous fupplic ;
L'un & l'autre , à mes yeux, vous êtes trop parfaits :
Votre perfection ne m'infpira jamais
Ce touchant intérêt , ce charme inexprimable
Que j'éprouve toujours en lifant une Fable...
Celle des deux Pigeons , du Meânier & fon fils ,
Le Chêne & le Rofeau , Garo , les Deux Amis ,
Sur-tout les Animaux malades dela pefte...
Je finirois , je crois, par nommer tout le refte.
Sévigné... j'aime fort cette comparaiſon ,
L'aimable Sévigné compare , avec raiſon ,
Tout le Recueil avec un panier de cerifes :
Les plus belles d'abord font les premières priſes;
Pais de moindres , & puis enfin on mange tout.
On a cité ce mot plein d'efprit & de goût ,
Dans une Pièce ... Eh mais , Pièce , où , par pareathèſe
,
Notre bon La Fontaine auroit été bien aiſe
De fe retrouver peint , mais peint au naturel.
La Fable auroit fuffi pour le rendre immortel :
Mais je ferois fâché qu'il n'eût pas fait tel Conte...
Carje les ai lus tous ; & , je le dis fans honte,
E 2
MERCURE
Je les lis fans malice,, ainfi qu'il les a faits,
Ses Contes cependant ne font pas fi parfaits ;
Mais on y lit tel vers qui vaut feul un Poëme.
Tenez : Je voudrois bien déchauffer ce quej'aime
Ou bien ; l'Oifeau n'est plus , vous en avez diné ;
L'effai des dons d'amour à Conftance donné
Parfon Amant , pourquoi ? quiconque aime le die,
Ma foi , l'on donneroit toute une Comédie ,
Pour avoir fait cela ; mais il ne l'a point fait.
Il ne les faifoit point , fes vers , il les trouvoit :
D'eux-mêmes ils venoient fe ranger fous fa plume ,
Il en auroit rempli de la forte un volume ,
Sans jamais foupçonner de quel prix ils étoient
Aufli les donnoit-il pour ce qu'ils lui coutoient.
Mais la Poftérité qui met tout à ſa place ,
Mieux que lui de fes vers fent le prix & la grace
Et relevant celui qui s'étoit abaiffé ,
Voit... C'est à quoi peut-être il n'eût jamais penfé,
Voit , dis-je , en ce naïf & charmant Fabuliſte ,
Un Philofophe , un Sage , un profond Moralifte .
C'eft que notre Poute a tous les tons , dui , teus ; -
Car qui fait mieux que lui paffer du grave au doux?
C'eft qu'il eft tour à tour naïf , tendre , fublime,
Avec quelle vigueur fon Payfan s'exprime ! :
Eh mais , s'il entendoit un éloge pareil &
Il diroit que j'abufe un peu de fon fomincil,
Bon La Fontaine, hélas ! pardon; c'eft que je t'aime
C'eft que je fuis tout fier de cette amitié même
Par cela feul , vois- tu , je crois valoir un peų.
Le nom de ton ami , j'en fais ici l'aveu ,
DE FRANCE. 101
Èft pour moi le plus doux & le plus beau des titres;
Oui... mais déjà le jour perce à travers les vitres ;
Et mon appartement , par degrés éclairé ,
Laiffe voir ton image : ô moment défiré !
C'est toi ; voilà tes traits , voilà ton doux fourire
Je te vois , il fuffit ; je n'ai plus rien à dire :
Auffi bien, je ferois trop hardi , j'en conviens ,
De haſarder mes vers , quand j'ai cité les tiens.
Par M. Collin d'Harleville . )
COUPLE T S
A une Demoifelle de feize ans , qui a
l'habitude d'enchanter tous ceux qui l'entendent
jouer du Piano- Forté.
Air La foi que vous m'avez promife.
TANDIS qu'Euterpe , à fa manière ,
Amufe au Ciel les Immortels ,
Avec le même Art , fur la Terre ,
Vous favez charmer les Mortels.
Ces fons fi doux feroient defcendre
Vers vous les Habitans des Cieux ,
Et le plaifir de vous entendre
Nous fait croire au féjour des Dieux
E3
102 MERCURE
"
Je regardois comme un délire
Ce que l'Hiftoire raconteit
Des prodiges qu'avec fa lyre
Orphée autrefois enfantoit .
Vous m'avez rendu plus traitable
Pour les faits de l'Antiquité :
Ce qui me fembloit une fable ,
Par vous devient réalité.
A tous les attraits du bel âge
A fes fugitifs agrémens ,
Vous préférez , en efprit fage ,
La culture des vrais talens.
Du temps , les meurtrières armes
Détruifent les fleurs du Printemps.
Les talens font toujours des charmes ,
Et vous aurez toujours feize ans.
( Par M. l'Abbé C..... )
DE FRANCE. 103
SUR la Contribution patriotique.
LESEs grands travaux que l'Affemblée Nationale
a faits pour la régénération du Royaume , ne
peuvent acquérir une bafe folide que par la confolidation
de la dette Nationale : elle eft la pierre
de touche de toutes les opérations . Il faut enfin
tirer le Public de cette cruelle anxiété qui le
tourmente , & on ne le peut que par des moyens
prompts & efficaces. Il n'eft plus queftion de
plâtrer d'anciens défordres ; il faut un ordre de
chofes qui rappelle la confiance , ranime le commerce
, rende de l'énergie , de la vigueur à toutes
les parties du Corps politique. Tous les moyens
partiels font infuffifans. Une réunion d'effort,
de vûes , de moyens & de combinaiſons devient
néceffaire pour calmer les efprits , les raffurer
même pour l'avenir. L'Etat ne doit plus fe trouyer
dans cette gêne qui fans ceffe l'a obligé à
des fecours extraordinaires , & qui a épuilé le
crédit & la confiance .
Les revenus fixes peuvent être aifément mis de
niveau avec les dépenfes fixes. Déjà l'Impôt défaftreux
de la Gabelle fe trouve remplacé en partie.
Les économies , les réductions de penfions , la
fuppreflion des anticipations , des intérêts de cautionnemens
, des fonds d'avance couvriront , &
beaucoup au delà , l'ancien déficit de 56 millions.
Les craintes que l'on a cues à cet égard n'ont donc
aucun fondement.
La Contribution patriotique exactement remplie
, pourroit feule fauver l'Etzt ; car de quoi
peut - il être queftion dans ce moment- ci 2 De
E
4
104 MERCURE
que
fournir des fonds au Tréfor Royal pour fire face
aux befoins extraorainaires de cette année ,
le premier Miniftre des Finances fait monter à
deux cent quatre-vingt- quatorze millions , & dont
près de cent millions font déjà aſſurés ( 1).
La Contribution patriotique , décrétée comme
elle vient de l'être , doit couvrir ce vide confidérable
& fournir même au delà . La France compte
vingt - cinq millions d'habitans. Le cinquantième
ou cinq cents mille habitans font en état de fatisfaire
à cette contribution ; en les mettant l'un
dans l'autre à cent piftoles , cela fait une fomme
de cinq cents millions : & ce n'est pas fans doute
exagérer que
de porter la Contribution à ce taux }
car fi parmi ces cinq cents mille perfonnes , il y
en a qui ne peuvent donner que deux , trois ,
quatre cents fv . , un très- grand nombre donnera
au deffus de mille liv. Il y a même tel grand
Seigneur ou riche Particulier du Royaume qui a
déjà contribué pour cent, deux cents , trois cents
& même jusqu'à cinq cents mille liv . ; ainfi ces
Contribuables repréfentent cent à cinq cents per
fonnes à mille liv. Je fais même que des Corporations
& Communautés de la Capitale , qui ne
font compofées que de trois cents perfonnes , ont
déjà reçu des foumiflions pour cinquante mille
liv. , & ces foumiffions re font point complètes ,
à beaucoup près , plufieurs perfonnes de ces Corporations
ayant porté leur argent aux Bureaux
généraux de la Capitale , établis pour la perception
de la Contribution patriotique ; de forte
que ces Corporations n'ont reça que celles d'une
partie des Membres qui les compofent.
(1 ) En Caiffe , 10 millions ; à recevoir de la Caille
d'Efcompte . 28 millions ; réduction des dépenfes pour
dix mois , 30 millions ; vingtième du Clergé , 9 millions ;
fur les Receveurs généraux , 1 millions ; en tout 92
millions .
DE FRANCE. ICK
,
W
Quand on porte à cinq cents millions la Contribution
patriotique , on n'exagère del
les reffources à cet égard ; on ne te fa
lufion . C'eſt une fomme réelle fur laqu vlé
berté peut fe repofer en füreté ; nas com
n'y a que le tiers de cette fomme q4 doive e
verfé cette année au Tréfor National , &
tiers ne couvre point , à beaucoup près , is
extraordinaires , qui font cependant les belo as egens
, ceux de l'inftant , ne feroit - il pas digne
d'une grande Nation comme la nôtre de redeubler
de zèle dans ce moment- ci , & de faite en
ane feule fois , au mois de Juillet prochain
tant en argent qu'en billets , les payemens qui ne
doivent avoir lieu qu'en 1791 & 1792 Une telle
conduite n'attireroit- elle pas fur nous les regards
de l'Europe attentive à tout ce qui fe pafle en
France , & qui tient réellement du prodige ? Ne
feroit-ce pas un nouvel hommage une nouvelle
preuve de notre amour pour tout ce qu'a fair
I'Affemblée Nationale ? La Nation reçoit delle
les plus grands bienfaits ; la Nation ne lui doit- elle
pas les plus généreux facrifices ? Une Contribution
patriotique n'étant pas un impôt , mais un hom→
mage que chacun de nous rend à la Patrie , à la
Liberté , ne laiflons point refroidir notre zèle à
cet égard . A quoi tient le bonheur de toute la
France ? à la reftauration complète des Finances ;
à couvrir les befoins extraordinaires de 1790 ; à
mettre la Caifle d'Efcompte en état de retirer
le trop grand nombre de billers en circulations
de payer ce qui reftera à Bureau ouvert : car
les recettes & les dépenfes fixes font à peu près
balancées , ou du moins le pourront être trèsinceffamment
, quand les Départemens für- tout
feront formés . Laifferons-nous donc le Tréfoc
public dans une cruelle incertitude ? Laifferonsnous
une partie de nos frères dans la détreffe
Es
306 MERCURE
quand nous pouvons les fauver & fauver l'Etat ,
fans même ajouter aux facrifices que nous fommes
dans la réfolutien de faire ? car je ne prétends
point qu'on paye comptant les trois années de la
Contribution , patriotique ; mais je demande que
chacun de ceex qui doivent la payer , l'acquit
tent en une feule fois , un tiers en argent , & les
deux autres tiers en leurs billets au porteur (1 ) ,
payables en Juillet 1791 & 1792. On mettroit
en tête de chacun de ces billets , fecond payement ,
troifième payement de la Contribution patriotique.
Ces billets feroient , pour ainfi dire , des engagemens
d'honneur , auxquels il me paroît impof
fible que l'on puifie manquer. Ils feroient , pour
chacun de ceux qui les auroient fignés , une dette
facrée , en laquelle le Public auroit d'autant plus
de confiance , que par les Décrers de l'Affemblée"
Nationale , les fücceffions même répondent de ces
obligations.
Ces billets au porteur feroient donc des valeurs
actives de la plus grande folidité , dont le
Tréfor Royal feroit auffi garant pour la portion
qu'il feroit dans le cas de négocier , ou de don
ner en payement. Avec ces furetés , il n'eft point
de Capitaliftes qui ne préférât ces valeurs à
toutes autres . Tous les billets fur les Provinces ,
comme Lyon , Rouen , Bordeaux , &c. pourroient
actuellement fe convertir en argent , parce qu'on
ne paye qu'avec de l'argent dans les Provinces
( 1 ) Les Citoyens qui , pour des raifons particulières , ne
voudroient point donner leurs billets au porteur , fournis .
roient leurs foumiffims féparées pour 1791 & 1792. Ces
foumiffions feroient remifes aux Municipalités , & le Tréfor
public fourniroit des affignats pour le montant de ces
foumi.fions , en les garantiffant. Ce qu'il importe dans.
ce moment - ci , c'eft que la Contribution: fort complitement
follée , & que la Nation puiffe regarder les billets
au porteur & is foumiffions comme un actif réel dont
on puiffe s'aider.
DE FRANCE. 107
e les billets de la Caifle d'Efcompte n'ont
point de cours. Les Agens de change & les
Courtiers feroient avec la plus grande facilité la
négociation de tous les billets que chaque Négociant
ou Commerçant auroit fournis , d'autant.
plus qu'il y a beaucoup de villes où les Capi
taliftes préfèrent même les biliets à longs tories.
La male de ces billets feroit remife à chaque
Municipalité , qui en feroit l'envoi à la Calfa
Nationale.
Le Tréfor public pourroit fe fervir d'une
partie de ces billers pour les befoins extraordi
naires de cette année ; l'autre feroit remife à la
Caifle d'Efcompte , en acquit des cent foixaure,
& dix millions que lui doit la Nation . Cerc
Caffe trouveroit dans l'inftant à les convertik
en argent , en ne lui donnant fur- toet que les
billets fur la Province , & en réfervant les billets
fur Paris , pour payer les Créanciers d . la Capi
tale. Par cette opération , la Caffe d'Efcompte
recevant des Provinces de l'argent pour les billets
qu'elle y feroit négocier , le trouveroit en étar
dès le premier Juillet prochain , de payer à Bareau
ouvert le refte de fes billets en circulation ,
& l'on verroit alors reparoître le numéraire ; &
les intérêts de la Calle d'Efcompte n'étant plas
liés avec ceux du Tréfor public , cet établifement
continueroit d'être de la plus grande utilicé
au Commerce , comine il l'a été dès fon origine .
Le moyen que je viens de propofr eft fimple.
Sous quelque point de vue qu'on l'envifage ,
ne peut avoir d'inconvéniens , & il préfente les
plus grands avantages : 1º . en foldant en unz
foule fois la Contribution patriotique on
affure la rentrée , & le Gouvernement fait paldie
vement furquoi compter : on él igne tom de
detreffe pour l'avenir ; 2. on couvre les before
E 6.
108 MERCURE
extraordinaires de cette année ; 3 ° . on fe met en
état de remplacer en partie , & peut-être en tota
lité , les cent foixante & dix millions que la Nation
doit à la Caiffe d'Efcompte ; 4 ° . on a des valeurs
dont la converfion en argent , ou le placement à
une partie des Créanciers de l'Etat font faciles ;
5. par la liquidation de la Caiffe d'Efcompte en
effets , qu'elle peut réaliſer en écus , on fait fur
le champ reparoître le numéraire ; 68. on eft für
de placer plus fùrement les affignats fur les Domaines
& les biens du Clergé, parce que les revenus
fixes & les dépenfes fixes pouvant être balancés
très- inceffamment , les befoins extraordinaires étant
afurés , la Caifle d'Efcompte étant liquidée ,
le Public convaincu que la reftauration des Finances
eft complète , où le fera très - inceffamment ,
aura la plus grande confiance dans ces affignats ,
dont le produit alors ne fera employé qu'à
amortir la dette de l'Etat.
La demande des billets au porteur pour les
deux derniers tiers de la Contribution patriotique,
n'exige point , comme je l'ai déjà dit , de nouveaux
facrifices de la part des Contribuables.
Toute perfonne de bonne foi qui paye fon tiers
en argent , pourroit-elle avoir de la répugnance
à donner fes valeurs pour les deux autres tiers ?
Il faut d'ailleurs que chacun fache que la foumiffion
que l'on donne pour les deux derniers
payemens , eft tout auffi obligatoire que ces premiers.
Mais ce qui eft indifférent pour le Contribuable
, ne l'eft pas pour la chofe publique :
des billets au porteur font un actif très- réel dont
l'Etat peut fe fervir ; & fi , comme l'a dit un
des Membres de l'Affemblée » La Conftitution
» peut feule ordonner la Finance , la Finance
» peut feule achever la Conftitution « . Volons
donc au fecours de la Patrie , qui dans ce moment
appelle fes enfans autour d'elle ; faifonsDE
FRANCE. 100
Iui l'hommage en une feule fois du quart de nos
revenus & de notre indufirie : par cette noble
action, nous redonnons dans l'inftant de l'activité
au commerce ; tout ce qui languit reprend la
vie & de l'énergie ; la nouvelle Conftitution s'établic
fur une bafe inébranlable ; & , ce qui julqu'à
préfent paroît encore comme un rêve aux
yeux des Nations , acquiert une telle confiflance ,
que tous les efforts réunis des paffions , des intérêts
particuliers deviennent impuiflans ; & la
France aura l'avantage d'avoir réalifé la première
le plan le plus hardi , le plus étonnant , le plus
vafte qu'ait jamais embraffé l'efprit humain pour
la régénération entière d'un des plus grands Empires
de l'Europe .
Le plan que je propofe , & que plufieurs per
fonnes me prefloient de rendre public , vient
d'être réalifé à Rouen . Un digne & généreux
Citoyen mande à M. Gaftinel , Banquier à Paris ,
rue Dauphine , dans une Lettre en date du 1 Avril ,
ce qui fuit :
20
I
" Il y a déjà long-temps , & depuis le Décret
» de la Contribution du quart , que je dis & que
j'écris qu'il faut demander aux Contribuables
» les deux derniers payemens de la Contribution
» patriotique en leurs billets payables dans Paris
» ou dans le Chef- lieu de leurs Diftrias.
» Les Capitaliftes fourniront de l'argent ; nos
» Courtiers m'ont affuré qu'ils donneront des
» écus pour sous les billets de notre ville .
30
» Et comme, tant que je le peux , mes principes
& mes actions marchent d'accord , je fus
hier payer ma Contribution patriotique . J'offris
» en payement trois traites , une à vue , & deux
» à époques ; cela parur faire héfiter les fubal-
» ternes ; mais M. Ribard , Commiffaire de la
Municipalité , préfent , s'étant recueilli un inf
50
110 MERCURE
» tant , me dit en m'embraffant : Ah ! mon ami ,
» fi tout le monde faifoit comme vous , la France-
» feroit fauvée ; c'eft un trait de lumière ; il n'eft
pas poflible que l'idée n'en foit pas venne à
l'Affemblée Nationale. Il en eft encore
ל כ
~ —
temps , lui répondis-je ; je fuis toujours flatté
d'en avoir donné l'exemple. Quel porte-
» feuille , me dit-il , & quelle reffource immenfe
» pour les Capitaliftes craintifs , de pouvoir prendre
le papier que l'honneur & le patriotifme
» ont fait créer à d'honnêtes Citoyens « !
Cette Lettre me rappelle que plufieurs Citoyens
de la Capitale ont aufli offert en don à la Patrie
leurs billets à époques fixes , mais dont les termes
ont été très-rapprochés . On peut s'en affurer à la
Caiffe des Dons patriotiques.
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eft Corbillard ; celui
de l'Enigme cft Liberté ; celui du Logogriphe
eft Mercure , où l'on trouve Mère.
2
CHARADE.
Mox fecond , cher Lecteur , fe met fur mos
premier ;
Si tu veux t'élever , monte fur mon entier .
( Par un Abonné. 】
DE FRANCE.
ÉNIG ME.
Avec le monde je ſuis née ; VEC
C'eft, je crois , dater d'affez loin :
J'étois un fentiment , je deviens un beſoin
Alors fauvage , abandonnée ,
Triftement jé courois les bois.
On fait auffi que je fus autrefois
Une Divinité fêtée ;
Mais cela ne pouvoit durer ;
On fut contraint de m'adorer ;
Aufli je fus bientôt quittée :
Je quitrai mes autels défeits ,
Je repris les attraits d'une fimple Mortelle ,
Et je parcourus l'Univers .
J'étois encore jeune & belle ;
Des Héros furent mes Amans .
En Angleterre on m'offrit un afile ;
En France j'étois inutile ;
De complimens on m'accabla ,
Et doucement on m'exila
En me chantant, un Vaudeville.
En Espagne on me confola ;
On m'accueillit , on me brûla.
Je vieillifois & je fus oubliée ;
J'avois époufé des Tyrans ;
Je fus bientôt répudiée :
Je cacheis loin du monde & ma honte & mest ans
11 : MERCURE
Et ma divinité flétrie ,
Lorfque de la raifon j'entends l'auguſte voix ;
Elle parloit au nom de la Patrie ;
A fes enfans elle donnoit des Loix.
Bientôt de mes Amans je fus environnée
On détruifit mon horrible cachot ,
Et je fuis à préfent l'Enigme devinéc
Dont chacun répète le mot.
( Par M. de V... ) '.
LOGO GRIPHE
JE fais , ami Le &teur , touchant & tapageur ;
Je fers à l'Artifan auffi bien qu'au Seigneur;
J'ai la tête très- dure & ne peux rien apprendre ,
Et cependant par fois l'on peut fort bien m'entendre.
Sept pieds forment mon être ; en les décomposant ,
Tu me devineras , je crois , facilement.
D'abord tu trouveras ce que , pour l'ordinaire ,
Forme un mal - honnête homme , un traître , un téméraire
5
Un animal rongeur ; un quatrième élément ;
Ce qui dans un bateau fe trouve fréquemment ;
Ce qu'à fon Régiment porte le Militaire ,
Chofe utile pour lui , même fort néceſſaire ;
Deux notes de mufique ; & pour tous dire enfin ,
Ce que nous avons tous & qui n'a pas de fin .
Je ne puis , cher Lecteur , t'en dire davantage ,
Ce feroit peu prudent , & je veux être fage.
Par M. d'Epineuil. )
DE FRANCE.
113
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MEMOIRES du Maréchal de Richelieu
Pair de France , premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , &c. , &c. , & c.
Pour fervir à l'Hiftoire des Cours de
Louis XIV , de la Régence du Duc
d'Orléans , de Louis XV, & à celle des
quatorze premières années du règne de
Louis XVI , Roi des François & Ref
taurateur de la Liberté. Ouvrage compofé
dans la Bibliothèque, &fous les yeux
du Maréchal de Richelieu , d'après les
porte feuilles, correfpondances & manuf
crits de plufieurs Minifires Militaires, fes
contemporains. 4 Vol. in- 8 ° . A Paris ,
chez Buiffon , Libr. rue Haute-feuille.
PREMIER
EXTRAIT .
C'EST un de ces Livres à qui l'empreffement
public affure un débit rapide &
prompt. Ici le fuccès du Libraire devance
celui de l'Auteur ; & la curiofité cherche
à fe fatisfaire avant que le goût ait be114
MERCURE
foin de prononcer fur le mérite de l'Ouvrage.
C'est ce qu'on éprouve en lifant
les Mémoires du Maréchal de Richelieu.
La fingularité de fon caractère & de fa
deftinée ; fes fuccès en différens genres ,
fon courage , l'agrément de fon efprit , l'éclat
de fes galanteries dans un temps où
cette forte de célébrité conduiroit quelquefois
à des fuccès d'une efpèce plus impor
tante ; la réputation que lui donna dès fa
jeuneffe fa haifon avec le Poëte le plus
célèbre de fon fiècle qui le chanta fur tous
les tons ; fes Amballades , fa conduite à
Fontenoi , à Gênes , la prife de Minorque ,
la capitulation de Clofter- Sewern , la longue
vie d'un homme qui a vu Louis XIV &
le Dauphin fils de Louis XVI , c'eſt -à- dire ,
une fucceffion de fept Rois ou Princes
héréditaires, fes trois mariages fous trois
différens règnes ; la faveur , & quelquesfois
la familiarité de Louis XV , le rôle
qu'il joua dans les affaires publiques &
privées , & étrangères & intérieures , dans
les négociations & dans les intrigues ,
fes places , fes emplois , la moiffon de
faits curieux , d'anecdotes intéreflantes ,
que promettoient fes liaiſons & fes correfpondances
avec un grand nombre d'hommes
célèbres voilà ce qui auroit fait rechercher
les Mémoires du Maréchal de
Richelieu , indépendamment des circonftances
actuelles . Mais on fent combien
ces circonstances ajoutent d'intérêt à leur
DE FRANCE. 115
lecture , par les idées que font naître des
changemens furvenus comme tout à coup
dans les opinions & dans les moeurs ; contrafte
toujours frappant , qui donne lieu à
des réflexions de plus d'un genre.
Parmi les fingularités que préfente le
caractère du Maréchal de Richelieu , on
peut compter pour une des plus remarquables
la franchife hardie de fe confeller
au Public & à la Poftérité ; ce font
fes propres expreffions. Il a lui- même voulu
que le Rédacteur de fes Mémoires parlat
de lui avec fincérité , & qu'il ufât de
la liberté qu'on fe permettroit à Londres
cent ans après les événemens. C'eſt ainfi
qu'il en efe lui-même; car , à l'exemple de
tous ceux qui publient leurs confeffions ,
il fait en même temps celle des autres
fur-tout celle des femmes , dont il a confervé
très exactement les lettres & les billets
, quelques uns mêmes fans les ouvrit.
C'eft un plaifir qu'il réfervoit à fon Hiftorien
, trait de caractère qui , de plus , repréfente
affez bien les moeurs de la jeu
neffe au temps où ces billets furent écrits.
Autre bizarrerie non moins étrange. Les
Mémoires de Richelieu fe trouvent écrits fur
les maximes les plus contraires au defpotifine.
Il eft probable que le Maréchal, déjà
très-vieux , après avoir choifi fon Hiftorien,
fans s'informer de fes opinions politiques ;
après lui avoir ouvert fa Bibliothèque ,
116 MERCURE .
après avoir donné ordre à fon Secrétaire de
lui communiquer tous fes Porte- feuilles &
fes Manufcrits , fe contenta d'entendre les
premiers Chapitres de fon Hiftoire ; que
l'âge ayant enfuite affoibli fa raiſon , &
ne, lui laiffant vers la fin que des intervalles
lucides, le Rédacteur , délivré de toute
furveillance , & entièrement à ſon aiſe ,
s'eft cru le droit d'écrire felon fes principes
particuliers , plutôt que d'après ceux
du Maréchal , quoiqu'il le faffe parler à
la première perfonne , conformément à l'intention
de M. de R. Nous ne chercherons
point à cet égard des éclairciffemens qui
ne peuvent être donnés que par des perfonnes
inftruites de ces détails , & intéreffées
à les publier . Le Public veut des
faits , des anecdotes , de l'amufement , de
l'inftruction. Il en trouve dans ces Mémoires
rédigés à la hâte , & trop négligemment
écrits. Il lui importe peu de favoir
comment ils lui viennent . Il pardonnera
même au Rédacteur de faire parler le Maréchal
de Richelieu comme M. Turgot
quelquefois même comme Algernon Sydmey.
C'eft au moins une inconvenance',
un défaut de goût . Notandi funt tibi mores.
Venons à l'Ouvrage même.

Le Maréchal de Richelieu , nommé d'abord
le Duc de Fronfac , ne fut jamais le
jour de fa naiffance , mais il fut ondoyé
à Verfailles le 13 Mars 1696. Sa mère
le mit au monde , après cinq mois de
DE FRANCE. 117
groffeffe feulement. Il lutta quelque temps
contre la mort , & fut enveloppé & conférvé
dans une boîte de coton . Il fut
préfenté à la Cour en 1710 , & traité
avec une bonté remarquable par Louis XIV ,
qui aimoit , comme de raiſon , le nom de
Richelieu . Madame de Maintenon , qui avoit
d'anciennes haifons avec toute fa famille ,
l'appeloit fon cher fils . Les graces de fon
âge & de fa perfonne , la vivacité de fon
elprit , quelques faillies heureufes , des réponfes
hardies , le firent bien vite diftinguer
, & le mirent à la mode dans une
Cour qui fe fouvenoit d'avoir été galante .
f
Le jeune Duc de Fronfac égaya les triftes
plaifirs que la dévotion du Monarque y
permettoit. Bientôt de bonnes raifons engagèrent
fa famille à le marier. On parloit
des préférences marquées que lui donnoit
Madame la Ducheffe de Bourgogne. Ces
enfantillages , comme on les appeloir à
la Cour , furent mal interprétés , & la
jolie créatures, l'aimable poupée , c'eſt ainſi
qu'on nommoit le Duc de Fronfac , fut
mife à la Baftille ; on y avoit fous ce règne
été mis pour moins. Il fait de cette
prifon une peinture qu'il croyoit effrayante ;
mais depuis fa mort, nous
vens mieux eu,
& l'intérieur de la Baftille eft plus connu,
J'eus, dit-il , tout le temps de maudire les fervices
que mon grand- oncle avoit rendus au
defpotifme ; réflexion qu'il eut lieu de renouveler
dans la fuite , puifqu'il y fue mis
trois fois.
·
118
MERCURE
Il eût été à défirer , pour le bonheur
des peuples , qu'il s'en fût fouvenu dans
fes Gouvernemens pour s'y interdire l'ufage
de's Lettres de cachet & des Actes arbitraires ;
mais trop d'hommes ont maudi les abus de
l'autorité jufqu'au moment qui les en a rendus
les dépofitaires , & leur a donné les
moyens d'en abufer à leur tour.
Áprès une affez longue détention , on
lui envoya à la Baftille , fa femme , fille
du Marquis de Noailles, nièce du Cardinal.
Elle fut reçue avec la vénération due à
l'Envoyée du plus grand Roi du monde ;
mais elle retourna à la Cour comme elle
en étoit fortie. Louis XIV vouloit régner
fur les fentimens de fes fujets , comme il
s'efforçoit de régner fur leurs opinions ;
& le féjour du Duc de Fronfac à la Baftille
fe trouva prolongé. Mais enfin il obtint
fa délivrance ; grace aux cris des femmes
de Paris & de la Cour , fur- tout ,
dit- il , de celles qui favoient par expérience
quel devoit être dans ma prifon
mon plus grand fupplice.
Il partit de la Baftille pour aller à l'armée
de Flandre , où le Maréchal de Villars
le prit pour fon Aide-de camp. On
fent combien le jeune Duc de Fronfac fut
agréable au Général , dont il a reproduit
plus d'une fois les manières libres & hardies
, la vivacité brillante , & une certaine
audace fanfaronne. M. de R..... raconte
un trait qui montre combien ce Général
DE FRANCE. 119
favoit, malgré fon âge , fe prêter aux goûts ,
de la jeuneffe Françoife . Il y avoit dans
Marchiennes, qu'il affiégeoit, une Italienne
d'une beauté rare & célèbre. Le Maréchal
jugea cette. conquête digne d'exciter l'émulation
des affiégeans , & de redoubler le
zèle de fes Aides-de- camp & des jeunes
Colonels pour le fervice du Roi c'eft
en effet à quoi il réuffit. Cette idée du
Maréchal de Villars pouvoit effaroucher la
dévotion d'une vieille Cour où l'on fe
faifoit une peine d'employer Catinat
parce qu'il oublioit quelquefois la Meffe.
Mais Villars courut le rifque de déplaire ;
le falut de l'Etat paffe avant tour . Au
furplus , Marchiennes fut prife , fans qu'il
arrivât d'accident à la belle Italienne qui
s'étoit fauvée la veille . Ce fut un grand
chagrin chez les vainqueurs. On connoît
tous les fuccès de cette campagne qui
fauvoit l'Etat ; mais il eft remarquable
que la Cour fut quelque temps fans en
vouloir fentir l'importance ; tous les récits
qui venoient de l'armée s'appeloient
des forfanteries de Villars. C'est ce dont
le Duc de Fronfac fut témoin , car ce fut
lui qui fut chargé de porter ces agréables
nouvelles à Fontainebleau. C'étoit
reparoître à la Cour d'une manière brillante.
Depuis fa fortie de la Baftille , il n'avoit
point eu l'honneur de voir le Roi
& de le remercier fuivant l'ufage ; il fe
montroit devant lui , après avoir réparé
120 MERCURE
quelques fautes de jeuneffe par une belle
conduite à l'armée , bleffé & le bras en
écharpe. Il raconte qu'en préfence du Roi
fon refpect fur mêlé d'une terreur involontaire
, & que toutes les horreurs de
la Baftille lui revinient à l'efprit . Le Roi
ayant entendu le récit des détails de
la campagne , lui dit d'un air fatisfait : La
conduite que vous avez tenue efface la
honte de la Lettre de cachet que j'ai fignée
contre vous . Comportez-vous bien ,
car je vous crois deftiné à de grandes
chofes . Le Maréchal avoue que ce mot
lui infpira de l'ambition , le releva beaucoup
à fes propres yeux , & lui donna une plus
haute idée de lui-même . Tel étoit l'afcendant
que Louis XIV exerçoit fur tout ce
qui approchoit fa perfonne ; & on fair
que cette influence s'étendoit beaucoup
plus loin .
Le jeune Duc retourna à l'armée ; il raconte
la fuite des événemens juſqu'à le
fignature du Traité de Raftadt; & revenant
fur ce qui s'étoit paffé à Gertruydemberg ,
il -affuré que de toutes les humiliations
que le Roi y reçut , une de celles qu'il
reffentit le plus douloureufement , ce fut
la publication d'un Mémoire , que les ennemis
répandirent en France avec profufion
. Dans ce Mémoire , les Alliés invitoient
les François à demander leurs anciens Etats-
Généraux. Ils difoient que l'orgueil & l'ambition
DE * 421 FRANCE
bitton du Roi étoient les feules caufes des
guerres de fon règne ( en quoi certes ils
avoient railon ) ; & que pour s'allurer d'une
paix durable , il falloit ne point pofer les
armes que les Etats -Généraux ne fuflent
affembles. Croiroit- on que , malgré l'emprifonnement
, l'exil , la fuire ou les fupplices
de deux millions de François , ce
Mémoire ne fit prefque aucune efpèce d'ef
fet en France ? Cependant le Roi en concut
un vrai chagrin & prit foin d'y faire
répondre. C'eft cette réporfe qu'il faut
lire. On y trouve des raifons qu'on a répétées
de nos jours , quelques - unes qui ont
été réfutées , quelques autres que le mépris
laiffées fans réponfe ; enfin , il y en a
qui n'ont pas même ofé fe reproduire. L'ou-,
bli , quelquefois même le dédain des
gens en place pour l'ebfervation de ces
nuances qui marquent fi bien la différence
des diverfes époques, eft une des grandes
caufes de leurs fautes & de leurs méprifes.
Les Mémoires de M. de R ...... condennent
plufieurs de ces pièces vraiment
curieufes. On peut citer , entre autres , une
lettre du Maréchal de Villars au P. de
la Chaife , écrite des Cévennes , cù le Maréchal
, alors fi néceffaire en,Allemagne ,
faifoit la guerre aux Camifards & à M.
Cavalier. On s'étonne , & c'est bien le
moins , de voir un Général célèbre, faiſant
fa cour à un Jéfuite par le détail militaige
de fes exploits , où les roues & les gibets
Nº. 16, 17 Avril 1790. F
$22
MERCURE
ne font pas oubliés . Il falloit fe mettre en
règle & avoir pour foi la Compagnie de
Jéfus qui étoit celle du Maître. Au Roi
la lifte des converfions , au Confeffeur
celle des fupplices . Rien de micux conçu ;
& tout étoit en règle fous ce règne fi
vanté. Obfervons fur ces complaifances de
Villars pour le la art des ménagemens ha Chaife , que cet
alors
bonne conduite , & tenoit à une fcience
long- temps fort refpectée , connue fous le
nom de fcience du Courtifan. Elle baiffe un
peu , mais les Rois n'y perdent pas autant
qu'on voudroit le leur perfuader..
Le Rédacteur des Mémoires de R .....
confacre quelques Chapitres à peindre l'intérieur
de la Cour , dans les quinze
ou vingt dernières années de ce règue.
Les Mémoires de Saint - Simon , récem
mentpubliés , du moins par extraits, avoient
déjà fait connoître cet intérieur. Ceux de
R, ajoutent plufieurs traits à cette peinture.
A la vérité , ce ne font que des Anecdotes
, mais elles font fouvent liées à de
grands évènemens , à de grands intérêts ,
à des noms célèbres ou impefans. C'eſt en
vain que la Philofophie femble dédaigner
les détails anecdotiques , ou du moins réclame
contre le plait qu'elle trouve à
s'y arrêter. Un intérêt involontaire nous
attache malgré nous à ces contraftes de
la grandeur des chofes & de la petiteffe
des perfonnes , du bonheur apparent &
DE FRANCE. 123
du malheur réel. Tant de moyens de
gloire véritable réduits en vanités de
Cour , tant de fources de vrais plaifirs
ne produifant que des amuſemens futiles
& quelquefois des amertumes douloureufes :
voilà les idées qui , plus puiffantes , quoi
qu'on en dife , que cette malignité humaine
fi fouvent rebatrue , ramènent les
regards fur les foibleffes des Cours . Le
Philofophe & l'homme du Peuple trouvent
prefque également à penfer , du
moins à fentir , en voyant un Dauphin
de France , âgé de 40 ans , honoré de
quelques fuccès à la guerre ; élève de Boffuet
& de Montauzier , né avec d'heureufes
difpofitions , mais un caractère foible
conduit par degrés & retenu dans une forte
d'anéantidement à la Cour ; un fils du Roi
de France , père d'un Roi d'Eſpagne ,
n'ofant prétendre à la plus petite grace
pour lui ni pour les autres ; & déccuragé
par le févère defpotifme du Roi , paf
fant des journées entières , appuyé fur les
coudes , fe bouchant les oreilles , les yeux
fixés fur une table nue , ou aflis fur une
chaife , frappant fes pieds du bout d'une
canne pendant toute une après dînée ; enfin
mourant à Meudon , prefque oublié
de la Cour , abandonné de fes Officiers ,
enfeveli même fous le cérémonial de fon
rang , & recouvert après fa mort du poêle
banal qui fervoit aux Payfans du village .
En lifant le Rédacteur des Mémoires de
Fa
224
MERCURE
t
B...., ce n'eft pas Tacite qu'on lit ; mais
les yeux s'arrêtent fréquemment fur des
perfonnages & fur des objets qui femblent
appeler fes pinceaux . Un vieux Souverain
Couvert long- temps d'une gloire ménfongère
, maintenant éclipfée , payée des Lirmes
& du fang de fes peuples, trifte, languiffant
entre fa Favorite & fon Confeffeur , qui
I applaudiffent d'expier les égaremens de fa
jeunelle en tourmentant la confcience de fes
Sujets : environné de les enfans naturels ,
qui font de lui le jouet de leurs intrigues
& l'inftrument de leur ambition ; halffant
prefque dans fon fils légitime fon héritier
néceffaire ; aimant trop peu fon petit - fils
dans lequel il ne voit qu'un élève de Fénélon
, un Prince qui penfe que les Rois
font faits pour les Peuples , & non les Peuples
pour les Rois , cfpèce de blafpheme
alors , déteftant fa Capitale , qui feint d'ignorer
une grande maladie de fon Roi ,
tandis qu'elle a regardé celle du Dauphin
comme une calamité publique ; accablé
d'ennuis dans une Cour où l'on amufe fon
orgueil par des fuppofitions abfurdes , par
la réception d'un prétendu Ambaffadeur de
Perfe , aventurier Portugais , payé par les
Jéfuites pour jouer cette comédie , & inftruit
par eux pour fe charger du rôle : les mêmes
Honneurs de l'Ambaffade publique accordés
au Général des Minianes , à celui
des Capucins arrivés de Rome fous prétexte
de vifiter leur Ordre , mais en effet mandés
DE FRANCE.
127
:
par la Favorite , pour occuper le défoeuvrement
du Roi ; enfin , la mort du Defpore
livré pendant trois jours aux foins de quetques
domeftiques fubalternes , abandonné
de fon Confeffeur , qui vient intriguer à
Paris pour la régence , de fa femme qui
s'enfuir à Saint Cyr , & qu'il rappelle d'autorité
la Capitale célébrant fa joie par des
fêtes , des fanfares , des bals établis de Paris
jufqu'au lieu de la fépulture , où le convoi
arrive à travers champs , & par des routes
inconnues , pour échapper à l'indignation
d'un Peuple qui mêle à des applaudiffemens
d'alegreffe , le nom de mauvais Roi.
Mauvais Roi quel mot dans la bouche
d'un Peuple fi connu par fon amour pour
fes Monarques , fi preffé de les aimer , pour
me fervir d'un mot cité par le Maréchal de
Richelieu lui- même ! Qu'on ne s'étonne plus
ff Louis XIV n'a point confervé , dans le
langage ordinaire , le nom le nom de Grand
que lui donna la flatterie de fes principaux
Sujets & qui parut prefque
adopté par l'Europe un moment féduite.
Le Peuple a protefté contre l'adulation de
la Cour , le Peuple , c'eft- à - dire , le fond
de la Nation fi malheureufe fous ce règne ,
a triomphé des Panégyriftes , des Orateurs ,
des Poëtes , de tous les difpenfatcurs de la
gloire ; lui feul difpofe des furnoms donnés
aux Rois ; lui feul fait leur renommée
après leur mort , comme il fait leur puiffance
pendant leur vie. Il eft vrai qu'en
>
F3
126
MERCURE
parlant d'un de fes Rois les plus aimés , il
ne dit pas Henri le Grand; mais il di , le
bon Henri . En préférant fa, bonté, à ta
gloire , il croit lui donner & lui dor
en effet davantage.
L'Hiftorien de M. de Richelieu , ayant
trouvé dans la Bibliothèque du Maréchal
un grand nombre de Manufcrits précieux ,
& de Pièces originales fur le fiècle de
' Louis XIV , a cédé à la tentation de confidérer
ce Prince comme Roi. Il examine
fongouvernement dans le plus beau temps de
fa glire , & alors cette gloire paroît un peu
trep achetée. Ici Hiftoire , il faut l'avouer ,
reflemble en quelque forte à la fatire . Mais
les faits étant inconteftables , comme ils le
font , que peuvent répondre les panégyriftes
de Louis XIV Qu'oppoſeront - ils à cette
longue lifte d'impôts , de vexations , de
violence , à ce tableau d'infortunes publiques
& particulières ? Il feroit trop long
d'expofer comment ce Prince , ayant réuni
dans fa perfonne tous les pouvoirs publics ,
fit pefer à la fois tour fon defpotifme fur
tous les corps de l'Etat , & fur tous les particuliers
, divifant les uns , ifolant les autres ,
dominant fur tous par la force , par la rufe ,
par la corruption . Il feroit curieux d'obferver
comment , malgré emploi habituel
de ces moyens odieux, il parvint à inf
pirer à fes Sujets une forte d'enthoufiafine
pour fa perfonne ; & à faire de fa gloire
particulière , la principale penfée , & en
quelque forte la fin dernière de tout ce qui
DE FRANCE. 127
fe fit ou même s'écrivit fous fon règne.
On fait qu'il étoit devenu une espèce de
divinité. On lit parmi cent traits qui en
préfentent la preuve , on lit dans une Lettre
de Racine , écrite à Madame de Maintenou
, ces propres termes : Dieu m'a fait
la grace , Madame , en quelque compagnie
que je me fois trouvé , de ne jamais rougir
de 1 Evangile ni du Roi, Enfin , fidée que
Louis XIV conçut de lui- même , parut plus
d'une fois s'accorder avec celle de fes Sujets .
Il lui arriva de dire un jour au Cardinal ,
dont il approuvoit la conduite , dans une
de ces querelles théologiques ( ces tracafferies
s'appeloient alors les troubles de
T'Eglife ) M. le Cardinal , j'ignore fi Dieu
vous tiendra compte de la conduite que
vous avez tenue ; mais quant à moi , je
vous affure que je ne l'oublierai jamais.
On ne peut s'empêcher d'admirer la fatalité
qui préfide aux deftinées des Nations ,
en voyant la réunion de circonftances antérieures
, ou contemporaines , qui préparèrent
& fervirent le defpotifme de ce Prince ;
l'affemblage de fes qualités & de fes défauts
, de les goûts , de les habitudes , de
fes penchans affertis comme à deffein &
mis en accord pour le conduire à ce terme
fatal. La longueur de ce règne , pendant
lequel s'affermitent & s'enracinèrent
tous les préjugés politiques , nuifible à la
Société , où toutes les inftitutions , tous les
établiffemens portèrent l'empreinte d'une
F4
128. MERCURE
"
fervitude plus ou moins ornée , plus ou
moins embellie , où l'esclavage public , rehauffe
par l'éclat du Souverain , fembloit
s'énorgueillir de jour en jour à mesure qu'il
devenoit un culte religieux , & préludoit,
à l'apothéole du Monarque ; enfin , le réfultat
de cette illufion affoiblie , mais non
détruite , qui vers les derniers temps laiffois
Louis XIV avec fon orgueil & fes chagrins
1 France avec les difgraces , fa mifère &
fon avilillement , livrée à des Arts agréables
ou à des goûts futiles , fans connoiffances
fur les principes de la Société ni dù
Gouvernement , fur les moyens de réparer
fas maux & d'en prévenir la renaiffance ;
en un mot , abandonnée à tous les hafards
d'un avenir incertain , & aux caprices d'un
defpotifme qu'elle avoit déifié foixante ans
dans la perfonne du Prince , qui en avoit
le plus long- temps & le plus conftainment
abufé .
1
Le Rédacteur des Mémoires a très -bien
fenti que tette peinture du fiècle de Louis
XIV , quoiqu'appuyée de fairs , révol
teroit les partifans du fyftême defpotique ;
qu'ils vanteroient le bonheur de la France ,
au moins dans l'époque des fuccès du Roi ,
n'imputant qu'aux malheurs de la guerre de
la fucceffion , les défaftres qui accablèrent
les Peuples. L'Hiftorien , pour forcer fes Adverfaires
dans leurs derniers retranchemens ,
prouve que la France étoit dans la détreffe
aux temps les plus marqués par la gloire
"
DE FRANCE. 129
du Monarque ( 1 ) , & des l'année 1671. H
-pouvoit même remonter plus haut , puifque
dès l'année 1664 , Louis XIV avoit
fait banqueroute aux Créanciers de l'Etar.
C'eft ce qu'on voit par les vers de Boileau ,
imprimés l'année ſuivante.
Plus pâle qu'un Rentier
A l'aspect d'un Arrêt qui retranche un quartier.
AN
I
Ainfi les conquêtes de Louis XIV furent
précédées par une violation de la foi
publique , dont rougiffent maintenant les
Miniftères les plus avilis. Ainfi le mene
Pocte , deftiné à chanter enfuite les victoires
du Roi , fournit la preuve & indique la
date d'une banqueroute odieufe , dont la
honte préludoit à des victoires inutiles . On
voit que dès lors la France avoit plus befein
de guérir fes bleffures , que de conquérir
la Franche Comté , qu'il fallut rendre
bientôt après , & d'envahir la Hollande
qu'on évacua prefque auffi tôt . Un autre
fait rapporté ailleurs par l'Hiftorien , montre
( toujours dans cette brillante époque )
à quel point la France étoit malheureuſe ,
puifqu'un grand nombre de terres étoient
(1 ) Voltaire cite & fait valoir les quatre années
de Tailles arriérées que le Roi remit au Peuple ;
mais on fait que le Peuple ne doit quatre années )
de Tailles que lorsqu'il eft hors d'état d'en payer
une .
FS
130
MERCURET
tout-à fait abandonnées , & que Colbert
défendit par une Loi expreffe , aux Propriétaires
, d'abandonner une terre , à moins
qu'ils ne renonçaffent à toutes leurs autres
poffeffions ; Loi abfurde & déshonorante
pour la mémoire de ce Miniftre , mais qu'on
ne cite ici que comme une preuve du triſte
état où la France étoit déjà réduite .
Nous nous arrêterions à ces preuves de
fait fuffifantes pour qui veut réfléchir , fi
quelques Mémoires de Colbert , marginés
par le Roi , &form nr une eſpèce de correfpondance
entre Louis XIV & fon Miniftre
, ne confirmoient ces triftes vérités ,
& n'achevoient de mettre fous les yeux du
Lecteur la fituation réelle du Royaume.
C'est d'ailleurs , comme on va le voir , un
monument trop curieux à plufieurs égards.
Dans le premier Mémoire , qui a pour
objet la réforme des Finances , Colbert propofe
au Roi quelques diminutions fur les
dépenfes qu'il faifoit pour le Château de
Verfailles. Le Roi répond : Vousfavezmon
intention für Verfailles.
Colbert propofe , par économie , de diminuer
le nombre des Prifons royales , dont
il démontre d'ailleurs l'inutilité, les inconvé
niens & les abus. Le Roi répond : Je verrai cer
article féparément. Mon autorité exige qu'on
ne perde pas de vue ce qui peut la maintenir.
Colbert vouloit obtenir quelques retran
chemens fur les divertiffemens de Sa Maj
s'agit de faire paffer cet article , & pour
24
:
DE FRANCE. 1337
y parvenir , il déclare qu'il a toujours drvant
les yeux cette belle maxime - ( d'eft
ainfi qu'il la qualifie ) : Qu'ilfaut épargne
cing fous aux chofes now niceffaires , &
jeter les millions quand il et quifion de
la gloire du Roi. En mon paracatter,
ajoute t il , un repas inutile de mille ccus
• me fait une peine
in nut & lorfqu il
eft queflion de millions d'or pour la Pologne
( il s'agifloit de faire nommer Roi le
Prince de Coni ) , je vendrois tout mon
bien j'engagerois ma femme , mes enfans
, & j'irois à pied toute ma vie pour y
fournir s'il étoit néceffaire . Votre Majjlé
excufera s'il lui plaît ce petit tranfpert.
Le Roi excufa fans doute le petit tranfport
, comme on put le voir par Fimmenlité
de la fortune que laiffa Colbert. Mais
c'étoient ces petits tranfports qui valcient
aux Miniftres des gratifications énormes ,
des fommes confidérables aux mariages de
leurs enfans , des graces de toute efpèce.
Voilà ce qui fournilfoit à Louvois , car il
avoit auffi de petits tranfports , tous les
moyens de faire à fon Palais de Meudon
des dépenfes royales , & le mettoit dans le
cas de dire à fes amis J'en fuis au quatorzième
million. Il faut remarquer que les
Miniftres étoient fürs de n'être jamais inquiétés
, depuis que le Roi s'étoit expliqué
fur le regret d'avoir pourfuivi Fouquet ; &
de plus ayant dit plus d'une fois : 11 f
jufte que ceux qui font bien mes affaires
F G
و
132
MERCURE
faffent bien les leurs ; ils fe croyoient à
l'abri de tout reproche par ces mots qui
fembloient autorifer en quelque forte leurs
déprédations. Revenons aux Mémoires de
Colbert.
Un de ces Mémoires paffe en revue les
dépenfes inutiles , la marche & le ralfemblement
des armées dans les Provinces ,
qui ruine le Royaume , pour devenir un
amufement de Dames , l'état des affaires prêt
à tomber , la misère des campagnes , ou
tout tombe dans la confufion , &c. &c. Ce
Mémoire refta fans réponfe ; mais on fait
que peu de temps après , le Roi répondit
à des repréſentations du même genre , dans
une Lettre datée de Nanci , 1673 : Je connois
l'état de mes affaires , & je vois ce qui eft
néceffaire. Je vous ordonne & vous exécutez ,
c'eft tout ce que je défire.
Une autre fois , il lui mande , toujours en
1671 : Ne croyezpas que mon amitié diminue,
vosfervices continuant ; cela neJe peut, mais
il faut me les rendre comme je les défire ,
& croire que je fais tout pour le mieux.
Dès ce temps , il y eut plus d'une fois des
foulévemens pour de nouveaux impôts . Il
yen eut un fur- tout en Langudoc ; Colbera
en inftruit le Roi . Le Roi répond : Je fais
ce qui s'eft paffé , j'ai donné ordre que les
troupes marchaffent.
*
On fent que dans cette correfpondance ,
Colbert fouvent maltraité , effayoit d'appaifer
fon Maître , & la meilleure manière
DE FRANCE.
8123
1
étoit de trouver de l'argent ; alors le Roi
changeoit de ton & devenoit plus doux.
Vous n'avez que faire , écrivoit- il un jour à
fon Miniftre , de me recommander votre fils ;
je vous tiendrai parole & en prendrai un
très grand foin . Il ne fera rien de mal-àpropos
, mais s'il le faifoit , je ne le lui laifferois
pas paffer.
Colbert tranfporté répond : Les paroles
me manquent , Sire , pour exprimer com-
-bien je fuis pénétré des bontés que V. M.
témoigne à mon fils...
Heureux s'il fair profiter d'un fi grand
avantage ! & bienheureufes feront les fautes
qu'il fera , puifqu'elles feront rectifiées par
le meilleur Maître , le plus éclairé de tous
les hommes , & le plus grand Roi qui ait
jamais monté fur le trône !
Ces citations fuffifent pour montrer tout
le caractère de Louis XIV , & donner une
idée précife du ton établi entre le Roi &
fon Miniftre . Il réfulte de cette correfpondance
, que Colbert vouloit avant tout ,
comme tout Miniftre , vivre & mourir en
place , enfuite faire le bien s'il l'avoit pu
fans déplaire . Il n'eft pas moins évident
que Louis XIV demandoit à Colbert trois
chofes , foupleffe , argent , filence , & que
fes bontés étoient à ce prix ; enfin , que
l'égoïlme le plus complet , armé du defpotifme
le plus abfolu , c'est Louis XIV &
fon règne. Il eft certainement de tous les
Rois , celui qui a tenu plus immédiatement
134
MERCURE
raffemblés fous fa main, tous les refforts de
fa puiffance , & a le plus déterminé leur
mouvement au profit de les jouiffances perfonnelles
, de fes paffions , de fon orgueil
& de fes préjugés.
Après ces détails , dont la plupart n'étoient
pas ignorés de Voltaire , ou qu'il étoit
à portée de favoir auffi- tôt qu'il auroit
voulu , on a quelque peine à concevoir
comment il a pu compefer fon Siècle de
Louis XIV dans un efprit & fur des principes
fi peu favorables aux vrais intérêts
de l'humanité. Le grand nom de Louis
XIV avoit - il , malgré le malheur de fes
dernières années , fubjugué l'imagination
naiffante du jeune Poëte ? & cette illufion
fe prolongea-t- elle jufque dans l'âge de fa
maturité ? Il eft plus probable qu'ayant
déclaré la guerre au fanatifine religieux , il
crut avoir en lui un adverſaire affez redoutable
, & vit trop de dangers à combattre
en même temps le defpotifme politique.
Peut être penfa-t -il aufli qu'en traitant dramatiquement
le perfonnage de Louis XIV
& failant de lui , comme d'un Héros de
Théatre , l'objet d'une admiration conftante
& d'un intérêt foutenu , get intérêt
tourneroit au profit de fon Ouvrage & en
accroîtroit encore le fuccès . Enfin , le mérite
d'avoir protégé les Beaux- Arts , étoit pour
Voltaire le premier mérite, & couvroit à fes
yeux une partie des fautes du Monarque :
indulgence bien pardonnable dans un
DE FRANCE. 335
homme auffi paffionné pour les Arts , feul
befoin de fon ame , feul intérêt de fa vie ,
feule fource de fes plaifirs & de fa gloire .
Ne voyons- nous pas en ce moment même
d'excellens Citoyens , d'ailleurs zélés pour
la Révolution , mettre en balance avec l'intérêt
qu'ils y prennent , l'intérêt des Beaux-
Arts, & fur-tout de l'Art Dramatique , dont
la ruine leur paroît inévitable ? Ce font
des gens difpofés à fe rappeler Virgile &
Racine , plutôt que Homère , Sophocle
Menandre , &c. il feroit bon de fonger à
tout , & d'ailleurs il faudroit confidérer que
d'acheter des belles Tragédies , de bonnes
Comédies au prix de tous les maux qui
fuivent l'esclavage civil & politique , c'eft
payer un peu cher fa place au Spectacle.
Traité Elémentaire , ou Principes de Phyfique ,
fondés fur les connoiffances les plus certaines, tant
anciennes que modernes , & confirmés par l'expérience
; par M. Briffon . 3 Vol. in- 83 avec
43 Pl. Prix, 21 liv. br. & 24 liv. reliés . A Paris
chez Moutard , Impr - Lib . rue des Mathurins ,
Hôtel de Cluni.
2
Cet Ouvrage eft le plus complet qui ait été pubké
jufqu'ici ; il eft enrichi de deux Tables de Sy
nonymes , contenant l'ancienne & la nouvelle
Nomenclature chimique . Nous reviendrons inceffamment
fur ce Traité.
- 136 MERCURE
KARIÉTÉ S.
DESCRIPTION d'un Projet pour une
Salle ou Bafilique Nationale, avec tous
fes Acceffoires , pour y affembler les
Reprefentans de la Nation Françoife ( 1).
LES nombreux fuffrages qu'a réunis le
Plan qu'on va lire , font le motif de fon
infertion dans ce Journal. Ce Projet a été
préfenté à la Commune , ainfi qu'aux 60
Diftricts ; & le 30 , l'Allemblée Nationale
a bien voulu en ordonner le dépôt aux
Archives , & en faire mention dans fon
Procès -verbal.
CE
E Projet eft difpofé fur le terrein du Convent
des Religieufes Capucines. Le point d'alignement
eft le milieu de la Place Vendôme , à l'opposé
des Feuillans.
Cette fituation , fuivant l'Auteur , eft préférable
, pour recevoir ce Monument , à toutes celles
qu'il a pu trouver par fes recherches fur le Plan
de Paris.
Ce terrein eft régulier & vafle. Il contient
(1 ) Le projet de ce Plan eft gravé , & fe trouve chez
P'Auteur.
DE FRANCE. 137
environ 11,200 toifes de fuperficie , à la proximité
du Palais du Roi , qui peut y venir par
une rue qui, prenant la longueur du Manége &
du Jardin des Tuileries , iroit aboutir da petit
Carroufel à la Place de Louis XV ; ane grille
clorroit les Tuileries le long de la Terraffe des
Fenillans. A droite , en face de la Place Vendôme ,
à travers le Couvent des Feuillans , une rue feroit
pescée , laquelle dégageroit tout ce quartier , &
arriveroit aux Tuileries : c'eft par cette rue &
à travers la Place que l'on arriveroit à cette Bafilique
Nationale.
On doit fentir combien cette fituation eft
grande & heureufe , puifqu'elle réunit toutes les
convenances. Elle feroit dégagée de toute part
par les Boulevarts & les rues qui Fenvironnent ,
& par la vafte Place Vendôme , dans laquelle
fe retireroient les voitures. La rue percée fur le
terrein des Feuil ans , aboutiroit à une grille fur
les Tuileries , & à travers le Jardin à la rivière :
voilà la difpofition générale du Projet .
DÉTAIL DU MONUMENT.
en ordre
L'entrée A fur la Place Vendôme , fermée d'une
grille appuyée fur deux Corps -de-Garde B.
Un carré long avec deux portiques
dorique fur l'entrée , & l'autre fur le fond
loppent le Monument central , & fervent à communiquer
par-tout à couvert.
enve-
Le centre du Monument eft la grande falle
d'Affemblée générale D , foutenue de chaque côté
par deux galeri's E , où le tiennent les Députés
avant l'ouverture des travaux , avec une entrée de
droite & de gauche à ladite Salle . Enfuite du portique
d'entrée C eft un grand veftibule public F ,
où fe tient la livrée , aux deux bouts duquel font
་ ; 8 MERCURE
dear grands effaliers pour monter à l'amphithéatre
públic , amphithéat e fera divifé en trois
parties ; celles des deux côtés du Préfident auront
chacune un efcalier & entre à part du Public
La grande Salle eft dans la forme des amphi
theatres antiques : un grand demi-cercle appuyé
fur un carré en eft la forme ; le pourtour du cercle
eft occupé par des gradits pour placer les Députés
au nombre d'environ1 200 Plus bas , de droite
& de gauche , font deux petits Amphithéatres fé
parés du tout , pour les Députés étrangers & les
Suppléans ; il en contiendra 360.
Dans la même difpofition , mais excentrique ,
eft difpoté en Amphitheatre plus élevé de 6 à 8
pieds pour ifǝler le Public ( il peut au total contenir
1350 perfonnes à la fe , & faire diftinguer
plus parfaitement au Préfident les Députés dans le
moment où l'on vote . L'on parvient à cet Amphitheatre
, fans entrer dans l'intérieur , far les deux
cfcaliers du grand veftibule .
De droite & de gauche , & au deffus de l'entrée
du milieu , les portes pratiquées dans les gradins
feront couronnées par trois tribunes pour les Olateurs
, lefquelles , par leur difpofition , font ailément
circuler leur voix dans le pourtour général .
L'entrée principale eft fur le veftibule public , &
aboutit à la barre en face du Préfident.
La place du Préfident G & des Secrétaires occupe
le fond , en avant d'un portique en colonne
fimple , fervari d'entrée à la falle du Comité
H. A portée du Préfident & des Députés , de
droite & de gauche , font deux Salles I pour les
principaux Secrétariats ce Comité feroit feulement
fermé , fur la grande Salle , Far des draperies
entre chaque colonne , pour donner à ce lieu
le caractère d'un Temple , d'où fortiroient les décifions
qui forment les loix. L'entablement feroit
DE FRANCE. 139
W
furmonté de focles couronnés du génie des Loix ,
faifant centre d'un grand archivolte à jour pour
éclairer la grande Salle. Ce Temple parotiroit
ifolé par la maffe de lumière qui le couronne.
Les portiques extérieurs d'entrée font appuyés
fur des ftylobates, & en avant eft un grand Perron
fur toute la face .
Quatre galeries L communiquent du Monument
central aux bâtimens acceffoires du pourtour , &
aux galeries & percées de communication géné
rale , lefquelles donnent entrée aux efcalie's &
aux bâtimens de fervices néceffaires , comme Imprimerie
, &c. & aux différentes entrées & forties
particulières , tant fur les Boulevarts que fur les
rues.
Le fond général du terrein eft occupé par une
grande partie circulaire M , appuyée fur deux
pavillons , qui font deftinés , l'un pour la Tréforerie
, & l'autre aux Archives N : ce deini-cercle
eft auffi dans la forme des amphithéatres anciens ,
& contient , aurez de chauffée , tous les Comités ;
au premier éage , tous les Bureaux néceffaires .
Cette difpofition met à part tout le travail particulier.
Le travail public eft au centre, & tous
les autres acceffoires auffi féparés , mais le tout
fe communiquant avec aifance. Le fond du terrein
Ofera terminé par un premenoir en arbre , avec
fortie fur les Bouleva: ts. Si l'on trouve que ce
projet a trop d'étendue , fans déroger à la forme
ni à l'emplacement , il fera aifé de le réduire , pour
qu'il ne contienne que 7 à 800 Députés , & le
refte en proportion , pour les Légiflatures prochaines.
Les décorations ne font données que par la néceffité
, & c'est la difpofition qui les forme.
Ce que l'Auteur préfente ici n'eft qu'une ef
140
MERCURE
quiffe difpofée fur ce bel emplacement ; elle eft
fufceptible d'une étude profonde que la néceffité
dicte fon zèle demande de l'indulgence & des
lumières.
:
Par M. PETIT-RADEL , Architecte ,
rue de Bourbon- Villeneuve , NE . 49.
Notà. L'Auteur de ce Projet a commencé à jeter
fur le papier fes premières idées , à la fin de
Novembre 1789 , & les a même communiquées
à plufieurs amis.
SPECTACLES.
Tous les Spectacles fe font reffentis de la
defaveur des circonftances ; mais le tableau
fant va prouver que leur zèle ne s'eft
point ralenti.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
Il a éxé donné fur ce Théatres Opéras
nouveaux les Parvenus , en un acte ,
paroles de M. Rochon de Chabanes , mufique
de M. Lemoine ; Afpafie ; Démophon,Tragédie
, en trois actes , mufique de Vogel ;
Nephté, paroles de M. Hofman, mufique de
M. Lemoine ; & le Moulin & les Pommiers ,
paroles de M. Forgeot , mufique de M.
Lemoine ;
DE FRANCE.
Avec un Ballet pantomime , Télémaque ,
de la compofition de M. Gardel.
THEATRE DE LA NATION.
Nous avons vu fut le Théatre François
, 4 Tragédies nouvelles , ou repréíentées
pour la première fois à Paris : Ericie
ou la Veftale , en trois actes , de M. de.
Fontanelle ; Marje de Brabant , Reine de
France , par M. Imbert ; Charles IX , de
M. de Chénier , & Louis XII.
он
10 Comédies : la Fauffe apparence , ou
le Jaloux malgré lui , en trois actes & en
vers , par M. Imbert ; les Fauffes préfomptions
, en cinq actes & en vers , par M.
Robert ; Raimond V, en cinq actes , en
profe par M. Sedaine la mort de Molière ,
en trois actes , en vers , par M. le Chevalier
de Cubières ; le Payfan Magiftrat , en
trois actes , en profe , par M. Collot d'Herbois
; PEfclavage des Noirs , Comédie en z
actes, en profe , de Mad.de Gouges ; le Réveil
d'Epimenide à Paris , en un acte , en vers ,
par M. de Flins ; le Souper Magique , ou
les deux Siècles , en un acte , en vers , de
M. de Murville ; Philinte de Molière , en
cinq actes , en vers , de M. Fabre d'Eglantine
& les trois Noces , en un acte , en
profe , mêlée de chants & de danfes , par
M. Dezède.
143.
MERCURE

2 Drames : l'honnête Criminel , en cinq
actes , en vets , de M. de Falbaire ; & les
Dangers de l'opinion , en cinq actes , en
vers , de M. Laya ;
Avec Pièces remiſes , les Fils ingrats ,
Comédie en cinq actes & en vers , de Piron ;
l'Ambitieufe & l'Indifcrète , Comédie en
cinq actes , en vers , de Deftouches ; & le
Dénouement imprévu , Comédie en un acte ,
en profe , de Marivaux.
THEATRE ITALIEN.
LES Comédiens Italiens ont donné 17
nouveautés.
7 Pièces à ariettes ; les Savoyards , en
un acte , paroles de M. de Piis , mufique
de M. de Propiac ; la Vieilleffe d'Annette
& Lubin , Poëme de M. d'Antilly ; le Soldat
par amour , en un acte ; Raoul , Sire de
"Créqui , paroles de M. Monvel , muſique
de M. d'Aleyrac ; Caroline , en trois actes ;
Pierre le Grand , en quatre actes , mufique.
de M. Gretry ; & les Brouilleries , en trois
actes.
2 Pièces en Vaudevilles : Le Deftin & les
Parques , en un acte , de M. Desfontaine ;
le District de Village , en un acte , du
même Auteur.
Et 8 Comédies : La fauffe Auberge , en
deux actes ; l'Ecole de l'adolefcence , en
deux actes ; les Epoux réunis , en un acte ;
DE FRANCE. 145
encore des Savoyards , en deux actes ; le
Tuteur célibataire, en un acte & en vers ;
le bon Père , en un acte , par M. le Chevalier
de Florian ; l'Epoux généreux , en un
acte ; & la Bonne mère , en un acte , par
M. le Chevalier de Florian.
On a remis auffi avec de la mufique
nouvelle , Rofe d'Amour , paroles de M.
Dubreuil , mufique de M. Cambini ; & le
Diable à quatre , de M. Sedaine.
THEATRE DE MONSIEUR.
CE Théatre , malgré fes nombreuſes traverfes
, a donné les nouveautés fuivantes :
3 Comédies : le Badinage dangereux
en un acte , par M. Picard ; l'Epimenide
François , un acte ; Sophie , un acte , par
M. Parifau ; Jean Lafontaine , deux actes,
par le même (1),
3 Opéras François : les Rufes de Frontin ,
deux actes, par M. Marchand , & il Signor
Zaccharelly ; le Valet rival , deux actes ,
par M. Parifau , parodié fur la muſique de
Paifiello ; & les Efclaves par amour , mufique
de Paisiello .
Et trois Opéras Italiens : la Paftourelle
nobile , del Signor Guglielmi ; la Buona
figliola , del Signor Piccini , & la Grotta
di Irofonio , del Signor Saliere,
(1 ) L'efpace nous a manqué, lorfqu'on a donné
cet excellent Ouvrage, qui înérite d'être diftingué.
144 MERCURE DE FRANCE.
AV I S.
Pommade de Ninon , chez le Sicur Duboft ,
Me. en Chirurgie , Chimifte & Botaniſte , à Paris ,
rue de la Courtille , vis- à- vis le Grand St-Martin ,
Fauxbourg du Temple , près la nouvelle Barrière.
M. Duboft continue de vendre avec fuccès fa
Pommade de Ninon pour diffiper les taches de
ronfieur , blanchir , nourrir la peau , &c . 6 liv.
le pot ; Pommade du foir pour enver le rouge
& rafraîchir la peau , 3 liv . le pɔt ;
T'Effence pour
la barbe , propre à ôter tous les feux du vifage ,
depuis jufqu'à 12 fiv. la bouteille , &c. ; la
Limonade sèche , rafraîchiffante & diurétique ,
très-commode pour les perfonnes qui vont à la
campagne ou à la promenade , liv. la livre ;
l'Eau Géorgienne pour blanchir la peau , 6 liv . la
bouteille ; le Banc de perle , dont les propriétés
font de blanchir auffi la peau , 6 liv . le pot ; le
Syrop purgatif , ftomach que , emménagogue ,
febrifuge , diaphorétique & anti - vermineux , depuis
3 jufqu'à 24 liv, la bouteille ; la Pommade
céphalique pour faire croître & épaiffir les che
veux , 6 liv. le pot ; le Rouge de Paris , tiré du
regne végétal , première qualité , 6 liv. , 2c. qua-
Hité , 3 liv . le pot. On peut auffi fe procurer également
ces divers articles dans la même Capitale ,
à l'Abbaye St-Germain - des- Prés, rue du Cardinal,
chez le Sr. Barbeau , Md. Mercier.
N. B. Les lettres & l'argent doivent être affranchis
.
LeInfomnie.
Couplets.
TABLE.
97 Mémoirēs.
101 Variétés. 136
4:0 Spectacles. 140
Su la Contribution pat: 10
Charade , Enig. Log.
MERCURE
HISTORIQUE ET POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 24 Mars 1790 .
Nous ne nous étions pas trompés dans
nos conjectures , en annonçant la prochaine
conclusion d'un double Traité
d'Alliance définitive et de Commerce
entre la Cour de Berlin et la République
de Pologne ; cette sage mesure , utile
aux deux Parties contractantes , et que
pressoit la nécessité de se tenir en garde
contre les desseins de la Russie , a été
en effet unanimement arrêtée en pleine
Diète , le 15 ; et le Roi a prononcé à
cette occasion un Discours plein de sensibilité.
Le 19 , le Maréchal de la Diète
i a présenté les articles qu'un Courrier
, dépêché par la Députation des
Affaires Etrangères , a portés à Berlin',
Nº. 16. 17 Avril 1790. I
( 170 )
avec une Lettre du Roi à Sa Majesté
Prussienne.
On a reçu ici , le 14 , par une Estafette
, la nouvelle intéressante que le
Ministre de Prusse à Constantinople ,
a signé , avec ceux du Divan , un Traité
d'Alliance défensive .
Le Sieur de Krasinsky , Nonce de
Podolie , vient d'affranchir , par son testament
, tous les Paysans qui se trouvent
dans ses terres ; il leur a même donné
la liberté de les quitter et d'aller s'établir
ailleurs.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 1er . Avril.
Des Lettres de Copenhague portent
que , le 19 Mars , le Roi a commué la
peine de mort que devoit subir l'incendiaire
Benzeltierna en une Prison perpétuelle
à la forteresse de Munkholm :
son complice le Capitaine William
O'Brien est condamné aux travaux du
Port et de la Citadelle de cette Ville ;
et l'Aubergiste Thomas Seihlds sera
enfermé à la Maison de force pour le
reste de ses jours.
On nous mande de Stockholm que
le Roi à confirmé l'Arrêt rendu par le
Tribunal suprême d'Abó contre le Major
Général Barou de Sprengtporten ; il a
( 171 )
été condamné à avoir la tête ranchée
aussitôt que l'on pourra s'emparer de
sa personne .
La pêche du hareng a été très- abondante
cet hiver à Gothembourg ; on en
a salé plus de 200,000 tonneaux. Cette
branche de l'industrie Suédoise a rapporté
environ 8 tonnes d'or.
C'est le Lieutenant- Colonel de Terning
qui commandera la flotille de bateaux
plats que les mouvemens des Russes
forcent d'envoyer en Finlande. — On
a également fait partir de Calrscrone
quelques frégates pour croiser dans la
Baltique.
La petite escadre de Gothembourg
est composée de 4 vaisseaux , portant
114 canons. Quant à la grande , commandée
par le Duc de Sudermannie
Frère du Roi , qui mettra en mer vers
le milieu du mois prochain en voici
L'état nominal.
É TAT - MAJOR.
"
Le Duc de Sudermannie , Commandant en
chef; le Contre- Amiral Nordenschiold , Capitaine
du Pavillon Amiral ; le Contre-Amiral
Modée , commandant l'avant - garde ; le
Colonel Leyonankar , commandant l'arrieregarde
; le Capitaine Palenquist , premier.Adjudant
; le Major Insleen Maître d'Artillerie
; le Capitaine Kiorling , Maitre d'Equipages
; le sieur Falk, Constructeur en chef.
1 ij
( 172 )
ESCADRE.
Gustave III de 74 canons : le Duc de Sudermannie
; Lieutenant- Colonel , Klingt.
Sophie Magdelaine , 74 ; Major , Gagerfeld.
Adolph Frédéric , 74 ; Major , Ringhem.
IVladislas , 76 ; Colonel , Furst.
Gotha Leyon , 74 ; Colonel , Hisingschold.
Louise Ulrique , 74 ; Lieut. Col. Ameen.
Enighet , 74 ; Major , Furst.
Forsigtighet , 64 ; Colonel , Fahlstedt.
Hedwige Elisab. Charlotte , 64 ; Colonel ,
Raukhoff.
-
Dygden , 64 ; Colonel , Billing.
Aeran , 64 ; Colonel , Holz .
Tapperhet , 64 ; Colonel , Vagenfelt.
Dristighet , 64 ; Colonel , Puke.
Manlighet , 64 ; Colonel , Rosenswærd.
Ræetwesan , 64 ; Colonel , Iollin.
Oemhet , 64 ; Colonel Furst.
Prince Charles , 64 ; Major , Stahlstedt,
Frédéric Adolph , 64 ; Major , Ekenman .
Fadernesland , 64 ; Major , Singwall.
Charles-Frédéric , 66 ; Colonel , Whitloch,
Wasa , 62 ; Major , Hellman."
Prince-Ferdinand , 62 ; Major , Zachou.
Fridericus Rex , 60 ; Major , Cedergren.
Riksens Stænder , 60 ; Major , Castanie.
Finlande , 56; Major , Treutiger.
Uplande , 44; Major , Rahm.
Gripen , 44 ; Major , Ruthensparke.
Bellona , 40. Diana, 40 ; Major , Koch.
Froya , 40 ; Major , Grubbe.
Zémire , 40 ; Capitaine , Neuendorf.
Camilla , 40 ; Capitain , Cederstroen ,
Euridice , 40 ; Capitaine , Feiff.
-Thetis , 40 ; Capitaine , Pechierson .
Galathée, 40 ; Capitaine , Walden .
En tout 35 vaisseaux qui portent 2064 canons .
( 173 )
FRÉGATES DE RÉPÉTITION .
Illerim , 26 ; Capitaine , Gahm .
Jaroslaw , 36 ; Capitaine , Lagerstrahl.
Jaramas , 32 ; Capitaine , Wrangel.
Ulla Fersen, 28 ; Capitaine , Blom.
Hector , 26 ; Capitaine , Cederstroem.
En tout 5 frégates de répétition portant 148 c .
BATIMENS LÉGER S.
Hussar , 18 canons ; Lieutenant, Eckholm .
Dragon , 12 ; Lieutenant , Coester.
Falk, 12 ; Lieutenant , Rumblad.
Hoek, 10 ; Lieutenant , Mitler.
Esplendian , 16 ; Enseigne , Schanz.
Manan , 12 ; Enseigne , Jacobson.
Cosaque , 10 ; Enseigne , Hast.
Riks , 10 ; Enseigne , Peterson.
St. Barthélemi , 8 ; Enseigne , Hatman .
En tout 9 bâtimens légers portant 108 canons.
Un vaisseau-hôpital , deux bâtimens bombardiers
et deux brûlots.
De Vienne , le 1er Avril.
Les Troupes qui étoient dans la Servie
ont été toutes rassemblées à Belgrade
. On se propose de n'agir que défensivement
pendant la prochaine campagne
.
L'avant - garde de l'armée du Prince
de Cobourg a été attaquée par les Turcs
près de Nagodin , et elle a essuyé quelque
perte ; cependant le Général , après
avoir repoussé l'Ennemi , a continué sa
marche pour empêcher l'armée Turque ,
I iij
( 174 )
rassemblée près de Widdin , de faire une
tentative sur Kladowa , et de porter de
ce côté du secours à la forteresse d'Or
Sowa.
L'armée du Prince de Cobourg a été
augmentée considérablement , et surtout
de Cavalerie légère . Dans la dernière
campagne , elle n'a formé qu'un
Corps de 23,000 hommes ; elle consiste
aujourd'hui en 34,000 . Le Corps de Tran
sylvanie , sous les ordres du Général
Clairfait , a été porté à 18,000 hommes .
Celui du Général de Wartensleben est
de 14,000 . Ces trois armées peuvent se
réunir aisément.
Les Comtes de Cobentzel et de Trautmansdorff
ont eu le 22 une audience du
Roi. La plupart des Généraux qui sont
ici ont reçu l'ordre de se rendre à leur
destination : en vertu de cet ordre , le
Général Baron de Terzi , Commandant
de cette Capitale , va partir pour la Moravie
, où le Maréchal de Laudhon a
déja envoyé les équipages , qu'il fait
passer à Olmutz.
On est occupé nuit et jour à Egra
( frontière de la Bohême ) à réparer les
ouvrages de fortification ; il a même été
transporté du canon sur les remparts :
'ce qui fait croire la guerre inévitable de
ce côté , c'est qu'à compter du premier
Avril la Troupe recevra la paye sur le
pied de guerre ; en outre , des avis certains
de Temeswar nous annoncent que
( 175 )
le Prince de Cobourg est déja à Krajowa,
d'où il doit aller occuper la montagne
d'Allion les Régimens dans le Bannat..
ont passé la plupart le Danube , pour
joindre l'armée du Prince de Cobourg
entre Krajowa et Widdin ; mais il a fait
rester quatre Régimens Allemands à
Schupaneck.
Des lettres du 22 faisoient espérer que ,
l'on parviendroit peut- être encore à
empêcher une rupture entre notre Cour
et celle de Berlin ; on se fondoit sur ce
que le Comte de Podewils , Envoyé de
Prusse , avoit de fréquentes conférences
avec le Prince de Kaunitz ; mais d'autres
lettres plus récentes disent que de
puis qu'on sait ici la nouvelle de l'Aliance
de la Cour de Berlin avec la Pologne
et la Porte Ottomane , on se prépare
de tous les côtés pour résister effi
cacement à l'Ennemi ; en conséquence ,
beaucoup d'Officiers pensionnés ont été
rappelés pour être employés.
Les Secrétaires du Cabinet de feu l'Empereur
ont obtenu leur démission , en conservant
pour retraite le montant du traitement
qu'ils avoient , dont ils jouiront durant
leur vie. On parle aussi d'une augmentation
des Gardes Nobles , et l'on porte celle
de Hongrie à 150 hommes.
-
Le Roi Léopold II a eu une longue conférence
avec le Cardinal Archevêque ; on assure
que Sa Majesté lui a fait entendre que
son intention étoit de ne pas se mêler des
Iiv
( 176 )
affaires spirituelles ; qu'elle abandonnoit aux
Evêques le soin d'examiner si les études
théologiques , introduites sous le règne précédent
, étoient conformes à la doctrine de
P'Eglise , et qu'elle ne permettroit jamais
aux Tribunaux Séculiers d'empiéter sur les
droits de l'Episcopat.
Sa Majesté vient de faire quelques promotions
; elle a nommé Conseillers privés actuels
le Comte de Banfy , Gouverneur de
Transylvanie , et le Major- Général Marquis
de Manfredini. - Les Généraux d'Artillerie
Barons de Veisey et de Stuuder ont monté
au grade de Lieutenant- général , et le Colonel
de Kray à celui de Major - général. Le
Comte de Breuner , ci- devant Ministre Flénipotentiaire
de la Cour de Vienne à Venise ,
vient de prendre le titre d'Ambassadeur
auprès de la République .
La direction de la Maison des Enfanstrouvés
de cet e Capitale vient de publier
un état d'après lequel on voit qu'on y a
reçu , pendant le cours de l'année derniere ,
1,913 enfans , dont 1,034 sont nés dans la
Maison d'accouchement ; les autres y ont
été portés . Sept cents soixante - sept ont été
reçus gratuitement ; on a payé pour les
autres les diverses pensions réglées dans cet
établissement. On y compte aujourd'hui
1,535 enfans , dont 1,435 sont en pension
dans les faubourgs et les villages voisins.
Les enfans restent dans la Maison jusqu'à
l'âge de 7 ans ; alors on leur fait apprendre
des métiers , si leurs Parens ne les reclament
pas.
On a consommé à Vienne , dans le cours
( 177 )
de l'année dernière , 53,873 boeufs , 1,286
vaches , 61,777 veaux , 205,671 moutons et
agneaux , 60,383 porcs et cochons de lait ,
447,076 eimer de vin , 360, 979 de bierre ,
699,329 quintaux de farine
et 1,680,827
boisseaux de légumes secs.
Nous avons ici le Prince Louis de
Lichtenstein dangereusement malade .
De Francfort sur le Mein, le 7 Avril.
On écrit de Berlin que les quatré Dé
putés des Etats Belgiques ont eu le 25
Mars une audience du Roi . Ce Prince
a nommé le Ministre d'Etat Comte d'Ar
nim pour se rendre ici à l'élection d'un
Empereur ; cérémonie qui attirera beaucoup
de curieux aussi les maisons se
louent-elles à très haut prix ; témoin ce-
Jui que demande un Négociant de Roemerberg
, qui veut 24,000 liv . de la
sienne?
" On parle ici d'une réforme dans l'organisation
du Pouvoir Judiciaire ; la
Diete de l'Empire en a elle - même reconnu
la nécessité : elle avoit résolu , il
y a quelque temps , d'envoyer à cet eifet
une Commission dans les Suprêmes Dicastères
, et notamment à la Chambre
Impériale de Wetzlar. Ce bruit commence
à se renouveler , et l'on assigne
à cette visite le temps que durera le
Vicariat de l'Empire , c'est- à - dire d'ici au
mois de Juillet prochain ; car le premier
1v
( 178 )
de ce mois est l'époque fixée. pour la
tenue du Congrès d'élection d'un nouvel
Empereur ce Congrès se tiendra à
Francfort . Il y auroit encore bien de la
témérité à hasarder des conjectures sur
son résultat , puisque dans le moment
présent le choix du Chef de l'Empire n'est
pas ce qui occupe davantage les principaux
Membres. L'Autriche et la Prusse
ont des intérêts d'une bien plus grande
importance à vider ; et nous nne serions
pas étonnés que l'élection fût différée
jusqu'a la conclusion d'un accommodement
général . Quoi qu'il en soit , l'Electeur
de Saxe et ' Electeur Palatin viennent
de prendre possession du Vicariat
de l'Empire , et ont rendu , chacun pour
leur district , une Déclaration en conséquence.
Comme elles se ressemblent en
tout , nous ne rapporterons que celle de
1Electeur Palatin.
" Nous , Charles Théodore , etc. etc. , Proviseur
et Vicaire du St. Empire Romain , Duc
de Juliers , de, Cleves et de Bergen , etc. "
A tous les Electeurs , Princes Ecclésiastiques
et Séculiers , Prélats , Comtes , Barons
, Chevaliers , Villes et Communautés du
St. Empire Romain , et à tous ceux qui sont
attachés , Sujets et autres , de quelque rang
et condition qu'ils soient , salut , elc.
K
"
Révérendissimes ( 1 ) , Révérends , Illus-
( 1 ) Et le titre des Electeurs Ecclésiastiques.
Reverend ,, celui des Prelais. Illustrissime ,
celui des Comtes. Illustre , celui des Barons.
( 179 )
trissimes et Illustres honorables et sages ,
respectivement nos chers Peres , Cousins et
Oncles , Amés et Féaux , etc. »
་་
Avous , notre Dilection ; votis , nos Amés ,
et à vous tous autres , savoir faisons gracieusement
, que comme il a plu au Dieu Tout-
Puissant de disposer de la vie du très - illustre
et puissant Prince le Seigneur Joseph , second
du nom , Empereur élu du St. Empire Romain
, de très - glorieuse mémoire ; la provision
du St. Empire Romain dans les pays du
Rhin , de la Suabe et du Droit-Franconien
nous est avenue par- là , suivant la Bulle d'or ,
et que nous avons résolu de nous en charger
avec l'assistance divine. "
"
Nous espérons de vos Dilections , de vous ,
nos Amés , et de vous tous autres , que vous
conserverez la paix publique pendant le temps
que durera notre Vicariat ; qu aucun de vous
ne fera violence on injustice a l'autre ; mais
que s'il s'élève quelque differend , on portera
ses plaintes devant le Tribunal du Vicariat ,
où l'on réclamera justice ou accommodement.
"
"
?
Car nous ferons droit et justice à chacun ,
et nous ferons tous nos efforts pour maintenir
constamment la paix , le repos et la concorde,
et pour prévenir le danger et le trouble
dans l'Empire pendant l'interregne , avec
l'aide de Dieu et le conseil des Electeurs , nos
Collègues , des Princes et des Etats . C'est ce
que nous nous empressons de vous assurer à
Vous nos Dilections , à vous nos Ames , et à
yous tous , tant en général qu'en particulier ,
amicalement et gracieusement.
"
Donné à notre Capitale et résidence de
Munich , sous notre Sceau , Lundi 1 °. Mars ,
Pan de Jésus- Christ 1790. "
I vj
( 180 )
Il se présente actuellement plusieurs questions
de droit public par rapport au Vicariat
de l'Empire. On demande si le Vicariat de
Saxe peut aussi exercer ses droits sur la
Bohême ? et si les Vicaires de l'Empire exerceront
cette fois leur prérogative sur l'Italie ?
-On pense que l'activité de la Diète sera
mieux soutenue pendant l'interregne actuel
que sous le dernier ; on espère aussi que
les affaires d'investiture des fiefs des Contes
immédiats de l'Empire seront décidées en
faveur du Vicariat . Jamais peut - être les Vicaires
en Allemagne n'ont pris les rênes du
Gouvernement dans une époque plus importante
que la présente ; aussi leur Puissance
n'a jamais été sur un pied plus respectable
que dans ce moment , car les deux Cours
de Dresde et de Munich peuvent rassembler
sans peine dans leurs Etats une Armée de
80,000 hommes.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 8 Avril 1790.
MM.de Haverkerke, Vander Nootet
Van Eupen viennent de nier , dans une
Déclaration faite en Congrès , d'avoir
jamais pris avec aucune puissance étrangère,
aucun arrangement quelconque qui
pût compromettre la liberté , l'indépendance
et le commerce , les finances ou
les droits quelconques de la République
en général , ni d'aucune Province en particulier,
ou qui pourroit y être contraire,
( 181 )
Il est difficile qu'on ajoute beaucoup
de foi à ces protestations .
On assure que les Troupes Autrichiennes
reviennent dans Luxembourg , où il
est déja arrivé , dit-on , une grande quantité
d'affuts : des Déserteurs peignent les
Troupes comme mécontentes , sur le
bruit qui s'est répandu qu'elles seroient
envoyées dans la Bohême.
FRANCE.
"De Paris , le 13 Avril.
ASSEMBLÉE NATIONALE . 49 ° . Semaine.
DU LUNDI 5 AVRIL.
Il a été fait lecture , au commencement de
cette Séance , d'une lettre de M. Necker ,
dans laquelle ce Ministre annonce que le
Roi a cru devoir refuser sa Sanction au Décret
de l'Assemblée du 29 Mars , qui porte
que les Pensions sur les fonds de la Loterie
Royale continueront provisoirement d'être
payées au- dessous et jusqu'à concurrence de
boo liv. M. Necker observe qu'il n'y a pas de
Pensions sur la Loterie , mais bien de simples
gratifications que le Gouvernement n'est
point obligé de renouveler chaque année . Le
Roi désirant réduire la dépense de celles- ci ,
le Ministre fait un nouveau travail sur les
états de ces gratifications , et les a réduites
à 66,000 liv . , tandis que l'état dont le Décret
de l'Assemblée Nationale ordonne le
payement , est un état ancien qui monte
( 182 )
beaucoup plus haut . Cette lettre a été renvoyée
à l'examen du Comité des Pepsions.
M. Dupont prit ensuite la parole au sujet
des lettres publiées Jeudi par l'Abbé Maury..
« Je n'ai point voulu , dit- il , interrompre
la discussion ; mais actuellement je supplie
l'Assemblée d'ordonner que les lettres
que M. l'Abbé Maury vous a lúes , soient
déposées dans ses archives. Il n'est pas naturel
qu'il conserve ces pièces qu'il n'a ac- :
quises que par une infidélité , et publiées que
par un délit . "
M. l'Abbé Maury répondit qu'il venoit de
faire imprimer ces lettres , et qu'il en avoit
encore 80 qu'il publieroit successivement.
Ces paroles excitèrent une assez grande fermentation
dans l'Assemblée , et un choc violent
entre ceux qui appuyoient la demande
de M. Dupont , et la partie droite qui s'y
opposoit vivement. M. Ræderer étoit à la
Tribune , et blánoit , aux applaudissemens de
la Salle et des Tribunes , l'indiscrétion de
l'Abbé Maury.
M. de Foucault , l'un de ceux qui s'agitoient
et interrompoient l'Opinant avec le
plus de vivacité , apostropha le Président
d'une manière qui blessoit si ouvertement la
décence , que M. de Menou fut obligé de le
rappeler à l'ordre , et pendant qu'il se débarrassoit
des mains de M. l'Abbé Maury qui
l'avoit retenu par l'habit , l'Assemblée , voulant
mettre fin au tumulte dans cette partie
de la Salle , prononça que M. Ræderer seroit
entendu. Il continua donc d'analyser la conduite
de M. l'Abbé Maury , à laquelle il opposa
l'éloge de M. Dupont , tableaux contrastés
, qui lui attirerent des applaudisse
mens; et de peur de perdre une Séance en
( 183 )
discussions particulières , il fut décidé que
Pon passeroit à l'ordre du jour .
M. de Foucault demanda que par suite du
Décret porté sur la liberté du commerce des
Indes , l'on supprimât aussi le privilége du
port de l'Orient , qui seul reçoit les vaisseaux
venant de l'Inde .
་་
M. le Chapelier a opposé à cette demande
les motifs que les Bretons ont toujours allégues
en faveur du port de l'Orient. « Ce
qu'on appelle , dit- il , un privilege du port ,
n'est autre chose qu'un privilége de la Nation
entière,qui devant percevoir sur l'importation
des marchandises , doit avoir quelques entrepôts
où les vaisseaux se réunissent . On pourroit
établir encore un pareil entrepôt dans
le port de Marseille . »
Cette question'a été renvoyée au Comité
de Commerce , et ajournée au Vendredi de
la Semaine prochaine.
Un Membre a repris la discussion sur l'établissement
des Jurés , qu'il adoptoit , tant
en matière civile , que criminelle ; il a cité en
faveur de son opinion plusieurs passages des
discours de M. Sérvan , et a principalement
insisté sur l'avantage d'être jugé par ses
Pairs. Il falloit , selon lui , l'unanimité des
suffrages des Jurés ; car , dit- il , les contradictoires
se détruisent , et ce n'est pas trop de
24 voix pour représenter l'opinion de tout
un Peuple ?
M. Prugnon proposa d'admettre l'établissement
des Jurés en matière criminele , mais
nou en matiere civile , pour ce moment ; car
la science du Législateur , ajouta- t -il , est la
science des momens , et la conciliation des
convenances. Il faut attendre que notre code
d'instruction soit simplifié , et qu'une éduca(
184 )
tion nationale ait corrigé les moeurs . Le res
pect pour les Lois anciennes est le seul
moyen de faire adopter les nouveautés . Il
faut transiger avec les moeurs . Avant de dépréter
un principe , il faut savoir s'il peut
se réaliser. On nous cite l'exemple de l'Angleterre
et de l'Amérique ; mais est - il prouvé
que la Législation de ces Peuples soit la
meilleure possible ? est - il prouvé que ce qui
convient à un Peuple simple , comme les
Américains , puisse convenir à une Société
usée ? serons - nous toujours astreints à une
imitation servile ? faudra - t- il toujours passer
par Philadelphie et par Londres pour
arriver à Paris ? Commencez par faire l'essai
des Jurés en matière consulaire , où les Lois
sont claires , et le fait facile à distinguer :
d'ailleurs on n'a même pas encore defini ce
qu'on entend par Jurés . Quelles seront leurs
fonctions ? seront- ils admis à la procédure ?
exigera- t - on d'eux l'unanimité ? les tiendrezvous
enfermés à la diete et sans feu , jusqu'à
ce qu'ils aient prononcé ? comment seront
ils choisis ? Seront- ce les Jurés d'Angleterre ,
ceux proposés par M. l'Abbé Syeyes , ou
ceux de M. Condorcet ? Tant que toutes ces
questions n'auront point été résolues , vous ne
pourrez prononcer. Je reviens à l'impossibilité
de cet établissement dans le moment actuel
, et je crois que vous pouvez vous en
passer au moins pendant quelque temps , en
ordonnant que les Juges prononceront sépa
rément sur le fait et sur le droit , toutes les
fois que la distinction sera possible , etc. Du
reste , je conclus à l'ajournement jusqu'après
la réforme du code.
M. Péthion de Villeneuve reconnut avec le
Préopinant , que des Jurés pris indistincte(
185 )
ment parmi les Citoyens , ne pourroient
dans la majeure partie des affaires civiles ,
avoir la connoissance nécessaire des Lois et
du code d'instruction , pour prononcer sur
des questions quisouvent sont l'écueil des plus
habiles Jurisconsultes . Cependant il différa
dans sa conclusion . Je vois un obstacle,dit- il
je ne commence pourtant pas par me rebuter
; mais je cherche les moyens de le lever ,
et je les trouve dans un projet qu'a fait imprimer
M. l'Abbé Syeyes. Il vous propose de
faire entrer dans les Jurés un certain nom -`
bre de gens de Lois , jusqu'à ce que vos codes
soient simplifiés. Ces hommes de Lois ins- .
truiront les Jurés de toutes les formes de
procédures , de tous les points de la Loi dont
la connoissance est nécessaire dans les cas
où le fait et le droit , seroient difficiles à distinguer,
Je crois donc qu'il n'y auroit nul
inconvénient alors d'établir les Jurés tant en
matière civile que criminelle .
M. Antoine, qui parla le dernier dans cette
Séance , offrit un heureux développement du
mode d'existence et d'action des Jurés ; ce
fut dans chacune de leurs fonctions qu'il
trouva la preuve de leur utilité. Il insista sur
la nécessité de juger possible ce qui étoit
indispensable , puisque sans Jurés , dit - il ,
jamais il n'exista de Constitution libre.-
DU MARDI 6 AVRIL.
MM. Mougins de Rocquefort et de Saint-
Martin reprirent la discussion sur la forme
de procédure par Jurés , sans cependant
présenter encore de nouveaux motifs .
M. Thouret , Membre du Comité de Constitution
, réveilla l'attention de l'Auditoire
par un discours qui , quoique opposé à beau
( 186 )
coup d'opinions , fut néanmoins universellement
applaudi.
te
Le seul point , dit- il dans son exorde ,
qui tienne les esprits divisés , c'est de savoir
si la procédure par Jurés est possible en
matière civile , et si elle est posible dans .
le moment actuel . Je crois qu'il est indispensable
de l'établir constitutionnellement
dans cette Session pour les matières criminelles
, pour les Tribunaux Militaires et pour
les delits de la presse ; mais je pense aussi
que le moment n'est pas venu d'en faire un
établissement général , persuadé que nous
perdrions pour jamais l'établissement des
Jurés , si nous voulions le précipiter. C'estpour
appliquer les lois que le régime judiciaire
est établi ; il faut donc l'assortir à
l'esprit et à la marche des lois . Chez une
Nation riche , parvenue au dernier période
de civilisation , et chez laquelle les institutions
sont multipliées , il est impossible qu'il
y ait des lois simples ; il y aura toujours un
code varié et des légistes . Les lois seront
nombreuses , et fussent- elles les plus sim- '
ples possibles , le code ne le sera pas . Vous
venez de faire des lois simples pour l'administration
; voyez combien de difficultés s'élèvent
sur leur interprétation ? L'ignorance,
le défaut de moeurs concourent avec l'obscurité
de la loi.
N'établissez dans votre Constitution que
des Tribunaux qui puissent exister dès àprésent
; il est important qu'au moment où
la Constitution paroîtra , tous les pouvoirs
soient en activité.
" Comparez l'établissement actuel des
Jurés avec le respect dû aux juges , et de la
soumission au jugement. "
( 187 )
Examinez combien , dans un moment de
fermentation , où tant de passions s'agitent ,
il seroit dangereux de faire de si grands
changemens ; combien il est prudent de ne
pas faire au- delà de ce qui est strictement
nécessaire .
་་
"
Dans tous les temps , c'est sur l'ordre judiciaire
que l'opinion publique a montré le plus
d'inquiétude ; dans une partie aussi délicate ,
il n'est jamais permis de tenter des essais ,
dont la réussite soit problématique . Il ne faut
pas courir après ce que la théorie offre de
plus attrayant ; c'est à ce que la raison
trouve suffisainment bon , et à ce que les
circonstances permettent , qu'il faut donner
la préférence "
"
En Angleterre , le Roi seul nomme les
juges ; et dans les Comtés il n'y a point de
Corps administratifs nommés par le peuple.
C'est pour donner un contre- poids à cette
influence de la couronne qu'on a institue les
Jurés. Ces motifs n'existent point chez nous.
En Angleterre même les plus grands publiblicistes
ont parlé contre les Jurés ; on leur
reproche de l'ignorance , de l'inexpérience,
du penchant à suivre le torrent de l'opinion
publique , sur- tout dans les disputes
où il existe des passions et des préjugés populaires
; dans les cas où l'une des deux par
ties a un intérêt commun avec l'intérêt général
, tandis que l'autre exerce quelque
place délicate , comme celle de Percepteur
d'impôts , d'Administrateur public ; dans les
cas sur- tout où il y a des dissentions politiques
et des haines religieuses . Les jugemens
des Jurés tiennent encore beaucoup
aux préjugés locaux , à l'opinion qu'ils peuvent
( 188 )
avoir conçue de la famille , de la conduite
antérieure de l'accusé.
་་
"
Cependant , dans les cas ordinaires , les
jugemens par Jurés sont de tous les jugemens
ceux qui méritentle plus de coufiance , et c'est
pourquoi votre Comité de Constitution vous
propose de les instituer en matière crimi,
nelle. Pour vous donner une idée des Jurés ,
examinez un Magistrat qui commenee sa
carrière ; voyez sa sollicitude , comme il est
inquiet , et recherche toutes les preuves à la
décharge de l'accusé ; au lieu que celui qui
a vieilli dans l'application des lois , à peine
prête- t- il attention à la procédure , il condamne
, devient sévère par l'habitude , et cette
sévérité conduit à quelque chose de pire
qu'à l'insensibilité. Le Comité de Constitution
vous propose aussi des Tribunaux , parce
qu'ils seront organisés de manière qu'ils ne
puissent plus faire de coalition contre la liherté;
ils ne se mêleront plus d'affaires politiques
; ils ambitionneront l'honneur de bien
juger , lorsqu'ils n'en auront plus d'autre à
acquérir ; ils seront soumis à la censure natienale
, et , étant électifs , travailleront toujours
à mériter les suffrages de leurs Concitoyens.
"
"
Les Juges aussi pourront délibérer séparément
sur le fait et sur le droit ; et quant
à la difficulté qu'on a élevée , que le Juge
qui aura abs us sur le fait ne voudra point
condamner sur le droit , je réponds que le
Juge se soumet à la majorité , et doit regarder
le fait comme existant , dès que la
majorité l'a prononcé on pourroit même
éviter tout inconvénient , en ordonnant que
les Juges , qui n'auroient pas reconnu le fait ,
"
( 189 )
I
pourront se dispenser de prononcer sur le
droit.
"(
"}
Vous
voyez , Messieurs
, que
l'établissement
général des Jurés , tant en matière civilequ'en
matière criminelle , n'est pas d'une
nécessité si indispensable qu'on ne puisse
attendre que leur établissement en matière
criminelle ait éclairé l'opinion publique par
l'expérience , et ait amené les peuples à désirer
que l'usage en soit rendu général. "
་་ J'aime naturellement les Jures ; je désire
de les voir dans ma Patrie , mais je ne trouve
en ce moment que difficultés ; et c'est parce
que j'aime cet établissement , que je crains
de le voir exécuté trop brusquement ; préecipitation
qui le détruiroit dès sa naissance.
La Nation ne sait pas même encore ce que
c'est que le Juré , comme le démontre le
petit nombre de cahiers qui en font mention .
L'opinion publique pourroit être guidée par
les mécontentemeus de cette foule de gens
de lois et de praticiens , dont les critiques
obtiendroient du crédit sur un grand nomde
Citoyens ; ils se sont servi de ce crédit
pour le succès de la révolution , et s'en serviroient
peut- être contre l'établissement des
Jurés ; on transporteroit à la mature même
des Jurés les vices inséparables du premier
moment de leur institution.
" Il seroit difficile dans le moment actuel
de trouver un assez grand nombre de Citoyens
capables de remplir les fonctions de
Jurés ; il seroit plus difficile encore d'en
trouver qui s'assujétissent à quitter leurs
affaires pour aller juger celles des autres.
Cette assertion est démontrée par la peine
qu'on a , même dans les grandes villes , de
rassembler deux Notables adjoints pour as(
190 )
sister aux informations . La procédure par
Jurés , n'auroit pas moins à lutter contre
le préjugé des François accoutumés à ne
croire un jugement bien rendu que lorsqu'il
a été précede d'une longue procédure. »
La seule chose que vous ayez à faire
actuellement est donc de créer des Tribunaux
qui puissent , pour le présent , suppléer
les Jurés , et par la suite subsister avec
même en matiere criminelle : or , ·les
jurés ne pourront être établis qu'après la réformation
des réglemens de procédure et
du code d'instruction .
eux
« Je n'admets point l'ambulance des Juges
de Districts. Lorsque l'on demande que le
fait , qui est la partie principale du procès
soit jugé par des Jurés du lieu , je crois qu'il
seroit dérisoire de mettre aux champs les
Juges simplement chargés d'appliquer la loi.
Cette forme ambulatoire ne peut d'ailleurs
convenir à un grand nombre de personnes
accoutumées à l'étude et à une vie sédentaire
. "
" Je propose donc de n'établir dans les
Chefs- lieux de Départemens que trois grands
Juges ambulans , et trois Juges sédentaires .
Les premiers iroient tenir des assises dans
les Chefs - lieux des autres Départemeus ;
chacun des trois Juges sédentaires leur feroient
leurs rapports , et les deux autres se
réuniroient aux Juges d'assises pour prononcer
les jugemens d'appels . Les grands Juges
recevroient les plaintes qu'on pourroit faire
contre les Juges des lieux , et contre les
Officiers ministériels . "
« Je propose donc de n'établir les Jurés que
d'une maniere partielle , pour les matières cii(
191 )
minelles , pour les procédures militaires et
pour les délits de la presse.
M. Barnave , apres avoir développé , avec
beaucoup d'étendue, l'importance de la liberté
individuelle , sans laquelle il n'existe point
de liberté politique , a prouvé , de la manière
suivante , qu'elle étoit indispensablement
liée à l'établissement des Jurés .
" Cette forme de procédure nous donne
l'avantage de n'être jugés que par nos Pairs
qui , Magistrats un moment ne . tardent
pas à rentrer dans la Société , pour y être
soumis à leur tour au jugement de leurs
égaux . "
"
Pour juger le fait , il faut des hommes,
pris sur la totalité des Citoyens , épurés à la
volonté des parties , des gens du lieu , et
pour ainsi dire témoins des faits . Pour appliquer
la loi , il faut des hommes publics ,
ayant les connoissances de la loi , et l'autorité
pour les faire exécuter.
И
J.
Le Préopinant vous a dit que le même
Tribunal pouvoit délibérer séparément sur
le fait et sur le droit. Celui qui croira sincèrement
que le fait n'existe pas , pourra -til
condamner l'accusé lorsqu'il s'agira deprononcer
sur la question du droit ? Vous le
réduisez à la nécessité de juger ou contre son
opinion ou contre sa couscience ; vous l'habituez
à éluder la loi , ou à devenir insensible
à la condannation de l'innocence.
&
"}
Je ne vois nulle differen rence essentielle
entre les procédures civiles ou criminelles , si
non la vie d'une part , l'honneur e la propriété
de l'autre . Je vois souvent une plus
grande importance au civil , et sur- tout je
vois que ce sont les cas qui se présentent
tous lesjours. S'il existe une différence , c'est
2
( 192
dans la possibilité de l'exécution actuelle du
principe , à cause de l'obscurité de vos codes
civils . Aussi je ne vous propose pas de mettre
, des à présent , le principe en application
, mais d'en reconnoitre la nécessite pour
l'avenir. Je conelus que vous devez aujour
d'hui consacrer dans votre Constitution le
principe des Jurés , tant en matière civile
que criminelle , en vous réservant de statuer
dans des lois particulières le mode et le
temps de l'appliquer.
BU MERCREDI 7 AVRIL.
Lettre du District des Jacobins Saint-
Dominique , qui annonce la prestation du
Serment Civique de M. le Prince de Conti,
et instruit l'Assemblée qu'il vient de répandre
2,000 liv. sur les Pauvres de ce District . La
même Lettre contient des voeux pour le
retour des autres Princes du Sang ; elle a
été entendue avec le plus grand intérêt.
Une autre Lettre de M. de Montmorin
fait mention d'un don patriotique de 31,105 l .
envoyé par les Négocians François résidans
à Smyrne . Leur Adresse sera insérée dans
le Procès-verbal de la Séance .
Quinze pauvres Laboureurs des environs
d'Estampes se réunissent pour donner une
somme de 140 liv.
M. Camus a ensuite occupé l'Assemblée
par un Rapport fait au nom du Comité des
Pensions relativement à la dernière Lettre
de M. Necker concernant les Pensions sur la
Loterie cyale .
"l
Celles que M. le Premier Ministre a
jugé à propos de supprimer pour économiser
les revenus de l'Etat , montent en tout à
84,000 ; en voici quelques -unes : 600 liv . à
13
E
( 193 )
un Pauvre vieillard infirme âgé de 108 ans ;
200 liv. à un Officier retiré , chargé de neuf
enfans et de deux soeurs ; 300 liv. à la veuve
d'un Officier de fortune , chargé de trois
enfans , etc. "
"
Nous recevons , a dit M. Camus , les
gémissemens de ces malheureux qui n'avoient
que cette ressource pour vivre ; ils nous remettent
leurs titres . Ce ne sont point
il est vrai , des brevets de Pensions , mais
des Lettres de M. le Contrôleur - général ,
portant qu'à l'exhibition de ces Lettres et
du certificat de vie , il leur seroit tous les
ans accordé telle somme. Ce sont donc des
gratifications annuelles qui leur ont été promises
; sur la foi de cette promesse , ils ont
-contracté des engagemens car le payement
de ces petites Pensions étant arriéré , la
plupart des malheureuses familles qui comptoient
sur ces espèces de Pensions vraiment
alimentaires , se sont endettées. La facilité
avec laquelle on a payé 621,000 liv. aux
Gouverneurs de Provinces , tous gens riches,
dont les traitemens , n'étant point accordés
pour activité de service, peuvent être regardés
comme des Pensions cette facilité , Messieurs,
contraste singulièrement avec le refus
que l'on fait , sous prétexte d'économie ,
d'acquitter des gratifications modiques promises
à de vieux serviteurs de l'Etat prêts
à mourir de faim.
"
>>
Le Comité n'ignore pas qu'il y avoit
quelques abus dans ces Pensions ; que les
unes étoient un peu trop fortes , et quelques
autres accordées à la faveur ; c'est ce qui
lui avoit fait vous proposer de les réduire à
600 liv. , et d'ajouter qu'elles ne seroient
payées que provisoirement , c'est - à - dire , jus-
Nº . 16. 17 Avril 1790. K
( 194 )
qu'à ce que l'examen pût en être fait . Fal-
Toit -il done laisser périr de malheureuses
familles pour se donner le temps de savoir
' quel ' nom doivent avoir leurs Pensions ?
Est- ce sur une somme de 84,000 liv . qu'il
étoit besoin de chercher à épargner , tandis
qu'on laisse subsister ailleurs tant de déprédations
? Quels sont les motifs que M. Necker
vous allègue dans sa Lettre ? ceux par lesquels
il a détourné le Roi de sanctionner
un Décret que la justice exigecit de vous .
Les personnes , dit- il , que j'ai rayées de la
Liste n'avoient pas de défenseurs à Paris. Eh
quoi ! d'anciens serviteurs infirmes ont besoin
encore de défenseurs à Paris ? ils en auront
dans tous les Membres de cette Assemblée.
On cherche à jeter de l'odieux sur votre conduite
. Au mépris de vos Décrets , lorsque
vous ordonnez que de pauvres pensionnaires
soient payés , et qu'ils se présentent au
Trésor Royal , on leur dit : L'Assemblée
Nationale nous a défendu de vous payer.
Toutes les Pensions sont suspendues , et
pendant ce temps - là on paye celles des gens
riches , 60,000 liv asun Prince qui a des
-millions ! Il faut rendre publics vos Décrets
avec leurs motifs , et ne pas souffrir qu'on
puisse impunément égarer le Peuple sur vos
intentions.
"
"
CL
"
""
Je vous propose le Décret suivant :

L'Assemblée Nationale , persistant dans
« son Décret da 26 Mars dernier concernant
les pensions , on gratifications qui se
payent annuellement sur les fonds de la
Loterie Royale , décrète qu'il sera payé
« à chacune des personnes employées dans
l'état remis au Comité des Pensions , la
somme pour laquelle elles s'y trouvent
( 195 )
་་
་་
«< employées , pourvu que
ladite somme
n'excède pas celle de 600 livres ; et dans
le cas où elle l'excéderoit , ordonne qu'il
« sera payé seulement la somme de 600 liv. »
L'Assemblée Nationale décrète également
qu'il sera payé aux personnes employées
sur les états de la Ferme du Port-
Louis , sur les états des Fermes , et sur
tous autres états dressés pour l'année 1788 ,
ส la somme de 600 livres , ou telle autre
somme inférieure pour laquelle elles s'y
trouveront employées..
18
, ו נ
)
" Le tout provisoirement , sans tirer à
conséquence pour la continuité à l'avenir
desdites gratifications et pensions ; sous
la condition que , dans le cas où la même
" personne se trouveroit employée dans plusieurs
des états mentionnés au présent Décret
, ou autres états de pensions ou traitemens
, il ne lui sera payé la somme de
600 livres qu'une seule fois , le tout sans
préjudice du Décret des 4 et 5 Janvier
dernier , concernant les Pensions sur le
« Trésor Royal et les traitemens , lequel sera
» exécuté selon sa forme et teneur. "
"
"T
"
K
"L'Assemblée Nationale décrète, en outre ,
que la demi-solde attribuée aux Matelots ,
" et autres gens de mer invalides ou infirmes
, continuera à être accordée sur la
Caisse des Invalides à ceux qui y auront
droit , aux termes des Règlemens exis-
"
"
a tans . "
"
L'Assemblée ordonne que son Président
se retirera devers le Roi , à l'effet
de lui présenter les motifs du présent
" Décret , de le supplier de faire acquitter
les sommes, mentionnées au Décret , le
Kij
( 196
"
"
plus promptement qu'il sera possible ; et
dans le cas où l'état du Trésor Royal ne
permettroit pas d'en acquitter la totalité
sur-le-champ , d'ordonner à ses Ministres
de pr ndre les mesures convenables pour
les acquitter par parties , et successive-
« ment à chacune des personnes auxquelles
elles sont dues , et de rendre les mesures
qui auront été prises , publiques . »
"
10
"
Sera aussi chargé le Président de supplier
Sa Majesté de faire accélérer le paye-
" ment des Pensions des Militaires , particulièrement
de celles qui sont au- dessous
de 1000 liv . , et dont les arrérages de
l'année 1788 sont encore dus , et de destiner
spécialement à cet emploi les sommes
qui devroient servir à acquitter les mandats
dont le payement a été suspendu par autre
Décret de l'Assemblée Nationale du 26
Mars dernier. "
"
"
"
"
"
Quant au Décret du même jour , 26
Mars , concernant la suspension du payement
des sommes portées aux Etats lus
dans la Séance du 25 Mars , l'Assemblée
« Nationale ordonne que ladite suspension
n'aura lieu qu'à l'égard des payemens qui
n'étoient pas effectués à l'époque du 26
Mars , et qu'en conséquence il sera ajouté
au Décret , les mots : paiemens non effectués
avant cejour.
Quelques objections de M. d'Estourmel
ayant été réfutées par M. Fréteau , ce Décret
a été unanimement adopté.
M. l'Abbé Gouttes , Membre du Comité de
Liquidation , a proposé encore les deux dé
cisions suivantes , unanimement confirmées :
Le Ministre de la Guerre est autorisé à
payer aux Officiers , Bas - Officiers des
"
( 197 )
་་
Gardes - Françoises , non employés dans
d'autres Corps ,les appointemens des quatre
derniers mois de l'année 1789 , qui leur sont
« conservés par l'Ordonnance du 31 Août de
H la même année. »
M. Regnier, Député de Bretagne , a repris
la discussion sur la question des Jurés , ct
s'est attaché principalement à réfuter quelques-
uns des principes de M. Barnave,
Il seroit dangereux , dit - il , de décréter
un principe qui ne fut jamais réalisable ; ce
n'est donc que lorsque vous aurez apperçu
que l'esprit public est assez formé , les cous
noissances assez répandues pour permettre
l'établissement des Jurés en matière civile ,
que vous pourrez en décréter le principe ;
mais je crois que jamais votre code civil ne
parviendra à cette extrême simplicité il
embrassera toujours l'universalité de nos ins
titutions sociales , et sera par conséquent
toujours compliqué ; ces institutions que vous
ne pouvez pas détruire donneront toujours
lieu à des proces difficiles à résoudre : dans
ces proces , la question de fait n'est point ,
comme en matiere criminelle , une question
qui tombe sousles sens . Par exemple, s'il s'agit
d'une donation , d'un testament , ilfaut con
noître l'intention du testateur : c'est là Pé,
cueil des personnes les plus instruites et les
plus expérimentées ; les Lois , les commentaires
interviennent ; et quel jugement pour
ront porter ceux qui ne se sont jamais
appliqués à cette matiere ? »
་་" On craint une coalition des Tribunaux ;
comment concevoir que trois Juges de Districts
, six Juges de Départemens , comme
vous les propose M. Thouret , puissent jamais
tramer contre la liberté ? Des Juges électifs ,
Kij
( 198 )
agissant publiquement , surveillés par les
Municipalités , par les Gardes Nationales ,
soumis à l'opinion publique , qu'oseront- ils ?
que pourront-ils tenter? Il faudroit donc que
dans les fonctions de Juge ily eût un poison
contagieux et caché ; mais ily auroit encore
une ressource : nous avons une Assemblée
Nationale permanente , et il seroit facile
de retenir par la crainte celui qui ne se maintiendroit
pas dans son devoir par inclination
. "
LOrateur réfuta partiellement divers
atitres argumens moins importans de M.
Barnave. Comme il parloit avec beaucoup
d'art et de chaleur , il n'eut pas de peine à
convaincre ceux dont l'opinion flottoit encore
, c'étoit un assez grand nombre ; l'on
entendit dans toutes les parties de la Salle ,
crier aux voix , sans que ni le Président , ni
M. Charles de Lameth , qui étoit à la Tribune
, pussent calmer cette agitation . Ce
ne fut que par une délibération expresse que
la Majorité décida que M. de Lameth seroit
entendu. Il improvisa avec beaucoup
de succès. Voici ses propres expressions :
J'ai l'honneur d'observer à l'Assemblée
que la défaveur avec laquelle on me reçoit
dans cette Tribune doit étonner un Men bre
qui n'y a jamais porté d'intérêt personnel.
Je crois , au contraire , que beaucoup d'intérêts
particuliers se cachent à la faveur de
ce tumulte . ”
Je crois qu'il est de mon devoir d'avertir
l'Assemblée Nationale qu'elle se trouve
à l'époque périlleuse où elle va faire connoître
l'exacte mesure de son patriotisme , de
sa vertu et de sa probité . Je me suis , des le
premier jour , déclaré l'ennemi de toute aris(
199 )
tocratie ; je m'explique. J'entends parler de
tout désir secret de supériorité , qui règne
même dans les Etats despotiques ou les
hommes sont égaux , parce qu'ils ne sont
rien , comme ils le sont sous la liberté , parce
qu'ils sont tout. Dans l'un et l'autre de ces
Etats , tout désir de supériorité et de domination
personnelle est une espèce d'aristocratie
; et je crois que ce dernier période de
nos opérations n'est pas le moins difficile à
franchir. "
་་
J'ai été d'un ordre qui avoit des avan- .
tages aristocratiques ; je les ai abandonnés ;
je me suis fait des ennemis de gens que j'es
time beaucoup , et peut - être m'en ferai -je
encore de ceux que j'avois l'avantage et le
plaisir de compter pour amis .
"}
J'avoue que je n'ai pas vu sons surprise
que quand nous avons surpassé l'Angleterre
dans la pureté des principes , nous ne pussions
nous élever à sa hauteur dans un établissement
que l'expérience de plusieurs
siècles a consacré comme le rempart de la
liberté ; et je suis contraint , dans une Assemblée
publique , de chercher à en découvrir
les motifs . "}
" On n'a pas réfuté M. Barnave ; ear , si
l'on veut différer l'établissement des Jurés
au civil , il n'en faut pas moins déclarer le
principe dans la Constitution ; ce qui laissera
la liberté de les établir quand on le jugera
à propos : si au contraire vous n'en consacrez
pas actuellement le principe , il deviendra
peut-être impossible de les établir
au moment où l'on en aura besoin ; car il
seroit dangereux que les Législatures ordinaires
eussent le droit de modifier la Constitution.
"
Kiv
( 200 )
1
On ne sauroit juger légitimement sans
Jurés ; et cependant si vous les admettez en
matiere criminelle , et qu'en même temps
vous les rejetiez en matière civile , c'est
comme si les Représentans de la Nation disoient
au Peuple : Nous voulons bien faire un
établissement utile pour assurer votre vie ;
mais pour votre fortune , votre honneur , c'est
une branche de commerce que les villes ne
veulent pas encore abandonner aux campagnes
. On m'applaudit : si quelqu'un trouve
l'ombre de mérite dans ces paroles , je ne
crains pas de dire que ce seroit un forfait
de fermer la discussion . »
Il est inutile de grever l'Etat en détruisant
des Tribunaux , qui dans certaines circonstances
ont rendu de grands et signalés
services , pour en créer d'autres plus vicieux
encore. Si la majorité de cette Assemblée ,
par des motifs étrangers à l'intérêt général ,
precipitoit ainsi des Délibérations d'une telle
importance , je désespérerois de notre liberté
; j'inviterois ceux qui l'ont payée d'avance
par des sacrifices , ceux qui tiennent
aux souvenirs de l'aristocratie , ceux qui perdent
à la destruction des corps de Magistra
ture , à une sainte et pieuse écrimination ,
"
"
AIM. de Mirabeau et Thouret vous ont
parlé de l'empire des circonstances. Depuis
quand l'Assemblée Nationale capitule - t - elle
avec les circonstances , elle qui les maîtrise
toutes ? Je demande à M. de Mirabeau , et
à tous les Membres qui composent ce qu'on
appeloit autrefois les Communes , je leur
demande , dis-je , si cette Assemblée , lorsqu'elle
étoit entourée de trente mille Soldats
étrangers , a capitulé avec les circonstances ;
si , lorsque la distinction d'ordres s'oppo(
201 )
soit à toutes ses opérations , elle a cédé aux
circonstances.
"
તે
1
L'on craint l'opinion publique et les
besoins de l'Etat qui nous ont amenés ici.
C'est l'opinion publique qui nous soutient ,
et qui nous ordonne d'agir avec circonspection
. Elle est favorable à l'établissement qu'oa
nous propose , et déja les Districts de Paris
oat manifesté leur voea en faveur des Jurés,
Il y a dans la capitale des gens aussi capables
, que dans cette Assemblée , de juger
de la bonté d'une institution ; et nous fui
elle contraire , cette opinion publique , ii est
de notre devoir de l'éclairer , et de lui rendre
tous les bienfaits que nous Li devons , ”
" On a nommé l'aristocratie des Villes ,
l'aristocratie des Avocats , tous genres d'aristocraties
subalternes , contre lesquels je sup
plie l'Assemblée Nat ouale , au nom de la
Patrie , de se prémunir. "
"
Je conclus comme a fait hier M. Barnave ;
et je deinande que la discussion soit continuée
. "
son au-
Ce discours , appuyé du feu de l'action
oratoire , obtint tout le succès que son
teur avoit désiré. Il fut decide , à une trèsgrande
majorité, que la discussion seroit prolongée
.
M. Roberspierre reproduisit les argumens.
de M. Barnave , auxquels il joignit quelques
développemens heureux .
M. Démeunier , de la même opinioa que
M. Thouret, fit reparoître le tableau que ce
Membre avoit déja présenté de inconvéniejs
du Juré en matiere civile ; cependanti ajouta
plusieurs considérations nouvelles qui doivent
être distinguées de la foulé des petits
motifs dont cette discussion, est obscurcie.
Kv
( 202 )
Il fit un tableau comparatif de la Constitution
Angloise et de la nôtre , duquel il résultort
que plusieurs raisons importantes nécessitoient
l'établissement des Jurés en Angleterre
, et n'existoient point en France. L'influence
de la couronne sur les Tribunaux ,
'dit - il , est un de ces motifs qui rend indispensable
un contre-poids qu'on trouve dans
les Jurés ; mais pour corriger les inconvéniens
de cette forme de procédure , il existe un
Tribunal sous le nom de Banc du Roi ,
qui ayant le droit d'évoquer toutes les affaires ,
de créer les formules , d'interpréter la loi ,
remédie à tous les embarras qui surviennent
dans les opérations des Jurés , et casse , s'il
le faut , leur sentence pour renvoyer les affaires
à un autre Juré définitif »
"
Vous ne voudrez point établir un Tribunal
arbitraire dans votre Constitution , et
Vous ne pouvez corriger les vices de la procédure
que vous voulez adopter.
M. Démeunier découvrit ensuite divers
défauts dans la composition des Jurés d'Angleterre
quelque sagacité qu'il mît dans ses
observations , ce n'étoit point là l'objet de la
discussion , à laquelle il revint enfin. Il essaya
de dissiper les craintes conçues contre
les Tribunaux sédentaires , proposés par le
Comité de Constitution .
Nos anciennes Cours supérieures , dit- il,
ont acquis une autorité excessive : 1 ° . En
aidant le Roi à dépouiller les grands Vassaux
; 2. parce qu'on les a initiées à easser
les testamens de nos Rois ; 3º. parce que, n'y
ayant point d'Etats- généraux , elles avoient
le droit de consentir l'impôt. Je demande
si un de ces moyens d'elévation subsistera
pour nos nouveaux Tribunaux.
( 203 )
« Je conclus que vous établissiez le Juré
en matière criminelle , laissant aux Législatures
suivantes le droit de l'établir en matière
civile , si elles le jugent convenables . "
MM. Roederer et Goupil de Préfeln terminerent
cette discussion ; et la Séance fut
levée à quatre heures.
DU JEUDI 8 AVRIL.
M. de Vaudreuil , au nom du Comité de
la Marine , a proposé le Décret suivant , en
réponse à une lettre de M, de la Luzerne.
"
་་
44
L'Asssemblée Nationale décrète que
l'augmentation de solde de 32 deniers ,
accordée aux Troupes de terre , aura également
lieu pour les Troupes de Mer et des
Colonies , à commencer du 1er.
er , mai 1790.
"
23
Ce Décret adopté , on est revenu à l'importante
question des Jurés..
M. Gossin , dans un discours simple et méthodique
, prouva combien l'institution des
Jurés , en matière civile , seroit impraticable
dans le moment actuel , et quant aux
personnes et quant aux choses.
"
Sous le rapport des personnes , dit - il ,
cette institution demande une grande masse
d'esprit public , et il ne seroit pas difficile
de prouver que nous ne sommes pas encore
assez avancés . J'admets cependant les Jurés
en matiere criminelle , parce qu'ils sont plus
nécessaires , leurs fonctions moins épineuses
et moins frequentes ; on en reconnoîtra l'utilité
: ils contribueront à former cet esprit
public que je demande . En ce moment , espéreriez
vous trouver beaucoup de gens qui
se detournassent de leurs occupations pour
aller juger , et qui voulussent s'engager à
paroître à l'instant où ils seroient appelés ?
Kj
( 204 )
Ne fatiguez point les Citoyens en les surchargeant
de fonctions. Il ne s'agit point
d'un établissement qui , ayant une fois échoué,
puisse de nouveau s'entreprendre ; il ne peut
pas se former graduellement ; il faut que dès
le premier instant il soit parfait . Les Lois
doivent être réglées sur les moeurs des Peuples.
Solon , à qui l'on demandoit s'il avoit
donné aux Athéniens les meilleures lois possibles
, répondit qu'il leur avoit donné les
meilleures qu'ils fussent en état de recevoir.
"
Je crois que cette institution ne seroit
pas moins prématurée quant aux choses. Le
chaos de nos lois , la diversité des coutumes ,
permettent- ils de confier les jugemens à des
hommes qui ne les auroient pas étudiées ?
Les ordonnances , actuellement subsistantes,
confondent dans les procès le fait avec le
droit ; comment poufra- t- on les distinguer
tant quee ces ordonnances subsisteront ? La
plupart des proces naissent de l'ignorànce
des luis ; or , qui vondra confier sa fortune
à celui qui n'est pas assez instruit pour diriger
ses propres affaires ? On veut détruire
la chicane , vous l'alimenterez au conrraîre ;
car elle profitera de l'impéritie des Juges . »
Je conclus à ce que vous décrétiez l'établissement
des Jurés au criminel ; et que
vous ajourniez la question quant au civil. »
"(
MM. Buzot et le Chapelier réclamèrent le
plan de M. l'Abbé Syeyes. Le premier se plaignit
que , depuis six jours entiers de discussion
, on en fut encore à définir le mot de Jnré
, entendu diversement par les divers opinans
; le second insista sur la possibilité de
l'institution des Jurés au civil , non pas
dans le plan de M. Duport , qu'on vous a
4
( 205 )
démontré impraticable , dit- il , mais dans
celui de M. l'Abbé Syeyes , adopté par la
majorité de votre Comité de Constitution .
1
M. l'Abbé Syeyes , qu'appeloit à la Tribune
la voix unanime de l'Assemblée , qui
désiroit un exposé des motifs de son Projet
d'organisation judiciaire , imprimé sans aucun
préambule , répondit à ces invitations ,
en présentant quelques observations générales
sur l'institution des Jurés. « Vous m'avez
, dit- il , interdit de vous présenter un
plan général , en restreignant votre discussion
à la seule question des Jurés . Je ne
vous prouverai point la nécessité de cette
institution en matière criminelle , puisqu'il
me paroît que vous êtes unanimes sur ce
point , et que même en matière civile on
s'accorde à la trouver bonne pour un temps
quelconque ; je me réduirai donc à la ques
tion de savoir si elle est possible dans le
'moment actuel , et j'entends ici par un Juré',
ou un Jury , un Corps de Citoyens capable
de juger avec connoissance de cause toutes
les questions qui lui seront soumises . Je croi
que ces Citoyens doivent être les Pairs de
Parties , parce que chaque homme connoît
les Lois de sa profession ; et relativement
aux Lois générales , il faut que chacun d'eux
puisse dire : A la place de cet homme j'aurois
agi autrement ; il a mal fait , il est coupable.
Il faut donc choisir des personnes àpeu
- près du même état , soumises aux mêmes
circonstances ; et comme il est impossible
qu'elles soient instruites de toutes les sinnosités
de nos Lois générales , qu'est- ce qui
empêche d'y faire entrer des gens instruits ,
1
( 206 )
choisis sur la totalité des hommes de Lois ,
surveillés par les autres Membres du Jury?
Si parmi ces anciens Praticiens il y en avoit
dont on eût à se défier , ils se trouveroient
arrêtes à la porte du Jury par la récusation
. "
"L On craint les secousses que pourroit
produire un ordre de choses trop extraordinaire.
Il ne s'agit plus d'introduire plus
ou moins de nouveautés. Vous avez, décrété
que l'Ordre Judiciaire actuel seroit détruit ;
il faut le remplacer : tout ce que vous ferez
sera nouveau . Nos Adversaires veulent des
Tribunaux de Districts ; ils s'exposent aux
réclamations des Villes qui seront privées
de ces Tribunaux ; ils avantagent les unes
au détriment des autres ; dans leurs projets ,
ils veulent tout changer. Il n'y a que pour
les Jurés au Civil qu'ils craignent des secousses.
Vous ne pouvez monter un ordre
de choses pour le Jury au criminel , qui ne
soit pas le même que celui qui est nécessaire
pour le Jury au Civil . Ils agissent comme
un Manufacturier qui , ayant mille pièces de
drap à vendre , n'en feroit faire que cinq
cents pour éviter l'embarras des Ouvriers.
Je dis plus , les embarras seront bien plus
nombreux si vous établissez les Jurés au Criminel
, et que vous ne les établissiez pas
au Civil. Il faudra conserver le fatras de
l'ancien régime , conjointement avec les
formes nouvelles. Si nous ne sommes pas
dignes de la liberté , convenons en ; l'institution
du Jury en matière criminelle n'est
pas moins prématurée: »
Après que M. l'Abbé Syeyes eut ainsi
terminé son Discours , l'on demanda qu'il
fût fait lecture de la totalité de son plan
( 207 )
sur l'Ordre Judiciaire ; d'autres Membres
ne desiroient que celle du chapitre relatif
à l'institution des Jurés ; et comme
dans les Assemblées nombreuses les moindres
difficultés exigent souvent toutes les formes
des délibérations les plus importantes , il
s'est élevé sur cette question une longue et
brillante discussion ; cependant on n'a lu qué
le titre II relatifà l'établissement des Jury's.
M. Garat l'aîné , dont le nom suivoit dans
la Liste dressée pour l'ordre de la parole ,
reprit la discussion générale sur l'établissement
d'une forme de procédure non déterminée
, malgré les réclamations de ceux qui
demandoient que l'on ne discutât que la
question de priorité , afin d'adopter un
plan quelconque pour base de délibération ;
car , même dans le plan de M. Duport , la
forme de procédure par Jurés n'étoit pas
déterminée , et par conséquent il n'existoit
pas d'objet réel de délibération . M. Garat
s'attacha uniquement à la réfutation de ce
plan. Il parla pendant près de deux heures.
La première partie de son Discours n'est
qu'un tissu de critiques faites sans ménagement
, et souvent sur le ton du sarcasme
le plus amer ; au lieu de preuves , et pour
détourner l'impatience et les murmures qui
se manifestoient , il y ajouta quelquefois des
plaisanteries ; il divisa sa seconde partie en
douze argumens principaux, pour réfuter autant
d'articles du plan de M. Duport ; mais ,
comme une répetition d'objections deja si
souvent renouvelées ne faisoit qu'augmenter
l'indisposition des Auditeurs , il fut obligé
de terminer à moitié et conclut en rejetant
les Jurés tant au Civil qu'au Criminel.
2
M. de Clermont- Tonnerre renouvela la
( 208 )
Motion de M. Buzot , dont il développa
P'utilité. Il se plaignit de ce que M. l'Abbé
Syeyes avoit refusé de donner des développemens
à l'ensemble de son plan , par une
phrase qu'interrompirent les plus vifs applaudissemens.
Il est des hommes , dit - il ,
qui sont le patrimoine de leur siecle et de
leur pays , etl'homme dont je parle , etc. ( Les
applaudissemens qui se renouveloient empêchèrent
d'entendre l'eloge , mérité qu'il
fit des talens de M. l'Abbé Syeyes. ) Il conclut
à ce que la priorité fût accordée à son projet
qu'il fit voir être le seul praticable en cet
instant , et par conséquent le seul admissible
sous le rapport des circonstances .
M. Malouet prit ensuite la parole pour
présenter plusieurs objections peu entendues ,
à cause du tumulte qui résultoit soit de leur
peu de rapport avec la nouvelle forme de
délibération qu'on se proposoit , soit de la
fatigue de six heures d'Audience .

L'Opinant , dans un Discours méthodique
et lumineux , rechercha les causes par lesquelles
plusieurs personnes sesont persuadées
que l'institution générale des Jurés étoit
indispensable pour la liberté : « Comme c'est
en Angleterre et en Amérique , dit - il , que
nous puisons nos motifs pour 1 établissement
des Jurés , j'examinerai si le Pouvoir légis
Jatif et exécutif étant constitué en Angle-
-terre et en Amérique tout autrement qu'il
ne l'est parmi nous , nous devons constituer
comme en Angleterre le Fouvoir judiciaire.,»
* .
Je sais que la hiérarchie des Tribunaux
actuellement , subsistans ne sauroit trouver
sa place dans le nouvel ordre de choses qui
s'établit. Il ne s'agit plus d'un Ordre Judi(
209 )
eiaire tel qu'il devoit être pour défendre les
intérêts du Prince contre les grands Vassaux,
où les intérêts du Peuple contre l'autorité
absolue . "
"
Il s'agit de trouver l'ordre le plus pur ,
le plus impartial pour l'Administration de
la justice , celui où l'application de la Loi
ait le moins d'arbitraire ; l'établissement des
Jurés semble remplir ces conditions . Les
Anglois ont reconnu qu'il étoit indispensable
sous leur Gouvernement , dans lequel il
existe une Chambre Haute composée de Pairs
inamovibles et héréditaires , qu'on pourroit
assimiler à ces Cours Souveraines que nous
allons détruire .
"
>>
Pour nous , dont le Corps Législatif
est composé d'une seule Chambre fréquemment
renouvelée , qui avons brisé ces grandes
masses qui subsistoient sous le nom d'Etats
dans quelques Provinces , et multiplié les
Assemblées du Peuple et de ses Représentans
, nous convient - il également de transporter
, dans tous les cas , à des Jurés la
principale autorité des jugemens? Dans une
Constitution mixte , où des prérogatives
et des Pouvoirs héréditaires s'élèvent audessus
des autres classes de Citoyens , sans
doute il est très - important que cette influence
soit balancée par celle du Pouvoir
Judiciaire , et qu'il soit alors très -rapproché
du Peuple ; mais dans une Constitution où
il n'y a plus rien de grand que la Loi , il
faut qu'elle ait une force irrésistible , et que
ses Ministres participent à sa dignite : il doit
y avoir une force quelconque indépendante
des passions et des erreurs du Peuple ; et
comme , de tous les Pouvoirs , celui des Tribunaux
peut le moins s'élever au--dessus de
210 )
la Constitution , il doit aussi être le plus
répiimant et le plus redoutable . Il ne suffit
pas que le Citoyen soit à l'abri des caprices
et du despoti me d'un seul ; il faut encore
qu'il soit efficacement protégé , comme particulier
et comme Magistrat , contre les
violences , les ressentimens , les passions de
la multitude . Or ce genre de protection ne
m'est point assuré , dans certains cas , par
les Jures ; car ils sont trop habituellement
dans la dépendance du Peuple , ils participent
à tous ses mouvemens . Je demande
si un homme soupçonné d'accaparemens
de grains , ou exposé par ses opinions à l'inimitié
du Peuple , seroit en sureté lorsqu'on
le traduiroit devant des Jurés prévenus des
mêmes impressions . "
Si le Peuple , exerçant par ses Représentans
son droit législatif, se réserve une
influence égale sur l'Administration , s'il
dirige par ses Officiers l'emploi de la force
armée , et qu'il garde enfin par l'Election
des Juges une partie principale du pouvoir
Judiciaire , je vois dans les mains du Peuple
l'exercice effectif de tous les Pouvoirs publics.
Je n'y trouve plus d'equilibre ; je
crains qu'un tel Peuple ne soit plus occupé
de ses droits que de ses devoirs , qu'il ne
s'accoutume plus facilement à commander
qu'à obéir ; je crains que ses passions ne
soient plus souvent que ses intérêts la règle
du Gouvernement , et que dans un tel ordre
de choses la liberté publique et individuelle
ne se trouvent compromises.
19
On propose de composer nos Jurés en
partie d'hommes de Lois ; ce qui paroît indispensable
en matière civile : mais ce n'est
que dans les Capitales que l'on trouvera un
( 211 )
assez grand nombre de Légistes , pour que
la récusation et l'alternation de leur service
puissent avoir lieu. "
« L'intervention des Jurés dans les affaires
civiles me paroît done impossible , jusqu'à ce
que nous ayons simplifié nos Lois , et établi
une Jurisprudence uniforme dans tout le
Royaume. "
Dans les affaires criminelles , lorsque je
considère les passions , les violences , les préventions
, les mouvemens impétueux du
Peuple , je ne vois plus une garantie suffisante
contre l'oppression .
་་" Je conclus donc que dans les affaires civiles
la question soit ajournée à dix années : dans les
affaires criminelles , j'admets le jugement par
Jurés pour tous les délits communs ; mais
je demande que dans tous les délits résultans
d'attroupemens , séditions , violences ,
commises soit par le Peuple , soit par un
corps armé, ou par un corps administratif ,
les plaintes soient portées au Tribunal Supérieur
de Département , qui fasse appeler
un grand Juré pris dans le Département
voisin.
Après ce Discours , plusieurs fois interrompu
par des rumeurs qui ne permirent pas
à M. Malouet de développer son opinion , la
Séance fut brusquement levée à 4 heures.
DU JEUDI 8 MARS , séance du soir.
Elle a été ouverte par la lecture de plusieurs
Adresses et Dons patriotiques.
Une Adresse de la Milice Nationale de
Montauban , réunie au Régiment de Languedoc
, en garnison dans cette Ville ,
particulièrement fait éclater la satisfaction
de l'Assemblée. A cette Adresse , dictée par
a
( 212 )
le patriotisme le plus vif , étoit joint un
Acte fédératif de ces deux Corps qui se sont
engagés , par les liens d'un serment récipro
que , de verser jusqu'à la derniere goutte de
leur sang pour l'exécution des Décrets de
l'Assemblée Nationale .
Un Député du Quercy a attesté que la
Milice Nationale de Montauban ayant voulu
proposer le même Pacte federatif à la Milice
de Toulouse , la Municipalité de Montauban
avoit improuvé cet Acte contraire
à l'esprit de subordination.
M. de Lameth demanda que les pièces de
cette affaire fussent remises au Comité des
Recherches. Diverses autres propositions se
croiserent , et toutes concoururent à exciter
dans la partie droite de la Salle le plus violent
tumulte. La partie de la gauche , qui
a la supériorité du nombre , décida 1º . « Qu'il
seroit fait une mention honorable dans le
Procès-verbal de l'Adresse commune du Ré
giment de Languedoc et de la Milice Nationale
de Montauban : 2 °. que le Président
seroit chargé de leur témoigner , par une
lettre , la satisfaction de l'Assemblée : 3° . que
les pieces relatives à la cassation prononcée
par la Municipalité de Montauban servient
renvoyées au Comité des Rapports.
L'inutilité des efforts qu'avoit faits contre
cette decision le parti de l'opposition avoit
déja échauffe les esprits. L'affaire de la Chambre
des Vacations du Parlement de Bordeaux
a achevé d'y porter la combustion .
Un Décret de l'Assemblée , rendu au commencement
du mois de mars , à la suite
d'une dénonciation faite ccoounttrree. cette
Chambre des Vacations , avoit mandé à la
Barre M. Augeard , Président , pour y rea(
213 )
dre compte des motifs d'un arrêt de cette
Chambre , relatif aux troubles des Provinces
méridionales , et regardé comme incendiaire
etinjurieux à l'Assemblée Nationale. M. Dudon
, Procureur- général , dont le Réquisitoire
avoit donné lieu à cet arrêt , a été dispensé
, à cause de son grand âge , de se
rendre à Paris . L'on a fait aujourd'hui lecture
de sa lettre de justification . M. Augeard
ayant ensuite été introduit à la baire , M. le
Président lui a dit :
"
"
MONSIEUR ,
Si l'Assemblée Nationale n'avoit écouté
« que la rigueur des principes ; si , pesant
a tous les termes de l'arrêt de la Chambre
" des Vacations du Parlement de Bordeaux,
en date du 20 février dernier , elle se fût
déterminée par cette seule considération,
peut- être eút elle déployé une sévérité capable
de retenir dans la soumission tous
ceux qui tenteront inutilement de mettre
des obstacles au succès de ses travaux . »
"
"
A peine ces derniers mots étoient - ils prononces
, que l'on a vu se lever avec une fureur
inconcevable , la majeure partie du côté
droit , qui lançoit contre M. le Président
les déclamations les plus injurieuses , menaçant
du geste et faisant retentir la Salle et
les environs d'un tumulte qui , à ce que plusieurs
personnes nous ont assuré , a fait
prendre les armes à tous les Corps - de - Garde
voisins. M. le Président fit dire à M. Augeard
de se retirer pour un instant ; mais l'insurrection
n'en devint que plus a imée et l'opposition
redoubla. M. d'Espréménil et M.
l'Abbé Maury s'étant bientôt distingués
comme les chefs du désordre , se plaignirent
d'avoir été insultés par quelques per(
214 )
sonnes placées dans les Tribunes . En conséquence
de la réclamation de ces deux Membres
, le President ordonna aux Officiers de
garde de les arrêter ; cet incident ayant un
peu retabli le silence , il exposa qu'il ne
ne croyoit pas possible que l'Assemblée délibérât
devant le Magistrat présent à la
barre , sur la convenance du discours qu'il
devoit lui prononcer. La grande majorité
confirma son avis , et M. Augeard s'étant
rétiré , il fit lecture du discours entier qu'il
avoit préparé , et ce discours obtint encore
de la majorité les plus grands applaudissemens.
M. Augeard a donc été introduit de
nouveau , et M. le Président a continué en
"
ces mots :
"
" Mais l'Assemblée Nationale ayant égard
« aux circonstances , et cherchant à se persuader
qu'en croyant faire le bien on pouvoit
s'égarer sans être coupable d'intention
, vous a mandé pour apprendre de
" vous- même quels ont été les motifs de la
conduite de la Chambre des Vacations du
Parlement de Bordeaux . Punir est pour
« l'Assemblée Nationale le fardeau le plus
« pesant ; persuader , voilà son voeu le plus
empressé : elle ne cessera d'être indulgente,
qu'au moment où on la forcera d'être sé-
" vère . "
"
"C
"
M. le Président a lu ensuite le Décret qui
mandoit M. Augeard , et ce Magistrat y a
répondu par un discours que tout le monde
connoit , et qui n'a pas peu contribué à exciter
la fermentation de cette Séance , la plus
orageuse de toutes.
"
M. le Président a dit : l'Assemblée a entendu
vos motifs ; elle y délibérera ; vous
pouvez vous retirer.
( 215 )
M. de Croix , montant de suite à la Tribune
, demanda le renvoi de ce Discours au
Comité des Rapports . M. de Clermont- Tonnerre
y parut animé du même esprit . J'appuie
, dit- il , la motion du Préopinant , et je
crois que le Magistrat qui vient de vous parler
est plus difficile à disculper pour son Discours
, que pour l'Arrêt même pour lequel il
a été mandé. » A ces paroles , une nouvelle
explosion , qui partoit de l'extrémité où siégeoit
M. d'Epresménil , et se communiquoit
jusqu'au milieu de la Salle , étouffa la voix
de M. de Tonnerre. M. de Lameth ayant demandé
que M. d'Espréménil fût rappelé à
l'ordre , et noté dans le Procès- verbal , l'O .
rateur reprit , en s'élevant avec force contre
les insinuations de la malveillance , relativement
à la situation actuelle du Roi. Personne
n'est plus affecté que moi , ajouta- t- il ,
des malheurs que nous a rappelés M. Augeard;
personne n'a plus fortement séparé le bien
de la révolution , d'avec la douleur de voir le
Roi entouré de perfides Courtisans qui n'ont
cherché qu'à le tromper ; mais doit- on compter
pour rien la consolation qu'il a aujourd'hui
d'être au milieu d'un peuple libre , et
qui le sera toujours ,quels que soient les efforts
des ennemis de la révolution ? »
>>
On renouvella la Motion de rappeler à
l'ordre M. d'Esprémenil. Un Membre l'accusa
d'avoir dit tout haut à M. Augeard :
"
33
Monsieur , je vous demande bien pardon
pour notre Président ; il ne sait ce qu'il dit.
Plusieurs autres expressions bien plus viólentes
de M. d'Esprémenil et de l'Abbé
· Mauryexcitèrent l'indignation publique ; elles
ne peuvent être échappées qu'à un délire de
l''eemportement , et prouvent combien sont
( 216 )
dangereuses , au milieu du choc des passions ,
lesSeances quisuivent immédiatement l'heure
des repas.
M. le Président tenta plusieurs fois , et
très- prudemment , de lever la Séance ; mais
toujours la majorité , immobile et tranquille
au milieu des clameurs , s'y opposa . M. d'Esprémenil
essaya de se justifier. Les Membres
mêmes de son parti l'empêchoient de se faire
entendre par le tumulte auquel ils se livroient.
La justice veut pourtant que l'on distingue
dans cette partie droite de l'Assemblée , un
assez grand nombre de personnes modérées
qui , également éloignées de tout extrême ,
conservent constamment le calme de la raison
, et sont loin de participer aux violences
indécentes produites par l'esprit de parti ,
ou d'autres causes moins excusables.
"3
Les progrès de cette effervescence s'étendirent
pendant plus de deux heures , au bout
desquelles les forces physiques desinsurgens
s'étant épuisées , M. le Président consulta
l'Assemblée sur la Motion de M. Lameth. “
Il fut décidé que M. d'Espremenil seroit
rappelé à l'ordre , et son nom consigné dans
le procès- verbal . Une cinquantaine de ses
partisans vinrent au bureau au moment où
Ja Séance fut levée , et , demandant d'être
aussi rappelés à l'ordre , voulurent signer
une réclamation.
DU VENDREDI 9 AVRIL.
Après quelques contestations intervenues
à la lecture du Procès- verbal de la Séance
précédente , M. de la Rochefoucault , l'un
des Commissaires chargés de l'aliénation des
biens Ecclésiastiques , présenta un projet
de
( 217 )
de Décret qui , après une longue discussion ,
fut unanimement adopté :
W
"
"
"
"
"
" L'Assemblée Nationale , considérant qu'il
est important d'assurer le payement à
époque fixe des obligations Municipales
qui doivent être le gage des assignats , a
décrété que toutes les Municipalités qui
voudront , en vertu des précédens Décrets ,
acquérir des biens Domaniaux et Ecclésiastiques
, dont la vente est ordonnée ,
devront , préalablement au traité de vente ,
« soumettre du Comité chargé par l'Assem-
« blés de l'aliénation de ces biens , les moyens
qu'elles anront pour garantir l'acquittement
de leurs obligations aux termes qui seront
« convenus ; qu'en conséquence , la Commune
de Paris sera tenue de fournir une
soumission de Capitalistes solvables et accrédités
, qui s'engageront à faire les fonds
dont elle auroit besoin pour l'acquittement
de ses premieres obligations , jusqu'a concurrence
de 70 millions , et qu'elle est
autorisée à traiter des conditions de cette
soumission , à la charge d'obtenir , pour
ces conditions , l'approbation de l'Assemblée
Nationale
«
«
""
"(
"
"
"
SS
40
M. Anson , Membre, du Comité des Finances
, a fait ensuite un Rapport sur la
nature des assignats qui doivent être mis
en circulation , en attendant la réalisation
de la vente des biens Ecclésiastiques ; ce
Rapport est concerté , tant avec le premier
Ministre des Finances qu'avec les Députés
du Commerce . Nous en recueillerons les
principales idées.
« Les assignats , dit M. Anson , doivent
suppléer la rareté du numéraire , et prendre
le place des billets de la Caisse d'EN
º. 16. 17 Avril 1790. L
( 218 )
compte ; ils doivent être la base des ressources
de 1790 et des moyens de détruire
Jes anticipations. Nous avons examiné tous
Jes autres moyens partiels qu'on présente ;
il faudroit qu'ils fussent employés tous à- lafois
, et cela même fait douter de leur succès .
Nous rejetons les mesures compliquées , les
palliatifs qui ne feroient que perpétuer le
discrédit. »
". Il faut renoncer à toute anticipation ;
vous avez déja reconnu que c'étoit la ressource
la plus impolitique et la plus dispendieuse.
Ce point déterminé , nous nous
trouvons entraînés vers l'émission d'un Papier
National . On va sans doute accumuler
autour de vous tous les inconvéniens qu'on
a éprouvés autrefois dans les opérations de
cette nature ; mais nous vous observerons
que toutes les espèces de numéraires fictifs
mises jusqu'ici en usage , n'ont de commun
que le nom avec celui que nous vous proposons
aujourd'hui. Le Papier - Monnoie n'a
ordinairement qu'une hypothèque générale ;
il s'agit ici d'une hypothèque spéciale ,
affectée
sur des immeubles certain . "
་་ Entrons dans l'examen de notre position
actuelle. Il est certain que le numéraire a
disparu , et que les billets de caisse ne peuyent
plus en tenir lieu . Le paiement de ces
billets paroissoit pouvoir être tres- prochain ;
on avoit pris des précautions pour les retirer.
Le Comité a cru que sans secousses sans
efforts , l'argent seroit rappelé dans la cir→
culation . Dans des temps plus heureux , ces
espérances se seroient réalisées ; mais en
vain les Actionnaires ont retiré de ces billets
pour les sommes produites par les demi-
actions qui ont été créées ; en vianoat(
219 )
is vonlu vendre des assignats ; les inquiétudes
sur la Caisse se sont aecrues. Le payement
à Bureau ouvert , au premier Juillet ,
devient incertain. Il en eût été autrement
si les frais du Culte eussent été déterminés
et le remplacement de la dîme prononcé.
Nous ne cesserons de vous prier de fixer les
Idées sur tout ce qui regarde la hiérarchie
Ecclésiastique , parce qu'il est indispensable
de dégager de toute hypothèque les biens
qui seront mis en vente. »
" C'est ici le lieu de relever une erreur
qui s'est propagée dans le Public . On a
dit que nous mettrions en circulation des
billets Municipaux ; ce n'est point là l'opéråtion
que nous vous proposons ; on a voulu ,
en confiant la vente aux Municipalités , exproprier
le Clergé . Nous avons vu les heureux
effets de cette disposition . Il arrive de toutes
parts des soumissions des Villes . Il est donc
temps de poser la base d'un crédit vraiment
National , le type du remboursement de la
dette publique . "
K
Ce papier s'éteindra définitivement par
la vente des biens hypothéqués , et cette
vente certaine augmentera sa valeur. Il ne
sera autre chose qu'une sous - division des
soumissions fournies par les Municipalités ;
ilaura une valeur immobiliaire que n'a jamais
eue aucun papier National ; ces immeubles
ne pouvant échapper aux derniers possesseurs
de ces assignats. "
" Vous avez déja fixé à cinq pour cent ,
par votre Décret du 19 Décembre , les intérêts
des assignats qui seront donnés en
payement à la Caisse d'Escompte ; mais dans
la nouvelle opération que nous vous proposons
, il existe une différence nécessaire ; il
Lu
( 220 )
faut donc de nouveau examiner la question .
Sans doute , il faudroit un très - grand interêt
si les assignats ne devoient pas circuler ;
mais il est à craindre qu'on ne nuise aux
effets du Commerce , et que l'escompte ne
wonte en proportion de l'intérêt des effets
circulans. Il est juste de prendre des précautions
pour ne pas nuire aux Lettres dechange
. Les Manufactures empruntent de
l'argent à cinq pour cent , il faut que l'intérét
des assignats soit au - dessous de ce taux.
Quelques personnes voudroient que l'on eût un
papier sans intérêts ; mais il ne faut pas
perdre de vue qu'il s'agit du service de 1790 ;
service qui devroit deja être assuré , et qui
ne-le sera qu'autant que les assignats seront
recherchés . Au moyen de ces intérêts , une
grande quantité des assignats sera conservée
dans les porte -feuilles , ce qui ramènera
une égale quantité de numéraire dans la
circulation . D'après le vou des Députés du
Commerce , nous avons pensé que l'intérêt
devoit être porté à quatre et demi pour cent.
Ceux qui prétendent que le cours des assignats
ne devroit pas être forcé , mais seulement
rendu attrayant parun plus fort intérét ,
commettroient une grande injustice ; car les
porteurs des créances ne sont presque jamais
les créanciers primitifs auxquels légitimement
cette augmentation d'intérêt seroit due ;
ce seroit d'ailleurs une surcharge pour l'Etat,
et si nous forçons nos Créanciers de recevoir
pos assignats , les leurs ne doivent - ils pas
les recevoir de même ? »
Quant à la quotité , deux motifs nous
déterminent à la fixer à 400 millions : 1 ° . il
faut qu'elle supplée au numéraire qui nous
manque ; mais il seroit dangereux qu'elle
( 221 )
pût remplacer celui qui existe actuellement
dans la circulation : 2º . ce qui rend un numéraire
fictif plus digne de confiance , c'est
la prochaine aliénation de l'hypothèque ; or ,
vous n'avez encore décrété la vente que
d'une valeur de 400 millions d'immeubles. "
A la suite de plusieurs autres observations
de détail , M. Anson proposa un projet de
Décret en 18 articles , que nous donnerons
avec les modifications qu'y mettra probablement
l'Assemblée Nationale , en cas qu'elle
l'adopte .
A la suite de ce rapport , M. Chassey en
a fait un dernier , au nom du Comité des
Dimes , dont nous ne présenterons que la
substance. Ce Comité est composé de Commissaires
tirés du Comité Ecclésiastique , du
Comité d'Agriculture , de celui des Finances
et de celui des Impositions ; son travail est
fondé en partie sur celui que le Comité Ecclésiastique
a préparé relativement à l'entretien
du Clergé.
Selon ce travail , la dépense totale du
culte , pour l'avenir , montera à 65,400,000l . ,
et il y aura 48,000 Ministres . La dépense
actuelle est de 133 millions.
Pour fournir à ces dépenses , le Comité
propose de prélever annuellement les frais
du culte sur les contributions générales . La
Dime sera supprimée , et la totalité des
biens Ecclésiastiques placée dans les mains
de la Nation . Il'évalue les revenus territoriaux
du Clergé à 170 millions ; le produit
net de la Dime à 100 millions : cependant
elle pesoit sur le Peuple de 133 millions ,
ea comprenant les dimes inféodées qui coútoient
o millions , et 23 millions pour les
Lij
( 222 )
bénéfices des Fermiers. Ainsi les Peuples seront
affranchis d'un impôt de 133 millions .
Premier bénéfice qui résultera de cette
opération la Dîme étoit une source de proces
et de vexations qui vont être détruits.
Second bénéfice : l'agriculture sera soulagée ,
les frais du culte ne portant plus uniquement
sur les terres .
Les revenus du Clergé dégagés de charges
et les frais du culte payés laissent 63 millions
, d'où il faut deduire 15 millions pour
le payement des Dimes inféodees et pour les
dettes du Clergé. Reste pour dernier benéfice
48 millions qui seront employés à liquider
P'Etat.
On peut ajouter l'extinction des rentes et
des capitaux qui seront remboursés chaque
année ; la diminution progressive des frais
du culte , l'augmentation du prix des baux ,
qui sont tenus très- bas à cause des pots - devin
perçus par les Titulaires Ecclésiastiques.
Ce plan est donc avantageux au Peuple et
à la chose publique ; il est juste et constitutionnel
, puisque chacun contribuera , proportionnellement
à ses facultés , aux frais da
culte. Vous payerez les Ecclésiastiques en
argent , parce qu'il est impolitique que des
grands Corps aient des propriétés . Vous
montrerez aux créanciers de l'Etat des gages,
en prenant possession des biens Ecclésiastiques
, et les faisant administrer par les
Assemblées de Districts et de Départemens.
Après avoir donné à ces considérations
tous les développemens dont elles étoient
susceptibles , M. Chassey a conclu par un
projet de Décret conforme à ces principes .
L'impression de ces deux Rapports a été
ordonnée , et la Séance levée à 4 heures.
( 223 )
DU SAMEDI 10 AVRIL.
M. Gossin a exposé , que dans beaucoup
de Municipalités il s'étoit élevé des demandes
de dispense d'âge , pour des personnes qui ,
quoique n'ayant pas 25 ans , ont mérité le
choix de la Commune . Il a été décidé que
les Décrets sur les conditions de l'éligibilité ,
seroient exécutés sans aucune dispense,
M. Vernier a communiqué , au nom du
Comité des finances , les pétitions d'un grand
nombre de Villes qui demandent à être autorisées
à faire des emprunts ; ces demandes
ont toutes été confirmées par l'Assemblée .
Le même Membre a proposé le projet de
Décret suivant , adopté sans opposition.
46
་་

14
$4
L'Assemblée Nationale instruite par son
Comité des finances , que son Décret du
.18 Janvier dernier , sanctionné par sa Majesté
le même mois , avoit été abusivement
" interprété dans différentes Municipalités
du Royaume , a déclaré que par ledit
« Décret du 18 Janvier , elle n'a entendu
excepter de la formalité du Contrôle et
de ceux du papier timbré pour les lieux
où il est en usage , que les actes rela-
" tifs aux élections des Municipalités , Corps
administratifs , Délibérations , et générale-
" ment tous les actes de pure administration
intérieure ; et qu'à l'égard de tous autres
actes ci - devant assujettis aux droits de
" contrôle et de formule , ils continueront
d'y être sujets comme par le passé , sans
rien préjuger sur le contrôle des ventes
» et aliénations à faire aux Municipalités ;
et à l'égard des Municipalités qui , par
une fausse interprétation du Décret du
18 Janvier , se seroient dispensées de la
4
64
.
Liv
224 )
"^
« formule et du contrôle de quelques actes
qui y seroient sujets , ils seront soumis aux
droits ordinaires sans aucune contravention
M. le Président a lu une lettre de M.
Necker, dans laquelle il demande , au nom
du Roi , un crédit au moins de 20 millions
sur la Caisse d'Escompte , pour le service
des mois d'Avril et de Mai . Il ajoute qu'il
répondra aux insinuations répandues contre
lui dans les deux derniers rapports du Comité
des pensions .
291
Il est bien étonnant , s'est écrié M. de
Biauzat , qu'on ne nous apprenne nos besoins
qu'à l'instant où il faut y pourvoir ; et qu'on
ne nous fasse pas connoître les besoins qui
nécessitent ces secours , etc..
Le Comité des pensions , a ajouté M. le
Camus , ne désire rien tant que de voir attaquer
son rapport ; il n'a rien dit que sur
des pieces authentiques. Il ne craint donc
pas cette discussion ; elle peut avoir l'avantage
de jeter du jour sur des matières obscures,
et de découvrir de plus en plus les abus .
Nous avons appris qu'il existe un registre
de décisions , contenant jour par jour les
sommes immenses qui doivent se payer. Nous
l'avons demandé le 18 Mars. Le Samedi
Saint , M. Necker nous a répondu que nous
pouvions en prendre, communication , chez
M. Dufesne de Saint- Léon , Commis du
Trésor Royal. Nous devions nous y rendre
le Samedi suivant ; il nous écrivit qu'il étoit
obligé de se trouver à un Comité qui se
tenoit chez M. Necker. Nous allâmes chez
le Ministre , qui nous avoua avoir dit à M.
de Saint- Léon de ne pas se trouver chez lui ,
parce qu'il espéroit qu'ainsi nous ne pren(
225 )
drions pas connoissance du livre des décisions.
I nous reprocha d'avoir fait imprimer
le Livre - Ronge sans l'autorisation
de l'Assemblée Nationale ni du Roi.
Nous observâmes que , quant à l'Assemblée
, c'étoit à elle seule que nous devions
rendre compte des motifs qui nous avoient
fait agir ; et que relativement au Roi , nous
ne sommes pas ses Représentans , et ne lui
devons aucun compte de la mission dont
l'Assemblée nous a chargés. Nous ajoutâmes
qu'il avoit fallu demander pendant 3 mois
le Livre Rouge , et que nous ne savions par
quelles raisons nous n'avons pas encore pu
obtenir les originaux des bons des pensions
qui existoient sous M. de Calonne , Vous
voyez , MM. , au mépris de vos Décrets ,
multiplier les obstacles à nos opérations.
M. Fréteau appuya et la Motion de M.
Biauzat , et les observations de M. Camus ,
et il fut proposé de renvoyer la Lettre
du Ministre au Comité des Finances ; de
lui demander un état exact des dépenses qui
exigent des secours extraordinaires pour ce
mois et le suivant , ainsi que le tableau du
déficit et de ses causes ; l'état des fonds en
Caisses , celui des impositions directes
en retard ; l'envoi de tous les Registres de
recette et de dépense , excepté les Registres
journaliers .
au M. Barrère de Vieusac a présenté
nom du Comité Domanial , le tableau des
Domaines Royaux propres à être mis en
vente , concurremment avec ceux du Clergé.
Il résulte de ce Rapport qu'exception faite
des forêts , apanages et maisons royales qu'il
plaira au Roi de conserver , la vente de
Domaines territoriaux , droits réels et incor-
Ly
( 226 )
porels , peut produire un capital de 122
millions .
La discussion s'étant ensuite établie sur le
projet de Décret présenté hier par le Comité
des Finances , M. Martineau a réduit
ce projet à trois questions principales . Quelle
sera la somme des assignats ? leur cours serat-
il forcé ? porteront- ils intérêt ?
Il a élevé la somme des assignats à
800,000,000 liv . , pour subvenir à - la - fois à
tous les besoins. Il a prouvé ensuite qu'ils
deviendroient injustes et inutiles si le
cours n'en étoit forcé. Et enfin , de cette disposition
, il conclut que les assignats ne devoient
point porter d'intérêt.
M. Prieur , qui paroissoit être du même
avis , demanda que , sans désemparer , l'on
décrétât l'expropriation du Clergé , et la suppression
des dîmes ; ce qui mettra , dit- il ,
une masse énorme d'hypothèques entre les
mains de la Nation , seul moyen de rétablir
la confiance publique.
Cette Motion , long- temps débattue , occupa
le reste de la Séance ; il fut décidé.
que demain l'on traiteroit les questions que
proposoit M. Prieur, conformément aux trois
premiers articles du projet de Décret présenté
hier par le Comité des Dîmes .
DU SAMEDI 10. SÉANCE DU SOIR .
Après la lecture d'un grand nombre d'Adresses
, l'on a introduit successivement à la
barre plusieurs députations , dont la première
composée des Représentans de la Commune
de Paris , ayant M. Bailly à leur tête , présenta
à l'Assemblée un plan d'organisation
de la Municipalité. Des Députés de plusieurs
Districts de la Capitale sont venus
( 227 )
annoncer la soumission et le respect avec
lequel ils recevroient l'organisation quelconque
qu'il plaira à l'Assemblée de donner
à leur Municipalité .
"
Enfin , une Deputation du Bataillon des
Vétérans composé de six cent - soixante
Soldats Citoyens , ayant tous atteint au
moins l'âge de 60 ans , est venu offrir à l'As¬
semblée l'hommage de son zèle et de son expérience
. Ils demandent que leur Bataillon
devienne le dépositaire du terrible drapeau
rouge , de ce signal de rigueur qu'on n'aura
peut-être jamais l'occasion de déployer. L'Assemblée
applaudit à leur dévouement , et ordonne
qu'il en sera fait mention dans le
Procès-verbal.
M. Goupilleau a fait ensuite le rapport des
contestations élevées entre la Municipalité
et la Milice Nationale de Montauban.
Les différentes passions des Opinans leur
faisant louer ou blâmer la Municipalité , M.
Charles de Lameth s'écria : « Je ne sais pas
comment l'on peut prétendre qu'une Municipalité,
élue peut - être par un peuple trompé,
a pu blâmer ce que vous avez applaudi avec
transport . Il est très - nécessaire de redonner
de la force et du zèle aux amis de la Constitution.
L'aristocratie redouble d'efforts :
pendant la quinzaine de Pâques , on n'a pas
craint d'abuser des choses les plus sacrées ,
pour égarer les Peuples. ».
La partie droite de l'Assemblée s'étant
soulevée à ces mots , M. le Président a rappellé
M. de Lameth à l'ordre de la question ;
il s'y soumit , en ajoutant cependant qu'il
avoit cru pouvoir exprimer dans l'Assemblée,
ce que tout le monde atteste dans Paris ; il
Loj
( 228 )

dénonça ensuite une lettre incendiaire de
M. P'Evêque de Blois.
M. l'Evêque de Clermont se plaignit amèrement
des expressions de M. de Lameth. Si
l'on continue ainsi , dit- il , il sera impossible
au Clergé d'assister à vos Séances . Il sortit
en effet brusquement de la Salle , et un
grand nombre de Membres Ecclésiastiques
le suivirent ; ils rentrèrent quelques instans
après ; mais le tumulte ne s'appaisa pas davantage.
Répandus au milieu de la Salle ,
avec une fureur inexprimable, ils firent encore
perdre cette Séance , qui fut entièrement
employée à cette discussion , et terminée à
dix heures et demie par le Décret suivant ,
que rédigea M. Barnave.
"
K
"
#f

"
L'Assemblée Nationale , après avoir entendu
son Comité des Rapports , consacre
de nouveau le principe de la subordination
des Gardes Nationales anx Municipalités ,
" par l'intermédiaire desquelles les ordres du
« Pouvoir exécutif doivent toujours leur être
transmis . Au surplus , considérant que la
lettre circulaire écrite par la Garde Nationale
de Montauban , en date du 13 mai,
" a été dictée par le plus pur patriotisme,
et n'a pu avoir pour objet de se soustraire
à l'autorité de la Municipalité , à laquelle
elle est essentiellement subordonnée ; elle
approuve le zèle de la Garde Nationale ,
et charge son Président de lui écrire , ainsi
qu'à la Municipalité , pour les inviter à
travailler de concert au maintien de la
Constitution et de la tranquillité publi-
41

H
་ ་
M
"
"
་ ་ ་
60
que. »
DU DIMANCHE 11 AVRIL.
La Motion de M. Mougins de Rocquefort
( 229 )
a été présentée aujourd'hui par le Comité
Ecclésiastique , chargé de l'examiner , et décrétée
de la manière suivante :
48
"
" Dans toutes les Paroisses où il y aura
deux ou plusieurs titres de bénéfice - cures ,
il sera , par provision , en cas de vacance
« ou de démission de bénéfice - cure , sursis
« à toute présentation , collation et provision
.
"
"
La question de l'expropriation du Clergé
a été mise en discussion .
M. d'Elley d'Agier et l'Abbé Grégoire ont
présenté sur cette question des vues qui paroissent
approuvées par la majorité de l'Assemblée
; tous deux se réunirent à adopter
le principe du Comité des dîmes ; mais le
second demanda , par amendement , que les
Curés et les Vicaires reçussent la moitié de
leurs traitemens en fonds de terre ; disposition
qui a l'avantage de les tranquilliser sur
leur sort , en cas d'événement critique dans
les finances , et de contribuer au perfectionnement
de l'agriculture.
M. Treilhard appuya , par une longue dissertation
, les principes du Comité des
Dimes.
M. l'Evêque de Nancy protesta , au nom
du Clergé , contre ce Projet , et , après l'avoir
réfuté dans toute son étendue , demanda
que sa réclamation fût consignée dans le
procès - verbal. Cette discussion commencée
et finie d'une manière très -orageuse , pour
prévenir le désordre , fut abrégée . M. le
Président leva la Séance , à trois heures et
demie. Nous en donnerons la semaine prochaine
les détails .
230 ) J
Enfin , il vient de paroître ce Livre-
Rouge si long-temps attendu ! Sans doute
il donne matière à bien des réflexions ;
nous nous bornerons pourtant à celles
des éditeurs. Que dire en effet d'aussi
énergique et d'aussi frappant que cette
série de chiffres dont le résultat passe un
milliard ! L'avertissement est trop important
pour ne pas le transcrire en -entier
; le voici :
"
Le Comité des Pensions s'étoit proposé
de faire imprimer le Livre Rouge , lorsque les
objets qui y sont portés le placeroient à son
rang dans la collection des traitemens qui est
actuellement er distribution . Le dépouillement
de ce livre devoit être suivi du détail
des gratifications extraordinaires , acquis de
(comptant , et autres objets compris aux ordonnances
de comptant , dont la masse est
énorme. Mais l'ordre de travail que le Comité
s'est prescrit pouvant retarder encore
de quelques semaines la publicité des détails
contenus dans le Livre Rouge , le Comité
s'est déterminé à le faire paroître dès - à- présent.
"
14
On avertira , à cette occasion , que le
Livre rouge n'est pas le seul registre qui
contienne les preuves de l'avidité des gens
en faveur. Les travaux continuels auxquels
le Comité se livre lui découvrent une multitude
de preuves d'autres déprédations qu'il
fera successivement connoître. Dans un moment
où la nation travaille à mettre l'ordre
et l'économie dans les finances pour soulager
le peuple, dans un moment où le peuple porte
avec confiance une partie de son nécessaire
au Trésor public , il ne faut pas lui laisser
( 231 )
Ignorer comment les ordonnances de comptant
, imaginées pour voiler une infinité de
depenses qu'on auroit eu honte d'avouer , se
porterent :
En 1779 , à 116,176,562 liv . 14 5. 7
En 1781 , à 91,971,413. Eu
En 1782 , à 87,143,428
En 1783 , à 145,438,131
En 1784 , à 111,714,986
En 1785 , à 136,684,828
En 1786 , à 87,958,401
En 1787 , à 82,913,075
་་

d. (1 ).
17 6
2 9
19 9
14 9
5 2
6 7
16 I
Il faudra mettre sous les yeux de la
Nation l'audace des Ministres, dont un, comblé
des graces du Roi , et jouissant de98,622 1 .
de traitemens et pensions; après avoir obtenu ,
le 26 Mars 1785 , des pensions pour dix per
sonnes de sa famille ; après avoir ajouté de
son autorité , le 23 avril , une onzième pen
sion en faveur d'un parent qu'il avoit d'abord
oublié , formoit encore , le 4 Septembre 1787 ,
les demandes suivantes : un Duché Héréditaire
; 60,000 liv . de pension ; 15,000 liv . réversibles
à chacun de ses deux enfans
somme pour l'aider à arranger ses affaires.
Un autre , en se faisant honneur dans le public
de ne prendre que moitié de la pension
de 20,000 fiv. qu'il étoit d'usage d'accorder
aux Ministres , demandoit , le 26 Novembre
1788 , une quittance de 100,000 ; somme
dont il se trouvoit débiteur dans son propre
; une
( 1 ) Le Comité n'a pas , en cet instant ,
sous les la note de l'année 1780 , non
yeux
plus que celle de l'état complet de 1788
et 1789.
( 232 )
Département , sur les deniers confiés à sa
discrétion , et donnoit , pour motif de sa demande
, que ses prédécesseurs avoient obtenu
presque tous les ans des gratifications
de 80 et 100 mille livres .
"
"
Il faudra que l'on sache comment quelques
Ministres accordoient des pensions sans
la volonté , outre la volonté , contre la volonté
du Roi ; que l'on apprenne que le rt février
et le 27 Mai 1788 , des Ministres faisoient
recevoir au Trésor Royal , par leurs
Secrétaires , des sommes pour lesquelles
l'ordonnance du Roi ne se trouve datée que
de plusieurs jours après.
}}
ne
« Mais les travaux du Comité n'étant pas
encore achevés , à cause des détails immenses
que les recherches entraînent , il a besoin
du temps nécessaire pour mettre ses résultats
enordre. Rien de ce qu'il pourra connoître ,
sera soustrait aux yeux de la Nation. Il ne
parlera jamais que d'après les pièces ; il ne
dira jamais que la vérité mais il dira
toute vérité ; et s'il se rencontroit des obstacles
à ce qu'il connût quelque vérité , il dénonceroit
ces obstacles à la Nation . Le Comité
pourra faire imprimer un jour sa correspondance
, afin que le public sache quels sont
Les Ordonnateurs qui se sont empressés de
le mettre en état de découvrir les abus , et
quels sont ceux qui se sont vainement flattés
de conserver , sous un voile obscur , des
détails qu'il étoit apparemment de leur intérêt
de laisser ignorer. "
"
Le comité des pensions terminera cette
note , en répétant ici ce qu'il a déjà annoncé
publiquement. Le Roi a été souvent trompé
par les prétextes dont on couvroit des demandes
indiscrettes . En lui présentant des
( 233 )
On occasions de bienfaisance particulière
détournoit un moment ses yeux des besoins
de son peuple . Jamais , lorsqu'il a été question
, ou de ses affaires , ou de ses goûts
personnels , on n'a pu lui persuader de s'écarter
d'une sévère économie . Le comité
fera remarquer les réponses du Roi à des
propositions qui le regardoient personnellement.
Elles portent : Il n'y a rien de pressé.
Bon , à condition que cela n'occasionne pas
de nouvelles dépenses ( 1 ) ».
Le Roi a senti la nécessité indispensa
ble de réprimer à jamais ces sollicitations
importunes qui dévoroient la substance de
son peuple : il s'est entouré de la Nation,
pour y résister et en faire cesser l'abus .
Les voeux du Roi pour le soulagement de
la France ne seront pas illusoires. La Nation
ne peut s'appercevoir qu'avec satisfaction.
qu'en supprimant à l'avenir tous les dons
indiscrets , qu'en cessant d'être prodigue
pour être toujours généreuse , elle diminuera
la masse des dépenses peut - être d'un cinquième
par chaque année. C'est ainsi qu'en
réunissant les travaux et les découvertes des
différens comités , l'assemblée , sera enfin à
portée de connoître les véritables sources.
de cette dette immense , qui s'est formée
depuis douze ans environ , et dont l'état
au vrai , ainsi que les. causes , sont encore
un probleme ».
Fait au Comité , le premier Avril 1790.
Signés , Camus , Goupil de Prefeln , Gautier
de Biauzat , l'Abbé Expilly , le Marquis de
Montcalm-Gozon , le Baron Felix de Wimp-
(1 ) Voyez le rapport fait au Roi , en février
1790 , de la recette des fonds du gardemeuble
, pages 22 et 23 :
( 234 )
fen , Fréteau , Treilhard , de Menou , de Champeaux-
Palasne , Cottin , L. M. de Lépeaux.
« Ce Livre est un régistre de dépense , composé
de 122 feuillets , relié en maroquin rouge.
On a employé , pour le former , du papier de
Hollande de la belle fabrique de D. et C.
Blaen , dont la devise , empreinte sur le papier
est pro patriâ et libertate. » ง
Les dix premiers feuillets renferment des
dépenses relatives au règne de Louis XV ; les
trente-deux qui suivent appartiennent au rè
gne du Roi ; le surplus est en blanc. Le premier
article , en date du 19 mai 1774 , porte
200,000 1. pour une distribution faite aux
pauvres , à l'occasion de la mort du feu roi.
Le dernier article , en date du 16 août 1789 ,
énonce la somme de 7,500 liv. pour un quartier
de la pension de Madame d'Ossun , »
" Chaque article de dépense est écrit de la
main du Contrôleur-général , et ordinaire
ment paraphé de la main du Roi. Le paraphe
est une L avec une barre au - dessous. Ainsi le
Livre porte successivement l'écriture de M.
l'Abbé Terray , de M. Turgot , de M. de Clugny
, de M. Necker , de M. Joly de Fleuri , de
M. d'Ormesson , de M. de Calonne , de M.
de Fourqueux , de M. Lambert , et de M. Nec
ker, En générales articles de la même main
sont sous une même suite de numéros ; et lorsque
l'administrateur cesse d'être en fonction
il y a un arrêté quelquefois de la main du Roi.
C'est parmi les articles du temps de M. Turgot
, de M. de Cluny et de M. de Fleuri , qu'il
s'en trouve quelques-uns non paraphés .
La première communication du Livre
Rouge a été donnée au comité des pensions ,
chez M. Necker , en présence de M. de Mont
morin , le 15 mars apres midi . M. Neckerayant
rappelé au comité le désir que le Roi avoit
( 235 )
qu'on ne prît pas connoissance de la dépense
de son aïeul , les membres du comité , fidèles
aux principes de l'Assemblée nationale , s’abstinrent
de porter un oeil curieux sur cette
dépense , et commencèrent la lecture du Livre
au premier article du regne actuel. »
La lecture finie , le comité demanda que
le Livre lui fût envoyé au lieu de ses assemblées
, pour y être examiné librement , et pour
que les membres du comité pussent prendre
toutes les notes qu'ils jugeroient à propos . On
consentit que la seule portion qui avoit rapport
au règne de Louis XV fût scellée d'une
bande de papier. L'envoi demandé a eu lieu.
Le comité a d'abord fait l'examen le plus
attentif de la forme et de l'état du Livre ; et
après s'être assuré qu'il étoit dans son intégrité
et sans altération , il en a fait le dépouillement
qu'il publie aujourd'hui . »
Ce dépouillement consiste en dix Chapitres.
Dans le premier , on voit les sommes
données aux Frères du Roi ; et à l'exception
de 150,000 liv . données le 13 Juin 1774
à M. le Comte d'Artois, pour la finance d'un
Régiment de Dragons , elles sont toutes depuis
1783 jusqu'en 1787. Le total est dé
28,364,211 liv . 13 sous 6 den . Un Mémoire
de M. de Calonne au Roi , du 28 Décembre
1783 , imprimé à la suite de ce Chapitre ,
prouve la peine et les inquiétudes qu'éprouva
Sa Majesté , relativement aux dettes de M.
le Comte d'Artois , et les précautions qu'elle
prit , en consentant à les payer , pour que ce
Prince n'en contractât pas de nouvelles .
Les dons et gratifications composent le
second Chapitre : on y remarque entre autres
une ordonnance au porteur en 1782 , de
1,200,000 liv, à laquelle somme S. M. a fixé
le prix de l'engagement de la Comté de
( 236 )
Fénestrange, accordée à M. leDuc dePolignas
en 1783 et 1784 : ordonnances au porteur ,
de chacune 20,000 liv. pour deux des trois
années de secours accordés à Madame la
Comtesse de Lameth : en 1784 , 100,000 liv.
pour secours , à M. le Comte d'Angivilliers ;
plusieurs ordonnances de 15,000 liv. chacune
à M. d'Aligre , Premier Président da
Parlement de Paris , etc. , etc. Le total de
ce Chap. est de 6,174,793 liv. 19 s. 10 den.
Les pensions et traitemens forment le
troisième chapitre : on y voit qu'en 1776 ,
1777 , 1778 et 1779 , Madame la Marquise
de Clermont- Tonnerre a reçu 48,000 liv . à
raison de 12,000 liv. par an , etc. etc. Le
montant de ce chapitre s'éleve à 2,221,341 l .
13 s. 4 den.
Dans le quatrième chapitre sont les aumônes
, qui montent , depuis 1774 , jusqu'en
1782 , à 254,000 liv .
Le cinquième chapitre présente les indemnités
, avances , prêts , remplacemens ,
arrangemens de comptabilité. Le total est
de 15,254,106 liv. 12 s . 2 den.
3
Dans le chapitre 6 , il est question des
acquisitions et échanges , ce qui forme un
total de 20,868,821 liv. 2 s. 9 den.
Les affaires de Finances , dont la somme
totale s'elève à 5 millions 825 mille liv. ,
forment le chapitre 7 .
Dans le chapitre 8 , sont comprises les
affaires étrangeres , affaires secrètes des
postes et autres ; le total est de 135 millions
804 mille 891 liv.
Le chapitre 9 contient les dépenses diverses
; telles que dépenses secrètes de la
Police , dépenses extraordinaires à l'occasion
de la naissance de M. le Dauphin ,
de M. le Duc de Normandie et de Madame
( 237 )
Sophie , et les frais pour le voyage du Roi
à Cherbourg , qui a coûté seulement 148,00
livres . Le total de ce chap . est de 1,794,600 liv .
Enfin , le chapitre 10 comprend les dépenses
personnelles au Roi et à la Reine :
le total de ce chapitre monte à la somme
de 11 millions 423 mille 750 liv. 8 sols 6 d.
Le Comité ne croit pas devoir entrer dans
le détail des articles qui le composent . Il
observera seulement qu'une grande partie
de la somme a été employée en acquisitions.
de fonds .
Le célèbre Général Paoly a été présenté
, Jeudi 8 Avril , à Sa Majesté , par
M. le Marquis de la Fayette.
་་
LETTRE AU REDACTEUR.
MONSIEUR ,
pro- L'impartialité dont vous devez faire
fession , me donne lieu d'espérer que vous
voudrez bien rendre cette Lettre publique
par la voie de votre Journal . »
"
Je n'ai jamais répondu aux pamphlets ,
ni aux libelles. Mon âge , mon grade , mes
services , mes blessures et l'estime de l'Armée
sembloient me défendre suffisamment
contre l'injustice et la calomnie ; mais je
vois dans les Journaux , et j'entends publier
dans les rues un ouvrage intitulé : le Livre
Rouge , et signé , à mon grand étonnement ,
par les Membres du Comité des Pensions ,
quoique le Roi et l'Assemblée Nationale.
n'en aient ni ordonné , ni permis l'impression
. N'étant point compris dans les dépenses
de ce Livre , ni pour moi , ni pour les iniens,
je ne devois pas m'attendre à y être injurieusement
cité par des hommes qui devroient
( 238 )
me respecter , et pour des graces qui ne
m'ont pas été accordées. Ma vie entière répondra
seule à ces indécentes imputations.
Je crois seulement devoir informer le Public
, que les parens qu'on m'accuse d'avoir
enrichis par des Pensions , sont dix pauvres
Gentilshommes portant le même nom que
moi , servant le Roi , ainsi que toute leur
famille , et la plupart privés du nécessaire.
Tout autre Ministre auroit trouvé juste de
venir à leur secours . J'étois leur parent ;
ce n'étoit pas une raison pour être injuste
à leur égard. Ces Officiers , entre eux tous ,
ont partagé la somme de six mille livres
de Pension. Le Public jugera si cette grace
étoit excessive. Quant au reproche qu'on
me fait d'avoir de mon autorité donné à
un onzième parent une Pension , c'est une
calomnie , et je n'ai jamais rien accordé ,
pendant mon Ministère , que j'ose dire irréprochable
, sans l'ordre ou l'approbation
du Roi. J'en appelle , sans crainte , au témoignage
de ce Prince , dont on connoît
la franchise et les vertus. Je ne croyois
pas , après avoir versé mon sang et sacrifié
ma fortune pour mon pays , qu'on osât me
faire un crime des bienfaits du Roi , et
même de ceux qu'il auroit voulu et qu'il
n'avoit pas pu m'accorder. Je souhaite , pour
le bien de ma Patrie , que mes détracteurs
la servent comme moi. Ce voeu sera ma
seule réponse et ma seule vengeance. "
Le Maréchal DE SEGUR.
M. Delande , Avocat de Dijon , Auteur
de plusieurs écrits incendiaires , et entre
autres d'un discours aux Welches, avoit
été arrêté ; on l'envoyoit à Paris sous l'es(
239 )
corte de deux Cavaliers de
Maréchaussée :
douze hommes masqués l'ont tiré de
leurs mains ; il est monté sur- le - champ
dans une voiture qu'ils amenoient , et s'est
soustrait
rapidement à toutes les poursuites
. Cette anecdote publiée il y a quelques
jours, vient d'être confirmée par de
'nouvelles lettres de Dijon .
?
La
confusion , au milieu de laquelle
ont été composés , et imprimés les deux
derniers Nos , de ce Journal , nous avoit
empêché de revoir le passage où il fut
question , il y a 15 jours de l'affaire
de M. de Blaire à
l'Assemblée Nationale
. Ce Magistrat nous a adressé à ce
sujet une lettre que nous nous empres
sons de rendre publique , ainsi que nous
l'avons fait , et le ferons
constamment ,
de toutes les
réclamations qui peuvent
nous parvenir.
H
MONSIEUR ,
Tous les
Journalistes et la troupe nom .
breuse, des
Folliculaires qui rendent compte
des Séances de
l'Assemblée
Nationale
ont parlé de
l'incident qui a
interrompu le
6 Mars la lecture du
Discours de M.
Necker. "
"
A
l'exception de deux qui ont eu le
courage ou la volonté d'être justes , presque
tous les autres se sont fait un jeu de me
tympaniser. J'ai méprisé leurs ridicules
calomnies : mais je vous avoue ,
Monsieur
que j'ai été affligé de les voir répéter dans
le
Mercure du 13 Mars. Je ne doute pas
( 240 )
que vous n'ayez été mal informé , et par
cette raison je me crois obligé de vous instruire
de la vérité des fails . Je connois
votre impartialité , Monsieur ; je suis persuadé
que vous me saurez gré de vous don
ner les moyens de rectifier une erreur involontaire
.
"
11
avons
Ne trouvant pas de place dans la Tribune
des Suppleans , je descends dans la
Salle mes Collègues et moi nous
l'habitude d'y aller toutes les fois que notre
Tribune est pleine . Un Huissier vient mè
dire de me retirer ; je lui réponds que je
suis Suppléant, et qu'en cette qualité je crois
pouvoir rester , sur- tout lorsqu'il n'est question
que de la lecture d'un mémoire ; je le
prie de rendre compte à M. le Président
de ce que je viens de lui dire , persuadé
qu'il trouvera bon que je reste. L'Huissier
se retire , ne peut pas parler à M. le Président
, revient un moment après , me dit
de sortir. Les Députés auprès desquels j'é
tois , lui demandent pourquoi il n'a pas parlé
au Président comme je l'en avois prié ;
l'Huissier insiste , les Deputés s'impatientent
on entend du bruit la lecture
da Mémoire de M. Necker est interrompue.
M. l'Abbé de Montesquiou , appercevant
un Huissier dans le haut de la Salle , et
croyant qu'un étranger refuse de sortir ,
dit : l'Assemblée a ordonné qu'aucun étran
ger ne fût assis sur les bancs des Députés ;
s'il y en a qui ne veulent pas se retirer ,
je prie l'Officier de garde de les faire sortir.
Soumis aux Ordres de l'Assemblée , je
me retirai. Au moment où j'allois descendre
par un des petits escaliers qui sont aux qualie
coins de la Salle , plusieurs Députés d'e
ma
( 241 )
ma connoissance me demandèrent pourquoi
je n'étois pas dans la Tribune d s
Suppléans. Je leur répondis vous voyez
qu'elle est remplie , et qu'il me seroit impossible
de m'y placer. Comme on faisoit
beaucoup de bruit , je fus obligé pour me
faire entendre de montrer la Tribune des
Suppléans ; voilà le geste , le seul que je
pusse faire pour, exprimer ma pensée , qu'il
a plu à M. le comte de Mirabeau de qualifier
de geste menaçant adressé à l'Assemblée
et au Président.
"
"
Ce récit très - fidèle Vous prouve ,
Monsieur , qu'il n'est pas exact de dire :
on a remarqué qu'en sortant , il adressait au
Président des gestes menaçans. Il auroit aumoins
fallu dire on a cru remarquer ; et encore
pourrois- je observer que M. de Mirabeau
seul pouvoit le premier faire une pareille
remarque. J'ai appris depuis qu'un motif
très- noble et digne de son courage l'avoit
déterminé a m'intenter uné accusation aus“
si absurde.
"
Il n'est pas plus exact de dire que j'ai
écrit à M. le Président une lettre d'excuse
dont l'Assemblée a bien voulu se contenter.
On n'écrit une lettre d'excuse que quand
on a des torts . Comme je n'étois pas coupable
de celui dont j'étois accusé , je n'ai
écrit à M. le Président que pour éclaircir
les faits , et pour épargner à l'Assemblée
Nationale la douleur de condamner , avant
de l'avoir entendu , un Citoyen accusé par
M. le comte de Mirabeau. Ma lettre est conque
en ces termes : >
" MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
J'apprends à l'instant que je suis accu-
No. 16. 17 Avril 1790. M
( 242 )
"
"
"
"
« sé d'avoir insulte par mes gestes l'Assemblée
Nationnale ; je jure que mon intention
n'a jamais été de lui manquer deres
pect ; il y auroit de la démence a insulter
l'Assemblée Nationale. Si je n'obtiens
pas la permission de venir me justifier
" à la barre , je vous supplie , M. le Président
, de vouloir bien exprimer mes senti-
« mens à l'Assemblée , et de lui dire combien
je suis douloureusement affecté d'une
pareille accusation . »
"
"
"
DE BLAIRE , Conseiller à la Cour
des Aides de Paris , Député - Suppléant
de la Prévôté et Vicomté
de Paris.
Paris , ce 18 Mars 1790 .
M. le Vicomte de la Châtre , Député
du Poitou , avoit projeté , il y a un mois ,
une Motion à l'Assemblée Nationale ,
tendante à ce que les Députés fissent le
sacrifice de leurs honoraires. Il ne put
obtenir la parole ; mais son dessein ayant
été connu , cette Motion fut travestie
peu spirituellement dans les Papiers publics.
Exprimé en peu de mots , avec simplicité
, et d'après des motifs irréprochables
, ce'voeu de M. de la Châtre n'étoit
peut- être pas assez réfléchi ; car il
est incompatible avec la composition
actuelle de l'Assemblée , où beaucoup de
Membres n'ont apporté que leur temps
et leurs talens . C'est sans doute une
grande et belle question que celle de savoir
si , à l'avenir , les Représentans de
la Nation doivent être salariés : aucun
( 243 )
Membre des Communes Angloises ne
reçoit une obole , parce que les Anglois
ont cru que chacun de leurs Représentans
devoit être indépendant , et qu'un
homme qui a besoin d'appointemens , ne
l'est jamais qu'imparfaitement . Quoi qu'il
en soit de ce problême qui reste à résoudre
, ou plutôt qu'on a résolu , ainsi
que bien d'autres , par instinct , la Municipalité
de Montmorillon en Poitou a
adressé des remerciemens à M, de la
Châtre. Par une lettre du 11 Mars , MM.
les Officiers Municipaux et Membres du
Conseil général de cette Ville nous ont
prié , sous leur signature , de rendre publique
leur lettre à M. de la Châtre ,
dont voici copie :
A M. le Vicomte de la Châtre.
Vous avez toujours donné , Monsieur ,
des preuves de franchise et de loyauté. Ces
sentimens qui forment l'essence de votre caractère
vous avoient mérité l'estime et la
confiance de vos Concitoyens . Vous êtes devenu
l'objet de leur admiration et de leur
reconnoissance , en proposant à l'Assemblée
Nationale de renoncer à la totalité de ses
honoraires . Comme elle anoblit votre coeur,
cette sensibilité vive qui vous fait gémir sur
les maux de votre patrie ! Si les travaux ,
dont l'Assemblée Nationale est occupée ,
lui ont pas encore permis de décréter le sacrifice
que vous lui avez demandé de faire ,
que ce retard n'affoiblisse pas votre courage ;
fixez de nouveau son attention sur le Tresor
Royal épuisé , sur la lenteur de la perception
des impots devenue presqu'impossible
ne
Mi
( 244 )
par la misère du Peuple. Rappellez - lui
comme un de ses premiers soins , le devoir
de soulager , par une économie dans laquelle
le plus grand nombre de ses Membres étoient
accoutumés de vivre , une foule innombrable
de malheureux , qui manquent des premieres
ressources nécessaires à la vie. Achevez ,
Monsieur , la peinture des maux excessifs
qui nous accablent. Les vertus des Membres
de l'Assemblée Nationale doivent animer
et soutenir votre zèle. Nous espérons que vivement
émus par le spectacle de nos calamités
, ils s'empresseront de répondre , comme
Fabricius aux Députés des Samnites : Qu'i's
ne recevront plus un argent qui leur est inutile
, de la main de ceux qu'ils savent en avoir
besoin.
ex Quel que soit , Monsieur , le succès de
nos voeux communs , nous vous prions d'agréer
l'hommage bien sincère des sentimens
de reconnoissance , d'attachement et de
respect avec lesquels
Nous avons l'honneur d'être , etc.
Montmorillon ce 27 mars 1790.
Vers la fin du mois de Février , le Peupled'Avignon
entra dans l'Hôtel - de- Ville ,
força la Municipalité à abdiquer ses
fonctions , et , à ce que nous croyons ,
en forma une nouvelle . Le Vice - Légat ,
auquel on avoit porté plusieurs demandes
, les fit passer sur- le- champ à Rome.
Quelles que soient les vues des Insurgens,
l'Assemblée générale des Etats du Comté
Venaissin persiste dans la ferme résolution
de rester sous la domination du St.
Siége. Le 10 Mars , les trois Ordres réu(
245 )
nis à Carpentras , ont pris et arrêté la
Délibération suivante.
"
Messeigneurs et Messieurs les assembles
, informés des nouvelles démarches qu'on
a tenté de faire pour les soustraire à leur
légitime Souverain , et de toutes celles qu'ou
prepare encore , malgré les justes réclamations
des Habitans de cette Province , s'empressent
de manifester de nouveau le sentiment
qui les a toujours animés , celui de
vivre et de mourir sous la domination du
Saint Siége. Formant le Corps constitutionnel
du Comté- Venaissin , et Représentans
de tous les Districts et Communautés de ce
Pays , ils approuvent et ratifient en la susdite
qualité les protestations faites par leurs
Mandataires , les Membres de l'Assemblée
ordinaire et du Comité , le 25 Novembre de
Pannée dernière . Ils avouent les principes
sur lesquels ces protestations sont fondées ,
et qui sont conformes à ceux que l'Assemblée
Nationale de France a authentiquement
consacrés par son Décret sur la Corse , le
30 du même mois . Ils ne cesseront jamais
d'invoquer ces principes immuables , comme
étant le premier lien des Sociétés et le fondement
de toute justice , enfin comme faisant
partie des dogmes éternels de la raison
et de la Nature . "
M. Fabry, Subdélégué du Pays de Gex,
dénoncé par un Député de cette Province
à l'Assemblée Nationale , avoit
adressé à M. le Président une lettre
qu'on a lue dans un des Nos, de ce Journal.
M. de Prez de Crassier, auquel on
avoit faussement attribué cette dénon-
Mi
( 246 )
ciation , et aussi Député du Pays de Gex,
a adressé à M. Fabry une réponse rendue
publique , et que l'équité nous oblige
de faire connoître . La voici :
"
Paris , ce 24 Mars 1790 .
Vous avez écrit au Président de l'Assemblée
Nationale , Monsieur , pour vous
plaindre d'un discours que j'ai dû faire contre
vous , et vous vous êtes permis d'insérer votre
lettre dans des feuilles publiques. "
"
. Vous dites dans cette lettre que j'ai indignement
abusé du caractère dont je suis.
revêtu , pour satisfaire ma passion et diffamer
publiquement un Citoyen , qui pendant
quarante- cinq ans a bien mérité du Gouvernement
; et vous demandez à l'Assemblée Nationale
qu'elle improuve ma conduite , ou
que je me rétracte . »
«Je ne vous dois sûrement pas de réponse ;
je vous en fais cependant une ' parce
qu'un homme revêtu de la confiance de ses
Concitoyens , et siégeant dans l'Assemblée
Nationale , doit toujours se prêter à rendre
compte au Public de sa conduite , de ses
discours et des motifs de son opinion , et
parce qu'en consignant votre étrange lettre
dans des Feuilles périodiques , c'est au tribunal
du Public que vous semblez me traduire
«
>>
Je vous observe d'abord , que quand
j'aurois dit dans l'Assemblée Nationale que
votre administration avoit été désastreuse
pour le Pays de Gex , que par un bisarre ,
assemblage vous réunissiez toutes les fonctions
et tous les pouvoirs , que vous étiez à
la fois comptable et receveur de vos comptes ,
Syndic de la province , Subdélégué de l'In(
247 )
13
tendant , Receveur des deniers publics
Fermier du Domaine , Juge , Directeur de
la Poste ; qu'à la suite de travaux si multipliés
et d'occupations si variées , vous jouissiez
d'une fortune considérable , que M. votre
Père n'étoit pas mort si riche que vous l'êtes,
et que
le Pays de Gex a eu à regretter que
sa succession n'ait pas été acceptée pas ses
héritiers je vous observe , Monsieur , que
quand j'aurois dit tout cela , quand j'aurois
ajouté que vous devez des comptes de votre
gestion , votre lettre n'en seroit pas moins
irrégulière , parce que je n'aurois dit que la
vérité , parce que je n'aurois fait que répéter
ce que j'ai dit dans les états de Gex , et ce
qui a fait un peu diviser cette puissance
concentrée en vous seul , parce que l'Assemblée
Nationale a jugé que des comptes
pouvoient vous être demandés , puisqu'elle
a autorisé la revision des comptes des Administrateurs
depuis dix ans , et parce qu'enfin
ai , comme tous les Membres de l'Assemblée
Nationale , comme tous ceux qui votent
dans une Assemblée publique et légale , le
droit de dire ce que je pease , de dévoiler
les abus que je connois ou que je crois apercevoir
, sans que mon opinion ou mes discours
puissent m'assujétir à une responsabilité
, dont le premier effet seroit de détruire
la liberté qui est le premier besoin de
toute Assemblée délibérative .
་་
Je vous observe ensuite que je ne l'ai
pas dit , que j'ai gardé sur vous et sur votre
administration le plus absolu silence ; c'est
de ce silence peut - être que j'ai à me justifier
auprès de mes Commetteus . J'ai pensé
que la Constitution nouvelle ne permettant
plus ni cette réunion de places incompati(
248 )
7
bles , ni cette confusion de pouvoirs dont
yous avez pendant si long- temps été l'heureux
possesseur , il étoit inutile d'exposer
d'anciens abus qu'on alloit empêcher de se
reproduire ; et le Décret qui autorisoit l'examen
des comptes étant provoqué par d'autres
organes , et accueilli par toute l'Assemblée
, il m'a paru que l'on prononçoit tout
ce que j'aurois pu demander. »
Je n'ai donc pas parlé de vous, M. Fabry,
quoique j'eusse le droit d'en parler sans que
Vous eussiez celui de vous en plaindre , à
moins que vous ne prétendiez qu'un ancien
Administrateur est un homme sacré , sur le-`'
quel on ne peut pas même arrêter ses regards.
Laissez au moins à vos Concitoyens
la faculté de se rappeler combien vous avez
mérité de l'ancien Gouvernement , et de
voir combien vous y êtes toujours attaché.
Quant à moi je vous assure que la haine n'est
pas le sentiment que vous m'inspirez , et que
si je vois avec un peu plus de plaisir que vous
Ja réforme de tous les anciens abus et l'impost
sibilité qu'ils renaissent , c'est uniquement
pour le bonheur de mes Concitoyens .
"
DEPREZ- CRASSIER , Membre de
l'Assemblée Nationale.
« P. S. J'apprends que vous avez fait imprimer
votre apologie.
" Si j'en avois le temps , je ferois un in- folio
anti- apologétique , pour rappeler des faits à
nes Concitoyens . Vous avancez que j'ai eu
l'honnêteté de me rétracter à la salle de la
Noblesse , de ce que j'avois avancé à l'Assemblée
générale du pays. Non , Monsieur ,
un Soldat qui avance des vérités ne se retracte
jamais, Vous imprimez des lettres du
célebre Vol'aire , pour vous honorer.
+
( 249 )
и
" Ce grand homme avoit pour vous la même
estime que moi . Voici quatre mots de sa
main , qui le prouvent : « Je vous envoie cet e
lettre par Genève , de peur qu'elle ne soit
« ouverte ou interceptée par ceux qui désolent
ce pays. Signé , VOLTAIRE. » Mon
frère et mes beaux - fières vous offusquent dans
l'administration. Dès leur enfance , ces militaires
ont répandu leur sang pour servir
le Roi et la patrie ; ils n'ont point de graces
de la Cour. Le peu de jours qui leur restent,
ils les emploient à servir leurs Concitoyens
gratis est-ce là votre rôle , Monsieur ? M.
de Voltaire nous avoit délivrés des employés
des fermes ; il avoit fait le bonheur du pays ,
et vous l'avez détruit pour vous conserver
tous les pouvoirs .
ע
Lettte de M. d'Antraigues , lue à
l'Assemblée Nationale le 27 mars 1790.
Lausanne , le 20 Mars.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
C'est avec la plus grande surprise que
' ai appris ce matin , 20 Mars , en lisant les
Papiers - nouvelles de France , que j'avois été
inculpé dans l'Assemblée Nationale , et que
les motifs de cette inculpation étoient les
propos incendiaires que l'on m'accuse d'avoir
tenus à Bourg en Bresse , et notamment d'y
avoir excité les Citoyens à ne pas payer la
Contribution Patriotique , de les avoir menacés
de la banqueroute en blâmant les Décrets
de l'Assemblée.
"
>>
Je ne peux répondre à ces allégations ,
qu'en vous exposant quelle fut ma conduite
Bourg en Bresse.
"
>>
J'y arrivai malade le 5 Mars , à sept
heures du soir. Je fus conduit dans une
( 250 )
chambre , où je restai , sans en sortir un
seul instant , jusqu'au lendemain 6 Mars ,
que je partis à 6 heures du matin, »
"
Je n'ai vu pendant tout ce temps qu'une
seule personne qui habite le Bourg en ce
moment , que je priai de venir me voir , et
qui passa deux heures avec moi . Nous causâmes
seuls sur les affaires publiques ; et
pendant ce temps , il se peut que le Maître
du logis soit entré dans ma chambre ; ma s
'eût- il, lui ou tout autre , écouté toute notre
conversation , je vous donne ma parole que
je ne tins pas un seul des propos que l'on
m'impute , et que je parlai beaucoup plus des
troubles intérieurs des Provinces et de leur
origine , que de ce qui se passoit à Paris. "
Questionné , ainsi que le sont maintenant
tous les voyageurs , j'ai dit qu'il falloit
espérer que tout s'arrangeroit ; et c'est tout
ce que je peux dire sans trahir mon opinion.
"
"
Je n'ai caché mon nom nulle part : je
n'ai point recommandé de le taire , et ce ne
peut être un tort ; car ceux qui voyagent
avec les coupables projets de soulever les
Peuples et de les rendre furieux , agissent
Beaucoup , mais ne se nomment pas .
"
H
Pardou , M. le Président , de vous occuper
de ces détails si petits , si minutieux ;
mais pouvois - je les éviter? L'accusation
elle-même est une inquisition odieuse ; il
faut bien que je vous dise ce qui s'est passé
dans ma chambre, puisque je n'en suis passorti
un seul instant , et avec qui j'ai parlé pendant
mon séjour à Bourg en Bresse , puisque
je n'y ai vu personne autre que celui que
j'ai prié de me venir voir. »
#
Après avoir justifié mes discours , j'en
( 251 )
"
prouve la vérité par ma conduite extérieure. »
Je n'ai pas toujours été de l'opinion qui
a formé tous les Décrets de l'Assemblée , et
je pense encore comme je pensois en m'y
opposant ; mais , en gardant mon opinion ,
j'ai toujours soumis ma conduite aux Décrets.
"
K Dès le mois de Février , j'ai remis ma
Déclaration à la Municipalité d'Aysac en
Vivarais ; vous pouvez ordonner qu'elle vous
soit envoyée ; vous y verrez que je ne déclare
pas la quotité de ma fortune en bloc ,
comme le Décret m'y autorisoit , mais je la
déduis article par article , en appuyant
chaque article de la preuve justificative . "
"
Vous savez , Monsieur , que ne touchant
rien de mes droits féodaux , quoique tous
remboursables , j'ai pris des arrangemens
pour que le quart de ce revenu , qu'on me
retient , soit payé pour payer le quart que
nous donnons tous , pour obtenir cette protection
de la Loi , que je n'ai pas encore
obtenue pour toucher la totalité.
"
>>
Tels furent mes discours , telle a été
ma conduite ; je desire qu'en tout temps elle
soit soumise à toutes les inquisitions imaginables.
u
"
Mes opinions sont à moi ; je n'en peux
changer; mais mes actions doivent être conformes
à la Loi , elles n'y seront jamais contraires
,
"
Veuillez , si vous le jugez convenable ,
lire ma Lettre à l'Assemblee.
»
Le trait suivant , qui fait également honneur
au patriotisme et au désintéressement
de M. le Chancelier , mérite d'être connu
nous souhaitons qu'il ait beaucoup d'imita(
252 )
teurs. La plus belle récompense d'un acte
de vertu , est sans doute d'en produire. Instruit
de la disette de numéraire où se trouve
la Capitale , ce Ministre a fait porter au
trésor royal , à titre de prêt , sans intérêt , la
somme de cinq cent mille livres en espèces ,
qu'il destinoit à l'acquisition d'une terre. Sa
Majesté a voulu qu'on publiât ce sacrifice ;
et c'est par ses ordres qu'il en a été fait
mention dans la Gazette de France.
P.S. On lit dans le Bulletia , ou Journal
des Journaux , N° . 15 , du 8 Mars 1790 , une
anecdote inexacte dans toutes ses parties.
Elle est conçue en ces termes : M. d'Entrecasteaux
, ancien Membre du Parlement
d'Aix , est sorti de Lisbonne , où il s'étoit
retiré après avoir assassiné sa femme. On
assure qu'il est revenu en France , et qu'ayant
été reconnu , il a été mis en prison .
L'Auteur a été mal instruit . M. d'Entrecasteaux
est arrivé à Lisbonne le 19 Juillet
1784 ; il n'en est jamais sorti , et il y est
mort le 16 Juin 1785. La Chambre des Vacations
du Parlement d'Aix , après avoir examiné
les preuves légales de la mort de M.
d'Entrecasteaux , a ordonné que les pièces et
les actes qui constatent cet évènement , et
que cette Cour a visés dans un arrêt qu'elle
à rendu le 7 Janvier dernier , seroient déposés
au Greffe du Parlement , et qu'il seroit
permis à la famille de s'en faire délivrer
des expéditions.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 1er. Avril
1790, sont : 84,77,7,59,83.
MERCURE
R
DE FRANCE.
SAMEDI 24 AVRIL 1790..
PIÈCES FUGITIVE S
EN VERS ET EN PROSE.
LEGO Ụ TER ,
ge. Chant d'un Poëme intitulé : Les quatre
Repas.
*
Doux fouvenirs de mes jeunes années ,
Retracez-moi ces tableaux toujours chers ,
Où du Goûter les plaifirs font offerts ;
Et vous far tout , pour qui les Deftinées
Filent encor des heures fortunées ,
Heureux Enfans , fouriez à mes vers .
Que de vos goûts la naïve peinture
A l'âge mûr les faffe regretter ;
Trop rarement il fait vous imiter .
Ah ! doit-il être un âge où la Nature
Perde le droit de le faire écouter ?
Nº . 17. 24 Avril 1790. G
146 MERCURE
L'Hiver a fui : trop long-temps dépouillée ,
Flore s'éveille ; elle ordonne au Zéphyr
s'embellir.
De déployer fon écharpe émaillée ;
Tout l'Univers renaît pour
Foibles Enfans , renaiffez pour jouir ;
Entourez -moi ; que ma Muſe attendrie ,
De votre groupe empruntant fes couleurs ,
Feigne à la fois & la faifon des fleurs ,
Et , fous vos traits , le printemps de la vie.
Je veux faifir cet inſtant précieux ,
Lorfque des mains de la plus tendre mère ,
Fanfan reçoit ce fruit délicieux ,
Pâle rubis , globule gracieux ,
Qui , balancé ſous ſa tige légère ,
De fa fraîcheur femble avertir les yeux.
C'eft au Goûter que ces douces prémices
Viennent briller à des regards novices .
Pour lui , trois fois a fleuri le Printemps ;
Mais mon Bambin , fur les traces du temps ,
Sait-il marcher ? ah ! la première enfance
N'eft , en effet , qu'une longue naiffance.
Aux traits divers d'un mobile tableau ,
Fanfan renaît : ſa légère exiſtence
Se renouvelle à chaque jouiffance ,
Et tout eft neuf autour de fon berceau.
Mais il grandit , & dans ſes goûts avides ,
Après dîner , notre jeune gourmand
N'attendra plus l'ordre d'une Maman .
DE FRANCE. 147
Nouvel Hercule , il ira bravement
Ravir bientôt les pommes Heſpérides .
A tes exploits je livre le verger ,
Joyeux Héros , vole pour l'affiéger ,
Et de Pomone épaife la corbeille .
De fruits divers quelle moiffon vermeille !
Mille couleurs viennent s'y mélanger :
Ici, paroît la pomme jauniffante ;
Avec éclat la prune ici mûrit;
De tous côtés , dans fa forme changeante ,
Se reproduit la poire fucculente ;
Et fous nos pieds l'humble fraife rougit.
A mon Fanfan je veux montrer encore ,
Dans leurs faifons , l'épineux framboifier ,
La jeune treille , & le fanglant mûrier ;
Et l'abricot qui de la tendre Aurore ,
Sons fon feuillage , a l'éclat emprunté ;
La pêche enfin dont le teint fe colore .....
Ah ! mon pinceau tremblant de volupté ,
En la peignant , croit peindre la Beauté .
Modèle heureux de ces formes charmantes
Qu'en les doublant fait arrondir l'Amour ,
Elle offre aux fens ce gracieux contour
Ce velouté , ces teintes féduifantes ,
Cette fraîcheur dont les graces naiffantes
Ornent Glicère aux jours de fon printemps.
Mais quel délire ! où s'emportent mes fens ?
Moi , qui devois , de la joyeuſe enfance ,
Peintre ingénu , préfenter l'innocence ,
G2
143 MERCURE
A ce tableau j'ofe mêler les traits
D'un autre enfant qui n'y reffemble guère ;
C'eft un grand mal , & d'un sèxe févère
Devois-je ainfi décéler les attraits ?
Ah ! s'il le faut , pour calmer fa colère ,
Je vais brifer mes crayons indifcrers.
J'aimerois mieux pourtant obtenir grace ;
Car , dans mes vers , chacun fe doutoit bien
Que , tôt ou tard , l'Amour trouveroit place ;
Et fi l'on veut qu'aujourd'hui je le chaſſe ,
Une autre fois je ne réponds de rien.
Mais au Goûter , ma verve me ramèng
Pour en faifir le cadre varié ;
Qu'en ce moment Fanfan foit oublié ;
Il reviendra pour terminer la fcène,
Après avoir médité mon ſujet ,
J'ai reconnu qu'on ſavoit , à tout âge ,
De ce repas apprécier l'ufage' ,
Et qu'un Goûter pouvoit être , en effet ,
Le paffe- temps d'un gráve perſonnage.
Lorfqu'avec zèle , un pieux Orateur ,
Chez des Nonains ( qu'on me permette encore
De les citer ( 1 ) ) a , de fa voix fonore ,
Fait retentir & la nef & le choeur ,
Jufqu'à la fin il intéreffe , il touche ;
Les yeux baiffés , le mouchoir fur la bouche ,
( 1 ) eft queflion dans le premier Chant d'un déjeuner
au Parlois,
(
DE FRANCE. 149
A fon départ , il attendrit le coeur :
Apiès cela,, trouvera -t- il étrange
Que Sour Agnès , dans fa fainte ferveur ,
Penfe au Goûter du cher Prédicateur ,
Qui , felon elle , a parlé comme un Ange ?
Ce Goûter-là , je ne le peindrai pas ;
Affez long-temps j'ai , dans un autre cas ,
..Tenu déjà mon Lecteur à la grille.
Croyez qu'ici la dévote famille ,
Pour s'acquitter d'un devoir aufli doux ,
A du bon Père étudié les goûrs ,
Et qu'infpirant l'intérêt le plus tendre ,
S'il croit avoir une légère toux ,
Un confommé ne fe fait pas attendre.
C'en eft affez , je quitte le couvent
Et comme a dit certain Auteur favant ,
Je viens revoir ce qui fe paffe au monde.
Là , du Goûter plus d'un exemple abonde ;
Si toutefois doivent être compris
Ces paffe-temps , ces repas de caprice
Dans la foirée , à toute heure entrepris ,
Et dont à peine on peut faifir l'efquiffe.
Voyez ce lieu qui , de nos paffions ,
Offre l'hiftoire & plaifante & tragique ,
Ou , par l'effet d'un charme fantaſtique ,
L'efprit , le coeur vivent d'illufions ;
Dès qu'Orofmane , en fon fougueux délire
Pour nos plaifirs , a poignardé Zaïre ,
G 3
150° MERCURE
Il nous faut bien quelques diſtractions ,
En attendant que Crifpin faffe rire.
Aufli bientôt un jeune Pourvoyeur ,
Corbeille en main , leftement fe promène :
Marrons glacés , paftilles à la Reine ,
De loge en loge , invitent l'amateur ,
Qui galamment défire avoir l'honneur ,
Pour leur Goûter , d'en préfenter aux femmes.
Un air brûlant excède-t-il ces Dames ?
Soudain arrive , au plus léger fignal ,
Du fuc des fruits cette pâte. folide ,
Qui , s'élevant en froide pyramide ,
Fait chanceler fa bafe de criſtal.
Croyez pourtant que Warwick , qu'Athalie ,
Ne marquent pas l'unique occafion
De nos Goûters , & qu'ailleurs réunie ,
Très- décemment la bonne compagnie
Peut hafarder une collation.
Là , dans un cerele , où le plaifir varie
L'emploi du temps , j'aime fouvent à voir
Fruits & bombons , qui viennent , fur le foir ,
Rompre le cours d'une longue partie.
Ici , du thé l'étrangère manie ,
Rempliffant l'air d'une humide vapeur ,
Même au François donne l'air d'un Penfeur.
Mais un bon mot le rendant à la vic ,
Déroute cufin , far fa vive gaîté ,
Du nouveau Club l'auguſte gravité.
DE FRANCE.
151
Soùs un beau ciel , c'eft un léger nuage.
Bien plus à craindre eft le fade étalage
De ces Goûters , où priés par billets ,
Graves Bourgeois , Matrones vénérables ,
Sont , en quadrille , affis autour des tables ,
Jouant toujours , en attendant les mets
Dont la Maîtreffe ordonne les apprêts.
L'heure eft marquée : à l'inftant tout s'arrange ;
Madanie approche , & je la vois d'ici
Diſtribuant les gâteaux & l'ennui
Par procédés , il faut que chacua mange ....
Ma foi , Meffieurs , foupera qui pourra ,
Dit un Plaifant. D'après cette faillie
Sur le Goûter , la troupe s'extafie ;.
Et cependant Madame affurera
Qu'une foirée eft fans cérémonie ,
Et qu'en revanche , elle défire avoir
L'occafion de vous mieux recevoir .
Tout effrayé de fon difcours honnête ,
Je jure bien qu'une pareille fête
Ne m'aura pas. J'aime mieux préfenter
A mon Lecteur un champêtre Goûter.
Non que je veuille , oubliant mes maximes ,
Du Villageois m'occuper dans mes rimes ;
Je l'ai promis , je dois le reſpecter ( 1 ) .
Mais de la ville on peut bien s'écarter ,
( 1 ) Dans un autre Chant , je dis que je ne parlerai
point du repas du Villageois , parce que ce vain tableau
de la félicité n'eft fouvent qu'ane impoîture affligeante.
152
MERCURE
Lorfque , bornant fa courfe vagabonde ,
Un jour d'Eté , le foleil va dans l'onde
Plonger , dit on , fon char étincelant .
Aux derniers traits de cet aftre brûlant ,
& d'or l'horizon fe colore ;
De
pourpre
Il n'eft plus jour , il n'eft pas nuit encore ( 1 ) ;
Le temps eft frais , mes amis , fuivez - moi :
C'est un Goûter qu'au bas de la prairie
Vous offrira la fimple laiterie ;
De la Nature en fuit ici la loi :
Point d'appareil , point d'ornement futile ;
La propreté décore cet afile ,
Et l'innocence y vit fans doute auffi .
Un doux nectar , fous la crême épaiffi ,
Couvre les bords d'un vaſte plat d'argile.
Pulfons autour le lait & la fanté ,
Et qu'un pain noir fur la table apporté ,
N'excite pas , par fa faveur groffière ,
De nos délains la morgue grimacière :
Le pauvre eft là , pourquoi l'humilier ?
Trois fois bientôt j'ai fourni la carrière ,
Et cependant je voulois eſſayer
De fuivre encor le long de la rivière
Et les Rameurs , & le frêle bateau ,
Et la mufique , & le Goûter fur l'eau ;
( 1 ) Après avoir fait ce yers , j'ai trouvé celui-ci dans La
Fontaine Et que n'étant plus nuit, il n'eft pas encor jour.
Il n'eft pas heureux de fe trouver auffi près de La Fontaine.
Ce voisinage n'eft pas favorable . Mon vers doit - il refter ?
DE FRANCE. 153
Pais vers la fin , ma Mufe plus tranquille
Eût pénétré chez le convaleſcent ,
Qui , dînant peu , foupant légèrement ,
Trouve fans doute un Goûter fort utile .
Mais j'ai promis de rappeler Fanfan ;
D'un dernier trait il faut ici le peindre .
Ma main fe laffe & le jour va s'éteindre ?
Hâtons-nous donc , le fouper nous attend.
Il est un jour très - fameux dans l'année ,
Lorfque , cédant à l'humide Verſeau
L'honneur d'ouvrir un cercle tout nouveau ,
Décembre a vu fa courſe terminée.
De ce grand jour un menſonge banal
A confacré le cérémonial :.
Voeux impofteurs circulent à la ronde ;
Et trop heureux dans fes paifibles goûts ,
Fanfan n'y voit que bonbons & joujoux.
De toute part , entre fes mains abonde ,
Sous mainte forme , un fucre préparé ,
Que jufqu'au foir Fanfan mange à ſon gré , -
Sans qu'une Bonne , en ce jour d'indulgence ,
Ofe arrêter fa jeune intempérance.
Franc dans fa joie , & libre en fes défirs ,
Il voit du moins l'inftant trop peu durable ,
Où , fans contrainte , il vit dans les plaifirs ,
Et ce foir même il doit fouper à table.
Par M. Defperoux , Confeiller au
Préfidial de la Rochelle. )
GS
294
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LELe mot de la Charade eft Marchepied; celui E
de l'Enigme eft la Liberté ; & celui du Logogriphe
cftMarteau , où l'on trouveTrame,
Rat, Eau, Rame, Arme , Ut, Ré, Ame.
CHARADE.
Mon premier , cher Lecteur , ordonne de mar- ON
cher ,
Tandis que mon dernier engage à fe cacher ;
Mon tout, quoiqu'impalpable & fouvent invifible,
Peut agir fur tes fens d'une façon nuifible.
( Par un Abonné. )
ÉNIG ME.
LECTEUR ,
ECTEUR , vous me trouvez dans la Mythologie
;
De la Grèce autrefois j'attirai les Héros ,
Par l'appât de cet or , fource de tant de maux.
Je porte un autre nom dans la Géographie ;
Je fuis entre deux mers auprès d'un mont fameux.
Qu'aifément, belle Eglé, vous m'allez reconnotere !
DE FRANCE. 155
A votre port de Reine , à vos traits , à vos yeux ,
chez moi le Ciel vous a fait naître . On diroit
que
( Par M. ·Lebrun Toſſa , Prof. y ¨
LOGO GRIPHE.
JE
E ne fuis point abeille ,
Mais on me voit comme elle
Tirer, & mieux encor le fuc de mille fleurs .
Sept pieds forment mon tout ; ils vous offrent
Lecteurs ,
En les décompofant , un mois fort agréable ;
Une très -vieille Idole ; un mortel eftimable ;
De Laban une fille ; un mets de Moiffonneur ;
Un grand nombre ; un bateau ; ce que cherche un
Danfeur ;
Une ville au Pérou ; ce qui vexe & tourmente
Deux notes de mufique ; un amas d'eau dormante ;
Enfin un jeu connu . Ma foi , je fuis à bout ;
Je n'en fais pas plus long pour vous montrer mon
tout.
( Par M. Moreau de Maleffet. )
G
156 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
SUITE des Mémoires du Mal, de Richelieu.
IL
SECOND EXTRAIT.
Ly a peu d'époques dans l'Hiftoire
d'une Nation , où un intervalle de peu
de jours ait produit , dans les formes extérieures
de la Société , d'auffi grands
changemens qu'on en vit à la mort de
Louis XIV. Ces changemens ne fe bornoient
pas aux rapports de politique extérieure
, ni à ceux des différens partis à la
Cour , ou dans l'intérieur du Royaume .
C'est ce qui n'eft pas rare au commencement
d'un règne , ou d'une nouvelle adminif
tration . Mais ici tout parut nouveau , tout
porta le caractère d'une révolution dans les
principes , dans les idées , dans les moeurs ;
tout fur brufque , heurté dans un paſſage
trop rapide à des moeurs & à des opinions
nouvelles ; fpectacle qui fe reproduit de nos
jours, mais avec beaucoup plus de violence ,
comme il devoit arriver lorfqu'après 75
une autre révolution dans les idées
a produit enfin une révolution politique ,
qui met en préfence tous les intérêts , armés
de toutes les paffions , dans une caufe
,
2.
DE FRANCE. 157
intéreffante pour l'humanité entière . Les
changemens opérés à la mort de Louis XIV
font loin d'offrir ce caractère impofant ;
mais la réunion de tous les contraffes dut les
rendre prefque auffi frappans pour les contemporains.
Nous ne chercherons point à
raffembler ici tous ces contraftes , ils font
trop connus , ainfi que les faits & les évènemens
dévenus célèbres par leur fingularité
bizarre , ridicule ou défaftreufe ; mais
ce qu'il importe de remarquer , c'eft l'influence
que cette époque a exercée fur nos
moeurs pendant un fi grandnombre d'années.
Louis XIV avoit orné la galanterie de manière
à pouvoir la faire regarder comme
une partie de fon goût pour la repréfentation
. Le Régent , doué d'un efprit brillant
& aimable , fit , de fon efprit , l'ornement de
la plus extrême licence dont on ait eu l'idée ,
depuis les fêtes nocturnes d'Antoine , d'Octave
ou d'Heliogabale. Il femble regarder la
décence dans les plaifirs , comme une portion
de cette hypocrifie qu'il avoit tant déteftée
dans la Cour du feu Roi . Louis XIV
avoit paru refpecter fon propre defpotifme
dans les ménagemens qu'il avoit pour fes
Miniftres , même pour leurs fautes & leurs
erreurs, qu'il effaya de voiler plus d'une fois.
Le Régent fe joua du mépris qu'il avoit
pour les fiens , & fembloit les maintenir
en place , pour jouir de plus près & plus.
long- temps de leurs ridicules , qu'il expofoit
plaifamment à la rifée publique . En
158 MERCURE
couvrant de toutes les dignités de l'Eglife
& de l'Etat , Dubois le plus vil des hommes ,
il fapoit à la fois les fondemens du double
refpect qui avoit environné le trône de
Louis XIV , il faifoit parvenir jufqu'aux
dernières claffes de la Société , le profond
mépris que méritent trop fouvent les organes
de la Religion , & les dépofitaires de
l'autorité ; mépris qui paffant de la perfonne
à la place , remonte avec le temps jufqu'à
la fource même de cette autorité. C'eſt
ainfi que le defpotifme prépare de loin fa
ruine par folie , par défoeuvrement , par
gaîté, & fe détruit lui- même pour ſe défennuyer
, fe divertir , tuer le temps .
On ne peut , au refte , confidérer toutes
les grandes & aimables qualités de ce Prince ,
fans gémir de l'inconcevable fatalité qui le
foumit pour jamais à l'afcendant de ce vil
Abbé Dubois. On difoit de fon temps qu'il
en avoit été enforcelé . Ce fut un terrible
maléfice que celui qui priva la Nation du
fruit de tant de bonté naturelle , & d'une
réunion de talens fi précieuſe. Courage brillant
, intelligence prompte , aptitude à tout,
efprit étendu , goût pour tous les Arts &
pour toutes les Sciences , & ce qu'on a
moins remarqué , parce qu'alors la Nation
Avilie ne formoit pas même un veu pour
Ja liberté , ce Prince , au milieu des illufions
de fon rang , défiroit la liberté publique ;
il méprifoit le gouvernement , non pas de
Louis XIV , mais le Gouvernement FranDE
FRANCE.
159
çois ; il admiroit celui de l'Angleterre , où
tout homme n'obéit qu'à la Loi , n'eſt jugé
que par la Loi ; il citoit à cette occafion
les noms de plufieurs Princes qui , en France,
après avoir été les efclaves de l'autorité , en
avoient été les victimes. Il rappeloit avec
complaifance l'anecdote du Prieur de Vendôme
, qui , après avoir enlevé à Charles II ,
Roi d'Angleterre , une maîtreffe , femme de
fa Cour , lui en enleva une autre à la Ville
fans que Charles eut d'autres moyens de
fe venger , que d'engager Louis XIV à
le délivrer de ce dangereux rival , en le
rappelant en France. On fait qu'il avoit
long- temps défiré l'Affemblée des Etats-Généraux
, & que même dans fa régence il
fut prêt à les convoquer. Ce ne fut pas
fans peine que Dubois réuffit à le détourner
de ce deffein . On a réimprimé l'année
dernière le Mémoire curieux qu'il fit à
cette occafion. C'eft un modèle d'impudence
comme fon Autcur. Enfin , ce qui
eft un trait de caractère encore plus remarquable
, ce Prince prit plus d'une fois
le parti du Peuple contre fes Miniftres &
fes confidens, les plus intimes. Qu'on juge
de leur furprife , lorfqu'au moment d'un
tumulte populaire à la veille de la banqueroute
de Law , il repouffa le confeil violent
de réprimer la fédition par la force
militaire. Le Peuple a raifon , dit le Prince,
s'il fe foulève ; il eft bien bon de fouffrir
tant de chofes. Il ajouta que s'il étoit né
160 MERCURE
"
dans la claffe du Peuple , il cût voulu fe
diftinguer en prenant la défenfe des François
outragés par le Gouvernement ; mais
que dans la fienne , en cas de révolte
ou de guerre civile , il fe mettroit à la
tête du Peuple contre les Miniftres , fi le
Peuple l'exigeoit pour fauver le Roi.
par
Tel fut le Prince à qui de fon temps on
trouvoit le plus de reffemblance avec Henri
IV , mais qui n'en fut pas moins funefte
l'inconcevable foibleffe qui rendit inutiles
toutes fes vertus . C'est ce que la Ducheffe
d'Orléans fa mère avoit préfagé
dans un Apologue ingénieux , où elle introduifoit
plufieurs Fées bienfaifantes , dotant
fon fils d'un talent ou d'une grace ; tandis
qu'une dernière Fée détruit malignement
l'effet de tous ces dons , par celui qu'elle
leur ajoute , la facilité de caractère . Ce mot
de facilité fubftrué à celui de foibleffe par
l'indulgence maternelle , devint d'un ufage
univerfel parmi les Courtifans. On fent par
combien de raifons il devoit réuffir ; &
Voltaire ' confacra dans la Henriade cette
nuance habilement faifie par les flatteurs ,
en difant de lui , qu'il étoit facile & non
pas foible. Mais dans la vérité , quel Prince .
fut plus foible que celui-ci ? Eroit- ce fur fa
facilité , ou fur fá foibleffe que comptoit l'A.
Dubois , lorfqu'après lui avoir arraché fa
nomination à l'Archevêché de Cambrai ,
& voulant que fon facre fi fcandaleux fût
honoré de la préfence de fon Maître , il oz
DE FRANCE. 161
donnoit à Madame de Parabère , maîtreffe
du Régent , d'exiger du Prince qu'après
avoir paffé la nuit avec elle , il affiftât publiquement
à la cérémonie , ce qu'elle exécuta
, dans la crainte que ce Prêtre la perdît
auprès de fen amant , comme il l'en avoit
menacé ? Etoit-ce foibleffe ou facilité , lorfqu'après
la banqueroute de Law , montant
en carrolle pour aller au Parlement faire
enregistrer un Edit ordonnant des recherches
contre les Financiers , il dit à Nancré
Capitaine de fes Gardes Sufiffes , qui refta
confondu : Nancré , que dites-vous de ces
Miniftres qui font de moi un perfécuteur ?
On peut dire même qu'il le devint dans
tous les fens , puifque fous l'admini @ ration
du Prince qui méprifoit le plus toute querelle
religieufe , d'Argenfon , devenu Miniftre
, remplit les prifons des Janféniſtes ,
& fit inême bâtir à Bicêtre trois cents loges
nouvelles pour les Janféniftes du menu Peuple.
On voit que la Théologie étoit defcendue
bien bas. C'eft que Dubois , qui
d'abord, par un intérêt bien entendu pour
la régence & pour lui - même , avoit rehauffé
le Janfénifme & le Parlement , afpira
depuis au chapeau de Cardinal , & dans
ce deffein , fe fit auprès du Saint Siege un
mérite de perfécuter les Janféniftes , & de
faire enregistrer la Bulle. On ne ceffe d'admirer
l'abfurde intérêt que le Régent prit
à cette affaire , & le ridicule chagrin que
lui caufa fa fille , l'Abbeffe de Chelles , que
d'abord il avoit fait Janféniste , en lui don162
MERCURE
nant un Directeur de ce parti , mais qui
refta fidèle à cette doctrine , lorfque Dubois
eut intérêt de perfécuter le Janfénifme.
Cette Princeffe qui avec l'efprit de fon
père , en avoit l'extrême vivacité , s'étoit
tellement attachée à cette Secte , qu'elle étoit
devenue la plus grande Théologienne du
parti , & déguifée en Seur converſe , avoit
confendu le Cardinal de Biffy. Le Cardinal
vaincu fe mit en colère comme de raifon ,
cut recours à la qualité de Prince de l'Eglife ,
titre avec lequel on n'a jamais tort , &
parla de mettre en pénitence la Soeur converfe
, qui à fon tour fe fit connoître , &
reçut comme Princeffe les excufes du Cardinal
humilié , & qui pis eft , du Théologien
battu. Cette obftination de l'Abbeffe de Chelles
, fut une vraie peine pour le Duc d'Orléans;
& cette peine dura , car la Princeffe demeura
toutefa vie la patronne & la protectrice
du parti Janſénifte.
Il paroît difficile d'écrire férieuſement
l'Hiftoire de cette époque. Il faut favoir
d'autant plus de gré au Rédacteur des Mémoires
, d'avoir très-bien développé dans
ee mélange de tant d'intérêts divers , la
caufe de tous les évènemens , les refforts
de toutes les intrigues intérieures , & ceux
de la politique étrangère . On fent que nous
ne pouvons nous engager dans ce labyrinthe
; & fi nos Lecteurs croyoient y perdre ,
nous adoucirions leurs regrets , en appliquant
à cette période de temps un mot du Cardinal
Alberoni au Duc de R ... Il lui mandoit
DE FRANCE. 163
n
dans une lettre écrite pour l'engager dans
l'intrigue connue fous le nom de confpi-.
ration de Cellamare : » Il ne s'eft rien fait
» de bien en Europe depuis trente ans , &
» en France depuis un fiècle". La France continua
encore quelques années à mériter ce
reproche. Bornons - nous donc , en parlant
de ces Mémoires , à ce qui intéreffe plus
particulièrement le Duc de Richelieu luimême.
Auffi bien fon Hiftoire tient- elle à
celle des moeurs , c'eft - à - dire à la perfection
que les mauvaiſes moeurs reçurent
alors en France . On connoiffoit affez toute
cette Cour du Régent ; mais on trouve ici
quelques anecdotes nouvelles , ou du moins
peu connues . Telle eft , par exemple , la ma-
Eière dont on s'y prit pour rendre la Ducheffe
d'Orléans Douairière , moins contraire
au fyftême de Law ; ce fut de la
rendre favorable à fa perfonne. Law étoit
bel homme ; & une Princeffe de 63 ans ,
de moeurs févères jufqu'alors , fut fenfible à
fes empreffemens ; c'eft une foibleſſe ou
une facilité qu'on pouvoit remarquer même
dans la Cour de fon fils. Le Duc de Richelieu
en étoit , comme de raiſon , un
des principaux ornemens . Il brilloit dans
toutes les fêtes , dont plufieurs étoient nocturnes
, & connues alors fous le nom d'Or
gies Grecques , de fêtes d'Adam , & c.; car
I'Hiftoire , la Fable , la Bible , tout fourniffoit
des fujets on des allufions à leurs
ordonnateurs ; on pourroit dire auffi à leurs
ordonnatrices , car les Dames s'en mêloient,
164 MERCURE
entre autres la célèbre Madame de Tencin,
foeur d'un Prêtre convaincu de faux & de
fimonie en plein Barreau , au moment où
il levoit la main pour faire un parjure ,
& depuis devenu Cardinal ; Religieufe for
tie de fon cloître après un fcandale odieux ,
intrigante , devenue maîtreffe avouée du
Cardinal Dubois , long - temps arbitre des
graces , & qu'on a vu jouir à Paris , jufque
dans fa vieilleffe , d'une grande confidération
. Comme le fons de ce dernier mot
va fûrement changer en affez peu d'années ,
n'eft pas mal de déterminer lafignification
qu'il a confervée jufqu'à ces derniers temps.
D'abord , ce mot magique , confidération,
ne dévelopoit guère fon influence que dans
l'enceinte allez étroite d'un certain public ,
d'un public choifi , comme on difoit. La
perfonne confidérée étoit , pour ce public ,
l'objet d'une attention marquée , d'un intérêt
apparent & convenu. Il falloit la connoître
, l'avoir vue , la voir plus ou moins.
On la citoit plus ou moins fréquemment ,
mais plus volontiers qu'une autre , il n'étoit
pas néceffaire de favoir pourquoi. Le
demander eût été de mauvais goût ; il
étoit réglé que cette exiftence n'appartenoit
de droit qu'à tel rang , telle pofition , telles
circonftances, &c. C'étoit un privilége dont
le brevet n'exiftoit pas , mais étoit admis
comme reconnu valable entre les initiés ,
les feuls intéreffés à l'affaire. On eût ri d'un
étranger qui eût attaché à ce mot confidération
, les idées d'eftime , de bienveillance.
DE FRANCE.
165
-
Seulement elles n'étoient pas exclúes , c'étoit
beaucoup. A lavérité , ces nunaces n'étoient
pas très éclaircies dans toutes les têtes ;
mais on s'entendoitou l'on croyoit s'entendre
, ce qui, dans le fond, revenoit à peu
près au même ; d'ailleurs , il importoit de
ne pas trop fimplifier cette belle feience ,
dont le mystère faifoit le piquant. Cet heureux
temps n'eft plus : la trace , & même
le fouvenir de ces minuties enfantines va
difparoître dans une évalution plus jufte
des hommes & des chofes , prefque impoffible
fous un gouvernement defpotique ,
où prefque tous les cfprits , faute d'aliment
folide , étoient réduits à fe repaître de ces
illufions. L'efprit françois étoit parvenu à
donner une forte d'agrément à de pareilles
moeurs ; mais on fait qu'il avoit fait en ce
genre bien d'autres miracles . Témoin les
fuccès de ceux qui fe qualifioient eux-mêmes
les roués du Régent , mot nouveau introduit
alors dans la Langue , ainfi que celui
de braque. Les Courtifans du Prince expliquoient
ce mot de roués en Courtifans ,
gens qui fe feroient rouer pour lui. Le Prince ,
plus heureux dans fon explication , mais
un peu ingrat , prétendoit que ce mot vou
loit dire gens bons à rouer ; cependant il fe
laifoit gouverner par eux , ils influoient fur
les affaires. Le Cardinal Dubois les lâchoir
contre les honnêtes gens qu'il vouloit perdre
; & le Duc de Richelieu remarque po
fitivement qu'ils firent renvoyer du Min -
tère le refpectable & laborieux Duc de
166 MERCURE
Noailles , lequel ne pouvoit tenir , dit- il ,
contre les foupers des roués , fur - tout ne
donnant point à dîner , faute alors très- effentielle
de la part d'un Miniftre . Plufieurs
de ces roués étoient des hommes pleins
d'efprit & d'agrément , tels que le jeune
Comte de Broglie , Nocé leur chef , que
le Prince appeloit publiquement fon beau-f
frère , parce qu'ils avoient la même maîtreffe.
Mais le plus fingulier de ces Meffieurs
, étoit un Marquis de Canillac , dont
le Duc de Richelieu rapporte quelques mots
très- plaifans. C'étoit lui qui difoit à Law :
Je fais des billets & je ne les paye pas.
C'est mon fyftême , vous me le volez ; rendez-
le moi. Il mêloit quelques fentimens
de décence perfonnelle aux complaifances
qu'il avoit pour le Régent. On l'appeloit
le Lieutenant de Police nocturne , quoiqu'à
vrai dire , d'après le récit de ces fêtes ,
ne voit pas ce que Canillac y empêcheit ;
il n'en étoit pas moins pour cette Cour une
efpèce de Burrhus ; il ne devoit pas être
difficile d'y paroître tel , mais les détails du
rôle demandoient beaucoup d'efprit.
on
C'est dans cette Société que le jeune
Duc de Richelieu paffoit fa vie , enlevant
au Régent quelques- unes de fes maîtrelles ,
foit femme de Théatre , foit femme de ſa
Cour ; cela étoit à peu près égal , car elles
vivoient enſemble ; & la plus honnête de
toutes étoit une Actrice , nommée Emilie ,
qui , ayant demandé quinze mille francs au
Prince , pour acheter une maison de camDE
FRANCE. 167
pagne , refufa le double de cette fomme envoyée
par le Prince ; tandis que Madame de
Parabère partageoit avec Nocé la dépouille
des gens de Finances, inquiétés par la Chambre
ardente. A tous ces plaifirs fe mêloient ,
comme de raiſon , quelques duels de temps
en temps . Une tracafferie de Société en occafionna
un entre le Comte de Gacé & le
Duc de Richelieu ; celui- ci fut dangereu--
fement bleffé , & de plus conduit à la
Baftille . Pendant fa détention , on inftruifoit
fon procès ; mais comme il convenoit à
deux Maiſons confidérables que le duel ne
fût pas prouvé , il ne le fut pas , & le
Duc de Richelieu fortit de la Baftille ;
La convalefcence y avoit été longue , quoique
l'amour vint le confoler , ou plutôt
parce que l'amour venoit le confoler . Madame
de Charolois , accompagnée de Madame
la Princeffe de Conti , ayant gagné
es Geoliers à prix d'argent , lui rendoit
fréquemment des vifites nocturnes . C'étoit
le fort du Duc de Richelieu , d'être vifité
à la Baſtille par des Princeffes . Il y fut
remis quelques années après , pour être
entré dans la confpiration de Cellamare.
Il y reçut encore la vifite de cette même
Mlle. de Charolois , & de Mile. de Valois ,
fille du Régent . Ces deux Princeffes qui ,
en découvrant le fecret de leur rivalité , s'étoient
portées à de violens excès l'une contre
l'autre , le réunirent pour fauver leur amant.
Mademoiſelle de Charolois offrit le facri16S
MERCURE
fice de fa paffion à fa rivale , fi celle- ci
pärvencit à fléchir le Régent . C'étoit un
combat de générofité que ces Princeffes
eurent le plaisir de voir applaudir au Théatre
quelques années après , dans la Tragédie
d'Inès , où Conftance fait à Inès le même
facrifice. Mais par malheur , la fituation des
perfonnages François étoit plus compliquée
que celle des perfonnages de la Tragédie.
Le père de Mlle. de Valois étoit aufli
fon amant , & la négociation traîna en
longueur. Elle réuffit pourtant , & le coupable
recouvra fa liberté . Il lui fallut voir
le Régent, être toifé , maltraité de paroles ,
être appelé ingrat.- L'ingrat fe juſtifia de
fon mieux. Il prétend avoir dit au Prince ,
que le penchant des coeurs françois étoit
de s'attacher aux defcendans de leurs Rois ,
plutôt qu'à leurs parens collatéraux ; que
la France alloit périr fous fes indignes
Miniftres ; qu'on lui avoit montré avec
évidence une prochaine tenue d'Etats-
Généraux , &c. Mais ce qui eft remarquable ,
c'eft la fin de fon difcours. Au refte , dit-il,
au Régent, puifque le patriotifme eft devenu
un crime , puifqu'une foumiffion aveugle
aux Miniftres , aux Favorites , aux Favoris ,
eft devenue la feule qui conduife aux récompenfes
, je vous jure que déformais vous
ne trouverez en moi qu'un dévoué ferviteur.
Il faut convenir que dans l'ordre des chofes
où il vivoit , tout conduifoit à cette belle
morale ; mais on peut efpérer qu'elle ne
fera
DE FRANCE. 169
*
fera plus fi néceffaire pour parvenir aux
récompenfes & aux honneurs .
Il paroît que cette troisième détention
du Duc de Richelieu à la Baftille
laifla dans fon ame un fouvenir profond ,
& fur - tout un vif reflentiment contre
le Garde des Sceaux d'Argenfon , autrefois
Lieutenant de Police. Le Miniftre
follicita la commiflion odieufe d'aller interroger
le prifonnier , quoiqu'il cût eu
d'anciennes liaifons avec fa famille . Il
s'en acquitta d'une manière digne de fon
ancien métier. Auffi le Maréchal dit - il plaifamment
qu'il l'a recommandé à fon Hiftorien.
Mais fi l'Hiftoire doit faire juftice
des hommes de cette eſpèce , la Philofcphie
doit obferver que leur exiftence fuppofe
le dernier degré de corruption où
une fociété politique puiffe parvenir. C'eft
l'idée que préfente le récit des moyens qui
conduifirent d'Argenfon à la fortune. Etabli
dans la place de Lieutenant de Police
qui n'étoit d'abord qu'une charge du Châtelet,
il voua au fervice de Mad . de Maintenon
, une armée d'efpions dont le nombre
s'accroiffoit tous les jours. Il fit arrêter arbitrairement
tous les Citoyens qui lui étoient
fufpects ; complaifant pour tout ce qui étoit
accrédité , terrible pour tout le refte ; forinidable
au Peuple, qui l'appelcit le damré;
devinant comme par inftinct quels hommes
pouvoient un jour fervir fon ambition ; &
ayant par cette forte de preffentiment ju
No. 17. 24 Avril 1799.
H
>
170
MERCURE
*
tifié le Duc d'Orléans contre les foupçons
du Roi ; esclave des Jéſuites , perfécureur des
Janféniſtes , fans aimer ni haïr les uns ni
les autres ; vigilant , laborieux , & ne cherchant
le délaffement de fes travaux que
dans un libertinage obfcur. Un goût particulier
lui faifoit rechercher les Religieufes
, & l'Abbaye de Trefnel fut quelque temps
fon Sérail. Il confacroit à l'embelliffement
de cet Hofpice , les profits des confifcations
qui lui appartenoient. On peut juger le
plaifir malin que le Duc de Richelieu reçut
de cette découverte. Il étoit aimé d'une
Religieufe qui le fit entrer dans le Couvent ,
déguifé en femme , & le init à portée de
connoître les fantaifies du Garde des Sceaux.
Il en instruit le Public après plus de foixante
ans ; fans doute il trouvoit jufte que la
Police ayant fu tous nos fecrets ,
fuffions à notre tour tous les fecrets de la
Police.
Nous
Mais de toutes les confidences qu'il fait
au Public , celle qui fera le mieux reçue
fans comparaifon , c'eft celle qui concerne
le fameux Mafque de fer. Il est enfin connu
ce fecret qui a excité une curiofité fi
vive & fi générale. C'étoit un Prince ,
frère jumeau de Louis XIV , né à 8 heures
& demie du foir , huit heures après la naiffance
du Roi fon frère.
Ce fut une victime de la fuperftition . La
conduite qu'on tint à fon égard fournit
trop de réflexions pour qu'on s'en perDE
FRANCE.
171
.
mette une feule. Nous renvoyons
aux
Mémoires pour la preuve & les détails de
ce fait. Le Duc de Richelieu exigea que
Mademoiſelle
de Valois arrachât ce fecret
à fon père. La réputation du Duc d'O
léans aide les Lecteurs à deviner quel
prix le père obtint de fa complaifance .
C'est ce que la Princeffe explique fans
détour à fon amant dans une Lettre en
chiffré qui n'a d'honnête que la précaution
du chiffre.
-
Après avoir révélé des fecrets de cette
importance , on fent bien que c'eft un parti
pris , de la part du Maréchal , de ne ménager
perfonne. Auffi les curieux d'anecdotes
trouveront ils dans fes Mémoires
toute l'Hiftoire galante os fcandaleufe de ces
temps , les portraits des Princeffes , leurs
aventures , celles des Dames de leurs Cours.
C'eft Cléon vivant dans ces Cours , & imprimant,
livrant au Public fon Porte-feuille.
Vous verrez notre lifte avec les caractères.
Quelquefois à la vérité les dates ne font
pas précifes , mais il y fupplée par des à
peu près , ou des équivalens très-heureux.
C'étoit dans le temps que Madame la
Princeffe de ... aimoit M. & M. Ce fut
alors que Vauréal ( Evêque de Rennes )
m'enleva Madame de Gontaut, & c'est dans
cette même année qu'il eut la Maréchale &
la Marquife de Villars.
Au refte , en nommánt ainfi par leurs
H 2
172
MERCURE
18
noms tant de femmes & de Princeffes , il
prétend n'avoir eu d'autre deffein que de
leur donner une leçon intructive ; les Prin
ceffes doivent, dit- il, fonger comme les Rois ,
que ceux de leurs Courtifans qui paroiffent
le plus les adorer , fe permettent quelquefois
de tranfmettre à la postérité le tableau
de leurs foiblefes . C'eft une intention trèsmorale
dont il faut favoir gré au M. de
R ... Quant à lui perfonnellement , cette
crainte de l'Histoire paroît l'avoir fort peu
gêné. Mais croira- t-on qu'elle ait quelquefois
afflig le Régent dans les dernières
années de fa vie ? C'eft pourtant ce qui
eft certain , il fongcoit avec peine que les
détails de fes licencienfes folies feroient
tranfmis à la poftérité . Il faut croire
qu'il ne fe reprocha pas moins fon Gouvernement,
qui ne fur guère qu'une orgie
d'une autre, efpèce , & fur tout que le
principal objet de ces remords fur cette
affreufe banqueroute dont le fouvenir a de
nos jours été préfenté au Peuple comme
une menace capable de réprimer l'ardeur
des François pour la liberté , achetée trop
cher , difoit-on , par un femblable défaftre .
Il eût été fans doute horrible. Mais la France
avoit fouffert une fois ce fléau , fans en
être dédommagée par la conquête de la li
berté politique , & en reftant foumife à ce
même defpotifme , caule reproductive de
cette calamité , comme de toutes les au
tres. Revenons au Maréchal de Richelieu

DE FRANCE. 173
Ce fur vers ce temps qu'il partit pour
fon ambaſſadé de Vienne , dont il expofe
le fecret & l'intention . Mais nous ne nous
melons pas des affaires étrangères ; & laillant
de côté la politique ; nous n'infiltons que
fur ce qui repréfente les murs de ce
temps , ce mélange de licence & de futilité
, revêtu de graces & d'efprit , ſouvent
de facilité pour les affures , mélange qu'on
étoit convenu de regarder comme la perfection
du caractère François . Ilfera permis fans
doute au caractère François des élever un
peu plus haut & il eft vraisemblable que le
Maréchal de Richelieu aura la gloire d'avoir
été dans ce genre , comme d'Epernon
dans le fien , le dernier grand Seigneur
François .
Le Duc de R... fut au courant des affaires
fous le ministère du Duc de Bourbon comine
fous la Régence , & à Vienne comme à
Paris. On a vu par la rivalité de Mlle.
de Charolois , foeur du Duc de Bourbon , &
de Mile. de Valois , file du Régent , qu'il
avoit à peu près dans les deux Mailons
les mêmes facilités de s'inftruire ; mais
il étoit de plus en liaiſon avec Mde. de Prie .
C'étoit en favoir autant que le Prince Miniftre.
Le portrait qu'il fait de la Marquife
de Prie , prouve plus de refpect peur
1 vérité que pour la mémoire , de cette
Dames Elle difpofoit de tout , & Vendoit
prefque tout. Infigne pruce &
libertie , elle gouvernolt le Prince , &
C
13
174
MERCURE
elle-même étoit gouvernée , quant aux affaires
publiques , par les quatre frères
Paris. Le D. de Richelieu raconte un trait
qui montre à quelles dangereufes illufions
la bonne foi des Princes eft expofée. Ce
Prince étoit enfermé avec Dodun , fantôme
de Contrôleur-Général que les frères
Paris maintenoient en place , pour gouverner
fous fon nom & ne répondre euxmêmes
de rien. La Marquife furvient , endoctrinée
par Duverney , un des quatre
frères , fur une affaire de finance dont il
devoit être queftion dans cet entretien.
Elle fe fait expliquer l'affaire , faifit trèsbien
le point précis de la difficulté , &
donne un bon confeil , d'après la leçon
de Duverney, Qu'on juge de l'admiration
de Dodun. Eh quoi , Madame , lui dit-il , ´
le Grand Colbert vous a donc tranfmis
fon ame. Se peut - il qu'on ofe infulter
ainfi les Princes , en les traitant comme
de vieux tuteurs de Comédie ! On fait
comment, à peu près dans le même temps ,
cette Marquise de Prie ravit à la Maifon
du Prince fon amant l'honneur de donner
une Reine à la France. On cherchoit parmi
les jeunes Princeffes de l'Europe une époufe
pour le jeune Roi Louis XV. Mademoifelle
de Vermandois , foeur du Duc de
Bourbon , belle , fpirituelle, vertueufe , élevée
loin de la corruption générale , vivoit
dans un Couvent à Tours. La Marquife
fe hâta de prendre les devants auprès de
DE FRANCE. 175
la Princeffe , part , pour s'affurer d'elle , &
= fe fait introduire fous un nom emprunté.
Malheureuſement le fien étoit fort maltraité
par le Public , & elle put s'en apperce
voir par les réponſes franches & naïves de
Mademoiſelle de Vermandois. Cette franchife
lui couta le Trône. La Marquife
fortit furieufe , en laiffant entendre ces
mots : Va, tu ne feras jamais Reine de
France. C'eft en effet ce qui arriva. Voilà
donc une Princeffe , pleine de vertus &
d'agrémens , victime d'une intrigue fubalterne
& du reffentiment d'une femme
perdue. Tout n'étoit pas agrément pour
les Princes dans cet ordre de chofes dont
la ruine excite des regrets fi douloureux.
La Marquife continua de braver l'indignation
publique , de lire avec dédain les chan
fons faites contre elle , en difant : Voilà
comme font les François , quand ils font
trop bien ; de jeter au feu les remontrances
du Pa.lement de Rennes & de celui de
Touloufe , fous prétexte qu'elles étoient
de mauvais ton , & qu'elles fentoient la
Province : mot plaifant que le Duc de R.
a dû conferver. Le fruit de toute cette
conduite fut de faire renvoyer M. le Duc ,
qui foutint fa difgrace avec dignité , &
qui , féparé de Madame de Prie , parut
dans fa retraite rendu à fa bonté naturelle
, auffi eftimé comme homme , qu'il
avoit été blámé comme Miniftre. Quand
on voit les mêmes fautes commifes par des
H 4
176 MERCURE
Princes nés avec des difpofitions honnêtes ,
on ne peut en accufer que les défauts de
leur éducation , ou les vices du fyftême
focial. En France , ce font les deux caufes
qui opèrent concurremment le même effet.
L'ordre focial et changé , & avec lui dor
vent tomber les vices, fource de ces égaremens
des Princes. La réforme de leur
éducation devient néceffaire à leur bon
heur perfonnel ; bientôt à des vices qui n'étoient
pas les leurs , doivent fuccéder des
veitus qui leur appartiendront. Ce ne fut
pas de lui fûrement que vint l'idée du projet .
qui s'exécuta fous fon Ministère. On denna
un compte rendu où l'on fuppofoit un déficit
qui n'exiftoit pas , & qu'on imaginoit
pour avoir le prétexte de mettre un nouvel
impôt ; c'étoit un faux d'une eſpèce nouvelle
. Nous fommes devenus plus vrais , &
la bonne foi de notre déficit actuel eft au
deffus de tout foupçon . Il faut croire que
l'ame de Colbert , tranfmife à Madame de
Prie , fut innocente du mauvais confeil
donné au Prince , puni , comme tant d'autres
, du malheur d'être mal environnée .
La portion publiée des Mémoires de
Richelieu renferme les premières années
du Ministère du Cardinal de Fleuri. Nous
regrettons de ne pouvoir , par le rapprochement
des fais , conduire le Lecteur
aux idées que préfente le réſultat de ces
faits . Le portrait du Cardinal , l'intérieur
de la Cour, les premiers développemens de
la jeuneffe du Roi , les querelles du MiDE
FRANGE
177
nistère & du Parlement , l'embarras où fe
trouve le Cardinal ' par un effet de zèle &
du courage de deux Confeillers au Par
lement , l'Abbé Pucelles & Mengui , la
chanfon que , dans fa ditreffe , il demande
à M. de Maurepas , le fuccès de cette chanfon
où celui-ci fait dire aux femmes dé
la Halle : "
>
$ b world a br
Rendez-nous Puc lles , oh guai ; 17
Rendez -nous Pucelles .
Trente féances filencieufes tenues de fuite
au Parlement , & levées fans avoir ouvert
la bouche , par um Président qui prétendoit
avoit le droit d'empacher la difcuffion
des affaires ; le Cardinal qui renvoie de
Versailles les Députés, en difant qu'on ne
parle jamais d'affaire au Roi ; le profond
étonnement de ce Cardinal , Erfqu'ils
yont à Marly porter leurs remontrances ,
le cri de fa firprife & le mot qu'il répète
an premier Préfident : Ah , Monfieur , d
Marly ! à Marly ! ó Ciel ! & pour parler
au Roi! Joignez à ces belles chofes le retour
des querelles religieufes , l'importance
des Prêtres Sulpiciens fubftituée à celle_
des Jéfuites réduits depuis leur chute à
faire des canonifations pour: fe foutenir un
peu dans le peuple le ridicule Concile
d'Embrun , préfidé par le ridicule Cardinal
de Tehcin ; toutes ces tracafferies , il faut
en convenir , forment l'Hiftoire de cetts
H 1
178 MERCURE
1
époque . Tel eft donc l'abaiffement où
une Nation peut defcendre . On la vue de
puis defcendre encore plus bas ; & fon Hiltoire
avoit, comme elle, grand beſoin d'être
régénérée . Obfervons que dans cet intervalle
de quelques années , cité comme
très-heureux , deux hommes difpofoient
de la plupart des Places dans l'Egliſe &
dans l'Etat ; l'un d'eux étoit un Abbé
Pollet, qui , dans fon Parloir de Saint- Nicolas
du Chardonnet , recevoit les follicitations
de toute la Cour , & des Dames
les plus titrées ; ce qui ne me furprenoit
pas , dit le Maréchal de Riche
lieu , parce que je les avois vu baifer la
main de Law & le fuivre même dans
fa garde-robe. Le fecond étoit Barjac , Va
let de Chambre du Cardinal . Ce Barjac
étoirun fingulier perfonnage, & mériteroit
un long article à part. difoit familiè
rement : Nous avons donné aujourd'hui
telle place. Le Maréchal de Villars eft venu
nous voir , & quelquefois même , il parloit
en fon nom , fans faire mention du Cardinal
. Les plus grands Seigneurs lui faifoient
la cour. Mais comme il avoit de l'efprit
& du goût , il falloit y mettre de la me- 2
fure. Il étoit parmi les Valets de Chambre
des Miniftres ce que Tibère étoit parmi les
Empereurs. Il vouloit que l'adulation fût
digne de lui ; que les Courtifans fes flatteurs
ne s'aviliffent qu'à la guife ; & les plus
grands Seigneurs y étoient fouvent fort
DE FRANCE. 179
embarraſſés. Voilà de qui tout dépendoit.
Heureufement , dit le Maréchal , Barjac
étoit un honnête homme. Heureufement eft
le terme propre ; c'étoit bien fait alors de
rendre grace au Ciel de la probité d'un
Valet de Chambre . Elle tenoit lieu d'une
bonne Conftitution , au moins pendant le
temps que le Miniftre reftoit en place ,
en confervant le même Valet de Chambre.
Mais il étoit permis de fouhaiter que
le bonheur d'une grande Nation reposât
fur une baſe plus folide & plus durable.
Nous espérons que le Rédacteur fe hâtera
de nous donner la fuite de ces Mémoires
; ce que nous ne difons pas pour
l'obliger de les écrire à la hâte. Nous
favons déjà blâme d'avoir donné lieu à ce
reproche. C'eft à quoi nous bornons notre
critique littéraire. On doit lui tenir compte
des principes dans lefquels il a rédigé ces
Mémoires, & du fentiment patriotique dont
il paroît animé prefque par-tout. C'eft un
beau droit à l'indulgence publique , affurée
d'ailleurs plus particulièrement au genre de
l'Hiftoire. On ne doit pas rougir de dire
avec le plus grand Citoyen & le plus grand
Ecrivain de l'ancienne Rome : Hiftoria
quoque modo fcripta placet.
( C ..... )
H 6
180 MERCURE
JE perds mon état , faites - moi vivre . Petite
Brochure in-8 °. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
Si l'on croit devoir dire un mot de l'une
de ces mille feuilles volantes qu'on débite
journellement , ce n'eft pas qu'elle
foit au fond moins frivole que les autres
mais elle n'eft du moins ni forcenée ni groffière
, & peut être d'autant plus dangereufe
, qu'elle roule fur an fophifme répéré
de vingt manières , appuyé de l'intérêt
de beaucoup de gens , & de l'illufion
facile de la pitié générale. L'objet de l'Auteur
eft de décrier & de rendre odieufes
les fuppreffions que l'Affemblée Nationale.
a jugées néceffaires , & que le voeu public
indiquoit depuis long-temps. L'artifice de
cette Feuille confifte à fuppofer qu'un état
eft une propriété ; & l'Auteur fe metrant
à la place de celui à qui l'on ôre fon
état , crie à l'injuftice & à l'oppreffion
Elevez vous à ce principe & embraffez-
» le tout entier , mon état eft à moi
comme votre champ eft à vous. Je me
» le fuis procuré par mes études ,
» travail & mon argent. Si vous m'ôtez
» mon état , pourquoi refpecterai je votre
champ ? Faites donc un partage des
ود
و د
» terres . "
mon
Je réponds : Vous dites une des plus
DE FRANCE. 181
>
grandes abfurdités poffibles , & vous affimilez
deux chofes dont la difparité faute aux
yeux. Votre champ vous appar.ient en
vertu d'un droit naturel , premier fondement
de tout ordre focial , & aucune
puiflence n'eft en droit de vous le ravir.
Votre état au contraire eft un marché effentiellement
foumis à des claufes éventuelles.
Le Souverain crée une charge
un office , une commiffion ; il vous la
vend à tel prix , à telle condition , &
tant qu'il vous la laiffe , elle eft à vous.
Mais s'eft- il engagé à ne la jamais révoquer
? Y a-t il une Loi naturelle ou politique
qui défende à la Fuiffance publique
de changer l'ordre de chofes en vertu
duquel vous poffédez cet état ? Vous n'oferiez
pas le dire ; cela eft trop infénfé.
»
» L'éducation & ma fortune m'ont donné
" une charge de Judicature ou de Finance ,
un emploi dans les Aides & Gabelles ,
" ou toute autre chofe qui n'exiftera plus,
" & me voilà réduit à l'indigence " .
30
Votre raifonnement fe réduit à ceci :
L'expérience aura beau démontrer que
la vénalité des charges de Judicature , &
lordre judiciaire tel que nous l'avons ,
que le code des Aides & Gabelles , que le
régime du Fife font autant de fléaux de
l'Etat , la Puifance publique ne fera jamais
maîtreffe d'y rien changer ; car il faut
avant tour me laiffer l'état que j'ai acheté.
Voilà ce que vous dites réellement en d'au182
MERCURE
tres termes ; & c'eft pourtant cet excès
de déraifon , ce ridicule fi palpable qui en
impofe à ceux qui ne réfléchiffent pas ,
& dont s'autorifent ceux qui veulent tromper
ou être trompés. » S'il eſt utile que
» mon emploi ou ma charge n'existe plus ,
» donnez moi donc une indemnité «. Voilà
en effet la feule demande raifonnable
que vous puiffiez faire ; & oferiez - vous
dire qu'on vous la refufe : Vous ne l'énoncez
même pas ; vous vous contentez de
dire vaguement que vous êtes ruiné, réduit
à l'indigence , &c. Allons au fait :
tout ce qu'on vous doir , c'eft ou le rembourfement
de votre capital , ou l'intérêt
de votre argent. Si vous n'obtencz pasfur
le champ le premier , vous êtes dans le
cas de tous les autres Créanciers de l'Etat,
& foumis comme eux à la néceffité des
circonftances , vous devez comme, eux vous
contenter du fecond. Or l'Affemblée Nationale
a-t- elle dir , a-t-elle pu dire , que
vous n'auriez ni remboursement ni intérêt
? Mais ma charge me faifoit gagner
10 , 15 , 20 , 30 , so pour cent― . Tant
mieux pour vous vous avez bien fait
d'en jouir tant qu'on vous l'a permis tant
pis pour le peuple qui en fouffroit. On
a très- bien fait de ne plus le permettre ; &
fi vous n'êtes pas confolé par le bien général
, vos plaintes font fort peu intéreffantes.
Il eft vraiment étrange que l'on
vienne nous dire : Mon étude de Procudi
DE FRANCE. 183
t
rear , mon emploi de Praticien , ma charge
dans les Aides & Gabelles , dans les Finances,
&c. me rapportoit des profits énormes ,
qui étoient néceffairement la dépouille du
peuple , & il faut que le peuple continue,
d'être vexé , afin que je continue de m'enrichir
à les dépens . Je conçois que cette
Logique foit celle de l'intérêt ; mais ces
fortes de calculs fe font tout bas , & il y a
quelque confiance à les adreffer à une Affemblée
de Légiflateurs. Faites-mọi vivre ,
en cette occafion , fignifie tout fimplement
faites -moi vivre aux dépens d'autrui . Cette
requête eft vraiment fort touchante.
>>
"
» Vous ne voulez pas de banqueroute
cela eft très bien ; mais j'ai une charge
» un emploifructueux, un commerce profitable
, un métier lucratif& une rente ;
» prenez ma rente & laiffez-moi mon état “.
Cela eft frappant de naïveté , mais n'eft pas
fort de raifon. La puiffance publique vous
répondra : Je ne prendrai point votre rente,
car je n'en ai point le droit ; & je dois
payer l'intérêt de l'argent que j'ai reçu .
Mais j'ai le droit d'anéantir votre état, quel
que fructueux quelque profitable , quelque
lucratif qu'il foit , s'il m'eft nuifible &
onéreux : J'en ai le droit , en vous payant
ce qu'il vous a couté . Vous aviez gagné
beaucoup , & vous ne gagnerez plus , ou
vous gagnerez autrement : voilà tout le mal,
il ne renverfera pas l'Etat.
*
"
La volonté générale doit être que
184 MERCURE
chacun travaille , & que chacun fit
» nourri «< Qui , fans doute. Eh bien!
ne peut on travailler & fe nour: ir que
dans telle charge , tol emploi , tel office ;
& quelqu'un vous les avoit- il garantis indeftructibles
? Vous y avez compté : c'cft
votre fante ; pourquoi avez vous cru les
abus éternels ?

L'on m'a induit dans un genre de
» travail qu'on juge n'être plus utile ;
on me doir du remplacement . C'eſt à
vous à en chercher. On n'avoit point fait
avec vous un marché qui vous affurât que
ce travail dure oit toujours , ou qu'on vous
dédommageroit.
La Société ne peut pas me condamner
» à ne rien faire , & m'exclure de ma part
dans la richeffe fociale ". Qui vous dit
qu'elle y penfe ? N'y a-t - il qu'une minière
d'exifter ? C'eft à vous de choifir
Vous aviez étudié les Loix , la Finance ;
l'Adminiſtration , & c. Eh bien ! dans tout
état de choſes , vos études peuvent vous
fervir.
» Je pouvois faire des fagots , j'ai appris
la bijouterie ; donc je dois mourir
» de faim ".
Suppofition ridicule : mourez-vous de faim
parce que les tecouffes violen es d'une révolution
on diminné les profits de votre
' commerce ? Dans mille autres circonftances ,
(cerre diminution pouvoit avoir lieu , & a
eu lieu en offer. Ce font des acidens dont
aucun pouvoir' kumain ne répond.
DE FRANCE. 185
" Je gagnois avec le Duc , le Marquis,
» le Cemte & le Baron . Je travaillois pour
l'Evêque , l'Abbé , le Bénédictin , le Ber- ນ
"9
nardin , le Prémontré . Ils étoient tribu-
» taires de ma fcience , de mon art , de
» mon induſtrie. Je jouillois d'une por-
» tion de leurs revenus. C'étoit là ma
fortune , & je la croyois auffi bien af-"
furée que des rentes fur l'Hôtel de
» Ville ".
"
"
"J
-
Vous pouvez vous être mépris dans votre
calcul ; car il eft plus commun qu'un -
commerce effuie des pertes & des variations
, qu'il ne l'eft qu'on ne vous paye
pas vos rentes. Vous aurez moins de tributaires
de votre induftrie : cela fe peut ;
vous gagnerez moins. Où eft la néceffité
que vous gagniez d'avantage ? Vous verrez
que l'Etat doit vous laiffer des Abbés, des
Bénédidins , des Bernardins, des Prémontrés
, pour que vos gains foient toujours
les mêmes .
Au refte , le bon fens apprécie les exagérations
lamentables de ceux qui veulent
faire croire que l'on fouffrira toujours
parce que l'on fouffre aujourd'hui , que ce
qui eft aujourd'hui fera demain , & que la
France eft ruinée parce qu'elle eft libre . Il
eft poffible , fans doute , que les Arts de
luxe perdent quelque chofe , que l'inégalité
des fortunes foit moins grande ; mais
dans tous les temps chaque métier nourrita
fon homme. Tant qu'il y aura des mé136
MERCURE
taux , on ne ceffera pas de les orfévriry
& l'argent pour être refferré , n'eft pas enfoui.
La liberté du Peuple Anglois a-t- elle
diminué le luxe de Londres ; & quand celui
de Paris diminueroit , où eſt le mal :
Vous me dites : la propriété eft in-
» violable. Si elle eft inviolable, pourquoi
» prenez-vous le bien du Clergé « ?
On vous a prouvé cent fois que le bien
du Clergé n'eft point une propriété. Répéter
une affertion fans la prouver , ce
n'eft pas la foutenir. ·
Voulez - vous que nous foyons libres ?
tranfportez-nous à Sparte ou en Germa-
" nie , faites des lots , & tous les ans re
» nouvelez la diftribution des terres ".
Sans doute on n'eft pas libre en Angleterre
, en Suiffe , en Suède , &e. Cette
idée du partage des terres n'eft_qu'une
conféquence extravagante du fophifme que
J'ai détruit ; elle tombe avec lui : Peut- être
s'eft- on fitté de porter le peuple à cet excès
de démence de demander le partage
des terres. C'eft fe flatter beaucoup . On
ne néglige rien pour leurer ce par vre peuple
; mais il n'eft pas tout- à-fait fi crédule
qu'on l'imagine , & il y a des gens qui le
détrompom .
( D ..... )
t
DE FRANCE. 187
A VIS.
Voyage en Nubie & en Abyffinie , juſqu'aux
fources du Nil. vol . in-4° . par M. James Bruce;
avec Cartes & Fig. A Paris , Hôtel de Thou , rue
des Poitevins . Le Tome I fera en vente le 1 Mai.
Le goût général qu'on a montré depuis quelques
années pour les Voyages , n'a pu qu'aug
menter par les Ouvrages intéreffans qui ont été
publiés. Toutes les Nations favantes femblent
s'être efforcées à l'envì de parcourir les contrées
les plus lointaines , & de tenter de nouvelles
découvertes ; mais on ne peut le nier , l'Angleterre
a , en ce genre de travaux, laiffé loin d'elle
E tous ceux qui ont voulu l'imiter.
1
Tandis que les Byron , les Wallis , les Carseret
, & fur-tout le célèbre Cook parcouroient
l'Océan Pacifique , & que ce dernier , après avoir
découvert un nombre immenfe d'Ifles & de Nastons
Indiennes , s'avançoit intrépidement au travers
des glaces & des brouillards éternels juf
( que près du Pôle Sad , un autre Voyageur Anglois
bravoit de plus grands dangers peut-être ,
pour pénétrer dans la partie la plus inacceffible
de l'Afrique.
Ce Voyageur eft M. le Chevalier JAMES BRUCE ,
connu depuis long-temps de tous les Savans de
l'Europe , & non moins recommandable par fon
courage que par fes grandes connoidances. Après
avoir réfidé long - temps à Alger , où il étoit
chargé des affaires d'Angleterre ; après avoir
vifité toutes les côtes & l'intérieur de la Barbaric ,
il s'embarqua pour la Grèce , fe rendit en Egypte ,
remonta le Nil jufqu'aux cataractes de Nubie ,
revint s'embarquer fur la mer Rouge , qu'il parcourut
jufqu'au détroit de Babel-Mandel , traverfa
1
158,
MERCURE
.
l'Arabie , entra en Abyffinie , découvrit le premier
les fources du Nil , & vifita toute cette partie
de l'Afrique.
Il eft ailé d'imaginer combien, dans un fi grand
voyage , M. Bruce a eu occafion de voir de Na
tions différentes , dont une profonde connoiffance
dans les Langues Orientales , l'a mis parfaitement
en état de neus peindre les moeurs & l'origine.
Auffi cette partie , qui manquoit à l'Hiftoire du
Monde , rend fon Livre infiniment précieux.
Il en eft un autre faite pour intéreffer également ;
c'eft l'Hiftoire rapidement & favamment tracée
du commerce de l'Inde , depuis les fiècles les
plus reculés jufqu'à nos jours. On fera fur- tout
étonné de voir combien les Anglois portent de
marchandifes du Bengale dans la mer Rouge , &
combien ils tirent de richeffes de l'Yemen , du
Royaume de Sennaar , & de l'ancien pays de Saba.
Enfin , cet Ouvrage , ou plufieurs plantes ,
plufieurs animaux encore nouveaux pour l'Histoire
Naturelle , font décrits & deffinés , & qui contient
environ 71 Gravures très belles , eft fait pour
plaire à toutes les claffes de Lecteurs.
L'ancien Editeur de l'Hiftoire Naturelle de
M. de Buffon & des Voyages de Cook , a acquis
de M. le Chevalier Bruce la propriété de fon
Livre , & on l'a traduit en François à mesure qu'il
s'imprimoit en Angleterre ; de forte qué le premier
Volume de la Traduction paroîtra à Paris ,
le même jour que l'original fera mis en vente à
Londres , c'eft-à - dire le 30 d'Avril. Les Volumes
fuivans , actuellement fous preffe , fe publieront
fucceffivement & fans aucun retard.
Cette édition eft du même format , papier &
caractère que les trois Voyagesin-4 ° . du Capitaine
Cook. M. Catera , à qui nous devons la Traduc
21 in
DE FRANCE. 189
#
tion de la Vie de ce célèbre Voyageur, en 2 v. in- 8 °.
s'eft chargé de celle du Voyages en Nubie & en
Abyfinie. On n'a rien épargné pour que les Cartes
& les Planches ne le cédaflent en rien à celles de
l'édition angloife .
On a fait graver les caractères des premiers
âges du monde. Les Vignettes & Portraits fe
trouveront dans les Volumes fuivans ; enfin cette
traduction fera une copie exacte & fidèle , tant
pour le Difcours que pour les Planches, de l'édition
originale.
Journal des Sciences utiles , par M. l'Abbé
Bertholon. Ils ne font plus , dit l'Auteur , ces
temps où l'efprit humain , courant après de vins
fantômes , ne fe repaiffant que de chimères , dédaignoit
tout ce qui n'étoit marqué qu'au coin
de l'utilité « Les fpéculations oifeufes , les fyftêmes
, les hypothèſes métaphyfiques ne font plus
du goût général on ne veut maintenant élever
l'édifice des connoiffances humaines que fur des
bafes certaines , l'obfervation & l'expérience ; &
c'eft fur-tout à une époque où une grande révo-
Tution vient de s'opérer dans les efprits , qu'il eft
à propos de faire paroître un Journal qui foit
confacré au bonheur de l'homme , & à fatisfaire ,
'de la manière la plus efficace , fes befoins toujours
renaiffans .
Les trois Cahiers de ce Journal qui ont páru ,
renferment tous des objets utiles.
Le grand nombre de Correfpondans que M.
l'Abbé Bertholon , connu par plufieurs Ouvrages
eftimés , s'eft procurés en diverfes contrées , lui
donne les moyens de faire connoître dans ce Journal
ce qui a rapport aux Sciences & aux Arts ,
fur-tout en Angleterre , en Italie & en Allema190
MERCURE
gne. Cet Ouvrage, qui exifte depuis quatre ans
eft compofé de 24 Numéros chaque année , avec
plufieurs Figures. Le prix eft de 25 liv. franc de
port. On fouferit à Paris , chez Periffe , Libraire ,
Pont St - Michel ; & chez les principaux Libraires
du Royaume.
VARIÉTÉS.
AUX AUTEURS DU MERCURE
MESSIEURS ,
L'EMPRESSEMENT que vous mettez à annoncer
sout ce qui peut être utile au Public , me donne
la jufte confiance que vous voudrez bien inférer
dans votre Feuille l'avis fuivant.
MM. les Aduriniftrateurs de l'Hôpital généra
ont accueilli avec le plus vif intérêt le défr
que je leur avois manifefté , d'y traiter , pa
ma méthode , au 1 Avril , quinze à vingt ma
lades grièvement attaqués des écrouelles ou hu
meurs froides. Je devois faire ce traitement
fous les yeux de trois Médecins célèbres de la
Faculté , & trois Maîtres en Chirurgie de Paris,
également célèbres , qu'ils agréoient pour nos
Commiffaires , afin d'en' obferver les effets & en
rendre compte avec moi au Public ; mais MM
les Adminiftrateurs , vu les circonftances actuelles,
& les grandes charges de Hopital , n'ont pa
que me témoigner - feurs regreto de ne pouvoit
feconder ma domande.
DE FRANCE
La méthode que je fais dans le traitement de
cette maladie , m'a réuffi fi conftamment depuis
quinze années , dans les cas les plus
graves , que je crois pouvoir affurer que je guéris
d'ané manière & plus prompte & plus heureufe.
Les médicamens que j'emploic fent faciles
à faire prendre aux enfans , en ce qu'ils font
liquides & n'ont rien de défagréable . Sur un
détail bien fait de l'état des malades par les
perfonnes de l'Art , j'en ai guéri dans les Provinces
en envoyant fes remèdes & en dirigeant
le traitement par écrit.
Je prierois ceux qui m'honorent de leur confiance
, de le faire au plus tôt. Perfonne n'ignore
que la belle faifon favorife le fuccès des remèdes
, fur-tout dans cette maladie , qui s'accroît
tous les jours d'une manière lente infenfible
lorfqu'elle eft négligée .
J'ai l'honneur d'etre avec refpest ,
MESSIEURS
Votre très-humble & très - obéiflant
ferviteur , CU ZAU BIEL , ancien
Chirurgien des Armées , & ancien
Médecin du Roi.
A Paris , rue Mazarine , Nº. 28.
192 MERCURE DE FRANCE.
SPECTA C.LES.
THEATRE DE MONSIEUR.
ONN a donné , Mercredi 14 du courant,
la première repréſentation de Gelofie Vil
lane les Jaloufies Villageoifes ) , Opéra
bouffon en 2 Actes . Cet Ouvrage a beau
coup réulli ; le Poëme eft un peu moins
mal conduit que la plupart de ceux que
nous avons vus fur ce même Théatre. C'eft
un Marquis , jeune étourdi , amoureux de
toutes les femmes , & qui en conte à
toutes celles qu'il rencontre dans fa Tere
dont il vient de prendre poffeffion.Il ne perd
pas fes difcours , car toutes courent après
lui ; mais les Amans & les Maris font tous
en alarme & en fureur. On en vient même
jufqu'à lever fur lui le bâten , dans un
rendez - vous où il eft furpris déguifé en
Payfan : mais enfin comme il fe retire bi
honteux & repentant , tout s'arrange , & la
paix revient dans les ménages .
La mufique , qui eft de Sarti , a eu le
plus grand fuccès , fur-tout la première finale
qui eft du plus bel effet.
Dans le N° . prochain , nous donnerons
l'Article du Théatre de la Nation.
I
TABLE.
E Goûter.
Charade, Erig. Logog .
Sute des Mémoires , & c.
145 Je perds mon état.
154 Variétés .
156 | Théatre de Monfieur.
18
190
19:
MERCURE
HISTORIQUE ET POLITIQUE
15 DE
BRUXELLES.
A
POLOGNE
De Varsovie , le 1º . Avril 1790 .
A La guerre se prépare dans tout le Nord
de l'Europe , et va probablement offrir
cette année beaucoup d'évènemens à
l'oisive curiosité , ainsi qu'aux intrigues
des Cabinets.
Des lettres de Pétersbourg nous annoncent
que les Gardes à cheval et les
Cuirassiers du Grand-Duc ont reçu l'ordre
de se mettre en marche pour la Livonie
, où ils doivent remplacer les Régimens
de Cavalerie envoyés dans la
Russie Blanche. On a également commandé
aux six bataillons de Gardes à .
pied de se tenir prêts pour se rendre en
Finlande , point de réunion des Corps
qui ont pris leurs quartiers d'hiver aux
No. 17. 24 Avril 1790.
N
( 354 )
environs de Pétersbourg il se fait un
transport considérable d'Artillerie à
Riga .
Ces mouvemens sont la suite naturelle
de ceux que la Suède fait de son
côté , et des avis que le Comte de Stac
kelberg a adressés à sa Cour par des dépêches
expédiées le 15 du mois dernier ,
après une conférence de plusieurs heures
avec notre Souverain . En effet , le Roi
de Suède a dû partir le 23 Mars au soir
de Stockholm pour se rendre à Carlscrone.
Les Personnes qui auront la Régence
du Royaume , pendant son absence
, sont déja nommées ; la principale direction
des affaires est confiée au Sé
nateur Comte de Sparre , Gouverneur
de la Capitale , et au Lieutenant-Général
Baron Zoege de Mantenfel. ACARA
+
Des nouvelles moins récentes de Lo
wisa portoient , que le Général en chef
de Meyerfelt est toujours au quartier
général de Borgo , et que l'on travaille
sans relâché à l'augmentation des escadres
destinées à être employées de ce
côté , la Suédoise sera sous les ordres du
Lieutenant-Colonel de Frère, et celle de
Finlande sous ceux du Colonel Merker;
d'après les mêmes dispositions , Savolax
a dû être renforcé d'un nouveau Corps
de Troupes avec de l'Artilleries oumen
postera aussi à Kuopie et à Heinola ,
Quant aux Pontonniers commandés par
le Chevalier Fallander , ce Corps est
( 355 )
près de Helsingfors : ces nouvelles nous
viennent des frontières de la République.
Voici ce que nous faisons de notre côté:
on a décrété , le 22 Mars , à quelques
modifications près , le projet du nouveau
Commissariat de guerre ; il a passé dans
les 236 et 237me. Séances de la Diete ; on
a aussi autorisé la Commission du Tré
sor à faire les fonds nécessaires pour l'é
tablissement des magazins et les fourni
tures des munitions de guerre ; cette
opération a fait renouveler à quelques
Nonces l'idée de taxer particulièrement
les possesseurs des terres , qui en 1775
avoient été déclarées susceptibles de se
transmettre en héritage ; il a été statué
quecesStarosties payeroient trente pour
cent de leurs revenus .
La Diète ne se dissimule pas qu'il faut
de puissans moyens pour soutenir l'alliance
conclue avec la Prusse et la Porte,
et c'est à les réaliser qu'elle met tous ses
soins. L'articleindispensable des subsides
a donné lieu à de si violens débats , que
le Roi s'est vu obligé d'exhorter les Membres
à conserver l'harmonie dans un
temps où elle est si nécessaire.
La santé de ce Prince s'est sensiblement
altérée depuis la Séance , dans laquelle
il a pris le parti d'accéder à l'Alliance
Prussienne ; on le supposoit pencher
pour une neutralité absolue , on le
soupçonnoit même de garder quelque
prévention en faveur de la Russie ; mais
Nij
( 356 )
il a complètement démenti ces craintes :
à la vue des avantages que la Prusse et
l'Angleterre promettoient à la Pologne ,
avantages singulièrement développés
dans le rapport fait à la Diète , il a déclaré
que , persuadé de la magnanimité
du Roi Frédéric Guillaume , et de l'équité
des principes qui guidoient sa politique
, il acceptoit le projet d'alliance.
En voici les articles , tels du moins qu'ils
circulent..
ес " 1º , Que dans le cas d'une défenguerre
sive , la Pologne pourra compter sur un secours
de troupes d'un tiers plus fort que celui
qu'elle sera obligée de donner en pareil
cas à la Prusse , et que le secours de la Pologne
consistera principalement en Cavale
rie , et celui de la Prusse en Infanterie : la
Pologne pourra compter en outre sur un secours
de grosse Artillerie.
>>
2 ° La Prusse promet d'empêcher de
toutes ses forces toute influence étrangère
dans le Gouvernement de Pologne , et de
maintenir l'indépendance de la République
.
" ;
« 3 %. Au cas d'une sédition intérieure , on
pourra compter sur les secours de la Prusse. "
4° . La Prusse s'efforcera d'empêcher
que le Gouvernement de la Courlande soit
donné à un étranger , que le Duc puisse
avoir des troupes étrangères dans le pays ,
et que ce Duché soit soustrait à la dependance
de la Pologne . "
Voici d'autres articles non moins intéressans
: ce sont ceux que l'on dit former le
1
( 357 )

L
traité entre la Porte Ottomane et la Prusse.
1 °. La Prusse garantit à la Porte tous
les pays qu'elle possède au midi du Danube.
2. Elle promet d'employer tout son
pouvoir pour remettre la Crimée, dans la
dépendance absolue de la Porte. »
3º Les frontières de la Pologne seront
maintenues suivant la teneur du traité de
Carlowitz.
"
4°. Au cas qu'il y ait une rupture entre
la Prusse et les Cours de Vienne et de Pétersbourg
, on ne fera pas de paix sans le
concours de la Porte , de la Suède et de la
Pologne. "
La Porte sent tout le prix de notre
alliance , et des efforts que nous pou
vons faire en sa faveur ; elle s'est empressée
de remettre en liberté tous les
Polonois faits prisonniers avec les Autrichiens
et les Russes dans les campagnes
précédentes.
9
Le grand nombre de Juifs qui sont ici
depuis la tenue de la Diète , a donné lieu
à une grande fermentation parmi la
Bourgeoisie la postérité d'Abraham
dont l'esprit , du moins jusqu'à ce jour ,
est entièrement mercantile , n'a pas manqué
de s'emparer de presque tout le
commerce de détail , de sorte que les
Bourgeois-Marchands qui payent dans
ce moment plus d'impôts que jamais ,
ne pouvoient soutenir la concurrence :
ils avoient porté des plaintes à ce sujet ,
Niij
( 358
mais elles sont restées d'abord sans effet,
enfin , ils ont menacé les Juifs . Pour prévenir
les troubles , on a jugé à propos
d'enjoindre à ces derniers de quitter Varsovie
sous quinze jours . Ce seroit en
vain qu'on voudroit civiliser cette Nation
, on n'y parviendra jamais , à moins
qu'elle ne change elleniême – le sys
tême d'après lequel elle se gouverne ,
et n'adopte les principes de la société
où elle existe : ses opinions , sés moeurs ,
et sur-tout sa séparation ou la défense
absolue de se mêler par le mariage avec
d'autres Peuples ,
l'éloigneront pour toujours
des autres sociétés.
ALLEMA G N E.
De Berlin , le 4 Mars.
Hier au soir , le Ministre d'Etat Comte
de Herzberg accompagna chez le Roi
l'Envoyé de Pologne ; il y eut une longue
Conférence à l'issue de laquelle on expédia
un Courrier à Varsovie. Le mêine
jour, le Courrier du Cabinet qu'on at
tendoit de Vienne en est revenu , mais .
il ne transpire encore rien du contenu
de ses dépêches. Tout ce que le Roi se
propose, en concluant des Alliances aver
la Porte et la Pologne , est d'opposer
aux Cours de Vienne et de Pétersbourg
une Confédération assez puissante pour
( +359 )
les amener à des conditions plus justes
pour la conclusion de la paix avec la
Turquie et la Suède , qui certainement
n'accéderont pas à celles que les deux
Cours Impériales leur ont proposées.. ,
Au reste , les préparatifs de guerre
se poussent avec vivacité , et l'Arsenal
de Berlin occupe nuit et jour environ
350 travailleurs. Pour faire face à ces
dépense's , on épargne sur d'autres : la
construction de maisons aux frais du
Roi n'aura pas lieu cette année ; cependant
le Trésor a déja fourni les sommes
nécessaires pour mettre l'Armée en mouvement.
Des nouvelles encore plus récentes
annoncent que M. le Duc de Brunswick
a déterminé le Cabinet de Berlin , qui
malgré ses préparatifs paroissoit vouloir
éviter la guerre , å persister dans toutes
ses prétentions ; résolution dont il a
donné avis à la Cour de Russie : comme
on ne croit pas que l'Impératrice se
relâche en rien des siennes , la guerre
semble inévitable ; aussi les préparatifs
suspendos` recommencent- ils plus vive-
´ment que jamais ; les Régimens ont eu
ordre de se tenir prêts à marcher , et
M. le Duc de Brunswick doit aller incessamment
se mettre à la tête de l'Armée.
Ces mêmes Lettres annonçoient
Je départ du Roi de Prusse pour la Silésie
, après les fêtes de Pâques ; le Gé
neral Dalwig devoit commander les
Niv
( 360 )
Régimens de cette Province sur les frontières
de la Bohême. C'est le Prince !
Royal , élevé au grade de Colonel , qui
aura le beau Régiment de Prusse , en
garnison à Postdam.
1
De Vienne , le 8 Avril.
Le Prince de Hohenlohe est parti ,`
le 28 Mars , pour se rendre à l'Armée
en Bohême , où doit aller aussi le Maréchal
de Laudhon , que sa santé retient
depuis quelques jours aux bains
de Baden ; on y continue les préparatifs
de guerre , ainsi que dans la Gallicie et
dans la Silésie ; l'Armée sera même renforcée
d'un Corps de Croates qui sont
en marche. Les travaux dans les forti- ,
fications de Belgrade se suivent aussi
sans interruption , et l'on fait passer
beaucoup de vivres et d'Artillerie de
Péterwaradin et de Semlin vers Orsowa ;
les Turcs de cette place ne font aucun
mouverent pendant la nuit , mais le jour
ils tirent sur nos ouvrages.
Le Général Comte de Wartensleben ,
qui commande le Corps du Bannat , est
arrivé le 11 du mois passé sur la montagne
d'Allion , et l'on nous marque de
Temeswar , que les Troupes , forment
un cordon depuis Mehadia , par Schupanek,
Kladowa , Nagotin jusqu'au Timok.
Le ro , il étoit déja arrivé plusieurs
Régimens Hongrois dans la Mo(
361 )
ravie , pour laquelle les Grenadiers de
notre garnison doivent partir incessamment.
Le Général de Laudhon a remis au
Roi Léopold II les plans d'opérations
de cette campagne ; il porte à 400,000
hommes le nombre de Troupes qu'il
Jui faut pour faire face à tous les ennemis
dont nous sommes menacés ; on a ordonné
en conséquence 22,000 recrues
pour compléter l'Armée.
Le Département des Affaires Etrangères
a expédié , à Constantinople , un
Courrier pour notifier à la Porte l'avenement
de notre Souverain , et lui déclarer
que si elle refuse la paix aux
conditions équitables que les deux Cours
Impériales lui proposent , nous nous
en tiendrons à notre alliance avec la
Russie , en vertu de laquelle nous serons
forcés de continuer la guerre. Il paroît
qu'on la poussera vigoureusement , car
les avis de la Transylvanie portent que
la majeure partie de l'Armée du Prince
de Cobourg s'est mise en marche de
Bucharest vers Widdin , et que le Général
de Spleny l'a suivie de Foksan
avec 4 bataillons d'Infanterie et 3 divisions
de Cavalerie. Nous avons aussi
appris de Belgrade que le Général Léonardo
est en marche pour Kladowa ,
avec 8 bataillons d'Infanterie et les Dra
gons de Wirtemberg ; cet Officier com-
No
7.
( 362 )
mandera tout le Corps de Troupes dans
la Kraina .
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 15 Avril 1790.
L'affaire de M. Van der Meersch occupe.
tous les esprits. On craint même quelques
suites funestes de la lutte du parti patriotique
et du parti oligarchique . C'est du moment
où il a été question de reprendre le
commandement au Généralissime de l'Armée
Belgique , pour le remettre , à ce qu'on
eroyoit , à M. le Baron de Schoenfeld , que
l'Armée , qui s'étoit déja plaint de divers
griefs , témoigna des mécontentemens plus
vifs ; et que les Officiers adressèrent au Congres
une Déclaration qui eontenoit leurs
sentimens et leurs voeux savoir , 1 °. que
M. Van der Meersch fût continué dans le
commandement ; 2 ° . que M. le Duc d'Ursel
fut remis à la tête du Département de la
Guerre ; 3°. que M. le Prince d'Aremberg
fût nnommé Commandant en second de l'Armées
et 4°. enfin que les Provinces fussent
invitées par une Circulaire à coopérer conjointement
au rétablissement de l'ordre et
à la réforme des abus.
La Circulaire des Officiers échauffa partout
les esprits. Mais les Etats de Brabant ,
au moyen d'une autre Adresse , arrêtèrent
bientôt cette coalition naissante , et réussirent
d'abord à en séparer les Etats de
Flandre , au point que ceux- ci , instruits de
la conduite du Général par ce moyen , la
( 363 )
"
blâmèrent formelle eat et exprimerent
leur avis , qui étoit de le mander toat
aussitôt pour en rendre compte .
Cependant Armée , pour arrêter à son
tour les sacces de l'Oligarchie , donna des
explications de sa Circulaire , de son adhésion
à l'Adresse des Démocrates , avant les
troubles du 15 Mars à Bruxelles , et de
quelques autres objets d'accusation elie
essaya de satisfaire également les trois
Ordres par une proclamation faite au son
du tambour , disant que des gens mal intentionnés
, hautement suspects d'avoir fomenté
les derniers troubles de Bruxelles , voulant
encore soulever le Peuple de Namur et
perdre le Général Fan der Meersch , ce
Général s'étoit mis à la tête de l'Armée
pour défendre la Religion Romaine , les
Doits Politiques et Civils , et la Liberté de
Peuple.
Malgré cette déclaration et la justifica
Lion du Général exposée par M. le Dne
d'Ursel, le Congrès envoya des Commissaires
à Namur , chargés de redresser les griefs de
l'Armée, Sur le soupçon qu'ils venoient
secrètement informer contre le Général , un
de ces Commissaires fut arrêté et dessaisi
de ses papiers , qu'on rendit publics. Alors
M. le Baron de Schoenfeld fut chargé de se
rendre en force à Namur. M. Pan der
Meersch en sortit. Les deux Généraux s'examinèrent
avec des desseins réciproques d'hos
tilité. On en vint à des pourparlers qui se
terminèrent heureusement pour le Général
en apparence.
Mais lorsqu'il voulut rentrer dans Namur,
1 vit tous les postes occupés par la Bourgeoisie
armée , le canon du rempart braqué
( 364 )
sur sa Troupe , et tous les esprits changés,
Il rentra néanmoins dans la place apres
bien des difficultés , mais en perdant le
commandement et la confiance publique.
Il s'aperçut même qu'on le regardoit comme
un traître qui avoit fait passer des munitions
dans Luxembourg , et qui vouloit remettre
le Pays sous le joug. des Autrichiens.
Il ne demeura pas long - temps dans Namur
sans être mandé au Congrès . Il se rendit
en conséquence à Bruxelles le 7 de ce mois
au soir , et parut devant ses Souverains. 11
écrivit aux Etats de Flandre pour se plaindre
des calomnies , et demander la mort ou des
réparations éclatantes. La réponse qu'il en
reçut lui indiqua tous les chefs d'accusation
dressés contre lui. Ces chefs sont , 1º . d'avoir
accédé au voeu d'une partie de la garnison
de Namur contre l'autorité du Congrès Souverain
; 2° . d'avoir souffert qu'elle se donnât
un Officier - genéral , et qu'elle établit un
Président de Guerre , nominations qui n'ap
partiennent qu'à la seule Souveraineté ;
3°. qu'elle osât porterodes mains sacriléges
sur les personnes députées par le Congrès ,
enlever leurs dépêches , les ouvrir et prescrire
les arrêts à ses Maîtres ; 4 ° . d'avoir
déclaré de sa propre main dans une Lettre
que toutes ces démarches rebelles avoient
étéfaites à sa connoissance et avec son approbation
; 5°. d'avoir , pour comble d'insubordination
, fait publier au son du tambour
la proclamation ci - dessus ; et 6°. d'être sorti
avec sa Troupe pour s'opposer à l'entrée de
ses Souverains dans Namur.
4
Le Général a répondu qu'il défioit aux
Etats de prouver de telles inculpations : il
( 365 )
a reçu en même temps , de la part du Congrès
, une interpellation de choisir pour
prison la Citadelle d'Anvers où l'on pourroit
même lui rendre le Chanoine Brou ,
qu'on avoit dû lui ôter , ou l'Abbaye de
Sainte-Gertrude à Louvain : c'est là que se
tiendront les Séances du Conseil de Guerre
qui doit le juger. Il a répondu qu'il préféroit
de se transporter à Gand , sa Patrie , dès
qu'on le jugeroit convenable. Il a encore
écrit au Congrès pour demander un prompt
Jugement , de quelque nature qu'il dût
être , et de même aux Etats de Flandre. Il
n'a point encore de réponse en ce moment
il est déterminé à ne plus commander , mais
il refuse de donner sa démission avant qu'on
ne lui ait fait la plus éclatante satisfaction ,
et s'appuie toujours sur la Souveraineté du
Peuple , à qui seul il doit remettre des pouvoirs
que le Peuple lui a donnés .
Le Prince - Evêque de Liège vient de
déclarer formellement au Roi de Prusse ,
le 27 du mois dernier , que pour déterminer
son consentement aux dernières
propositions de S. M. , il falloit qu'elles
fussent jugées constitutionnelles et applicables
par le Prince-Evêque de Munster
et le Duc de Juliers , Co-Directeurs du
Cercle. A la lecture de cette Déclaration ,
la Cour de Berlin a adressé un Rescript à
son Procureur auprès de la Chambre Impériale
, pour solliciter ce Tribunal de
faire accepter les propositions du Roi au
Prince-Evêque , comme le seul moyen de
conserver le pays de Liège à l'Empire , et
de sauver à ce petit Etat les horreurs d'une
( 366 )
guerre civile. Le Tribunal est prévenu
quesi l'Evêque refuse , ou même diffère.
d'accepter , les troupes Prussiennes , actuellement
en garnison dans la Citadelle,
se retireront , ainsi que celles qui avoient
été détachées dans le pays , et qui ont
ordre d'en sortir le 15 de ce mois.
On ajoute que le Comte de Méan
Suffragant de Liège , et le neveu du
Prince- Evêque , font tous leurs efforts
pour que la Commission d'exécution scit
transférée à PElecteur-Palatin et à l'E
vêque de Munster , qui ont promis , à ce
qu'ils assurent , de se charger . seuls de
Pexécution littérale des Décrets de la
Chambre Impériale , dès que les Troupes
Prussiennes seront retirées.
FRANCE.
De Paris , le 13 Avril.
ASSEMBLÉE NATIONALE. 50. Semaine.
DU DIMANche 11 AvRIL.
Sur la Motion de M. Delley d'Agier,
anendée par M. l'Abbé Grégoire , et dont
nous avons donné le sommaire , M. Treilhard
esatnina la question sous le double rapport
du droit et du fait : « La Nation peut elle
reprendre l'Administration des biens Ecclésias
iques ou Nationaux ? la Nation a - t- elle
intérêt à la reprendre ? - Elle le peut parce
qu'elle peut administrer , puisqu'elle peut
disposer ; elle le peut encore parce qu'elle
( 367 )
a droit au bénéfice en acquittant les charges
du Culte , de l'entretien de ses Ministres
et du soulagement des pauvres ; c'est la conséquence
nécessaire des Décrets du 2 Novembre.
Et quant à la question de fait ,
P'intérêt de l'Etat , de la Religion , et particulièrement
celui des Ministres du Culte ,
lui font un droit et un devoir de reprendre
cette Administration : l'intérêt des Ministres,
en ce qu'ils cesseront d'être les victimes de
cette répartition odieusement inégale , qui
voue à l'indigence de vénérables et d'utiles
pasteurs , pour maintenir dans la mollesse des
hommes souvent inutiles , et qui n'ont d'Ecclésiastique
qu'un habit contrastant avec leur
conduite et leurs moeurs. L'intérêt de la
religion ! Dieu n'a rien donné aux Apótres ;
il leur a dit , au contraire : Vendez tout , et
suivez - moi. L'Eglise ne sera plus défigurée
par cette vaste plaie que lui a faite l'Administration
temporelle L'interêt de l'Eta !
des ruines de Créanciers aux abois sont le
trop fidele tableau des successions que laissent
les Bénéficiers. Les Capitaux du Clergé s'élèvent
au moins à dix - sept cent cinquante
millions ! quel puissant moyen de libérer
Etat , et de rembourser des créances dont
l'intérêt est de 6 et 7 pour 100 !
M. Treilhard a répondu ensuite d'une manière
qui a paru victorieuse aur differentes
objections sur les frais d'administration
des Directoires , sur la crainte que les besoins
de l'Etat ne les exposent un jour à
étre depouillés , sur l'agiotage qui pourroit
s'introduire dans le maniement des fonds
Ecclésiastiques , etc. etc.
M. l'Evêque de Nancy a monté à la Tribune
sans paroître inferieur za redoutable
( 368 )
antagoniste qui la quittoit « S'il m'étoit
possible , a- t - il dit , de séparer mes intérêts
temporels , de ceux des Eglises de France ,
de mon Eglise en particulier , et de la
Religion même , je me serois condamné au
silence: plaçant mon ame à la hauteur de
l'abnégation évangélique , à cette hauteur
que l'injustice des hommes ne sauroit atteindre
, j'aurois dévoué sans peine et précipité
dans le gouffre dévorant qui demande
tant de victimes , les biens temporels qui
m'ont été départis . Mais ici il s'agit de
l'intérêt durable et perpétuel de nos Eglises ,
et de la Religion quien est inséparable. Il
faut alors que les Ministres des autels défendent
avec courage et constance les droits
sacrés que l'on attaque . C'est une de ces
circonstances où la résistance est le plus
saint des devoirs . Qu'il est douloureux pour
les Membres du Clergé de ce Royaume de
n'avoir à faire entendre leur voix dans cette
Assemblée que pour se plaindre ou du fond
ou de la forme de vos délibérations qui les
concernent ! N'étoit- ce pas assez que malgré
une possession de quatorze siecles , une possession
confirmée par tout ce que les Sanc
tions humaines ont de plus imposant , u e
possession plus ancienne pour la plupart de
nos Eglises , que l'existence même de la
Nation Françoise , que toutes les propriétés
Ecclésiastiques eussent été , par le seul acte
de votre volonté , mises à la disposition de
la Nation ! N'étoit- ce pas assez quesans avoir,
comme vous le deviez , consulté les Provinces
où réside la Nation à qui , par votre Décret
du 2 Novembre , avoit été attribuée la disposition
de nos biens , vous ayez pris sur vous
de décréter , le 19 Décembre , la vente des
( 369 )
biens de l'Eglise , pour une valeur d'environ
quatre cents millions ! N'étoit- ce pas assez
que reprenant tout- à- coup aux Provinces la
surveillance de toute disposition des biens
Ecclésiastiques dans leur territoire , vous
Payez , par votre Décret du 17 Mars , transmise
aux Municipalités , en leur confiant la
vente des biens Ecclésiastiques , sous l'apparence
de soumission ou d'adjudication à
leur profit ! N'étoit - ce pas assez que votre
Décret du 13 Février eût , malgré nos représentations
et les principes les plus certains
de Religion et d'équité , supprimé.
toutes les instutions Monastiques si chères
à l'Eglise ! »
«
D'abord , Messieurs , je suis en droit
de vous demander pourquoi c'est sur l'annonce
d'un projet , non arrêté , du Comité Ecclésiastique
, que l'on nous force de délibérer ?
pourquoi une lettre alarmante du Premier
Ministre des Finances sur la situation du
Trésor Public avoit précédé immédiatement
cette Motion extraordinaire ? Elle a pour objet
d'enlever à toutes les Eglises , à tous les
Bénéficiers , légitimes possesseurs , la jouissance
et l'administration de leurs biens .
Proposition révoltante ! A- t - on pu croire que
vous l'admettriez ? Demandez à chaque titulaire
des sacrifices , et il les fera de lui - même.
Mais vouloirque l'Assemblée Nationale porte
l'abus du pouvoir jusqu'à dépouiller arbitrairement,
par l'acte absolu de sa volonté , des
possesseurs légitimes , c'est lui conseiller le
crime le plus flétrissant pour une Natión .
l'abus de la force contre la foiblesse
lâcheté que vous ne pouvez pas commettre. »
On veut confier l'administration des " .
une
biens Ecclésiastiques aux Directoires de
( 370 )
J
Districts et aux Municipalités. L'art de régir
des biens , d'acheter , de vendre à propos
, de tenir des livres de compte en regle ,
de veiller aux réparations et à l'entretien ,
de suivre les procès ; en un mot , ` d'embrasser
tout ce qu'une régie comporte , est
o agt difficile , et qui demande des hommes
experimentés et uniquement adonnés
aux details sans cesse renaissans de cette
profession. Eh bien Messieurs , c'est à
des peres de famille , essentiellement occupés
du soin et des détails de leurs propres
affaires , à des hommes initiés peut -être
pour la premiere fois à Vadministration publique
, déja surchargés de tant d'attributions
d'administration , à des hommes dont.
la mission doit se borner à deux ans , quevous
confieriez des intérêts de cette importance
? »
Le second article qui vous est présenté,
par votre Comité des Dimes porte , qu'à
partir du premier Janvier de la présente
année , le traitement de tous les Ecclésiastiques
sera payé en argent , aux termes et
sur le pied qui seront fixés. Violer la foi
jurée , anéantir les fondations et le respects
inaltérable qui leur est dû ; se jouer des conventions
humaines , et ravir par la force ce
dont on seroit repoussé par la justice , voilà
l'esprit de cette opération. Le droit exorbitant
de faire une pareille révolution dans
le Culte , vous ne l'avez pas . Mes Commettaps
m'ont formellement prescrit de m'opposer
à toute operation de ce genre . Tous
les Cahiers se bornent à vouloir que vous
opériez la réforme des abus dans la répar
tition des biens Ecclésiastiques ; mais là
finit l'exercice du Pouvoir qu'ils vous attribuent.
( 371 )
Le troisième article du projet de votre
Comité est rélatifa la suppression des Dimes
à compter du 1. Novembre 1791. C'est là
une véritable spoliation des Eglises , le com
menceinent de la ruine de la Religion et
du Culte. Vous ne devez prononcer l'abolition
des Dimes inféodées que quand vous
aurez réellement effectué le rachat . »
» Enfio , l'on dit que dans l'état des dépenses
publiques de chaque année , il sera
porté une somme suffisante pour fournir aux
frais du Culte , au soulagement des Pauvres ,
aux Pensions des Ecclesiastiques . De manière
que les biens qui sont à la disposition de
la Nation , puissent être dégagés de toutes
charges , et employés par le Corps Législatif
aux plus grands et aux plus pressans besoins
de l'Etat. »
" Voilà donc toute la théorie du systême
qu'on vous présente. Dépouiller par les
moyens les plus expéditifs l'Eglise Gallicane
de tous ses biens , pour les céder plutôt
que pour les vendre aux Capitalistes , Créaueiers
de l'Etat , car , Messieurs , malgré
toutes les espérances exagérées , on ne se
laissera pas abuser au point de croire que
la vente des biens Ecclésiastiques puisse se
faire avec quelque avantage dans les malheureuses
circonstances où se trouve le
Royaume. »
..
. A présent , je demande à votre Comité
pourquoi il ne présente jamais que ses hypotheses
particulieres , toujours plus conformes
à la latitude qu'il veut donner à ses
calculs , qu'à la réalité , du moins approximative
? J'estime son erreur sur le nombre
des Ecclésiastiques de plus de 15,000 têtes.
Je ne parle pas des dettes de toute espece ,
( 372 )
des Chapitres , des Monastères , des Communautés
, des bénéfices , qu'il faudra nécescairement
prélever sur les biens - fonds . Toutes
ces dépenses réunies porteront bien surement
à cent soixante millions au moins la
masse de l'imposition annuelle à jeter sur
Ja Nation. L'invasion générale des biensfonds
du Clergé seroit un véritable attentat
au patrimoine des Pauvres. Je suppose que
la vente des biens du Clergé , bien loin d'être
aussi préjudiciable à la Nation , qu'elle le
sera en effet , lui fût au contraire utile , et
lui procurât une diminution quelconque dans
ses impositions. Voici quel seroit le résultat
de cette diminution : plus un Citoyen seroit
riche , plus les biens de l'Eglise profiteroient
à sa décharge. Or , je ' demande combien
, dans tous ces profits appliqués aux
riches , se trouveroient de portions patrimoniales
et alimentaires du pauvre , et quel
tort incalculable on lui feroit ?
"
"
En Angleterre , il existe une taxe annuelle
au profit des pauvres , d'environ So
millions. Cette taxe dut son origine à la
suppression des Monastères et des établis→
semens Ecclésiastiques. Ces suppressions desséchèrent
dans les campagnes les sources
de la circulation locale du travail et de
l'industrie . La misère et la pauvreté les
remplacèrent. Il fallut imposerla Nation pour
subvenir à l'indigence. Les mêmes causes
produiront en France les mêmes effets . "
" L'abolition de la Dime ôtera , suivant
l'opinion commune , 70 millions. "
་་
« La suppression des droits féodaux , sans
indemnité , doit faire perdre à l'Eglise au
moins . 12 millions de revenus , "
" La dette générale de l'ancien Clergé
( 373 )
de France , annullée avec les dettes particulières
de ses différens Diocèses , doivent
enlever au moins & millions de recettes "
10
La dette des Diocèses du Clergé Etranger
, environ 4 millions .
"
Les dettes de tous les établissemens
Ecclésiastiques et Religieux , par approximation
, 5 à 6 millions de rentes . "
"
Dans la vente de biens Ecclésiastiques
pour environ 400 millions , il entrera des
valeurs reproductives pour 200 millions au
moins ; ce qui fait , vu la certitude de la
mauvaise vente , à peu près dix millions de
rentes à retrancher.
"
"
Les rentes en contrats sur l'Etat , ou sur
Particuliers , la plupart anciennement constituées
, et à un très-foible denier , doivent
étre un objet d'environ 15 millions . La réeapitulation
de tous ces objets donne 125
millions . "
A D'après ce calcul , et l'estimation même
du Comité des Dîmes , il ne devroit rester à
l'Eglise , en revenus fonciers ou territoriaux ,
qu'environ 35 millions . C'est donc pour l'ap
pât de cette vente , dont le capital ne monteroit
pas , vu les circonstances , à 800 millions
, que la Nation contracteroit à perpétuité
une charge énorme et accablante. Mais
si les dépenses du culte , celles de la subsis
tance des Ministres des Autels et des -pauvres
, n'étoient point acquittées , ou tardoient
trop de l'être , insensiblement les Prêtres deviendroient
plus rares , le culte seroit mal
desservi , la Religion disparoîtroi tenfin de
ce vaste Royaume ; l'immoralité , l'impiété
l'anarchie s'y établiroient pour toujours .
"
Il est , Messieurs , une considération particulière
à la Province de Lorraine et Bar-
}
( 374 )
rois. Cette Province n'est réunie à la Cou̸-
ronne de France que depuis 1668 , et par
conséquent n'a point participé aux dettes
anciennes de la France. Réunie par le Traité
de Vienne conclu entre l'Empereur , les Rois
de France , d'Espagne et de Naples , respectivement
intéressés et garans , elle ne peut
pas voir ses Eglises soumises à la rigueur de
vos Decrets , et leurs biens vendus pour payer
des dettes , dont une partie lui est étrangere.
« Les biens du Clergé pouvoient vous of
frir des ressources vraiment justes et salutaires.
Il eût été si facile d'emprunter et d'hypothéquer
sur les biens des Eglises une
somme de 400 millions , sans invasion , sans
injustice , sans spoliation ! Malheur à nous
Ministres des Autels , si , au milieu des ébran
lemens continuels qui agitent la Religion et
la morale , nous pouvions contempler d'us
ail tranquille les désastres de l'Etat ? Pours
quoi la sage prévoyance de nos pères uous
avoit- elle appelés à venir siéger avec eux
dans leurs assemblées politiques ? N'étoit- ce
pas pour que nous fussions sans cesse au milieu
même de ces hommes religieux , les
Apôtres inébranlables de la vérité , les défenseurs
intrépides de la foi , les conserva
teurs vigilans des intérêts sacrés de nos
Eglises ? "
Une invasion générale menace le patrimoine
de l'Eglise et des Pauvres , les fonda
tions destinées par la piété de nos pères à
l'entretien du culte , et ne tend à rien moins
qu'à détruire par le fait , dans ce Royaume ,
la Religion elle -même . C'est ici que les Mi
nistres des Autels doivent s'armer de cou
rage , opposer, s'il le faut, une résistance- invincible
aux Décrets destructeurs qu'on vou.
( 375 )
droit vous surprendre , contre le bien inséparable
de la Religion et de la Patrie. "
u
Ainsi, Messieurs , s'il étoit possible que
ee projet d'invasion fut adopté , permettez
d'avance que je dépose , au sein de l'Assemblée
Nationale , la déclaration solen-
` anelle , au nom de mes Coaimettans , au nom
é de mon Diocèse , de sa Cathédrale , de SES
établissemens religieux , au nom de ses
« Pauvres , au mien propre, et ( je pense aussi ),
« au nom d'un tres- grand nombre de Mem-
& bres de cette Assemblée , que nous ne pou
vons participer , adherer , ni consentir en
• aucune maniere aux › Décrets qui consa➜ ”
ereroient les articles soumis à votre discussion
ni à tout ce qui pourroit suivre
ou résulter de ces Décrets . »
Trouvez bon , Messieurs , que j'aie l'honneur
de vous prier d'ordonner qu'il soit fait
mention de ma réclamation dans le Procèsverbal
de cette Séance.
DU LUNDI 12 AVRIL.
M. le Baron de Menou a cédé le fauteuil
à M. le Marquis de Bonnai. Les discours d'u
sage termines , M. Roederer a repris la dis
cussion sur le rapport du Comité des Dimes.
Après avoir décrété , le 2 Novembre dernier
, que la disposition des biens du Clergé
appartenoit à la Nation , il ne reste plus qu'à
examiner , sans égard aux protestations contraires
, s'il faut , dès-à-présent , les retirer
aux titulaires . » L'Opinant embrassant l'affirmative
annonça , contre M. l'Evêque de
Nancy, Padhésion de toutes les Provinces , et
particulièrement des Députés de Nancy ; il
combattit ensuite le pretexte spécieux des
auniónes , et fit voir que l'acquittement de
( 376 )
1
celte delte nationale , la plus sacrée , ne doit
pas être confié à des individus isolés , et
contre lesquels il seroit difficile d'avoir recours
; il insista pour que l'ancienne existence
du Clergé fút séparée , de celle qu'il
plairoit à la Nation de lui donner , et montra
qu'il étoit de l'intérêt de la Nation que
ces moyens d'existence ne fussent point une
proprieté territoriale, int
M. le Curé Dillon renouvella l'amendement
proposé hier par M. l'Abbé Grégoire ,
consistant à donner aux Cures la moitié de
leurs revenus en fonds de terre , et aux Evêques
une maison de campagne avec l'enclos
Quant à la protestation de M. l'Evêque de
Nancy , continua-t- il , je soutiens qu'il n'y a
pas ici un bon Ecclésiastique qui ne soit prêt
d'y donner un désaveu et de bouche et de
coeur.
M. de Bouthilier : « Un seul décret émané de
vous a changé tout ce que l'on avoit consacré,
Les acquéreurs des biens du Clergé ne pour
roient - ils pas craindre qu'un décret subséquent
ne les expose à des recherches dont
on n'a vuque trop d'exemples ? » Lasuite de ce
discours n'offrant aucunes vues nouvelles n'a
été que difficilement entendue . Un Membre
Ecclesiastique reprit encore avec instance la
Motion de M. l'Abbé Grégoire , en se sou
mettant néanmoins , au nom des Gurés ses
confrères , au jugement de l'Assemblée quel
qu'il pût être. M. Chassey annonça que cette
réserve , en faveur des Curés , faisoit partie
du Projet du Comité des Dimes,
M. P'Abbé de Chavannes reprocha aux quat
tre Articles du Comité , de menacer la req
ligion et les moeurs ; il s'appuya sur une rai,
son particulière pour les trouver contraires ,
même
( 377 )
Me
1
même au bien de l'Etat. « Quelques Provinces
, dit- il , sont dix fois plus riches que
les autres en biens Ecclésiastiques ; elles auront
donc dix parts de la dette publique à
payer , tandis que les autres privilégiées n'en
payeront qu'une. Mais croyez -vous qu'elles
les payent de bonne volonté ? je ne le crois
pas ; et en cas de refus , enverrez vous des
bataillons? Je conclus donc à rejetter les Articles.
>>
M. l'Archevêque d'Aix : « Voilà done
l'abîme dans lequel on veut nous précipiter.
Que sont devenues les assurances qu'on nous
avoit solennellement données de conserver
nos droits et nos possessions ? N'avez - vous
juré de les maintenir que pour les détruire
sans ressources ? Vous avez d'abord aboli
les Dîmes avec rachat , puis avec remplace.
ment ; puis vous avez prononcé un remplacement
non équivalent. Vous avez ensuite
proposé cette question : Les biens du Clergé
appartiennent - ils à la Nation ? Sur les raisons
que nous donnâmes contre cette proposition ,
le mot propriété fut changé en celui de dis
position. Cette disposition n'est donc pas une
propriété ; sans quoi vous auriez décidé qué
les biens Ecclésiastiques sont une propriété
Nationale.
и
que nous som- Vous ne pouvez pas nier
mes ici les Représentans du Clergé , qu'il
s'agit de la jouissance d'un bien qui appartient
au Clergé. Il s'agit des intérêts de la
religion , et l'on compte sur le succès des assignats
, sur une opération qui ne présente
Ja religion aux Peuples que comme un impôt
onéreux ! Il n'y a pas de meilleur moyen ,
je le dis hautement , pour détruire le crédit
des assignats , que de les livrer aux récla-
Nº. 17. 24 Avril 1790. Ο
( 378 ) mations que doit suggérer à tous les Citoyens
l'invasion des biens du Clergé. Lorsqu'il
fut demontié pour nous que le dépérissement
des finances étoit à son comble ,
Lous proposâmes un emprunt qui auroit donné
à ces assignats la confiance , qu'ils ne pouré
;
ront obtenir de toute votre autorité ; il auroit
été successivement
rempli , et vos besoins
satisfaits et les proprietés respectées.
Vous avez rejeté nos propositions ; cepen- dant les besoins extraordinaires
se sont accrus
, les barrières ont été renversées , les
commis repoussés ; votre Décret sur la contribution
patriotique presque méconnu ; en- core une fois , les besoins se sont accrus
avec l'impossibilité
de les faire évanouir.
Vous avez tout perdu en refusant le secours
que nous vous proposions pour remédier à
ces malheurs. Qu'arrivera-t-il maintenant
de l'opération qu'on vous propose ? Vous
mettrez sur le peuple une imposition de
133 millions , ou plutôt vous ne la mettrez
pas , car elle seroit intolérable ; elle ne pourroit
se percevoir. Nous épuiserons , sans nous
lasser de nos efforts , tous les moyens de
conciliation qui sont en notre pouvoir. 1°. Nous renouvellons
l'offre solennelle
d'un emprunt de 400 millions , lequel seroit
autorisé , garanti , décrété et leve par l'As- semblée Nationale ; hypothéqué
sur les biens
du Clergé , qui en payeroit les intérêts , et
rembourseroit
le capital par des ventes pro- gressives , faites suivant les formes canoniques
et civiles.
"t
"
2. Nous demandons
qu'il soit décrété qu'il n'y a pas lieu à délibérer
sur les articles
proposes. 3.Et dans le cas où , en délibérant , ces
( 379 )
articles seroient adoptés , nous demandons
la convocation d'un Concile National , et
qu'il nous soit donné Acte de la Déclaration
que nous faisons de ne pouvoir participer en
rien à ce Décret ; nous réservant de réclamer,
pour les droits de la puissance Ecclésiastique
, suivant les Conciles , les Canons
et les Lois de l'Eglise Gallicane . "
Une partie de l'Assemblée demanda l'impression
de ce discours , dont nous n'avons
pu saisir et présenter que les principaux traits,
L'autre décida qu'il n'y avoit lieu à delibérer.
M. Thourct : « Le temps se consume en longs
débats , tantôt en plaintes plutôt qu'en raisons
, tantôt en expositions systématiques de
ce qu'on croit que nous aurions dû faire ,
pour nous écarter de ce qui est à faire ; tantot
on offre , au nom d'un Corps qui n'existe
plus , au nom d'individus qui ne sont pas
rassemblés , et pour lesquels on ne peut
avoir le pouvoir d'offrir ; cependant le temps
est précieux ; quand on a discuté , il faut
opiner ; pour opiner , il faut se rallier à des
principes fondamentaux. Les droits de la
Nation sur des biens qui n'étoient qu'un mode
préferé pour acquitter les frais du culte sontjis
reconnus ? Oui , ils le sont , par un Décret
publié , applaudi et accueilli par tout , sanctionné
par l'opinion publique. Eloignons toute
distinction subtile. Rien ne peut faire que
celui à qui appartient la disposition , ne
poisse disposer. Veut-on argumenter de la
propriété ? mais les Ecclésiastiques ne la
demandent pas ; ils disent qu'elle appartient
aux Eglises ; nul droit ne sera blesse quand
la Nation administrera pour les Eglises . Separons
l'intérêt de la religion de l'interét de
O i
( 380 )
ses Ministres. Quand la religion les a envoyés
dans la Société , leur a- t- elle dit
Allez , prospérez , acquérez ? Non , elle leur a
dit : Préchez ma morale et mes principes.
Quand il a fallu assurer leur subsistance ,
elle a dit ce seul mot : Il est juste que le Prétre
vive de l'Autel. Et nous , nous avons dit ,
par une version exacte de ce mot : Il faut
que le fonctionnaire public vive de ses fonctions.
On ne peut pas dire que la proprité appartient
aux Eglises ; elle appartient au service
qui se fait dans les Eglises. Ce service
est un service public ; à qui appartient le
service public ? à la Nation .
Si le culte est rempli , si le Clergé vit de
l'autel , que ce soit ou par un salaire pécuniaire
, ou par une jouissance de proprieté
foncière , le devoir que nous imposoit la religion
est également rempli . Je conclus à
l'admission des articles soumis à votre discussion.
M. l'Abbé de Montesquiou , en qualité
d'Agent général du Clergé , présenta plusieurs
observations relatives aux rentiers qui
ont prêté au Clergé , à un très - bas intérêt ,
parce qu'ils ne vouloient pas être créanciers
de l'Etat , et qu'ils vouloient pourtant avoir
une hypothèque . On leur dira : Vous ne recevrez
que quatre pour cent ; vous serez les
rentiers de l'Etat , et vous n'aurez plus d'hypothèques.
"
"
On me parle de Corps Législatif , de
Corps Constituant. Eh ! la Constitution doit
elle se nourrir de chagrins et de malheurs
particuliers ? Vous allez retourner dans
vos foyers ; dans quel état trouverez -vous
ceux que vous avez laissés en pleine prospé(
381 )
rité ? Les Ecclésiastiques vous diront : La
Société a rompu toutes ses charges en me laissant
les mieunes. Quel génie destructeur a
passé sur cet empire ? Je crois les sentimens
de l'Assemblée purs , sincères ; je crois qu'on
l'abuse. Voyez les malheurs qui se répandent;
il semble qu'ily ait ici le département des douleurs.
« Qu'allez-vous faire , me disoit - on quand
je suis monté dans cette Tribune ? le sort
en est jetté ; des Comités particuliers ont
tout décidé. Eh bien ! il faut descendre de
tette Tribune ; et demander au Dieu de nos
Peres de vous conserver la religion de Saint-
Louis , de vous protéger ; les plus malheureux
ne sont pas ceux qui souffrent l'injustice ,
mais ceux qui la font. »
M. Faidel demanda à réfuter les calculs
de M. l'Evêque de Nancy ; mais le tumulte.
des voix qui vouloient précipiter la delibération
, ne lui permit point d'éclaircir son
opinion.
Dom Gerle , pour fermer la bouche à
ceux qui calomnient l'Assemblée , en disant
qu'elle ne veut pas de religion , et pour tranquilliser
ceux qui craignent qu'elle n'admette
toutes les sectes en France , proposa
de décréter que la religion catholique , apostolique
et romaine est , et demeurera , pour
toujours , la religion de la Nation , et que
son culte sera le seul autorisé .
Toute la partie droite de l'Assemblée se
Jeva à l'instant pour appuyer cette Motion ,
et demander qu'elle fut sur- le - champ mise
aux voix ou décrétée par acclamation ; de
Poate côté , au contraire , on demandoit
l'ordre du jour.
M. l'Evêque de Clermont courut aussitôt
O iij
( 382 )
à la tribune pour appuyer la Motion de Dom
Gerle.
M. Charles de Lameth : « A Dieu ne plaise
que je vienne combattre une opinion et un
sentiment qui est dans le coeur de tous les
Membres de cette Assemblée . Je viens seulement
faire quelques reflexions sur les conjonctures
et sur les conséquences qu'on pour
roit tirer de la Motion qui vient d'être proposée.
Lorsque l'Assemblée s'occupe d'assurer
le culte public , est - ce le moment de
présenter une Motion qui peut faire douter
de ses sentimens religieux? Ne les a - t- elle
pas manifestés , quand elle a pris pour base
de tous ses Decrets la morale de la religion ?
Elle a fondé la Constitution sur cette consolante
égalité , si recommandée par l'Evans
gile ; elle a humilié les superbes ; elle a enfin
realise ces paroles de J. C.: Les premiers deviendront
les derniers , et les derniers seront
mis à la place des premiers. Je voudrois que
ceux quimontrent tant de zèle pour la religion,
en montrassent autant pour arrêter ce débordement
de livres impies , où l'on attaque tout
à-la-fois la religion sainte et la liberté sacrée.
On a publié dans la quinzaine de Pâques
un libelle infanie , que j'ose à peine
nommer, ilest intitulé la Passion deLouisXFI.
De toutes parts , dans leurs actions comme
dans leurs écrits , les ennemis publics reprement
courage et redoublent d'efforts On
nous apprend qu'à Lille , on a soulevé les
soldats contre les Citoyen . Dans le Lat
guedoc , on a tenté une guerre de religion.
Craignons de voir la religion invoquée
par le fanatisme , et trahie par ceux qui ta
professent. On paroîtroit s'autoriser d'un
Décret de l'Assemblée Nationale , et au lieu
H
( 383 )
de porter la lumière à nos frères , nous porterions
le glaive dans leur sein , au nom et
de la part de Dieu. C'est dans un moment
pareil que cette Motion a déja été faite ,
c'est quand l'opinion se formoit sur une matiere
qui intéressoit les Ecclésiastiques , que
le Clergé en corps a appelé le fanatisme à
la defense des abus. "
L'agitation et le tumulte qui regnoient
dans la partie droite de la salle de renoient
extrêmes . Plus de trente Membres assiégeoient
des deux côtés la Tribune ; mais comme la
Séance duroit depuis, huit heures , l'on demanda
la remise de la discussion au lendemain
, ce qui fut en effet décrété ; cependant
les partisans de la Motion de Dom Gerle
s'obstinoient à vouloir qu'elle passât sur-lechamp
; et même après la levée de la Séance ,
ils demeurerent long - temps sur leurs siéges ,
déplorant à grands cris le sort de la religion ,
comme ayant tout à craindre des sectes ses
Tivales . Il étoit cinq heures et demie lorsque
la levée de la Séance fut prononcée.
DO MARDI 13 AVIL.
Suite de la discussion sur la Motion de Dom
Gerle.
M. l'Abbé de Lanniari , inscrit le premier
sur la liste , comença l'exposé de son opinion
par la lecture d'un long Discours sur
l'excellence de la Religion Catholique ;
comme ce n'étoit point là lá question à
discuter, on l'arrêta au milieu d'une période ,
en le forçant de passer à sa conclusion :
c'etoit l'annonce d'une protestation au nom
de sa Paroisse , de sa Province , et peut-,
être du Royaume entier , si la Motion de
Dom Gerle n'etoit point admise.
O iv
( 384 )
M. Bouchotte, la combattant , ajouta cette
considération aux précédentes : « Si le Décret
qu'on sollicite eût été rendu il y a quelques
mois,auriez - vous pu déclarer que la Nation ne
reconnoîtra plus de voeux Ecclésiastiques ?
pourriez-vous même prononcer sur d'autres
Décrets que vous avez à rendre relativement
au Culte ? Je conclus donc à l'ajournement
jusqu'au jour où l'Assemblée s'occupera du
réglement général sur l'exercice des différentes
Religions. »

" M. de Menou : Je commence par faire
hautement ma profession de foi. Je respecte
profondément la Religion Catholique , A postolique
et Romaine , que je crois la seule
véritable , et lui suis soumis , pour la vie , de
coeur et d'esprit ; mais ma conviction en faveur
de cette Religion , et la forme du culte
que je rends l'Etre Suprême , sont- elles ,
peuvent - elles être l'effet ou le résultat d'un
Décret ou d'une Loi quelconque ? non , sans
doute ; ma conscience et mon opinion n'appartiennent
qu'à moi seul , et je n'en dois de
compte qu'au Dieu que j'adore . Et pourquoi
voudrois je donc faire de cette Religion que
je respecte , et pour laquelle je donnerois
mavie , une Religion dominante ? Si tous les
hommes sont égaux en droits , si les opinions
et les consciences ne peuvent être soumises
à aucune Loi , puis-je m'arroger le
privilége de faire prévalcir , ou mes usages ,
ou mes opinions , ou mes pratiques religieuses ?
Un autre homme ne pourroit-il pas me dire :
Ce sont les miennes qui méritent la préférence
; c'est ma Religion qui doit dominer ,
parce qu'elle est la meilleure ? »
"
Le mot dominanta n'entraîne- t- il pas
( 385 )
l'idée d'une suprématie contraire aux principes
d'égalité qui font la base de notre
Religion ? Sans doute , en France la Religion
Catholique est celle de la majorité de la
Nation ; mais n'y eût- il qu'un seul individu
qui en professât une differente , il a le même
droit de l'exercer , pourvu qu'il ne nuise , ni
à la Religion de la majorité , ni à l'ordre
public , ni au maintien de la société.
"
"
Dieu , oui Dieu lui - même n'a- t - il pas dit
que malgré tous les efforts des hommes , sa
Sainte Religion s'étendroit , prendroit des
accroissemens , et finiroit par embrasser l'univers
entier ? n'a t-il pas dit que les portes
de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle ?
et Vous voudriez par un inutile Décret
confirmer ces sublimes paroles du Créateur
du moude ! Si vous êtes persuadés de
la vérité de cette Religion , dont vous êtes
les Ministres , pouvez -vous craindre qu'elle
s'anéantisse ? Pouvez croire que les Lois et
les volontés de la providence aient besoin
du secours d'un Decret ?
"
"
D'ailleurs , dans tout ce qui est du ressort
de notre pouvoir , n'avons - nous pas
fait , ne faisons - nous pas tous les jours ce
qui dépend de nous pour le maintien de la
Religion Catholique ? Ne nous occuponsnous
pas d'établir et de fixer le nombre de
Ministres nécessaires au service des autels ?
Ne travaillons - nous pas à regler les depenses
qu'exigent l'entretien des Eglises et toute
la hiérarchie ecclésiastique ? etc. Je ne crains
pas de dire qu'en ma qualite de Représentant
de la Nation , je rends ceux qui voteroient
pour le Décret , responsables de tous
les malheurs que je prevois , et du sang
Ov
( 386 )
"
"
qui pourroit être verse. Je conclus en vous
proposant la déclaration suivante :
*
L'Assemblée Nationale déclare que par
respect pour l'Etre Suprême et pour la
Religion Catholique , Apostolique et Romaine
, la seule qui soit entretenue aux
frais de l'Etat , elle ne croit pas devoir
ni pouvoir prononcer sur la question qui lui
« est soumise , et ordonne qu'on reprenne
l'ordre du jour."
"
CO
La Séance continuoit d'être tumultueuse ,
et sur-tout le Clergé , de se livrer à la plus
grande agitation . Dom Gerle obtint avec
peine la parole ; il témoigna combien il
etoit fâche des suites de sa motion , et finit
par adhérer à celle de M. de Menou . On
voulut aller aux voix pour terminer cette
inutile discussion : alors parurent à la Tribune
M. de Cazalés , l'Abbé Maury et plusieurs
autres qui s'opposoient à ce que Dom
Gerle retirât sa motion . L'Assemblée consultée
par assis et levé , décida à une grande
majorité que la discussion étoit fermée. M.
d'Espremenil demanda l'appel nominal , et
aussitôt quatre cents personnes avec lui doutèrent
de la majorité. Quoique beaucoup
de Membres de la majorité fussent sortis
pendant cet appel , il resta n'éanmoins 495
voix contre 400 pour la clôture de la discussion
.
Un de MM. les Secrétaires lut ensuite les
différentes redactions de Décret : après plusieurs
débats très - violents sur la priorité
elle a été enfin accordée à un projet de Décret
de M. de la Rochefoucault , conforme
en principes à celui de M. de Menou , Le
préambule faisoit aussi mention de la majesté
de la Religion et du profond respect
( 387 )
qui lui est dû. Lorsque les Juifs virent
esus - Christ sur la Croix , s'écria M. d'Epresmenil
, ils lui dirent : Nous vous saluons ,
Roi des Juifs. Il est aisé de concevoir le
trouble que dut exciter dans l'Assemblée
P'application que l'opinant paroissoit vouloir
faire de ces paroles. M. de Mirabeau demande
qu'il soit rappellé à l'ordre ; il est
aussitôt interrompu par M. de Clermont-
Lodève , qui dit vivement : M. le Président ,
je vous prie de mettre à l'ordre M. de
Mirabeau lui même ; et si vous ne l'y mettez
, je lui ferai voir , moi , le respect qu'il
doit aux orateurs. On oublia M. d'Espreménil
, pour ne s'occuper que de ces der
nières expressions , et il fut décidé que M.
de Lodève seroit rappellé à l'ordre.
Le calme un peu rétabli , M. d'Estourmel
demanda la promesse expresse que le Décret
n'infirmeroit en rien les constitutions duCambresis
, stipulées et jurées par les Rois , et
qui portent que la Religion Catholique aura
seule un culte public dans le pays.
M. de Mir beau reclama lecture du procèsverbal
du 13 fevrier , où la même motion
que celle de Dom Gerle ayant été faite par
M. l'Evêque de Nancy , il fut décidé de
repasser à l'ordre du jour par les mêmes
motifs que ceux énoncés dans les projet
de Décrets de MM . de Menou et de la
Rochefoucault. « J'observerai au préopinant ,
ajouta- t - il , qu'il n'y a aucun doute que sous
un regne signalé par la révocation de l'édit
de Nantes , et que je me dispense de qualifier
on ait consacré toutes sortes d'intolérances
; mais puisqu'on se permet des citations
historiques dans cette matière , je
vous supplie , MM. de ne pas oublier que
"
Q vj
( 388 )
d'ici , de cette tribune où je vous parle ,
j'apperçois la fenêtre d'où la main d'un de
nos Rois tira l'arquebuse qui fut le signal
de la Saint-Barthelemi. Je n'en dis pas davantage
; voyez encore si vous voulez délibérer.
>>
M. l'Abbé Maury s'obstina pendant longtems
à discuter le fonds , quoique l'on eút
décidé par deux fois que la discussion étoit
fermée. Enfin , après trois quarts - d'heure
environ de debats , le projet de Décret de
M. de la Rochefoucault fut adopté en ces
termes , à une grande majorité.
" L'Assemblée Nationale , considérant
qu'elle n'a et ne peut avoir aucun pouvoir
à exercer sur les consciences et sur les opinions
Religieuses , que la majesté de la
Religion et le respect profond qui lui est
dû , ne permettent point qu'elle devienne le
sujet d'une délibération ; considérant que
l'attachement de l'Assemblée Nationale au
culte Catholique , Apostolique et Romain
ne sauroit être mis en doute , au moment
même où ce culte seul va être mis par elle .
à la première place dans les dépenses publiques
, et où , par un mouvement unanime
de respect , elle a exprime ses sentimens
de la seule maniere qui puisse convenir à
la dignité de la Religion et au caractère de
PAssemblée Nationale , Decrète qu'elle ne
peut ni ne doit délibérer sur la motion proposée
, et qu'elle va reprendre l'ordre du
jour concernant les Dîmes Ecclésiastiques . "
Pendant le cours de cette discussion , on
avoit entendu plusieurs voix , partant de
P'extrémité droite de la salle , interpel er M.de
la Fayette qui assistoit à la délibération . M.
de Foucault est monté à la tribune pour ex(
389 )

"
་་
pliquer ces interpellations , et a répété plusieurs
fois que l'Assemblee n'étoit pas libre ,
puisqu'on ne lui permettoit que de proposer
des amendemens , sans developpement de
son opinion sur la nécessité de la profession
de foi authentique en faveur de la Religion
Catholique , Apostolique et Romaine.
L'Assemblée n'est pas libre , a t- il continué ,
en se plaignant de ce qu'elle étoit entouree
de peuple et de soldats en armes , " parce
qu'un appareil de ce genre n'est propre
qu'à répandre la terreur sur les esprits , et
« enchainer servilement es opinions des individus
. A ce mot de terreur , la partie
gauche de l'Assemblée a donné des signes
de mécontentement , plusieurs voix repétoient
autour de la tribune jamais des
François n'ont connu ni éprouvé les effets
de la terreur; de plus , il n'y a aucun danger.
M. de Foucault a dit que cette improbation
lui prouvoit qu'une partie de l'Assemblée'
se croyoit , étoit même dans la plus grande
sureté ; qu'il étoit autant inaccessible que
personne à la crainte ; mais qu'il croyoit
et pouvoit croire que tel qui est en état de
mediter, reflechir et discuter dans le calme ,
ne peut plus deliberer avec la même impartialité
au centre du tumulte et des armes .
M. de Foucault , dont nous presentons l'opinion
avec autant de fidelité qu'il est possible
de le faire en l'abiégeant beaucoup ,
a établi une espèce de rapprochement entie
la situation du 9 juillet et celle de ce
jour ; il a cru avoir le droit de tenir le
même langage que M. le Comte de Mirabeau ;
et par un mouvement oratoire c'est par
l'organe du Président qu'il vouloit faire demander
à M. le Maire et à M. le Comman(
390 )
"
dant général pourquoi ce peuple , pourquoi
ces troupes ? Je fais , a- t- il dit en finissant ,
la motion expresse que l'Assemblée Nationale
Decrète sur le champ qu'à l'avenir la
résidence de l'Assemblee Nationale soit
fixée à trois lieues du séjour des troupes ,
ou qu'elles ne puissent approcher de plus
près de l'enceinte de l'Assemblée Natiouale ,
sans une requisition expresse de sa part.
Cette Loi sage et conservatrice de la liberté ,
s'observe scrupuleusement en Angleterre , et
même aux Etats de Bretagne .
"
་་
་་
"
R
"
M. de la Fayette , applaudi avant de parler
, repondi en ces termes : « Quelques personnes
ont témoigné à M. le Maire de
Paris des inquiétudes sur la tranquillité
de la Capitale , inquiétudes que ni lui ,
ni moi n'avons cra fondées . Cependant M.
Bailly m'a donné des ordres : j'ai obéi , et
j'ai doublé la garde citoyenne dont l'Assemblée
a daigné s'environner. Je me
trouve heureux de saisir encore aujourd'hui
l'occasion de dire à l'Assemblée
qu'il n'est pas un Garde National qui ne
donnât jusqu'à la dernière goutte de son
sang pour assurer l'exécution de vos Décrets
, la liberté de vos délibérations , et
l'inviolabilité personnelle de tous les Membres
de cette Assemblée. »
་་
1
"
་་
M. l'Abbé Maury se présente encore à la
tribune M. le Président propose de reprendre
l'ordre du jour ou de lever la Séance.
L'Assemblée est consultée , et la discussion
sur les biens Ecclesiastiques est remise au
lendemain.
DU MERCREDI 14 AVRIL.
Al'ouverture de la Séance , plusieurs Mem
( 39 )
bres Ecclésiastiques se plaignirent d'avoir
-

été insultés dans les rues et à l'entrée des
Taileries . L'Assemblée demanda l'ordre
du jour. M. de Cazalès insista sur l'intention
qu'il avoit de témoigner sa reconnoissance
à la Garde Nationale . Il fut constamment
interrompu . M. Delavie fit la
motion de décider par oui et par non , que
les articles à l'ordre du jour , seroient décrétés
sans désemparer ; et somma M. le Président
de la mettre aux voix on passa
donc à la plus grande majorité , à la discussion
des quatre premiers articles du rapport
du Comité des Dimes .
и
་་
་ ་
་ ་
"
M. l'Abbé Royez reprit cette discussion
en faveur du systême du Comité. Il s'étendit
contre les abus qui subsistent depuis 600
ans dans le service de la Religion , et voulut
offiir a l'examen l'administration primitive
de l'Eglise , sur ce qu'il lui fut observé par
la partie droite qu'il n'étoit pas dans la
question. Distinguons , ajouta- t - il , la puissance
temporelle et la puissance Ecclésiastique.
La morale , la discipline intérieure
, voilà le district de l'Eglise ; le reste
appartient à l'Etat , etc. Si on m'interrompt
, je citerai tous les Conciles . On
s'est continuellement écarté des décisions
Ecclésiastiques les plus solennelles. En
« 1614 , l'assemblée du Clergé demanda que
le Clerge fût rappelé à son institution primitive.
Voyons si tout a été remis dans
l'ordre. Quioseroit me dire que le tiers des
biens de l'Eglise a été donné aux pauvres ;
" que l'autre tiers a eté consacré à l'entretien
des Eglises ; que les Prêtres du second
ordre ont ete équitablement salariés ? » Et
apres avoir cité une Assemblée d'Aix -la-

་་
44
46
་ ་
40
"
( 392 )
*
Chapelle , en 802 , où le Clergé convint
que ni les Pretres , ni les Moines ne devoient
se mêler de la police temporelle , il
demanda comment on pouvoit dire que l'on
fait une injustice au Clerge en le ramenant
dans sa classe veritable ? Enfin il conclut à
la dépossession du Clergé , en adoptant les
articles proposés sauf les amendemens . L'im
pression de son discours a été demandée .
M. l'Abbé Gouttes défendit le même systême
, et tira ses premiers argumens de la
mauvaise répartition des biens Ecclesiastiques
, de la distribution vicieuse des Paroisses
, dont les unes ont trop d'étendue et
les autres trop peu . Il ajouta , au milieu des
murmures , que les richesses avoient toujours
été nuisibles au Clergé , et par suite
à la religion ; que les Prêtres étoient vertueux
lorsqu'ils étoient pauvres et persécutés ,
qu'alors on bénissoit la religion ; mais que
les pasteurs étant devenus ambitieux et mercenaires
, par une suite de leurs acquisitions
, ils avoient perdu le respect des fideles
, en cessant de se respecter eux-mêmes ,
et avoient abandonné leuis occupations pour
se livrer à l'oisiveté et à tous les vices
qu'elle entraîne : « Il y a onze ans , poursui
vit-il , que je disois au Roi ce que je dis à
la Nation . C'est à elle à s'emparer de l'Administration
des biens Ecclesiastiques. "
M. l'Abbé d'Eymard récapitula tous les
argemens de M. Evêque de Nancy et de
M. P'Archevêque d'Aix , tomba sur M. Thouret
en passant , et s'appuya sur l'insépara--
bilite du respect pour la religion et de la
considération pour ses Ministres. Il repoussa
l'exemple de l'indigence des Apôtres , et
des vertus nécessaires dans la naissance de
( 393 )
P'Eglise , par l'image d'un royaume dorissant
où des Ministres revêtus des livrées de
la misere , et précairement payés , ne pourroient
attirer ce respect , dont le refus est
une injure à la religion même. Il examina
les quatre articles proposés par le Comité
des Dimes , et n'y trouva que des motifs de
les rejeter. De là il revint à la proposition
d'un emprunt de quatre cents millions , hypothéqués
sur les fonds du Clergé ; et en
cas de refus , il annonça une protestation
de 12 à 13 cents Membres du Clergé de la
Basse- Alsace. Tous les Membres du Clergé
s'elevèrent pour demander acte de cette pro
position , et ne purent l'obtenir.
M. de Cazalès ayant voulu parler , ne prononça
, malheureusement , rien qui ne servit
à indisposer l'Assemblée. Après beaucoup
de tumulte , il fut décidé qu'on reviendroit
à l'ordre du jour.
Au moment où la discussion a été fermée ,
M. Malouet s'est approché du Président et
lui a dit : Monsieur , je demande qu'avant
de délibérer sur les divers articles du Décret
proposé, la question principale soit posée
"
en ces termes :
1. Dépouillera- t - on les Ecclésiastiques
titulaires de benefices , de leurs possessions ?
2º . Conservera - t- on aux Eglises et aux
pauvres de France une dotation territoriale ?
M. le Président ayant demandé que M.
Malouet eût la liberté de poser ainsi la question
, on s'y est refusé , et il s'est refusé luimême
à ce que M. Maloust insistât pour
l'obtenir , dans la crainte de renouveller le
tumulte car la question ainsi posée pou
voit effrayer ceux qui n'étoient pas fortement
décidés à adopter le Decret.
( 394 )
Mais le Clergé annonça tout aussitôt , par
l'organe de M. l'Evêque de Clermont , qu'il
ne prendroit aucune part à la délibération.
M. Fréteau présenta deux amendemens ,
appuyés sur deux considérations , relativesà
l'intérêt public et à l'intérêt des créanciers
de l'Etat. Le premier consistoit à restreindre
le premier article à deux cents millions
au - dessus des quatre cents , auxques doit
s'élever la vente ordounée ; et le second ,
en faveur des titulaires actuels , consistoit
à leur laisser l'administration des biens Ecclésiastiques
, en exigeant que tous les bénéficiers
, de toutes les classes , complassent
chaque année de leur revenu aux administrations
de Départemens et de Districts.
Onproposa plusieurs autres amendemens, et
l'on fit revenir la motion de M. l'Archevêque
d'dir. M. le Président ayant fait observer
qu'elle n'étoit point redigee en Décret, et
qu'elle ne consistoit qu'à renouveller l'offre
d'un prêt de 4co millions , M. Prieur demanda
si le Clergé , qui ne possede plus rien , pou-~
voit offrir quelque chose...
M. l'Abbé d'Eymard ayant répondu que
ce n'étoit pas le Clergé , si Pon vouloit , mais
tous les Ecclésiastiques , toutes les Eglises
du Royaume , un grand nombre de Membres
selevèrent ; mais l'Assemblée consultée,
décida qu'on ne liroit pas le détail des propositions
de M. l'Archevêque d'Aix. Ensuite,
conformément à l'opinion de M. Chassey ,
deux amendemens , relatifs aux baux et au
rachat des dimes infeodées , furent renvoyés
au Comité des Dimes , et les autres écartés
par la question préalable . L'article 1er. fut
´décrété en ces termes , sans la participation
d'une partie de l'Assemblée.
ART. Ir. L'administration des biens dé(
395 )
CO
་་
(t
60
"
་ ་
"o
clarés , par le Decret du 2 Novembre dernier
, être à la disposition de la Nation ,
sera et demeurera , des la présente année ,
confiée aux Assemblees de Départemens
ét de Districts , où à leurs Directoires ,
sous les règles , exceptions et modifications
qui seront expliquées .
»
II. Dorénavant , et à partir du premier
Janvier de la presente année , le traite-
- ment de tous les Ecclesiastiques sera payé
" en argent,aux termes e : surle pied qui seront
incessamment fixés ; et néanmoins les Curés
des Campagnes continueront provisoirement
à administrer les fonds territoriaux
attachés à leurs bénefices , à la charge
d'en compenser les fruits avec leur traitement
, et de faire raison du surplus , s'il y
" a lieu.
་ ་
"
"
"
"
"
"
u
40
"
(f
"
par
« III. Les Dîmes de toutes espèces , abolies
l'article 5 du Décret mentionné
dans l'article premier , ensemble les droits
et redevances qui en tiennent lieu , comme
aussiles Dimes inféodées appartenantes aux
Laïcs , déclarées rachetables par le même
Décret , à raison desquelles il sera accordé
une indemnité aux Propriétaires sur le
Trésor public , cesseront toutes d'être
perçues à jamais , à compter du 1ºг . Jan- -
vier 1791 , et cependant les redevables
seront tenus de les payer à qui de droit ,
et exactement la présente année , comme
par le passé , à défaut de quoi ils y seront
contraints en la manière accoutumée . »
Cet article a été attaqué par MM . le
Chapelier et Salle de Choux qui en ont demandé
le renvoi au Comité. M. Biauzat les
a combattus ; quelques autres amendemens
( 396 )
ont été proposés et rejetés ; Particle a été
admis tel qu' est rapporté.

H
16
IV . Dans l'état des dépenses publiques
de chaque année , il sera porté une somme
suffisante pour fournir aux frais du culte
de la religion catholique , apostolique et
- romaine , à l'entretien des Ministres des
autels , au soulagement des pauvres , et aux
pensions des Ecclésiastiques tant séculiers
que réguliers de l'un et de l'autre sexe ;
de manière que les biens , qui sont à la
disposition de la Nation , puissent être
dégagés de toutes charges , et employés
par les Représentans , ou par le Corps Législatif,
aux plus grands et aux plus pressans
besoins de l'Etat . La somme destinée au
service de l'année 1791 sera incessamment
déterminée .
«
R
"
К
и
DU JEUDI 15 AVRIL.
Discussion sur les assignats.
Lecture faite du Procès-verbal dont l'énoncé
a fait encore élever quelques réclamations
inutiles , on a passé à l'ordre du jour.
: "
M. de Landenberg à été vivement interrompu
à ces premiers mots : L'Assemblée ",
dont la Puissance absolue et presque arbitraire....
et M. le Président l'a rappelé à
l'ordre L'organe de l'Assemblée , at il
repris , vient de m'intimer son ordre ; je
m'y conforme et me rétracte . La sévérité
avec laquelle l'Assemblée dispose du droit
de conferer ou de refuser la parole est sans
doute bien imposante ; mais elle ne l'est
pas autant pour moi que le devoir de me
plaindre de sa rigueur au nom des Citoyens
que je représente ici. Ils m'y ont envoyé
pour exercer le droit de se faire entendre ,
( 397 )
ét non pour y voir sans cesse les discussions
sur les plus grands objets contrariées , interrompueset
fermées , lorsque quelqu'un d'entre
nous croit encore avoir à dire des choses
qu'iljuge importantes . " L'Opinant fut encore
rappelé à l'ordre , et M. le Président lui
dit de ne pas s'écarter de la question : « Il
m'est sensible , répliqua - t -il , d'avoir mérité
deux fois , et presqu'en un même instant ,
-d'être rappelé à l'ordre . Personne cependánt
ne reconnoît plus que moi le droit
qu'a l'Assemblée de juger ce qu'on lui dit ;
mais personne aussi n'est plus persuadé que
chacun de nous a celui de réclamer la liberté
de son opinion , l'indulgence et l'attention
de l'Assemblée. »
2 Rentrant ensuite dans l'ordre du jour
l'Opinant a dit qu'il vouloit , il y a quelques
jours , offrir un plan de Finances ;
mais qu'hier on lui avoit ôté ses bases .
Il s'est borné à demander si les assignats
auroient un cours forcé ; si la Nation pourroit
former de l'or en un instant , tandis
qu'il faut à la nature des siècles pour le
préparer dans son sein ? « Prenez - garde
a- t- il ajouté , de faire concevoir des inquiétudes
en accordant des intérêts aux assignats.
Nulle opération n'est plus délicate
que celle-ci , lorsque la base d'hypothèques
sur laquelle on l'appuie n'est pas d'une évidence
inattaquable et inattaquée . » Il a
conclu à la liberté des assignats , et il a
proposé qu'on ne les introduisit point en
Alsace , où ils échaufferoient les esprits ,
porteroient un grand préjudice au commerce
purement intérieur .
et
M. Pfliger, Député du même Bailliage de
Bedfort , lui reprocha de solliciter , sans
( 398 )
l'aveu de ses Commettans , une exception.
M. de Landenberg répondit que son mandat
lui enjoignoit de demander tout ce qui peut
être utile à l'Alsace , et de la préserver de
tout ce qui peut lui nuire ; et que si les désaprobateurs
avoient un mandat contraire , il
feur en demandoit acte , afin de pouvoir
en rendre compte .
Ce petit debat s'est enfin terminé ; le
sentiment de justice qui nous guide nous l'a
fait rapporter avec plus de détails , pour
infirmer , s'il étoit possible , l'opinion qu'en
ont donnée des Feuilles tout- à- fait infidèles.
M. d'Aiguillon a considéré les assignats
sous quatre points de vue : 1º. Qu'est- ce
qu'un assignat ? C'est une lettre - de- change
dont la valeur numérique est garantie par
la Nation , et le meilleur moyen de ranimer
Ja circulation du numeraire ; 2 ° . 400 millions
sont- ils suffisans pour les besoins de l'année
présente ? Non , puisque les anticipations et
les dépenses nécessaires montent à 1559
millions. Il faut constater au vrai l'état de
la dette et des finances , rejeter toutes ressources
temporaires et partielles , tous ces
palliatifs qui n'ont fait que redoubler nos
embarras , et annoncer un Plan général de
Finances , qui ramène la confiance publique
et assure la comptabilité la plus severe ;
3º. Les assignats seront - ils forces ? Ils auront
une hypotheque assurée , et des remboursemens
prochains. On ne peut se dispenser
de le faire , et tout concourt à lever les
scrupules. 4° . Enfin , quel sera l'intérêt des
assignats ? De trois pour cent , afin que les
Propriétaires aient intérêt à les faire circuler
, etc.
( 399 )
M. Dupont de Nemours a disserté sur les
valeurs numériques , et posé en principe que
les monnoies quelconques doivent avoir une
valeur réelle et intrinsèque pour être utiles
dans le Commerce. l à prétendu que les
assignats donnés en payement n'étoient point
un payement , mais une délégation sur une
vcute , une promesse , un engagement contracté
à terme plus ou moins long , et qui
ne se réalisoit qu'à la concession du fonds
ou à sa conversion en une valeur métallique
qu'il représente . Il a vu dans cette opération
moins de loyauté que dans celle de
l'Abbé Terray , qui disoit : « Gardez votre
titre , je vous payerai les intérêts .
Il a
pourtant admis les assignats , mais avec la
circulation libre , nécessaire au Commerce
interieur et extérieur , aux besoins courans
et habituels de la vie , au payement du prêt
des Troupes , des Ouvriers , des petites
rentes , etc. Après avoir montré les inconvéniens
de cette monnoie fictive dans sa
circulation forcée , il adopte les avantages
qu'elle présente , si l'on se borne à le donner
pour ce qu'elle est , c'est - à- dire , un gage
représentatif d'une proprieté fonciere qui
ne peut circuler sans discrédit par la con-
40
trainte .
"(
M. le Duc de la Rochefoucault a répondu
au Préopinant , par les principes rappelés
dans le Rapport qui préceda la proposition
du Décret actuellement en discussion , lui
objectant qu'il ne s'agissoit que d'etablir à
la place d'un papier désastreux et décrié ,
un papier plus digne de la confia ce publique
. Il a rejeté le parallele des assignatsmonaoie
solidement hypothéqués et des
billets de Law , qui n'avoient pour gage que
2
( 400 )
des mines d'or à découvrir. La création
d'assignats n'avoit pas pour objet de suppléer
au défaut du numér ire , mais de faire
reparoître celui qui existe , en leur attachant
un intérêt que ne porte pas le numéraire.
Si , d'un autre côte , la circulation en
étoit libre , les capitalistes pourroient , par
un simple jeu de baisse , les décrier absolument
, et entraîner la banqueroute . Il a
conclu en adoptant le Projet de Déeret ,
sauf deux amendemens .
M. l'Archevêque d'Aix a voté contre le
papier-monnoie , contre l'intérêt qu'on proposoit
d'y attacher , contre le dessein de lui
donner pour assurance les Biens Ecclésiastiques.
Il en a examiné les inconvéniens
relativement au Commerce , aux Manufactures
et à l'Agriculture , et il a fini par proposer
de renvoyer le Projet à un nouvel
examen du Comité des Finances , pour
chercher tous les moyens d'éviter des assignats
forcés , et même des assignats libres.
M. Ræderer a répondu dans les principes
de M. le Duc de la Rochefoucault : il a fait
voir qu'il étoit sage d'admettre le papiermonnoie
même forcé, puisque plusieurs Villes
Manufacturieres , telles que Rouen , Louviers
, Bordeaux le demandoient , et parce
qu'étant répandu sur toute la face du
Royaume , tous les Citoyens seroient intéressés
à la vente des Biens Ecclésiastiques.
Il n'a pu achever sans être interrompu par
des cris tumultueux , partis de la droite du
Président.
M. l'Abbé Maury s'est alors présenté à la
Tribune , où il a traité la question en forme ,
et vigoureusement attaqué le papier-monnoie.
Il l'a défini , d'apres une expression d'un
Membre
( 401 ).
"
"
Membre de l'Assemblée à Versailles : « Un
emprunt le sabre à la main. » Il a invoqué
la pratique plutôt que la théorie , et il a
cité le Mémoire du fameux Law , qui contient
tout ce qu'on peut alléguer de séduisant
et de victorieux en faveur du papiermonnoie
. Il en a lu un autre de sa composition
, dans lequel il a développé des conséquences
exactement déduites de ce qu'il
a pris pour principes généraux dans cette
matière. Il y a présenté les assignats sous
leurs divers rapports d'influence sur la fortune
publique et particulière , et il a condamné
l'opération sous tous ces rapports ;
enfin, il a avancé que les assignats avec intérêt
seroient une absurdité , et sans intérêt une
calamité ; que la banqueroute en seroit une
suite inévitable , et qu'on en regarderoit la
circulation forcée comme subversive de tous
les principes de morale , de politique et de
finance. Sa conclusion , conséquente à ses
principes , a été de s'opposer , au nom de sa
Province , à tout papier- monnoie. C'est le
plus long Discours , le mieux fait et le plus
fort qui ait été prononcé dans cette Séance ;
mais on pourroit peut- être ajouter le plus
insidieux.
La discussion a été continuée au lendemain.
"'
DU JEUDI 15 MARS , séance du soir.
Dans une adresse de Rouen cette ville
promet d'acquérir en numéraire comptant
pour 40 millions d'assignats.
Une Députation de la Municipalité de
Paris , admise à la barre , a supplié l'Assemblée
de porter les Décrets qu'elle jugera
les plus convenables pour désobstruer les
No. 17. 24 Avril 1790. P
402 )
rues de la Capitale d'une foule de pauvres
de toutes les provinces et des pays étrangers;
et pour engager les autres Municipalités à
reprendre ceux de ces pauvres qui leur appartiennent
. Cette demande a été renvoyée
au Comité de Mendicité.
Beaucoup de plaintes ont été entendues
sur la perception des impôts , sur le retard
des rôles et de la formation des Assemblées
Primaires . Il a été question, d'appeler les
Ministres à la barre : mais on n'a rien deeidé,
sinon qu'on alloit passer à l'ordre du
jour. Les uns ont demandé l'affaire des
Juifs , et les autres , le rapport du Comité
des Recherches.
• M. l'Abbé Maury a offert de déposer sur
le Bureau un Mémoire pour être envoyé
aux Juifs , et a dit qu'il les défioit d'y répondre
.
M. Reubel s'est flatté de prouver que cette
affaire devoit être mise à l'ordre du matin ,
et en a demandé le renvoi jusqu'après l'or
ganisation de tous les pouvoirs publics .
Un autre Membre a fait sentir la nécessité
d'un ajournement à jour fixe , pour éviter
aux Juifs les dangers où les expose le soulèvement
des peuples , tant que l'Assemblée
n'aura pas fixé l'opinion sur leur compte.
Toute l'affaire a été renvoyée au Comité
de Constitution .
M. Champeaur a fait , au nom du Comité
des recherches " un rapport tendant à renvoyer
au Châtelet l'affaire de M. l'Evêque,
de Blois , et il a été decidé qu'il n'y avoit
pas lieu à déliberer .
DU VENDREDI 16 AVRIL.
De nouvelles craintes sur le sort des Juifs ,
( 403 )
exposées dans une lettre d'Alsace , ont fait
prononcer le Décret suivant , rédigé par M.
Roederer en ces termes :
" L'Assemblée met de nouveau les Juifs
d'Alsace et autres sous la sauve - garde de
la Loi ; défend à toutes personnes d'at-
« tenter à leur sureté , et ordonne aux Mu-.
nicipalités et aux Gardes Nationales de
protéger de tout leur pouvoir leurs pers
« sonnes et leurs proprietés.
"C
"
"
M. Dupré a demandé l'attention de l'Assemblée
pour l'exposé qu'il a fait ensuite
de l'affaire de M. Muscard Fourrier des
Grenadiers du Regiment de Vivarais
en garnison à Verdun. M. Muscard étoit
dans l'habitude de manifester avec énergie
ses sentimens sur la révolution , et , comme
ils différoient de ceux des Officiers , il fut
arrêté dans les premiers jours de février
dernier. Un conseil de guerre alloit le juger
lorsque ses camarades réclamèrent les Décrets
de l'Assemblée Nationale en sa faveur.
Copie de leur déliberation fut adressée au
Comité des rapports : celui des Membres
qui devoit en rendre compte , en fut empêché
par le Ministre de la guerre , qui ne vit
que du danger à rendre publics ces motifs
de divisions entre des Officiers et des Soldats ,
et qui dureste promit de sursenir à tout jugement
et à toute exécution . Cependant M.Muscardvient
d'être enlevé des prisons de Verdur
par le Lieutenant de la Maréchaussée , et ,
d'après les informations du corps Municipal
on sait qu'il a été transféré à Montmedy
sur un ordre signé du Roi et contresigné
du Ministre de la guerre . M. Dupré a
donc insisté pour qu'il soit remédié à cet
abus de pouvoir.
"

( 404 )
Un seul Membre a parlé contre M. Mus
card , et l'a accusé d'être un de ces hommes
qu'on employoit à exciter des troubles
dans l'armée. Plusieurs autres Membres ont
opiné contre la forme arbitraire de cet enlevement
, et M. Voydel a fait la motion
de mander le Ministre à la barre .
L'Assemblée a Décreté le renvoi au Comité
des Rapports , et que le Président
écriroit au Ministre pour l'informer qu'il
devoit surseoir à la procédure jusqu'à ce qu'il
ait été statué sur les formes à suivre dans
la poursuite des délits militaires .
M. le Président a rendu compte des Décrets
qu'il avoit présentés à la Sanction
Royale , et a dit n'avoir par cru devoir présenter
les quatre articles Décrétés la
veille , attendu que les suivans ne sont pas
Décrétés encore . Mais l'Assemblée a ordonné
qu'ils le seroient incessamment , vu la nécessité
urgente de faire accepter des Décrets
qui sont le gage des assignats .
On a passé à l'ordre du jour avec l'intention
de ne point désemparer qu'on n'eût décrété
les articles relatifs aux assignats.`
Suite de la discussion sur les assignats.
M. Bailly a lu une lettre des Negocians
de Paris , exprimant leur vou pour qu'il
soit mis en circulation forcée 4 à 500 millions
d'assignats à 2 ou 3 d'intérêt pour
eent. Après quoi , manifestant son avis particulier
, M. le Maire a dit que les circonstances
sembloient l'exiger impérieusement.
Les approvisionnemens de la Capitale montent
à 300 millions annuellement ; il faut
les payer en espèces , les billets de la Caisse
d'Escompte n'ayant plus de cours hors de
Paris. Le numéraire rentre par la voie des
( 405 )
impôts : mais aujourd'hui la perception est
suspendue , et le nouvel ordre de choses
doit partager les contributions publiques en
différentes Caisses. Les assignats répandus
dans tout le Royaume sont l'unique remède
à cet état de détresse. Il a fait une peinture
de cette détresse partagée par toutes
les classes de Citoyens , et il a dit avoir
en ses mains une soumission de 70 millions
pour faire face à une partie des biens Ecclésiastiques
et Domaniaux , que la ville de
Paris est chargée d'aliéner au nom de la
Nation.
M. de Folleville a demandé l'impression
de la lettre lue par M. Bailly , afin que les
Provinces connussent le mobile qu'on avoit
employé pour déterminer l'Assemblée dans
une délibération de cette importance. Déeidé
qu'il n'y a pas lieu à délibérer. Cette
motion tendoit en effet à mettre en opposition
les intérêts de la Capitale et ceux
des Provinces.
M. Mougins de Roquefort a demandé que
P'hypothèque speciale et privilégiée soit conservée
aux créanciers du Clergé , de même
que la préférence dans les ventes sur tout
autre acquéreur , et qu'au lieu d'assignats ,
les contrats de ces créanciers fussent reçus en
payement des biens qu'ils voudront acquérir.
M. l'Abbé Gouttes a fait ressortir avec
précision tous les avantages des assignats
de l'intérêt et de la contrainte , contre toutes
les objections qui avoient paru fortes jusqu'à
ce moment ; après quoi il a demandé
que , pour assurer la retraite des
assignats , on ordonnât qu'ils seroient reçus
par préférence dans les ventes , de mêine
que les titres de créance sur le Clergé et
Pii
( 406 )
les effets publics. Ainsi , dit- il , on augmen• ·
tera le nombre des acquéreurs , et par cette
salutaire concurrence , on accroîtra le prix
des ventes.
M. de Cazales, appuyant sur les principes de
tous les Membres qui ont marqué jusqu'ici
le plus d'opposition , s'est encore fortifié de
tout ce que l'honneur et la justice pouvoient
lui dicter de plus persuasif pour l'intérêt
même de l'Etat : Ce projet du Comité
n'étoit pas nouveau . Déja il avoit été rejetté
avec horreur par le Comité des Div ; le premier
Ministre en avoit démontré les inconvéniens
: on cherchoit à ruiner sans ressource
le crédit de la Caisse d'Escompte , pour forcer
la Nation à s'écarter des lois de l'honpeur.
Son indignation devoit céder pourtant ,
et lui permettre de discuter à fond , s'il
étoit possible , une question de cette nature.
"
" Le Comité rassembloit deux choses contradictoires
, l'intérêt et la qualité de monnoie.
L'intérêt est le prix du retard : il n'y
a point de retard quand on paye avec un
papier- monnoie. S'il consideroit 400 millions
de ce papier comme un accroissement
de numéraire , il lui étoit aisé de prouver
que ce papier nécessiteroit une augmentation
dans le prix des denrées , ce qui consommeroit
le malheur des circonstances . S'il
l'envisageoit dans ses rapports avec l'étranger,
avec l'intérieur du Royaume , il dénontreroit
sans peine que c'est de part et d'autre
une opération désastreuse , la plus odieuse
des banqueroutes , et une source de corruption
qui rendra le peuple François le plus
vil des peuples du monde. Ce papier perdroit
bientôt ; il étoit impossible qu'il ne
( 407 )
perdit pas promptement et considérablement.
Le créancier de l'Etat , forcé de le recevoir ,
ne pourra l'employer que pour ce qu'il vaudra
dans l'opinion . Il éprouvera une perte
sa ruine sera le fruit de l'imprudence qu'il
a eue de le demander ; et la honte , le fruit
de la banqueroute que l'État fait évidemment
à celui qu'il paye avec du papier qui
perd . Avoient- ils donc prévu les auteurs
de ce conseil , que la rentrée des impôts
se feroit bientôt en papier monnoie , et que
si l'on créoit de petits billets , le petit peuple
se trouvant associé au crédit public , il
en résulteroit journellement des insurrections
motivées par le désespoir ? »
Nous ne pouvons suivre l'Orateur dans
son abondance : en le résumant , le reste de
son discours présente le tableau du discrédit
des papiers -monnoies dans les provinces , des
désordres de l'agiotage , des fortunes odieuses
et des provinces armées pour refuser les
impôts , tant que le Pouvoir exécutif n'aura
pas tout le ressort qu'il doit avoir , tant que
Le Roi ne sera pas partie intégrante du Corps
Législatif. « Quelle confiance , s'écrie-t-il ,
peut -on avoir dans une Assemblée qui n'a
pas de bornes hors d'elle même , et dont ,
par conséquent , tous les Décrets ne sont
que de simples résolutions que peut changer
aujourd'hui la puissance qui les a créés la
veille ? Enfin , M. de Cazalès a terminé
son discours par une protestation , en son nom ,
au nom de ses Commettans , de toutes les
Provinces du Royaume entier , au nom de
l'honneur et de la justice , contre un Décret
qui , s'il est porté , doit entrainer la ruine
du Royaume et le déshonneur du nom François.
Piv
( 408 )
M. Péthion de Villeneuve , parlant pour
l'admission des assignats , a répondu à toutes
les objections , et détruit tous les incon:
véniens d'une manière si serrée , qu'il faudroit
rapporter tout son discours . Il a cité l'Espagne
et Venise où il y a du papier- monnoie
portant intérêt , et qui se tient au - dessus
du pair sans avoir le caractère d'hypothèque
spéciale qu'auront les assignats proposés . Ils
daine
cat etre forcés , parce qu'on les demande
de toutes parts. Ils doivent porter intérêt ,
puisqu'ils sont destinés à remplacer le numéraire
; et tout le monde y consent encore,
excepté les ennemis de la Constitution qui
savent que son succès dépend de cette opé
ration . Si le papier-monnoie est indispensa
ble , il n'est point immoral , ou bien le salut
du peuple n'est pas la loi suprême. Les monnoies
elles - mêmes ne sont que des valeurs
de convention ; et le papier , qu'une représentation
d'une propriété générale . Les billets
mêmes de Law eussent sauvé l'Etat , si
l'on n'en eût émis qu'avec modération . L'or
n'a pas une valeur plus réelle que des biens
mis en vente et des assignats sur ces biens.
Si les assignats ne sont pas forcés , c'est la
cupidité , c'est l'agiotage qui va les déprécjer
; au lieu que si on les force , les voilà
dispersés dans une foule de mains , et protégés
par l'intérêt général . Quant à la masse
des assignats , elle est trop petite et les fonds
assignés trop forts pour qu'ils surchargent
les villes de commerce . On en verra trèsrarement
dans les campagnes , et la réception
des ces effets dans les Caisses ouvrira
toutes les routes. Quant à l'intérêt , s'il étoit
trop fort , les assignats seroient enfouis à
leur tour, et l'argent ne resteroit pas moins
( 409
dans les coffres. Le point éloigné des ex
trêmes est celui anquel on doit se fixer.
En conséquence M. Péthion proposa de
leur donner trois ou trois et demi au plus
pour cent ; et pour concilier les avis partagés
sur la quotité de l'émission , il eonseilla
d'ajouter à la somme décrétée une quantité
d'assignats égale aux dettes Ecclésiastiques.
Après ce discours , vivement applaudi , la
discussion à été fermée sur le fond ; et à la
suite d'une foule d'amendemens écartés
l'Assemblée a décrété les quatre Articles
suivans , dont le troisieme l'étoit depuis
mardi .
" ART. Ier . A compter de la présente année
, les dettes du Clergé sont réputées Nationales
le Trésor public sera chargé d'en
acquitter les intérêts et les capitaux.
"
:
La Nation déclare qu'elle regarde comme
créanciers de l'Etat , tous ceux qui justifie-
Font avoir légalement contracté avec le
Clergé , et qui seront porteurs de contrats
de rentes assignées sur lui. Elle leur affecte
et hypothèque , en conséquence , toutes les
propriétés et revenus dont elle peut disposer
, ainsi qu'elle le fait pour toutes ses autrès
dettes .
"
.")
II. Les biens Ecelésiastiques , qui seront
vendus et aliénés en vertu des Décrets des .
19 Décembre 1789 , et 17 Mars dernier ,
sont affranchis et libérés de toute hypothè
que de la dette légale du Clegé , dont ils
étoient ci -devant grevés , et aucune opposition
à la vente de ces biens ne pourra être
admise de la part desdits créanciers. »
L'article IV a été lu ; en voici les termes :
IV. Les assignats créés par les Décrets
des 19 et 21 Décembre 1789 , auront cours
"
Pv
( 410 )
de monnoie dans toute l'étendue du Royaume,
et seront reçus comme espèces sonnantes
dans toutes les Caisses publiques et particu
lieres. "
DU SAMÉDI 17 AVRIL.
1
Suite de la discussion des assignats.
M. Prugnon , dont la tournure d'esprit
singulière est déja connue , à d'abord saisi
le systême qui favorise les assignats forcés
et les assignats à intérêt . S'ils n'étoient
pas forcés , ils seroient nuls ; il faudroit trouver
un autre moyen , et si on ne le trouvoit
pas , on ne seroit pas long - temps sans appliquer
à la Constitution cette épitaphe d'une
beauté romaine : Fuit. S'ils étoient sans intérêt
, ils ne tenteroient point le Capitaliste
qui , assis sur sa Caisse , enchaîne la Société ,
et n'a que la cupidité et l'avarice pour
mobile. Ensuite M. Prugnon a fait la
contre- partie d'une maniere à laisser flotter
l'esprit de ses Auditeurs , et à piquer leur
curiosité pour sa conclusion : « Vous faites ,
a-t- il dit , un assignat pour un écu ; čet écu
est destiné à payer des intérêts ; il ne doit
donc pas en porter , et c'est bien assez
qu'on veuille le prendre en payement d'un
écu-monnoie. Ou l'assignat est bon , et alors
il n'a pas besoin d'intérêt ; ou il ne l'est
pas , et dans ce cas , l'intérêt ne le rendra
que plus mauvais il prouvera qu'on s'en
est défié même en le créant ; et puisqu'ils
t bons sans intérêt , il seroit sage d'en
your 18 millions à la Nation .
épargner
Sa conclusion a eté d'en créer de deux sortes ;
les uns libres avec intérêt de 5 pour, 100 ;
autres forcés et sans intéret , et se corres-
Sv.. "
les
( 411 )
pondant par des Numéros qui seroient les
mêmes.
M. le Marquis de Gouy d'Arcy a combattu
la proposition du Préopinant , et montré
qu'il étoit en contradiction avec ses principes
; et en effet , les assignats sans intérêt
seroient abandonnés , et les autres gardés
par les particuliers . Un homme qui auroit
un des premiers pour 8 jours , iroit l'échanger
contre un des autres pour retirer un intérêt
pendant ce temps , et rechangeroit ensuite ;
delà un mouvement énorme qui exigeroit
une Administration très - dispendieuse. L'Orateur
fit remarquer encore au Préopinant
que l'Etat se libé eroit avec des assignats
à 3 pour 100 , des creances qui portent un
intérêt de cinq à six . L'Orateur est entré
delà dans la question , et il a démontré qu'il
falloit attacher un intérêt aux assignats
parce qu'on ne réussiroit jamais à rétablir
la circulation du numéraire s'il n'y avoit pas
un avantage à se défaire de son argent pour
remplir son porte - feuille ; ensuite que cet
intérêt devoit être très -modéré , parce qu'il
n'avoit pas pour objet de donner du crédit
aux assignats ; c'est l'assurance du payement
qui fait le crédit , et parce qu'il ne falloit
pas fournir aux Capitalistes un motif de
soustraire les assignats à la circulation . Cet
intérêt ne devoit pas non plus équivaloir à
celui des Lettres - de - change , ni surpasser
celui du prix des terres , et il y en a beaucoup
qui ne rapportent que 3 pour 100 , et
moins encore , par l'incertitude des récoltes.
Les personnes qu'intéressent les biens du
Clergé , et les Négocians Capitalistes qui
desirent faire valoir leur argent , desireroient
que l'intérêt des assignats fût de 5 et même
Pj
( 412 )
de to pour 100 : le Comité des Finances l'a
fixé à 3 , d'après la multitude des Adresses
qu'il a reçues. Et moi , continue M. Gouy ,
je voudrois le réduire à 2 et demi , et je
demande qu'en attendant l'émission , les
billets de Caisse portent intérêt, et fassent
fonction d'assignats par-tout le Royaume.
"
Cette proposition , appuyée de plusieurs
Membres, et sur laquelle M. Dupont a rédigé
un projet de Décret , qui est le seizième , à
fait élever la demande de la question préa-
Jable avec une persévérance qui a fait
prendre la parole à M. le Comte de Crillon :
Je demande , a- t - il dit , à ceux qui réclament
la question préalable , s'ils ont des
millions préalables à nous donner. Nous
n'avons pas d'argent , point encore d'assignats
, il faut bien une autre ressource. »
M. Anson n'a parlé que pour confirmer
le voeu général en faveur des assignats , et
pour annoncer que le Comité avoit reconnu
la necessité d'un intérêt à 3 pour 100 .
"
*
60
"
M. Audier Massillon a présenté un moyen
de prévenir les dangers de la contrefaction
du papier-monnoie , ou assignat. Toutes
contestations ont cessé, et l'Assemblée a
décrété le reste des articles du projet. Les
voici , tels qu'ils ont été rédigés sur quelques
observations et amendemens :
"
Art. IV. Au lieu de cinq pour cent
d'intérêt par chaque année , qui leur étoient
attribués , il ne leur sera plus alloué que trois
pour cent , à compter du 15 Avril de l'année
présente ; et les remboursemens , au lieu
d'être différés jusqu'aux époques mentionnées
dans lesdits Décrets , auront lieu suecessivement
par la voie du sort , aussitôt
qu'il y aura une somme d'un million réalisée
( 413 )
en argent , sur les obligations données par
les Municipalités pour les biens qu'elles
auront acquis , et en proportion des rentrées.
de la Contribution Patriotique des années
1791 et 1792. Si les payemens avoient été
faits en Assignats , ces Assignats seroient
brûlés publiqement , ainsi qu'il sera dit
ci-après , et l'on tiendra seulement registre
de leurs numéros .
u
>>
V. Les Assignats seront depuis 1000 jusqu'à
200 liv. L'intérêt se comptera par jour;
l'Assignat de 1000 liv. vaudra 1 s . 8 den .
par chacun jour ; celui de 300 liv . , 6 d .;
celui de 200liv. , 4 den. Chaque mois comptera
pour 30 jours .
."<
»
VI. L'Assignat vaudra chaque jour son
principal , plus l'intérêt acquis , et o le
prendra pour cette somme. Le dernier porteur
recevra au bout de l'année le montant
de l'intérêt qui sera payable à jour fixe par
la Caisse de l'Extraordinaire , tant à Paris
que daus les différentes villes du Royaume .
28
VII. Pour éviter toute discussion dans
les payemens , le débiteur sera toujours
obligé de faire l'appoint , et par conséquent
de se procurer le numéraire d'argent nécessaire
pour solder exactement la somme
dont il sera redevable .
" VIII. Les Assignats seront numérotés ;
il sera fait mention en marge de l'intérêt
journalier , et leur forme sera réglée de la
manière la plus commode et la plus sure
pour la circulation , ainsi qu'il sera ordonné
par l'Assemblée Nationale. «
IX. En attendant que la vente des
Biens Domaniaux et Ecclésiastiques , qui
´seront désignés , soit effectuée , leurs revenus
seront versés sans délai dans la Caisse
( 414 )
de l'extraordinaire , pour être employés
déduction faite des charges , aux payemens
des intérêts des assignats ; les obligations des
Municipalités pour les objets acquis y seront
déposées également ; et à mesure des rentrées
des deniers , par les ventes que feront
lesdites Municipalités de ces biens , ces deniers
seront versés sans retard et sans exception
, leur produit et celui des emprunts
qu'elles devront faire , d'après les engagemens
qu'elles devront faire , d'après les
engagemens qu'elles auront pris avec l'Assemblée
Nationale " ne pouvant être employés
, sous aucun prétexte , qu'à l'acquittement
des intérêts desdits assignats et à
leur remboursement. »
X. Les assignats emporteront avec eux
hypothèque , privilege et délégation spéciale ,
tant sur le revenu , que sur le prix desdits
biens , de sorte que l'acquéreur qui achétera
des Municipalités , aura le droit d'exiger
qu'il lui soit légalement prouvé que son
payement sert à diminuer d'autant les oblitions
Municipales , et à éteindre une somme
égale d'assignats ; à cet effet les payemens
seront versés à la Caisse de l'Extraordinaire ,
qui en donnera son reçu à valoir sur l'obligation
de telle ou telle Municipalité .
>>
" XI. Les 400 millions d'assignats seront
employés , premièrement , à l'échange des
billets de la Caisse d'Escompte , jusqu'à
concurrence des sommes qui lui sont dues
par la Nation , pour le montant des billets
qu'elle a remis au Trésor public , en vertu
des Décrets de l'Assemblée Nationale .
>>
« Le surplus sera versé successivement au
Trésor public , tant pour éteindre les anticipations
à leur échéance , que pour rap(
415 )
procher d'un semestre les intérêts arriérés
de-la dette publique .
29
« XII. Tous les Porteurs de billets de la
Gaisse d'Escompte feront échanger ces billets
contre des assignats de même somme ,
à la Caisse de l'Extraordinaire , avant le
15.Juin prochain , et à quelque époque qu'ils
se présentent dans cet intervalle , l'assignat
qu'ils recevront portera toujours intérêt à
leur profit , à compter du 15 avril . Mais s'ils
le présentoient après l'époque du 15 juin ,
il leur sera fait le compte de leur intérêt ,
à partir du 15 avril jusqu'au jour où ils le
présenteront . »
"
'
· XIII . L'intérêt attribué à la Caisse d'Escompte
sur la totalité des assignats qui devoient
lui être délivrés cessera à compter
de ladite époque du 15 avril , et l'Etat se
libérera totalement . avec elle , par la simple
restitution successive qui lui sera faite de
ses billets , jusqu'à concurrence de lasomme
fournie en ses billets .
་་
>>
XIV. Les assignats à cinq pour cent
que la Caisse d'Escompte justifiera avoir
négociés avant la date du présent Décret ,
n'auront pas cours de monnoie , mais serout
acquittés exactement aux échéances
à moins que les porteurs ne préfèrent de
les échanger contre des assignats - monnoie.
Quant à ceux qui se trouveront entre les
mains des Administrateurs de la Caisse d'Escompte
, ils seront remis à la Caisse de
l'Extraordinaire , pour être brúlés en présence
des Commissaires qui seront nommés
par l'Assemblée Nationale , lesquels en
dresseront procès - verbal . ›
"
XV. Le renouvellement des anticipations
sur les revenus ordinaires cessera en(
416 )
tièrement du jour du présent Décret , et
les assignats seront donnés en payement
aux Porteurs desdites anticipations ,
échéance.
" XVI. Le Receveur de l'Extraordinaire
sera autorisé , jusqu'à la délivrance des assignats
, à endosser , sous la surveillance
de quatre Commissaires de l'Assemblée
les billets de la Caisse d'Escompte , destinés
à être envoyés dans les Provinces seulement
, en y introduisant ces mots : Promesse
de fournir assignats ; et lesdites promesses
auront cours comme assignats , à
charge d'être endossés de nouveau par ceux
qui les transmettront dans les Provinces et
les y feront circuler , et ceux qui les renverront
pour être échangés contre des assignats
immédiatement après - leur fabrication
. "
XVII. Il sera présenté incessamment
à l'Assemblée Nationale , par le Comité
des Finances , un plan de Régime et d'Administration
de la Caisse de l'Extraordinaire
pour accélérer l'exécution du présent Décret.
n
XVIII. La Caisse d'Escompte contipuera
à faire son service comme par le passé ,
jusqu'au premier juillet prochain.
A la suite des Décrets , M. le Marquis de
Montesquiou a rappelé la demande faite par
M. Necker d'une somme de 20 millions ; cequi
a donné lieu à l'Assemblée d'adopter
le Décret qu'il a proposé , et qui a été rédigé
en ces termes après plusieurs demandes d'ajournement
, et des questions sur la responsabilité
de cette somme.
" L'Assemblée Nationale ayant , par le
Décret de ce jour , ordonné que les billets
( 417 )
de la Caisse d'Escompte seront remplacés
par les assignats , et que lesdits billets pour
ront tenir lieu d'assignats jusqu'à leur fabrication
, décrète ; 1 °. qu'aucune émission de
billets de Caisse ne sera faite , d'ici à nouvel
ordre , sans un Décret de l'Assemblée Na→
tionale , et autrement qu'en présence de
ses Commissaires ; 2° . qu'en présence desdits
Commissaires il sera remis , dans le jour ,
au Trésor public pour 20 millions de
billets de la Caisse d'Escompte , lesquels
tiendront lieu des assignats dont la fabri
cation est ordonnée , et serviront aux besoins
pressans du moment , suivant l'état
fourni par le premier Ministre des Finances . »
DU DIMANCHE 18 AVRIL,
M. Z dans 13
.... de Diusuis est elevé contre le Décret
d'hier , qui accorde 20 millions au Trésor
Royal sans connoissance de l'emploi qui en
sera fait , et a demandé la remise de l'état
des dépenses du mois de Mai . Sa Motion a
été décrétée .
M. d'Ailly a demandé que l'on remît tous
les huit jours à l'Assemblée les bordereaux
de dépenses , de recettes et de situation
du Trésor Royal. - Décrété.
M. Camus a aussi demandé qu'il ne fût
donné aucun intérêt , gratification , ni droit
de commission à la Caisse d'Escompte pour
les 20 millions de billets qu'elle doit fournir.
Décrété.
M. de la Tour-du-Pir a envoyé sa réponse
à l'Assemblée sur l'affaire du Sergent- Fourrier
arrêté à Verdun . Cet homme infiniment
dangereux employoit tous les moyens de
désunir l'Armée. Le Ministre souhaite que
( 418 )
l'Assemblée s'occupe d'un Décret qui prévienne
le danger qu'il y auroit à ce que les
Municipalités s'ingèrent à prendre connoissance
des discussions militaires . - L'Assemblée
, satisfaite de cette explication , a décrété
que M. le Président l'annonceroit au
Ministre.
M. Camus a ensuite proposé , sur les revenus
des Ecclésiastiques absens , un Décret
qui a été rejeté pour venir à l'ordre du jour.
Autre Projet de Décret pour la perception
des impôts , proposé par M. Anson , et
renvoyé au Comité des Finances.
1
M. Anson a proposé un Décret pour fixer
toutes les idées sur la manière d'asseoir l'imposition
relativement à la Capitale . Il a pris
les loyers pour base .
-
M. l'Abbé Maury n'a vu dans Cette forme
d'imposition , qu'un moyen de soulager les
riches, et d'écraser les pauvres ; ce qui avoit
été démontré , et ce qu'il a essayé de mettre
dans une plus grande évidence encore. - II
a été combattu par plusieurs Membres , et
M. Anson , qui ne donnoit pas des preuves
trop suffisantes pour autoriser la détermination
de l'Assemblée , s'est réduit à dire que
ce, n'étoit pas le moment de créer un nouveau
régime d'impositions qui ne pourroit
avoir lieu que l'année prochaine; sur quoi
M. l'Abbé Maury s'est écrié : « Il n'est pas
permis de faire une injustice pour un an ,
ni de se refuser la réflexion , quand on
dipose de la propriété de ses Conci-
61
K
་་
"
Cependant sur l'allégation que le Décret
étoit urgent , l'Assemblée Nationale l'a porté
dans sa confiance .
( 419 )
·
Nous rapporterons les cinq articles de ce
Décret important la semaine prochaine .
Le 7 , Madame , Fille du Roi , a reçu
dans l'Eglise de St. Germain l'Auxerrois
, la première Communion des mains
du Cardinal de Montmorency , Grand
Aumônier de France , la Marquise de
Tourzel , Gouvernante des Enfans de
France , et la Duchesse de Charost tenant
la nappe : cet acte religieux a été
précédé et suivi d'actes de bienfaisance .
Il devient bien difficile aux honnêtes
gens d'asseoir leur confiance sur les nouvelles
,,au milieu du conflit scandaleux
de nos opinions. L'évènement le plus
commun , né d'une circonstance ordinaire
, du hasard , ou d'une imprudence ,
va trouver des plumes pour le transformer
en un horrible complot , et d'autres
par conséquent pour en exagérer l'apologie
. Chacun s'appuie sur ses devoirs ,
son honneur, son patriotisme ; et ce qui
seroit tombé de soi -même il y a deux
ans, estaujourd'hui poussé jusqu'à exciter
l'intérêt ou l'alarme universelle . L'affaire
de Lille est du nombre de ces évènenemens
.
Le 7 de ce mois , des Chasseurs de Normandie
et un Grenadier de Royal- Vaisseau
se disputent une fille . Les deux Régimens
se mêlent à la querelle de leurs hommes :
( 420 )
deux autres Régimens s'y joignent ; la Colonelle
générale aux Chasseurs , et la Couronne
à Royal- Vaisseau . Ces deux derniers
plus aimés du Peuple sont regardés comme
des Patriotes , et les deux autres comine des
Aristocrates. Le 8 au matin , des Dragons
de la Colonelle passent devant les quartiers
des Patriotes : ceux - ci se croient provoqués
, le rendez - vous est donné pour
l'après -midi. L'effet d'un pareil combat ne
pouvoit être que sanglant il l'est , et malheureusement
quelques Bourgeois trop curieux
, y reçoivent le prix de leur imprudence.
Nous exposons nuement le fait qui a
donné lieu à l'imagination de se perdre en
conjectures, et de créer le fantôme d'un com.
plot dont l'objet seroit d'armer les unes
contre les autres les Troupes de nos princis
pales Villes de garnison .
A la suite du combat , la Colonelle générale
et les Chasseurs se sont retirés dans la
Citadelle .
On ne contestera pas qu'il y avoit quelqu'évidence
à la nécessité de séparer ces
quatre Corps désormais irréconciliables. M.
le Marquis de Livarot , Maréchal de Camp,
et employé par le Roi en qualité de Commandant
de la Province , a pris sur lui de
prononcer , en attendant l'ordre du Roi ,
que la Colonelle et Royal - Vaisseau sortiroient
de la Ville. Le Peuple s'y est opposé:
la Municipalité , qui s'est , dans toute cette
affaire , conduite avec la plus grande sagesse
, a fait fermer les portes , dont elle a
retenu les clefs , et a dépêché deux de ses
Membres en Cour et à P'Assemblée Nationale
. Chacun des Régimens y a aussi expé
dié des Courriers .
( 421 )
Depuis cette époque , les accusations se
multiplient contre M. de Livarot , maintenant
retenu dans la Citadelle. Mais , de
son côté , il ne cesse de demander qu'on
l'entende publiquement , en présence de la
Commune ; et il invite quiconque auroit
connoissance de griefs contre lui , à en déposer
, afin qu'il puisse dévoiler la perfidie
qui le compromet si cruellement dans ses
devoirs et son honneur.
Un Ecrit incendiaire , distribué le 13 , ne
l'épargne pas plus que beaucoup d'autres
qu'on appelle Chefs de l'opposition , et il
s'y trouve particulièrement inculpé d'avoir
excité ses Soldats. Mais ce reproche est encore
renvoyé par les gens sensés au rang de
ces dix-sept tonnes d'argent enlevées du
Trésor Royal. Comment en effet lui prêter
le dessein d'un complot dont il est la victime
?
Quoi qu'il en soit , les deux Régimens
accusés , et dans la défaveur du Peuple ,
ont fait paroître une Déclaration , qui ne
laisse aucun doute sur leurs sentimens d'honneur
, de paix , d'union et de patriotisme .
Ils se soumettent , comme les autres , aux
ordres qu'on attend , renouvellent leur Serment
Civique , promettent de faire régner
le calme et le bon ordre , et demandent
qu'il soit statué sur le compte de M. de
Livarot , en même temps que sur ce qui les
concerne .
Au reste , il y a déja des avis pour écarter
de Lille les quatre Régimens sans préfé
rence ; et l'on désigne pour les remplacer ,
ceux de Vintimille , Beaujolois , Diesback
et les Cuirassiers .
L'espèce d'agiotage qui se faisoit sur
( 422 )
les billets de Caisse vient de tomber de
6 à 4 pour 100 ; d'ailleurs on espère les
voir bientôt remplacés par les assignats ,
pour lesquels on vient de faire l'heureuse
découverte d'un papier de la plus grande
consistence . Il a été éprouvé en élevant
' sur une feuille fortement tendue un
homme qui ne l'a point percée de son
poids. Il paroît que l'intérêt fixé à 3 pour
100 remplit le voeu du Commerce , de
la Banque et de tout le Royaume ; le
préjuge ne peut être plus favorable pour
sa circulation , de laquelle dépend le salut
ou la perte de l'Etat.
Enfin , la raison commence à gagner du
terrain , et l'état dangereux d'anarchie où
se trouve la Capitale , effraie universellement .
Le 9 de ce mois M. Godart , Député du
District des Blancs - Manteaux , a exposé à
l'Assemblée générale des Représentans de
la Commune , la nécessité de faire sentir
à toutes les Sections de la Capitale , le be
soin urgent de ramener l'ordre et la confiance
par l'établissement d'un centre commun
, auquel tous les pouvoirs aboutissent ,
comme ils doivent en partir.
:
D'après l'opinion motivée de M. Godart,
les 240 Representans ont décidé d'une voix
unanime qu'ils donneroient tous leur démission
cependant , intimement convaincus
des désordres qui résulteroient de l'abandon
subit de leurs fonctions , ils ont pris la
résolution de les continuer jusqu'au moment
où d'autres Représentans , legalement élus ,
viendroient les remplacer. Le lendemain ils
ont arrêté de faire part de cette abdication
( 423 )
à tous les Districts , en les prévenant qu'ils
soumettroient cette Adresse , ainsi que le
nouveau Plan de Municipalité , à la sagesse
de l'Assemblée Nationale , qui seroit suppliée
d'organiser promptement l'administration
de la Capitale .
POSTES .
Dans la vue d'accélérer notre Correspondance
avec les Etats- Unis de l'Amérique
, l'Administration a déterminé de
faire partir , à compter du 15 Mai prochain
, du Port de l'Orient , les Paquebots
ci-devant établis au Port de Bordeaux ,
et spécialement destinés au transport de
cette Correspondance.
L'époque de leur départ demeurera
fixée aux 15 Mai , 15 Juillet , 15 Septembre
, 15 Novembre , 15 Janvier et 15
Mars de chaque année.
Il est indispensable de continuer à
affranchir les Lettres qui auront cette
destination , en payant non - seulement
le port de terre dû depuis le lieu du
départ jusqu'au Port de l'Orient , conformément
au tarif de 1759 , mais même
celui de mer ordonné par l'Arrêt du 20
Décembre 1786
Faute de cet affranchissement , les
Lettres resteront au rebut.
Maires nouvellement élus.
Cahors , M. de Baudus , Avocat du Roi
au Présidial de cette Ville ; Vimontier en
Normandie , M. Denneval , Chevalier de
( 424 )
Saint-Louis et Colonel d'Infanterie ; Béziers ,
M. Dubuisson , Chevalier de Saint - Louis ;
Saint- Gervais , M. de Serviez , Chevalier de
Saint-Louis.
En rendant compte du prêt gratuit
de 500,000 liv. fait par le Chancelier ,
nous avons omis , comme la Gazette de
France , et nous nous empressons de
rétablir qu'il a fait en même temps l'a
bandon du traitement attaché à son
office.
L'Administration des Postes prévient
le Public qu'il faut affranchir les Lettres
pour Scioto , et que faute de cet af
franchissement , les Lettres demeureront
au rebut.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16 Avril
1790 , sont : 34,37 , 10 , 69 , 6.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le