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1772, 05-06
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
M A 1 , 772.
Mobilitate viget . VIRGILE
DU
CHATEL
HIS
BLIOTHED
DEC
PALAIS
ROYAL
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C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
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fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de musique .
Ce Journal devant être principalement l'ou-
C
vrage des
amateurs
des
lettres
& de ceux
qui
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cultivent
ils font
invités
à concourir
à fa perfection
; on recevra
avec
reconnoiffance
ce qu'ils
enverront
au Libraire
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nommera
quand
ils voudront
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travaux
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Di
2
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On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur Lacombe,
Libraire, à Paris , rue Chriftine.
MERCURE
DE FRANCE.
MAI , I , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
GABRIELLE DE VERGI
à fon Epoux.
Elle eft fuppofée dans un cachot où Faïel
fon époux l'a renfermée.
TROP
ROP injufte Faïel ! homme ingrat & barbare !
Je fens à ton nom feul que ma railon s'égare .
Les maux que tu m'as faits font- ils aflez cruels ?
Va ! je puis les chérir fi tu les rends mortels.
Tu refufes mon fang pour jouir de mes larmes ;
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Et ton coeur veut compter mes jours par mes
alarınes.
Que t'ai-je fait ? barbare ! & quels font donc tes
droits ?
Ift-ce à l'ingratitude àme donner des loix !
A peine tu me vois , fans fonger à me plaire,
Ta criminelle ardeur cherche à fe fatisfaire.
Tes biens feuls ont parlé , tu l'emporte Faïel;
Et mon coeur de t'aimer reçoit l'ordre cruel.
Mon père de Couci connoifloit la tendreffe ;
Mais il fallut céder au defir qui le prèfle.
Le devoir à mon coeur alloit te rendre cher ;
D'un trop fenfible amant j'allois me détacher ;
Le malheureux Couci gémifloit fans fe plaindre...
Quand j'ai voulu t'aimer il te parut à craindre.
Tu m'obfervais toujours , & comptant mes foupirs
,
Tu t'es montré jaloux juíqu'au ſein des plaifirs.
La rage dans les yeux tu m'abordois faus ceflè
Et voulois dans les miens trouver de la tendrefle.
Ton injufte fureur eut beau me déchirer ,
J'ai fupporté mes maux fans jamais murmurer;
Dans mon coeur , tu le fais , j'enfermai mes trifrefles
.
Pour prix de mes tourmens tu n'eus que des carefles
.
Tu redoutes Couci ; tu foupçonnes ma foi:
Apprend que ma vertu fait ma première loi .
N'importe , tu le crains ? vois - le donc difparoître;
MA I. 1772.
Injurieux tyran , apprends à me connoître !
Pour te tranquillifer j'évitai les plaïfirs .
Ma tendrefle & mes foins prévenoient tes defirs .
Ardente à t'obéir , ne cherchant qu'à te plaire ,
J'ai dû chérir celui qui m'alioit rendre mère.
Entends-moi ; cher époux ! dans l'âge du bon
heur ,
J'eus befoin d'un objet pour occuper mon coeur.
Tu t'es toujours montré l'artifan de mes larmes :
Hélas ! dans fon bourreau peut-on trouver des
charmes ?
Mais je dois refpecter le père de mon fils.
Je fuis mère ! ah ! mes maux me font chers à ce
prix.
Je commence à goûter une volupté pure .
Contente-toi , mon coeur , du cii de la nature !
Redoute tout , Couci , de cet heureux moment.
Le tendre nom de fils vaut bien celui d'amant.
Cher enfant ! dans mes bras je te verrai fourire;
Tu toucheras Faïel . Je l'entends qui foupire ;
Il me femble fourire aux cris de ma douleur.
Ah ! le plus doux efpoir a du flatter fon coeur !
Mes maux vont le remplir. Fais éclater ta joie !
A mes yeux maternels que ton front la déploie !
Il voit enfin le jour. Tous nos voeux font rem
plis !
Quelles font tes raifons pour me cacher mon
fils ?
A iy
8 MERCURE DE FRANCE.
Pourquoi me refuſer une fi chère vue ?
Quel foupçon tu fais naître en mon ameépérdue !
Mon coeur a treffailli ... quels funèbres accens !
Une mourante voix vient de glacer mes fens.
Nature , explique - moi cet effraïant langage :
Grands Dieux ! je crois l'entendre... ôtez moi ce
nuage ;
Ah mon fils , mon cher fils !. quoi ! monftre !. que
d'horreurs ! ..
Nature ! on te déchire ; & tu n'as que des pleurs..
Que n'as- tu mefuré ma force à ma tendrefle ?
Faïel m'eût redouté ; mais il fait ma foibleffe ,
Il s'attend à des pleurs ... tu n'en jouiras pas !
Je puis chérir le coup qui l'ôte de mes bras.
Il eft forti de toi ; ta cruauté peut- être
Coulant avec ton fang eût corrompu fon être ,
Ou ton ame féroce avide de forfaits
Pour prolonger fa mort eût forgé mille traits .
Ma froideur te furprend , tu redoutes mes larmes ;
Les fuites de ton crime excitent tes alarmes ;
Ton fort dépend de moi , fois tranquille , Faïel¸
Le coeur d'un malheureux fut - il jamais cruel ?
Un fupplice honteux eût été fon partage ;
Ton péril à mon coeur fait oublier ta rage ,
Tu pourras me punir de t'avoir fecouru .
Le foin de le venger fied mal à la vertu .
Un cachot & des fers voilà ma récompenfe...
Ils ne peuvent troubler la paix de l'innocence .
Tout horribles qu'ils font j'y trouve des dowceurs
;
MAI. 1772. 9
Ils me cachent ta vue & refpectent mes pleats .
Fais de nouveaux efforts pour combler ma misère
,
Raflemble tes fureurs , je brave ta colère.
Mon ame eft infenfible à force de fentir.
Contente - toi , barbare ! aflouvis ton defir .
Je vois venir les coups qui menacent ma tête
Sans craindre les horreurs d'une vaine tempête.
Je puis avec plaifir deſcendre dans mon coeur,
Qu'une agréable paix y répand de douceur !
Que feront tes difcours contre fon témoignage ?
Tu peux àtes pareils faire approuver ta rage ;
J'ai droit de les haïr tes perfides mortels .
Des monftres , des ingrats , des traîtres , des
cruels ,
Veulent flétrir mon coeur du fond de leur abîme ;
Que fait à la verta le fuffrage du crime ?
De ta fertile rage eft. ce le dernier coup ?
Ta fureur le dément : quoi feroit-elle àbout ?
Mais qui me rend ton coeur ! quoi ta main me careffe
!
Je te pardonne tout ! tu cherches ma tendreſſe !
Mes douloureux fanglots ont dû te défarmer :
Une fecrete voix vient en vain m'alarmer...
« Un changement fi prompt ne peut être fincère ,
Le grand art d'un méchant eft de fe contrefaire .»
A cet utile avis que n'ai- je ajouté foi !
Hélas ! que n'ai- je cru mon doute & mon effioi !
·
A v
ΙΟ MERCURE DE FRANCE.
Tout fembloit m'annoncer le malheur qui m'accable
,
Vingt fois j'ai reflenti le trouble d'un coupable;
D'involontaires pleurs coulèrent de mes yeux ;
Un lamentable cri fit drefler mes cheveux :
Tes carefies fur tout , ma répugnance extrême ,
Tout m'annonçoit mes maux , mon coeur & le ciel
même.
Sur la fin du repas une fombre fureur ,
Dans tes yeux enflammés fuccède à la douceur.
σε
Regarde , me dis- tu , regarde cette lettre ,
»Avant de m'outrager , il falloit me connoître.»
Dieux , quel fombre difcours ! .. lis & connois ton
fort...
Faïel , permets mes pleurs , je les dois à la mort.
Couci n'eft plus ! hélas ! je ne puis que le plaindre ;
Son malheur me déchire & je ne fai pas feindre.
Pardonne mes foupirs , qu'ils ne t'offenfent pas.
Puifqu'il vous étoit cher je pleure ſon trépas ;
Moi-même j'envierois une faveur fi chère.
BC
» C'eſt le coeur de Couci , ce mets a dû vous plai-
> re...»
Quoi barbare ! ce mets ! .. acheve... venge
toi ! ..
Je l'idolâtre encor ! .. Couci pardonne- moi !
Pourquoi me fuïois - tu ? me croïois - tu parjure ?
Des plaifirs d'un époux ta tendreffe murmure!
Crois -tu que j'ai goûté fes farouches tranfports ?
MAI. 1772. II
Va , de pareils plaifirs cauferoient tes remords.
Sa brutale fureur s'occupoit de mes charmes
Que fa félicité rempliffoit de mes larmes.
Avide d'un bonheur qu'il devoit refpecter ,
Dans ces brûlans tranfports il crut le rencontrer,
Je déteſtois Faïel ; & mon coeur trop ſenſible
Dans les triftes momens le trouva moins terrible.
Contrainte de céder au torrent des plaiſirs ,
Le dirai- je , Couci ? je connus les defirs .
Une flatteufe erreur vint abuſer mon ame ,
Je croiois dans Faïel voir l'objet de ma flamme.
Ce n'étoit plus ce monftre ennemi du bonheur ;
C'étoit mon cher Couci , dont le fenfible coeur
Vers la félicité fe fraïoit un palage.
Hélas ! à mon reveil quelle funefte image !
Un brutal que mon coeur dans ces cruels momens
Enivroit de plaifirs pour prix de mes tourmens.
J'ai vécu pour t'aimer. Tu meurs ! .. & moi ,
barbare ! ..
Qu'ai-je fait ? malheureute ! ah , ma raiſon s'égare
! ..
Inhumaine vertu ! .. Ciel ! fois jufte une fois !
Contente- toi : punis ! .. je détefte tes loix !
Que ce Cachot me plaît ! fa nuit & fon filence
Repréfente bien mieux à mon impatience
L'anéantiffement & l'horrible cahos
Qui doit avec le monde anéantir mes maux.
Litu fait pour les remords ! toi qu'étonnent mes
larmes,
A vj
I 2 MERCURE DE FRANCE.
Er
Préfente moi la mort , je te croirai des charmes !
Que je hais la lumière ! hélas ! j'ai tout perdu ,
pour me conſoler je n'ai que ma vertu.
Douloureuſe vertu ! toi qui me fus fi chère,
Pour prix de tant de maux foulage ma misère ;
Je m'abandonne à toi ; daigne efluier mes pleurs:
J'ai droit de l'exiger. Mes droits font mes malheurs
.
Tu dois me confoler pour prix de ma conftance .
Si tu ne peux finir les maux de l'innocence ;
Tu n'es plus qu'un vain nom qui trompes les
mortels ,
Que leur crédulité porta fur des autels .
Douce vertu pardonne un foupçon qui t'of
fenfe.
1
Un charme intéreffant m'annonce ta préſence.
Viens parler à mon coeur : j'oublirai tous mes
maux..
Que dis - je ? hélas ! pour moi fera-t'il du repos ?
Je cherche la vertu quand mon coeur brûle encore.
Mon cher Couci n'eft plus .. Je vis.. & je l'adore .
Par M. Milfant.
MA I. 1772.
13
L'AUTOMNE , Idylle lue à la rentrée de
l'Académie royale des fciences , belleslettres
& arts de Rouen du mois de Novembre
1771.
AMI , fachons du tems rapide
Mettre à profit tous les inftans ,
Demain peut-être avec fa faulx perfide
La mort moiffonnera les plus beaux de nos ans .
Tout fe fuccéde en la nature !
Déjà la Roſe , amante de Zéphir ,
L'honneur de nos jardins & d'Hebé la parure ,
N'a brillé qu'un moment pour ne plus revenir.
Déjà fur la trace de Flore
La féccnde Cérès , défertant les vallons ,
A devancé Bacchus qui triomphant encore ,
Va bientôt à ſon tour céder aux aquilons :
Mais aujourd'hui puifque Porone
Répand au tour de nous les bienfaits de l'Au
tomne ;
Quitte enfin , quitte ces cités ,
Séjour affreux de l'impoſture ,
Et viens goûter au fein des pures voluptés
La douce paix de la nature.
Dieux , quels objets y raviffent mes fens !
Ici Colin , aux fons de la mufette ,
14 MERCURE DE FRANCE .
Ramene aufrais les moutons bondiflans ,
Là , fur les tendres airs de la timide Annette ,
Le pinfon matinal module ſes accens ;
Plus loin tout charme & l'efprit & la vue :
Déjà l'on vole aux fêtes du château , `
Où la gaité des filles du hameau ,
Belles (ans art , la gorge demi- nue ,
Vient d'enchaîner dans leur danfe ingénue
Tous les bergers de ce riche côteau.
Agnès feule auffi -tôt après ce doux délire
S'en retourne en chantant vers des bois écartés ,
Amour fon coeur alors ignoroit ton empire!
Mais Lycas tourmenté d'un langoureux martyre
La fuit , la joint , s'élance à ſes côtés ,
Jure cent fois , prefe , efpère , foupire ,
Vante l'éclat de les naiflans appas
Et furprend un baifer qu'on ne lui donne pas ,
Que j'aime aufli près d'une fource pure ,
Sous des faules encor ombragés de verdure ,
A retrouver le caline & la fraîcheur !
Là fur un roc taillé des mains de la nature
L'onde à mes yeux s'étend , tombe , écame , murmure
Et m'offre en s'échappant , un criſtal enchanteur ;
Bientôt fuivant la courfe fugitive ,
Je fufpends en filence un fil infidieux
Qui , charmant le poiſon avide & curieux ,
L'enieve à l'inſtant fur la rive.
M A I. 15 1772.
Mais quels fons éclatans roulent dans les forêts ,
Eft ce le cri de la fière Bellone ?
Que dis-je ? écho traverfant nos guerês ,
Par les airs répétés du cor bruyant qui fonne
M'appelle à des plaifirs pour moi remplis d'attraits.
Déja le cerf qu'a joint la meure hors d'haleine
Pleure en tombant fous les traits du vainqueur ,
Et tandis que le lièvre en fa courfe incertaine ,
Met en défaut les chiens & le chafleur ;
La perdrix part , mais le plomb que l'ail guide
Va la frapper au fein des vaſtes régions ,
Elle chancelle , & d'un vol moins rapide
S'abbat en rougiflant le fommet des fillons ,
Ou gagne à pied les plus prochains buifions.
Cependant le foleil achevant fa carrière ,
Et tout prêt d'expirer fur ces lointains côteaux ,
Aux champs enfanglantés retire fa lumière
Four éclairer encor de plus riants tableaux.
D'un pied léger je franchis la montagne ,
Où couronnés de pampre au lieu de fleurs ,
En travaillant , de joyeux vendangeus
Chantent Bacchus & leur compagne
Que l'amour livre aux plus douces erreurs.
Mais le travail s'acheve , & la grappe amaflée
Dans la cuve à la hâte à peine eft entaflée ,
Qu'au même inftant l'empreffé Mathurin ,
Queique courbé fous le fardeau de l'âge ,
16 MERCURE DE FRANCE .
Part de la vigne au bruit du tambourin ,
Et le premier rentre dans le village
Suivi du char du puiflant dieu du vin ;
Une foule d'enfans au- devant de la tonne
Du peuple vendangeur célèbre le retour ,
Etjufqu'aux celliers l'environne
Par des chants qu'on entend des vallons d'alentour.
Lifette alors qui , fous l'humble chaumière ,
Vient d'apprêter un repas fobre & fain ,
Sert auffi - tôt fur la table groffière
Quelques fruits mûrs , tous cueillis de fa main :
La liberté , l'amour & la folie ,
Les feuls convives du feftin ,
En banniffent la gêne & la mélancolie
.
Qui chez Plutus , toujours de compagnie ,
Suivent de près le noir chagrin .
Ainfi dans ce champêtre aſyle ,
Fuyant le tumulte des cours ,
Je vois d'un oeil fatisfait & tranquile
Couler rapidement le refte des beaux jours ;
Souvent auffi du tems agile
Je partage le cours entre Horace & Buffon ;
Mais plus fouvent l'harmonieux Virgile
Remplit mon coeur & flatte ma raiſon .
Qu'alors je plains ce fils de la fortune ,
Efclave ambitieux d'une frêle faveur ,
Qui , trop fouvent aux dépens de l'honneur ,
MAI. 17 1772.
Court à travers une foule importune
Vendre hélas ! fon repos à la trifte grandeur.
Je ris fur- tout de ce marquis moderne
Qui , rougiffant de ſes ayeux ,
Vante par-tout fon pouvoir fubalterne
Et jamais n'entre au cabinet des dieux !
Mais je dédaigne & ce vieux petit- maître
Aux pas tremblans , au langoureux jargon ,
Et ce flatteur à l'oeil louche , au coeur traître ;
Et ce fot à prétention ,
Et ce cagot , malgré ſa vaine quiétude
Bien loin auffi de la félicité
Que le fage en fa folitude
Goûte en paix , fans remords & fans cupidité.
Oui , c'est ainsi que dans mon hermitage ,
Diverſement j'occupe mes loisirs :
O riches ! fous le dais avec tout l'or du Tage
N'efpérez point de femblables plaifirs ,
On ne les trouve qu'au village .
Par M. le Président de la Chenaye , lieut.
gén. de Mortagne , de l'acad. R. des
fciences , belles- lettres & arts de Rouen.
18 MERCURE DE FRANCE.
L'ORGUEILLEUX corrigé par l'Amour.
Conte.
Un amour délicat me tient lieu de fagefle ,
Et je rougis de mes défauts
N'en trouvant point dans ma maîtreffe.
Op. Com. des Meiffonneurs.
PEU de
EU de gens
feront
tentés
de croire
à
cette
maxime
: l'amour
, ou ce qui
ofe
en
prendre
le nom
, égare
, avilit
fi fouvent
la jeuneffe
que
, loin
de l'envifager
fous
un afpect
auffi
favorable
, il n'eft
point
de
mère
qui
ne le peigne
à fa fille
fous
les
traits
les
plus
monftrueux
; point
de
père
qui
ne confeille
à fon
fils de
ne jamais
abandonner
fon
coeur
à ce malin
enfant
;
de fourire
à fes jeux
; mais
de s'en
méfier
toujours
, de regarder
les femmes
comme
des
objets
de fon
amufement
, & non
comme
celui
d'un
engagement
férieux
.
Une mère qui n'a vu dans un penchant
fait pour élever l'ame , former la raifon
adoucir l'humeur & fixer la légèreté fi
naturelle au fexe ; cette mère , dis je , qui
n'a vu dans ce penchant qu'un goût pallager
, toujours aviliffant, ou que le caprice
MA I. 1772 . 19
d'un inftant , fait bien de donner à fa fille
des leçons qui l'éloignent d'an engagement
propre à lui donner dans le tems peu
de plaifirs , & qui lui prépareroit pour l'avenir
des regrets & de l'ennui .
Dorimont qui connoiffoit les hommes
, qui s'étoit donné la peine d'étudier
leur coeur , de l'approfondir , en jugeoit
bien différeminent . L'homme , difoit- il ,
eft né pour s'attacher à quelque chofe ; la
jeunelle fera toujours maîtriſée par un
penchant ; en vain la plus forte digue
voudroit s'opposer à ce torrent , ce feroit'
defirer l'impoffible ; mais il faut qu'une
main fage fache diriger la naiffante paffion
d'un jeune homme & le conduire à
la vertu par le feutier qui femble ordinairement
devoir être celui du vice . Telles
étoient les réflexions du vertueux
Dorimont. Plus vieux par fon expérience
que par fon âge , fimple dans fes manières
, il voyoit les puiffans du fiécle fans
envie & quelquefois d'un oeil de pitié ;
leur grandeur , difoit il , femble leur être
étrangère , l'ennui les accompagne dans
les lieux où ils cherchent le plaifir ; qu'ils
faffent du bien , qu'ils foient utiles aux
hommes , qu'ils fe rapprochent d'eux ,
qu'ils ofent prétendre à leur amitié & la
20 MERCURE DE FRANCE .
mériter , & bientôt ces ennuis , ces dégoûts
, dont ils fe plaignent au fein de
l'abondance , difparoîtront . Oh ! la douce
puiffance , s'écrioit il avec tranfport , que
celle de pouvoir faire des heureux ! Grands
du monde , vous pourriez être des dieux
parmi nous ; à peine êtes-vous des hommes.
Dorimont avoit acquis dans le commerce
une fortune affez confidérable . Il
avoit un neveu qu'il regardoit comme
fon unique héritier ; la nature lui avoit
donné l'extérieur le plus fait pour féduire .
les femmes & déplaire aux hommes : une
tête haute , un oeil où regnoit à la fois la
douceur & la fierté ; ce ton que les gens
de qualité cherchent à prendre & qu'ils
ont rarement ; de l'efprit , des connoiffances
utiles joignez à cela un goût décidé
pour le fafte , une parure élégante ;
en un mot , Léandre réuniffoit les quali-.
tés folides aux agrémens faits pour féduire
les yeux ; & les hommes , tout en
le haïffant , cherchoient à l'imiter. Un
feul défaut , ou plutôt une paffion tyrannique
fut la fource de fes malheurs ,
fit fouvent oublier les heureux dons qu'il
avoit reçus de la nature. Cette paffion
étoit un orgueil que l'amour feul a pu
:
&
MAI 21 1772 .
:
dompter. Une de fes fantaisies étoit de
paroître homme de condition & de ne
voir que des gens qui en tuflent ; pour le
paroître il n'épargnoit ni l'argent , ni aucun
de ces airs qui réuffiffent prefque toujours
il favoit en impofer par fon maintien
aux fots dont l'Univers abonde . Au
refte , ennemi de la fauffeté , il voyoit
avec douleur que fans elle on ne plaît pas
long tems ; il vouloit oublier que fes
honnêtes parens
, parens , bons citoyens & fidèles
fujets n'avoient jamais penfe à fe faire une
généalogie , ni que le bonheur confiftât
dans une naiffance noble .
Ces réflexions le chagrinoient & le ramenoient
à ce caractère de mélancolie
avec lequel il étoit né , qui fembloit dif
paroître quelque fois , mais que la moin ,
dre contrariété ramenoit bientôt , il ne
pouvoit s'accoutumer au ton libre des
femmes & leur conduite , plus libre encore
, lé révoltoit ; il aimoit ce fexe enchanteur
, mais il vouloit refpecter l'objet
de fon hommage : dégoûté , le foir , d'un
monde qu'il alloit chercher avec empref
fement le lendemain.
Son ongle, qui l'aimoit , qui lui connoilfoit
des vertus , qui avoit jugé fon
COUE cur bon & fon efptit jufte en dépit d'une
22 MERCURE DE FRANCE.
imagination qui s'égaroit fouvent , plaignoit
fes erreurs , les imputoit à fa jeunefle
, ne fe permettoit aucuns reproches ;
il croyoit avec raifon qu'ils aigriffent le
mal , loin de le guérir.
Léandre jouoit quelque fois & perdoit
prefque toujours. Un foir il fut entraîné
chez un homme de la cour ; on lui propofa
une partie que beaucoup de gens
avoient refufée , parce qu'elle étoit trop
chère l'orgueilla lui fit accepter ; ce même
fentiment lui en fit continuer plufieurs
. Il perdit beaucoup , il fut bientôt
contraint de jouer fur la parole. L'efpoir
le conduifoit , il le trompa : il perdit une
très grofle fomme qu'il promit d'acquit
ter le lendemain. Il rentra chez lui pénétré
de honte & de chagrin . Dejà fa dépenfe
avoit de beaucoup excédé la fomme
que fon oncle lui avoit promife & qu'il
payoit avec exactitude. Cominent oferai
je avoir recours à cet oncle fibon , difoitit
en lui- même ; je n'ai que tropa de
fa tendre indulgence ? Je fuis bien infenfé.
Je vois des gens qui ne me fouffrent
que parce que ma fortune foutient leur
indigence ; je vis avec des femmes que
je méprife & que j'aime peu . Eh ! quoi !
le délire des fens , un fol orgueil peuMA
I. 1772. 23
vent- ils jamais me conduire au bonheur.
Jufqu'à préfent j'ai couru après une chimère
; je veux fuivre la vérité……. La vérité
à qui , dans mon coeur , je rends un
hommage fi pur. J'irai trouver demain
mon refpectable parent : je lui ferai l'aveu
de mes erreurs ; il veria mon retour à larai
fon & le defir que j'ai d'être utile à ma patrie
dans l'état de mes pères ... Dans l'état
de mes pères ! pourquoi non ? Ils ont mé
rité l'eftime de leurs concitoyens : & moi ,
que leur ai - je infpiré ? de la pitié & peutêtre
du mépris par mon petit orgueil ,
Après ces réflexions il chercha à trouver
du repos dans le fommeil , mais il n'y
trouva que de l'agitation.
Dès le matin il court chez fon oncle ,
fe jette à fes pieds , lui avoue fes fautes
avec cette candeur qui lui étoit naturelle
& que ce jufte appréciateur regardoit
comme un préfage affuré de fa conduite
à venir. Il le releve avec bonté, l'embraffe
tendrement , l'affure que fa fortune étoit
un bien dont il pouvoit difpofer & qu'il
ne l'eftimoit qu'autant qu'elle pouvoit
contribuer à fon bonheur . Léandre , plus
confus des bontés de fon oncle , qu'il ne
l'eût eté de fes reproches , retomba de
nouveau à fes pieds. Ah ! mon oncle
24 MERCURE DE FRANCE.
-
que je me fens coupable , que je me trouve
humilié d'avoir été jufqu'ici un homme
inutile. J'ai tout facrifié à la vanité ,
au defir de briller aux yeux d'illuftres fots.
Que je me fens changé ; vous ne reconnoîtrez
plus votre neveu . -Mon ami ,
moins de confiance en vous . -Mon oncle
, l'expérience , votre exemple , voili
de quoi me préferver dorénavant de retomber
dans les fautes qui excitent aujourd'hui
mes regrets . -Léandre , encore
une fois foiez moins confiant ; l'homme
le plus fage fe craint... Mais fije prenois
un état ? celui de mon père ? le vôtre
? l'habitude du travail éloigneroit de
moi ces idées de vanité qui m'ont perdu.
-Non non , Léandre , vous devez y renoncer
. Ce ton fimple , ce goût refpectable
pour les chofes utiles fe perd dans les
brillantes fociétés . Cherchez , dans les
autres états , celui qui pourroit vous convenir.
En attendant , prenez cette bourſe ,
acquittez la dette que vous avez contrac
tée. Si vous en croïez mon amitié , vous
ferez un plus digne ufage de votre argent
& vous vous éloignerez d'une fociété auffi
dangereufe pour voire fortune qu'elle l'eft
pour vos moeurs. Je la fuirai , je vous
le promets : je vous quitte , mon oncle ,
pénétré
----
MA I. 1772.
25
pénétré de la plus tendre reconnoiffance.
De retour chez lui , Léandre s'occupa
du nouvel état qu'il vouloit embraffer.
La fortune de fon oncle lui permettoit
d'afpirer à quelque chofe d'honnête . Cette
penſée reveilloit un fentiment de vanité
toujours prêt à renaître en lui . Il par.
couroit dans fon imagination les différens
états . Il s'arrêta au militaire : un plumet
fied fi bien la jeuneffe françoife aime
tant à s'en parer ! d'ailleurs il femble permettre
ce ton qu'avoit adopté Léandre.
Auffi faifit - il avec empreflement cette
première idée , d'autant mieux qu'elle le
mettoit à même de voir les gens dont il
aimoit la fociété , fans paroître la chercher.
Un moment de réflexion vint empoifonner
fa joie . Sa naiffance fembloit
mettre une barrière entre lui & cet état .
Le préjugé françois , affez peu raifonnable
, mais pourtant refpecté , le défoloit ;
il fallut de nouveau réfléchir. Enfin , il
crut avoir trouvé le moyen de contenter
fa vanité fans bleffer l'opinion. Il réfolut
d'acheter une charge qui tînt au militaire
& lui en donnât toutes les prérogatives.
Dès le jour fuivant, il retourna chez
fon parent & lui fit part de fes vues . L'oncle
, qui lifoit dans ce coeur foible, mais
B
26 MERCURE DE FRANCE:
excellent , fourit & lui promit de répondre
à fes defirs. En effet , peu de tems
après , il fut en poffeffion de ce bien fi
defiré; il fe crut au comble de fes voeux ,
devint amoureux d'une très - jolie femme
du monde , qui le trompa , fuivant l'uſage
; quoiqu'il s'y attendit , il en fut défefpéré
: alors fon dégoût contre les hommes
augmenta : il portoit dans la fociété
ce ton aigre & contrariant qui déplait fi
fouverainement . Néanmoins il continuoit
à mettre dans fa parure la recherche la
plus fcrupuleufe ; fans cefle il parloit des
grands qu'il voyoit ; il loucit fon cocher,
montroit fes bijoux , s'attriftoit & s'endettoit.
Enfin Léandre, né bon , fpirituel ,
inftruit , réfléchi même , devint à la fois
l'être le plus frivole & le plus mifantrope.
Un coup inattendu du fort acheva de
le plonger dans la plus noire mélancolie ,
dont l'amour feul put le tirer. Cet oncle
refpectable , à qui il devoit tant , mourut
dans l'inftant où il paroiffoit jouir de la
meilleure fanté , & , pour comble de
malheur , une banqueroute lui enleva en
même tems une fortune acquife par trenre
ans de foins . Léandre fembla devenir
ftupide à la nouvelle de la perte de fon
MAI. 1772. 27
7 bienfaiteur ; il fut prefqu'infenfible à celle
de fon bien. Elle étoit d'autant plus
dangereufe , cette douleur , qu'elle étoit
concentrée . Il réfolut de renoncer au mon.
de , ou du moins à fes amis qui s'envolent
avec le plaifir.
Ses créanciers le tourmentoient , il vendit
cette charge qui , quelque tems avant ,
fembloit devoir faire fon bonheur. De
l'argent qu'il en reçut il paya les plus obftinés
. Il avoit couru après tous les plaifirs
& n'avoit été content d'aucuns . Il trouvoit
un vuide extrême dans fon coeur , il
fe rappelloit avec indignation les noires
calomnies qui fe débitent dans ces cercles
1 nombreux où ondéchire impitoyablement
1.
e,
۔ں ی ہ
l'abfent & où l'encens le moins mérité
fe prodigue aux perfonnes préfentes . Son
efprit , nourri de celui de nos meilleurs
auteurs , ne pouvoit entendre fans ennui,
ces riens charmans , ces fadaifes agréa
bles auxquels les gens du bon ton mettent
tant d'importance . Cependant il étoit
quelque fois ramené à cette fociété fi dangereufe
pour lui . Pareffeux par caractère ,
enclin au dangereux penchant de briller,
il n'avoit ni la force de maîtriſer ce penchant
, ni celle de renoncer à la manière
dont il fe conduifoit .
Bij
28
MERCURE
DE FRANCE
.
On lui propofa une partie de campagne.
Léandre l'accepta avec une fatisfaction
qu'il n'avoit pas éprouvée depuis
long- tems . On étoit dans cette heureuſe
faifon où la nature laffe du repos commence
à fe développer , où les feuilles
naiffantes prêtent à la campagne cet air
frais & riant qui donnent aux yeux un
plaifir qui bientôt paffe à l'ame ; la tendre
verdure des gafons , les troupeaux bondiffans
qui la foulent , la gaîté naïve des
bergers , le chant des oifeaux , qui , par
d'agréables concerts , chantent l'amour &
le bonheur ; toutes ces beautés raffemblées
femblent faites pour la félicité du roi de la
nature . Léandre éprouva en quittant Pa
ris cette donce fatisfaction , cette joie pure
que cette ville ne procure pas ; ce coeur
flétri fembloit renaître & reprendre une
nouvelle vie ; l'admiration que lui infpiroient
les magnifiques ouvrages du créateur
le menoit tout naturellement à la reconnoiffance
que fes bienfaits font naître.
Il plaignoit les hommes , qui ne reconnoiffent
d'autre divinité que le vice , &
qui s'y livrent fans honte & fans remords,
Ĉes réfléxions , auffi fages qu'utiles , le
conduisirent au château de Dorimène ,
qui n'etoit éloigné de Paris que de fix à
M A I.. 1772 . 29
fept lieues. Sa Gtuation eft agréable ; la
vue en eft charmante ; la rivière baigne
fes murs , & tout annonce le bon goût de
la maîtreffe de la maiſon & fon opulence .
Dorimène avoit au moins dix luftres accomplis
; elle joignoit à la plus défagréa
ble figure des prétentions qui enlaidiffent
même les plus jeunes & les plus jolies
femmes. Dorimène , coquette plus que
furannée , fe félicitoit d'avoir pu raffembler
chez elle la fociété la mieux choisie .
Cette femme , telle que je viens de la dépeindre
, auroit plu peut- être en dépit de
fon âge & des plus vilains traits , i elle
en eût moins montré le defir ; elle avoit
un efprit orné des plus agréables connoiffances
, un difcernement jufte & des talens
rares . Les femmes qui formoient fa
fociété étoient aimables. Parmi elles fe
trouvoit la jeune Eliante. A peine fortie
du Couvent , elle étoit retournée
auprès d'une mère fpirituelle , mais févère
qui lui avoit donné de la vertu une
idée trop auftère , au lieu de la peindre ,
telle qu'elle eft réellement, douce & modefte
. La jeune perfonne , éclairée par fes
lumières naturelles , jugea que fa mère la
trompoit ou fe trompoit elle- même. Elle
étoit née gaie , & croyoit avec raifon que
B iij
30 MERCURE
DE FRANCE
.
l'innocence permettoit la gaîté & devoit
être de moitié dans le plaifir , pour qu'il fût
fans mêlange ; elle aimoit les livres qui
inftruifent , mais elle fe délaffoit des auteurs
graves par d'autres non moins inf
tructifs & plus amufans ; enfin fous l'apparence
du papillon le plus léger , fon caractère
promettoit , pour qui fe donnoit la
peine de l'approfondir , beaucoup de folidité
; fon extérieur étoit féduifant ; point
de régularité dans les traits , mais un enfemble
plein de graces ; l'oeil le plus fin
& en même tems le plus tendre ; toute la
fraîcheur de fon âge , une taille de nymphe
, de beaux cheveux ; enfin Eliante parut
à Léandre ce qu'elle étoit en effet.
Eliante éprouva la même impreflion ;
mais attentive à la cacher fans en bien
démêler la caufe , elle évita Léandre , affecta
une coquetterie qui n'étoit point
dans fon coeur. La mélancolie de celui ci
augmenta , & cette douce fatisfaction que
lui avoient infpirée les beautés de la campagne
, fit place au plus noir chagrin ; il
cherchoit les lieux les plus folitaires : là
il fe rappelloit la tendre amitié de Dorimont
, il pleuroit fa perte , fe confirmoir
de plus en plus dans la haine que les hommes
lui avoient fuggérée . Eliante ſe peiM.
A I. 1772.
31
ori
oit
für
au
al.
ap
ca.
li
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enfa
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pa-
ວາ
ien
int
di
7744
m.
oit
m.
mel
il
la
gnoit à fon coeur parée de tous fes charmes
, mais avec mille défauts . Quel malheur
, difoit- il , que le plus beau naturel
foit déja gâté par ces dangereux principes
que les femmes à la mode ont érigés en
loi . Eliante ! difoit- il en lui - même , ſi la
tendrelle la plus pure pouvoit vous toucher
! mais non : l'hommage de jeunes
fous , à qui votre jeuneffe arrache pour
quelques inftans des foupirs qu'ils porte-.
ront bientôt à des objets dignes de mépris
, amufe votre vanité : & mon refpectueux
filence, le langage muet d'un amour
que vous connoiffez, vous ennuie . En effet
, dans l'âge riant des plaifirs le véritable
amour est trop grave. D'ailleurs ,
qu'aurai jeà offrir à cet objet charmant ?
Un coeur flétri par la douleur , un efprit
aigri par les injuftices des hommes . Le
beau préfent à faire à qui mérite les adorations
de l'univers !
Tandis que Léandre s'affligeoit , la
jeune Eliante égarée dans le bois , avec une
perfonne de fon àge , appelloit à grands
cris le rêveur Léandre. Elle ne le vit pas
plutôt qu'affectant cet air de folie qui fervoit
de mafque au caractère le plus folide
, elle lui fit des reproches de ce qu'elle
& fa compagne le cherchoient depuis une
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
>
heure.On n'attend que vous , lui dit-elle ,
pour commencer le plus agréable concert.
Dorimène , dont vous connoiflez
les talens doit accompagner de fa harpe
Lucie & l'Abbé. Je me propofe auffi
de chanter. Venez Monfieur , venez
battre des mains à tout ceci ... Et
fans lui donner le tems de répondre , elles
l'entraînèrent par le bras & le firent entrer
dans la falle du concert . Il s'exécuta
avec tout l'agrément poffible ; Eliante
chanta ce duo & tendre & qui mérite tant
d'éloges de l'opéra d'Eglé : fes yeux rencontrèrent
un inſtant ceux de Léandre , &
la trahirent . Dès ce moment , fans le vouloir
, ils furent d'accord , leurs ames
n'en firent plus qu'une . Léandre alors devint
moins trifte , Eliante moins gaie.
Teleft le pouvoir de l'amour ; il change à
fon gré les caractères ; il fait plus , il renverfe
les états , les empires...
Deux mots de réfléxion . Si l'éducation
des femmes étoit moins négligée ; fi
elles étoient confiées à des mains plus habiles
; fi elles étoient moins occupées des
agrémens extérieurs , ces objets intéreffans
par leurs charmes feulement , le deviendroient
encore par leurs vertus , & rendroient
les hommes ce qu'ils devroient
MAI. 1772.
33
être , époux fidèles , pères tendres & vertueux
citoyens ; mais le sèxe a perdu fon
empire en voulant l'accroîtte .
Je reviens à nos deux amans. Leurs
yeux & leurs coeurs s'entendoient ; mais
la timide Eliante n'avoit pas encore prononcé
ce mot fi flatteur pour l'amant ,
trop fouvent funefte à l'amante : elle
cherchoit moins à voiler fes fentimens
qu'à découvrir ceux de Léandre . Celui - ci
partageoit fon tems entre le defir de lui
plaire , fa toilette & fa vanité. Sans ceffe
il nommoit ceux de fes parens dont l'état
& les alliances lui faifoient honneur,.
Il parloit devant Eliante des grands avec
lefquels il étoit bien ; le marquis un tel
étoit fon ami ; il avoit foupé avec le Duc
de...à la petite maifon , &c , &c , &c.
Elle remarquoit qu'il contrarioit fouvent
ceux avec qui il caufoit. Joueur fâcheux
, plus par vanité que par intérêt , ſes
défauts affligtoient Eliante , & ne la guériffoient
pas . Ils étoient balancés par tant
de qualités ! .. d'ailleurs , fa franchife , fa
fenfibilité l'intéreffoient ; ce ton noble
qui lui étoit naturel , cet efprit toujours
prompt à faifir le vrai , lui plaifoient ,Un
foir que les parties fe trouvèrent finies de
bonne heure, que le beau tems invitoit à
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
-
la promenade , chacun fe difperfa . Léan
dre & Fliante reftèrent feuls dans le falon
fans qu'ils s'y fuffent attendus. Un certain
embarras fe mêla au plaifir qu'ils
éprouvèrent ; ils gardèrent quelque tems
le filence . Léandre le rompit le premier ,
& regardant Eliante d'un air tendre & timide
, il lui dit : Je fais certes bon gré au
hazard de m'avoir fourni les moyens de
vous entretenir d'une manière plus particulière
: fans ceffe environnée d'une foule
d'adorateurs qui ofent vanter des charmes
dont mon coeur feul connoît le prix .
Moi , des adorateurs , reprit Eliante en
rougiffant , eh ! qu'en ferois- je ? -Eliante
! que cette rougeur qui colore vos joues
vous embellit encore à mes yeux ! C'eſt
bien moins à vos graces , quelque touchantes
qu'elles foient , qu'aux qualités
de votre ame qui paroiffent malgré vous ,
que j'ai à rendre les armes . Je révère cette
candeur fi rare dans votre sèxe ; mais ,
Eliante , vos vertus que ma fenfibilité a
fçu connoître, fe voilent fous un extérieur
qui vous fait mal juger. Pardonnez à la
franchife de l'amitié , à l'intérêt vif que
vous m'infpirez . Si l'amour doit marcher
fur vos pas , le refpect doit être fon guide.
Eliante étonnée autant qu'elle étoit ar
MAI. 1772. 35
tentive aux difcours de Léandre , n'eut
pas la force de lui répondre. Léandre
continua : Vous voyez ma fincérité , belle
Eliante , daignez pour un inftant m'imiter
; je voudrois fçavoir de quelle manière
vous me jugez. Je fens que mon extérieur
doit vous déplaire ; mais je fais
qu'Eliante joint aux rofes du printems les
fuits de l'automne. Ce n'eft point fous
cette écorce trompeufe que vous avez décidé
ce que j'étois. Dites- moi , je vous
prie , ce que vous penfez de mon coeur ,
comment vous jugez mon ame . Eliante
fut quelque tems fans répondre ; enfin
rompant le filence , elle lui dit. Puifque
vous l'exigez , Monfieur , je mettrai autant
de franchiſe dans mon procédé que
vous en avez mis dans le vôtre. J'entre à
peine dans le monde ; je n'ai pas eu le
tems de connoître les hommes ; par conféquent
je fuis un mauvais juge de ce
qu'ils font. Vous , Monfieur , dont l'extérieur
m'a paru différent de ceux qui
jufqu'ici fe font préfentés à mes yeux , j'ai
cherché d'où venoit cette différence , &
voilà ce qu'après un examen affez réfléchi
j'ai pensé de vous. J'eftime fort
votre ame , je la crois belle , incapable
de cette fauffété , de ces charmantes noir-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
ceurs de nos jeunes gens à la mode . Je
vous crois l'efprit auffi jufte qu'il eft cultivé
, mais j'imagine que le naturel le
plus heureux a été gâté par une éducation
dangereufe & par des fociétés plus dangereuſes
encore. Votre paffion eft le defir
de paroître ; vous rougiriez , je crois ,
d'être modefte ; cette manière de penf
& d'être doit naturellement vous faire
des ennemis , vous procurer peu de
plaifirs & vous donner beaucoup de peine.....
Hé bien ! Mademoifelle , achevez.....
Un fecond acte de fincérité d'où
dépend mon bonheur. S'il dépendoit de
vous de faire un choix , comment defireriez
vous que fût celui à qui vous accorderiez
votre main. A quoi tend cette
queftion ? reprend Eliante. A vous
connoître de plus en plus , à vous ad
mirer. Hé bien ! Je voudrois être
après la vertu la feule paffion de mon
mari. Je defirerois que tandis que fa femine
s'occuperoit du defir de le mériter , il
s'occupât du foin de fa gloire , qu'il la
cherchât , non dans la fociété des grands ,
non dans le fafte , mais dans fes actions.
Voilà le mari que je dois aimer , que
mon coeur chérit d'avance. Eliante ; fi
cet homme étoit un être corrigé par l'a-
-

MA I. 1772 . 37
chang
mour. Cela ne fe peut pas. Sage , pour
un inftant , bientôt il retomberoit dans
fes premières erreurs. Le naturel fe corrige-
t-il ? -Non , mais une mauvaiſe
éducation fe rectifie . Cet homme , autrefois
fi futile , ne fongeroit déformais
qu'à fe rendre digne de vous . - - Je voudrois
que cet homme quittât la capitale ;
il y a dans cette ville trop d'occafions de
rechûtes , -Hé bien ! il la quitteroit.Que
ne feroit-il pas pour vous mériter ?
Déterville , qui rentra dans cet inftant
, les empêcha de continuer . Eliante ,
reprenant fon ton de folie , fut le prendre
par la main , l'engagea de danfer une allemande
avec elle . Léandre demeura
long- tems enfeveli dans fes réfléxions .
Que ne peut pas la vertu , difoit - il , fous
les traits d'une femme aimable ! Qui
pourroit résister à tant de charmes réunis !
Enfin Léandre qui jufques - li n'avoit afpiré
à d'autre bien qu'à celui d'étaler un
fafte auquel fa fortune ne s'accordoit
& que fa naiffance rendoit ridicule ; ce
Léandre qui vouloit être remarqué & qui
ne l'étoit que par fes fautes , ne le fut
bientôt plus , grace à l'amour délicat ,
que par fon aménité , fa modeftie & fes
pas
38 MERCURE DE FRANCE.
vertus . L'aimable auteur des Moiffonneurs
a bien raifon de dire qu'un amour
délicat tient lieu de fageffe , & peut - être
eût-il pu dire qu'il eft la fagelle même .
Léandre obtint d'Eliante l'aveu de fa
tendrefle , & de fa mère la promeffe de
fa main. Il acheta dans la ville qu'elles
habitoient une charge qui lui donnoit
l'heureux avantage de fervir les malheureux.
Il la remplit avec honneur ; il devint
l'exemple de cette même ville , tandis
que fon amante en faifoit l'ornement.
Il oublia ces airs de hauteur qui lui avoient
fait des ennemis , & pendant les deux ans
d'épreuve qu'Eliante avoit exigés juſqu'au
moment où elle le rendroit heureux , il ne
ceffa point de fe montrer tel qu'elle le defiroit
. Enfin le moment de fon bonheur
arriva ; Eliante lui tint fa promeffe , elle
fut la plus heureufe des femmes , & Leandre
le plus heureux des maris .
Amour , amour ! ce font là de tes coups.
MA I. 1772. 39
VERS pour mettre au bas du portrait de
Mademoiselle Olivier de Chartres.
PAR ta candeur & ta décence ,
Que tes attraits font embellis!
Au fortir de l'adolefcence
Tu quittes les jeux & les ris ,
Et déjà les beaux arts font tes feuls favoris
Si ce goût fait briller tes graces ;
Qui pourra les dépeindre un jour ,
Lorsque le dieu qui fuit tes traces
T'enflammera d'un autre amour ?
Par M. Ragnet , R. G. des F. du Roi.
A une Dame un peu brune & boiteufe ,
qui avoit demandé à l'auteur une épigramme
contre elle.
Du noir Vulcain vous tenez la naiſſance , U
Certain air de famille exifte entre vous deux :
Comme lui vous traînez une jambe en cadence
Et portez fur vos traits affez forte nuance
De la couleur du forgeron des dieux.
Mais ne rougiffez pas de l'avouer pour père ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Agentille déefle on dit qu'il fut uni ;
Je le vois bien , &' la preuve en eft claire ,
Car à travers votre teint rembruni
On reconnoît les traits de votre mère.
Par M Lubert.
CLORIS , Hiftoriette.
CLORIS aimoit éperduement
Un jeune berger du village ,
Son coeur étoit à tout moment
Rempli de cette douce image ;
Elle le voyoit tous les jours ,
Depuis qu'il alloit à la treille
Avec la petite corteille ,
Paré des plus charmans atours :
Mais n'ofant s'offrir à fa vue
La pauvrette toute éperdue
Fuyoit en le lorgnant toujours ;
Elle cût voulu de fa tendreffe
Inftruire le jeune Colin ,
Mais un peu de délicateffe
La détournoit de ce deffein .
Un foir elle apperçoit Sylvie
Affife à l'ombre d'un tilleul ,
Elle laifle fon troupeau feul
MA I. 1772 . 41
Et va trouver la bonne amie :
A force de s'entretenir ,
Bientôt du beau berger Lyfandre
On difcourut avec plaifir ;
Qu'il t'aime , que fon ame eft tendre !
Dit Cloris avec un foupir :
Berger ne fut onc plus aimable.
Dis-moi par quel hafard heureux ,
Par quelle rencontre agréable.
Vous êtes- vous aimés tous deux ?
Ecoute , répondit Sylvie ,
Je ne fais , mais un beau matin
Je me trouvai toute endormic
Et je m'affis fous ce jafmin.
Je croyois l'endroit folitaire ,
Je m'endormis au bord de l'eau ;
Point du tout , avec fon
troupeau
Il y venoit pour l'ordinaire.
Voilà-t'il pas que le coquin
S'approche & me baiſe la main ;
Je m'éveille & d'un ton ſévère
Je lui dis d'être moins badin :
L'efprit occupé du jaſmin ,
42 MERCURE
DE FRANCE
.
Cloris dit bon foir à Sylvie.
Sous la treille le lendemain ,
Appercevant venir Colin ,
Bon Dieu , qu'elle fut endormie !
Par M. de Launey de Bayeux ,
étudiant en droit.
ODE à M. de la Harpe.
Combien les grands talens fervent à unir entre
eux les grands Hommes.
MUSE ,fur ton aîle rapide
Quel magique pouvoir m'a ravi dans les cieux ?
Sur les vents affervis quel effor intrépide
M'a transporté foudain loin des profanes yeux ?
Ma route dans les airs ne trouve point d'obftacles
.
Quels Pompeux & rians ſpectacles
Ont enchanté mon ame en fixant mes regards ?
Quel Dieu maître des coeurs de fon fouffle m'agite
?
Quel eft ce temple ? Qui l'habite?
Mufe , je reconnois l'olympe des beaux arts.
Quelle foule de Praxitèles
Confacrant les travaux à la poftérité ,
MA I. 1772.
43
Avec les Xénophons , les Linus , les Apèles
Partage l'ambroifie & l'immortalité ?
Aux pieds de ces rivaux , fous leur noble trophée
,
Je vois la difcorde étouffée.
Ace prodige heureux je confacre mes chants.
Embellis , Dieu des vers , les accords qu'il m'inf
pire !
C'eft à toi d'apprendre à ma lyre
A chanter les mortels unis par les talens .
O vous qui du fein des ténèbres
Elevez jufqu'aux
Dieux tant de héros divers , Talens , vous formez feuls ces unions célèbres , Qu'avec
reconnoiffance
admira l'univers.
Vous pouvez aux Denis lier les Ariftippes
,
Aux Alexandres
, les Lifippes ,
Aux enfans d'Apollon , les favoris de Mars ?
Rendre les Scipions protecteurs
des Luciles ,
Unir Mécène & les Virgiles ,
Lélius & Térence , Horace & les Céfars .
Quels monftres bideux & farouches
Déchirent les humains des traits les plus cruels ?
L'impofture en fureur met fon fiel dans leurs
bouches .
Ennemis des vertus , opprobre des mortels ,
Miniftres odieux des Noires Euménides ,
Fuyez , Archiloques
perfides ,
44
MERCURE DE FRANCE.
Zoïles abhorrés , infâmes Arétins.
Non , les mufes jamais ne furent vos complices 3
Vos Apollons c'étoient vos vices ;
Toujours les vrais talens ont uni les humains.
Paroiffez , pompeux fanctuaires * ,>
Où fur des bords heureux , par des noeuds folennels
,
Tous les arts raflemblés loin des regards vul
gaires ,
Uniffent noblement l'élite des mortels.
C'eft peu de nous offrir les Gallus , les Catulles ,
Les Pindares & les Tibulles ,
Renaiflans aujourd'hui pour orner nos climats.
Aux yeux de l'univers que vos archives s'ouvrent ;
Que tous les âges y découvrent
Les fujets confondus avec les potentats * .
Tyrans , liguez- vous tous enſemble ,
Et pour brifer les noeuds qui forment les talens ,
Transportez les mortels que leur charme raffemble
,
En des climats glacés , en des deſerts brûlans .
Vains efforts ! l'amitié volera fur leurs traces .
Dans l'exil & dans les difgraces ,
* Les Académies.
* Le Kzar Pierre , membre de l'académie des
Sciences.
MA I. 1772. 45
Jamais par le deftin ils ne feront vaincus .
A fes lâches fureurs que Clodius fe livre!
Rome verra foudain revivre
Orefte en Cicéron , Pilade en Atticus.
Un horrible bruit m'épouvante .
O ! combien de guerriers fur la pouffière épars ;
Victimes des fureurs de la Parque fanglante ,
Expirent fous les pieds de Bellone & de Mars :
Viens , mufe , ofe braver la terreur & les armes.
Sur l'Hidalpe , au fein des alarmes ,
Vois les talens vainqueurs honorer les vertus ;
Et le front couronné des palmes les plus belles ,
L'heureux triomphateur d'Arbelles
Chercher , combattre , vaincre & refpecter Porus ,
Mufe , reviens dans ma patrie ,
Contemple des objets plus chers & plus flatteurs .
Vois la fcience utile & le brillant génie ,
Dans le palais des Rois unis par les honneurs.
Les habitans des bords du Danube & de l'Ebre
Viennent dans ce temple célèbre
Qu'Armand fit élever à la gloire des lys ;
Et nouveaux citoyens , par des travaux infignes ;
Donnent des fpectacles bien dignes
Du fiécle fortuné d'Auguſte & de Louis .
Otoi , qui fur les pas d'Horace
Signalant les efforts de tes fameux talens ,
46 MERCURE DE FRANCE .
Au Lycée , au portique , à la cour , au parnaſſe ,
LA HARPE a fu former les noeuds les plus brillans ;
Tes veilles t'ont couvert d'une immortelle gloire.
Ton nom au temple de mémoire
Eft à jamais vainqueur de l'envie & du tems ;
C'eft un fort peu commun dans le fiécle où nous
fommes ;
Mais c'eft le fort de ces grands hommes ,
A qui ma jeune mufe a confacré ſes chants.
Par M. Gafpard de Pagès , avocat au
parlement de Navarre , à Plaisance
en Armagnac.
EPITRE envoyée de St Domingue , à
ma belle-mère ;
Des eaux de Banique * , 7
Janvier 1772 .
ENFANT de la trifteſſe & de l'oiſiveté ,
Ennui , pelant ennui ! de tes fombres nuages
Pourquoi couvrir les bords de ce nouveau Léthé?
* La ville de Banique ou Banica appartient aux
Efpagnols ; à deux ou trois lieues de cette ville
font les eaux minérales que l'on appelle caux de
Banique. Chriftophe Colomb les prit lofqu'ilfut
atteint du mal américain ficommun aujourd'hui
dans toutes les parties du monde.
MAI. 1772. 47
C'eft affez que privés des dons de la ſanté ,
La douleur de fes traits flétriflant nos viſages ,
De nos foyers , nous chafle en ces antres fauvages
!
Dans leurs palais brillans pourfuis les demidieux
!
Triomphe des rois même & des amans heureux !
Redoutable tyran , ce font- là tes conquêtes.
Pour nous , humbles vaincus , que t'importent nos
têtes ?
Mais ces funèbres lieux affervis fous ta loi
Ne connurent jamais d'autre maître que toi.
Tel eft l'arrêt du fort , que la nature avare
Nous fait payer les biens que fa main nous prépare.
Ici fon fein fécond en utiles métaux ,
En divife l'acide , en impregne les eaux ,
Et de la terre ouvrant les entrailles fumantes ,
En fait jaillir au loin ces ondes bouillonantes
Dont la chaleur agit fur nos fens épuilés
Et ranime par fois leurs organes ufés.
Mais les champs enrichis de ces caux falutaires
Nepréfentent par-tout que d'arides bruyeres ,
Des arbres dépouillés par la foudre frappés ,
D'infertiles vallons & des monts escarpés.
Là vous ne voyez point de ruifleau qui ferpente ;
C'eſt un torrent fougueux dont le bruit épous
vante.
48 MERCURE DE FRANCE.
Des finiftres oifeaux on entend les concerts ,
Et le fouffre en vapeurs s'exhale dans les airs.
Sur des rochers affis , la trifte hydropifie ,
L'aſthme , le rhumatiſme & la paralyfie
Aux cris de la colique uniffent leurs foupirs ,
Et s'accufent entre eux de l'abus des plaifirs.
La fièvre aux yeux hagards les obferve en filence
Du tropique brûlant maudiſſant l'influence.
Là , couvert de haillons , accablé de douleurs ,
Le pauvre le préſente & dévore fes pleurs .
Souvent à les côtés l'opulence murmure ;
L'or ne foulage pas les tourmens qu'elle endure.
Plus loin le repentir amène à pas tardifs ,
D'une infâme Vénus les esclaves lafcifs...
De ces infortunés la lamentable troupe
S'aflemble dès l'aurore , & dans la même coupe
Puife à longs traits l'efpoir d'un plus doux avenir.
Mais la mort nous attend où le mal doit finir.
Cruelle vérité ! mon ame en eft émue...
Sur ces objets hideux pourquoi fixer ma vue ?
De la jeunefle encor , les brillantes erreurs
Sur mes pas incertains peuvent fémer des fleurs :
Et puifqu'à l'Acheron je dérobe fa proie ,
Que la douce gaîté lur mes fens fe déploie !
O toi , dont l'amitié propice à mes defirs
Fixa dans ta maiſon mes goûts & mes plaifirs ,
Lorfque
MAI. 1772. 49
Lorfque nouveau colon d'une terre étrangère ,
Tu m'adoptas pour fils & te montras ma mère ,
Souffre qu'en ces délerts mon coeur reconnoilfant
Parle de tes bienfaits , & peigne ce qu'il fent !
C'eft à toi que je dois une époufe adorée
Sur fon penchant fecret par ton choix raſſurée.
Oui , ton eſtime ofa répondre de mes moeurs ,
Impoferà l'envie & braver les cenfeurs.
Depuis ce tems vois-tu ton amitié trahie ?
Et l'époux fortuné de ta fille chérie ,
S'il n'eût langui long- tems fur un lit de douleurs.
Se reprocheroit-il d'avoir caufé fes pleurs ?
O moitié de mon être ! en cet inftant terrible
Qu'à tes loins prodigués mon ame fut fenfible!
Ils furvivent encor à mes périls paflés ,
Sur res traits délicats l'amour les a tracés.
De mes maux partageant la douloureufe empreinte,
La pâleurde mon front fur le tien s'étoit peinte :
Et le lommeil déjà m'accordoit ſes pavots
Qu'à peine tu goûtois un inftant de repos.
Toi- même dormois- tu dans ces tems de triſteſſe ,
Tendre mère ? tes bras , appuis de ma foiblefie ,
D'une main mercenaire cloignoient les fecours ,
L'amour feul avoit droit de veiller fur mes jours.
Qu'il eft doux d'être aimé , de le voir , de l'entendre
C
.50
MERCURE DE FRANCE .
Et d'éprouver foi-même un fentiment fi tendre !
Heureux qui , comme moi , par les fiens entouré
Rencontre à chaque pas un objet adoré !
Sa maifon à fes yeux eft un lieu de délices ;
L'enjoûment , la franchiſe y tiennent leurs comices.
Survient- il un ami ? c'eft un tréfor de plus :
Les ennuyeux , les fots font les feuls fuperflus .
Convenons cependant que dans cette contrée
Les Maringuoins ( 1 ) par fois allongent la foirée,
Que par un air pefant on fe fent endormi
Et qu'on bâille à côté de fon meilleur ami ;
Ce n'eft pas tout. On fait que le plus doux mé
nage
Pour les feuls romanciers eft un jour fans nuage .
L'homme eft né pour connoître & les biens & les
maux ;
Ce mélange affortit fes vertus , fes défauts.
Ainfi , dans les plaifirs paflons - nous la journée ?
Demain nous fentirons le joug de l'hymenée .
D'un incident fâcheux la contrariété ,
Un inftant de langueur ou de vivacité
De la plus douce paix vont troubler l'harmonię.
(1 ) Maringouins : infectes ailés & piquans ,
connus en France fous le nom de coufins. Il y en
a beaucoup à St Domingue dans les lieux voifins
de la mer.
1
MA I. J772. St
Par un fouffle léger cette glace eft ternie.
Je carelle ma fille , & je fonge à fa dot ;
Soudain les yeux au Ciel , je rêve & ne dit mot!
En m'obfervant ainfi , tu vois fouvent , ma
mère ,
Les inégalités de l'époux & du père.
Sévère quelquefois pour tes petits - enfans ,
Je combats fans pitié leurs caprices naiſlans
Quand ta bonté facile à leur humeur le plie ,
Et de leurs volontés nourrit la fantaiſie :
Ou du docte Poitier ( 1 ) allongeant les leçons ,
Je gronde , & qui pis eft , retranche les bonbons.
Oui. Mais faut- il auffi que mon humeur chagrine
Gourmande les valets , cenfure la cuifine? ..
Hé ! comment foutenir , fans prendre un air
bourru ,
L'abord d'un créancier dont le terme eft échu ?
Il part : je vois entrer l'homicide C. • • (2)
( 1) Poitier , maître- ès- arts , écrivain juré , inf
tituteur de Mlle ***.
( 2 ) Č. . . , chirurgien . Il y a un hôpital
fur chaque habitation pour les négres malades ;
un chirurgien vifite cet hôpital trois fois par fe
maine avec le propriétaire ou l'économe de l'habitation
; il adminiftre aux malades les remèdes
qui leur font néceflaires.
C ij
52
MERCURE DE FRANCE.
Suivi de fluxions , de fièvres , de rougeoles :
Dit -il que tout va bien ? à coup fûr tout va mal ;
Il faut fans différer vifiter l'hôpital !
J'en fors : voilà T. ; ( 1 ) l'ennuyeux perſonnage
!

Que vient- il m'annoncer ? ab ! Monſieur... quel
orage !
Tour eft perdu... La fleur des cafés a coulé..
Hé bien foit. Plus , Monfieur Auguftin ( 2 ) volé ,
Alexandre eft marron.. ( 3 ) Ah ! je perds patience
,
Je maudis St Domingue & j'invoque la France.
( 1) M. T.
la place-à café de M. *** .
économe de
?
(2 ) Auguftin , Alexandre , noms d'efclaves.
(3 ) On appelle Négres marrons , dans les colonies
les Négres déferteurs ; il y a une police
les arrêter & les ramener très exacte établie
chez leurs maîtres .
pour
M A I. 1772. 53
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du fecond volume du mois d'Avril
1772 , eft la Cloche ; celui de la feconde
eft le Pommier ; celui de la troifième
eft bon jour , bon foir. Le mot du
premier logogryphe eft Poulet où fe trouvent
poulet (billet tendre ) poule , loupe ,
loupe (lunette ) loup , pou , pet ; celui du
fecond eft Poulie , où l'on trouve lie , plie,
pou, ou , poule ; celui du troiſième eft Brochet,
où font broc , broche , roche , Roch.
ENIGM E.
Jz puis dire , fans vanité ,
Que je fuis pour beaucoup de monde
De la plus grande utilité.
Mais , lecteur , à la vérité ,
Mon fidèle écuyer très- fouvent me feconde ,
Quand il a de la force & de la fermeté.
Haut fans orgueil , ou léger fans caprice ,
Ou hardi fans témérité ;
Ce qui , prefque toujours , chez l'homme annonce
un vice ,
Fait mon mérite & ma beauté .
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
Très- éclairé d'ailleurs ( car cette qualité
Pour l'ordinaire eft mon partage )
Je jouis du rare avantage
D'allier le brillant à la folidité.
Si quelquefois dans le modefte afyle
Où fe cache la pauvreté ,
Je parois rude, & difficile ,
Ce n'eft point par mépris ni par méchanceté.
Ou fid'épais voifins m'entourant de leur ombre ,
Chez des gens remplis de gaîté
L'on me voit ténébreux & fombre ;
Ce n'eft point par efprit de contrariété ;
Je céde , hélas ! à la néceffité.
D'un éloge fi magnifique
Voici le dernier trait qui vous fera cité;
Je ne fuis pas moins beau , pour être fort antique
.
Souvent j'unis encor , malgré ma vétufté ,
Noblefle , grace & propreté.
Par M. Gelhay.
AUTRE.
JE confifte en deux corps de pareille matière ,
Durs , blancs , polis , dont la forme diffère,
Le premier étant mince & long ,
4
MAI.
55 1772 .
Tandis que l'autre eft gros & rond.
Malgré ce contraſte bifarre ,
Je cefle d'être , alors qu'on les fépare.
Le premier eft encor remarquable en un point ,
Ses deux extrêmités ne fe reflemblent point;
L'une eſt évaſée , applatie ,
Et l'autre en pointe eft arrondie.
Je ne peux rien fans un moteur ;
Et le feul mérite que j'aie
Eft de pouvoir mettre en valeur
L'adrefle à bien viſer de celui qui m'effaie .
Par le même.
POUR
AUTRE.
OUR ton efprit , lecteur , ce n'eſt qu'un jeu
De deviner l'outil , garni d'un manche ,
Qui dans nul cas ne brûle ni ne tranche ,
Et cependant ne reffemble pas peu
Par la matière , à plus d'une arme blanche ,
Par autre chofe , à certaine arme à feu.
Par le même.
Civ
56
MERCURE
DE
FRANCE
.
LOGOGRYPHE.
Huis lettres compofent mon nom. UIT
Oncques ne fut un plus bruyant ménage ;
Le jour , la nuit je fais tapage ,
C'eſt un vacarme de démon ;
Auffi chacun fouffre , dit on ,
Et fuit de mon voisinage.
Ami lecteur , à cette image
Tu n'apperçois que mon extérieur ;
Car, renversant chez moi , pieds , mains , bras ,
tête & coeur ,
L'on trouve réuni fous un même aflemblage ,
Du bien l'ennemi déclaré ;
Ce fil dur , léger , qui du verre
Contre le bois , contre la pierre ,
Affure la fragilité ;
Des beautés du Perfan l'ennuyeuſe priſon ;
La voiture de Phaeton ;
Et la femme & le fils d'un fameux patriarche..
Est-ce tout ? non. Dans mes replis je cache
Le fatal inftrument de l'amour fuborneur ,
Ce poids qui , des métaux , fait fixer la valeur.
Ce lieu bannal où Jeanneton
Vient expofer en étalage
Et la citrouille & le melon ,
Et la laitue & le fromage ,
la volaille & le laitage
Del.
Sig
H
Andante
May.
1772. 94
Belle Th
A nos voeux tous
nos desirs
A
pire Cedons a n
tons mille plai
te :re Donnons
Anos plustendres v
voeux Qu'amour qu
1
1
1
(
MAI.
57 1772 .
Et la merluche & le faumon.
Je pourrois découvrir plus d'un autre avantage ;
Si tout lecteur étoit un Cicéron ;
Mais c'eft aflez l'ennuyer fur ce ton ,
Je n'en dirai pas davantage.
Par M. Candelon,
AUTRE.
Ja fuis ce qui n'eft pas encore , E
Et ne fuis plus quand on me voit.
Bientôt à la prochaine aurore ,
Quoique je meure , on m'apperçoit
Tonjours à l'inftant de renaître.
Lecteur , veux - tu mieux me connoître ?
Deux premiers de fix pieds ont fixé le hafard :
Le reste eft de toi -même une utile partie,
Qui fouvent garantit ta vie ,
Quand elle te fert avec art.
Je crois aflez me faire entendre.
Quoi ! tu ne me tiens pas ? dans ton lit va m'atten
dre :
Adieu : bon foir , caril eft tard.
Par M. de la Vente , peintre , de Vire.
Cv
53
MERCURE
DE
FRANCE
.
Sous trois
AUTRE.
ous trois noms différens , ma figure eſt la
mene ,
Sous l'un , de l'etat je fuis l'heureux emblème ,
Sous l'autre , un orateur fans moi feroit bien ſor ,
Et fans chef le dernier n'a qu'un rien pour fon
iot.
Par un Invalide de la garnifon
du château de Dax.
V
AUTRE.
EUX- TU que je dife mon nom ?
Si tú dis oui , je dirai non .
Es- tu content ! pas trop . Eh bien ! ſans tant paroître
Bientôt je me ferai connoitre.
Prends deux lettres dans l'alphabet ,
Fais en un mot de trois , voilà tout mon fecret.
Yeux-tu me retourner ? belle métamorphofe !
C'est toujours moi . Coupe mon chef, un mot,
Un petit mot te refte & qui dit mainte choſe ;
Mais très-fouvent , ce dit- on , c'eft un fot.
Par M. Refus.
MA I. 1772 , 59
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Phedon , ou entretiens fur la fpiritualité
& l'immortalité de l'ame . Par M. Mofès
Mendels - Sohn , Juif à Berlin , traduit
de l'Allemand , par M. Junker ,
de l'Académie des Belles- Lettres de
Goettingen , vol . in- 8 °. avec une gravure
. Prix 3 liv. 12 f. broché . A Paris
chez Saillant , libraire , rue St Jean de
Beauvais , & à Bayeux chez Lepelley,
libraire .
Cum in manu jam mortiferum illud teneret pocu
lum , ità locutus eft , ut non ad mortem trudi ,
verùm in coelum videretur afcendere.
Cic. Tufc. queſt. lib. 1 .
M. Mofès pour répandre plus d'inté
rêt dans ces entretiens introduit , à l'exemple
de Platon , Socrate fur la fcène , & ce
fage entouré de fes disciples les inftruit
des raifons qui ne nous permettent point
de douter de l'immortalité de l'ame.
M. Mofès avoue néanmoins qu'il a mis
dans la bouche de Socrate des raifons qui ,
felon l'état dans lequel étoit alors la Phi-
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
lofophie, ne pouvoient pas être connues.Il
a même nominé lesPhilofophes modernes
dont il les a empruntées en grande partie :
fon intention n'étoit donc pas de rien ôter
aux modernes de leur mérite touchant la
doctrine de l'immortalité de l'ame , & d'en
faire honneur aux anciens . En général fon
Socrate n'eft pas celui de l'Hiftoire . Celuici
vivoit dans Athènes au milieu d'une
nation qui ne s'étoit appliquée à la vraie
Philofophie que depuis peu de tems . Ni
la langue , ni l'esprit n'étoient encore formés
à la Philofophie. Socrate étoit disciple
de Philofophes qui étoient rarement
rentrés en eux- mêmes pour y méditer fur
Feffence & les propriétés de l'ame humaine.
La doctrine de la fpiritualité &
de l'immortalité devoit donc alors être
encore couverte d'une épaille obfcurité.
On voyoit briller dans le lointain quelques
vérités , fans connoître le chemin
qui y mène , ni la chaîne qui les lie. Socrate
ne pouvoit que diriger fixement fes
regards fur ces vérités ifolées , & s'en
fervir comme de guides dans la conduite.
de la vie . L'évidence des idées philofophiques
& leut liaifon font l'effet durems
& des efforts continués d'un certain
nombre de penfeurs qui confidèrent la
M A I.
Go
1772 .
vérité fous différens points de vue , &
qui par- là parviennent à la faire connoître
fous toutes les faces . ,
Les fublimes & confolantes vérités répandues
dans ces entretiens font bien ca
pables d'infpirer à l'homme le fentiment
du beau moral , & de le dérober en quelque
forte à la foule des objets qui l'environnent
, pour ne lui laiffer envifager
que les deffeins du fouverain Créateur
fur lui. L'auteur après avoir dans fon
troifiéme & dernier entretien confideré
la vie humaine comme un premier inftant
de notre durée , nous fait voir que
cet inftant même nous a été donné comme
un premier pas pour arriver à la perfection
pour laquelle la Divinité nous a
deftinée. « Depuis l'homme le plus igno-

rant , dit M. Mofès , jusqu'au plus par-
» fait des esprits créés , tous ont une de-
» ftination digne de la fageffe divine ,
» & toujours proportionnée aux forces &
aux facultés qu'ils ont de travailler à
leur perfection & à celle des autres .
» Ce chemin leur eft tracé , & la volon-.
» té la plus perverfe eft , en quelque ma-
» nière , forcée de le parcourir . Tous les
» êtres penfans ne peuvent fe dispenfer
» d'exercer leurs facultés intellectuelles
62 MERCURE DE FRANCE.
"
"
ود
» de les développer de plus en plus , &
par conféquent de tendre avec diffé-
» rent fuccès à la perfection . Mais arri-
» vent- ils enfin à ce terme fi defiré ? On
» peut dire qu'ils n'y arrivent jamais fi
parfaitement qu'ils ne puiffent toujours
» faire des progrès ultérieurs . Il eft inpoffible
que des fubftances créées at
teignent à une perfection infinie. A
mefure qu'elles montent , elles apper
çoivent des lointains qui aiguillon-
» nent leurs pas. Le terme de cet effort
» confifte , comme l'effence du tems ,
» dans la progreffion . Par de continuels
» efforts pour reffembler à la Divinité ,
» on s'approche infenfiblement de fes
» perfections , & c'eſt dans cette approxi-
» mation que confifte la félicité des esprits
; mais le chemin qui y conduit
» eft infini , & les êtres créés ne peuvent
jamais en atteindre le terme , & c'eft
» la raifon pourquoi nos efforts dans la
vie ne connoiflent point de bornes.
Chacun de nos defirs fe perd en quel-
» que manière dans l'infini . Notre envie
» de favoir eft illimitée ; notre ambition
» eft infatiable ; même la baffe avarice
" nous inquiéte & nous tourmente fans
pouvoir être jamais fatisfaite ; le fenti-
"
19
MA I. 1772 . 63
"3
"
» ment du beau s'étend à l'infini ; le fu-
» blime nous ravit & nous attire par fon
immenfe élévation ; la volupté nous
dégoûte dès qu'elle touche aux limites
» de la fatiété. Par- tout où nous voyons
» des bornes qu'il n'eft pas poffible de
» franchir , notre imagination fe fent
» comme enchaînée , & les cieux même
» femblent refferrer notre exiſtence dans
» des espaces trop étroits. Voilà pourquoi
nous aimons tant à laiffer un libre
» cours à notre imagination & à reculer
» à l'infini les bornes de l'espace . Ces ef-
» forts toujours renouvellés , & dont nous
» plaçons le but toujours plus loin , font
proportionnés à l'effence , aux propriétés
& à la deftination des esprits ; &
les merveilleux ouvrages de l'infini
préfentent des objets d'une affez vafte
» étendue pour aiguillonner éternelle-
» ment nos defirs. Plus noùs pénétrons
» dans leurs myſtères , & plus il s'ouvre
»
"
"
و د
à nos regards avides des perfpectives
» immenſes ; plus nous approfondiffors ,
» & plus nous trouvons à approfondir ;
plus nous jouiffons & plus la fource
de nos plaifis devient inépuifable. »
"
Le fage Interlocuteur eft donc bien
fondé à conclure d'après cette tendance
64 MERCURE DE FRANCE.
*
irréfiftible des êtres raisonnables à un
état plus parfait , que leur perfection eft
la fin fuprême de la création . Cet immenfe
univers n'a même été produit
qu'afin qu'il y ait des êtres raisonnables
qui puffent s'élever de degré en degré ,
croître peu à peu en perfection , & trouver
dans cet accroiffement leur félicité.
Or que tous ces êtres enfemble s'arrêtent
au milieu de leur courfe , que non - feadement
ils s'arrêtent , mais qu'ils foient
tout- à- coup repouffés dans l'abîme , &
qu'ils perdent tout le fruit de leurs efforts
: c'eft ce qui ne peut jamais être entré
dans le plan de cet univers que le
Créateur a préféré à tout autre . Comme
êtres fimples , ils font indeſtructibles ;
comme fubftances dont l'exiſtence eft
indépendante des autres êtres créés , leurs
perfections doivent être de durée , &
avoir des fuites infinies ; comme êtres ,
raifonnables , ils font de continuels efforts
pour croître en perfection , & la
nature , pour cette progreffion fans fin ,
leur offre d'affez fublimes attraits ; &
comme fin fuprême de la création , ils
ne peuvent être fubordonnés à d'autres
fins , ni par conféquent être arrêtés dans
la progreffion ou dans la poffeffion de
MAI. 1772 . 65
leurs perfections. Convient- il à la Sageffe
fuprême de produire un monde pour y
faire la félicité des esprits qu'elle y place
, en les rendant capables d'admirer fes
merveilles & l'inftant après les priver
à jamais de cette même félicité ? Convient-
il à la Sageffe divine de faire un
fantôme de bonheur , qui revient & fe
perd toujours , le dernier but de fes merveilles?
Ce ne peut être en vain , ô
» mes amis , s'écrie ici le fage Interlo-
» cuteur , que l'Auteur de la nature nous
» a imprimé le defir d'une félicité éter-
» nelle . Ce defir peut être fatisfait & il
» le fera. Le deffein de la création ne
» fubfiftera pas moins long tems que les
» chofes créées . Les admirateurs des per-
» fections divines fubfifteront auffi long-
» tems que l'ouvrage où ces perfections
» font vifibles. De même que fur la terre
nous rempliffons les vues de l'Etre fuprême
, en développant nos facultés
intellectuelles , nous continuerons de
» même fous la garde de la Providence
divine dans l'autre vie , de nous exercer
à la vertu , de nous perfectionner ,
» & de nous rendre fans ceffe plus pro-
» pres à remplir les vues de la Divini-
» té , dont la férie , en partant de nous ,
s'étend à l'infini. »
»
..
66 MERCURE DE FRANCE.
Parmi les preuves que M. Mofès emploie
dans fes entretiens pour nous convaincre
de l'immortalité de l'ame , le
lecteur attentif fera fur- tout frappé des
railons que notre Philofophe tire de l'accord
des vérités morales . La méthode
Socratique qu'il a fuivie l'a obligé de
n'employer ces fortes de preuves que
comme des raifons perfuafives ; ces raifons
néanmoins font fusceptibles d'être
démontrées felon toute la rigueur de la
Logique.
Ces entretiens font précédés d'un abré.
gé de la vie du Philofophe qui y fait le
principal perfonnage. M. Mofès a fuivi.
T'hiftoire que nous en a donné un Anglois,
M. Cooper, fans néanmoins négliger
de confulter les fources. La conduite.
du Philofophe Athénien qui nous eft ici
tracée , peut fervir de leçon à ces Ecrivains
qui fe croient appelés par la Providence
pour réformer les abus & dé
truire les erreurs. Socrate avoit pour
maxime qu'une doctrine ou une opinion.
qui conduit manifeftement au libertinage
, & qui eft par conféquent contraire
au bonheur du genre humain , ne doit pas
être épargnée , & qu'il eft permis de la
combattre , de la ridiculifer & d'en monM
A I. 1772. 67
trer les conféquences abfurdes & funeftes
publiquement , en préſence des hypocrides
fophiftes & du petit peuple. De
>
cette espèce étoient les dogmes des fabuliftes
touchant les foibleffes , les injutices
& les paffions honteufes qu'ils attribuoient
à leurs dieux . Sur de pareilles
affertions , ainfi que fur les idées erronées
de la Providence , fur celles qu'on
doit avoir d'un Dieu remunerateur &
vengeur , il n'étoit jamais réfervé , jamais
incertain , pas même en apparence , mais
toujours déterminé à foutenir la caufe
de la vérité avec un courage héroïque
& comme l'événement l'a fair voir , à
fceller fa confeffion par fa mort. Mais
une doctrine qui n'étoit que théoriquement
fauffe & qui ne pouvoit nuire aux
moeurs , étoit rarement l'objet de fes attaques.
Au contraire il profeffoit publiquement
l'opinion dominante , il obfervoit
les cérémonies & les ufages qu'elle
autorifoit , & il évitoit toutes les occafions
qui auroient pu donner lieu à une
explication catégorique . Et fi malgré fa
grande circonfpection il ne pouvoit fe
dispenfer de répondre , il avoit une reffource
qui ne lui manquoit jamais : il
prétextoit fon ignorance.
68 MERCURE DE FRANCE.
L'accueil que les gens de lettres ne
manqueront pas de faire à ce premier
ouvrage de M. Mofès , engagera fans
doute fon traducteur à publier les fuivans
également recommandables par les
connoiffances qui y font répandues , &
que le Philofophe Juif a fu rendre inté
reffantes par la netteté & la juftelle des
idées , la nobleffe & la fimplicité du
ftyle.
Lettres de M. l'Abbé *** , Ex- profeffeur
en Hébrea en l'Univerfité de *** au
feur Kennicott , Anglois , de la Seciété
royale de Londres , & affocié au
collége d'Exeter en l'Univerfité d'Oxford
. A Rome , & fe trouvent à Paris
chez de Hanfy , libraire , Pont au
Change, de la Wacque , rue des Amandiers
, Crapart , rue Vaugirard , in 8°.
On doit fe rappeler ici que M. Kennicott
a publié le Profpectus d'une nouvelle
édition de la Bible hébraïque . C'eſt
ce projet que l'on discute dans ces lettres.
Cette controverfe n'intéreffera vraifemblablement
que quelques Docteurs Hébraïfans
qui en admettant plufieurs
points de cette discuffion critique , pour.
ront defirer que M. l'Abbé de *** eût
MA I. 1772 . 69
mis moins d'amertume dans fes obfervations.
Campagnes de M. le maréchal de Maillebois
en Italie , mifes en ordre par M. le
marquis de Pezay , meftre - de camp de
dragons , aide- maréchal général des
logis des camps & armées du Roi .
que
Le choix & la quantité de matériaux
le rédacteur a eu à confulter , rendent
cet ouvrage militaire le plus complet
& le plus précieux qui ait encore
paru .
Tous ces matériaux ont été puifés dans
les porte- feuilles de M. le comte de
Maillebois , fils du maréchal . Les confeils
de ce Militaire éclairé , ont ajouté
un nouveau prix aux mémoires qu'il a
permis de confulter pour la gloire de fon
père.
L'ouvrage eft divifé en cinq parties.
La traduction de Bonamici & les notes ,
dans lesquels on réfute les faits dénaturés
par lui , forment la première .
La feconde partie renferme un journal
très- détaillé des campagnes de 1745 &
& 1746 , en Italie . Il eft précédé & fuivi
d'un tableau général de la guerre de
1741.
70 MERCURE DE FRANCE .
La plupart des pièces d'après lesquelles
ce journal a été formé & Bonamici
réfuté , compofe la troifiéme partie , fous
le titre de Pièces juftificatives.
La quatrième partie contient un Index
géographique confidérable , relatif aux
campagnes dont on rend compte dans
cet ouvrage . On y trouve les détails les
plus intéreffans fur la force des places de
guerre , fur la capacité des fleuves & de
plufieurs ruiffeaux , fur les époques les
plus marquées de leurs débordemens ,
fur la nature de leurs lits & du terrein
qui les avoifine , fur les points les plus
favorables qu'ils préfentent pour la jetée
des ponts , & fur les points particuliers
où des ponts ont été conftruits dans les
différentes guerres , &c.
Un volume in folio de planches , gravées
d'après des plans levés fur les lieux ,
forme enfin la cinquième partie , & une
des plus précieufes de l'ouvrage .
Les champs de bataille , les camps ,
les marches & les fiéges des campagnes
de 1745 & 1746 , fe trouvent dans ce
volume avec une carte très - exacte de tout
le théâtre de la guerre . Ainfi le lecteur ,
tranfporté à chaque pas fur le terrein
même de l'action , peut , par le double
MA I. 71 1772 .
fecours des plans & du récit , fuivre ,
analyſer , s'inftruire & juger.
On trouve à la fin de ces mémoires
une lifte complette de tous les officiers
tués ou bleffés dans ces campagnes.
Conditions.
Le total de l'ouvrage formera trois
volumes ; deux de fept à huit cens pages
in 4°. chacun , & un volume de planches.
Le prix de la foufcription fera de quatre-
vingt-feize livres , dont foixante ſeront
payées en fouscrivant , & le refte en
retirant l'ouvrage . La foufcription fera
fermée le 1. Septembre de la préfente
anné 1772. Le prix de l'ouvrage , pour
ceux qui n'auront point foufcrit , fera de
cent quarante- quatre liv,
On foufcrira à Paris chez Delalain
Libraire , rue & à côté de la Comédie
françoife. L'ouvrage fe diftribuera chez
lui au mois de Mai 1773.
Les quittances de foufcription feront
fignées de M. Beljambe , ingénieur géographe.
Les perfonnes de province & les
étrangers s'adrefferont à lui , rue de Traverfe
, barrière de Séves ; ils font priés
72 MERCURE DE FRANCE .
d'affranchir le port de leurs lettres & de
leur argent.
La lifte des Soufcripteurs fera placée
à la fin du dernier volume .
Le caractère , ainfi que le papier de
l'ouvrage, qui eft imprimé au Louvre par
permiffion du Roi , font très beaux .
On peut dès -à- préfent examiner chez
Delalain , les épreuves des plans déjà gravés
, & presque tout le premier volume
imprimé.
Sur l'aviliffement de la Milice Françoife.
Brochure in- 12 . au Champ de Mars ,
& fe trouve à Paris , chez Mufier fils ,
libraire , quai des Auguftins.
Cet écrit ne peut avoir été dicté que
par un bon Citoyen , un Patriote zélé &
un brave Militaire , qui connoît tout le
pouvoir de l'honneur fur des guerriers
dévoués par état au fervice du Prince &
de la Patrie , & principalement fur des
guerriers François. On peut fe rappeler
ici ce mot d'un foldat qui fervoit fous le
Maréchal de Saxe . On lui demandoit de
quel pays il étoit ? J'ai l'honneur , répondit-
il , d'être François . Mais fi la nation
ne contribue point par fon eftime pour le
foldat
MAI. 1772. 73
foldat à entretenir chez lui cette fenfibilité
pour l'honneur , fi au contraire elle
le retient dans une espèce d'avilillement,
il en résultera qu'au lieu d'un defenfeur
elle n'aura qu'un esclave toujours dispofé
à facrifier fes devoirs à fes intérêts.
L'auteur dans ce même écrit cherche
l'origine de cette espèce d'aviliffement
où est tombé la Milice en France ; & il
n'a point de peine à trouver cette origine
dans la conduite même de nos anciens
Gentilshommes , qui regardoient ceux
qu'ils avoient enrôlés fous leurs drapeaux
comme des fatellites à leurs gages . Ces
fatellites , après avoir mal fervi leurs
maîtres pendant la guerre , fe faifoient
ún jeu de ravager le royaume durant la
paix , & lui devencient fouvent plus à
charge que les ennemis de l'état . Les
gens de guerre fans frein & fans discipline
reflembloient presque tous à ce fameux
brigand , nommé Aimerigot tête
noire , qui poffedoit plufieurs châteaux
dans le Limoufin & l'Auvergne. On rap-
= porte cette claufe de fon teftament qui
= peut fervir à le faire connoître : « Je

laiffe , dit- il , à la Chapelle S. George
» 1500 francs : item à ma mie qui loya-
» lement m'a fervi 2500 francs ; & le
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ور
furplus à mes officiers . Vous êtes compagnons
, leur dit il , & devez être
freres. Partagez entre vous tout belle-
» ment ; & fi vous ne pouvez être d'ac-
» cord & que le diable fe mêle entre
» vous , voyez - là une hache bonne , forte
» & bien tranchante , coupez l'arche ( le
coffre fort ) & puis en ait qui en avoir
» pourra. On peut croire que celui qui
parloit ainfi dans les tranfes de la mort
ne devoit pas, ayant les armes à la main ,
confulter beaucoup les loix de la jufticę
& de l'humanité.
»
Mais la discipline qui regne aujourd'hui
dans la Milice , la douceur & la
bienveillance de l'officier pour les foldats
foumis à fes ordres ; ces paroles
même de Louis XIV qui , informé des
violences dont on ufoit pour les enrôlemens
, déclara qu'il vouloit être fervi
par des foldats & non par des esclaves i
tout nous porte aujourd'hui à regarder
les foldats comme des fujets libres , des
citoyens fenfibles à la gloire de défendre
leur Patrie , comme des guerriers enfin
fur qui les honneurs & les diftinctions
feront toujours plus d'impreffion que les
châtimens . Ne refufons donc point , &
c'eft le voeu de l'auteur de cet écrit , au
MA I. 1772.
75
moindre militaire la portion d'eftime,
qu'il mérite & qui eft fi capable d'élever
le coeur du François , de l'encourager
dans la pratique de fes devoirs , & de
l'empêcher de rien faire qui puiffe déshonorer
la patrie.
Mémoires pour fervir à l'hiftoire eccléfiaftique
, civile & militaire , de la province
de Vermandois , par M. Louis-
Paul Colliette , doyen du doyenné de
Saint Quentin , curé de Gricourt dans
la même chretienté , & chapelain de
l'églife royale de faint Quentin ; tome
premier , in - 4°. A Cambrai , chez Samuel
Berthoud ; & à Paris , chez Saillant
& Nyon , rue St Jean de Beauvais
.
On ne doit point perdre de vue, en lifant
cet ouvrage que l'auteur ne te donneque
comme un recueil de mémoires qui
pourront être de quelqu'utilité à ceux qui
voudront travailler à une hiftoire particulière
du Vermandois. Ces Mémoires
contiennent bien des recherches , plufieurs
faits historiques difcutés quelquefois avec
une forte de prolixité que l'on
l'on peut
rer dans des recueils de la nature de celui
tolé-
1
D ij
MERCURE de France .
ci ; mais que les hiftoriens du Vermandois
feront fagement d'éviter, On pardonnera
peut- être moins à l'auteur de s'être
quelquefois écarté de cette noble fimplicité
dans laquelle doivent être préſenrés
des mémoires & des differtations où
l'on ne fe propofe d'autre objet que de
faire connoître la vérité.
La condition actuelle de l'acquifition
de ces Mémoires qui auront trois volumes
in 4º , eft de payer quinze livres en
retirant le tome premier en feuilles . Le
rome fecond paroîtra dans le courant de
Juin 1772 , & on donnera douze livres.
Letroifiéme & dernier volume fera délivré
gratuitement aux foufcripteurs dans
le courant de Décembre de la même année.
L'Esprit des Journalistes de Trévoux , ou
morceaux précieux de littérature répandus
dans les mémoires pour l'hiftoire
des fciences & des beaux arts , depuis
leur origine en 1701jufqu'en 1762 ,
contenant ce qu'il y a de plus neuf & de
plus curieux,foit pour les ouvrages done
ces littérateurs ont rendu compte , foit
pour les réfléxions judicieufes qui fervent
de préliminaire à leurs analyfes ,
M A I. 1772 . 77
4 volumes in- 12 . A Paris chez de
Hanfy le jeune , Libraire , rue S. Jacques
, près les Mathurins.
Ce recueil peut fervir , en quelque
forte , de table raiſonnée aux Mémoires
de Trévoux , & tenir lieu de ces Mémoires
à ceux qui ne les ont point, ou regar
deroient comme trop pénible , vu la multitude
des volumes qui peuvent fe monter
à huit cens , d'y faire des recherches .
C'est une efpèce de bibliothèque portative
où les matières font rangées par
claffes . Comme les réfléxions qu'elle préfente
font pour la plupart paifées dans
les ouvrages mêmes dont ces mémoires
donnent l'extrait , on pourroit peut-être
regarder cette collection plutôt comme
l'efprit du journal que comme celui des
journalistes. Ce n'eft pas cependant que
l'on ne puiffe retrouver dans la plupart
de ces extraits ou de ces morceaux de littérature
lateinte d'efprit de celui qui les
a écrits . Plufieurs fe font remarquer par
une métaphysique fine & déliée , ou par
l'efprit de logique qui y regne ; d'autres
morceaux intérefferont plus particulièrement
le lecteur par des traits d'érudition
femés à propos , ou par les graces d'un ef-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
prit nourri de la lecture des auteurs de
l'antiquité. Si l'éditeur n'avoit point appréhendé
de trop multiplier les volumes,
il auroit pu rendre fon recueil encore plus
intéreffant en rapportant plufieurs traits
hiftoriques ou différens faits particuliers ,
relatifs aux fciences & aux arts , & qui
ont donné lieu aux réfléxions du Journalifte.
Ces faits d'ailleurs parlant à l'imagination
, ne pouvoient que contribuer à
réveiller l'attention du lecteur , & lui dérober
une partie de l'ennui ou de la laffitude
que l'on éprouve toujours à la lecture
d'une fuite de réfléxions ou de penfées
fur des objets fouvent rebattus .
On diftribue à la même adreffe une
nouvelle édition de l'hiftoire de Pierre
Terrail , dit le Chevalier Bayard , fans
Peur & fans Reproche. Par M. Guyard
de Berville . volume in - 12.
Obfervationsfur les ufages des Provinces
de Breffe , Bugey , Valromey & Gex ,
& fur plufieurs matières féodales &
autres , tant pour le pays de droit écrit
que pour les pays coutumiers M.
par
Perret , avocat au parlement , confeiller
du roi , premier juge garde de la
monnoie de Dijon , de l'académie des
MA I. 1772: 79
fciences , arts & belles lettres de la
même ville. Tome premier in -4°. A
Dijon chez Louis Nicolas Frantin ,
Imprimeur , rue S. Etienne .
·
>
Il ne paroît encore que le premier volume
de cet ouvrage utile par les lumières
qu'il repand fur les ufages non écrits &
très-obfcurs des pays de Breffe , Bugey
Valromey & Gex. L'auteur a difcuté les
arrêts rendus pour interprêter plufieurs de
ces ufages locaux , & a fait des recherches
fur l'ancien droit féodal & fur les
changemens qu'il a éprouvés . Cet ouvra
ge , fruit d'une étude fuivie , contient de
plus une analyſe de différens titres des
Seigneurs de la Breffe & du Bugey , & un
précis de plufieurs enquêtes & de divers
actes de notoriétés fur les droits qui y
font établis.
Mémoire hiftorique & critique fur la Topographie
de Paris. On y fait la critique
de l'emplacement de l'ancien hôtel de
Soiffons par M. Terraffon , & de fa
differtation fur l'enceinte de la ville
par Philippe Augufte . On y prouve
que l'hôtel de Soiffons a été conftruit
fur le domaine de l'abbaye de Saint
Germain - l'Auxerrois ; que ce domaine
-
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
formoit un bénéfice régalien qui n'a
point été uni à l'Evêché de Paris , &
qui n'a pu produire une cenfive féodale
ou inféodée ; que cet hôtel comme
maifon feigneuriale & royale ,
comme fief- lige de la couronne , comme
terrein des foffés & remparts , n'a
pu être affujeti à une cenfive féodale ;
qu'enfin la prétendue poffeffion de M.
l'Archevêque eft vicieufe à tous égards.
vol . in- 4 ° .A Paris de l'imprimerie de
Lottin aîné , rue S. Jacques.
Ce Mémoire qui eft de M. Bouquet
bibliothécaire & hiftoriographe de la ville
de Paris , contient beaucoup de recherches.
L'auteur y difcute en quoi confifte
l'ancien domaine de l'évêché de Paris
dans la ville & banlieue de cette capitale
; & ficelui de Saint Germain-l'Auxer
rois , dans l'étendue duquel l'hôtel de
Nofle a été conftruit , en a fait ou dû faire
partie .
2º. Quelle étoit la qualité de ce domaine
, & s'il a pu produire une cenfive
féodale ou inféodée .
3 ° . Si l'hôtel de Nefle , acquis par nos
rois , eft devenu royal & domanial , &
enfuite fief- lige & de dignité , par fon
incorporation au Comté de Maulévrier.
M A I. 1772. 81
4°. Si l'hôtel de Soiffons , dans fon
dernier état s'eft agrandi fur le terrein de
l'enceinte faite fous le roi Philippe - Augufte
, fur les chemins de ronde , murs ,
foffés & remparts . Ce mémoire eſt appuyé
de pièces justificatives qui pourront
fervir à réformer plufieurs erreurs de nos
hiftoriens fur la topographie & les antiquités
de Paris.
Supplément au Roman comique ou Mé
moires pourfervir à la vie de Jean Monnet
, ci -devant directeur de l'Opéra
comique à Paris , de l'Opéra de Lyon,
& d'une Comédie Françoife à Londres
, écrits par lui-même. 2 vol . in-12
brochés , avec le portrait de l'auteur.
Prix liv. rel S . A Londres & le trouve
à Paris chez l'auteur , rue de Clery ,
près la rue St Philippe , & chez les li
braires qui vendent les nouveautés.
Le titre de Mémoires que l'auteur a donné
à fon ouvrage , & le peu de prétention
qu'il attache à cet écrit , doit lui mériter
l'indulgence de cette claffe de lecteurs qui
cherchent principalement dans ces fortes
de livres de petits faits propres à nourrir
leur malignité , ou à fatisfaire une curio
Dv
$2 MERCURE
DE FRANCE
.
fité paflagere fur des objets qui les ont
autrefois occupés . Si M. Monnet nous
donne fes Mémoires comme un fupplément
au Roman comique , ce n'eft pas
qu'il prétende approcher du ftyle vif ,
naïf & enjoué de Scarron . C'eft fans
doute parce qu'il a penfé que fes Mémoires
pourroient ainfi que le Roman
comique nous faire connoître particuliérement
les moeurs , les ufages , & même
le coſtume de la gente comique & nous
mettre au fait du tripot de notre ancien
Opéra-comique . Nous croyons fur- tout
qu'on lira avec une forte d'intérêt le détail
que l'auteur nous donne de fes tentatives
pour établir en 1749 un fpectacle
de Comédie françoife à Londres . Ce dé.
tail hiftorique qu'il faut voir dans les
Mémoires mêmes eft raconté gaîment
& avec une forte de franchife qui fait
plaifir. M. Monnet a profité de fon féjour
à Londres pour nous donner quelques
inftructions fur les fpectacles de
cette capitale , & pour nous faire connoître
particuliérement l'Ariftophane Anglois
, nom que l'on a donné à M. Foot ,
directeur d'un théâtre placé au centre de
la ville . Ce directeur né avec de l'esprit
de la fortune & une gaîté rare parmi les
M A I. 1772 . 83
Anglois , fait & joue lui même fes piéces.
Il a le talent fingulier de rendre
très-naturellement les défauts , les vices ,
les caractères , le fon même de la voix ,
& les geftes de ceux qu'il veut ridiculifer.
Il a joué fur fon théâtre plufieurs
perfonnages de la nation , & c'eft de- là
qu'il a été nommé l'Ariftophane Anglois .
Ses recherches fur tous les originaux qui
peuvent lui être de quelque ufage , ont
produit quelques aventures affez plaifantes.
M. Monnet rapporte celle - ci . Un
des amis de Foot lui dit un jour qu'il y
avoit dans la cité un Apothicaite fort ri
che,mais tout contrefait & rempli de tics ,
dont il pouvoit tirer un grand parti pour
fon théâtre. Foot profita de l'avis & fe rendit
chez l'Apothicaire , qui ne le connoifoit
vraisemblablement que de réputation
, fous prétexte de faire emplette
de différentes drogues. Il eut tout le tems
d'examiner fon homme ; & cette entrevue
lui fuffit pour le favoir par coeur.
L'apothicaire qui par politeffe recondui
fit Foot jusques dans la rue , dit à un
voifin qui étoit fur fa porte : « Vous
» voyez cet homme qui fort de chez
" moi? il est tout- à- fait fingulier. Je ne
fai pas ce qu'il " a dans la tête ; mais
;-
Dvj
84
MERCURE DE FRANCE
ر د
» certainement il me reconnoîtra bien.
» Car tout le tems qu'il a refté dans ma
» boutique , il n'a ceffé de me regarder
» & de me faire des questions . » Le voifin
lui repliqua Eft ce que vous ne connoiffez
pas Foot? L'apothicaire furpris ,
qui craignoit de fe voir jouer , courut
après lui & le pria avec inftance de revenir
à fa maifon , attendu qu'il avoit
une chofe importante à lui communiquer.
Auffi tôt qu'il l'eût ramené , il ſe
jetta à fes genoux , en lui difant : « Je
»fai qui vous êtes , & par la démarche
» que vous venez de faire chez moi , j'ai
» tout lieu de croire que votre deffein
» eft de m'expofer fur votre théâtre . Si
» vous le faites , je fuis le plus malheureux
des hommes , & vous me ferez
» manquer le mariage de ma fille avec
» un Membre du Parlement qui doit in-
» ceffamment l'époufer . » Il ajouta qu'il
pouvoit lui impofer telle fomme qu'il
jugeroit à propos , pour n'être point
joué. Foot , après avoir rêvé un inſtant ,
lui répondit du plus grand fang froid , &
avec la commifération la plus marquée :
« Monfieur , votre fituation me touche ;
» elle m'intéreffe même & m'embarraffe
encore plus. Je ne vous cacherai pas
>
""
MA I. 1772. la
» que vous êtes le principal fujet de la
» piéce avec laquelle je compte faire
dans huit jours , l'ouverture de mon
fpectacle. J'ai fait pour cela une dépenfe
extraordinaire en décorations ,
» en habits , & c. On n'abandonne pas
» aifément une piéce qui comporte un
» caractère auffi riche , auffi plaifant
» auffi connu que le vôtre. » Quelques
offres & quelques fupplications que pât
faire le pauvre homme à Foot , la piéce
fut jouée & eut le plus grand fuccès.

Ces Mémoires font terminés par le
récit des myftifications du petit P ***
on entend par myftifications , dit l'auteur ,
les piéges dans lesquels on fait tomber
un homme fimple & crédule & que l'on
veut perfifler. Cette explication étoit fans
doute ici néceffaire . Si plufieurs des piéges
dons parle l'hiftorien paffent la raillerie
, s'il y en a quelques - uns dont le récit
paroit hors de toute vraifemblance ;
il y en a d'autres auffi que l'on peut
croire & qui ferviront à nous convaincre
qu'un homme vain , fuffifant & enflé de
fon petit mérite , donne beaucoup de
prife fur lui , & eft presque toujours la
dupe de ceux qui favent careffer adroite
ment fon amour- propre.
86 MERCURE DE FRANCE.
Mémoires & obfervations anatomiques ,
phyfiologiques & Phyfiques fur l'oeil ,
& fur les maladies qui affectent cet organe
, avec un précis des opérations &
des remèdes qu'on doit pratiquer pour
les guérir , par M. Jean Janin , maître
en chirurgie , oculifte de la ville de
Lyon , du Collége royal de chirurgie
de Paris , affocié - correspondant des
Académies des fciences , arts & belleslettres
de Dijon & de Villefranche ,
de la Société royale des fciences de
Montpellier. A Lyon chez les freres
Periffe , Libraire , rue Mercière ; & à
Paris chez P. F. Didot le jeune , quai
des Auguftins .
Les obfervations & les expériences
phyfiques fur l'organe vifuel & fur les
maladies qui l'affectent , & en général
fur les différentes parties de l'art de guérir
, inftruiront toujours beaucoup mieux
que les plus favans traités qui n'apprennent
ordinairement qu'à discourir far ce
qu'on n'entend pas . Nous penfons donc
que le public fera un accueil favorable
à ce Recueil de mémoires & d'obſervations
de M. Janin . Cet Oculiſte , avant
de commencer fa collection , s'eft mis deMA
I. 87
1772:
vant les yeux cette réflexion de M. Maret
dans fon discours fur les antifeptiques
: « Il s'élance de chaque obferva-
» tion des rayons de lumière capables de
» repandre un grand jour fur les objets
de nos recherches ; mais pour produire
un effet avantageux , ces rayons épars
» doivent être réunis en un feul foyer. »
Un abrégé anatomique de l'oeil où fe
trouve un court expofé des maladies qui
peuvent affecter cet organe , fert d'introduction
à l'ouvrage. Cette introduction
eft fuivie d'un discours fur la néceffité
de l'obfervation . L'auteur nous trace
dans ce même discours un tableau fommaire
des découvertes faites depuis un
fiècle fur l'organe de la vue ; il nous
donne une notion des opinions, des philofophes
fur le méchanisme de la vifion ,
& nous fait entrevoir plufieurs raifons &
plufieurs expériences qui l'ont déterminé
à croire que le mêlange des couleurs
fe fait hors de nos yeux & fur l'objet
même. Les mémoires imprimés dans
cette collection ont pour objet les voies
lacrymales , la capfule du criftallin ,
F'imperforation de l'iris. Des differtations
& des obfervations font placées à
la fuite de ces mémoires. Un- Recueil de
&
88 MERCURE DE FRANCE.
différens remèdes éprouvés pour la guérifon
des maladies des yeux termine le
volume. Quoique l'objet principal de cet
ouvrage foit le traitement des maladies
de l'oeil , l'auteur cependant n'a point
négligé d'indiquer les autres vertus qu'ont
les médicamens qui fervent à guérir les
affections de cet organe.
Prieres journalierès à l'ufage des Juifs
Portugais ou Espagnols. Ce volume
contient les prières de tous les jours
ouvriers , des Samedis , des Ros- Hodes
, de Hanouca , de Pourim , avec
leurs Paraschiot , du jeûne particulier
& autres prières , traduites de l'Hébreu
; auxquelles on a ajouté des notes
élémentaires pour en faciliter l'intelligence.
vol . in- 12 d'environ 600 pages
par Mardoché Venture. A Nice ,
& fe trouve à Paris chez Lambert ,
Imprimeur Libraire , rue de la Harpe ,
près S. Côme , 1772 .
Nos prières , dit l'auteur , ont quelque
chofe de fi affectueux , de fi énergique
& de fi fublime , elles font fi heureuſement
afforties au caractère de magnificence
& de bonté de l'Etre fuprême ,.
MAI. 89
1772.
elles expriment fi fouvent & avec une fi
touchante ingénuité la puiffance & les
bienfaits du Créateur , le respect & la
reconnoiffance de la créature , qu'il n'eſt
pas poffible de les entendre fans être
affecté du fentiment qui y eft répandu .
La grande difficulté étoit de faire pasfer
dans une langue vulgaire cette haute
poëfie qui brille & qui tonne de toutes
parts dans les écrits de Moyfe & des
autres Prophétes ; cette énergie , cette
hardieffe des figures orientales , fouvent
inconciliable avec la modeftie & la timidité
de la langue françoife ; enfin le Tra
ducteur a fenti que pour bien traduire il
faut avoir le talent & l'habitude de bien
produire , & l'on fent fur- tout le befoin
de cette faculté , lorsqu'on met aux prifes
deux langues d'un génie auffi différent
que le font la langue hébraïque & la langue
françoife.
C'est dans la Préface même de cet ouvrage
que l'auteur développe les principes
d'une bonne traduction , & que l'on
voit qu'il a tous les talens néceffaires
pour y réuffir.
Hiftoire naturelle de Pline , traduite en
françois avec le texte latin rétabli d'a9'
0 MERCURE DE FRANCE.
près les meilleures lettres manuscrites ,
accompagnées de notes critiques pour
l'éclairciffement du texte , & d'obfervations
fur les connoiffances des anciens
comparées avec les découvertes
des modernes , tome IV. A Paris chez
la veuve Defaint , rue du Foin S. Jacvol.
in-4°. de 612 pag. ques ,
Ce volume contient l'hiftoire des oifeaux
, celle des infectes , & des reptiles
avec une partie de celle des arbres. On
retrouve dans la traduction la même exa .
Atitude , la même élegance , la même précifion
de ftyle , & dans les notes cette
profonde érudition qui applanit les difficultés
, cette fagacité qui faifit le fens
le plus détourné , & cette critique qui
éclaircit les paffages les plus obfcurs .
M. Poinfinet de Sivri aura conftruit lui
feul un des plus beaux monumens de la
littérature , & il aura triomphé d'une entrepriſe
immenfe fans autre fecours que
fon courage & fon travail . On pourra juger
de la manière du traducteur par cette
defcription du Roffignol .
Le roflignol chante pendant quinze jours
& quinze nuits fans interruption , lorsque
les arbres commencent à pouffer abonMA
I. 1772. 91
damment leurs feuilles. Cet oiſeau n'eft
pas le moins admirable. La première merveille
en lui , c'eft qu'un fi petit corps
fourniffe une voix fi forte , & d'une haleine
fi longue. La feconde , c'eft que fon
chant foit auffi parfaitement conforme
aux loix de la mufique & de l'harmonie.
Tantôt il fait de longues tenues en pousfant
la voix ; tantôt il frédonne ; tantôt
fon chant fe divife en coupés ; tantôt il
ſe combine en modulations qui enjambent
l'une fur l'autre ; quelquefois c'est
en retirant à lui fon haleine qu'il fait les
mêmes tenues dont nous avons parlé ;
quelquefois il rabat tout - à - coup !' inflexion
; d'autres fois c'eft un fimple gazouillement
, & comme un entretien foliloque.
Selon fon caprice , fa voix , fucceffivement
grave , pleine , aigue , rapide ,
ralentie , éclatante , raffemble à elle feule
trois différens caractères , le deffus , la
taille & la baffe. En un mot , ce petit gofier
exécute tous les fons des inftrumens
les plus combinés par les recherches de
l'art . Auffi lorsqu'un roffignol vint chanter
fur la bouche de Stefichore encore
enfant , ce pronoftic annonçoit bien clairement
quelle feroit la douceur des
chants de ce Poëte . Ce qui prouve in92
MERCURE DE FRANCE.
dubitablement que ces oifeaux mettent
de l'art dans leur chant , c'eſt que chacun
d'eux chante de préférence plufieurs airs
qu'il affectent particuliérement , & que
tous ne chantent pas les mêmes. Ils disputent
entr'eux à qui chantera le mieux ',
& s'opiniâtrent à ce défi les uns contre
les autres . Le vaincu y perd fouvent la
vie , renonçant plutôt à la refpiration
qu'à fon chant.
Les jeunes roffignols vont à l'école des
autres , & s'inftruifent auprès d'eux des
chanfons qu'ils doivent retenir . Ces petits
disciples écoutent avec beaucoup d'attention
, rendent la leçon qu'ils ont apprife
, puis tout à - coup fe taifent. Il eft
fenfible , pour quiconque y prend garde`,
que le maître reprend , & que le disciple
fe corrige. Auffi achete - t- on un roffignol
auffi cher qu'un esclave , & plus cher
qu'on ne faifoit autrefois un foldat. Je
puis certifier qu'une fois on en a acheté
un fix mille fefterces. Au refte il étoit
blanc ; circonftance infiniment rare . C'étoit
pour en faire préfent à Agrippine ,
femme de l'Empereur Claude . Depuis
quelque tems on en a vu de dreſſés à
chanter à commandement , ou à chanter
en folo alternativement avec l'orchestre
M. A I. 1772.
93
qui les relevoir , & qu'ils relevoient à
leur tour. On a fouvent vu des hommes
qui , en foufflant par un trou dans un rofeau
où ils avoient mis de l'eau , & qui
étoit garni d'une languette , imitoient fi.
bien le chant de ces mêmes oifeaux qu'on
n'auroit pu diftinguer l'un d'avec l'autre.
Mais cette charmante mélodie du rosfignol
ceffe peu à peu au bout de quinze
jours , fans qu'on puiffe dire que ces petits
muficiens foient fatigués & ennuyés
de chanter. Enfuite , la chaleur venant à
augmenter , leur voix change entiérement
, & n'a plus ni harmonie ni variété
de tons. Leur couleur eft pareillement
fusceptible de changer. Enfin on n'en
voit plus aucun , l'hiver. Ils n'ont pas la
langue auffi menue que les autres oileaux.
Ils pondent au commencement du Printems.
Leurs oeufs font le plus fouvent au
nombre de fix .
**
Dictionnaire de la Nobleffe , contenant les généalogies
, l'hiftoire & la chronologie des Familles
nobles de France , l'explication de leur armes
& l'état des grandes terres du royaume , aujour
d'hui poffédées à titre de principautés , duchés,
marquifats, comtés , vicomtés , baronnics , & c.
foit par création , héritages , alliances , donations,
ſubſtitutions ,mutations , achats ou autrement.
On a joint à ce dictionnaire le tableau
94
MERCURE
DE FRANCE.
généalogique hiftorique des Maifons fouveraines
de l'Europe , & une notice des Familles
nobles étrangères les plus anciennes & les plus
illuftres ; tome I , feconde édit ; prix , 18 liv.
broché. A Paris , chez la V. Duchelne , libraire
, rue St Jacques , au Temple du Goût ; &
chez l'auteur (M. de la Chenaye. Desbois ) entre
l'hôtel d'Hollande & la rue des Grands Auguftins
, 1772 ; avec approbation & privilége
du Roi.
Avis de l'auteur à la Nobleffe fur ce quatrième
volume & les fuivans.
J'avois annoncé ce quatrième volume pour le
mois de Janvier dernier , mais par un retard imprévu
des imprimeurs occupés à d'autres ouvrages
preflés , il ne m'a pas été poffible de tenir, comme
je le defirois , la promefle que j'avois faite au
Public-
Ce quatrième volume , ainfi que les trois premiers
, renferme un grand nombre de Maifons
diftinguées , illuftres & des plus anciennes du
royaume telles font entr'autres Caftellane , par
Jaquelle commence ce volume , Caumont , Chabannes
, Chamborant , Chambray , Champagne ,
Chafteler & Chatelet , Chaftre , Châteauneuf- Randon
, Chatillon , Cheylus , Choifeul , Clermont-
Tonnerre , & beaucoup d'autres , dont la table
qui fe trouve à la tête de ce volume inftruira le
lecteur.
J'ai d'abord annoncé cet ouvrage , comme ne
devant contenir que fix volumes in 4°. § mais depuis
la publication du Profpectus , au mois de
Mars 1769 , j'ai reçu beaucoup de mémoires ,j'en
MA I. 1772.
25
reçois même encore tous les jours , & probablement,
tant que durera l'impreffion , on continuera
de m'en faire paffer. Ainfi je prévois qu'une collection
auffi curieuſe & intéreflante pourra former
beaucoup plus de volumes : c'eft ce qui a effrayé
quelques- uns de mes foufcripteurs , qui ne jugent
pas à propos de continuer , & la plupart font
ceux dont les articles font imprimés . Si j'ai lieu
de les regretter , j'ai auffi la confolation d'en voir
arriver de nouveaux qui prennent les tomes qui
paroiffent , & fe font infcrire pour les fuivans.
C'eft une chofe difficile & même impoffible de
contenter généralement le Public. En littérature,
hiftoire , généalogie , & c. les uns n'aiment que
des abreges ( c'eft le plus grand nombre aujourd'hui
) , & les autres qui veulent s'inftruire à fond,
& il y en a beaucoup , font pour les ouvrages
étendus , inftructifs, curieux & auffi parfaits qu'un
auteur eft capable de les rendre ; en un mot , un
livre à plufieurs volumes qui tienne fa place dans
une bibliothèque choifie . C'eft le goût & l'avis de
ces derniers que j'ai cru devoir fuivre : cependant
je fuis fâché de ne pouvoir contenter ces Amateurs
d'abrégés. En tronquant mon ouvrage , il
feroit imparfait. Eh ! que diroient ceux qui m'ont
envoyé des mémoires pour être imprimés dans '
toute leur étendue , fi je les élaguois & me bornois
à ne donner , pour ainfi dire , que leur état actuel ?
Un pareil travail ne pourroit que m'attirer de juftes
reproches. D'ailleurs ce ne feroitplus un dictionnaire
de la Noblefle où doivent fe trouver en détail
c'est- à- dire par filiation fuivie , toutes les Familles
nobles du royaume , du moins en plus grande
partie , tant celles qui fubfiftent que celles qui
font éteintes, mais un abrégé généalogique , tel
96 MERCURE DE FRANCE.
que le Calendrier des Princes & de la Nobleffe,
qui a paru pour la première fois en 1762 , & que
j'ai renouvellé tous les ans jufqu'en 1769 inclufivement.
Je ne l'ai interrompu pendant ces trois
dernières années que pour me livrer tout entier à
la refonte & à l'augmentation confidérable de la
première édition du Dictionnaire généalogique ,
dont je donne la feconde fous le titre de Diction
naire de la Nobleffe. Je compte reprendre la fuite
de ce calendrier le plutôt que mes occupations
pourront le permettre , & j'aurai l'attention d'en
donner avis dans les papiers publics . Il fera du
même format que les premiers , & aura toujours
le titre de Calendrier des Princes ou d'Almanach
de la Nobleffe. Je le continuerai avec d'autant
plus de plaifir , qu'il m'a été redemandé plufieurs
fois , depuis fon interruption , par un grand nombre
de perfonnes de la plus haute diftinction de la
cour , de la ville & des provinces.
Mais en le reprenant je ne retarderai pas pour
cela l'impreffion de ce dictionnaire , dont chaque
volume continuera de paroître de quatre mois en
quatre mois au plus tard , fi Meffieurs les Soulcripteurs
ont l'attention de faire retirer chaque
volume à mesure qu'il paroît ; car en négligeant
de le faire , cela ne peut que porter préjudice en
retardant une entreprife que je voudrois , s'il
étoit poffible , voir finir promptement , mais dont
je ne puis venir à bout fans le fecours mutuel de
ceux qui ont foufcrit.
Je répéte ici , comme je l'ai déjà dit ailleurs ,
que je ne puis faire uſage des mémoires qui ne
font pas lifiblement écrits par rapport aux nomspropres
& de terres , ni de ceux qui ne font pas
fignés par les perfonnes qui les envoient , furtout

A
MA I. 1772 . 97
tout quand ils ne font pas accompagnés de titres
justificatifs , qui en font la preuve. J'ai reçu quelques
mémoires anonymes ; j'ignore de qui je les
tiens : c'eft une raifon pour que je n'en fafle aucun
ufage , devant douter de leur exactitude , &
voulant éviter toute altercation , car cet ouvrage
, comme quelques - uns ont pu le l'imaginer ,
n'elt pas une voie facile pour s'y faire inférer incognito.
Ainfi que ceux qui m'ont adreflé directement
, ou par la voie du libraire , de ces fortes de
mémoires anonymes , fans fignature , fans date
ni indication du lieu d'où ils viennent , ne foient
pas furpris de ne les pas voir imprimés , puifqu'ils
n'ont pas jugé à propos de fe faire connoître
.

Depuis l'impreffion totale de la lettre B , j'ai
reçu cinq différens articles , lefquels y auroient
eu place fi je les avois reçus tems , fçavoir ,
Beau Sobre , Beck , Bonnefoy , Boucherat &
Budes. Les perfonnes que ces mémoires regardent
m'ont prié de les inférer en addition à la fin
de ce volume . Je n'ai pu me refufer à leurs inftances
; mais il y en a un (c'eft Budes) , dont on
trouvera déjà la généalogie déraillée dans le tome
III, page 338 & fuiv. Le Glence du P. Simplicien
, & de quelques autres écrivains , m'a
fait tomber dans une erreur eflentielle & groffiere
, en dilant que cette ancienne Maifon de Bretagne
qui fubfifte aujourd'hui daus M. le Comte
de Budes de Guébriant , colonel du régiment de
Penthièvre , & dans fon oncle M l'Abbé de Guébriant
, étoit éteinte. Pour réparer cette faure , je
me fuis hâré de faire réimprimer cet article d'après
un mémoire fidèle & exact , dreflé fur les tites
& envoyé par M. l'Abbé de Guébriant.
E
98
MERCURE
DE
FRANCE
.
Le cinquième volume , qu'on va mettre fous
prefle , contiendra tout le refte de la lettre C , & à
ce queje préfume , toute la lettre D. Onfait que
dans tous les dictionnaires les trois premières lettres
fourniflent beaucoup de feuilles d'impreffion .
Elles forment dans celui - ci quatre volumes &
demi : mais comme les autres lettres font moins
étendues , il en entrera plufieurs dans les volumes
qui restent à paroître .
La foufcription eft ouverte en tout tems . Ceux
qui fe préfenteront pour fe faire inferire , foit
chez le libraire , foit chez moi , pour la fuite des
volumes qui n'ont pas encore paru , mais en prenant
ceux qui paroiffent , les auront fur le pied
de la foufcription , c'est - à- dire en payant 12 liv.
pour chacun des trois premiers volumes en feuille
; 12 fols relié en carton ; 13 livres pour le
quatrième en feuille & chacun des fuivans ; &
13 livres 12 fols , relié en carton . Ces 20 fols
d'augmentation font à caufe du nouvel impôt fur
le papier & de 40 fols de plus par feuille d'impreffion
; ce qui fait un furcroît de frais au moins
de 650 livres par volume. La foufcription de chaque
volume fe fait d'avance , parce que le dernier
fera livré fans rien payer. Il faut affranchir les
lettres & les mémoires que l'on adreffera à l'auteur
ou au libraire.
*
Effais fur le caractère , les moeurs & l'ef
prit des Femmes dans les différens fiécles
; par M. Thomas , de l'Académie
Françaife. A Paris , chez Moutard
* Article de M. de la Harpe.
4
MA I. 1772 .
99
libraire de Madame la Dauphine , rue
du Hurepoix , à St. Ambroife.
Il y apeu d'hommes de lettres dont la
carrière ait été auffi heureuſe & auffi
brillante que celle de M. Thomas. Prefque
tous fes pas ont été des triomphes .
Placé dès fa première jeuneffe à cette
époque où par un changement applaudi
de toute la nation , les fujets d'éloquence
académique ont été confacrés à la louange
des hommes célèbres , fon génie s'eft trouvé
au niveau de ces grands fujets ; fon ame
s'eft approchée de ces grandes ames , & il
a mêlé fa gloire à la gloire de fes héros ;
fon nom est déformais attaché au leur.On
ne parlera point de Defcartes , de Sully ,
de Dugué Trouin qu'on ne fe fouvienne
de leur éloquent panégyrifte, & il n'y a pas
un feul de ces différens éloges où l'on ne
trouve des beautés du premier ordre , un
caractère marqué d'élévation & d'énergie
& l'enthousiasme de la vertu & des talens.
Il est vrai , & je ne prétends pas le diffimuler
, que des critiques févères ont reproché
à M. Thomas un luxe de ſtyle
qui fuppofe beaucoup de richeffe , & une
envie de tout agrandrir , fuite d'une dif-
E ij.
100 MERCURE DE FRANCE.
pofition naturelle à la grandeur. Mais quel
écrivain ayant une manière à lui , n'a pas
les défauts de cette manière ? Et Combien
M. Thomas a- t il de titres pour racheter
fes défauts ! Je l'ai déjà dit , & je crois
devoir le répèter ; la postérité juge toujours
un écrivain fur ce qu'il a fait de
vraiment beau , & les contemporains
équitables jugent comme la postérité.
"
Le nouvel ouvrage de M. Thomas eſt
d'un genre différent de ceux qu'il a faits
jufqu'ici. Voici ce qu'il en dit lui- même
dans un court avertiffement. » Ce mor-
» ceau , qu'on peut regarder comme fai-
» fant partie de l'hiftoire des moeurs , eft
» détaché d'un ouvrage plus confidérable
qui n'a point encore paru , & où l'on
examine l'ufage ou l'abus qu'on a fait
de la louange dans tous les fiécles . Par
» une fuite de ce plan , on cherchait les
» divers gentes de mérite qui ont diſtin-
» gué les femmes les plus célébrées dans
» les différentes époques de l'hiftoire ,
» à cette occafion on parlait quelquefois
» des éloges qui en ont été faits . Quel-
»
33
&
ques perfonnes ont paru defirer que ce
» morceau fût détaché du refte , & on le
» donne içi féparément . »
Cet avis répondait d'avance à ceux qui
MAI. 1772 . 101
en ouvrant cette brochure n'ont cru rencontrer
qu'un écrit agréable & léger , &
qui ont été furpris de lire un ouvrage gra
ve & inftructif. Ce morceau , comme on le
voit , entrait dans le plan d'un ouvrage
philofophique , & devait par conféquent
en avoir le ton & la couleur . L'auteur
a dû y mêler des recherches hiftoriques .
Mais une foule d'obfervations fines & de
traits ingénieux fait retrouver par - tout
l'homme d'efprit & l'habile écrivain ; &
des morceaux d'un ſtyle animé , touchant
& énergique font retrouver l'homme éloquent.
Je vais en rapporter plufieurs ; on
ne peut mieux louer M. Thomas qu'en
le citant beaucoup.
L'auteur , après avoir fuivi & obfervé
les femmes dans chaque fiécle & dans les
divers climats , après avoir confidéré rapidement
les efclaves des ferrails orientaux
, les héroïnes de Sparte & de Rome ,
les courtisannes d'Athènes , après avoir remarqué
l'influence que la philofophie , le
chriftianifme & la chevalerie eurent tourà
tour fur le sèxe , après avoir fait un détail
philofophique des ouvrages faits en
l'honneur des femmes chez les nations
policées , en vient à la comparaifon des
deux sèxes & à l'ancienne queſtion de la
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
fupériorité de l'un des deux fur l'autre ;
question qui peut-être eft frivole , parce
qu'il ne faut guères comparer deux objets
dont le plus grand mérite eft de ne fe
reffembler jamais. Quoiqu'il en foit , M.
Thomas fait ce parallèle qui a été inftitué
long- tems avant lui , & je voudrais
pouvoir tranfcrire tout cet article , le plus
intéreflant de tout fon ouvrage , & qui
paraît écrit avec la plume de Tacite . En
voici quelques morceaux .
"
S'agit- il de talens & d'efprit , il fau-
» drait diftinguer l'efprit philofophique
qui médite , l'efprit de mémoire qui
» raffemble , l'efprit d'imagination qui
crée , l'efprit politique ou moral qui
""
«
» gouverne.
M. Thomas refufe aux femmes le premier.
Leur efprit pénétrant & rapide
» s'élance & fe repofe . Il a plus de fail-
» lies que d'efforts. Ce qu'il n'a point
» vu en un inftant , ou il ne le voit pas ,
» ou il le dédaigne , ou il défefpère de
le voir .... L'imagination femblerait
» bien plus devoir être leur partage....
» Leur ame s'exalte & leur efprit eſt tou-
» jours plus près de l'enthoufiafme. Mais
» il faudrait voir jufqu'où cette imagina-
» tion appliquée aux arts peut dévelop-
ود
MAI . 1772 . 103
>>
"
" .
"
» per en elles le talent de créer & de
» peindre ; fi elles peuvent avoir l'ima-
" gination forte comme elles l'ont vive
» & légère ; fi le genre de la leur ne
» tient pas néceffairement à leurs occupations
, à leurs goûts , à leurs plaifirs ,
à leur faibleffe même. Je demanderai
» fi leurs fibres plus délicates ne doivent
» pas craindre des fenfations fortes qui les
fatiguent , & en chercher de douces qui
» les repofent. L'homme toujours actif eft
expofé aux orages . L'imagination du
» Poëte fe nourrit fur la cime des mon-
" tagnes , aux bords des volcans , fur les
» mers , fur les champs de batailles ou au
» milieu des ruines , & jamais il ne fent
» mieux les idées voluptueufes & tendres
qu'après avoir éprouvé de grandes fe
» couffes qui l'agitent. Mais les femmes ,
par leur vie fédentaire & molle éprou
vant moins le contrafte du doux & du
» terrible , peuvent -elles fentir & pein-
» dre même ce qui eft agréable , comme
» ceux qui jettés dans des fituations con-
» traires , paffent rapidement d'un fenti .
» ment à l'autre ? Peut - être même par
» l'habitude de fe livrer à l'impreffion du
>> moment qui chez elle est très forte ,
» doivent-elles avoir dans l'efprit plus d'i-
"
"
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
» mages que de tableaux . Peut- être leur
imagination , quoique vive , reffemble-
» t-elle au miroir qui réfléchit tout & ne
» crée rien . »
»

L'auteur parle enfuite de la peinture de
l'amour. L'amour , dit-il , dans l'un eft
» une conquête & dans l'autre un facri-
» fice. Il faut donc en général que les
» femmes de tous les païs & de tous les
» fiécles fachent mieux peindre un fenti-
» ment délicat & tendre qu'une paffion
violente & terrible. »
&
H paffe à l'efprit d'ordre & de mémoire
qui claffe des faits & des idées ,
il paraît encore le leur refufer . » Serait-
» il vrai , dit- il , que leur impatience &
» ce defir naturel de changer qui tient à
"
des imprefions fugitives & rapides ne
» leur permit pas de fuivre pendant des
» années le même genre d'études , & d'acquérir
aufli des connoiffances profondes
» & vaftes ? On fait qu'il y a des qua-
» lités d'efprit qui s'excluent ce ne
» peut être la même main qui taille le
diamant & qui creufe la mine . »
Refte l'efprit moral ou politique qui
confifle dans la conduite de foi même &
des autres. Il faut diftinguer l'ufage de cerefprit
dans la fociété & dans le gouver
·
MAI. 1772 . 105
nement. Dans la fociété les femmes , oc-
» cupées fans ceffe à obferver par le dou-
» ble intérêt d'étendre & de conferver
» leur empire , doivent parfaitement con
» naître les hommes ; elles doivent dé-
» mêler tous les plis de l'amour- propre ,
» les faibleffes fecrettes , les fauffes mo-
» defties & les fauffes grandeurs , ce
qu'un homme eft & ce qu'il voudrait
être , les qualités qu'il montre par l'ef-
» fort même de les cacher , fon eftime
» marquée jufques dans les fatyres & par
fes fatyres mêmes . Elles doivent connaître
& diftinguer les caractères : l'orgueil
calme, & qui jouit naïvement de
» lui- même, l'orgueil impétueux &ardent
"
»
»
qui s'irrite , la fenfibilité vaine , la fenfi-
» bilité tendre, la fenfibilité brûlante fous
» des dehors froids , la légèreté de pré-
» tention , & celle qui eft dans l'ame ; la
» défiance qui naît du caractère , celle de
» la méchanceté , celle du malheur , celle
de l'efprit , enfin tous les fentimens &
» toutes leurs nuances ... Dans la fociété ,
on gouverne les hommes par leurs paf-
» fions , & les plus petits refforts font
quelquefois les grands moyens. Mais
dans le gouvernement des états , c'eſt
par de grandes vues , par le choix des
"
E v
166 MERCURE DE FRANCE.
n
principes , & fur tout par la diftinction
» & l'emploi des talens que l'on peut
» obtenir des fuccès . C'eft-là que loin de
" fe fervir des faibleffes , il faut les crain-
» dre , & qu'il faut élever les honneurs
» au - deffus d'eux , au lieu de les y ra-
» mener fans ceffe . Ainfi dans la fociété
» l'art de gouverner eft celui de flatter les
» caractères , au lieu que l'art de l'admi-
» niftration eft prefque toujours celui de
» les combattre. La connoiffance même
» des hommes qu'il faut dans tous les
» deux n'eft pas la même. Dans l'un , il
» faut connaître les hommes par leur
"
>>
ןכ
faibleffe , & dans l'autre par leur force .
" L'un tire parti des défauts pour de pe-
» tites fins , l'autre découvre les grandes
qualités qui tiennent à ces défauts mê-
» me . Enfin l'un cherche les petits coins
dans le grand homme , & l'autre doit
démêler un grand homme fouvent dans
celui qui n'eft rien encore , car il y a
» des ames qui n'exiftent point pour tout
» ce qui eft médiocre ... C'eſt le caractère
fur- tout qui gouverne , c'eſt la vigueur
» de l'ame qui donne du reffort à l'efprit ,
qui affermit & qui étend les idées politiques
, mais le caractère ne peut
» presque jamais être formé que par de
ود
C
23
"
MA I. 1772. 107
39
و د
و د
grands mouvemens , de grandes efpérances
ou de grandes craintes , & le
befoin de fe déployer fans ceffe en
·
agiffant : celui des femmes n'eft- il done
» pas deſtiné en général à avoir plus d'a-
» grément que de forces ? Leur imagination
rapide & qui fait quelquefois marcher
le fentiment au devant de la
penſée ne les rend elles pas dans le choix
des hommes plus fufceptibles ou de
prévention ou d'erreur. Enfin les ca-
» lomnierait-on beaucoup , rifquerait - on
» même de leur déplaire , fi on ofait
leur dire qu'elles doivent dans la dif-
» tribution de leur eftime , mettre un peu
trop de prix aux agrémens , & être
» tées à croire qu'unhomme aimable peut
être plus facilement un grand homine ,
» ..... En général les femmes fur le
» trône font plus portées au defpotifme ,
» & s'indignent plus des barrières . Le
so
"
por
sèxe à qui la nature affigna la puif-
" fance en lui donnant la force a une certaine
confiance qui l'élève à fes propres
» yeux , & n'a pas befoin de s'attefter à
lui même des forces dont il est sûr.
Mais la faibleffe s'étonne du pouvoir
» qu'elle a , & précipite ce pouvoir de
» tous les côtés pour s'en assûrer elle-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
» même. Les grands hommes ont peut-
» être plus le genre de defpotifme qui
» tient à la hauteur des idées , & les
"
"
femmes , hors de la claffe ordinaire ,
» le defpotifme qui tient aux paffions . Le
leur eft une faillie de leur ame , bien
plus que le fruit d'un fyftême... D'ail-
» leurs le pouvoir des femmes , même
arbitraire , n'eft prefque jamais cruel .
Elles ont plutôt un defpotifine de fantaifie
que d'oppreflion . Le trône même
» ne peut les guérir de leur fenfibilité ;
» elles ont dans leur ame le contrepoids
de leur puitfance . »>
כ
93
رد
Il réfulte que l'auteur n'accorde pas aux
femmes en général le génie du gouvernement.
Il cite quelques exceptions
Chriftine de Suéde , Habelle de Caftille
en Efpagne , Elifabeth en Angleterre ,
l'héroïne couronnée qui defendit & mérita
par fon courage le trône de l'empire
qu'elle illuftre aujourd'hui par fes vertus ,
& qui fut fe faire craindre de fes ennemis
avant de fe faire adorer de fes fujets. II
cite cette autre princeffe , non moins célèbre
qui étonne & venge l'europe tant
de fois infultée par les barbares du Bofphore
, & qui ébranle l'empire Ottoman
par dés victoires , tandis qu'elle éclaire
MA I. 1772. 109
& affermit le fien par des loix fages &
une adminiftration refpectée. Peut- être f
l'on confidère le petit nombre des femmes
qui ont regné , ces exceptions f
éclatantes & beaucoup d'autres qu'on
pourroit y ajouter, feraient , non fans quelque
raifon , révoquer en doute le principe
de M. Thomas : on pourrait foutenir que
les femmes à qui lui - même accorde cette
Aéxibilité d'efprit qui leur fait prendre aifément
toutes fortes de formes , font
très capables de s'élever aux fonctions ſévères
du gouvernement , de retrancher
de leur fenfibilité naturelle ce qui tient
à la faibleffe , & de ne conferver que
celle qui fe nourrit de l'orgueil de commander
, efpèce de fenfibilité qui peutêtre
eft la premiete dans les femmes , &
fe mêle à toutes les autres .
On pourrait auflì douter que le def
potifme des femmes fût plus doux que
celui des hommes , fi l'on fe rappèle la
barbarie tranquille & réflechie de Médicis
& de Marie d'Angleterre , fi l'on
fonge aux vengeances atroces des anciennes
reines de Perfe & de Macédoine , &
aux fcènes tragiques & fanguinaires dont
les fultanes ont fouillé tant de fois le ferrail
de Conftantinople. En général je crois
110 MERCURE DE FRANCE .
que les femmes douées d'une imagination
très-vive & très - irritable , plus dépendantes
encore que nous des influences
du climat , de l'éducation & des circonf
tances , peuvent parvenir au même degré
d'énergie dans le crime & dans la vertu .
Je fais bien que communément elles font
plus douces & meilleures que nous , & les
efforts dont je parle peuvent paraître des
exceptions. Mais il ne s'agit pas non plus
du commun des femmes , il s'agit des
femmes qui règnent , ce qui eſt
parfoimême
une exception .
Si M. Thomas paraît ne pas favorifer,
les femmes du côté des talens , il les en
dédommage bien en leur accordant toutes
les vertus , & plufieurs même dans un de
gré fupérieur aux hommes. Si le plus
grand nombre des femmes eft content de
ce partage , c'eft une réponſe au reproche
de vanité qu'on a coutume de leur faire .
Quoi qu'il en foit , nous devons nous attendre
à des peintures charmantes. Il s'agit
des femmes & des vertus.
Vertus religieufes . » Plus occupées &
» moins actives , les femmes ont plus le
» tems de contempler . Moins diftraites au
» dehors elles , s'affectent fortement de
la même idée , parce qu'elles la voyent
»
MA I. 1772.
III
» fans ceffe plus frappées par les yeux ,
» elles goûtent plus l'appareil des cérémo-
» nies & des temples , & la religion des
» fens influe encore fur celle de l'ame.
Enfin gênées par - tout , privées d'épanchement
avec les hommes par la con-
» trainte de leur sèxe , avec les femmes
» par une éternelle rivalité , elles parlent
» du moins de leurs plaifirs & de leurs
"
peines à l'être fuprême qui les voit , &
» fouvent dépofent dans fon fein des fai-
» blefles qui leur font chères & que le
» monde entier ignore. Alors fe rappelant
» leurs douces erreurs , elles jouiffent de
leur attendriffement même fans fe le reprocher
, & fenfibles fans remords parce
» qu'elles le font fous les regards de
Dieu , elles trouvent des delices fe-
» crets jufques dans le repentir & les com-
» bats.
"
Vertus domeftiques . « Dans le premier
âge , timide & fans appui , la fille eft
» plus attachée à fa mere. Ne la quittant
» jamais , elle apprend plus à l'aimer.
Tremblante elle fe raflure auprès de
» celle qui la protège , & fa faibleffe qui
» fait fa grace augmente encore fa fenfi-
» bilité. Devenue mère elle a d'autres
» devoirs & tout l'invite à les remplir.
39
112 MERCURE DE FRANCE.
"
"
» Alors l'état des deux fexes eſt bien dif-
» férent. Au milieu des travaux & parmi
» tous les arts , l'homme déployant fa
force & commandant la nature , trouve
» des plaifirs dans fon induſtrie , dans
» fes fuccès , dans fes efforts même. La
» femme plus folitaire a bien moins de
reffources. Ses plaifirs doivent naître de
» fes vertus . Ses fpectacles font fa famil
» le. C'eſt auprès du berceau de fon enfant
, c'eſt en voyant le foutis de fa
» fille & les jeux de fon fils qu'une mère
» eft heureufe : & où font les entrailles ,
» les cris , les émotions puiflantes de la
» nature ? Où eft ce caractère tout- à la
» fois touchant & fublime qui ne fent
» rien qu'avec excès ? Eft- ce dans la froide
» indifférence & la trifte févérité de tant
» de pères ? Non , c'eft dans l'ame brûlante
& paffionnée des mères . Ce
>> font- elles qui , par un mouvement auffi
» prompt qu'involontaire s'élancent
» dans les flots pour en arracher leur
» enfant qui vient d'y tomber par imprudence
; ce font elles qui fe jettent
» à travers les flammes pour enlever du
» milieu d'un incendie leur enfant qui
» dort dans fon berceau. Ce font elles
qui pâles , échevellées , embraffent avec
"
»
39
«
>
M A I. 1772. 113
tranfport le cadavre de leur fils mort
» dans leurs bras , collent leurs lèvres
» fur fes lévres glacées , tâchent de ré-
39 chauffer par leurs larmes fes cendres.
» infenfibles . Ces grandes expreflions ,
» ces traits déchirans qui nous font pal-
» piter à la fois d'admiration , de ferveur
» & de tendrefle , n'ont jamais apparte-
» nu & n'appartiendront jamais qu'aux
» femmes . Elles ont dans ces momens je
» ne fais quoi qui les éleve au- deffus de
» tout , qui femble nous découvrir de
» nouvelles ames , & réculer les bornes
» connues de la nature .
"
"
Vertus fociales . L'amitié. « Il femble-
» rait qu'entre les deux fexes celui dont
» la tête & les bras font les plus occupés
, qui eft le plus diftrait , qui eft le
plus libre , qui peut plus hautement
répandre fes idées & déployer tous fes
» fentimens , qui dans la profpérité jouit
plus par l'orgueil , qui dans le malheur
» eft plus humilié qu'attendri , qui dans
» tous les états a la confcience de fes
» forces & fe les exagère , peut fe paffer'
» bien plus ailément du commerce & des
doux épanchemens de l'amitié. Mais
» les femmes tendres & faibles , & part
là même ayant plus befoin d'appui ,
114 MERCURE DE FRANCE .
""
"
» dans l'intérieur plus expofées aux chagrins
& aux peines fecrettes , ayant
plus de ces douleurs de l'ame qui af-
» fectent plus la fenfibilité que l'orgueil ;
» Dans le monde , forcées presque tou-
» jours de jouer un rôle , & remportant
» avec elle une foule de fentimens &
» d'idées qu'elles cachent & qui leur pefent
, les femmes enfin pour qui les
» chofes ne font rien & les perfonnes
" presque tout ; les femmes enfin en qui
» tout réveille un fentiment , pour qui
» l'indifférence eft un état forcé , & qui
">
ne favent presque qu'aimer ou haïr ,
»femblent devoir fentir bien plus vive-
» ment la liberté & les plaifirs d'un
» commerce fecret , & les douces confi.
» dences que l'amitié fait & reçoit .
L'auteur oppofe à ces réflexions la vie
frivole & diffipée que menent la plûpart
des femmes , leur inconftance naturelle ,
leurs goûts mobiles & paffagers , & il
en conclud que l'amitié eft plus rare chez
elles malgré le befoin qu'elles pourroient
en avoir ; mais que lorsqu'elle s'y trouve,
elle doit être auffi plus délicate & plus
tendre. Nous avons vu des morceaux
pathétiques & fublimes. En voici un remarquable
par
grace & par la douceur. la
MAI 1772.
IIS
"
»
« Les hommes en général ont plus les
procédés que les graces de l'amitié ;
quelquefois en foulageant ils bleffent,
» & leurs fentimens les plus tendres ne
» font pas fort éclairés fur les petites
» chofes qui ont tant de prix . Mais les
» femmes ont une fenfibilité de détail
qui leur rend compte de tout . Rien
» ne leur échappe . Elles devinent l'ami-
» tié qui fe tait ; elles encouragent l'a-
» mitié timide ; elles confolent douce-
» ment l'amitié qui fouffre. Avec des
» inftrumens plus fins , elles manient
plus aifément un coeur malade ; elles
» le repofent & l'empêchent de fentir
les agitations . Elles favent fur- tout
» donner du prix à mille chofes qui n'en
» auraient pas. Il faudrait donc peut
» être défirer un homme pour ami dans
» les grandes occafions ; mais pour le
» bonheur de tous les jours , il faut dé-
» firer l'amitié d'une femme.
»
"
» Les femmes en amour ont les mê-
» mes délicateffes & les mêmes nuances.
» Mais l'homme peut - être s'enflamme
plus lentement & par degrés. Les pas-
» fions des femmes font plus rapides ,
» ou elles naiffent tout-à - coup , ou elles
» ne maîtront point. Plus gênées leurs
116 MERCURE DE FRANCE.
93
paffions doivent être plus ardentes . El-
» les fe nourriffent dans le filence & s'ir-
» ritent par le combat . La crainte & les
» alarmes mêlent chez les femmes l'in-
» quiétude à l'amour , & en les occupant
» le redoublent encore . Quand l'homme
» eft fûr de fa conquête , il peut avoir
plus d'orgueil ; mais la femme n'en a
» que plus de tendreffe . Plus fon aveu lui
" a coûté , plus ce qu'elle aime lui de-
» vient cher. Elle s'attache par fes facri-
» fices. Vertueufe , elle jouit de fes re-
» fus ; coupable , elle jouit de fes re-
» mords. Ainfi les femmes , quand l'a-
» mour eft paffion , font les plus conftantes
; mais auffi quand l'amour n'eſt
» qu'une gêne , elles font les plus légères.
» Car alors elles n'ont plus ce trouble &
» ces combats , & cette douce honte qui
" grave fi bien le fentiment dans leur
» ame . Il ne leur refte que des fens & de
» l'imagination ; des fens gouvernés par
» des caprices ; une imagination qui s'ufe
» par fon ardeur même , & qui en un inftant
s'enflamme & s'éteint.
»
Après l'amitié & l'amour, viennent la
» bienfaifance , & cette compaffion qui
» unit l'ame aux malheureux . On n'igno.
» re point que c'eft là fur- tout le partage
MA I. 1772 . 117
» des femmes. Tour les dispofe à l'at-
» tendriffement & à la pitié. Les bleffu-
» res & les maux révoltent leurs fens
33
plus délicats. L'image de la mifère &
» du dégoût offenfe leur douce mollefe.
L'image des douleurs & des chagrins
» affecte plus profondément leur ame
» que. lear fenfibilité tourmente.
propre
» Elles doivent donc être plus empreflées
» à fecourir. Elles ont fur tout cette fen-
» fibilité d'inſtinct qui agit avant de rai-
» fonner , & a déjà fecouru quand l'hom-
» me délibère . Leur bienfaifance en eft
» moins éclairée peut - être , mais plus
active. Elle eft auffi plus circonfpecte
» & plus tendre . Quelle femme ajamais
» manqué de respect au malheur ?
و د
Les talens fupérieurs de M. Thomas
brillent dans tous ces morceaux , & dans
beaucoup d'autres que nous pourrions citer.
Peut- être dans le refte de l'ouvrage
lui reprochera - t - on de procéder trop fou
vent par la définition . & l'analyfe ; de
remplir & d'étendre une feule & même
phrafe de manière à fatiguer l'attention
par un trop grand nombre d'idées ferrées
& par l'uniformité des tournures . En général
il regne peut- être une févérité de
ton trop continue , dans un fujet où l'on
118 MERCURE DE FRANCE.
attend & où l'on defire beaucoup d'agrément.
Mais ces défauts que l'auteur peut
aifément corriger en revoyant quelques
paragraphes de fon ouvrage , & en mêlant
plus de teintes douces & agréables
aux couleurs fortes de fon pinceau , n'em .
pêchent pas que cet effai ne foit au nombre
des productions diftinguées dont peu
d'écrivains font capables , & qui font un
honneur durable à leur auteur.
On trouve chez Delalain , libraire , rue & près
la Comédie Françoife , les livres fuivans qui font
nouveaux ou nouvellement réimprimés .
Dictionnaire grammatical de la langue francoife
, contenant toutes les règles de l'orthographe
, de la prononciation , de la profodie , du
régime , de la conftrution , &c. avec les remarques
& obfervations des plus habiles grammairiens
, & conforme à la profodie de feu M. l'Abbé
d'Olivet , qui a revu cette édition ; nouvelle édition
, revue , corrigée & confidérablement augmentée
; 2 vol . in- 8 ° . 12 liv,
Dictionnaire eccléfiaftique & canonique porta
tif, ou abrégé méthodique de toutes les connoiffances
néceflaires aux Miniftres de l'Eglife , &
utiles aux Fidèles qui veulent s'inftruire de toutes
les parties de la Religion ; par une fociété de Religieux
& de Jurifconfultes , 1772 ; 2 volumes
in- 8°. 9 liv.
Dictionnaire des Portraits hiftoriques , anec-
4
MAI ΜΑΙ
119
. 1772. .
dotes , & traits remarquables des Hommes illuftres
; 4 vol . in- 8°.; prix , 20 liv.
Hiftoire du Patriotifme François , ou nouvelle
hiftoire de France , dans laquelle on s'eft principalement
attaché à décrire les traits de patriotifme
qui ont illuftré nos Rois , la Nobleffe & le
Peuple François , depuis l'origine de la Monarchie
jufqu'à nos jours ; par M. Roſlel , avocat ;
6 vol. in 12. avec cette épigraphe :
Vos noms toujours fameux vivront dans la
mémoire.
HENR. chant IV .
prix , 15 1.
Mémoires du Comte de Saramandes , ou le bon
Fils , par l'auteur de Tout un peu , nouv. édition
revue & augmentée ; 4 part . in - 12 . prix , 4 liv.
16 fols.
Le Botaniste François , comprenant toutes les
plantes cominunes & ufuelles , difpofées fuivant
une nouvelle méthode , & décrites en langue
vulgaite ; par M. Barbeu Dubourg ; 2 vol. in-12.
avec cette épigraphe :
O Melibae , Deus nobis hæc otia fecit.
2 vol. in-12. 5 liv.
VIRG. Ecl . I,
Mélanges de Littérature orientale , traduits de
différens manufcrits turcs , arabes & perfans de
la biblothèque du Roi ; par M. Cardonne , fecrétaire
interprête du Roi , pour les langues orien
tales à la marine & à la bibliothèque de S. M. &
profeffeur en langue arabe au Collège Royal ;
2 vol. in-12. s liv.
120 MERCURE DE FRANCE.
Traité des Fleurs blanches , avec la méthode
de les guérir ; par M. Raulin , docteur en médecine
, conſeiller- médecin ordinaire du Roi , de la
fociété royale de Londres , des académies royales
des belles lettres , fciences & arts de Bourdeaux
& de Rouen , & de celle des Arcades de Rome ;
auteur de l'inftruction fur l'accouchement des
femmes , avec cet épigraphe :
·
E fubjecto vetuftiffimo , noviffimam promovemus
fcientiam.
2 vol. in- 12. 6 liv.
GALILÉE.
Traité de la Preuve par témoins en matière civile
, contenant le commentaire latin & françois
de M. Jean Boiceau Sieur de la Borderie , avocat
au préfidial de Poitiers , fur l'art. LIV de l'Ordonnance
de Moulins , avec plufieurs nouvelles
queftions tirées des plus célèbres Jurifconfultes ,
& décidées par les arrêts des Cours fouveraines &
des obfervations fur l'article LV de l'Ordonnance
de Moulins & fur le titre XX de l'Ordonnance
de 1667 ; le tout conféré avec l'édit perpétuel
des Archiducs , les ordonnances , ftatuts &
coutumes de Milan , de Bologne - la Graffe , de
Naples , de Portugal , & des autres pays qui ont
rapport à l'ufage du Droit François fur cette inatiere
, avec le traité de la preuve par comparaison
d'écritures , de M. le Vayer ; par M. Danty , avocat
au parlement ; fixième édition conſidérablement
augmentée par M. ** avocat au parlement ;
prix , 12 liv.
Le même libraire vend la belle collection des
meilleurs auteurs Italiens , 36 volumes in 12. à
96 liv. au lieu de 168 liv . Cette fuite eft d'autant
plus intéreflante qu'elle raflemble tous les ouvrages
MAI. 1772 : 121
ges recherchés par l'homme de lettres , & qu'il
feroit difficile de les réunir dans un format auffi
commode , d'une édition aufì foignée , & à un
prix auffi modéré.
Il propofe auffi à très - bon compte.
1º. Code matrimonial , ou Recueil complet de
toutes les loix canoniques & civiles de France ,
des difpofitions des Conciles , des capitulaires ,
ordonnances , édits & déclarations , & des arrêts
& réglemens de toutes les Cours fouveraines ,
rangés par ordre alphabétique fur les queftions
de mariage. On y a joint la notice des auteurs les
plus célèbres fur ces mêmes queftions , & des recherches
fur les naiſlances tardives . Ouvrage néceffaire
aux Prélats , Curés & Vicaires , aux Jurifconfultes
, & à tous ceux qui ont à décider des
contrats de mariage ; 2 vol . in - 4 ° . à 9 liv. au
lieu de 18.
2º. Hiftoire de l'Amérique , depuis fa décou
verte , qui comprend l'hiftoire naturelle , eccléfiaftique
, militaire , civile , morale & politique
des contrées de cette grande partie du Monde ,
par le Père Toulon ; 14 vol. in- 12 . à 15 liv . au
lieu de 31.
3°. Les Maurs , Coutumes & Ufages des anciens
Peuples , pour fervir à l'inftruction de la
Jeunefle , par M. Sabbathier ; 1 vol. in 4º. 5 liv.
au lieu de 10 .
4. Euvres d'Aufone , traduites en françois ,
avec le texte latin , des notes & des obfervations ,
4 vol . in-12 . pour fervir de fuite aux Barbou ,
9 liv. au lieu de 20.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. de la Harpe.
A Ferney , le 19 Avril 1772.
MONSIEUR ,
Vous prêtez de belles aîles à ce Mercure
qui n'était pas même galant du tems
de Vifé , & qui devient , grace à vos
foins , un monument de goût , de raifon
& de génie.
Votre differtation fur l'ode me paraît
un des meilleurs ouvrages que nous aïons .
Vous donnez le précepte & l'exemple.
C'est ce que j'avais confeillé il y a longtems
aux Journaliſtes ; mais peut on confeiller
d'avoir du talent ? Vos traductions
d'Horace & de Pindare prouvent bien
qu'il faut être poëte pour traduire un
pocte. M. de Chabanon étoit très capable
de nous donner Pindare en vers français
, & s'il ne l'a pas fait , c'eft qu'il travaillait
pour une fociété littéraire plus
occupée de la connoiffance de la langue,
grecque & des anciens ufages , que de no .
tre poëlie.
Je pense qu'on ne chanta les odes de
Pindare qu'une fois , & encore en céréM
A I. 1772. 123
monie , le jour qu'on célébrait les chevaux
d'Hiéron , ou quelque héros qui
avait vaincu à coups de poing ; mais j'ai
lieu de croire qu'on répétoit fouvent à
table les chanfons d'Anacréon , & quelques
unes d'Horace. Une ode , après tout,
eft une chanfon ; c'eft un des attributs de
la joie. Nous avons dans notre langue des
couplets fans nombre qui valent bien
ceux des Grecs , & qu'Anacréon aurait
chantés lui-même , comme on l'a déjà dit
très justement.
Toute la France , du tems de notre
adorable Henri IV , chantait , charmante
Gabrielle , & je doute que dans toutes les
odes grecques on trouve un meilleur couplet
que le fecond de cette chanfon fameuſe
,
Recevez ma couronne ,
Le prix de má valeur;
Je la tiens de Bellone ,
Tenez -la de mon coeur.
A l'égard de l'air nous ne pouvons avoir
les piéces de comparaifon ; mais j'ai de
fortes raifons pour croire que la musique
grecque était auffi fimple que la nôtre l'a
été ; & qu'elle reffemblait un peu à nos
noëls & à quelques airs de notre chant
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Grégorien. Ce qui me le fait croire , c'eft
que le Pape Grégoire , quoique né à Rome
, était originaire d'une famille Grecque
, & qu'il fubftitua la mufique de fa
patrie au hurlement des Occidentaux.
A l'égard des chanſons Pindariques ,
j'ai vu avec plaifir dans un effai de fupplément
à l'entrepriſe immortelle de l'encyclopédie
, qu'on y cite des morceaux
fublimes de Quinault qui ont toute la
force de Pindare , en confervant toujours
cet heureux naturel qui caractériſe le phénix
de la poëfie chantante comme l'appelle
la Bruïere.
Chantons dans ces aimables lieux
Les douceurs d'une paix charmante ;
Les fuperbes Géants , armés contre les dieux,
Ne nous donnent plus d'épouvante.
Ils font enfevelis fous la mafle pefante
Des monts qu'ils entallaient pour attaquer les
cieux .
Nous avons vu tomber leur chef audacieux
Sous une montagne brûlante ;
Jupiter l'a contraint de vomir à nos yeux
Les reftes enflammés de fa rage expirante ;
Jupiter eft victorieux ,
Et tout céde à l'effort de fa main foudroïante;
Chantons dans ces aimables lieux
Les douceurs d'une paix charmante.
MA I. 1772. 125
Le beau chant de la déclamation qu'on
appelle récitatif, donnait un nouveau prix
à ces vers héroïques pleins d'images &
d'harmonie. Je ne fais s'il eft poffible de
pouffer plus loin cet art de la déclamation
que dans la dernière ſcène d'Armide ; &
je penfe qu'on ne trouvera dans aucun
poëte Grec , rien d'auffi attachant , d'auffi
animé , d'auffi pittorefque que ce dernier
morceau d'Armide & que le quatriéme
acte de Roland.
- Non feulement la lecture d'une ode
me paraît un peu infipide à côté de ces
chefs-d'oeuvre qui parlent à tous les fens;
mais je donnerais pour ce quatrième
acte de Quinaut toutes les fatyres de Boileau
, injufte ennemi de cet homme unique
en fon genre , qui contribua comme
Boileau à la gloire du grand fiécle , & qui
favait apprécier les fombres beautés de
fon ennemi , tandis que Boileau ne favoit
pas rendre juftice aux fiennes.
Je reviens à nos Odes. Elles font des
ſtances , & rien de plus. Elles peuvent
amufer un lecteur quand il y a de l'efprit
& des vérités . Par exemple ; je vous prie
d'apprécier cette ftance de la Motte.
Les champs de Pharfale & d'Arbelle
Ont vu triompher deux vainqueurs ,
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
L'un & l'autre digne modèle
Que le propofent les grands coeurs.
Mais le fuccès a fait leur gloire ;
Et fi le fceau de la victoire
N'eût confacré ces demi - dieux ,
Alexandre , aux yeux du vulgaire ,
N'auroit été qu'un téméraire
Et Céfar qu'un féditieux.
Dites- moi fi vous connaiffez rien de
plus vrai , de plus digne d'être fenti par un
roi & par unphilofophe ? Pindare ne parlait
pas ainfi à cet Hiéron qui lui donna
pour les louarges cinq talens , évalués du
tems du grand Colbert à mille écus le talent
, lequel en vaut aujourd'hui deux
mille.
La grande Ode , ou plutôt la grande
Hymne d'Horace pour les jeux féculaires ,
eft belle dans un goût tout différent. Le
poëte y chante Jupiter , le foleil , la lune ,
la déeffe des accouchemens , Troye ,
Achille , Enée , &c. Cependant il n'y a
point de galimathias. Vous n'y voyez
point cet entaffement d'images gigantesques
, jettées au hafard , incohérentes ,
fauffes , puériles par leur enflure même ,
& qui font cent fois répétées fans choix
& fans raifon ; ce n'eft pas à Pindare que
j'adrefle ce petit reproche.
MA I. 1772. 127
·
Après avoir très -bien jugé , & même
très bien imité Horace & Pindare , &
après avoir rendu au très - eftimable M.
de Chabanon la justice que mérite fa
profe noble & harmonieufe , qui paraît
i facile malgré le travail le plas pénible ,
vous avez rendu une autre eſpèce de
juftice. Vous avez examiné avec autant de
goût & de finelle que de fageffe & d'honnêteté
, je ne fais quelle fatyre un peu
groffière intitulée , Epitre de Boileau . Je
ne la connaîs que par le peu de vers que
vous en rapportez , & dont vous faites
une critique très judicieufe . Je vois que
plufieurs perfonnes d'un rare mérite font
attaquées dans cette fatyre . Meffieurs de
Saint Lambert , de Lile , Saurin , Marmontel
, Thomas , du Belloi , & vous même,
Monfieur , vous paroiffez avoir votre
part aux petites injures qu'un jeune écolier
s'avife de dire à tous ceux qui fontiennent
aujourd'hui l'honneur de la littérature
françoiſe.
Comment ferait reçu un écolier qui
viendrait le préfenter dans une académie
le jour de la diftribution des prix , &
qui dirait à la porte , Meffieurs , je viens
vous prouver que vous êtes les plus méprifables
des gens de lettres ? Il faudrait
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
commencer par être très eftimable pour
oser tenir un tel difcours , & alors on ne le
ti ndrait pas.
les Lorfque la raifon , les talens
moeurs de ce jeune homme auront acquis
un peu de maturité , il fentira l'extrême
obligation qu'il vous aura de l'avoir
corrigé. Il verra qu'un fatyrique qui
ne couvre pas par des talens éminens ce
vice né de l'orgueil & de la baffeffe ,
croupit toute fa vie dans l'opprobre ;
qu'on le hait fans le craindre , qu'on le
méprife fans qu'il faffe pitié ; que toutes
les portes de la fortune & de la conſidération
lui font fermées ; que ceux qui l'ont
encouragé dans ce métier infâme font les
premiers à l'abandonner , & que les hommes
méchans qui inftruifent un chien à
mordre ne fe chargent jamais de le nourir.
Si l'on peut fe permettre un peu de fatyre
, ce n'eft , ce me femble , que quand
on eft attaqué. Corneille vilipendé par
Scudéri , daigna faire un mauvais fonnet
contre le gouverneur de Notre Dame
de la Garde. Fontenelle honni par Racine
& par Boileau leur décocha quelques
épigrammes médiocres. Il faut bien quelquefois
faire la guerre défenſive . Il y a eu
MA I. 1772 .
129
des rois qui ne s'en font pas tenus à cette
guerre de néceffité.
Pour vous , Monheur , il me femble
que vous foutenez là vôtre bien noblement.
Vous éclairez vos ennemis en
triomphant d'eux ; vous reffemblez à ces
braves généraux qui traitent leurs prifonfonniers
avec politeffe , & qui leur font
faire grande chère .
Il faut avouer que la plupart des querelles
littéraires font l'opprobre d'une nation
.
C'eſt une choſe plaifante à confidérer
que tous ces bas fatyriques qui ofent
avoir de l'orgueil . En voici un qui reproche
cent erreurs hiftoriques à un homme
qui a étudié l'hiftoire toute fa vie. Il n'eft
pas vrai , lui dit- il , que les rois de la première
race ayent eu plufieurs femmes à la
·fois ; il n'eſt pas vrai que Conftantin ait
fait mourir fon beau-pere , ſon beau frère ,
fon neveu , fafemme &fon fils ; il est vrai
que l'empereur Julien qui n'étoit point philofophe
, immola unefemme & plufieurs
enfans à la lune dans le temple de Carres ;
car Théodoret l'a dit, & c'étoit un fecret sûr
pour battre les Perfes , que de pendre une'
femme par les cheveux , & de lui arracher
le coeur. Il n'eft pas vrai que jamais un laïc
ait confeffé un laïc. -- Témoin le Sire.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
-
-
de Joinville , qui dit avoir confeffé & abfout
le connétable de Chypre , felon qu'il
en avait le droit , & témoin Saint Thomas
, qui dit expreflément : la confeffion à
un laïc n'eft pas facrement , mais elle
eft comme facrement. Confeffio ex defectu
facerdotis laïco , eftfacramentalis quodam
modo. Tome II , page 255. Il eftfaux
que les abbeffes ayent confeffe jamais leurs
religieufes. Car Fleuri, dans fon hiſtoire
eccléfiaftique , dit qu'au 1 3 me fiécle les
abbeffes , en Espagne confeffaient les religieufes
& prêchaient, Tome XVI , page
246. Car ce droit fut établi par la règle de
Saint Bafile , Tome II , page 453 , car
il fut long tems en ufage dans l'églife latine
; Martenne , Tome II , page 39. Il
n'eft pas vrai que la Saint Barthélemi fut
préméditée, -Car tous les hiftoriens à
commencer par le refpectable. de Thou
conviennent qu'elle le fut. Il eft vrai que la
pucelle d'Orléans fut inspirée,
Monftrelet , contemporain , dir expref-
Car
fément le contraire , donc vous êtes un
ennemi de Dieu & de l'état.
Quand on a daigné répondre à cet.
homme , car il faut répondre fur les faits
& jamais fur le goût , il fait encore un
gros livre pour fauver fon amour- propre
pour dire que s'il s'eft trompé fur quel
&
MA I. 1772 . 131
ques bagatelles , c'était à bonne intention.
Vous avez grande raifon , Monfieur
de ne pas baiffer les yeux vers de tels objets
. Mais ne vous ladez pas de combattre
en faveur du bon goût ; avancez hardiment
dans cette épineufe carrière des
lettres , où vous avez remporté plus d'une
victoire en plus d'un genre. Vous favez
que les ferpens font fur la route , mais
qu'au bout eft le temple de la gloire . Ce
n'eft point l'amitié qui m'a dicté cette
lettre,c'eſt la vérité; mais j'avoue que mon
amitié pour vous a beaucoup augmenté
avec votre mérite , & avec les malheureux.
efforts qu'on a faits pour étouffer ce mé.
rite qu'on devait encourager.

J'ai l'honneur d'être , &c.
Les Nuits Parifiennes à l'imitation des
Nuits Attiques d'Aulu gelle ou Recueil
des traits finguliers ; Anecdotes , uſages
remarquables , faits extraordinaires
, obfervations critiques , penfées
philoſophiques , &c , &c , &c . Nouvelle
Edition , corrigée & augmentée ,
deux parties in 12 brochées 3 livres . A
Paris , chez Lacombe rue Chriftine.
On a fait dans cette nouvelle édition
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs augmentations qui étendent &
complettent le plan de la première . Ce
Recueil fait à l'imitation des Nuits Attiques
amufe , & inſtruit , en même- tems ,
par une variété piquante de faits finguliers
, d'anecdotes , de réflexions , de differtations
fur des ufages anciens , fur des
origines , fur l'hiftoire naturelle , & c.
Analyfe du grand ouvrage du Pape Benoit
XIV. fur les Béatifications & Canonifations
, par M. l'Abbé Bodeau , Prevôt
mitré de Vidziniky ( en Pologne ) :
vol . in- 12 de 336 pages , y compris la
préface. A Paris , chez Lottin le jeune
Libraire , rue faint Jacques , vis-à vis la
rue de la Parcheminerie. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
SYNONIMES FRANÇOIS .
Luxe ,fomptuofité , magnificence , fafte.
>
Ces termes expriment de grandes dépenfes.
Le luxe eft particulièrement caractérisé
par les dépenfes exceffives & défordonnées
de tous les genres. La fomp.
zuofité par les grandes dépenfes en confommations
rapides & fugitives& en ufage
de chofes communes, plutôt qu'en décora
MA I. 1772. 333
tions extraordinaires ; la magnificence par
les dépenfes grandes & brillantes en ou
vrages durables plus qu'en jouiffances paffagères
; le fafte par les grandes dépenfes
habituelles ou fucceffives d'appareil , d'éclat
, de décoration , d'étalage public.
Le mot luxe emporte dans fa fignifica
tion naturelle le défordre & l'excès des
dépenfes , comme celui de luxure * , le
dérèglement dans les appétits fenfuels , &
celui de luxation , le déplacement des
membres ; car ces trois mots font déri
vés du verbe luxare , démêtre , déboëter.
Si le fens de luxe n'eft pas ainfi détermi
né & fixé par fon étymologie , ce mot n'a
plus qu'un fens vague & arbitraire , & il
eft abfurde de demander s'il eft utile ou
nuifible. Vous le trouverez toujours ou
presque toujours pris en mauvaiſe part ,
fi ce n'eft peut-être dans quelques defcriptions
poëtiques . Joignons au luxe ,
dit Valère Maxime L. IX , C. 1 , l'incontinence
puifque l'un & l'autre pren
nent leur fource dans les mêmes vices.
Vulgairement on appèle luxe l'ufage des
fuperfluités , fans qu'on puifle s'accorder
* Luxus & Luxuria , fynonimes chez les La
tins.
1.34 MERCURE DE FRANCE.
fur les caractéristiques de la fuperfluité ,
& parce qu'on ne fauroit marquer le point
précis où commence l'abus , & par conconféquent
le luxe. Ainfi l'on regarde
comme luxe les parfums chez les orientaux
,les anneaux chez les nègres , les colliers
chez les fauvages de l'Amérique
feptentrionale , &c.
Le motfumptuofué tire fon origine de
fumptus , dépenfe. Sa terminaiſon marque
, fuivant le génie de la langue latine
, la forte & la grande dépenfe. De là
l'application de l'adjectif fomptuaire , à
toute loi deftinée à réprimer les excès
réels ou préſumés en ce genre. Les dépenfes
les plus confidérables , les plus
générales , les plus utiles , les dépenfes
par excellence , fi je puis ainfi parler ,
font celles qui fe font en confommations
de fubfiftances ; c'eft pourquoi Caton
donne aux loix fomptuaires le nom
de loix alimentaires , leges cibaria ; c'eft
pourquoi la fomptuofité eft fpécialement
appliquée à la table & aux fortes confommations
de denrées quoiqu'elle
ne s'y borne pas , & qu'elle embraffe
d'autres objets d'un genre plus commun
& moins recherché que la magnificence.
>
Le mot magnificence dont l'étymoloMAI.
1772.
135
gie indique tout ufage en grand de nos
facultés , paroît être affecté le plus fouvent
aux dépenses grandes & recherchées
en habits , meubles , ornemens , conftructions
, quoi qu'il convienne auffi aux
objets de confommation fine & délicate ,
fi je puis m'exprimer ainfi . Les Latins
l'employoient en bonne part; rarement l'at-
on confidéré dans fes rapports politiques.
Velleius Paterculus met une différence ou
plutôt une oppofition marquée entre la
magnificence & le luxe , lorsqu'il dit
Métellus qui conftruifit un édifice de,
marbre , fut le premier des citoyens Romains
ou en magnificence , ou en luxe. Les
deux particules disjonctives emportent
des fens contraires , l'une en bien , l'autre
en mal .
que
Le mot faftus , fafte , paroît avoir la
même origine que faftigium , ainfi le
fafte marque la hauteur , & confidéré dans
fes rapports avec les mots précédens , il
défignera un appareil éclatant de dépenfes
, fur tout en décorations , avec l'affiche
de la haute & indifcrète opulence .
Employéfeul , il eft presque toujours pris
en mauvaiſe part.
Le luxe eft effentiellemeut nuifible ,
puisqu'il eft abus ou excès de magnifi
136 MERCURE DE FRANCE.
cence > de fomptuofité , &c , com
me nous l'avons remarqué. La fomptuofuté
& la magnificence feront ou nuifibles
ou utiles , felon qu'elles tendront à faire
valoir ou à avillir les productions du
pays , & à conferver ou à dégrader les
patrimoines tant publics que privés. La
fomptuofité fera plutôt utile que la magnificence
, parce que fes dépenfes font
dirigées vers des objets de confommation
& d'ufage plus communs. Le fafte fera le
plus ordinairement nuifible , car il n'a
pour objet que d'éblouir & d'en impofer ,
& il cherchera aux extrêmités de l'univers
la matière de fes profufions & de
fes décorations , aux dépens des vrais intérêts
de la fociété .
Les règlemens contre le luxe n'ont
Roint la fageffe , la juftice , la force requifes
pour qu'ils foient loix. Ils condamnent
ce qui n'eft pas nuifible & mauvais en
foi , & même fouvent ce qui eft en foi ,
bon & utile . Quand à Rome on défendir
au citoyen de fervir fur une table plus
d'une volaille , & de la fervir engraiffée ,
on ne favoit pas qu'en bornant les confommations
de fomptuofité , on borne la
reproduction , & par conféquent la richeffe
publique ; car on auroit , au conMA
I. 1772 . 137
traire , defiré comme notre gtand Henri ,
que chaque payfan pût avoir une poule
graffe dans fon pot. Ces règlemens , en
coupant une branche de commerce , en
offenfent d'autres branches très utiles ,
car elles s'entrelacent les unes dans les
autres. La Suède n'avoit pas vu que par la
prohibition des liqueurs étrangères , & c ,
elle arrêtoit le débit de fon fer que les
étrangers payoient avec ces liqueurs , & c .
La frugalité de Charles XII auroit plutôt
corrigé le luxe que la légiflation . Ces règlemens
, s'il peut arriver qu'ils ne
foient pas violés , feront du moins éludés
par l'adreffe avec laquelle le luxe
fe replie & fe reproduit fous mille &
mille formes lorsque dans un pays on
a défendu les broderies d'or & d'argent ,
il s'y eft introduit des broderies de foie
beaucoup plus chères , & ainfi des autres
genres de magnificence ou defafte.
Il faut attaquer le luxe par l'inftruction ,
l'exemple , & fur- tout le rétabliſſement
de l'ordre dans les dépenfes publiques.
Par ces moyens il feroit poffible d'enga
ger les citoyens à préférer , pour leur intérêt
& même leur agrément , la confommation
des denrées fur leurs propres terres,
aux autres genres de dépenfes dans les
lieux éloignés de la production ; nos her138
MERCURE DE FRANCE.
bes odoriférantes; aux épiceries de l'Inde ,
notre fauge , au thé de la Chine , le fucre
qui pourroit fe fabriquer en Afrique , &
peut- être celui que nous pourrions exprimer
de nos propres cannes , fur tout
en les cultivant ( fuivant l'épreuve faire
dernièrement en Italie par M. Ardécini )
au fucre que nous tirons de l'Amérique
& c. Plus éclairés fur la vraie gloire & fur
leurs vrais avantages , les princes & les
peuples diftingueroient la magnificence
utile d'avec le fafte pernicieux , & préféreroient
les belles fermes aux fuperbes
hôtels , une forte digue , à une haute terraffe
, les canaux aux jets , d'eau , les voies
des Romains , à leurs cirques , le
Rhodés, à fon coloffe , & c.
port
de
Le luxe n'eft étrangerà aucune condition
, cat chacun peut dans de fauffes dépenfes
excéder fes moyens. Le chien du
pauvre est une fotte de luxe ; il ne faut
pourtant pas lui ravir cette fociété , cette
confolation , cette jouiffance , comme
on vient de le faire dans une partie de
la Norvège . La fomptuofité & la magnificence
ne conviennent qu'à la richelle &
à l'opulence . Souvent on les voit à côté
de la difette & de la nudité . Tel eft aujourd'hui
l'état d'une partie de l'AllemaM
A I. 1772 . 139
s'eftime heureux , lorfgne
où le
pauvre
que hériffé de haillons , il trouve des troncs
de choux à ramaffer à la porte des riches
dont la plupart ne dérogeroient point à
leur fomptuofité & à leur magnificence
pour tendre une main charitable & généreufe
à leurs frères . Lefafte femble parti
culièrement appartenir à la grandeur. Les
rois orientaux s'enveloppent dans un
fafte plus effrayant encore qu'éblouiſfant
, pour paroître du fein de ces nuages
aux yeux des peuples , femblables à des
dieux . Vefpafien , Théodofe , Louis XII ,
Henri IV fe dépouillent d'un fafte inu
tile aux vertus , pour être au milieu de
leurs peuples en pères de famille . Appliquons
à des princes fi oppofés dans leurs
moeurs les jugemens que nous porterions
de ces deux femmes citées dans l'hiftoire
Romaine , dont l'une s'enorgueilliffoit de
fes bijoux , & l'autre de fes enfans .
Ne vous laiffez pas féduire par le luxe
des capitales & le fafte des cours ; fouvent
ce ne font là que des ornemens de
tombeaux qui ne renferment que des
cendres . Nous avons des fignes infaillibles
de la profpérité des empires dans la
magnificence des ouvrages d'utilité publique
, & la fomptuofité des confomma140
MERCURE DE FRANCE. E
tions privées ; ce font là le germe & le
fruit de vie qui affurent aux empires la
perpétuité.
Nous fommes plus magnifiques que
nos pères , nos pères étoient plus fomptueux
que nous ; ils dépenfoient plus que
nous en confommations utiles , nous dépenfons
plus qu'eux en frivoles décorations.
Leurs dépenfes tournoient an profit
de l'agriculture ; les nôtres tournent ,
ce femble , à fon détriment . Ils étoient
grands dans le grand , nous fommes
grandsdanslepetit.Comparez
noschâteaux
modernes avec les antiques châteaux ,
ceux-ci refpirent peut être le fafte de la
force , & ceux-là le luxe de la molleffe .
Lorfque Xerxès , au milieu des fomp .
tuofités de tous les genres , excite par de
mnifiques promeffes les artifans des plaifirs
à lui en enfeigner de nouveaux , je
crois le voir , fon honteux édit à la main ,
aller faftueufement tomber ivre mort de
luxe aux pieds des Grecs , & entraîner
dans fa chûte fes fucceffeurs & l'empire.
L'avare , comme Pygmalion , Roi de
Tyr , aura peut- être un genre de fafte ,
par exemple , en décorations durables
parce qu'il ne faut pas fouvent renou
veller ces dépenfes . Mais que l'on pé
>
MA I. 1772. 141
>
nétre fes motifs , prefque toujours fon
fafte même est d'avarice. Il fera fomptueux
un jour , mais il a déja repris fa dépenſe
extraordinaire fur fes dépenfes futures
& fon feftin n'eft qu'une confommation
anticipée d'une longue fuite de repas . Il
ne paroîtra jamais magnifique lors même
qu'il voudrale paroître ; fes goûts & les
geftes fe refuſent à la recherche , à l'élégance
, à l'aiſance , à cet en femble harmonieux
de la vraie magnificence ; fa mine
dément ce qu'il affecte , & fa main fe
referme en s'ouvrant. Il fe déchaînera
contre le luxe , mais ce ne fera que quand
il ne tournera point à fon profit.
Le luxe diffipe de mille manières ; la
fomptuofité répand avec profufion ; la magnificence
le déploye avec goût ; le fafte
s'étale avec oftentation. Le fafle paroît
avoir l'air haut & dédaigneux , la magnificence
les manières nobles & aifées , la
Jomptuofité la main large , fi je puis ainfi
parler , le luxe le jeu des prétentions outrées
& ruineufes.
Le faftueux jouit de l'humiliation qu'il
veut imprimer , le magnifique de l'admiration
qu'il veut exciter , lefomptueux des
plaifirs qu'il veut communiquer , le luxueux
(qu'on me pardonne le terme) , de
142 MERCURE DE FRANCE.
l'étourdiflenient dans lequel il eft , &
croit jeter les autres. L'homme à fafte
& l'homme à luxe femblent ne chercher
que leur propre fatisfaction ; le
fomptueux & le magnifique femblent
chercher leur fatisfaction , en partie , dans
celle des autres , ou du moins dans l'approbation
des autres .
L'économie ou la jufte harmonie des dépenfes
eft en oppotition avec le luxe , la
frugalité avec la fomptuofité , la fimplicité
avec la magnificence , la modeftie avec le
fafte.
>
Dans les difcours , les penfées , les
écrits , il peut y avoir de la magnificence ,
dufafte , du luxe. Lefafte met de l'apprêt
, de l'affectation , de l'effort , de l'en-
Alure ; la magnificence , de la recherche ,
de la noblefle , des ornemens ; le luxe
de l'amplification , de la redondance , de
la furabondance. Le fafte fort de la nature
, la magnificence l'embellit , le luxe
la charge. La magnificence des mots & du
ftyle doit être ordonnée par la grandeur
du fujet & des idées fucceffives , fans quoi
elle dégénère en fafte , fi elle ne fert qu'à
revêtir & déguifer de petits objets , comme
il arrive quelquefois à Cicéron ; ou en
luxe lorfqu'elle n'eft employée qu'à revê
MA I. 1772. 143
tir & déguifer le même objet de mille manières
, comme il arrive fouvent à Ovide
& à Sénèque . Le luxe fatigue , la magnificence
féduit , le fafte choque . Je ne fais fi
le mot defomptuofité a été appliqué aux
difcours & aux ouvrages d'efprit ; il me
femble que l'on pourroit dire une érudi
tionfomptueufe , comme on dit une érudi
tion indigefte , on fuivroit ainfi la métaphore.
Je n'ai point parlé du mot pompe , pour
ne point embarrafler inutilement ma
marche:il défigne particulièrement l'appa
reil éclatant & extraordinaire d'une fète ,
d'une cérémonie , d'un fpectacle : on dit
la pompe d'an triomphe , d'un tournois ,
d'une entrée folemnelle ; une pompe funèbre
, & c .
Par M. l'Abbé Roubaud.
144 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES.
I..
Prix propofé par la Société Royale des
Sciences , en conféquence d'une délibération
des Etats Généraux de la Province
de Languedoc , pour l'année
1772.
ES Les Etats Généraux de la Province de
Languedoc , toujours attentifs à favorifer
le progrès des arts utiles , ont unanimement
délibéré fur la propofition de
M. l'Archevêque & primat de Narbon
ne leur illuftre préfident , dont on connoît
le zèle pour les fciences , de donner
un prix de 6co liv. à l'auteur qui au jugement
de la compagnie , aura le mieux
traité le fujet fuivant :
Déterminer les différens titres ou degrés
'de fpirituofité des eaux de vie ou efprits
de vin , par le moyen le plusfür & en même-
tems le plus fimple , & le plus applicable
aux ufages du commerce.
Toutes perfonnes de quelque pays &
condition qu'elles foient pourront travailler
fur ce fujet , & concourir pour le
prix ,
MA I. 1772. 145
prix , même les affociés étrangers & les
correfpondans de la fociété. Elle s'eft fair
la loi d'exclure du concours les académiciens
regnicoles .
On exhorte les auteurs à ne rien négliger
de ce qui pourra les conduire à la folucion
de la queftion propofée. L'académie
de fon côté , dans l'examen & le jugement
de leurs ouvrages , s'efforcera de
répondre par fon exactitude à la confiance
des Etats & à mériter de plus en plus
la bienveillance d'un prélat dont elle a
fouvent reffenti les bienfaits & qu'elle
fe glorifie de compter au nombre de fes
membres.
Ceux qui compoferont font invités à
écrire en françois ou en latin . On les
prie d'avoir attention que leurs écrits
foient bien lifibles , fur-tout s'il y a des
calculs d'algèbre.
Ils ne mettront point leurs noms à
leurs ouvrages , mais feulement une fentence
ou devife. Ils pourront attacher à
leur écrit un billet féparé & cacheté , où
feront,avec la même devife, leurs noms
qualités & adreffe ; ce billet ne fera ouvertqu'en
cas que la pièce ait remporté le
prix.
On adreſſera les ouvrages , francs de
G
146 MERCURE DE FRANCE .
port à M. Ratte , fecrétaire perpétuel de
la fociété royale des fciences de Montpellier
où on les lui fera remettre entre
les mains . Dans ce fecond cas le fecrétaire
en donnera , à celui qui les lui aura
remis , fon récépiflé où feront marqués la
devife de l'ouvrage & fon numero, felon
l'ordre ou le tems dans lequel il aura été
reçu .
Les ouvrages feront reçus jufqu'au 30
feptembre 1772 inclufivement. La fociété
à fon affemblée publique pendant
la tenue des Etats de 1772 , proclamera
la pièce qui aura mérité le prix.
S'il y a récépiffé du fecrétaire pour la
pièce qui aura remporté le prix , le tréfo-
Fier de la compagnie le délivrera à celui
qui rapportera ce récépiffé . S'il n'y a pas
de récépiffé du fecrétaire , le tréforier ne
délivrera le prix qu'à l'auteur qui fe fera
connoître ou au porteur d'une procuration
de fa
part,
I I.
Rouen,
L'Académie fondée à Rouen fous le
titre de l'immaculée Conception de la Ste
Kierge , a tenu fa féance publique le jeuMA
I. 1772.
di 19 Décembre 1771 dans une des falles
des RR. PP. Carmes de cette ville .
Elle étoit présidée par M. Thiroux de
Crofne , premier préfident au confeil fu
périeur établi en la même ville. M. l'Abbé
Deshouffaies , en qualité de fecrétaire
perpétuel , a ouvert cette féance par un
difcours , où il expofe avec ordre &
clarté tout ce qui peut intéreffer les auteurs
couronnés , & ceux qui voudront
concourir aux prix qui feront diftribués
par cette fociété , le jeudi d'avant Noël
1772 .
95
55
« S'il eft doux , Meffieurs , de travailler au progrès
des lettres & de la vertu , même fans récompenfe
, & fans fuccès , il l'eſt encore bien
5s davantage de voir fes travaux couronnés ; & le
ftoïcifme qui prétendoit fe fuffire à lui même.
étoit fans doute une chimère enfantée par l'orgueil
& la vanité. Telle eft , Meffieurs , l'heureufe
fituation des citoyens des différens ordres
» qui ont réuni leur zèle pour prévenir ou répa
rer les outrages du tems , pour ranimer l'efprit,
pour étendre les effets de l'ancienne inftitution
5 qui nous raflemble aujourd'hui. S'ils n'ont rien
5 épargné autant que l'état des chofes a pu le
permettre pour rallumer le feu d'une noble
émulation qui vivifie la fociété entière , aufh
» leurs efforts n'ont- ils pas été ftériles . Des auteurs
diftingués leur ont applaudi. Le nombre,
la qualité des pièces aureflées au contours , les
Gif
148 MERCURE DE FRANCE.
pays éloignés d'où elles ont été envoyées, tout
lemble annoncer que le Public éclairé répond
bà leur zèle produit par l'amour de la Religion
& des lettres . »
M. Deshouflaics annonce enfuite l'ordre de la
lecture des éloges de deux Mécènes de cette Académie
, & des ouvrages françois & latins qui ont
été jugés dignes des prix affignés , foir par les an
ciennes fondations dont on a fait la réduction
foit par la libéralité du Prince qui préfide à l'affemblée.
Cet ordre n'a été interrompu que par les
applaudiflemens qu'ont excités & le zèle des juges
à foutenir un fi louable inftitut , & l'ardeur des
auteurs à mériter les palmes qui leur étoient promiles.
Le premier objet de l'attention publique a
été l'éloge de M. Jacques Bichier de Cérify , évêque
de Lombez , abbé commandataire de l'abbaye
de Châage , &c, mort à Montpellier le 14
Juillet 1771. Če prélat , fi connu par fon zèle &
par fes vertus , avoit géré la principauté de l'acadèmie
en 1751 , & fa protection n'avoit pas peu
contribué à entretenir l'émulation parmi les auteurs.
Le fecond éloge eft celui de M. Pierre-Jacques-
Louis de Becdeliévre , marquis de Cany ,
&c, mort à Paris le s Octobre 1771. Ce feigneur,
à l'exemple de fon ayeul , avoit particulièrement
favorifé cette académie , dont il fut Prince en
1739 ; & le tribut de mémoire qu'on païe à fa mé
moire a été juftifié par les regrets qu'a renouvellés
le recit de fes excellentes qualités.
La lecture de ces deux productions de M. Des
houffaies a été fuivie de celle d'un difcours françois
fur l'utilité & les avantages d'une Société académique
, confacrée en même- tems à la Religion
M A I. 149 1772 :
L'auteur
& aux lettres. ( l'auteur eft M , Roffel , avocat à
Paris. ) L'Académie avoit propofé ce fujet , & a
reçu plufieurs difcours fur cette matière intéreffante
dont on paroît avoir puifé l'idée dans le
projet d'une Académie eccléfiaftique , pat M. l'Ab .
bé Dinouart , dans fon Journal de Mai 1762.
Quelques-uns de ces difcours n'étoient pas deftitués
de mérite ; mais on a trouvé qu'ils avoient
manqué leur fujet en faifant valoir féparément
les avantages de la Religion & des lettres . C'étoit
leur réunion qui devoit fixer les regards &
l'attention des auteurs . On fe permet ici cette
réflexion , parce que c'eft là le défaut dans lequel
on eft fâché de voir tomber la plupart des auteurs
des difcours qu'on a adreflés à cette académie de
puis qu'elle les a remis au concours.
lur - tout du difcours fur le danger de la lecture des
livres contre la Religion par rapport à lafociété ,
imprimé à Paris , chez Lejai , 1770 , n'avoit pas
évité cet écueil : & malgre la modeftie qu'il témoigne
dans la préface , il s'eft plaint par les
organes du goût public de l'efpèce d'injuſtice qu'on
lui faifoit en ne préférant pas fon ouvrage à celui
qui a été imprimé dans le recueil des pièces
relatives à l'Immaculée Conception pour les années
1768 & 1769 , in - 8 °. à Rouen , chez Machuel
. Mais comment fe perfuader qu'une compagnie
choifie qui , malgré les préjugés , fe confacre
toute entière au maintien d'une inftitution
fi utile , ne fafle part au Public de tout ce qu'elle
emploie de refforts capables de réveiller l'émulation
par l'aiguillon fur tout de la Religion , que
pour diftribuer enfuite au hafard les couronnes.
qu'elle promet. Cette année , par exemple , elle a
long-tems fufpendu fes fuffrages entre les difcours.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ci - deflus & un autre ayant pour devife : Refpicere
exemplar vitæ morumque. Ce dernier ne les a cependant
point réunis en fa faveur , malgré les
excellens morceaux qu'il renferme. Ils font bien
penfés , bien écrits, c'eft une juftice qu'on ne
fçauroit lui refufer ; mais en général il y a trop
d'écarts étrangers au fujet. On lui a accordé l'ac
ceſſit , & il fera mis àl'impreſſion avec les autres
pièces couronnées.
On a lu enfuite une Ydille intitulée : la mort du
Jufte , & ayant pour devife :
ל כ
50
Qui vécut fans remords ne craint point de mourir.
L'auteur eft M. le Comte de Laurencin , chev . de
l'Ordre de StLouis, àLyon . «L'acad . avoit démandé
pour le prix extraordinaire , communément appellé
le prix du Prince , un poëme en vers françois
ou une ode dont le fujet fût tiré de l'Ecri-
» ture Sainte , de l'hiftoire de l'Eglife , de fa mo
rale , &c. Elle n'a point reçu de pièces qui aient
»pu la fatisfaire à cet égard , & de toutes celles
» qu'elle a reçues & couronnées , celle- ci lui a pas
ru approcher le plus du genre indiqué pour le
prix du Prince. Plus on la lit , plus elle intérefle
, & elle ne peut que gagner à l'impreffion .
Qui fçait peindre ainfi le vrai bonheur eft di-
» gne d'en jouir , en jouit fans doute & fçait le
procurer. Le deffin , la compofition , le coloris,
tout retrace le peintre charmant de la nature &
» du fentiment , le poëte des ames fenfibles , l'ai-
» mable Gefner. » Le prix qui a été deftiné à l'auteur
confifte en un lys d'argent en relief , dans un
vafe de même matière.
ود

A cette pièce a fuccédé la lecture 1º. d'une ode
françoife , dont l'auteur eft M. Georges Bayeux ,
MA I. 1772. 151
maître ès arts en l'univerſité de Caën . 2 ° . D'une
Ydille , intitulée Tircis . par M. Cloud de Formé ,
profefleur au collège de Moulins en Bourbonnois,
3. D'une autre ydille fur le reveil d'Abel , par
Mde de l'Etoile , à qui on a adjugé pour acceffit
un des anciens prix qui étoient d'ufage dans l'Académie.
4º . D'une ode latine fur ces paroles :
Juftus ex fide vivit. Cette pièce eft de M. Gueroult,
étudiant en philofophie au collège royal
de Rouen : le mêine qui a remporté en 1770 le
prix d'allégorie latine fur le facrifice d'une grande
Princele au Carmel. Cette allégorie latine a
été traduite en vers françois par M. l'Abbé Guiot,
ancien ſecrétaire de cette académie , & fa traduction
a été lue à la fin de la féance publique. On
avoit lieu d'efpérer qu'un fi beau fujet feroit plus
amplement traité : il l'a été en effet par plufieurs
auteurs , mais d'une manière trop imparfaite pour
être couronné. On peut néanmoins diftinguer entre
les pièces qu'on a préfentées fut cette matiè
re , celle qui eft marquée du N°. 2 , & qui commence
par ce vers : Toi , qui dans tes illuftres
Princes , &c. Tout y refpire une certaine langueur
de fentiment qui fied fibien à l'Ydille & à l'Elégie ,
mais qui ne caractériſe point ce fublime enthoufiafine
qui doit éclater dans les piéces lyriques.
L'acceffit de l'ode latine a été adjugé à une hymne
fur la Nativité de la Ste Vierge , par M. Cout
te , eccléfiaftique de Crépy en Valois.
M. l'Abbé Deshouffaies rend compte enfuite
de la reception faite en fes mains 1º. de la nou→
velle édition des oeuvres de Mde du Boccage
augmentées de l'imitation en vers du poëme d'Abel
, & de fes ftances couronnées en 1768 en lag
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
dite académie. 2 °. De l'éloge de M. du Boullay ,
par M. de Couronne fon fuccefleur dans la place
de fecretaire perpétuel de l'académie des fciences
, belles lettres & arts de Rouen , & dans celle
de juge - né de l'académie de l'Immaculée Conception.
Ces deux ouvrages avoient été adreffés
par les auteurs , à cette dernière académie comme
un tribut de retour & d'attachement , qu'elle
n'a cru pouvoir mieux reconnoîtie qu'en le met.
tant publiquement au rang de fes vrais avanta
ges. Le refte du discours renferme le programme
des prix qui feront diftribués le jeudi qui précédera
la fête de Noël 1772. Ils feront au nombre
de quatre , felon qu'on l'avoit annoncé en 1770,
& qu'on l'a exécuté en 1771 , fçavoir ; un prix à
un discours françois d'une étendue raiſonnable ,
& dont le fujet fera : la Religion élève l'ame &
agrandit l'esprit. Il fera terminé , fuivant l'ufa.
ge , par une prière à la Ste Vierge fur fon Immaculée
Conception. Trois autres prix font deſtinés ,
l'un à des ftances en vers françois ; un autre à un
poëme héroïque de cent vers françois , au moins;
enfin un troisième à une allégorie latine , anciennement
appellée Epigramme . Toutes ces piéces
feront terminées fuivant l'inftitution primitive de
l'académie par une allufion à l'Immaculée Conception
de la Ste Vierge. Tous ces prix confiftent
en une médaille d'argent où fe voit d'un côté l'image
de la Ste Vicige avec cette légende : Immacul.
Concept. B. V. M. Acad. Rothoma ; de l'autre
, la repréſentation de tous les fymboles qui
diftinguoient les anciens prix , tels que la croix
le laurier , le foleil , &c. Le centre du revers eft
rempli par le genre du prix , l'année où il aura
été remporté , & le nom du fondateur. Il y aura
MA I. 1772. 153
néanmoins dorénavant cette diftinction pour le
prix d'éloquence , qu'il fera doré en or moulu ,
jusqu'à ce que de nouveaux bienfaits de la part,
des ames vraiment chrétiennes & patriotiques
aient mis l'académie de l'Immaculée Conception
en état d'employer une matière plus précieufe.
S'il n'eft pas rare de voir de vrais citoyens faire
paller incognitò des fommes aflez confidérables à
des fociétés coníacrées à la perfection des fciences
& des arts , pour y multiplier les prix qui s'y
diftribuent ; une fociété dont on eft maintenant
en état d'apprécier l'utilité quant à la Religion &
aux lettres , fixeroit- elle avec moins de fuccès les
regards bienfaifans du zèle & de la piété ?
Toutes perfonnes , excepté les juges de l'académie
font admifes à concourir. Les fources où les
auteurs doivent puifer leurs fujets font l'Ecriture
fainte , l'Hiftoire eccléfiaftique , civile & naturelle
, & jamais la mythologie. Les fujets nouveaux
feront plus favorablement reçus . Les ou
vrages feront envoyés doubles & francs de port
avant le jour de St Martin ( 11 Novemb. 1772 )
au RR. PP. Prieur des Carmes , trèforier
l'Académie de l'Immaculée Conception de la Ste
Vierge , à Rouen. Les auteurs auront foin d'écrire
lifiblement & correctement chacune de ces deux
copies. Le nom de l'auteur fera mis avec une
fentence dans un billet cacheté , & cette fentence
fera répétée au bas de la pièce & fur l'adreffe du
billet. On ne pourra envoyer qu'une pièce de
chaque genre , ni fuppofer aucun nom.
Quelques auteurs , qui n'avoient pas lu fans
doute les papiers publics , ont envoyé des pièces
dont le genre ne devoit pas être couronné , telles
Gy
154 MERCURE DE FRANCE .
que des ftances en vers françois & des allégories
latines . Ces deux genres feront couronnés l'année
prochaine , & les auteurs de ces ouvrages pourront
les renvoyer au concours , s'ils le jugent à
propos.
τ
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
T
LE Concert Spirituel a donné pendant
la vacance des Spectacles plufieurs excellens
morceaux de mufique parmi
lefquels il faut distinguer les beaux moets
de M. Mondonville , qui ont fait
en quelque forte , le fonds de ces concerts
, & le Stabat Mater de Pegelefe :
ouvrage fublime infpiré par le génie &
le fentiment. On y a fait entendre quelques
motets avantageufement connus de
M. l'Abbé Giroult , & un petit motet
d'nne agréable compofition de M. l'E
cuyer. Plufieurs virtuofes ont joué des
concerts , tels que M. Capron , excellent
violon qui exécute avec aifance & avec
précifion les plus grandes difficultés , M.
le Duc le jeune , qui met de l'élégance
dans fon jeu , M. Paifible , qui a un arMAI.
1772 . 155
chet brillant & rapide. M. Auvrai qui a
un jeu original & favant ; il eft inutile
de répèter les éloges mérités par M. Bezozz
fur le hautbois , & de M. Baer fur
la clarinette. M. Balbatre a imaginé d'ad'opter
auforte piana un jeu de flutes exé
cuté par M. Cliquot , facteur d'orgues du
roi. Čet inftrument compofé de deux inftrumens
de genres différens , & touché par
une main habile , rend des fons flatteurs
& d'une piquante variété . Mille Fleuri ,
âgée de feize ans , & ayant toute la perfection
de fon talent , élève de Madame
l'Evefque & de M. Mayer , a exécuté fut
la harpe un motet de la compofition de
M. Burkeffer , & un concerto de fa
compofition de M. Mayer. Le goûr que
M. Richer mer dans fon chant , ainfi que
Mlle le Clerc , Madame Larrivée , Madame
Charpentier , les belles voix de Mademoiſelle
Davantois , de M. le Gros ,
de M , Platel , de M. Gelin , de M. Durand
, & c , & leurs talens pour l'exécution
ont fait valoir autant qu'il étoit poffible
ce concert particulièrement deftiné au
plaifir de l'oreille & des amateurs de la
mufique.
G
vj
156 MERCURE DE FRANCE.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de muſique a fait
l'ouverture de fon théâtre par les actes
de Pigmalion , de Pfiché & du Devin du
Village.
Elle fe propofe de reprendre inceffamment
La Reine de Golconde , opéra
dont les paroles font de M. Sédaine , la
mufique de M. Moncigni.
COMÉDIE FRANÇOISE.
On a fait à ce théâtre des changemens
avantageux pour la commodité des
fpectateurs & pour la facilité des acteurs.
L'ouverture en a été faite par Alzire ,
tragédie de M. de Voltaire , fuivi du
Somnambule.
On répète Pierre le Cruel , tragédie
nouvelle de M. de Belloi.
!
MA I. 1772 . 157
1
COMPLIMENT pour la rentrée du Théd.
tre François , 1772 , prononcé par M.
Dalinval.
MESSIEURS ,
La première fois que mes camarades
me chargèrent de vous préfenter leurs
hommages , & de vous renouveller les témoignages
de notre reconnoiffance , je
fentis combien cette commiffion étoit embarraflante
& épineufe , je favois que de
vaines formules n'étoientpoint faites pour
vous en impofer , j'effayai donc de me
tirer d'une route qui n'avoit que trop été
fuivie, en ajoutant quelques traits à l'éloge
des grands hommes dont vous admirez
les chef d'oeuvres . J'ofai joindre quelques
lauriers à ceux qui compofent leurs couronnes
: vous daignâtes , Meffieurs , applaudir
à mes efforts & encourager ma foibleffe.
J'aurois voulu que les bornes de chacun
des difcours que j'ai eu l'honneur de
prononcer devant vous m'euffent permis
de peindre d'une manière digne des maî
tres de la fcène françoife tout ce qui caractérife
leur génie , il en eft fur tout un que
je n'aurois ceffé d'admirer , parce que
vous ne cefferez jamais de lui rendre juf158
MERCURE DE FRANCE.
tice , parce que les caractères & les hom
mes qu'il a peints appartiennent à tous les
fiécles , & qu'il femble n'avoir voulu pénétrer
l'abyine du coeur humain que pour
en tirer une philofophie & des leçons d'autant
plus utiles , que tous les états dont la
fociété eft compofée peuvent les mettre à
profic.
Tant que le premier théâtre de la nation
fubfiftera , vous fentirez , Meffieurs ,
tout ce qu'il doit à l'auteur du Mifantrope
& du Tartaffe ; vous defiretez que la nature
foir moins avare d'un pareil homme,
vous applaudirez avec tranfport à celui
qui doué du même génie ofera entrer avec
courage dans la même carrière , & ne
craindra ni les efforts d'une cabale puiffante
, ni la rage de l'envie , ni le poifon
de la calomnie , ni les petites reffources
dont les petits talens favent fi bien faire
ufage contre ceux qu'ils croyent nés pour
humilier leur amour - propre , & dont
leurs vaines clameurs ne fauroient arrêter
la courſe. Defirons donc, Meffieurs
qu'il s'élève un homme né du génie de
Molière , & ofons lui prédire les obſtacles
& le fuccès qui l'attendent.
Pour nous , Meffieurs , qui nous bornons
à mériter vos fuffrages en vous of
frant les productions fur lefquelles votre
M A I. 1772. 159
goût éclairé a déja prononcé , & celles qui
attendent la place que vous devez leur
affigner , que pouvons nous avoir à defirer
, fi vous continuez de nous honorer
de vos bontés , & fi vous encouragez les
efforts que nous ne cefferons de faire pour
contribuer chaque jours à vos plaifirs ?
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens ont fait l'ouverture de
leur théâtre par Tom Jones , comédie en
trois actes mêlée d'ariettes .
Madame Billioni , dont le public ap .
plaudit les fuccès pour la fcène & pour le
chant , a prononcé le Compliment .
VERS adreffés à Mde Billioni , après
l'avoir vujouer le rôle de Lindor , dans
l'Amoureux de quinze ans.
PAR
AR quel art cet aimable enfant ,
Qui de l'amour emprunte la figure
Rend-il fi bien le fentiment
Qu'il dérobe fon impofture ?
Comment fe peut - il qu'à quinze ans
L'avare & tardive nature
Infpire de fi, doux accens ?
Jufqu'à fes moindres mouvemens
160 MERCURE DE FRANCE.
Sont plein de grace & de fineffe ;
Mon oeil , qui fixe fa maîtrefle ,
Sur lui revient a tous momens ;
De fa douleur , de fa tendrefle ,
Tour- à- tour mon coeur agité ,
Dans la faène qui l'intéreſſe
Ne voit que la réalité :
Pour peindre ainſi la vérité ,
Un enfant... fait il comme on aime !
Il faut être l'amour lui- même.
Voyant tant d'attraits réunis ,
Qui de l'erreur auroit pu le défendre !
Oui , c'eſt Vénus pour nous furprendre
Qui fait le rôle de fon fils.
LETTRE écrite à M. de Falbaire , par
M. de Vielandt , Confeiller de Régence
de Brandebourg-Bareith .
Vienne , le 20 Janvier 1772.
MONSIEUR ,
Vous ferez peut - être furpris de recevoir des
remercimens de la part d'un étranger qui n'a pas
l'honneur d'être connu de vous . Raflurez - vous ,
Monfieur , l'auteur de l'honnête Criminel a des
droits à la reconnoiflance de toutes les nations qui
ont des théâtres & de tous les hommes qui ont
des fentimens. C'eſt fur- tout aux traducteurs qui
font pafler dans une langue étrangère , les beauM.
A I. 1772. 161
tés de vos drames à être les interprêtes des fentimens
qu'ils font naître , & c'eſt en cette qualité ,
Monfieur , que je m'emprefle de vous rendre
compte du fuccès extraordinaire qu'a eu votte
Fabricant de Londres , fur le théâtre allemand de
Vienne. Ma traduction a été fidèle , & c'cft peutêtre
fon plus grand mérite. Il auroit été auſſi tidicule
à moi de vouloir vous embellir , qu'il m'eſt
glorieux de vous avoir montré au vrai . Enfin ma
traduction , que j'ai entreprife par goût , m'a valu
bien du plaifir dans le travail , & bien des compli
mens après la répréfentation. Il eft jufte que je
vous en rende la meilleure partie ; heureux fi par
là je vous procure une espèce de confolation dans
votre difgrace , que , fans vos critiques , nous
n'aurions jamais loupçonnée , & que nous n'aurions
jamais pu croire , fans votre propre aveu.
Quoiqu'il en fait , les Allemands l'ont emporté
cette fois- ci fur vos compatriotes du côté de la
fenfibilité , & en vous remerciant du plaifir que
vous leur avez fait , ils s'en promettent toujours
autant de votre part. Avec quel plaifir n'hafarderai
- je pas une autre traduction d'un nouveau
drame de votre plume ? Sûr d'un fuccès heureux ,
J'ai l'honneur d'être , &c.
JEAN-ANDRÉ DE VIELANDT , Confeiller
de Rég. de B. Bar .
162 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE de M. de Falbaire.
MONSIEUR ,
Rien ne pouvoit me flatter autant que l'honneur
d'être traduit par un auteur célèbre dont les
ouvrages méritent eux - mêmes des traducteurs .
Vous ne favez pas , Monfieur , que je l'ai été de
votre Clémentine , il y a plus de dix ans . M. ***
me demanda mon manufcrit , & vouloit publier
alors cette piéce intéreflante avec quelques autres
du même genie. Mais toujours entraîné par de
nouveaux foins , il n'a point , juſqu'à préſent ſui.
vi ce projet à cet égard. Ainfi ce que j'avois eu
deflein de faire pour vous , vous venez, Monfieur,
de l'exécuter en ma faveur , & de la façon la plus
heureufe pour mon Fabricant de Londres. Ìl a
fûrement gagné beaucoup entre vos mains , &
s'il a reçu un accueil fi favorable en Allemagne
je le dois fans doute en grande partie , à l'habitude
où elle eft d'applaudir à tout ce qui fort de
votre plume. Cependant quoique ce fuccès vous
appartienne peut être plus qu'à moi , je ne l'ai pas
appris avec moins de plaifir.
:
J'avois vu tomber ma pièce , fans en être af-
Aligé je n'ai pas le droit de m'étonner , lorsque
je ne réuffis pas . Je ne connois point les critiques
qui en ont été faites : la foiblefle de ma vue me
permettant de lire fort peu , m'oblige dès longtems
à mettre un grand choix dans mes lectures .
Mais je m'eftime heureux de recueillir les fuffra-

MA I. 163 1772.
ges d'un peuple qui , par la fimplicité de fes
mours , fon goût pour la vie domestique , & la
vérité avec laquelle il fait peindre la nature , eft
bien fait pour juger un drame que j'ai voulu compofer
dansun genre fimple , naturel & tout- à- fait
vrai. Les détails qui devoient paroître minutieux
& puériles à Paris , aù les pères voient à peine
leurs enfans , ont pû intéreffer à Vienne ou l'on
vit davantage dans l'intérieur de fa famille. Enfin
, Monfieur , les applaudiflemens que vous
m'avez obtenus fi loin de ma patrie me font oublier
le bruit de la chûte que j'y ai éprouvée , &
me payent affez du prix de mon travail . J'aurois
tort de ne favoir pas me contenter de pareils
dédommagemens . Je dois en quelque façon y être
accoutumé. Jufqu'à préfent le théâtre de la ville
que j'habite refte fermé à l'honnête Criminel ,
quoique depuis plufieurs années cette piéce foit
vue avec intérêt fur la plupart des autres théâtres
de l'Europe
.
Voilà du moins , Monfieur , un avantage bien
conftaté du genre que j'ai adopté , & que plu-
Leurs perfonnes traitent encore ici de barbare ;
c'eft ne fe trouver étranger chez aucune Nation
policée. La trempe de mon ame me l'a naturellement
indiqué ; mais l'amour- propre pourroit auffi
le faire choifir . Ce qui eft très- plaifant pour un
peuple , ne l'eft fouvent point du tout pour un
autre , & ceffe de l'être pour le même peuple dans
un autre moment. La comédie gaie , du côté de
l'effet , a donc néceffairement une fphère plus
reflerrée que la comédie attendriffante . Celle - ci
pénétre dans les coeurs , celle - là ne s'exerce que
fur les furfaces , n'a pour objet principal que les
ridicules. Or , ce font des formes de la nature hu164
MERCURE DE FRANCE:
maine qui varient continuellement , felon la différence
des tems & des lieux : mais le fond des
fentimens demeure toujours à peu près le même ,
& la fenfibilité eft , pour ainfi dire , une corde
univerfelle qui ne peut être touchée avec quelque
juftefle , fans que la vibration s'en communique
plus ou moins fortement aux ames douces & tendres
de tous les pays & de tous les âges . Vous
avez , Monfieur , tranfmis à celle de vos compatriotes
l'effet que mon Fabricant a eu le bonheur
de produire fur la vôtre , & puifque vous pro
mettez de me continuer le même fervice , je vais
m'efforcer de rendre mon premier ouvrage digne"
du traducteur qui l'attend encore.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Monfieur DE GOLDONI.
MONSIEUR ,
Le Théâtre François vous eft redevable d'un
Ouvrage charmant ( le Bourru bienfaiſant ) qui
doit faire un des plus agréables ornemens de la
fcène françoile.
Son Excellence M. l'Ambafladeur de Venise en
tenoit de vous un exemplaire. Il a défiré que les
Comédiens François de la Cour de Vienne produififlent
fur la scène cet eftimable ouvrage , il me l'a
donné & m'a chargé d'en demander la repréſentation
à mes camarades : nous venons de la jouer,
& je me fais un plaifir de vous rendre compte de
Les fuccès.
MA I. 1772" 165
La célébrité de votre nom , la réputation de
Vos ouvrages nous avoient attiré une grande affluence
de fpectateurs, & de fpectateurs lettres qui
fe font attendus à retrouver dans cet effai de comique
françois ces traits de caractère , cette aifance
& cette vésité de dialogue qui vous diſtinguent
, & vous ont fait nommer le Molière de l'Italie
leur attente a été remplie . Ils ont été frappés
de cet heureux & naturel aflemblage de brufquerie
& de bienfaiſance dans le principal rôlejoué
par M. Augrène ( 1 ) , du caractère d'oppofition de
Dorval , repréſenté par M. Burfay ( 2) , de l'intéreflante
fituation de M. Dalàncour , joué par M.
Beaugrand , & de Mde Dalancour , par Mde Sainville
, (3 ) De la touchante ingénuité d'Angélique
jouée par Mlle Teflier. (4) De l'entremife
ådroite de Marton par Mlle Demorges ; enfin
du caractère de l'honnête Picard dont j'ai été chargé
, & que j'ai cherché à rendre intéreſlant.
Toutes les fineffes de détail & de fituation ont été
vivement fenties & applaudies avec transport : le
Public n'a eu que le regret de voir finir trop tôt
la pièce & fes plaifirs.
(1 ) Connu dans la capitale & dans la province.
par l'effervescence de fon ame & la fermeté de ſa
diction.
(2 ) Connu de même à Paris par fon intelligence
rare & profonde.
(3 ) Dont on defire connoître le talent fur le
théâtre de Paris.
(4) Jeune ſujet qui a toutes les difpofitions qui
menent au talent.
166 MERCURE DE FRANCE.
Recevez donc , Monfieur , pour mes camarades
& pour moi nos remercimens & nos hommages.
Que la fcène françoife fe ranime par vous ; que
Thalie n'emprunte plus d'habits férieux ; revêtiffez
- là de fon vrai coſtume ; que les voiles fombres
dont l'impuiflance comique la revêt , foient déchirés
par vous , & que fon embarras & la confufion
d'être dévoilée par un étranger nous falle rire.
Il me reste à vous dire , Monfieur , que notre
retraite de la Cour de Vienne , & l'envie de voir
votre pays , nous ont fait folliciter quelques établiflemens
pour un fpectacle françois en Italie
dans le courant de cette année . Nous allons donc
après Pâques nous faire connoître & juger par le
Peuple Ultramontain. Nos principales villes font
Gênes , Milan , Venife , dans ce tems de la prochaine
afcenfion . Pour nos fuccès , nous comptons
beaucoup moins fur nos talens chez les Vénitiens
que fur le dernier ouvrage de leur célèbre compatiiotes.
DEVILLE , Comédien François
au fervice de Leurs Majeftés
Impériales & Royale.
A Vienne, les Janvier 1772.
PS. Les Comédiens Allemands , frappés du fuccès
de la pièce , la font traduire pour en faire leur
Cour au Public.
MA I. 1772. 167
LETTRE à M. d'Alembert , au sujet
de la mort de M. Duclos.
MONSIEUR ,
#
vu ,
Ce feroit priver la mémoire de M. Duclos de
Thommage qui puifle lui être rendu , que de lailfer
ignorer au Public les fentimens que les habitans
de Dinan , fes compatriotes ont fait paroître
en apprenant la mort. Jamais affliction n'a
été ni plus vive , ni plus univerfelle que celle
qu'a répandu dans cette ville la nouvelle inattendue
de fon trépas, J'ai avec attendriflement
, les larmes & la douleur de tous les concitoyens
; & il n'eft peut- être pas d'exemple d'aucun
particulier , dont la perte ait excité autant de
regrets . Vous n'en ferez pas furpris , vous , Monfieur
, qui étiez l'ami de M. Duclos . Vous avez
connu cette ame noble & bienfailante. Mais je ne
fais fifa modeftie ne vous a pas laiflé ignorer tout
le bien qu'il a fait dans fa petite ville . Je pour
rois vous faire un long détail , fi les bornes d'une
lettre me le permettoient , des fervices publics &
particuliers qu'il lui a rendus ; des graces qu'il a
obtenues pour plufieurs de les compatriotes; des
penfions qu'il a fait avoir à d'anciens militaires
; des jeunes gens qu'il a placés ou foutenus ;
des nombreufes aumônes qu'il a répandues. Tous.
les ans régulièrement il envoyoit une certaine
fomme pour être diftribuée aux pauvres de cette
ville ; & dans les années où la mifère publique,

༔ ་
ikme , Face &
mawe zhmance there come
Juctovers. Mas e , housterpete,
Ihe air e egerer als are
2. S nene is 2. SVICK , AU
event your 101 ,
168 MERCURE DE FRANCE.
s'eft fait fentir davantage il a doublé cette
fomme. Enfin , fon zèle & fa bienfaiſance à l'égard
de fes concitoyens étoient inépuifables . Auffi
quels étoient les doux fentimens d'amour & de
refpect dont ils étoient pénétrés lorsqu'ils avoient
le bonheur de le voir au milieu d'eux . Il fe déroboit
de tems en tems au féjour de la capitale ,
& aux travaux littéraires , pour venir voir , difait-
il , fes chers pays ; & fon arrivée à Dinan
étoit une allégreffe publique. Il a paflé ici plufieurs
mois de l'été dernier , & le fpectacle de fes
vertus , dont j'ai été le témoin , a gravé pour lui
dans mon coeur des fentimens d'eftime & de vénération
qui ne s'effaceront jamais . Je nele con
noiffois jufques- là que par fes talens que j'admirois
avec l'Europe ; mais j'ai vu que les talens
étoient la moindre partie de fon mérite ; & ce
refpect que les hommes célèbres nous inſpirent ,
& qui ne fe foutient pas toujours dès qu'on vient
à les approcher, n'a fait que redoubler pour M.
Duclos lorfque je l'ai vu de près . Ah , Monfieur !
quel ami vous avez perdu ! les lettres ont fait
fans doute en fa perfonne une perte bien difficile
à réparer ; mais la vertu en a fait encore une plus
grande. Vous le favez mieux que perfonne, vous
Monfieur , qui étiez fi bien fait pour fentir tout
le prix de fon ame ; & c'eſt à votre plume , conduite
par votre coeur , qu'il appartient de tracer
dignement le tableau de fes vertus . Pour moi ,
Monfieur , je me borne à vous rendre un compte
fidèle du fpectacle touchant que j'ai vu , & dont
j'ai été frappé . J'ai cru devoir cette attention à
la mémoire de M. Duclos , qui , pendant fon dernier
féjour en cette ville , m'a honoré de quelques
bontés , aux habitans de Dinan , à qui leur
fenfibilité
MAI. 1772 .
169
fenfibilité dans cette trifte circonstance doit faire
honneur ; à votre amitié , qui s'applaudira d'avoir
des nouveaux ſujets de chérir & de refpecter
la mémoire de votre ami ; enfin , à la Nation & à
l'humanité , parce que pour l'intérêt des hommes
le bien ne fauroit jamais être ni aflez connu ni
affez loué.
Je fuis avec refpect , &c.
DE LAISSAC , lieutenant a
régiment de Limofin .
A Dinan , le 3 Avril 1772 .
RÉPONSE de M. d'Alembert.
MONSIEUR ,
Je reçois à l'inftant la lettre que vous me faites
l'honneur de m'écrire ; & j'espère que vous pourrez
recevoir ma réponſe avant le départ du régiment
de Limofin . Je connoiflois affez notre digne
ami pour n'être pas furpris de tout ce que vous
m'en dites. Je me contenterai d'ajouter que l'Aca.
démie , & toute la littérature ( je parle de la littérature
eſtimable ) le regrette autant que fes
concitoyens. Mais perfonne , Monfieur , ne le
regrette , & ne doit le regretter plus que moi. Ses
talens , & même fes vertus , étoient , pour ainfi
dire , unbien public ; ſon amitié & la confiance
étoient pour moi un bien particulier , dont je lens
bien vivement la perte :
H
170 MERCURE DE FRANCE .
Multis ille bonis flebilis occidit
Nulli flebilior quàm mihi .
Que ne fuis - je à portée , Monfieur , de répandre
mon coeur dans le vôtre ? Nous pleurerions
enfemble l'illuftre & refpectable ami que nous
avons perdu & nous dirions fouvent.
Ergò Quintilium perpetuusfopor
Urget , cui pudor , & juftitia ſoror ,
Incorrupta fides, nudaque veritas
Quandò ullum invenient parem ?
L'Académie Françoile vient de me nommer fon
fucceffeur à la place de fecrétaire perpétuel. II
vouloit de fon vivant me refigner cette place.
Hélas ! il ne fentoit pas combien je fuis propre à
le faire regretter. Dans l'impoffibilité de fuccéder
à fes talens , je fuccederai du moins , autant qu'il
fera en moi , à fon zèle pour les lettres & pour la
compagnie.
Je fuis avec refpect , &c. ]
D'ALEMBERT.
MA I. 1772. 175
و د
LETTRE écrite par MM. les Echevins
de Mauriac en Auvergne , à M. de
Marmontel.
MONSIEUR ,
« Les bontés de M. de Montyon , in-
» tendant d'Auvergne , dont nous avons
» reffenti des effets très marqués dans ces
» tems malheureux ,nous engagent à vous
» en conferver la mémoire fur le mar-
» bre. Ce n'eſt qu'à vous , Monfieur , que
» nous ofons nous adreffer , fondés tant
» fur la qualité de compatriote que fur
» la connoiffance que nous avons de vos
» rares talens . Il n'appartient qu'à un gé-
» nie tel que le vôtre , Monfieur, de pein-
» dre un grand homme . M. de Montyon
» a trouvé le fecret d'embellir notre vil-
» le , dans le tems de la plus grande mi-
» fére qui ait jamais exifté , & d'arracher
» par ces travaux d'entre les bras de la
» faim une foule de miférables , Dai-
" gnez , Monfieur , perpétuer notre re-
» connoiffance par quelqu'un de ces traits
» que vous favez rendre à jamais dura-
» bles ; votre nom , ainfi que celui de
H ij
172 MERCURE DE FRANCE.
"
"
Montyon tranfmis à la poftérité , feront
» que nos derniers neveux porteront en-
» vie au fiècle qui a eu le bonheur de vous
pofféder. M. de Tournemire , fon fubdélégué
, qui s'eft donné beaucoup de
foins , mérite auffi que nous lui en marquions
notre fenfibilité . Veuillez , Mon-
» fieur , exaucer notre demande , & nous
» procurer l'occafion de vous en témoi-
» gner notre reconnoiffance !
"
Nous avons l'honneur d'être avec une
» refpectueufe confidération ,
MONSIEUR ,
-
Vos très humbles & trèsobéiffans
Serviteurs ,
BERTIN , Echevin . DELALOZ , Ech .
A Mauriac , ce 14 Mai 1771.
RÉPONSE de M. de Marmontel à MM.
les Echevins de Mauriac.

MESSIEURS ,
L'empreffement avec lequel je réponds
à la confiance dont la ville de
» Mauriac daigne m'honorer, lui prou-
99
MAI. 1772 . 173
» vera combien j'y fuis fenfible . Témoi-
» gnez lui bien , je vous prie , le plaifir
» que j'ai de pouvoir une fois lui`mar-
» quer ma reconnoiffance , pour avoir été
» le berceau de mes foibles talens . Je
» n'oublierai jamais que j'ai puifé dans
» fon fein le goût de l'étude & l'amour
» des lettres .
"
"
» Une circonſtance non moins intéreſfante
>> pour moi , c'eft mon attachement
» pour l'homme vertueux auquel votre
hommage s'adreffe . Perfonne ne con-
» noît mieux que moi cette ame ſenſible
» & bienfaifante , fon intégrité , fa can-
» deur. Un intendant patriote , citoyen ,
» homme d'état , fans ambition , fans intrigue
, tout dévoué au bien public ,
» tout occupé du foulagement dés peuples
dont il eft le père , & qui porte à
» la Cour & dans les confeils le courage
» de la vérité & l'élévation d'une ame
» libre , eft un phenomène bien rare , &
je l'envierois à l'Auvergne ma feconde
patrie , fi le Limoulin n'avoit pas le
bonheur d'en pofféder le pareil . J'aurois
» voulu peindre M. de Montyon tel que
» je le connois ; mais les bornes d'une
infcription ne me l'ont pas permis.
99
"
99
H iij
174 MERCURE DE FRANCE:
» Heureuſement le fait dépofe en fa fa-
» veur , & il ſuffit à fon éloge .
» Je fuis avec refpect ,
.MESSIEURS ,
Votre très humble & très- "
obéiffant Serviteur ,
MARMONTEL.
A Paris , ce 31 Mai 1771.
INSCRIPTION .
Ce fut dans les horeurs de la calamité ,
Qu'un ami de l'humanité
A ces heureux travaux occupa l'indigence.
Montyon , ton active & fage intelligence
Eclairoit Tournemire ; il ta bien imité.
Qu'à jamais cette pierre inviolable & fainte
Fafle lire aux fiécles futurs ,
Que , fans toi , tout un peuple eût péri dans les
murs
Dont il a décoré l'enceinte.
* Le lieu où l'obélifque eft placé , eft un cours
dont M. de Montyon a fait l'enceinte de la ville ;
c'eft à quoi il a occupé les pauvres.
MA I. 1772 . 175
EXTRAIT de la Réponse de MM . les
Echevins de Mauriac en remercîment à
M. de Marmontel.
« Nous fommes enchantés de la ma-
» nière touchante dont vous avez expri-
» mé nos fentimens . Le grand homme
» pour qui vous avez employé vos rares
» talens , agréera nos hommages avec
plus de plaifir , dès que nous l'aurons
» inftruit que M. de Marmontel a bien.
» voulu , à notre follicitarion , tranfmet-
» tre à la postérité & fes bienfaits & notre
» refpectueuse reconnoiffance . »
Signés , BERTIN , DELALOZ , Echevins.
A Mauriac , le 9 Juillet 1771.
VERS à M. Deleurye , fils , confeillerchirurgien
ordinaire du Roi , fur un
intitulé : la Mère felon
nouvel
ouvrage
l'ordre de la Nature . *
CONTRE une barbare coutume ,
Aux accens de l'humanité ,
D'un noble feu ton coeur s'allume ,
* Il fe trouve à Paris , rue St Jacques , chez
Jean- Thomas Hériflant , père.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
La nature & la vérité
Ont remis leurs droits à ta plume ,
Et je vois , grâce à ton traité
Qui dit bien plus qu'on gros volume ,
L'Enfant par fa mère allaité.
Par M. Guichard.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Confiance d'Alexandre en fon médecin Philippe
, eftampe d'environ vingt trois
pouces de large fur dix - fept de haut ,
gravée d'après le tableau original de
Jean Reftout , haut de cinq pieds fur
fix de large , qui eft dans le cabinet
du roi. Par Jean- Charles le Vaffeur ,
graveur du roi & de LL. M. Imp. &
R. A Paris chez l'auteur rue des Mathurins
vis à vis celle des Maçons.
prix 6 livres.
,
CETTE eftampe peut fervir de pendant
à celle que M. le Vaffeur a publiée
précédemment
& qui repréfente le médecin
Erafiftrate , découvrant la paffion du
MA I. 1772. 177
jeune prince Antiochus pour fa bellemere.
L'eftampe qui vient de paroître
nous offre une fcène encore plus intéreſfante
; c'est le moment où Alexandre
malade après avoir pris la médecine que
Philippe fon médecin a préparée , lui fait
lire une lettre par laquelle on avertit le
Prince que fon médecin s'eft laiffé corrompre
& veut l'empoifonner. Reftout a
imprimé dans le beau caractère de tête
de ce médecin l'étonnement d'un vieillard
vertueux à la lecture des noirceurs
qu'invente la calomnie . Il étoit fans doute
plus difficile de bien caractériſer un prince
qui annonçoit par la marque de confiance
la plus héroïque qu'il croyoit à la
vertu .
Ce fujer a été traité par le Suear , qui
a fuivi le fait tel qu'il eft rapporté dans
Plutarque. Reftout s'eft un peu écarté du
récit de cet hiftorien , & au lieu de repréfenter
Aléxandre dans une chambre il
l'a placé fous une tente , ce qui eft en
effer plus conforme au caractère du héros
Macédonien , & à la circonftance où
il fe trouvoit , puifqu'il alloit combattre
Darius.
La gravûre de cette eftampe fait honneur
à M. le Vaffeur , qui paroît avoir
HY
178 MERCURE DE FRANCE .
étudié le ftyle des meilleurs artiftes qui
ont gravé des fujets d'hiftoire.
I I.
Le Lever & la Toilette. Deux eftampes
en pendans , gravées l'une par M.
Maffart , l'autre par M. Ponce , d'après
les tableaux de M. Baudouin , peintre
du roi , d'environ douze pouces de
largeur & de quinze de hauteur ; le
prix de chaque eftampe eft de quatre
livres , chez Madame Baudouin , au
Louvre .
Ces fujets font traités avec beaucoup
d'élégance . La compofition en eft galante ,
pleine de graces , & du plus heureux
choix . Dans l'une c'eft une jeune beauté
repréſentée au fortir de fon lit , jouant avec
un chat , & fervie par fes femmes. Dans
l'autre, une grace d'une tai le fwelte s'habille
devant un miroir , tandis qu'un jeune
homme la confidère avec l'expreffion de
l'amour & de l'admiration . Lesacceffoires
de ces deux fujets font riches & de bon
goût, la gravûre eft d'un fini très - agréable.
MA I. 1772. 179
I I. I.
Uniformes militaires , où le trouvent
gravées en taille- douce les uniformes de
la maifon du roi , de tous les régimens
de France , des drapeaux , des étendards
& guidons , avec la date de leur création
& les différentes figures de l'exercice , tant
de la cavalerie que de l'infanterie , deffiné
& gravé par le fieur de Montigny ;
le prix en blanc eft de 9 livres ; broché coloré
15 livres ; relié en veau coloré 18
livres ; relié en maroquin doré 21 livres ;
collé & montéfur gorge 24 livres. Se vend
à Paris , chez l'Auteur , enclos du Temple
, cour du Lion , 1772 .
Cet ouvrage eft utile & bien exécuté . On
peut par fon fecours diftinguer les uniformes
des différens régimens. L'auteur y a
joint des notes inftructives & a fait repréfenter
par les figures les mouvemens de
l'exercice , de l'efcrime & de l'équitation.
**
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
I.
Abonnement de musique vocale & inftru-
LE
mentale.
E Sieur Denis , maître de mandoline ,
fe propofe de faire paroître tous les ans
quatre volumes in - 8 ° de 125 pages chacun.
Ils feront intitulés , Les Quatre Saifons
Européennes , & feront compofés des
meilleurs morceaux de chant avec leurs
parties d'accompagnement qui auront eu
du fuccès pendant ladite année , & qui
auront été donnés fur les théâtres d'Italie ,
d'Allemagne , d'Angleterre , de Paris ,
& particulièrement fur le théâtre de la
comédie Italienne , avec des accompagnemens
faits pour différens inftrumens.
Ces volumes contiendront auf des morceaux
de mufique inftrumentale des plus
grands maîtres , & qui auront eu de la
célèbrité pendant la même année.
Plus , un traité de compofition , le
meilleur qui ait jamais été fait dans ce
gepre , qui mettra en deux ans de tems
MA I. 1772. 181
un amateur ou muſicien en état de compofer
parfaitement bien , pourvu qu'on mette
en pratique dans l'intervalle d'un volume
à l'autre les articles qu'ils contiendront
.
Le premier de ces volumes paroîtra
le premier Octobre 1772 , le fecond le
premier Janvier 1773 , le troifiéme le
premier Avril , & le quatriéme le premier
Juillet. Ils feront délivrés en brochure
, afin de pouvoir les conferver dans
les bibliothèques.
L'abonnement eft de vingt - quatre livres
par an ; l'on confignera l'argent en
s'abonnant , & l'auteur ne touchera le
prix de l'abonnement qu'à mefure qu'il
délivrera ces volumes.
Ceux qui ne voudront s'abonner que
pour le chant avec fes parties d'accompagnement
, on le leur délivrera à mesure
que l'ouvrage paroîtra . Ce volume fera
de cinquante pages de chant feulement
extraits du volume de cent vingt - cinq
pages , & alors l'abonnement fera de
douze livres pour l'année .
>
De même ceux qui ne voudront s'abonner
que pour ce qui concerne le clavecin
, on leur délivrera féparément un
182 MERCURE DE FRANCE.
volume de trente pages , l'abonnement
fera de huit livres pour l'année .
Ceux qui ne defireront s'abonner que
pour les pièces , menuets & airs de danfes
pour la flute & le violon , le volume
fera de trente pages , & l'abonnement
fera de huit livres pour l'année.
A l'égard des perfonnes qui ne feront
point abonnés & qui defireront les volumes
de cent vingt- cinq pages , elles les
payeront huit livres chacun.
On pourra s'abonner à Paris chez les
marchands de musique.
I I.
Deuxième recueil d'airs d'opéra -comiques
& autres , avec accompagnement de
guitarre , par M. Vidal , maître de gui .
tarre , mis au jour par M. Bouin , prix
3 livres . A Paris chez l'éditeur , marchand
de mufique & de cordes d'inftrument
, rue Saint Honoré , au gagne petit ,
près S. Roch , Mlle Caftagnery , rue des
Prouvaires à Lyon , Bordeaux , Lille &
Touloufe , chez les marchands de mufique
.
M A I. 1772 . 183
LE
BOTANIQUE.
E Sieur Royer , marchand épicier droguifte
, grande rue du fauxbourg Saint
Martin , donne avis que l'ouverture de
fes jardins des plantes a été faite le lundi
28 du préfent mois d'Avril à cinq heures
du feit & en attendant, tous les amateurs&
ceux qui par état fuivent cette fcience ,
font les maîtres de vifiter les jardins du
Sieur Royer , où la belle nature fe développe
chaque jour , fon cabinet d'hiſtoire
naturelle fera ouvert gratuitement les
mardis , jeudis & vendredis aux mêmes
heures que deflus .
Le Sieur Royer , fuivant fon ancien
ufage , ira tous les lundis herboriſer à la
campagne après avoir indiqué l'heure du
départ & celui du rendez - vous , où les
perfonnes qui voudront l'accompagner fe.
ront invitées de fe rendre à l'heure précife
afin de ne pas retarder ni diminuer
le tems qu'il donne à cette herborifation
Quelques amateurs ayant depuis plufieurs
années fuivi les jardins du Sieur
Royer & les herboriſations à la campa184
MERCURE DE FRANCE.
gne , & defirant les continuer , il fe réferve
les mercredis & famedis de chaque
femaine afin de fe livrer tout entier
les autres jours aux perfonnes qui voudront
s'inftruire dans les jardins.
,
Et comme les drogues fimples font ſi
intimement unies avec celui des plantes ,
l'entrée de fes jardins fera libre à Meffieurs
les garçons apothicaires , épiciers
droguiftes , depuis quatre heures du foir
jufqu'à fix , & ce gratuitement ; il leur
indiquera auffi des jours pour herborifer
à la campagne.
❤ On trouvera comme ci devant de la
meilleure eſpèce de femence & d'oeilletons
de garance , connue en botanique
fous le nom de Zubia tinctorum fativa C.
Bauhini. Il y a un avantage fenfible à fe
fervir d'ocilletons pour former une garancierre
, puifque par ce moyen on peut
recueillir dès la première année , au lieu
que par la femence on eft obligé d'attendre
trois ans.
swe
M A I. 1772.
185
FEMMES GUERRIERES .
I.
THOMAS , gouverneur de Syrie , gendre
d'Héraclius , attaque Sergiabil dans
une fortie de Damas ; il tire une flêche
qui va bleffer le jeune Aban fils de Saïb
à côté du vaillant Sergiabil ; Aban tom
be & expire , la nouvelle en vole à fa
jeune époufe qui n'étoit unie à lui que
depuis quelques jours. Elle ne pleure
point , elle ne jetre point de cris ; mais
elle court fur le champ de bataille , le
carquois fur l'épaule & deux fléches dans
les mains ; de la première qu'elle tire ,
elle jette par terre le porte- étendart des
Chrétiens ; les Arabes s'en faififfent en
criant allah acbar ; de la feconde elle
perce un oeil de Thomas qui fe retire tout
fanglant de la ville.
I I.
Marguerite d'Anjou , femme de l'infortuné
Henri VI roi d'Angleterre , donna
auffi des marques d'une valeur héroï
186 MERCURE DE FRANCE.
que ; elle combattit elle- même dans dix
batailles pour délivrer fon mari . L'hiftoire
n'apoint d'exemple avéré d'un courage
plus grand ni plus conftant dans une
femme.
99
III.
Elle avoit été précédée par la célèbre
comteffe de Montfort en Bretagne. " Cette
princefle , ( dit d'Argentré ) était ver-
» tueufe outre tout naturel de fon fexe ,
» vaillante de fa perfonne autant que nul
» homme , elle inontoit à cheval , ellele
manioit mieux que nul écuyer ; elle
» combattoit à la main ; elle couroit
» parmi une troupe d'hommes d'armes.
» comme le plus vaillant capitaine ; elle
» combattoit par mer & par terre tout de
» même affûrance , & c » .
ود
ود
"
On la voyoit parcourir , l'épée à la
main , fes états , envahis par fon compétiteur
Charles de Blois . Non- feulement
elle foutint deux affauts fur la brêche
d'Hennebon armée de pied en cap ,
mais elle fondit fur le camp des ennemis
fuivie de cinq cens hommes , y mit
le feu & le réduifit en cendres .
*
M A I. 1772.
187
1 V.
L'Héroïne qui défendit Beauvais eft
peut- être bien fupérieure à celle qui fit
lever le fiége d'Orléans . Ce fut en 1472
quand l'armée Bourguignonne affliégeoit
Beauvais. Jeanne Hachette à la tête de
plufieurs femmes foutint long tems un
affaut , arracha l'étendart qu'un officier
des ennemis alloit arborer fur la brêche ;
jetta le porte- étendart dans le foffé , &
donna le tems aux troupes du Roi d'arriver
ponr fecourir la ville. Ses defcendans
ont été exemptés de la taille , & les
femmes & les filles de Beauvais en mémoire
de cette action ont l'honneur d'avoir
le pas fur les hommes à la proceffion
le jour de l'anniverſaire.
V.
>
Mademoiſelle de la Charfe de la maifon
de la Tour- du - Pin Gouvernet fe
mit en 1693 à la tête des communes en
Dauphiné , & repouffa les Barbets qui
faifoient une irruption . Le Roi lui douna
une penfion comme à un brave Officier.
L'ordre militaire de S. Louis n'étoit
pas encore inftitué.
188 MERCURE DE FRANCE.
E
ANECDOTES.
રે
I.
Le comte de Péterborough eft un des
plus finguliers hommes qu'ait jamais porté
l'Angleterre , ce pays fi fertile en ef
prits fiers , courageux & bifarres. Il fortit
d'Angleterre à quinze ans pour aller faire
la guerre aux Maures en Afrique . A vingt
ans il avoit commencé la révolution d'Angleterre.
Il a donné plufieurs fois tout fon
bien. En 1705 il commandoit les Anglois
en Efpagne , & faifoit la guerre prefque
à fes dépens , nourriffant l'archiduc , défrayant
toute fa maifon . Cette même année
il prit Barcelone , fecondé par les Allemands
que commandoit le prince de
Darmstad. Pendant qu'il capituloit à la
porte de Barcelone avec le gouverneur
efpagnol , la herfe baiffée entre - eux
deux , ils entendirent des cris & des
hurlemens effroyables dans la ville.
« Vous nous trahiffez , dit le gouver-
» neur , pendant que nous capitulons de
» bonne foi ? Non , dit Péterborough .
Il faut que ce foient les allemands du
39
M A I. 1772 . 189
39
"
"
prince de Darmstad , livrez - moi la
» ville ? je vais les chercher avec mes
anglois , & je viendrai vous retrouver
» ici pour achever la capitulation.» Frappé
de fon air de grandeur & du ton de
vérité dont il dit ces paroles , le gouverneur
le laiffe entrer , il bat les allemands ,
il les chaffe , leur ôre le butin qu'ils emportoient
, arracha la ducheffe de Papoli
des mains des foldats prêts à la deshonorer
, la rend à fon mari , appaiſe le tu
multe , fait reffortir les Anglois & revient
à la porte de la ville continuer la
capitulation , au grand étonnement des
efpagnols confondus de voir tant de magnanimité
dans des anglois qu'ils avoient .
pris pour des barbares.
I I.
L'échevin Barber aimoit les femmes ;
il ne ſe maria jamais , & eut toute fa vie
des intrigues ; l'âge même n'affoiblit point
fon goût pour les plaifirs. Un matin M.
B -D député vint lui faire une vifite ; il
menta librement dans fa chambre où on
lui dit que la goutte retenoit l'échevin
dans fon lit ; on le fit attendre un inftant
à la porte , il remarqua en entrant que
190 MERCURE DE FRANCE .
- ·
Barber avoit l'air contraint , & qu'il jettoit
fouvent les yeux vers un cabinet ;
le
député commença à foupçonner quelque
mystère , & en regardant de tous côtés ,
il apperçut au pied du lit une paire de
fouliers de femme. J'efpère , lui dit - il ,
que vous vous portez mieux . Ah !
Monfieur , je n'ai jamais tant fouffert ;
mes pieds font prodigieufement enflés.
-Je ne m'en étonne pas , reprit le député
, en ramaffant les fouliers qu'il avoit
vus , tant que vous vous fervirez de pareille
chauffure ,vous ne pouvez pas eſpérer
de guérir . L'échevin fe mit à rire ,
en fe voyant découvert , il ne diffimula
.plus : Si c'est là la caufe de mon mal , ditil
, j'en acheterai une autre paire.
I I I.
Dans la place même où Jules - Céfar déboucha
fon armée & traverfa avec elle le
Rubicon , déclarant la guerre à la République
par cette téméraire entreprife , il y
a une table de marbre blanc , fcellée fur
un murà demi - ruiné avec ces mots , par.
vum monumentum , magna res , petit
monument d'un grand événement.
MA I. 1772. 191
V I.
Louis XIV voyant promener M. de
Cavois avec Racine , dit : « Cavois croit
» être homme d'efprit , parce qu'il fe
» promene avec Racine , & Racine croit
» être courtifan , parce qu'il fe promene
» avec Cavois. »>
cine ,
V.
M. le Comte de Roucy difoit de Ra
lequel en mourant ordonna
que fon corps fût porté à Port- Royal,
des Champs , couvent que Louis XIV
n'aimoit pas ; Racine n'eut jamais ofé
faire cela de fon vivant.
que
V I.
Un affez plat Bouffon étant un jour
avec des femmes & parlant de la métampicofe
, dit , qu'il fe refouvenoit d'avoir
été le veau d'or . Une d'entre elles lui répliqua
que depuis fi long tems il n'avoit
perdu que la dorure.
192 MERCURE DE FRANCE.
N. ***
V I I.
ayant composé une tragédie ,
vint la lire chez Mde de Lambert. La
pièce commençoit par une Princeffe qui
difoit ainfi :
De l'Arabie enfin en ces lieux arrivée ,
Mde de Lambert interrompit le poëte
par cet impromptu :
Princefle , afleyez- vous , vous êtes fatiguée.
Cette plaifanterie fit changer à l'auteur
le premier vers de fa pièce.
AVIS.
I.
LETTRE de M. le Chevalier de ***
à M. Agirony , au ſujet de fon remède
végétal anti-vénérien .
Mon Médecin ordinaire eft un Docteur-Régent
& ancien Profeffeur de la Faculté de Paris ,
en qui j'ai grande confiance , & dont la probité
& l'habileté font généralement connues de tout
le monde. Je lui ai écrit la réfolution où j'étois
de me mettre à l'uſage de votre remede , & que
je
MAI. 1772 . 193
je le priois de me dire s'il n'y entroit pas
de Mercure ou quelqu'autre fubftance métallique
; j'ai reçu pour réponſe de mon Docteur ,
qu'il étoit plus prudent , avant de me faire une
réponſe pofitive de s'en éclaircir par l'analyse
qu'en pourroient faire quelques habiles Médecins
& Apothicaires de Paris , les plus verfés
dans ces fortes d'examens. Comme je trouvai
cette réponſe très-fage & digne d'un vrai Médecin
, qui ne porte pas de jugement fans vraie
connoiffance de caufe , je lui écrivis fur le champ
que je le priois de choisir tel Médecin & tel
Apothicaire qu'il jugeroit à propos , de les prier
d'envoyer chez vous chercher par gens fûrs de
votre Syrop , d'en faire l'analyfe & les expériences
propres à s'affurer & de la compofition
de ce remede , & de fon efficacité . Mon Médecin
n'a pas manqué d'être exact à remplir mes
vues , & pour cela il a choiſi un des Médecins
de la Faculté de Paris le plus verfé dans la Chymie
, & deux habiles Apothicaires de Paris. Voici
Monfieur , le réfultat de ces habiles gens de
l'art , que j'ai envoyé chercher par un ami chez
mon Docteur, & que mon ami a fait contrôler
à Paris le même jour . Je vous confie ces Piéces ,
n'en ayant plus befoin ; cela peut vous fervir à
faire taire tous les dictons occafionnés le plus
fouvent par l'ignorance & la baſſe jaloufie : &
les perfonnes qui , comme moi , pourroient être
inquietes fur votre remede , doivent à préfent
être très- raffurées & très - tranquilles . Au refte,
vous en ferez l'ufage que vous jugerez à propos .
Mon but eft devous affurer de la parfaite confiance
que j'ai à préfent en votre remede. Je
I
194 MERCURE DE FRANCE.
vous prie d'en vouloir bien donner trois bouteilles
à celui qui vous remettra cette Lettre ,
& qui vous les payera. Je fuivrai exactement
tout ce que vous prefcrivez dans votre Livre ,
qui me paroit très - clair & très - méthodique . A
mon premier voyage à Paris , je ne manquerai
pas de vous aller voir , & je vous rendrai
compte de l'effet de votre Remede. Je fuis ,
Monfieur ,
Votre très -humble Serviteur ,
le Chevalier de *** .
Première analyfe de M. Brocot.
Ayant été requis par un Docteur-Régent de
la Faculté de Paris , pour procéder aux examen
& expérience du remede du fieur Agirony, j'ai
envoyé un de mes Eleves , le 16 du même mois,
chercher une Bouteille de deux onces de fon
remede , qu'il a payé 3 liv. Me l'ayant porté
dans une courtine ; après l'avoir débouché , je
Tai goûté , & lui ai trouvé un goût doux &
fucré , une odeur de réfinet , ou d'extrait , &
une confiftance imparfaite de fyrop , puiſqu'en
le remuant il fermentoit , ce que mon jeune
homme a fort bien remarqué en voyant le fieur
Agirony le couler doucement & par inclination
dans la petite bouteille .
1º. J'ai pris une cuillerée de fyrop que j'ai mis
dans très - peu d'eau ; j'ai mêlé & jerté dans de
l'huile de tartre par défaillance , il n'y a point
eu d'effervefcence ; j'ai agité avec une fpatule
MAI. 1772 .
195
"
d'argent , la liqueur s'eft troublée ; je l'ai laiffée
repofer une demi- heure , & il s'eft fait un précipité.
La décoction faite , j'ai pris une pièce
d'or que j'ai frottée vivement avec le précipité,
pour m'affurer s'il contenoit du Mercure ; la
pièce n'a point changé de couleur ; donc il n'y a
point de Mercure : on ne peut regarder ce précipité
que comme des feces des plantes qui
conftituent ce fyrop.
2°. J'ai mis une demi- once ou environ de ce
fyrop dans un poêlon d'argent à évaporer a
un feu doux ; l'évaporation faite , le feu un peu
plus vif fur la fin , j'ai brulé & obtenu beaucoup
de charbons noirs , dans le goût du miel
quand on le brule ; à l'exception qu'il y avoit
en outre beaucoup de parties extractives : le cul
du poêlon étoit bleu & rouge dans quelques endroits
; certainement fon fyrop eft fait avec du
miel & non du fucre ; car à combuſtion égale
le fucre ne laiſſe pas après lui une fi grande quantité
de charbon que le miel.
3. J'ai pris une partie de ce charbon noir
que j'ai mis à un feu très -violent pour le calciner.
J'ai obtenu des cendres que j'ai jettées
dans un peu d'eau ; verfé deffus du vinaigre à
proportion, il s'eft fait un léger mouvement d'efervefcence
, ce qui prouve la préſence de l'alkali
dans la cendre ; & que le fyrop ne contiene
aucune fubftance métallique.
D'après cela j'eftime que ce remede eft fait
avec des fucs des plantes qu'il n'eft pas poffible
de reconnoître dans cet état ; auquel il
ajoute du miel pour fa confiftance & fa confervation.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Fait à Paris le 16 Décembre 1771. Signé
BROCOT , Apothicaire de Paris .
Contrôlé à Paris ce 18 Décembre 1771. Reçu
quatorze fols. Signé L'ANGLOIS ,
Seconde Analyfe de M. Cadet.
Une perfonne qui defiroit favoir fi le remède
d'Agirony contenoit du mercure , ou quelqu'autres
fubftances minérales , s'eft adreffée à un médecin
de la faculté de Paris , ſon médecin ordinaire.
Ce médecin a bien voulu jetter les yeux fur
moi pour faire l'analyfe de ce remède . J'ai envoyé
ca conféquence , le lundi 9 de ce mois , chez le
Sr Agirony , à fept heures & demie du foir, pour y
prendre deux onces de fon remède anti- vénérien ,
pour lequel il a reçu 3 liv. J'ai goûté ce remède ,
qui eft fous la forme fyrupeufe , & qui a le goût
d'un fyrop béchique , dans lequel on femble diftinguer
de la reglifle & des fruits pectoraux . Ce
fyrop ne laiffe après lui fur la langue aucune impreffion
de fublimé corrofif , ni d'autres fels mercuriels.
On a étendu ce fyrop dans une fuffifanre
quantité d'eau ; on y mis macérer une piece de
cuivre , fans qu'on y ait rien apperçu qui pût y
faire reconnoître le moindre veftige de mercure.
Pour achever d'y déceler la petite quantité qu'on
auroit pû y foupçonner , on a ajouté à ce mêlange
quelque gouttes d'efprit de fel ; le tout a été mis
en digeftion pendant plufieurs heures . Après ce
tems la pièce en eft fortie fans être blanchie , ce
qui fait croire que ce remède ne contient point de
mercure s'il y en a , il y eft en fi petite quantité ,
que par les expériences les plus délicates , il eft
MA I. 1772. 197
impoffible de le démontrer. Les autres opérations
auxquelles on a foumis ce remède, pour y trouver
le mercure , n'ont pas été plus fructueules que
celles qu'on vient de rapporter ; d'où nous concluons
que ce remède paroît exempt de mercure
& de fubftances métalliques quelconques.
Fait à Paris , ce 11 Décembre 1771. Signé ,
CADET de l'Académie des fciences .
Contrôlé à Paris , le 18 Décembre 1771. Reçu
14 fols. Signé, L'ANGLOIS .
Troifième Analyfe de M. d'Arcet .
Je fouffigné docteur régent de la faculté de
médecine de Paris , ayant été requis par un de
nos confrères , d'examiner le remède anti - vénérien
du fieur Agirony , j'en ai fait acheter par une
perfonne fûre une fiole contenant deux onces ,
qu'il a fait payer 3 liv ..
J'ai foumis ce remède à différentes expériences ,
pour tâcher d'y reconnoître la préfence du mercuie
, ou autre fubftance métallique , fuppofé que
ce remède en contînt , & je me fuis afluré , foit
même par différentes précipitations , foit même
par la voie de la fublimation , que ce remède ne
contient aucune fubftance métallique , ni particu
lièrement du mercure , fous quelque forme que
ce foit.
Ce remède eft un fyrop d'une confiftance trèsépaifle
; il paroît fait avec la décoction , ou une
forte infufion de plantes qu'il eft très - difficile de
diftinguer , & une quantité de miel cuit aflez confidérable
:
: ce qui me fait croire qu'il ne contient
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
- rien de nuifible . Enfoi de quoi j'ai figné . A Paris,
ce 16 Décembre 1771. Signé , D'ARGET .
Contrôlé à Paris , le 18 Décembre 1771. Reçu
14 fols. Signé , L'ANGLOIS.
Ces analyfes faites par gens de l'art & des plus
habiles , à l'infçu même du Sr Agirony montrent
qu'il n'en ajamais impofé au Public , en aflurane
qu'il n'entroit pas du mercure dans fon remède
végétal anti vénérien , & ceux qui en ufent doivent
Bien être raffuré à ce fujet ; au refte ces analyfes
fe trouvent tout au long dans la feconde édition
du livre qu'il vient de donner au Public , intitulé
, des bons effets du remêde végétal anti -vénérien
du fieur Agirony , botaniste authorifé par
fettres -patentes du Roi , enregistrées au parlement
le 9 Juillet 1770 , avec la manière d'ufer
de ce remède , avec approbation & privilège da
Roi. A Paris , chez Quillau , libraire.
I I.
Inftitution de la Jeuneffe ; par une fociété
de lettres , à l'hôtel d'Anjou , de
gens
à Angers.
Les Inftituteurs , pour ne rien laiffer à defirer
au Public , ont raſſemblé chez eux des maîtres
pour toutes les branches de l'éducation : pour les`
langues , l'hiftoire , la géographie , l'algèbre &
toutes les parties des mathématiques , & généralement
pour tout ce qui eft néceflaire aux enfans ,
felon l'état auxquels ils fe deftinent . On a l'attention
de ne les pas furcharger. On diverfifie leur
MAI. 1772, 199
travail & leurs exercices , pour éviter le dégoût
Ils paffent fucceffivement d'un objet à un autre
à meſure qu'ils font des progrès ; & s'il's'en trouve
que leur peu de difpofitions
mette
hors d'état
de profiter des fons qu'on leur donne , on fe hâte
d'en avertir les parens , pour leur épargner des
dépenfes inutiles . Le défintéreflement & Texactitude
des Inſtituteurs fur cet article ont été admirés
du Public .
Si par malheur quelqu'un des élèves montroit
des inclinations vicieufes , & que fon exemple
pût être contagieux , les parens ne trouveront pas
mauvais qu'on les prie de le retirer avec précaution.
C'eft pour éviter ce malheur , que les Inſtituteurs
le font impofés la loi de ne recevoir chez
eux aucun enfant qui ait atteint l'âge de 14 ans.
: Pour exciter l'émulation , on donne de tems en
tems des prix à ceux qui le diftinguent par leur
conduite & par leurs progrès. Enfin on emploie
tous les moyens les plus convenables , pour faire
remplir par goût aux élèves tous les devoirs de
la religion & de la fociété , pour former leur tempérament
, orner leur efprit , rectifier leur ame ,
& les accoutumer infenfiblement à la pratique
des vertus morales , civiles & chrétiennes .
Comme la Religion eft le premier & le plus
grand objet de l'éducation ; comme c'cft d'elle que
dépend le bonheur de l'homme dans cette vie &
dans l'autre , les aflociés en font leur devoir capital.
Les élèves font tenus d'aller à confefle tous
les mois : les jours de fête font ſpécialement confacrés
à l'étude de la religion.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Conditions de la Penfion.
On fournit aux élèves le perruquier pour tous
les jours , la blanchifleufe , le feu , la lumière
même pendant toute la nuit pour prévenir les
accidens , papier, encre , racommodage d'habits,
de linge , de bas , & c.
Le prix de la penfion , y compris tous les articles
détaillés ci - deflus , eft de 600 liv.
Tous les élèves portent l'uniforme de l'Inftitution
, qui confifte en un frac verd , doublé de jaune
, avec une double treffe d'or au coliet & aux
paremens , la vefte & la culotte font de chamois ,
& les boutons de cuivre doré ; ils ont tous un
plumet blanc à leur chapeau.
Chaque élève doit apporter en entrant deux
paires de draps , fix ferviettes , deux peignoirs ,
un couvert d'argent. On prie inftamment les parens
de faire marquer tout le linge de leurs enfans.
On enfeigne dans cette Inftitution les langues
françoile , allemande , angloife , &c. la géogra
phie , l'hiftoire , le calcul numérique & algébrique
, la géométrie de l'officier , les . fortifications ,
la phyfique expérimentale : il y a auffi un cours
de littérature françoile . Un élève qui auroit affez
d'émulation & de difpofitions pour apprendre à là
fois tous ces objets , ne payeroit que 600 livres
comme les autres . Ceux qui n'ont pas beaucoup
de facilité reçoivent des leçons extraordinaires
gratuitement.
Comme l'on doit fe borner à un certain nombre
d'élves , ceux qui voudront avoir des places font
MAI. 1772. 201
priés de s'adreffer de bonne heure à M. SERANE,
chargé de la correfpondance de MM les Affociés
pour l'Inftitution de la jeuneffe , à l'hôtel d'Anjou,
rue duFiguier, à Angers.
I I I.
Paris le 21 Janvier 1772.
MONSIEUR ,
Ayant lû par hafard il y a quelques mois dans
les volumes de Juillet & de Septembre, 1768 ,
de votre Mercure , deux lettres par lefquelles
ont defiroit fçavoir fi le fecret de la Poudre
Royale febrifuge du fieur Chevalier de Guillers
eft perdu , ou fi quelqu'un en a hérité : la curiofité
& l'intérêt public , m'ont engagé à parcou
rir tous les volumes qui ont paru depuis , efpérant
y trouver quelque réponſe a ces deux lettres,
mais ma recherche a été inutile.
Piqué d'avoir perdu mon tems inutilement ,
je me fuis obfiné a pouffer plus loin mes recherches
fur cet objet , & en feuilletant différens
paquets de brochures que j'ai ramaffés depuis
plus de trente ans , j'en ai trouvé une enfin
intitulé , traité des vertus de la poudre Royale
fehrifuge dufieur de la Jutais , Médecin privilégié
du Roi , demeurant à Paris , rue de Bourbon
Villeneuve, la Haye , 1752 , in - 12 . Contenant
une préface hiftorique en huit pages , fur cette
poudre, enfuite le détail de fes vertus , & la manière
de l'adminiftrer , en 28 pages ; & enfin la
copie du certificat mis au dépot de la marine par
lv
202 MERCURE DE FRANCE
ordre de Louis XIV, & du privilége exclufif ac
cordé tant au fieur de Guillers , qu'au fieur de
la Jutais fon Gendre , pour la vente & diftribu
tion de cette poudre.
En conféquence j'ai parcouru la rue de Bourbon-
Villeneuve , ou j'ai trouvé la Dame fille du
fieur de Guilliers , Veuve du fieur de la Jutais ,
& les deux Demoifelles fes filles , qui poffédent,
le fecret de la préparation de cette poudre , &:
quelques autres non moins utiles à l'humanité.
Comme cette poudre eft le remède fpécifique
le plus infaillible , fupérieur au Kinkina , & aux
autres préparations pour les fiévres double- tier-,
ce , tierce-quarte , & autres fiévres intermittentes
; je m'empreffe pour répondre aux lettres que
j'ai cité ci - deffus , de vous faire paffer le réſultat
de mes recherches , pour que vons en inftruifiés
le Public.
C Je fuis très-parfaitement , Monfieur ,
Votre très-humble & trèsobéiffant
Serviteur ,
IV.
R. L. V.
Huile d'Olive.
M. Sieuve de Marfeille , dont les papiers publics
ont annoncé le fuccès du goudron qu'il a
compofé pour préferver les oliviers des vers qui
s'introduifent dans les olives: & qui en dévorent
la meilleure fubſtance a renouvelé au prin- ›
MA 1. 1772 . 203
tems dernier fes expériences dans différens ter-
Loirs de Provence ; elles ont toutes également
réuffi . Les oliviers fur lefquels on a appliqué
ce goudron ont donné des olives faines & entiè
res fans piqûre de vers , tandis que dans le voi.
finage elles étoient toutes piquées. Le temps le
plus propre pour l'application de ce goudron fu
les oliviers eft depuis le premier juſqu'au vingt
Avril . M. Campou , fecrétaire du Roi , Mrs Saint
Gouirand , Reyffon , &c , viennent d'envoyer à
M. Fieuve des certificats les plus fatisfaifans par
lefquels ces MM. atteftent que toutes les olives
qu'ils ont recueillies cette année étoient pour leur
groffeur & pour leur beauté fupérieures à celles
des années précédentes à qui les vers dévoroient
Fa meilleure fubftance.
On fçait que ce Phyficien a ' trouvé également
le moyen d'extraire de la feule chair des olives
fans mélange de celle des noyaux. Cette huile
douce , pure , qui n'a point le fétide & le corrofifque
le noyau & l'amande écrafés avec le fruit
communiquent aux huiles, faites fuivant l'ancienne
méthode , eft préférable aux meilleures hui es
d'Aix. Il a fatisfait à toutes les demandes qui lui
ont été faites l'année dernière , & les perfonnes
qui les ont reçues en font fi fatisfaites qu'ils ont,
renouvellé leurs demandes pour la récolte prochaine..
Pour la commodité des perfonnes qui fouhaiteront
faire ufage de cette quantité d'huile , on
pourra continuer de s'infcrire au bureau de cor
refpondance qu'il a établi chez M. Maurice rue S.
Sauveur , vis-à-vis un Vitrier , à qui l'on marque-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ra la quantité qu'on fouhaite de ces huiles , à l'adreffe
bien exacte des perfonnes à qui elles devront
être adreffées . On prie les perfonnes qui
voudront de ces huiles de fe faire infcrire avant
la fin du mois de Juin , parce que paffé ce tems
elles rifqueroient que l'on ne pût effectuer leurs
demandes.
V.
L'Huile de Vénus.
Madame Graverant , qui eft feule chargée de.
débiter le reftant de l'élixir connu fous le nom
d'Huile de Vénus du Sr de Sigogne , médecin du
Roi , demeure rue des Grands Auguftins , chez le
feur Dondaine , vis - à - vis l'hôtel de Turin , au
fecond.
NOUVELLES POLITIQUES.
O
De Stockolm , Le 31 -Mars 1772.
N vient d'établir dans cette ville , avec le
confentement du Roi , une académie de mufique ,
& l'on a publié qu'on y donneroit des leçons gratuites
aux enfans des deux fexes qui auront du
goût & des difpofitions pour cet art.
On a pris , vers le 12 de ce mois , dans la baye
d'Askerö , au territoire de Bohus , une baleine
qu'on croit être de l'efpèce appellée Poiffon de.
Jupiter. Elle avoit féjourné pendant l'hiver aux
MAI. 1772. 205
environs de Morftraud & du détroit de Svanefund
, où elle avoit détruit tous les filets des pêcheurs
. Ou efpéroit que les glaces qui ont couvert
cette année , pour la feconde fois depuis un
fiécle , ce détroit , & le peu de profondeur de la
mer l'auroient fait périr , mais on fut furpris de
voir qu'elle rompoit la glace avec facilité. Sept
hommes , munis de tous les inftrumens qui leur
étoient néceffaires , réfolurent de prendre cette
baleine & allèrent à la découverte . Après bien
des recherches , deux d'entr'eux l'apperçurent
dans un trou qu'elle venoit de faire à la glace ,
dans la baye d'Askeró. Ils lui portèrent de grands
coups de hache : elle répandit beaucoup de lang
& le fauva. Le lendemain , les pêcheurs s'étant
réunis , la retrouvèrent dans un autre endroit &
lui enfoncèrent trois harpons dans le corps . Elle
s'échappa de nouveau & fit , par fon mouvement,
feize ouvertures à la glace. Enfin un des pêcheurs
s'en approcha dans un inftant où elle avoit la
tête hors de l'eau & lui enfonça dans la poitrine ,'
fous la nageoire , une grande épée attachée à une
perche. Elle fit plufieurs culbutes & expira avec
un bruit femblable au mugiffement d'un taureau.
Les marchands de Gorhembourg l'ont achetée
3000 dahlers de cuivre ( 1000 liv . de France. )
Il n'eft pas ordinaire de trouver fur nos côtes de
femblables poiffons.
D'Altona , le 6 Avril 1772.
Toutes les lettres qu'on reçoit de Warfovie ne
parlent que de l'animofité des Polonois contre les
Ruffes. On craint que les defirs de la vengeance"
ne porte les premiers à quelque excès . On diroit
qu'on appréhende dans la capitale un maſacre
1
206 MERCURE DE FRANCE.
général , à voir les précautions qu'on y prend
L'ambaffadeur de Ruffie & le général Bibikow ontchacun
à leur hôtel une garde de cent cinquante
hommes & une pièce de canon , & l'on ne peut
entrer chez eux ni en fortir après huit heures du
foir.
De Copenhague , le 24 Avril 1772.
Le Gouvernement , pour prévenir les abus qui
pourroient réfulter de l'ordonnance du 28 Jain
1771 , touchant les adultères , à caule de l'eípèce
d'impunité accordée à ce genre de crime , vient
de la révoquer & de mettre en vigueur celle du 27
Août 1737 , qui inflige des peines à ce délit .
La Reine Julie a paru hier en public pour la
première fois.
De Roterdam , le 24 Mars 1772.
Les nouvelles que nous recevons des Indes annoncent
les entreprifes des Anglois contre le Prince
Leu , Nabab de Tanjaour. Alliés du Nabab
Mahomet Ali Khan , ils tiennent le premier affiégé
dans fa capitale. On prétend qu'ils ont le
projet de conftruire une fortereffe & de s'établir à
Nagano , ville maritime éloignée d'une demilieu
au nord de Nagapatnan & appartenant au
Prince Leu . Cet événement ne feroit point agréable
à la Compagnie Hollandoife , dont les Anglois
pourroient ruiner le commence par cette pofition
avantageufe.
On continue de craindre une rupture entre la,
République & l'Empereur de Maroc . Les Etats
de Hollande ne paroiffent point difpofés à accé
der aux demandes exorbitantes de ce Prince qui,
MA I. 1772. 207
de fon côté , menace la République d'une guerre
ouverte , fi on ne la fatisfait pas avant la fin du
mois de Juin. L'Amirauté d'Amſterdam vient , en
conféquence , d'armer deux frégates , & l'on dit
qu'elle mettra également en commiffion trois autres
bâtimens de guerre deftinés à croifer fur les
cêtes de Barbarie .
De Naxie , le 25 Février 1772.
Le Comte de Grunn a trouvé , dans l'ife de
Milo ( Melos ) plufieurs mines d'or , d'argent , de
plomb , de vitriol blanc , d'alun , de fel ammo.
niac , de falpêtre & de foufre , & dans l'ifle de
Naxie , une mine d'or & une d'argent.
De Londres , le 29 Avril 1772.
On a plaidé , il y a quelque tems , dans un comité
du Confeil - Privé à la Tréforerie , une cauſe
très-importante, relativement à la propriété d'une
ifle appellée Mill- Ifland , fituée près de Philadel
phie , fur la rivière Delawar. Différens particu
liers y ont formé , depuis quelques années , des
établiflemens. On prétend qu'il n'y a jamais en ,
dans cette ifle , de propriété accordée légalement
par la Couronne. En conféquence , Sa Majefté ,
autant que fon droit peut avoir lieu , vient de la
céder à un Lord qui là lui a demandée . Le procès
dont il s'agit roule donc fur ces deux queftions :
Ifle a t'elle été donnée par les prédécesseurs de
Sa Majefté? La Couronne a - t'elle le pouvoir d'o
ter à des habitans une poffeffion dont ils jouiffent
depuis un certain nombre d'années ?
208 MERCURE DE FRANCE.
De la Haye le 14 Avril 1772.
On a fait , le 14 du mois dernier , dans les environs
de la Haye , l'épreuve d'un moulin qui
porte l'eau à une hauteur que les autres ne peuvent
atteindre. A celle de quatre pieds feulement
cette machine jette cinq cens tonneaux d'eau par
minute.
De Paris , le 24 Avril 1772.
Le premier de ce mois , vers les trois heures
après midi , il s'éleva un violent orage à Bourbon-
Lancy. La pluie tomba avec tant d'abondance
qu'elle couvrit une grande étendue de pays. Les
caux entraînèrent les chauffées de huit étangs
qui inondèrent & endommagèrent tous les environs
. Au pied d'une de ces chauffées , il y avoit
une maison dans laquelle fe trouvoient cinq enfans
qui n'en purent fortir. Ils allo: ent périr, lorfqu'un
particulier eut le courage de traverfer le
torrent & d'aller retirer ces enfans les uns après
les autres A peine avoit -il enlevé le dernier, que
la maiton s'écroula .
NOMINATIONS.
Le Roi a donné l'évêché de Riez à l'Abbé de
Clugay, prevôt de l'Eglife, Comte de Lyon, aumônier
de Sa Majefté , vicaire général d'Autun ,
& l'abbaye de Saint- Maixant , ordre de St Benoît,
diocèfe de Poitiers , à l'Archevêque d'Aix.
Le Roi a accordé au Sr de Bougainville , brigadier
de fes armées , capitaine de fes vaiffeaux ,
la charge de fecrétaire de la chambre & du cabinet
, fur la démiffion du Sr d'Arboulin , adminiſMAI.
1772. 209
trateur général des poftes , à qui Sa Majefté a bien
voulu en conferver la furvivance.
Sa Majesté a accordé les entrées de fa Chambre
au Baron de Breteuil , fon Ambafladeur Extraordinaire
auprès du Roi des Deux Siciles .
PRÉSENTATIONS.
Le Comte de Bulkeley , miniftre du Roi auprès
de la dière générale de l'Empire , a pris congé de
Sa Majesté pour fe rendre à fa deftination. Il a eu
F'honneur de lui être préfenté par le Duc d'Aiguillon
, miniftre & fecrétaire d'état ayant le département
des Affaires Etrangères. Il a pris enfuite
congé de la Famille Royale,
Le Marquis de Noailles , ambaffadeur du Roi
auprès des Etats Généraux des Provinces -Unies ,
eft arrivé à Verſailles , le 11 Avril ; il a eu l'honneur
d'être préfenté , le même jour , à Sa Majefté,
par le Duc d'Aiguillon , & enfuite à la Famille
Royale .
Le Duc d'Aremberg a eu l'honneur d'être préfenté
, le lendemain , à Sa Majefté , par le Duc de
Fleury , premier gentilhomme de la Chambre du
Roi en exercice , & enfuite à la Famille Royale .
Le Sr Durand , chevalier de l'Ordre de St Lazare
, miniftre plénipotentiaire du Roi auprès de
Leurs Majeftés Impériales & Royale , ayant iempli
ſa miſſion , eft arrivé le 12 Avril , & il a eu
I'honneur d'être préfenté au Roi le même jour ,
par le Duc d'Aiguillon , & enfuite à la Famille
Royale.
110 MERCURE DE FRANCE.
MARIAGES.
Le 20 Avril , le Roi & la Famille Royale fignerent
le contrat de mariage du Duc de Mortemart
capitaine au régiment de Navarre , avec Demoifelle
d'Harcourt de Lillebonne ; celui du Comte
de Matignon , avec Demoiselle de Breteuil , fille
du Baron de Breteuil , ambaffadeur extraordinaire
de Sa Majefté auprès du Roi des Deux Siciles ;
celui du Vicomte d'Efpinchal , capitaine au régi
ment de la Reine , dragons , avec Demoiselle de
Gaucourt , fille du comte de Gaucourt , brigadier
des armées du Roi & premier enfeigne des Gendarmes
de la Garde .
NAISSANCE.
La Dame de Boynes , époufe du Miniftre de la
Marine , eft accouchée , le 12 Avril , d'un garçon.
LOTERIES.
Le cent trente- cinquième tirage de la Loterie
de l'hôtel de ville s'eft fait , le 24 Mars , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eft échu au Nº. 56972. Celui de vingt mille
livres au No. 40285 , & les deux de dix mille aus
numéros 41404 & 52009.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait le 6 Avril . Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 5 , 69 , 29 , 71 , 26. Le prochain
tirage fe fera les Mai.
´M A I. 1772. 211
MORT S.
Lucretius-Henri- François de la Tour de Gou-
Vernet de la Chau- Montauban , Evêque de Ricz ,
eft mort à l'âge de foixante- ſept ans.
Le nommé Chilliaud , laboureur de la paroiffe
de Beauronne , en Périgord , eft mort , le 4 Avril ,
âgé de cent fix ans.
· -
Elifabeth-Madeleine de Chamillard , veuve de
Louis Athanafe de Pechpeyron Comminges ,
comte de Guitaud , lieutenant général des armées
du Roi , & inspecteur d'infanterie , eft morte à
Paris , le 16 Avril , à l'âge de 71 ans.
Le 16 Février , mourut à Rouanne , dans la
foixante - douxième année de fon âge , Louife .
Eléonore de Laughac , marquife de la Guiche ,
veuve de Claude- Elifabeth marquis de la Guiche ,
comte de Sinignon , &c . que fes bleffures , reçues
à Malplaquet , avoient forcé de quitter le fervice.
Des deux fils qu'elle a eu de ce mariage , l'aîné
Jean Roger, comte de la Guiche , lieutenant géné : al
des armées du Roi, ci-devant commandant dans la
province de Bourgogne , mort au mois de Janvier
1770 , a laiflé , d'Henriette légitimée de Bourbon
fa femme , un fils unique , Amable , marquis de
la Guiche , colonel du régiment de cavalerie de
Bourbon Léon Léonor , dit le chevalier de la
Guiche , frère cadet de Jean Roger , a été colonel
du regiment de cavalerie de Condé , & s'eſt retiré
brigadier des armées du Roi.
212 MERCURE DE FRANCE.
La marquile de la Guiche , qui d'abord avoit
été chanoinefle de Remiremont , étoit fille aînée
de Marie Roger comte de Langhac , & d'Eléonore
Palatine de Dio de Montperroux , & petite fille
de Gilbert Alline de Langhac , comte de Dalet ,
marquis de Coligny , &c. Celui - ci , qui avoit
époulé Louiſe de Rabutin , fille aînée du comte
de Buffy, & qui étoit né du premier mariage de
Gilbert Allire de Langhac comte de Dalet & de
Barbe de Coligny , avoit pour frère Gilbert-Clau
de Allire marquis de Langhac , feigneur de Pref
chonnet , né de Gilberte d'Eftaing héritiere de la
branche aînée de cette Maifon , & feconde femme
de fon père ; fon fils , Gilbert Allite - Antoine
marquis de Langhac , grand fénéchal d'Auvergne
, eft aujourd'hui chef de la feule branche qui
fubfifte de la Maifon , dont la Terre du Nom ,
portée par une héritière dans la Maifon de la Rochefoucault
, a été acquife par la mauquife de
Efpinafie , qui en prend le titre ainfi que les en
fans.
Des trois branches que la Maifon de la Guiche a
formés, celle qui leule exifte , a pour auteur Georges
de la Guiche , feigneur de Sinignon , huitiè
me fils de Pierre de la Guiche , & de Françoife de
Chanron , & marié avec Marguerite de Beaunan.
"
Des deux autres branches , l'une s'eft éteinte
dans Philibert , feigneur de la Guiche & de Chanmont
, grand maître de l'artillerie & chevalier
des Ordres du Roi, qui n'a laiflé que deux filles...
L'aînée , Marie - Henriette , veuve de Jacques de
Matignon comte de Torigny , fils de Charles &
d'Eléonore d'Orléans Longueville , époufa Louis
de Valois , duc d'Angoulcfme , dont le père ,
MAI.
1772.
213
Charles duc
d'Angoulefme étoit fils du Roi Charles
IX. Anne de la Guiche la cadette fut la feconde
femme de Henri de
Schonberg , comte de
Nanteuil , maréchal de France , dont une fille unique
, Jeanne Armande , qui porta entre- autres les
Terres de la Guiche & de Chaumont , à ſon mari
Charles de Rohan duc de
Montbazon , avec claufe
de joindre le nom de la Guiche au fien.

La feconde branche , dite de St Geran , s'eſt
également éteinte dans Bernard de la Guiche
marquis de St Geran & de la Palice ,
lieutenantgénéral
des armées du Roi , & chevalier de fes
Ordres ; il étoit petit-fils de François de la Guiche
, maréchal de France , dit le Maréchal de St
Geran , dont la fille , Marie de la Guiche , femme
de Charles de Levi duc de
Ventadour , eft la feule
qui ait laiflé postérité , fondue dans la branche
de Rohan Soubife.
Nota. Le comte de la Guiche dernier morta
racheté , en 1763 , du Prince de Rohan , les Ter . :
res de la Guiche & de Chaumont qu'il a fubftituées
.
214 MERCURE DE FRANCE .
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page ,
Gabrielle de Vergi à fon époux ,
L'Automne ,
L'Orgueilleux corrigé par l'Amour , conte ,
Vers pour mettre au bas du portrait de Mile
Olivier de Chartres ,
-A une Dame un peu brune & boîteuſe ,
& c.
Cloris , hiftoriette,
Ode à M. de la Harpe ,
Epître envoyée de St Domingue , à ma bellemère
,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Phédou , ou entretiens fur la fpiritualité &
l'immortalité de l'ame ,
Lettres de M. l'Abbé *** , fur la bible hébraïque
,
Campagnes de M. le Maréchal de Maillebois
en Italie ,
Sur l'aviliflement de la Milice Françoiſe ,
Mémoires pour fervir à l'hiſtoire de la province
de Vermandois ,
L'Esprit des Journalistes de Trevoux ,
Obfervations fur les ufages des provinces de
Brefle , & c.
Mémoire fur la Topographie de Paris ,
Supplément au Roman comique , &c . par ,
M. Monnet ,
ibid.
13
18
39
ibid.
40
42
46
54
ibid.
56
19
ibid.
68
69
72
75
76
78
79
81
MA I. 1772. 215
Mémoires & obfervations anatom . fur l'oeil , 86
Prières journalières à l'ufage des Juifs , &c.
Hiftoire naturelle de Pline , IV vol.
Dictionnaire de la Nobleffe ,
88
89
93
94 Avis de l'auteur à la Noblefle , &c.
Eflais fur le caractère , les moeurs & l'efprit
des Femmes dans les différens fiécles ,
Dictionnaire gram. de la langue françoiſe ,
Dictionnaire eccléfiaftique & éco omique
Hiftoire du Patriotifme françois ,
Mémoires du Comte de Saramandes ,
Le Botaniste François ,
Mélanges de littérature orientale ,
Traité des fleurs blanches ,
99
118
ibid.
I19
ibid.
ibid.
ibid.
120
Traité de la preuve par témoins en mat.civile, ibid.
Code matrimonial ,
Hiſtoire de l'Amérique ,
121
ibid
Ies Moeurs , coutumes, &c . des anc . peuples , ibid.
OEuvres d'Aulone , ibid.
Lettre de M. de Voltaire à M. de la Harpe , 122
Lettres parifiennes , nouvelle édition ,
Synonymes françois ,
Analyle du gr. ouvrage du Pape Benoit XIV
fur les béatifications ,
ACADÉMIES de Montpellier , & C.
SPECTACLES , Concert ſpirituel ,
Opéra ,
Comédie françoiſe ,
Compliment ,
Comédie italienne ,
Vers à Mde Biblioni ,
131
ibid.
132
144
154
156
ibid.
157
119
ibid.
Lettre à M. Falbaire , par M. de Vielandt, &c. 160
Réponse de M. de Falbaire ,
A.M. de Goldoni ,
AM d'Alembert , au fujet de la mort de M.
Duclos ,
162
164
167
216 MERCURE DE FRANCE.
Réponse de M. d'Alembert ,
Lettres de MM . les Echevins de Mauriac ,
Réponse de M. de Marmontel ,
Infcription ,
169
171
172
174
Extrait de la réponſe de MM. les Echevins , 175
Vers à M. de Leurye, fur fon traité aux mères, ibid.
ARTS , Gravure ,
Mufique ,
Botanique ,
Femmes guerrières ,
Anecdotes ,
AVIS , Remède végétal de M. Agirony,
Inftitution de la jeuneffe , à Angers ,
Huile d'olive de M. Sieuve ,
L'Huile de Vénus ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préfentations ,
Mariages ,
Naillance ,
Loteries ,
Morts ,
176
180
183
185
188
192
198
202
204
ibid.
208
209
210
ibid.
ibid.
211
APPROBATION.
JAT lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
volume du Mercure du mois de Mai 1772 , &
je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreflion ."
A Paris , le 30 Avril 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO I.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JUIN, 1772.
Mobilitate viget . VIRGILE.
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriftine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilège de Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST ' EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
tes
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv !
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps .
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas louferit ,au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
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paroît deux feuilles par femaine , port franc
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de Pindare
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férieux
, hift. comique
, br. 1. 4 f.
Du Luxe
, broché
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Traité fur l'Equitation & Traité de la
cavalerie de Xenophon , traduit par M.
du Paty de Clam , in- 8 ° . broch. 1 1. 10 f.
Le Droit commun de la France nouvelle
édition par Bourjon , 2 vol . in -fol . br. 48 1 .
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in - fol. avec planches ,
rel. en carton ,
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in- 4° . avec figures , rel . en
carton ,
241.
12 1.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol. in- 8°. gr. format rel .
Les Caracteres modernes , 2 vol. br.
201.
31.
Maximes deguerre du C. de Kevenhuller , 1 1. 10 f.
GRAVURES.
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Vanloo,
autres Eftampes, 241
MERCURE
DE FRANCE.
JUIN , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE de l'Eté. Chant fecond du Poëme
des Saifons ; imitation libre de Thompfon.
Defcription de la Zone Torride.
DESCENDS , ôMufe , & foutiens mon ardeur :
Prends ton effor , & d'une aîle rapide
Vole aux climats de la Zône Torride ,
Empire immenfe où regne la chaleur .
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
C'eft là , qu'armé d'une flâme brûlante ,
L'aftre du jour , de fon char éclatant ,
Laifle tomber un regard dévorant ,
Et de fes traits foumet la terre ardente .
Là , de leur fein , fertile en diamans ,
Des monts furpris les cimes menaçantes
Ouvrent paffage aux fources jailliflautes
Qui roulent l'or dans leurs flots écumans .
Là , des forêts vaftes , majestueules ,
D'un ceintre verd couronnant les côteaux ,
Portent au loin leurs ombres fourcilleuses ,
Et font briller les plus riches tableaux.
Tranſporte- moi , Pomone , en ces contrées :
Conduis mes pas au fein de ces vergers ,
Oùj'apperçois mille pomines dorées
Pendre en feftons au front des orangers.
Viens avec moi parcourir ce bocage
Où le figuier donne un riant ombrage :
Errons enfemble au haut de ces fommets :
Le cédre altier , voifin de la tempête ,
Aux feux dujour dérobant notre tête ,
Nous recevra fous les rameaux épais.
Là du palmier la liqueur bienfaifante ,
Et de cent fruits les fucs rafraichillans
Ranimeront ma force défaillante
Et de plaifirs inonderont mes fens.
Mais .. ôfurprife ! en ces climats fauvages
Je vois errer d'innombrables troupeaux
JUI N. 1772 . 7
Que , fans pafteurs , de côteaux en côteaux
L'inſtinct conduit aux meilleurs pâturages .
Quels vaftes champs ! ô combien d'animaux
Sont difperfés fur ces immenfes plages !
Le flux s'abaifle & des monftres nouveaux ,
Pour pâturer , fortent du fein des flots :
De traits aigus leur écaille hériffée
Repoufle au loin le glaive du trépas :
La fléche en vain fur leurs flancs cft lancée ;
Elle s'y brife & retombe en éclats .
Là dans la paix & dans l'indépendance
L'éléphant vit loin des yeux des mortels ,
Heureux , s'il peut , trompant leur vigilance ,
Se dérober à leurs piéges cruels .
Mais qu'apperçois je au ſein de ce bocage
Tout diapré des plus vives couleurs ?
Combien d'oifeaux s'élancent du feuillage
L'oeil , ébloui de leur riche plumage ,
Croit s'égarer fur un tapis de fleurs.
N'envions point cette vaine étincelle ;
Ils font privés du charme de la voix :
Nous poffédons la fimple Philomèle
Dont les concerts embéliflent nos bois.
La (cène change : un ouragan rapide
Trouble les mers , agite les forêts :
L'obscurité , fon miniftre perfide ,
Vient àgrand pas fur un nuage épais.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Le jour pâlit ; une vapeur impure
Infecte l'air & flétrit la nature.
Le Sad , armé d'un fouffle impétueux ,
Sort de fon antre , ébranle l'hémiſphère ,
Et , l'inondant d'un torrent de pouffière ,
Ne laiffe errer qu'un crépuscule affreux .
Les hurlemens , qui partent du rivage ;
Des flots émus le choc tumultueux
Semblent encore ajouter à l'orage.
L'éclair paroît & s'efface à l'inftant ;
L'éclat foudain de fes flammes brisées
Se réfléchit fur l'humide élément ;
La foudre éclatte & tombe en tournoyant :
Tout eft en feu ; les forêts embraíées
Font fuccéder un spectacle effrayant.
La grêle , jointe à l'horreur du tonnerre ,
Brife la plaine & gonfle les torrens :
La nue enfin le diffout : l'atmoſphère
Semble écrouler & fondre fur la terre ;
Sous fes débris il inonde les champs.
Les habitans , les troupeaux , les chaumières
Roulent enſemble entraînés par les flots ;
Et les enfans , arrachés à leurs mères ,
Sont étouffés dans leurs frêles berceaux.
C'eft fur les mers , théâtre de fa rage ,
Que l'ouragan déchaîne fes fureurs :
-Le fier Tiphon de nuage en nuage
Pompe & répand les plus noires vapeurs ;
JU IN. 1772 .
La flamme & l'onde , épouvantable image !
L'une par l'autre acquièrent des fureurs.
Du matelot l'art devient inutile :
Son foible efquif, trifte jouet du vent ,
Eft fracafé , tel qu'un vafe fragile ,
Et difparoît fous l'abyme écumant.
L'obscurité ceffe enfin ; l'air s'épure ;
Lejour renaît : un calme bienfaiteur
Defcend des cieux , ranime la nature ,
Et lui permet l'espoir confolateur ;
Mais auffi- tôt la tempête implacable
Vient l'aſſaillir avec plus de fureur :
Ainfi des vents la rage inépuisable
De ces beaux lieux fait un féjour d'horreur.
Triftes climats ! la nature inégale
Y prodigua d'une main libérale
L'éclat , la pompe & la variéré ;
Mais , fans les dons que nous offre l'automne ,
Sans les tréfors , dont l'été fe couronne ,
De ces préfens quelle eft l'utilité ?
Et ces métaux , arrachés de la terre ,
Ces vils objets de la cupidité ,
Quel eft leur prix ? Courbé fous la mifère ,
Sans frein , (ans moeurs , fans vertus & fans lois ,
L'homme abruti végére au fond des bois ;
Et lans regrets termine fa carrière.
L'aftre du jour femble tyrannifer
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Ce monde esclave , indolent & timide :
La fombre envie & la haine perfide ,
Monftres impurs , y fçavent tout ofer.
Le fentiment , l'amitié , la tendrefle
N'habitent point ce léjour déteſté ,
Où l'ame rampe , où tout peint la baſleſſe
Et la difcorde & la brutalité .
Dès que la nuit dans les airs fe déploie ,
D'un faut léger s'élançant fur la proie,
Le tigre rauque & répand la terreur :
Le léopard , étincelant de rage ,
Près des troupeaux médite le carnage ,
Et la panthère écume de fureur.
Des cris affreux , portés de plaine en plaine ,
Font retentir l'écho de ces déferts :
L'esclave errant , échappé de fa chaîne ,
Frémit d'horreur & regrette les fers.
Il est encor , ô comble de mifére !
Il eft encor de plus triftes fléaux :
Toujours entr'eux les élémens rivaux
S'y font jurés une éternelle guerre.
Tantôt les vents fe difputent les airs ;
Tantôt des cieux , tout fillonnés d'éclairs ,
La voûte s'ouvre & lance le tonnerre :
Souvent les flots franchiflent leur barrière,
Et , s'emparant de ces vaftes déferts ,
Semblent créer un nouvel hémisphère
JUI N. 1772 .
I I
Les monts , fappés jufques aux fondemens ,
Roulent au loin leurs débris menaçans ;
Tout fuit. Le fein de la terre enflammée
Murmure , rend de longs gémiflemens ;
Tremble , & vomit des torrens de fumée .
Du fond des bois un monftre deſtructeur ,
L'affreuse pefte exerce fon ravage :
Les animaux échappent à fa rage ,
Et l'homme , hélas ! épuiſe ſa fureur ?
La mort la fuit : le deuil & la triftefle ,
Fléaux cruels , s'empreflent far fes pas ;
Elle détruit les foins de la fageffe ;
De Thémis même elle arrête le bras .
Le plaifir fuit & la joie eft muette ;
On n'entend plus retentir les travaux :
Tout de la mort annonce le repos ,
Tout du malheur femble être l'interprête .
L'amour lui même , abſorbé de douleurs ,
Languit , foupire & s'éteint dans les pleurs .
Plus de falut , l'efpérance eft ravie :
La mort s'avance & frappe. Inftant affreux !
Sans foins , fans pleurs & fans derniers adieux ,
L'homme fuccombe & termine fa vie.
Marſeille , ainfi dans tes murs conſternés
Elle lança fes traits empoisonnés...
Mais éloignons cette fcène cruelle :
C'en eft aflez , ô ma mufe ; reviens
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
De nos bergers , dont la voix te rappelle ,
Peindre les jeux & les doux entretiens .
Par M. Willemain d'Abancourt.
LE ROSSIGNOL & LE PAON ,
Fable imitée de l'allemand.
MALTRAITE ' des autres oiſeaux ,
Qui fans cefle enviaient fa douce mélodie ,
Le Roffignol quitta ſon ingrate patrie ,
Et goûta chez le Paon les douceurs du repos.
Voulez- vous vivre heureux , évitez vos rivaux .
Par le même.
ROSALIE ou les malheurs de la
fenfibilité.
L'AIMABLE & tendre Rofalie fe tronvant
feule avec la fage & difcréte Emérance
, ne différa plus d'épancher fon coeur
dans celui de cette digne amie ; elle donna
un libre cours à fes latmes , & après
l'avoir embraffée tendrement , elle comJUI
N. 13
1772.
mença ce difcours qu'elle interrompit
mille fois de fes fanglors.
O mon amie ! quel trifte fouvenir vienstu
rappeller dans mon fein , qu'ofes - tu
exiger de la malheureufe Rofalie ! Ton
ame vertueufe & tranquille , ton coeur qui
n'a point encore reffenti les redoutables
atteintes de l'amour pourront- ils me pardonner
mes larmes ? Sauras- tu t'attendrir
fur les malheurs de ton amie & la plaindre.
Peut- elle fe promettre de puifer dans
ton fein cette confolation douce & tendre
, ce foulagement précieux que tout
malheureux a droit d'attendre d'une ame
fenfible ! Hélas , telle eft l'injuftice des
hommes ! il faut qu'ils aient paffé par les
triftes épreuves du malheur pour l'apprécier
, il faut qu'ils aient répandu fur eux
des larmes pour en répandre fur les autres
. Pardonne mes craintes , quoique fondées
fur une expérience très - commune ,
l'amitié les diffipe : oui , tu partageras mes
peines , tu mêleras res larmes à celles de
ton amie , tu pleureras avec elle le déplorable
fort de l'amant le plus malheureux
& le moins fait pour l'être.
Tu n'ignores point les cruelles divifions
qui ont régné entre le Comte deTerville ,
mon père & le Marquis de Valfain ; cette
14 MERCURE DE FRANCE.
inimitié mortelle dont le poifon de la
jaloufie avoit infecté leurs ames , les accompagna
l'un & l'autre juſqu'au tombeau
; leurs concitoyens en ont été les trif
tes témoins & la ville de T. fera renommée
à jamais par les déplorables fcènes
qu'a produites dans fon fein la plus violente
& la plus enracinée de toutes les
averfions. Que l'on a tort de penſer que
les haines ou les amitiés paffent des pères
aux enfans , & que ces derniers fucent ,
pour ainfi dire , avec le lait les fentimens
qui affectent vivement les auteurs de leurs
jours . Non , ma chère Emérance ; l'habitude
& l'éducation ne fauroient fubjuguer
les coeurs , c'eft à l'amour feul qu'appartient
cet empire ; il y regne en defpote &
ne fouffre point que rien au monde partage
avec lui fa puiflance ; nous en avons
fait Valfain & moi la cruelle expérience
; c'eft au milieu des feux deftructeurs
de cette haine envenimée qu'il alluma
fes flambeaux , il entreprit d'unir deux
coeurs que tout fembloit devoir féparer à
jamais ; & pour manifefter davantage l'étendue
de fou pouvoir , il employa pour
affurer cette union des liens d'autant plus
étroits que la haine devoit employer pour
les rompre fes efforts les plus puiffans.
JUIN. 1772 .
Is
Un hafard me fit connoître le jeune
Valfain , & nos coeurs également émus ,
dès cette première entrevue , volèrent à la
rencontre l'un de l'autre. Valfain , à mes
pieds , s'empreffoit de me nommer la
maîtreffe de fon coeur , il y dépofoit le
fuperbe titre d'infenfible dont il s'étoit
fait gloire jufqu'alors. Que fes proteſtations
& fes fermens étoient inutiles ! Ton
amie tremblante , éperdue , n'étoit que
trop difpofée à le croire , elle lifoit dans
fes yeux toute l'ardeur de fon amour ;
embraſée des mêmes feux , elle ne put
lui cacher long - tems fa défaite. Quel ty
ran que l'amour , vertueufe Emérance !
puiffes tu ne connoître jamais autrement
que par mes pleurs la péfanteur accablante
de fons joug !
Les affiduités de Valfain devinrent fi
fréquentes qu'il me rendit fes foins fi ou.
vertement , que le foupçonneux Comte
de Terville s'en apperçut & réfolut d'arrêter
une paffion auffi contraire à fes vues .
D'un autre côté le Marquis fit tous fes efforts
pour éteindre l'amour naiffant de
fon fils . Valfain fentit bientôt fon impru
dence , il m'apprit avec larmes les fâcheufes
difpofitions de fon père , & nous convînmes
, pour nous épargner les traverfes
16 MERCURE
DE FRANCE
.
que l'inimitié de nos parens ne manqueroit
pas de nous fufciter , de cacher nos
feux& de tromper la vigilance de nos févères
Argus. Il nous auroit été trop difficile
de feindre l'indifférence , je permis à Valfain
de paroître s'attacher à quelque autre
, & de mon côté je devois recevoir les
foins de quelque gentilhomme du voifinage
, afin de diftraire l'attention de nos
parens qui , nous croyant livrés à de nouvelles
amours , s'occuperoient moins de
nos actions. Cette rufe , quoiqu'affez bien
concertée nous réuffit peu ; le Marquis intercepta
quelques- unes de mes lettres , je
les remettois à une perfonne de confiance
qui avoit foin de les donner à Valſain &
de recevoir fa réponſe. Le Marquis qui
avoit féduit ou intimidé notre meffager
furprit auffi la lettre de fon fils ; il me juroit
un amour éternel , il déteftoit la haine
qui divifoit nos parens & finiffoit
m'affurer que quelque refpect qu'il eût
d'ailleurs pour les volontés de fon père
quelque foumis qu'il fût à fes ordres , il
le trouveroit rebelle dans tout ce qui s'oppoferoit
à notre amour. Ce vieux militaire
confervoit dans un âge très avancé
tout le feu de la jeuneffe . Quoique franc,
juſte & droit , il étoit violent & emporté
par
JUI N. 1772 . 17
à l'excès , la défobéiffance de fon fils l'en.
flamma de la colère la plus vive ; il refuſa
de voir fon fils , & l'envoya peu - après
dans la terre de M. de Trefay , l'un de fes
amis qui avoit une fille très belle ; il efpéroit
que l'éloignement détruiroit fon
amour , & que la vue de l'incomparable
Mlle de Tréfay ne marqueroit pas de faire
une heureufe diverfion dans le coeur du
jeune Valfain & de me bannir entièrement
de fon fouvenir.
Pendant ce tems mon père me préfenta
un gros homme fort épais & dont l'efprit
& la figure faifoient un merveilleux contrafte
avec l'aimable Valfain. Ce fut M.
B... que mon père crut capable de fuccéder
dans mon coeur à Vaifain. Ce gros
perfonnage , appuyé de l'aveu de mon
père , ofa fe préfenter avec la dernière
affurance. Il crut me féduire par la fomptueufe
prodigalité de fes préfens , il crut
m'éblouir par le détail de fon opulence ;
mais toutes ces tentatives furent inutiles;
je reçus l'avantageux financier avec tant
d'indifférence , je lui témoignai d'une
manière fi fenfible mon dégoût & mon
averfion qu'il n'eut pas le courage de me
rendre une feconde vifite. D'un autre
côté l'amoureux Valfain laffa bientôt la
18
MERCURE
DE
FRANCE
.
patience de fon nouvel hôte ; fa trifteffe
& fa mélancolie le rendirent infupportable.
La fière Mlle de Tréfay fur tout fupporta
avec peine fes froideurs & fes dé.
dains ; elle en fit des plaintes amères à
fon père. Enfin , ce vieillard , idolâtre de
fa fille & mécontent de l'indifférence de
Valfain , écrivit à fon ami qu'il ne falloit
plus fonger à une alliance qui paroifſoit
tellement oppofée aux inclinations de fon
fils & en même tems ille lui renvoya .
Le Marquis , malgré l'impétuofité de
fon caractère , étoit très - fenfible ; il aimoit
fon fils avec une extrême tendrefle .
Il auroit confenti à notre union ; mais il
connoiffoit l'implacable animofité du
Comte , il ne vouloit point plier fous ce
fuperbe ennemi ; c'eft ce qui l'engagea
d'employer de nouvelles tentatives pour
détruire notre amour. Dans l'excès de
fon chagrin il ne confulta point la droiture
naturelle de fon coeur ; il eut recours
à un moyen odieux dont les fuites funef
tes lui caufèrent bien des chagrins ; il
s'adreſſa à un fauffaire qui contrefit une
de mes lettres ; celles que le Marquis
avoit entre les mains lui fervirent de modèle
; avec leur fecours on fabriqua , fous
mon nom , une lettre conçue à- peu près
en ces termes .
JUIN. 1772 . 19
Vous connoiffez l'étendue du pouvoir
d'un père , Monfieur , vous favez combien
les droits qu'il a fur nous font facrés ; mon
père me donne à M. B. . . . Quelque douleur
que me caufe notre séparation , je ne
puis m'empêcher d'obéir à fes ordres fuprémes.
Tachez de m'oublier , peut être n'y
parviendrez- vous que difficilement , mais
fi vous pensez comme moi , fi votre père
vous eft cher , fi vous savez respecter fes
ordres , je me flatte que la douceur d'avoir
fatisfait à votre devoir diminuera de beaucoup
la difficulté que vous auriez de furmonter
votre paffion .
Ce fut par un inconnu que cette lettre
fatale fut remife. Que devint le malheureux
Valfain lorfqu'il l'eût parcourue !
fes yeux crurent reconnoître une écriture
qui lui étoit familière. Quelle affreufe
trahifon quelle fcélérateffe de coeur ne
lui découvroit - elle pas ! une pâleur mortelle
fe répandit fur fon vifage , il tomba
fans connoiffance entre les bras de ceux
qui l'environnoient ; il ne reprit fes ſens
que pour entrer dans le plus fougueux délire
, il lança mille imprécations contre
notre fexe . Ses geftes violens & furieux
écartèrent de lui tout le monde ; enfin fes
forces épuifées le laiffèrent dans un état
20 MERCURE DE FRANCE .
déplorable ; une fièvre ardente qui fe joignit
aux maux , & le peu de foin qu'il
prit de conferver les jours mirent fa vie
dans le plus grand danger. Cet état cruel
dura près de trois mois. Le chagrin & la
maladie luttèrent pendant ce tems avec
la vigueur de fon tempérament ; enfin le
Marquis défefpéré confentit à donner les
mains à tout ce qui pourroit fauver un
fils qui lui étoit aufli cher ; il s'accufa , les
larmes aux yeux , de l'indigne artifice
dont il avoit recueilli des fruits aufli
amers , & s'empreffa de lui apprendre
l'heureufe nouvelle de fon changement .
Valfain , à ces mots , devint un tout
autre homme ; fes yeux s'animèrent , fon
front s'éclaircit , fes traits fe changèrent ,
une joie vive ſe peignit fur fon viſage.
Il fe leva avec tranfport pour ſe jetter aux
pieds de fon père . Il ne favoit comment
lui exprimer fa reconnoiffance. Dès cet
inftant la maladie céda . Valfain reprit infenfiblement
fes forces , & au bout de
quinze jours fa fanté fut prefqu'entièrement
rétablie .
De nouveaux malheurs vinrent affaillir
Valfain ; il perdit fon père qu'une appoplexie
lui enleva au moment qu'il s'y
attendoit le moins . Quant à moi j'étois
JUI N. 1772. 21
plus vivement perfécutée que jamais ;
M. B. . . qui étoit revenu à la charge ,
pendant la longue maladie de Valſain
s'étoit fait appuyer de toute ma famille ;
ils fe flattoient tous que l'abſence de Valfain
l'avoit effacé de mon fouvenir
comme d'ailleurs il fembloit me négliger,
& que les derniers devoirs qu'il avoit à
rendre à fon père l'éloignoient de moi ,
ils conçurent de grandes efpérances du
fuccès de leur entrepriſe . Mais un événement
auquel ils ne s'attendoient point en
renverfant tous leurs projets , me prépara
le chagrin le plus vif que j'aie reffenti de
ma vie , celui dont le cruel reſſouvenir
m'accompagnera jufqu'au tombeau , & ne
ceffe à chaque inftant d'y précipiter mes
pas.
M. B.... avoit plufieurs amis qui
l'accompagnoient dans les vifites qu'il me
rendoit ; de ce nombre étoit un homme
de robe qui , dans la fleur de la jeuneffe ,
joignoit à l'extérieur le plus aimable le
coeur le plus vicieux. Sa phyfionomie
douce , fon langage flatteur & attrayant
ne fervoient qu'à voiler d'autant mieux
la perfidie & la fcélérateſſe de ſon ame,
Le préfident de F... , c'étoit fon nom ,
m'aima auffi - tôt qu'il me vit , & fans
égard pour l'amitié qu'il avoit vouée à
22 MERCURE DE FRANCE.
B. . . , à qui il avoit d'ailleurs les obligations
les plus effentielles , il réſolut de
lui enlever mon coeur. Il avoit trop de
pénétration pour ne pas s'appercevoir de
mon indifférence pour B. . . ; mais en
même - tems il découvrit tout l'amour que
j'avois pour Valfain . Abandonnant dès ce
moment un rival qu'il ne redoutoit pas ,
tous les efforts de l'artificieux F... ſe
tournèrent à me brouiller avec Valfain .
Nous nous aimions trop parfaitement
pour n'être pas fufceptible de jaloufie ; c'eſt
par les fureurs de cette odieufe paffion
qu'il entreprit de nous défunir . Sa déteſtable
rufe ne lui réuffit que trop bien .
Le caractère fouple , liant & affable de
M. de F. . . l'avoit mis de toutes nos
parties ; il me quittoit rarement. Soudain
fa gaîté fe changea en trifteffe ; il prenoit
avec moi un vifage morne & chagrin .
Souvent il me regardoit d'un air d'intérêt;
fes yeux alors fe couvroient de larmes.
Comment peut - on trahir une perfonne
auffi aimable , difoit- il d'une voix éteinte
& entrecoupée , comme s'il eût craint que
je l'entendille . Je m'inquiétai , je l'inter
rogeai , je voulus le faire expliquer plus
clairement , mais je ne pus en tirer que
ce peu de mots : » laiffez moi ; Je me re-
» pens de ce que j'ai dit . Vous me louerez
1
JUIN. 1772.
23
»de mon filence .» Enfin un jour je le preffai
fi vivement qu'il feignit de fe rendre. Il
me dit que Valfain étoit infidèle , & m'offrit
de me conduire fur le champ dans un
endroit où il entretenoit actuellement fa
nouvelle maîtrefle . Je me laiffai entraîner;
j'entendis , ou je crus entendre dans un
cabinet voifin la voix de Valfain . Il paroiffoit
s'entretenir avec une perfonne du
fexe aux pieds de laquelle il s'épuifoit en
proteftations & à qui il difoit les choſes
les plus tendres . Prévenue comme je l'étois
, je donnai tête baiffée dans un piége
auffi groffier. Je m'enflammai de colère
contre le perfide . Le dépit m'aveugloit ;
il m'empêchoit de fonger combien il
avoit été facile de me féduire & de m'en
impofer. Hélas ! je ne voyois plus rien
que perfidies , noirceurs , trahifons. Je
congédiai brufquement F. ... ; je me
retirai la mort dans le coeur. Je marchois
fans favoir où je portois mes pas . J'étois
dans un des bofquets du jardin de mon
père où Valfain m'avoit mille fois entretenu
de fa flamme . Ce fut dans ce fatal
endroit , jadis fi cher à mon coeur que ce
malheureux jeune homme vint à moi
avec fon empreffement ordinaire . Je le
vis accourir avec toutes les marques du
tranfport le plus aimable : la joie la plus
24
MERCURE DE FRANCE.
vive brilloit fur fon front. Cet air épanoui
me perça le coeur . Je m'éloignai.
Le dépit & la jaloufie me dictèrent tout
ce que l'on peut dire de plus cruel & de
plus fanglant... Hélas , ma chère amie !..
Dans quel état ces foudroyantes paroles
mirent- elles l'infortuné Valſain ! …. Furieux
, défefpéré , je vois briller entre fes
mains un fer deftructeur .... Il le dirige
contre fonfein... Dieux , quel fpectacle! ..
Eperdue , j'accours... C'en eft déjà fait...
Le fang coule à gros bouillons ... Envain
fon indigne amante... Que dis- je ! ah ,
ce doux nom ne m'eft plus permis ! Le
trop conftant Valfain eft mort & je vis
encore.
Les fanglots étouffèrent en cet endroit
la voix de la déſolée Roſalie & interrompitent
fon recit. Un torrent de larmes
fortit de fes yeux & inonda fes joues.
Emérance , fenfiblement touchée du trifte
état de fon amie , ne put s'empêcher de
s'écrier Qu'il eft malheureux d'être né
avec un coeurfenfible !
Par Mlle Raigner de Malfontaine .
L'ORAISON
JUIN. 1772.
25
Le 20 du mois d'Avril , M. de Pajol ,
major & commandant le régiment de
Royal - Piémont à Carcaffonne , a fait la
reception des Vétérans de ce régiment
qui étoient au nombre de douze , ils ont
été très fenfibles à cette fatteufe cérémonie
. Après la reception , MM. les Officiers
de ce Corps les ont conduits, au fon
de la mufique , dans une falle où étoit
fervi un grand dîné ; M. de Pajol leur a
lu , au milieu du repas , les vers fuivans
& leur en a donné une copie à chacun ;
ils ont paru très - flartés de la lecture de
cette pièce . Le repas fini , on les a reconduits
dans le même ordre à leur quartier,
où leurs camarades les ont reçus avec applaudiffement
& avec des témoignages
d'amitié & de fenfibilité.
Aux Vétérans du Régiment de Royal-
Piémont Cavalerie,
VOUS que la valeur accompagne au combat
!
+
Magnanimes foutiens du Prince & de l'Etat ;
Vous qui n'avez pas craint d'expofer votre vie
Pour fervir , & défendre , & venger la patrie;.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Illufties vétérans , qui fixez à jamais
Les regards du Monarque & l'amour desFrançais ;
Citoyens fortunés , dignes au moins de l'être ,
Voyez qui vous fervez, contemplez votre maître;
Content de vos exploits , honorant vos travaux ,
LOUIS veut au grand jour expofer des héros.
Diftingué déformais par un figne honorable ,
Le brave vétéran devient plus reſpectable ;
Et le cruel oubli qui cachoit la valeur
Difparoît maintenant & fait place à l'honneur.
Sous un Roi vertueux , ami de la juſtice ,
Toujours la récompenfe eft le fruit du fervice.
Connoiffez tout le prix d'un triomphe éclatant ,
Il eft des Coeurs François le plus cher aliment .
Jouiflez , mes amis , de vos marques infignes ,
Jouiffez du plaifir d'en avoir été dignes.
Chéris de tous vos chefs , confidérés par eux ,
S'ils ont des droits fur vous , c'eft pour vousrendre
heureux.
La févérité ceffe où la vertu commence ,
Et la feule amitié produit l'obéiffan ce.
Voyez autour de vous vos jeunes compagnons ,
Accourir , fe ranger & publier vos noms.
Admirant vos exploits , tout fiersde votre gloire,
Ils femblent avec vous jouir de la victoire ,
Et partager l'ardeur qui vous mène aux combats
!
·
Vayez les vous tenir , vous ferrer dans leurs
bras ;
JUIN. 1772 . 27
Inftant délicieux ! fpectacle plein de charmes !
Sur vos fronts couronnés ils répandent des larmes.
Par l'excès du plaifir tous leurs fens font glacés ,
Ervous- mêmes auffi , vous vous attendriffez .
Ah ! voilà le moment le plus flatteur , peut être ,
Qu'en faveur d'un guerrier le deftin ait fait naître
.
De tèls épanchemens font faits pour les grands
coeurs ,
Et ce triomphe heureux manquoit à vos honneurs.
De vos concitoyens vous recevez l'hommage ,
Amis , pouvoit-on mieux payer votre courage ?
Jamais laurier plus beau , couvrit- il un ſoldat ?
Mais ce même laurier vous enchaîne à l'Etat .
Que vos jours , fi fouvent prodigués pour la
France ,
Soient aujourd'hui voués à la reconnoiffance
Oui , braves Cavaliers , vos fervices font grands ;
Mais il en eft encore en ces heureux momens ,
Que de votre vertu l'Etat a droit d'attendre.
Au bien de fon pays qu'il eft doux de fe rendre !
Tous ces guerriers nouveaux , de vos honneurs
jaloux ,
r
Demandent qu'on les guide , ils ont fait choix de
vous.
Concourir à leur gloire , eft augmenter la vôtre ,
Cucille -t'on un laurier , il en renaît un autre .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
De ces jeunes: François , fecondez la valeur ,
Echaufez par degrés le germe de l'honneur 5
Et dans ces tems de paix dont jouit la patrie ,
Amis , par vos leçons excitez leurs génies .
Qu'ils apprennent de vous à braver ces volcans ,
Ces glaives deftructeurs , ces airains menaçans ,
Qui de leurs fons affreux font retentir la terre ,
Et femblent , dans leur fein , renfermer le tonnerre
.
Dn feu qui vous anime embrafez leur efprit ,
De vos périls paffés faites leur le recit ;
A des dangers pareils préparez leur courage ,
Et lorfqu'au calme enfin fuccédera l'orage.
Si l'honneur , quelque jour , les appelle aux combats
,
Qu'ils trouvent près de vous la gloire ou le trépas.
Vous pourrez dire alors , en voyant ces grands
hommes :
Nous les avons formés , ils font ce que nous fommes.
Mettez ainfi le comble à vos nobles travaux ,
Que la France , après vous , retrouve des héros ;
De leurs lauriers fans doute il vous feront hommage
,
Et vos noms illuftrés pafferont d'âge en âge,
Par M. Perrochel , fous - lieutenant au
régiment deRoyal- Piémont Cavalerie.
JUIN. 1772... 29
STANCES . A Madame ** , en lui envoyant
un flacon rempli d'eau de fenteur.
Le premier parfum de Lylie
Fut une larme de l'amour :
*
Mirrha prête à quitter la vie ,
Pleura fon amant & le jour.
Du Cyprès l'écorce inflexible
Renferma fon coeur amoureux ;
Son corps fe durcit à nos yeux ,
Mais le coeur demeura fenfible.
Même , on dit que l'arbre alentour
Fut long- tems arrofé de larmes ,
Et que ces pleurs avoient des charmes
Contre les rigueurs de l'amour.
Il eft des pleurs que la trifteffe
Arrache aux malheureux amans ,
Il en eft d'autres ! .. la tendreffe
Les accorde à nos fentimens.
* Mirrha , amante & fille de Cinire , fut chan
gée en arbriffeau , & fes pleurs en gouttes d'am
b e. Voyez la Fable .
B iij
jo MERCURE DE FRANCE.
Auprès d'Eglé , l'amour defire
Les pleurs dont elle eft de moitié..
J'ai choifi ceux de l'amitié !.
Ne valent-ils pas un fourire ?
Du fentiment ces pleurs heureux
Ne font pas les pleurs de la fable ;
Ils font vrais , ils font peu nombreux ;
Mais la fource eft intariffable..
A M. DE BUFFON le Fils.
AIMABLE Fils d'un Père dont la France
A confacré le nom d'avance
Dans les faftes brillans de l'immortalité
Vous venez dans notre cité ,
Sur les aîles de la fcience ,
Annoncer en pafſant votre célébrité...
Nos Tritons & nos Néréides ,
En fortant des plaines liquides ,
Vous offriront leurs bijoux , leurs trésors ;
Venez... nos citoyens honnêtes
Vous préparent déja des fêtes
Dont les Mufes en choeur formeront les accords.
La Renommée , Monfieur , qui ne fait garder
aucun fecret , nous annonce que vous devez venir
dans nos contrées pendant la belle faifon ,
fous la conduite d'un gouverneur eſtimable par
JUIN.
31
.ܐ177
tout , puifqu'il eft eftimé du plus célebre Naturalifte
du monde.
Qu'il me tarde , en mon particulier , de rendre
mes hommages au fils d'un homme qui a mérité
ceux de l'Univers.
J'ai l'honneur , &c.
DALLET , l'aîné , afsocié adjoint
de l'académie royale des
fciences de Rouen .
A Valogne , le & Avril 1772.
-
LA PERRUCHE , Fable.
UNNE Perruche bien caufeufe ,
Et manierée & précieuſe ,
Pour quelques mots eftropiés
Devint un jour présomptueuſe ,
Elle fe drefle fur fes pieds ,
Et fe croit un prodige en France .
J'imiterai qui me plaira ,
Se dit - elle avec complaiſance,
Serin , Fauvette & catera .
J'aurai , ſi je veux , leur cadence :
Et puis tout-à- coup la voilà
Qui prétend même à Philomèle
Difputer la gloire du chant ,
Un oifon paffe & s'y méprend ;
32 MERCURE DE FRANCE.
Encens flatteur pour notre belle
Qui s'enivre encor de plus belle ,
Et qui dans fon enchantement
De l'oifeau des bord du Méandre
Tente le fuccès éclatant .
Y fut-on ris ? crut- on entendre
Un des deux cignes de Vénus ?
Eh ! mon Dieu non , on crut au plus
Du canard ptivé qui barbote
Entendre le cri glapiffant .
Ah ! quel ennui ! maudit cancan
Fiairas-tu ? change de note
Pauvre Margot , dit un paflant.
Pour Dieu reviens à ta nature ,
Tes efforts & ton impoſture
Ne font que gâter ton caquet ,
Pourquoi te donner la torture ?
On fent toujours le Perroquet .
Avis au rimeur téméraire
Qui veut chanter fur tous les tons ,
Il aura pour lui le parterre
S'il y raffemble des oifons.
JUI N. 1772. 33
FABLES adreffées à Madame la Marquife
d'Antremont par le Marquis de Culant-
Ciré , Meftre de Camp de Dragons.
LE ROSSIGNOL , Fable,
PETITS oifeaux que vous êtes heureux !
Difoit la jeune & fenfible Emilie ,
Que votre fort eft doux ! que je l'envie !
Rien ne contraint vos penchans amoureux.
Un Roffignol lui dit : belle inhumaine ,
Nous fuivons la nature , & cette aimable reine
Nous flatte & comble nos defirs .
Humains, qui vous piquez d'une conftance vaine,
Qui répandez des pleurs , qui pouffez des foupis ,
Du tendre amour vous reflentez la peine ;
Et nous n'avons que fes plaifirs.
LA MOUCHE
UNE Mouche parafite
Fable.
: 1
Pouvoit , fans tenter le fort ,
Sur les bords d'une marmite
Vivre du bouillon qui fort.
Mais fon appetit s'irrite,
Elle s'y plonge , & d'abord
Elle y rencontra la mort .
34
MERCURE DE FRANCE.
L'opulence , la bonne chère ,
La débauche & l'oifiveté
Sont plus à craindre encor que la mifére ,
Et rien ne vaut la médiocrité.
LE BATEAU , Fable.
TAITSONG , * jufte & puiſſant monarque ,
Se promenant un jour fur l'eau
Avec fes fils , dans une même barque ,
Leur dit : je fais une remarque .
Notre fort eft pareil à celui du bateau ,
Qui , gliflant fur cette rivière ,
Nous donne un plaiſir paflager :
Et l'onde , qui paroît fi tranquille & fi claire ,
Semblable au peuple inconftant & léger ,
Obéit , nous fupporte , & peut nous fubmerger.
ENVO I.
Vous ,dont le nom du fonds des Pyrenées
A volé jufques aux climats
Où règnent d'éternels frimats ,
Et qui comptez à peine vingt années ,
* Empereur Chinois . Les deux dernières fables
ont été imprimées , avec quelques autres , fous le
titre de Recueil de Fables , Epigrammes & Penfées
diverfes , &c. A la Haye , chez Goffe junior ,
en 1767 .
JUIN. 1772 .
3 5
Vous prouvez bien que le bongoût
Eft un préfent de la nature :
Quant au fçavoir , c'eſt chofe sûre
Qu'on peut l'acquérir par tout.
Eh , quoi ! pour former fon génie
Faut- il voir , de Paris , la bonne compagnie ?
Les faux brillans du monde & fes travers ?
Non , non. Ce n'eft pas là que coule l'hypocrène ,
Il vous fuffit , pour faire de bons vers ,
De lire Defpréaux , Racine & la Fontaine.
ETRENNES à M. M** de C
par Madame de **.
HONOREZ ONOREZ cet eflai d'un coup d'oeil de bonté,
Dites , en le lifant , fon coeur feul l'a dicté .
Je n'offre point des voeux pour foufcrire à l'uſage,
Ces voeux & ces fouhaits naiffent du fentiment.
Infpirés par mon ame , ils parlent fon langage.
Je répète pour vous ces voeux à chaque inftant,
Vertueux citoyen , appui de l'innocence ,
Recevez de ces vers l'hommage mérité.
Oui , vous fûtes fenfible à mon adverfité ;
Soyez- le davantage à ma reconnoiffance.
60 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du volume du mois de Mai 1772 ,
eft Escalier ; celui de la feconde eft Bilboquet
; celui de la troisième eft Fufil ( à
repaffer les couteaux . ) Le mot du premier
logogryphe eft Maréchal ferrant , où
fe trouvent mal , Archal , Harem , char
cham , Rachel , charme , Marc , marché ;
celui du fecond eft Demain , où font dé,
main ; celui du troisième eft O cercle ,
lettre , zero ; celui du quatrième eft Non,
où eft on.
Ji
ÉNIGM E.
■ fuis un don mauflade & non pas un préfent.
Agréable pour qui me donne ;
Mais pour qui me reçoit & toujours en perfonne
Souverainement déplaifant ;
Soit l'été , foit l'hiver , le printems ou l'automne ,
Au point qu'à peine on me pardonne.
Clairvoyant d'ordinaire , aveugle quelquefois ,
De trois mille ans en çà j'oſe inſulter les Rois.
Vis-à - vis , tête à tête , à table.
A Paris , à Siam , au Grand Caire , à Cluni ,
De
ARIA
Page, 61.
Juin ,
1772.
Del Sig . Rinaldo.
#
Aimons nous chere Iris sans partage;
Aimons nous aimons rien n'est si dous
Aimons nous aimons rien n'est si doux,
Les amours sont lesDieux de notre
age
Sans a:
-mours il n'est point de beaux jours . Aimons.
nous aimons rien n'estsi doua :Aimons nous et bra:
-vons lesjaloux.Aimons nous aimons rien n'est si
doux ; Aimons nous et bravons lesjaloux .
f
JUI N. 1772.
61
De lèze majefté je fuis toujours coupable
Et mon crime refte impuni.
AUTRE,
A moitié de la race humaine
En Europe a befoin de moi ,
Et plus d'une fois la femaine :
Lecteur , as- tu jamais bailé la main du Roi
Moi , je lui fais baiſer la mienne.
Ji
20
AUTRE .
J fuis un être inanimé ;
D'un être vivant je fuis père.
Je ne puis me paſler de mère ;
28. Saps père louvent je fuis né.
Jz
LOGOGRYPHE
.
E porte un nom fameux dans la fable & l'hiftoire.
J'illuftrai l'Afie autrefois .
On me retrouve encor , mais avec moins de gloire
Sur les confins du pays champenois .
Mon chef de moins , je paffe en Picardie.
C
62 MERCURE DE FRANCE.
Tranche mon nouveau chef , jadis en Italië si
Je fus chère aux Romains , odieule aux Gaulois ,
Qui me virent borner le cours de leurs exploits..
N'en eft- ce pas aflez pour me faire connaître ?
Ote-moi tête & queue &itu verras ton maître.
UN
AUTRE.
Un peuple gourmand & volage , N
Chez qui mon feul aſpect doit répandré l'effroi ,
Souvent s'apprivoise avec moi ;
Tant je fais mal mon perfonnage.
Mon chef tranché , faites de moi trois parts ;
Trois objets différens vont frapper vos regards.
D'abord c'eft un antropophage ,
muk Objet de dégoût & d'horreur :
L'autre eft du Nautonier l'efpoir & laterreur :
Le troisième au Galcon offre un mers plein de
charmes ,
Qui pourroit bien , lecteur , faire couler tes larmes
.
Rendez - moi tout mon être , ôtez l'objet hideux,
J'enfante des zéphirs & je les rends heureux.
3.91
Sofil .
15 2964 •
13013 1
JUI N. 1772.
63
AUTRE.
A La ville , à la cour , chez Itis , chez le Roi ,
A l'Eglife , au barreau , j'exerce mon emploi :
Je me fourre par- tout , même en votre cuifine ,
Et jadis on n'eût fu pourquoi.
Auffi commun en France qu'à la Chine ,
C'eft au Nil queje dois ma première origine.
Mais comment fi long-tems s'eft - on palé de moi ?
Moi , qu'on trouve aujourd'hui chofe fi néceffaire
;
·
Moi , fans qui l'on ne peut voir la fin d'une affaire
?
Chez nos ayeux comment donc faifoit - on ?
Comment ? on fe fervoit d'une peau de mouton.
J'ai confervé ma forme en changeant de matière.
Oubliez quije fus , vrai chef- d'oeuvre de l'art ;
Je ne dois point mon mérite au hasard .
J'aide dans leurs travaux les Newton , les Yoltaire
;
Quoiqu'on eftime ma candeur ,
On me fait plus fouvent bon gré de ma noirceur.
Dans mes deux tiers j'ai de quoi faire un Pape ;
J'ai dans mon tout les noms d'un Dictateur Rømain
Cij
64
MERCURE DE FRANCE.
Et d'une Déité du genre maſculin
Dont les amis fouvent ont befoin d'Efculape .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
* Réflexions fur un ouvrage intitulé ,
Nouvelles obfervations critiques fur différensfujets
de littérature ; par M. Clément.
A Amfterdam ; & à Paris , chez
Moutard , rue du Hurepoix , à St Ambroife.
ON trompe le Public de routes les ma
nières. Les titres de livres fur- tout font
devenus une espèce de charlatanifme dont
on abufe plus que jamais. La fcience de
l'affiche & de l'étiquette eft portée fi loin.
que nos neveux n'y pourront rien ajou
ter. C'eft de tous les arts de ce fiécle le
plus perfectionné. Tout homme qui annonce
ou un journal ou un drame ou un
dictionnaire ou une recette ou un baume
ou du bouillon , fe recommande d'abord
aux amateurs par un titre d'une demipage
qui contient le plus fouvent non pas
>
* Article de M. de la Harpe.
JUI N. 1772.
65
.
mais ce
tout ce que l'auteur donnera
qu'il ne donnera point . Jamais on n'a
tant écrit qu'aujourd'hui
, parce que jamais
on n'a fi peu inventé. Un livre n'eft
plus une affaire de talent ni de génie . C'eft
une entrepriſe de commerce. Il ne s'agit
guères que de copier d'autres livres & de
fe déguifer fous un titre qui promette
beaucoup. La marchandiſe eft vieille ,
mais l'enfeigne eft neuve ; c'eft affez , les
curieux y courent plus ou moins. L'auteur
au bout de quelques mois fait réimprimer
le frontifpice de fon livre & met
troisième ou quatrième édition , remercie
le Public qui ne fait ce qu'on lui veut dire,
fe félicite du genre qu'il a eu le bonheur
d'entrevoir , & de fon fuccès marqué, &
portant dans fa poche la feuille où il eft
loué , va fe faire infcrire chez le fecrétaire
de l'académie qui le couche fur fa
lifte en eftropiant fon nom dont il n'ajamais
entendu parler .
Parmi ces titres qui n'ont d'autre artifice
& d'autre but que de vendre au Public
deux fois la même chofe , on peut
compter celui de ces obfervations de M.
Clément prétendues nouvelles , & qui ne
font , à peu de chofes près , que de vieil-.
les obfervations qui ont paru & difparu
C iij
66 MERCURE DE FRANCE .
l'année dernière , difpofées aujourd'hui
dans un ordre différent. Il y a environ
deux cent pages copiées mot à mot. L'obfervateur
a cru fans doute qu'elles étaient
abfolument oubliées . Il ne s'eft pas tromde
beaucoup . Peut - être même c'eſt
venit bien tard pour parler de cette édition
nouvelle , & le Public ne ſaura plus
de quoi il eft queftion . Tant d'objets
pallent rapidement fur le théâtre des nou
veautés littéraires , les uns entraînés par
leur poids , les autres emportés par leur:
légéreté , qu'il n'eft pas poffible que M.
Clément occupe bien long - tems la fcène.
Auffi je n'adreffe mes réflexions qu'à ce
petit nombre d'heureux oififs qui aiment
beaucoup la profe & les vers , & je les
fupplie de vouloir bien prendre part à
के
l'entretien que je vais avoir avec M. Clément
pour notre inftruction réciproque ,
& de m'en dire leur avis.
L'introduction eft une espèce de confeffion
générale où l'auteur rend compte
avec un grand air de bonne foi des furprifes
qu'on avait faites à fon jugement
& à fon goût dans fa première jeuneffe , &
des motifs qui l'ont engagé à entrer dans
la carrière de la critique , pour ramener les
autres dans la bonne voie , après y être
rentré lui- même.
JUI N. 1772. 67
« J'avais été féduit ( dit- il ) par les
» fyftêmes nouveaux qu'on a bâtis dans
» la littérature. Je n'hésitais point de préférer
Lucain & le Taffe à Virgile & à
" Homère , de mettre M. de Voltaire audeffus
de Corneille & de Racine , & c.»
Paffons fur le folécifme , je n'hésitais
point de préférer , au lieu de je n'hésitais
point à préférer ; comme la grammaire
l'exige abfolument. Je reviendrai fur le
ftyle qu'il faut bien examiner , puifque
Pauteur fe donne naïvement pour mo
dèle . Continuons .
93
و د
Je regardais ce que M. Diderot a
pris la peine d'écrire fur la poëfie drainatique
comme un traité lumineux &
» parfait. Les injures que j'entendais dé-
» biter contre Defpréaux en pleine aca-
» démie & les couronnes & les places
que je voyais diftribuer à ceux qui
» criaient le plus haut contre ce fameux
fatyrique m'avaient infpiré pour lui le
plus profond mépris , & je n'en parlais
» jamais que comme d'un verificateur
» affez paffable & d'un poëte fort médio-
» cre. Je n'avais pas une plus grande eftime
pour Rouleau que j'appelais tou-
» jours le petit Rouffeau , ne concevant
» pas comment on pouvait donner le
»
»
68 MERCURE DE FRANCE.
"
» furnom de grand à un poëte lyrique
» auffi peu philofophe que celui - là. Ĉar
» c'était avant tout la philofophie mo-
» derne que j'aimais , & dès que je ne
» trouvais point dans quelque poëfie que
» ce fût des tirades contre les prêtres &
» la Religion , ou de belles fentences fur
» l'humanité , fur la vertu , fur le mépris
» des grands , fur les préjugés , fur l'indé-
» pendance , fur le fuicide , ou des ré-
» flexions de la plus fubtile métaphyfi-
» que ou des termes de logique , de fciences
& d'arts , je fermais le livre d'indignation
, & c . " " 19
M. Clément nous apprend enfuite que
le choix qu'on fit de lui pour une place
de profeffeur à Dijon l'engagea à lire les
anciens qu'apparemment il n'avait pas lûs
jufques - là , que cette lecture le reconcilia
avec le bon goût , & qu'il conçut que
nous étions prodigieufement déchus ;
il me permettra de lui faire à mon tour
quelques obfervations.
C'eft affurément une très -bonne chofe
que l'ironie , à compter depuis Socrate.
C'eft une figure de rhétorique qui exiftait
long tems avant la rhétorique , parce
qu'il y a eu de bons plaifans , avant qu'il
y eût des rhéteurs. Mais quand on établit
JUI N. 1772. 6.9
l'ironie fur une fuppofition de faits , il ne
faut pas s'expofer à être évidemment démenti
fur les faits. Il faut mettre fon pe
tit roman hors d'atteinte , comme le fondement
de la plaifanterie , fans quoi la
plaifanterie tombe avec lui. Or , fi par
hafard le roman que bâtit M. Clément
pouvait être renverfé d'un fouffle , & fi
fes conféquences étaient auffi fragiles que
fes hipothèſes , il me femble que cette
introduction ne prouverait pas que fa vocation
à l'état de critique fût bien marquée.
Détaillons un peu les articles .
Où M. Clément a - t- il pris que ce fut
un fyflême nouveau báti dans notre litté
rature de préférer Lucain à Virgile ? M.
Marmontel eft le feul qui les ait mis dans
la balance & qui ait paru d'abord la faire
Fencher un peu en faveur du premier.
Mais premièrement l'opinion d'un écrivain
, quel qu'il foit , n'eſt point un fyftême
de notre littérature , à moins que cette
opinion ne foit fuivie & ne fafle fecte .
2º. M. Marmontel , dans la préface de
fon excellente traduction de Lucain s'eft
expliqué avec bien plus de développement
qu'il n'avait pu le faire dans la
précifion rapide des vers ; il a fait voir ,
en convenant de tous les défauts de Lu70
MERCURE DE FRANCE.
cain , qu'il ne réfervait fon admiration
que pour les beautés fortes & vraiment
originales qui étincellent de tems en
tems dans l'ouvrage d'un jeune poëte
mort àvingt- fept ans , & il a pleinement
raffuté ceux qui avaient crû voir dans
l'Epître au Poëtes quelque préférence
donnée à Lucain fur Virgile. Enfin cette
opinion , qui n'eft celle d'aucun homme
de lettres que je connaifle , ne ferait pourtant
pas un fyflême nouveau , témoin ce
paffage de Defpréaux fur Corneille.
Tel s'eft fait par les vers diftinguer dans la ville
Qui , jamais de Lucain n'a diftingué Virgile.
Ainfi dans tous les cas M. Clément aurait
tort d'infulter notre fiécle , parce qu'il
s'y ferait trouvé un homme de lettres de
l'avis du grand Corneille .
A l'égard du Tafle , M. de Voltaire a
dit , il eft vrai , dans fon hiftoire générale
, que la Jérufalem délivrée était un
poëme plus intéreffant que l'Enéide , &
je crois qu'il n'eft pas le feul de cet avis.
Mais il n'a jamais prétendu que le Taffe
fût plus grand poëte que Virgile, lui qui
a dit tant de fois que Virgile était le plus
parfait de tous les écrivains , l'homme de
JUIN. 1772. 78
la terre qui avait le mieux connu l'art des
vers ; il n'a point mis le Taffe au- deffus
d'Homère , lui qui a dit que douze vers
d'Homère nous en apprenaient plus que
toutes les poëtiques du monde. Il eft auffi
fimple de trouver plus d'intérêt dans la
Jérufalem que dans l'Iliade , fans pourtant
préférer le Talle à Homère , qu'il l'eft
de trouver plus d'intérêt dans Ariane que
dans Britannicus , fans mettre Thomas
Corneille au- deffus de Racine , & jufqu'ici
je ne vois point de fyftême nouveau
qui ait pû tromper la première jeuneſſe de
M. Clément , ni abufer de fon innocence .
Mais voici bien pis. C'est lui qui veut
abufer de la nôtre. Il prétend qu'on lui
avait appris , il y a dix ans , à préférer M.
de Voltaire à Corneille & à Racine . Or , -
je défie M. Clément de me citer un feul
écrivain , non - feulement qui ait mis M.
de Voltaire au- deffus de Corneille & de
Racine , mais même qui ait établi un parallèle
entre eux ; je le défie , dis je , da
m'en citer aucun , avant M. de St Lambert
qui écrivait il y a deux ans , & qui le
premier a ofé inftituer ce parallèle toujours
délicat lorfqu'il s'agit de prononcer
entre des génies fi éminens & d'une trempe
fi différente , & fur- tour de prononcer
72 MERCURE DE FRANCE.
pour un homme vivant en préſence de
l'envie qui plaide toujours pour les morts.
Il eft clair que M. Clément s'eft cru permis
en fûreté de confcience un anacroniſme
littéraire pour juftifier fon humeur
contre fes contemporains. Je me fouviens
de ma première jeuneffe un peu mieux
qu'il ne fe fouvient de la fienne , & je lui
réponds que dans le tems dont il parle ,
bien loin de mettre M. de Voltaire audeffus
, ni même à côté de Racine & de
Corneille , on le mettait affez communément
au- deffous de M. de Crébillon. Du
moins j'entendais citer nos trois grands
tragiques , Corneille , Racine & Crébillon
, & après eux , un homme qui avait de
grandes beautés, M. de Voltaire ; & il n'y a
pas long tems que j'ai lû que M. de Crébillon
était le plus grand de nos poëtes
tragiques , &peut- être le feat tragique , &
après lui un homme dont je ne me rappelle
pas le nom , mais qui a fait des dra
mes fombres. Voilà ce que j'ai lû dans des
feuilles dont à la vérité on ne fe fouvient
guères , mais dont je me fouviens fort
bien , parce que j'aime à me former l'efprit.
Soions vrais. Il n'y a guères que dix
à douze ans que l'on a commencé à rendre
JUI N. 1772. 73
dre à la prodigieufe fupériorité de M. de
Voltaire un hommage à peu près univerfel.
Je n'ignore pas que long-tems auparavant
tous les meilleurs efprits de la
nation lui rendaient une exacte juftice.
Mais ce ne font pas les bons efprits qui
crient le plus fort , ni qui parlent le plus
fouvent. Ce font ceux qui n'ayant point
d'efprit , fe chargent de rendre compte
de l'éfprit des autres , & ces hommes - là
font naturellement ennemis des grandes
réputations , des grands talens , des grands
fuccès , parce qu'il n'y a rien à gagner à
ne dire du mal que de ce qui eft médiocre.
Cette espèce d'hommes qui depuis a
beaucoup perdu de fon crédit , parce qu'à la
longue on fe laffe de la méchanceté comme
de toute autre chofe , a dû long - tems en
impofer à la foule qui cherche un avis , à la
médiocrité & à l'envie qui cherchent des
confolations , & enfin à la jeuneffe crédule.
C'eft eux que M. Clément a dû lire
dans fa première jeuneſſe , lorfqu'il était à
Dijon , d'où il ne pouvoit pas entendre
la bonne compagnie de la capitale .
Je ne prétends d'ailleurs énoncer aucun
avis fur la fupériorité attribuée à M.
de Voltaire dans le parallèle de nos grands
tragiques. Cette difcuffion ferait un ouvrage.
Je m'en tiens à prouver que M. Clé
D
74
MERCURE DE FRANCE.
ment nous trompe lorsqu'il fe plaint d'avoir
été infecté dans fa première jeuneffe
du poiſon de cette dangereufe héréfie
qui n'a été répandu que depuis deux
ans , précisément dans le temps où M.
Clément arrivait de province pour nous
apporter l'antidote.
M. Clément s'accufe d'avoir regardé les
entretiens à la fuite du Père de famille & du
fils naturel comme un traité lumineux &
parfait. Premièrement il n'y a rien de parfait
, fi ce n'eft peut-être les ouvrages de M.
Clément. D'ailleurs je ne crois pas qu'aucun
homme de lettres ait jamais dit , ni
que M. Diderot lui - même ait prétendu
que des fragmens en forme de dialogues
fur quelques parties de l'art dramatique
fuffent un Traitéparfait. Mais fi M.
Clément a entendu dire que ces dialogues
étaient pleins d'idées ingénieufes &
de traits d'éloquence on ne l'a guères
trompé.
c'eft
Quant à Defpréaux ce n'eft pas pour l'avoir
traité un peu durement que M. Marmontel
a été couronné à l'Académie Françoife
, & qu'il y a été reçu , parce
qu'il étoit impoffible de contefter le mérite
de fon ouvrage de concours , quoi
qu'on en pût combattre les affertions ,
c'eft parce qu'il avait fait des contes charJUIN.
1772 .
75
mans traduits dans toutes les langues
& beaucoup d'autres ouvrages très - eftimables.
Et fi M. Clément veut bien fe
fouvenir que le même homme a donné
depuis un des ouvrages les plus éloquens
que nous ayons eu dans ce fiécle , il lui
pardonnera fans doute d'avoir un avis fur
Boileau qu'on eft bien le maître de ne
pas adopter.
Cependant il faut convenir que voilà
du moins un fait vrai dans les plaintes de
M. Clément. On ne peut lui nier qu'on
ait dit du mal de Boileau , & c'étoit le
blefler dans fon endroit le plus fenfible.
Mais fur Rouffeau il eft encore de mauvaife
foi. Jamais homme n'a été plus loué
que Rouffeau ne l'était dans les premiers
tems qui ont fuivi fa mort. Ce n'était
plus à lui qu'on voulait nuire , & on ſe
hâta de donner à un bon poëte le nom de
grand pour humilier un grand homme . Il
eft vrai que par la fuite on s'apperçut que
fes poëfies , quoique très - propres à former
les jeunes gens à la tournure des
vers , étaient moins faites pour être fouvent
relues par les. gens dumonde , & n'offraient
pas affez de nourriture à l'ame &
à l'efprit. Mais qui jamais a dit le petit
Rouffeau? Quel homme de lettres l'a traité
avec mépris ? M. Clément veut rendre
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fes adverfaires ridicules ; mais une fauffeté
facile à hafarder n'eft pas une bonne
plaifanterie.
Je n'imagine pas que pour me répon
dre il me cite les vers de M. de Voltaire
contre Rouffeau . Les fatyres , les vengeances
ne font pas des jugemens &
Rouffeau avait comparé M. de Voltaire
à Gâcon & l'avait mis au deffous de Voiture
; que M. Clément effaye de l'en juftifier!
Le dernier reproche que l'obfervateur
fait à notre fiécle , celui qu'il exhale avec
le plus d'aigreur , eft contre la philofophie
. Il entre en fureur au rom , à la
feule idée d'un poëte philofophe. Cependant
rien n'eft plus facile que de l'appaifer
, comme on le va voir.
Vous croyez donc , M. Clément , que
c'est une invention bien moderne que
l'union de la poëfie & de la philofophie ?
Mais fi l'on vous prouve que rien n'eſt
plus ancien , qu'allez vous devenir ? Car
vous n'oferez jamais condamner ce qui
eft ancien , & vous n'en voulez qu'aux
modernes avec qui vous croyez qu'on a
toujours beau jeu . Il ne tiendrait qu'à
moi de vous citer d'abord Moïfe qui
était à la fois poëte , philofophe & législateur
, comme le prouve M. Rollin
JUIN. 1772. 27
à
dans fon Traité des études , & j'espère que
vous ne contredirez pas M. Rollin ; mais
je veux bien ne pas parler de Moïfe , qui
étant infpiré du ciel peut faire une claiſe
part ; je veux bien par condefcendance
ne remonter que jufqu'à Pithagore . Savez
vous le Grec , M. Clément ? Avezvous
jamais lû les vers d'or qu'on appèle ,
je ne fais pourquoi , vers dorés ? Cat vers
dorés ne fignifie rien , & vers d'or exprime
le grand mérite de l'ouvrage ; comme
on dit un livre d'or , libellus aureus .
Les avez - vous lus ces vers qui commen
cent ainfi :
Αθανατους μεν πρωτα θεούς , ως νόμω διάκεινται
τιμα , &c .
C'est un des plus beaux monumens de
l'antiquité. Ce font les leçons de la plus
fublime philofophie renfermées avec précifion
dans un petit nombre de vers harmonieux
. C'eſt le code de la fageffe rédigé
par les mufes . Si j'avais le tems , je vous
en traduirais quelques morceaux , duffiez-
vous trouver mes vers mauvais pour
vous venger de ma profe . Mais lifez-les
dans la verfion latine qui eft à côté , &
vous en aurez une idée . Vous verrez que
du tems de Pithagore , foit que ces vers
D iij
78 MERCURE DE FRANCE
foient de lui , foit qu'ils foient fortis de
fon école , on penfait comme aujourd'hui
, que le plus grand avantage que
les beaux vers ajoutent à la penfée , c'eſt
de la graver facilement dansla mémoire ,
en frappant l'oreille & l'imagination ;
que par conféquent celui qui avoit de
l'esprit en vers avait dix fois plus de mérite
que celui qui avait de l'esprit en
profe , parce qu'indépendamment de la
difficulté vaincue , il procuroit un bien
plus grand plaifir & un effet bien plus
sûr. La raifon ne peut donc jamais fe placer
mieux que dans les vers . C'eft- là qu'elle
eft aimable , c'eft là qu'elle eft utile. Ce
n'eft plus une trifte pédante qui débite des
leçons sêches & rebutées ; c'eft une femme
de bonne compagnie qui avec une
voix douce & touchante , & un fourire
gracieux , vous donne d'excellens confeils.
Vous ne voulez pas qu'on les écoute;
vous ne nous parlez jamais que de rithme ,
de méchaniſme , de tournure , d'attitude
de vers , & c. Mais vous voulez abfolument
qu'on en refte là , & que la poëfie
foit brouillée fans retour avec la raifon .
Vous ne voulez pas qu'on trouve dans
un poëte de belles fentences fur l'humanité,
fur les préjugés , fur l'indépendance , & c.
JUIN. 1772. 79
Eh ! Monfieur , on les trouve à tout moment
dans les anciens . Horace en eft
plein , non -feulement dans fes Epîtres ,
mais même dans fes Odes ; Horace , cet
esprit à la fois fi fage & fi poëtique ,
Horace l'ami du bon lens
Philofophe fans verbiage ;
A dit M. Greffet , à qui vous ne refufèrez
pas le titre de poëte , & qui pourtant
ne croit pas blafphémer en appelant
Horace un poëte philofophe : Horace
enfin qu'on cite dans toutes les converfations
, & qui ( pour vous le citer
auffi ) vous a condamné il y a long -tems
en blâmant
Verfus inopes rerum nugaque canora.
Des vers pauvres d'efprit & des riens cadencés .
Que répondrez- vous à toutes ces autori,
tés ? Vous me direz peut- être que vous
ne blâmez que la philofophie sêche &
aride dans des vers durs & forcés . Eh !
Monfieur , qui les approuve , qui même
en parle ? Vous êtes bien bon de vous
fâcher. Soyez sûr que ces vers là ne gâteront
perfonne. En voici par exemple de
l'espèce dont je vous parle , tirés d'une
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
fatyre fur les abus du luxe ; vous m'en direz
votre avis .
Philofophe hipocrite , icije ne viens pas
Profcrire la richelle & l'envier tout bas.
Je veux au peuple fon qui boit l'eau de la Seine ,
Reprocher les excès d'une opulence vaine ,
Et l'amour ruineux de tant de biens trompeurs
Qui luifont méprifer l'innocence & les moeurs..
J'avourai avec vous que ces vers où l'auteur
veut nous inftruire font de la profe
plate & triviale ; je ne crois pas que vous
foyez plus content de ceux- ci ;
Pourquoi n'irai-je pas dans la route commune ,
Quelque honneur qu'il en coûte , eflayer la forè
tune ?
D'un remords puéril à quoi bon s'alarmer ?
Dans un fiécle où l'argent vous fait même eſtimer
?
C'eft ainfi quepar tout j'entends parlerfans ceffe
Ces efprits qu'a troublés l'amour de la richeffe.
Prêts à tout affronter , ils fe feraient un jeu
De renier pour elle, amis , parens & Dieu.
Je penfe comme vous que voilà le ftyle
de Gâcon , & que les idées & les expreffions
de ces vers font également infipides.
Par-tout & fans ceffe dans un même vers
JUI N.
81
1772.
eft un bien triste rempliffage. Vous fait
même eftimer eft bien pis . On voit que
l'auteur écolier a eu beſoin d'une fyllabe
pour faire fon vers , & il a mis même qui
eft une ineptie. Quelque honneur qu'il en
coûte , pour dire aux dépens de l'honneur,
eft une étrange conftruction . J'avoue
qu'en philofophant de ce ftyle , on n'eft
ni philofophe , ni poëte , & toute la piè
ce eft du même ton .
Chacun dans ces excès à l'envi fe furpafle.
L'un s'en va défier cet orageux efpace
Par qui le Ciel croyait féparer les humains ;
Traverſe , impatient , les liquides chemins ,
Parcourt , affamé d'or , cent fois le nouveau
Monde ,
Du libre Américain trouble la paix profonde ,
Et trafiquant le Négre ainfi qu'un vil bétail , &c .
Trafiquer le Négre eft un folécifme. On
dit trafiquer de quelque chofe & non pas
trafiquer une chofe ; & deux vers au - deffus,
cent fois , eft plaifamment placé. Voici
d'autres vers encore plus mauvais .
Tant de folie un jour à peine fera crue.
L'obſcur marchand rougit d'être à pied dans la rue;
Fier d'être balloté , cahoté , fecoué ,
Dans un fale équipage à tous venans loué..
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Il y a fur le titre de cette pièce par
M. C ** . Je ne fais qui eft M. C ** . Si
vous le connoiffez , confeillez- lui d'avoir
un peu plus d'efprit & d'écrire avec plus
de correction & d'élégance . Mais fi M.
C * a mis de la mauvaife philofophie
dans de mauvais vers , n'en concluez rien
contre ceux qui font meilleurs philofophes
& qui écrivent mieux . Souvenezvous
que le philofophe Lucréce a fait de
très - beaux vers . Lifez l'admirable ouvrage
d'un autre poëte philofophe , de Pope.
Vous ne favez peut- être pas plus l'anglais
que le grec. Eh! bien , attendez. Vous allez
avoir une belle traduction de l'Eflai fur
l'homme par M. de Lille , en vers s'entend
, comme il convient à un poëte de
traduire un poëte . Vous lui aurez l'obligation
de connaître le meilleur ouvrage
du meilleur poëte Anglais , & vous aurez
encore le plaifir de faire une brochure
contre lui. ,,
Je pense que voilà M. Clément bien
reconcilié avec la philofophie , bien convaincu
d'avoir pris de l'humeur mal - àpropos
, & de s'être créé des fantômes
pour les combattre. Mais quand même
tous les griefs feraient auffi fondés qu'ils
font imaginaires , il me femble que les
conféquences qu'il en tire ne font
pas bien
JUI N. 1772 . 83
juftes. Si toute la littérature a confpiré ,
comme il le dit , pour corrompre fon
goût & égarer fa jeuneffe , il failait, lorf
qu'il a eu le bonheur d'être éclairé , qu'il
s'efforçât d'éclairer à fon tour ces maîtres
d'erreurs qui l'avaient féduit . Il falloit
prouver que l'Iliade eft auffi intéreffante
que la Jérufalem , que Corneille eft meilleur
tragique que M. de Voltaire , que
Rouffeau eft le poëte Français par excellence.
Mais que font à toutes ces queftions
les Géorgiques de Virgile & celles
de M. de St Lambert ? Quel rapport de
la poëtique de M. Diderot aux vers de
M. de Lille ? Il paraît que quand M. Clément
fe fâche , il confond tous les objets .
Il fe trouble au point de prendre M. de
Voltaire pour un contempteur de l'antiquité
, lui qui en a toujours été l'admirateur
& le panégyrifte. Il lui impute , ainfi
qu'à tous les gens de lettres enfemble une
affertion un peu hafardée de M. Diderot
dans l'article encyclopédie , où il eft dic
qu'aucun des grands génies du fiécle de
Louis XIV n'aurait été propre à faire un
article de l'encyclopédie , excepté peutêtre
Perrault ; fur quoi M. Clément s'écrie
qu'en voilà affez pour juger notre fiécle
qui n'envie au fiècle précédent qu'un
D vj
34 MERCURE DE FRANCE.
homme auffi médiocrre. Il faut convenir
que voilà un fiécle bien jugé. Le nôtre
appellera fûrement de la fentence. Il fe
croira très- innocent d'une faillie échappée
à l'imagination vive de M. Diderot ,
& que peut - être il ne faut pas expliquer
avec une rigueur littérale. Sans doute M.
Diderot n'a pas voulu dire que Fénelon
n'eût pas pû faire un bon article fur l'éloquence
& fur le goût , la Bruyère fur la
morale , Molière fur la comédie, Paſcal fur
la métaphyfique , Racine fur la tragédie ,
Vauban fur les fortifications , Arnaud &
les écrivains de Port- Royal fur la philofophie
, la grammaire & la littérature , & c.
ce feroit tant pis pour l'encyclopédie , fi on
eût refufé d'y recevoir les articles de la
main de tous ces grands hommes. M. Diderot
a probablement voulu dire que quelque
fois les génies qui créent les arts ne
fontpas les plus propres à les analyfer; qu'après
le fiécle de l'invention & des chefd'oeuvres,
vient celui de la difcuffion , de
la méthode & du goût , & qu'aux hommes
rares qui produifent de belles choſes
fuccédent de bons efprits qui nous apprennent
comment on les a produites , & comment
on pourroit en produire encore. Si
c'est là , comme je le crois , l'idée de M.
JUI N. 1772. 85
Diderot , il n'y a pas tant à fe recrier , &
je crois que c'eft à peu- près le coup- d'oeil
général fous lequel on peut envifager les
deux fiécles , en appercevant des exceptions
bien brillantes qui font un grand
honneur au fecond .
Je viens à la raifon décifive qui a porté
M. Clément à cenfurer nos meilleurs ouvrages.
Il a vu , dit- il , le goût corrompu .
Il a craint que le Public aveuglé ne rendît
pas juftice aux ouvrages de poësie qu'il
fe propofoit de donner . Il a donc fallu
réformer d'abord le fiécle & le rendre
digne de M. Clément , & c'eft dans ce
deflein que l'obfervateur a commencé par
nous prouver que les Géorgiques de M.
de Lille & celles de M. de St Lambert
étaient des ouvrages déteftables . Comme
on pourrait douter qu'il eût en effet raifonné
d'une manière ſi modeſte , il faut
l'entendre parler lui - même.
" Le dépit de ne pouvoir jouir , moi
» vivant , d'une gloire qui était feule le
» but de mes travaux m'infpira une autre
» idée ; ce fut de renoncer pour quelque
» tems à la poësie qui a toujours fait mes
» inclinations les plus chères & pour laquelle
je me fuis fenti dès l'enfance, un
penchant irrésistible , afin d'employer ce
» que j'avais acquis de connaiffance & de
"
"
86 MERCURE DE FRANCE .
"
goût dans l'étude des anciens & des bons
» modernes , à combattre en forme les ou-
» vrages qui ont mis le plus en faveur le
» mauvais goût , & que le mauvais goût
général a le plus accrédités , à defliller
les yeux du Public , & c
23
Voilà du moins pour nous une bien
douce efpérance . Il faut s'attendre que
quelque jour M. Clément viendra nous
dire ; Meffieurs , vous voilà bien endoctrinés
; je vous ai appris que M. de Vol.
taire était un auteur frivole qui n'avait
jamais rien fait d'achevé ; je vous ai convaincus
que les de Lille & les St Lambert
ne favaient pas faire de vers. Vous êtes
actuellement mûrs pour m'entendre. Je
vous ai affez donné de leçons ; je vais
vous donner des modèles. »
Pour fe bien perfuader de l'heureufe
confiance dont M. Clément eft doué , il
n'y a qu'à lire le portrait qu'il trace du
bon Critique , c'eſt à dire de lui - même.
"
Il faut (dit-il ) qu'il joigne à un goût
» févère & fondé fur les meilleurs principes
la chaleur de l'imagination , &
qu'il puiffe dire à ceux qu'il reprend ,
» voilà ce que vous auriez pû faire. Heu-
» reux fi , doué du talent de la poësie , il
» peut égayer fes cenfures d'un bon mot
"
JUIN. 1772. 87
» vivement rendu dans un vers qui le fait
>> retenir. "
On voit par- là qu'une des prétentions
de M. Clément qui parle toujours de
bons mots , eft de fe croire plaifant . II
l'eft en effet quelque fois ; mais c'eft quand
il ne s'en doute pas . Il continue ainsi ,
après avoir achevé le portrait du Critique.
Si c'eft là du moins en raccourci le
portrait du véritable critique , je ne
» préfume pas que beaucoup de gens ofent
» fe préfenter pour s'en déclarer les originaux.
»
»
»
Il l'ofe, lui , ce qui fait voir combien il
préfume peu de lui - même. Il est bien für
de joindre à un goût févère la chaleur de
l'imagination , & de pouvoir dire à ceux
qu'il reprend , voilà ce que vous auriez pú
faire. Quant à la févérité , peu de gens la
lui contefteront , & la chaleur de l'imagination
eft prouvée fans replique par l'épître
de Boileau. Mais que diroit M. Clément
fi en lui racontant fa propre hiftoire
, on lui prouvait que le plan qu'il
annonce ici n'était pas celui qu'il a fuivi
d'abord , & que ce n'eft qu'après plufieurs
tentatives malheureufes en plus d'un gen.
re , qu'il s'eft renfermé dans celui de la
critique ? Que répondrait- il fi on lui rappellait
qu'il n'a pas pû attirer l'attention
88 MERCURE DE FRANCE.
du Public , même dans des fatyres où plus
de vingt auteurs étaient attaqués , lans
qu'aucun d'eux ait jamais daigné s'en
plaindre ? Ne ferait- il pas bien évident
qu'il n'a pris le parti de cenfurer les ouvrages
qui paraîtraient avec le plus d'éclat,
qu'afin de tourner fur lui une partie de
l'attention qu'on donne aux productions
célèbres & de trouver quelques lecteurs
en provoquant beaucoup d'ennemis ? je
ne veux point me fervir de tous mes
avantages. M. Clément n'ignore pas tous
ceux que je pourrais prendre. Mais comme
beaucoup d'autres perfonnes ne les
ignorent pas plus que lui, à qui croit - il en
impofer avec ce grand projet de réformer
le fécle , & ces chef-d'oeuvres qu'il nous
promet ?
M. Clément , qui doit me favoir quelque
gré de ma modération , ne m'en a pas
donné l'exemple. J'avais difcuté les premières
obfervations avec toute l'honnêteté
qui convient à un homme de lettres
& tous les égards qu'on peut mettre dans
la difpute. J'avais prouvé qu'il appuyait
fes jugemens fur de faux principes , &
qu'il voulait foumettre les traductions en
vers à des règles qui les rendraient abfolument
impoffibles & ôteraient au génie
tout reflort & toute liberté; qu'il comptait
JUI N. 1772 . 89
les mots avec une exactitude minutieufe &
fcholaftique , lorfqu'il ne fallait que juger
l'effet total & compter les beautés ; qu'il
paraiffait n'avoir aucun égard aux avantages
d'une langue fur une autre que rien
ne pouvait compenfer ; qu'il avait tort
de conclure de ce qu'aucune traduction
en vers ne pouvait être parfaite , qu'il ne
fallait jamais en faire , parce qu'avec un
femblable raifonnement on n'entreprendrait
jamais rien , & qu'on eft bien aife
d'avoir le portrait d'une belle femme ,
dût-il ne pas reffembler parfaitement .
Non poffis oculo quantùm contendere Lyncæus ,
Non tamen idcircò contemnas lippus inungi.
HOR.
Que quant aux critiques de détail il fe
trompait fouvent ; qu'il cenfurait injuftement
de très beaux vers , témoins prefque
tous ceux qu'il citait da poëme des Saifons
; & qu'il en donnait de mauvais
pour modèles , témoins un grand nombre
de ceux qu'il tranfcrivait de l'épifode d'Ariftée
par M. L. B.; que ce contrafte mar
quait néceffairement ou beaucoup de partialité
ou trop peu de connaillance , &
que ni l'un ni l'autre de ces défauts n'était
excufable dans un homme qui fe donne
၄၁ MERCURE DE FRANCE.
pour juge , parce que dans une pareille
fonction rien n'eft fi odieux que l'injufti
ce , & fi ridicule que l'incapacité.
A toutes ces allégations qu'il me fallait
développer puifqu'elles étaient le fonds
de la caufe , voici ce qu'a répondu M.
Clément.
»
39
« J'ai vu un faiſeur d'extraits , petic
» Dom Quichotte de la fecte philofophi-
» que , me reprocher de n'avoir point de
goût , parce que je n'ai pas celui de fon
parti ; s'en prendre à moi perfonnelle-
» ment du fuccès qu'avait eu mon ouvra
» ge , & jugeant de moi par lui , préten-
» dre que ce n'eft point par intérêt pour
» les lettres que je défends la cauſe du
» bon goût , parce que c'eft apparemment
par un autre intérêt qu'il s'efcrime en
» faveur du mauvais. »
Comme j'étais le feul qui eût pris la
peine de réfuter M. Clément , il a bien
fallu prendre pour moi ce petit paragra
phe , fur lequel je me contenterai de faire
quelques remarques qui ne feront
même ton .
pas
du
J'obferverai d'abord qu'il eſt très- convenable
que M. Clément , qui n'eft connu
que par des extraits m'appelle un faifeur
d'extraits , parce que je n'ai fait autre
chofe en ma vie , & qu'il a produit quan
JUIN. 1772 .
tité d'ouvrages de génie qu'apparemment
nous verrons quelque jour .
2°. Je ne fais ce qu'il veut dire , quand
il m'accuſe de m'en prendre à lui perſonnellement
du fuccès de fon ouvrage. Il n'y
avait rien de perfonnel dans ce que j'ai
écrit , & je ne fais ce que c'eft que lefuc
cès de fon ouvrage. Mais j'avoue que c'eft
toujours bien fait de dire le fuccès de mon
ouvrage , parce qu'il faudrait être d'une
étrange humeur pour aller demander à
un homine la preuve du fuccès de fon ouvrage.
3. J'obferverai combien il y a d'efprit
à dire lorfqu'on eft convaincu de s'être
trompé en cent endroits , je défends la
caufe du bon goût, & vous vous efcrimés en
faveur du mauvais , ce qui eft vraiment la
plus vigoureufe défenfe , & la démonstration
la plus claire.
Refte la dénomination de Petit Dom
Quichotte qui n'eft pas polie , & qui peut
s'appeller une injure. Or voici un paflage
très -judicieux tiré des obfervations de M.
Clément fur ceux qui répondent par des
injures. Quand une réponfe s'exhale en
» injures , elle eft folle , digne de rifée, &
»prouve feulement qu'on eft furieux d'être
authentiquement un fot. »
Je puis ajouter que lorfqu'un homme
92 MERCURE DE FRANCE .
qui donne deux volumes de difcuffions ,
& qui par conféquent n'a rien de mieux
à faire qu'à prouver qu'il a raifon , ne ſe
défend pas fur une feule des imputations
dont on l'accable , & des fautes qu'on lui
reproche, & fe contente de dire que fon
goût eft fort bon , & celui de fes adverfaires
très - mauvais , il court risque de le
dire tout feul , & de ne pas trouver dans
le public cette grande confiance qu'il trouve
en lui même .
Je n'entreprendrai point l'examen détaillé
des obfervations de M. Clément .
Une grande partie , comme je l'ai dit ,
n'eft qu'une répétition de tout ce que j'avais
réfuté . C'eft fur tout ce qui concerne
la traduction des Géorgiques. Il y a
joint des fragmens d'une autre traduction
commencée par M. Malfilatre , & que
l'auteur , trop tôt enlevé aux Lettres , n'a
pas eu le temps d'achever . C'eſt une perte
réelle. Quand nous n'aurions pas le poëme
de Narciffe qui a rendu la mémoire
de ce jeune auteur fi chère aux amateurs
de la poësie , les morceaux de fes Géorgiques
fuffiraient pour nous faire connoî
tre fon mérite & exciter nos regrets . Je
ne puis qu'applaudir aux juftes éloges
que lui donne M. Clément , éloges qu'on
avait devancés il y a long-tems dans le
JUI N. 1772 . 93
Mercure , où je rendis compte du poëme
de Narciffe. Mais je fuis fâché de voir
que M. Clément femble ne louer un mérite
véritable que pour en déprécier un
autre , & mettre de la partialité même
dans fa juftice. Il place en regard des morceaux
qui fe correfpondent dans les deux
traductions, & au lieu d'en pèfer les différens
avantages , il les voit tous du côté de
M. Malfilatre & n'en voit aucun du
côté de M. de Lille , car l'un eft mort &
l'autre eft vivant. Effayons de réparer les
injuftices de M. Clément . Prenons le
morceau de la mort de Céfar.

Ille etiam extinéto miferatus Cæfare Romam,
Cùm caput obfcurâ nitidum ferrugine texit ,
Impiaq. æternam timuerunt fæcula noɛtem.
M. de Lille traduit :
Lorfque le grand Céfar eût terminé la vie ,
Tu partageas le deuil de ma trifte patrie ;
Tu refufas le jour à ce fiécle pervers ,
Une éternelle nuit menaça l'Univers,
Voici M. Malfilatre .
Quand Célar expira , le foleil dans fon cours
N'éclaira qu'à regret le dernier de ſes jours .
Lefoleil vit nos pleurs , le foleil plaignit Rome ,
94
MERCURE DE FRANCE.
Des malheurs qu'entraînait la mort de ce grand
homme.
Il partagea fon deuil ; cet aftre étincelant
D'un voile enfanglanté couvrit fon front brillant
;
Et des hommes pervers la race criminelle
Craignit à cet afpect une nuit éternelle.
M. Clément qui ne pardonne pas à M.
de Lille de mettre quatre mots pour
deux , pardonne à M. Malfilatre de mettre
huit vers pour trois . Il convient que la
phrafe eft trop longue de la moitié ; qu'en
délayant cette idée en tant de manières
elle nefait plus d'effet . Cependant il ajoute
qu'ony reconnoît le vrai Poëte. Je le veux
bien ; mais s'il étoit arrivé à M. de Lille
de tomber dans un défaut auffi capital
qu'une pareille prolixité , M. Clément
iroit-il y chercher des beautés ? Il relève
foigneufement le feul vers louable de
cette longue phraſe :
D'un voile enfanglanté couvrit fon front brillant.
Mais il fe garde bien de relever tous les
défauts qu'on y trouve encore , indépendamment
de fa longueur. Il ne s'apperçoit
pas, ou ne veut pas appercevoir que
dans cet hémiftiche , le foleil dans jon
JUI N. 1772. 95
cours , dans fon cours eft un rempliffage
beaucoup plus oifeux que presque tous
ceux qu'il reproche à M. de Lille , qui en
général n'en a guères ; que dans ces deux
vers :
Le foleil plaignit Rome
Des malheurs qu'entraînait la mort de ce grand
homme .
Ce régime des malheurs ) ainfi rejèté
après un fens qui femble fini , rend la
phrafe traînante & de la langueur la plus
profaïque. Il fait plus , il loue ces deux
vers fi faibles :
Et des hommes pervers la race criminelle
Craignit à cet afpect une nuit éternelle.
Il les préfère à ce vers énergique & d'une
harmonie impofante :
ן כ
Une éternelle nuit menaça l'Univers.
Il le trouve fec. Il s'extafie fur la beauté
de ces mots , craignit à cet aſpect. » A cet
aspect , dit-il , ajouté à Virgile eft un
» rempliffage des plus heureux . Avoir à
» craindre une nuit éternelle à l'aspect du
foleil eft de la plus grande force . C'eſt
» commenter un poëte avec l'enthouſiaſ
» me du génie. » Je crains que l'enthoufiafme
de M. Clément ne foit un peu ri-
"
96 MERCURE
DE FRANCE.
dicule , & c'est en ce fens qu'il eft quel
quefois plaifant.
J'avoue que M. de Lille a eu tort de
ne pas rendre l'image du vers latin caput
obfcura nitidum ferrugine texit , qu'a rendue
M. Malfilâtre ; mais la phrafe de ce
dernier eft fans effet , comme en convient
M. Clément , & celle de M. de Lille qui
traduit très- bien ce dernier vers :
Impiaque æternam timuerunt fæcula no&tem .
Remplit le but de Virgile , rend l'effet
total de la phrafe latine , & doit par conféquent
être préférée .
Tempore quanquam illo tellus quoque & æquora
ponti
Obfcanique canes importunæque volucres
Signa dabant Quoties Cyclopum effervere in agros
Vidimus undantem ruptis fornacibus Etnam ,
Flammarumq. globos liquefact aq. volverefaxa.
M. de Lille..
Que dis-je ! tout fentait notre douleur profonde ,
Tout annonçait nos maux , le ciel , la terre &
l'onde ,
Les hurlemens des chiens & le cri des oifeaux.
Combien de fois l'Etna , brifant fes arfénaux ,
Parmi des rocs ardens , des flammes ondoyantes ,
Vomit en bouillonnant fes entrailles brûlantes :
M.
JUI N. 1772. 97
M. Malfilatre :
Hélas! tout dans ce tems annonçait nos revers.
Tout nous épouvantait & la terre & les mers ,
Et des chiens menaçans les clameurs importu
nes ,
Et l'oifeau précurfeur des grandes infortunes.
Combien de fois , 6 Dieux ! dans ces jours de tere
reur
Vimes-nous de l'Etna les volcans en fureur
S'échapper à travers les fournaifes briſées !
Des foudres fouterreins , des roches embraſées ,
Des torrens de fumée obfcurciflant le jour ,
Rouler C1 tourbillon dans les champs d'alentour.
Je penfe comme M. Clément que ces
deux vers :
Et des chiens menaçans les clameurs importunes
Et l'oifeau précurfeur des grandes infortunes.
font fort beaux. Mais d'ailleurs indépen
damment de la prolixité de cette phrafe
qui dit en dix vers ce que M. de Lille
dit en fix , je n'y vois point de comparaison
à faire avec la précédente , qui eft
pleine , précife , énergique & à l'abri de
tout reproche raifonnable. Les trois derniers
vers font admirables , & la période
qui va toujours en croiffant eft heureu-
E
98 MERCURE DE FRANCE.
fement terminée . C'est tout le contraire .
chez M. Malfilatre , dont les derniers
vers font languiffans & finiffent par cet
hémiſtiche fi lâche , dans les champs d'alentour.
M. de Lille a bien mieux obfervé
la marche poëtique. Cependant l'obfervateur
donne l'avantage à M. Malfilatre ,
& ne voit que des fautes dans M. de
Lille. Les arfenaux de l'Etna lui paroiffent
une expreffion bifarre , &c , c'eſt au
lecteur à juger. Je continue ce parallèle
qui ne peut guères amufer que les amateurs
paffionnés de l'antiquité & de la
poësie , & c'eft pour eux que j'écris .
Armorum fonitum toto Germania calo
Audiit. Infolitis tremuerunt motibus Alpes.
Vox quoque per lucos vulgo exauditafilentes
Ingens & fimulacra modis pallentia miris
Vifa fub obfcurum noctis , pecudesque locuta ,
Infandum ! fiftunt amnes , terræque dehifcunt ,
Et maftum illacrymat templis ebur , æraq .fudant.
M. de Lille .
Des bataillons armés dans les airs fe heurtaient ;
Sous leurs glaçons tremblans les Alpes s'agitaient,
On vit errer la nuit des ſpectres lamentables.
Des bois muets fortaient des voix épouvantas
bles.
JUI N. 99
1772.
L'airain même parut fenfible à nos malheurs ;
Sur le marbre amolli l'on vit couler des pleurs .
La terre s'entr'ouvrit , les fleuves reculèrent ,
Et pour comble d'effroi les animaux parlèrent.
M. Malfilatre.
Un bruit de chars , un choc d'inviſibles armées
Fit trembler du Germain les villes alarmées .
L'Apennin treffaillit , & fur leurs fondemens
Les Alpes à grand bruit s'agitèrent long- tems.
Des fpectres infernaux dans l'horreur des nuits
fombres
Se traînaient. Au milieu du filence & des ombres,
On entendait au loin retentir une voix
Lamentable , & des cris fortis du fond des bois.
Des fleuves étonnés les ondes reculèrent ,
La terre s'entrouvrit , les animaux parlèrent ,
Et dans nos Temples faints , féjour des immortels
,
On vit les dieux d'airain pleurer fur leurs autels.
Comme je n'ai d'autre intérêt que celui
de la vérité , j'avoue que dans ce mor
ceau M. Malfilatre me paraît fupérieur au
premier traducteur. Je n'ai jamais aimé
les bois muets , expreffion recherchée dans
cette circonftance , & qui ne vaut pas du ,
filence des bois , qui était le mot propre.
Jen'aime point non plus cet arrangement
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
de mots , des bois muets fortaient des voix,
phrafe confuſe & embarraflée qui ne die
rien à l'esprit ni à l'oreille. Je penfe comme
M. Clément que l'airain parut fenfi
ble , eft une expreffion vague , & je penſe
fur-tout que ce vers ,
On vit les dieux d'airain pleurer fur leurs autels.
eft auffi beau , que l'autre eft faible. Les
quatre premiers vers de M. Malfilatre
font admirables pour le mouvement &
l'harmonie. J'avoue pourtant que je n'o
ferais approuver ce mot rejété , fe trainaient.
Ce n'eft pas qu'il n'y ait quelquefois
de l'art à rejéter un mot d'un vers à l'au.
tre ; mais alors il me femble qu'il ne faut
pas que le fens fe termine à ce mot ou la
phrafe tombe fans grace & fans effer ,
lorsqu'au contraire elle ne doit produire
qu'une fufpenfion pour l'oreille , & fe
relever enfuite par une conjonction qui
mène au complément de la période. Je
m'explique par un exemple. Je fuppofe
qu'on veuille peindre , comme dans cet
endroit- ci , la marche d'un fpectre & employer
un enjambement imitatif à peu
près comme dans ces deux vers ;
Un fpectre gémiflant dans l'horreur des ténèbres
JUIN.
101
1772:
Se traîne , & jette au loin des hurlemens funèbres.
Je dis quefe traîne ainfi placé eft très-imitatif,
parce qu'il force l'oreille de fe repoſer
un moment fur ce mot qui exprime la lenteur,
mais que le vers fe relève avec grace
par ces mots , & jette au loin , au lieu que
j'avois fini la phrafe par le mot fe
traîne , & que j'en euffe commencé une
autre , comme fait M. Malfilatre' , cette
chûte ferait lourde & sêche , & ne ferait
qu'étonner l'oreille , qui ne s'attend pas
à voir une fin de phrafe où elle ne croit
voir d'abord qu'une céfare. C'eft ce que
M. de Voltaire , ce grand maître d'harmonie
, paraît nous avoir enfeigné dans
ces vers de Zaïre.
Lufignan , le dernier de cette augufte race ,
Dans ces momens affreux ranimant notre audace ,
Au milieu des débris des temples renversés ,
Des vainqueurs , des vaincus & des morts ental-
Lés ,
Terrible , & d'une main reprenant cette épée , &c.
Qui ne fent combien ce mot terribleeft heu
reuſement rejété après cette énumération
des temples , des morts , des vainqueurs
des vaincus;ce mot terrible ſemble s'élever
,
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
avec Lufignan fur des monceaux de morts,
& voilà l'art du grand poëte. Mais il fe
garde bien de commencer une autre phrafe
après le mot terrible , il le rejoint à
un autre membre , & d'une main , &c .
M. Malfilatre deux vers après rejette auffi
le mot lamentable , & le rejoint pour
cette fois au membre fuivant , & des cris
fortis , & c. Mais il y a un autre inconvénient
, c'eft qu'employer deux fois dans
trois vers le même artifice , eft une espèce
d'affectation. Au refte , je foumets toutes
ces réfléxions à ceux qui en favent plus
que moi fur le méchanifme des vers.
Si dans ce dernier paffage l'obfervateur
peut avec raifon donner quelque
préférence à M. Malfilatre , il est bien
éloigné d'être auffi jufte dans le morceau
fuivant où M. de Lille l'emporte bien
évidemment fur le rival qu'on lui oppofe.
Proluit infano contorquens vortice filvas ,
Fluviorum Rex Eridanus , campofque per omnes
Cum ftabulis armenta tulit ; nec tempore eodem
Triftibus aut extis fibra apparêre minaces,
Aut puteis manare cruor ceffavit & altè
Per noctem refonare lupis ululantibus urbes.
Non aliàs calo ceciderunt plura fereno
Fulgura , nec diri toties arfere cometa.
JUI N. 1772. 103
M. de Lille.
Lefuperbe Eridan , le fouverain des eaux ,
Traîne & roule à grand bruit forêts , bergers ,
troupeaux.
Le prêtre environné de victimes mourantes
Obferve avec horreur leurs fibres menaçantes.
L'onde changée en fang roule des flots impurs ;
Les loups herlans dans l'ombre épouvantent nos
murs ,
-Sans ceffe l'éclair brille & le tonnerre gronde ,
-Et la comète en feu vient effrayer le monde.
M. Malfilatre.
Le roi des fleuves même , affreux dans fes ravages ,
Le fuperbe Eridan , franchiffantfes rivages ,
De fon onde écumante , épandue à grands flots ,
Entraînait les pafteurs , leurs toits & leurs troupeaux
,
Dans les flancs des taureaux les Miniftres célestes
Ne voyaient chaque jour que des fignes funeftes.
De longs ruiffeaux de fang épouvantaient nos
yeux ,
Et des loups affamés les troupeaux furieux ,
Quand la nuit couvrait l'air de fes voiles paifibles
,
Effrayaient les cités de hurlemens horribles.
Jamais dans un ciel pur & dans des jours fereins
La foudre plus, fouvent n'étonna les humains ,
"
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Et jamais plus fouvent les comètes cruelles
Ne lancèrent fur nous leurs triftes étincelles.
Il est inutile de remarquer qué M. Mal .
filatre met toujours deux vers , quand
Virgile & M. de Lille n'en mettent qu'un ,
ce qui à la longue eft un infupportable
défaut. Mais ce qu'il faut obſerver davantage
, c'est que cette prolixité qui quelquefois
tient à la richeſſe n'eft ici le plus
fouvenr que de la langueur & de la faiblefle
. Rien n'est plus traînant , par exemple
, que ce dernier morceau , affreux
dans fes ravages , franchiſſant fes rivages ,
'onde épandue à grands flots , &c. Quelle
rédendance de mots ! Ce feul hémistiche
de l'autre traducteur , traîne & roule à
grand bruit peint mieux que les quatre
vers de M. Malfilatre : que veut dire d'ail
leurs le roi des fleuves même ? Pourquoi
même? Même est un contrefens . Eft-il
étonnant que le Po , le plus grand de
tous les fleuves d'Italie foit débordé ?
C'est une faute fans doute dans M. de
Lille de l'appeler le fouverain des eaux ,
nom qui ne convient qu'à Neptune . Mais
d'ailleurs combien il eſt au deffus de l'autre
traducteur !
Des loups heurlans dans l'ombre épouvantent nos
murs.
JUI N. 1772 . 105
Combien cet hémistiche des loups hurlans
dans l'ombre eft admirable pour l'harmonie
imitative ! Comment eft- il poffible
que M. Clément qui parle tant d'harmo
nie n'ait pas fenti celle de ce vers ! Qu'il
fe juftifie s'il le peut de méconnoître de
femblables beautés ! Obfervez d'ailleurs
combien ce vers eft précis & ferré , près
de M. Malfilatre , qui emploie trois vers
pour dire la même chofe , & combien
ces vers font lâches ! Des loups affamés
les troupeauxfurieux , quand la nuit couvre
l'air de fes voiles , &c. Quelle différence
! Et M. Clément ne la fent pas ! &
il n'en dit pas un mot , & il préfère de fi
faibles paraphrafes aux beautés poëtiques.
de M. de Lille ! Il ne dit rien de ce mauvais
vers ,
De longs ruiffeaux de fang épouvantent nos yeux.
Et il blâme ce beau vers :
L'onde changée en fang roule des flots impurs .
Eft- ce là du goût ? eft - ce de l'équité ?
En voilà affez fur ces morceaux de comparaison
pour montrer qu'il manque à M.
Clément deux grandes qualités du critique
, juftice & jufteffe ; il eft encore bien
moins heureux quand il fe donne pour
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
a tort ,
modèle. Car il devance quelquefois le
tems où il a promis d'avoir du génie , & il
il ne
nous trouvera pas fuffifamment
corrigés. Ceux même près de
qui fes critiques ont trouvé grace n'en
ont fait aucune à fes vers. On a prétendu
que c'était bien dommage qu'un homme
qui voyoit par-tout tant de défauts n'en
apperçût pas dans ce qu'il écrit. Il traduit
après M. Greffet ces vers charmans du
prince des poëtes .
'Hicgelidifontes , híc mollia prata , Lycori ,
Hic nemus ; hic ipfo tecum confumerer ævo.
Nunc infanus amor duri te martis in armis
Tela inter media atque adverfos detinet hofles.
Tu procul à patriá , ( nec fit mihi credere tantùm )
Alpinas ah ! dura nives &frigora Rheni
Mefinefola vides . Ah ! ne tefrigora lædant.
Ah ! tibi ne teneras glacies fecet afpera plantas.
M. Greffet qui n'a prétendu faire qu'une
imitation très - libre , & non pas une traduction
, & qui a eu foin de l'annoncer ,
quoique M. Clément ne veuille pas s'en
fouvenir , rend ainfi ce morceau :
Que n'es-tu , Lycoris , fur ces charmans rivages ?
Les ris au vel léger peuplent ces verds bocages .
Plus heureux que les dieux , j'y vivrais avec toi ,
JUI N. 1772. 107
Et l'Univers entier ne ferait rien pour moi.
Vains fouhaits ! tu me fuis . Où pourrai -je encor
vivre ?
Aux fureurs des combats faut- il que je me livre ?
Faut il .. Quel fouvenir reveille mon chagrin ?
Près des Alpes , cruelle , aux bords glacés du
Rhin ,
Loin du plus tendre amant & loin de la patrie ,
Des fougueux aquilons tu braves la furie .
Reſpectez Lycoris , durs glaçons , noirs frimats !
N'empêchez point les fleurs d'éclore fur les pas;
Et vous , zéphirs , amours , fuivez là fur ces rives.
Des chaînes de l'hiver tirés leurs eaux captives ;
Que la riante Flore établifle fa cour
Par-tout où Lycoris fixera fon féjour!
Je conviens que ce n'eft là qu'une paraphrafe,
Mais il y a de la facilité & de la
grace , & même des vers heureux & très
poëtiques , tels tels que celui - ci .
Des chaînes de l'hiver tirés leurs eaux captives!
M. Clément commence par traiter cette
imitation de ridicule . Il ne s'exprime jamais
autrement . Voici les vers dans lefquels
M. Clément a hafardé de rendre
avecfidélité les graces touchantes &paffionnées
de ce morceau. Ce font fes termes .
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Ce mot hafardé paraîtra fingulièrement
placé . Il n'y a rien de hafardeux à rendre
avecfidélité ; il a voulu dire effayé. Apparemment
que ce n'eſt que dans les écrits
d'autrui qu'il fe foucie du mot propre.
Ici de frais ruiffeaux ont des rives fleuries ,
O Lycoris ! icifont de tendres prairies.
Ici des bois charmans. Ici des plus beaux jours ,
Avec toi je voudrais confumer un long cours.
Mais un amour aveugle hélas ! retient tes charmes
Dans un camp, dans l'horreur de la guerre & des
armes ;
Et loin de ta patrie , ek ! puiflé - je en douter !
Sans moi feule , ah ! cruelle ! ah ! tu cours affronter
Les Alpes , leurs rochers , leurs neiges entaflées ,
Et les frimats du Rhin fur fes rives glacées .
Ah! que lefroid t'épargne . Ah ! qu'il ne bleſſe pas
De les âpres glaçons tes pieds fi délicats .
C'est ici le cas de répèter le mot du Grand
Condé. Je ne pardonne pas aux règles que
M. Clément connaît fi bien de lui avoir
fait faire de fi mauvais vers. Ici des ruiffeaux
ont des rives eft une belle tournure.
O Lycoris ! ici font eft d'une douceur.
qui enchante l'oreille. Si c'eſt- là l'harmoJUIN.
1772 . 109
nie imitative de M. Clément , il eft hea
reufement organifé . Confumer un long
cours des plus beaux jours eft encore au
deffus de tout ce qui précède pour l'élégance
& la grace des expreffions. Les
exclamations font arrangées avec art . Ah!
cruelle ! ah ! tu cours est très - touchant.
Ah ! que le froid t'épargne , femble choifi
exprès. Le froid t'épargne font des fyllabes
douces & coulantes raffemblées avec
art pour peindre le fentiment. Tespieds fi
délicats. Si eft bien imaginé pour mettre
de l'effort & de la recherche dans ce qui
devait être fimple . Tes pieds délicats n'auraient
pas fatisfait M. Clément .
Nous ne fommes pas encore affez formés
pour goûter de pareilsvers. Il lui faudra
bien des volumes pour nous faire fentir
tout le mérite de ce ftyle .
J'ai peur auffi que l'on ne s'accoutume
pas à fa profe , & que les lecteurs délicats
ne la trouvent un peu ruftique. L'urbanité
n'y brille pas ; elle fent un peu le terroir.
Il prétend qu'il ne veur pas écrire joli.
ment. Ce n'est pas une raison pour tomber
dans la platitude . Je lui paffe de n'e
tre pas unjoli écrivain ; mais je le conjure
du fond du coeur de n'être pas plas ,
110 MERCURE DE FRANCE .
de ne pas faire fi fouvent des phraſes
telles que celles ci : quand on s'ingère
d'interpréter un auteur , il ne faut point
tomber dans une fotte ignorance , ni lui
donner un fens de travers , &c. Comme ces
versfemblent couler du coeur , ilsferont toujours
plaifir. Ces vers peignent au mieux
les ennuis. Qui eft ce quife foucie defavoir
fi cefont là , &c . Les chofes qu'il a traitées
, parce qu'il fentoit le pouvoir faire ,
&c. Je mefuis confolé de la haine des méchans
auteurs par leur haine même &c.
Pour revenir au naturel , c'eft ce qui demande
beaucoup de génie , &c.

Ce ferait peu encore d'éviter de pareil .
les phrafes qui choquent ou l'oreille ou
la conftruction , mais il faudrait répandre
dans fon ſtyle plus d'aménité , de
graces , d'imagination , de fineffe , de
variété , il faudrait , quand on parle de
goût , écrire de manière à le faire fentir ,
il faudrait ne pas parler pefamment de
plaifanteries & de légèreté , ni séchement
de fenfibilité & d'imaginatiou ; il faudrait
fur- tout ne pas dire je m'efforcerai
de faire de bonne plaifanteries contre mes
ennemis , parce qu'on ne s'efforce point.
d'être plaifant , qu'on n'annonce point
qu'on fera plaifant, & qu'on fe contente
JUI N. 1772. 111
de l'être , fion le peut . Il faudrait ne pas .
tomber dans ce défaut qu'on ne pardonne
qu'à la première jeuneffe , de croire que
l'on eft feul à favoir tout ce qu'on a appris
la veille , & de vouloir l'enfeigner
aux autres qui le favent mieux que vous ;
il faudrait en conféquence ne pas rebattre
avec une prolixité faftidieufe & une mor .
gue doctorale tous les principes les plus
communs répétés cent fois dans tous les
livres claffiques , & ne pas fe donner la
peine de citer longuement tous les plus
beaux paffages de la Fontaine & de Boileau
, afin de nous apprendre précifément
pourquoi ils font beaux ; il ne
faudrait pas non plus , pour avoir occafion
de débiter fa doctrine , combattre
ce qu'on n'a jamais dit , prouver très inutilement
que notre langue peut avoir une
harmonie imitative , lorsque perfonne
n'a eu la bêtiſe de le nier , lorfque les
écrivains qui ont fu en mettre le plus dans
leurs vers & dans leur profe , fe font contentés
de dire que nous n'avions presque
point d'harmonie élémentaire qui réfidât
dans les fyllabes , comme celle des Grecs &
des Latins , mais une harmonie artificielle
qui résulte du choix & de l'arrangement
de certains mots & du foin d'éviter le
112 MERCURE DE FRANCE.
prodigieux nombre de fyllabes fourdes &
de terminaifons dures & seches, qui équi.
vaur parmi nous au prodigieux nombre
de fyllabes fonores & de terminaiſons retentiffantes
qui compofent les langues
anciennes : il faudrait fe fouvenirque cet
avis eft celui de Fénelon , de Boileau ,
de Racine , de M. de Voltaire , qui n'en
favent pas tant que M. Clément fur l'har
monie , mais qui peut -être ont quelques
titres pour en parler ; il faudrait ne pas
fe flatter d'avoir découvert le premier
que notre langue a une profodie , mais
avouer qu'elle en aune faiblement accentuée
& fouvent peu fenfible , & ne pas
foutenir qu'elle eft auffi marquée que
celle des anciens , ce qui ne mérite pas
d'être combattu ; il faudrait ne pas con
venir qu'on ne fait d'autre manière de
critiquer que de dire que des vers font
plats , niais , lourds , ridicules , fades , ennuyeux
, parce qu'avec un peu plus d'eſprit
& moins de dureté il eft poſſible
d'avoir un autre ton , parce qu'en montrant
tous les défauts d'un ftyle , on met
le lecteur à portée de lui donner toutes
les qualifications convenables fans les
énoncer foi même , & parce qu'il faut
quelquefois être poli & honnête , ne fûtJUIN.
1772. 113
ce que pour varier ; il faudrait , quand
on écrit fur la fatyre & qu'on parle de
Boileau , fe fouvenir que jamais Boileau
n'a fait aucune fatyre qui n'eût un fujet
& un but général dans lequel il faifait
rentrer comme én paffant les noms des
mauvais auteurs , mais qu'il n'a jamais
imaginé d'écrire une fatyre directe de
trois cens vers contre aucun de fes ennemis
, & fur- tour qu'il n'a pas choiſi l'écrivain
le plus illuftre de fon fiécle ; il
faudrait enfin ne pas avancer que M. de
Voltaire qui écrit depuis foixante ans
des vers pleins d'harmonie & de la profe
qui n'en a pas moins , n'ajamais étudié
la profodie de nos vers , & n'a trouvé que
par hafard ce qu'il a mis d'harmonie
dans les fiens ; il faudrait ne pas fe permettre
des faillies de cette force , parce
qu'en voyant un jeune homme fe Aatter
d'en avoir plus appris en dix - ans fur
l'art des vers que M. de Voltaire en foixante
, on ferait tenté de fuivre les règles
de politeffe que M. Clément preferit , &
d'appeller cette modeftie du nom qu'elle
mérite , s'il ne valoit pas encore mieux
attendre que le jeune homme rentre en
lui même , & fache un peu moins à qua
sante ans ce qu'il favoir fi bien à trente.
114 MERCURE DE FRANCE.
Elégies de Properce , traduites par M. de
Longchamps . A Amfterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Lejay , libraire ,
rue St Jacques , vol . in - 8 °.
Cette traduction eft la première que
nous ayons des poëfies de Properce ; car
nous penfons que l'on ne doit pas compter
celle de l'Abbé de Marolle , de cet
écrivain infatigable qui avoit auffi donné
une traduction des épigrammes de Martial
, traduction qui parut fi mauvaiſe à
Menage que ce fçavant avoit mis à la tête
de l'exemplaire que l'Abbé de Marolle tui
envoya : Epigrammes contre Martial.
La traduction de M. de Longchamps
eft précédée d'un difcours où l'auteur caractériſe
en homme de goût le poëte qu'il
a traduit . Il le compare à Tibulle . Nous
n'examinerons point fi la prédilection du
traducteur pour Properce eft bien fondée.
Il pourroit fe faire que toutes ces préémil'on
cherche à décider entre
plufieurs poëtes d'un mérite également
reconnu ne fuffent qu'une affaire de tem
pérament. Nous rapporterons donc fimplement
les motifs qui portent M. de
Longchamps à croire Properce fupérieur
à Tibulle dans une carrière où la renom
nencés que
JUI N. 1772.
115

mée de celui-ci femble avoir prévalu . Le
traducteur ne fe diffimule pas qu'il contrarie
l'opinion du grand nombre des lecteurs
, ou plutôt de ceux qui ne lifent
point , ou qui n'ayant lu que Tibulle , oublient
que les difficultés de Properce ont
laffé leur pareffe , & leur ôtent par conféquent
le droit de juger en connoiffance
de cauſe . « Il eft cependant vrai , ajoute le
»
traducteur , que Tibulle ce poëte fi
» touchant , fi pur , fi voluptueux , eft
eſt
» fouvent foible , minutieux , trop uni-
» forme , que fes tournures font preſque
» toujours les mêmes , que la tendreffe
» du fentiment qui le caractérife , dégénère
quelquefois en apathie , que fa
langueur reffemble plus à l'affoupiffe-
» ment du fommeil qu'à l'abattement de
» la trifteffe ; que fon feu n'échauffe guè
» res, qu'il ne brûle jamais ; qu'en un mot
c'eft un amant fans énergie , qui fe plaint
froidement lorfqu'il devroit exhaler
des fureurs. La fphère dans laquelle il
» s'exerce , eft d'ailleurs fort bornée , &.
» pour peu qu'il s'en écarte , il tombe au-
99
?
deffous de la médiocrité . Dès que l'a-
» mant s'éclipfe on ne retrouve plus le
» poëte. Ses épigrammes & fon panége-
» ryque de Meffala , font des monumens
116 MERCURE DE FRANCE.
"
indignes du beau fiécle qui les vit naî-
» tre , la ftérilité du verfificateur s'y fait
» fentir à chaque phrafe . Convenons ce-
» pendant qu'il règne dans fes élégies
» une douce molleffe , une mélancolie
» foutenue , qui rachetent peut - être des
» défauts qui ne font , après tout , que
» l'excès du fentiment qui l'abforbe toujours
, & qui paroît l'endormir quelque-
» fois. Mais cette langueur fi touchante
» ne fe trouve- t- elle pas au même degré
» dans Properce , fans le mêlange des taches
juftement reprochées à Tibulle ?
» Pourquoi donc reprocher à ce dernier
une préférence que notre poëte lui difpute
à tant d'autres titres ? Ses fanglots
» font - ils moins du reffort de l'élégie ,
» que les foupirs de Tibulle ? & parce
qu'il aime avec plus d'emportement ,
99
fon amour en eft - il moins dans la na-
» ture , intéreſſera t'il moins , parce qu'il
» eft plus malheureux ? les infidélités de
Cynthie devoient - elles l'affecter foi .
» blement ; devoit- il décrire le triomphe
» d'un rival , de ce ton paiſible qui affa-
» dit quelquefois dans Tibulle ?
"

Properce ne connoît de tranquillité
que cette mélancolie fombre , qui préfage
l'explofion de la fureur ; le calme
JUI N. 1772. 117
" dont il femble jouir , n'eft que l'épuife-
» ment du défefpoir ; mais que la nature
" le guide fagement dans l'ivreffe même
dela douleur ; comme les emportemens
» font toujours reglés fur la mefure de fes
peines ; comme il s'irrite ou s'appaife ,
» felon qu'il eft plus ou moins malheu-
» reux ! que le repentir lui ramene l'infi-
» dèle Cynthie , fa joie fe reffent d'a-
" bord de fes longues fouffrances , &
» l'on y démêle un refte de trifteffe qu'en-
» tretiennent les reminifcences du malheur.
Cette impreffion s'efface à la lon-
» gue , & le profond contentement de
fon ame refpire enfin dans chacun de
» fes vers ; mais une nouvelle perfidie le
replonge dans une nouvelle crife , &
» c'eft alors que rien n'eft facré pour fa
» douleur ; fon ame aliénée fe repand
» en imprécations contre les dieux - même
toute la nature eft complice de
Cynthie , & l'ingrate eft l'unique objer
qu'il n'a pas le courage de haïr »
"
"
"
28
»
L'ingénieux Ovide eft auffi admis à ce
parallèle , & on prendra fans doute plaifir
à voir dans ce difcours préliminaire les
motifs qui portent le traducteur à préférer
Properce à fes rivaux & à lui adjuger
le prix de l'élégie.
18 MERCURE DE FRANCE.
M. de Longchamps , pour parvenir à
traduire Properce , a moins étudié les notes
& les éclairciffemens des fcòliaftes que
la nature qui eft l'unique commentaire
des grands poëtes. Il a penfé avec raifon
qu'un coeur & des yeux étoient d'un meilleur
fecours pour fe pénétrer des beautés
du peintre de la nature & du fentiment
que les réflexions d'un commentateur tou
jours porté à fubftituer une expreffion
froide qu'il connoît à un trait de génie
qu'il ne fent pas . Mais pour mieux faire
juger du mérite de cette nouvelle traduc
tion , nous tranfcrirons l'élégie XII du
livre II qui eft une des plus courtes .
1
Quicumque ille fuit , puerum qui piaxit amorem,
Nonne putas miras hunc habuiſſe manus ?
Is primùm vidit , fine fenfu vivere amantes ,
Et levibus curis magna perire bona.
Idem non fruftrà ventofas addidit alas ,
Fecit & humano corde volare Deum .
Scilicet alterna quoniam ja&amur in unda ,
Noftraque non ullis permanet aura locis.
Et meritò hamatis manus eft armata fagittis ,
Et pharetra ex humero gnoſia utroque fonat.
Ante ferit quoniam , tuti quàm cernimus hoftem ,
Nec quifquam ex illo vulnere fanus abit.
In me tela manent , manet & puerilis imago ,
JUI N. 1772. 119
Sed certè pennas perdidit ille fuas.
Evolat è noftro quoniam de pectore nufquam ,
Affiduufque meo fanguine bella gerit.
Quid tibi jucundum ficcis habitare medullist
Si pudor eft , aliò trajice tela tua.
Intactos ifto fatiùs tentare veneno .
Non ego ..fed tenuis vapular umbra mea :
Quain fi perdideris , quis erit , qui talia cantet ?
Hæc mea mufa levis ,, gloria magua tua eft :
Quæ caput , & digitos , & lumina nigra puellæ ,
Et canit , ut foleant molliter ire pedes.
"
"
" Celui qui le premier imagina de repréfenter
l'amour fous les traits d'un
» enfant , fut , fans doute , cet admirable
» artifte. Il fentit le premier , que la vie
» des amans eft une enfance perpétuelle ,
» où l'on facrifie à des riens les plus grands
avantages. Il donna des aîles à ce dieu ,
qu'il peignit voltigeant de coeurs en
coeurs , pour faire entendre que nous
» fommes l'éternel jouet de fon inconf-.
" tance , & que rien ne fauroit fixer fa
légéreté. Il arma fes mains de fléches
» meurtrières , il fufpendit à fes épaules
" un double carquois , pour fignifier que
l'amour nous attaque en traître , & que
» fes bleffures font toujours incurables .
Les traits de ce cruel enfant me dé
n
120 MERCURE DE FRANCE.
29
39
chirent fans ceffe ; fon image ne me
quitte jamais. Ah ! fans doute , qu'il a
perdu fes aîles , puifqu'il ne peut s'envoler
de mon coeur , puifque ce coeur
,, eft l'éternel aliment de fes fureurs . Im-
» pitoyable amour ! n'eft-il pas honteux que
» tu t'acharnes fur une proie que tes feux
» ont déjà confumée. Crois- moi , lance
≫tes traits fur d'autres victimes , attaque,
empoifonne un coeur infenfible ; ce
triomphe eft plus digne de toi . Je ne
» fuis déjà plus qu'une ombre vaine , &
fi cette ombre s'évanouit tout- à - fait ,
qui chantera déformais ta puiffance ?
» quel autre que moi pourroit décrire
» les doigts d'ivoire , la blonde chevelure,
99
"
99
les grands yeux noirs & la démarche
» voluptueufe de Cynthie ? Oh ! fi mes
" vers font foibles , la gloire qui en re-
» vient à l'amour ne l'eft pas. »
On peut remarquer que le traducteur
ne s'eft point rendu efclave de la lettre.
Il a cherché principalement à fe bien pé
nétrer du fentiment ou de la fituation exprimée
par le poëte & à reveiller l'impreffion
du même fentiment ou de la
même fituation dans l'ame du lecteur.
Des notes grammaticales , hiftoriques &
critiques fout placées à la fin de chaque
livre
JUI N. 1772. 121
livre d'Elégies. Plufieurs de ces notes , en
nous inftruifant de différens ufages des
Romains , nous rendront plus intelligibles
quelques paffages obfcurs des poëfies
de Properce .
Baléafar , tragédie , par M. H. F. Pelletier
. A Paris , chez la V. Duchefne ;
le Jay , rue St Jacques ; Edme , rue
Saint Jean - de- Beauvais ; in 12. prix ,
I liv. 10 f.
Le fujet de ce drame non repréfenté
eft , ainfi que celui de la tragédie d'Aftarbé
de M. Colardeau , donné fur le
théâtre de la Comédie Françoiſe en 1758 ,
emprunté du Télémaque de M. de Fénélon.
Le poëte a fait les changemens qu'il
a cru les plus convenables à la fcène . Si
la verfification de cette nouvelle tragédie
eft foible , fi la fimplicité de l'action n'eft
pas toujours affez relevée par la violence
des paffions & l'énergie des fentimens ,
on louera néanmoins l'auteur de n'avoir
point fait ufage de ces refforts extraordinaires
, de ces fituations forcées où le
poëte femble fe mettre à la place de fes
perfonnages & chercher plutôt à furprendre
l'admiration du fpectateur qu'à l'intéreffer
au fort du héros mis en scène.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
De l'Art de la Comédie , ou détail raifonné
des diverfes parties de la comédie
, & de fes différens genres ; fuivi
d'un traité de l'imitation , où l'on compare
à leurs originaux les imitations
de Molière & celles des Modernes . Le
tout appuyé d'exemples tirés des meil
leurs comiques de toutes les Nations ;
terminé par l'expofition des caufes dé
la décadence du Théâtrej& des moyens
de le faire refleurir ; par M. de Cailhava
; 4 vol . in- 8° . Prix , 20 liv . br. &
24 liv. relié. A Paris , chez Didot
l'aîné , libraire - imprimeur , à la bible
d'or , rue Pavée , près le quai des
Auguftins,
Ce grand ouvrage eft un Traité complet
de Comédie. Nous n'avions pas encore
de livre didactique fuffifamment détaillé
fur cet art auffi utile qu'agréable , &
qui influe toujours fur les moeurs des
peuples qui le cultivent. Ariftote , d'Aubignac
& plufieurs autres n'ont parlé que
de la tragédie : Riccoboni , dans fes Obfervations
fur la Comédie , n'a fait , pour
ainfi dire , qu'effleurer la matière . M. de
Marmontel n'a pu la traiter à fond dans
une poétique confacrée à tous les genres
JUI N. 1772. 723
de littérature . Dufrefny , Deftouches
avoient promis de donner des Réflexions
fur la Comédie ; malheureuſement ils
n'ont pas tenu leur parole. Quel dommage
fur-tout qu'une mort précipitée ait
enlevé Molière au moment où il alloit
faire le commentaire de fes pièces , &
nous y dévoiler toute la magie de fon art .
M. de Cailhava , connu fur la scène
françoife par des effais qui donnent de
fon talent les plus grandes efpérances , a
cru devoir s'occuper d'un fujet que tous
les grands poëtes comiques ont regardé
comme digne de leurs veilles .
Son ouvrage , auffi complet qu'il puiffe
l'être , eft divifé en quatre livres.
Dans le premier il traite des diverfes
parties de la comédie , depuis le choix du
fujet & du titre, jufqu'au dénouement de
la pièce.
Dans le fecond il traite des différens
genres de la comédie ; d'abord des trois
genres primitifs ; favoir , genre d'intrigue
, genre à caractère , gente mixte ; puis
des fubdivifions qu'on peut obferver dans
chacun de ces trois genres.
Dans l'une & dans l'autre partie , M.
de Cailhava n'avance aucun précepte , aucune
obfervation importante, qui ne foient
Fij
124 MERCURE DE FRANCE. -
appuyés des exemples les plus frappans
pris chez les meilleurs auteurs comiques
de tous les âges & de toutes les nations .
Dans le troifième & le quatrième volume
, l'auteur développe entièrement
l'art de l'imitateur , c'eft - à - dire que le.
troisième , confacré aux imitations de
Molière , fait voir avec quelle adreſſe ,
quel goût ce grand homme fut imiter les
étrangers & même les nationaux. Le quatrième
oppofe Molière imité à Molière
imitateur : on y met fous les yeux du leçteur
les imitations de tous les auteurs qui
ont fuccédé au père de la comédie françoife
. On apprend dans l'un & dans l'autre
volume à diftinguer l'imitateur , du
copiſte & du plagiaire .
M. de Cailhava termine ce traité complet
de comédie par un chapitre très important
; c'est l'Expofition des caufes de la
décadence du théâtre , & des moyens de le
faire refleurir.
Cet ouvrage doit être agréable à tous
ceux qui fe plaisent à la repréfentation , ou
à la lecture des pièces de théâtre : il ne
peut être qu'infiniment utile aux jeunes.
gens pour leur former le goût, aux jeunes
auteurs pour dévélopper leurs talens &
régler leur imagination , aux acteurs pour
JUIN. 1772. 125
les initier dans les myftères d'un art qui
eft l'ame de celui du comédien .
On trouvera beaucoup de précifion &
de jufteffe dans l'expofition des règles générales
qui concernent toutes les parties
de la comédie , & dans l'examen des différens
genres adoptés fur les théâtres anciens
& modernes ; beaucoup d'équité &
de réferve dans les critiques ; enfin un
choix heureux dans les exemples qui , jettant
une agréable variété dans les détails ,
font connoître les théâtres de toutes les
nations , & donnent par conféquent une
idée des moeurs des différens peuples qui
ont fait contribuer la comédie à leurs plaifirs.
On trouve chez le même libraire l'Hif
toire des Philofophes anciens , juſqu'à la
renaiffance des lettres , avec leurs portraits;
par M. Savérien ; cinq volumes in- 12 .
Prix , 15 liv . rel . & 12 liv. 19 fols bṛ.
1772.
99
* Rien ne feroit plus utile au Public ni
plus digne d'un favant homme , difoit
» un auteur eftimé ( M. Dacier , ) que de
» faire les vies de tous les philofophes de
l'antiquité , avec plus de fuite & d'exac-
» titude que n'a fait Diogene de Laërce ,
"
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
qui certainement n'a pas rempli tout ce
qu'on devoit attendre d'un fi grand
» fujet. »
»
Depuis M. Dacier , on a publié plufieurs
ouvrages fur la phifolophie ancienne
, fans qu'on ait encore rempli le voeu
de ce fçavant ; car les fyftêmes & les découvertes
des anciens philofophes font fi
peu connus , qu'on les confond ſouvent
avec ceux des philofophes modernes ; &
cette confufion a mis tant de défordre
dans nos connoiffances , que les fçavans
même ont bien de la peine à apprécier nos
richelles philofophiques.
C'étoit donc une entrepriſe utile que
celle de mettre toutes ces richelles fous
leurs yeux & fous ceux du Public ; de bien
féparer celles des Anciens de celles des
Modernes ; de donner à ceux - là ce qui
leur eft dû ; de préfenter de fuite & par
ordre des tems tout ce qu'ils ont découvert.
Et c'est le fujet de l'ouvrage que nous
annonçons.
L'auteur , dans un difcours fur la philofophie
ancienne , qui eft à la tête du
premier volume , fait l'hiftoire abrégée
de cette philofophie . Il remonte à fon
origine , & en fuit les progrès juſqu'à la
renaiffance des lettres. C'est un riche taJUI
N. 1772. 127
bleau où paroiffent , fuivant leur rang ,
tous les philofophes de l'antiquité , avec
le type de leur mérite , nous voulons dire
avec un précis fuccint de leur doctrine &
de leurs fyftêmes.
Vient enfuite l'hiftoire des métaphyficiens
, des moraliftes & des législateurs.
Les philofophes de cette claffe font , tome
I , Lycurgue, Solon , Chilon , Pittacus,
Bias , Cléobule , Efope , Anacharfis , Epi .
ménide , Phérécide ; tome II , Xenophane,
Zénon d'Elée , Héraclite , Démocrite , Protagoras
, Socrate , Euclide de Mégare ,
Platon , Ariftippe , Xénocrate : tome III ,
Anthifthène, Diogène , Cratès , Zénon , Chryfippe
, Epicure , Théophrafte , Arcéfilas ,
Pyrrhon , Carnéade : tome IV , en partie ,
Séneque , Epictete , Apollonius de Tyane ,
Marc Aurèle & Confucius.
Ce font ici les chefs de toutes les fectes
philofophiques : l'auteur écrit aufli la vie
de leurs difciples , qui ont coopéré avec
eux à former ces fectes , ou qui les ont
foutenues. Ainfi , dans l'hiftoire d'Euclide
de Mégare , on trouve les vies d'Eubulide
, d'Alexinus , de Diodore , & de
Stilpon ; dans celle d'Ariftippe , les vies
d'Hégéfias , d'Annicéris , de Théodore ;
dans l'hiftoire de Xénocrate , la vie de
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Polémon ; dans celle d'Arcéfilas , la vie
de Lacyde ; dans l'hiftoire de Pyrrhon ,
celle d'Euriloque , de Philon & de Timon,
ainſi des autres.
Le premier volume renferme donc
l'hiftoire des premiers légiflateurs , & celle
des Sept Sages de la Gréce : le fecond
contient celle des Sophiftes & des pre--
miers Dialecticiens : les Ciniques , les
Stoïciens , les Epicuriens , & les Sceptiques
forment le troiſième volume : une
partie du quatrième contient l'hiftoire
des philofophes Romains , à laquelle on a
joint celle de Confucius , célèbre philofophe
Chinois que tous les hiftoriens de la
philofophie avoient négligée .
La claffe des Mathématiciens , Phyficiens
& Naturaliftes eft compofée de
Thalès , Pythagore , Anaxagore , Leucipe,
Pythias , Ariftote , Archimede , Hipparque
, Pline , Ptolémée , Albert le Grand ,
Roger Bacon, & Arnaud de Ville- neuve ,
dont l'hiftoire remplit le refte du quatrième
volume & le cinquième en entier.
L'auteur expofe dans cet ouvrage tou
tes les découvertes & les fyftêmes des Anciens
fur l'arithmétique , fur la géométrie
, fur l'aftronomie , fur la phyfique
fur la chymie & fur l'hiftoire naturelle .
>
JUIN. 1772. 129
Tel eft le plan de l'Hiftoire des anciens
Philofophes. On peut dire que cette ouvrage
manquoit à la littérature , & par conféquent
à l'inftruction des hommes. Il eft
le fruit d'un long travail , d'une infinité
de recherches & d'une étude profonde de
la philofophie. A l'égard des portraits ,
ils ont été deffinés & gravés d'après les
monumens les plus authentiques.
Nouvelles Idylles de M. Gessner , traduites
par M. Huber , fuivies de deux
contes moraux de M. ** . A Zuric ; &
à Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine.
M. Gessner , bien connu en France par
fes premiers poëmes,fe propofe de donner
inceffamment un vol . de nouvelles Idilles
, traduites de l'allemand en François
par M. Huber dont on connoît l'heureux
talent pour ne rien faire perdre à fou ori
ginal de fes graces & de fon mérite .
Cet ouvrage formera un volume in 4° .
dont l'impreffion fera d'une élégance &
d'une netteté qui ne laifferont rien à defirer.
L'édition fera foignée par M. Gefsner
& ornée par lui - même d'un grand
nombre de vignettes dans le goût des
Fv
130 MERCURE
DE FRANCE.
bas- reliefs antiques relativementaux poe
mes , & de divers fujets hiftoriques qui
rappelleront
les fcènes les plus fufceptibles
de l'expreffion
pittorefque. M. Gefsner
qui fait du defin une de fes principales
occupations
depuis plufieurs années
a deffiné & gravé ces différentes fcènes
avec la plus grande attention. On enpeut
juger dès-à préfent par les effais qui ac
compagnent
le Profpectus que l'on voit
chez Lacombe , libraire , rue Chriftine,
chargé de recevoir les foufcriptions. Les
planches font toutes prêtes ; & le nombre
des exemplaires
fera fixé
par celui des
Soufcripteurs
dont les noms feront mis , s'ils le permettent
, à la tête de l'ouvrage.
Ceux qui n'auront pasfouferit nepourront
plus fe le procurer à aucun prix . On fouferira pour cet ouvragejufqu'a
la fin du mois de juillet : le prix de la
foufcription eft en total de 18 liv . dont
la moitié fera payée en foufcrivant &
l'autre moitié en recevant le livre .

Le Jugement
de Paris
, poëme
en quatre
chants
. Par M. Imbert
. A Amfterdam
& fe trouve
à Paris
chez Piffot , qual
de Conti
.
Nous donnerons dans leprochainMer
JUI N. 1772.
131
cure une analyſe détaillée de ce bel ouvrage
de poëfie fait pour être diftingué
par les connoiffeurs , & qui doit donner
les plus grandes efpérances des talens heureux
& naturels de M. Imbert. Ce poëme
eft accompagné de quelques autres poëfies
de divers gentes . Le tout compofe un
volume in- 8° , imprimé avec grand foin,
& orné de gravûres d'une beauté remarquable
.
Apologie des Arts , ou Lettre à M. Duclos,
fecrétaire perpétuel de l'académie
françoife. A Paris chez Monory , rue
& près la Comédie Françoiſe
Cette brochure piquante & ingénieufe
ne pouvait être mieux adreffée qu'à l'illuftre
& vertueux académicien que la littérature
regrette , & qui notis a laiffé de
bons ouvrages & une mémoire refpectée.
Dans cette lettre un jeune homme
de condition répond à un jeune Seigneur
qui lui a reproché comme un ridicule &
un travers de fe faire imprimer , & d'étre
enregistré parmi les auteurs. » Vous
» croyez donc , M. le Marquis dit le
» gentilhomme littérateur ) que pour
» être un bon gentilhomme il faut né
» ceffairement être une bonne bêre ? La
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
"
» nobleffe du royaume vous doit un re-
» mercîment fur la galanterie de cette
» décifion... Apprendre l'hiftoire des
» grands hommes & des grands évène-
» mens du petit globe que nous habitons,
» apprendre à bien écrire & à bien par-
» ler du moins fa langue naturelle , en-
» fin apprendre avec d'illuftres morts à
penfer un peu
mieux que le vulgaire
» des vivans qui ne penfe guères ou qui
penfe mal , c'eft - là , fi je ne me trom-
» pe , déroger à l'ignorance , & non à
» la nobleffe. "
"
"
Tel eft le ton de cette Lettre , dont
l'auteur en défendant les arts fait hon .
neur à une fi belle caufe , foutenue avec
tant d'agrément & d'esprit.
RÉPONSE de M. de la Harpe à la Lettre
de M. de V..., inférée dans le dernier
Mercure.
MONSIEUR ,
Rien ne fait plus d'honneur au Mercure
que l'intérêt que vous voulez bien y
prendre . Il ferait à fouhaiter que cet
exemple engageât les gens de lettres les
JUI N., 1772. 133
plus diftingués à concourir à la perfection
d'un ouvrage d'autant plus intére ffant
pour eux que c'est une espèce de patrimoine
littéraire où tous ont également
des droits . Le Mercure eft encore , malgré
tout ce qui lui manque , le plus varié
& le plus utile des ouvrages périodiques.
J'avoue qu'on a porté jufqu'à l'excès l'abus
de cette eſpèce d'ouvrage aujourd'hui
trop multiplié . Ce qui dans fon origine
était deftiné à inftruire le public , eft employé
trop fouvent à le tromper . Je fais
bien que le nombre des Journaux a dû
croître avec l'étendue de nos connoiffances
& les objets de notre curiofité . Il
n'eft pas poffible qu'un feul ouvrage &
un feul auteur puiffent fuffire à les analyfer
, & pour décider qu'un homme eft
à peu près un fot , c'en ferait aflez de favoir
qu'il fe charge de prononcer magiftralement
tous les huit jours non - feulement
fur tous les travaux de la littérature
& des arts depuis la Tragédie juf
qu'à la fatyre , & depuis la phyfique juf
qu'à la gravûre , mais même fur le mérite
perfonnel de tous les écrivains & de
tous les artiftes , & fur ce qu'ils font capables
de faire ou de ne pas faire dans
tout le cours de leur vie. Je conviens
136 MERCURE DE FRANCE.
très grand abus qui peut-être eft la ſource
de tous les autres . Il ferait à fouhaiter que
tous les écrivains n'eutlent pour juges de
ce genre que des confrères avoués qui
ayent fait preuve de talent & jouiffent
d'une réputation méritée , qui fe devant
quelque chofe à eux- mêmes , n'oublient
jamais ce qu'on doit aux autres , & puiffent
craindre de compromettre leur jugement
& leur confidération . Mais à quoi
faudrait- il s'attendre , fi par malheur on
était jugé par des hommes qui n'auraient
rien à perdre , & qui ne pouvant pas fe
faire un état de la culture des lettres , qui
n'eft pas à la portée de tout le monde
auraient recours à la miférable reffource
de fe faire fatyriques en profe , ce qui eft
à la fois le plus facile & le dernier de
tous les métiers .
On ne peut pas fe diffimuler combien
toute la bonne compagnie de Paris & des
provinces , & cette foule d'hommes éclairés
dont la France eft remplie , combien
cette claffe diftinguée pour qui fur tout
l'on devrait écrire , eft fatiguée de tant
de rapfodies périodiques , où l'on n'apprend
jamais rien , fi ce n'eft à méprifer
leurs auteurs , de tant d'adulations & de
fatyres également dégoûtantes , de toutes
JUIN. 1772. 137
ces compilations menstruelles ou hebdomadaires
qui diffèrent par le titre & ſe
reffemblent par l'ennui , enfin de tant
d'ecrivains fans efprit qui rendent compte
de l'efprit des autres. C'eft ce dégoût
même qui a contribué peut - être à procurer
un accueil plus favorable à quelques
fragmens d'une meilleure littérature qui
ont été féparés de la foule , & ont attiré
les regards des connoiffeurs .
Vous avez paru fatisfait , Monfieur ,
ainfi que public , des morceaux de critique
que j'ai hafardés de tems en tems dans
le Mercure , & auxquels je fuis loin d'attacher
de l'importance . S'ils ont eu quelque
fuccès , je crois en êtte redevable aux
principes que j'ai fuivis , & dont j'aime
à vous rendre compte.
J'ai toujours cru qu'un critique honnête
ne devoit jamais avoir d'autre but
que d'inftruire. S'il veut offenfer & humilier;
il eft odieux ; s'il veut flatter , il eft
infipide , s'il veut tromper , il eft vil , s'il
réunit ces trois vices , il eft infâme.
Quand les intentions font pures , le
ftyle eft décent. Ils mentiraient ceux qui
en écrivant des groffiéretés & des injures
fe diraiant animés du zèle de la vérité.
Vous avez à parler ou d'un écrivain
138 MERCURE DE FRANCE.
fupérieur , ou d'un homme médiocre
ou d'un homme fans talent qui écrit par
manie ou par befoin , vous devez au premier
du refpect , à l'autre des égards , au
dernier de l'indulgence .
S'il eft queſtion d'un ouvrage excellent
, d'un bon ouvrage , plus vous mêlerez
d'obfervations aux louanges , plus
vous éclairerez le lecteur & fervirez le
bon goût fans blefler l'auteur. Le ton de
l'admiration vraie , fe fera fentic jufques
dans vos cenfures , & l'homme fupérieur
vous permet tout, dès que vous l'avez mis
à la place .
Si l'ouvrage & l'auteur font médiocres
, votre tâche devient plus difficile .
Vous avez affaire à un amour - propre
tremblant , à une confcience alarmée . Si
vous ne lui accordez de merite que ce
qu'il en a , il fera mécontent. Votre devoir
n'eft pas de le contenter , mais de
faire enforte qu'il n'ait pas droit de fe
plaindre. Le public & la vérité méritent
plus de refpect que lui , & rien n'eft fi
funefte que les encouragemens donnés
au mauvais goût . Servez vous de ce qu'il
y aura de bon dans l'ouvrage pour éclairer
l'auteur fur ce qu'il y a de mauvais . Sil
eft fufceptible d'émulation & de progrès ,
JUIN. 1772. 139
·
il en profitera fans peut-être vous aimer
davantage. S'il ne voit rien au de là de
ce qu'il a fait , il fe plaindra tout feul .
Enfin s'il s'agit d'une de ces productions
dont la foule eft innombrable, & que cent
cinquante ans de lumières font naître
avec une facilité fi malheureuſe , comme
la chaleur fait éclore les infectes , il n'y
a qu'une reffource . Peut- être y a- t - il deux
bonnes pages dans un volume. Tâchez
de les trouver , & citez- les fans parler
du refte . Si rien n'eft digne des regards
du lecteur , alors n'en parlez pas , à moins
que ce ne foit une matière à des réfléxions
utiles au goût. Mais en général toutes les
fois qu'il n'y a rien à louer , le meilleur
eft de garder le filence. La louange eft
la partie douce & confolante de la pénible
fonction de juger.
La plaifanterie eft une autre partie bien.
délicate. Il ne faut fe la permettre que
contre ceux qui ont voulu offenfer . La
plaifanterie eft la vengeance de la fupériorité
, & la punition du fcandale litté
raire.
Si l'on répond à vos cenfures , & que
l'adverfaire & l'ouvrage méritent une replique
; une difcuffion approfondie , une
queſtion traitée avec politeffe , honore
140 MERCURE DE FRANCE.
les parties contendantes . Si l'on defcend
aux injures , laiffez la haine fe débattre
contre le mépris.
·
Peut-être aurez vous à parler d'un
homme connu pour votre ennemi. Gardez
que perfonne loue plus franchement
que vous tout ce qu'il aura de louable ,
& n'épuifez pas la critique fur ce qui
fera répréhensible . Qu'il foit bien évident
que vous ne vous fervez pas de tous vos
avantages. Vous feul n'avez pas le droit
d'être le plus févère de ſes lecteurs .
Il arrive quelquefois qu'un critique
annonce dès les premières lignes une haine
emportée , & prononce enfuite du ton
d'un juge, après avoir déclamé du ton d'un
ennemi. C'est l'aveuglement d'une paffion
furieufe , qui pourvu qu'elle s'exhale
ne fe foucie pas d'en impofer.
Vous donnez , Monfieur , des leçons
bien fages & bien éloquentes à ceux qui
s'expofent à devenir par état & par caractère
les ennemis de tous les talens , de
tous les fuccès , de toutes les réputations .
Vous vous êtes fouvent élevé dans votre
jufte indignation contre ces organes de
l'envie , de la haine & de l'injuftice.
Mais n'avez - vous jamais été tenté de les
plaindre ? Ah! Monfieur , qu'il y a loin
JUI N. 1772. 141
du plaifir d'admirer , de fentir le génie ,
au malheur de le hair ! Quel fort de s'être
condamnés à détefter tout ce que les
autres hommes aiment & révèrent , de
trouver fa punition par tout où les autres
trouvent une jouiffance , de ne pouvoir
prononcer qu'avec fureur des noms que
l'on
prononce par- tout avec enthoufiafme,
de pourfuivre toujours de fi loin des
hommes qui s'avancent à pas de géant
dans la carrière de la gloire , & de combattre
avec une voix faible & impuiffante
la renommée qui répond avec fes cent
voix ? Convenez , Monfieur , que Gravina
a eu bien raifon de dire que l'envieux
n'est jamais libre
mais qu'il eft
l'efclave du génie qui le traîne par- toutfur
Jes pas.
Vous daignez me parler , Monfieur
des obftacles & des chagrins de toute
efpèce que mes ennemis m'ont fufcités.
Il eft vrai qu'ils m'ont pourfuivi avec un
acharnement qui ne s'eft pas démenti
depuis Warvic jufqu'à l'Eloge de Fénelon
. Je fais qu'ils fe flattaient de parvenir
à me décourager entièrement , & qu'ils
s'en font même vantés. Mais fi tel était
leur deffein , ils ont bien mal réuffi . Leurs
emportemens & leurs excès n'ont fervi
qu'à intéreffer en ma faveur ce public
142 MERCURE DE FRANCE.
parhonnête
& impartial qui s'indigne de la
perfécution & de l'injuftice. Ce public a
été révolté du projet li odieux & fi manifefte
d'étouffer un jeune homme qui
n'oppofait à la fureur de fes ennemis
qu'une conduite irréprochable , le courage
, le travail , & des ouvrages où les
ames bien nées aiment à retrouver leurs
fentimens & leurs principes. Il m'a
donné quelques productions précipitées
qui échappent à la première effervescence
de la jeuneffe , en faveur des efforts qu'il
m'a vufaire pour lui offrir des écrits mieux
conçus & plus travaillés . Enfin accueilli
dès mes premiers pas par tout ce que la
nation a de plus illuftre dans tous les
genres , honoré du fuffrage public des
principaux membres de l'académie & de
la littérature , honoré fur-tout du vôtre
& de votre amitié conftante , je marche
avec fermeté dans cette pénible route où
l'on me préparoît tant d'écueils . Votre
voix m'y foutient encore. Puiffe t- elle s'y
faire entendre long - tems ! Puiffe le Sophocle
des Français finir comme le Sophocle
des Grecs , par un chef-d'oeuvre ,
& finir plus tard que lai !
J'ai l'honneur d'être , & c .
JUI N. 1772. 143
LETTRE de M. de V... . fur un Ecrit
U
anonyme.
A Ferney , 20 Avril 1772 ,
Dans ce faint tems nous favons comme
On doit expier fes délits ,
Et bien dépouiller le vieil homme ,
Pour rajeunir en paradis.
NE bonne ame voulant feconder mes intentions
, m'a envoyé par la pofte la veille de pâques
, la deux centième brochure qu'on a brochée
contre moi depuis quelques années . On m'y fait
fouvenir d'un de mes péchés que j'avais malheu
reufement oublié ; tant à mon âge on a la mémoire
débile. Ce péché eft la jaloufie , l'envie . Je
la regarde vraiment comme le plus vilain des
péchés mortels . On me fait appercevoir que j'en
fuis très - coupable . Je n'ai plus qu'à faire pénitence
& à m'amender.
1º. L'on m'apprend que je fuis indignement ja.
loux de Bernard de Paliffi qui vivait fur la fin
du ſeizième ſiècle. Il avança que le fallun de Tou.
raine n'eft qu'un amas de coquilles dont les lits
s'amoncelèrent les uns fur les autres pendant cinquante
mille fiécles plus ou moins , lorique la
place, où eft la ville de Tours , était le rivage de
la mer. Ma jaloufe fureur ayant fait venir une
caifle de ce fallun ,dans lequel je n'aitrouvé qu'une
coquille de colimaçon , j'ai pris infolemment ce
fallun pour uue efpèce de pierre calcaire friable ,
144 MERCURE DE FRANCE.
pulvérisée par le tems. J'ai cru y reconnaître évidemment
mille parcelles d'un talc informe ; &
j'ai conclu avec une orgueil puniflable , que c'eſt
une mine qui occupe environ deux lieues & demi.
J'ai halardé cette idée criminelle avec une audace
d'autant plus lâche , que ce fallun ne ſe trouve
dans aucun autre pays , ni à quarante lieues de
la mer , ni à vingt , ni à dix ; & que, fi c'était un
monceau de coquilles déposé par la mer dans une
prodigieufe fuite de fiécles , il y en aurait certai
nement fur d'autres côtes .
C'est avec cette eſpèce de marne qu'on fume
les champs voifins ; & j'ai eu l'impudence de dire,
moi quifuis laboureur , que des coquilles de cinquante
mille fiécles ne me donneraient jamais de
bled . Mais j'avoue que je ne l'ai dit que par jaloufie
contre les Tourangeaux .
2º. Cette déteftable jaloufie que j'ai toujours
eue des fuccès du conful Maillet , m'a porté jufqu'à
douter qu'il y ait des amas de coquilles fur
les hautes Alpes. J'avoue que j'en ai fait chercher
pendant quatre ans , & qu'on n'y en a pas trouvé
une feule . On n'en trouve pas plus , dit- on , fur
les montagnes de l'Amérique ; mais ce n'eſt
ma faute.
pas
3°. Je confefle que les pierres lenticulaires , les
étoilées , les gloffopètres , les cornes d'Ammon
dont mon voisinage eft plein , ne m'ont jamais
paru des poiflons ; mais il ne m'était pas permis
de le dire.
4°. Cette même jaloufie m'a fait douter auffi
que l'Océan eût produit le mont Atlas , & que la
Méditerranée eût fait naître le mont Caucafe. J'ai
même ofé foupçonner que les hommes n'ont pas
été originairement des marfouins , dont la queue
fourchue
JUIN. 1772. 145
fourchue s'eft changée visiblement en cuifles &
en jambes , comme Maillet le prétend avec beau
coup de vraisemblance.
5. C'eft avec une malice d'enfer qu'ayant examiné
la chaux dont je me fers depuis vingt ans
pour bâtir , je n'y ai trouvé ni coquilles, ni ourfins
de mer.
69. J'avoue que la même envie diabolique m'a
empêché de convenir jufqu'à préfent que ce globe
foit de verre. Je crois que les gens qui l'habitent
font très fragiles , & fur- tout moi . Mais pour
peu qu'on veuille abfolument que la terre foit de
verre comme l'était autrefois le firmament , j'y
confens du meilleur de mon coeur pour le bien de
la paix.
7°. Cette rage qui m'a toujours dominé , m'a
égaré jufqu'au point de douter que la terre fût
un foleil encroûté , ou qu'elle fût originairement
une comète. J'ai pouflé fur-tout ma jaloufie contre
l'apothicaire A ** , juſqu'à dire que les fachets
n'ont pas toujours prévenu l'apoplexie.
Mais auffi comme il ne faut pas le faire plus méchant
qu'on ne l'eft , je n'ai point porté la perverfité
jufqu'à prétendre qu'il y eût la moindre charlatanerie
dans les (ciences & dans les arts . J'ai toujours
reconnu , grace au Ciel , qu'il n'y a de charlatan
en aucun genre.
8°. Il eft vrai que j'ai été fi horriblement jaloux
de l'Esprit des loix dans mon métier de jurifconfulte
, que j'ai ofé avoir plufieurs opinions
différentes de celles qu'on trouve dans ce livre ;
en avouant pourtant qu'il eft plein d'efprit & de
grandes vues , qu'il refpire l'amour des loix & de
l'humanité. J'ai même parlé très - durement de fes
détracteurs. Ce procédé eft d'un malhonnête homme
, il faut en convenir.
G
146 MERCURE DE FRANCE .
J'ai fait plus , car dans un livre auquel plufieurs
gens de lettres ont travaillé avec un grand
fuccès , l'article Gouvernement anglais eft de moi;
& je finis cet article par dire , après avoir relu
celui de Montefquieu j'ai voulu jetter au feu le
mien. C'est là le langage de l'envie la plus déteftable.
9°. Je m'accule d'avoir ofé m'élever avec une
colère peu chrétienne , contre quelques perfécuteurs
d'un homme d'un vrai mérite que nous regrettons
; d'avoir pris le parti des opprimés contre
les opprefleurs ; d'avoir feul bravé leur orgueil
, leurs cabales & leur malice ; mais d'avoir
en même tems par un efprit dejalousie , manifefté
une très- petite partie des opinions dans lesquelles
je diffère abfolument de lui , de l'avoir dit à luimême
parce que je l'aimais & l'eftimais ; c'eft une
infamie qui ne peut s'excufer.
10º. Je me ſouviens auffi que cette même jaloufie
qui me ronge , m'a forcé autrefois de prouver
que les tourbillons de Defcartes étaient mathématiquement
impoffibles ; que fa matière fubtile
, globuleuse , cannelée , rameufe , était une
chimere ; qu'il eft faux que la lumière vienne du
foleil à nous dans un inftant ; qu'il eft faux qu'il
y ait toujours égale quantité de mouvement dans
la nature ; qu'il eft faux que les planètes foient
des foleils ; qu'il eft faux que les mines de fel &
les fontaines viennent de la iner. Qu'il eft faux que
le chyle devienne fang dans le foie , &c. & c. &c .
&c. & c . & c .
Mon indigne envie contre Defcartes m'empor.
ta jufqu'à cette baflefle. Mais je confefle que je
fus entraîné dans ce crime par Ariftote , qui me
fit donner une penfion fur la caflette d'Alexandre,
feulepenfion dont j'aie été régulièrement payé.
JUI N. 1772 . 147
Cla-
11. Je dois confefler encore queScudéri ,
veret, d'Aubignac, Boifrobert , Colletet & autres,
me firent donner beaucoup d'argent par le tréforier
du cardinal de Richelieu pour écrire contre
Corneille , dont j'ai perfécuté la famille . Je me (uis
oublié jufqu'à dire que fi cegrand homme n'était
pas égal à lui - même dans Attila & dans Agéfilas
, on ne jugeait des génies tels que lui que par
leurs extrêmes beautés , & non par leurs défauts.
Mais en commentant les oeuvres j'ai eu l'indignité
de préférer les belles fcènes de Rodrigue &
de Chimène , à celles d'Ardaric , roi des Gépides,
& de Valamir , roi des Oftrogoths .
12º. Règle générale. Toutes les fois que vous
ferez obligé de rendre compte des opinions courantes
, gardez vous bien de penfer par vousmême
, fi vous ne voulez vous attirer des ennemis
dangereux qui vous couvriront d'opprobre. En
Allemagne il vous faudra croire que tout eft compofé
de monades qui font le miroir concentrique
de l'Univers , & que l'ame eft une horloge qui
fonne l'heure ; tandis que le rouage qui eft le
corps , faitfon mouvement loin d'elle . A Londres,
les partifans de Wifton vous auraient bien maltraité
, fi vous aviez douté quenotre globe eût été
autre fois l'atmosphère d'une comère . En France
il a été un tems où on vouloit vous forcer a penfer
avec Maillet que tout étoit fait de molécules organiques
, que les poiflons des Indes ſe trouvaient
communément dans les pierres du mont St Bernard
, &c. & c. & c. Si vous aviez fait la moindre
objection , on vous aurait traité d'ignorant & de
jaloux .
Jaloux hélas ! & de quoi ? tous nos ſyſtêmes ne
Le font - ils pas écroulés les uns fur les autres ?
Gij '
148 MERCURE DE FRANCE .
qu'est - il refté ? les expériences univerfellement
conftatées , les démonftrations & les ouvrages des
artiftes ; tout le refte s'anéantit .
Au furplus , j'avertis mon directeur qu'il fe
trompe quand il dit que j'ai pincé le favant auteur
de l'hiftoire générale & particulière de la terre ;
c'est lui qui me pinça il y a plus de vingt- cinq ans
dans cette hiftoire de la terre , tome I , page 281 .
Il fe moqua de moi & de Laloubère , ambaſſadeur
à Siam , & de l'Anglais Tancrède Robinſon , avec
lefquels je m'étois rencontré par hafard dans une
idée creufe. On pouvait très-bien fe moquer de
nous fans être un vilain homme . Où en ferait on
fi les philofophes ne riaient pas quelquefois les
uns des autres ?
Etant ainfi convenu avec mon charitable directeur
de confcience , que je fuis d'un naturel
jaloux , bas , rampant , avide , ennemi des arts ,
ennemi de la tolérance , flatteur des gens en place,
&c. & les péchés avoués étant à demi pardonnés ;
je me flatte qu'il s'appaifera par ma confeffion
fincère.
Je ne fuis plus jaloux , mon crime eft expié.
J'éprouve un fentiment plus doux , plus légitime ;
L'auteur d'une lettre anonyme
Me fait une grande pitié.
Mais en même tems j'avertis que voilà la pres
mière & la dernière fois que je répondrai aux let
tres anonymes , & même aux lettres des perfone
nes que je n'ai pas l'honneur de connaître. Cat
bien que je fois très - jeune , & que je n'aie que
foixante & dix -huit ans , cependant le tems eft
JUI N. 1772 : 149
cher ; & il faut tâcher de ne le pas perdre quand
on vent apprendre quelque chofe.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
ON a donné le Jeudi 28 Mai , au
Concert des Thuileries , un morceau de
Symphonie de la Compofition de M.
Deformery de l'Académie royale de Mufique
, & du même Auteur , Deus nofter
refugium , motet à grand choeur qui a
remporté le prix de concours de la
quinzaine de pâques en 1770. M. Baer
ci-devant de la mufique de S. A. S. Mgr.
le Duc d'Orléans , a exécuté avec aplau--
diffement un Concerto de Clairinette de
Stamitz. On a entendu avec plaifir Mlle
d'Avantois qui a chanté Quemadmodùm
defiderat &c. Motet à voix feule de M.
l'Abbé Girouft , Maître de Mufique des
Saints Innocents. M. Hinner très- jeune ,
virtuofe a exécuté fur la harpe une
Sonate de M. Petrini . Le Concert a fini
par Magnus Dominus , Motet à grand.
choeur de M. Mondonville , ancien Maître
de mufique de la Chapelle du Roi .
>
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
NB. On a imprimé dans le volume du Mercure
de Mai , à l'art. du concert fpirituel , pag. 154 &
155 , Bezoz au lieu de Bezozzi; adopter au lieu
d'adapter ; forte piana au lieu de forte piano
Mlle Fleury au lieu de Mlle Henri.
OPÉRA.
LE Roi ayant jugé à propos de réunic
toutes les parties de l'administration de
l'Opéra , fous un chef dont l'expérience
jointe au foins des Directeurs , pût concourir
au foutien & à la gloire de ce:
fpectacle , a fait choix de M. Rebel ,
Chevalier de l'Ordre de Sa Majeſté &
Sur- Intendant de fa mufique , & lui a.
donné le titre d'Adminiftrateur général
de l'Académie royale de muſique.
La veille de l'ouverture de ce ſpectacle
, à la rentrée des vacances de Pâques ,
les fujets de l'Académie étant affemblés
dans la Salle de l'Opéra , M. Dauvergne
l'un des Directeurs , après avoir témoigné
publiquement à M. Rebel , combien
lui & fes confrères étoient fattés de le
voir fe joindre à eux pour préfider à tous
les objets de la Régie , qui forment l'exiftence
de l'Opéra , a conformément aux
ordres du Roi , annoncé M. Rebel , en
JUI N. 1772. 151
fa qualité d'Adminiftrateur général . Cette
notification fut fuivie d'applaudiffemens
qui font faits pour rendre agréables
les peines & les foins qu'exigent cet
emploi. M. Rebel , fenfible aux témoignages
d'une fatisfaction aufi marquée ,
tant de la part des Directeurs que de
tous les fujets de l'Académie , leur répondit
d'abondance de coeur par un difcours
dont nous croyons devoir rapporter
ici la fubftance.
" Je fuis très - Aatté , Meffieurs & Mefdemoiſelles,
de me retrouver à portée de
pouvoir contribuer par de nouveaux foins
au foutien d'un fpectacle auquel je dois.
mon exiſtence ; j'aurai une attention particulière
à ajouter, s'il eft poffible , à la
confidération que méritent Meffieurs les
Directeurs , & fans laquelle , la machine
de l'Opéra ne peut fubfifter. L'Etat de
ces Meffieurs , n'éprouve aucun changement
par le nouvel arrangement qu'il a
plû au ministre de faire approuver au
Roi : je compte autant , Meffieurs & Mefdemoifelles
, fur votre amitié dans ma
nouvelle adminiftration , que fur vos talens
& fur votre zèle , pour le fervice du
public . Je ferai toujours charmé de faifir
toutes les occafions qui fe préfenteront
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
de vous prouver mon eftime & de rendre
au Miniftre le compte le plus favorable
de toutes les perfonnes qui compofent
l'Académie. J'efpére , par - là , mériter
votre confiance & répondre à celle dont
on m'honore . ">
Le Mardi 26 Mai , on a remis au Théatre
, La Reine de Golconde , Opéra en
trois actes , repréfenté pour la première
fois en 1766. Les paroles font de M.
Sedaine , la mufique eft de M. Moncigni .
Le fujet de cet Opéra eft tiré d'un
Roman fort ingénieux & fort connu. S.
Phar , Gentilhomme François , avoit
rencontré l'innocente Aline , dans un
vallon , au lever de l'aurore , l'avoit
aimée , & lui avoit donné , avant de la
quitter , un anneau d'or qu'elle devoit
garder toute fa vie comme un témoignage
de leur paffion mutuelle . Aline devient
Reine de Golconde , & toujours occupée
de fes premières amours , elle fait difpofer
fon parc , comme le champêtre
féjour où elle a connu S. Phar. Cet
Amant paffe dans les Indes ; il eft nommé
Ambaffadeur auprès de la Reine de
Golconde. Aline le reconnoît , elle dit à
fa confidente :
!
JUI N. 1772 353
Tu connois ce gazon artofé de mes larmes ,
Ce hameau , par mes foins élevé fous mes yeux
Ce bocage fi plein de charmes ,
Ce bofquet fi délicieux ;
C'eft l'image des lieux où mon ame charmée
S'eft vouée à l'objet que je n'ai pu bannir.
C'eſt là que mon ame calmée .
Jouit de fon reflouvenir ,
Et je le vois ! .. demain quand l'aurore naiflante
Aura couvert de fleurs ce bofquet amoureux ,
Que les premiers regards jettés fur fon amante
Rappellent , s'il le peut , fes fermens & les feux ;
1
Elle lui donne un anneau :
Prends cet anneau : fi de ce gage
11 ne reconnoit pas le prix ,
Si le lieu , fi l'inftant & le même bocage ,
Si fon Aline offerte à fes regards furpris
Ne dit rien à ce coeur dont le mien eft épris ,
Qu'il parte.. il ne faura jamais que dans Gol
conde
Sop Aline n'aimoit , ne refpiroit que lui ;
Qu'à mes voeux quoique tout reponde ,
Il est l'unique bien que je defire ici .
Zélis préfente à S. Phar , deux bouquets,
l'un de fleurs , l'autre de diamants :
le parfum qu'il refpire , l'invite au fommeil.
Il s'étonne à fon reveil de fe retrouver
dans le même bocage , & à la même
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
>
heure que fon coeur partagea l'amour
d'Aline . Il croit l'appeller envain , lorf
que cette Bergère paroît telle qu'il la vit
pour la première fois avec des fleurs pour
ornemens une corbeille , une taille
legère ; elle paffoit ainfi fur un pont
chancelant , en tremblant ; il voit avec
une nouvelle furprife , à fon doigt
l'anneau qu'Aline tenoit de lui . Ils renouvellent
leurs fermens. Des Bergers
& des Bergères viennent célébrer ce beau
jour, & chantent les bienfaits d'Aline. Elle
s'abfente. S. Phar , dans l'enchantement,
demande fon amante , mais on le mene
dans un appartement du palais de la Reine
, & des fentinelles l'empêchent de
fortir . Il s'écrie dans fon étonnement
Suis- je en France ? fuis - je en Afie ?
A Golconde , ou dans ma patrie ?
Je ne trouve dans mon coeur
Qu'incertitude & que fureur.
Ce fpectacle enchanteur ne peut être un menſonge
;
C'eft Aline ;. ce font les accens ; . fes appas.
Je doute encor fi ce n'eft point un fonge.
Je la cherche.. je vole.. on arrête mes pas ;
On m'arrête.. le fort me plonge
Dans un dédale affreux que je ne conçois pas.
JUIN. 1772 .
155
Zelis confidente de la Reine , vient
trouver S. Phar , & lui annonce le plus
parfait bonheur . C'eſt fa fouveraine , ditelle
, qui lui offre & fa main & fon
coeur. Mais S. Phar tout occupé d'Aline ,
ne parle que d'elle & ne veut qu'elle.
Zelis paroît étonnée ; la Reine couverte
d'un voile arrive, & S. Phar excuſe ainfi
fes refus
Ah ! n'avez- vous jamais aimé ?
Pardonnez aux tranſports d'un coeur trop
Aammé.
Le premier trait que l'amour lance
Refte tout entier dans un coeur ;
Le tems n'a point de puiflance
Sur une première ardeur :
Vainement d'une autre flame
On écoute les tranſports ;
Tout ramene dans notre ame
Des regrets ou des remords .
J'ai retrouvé celle qui m'étoit chère ;
J'ai retrouvé l'objet de tous mes voeux ;
Eft-elle moins ce que j'aime le mieux ,
Pour n'être hélas qu'une bergère ?
La reine ôte fon voile & fe fait reconnoître
pour Aline : l'Amour couronne la
conftance des deux amans . Cependant les
François demandent en tumulte leur Gé
G vj
116 MERCURE DE FRANCE.
méral ; ils s'arment pour forcer les portes
du palais , & les Golcondois leur oppofent
une défenfe , lorfque S. Phar paroît
& caline leur inquiétude. En mêmetems
la Reine fait annoncer qu'elle a
choisi le Général François , & qu'il partage
fa couronne. Les peuples célèbrent
par des chants & des danfes , la gloire
& l'amour de leurs Souverains .
On a revu avec d'autant plus de plaifir
M. l'Arrivée dans S. Phar , que l'on avoit
long- tems appréhendé pour la fanté de
cet acteur , fi cher au public & aux amateurs
, & fi utile à ce fpectacle par la
beauté de fon organe , par la facilité de
fon chant , & par fon talent pour la scène.
Il a rendu & chanté avec un charme délicieux
ce rôle éclatant. Il a été parfaitement
fecondé par Madame l'Arrivée dans
le rôle d'Aline , qu'elle embellit encore
par les graces de fa perfonne , & par la
douce magie de fa voix brillante & légère .
Le rôle de Zélis , amie & confidente de
la Reine , ne pouvoit être mieux rempli
& plus agréablement chanté que par Mile
Rofalie. On doit auffi des éloges à M.
Muguet , à M. Durand , à Mlle Châteauneuf,
& à ceux qui ont joué les différens
rôles de cet Opéra.
JUI N. 1772 :
197
que
faire
Les Ballets font très agréablement deffinés
, & parfaitement exécutés . Celui du
premier acte , qui eft de la compofition
de M. Gardel , trace fort ingénieuſement
l'image de la galanterie Françoife
en oppofition avec les moeurs Golcondoifes.
C'eft ainfi la danfe peut
fpectacle , & former des actions pittorefques
& un drame animé. M. Gardel , en
François , repréſente un amant volage ,
aimé, quitté& repris par les beautés qu'il
trompe. Mlle Guimard peint avec non
moins de vérité les différentes affections
d'une amante . L'un & l'autre excellens
danfeurs & parfaits acteurs , font le plus
grand plaifir.
Le Ballet du fecond acte eft de la
compofition de M. Dauberval : il y
a mis des fcènes naïves & le tableau
de l'action principale qui eft reproduite
fort adroitement. C'eft Aline avec un
panier de fleurs , qu'elle défend en vain
contre la pourfuite d'un amant . S. Phare
lui - même féduit par l'apparence
croit trouver fa maîtreffe dans la bergère.
M.Dauberval , dont la danſe eſt toujours,
comme elle doit être , une excellente
Pantomime , eft fort applaudi , & il eft
très- bien accompagné par Mlle Guimard ,
>
158 MERCURE DE FRANCE.
Mlle Pilain , Mlle Allard , remplacée par
Mlle de la Fond , Mile Compain , par
MM. Simonin , Giroux & Malter. Le troifième
ballet eft de M. Veftris , & repréfente
une fête galante. On ne peut que
répéter les éloges toujours donnés à fa
danfe noble & impofante , ainfi qu'à
celle de Mlle d'Ervieux , & à celle de
Mlle Affelin . Cer Opéra eft très - bien
remis, & fait honneur à tous égards pour
la diftribution , pour les dipofitions & les
décorations , au goût & aux foins des
Directeurs .
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont repréſenté
le lundi , 20 Mai , Pierre le Cruel , Tragédie
nouvelle de M. de Belloy.
Les Acteurs de cette Piécefont :
DOM PEDRE , Roi d'Eſpagne, dit le Cruel ,
M. Moié,
EDOUARD , Prince Anglois. M. le Kain .
DUGUESCLIN
, Connétable de France ,
M. Brizarr.
HENRI DE TRANSTAMARE , frere naturel
de D. Pedre M. Montvel.
JUI N. 1772. 159
BLANCHE DE BOURBON , Princeffe Françoiſe
, Mlle Dubois .
DOM FERNAND , Favori de D. Pedre ,
Un chef des Maures ,
M. d'Auberval.
M. Pontheuil .
Pierre III , Roi de Caftille , que la poftérité
indignée a furnommé le Cruel,
monta fur le trône en 1350. Il époufa ,
ou feignit d'époufer par politique , Blanche
, fille de Pierre I. Duc de Bourbon.
Il la quitta peu de jours après fon mariage
, & la fit mettre en prifon , pour
reprendre Marie de Padilla , fa Maîtreffe.
Ilépoufa, & abandonna peu de tems après ,
Jeanne de Caftre . Cette conduite , & fes
horribles affaffinats , foulevèrent fes fujets.
Henri , Comte de Tranftamare , fon frère
naturel , le feul de fa famille échappé à
fes fureurs , fe mit à leur tête & le détrôna.
Pierre eut recours aux Anglois ,
qui le rétablirent dans fes Etats . Enfin
Henri , affifté des Français , l'attaqua , le
défit , & le tua de fa propre main dans
une bataille. C'eſt ſur ces faits qu'eſt bâtie
la Tragédie nouvelle . La première fcène
eft dans une prifon. Blanche de Bourbon ,
mariée à Don Pédre , avoit été à l'inftant
facrifiée par le Tyran à fa paffion & à fon
union avec Padille . Il eut encore la
160 MERCURE DE FRANCE.
cruauté de vouloir fe délivrer par la mort
de fon époufe ; mais il chargea de cet
ordre criminel , Dom Fernand , vertueux
courtifan , qui , pour fouftraire la Princeffe
à la fécocité de fon maître , la tenoit
cachée dans une prifon fecrette. Blanche
paroît feule , & déplore fon deftin malheureux
, lorfqu'elle entend un bruit
inoui & qui l'étonne. C'eft Edouard , fils
du Monarque Anglois , chef de l'armée
qui vient de rétablir Dom Pédre fur fon
trône d'où Henri l'avoit fait defcendre ,
pour venger la jeune Reine , & délivrer
fes fujets d'un cruel oppreffeur. Edouard ,
conduit par l'honneur & la générofité ,
eft furpris à l'afpect d'une beauté enfevelie
dans les horreurs d'un cachot ; il
apprend avec indignité la caufe de fes
malheurs , & promet de la défendre contre
l'injufte barbarie du Roi. En mêmetems
le brave Duguefclin , l'ami & le
prifonnier de guerre de l'Anglois , & le
défenfeur & l'appui de Henri de Tranftamare
, demande , au nom de fon maître,
Ja liberté de Blanche de Bourbon , & vengeance
de la perfécution qui lui a été faite.
Cette Princeffe apprend alors qu'elle n'eſt
point la femme de Dom Pédre , & que ce
Tyran étoit lié par un mariage à frivalė ,
JUI N. 1772: 161
Jorfqu'il feignit , dans une vaine cérémonie
, de lui donner la main , pour lui
en impofer , ainfi qu'à la France . C'eft
devant le Roi même qu'Edouard lui révèle
cet odieux myftère , qui excite dans
cette Princeffe le fentiment de l'indignation
pour fa lâche fourberie , & la joie
de ne lui appartenir à aucun titre. Dom
Pédre eft furpris de revoir cette Reine ,
& devient paffionné en la voyant. Cependant
Edouard lui enlève cette Princeffe ,
& la confie à la garde de Duguefclin.
Le théâtre change , & repréſente un
camp. Le Tyran fouffre impatiemment
d'être obligé de fe contraindre devant
l'étranger fon défenfeur ; il projetre de fe
défaire de ce bienfaiteur importun. Henri
de Tranſtamare , le frère & l'ennemi de
Dom Pédre , qu'il a déjà détrôné , & qu'il
pourfuit encore depuis fon rétabliſſement,
a la témérité de venir trouver jufques
dans le camp de Dom Pédre , le brave
Duguefclin , que le zèle & le courage
pour lui a emporté trop loin , & qui a
été fait prifonnier par Edouard.
Ce jeune prince a la vifière de fon
cafque baiffée , il aborde ce généreux François,
& lui communique fon projet de le
délivrer par la force des armes . Edouard
162 MERCURE DE FRANCE.
·
les furprend, mais il ne connoît pas Henri .
Duguefclin , affuré de la génétofité d'Edouard
, ne fait pas difficulté de lui confier
le fecret de ce Prince. L'Anglois lui
donne alors fa foi ; il forme auffi tôt le
deffein d'établir la paix entre les deux
frères. Il engage Henri à retourner dans
fon camp , & de revenir enfuite pour
l'entrevue qu'il lui propofe avec le Roi.
Il rend en même tems la liberté à Duguefclin
par un excès de générofité & de
confiance , ne voulant pas de rançon.
Henri voit Blanche de Bourbon , dont il
defire d'obtenir la main . Cette Princeſſe
conçoit dès ce moment l'eſpoir du bonheur.
Les deux frères font en préſence ;
Edouard cherche à les concilier , & leur
propofe les conditions de la paix. Il veut
affermir Pierre dans fes Etats , & aider
Henri à conquérir le royaume de Grénade
fur les Maures. Mais l'orgueil & la vio
lence du tyran l'empêchent d'accéder à
ces propofitions , il s'emporte contre
Henri ; Edouard le défend. Les deux frères
veulent fatisfaire leur haine & leur
vengeance dans un combat fingulier :
Duguefclin propofe de ne point armer le
frère contre le frère ; mais de combattre
Pierre,comme Henri combattra Edouard.
1
JUI N. 1772. 163
Ce dernier renvoie à une action générale
la déciſion de ces grands intérêts qui ne
peuvent être terminés par l'événementd'un
combat particulier où les deux frères font.
en danger de périr . Enfin Edouard exige
que Henri & Duguefclin retournent fûrement
à leur camp. Dom Pedre ne le permet
que dans le deffein de les facrifier à
fa haine. Il donne des ordres fecrets pour
les faire maffacrer ; mais le courage & la
force de Duguefclin le fauvent avec Henri
Edouard eft indigné de cette horrible
trahifon , il en fait des plaintes à Doin
Pedre , qui ne contient plus fes fureurs ,
& qui le menace lui -même . Henri & Duguefclin
, animés par la
vengeance , pourfuivent
Dom Pedre qui eft envain fecouru
par les Hébreux & par les Maures. Les
peuples opprimés ouvrent un libre paffage
à Henri , & le Roi eft obligé de s'enfermer
dans un fort , le feul afyle qui lui
refte de tous fes états . Ce Roi fent encore
fa fureur augmentée par les accès de la ja
loufie ; il eft défeſpéré que Blanche lui
préfère Henri fon ennemi & fon frère ,
tandis qu'il pourroit , en l'uniffant à ſon
fort , recouvrer tout ce qu'il a perdu , le
bonheur , fon royaume & la paix . Mais
Blanche préfére la mort à l'amour de ce
164 MERCURE DE FRANCE.
furieux ; le tyran la fait enfermer dans le
cachot , & ne craint plus d'irriter Edouard.
Dom Pedre , affiégé jufques dans le fort ,
apporte à la Princeffe un poignard &
du poifon , la forçant de choifir ; & au
moment qu'elle prend la coupe , Edouard
vient la délivrer. Il eft fuivi de Henri &
de Daguefclin. Pierre indigné d'être au
pouvoir de fon ennemi & de fon rival ,
femble fuccomber fous le poids de fon
infortune. Blanche de Bourbon a encore
la générofité de fupplier pour ce tyran
Henri fon frère , vainqueur des Maures ,
lui offre le royaume qu'il vient de conquérir
fur ces peuples , & même la Caftille
lorfque fes vertus le feront rappeller
par fes anciens fujets. Pierre affecte les
dehors de la reconnoiffance , il s'approche
de fon frère & de Blanche de Bourbon ,
il la poignarde . Henri , par un mouvement
vengeance , lui donne le coup de la
de
mort.
Henri , fouillé du fang de fon frère , &
défefpéré du meurtre de fa malheureuſe
amante , échappe avec peine à fa propre
douleur. L'amitié feule de Duguefclin
peut l'engager à fupporrer le poids d'une
trifte vie.
Nous n'ajouterons aucunes obfervaJUIN.
1772. 165
tions fur cette tragédie que l'auteur à retirée
; mais cette efquiffe que nous avons
tracée , autant qu'il a été poffible , de mé
moire , & d'après une repréſentation tumultueufe
pourra peut être en donner une
idée fuffifante .
COMÉDIE ITALIENNE .
ONaN a donné le jeudi 14 Maila première
repréſentation
de l'Ami de la Maifon , co.
médie en trois actes & en vers , qui avait
déjà été repréfentée
à Fontainebleau
fur
le théâtre de la cour le 26 Octobre de
l'année dernière . *
ACTEURS :
CELICOUR , M. Clairval.
AGATHE , Mme Laruette.
ORPHISE, mère d'Agathe , Mme Trial .
ORONTE , frère d'Orphife & père de
Célicour , M. Nainville.
CLITON , ami d'Orphiſe , M. Julien.
* Cette comédie eft imprimée & le trouve
Paris , chez Vente , libraire , rue & montagne Ste
Genevieve ,
166 MERCURE DE FRANCE.
La fcène eft à la Campagne . Célicour ,
jeune militaire , eft fort amoureux de fa
coufine Agathe , & très - choqué du pédantisme
de M. Cliton , qui a toute la
confiance d'Orphife , qui donne à la jeune
Agathe des leçons de géographie & d'hiftoire
que Célicout trouve fort longues ,
& à Célicour lui même des leçons de morale
qu'il trouve très-impertinentes . Agathe
lui reproche fes vivacités .
Je fuis de vous très-mécontente ,
Très-mécontente , entendez-vous ?
Je vous croyais docile & doux i
Vous avez trompé mon attente
Je fuis de vous très - mécontente ,
Très-mécontente , entendez- vous ?
Eh !quei ! fans ceffe
Suivre mes pas !
Chercher mes yeux , më parler bas !
Et me fourire avec finefle !
Belle finefle !
Vous croyez qu'on ne vous voit pas .
Je ſuis de vous , &c.
Des vivacités ,
Sans fin , fans nombre ;
Vous vous dépitez ,
Vous devenez ſombre ;
Vous ne me quittez
Non plus que mon ombre ,
JUIN. 167 1772 .
Toujours affis à mes côtés.
Je fuis de vous , &c.
Cette jolie ariette , dont les tournures
font fi légères , fi faciles & fi muficales a
d'ailleurs un autre mérite , c'est d'être
une espèce d'expofition très- heureufe qui
annonce déjà le goût de la jeune Agathe
pour fon petit-coufin & la fineffe de fon
esprit. Vous croyez qu'on ne vous voit pas
eft un trait charmant.
Célicour continue à développer fon
amour & fa jaloufie. Il obtient d'Agathe
l'aveu du penchant qu'elle a pour lui , &
il promet d'être fage . Oronte fon père lui
apporte un brevet de capitaine , qui eft
un don de la libéralité d'Orphife. Célicour
eft pénétré de reconnoiffance , mais
il héfite à recevoir des préfens qui femblent
pris fur le bien de fa coufine . Elle.
lui ordonne d'accepter , fous peine de ne
la plus revoir. Il fe foumet & prend cette
occafion d'avouer à fon père fa paffion
pour Agathe. Oronte ne l'en blâme point
& l'exhorte à fe rendre digne d'elle . Il
chante cette ariette,
Rien ne plaît tant aux yeux des belles
Que le courage des guerriers.
Qu'ils foient vaillans , qu'ils foient fidèles,
168 MERCURE DE FRANCE.
A leur retour je réponds d'elles.
L'amour fous les lauriers
N'a point vû de cruelles.
Rien ne plaît tant aux yeux des belles
Que le courage des guerriers .
Sous les drapeaux quand la trompette fonne ,
Chacun fe dit , « voilà l'inftant,
» L'amour m'attend ,
»Et dans fes mains eft la couronne .
39
Qu'il nous regarde & qu'il la donne
Au plus vaillant ,
Au plus brillant.
» Voilà l'inſtant ,
» L'amour m'attend
»Et dans fes mains eft la couronne. »
Il a raifon. L'amour l'attend .
Rien ne plaît tant , & c.
Célicour impatient voudrait qu'on l'unît
fur le champ à ce qu'il aime.
ORONTE.
Quoi ! mon fils ! à ton âge.
CELL COUR.
Ah ! mon père , un foldat
Eft fi preflé de vivre , & vous favez vous même
Que perfonne n'eft jeune au moment d'un combat.
Si je meurs fon époux , je meurs digne d'envie.
Mon
JUI N. 1772 1772.. 189
Mon père , laiffe-moi lui donner de ma vie !
Deux beaux jours feulement ; leste eft à l'Etat.
Le plus difficile eft d'obtenir le confentement
d'Orphife , & l'on n'y compte pas.
L'acte finit par un trio.
6
"
Au fecond acte Cliton félicite Orphife
de l'action généreufe qu'il vient de faire.
Il lui parle de fa fille , du goût qu'elle
pourrait bien avoit pour le petit coufin.
Orphife eft bien loin de favorifer cette
inclination . Elle veut pour fa fille un
homme fage & mûr. Elle eft enchantée
du zèle & de l'amitié de Cliton ; mais
dans fon engoûment elle ne laifle pas de
développer des principes très juftes &
très vrais élégamment exprimés.
Mon fexe a bien raiſon.
Un homme eft un ami pour nous bien plus fidèle
Q'une femme. En effet quelle comparaiſon ?
De deux femmes en liaiſon
Le goût n'eft qu'une fantaific.
La vanité , la jaloufie
Y mêlent bientôt leur poison.
Dans fon amie on voit fans cefle une rivale ;
Dès qu'on l'efface , on lui déplaît ,
On ne peut la fouffrir à moins qu'on ne l'égale ,
Et dès qu'on lui céde , on la hait.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Des triomphes de fon amie
Un homme contraire eft flatté.
Avec elle il eft fans envie ,
Comme il eft fans rivalité.
Certaine voix confufe en eux fe fait entendre,
Qui leur dit , foiez de moitié,
Ce n'eft point de l'amour , on eft loin d'y préten
dre ;
Mais c'eft un fentiment plus délicat , plus tendre,
Plus vif que la fimple amitié.
On eft bien aife de trouver de ces morceaux
qui font du ton de la bonne comédie
dans cette efpèce de Drame dont le
ftyle trop fouvent a été fi négligé .
Agathe vient pour prendre fa leçon.
Il s'agit de la Grèce . Cliton lui en fait
une defcription féduifante. Il s'étend fur
les plus agréables fictions de l'ancienne
mithologie. Il parle de Flore , d'Hébé ,
des Graces , de Vénus , de l'Amour , des
conquêtes qu'Agathe aurait faites dans la
Grèce , enfin il avoue qu'elle a fait la
fienne. Agathe l'interrompt au milieu de
fes transports pour lui dire fort plaifamment
:
C'est donc là qu'était la Gréce ?
Elle revient toujours à fa leçon , & Cli
JUI N. 1772 . 171
ton toujours à fon amour. Cependant elle
fe défend affez faiblement pour lui donner
quelque efpérance . Elle paraît avoir
peur de fa mère plus que de lui . Elle lui
permet de lui écrire , & le quitte . Il
chante une ariette d'allégreffe , & il fort
pour aller écrire une lettre qui doit achever
la victoire . C'eft la fin du fecond
ace.
Au troisième , Agathe paraît feule , la
lettre de Cliton à la main . Elle eft enchantée
d'avoir contre lui cette preuve
parlante ; elle baife la lettre. Célicour la
furprend dans ce nouvement fi propre à
lui donner de l'alarıne . Il voudrait favoit
de qui eft certe lettre . Il la fuppofe dabord
de quelque amie de couvent. Agathe
avoue qu'elle eft d'un homme . A ce
mot Célicour laiffe éclater des foupçons.
Agathe veut qu'il s'en rende le maître &
qu'il la croie fur fa parole. Il infifte pour
voir la lettre. Agathe le refafe.
Dvo.
CELICOUR .
Tout ce qu'il vous plaira ,
Mais ce refus me bleДc.
AGATH E.
Tout ce qu'il vous plaira ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE
Mais le foupçon me bleſſe
CÉLICO UR .
Si c'eft une foibleſſe ,
L'amour l'excufera .
AGATH E.
Si c'eft une foiblefle ,
L'amour vous guérira .
CELICO UR .
Et fi l'on m'aime , on me plaindra;
AGATH E.
Et fil'on m'aime , on me croira.
CELICOUR .
Mais qu'est- ce qu'il en coûte
D'appailer fon amant ?
AGATH E.
Jufqu'à l'ombre du doute
Eft un crime en aimant.
CÉLICO v r.
Vous me voyez tremblant ,
Et de m'être infidèle
Vous faites le femblant.
AGATH E.
Si ce n'eft qu'un femblant
JUI N. 1772 . 173
Et fi je fuis fidèle ,
Ne foiez plus tremblant..
CÉLICO UR,
Eh ! bien , je t'en croi.
Sur ta bonne foi
A tout je m'expole ;
Je n'ai plus de doute avec toi.
AGATH E.
C'eft affez pour moi .
Sur ma bonne foi
Ton coeur le repoſe ;
Je n'ai plus de fecret pour toi .
Ce duo devait avoir le plus grand fuccès ,
& il l'a eu en effet. Il eft par lui - même
un excellent dialogue , & forme une action
intéreffante. Voilà le vrai modèle
des fcènes muficales. La mufique ne peut
ni ne doit rendre une longue converfation
. Elle excelle à faifir & à rendre un
inftant rapide où les paffions des interlocuteurs
forment un contrafte & un tableau .
Ce morceau fait le plus grand honneur
aux talens du poëte & du muficien , &
il est exécuté au théâtre d'une manière
digne de l'un & de l'autre.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Célicour lit la lettre de Cliton , &
conçoit fur le champ tout le parti qu'on
en peut tirer , & tout ce qu'il doit à
l'adrelle de fa coufine . Il fe jette à fes
genoux. Cliton entre & l'apperçoit . Il
lui fait de graves remontrance. Le jeune
homme n'y répond qu'en lui montrant
fa lettre . Agathe le quitte en lui difant
qu'il peut être tranquille , que la lettre
ne fera montrée qu'à Orphife. Cliton eft
atterré . Célicour lui promet que fa lettre
fera publique , s'il ne détermine
pas Orphife
à confentir à leur union . Il le quitte.
Orphife entre . Elle a fu de fon frère que
les deux jeunes gens s'aimaient ; elle en
eft fort irritée . Elle veut marier fa fille à
Cliton. Son frère cherche à l'appaiſer. Il
prend Cliton lui- même pour arbitre. Célicour
eft là prêt à montrer la lettre qu'il
tient dans la main fi Cliton ne prononce
pas en fa faveur . Celui ci aprés avoir
long- tems hélité , prononce enfin pour
Célicour , & fon avis entraîne celui d'Or
plife. Alors Celicour lui rend fa lettre en
lui difant qu'il ne fera plus déformais
l'ami de la maiſon.
Cette jolie comédie , joint à une intrigue
agréable , un ftyle ingénieux &
facile. Le caractère d'Agathe eft d'une
E
JUI N. 1772 . 175
fineffe piquante & d'un effet très - heureux
.
M. Grétti mérite les plus grands éloges.
Jusqu'ici on n'avoit pas rifqué de
mettre en mufique le comique pur &
noble fans aucun mêlange de groteſque
ou de bouffonnerie . On croyoit que l'expreffion
muficale ne pouvoit fe paffer ou
du pathétique ou de l'exagération bouffonne.
C'est un pas de plus que l'art de
M. Grétri a fait fur le théâtre lyrique . Le
fuccès de cet ouvrage eft très- grand. L'exécution
ne laiffe rien à defirer. Nous ne
répèterons pas ici les mêmes éloges que
nous avons donnés tant de fois avec le
public aux excellens acteurs qui jouent
cet ouvrage. Mais eux - mêmes ne nous
pardonneroient pas de ne pas dire au
moins un mot de Madame la Ruette , de
cette actrice enchantereffe qui met tant
d'ame & d'esprit dans fon chant , qu'elle
pourroit fe paffer d'un fi bel organe , &
dont la voix eft fi belle qu'elle pourrait
Le paſſer d'art.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
CONCERT pour les Ecoles gratuites de
Deffin , donné au Vauxhal de la Foire
St Germain , le 29. Avril
Avril 1772.
PARMI ARMI les monumens d'une bienfai
fance éclairée qui peuvent honorer ce
fiécle & balancer les reproches qu'on
pourroit lui faire d'ailleurs à beaucoup
d'égards , il faut compter l'établiſſement
des Ecoles gratuites de Deffin. Il ne reffemble
point à tant d'autres fondations
annoncées d'abord avec un grand étalage
d'utilité publique , & qui fe trouvent enfuite
n'être autre chofe que des affaires
de finance très-bien calculées pour le pro .
fit de quelques adminiftrateurs , qui quel
fois même font affez adroits pour fe
que
faire remercier d'avoir bien voulu s'enri
chir. Dans un tems où l'induſtrie s'agite
& fe tourmente en tout fens pour faire
contribuer le Public à la fortune d'un
particulier , c'eft peut être une chofe plus
remarquable qu'on ne penfe , qu'un établiffement
purement utile dans lequel il
* Article de M. de la Harpe.
JUIN. 1772. 177
n'y a rien à gagner pour les fondateurs ,
adminiftrateurs & protecteurs , que le
plaifir de faire du bien & de fervir leur
patrie , même fans cet appareil & cet
éclat qui rend à la vanité ce qu'a perdu
l'intérêt.
Les efprits fages qui s'occupent des
moyens de perfectioner, la police d'une
grande ville doivent applaudir au zèle &
aux lumières du magiftrat refpectable qui .
arrache à l'oifiveté & aux défordres qu'elle
entraîne une foule fi nombreuſe de jeunes
enfans qui peut- être auraient été pour
la fociété une charge honteufe & nuiſible ,
& qui feront des citoyens utiles & des attiftes
confidérés .
Les hommes fenfibles qui gémiffent
tous les jours de voir négliger tout le bien
que l'on pourroit faire , doivent trouver
un fpectacle bien touchant dans le bonheur
& la reconnoiffance de ces jeunes
élèves qui peut -être auraient été les victimes
de l'indigence & qui reçoivent de
la patrie qui les adopte les fecours qu'ils
ne pouvaient attendre de leurs parens.
Enfin les bons patriotes doivent fe féliciter
en voyant que l'amour du bien pu
blic n'eft pas encore éteint , & que depuis
les plus grands feigneurs du royaume juſ-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
qu'aux communautés des moindres artifans
, tout s'eft empreffé de concourir aux
vues bienfaifantes de l'excellent citoyen
( M. Bachelier ) qui dirige ce bel établiſfement
dont il a été l'inventeur.
Le Public s'eft porté avec affluence au
dernier concert donné en faveur des Ecoles
gratuites. Le defir de procurer des
fecours fi néceffaires à des écoles chargées
de quinze cent élèves était fans doute un
motif fuffifant & affez noble pour qu'on
ne veuille pasy en mêler un autre. Mais
le refpect que l'on doit toujours aux hôm ·
mes raffemblés , a engagé les adminiftrareurs
à redoubler leurs efforts pour rendre
le concert digne de l'attention & de Fa
curiofité de ce Public choifi qui l'écoutait.
On a exécuté pour l'ouverture les
deux fymphonies qui avaient difputé le
prix de mufique. Ce prix qui eft une médaille
d'or de la valeur de trois cent liv .
a été adjugé à la fymphonie concertante
de M. Canabitche , muficien de l'Electeur
Palatin à Manheim ,
Les adminiſtrateurs regrettant qu'il n'y
eût qu'un prix à donner entre deux ouvra
ges excellens chacun dans leur genre , ont
jugé à propos de donner un fecond prix ;
favoir , une médaille d'or de la valeur de
J
JUI N. 1772. 179
200 liv. à l'autre fymphonie qui eft de
M. Eichner muficien du Prince des Deux-
Ponts. Cette diftribution à été tres- applau
die du Public. Les juges étaient MM. Duni
, Philidor & Rigel..
On a exécuté enfuite les paroles d'un
opéra intitulé , Deucalion & Pirrha. La
mufique eft de M. Sibert . On fent qu'une
mufique qui doit être accompagnée de
fpectacles & de danfes , ne peut paraître
qu'avec quelque défavantage , lorfqu'elle
eft dépourvue de tout appareil théâtral .
Cependant plufieurs morceaux ont eu
beaucoup de fuccès , & le bureau d'adminiftration
a cru devoir récompenfer le
mérite du muficien en lui accordant uņe
médaille d'or de la valeur de 300 liv.
On adonné de juftes applaudiffemens à
l'orchestre , à M. le Duc l'aîné premier
violon , à M. Guémin qui conduifait les
fecond- deffus , au célèbre M. Bezozzi qui
rend avec une facilité fi brillante les morceaux
les plus difficiles .
On croit devoir dire un mot de l'opéra
de Deucalion qui n'a été imprimé qu'en
partie dans le programme qu'on a diſtribué.
Le fujet a paru très - lyrique & le tyle
en eft élégant. Il y a des fituations heareufes,
par exemple, celle des deux amans
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
enchaînés féparément chacun fur un rocher
d'où ils ne peuvent fe voir. Ils fe
reconnoiffent aux gémiflemens & aux
plaintes qu'ils pouffent l'un vers l'autre ,
ils s'élancent de toute l'étendue de leurs
chaînes pour fe réjoindre s'ils le pouvaient
. Enfin un coup de tonnerre brife
les fers dont ils font chargés & Pirrha fe
précipite dans le bras de Deucalion ,
mais c'est pourmber dans un nouveau
péril. Les flots du déluge dont la terre eft
Couverte les pourfuivent jufques fur les
montagnes. Une barque fe préfente . Pirtha
s'y jette , inais la barque eft emportée
avant que Deucalion puiffe y monter.
Pirrha eft portée fur le fommet du Parnaffe
qui s'élève feul au - deffus des eaux.
Elle croit que Deucalion a pèri ; elle veut
fe précipiter dans les flots , lorfqu'Apollon
lui ramene Deucalion , & ordonne
aux Arts de repeupler la terre. Ils s'écrient
tous deux :
O délicieux moment !
Unique objet de mon coeur qui t'adore ?
Je mourais hélas ! en t'aimant ,
Et je renais pour t'adorer encore.
Arbitre des Dieux & des Rois ,
Toi dont l'Univers eft l'ouvrage ,
JUI N. 1772. 181
Du bonheur écoutes la voix ;
Il n'eft point de plus doux hommage.
Nous cirerons encore cette apoftrophe
de Tiphon , chef des Titans.
Ufurpateur des Cieux , Jupiter , tu nous braves;
Des mortels , dans l'effroi , tu te fais adorer.
La crainte les rend tes efclaves ,
C'eft à Tiphon de les en délivrer.
Oui , je renverferai cette vaine puiffance ;
Je faurai diffiper une aveugle terreur.
J'établirai l'indépendance
Sur les ruines de l'erreur.
On fe propofe de donner pour fujet de
la fymphonie qui fera couronnée dans le
premier concours , Didon & Enée dans
la grotte ; fujet tiré du quatrième livre de
l'Enéide , & qui fournit au muficien une
chaffe , un orage & l'union de deux amans
fous les aufpices d'une déeffe. Ce n'eft
pas là que l'on pourra dire : Sonate , que
me veux tu ?
Nous,finirons par offrir au Public un
bel exemple de bienfaifance envers les
Ecoles gratuites de Deffin , donné par un
étranger ou foi difant tel.
182 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. Bachelier , Directeur
des Ecoles de Deffin.
Je fuis Anglais , Monfieur , & je m'appelle
Jean latham P.... ce qui ne fair
rien à l'affaire. Je me fuis établi à Paris
pour y être plus libre qu'à Londres , &
parce que les boulevards y font beaux .
Arrivons au fait . Votre établiſſement de
l'école me plaît , parce que j'aime les arts
qui font vivre & fur- tout les enfans . Je
fuis fâché que vous ayez oublié les filles .
J'en ai qui ne font pas tout- à- fait à moi ;
mais j'en prends foin . L'idée de votre
concert eft bonne . J'aime qu'on mette le
Public de quelque chofe dans les amuſemens
qu'on lui propofe . Je vous avertis
donc que fi je le trouve bien exécuté , &
le prix juftement accordé , à un étranger
même , s'il le mérite , je vous enverrai un
billet de so louis à toucher fur mon banquier
. Vous pouvez faire inférer ma lettre
dans les papiers publics , fi vous jugez
à-propos. En attendant occupez - vous à
encourager les arts. C'eft un impôt que
vous mettez fur - tout le monde & perfonne
ne fe plaindra de la taxe . Votre
elimar , vos arts , votre gaîté , vos modes,
JUI N. 1772.
183
vos fpectacles même , fi vous ne cherchiez
pas tant à nous imiter ; quelle banque fr
vous faviez en faire valoir les fonds.
Je fuis , & c.
P ....
A Paris , ce 27 Avril 1772 .
Cette lettre fut écrite , comme on le
voit , deux jours avant le dernier concers.
Il faut que M. P.... en ait été content ,
car les so louis ont été envoyés.
ACADÉMIES.
I.
Affemblée publique de l'Académie royale
des Infcriptions & Belles - Lettres da
mardi 28 Avril dernier.
M. LE BEAU , fecrétaire perpétuel
annonça que M. de Sainte- Croix avoir
remporté le prix dont le fujet étoit l'examen
critique des anciens Hiftoriens d'Alexandre
le Grand.
M. le Beau fit enfuite lecture du fujer
que l'académie propofe pour le prix qui
doit être donné à la S. Martin de l'année
184 MERCURE DE FRANCE.
1773. Il s'agit d'examiner quelsfurent les
noms & les attributs divers de Minerve
chez les différens peuples de la Grèce & de
l'Italie ; quelles furent l'origine & les raifons
de ces attributs. L'Académie invite
les auteurs à rechercher quels ont été les
les temples , les ftatues , les tableaux célèbres
de cette divinité , & les artistes qui fe
font illuftrés par ces ouvrages.
Après ces annonces M. le Beau lat
les éloges hiftoriques de MM . Gibert &
Schoephlin.
1
Le reste de la féance fut remplie par la
lecture , 1 ° . d'un mémoire fur l'origine de
la Noblefe en France , par M. Déformeaux
; 2 °. d'une differtation fur les Jeux
Neméens ; 3 ° . de recherches fur l'origine
des Chevaliers de l'Etoile , par M. Dacier.
I I.
Affemblée publique de l'Académie royale
des Sciences du mercredi 29 Avril
1772 .
>
M. de Fouchy , fecrétaire de l'académie
, a fait l'ouverture de la féance par la
lecture du programme concernant les prix
de l'académie. Le fajet du prix de la préfente
année 1772 , propofé par l'académie
JUIN. 1772. 185
32

étoit de perpectionner les méthodes fur
» lefquelles eft fondée la théorie de la
lune ; de fixer par ce moyen celles des
» équations de cette planète qui font en-
» core incertaine , & d'examiner en par-
» ticulier fi l'on peut rendre raifon par
» cette théorie , de l'équation féculaire
» du mouvement moyen de la lune. » Ce
prix étoit double , c'eft à -dire de 4500 l .
Entre les pièces que l'académie
a reçues ,
elle en a trouvé deux qui , par un mérite
différent , lui ont paru avoir un droit égal
au prix double propofé. L'académie a cru
en conféquence devoir partager ce prix
également entre ces deux pièces. Les au
teurs couronnés font M. Léonar d'Euler ,
affocié étranger de l'académie & membre
des académies de Pétersbourg , de Berlin
& de plufieurs autres ; & de la Grange ,
directeur de la claffe mathématique de
l'académie royale des fciences & des bel-
'les -lettres de Pruffe , & membre de la fociété
royale des fciences de Turin . L'académie
propofe pour le fujet du prix de
l'année 1774 , les deux queſtions fuivantes
:
" 1. par quel moyen peut- on s'affuter
*» qu'il ne réſultera aucune erreur fenfible
» des quantités qu'on aura négligées dans
» le calcule des mouvemens de la lune ?
186 MERCURE DE FRANCE.
» 2º .
20. En ayant égard non feulement à
Laction du foleil & de la terre fur la
» lune , mais encore , s'il eft nécelfaire ,
» à l'action des autres planètes fur ce fa-
» tellite , & même à là figure non ſphérique
de la lune & de la terre peut- on
expliquer par la feule théorie de la gra-
» vitation , pourquoi la lune paroît avoir
» une équation féculaire , fans que la terre
» en ait une fenfible ? »
13
L'académie qui connoît la difficulté
des deux questions qu'elle propofe , n'en
exige pas une folution complette ; elle
defire feulement que les auteurs approfondiffent
& perfectionnent relativement
à l'une & à l'autre queftion , l'analyfe fur
Jaquelle eft fondée la théorie de la lune ;
& elle fera fatisfaire qu'on ajoute quelques
vues nouvelles à ce qui a déjà été
fait ou tenté fur ces deux objets .
Après la lecture du programme concer
nant les prix , M. Lavoifier lut un mé
moire fur des expériences faites en commun
avec MM. Macquer & Cader concernant
l'action d'un grand feu appliqué
aux diamans. La première de ces expérien
ces a confifté à expofer à un feuviolent 19
grains , poids de marc , & un peu plus , de
diamans de differentes groffeurs & couJUIN.
1772. 187
leur dans une cornue de grès pour favoir fi
l'on en pourroit retirer quelque chofe , ſoit
par distillation , foit par fublimation . Les
diamans ont refifté pleinement à cette
épreuve, il ne s'en eft rien féparé, & on les a
retrouvés après l'opération de même poids
qu'auparavant. Dans la feconde expérien
ce on a expofé deux carats , poids de carat
, de diamans fournis par M. Maillard ,
joaillier,au plus grandfeu de fufion pendant
près de fix heures. Ces diamans avoient
été enfermés par M. Maillard dans un
petit creufet au milieu de la poudre de
charbon , & ce petit creufet placé dans
deux autres creufets , le tout bien latté &
garni d'argille , & féché avec foin pour
qu'il ne s'y fît point de fentes. Cet appareil
eft refté expofé à la plus grande ardeur
du feu jufqu'à ce que les creufets &
leur lut commençaffent à fe déformer , à
fe fondre & à fe vitrifier. Ces creufets
ayant été enfuite refroidis lentement juf
qu'à ce que l'on pût les manier , & calfés
avec précaution , on en a retiré tous les
diamans fains , entiers & fans aucune diminution
de leur poids ; & la poudre de
charbon s'eſt trouvée auffi noire qu'auparavant.
Il réfulte de ces expériences , &
fur tout de la feconde dans laquelle le feu
188 MERCURE DE FRANCE.
a été pouffé très long tems , & à la dernière
violence , que les diamans ne peuvent
s'aktérer ou s'évaporer par l'action du
feu , à moins que cette action ne foit aidée
du concours de l'air.
La lecture de ce mémoire a été fuivie
de celle du mémoire de M. le Gentil ,
contenant un extrait de la relation du
voyage & du féjour qu'il a fait aux Indes
pour y obferver les deux derniers paffages
de Vénus fur le difque du foleil .
L'académie entendit enfuite la lecture
d'un mémoire de M. Malouin fur le feu ;
& d'un autre mémoire de M. le Roy fur
une nouvelle machine d'électricité par le
moyen de laquelle on peut faire paroître
à volonté & três facilement tous les phénomènes
électriques , tant ceux qui proviennent
de l'électricité en plus ou par
condenfation , que ceux qu'occafionne l'électricité
en moins ou par raréfaction .
I I I.
Académie Royale de Chirurgie .
Le jeudi 30 Avril , l'Académie royale
de Chirurgie a tenu fa féance publique à
laquelle a préfidé M. de la Martiniere ,
confeiller d'état , premier chirurgien du
JUIN. 1772. 189
Roi . Le prix double fur la queftion propofée
concernant les inconvéniens qui ré-
Jultent de l'abus des onguens & des emplå
tres , & la réforme dont la pratique vulgaire
eft fufceptible , à cet égard , dans le traite
ment des ulcères , a été réſervé pour l'année
1774 , avec promeffe d'un prix triple ;
c'eft à dire d'une médaille d'or de la valeur
de soo liv . & de cent piftoles en argent ,
pour celui qui aura le mieux traité le même
fujet.
Le prix d'émulation , qui eft une médaille
d'or de la valeur de soo 1. a été accordé
à M. Favier , élève en chirurgie à
l'Hôtel- Royal des Invalides , & les cinq
médailles d'or de 100 liv . ont été adjugées
à M. Barral , lieutenant de M. le premier
chirurgien du Roi , à Saint - Etienne
en Foreft ; à M. Leclerc , maître en chirur
gie de la même ville ; à M. Boucher, maî
tre ès-arts & en chirurgie à la Fléche , à M.
Nollefsot , fils , ancien chirurgien , aidemajor
des armées du Roi , maître en chirurgie
à Vitri-le François ; & à M. Colon ,
chirurgien-major du régiment Royal - la-
Marine.
Après la diftribution des prix M. Louis ,
fecrétaire perpétuel de l'académie , a pro.
noncé l'éloge de M. Pibrac , écuyer , che190
MERCURE DE FRANCE .
valier de l'Ordre de St Michel , directeur
de l'Académie royale de chirurgie , chirurgien
-major de l'Ecole Royale Militaire,
ancien premiet chirurgien de la Reine
II , Douairière d'Eſpagne .
M. Gourfand a lu un mémoire fur les
plaics de tête avec fente au crâne . M. Bordenave
a fait lecture d'un précis d'obfervations
fur les plaies tranfverfales de la
gorge ; M. Pevrilhe a fait part de fes réflexions
fur la fontanelle des enfans nouveaux
nés ; & M. Sabatier a terminé la
féance par des recherches hiftoriques fur
La cure radicale de l'hydrocèle.
L'Académie a propofé pour le prix de
l'année 1773 , la queftion fuivante :
Quelle eft dans le traitement des maladies
chirurgicales , l'influence des chofes
nommées non naturelles ?
ARTS.
GRAVURES.
I.
Coftumes des anciens Peuples, par M. Dandré
Bardon , profeffeur de l'Académie
royale de peinture & de fculpture ; reJUI
N. 1772. 191
cueil in-8 °. premier & fecond cahier.
A Paris , rue Dauphine , chez Ch. Ant .
Jombert , père ; Louis Cellot , impri
meur ; Claude- Ant. Jombert , fils ainé.
LESES ufages religieux des Grecs & des
Romains forment la matière des premiers
cahiers du cofturne des anciens peuples.
Chaque cahier eft compofé de douze planches
qui remettent devant les yeux des
images exactes d'ufages , de moeurs , de
vêtemens & autres objets dont on ne peut
acquérir la connoiffance par une fimple
lecture. Ces images font copiées d'après
les monumens antiques , d'après des études
faites en Italie par les plus habiles artiftes
, & quelquefois d'après les defcriptions
que nous en ont données les anciens
hiftoriens ; ce qui exigeoit de la part
de l'éditeur beaucoup de patience , de
travail & de critique , & épargnera au lecteur
des foins , des recherches & des dépenfes.
Les explications jointes aux gravures
font précifes , exactes & raifonnées.
Le favant profeffeur y a fouvent répandu
des réflexions utiles , néceffaires même
aux élèves de l'art de peindre& de fculpter,
& intérellantes pour tous ceux qui s'adon
nent à l'étude de l'antiquité.
192 MERCURE DE FRANCE
I I.
Galerie Françoife , ou portraits des Hommes
& des Femmes illuftres qui onc
paru en France , in -fol. N° . v . A Paris ,
chez Hériffant , fils , rue des Foffés de
M. le Prince.
Cette galerie qui fe continue avec fuccès
nous offre dans ce cinquième cahier les
portraits du Maréchal de Belle - Ifle , de
Paul Charles Lorry , profeffeur en droit ,
de Profper Jolyot de Crébillon , poëte tragique
, de François Boucher , premier
peintre du Roi , & de Charles François
Panard , auteur de plufieurs opéra comiques.
Ces portraits ont été gravés avec
foin par les Srs Mellini , Ingouf , Moitte,
Boffe & Miger. Les éloges qui accompagnent
ces portraits intérefferont particu
lièrement par le foin qu'a pris l'éditeur
de rapporter les faits qui contribuent le
plus à peindre les vertus ou les talens du
perfonnage dont le burin nous offre le
caractère de phyfionomie . Lorfqu'il eſt
queftion d'un homme de lettres , on a cherché
principalement à nous faire connoître
fon genre de talens & fa tournure d'efprit
par plufieurs traits tirés de fes écrits ; ce
qui
JUI N. 1772. 193
qui jette autant d'agrément que de variété
dans cette fuite d'éloges hiftoriques .
On publie auffi chez le même libraire
le vie . cahier de cette Galerie Françoiſe
in fol. avec des portraits gravés . Ce dernier
recueil foutient le fuccès des preiniers
; il renferme les portraits & l'hiftoire
de M. le Chancelier d'Agueffeau , de
Madame de Grafigni , de M. Clairault ,
de M. Racine le fils , de M. Servandoni,
Ainfi les noms célèbres , & les perfonnes
diftinguées fe rapprochent dans l'eſtime
publique & feconfondent dans la reconnoiffance
de la Nation qui aime à ſe rappeller
leurs fervices ou leurs talens . Les
gravures font faites avec beaucoup de
foin , & l'hiftoire eft écrite avec beaucoup
d'intérêt. On retrouve avec plaifir dans.
la gravure les traits qui font la reſſemblance
, & dans l'hiftoire les anecdotes qui
peignent l'ame & le caractère.
I I I.
Le Temple de Gnide , nonvelle édition
avec figures , gravées par N. le Mire ,
des Académies de Vienne en Autriche
& de Rouen , d'après les deffins de Ch.
Eifen , le texte gravé par Droüet. A
I
194
MERCURE DE FRANCE.
Paris , chez le Mire , graveur , rue St
Etienne -des - Grecs , avec privilége du
Roi , 1772 , grand in - 8°. 12 liy. & in-
4°. 15 liv. en feuilles .
Cet ouvrage , dédié à S. M. Britanni .
que , méritoit bien , par la réputation
univerfelle dont il jouit , les honneurs du
burin , les planches font au nombre de
douze , y compris le titre & les armes :
les fujets repréfentés font d'un bon choix
& d'un bel effet ; le médaillon hiſtorié de
M. de Montefquieu compofe le frontifpice
; le texte eft gravé très nettement &
très également , enfin M. le Mire n'a rien
négligé pour rendre cette édition digne
des amateurs , dont il eft connu & accueilli
.
V.
Le Modèle honnête , eftampe d'environ 17
pouces de haut fur 13 de large , gravée
à l'eau-forte , par J. M. Moreau le
jeune , & terminée au burin par J. B.
Simonet d'après le tableau original
peint à la gouaffe par P. A. Baudouin,
Peintre du Roi. A Paris , chez Moreau
le jeune , cour du Palais , & chez
Madame Baudouin , au Louvre ; prix
8 livres.
JUI N. 1772. 195
Ce tableau que le public fe rappelle
d'avoir vu au Salon du Louvre en 1769 ,
eft un de ceux de feu Baudouin , dont la
compofition eft la plus agréable & la
plus ingénieufe. On remarque fur tout
avec intérêt la louable répugnance que
témoigné une jeune fille à fe voir nue
au milieu de l'attelier où la mifère l'a
conduite pour fervir de modèle . Il y a
dans cette fcène beaucoup d'acceffoires
rendus avec une fineffe de pointe & une
délicateffe de burin qui flatteront l'amateur
& lui rappelleront le faire gracieux
du tableau original.
1
V I.
L'Espagnol. Cette eftampe eft d'environ
huit pouces de hauteur & cinq &
demi de largeur. Elle repréfente un jeune
homme dans l'habit Efpagnol . La figure
eft très- gracieuſe & rendue par M.Flipart,
d'après un tableau de Grimou , avec
beaucoup d'art & de délicateffe . A Paris ,
chez Flipart , Montagne Sainte Geneviéve
, chez M. Levié , Marchand Orfévre.
Chenu , graveur , rue de la Harpe , vis-àvis
le café de Condé , diftribue le portrait
de M. Jacques Dumont de Valdajon
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
chirurgien Renoueur de S. A. R. Mgr le
Comte de Provence. Ce portrait qui eft
vu des trois quarts a été gravé par M.
Chenu , d'après le tableau original de
M. le Sueur . L'eftampe a environ douze
pouces de haut fur huit de large ; prix
I l. 16 f.
24
VII.
Nouveau Calendrierperpétuel.
L'arrangement des différentes parties
de ce Calendrier , l'exactitude de fes
réſultats , la beauté de fon exécution , &
fon utilité devenue plus générale par une
courte expofition de la manière de s'en
fervir , ont mérité l'approbation de MM.
de l'Académie des Sciences , & les fufftages
de plufieurs autres fçavans qui l'ont
examiné avec foin . Sa forme eſt nouvelle
, & fon ufage s'étend à plus de fix cens
ans . On peut le faire encadrer à peu de
frais , & par- là fe procurer un ornement
auffi inftructif que folide & agréable ,
pour toute forte de cabinets , fallons ou
galeries . Le prix de ce calendrier eft de
4 liv. 4 f. enluminé , & de 3 12 f. non
enluminé. On y a joint une explication
qui fera délivrée gratis à ceux qui vou-
Bront fe le procurer . A Paris , chez le Sr
JUIN.
1772. 197
Tiffot , rue des Deux - Portes St Severin ,
à l'hôtel d'Orléans .
ARCHITECTURE.
RÉPONSE aux obfervations de M. Paite .
A Dijon , le Mai 1772.
M. je ne veux point traiter la queſtion que
M. Patte a propofée en 1770 fur la conftruction de
la coupole de l'égliſe de Ste Geneviève comme un
procès, ainfi je ne répondraipoint en détail à routes.
les obfervations qu'il a faites far mon ouvrage ,
& que vous avez inférées dans votre dernier Mercure
; mon projet n'a point été de le convaincre :
mais comme il m'accuſe d'avoir voulu rectifier les
principes reçus , d'avoir avancé que le formules
des fçavans fur la pouflée des voûtes méritoient
peu d'attention , & qu'il n'y avoit point de règles
certainespour bâtir avecfolidité , enfin d'avoir établi
des fyftêmes , & c. je crois être obligé de faire
voir que ces imputations font dénuées de tout
fondement.
J'ai fi peu voulu rectifier les principes & les
formules reçues , que pour démontrer la confiance
qu'elles méritent , & que M. Patte vouloit luimême
leur faire perdre , en y ayant fi peu d'égard
qu'il s'en eft écarté jufqu'à doubler leur réſultat ,
j'ai difcuté les hypothètes fur lefquelles elles font
établies , pour faire voir que les auteurs avoient
tout prévu ; c'eft dans cette même vue que j'ai
fait remarquer que le frottement , qu'ils avoient
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fuppofé nul , donnoit cependant beaucoup d'avantage
à la puiffance iéfiftante ; & que j'ai conclu
que quand on diminueroit de quelque chofe
l'épaifleur trouvée par le calcul , on ne devroit
pas regarder comme une vérité incontestable
qu'une voûte s'écrouleroit infailliblement pour
cela ; mais on fent aflez que je n'ai point voulu
dire par - là qu'il faudroit diminuer les épaiffeurs
trouvées par les formules ; j'ai dit au contraire
(page 4 & 40 ) qu'il falloit fuivre ces formules
avec exactitude , & je ne m'en fuis écarté nulle
part.
Je ne puis voir où M. Patte a trouvé dans mon
mémoire que l'on pouvoit diminuer ces épaiffeurs
de près de moitié ; car dans la note 5º . où je refouds
le problême fur le frottement , je ne trouve
qu'un fixième de diminution fur l'épaifleur pour
mettre les deux puiflances en équilibre ; & je n'ai
point dit qu'il fallût s'en tenir à cet équilibre : je
fais qu'il faut que dans les conftructions les puiffances
réfiftantes foient plus fortes que les puiffances
agiflantes ; auffi loin d'avoir rien ajouté
au- delà de l'épaiffeur trouvée pour l'équilibre
dans mes calculs , il n'y en a pas un feul où cette
épaiffeur n'excède réellement & fouvent de beaucoup
celle qui feroit néceflaire , fans avoir même
égard au frottement ; & fi j'ai paru avoir égard
à ce frottement dans les notes 17 & 19 , ce n'eft
qu'après avoir fait auparavant les calculs ( notes
16 & 18 ) fans confidérer ces frottemens , & après
avoir démontré que dans le premier cas la puiffance
réfiftante était d'une moitié au- deflus de
la puiffance agilante , & dans le fecond qu'elle
en étoit le triple.
Dans les notes 24 , 22 , 25 , 21 , où j'ai fait des
JUI N. 1772 : IN.
199
calculs pour la pouflée des voûtes , on voit que
la puiflance réfiftante eft du quart du tiers , de
plus du tiers , & du double plus forte que la puif
Lance agillante.
Je ne devois pas non plus m'attendre au repro
che que me fait M. Patte , d'avoir confidéré les
voûtes dans les circonftances les plus avantageu-
Jes pour la pouffée , lorfque j'ai fuppolé (pag 41,
42 , 43 ) que la voûte inférieure feroit maflive &
non pas faite à la légère ; que la tour du dôme
n'auroit aucune liaiſon vers le milieu des fenêtres
& qu'elle feroit fendue verticalement en huit para
ties ; lorſque je n'ai eu aucun égard pour foutenir
cette pouflée ni aux contreforts , ni aux maf
fifs du dôme , ni à fon focle quarré qui lui fert
d'empatement , quoique M. Patte prétende que
je veuille qu'il n'ait aucun empatement ; lorfque
j'ai fuppolé (pag. 51 ) que les piliers de l'égliſe ne
fe voient contrebuttés par aucun mur par aucune
voûte , par aucune plattebande , & ( pag. 53 ) que
le tambour & les panaches feroient fendus du haut
en bas dans l'endroit où ils font liés dans toute
leur hauteur , il auroit dû faire actention que je
fuppofe en tout des cas plus défavantageux que
ceux même qu'il m'oppofe à préfent , je ne charge
pas la puiflance de rompre le mur de la tour
quoiqu'il faille pour cela une très - grande force
par rapport à la liaifon des matériaux , mais je
luppole ces murs rompus ou fans liaiſons même
avant la pouflée .
Quoique je me fufle propofé , pour éviter les
difcuffions , de ne point répondre aux objections
que M. Patte pouvoit me faire , je ne peux cependant
me refufer de l'avertir que dans le feul de
mes calculs qu'il ait prétendu réformer , il ne s'eft
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
pas apperçu qu'il prononçoit abfolument contre
Jui même; en effet i le poids qui porte fur le panache
eft en bafcule , il rendra à renverser le pilier
du côté de l'intérieut du dôme , tandis que
l'effort de la pouflée des arcs doubleaux de la nef
tend au contraire à le renverfer du coté de l'extérieur
; par conféquent ces deux actions étant oppofées
ne doivent point être ajoutées , mais devroient
au contraire être retranchées l'une de
l'autre. Il ne s'eft point apperçu qu'il eft question
dans cet endroit du centre commun de gravité du
pilier joint à la partie du dôme qui eft appuyée
fur ce pilier , & non pas de cette partie du dôme
feulement.
Il n'a point vu non plus que fi dans ma note 22e
j'avois confidéré la rupture de la voûte fphérique
au -deffous du milieu des reins , je n'aurois pas
choifi le point le plus défavantageux , & j'en ai
averti , page 49.
Si les ceintres que l'on peut laiffer fous une
voûte jufqu'à ce que les tortiers foient durcis
chargent perpendiculairement les piédroits , cette
charge mérite peu de confidération en comparaifon
de la pouflée qu'ils empêchent ; cette remarque
a été faite par M Patte lui même dans fes
mémoires fur l'architecture : cela n'empêche pas
d'ailleurs que , fuivant l'ufage , l'on ne décalle
peu- à - peu les ceintres pour laiffer prendre aux
vouffoirs leur taflement.
S'il falloit une force foutenante dans l'intérieur
d'un dôme , la voûte ne tendroit donc pas à renverfer
les murs du côté de l'extérieur . Ne fait- on
pas que dans une tour , dans une voûte ſphérique
, toutes les pierres font clef fur chaque affife
& le foutiennent mutuellement fans tomber malgré
la bafcule.
JUI N. 1772 .
201
J'ai difcuté dans mon mémoire tous les exemples
que M. Patte a cités ; j'ai fait voir les raisons
pour lesquelles on avoit donné à ces dômes & à
leurs piliers les dimenfions qu'ils ont , & j'ai démontré
que les piliers de Ste Geneviève étoient ...
dans des proportions plus fortes que quelquesuns
d'eux relativement à la pouflée des arcs ; j'ai
cité un exemple d'un dôme dont les épaifleurs
font très-foibles , & je n'ai point avancé que les
coupoles les plus eftimées ne méritoient aucune
attention.
Lorsque j'ai cherché à exaininer le problême
propofé par M. Patre , ce n'étoit certainement pas
pour eflayer de raffurer le Public contre les aflertions
de cet auteur fur la poffibilité de l'exécution
de la coupole de Ste Geneviève ; je lavois trèsbien
que les gens
inftruits ne pouvoient avoir làdeflus
aucun doute , mais j'ai cru l'examen de
cette question utile au progrès de l'architecture ,
& fi je ne me trompe , on aura toujours à M. Patte
l'obligation d'avoir attiré l'attention des architectes
& des conftructeurs fur les principes mathématiques
qui font du reffort de leur art , &
de les avoir mis dans le cas d'en faire ufage, pour ,
fe rendre compte de la folidité de leurs ouvrages
avant que de les exécuter.
Je fuis , &c.
}
i
GAUTHIY.
33
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
A l'Auteur du Mercure.
Il s'eft répandu dans le monde , Monfieur , &
l'on a même imprimé dans quelque gazette étran
gère , qu'un homme de lettres , connu par des ou
vrages juftement eftimés , étoit l'auteur d'une
grande partie de la traduction que j'ai publiée de
T'hiftoire de Charles Quint.
Je n'attache certainement aucune importance à
cette traduction ; je n'y ai pas mis mon nom & il
n'a pas tenu à moi que je n'en fuffe point connu
pour l'auteur. La gloire qu'on peut retirer d'une
traduction médiocre ne vaut la peine ni d'être
partagée ni d'être difputée ; & je ne me ferois jamais
avilé de revendiquer la propriété de cet ou
vrage , fi l'on pe m'avoit accuſé d'avoir voulu me
faire honneur du travail d'autrui .
Il eft vrai que l'homme de lettres qu'on a défigné
avoit traduit une partie de Charles - Quint ,
& que j'ai eu fon manufcrit entre les mains avec
la liberté d'en faire ufage ; mais il eft vrai auffi
que , pour des raifons inutiles à détailler ici , ce
n'eft pas fa traduction qui a été imprimée , & que
celle que j'ai donnée au Public eft très différente
de la fienne .
Son manufcrit , qui eft resté entre mes mains
me met en état de démontrer ce que j'avancé ;
mais je n'ai besoin que de fon propre témoigna
ge , & il me l'a donné par écrit . Il eft d'ailleurs
trop honnête pour avoir eu aucune part au bruit
ridicule qui s'eft répandu contre moi.
J'ai l'honneur , &c.
SUARD.
A Paris, le 16 Mai 1772 ,
JUI N. 1772 .
203
ANECDOTES.
I.
UNE Abbeffe étant curieufe de voir
Madame la Palatine de Baviere , Abbefle
de Maubuiſſon , mais inquiéte fur la préféance
& le rang , lui fit demander fi la
droite lui feroit donnée . Depuis que je
fuis Religieufe, dit Madame la Palatine, je
ne connois ni la droite ni la gauche que
pourfaire lefigne de la Croix.
I I.
Le Baron de Serac fe vantoit d'une
chofe fort fingulière & fort glorieuſe , de
s'être trouvé dans trois batailles rangées ,
d'y avoir combattu main à main contre
trois Rois ; fçavoir , les Rois de Polode
Suéde & de Dannemarck , &
d'avoir remporté des marques de lesavoir
vús de fi près , leur ayant enlevé à l'un fon
bonnet , à l'autre fon écharpe & à l'autre
un de fes piftolets .
gne ,
III.
Un Seigneur alla voir le premier Pré-
I vj
104 MERCURE DE FRANCE.
fident du Harlay pour lui parler d'une affaire;
il étoit accompagné de fon avocat
qui expliqua au premier Préfident ce
dont il étoit queftion , M. de Harlay lui
répondit fort féchement . Le feigneur.fe
retira & l'avocat qui le faivoit prononça
à demi-voix ces paroles de David , à facie
frigoris ejus quisfuftinebit? Le premier
Préfident qui avoit l'oreille fine , lui dit :
Avocat , allez dire vos pfeaumės plus loin.
I V.
Il y a une comédie de Sancho Pança
de Dufrefny. Elle n'eft point imprimée
dans fes oeuvres . Le Duc dit à la fin de la
pièce , je commence à être las de ce Sancho
; & moi auffi , reprit auffi tôt un plaifant
du parterre. Ce brufque jugement
fut confirmé par celui du Public , & l'anteur
n'ofa pas en appeller..
V.
M. le premier Président de Beliévre
étoit un homme d'un grand mérite & de
très-bonne compagnie. Il aimoit la bonne
chère & fe piquoit d'avoir le meilleur vin
de Paris. Un jour , fortant de la grand'-
chambre , il trouva M. le Comte de FiefJUIN.
17728 205
que avec MM. de Manicamps & de Jonfac
qui l'abordèrent avec un placet à la
main , dont la teneur étoir : « Nous fup-
"
"
·
plions très humblement Monfeigneur
» le premier Préfident , de vouloir or
» donner à fon maître d'hôtel de nous
» donner fix bouteilles de fon excellent
» vin de Bourgogne , que nous comptons
» boire ce foir à tel endroit à la fanté de
» fa Grandeur. » M. de Beliévre , avec un
air de grave Magiftrat , prit fon crayon &
mit fur le placet : Bon pour douze bouteil
les , attendu que je m'y trouverai.
AVIS.
I.
TABLE ABLE d'efcompte à 5 pour cent par an , trèsutile
à tous négocians , banquiers , caiffiers & autres
perfonnes d'affaires & marchands.
Cartes de l'Inde , ornées de dix - huit plans des
villes les plus confidérables de l'Inde avec le plan
de la ville du Cap de Bonne Efpérance , de l'Ifle
de Ste Helene , St Yago ; & avec un plan du fiége
du Maduré , formé par les Anglois & défendu par
le chevalier Marchend.
Plan routier de St Cloud , très détaillé . A Paris,
chez Croifey , graveur , en entrant à gauche du
côté du Pont Neuf, entre un Pauffier & un Coffretier
, rue Dauphine.
206 MERCURE DE FRANCE.
1
1 1.
Le Sieur Geoffroy vient de donner au Public
une brochure par laquelle il prouve que la paralyfie
, la folie & l'épilepfie , que l'on a regardé
jufqu'à préfent comme incurable, ne le font point,
par les différentes guérifons qu'il vient d'opérer
dans les différens hôpitaux de la ville de Marfeille
, en préfence de MM. les Médecins & Chirurgiens
defdits hôpitaux. Ceux qui auront befoin
de ces remèdes pour la guériſon de ces trois
maladies peuvent s'adreffer aux premiers Commis
des bureaux des poftes à lettres des grandes villes
du royaume , qui le leur procureront.
Discours prononcés par M. le Marquis
de Paulmy, Chancelier de l'Ordre
de St Lazare , le 9 Mai 1772 , lorfque
la Députation de l'Ordre a été complimenter
Mgr le Dauphin comme ancien
Grand Maître , & M. le Comte de Provence
comme nouveau Grand-Maître.
B A Mgr LE DAUPHIN.
MONSEIGNEUR ,
Les Ordres de Notre - Dame du Mont Carmel
& de St Lazare viennent vous offrir leurs hom
mages & vous témoigner leurs regrets .
JUI N. 1772. 207
Vous renoncez , Monſeigneur , au titre de leur
Grand Maître , Titre que vous avez porté dès
votre plus tendre enfance , & avec lequel nous
Vous avons vu croître , pour le bonheur de la
France , la gloire & l'avantage de nos Ordres.
N'oubliez pas du moins , Monfeigneur , que
nous vous avons été attachés pendant quinze ans.
à un Titre particulier.
Que vous avez été notre protecteur spécial ;
que nos intérêts vous ont été perfonnels , & que
parmi la foule des peuples deftinés à devenir vos
fujets , il eft une claffe de gentilshommes & de
citoyens dont l'inftitution méritera toujours de
votre part une attention diftinguée.
Nous ne renoncerons jamais , Monseigneur ,
au vou folemnel de refpect & d'obéiffance que
nous avons fait entre vos mains.
A Mgr LE COMTE DE PROVENCE.
MONSEIGNEUR ,
Les Ordres de Notre-Dame du Mont Carmel &
de St Lazare s'empreflent à vous rendre les hommages
& les refpects qu'ils doivent à leur Grand
Maître ; leurs voeux les obligent à vous porter
honneur & obéiffance , & quand nous ne ferions
que François , que ne vous devrions - nous pas ,
Monfeigneur; mais permettez- nous d'ajouter quefi
vous acerez aujourd'hui de nouveaux droits
fur nous , nous acquérons auth für votre protection
les droits les plus juftes , les plus forts , les
plus particuliers ; Yous devenez notre Chef, Nous
208 MERCURE DE FRANCE.
protéger fera dorénavant une de vos obligations,
& elle fera confignée dans le ferment que vous
prêterez bientôt entre les mains du Roi & devant
les Autels.
Nous ne tarderons pas à réclamer une protec
tion qui nous fera fi chère , en vous faifant connoître
, Monfeigneur , l'origine illuftre , l'inftitution
refpectable , l'utilité réelle des Ordres que
vous allez gouverner , nous vous ferons fentir
combien il eft intéreflant de chercher à les relever
de plus en plus , de les mettre en état de remplir
avec honneur leurs obligations & de rendre à la
Noblefle les fervices effentiels qu'elle attend de
deux Ordres fortis de fon fein & compofés de fes
membres ,
Piété , Valeur , Honneur , Charité.
Tels font nos devoirs , telles font les règles que
vous devez nous faire rigoureufement obferver.
Nos voeux en contiennent le précepte. Vous nous
en donnerez , Monfeigneur , l'ordre & l'exemple,
& nous admirerons en vous notre modèle en révérant
notre Grand - Maître .
REPONSE de Mgr le Comte de Provence
à la Députation de l'Ordre de St Lazare
, le 9 Mai 1772.
JE fuis charmé que le Roi m'ait choif pour être
à la tête d'un Ordre compofé d'une Noblefle fi
précieuſe à l'état , qui m'eft en particulier aufli
JUI N. 1772 . 209
chère , & à qui je ferai fort aife de donner dans
toutes les occafions des marques particulières de
mon affection .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Caire , le 30 Mars 1772.
ALI-Bey vient de faire un acte de juſtice qui a
redonné de l'activité au commerce. La nouvelle
monnoie qui avoit été fabriquée fous fon gouvernement
étoit tellement décriée , qu'on refufoir de
la recevoir & qu'elle avoit fait hauffer le prix de
toutes les marchandi fes qu'on donnoit en échange.
Le Caïmacau a fupprimé cette monnoie & a fait
publier une ordonnance portant que déformais
dans aucun marché l'on ne pourra traiter en aus,
tres espèces qu'en piaftres. L'égalité eft par là rétablie
entre les gens du pays & les négocians Européens
que les premiers forçoient de recevoir
cette monnoie , tandis qu'ils la refufoient euxmêmes.
De Conftantinople , le 25 Mars 1772 .
Quoique la Flotte Ruffe foit affoiblie par la diminution
de les équipages , qui ont été attaqués
d'une maladie épidémique , il s'en eft montré difa
férentes divifions dans plufieurs endroits de l'Archipel
Il y a apparence qu'elle fe hâtera de rega
gner Livourne , s'il eft vrai , comme on l'aflure en
cette ville , qu'il doit y avoir un armistice entre la
Ruffie & la Porte.
On étoit inquiet dans cette ville fur l'apparition
210 MERCURE DE FRANCE.
de quinze voiles Ruffes devant l'ifle de Tenedos :
on craignoit que cette efcadre n'interceptât le convoi
de bleds qu'on attendoit de Salonique , & le
peuple a reflenti la plus grande joie en voyant arriver
fix bâtimens chargés de cette dentée . Le
Grand Seigneur a voulu être témoin lui - même
de leur entrée dans le port & il s'eft rendu , avec
toute la cour , à Yali Kiosk , pavillon fur le bord
de la mer. On vient de fréter deux navires pour
aller à Orlano ( fime ) prendre du bled appartenant
à divers particuliers . Cet approvifionnement
qui devenoit de jour en jour plus néceffaire , nous
met dans le cas d'attendre , fans inquiétude , la
nouvelle de la fignature de l'armistice dont on ne
doute plus dans ce pays.
De Snyrne , le premier Avril 1772 .
Le zo du mois dernier , quatre vaifleaux Rufles
ont brûlé à Kemer ( Cyme , ville d'Ionie ) dans le
golfe de Kardaghi , une demi- galère & deux faïques
chargées de bois de conftruction pour les
chantiers des Dardanelles , & l'on dit qu'ils doivent
également aller mettre le feu à deux ou trois
vaificaux de guerre que la Porte a fait conftruire à
Rhodes.
De Vienne, le 24 Avril 1772.
Il paroît une nouvelle ordonnance de l'Impéfatrice
Reine , dont l'objet eft de garantir les payfans
, qui font encore ferfs en Autriche , des vexations
qu'ils éprouvent fouvent de la part de leurs
feigneurs. Suivant les difpofitions de cette loi , les
fujets qui fe croiront lélés , après avoir fait au
feigneur les repréfentations convenables , pourront
recourir aux Offices des Cercles pour obtenir
JUIN. 1772 . 211
juftice , Sa Majesté attribuant à ces tribunaux la
connoiflance en première inftance des conteftations
de fait qui s'élèveront entre les ferfs & leurs
feigneurs, au fujet des Preftations Dominicales.
Les parties qui ne feront pas fatisfaites de la fentence
des offices des Cercles , auront , pour un
tems limité , la liberté d'en appeller à la Régence
d'Autriche . Dans les cas majeurs , la connoillance
& la décifion en appartiendront directement à la
Régence , fauf le recours au Confeil Suprême de
Juftice. Enfin il eft défendu aux feigneurs d'ufer
de violence & de voies de fait contre les ferfs
fous peine d'être dépoflédés de leurs biens.
Des Frontières de la Silefie , le 29 Avril 1772.
les
Les troupes Autrichiennes ont débouché , le 25,
dans la Petite - Pologne . Le général major comte
Alton y eft entré par la Siléfie & le Jablunka avec
un corps de plus de fix mille hommes qui étoient
cantonnés à Troppau , & le comte Efterhaly y en
a conduit un autre de la même force par gorges
du Mont Krapack. Ces troupes font compofées
de fix régimens de cavalerie , de quatre de houflards & de douze bataillons d'infanterie formant
à peu près quinze mille hommes . On prétend
qu'elles feront fuivies de plufieurs autres
corps tirés de Bohême & de Hongrie & que leur
nombre fera porté à trente mille hommes.
De Vienne , le 29 Avril 1772.
Sa Majefté Impériale & Royale vient de rendre
une ordonnance en vertu de laquelle tous ceux
qui poflédent des prairies , des champs , vignes
forêts ou autres terreins , dans l'étendue des chaffes
Impériales , ne feront plus gênés dans la jouiffance
de ces pofleflions , pourront y bâtir , fau212
MERCURE DE FRANCE .
eher & faire paître leurs beftiaux , & ne feront
plus expolés aux difficultés qu'ils éprouvoient
auparavant , à caule de la confervation du gibier.
Par une autre ordonnance de l'Impératrice-Reine,
ri eft défendu aux eccléfiaftiques , tant féculiers ,
que réguliers , de faire imprimer à l'avenir aucun
Ouvrage de théologie , fans qu'il ait été foumis à
l'examen de la commiflion de la Cenſure & qu'il
foit muni de la permiffion ordinaire.
De Florence , le 24 Avril 1772.
Le différend qui fubfiftoit entre le Pape & le
Grand-Duc au fujet du droit de nommer à l'arche
vêché de Sienne , vient d'être terminé. Son Altefle
Royale préfentera trois fujets à Sa Sainteté
qui en choifita un pour occuper ce fiége . Les penfions
que le St Père accordoit fur les évêchés de
Tolcane , formoient auffi un objet de conteſta
tion. Il a été convenu que le Pape ne pourra dif
poler de ces penfions qu'en faveur des Sujets du
Grand- Duc. En conféquence de cet arrangement,
le Nonce a eu une audience publique de Son Altelle
Royale .
De Tunis , le 31 Mars 1772.
Le corps des troupes de la Régence , deftiné à
leverle tribut dans les provinces méridionales du
royaume , eft rentré , le 25 de ce mois ; mais ILmaël
Kiaya , qui le commande , s'en étoit léparé
à deux journées de cette capitale avec un détachement
de quatre cens chevaux . On fuppofe , par
la route qu'il a prife , qu'il va forprendre quelque
Nation Arabe dont notre Bey avoit à fe plain.
dre & qu'il a craint de faire fortir du royaume en
annonçant les mesures qu'il prenoit pour la punir
Ce Prince fait déjà travailler au nouvel armement
JUIN. 1772 .
123
qu'il veut envoyer dans les mers du Grand Seigneur
. Il n'a reçu aucune nouvelle d'Aly Capitan
, qui commandoit la flotte de l'année derniè
re : le principal vaiffeau de cette flotte & deux
chebecs qui s'en étoient féparés avec lui , ne font
point encore de retour.
De Cadix , le 21 Avril 1772.
Le navire espagnol l'Oifeau a mouillé , le 17
de ce mois , en cette baye , venant de Honduras
& de la Havane . On a appris , par ce bâtiment ,
que deux frégates de guerre efpagnoles étoient ar
rivées , le 3 du mois dernier , de la Vera- Crux à
la Havane , avec le tréfor que le vaiffeau de guer
re la Caftille doit tranfporter ici . Ce tréfor confifte
en fept millions & demi de piaftres fortes &
40 , oco arrobes de cochenille.
De Copenhague , le 5 Mai 1772 .
1
Tout eft prêt pour le départ de la Reine Caroline
Mathilde. Cette Princeffe n'attend plus , pour
quitter le Danemarck , que l'arrivée des vaiffeaux
Anglois deſtinés à la tranfporter à Stade.
Il n'y a encore rien de décidé fur le fort des
prifonniers d'état. On ne cefle de parler de ceux
qui ont été exécutés. On racontre differentes circonftances
de leur vie & de leur prifon . Les docteurs
Hée & Munter font imprimer chacun un
ouvrage qu'ils ont intitulé : Hiftoire de la conver
fion des Comtes de Struenfee & de Brandt. L'édition
doit s'en faire par foufcription . On y infétrera
un mémoire original du comte de Struenfée
lui même. Ce comte étoit né à Halle , les Août
1737. Son père étoit pafteur de la paroifle d'Ulric;
il fit fes études de médecine à l'Univerfité de
cette ville ; il pafla à Altona , en 1757 , avec lon
214 MERCURE DE FRANCE.
père qui fut élevé à la charge de premier pafteur
avec le caractère de confeiller eccléfiaftique du
Roi . Le fieur de Struenlée fut nommé médecin de
la feigneurie de Pinneberg & du comté de Rantzau
. En 1768 , il fut choifi pour accompagner le
Roi , en qualité de fon médecin , dans les voyages
en Allemagne , en Hollande , en Angleterre
& en France. Le Roi le nomma la même année
fon lecteur . Le 12 Mai 1769 , il fut revêtu dụ
caractère de confeiller d'état actuel & , deux jours
après , de celui de confeiller de conférence , & , en
Décembre 1770 , il fut fait maître des requêtes.
Enfin , au mois de Juillet 1771 , il fut déclaré
miniftre du cabinet , élevé à la dignité de Comte
& fait chevalier de l'Ordre de la Reine Caroline-
Mathilde. Le Comte de Brandt , dont la four a
époufé le chambellan de Beulwitz , étoit fils du
feu confeiller de conférence de Brandt. Il avoit
acquis beaucoup de connoiffances dans les voyages
qu'il entreprit après une première difgrace.
On l'a vu pendant quelque tems à Avignon & à
Paris. Il avoit un gente de gaîté peu ordinaire ,
& il l'a confervé jufqu'aux derniers momens de
la vie. Il avoit paffé fucceffivement par différens
poftes de la cour. Le 15 Juin 1755 , il fut déclaré
gentilhomme de la chambre , enfuite gentilhomme
de la chambre , & chambellan , le 22 Juillet
1769. A l'inftitution de l'Ordre de la Reine Caroline-
Mathilde en 1771 , il en fut créé chevalier
, ainfi que le comte de Struenfée. Dans la
même année , le Roi le nomma directeur des fpectacles
& il fut revêtu de la charge de grand- maî
de la garderobe du Roi & du caractère de confeiller
privé. Au mois de Juillet 1771 , il fut élevé
à la dignité de comte en même tems que le comte
de Struenlée . Il avoient toujours été très- unis.
tre
JUI N. 1772. 215
De la Haye , le 12 Mai 1772 .
Les Etats Généraux viennent de faire afficher
an avis , par lequel les négocians font prévenus
que la guerre étant censée déclarée avec l'Empereur
de Maroc , ils doivent avertir les capitaines
de leurs navires de fe tenir fur leurs gardes contre
les corfaires de Maroc , fans néanmoins com.
mencer les hoftilités : l'Empereur de Maroc a offert
de relâcher quelque chofe de fes prétentions;
mais Leurs Hautes Puiflances n'ont pas encore
voulu confentir à lui céder le refte , de peur que
cette condefcendance ne le rendît plus exigeant
une autre année. On va équiper encore quatre
frégates , pour être en état de bloquer les ports
de l'ennemi , & de donner en même tems des convois
aux navires Hollandois.
D'Amfterdam , le 16 Mai 1772.
On n'eft pas encore revenu de la confternation
dans laquelle le malheur arrivé au ſpectacle , le 11
de ce mois , a jetté cette ville , & on apprend tousles
jours de nouvelles particularités de ce funefle événement.
La petite iffue qui donnoit fur le Prince-
Graat le trouva fermée : on crut devoir fermer
également la principale porte , parce que l'air extérieur
dirigeoit les flammes du côté des fpectateurs.
Cette précaution augmenta le défordre &
le défefpoir. Les domeftiques qui attendoient
dans la cour enfoncèrent cette porte . Plufieurs
d'entr'eux donnèrent des preuves extraordinaires
de zèle & de courage. Il y en eut qui périrent en
fauvant leurs maîtres. D'autres perfonnes qui
étoient déjà forties rentrèrent pour retirer leurs
parens & leurs amis & reftèrent étouffées avec
cur. On remarqua fur- tout l'action génércule
216 MERCURE DE FRANCE.
*
d'un riche Quaker. Après être échappé du danger
, il s'apperçut que la femme n'étoit point avec
Iui. Il cria de toutes les forces , je fuis un tel ;
cent mille écus à celui qui fauvera ma femme.
Comme perfonne n'ofoit plus s'expoler aux flammes
, qui avoient gagné toutes les parties de la
falle , il fendit la preffe , le précipita dans le feu
pour retirer la femme & périt avec elle. L'ingénieur
Rout , architecte de la ville , voyant qu'aucun
des pompiers ne vouloit placer les tuyaux
des pompes , s'avança lui - même fur le théâtre
eut le malheur d'être étouffé . Les flammes fe
portèrent à feize maifons voifines fur - tout à celles
qui étoient fous le vent du côté de la rue ap-
- pellée Runftraat & vers le quai du Prince Graat,
Après que l'intérieur de la falle eût été confumé.
les pompes agirent librement. La plus grande
force du feu dura jufqu'à une heure après minuit
& à quatre on parvint à arrêter l'incendie. Le
nombre des morts eft encore incertain . On le fait
monter à deux cens perfonnes parmi lesquelles il
y en abeaucoup de confidération , & toute la ville
eft plongée dans le deuil & la défolation.
Des Frontières de la Pologne , le 24 Avril 1772.
Après trois mois de la plus vigoureuſe défenfe
, le château de Cracovie a été obligé de capituler.
Le fieur de Choify manquoit de pierres à
fufil & de balles : la bréche étoit ouverte, la porte
brifée ; de trois canons de fer , deux étoient
hors d'état de fervir ; plufieurs officiers & beaucoup
de foldats bleffés ne pouvoient ni fe procu
rer des fecours , ni le joindre au refte de la garnifon
pour repoufler le nouvel affaut qu'on préparoit.
Forcé par ces circonstances , le fieur de
Choify
1
JUI N. 1772. 217
י ו
Choily a cru devoir accepter la capitulation qui lui
été offerte par le général Zuvarów.
De Londres , le 8 Mai 1772.
Le fieur Poufchin , miniftre de l'Impératrice de
Ruffic à cette Cour , notifia , le 30 du mois dernier
, au Ministère Britannique l'ariniftice & la
fignatufe des préliminaires de paix entre la Ruffie
& la Porte.
Il doit partir inceffamment une efcadre , compofé
de deux frégates & d'une corvette , pour
alle prendre en Danemarck la Reine Carolineathilde
& la conduire dans l'Electorat d'Hanovre
, où il eft décidé que cette Princefle fe retirera.
Elle habitera le château de Gorder , trèsbelle
maiſon de campagne appartenant à Sa Ma-
Jeflé. Le Roi de Danemarck lui fera une penſion
proportionnée à fon rang & à fa naiflance . Cette
Princeffe fera accompagnée jufqu'à Stade par quelques
perfonnes de fa cour ; elle en gardera auprès
d'Elle deux qu'Elle a demandées.
Le 29 du mois dernier , le Duc de Beaufort tine
loge de Francs Maçons pour l'élection du nouveau
grand- maître de l'année prochaine. La faction
du fieur Dillon , lieutenant du grand-maître,
le même qui préſenta dernièrement une requête
au parlement pour l'incorporation de cette Société
, mit fur les rangs le lord Petre , & les oppofans
à cette incorporation donnèrent leurs fuftrages
au général Salter. Il y eut , à cette occafion , de
vifs débâts entre les deux partis. Pour les concilier
, on propofa de fupplier le Duc de Cumberland
d'accepter cette place. Cet avis fut reçu d'abord
avec un applaudiflement général ; mais après
de nouvelles difcuffions , le lord Petre fut élu
K
218 MERCURE DE FRANCE.
grand maître. Il y avoit dans la galerie un nombre
prodigieux de Dames , & l'on avoit raſſemblé
les muficiens des deux théâtres , qui exécutèrent
différentes fymphonies & chantèrent des odes à la
louange de la Maçonnerie. La fête donnée à cette
occafion fut très brillante.
Les frégates deftinées à aller prendre , en Danemarck
, la Reine Calorine- Mathilde pour la tranf
porter à Stade , font encore retenues aux Dunes
par les vents contraires .
De Marseille , le 18 Mai 1772.
L'Amiral Anglois , arrivé à Ville-Franche , le
premier de ce mois , a remis au capitaine Jervis ,
commandant la frégate l'Alarme , une lettre &
une caifle avec ordre de la porter , en toute dili
gence à Marseille au fieur Pléville le Pelley , lieutenant
de vaifleau & du port , lequel , à pareil
jour , premier Mai de l'année dernière , lauva
cette même frégate l'Alarme lorsqu'elle étoit fur
le point de périr. La lettre des Officiers de l'Amirauté
de l'Angleterre étoit conçue en ces termes :
Vos fervices , Monfieur , envers la frégate ont
excité notre admiration & notre reconnoiffance.
» Votre courage , votre prudence , votre intelligence
, vos talens ont mérité que la Providence
- פ כ
59
>> Couronnât votre zèle . Le fuccès a fait votre récompenfe
; mais nous vous prions d'agréer ,
» comme un hommage rendu à votre mérite &
& comme un gage de notre eftime & de notre
» reconnoiflance , ce que le fieur Jervis eft chargé
»de vous remettre de notre part. » La caifle renfermoit
différentes pièces de vaiffelle d'argent tichement
cifelées , parmi lesquelles il y avoit un
yaſe chargé d'ornemens relatifs au ſervice rendu
par le fieur Pleville le Pelley. On voyoit , d'un
JUIN. 1772 . 219
côté les armes d'Angleterre , & de l'autre , cetre
infcription latine : Georgio - Renato Preville le
Pelley, nobili Normanno Grandivillenfi , Navis
bellica Portufque Maffilienfis pro- Prafecto , ob
Navem Regiam in littore Gallico periclitantem
virtute , diligentiâquefuâ , fervatam ; Septem Vi
ri Rei Navalis Britannica. M. DCC LXX.
A George- René Pleville le Pelley , gentilhomme
Normand de Grandville , lieutenant de vaiffeau
de Roi & du port de Marfille , pour avoir fauvé
du naufrage un vaiffeau de Roi fur les côtes de
France ; les Septem-Virs de l'Amirauté d'Angleterre.
M. DCC . LXX .
De Paris , le 22 Mai 1772 .
On nous a adreffé de Grenoble la copie d'une
lettre qu'on dit avoir été écrite de Monteliinart ,
les de ce mois , par le fieur de la Tour , infpecteur
des ponts & chauffées en Dauphiné. Elle
contient un fait extraordinaire qui mérite d'etre
éclairci.
25
Le 27 du mois dernier , j'allai à la maifon de
so campagne du fieur Palaprat , fubdélégué de l'intendance
, avec les fieurs Geoffre , colonel d'infanterie
, de la Jonquiere & Menurer , médecin
de l'hôpital militaire . Nous y trouvâmes Jean-
Jacques Parangue , agé de quatorze ans , du
» village d'Anféome près Marſeille. Cet enfant
voit , a travers la terre , les fources & la cono
duite des eaux à telle profondeur qu'elles foient
' il les voit , dis-je , comme nous voyons les ri-
» vières , en fuit le cours fans le tromper , en in..
» dique le volume & à peu près la profondeur. Il
les apperçoit mieux àftravers les terres , les vignes
, les rochers & même la maçonnerie que
» dans le prés & les bois. Elles difparoiſſent à la
K ij
220 MERCURE DE FRANCE.
vue lorfqu'elles font couvertes de planches & de
so madriers. Les 28 & 29 , il a fait des expériences
répétées & confirmées en grand dans trots do-
> maines du fieur de la Jonquiere , où ila découvert
& fuivi , pendant une lieue & demie , la
fource qui forme & entretient le petit lac de
»Gournier , à une lieue de Montelimart. Le 30 &
le 1 ' de ce mois , il a fait les mêmes découvertes
chez le fieur Geoffre , à Serre-de-Parc & doir
continuer fes recherches dans tout ce canton.
»Cet enfant eft accompagné d'un frère . On leur
donne liv. par jour. On les nourrit , on les
»défraye. Ils font attendus à Toulouse & à Nifmes
, oùles magiftrats municipaux de ces deux
villes les ont appellés .

29
NOMINATIONS.
Les Evêques de Valence & de Périgueux oat
prêté ferment entre les mains du Roi , le 2 Mai .
Monfeigneur le Dauphin ayant remis au Roi
la charge de Grand'Maître des Ordres Royaux ,
militaires & hofpitaliers de Notre- Dame du Mont
Carmel & de St Lazare de Jérufalem , Sa Majeſté
a conféré cette grande maîtriſe à Monſeigneur le
Comte de Provence.
Le Roi a nommé la Comteffe d'Albon Dame
pour accompagner Meſdames. Elle a eu l'honneur
d'être préfentée en cette qualité , à Sa Majeſté par
Madame Victoire.
PRESENTATIONS.
Le 29 Avril , le Baron de Breteuil , ambaffadeur
extraordinaire de Sa Majefté auprès du Roi des
Deux-Siciles , a pris congé de Sa Majesté & de
la Famille Royale ; il a eu l'honneur d'être préJUIN.
1772. 221
fenté au Roi , par le Duc d'Aiguillon , miniſtre &
fecrétaire d'état ayant le département des Affaires
Etrangères.
La Marquife de Montazer a eu l'honneur d'ê
tre préfentée au Roi & à la Famille Royale , par la
Comtefle de Lillebonne ; la Comtefle de Gallifet
a été préfentée par la Vicomtelle de Sarfefiels .
La Comtefle de Canillac a eu l'honneur d'être
préfentée , le premier Mai , à Sa Majeſté, ainſi qu'a
la Famille Royale , par la Comtefle de Montboiffier.
Le Comte de Monteynard , miniftre plénipotentiaire
du Roi auprès de l'Electeur de Cologne ,
a pris congé , le 25 Avril , de Sa Majesté & de la
Famille Royale. Il a l'honneur d'être préfenté au
Roi par le Duc de d'Aiguillon .
Le Comte de Monbarey , fous , lieutenant au
régiment de la Couronne , fils du comte de Montbarey
, maréchal de camp & infpecteur général
d'infanterie , capitaine des Suifles de la garde de
Moufeigneur le Comte de Provence , a eu l'honneur
d'étre préſenté , dans les premiers jours de
Mai , au Roi & à la Famille Royale .
Le Marquis de Pons , miniftre plénipotentiaire
de Sa Majesté auprès du Roi de Pruile , a pris
congé , le 17 Maj , de Sa Majefté & de la Famille
Royale , pour se rendre à la deftination . Il a eu
l'honneur d'être préfenté au Roi par le Duc d'Aiguillon
.
Le même jour , la Vicomtefle de Chazeron a en
l'honneur d'être préfentée au Roi & à la Familie
Royale , par la Marquife de Monteynard ; la
Comtefle d'Albon a été préfentée par la Marquife
de Caftellane , & la Comtelle de Bourdeilles , par
la marquife d'Aubeterre.
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur de Claris , préfident de la Cour des
Comptes & des Finances de Montpellier , a eu
l'honneur d'être préſenté à Sa Majefté , en qualité
de premier président de la même Cour.
MARIAGES.
Le Roi a figné le contrat de mariage du Comte
d'Albon , Prince d'Yvetot , avec Demoiſelle de
Caftellane , fille du marquis de Caftellane , maré
chal des camps & armées de Sa Majeſté , chevalier
d'honneur de Madame Sophie ; celui du
Comte de Murinais , brigadier des armées du Roi ,
avec Demoiſelle de Charon ; celui du Comte de
Canillac , capitaine au régiment de Penthièvre ,
avec Demoiselle de Roncherolles ; celui du Comte
de Viomefnil , brigadier des armées du Roi
colonel de la Légion de Lorraine, avec Demoifelle
Ollivier.
Le Roi & la Famille Royale ont figué , le premier
Mai , le contrat de mariage du marquis de
Bourfolles , capitaine au régiment de Royal-Picardie
, avec Demoifelle d'Ecquevilly , fille du
marquis d'Ecquevilly , maréchal des camps & armées
de Sa Majeſté , capitaine du Vautrait ; celui
du Comte de Turenne , capitaine au régiment de
Chartres , cavalerie , avec Demoiselle de Bachy
du Caila , & celui du Marquis de Bruc , lieutenant
au régiment des Gardes - Françoiles , avec
Demoiselle de Rarai , fille du marquis de Rarai ,
meftre de camp de cavalerie , ancien officier de
Gendarmerie .
Le Roi & la Famille Royale ont figné , le s
Mai , le contrat de mariage du Marquis de Praconftal
, lieutenant à la fuite du Corps Royal
d'Artillerie , avec Dile de Pertuis.
JUIN. 1772. 223
Le Roi & la Famille Royale ont figné , le 9
Mai , le contrat de mariage du Comte Defnos
colonel du régiment provincial du Mans , avce
Dile de Romance , fille du marquis de Romance,
& celui du Marquis de Chavigny , capitaine au
régiment du Roi , avec Demoiselle Marchal de
Marangle.
NAISSANCE S.
On mande de Caftres que , le 22 Mars , la
femme d'un notaire de cette ville accoucha de
trois filles dont une étoit mulâtre . On a oblervé
que cette femme avoit vu plufieurs Négrefles dans
Je commencement de fa groffeffe. La femme d'un
payfan de Bellegarde , dans le diocèle de Nifmes,
eft accouchée , le 17 Mars , de quatre enfans qui
Le portent bien.
Monfeigneur le Comte de Provence & Madame
la Comtefle de Provence tinrent , le 11 Mai , fur
les Fonts de Baptême , dans la chapelle du châreau
, la fille du Sieur Marquier de Crux , chevalier
de l'Ordre royal & militaire de St Louis ,
capitaine de cavalerie , écuyer commandant les
Ecuries de Madame la Comteffe de Provence. Le
baptême fut adminiftré par l'évêque de Limoges ,
premier aumônier de Mgr le Comte de Provence,
en préfence du Sieur Allart , curé de la paroifle du
château .
Monfeigneur le Comte d'Artois & Madame
tinrent , le 14 Mai , fur les Fonts de Baptême
dans la chapelle du château , la fille du marquis,
d'Ullon , colonel du régiment provincial de Montargis.
Le Cardinal de la Roche- Aimon , grandaumônier
de France , fuppléa la cérémonie du
baptême , en préfence du Sieur Allart , curé de la
paroifle du château,
224 MERCURE DE FRANCE.
Magdeleine Fritsch , femme de George Huff,
journalier du bourg Weyershelm , près Stras
bourg , âgée de trente- fept à trente huit ans , accoucha
, le 17 Avril , de quatre enfans vivans &
bien conformés , dont un garçon & trois filles qui
ont tous reçu le baptême. Trois font morts peu
de tems après avoir été baptifés , & le dernier a
vécu quelques heures de plus.
*
MORTS.
Jofeph François Dulcens Marquis de Brifle ,
maréchal des camps & armées du Roi , premier
gentilhomine de la chambre du feu Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , eft mort à Paris ,
le 23 Avril.
Gabrielle d'Aydie de Ribérac , marquise de
Chapt , eft morte , dans le mois d'Avril , au château
de Laxion , en Périgord.
Le fieur de Monſtouet , chef d'eſcadre des armées
navales , chevalier commandeur de l'Ordre
royal & militaire de Sr Louis , eft mort à Brest .
Le fieur Hocquart , chef d'efcardre des armées
navales , eft mort dans les premiers jours de Mai,
à St Germain en Laye .
Sufanne- Marie de Vivans , fille de Jean de Vivans
, lieutenant -général des armées du Roi , &
époufe de Pierre- Antoine marquis de Jancourt, eft
morte à Paris , le premier Mai , à l'âge de foixantedix
ans.
La veuve Hugonenc eft morte à Lodève , le 21
Mars , âgée de cent fix ans.
Anne-Marguerite- Catherine Gallard , veuve de
Nicolas Potier de Novion , marquis de Grignon,
JUI N. 1772. 225
eft morte dans fon château de Courance , en Gâtinois
, le 9 Mai , âgée de quatre vingt ans.
Pierre- François de Merniez , chevalier de Sommery,
maréchal des camps & armées du Roi , cidevant
chef de brigade des Gardes de Sa Majesté
& gouverneur des ville & château d'Obernheim ,
eft mort à St Germain en Laye , le 9 Mai , dans la
quatre- vingt- deuxième année de fon âge.
Le nommé Gilbert , charretier , laboureur de
la paroifle de Gilly fur Loire , auprès de Bourbon.
Lancy , eft mort , le 25 Avril , âgé de cent neuf
ans.
Il vient de mourir à Usk , dans le Comté de
Montmouth , un particulier remarquable par la
grofleur prodigieufe de fon corps , il fe nommoit
Philippe Mafon. Son poignet avoit onze pouces
de circonférence ; le bras , auprès de l'épaule ,
vingt - un ; la poitrine , cinq pieds ; le ventre , fix ,
la cuifle , trois pieds un pouce ; ce qu'il y a de plus
étonnant , c'eft qu'il étoit d'une extrême agilité.
Le nommé Jacques Asbiornfen - Tvedt eft mort,
le 16 Avril , à Friedericshall en Norwege , âgé
de cent dix ans , il avoit fervi près de quarante
ans , en qualité de foldat .
Le nommé Jean Jenkiers vient de mourir à
l'âge de cent huit ans.
Le Sieur Hamilton , ancien marchand de bois
de conftruction eft mort dans le Comté de Kent ,
âgé de cent un ans .
Le nommé Bergé , laboureur du village de Tarnos
, diocèle d'Acqs , vient d'y mourir àgé
de cent
deux ans. Il a travaillé jufqu'au dernier inftant
& même le jour de la mort.

226 MERCURE DE FRANCE:
LOTERIES.
Le cent trente fixième tirage de la Loterie de
l'hôtel - de - ville s'eft fait , le 25 Avril , en la
maniere accoutumée . Le lot de cinquante mille
livres eft échu au Nº. 63987. Celui de vingt mille
livres au No. 74523 , & les deux de dix mille aux
numéros 70149 & 76301 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait les Mai. Les numéros fortis de la rout
de fortune font , 63 , 74 , 58 , 2 , 24. Le prochain
tirage fe fera les Juin.
FAUTES effentielles à corriger.
PAGE 99 , ligne 11 ,
Se traînoient au milieu du filence & des ombres.
Lifez & ponctuez ainfi,
Se traînoient. Au milieu du filence & des ombres.
Dans le Mercure de Mai , article fur la Maifon
de la Guiche , page 212 , lig. 26 , au lieu de Fran→
çoile de Chanton , lifez , de Chazeron.
Même ligne , au lieu de Marguerite de Beaupan,
lifez, de Beauvau.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Suite de l'Eté ; imitation libre de Tompfon , ibid.
Le Roffignol & le Paon , fable imitée de l'allemand
, 12
JUIN. 1772. 227
Rofalie ou les malheurs de la fenfibilité ,
Aux Vétérans du régiment de Royal - Piémont ,
cavalerie ,
Stances à Madame *** , en lui envoyant
un flacon rempli d'eau de fenteur ,
A Monfieur de Buffon lefils,
La Perruche, fable,
Fables adreflées à Mde la Marquife d'Autremont
par le Marquis de Gulant - Ciré ,
meftre de camp de dragons ,
Etrennes à M. M ** de C** , par Mde de
C **
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
ibid.
25
29
30
32
33
3.5
60
ibid.
6i
64
Réflexions fur un ouvrage antitulé , Nouvelles
Obfervations critiques fur différensfujets
de littérature , par M. Clément ibid.
Elégies de Properce , traduites par M. de
Lonchamps ,
>
114
Baléazard , tragedie , par M. H. F. Pelletier , 121
De l'Art de la Comédie par M. de Cailhava , 121
Nouvelles Idylles de M. Gefsner , traduites.
par M. Hubert ,

LeJugement de Pâris , poëme en 4 chants ,
par M. Imbert
Apologie des Arts , ou lettre à M. Duclos ,
fecrétaire perpétuel de l'Académie franç.
Réponse de M. de la Harpe à la lettre de M.
de V... inférée dans le dernier Mercure ,
Lettre de M. de V... fur un écrit anonyme ,
SPECTACLES , Concert (pirituel ,
Opéra ,
Comédie françoiſe
Comédie italienne ,
129
130
131
132
143
149
150
158
165
228 MERCURE DE FRANCE.
Concert pour les Ecoles gratuites de Deffin ,
Donné aux Vauxhal de la foire St Germain , 176
Lettre à M. Bachelier , directeur des Ecoles
de Deflin ,
ACADÉMIES ,
ARTS , Gravure ,
Architecture , Réponſe aux obſervations de
M. Patte ,
A l'Auteur du Mercure , Lettre de M. Suard ,
Anecdotes ,
Avis, Table d'escompte ,
Difcours prononcés par M. le Marquis de
Paulmy , & c . à Mgr le Dauphin ,
A Mgr le Comte de Provence ,
182
138
190
197
202
203
205
206
? 207
Réponse de Mgr le Comte de Provence à la
Députation de l'Ordre de St Lazare ,
208
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préſentations ,
Mariages ,
Naiflances ,
Morts ,
Loteries ,
209
220
ibid.
222
223
224
226
J'AI lu
APPROBATION.
, par ordre de Mgr le Chancelier , le
volume du Mercure du mois de Juin 1772 , &
je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 31 Mai 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M, LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le