Fichier
Nom du fichier
1772, 04, vol. 1-2
Taille
14.70 Mo
Format
Nombre de pages
459
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
AVRIL , 1772 .
PREMIER VOLUME .
842.
M
1772
Mobilite GILE.
1517
VE
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſler , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & niéces de rufione,
CeJ
vrage
cultivert ,
i
fectioned
enverre
Γου
S
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
francsde port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
portpar la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de36 ſols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui ſont abonnés.
On fupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
lilzaire , à Paris , rue Christine.
On trouve auffi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in-12 , 14 vol.
par an à Paris.
franc de port en Province ,
16 liv.
201.4(.
- L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
des nouveautés des Sciences, des Arts , &c.
L'abonnement , ſoit a Paris , ſoit pour la Province
, port franc par la poſte , eſt de 12 liv.
JOURNAL ECCLESIASTIQUE , par M. l'Abbé Di
nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv. 16 .
EnProvince , port franc par la poſte , 14 liv.
GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; il en
paroît deux feuilles par ſemaine , port franc
par la poſte ; aux DEUX- PONTS ; ou à PARIS ,
chez Lacombe , libraise , & aux BUREAUX DE
CORRESPONDANCE. Prix , 18 liv.
GAZETTE POLITIQUE des DEUX- PONTS , dont il
paroît deux feuilles par ſemaine ; on ſouſcrit
à PARIS , au bureau général des gazettes étran .
geres, rue de la Juflienne. 36 liv..
EPHÉMÉRIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque raiſonnée
desSciences morales & politiques.in- 12.
12 vol . paran portfranc , à Paris,
EnProvince ,
18 liv.
24liv.
LE SPECTATEUR FRANÇOIS , Is cahiers par an ,
àParis ,
EnProvince ,
و liv.
12liv.
A ij
Nouveautés chez le même Libraire
LES Odes pythiques de Pindare , traduites
par M. Chabanon , avec le texte grec ,
in- 8 ° broche ,
1 1.10 1.
5 liv.
Traité fur l'Equitation & Traité de la
cavalerie de Xenophon , traduit par M.
du Paty de Clam , in- 8 ° broch.
Le Droit commun de la France & la coutume
de Paris réduits en principes , &c. nouv.
édition par Bourjon , 2 vol . in -fol br. 481.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV , &c. in fol. avec planches ,
rel . en carton ,
'Mémoires fur les objets les plus importans de
241.
l'Architecture , in 4°. avec figures, rel . en
carton , 121.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4vol . in. 8 °. gr. format rel . 201.
Les Caracteres modernes , 2 vol. br. 31 .
Maximes deguerre du C. de Kevenhuiler , 11. 101.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in - 8 °. rel .
GRAVURES .
71.
* Sept Estampes de St Gregoire , d'après Van-
100 , 241.
Deux grands Paysages , d'après Diétric , 121.
Le Roi de la Féve , d'après Jordans ,
Le Jugement de Paris , d'après le Trevifain
,
Deux grands Paysages , d'après M. Vernet
,
Vénus & l'Amour , d'après M. Pierre ,
Angelique & Médor , d'après Blanchart ,
Hommage à l'Amour , d'après Vanioo ,
41 .
11.161.
121.
31.
1.
41.
MERCURE
DE FRANCE...
AVRIL , 1772 .
PIÉCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
UN
LE GOUPIL. Fable.
N Goupil , c'eſt ainſi qu'on nommoit un ree
nard
Au bon vieux tems de Charlemagne.
Illuſtre & docte Foncemagne ,
Oracle unique à cet égard ,
Dis- nous fi je bas la campagne :
Qu'aprèstout je la batte ou non ,
Autant que je puis m'y connoître ,
C'eſt de ſa queue & de fon nom
Aiij
1
6 MERCURE DE FRANCE.
Quedérive&que reçut l'être
L'outil appellé Goupillon.
Mais que cela ſoit ou puifle être ,
Que ce ſoit folie ou raiſon ,
Qu'importe , pourvu que la boule
Aille fon train , s'avance , roule
Et vienne au but. Un renard donc
Mal avifé , s'il en fut onc ,
Dans la gueule à pas lent emportoit une poule ,
Etgagnoit ſon terrier par des lieux creux & bas ,
La tenant bien aux dents , mais ne les ferrans
pas,
Rendant ſes allures très-douces ,
Decrainte qu'aux moindres ſecoufcs
La poule, par ſes cris & ce ſignalement
Ne mît des chiens , dans le moment ,
La maréchauflée à fes troufles .
La poule cependant , pieds , ventre & bee ea
haut ,
Et prête à périr bientôt ,
Rouloit en fine femelle ,
Ettrouva dans ſa cervelle
Un bon tour pour s'évader:
Ah! monDieu le beau tems , comme il eſt bleu ,
dit-elle ,
L'agréable ſoleil , que ſa lumière eſt belle !
Quel plaifir de le regarder !
Le Renard curieux lève un moment la vue.
Le ſoleil , du tabac produit le prompt effer;
AVRIL. 1772 . 7
Ilhauffe&baifle l'oeil , ſa narine remue ,
Et ne ſachant plus ce qu'il fait ,
Agueule ouverte il éternue.
La Geline l'attendoit là.
Libre& ſe mocquant du jocrille ,
Sur un arbre elle s'envola
En lui criant Dieu vousbenifle!
La curiofité faiſant perdre le tems ,
Et tendant ſes filets àla ſottiſe humaine ,
Depertes enpertes nous mene ,
Et mal en prendà bien des gens.
ParM. Piron.
1
1
LE COCHON DE LAIT & LE
CHARLATAN. Conte.
Du petit quadrupède encore jeune & tendre ,
Dont, quand il eſt rôti , l'on dit : vive la peau !
Ou du Cochon de lait , pour mieux me faire entendre
,
Un farceur au Pont-neuf, le nez ſous le manteau
,
Contrefaiſoit le cri d'un ton à s'y méprendre.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
La canaille diſoit : bravo ! bravo ! bravo !
Un drole feul ofa , fans craindre le hato ,
Dire, s'il s'en méloit qu'il fauroit mieux s'y pren
dre;
On vous le traita d'apoco.
Il gage ; indique unjour ; on promet de s'y rendre;
Le jour venu , voilà nos deux rivaux ,
Sur la fellette & les tréteaux ,
Misdans la balance fatale
De leur juge au nez levé
Parterre prononçant de bout ſur le pavé
Où le déſoeuvrement l'inſtale.
Des deux le premier ſe ſignale ,
Non fans avoir pour lui , ſuivant le nouveau
train ,
Ameuté fourdement la brigue& la cabale.
Aufli commence-t-il à peine que foudain ,
La tourbe aveuglément des mains ſe met
battre
Et frappe les échosdufaubourg Sain-t Germain:
Un brouhaha plus long eût pû faire à la fin
Prendre le mord aux dents au cheval d'Henri
Quatre.
Lors la téte levée & hors du capuchon ,
AtoiGille , dit- il : voyons de tes merveilles.
Il faifoit froid , & Gille , au fond d'un grosmanchon
,
Le nez deſſus, cachoit un vif petit cochon :
AVRIL. 1772 . 9
Il lui pinça la peau : lui tira les oreilles ;
Lui fait pouffer ſur le bon ton
De hauts cris à percer la nue ;
Peine perdue.
Où plaît le faux , le vrai n'eſt rien.
A l'école ! à l'école ! on le file: on lehue ?
On l'appelle un cochon lui-même : "gens debien,
Dit-il à la noble aſſemblée ;
Et montrant ſon garand pendu par un lien ,
Tenez , n'opinez plus d'emblée ,
Voilà votre juge & le mien.>>
Que de foibles génies ,
De débiles cerveaux
Etde francs étourneaux
Plus bruyans que des pies ,
Dépriment les travaux
Des vrais originaux ,
Et prônent des copies .
!
Parle méme.
A
10 MERCURE DE FRANCE.
LE CHARLATAN & LE VILLAGEOIS ,
* Conte fur le même sujet.
TROP de prévention ôte le jugement :
On ſe prendde rigueur pour certains perſonnages
,
Mais notre préjugé tôt ou tard ſe dément ,
Et la vérité perce à travers les nuages .
Un Charlatan , fameux par ſes bons tours ,
Voyant , de nouveautés , le vulgaire idolâtre ,
Fit publierdans tous les carrefours ,
Quetel jour , à telle heure , on verroit au théâtre
Un ſpectacle étonnant & dont ſous le ſoleil
Perſonne juſques-là n'auroit vu le pareil.
Cebruit , répandu par la ville ,
Ameuta la tourbe imbécille :
On ſe prefle , on s'aſſemble au tour de ſon guichet
,
Notre homme y prend l'argent comme en untrébuchet;
*Ce Conte nous a été pareillement envoyépar
M.Piron.
AVRIL. 11 1772 .
La foule entre , on ſe place , au tumulte on fait
trêve ,
L'orchestre joue un air , & la toile ſe lève.
L'hiſtrion paroît ſeul ; avec lui point d'acteur ,
D'atrice encore moins , pas même de ſouffleur.
Les yeux ouverts , on attend qu'il commence ;
L'attente produit le filence .
Alors, courbant le front dans ſon manteau cas
ché ,
Il contrefit fibien le cri d'un chat fâché ,
Que penſant qu'il tenoit l'animal véritable ,
On lui fit ſecouer le manteau ſerviable
Où l'on croyoit tapi le rominagrobis :
Mais, nes'y trouvant rien , on s'écria bis , bis !
Quoi , dit un Villageois , dans un coin du parterre
,
Pour untour fi commun voilà bien du myſtère !
Je gage en faire autant; je promets aujourd'hui
Demiauler demain encore mieux que lui .
Le peuple prévenu vient tenir piedà boule,
Amène ſes voiſins & fait groſſir la foule ,
Plus pour favoriſer l'habile Charlatan
Et ridiculiſer le pauvre paylan ,
Quepour être témoin de ce qu'il pourroit faire.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Ils paroiflent tous deux : l'hiſtrion fait le chat,
Et fi bien , qu'à l'inſtant une voix circulaire
Bourdonne le bravo , puis avec plus d'éclat
On crie , on bat des mains , des pieds & de la
canne, >
Et ſur l'homme des champs par avance on ri
canne.
Pour lui , ſans ſe troubler , tenant ſous ſonmanteau
Unjeune chat vivant , il lui pince la peau ,
Il lui cauſe trois fois une douleur nouvelle
Et l'oblige à le plaindre en ſa voix naturelle.
Tous les faux-connoiffeurs par des ris indiſcrets ,
Sans fonger au manteau , commencent la huée;
D'oranges , de brocards , il pleut une nuée ;
Mais l'adroit Villageois fit taire les fifflets.
Il tire de ſon ſein le minon véritable
Et dit , en leur montrant l'acteur inimitable :
Or , maintenant , Meſſieurs , jugez lequel des
deux ,
Ou de l'homme , ou du chat , a miauléle mieux !
ParM. B****
AVRIL. 1772. 13
HISTOIRE DE ZEMZI ,
écrite par lui même au Chevalier B***.
QU'EXIGEZ-- vous de moi , mon cher
Chevalier ? Pourquoi faut-il que je vous
peigne les charmes de l'état , innocent &
coupable tout - à - la- fois , dans lequel je
vivois avec ma chere Axa fur les folitaires
montagnes de Xarico .
foi-
Axa , malheureuſe Axa ! la religion
condamne ces larmes que je te conſacre ,
& cependant je ne puis m'empêcher d'en
verſer ; elles ſeules font ma confolation !
vous voulez apprendre ce qu'eſt unhomme
par ſes propres forces ; eh bien , connoiftez-
moi , connoiffez toutes mes
bleſles ; & fouvenez- vous que tout autre
à ma place , fans éducation , ſans religion ,
ſans principes n'eût peut- être pas mieux
agi que moi . Je vous fais part de mon
hiſtoire, de mes malheurs ; c'eſt pour
vous , pour vous ſeul que j'écris .
Je fuis né parmi les Thébuctos , peuple
au fud de l'Amérique . Azaab , leur
dernier Cacique , fut mon père. Ma patrie
fubit le joug qu'il plût aux Eſpagnols
14 MERCURE DE FRANCE.
d'impoſer aux Péruviens , dont ils étoient
voiſins ; &mon père , ne pouvant fubir
un ſi dur eſclavage , ſe retira ſur les montagnes
de Xarico , emportant avec lui ſes
richeſſes. Nous le ſuivîmes, Axa , un efclave
fidèle nommé Tabul , & moi. Azaab
ſe donna tous les ſoins poſſibles pour
nous former à la vertu. Il imprima
dans nos ames des ſentimens humains ,
nous fit horreur du vice , & n'oublia
rien pour nous porter à modérer nos
paffions.
Nous approchions de cet âge où tout
s'anime par un fentiment inconnu . O
jours de l'innocence , jours de l'ignorance
! où je ne connoiſſois encore ni la Divinité
, ni la nature , ni moi - même ;
fuis-je coupable ſi je ne puis penſer à vous
ſans raviffement ?
Sans ſavoir quel ſentiment m'animoit,
j'étois inquiet , troublé , & je n'étois ſatisfait
que quand mon père ſortoit avec
notre eſclave Tabul. Alors une joie douce,
un frémiſſement agréable que j'avois
peine à cacher, s'emparoient de mes ſens .
Je m'approchois d'Axa ,je la contemplois
&mon bonheur étoit parfait. Nous habitions
une caverne affez ſpacieuſe , que
la nature avoit formée dans le creux d'un
AVRIL.
1772. 15
énorme rocher. Mon père , qui fortoit
rarement , ſe plaiſoit à nous enſeigner le
peu d'eſpagnol qu'il ſavoir. Cette eſpèce
d'étude commença peu- à - peu à former
ma raiſon , ou plutôt l'amour fit ce miracle.
Tout ce que j'avois vu avec indif.
férence , je le conſidérai alors avec inté.
rêt . Mes idées devinrent diſtinctes ; &
j'acquis pluſieurs connoiſſances qui , toutes
foibles qu'elles étoient , me coûterent
beaucoup de foin &d'inquiétude. Axa ,
ma foeur & ma maîtreſſe ,devint l'objet
de toutes mes complaiſances. J'allois
cueillir des fruits , des racines ; ceux qui
avoient le meilleur' goût étoient pour
elle. Un regard , un ſourire portoit la joie
dans mon ame ; & le plus petitde ſes cha .
grins étoit pour moi le commencement
du déſeſpoir. Je remarquai qu'Axa me
fuïoit , j'en cherchai vainement la cauſe.
Je ne pus réſiſter long - tems aux maux
que j'endurois , je réſolus d'épancher mes
chagrins dans le ſeinde mon père ou dans
celui d'Axa .
Un jour , qu'abîmé dans des penſées
douloureuſes , j'étois forti de la caverne
pour m'entretenit avec moi même , je
vins juſqu'au pied du rocher où lesThébuctos
ſe rendoient jadis pour dépoſer
16 MERCURE DE FRANCE.
leur infortune. L'amour , qui m'occupoir
tout entier , m'empêcha de faire attention
aux riſques que je courois. J'avançai toujours
, & me trouvai dans une vallée habitée
, d'où l'on appercevoit les montagnes
du Pérou. Il m'eſt impoſſible de
vous détailler ce que je reflentis à cet afpect
nouveau pour moi. Tous mes ſens
étoient ſuſpendus , mes yeux ſeuls erroient
au loin& ſe repaiſloient d'un ſpectacle
i raviſſant .
د
Revenu de mon extaſe ,j'admirai ces
côteaux , ces plaines Aeuries , ces ruiſſeaux
argentés cette ſimétrie naturelle que
vous autres Européens prenez plaifir à
détruire. Ah ! m'écriai-je , fi Axa étoit
» ici , elle parrageroit mon bonheur !
>> mais , me disje , qui a fait tout cela ?
>>pourquoi ne connois - je pas celui qui
>> a créé tant de belles chofes ? OErre !
>> Opuiſſance ! carje ne ſçais quel nom
>> vous donner , paroiſlez , je vous con-
» jure ; ô paroiſſez , que je vous adore :
>> vous partagerez les ſentimens que j'ai
>> pour Axa , je crois que vous en êtes
>>digne. » Je cueillis des fruits, des fleurs
&les portai dans notre folitude. J'apperçus
Axa ; ſes yeux étoient mouillés de
larmes ; ma longue abſence les faiſoit
رشن
AVRIL. 1772. 17
couler. Lorſqu'elle me vit, elle rougit , &
cette rougeur augmenta ſes charmes. Je
lui donnai mes fruits , mes Heurs ; elle
mangea des uns& mit les autres dans ſes
beaux cheveux & ſar ſon ſein d'albâtre.
Le jour ſuivant, nous laiſſames Azaab
à la caverne , & nous nous rendîmes dans
l'agréable vallée que j'avois découvert la
veille. Nous nous afsîmes ſous des orangers
, auprès d'on ruiſſeau; le murmure
des eaux , le ramage varié de mille oiſeaux
différens , tout s'unit pour nous attendrir.
Aza ine regarda languiſſamment,
ſes yeux étoient pleins de larmes voluptueuſes
, ſon ſein palpitoit , ſa main trembloit
ſous la mienne . « Aka! m'écriai-je,
>> tu pleures ? parle , calme mon inquié
>>tude ; qui fait couler tes larmes ? .. Tu
>> gardes le filence ! méconnois-tu,Zemzi ?
»Me hais tu , Axa ? Ah que je ſerois
"
-
... malheureux fi cela étoit ! oui , plus
>> malheureux que je ne puis l'exprimer.
" -Pourquoi déſapprouves-tuines larmes?
» Zemzi , mon inquiétude n'est pas plus
>>grande que la tienne. Si tu m'avois ouvert
ton coeur , il y a long- tems , oui ,
>> bien long - tems que je t'aurois confié
>> mon fecrer . Je ſens une émotion que
>>je ne puis définir ; éclaircis mes dou
18 MERCURE DE FRANCE.
>> tes , Zemzi . Je ſoupire lorſque tu es
> abfent , & je ſoupire encore lorſque je
>> ſuis près de toi. Mon tremblement ,
>> une ſecrete honte , quand je reçois tes
>> careſſes ; tout cela m'étonne. Pourquoi
>> ne reſſenté-je pas la même émotion ,
>>>en recevant celles d'Azaab & de Tabul?
»Ah! Zemzi , toi ſeul , je le ſens bien ,
> peut faire ma félicité! » Je ferrai Axa
dans mes bras tremblans , & je cueillis
fur ſes lèvres brûlantes , des baifers qui
faifoient alors mon bonheur , & qui font
aujourd'hui ma honte & mon repentir.
Peu de jours après mon père nous unit,
nous bénit & je goûtai le ſouverain
bonheur dans les bras d'Axa . Je ne reſtai
pas long-tems dans cette douce ataraxie :
un defir inquiet ſe fit fentir à mon ame ,
& me fit éprouver mille tourmens . Je
m'apperçus que mon père s'écartoit fouvent
, & pafloit des heures entieres éloignéde
nous: je remarquai même que ſes
joues portoient encore l'empreinte des
larmes qu'il répandoit en ſecret. Je le
fuivis un ſoir fans qu'il s'en apperçur. Je
le vis deſcendre du rocher par un ſentier
qui m'étoit inconnu , & ſe perdre dans
unbuiffon touffu. Je m'y gliſſai après lui
&je le trouvai proſterné dans un petit
1
AVRIL. 1772. 19
antre , dont une épaiſſe feuillée déroboit
la vue. Il garda quelques tems un filence
refpectueux , puis tout à coup élevant la
voix , il s'écria :
« Si tu exiſtes , ſi tu m'entends , ô toi
>>Père de la nature , toi , que les ſçavans
> appellent Dieu & que les Sauvages de
>>Quixoto adorent ſous différens noms ;
>>ô toi , apprends moi qui commande au
>>ſoleil de m'échauffer , à la terre de pro-
>> duire des fruits pour ma nourritute ;
> apprends - moi qui m'a ſi miraculeuſe.
> ment formé... Tu es; mon coeur pal
>> pitant me le dit; & la nature entière
» élève ſa voix pour l'annoncet. Oui , fi
» j'étois aflez ingrat pour me taire , tout
>> démentiroit mon coeur infidèle. Mais
>> hélas ! c'eſt en vain que je me demande
» où tu réſides ! Où te chercherai -je ? où
>>te trouverai-je ? .. Habiterois - tu dans
» le temple de ces hommes de ſang, qui
>> ſe rendent célèbres à force de forfaits ?
>> ou bien est - ce dans le coeur des pau-
>>vres ſauvages , que ta divinité ſe com-
>>plaît ? ... O grand Etre ! les ténèbres
>>m'environneront-ils toujours? je crains
>>de t'offenſer en t'adorant , parce que je
* ne puis adorer que celui qui eſt Dieu.
>> Quand eft ce que ces membres , quece
20 MERCURE DE FRANCE.
>> corps abbatu deviendra pouffière ? Faut-
>> il qu'Azaab périffe avant de connoître
>> les ſentiers qui menent à toi ! .. Qu'il
> laiſſe Zemzi , Axa , qu'il les laiffe dans
>>l'obſcurité qui les couvre ? comment
>> puis-je les inſtruire , ſi l'ignorance eft
>> mon partage ? Comment t'aimeront- ils,
>> t'adoreront - ils , s'ils ne te connoiflent
>> pas ? & comment feront ils heureux
> fans t'adorer ! .. »
Azaab finit ainſi ſa prière , ou plutôt
un torrent de larmes l'empêcha de continuer.
Le tremblement me faifit , je friffonnai.
La crainte , la vénération pour
un nom que je n'avois pas encore entendu
prononcer , le defir de connoître celui
fans lequel Azaab diſoit , qu'Axa ni moi
ne pouvions être heureux , tout livra à
mon coeur des combats que je ne puis décrire.
J'entrai dans la grote , lorſque mon
père en fut forti. J'y trouvai une petite
table , couverte d'une peau apprêtée.Une
figure monstrueuſe , moitié homme &
moitié dragon , étoit poſée deſſus . Deux
petites lampes éclairoient ce lieu redoutable.
L'obfcurité ,le profond filence qui
y regnoir, m'inſpirent une ſainte horreur.
J'étois agité , mes pas étoient chancellans;
enfin , je m'adreſſfai à cet être inconnu;
AVRIL. 1772. 21
j'invoquai le père de la nature. Je balbutiai
quelques mots , mais mon effroi
m'empêcha de reſter plus long-tems en ce
lieu.
Je revins triſte auprès d'Axa, J'eus
beaucoup de peine à lui cacher ce qui
m'occupoit. Le lendemain je ſuivis encore
mon père , & lorſqu'il eût commencé
ſa prière , j'entrai ,je me jettai à ſes
pieds & lui dis : " O mon père , ſi je te
>> fuis cher , confie moi un ſecret d'où dé-
» pend le bonheur de mes jours ! à qui
>> parles - tu ? .. Apprend , apprend - moi
» à parler comme toi. Mon père , mon-
» tre moi à ce père de la nature , fais lui
>> connoître que je ſuis ton fils. Où eſt-il,
>>que j'unifle mes prières aux tiennes ? .. »
Azaab fut étonné de me voir. Il me preſſa
avec ardeur contre ſon ſein& m'inonda
de ſes larmes paternelles. Je réiterai mes
demandes. Queje fuis malheureux ! s'écriat
il en foupirant,je ne le connois pas
moi même Il me fir fortirde la caverne ,
nous montâmes ſur le rocher qui la dominoit
, nous nousy aſsimes ; & là mon
père me dit : « J'ai toujours cherché , ô
>> mon fils , à t'épargner des doutes , des
» erreurs. C'eſt pour cela que je t'ai laillé
>> guider par la ſimple nature. Tu croif
22 MERCURE DE FRANCE.
>> fois dans ton heureuſe ignorance , tu
>> étois content ; qu'aurois -je defiré de
>> plus ? t'aurois-je imprimé des idées que
>> je n'aurois pu éclaircir , puiſque je ne
>> ſuis pas plus ſcavant que toi. Crains ,
> mon fils , crains que ta curiofité ne te
raviſſe le repos. Je fais qu'il y a un Etre
» qui nous crée , qui nous conferve &
» qui nous rend heureux ; mais je ne puis
>> aller au-delà. Je lui demande avec lar-
» mes de ſe manifeſter à moi , il me dé-
>> daigne , ne me répond pas. Eh bien ,
» Zemzi , adorons-le tel qu'il eſt. Quel-
>> que choſe me dit que nous ne ferons
>> pas toujours malheureux ; mon coeur
>> me l'aſſure ; puiſſe-t- il ne ſe pas trom-
» per ! voilà ce qu'Azaab te peut dire ,
>> confulte ton propre coeur , peut - être
>> t'en dira-t il davantage, »
Je laiſſai mon père enfeveli dans les
plus fombres penſées. Je deſcendis du
rocher & fus me promener dans la vallée
des Thébuctos. Tout ce qu'Azaab m'avoit
dit me repaſſa dans la mémoire ; qui
m'écriai je , il eft! .. il exiſte ! .. Je m'étonnai
du tems que j'avois patlé fans faire
attention aux preuves fentibles de fon
exiſtence. Au milieu de mon ignorance ,
je me réjouillois d'entrevoir l'aurore d'an
AVRIL . 1772. 23
jour heureux. Mon peu de connoiſſance
ne me fatisfaifot pas &, fans ſavoir ce
que c'étoit , je concevois que quelque
choſe me manquoit. Je me proſternai la
face contre terre & dis , emporté par l'excès
du ſentiment : " Grand Etre, que vous
>> êtes ſage , que vous êtes bon ! je vis
» avec Axa , c'eſt vous qui me l'avez
>> donnée pour faire mon bonheur ! ô que
>>je vous trouve , que je vous voie , que je
>> vous adore avec elle ; tous mes voeux
» feront remplis. »
Dès le même jour , j'inſtruiſis Axa de
mes découvertes. Elle y fut ſenſible &
s'empreſſa avec ardeur de ſe pénétrer du
pen de vérités que je lui annonçai. En
peu de tems ſa foi devint plus vive que
la mienne. Oui , mon cher Zemzi , me
>> dit - elle , en me preffant contre fon
» ſein , cet Etre dont tu me parles , qui
>>nous a créés pour nous aimer l'un &
>>l'autre ; efforçons - nous d'obéir à ſes
>>décrets . Jurons - nous par lui , jurons-
> nous une tendreſſe éternelle . De tendres
baifers cimentèrent nos fermens .
Depuis ce jour , nous n'en paſſames aucun
, Axa & moi , fans nous rendre àune
certaine heure dans cette vallée pour con
facrer tous nos inſtans au grand Etre. Je
24 MERCURE DE FRANCE.
commençai alors à goûter une tranquilli.
lité que je n'avois jamais connue , & ma
joie redoubla par la naiſſance d'une fille.
Ce fut l'époque de mes inalheurs. Hélas !
l'ignorant ſe réjouit parce qu'il ne con .
noît pas l'abîme dans lequel il s'enfonce
pour chercher un bonheur qui le fuit tou.
jours. Je pris cette petite innocente dans
mes bras , je l'offris à cet Etre inconnu .
inviſible ; je le conjurai avec larmes de
la protéger ; je m'engageai à conferver fes
jours ... Qui m'eût dit en cet inſtant que
je violerois un ferment ſi ſolemnel ! les
traits de ma chère Axa étoient imprimés
fur le viſage de ſa fille ; ce fut ce qui
m'engagea à l'aimer davantage.
Me voici parvenu au commencement
de mes fouffrances , c'est ici , Chevalier ,
qu'il faut que j'implore votre indulgence .
Mes larmes inondent mon papier , effacent
mon écriture; & ma main tremblante
laiſſe échapper la plume . O amitié
, que tes droits font facrés ! qu'il m'en
coûte pour remplir la tache pénible que
tu m'impoſes ! n'importe , je pourfuis.
Nous nous promenions unjour dans la
vallée des Thébuctos , Axa & moi; nous
admirions les beautés de la ſimple nature
, lorſque des plaintes &des cris douloureux
AVRIL. 1772. 25
loureux nous forcèrent à nous arrêter. Notre
premier mouvement fut de fuir , mais
la pitié nous retint. Nous avançâmes en
tremblant du côté d'où partoit la voix &
nous vîmes derrière un buiſſon , un malheureux
étendu ſur la terre , qui imploroit
le ſecours du Ciel. Axa ne balança
pas ,fecourons cet infortuné ! me dit-elle,
&, fans attendre ma réponſe , elle courut
vers cet étranger. Je la ſuivis &nous trouvâmes
qu'il s'étoit fracaflé en tombant du
haut du rocher. A notre approche ſes cris
redoublèrent , un mouvement qu'il fit ,
me perſuada qu'il nous prenoit pour des
ennemis qui venoient lui arracher le peu
de vie qui lui reſtoit. Nous le raffurâmes
par ſigne , & Axa courut chercher Tabul.
J'eſſayai de lui parler par des ſignes connus
des Sauvages ; il ne me put répondre;
mon père m'avoit appris un peu d'eſpagnol
, je m'en ſervis utilement ; l'étranger
m'entendit & me répondit en la même
langue , qu'il étoit un eſclave fugitif.
Axa revint en peu de minutes avec
mon père & Tabul. Nous portâmes ce
malheureux fur notre rocher; Azaab, qui
connoiſſoit la vertu des ſimples , le guérit
en peu de jours. Azaab lui parla eſpagnol
&lui demanda par quel malheur il s'é-
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
toit trouvé ſeul dans une contrée auflidé.
ferre. Il lui répondit qu'il étoit Anglois ;
que les Eſpagnols l'avoient pris à la guerre
, & l'avoient envoyé dans leurs colonies
, & que , laffé des ſouffrances qu'il
enduroit, il s'étoit échappé , & s'étoit ſauvé
, qu'il avoit erré pluſieurs jours , &
qu'enfin voulant gravir le rocher , il s'étoit
laiſſe tomber , ce qui l'avoit mis dans
l'état pitoyable où nous l'avions trouvé.
La peinture qu'il nous fit des Eſpagnols ,
auginenta notre haine pour eux & notre
compaffion pour leurs malheureuſes victimes.
L'Anglois étoit l'unique objet de mes
entretiens avec Axa. Je me promis bien
detirerdelui des connoiſſances utiles. Je
peignis à mon épouſe les charmes que fon
amitié répandroit ſur notre vie ; je l'y vis
plus ſenſible que moi. Lorſqu'elle parloit
de Lowthon , ainſi ſe nommoit l'étranger
, elle ne tariſſoit pas ſur ſes louanges.
Cet excès me déplût bientôt. Je devins
inquiet , bizarre ; je la faifois parler ,
ſe taire , recommencer dix fois la même
choſe ; en un mot , j'étois jaloux. Axa, la
tendre Axa , me demanda en tremblant
la cauſe de toutes ces inégalités. J'eus
honte de me plaindre ,je gardai le filenAVRIL.
1772. 27
ce; mais un inſtant après , emporté par
ma jaloufie , je m'écriai : " Ofes - tu me
>>demander la cauſe de mes peines , toi
>> qui les excite ? Qu'ai- je fait , Axa, pour
>> mériter d'être haï de toi ? .. Cet étran-
>>ger que ton coeur me préfère , eſt- il plus
>>tendre, plus fidele que moi ? .. Axa me
regarda languiſſamment,& après un filence
qui portoit l'expreſſion de la douleur ,
elle me dit : « Que tu es injuſte , Zemzi !
» mon coeur ne peut- il être touché du fort
>>d'un infortuné , ne peut - il s'attendrir
>> ſur ſes maux , ſans que l'amour en ſoit
>> le principe ? Je ne t'ai pas caché que je
>>ne haïllois pas cet Anglois , je te dirai
» plus , je l'aime , mais fans que cet
» amour fade tort à celui que je t'ai voué .
» Oui , après toi , & ma fille , c'eſt le ſeul
> homme pour qui je ſente quelque peu
>> de tendreſſe ; mais toi ſeul , mon cher
>> Zemzi , toi ſeul peut faire ma félicité. »
Ces mots , cet air charmant avec lequel
Axa prononçoit ces paroles , tout m'enchanta
; & , für d'être aimé , je me livrai
à la joie la plus vive. Nous fimes la paix
& je l'obligeai de retourner auprès de
Lowthon. Elle me ſuivit en ſoupirant ,
&depuis ce jour elle évita d'être ſeule
avec lui. Lowthon m'apprit beaucoup de
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
choſes , me donna une idée des moeurs
d'Europe &de la Religion Chrétienne .
Je pris du goût pour tous deux : dès ce
jour ma folitude me devint inſupportable
, &je projettai d'en fortir le plutôt
poſſible. Lowton & moi nous y travaillâmes
de concert. Nous nous fimes une
eſpèce de radeau ; nous l'eſſayâmes pluſieurs
fois , & nous nous diſposâmes à
nous confier à l'élément indocile. Je ne
prévoyois guère les aſſauts que j'étois à la
veille de foutenir ! quelques jours avant
notre départ , mon père mourut dans nos
bras , & cette mort porta dans nos ames
unedouleur que nous n'avions jamais refſentie.
Une foule de ſenſations douloureuſes
nous accueillirent ; &, fans notre
Anglois , nous y euſſions fuccombés. Je
conſidérois la face de ce vénérable vieillard,
ſa pâleur m'effrayoit ; je l'appellois,
je tâchois de le réchauffer , mais c'étoit
en vain , la mort , la cruelle mort nous
l'avoit ravi pour toujours .
Azaab , qui avoit laillé à la nature le
ſoin de nous inſtruire , ne nous avoit jamais
parlé de la morr. Lowthon nous
l'apprit , & faiſit cet inſtant pour parler
de l'immortalité. Dès qu'il eût entamé ce
diſcours , je m'écriai avec tranſport ,
AVRIL. 1772. 29
,
" Quoi ! Azaab ne ſeroit pas mort ? ...
» Mes yeux le reverroient ? .. Il me bé-
>> miroit &fes mains paternelles ſe poſe-
>> roient encore ſur ma tête ? Ah ! Low-
>> thon , que j'aime votre religion ! mais
>>dites mol où dois - je le cher-
>> cher ? quand le reverrai-je ? » Il fourit
&prenant un air plus ſérieux , il nous
expliqua le mieux qu'il lui fut poſſible ,
que l'homme eſt formé de deux parties ;
l'une fpirituelle & impaſſible , & l'autre
terreſtre : que la partie ſpirituelle ſe nomme
ame , & la terreſtre , corps : qu'à l'inftant
de la mort, l'ame ſe ſéparoit du corps
& s'envoloit au Ciel, jouir d'une éternité
de délices . S'il s'en fût tenu là , ma vie
n'eut été qu'un tiſſu de félicité ; mais il
ſe crut obligé de me dire qu'Azaab étant
fauvage , & par conféquent hors de l'Eglife
, il étoit condamné à ſouffrir éternellement.
« Azaab , damné ! m'écriai-je
>> ſaiſi de frayeur. Eft- ce parce qu'il fut
>> vertueux ? parce qu'il adoroit ton Dieu?
>>Va, cela est impoſſible ; car s'il eſt Dieu ,
» il ne peut être cruel , ou bien ta religion
>> eſt faulle.
Il eut beaucoup de peine à me faire
comprendre tous les dogmes de fa loi ; il
en vint enfin àbout , & il ne me reſta
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
que la douleur de douter du deſtin d'Azaab.
A ce chagrin il s'en joignit un autre.
Je furpris Axa & Lowthon dans un
ſecret entretien. Je me cachai derrière un
buiflon&je les écoutai. Lowthon débitoit
une foule de douceurs à Axa qui les écoutoit
avec l'air de l'impatience . « Pourquoi
> me tourmentes - tu ? lui dit- elle triſte-
>> ment. Tu fais que jene te hais pas , que
>> te faut- il davantage ? Mon coeur eſt ten-
>> dre , je ſuis touchée de tes ſoins , & je
>>voudrois t'aimer encore plus tendre-
>> ment. Mais Zemzi l'emporte ſur toi .
» Oh ! certainement le pauvre Zemzi
>> mourroit ſi je t'aimois plus que lui , &
> Axa ne pourroit ni ne voudroit lui fur.
> vivre. Que t'ai-je fait , que t'a faitZem-
» zi , pour vouloir nous rendre malheu-
>> reux ? » Les plaintes d'Axa ranimèrent
l'eſpérance de Lowthon ; il redoubla ſes
inftances & lui propoſa de partager fon
coeur entre lui & moi. « Non , répondit
» Axa , ce partage eſt impoffible , & il n'y
>> conſentiroitjamais . Laiſſez-moi , laiffez.
>> moi , vous ſeul faites mon malheur . »
Elle le quitta , alors je me montrai ; & ,
charmé de voir qu'ellejme préféroit à
mon rival , je la ferrai dans mes bras , &
lui dis tout ce que la reconnoiſſance &
l'amour m'inspirerent. Mon rival ne pue
AVRIL. 1772. 31
foutenir ma vue , il s'enfuit, &je fus aſſez
ſimple de courir après lui. J'avois tant
ſouffert par ma jalouſie que j'eus pitié de
fon état. Il me fit de mauvaiſes excuſes,
je les pris pour bonnes ,& nous devînmes
les meilleurs amis du monde.
Deux jours après nous partimes. Nous
nous embarquames , Axa , ma fille , Lowthon
, Tabul & moi. Nous avions eu ſoin
de prendre quantité de fruits&toutes les
richeſſes de la caverne. Nous navigeâmes
ſans danger juſqu'à la hauteur de la rivière
des Amazones. Nous prîmes ſur la
droite, eſpérant trouver quelque vaiſſeau
qui nous conduisit plus commodément
dansune desColonies Angloiſes , où nos.
richeſſes nous faiſoient eſpérer de mener
une vie des plus agréables .
Peu faits à la fatigue de la mer , nous
nous en trouvâmes incommodés. Une
nuit qu'Axa & Tabul s'étoient aſſoupis ,
le barbare Lowthon me ſaiſit & me jetta
dans la mer , fans pitié pour l'innocente
que je tenois dans mes bras. Je ne ſçais
ce que je devins dans ce fatal moment.
En revenant à moi , je me trouvai fur un
ſable aride , tenant ma fille ferrée contre
mon ſein . Le déſeſpoir s'empara de tout
mon être ; vingt fois je fus tenté de me
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
jetter à la mer , & vingt fois l'intérêt de
mon enfant me retint. L'obſcurité ajoutoit
encore à ma douleur. Les cris de ma
fille , le broüiſſement des vagues , tout ſe
réuniffoit pour augmenter moneffroi . Je
paſſai toute la nuit dans ce cruel état. Le
crime de Lowthon , la perte d'une épouſe
adorée m'étonnoient au point qu'ils n'ô .
toient la faculté de penſer. Lejour parut,
mes yeux noyés dans les larmes errèrent
au tour de moi , & n'apperçurent aucun
veſtige d'hommes ni d'animaux . Un fable
brûlant fut le ſeul objet qui ſe préſenta à
ma vue .
Axa , l'infortunée Axa fut l'objet de
toutes mes penſées. Je craignois pour ſa
vie , pour fon honneur; je priois le Dieu
du cruel Lowthon de la défendre contre
les attaques de ce perfide. Je paſſai trois
jours dans cet état fans prendre aucune
nourriture , ne foutenant ma fille qu'avec
ma falive & mes larmes. L'amour paternel
fut feul capable de me faire ſupperter
la vie. Je parcourus les bords de la
mer , je m'enfonçai dans les terres , toutes
mes recherches furent vaines. Je faifois
retentir ce déſert de mes cris , je m'emportois
contre ce Dieu qu'on m'avoit dépeint
fi doux , fi bon; je l'accufois d'ins
AVRIL. 1772 . 33
juſtice& de cruauté. Ma fureur monta à
un tel excès queje pris une pierre aigue ,
dont je fracaſſai la tête de mon enfant.
J'embraſſai ſes reſtes ſanglans , & , réſolu
de finir à la fois & ma vie & ma miſére ,
je me traînai ſur le rivage , & m'élançai
dans la mer.
Vous frémiflez , Chevalier ; vos yeux
ſe détournent avec horreur. Vous m'appellez
monſtre , aſſaſſin , parricide. Je mé.
rite tous ces noms ; vos reproches ne peuvent
égaler mon repentir.
Un amour pour la vie , dontje ne me
croyois pas capable , me fit efforcer de
nager & de regagner la rive. Ma foibleſſe
trompa mon attente , les flots me porterent
au loin. Un navire m'appercut , détacha
une chaloupe & me fecourut dans
l'inſtant où je commençois à perdre le
ſentiment. On me fit avaler d'une liqueur
fortifiante qui rappella mes eſprits . On
me porta dans le vaiſſean ; mais o Dieu !
quelle fut ma ſurpriſe , ma rage ! .. Axa ,
Lowthon furent les premiers objets qui
frappètent mes yeux mourans. Axa , ma
chère Axa , tremblante , preſqu'inanimée,
étoit penchée dans les bras du pertide
Lowthon. La vue de ce traître ranima mes
forces éteintes , je me précipitai ſur lui ,
By
34
MERCURE DE FRANCE.
lui arrachai fon épée & le perçai . Ce per
fide la retira de ſon corps , & me regardant
avec des yeux terribles ,je meurs ,je
me venge : il dit & plongea le fer dans le
fein de la malheureuſe Axa .
Je fis un cri perçant & tombai ſans connoiſlance.
Lorſque je revins de cette pamoiſon
,j'eus untranſport ſi violent qu'on
fut obligé de me lier. Je demeurai quinze
jours dans cet état. Mon premier ſoin ,
quand la raiſon me revint,futde demander
des nouvelles d'Axa. L'air, le ton dont on
me répondit ; Tabul que je vis près de
-mon lit fondant en pleurs , tout me perfuada
qu'il n'étoit plus d'Axa pour moi.
Mon déſeſpoir fut des plus violens ; on
ne ſeroit jamais venu à bout de le calmer,
ſi l'aumônier du vaiſleau , que mon épouſe
avoit inſtruit de nos malheurs communs
, ne m'eût conſolé & ne m'eût garanti
de ma propre fureur.
Il parvint enfin à me faire concevoir
les vérités de la religion. Quel renouvellement
de douleur n'éprouvé je pas ,
quand je fus que j'étois parricide& inceftueux.
Dieu me fit enfin la grace de me
reconnoître . Notre vaiſſeau relacha à St
Salvator ; je ſaiſis cette occaſion pour me
conſacrer à ce Dieu qui m'a attiré à lui pas
AVRIL. 1772. 35
des chemins de douleur. Les larmes , les
prières font ma ſeule reſſource. Le tems
ne peut rien ſur l'âpretéde mon chagrin :
votre amitié , Chevalier , eſt la ſeule choſe
qui puiſſe l'adoucir. Puiſſe mon funeſte
récit ne me la pas faire perdre ! Le ſouvenir
d'Axa , ſa mort infortunée , ma
fille , la trahifon de Lowthon m'occupent
tout-à-tour. L'enſemble m'épuiſe & ne
me laiſſe que la force de vous dire adieu ,
& celled'attendre la mort , comme le ſeul
remède à mes maux .
Traduit de l'allemand, par Mlle Matně
deMorville.
LE danger des Proverbes nationaux ,
Si l'on
Conte.
ne veut pailer pour un original ,
Au fiécle il faut qu'on s'accommode;
Mon conte un peu ſera moral ,
Puiſque la morale eſt de mode.
Sur l'épaule d'un ſien ami
Un Fat , auſſi fou qu'il ſe puiſſe ,
Frappe & s'écrie : es-tu donc endormi,
Ou ton eſprit rêve-t'il à la Suiffe?
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
C'étoit dans un café : certain Suiſſe !' entend :
A la Suifle, Monfieur ! ſçachez qu'un Suifle penſe,
>>C'en eſt un qui vous parle &dès ce même inftant
,
>>S'il vous plait , de me ſuivre ayez la complaifance...>>>
Il fort , ſe bat , eſt bleſſé , reconduit ,
Et le tout ſans beaucoup de bruit.
De ſa bleſſure très - légère
Il eſt rétabli promptement ;
La Renommée eſt menſongère ,
'Elle brodoit l'événement .
Selon fon uſage ordinaire
Il retourne au café ... Bon jour... Qu'est- ce ? ..
Comment ? ...
On dit ... Contez - nous votre affaire ...
N'y ſongeons plus , répond-il leſtement ,
Ce fut un rien , une milère ,
Une querelle d'Allemand ;
Un Allemand quinteux étoit de l'auditoire :
On ſe battit encore au rapport de l'hiſtoire.
Qui fut vainqueur ? mon Fat; il vante ſon ſuecès
,
(Du ſuccès vanité to ujours eſt la compagne )
J'ai fait , raconta-t'il , la nique à l'Allemagne ,
Mon gros champion parut fier comme un Ecoffais
,
Mais pour l'Ecofle autre procès
AVRIL. 1772. 37
Autre combat... Dieu ! quelle extravagance ,
Lui reproche un ſçavant , c'est être bien Frençais!
Etpour venger la gloire de la France
Il court s'efcrimer de nouveau .
Ainſi pouvoit ſa ſanguinaire ronde
Finir par l'envoyer juſques en l'autre monde.
Son dernier accident lui mûrit le cerveau.
Loin, pour des lieux - communs , ces haines éter
nelles
,
Et que les Nations ſe reſpectent entre elles.
ParM. Guichard.
QUATRAIN pour mettre au bas du portraitde
Madame la Marquise d'Antre.
mont.
L'AIMABLE modeftic orne ſes traits brillans .
L'amour , d'un oeil joyeux l'admire , la contemple.
A ſes vertus Minerve élève un temple ,
Le dieudes vers un trône à ſes talens .
ParM. le François.
38 MERCURE DE FRANCE.
L'AMATEUR.
DANAnSs notre fiécle on ne fait rien qui vaille,
Diſoit un amateur tenant une médaille ,
Qu'il retournoit d'un & d'autre côré ;
Ma foi vive l'antiquité !
Oui... oui.. cette tête eſt divine ;
Rome fut fon berceau ; qui la voit le devine...
D'Eglé dans le moment il vante les appas ;
Mais celle-ci finement lui replique ,
Eh ! Monheur , vous n'y penſez pas ;
Me prenez - vous pour une antique ?
ParM. Houllier de St Remy.
EGLE & LE MOINEAU. Fable.
Aux bords d'un tranquille ruiſſeaw
Voltigeoit un jeune Moineau ;
Eglé le voit , elle en eſt folle :
Sans bruit , à petits pas , elle avance , & foudain
Etend le bras , ouvre la main ,
La ferme ... mais l'oiſeau s'envole.
AVRIL. 1772 . 39
Ainfi trompés par nos defirs
Nous n'embraſſons ſouvent que l'ombre des plai
firs.
Parle même.
A M. le Vicomte DE BAR , Garde-
Marine à Toulon .
Lorsqu'a peine échappé des horreurs du nau
frage,
Denouveau dans les flots on te vit te plonger ,
Une ſublime ivreffe échauffoit ton courage.
De ton ami la vie eſt en danger ,
Tu ne peux la ſauver qu'en expoſant la tienne.
Le ſentiment nedélibère pas ;
Son charine impérieux te maîtriſe , t'entraîne,
Tu voles , & déjà les efforts de ton bras ,
A l'onde qui mugit ont arraché ſa proie.
Dans ce moment ſi cher à tes tendres defirs,
Ton ame ſe livra toute entière à la joie :
Tu reffentis ces vrais plaiſirs ,
Cette eſtime de ſoi , cette volupté pure ,
Qu'au plus ſaintdes devoirs attachala nature
Ainſi , de ton ami devenu le Sauveur ,
D'un acte vertueux la douce confcience ,
Suite de ton bienfait , en fut la récompenfe.
Celle quiluiſuccéde eſt digne de ton coeur.
40 MERCURE DE FRANCE
« Puiſqu'il aime ſi bien , qu'il ſe nomme lui-
-même
>>U>n camarade généreux ,
>>Qui ſache l'aimer comme il aime. ( 1 )
De ce prix délicat que le choix eſt heureux !
Ce choix n'eſt pas de vous , ames indifférentes ,
Qui ſuivez le devoir , &jamais le penchant ,
Et qui , froidement bienfaiſantes ,
Souvent , même en récompenfant ,
D'une ame qui s'honore offenſez la nobleffe;
Jugez les actions avant de les payer :
Qui n'a pas l'heureux don de les apprécier ,
Aveugle dans ſes dons , flatte moins qu'il ne
bleffe.
ſa voix: Le Miniſtre ( 2) a parlé , Louis entend
Tout ſentiment, tout acte de tendreſſe
Ne peut qu'être applaudi du plus aimé des Rois ;
Ta générosité le charme , l'intéreſſe ,
Et ton maître veut qu'une fois
Adix-huit ans , tu ſois dépofiraire
De ſa puiſſance &de ſes droits.
Déjà mille rivaux aſpirent à te plaire ;
Mais bannis les égards , écarte la faveur :
Dans le choix d'un ami , d'une main étrangère
Le ſecours eſt ſouvent trompeur.
(1) Il lui a été accordé la nomination d'un
Garde-Marine .
(2)M. de Boynes.
AVRIL . 1772 . 41
Suis un guide plus für , ton penchant , & prefère-
Celui qui te ſera déſigné pour ton coeur.
ENVO 1 .
1
L eſt beau de gagner au printems de ſon âge ,
Le prix de l'immortalité.
L'Europe entière read hommage
Au noble dévouement qui te l'a mérité.
Fière de ce trait qui l'honore ,
La France s'applaudit de t'avoir enfanté ;
Que ne lui promet pas une ſi belle aurore?
Tu ne trahiras point ſes voeux & ſon amour ;
Ton ame lui répond du reſte de ta vie :
Héros de l'amitié , jeune guerrier , un jour
Tu le ſeras de la patrie.
ANECDOTE.
COLLETTE , jeune & jolie , fille d'un
pauvre laboureur , aimoit Collin & en
étoit aimée. Au village, l'amour conduit
toujours au temple de l'hymen. Celui de
Collette devoit être célébré dans peu . La
veilledu jour qui alloit mettre le comble
au bonheur de ces jeunes époux , Collete
s'occupoit avec ſes compagnes à former
42 MERCURE DE FRANCE.
:
des guirlandes de fleurs pour orner la fête
&s'en parer elle-même. Pendant qu'elles
étoient fi agréablement occupées,Collin
menoit fes troupeaux paître dans la
prairie. La chaleur du jour invita le berger
à ſe coucher ſur l'herbe , où il s'endormit
profondément. Les rofes de la jeuneſſe
&de la ſanté coloroient fon teint ,
fa bouche vermeille paroiſſoit ſourire ,
c'étoit ſans doute l'effet d'un rêve agréa
ble. Un jeune ſeigneur dont le château
étoit peu diſtant du hameau , ſe promenoit
en rêvant dans cette prairie où dormoit
Collin ; il le voit, s'arrête & dit affez
haut : que ce ruſtre eſt heureux ! comme
il dort d'un fommeil paiſible fur ce gazon
, tandis que moi couché dans un lit,
fait parles mains de la volupté , n'ai pu
fermer les yeux. Ces propos accompagnés
d'un profond foupir réveillèrent le
berger. Eft- ce toi , Collete , dit - il en ſe
frottant les yeux ? Eh ! qui eſt cette Colete
, mon ami ? Ah ! Monſeigneur, c'eſt
une jolie fille du village que j'aime bien ,
& que j'épouſe demain. -Quoi ! tu te
maries demain , & tu dors ſi tranquillement
aujourd'hui ? -Eh ! oui , Monfeigneur
, eſt - ce que d'être bien aiſe cela
empêche de dormir ? Si vous vouleznous
AVRIL. 1772 . 43
faire l'honneur de venir à nos nôces vous
verrez que nous ne dormons pas toujours.
-J'irai , je te le promets. -Collin retourna
tout joyeux au village & raconta
ſon aventure à Collete, qui rougit un peu;
les nôces ſe célébrèrent ; la ſimplicité en
faiſoit l'ornement , & l'allégreſſe pure
tous les frais. Le jeune Seigneur tint parole
, il aſſiſta à la fête , ſe mêla dans les
danſes , tout en diſant mille jolies choſes
à Collete , qu'elle n'entendit pas ou feignit
de ne pas entendre.
Peu de jours après , un incendie dans
le hameau vint troubler la joie de ces
heureux époux ; leur chaumière fut enveloppée
dans ce malheur ; ils l'avoient
achetée d'un laboureur leur voiſin & ne
l'avoient pas encore payée. La pauvre
Collete & fon mari ne ſavoient où donner
de la tête. Que ferons nous , que deviendrons
- nous , comment nous acquiter
où rebâtir notre cabane , nous avons
tout perdu ? Ecoute ,Collete , il me vient
une idée , j'irai trouver cet aimable Seignent
qui eſt venu à nos nôces ; je lui
conterai nos malheurs , &peut-être nous
prêtera-t- il de quoi payer ou rebâtir notre
maiſon . Cela ſeroit bon , mon cher Colin
, mais j'ai un peu peur de ces grands
,
44 MERCURE DE FRANCE.
ſeigneurs ; on dit qu'ils ne font rien pour
rien. Eh ! que crains- tu Collete ? Celuici
eſt marié , eſt- ce qu'on ſe ſoucie de la
femmed'un autre quand on en a une ? Et
puis tu es honnête ,& tu m'aimes bien.
Là - deſſus ils s'embraſfèrent , & Collin
partit. Arrivé au château il aborde en
tremblant un des domeſtiques; il demande
à parler à ſon maître pour des affaires
très preſſantes ; le laquais répond qu'il va
l'annoncer, & fur le champ Collin eſt introduit.
Bon jour l'ami , lui dit le jeune
ſeigneur , qui t'amènes ſi matin ? Comment
ſe porte la charmante Collete ? Hélas
! Monseigneur , elle ſe porteroit aſſez
bienſans le malheur qui nous eſt arrivé.
La nuit paſſée notre chaumière a été brûlée
avecpluſieurs autres du village. Nous
l'avions achetée d'un voiſin , & il ne nous
refte ni de quoi la payer , ni de quoi en
rebâtir une autre. Nous ſommes à la rue
ſi votre grandeur ne nous fait pas la grace
de nous prêter quelque argent. Ah ! mon
pauvre Collin, que ton infortune me touche
, & que je voudrois pouvoir y remédier
; mais je n'ai pas un fol à l'heure
qu'il eſt ; je perdis hier à une partie de
loup tout l'argent comptant qu'il mereftoit
! -Collin recula d'un pas. -Quoi !
AVRIL. 1772. 45
Monſeigneur , vous badinez ici avec les
loups , tandis que nous en avons ſi peu
au village.
Tu ne m'entends pas , mon cher Collin
, c'eſt un jeu qu'on appelle le Loup ;
on y perd , il faut payer , & c'eſt juſtement
ce qui fait qu'il ne me reſte rien
pour te ſecourir. -Le pauvre Collin
après ce triſte oracle , tira ſa révérence &
partit , le coeur bien déchiré. -Collete
l'attendoit avec impatience. -Hé bien !
mon ami , quelle nouvelle ? Ah ! ma pauvre
enfant, je reviens les mains vides.
Le Seigneur du château m'a preſque fait
pitié. Il eſt doux & honnête , mais il n'a
pas un fol. Il conta mot à mot tout ce
que le gentilhomme lui avoit dit , & finit
par verſer des larmes. Collete ſanglottoir
fi fort que les villageois s'atrouppèrent
autour d'elle. La laboureur & ſa femme
qui leur avoient vendu la cabanne étoient
de la troupe.-Qu'avez vous donc , mes
enfans , pour vous tant attriſter ? -Ah !
pouvez-vous le demander ? Nous ſommes
vos débiteurs , & vous n'ignorez pas le
malheur qui nous eſt arrivé la nuit pafſée.
Oh ! dit la bonne fenime , ſi c'eſt - là
ce qui vous afflige , ſoyez tranquilles ; je
46 MERCURE DE FRANCE.
ne vous demande rien ( 1 ) . Si Dieu vous
met en état un jour de me payer , à la
bonne heure , finon je vous remets la dette
de tout mon coeur.-D'autres payſans
ſe mirent de la converſation , & dirent à
cette généreuſe femme qu'ayant été incendiée
elle- même, elle devoit aller réclamer
les graces du Roi . C'eſt un ſi bon
Prince , difoient- ils; c'eſt le vrai Père de
fon Peuple . Voyez comme il a ſoin des
pauvres. Tous les jours il leur donne des
preuves de fon amour. Dieu nous le conſerve.
-Je fai , comme vous, répondoit
la bonne femme , que nous avons le neilleur
des Rois ; cependant je me garderai
bien d'aller l'importuner , & intercepter
peut- être des charités dont nos infortunés
voiſinsqui ont tout perdu ont plus beſoin
que moi. Voyez-vous cette petite cabane
, elle m'a été confervée ; elle fuffit
pour mettre mon mari , mes enfans &
moi à l'abri de l'injure du tems ? Je ſuis
vigoureuſe , je puis travailler. Croyez-
(1 ) Des gens dignes de foi m'ont aſſuré qu'ils ont
été témoins de ce procédé & de ces diſcours d'une
payſanne du village de Hvidovre , nommée Ellen
Lars Pavelſen. Ce sont les mêmes mots que
l'on rapportedans cette hiſtoire.
AVRIL . 1772 . 47
moi , mes enfans , faites comme moi ,
prenez courage ; vous n'êtes peut-être pas
ſi mal que vous le penſez. os troupeaux
ne ſont pas péris. Ils ne font qu'égarés .
Va , Colin , va par la campagne , ratfemble-
les ; & toi Collete ſuis-moi , je vais
te donner de l'ouvrage ; vous partagerez
l'un & l'autre avec nous le peu qui nous
reſte , & le Ciel, témoin de nos efforts &
de nos peines , les bénira .
EPITRE à Mademoiselle R ***.
L'ART de plaire ,
Ma bergère ,
Eſt un don
Vraiment bon ;
Quand les femmes
Ont des ames
Que l'on peut ,
Comme on veut ,
Ou conduire
Ou réduire ;
Mais auſſi
Le fouci
Qui m'occupe
Eſt qu'en juppo
۱
48 MERCURE DE FRANCE.
L'on me dit
Qu'on ne vit ,
De la vie ,
Que folie ,
Que hauteurs
Etque coeurs
Indociles ,
Volatiles
Et trompeurs.
Mes frayeurs
Sont extrêmes.
Dieux ſuprêmes
Eſt-il, vrai
Que j'aurai
Dans mon ame
Une flame ,
Parvos ſoins
Qui rien moins
Qu'éternelle
Etcruelle
M'ôtera
Ravira
Toute joie?
Non. Qu'on croie
Que les dieux
Sont ſans yeux ,
Que leurs fléches
Font des bréches
AVRIL. 1772. 49
Anos coeurs ;
Etqu'auteurs
Denos chaînes ,
Par des peines ,
Leur courroux
Faitde nous
Les victimes
De leurs crimes :
C'eſt ma foi ,
Selon moi ,
Une impie ,
Héréſie .
Clairvoyans ,
Point méchans ,
L'on peut dire
Que leur ire
N'a de feux
Que pour ceux
Dont l'oreille
Ne s'éveille
Aleur voix
Que par fois.
Par exemple ;
Quand au temple
De l'Amour ,
Chaque jour ,
L'on ne brûle ,
Sans ſcrupule ,
1. Vol. C
So
MERCURE DE FRANCE.
De l'encens ;
Dans le tems
Qu'il vousdompte
Et furmonte ;
Envers vous
Son courroux
Eſt étrange;
Il ſe venge.
D'autre part ,
Si ſans fard ,
Et fidèle ,
Votre zèle
Chaque jour
A l'Amour
Sacrifie
Votre vie
De defirs ,
De plaifirs
Et de joie
Eſt la voie.
Quel bonheur
Pour un cooeur !
Ma bergère
Veux-tu plaire
A ces dieux ;
Tu le peux ,
Soisamante
Etconftante ;
AVRIL. 1772. SI
Etpour moi
Mon emploi ,
Mon bien être
Sera d'être
Ton amant
Très-conſtant.
Par M. Dubois.
CONTE.
Daux villageois couchoient EUX dans une étable :
Certain plancher des boeufs les ſéparoit ;
Par une échelle on y grimpoit ,
Et ſur la paille on y dormoit :
Quand on eſt fatigué , tout lit eſt agréable.
Tandis qu'un d'eux en ſommeillant ,
S'étend ſur ſon grabat , s'agite , ſe tourmente ,
Il écarte inſenſiblement
Quelques ais mal unis qui formoient la ſoupente.
Patatras ... tout s'écroule ; à bas notre manant ,
Sous le ventre des boeufs & toujours en ronflant.
Le voilà dont couché ſur la litière
Sans ſe douter qu'il ait roulé ,
Tant qu'à la fin meurtri , foulé ,
Il ouvre à peine la paupière.
Puis regardant au tour de ſoi;
1
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
"Guillot , dit- il, Guillot , dors- tu ? Nenni. Pour-
>> quoi?
Tiens , tiens , vois donc , l'avanture eſt nou-
>> velle ,
>>Ma foi les boeufs font montés à l'échelle. >>
ParM. D.
EPIGRAMME.
Sur un Portrait en pastel.
En quoi ! ce vieux portrait d'Hortenfe,
Cet antique paſtel , que d'amant en amant
J'ai vu ſe promener , eſt donc en ta puiſſance !
Mon cher Marquis,je t'en fais compliment.-
Comment le trouves - tu ? -Reflemblant ; c'eſt
dommage
Qu'à force de venir , revenir , voyager
La couleur ſe détache & commence à changer !
Je puis fairefixer un fi charmant ouvrage ,
Etje vais dès ce four chez Lorior (1 ) l'envoyer
L'envoyer chez Loriot ! Marquis , quelle démence!
Ah! ſi jamais tu le failoisfixer ,
Il y perdroit ſa reſſemblance !
Par M. L. D. B.
(1 ) Artiſte célèbre par ſon ſecret pour fixer le
paſtel.
AVRIL. 1772 . 53
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du volume du mois de Mars
1772 , eſt la Cloche ; celui de la ſeconde
eſt Portrait ; celui de la troiſième eſt Linge.
Le mot du premier logogryphe eſt
Rafoir , dans lequel ſe trouvent ori , or ,
roi , o , air , ris , fi , les ris , foir , oris ,
as , os ; celui du ſecond eſt Code , où l'on
trouve ode ; celui du troiſième eft Canne,
où se trouvent ane , canne , ( femelle du
canard) Anne , Anne, ( grand facrificateur
des Juifs ) an , Caen.
ÉNIGME
J ſuis une, & rous ſommes trois ,
D'amour & d'amitié je ſuis une compagne ,
Pour peu qu'on ait des yeux on me voit en campagne
,
Etje commence tous les mois ;
Si je n'existe point , il n'eſt homme , ni femme ,
Monfieur , Demoiſelles ni Dame ,
Et rien pourtant ne manque à l'Univers ;
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
On ne me voit jamais en faux jour ni travers ;
Unpoëte ſans moi ne peut faire aucun drame ,
Pas méme une ſeule épigramme ,
Etje ne ſuis proſe , ni vers ;
Il n'eſt ſans moi , lecteur , royaume , ni monar
que ;
Je ſuis avec la mort , &ne ſuis point la Parque ,
Néceflaire dans Rome , inutile à Paris :
C'en eſt aſſez , il faut queje me taiſe ;
Vous me devinerez à l'aile ,
Filles , qui cherchez des maris.
Par M. B.. , à Paris.
1
AUTRE.
RENEDNDEEZZ--VVOOUUSS journalier d'inutilescohortes ,
Je reçois dans mon ſein des gens de toutes fortes;
De tout rang , detout âge , oififs & parefleux
Que l'on trouve chez moi plas ſouvent que chez
eux .
L'un , cenſeur éternel , ſans ceſſe vous ennuie
Du tiflu menſonger du roman de ſa vie.
L'autre mauvais plaiſant, plus ennuyeux encor
De farcaſmes uſés , de bon mots vous endort.
Ici l'on voit Damon panché ſur une chaiſe ,
Faire le bel eſprit,débiter des fadaiſes.
AVRIL. 1772. 55
:
Là, fier d'un vieux plumet , enflé d'un titre vain ,
En vantant ſes ayeux , Dorilas meurt de faim ,
Ou bien c'eſt Bezenval qui , d'ancienne nouvelle ,
Avec un front d'airain vous fatigue l'oreille,
Certain qu'il vous apprend , comme des faits nouveaux
,
Que nommer un Bourbon , c'eſt nommer un héros
.
Qu'en penſes- tu , lecteur , crois tu me bien connoître.
Dirai- je qu'à Paris un Turc me donna l'être.
LOGOGRYPH Ε .
MEUBLE dans les appartemens ,
Je ſers à meſurer le tems ;
Anciennement je n'étois pas connue :
J'ai ſept pieds ; fort heureuſement ;
Car , cher lecteur , un de moins ſeulement ,
I'ar ma fois je ſerois... pendue.
Par M. Houllier de St Remi.
Civ
36
MERCURE DE FRANCE .
J
AUTRE.
I fuis , mon cher lecteur , un oiſeau domeſtique
Qui devient aisément un vrai meuble d'optique.
Parle même.
AUTRE.
J&fuis plus prompte qu'un éclair,
Sans parcourir , ſans fendre l'air ,
Je ſuis plus vite encor que foudre ou coulevrine ,
Je ſuis humorale ou fanguine ,
Accidentelle quelquefois ,
Je mets dans un clin d'oeil le plus fort aux abois ,
Quoique j'aille fans bruit, toujours à la fourdine.
Neuflettres compoſent mon nom :
Avec quatre , je ſuis un Anglois de renom ;
Un Saint , une ville d'Afie ;
Un Prince électif d'Italie ;
L'inſtrument des plaiſirs du marin , du grivois ;
Ce qui pare ou gâte un minois ;
Un prophéte fameux ; un des bouts de la terre;
AVRIL. 57 1772 .
Ce dicu qu'on prend ſouvent pour le dieu du tonerre
;
Un poiflon délicat , un duvet , un coton ;
Ce qui fait repoſer Caron ;
Un lieu toujours fâcheux ; un mince ou gros falaire;
Des habitans des airs l'agile itinéraire;
Maintenant ajoutons une lettre de plus ,
Et rendons , s'il ſe peut , notre être plus confus :
Par ce petit renfort je ſuis une rivière ;
Théâtre de tant de milére .
Une ville , undrap , un fourneau ,
Une espèce de dais qu'on porte fans chapeau ;
Un uſtencile de cuiſine;
Une invitation de barbare origine ;
Un bruit de guerre ou des forêts ;
Le ſigne affreux d'un mal dont on craint les pros
grès ;
Si l'on m'en ôte deux , je défends la patrie ;
Je ſuis effentieldans la géométrie;
Je ſuis la triſte fin d'une aimable liqueur ;
Des vicaires du Chriſt je fus un fuccefleur ;
Je ſuis un animal ſoupçonné de rapine ;
Je porte dans mon ſein plus ou moins de farine ;
J'aiguiſe ou donne l'appetit;
Dans un feſtin bourgeois je fais un très - grand
bruit ;
Je ſuis dans le blaſon un mot , une figure ;
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Ie fus avant ma ſoeur ( par certaine impoſture )
L'épouſe du fils d'Abraham ;
Ma foeur l'eut enſuite à mon dam :
M'en retranchez - vous trois , me voilà dans la
game ;
Je deviens un adverbe ou bien je ſuis la femme
Que Junon métamorphoſa ,
Qu'Argus dès lors toujours garda :
Ce dernier trait va me faire connoître ,
J'y confens , me voilà , je crains peu de paroître.
Par M. de Bouffanelle , brigadier des armées
du Roi , ancien capitaine au régiment du
Commiſſaire- Général de la Cavalerie.
NOUVELLES LITTÉRAIRES..
Traité de la Circulation & du Crédit , contenant
uue analyſe raiſonnée des fonds
d'Angleterre , & de ce qu'on appelle
commerce ou jeu d'actions ; un examen
critique de plufieurs traités ſur les impôts
, les finances , l'agriculture , la population
, le commerce , &c. précédé
✓de l'extrait d'un ouvrage intitulé Bilan
général& raisonnéde l'Angleterre depuis
1600 jusqu'en 1761 ; & ſuivi d'une
Pag. 53.
l'Amant heureux,
Les Paroles et laMusique sont deM.Davy.
Andantino.
Avril 83
2772 .
*
無
Non rien n'égale mon bon-
3
heur Lorsque sur
3
3
3
=po = se, Lors que sur
※
ton
seanje re=
3
ton sein je re
=pose.Pourprix demafi delle ardeur ,
Des peines que l'amour me cause Tu
saism'o-ter le souvenir Par le doux
+
char:me du plaisir , Par te doua
W
charme du plaisir. Non &c.
AVRIL. 1772. 59
lettre fur la jalousie du commerce , où
l'on prouve que l'intérêt des puiſſances
commerçantes ne ſe croiſe point , &c .
avec un tableau de ce qu'on appelle
commerce ou plutôt jeu d'actions. Par
l'auteur de l'Effai fur le Luxe & de la
Lettrefur lejeu de Cartes , qu'on a ajoutés
à la fin ; vol . in 8 °. A Amſterdam ;
& ſe trouve à Paris , chez Leclerc , quai
des Auguſtins ; prix , 3 liv . broché.
PLUSIEURS écrits contenusdans ce recueil
ont déjà été publiés. On reconnoît dans
ceux relatifs au commerce cet amour de
l'humanité, cet eſprit de logique,de calcul
& de combinaiſon particulier à l'auteur.
On les diftinguera ſur - tout de ceux que
le préjugé , la paffion, les petits intérêts
ou la manie des ſyſtêmes ont dictés . L'auteur
prouve très bien dans ſa lettre ſur la
jalouſie du commerce que les intérêts efſentiels
des puiſſances commerçantes ,
rivales & voiſines ne ſe croiferoient pas ,
au moins autant qu'on le penſe , ſi l'intérêt
particulier ne venoit ſouvent à la
traverſe.
La lettre inférée dans ce recueil fur le
jeu de cartes & où l'auteur eſſaie de prou
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
ver les avantages que le genre humain a
retiré de ce divertiſſement imaginé d'abord
pour amufer les enfans & des imbécilles
ne peut être regardée que comme
un badinage malgré le ton férieux
qui y règne. Voici le raiſonnement
de l'auteur. Avant que le jeu de cartes
fût devenu un amusement univer-
>>fel , les deux ſexes étoient moins unis ,
ود c'est-à- dire qu'ils étoient moins enſem-
>> ble , en ſociété , en compagnie : les
>> hommes l'étoient davantage ; il y avoit
" des cotteries ; on alloit à la taverne ; it
» y avoit plus d'ivrognes , & par confé-
>> quent plus de liaiſons , plus d'amitié.
ود L'ennui , une des plus grandes caufes
>> du développement de la pérfectibilité
>> humaine , excitoit les hommes à culti-
» ver leurs talens , à s'occuper , à étudier,
» à travailler , à cabaler , à faire des conf-
» pirations. La politique étoit le ſujet
ود des converſations , que le loiſir&l'en-
>> nui enfantoient : on contrôloit le gou-
>> vernement , on s'en plaignoit , on conf.
>> piroit , & l'on trouvoit des amis à qui
>> ſe fier : les grandes vertus & les grands
>> vices étoient plus ordinaires. D'un au-
» tre côté , les regards des hommes ne ſe
>> raſfaſiant pas des appas des femmes vis
AVRI L. 61
1772 .
>> à-vis un tapis verd au moyen du talif-
> man des cartes , l'amitié & l'amour
>> étoient des paſſions.Apréſent graces aux
>> cartes , on n'eſt guères que galant; on a
>> beaucoup de connoiſlances , & pas un
>> ami ; nombre de maîtreſſes , & pas une
>> amante . Un Mahometan , qui contem-
>>pleroit avec des yeux aſiatiques nos
>>grandes aſſemblées , auroit la malice de
>>croire que les bachas européens ont
>>leur férail en commun. Un jeu qui
>> mêle& confond les hommes & les fem-
» mes dans la ſociété doit donc forcement
>> ralentir l'énergie de l'amour. Ajoutez
>> à cela que les efforts pour fuir l'ennui
" ſe trouvent ralentis par cet amusement.
» Du relâchement de ces trois refforts ,
>> combinez en les effets , & calculez en
>>les réſultats , &c. >> On pourroit peutêtre
prouver avec autant de ſuccès les
avantages de la paralyfie ou de l'opium.
On diroit , en ſe ſervant du raiſonnement
de l'auteur , que la fermentation
des grandes paſſions produifant plus de
mal que de bien , la ſociété ne pourroit
que gagner à faire uſage d'une liqueur
qui énerveroit la force & l'activité des
membres qui la compofent.
62 MERCURE DE FRANCE.
Médecine primitive ou recueil des remèdes
choiſis & éprouvés par des expériences
conftantes , à l'uſage des gens
de la campagne , des riches &des pauvres;
traduit de l'anglois de Wefley
fur la treizième édition , revue & aumentée
conſidérablement .
Homeſum ; humani nihil à me alienum puto.
A Lyon , chez Jean - Marie Bruyſet ,
imprimeur libraire ;& à Paris , chez P.
F. Didot le jeune , libraire , quai des
Auguſtins ; prix , 2 liv. 10 f. rel.
Le nom de Médecine primitive donné à
ce recueil eſt aſſez justifié par le ſoin que
le médecin Anglois a pris de n'y admettre
que des remèdes ſimples , éprouvés &
qui ne peuvent jamais être auſſi diſpendieux
& même auffi à craindre par l'abus
qu'on en pourroit faire que les remèdes
chymiques & les galeniques compoſés.
Le traducteur, dans la vue de rendre cette
espéce de manuel d'un uſage encore plus
fûr & plus facile , a conſulté les meilleurs
praticiens & a donné des définitions
claires & préciſes de la plupart des maladies.
Ceux qui vivent à la campagne
uqui ſont éloignés de tout fecours trou
AVRIL. 1772 . 63
veront dans ce manuel un médecinà leur
portée & toujours prêt à les ſervir. On
leur conſeille ici néanmoins de ne pas
négliger dans des cas compliqués de confulter
un médecin de profeſſion. Ce médecin
ne verra quelquefois pas plus clair
que ceux qui le confultent. Mais comme
la pratique lui a appris les effets ordinaires
des remèdes , il ſaura s'arrêter , reculer
même à-propos . C'eſt auſſi ce que vouloit
faire entendre un habile praticien à M. le
Prince de ***, qui diſoit que la médecine
n'étoit qu'une ſcience conjecturale ,
&que les médecins étoient des aveugles
qui ſe mêloient d'en conduire d'autres .
« Il est vrai , répondit le médecin hom-
>> me d'esprit ; mais ſi les brouillards les
>>plus épais couvroient Paris & que Vo-
>> tre Alteſſe fût obligée de fortir de fon
>> palais , quel guide prendroit-elle pour
>> la conduire ? un aveugle ſans doute ,
>>qui par l'uſage qu'il auroit de fon bâ-
>> ton , lui indiqueroit les chemins plus
>>fûrement que tous ceux qui n'ont point
>>>contracté l'habitude de s'en fervir. >>
Ce manuel eſt précédé d'une préface
où l'auteur donne un petit nombre de
maximes ſimples , aiſées & préciſes pour
la conſervation de la ſanté. La plus im64
MERCURE DE FRANCE .
portante de ces maximes eſt d'établir une
proportion raifonnable entre la quantité
des alimens que l'on prend & celle du
mouvement ou de l'exercice du corps que
l'on eſt en état de faire , eu égard au degré
de force dont on jouit ; ce qui indique
aſſez que pour qu'il y ait un juſte équilibre
dans l'économie animale , ſans quoi la
furabondance ou le défaut d'humeurs furvient
, il faut que la dépenſe ſoit égale à
la recette. Cette maxime ſe trouve confirmée
par cet oracle du père de la médecine
: Non fatiari cibis & impigrum effe
ad laborem fanum efficit corpus.
Obfervations critiques fur le Traité de la
célébration des SS . Mystères ; par M.
Collet , conformément à la ſeptième
édition ; par le R. P. Nicolas Collin ,
docteur en théologie , chanoine regulier
de la réforme de Prémontré , ancien
prieur de Rengeval ; vol . in 12 .
AParis , chez de Bure père , libraire ,
quai des Auguſtins , & Cl. Hériſſant ,
rue Notre-Dame.
Ces obſervations annoncent dans l'auteur
une grande connoiſſance des rubriques
& de tout ce qui a rapport à la célébration
des SS. Myſtères. Sa critique eft
AVRIL. 1772 . 6
exacte , ſcrupuleuſe même & très détaillée.
Elle pourra être utile à ceux qui deſfirent
de connoître à fonds la matière dont
il s'agit.
L'Elève de la Nature , nouvelle édition ,
augmentée d'un volume , & ornée de
figures en taille douce.AAmſterdam ,
& ſe trouve à Lille , chez J. B. Henry ,
imprimeur- libraire ; ; parties in - 1 2 .
Les deux premières parties de cer ouvrage
publiées en 1763 , nous préfentent
un de nos ſemblables abandonné à la ſeulenature.
Les premières notions , les premiers
ſentimens de cet élève de la nature
ſe trouvent développés dans ce roman à
la faveur d'une fiction qui pouvoit être
plus heureuſe. Mais quelques fenfations
rendues avec afſſez de naïveté & des maximes
ſur l'éducation extraites de bons écrivains
& que l'auteur a ſçu habilement
s'approprier , ont fait agréer du Public
ces deux parties , dont l'une eſt intitulée
la Solitude ; & la ſeconde la Société. La
troiſième partie , ajoutéeà cette nouvelle
édition , a pour titre les Plaisirs champêtres;
elle eft dédiée aux Habitans de la
Virginie qui vivent au milieu de leurs
plantations de tabac. L'auteur , inspiré
66 MERCURE DE FRANCE.
par cet exemple , nous donne dans cette
derniere partie la description d'une république
qu'il établit dans une ifle dont le
nom étoit ignoré juſqu'à préſent. Elle
s'appelle l'ifle de la Paix Ses habitans
s'occupent de travaux champêtres . Ces
amas de maiſons nommés villes & où une
multitude d'animaux vivans , morts ou
mourans font raffemblés pêle & mêle ,font
inconnus dans cette ifle. Les moeurs s'y
confervent dans leur pureté parce que le
luxe n'y trouve pointd'alimens , & que le
vice qui ſe plaît dans le trouble & la confuſion
ne peuty tendre ſes voiles & drefſer
ſes embuches. Differentes peintures
des plaiſirs champêtres ornent
la description du ſéjour de la paix. Ces
peintures font empruntées pour la plûpart
de Lucréce , de Virgile & fur - tout
de Vaniere que l'auteur s'eſt contenté de
traduire. Lorsqu'il nous donne des préceptes
fur l'agriculture , il nous recommande
fur tout la plantation des grands
arbres. «On ſe plaint , dit- il, que le nom-
>> bre des hommes diminue , & ce mal-
>> heur est très-grand, on n'en fauroit affez
>> gémir ; mais on eſt inſenſible à un au-
>>>tre malheur , dont on devroit auſſi tâ-
>> cher d'arrêtet les progrès. La chymie &
AVRIL. 1772 . 67
» la molleſſe brûlent les trois quarts des
» arbres , le luxe emploie en bâtimens la
>> moitié de ce qui en reſte, & ni l'amour
>> de la nature , ni notre intérêt ne nous
>> font arrêter le mal ou le réparer. » L'auteur
ignore fans doute les ſoins que le
gouvernement prend journellement pour
former des pépinières & empêcher le dépériſſement
des forêts. '
Si la diminution de l'espèce humaine
dont parle encore l'auteur a lieu , ce n'eſt
pas la faute de nos politiques qui ſe font
toujoursbeaucoupplus occupésdesmoyens
d'accroître l'espèce humaine que de ce
qui est néceſſaire pour la perfectionner.
Cette diminution peut être un malheur.
Cependant lorsque l'on jette les yeux fur
le grand nombre d'infortunés quilingui
fentdans tel & tel pays , & que l'on eft
ſouvent obligé de renfermer parce qu'ils
manquentde pain &de travail, on feroit
tenté de ſouhaiter plutôt la diminution
de la population que fon accroiſſement .
La maxime du célèbre Pontife Sixte V
étoit qu'il valoit mieux détruire une ville
que de la remplir d'habitans malheureux .
Abregé chronologique de l'Histoire eccléfiaftique
civile & littéraire de Bourgogne;
68 MERCURE DE FRANCE.
depuis l'etabliſſement des Bourguignons
dans les Gaules juſqu'à l'année
1772 ; par M. Mille ; tome II , in- 8 °.
Etpius est patriæ facta referre labor .
Ov. Triftium , lib . 2 .
ADijon , chez Cauſſe , imprimeur ; d
Paris , chez Delalain , libraire , rue &
à côté de la Comédie Françoife .
Le ſecond volume de cet abregé préſente
la ſuite des événemens arrivés en
Bourgogne depuis la réunion du ſecond
royaume de Bourgogne à la Monarchie
Françoiſe en 613 , jusqu'aux démembremens
réels & effectifs qui ſe firent fous
les fucceffeurs de Charles le Chauve. La
méthode de l'hiſtorien eſt ſuffisamment
connue par le premier volume de cette
hiſtoire publiée l'année dernière. Elle a
été goûtée du plus grand nombre des lecteurs
qui ne peuvent ſe livrer à une lecture
ſuivie & qui regardent avec raiſon
l'ordre chronologique comme le plus
propre à conſtater les faits relatifs à chaque
révolution. Les différens livres de
cette hiſtoire font terminés par des notices
affez étendues fur les hommes & les
ſavans illuftres. Des notes accompagnent
AVRIL. 1772 . 69
le recit de l'hiſtorien . Ces notes discutent
des points de critique ou donnent
l'origine de divers uſages ou de quelques
proverbes . On dit encore affez cominunément
aujourd'hui lorsque l'on veut affurerquelque
choſe : J'enmettrois la main
aufeu. Cette façon de parler proverbiale
peut venir de l'injonction qui étoit faite
antrefois à l'accuſé qui vouloit juftifier
fon innocence d'étendre fa main fur un
brafier ardent oude prendre un fer chaud
ſans ſe brûler. Cette épreuve judiciaire
étoit réſervée ſur-tout aux eccléſiaſtiques,
aux moines & aux femmes. Vers le treizième
fiécle , un homme condamné à la
ſubir , refufa de s'y ſoumettre , diſant
qu'il n'étoit pas un charlatan. Comme le
juge , malgré cette réponſe , lui faifoit
quelqu'inſtance : « Je prendrai volontiers
>> le fer ardent , repliqua til , pourvu que
» je le reçoive de votre main. Le juge
trop prudent pour accepter la propofition ,
convint qu'ilne falloit point tenter Dieu,
M. Mille , pour nous donner une idée
de la magnificence & du faſte qui regnoient
à la cour du Roi Dagobert , nous
dit que St Eloy qui n'y étoit encore connu
que par ſes ouvrages d'orfévrerie
portoit des ceintures enrichies de pierre
70
MERCURE DE FRANCE .
ries . Mais St Eloy qui faifoit le commerce
de pierres précieuſes ne les portoit à
fa ceinture que pour les vendre. C'eſt encore
la pratique de pluſieurs Levantinsde
mettre dans leur ceinture qui leur fert de
poches les pierreries & les autres joyaux
dont ils font trafic .
Il y a , dans ce nouveau volume , pluſieurs
points de chronologie , d'hiſtoire ,
de géographie& de critique qui méritent
d'être difcutés ; mais de ſavans Bénédicrins
ſe ſont chargés de cette tâche, & nous
croyons que ceux qui ont lu cet abregé ne
doiventpoint ſedispenſerde ſe procurer la
lettre adreſſée à M. Mille ,&qui ſe diſtribue
à Paris chez Desprez, imprimeur , rue
St Jacques . Cette lettre & celles qui la
ſuivront ne peuvent d'ailleurs que contribuer
à rendre les recherches de l'hiſtorien
de Bourgogne plus utiles , plus intéreſſantes
& plus exactes.
Histoire nouvelle & impartiale d'Angleterre
, depuis l'invaſion de Jules - Céfar
jusqu'aux préliminaires de la paix
de 1762 , traduite de l'anglois de J.
Barrow. A Paris , chez J. P. Coſtard ,
rue St Jean-de- Beauvais.
M. Barrow a placé à la tête de cette
AVRIL. 1772 . 71
hiſtoire,des obſervations ſur l'origine des
habitans de la Grande Bretagne , leurs
coutumes , leurs moeurs , leur gouvernement
, leur commerce , leurs bardes ou
écrivains , leurs bois ſacres & leurs cérémonies
religieuſes. Ces obſervations ſont
une introduction néceſſaire à cette nouvelle
hiſtoire. Il ſeroit difficile , comme
l'obſerve l'hiſtorien , de fixer l'origine &
les premiers faits des Bretons & même
de tout autre peuple. Ces faits ſont obscurcis
par des relations fabuleuſes , par
des fictions extravagantes & des abfurdités
monstrueuſes que des hommes artificieux
& adroits ont cherché à multiplier
dans un âge qui étoit celui de la ſupeſtition
& de la crédulité. On nous peint ici
les premiers Bretons comme des gens
ſimples & de bonne foi dans le commerce
, qui ſe contentoient d'une nourriture
très frugale. " Une autre vertu , ajoute
" l'hiſtorien Anglois , qui rendit nos an-
>> cètres célèbres , fut l'hospitalité . Un
» étranger , parmi eux , étoit un objet
>> facré & inviolable : ils lui offroient
>> tous les fecours qui dépendoient d'eux ,
>>pendant tout le tems qu'il reſtoit dans
» l'ifle. » Mais les devoirs de l'hospitalité
furent également respectés par tous
72 MERCURE DE FRANCE.
les peuples de l'antiquité. On penſoit
alors que les Dieux mêmes prenoient
ſouvent la forme de voyageurs pour corriger
l'injustice des hommes , réprimer
leurs violences & leurs rapines. Cette
croyance jointe à la difficulté des chemins
, au défaut de commerce &d'hospices
publiques , & à l'embarras par conſéquent
pour les voyageurs de ſe procurer
les choſes les plus néceſſaires à la vie ,
avoient formé chez les premiers peuples
les liensde l'hospitalité. Mais aujourd'hui
que toute l'Europe eſt devenue voyagean .
te&commerçante , que chaque province,
chaque ville a des hospices pour les
étrangers, que les chemins ſontplus fûrs ,
que la circulation de l'argent s'eſt accélérée
par le moyen des lettres de change ,
&que nous jouiſſons de la commodité
des vaiſſeaux , des poſtes & autres voitures
, l'hospitalité a dû ſe perdre parmi
nous. Comment d'ailleurs pourroit-elle
ſe ſoutenir chez des peuples où regne
l'esprit de commerce & qui trafiqueroient
des élémens même s'ils étoient en
leur pouvoir?
Les premiers Bretons adoroient l'Etre
Suprême ſous les noms d'Eſus ou Heſus ,
dont le chêne étoit le ſymbole. Ils n'avoient
AVR 1774 73r
voient d'autre temple qu'un bois ou un
bosquet où ils faifoient toutes leurs cérémonies
religieuſes. Perſonne n'étoit admis
dans ces retraites ſacrées , à moins
qu'il ne portât avec lui une chaîne, comme
un témoignage d'une foumiffion fans,
bornes à la Divinité. Toute leur religions
conſiſtoit, dans fon origine, à reconnoitte,
que l'Etre Suprême qui venoit habiter,
dans ces bosquets ſagrés , gouverneit Univers
; que toute créature devoit obéirà
ſes loix & lui rendre les hommages divins.
Les Druides qui étoient les ministres
de la religion , s'étoient chargés, de
faire parler da Divinité & d'interprêter,
ſes décrets . Une des maximes de leur po
litique étoit de ne rien confier à l'écriture;
tous leurs myſtères étoient renfermés
dans des vers compofés à ce ſujer ,
&qu'ils retenoient de mémoire. Mais ce
qui contribuoit le plus à en impoſer au
peuple , c'étoit leurs prétendus entretiens
familiers avec les dieux. D'ailleurs pour
couvrir leur propre ignorance & dérober
leurs impoſtures à la connoiffance publi
que , ils ſe vantoient d'être inſtruits dans
la magie ; ils cultivoient en conféquence
quelques branches des mathématiques.
&particulièrement l'astronomie , Us pré
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
diſoient le tems , le nombre & la durée,
des éclypſes ; circonſtance qui ne pouvoit
manquer de leur attirer le respect de la
multitude ignorante. Ces prêtres enorgueillis
de leur pouvoir en abusèrent fouvent
, & il y a eu lieu de croire que les
Bretons , fatigués du joug des miniſtres'
de la théocratie , voulurent avoir patmi
eux les ſymboles vivans de la Divinité
&qu'ils créérent des Rois qui furentpour
enx les repréſentans du Monarque invifible.
M. Barrow , après cette courte introduction
, nous trace la ſuite des événemens
qui forment l'hiſtoire de la Grande
Bretagne , qu'il diviſe en pluſieurs périodes.
La première commence à la descente
de Jules-Céfar dans la Grande Bretagne.
Il ne paroît encore que les huit premiers
volumes de cet ouvrage , qui vont juf
qu'en l'année 1625. Nous les avons parcourus,&
nous avons vu avec plaifir que
l'auteur s'eſt rappellé la promeffe qu'il a
faite dans fon avertiſſement de ne point
s'écarter de cette fidélité qui fait le premier
ornement de l'hiſtoire .
:
1
Manuel deMorale , dédié à Monſeigneur
le Comte d'Arrois . A Paris , chez Ed-
P
α
AVRIL. 1772. 75
me , libraire , rue St Jean- de-Beauvais;
in 12. petit format , 1772 ; prix , 2 liv .
relié.
Ce livre eſt moins l'ouvrage de l'auteur
, comme il ledit lui- même , que celui
d'une multitude d'écrivains célèbres
dont il a recueilli les penſées & les maximes.
Mais c'eſt un mérite que d'avoir
fait un choix aufli heureux , & qui par la
variété des matières forme un cours de
philoſophie morale : philoſophie fans pédanterie
, ſans verbiage , ſans ſéchereſſe ,
où les préceptes ne font point noyés dans
un déluge de paroles , mais où tout eſt
ſubſtantiel , où chaque ligne , pour ainſi
dire , offre une leçon intéreſſante. Il eſt à
ſouhaiter, dit l'approbateur, M. Riballier,
que les perſonnes chargées de l'éducation
de la jeuneſſe mettent ce livre entre les
mains de leurs élèves , & ſuivent le plan
que l'auteur a tracé dans ſa préface. Nous
croyons ce plan très ſage en effet ; & peutêtre
, s'il étoit généralement& conftamment
ſuivi , en réſulteroit- il une heureuſe
révolution dans les moeurs.
Théâtre lyrique de M. de la J. 2 vol. in-
8°. , chacun de près de 400 pages. A
:
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
{
:
Paris , chez Barbou , rue des Mathu
rins ; V. Ducheſne , rue St Jacques , &
Jombert fils , rue Dauphine ; prix , 9 l.
de l'imprimerie de Barbou .
-11
Ce recueil , bien imprimé en beau papier
, contient un eſſai ſur l'opéra , huit
opéra précédés chacun d'un avant- propos
&des lettres critiques ſur quelques ouvrages
qui ont paru dernièrement, & qui
traitoient de la muſique &de l'imitation
desarts.
Cet eſſai fur l'opéra eſt diviſé en cinq
parties , qui ont pour objet la poëfie , la
muſique , l'art du chant & de la déclamation
, la danſe , les machines & tout ce
qui a rapport à la magnificence du ſpectacle.
Avant d'entrer en matière , l'auteur
examine les cauſes des foibles progrès de
l'opéra ; & il termine fon traité par des
réflexions morales & politiques ſur les
ſpectacles , fur les arts & fur leurs relations
avec les moeurs .
Les poëmes ont pour titres : Amphitrion,
balle-t héroï- comique entrois actes.
Antiope , ballet héroïque en trois actes,
précédé d'un prologue .
Alexandre & Thalestris , ballet héroïque
en trois actes.
Le Siège de Tyr, tragédie en cinq actes .
AVRIL. 1772 . 77
Scamandre , pastorale héroïque, en quatre
actes , précédée d'un prologue .
Maffitie , ou la fondation de Marſeille,
opéra en cinq actes .
Théſée , opéra en trois actes .
Sapho , opéra en trois actes .
Ces huit poëmes ſont précédés d'avantpropos
, dans leſquels l'auteur a traité différens
points de mythologie & d'hiſtoire ,
qu'il a ſemés de pluſieurs traits de morale
&de critique.
Les lettres qui terminent ce recueil
font écrites par l'auteur à ſon éditeur , en
réponſe aux ſollicitations que celui- ci lui
faifoit , pour l'engager à entreprendre la
critique du traité du Mélodrame & de
deux petits traités ſur l'imitation des arts,
qui ont paru dans les Mercures de Septembre
&de Novemb.de l'année dernière.
L'éditeur a inféré ces lettres dans le recueil
, pour fuppléer à la critique qu'il
demandoit .
L'auteur , dans ſa préface , s'annonce
comme un amateur qui ne s'eſt d'abord
livré à la compoſition des opéra que par
délaſſement , & que l'amour des arts a
tellement échauffé peu à peu qu'il a completté
ce recueil & s'eſt déterminé à le
donner au Public , fans autre motif que
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
celui de ſe rendre utile au ſpectacle de
l'opéra .
Annales de la ville de Toulouſe , dédiées à
Monſeigneur le Dauphin.A Paris chez
la veuve Duchefne rue Saint Jacques ,
au Temple duGoût , ſecond volume
in-4 .
Nous avons déja rendu compte du
premier volume de cet ouvrage intéreſfant
pour le Languedoc. Le ſecond volume
ajoute à l'idée que le public s'en
eft formée. Les termes mêmes de l'hiftorien
feront connoître quel plan il a
adopté . Nous avons cru que rien n'é-
>> toit plus rebutant pour des amateurs
>>éclairésque de lire ſous chaque année
>> ſeulement quelques phraſes peu liées
avec celles qui tiendroient à l'année
>>précédente , auxquelles ſeroient ajou-
>>tés les noms des Capitouls. Cette mo-
>> notonie fatigante , cette nomenclature
>>>continuelle , cette interruption des ma-
>> tières ſuffiroient ſeules à rebutermême
>> les perfonnes les plus avides de s'inf-
>>truire. Un plan bien différent nous a
>>paruremplir dignement les devoirs que
>>>nous impoſe cette entrepriſe. Nous
>> avons diviſé notre travail par chaque
AVRIL. 1772. 79
رد
«regne. Pour ne point interrompre la
>> narration , nous avons mis à la fin de
>> chacun d'eux la litte des capitouls.Cha-
>>que année étant notée à la marge & à
>>la tête de chaque élection , on connoî-
>>tra par les dates ſous leſquels de ces
>> magiſtrats un évènement s'eſt pallé...
L'hiſtorien a bien ſenti que l'hiſtoire
d'une feule ville pouvoit paroître à bien
des lecteurs un travail preſqu'inutile, puifqu'à
peine les faits principaux y ferojent
eſquillés , & en ſuivant ſon ſyſtême , il
defire toujours qu'elle ſerve à former les
moeurs.
Pour donner une idée de ce ſecond
volume , nous nous contenterons de citet
le chapitre dans lequel il s'agit des
Etats Généraux tenus ſous Philippe le
Bel. Voici comme l'auteur en parle. »Tou-
>> tes les affaires majeures de la monar-
>>chie ſe traitoient,dans ſon origine,dans
>>les aſſemblées genérales des Francs;
» c'eſt à dire , que tout ce qui n'étoit
>>point compris dans les ſujets du roi
>>nommés Leudes , Vaſſali Nobiliores
» & depuis Fidèles n'étant preſque
>>comptés pour rien , parce qu'il rampoit
>>dans la plus triſte ſervitude , ces allem-
>>blées n'étoient , en effet , compofées
,
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
>>que de grands. Pepin, premier Roide
>>la ſeconde race , tranſporta au mois de
>>Mai cette affemblée générale des Francs,
>> proprement dits , parce que ce mois
>> étoit plus agréable que celui de Mars ,
>> tems auquel elle ſe tenoit auparavant.
>>Plus on examine les monumens qui en
>>font reſtés depuis Charlemagne , &
>>plus on voit qu'on n'admettoit dans
> ces Parlemens que les principaux de
>>l'ordre laïque &eccléſiaſtique . Les évê-
>>ques & les hauts barons fiégeoient ainfi
>> deux fois par an , & jamais plus fou-
>>vent. Ces placites auguſtes ne peuvent
>>être mieux repréſentés qu'en citant un
>>capitulaire de Louis leDébonnaire ; peu
>>de paſſages renferment des vérités auffi
fublimes. Après avoir parlé de fes de-
>> firs ſur l'heureuſe manutention desloix,
>>ceroi empereur ajoute : Quoique cette
>> plénitude de miniſtère paroiſſe réſider
>> en entier dans notre perfonne , cepen-
>>dant il eſt de notoriété publique que
>>tant par l'autorité divine que par celle
>> des hommes , ce ministère eſt divifé
>>de manière que chacun de vous eft con-
>> nu pour partager avec nous ce même
>> miniſtère , bienque nôtre , ſuivant fon
>> rang& fa place. Par-là il eſt évident
AVRIL. , 1772 . 81I
>>que je dois être pour chacun de vous
>>unbon conſeiller , & que vous devez à
>> votre tour être mes coadjuteurs. Auſſi
>>n'ignorant pas quel devoir chacun de
>> vous doit remplir ſelon la partie d'ad-
>> miniſtration qui lui eſt confiée ,nous ne
> devons point négliger de donner en
>>conféquence à chacun de vous les avis
>> dont il a beſoin , felon ſon rang.
>>Jamais prince n'a pu établir par des ex-
> preſſions plus déciſives& plus touchan-
>> tes les devoirs réciproques &du chefde
>> la nation & de ceux qui , revêtus d'une
>>portion de ſon autorité, font chargés de
>> gouverner les peuples en fon nom..
>>Ce ne fut qu'au temps de Louis le
>> Gros , depuis 1108 juſqu'en 1137 que
❤ ce que l'on nomme aujourd'hui le
>>Tiers-Etat commença à être compté
>> pour quelque choſe , nous ne difons
"pas dans l'adminiſtration , mais même
>> dans l'état. L'établiſſement des com-
>> munes étoit à fon aurore fous ce regne,
» & ce fut fous Louis le jeune ſon fils
" qu'elle éclaira d'un nouveau jour ces
>>>milliers d'êtres plus ranıpans , plus
>> malheureux que les bètes fauves, &qui
>>juſqu'alors avoient eu les fatigues des
•bêtes de charge ſans en avoir les dé
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
>> dommagemens. Alors les arts nâqui-
>> rent du commerce ; ce père commun
>> des nations qu'on ne peut trop célé-
>> brer , & qui par ſa vigueur ou par ſa
>> foibleſſe eſt le pouls d'après lequel on
>> peut juger l'état de toute nation , & fes
>>forces ou ſes maladies ſecrettes ; alors
>> la tyrannie des Seigneurs particuliers
>>fut réprimée par ces communes , qui ,
>> marchant chacunes ſous leurs drapeaux
>> particuliers , formoient autant de corps
>> armés pour la libertédu citoyen & pour
→ la grandeur du prince. Les grands vaf-
>> faux oppoſant à la politique de Louis
» VIII, de Philippe Auguste & de Louis
>> IX, une politique égale , formèrent à
>> leur tour des communes dans les terres
>>qui leur appartenoient ,& delà l'origine
>> de l'arrière-ban , convoqué enſuite par
>> les Rois dans des temps d'infortunes/
>>Enfin la rédaction des communes en
>>corps bien diſtincts & bien établis , ne
>>fut conſommée que ſousPhilippe le Bel.
>>Ainſi pendant les huit ouneuf premiers
>>fiécles de la Monarchie Françoiſe , le
>>peuple ne fut point compris dans l'af-
>>ſemblée générale nommée Parlement.
>>On n'y voyoit point des hommes re-
>>préſentans tous les ordres de citoyens
1
AVRIL. 1772 . 83
>> ſoumis au roi . Enfin dans les guerres de
>>> la Flandre , ſi longues , ſi ruineuſes
>> pour la France , Enguerrand de Mari-
>>gny conſeilla à Philippe-le Bel d'af-
>>ſembler les états généraux ; & comme
>>les peuples avoient été accablés par les
>>impôrs, &que leurs murmures faifoient
>>craindre les plus grands defordres , on
>> ſentit que ce même peuple , ſi difficile
>>à manier , deviendroit auſſi ſoumis que
>>libéral , dès que le Prince paroiffant re-
> mettre toute ſa confiance en lui , l'ad-
>>mettroit dans un conſeil où l'on pique-
>> roit ſa généroſité. Ce qu'on avoit prévu
arriva . L'honneur de voter dans cette
>>aſſemblée repréſentative de la nation ,
>>parut une marque de confiance de la
>> part du Prince , trop glorieuse pour n'y
ود pas répondre par นก procédé ſemblable.
>> On donna de l'argent en échange de cet
>>>honneur nouveau. Mais dès- lors tout
>> changea. Juſqu'à ce tems , quelques
>>légers impôts avoient été payés par les
>>citoyens. Depuis que le roturier eût
>> donné ſa voix dans la tenue des états ,
>> il eut la liberté de préſenter des cahiers
>>dictés par le patriotiſme , où il renfer-
>>>moit des objets de réforme , des plans
>> d'éonomie. On admira , ou l'on feignit
-
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE,
>> d'admirer ; mais il paya tou ours à
>> compte : de forte qu'échappé à la tyran-
> nie du petitdeſpote qui l'attachoit à la
>>glebe , il ſe trouva confondu dans la
>>maſſe générale , feul chargé du faix des
<<travaux & des redevances publics ; enfin
>>plus honoré , plus riche , mais mis à
>>contribution en raiſon de ces honneurs ,
>> de ſon induſtrie & de ſes acquifitions.
>> Alors le nom de Parlement ne fut plus
>> donné à ces aſſemblées. Il paffa aux
>> corps établis pour juger les affaires par-
>>ticulières des citoyens ; alors les affem-
>> blées générales elles - mêmes ne furent
>> plus ces placites où la légiflation fondamentale
du royaume étoit exercée avec
>> autant d'étendue que de vigueur. On
» n'y traita plus ni de la paix , ni de la
> guerre, ni des alliances avec les Puiffan-
>> ces étrangères ; objets ſi importans , &
» qui entraînant par les dépenses qu'ils
>> exigent le reſte des opérations du Mi-
>>>niſtère , auroient dû refter liés aux dé-
>> libérations des Etats Généraux.Ces af-
>> ſemblées , fi dégénérées de ce qu'elles
>>>avoient été, furent bornées à difcuter la
>>> levée des ſubſides , la manière de les
>> percevoir ; c'eſt à dire , qu'au lieu de
>>délibérer fur les caufes , on ne traita
AVRIL. 83 1772 .
que des effets ; & qu'au lieu de voter
>>pour empêcher le mal , ou pour faire
>> naître le bien, on ne ſe raffembla que
>>pour trouver les moyens de faire du
>> mal le moins fortement qu'il feroit
>>>poffible ; car ce n'étoit pas même tou-
>> jours le plus foiblement potlible.
» Il réſulte de cès obſervations, que les
>>premiers Parlemens & les Etats-Géné-
>> raux n'ont jamais été la même choſe ,
»& n'ont jamais traité les mêmes objets .
>>>Nous remarquerons ſeulement ici qu'il
> eſt bien fingulier que le judicieux Paf-
» quier , en parlant du Tiers - Etat , dit ,
» que lorſqu'on eût décidé de l'admettre
>> aux Etats-Généraux, il ne fut ainfi nom-
» mé que pour reblandir d'un nom plus
» doux & moins bas , celui de Peuple .
>> Comment ce mot Peuple pent il n'être
>> ni doux ni noble ? Il eût fallu deman-
>> der aux Athéniens , quel nom étoit plus
>> digne d'être honoré & chéri. Quoi !
>> cette partie du monde , qui meurt, qui
>> combat & travaille pour ſes chefs ; ces
>> citoyens dont les ſueurs arroſent nos
> fillons & fertiliſent nos champs ; ces
>> artiſans qui préviennent nos beſoins ,
>> qui triomphent pour nous des ſaiſons ,
>>des tems , de la nature ; enfin ces hom
36 MERCURE DE FRANCE.
>> mes laborieux par état , compatiſſans
>> par penchant , utiles par inſtinct , éton.
>> nans par génie , le Peuple enfin , on
> croiroit ne rien nommer que de bas en
> en parlant : Malheur à ceux qui n'ont
>> point dans l'ame la ſenſibilité qui le
>> fait aimer.
Un des ſujets le plus détaillé de ce
volume eſt l'inſtitution des Jeux floraux.
L'auteur annonce les obligations qu'il a
contractées avec M. de Ponfau , l'un des
Quarante de cette Académie , par les recherches
curieuſes que cet académicien a
communiquées.
M. de Rozoi a joint à l'hiſtoire de Toulouſe
des notes hiſtoriques & généalogiques.
Il invite toutes les perſonnes qui
ont des mémoires ou des anecdotes analogues
à fon ouvrage , & dignes d'intéreſſer
ſes lecteurs , de vouloir bien les lui
communiquer ; &pour répondre aux vues
des perſonnesqui n'ont point encore foufcrit
, & qui deſirent ſe procurer ces annales
, on a prolongé laſouſcriptionjusqu'à
la livraiſon du troiſième volume.
Les Odes pythiques de Pindare , traduites
avec des remarques par M. Chabanon,
de l'académie royale des inſcriptions
AVRIL. 1772 . 87
&belles - lettres , & de l'académie de
Lyon . A Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriſtine près la rue Dauphine,
1772 ; in 8 °. broché , s liv.
Cette édition eſt remarquable par la
beauté de l'impreſſion & du papier. Le
texte grec eft imprimé avec le plus grand
ſoin à côté de la traduction qui eſt en
même tems littérale & facile. Chaque
ode eſt précédée d'un argument qui en
prépare l'intelligence , & ſuivie de notes
qui donnent l'explication des endroits
difficiles , & qui en font connoître les
principales alluſions ou imitations. Un
difcours préliminaire ſert d'introduction
à la lecture de Pindare , & en général à
celle des poëtes lyriques.Nous ferons connoître
plus particulièrement ce bon ouvrage
dans le Mercure prochain.
Differtation fur l'origine de la ville de
Dijon &fur les antiquités découvertes
fous les murs bátis par Aurélien A Dijon
, chez Fantin . 1
Le nom de la ville de Dijon eſt Celtique
, ſuivant pluſieurs ſavans & fignifie
Fontaines par alluſion aux ſources nombreuſes
qui defcendent des côteaux voi88
MERCURE DE FRANCE.
ſins . Un vers d'Anfone ſemble démontrer
cette étimologie :
Divona , Celtarum linguâ fons.
L'auteur de cette differtation propoſe
une autre conjecture. Divio , autre_mot
celtique ſignifie choix , préférence , &
Dijon eft en effet , dans ſon origine , un
pofte choiſi par Céfar pour former un de
ces camps que les Romains appelloient
Stativa . Il en fit une place d'armes & un
dépôt de légions pour contenir les peuples
de Langres & d'Autun ,les Séquanois
&les Helvétiens .
,
Quoiqu'il en ſoit de ces étimologies
auxquelles on peut en ſubſtituer d'autres
, ( 1 ) l'auteur de cette differtation
après avoir cherché l'origine de Dijon ,
parcourt rapidement ſon hiſtoire depuis
Céfar juſqu'au tems où elle est devenue
une capitale opulente & la patrie de pluſieurs
hommes de génie. ( 2)
( 1) Divio ne ſeroit - il pas une corruption de
Divifio ? Dijon eſt le point de partage où les eaux
de cette province ſe ſéparent pour couler les unes
dans l'Océan , les autres dans la Méditerranée.
Ce fait étoit connu des Romains .
(2) Boffuet , Crébillon , M. de Buffon , Ra
meau ,&c.
AVRIL. 1772 . 89
Il ſe forma une ville autour du camp
de Célar. Marc- Aurèle l'embellit. Les
Marcomans & les Quades la ruinèrent
dansleurs irruptions ; Aurelien la rebâtir.
Lesmonumens dont elle étoitornée avant
l'irruption des Barbares devinrent des
matériaux pour élever les nouveaux murs ,
&on les retrouve encore fous ces fondations
que le tems &les Barbares n'ont pu
détruire.
Dans la difette entière des fecours pour
l'hiſtoire des Gaulois , c'eſt une foible
reſſource que des bas-reliefs très dégra
dés , des inſcriptions fauſſes , des repréſentations
, tantôt de Gaulois & de Druides
, tantôt de Romains , le mêlange des
arts groffiers des Gaulois avec les arts imparfaits
d'une colonie romaine peu opulente
.
L'Antiquaire Dijonnois confidère chacun
de ces monumens , & en tire tout le
parti qu'on peut attendre du zèle d'un citoyen&
de la ſagacité d'ur hommed'eſprit.
On doit applaudir à ſes talens , à fesintentions
& à la tournure philofophique qu'il
donne à ſes ſavantes recherches .
En parcourant fon ouvrage on trouvera
des diſcuſſions intéreſſantes fur les Druides
, fur la décadence des arts au déclin
de l'Empire & quant aux monumens qu'il
9. MERCURE DE FRANCE.
araſſemblés,les plus eſtimables ſont quelques
ornemens d'architecture d'un deſſin
riche & élégant. Toutes les figures font
drapées , même un Apollon que l'on voit
à la planche XXI , avec cetre inſcription,
àMithras , père des étres. On fait que
Mithras , le Soleil , Apollon ſont la même
divinité. Le culte de Mithras avoit
paffé dans les Gaules , & les Gaulois y
avoient ajouté les idées des Grecs & des
Romains fur Apollon. On pourroit attaquer
quelques-unes des explications que
donne l'ingénieux Antiquaire. Mais la
plupart paroiſſent fondées , & fontdédui .
tes fans cet eſprit de pédanterie qui accompagne
trop ſouvent l'érudition .
Galerie Françoise. A Paris , chez Hériffant
fils , libraire , rue des Foſſés M. le
Prince ; in fol. avec gravures , V. ca
hier.
Cette ſuite intéreſſante des portraits &
de l'hiſtoire des Hommes célèbres qui ont
fait honneur à ce fiécle & à la Nation
Françoiſe , ſe continue avec ſuccès & avec
rapidité Le numéro V , ou le cinquième
cahier de cette belle collection contient
les portraits &les tableaux hiſtoriques du
Maréchal de Belle Isle , célèbre miniſtre
AVRIL. 1772 . 91
&habile guerrier ; de Lorry , ſavant profeffeur
en droit; de Crébillon , l'un des
premiers poëtes tragiques avoués par le
génie ; de Boucher , premier peintre du
Roi ,& le peintre desGraces;de Panard,
que la gaîté& la facilité de ſon eſprit &
de ſa poëfie ont fait ſur nommer le Père du
Vaudeville François. Cet ouvrage nous
paroît mériter de plus en plus l'eſtime &
la confiance du Public. La gravure des
portraits de ce Ve. cahier eſt traitée avec
beaucoup de foin & de talens par MM .
Mellini , Ingouf le jeune , Moitte , Miger
; & l'hiſtoire des hommes qui y font
célèbrés eſt remplie de traits de caractères&
d'anecdotes intéreſſantes qui peignent
leur ame & leur génie.
Lettres de M. le Chevalier de Boufflers pendant
ſon voyage en Suiffe , à Madame
Sa mère..... En Suisse 1772 , 26 pages.
Nous ignoronspar quelle voie les neuf
Lettres qui compoſent cette brochure trop
courte font parvenues à l'impreſſion ;mais
c'eſt undes dons les plus agréables qu'on
ait faits depuis long-tems au public. C'eſt
quelquefois la gaîtédu comte de Grammont
, c'eſt ailleurs le naturel & l'eſprit
de Madame de Sévigné , & par-tout c'eſt
92 MERCURE DE FRANCE.
l'ouvrage d'une imagination vive & enjouée.
Il eſt peu de lecteurs qui ne ſentent
quelque peine,en liſant ces Lettres ,
de voir qu'ils arriventtrop tôt à leur fin
&qui ne faffent des voeux pour que leur
ingénieux auteur voie encore divulguer
quelques unes de ſes correſpondances .
...
Le tableau qu'il fait de la Suiſſe dans
ſa ſeconde Lettre eſt plein de philofophie
&de gaîré. Ce peuple- ci, dit- il , me repré-
Sente les anciens gaulois. Il en a lasta.
ture , la force, le courage , lafierté , la douceur
& la liberté..... Les hommes y sèment
poureux , & ne recueillent pas pour d'autres.
Les payfansfont grands & forts ,
les paysannes font fortes & belles. Je remarque
que par tout oùily a de grandshommes
, il y a de belles femmes ,ſoit que les
climats les produisent , foit qu'elles viennent
les chercher ; ce qui ne seroit pas décent.
Cette nation- ci ne s'amuse guère , mais
ellejouit beaucoup ..... Les loix des Suif-
Sesfont auftères , mais ils ont le plaifir de
les faire eux-mêmes , & celui qu'on pend
poury avoir manqué , a le plaifir deſe voir
obéir par le bourreau.
La troiſiéme Lettre confirme ce que le
philoſophe gênevois nous avoit appris de
lafimplicité des moeurs de la ville de
AVRIL. 1772 . 93
Vévay. L'âge d'or dure encore pour ces
gens là , dit M. le Chevalier ; cen'estpas
lapeine d'être grand Seigneur pour se pré .
fenter chezeux; ilſuffit d'être homme. L'humanué
eft pource bonpeuple- ci,tout ce que la
parentéferoitpour un autre. Tablean char.
mant , & qui peut le diſputer à celui de
Tilluſtre ami de Scipion & de Lælius,
• • • . . Vel vicinitas
Quod ego in propinquâ parte amicitiæ puto.
Cette Lettre où M. le Chevalier de B.
conte avecgrace une.aventure qu'il a eue
à Vévay dans la qualité de peintre qu'il
avoit priſe pour s'amuſer , ſe termine de
la façon la plus plaifante & la moins attendue.
Mettez-moi aux pieds du Roi (Staniſlas)
contez-lui mes folies & annoncezlui
une de mes Lettres où je voudrois bien
lui manquer de reſpect afin de ne le pas ennuyer.
Les princes ont plus besoin d'être
divertis qu'adorés....
Me voilà dans les Alpes juſqu'au cou ,
dit- il dans ſa quatriéme Lettre , ily a des
endroits ici oùun enrhumé peut cracher à
fon choix dans l'Océan ou dans la Médi
téranée. Où est l'abbé P..... , queje le place
lui&fa perruqueſur le ſommet chauve des
94
MERCURE DE FRANCE.
Alpes , & quefa calotte devienne pour la
première fois le point le plus élevé de la
terre.
Une converſation de cinq heures qu'il
a eue avec le célèbre Haller en préſence
de dix ou douze témoins étonnés d'entendre
raiſonner un françois , l'a pénétré
d'eſtime pour ce philoſophe poëte , qu'il
ne trouve cependant point aſſez jaloux de
Voltaire. Malgré les applaudiſſemens
que lui a mérités fon entretien avec le
chantre fublime des Alpes , il eſt loin de
ſe croire ſon égal. J'ai vú , dit- il , que pour
parvenir à une certaineſupériorité , les li.
vres valent mieux que les chevaux.
On trouve dans la cinquiéme Lettre
quelques impromptus , dont la facilitéde
l'auteur pour tout ce qu'il veut faire eſt
le principal mérite. Il y annonce qu'il eſt
prêt d'arriver à Ferney d'où M. de Voltaire
lui a écrit une lettre charmante.
Vous avez mieux pris votre tems pour le
voir , dit- il à Madame ſa mère ; mais on
boit le vin de Tokaijuſqu'à la lie.
La ſixiéme Lettre eſt datéede Ferney ,
& voici comme il peint cet homme étonnant
, qu'inſulte quelquefois la médiocrité
chagrine , & qu'on commence , au
)
AVRIL. 1772 . 25
moins trop tard , à ne plus reſpecter affez.
Vous ne pouvez , dit - il , vous faire
d'idéede la dépense &du bien qu'il fait. Il
est le roi &lepère dupays qu'il habite. Il
fait le bonheur de ce qui l'entoure , & il
eft auſſi bon père defamille que bon poëte.
Si on le partageoit en deux , & queje viſſe
d'un côté l'homme que j'ai lu , &de l'autre
celui quej'entends , je ne sçais auquelje
courrois .
Cequ'il ya deplusjoli à Genève , dit
M. Je Chevalier de B..... dans ſa ſeptiéme
Lettre , cefont lesfemmes ; elles s'ennuient
comme des mortes , mais elles mériteroient
bien de s'amuser. Il fait à cette oc
cafion une remarque aſſez fingulière, c'eſt
que moins on eſt libre & mieux on aime
les femmes . Les Suiſſes s'en ſervent
moins que les François , & les Turcs
plus que ces derniers. Cette réfléxion lui
artache le quatrain ſuivant :
Vous dont l'empire eſt la beauté ,
Sexe charmant,je plains le Suiſſe qui vous brave,
Dequoi peut lui ſervir ſa triſte liberté ?
Si le Ciel vous deſtine à conſoler l'eſclave.
Il revient encore dans lahuitiéme Lettre
à l'éloge de M. de Voltaire. Il est ve
96 MERCURE DE FRANCE.
nu chez lui un Anglois , dit-il , qui nefe
laſſe point de l'entendre parlerAnglois , &
réciter tous les Poëmes de Dryden ..... Cet
homme là , ajoûte- t- il , est trop grand pour
'être contenu dans les limites defon pays.
C'est un préſent que la nature a fait à toute
la terre. Il a le don des Langues & des
in folio ; car on nefait pas comment il
a eu le temps d'apprendre les unes & de lire
les autres.
:
Onretrouvera dans la neuvième Lettre
les jolis vers que M. de B.... adreſſe àM.
deVoltaire & qu'on a lus avec plaifir dans
un des Almanachs des Muſes , ainſi que
l'ingénieuſe réponſe que fit M. de Voltaire
àces vers .
Nous le dirons encore , quand M. le
Chevalier de B..... murmureroit de l'infidélité
qu'on a pû lui faire en lui dérobant
ce petit recueil , de public ne pourra
que s'en féliciter , & en defirer un plus
conſidérable.
Le Diable amoureux , nouvelle espagnole.
A Naples 1772 , in 8º 144 pages avec
figures .
-C'eſt une opinion établie parmi nous
qu'on ne fait bien conftruire un ouvra
ge
AVRIL. 1772. 97
ge qu'en France , & cela ne prouve pas
qu'ils y ſoient toujours excellens ; mais
il réſulte de cet art , pour être un peu
méchanique , que preſque tous nos tableaux
modernes ſe reſſemblent pour le
faire.
Une Tragédie , un roman , un conte,
une comédie ont en général un air de famille
avec tel ouvrage du même genre
qui les a précédés , & impoferont aux
productions qui les ſuivront , àpeu près
la même phiſionomie.
,
Les exceptions à cette obſervation ſont
trop rares. Cependant il s'en rencontre
de tems à autre & l'imagination de
quelques écrivains moins fufceptibles de
la fervile imitation , jette dans un moule
nouveau les ouvrages que'lle aime à
créer.
Telle eſt celle de l'auteur du Diable
amoureux , déja connu par le joli poëme
enproſe d'Olivier , & par le Roman fingulier
du Lord Impromptu.
Le but moral de ce dernier ouvrage
que nous annonçons ( car il en a un malgré
fon apparente frivolité ) eſt d'armer
la force de nos principes contre la ſéduction
de nos penchans. Voici ſous quelle
enveloppe & ſous quel badinage l'auteur
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE
nousdonne cette utile leçon.Alvare,jeune
Eſpagnol impétueux & peu prudent , exige
de fon ami Soberano grand cabaliſte ,
de lui faire voir des eſprits. Il n'eſt intimidé
par aucun des dangers dont le me
nace ſon ami , & il eſt homme , dit- il ,
à tirer les oreilles au grand diable d'en .
fer.
Soberano ſe laiſſe vaincre & conduit
Alvare dans un ſouterrein où ſa curiofité
folle doit être fatisfaite. Dès que ce dernier
s'eſt placé dans le cercle magique , &
qu'il a prononcé la formule évocatoire
une fenêtre s'ouvre , il en fort un torrent
de lumière au milieu de laquelle paroît
une horrible tête de chameau qui , d'une
voix effrayante , lui demande ce qu'il
veut,
Alvare tremblant ſe rassûre ; il ofe
fixer le monſtre & lui ordonner de paroître
ſous la figure d'un eſpagnol . Il eſt
obéï , & pour tenir la parole qu'il avoit
donnée à Subérano , il tire les oreilles de
l'animal , qui le lêche , & auquel il demande
impérieuſement une collation
pour ſes amis. J'obéïrai , dit l'eſpagnol ;
mais fous quelle condition ? Sous celle
d'obéir , répond Alvare avec fermeté ,
*& auſſitôt le ſouterrein ſe change en un
AVRIL. 1772. 99
.
ſalon ſuperbe . Les préparatifs de la fête
- la plus galante & la plus riche ſe préſentent
aux yeux d'Alvare , qui dit à ſon efpagnolde
ſe transformer en page , & d'a :
vertir ſes amisqu'on les attend.
Ils arrivent ; ils s'étonnent ; on admire
; on cauſe , on boit. Biendetto , dir
Alvare à ſon page , lafignora Fiorentina
m'apromis de venir, voyezfielle n'estpoint
arrivée.
On annonce la cantatrice avec ſa har
pe. Nouvel enchantement. On n'a pas
plus de gofier , pas plus d'ame & pas plus
d'expreffion. On nesçauroit rendreplus, en
changeant moins.
Alvare lui-même eſt ému juſqu'à oublier
qu'il eſt le créateur du charme qui
le ravit.
On va'ſe ſéparer.Un équipage commo
de ſe préſente&l'eſpagnol commence à
réfléchir ſur tout ce qui lui eſt arrivé,& fur
ſon indiſcrette curioſité ; mais élevé par
ungentilhomme ſans reproche & par la
plus reſpectable mère de l'Extramadure ;
il ſe flatte de ſe rendre digne d'eux .
Arrivé dant ſa chambre , Biendetto ne
l'a point quitté ; il veut le renvoyer ,
mais le page eſt une femelle adroite &
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
intéreſſante qui obtient de coucher dans
fa chambre .
Alvare ne dort point ; il a le portrait
du page attaché aux quatre colonnes de
fon lit ; il s'efforce en vain de ſe rappeller
ſon origine ; le chant mélodieux de
la Signora Fiorentina , fait oublier le vilain
dromadaire.
Nous ne ſuivrons point exactement les
différens évènemens de cette nouvelle ,
&nous nous contenterens de dire que le
jeune eſpagnol une fois engagé avec l'efprit,
& toujours entouré de toutes les
illufions qui nous font perdre de vue nos
devoirs , ne reprend la route des fiens
qu'avec beaucoup de peine ..... Vous aviez
provoqué l'esprit malin , lui dit ſa mère ,
il s'eft préfenté comme une groſſe vilaine
bête , vous avezjugé à propos de lui donner
unetournure , de l'esprit& des graces...
Votrefolie n'est comparable par fon excès
qu'à celui du bonheur qui vous a délivré
des fuites de vos égaremens. C'est une leçon
pour lafuite quand votre ennemife reproduira
, car il n'estpas àfon dernier mafque;
congédiez le brusquement , &fur tout
n'allezjamais le chercher dans les grottes .
C'eſt par ce înotde l'énigme que ſe termine
cette bagatelle ingénieuſe & gaie ,
précédée d'une préface très plaiſante , &
AVRIL. 1772. 101
ornée de figures qui , quoique de nos
meilleurs maîtres , peuvent paroître à
des yeux peu connoiſſeurs, des caricatures
du plus mauvais goût .
* De la Poësie lyrique ou de l'Ode chez
les Anciens & les Modernes.
On convient que l'ode étoit chantée chez
les Anciens. Le mot d'ode lui -même , ωδη ,
fignifie chant. Je ne prétends point m'enfoncer
dans des diſcuſſions protondes ſur la lyre des
Grecs & celle des Latins; ſur l'accord de la mufique,
de la daníe &de la poësie chez ces peuples;
fur la ſtrophe , l'antistrophe & l'épode , qui marquoient
les mouvemens dont le choeur devoit accompagner
celui qui pinçoit l'inſtrument appellé
Φορμινέ , cithara , testudo , barbiton , &c. fur la
meſure des vers lyriques grecs , fur cette coutume
d'enjamber d'une ſtrophe à l'autre , de maniè
re qu'un ſens commencé dans la première ne fini
ſoit que dans la ſeconde ou dans la troiſième ;
ſur la poſſibilité d'accorder ces ſuſpenſions de
ſens avec les phraſes muſicales & les mouvemens
desdanſeurs,&c.Toutes ces difficultés ont fouvent
exercé les ſavans , &pluſieurs ne font pas encore
éclaircies . Je me repréſente l'hiſtoire des arts chez
les Anciens , comme un pays immenſe ſemé de
monumens & de ruines , de chefs - d'oeuvre & de
débris. Nous avons mis notre gloire à imiter les
uns & à étudier les autres. Mais le génte a été
plus loin que l'érudition , & il eſt plus für que
l'Iphigénie de Racine eſt au-deſſus de celle d'Eu-
* Article de M. de la Harpe.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ripide qu'il n'eſt fûr que nous ayons bien com
pris la combinaiſon & les procédés de tous les
arts qui concouroient chez les Grecs pour la repréſentation
d'Iphigénie.
D'ailleurs les Anciens n'ont rien fait pour nous
conſerver une tradition exacte de leurs connoiffances
& de leurs progrès ; ils n'ont point pris de
précautions contre le tems& la barbarie. Il ſembloit
qu'ils ne redoutaſſent ni l'un ni l'autre , &
peut- être l'on doit pardonner à ces peuples qui
jouèrent long-tems dans le monde un rôle fi brillant
d'avoir été trompés juſqu'à un certain point
par le fentiment de leur gloire& de leur immortalité.
Les différences dans les moeurs , dans la religion
, dans le gouvernement , dans la langue ,
ont dû néceflairement en amener aufi dans les
arts que nous avons imités , & qui ont pris
fous nos mans de nouvelles formes. Ainſi les
mêmes mots n'ont plus ſignifié les mêmes choſes.
Nous avons continué d'appeller une action dialoguée
ſur la ſcène , tragédie , chant du bouc
quoique nos tragédies ne ſoient plus chantées &
que l'auteur du Siége de Calais ait reçu , au lieu
d'un bouc , une belle médaille d'or , ce qui, n'en
déplaiſe aux Grecs , me paroît valoir beaucoup
mieux. Ainſi nous avons des odes , quoique nos
odes ne foient point des chants , & ces odes ont
des ſtrophes (des conversions ) quoiqu'on n'ait
encore jamais imaginé de mettre l'ode à la Fortune
enballet.
Tout ce que je me propoſe ici , c'eſt de me rendre
compte à moi-même des différences que j'ai
cru remarquer entre les odes , les chants des Anciens
, & les vers que l'on nomme parmi nous
odes , qui ne font point chantés , &qui ſouvent
même ne ſont pas lus.
AVRIL. 1772 . 103
Un chant m'offre en général l'idée d'une inſpia
ration ſoudaine , d'un mouvement qui ébranle
notre ame , d'un ſentiment qui a beſoin de ſe
produire au-dehors. Il ſemble que rien de ce qui
eſt médité , réfléchi , rien de ce qui ſuppoſe l'opé
ration tranquille de l'entendement, n'appartienne
au chant conçu de cette manière. Le chanteur
m'offrira beaucoup plus de ſentimens & d'images
que de raiſonnemens , & parlera bien plus à mes
organes qu'à ma raiſon. Si le ſon de l'inſtrument
qui réſonne ſous ſes doigts , ſi l'impreſſion irréfiſtible
de l'harmonie , ſile plaifir qu'il éprouvé
&qu'il donne vient à remuer plus fortement ſon
ame & ajoute de moment en moment à la première
impulfion qu'il reflentoit , alors il s'élève
juſqu'à l'enthouſiaſme ; les objets paſſent rapidement
devant lui , & les tableaux ſe multiplient
ſous les yeux , comme les accords ſe preflent ſous
fon archet ; ſes chants portent dans les ames le
trouble qui paroît être dans la ſienne ; c'eſt un
oracle, un prophéte , un peëte ; il tranſporte &
il eſt tranſporté ; il ſemble maîtriſé par une
puiflance étrangère qui le fatigue & l'accable; il
halete ſous le dieu qui le remplit ; & ſemblable
àun homme emporté par une courſe rapide , il
ne s'arrête qu'au moment où il eſt délivré du gé
nie qui l'obſédoit.
Ces traits , qui ſont précisément ceux ſous lef
quels les Anciens ſe repréſentoient le poëre lyrique
, ne paroîtront point des exagérations , fi
l'on veutbien ſe ſouvenir que leur poëhe qui par
elle même étoit une eſpèce de muſique vocale ,
ne ſe ſéparoit point de la muſique d'accompagnement
; que l'harmonie produit un enthouſiaſme
réel dans tous les hommes qui ont des organes
ſenſibles , & que Rameau compoſant à ſon clavee
۱
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
cin le monologue de Thélaïre , ou Grétri effayant
fur un piano fortè le quatuor de Lucile ,
étoient précilément dans la méme ivreſſe où l'on
ſuppoſe que doit être le poëte lyrique.
Tel étoit Pindare , du moins s'il en faut croire
Horace. Ecoutons un poëte qui parle d'un
poëte.
Ah ! que jamais morteljaloux du grand Pindare ,
Ne s'expoſe à le ſuivre en ſon vol orgueilleux ;
Sur des aîles de cire élevé dans les Cieux ,
Il retraceroit à nos yeux
L'audace & la chûte d'Icare.
Tel qu'un torrent furieux
Qui , groſſi par les orages ,
Se ſoulève en grondant &couvre les rivages;
Tel ce chantre impérieux ,
Ivre d'enthouſiaſme , ivre de l'harmonie,
Des vaſtes profondeurs de ſon puiſſant génie
Précipite à grand bruit ſes vers impétueux ;
Soit que plein d'un bouillant délire ,
Et de termes nouveaux inventeur admiré ,
Il laiſſe errer ſur ſa lyre
Le bruyant Dithyrambe à Bacchus confacré;
Soit que ſoumis aux loix d'un rithme plus ſévère.
Il chante les immortels ,
Et ces enfans des dieux , vainqueurs de la chimère
,
Et des Centaures cruels ;
Soit qu'aux champs de l'Elide épris d'une autre
gloire;
AVRIL . 105
1772 .
Il ramène triomphans
L'Athlète & le Courſier qu'a choiſis la Victoire ,
Qui mieux que ſur l'airain revivront dans ſes
chants ;
Soit qu'enfin ſur des tons plus doux & plas touchans
,
Il calme les regrets d'une épouſe éplorée ,
Et dérobe à la nuit des temps
D'un fils ou d'un époux la mémoire adorée . &c.
Si quelqu'un , d'après ce portrait , va lire Pindare
ailleurs que dans l'original , il croira qu'Horace
avoit apparemment ſes raiſons pour exalter
ceLyriqueGrec;mais quant à lui il s'accommodera
fort peu de tout ce magnifique appareil de
mythologie qui remplit les odes de Pindare; de ces
digreſſions éternelles qui ſemblent étouffer le ſujet
principal , de ces écarts dont on ne voit ni le but ni
lepoint de réunion. Quelques grandes images qu'il
appercevra çà&là malgré la traduction qui en aura
ôté le coloris , quelques traits de force qui n'auront
pas été tout- à - fait détruits , ne lui paroîtront
pas un mérite ſuffiſant pour lui faire aimer
des ouvrages où d'ailleurs rien ne l'attache. Il
s'ennuyera , il quittera le livre & il aura raiſon ;
mais s'il juge Pindare & contredit Horace ſur cet
te lecture , je crois qu'il aura tort.
Je n'ai jamais bien conçu , je l'avoue , quel
pouvoit être le projet de ceux qui , les premiers ,
ont imaginé de traduire un poëte en profe. Etoitce
pour le faire connoître , pour en donner une
idée ? Mais il arrivoit tout le contraire . Ils le
faifoient méconnoître , ils en donnoientune très
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
fauſle idée . Il eſt facile de le démontrer. Ne convient-
on pas qu'en traduiſant même un profateur
, pourvu qu'il ait du génie , on ſe trouve à
tout moment arrêté par une foule d'expreffions ,
de figures & d'images qui ne pouvant paſſer dans
une autre langue , demandent des équivalens ?
Voilà donc l'auteur original abſolument livré au
traducteur. Le premier perdra plus ou moins felon
que le ſecond aura plus ou moins de talent ;
& la traduction , quelle qu'elle foit , ne peut plus
être qu'une reſſemblance éloignée , puiſque les
traits primitifs auront disparu. Mais combien ces
traits doivent - ils s'effacer davantage , lorſque
non- feulement on fait parler à un écrivain une
langue qui n'étoit pas celle de ſes pentées , mais.
qu'on fait encore defcendre un poëtede toute fa
hauteur & qu'on l'abaifle au langage vulgaire !
mais , dira- t'on , les idées ſeront rendues. Oui ,
vous aurez le fonds de l'ouvrage , vous en aurez
le ſujet ; mais vous n'aurez pas l'exécution , &
c'eſt l'exécution qui fait le poëte. Examinez , je
vous prie , toutes les pertes qu'il doit fubir néceſſairement
dans la meilleure profe. Commençons
par la plus grande de toutes , la plus inappréciable
, la plus douloureuſe pour un vrai poëte,
la perte de l'harmonie. Si vous vous connoiflez
en vers , ne ſentez-vous pas qu'ils font faits
pour parler à vos organes ? Ne ſentez - vous pas
quel charme inexprimable réſulte de cet heureux
arrangement des mots , de ce concours de fons
meſurés , tour à tour lents ou rapides , prolongés
avec mollefle ou briſés avec éclat ; de ces périodes
harmonieuſes qui s'arrondiſſent dans l'oreille;
de cette combinaiſon ſavante du mouvement &.
du rithine avec le ſentiment&la penſée; &n'éAVRIL
. 1772 . 107
prouvez - vous pas que cet accord continuel qui
ne trompe jamais ni votre oreille ni votre ame,
malgré les difficultés de l'art , eſt précisément la
cauſe du plaisir que vous procurent de beaux vers?
C'eſt- là ce qui conſtitue eſſentiellement le poëte;
c'eſt-là fon art. Il s'applique à des objets plus ou
moins grands ; il y joint plus ou moins d'idées ;
ilconçoit un ſujet plus ou moins fortement , &
&ſes choix ſont plus ou moins heureux. C'eſt
ainſi que s'établiſſent les rangs & la prééminence.
Mais il faut avant tout qu'il ſache manier ſon
inſtrument , car le vers en eſt un. Quelque choſe
qu'il diſe avec ſon vers , s'il y paroît contraint
&gêné , fi la meſure qui eft faite pour ajouter à
ſa penſée lui ôte quelque choſe , ſi le rithme
bleſte l'oreille qu'il doit enchanter , ce n'eſt pas
un poëte ; qu'il parle & qu'il ne chante pas ; qu'il
laiſle-là ſon inſtrument qui le gêne& lui péſe. Il
ſouffre en s'efforçant de le manier , & je ſouffre
auſſi de l'en voir accablé, comme un homme d'une
taille ordinaire le ſeroit de l'armure d'un géant.
Il eſt donc bien évident qu'une traduction en
proſe commence par anéantir l'art du poëte que
Î'on traduit ; & l'on peut bien dire alors ce mot ſi
ſouvent vrai que traduire ainſi c'est détruire. Il
eſt für que vous n'entendez plus le chant du poëze;
vous lifez les penſées d'un écrivain ; on vous
montre ſon eſprit; mais non pas ſon talent. Vous
ne pouvez pas ſavoir pourquoi il charmoit ſes
contemporains , & ſouvent vous le trouverez
médiocre , là où on le trouvoit admirable , &
peut- être l'admirerez- vous quelque fois là où on
Je trouvoit médiocre.
Combiend'autres déſavantages n'a-t'ilpas encore
à eſſuyer dans les mains du proſateur qui le
Evj
108 MERCURE DE FRANCE .
dépouille ainſi de ſes vêtemens poëtiques ! telle
idée avoit infiniment de grace en ſe liant à telle
image que le traducteur n'a pu lui laıfler. Telle
phrafe étoit belle dans la préciſion originale ;
T'effet en eft perdu , parce qu'il faudra un ou deux
mots de plus pour la rendre ; & qui ne fait ce que
fait un mot deplus ou de moins. Tel hémiſtiche
étoit d'un effet terrible , & cet effet tenoit abſo-
Jument au rithme , & le rithme eſt disparu . Si je
voulois poufler cette espèce de calcul , je prendrois
vingt vers de Virgile traduits par l'Abbé
Desfontaines ,&je prendrois à témoin, tous ceux
qui entendent le latin, des bleſſures que reçoit
Virgile à chaque vers de la main de fon cruel
traducteur,
Reſte les traductions en vers. Alors du moins
c'eſt poësie pour poësie , & fi le talent du traducteur
eſt égal à celui de l'original , l'idée qu'il en
donnera à ſes lecteurs pourra ne les pas tromper ,
parce qu'il remplacera l'harmonie par l'harmonie
, les figures par les figures , les graces poëtiques
par d'autres graces poétiques , l'audacicule
énergie des expreffions par d'autres hardiefles
analogues au caractère de ſa langue: c'eſt la mememuſique
jouée ſur un autre inftrument; mais
enfin c'eſt de la muſique , & l'on pourra juger par
le plaifir que donne celui qui la répéte, du plaifir
que faiſoit autre fois celui qui l'a chantée lepremier.
Il ne faut Jonc pas juger Pindare , ni quelque
poëte que ce foit ſur une traduction en profe ,&
c'eſt ce qu'il falloit prouver. A cette première
conſidération j'en ajouterai une autre. C'eft qu'en
le lifant même dans la langue originale , il faut ,
fl'on veut être juſte à ſon égard , ſe reporter an
AVRIL. 1772. 109
,
tems où il écrivoit. Ce principe est très - connu ;
mais il n'y a que les esprits de la meilleure trempe
qui le mettent en pratique. Le plus grand
nombre des lecteurs eſt trop rempli des idées , des
moeurs , des préjugés qui les entourent , & rejette
trop promptement tout ce qui paroît s'en éloigner.
Il eſt certain que la famille d'Hercule & de
Théſée , que la race de Cadmus & la guerre des
Géans, & les jeux olympiques & l'expédition des
Argonautes , ne nous touchent pas d'auffi près
que les Grecs , & que des odes qui ne contiennent
guères que des alluſions à toutes ces fables , &
qui roulent toutes ſur le même ſujet ne ſont pas
très - piquantes pour nous. Mais nous conviendrons
bien auſſi que l'histoire des Grecs devoit
intéreſſer les Grecs , que ces fables étoient en
grande partie leur hiſtoire, qu'elles fondoient leur
religion ; que les jeux olympiques , néméens
ifthmiens , &c. étant des actes religieux , des fêtes
folemnelles en l'honneur des dieux de la Grèce ,
le poëte ne pouvoit rien faire de plus agréable
pour ces peuples que de mêler enſemble les noms
des dieux qui avoient fondé ces jeux & ceux des
athlètes qui venoient d'y triompher, Il confacroit
ainſi la louange des vainqueurs , en la joignant
à celle des immortels , & il s'emparoit avidement
de ces fables ſi propres à exciter l'enthoufialme
lyrique & à déployer les richeffes de la
poësie. On ne peut nier , en lifant Pindare dans
leGrec, qu'il ne ſoit très-prodigue de cette eſpèce
de tréſors qui ſemblent naître en foule ſous ſa
plume. Il n'y a point de diction plus audacicuſement
figurée. Il franchit toutes les idées intermédiaires
, & fes phrases font une ſuite de tableaux
dont il faut ſouvent ſuppléer la liaiſon.
Toutes les formules ordinaires qui lient enfem
TIO MERCURE DE FRANCE.
ble les parties d'un diſcours ne ſe retrouvent jamais
dans ſes chants , d'où l'on peut conclurre
que les Grecs qui avoient une ſi grande admiration
pour ce poëte, étoient bien éloignés d'exiger
cette marche méthodique que nous voulons dans
toute eſpèce d'ouvrages , ce tiſlu d'idées qui ne
doit jamais échapper à notre attention , & que
notre prétendu déſordre lyrique n'a jamais rompu .
J'examinerai tout-à- l'heure cette différence en
parlantdes odes deRouſſeau. Il me ſuffit d'obſerver
pour le moment que les Grecs , beaucoup plus
ſenſibles que nous à la poësie proprement dite
parce que leur langue étoit élémentairement plus
poétique , ne demandoient au poëte que des ſons
&des images , & Pindare leur prodiguoit l'un &
Pautre. Quoique les graces de la prononciation
grecque foient probablement perdues pour nous ,
il eſt impoſſible de n'être pas frappé de cet affemblage
de fyllabes toujours fonores , de cette harmonie
toujours imitative, de ce rithme impoſant
&majestueux qui ſemble fait pour retentir dans
P'Olympe. Liſez ſeulement le commencement de
la quatrième olympique.
Ελατὴρ ὑπέρτατε βροντᾶς
ἀκαμαντόποδος ζεῦ , &c.
J'en citerois volontiers davantage pour le plai
firdes oreilles grecques ; mais en voilà beaucoup
crop pour les Dames qui liront cet article dans le
Mercure nommé autrefois Mercure galant. Je
leur demande pardon de ce petit étalage d'érudition
, qu'en vérité je ne me ſuis permis que pour
l'amour du grec; mais pour l'amour d'elles , je
me ſuis effarcé de traduire le moins mal qu'il
m'étoit poſſible lecommencement de la première
AVRIL. 1772. III
Pithique , & quand je viendrai à parler d'Horace,
je leur promets encore la traduction de deux odes
galantes , & je me flatte qu'en voilà affez pour
qu'elles me pardonnent d'avoir tant parlé de
grec.
Cettepremière ode pithique est faite en l'honneur
d'Hiéron , roi de Syracuſe , vainqueur à la
courſe des chars , c'eft - à- dire , dont le cocher
avoit remporté la victoire. Mais les Grecs étoient
fi paſſionnés pour ces fortes de ſpectacles , qu'on
ne pouvoit trop célébrer à leur gré celui quiavoit
ſu ſe procurer le cocher le plus habile & les chevaux
les plus légers. Voici le début de Pindare.
Doux tréſor des neuf ſoeurs , inſtrument du gé
nie ,
Lyre d'or , qu'Apollon anime ſous les doigts,
Mère des plaiſirs purs , mère de l'harmonie ,
Lyre , ſoutiens ma voix.
Tu préſides au chant , tu gouvernes ladanſe..
Tout le choeur attentif& docile à tes fons ,
Soumet au mouvement marqué par ta cadence
Ses pas & ſes chanfons .
L'Olympe en eſt émû; Jupiter eſt ſenſible ;
Il éteint les carreaux qu'alluma ſon courroux.
Il ſourit aux mortels , & ſon aigle terrible
S'endort à ſes genoux.
Ildort , il eſt vaincu; ſes paupières prefiées,
D'unehumide vapeur ſe couvrent mollement.
112 MERCURE DE FRANCE.
Il dort , & ſur ſon dos ſes aîles abaillées
Tombent languiflamment .
Tu fléchis des combats l'arbitre ſanguinaire.
Ses traits enfanglantés échappent de ſes mains.
Ildépoſe le glaive & promet à la terre
Des jours purs & fereins .
O lyre d'Apollon , puiſſance enchantereſſe !
Tu loumets tour-à- tour & la terre & les cieux :
Quin'aime point les arts , les muſes , la ſageffe ,
Eſt ennemi des dieux.
Tel eſt ce fier géant dont la rage étouffée
D'un rugifſlement ſourd épouvante l'enfer 3
Ce ſuperbe Titan , ce monstrueux Tiphée
Qu'a puni Jupiter.
Le tonnerre frappa ſes cent têtes difformes .
Sous l'Etna qui l'accable il veut brifer ſes fers .
L'Etna s'ébranle , s'ouvre , & des rochers énormes
Vont rouler dans les mers .
Ce reptile effroyable enchaîné dans ce gouffre ,
Et portant dans ſon ſein une ſource de feux ,
Vomitdes tourbillons & de flamme & de ſouffre
Qui montent dans les cieux.
Qui pourra s'approcher de ces rives brûlantes ?
Quine frémira pas de ces grands châtimens ,
AVRIL. 1772. 113
Des tourmens de Tıphée , & des roches perçantes
Qui déchirent ſes flancs ?
J'adore , & Jupiter ! ta puiſlance & ta gloire.
Tu regnes ſur l'Etna , ſur ces fameux remparts
Elevéspar ce Roi qu'a nommé la victoire
Dans la lice des chars .
Hieron eſt vainqueur , ſon nom s'eſt fait entendre
, &c.
Voilà la marche de Pindare. D'une invocation
aux Mules , d'un éloge de leurs attributs , ouverture
très- naturelle dans le ſujet qu'il traitoit ,
il paffeà la peinture de Tiphée écrasé ſous l'Etna
, ſous prétexte que ce Tiphée eſt ennemi des
dieux&des muſes. C'eſt s'accrocher à un mot ,
&une pareille tranfition ne nous paroîtroit qu'un
écart mal déguiſé. Peut-être les Grecs n'avoientils
pas tort d'en juger autrement. C'eſt d'Hiéron
qu'il s'agilloit ; Hieron regnoit ſur Syracufe &
fur l'Etna ; il avoit bâti une ville de ce nom près
de cette montagne. Il falloit bien lui parler de
l'Etna , & comment parler de l'Etna ſans parler
de Tiphée ? C'eût été une grande maladreſle dans
un poëte lyrique de ſe refuſer cette magnifique
deſcription ; & les Grecs aimoient prodigieuſement
la poëſie descriptive Ils étoient à cet égard
à-peu - près dans la même dispofition où nous
ſommes pour les ballets qui nous paroiffent toujours
affez bien amenés , pourvu que les danſes
en foient bonnes & que les d'Auberval , les Allart
, les Guimarts y paroiſſent ſouvent. Nous ne
ſommes pas àbeaucoup près ſi indulgens pour les
114 MERCURE DE FRANCE.
vers. Les vers parmi nous font jugés par l'esprit,
par laraiſon; chez les Grecs ils étoient jugés
davantage par les ſens , par l'imagination ; & l'on
fait combien l'eſprit eſt un juge inflexible , &
combienles ſens font des juges favorables. En
amour , par exemple , ( de la poësie à l'amour il
n'y a pas bien loin) gagneroit - t-on jamais ſon
procès , ſi les ſens ne s'en mêloient pas ?
Dans une épître aux Poëtes, pleine d'eſprit &de
vers heureux , où l'auteur compare la poësie à
Pandore & rappelle les divers dons que chaque
dieu voulut faire à la poësie , au moment de ſa
naiflance ontrouve ces vers remplis de ſens & de
gracequi ne ſont point du tout étrangers à l'objet
queje confidère ici :
La raiſon même , à la jeune immortelle ,
Voulut ſervir de compagne fidèle ;
Maisquelque fois ſage & diſcret témoin ,
Elle la fuit & l'obſerve de loin .
Onnepeut mieux employer l'imagination pour
donner un précepte de goût. Mais parmi nous il
faut que la raiſon ſuive la poësie de fort près , &
✓ chez les Grecs la raiſon étoit ſouvent perdue de
vue. C'eſt qu'ils avoient de quoi s'en paffer , &
que nous ne pouvons pas être comme eux aflez
grandsmuficiens en poëfie pour qu'on nous permette
quelques momens de dérailon . Nous avons
d'autres avantages ; mais ce n'eſt pas ici le lieu d'en
parler.
La Motte qui d'ailleurs étoit un très -bon efprit
, mais qui n'étoit pas organisé pour ſentir la
poësie , la Motte qui a toujours raiſon quand il
ielève dans Iliade des défauts de convenance ,
AVRIL. 1772. 113
de morale , de plan , de juſteſſe , &c. ne paroît
pas avoir compris jamais combien dans le genre
de l'Epopée (qui n'eſt pas à beaucoup près audi
foumis à la raiſon & à la vraiſemblance que le
genre dramatique) la poësie de ſtyle , le charme
des vers , la multitude des tableaux , le brillant
du coloris doivent faire aisément excuſer tous les
défauts qu'il reprend avec tantde ſévérité. Il n'y
aqu'à lire les Anciens pour voir qu'ils n'étoient
pas aveugles ſur les défectuoſités d'Homère ,
mais dix vers harmonieux transportoient les
Grecs qui dès lors ne jugeoient plus& faifoient
redire encore les vers qui venoient de les charmer.
La Motte , après avoir beaucoup critiqué
l'extravagante Iliade d'Homère , en fit une trèsraiſonnable.
Mais il ſe trouva que ſa raiſon étoit
auſſi ennuyeuſe que les folies d'Homère étoient
charmantes. Ileſt abſolument impoſſible de lire
un chant de ſon Iliade. Il vouloit être poëre &
juger un poëte. L'un & l'autre lui étoit refuſé par
lanature. Il voulut imiter auſſi quelques odes de
Pindare. Il le traita comme il avoit traité Homère.
Il n'eut qu'une erreur , mais qui le trempa
toute ſa vie; ce fut de croire que l'eſprit tenoit
lieu de tout.
Aureſte, ſi les ſuffrages d'un peuple auſſi éclairé
&auſſi délicat que les Grecs ſuffifent pour nous décider
ſur Pindare , nous aurons la plus haute idée
de ſon mérite. On fait qu'il laiſla une mémoire
révérée & que la vengeance d'Alexandre qui avoit
enveloppé tout un peuple dans un même arrêt ,
s'arrêta dans Thèbes devant cette inscription ;
Nebrûlezpas lamaison du poëte Pindare. Les
Lacédémoniens , lorsqu'ils avoient pris Thèbes
dansle tems de leur puiſſance , avoient eu le mê116
MERCURE DE FRANCE .
me respect ; mais ce qui prouve les ſuccès qu'il
eut des ſon vivant , c'eſt le grand nombre d'odes
qu'il compoſa ſur le même ſujet , c'eſt - à - dire
pour les vainqueurs des jeux. Il paroît que chaque
triomphateur étoit jaloux d'avoir Pindare
pour panégyriſte , & qu'on auroit cru qu'il manquoit
quelque choſe à la gloire du triomphe ſi
Pindare ne l'avoit pas chanté. Ces chants n'étoient
pas fans récompente. La fable de Simonidedans
Phédre fait voir qu'on avoit coutume de
payer libéralement les poëtes lyriques. Parmi
nousje ne crois pas qu'ily ait un plus mauvais
moyen de fortune que les odes. Elles ſont dans
le plus granddifcrédit. Elles étoient un peu mieux
accueillies autrefois . Une ode valut un évêché à
Godeau , c'eſt la plus heureuſe de toutes les odes,
&c'eſt une des plus mauvaiſes. Chapelain en fit
une pour le cardinal de Richelieu qui lui donna
une perfion . Cela n'étonne pas dans le cardinal
de Richelieu; mais ce qui peut étonner dans Chapelain
, c'eſt que l'ode eſt aſſez bonne.
Je ne dirai rien d'Alcée , d'Alcman , de Stéfichore
, de Simonide , de Bacchilide & des autres
que l'on appel'e Poetæ minores Graci , Poëtes
Grecs de lafeconde claſſe, & dont il ne nous reite
que des fragmens cités ça & la dans les critiques
Grecs ou Latins. Sapho, dont les amours & le
génie ne feront jamais oubliés , & dont les ouvrages
étoient connus a Rome du tems d'Horace ,
comme le témoignent ces vers ,
Vivuntque commiſſi calores
Æoliæ fidibus puella.
Sapho ne nous eft connue que par un très-pe
AVRIL. 1772. 117
tit nombre de vers affez paſſionnés pour nous
faire croire tout ce qu'on raconte d'elle & pour
nous faire regretter tout ce que nous avons perdu.
Mais on ne me pardonneroit pas de ne point m'ar.
rêter un moment ſur Anacreon, ſur ce mortel heureux
qui s'eſt immortalisé par ſes plaiſirs , lorfque
tant d'autres n'ont pu l'être par leurs travaux ;
ce philoſophe voluptueux , qui ne connut d'autre
ſageſle que celle d'aimer & de jouir , ni d'autre
gloire que cellede chanter ſes amours& ſes jouil-
Tances , ou qui plutôt ne voyoit dans ſes chanfons
qui lui ont acquis tant de gloire , qu'un
amuſement de plus. Ses poëſies plemes de délicateffe&
de grace respirent la molleſle & l'enjoûment.
S'il parle de la vieilleſle & de la mort , ce
n'eſt pas pour les braver avec la morgue ſtoïque
, c'eſt pour s'exhorter lui- même à ne rien perdre
de tout ce qu'il peut leur dérober. Remarquons
en paflant que les auteurs anciens les plus
voluptueux , Anacreon , Horace , Tibulle , Catulle
mêloient volontiers l'image de la mort à
celle des plaifirs . Ils appelloient la mort à leurs
fêtes & la plaçoient à table comme un convive
qui , loin de les attriſter , les avertiroit de jouir.
Horace fur- tout , dans vingt endroits de ſes odes,
ſe plaît à rappeller la néceſſité de mourir , & ces
paſſages rapides qui fixent un moment l'imagination
ſur des idées fombres exprimées par des
figures frappantes & des métaphores juſtes &
heureuſes , font ſur l'ame une impreffion douce
qui l'émeut fans trop l'effrayer , y répandent pour
unmoment une triſteſle réfléchiflante qui s'ac-
-corderoit mal , il eſt vrai , avec la joie bruyante
&tumultueuſe , mais qui fe concilie très - bien
avec le calme d'une ame ſatisfaite & même avec
les épanchemens d'un amour heureux. J'ajoute
$ 18 MERCURE DE FRANCE.
rai que c'eſt encore une preuve du goût naturel
des Anciens de n'avoir jamais parlé qu'en paſlant
de ces éternels ſujets de lieux communs chez les
Modernes , tels que le Tems , la Mort , &c. fur
leſquels notre imagination permet qu'on la reveille
, mais qui dégoûtent & rebutent bientôt
lorſqu'ils font prolixement delayès par des rhéteurs
mélancoliques.
On ne ſera pas fâché d'apprendre qu'Anacreon
joignoit à un fortune médiocre beaucoup de défintéreſſement
, deux grandes raiſons pour être
heureux. Il vécut affez long-tems à Samos , à la
cour de ce Policrate qui n'eut d'un tyran que le
nom Ce Prince lui fit préſent de cinq talens
(quinze mille francs de notre monnoie. ) Mais
Anacreon qui n'avoit pas coutume de poſſéder
tant d'argent , en perdit preſque le ſommeil pendant
deux jours. Il rapporta bien vîte au généreux
Policrate ſes cinq talens , & ce trait hiſtorique
rapporté par les Ecrivains Grecs & cité par
Giralde dans ſon hiſtoire des Poëtes , eſt certainement
l'original de la fable du Savetier dans la
Fontaine.
Quelque envie que j'aie d'obliger ceux qui ne
peuvent lire Anacréon dans le grec ,je ne puis en
confcience leur en donner la moindre eſquifle.
Il y perdroit trop. Il y a dans ſa compofition
originale une molleſſe de ton,une douceurde nuances,
une ſimplicitéfacile qui ne peuvent ſe retrouver
dans le travail d'une verſion. Ce ſont des caractères
dont l'empreinte n'eſt pas aſlez forte pour
ne pas diſparoître dans une copie. Il compoſoit
de verve , & l'on traduit d'effort. On m'objectera
que j'ai bien haſardé de reproduire pour un moment
la verve de Pindare. Oui , mais nous autres
poëtes , nous ſommes , comme on fait , touAVRIL.
1772. 119
jours prêts à être ſublimes. C'eſt une diſpoſition
naturelle qui ne nous coûte preſque rien. Mais
Anacreon n'eſt point ſublime, Anacreon n'eſt
point auteur. Il eſt à table avec des filles Grec
ques , la tête couronnée de roſes , buvant d'excellent
vinde Scio ou de Lesbos , & tandis que
Mnaës ou Aglaé entrelacenr des fleurs dans les
cheveux , il prend ſa petite lyre d'ivoire à quatre
cordes , & chante une hymne à la roſe ſur le
mode lydien. Moi , je n'ai là ni beautés grecques
, ni vin de Scio , ni couronnes.de roſes , ni
lyre d'ivoire. Je ne traduirai point Anacreon.
Au ſurplus tout le monde n'eſt pas fi difficile
que moi. Nous avons trois traductions en vers
des poëfies d'Anacreon , l'une de Gâcon , d'une
édition très -jolie avec le grec à côté , l'autre de
la Fofle , la dernière de M. de Sivri , le traducteur
de Pline le Naturaliſte. Cette troiſième verſion
d'Anacreon eſt écrite avec élégance &pureté,
Les deux autres ne ſont pas liſibles. Mais
n'oublions pas , avant de quitter Anacreon , de
citer des vers charmans de l'un de nos plus aimables
poëtes , qu'il faut compter dans le petit
nombre des Ecrivains François qui ont eu un caractère
original, Je veux parler de l'auteur du
Méchant & de la Chartreuſe. C'eſt dans cette
dernière pièce , l'un des plus gracieux monumens
de notre poësie , que l'on trouve ces vers ſur Anacréon
qui valent beaucoup mieux que tout ce que
j'enpourroisdıre.
Tantôt de l'azur d'un nuage ,
Plus brillant que les plus beaux jours ,
Je vois fortir l'ombre volage
D'Anacreon , ce tendre ſage,
120 MERCURE DE FRANCE.
Le neſtor du galant rivage ,
Le patriarche des amours.
J'ai honte , en rapportant ces vers , de la proſe
bavarde dont je charge ici le papier. Mais une
réflexion qui m'aflige davantage , c'est qu'en
voyant le portrait d'Anacreon ſi heureuſement
tracé par M. Greflet , je me rappelle qu'Anacréon
, octogénaire , étoit encore fidèle à là poëfie&
faiſoit des vers & des chanſons .
Si quelqu'un , parmi les Modernes , ſe rapproche
de la manière de ce poëte , c'eſt ſans doute
Chaulieu . L'Epicurien du temple paroît avoir eu
les mêmes principes , les mêmes goûts que l'Epicurien
de Téos. Chaulieu attache comme Anacréonpar
le naturel de ſon ſtyle qui n'a jamais
l'apparence de Faffectation , par cette heureuſe
facilité de tourner ſes idées en ſentimens , quoiqu'il
les exprime ſouvent en vers foibles , par la
douceur de fa morale , &quelque fois même par
des beautés vraiment poëtiques qu'il ſemble produire
ſans effort. Enfin malgré les négligences &
ſes défauts , il a un caractère , & un caractère qui
plaît; c'eſt beaucoup. Une douzaine de pièces a
luffi pour lui mériter une réputation qui ne fera
point détruite , parce qu'il fera relu. Je me fouviens
d'avoir entendu dire , non pas à un homme
de lettres , mais à un auteur , qu'en furpaflant
aujourd'hui Chaulieu , on feront encore très peu
de choſe. Je ne ſais pas ce que cet homme croyoit
être ; mais il auroit dû ſavoir que deux pages de
počſie où l'on trouve à la fois du naturel , de l'imagination
& de la philoſophie , valent beaucoup
mieux que des volumes entiers de bagatelles infipides
ou médiocres.
Je
AVRI L. 1772. 121
Je n'ai point cependant prétendu parler de
Chaulieu comme d'un poëte lyrique , quoiqu'il
ait fait des ſtances qui font comptées parmi ſes
meilleures pièces. Je n'ai voulu qu'enviſager les
rapports qu'il me paroît avoir avec Anacreon. Les
deux ſeuls lyriques François dont on doive aujourd'hui
faire mention font Malherbe & le célèbre
Roufleau. J'en parlerai tout- à- l'heure. Mais
auparavant jettons un coup-d'oeil.fur un homme
bien ſupérieur à Malherbe & à Rouſleau même ,
fur Horace.
Horace ſemble réunir en lui Pindare & Anacréon;
mais il ajoute à tous les deux ; il a l'enthouſiaſine
& l'élévation de Pindare ; il n'eft pas
moins riche que lui en figures& en images ; mais
fes écarts font moins bruſques , ſa marche eſt
moins vague ; la diction a plus de nuances &de
douceur. Pindare qui chante toujours les mêmes
ſujets , n'a qu'un ton toujours le même ; Horace
les a tous ; tous lui ſemblent naturels , & il a la
perfection de tous. Qu'il prenne ſa lyre ; que ſaiſi
de l'esprit poëtique , il ſoit transporté dans le
conſeil des dieux , ou ſur les ruines de Troye, ou
fur la cime des Alpes , ou dans le lit de Glicère;
ſa voix ſe monte toujours au ſujet qui l'infpire;
il eſt majestueux dans l'Olympe &charmant
près de ſa maîtrefle. Il ne lui en coûte pas plus
pour peindre avec des traits fublimes l'ame de
Caton &de Regulus, que pour peindre avec des
traits enchanteurs, oules carefles de Lycimnie, ou
les coquetteries de Pirrha. Auſſi franchement voluptueux
qu'Anacréon , auſſi fidèle apêtre du plai,
fir , il a les graces de ce lyrique Grec , avec plus
d'esprit &de philofophie , comme il a l'imagination
de Pindare avec bien plus de morale & de
I. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE .
pensées. Si l'on fait enſuite attention à la ſageſle
de ſes idées , à la préciſion de ſon ſtyle , à l'harmonie
de ſes vers , à la variété de ſes ſujets ; fi
J'on ſe ſouvient que ce même homme a fait des
ſatyres pleines de fineſſe & de raiſon , des épîtres
qui contiennent les meilleures leçons de la ſociété
civile, en vers qui ſe gravent d'eux - mêmes dans
la mémoire , un art poëtique quieſt le code éternel
du bon goût; on conviendra qu'Horace , eſt
un des meilleurs eſprits que la nature ait pris
plaifir à former.
J'ai promis la traduction de deux odes d'Horace
& je vais tenir parole , quoique je ſente tour
ce que je haſarde. On me dira qu'apparemment
Horace m'effraie moins qu'Anacréon , quoiqueje
paroifle en faire beaucoup plusde cas. Je réponds
qu'Horace , entre autres avantages , a beaucoup
d'eſprit proprement dit , & que l'eſprit eſt de toutes
les langues. Mais avant tout , il faut me permettre
d'expoſer en deux mots la méthode queje
fuis en traduiſant un poëte. C'eſt peut- être encore
une eſpèce de digreffion ; mais qu'importe, pourvu
que jeme retrouve ?
Prétendre qu'un poëte qui en traduit un autre
en vers doit s'aſſervir à rendre tous les mots , à
renfermer dans le même eſpace les mêmes idées
dans un même ordre , c'eſt le ridicule préjugé
d'un pédant à cervelle étroite qui malheureuſement
fait aſſez de latin pour juger très - mal le
françois , & qui a beaucoup plus de raiſons pour
envier les Modernes que de titres pour admirer
les Anciens. Tout homme qui traduit en vers
prend la place de ſon modèle , & doit ſonger avant
tout à plaire dans la langue , comme l'auteur
original plaiſoit dans la fienne. C'eſt là le plus
AVRIL.
1772. 123
grand ſervice qu'il puifle lui rendre , puiſque de
T'effet que fera la verſion,dépend l'opinion qu'auront
de l'original ceux qui ne peuvent le connoître
autrement . C'eſt donc à l'effet total de l'enſemble
qu'il doit d'abord s'appliquer. S'il eſt fidèle & ennuyeux
, n'aura - t'il pas tait un beau chef-d'oeuvre
Il faut que fa compoſition , pour être animée , ſoit
libre; qu'il ſe pénétre quelque temps du morceau
qu'il va traduire , & qu'il ſe rapproche autant qu'il
eſt poſſibledu dégré de chaleur & de verve où il ſeroit,
s'il travailloit de génie. Alors qu'il ſe mette à
lutter contre l'auteur qu'il vafaire parler, qu'il comprenon
pas les mots, mais les beautés, & qu'il falle
enſorte que le calcul ne ſoit pas trop à ſon défavantage
, il aura d'abord fait beaucoup , & fon
lesteur , s'il eſt juſte , ſera content. C'est ainſi que
Despréaux & M. de Voltaire ont traduit des fragmens
des Anciens. Sans doute le mérite du traducteur
ſera d'autant plus grand qu'il aura plus
conſervé de traits particuliers & diftinctifs de
l'ouvrage original & qu'il en ſera demeuré plus
près ſans avoir l'air trop contraint & trop enchaîné
. Mais il faut un goût bien für pour pouvoir
décider en quels endroits le traducteur a eu
tort de s'écarter de ſon guide. Il faut démontrer
alors la poſſibilité de faire autrement , il faut calculer
ce que le vers ſuivant , le vers précédent ,
ceque la phraſe entière pouvoit perdre. Il n'y a
guères qu'un homme de l'art qui puifle faire cet
examen avec connoiſſance de cauſe; & quand on
a ſtatué d'abord que la verſion eſt par elle-même
un bon ouvrage ſi l'on veut prouver enſuite
qu'elle devoit être plus fidèle , il n'y a qu'un
moyen, c'eſt d'en faire une meilleure.
Ce petit préambule n'est fait , comme on le
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
voit, que pour les intérêts de la vérité & non pas
pour les miens. Car avec le dernier moyen dont
je viens de parler , rien ne ſera plus facile que d'avoir
raiſon contre moi , & comme beaucoup de
gens ne manquent pas de bonne volonté à cet
égard , je m'attends bien que cinq ou fix perfonnes
auront la complaisance de traduire les deux
odes que voici , & nous y gagnerons tous.
A CLLOOEE.
*
Ulla fijuris tibi pejerati , &c.
Si le Ciel t'avoit punie
De l'oubli de tes fermens ,
S'il te rendoit moins jolie ,
Quand tu trompes tes amans ;
Je croirois ton doux langage ,
J'aimerois ton doux lien ;
Mais Cloé , qu'il te fied bien
D'être parjure & volage !
Viens- tu de trahir ta foi ?
Tun'en es que plus piquante ,
Plus belle &plus féduiſante ;
Les coeurs volent après toi.
Par le menfonge embellie ,
Ta bouche a plus de fraîcheur ;
Après une perfidie ,
Tes yeux ont plus de douceur.
* Il y a dans l'original , bariné , nom défagréable
en françois.
AVRIL. 17728 125
:
Si par l'ombre de ta mère,
Si par tous les dieux du Ciel ,
Tu jures d'être ſincète,
Les dieux reſtent ſans colère ,
Ace ferment criminel ;
Vénus en rit la première;
Et cet enfant fi cruel ,
Qui , ſur la pierre ſanglante ,
Aiguiſe la fléche ardente
Que ſur nous tu vas lancer ,
Rit du mal qu'il te voit faire ,
Et t'inſtruit encore à plaire ,
Pour te mieux récompenſer.
Combien de voeux on t'adreſle !
C'eſt pour toi que lajeuneſle
Semble croître & ſe former .
Combien d'encens on t'apporte!
Que d'amans ſont à ta porte ,
Jurant de ne plus t'aimer !
Le vieillard qui t'enviſage
Craint que ſon fils ne s'engage
En un piége ſi charmant;
Et l'épouſe la plus belle
Croit fon époux infidèle ,
S'il te regarde un moment.
A PIRRH Α .
Pirrha , quel eſt l'amant enivré de tendreffe,
Qui ſur un lit de roſe étendu près de toi ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
T'admire , te ſourit, te parle , te carefle ,
Etjure qu'à jamais il vivra ſous ta loi ?
Quelle grotte fraîche & tranquille
Eſt le voluptueux aſyle
Où ce jeune imprudent , comblé de tes faveurs
Te couvre de parfums , de baiſers & de fleurs ?
C'eſt pour lui qu'à préſent Pirrha veut être belle ,
Que ton goût délicat relève élégamment
Ta fimplicité naturelle ,
Et fait naître une grace à chaque mouvement.
Pour lui ta main légère aflemble àl'aventure
Une flottante chevelure
Qu'elle attache négligemment .
Hélas! s'il prévoyoit les pleurs qu'il doit répandre!
Crédule , il s'abandonne à l'amour , au bonheur.
Dans ce calmeperfide il eſt loin de s'attendre
A l'orage affreux du malheur.
L'orage n'est pas loin ; il va bientôt apprendre
Que l'aimable Pirrha qu'il poſléde aujourd'hui ,
Que Pirrha fi belle & fi tendre ,
N'étoit pas pour long-tems à lui.
Qu'alors il pleurera ſon fatal eſclavage!
Inſenſé qui ſe fie à ton premier accueil !
Pour moi le tems m'a rendu ſage ;
J'ai regagné le port , & j'obſerve de l'oeil
Ceux qui vont comme moi ſe briſer à l'écueil
Que j'ai connu par mon naufrage.
AVRIL. 1772. 127
Quelques idées de la première de ces deux odes
ſe retrouvent dans une très-jolie chanfon , inférée
dans l'anthologie françoiſe.
Si l'on peut compter ſur un coeur ,
C'eſt ſur le coeur d'une bergère ;
Par ſon air naïf , mais rrompeur ,
Ma Corinne avoit ſu me plaire.
Je la croyois belle ſans art ;
Je chériſlois ſon coeur ſans fard ;
Mais comme une autre elle eſt légère.
Amour, venge un fidèle amant
Des trahiſons d'une infidelle ;
Fais lui perdre quelque agrément ,
A chaque inconſtance nouvelle.
Amour , tu ne m'écoutes pas ,
Loin d'ôter rien à ſes appas ,
Chaque forfait la rend plus belle.
Cette dernière penſée répond précisément à ces
vers d'Horace .
Simul obligaſti
Perfidum votis caput , eniteſcis
Pulchrior multò .
1
Il y adans Horace environ une trentaine d'odes
dans le genre de celles qu'on vient de voir , & que
ma traduction, toute foible qu'elle eſt,n'a pû défigurer
aflez pour qu'on n'apperçoive pas combien
cet écrivain a l'eſprit fin & délicat. Toutes ſes
odes galantes font autant de chefs - d'oeuvre qui
ſemblent finis par la main des Graces. Perfonne
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ne lui en avoit donné le modèle. Ce n'eſt point
là , comme on l'a déjà dit , la manière d'Aва-
créon. Le fonds de ces petites piéces eſt également
piquant dans toutes les langues , & chez
tous les peuples où regnent la galanterie& la
politefle. Elles font même beaucoup plus agréables
pour nous que les odes héroïques du même
auteur dont le fonds nous eſt ſouvent trop étranger
, & dont la marche hardie & rapide ne peut
guères être ſuivie dans notre langue qui procède
avec plus de timidité , & qui veut toujours de la
méthode & des liaiſons. J'ai pourtant efſfaïé de
traduire , & même afiez fidèlement , l'ode à la
Fortune. On pourra la comparer avec celle de
Roufleau , & l'on verra qu'une ode françoiſe refſemble
très-peu à une ode latine.
J'avertis que j'ai rejoint l'ode O diva gratum
quæ regis Antium , &c. avec la précédente ,
Parcus Deorum cultor & infrequens, &c. qui me
paroît en être le commencement , & en avoir
été détachée fort mal - à- propos. Il y a même
des éditions où elles ſont réunies. Le lujetde cette
ode étoit fort ſimple. On parloit d'une deſcente
en Angleterre qu'Auguſte devoit conduire luimême
& qui n'eut pas lieu. On parloit enmême
tems d'une guerre contre les Parthes. Le poëre
invoque la Fortune &lui recommande Auguſte
& les Romains. Mais il commence par ſe réconcilier
avec les dieux qu'en ſa qualité d'Epicurien
il avoit fort négligés. Il s'étend enſuite ſur les
attributs de la Fortune & finit , après l'avoir invoquée
, par déplorer les guerres civiles & la corruption
des moeurs. Tel eſt le plan de cette ode.
J'ai riſqué en la traduiſant de changer pluſieurs
fois de rithme pour rendre mieux la variété des
tons & pour ſuppléer , quand les phrales deman
AVRIL. 1772. 129
doient une certaine étendue , à la facilité qu'avoient
les Grecs & les Latins , d'enjamber d'une
ſtrophe à l'autre.
D'Epicure élève profane ,
Je refuſois aux dieux des voeux &de l'encens .
Je ſuivois les égaremens
Desſages inſenſés qu'aujourd'hui je condamne."
Je reconnois des dieux;c'en eſt fait,je me rends,
J'ai vu le maître du tonnerre
Qui , la foudre à la main ſemontrait à la terre ;
J'ai vu dans un ciel pur voler l'éclair brillant ;
Et les voûtes éternelles
S'embrafer des étincelles
Que lançoit Jupiter de fon char foudroyant.
Le Styx en a mugi dans ſa ſource profonde.
DuTénare trois fois les portes ont tremblé ;
Des hauteurs de l'Olympe aux fondemens du
monde
L'Atlas a chancelé.
Oui , des puiſſances immortelles
Dictent à l'Univers d'irrévocables loix.
La Fortune agitant ſes inconſtantes aîles ,
Plane d'un vol bruyant fur la tête des Rois.
Aux deſtins des états ſon caprice préſide.
Elle ſeule diſpenſe ou la g'oire ou l'affront ;
Enlève un diadême , & d'un eflor rapide
Le porte fur un autre front.
F
130 MERCURE DE FRANCE.
Tu couvres la pourpre royale
Des crêpes affreux du trepas .
Fortune , ô redoutable reine !
Tu places les humains au trône ou ſur l'écueil ;
Tu trompes le bonheur , l'efpérance & l'orgueil ,
Et l'on voit ſe changer à ta voix fouveraine
La faibleſſe en puiflance & le triomphe en deuil,
ン
Le pauvre te demande une noiſſon féconde ,
Et l'avide marchand fur les gouffres de l'onde
Rapportant fon tréſor ,
Préſente à la Fortune , arbitre des orages ,,
Ses timides hommages ,
Et te demande un vent qui le conduile au port.
Le Scythe vagabond, le Dace ſanguinaire ,
Et le guerrier Latin conquérant de la terre ,
Craint tes funeſtes coups ;
De l'Orient ſoumis les tyrans inviſibles ,
A tes autels terribles ,
L'encenſoir à la main fléchiffent les genoux.
Tu peux , & c'eſt l'effroi dont leur ame eſt troublée
,
Heurtant de leur grandeur la colonne ébranlée ,
Frapper ces demi - dieux ;
Et ſoulevant contre eux la révolte & la guerre,
Cacher dans la pouſſière
Le trône où leur orgueil crut s'approcher des
cieux.
:
AVRIL. 1772 . 131
Déeſſe d'Antium , ô déeſſe fatale !
Fortune , à ton pouvoir qui ne ſe ſoumet pas ?
La Néceſſité cruelle
Toujours marche à ton côté ,
De ſon ſceptre détesté
Frappant la race mortelle ;
Cette fille de l'enfer
Porte dans ſa main ſanglaute
Une tenaille brûlante ,
Du plomb , des coins & du fer.
L'eſpérance te ſuit, compagne plus propice ,
Et la fidélité , déeſſe protectrice ,
Au Ciel tendant les bras ,
Unvoile ſur le front accompagne tes pas ;
Lorſqu'annonçant les alarmes ,
Sous un vêtement de deuil ,
Tu viens occuper le ſeuil
D'un palais rempli de larmes ,
D'où s'éloigne avec eff: oi ,
Et le vulgaire perfide ,
Et la courtiſane avide ,
Et ces convives ſans foi ,
Qui dans un tems favorable ,
Du mortel tout- puiſſant par le fort adopté
Venoient entourer la table ,
Et s'enivroient du vin de la proſpérité.
Je t'implore à mon tour , déeſſe redoutée;
Auguſte va deſcendre à cette iſle indomptée
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Qui borne l'Univers ; *
Tandis que nos guerriers vont affronter encore
Ces peuples de l'aurore
Qui ſeuls ont repouflé notre joug & nos fers .
Ah ! Rome vers les dieux lève des mains coupables.
Ils ne ſont point lavés ces forfaits exécrables
Qu'ont vûs les immortels.
Elles ſaignent encor nos honteuſes bleſlures ;
La fraude & les parjures ,
L'inceſte & l'homicide entourent les autels .
N'importe , c'eſt à toi , Fortune , à nous abſoudre.
Porte aux antres brûlans où ſe forge la foudre
Nos glaives émouffés.
Dans le ſang odieux des guerriers d'Aflytie
Il faut que Rome expie
Les flots de ſang romain qu'elle- même a verſés .
Avantd'aller plus loin , je rapporterai le commencement
d'une ode de Pindare où il invoque la
Fortune & dont Horace paroît avoir emprunté
quelques idées . C'eſt la douzième des Olympiques.
Fille de Jupiter , Fortune impérieuſe ,
* L'Angleterre , que les Romains regardoient
comme une extrémité de l'Univers.
AVRIL. 1772 . 133
Lesconſeils, les combats,les querelles des Rois ,
La courſe des vaiſſeaux ſur la mer orageuſe ,
Tout reconnoît tes loix .
LeCiel mit ſur nos yeux le ſceau de l'ignorance.
De nos obfcurs deſtins nous portons le fardeau ,
De revers en ſuccès traînés par l'eſpérance
Juſqu'au bord du tombeau.
Le bonheur nous ſéduit ; le malheur nous accable.
Mais nul ne peutpercer la nuit de l'avenir ;
Tel qui ſe plaint aux dieux de ſon fort déplorable,
Demain va les bénir. &c.
On a pu ſe convaincre , en lifant cette ode , de
ce que j'ai dit ci - deſſus du poëte lyrique des Anciens
, qu'il ſembloit écouter & ſuivre une infpirationmomentanée&
peindre tout ce qui ſe préſente
devant lui . On a vu tout le chemin que fait Horace.
On l'a vu monter dans les cieux , deſcendre
dans les enfers , voler avec la Fortune au tour des
trônes & fur les mers. Tout- à coup il ſe la repréſente
ſous un appareil formidable , & il peint l'affreuſe
Néceſſité; il lui donne enfuite un cortége
plus doux , l'eſpérance & la fidélité ; il l'habille
de deuil dans le palais d'un Grand diſgracié ; il
trace rapidement les feſtins du bonheur & la fuite
des convives infidèles. Enfin il arrive à fon but
qui eft de recommander Auguſte , & fa courſe eft
finie.
Je ne fais nous nous accommoderions beau134
MERCURE DE FRANCE.
coup de cette accumulation de tableaux allégoriques&
fi nous ne trouverions pas qu'il y a dans
cette eſpèce de poëfie trop pour l'imagination &
pas aflez pour l'eſprit. Peut-être ſerions - nous
un peu étourdis de la courſe vagabonde du poëte.
Je ne dis pas qu'il faille nous en blâmer. Chaque
peuple a ſon goût analogue à ſon caractère & à
ſa langue. Mais il n'en eſt pas moins vrai que
c'eſt là précisément la poëſſe lyrique , celle qui
dans ſon origine devoit être chantée & accompagnéed'inſtrumens.
Cela eſt ſi vrai qu il n'y a peutêtre
pas , dans l'ode qu'on vient de lire , une ſeule
ſtrophe dont le fonds ne ſoit très - favorable à la
muſique; & en général elle est compoſée de ce que
lamuſique rendle mieux , de tableaux & de mouvemens.
Effayez au contraire de mettre en mufique
l'ode à la Fortune ou telle autre que vous
voudrez , & vous trouverez à peine une ou deux
ſtrophes qui puiflent s'y prêter. C'est qu'en général
nos odes font des diſcours en vers , à-peuprès
auſſi ſuivis , auffi bien liés qu'ils le feroient
en profe. Il eſt ſfür que nos odes n'étant pas faites
pour être chantées ne doivent pas reflembler
aux.odes grecques & latines. Mais ne feroientelles
pas fufceptibles d'un peu plus d'enthousiasme
& de rapidité qu'on n'en remarque même dans.
nos plus belles? Prenons pour exemple l'ode à la
Fortune dont nous parlions tout-à-l'heure .
Fortune dont la main couronne
Les forfaits les plus inouis
Du faux éclat qui t'environne ,
Serons -nous toujours éblouis ?
Juſques à quand , trompeuſe idole,
1
AVRIL. 1772 . 135
D'un culte honteux & frivole
Honorerons -nous tes autels ?
Verra- t'on toujours tes caprices
Conſacrés par les ſacrifices
Et par l'hommage des mortels ?
Le peuple , dans ton moindte ouvrage ,
Adorant la proſpérité ,
Te nomme grandeur de courage ,
Valeur , prudence , fermeté.
Du titre de vertu ſuprême
Il dépouille la vertu même
Pour le vice que tu chéris ,
Et toujours les fauſles maximes
Erigent en héros fublimes
Tes plus coupables favoris .
,
Mais de quelque ſuperbe titre
Dont ces héros ſoient revêtus ,
Prenons la raiſon pour arbitre
Et cherchons en eux leurs vertus.
Je n'y trouve qu'extravagance
Foibleſſe , injustice , arrogance ,
Trahisons , fureurs , cruautés ;
Etrange vertu qui ſe forme
Souvent de l'afleinblage énorme
Des vices les plus déteſtés , &c.
Ne font- ce pas là de purs raiſonnemens ? Ne
font-ce pas làtoutes les formules de la diſcuſſion
136 MERCURE DE FRANCE.
en proſe ? De quelque fuperbe titre qu'ils foient
revêtus. prenons la raison pour arbitre & cherchons
, &c. s'exprimeroit - t'on autrement dans
une traité de morale! Cette ode n'eſt - elle pas une
eſpèce de plaidoyer ? Otez les rimes , qu'y a - t'il
d'ailleurs dans ces traits qui reſſemble à un poëte?
Allons plus loin. Ces trois ſtrophes ne ſont elles
pas un peu languiſlantes ? Ne rediſent - elles pas
trop prolixement des penſées aflez communes ? Si
l'on examine de près le ſtyle, n'y trouvera - t'on
pas des fautes d'autant moins excuſables que
les vers doivent être plus travaillés dans une
pièce de peu d'étendue ,& dans un genre où l'on ne
fauroit être trop poëte ? Qu'est - ce qu'un culte
frivole? Le culte que l'on rend à la Fortune n'eſtil
pas malheureuſement trop réel ? Jusques à
quand honorerons- nous , &c. est- il bien flatteur
pour l'oreille ? Du titre de vertu fuprême , & c .
fuprême n'eſt- il pas là pour la rime ? Dépouillet'on
la vertu du titre de vertu fuprême ? extravagance
, foibleſſe , injustice , arrogance , trahisons ,
fureurs, cruautés. Cet aflemblage de ſubſtantifs
eſt-il d'une élégance bien lyrique ? étrange vertu
qui se formesouvent , &c. Souvent n'est- il pas là
rejetté contre toutes les règles de la conſtruction
poëtique ? Continuons .
Apprends que la ſeule ſageſfie
Peut faire des héros parfaits .
Laſageſſe ne fait point des héros , & il n'eſt
point néceſſaire qu'un héros ſoit parfait ; &
qu'est-ce qu'un héros parfait ? Ce n'eſt là ni penſer
juſte , ni s'exprimer correctement. Les trois
ſtrophes ſuivantes font belles, quoiqu'il n'eût pas
AVRIL. 1772. 137
fallu , comme on l'a remarqué , mettre ſur la
même ligne Alexandre &Attila,
Mais je veux que dans les alarmes
Réfide le folide honneur.
Onn'entend pas trop comment l'honneur peut
réfider dans les alarmes , & réſide le folide n'eft
pas fort harmonieux.
Quel est donc le hérosfolide
Deut la gloire nefoit qu'à lui?
C'eſt un roi que l'équité guide
Et dont les vertus ſont l'appui.
Voilà encore le mot de ſolide qui n'eſt pas
mieux placé. Un héros folide n'eſt pas élégant.
Nefoit qu'à lui &que l'équité guide forment des
fons déſagréables , & ces quatre vers ne ſont- ils
pas de la proſe trop ſéche ? &le reſte de la ſtrophe
n'eſt- il pas un peu trop commun? Quand on dit
des choſes qu'on a tant redites ,ne faut- il pas les
rajeunir un peu par le ſtyle& ſe les rendre propres
par le mérite & la nouveauté de l'expreſſion ?
Cette idée de mettre Socrate à la place d'Alexandre
, & Alexandre à la place de Socrate , pour les
apprécier tous deux , eſt-elle bien juſte ? Faur- il
mettre unhomme hors de ſa place pour le bien
juger ? Falloit- il que Turenne & le grand Condé,
pour être grands , ſe trouvaflent grands à la placedu
chancelier de l'Hôpital ou du philoſophe
Charron? Eft il bien vrai d'ailleurs qu'Alexandre
à la place de Socrate eût été le dernier des mortels
? Rien n'a plus illustré Socrate que ſa mort.
Alexandre n'auroit -il pas lu mourir ? Socrate
138 MERCURE DE FRANCE.
prêchoit la morale. Alexandre n'en a- t'il pas donné
quelquefois les plus beaux exemples? Cette
phrafe, de Rouffſeau , fi on y regarde de bien près,
n'a même aucun sens. Concevez Alexandre à la
place de Socrate. Mais comment ? Est - ce Alexandre
avec ſon caractère , tranſporté dans telle ou
telle circonſtance de la vie de Socrate ? Eſt - ce
Alexandre chargé de la deſtinée de Socrate , &
obligé de n'être que philoſophe ? Eh bien , il auroit
voulu être le premier des philoſophes. Pourquoi
auroit-il été le dernier des mortels ? Au fonds
toute cette ftrophe ne ſignifie rien. On me dira
que j'examine rigoureuſement des idées poëtiques.
Non , j'examine des ſophifmes , de mauvais
raifonnemens , des déclamations en vers
foibles.
Il faut que je me hâte de rendre à Rouſſeau
toute la juſtice que je lui crois due & que je lui
rendsdu fondsdu coeur. Car ſur les critiques que
je viens de faire on ne manquera pas de crier au
détracteur de Roufleau &de crier d'autant plus
fort , qu'il feroit peut- être plus difficile de nie répondre.
J'ai choiſi l'ode à la Fortune comme une
des plus célèbres , & je l'ai choifie pour l'oppoſer à
celle d'Horace ſur le même ſujet ; mais j'avoue
que cette ode me paroît une des plus foibles de
l'auteur. J'en citerois dix que je crois bien ſupérieures.
En général toutes les odes , àl'exception
de cinq ou fix du dernier livre , renferment de
grandes beautés . L'ode au Cointe du Luc , celle
à Malherbe , celle au Prince Eugène , celle à M.
de Vendôme , l'ode ſur la bataille de Pétervaradin
, l'ode aux Princes Chrétiens , font les chefsd'oeuvre
de notre poësie lyrique , remarquables
par la richeſle de l'expreffion , l'harmonie des vers,
&fur- tout par des tableaux poëtiques d'une beauté
1
1
AVRIL. 1772 . 139
fingulière & qui font honneur à notre langue. 11
y a de la grace dans l'ode à une Veuve , dans les
ſtances àl'Abbé de Chaulieu , dans l'ode au Com .
te de Bonneval , & l'on regrette qu'il en ait fait
trop peu de ce genre. Ses cantates ſont des morceaux
achevés. j'avoue que je les trouve plus véritablement
lyriques que ſes odes , quoiqu'il s'élève
davantage dans celles ci . Je ne vois dans ſes
cantates que des images fortes ou gracieuſes . Il
parle toujours à l'imagination , & il n'eſt jamais
ni verbeux ni prolixe. Dans ſes odes au contraire ,
même les plus belles , ily a toujours des ſtrophes
qui languiffent , des idées trop délayées , des vers
d'un foiblefle inexcuſable. Vous trouvez dans
l'ode à Malherbe :
Mais cette flatteuſe amorce
D'un hommage qu'on croit dû
Souvent prête même force
Au vice qu'à la vertu.
C'eſt là de la très-mauvaiſe profe. Peut-on dire
qu'une amorce prête de laforce ? qu'on croit da
fait frémir l'oreille.
Dans l'ode à M. d'Uffé ;
Lesdiſgraces déſeſpérées
Et de nul eſpoir tempérées , &c.
Il eſt ſûr que ſi elles ſont désespérées , elles ne
font tempérées de nul espoir. Ce font là des fautes
impardonnables.
Dans l'ode à M. le Comte de Luc ;
Et je verrais enfin de mes froides alarmes
140 MERCURE DE FRANCE.
Fondre tous les glaçons.
Dans l'ode à M. de Vendôme ;
Ils font le plus beau de l'histoire
D'un héros en tout lieu vainqueur , &c .
Leplus beau de l'histoire n'eſt pas heureux,
Dans la même ode ;
O déteſtable calomnie ,
Fille de l'obſcure fureur ,
Compagne de la zizanie , &c .
Dans l'ode à M. de la Fare ;
Sur-tout réprimons les ſaillies
De notre curiofité ,
Source de toutes nos folies ,
Mère de notre vanité , &c.
Ces vers ne ſeroient pas aſſez élégans , même
pourune épître.
Dans l'ode au Prince Eugène ;
Et les faits qu'on ignore
Sont bien peu différens des faits non avenus , &c.
Ontrouve beancoup trop de vers de cette eſpèce
dans Rouleau , & encore une fois quand on
n'a que des vers à faire , on n'y doit laiffer que
ces légères imperfections , inévitables dans notre
verſification françaiſe ſi difficile & fi peu maniable
, & l'on ne peut excuſer rien de ce qui bleſſe
trop ouvertement l'oreille& le goûr .
AVRIL. 1772 . 141
:
Toutes ces remarques n'empêchent pas que
Roufſeau ne ſoit un grand poëte , parce qu'il a
excellé parmi nous dans le genre lyrique où perſonne
ne lui peut être comparé ; & la poſtérité
équitable ne juge un écrivain que fur ce qu'il a
fait de beau. Ou a oublié preſque toutes les épîtres
qui ſont d'un très - mauvais eſprit & d'un
plus mauvais ſtyle , ſes ennuyeuſes allégories ,
Ies comédies ſi froides , ſes opéra plus froids
encore , & je ne les rappelle ici que parce qu'il y
ade jeunes fanatiques qui trouvent tout beau
dans celui qu'ils appellent leGrand Rouffeau , le
prince de la poësie françaiſe. Du moins je l'ai vu
ainſi nommé dans plus d'une brochure. Il n'eſt
peut - être pas hors de propos de remarquer ici
comment s'eſt établie dans une certaine littérature
( car il y en a plus d'une) cette dénomination
de Grand Rouſſeau que je n'ai vu nulle part
employée par aucun écrivain accrédité. Il ſemble
que ce titre ſoit un honneur rendu au génie.
Point du tour. Ce titre eſt un préſent fait par la
haine. Ce ſont les ennemis de M. de Voltaire qui
ont cru l'affliger en honorant ſon ennemi. Je ne
fuis point détracteur de Rouſſeau , & pourquoi
le ſerais-je ? Mais je ne puis m'accoutumer , je
l'avoue , à le regarder comme le prince de la poëfie
françoile. Ce nom de Grand ſi juſtement décerné
àCorneille , au créateur Corneille qui a tiré
le théâtre de la barbarie & répandu tant de lumière
dans une ſi profonde obſcurité , ce nom de
Grand me paroît un peu au-deſſus du mérite de
Roufleau , qui , venu long-tems après Malherbe,
atrouvé la langue toute créée , & qui , avectous
ces ſecours , eſt reſté fort au- deſſous d'Horace
dont il n'a ni l'eſprit,ni les graces, ni la variété,
142 MERCURE DE FRANCE.
ni le goût , ni la ſenſibilité * , ni la philofophie,
&qui manque ſur-tout de cet intérêt & de ce
charme de ſtyle qui rend un écrivain cher à ſes
lecteurs. Et de quel titre ſe ſervira - t- on pour les
Racine & les Voltaire , pour ces hommes qui ont
été ſi loindans les arts les plus difficiles où l'efprit
humain puifle s'exercer , pour ces enchanteurs
fi ſéduiſans & fi aimables , à qui nous ne
pouvons jamais donner autant de louanges qu'ils
nous ont donné de plaiſirs ? Si Roufleau eft Grand
pour avoir fait de beaux vers qui ſouvent ne font
que de beaux mots , comment appellera - t- on
ceux qui ont dit tant de belles choſes en aufli
beaux vers , ceux qui non- ſeulement ſavent flatter
notre oreille , mais qui remuentfi puiflamment
notre ame, éclairent & élévent notre efprit;
ceux que nous reliſons avec délices , que
nous ne pouvons louer qu'avec tranſport ? Je
fais qu'il y a des têtes exaltées pour qui le mérite
de tourner fortement un vers eſt le premier de
tous les mérites , & qui font bien plus frappées
d'une ſtrophe de Rouleau que d'une ſcène de
Zaïre ou de Mahomet. Mais ces enthouſiaſtes font
en petit nombre ; ils font jeunes pour la plupart,
&ils verront peut- être par la fuite , qu'un poëte,
pour être relu , doit parler à l'eſprit & à l'ame ,
&que Roufleau ne parle guères ni à l'un ni à l'autre.
Je crois aimer autant la poësie que perſonne
au monde , quoique je fois un des moindres de
ceux qui la cultivent; mais je demande à tous
* J'ai lu dans une brochure que Rouſſeau avoit
beaucoup de ſenſibilité , & l'on citoit en témoignage
l'ode à la Poſtérité. C'eſt ſe connoître en
ſenſibilité & en ſtyle,
AVRIL. 1772 . 143
les lecteurs éclairés & (enſibles ſi ( ſans même
parler ici des ouvrages dramatiques ſi ſupérieurs
àune ode pour le mérite & pour l'effer ) fi , disje,
ils ne liront pas plus ſouvent des ouvrages tels
que les diſcours en vers de M. de Voltaire , le
poëme ſur Lisbonne , ſur la loi naturelle , & d'autres
de ce genre , que les odes de Roufieau ? s'ils
trouveront dans Rouſſeau des morceaux tels que
celui-ci fur le Bonheur , &les ſuivans .
Il eſt ſemblable au feu dont la douce chaleur
Dans chaque autre éléinent en ſecret s'infinue
Deſcend dans les rochers , s'élève dans la nue ,
Va rougir le corail dans le ſable des mers ,
Et vit dans les glaçons qu'ont durcis les hivers.
:
• •
Platon dit qu'autrefois l'homme avoit eu des aîles.
Un corps impénétrable aux atteintes mortelles.
La douleur , le trépas , n'approchoient point de
lui;
De cet état brillant qu'il différe aujourd'hui !
Il rampe , il ſouffre , il meurt ; tout ce quinaîtex
pire.
De la deſtruction la nature eſt l'empire .
Unfoible compoſé de nerfs & d'oflemens ,
1
144 MERCURE DE FRANCE.
Ne peut être inſenſible au choc des élémens.
Cemêlange de ſang , de liqueur & de poudre
Puiſqu'il fut aſſemblé fut fait pour ſe diſloudre ,
Et le ſentimentprompt de nos nerfs délicats
Futfoumis aux douleurs , miniſtres du trépas,&c.
Etailleurs .
Aidons nous l'un & l'autre à porter nos fardeaux.
Nous marchons tous courbés ſous le poids de nos
maux.
Mille ennemis cruels aſſiégent notre vie ,
Toujours par nous maudite& toujours ſi chérie.
Notre coeur égaré , ſans guide & fans appui ,
Eſt brûlé de deſirs ou glacé par l'ennui .
Nul de nous n'a vécu ſans connoître les larmes .
De la ſociété les ſecourables charmes
Conſolent nos douleurs au moins quelques inftans
,
Remède encor trop foible à des maux fi conftans .
Ah ! n'empoilonnons pas la douceur qui nous
: refte.
Je crois voir des forçats dans leur priſon funeſte ,
Se pouvant ſecourir , l'un ſur l'autre acharnés ,
Combattre avec les fers dont ils font enchainés .
De pareils vers ne réuniflent - ils pas tous les
mérites , l'imagination , la philoſophie , le ſentiment
, l'harmonie ? Si j'avois voulu choiſir des
morceaux d'une poësie plus forte , j'en aurois
trouvé
:
:
1
AVRIL. 1772. 145
trouvé un grand nombre. Mais j'ai voulu citer
ſeulement des exemples d'un ſtyle & d'an ordre
de beautés qui me paroît ſuppoſer un génie
beaucoup plus heureux que celui de Roufſeau.
J'y trouve le qui me mihi reddat amicum
d'Horace. Ce même Horace a ſi bien dit :
Necfatis eft pulchra efſſe poemata , dulcia funto:
Roufleau a ſouvent le pulchra ; mais a-t'il le dulcia
? Non. On ne peut donc pas dire de lui , om
ne tulit punctum .
J'avois déjà exprimé à- peu près les mêmes
idées ſur Rouſſeau dans une épître compotée à
Ferney , dont M. de Voltaire a daigné citer quel
ques vers * , & qui eſt entre les mains de plufieurs
gens de lettres. Je rapporterai ici ce mor
ceau , parce qu'on a prétendu qu'il étoit inju
rieux. On en jugera : le voici .
Ce nom de grand Rouſleau fut donné par l'envie!
Le grand homme eſt celui dont les riches pinceaux
st
Rapprochent les objets ſous des afpects nou?
veaux ,
Dont la plume éloquente aux grands traits exer
cée
Joint le charine du ſtyle au don de la penſée ;
Qui de la vérité profond obſervateur ,
De ſa raiſon féconde enrichit ſon lecteur ;
* Dans une lettre imprimée dans les mêlanges
in- 8° . & in-4° .
1. Vol. G
f
146 MERCURE DE FRANCE.
Noble& fimple à la fois; grand fans chercher à
l'être .
C'eſt le Chantre Romain qui des coeurs toujours
maître ,
Inſpirant de l'amour les lugubres douleurs ,
Au bucher de Didon nous traîne tout en pleurs;
C'eſt l'enchanteur divin qui fûr du même empire ,
Prête un charme fi doux aux douleurs de Zaïre.
C'eſt l'auteur adoré dont la touchante voix
Dicte aux pieds de Joas la morale des rois.
Odes , arts & du goût véritables arbitres ,
Nos larmes ſont vos droits ; nos plaiſirs ſont vos
titres.
Sans cefle votre éloge anime nos diſcours ;
Toujours heureux pat vous , nous vous louons
toujours .
,
J'admire de Rouſleau la poëtique ivreſſe ,
De ſestermes choifis la pompeuſe richeſſle ;
Je le crois en effet inſpiré par les Cieux
Quand il traduit David en vers mélodieux ;
Et de nos vieux conteurs les naïves ſaillies
Dans lescadres heureux ſont toujours embellies.-
Mais la raiſon , l'eſprit , fur-tout le ſentiment
Dans ſes vers ſi nombreux parlent trop rarement.
En plaiſant à l'oreille , il ne dit rien à l'ame ;
Etjen'appellegrand que l'auteur quim'enflamme,
Qui mettantfous nos yeux nos penchans , nos erreurs
,
Semble le confident des beſoins de nos cooeurs ,
AVRIL. 1772 . 147
Nous ramène vers lui par un pouvoir qu'on aime ,
Et pour nous être cher , nous parle de nousmême.
Le parallèle d'Horace & de Rouſſeau m'a entraîné
, & j'ai laiſſé de côté Malherbe dont j'aurais
dû parler auparavant. Mais j'ai peu de choſe
åen dire. Il fuffiroit pour ſon éloge de te rappeler
qu'il écrivoit ſous Henri IV & qu'on a retenu
de fes vers . Onfait les ſervices qu'il a rendus à
la langue & à la poësie. Il avoit un ſentimentde
T'harmonie auffi exquis que Kouſleau lui-même ,
quoiqu'il n'ait pû en faire un autli bel uſage
parce que la langue poëtique n'étoit encore qu'ébauchée.
On a beaucoup admiré cette célèbre
paraphrafe d'un pallage d'Horace , la mort a des
rigueurs , &c. Les quatre premiers vers font
d'uneggrraande foiblefle. Les derniers font adımirables
pour le nombre ; & l'image qui termine la
période eſt belle. Mais j'avouerai encore que j'aime
mieux Pallida mors æquo pulfat pede, pauperum
tabernas, regumque turres, il y a plus de choſes
dans ces deux vers que dans les huit vers de
Malherbe, & le tableau me paroît bien plus frappant.
Au reſte on ſe tromperoit beaucoup , fi fur
la réputation de Malherbe on ſe promettoit un
grand plaifir de la lecture de ſes ouvrages. C'étoient
des efforts prodigieux pour ce tems - là ;
mais il ne faut pas lire les odes de Malherbe après
celles de Rouffeau.
Il faut bien parler de la Motte , puiſqu'il a
fait des odes. Mais la Motte étoit - il poëte ?
Etoit- il né pour faire des vers ou pour les fentir ?
Il y a de lui quelques ſtrophes élégantes , pas
une vraiment poëtique. Son ſtyle eſt de la plus
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
rebutante ſéchereſſe , & ſes vers d'une odieuſe
dureté. Il n'exiſtoit point d'harmonie pour cet
homme qui a rimé des pensées ingénieuſes. Il a
fait des opéra ballets d'une difpofition heureuſe
& ſemés de quelques jolis madrigaux ; il a fait
quelques fables pleines d'elprit & de finefle ; il a
Écrit enproſe avec une préciſion lumineufe, quoique
fa profe , comme ſes vers , ſoit dénuée d'imagination
; enfin il a rencontré le ſujet d'Inès ;
voilà ſa gloire. Il a joui dans un fiécle trèséclairé
d'une réputation fort au- deſlus de ſon mé
rite ; voilà fon bonheur.
De ſon tems on aimoit encore les odes. Aujourd'hui
on les abandonne trop. On n'en a pas
diftingué fix depuis vingt ans. Ily en a eu une
fur la mort de Rouſſeau. L'auteur paroît quelque
fois animé de la verve du poëte qu'il chantoit.
En voici une ſtrophe frappante. Il s'agit de
la fupériorité du grand homme ſur ſes ennemis,
Le Nil a vu ſur les rivages ,
De noirs habitans des déferts
Inſulter par leurs cris lauvages
L'aſtre éclatant de l'Univers .
Cris impuiſſans ! fureurs bizarres !
Tandis que ces monftres barbares
Poufſoient d'inſolentes clameurs ;
Le Dieu , pourſuivant la carrière ,
Verſoit des torrens de lumière
Sur ſes obfcurs blafphémateurs.
Je n'ai guères vu de plus grande idée rendue
par une plus grande image , ni de vers d'une harmonic
plus impoſante. Je ne connois point de
AVRIL. 1772 . 149
ſtrophe de Rouſſeau que je préférafle à celle- là.
Je la recitai un jour à M. de Voltaire qui l'admira
avec tranſport. Il y trouvoit tous les genres
de fublime réunis. Je lui en nommai l'auteur. Il
me pria de redire la ſtrophe. Je la lui redis , & il
l'admira encore davantage. Je pourrois parler de
quelques autres odes qui méritent d'échapper à
l'oubli. Mais ce morceau n'eſt déjà que trop long.
J'ajouterai cependant quelques lignes qui ſerviront
de réponſe à ceux qui me reprocheroient
d'énoncer mes opinions avec trop de liberté.
Je ne connois point d'autre politique en littérature
que d'être juſte & honnête. Ce n'eſt pas la
plus adroite ; mais c'eſt au moins la plus noble.
Ily a une foule de préjugés littéraires tenus en
réſerve par certains partis , comine des dépôts
précieux pour les paffions & pour la haine. J'enai
attaqué quelques-uns ; je pourrai en attaquer
d'autres. Mais je ne me fuis jamais écarté ni ne
m'écarterai jamais du ton qui convient à un homme
de lettres . On m'a toujours combattu avec
des injures & des clameurs. Je ne ſais point me
ſervir de telles armes ; mais je n'en ſuis pas effrayé.
Je ne doute pas que cet article neme vaille
encore des libelles . Mais s'il y a quelque vérité
dans ce que j'ai dit , on ne la détruira pas , &
l'on comparera le langage de mes adverſaires &
le mien. Ce parallèle me (uffiroit pour ma vengeance
, fij'en pouvois defirer une. On ira plus
Join peut- être. On me ſuppoſera quelque intérêt
à médire d'un écrivain mort. Cette fuppofition
feroit bien lâche , &je n'y oppoſe que la connoifſance
qu'ont beaucoup d'honnêtes gens de mon
caractère & de mes principes. Sij'avois ſu déguifer
mon eſtime ou mon mépris , je pourtois être
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
moins bien avec moi - même ; mais je ne ſerois
pas mal avec beaucoup d'autres. Si je me permettois
de regarder tel de mes ennemis comme un
homme vil , c'eſt ſur-tout quand on m'aflureroit
qu'il ne penſe pas ce qu'il écrit. Cette habitudede
mentir à ſoi-même doit être un odieux fardeau , &
l'ame qui n'en eſt pas accablée doit être une ame
plus odieuſe. On a imprimé queje facrifiois à une
cabale dominante les gens que j'eſtimois le plus
aufond du coeur : Je ne ſuis pas dans le cas de
facrifier perſonne , & je ne facrifie qu'à la vérité
qui n'eſt point une cabale , encore moins une cabale
dominante .
LETTRE de M. de la Harpe
à M. de L **.
Après tout le bavardage dont j'ai déja ſurcharge
votre Mercure de ce mois , pourriez - vous , Monſieur
, me donner encore une petite place pour
une nouveauté bien intéreſſante ? il ne s'agit de
⚫rien moins que d'un miracle , d'une réſurrection ;
c'eſtBoileau reffuſcité. Vous allez dire qu'on ne
peut pas reffufciter plus à propos , & que jamais
on n'eut tant de beſoin d'un prodige de cette
eſpèce. Mais vous refuferez peut- être d'y croire .
Du moins j'ai déja vû beaucoup d'incrédules qui
comparent le nouveau Boileau à cet aventurier
qui avoit pris le nom de je ne ſais quel empereur
mort , & qui finit par laver la vaiſſelle dans la
cuifine du prince regnant. Mais ces gens à comparaiſon
n'ontpas raiſon , je vous assûre , &
AVRIL. 1772. I
vous voulez jetter avec moi un coup d'oeil rapide
ſur l'Epître que Boileau vient d'envoyer de l'Elyſée
à Ferney , vous verrez qu'il n'y a point de
correſpondance mieux prouvée ni mieux établie ,
&qu'on ne peut s'empecher de reconnoître Boileau
, un peu changé , à la vérité ; mais la mort
change beaucoup un homme.
Lamiraculeuſe miſſive eſt précédée d'un avertiſſement
en profe. Vous ſavez que la proſe de
Boileau n'a jamais paflé pour bonne ; il ne s'eſt
pas corrigé chez les morts ; il a même empiré ,
comme de raifon . M. de Voltaire , très-hardi contre
les morts & contre ceux qui ne peuvent pas fe
défendre . Il est sûr que perſonne ne peut moins
Se défendre que les morts , & pour empêcher que
le ſecond membre de la phrafe n'eût l'air d'une répétition
niaiſe , il eût fallu metrre & contre les
vivans qui ne peuvent pas se défendre.
Peut- être cette réponſe lui fera - t elle quelque
peur des revenans ; ce n'eſt pas là le foible de M.
de Voltaire , & le dégoûtera de faire lefanfaron
avec les månes des Corneille , &c. Faire le fanfa
ron avec les manes eſt d'un ton tout- à- fait noble:
Son ombre ( de Boileau ) infultée , ayant porté fes
regards parmi nous, rappelle ces vers de la Riſſole :
LesHollandois réduits à du biſcuit de ſeigle
Ayant connu , &c.
Ny a vû d'un côté que la foule deses détracteurs
auſſi nombreux que la foule des fots. Cette phrate
de calcul eſt d'une tournure très - plaiſante. De
l'autre le petit nombre éclairé deſes admirateurs De
Sesadmirateurs ſembleroit être à l'ablatif par la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
conſtruction grammaticale , & l'on entendroit
éclairé de comme éclairé par ; éclairé ne pouvant
pas être l'adjectif de nombre qui en a déja un auparavant
; mais point du tout ; la phraſe n'auroit
point de fens , & le de eft au génitif. Boileau a
pu oublier un peu la grammaire depuis le tems
qu'il n'a écrit. Qui pufillanimes & fans courage,ces
deuxmots paroiſſent dire deux fois la même chofe.
Mais il faut croire que l'auteur y a vû quelque
différence. Pufillanimes fignifie étimologiquement
de peu de courage. Sans courage eft
une nuance de plus , crefcat oratio , tout eſt dans
les règles. Defpréaux s'est donc élevé lui- méme
pour repouffer la main qui est venu remuerfa cendreSatyrique.
S'élevé pour repouſſer eft une conftruction
heureuſe. Cendre fatyrique veut dire fans
doute que Boileau a confervé fon caractère même
parmi les morts , & c'eſt pour cela que de ſes
cendres il fort encore une fatyre. Les gens malins
diſent que cette fatyre n'est que de la cendre.
Mais nous allons voir le contraire tout à l'heure .
Il n'a pas pour cela négligé la raillerie ,ni lefel de
lafatyre quand ils'est trouvéfous fa main. Je ne
ſais pas fi le fel de la fatyre s'est trouvé fous fa
main , mais on ne convient pas qu'il l'ait répandu
à pleines mains. C'eſt encore une injuftice.
Si cesujet paroît trop férieux à de certaines per-
Sonnes, il laiſſera M. de V. donner la farce au
petit peuple , & c . Il n'y a aucune connexion entre
le premier membre de la phrafe & le ſecond.
Mais ce qui eſt plus remarquable , c'eſt M. de
V. donnantlafarce au petit peuple..
Il faut avouer que ſi ce précieux morceau de
proſe n'eſt pas de Boileau , celui qui a pris fon
AVRIL. 1772 . 153
nom s'eſt bien ſouvenu du précepte de Molière :
Quand fur une perſonne on prétend ſe régler ,
C'eſt par les beaux côtés qu'il faut lui reſſembler.
Paſſons à l'épître .
V. , Auteur brillant , léger , frivole & vain.
On retrouve dabord le caractère véridique de
Boileau . Brillant , il eſt difficile de nier que M.
de V. ait un ſtyle brillant. Léger. Il a excellé dans
ce qu'on appele la poëfie légère. Frivole. Il a fait
douze ou quinze Tragédies qui depuis quarante
ans font verſer des larmes chez tous les peuples
qui ont un théâtre , il a fait un poëme épique ,
le Siécle de Louis XIV , un Eſſai ſur l'Hiſtoire générale
, l'Hiſtoire de Charles XII , &c. Il y a des
perſonnes qui au premier abord ne trouveront
pas que ces ouvrages ſoient ſi frivoles. Mais c'eſt
faute d'attention ; car au fond, qu'y a- t-il de plus
frivole que des tragédies , des poëmes épiques &
des hiſtoires ? Il est vrai que M. de V. a écrir
ſur la géométrie ; c'eſt une petite difficulté ; je
n'oferais manquer de reſpect à la géométrie , au
point de la traiter de frivole. Mais , après tout ,
elle tient peu de place dans l'immenſe collection
de M. de V. , & il demeurera , malgré ſa géométrie
, un auteur très frivole. Vain. Il n'y a
guère d'écrivain qui ne le ſoit un peu , & l'on croi
roit d'abord que c'eſt là un trait vague. Mais
Fauteur veut dire qu'un homme eſt d'autant plus
vain qu'il a moins de mérite & qu'il s'en croit davantage
; ce qui eſt évidemment le cas où ſe
trouve M. deV.
;
G
2
154 MERCURE DE FRANCE.
Zoïle de Corneille & flatteur de S **.
Zoïle étoit un homine très- ſavant qui avoit le
malheur de ne trouver rien de bondans les écrits
d'Homère , ni dans les meilleurs ouvrages de fon
temps. A la ſcience près , beaucoup de gens lui
reſſemblent aujourd'hui. M. de V. eſt donc le
Zoïlede Corneille, s'il a méconnu toutes les beautés
de Corneille , ce dontil eſt aiſe de ſe convain
cre, en lifant le commentaire où il n'y en a pas
une qui ne ſoit exaltée avec enthouſiaſme. Flatteurde
***. Cela ſignifie ſimplement que M. de
V. a dit à M. S*** des vérités flatteuſes comme
Boileau en diſoit à Louis XIV. Quand M. de
V. appele Boileau flatteur de Louis , il ne veut
pasdire qu'il ait tortde louer un grand roi trèslouable
à beaucoup d'égards ; & Boileau qui parodie
les vers de M. de V. , n'a pas donné un
autre ſens que lui à ce mot de flatteur ; ainfi
iln'y a rien à dire.
Qui ſans cefle affectant de blâmer la ſatyre ,
As vaincu l'Arétin maître en l'art de médire.
Maitre en l'art de médire eſt une appofition un
peu traînante , dira - t- on , mais on ne peut nier
que M. de V, quand il s'eſt mêlé de ſatyre , n'ait
beaucoup mieux écrit que l'Arétin. Ainfi Boileau
a dit la vérité ,
Aquoi bon d'un eſprit ſi foible à ſon déclin.
Rien ne prouve mieux le foibleſſe de cet eſprit
que l'Epître à Boileau qui a occaſionné cette réponſe
, & que tout le monde fait par coeur. En
AVRIL.
1772. 155
général , rien n'eſt ſi miférable que ces vers qu'on
retient ſi facilement ; c'eſt une preuve qu'ils n'ont
rien d'extraordinaire.
Sur un ton familier moins plaiſant que malin.
L'auteur ne ſeroit pas content ſi des gens de
mauvaiſe humeur lui diſoient qu'il n'eſt ni malin
ni plaifant , il feroit fur - tout fâché du premier
reproche.
En des vers dépourvus de cadence &de nombre.
Vous allez voir comme l'auteurdonne l'exemple
de la cadence & du nombre dans le vers ſuivant.
1
Venir apostropher &gourmander mon ombre .
On peur dire avec Molière :
Ces trois infinitifs font admirablement.
Vous imaginez bien , Monfieur , que je ne prétends
point ſuivre ainſi pas à pas le ſatyrique refſuſcité.
Vous voyez dèja qu'à quelques petites difficultés
près , c'eſt l'équité , la juſtefle , & même
l'élégance de Boileau. Pour achever de vous convaincre
, il me ſuffira de mettre ſous vos yeux un
certain nombre de vers dont tous les lecteurs ſaifiront
aifément les beautés, fans que je prenne la
peine de les détailler.
Eh bien donc , raiſonnons , car toujours badiner,
Turlupiner , railler , fans jamais raiſonner,
C'eſt imiter le ſinge , & payer en gambades.
Le bouffon démaſquéparmoivitſa baffeſſe ,
Gvj
1.56 MERCURE DE FRANCE.
Y
Etnon moins ennemi d'un ſtyle trop hautain , &c.
Des ſuccès de Pradon je fis rougir la scène.
Je dégoûtai Quinault d'affadir Melpomene.
Si des ſots en faveur , ma muſeſe moquant', &c.
Ma plume ramaſſant l'infamie & l'ordure ,
A-t-elle fait fur lui couler lafale injure?
du Poëte ennuyeux , cenfurant le travers.
Mais toi que dans ce champ lajalousie attire
Qui voudrois des beaux arts voir les derniers débris
,
Et toi ſeul y regner avec tes ſeuls écrits , &c.
,
Quoique j'aye promis de ne faire aucune remarque
, je ne puis m'empêcher d'obſerver combien
il eſtnaturel qu'un homme veuille d'abord voir
les derniers débris des arts , & enſuite y regner
avecfes écrits . Ces deux deſirs s'accordentà merveille.
Ta folle ambition , ta vaineſuffisance ,
Contre les vrais talens arma ta médiſance .
De tout mérite obſcur protecteur déclaré ,
Le ſot qui t'admira par toi fut admiré.
Lefot est néceſſairement le nominatif des deux
vers. Ce n'eſt point là le cas de l'ablatif abſolu .
Boileau s'est réconcilié avec les ſoléciſmes . Mais
ce qui prouve que c'eſt toujours lui , c'eſt qu'il
ſe répète ; il avoit déja dit :
Unfottrouve toujours unplus ſot qui l'admire.
AVRIL. 1772. 157
Un autre àMelpomene impose un nouveau ton ;
Et fait parler Eustache au lieu d'Agamemnon .
Ce dernier vers eſt gai. Le ſatyrique veut abſolument
qu'un perſonnage tragique s'appele Agamemnon
, & non pas Euftache. J'avoue qu'Euftache
n'eſt pasfi harmonieux qu'Agamemnon .
Mais auffi on ne peut pas empêcher qu'un hommequi
a fait une belle action s'appele Eustache.
Tout ce qu'on peut faire , c'eſt de ne le nommer
que le moins qu'on peut , & de le faire parler en
vers auſſi harmonieux , auſſi nobles , auffi naturels,
auffi touchants que ceux que prononce Agamemnon
.
Apropos de ce plaiſant reproche d'appeler un
homme par fon nom,je me ſouviens d'avoir eſſuyé
moi- même une cenfure auffi merveilleuſe. Dans
une longue &plate facétie qui courut le monde
dans le tems où leDrame de Mélanie parut, & que
l'auteur a imprimée depuisdans ſes ouvrages pour
achever de la faire oublier , on faiſoit l'énumération
de tous les chefs - d'oeuvre de la ſcène , & l'on
finiſſoit par un défi très - ingénieux de trouver un
Curédans aucune de ces pieces. Qu'il y a d'eſprit
& de fineſſe dans cette tournure , & que c'eſt-là
de labonne plaiſanterie ! En vérité ,je ferois tout
auffi furpris de trouver un Curé dans Cinna , que
de voir un conful dans Mélanie.
Vous me pardonnerez cette digreſſion qui peut
égayer le lecteur. Encore quelques vers du nouveau
Boileau , plus amuſans que mes digreffions.
Tous ſans rien redouter de ta plaiſanteric
158 MERCURE DE FRANCE .
Peuvent du goûtfrançois háter la barbarie
Dans ce nombre effrayant d'auteurs dont les écrits
Menacent chaque jour de noyer tout Paris ,
Et vont par des torrens defaux goût , d'ignorance
Dans une nuit barbare enfevelir la France , &c.
Enfevelirdans la nuitpar des torrens ! Voilà
des métaphores ſuivies , voilà Boileau.
Sous couleur d'illustrer Corneille & fa mémoire
, &c.
Et de faire beaucoup au lieu defaire bien , &c.
En voilà bien aſſez , Monfieur , & vous voyez
que c'eſt à peu de choſes près le ſtyle de l'art poëtique
, c'eſt Boileau tout pur. Boileau attaquoit
de ſon vivant les Pradons , les Cotins , les Chapelains
, les Scuderis , &c . Boileau après la mort
attaque les Volt. , les St. L. , les S , lesTh. , les
Marm. , &c. Or ileſtévidentque M. de V. a remplacé
Pradon,que M. de St. L. nous a rendu Chapelain
, queles panégyriques de M. Th. ont fuccédé
aux fermons de Cotin, &que l'auteur de Spartacus
, de Béverley , &c , eſt un nouveau Scudéri.
Vous me direz que ſi je parois ſi content de
l'ouvrage , c'eſt que j'y ſuis mieux traité que tous
les hommes célèbres dont je viens de parler. Il eſt
vrai que je n'ai pas à me plaindre de l'auteur ; il
ne me fait d'autre reproche que d'avoir loué la
tragédie d'Oreſte que j'ai appelée ,dit- il , un chefd'oeuvre
des cieux. Je n'ai jamais appelé Oreſte
un chef- d'oeuvte des cieux , ce qui ſeroit un peu
AVRIL. 1772 . 159
plat. Je ne l'ai pas même app elé un chef- d'oeuvre
du théâtre ; il ne m'appartient pas de prononcer ſi
décifivement, mais j'avoue que j'ai beaucoup loué
les beautés que j'ai cru y voir , & je ne peux pas
m'en repentir. Il ajoûte que je me promets bien
d'être unjourle légataire deMde. V. Ceux qui
croyent que dans l'Epître nouvelle il n'y a deBoileau
que le nom, diſent que fije ne ſuis pas plus
légataire de M. de V. que l'auteur ne l'eſt de Boileau
, ma fortune n'eſt pas encore faite .
Au reſte , ſi le talent poëtique ne fait pas réuffir
cette fatyre , vous conviendrez au moins que
l'intention de l'écrivain doit en faire le ſuccès.
J'ai l'honneur d'être , &c .
SPECTACLES.
OPÉRA.
SUR LA MUSIQUE ,
à l'occafion de Cuftor.
DEPUIS le départ des Bouffons , les querelles
fur la Muſique s'étoient aſſoupies ; non , qu'un des
deux partis s'avouât vaincu. Dans les guerres
d'opinion , c'eſt ce qui n'arrive jamais. L'obſtination
naît de la contrariété , les opinions ſe hériflent
, & chacun demeure inacceſſible dans la
fienne . Le filence des combattans ne venoit donc
que de laſſitude ; la paix qui règnoit n'étoit qu'une
trève , & cette trève eſt rompue.
Dans les débats qui viennent de ſe renouveller ,
160 MERCURE DE FRANCE .
nous accuſerions volontiers le parti François d'être
l'aggrefleur. Le ſuccès de Caſtor a enflé fon
courage. L'argent des recettes devient un argument
triomphant pour ſa cauſe , il s'en prévaut &
affecte du mépris pour la cauſe contraire. Nul
ſentiment n'eſt plus für du retour que celui- là;
auſſi l'en a - t'on payé ; de là, les injuſtices réciproques
; d'une part , Castor est au- deſſus de touze
muſique italienne , de l'autre , Castor ne vaut
pas mieux que le dernier des opéra françois.
Entre ces ſentimens il en eſt un moins extrême
&plus ſage; ofons l'indiquer , & puiſque l'opéra
de Caſtor eſt l'objet actuel de la diſpute ,
puiſque c'eſt l'étendart ſous lequel on ſe bat ,
faiſons un examen impartial de cet ouvrage ;
n'en diffimulons ni les beautés , ni les défauts.
Cette analyſe raiſonnée deviendra un traité ſur
le genre même : heureux , fi nos vues concouroient
à le perfectionner . *
Dans l'examen de Caſtor , nous commencerons
par l'Ouverture que nous jugeons être d'un effer
fimple & noble. Une dans ſon chant ; une dans
* C'eſt içi le lieu de prévenir le lecteur ſur la
marche interrompue que nous allons fuivre. Nous
ne ſaurions procéder autrement , puiſque nous
devons pafler à tout moment du particulier au
général. Que le lecteur ne regarde nos aflertions
que comme des obſervations appuyées le plus
ſouvent ſur le jugement même d'une grande partie
du Public. L'auteur ne prétend point affecter
la ſupériorité d'opinion : après de longues reflexions
, il feroit poſſible qu'il éclarât quelques
perſonnes , mais , lui - même , il ſouhaite qu'on
l'éclaire.
AVRIL. 1772 . 161
ſes modulations , & composée avec cette chaleur
qui n'a jamais abandonné Rameau dans ſes compoſitions
inſtrumentales .
Nous n'aurons pas l'injustice de comparer
l'ouverture de Caſtor avec les ſymphonies que
l'Allemagne nous a données depuis douze ou
quinze ans , avec les ouvrages des Stamits , des
Holzbaur , des Toëschi , des Bach , avec ceux de
M Goffet , devenu le muficien de notre Nation
pour cette partie. Les morceaux que je cite ont
l'avantage de produire ſouvent du chant autant
que du bruit. Les compoſiteurs y ont raſſemblé
une multitude d'inſtrumens différens , dont quelques-
uns n'étoient point en uſage au tems où
Caſtor fut écrit. Tous ces inftrumens , dont la
réunion nourrit lecorps des ſymphonies modernes
, y jettent une variété charmante , lorſqu'ils
ſe font entendre ſéparément , ou qu'ils figurent
tour- à - tour. Les nuances du doux au fort , continuellement
& graduellement ménagées , font
encore des fineſſes de l'art , dont Rameau faifoit
peu d'ulage. Ses morceaux ſont d'une teneur ,
comme on peut s'en appercevoir dans l'ouverture
de Caſtor. De ſon tems l'art de l'exécution
étoit moins perfectionné qu'il ne l'eſt aujourd'hui.
Rameau , dans ſa vieilleſſe le ſentoit ; il
étoit le premier à le dire , il s'affligcoit que fon
génie l'abandonnât lorſque ſon goût s'éclairoit.
Il admiroit de bonne foi ceux qui affectent aujourd'hui
de le mépriſer ; n'est- ce pas une preuve ,
que leurs talens ſont dignes d'admiration , & que
les fiens ne ſont pas faits pour le mépris ?
Quelques perſonnes qui ſavent entendre &jager
la muſique , n'ont aucun goût pour celle qui
n'est qu'inſtrumentale. D'où vient cela ? Cette
162 MERCURE DE FRANCE .
L
exclufion (que nous ſavons être donnée par des
hommes d'un mérite ſupérieur ) ne tiendroit-elle
pas à cette curiofité philoſophique , qui cherche
à ſe rendre compte de tout , qui veutdonnerun
nomà nos ſenſations , à nos plaiſirs ? Lorſqu'on
entend une ſymphonie , on ſe demande ce qu'elle
dit, ce qu'elle peint ; quelle a été l'intention de
l'auteur ? Ces queſtions témoignent évidemment
que ceux qui les font ſont peu touchés de ce
qu'ils entendent. Si la muſique les eût ſaiſis , ils
n'en chercheroient pas l'interprétation. Eh quoi !
lorſqu'on voit un beau viſage , ſe demande - t'on
la raiſon du plaifir qu'il nous fait ? Que dis -je ?
S'il falloit affigner cette raiſon , la trouveroiton
? Un beau chant , comme un beau viſage ,
porte avec lui ſon effet , ſon plaiſir , indépendant
de l'imitation , & donné par le rapport intime
qu'ils ont l'un & l'autre avec nos fens. Si le beau
chant imite quelque choſe , c'eſt un ſecond plaiſir
que la réflexion y fait trouver , mais l'inſtinct
plus promt a joui du fien antérieurement. Les
perſonnes qui n'aiment point la muſique inſtrumentale,
n'ont beſoin , je crois , pour l'aimer, que
d'acquérir l'habitude de l'entendre. Revenons à
Caſtor.
Tout le premier acte , juſqu'au divertiſſement,
eſt abfolument (ans muſique. Ce n'eſt que du ré .
citatif , & du récitatif dont la lenteur aflomme.
Qui doute , qu'à la place du monologue éclatex
mes justes regrets , un bel air meſuré, caractérité,
ne titât nos oreilles de l'engourdiſſement où la
monotonie les jette ? Quant au ſimple récitatif
de dialogue , c'eſt de toutes les parties de l'art la
plus délicate à traiter , c'eſt celle où il eſt le plus
difficile de mettre d'accord le raiſonnement & l'ex .
périence.
AVRIL
. 1772 . 163
Ane conſulterque le taiſonnement,le récitatif
italien réunit tout ce qui peutconſtituer la perfection.
Il eſt ſimple, déclamatoire , facile à dé- biter. Ses intonations , nous dit on , ſont conformes
à l'accent de la langue parlée. ( Nous ne vou- drions l'affirmer qu'après une longue obfervation.
) Quoiqu'il en ſoit , ce récitatif, tout par- fait qu'il eſt , ennuie ceux qui l'écoutent ; il pro- duit cet effet fur les nationaux mêmes , & l'on ne
peut s'en prendre aux paroles , puiſque les Ita- liens ont des poëmes dont l'enthouſiaſme ultra montain s's'exagère peut- être le mérite réel.
nous
Que le récitatif italien ne plaiſe pas, on a droit de s'en étonner; mais que le récitatif françois
attache & intéreſſe , nous en étonnerons
moins ? C'eſt pourtant ce qui arrive toutes les fois que la ſcène par elle même eſt bien faite. On n'en citeroit pas une peut être que le poëte ait bien conçue , bien traitée , & dont le muficien
par ſon récitatif ait détruit l'effer.
Concluons que leprincipat mérite d'une ſcène , même à l'opéra , conſiſte dans la ſituation , dans le dialogue , & dans la beauté des vers ; le ſpec- tateur le rend indulgent ſurtout le reſte; il l'eſt au point même de ne pas relever les fautes eſſen- tielles de déclamation . Dans la belle ſcène de Dardanus
au fecond acte , l'eſpèce d'air
Arrachézde mon coeur le trait qui le déchire.
eſt applaudi , quoiqu'il fafle un contreſens avec la fituation.Cet air a paru néceffiter l'actrice à le chan. ter lentement; mais comment admettre de la len- teur dans le moment le plus vif , dans le moment où Dardanus vient d'apprendre qu'il eſt aimé ? Eh quoi ! cet amant tranſporté de fonbonheur , fouf164
MERCURE DE FRANCE.
fre qu'Iphiſe , avec des répétitions lentes &trafnées
, lui demande de la délivrer de ſon amour?
Il ne l'interrompt pas ? Il ne s'écrie pas ,
Dieux ! qu'exigez-vous de mon zèle.
Je voudrois refferrer une chaîne fi belle
Loin de fonger à la brifer ?
..
2
Ce manque de vérité ſi eſſentiel n'a point été
ſenti du plus grand nombre.
Puiſque j'ai cité la belle ſcène de Dardanus, je
propoſerai un changement qui pourroit y être
avantageux ; que l'on me pardonne cette courte
digreffion. Dardanus eft fans armes , il a jeté la
baguette qui faifoit ſa füsté. Iphiſe oppoſe , aux -
inftances de fon amour , la noble réſiſtance du
devoir. Qu'Arcas paroifle en ce moment ; qu'avec
une troupe nombreuſe il inveſtiſle le héros. Iphiſe
oublie ſa vertu , ſa fierté ; elle ne voit plus qui
le péril de fon amant , elle le ſuit avec des cris
dedéſeſpoir, en accufant la trahiſon de ceux que
l'enchaînent. Ce mouvement nous ſemble tragique,
il termineron l'acte avec chaleur.
La réforme la plus eſſentielle , la plus preſlante
qu'ilyait à faire à notre récitatif , c'eſt que les acteurs
le débitent beaucoup plus qu'ils ne font. Ce
conſeil ſeroit inutile pour quelques - uns d'entreeux,
mais l'exemple de ceux-là, leur ſuccès, doivent
ſervir de modèle & d'encouragement aux autres.
Le reciratif du Devin du village eſt un chef-d'oeu
vre , il ne reſſemble à aucun autre, il réunit tous
les avantages ; il eſt ſimple , gracieux , chantant
&vrai ; il l'eût paru bien davantage , ſi l'on eût
ſuivi l'intention de l'auteur dans la façon de le
debiter.
Nous voici parvenus à l'examen du premier
AVRIL . 1772 . 165
divertiflement de Caſtor. L'air qui ouvre ce di
vertiflement eſt d'un beau caractère. Les menuets
qui ſuivent font moins dignes de Rameau Le
chant en eft commun & obfcurci par un accompagnement
de baflon, qui ſans être figuré , produit
cependant quelque confufion. Les gavottes
légères n'ont rien de diftingué. Les deux airs vifs
de la fin ſont plus brillans.
La fête eſt interrompue par l'annonce des trou
bles que Lincée a ſuſcités. Ce moment eſt théâ
tral; le bruit de guerre eſt plein de force & de
chatcur. C'eſt plus que du bruit , les penſées en
font caractériſées ; l'auteur a marqué dans le
rhythme , des fecoufles qui ſe tranfimettent aux
ſpectateurs . Rameau , dans ce morceau & dans
pluſieurs autres , nous ſemble un muficien ſupérieur&
que nul autre n'efface. L'inſtant où l'on
annonce que Caſtor vient de périr , eft intéreſ
ſant. Le chant du choeur qui ſuit , nous attendrit
toujours ; nos larmes coulent à ces mots , O perte
irréparable. L'acte finit auſſi heureuſement qu'il
ſe puifle , avec éclat & intérêt.
Le ſpectacle qui ouvre le ſecond acte produit
un contraſte heureux . Ces oppofitions bien ménagées
dans l'opéra de Caſtor font une des raiſons
les plus certaines de ſon ſuccès. Les deux premiers
vers du choeur , Que tout gémiſſe , chantés à voix
bafle font un bon effet. Les deux notes lentes &
ſéparées que l'orchestre fait entendre dans le filence
du choeur , méritent fur-tout qu'on les diftingue;
elles portent un caractère fimple & touchant.
Mais au vers , Préparons , élevons d'éternels, &c.
tout le charme eſt détruit. Ce n'eſt plus qu'une
harmonie lourde &plaquée , où les accords s'entaffent
fans deſlein ni mélodie. Aufſi de ce mo
166 MERCURE DE FRANCE.
ment renforce- t'on la voix ; rien ne rappelle plus
à ce morne & triſte abattement qu'exprimoient
d'abord des lons interrompus , des ſons voilés &
afforblis. On demande aux amateurs de la vraie
mufique pourquoi ils font jaloux de ſentir dans
chaque morceau un ſujet , un motif bien exprimé;
le voici. C'eft que ce motif une fois donné,
le caractère de l'air eſt déterminé. Toutes les idées
doivent émaner de la première , & lui appartenir
par un rapport ſecret ; elles doivent avoir toutes ,
entre-elles,cette reflemblance diverſifiée qui convient
à des ſoeurs , Qualem decet effe fororum.
Dans ce groupe d'idées affiliées , lorſque l'idée
mère vient à reparoître , lorſque le motif ſe fait
réentendre , l'oreille le retrouve avec un plaifir
plus grand qu'auparavant , comme ſi elle luitenoit
compte de tout ce qu'il a produit. Quiconque
ne fent pas ce que je dis , doit renoncer à en.
tendre jamais la muſique.
Dans le choeur que tout gemiſſe , le trait de ſym.
phonie chromatique eſt à citer. Ce paſſage d'harmonie
ſi ſouvent employé depuis , confervoit encore
quelque feur de nouveauté lorſque Rameau
en fit uſage. Il l'a rendu plus frappant, en yjoignant
la note tonique que les choeurs chantans
ſoutiennent à des octaves différentes , tandis que
les violons font entendre le chromatique qui defcend.
Le crefcendo ajoute encore une nouvelle
énergie à ce paflage : mais nous ne penſons pas
que Rameau l'ait eu en vue. De telles fineſles
dans l'exécution n'étoient point pratiquées de fon
tems; ſi cet artiſte pouvoit revivre , il verroit fon
ouvrage rendu plus ſoigneulement que lorſqu'il
préſidoit lui -même à l'exécution..
Le choeur que tout gemiſſe eſt une très - belle
!
AVRIL. 1772 . 167
choſe pour le tems où ce choeur fut compoſé.
Mais ſuppoſons que Rameau eût imaginé le premier
morceau du Stabat , & qu'il y eût attaché
les plaintes funèbres de Caſtor ; croit - on qu'il y
cût à perdre au change ? Cette épreuve pourroit
encore ſe tenter.
Au choeur dont nous venons de faire l'analyſe,
fuccéde le monologue triſtes apprêts. Nous dirons
du monologue ce que nous avons dit du
choeur , qu'il fut fublime dans ſon tems , qu'il furpalla
de beaucoup tout ce qui avoit précédé , &
qu'a préſent un bel air feroit un effet bien plus
fenfible. Cette conjecture ne nous ſemble point
hafardée ; & ce qui, pour nous , n'a pas moins
d'évidence , c'eſt qu'à la repréſentation , le monologue
dont il s'agit, jere du froid fur les ſpectateurs.
Sans doute le grand nombre ſe le diffimule;
car telle eft la force de la prévention , qu'elle nous
trompe fur nos ſenſations mêmes , & nous arrache
des applaudiſſemens dans l'inſtant où l'ennui
nousglace intérieurement.
* La ſcène troiſième du ſecond ade rend bien
fenfibie le défaut du récitatif lentement débité ;
elle ajoute au froid du monologue précédent ;
ainſi , l'acte va toujours en s'affo bliflant juſqu'à
ce que le divertiflement le ranime.
Comme nous nous ſommes promis de ne rien
omettie de ce qui nous ſemble digne d'éloge ,
nous citerons ce moment du choeur :
Le cri de la vengeance est le chant des enfers.
Ce chant eft articulé , fier , bien contraſté dans
les parties , & en tout d'un bon effet muſical.
C'eſt ici le lieu de faire , fur tous les choeurs
:
168 MERCURE DE FRANCE
que l'on entend à l'opéra , une obſervation que
nous croyons eflentielle. Si quelque choſe pouvoit
nous la rendre ſuſpecte , c'eſt qu'elle eſt ſi
fimple , qu'elle n'auroit du échapper à aucun des
muficiens qui ont travaillé pour ce ſpectacle , &
nul ne l'a faite.
Ecoutez un choeur à l'opéra , vous entendrez
preſque toujours dominer les tailles & les hautecontres
, qui ddaanns la diſtribution de l'harmonie
cependant ne font chargées que des parties de
rempliflage. Ces voix correfpondent aux Alto
dans l'orchestre; mais ceux-ci ne dominent jamais
, on ne peut guères les diftinguer que lorfque
le filence des bafles les laifle figurer. Pourquoi
n'en eſt il pas de même des tailles chantantes
? On devroit en diminuer le nombre , eu leur
faire diminuer la voix. Ce dernier avis s'éten
droit à merveille à la partie entière des choeurs ;
ils fonttrop criés. Dela, les tons faux ,dela encore,
l'exécution lente & ſouvent infidèle; les choeurs
ſe traînent après l'orchestre comme une mafle
lourde & pareſſeuſe que preſſe envain l'éguillon
de la meſure.
Les choeurs font des ſymphonies chantées. Jeunes
Artiſtes qui deſtinez vos talens aux compofitions
théâtrales , ne négligez pas d'étudier la
bonne muſique inſtrumentale. C'eſt - là que l'art
déploie toutes ſes reflources ; ily marche ſeul ,
rien ne l'aide , ni ne le contraint. Une idée naît de
l'autre , fans autre dépendance que celle du chant
même . Que de traits de ſymphonie raviroient ,
tranſporteroient , ſi l'on yjoignoit du ſpectacle ou
des paroles !
La marche des Spartiates , par laquelle le divertiſlement
commence , eft très-belle. Elle a furtour
AVRIL. 1772. 169
:
tout l'avantage de remplir parfaitement l'idée
qu'on s'eſt faitede ce peuple fier & guerrier. L'air
meſuré en eſt écrit avec chaleur , & ne dégénère
point du caractère ſpartiate. Le ſecond air
de la victoire ( mouvement à trois tems ) eſt
vif, animé ; & la contredanſe de la fin qui reſpire
la gaîté , en auroit encore plus le caractère ſi on
l'exécutoit plus gaîment.
Nous paſions ſous filence l'air Eclatex fières
trompettes , parce que nous n'avons point remarqué
qu'il eût des partiſans & parce qu'il ne mérite
pas d'en avoir. Ceux qui ont vécu avec Rameau
les dix dernières années de ſa vie , ont pu
l'entendre ſe juger , & fe condamner lui- même
fur ce que nous appellons les ariettes & fur les
duos. A la dernière remiſe desfêtes de l'Hymen
& de l'Amour , on lui demandoir de refaire un
duo, « Vous vous moquez , répondit-il , je n'en
>> ai jamais fait debons. >> Cet artiſte , allez grand
pour avouer les fautes , ne ſe diſſimuloit pas non
plus les avantages de la muſique moderne. « Je
>> fais mieux qu'autrefois ce qu'il faut faire , diſoit-
il , mais je n'ai plus de génie. » Qu'il eſt
fatisfaiſant de mettre en oppofition ce témoignage
impartial d'un grand homme qui s'inculpe
lui- même , avec l'aveugle prévention de ceux qui
outrent ſon éloge ! Je crois voir Rameau , avec
ſa franchiſe ſauvage , repoufler l'encens de ces
flatteurs indignes de le louer. Il auroit pu leur
dire , ce que nous-mêmes nous leur adreſlons ici.
Quiconque rabaille la bonne muſique italienne
& celle de nos opéra- comiques , pour élever Rameau;
trente ans plûtôt, eût été le détracteur le
plus opiniâtre de Rameau lui-même .
Tout le troiſième acte de Caſtor nous paroît
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
froid & ennuyeux. Il n'eſt pas difficile d'en trouver
la raiſon. La muſique inſtrumentale eſt , en
grande partie , du même ton & un peu lente. Toutes
les ſcènes manquent d'intérêt & font inutiles
àl'action. Aufli , penfons nous que l'opéra gagneroit
au retranchement de cet acte entier. Pollux
n'a que faire du conſentement de Jupiter
pourdefcendre aux enfers. Soutenu de ſon courage
, il peut ainſi qu'Hercule , s'en ouvrir le chemin&
il feroit mieux que Mercure, qui l'accompagne,
ne ſervît pas de jouet aux Furies, comme
il en ſert au quatrième acte.
Dans le tems où l'on a vu l'opéra de Caſtor
avec le plus d'enthouſiaſme , on a cherché des façons
extraordinaires de le louer; & l'on avoit
imaginé de dire que la muſique des Cieux étoit
toute différente de celle des Champs Elysées , par.
ce que l'une & l'autre peignoient deux états de
félicité différens . Peut-être auroit - on embarraflé
ceux qui failoient cette diſtinction ſubtile , fi on
les avoit preflés de définir les nuances qu'ils
voyoient ſi clairement exprimées : le bonheur du
Ciel , comme celui des Champs Elysées , conſiſte
dans un état de quiétude & de ſérénité , qui ſuppoſe
le même caractère de muſique. Veut on que
les voluptés célestes admettent plus de trouble&
d'enivrement ? Cela n'eſt point exprimé dans la
muſique de Rameau : au contraire , elle eſt au
troiſième acte , moins animée ,moins variée qu'au
quatrième. L'air charmant Que nos jeux comblent
nos voeux , ſe chante dans le Ciel , & n'eût
pas moins convenu à l'Elysée ; les deux gavottes
tendres du quatrième acte conviendroient de
même aux voluptés célestes ; mais obſervons que
Rameau ne les a compoſées pour aucune de ces
AVRIL. 1772. 171
deux circonstances. Il les fit pour fon prologue.
Delà que conclure ? Que l'enthouſiaſme va trop
loindans ſes éloges , & qu'un beau chant s'applique
également bien à des ſituations qui ne font
pas abſolument les mêmes. La muſique (ſi j'oſe
ainſi parler) peint les genres plus que les eſpèces.
Elle eſt tendre , & quelquefois avec une nuance
de triſteſle; elle eſt gracieuſe , gaie ,fière , vive,
bruïante. Chacun de ces caractères comprend
une certaine latitude qui embraſſe toutes les nuances
douteuſes. Parlons de bonne foi ; qui de nous,
s'il eûr entendu hors du théâtre , dans une fête ,
par exemple , le trio du tableau d'Azor , exécuté
ſeulement par des cors & des clarinettes , y eût
appliqué le ſentiment de la triſteſle ? Le caractère
gracieux & tendre , ſi je ne me trompe , auroit dû
plutôty être ſenti. Au théâtre ce morceau prend
la nuance de triſteſſe que la ſituation & les paroles
lui communiquent; il ſecolore du reflet de ce
qui l'entoure.
:
Je ne ferois pas étonné que l'on ne trouvât point
le caractère de la triſteſle précisément exprimé
dans lepremier morceau du Stabat; la muſique ,
fur- tout ,jugée indépendamment des paroles , &
comme ſymphonie.Que dis-je ?Cet avis eſt le nôtre.
D'autres penſent que ce morceau est le ſcul
où les inſtrumens aient l'air de gémir & de pleurer.
Quelque ſoit de ces deux avis celui que.
l'on doit préférer , leur différence ſuppoſe quelque
choſe d'indéterminé dans l'expreffion de la
muſique. Sans doute on ne me reprochera pas
d'être en contradiction avec moi-même , en propoſant
pour les cérémonies funèbres de Caſtor
unemuſique que je ne juge pas profondément trifte.
Cequej'ai dit des latitudes de chaque caractè-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
re , del'illufion du théâtre , & enfin du trio d'Azor
fuffit pour me justifier .
Puifque j'ai entamé cet article intéreſiant du
rapport intime de la muſique avec les paroles , je
propoſerat aux gens de goût , aux philoſophes
fur tout qui ſont verſés dans la connoiflance de
l'art,une expérience qu'en mon particulier j'ai faite
aſſez ſouvent. En lifant Métaſtaſe, je me deinande
àchaque air quelle muſique il comporte. Quelquefois
je ne trouve dans les paroles tien de bien
déterminant ; d'autres fois , il ſe préſente un autre
embarras. L'air porte ſur une comparaifon ;
dans ce cas , d'où tirer le caractère de la muſique?
Eft-ce de la fituation dans laquelle le perſonnage
ſe trouve , ou de l'allégorie qu'il emploie ? Le
premier feroit plus vrai ; mais en s'y arrêtant , la
muſique court rifque de contredire les vers. Ci--
tons un exemple à l'ouverture du livre . Au premier
acte d'Artaxerce , Megaclès amoureux de
Semire , & accablé de les dedains , lui dit qu'il
ne peut ſe diſtraire de ſon ſouvenir.
AIR: Le Guerrierfonge aux camps ; le Chaffeur
aux forêts ; le Pécheur aux filets & aux
hameçons ; je ſonge à celle que je defire &que
j'appelle.
Quel ſera le caractère général de l'air ? D'où
le muficien tirera - t-il ſon motif ? Est- ce de la
douleur & du déſeſpoir de Megaclès ? Est- ce de
ce vers ,
Le Guerrier ſonge aux camps ?
•La précipitation avec laquelle nous écrivons
ceci , ne nous permet pas de chercher d'autres
:
AVRIL. 1772 . 173
exemples. Nous ne doutons pas qu'il ne s'en préſente
pluſieurs aux lecteurs attentifs & non prevenus.
Revenons à Caſtor .
Lepremier choeur du quatrième acte eſt plutôt
de la muſique bien faite que de la muſique d'un
grand effet. L'artiſte avoit à ſoutenir long- tems
le même genre ; il a ménagé des gradations , &
paroît avoir moins fongé d'abord à produire la
terreur , qu'à y diſpoſer les eſprits. Le deſlein du
choeur dont nous parlons eft noble & fier ; & , ce
qui eſt aſſez remarquable , il reſſemble à ungrave
des concerros de Geminiani , que j'ai toujours entendu
appeler les portes de l'enfer. J'ignore d'où
lui vient cette dénomination. Letno , rentrez ,
rentrezdans l'esclavage , comme morceau de Fa-
Eture , a joui d'une grande réputation; ce trio
réuffit moins aujourd'hui , parce que l'on juge
l'effet plus que le travail du compoſiteur , & plus
que la combinaiſon des parties. Cette combinaifon
n'est rien dans le choeur Briſons tous nos
fers , mais l'effet en eft prodigieux . Ce morceau ,
nous prenons plaiſir à le confefler , nous paroît
fublune. La marche diatonique en montant,que
l'artiſte y a employée , de meſure en meſure, renforce
l'effet; jamais nous n'avons entendu ce
pailage, fans éprouver ce friffonnement qui fait
pointer les cheveux fur la tête. Sans doute les Euménides
d'Eſchile chantoient ſur une muſique
ſemblable , quand le peuple d'Athènes crut voir
les enfers s'ouvrir devant lui , quand l'effroi des
femmes alla juſqu'aux douleurs de l'avortement .
Après ce témoignage fincère de mon admiration
pour le choeur dont il s'agit ,je demanderai
aux artuftes fi Rameau n'eût pas mieux fait en
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
cored'y mettre les inſtrumens à l'uniffon des voix?
C'eût été en doubler , en tripler l'effet .
Sur ce ballet des Furies , il ne me reſte plus
qu'une obfervation à faire , c'est que plus il réuffit,
moins il faut en faire d'autres du même genre.
C'eſt anéantir les grands effets que de les prodiguer.
Il ſemble qu'on ne puiſſe faire un opéra
fans le fecours des enfers ; & depuis l'invention
des flambeaux , la ſcène n'a plus ceflé d'en être
éclairée. Abſtenons - nous de ces moyens d'illufion
, & cherchons-en de nouveaux Faire , comme
on a fait , eſt le principe de l'impuiſlance ou
de la parefle ; Tenter ce qui est àfaire , eſt la maxime
du génie. Nous voici au plus bel inſtant de
Caſtor; & cet inſtant , il le faut avouer , eſt délicieux
, c'eſt celui où l'on pafle de l'Enfer à l'Elyfée
. Toute idée de trouble & d'horreur s'efface ;
les ſens tranquillités ſe repoſent ſur des images
riantes,& fur des fons paiſibles ; le calme renaît
dans l'ame , & la félicité de ce ſéjour tranquille
devient le partage de ceux qui la contemplent.
Lemonologue Séjourde l'éternelle paix , est d'un
chant agréable; il a même le mérite d'être mefuré
, mérite rare dans la muſique françoiſe ; auffr
l'accompagnement est-il figuré , ce qui ne peut
jamais être , quand le morceau n'est pas aſſervi
aux loix de la meſure. Il eſt plus aiſe de fentir
que de définir ce qui manque à ce monologue. La
mélodie en eſt facile , l'harmonie pure ; mais les
oreilles muficiennes y defirent ce je ne fais quoi
qui conftitue en muſique le charme du ſtyle. Remarquez
qu'il n'eſt pas une note à laquelle on
puifle donner une inflexion particulière , fur laquelle
on veuille renforcer un moment la voix,
pour l'aftoiblir & l'éteindre le moment d'après.
/
AVRIL. 1772. 175
:
Toute muſique qui ne porte pas avec foi cette
accentuation marquée , ces nuances variées de
l'expreſſion , eſt néceſſairement infipide , du moins
juſqu'à un certain point. Il faut la comparer à
des vers qu'un déclamateur ſenſible pourroit débiter
froidement & du même ton ; encore cet exemple
affoiblit- il ce que je veux rendre y car il eſt incomparablement
plus froid de chanter ſur le même
ton,que de lire & de déclamer de même.
د
Tous les airs danſans des Champs Elysées ſont
charmans , gracieux dans leur gaîté & variés à
l'infini . J'iniſterai ſur cette variété, parce que c'eſt
unmérite éminent des compofitions inftrumentales
de Rameau. Dans un ſeul diverriflement, que
de mouvemens que de rhythmes , que de caractères
différens ! nous ne croyons pas que la
muſique italienne ait une variété auſſi grande ,
&cela vient ſans doute de ce qu'elle est chantée,
&de ce que celle-ci ſe danſe. L'inſtrument a plus
de reſſources que la voix , la voix eſt encore gênée
dans ſes procédés par le ménagement qu'elle
doit aux paroles ; l'autre procéde plus librement ,
&peut à fon gré , renforcer , multiplier & varier
l'expreſſion. La danſe exige plusd'articulation dans
les rhythmes de la muſique , afin d'en tirer ellemême
des rhythmes très-articulés. Me trompéje?
Il me ſemble que le muſicien qui compoſe pour
ladanſe , travaille pour deux ſens à la fois , l'ouie
& la vue ; le muſicien de chant ne travaille que
pour l'oreille , dont le ſentiment délicat ſe contente
d'articulations adoucies .
Rameau , par ſes compoſitions expreſſives &
variées , a créé parmi nous la danſe. Pour vérifier
cette affertion , il ne faudroit que confulter
les traditions de l'Opéra. Avant Camargo nulle
Η iv
175 MERCURE DE FRANCE.
danfeuſe n'avoit mis de la vivacité dans ſon exécution.
Ladanſe des femmes n'étoit qu'une marche
, froidement compaſlée ſur des notes fans
vie& fans chaleur. L'époque de la danſe perfectionnée
parDuprélefameux,quadre avec le tems
où Rameau fit une révolution dans ſon art.
Dans une ſociété l'on diſoit dernièrement que
l'Italie n'avoit point de muſique danſante , parce
qu'elle manque de danſeurs. Ce raiſonnement,
je l'avoue , nous paroît étrange. Dans l'ordre de
la génération , lequel de ces deux arts doit devancer
l'autre & le produire ? La danſe eſt le
gefte de la muſique , &n'eſt que cela. Geſticulet'on
avant de parler , avant même d'avoir rien
àdire ?
Eh ! qu'auroit- on penſé d'un françois qui au
roit dit , il y a vingt ans: « Nous n'avons point
>>de bonne muſique vocale , parce que nous man-
>>>quons de chanteurs. >> Ce ſont les bons ouvrages
qui forment les exécutans habiles. Notre
opéra-comique à ſa naiſſance fut rendu par des
acteurs à qui l'on faifort folfier leurs rôles ; des
hommes de génie ont écrit ; il s'eſt formé des
chanteurs dignes d'exécuter ce qu'ils ont conçu.
La ſcène qui termine le quatrième acte a un
but & de l'intérêt ; les acteurs l'ont debitée plus
que les autres ſcènes , elle a réuſſi . En admettant
le retranchement du troiſième acte , comme nous
l'avons propoſé , il faudroit que les deux frères
au moment de quitter les Champs Elysées , appriſſent
l'ordre de Jupiter qui oblige l'un des deux
àdemeurer aux enfers. Cet avis changeroit toutà-
coup l'érat de la ſcène , & feroit par conféquent
un coup de théâtre. Peut-être le combat de géAVRIL.
1772 . 177
1
nérofité entre les deux frères , en deviendroit encore
plus intéreflant.
Plus nous avançons dans l'examen de Caſtor ,
plus nos obſervations , en ſe généraliſant , s'abrégent.
Tout détail nous mencioit à des répéti
tions.
Dans la ritournelle du cinquième acte , on
trouve un bon effet de chant & d'harmonie. C'eſt
la progreſſion en montant dans laquelle deux
parties figurent & ſe répondent par imitation.
Mais nous voudrions que la ritournelle fût d'un
mouvement animé ; elle ſeroit plus conforme à
l'état actuel de la ſcène. Lajoie de Telaïre qui
retrouve ſon amant, eſt le premier fentimentdont
le ſpectateur s'occupe. Les alarmes ſecrettes du
héros , la nouvelle dont il va conſterner fon
amante , ne font que le ſecond mode de la ſcène.
C'eſt donc en intervertir la marche que d'anticiper
d'abord far le ſentiment de la triſteſle. Indépendamment
de cette raiſon on doit mettre à l'opéra
le moins de muſique lente qu'il ſe peut. Il y
règne déjà tant de lenteur !
La dernière partie de la ſcène eſt intéreſſante.
Le chant de ce vers ..
J'entens frémir les airs ,jeſens trembler la terre ,
forme une modulation très- belle. La ſymphonie,
ou ce qui ſuccède au tonnerre , eſt d'un effet paifible
& agréable. J'ignore fi avant Rameau nous
avions employé cette marche de baſſe diatonique
en montant, qui donne ſucceſſivement la fixte
*la quinte& fixte & la quarte & fixte . Cet emploi
de l'harmonie réuffit toujours .
Il ne nous reſte plus qu'à parler du dernier di
1
178 MERCURE DE FRANCE.
vertiſſement , & pour ne point répéter les éloges
que nous avons déjà donnés à Rameau fur ſamufique
inſtrumentale , nous nous contenterons d'indiquer
que ce qui nous ſemble préférable à tout
dansun dernier divertiſſement , c'eſt la gaîté & la
briéveté. Après cinq actes de muſique , le ſpectateur
n'a plus beſoin que d'être renvoyé , & il
veut l'être gaîment. Nous rejeterions donc vers
le milieu de l'opéra , les chaconnes & les paflacailles;
encore nous paroît-il à defirer que ces
moreeaux foient moins longs. L'auteur a beau en
diverſifier les couplets , l'uniformité du mouvement
primitif s'y fait ſentir & produit de la monotonie.
1
Nous terminerons cet écrit , en énonçant les
voeux que la partie la plus éclairée de la nation
forme pour le progrès de la ſcène lyrique. Ce
n'eſt point fur les crisdes fanatiques qu'il faut fe
regler; l'un & l'autre parti a les fiens , & ceux qui
crient à l'Italie , ne ſe ſont peut - être pas plus
rendu compte de ce qu'ils demandent que les autres
. Ce qui plaît à une nation ne peut être admis
par une autre qu'avec des modifications . Racine
n'a pas traduit Euripide , il l'a imité. D'ailleurs
aux ſpectacles de l'Italie on boit , on mange , on
ſe vifite , on caufe , on baille , on s'ennuie ; fic'est
là le but où l'art doit tendre , notre opéra n'eſt
déjà que trop près de la perfetion .
Ecarter les préventions , fentir le vrai beau
dans les productions étrangères & chercher à
l'appliquer aux nôtres , étudier le goût de la nation
; mais diftinguer , en l'étudiant , le ſentiment
du préjugé , & l'instinct de l'habitude , confulter
tous les arts que l'opera met en oeuvre , & les diriger
tous vers une même fin , voilà le grand
AVRIL. 1772. 179
oeuvre pour lequel l'expérience coníommée des
artiſtes a beſoin encore des lumières de la philofophie.
L'édifice de la ſcène lyrique ne portera
ſur des fondemens ſolides , qu'autant que la main
des bons poëtes y placera les premières pierres .
Onpeut faire d'excellente muſique ſans paroles ,
mais on ne fera jamais de bons opéra ſans de
bons poëmes. C'eſt donc à nos écrivains diſtingués
à favoriſet les progrès de la muſique. C'eſtà
nos muficiens les plus avoués de la nation, à faire
taire l'aveugle prévention , qui relègue leurs talens
dans un genre inférieur à celui de la tragédie.
Pluſieurs de leurs airs démentent cette préſomption
injufte. Malgré l'anathême porté contre
la langue de Racine que l'on juge antimuficale,
Paris fourmille de muficiens étrangers qui
ne demandent qu'à conſacrer leurs talens à nos
théâtres; nous en connoiſſons d'Allemans , d'Italiens
, qui n'attendent que des poëmes pour travailler.
Mais notre langue , demande- t- on , leur
eſt-elle familière ? Il y a une queſtion bien plus
importante à faire : Ont - ils du génie ? Celle - ci
réſolue à leur avantage , l'autre ne doit pas inquiéter.
Puiſſions - nous voir bientôt tant de talens divers
occupés du ſoin de nos plaiſirs , & l'opéra-
François (malgré cette dénomination , aujourd'hui
preſque injurieuſe ) jouit de la même ſupériorité
que la ſcène françoiſe s'eſt acquiſe ſur tous
les théâtres de l'Europe.
Hvj
185 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE famedi , 7 Mars , les Comédiens
François ont donné la première repréſentation
des Druides , tragédie nouvelle de
M. le Blanc .
L'action ſe paſſe chez les Carnutes
dans unbois ſacré, bordé par la Seine , où
étoit le principal temple de laGaule .
Les Acteurs font
Cindonax , grand Druide des Gaules ,
M. BRISARD.
Emnon , premier Druide des Carnutes ,
M. PONTEUIL .
Indumar, Roi des Carnutes, M. DALAINVAL
.
Clodomir, Prince du ſang royal,M. MOLÉ .
Luthar , Druide attaché à Emnon , M.
DAUBERVAL .
Emirène , fille d'Indumar , Mlle St VAL.
Axénoé, première Druideſſe des Carnutes
, Mde MOLÉ.
IF ACTE. Indumar , Roi des Carnutes ,
a promis de conſacrer ſa fille Emirène au
AVRIL. 1772. 181
culte d'Hesus , le Mars des Gaulois ; s'il
fort triomphant d'une attaque qu'il médite
contre l'arinée de Céfar. Les principaux
chefs des Gaulois ſe rendent auprès
de lui , & avec eux Clodomir, prince
du ſang royal. Ce jeune héros ſauve la vie
à Indumar abandonné des ſiens : il rallie
les Gaulois & décide la victoire. Il
eſpéroit pour prix de tant de ſuccès d'obtenir
la main d'Emirène ſon amante ;
mais cetre princeſſe eſt déjà dans le temple
redoutable des Druides , où , prête à
prononcer ſes voeux , elle ne peut conte.
nit les ſecrets de fon coeur , qu'elle confie
à Axénoé , première Druideſſe ; elle la
conjure même de la punir de fon amour
facrilege , & de venger le dieu qu'elle
offenfe. Cependant le ſage Cindonax ,
grand pontife des Druides , eſt parti
d'Albion pour recevoir les voeux de la
princeſſe ; & Indumar ſon père , ſuivi
d'Emnon , premier Druide des Carnutes,
vient encourager ſa fille , dont il ignore
les diſpoſitions au facrifice qu'elle doit
faire de fa liberté. Emirène étonne le
Roi , & le pontife , par ſon trouble &
par ſes inquiétudes. En même tems on annonce
l'arrivée de Cindonax , on vole à
ſa rencontre. La princeſſe eſt ſeule aban.
182 MERCURE DE FRANCE.
donnée à ſes irréſolutions, lorſque Clodo
mir , emporté par ſa paſſion , pénétre jufques
dans le parvis facré des Druides ,
ſanctuaire terrible où nul profane ne
peut aborder ſans être puni de mort . Ce
jeune guerrier vient réclamer les droits
qu'il a fur fon coeur , & la conjure de ne
point faire le ferment qui doit les ſéparer
pour jamais . La princeſſe effrayée ne
voit que le danger de fon amant ; elle le
preſſe de s'éloigner ; un Druide s'avance
avec des Satellites. Clodomir eſt arrêté ,
déſarmé & enchaîné.
II . ACTE. Le grand pontife , entouré
de Druides & de Druideſſes , paroît ; il
rejette les hommages exceſſifs qu'on veut
lui rendre ; il renvoie aux dieux ſeuls ce
culte en quelque forte idolâtre ; Indumar
va pour dépoſer ſon diadême à ſes pieds;
Cindonax , indigné , lui dit :
Périfle le Pontife , ivre ds ſa grandeur ,
Qui nourrit ſans rougir ſa vanité ſecrette
Des voeux dont ſur la terre il n'eſt que l'intere
prète.
Enfin , le Roi l'engage de recevoir les
ſermens d'Emirène ſa fille , qu'il deſtine
aux autels , & qui , dès ce moment, n'est
AVRIL. 1772, 183
plus à lui ; elle eſt encore à vous , lui répond
le grand Pontife , elle eſt encore à
elle même ſi elle ne confirme pas le ſacrifice
de ſa liberté. Dieu refuſe un coeur
qui ſe donne à regret. On ſe retire . Emirène
vient tremblante devant le grand
Pontife qui la raſſure & l'abſout du voeu
téméraire du Roi , ſi elle ne le defire &
ne le confirme. Emnon apprend au grand
Pontife que l'aſyle du bois ſacré a été
violé , & qu'une telle profanation mérite
la mort. Cindonax rejette une loi fi cruelle
& défend le coupable dont le Druide
fanatique veut répandre le ſang. Emirène
prend auſſi la défenſe de fon amant. Alors
elle apprend que c'eſt le privilége d'une
Prêtreife qui vient de s'engager,de ſauver
un criminel . Elle n'hésite plus , elle court
à l'autel , elle prononce ſes fermens , &
délivre Clodomir. Cependant les Romains
veulent furprendre les Gaulois ; on
s'arme : Clodomir marche au combar. Le
Druide diffère le ſacrifice de la victime
humaine due aux Dieux. Cindonax veut
abolir ce culte atroce & fanguinaire.
111. АСТЕ . Emirène a délivré ſon
amant ; mais elle s'eſt enchaînée aux autels
d'un Dieu redoutable . Son ame eft
agitée. Les Romains font repouflés& dé184
MERCURE DE FRANCE.
1
faits , & Clodomit a la plus grande part
à la victoire. Tant de gloire ne le difpenfe
point d'être arrêté & défarmé par
les Druides pour venir expier le crime de
ſa profanation. On ſe prépare auffi à tirer
au fort le nom de la victime qui doit
être immolée ſur l'autel d'Héfus. Cindonax
ſe recrie envain contre ce fanatifme
horrible. On lui amène Clodomir qu'il
préſente aux Dieux & qu'il abfout. Ce
jeune guerrier encouragé par les bontés de
ce digne Pontife , lui fait l'aveu de fon
amour pour Emirène. Cindonax conſterné
lui apprend que la Princeſſe a pronon.,
cé ſes ſermens & qu'elle lui eſt enlevée
fans retour. Clodomir fort furieux & dé.
ſeſpéré. Emnon profite de l'abſence de
Cindonax pour faire tirer le fort de la
victime de l'une fatale dans laquelle font
les noms du peuple , des ſoldats , du Roi
même & de Clodomir. Emirène , au milieu
d'un nombreux cortège des Druides
& des Druideſſes , eſt chargée de ce cruel
miniſtère . Elle tire de l'urne le billet de
mort ; elle le regarde , le rejette avec
horreur& tombe dans les bras d'Axénoć.
Cindonax arrive & défend lui - même à
la Prêtreſſe de nommer la victime. Emnon
veut foutenir le ſacrifice des DruiAVRIL.
1772. 185
des& le culte ſanguinaire que Cindonax
combat par les loix de la raifon&
de l'humanité. Emirène reſte ſeule avec
Axénoé & promet , au péril même de ſa
vie , de ne pas reveler le nom de la victime.
Clodomir vient à la tête de ſes
ſoldats pour forcer le parvis facré , & pour
en enlever la Princeſſe ; Emirène ſans défenſe,&
quoique ſollicitée par ſon amour,
oppoſe ſa foibleſſe à la violence ; elle
embraſſe l'autel , d'où ſon amant interdit
n'oſe l'en arracher ; il la laiſſe ſortir.
Ve. ACTE . Le grand Pontife perſiſte à
vouloir abolir le culte homicide des
Druides & le condamne en préſence des
guerriers , des prêtres , & du Roi qui
ne peut ſe réfoudre de regarder comme
un crime un culte contaré par la
religion & par un uſage ancien & toujours
reſpecté. Emnon furieux ne reconnoît
plus l'autorité du grand Pontife,
& ordonne que le ſacrifice ſoit confommé.
CependantCindonax effrayé par l'approche
du crime qui va ſe faire au nom
des Dieux , fort pour raffembler les Gaulois
, & les exciter à renverſer les autels
fanguinaires. La Prêtreſſe forcée par le
Druide fanatique de nommer la victime,
refuſe de lui obéir , & fa réſiſtance opi
186 MERCURE DE FRANCE.
niâtre fait croire à Indumar que c'eſt lui
que le fort à profcrit : ce Roi veut accomplir
fur lui le facrifice. Clodomir entre
avecprécipitation en déclarant ſon amour
pour Emirène dont il eſt aimé. Emirène
dit alors : choiſiſſez ſi vous l'oſez entre
mon père ou mon amant. C'eſt l'un des
deux qni eſt la victime. Indumar va pour
s'immoler ; ſa fille ſe précipitant fur lui ,
s'écrie : Ciel ! ce n'est pas vous ; c'eſt
donc moi , dit Crudomir en levant le
bras pour ſe frapper. Mais auffi tôt Cindonax
, ſuivi du peuple , vient & arrête
le glaive dans les mains de Clodomir. II
Empêche les foldats d'attenter à la vie du
farouche Emnon . Il rompt les voeux forcés
de la Princeſſe; le Roi défabuſé l'accorde
aujeune Clodomir , défenſeur de la
patrie: le culte ſanguinaire d'Héſus eſt
aboli. Le ſage Cindonax eſt enfin parvenu
à en établir un plus digne d'honorer &
de fléchir la Divinité.
Cette tragédie dont le ſuccès avoit paru
douteux à la première repréſentation ,
a été très - applaudie à la ſeconde & aux
ſuivantes au moyen de quelques changemens
&de beaucoup de vers qui ont été
retranchés. La poëſie en a paru élégante ,
noble & facile. Il y a des détails très
AVRIL. 1772. 187
beaux; des ſentimens d'humanité , heureuſement
exprimés, & des ſituations intéreſſantes
. On doit auſſi de juſtes éloges à
l'ame pleine de ſenſibilité de Mlle de St
Val ; à l'action impoſante de M. Brifart ,
& au jeu énergique & paſſionné de M.
Molé , &c.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné le
jeudi 19 Mars la première repréſentation
du Faucon , Opéra Comique en un acte
en profe mêlée d'ariettes , par M. Sédaine :
la muſique eſt de M. Moncini.
Les perſonnages font :
Clitie , Mde TRIAL.
Eléonore , Mde LARUETTE.
La Vieille , Mde BERARD.
Fédertc , M. CLAIRVAL.
Guillaume , M. CAILLOT .
Pierre Picolet , M. LARUETTE.
Jacques Picolet , M. DESBROSSES .
La Scène est dans une terre très éloignée
de la Capitale.
188 MERCURE DE FRANCE .
La fable de cette pièce eſt imitée d'un
conte fortconnu de la Fontaine , qui luimême
avoit tiré ce ſujet de Bocace ; &
que Delifle a mis en Comédie avec les
Oies de Bocace.
Féderic laiſſe échapper un ſoupir ;
Guillaume lui répond par un autre foupir
; ce fidèle valet veut égayer ſon maître;
il chante , & lui conte enſuite que
fon intendant avoit acheté ſa terre pour
peu de choſe , mais que Picolet, ſon père ,
veut l'obliger de la reſtituer , & que Féderic
va rentrer en poſleſſion d'un grand
territoire qui va juſqu'à celui de Mada.
me Clitie. Ce nom réveille l'attention
de Federic. Guillaume lui récite ſon rêve,
dans lequel il a vu la grange en feu , &
un ange en habit bleu qui en ſortoit. Féderic
feul ſe rappèle l'image de fa maîtreſſe,
pour laquelle il a épuisé ſa fortune.
Guillaume accourt en fautant , & criant :
Ah ! Monseigneur ,, voilà l'ange bleu , il
eftbleu , vous disje , il est bleu . C'eſt en
effet Clitie en habit bleu qui vient avec
Eléonore ſa ſuivante. Fédéric ne fait à
quoi attribuer le bonheur qu'il a de recevoir
ſa maîtreſſe. Elle lui demande à dîner
; & dans fon abſence elle déplore l'état
de médiocrité où ſon amour trop géné
AVRIL. 1772. 189
reux pour elle l'a réduit.Elle héſite d'exiger
encorede luiſon faucon,facrificetropgrand
après tous ceux que ſon amant lui a faits
ſi infructueuſement. Sa ſuivante apperçoit
le portrait de ſa maîtreſſe d'où elle tire
un bon augure de ce qu'on peut eſpérer.
Elle interroge Guillaume , qui lui fait
l'éloge de cet oiſeau , admirable chaffeur
qui eſt devenu preſque toute la richeſſe
de Féderic. Clitie deſire le faucon pour
fatisfaire fon fils unique & mourant ,
qui ne cefle de le demander. Cependant
Féderic ne ſçachant comment témoigner
ſa joie , fait couper tous les fruits de fon
jardin , & arrache toutes les fleurs pour
les répandre furles pas deClitie. Il voit fon
faucon , & ne balance pas , àdéfaut d'autre
mets , de le faire ſervir à ſa maîtreſſe .
Guillaume& Eléonore ſe ſont aimés aufſitôt
qu'ils ſe ſont vus. Guillaume fait
cette déclaration à Eléonore , & s'exprime
en termes plus galans & plus choifis
quetous les autres perſonnages.
Je ne ſais pas ce que je ſens ,
En vous voyant , Eléonore ;
Mais c'eſt un trouble dans mes lens ,
Mais c'eſt un plaiſir qui devore.
J'ai bien vu des appas naiſſans ,
190 MERCURE DE FRANCE,
Des roſes qui venoient d'éclore ,
J'ai vu des filles de quinze ans
Plus belles que la belle Aurore ,
J'avois le plaiſir le plus grand ;
Hé bien je n'en avois pas tant
Qu'en vous voyant , Eléonore.
L'attachement qu'ils ont , l'un pour fon
maître , l'autre pour ſa maîtreſſe , les empêche
de les quitter pour ſe marier.
La Vieille déplore le fort de l'oiſeau que
Féderic a tué. Clitie & Féderic ſe mettent
à table ; Clitie toujours inquiette n'ofe
affliger ſon amant envers qui elle a été
injuſte. Elle haſarde enfin ſa demande.
Mais quel éronnement pour elle & quel
chagrin pour Fréderic quand il lui apprend
qu'elle a dîné de cet oiſeau qu'elle defire!
Clitie ſe rend àce dernier trait de l'amour
le plus tendre & le plus parfait. Elle fait
l'offre de fon coeur &de ſa main que Frédericaccepte
avec transport. Le père Picoler
amène fon fils devant fon Seigneur,
&lui fait reftituer la terre dont il s'eſt
rendu maître par fraude. Clitie emmène
fon amant qui va être ſon époux . Guillaume&
Eléonore ſuivent leur exemple .
Cette pièce finit par un Vaudeville .
AVRIL. 1772 . Igt
C'eſt la conſtance
Qui fait tout le prix de l'amour.
On ne doit un tendre retour
Qu'à la perſévérance.
Lorſque le coeur craint de céder ,
Qui peut enfin le décider
C'eſt la conſtance,
La muſique d'un chant agréable , expref.
fif& pittoreſque , a été applaudie. On auroit
deſiré plusde fonds dans le Drame ;
an intérêtplus foutenu&une ſimplicité
moins négligée . Cette pièce eſt parfaitement
jouée & chantée par Mde Trial &
Mde Laruette , par MM. Caillot &Clairval.
/
ARTS.
GRAVURES.
I.
L'Hommage à l'Amour , Eſtampe d'environ
24 pouces de haut ſur 17 de large,
gravée par de Lorraine , d'après le ta
bleau original de Carle Vanloo , pre
192 MERCURE DE FRANCE.
mier peintre du Roi. A Paris , chez
Lacombe , libraire , rue Chriſtine ;
prix , 4 liv .
UNE aimable fille dans cet heureux age
où l'amour fait ſentir ſes premiers feux ,
rend hommage à la ſtatue de ce dien placéedans
un boſquet & lui offre une guirlande
de fleurs . Ce ſujet eſt traité dans la
noble ſimplicité de l'antique. Il feroit
ſans doute à ſouhaiter que les artiſtes
tentaſſent quelquefois par de pareilles
compoſitions à nous rapprocher de la pu
reté ingénue des Anciens. Ils pourroient
contribuer à nous corriger des excès vicieux
où nous entraîne quelquefois le
luxe de l'imagination dans les arts. La
figure principale , ainſi que tous les acceſſoirs
de cette compoſition , ont été
rendus avec intelligence & un ſentiment
de couleur par M. de Lorraine.
II.
Le Festin Espagnol, estampe de 16 pouces
&demi dehaut fur 22 de large , gravée
par Louis Lempereur graveur du Roi ,
d'après le tableau de Palame des Stevens
, peintre de l'Ecole de Flandres ,
mort
AVRIL. 1772 . 193
mort en 1638. A Paris , chez Lempereur
, rue St Jacques , la première porte
cochère au - deffus du petit Marché ;
prix, 12 liv.
Ce feſtin , traité dans le coſtume efpagnol
, ſe fait dans un vaſte & magnifique
falon qui donne ſur un jardin. L'artifte
a choiſi le moment que le repas finit
&queles convives , échauffés par les vapeurs
du vin , ſe livrent à lajoie qu'il infpire.
Les uns chantent, les autres plus
occupés de leurs amours s'efforcent d'attendrir
leurs belles. Des Bohémiennes
que l'on a fait entrer dans la ſalle du feftin
diſent la bonne aventure à un jeune
Eſpagnol, qui paroît ajouter plus de foi à
un coup-d'oeil de ſa maîtreſſe qui eſt à ſes
côtés , qu'à toutes les prédictions de l'Oracle
bohémien. Cette eſtampe peut fervir
de pendant au Jardin d'amour que
M. Lempereur a gravé d'après Rubens &
qu'il a publié au mois de Janvier 1769 .
Elle a été gravée d'un burin très- foigné&
l'effet en eſt agréable & piquant.
On distribue chez le même graveur
deux autres estampes. L'une a pour titre
lesfuites du naufrage. Différentes perfon.
nes échappées au naufrage &que l'on s'efforce
de foulager rendent la ſcène de cete
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
te marine intéreſſante. L'eſtampe a environ
20 pouces de large fur 14 de hant.
Elle a été gravée avec intelligence par
Catherine - Elifabeth Couſiner femme
Lempereur d'après le tableau original de
M. Vernet , peintre du Roi.
La ſeconde eſtampe eſt intitulée , départpour
le marché. Elle a été gravée d'après
le tableau de J. Vangoyen parAnne-
Philberte Coulet , de l'académie royale&
impériale de Vienne. Cette eſtampe qui
annonce avantageuſement les talens de
l'artiſte a 16 pouces de haut fur 12 de
large.
III.
Portrait de Frederic 11 , Roi de Pruſſe &
Electeur de Brandebourg , né le 24 Janvier
1712 , gravé par M, B. A Paris ,
chez Maſſard , rue St Hyacinthe , maifon
neuve , vis-à- vis le ſerrurier,
Ce portrait eſt vu des trois quarts &
renfermé dans un petit médaillon. On a
placé au bas de l'eſtampe ces fix vers qui
peignent l'ame du Prince dont la gravure
ne peut nous rappeler que les traits.
Modeſte ſur un trône orné par la victoire ,
Il ſçut apprécier& mériter la gloire ;
Héros dans ſes malheurs, prompt à les réparer ,
AVRIL. 1772 . 19
De Mars & d'Apollon déployant le génie ,
Il vit l'Europe réunie
Pour le combattre & l'admirer.
Gravures du Cabinet de M. le Duc
de Choiseul.
Les ſieurs Bafan & Poignant ſon gen .
dre , marchand d'eſtampes , demeurant
àParis , rue & hotel Serpente , diſtribuent
la deuxième partie des planches qui compoſent
le volume d'eſtampes gravées d'a .
près les tableaux du cabinet de M. le
duc de Choiſeul. La première partie donnée
au public l'année dernière étoit compoſée
de si pièces, compris le titre ; la
ſeconde eſt de 79 , compris le portrait de
M. le duc de Choiſeul , ce qui fait en
tout 130 planches de format in 4º , avec
une explication de chaque tableau à la
tête de l'ouvrage. Quoique cette deuxiè
me fuite foit plus nombreuſe que la première
& qu'elle ſoit beaucoup mieux
traitée , cependant pour en faciliter &
accélérer le débit , le fieur Bafan & compagnie
en ont fixé le prix à 39 livres , ce
qui fera pour la totalité 75 livres , ayane
dejà fait payer 36 livres pour les so
premières. Toutes ces planches fontgra-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
vées d'après les tableaux les plus agréables
& les plus précieux des écoles Flamande
& Hollandoiſe , peints par Metzu , Neſtcher
, Berghem , Wauvermans , Tenieres
, Rembrandt , Oſtade , Vanderwerf ,
Potter , & c , & c . *
Les mêmesatſociés annoncent qu'étant
aujourd'hui ſeuls poffefleurs des 140 planches
de la belle édition in- 4º des Métamorphofes
d'Ovide , ils ont mis le prix
de l'exemplaire à 84 livres au lieu de 96
livres qu'il a été payé par ſouſcription ;
& comme cet ouvrage a été imprimé
avec ſoin , les amateurs peuvent ſe flatter
d'avoir de belles épreuves. Ceux qui ne
voudront point joindre aux eſtampes les
quatre volumes du texte in-4º pourront
ſe procurer un exemplaire de ces eſtampes
du format in- 8 ° , avec une explication
de chaque fable. Cette explication
compofée de 20 pages , ſe met à la fin
de l'ouvrage , & ne forme qu'un ſeul
volume du prix de 72 livres. On trouve
chez leſdits Geurs Bafan & Poignant les
onvrages ci - deſſus annoncés , reliés en
veau & en maroquin .
* La collection des tableaux de ce riche cabinet,
faite avec tant de goût & de ſoins, va donc être
miſe en vente & diſperſée le lundi 6 Avril , rue de
Richelieu. On en diftribue le catalogue chez Boi
leau , quai de la Mégiflerie,
AVRIL. 1772. 197
MUSIQUE .
I.
Recueild'Ariettes Italiennes , publiées par
M. Gio , Ant. B. Rizzi Zannoni , de
l'Académie de Padoue. A Paris , chez
Croiſey , Graveur , rue Dauphine , du
côté du Pont neuf. Brochure in 8º de
48 pages.
Ce recueil doit être périodique . Le premier
cahier qui ſe diſtribue actuellement
eſt précédé d'un diſcours ſur la muſique
italienne où l'éditeur rappelle tout ce qui
a été dit de plus favorable à cette muſique
& à la langue italienne. Perſonne
fans doute ne conteſte à cette langue d'être
plus douce , plus ſonore , plus harmonieuſe
, plus accentuée qu'aucune autre
& ces qualités font celles qui conviennent
le mieux au chant. La préférence
d'ailleurs que les Virtuoſes donnent
à la muſique italienne fur les autres muſiques
ſemble aſſûrer le ſuccès de M. Zannoni
qui ſe propoſe de leur offrir tous
les mois un recueil d'Ariettes , de Duo ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
de Récitatifs obligés ,de Romances , &c ,
extraits des opéra des plus habiles muſi.
ciens de tous les théâtres d'Italie . Un
pareil choix fera fans doute plus capable
d'accélérer parmi nous les progrèsde l'art
muſical q toutes les méthodes de mufique
, & routes les diſſertation publiées
juſqu'à préſent ſur cet art. Les amateurs
qui voudront ſe procurer les accompagnemens
des Ariettes pourront s'adreffer
au ſieur Croiſey ci deſſus nommé.
11.
Six Quatuor pour deux violon alto &
baffe, compoſés par F. J. Goſſec d'Anvers.
5. Recueil des petits airs pour deux
violons,tirés des opéra comiques , ce qu'il
y a de plus nouveau , arrangés par Valentin
Ræſer. Chez le ſieur Sieber , rue
S. Honoré . A l'hôtel d'Aligre , près la
Croix du Trahoir , & aux adreſſes ordinaires.
A Lyon , chez M. Caſtaur.
COURS DE MATHÉMATIQUES .
LE Geur Dupont a recommencé le 16
du mois de Mats dans ſon école rue
AVRIL. 1772 . 199
neuve Saint Méderic les élémens de
mathématiques ; ſçavoir l'arithmétique ,
la géométrie , & l'algébre . Indépendamment
des leçons particulières qu'il donne
fur toutes les parties de cette ſcience , il
donnera tous les jeudis des leçons de
géomètrie-pratique , fur tout ce qui concerne
l'arpentage , le nivellement , la manière
de lever les camps &les tracer,prendre
hauteur , & tout ce qui eſt utile àla
géographie . Il achez lui un excellentMaître
de deffin , pour le payſage & la carte ;
il fait deſſiner ſes élèves à vue ( c'eſt une
partie très eſſentielle pour les militaires )
Le Sieur Dupont continue tous les dimanches
fon cours gratis pour les ouvriers
; il a chez lui cinq chambres &
leurs cabinets , toutes meublées , pour y
recevoir cinq jeunes gens , dont les parens
veulent exactitude & vue ſur leur
conduite.
ASTRONOMIE .
CARTE nouvelle contenant les cinq
patfages de mercure ſur le diſque du ſoleil
, qui arriveront depuis 1772 juſqu'à
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
1800. calculés par M. Libour , profef.
feur de mathématiques , à l'Ecole royale
militaire. Prix 1 liv. 10 ſols . Chez le
ſieur le Rouge , ingénieur géographe du
roi , rue des grands Auguſtins.
GÉOGRAPHIE.
Le chevalier de Beaurain géographe or
dinaire du roi & fon penſionnaire , offre
par foufcription l'hiſtoire militaire , de
la glorieuſe campagne du grand Condé
en Flandres de 1674 in folio , dans le
goût des campagnes du maréchal de Luxembourg
, qui contiendra 40 planches ,
dont quelques -unes font déjà gravées.
Les Soufcripteurs payeront 30 livres en
foufcrivant & 20 liv. en retirant l'ouvrage
dans le mois de février 1773. Les
foufcriptions n'auront lieu que juſqu'au
mois d'août , paflé ce tems ceux qui n'auront
pas ſouſcrit payeront 72 liv . Le
public peut voir l'ouvrage chez l'auteur ,
rue Gît le coeur , la première porte cochère
à droite , en entrant par le quai des
Auguſtins où ſe délivreront les foufcriptions
, & le profpectus de l'ouvrage ; &
AVRIL. 1772. 201
chez Prault fils aîné , libraire , à l'Immortalité
, quai des Auguſtins ; Monory ,
libraire de S. A. S. Mgr. le prince de
Condé , Culd- e-fac des quatre vents &
à Pâques , rue & vis-à vis la Comédie
françoiſe ; Santus , au Luxembourg , du
côté de la rue de Tournon .
GYMNASTIQUE.
2
Il ya eu le 11 du préſent mois au Coliſée
du Cours- la-Reine la réception du
ſieur Erienne , Prevôt du maître en fait
d'armes de l'Ecole militaire en préſence
d'environ 8 à 10 mille perſonnes. Le
fieur la Salle , maître en fait d'armes y a
tiré le premier. Il a touché une botte &
en a reçu une autre ; ce qui lui a donné
un des prix , ainſi qu'il eſt d'uſage en
pareil cas. Le ſieur Meneſſiez , maître
en fait d'armes a tiré le ſecond , avec
autant de grace que d'adreſſe pendant
une dem i -heure. Il a porté au récipiendaire
les deux plus belles bottes qu'on
puiffe porter. Il a fait un ſecond affant
de l'épée & du poignard avec le même
fuccès , & le prix lui a été remis. Les
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
fieurs Teillagori & Oſutivan ont enfuite
affaut avec le Récipiendaire.
LETTRE de M. de St George à M.
Teillegori , mature en fait d'armes des
Académies du Roi & des Pages de S.
A. S. Mgr le Due d'Orléans , au sujet
de ce qui s'eft paſſe à la reception de
M. Etienne , qui ſe fit au Coliſée le
mercredi 11 Mars dernier.
Paris, ce is Mars 1772 .
Je ſuis indiſpofé , Monfieur , fans cela j'aurois
eu l'avantage de vous voir pour vous faire mon
compliment & vous témoigner combien vo s
avez fait de plaisir à moi & à tous les connoifſeurs
à la réception de M. Etienne. Vous avez
montré cette assûrance mâle qu'on ne voit que
dans les hommes ſupérieurs ; & dans tout ce
que vous avez exécuté on a vu le grand tireur ,
ona connu le grand maître. Si l'on vous eût
donné le prix , on eût couronné le mérite&le talent
, mais vous êtes au deſſus de cela: je vous
prie , Monfieur , au non de tous les connoif-
*M. de StGeorge fi connu par ſes grands salens
& fon mérite perſonnel.
AVRIL. 1772 . 203
ſeurs , de vouloir bien accepter l'épée que je
vous envoie ; il ſera glorieux pour moi de l'avoir
mis dans les mains d'un homme qui ſçait ſi bien
s'en ſervir , recevez la comme un gage de l'attachement
fincère avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Monfieur ,
Votre très-humble ſerviteur ,
DE SAINT GEORGE.
LETTRE de M. de Voltaire à un de fes
Confrères de l'Académie.
J n'ai point lû , Monfieur , les beaux vers ou
vous dites que le très-inclément Clément me déchire
auſſi -bien que pluſieurs de mes amis. Il y a
environ ſoixante ans que je ſuis accoutumé à être
déchiré par les Desfontaines , les bonnevals , les
Frérons, les Cléments , les La Beaumelle ,& les
autres grands hommes du fiécie. Je vous envoie
la jolie pièce de vers que ce M. Clément fit , ily
a quelques années,à monhonneur & gloire.
J'en retranche ſeulement quelques vers , tant
parce qu'il faut être modeſte que parce qu'il ne
faut pas trop abuſer de votre loiſir.
O toi que j'aime aurant que je t'admire
Sur ces vers que mon coeur infpire ,
Et que lui ſeul doit avouer ,
Jette un regardde bonté ,de tendrefie.
L'art d'une main enchantereſſe
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Ne cherche point à t'y louer.
Laiflons la louange infipide
Pour ces mortels peu délicats
Que de la vérité l'ombre même intimide
Et que l'encens n'affadir pas .
C'est un poifon qu'en nos climats
Une complaifance perfide
Prépara pour la vanité.
La fable , de la vérité
Eſt une image réfléchie.
C'eſt un miroir où l'on n'eſt point flatte.
Je t'offre ſa glace fidèle ,
Voltaire , tu t'y connoîtras ;
Mais , ô toi , mon autre modèle,
Maudit Geay tu la termiras.
LE ROSSIGNOL & LE GEAY.
Dis
Fable .
s ſon printems , dès fon jeune âge
Un Roffignol par fon ramage ,
Dans ſes cantons s'étoir fait reſpecter.
Il enchantoit ſon voisinage ,
On ſe taiſoit pour l'écouter.
Sa voix plaifoit aux coeurs plus encor qu'aux
oreilles
د
Et ſes fredonnemens même étaient des merveil
les.
AVRIL. 1772 . 205
UnGeay fort ſot , fort ennuyeux ,
• Et fort bavard , c'eſt l'ordinaire ;
Ne put entendre fans colère
Du Roſſignol les chants délicieux ,
Le mérite d'autrui le rendait envieux ,
Pourquoi ? le voici ſans myſtère ,
C'eſt qu'il n'en avait point. Il n'avait plû jamais
Et ne voulait que tout autre pût plaire.
Or , en vers maître Geay fur ce point très -ſévère
Le Roffignol avait des torts très -vraiş .
On l'admirait ; témoin de ſes ſuccès
Jacque enrageait , & lui fit ſon procès.
Au chanteur , au bon goût il déclara la guerre,
A fa langue il donna carrière ,
De fon babil étourdit les forêts.
Outrage , injure journalière
Il porta tout aux plus groſſiers excès.
Que fit meffire Jacque? oh de l'eau toute claire.
Il avoit beau crier , Meffieurs que c'eſt mauvais ,
Cette voix eft caflée ; elle devrait ſe taire .
Ah! croiez-moi... l'on n'en voulut rien faire;
Il ne perfuada que quelques fors , des Geays .
Le Roffignol , toujours en paix ,
Ne s'aviſa de lui répondre.
Répondre aux fots ! fintroit- on jamais !
Mépriſant le ſtupide , & pour le mieux confondre
Il formait avec ſoin des chants toujours nouveaux,
206 MERCURE DE FRANCE.
Toujours plus beaux ;
Et les autres oiſeaux
Diſaient au Geay bouffi de rage ;
Au Roffignol tu crois être fatal ,
Détrompe-toi , vain animal ,
Ta cenſure pour lui peut elle être un outrage ,
S'il te plaiſait c'eſt qu'il chanterait mal.
Monfieur , fi vous avez la bonté de mepermettrede
rendre ces vers publics , après y avoir ajouté,
retranché , corrigé ce que bon vous ſemblera , je
les enverrai dans quelque ouvrage périodique ,
oudansquel recueil que vous aurez la complaifance
de m'indiquer.
Je ſuis avec tout le reſpect poſſible , &c.
Vous voiez , Monfieur , que ceClément qui me
traitait impudemment de Roffignol eſt devenu
Geay; mais il ne s'eſt point paré des plumes du
paon ; il s'eft contenté de becqueter MM. de St
Lambert , Delile , Vatelet , Marmontel , &c . &c.
Je voudrois voir cette épître dans laquelle il
nous apprend à tous notre devoir. J'en profiterais
, je n'ai que foixante& dix - huit ans , les
jeunesgens comme moi peuvent toujours ſe corriger
, & nous devons une grande reconnaiſſance
àceux qui nous avertiſſent publiquement & avec
charité de nos défauts . J'ai dit autrefois.
L'envie eſt un mal néceſſaire
C'eſt un petit coup d'aiguillon
Qui vous force encor à mieux faire.
AVRIL. 1772 . 207
Il fallait dire l'envie eſt un bien néceſſaire , fi
pourtant ces Meſſieurs connoiſſent d'autre envie
que celle de perfectionner les arts & d'être utiles
al'Univers. M. Clément ſemble être l'homme
du monde le plus utile après l'illuftre Fréron , il
entre fagement dans une carrière qui doit l'immortaliter
, & fur- tout lui faire beaucoup d'amis ,
&c.
A
ANECDOTES.
1.
Laplupart des Recueils de bons mots
font remplis de réponſes très froides.
Celles du Marquis Maffei Ambaſfadeur
de Sicile auprès du Pape Clément XI
n'eſt ni froide , ni injurieuſe , ni piquante,
mais c'eſt un bel à propos . Le Papeſe plaignoit
aveclarmes de ce qu'on avoit ouvert
malgré lui les Eglifes de Sicile qu'il avoit
interdites : Pleurez, St Père , lui dit- il ,
quand on lesfermera.
1 I.
Le Comte de Péterborough eſt undes
plus finguliers hommes qu'ait jamais porté
l'Angleterre , ce pays ſi fertile en efprits
fiers , courageux & bizarres. Il fortit
208 MERCURE DE FRANCE .
d'angleterre à 15 ans pour aller faire la
guerre aux Maures en Afrique. A 20 ans ,
il avoit commencé la révolution d'Angleterre.
Il a donné pluſieurs fois tout fon
bien. En 1705 il commandoit les Anglois
en Eſpagne & faiſoit la guerre preſque à
ſes dépens , nourriſſant l'Archiduc , défrayant
toute ſa maiſon . Cette même année
il prit Barcelonne , ſecondé par les
Allemands que commandoit le prince de
Darmſtad. Pendant qu'il capituloit à la
porte de Barcelonne avec le Gouverneur
Eſpagnol , la herſe baiffée entre eux deux,
ils entendirent des cris & deshurlemens
effroyables dans la ville.Vous nous trahiffez
, dit le Gouverneur , pendant que
nous capitulons de bonne foi ? Non , dit
Péterborough ; il faut que ce foient les
Allemands du prince deDarmſtat; livrezmoi
la ville : Je vais les charger avec mes
Anglois & je viendrai vous retrouver ici
pour achever la capitulation. Frappé de
fon air de grandeur & du ton de vérité
dont ildit ces paroles , le Gouverneur le
laiffe entrer ; il bat les Allemands , il les
chaffe , leur ôre le butin qu'ils emportoient
, atrache la ducheſſe de Papoli des
mains des foldats prêts à la deshonorer ,
la rend à fon mari , appaiſe le tumulte ,
AVRIL. 1772 . 209
fait reſſortir les Anglois & revient à la
portede la ville continuer la capitulation,
au grand étonnement des Eſpagnols confondus
de voir tant de magnanimité dans
des anglois qu'ils avoient pris pour des
barbares.
III .
Marie de Médicis mère de Louis XIII
reçut un jour à Blois une lettre que lui
apportoit M. de Berule de la part du Roi :
elle pleura après l'avoir lue. M. de Berule
furpris lui demanda , s'il avoit été
aſſez malheureux pour lui apporter une
lettre qui l'eût tellement touchée. Elle
lui répondit , c'est tout le contraire ; car
c'est de joie & non pas de douleur que je
pleure , parce qu'ayant depuis mon éloignement
reçu tant de lettres du Roi , voici
la première que j'ai reçue de monfils.
AVIS.
I.
Magaſin général des Plantes des montagnes
de la Suiffe , des Vosges , des Pyrenées
, d'Auvergne , &c. rue St Ho210
MERCURE DE FRANCE.
noré, vis - à - vis celle de l'Arbre-fec ,
chez le Brûleur d'or , à l'entrefol , à
l'Enseigne d'Apollon.
N y trouve une nouvelle plante étrangèretrèsagréable
au goût , qui ſe prend en forme de thé.
Cette plante est très-fouverainepour les maladies
de poitrine , les rhumes & les indigeftions.
On trouve encore dans ce magaſin un nouveau
ſyrop pectoral ſimple qui , étant le pur extraitde
cette nouvelle plante étrangère , en a les mêmes
propriétés ; on la prend en forme de bavaroiſe.
De plus , on y débire de la très - excellente pâte
de guimauve rafinée , blanche & brune. C'eſt la
ſeule de ſon eſpèce que l'on trouve à Paris , n'étant
compoſée que des meilleurs végétaux étrangers.
On y vend auſſi des fleurs d'Arnica dont l'infuſion
théiforme & très - légère produit une
prompte guériſon dans tous les cas de chûre ,
contufion , crachement de ſang , hémorragies ,
ſang coagulé , & dans l'aſtlime humide.
Des plantes mélangées pour les fumigations
dans les maladies de poitrine.
D'autres plantes admitables pour les maux de
reins , la rétention d'urine, la gravelle &la pierre;
en un mot , toutes les autres plantes à l'ufage de
la médecine.
Ony trouve auſſi les véritables boules d'acier
vulnéraires de Nancy.
AVRIL. 1772. ΣΕΙ
1 1.
Le Sieur Rouffel donnne avis au Public qu'il
a trouvé un remède efficace pour les cors des
pieds. C'eſt untopique für contre ce mal , qu'il
eſt aiſé d'employer Un morceau de toile noire
ou de føie , enduit du médicament dont il s'agit ,
a la vertu d'ôter très-promptement la douleur des
cors , de les amollir , &de les faire mourir par
ſucceſſionde tems. On en forme une emplâtre
un peu plus large que le mal , que l'on envelopped'unebandelette
après avoir coupé le cor. Au
bout de huit jours , on peut lever ce premier appareil
, & remettre une autre emplâtre pour autantde
tems.
Ungrand nombre de perſonnes ont été parfairement
guéris par l'uſage de ce topique.
Le prix des boëtes à douze mouches eſt de 3 liv.
Celui des boëtes à fix mouches eſt de 1 livre
30 fols.
Le ſieur Rouffel demeure à Paris , rue Jean de
l'Epine , chez l'Epicier en gros , la porte cochère
àcôté du Taillandier , près de la Grève. Il débite
auſſi des bagues , dont la propriété eft de guérir
la goutte. Ces bagues , qu'il faut porter au doigt
annulaire , guérillent les perſonnes qui ont la
goutte aux pieds & aux mains , & en peu de tems
cellesqui en ſont moyennement attaquées. Quant
àcelles qui en font fort affligées , clles doivent
les porter avant ou après l'attaque de la goutte ,
& pour lors elle ne revient plus. En les portant
toujours au doigt , elles préſervent d'apoplexie &
deparalyfie.
212 MERCURE DE FRANCE.
Le prix de ces bagues , montées en or , eft de 36
liv.&celles en argent , de 24.
On le trouve tous les jours , excepté les fêtes&
dimanches . On prie les perſonnes d'affranchir leurs
lettres .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Dantrick , le 22 Février 1771 .
Les troupes Rufles , après s'être répandues dans
tous les Palatinats & les Districts de la Lithuanie
, viennent de forcer la Noblefle de cette province
de tenir les Diétines dans leíquelles il eſt
d'uſage de nommer des députés à la Cour de
Warfovie. Ils veulent fur tout leur faire donner
des inſtructions tendant à reconnoître la légalité
des actes de l'élection & du couronnement de
Staniflas-Auguſte. Ces élections ont eu lieu dans
les Palatinats & Districts de Wilna , Lida , Wilkomitz
, Grodno , Smonlensk , Starodub , Samogitie,
Nowogrodeck , Slonim , Kowno & Upita.
Les fix mille Ruſſes qui font entrés dans le
Grand Duché , ſous les ordres des généraux Romanius
& Galitzin , ſe font diſperſés , après avoir
laiflé des détachemens à Sluck , Nieſzwiez & Slonim.
Une partie s'est établie ſur les terres du
Grand Général Comte Oginski , une autre a marché
vers Brzesc & le reſte a pris la route de Warfovie.
De Stockolm , le 25 Février 1771 .
Il y cut , le 22 de ce mois , une aſlemblée des
AVRIL. 1772. 213
Etats , dans laquelle on diſputa vivement les ob
jets qui diviſent les ordres non Nobles avec la
Noblefle , relativement à l'acte d'afſfurance &
aux privileges la roture. Pluſieurs membres de
la Noblefle paroiſſoient ſe rapprocher des autres
Ordres & infinuoient des moyens de conciliation;
mais le parti contraire s'oppoſa à tout arrangement.
Cette diſcuſſion occaſionna de grands débats.
Le parti qui opinoit pour la conciliation
demandoit qu'on fit , de l'avis de la Nobleſſe
modifié , une propoſition formelle qui ſeroit décidée
à la pluralité des voix. La chambre s'étoit
aſſemblée à neuf heures du matin , & il étoit minuit
avant qu'il y eût rien d'arrêté. Les Etats
auroient été fans doute aflemblés juſqu'au lendemain
, ſans un incendie qui ſurvint au milieu
de la nuit & qui interrompit les délibérations.
La chambre ſe ſépara ; mais l'affaire étoit trop
avancée pour qu'on la renvoyât à l'aſſemblée ordinaire
du mercredi ſuivant : on réſolut de la
reprendre extraordinairement le ſurlendemain.
Ce jour- là , les délibérations continuèrent ſur le
même objet dans la chambre de la Noblefle , &
l'on difputa depuis le matin juſqu'à ſept heures
&demie du ſoir. On s'accorda enfin à mettre aux
voix la propoſition ſuivante : De quelle manière
&à quelles canditions la Nobleſſe ſe réuniroit
aux quatre Ordres concernant l'Acte de Capitulation
? L'avis du chambellan baron d'Eſlen, fur
les conditions à établir , prévalut fur les autres
avis qui furent propofés. On ne ſçait ſi les
Ordres inférieurs agréetont ces conditions & s'ils
ſe déſiſteront de la ferme réſolution qu'ils avoient
prife unanimement de s'en tenir à leur premier
projet. S'ils s'obſtinent à refuſer toute modifica
214 MERCURE DE FRANCE.
tion , cette grande affaire reſtera au même point
où elle étoit auparavant.
De Copenhague , le 5 Mars 1772 .
Le 22 de Février , le comte de Brandt fut amené
de la priſon à la citadelle avec les mêmes précautions
qui avoient été priſes pour le comte de
Struenſée. Il étoit en bottines & vêtu d'un habit
verdgalonné d'or. Lorſqu'il fut dans l'anti- chambredu
commandant , on lui ôra ſes fers . Il avoit
T'air fort tranquille & s'entretint quelque tems
avec l'officier de garde qui étoit auprès de lui.
Un demi- quart d'heure après , on l'appella dans
la ſalle où les commiſſaires étoient aflemblés. Il
parut , dans ce moment , reſſentir quelqu'émotion;
mais il ſe remit bientôt & reprit ſon air de
tranquillité. Son interrogatoire dura une heure
&demie. On fit entrer enſuite le profefleur Berger
qu'on interrogea pendant trois heures. On
conjecture que ce médecin n'eſt point coupable
du crime dont on l'a chargé dans le public , parce
qu'après ſon interrogatoire , on lui a permis de
ſe faire raſer &de coucher ſur ſon propre lit. II
aobtenu enmême tems l'uſage des livres , du tabac
, des couteaux & des fourchettes. Le 25 , le
comte de Struenſée a été interrogé pour la troiſième
fois. On dit que les articles de ſes interrogatoires
ſont au nombre de fix cens trente , &
qu'iln'a encore répondu qu'à deux cens. Le même
jour, on venditàl'encan, par ordre des commiffaires
inquifiteurs , les chevaux des comtes de
Struentée & de Brandt. Cette vente ſembleroit
annoncer qu'on a déjà pris un parti à l'égard de ces
deux ſeigneurs.
AVRIL.
215 1772 .
De Vienne , le 1 Mars 1772 .
Sa Majesté Impériale & Royale voulant empêcher
les particuliers d'emprunter au - delà de
leurs facultés réelles & aflurer aux créances qui
feront enregistrées , une hypothèque ſpéciale ,
felon la priorité du tems , a rendu une ordonnan.
ce portant que , dans les ſept villes immédiates
de l'Autriche , il ſera dreſlé un regiftre public où
•les poſſeſſions de chaque particulier feront infcrires
dans le plus grand détail , avec les charges
dontelles font affectées , &où l'on inférera tous
les changemens qui s'opéreront , par la fuite , à
cet égard. Un établiſſement ſemblable fubfifte
depuis long-tems en Bohême , avec le plus grand
fuccès.
On vient d'établir , en cette capitale , unepetite-
poſte ſemblable à celles de Paris & de Londres.
DeBerlin , le 29 Février 1772 .
Le major Kenler , qui étoit paflé en Pologne ,
avec des détachemens de houſſards , eſt de retour
en cette ville ; il avoit été chargé d'amener quatre
mille houſlards & fix cens chevaux de remonte;
mais on dit qu'il n'a pu remplir l'objet de ſa
miſſion, Il a amené un Négre que le général Romanzow
envoyoit en préſent au Roi , & qui avoit
été pris en combattant à la tête de cinq cens Janiflaires
dont il étoit Aga (capitaine commandant.
) Cet homine eſt d'une taille avantageuſe ,
&de la plus belle figure. Il eſt très inſtruit & parle
avec dignité . Sa Majeſté a été ſi étonnée de fon
maintien&de ſes diſcours , qu'elle a defiré apprendre
ſon hiſtoire. Ce Negre eſt un de cesen
216 MERCURE DE FRANCE.
fans que les Arabes amènent tous les ans en tribut
au Grand Seigneur. Le Sultan en fit préſent à un
de ſes Aga qui le prit fi fort en amitié , qu'après
lui avoir donné la plus belle éducation , il lui
laiſſa en mourant la moitié de ſon bien & lui fit
épouſer ſa fille . Par une grace particulière du
Souverain , il obtint la charge de fon bienfaiteur.
Il s'y eſt tellement diftingué qu'il s'étoit acquis
àla Porte la plus grande conſidération. Fait prifonier
par les Rufles , il a été regardé comme efclave
,& réduit à cet état de mépris que l'injuſtice
des hommes croit fondé ſur la différence de la
couleur blanche d'avec la noire. Ce qui a paru
affecter davantage ce prifonnier dans fon malheur
, c'étoit d'être ſéparé de ſa femme & de ſes
enfans . Il a fait au Roi une peinture ſi touchante
de ſa ſituation , que Sa Majesté lui a tendu ſa liberté
& lui a fait donner une ſomme (uffiſante
pour les frais de ſon ſéjour en Prufle & ceux de
fon retour à Constantinople. Cette marque de
bienfaitance a fait la plus vive impreſſion ſur cet
homme qui paroît auffi recommandable par ſa
ſenſibilité que par ſes talens & fa figure.
Des lettres arrivées de Petersbourg annoncent
qu'ony craint la contagion & que l'Impératrice
doit abandonner cette capitale pour aller fixer fon
ſéjour en Finlande .
De la Haye , le 13 Mars 1772 .
On apprend , par une lettre de Finlande , du 4
Février , que le navire Follandois du capitaine
Rynold Laurens qu'on croyoit perdu depuis l'été
dernier , & fur le quel étoient les tableaux du feu
fieur Brankamp, a été retrouvé près d'Abo , entre
des rochers , d'où l'on eſpère pouvoir le retirer.
De
AVRIL. 1772. 217
De Londres , le 9 Mars 1772.
LeDuc de Beaufort & pluſieurs particuliers de
la ſociété des Francs - Maçons ont préſenté à la
chambre des Communes une requête , par laquelle
ils expoſent que , depuis pluſieurs années ,
ils ont levé parmi eux des contributions volontaires
de plus de 600 liv, ſterlings deſtinées à ſoulager
ceux de leurs frères qui étoient dans l'indigence
; qu'ils poſlédent un fonds de 1200 liv. ft.
d'annuités de banque , de l'argent comprant &
une ſomme ſuffiſante pour bâtir une loge; que la
ſociété eſt dans l'intention de faire conſtruire
cette loge, ainſi que des maiſons de charité pour
les pauvres ; que pour effectuer cette réſolution ,
elledemande la permiſſion de préſenter à la chambre
un projet d'acte pour donner une forme &de
la conſiſtanceàla ſociété. La chambre a cu égard
à cette requête , & elle aordonné qu'on drefiât un
bill enconféquence.
L'Aldernian Sawbridge eſt dans la réſolution de
pourſuivre au banc du Roi le ſieur Jennings , le
Lord Greville & beaucoup d'autres qui ont cru
pouvoir reſter au parlement & continuer d'y donner
leur voix , après avoir accepté des emplois
lucratifs de la part de la Cour. Cette conduite eft
contraire à l'acte paflé ſous le regne de la Reine
Anne , relativement aux places occupées par los
membres du parlement. L'amende impolée dans
cette occaſion eſt de soo liv. ſterlings , & il y auroit
un tiers des membres du parlement qui ſeroient
obligés de la payer ſi cette affaire étoit
pourſuivie a la rigueur.
La ſéance du 9 Mars fut remarquable par la
fameuse queftion que le ſieur Sawbridge y éleva
I. Vol. K
G
218 MERCURE DE FRANCE.
fur la durée des parlemens. Il fit untrès-long difcours
, dans lequel il remonta juſqu'au tems des
Saxons : il donna un précis hiſtorique de la durée
des parlenens ſous les différens regnes : il fit remarquer
toutes les ufurpations de la prérogative
royale , & déclama beaucoup contre le ministère
actuel , ſur ce qu'il refuſoit aux peuples la diflolution
du parlement. Il fut appuyé par le ſieur
Townshend , qui dit que le meilleur moyen de
rendre les élections libres , étoit de les renouveller
ſouvent. Cette opinion fut combattue par le
fieur Cox . Ce dernier afſura que les obſtacles qui
génoient la liberté des élections , n'avoient d'autre
cauſe que la corruption des tems. Après quelques
débats , on alla au ſcrutin , & la propoſition
fut rejettée à la pluralité de deux cens cinquante&
une voix contre quatre-vingt- trois .
De Paris , le 23 Mars 1772 .
Il s'eft tenu , à l'hôtel- de- ville , le 17 de ce
mois , une aflemblée générale du corps-de-ville ,
dans la quelle le ſieur de la Michodiere, conſeiller
d'état , a été elu à la place de Prevêt des Marchands
, vacante par la mort du Sr Bignon .
Le 20 du mois de Février , le ſieur de Marzi ,
lieutenant - colonel du régiment d'Auxonne , du
Corps Royal d'Artillerie , en garnison à Besançon,
adonné le grade de vétéran & les marques de
-cette diftinction à vingt-cinq foldats de ce régiment.
Cette cérémonie , qui s'est faite au bruit du
canon , a été ſuivie d'une fête que le Sr des Mays ,
maréchal de camp , commandant en chef le Corps
Royal d'Artillerie à Béſançon , a donnée aux vétérans
& à laquelle le Maréchal Duc de Lorges a
aſſiſté , ainſi que les principaux officiers de la pla ,
AVRIL. 1772 . 219
ce&de la garnison , un grand nombre d'autres
officiers & une partie des vétérans du régiment du
Roi & de celui de la Reine , Dragons .
Le 8 de ce mois , à ſept heures du foir , le ſieur
Montagne découvrit à Limoges une Comère auprès
de l'étoile Mu , de la quatrième grandeur ,
dans la constellation de l'Erdan. A 7 heures 30
minutes , elle étoit moins avancée que cette Etoile
d'un degré en afcenfion droite , & la déclinaifon
auſtrale étoit moindre de 10 minutes que celle de
l'étoile . A 9 heures 30 minutes , elle s'étoit approchée
de 30 minutes de l'Etoile Mu , & n'avoit
preſque point changé de déclinaifon. fon mouvement
apparent eſt donc lelon l'odre des figues
& elle avance en aſcenſion droite d'un degré 25
minutes , en 24 heures . Le9 , a 7 heures 30 m
nutes du four , elle étoit plus avancée que l'étoile
Mu en afcenfion droite , de 25 minutes , & fa
déclinaiſon étoit diminuée de 3 minutes . Elle
avoit une queue oppoſée au ſoleil & qui n'étoit
que de 4 à 5 minutes. Sa tête n'étoit point brillante;
elle paroiſſoit tout au moins comme une
étoile de la fixième grandeur. Sa lumière & fa
queue n'ont point changé dans l'intervalle du 8
au 9. On ne l'apperçoit point à la vue fimple , &
on la verra même à peine dans la lunette , loftque
la lumière de la lune ſera devenue plus forte.
D'après le chemin qu'elle a fait , on juge qu'elle
doit ſe trouver , le 14 au ſoir , aux environs de
l'étoile Bétha , la dernière de l'éridan , & qu'elle
traverſera enſuite la conſtellation d'Orion entre
Rigel & la Ceinture. En comparant ſon mouvement
apparent & l'angle de fon élongation au
Soleil , on penſe qu'elle a paflé , il y a quelque
tems , par ſon périhelie & qu'elle tend à la fin de
fon apparition .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
NOMINATIONS.
Le Roi a donné le gouvernement du Neuf-
Brifac , vacant par la mort du Marquis de Gauville
, au Maréchal d'Armentières , & celui de
Belle-ifle en Mer , vacant par la mort du marquis
de Vibraye , au marquis de Montmorin ,
lieutenant-général des armées de Sa Majefté.
Le Roi vient d'accorder les entrées de la chambre
au comte de Crenay , meſtre de camp de cavalerie
, enſeigne des Gendarmes de la Garde
ordinaire de Sa Majesté , maître de la garderobe
deMonſeigneur le Comte de Provence .
Le Roi & le Roi de Portugal ayant réſolu d'entretenir
, dans leurs cours refpectives , des miniftres
du premier Ordre , Sa Majesté a revêtu du
caractère de ſon ambaſſadeur à la cour de Portugal
, le marquis de Clermont- d'Amboile , ci - devant
miniſtre plénipotentiaire auprès de Sa Majeſté
Très-Fidèle , lequel a eu l'honneur de faire
ſes remercîmens au Roi , à cette occafion , le to
deMars. Le Roi de Portugal a nommé , de ſon
côté , pour ſon ambaſſadeur à la cour de France ,
Dom Vincent de Souza Coutinho , qui y réſidoit
en qualité de miniſtre plénipotentiaire de ce Prince
auprès du Roi.
Le Sieur d'Agueſſeau , doyen du conſeil d'état ,
ayant eu l'agrément du Roi pour la charge de
prévôt maître des cérémonies des Ordres de Sa
Majesté , vacante par la mort du Sieur Bignon ,
eut , hier , l'honneur de faire , à cette occafion
ſes remercîmens au Roi & à la Famille Royale.
Le marquis de Vizé , lieutenant - colonel au
régiment des Gardes- Françoiles , a obtenu les en
AVRIL. 1772. 22
trées de la chambre du Roi , ainſi que l'Abbé d'Argentré,
premier aumônier de Mgt le Comte de
Provence en ſurvivance .
PRÉSENTATIONS .
Le 23 Fév. le St Bourgeois de Geudreville que
le Roi a nommé à la place d'intendant de la Marine
àToulon vacante par la retraite du Sieur Hurfon
; le chevalier de Kearney , capitaine de frégate
, commandant particulier de Sainte - Lucie ;
*&le Sieur Deſmaretz de Montchaton , adminiftrateur
général , commandant à l'Ifle de Gorée &
dépendances , ont eu l'honneur d'être préſentés au
Roi , par le St de Boynes , ſecrétaire d'état , ayant
le département de la Marine.
La comteile de Colbert a été préſentée à Sa
Majesté , ainſi qu'à la Famille Royale , par la marquiſe
de Seignelay.
La marquiſe de Prie a eu , le 15 Mars , l'honneur
d'être préſentée au Roi & à la Famille Royale
par la Princeſſe de Beaufremont.
Le comte de Marcellus a eu , le même jour ,
l'honneur de prêter ferment entre les mains de Sa
Majesté pour la lieutenance de Roi dela province
de Guienne , au département d'Albret , dont Sa
Majesté l'a pourvu , & il a eu l'honneur d'être
préſenté à la Famille Royale.
Le comte de Grosberg , meſtre de camp de cavalerie
au ſervice de France , & chambellan de
l'Electeur de Bavière , a eu l'honneur d'être préſentée
à Sa Majesté , le 18 Mars ,
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
MARIAGES.
Sa Majesté & la Famille Royale ont ſigné , le
28 du mois de Février , le contrat de mariage du
comte de Clarac, colonel du régiment de Périgord
, avec Demoiselle Chaumont de la Millière;
&celui du comte de Galliffet , capitaine de cavalerie
, avec Demoiselle de Galliffer.
NAISSANCES .
Le 22 Février , la marquiſe de Mailly , Dame
de Madame la Dauphine , eſt accouchée d'un
garçon .
On écrit de la ville d'Eu , que le 22 Février >
la nommée Marie - Jeanne Tellier , femme de
Matthieu du Crocq, ferrurier aubourg d'Aulp ,
eft accouchée , dans le ſeptième moisde ſa groffefle,
de trois enfans , ſavoir , de deux garçons &
d'une fille , tous ont reçu le baptême : les deux
garçons ont vécu ſept heures , & la fille n'est morre
que le lendemain. On mande de Châlons- fur-
Saône que la femine du nommé Jean de Villard ,
vigneron , habitant de la paroiſſe de Buay , bailliage
de Châlons , eſt accouchée à terme , le 4
Mars , de trois enfans , ſavoir , d'un garçon & de
deux filles qui ſont de la groſſeur des enfans ordinaires
& qui fe portent bien.
MORTS.
Marc- Antoine - François Lepellerin , marquis
de Gauville & de la Chartre- fur Loir lieutenantgénéral
des armées du Roi & gouverneur des vil
AVRIL. 1772 . 223 1
le& fortereſſe du Neuf- Brifac , eſt mort à Paris ,
le 15 Février , dans la foixante-douzième année
defonâge.
Didier - François Meſaard , chevalier , commandeur
& procureur- général des Ordres royaux
& militaires & hofpitaliers de Nôtre - Dame de
Mont Carmel & de Saint Lazare de Jéruſalem ,
ſecrétaire des commandemens & du cabinet de
Monſeigneur le Dauphin & de Monſeigneur le
Comte d'Artois , eſt mort à Paris , le 19 Février ,
dans la ſoixante- quinzième année de ſon âge.
Charles-Frédéric , Prince héréditaire de Holftein-
Beck , maréchal des camps & armées du Roi ,
meſtre de camp lieutenant du régiment Royal-
Allemand , cavalerie , eſt mort à Strasbourg , le
21 du mois de Février , dans la quarante unième
année de ſon âge.
Jacques de Monguyot , chevalier , ſeigneur de
Monguyot - Urville & brigadier des armées du
Roi , eſt mort à Reims , âgé de foixante - treize
ans.
Jean-Baptiste de Chabannes , marquis de Curton
, chevalier de l'Ordre royal & militaire de St
Louis , eſt mort dernierement dans ſes terres , âgé
de quatre- vingt cinq ans .
Judith de Bouchet de Sourches , comteffe de
Rochemore , eſt morte , le 24 Février , au château
de Gallargues , en Languedoc , âgé de trente .
cinqans.
Marie Doumergue eſt morte à Villeréal , ca
Agenois , le 29 Janvier dernier , âgée de cent
fixans.
Charlottede Campron , comteflede Tourville,
veuve de Jean- Baptiste César de Conftentin , com
224 MERCURE DE FRANCE.
te de Tourville , neveu du maréchal de ce nom ,
eſtmorte en ſon château de Saint-Germain- le Vicomte
, diocèſe de Coutantes , le 22 Janvier dernier
, dans la quatre - vingt- onzième année de ſon
âge.
Pierre Beillan , journalier , eſt mort dernièrement
, dans la paroiſle de St Aigue , à une lieue
de Toulouſe , âgé de cent cinq ans & ſept mois.
Arnaud- Jerôme Bignon , commandeur, prévôr,
maître des cérémonies des Ordres du Roi , conſeiller
d'état ordinaire , bibliothécaire de Sa Majeſté
, l'un des Quarante de l'Académie Françoiſe
&honoraire de celle des inſcriptions & belles-lettres
, & prévôt des marchands de la ville de Paris,
yeſt mort ,le 8 Mars , âgé de ſoixante & un ans.
Anne Floris eſt morte , le premier Mars , à
Hoorn , âgée de cent & un an& près de ſept mois.
Il eſt plus rare dans ce pays que dans tout autre ,
de voir des perſonnes prolonger leur carrière audelà
de cent ans. On a obſervé que les étrangers,
tels que les François refugiés , vivent plus longtems
, en Hollande , que les Hollandois , & que
ceux- ci vivent moins long- tems dans les Colonies
que les naturels. On voit dans les relations
des côtes méridionales d'Afrique : des hommes
âgés de cent dix & cent vingt ans; mais ces exemples
ne ſe trouvent que pami ceux qui conſervent
les moeurs & la manière de vivre du pays .
Le Sieur Févret de Fontette , aſſocié libre de
l'Académie royale des inſcriptions & belles - lettres
, eſt mort à Dijon , le 16 du mois dernier.
Anne- Barbe de Courcelles , veuve d'Arnauld ,
baron de Ville , de l'Empire & des Deux - Modaves
, eſt morte le 10 Mars , en ſon château de la
Broſle , en Brie , âgée de quatre- vingt-huit ans.
AVRIL .
225 1772 .
Marie de la Fare , veuve de Jean - François Marquis
de la Fare , lieutenant-général de la province
de Languedoc , & foeur de feu Philippe-Charles
de la Fare , maréchal de France , eſt morte à
Paris le 7 Février , âgée de quatre - vingt - trois
ans.
Frère Jean du Merle de Blancbuiſſon , chevalier
de l'Ordre de St Jean de Jérusalem , commandeur
de Maupas & Soiſſons , eſt mort à Verſailles , le
15 Mars , dans la quatre-vingtième année de ton
âge.
LOTERIES.
Le cent trentième quatrième tirage de la Loterie
de l'hôtel - de ville s'est fait , le 24 Février ,
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 35184. Celui de vingt
mille livres au No. 20314 , & les deux de dix mille
aux numéros 28944 & 31632 .
Letiragede la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait les de Mars. Les numéros ſortis de la
rouede fortune font , 77 , 54 , 40 , 72 , 23. Le prochain
tirage ſe fera le 6 Avril.
FAUTES à corriger dans le Mercure de Février,
dernier , à l'article de la Maiſon d'Arces .
PAAGGEE 210 , ligne 6 , ſur l'amiſſion , lifez lur
l'admiſſion .
Idem, lig. 14 , colonel , li.s conſeiller.
1
226 MERCURE DE FRANCE:
Pag. 212, lig. 21 , c'eſt une illuſtration , lif. c'eſt
cette illuſtration .
François . Joſeph d'Arcis , jeune virtuoſe dontnous
avons annoncé les talens , & le génie précoce
pour la compofition de la muſique , élève du
célèbre M. Gretry , n'a que douze ans & quelques
mois ; & c'eſt par erreur que nous avons dit qu'il
avoit 14 à 15 ans.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& en profe ,page
5
LeGoupil ,fable de M. Piron , ibid.
Le Cochon de lait & le Charlatan , par le
même , 7
Le Charlatan & le Villageois , 10
Hiſtoire de Zemzi , 13
Le danger des proverbes nationaux , conte
en vers , 35
Quatrain pour mettre au bas du portrait de
Mde la Marquiſe d'Antremont , 37
L'Amateur , épigramme , 38
Eglé & leMoineau , fable , ibid.
Toulon,
Envoi ,
Anecdote ,
AM. le Vicomte de Bar , garde - marine à
Epître à Mademoiselle R *** ,
Conte en vers ,
Epigramme ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
39
41
ibid.
47
SI
52
53
ENIGMES ,
ibid.
AVRIL. 1772. 227
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Traité de la circulation &du crédit ,
Médecine primitive ,
Obſervations critiques ſur le traité de la cé-
55
58
ibid.
62
tique , civile & littéraire de Bourgogne ,
Hiſtoire nouvelle & impartiale d'Angleterre , 70
Manuel de morale ,
Théâtre lyrique ,
Annales de la ville de Toulouſe ,
Les Odes pythiques de Pindare ,
Diflertation ſur l'origine de la ville de Dijon
, &c.
Le Diable amoureux , nouvelle eſpagnole ,
De la Poësie lyrique, par M. de la Harpe ,
Lettre de M. de la Harpe à M. L. ,
SPECTACLES ,
Opéra. Obfervations ſur la muſique à l'occafion
de Caſtor ,
lébration des SS. Myſtères , 64
L'Elève de la nature , 65
Abrégé chrono'ogique de l'hiſtoire eccléſial-
67
74
75
78
86
87
96
ΙΘΙ
150
159
ibid.
Comédie françoiſe , 180
Comédie italienne , 187
ARTS , Gravure , 191
Muſique , 197
Cours de Mathématiques , 198
Aſtronomic , 199
Géographie, 200
Gymnaſtique , 201
Lettre de M. de St George à M. Teillagory
, & c. 202
Lettre de M. de Voltaire à un de ſes Confières
de l'Académie , 203
Le Roſſignol & le Geay , fable , 204
228 MERCURE DE FRANCE.
Anecdotes ,
AVIS ,
Magaſin général des plantes des montagnes
de la Suiſſe , des Volges , &c.
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préſentations ,
Mariages ,
Naiſſance ,
Morts ,
Loteries ,
207
209
209
212
220
221
222
ibid.
ibid.
213
APPROBATION.
J'AAII lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
premier vol. du Mercure du mois d'Avril 1772 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
AParis , le 29 Mars 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
AVRIL , 1972. 840.6
SECOND VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
M558
1772
april
0:2
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
Nouveautés chez le même Libraire,
LES Odes pythiques de Pindare , traduites
par M. Chabanon , avec le texte grec,
in- 8° broche ,
12 .
s liv.
Le Philofopheférieux , hist. comique , br. 1 1. 4. f.
DuLuxe , broché ,
Traité fur l'Equitation & Traité de la
cavalerie de Xenophon , traduit par M.
du Paty de Clam , in- 8º broch . 1 1. 10 1:
Le Droit commun de la France & la coutume
de Paris réduits en principes , &c. nouv.
édition par Bourjon , 2 vol . in-fol. br. 48 1 ,
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c . in - fol. avec planches ,
rel . en carton , 241.
Mémoires ſur les objets les plus importans de
l'Architecture , in-4°. avec figures, rel. en
carton , 121.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol. in - 8 ° . gr. format rel .
Les Caracteres modernes , 2 vol . br.
201.
31.
Maximes de guerre du C. de Kevenhuller , 11. 101.
GRAVURES.
Sept Estampes de St Gregoire , d'après Vanloo,
241.
Deux grands Paysages , d'après Diétric , 121 .
Le Roi de la Féve , d'après Jordans ,
Le Jugement de Paris , d'après le Trevi-
✓ſain ,
Deuxgrands Paysages , d'après M. Vernet,
Vénus & l'Amour , d'après M. Pierre ,
Angelique & Médor , d'après Blanchart ,
Hommage à l'Amour , d'après Vanloo
St Jean , d'après le Guide,
41.
11.16 f.
121.
31.
1.
41.
34.
On trouve auſſi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in- 12 , 14 vol.
par an à Paris.
Franc de port en Province ,
16 liv.
20 1.4f.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
des nouveautés des Sciences , des Arts , &c .
L'abonnement , ſoit à Paris , ſoit pour la Province
, port franc par la poſte , eſt de 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Di
nouart ; de 14 vol. par an , à Paris , 9 liv . 16f.
EnProvince , port franc par la poſte , 14liv.
GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; il en
paroît deux feuilles par ſemaine , port franc
par la poſte ; aux DEUX- PONTS ; ou à PARIS ,
chez Lacombe , libraire , & aux BUREAUX DE
CORRESPONDANCE. Prix , 18 liv.
GAZETTE POLITIQUE des DEUX- PONTS , dont il
paroît deux feuilles par ſemaine ; on ſouſcrit
àPARIS , au bureau général des gazettes étrangeres
, rue de la Jullienne.
EPHÉMÉRIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque rai-
36 liv.
fonnée desSciences morales & politiques.in- 12.
12 vol . par an port franc , à Paris , 18 liv.
En Province , 24liv.
LE SPECTATEUR FRANÇOIS , Is cahiers par an ,
àParis , و liv.
EnProvince , 12liv.
A ij
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les efxampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouwrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux qui n'ont pas ſouſcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance leprix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire, à Paris , rue Chriftine.
MERCURE
DE FRANCE .
AVRIL , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE,
LA VENGEANCE DE L'AMOUR
ou Daphné métamorphofée en laurier.
Ov. Met. l. 1 , fig. 9 .
* Du jeune dieu des vers, de la lyre & du jour,
Daphné , pour ſon malheur,fut le premier amour.
* Ces vers ſont de M. de St Ange , dont le
goût & les talens pour la poëſie ſont déjà ſi avan
tageuſement connus par les traductions de Ver-
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Non que du ſort jaloux l'aſcendant invincible
Eût décidé le choix d'Apollon trop ſenſible.
Cupidon irrité ſe fit un jeu cruel
D'embraſer de ſes feux le coeur de l'immortel.
Fier d'avoir triomphe d'un monstrueux reptile,
Apollon vit l'Amour , qui , d'un arc indocile
Tâchoit , en le courbant , de tendre le reſſort.
Foible enfant , lui dit-il , à quoi bon cet effort ?
Pourquoi ces traits cruels dans tes mains innecentes?
Va, croi-moi , jette- là ces armes trop peſantos .
Ce ſuperbe carquois , parure des combats ,
Siedmieux à mon épaule & cet arc à mon bras.
Ce dragon menaçant qui ſur un long eſpace
Traînoit les longs replis de ſa rampante mafle ,
Pithon , l'affreux Pithon , de mille traits percé,
Sous mes puiflantes mains vient d'être terraflé.
Content de ton flambeau , dans le coeur d'une
belle ,
Deje ne fai quels feux fais jaillir l'étincelle ,
Fais pleurer des amans enchaînés ſous tes loix ,
Pleure toi- même auſſi , ce ſont- là tes exploits .
tumne & Pomone , de Biblis & Caunus , des quatre
Ages de l'Homme comparés aux quatre Saifons
, inférées dans pluſieurs Mercures précédens.
AVRIL.
1772 . 7
Mais aux droits d'Apollon garde-toi de prétendre.
De tes traits , dit l'Amour , on ne peut ſe défendre
,
Mais défends- toi des miens , ou fais au moins
l'aveu
Qu'autant que le reptile eſt au - deſſous d'un
Dieu ,
Autant d'un foible enfant le triomphe & la
gloire
Surpaſſent d'Apollon la plus belle victoire :
Il dit , & l'arc en main , brûlant de ſe venger
Il part & dans les airs gliſſe d'un vol léger ;
Des cieux , en un moment , il traverſe l'eſpace
Et va ſe repoſer au ſommet du Parnaffe.
Là ſans être apperçu , ſous un ombrage épais ,
Dans un double carquois ſa main choiſit deux
traits.
L'un armé d'un plomb vil qui mollit & s'émouſſe,
Loin d'inſpirer l'amour , l'écarte , le repouſſe.
Aiguiſé ſur la pierre&dans le ſang trempé ,
L'autre ouvre au fol amour le coeur qu'il a frappé.
La nymphe du premier ſentit bleſſer ſon ame ;
L'autre perce le Dieu , le pénètre , l'enflamme.
C'en est fait : malheureux ! il aime ſans retour ,
Il aime ... & Daphne tremble au ſeul nom de
l'amour.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Les jeux ſanglans des bois, les dépouilles des
bêtes ,
Son ſes plus doux plaiſirs , ſes plus chères conquêtes.
Compagne de Diane un noeud ſimple & fans art
Raflemble les cheveux ondoyans au hafard.
Envain de mille amans elle reçut l'hommage ;
L'hommage des amans eſt pour elle un ourrage.
Errante , folitaire , & parcourant les bois ,
Elle veut ignorer & l'hymen & ſes loix.
Son père mille fois la preſſade ſe rendre :
Ma fille , diſoit- il , vous me devez un gendre ,
Ma fille , diſoit il , je vous dois un époux.
Comme un horrible affront craignant un nom
doux
La nymphe rougiſſoit. Une pudeur touchante
Animoit de fon teint la fraîcheur innocente ;
Et tenant ſur ſon ſein le vieillard incliné ,
Mon père, diſoit- elle , accordez à Daphné
D'échapper à des noeuds que ſa pudeur condamne.
Jupiter , autrefois , l'a permis à Diane .
Penée , en ce moment , tendrement careſlé,
Appuyé ſur ſa fille , entre ſes bras preflé,
Céde& voudroit en vain condamner ſa prière.
Mais que te ſert , Daphné , d'avoir fléchi ton
père ?
Ta beauté contredit tes deſirs vertueux
AVRIL. 1772 .
Ou deviens moins aimable , ou renonce à tes
veux.
Apollon voit la nymphe , il ſetrouble , il foupire,
Son carquois l'importune , il n'aime plus ſa lyre.
Comme on voit s'allumer les ſtériles débris
D'un chaume pétillant , reſte des blonds épis ;
Ou comme en un inſtant on voit la lamme aride
Atteindre , dévorer une bruyère aride ,
Lorſque le voyageur au point du jour naiſlant
En approche trop près ſon flambeau pâliflant;
Ainfid'un feu ſecret il brûle , & l'eſpérance
A l'aſpect de Daphné l'enivre par avance.
Il voit négligemment flotter ſes longs cheveux ...
O fi la main de l'art en eût treflé les noeuds !
Il voit ſon teint de lys , ſa bouche demi-cloſe ,
Telle que dans nos champs s'ouvre à peine une
rofe ;
Il la voit , mais hélas ! ne peut-il que la voir ?
Il admire ſes traits , fon oeil piquant & noir ,
L'albâtre de ſon cou , ſa gorge démi-nue ;
Par- tout avidement il promène ſa vue ,
Et de tout ce qu'il voit les ſéduiſans appas
Embelliſſent encor tout ce qu'il ne voit pas.
Plus prompte que le vent Daphné vole & l'évite ;
C'eſt envain que le dieu veut rallentir ſa fuite.
Où vas- tu , belle nymphe , arrête , ne crois pas
V
10 MERCURE DE FRANCE.
Qu'un perfide ennemi pourſuive ici tes pas.
Arrête. Si l'on voit d'une aîle fugitive
Echapper au vautour la colombe craintive ;
Si l'agneau fuit le loup , ſi le chevreuil léger
Se dérobe au lion , ils craignent le danger ;
Ce font leurs ennemis . Mais au moins confidère
Que celui que tu fuis n'aſpire qu'à te plaire .
Les ſentiers où tu cours , hélas !ſont peu frayés ,
Les buiſſons épineux peuvent bleſſer tes piés.
J'aurois cauſé tes maux ! ah ! retarde ta fuite.
Faisgrace à mon effroi , je te ſuivrai moins vite ,
Mais retourne les yeux & connois ton amant.
Ce n'eſt point de ces monts un ſauvage habitant.
Ce n'eſt point un berger errant dans cette plaine ,
Un pâtre plus hideux que les chèvres qu'il mène.
Tu ne ſais qui tu fuis & qui court ſur tes pas.
Si tu le connoiſlois , tu ne me fuirois pas .
Le Souverain du Ciel m'a donné la naiſſance .
Mille peuples fameux revèrent ma puiſſance.
Claros & Tenedos & Patare & les rois ,
Encenfent mes autels , reconnoiſſent mes loix.
Je ſuis le dieu des vers : le Pinde eſt mon empire.
Sousma ſavante main je fais parler la lyre.
Je prédis l'avenir , je connois le paflé .
Nul aux combars de l'arc ne m'avoit ſurpaflé.
Il eſt pourtant , il eſt une fléche plus fûre
Dont mon coeur libre encore a ſenti la bleffure.
Je connois les vertus des puiſſans végétaux ;
Heureux de pofléder l'art de guérir les maux ,
AVRIL. 1772. 11
Malheureux que l'amour ſoit un mal incurable ,
Quemon art , pour moi ſeul , ſoit en vain ſécourable
!
Tandis qu'il parle encor , la nymphe à pas preffés
,
Echappe à ſes diſcours à demi- commencés ;
Et de ſes derniers mots à peine au loin frappée
N'entend que foiblement ſa voix entrecoupée,
Avecplus de vîteſle elle eut plus de beauté :
Sa grace s'embellitde ſon agilité.
Les folâtres zéphirs d'une aîle careflante
Soulevent les replis de ſa robe flottante ,
Et de ſon jeune ſein découvrant les tréſors
Du dieu qui la pourſuit irritent les tranſports.
Apollon , las de perdre une plainte frivole,
Précipite ſes pas & court moins qu'il ne vole.
Tel qu'on voit l'animal compagnon des bergers ,
Pourſuivre avec ardeur un liévre aux piés legers ;
Il s'élance ſur lui , le preſſe , le menace ,
Et prêt à le ſaiſir ſemble mordre ſa trace.
Le liévre fugitif déjà pris - à- demi
Trompe , en ſe détournant , la dent de l'ennemi.
Tels font les deux amans. L'un pourſuit , l'autre
évite ,
L'eſpoir le rend léger , la peurla précipite ,
Mais le dieuſans relâche attaché ſur ſes pas
Enivré de defir , étend déjà les bras ;
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Etle ſouffle incertain de ſon haleine humide
Agite les cheveux de la nymphe timide .
Daphné tremble , pâlit ; ſes pas font rallentis.
La frayeur qui la preſſe a glacé les eſprits .
Sa force l'abandonne. Interdite , éperdue ,
Vers les eaux du Penée elle tourne la vue ;
Si les fleuves ſont dieux , s'ils en ont le pouvoir
Viens , ômon père , accours & vois mon déſefpoir
;
و
Sauve- moi des tranſports d'un amant téméraire..
Terre engloutis-moi ; la mort me ſera chère.
Ou bien , en les changeant punis ces vains at
traits ,
Ces attraits dangereux qu'on aime &que je hais.
Oprodige! à ces mots ſes membres s'engour-.
diffent ,
Ses cheveux ſur ſa tête en feuillages verdiffent .
Ses bras tendus au ciel s'allongent en rameaux ;
Ses piés enracinés reſtent dans le repos .
S'élevant par dégrés une écorce naiſſante
Embraſſe les contours de ſa taille élégante.
Ses traits font effacés . Elle eſt une arbre enfina
Apollon l'aime encore , il l'embrafle & fa main
Sent palpiter un coeur ſous l'écorce qu'il prefle ,
Etquandil perd l'eſpoir , conſervant ſa tendreſſe
A ce bois qui lui refte il imprime un baifer ;
L'arbre rebelle encor ſemble s'y refuſer.
AVRIL. 1772 . 13
Eh ! bien puiſque du ſort la volonté jalouſe ,
Dir- il , ne permet pas que tu fois mon épouſe ,
Sois mon arbre du moins. Que ton feuillage heureux
Décore mon carquois , couronne mes cheveux.
Dans ces jours folemnels de triomphe & de fêtes
Où Rome étalera ſes nombreuſes conquêtes ,
Tu ſeras des vainqueurs l'ornement & le priz.
Tes rameaux refpectés des foudres ennemis
Du palais des Céfars protégèront l'entrée.
Et comme de mon front la jeunefle honorée
Ne ſentira jamais les outrages du tems ,
Que ta feuille conſerve un éternel printeins :
Il dit , & le Laurier par un nouveau prodige ,
Comme pour l'approuver , ſemble incliner ſa
tige.
, une
DORANTE , Histoire morale.
DORANTE avoit un coeur droit
ame ſenſible ; mais il perdit ſes parens
dès fon enfance , & il fut confié à des précepteurs
mercénaires aux yeux de qui l'or
étoit tout & l'élève rien. Dirai - je qu'ils
avoient peu de connoiſſances , cela eſt
fuperflu; n'en attendez point où manquent
les fentimens .
Dorante mépriſa ſes maures , conçut
14 MERCURE DE FRANCE.
par conféquent de lui une opinion fort
avantageuſe , & devint abſolu dans ſes
volontés.
Ce caractère étoit dégénéré en habitude
, quand il atteignit cet âge où l'on entre
dans le monde & où l'on choiſit un
état.
Décoré d'un emploi militaire , auffitôt
qu'il parut le deſirer , Dorante fut
préſenté à Lucinde , chez qui ſe raffembloient
ceux qui vouloient étudier le
goût du jour , ſaiſir la fantaiſie du moment
& brillet dans l'art de plaire.
Au lieu de ſe ſoumettre au ton général
, Dorante ne vouloit ſe livrer à un
uſage que lorſqu'il avoit foutenu l'épreuve
d'un mois; ce qui étoir un moyen affez
fûr de ne s'y livrer jamais .
Ne pas céder au torrent de la mode ,
en faire la fatyre , ce n'est qu'une ſingularité
, qu'une folie ; on en rit , mais cela
ſe pardonne.
Ce qu'on ne lui pardonnoit pas , c'eſt
ſa conſtance dans ſes avis , c'eſt la manière
obſtinée dont il les défendoit contre
ſes ſupérieurs , contre ceux qui avoient
acquis de l'aſcendant dans la ſociété.
Cette obſtination marche ſouventavec
la vérité , mais elle n'en eſt pas la preuve ;
1
AVRIL.
1772 . 15
l'erreur a eu ſes martyrs : Dorante ne revenoit
jamais de l'opinion qu'il avoit
embraflée ; en pareil cas on commence
par être de bonne foi , on finit par être
détrompé ; mais l'amour-propre empêche
de l'avouer.
Ceux qui avoient raiſon dans leurs
diſputes avec Dorante ſe contentoient de
badiner de ſes travers ; car la ſupériorité
eſt indulgente : ceux qui ſe trompoient ,
&devant qui ils déchiroient le voile de
l'erreur , n'étoient pas ſi faciles , & les
démêlés renaiſſoient à chaque pas .
Par exemple , il rompit avec Médor ,
un de ſes amis , uniquement parce qu'il
ne ſentoit pas aſſez vivement le mérite
d'un acteur fublime : Dorante s'échauffa,
&ils mirent les armes à la main : le com .
bat ne fut pas bien ſanglant , ils en furent
quittes l'un & l'autre pour de légères
bleffures ; mais enfin il pouvoit l'être .
Quoiqu'ils euſſent cherché à enſevelir
leur combat dans le filence , on fait que
de pareils myſtères ne le font pas pour les
amis ; ces nouvelles ne ſe répandent qu'à
demi mot , & pourtant perſonne ne les
ignore.
Or rejettoit unanimement le tort fur
Dorante . Lucinde en fut affectée : il ſe
16 MERCURE DE FRANCE.
roit fâcheux , dit- elle , qu'un homme
d'honneur , qu'un homme que j'ai reçu ,
ſe perdît à l'entrée de ſa carrière : venez,
aimable Cloé , je vous prépare un triomphe
; c'eſt à l'amour à le corriger , eſt - il
de plus grand maître ?
Cette demande s'accordoit avec ſes
defirs , & Lucinde n'eût pû faire un meilleur
choix : Cloé favoit embellir la raifon
fans lui ôter de ſes droits ; on la repréſente
ordinairement environnée d'épines
; on en fait la route difficile ; c'eſt la
faute des conducteurs .
C'eſt par ce charme ſecret que Cloé
s'étoit acquis du crédit ſur Dorante ; fubjugué
par ſes graces , il croyoit ne céder
qu'à ſes raiſonnemens .
Ferai - je le portrait de Cloé , on ſe
défie de ceux que trace l'hiſtoire; ainſi je
me contenterai de dire que ſa beauté faifoit
l'entretien ordinaire des hommes ;
que ſes bonnes amies ne lui trouvoient
qu'un défaut , &qu'une rivale n'en compta
que deux. Ses yeux , dit- elle , peignent
la tendreſſe lorſqu'ils doivent ex .
primer l'indifférence ,&les couleurs dont
s'anime fon teint reſſemblent un peu
trop à celles de l'art à force d'être bril-
Jantes.
AVRIL. 1772 . 17
-
Cloé vit bientôt Dorante ; il ſe hâtoit
d'effacer par ſa préſence les bruits du combat
: comment , s'écria - t-elle , déjà ici ;
votre ſanté vous eſt bien indifférente .
Ma ſanté , je ne vous entends pas.-Dorante
, point de petites ruſes , la franchiſe
eſt votre vertu , gardez votre franchiſe ;
ce qui vous importe , c'eſt qu'elle ne devienne
pas obſtination . -Eh ! bien , je
l'avoue , je me ſuis battu , j'ai été très-légèrement
bléſſé; me blâmerez vous d'avoir
montré du courage ? il eſt le partage
des guerriers. -Sans doute , mais la politeſſe
eſt auſſi de leur partage ; au fond
de quoi s'agiſſoit- il entre vous&Médor;
vous admirez l'ame , le feu , la fenfibilité
de l'acteur Mélonas , & je ne vous en
eſtime que davantage de penſer ainfi.
Médor,moins heureuſement organifé que
vous , l'admire ſans enthouſiaſme : en
confcience étoit- ce la peinede s'emporter ?
Dorante , votre trouble , votre filence
m'annoncent du repentir. -Madame , ils
n'annoncent que de l'étonnement ; je
n'euſſe pas imaginé que la valeur fût un
crime à vos yeux . -Je vous l'ai déjà dit ,
je ne hais point la valeur , je n'en hais
que l'abus : le ſang ne doit jamais couler
pour une diſpute de goût ; réparez votre
18 MERCURE DE FRANCE .
faute , vous le pouvez fans compromettre
votre réputation ; avouez à Médor que
vous l'avez infulté fans raiſon , ſans titres
. -Que me propoſez vous ? Non ,
Madame , je ne me dégraderai point; un
aveu comme celui-là n'attireroit que des
infultes: j'eus tort peut- être. Ah ! Madame
, quel mot venez vous de m'arracher!
certe eſpèce de confeſſion , fut tout ce
qu'en pût tirer Cloé , & encore il s'affligeoit
de l'avoir faite .
Qu'on eſt injuſte ! on ſe déchaîne comtre
ceux qui ne flattent pas nos préjugés ,
&Cloé déplaiſoit à Dorante par ce trait
qui eût dû augmenter fon amour : on critique
ma conduite , dit- il , c'eſt qu'elle
eſt eſtimable ; car on ne fait qu'à ce qui
eſt bien l'honneur de le critiquer. Eh !
bien, fuyons cescenſeursridicules, fuyons
Cloé , elle eft , comme tant d'autres , emportée
par le tourbillon du monde , prête
àcéder à ceux qui font accrédités ; car
elle a trop de ſens pour penſer différemment
de moi : je ne vois plus en elle que
l'adulatrice de mes ennemis .
Renoncer aux connoiſſances qu'on a
déjà , c'eſt s'impoſer la néceſſité d'en faire
d'autres ; Dorante en trouva . Un caractère
comme le ſien & beaucoup de richef
AVRIL. 1772. 19
ſes offroient une belle perſpective à ces
hommesqui ſe propoſent de fortir de leur
mifére par leur induſtrie , & qui fuppléent
au travail par des baſſeſſes & par
l'intrigue.
Entre ceux qui l'entourerent , nul ne
fut plus intriguant que Damis : occupé
fans ceſſe à démêler les foibles de l'humanité
, attentif ſur les traits , fur la démarche
, ſur les diſcours , fur les regards ,
il n'employoit ſes connoiſſances qu'à fes
intérêts.
Les caracteres abſolus font avides de
louange,& c'eſt l'arme que mania Damis;
loin de faire contraſter ſes opinions avec
celles de Dorante , il en exaltoit la profondeur,
il les reſpectoit; comme un com.
mentateur reſpecte celles d'un auteur d'Athênes
ou de Rome.
Au premier accès de flatterie , Dorante
fut revolté ; mais où ſont les hommes
qui réſiſtent au ſecond ? Le coeur eſt ſon
propre complice , & ſi l'on aſpire à la
conſidération du Public, l'on eſt à moitié
féduir.
Diſputer avec ménagement le terrein ,
prévenir les goûts , ou s'y accommoder ,
c'étoit le manége de Damis ; il faut , ditil
à Dorante , que je vous faſſe lier con20
MERCURE DE FRANCE .
noiſſance avec une jeune provinciale que
ſes parens ont confiée à mes ſoins ; elle eſt
aſſez jolie ; vous la formerez , vous l'inftruirez.
Dorante, prévenu favorablementdu caractère
de Clorinde,ne vitque des naïvetés
oùd'autres auroient apperçu de la fineffe,&
fut enchanté de ſa figure que Damis avoit
foiblement efquiffee. Ce n'eſt pas qu'elle
eût les attraits de Cloé ; mais il entre
beaucoup d'amour- propre dans les jugemens
que nous portons ſur la beauté. Souvent
on décrie en ſecret la beauté que
d'autres applaudiſſent avec chaleur , &
l'on céde à celle qu'on ne vanta jamais.
Sans ce combat de l'amour propre contre
le goût général , deux ou trois perſonnes
enleveroient tous les fuffrages , & la plûpartdes
femmes n'auroient pointde cour.
Quoiqu'ilen ſoit , le coeur de Dorante
héſita entre ces deux belles ; mais quand
il ſe vit applaudi de Clorinde , quand il
compara les fons gracieux de l'eloge aux
bruits du reproche , il ne fut plus queſtion
de parallèle ; une ſirène obtint la pomme
qu'il refufoit à la ſageſſe.
Clorinde le pénétra facilement &étendit
ſes vues ; auparavant elle ſe bornoit à
mettre à contribution la bourſe , à acqué
AVRIL . 1772 .
21
rir des meubles & des bijoux , de concert
avec Damis ; mais en conſidérant l'impreſſion
qu'elle a faite , c'eſt au titre d'épouſe
qu'elle prétend : oui , dit elle àDamis
, il ſera mon mari , n'en ris pas. J'ai
des scrupules , je veux finir en femme
d'honneur ; ma fantaiſie eſt d'eſſayer de
tous les rôles : au reſte , ma probiré t'eſt
connue , je te dois les premières leçons
de l'amour , & je ferai fidèle à mon maître
.
Clorinde avoit à lutter contre deux
difficultés : fon indigence & cet obſtacle
eſt fort dans notre ſiécle; mais qu'étoitce,
comparé aux bruits ſemés ſur ſa réputation
? Elle ne s'étoit pas toujours piquée
de myſtère , & puiſqu'un ſoupçon d'infidélité
arrête un mariage, comment remplir
ſon projet lorſque cent voix dépoſent
contr'elle ? Comment étouffer les cris de
la renommée ? D'abord Clorinde épaiſſit
le nuage qui déroboit Dorante au public ;
elle répandit au tour de lui , par des propos
artificieux , la défiance fur ſes pareils,
& elle perfuada à un homme déjà aigri
que cemonde étoit couvert de coupables :
plus indulgente ou plus vraie , elle eût
ajouté que les crimes font rarement l'ouvrage
du coeur , preſque toujours l'ouvra22
MERCURE DE FRANCE.
ge de la foibleſſe , des préjugés , de l'erreur
, de l'ignorance ; mais il eſt de l'intérêt
du méchant de dégrader l'humanité
&de la faire à fon image .
Après avoir déprécié ceux qui n'étoient
pas les amis de la maiſon , le grand ſecret
de Clorinde fut d'inſpirer à ſon amant
de la conſidération par des dehors ſages
&modeſtes & de nourrir l'amour par de
petits facrifices. D'un côté elle choififfoit
des ſituations où il eſt permis de tout rifquer
, ſans trop de témérité ; de l'autre ,
elle tempéroit par des diſcours l'ardeur
qu'elle ſavoit exciter ; elle le reduiſoit à
ſe contenter des plus petites graces , en
lui faiſant entrevoir qu'il en obtiendroit
de plus grandes , ainſi elle provoquoit ſes
déſirs & elle l'enchaînoit par l'eſpérance :
de tout cela il réſultoit un mélange piquant
qui entretenoit l'amour en confervant
l'eftime.
Dorante étoit bien prêt à conclure par
le dénoument du mariage , & fans doute
il n'eût pas héſité à terminer , ſans l'excès
des précautionsde Clorinde ; mais elle lui
avoit peint l'humanité ſous des traits i
difformes qu'il craignoit de lui fournir de
nouvelles victimes &de créer des dupes
ou des méchans.
AVRIL. 1772 . 23
Cependant , afin d'accélérer la conclufion
, Clorinde change de batterie ; elle
devient fcrupuleuſe ; elle ne reçoit plus
Dorante qu'en gémiſlant de la force d'un
amour qui l'attache àſes pas; elle ſe pare
de l'extérieur de la dévotion , & après
l'avoir ainſi préparé , elle lui déclare que
ſa vertu , fon honneur , ſa confcience &
les conſeils des ſaintes ames l'obligent à
ſe refugier dans un de ces aſyles de l'innocence
, où l'on conſacre aux prières un
tems que d'autres conſacrent aux plaifirs.
Dorante parle , prie , conjure , prononce
cent fois des fermens de tendrefle , &
finit par lui promettre de la mener à l'autel.
Si Clorinde y eût volé , ſi elle eût follicité
une diſpenſe des bans qu'on n'eût
pas.refufé , rien ne manquoit à fon triomphe
; mais elle employa à repréſenter un
tems qu'il faut employer à agir , & elle
laiſſa échapper ſa fortune en la contemplant.
Cette nouvelle ne tarde pas à ſe répandre
; les anciens amis de Dorante , affectés
d'un exemple qui peut être contagieux
, s'empreſſent à le diſſuader.
Ce n'étoit pas l'heure d'entendre la vé
24
MERCURE DE FRANCE.
rité ; toujours épris de ſes idées , il lui ferme
l'oreille ; il s'aproche du précipice ;
ſes pieds ſont ſuſpendus ſur le bord de
l'abyme.
Encoreune ſemaine &jouet du Public,
mais ne s'en eſtimant que davantage ,
Dorante étoit marié ; heureuſement pour
lui Clorinde qui touchoit au terme de ſes
travaux & qui tenoit la palme dans ſes
mains s'ennuie d'une diſſimulation qui
lui paroît inutile & qui eſt toujours gênante.
Dorante ſe voit, comme le reſte
du public , l'objet de ſa critique ; elle le
traite , non pas en amant , mais en mari .
Quoi ! ne pas ſe gêner pendant huit
jours , le fait eſt incroyable ! ceux qui parleront
ainſi oublient que la victoire
éblouit , & que rien n'eſt plus proche de
la décadence que le ſommet de la grandeur
, & quand ils auroient raiſon , puisje
ſacrifier à des embéliſſemens la vérité
de l'hiſtoire?
Cette métamorphoſe dans l'humeur
de Clorinde fit tomber le bandeau des
yeux de Dorante. Il compare ce qu'il voit
à ce qu'il a vu , à ce qu'il a entendu. Reveillé
à peine d'un long fommeil , forti
du preſtige , il court chez ſes amis ; il
reconnoît une fois en ſa vie la néceſſité
des
AVRIL.
1772 . 25
des conſeils. La vérité , trop long - tems
étouffée , fort de toutes parts , & on inftruit
ce malheureux amant de mille hiftoires
ſcandaleuſes .
Je ne tenterai pas de rendre ſes regrets.
Ceux qui ont paffé par ces circonſtances
douloureuſes ſe les repréſententaſſez ,
&onn'en inſtruit pas les autres . Cloé furtout
ſe retraçoit à ſon imagination ; il
craignoit de l'avoir trop offenſée, par fon
inconſtance , pour en obtenir ſa grace.
Flottant encore entre l'amour qui l'attiroit
& la honte qui l'éloignoit , il apprend
qu'elle a diſparu avec un homme ; & com.
ment racontoit on cette abſence ? Les
témoins de cette aventure n'aimoient pas
Cloé qui les obfcurciſſoit , ils l'avoient
vue ſeule dans un lieu écarté ; enſuite ils
avoient vu un homme qui l'aborde &
l'emmène : tout cela étoit vrai ; mais ce
qu'il eût fallu ajouter , c'eſt que Cloé s'étoit
jettée aux genoux de fon raviſſeur ,
c'eſt qu'elle avoit verſé un torrent de larmes
; mais l'oeil de la jalouſie n'eſt perçant
que pour ce qui plaît à la paffion .
Quand cette hiſtoire fut publique ,
quelques perſonnes juſtifièrent Cloé ;
d'autres dirent que cet écart ne les furprenoit
pas , qu'il tenoit à ſon caractère :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
de plus hardis aſſurèrent qu'ils l'avoient
prédit. Dorante ſeul réſolut d'approfondir
cet événement & d'arracher Cloé à
ſes fers ; car fa vertu ne lui fut pas un
ſeul inſtant fufpecte. Mais où aller ? En
multipliant les perquiſitions il découvre
qu'il eſt parti de Dieppe pour l'ifle de
Jerſey , un vaiſſeau qui porte une femme
jeune , très -belle , qu'on ne laiſſe pas approcher
& qui eſt en proie à la triſteſſe.
Sur cette lueur il part ; les facrifices ne
ſont pas pénibles à celui qui veut recouvrer
l'honneur , délivrer ſon amante &
mèriter ſon amour ; il arrive . Dieux !
quelle image ! c'étoit Médor qui conduiſoitCloé
au temple : daignez , diſoit Médor
, unir deux amans qui viennent ſe
jurer une fidélité conſtante. Le prêtre
l'entend & veut bénir : arrêtez ! arrêtez !
répond Cloé , ne prononcez point un facrilége
, délivrez - moi de ſes mains impies
, délivrez moi. C'eſt à ce moment
que Dorante ſe préſente ; la foudre qui
écraſe un homme au ſein d'une fête , les
eûtmoins étonnés. Cloé , alarmée un inftant
, jette bientôt mille cris de joie ,
Médor ignore où il eſt , ce qu'il fait , ce
qu'il dit ; le trouble préſide à ſes démarches;
il ne balbutie que des mots entre,
>
AVRIL. 1772 . 27
coupés ; il s'égare ; il s'avoue coupable ,
&il fuit avec précipitation un rivage
qu'il deshonore.
Après cela Dorante court embraſſer
Cloé. Les chagrins qu'il lui a donnés s'éclipſent
devant le plus grand des fervices.
Son tort étoit l'inflexibilité ; mais
l'infortune qui change les coeurs, changea
le ſien; l'amour qui les adoucit, le rendic
flexible. Dorante , époux de Cloé , vécut
&mourut heureux .
Par M. Butini.
SUITE de l'Eté ; Chant second du Poëmie
des Saiſons : Imitation libre de
Thompson .
Progrès de la Chaleur.
MAIS le foleil embraſe l'hémisphère ,
Et le Midi s'avance furieux ;
Du ſein des airs un déluge de feux
Semble couvrir & confumer la terre :
En vain la vue implore ſon ſecours ;
La plaine aride eſt par tout deſſéchée ;
Du Moiflonneur la faucille eſt cachée :
L'e travail cefle & les échos ſont ſourds .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Tout est en feu ſur la nature entière ;
On voit de loin les languiſſans ruifleaux ,
Dont l'onde brille à travers la clairière ,
D'un cours rapide y conduire leurs flots .
:
Fière chaleur , ſuſpends , ſuſpends ta rage :
Fuyons ces feux qui coulent en torrens ,
Et qui ſur moi preſſent leurs flots brûlans :
Je cherche en vain la fraîcheur de l'ombrage;
Onuit , en vain j'invoque ton fecours :
Ton char est loin de commencer ſon cours ,
Et la chaleur redouble ſon ravage .
Heureux , heureux , qui peut ſur le penchant
De ces côteaux , où le lière ferpente ,
Braver les feux du ſoleil menaçant ,
Et, couronné d'une forêt riante ,
Goûter à l'ombre unrepos bienfaiſant !
Salut , falut , retraite ſolitaire ,
Pins élevés , & vous , berceaux épais ,
Salut ! ici je viens chercher la paix.
Combien votre ombre à l'ame eſt ſalutaire!
Votre douceur s'empare de mes lens ;
Mon coeur renaît ; mon oeil frais ſe déploic :
Je ſens en moi d'heureux raviſſemens ,
Etje ſavoure une innocentejoie.
Au fonddes bois on conduitles troupeaux ,
Pour les ſouſtraire au chaud qui les accable ,
Et les bergers , prenant leurs chalumeaux ,
AVRIL. 1772 . 29
Forment enſemble un concert agréable.
Le fier taureau , battant ſes flanes poudreux ,
Cherche à calmer dans la ſource prochaine
Dela chaleur l'aſcendant furieux.
Cédant par fois au ſommeil qui l'enchaine ,
Le Roi berger s'endort en sûreté :
Son chien , qui veille avec activité ,
De tout danger ſçait garantir la plaine ;
Mais ſon ſommeil bientôt s'évanouit ,
Si des eſſains de guêpes irritées ,
Se déchaînant ſur ſon troupeau qui fuit ,
Lui font ſentir leurs fureurs indomptées.
De ſon paſteur il mépriſe la voix ,
Et , du Midi bravant l'ardeur brûlante ,
Sans frein , ſans guide il traverſe les bois ,
Franchit les monts , & , réduit aux abdis
Plonge dans l'eau ſa narine écumante.
Mais avançons vers ces bois ſpacieux T
Dont aucun bruit ne trouble le filence :
A chaque pas le jour fuit , l'ombre avance ;
A
1
Tout devient grand , noble & majestueux .
L
C'eſt le ſéjour où les anciens poëtes
20
Venoient puiſer le ſouffle inſpirateur;;
Π
Où , pénétrés de l'eſprit des prophètes ,
Juſqu'au fublime ils élévoient leur coeur.
J'entre en tremblant : une terreur facrée
Saifit mon ame & pénètre mes ſens ;
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
J'erre attentif ; une voix révérée
Du fond des bois m'adreſſe ces accens :
Ceſſe de craindre &dans ces doux aſyles ,
>>V>iens , ô mortel , chercher des jours tranquil-
∞ les
>> Et célébrer les merveilles des cieux :
>> Ce n'est qu'ici que le feu du génie
>> Se communique au chantre aimé des Dieux ;
>> Viens y puiſer la céleste harmonie ,
>Et pour jamais ton nom ſera fameux. >>>
Aces accens , qui frappent mon oreille ,
Je ſens renaître une nouvelle ardeur ;
Et, tranſporté de merveille en merveille ,
De l'Univers je célèbre l'auteur.
1
Sous ces forêts quel attrait enchanteur !
Repoſons- nous à l'ombre de ces hêtres ,
Où la rofée entretient la fraîcheur ,
Et le gazon , jonché de fleurs champêtres ,
Répand au loin une agréable odeur.
Le chèvrefeuil , lejaſmin & la roſe ,
Courbés en dais , tapiflent ces beaux lieux ,
Où , pour cueillir un miel délicieux ,
Detous côtés l'abeille le repoſe.
Par M. Willemain d'Abancourt.
AVRIL. 1772 . 31
VERS à M. D **** , fur le Roman
qu'il vient de publier.
PEINTRE du tendre amour , favori de lamère,
Que tes tableaux ſont enchanteurs !
Avec quel art , avec quelles couleurs
Tu peins les héros de Cythère !
Ton éloge eſt dans tous les coeurs
Où l'amour trouve un ſanctuaire.
Que tes écrits ingénieux
Méritent bien d'obtenir nos fuffrages !
Tant que l'amour fera ſentir ſes feux ,
D**** , on lira tes ouvrages.
Parle même.
VERS à M. de Voltaire , au sujet de
D
la tragédie des Pélopides .
E ton rare & fécond génie
Tu nous produis encore un chef- d'oeuvre nouveau
!
Voltaire , aux traits frappans , dont ta pièce eſt
remplie ,
Qui ne reconnoît ton pinceau ?
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
L'envie en vain murmure ; on la laiſſe , on t'ad
mire ;
Chacun eſt embraſé du feu de tes écrits ,
Et ton âge , loin de leur nuire ,
Ne fait qu'en augmenter le prix.
Parlemême.
LE LION & LE PIVERT ,
fable imitée de l'allemand.
Pour s'emparer du gibier d'un canton
Le Lion s'aflocia l'Ane :
Indigné de le voir deſcendre à ce profane ,
Un Pivert lui cria , dit on :
" Se peut- il bien que l'Ane , animal imbécille,
> Du Roi des animaux marche le compagnon !
>>> Et pourquoi pas , repartit le Lion ;
>>>Je le fouffre avec moi parce qu'il m'eſt utile..
C'eſt aſſez le propos que tiennent tous lesGrands ,
Quand ils ont par hafard beſoin de nos talens .
Par le même.
AVRIL.
33 1772 .
EPITRE A MA VEUVE.
CEST du ſéjour des morts
Veuve:
que j'écris à ma
i
Mercure , comme moi , trouvant la choſe neuve ,
Veutbien porter ma lettre au terreſtre téjour.
Ma Veuve , tu pâlis . Craindrois-tu mon retour ?
Unmort ne revient point quand il laiſſe une femme.
Vas , livre toi ſans crainte au tranſport de ton
ame.
1
Je ſuis bien mort, crois moi , c'eſt moi qui te le
dis.
D'un veuvage agréable on fait que tu jouis.
Mercure me l'apprend : c'eſt l'ami des poëtes .
C'eſt ce dien qui conduit les morts dans leurs retraites.
Comme tu te jouois d'un époux complaiſant!
Madame , ledéfunt , depuis votre veuvage ,
Connoît très - bien quel cas vous faifiez du vi-
:
vant.
Je ne vous blâme point. Profitez du bel âge.
La plus aimable fleur ne vit qu'une ſaiſon.
Elle ſourit d'abord au papillon volage
Et ne dédaigne pas le ſtupide frélon .
Arthemiſe mourut jadis pour ſon Mauſole.
By
MERCURE DE FRANCE .
34
Arthemiſe eut grand tort. Ma Veuve ſe conſole ;
Elle fait mieux. Autant j'en fais avec les morts ,
Et me trouve de plus fortbien de mes conforts.
D'aucun bruit avec eux l'oreille n'eſt bleſlée ;
Les trépaflés n'ont plus ni morgue ni fierté.
Chez eux , & non ailleurs règne la vérité.
Sachez que votre époux habite l'Elylée ;
Ma Veuve , auprès de vous il l'a bien mérité.
Sa femme ſur la terre aſſez l'a tourmenté.
Auſſi ſon ame est- elle ici récompenfée.
Pour compagne le Ciel lui donne une houri,
Qui l'aimera toujours , quoiqu'il foit fon mari.
La plus pure beauté par elle eſt éclipſée;
Brillante d'elle ſeule , aucun fard emprunté
Ne nuità ſes attraits : ſon nom eſt , Liberté.
Sous ces bocages verds , dans ces lieux de délices
,
Oùdes plaiſirs réels j'ai goûté les prémices ,
Je l'entends qui m'appelle ; & regrette l'inftant
Queloin de ſes appas je perds en t'écrivant.
Je vole dans les bras; ſur ſa bouche adorée
D'un torrent deplaiſirs mon ame eſt enivrée .
Pour un bonheur ſans fin , ſans cefle renaiſſant ,
AVRIL.
1772. 35
Mon coeur libre & content goûte une paix profonde:
Dieux ! que l'on est heureux de n'être, plus au
monde.
Adieu , ma Veuve , adieu , tu n'as plus de mari.
Je vais à ta ſanté boire au fleuve d'oubli.
Par M. Girard-Raigné.
LE VIEILLARD CRÉDULE.
Proverbe.
PERSONNAGES :
GERONTE , père de Julie & de Valère.
JULIE , fille de Géronte .
DORANTE , neveu de Géronte , amant
de Julie.
AGATHE , amie de Julie & amante de
Valère.
VALERE , fils de Géronte-
Le Marquis D'ESTAVANAS , valet dé
guifé.
La Baronne DE WANDÉGREFFEN, intrigante.
La Scène ſe paſſe dans la maison de
campagne de Géronte.
:
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE PREMIERE..
:
VALERE , AGATHE.
VALERE.
:
Vous êtes triſte , chère Agathe , qu'avez
vous ! vous ne voulez rien me répondre
, Agathe , regardez votre amant, vous
ne l'aimez donc plus ?
AGATHE ,Soupirant. Ah Valère .
VALERE. Vous ſoupirez ! garderezvous
toujours ce cruel filence!
AGATHE , Ah Valère ! il faut ceſſer de
nous aimer ; tout s'oppoſe à notre bonheur.
VALERE. Ne nous plus aimer ! c'eſt
Agathe qui me le propoſe ! ... m'écraſe
plutôt le Ciel ! ... pardonnez mon emportement
; mais pourquoi déſeſpérer du
fort ; il ne nous fera pas toujours contraire
; nous vaincrons les refus de mon
père ; notre tendreſſe triomphera ; il ne
poutra voir fon fils expirer de chagrin à
ſes yeux. Agathe , crois - tu que je puiſſe
vivre , ſi je n'eſpérois te pofféder?
AGATHE. Ce ſont bien les ſentimens
de mon coeur ; pourquoi faut - il qu'un
preſſentiment... Je ne ſais ; mais foiez
AVRIL. 1772. 37
fûr que votre père a dans la tête quelque
grand projet... il faudroit tâcher de le
faire ſe déclarer.
VALERE. Perſonne ne peut mieux nous
fervir que Dorante : c'eſt mon coulin &
mon ami. Mon père en fait très grand
cas ; je le prierai de s'informer adroitement....
AGATHE. Rien de mieux imaginé; voici
Dorante , je vous laiſſe avec lui .
Agathefort.
SCÈNE II.
DORANTE , VALERE .
VALERE prend Dorante par la main.
Dorante , m'aimez - vous !
DORANTE. Je croiois vous en avoir
convaincu.
VALERE. Eh bien , mon ami , j'attens
de votre amitié le plus fûr témoignage.
J'adore Agathe .
DORANTE. Vos yeux m'avoient appris
, avant vous , votre ſecret.
VALERE. Je l'adore , je mourrai ſi je
ne l'épouſe.
DORANTE ,fouriant. Le parti ſeroit un
peu violent... Que faut- il faire ?
38 MERCURE DE FRANCE.
VALERE. Peindre à mon père mon
amour , mon déſeſpoir ; l'aſſurer qu'il
acquerra deux enfans qui feront leur
bonheur du ſien... .... l'attendrir enfin
& obtenir de lui ma maîtreſſe .
DORANTE , riant. Rien que cela !
VALERE , fouriant amèrement. Les difficultés
vous effraient.
DORANTE . Vous m'offenſeriez ſi vous
le penfiez ſérieuſement ; mais apprenez
que j'aurois moi-même grand beſoin de
ſecours ; un motif ſemblable me conduit
ici , & c'eſt votre ſoeur que je viens le
prier de m'accorder .
VALERE , avec humeur. Ah ! vous m'oublierez
.
DORANTE. Comptez plus ſur un ami .
Je l'entens , retirez -vous .
VALERE , vivement. Si vous parliez
pour moi ... d'abord.. De peur que ..
DORANTE. Ne craignez rien , l'occafion
me décidera... Partez .
Illepouffe dehors.
AVRIL. 1772 . 39
SCÈNE ΙΙΙ.
GERONTE , révant , DORANTE .
DORANTE , à pari.
Travaillons pour Valère & pour moi.
GERONTE , fans voir Dorante. C'eſt
une belle choſe que d'être de qualité.
Quoique certains philoſophes prétendent
que la nobleſſe eſt un titre imaginaire ,
je dis , moi , qu'ils n'en parlent ainſi que
par envie , & je leur foutiens ...
DORANTE , avec timidité. Bon jour ,
mon cher oncle .
GERONTE. Te voici ! tant mieux , je te
cherchois .
DORANTE . J'en ſuis ravi , mon oncle .
GERONTE. Tu es un garçon ſenſé.
DORANTE . Je me félicite ...
GERONTE . Je t'aime .
DORANTE. Mon cher oncle .
GERONTE. Et je te conſidère infiniment.
DORANTE. Que je ſuis heureux , à
part. Tout fert nos voeux !
GERONTE. Je vais te prouver ma con
fiance.
40 MERCURE DE FRANCE.
DORANTE. Vous ne pouvez trouver un
homme plus attaché.
GERONTE. Il s'agit d'établir ma fille .
DORANTE , à part. Bon ! haut. Ce ſera
très bien fait.
GERONTE , riant. Je ſuis charmé d'avoir
ton avis.
DORANTE. Tout ce que vous faites eſt
à ravir... Et à qui !
GERONTE , riant. C'eſt mon fecret...
Après tout , il faut bien que tu le ſaches..
C'eſt à un jeune homme.
DORANTE . Tant mieux. àpart. C'eſt
moi .
GERONTE. Plein de bonnes qualités..
DORANTE , rougiſſant. Ah! mon oncle,
vous êtes indulgent.
GERONTE. Non , je te dis vrai ; c'eſt un
garçon d'un grand mérite.
DORANTE , modeftement. Je vous affure...
GERONTE. Maisje t'aſſure que ſi ; moi,
je ne crois pas ſa fortune conſidérable .
DORANTE. Les richeſſes ne font pas le
bonheur. à part. L'excellent oncle!
GERONTE . Mais en revanche ſa naiffance
eſt diſtinguée .
AVRIL. 1772 . 41
DORANTE. Vous badinez. }
GERONTE . Ce que je te dis eſt véritable;
c'eſt un homme illustre .
DORANTE. Oh ! pour le coup...
GERONTE. Parbleu, tu es plaiſant avec
ton entêtement. Tu ne ſais pas qui ,
prétens me foutenir que le Marquis d'Eftavanas.
&tu
DORANTE , confondu. Un Marquis.
GERONTE. Tu m'impatienterois en vé- >
rité... Oui ſans doute un Marquis ! & un
Marquis de condition au moins.
DORANTE. Je n'en reviens point.
GERONTE. Il n'en démordra pas....
Mais laiſſons les qualités de mon gendre;
je te difoisdonc que commeje te regarde
comme un homme raiſonable , je te charge
d'aller annoncer cette bonne nouvelle
à ma fille , & d'en joindre une encore
meilleure , c'eſt qu'il arrive .
DORANTE , confondu. Il arrive.
GERONTE. Oui , avec ſa coufine , Madame
la Baronne de Windégréffen...
Peſte , quelle couſine ! tu la verras ; je te
l'aurois fait épouſer ſans que je la deſtine
à mon fils... Allons gai , deux nôces :
Cela me rejouit ; vas répandre la joie
42
MERCURE DE FRANCE.
dans leurs coeurs , mon cher Dorante , je
cours tout faire préparer pour l'arrivée de
mon cher gendre &de ma chère bru .
Ilfort.
SCÈNE IV.
DORANTE .
Le diable puiſſe - til mille fois leur
rompre le col . Belle nouvelle à annoncer
àſes enfans ; pauvre Valère ! malheureuſe
Julie!
SCÈNE V.
Valère & Julie entrent chacun par un côté
de lafalle.
VALERE , impétueusement. Eh bien ,
mon ami , avez - vous parlé ; tout a - t-il
réuffi ; ſommes- nous heureux ? .. Vous
vou taiſez !
JULIE , tendrement. Dorante , vous n'avez
donc rien à me dire ?
VALERE. Vous avez vu mon père !
JULIE . Vous levez les yeux au Ciel !
DORANTE. Nous ſommes perdus !
VALERE & JULIE . Perdus !
DORANTE. Qui , votre père a donné ſa
AVRIL. 1772 . 43
parolede vous unir à je ne ſais quel Marquis,
&vous à une Baronne ſa coufine.
JULIE. Ciel!
DORANTE. Ils arrivent , & Geronte
m'a fait l'honneurde me choiſir pour vous
porter cette agréable nouvelle.
VALERE. UnMarquis ! .. Oh ! nous le
verrons , nous le verrons , je lui prépare
un compliment.
DORANTE. Modérez- vous , Valère .
VALERE , piqué. Me dire de me modérer
, lorſqu'on veut faire le malheur de
ma foeur , lorſqu'on veut m'arracher celle
que j'adore ; Monfieur , je n'ai pas le
bonheur d'être doué d'un auſſi reſpectable
ſens froid. J'aime avec fureur, &je m'occupe
plus de votre bonheur que vousmême.
DORANTE. Ecoutez , cher Valère , laifſons
arriver les originaux , peut - être le
fort nous offrira - t- il quelques moyens
pour fortir d'embarras , il ſera toujours
tems de ſe livrer au déſeſpoir.
JULIE. Mon frère , accordez -moi cette
grace.
VALERE. Je le veux bien ;je me tairai ,
je me tairai ; mais fi mon père prétend
me forcer... Je faurai me venger.
44 MERCURE DE FRANCE.
JULIE. Je ne veux pas le quitter.
Ilsfortent
SCÈNE VI.
DORANTE , GERONTE ,fansse voir.
DORANTE.
res.
J'affecte une aſſurance que je n'ai guè-
GERONTE . La belle alliance pour ma
famille! un Marquis ! une Baronne !
DORANTE le choque. Tu es bien diftrait
, mon neveu; vas , je te prie , avertir
lè notaire , il eſt dans le jardin .
DORANTE , Surpris. Quoi , déjà !
GERONTE. Et lui dire qu'il vienne ici
fur le champ.
DORANTE ,Soupirant. Allons. (Ilfort.)
SCÈNE VII .
GERONTE .
J'entens une voiture . Il va regarder. Ce
font eux , rajuſtons ma perruque, ma cravatte
où ſont mes gants .. Ilse rajuste.
AVRIL. 1772 . 45
SCÈNE VIII .
GERONTE ,le Marquis D'ESTAVANAS, la
Baronne DE WINDEGREFFEN , ridiculement
vétus.
LE MARQUIS , Gascon. Eh bon jour ,
dix mille fois bon jour à l'aimable Monſu
Géronte.
LA BARONNE , lentement &faisantfon.
ner tous les E muets. Je ſalue de tout mon
coeur le Seigneur Géronte.
LE MARQUIS, Cadédis , j'exige l'amitié
de Monſu Géronte .
LA BARONNE. Je compte ſur l'eſtime
du Seigneur Géronte .
GERONTE , confus , les ſaluanı. M. le
Marquis , Madame la Baronne.
LEMARQUIS. Sandis , je veux lui témoigner
l'indicible plaiſir que j'ai dé lé
voir. Il l'embraffe.
LA BARONNE. Je veux lui prouver
mon exceffive fatisfaction .
Elle l'embraſſe.
GERONTE. Ouf, ouf trop d'honneur.
( à part) Comme les gens de qualité font
tendres.
46 MERCURE DE FRANCE.
LE MARQUIS. Ah çà , pèré Géronte ,
nous allons donc épouſer la petite fillé ;
elle eſt jolié , il faut , Dieu me damne ,
toure ſa beauté , tout fon mérite pour qué
jé veuille allier le ſang nobiliffime des
Caillandoux , Peſénac , Tartas , Eſtavanas
, au ſang roturier des Mathurins Gérontes.
GERONTE. Je ſuis bien ſenable .
LE MARQUIS. Mais beaucoup d'écus ,
papa Géronte , beaucoup d'écus , c'eſt là
notre marché, jé né mé méſallie qu'au
poids de l'or.
GERONTE. Vous pouvez compter.
LE BARONNE , lentement. Depuis trente-
deux quartiers , l'on ne peut prouver en
notre famille aucune tache , aucune méſalliance
foit en ligne directe , indirecte
ou collatérale ... Mais le tems déloyal...
Et puis l'amitié , l'eſtime , la vertu , le
ſentiment... Votre fils, m'avez - vous dir,
eſt joli garçon .
Ellese cache avec fon éventail.
GERONTE . C'eſt la vérité.
LA BARONNE , lui frappantfur l'épaule.
Je l'ai promis , je ne m'en dédirai pas .
LE MARQUIS , lui frappant ſur l'épaule.
Jé né manqué jamais à ma parole .
AVRIL. 1772. 47
GÉRONTE. Si cependant cela vous fachoit
trop ...
LE MARQUIS . Non , non .
GERONTE. Nous n'itions pas plus loin.
LE MARQUIS & LA BARONNE , lui
frappant tous deux fur l'épaule. Et je vous
dis qué cela vaut fait.
LA BARONNE le tire à part. Mon cher
Géronte , que vous êtes heureux que
mon coufin daigne épouſer votre fille ;
vous ferez bien l'homme le mieux engendré.
LE MARQUIS le tire à part. Ce n'eſt
pas à cauſe qu'elle eſt ma coufine... Mais
fandis ! dans toute la province je défie de
trouver une race comme celle des Wandégreffen.
GERONTE. Je le crois .
LA BARONNE le tire à part. C'eſt le
plus brave Gaſcon. Il a eu vingt affaires
dont il s'eſt tiré avec honneur , & ila , à
lui ſeul , emporté une ville d'aſſault.
GÉRONTE. Quel homme !
LE MARQUIS le tire à part. C'eſt , la
peſte m'étouffe , un dragon de vertu ; fon
premier époux n'a jamais pu rien obtenir
d'elle que par violence; depuis ſa mort
4S MERCURE DE FRANCE .
deux amans ſe ſont mis fur les rangs &
ont voulu... Elle en a étranglé un & afait
jetter l'autre par les fenêtres.
GÉRONTE . Quelle femme !
SCÈNE IX.
LE NOTAIRE , DORANTE & les précédens .
LE NOTAIRE , à Dorante .
Je vais finir le contrat.
L
Il s'affied & écrit.
DORANTE, à part. Ecoutons .
LA BARONNE tire à part Géronte. Il a
dans l'étendue de ſes terres , droit de pied
fourchu , de jambage , & cætera ; de plus ,
du Marquiſat d'Eſtavanas relèvent trentecinq
duchés , cinquante - trois châteaux ,
vingt-fept fiefs , ſans compter les rôtures.
DORANTE , àpart. Bon !
LE MARQUIS tire à part Géronte. Il
n'y a pas dans toute l'Europe un château
comme celui de Wandégreffen... Cadédis...
Imaginés - vousun bâtimentdé forme
ronde & quarrée , un périſtille de ſix
mille colonnes doriennes , ſupporté par
quatorze cens pilaſtres corhintiques, trois
étangs, ſept foffés , deux jets d'eau , douze
arpens de parc , millé dé potager , chaffe
à
AVRIL. 1772. 49
â la plume & au poil , colombier à boulins
, baſſe cour , étables & écuries .
Ils parlent tous trois bas.
DORANTE , au Notaire. Mais je connois
ces viſages ... Oui ma foi , oh , oh ,
l'aventure eſt excellente !
GÉRONTE . bien , bien ! je vais les faire
appeller , qu'on aille chercher Julie &
Valère.
DORANTE. Voici le Notaire.
GERONTE , fans ſe retourner. Oui , &
le Notaire .
SCÈNE X. & DERNIERE.
Géronte parle avec feu au Marquis & à la
Baronne ; Valère entre furieux ; Julie
eft affligée ; Dorante fourit.
JULIE , en entrant. Dorante , vous allez
me perdre,& vous paroiſſez gai. Qu'allons
nous faire !
DORANTE , gaïment. Conſentir à tout .
VALERE. Conſentir à tout !
DORANTE. Point de fureur , nous n'avons
plus rien à craindre ; paroiſſez faire
ce qu'il defire , je vous en conjure. haut.
Voici vos enfans .
II. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
GERONTE. Vous allez voir comme on
m'obéit. Allons qu'on vienne& qu'on falueM.
le Marquis d'Eſtavanas & Madame
la Baronne de Wandégreffen.
Julie & Valère Saluent. Géronte continue
: Je vous marie.
VALERE. Mon père .
GÉRONTE. Je le veux, ſignons le contrat.
( Dorante est derrière la chaise du
Notaire , & n'est pas vu.
Pendant que Gérontefigne , le Marquis
faitfa cour à Julie , & la Baronne badine
avec Valère ; Géronte , après avoir figné ,
dit au Marquis & à la Baronne : à votre
tour.
JULIE , à Valère, Dorante a l'air bien
affure , qu'a- t il dans l'eſprit ?
Le Marquis & la Baronne vont pour
figner ; Dorantese montre , les prend cous
deux par la main , les ramène près de Gé.
ronte ; ils le regardent & s'écrient : Ciel !
DORANTE . Eh ! bon jour donc mes
amis , comment cela va- t il ?
GÉRONTE , riant. Bon bon , vous vous
connoiflez .
DORANTE . Très - parfaitement , & je
m'en fais honneur.
AVRIL .
sr 1772.
GÉRONTE . Je te difois bien qu'ils
étoient d'une famille .
pas.
DORANTE. Oh ! très - diftinguée.
LE MARQUIS , bas. Ne nous perdez
DORANTE. Quel plaifir de retrouver
ſes amisaprès une longue abſence ! Voyez
comme la joie éclate dans leurs yeux .
Mon oncle , il faut vous mettre au fait de
notre intimité:voici M. la Fleur , monarcien
laquais , homme eſtimable , qui me
voloit quelque fois .
GERONTE. Comment !
DORANTE. Et c'eſt ici Mde Jacob , la
plus honnête des prêteuſes ſur gages .
LE MARQUIS , bas à Géronte. Votré
néveu a donc le cerveau timbré , il falloit
nous prévenir.
LA BARONNE , bas à Geronte. C'eſt
grand dommage , ſi jeune !
DORANTE , d'un ton goguenard. Eh !
bien , Mde Jacob , le commerce a donc
bien rendu. Vous avez amaſſé beaucoup
de richeſſes , & fans doute très - loyalement
... Rien n'eſt plus beau que d'obliger.
Ah! je n'oublierai jamais, Mde Jacob
, que dans un beſoin urgent , vous
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
m'avez prêté à 90 pour 100 , c'eſt ce qui
s'appelle un procédé... Et vous , Mons
la Fleur , comment diable ! vous voilà
bien brave ! les grands hommes ſe font
connoître , & du rang le plus bas , parviennent
au plus élevé. Ah! çà , Mons la
Fleur , ſouvenez - vous de moi , j'aurois
pu vous faire voguer.
LE MARQUIS , à Géronte. C'eſt pouffer
trop loin la plaiſanterie , Manfu Géronte
faites finir , où bien je ne répons
pas.
LA BARONNE , à Géronte. Sans ma
douceur , je le déviſagerois .
DORANTE . Ah ! par exemple , voilà
qui eſt mal , vous ne paroiſſez pas éprouver
autant de plaiſir que moi , dans notre
reconnoiſſance !
GÉRONTE. Mon neveu , qu'est- ce dono
que cela veut dire ?
DORANTE. Ah ! mon oncle , de grace ,
c'eſt une affaire entre nous trois ... Vous
voilà tous ſtupefaits ... Allons ferme, dites
-moi donc , vous comptez entrer dans
notre famille , vraiment j'en ſuis ravi ;
Mon oncle , veut- il bien que je le félicite
ſur ſon choix; une prêteuſe à ໑໐ pour
100 , & un valet très - honnête homme
qui a mérité d'être pendu.
AVRI L. 1772. 53
GERONTE. Vous ne répondez rien !
LE MARQUIS , bas à Géronte. Eh que
diable voulez vous que je réponde à cet
infenfé ?
GÉRONTE. Pas de détours, parlez haut,
êtes-vous un valet ?
DORANTE. En doutez- vous ! ah Mons
la Fleur eſt trop galant homme pour le
nier ; d'ailleurs , s'il n'en vouloit pas convenir
, un commiſſaire.
LA FLEUR. Un commiflaire ! ah ! gracé,
gracé mon maître,j'aimerois mieux
voir le diable.
Mde JACOB , avec dignité. Comment
vous êtes un laquais?
DORANTE , la contrefaiſant. Quelle in .
fulte pour l'illuſtre Madaine Jacob ! ..
Ah ne te fâche pas , ſans cela une maiſon
deforce.
Mde JACOB , quittant fon accent. Miféricorde
! une maiſon de force ! je tombe
à vos genoux.
GERONTE. Comment coquin !
DORANTE. Pardonnez- leur... Sortez ,
&qu'on ne vous revoie jamais.
Ils s'enfuient.
DORANTE , continuant. Mon oncle.
:
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
VALERE. Mon père.
DORANTE. Accordez- moi Julie.
VALERE. Donnez-moi Agathe.
JULIE . Nous ferions tous heureux.
GÉRONTE. J'y conſens , c'eſt la vraie
richeſſe d'un père que le bonheur de ſes
enfans . M. le Notaire corrigez le contrat ,
vous le rapporterez ; aimez
braſſez - vous , ceci me fait bien voir que
tout ce qui reluit n'est pas or.
1
vous , em-
Par M.le Chevalier D. G. N.
TRADUCTION de l'Episode de la Mort
de Céfar.
Ce foleil , c'eſt un dieu de qui la prévoyance
Eclairant des deſleins confiés au filence
Par des fignes certains vient nous manifeſter
Les complots ténébreux qui ſont prêts d'éclater.
Souvent du haut des cieux il annonce à la terre
Que ſes Rois font armés , & reſpirent la guerrei
Quand Céfar expira frappé de coups affreux ,
L'aſtre perdit ſoudain ſa clarté dans les cieux
Etl'on vit des mortels la race criminelle
Trembler que cette nuit ne devînt éternelle.
Maisquoit tout reffentit la mort de ce héros,
AVRIL.
1772 . 55
Des chiens ſouillésde ſang , de ſiniſtres oiſeaux ,
Le ciel même , la terre & les mers menaçantes
En donnèrent par- tout des marques éclatantes.
On a vu de l'Ethna le Géant furieux
Dans nos champs déſolés déchaîner tous fes
feux ,
Etjettant de ſon ſeindes flammes ondoyantes ,
Jusqu'au ciel élancer mille roches péſantes.
On entendit dans l'air des combats ſurprenans .
Les monts font ébranlés par de longs tremblemeus
.
Soudain l'Eridan s'enfle & ſe gonfle d'orages ;
Il ſurmonte ſa rive , & parmi ſes ravages
Emporte ſans pitié bergers , arbres , troupeaux ,
Foule d'infortunés qu'ont englouti les flots .
Le dirai je ? On a vu dans Rome épouvantée
Couler du fond des puits une onde enfanglantée.
Les victimes n'offroient que préſages certains
Où les dieux en courroux menaçoient les humains
.
Par-tout des loups affreux , troublant les nuits
tranquilles
-
Par de longs hurlemens épouvantoient les villes.
Souvent on entendit en de paiſibles lieux
Se plaindre dans le fonddes bois filentieux
Une effrayante voix. Des fantômes funèbres ,
Pâles , apparoiſſoient dans l'horreur des ténébres.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Tout annonça les maux que les dieux apprêtoient
:
La terre s'entrouvroit ; les fleuves s'arrêtoient.
L'Univers plein de trouble étoit leur interprête.
Même les animaux en leur bouche muette
Reçurent la parole , & parloient aux mortels ,
Et l'inſenſible airain pleura ſur nos autels.
Mille éclairs ſillonnoient les voûtes étoilées.
Les comètes en feu couroient échevelées .
Bientôt on vit s'armer tout le Peuple Romain.
Le ciel faifoit juſtice : une inviſible main
Sur un champ de bataille entraina les coupables.
La Macédoine a vu les Romains implacables
L'un contre l'autre armés revenir furieux ,
Expier dans leur ſang la colère des dieux.
Unjour le laboureur , cultivant cette terre ,
Etonné trouvera des inſtrumens de guerre..
Sous le rateau roulans ; des dards , des boucliers
Et des caſques hélas ! qui manquent de guerriers
;
Et le témoin lointain d'antiques aventures
Sous ſes pas entrouvrant d'étranges ſépultures ,
Muet admirera les débris des héros ,
Grands oflemens giflans en de vaſtes tombeaux.
Par M. Fontaine.
i
AVRIL. 1772 .
57
VERS adreſſés à Monseigneur le Prince
Régnant de Hohenlohe Schillingsfürst ,
ausujet de fon Mariage avec la Princeffe
Marie Jofeph de Salm- Salm , par
un Germain de la Vieille . Roche.
INTREPIDES dans le danger ,
Juſtes , clémens , humains , généreux & ſincères ,
Les chefs de nos auguſtes pères *
Chériſſoient leurs ſujets , ſcurent les protéger :
Et leurs époules vertueuſes ,
Aimables fans orgueil, ſimples dans leurs deſirs ,
En femmes vraîment courageuſes ,
Partageoient leurs travaux , leurs peines , leurs
plaiſirs.
Vous allez les faire renaître
Cesjours heureux , ces jours de juſtice & de paix :
L'aurore qui vient de paraître
Nous annonce un ciel pur & comble nosſouhaits
Par l'amour , par la bienfaiſance ,
Regnez , couple chéri , faites notre bonheur ;
Ouverts à la reconnoiſlance ,
Les coeurs de vos ſujets ne feront tous qu'un
coeur,
* Les Germains .
C
58 MERCURE DE FRANCE.
Ah! quel charme pour nous de dire ,
>>> Dans ces lieux les vertus ont fixé leur ſéjour :
>>Pour nous ſeuls Schillingsfürſt reſpire :
>> Il ravit notre eſtime , il obtient notre amour;
>>O>ui , notre maître eſt notre père;
D Ses ſoins laborieux fondent notre repos ,
>> Et Salm- Salm ſera notre mère ,
>>> Elle partagera ſes utiles travaux .
>> De ce ſang l'auguſte nobleſſe ,
>.>D>e tout tems protégea l'indigent vértueux.
>> Livrons nos coeurs à l'allégreſſe .
>>Une heureuſe union produit des jours heureux,
כ
Par M. Sta.. L.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du premier volume du mois d'Avril
1772 , eſt la lettre M; celui de la
ſeconde est le Café. Le mot du premier
logogryphe eſt Pendule; celui du fecond
eſt Poule , où l'on trouve loupe ; celui du
troiſième eſt Apoplexie , où ſe trouvent
Pope , Eloi , Alep , Pape , pipe , oeil, Elie,
Fole , Eole , plie , poil, paix , exil , paie ,
aile , ville de la Lippe , poële , ( draps mor.
tuaire , ) poële ( forte de fourneau , )poële
(dais portatif , ) poële ( à frire , ) plaie ,
AVRI L. 1772 .
59
loi , axe , lie , Pie ( Pape , ) Pie ( oiſeau , )
épi , ail , oie , pal , Lia ( fille de Laban ,
foeur de Rachel , première femme de Jacob
à la place de Rachel . ) la , là , io .
ÉNIGME
Lesénigmes& logogryphes de ce volume font
de l'auteur de l'énigme de l'Eternument .
CROINEZ- VOUS , ô lecteur , ce que vous allez
lire?
Aux yeux de mon parrein , l'on me pend ſans
façon
Pour cauſe de religion .
L'apoftolat ſuccède à mon martyre.
Je monte & prêche ſur les toits ,
On implore au fon de ma voix
La divine Miféricorde.
Je ne fors point de ma prifon ,
Et c'eſt en gambadant & danſant ſur la corde
Que j'acheve ma miſſion.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
La pauvreté m'enorgueillit ,
Pauvre je me redreſſe ;
Et quand la fortune me rit ,
Opulent je m'abaiſſe.
Mes cheveux couvrent mon tréſor
Dans leur verte jeuneſle ;
Dès qu'ils deviennent couleur d'or
Ils tombent de vieillefle .
Vos ayeux en vrais étourdis
Ont cauſé leur misère ,
Pour avoir dépouillé jadis
Mononcle ou mon grand père.
AUTRE.
Nous ſommes deux frères fort doux ;
Mais qui ne pouvons vivre enſemble une ſeconda
Tout le monde , en tout lieu , nous donne à tout
le monde ,
Etrien n'eſt plus rare que nous.
Souvent de l'amitié nous paroiſſons le gage ,
Etchacun de nous a fon tems :
AVRIL. 1772 . 61
Quand d'un bruſque refus nous préſentons l'image
,
Tous les tems ſont indifferens .
LOGOGRYPΗ Ε.
DAANnSs mon ſens naturel je ne ſuis jamais
vieux ,
Car mon nom change en ma vieilleſſe.
Pris dans un autre ſens , tendre , mystérieux ,
Je ne conviens qu'à la jeuneſſe.
Si je perdois mon dernier élément ,
Le croiriez-vous? je deviendrois ma mère.
Par un demi renverſement
Je fieds mal fur le front d'une jeune bergère ;
Mais ſi vous me prenez métaphoriquement
J'offre à vos yeux un heureux ſupplément ,
Qui peut avec le tems devenir néceſſaire ;
Et dont le curieux fait ſon amusement.
Retranchez en la queue , un autre la remplace :
Si le proverbe eſt vrai vous devriez la voir.
Remettez mes membres en place.
Ma première moitié fait faire la grimace ,
Et ſur le pauvre exerce ſon pouvoir.
Ma tête jointe aux piés ne laiſſe point de trace;
Mais l'oreille & le nez la font appercevoir.
62 MERCURE DE FRANCE.
LA
AUTRE.
A corde au coldans un collier concave ,
Mon tout habite le grenier.
Ma dernière moitié ſe repoſe à la cave ,
Tandis que fon voisin monte ſeul au premier.
Jointeà mon chef elle offre un fort plat perſonnage.
Quantà l'autre moitié c'eſt un antropophage.
Tranchez fon nouveau chef ſi je vous dilois où ,
Je vous en dirois trop , j'en dis encor beaucoup :
Lecteur , nouveau myſtère .
Mon tout rendu boîteux ,
Si vous le laiſſez faire ,
Va pondre ſur ſes oeufs.
TAN
AUTRE.
ANT que j'exifte je dévore
Et je finis par être dévoré.
Mon buſte plaît beaucoup au buveur altéré.
Tranchez ma queue , aux morts j'infulte encore
Leur cadavre ſanglant eſt par moi déchiré ;
Sans mon chef un prélat eft par moi décoré.
Otez moi tête & queue , un pilote m'abhorre.
AVRIL. 1772 . 63
Amon aſpect s'il n'eſt pas préparé.
Encore un pied de moins on m'invoque , on m'honore
Dans la rue à Paris dite Saint Honoré.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Traité du Bonheur public , par M. Louis-
Antoine Muratori , bibliothécaire du
Duc de modène , traduit de l'italien fur
l'édition de Lucques , 1749 ; avec ſa
nie & le catalogue de ſes ouvrages :
par M. Jean- François Soli Muratori ,
fon neveu : le tout extrait & traduit
auſſi de l'italien fur l'édition de Veniſe,
1756; par L. P. D. L. B. 2 vol. in 12 .
AParis , chez Coſtard , rue St Jean-de-
Beauvais.
Ce Traité eſt précédé de la vie de l'auteur
, bien connu dans la république des
lettres par de nombreux écrits ſur l'antiquité
, l'hiſtoire & la littérature; & principalement
par des annales d'Italie. On
pourra être étonné en parcourant le catalogue
des ouvrages de ce ſavant imprimé
à la ſuite de ſa vie, qu'un ſeul homme ait
!
64 MERCURE DE FRANCE.
pu fournir à un travail auſſi long& auffi
pénible & que cet homme ait paffé une
vieilleſſe ſaine & robuſte juſqu'à l'âge de
77 ans , malgré la foibleſſe de ſon tempérament.
Muratori s'étoit fait un régime
qu'il obſerva tout le tems de ſa vie.
L'étude d'ailleurs quand on y prend goût
eft le meilleur remède contre l'ennui , &
ce remède ne peut que contribuer à prolonger
la vie. Muratori , quoiqu'adonné
aux lettres , ne négligea cependantjamais
les devoirs de ſon état. Appellé aux miniſtères
des autels & nommé curé de Ste
Marie de la Pompoſa de Madene , il s'acquitta
des pénibles fonctions de paſteur
avec une ardeur infatigable. Son amoor
pour les pauvres , ſon attention à confoler
les malheureux , fon zèle à rétablir
par tout la paix le rendoient bien digne
de nous donner un traité ſur le bonheur
public. Mais Muratori plus érudit que
philoſophe , plus verſé dans les ſciences
eccléſiaſtiquesque dans la connoiſſance des
matières économiques s'occupe moins à
difcuter les vrais principes de bonheur
public qu'à expofer les maximes de morale
évangélique. Il exhorte les Souverains
à faire le bonheur de leurs ſujets ,
mais il ne leur démontre point fuffifam
AVRIL. 1772. 65
ment que le leur propre y eſt attaché ; il
ne fait point affez connoître les relations
politiques entre le prince & les ſujets . II
dira à ſes lecteurs que le premier principede
juſtice eſt de ne point faire à autrui
ce qu'ils ne voudroient pas qu'on leur fît.
Mais il ne leur prouve point par des calculs
faciles à faire & par des raiſonnemens
puiſés dans la conſtitution même
de la ſociété que le mal qu'ils feroient à
autrui ils le feroientà eux - mêmes . Le
grand point de tout écrivain politique
qui veut portet ſes concitoyens àla pratique
des devoirs ſociales , & affurer le
bonheur de la ſociété , eſt de ne jamais
ſéparer l'homme de lui - même , de lui
faire voir au contraire que ſes intérêts
particuliers loin d'être oppoſés à ceux de
tous , il ne peut trouver ſon bien- être que
dans celui de la ſociété dont il eſt membre.
Mais ſi Muratori , dans ſon traité ne
poſe point la vraie baſe du bonheur , on
ſera ſans doute fatisfait des inſtructions
& des exemples de vertu & de bienfaiſance
qu'il y a répandus. Il ſeroit à ſouhaiter
que tous les princes euſſent toujours
préſente la réponſe que l'auteur rapporte
d'Alphonfe , Roi d'Eſpagne , à un
miniſtre qui lui conſeilloit dans une guer,
66 MERCURE DE FRANCE.
re ruineuſe , d'impoſer de nouvelles contributions
: « Les larmes de mon peuple ,
> repliqua ce bon prince , me font plus
>> de peur que les forces de mes ennemis.
Les Stratagémes ou ruſes de guerre recueillis
par Frontin,traduits en françois
par un ancien Officier , avec le texte
latin à côté : On y a joint des recherches
fur la perſonne & les ouvrages de
Frontin , vol . in 8 °. petit format ; prix ,
4 liv . A Paris , chez Fr. Amb. Didot
l'aîné , libraire & imprimeur , rue Pa
vée près du quai des Auguſtins .
Frontin , élevé dans la profeſſion des
armes & nommé par Veſpaſien au gouvernement
d'Angleterre , eut ſouvent occaſion
de ſe convaincre de la néceſſité
pour un général,de ſavoir mettre en oeuvre
les ſtratagêmes &les rufes militaires ,
lorqu'à la tête d'une perite armée il veut
combattre des troupes nombreuſes, aguerries
& favoriſées par la poſition des lieux.
Mais l'art des ruſes n'eſt point un art qui
s'apprenne par la pratique ou par la routine;
il faut beaucoup lire , beaucoup
étudier ; auffi trouve - t- on peu de généraux
affez habiles dans cette matière pour
AVRIL. -1772 . 67
en faire un uſage fréquent . On en a vu
même pluſieurs qui , fans manquer d'intelligence
, ſe ſont laiffés ſurprendre par
des ſtratagêmes pratiqués pluſieurs fois.
Les militaires ne peuvent donc ſe diſpenfer
de lire & d'étudier ce que Frontin a
raſſemblé fur ce ſujet. Son recueil qu'il
appelle avec raifon un conſeil d'exemples
eſt en même tems inſtructif & curieux
mais comme le texte de cet hiftorien ne
nous eſt point parvenu dans toute ſa pureté
, qu'il a été ſouvent corrompu par le
mauvais goût ou l'ignorance des copiſtes;
on ne peut que bien accueillir une traduction
exacte & fidèle qui en facilite l'intelligence.
Cette traduction eſt précédée
de très bonnes recherches ſur la perſonne
&les ouvrages de Frontin , & même ſur
la littérature ancienne .
Mémoires de Louis de Nogaret , Cardinal
de la Valetre , général des armées du
Roi en Allemagne , en Lorraine , en
Flandre & en Italie ; ouvrage néceffaire
à l'intelligence de l'hiſtoire de
Louis XIII , & très- utile à la Nobleffe;
années 1635 , 1636 , 1637. A Paris ,
de l'imprimerie de Ph . D. Pierres , rue
St Jacques , 2 vol. in 12 .
68 MERCURE DE FRANCE .
Le manufcrit original de ces mémoires
rédigés par Jacques Talon , ſecrétaire du
Cardinal , eſt conſervé dans la bibliothéque
de M. le marquis de Baletta. Ces
mémoires méritoient d'autant plus d'être
publiés qu'ils donnent des détails intéreſlans
de fiéges , de marches d'armées ,
de campemens , &c. détails que les hiſtoriens
expoſent ordinairement avec trèspeu
d'exactitude faute d'inſtructions . Le
redacteur de cette eſpèce de journal rapporte
des faits dont il a été lui-même témoin
, & il les rapporte avec une forte
de ſimplicité qui gagne la confiance du
lecteur. Il loue le déſintéreſlement du
Cardinal de la Valette , l'attention de ce
général à reſtreindre autant qu'il étoit en
lui les droits cruels de la guerre , à maintenir
le bon ordre parmi les troupes , à
leur faire religieuſement obſerver les conventions
tacites dont l'intérêt des deux
parties exige également l'obſervation. Ce
fut le maintien de ces règles de modération
, d'honneur , de générosité qui fit
donner à fon armée en Italie le nom de
Sainte. Mais ce qui couronne l'éloge de
ceCardinal eſt de s'être toujours montré
attentifà répondre à la confiance que fon
Prince lui avoit donnée. Ces mémoires
AVRIL.
69 1772 .
ſont dédiés à Mgr le Duc de la Vrilliere ,
Comte de St Florentin , &c . miniſtre &
ſecrétaire d'état , chancelier de la feu
Reine , commandeur desOrdres du Roi ,
&c. &c.
Traité du droit de Domaine de Propriété,
par l'auteur du Traité des Obligations.
A Paris chez Debure père , quai des
Auguſtins ; à Orléans , chez la Veuve
Rouzeau- Montaut; vol. in - 12 . prix ,
3 liv. relié.
Ce traité eſt diviſé en deux parties . On
voit dans la première ce que c'eſt que le
droit de Domaine de Propriété ; en quoi
il conſiſte ; quelles font les différentes
manières de l'acquérir & de le perdre.
L'auteur traite dans la ſeconde,des actions
qui naiſſenr du droit de propriété. Il y
joindra un traité de la poſſeſſion qui eſt
actuellement ſous preſſe.
On diftribue chez les mêmes libraires &
du même auteur un Commentairefur l'Ordonnance
des Eaux&Forêts dumois d'Août
1669 , vol . in 12 .; prix , 3 liv. relié.
Histoire naturelle de l'air & des météores
par M. l'Abbé Richard , tomes VII ,
VIII , IX & X in-12.; prix , 10 liv ,
70
MERCURE DE FRANCE.
brochés en carton , & 12 liv. reliés. A
Paris , chez Saillant & Nyon , libraires
, rue St Jean-de- Beauvais.
Les premiers volumes de cette hiſtoire
naturelle , publiés en 1769 , ont été d'autant
plus accueillis que l'auteur fait l'em.
ploi le plus heureux des découvertes de
la phyſique moderne pour donner à ſes
lecteurs des notions diſtinctes de ce qui
ſe paſſe ſous leurs yeux & des phénomènes
qui peuvent intéreſſer leur ſanté, leur
vie même ou du moins leur curioſité. Les
matières contenues dans ces derniers volumes
font traitées , ainſi que dans les
premiers , ſous la forme de diſcours. Il
eſt queſtion dans le VII volume de la
neige , de la grêle & des météores emphatiques;
dans le tome ſuivant , du tonnere
, des éclairs & de la foudre , & de
quelques phénomènes qui y font relatifs.
On peut croire d'après les faits que rapporte
notre Naturaliſte , que ceux qui
meurent frappés de la foudre périſſent
ordinairement de ſuffocation , & par la
ceſſation ſubite des fonctions vitales.
C'eſt ce qui fut obſervé à Altorf en 1681
à l'égard d'un homme foudroyé, fur le
corps duquel il ne parur , après fa mort ,
qu'une petite ligne noire ſur le ſternum ;
AVRIL. 1772. 71
la flamme lui avoit légèrement crêpé les
cheveux des tempes. Cette opinion fur
la cauſe de ce genre de mort , ne paroîtra
point fans fondement , ſi on ajoute foi à
ce que rapporte Cardan , de huit moiffonneurs
de l'ifle de Lemnos , qui tandis
qu'ils prenoient leur repas ſous un chêne,
furent tués d'un coupde tonnerre. Ils furent
trouvés après leur mort chacun dans
l'attitude où ils étoient avant que d'être
foudroyés . Ils est très- vraiſemblable que
ceux qui meurent ainſi ſans bleſſures apparentes&
fans être déformés , ſont étouf
fés tout d'un coup par la vapeur du phlogiſtique
dont ils font environnés , &
éprouvent au moment même où elle
s'enflamme , une commotion fi forte ,
qu'elle arrête tout mouvement. L'auteur
rapporte à ce ſujet un fait très - récent du
mois d'Août 1769. Le Prince Royal de
Suéde , allant dans une voiture ouverte ,
de ſa maiſon de Calsberg â celle d'Eckolmfund,
fut ſurpris d'un violent orage
, accompagné du tonnerre. Une foudre
, fans doute légère , paſſa entre lui&
deux de ſes chambellans qui étoient fur
le devant de la voiture , & tomba à terre
à peu de diſtance d'eux. Le Prince reflentit
une commotion très violente , & fut
72 MERCURE DE FRANCE.
fur le point d'être ſuffoqué ; mais comme
les chevaux ne s'arrêtèrent point , & que
bientôt il ſe trouva dans un air différemment
modifié , il reprit ſon état naturel;
cet accident n'eut pointde ſuites facheu.
ſes . Mais ſi la foudre l'eût environné de
ſon athmosphère , s'il eût été dans un air
moins pur&moins vifque celui que l'on
reſpire preſque toujours en Suede , tout
mouvement auroit pu être intercepté ſubi.
tement, & le Prince en être la victime.On
enjugera parcette obſervation de l'auteur,
obſervation dont il garantit la vérité. Il a
vu un homme qui , dans la force de ſon
âge , fut frappé de la foudre. L'étincelle
fulminante , ou la colonne de matière
embraſée , fit ſon premier effort ſur l'agraffe
d'argent qui attachoit ſon col &
quelie fondit en partie; elle courut enſuite
le long de fon dos , elle ſe partagea
endeux branches qui gliſsèrent le long
des cuiffes & s'arrêtèrent aux boucles de
jarretières qu'elles noircirent ; de-là elles
paſsèrentjusqu'aux talons& firent un petit
trou aux bas & aux chauſſons. La foudre
n'avoit certainement point pénétré
dans l'intérieur du corps , elle n'avoit enflammé
ni la chemiſe ni les habits de cet
homme , cependant il reſta ſans connoiffance
,
AVRIL. 1772. 73
ſance , ſans mouvement, ſans reſpiration,
fans pouls avec toutes les apparences de
la mort. La Dame chez laquelle il étoir,
à côté de laquelle il avoit été frappé , revenue
de ſa première ſurpriſe , ne pouvant
ſe perfuader qu'il fut mort , le fit
deshabiller fur le champ & mettre dans
un lit bien chaud , où on le frotta de liqueurs
ſpiritueuſes pendant deux ou trois
heures , avant que l'on pût en eſpérer aucun
ſuccès. Enfin la chaleur ſe rétablit
peu à-peu dans les parties extérieures , le
mouvement & la connoiſſance revinrent,
& ce même homme a vécu pluſieurs années
après cet accident. Ainſi il dût ſa
converfation à la tendreſſe d'une femme
courageuſe , qui ne voyant aucun ſigne
apparent de mort fur un homme qu'elle
aimoit , fut affez heureuſe pour le rappeler
à la vie , par des précautions que tout
autre auroit cru inutiles. Il est vrai que
cet accident fit fur lui un changement total
: la commotion fut fi forte qu'elle cauſa
le plus grand dérangement dans fon
organiſation . Avant cet accident c'étoit
un homme aimable , plein de connoillances
& de talens , dont toutes les traces
furent totalement anéanties pour le réſte
de ſa vie Si on réuſſiſſoit à lui en renou-
II. Vol. D
يف
74 MERCURE DE FRANCE.
veller quelques idées , il ſembloit ſe les
rappeller comme de choſes dont on a
un ſouvenir confus & qui ſe ſont pallées
depuis long- tems.A peine fut- il capable
dans la ſuite des affaires les plus communes
, ſon état habituel paroiſſoit être celui
de la revêrie , avec un air penſif& étonné.
Il n'avoit conſervé de ſon premier
caractère que beaucoup de douceur & une
habitude de politeſſe qui ne le quitta jamais.
Les autres obſervations de notre Naturaliſte
ſont également intéreſſantes. II
traite dans le tome IX des differens météores
ignés , des phoſphores naturels &
de la nature & des qualités du feu , &
dans le tome X & dernier , de l'aurore
boréale. Cet ouvrage ſera d'autant plus
accueilli que l'auteur y a répandu les connoiſſances
les plus variées , & a ſçu habilement
ajouter ſes propres obſervations à
celles des Naturaliſtes & des Phyſiciens
qui l'ont précédé. Il a levé un coin du
voile qui nous couvre beaucoup d'effets
naturels regardés ſouvent comme merveilleux
; ou le ſigne de quelques fâcheufes
catastrophes , parce qu'on a coutume
de les examiner fans attention on ſans
connoiffances préliminaires & ſouvent
AVRIL. 1772 . 75
àla fauſſe lueur de la prévention , de l'ignorance
ou de la fuperftition .
Hiſtoire de l'avénement de la Maison de
Bourbon au Trône d'Espagne , dédiée
au Roi , par M. Targe ; 6 vol. in 12 .
A Paris , chez Saillant & Nyon , rue
St Jean de Beauvais ; la Ve Deſaint ,
rue du Foîn St Jacques .
L'avénement de la Maiſon de Bourbon
au Trône d'Eſpagne étant l'époque la plus
intéreſſante de l'hiſtoire de l'Europe, méritoit
d'être conſacré à la poſtérité dans
un ouvrage particulier. M. Targe a fair
précéder le recit hiſtorique de cet avénement
par un tableau de l'Europe en l'année
1696 , tems où furent entamées les
négociations qui ſe terminèrent par la
paix de Riſwick. L'hiſtorien s'eſt permis
très-peu de réflexions ; il a pensé avec
raiſon que le ſimple recit des faits fuffifoit
pour le lecteur qui profiteroit peu
de celles qui lui ſeroient préſentées , s'il
n'étoit pas aſſez éclairé pour les faire luimême.
On louera fur - tout l'exactitude
& la ſageſſe avec laquelle cette hiſtoire
eſt écrite. Elle va juſqu'en l'année 1715 .
Louis XIV eut la fatisfaction de voir.
1
1
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
fon auguſte Petit -fils paiſible pofleffeur
de la monarchie où il avoit été appellé
par le droit de ſa naiſſance , par les loix
du royaume & par le reſtament de Charles
II : mais qu'il avoit été obligé de conquérir
, au moins en grande partie , par
les ſecours de la France. La mort empêcha
Louis de jouir long-rems de cette fatisfaction
. L'hiſtorien ne s'eſt point étendu
fur l'éloge de ce Prince , à qui tous les
traits de l'envie n'ont pu ravir le titre de
Louis le Grand. Il le mérita moins en
réculant les bornes des états que lui
avoient laiſſes ſes ancètres , qu'en ſe faifant
admirer par les vertus quiforinent les
Monarques. Son zèle pour la religion ,
ajoute l'hiſtorien , ſa tendrelle pour fa
famille , ſon amour pour ſes ſujets , fa
magnificence & la protection qu'il accorda
aux ſciences & aux arts , le diftinguèrent
entre tous les Princes de ſon ſiècle.
Les Puiflances Etrangères , jalouſes de
tant de gloire , formèrent fouvent des ligues
contre lei , & le forcèrent à prendre
les armes pour réprimer leur orgueil ;
mais il rendit toujours la paix à l'Europe
anſſi- tôt qu'il put le faire avec honneur.
Le nouveau Roi d'Eſpagne Philippe V
fontit vivement la perte qu'il faiſeit à la
AVRIL.
1772. 77
mort de ſon ayeul: elle fut ſuivie d'événemens
importans pour la Maiſon de
Bourbon , & en particulier pour la branche
qui règne ſur l'Eſpagne , & qui a de
puis étendu ſes rameaux fur la plus belle
partie de l'Italie. Ces événemens feront
décrits dans les volumes ſuivants , ſi le
Public continue d'accorder à l'hiſtorien
la faveur qu'il s'eſt efforcé de mériter par
fes foins à compulſer les écrits & les mémoires
nationaux , ou étrangers relatifs à
fon objet , par fon reſpect pour lesNoms
illuſtres,& en même tems par fon exactitude
à ne rien déguiſer de ce qui peut
éclairer la poſtérité ſur les fautes des miniſtres
&des généraux , par ſa prudence à
écarter les nuages que l'envie ou l'intzigue
s'eſt efforcée de répandre ſurpluſieurs
négociations ou quelques faits particuliers
, enfin par la nobleſſe du ſtyle & la
pureté de la diction .
L'Agenda ou Manuel des gens d'affaires,
ouvrage fort intéreſſant&très-utile au
PPuubblliicc, à tous les marchands , commerçans
, banquiers , négocians , praticiens
, &généralement aux perſonnes
de tous états , auquel on a joint , 1º .
différens tarifs très néceſlaires au com
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
merce & à la vie , 2º . Des explications
particulières des divers commerces des
principales villes de l'Europe , France
& Allemagne , avec la diſtance d'un
endroit à un autre , préſentée ſur trois
tableaux géographiques ; 3 °. Un état
des foires & marchés de l'Europe , par
ordre alphabétique , avec les routes défignées
pour y aller & leur diſtance de
Paris . A Paris , chez Phil . Denis Langlois
, libraire , rue du petit Pont près
la rue St Severin ; vol. in-8°. petit for.
mat ; prix , 3 liv . 10 f. broché , & 41.
10 f. relié. :
Utilité, befoin, économie l'auteur paroît
avoir tout confulté pour remplir le
titre de ſon ouvrage. Ce repertoire eſt
d'ailleurs imprimé avec ſoin & fous un
format très-commode.
Effai de Cristallographie ou Deſcription
des figures géométriques , propres à
différens corps durègne minéral , connus
vulgairement ſous le nom de crif..
taux , avec figures & dévélopemens ;
par M. de Romé de Lifle , de l'académie
électorale des ſciences utiles de
Mavence ; vol. in 8 °. avec des planches.
AParis , chez Didot lejeune ,liAVRIL.
1772. 79
braire , quai des Auguſtins , près le
pont St Michel ; Knapen & de laGuette
, libraires - imprimeurs , en face du
pont St Michel.
Différens Naturaliſtes ont remarqué
pluſieurs fois les formes regulières &
conſtantes que les corps déſignés fous le
nom de cristaux prennent naturellement.
Mais M. Romé de Lille eſt le premier
qui ait tenté de nous préſenter l'enſem -
ble de ces différentes formes . Son eſſai
eſt diviſé en quatre parties. Il eſt queſtion
dans la première des cristaux ſalins ; la
ſeconde traite des cristaux pierreux ; la
troiſième , des criſtaux pyriteux , &la
quatrième des criſtaux métalliques . L'auteur
fait très bien ſentir dans un difcours
préliminaire l'analogie qui ſe trouve entre
les cristaux , même à ne les conſidérer
que par leurs formes extérieures. Cette
analogie paroîtra encore plus frappante
lorſqu'on jetera les yeux fur le Tableau
christallographique dreflé par l'auteur &
diftribué en dix colonnes . Ce tableau
nous rappellera cette pensée d'Encelius :
Natura geometriam exercet fub terræ vifceribus
mirabili officio.
DE RE METALL. LIB . I.
Diy
80 MERCURE DE FRANCE .
Cet eflai de cristallographie a beaucoup
de clarté , de méthode & de préciſion. Il
eſt enrichi d'une table alphabétique des
principaux auteurs qui ont écrit fur les
cristaux ou qui font cités dans l'ouvrage à
l'occaſion des criſtaux.
Du Luxe , de fa nature , deſa vraie cauſe
& defes effets. Brochure in 8 °.; prix ,
12 fols . A Londres ; on en trouve des
exemplaires à Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriſtine ; 1772 .
Cet écrit eſt d'un ſage qui a beaucoup
réfléchi fur les cauſes &les effets du Luxe,
&qui paroît avoir démaſqué ce fléau def.
tructeur des grands Empires; mais c'eſt le
mémoire même précis & ferré , qu'il faut
confulter & dont on ne peut donner ici
qu'une foible idée.
Le Luxe doit ſon origine à l'argent
(j'entends l'or en même tems ; ) il lui
doit fes progrès & ſes excès. Que l'on réfléchiſſe
à ce que le Luxe a de plus diſpendieux
, je maintiens que fans l'argent il
ne pourroit pas être auſſi exceſſif: fans lui
verrions - nous tant de Célibataires fufpects
dans l'un & l'autre ſexe , &qui dépenſent
avec autant de profuſion ? Le jeu
feroit - il auſſi monstrueux ? De ſimples
AVRIL. 1772 . 81
:
particuliers ſans biens - fonds , faroientils
auffi magnifiques dans leurs vêtemens ,
leur ameublement & l'état de leur maifon
? Rien de fi dangereux qu'un genre de
richeſſe ſi facile à répandre par le prodigue
, à renfermer par l'avare , à accumuler
par l'ufurier , à ufurper par la force , par
l'adreſſe , par un coupable ſavoir faire ?
cette richeſſe eſt la pâture de beaucoupde
vices , dont ſans elle on auroit à peine l'idée;
& cette richeſſe eſt l'argent ; il fait
le malheur du plus grand nombre à qui
trop ſouvent on en demande , quand il
n'en a pas ; ceux qui en ont peu font dévorésde
la foif d'en avoir davantage ; il
donne une fatiété , pour ainſi dire , ſtupide
fur toute eſpèce de jouiſſance , par
l'abus qu'on en fait toujours , à celui qui
en poffede hors de meſure ; le mortel le
plus heureux eſt celui qui n'en connoît
ni l'uſage , ni le beſoin , ou qui , en le
poffedant , vivra modérement : quelle eſt
votre idole ? un tyran quand il vous abandonne
, un corrupteur quand vous le tenez.
Le titre de ſigne repréſentatif des richeſles
réelles eſt ſans doute le plus grand
mérite de l'argent ; au moins en cela eſtil
de reſſfource par la facilité qu'il apporte
dans les échanges ; qu'il brille fur nos vê-
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
temens ou dans nos bijoux , ce n'eſt pas
une choſe ſi merveilleuſe ; qu'il remplace
même d'autres métaux inférieurs , dans
l'uſage que nous en faiſons ; nous ne lui
en fautons gré que parce qu'il eſt plus
rare , car il ne nous fervira pas mieux ;
mais qu'il foit devenu indiſpenſable pour
fe procurer tous les objets de néceſſité ,
d'utilité , d'agrémens , voilà le point intéreſſant;
c'eft fous ce coup d'oeil qu'il
vaut la peine d'être conſidéré , afin de
s'affurer de la ſituation de chaque Nation,
relativement à l'argent & par rapport à
lui.
On ſe perfuadera facilement que l'Efpagne
& le Portugal font les propriétaires
mal aiſés de l'argent.
Mais où ſe répand cette maffe d'argent
apportée chaque annnée par les galions
fi défirés ? Une portion s'engloutit dans
l'Inde en échange des denrées & marchandiſes
qu'il plaît au luxe de faire venir du
boutdu monde; une autre portion circule
un inſtant dans la France , qui ne la reçoit
que pour la reverſer en grande partie pour
payement d'intérêts &de profits dans des
pays où l'amour du gain & l'économie
font les dieux tutélaires; il en eſt de même,
à peu de choſe près, en Angleterre qu'en
France ; ainſi la Hollande , la Suifle , GeAVRIL.
1772 . 83
nes , Veniſe , font devenues une ſeconde
patrie pour l'argent, & il s'y concentre fi
bien , qu'il en coûte , pour ainſi dire, autant
de peines & de ſueurs pour en tirer
des parcelles , qu'il en a coûté originairement
pour l'arracher des entrailles de la
terre.
Qu'on demande à l'Angleterre à quel
point elle pouſſe le travail & les efforts
pour ſe foutenir dans la prépondérance
qu'elle s'eſt attribuée ! Elle conviendra ,
ſi elle eſt de bonne foi , que malgré la
force de ſa bonne conſtitution , elle s'apperçoit
ſenſiblement que ſa vigueur diminue
, qu'elle s'épuiſe par la multiplicité
des engagemens qu'elle contracte , &
qu'elle ne voit pas jour à s'en délivrer ſans
retour ; elle cherche à repouſſer la détreſſe
qui la menace par les avantages du commerce
.
La France a fans contredit un avantage
fur l'Angleterre ; celle ci eſt à ſon dernier
période , quant au folide ,& l'autre peut
doubler ſes richeſſes dans ce genre , fi
une fois elle veut s'y livrer; mais ne faudroit-
il pas préalablement un remède ,
qui , tout au moins , amortit les mauxqui
la travaillent depuis nombre d'années ,
& lui ôtent les forces& le courage dont
D vj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
elle auroit beſoin pour rentrer avec fuccès
dans la poſſeſſion des richeſſes réelles ?
L'argent fut fans doute une facilité
pour le gouvernement & pour le contribuable
, quand il remplaça l'impôt en
nature ; mais cette facilité a tourné tousà
fait contre l'un & contre l'autre par
celle qu'elle a donné au goût de la dépenſe
, à la cupidité , à l'uſure , & par
contre coup à l'augmentation de l'impôt.
Que n'est- il poffible d'en revenir à l'impôt
en nature ? mais il eſt des poſitions
où la prudence n'admet pas même l'aſſurance
d'un grand bien , quand , pour l'établir
, il faudroit faire des changemens
capables d'ébranler la machine , & malheureuſement
nous fommes dans ce genre
de poſition. Je ſuis fi convaincu de l'avantage
prompt que retireroit la France d'un
régime qui , en la mettant à portée de ſa.
tisfaire à tous ſes engagemens , la délivre .
roit du joug afſommant de l'argent , que
pour le trouver ce régime , je donnerois
ma vie; je laiſſerois le maître le plus digne
de l'être dans la plus grande fatisfaction
de rendre heureux tous ſes ſujets.
L'auteur laiſſe entrevoir qu'il a trouvé
unmoyenqui ne feroit ni tortionnaire, ni
ſyſtématique , & fi fimple que nous ne
AVRIL. 1772. 85
jouerions que le rôle de ce payſan qui ,
témoin de l'élévaton d'un obéliſque à
Rome , ſans s'alarmer en vain avec les
gens de l'art ſur la rupture menaçante des
ordres , crioit de toutes ſes forces : mouillez
, mouillez donc. Il n'y auroit plus de
pauvres , il n'y auroit plus de riches pécunieux
, parce que l'aiſance ſeroit univerfelle.
Le Philofophe ferieux , hiftoire comique.
ALondres ; & ſe trouve à Paris , chez
Lacombe , libraire , rue Chriſtine ; bro.*
chure , 24 f.
Ce roman eft écrit avec beaucoup d'agrément,
de gaîté & d'eſprit. On y trouve
une cenſure très fine , en même tems fort
plaiſante , des ridicules , des moeurs , du
néologiſme & du perſiflage à la mode-
Phlegmaton est un philoſophe froid
par tempérament , cependant amoureux ,
homme de lettres , ayant tous les talens
utiles & agréables , d'ailleurs très opulent.
La nature qui ſe joue avec les contraſtes
lui donna une maîtreſſe dont voici le por.
trait. Un front riant , des yeux pétillans
du feu de la gaîté , la roſe des plus belles
lèvres voluptueuſement épanouie par la
charmante convulfion du rire , un menton
86 MERCURE DE FRANCE.
fin , des joues animées du beau fard de la
nature , le menton & les joues embellies
de ces rians petits trous où ſe nichent les
amours ; en un mot , l'aſſemblage complet
des graces , vous voyez Semillantine. Son
eſprit, ſes talens étoient àl'unitſon & for.
moient un concert parfait ; auffi Phlegmaton
en étoit- il fou , mais ſa phyſionomie
n'en diſoit mot. Pourtant pour plaire à
Semillantine il falloit que cette phyſionomie
parlat. -A propos , Monfieur le
philoſophe, je veux abſolument votre por
trait , entendez - vous ? Songez bien que
ce n'eſt pas la phiſolophie en peinture
que je vous demande.
Phlegmaton fait faire fon portrait ,
mais ſous les traits de la jeuneſſe &de la
gaîté ; il le donne à Semillantine qui lui
dit : « je ne connois rien de plus galant
que vous , ce portrait- là eſt charmant;
couronnez l'oeuvre ; remportez- le , Comte;
faites en promptement tirer une copie
exacte , vous me rapporterez l'original
, & pour exprimer tout l'excès de ma
reconnoiſſance , j'exige , entendez - vous
bien , cher Comte , que placé devant une
glace , ce portrait à la main vous vous
faſſiez une étude de reſſemblance ... enfin
vous me plairez par deſſus rout lorſqu'à,
AVRIL. 1772. 87
force d'effats , de travaux , vous ferez
parvenu à reſſembler à votre portrait :
avec le défir de plaire ,il ne fautdéſeſpérer
de rien ; bon courage , je répondrois
preſquedu ſuccès.
Le Philoſophe amoureux environné
de glaces , le portrait d'une main, la tête
penchée ſur l'autre , le coude appuyé fur
un bureau , fait rout ce qu'il peut pour
rire & déſeſpérant d'y jamais parvenir ,
lance avec fureur la peinture contre la
glace , briſe l'une & l'autre , en s'écriant :
hélas ! ſi l'on ne peut plaire qu'à ce prix ,
c'en est fair... Je renonce aux femmes
pour la vie . Certain Marquis , plein de
faillies , petulant , fol à l'excès , entre fubitement
ſans s'être fait annoncer , &
furprend le Comte dont il va conter l'aventure
à Semillantine . La Baronne eſt
inquiéte de ne plus voir reparoître fon
Philoſophe ; elle le retrouve chez un ami,
entre en explication avec lui; mais cet
amant a honte de ſa paffion , & pour s'en
diſtraire il paſſe en Angleterre. Un Milord
le mene fouper à la taverne. Il l'introduit
enfuite chez les Miſs Bimore
deux foeurs fort aimables & très - riches.
Milord étoit le mari de l'aîrée. Phlegmaton
devint l'amant de Jenni la cadetter
,
88 MERCURE DE FRANCE.
Tandis qu'il eſt avec elle , on annonce
CACHINNOUS ; Pardon , Meſſieurs , dit
Jenni Bimore , c'est mon maître à rire ,
ne prenez pas garde. M. Cachinnous étoit
un grand individu tranſparent de maigreur.
Ses joues concaves ne réfléchiffoient
point le rire ſardonique que dardent
des yeux d'aigle. Son auſtère décharnement
figuroit la gravité eſpagnole du
Héros de la Manche. Quel maître pour
enſeigner les graces du rire ! Il avoit parcouru
toute la France à deſſein de ſe perfectionner
dans ce comique talent . Son.
eſpoir étoit d'en tirer une fortune immenſe
chez ſes concitoyens... Ce nouveaugenre
d'agrément fut annoncédans le
Magasin de Londres : chez un peuple qui
n'eſt pas plaiſant , jamais on n'eût préſumé
le haur ſuccès de cette comique extravagance.
Le Comte étoit extrêmement
curieux de voir comment on s'y
prenoit pour faire rire quelqu'un & furtout
méthodiquement : la choſe lui parut
d'une nouveauté exquiſe Miledi & le
maître ſe pelorèrent comme deuxftatues
vis - à - vis une grande glace. -Allons ,
Miledi , commençons par le rire des petites
maîtreſſes , regardez moi avec atten.
tion, faites tout de même ; allongez bien
AVRIL. 1772. 89
le col en avant... retirez la gorge entre
les deux épaules , & vîte partez du gofier
&de toute la tête en éclatant bien fort ...
Ahah... ahah.. & fur tout les huit derniers
ahah très-précipités... A merveille .
Quand on rit comme cela , c'eſt ce que
l'on appelle à gorge déployée , on a de
l'eſprit comme un ange ,& cela fe communique
électriquement à toutun cercle;
il n'eſt point dutout néceſſaire d'avoir de
la joie pour pratiquer ces fortes d'éclats ..
Le maître lui enſeigne enſuite le rire deprosection,
le rire de l'ingénue , le rire naturel.
Phlegmaton avoit quitté en France
une maîtreſſe adorable , gaie , enjouée &
folâtte pour s'attacher en Angleterre au
char d'une beauté muette , profonde &
taciturnement réfléchie ; & ce qu'il y a
de fingulier , c'eſt qu'il s'eſt engagé de
donner des leçons de gaité , lui que la
gaîté vient d'expatrier. Phlegmaton
triomphe de la taciturnité de Miledi ;
lesdeux foeurs & les deux amans viennent
à Paris ? ils y prennent un grand train de
maiſon; il font de toutes les fêtes ; Phlegmaton
ivre d'amour & de plaiſir , paroît
dans les ſpectacles & dans les cercles , &
y ſoutient le titre&le ton de Milord. Ce.
pendant le pétulent Marquis le reconnoît
وه
MERCURE DE FRANCE.
malgré fon traveſtiſſement étranger. Il
court encore faire part de l'aventure à Semillantine.
Elle reprend ſon amour pout
le Philofophe ; elle envoie à ſa découverre
; Flore lui porte une lettre de ſa
maîtreffe . Phlegmaton vole chez Sémillantine.
Jenni Bimore inquiéte de cette
fortie ſubite , va dans le cabinet du Philofphe
& trouve la fatale lettre de ſa tivale.
Preffentant tout ce qu'elle avoit à
craindre , elle s'abandonne à fon défefpoir.
Elle écrit à fon amant infidèle ; elle
ſe fait conduire à St Cloud & ſe précipite
dans la Seine ; on la retire de l'eau ; on la
reconduit à fon hôtel. Cependant le Philofophe
& Sémillantine font leur racommodement.
L'Anglois & les deux foeurs
retournent à Londres , après avoir exprimé
en termes très-énergiques leur dépit
& leur mépris contre le François qui les
abandonnoit. Apréſent que nous devons
être plus tranquilles , dit Sémillantine
j'exige , mon cher Comte , que vous me
détailliez vos petites caravanes angloiſes ;
je me ſens le courage de les écouter de
fang froid & même d'y prendre plaifir ;
car je fuis en vérité bien curieuſe de ſavoir
par quel inconcevable phénomène
la gaîté a pris naiſſance dans votre ame ;
2.
AVRIL. 1772 . 91
rien ne me paroît ſi piquant. Des Anglois
qui prennent la consomption à Paris , un
François qui s'en va guérir à Londres , c'eſt
en vérité quelque choſe de merveilleux .
Le Comte fit le fidèle recit de ſon voyage
& de ſes amours. Il unit ſa deſtinée à
celle de Sémillantine ; & l'hiſtoire ajoute
qu'ils continuèrent à s'aimer.
Voyages de Richard Pockocke , membre
de la ſociété royale &de celle des antiquités
de Londres , &c. en Orient ,
dans l'Egyte , l'Arabie , la Palestine ,
la Syrie , la Grèce , la Thrace , & c .
contenant une deſcription exacte de
l'Orient & de pluſieurs autres contrées :
comme la France , l'Italie , l'Allemagne
, la Pologne , la Hongrie , &c. &
des obfervations intéreſſantes fur les
moeurs , la religion , les loix , le gouvernement
, les arts, les ſciences , le
commerce , la géographie & l'hiſtoire
naturelle & civile de chaque pays , &
généralement ſur toutes les curiofités
de la nature& de l'art qui s'y trouvent :
traduits de l'anglois fur la ſeconde édition;
par une ſociété de gens de lertres
; 9 vol , in 12. A Paris , chez J. P.
Coſtard, libraire , rue St Jean- de Beauvais.
92 MERCURE DE FRANCE.
Nous penfons que l'on diftinguera ces
mémoires de ceux donnés par des voyageurs
plus curieux de ſurprendre l'admiration
du lecteur que de l'éclairer. Pockocke
qui joignoit à une vaſte érudition
le déſir le plus ardent d'acquérir de nouvelles
connoiſſances , n'a inféré dans ſes
mémoires que ce qu'il a pu voir , obſerver
ou apprendre par lui même ; bien différent
en cela de la plupart des voyageurs
qui croiroient que leur rélation ſeroit incomplette
s'ils n'y ajoutoient les fables.
que leurs prédéceſſeurs ont débitées . Il
faut avouer que le goût du merveilleux
eſt un peu éteint parmi nous , & qu'un
voyageur réuffiroit mal aujourd'hui à nous
debirer le roman de ſes aventures. Les
voyages de Pockocke offrent des détails
topographiques , &des deſcriptions d'anciens
monumens qui pourront nous rappeller
pluſieurs paſſages d'anciens auteurs
ou contribuer à les éclaircir. Ce voyageur
ſe livre très peu àdes conjonctures , il ſe
contente de rapporter les faits. La ſorte
d'indifférence philofophique avec laquel.
le il parle des moeurs , des uſages , des
coutumes & des cérémonies religieuſes
des différentes Nations qu'il parcourt ,
doitd'ailleurs lui mériter la confiance du
AVRIL. 1772 . 93
lecteur. S'il s'eſt trompé , comme il eſt
arrivé quelquefois , fur-tout dans des objets
de phyſique , de chymie ou d'hiſtoire
naturelle , ſes obſervations cependant ne
feront point abfolument indifférentes à
ceux qui cultivent ces ſciences .
Les mémoires de notre voyageur contiennent
beaucoup d'inſtructions fur l'Egypte.
Un Européen regarde ordinairement
les eſclaves chez les Turcs comme
des malheureux , ſujets aux caprices d'un
maître qui ne leur laiſſe que le travail
après le travail. Mais ſi on jette les yeux
fur ces voyages on ſe convaincra que la
condition de ces infortunés eſt ſouvent
plus douce que celle de nos journaliers ,
fur-tout lorſque ces eſclaves ont été élevésdans
la maiſon du maître & qu'ils ont
renoncé au Chriſtianiſme. Chaque maiſon
en Egypte a un inſtituteur gagé pour
les inſtruire. On leur apprend à lire , à
écrire , à faire leurs exercices , &c. & les ,
maîtres pourvoient ordinairement à leurs
établiſſemens . Ils leur achetent des terres
, les marient & les gardent chez eux ,
ou s'ils en font mécontens & qu'ils les
congédient , ils leur laiſſent leurs reve
nus. Its les placent dans les corps des Ja
niſſaires. Lorſqu'un eſclave vient à s'éle
94 MERCURE DE FRANCE.
ver il eſt ſurnommé fils de fon patron . II
eſt rare que la profpérité porte ces eſclaves
à s'oublier ; s'ils rencontrent leurs ,
patrons dans les rues , ils mettent pied à
terre& vont leur baifer la main ou la
veſte. Aufli les Turcs n'ont rien de plus
à coeur que de faire le bonheur de leurs
eſclaves. Notre voyageur rapporte à ce
ſujet la réponſe que fit un Bey àun autre
Seigneur auquel il étoit allé rendre viſite.
Ce dernier faifoit alors bâtir une maiſon
ſuperbe , quoiqu'il en eût déjà deux
ou trois. Le premier au contraire étoit
très-mal logé , & n'avoit jamais travaillé
qu'à l'avancement de ſes domeſtiques. Il
avoit alors cinq ou ſix de ſes eſclaves tous
beys commelui , ou chefs des Janiffaires
& des Spahis . Leur converſation étant
tombée fur les bâtimens , ſon ami lui demanda
, pourquoi étant très riche & trèsmal
logé , il n'élevoit point quelques palais
? « J'ai beaucoup bâti , répondit ce
» Bey , & les bâtimens auxquels j'ai tra-
>> vaillé , me font plus d'honneur que ne
• vous en feront jamais les vôtres ; auſſi
>>ne font - ils point ſujets aux injures du
>> tems ; ce font , ajouta - t-il, tels & tels
» qu'il lui nomma. Voilà quels font les
» édifices à l'élévation deſquels j'ai traAVRIL.
1772 .
95
>> vaillé toute ma vie . Je les ai tirés de
>> l'esclavage , & ils font aujourd'hui les
>> plus grands ſeigneurs de l'Egypre
» Avouez que mes bâtimens ſont bien
>>plus dignes que les vôtres de l'ambition
>> d'un honnêre homme..".
Ces mémoires ou cette eſpèce de journal
intéreſſe plus par le fond d'inſtructions
qu'il contient que par le ſtyle. On
n'exigera pas fans doute qu'un écrivain
qui a paſſé la plus grande partie de ſa vie
à examiner les veſtiges des anciens monumens
& qui a preſque toujours vécu au
milieu de Nations dont la langue lui
étoit étrangère ait mis plus de préciſion
dans ſes deſcriptions , plus d'élégance &
de correction dans ſa diction .
La traduction de ces voyages eſt de
M. Eidous , connu par pluſieurs traductions
& qui a reclamé celle- ci par une lettre
inférée dans l'Avant Coureur de cette
année Nº. 6.
Il ne paroît encore que les ſix premiers
volumes de cet ouvrage. La condition de
l'acquiſition actuelle eſt ſimplement de
payer 22 liv. 10 f. en recevant ces fix volumes
en feuilles ; au moyen de quoi l'on
recevra gratis les trois derniers volumes
qui font fous preſſe.
وک MERCURE DE FRANCE.
Nouveau Dictionnaire univerſel & raifonné
de médecine , de chirurgie , & de l'art
vétérinaire ; contenant des connoiflances
étendues ſur toutes ces parties , &
particulièrement des détails exacts &
précis fur les plantes uſuelles , avec le
traitement des maladies des beſtiaux ;
ouvrage utile à toutes les claſſes des citoyens
, fur - tout aux habitans de la
campagne & mis à leur portée par une
ſociété de médecins ; 6 vol . in. 8 ° . petit
format. A Paris , chez la V. Ducheſne
, libraire , rue St Jacques , au
Temple duGoût .
La première leçon de ſageſſe que l'on
devroit donner à un jeune homme ſeroit
d'apprendre à ſe connoître lui - même :
nofce te ipfum ; leçon également importante
au phyſique comme au moral . C'eſt
pour faciliter cette étude que les auteurs
de ce dictionnaire ſe ſont appliqués à rafſembler
les inſtructions les plus journalières
& les plus utiles relatives à l'anatomie
, la phyſiologie , l'hiſtoire des maladies
, la manière de les guérir & les
moyens propres à produire cet effet. Mais
l'hiſtoire des maladies eſt la partie la plus
conſidérable de cette eſpèce de bibliothèque
AVRIL. 1772. 97
les
que de médecine ; celle à laquelle les aureurs
ſe ſont le plus appliqués . Comme
cet ouvrage eſt particulièrement conſacré
à ceux qui font leur ſéjour à la campagne;
on y a inféré les articles les plus intéreſſans
de l'art vétérinaire. Les Seigneurs
bienfaifans , les Curés reſpectables ,
cultivateurs chers à ceux qui les environ.
nent , peuvent eſpérer de trouver dans ce
dictionnaire de nouveaux moyens d'étendre
leurs bienfaits & de venir au ſecours
de l'indigent ou du malheureux que les
maladies empêchent de reprendre ſestravaux.
Lettres fur divers ſujets de la Géographie
Sacrée & de l'Histoire fainte , avec des
planches & des cartes géographiques ;
par le P. Joſeph Romain Joly , de St
Claude , Capucin ; chez Buttard , imprimeur
& libraire , rue St Jacques ;
in-4°.
: -
Cet ouvrage regarde les monumens
dont il eſt parlé dans l'Hiſtoire fainte , &
la géographie des lieux dont elle fait
mention. L'auteur commence par l'arche
de Noë'& la tour de Babel. Il donne enſuite
le détail des lieux que les patriar-
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
ches ont parcouru dans leurs voyages : on
met l'itinéraire ſous les yeux du lecteur
dans une carte. La carte ſuivante marque
les ſtations des Iſraëlites depuis leur départ
d'Egypte juſqu'à leur entrée dans la
Palestine: elle a été dreſſée en partie d'après
les obſervations que le P. Sicard a
faites fur les lieux. La lettre où l'on difcute
les trois premières journées contient
de nouvelles découvertes au moyen defquelles
toutes les difficultés diſparoiffent.
Voici les autres cartes qui font dans le
livre: la Terre de Chanaam avant les conquêtes
de Joſué ; la Palestine ſuivant le
partage des douzes Tribus ; la même province
ſelon fa nouvelle diviſion après le
retour de la captivité ; les villes épisſcopåles
dépendantes du Patriarchat de Jérufalem
; enfin , les lieux viſités par les
Apôtres.
Al'égarddes monumens, ontrouve dans
cet ouvrage , la deſcription du tabernacle
&le détail des ſacrifices , des ornemens
des prêtres; puis le temple de Salomon,&
la plupart des inſtrumens de muſique en
ufage chez les Hébreux; le plan de Jérufalemdutems
de Jeſus - Chriſt avec celui
du nouveau temple. On a fait auſſi graver
>
AVRIL. 1772 . 99
une planche qui repréſente la matche du
Peuple de Dieu dans le défert.
L'auteur donne une explication conciſedans
ſes lettres de ce qui eſt contenu
dans les planches & dans les cartes géographiques
. Il a puifé ſes remarques dans
l'Ecriture ſainte; il a conſulté les anciens
géographes & l'hiſtorien Joſephe ; les
voyageurs modernes lui ont été d'un grand
fecours , ainſi que les differtations de
Dom Calmer& le dictionnaire de la Martinière.
Ce petit in quarto réunit tout ce qu'il
ya de plus important dans la plupart des
commentaires ſur l'Ecriture relativement
aux deux objets que l'auteur avoit en vue :
'il s'eſt propoſé de faciliter la lecture de
l'Histoire fainte , en offrant au lecteur des
diſcuſſions qui n'ont pas la ſéchereſſe &
la prolixité que l'on rencontre dans les autres.
Les nouvelles découvertes qu'on y
trouve ſont d'autant plus précieuſes que
les moindres chofes ſontde la plus grande
importance dans un livre qui eſt le dépôt
des révélations divines ; & elles ſont intéreſſantes
non-feulement pour les vrais
fidèles , mais encore pour les gens de let-
:
tres , de telle ſecte qu'ils ſoient.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
* Les Odes Pithiques de Pindare traduites ,
avec dés remarques par M. Chabanon ,
de l'académie royale des inſcriptions &
belles- lettres , &c. A Paris, chez Lacombe,
libraire , rue Chriſtine , près la
rue Dauphine ; 1772. Le texte grec eſt
imprimé à côté de la traduction , & l'édition
eſt très belle ; vol . in 8 ° . br . 5 l.
Dans le tems même où j'imprimais
qu'il ne fallait pas traduire les poëtes en
profe, ni juger Pindare ſur une traduction
, paroiſlait l'eſtimable ouvrage dont
je vais parler , & auquel je rendrai toute
la juſtice qui lui eſt due,d'autant plus volontiers
que ce témoignage ne ſe trouvera
point , quoiqu'on en ait voulu dire ,
en contradiction avec mes principes . J'ai
foutenu qu'on ne pouvait traduire un
poëre en proſe ſans lui ôter deux grands
avantages qui lui font propres , l'harmonie
& les formes poëtiques. Du moins le
meilleur traducteur ne ſe vantera pas , je
crois , de les lui conſerver. Mais d'un
autre côté , il y a tel poëte , Pindare par
exemple , fi éloigné de nos moeurs & de
nos idées , qu'il ne fauaroit pas même le
* Article de M. de la Harpe.
AVRIL. 1772. 101
traduire en vers , du moins tout entier ,
&qu'il ne pourrait guères nous plaire que
traduit par fragmens. Dans ce cas ce ne
ferait pas rendre un mauvais ſervice à
ceux qui voudraient avoir quelque notion
d'un écrivain de ce genre ,que de leur en
donner une verſion en proſe qui fût exacte&
élégante , & d'après laquelle on pût
ſe former une idée,non pas de l'étendue
de fon mérite , qu'on ne peut apprécier
que dans l'original , mais de fa manière
de voir & de fentir , &du genre dans lequel
il écrivait.
En général je n'ai pas voulu dire & je
n'ai pas dit , qu'aucune traduction en proſe
d'un ouvrage en vers ne pût êtte bonne
; mais qu'il ne fallait pasjuger ſur cette
proſe celui qui a écrit en vers , &c'eſt, je
penſe , ce que tous les traducteurs & M.
Chabanon tout le premier , m'accorderont
fans difficulté. D'ailleurs tous les
principes de goût les plus vrais ſouffrent
naturellement des exceptions. Lucréce ,
par exemple , n'eſt pas ſuſceptible d'être
traduit en vers. Quelques morceaux trèspoëtiques
, tels que le début du premier
chant traduit par Hainault, celui du ſecond
, par M. de Voltaire , ont pû pafler
dans notre langue avec fuccès. Mais le
plein & le vuide & la déclinaison des ató
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
mes font des ſujets qui ſe refuſent abfolument
à notre verfification . On a donc
très-bien fait de traduire Lucrèce en proſe
& ce qu'il y a de plus heureux , c'eſt
que cette traduction eſt un modèle en ce
genre.
Le principe que M. Chabanon a ſuivi
dans la ſienne me paraît très fage. Voici
comme ill'énonce &le motive lui-même.
« Des quatre livres de Pindare qui nous
>> reſtent , on n'en donne ici qu'un ſeul
>> traduit. C'eſt l'eflai d'un travail affez
>>pénible pour que nous n'oſions le con-
>> tinuer fans quelque encouragement de
>>la part du Public. Le traducteur, prêt à
>>laiſſer la plume ou à la reprendre , at-
>>tend que fon juge le décide. Difonsun
>>mot du principe de traduction que nous
>>avons fuivi. Ce principe eſt celui d'une
>>fervitude rigoureuſe. La raiſon qui nous
>>l'a fait adopter , tirée du caractère ex-
>> traordinaire de Pindare pouvoit nous
>> faire préférer un ſyſtème de traduction
>>tout oppofé. Il s'agiſſoit ou de rappro-
>>cher de notre goût , de notre façon d'é-
>>crire , le poëte de l'antiquité qui en eſt
>> le plus éloigné , ou de lui conſerver cet
>>air étranger , ce tour original , cette li-
>>berté audacieuſe qui l'a diſtingué de fes
>> contemporains mêmes. Dans cette alAVRIL.
1772 . 103
» ternative , je me fuis regardé comme
» un peintre chargé de faire connaître un
>> homme à la fois extraordinaire & célè-
>>bre , &j'ai pensé que mon premier de-
» voir était de le montrer reſſemblant.
>>Le principal éffort de cette traduction
>> a donc été de ſe mouler ſur le texte ,
>> de garder toujours le mot caractériſti-
>>que , l'expreſſion qui peint , de rendre
>> les métaphores telles qu'elles font &
>>ſans équivalent. Si quelquefois je me
>>ſuis écarté de cette règle auſtère , je ré-
>> pare mon infidélitépar une note.C'eſt là
>> qu'on retrouve le nud pour ainſi dire .
Peut-être eſt - il à propos d'avertir le
>>lecteur de la ſurpriſe que doit quelque-
>>fois lui caufer la lecture de notre poëte .
>> Cette ſurpriſe nous ſemble inévitable ,
» & nous la regardons d'avance comme
>>un témoignage de notre fidélité. Qui-
>> conque en traduiſant Pindare le fera
>> lire ſans aucune forte d'étonnement ,
» ſera ſûr de l'avoir dénaturé. »
M. Chabanon conſidère enſuite la nature
de l'ode , ſon union chez les Anciens
avec la muſique inſtrumentale , & les
changemens qu'elle a fubis chez les Modernes
où elle n'eſt plus chantée. Sur tous
ces objets , fon opinion eſt préciſement la
même que celle que j'ai tâché de dévé
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
lopper dans le fragment ſur la poëfie lyrique
inféré dans le dernier Mercure , &
je me félicite de m'être rencontré ſur toutes
ces matières avec un homme qui a
autant d'eſprit , de goût & de connoiffances
que M. Chabanon. Voici comme
il s'explique dans ſon diſcours préliminaire
, & malgré tout ce que je puis craindre
de la comparaiſon , je préfére les intérêts
du lecteur aux miens , & je vais
tranſcrire les endroits où ſon avis paraît
s'accorder avec le mien. L'ode fut au-
>> trefois chantée. La muſique parle aux
>> ſens , à l'ame , à l'imagination , non à
>>l'eſprit. Elle produit des ſenſations for.
> tes , vives ou touchantes , &fi elle man-
>> que ces effets , il ne lui en reſte plus à
>> produire. Ceci pofé , que doit faire la
>> poëfie pour s'accommoder à la muſique
>> & s'unir intimément avec elle ? Elle
>> doit peindre , émouvoir & non raiſon-
> ner. Réduiſons ceci en exemple. Qu'un
>> artiſte , poëte à la fois & muſicien, pré-
» lude avec enthouſiaſme ſur les cordes
>> d'une lyre ou d'une harpe , & qu'il ap-
>>' plique à ces chants peu fuivis ſinon des
» vers , du moins des penſées, celles qu'il
>> proférera donnent l'idée primitive de
>> l'ode . Qu'attendrons - nous de cet im-
>> proviſateur? qu'il diſcute quelque point
AVRIL. 1772. 105
» & l'approfondiſſe ? l'émotion qu'il
>> éprouve ne peut le conduire à des idées
* réfléchies . Nous étonnerons- nous ſi les
fiennes ne ſe ſuccédent pas dans un or-
>>dre méthodique ? le chant lui tient lieu
>>de règle & de méthode , & l'imagina-
>>tion d'ailleurs qui le conduit en ce mo-
>>ment eft comme la vue ; elle embraſſe
>> les objets qui ont entre eux le moins de
>> rapports ; différente en cela de l'eſprit
» qui combine tout ce qu'il rapproche.
>>Nous étonnerons - nous encore ſi notre
>> muſicien poëte énonce ces formules de
>> l'ode ſi ſouvent critiquées , que vois je?
» oùfuis je ? où me tranſportez- vous ? & c .
>>diſons-le; les odes dépouillées duchant
>> font parmi nous comme une poſtérité
» dégénérée, qui porte encore le nom& la
>> livrée de ſes ancêtres , mais qui déchue
>> dumérite qu'ils avaient , reclame à tort
leurs priviléges. »
J'obferverai , quant à ces formules fouvent
critiquées dont parle l'auteur , qu'el.
les l'ont été avec justice lorſqu'on les repétait
juſqu'au dégoût & fur-tout lorſque
le poëte , après avoir dit que vois je ? ne
voyait rien & ne faifait rien voit , & en
s'écriant où me transportez- vous ? reſtait à
fa place & nous laiſſait à la nôtre. Il eſt
beaucoup
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
• De ces gens inſpirés qui n'ont rien à nous dire ,
pour me fervir d'un vers très heureux
d'un homme de lettres qui a le talent d'en
faire ſouvent de pareils , & la modettie
de ne pas les publier .
En général rien n'eſt ſi commun & fi
dégoûtant que le faux enthouſiaſme qui
d'abord ne s'était montré que dans l'ode
& qui depuis a corrompu tous les genres
d'écrire. On ne fauroit trop repéter que
rien n'eſt ſi froid que de s'échauffer hors
de propos, que rien n'eſt ſiridicule qu'une
grande ouverture de bouche , ſuivant
l'expreffion d'Horace, pour dire des riens,
& qu'il ne faut pas imiter cet Allemand
qui , dans une ode ſur le tabac , déburoic
ainſi ; Où m'emporte - tu, dieu du tabac ?
où m'emporte- tu plein de toi ?
J'ai ſous les yeux en ce moment un
exemple de cette manière outrée de dire
les choſes les plus ſimples. C'eſt le début
d'une ode ſur l'Enthousiasme , vantée
comme de raifon , par tous les journaux ,
&miſe dans tous les recueils .
Animé d'une noble audace
Je céde à mes tranſports brûlans,
La route que la raiſon trace
Fut toujours l'écueil des talens.
6
AVRIL. 1772. 107
D'abord it eſt plaiſant que l'auteur ait
des tranfports brûlans , fans nous dire au
moins pourquoi. Qud me , Bacche , rapis
tuiplenum ? dit Hotace. On fait ce qui
le transporte. C'eſt Bacchus. Mais ce qu'il
faut remarquer , c'eſt non-feulement une
route qui eſt un écueil , mais la raison qui
eſt l'écueil des talens. On voit bien ce que
Pauteur a voulu dire , que le génie ne
doit point être eſclave , qu'il eſt des momens
où le délire le conduit mieux que
la raifon ,
Etde l'art même apprend à franchir les limites.
Voilà ce qu'on avait dit , ce qu'il était
convenable de dire. L'auteur qui a voulu
enfler cette idée , la rend faulle & déraifonnable.
Comment peut on dire que la
raiſon est toujours l'écueil des talens ?
Horace penſait différemment quand il
difait,
Scribendi rectèfapere eft&principium&fons.
De tous les bons écrits le bon ſens eſt la bafe.
Si l'on veut enfuite avoir une idée de
l'heureux délire de ces écrivains brûlans ,
iln'y a qu'à lire le reſte de la ſtrophe .
Souveraine de l'harmonie ,
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
Ivrefle , mère du Génie ,
Epuise fur moi ta fureur.
Quel accès violent m'agite ?
Il m'embraſe ; un démon l'excite ;
Tous mes ſens frémiſſent d'horreur.
Quels vers pour un homme qu'un démon
excite ! ce démon là n'eſt pas celui de
la poësie . Qu'est - ce qu'une ivreffe qui
épuise fa fureur ? Qu'est - ce qu'un accès
violent après des tranſports brûlans !
La plupart de mes lecteurs me diront
qu'ils ne ſavent ce que c'eſt que cette ode.
Je leur répondrai que ce n'eſt pas ma faute
, que cette ode eſt imprimée par tout
depuis quinze ans ,&que je me fouviens
d'avoir lu que c'était la plus belle ode
qu'on eût faite depuis Rouſſeau. Il eſt
vrai que jamais je n'en ai entendu citer
un vers à qui que ce ſoit ; mais c'eſt le
fort de tous les chefs - d'oeuvre exaltés
dans les feuilles périodiquespour l'inftruction
de l'Univers.
Je puis encore , non pas pour l'inftruc .
tion de l'Univers , mais pour l'amusement
des amateurs , leur citer la troiſième ſtrophe
qui vaut encore mieux que la première.
Tu fis les Dieus , facré délire.
:
AVRIL. 1772 . 109
Les murs s'élèvent à tes fons.
Tu fais de l'enfer qui t'admire
Treflaillir les cachots profonds.
De Mars tufouffles les alarmes.
Alexandre court , vole aux armes ;
Le courage , c'eſt ta chaleur;
Sparte dans ſes revers ſommeille ;
Quel chant la frappe ? elle s'éveille ;
Tout fuccombe ſousſa valeur.
Voilà comme il faut faire des vers pour
être loué ; mais voilà comme il n'en faut
pas faire pour être lu. Si Pindare avait
écrit en grec , comme cet auteur écrit en
français , il ne ferait pas queſtion aujourd'hui
de diſcuter le mérite de Pindare .
Je vais tranfcrire la première Pithique
traduite par M. Chabanon avec cette
exactitude littérale dont il s'est fait un
devoir , & pour donner au lecteur le
plaiſir de la comparaiſon , je mettrai enfuite
ſous ſes yeux une traduction de la
même ode plus libre & plus étendue , inférée
autrefois dans la gazette littéraire.
" Tréſor d'Apollon & des Muſes, com-
>>pagne de leurs chants , lyre dorée , tu
>>règles la marche qui ouvre nos fères ;
>> le concert des voix t'obéit , lorfan'é
110 MERCURE DE FRANCE.
>> branlée une fois , tu fais retentir le
>> prélude des hymnes qui conduiſent le
>> choeur ; tu éteins les traits de la foudre ,
>> que des feux éternels embraſent. Le
>> fouverain des oiſeaux , l'aigle , s'en-
>> dort ſous le fceptre de Jupiter. Son aîle
>> rapide des deux côtés s'abaiſſe.
» Un nuage ſombre , répandu ſur ſon
>> bec recourbé eſt le ſceau dont tu fer-
>> mes doucement ſa paupière ; dominé
>> par tes fons , il dort& fon dos humide
>> ſe ſouléve. Le dieu de la guerre quitte
>>>ſes armes & ſe laiſſe aller aux charmes
>>d'une volupté tranquille. Tes doux en-
>> chantemens , ouvrage des Muſes & du
>> fils de Latone , réjouiffent l'intelligen-
>> ce des dieux.
>> Tout ce que Jupiter n'a point aimé
>> fur la terre &dans l'immenfité des flots
>> redoute le chant des Piérides ; tel eſt
>> cet ennemi des dieux , Tiphée aux cens
> têtes couché au fond du Tartare . La
>>Cilicie l'a nourri dans un antre fameux;
>>aujourd'hui le rivage de Cumes , bor-
>>nes des mers , & la Sicile oppreffent ſa
>>poitrine hériſſée ; l'Etna l'écraſe , le
>> blanc Etna , colonne du ciel , éternel
>> nourricier des neiges & des frimats ;
>> dont l'abîme vomit des ſources ſacrées
>> d'un feu inacceffible. Ces fleuves brûAVRIL.
1772.
>> lans ne ſemblent dans l'éclat du jour
>> que des torrens de fumée rougis par la
>> flamme ; dans l'obfcurité c'eſt la flam-
» me elle - même roulant des rochers
>> qu'elle fait tomber avec fracas fur la
>> profonde étendue des mers. Tiphée ,
>> ce reptile énorme , vomit ces ſources
>> embraſées. O prodige ! dont le ſpecta-
>> cle& le récit étonnent.
>> Il eſt attaché au pied & au ſommet
» ombragé de l'Etna. Le roc ſur lequel
» il eſt étendu pénétre ſon dos & le dé-
>>chire . O ! Jupiter ! puiſſe-je te plaire ,
>> toi qui règnes ſur cette montagne, front
>> fourcilleux de la féconde Sicile. Une
>> ville voiſine de l'Etna & qui en porte
>> le nom , partage la gloire du mortel
>> illuſtre qui l'a fondée. Le héraut l'a
>> proclamée dans le ſtade pithique , en
>> annonçant la victoire d'Hiéron à la
>> courſe des chars.
>>Le navigateur éprouve le plaiſir le
>> plus doux ſi , au moment qu'il ſe met
>> en mer, le vent favoriſe ſa route ; il en
>> conçoit l'augure du plus heureux re-
>>> tour ; de même par les premiers ſuccès
>> de la ville d'Etna , je prévois tout ce
» qu'elle doit être , illuſtre par ſes cout-
> fiers , par ſes couronnes , & célébrée
12 MERCURE DE FRANCE.
» dans les feſtins qu'anime l'harmonie.
>> Roi de Lycie & de Délos , Phoebus ,
>> toi qui chéris le Parnaſfe& la fontaine
• Caſtalie, accomplis ce préſage ,& rends
>> cette ville fertile en grands hommes.
>>>Car les vertus nous viennent des
>> dieux. Sage , fort ou éloquent , on naît
>> ce qu'on doit être. Je veux louer Hiéron
, & le trait revêtu d'airain que ma
>>main s'apprête à lancer n'ira point ſe
>> perdre hors des limites ; il va percer au
>> loin, & paffer tous ceux de mes ri-
>> vaux.. Ainfi puiſſele tems accorder ton-
>> jours à mon héros les richeſles & le
>> bonheur & lui porter l'oubli de fes
» maux !
>> Puiſſe le Temps rappeller fans ceffe
>> les combats qu'il a foutenus avec une
>> conſtance inébranlable , lorſque favo-
>> riſés des dieux , Gélon & lui obtinrent
→la plus brillante couronne de la Grèce ,
>> prix ſplendide de l'opulence ! Tel que
>>Philoctète, Hiéron combat aujourd'hui.
» Un héros qui l'aime l'a flatté en lui
» montrant le deſtin de la guerre attaché
» à ſa préſence. Les demi-dieux de la
» Gréce vinrent , dit - on , dans Lemnos
>> chercher le fils de Pæin, célebre par fes
>> fléches , & tourmenté par ſa bleſfure.
AVRIL. 1772. 113
" Quoique infirme & marchant d'un pas
>> languiſſant , Troye tomba devant lui ,
& les travaux des Grecs ceffèrent . Tel
>> étoit l'ordre du deſtin. Ainſi puiſſe un
» dieu, réparateur aſſiſter déſormais Hié-
» ron & lui diſpenſer les biens qu'il de-
» fire!
>>Muſe , obéis . Tandis que tu chantes
>> les courſiers vainqueurs , fais entendre
>> le nom de Dinoméne ; la gloire d'Hié-
>> ron ſon père ne lui eſt point étrangère .
>>Enfante pour le ſouverain d'Etna une
>> hymne qui lui ſoit agréable. Hieron
>>fonda pour lui cette ville ; il y plaça la
>>liberté dont l'origine eſt célèbre , & la
>> balance d'Hillus pour règle de tous les
>> droits . Les deſcendans de Pamphile &
>> des Héraclides , Doriens d'origine,ha-
>> bitans des vallons du Taigete veulent
>>conferver la législation d'Egimius .
>> Partis du Pinde , ces peuples fortunés
>> font venus habiter Amyclès ; illuftres
» voiſins des Tyndarides dont la gloire a
>> fleuri par les armes .
» O Jupiter ! accorde à jamais un fort
>> pareil aux rois & aux citoyens de la
• ville ſituée près du fleuve Amène ; que
>> leur bonheur juſtifie tout ce que la voix
>> des hommes en publie. Aidé de Toi ,
114 MERCURE DE FRANCE.
>> que leur chef vieilliſſant gouverne la
>> jeuneſſe de ſon fils , &procure à ce peu-
>>ple le calme heureux que produit l'hat.
>> monie des états. Fils de Saturne , mes
>> voeux t'en preſſent. Contiens dans leur
> pays les bruyantes arinées du Tyrrhé-
22 nien&du Phénicien , frappés du défaf-
>>>tre de leur flotte devant Cumes , & des
>> affronts qu'ils ont foufferts , quand le
>> maître de Syracuſe les dompra fur leurs
>>vaiſleaux légers. Il précipita dans les
>> flors leur jeuneſſe brillante , & déroba
laGréce à une fervitude onéreuse .Dans
>> Salamine je chanterais Athènes , & la
>> payerais de ſes travaux ; dans Sparte je
>> chanterais ce combat donné près du
>>Cirhéron , où l'on vit tomber le Mède
armé de ſes traits. Sur les bords rians
>> de l'Himère , j'adreſſe un hymne aux
>> enfans de Dinomène; leur vertu le mé-
>> rite ; leurs ennemis ont fuccombé.
→ Parler à propos; en peu de mots raf-
>> ſembler beaucoup d'idées , c'eſt prêter
>> le moins qu'il ſe peut à la cenfure. L'ef-
>> prit eſt prompt ; la fatiété l'émouſſe &
> l'appéſantir. La louange d'autrui op-
>>preſſe en fecret celui qui l'écoute. Quoi.
» qu'il en ſoit , Hiéron , fais de grandes
choſes ; il vaut mieux exciter l'envie
AVRIL.. 1772. 1 τις
>> que la pitié. Gouverne avec ſageſſe le
>> timon de l'état , & que ta langue , tra-
>> vaillée fur l'enclume de la vérité , en
>> foit l'inſtrument fidèle .
>>S'il t'échappe une erreur , venant de
>> toi , c'eſt un mal important. Tu fais le
>> fort d'un peuple & mille témoins irré-
>>prochables dépoſent de tes vertus ou de
>> tes vices . Veux - tu jouir toujours d'un
>> renom qui te flatte ? conſerve les no-
>>bles mouvemens de ton ame ; fois li-
>> béral & magnifique. Pilote , le vent
>>t'appelle ,déploie tes voiles ; mais fur-
>> tout , ô prince chéri , échappe aux amor.
>> ces de tout profit honteux. L'homme
>> meurt , & fa gloire lui ſurvit.
>>Elle eſt l'ouvrage des orateurs & des
>> poëtes , & quand le héros n'eſtplus, leur
>>témoignage ſeul nous apprend ce qu'il
>> fut pendant ſa vie. La vertu bienfai-
>> ſante de Créfus ne périt point. Phala-
>> ris , ce monftre cruel , qui embraſait le
>>>taureau d'airain, porte le fardeau d'une
>> odieuſe renommée , & jamais dans les
>> doux entretiens de la jeuneſſe raffem-
>>>blée on n'entend fon nom marié aux
>> accens des Lyres. Le premier des biens
>> eſt la vertu , la gloire eſt le ſecond ; les
>> réunir c'eſt porter la plus belle couronne
.
116 MERCURE DE FRANCE.
Voici maintenant l'autre verſion .
>> Je t'invoque en ce jour lyre d'or que
tiennent tour à tour dans leurs mains
>> immortelles Apollon & les Muſes dont
>> les blondes treſſes ſont entourées de
> violettes. Tu guides la mélodie , princi-
>> pe des brillans accords & les chantres
>> fameux prennent le ton divin de tes
cordes ébranlées , lorſqu'elles annon-
>>cent ces préludes enchanteurs qui ramè
>> nentTerplicore. Tes fons éteignent les
>> redoutables traits que la foudre allume
>> dans les feux éternels ; l'aigle s'endort
> ſur le ſceptre de Jupiter ; les, rapides
>>aîles du roi des oiſeaux panchent &
>> tombent à ſes côtés. Un fombre nuage
>> par toi répandu ſur ſa tête recourbée ,
> voile délicieuſement ſes paupières ; &
>> dans cette ivreſſe profonde , il fouleve
> & balance en dormant ſon dos treflail-
>> lant de volupté. Mars lui - même , le
>> farouche Mars , oubliant fes cohortes
>> hériſſées de fer,dans une douce langueur
>> ſe livre fon ame enchantée.
» Mais ſous les ſavantes mains d'A-
>> pollon & des Muſes , fi tes traits har-
>> monieux charment le coeur des immor-
>> tels , aux cris menaçans des neuf foeurs
>>les ennemis de Jupiter tremblent & fe
AVRIL. 1772. 117
>> confondent. Cette voix formidable re-
>> tentit fur la terre & dans le ſein des
>>ondes orageuſes. Elle épouvante au
>> fond du noir Tartare ce Tiphon dont
▸ les cent têtes altières bravaient la ven-
> geance des dieux .
>>>Jadis l'antre fameux de Cilicie recé-
>> lait cet énorme géant, Aujourd'hui la
> Sicile & les profonds rivages de Cumes
>> compriment ſon horrible ſein forte-
>ment contenu par l'Etna , cette colon-
>> ne des cieux , l'Etna dont le front tou-
>> jours glacé nourritdes neiges éternelles .
» Du fond de ſes cavernes brûlantes jail-
>> liffent les fources pures d'un feu inacceffible
aux mortels. Pendant le jour ,
>> des torrens de fumée répandent leurs
>> flots noirâtres , & la nuit , de brillans
tourbillons de flamme roulent& préci-
>> pitent à grand bruit les rochers dans le
>> vaſte abîme des mers ,
>> C'eſt Tiphon , c'eſt ce grand reptile ,
>> qui ſous la main du maître des Ciclo-
>> pes, vomit ces torrens effroyables . Quel
>> ſpectacle impoſant ! quelle étonnante
» merveille d'entendre ce monftre en-
>> chaîné ſous la plaine & fous les fom-
» mets enfumés de l'Etna ! il s'effraie , il
» s'agite ; ſa couche dure & raboteuſe le
118 MERCURE DE FRANCE .
» perce, le déchire , & fe grave profon-
» dément dans fon dos renverſé.
>> Effets terribles de la colère des Mu-
>> ſes contre un ennemi de Jupiter ! mais
>>quel bonheurde te plaire , ô maître des
» Dieux ! O fuprême modérateur de l'Et-
>>na ! par toi cette montagne élève fon
>>front ſur des campagnes fortunées ; par
>> toi le nom d'Etna , donné à la cité voi-
> ſine, vient d'être à jamais illuſtré avec
>>elle , & le héraut en proclamant Hié-
>> ron , a fait retentir ce grand nom d'Etna
>dans les courſes de Pitho .
» Prêt à quitter ſes rivages , le Nau-
>>>tonnier , ſecondé par Eole , voit dans
>cette première faveur des Dieux le ga-
>>ge assûré d'une navigation facile & du
>>plus heureux retour. Ainſi ce premier
>> ſuccès nous annonce qu'Etna deviendra
>>fameuſe par ſes courſiers ,par les cou-
>> ronnes des jeux ; & dansla joie des fef-
>>tins , fon nom ſera le ſujet des plus fa-
> vans accords .
>>Roi de Lycie & de Délos , ô toi qui
fur le Parnaſſe fais tes délices desondes
>> de Caſtalie , daigne conſerver la mé-
» moite de mes voeux pour un peuple de
héros! La force, la ſageſſe , l'éloquence,
>> tous les talens , toutes les vertus font
AVRIL. 1772 .
→des préſens des immortels. Inſpiré par
toi , j'eſpère , en louant Hiéron , ne
>>pas lancer mon trait d'une main incer-
>> taine: je frapperai le but ,je furpaſſerai
>>>mesrivaux. Ainfi puiſſe le tems toujours
>> attentifà maintenir la proſpérité de ce
>> Prince , & lui prodiguant fans cefle les
❤tréfors de la fortune , écarter pour ja-
>> mais juſqu'au ſouvenir d'une maladie
>>cruelle. C'eſt alors que mon héros fau-
>> toit nous rappeler ces combats où la
>> main des Dieux guidant au carnage fa
>> valeur intrépide , it moiſſonna plus de
>> lauriersque nul autre héros de laGrèce ,
•& couronna ſa richeſſe immenfe des
>>ſuperbes trophées de la gloire.
>>Hieron combattant aujourd'hui , re.
>> trace à nos yeux l'image de Philoctére ,
» & plus d'un prince orgueilleux eſt forcé
>>d'implorer ſon ſecours. Ainfi l'on vit
>> autrefois des guerriers dont les Dieux
> mêmes avoient redoute la valeur , ra.
« mener de Lemnos le fils de Pean ſans
>>celſe tourmenté par ſa bleſſure. Héritier
>> des flêches d'Hercule , il détruifit, la
• ville de Priam , & par lui les Grecs
virent enfin terminer leurs travaux.
>>Son corps étoit faible , abattu , ſes pas
>> chancelans ; mais les deſtins avaient
120 MERCURE DE FRANCE.
» nommé Philoctete. Vous qui ſous les
• murs d'llion réparâtes ſes forces épui-
>> ſées , Dieux , tendez une main ſecou-
>> table au roi de Syracuſe; ſecondez ſes
>> nobles projets ! Et toi , Muſe , en célé-
>>brant les courſiers d'Hieron , fais reten-
>>tir les accords juſques dans le palais de
» Dinomène ; le triomphe d'un pere eft
>>le ſien. Que de nouveaux accens of-
> frent donc en ce jour au ſouverain d'Et-
>>na le témoignage de notre zèle !
»C'eſt pour lui qu'Hiéron a fondé cette
» ville , & qu'avec la liberté , ce doux
>>préſent des Dieux , il y fait fleurir les
>>ſages loix d'Hillus adoptéespar Egimius .
» Ces loix de la Doride ſont encore au-
>> jourd'hui près du Taigète conſtam-
» ment révérées par les deſcendans de
Pamphile & des Héraclides. Elles fai-
» ſaient déja leur bonheur , quand ils
>> préférèrent au Pinde Amiclès & le glo-
> rieux voifinage de ces Tindarides qui
» ſur leurs courfiers éclatans portaient la
terreur au milieu des combats .
» Jupiter , achève ce grand ouvrage
» d'Hiéron. Que les rives de l'Amène ne
>> le cèdent point aux plaines du Tai-
» gêre , & qu'une égale ſageſſe y découvre
toujours aux peuples& aux rois les
>> maximes
AVRIL. 1772. 121
•>> maximes d'une ſaine politique ; fais que
>> ce monarque parvienne à une longue
» vieilleſſe en donnant de grandes le-
>> çons à fon fils , une heureuſe tranquil
lité à ſon peuple. Qu'un ſigne de ta
> tête calme le Phénicien & le Tofcan in-
* quiet ; que déſormais ces nations hau-
>> taines bornent leur gloire àne pas trem-
>> bler pour leurs propres foyers. Fumes ,
-> étale encore à leurs yeux les honteux
>>> débris de leur flotte vaincue par les
>> rapides vaiſſeaux du Roi de Syracufe.
>> Les flots ont englouti leurs guerriers ,
->& ce grand jour a délivré la Grèce
-> d'une ſervitude cruelle . Sitheron , Sala-
» mine , lieux célèbres où le Mède vit
->>briſer ſon caſque. A Sparte & dans
2Athène vos noms ſeuls rempliſſoient
>> mes accords. Près de l'Himer , fur ces
>> bords fortunés , je ne voudrois chan-
» ter que cette grande journée où les
>> fils de Dinomènes domptèrent desen-
» nemis belliqueux. Oui , Fuyons de
>>longs éloges , renfermons-les dans un
>ſeul trait éclatant ; ils feront moins en
>>bute à la malignité ; ils braveront plus
>> aisément les injuftes dégoûts & ce cha-
>>grin ſecret qui ferme l'oreille des mor-
>>tels au récit des proſpérités étrangères .
II. Vol. F
12-2 MERCURE DE FRANCE.
>>Mais , ſage Hieron , que cette injustice
>> ne te détourne point des ſentiers de la
>> gloire , & préférant les traits de l'envie
» à la foible douceur d'être plaint , conti-
>> nue de gouverner les peuples avec la
>>même ſageſle .
>>Sur- tout que ta voix ſoit toujours l'in-
->> faillible organe de la vérité. Rien n'eſt
>>frivole dans ta bouche. Tout eſt grand
>> dans un grand monarque , & les moin-
>> drespromeſſes ſont atteſtées par les plus
>> ſages des mortels. Confulte même ta
>>noble ardeur pour la gloire , & fi ton
>>oreille ſe plaît au récit de tes ra-
>> res exploits , ne te laſſe point de ré-
>>pandre des bienfaits. Crains , ami
« crains les écueils cachés ſous une trom-
>>peuſe économie : ſemblable au pilote
>>qui livre toutes ſes voiles au fouffle pro-
» pice du zéphyr , déploye au loin toute
>> ta magnificence.
>>Arbitres de la renommée, l'éloquence
>& la poëſie jugent les mortels au de là
>>même du tombeau . Par elles nous chériffons
encore l'aimable vertu de Cré-
» fus. Mais l'univers déteſte la mémoire
>> de Phalaris , de ce monſtre impitoyable
>> qui brûloit des infortunés dans fon
>>tonneau d'airain. Jamais la riante jeuAVRIL.
1772. 123
1
>> neſſe ne mêle aux doux accords des ly-
>> res le nom de ce Prince abhorré . Entre
» les faveurs du deſtin , la première eſt
>> le bonheur , la ſeconde une haute re-
" nommée. S'offrent - elles toutes deux à
>>la fois , les ſaiſir c'eſt avoir remporté
>>la plus brillante des couronnes. »
Cette dernière verſion , quoiqu'il y
ait des traits heureux , n'eſt , en général ,
qu'une paraphrafe trop verbeuſe , & quelques
fois peu fidèle. L'original eſt rapide,
& cette traduction eſt prolixe. Je crois
que les lecteurs préféreront , ainſi que
moi , la ſimplicité préciſe de M. Chaba
non & que les fuffrages qu'il deſiroit
pour la continuation de ſon ouvrage ne
lui feront pas refufés .
,
Histoire de la Ville de Bordeaux , première
partie contenant les événemens
civils & la vie de pluſieurs hommes
célèbres ; parDom deVienne, religieux
Bénédictin de la Congrégation de St
Maur ; vol . in -4°. A Bordeaux , chez
Simon de la Court , les Frères Chappuis
& la Bottiere ; & à Paris , chez
Merlin , rue de la Harpe .
Depuis pluſieurs années , des ſçavans
encouragés par le ministère , ont travaillé
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à nous tracer l'hiſtoire de différentes villes
ou provinces de France. Lorſque ces
hiſtoires font bien faites , elles doivent
préſenter pluſieurs traits finguliers & caractériſtiques.
Cette phyſionomie particulière
en quelque forte ſe trouve dans
cette hiſtoire de la ville de Bordeaux .
L'auteur y rapporte pluſieurs faits qui
peignent très - bien la vivacité gafcone.
Ces faits tranſportent le lecteur ſur le lieu
de la ſcène , l'y fixent en quelque forte &
lui procurent le double avantage de s'inftruire
& de s'amuſer. On doit d'ailleurs
ſavoir gré à l'hiſtorien d'avoir écarté de
fon ouvrage tout ce qui pouvoit être
étranger aux Bordelais. Il s'eſt procuré
par ce moyen la facilité de donner une
certaine étendue aux événemens les plus
intéreſfans . Cette hiſtoire eſt diviſée en
pluſieurs parties. La première ſe publie
actuellement. L'auteur , après avoir traité
dans une differtation préliminaire , ce qui
concerne la fondation de Bordeaux & le
local de cette ville , expoſe les révolutions
qu'elle a éprouvées , & ce qui s'y eſt
paflé de plus remarquable dans l'ordre civil
ſous les différens maîtres auxquels
elle a été afſujettie. Il y a joint la vie de
quelques ſcavans qui ſe ſont distingués
d'une manière plus particulière. Les au
AVRIL. 1772 . 125
tres parties de cet ouvrage ſont ſous pref.
ſe. Elles feront le ſupplément de la première
, & contiendront l'hiſtone des Prélats
qui ont occupé le fiége de Bordeaux ;
ainſi que l'hiſtoire des differens chapitres
, des maiſons religieuſes , des établiſſemens
civils , &c . Tout ce qui concerne
les loix , les coutumes , les priviléges
& le commerce de Bordeaux ſera
auſſi l'objet de ces fupplémens ; & l'auteur
nous promet de traiter ces articles
ſéparément & avec une étendue ſuffiſante
pour ne rien omettre d'eſſentiel .
L'Ecclefiafte de Salomon , traduit de
l'hébreu en latin & en françois , avec
des nores critiques , morales & hiſtoriques.
par les auteurs des Principes
difcutés. vol. in- 12. A Paris chez
Claude Hériflant, rue Notre-Dame.
L'Eccléſiaße eſt un des livres de l'écriture
qui préſente le plus de difficultés
aux traducteurs & aux interprêtes. Les
auteurs des Principes difcutés , pour appla-
Bir la plupart de ces difficultés ont conſulté
le génie de la langue hébraïque ,
les ſentimens des Peres de l'égliſe & ceux
des commentateurs , & ſe ſont appuyé
1
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fur la plus faine Théologie. Ils nous ont
mis à même , par leurs travaux , de profiter
avec plus de facilité des inſtructions
du plus ſage des tois , qui ne ceffe de
nousrépèter dans fon livre de l'Ecclefiafte
que les richeſſes , les honneurs & les
plaiſirs de ce monde ne font que vanité ;
vérité bien oppoſée aux inclinations &
aux préjugés des hommes.
Adelfon & Salvini , Anecdote Angloife
par M. d'Arnaud .A Paris chez le Jay ,
rue Saint Jacques. volume in- 8 ° avec
figures.
L'amour nous eſt peint quelquefois
comme un Dieu , ami de la paix , de
l'honneur & de la vertu. Quelquefois
auſſi il ſe montre à nous comme un vain
queur cruel , & le pere de tous les crimes.
Le ſpectacle de ſes fureurs nous eſt
ici préſenté fous le point de vue le plus
effrayant , & le plus propre par conféquent
à nous mettre en garde contre une
paſſion déſordonnée , & qui ne s'attache
à ſa proie que pour la dévorer. Le malheureux
Salvini conçut l'amour le plus
violent pour une jeune perfoune qui devoit
lui être facrée , pour la maîtrefle
d'Adelfon fon bienfaiteur & fon ami .
VRIL . 1772 . 127
Ce jeune homme , livré par fon tempérament
ardent , par fon caractère ſombre
& melancolique à toute l'effervefcence
des paflions , méconnoit fes devoirs
, outrage l'amitié , & termine fes
fureurs par aſſaffiner la fidèle amante de
celui qui avoitpartagé avec lui ſesbiens ,
ſa ſociété ,& le regardoit comme le confident
de ſes plus fecrettes penſées . Les
remords que l'hiſtorien donne à ce forcéné
nous rendent fon fort plus pathéti
que , plus intéreſſfant. Ces remords ,
comme autant de furies attachées à fes
pas , lui font éprouver un tourment mille
fois plus cruel que celui qui l'attend
fur l'échafaud , & termine ſa malheureuſe
vie.Onaura peut-être de la peine ,
en lifant cette hiſtoire, às'imaginer qu'un
amour comme celui de Salvini , qui
n'eſt point enflammé par les tendres ſentimens
de celle qui en eſt l'objet , puiſſe
ſe porter à un degré de force & d'énergie
tel qu'il nous eſt ici repréſenté . Lorfqu'un
amant ne possède point le coeur
de ſa maîtreſſe , il peut faire bon marché
du reſte . Sacrifiera- t- il fon repos &
ſes devoirs pour un objet phyſique qu'il
peut trouver par- tout ailleurs ? Quoiqu'il
en ſoit , les ſituations des deux amis ,
?
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Salvini & Adelſon, nous préſentent des
ſcènes ſi touchantes , ſi pathétiques , ſi
animées , qu'on lira cette dernière anecdote
de M. d'Arnaud avec le plus grand
intérêt. Le coloris du peintre prend , en
quelque forte , la teinte des paſſions qu'il
repréſente. L'accueil que le public continue
de faire à ſes tableaux , doit l'engager
à nous donner la cinquiéme hiſtoire
quidoit completter le ſecond volume des
Epreuves du ſentiment.
Principes de Médecine de M. Home , traduitsdu
latin en françois , par M. Gaftellier
, D. M. auxquels on a joint un
extrait d'un autre ouvrage du même
auteur , intitulé , Expériences & Obfervations
de Médecine , traduites de
l'Anglois. AParis chez Vincent , Imprimeur-
Libraire rue des Mathurins.
Il s'eſt fait pluſieurs éditions latines
de cette eſpèce de Compendium où les
principes les plus utiles de la médecine
font expoſés d'une manière claire & précife.
Le docteur Anglois ſe contente ,
après avoir tracé le tableau fidèle de chaque
maladie , d'indiquer pour le traitement
de chacune les moyens dont une
longue expérience a confirmé l'efficacité.
AVRIL. 1772. 129
Le traducteur s'eſt rapproché autant qu'il
lui a été poſſible de la précifion du ſtyle
de ſon original. Les expériences & les
obſervations qu'il a ajoûtées à la fin du
volume font d'autant plus intéreſſantes
qu'elles éclairciſſent ou confirment pluſieurs
des principes de médecine recueillis
par le même auteur.
Logica , &c. La Logique ou l'art de penfer
juſte , à l'uſage des collèges , par
M. Martinet , Curé de Chauppes ,
près Mirebeau en Poitou. Nouvelle
édition , plus correcte & plus ample
queles précédentes. vol . in- 12 . A Poitiers
, chez Claude Faix Libraire , &
à Paris chez Barbou rue des Mathu
rins.
Il eſt néceſſaire , pour penſer juſte, de
bien appercevoir , de bien juger , de bien
difcourir & de lier méthodiquement ſes
idées ; il ſuit de là que l'appréhenſion ou
perception , le jugement , le difcours &
la méthode deviennent les quatre articles
fondamentaux de la logique. L'an .
cienne école a fi fort furchargé cet art
de termes & de phraſes barbares , elle
l'a tellement noyé dans de sèches & vai-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
:
nes futilités , qu'il ſembloit que la logique
avoit plutôt pour but d'exercer
l'eſprit dans des querelles & des diſputes,
que de l'aider à penſer juſte. M. Martinet
a bien fenti ces défauts ; il a cherché
à dégager la logique des queſtions inutiles
de l'ancienne école. Cette logique
a d'ailleurs une grande prérogative ſur la
plûpart de celles qui l'ont précédé , c'eſt
que renfermant autant de choſes utiles ,
elle est beaucoup plus courte .
Almanach généraldes Marchands , Nigo
cians & Commerçans de la France &
de l'Europe , contenant l'état des principales
villes commerçantes , la natute
des marchandises ou denrées qui
s'y trouvent , les différentes manufactures
ou fabriques relatives au commerce
, avec les noms de leurs principaux
marchands négocians , banquiers
, artiſtes , &c , & une table générale
par ordre alphabétique de tout
ce qui a rapport au commerce. Pour
l'année 1772. A Paris chez ValadeLibraire
rue S. Jacques .
د
Le titre de cet ouvrage annonce fon
utilité. Le but des auteurs eſt principalement
de mettre tous les manufacturiers,
AVRIL. 1772. 131
tous les marchands& tous les négocians
des différentes villes de l'Europe à portée
de fe connoître entre eux &de ſe
procurer facilement des relations utiles
dans les divers lieux où se trouvent les
marchandiſes propres à leur négoce .
Le plan des auteurs est très-vaſte. Ils
déclarent dans l'avertiſſement qu'ils ne ſe
flattent pas de l'avoir encore rempli . Il
eſt certain qu'il étoit impoſſible de conduire
à ſa perfection unouvrage de la nature
de celui ci , qui exige une variété
étonnante de connoiffances &d'éclaircif
femens locaux.
Les villes commerçantes qui font entrées
dans l'édition de cette année ſontindiquées
ſuivant l'ordre alphabétique .
Dans chaque article on trouve d'abord le
tableau des productions particulières qui
eneſt leſujet.
Onvoitquels fontles grains,les fruits
qui y croiffent, quels fontles fotlilles qui
s'y rencontrent , quel eſt le bétail qu'on
y élève pour le commerce. Delà les aureurs
paſſent au détail de l'induſtrie des
habitans ; ils indiquent les atteliers , les
manufactures , les magaſins .
Ala ſuitede chacune de ces notices on
trouve la liſte des fabriquars& des mar
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
chands qui ſe diftinguentle plus, ſoit par
la main- d'oeuvre , ſoit dans le commerce.
Tousles articles ne ſont pas également
complets , & il ſemble qu'on ne pouvoit
exiger cette exactitude dans un premier
travail. Il y a même des villes dont le nom
`n'est qu'annoncé & ſemble être une pierre
d'attente pour l'édition prochaine. Si tous
les articles étoient traités comme ceux
d'Alençon , d'Aubuſſon , de Bar le Duc,
de Dieppe , de Reims , de Sédan , de
Stokolm , & c , il eſt certain que l'ouvrage
feroit excellent. Telqu'il eſt il paroîtmériter
des éloges. Il n'y manque rien du
côté de la diſtribution , de l'ordre , de la
clarté. Les auteurs ont ſu varier par des
réfléxions la monotonie & la ſéchereſſe
de certains articles .
L'article de Paris eſt traité avec beaucoup
d'étendue. On y a fait des ſous-diviſions
alphabétiques , de manière que chaque
objet d'induſtrie ou de commerce
fournit un paragraphe .
Ala ſuite de l'ouvrage on a placé une
indication des établiſſemens particuliers
formés depuis peu&des inventionsnouvelles
publiées dans le cours de l'année.
Ony a fait auffi un choix d'anecdotes relatives
au commerce. は
AVRIL. 1772 . 135
Il eſt à ſouhaiter que le ſuccès encourage
les auteurs de ce travail utile , & les
porte à l'enrichir annuellement.
Ils invitent toutes les perſonnes quiauront
quelques inſtructionsà leur faire parvenir
, ou qui defireront y faire placer
leurs noms , & d'y indiquer la nature de
leur commerce , de leur adreſſer leurs
mémoires ou leurs avis avant le premier
Αοûτ.
Nouveau Traité de Géographie traduit
del'Allemandde M. lé docteur Buſching ,
avec des augmentations & corrections
qui ne font pas dans l'original , Cette
traduction eſt ſous prefle , il en a paru
juſqu'à préſent ſix volumes in 8 ° d'environ
700 pages chacun , à Zullichow en
Siléſie , & ſe trouvent à Paris à fix livres
le volume. Les tomes I & II contiennent
undifcours ſur l'utilité de la géographie ,
une introduction à la géographie , une
deſcription de l'Europe en général & des
mers qui l'environnent , & celle des états
qui compofent les couronnes de Dannemarck
, de Norwege , de Suéde , de Ruffie
, de. Pruffe & de Pologne , avec une
table alphabétique des lieux contenus
dans ces deux premiers volumes. Le to134
MERCURE DE FRANCE.
me III comprend le royaume deHongrie ,
l'Empire Ottomanou la Turquie en Europe
, & les royaumes de Portugal &
d'Eſpagne , avec une table alphabétique
des lieux contenus dans ce troisième volume.
Les tomes IV & V comprennent
le royaume de France diviſé en trente huit
gouvernemens militaires & en ſes Provinces
, avec une table alphabétique des
lieux qui y ſont contenus . On pourroit
joindreà ces deux volumes le Dictionnaire
géographique de la France imprimé à
Parisen 1765 en quatre volumes du même
format , où l'on donne les noms des
bureaux de poſtes , auxquels il faut adreffer
les lettres pour les faire parvenir à tous
les lieux de la France & dans les païs
étrangers. Le prix eſt de douze livres
broché.
Suite du nouveau Traité de Géographie.
On délivrera à Paris au moisde Juin prochain
le tome VI ou premier volume de
l'Empire d'Allemagne. Les amateurs qui
ſe feront infcrire avant le 15 du mois
de Mai prochain chez le ſieur Perrier , à
l'Hôtel de Soubiſe , où l'on trouve les
meilleurs cartes en tout genre , ne le
payeronr que 4 livres 10 fols at Libraire
qui fera chargé de le délivrer. Ce volume
AVRIL. 1772. 135
contiendra une ample introduction hiftorique
à l'Allemagne en général , & la
defcription des Provinces de Bohëme ,
Siléfie , Moravie , Alface & Autriche.
Le Livre du Chrétien , dans lequelſe trouve
tout ce que le chrétien doit ſçavoir
& pratiquer par rapport à la Religion .
Ouvrage pofthume de M. Tricatet ,
Directeur du Séminaire de S. Nicolas
du Chardonner à Paris; ſeconde édition
, revue , corrigée , & augmentée
de l'Ordinaire de la Meſſe , des Vêpres
& des Complies du Dimanche ; à Paris
chez Auguftin - Martin Lottin l'aîné
, Imprimeur- Libraire ordinaire de
Mgr le Dauphin &de la ville , rue S.
Jacques.
Cette ouvrage eſt diviſé en deux parties.
La première renferme l'abrégé de la
créance du chrétien & les motifs de ſa foi ,
la ſeconde préſente un règlement de vie
chrétienne , des formules de prières & des
moyens de s'animer à la piéré, ce qui a
fait dire au Cenſeur que ce livre eſt un
recueil de maximes & de ſentimens puiſésdans
les diverſes écritures que l'on ne
peut trop méditer , pour regler ſes penfées&
faconduite.
136 MERCURE DE FRANCE.
Effaifur les combinaiſons de la Loterié de.
l'Ecole royale militaire , ou Almanach
des trois fortunes , pour ſervir d'inftruction
fur cette Loterie , & d'éclairciſſement
ſur divers avantages que l'on
en peuttirer.
Aſpice! diverfos anceps rotat alea cafus;
Nunc tibi , nunc aliis officioſa favet.
Prix : livre 10 fols broché , augmenté
de tablettes d'un papier nouveau pour
yinſcrire avec une pointe quelconque ,
même une épingle , les numéros des
tirages qui ſe feront pendant le tems
que s'exécutera la Loterie. A Paris chez
Defnos Libraire & ingénieurGéographe
du roi de Dannemarck , rue Saint
Jacques.
On a calculé dans cet Almanach les
probabilités du jeu de la Loterie , & il paroît
très-propre à exciter les calculateurs
ou les joueurs à courir les haſards du fort
pardes miſes combinées & ſuivies.
, Soinsfaciles pour la propretéde la bouche
pour la conſervation des dents ,& pour
faire éviter aux enfans les accidens de
la dentition : Ouvrage ou l'on donne
AVRIL, 1772 . 137
auſſi les moyens de reconnoître lechar-
• lataniſme d'un grand nombre d'opérations
qui ſe pratiquent ſurles dents ,
fur- tout à leur renouvellement & arrangement
dans la jeuneſſe. Par M.
Bourdet , écuyer , dentiſte du roi & de
la famille royale, chirurgien ordinaire ,
opérateur lithotomiſte de Sa Majeſté ,
&chirurgien de Mgr le Comte de Provence.
Nouvelle édition conſidérablement
augmentée. A Paris rue S. Jacques
, chez Jean Hériſſant pere , Imprimeur
du Roi , Maiſon & Cabinet
de Sa Majeſté .
Ce livre eſt rempli d'inſtructions pour
la conſervation des dents. L'auteur rejette
avec raiſon tous ces remèdes , ces poudres
inventées par le charlataniſme , qui
occafionnent ſouvent le mal au lieu dele
prévenir. Enfin il donne des avis utiles
aux perſonnes chargées du ſoin d'élever
des enfans; il enſeigne les moyens néceffaires
de gouverner leur bouche quand
les dents veulent percer & croiffent , &
pour procurer aux dents un bel arrangementà
meſure qu'elles ſe renouvellent .
A. Cornelii Celfi de re medicâ libri octo.
Ex fide manufcriptorum codicum &
138 MERCURE DE FRANCE.
vetutiffimorum librorum, fummâ diligentia
fummoque ſtudio recenfuit J.
Valart. Parifiis apud P. Fr. Didot juniorem
faluberrimæ facultatis medicinæ
bibliopolam; 1772. Prix , sliv.
4 f. relié en carton , & 6 liv . rel . doré
fur tranche.
Cette édition , fortie des preſſes de M.
Didot l'aîné , imprimeur , eſt très belle
& faite avec beaucoup de"foin . Celſe
a beaucoup d'autorité en médecine ; il
fera toujours confulté comme un excellent
guide & lu comme un bon écrivain
. L'éditeur , fort verſé dans l'étudede
la langue latine , a rendu un ſervice
à la médecine & aux lettres en retabliffant
le texte pur & original de Celſe d'après
les éditions les plus eſtimées & les
manufcrits lesplus anciens. Il areſtitué les
omiſſions & les tranſpoſitions faites dans
Fouvrage de ce médecin ; il a donné un
ſens à des phrafesqu'une mauvaiſe ponctuation
rendoit inintelligibles ; il a diftingué
les aphorifmes d'Hippocrate dont
Celfe appuie ſon ſentiment; enfin , rien
n'a été négligé pour que cette édition fût
ſupérieure à toutes celles qui l'ont précédée.
AVRIL. 1772. 139
Obſervations fur le Cacao &fur le Chocolat
, où l'on examine les avantages &
les inconvéniens qui peuvent réſulter de
l'uſage de ces ſubſtances nourricières. Le
tout fondé fur l'expérience & fur les recherches
analytiques de l'amande du cacao
; ſuivies de réflexions ſur le ſyſtême
de M. Lamure touchant le batement des
artères. A Amſterdam ; & ſe trouve à Paris
, chez P. Fr. Didot J. , libraire , quai
des Auguſtins , à St Auguſtin ; 1772 .
Prix , 1 liv . 4 f. broché.
Costume des anciens Peuples , par M. Dandré
Bardon , profeſſeur de l'académie
royale de peinture &de ſculpture ,
directeur perpétuel de celle de Marſeille
, & membre de l'académie des
belles-lettres , ſciences & arts de la
même ville.
On propoſe ici la ſouſcription du Coftume
des anciens Peuples. Le plan de cet
ouvrage fut annoncé dans le Traité de
Peinture de M. Dandré Bardon en
L'idée avantageuſe que le public en corçut
, détermina l'auteur à redoubler les
* Voyez l'avis de l'éditeur , page X111 .
* 50
140 MERCURE DE FRANCE.
ſoins , les études & les recherches qui
devoient rendre ſa collection intéreſſante
pour les amateurs , inſtructive pour les
artiſtes , utile aux gens de lettres , &
amuſante pour les perſonnes qui chérifſent
par goût les connoiſſances rares &
curieuſes.
Dans ces vues il n'a ceſſé de fouiller
dans les monumens de l'antiquité ; dans
les chef - d'oeuvres des grands maîtres ,
dansles volumes des écrivains accrédités,
dans les cabinets des curieux , & dans les
porte-feuilles des ſavans. Il a tiré de ces
fonds précieux& inépuiſables un receuil
d'environ trois cent deſſins , qui renfer
me ce qu'il y a de plus connu dans le coftume
des anciens peuples. L'ouvrage ſera
diviſé en deux parties ; la première aura
pour objet les uſages des Grecs & des Romains
, la feconde concernera les Ifraélites
, les Egyptiens , les Perſes , & autres ;
Scythes , Amazones , Parthes, Germains,
&c. dont les uſages particuliers ſontdifperſés
dans une infinité de ſources quine
font pas au pouvoir de tout le monde ,
&où bien des perſonnes n'ont ni le tems,
ni le courage de recourir. Un ouvrage qui
réunit ſous un même coup- d'oeil tant de
variétés inſtructives , manquoit à la république
des arts .
AVRIL.
1772. 141
Parmi les particularités de coſtume des
principalesde ces nations , fontdiftingués
parordre leurs uſages religieux , civils ,
&militaires.
Uſages religieux: habitsdes pontifes ,
des ſacrificateurs , des prêtreſſes , des néocores
, des camilles ; inſtrumens & apprêts
des facrifices , ornemens des victimes ,
temples , autels , trépieds , lampes , &c .
On a réuni à ces uſages les luttes , les
courſes , les funérailles , les tombeaux ,
comme faiſant partie du culte des Anciens.
Uſages civils & domeſtiques : bains,
repas , tricliniums , cérémonies de mariage
, ajuſtemens , meubles , voitures ,
tribunaux , fupplices , monumens publics
& particuliers , &c .
Ulages militaires : accoutremens des
officiers & des foldats , cuiraffes , corſelets
, caſques , brodequins ; leurs armes ,
épées , lances , javelots , frondes, léches ,
carquois , boucliers , &c, leurs étendards ,
leurs fignaux , leurs allocutions , leurs
machines de guerre : beliers , corbeaux ,
catapultes , baliſtes , tours roulantes, chars
armés de faulx , &c. Quelques détails de
leur marine y font aſſociés avec les cérémonies
de leurs triomphes & de leurs
apothéofes.
142 MERCURE DE FRANCE.
Pour publier cette collection convenablement
& fans délai , on a choiſi pluſieurs
bons graveurs , qui feront dirigés
par un de nos plus exellens maîtres * dans
l'art de la pointe & du burin. On a déjà
gravé le premier cahier , pour preſſentir
le goût du Public , & lui donner unejuſte
idée de l'ouvrage. Tout y ſera préſenté ,
ainſi que dans ces douze feuilles , ſous
un trait net , ferme , ſpirituel , que releveront
de légères maſſes d'ombres , comme
doivent être traités ces fortes d'ouvrages
, quand on veut en faire des ouvrages
de goût .
Conditions de la ſouſcription.
Cet ouvrage , où les amateurs , les curieux
, les gens de lettres trouveront de
quoi fatisfaire le goût & agrandir la
ſphère de leurs connoiſſances dans la
ſciencedu coſtume , eſt compoſé d'environ
trois cents planches. Comme il eſt
eſſentiellement utile aux artiſtes , & même
aux élèves , il a paru néceſſaire , pour
leur en faciliter l'acquiſition , de le divi-
* M. Cochin , chevalier de l'Ordre du Roi ,
fecrétaire perpétuel de l'académie royale de peinture&
de ſculpture , &c.
AVRIL. 1772. 143
ſer en cahier de douze eſtampes chacun ,
auxquels ſera jointe l'explication propre à
en donner l'intelligence , &de les propofer
par ſouſcription , avec un avantage
aſſez conſidérable pour les ſouſcripteurs.
Ces cahiers de douze eftampes , du format
grand in- 4°. feront du prix de fix
francs chacun pour ceux qui n'ont point
foufcrit . On les délivrera ſéparément, de
manière que les acquéreurs feront libres
de ne prendre que ceux qui leur feront
plus agréables ou plus utiles.
Al'égard des fouſcripteurs qui , par la
ſouſcription , ſe trouveront engagés à
prendre les cahiers à meſure qu'ils paroîtront
, on leur cédera chaque cahier pour
quatre francs , payables en la forme qui
fuit: ils donneront fix francs en recevant
le premier cahier ; c'eſt à-dire , 4 1. pour
la valeur d'icelui , & 40 f. d'avance & à
compte ſur le ſuivant. Aux autres livraifons
de chaque cahier ils ne donneront
que 4 liv. , c'est- à-dire 40 ſols pour achever
le paiement de ce cahier , & 40 fols
pour l'autre , dont il fera tenu compte à
la dernière livraiſon .
L'éditeur ſe propoſe de donner exactement
un cahier de fix en fix ſemaines ,
144 MERCURE DE FRANCE.
4
€
c'est- à -dire deux cahiers tous les trois
mois ; il eſpère même de pouvoir accélérer
cet arrangement , & peut - être de
fournir trois cahiers dans les trois mois ;
mais comme la gravure eſt ſujette à beaucoup
d'accidens qui peuvent ſuſpendreles
livraiſons , il prévient les ſouſcripteurs
qu'il eſt poſſible qu'il ſe trouve quelquefois
néceſſité à des retardemens au - delà
de ſes promeſſes , & les prie de lui accorder
la confiance de croire qu'il fera
tout ce qui dépendra de lui pour ſatisfaire
à leur empreſſement.
La livraiſon du premier cahier a été
faite au commencement d'Avril 1772 ,
&les autres ſuivront de ſix en ſix ſemaines,
autant qu'il fera poſſible.
Onfoufcrira chez M. COCHIN , éditeur
de cet ouvrage , aux galeries du louvre ;
&chez Ch. An. Jombert pere , L. Cellor,
Cl. Ant . Jombert , fils aîné , rue Dauphine.
Histoire des différens Peuples duMonde ,
contenant les cérémonies religieuſes&
civiles , l'origine des religions , les
moeurs & les uſages de chaque nation,
in- 8 ° . , 6 vol . 30 liv. broché AParis ,
chez
AVRIL. 1772. 145
chez Edme , libraire , rue St Jean-de-
Beauvais , à côté du collége ; 1772 .
Cet ouvrage intéreſſant , que l'on peut
regarder comme une eſpèce d'hiſtoire
univerſelle , doit être utile à la jeunelle,
en lui donnant des notions ſuffiſantes ſur
les différens paysde la terre qu'il importe
toujours de connoître. Ilpeut ſervirauſſi
aux perſonnes plus avancées, en leur préſentant
en abrégé le tableau d'études plus
étendues qu'elles auroient faites. Pour le
rendre en même tems inſtructif & amuſant
, on s'eſt attaché à ne rapporter que
ce qu'il y a de plus curieux fur chaque nation.
Les hiſtoires générales & particulières
font les ſources où l'on a puiſé. On
a fait choix des auteurs les plus dignes
de foi , & l'on a évité toutes differtations,
ſouvent dangereuſes & preſque toujours
ennuyeuſes& fuperflues.
Tracer hiſtoriquement tout ce qui concerne
la religion de chaque pays , ſes dogmes
, ſes cérémonies , les changemens
qu'elle a éprouvés , les uſages ſuperſtitieux
qu'elle a fait naître ,& le pouvoir
qu'elle a obtenu ſur l'eſprit des peuples ;
faire précéder ces tableaux par une idée
ſuccincte & géographique du pays dont on
parle; s'attacher à rendre compte de la
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
forme du gouvernement , ſi intimement
liée avec la religion établie ; donner enfuite
des détails intéreſſans ſur les coutu.
mes civiles , les uſages particuliers , les
productions naturelles &le commerce de
chaque nation ; tel eſt le plan de cet ouvrage.
Les volumes font ornés de quatre vignettes
en taille-douce , qui repréſentent
quelques objets intéreſſansde chaque pays .
Le Spectateur François pour fervir de
fuite à celui de M. de Marivaux. Année
compoſée de quinze cahiers , rendu
port franc à Paris
Eten Province
و liv.
12 liv .
Il y a déjà trois volumes de cinq cahiers
chacun ou une année complette ,
dont on trouve des exemplaires chez
Lacombe , Libraire , rue Chriſtine , le
prix de chacun de ces volumes eſt de
3 liv. On publie actuellement le troiſiéme
cahier du quatriéme volume qui
fait le premier de la ſeconde année de ce
journal phyloſophique & moral .
Le Spectateur à la fois inſtructif &
amuſant , a obtenu les ſuffrages de pluſieurs
gens de lettres & des hommes du
AVRIL. 1772 . 147
monde. Nous ne pouvons rapporter un
témoignage plus éclatant en ſa faveur
que cette lettre de M. de Voltaire.
Vous pardonnerez , Monfieur , à un
vieux malade de ne vous avoir pas remercié
plutôt. J'ai connu autrefois pluſieurs
Auteurs du Spectateur Anglois; vous
me paraiſſez avoir hérité de Steele &
d'Adiffon ; pour moi je ne puis plus être
ſpectateur , ni même auditeur; je perds
inſenſiblement la vue & l'ouie ; & je
me prépare à faire le voyage du pays dont
perſonne ne revient ; mais tant que je
reſterai dans ce pays ci & que mes yeux
verront un reſte de lumière je litai vorre
ouvrage avec autant de plaiſir que d'eſtime&
de reconnoiffarce.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Le vieux malade de
Ferney .
Réponſe du Spectateur.
M. Pourquoi vous plaiſez vous à nous
effrayer de votre départ ? Vous qui nous
faites entendre de ſi jolies choses; qu'allez-
vous faire dans ce vilain pays ? Ah!
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
reſtez , reſtez dans celui- ci. Si vous per
dez l'ouie , nous éleverons la voix , &
nos cris d'admiration perceront juſqu'à
votre oreille. Quand votre vue ſeroit
éteinte , & il ſeroit encore à ſouhaiter
que les clairvoyans vous priffent pour leur
guide.
Vous me faites trop d'honneur , Monfieur,
en me croyant un héritier de Steele
&d'Adiſſon , ils ne m'ont laiffé ni leurs
talens ni leur célébrité,
Je ſuis jeune , plein de ſanté & votre
génie encore tout étincelant me fait envier
votre vieilleſſe & vos maladies .
L'Histoire & les mémoires de l'acad. royale
desSciences in-4°. depuisfon origine,
en 1666 , jusqu'en 1769 ; nouv . edit.
en 33 vol. in 4. Prix 396 liv.
Les quatre premiers volumesfont actuellement
en vente.
, ily
Le Sieur Panckoucke étant parvenu
a pluſieurs années à former environ deux
cens corps complets de ce grand ouvrage en 88
volumes in - 4°. , par l'acquiſition de pluſieurs
parties répandues dans différentes mains , & par
AVRIL. 1I972. 149
la réimpreſſion d'un grand nombre de volumes ,
ena épuiſé tout le fonds, par la ſouſcription qu'il
a propofée de cet ouvrage à 800 livres ; néanmoins
conſidérant que l'hiſtoire & les mémoires
de l'académie ſont le plus précieux monumens
&le plus utile de toutes les ſciences naturelles ,
&que ſi on laifloit manquer un ouvrage de cette
importance , les Etrangers ne manqueroient pas
de s'en emparer & de le contrefaire ; le St Panckoucke
croit rendre un nouveau ſervice à ſanation
&aux gens de lettres , en leur propoſant une nouvelle
édit. de cet ouvrage in -4°. , qui ne reviendra
pas à 400 liv. Voici en conséquence l'opération
qu'il s'eſt propolée , & qu'il croit devoir mettre
fous les yeux du Public.
Quoique tout foit intéreſſant dans ce grand
ouvrage , il faut cependant convenir que ce que
l'on appelle la tête des mémoires de l'académie
(depuis 1666 juſqu'à 1720) l'eſt bien moins que
les volumes ſuivans. M. Guénau de Montbelliard
* a fait un excellent abrégé de ces premiè
res années , en 4 vol. in-4°. Ces quatre volumes ,
qui font aujourd'hui en vente , entrent dans le
plan de la fouscription actuelle.
Les volumes de l'académie , à commencer par
l'année 1720 , feront imprimés dans le même format
, papier , caractères ,que ces quatre volumes ;
mais les volumes à cette époque devenant plus
* M. Guénau eſt l'éditeur de la collection acaa
dénique , & l'auteur des diſcours philoſophiques
qui ſont à la tête des volumes de cet ouvrage s
difcours fi fortement pentés & fi ſupéricurement
écrits ,qu'on les a cru de la main de M. de Buffon
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
intéreſlans , à mesure que les ſciences ſe perfectionnent,
on n'a pas cru devoir ſe permettre de
les abréger; on les réimprimera en entier ,&dans
le même ordre que l'académie les a donnés , à
l'exception des parties purement mathématiques,
qu'on a également retranchées dans les quatre
volumes abrégés; par la fuppreffion de cette partie
mathématique , on a évalué que deux volumes
de l'académie , n'en feroient qu'un du nouvel ouvrage
que l'on annonce ; de forte que les années
1720 à 1769 , formant aujourd'hui cinquante
voluines , feront réduits à ving-cinq , qui , avec
les quatre premiers volumes qu'on publie aujourd'hui
, & quatre volumes de tables , compoferont
un total de trente- trois volumes.
Conditions.
1º. Chaque volume fera du prix de 12 liv. en
blanc.
2º. On payera 48 livres , en retirant actuellement
les quatre premiers volumes.
3°. Les volumes ſuivans ſe publieront ſéparément.
On en donnera cinq à fix par an; comme
la copie eſt toute faite , l'ouvrage ne peut éprouver
aucun retard.
Il réſulte de ce projet pluſieurs avantages.
19. Les nouveaux volumes , à commencer au
tome V, feront en même tems la ſuite de la collection
académique , partie Françoiſe , & on les
imprimera avec ce titre , pour les Souſcripteurs.
2º. Comme il manque nombre de volumes de
la grande collection de l'hiſtoire & des mémoires
de l'académie , qui ne feront jamais réimprimés,
que pluſieurs bibliothèques & beaucoup de particaliers
n'ont pu juſqu'à préſent compléter leurs
exemplaires ; ils le pourront au moyen de la
AVRIL. 1772. IS
réimpreffion ci-deſſus , & ils auront même l'avantage
, en achetant un volume de cette nouvelle
édition , d'avoir deux volumes de l'ancienne, qui
ne leur coûteront que 12 livres au lieu de 24.
Pour inſpirer au Public toute confiance , le Sr
Panckoucke s'oblige de reprendre des ſouſcripteurs
les volumes qu'ils auront acquis , ſi l'entrepriſe
ne ſe continue pas , &, en conféquence il a ſigné
le profpectus , qui ſervira au porteur de reconnoillance
, qu'il a acheté un exemplaire .
On imprime actuellement l'abrégé des mémoi
res de Suéde , celui des mémoires de Bologne :
un médecin très connu eſt occupé de l'abrégé des
tranſactions de Londres ; cet abrégé formera huit
à dix volumes in-4°. : lorſque la collection académique
ſera au pair de toutes les académies de
l'Europe , ce ſera le recueil le plus précieux de
toutes les ſciences naturelles ; puiſque le Public
aura , dans un petit nombre de volumes , tout ce
qu'il y a de vrai , de réel & d'utile dans tous les
mémoires des académies étrangères de l'Europe;
mémoires dont l'acquifition totale coûteroit aujourd'hui
plus de mille louis ,& que peut être on
ſeroit dans l'impoſſibilité de raſſembler.
L'hiſtoire & les mémoires de littérature & belles-
lettres de l'Académie royale des inſcriptions
in- 12. avec le même nombre de figures & de
planches que dans l'édit. in- 4 °. ſont propoſés à : 1.
Is ſols , au lieu de 3 1. 10 ſols.
NB. Cette diminution n'aura lieu que juſqu'au
premier Août 1772, & (ur quatre cents exemplaires
ſculement; elle a ſur-tout pour principal
motif de mettre les gens de lettres , même les
moins ailés , à qui cet ouvrage devient indiſpenfable
, à portée de ſe le procurer à bon compte.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Les vingt fix premiers volumes ont paru il y
adeux ans.
an.
Les vingt-quatre volumes ſuivans , il y a un
Lesdix-huit volumes ſuivans ſont actuellement
en vente.
Ces foixante - huit volumes mettent l'édition
in-12. au pairdes trente volumes in 4º .
Hôtel de Thou , rue des Poitevins , quartier
St André , 1772 .
Les mémoires de l'académie des inscriptions
font fi connus , & l'édit. in-4° . en eſt ſi répandue
en France & chez l'Etranger, qu'on peut fe diſpenſer
d'entrerdans un grand détail pour en faire connoître
le mérite & l'utilité. Ce dépôt littéraire ,
l'ouvrage d'une compagnie lavante & d'un fiécle
entier de travaux , eſt le recueil de littérature le
plus complet & le plus étendu qui exifte en aucu
ne langue , ſoit ſur la géographie , la chronologie
, l'hiſtoire ancienne , Thiſtoire moderne , ſoit
pour les notices de nos anciens romans ou de nos
vieux poëtes;fur tout pour toutes les obſervations
&fingularités qui concernent la poësie , l'art dramatique
, les théâtres d'Athènes & de Rome ; la
muſique & la danſe; la peinture , la ſculpture &
tous les arts anciens . Cette riche collection , dans
le cabinet d'un homme de lettres , d'un amateur
ou d'un curieux , eſt une bibliothéque entière de
littérature , qui peut lui tenir lieu de pluſieurs milliers
de volumes.
Les trente volumes de l'édition in 4° . étant entièrement
épuiſés , on a cru rendre ſervice au Public&
aux gens de lettres , en acquérant tout le
fonds de l'édition in 12. des vingt- fix premiers ve
James imprimés en Hollande.
AVRIL.
1772 . 153
Les deux volumes in 4°: ſe vendent 24 liv . Et
commeils forment quatre ou cinq volumes in- 12
qui ſe vendent enſemble 7 liv. ou 8 liv. 10 fols ,
ladifférence du prix de cette édition in- 12. à celle
in-4°. eſt deplus de deux tiers .
Pour rendre cette acquifition encore plus facile
aux gens de lertres , on leur donne la liberté d'acquérir
chaque livraiſon ſéparément , encommen
çant par la dernière :
SÇAVOIR ;
3. Livraison , 18 vol .
1e. Livraiſon , 24
Ire . Livraiſon , 26
•
liv. f.
31
10
• 42
imp. en Hol. 45 10
Total des vol. 68. Total du prix , 119
Les volumes de tables paroîtront dans quelque
tems.
Soufcription continuéejusqu'au premier
Août 1772 .
Hiſtoire naturelle par M. de Buffon , ſéparéede
la partie anatomique , treize volumes in- 12 ; en
feuilles , 32 livres 10 fols; après la ſouſcrip
tion , 39 liv .
On a mis en vente au même hôtel de Thous
L'hiſtoire des oiſeaux , par M, de Buffon , tom
II , in - 4 °. fol . grand & petit papier , & les tomes
III & IV en - 12 . planches enluminées , vingt-troifième
cahier. Le manufcrit de cet ouvrage eſt en
tièrement achevé.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
LegrandVocabulaire François , in. 4. tom. XIX.
Les fouscripteurs recevront gratis le tome vingtième
, quoiqu'on n'ait promis que les 5 , 10 , 15 &
dernier.
L'année 1768 des ſciences ,& le tome VIII du
recueil des prix de ladite académie , in 4.
Cinquante planches pour les OEuvres in - 4. gr.
papier , de M. de Voltaire.
La Henriade , édition très-ornée, in 8. 2vol.
Le Droit de la Nature & des Gens , 2 vol. in- 4.
L'Hiſtoire des Celtes , 2 vol, in- 4°. & 9 vol.
in-12 .
Noſologie du célèbre Sauvages , 10 vol . in - 12 .
Nouveaux Principes de Phyſique , in- 12.
&c. &c. &c.
Ouvrages continués à une diminution de près de
moitié , jusqu'au premier Août 1772 .
Hiſtoire générale des Voyages , 17 vol. in-4.
Le vol. blanc , 8 liv au lieu de 14 .
Le même ouvrage , 68 vol. in- 12 , le volume
blanc 1 liv. 10 ſols , au lieu de 2 liv. 10 ſols. Les
tomes XVIII ,XIX in 4°. & LXIX a LXXVI in 12 .
reſteront à l'ancien prix.
*Collection académique , compoſte de toutes
les ſciences naturelles , tirées des mémoires des
Académies de l'Europe , 10 vol. in 4. Le vol . 81.
au lieu de 12 liv. Les tomes XI , XII , XIII reſtesontà
l'ancienprix.
Nota. Les volumes ſéparés reſteront auffi à
Pancien prix , la diminution n'aura plus lieu qu'en
prenant des corps complets.
Les reliûres & brochuresſe paientséparément.
AVRIL . 1772 . 155
ACADÉMIES.
LACADÉMIE royale des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Rouen a tenu fon
aſſemblée ordinaire dans la ſalle de l'hô
tel de ville le Mercredi 7 Août 1771 .
M. le Gallois de Macquerville , directeur
, ouvrit la ſéance par un Difcours .
M. Hailletde Couronne , ſecrétaire ,
rendit compte des travaux de l'année dans
ledépartement des Belles Lettres & des
Arts agréables .
Distribution des prix fondés par le Corps
municipal.
Avant de diſtribuer les prix que l'Académie
eſt dans l'uſage d'adjuger aux
élèves qui ſont ſous ſa protection , M.
de Couronne annonça que M. le Mar-
>>quis de Marigny, directeur & ordonna-
>> teur général des bâtimens de Sa Ma-
» jeſté , jardins , arts , académies & ma-
>>nufactures royales , ayant ſéjourné dans
>>Rouen en 1769 , il avoit été dans la
>> poſſibilité de juger par lui-même de
l'utilité de l'école de deſſin établie en
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
cette ville ; & il ajoûta que le 20
>>d'Août 1770 cet illuſtre protecteur des
> arts avoit envoyé un brevet de penſion-
>> naire du roi àRome , au ſieur Jean Tu-
>> beuf , élève de l'école de Rouen , celui
qui avoit remporté le premier prix
>>d>'architecture décerné à notre affem-
>>blée publique du premier Août 1770 .
>> Comme cette faveurde faire le voyage
> de Rome & d'y reſter pendant trois ans
>> aux dépens du roi n'a jamais encore
>> été accordée à aucune des académies de
>> peinture etablies en Province; elle de-
>> vient ſt honorable pour le profeſſeur de
>> l'école de Rouen & elle produira
>> parmi les élèves une ſi vive émulation ,.
>> que l'académie a cru devoir configner
> ſur ſes regiſtres cet évènement intéreſ--
>> ſant , & elle s'empreſſe de témoigner
>> ici publiquement toute l'étendue de ſa
>> reconnoiſſance. »
Il n'y a point eu cette année de prix pour
la claſſede peinture , ni pour celle d'archi
tecture.
Dans la claſſe d'aprèsnature le premier
prix a été remporté par M. François Alix
d'Honfleur : il avoit obtenu l'année précédente
le prix de laclaffe du deffin .
Le ſecond prix a été adjugé à M. Jean
ic
AVRIL. 1772. 197
François le Sueur de Bouillancour en Picardie
, le même qui eut le premier prix
d'après la Boffe l'année dernière.
Dans la claſſe d'après la Boffe , le prix
a été mérité par M. Claude Jacques Notte
de Nanteüil fur Marne.
M. Deſcamps , profeſſeur , ayant demandé
que l'académie lui permît de donner
à ſes frais un prix d'émulation , ce
prix extraordinaire a été accordé à M.
Alexandre le Ricque , de Rouen .
Dans la elaſſe du deſſin , le prix a été
pour M. Pierre- Nicolas Scelles , de Bernay.
L'Acceffit a éte accordé à M. Michel
Piquenot , de Monville en Caux .
Proclamation du grand prix des belleslettres.
:
Le ſujet de diſſertation littéraire propoſé
par l'académie , étoit de déterminer,
dans les principes du goût, ce qui appartient
àla nature& ce qui appartient à l'opinion,
pour en conclure juſques à quel point un
homme de génie doits'accommoder au goût
defonfiécle & defa nation ?
Deux bons ouvrages ont fixé l'attention
&partagé les opinions. L'un avoit pour
158 MERCURE DE FRANCE.
épigraphe : Id generatim pulchrum eft ,
quod tum ipfius naturæ cùm noftræ convenit.
L'autre : Quidverum atque decens curo
& rogo & omnis in hocfum.
Quelque mérite qu'on aitreconnu dans
le premier de ces deux mémoires : quelque
louable & inſtructive que ſoir la façon
dont l'auteur , ( qui eſt homme d'ef.
prit & de goût ) a traité la queſtion propoſée.
(M. Getz , avocat en parlement demeurant
à Toulouſe , s'eſt fait connoître
depuis quelque tems pourl'auteur du premier
mémoire ) cependant les fuffrages ſe
ſont réunis en faveur de la diſſertation ,
ayant pour épigraphe : Quid verum atque
decens curo & rogo , & omnis in hoc fum.
L'auteur est Dom François-Philippes
Gourdin , Bénédictin , à Beaumont-en-
Auge. Ce nom eſt connu par les différens
ouvrages , dont nous avons parlé , & l'académie
l'a reçu aſſocié-adjointle mois de
Juin dernier. Nous devons prévenir le Public
, à cette occafion , que ce mémoire
couronné , dont nous ignorions l'auteur ,
nous eſt parvenu avant que Dom Gourdin
ait étéadmis comme aſſocié- adjoint.
La ſéance a été terminée par cette lecture.
AVRIL . 1772. 159
Annonce du Prix pour 1772 .
L'uſage de cette académie est de diſtri.
buer tous lesans un prix alternativement
pour les ſciences &les belles lettres ; elle
déclare done qu'en 1772 cefera le tour de
lapoësie. Les poëtes auront la bonté de
choifir leur fujet. On defire ſeulement
que chaque pièce françoiſe envoyée pour
le concours ne ſoit pas de plus de 200
vers alexandrins .
Les ouvrages , francs de port & ſous la
forme ordinaire , feront adreſſés avant le
premier Juillet 1772 , à M. Haillet de
Couronne , ſecrétaire perpétuel de l'académie
, lieutenant - général criminel du
bailliage de Rouen .
Distribution des Prix des Sciences.
Le ſujet propoſé pour le prix dans la
claffe des ſciences étoit: » Après avoir
» établi ce qui caractériſe les argilles en
>> général déterminer les différences
>> chimiques & phyſiques qui diſtin-
>> guent entre elles celles des argilles ,
» qu'on connoît ſous le nom de bols ,
>> de glaiſes & de terre à foulon ?
19
Le prix a été décerné au Mémoire qui
a pour épigraphe In nova fert animus.
160 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur a favamment ſatisfait à la demande
de l'Académie , qui d'ailleurs
n'entend admettre ni improuver fon ſyſtême
ſur l'origine de ces terres , qui eſt
abſolument étranger à la queſtion. Ce
ſyſtême a donné lieua de profondes difcuffions
de chimie , de phyſique &
d'hiſtoire naturelle , de la part de MM.
Goddes & l'Abbé Bacheley , deux des
commiſſaires nommés pour l'examen des
mémoires admis. L'auteur eſt M. Charles
François Chellé , ancien apothicaire en
chef de l'hôpital général de Paris , Maître
apothicaire de la même ville .
Les diverſes écoles que protège l'académie
ont tenu leurs concours ordinaires
pour la diſtributiondes prix fondés par
le corps municipal , &qui ont été décernés
aux concurrens par des commiflaires
que l'académie avoit nommés.
Anatomie.
Le premier prix au ſieur Jean - Baptiſte
Ragnian , élève de la ville.
Le ſecond au ſieur Jean Baptiste Courant
, du païs de Caux , élève de l'Hôtel-
Dieu.
Le troiſiéme au fieur François Milhet
deMenller , près Dieppe , élève de l'Hô
tel-Dieu.
AVRIL. 1772. 161
Le quatrième au ſieur François le RichedeBonne
Maiſon en Bafle Normandie
, élève de l'Hôtel- Dieu.
Chirurgie.
Les deux prix de chirurgie ont été renvoyés
à l'année prochaine.
Botanique.
Le premier prix au ſieur Gamard de
Pont - l'Evêque , élève en chirurgie , le
même qui remporta le premier prix l'annéedernière.
,
Le ſecond au ſieur Férier d'Orbec ,
éléve en pharmacie. Il concourt pour la
première fois & a fi bien répondu
qu'une feule erreur ſur les caractères lui
a fait perdre l'ex aquo pour le premier
prix.
Le troifiéme au ſieur Baillatre de
Rouen.
Mathématique.
Le premier prix à M. Pierre Aléxandre
Forfaitde Rouen .
Le fecond à M. Nicolas- Alexandre le
Blanc , de Rouen .
Le troiſiéme à M. Pierre François
Jean , de Rouen.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le premier acceffit à M. Jean - Baptiſte
Jacques , de Rouen.
Le deuxième acceffit à M. Iſambert , de
Rouen.
Hydrographie.
Le premier prix à M. Jean - Sébastien
Mabire , de la paroiſſede Beauficel , près
Lions- la - Foreſt , qui l'an paſſé eut le ſecond
prix , & le premier de mathématique.
Le fecond à M. Jean- Charles- Louis
Allais de Rouen .
1 Le troiſième à M. Pierre Forfait de
Rouen , qui a remporté cette année le
premier prix de Mathématiques
L'acceffit a été accordé à M. Louis-
Alexandre de l'Eſpine , de Rouen.
Artdes Accouchemens.
Quoique M. de Beaumont , actuellement
profeſſear en cette partie , ne foit
point attaché à la compagnie comme
l'eſt M. Thibaut fon prédéceſſeur , il a
demandé que les prix deſtinés à ſes élèves
fuſſent diſtribués en ſéance publique.
En conféquence l'académie pour la
conſervationdeſes droits & pour fatisfaire
à la demande de M. de Beaumont , a
nominéMM. Pinard & David pour l'exa-
د
AVRIL. 1772. 163
men des concurrens , &ces prix ont été
par euxdécernés , ſavoir :
Le premier à M. Jean - Jacques Gamard
, de Pont l'Evêque .
Le ſecond à M. Jacques- André Dieu ,
de Rouen .
L'acceffit à M. Jacques-RichardBailheître
, de Rouen .
SPECTACLE S.
CONCERT
ON
T
SPIRITUEL.
N a entendu avec plaifir dans ce Concert
les Motets de M. de Mondonville ,
dont on avoit été privé pendant pluſieurs
années. Les chants faciles & gracieux , les
effets d'harmonie , les choeurs brillans de
ces Motets mériteront en tout tems les
fuffragesdes amateurs. Les autres compofiteurs
des Motets qui ont été entendus
dans ce Concert font MM. l'Abbé Giroust
, M. l'Abbé Jollier , M. Fantin , le
célèbre Pergoleze. Les virtuoſes ſontMM.
Stamitz freres , pour le violon & l'alto ;
M. Baer pour la clarinette ; M. Capron ,
M. le Duc le jeune , M. Chartrain , M.
Paiſible pour le violon ; M. Bezozzi pour
le hautbois, M. Palbatre & M. Charpen-.
164 MERCURE DE FRANCE.
tier pour l'orgue , M. Eichner pour le baf
fon , Madame Henri pour la harpe. Les
voix recitantes font Mefdames FArrivée
, Dubois , Charpentier , le Clerc ,
la Madeleine , d'Avantois ; MM. Gelin ,
le Gros , Durand , Richer , Durais , Platel
,Muguet. Ces Concerts ſont ſaivis &
le ſeroient encore davantage fi la nouveauté
reveilloit la curiofité.
On a parlé dans un des Mercures précédens
du Motet Dominus regnavit, exultet
terra , chanté au Concert Spirituel le
8 Décembre dernier , le fieur Azaïs ,
Maître de Muſique du Concert de Marſeille
demande qu'on le faſſe connoître
pour le compoſiteur de ce Moter.
ON
OPERA.
N a donné fur ce théâtre , pour les
acteurs , trois repréſentations des actes
de Pygmalion , de Pſyché , du Devin du
Village. Jamais on n'a vu une ſi grande
affluence de fpectateurs , & plus de fatisfaction
de la part des amateurs .
Le rôle de Pygmalion a été parfaitement
joué & chanté par M. le Gros ; &
Mademoifelle Dervieux qui réunit le
AVRIL . 1772 . 165
double talent du chant & de la danſe ,
a fait le plus grand plaiſir dans la repréſentation
de la Statue animée . Le baller
de cer acte qui eſt de la compoſition de
M. Gardel , fait honneur à ſon goût ,
& l'exécution ajoute encore à l'idée que
l'on a de ſon talent. On a été enchanté
du pas de deux qu'il a danſé avec Mademoiſelle
Guimard ; on ne peut repréſenter
un tableau plus vrai , plus naif & plus
piquantde la ſurpriſe niaiſe& villageoife.
Les autres danſes de ce ballet font d'une
gaité charmante.
Mademoiſelle Arnould a joué & chanté
le rôle de Pſyché , avec cette ſenſibilité
touchante & avec cette intelligence
ſupérieure qui caractériſent le talent naturel
, perfectionné par l'art. M. Gelin
a rendu avec l'énergie convenable le rôle
de la furie. Le ballet de cet acte qui eſt
de la compoſition de M. Vetris a été
fort applaudi.
Le Devin du Village a renouvellé le
plaifir que l'on a toujours d'entendre une
muſique dont les chants ſont ſi naturels
& fi piquants. M. le Gros a chanté avec
goût & fimplicité le rôle de colin , &
Mademoiselle Roſalie celui de colette.
M. Gelin a tepréſenté le Devin. Le ballet
eſt encore de la compoſition de M.
166 MERCURE DE FRANCE .
Gardel , & a réuni tous les fuffrages; ainſi
que les danſes de ces fragmens , exécutées
par MM. Veſtris , Gardel , Simonin ,
Malter ; par Meſdemoiselles Allart , Pelin
, Guimard , Anſelin, le Clerc, &c . &c
COMÉDIE FRANÇOISE.
M. BELISSEN a debuté le 29Mars dernier
dans les rôles dits à manteau ; par
les rôles d'Arnolphe de l'Ecole des Femmes
; & celui d'Oronte de Criſpin rival ,
&le mercredi premier Avril il a joué
Sganarelle dans l'Ecole des Maris
Cet acteur a l'habitude de la ſcène ; il
a de l'intelligence &de la chaleur. Il peut
ſe rendre utile fur ce théâtre en modifiant
fon accent provençal & en étudiant le ton
& le jeu de la bonne comédie .
On a donné pour la clôture Polieucte ,
tragédie de P. Corneille. M. Lekain y a
joué pour le premiere foisle rôle de Sévère.
On ne peut meure plus d'att & un ſentiment
plus profond que ce grand acteur
n'en a montré dans la repréſentation de
ce rôle d'autant plus difficile à rendre que
des expreſſions exagerées ou des termes
vieillis en affoibliſſent l'effet.
AVRIL . 1772 . 167
Voici le compliment qui a été prononcé
par M. Dalinval.
MESSIEURS ,
En vous confacrant leurs travaux &
leurs veilles, les maîtres de la ſcène françoiſe
ont éprouvé plus d'une fois que le
meilleur moyen de mériter vos fuffrages ,
étoit de vous faire de la tragédie , un
ſpectacle de terreur & de pitié , où l'homme
frémit en ſe repliant ſur lui-même ,
où l'eſprit ne pût jamais tenir lieu du ſen
timent qui doit en être l'ame ; & de la
comédie , une école de morale d'autant
plus fructuenſe que la leçon y eſt déguifée
avec plus d'adreſſe , & que les ridicules
qu'offrent les différens états qui s'agitent
&ſe heurtent ſans ceſſe ſur la ſcène du
monde , y font préſentés avec toutes les
nuances qui leur appartiennent.
Telles font , Meſſieurs , les obligations
rigoureuſes que s'imposèrent dans tous
les tems les grands hommes qui ont eu
la noble ambition de vous inſtruire en
ajoutant à vos plaiſirs. Les devoirs des
Comédiens ne font ni moins étendus ni
moins difficiles à remplir. Se transformer
en autant de caractères qu'il y a de rôles
au théâtre ; oublier celui que la nature
168 MERCURE DE FRANCE .
nous a donné , l'anéantir même pour paroîtte
plus vrais; ne s'occuper que de ce
que la ſcène exige ; ne jamais perdre de
vue que , quelqu'indulgens que vous puiffiez
être , vous voulez mettre vos amuſemens
à profit ; que vous êtes aſſez équitables
pour pardonner des fautes , mais que
jamais elles ne peuvent échapper à votre
fagacité : voilà , Meſſieurs , ce qui a dirigé
dans leurs recherches ceux de mes camarades
dont vous chériſſez les talens ;
voilà ce qui doit faire trembler ceux qui ,
comme moi , n'ont encoré étédans le cas
d'exercer que votre indulgence. Vousle
favez , Meffieurs , trop ſouvent avare de
ſes dons , la nature ne les prodigue qu'à
quelques-uns de ſes enfans chéris qu'elle
ſemble avoir adoptés pour contribuer à
vos plaiſirs : vous récompenſez leurs travaux
par ces applaudiſſemens ſi flatteurs ,
faits pour les grands talens & propres à
encourager ceux qui commencent à paroître.
Vous êtes trop judicieux , Mefſieurs
, pour ne pas ſentir que le tems &
des études multipliées ont ſouvent développé
des diſpoſitions moins brillantes,
& dont le germe auroit été étouffé
dans ſa naiſſance , ſi, en jugeant ceux qui
marchent d'un pas mal afſuré dans la pénible
AVRIL. 1772. 169
nible carrière du théâtre , vous ne faifiez
uſage que de vos lumières & fi vous n'ecoutiez
pas quelquefois votre indulgence.
Daignez donc , Meſſieurs , continuer
de nous honorer de vos bontés ; pourroient
elles jamais ceffer de nous être nécellaires?
Heureux! ſi en faiſant de nouveaux
efforts pour vous plaire , nous mé
ritons de partager les éloges ſi légitimement
dûs à un fiécle qui a augmenté la
ſphère de connoiſſances humaines , & qui
a répandu la lumière la plus éclatante fur
les beaux arts dont vous faites vos delices.
COMÉDIE ITALIENNE.
0
Na donné pour la clôture une tepréſentation
du Roi & le Fermier, & da
Tableau parlant, piéce ingénieuſe&amuſante
de M. Anfeaume , dans laquelle
M. Gretry a ſi bien développé les reffources
de fon génie &de ſon talent par une
muſique charmante , pittorefque & pantomime
; & qui eſt repréſentée avec tant
de vérité & de gaité , & chantée avec
tant d'art & de goût par MM. Clairval ,
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
la Ruette , Trial , & par Meſdames la
Ruette & Trial ,
Le compliment eſt un petit drame que
M. Anſeaume compofe avec ſuccès depuis
pluſieurs années. Celui pour la clôture
eſt la Harangue interrompue, dont
voici quelques traits .
M. Carlin ſous l'habit d'arlequin vient
marquer ſa reconnoiſſance , guidé par
le zèle qui l'anime depuis trente ans ;
il eſt interrompu dans ſa harangue par
M. Nainville en magiſter , par Mademoiſelle
Beaupré en villageoiſe & par plufieurs
autres acteurs & actrices en différens
caractères .
M. Nainville chante ſur l'air c'est bien
fort pour nous. (de l'amoureux de quinze
ans. )
Je v'nons tont exprès
Le coeur plein de r'grets
Vous faire triſtement
Notre compliment.
Mile BEAUPRÉ ,
C'eſt qu'en vérité
On n'eſt point flatté
D'voir terminer le cours
De ſes plus beaux jours , &c.
AVRIL. 1772. 171
Arlequin les interrompt , & il eſt in.
terrompu par Madame Zanerini , par
Madame Billioni , par MM. la Ruette
& Clairval.
Madame Billioni chante ſur l'air ceGar
çon me plaît. ( Du Faulc on .
Le ton ſérieux
Eſt trop ennuyeux ;
La ſombre triſteſſe
Déplaît en ces lieux.
Portons l'allégrefle
Juſqu'en nos adieux , &c:
Meſdames Zanerini , Billioni & Beau
pré chantent ſur l'air veillons mesfoeurs.
( Dans Zémire & Azor. )
Le zèle ardent qui nous enflame
D'un feu nouveau remplit notre ame
Bientôt la voix du doux plaifir
Vous excite ,
Vous invite
A revenir;
Cédez à ſes loix , &c.
Arlequin veut reprende ſa harangue,
& il eſt toujours interrompu par M.
Clairval qui débite ſon compliment ,
& par M. la Ruette qui chante fur l'air
du Vaudeville. (du Maréchal .)
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Je ne fais point faire de phrafe ,
L'éloquence n'est pas mon lot ;
Je vais vous le dire ſans emphaſe ,
Je vais vous dire le vrai mot :
C'eſt aujourd'hui notre clôture ,
L'ouverture viendra bientôt ,
Venez y tôt , tôς , τότ ;
Et pour nous en donner l'augure
Avec nous chantez fans façons :
Nous y viendrons.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Saint Jean- Baptiste dans le déſert , eſtamped'environ
20 poucesde haut fur 14
de large , gravée par Paſcal P. Molès ,
d'après le tableau original duGuide ;
Prix 3 liv . A Paris , chez Lacombe ,
Libraire , rue Chriſtine .
CETTE Scène très- ſimple en elle- même
eſt neanmoins intéreſſante par l'attitude
vive , animée & pleine de grace que l'habile
Artiſte a ſçu donner au perſonnage
qu'il a repréſenté. Le Saint eſt affis fur
* AVRIL. 1772 . 173
un rocher auprès d'une ſource d'eau vive.
Son mouton eſt à ſes côtés , d'une main
il tient un rozeau qui a la figure d'une
croix & il éleve l'autre vers le Ciel.; fon
caractère expreffif&fa bouche entr'ouverte
ſemblent nous faire entendre la voix
de celui qui crie dans le déſert. Le graveur
, M. Molès , s'eſt appliqué fur-tout
à donner beaucoup de douceur & d'harmonie
à fon burin , pour mieux rapprocher
l'eſtampe du tableau qu'il copioit.
•Cette gravure eſt dédiée à ſon excellence
monſeigneur le comte de Fuentes, minif
tre plénipotentaire de ſa M. C. auprès de
fa M. T. C.
<
Le Fanal exhauffé. Cette belle eſtampe
eſt gravée d'après un tableau de M.
Vernet , par M. Willm. Byrne , & ſe
trouve à Paris , chez M. Aliamet , rue
des Mathurins , vis-à- vis celle des Maçons.
Prix 6 liv. Elle eſt dédiée à Monſeigneur
le duc de la Rochefoucauld ,
pair de France. Elle a enviton 20 pouces
de largeur , & dix - sept de hauteur.
Cette marine eſt d'un bel effet ; on y
voit des matelots qui font effort pour
amener un canot ; une mer agitée , un
Hiij
*74 MERCURE DE FRANCE.
vaiſſeau battu par le vent; un fanal trèsélevé
& d'autres acceſſoires piquants . La
gravure eft faite avec ſoin&intelligence.
III.
d'a
Lefieur BONNET , Graveur , rue Galan
de, place Maubert , près du Chandelier
, vient de graver dans la manière
du crayon rouge, & de publier trois têres
d'enfans grandes comme nature ,
près les deſſins de M. Bouchardon ;
prix 12 fols chaque gravure; deux Académies
de femmes , dont l'une d'après
M. Lagrenée , chacune de 15 fols . La
Jardinière fleuriste , d'après M. Boucher
, prix 12 fols; & une Tête de
fille couronnée de fleurs , d'après C.
Vanloo ; prix 12 fols.
Toutes ces gravures repréfentent parfaitement
le deſſin à la ſanguine , & peuvent
en tenir lieu. On ne peut confulter
de meilleurs modèles pour apprendre le
maniment du crayon.
I V.
L'heureux Retour , eſtampe qui peut
ſervir de pendant au dédommagement de
l'Absence, qui a paru il y a deux ans . Elle a
AVRIL. 1772 . 173
environ 19 pouces de hauteur & 14 de
largeur. Elle eſt gravée avec ſoin & intelligence
par Vidal , d'après le tableau
de Schneau , Peintre de S. A. E. de Saxe .
La ſcène intéreſſante de cette gravure eſt
exprimée dans les quatre vers qui font au
bas:
Leciel enfin te rend à ma vive tendreſſe ,
Qu'il ſoit béni cent fois de ton heureux retour ,
Cher époux , chers enfans , que ce jour d'allègreſte
Dans nos coeurs réunis faſle briller l'Amour..
Cetre eſtampe eſt de 4 liv. ; & ſe trouve
à Paris , chez J. F. Chereau , Marchand ,
rue S. Jacques , près les Mathurins.
MUSIQUE.
I.
M. LE PIN vient de mettre au jour un
ſecond OEuvre de Sonates pourle violoncelle
d'un genre très agréable , & dont
l'exécution ſera d'autant plus facile anx
amateurs que l'Auteur a eu attention d'indiquer
toutes les poſitions hors du man.
che dans un avertiſſement placé au commencement
de fon Ouvrage ; prix 7 liv .
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
4 fols . A Paris , chez l'Auteur , rue Saint
Victor , vis à vis le Bon . Puits , & aux
adreſſes ordinaires deMuſique.
I I.
IIe Reveil d'Airs d'Opéra- Comiques &
autres , avec accompagnementde Guitarre
, par M. Vidal , Maître de Guitarre ;
mis au jour par M. Bouin ; prix 6 liv.
A Paris , chez l'Editeur , Marchand de
Muſique & de cordes d'inſtrumens , rue
S. Honoré , au Gagne Petit , près Saint-
Roch ; Mademoiselle Castagnety , rue
des Prouvaires . A Lyon , Bordeaux ,
Lille & Toulouſe , chez les Marchands
de Muſique.
L'accueil favorable que le public a fait
àun OEuvre de Trio pour deux violons
& un violoncelle , composé d'Ariettes,
tirées des meilleurs Opéra Comiques par
le fheur Tiffier a déterminé l'Aureur à
continuer cet ouvrage , & à le propoſer
par foufcription.
,
En conféquence, à compter du premier
Avril , il paroîtra le premier de chaque
mois un Trio dialogué composéde trois
Ariettes.
AVRI L. 1772 177
Les prix de la ſouſcription feront pour
l'année de 10 liv . pour Paris , & de 16
liv. pour la Province , franc de port , qui
ſe payeront d'avance en ſouſcrivant.
On ſouſcrira en tout tems chez l'Auteur
, rue S. Honoré , près l'Oratoire ; &
chez le fieur Bouin , Marchand de Muſique
, Editeur dudit ouvrage , rue Saint
Honoré.
Les perſonnes qui écriront pour ladite
foufcription, font priées d'affranchir leurs
lettres.
I V.
Differtation fur les differentes méthodes
d'accompagnement , pour le Clavecin ou
pour l'Orgue , avec le plan d'une nouvelle
méthode établie fur une méchanique des
doigts que fournit la fucceffion fonda .
mentale de l'harmonie , & à l'aide de
laquelle on peut devenir ſçavant compofiteur
, & habile accompagnateur , même
fans ſçavoir lire la muſique. Par M. Rameau.
Le prix eſt de trois livres. A Paris,
chez le fieur Bailleux , marchand de mufique
ordinaite de la chambre & menus
plaifirs du Roi , rue S. Honoré , à la
régle d'or. A Lyon & à Bordeaux , chez
les Marchands.
H
178 MERCURE DE FRANCE.
V.
Recueil d'Ariettes choisies , arrangées
pour le clavecin ou le forté piano , dédiées
à Madame la marquiſe Deſtiau ,
par M. Benault maître de clavecin . Gravé
par Madame ſon épouſe. Prix 3 liv.
12fols.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Bacq,
fauxbourg Saint Germain , la troiſième
porte cochère à droite de convalefcents ,
&aux adreſſes ordinaires ..
VI.
Troiſième Recueil de Duo , tiré des
ariettes des opéra - comiques , arrangées
pour deux violons , deux mandolines ou
deux par-deſſus, dédié à Madame de Rocquemont
, par M. Mahoni le Berton ;
prix , 6 liv . A Paris , au bureau d'abonnement
de muſique , cour de l'ancien
Grand-Cerf , rues St Denis&des Deux-
Portes St Sauveur , & aux adreſſes ordinaires
de muſique. A Lyon , chez Caf
taud , place de la Comédie.
AVRIL. 1772. 179
VII.
Opufcules facrés & Lyriques on Cantiques
fur différens ſujets de piété , avec
des airs notés à l'ufage de la jeuneſſe
de la Paroiſſe de S. Sulpice , 4 parties
in- 8°. Prix 3 liv. chaque partie brochée.
A Paris , chez Nicolas Crapart ,
Libraire , rue de Vaugirard près la
Place S. Michel .
Cette collection est dédiée à Madame
Louiſe de France , religieuſe Carmélite
, ſous le nom de ſooeur Thérèſe de
S. Auguſtin . L'Editeur pour rendre fon
recueil plus digne de l'auguſte Princeſſe
à laquelle il a été préſenté , & plus agréa
ble aux amateurs de la muſique , a faic
choix des meilleures pièces de nos poëtes
lyriques François , & les a adaptés à
des airs connus & qui ont reçu l'approbation
des Virtuoſes. Il y a néanmoins
pluſieurs cantiques pour leſquels la muſique
a été compoſée. L'Auteur a eu foin
de conſulter la proſodie de la langue ,
mais fon premier objet a toujours été de
rendre les leçons de morale , de verras
&de religion agréables à la jeunelle &
de les lui graver profondement dans la
mémoire par l'attrait de la muſique.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
La troiſième partie de cette collection
contient une notice des recueils de cantiques
qui ont paru depuis 1586 juf.
qu'en 1772. Cette notice enrichit cen
ouvrage & il répand une forte d'érudition
qui n'eſt point indifférente.
VIII .
Journal de pièces d'orgues compofées
par M. Lafceux , organiſte des Mathurins
,& en ſurvivance de Saint Etienne
du Mont ; prix 2 1. 8. f. chaque Magnificat&
3 liv. chaque Meffe. On fouferis
en tout tems chez l'Auteur,rue Saint Victor
, au deffus du Séminaire de Saint Nicolas
du Chardonnet , & aux adreſſes ordinaires
de Muſique , moyennant 24 livres
par an , & 36 livres pour la Province,
francde port.
Le Journal du mois de Mars qui vient
deparoître contient un Magnificat en la
majeur.
Profpectus de folféges ou leçons de musique
'avec la baſſe chiffrée.
Les fieurs Leveſque & Beche , ordinaires de
la mufique du roi , ayant recueilli une nombreuſe
collection de folféges italiens , compoſés par
Leo , Durante,ſcarlatti,Porpora Haffe,Maz
AVRIL. 1772 . 181
zoni , David Perez & autres , en ont formé une
méthode pour les pages de la muſique de SaMajeſté
, dont l'éducation leur est confiée .
Les progrès rapides que ces jeunes gens ont
faitdans lamuſique depuis qu'ils font enfeignés
avec ces ſavantes leçons , ont fait naître l'idée de
lesdonner au public.
Elles formeront un ample volume diviſé en
quatre parties .
La première préſentera les principes qu'il eſt
indiſpenſable de ſavoir avant de commencer a
chanter; ils feront ſuivis d'une quantité ſuffifante
de leçons pour mettre l'écolier en état de
connoître tous les différens fignes uſités dans la
muſique.
La ſeconde renfermera des folféges fur toutes
les clefs , meſures & tons relatifs ſuivant l'ordre
des dièzes & des bémols .
La troifiéme contiendra beaucoup de lolféges
mêlés indifféremment , en obfervant cependant
que les difficultés ne ſe préſentent que par gradation.
La quatrième ſera compoſée de douze trio ,
contenans chacun trois morceaux très- étendus .
Ce livre ſera d'un grand ſecours aux maîtres
des chapitres pour enfeignerles enfans de choeur..
On ne doute pasqu'ils ne foient en état de faire
d'excellentes leçons, mais les ouvrages qu'ils font
dans la néceſſité de compoſer tous les jours , ne
leur permettant pas d'y donner le tems néceflaires
cette méthode eſt particulièrement deſtinée à
abréger leur travail.
Cet ouvrage , dont toutes les baſſes ſont chif
frées, fera aauuffi très - utile à ceux qui appren
nentl'accompagnement ſur le clavecin.
182 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage complet ſe vendra 24livres broché.
Ceux qui voudront ſouſcrire l'auront pour 18
livres , qu'ils donneront en assûrant leur exemplaire
, qu'on leur délivrera tour relié dans le
courant de la préſente année 1772 .
On foufcrira juſqu'au premier Août à Paris
chez le fieur Durand,bibliothécaire de l'Opera ,
rue Saint Honoré , vis- à- vis le Palais royal , aux
traits galant.
Et à Versailles chez le Sieur Fournier Libraire
rue Satory.
Les amateurs réſidents en Province qui n'auroient
pas la facilité de faire ſouſcrire aux endroits
ci deffus , peuvent y fuppléer en écrivant
au ſieur Beche ou Leveſque àVerſailles. On les
prie ſeulement d'affranchir leurs lettres , & d'indiquer
par quelle voie on pourra leur faire parvenir
les exemplaires qu'ils auront retenus. Par
ce moyen ils ſeront furs d'avoir des premières
épreuves.
Cours de Pharmacie.
M. Roüel'e , apothicaire deS. A. S.
Mgr le Duc d'Orléans , démonstrateur de
chymie au Jardin du Roi , de la ſociété
des arts de Londres , & de l'académie
électorale d'Erfort , ouvrira un cours de
pharmacie le lundi 27 du préſent mois
d'Avril 1772 , en fon laboratoire rue Jacob
, à trois heures & demie après midi,
&continuera ſes leçons , les lundi , mar
di ,jeudi & vendredi de chaque ſemaine.
AVRIL. 1772 . 183
ASTRΟΝΟΜΙΕ.
CARTE nouvelle contenant les cinq pafſages
du Mercure ſur le diſque du ſoteil
qui arriveront depuis 1772 jufqu'à
1800 , calculés par M. Libour , profeffeur
de Mathématiques à l'école royale
militaire ; prix a livre 10 fols.. A Paris
chez le Rouge , Ingénieur Géographe du
Roi , rue des Grands Auguſtins.
ARCHITECTURE.
LETTRE de M. Patte à M. L* .
MONSIEUR , vous avez conſigné jusqu'ici
dans votre Journal tout ce qui vous a été communiqué
concernant ma diſcuſſion ſur la coupolede
la nouvelle Egliſe de Ste Geneviève , c'eſt
pourquoi j'espère que vous voudrez bien y inférer
mes obſervations ſur un écrit qui vient de
paroître , intitulé : Application des principes de
Mécanique à la poussée des voûtes & des dômes
parM. Gauthey , dans lequel , ſous ce titre impoſant
, il n'eſt en effet queſtion que de prendre
le contrepied de ce que j'ai prouvé dans mon mémoire.
Vous pouvez vous rappeler que j'ai invité
tous ceux qui entreprendroient d'y répondre d'appuyer
leurs refutations ſur les principes reçus,cu
184 MERCURE DE FRANCE.
du moins fur des exemples mis en parallèle ; &
précisément dans l'ouvrage dont il s'agit , on prétend
que ſans avoir égard ni aux uns ni aux autres
, l'Architecte de Ste Geneviève peut ſuivre
des procédés qui leur feroient contradictoires.
Eſt - il vrai qu'il n'y ait pas de règles certaines
pour bâtir avec folidité , & que , pour favorifer
la foibleſle des ſupports de la coupole en queftion
, on puifle eſpérer de les changer avec fuccès?
c'eſt ſur quoi il eſt important de mettre
chacun en étatde prononcer.
M. Gauthey débute par vouloir rectifier les
principes reçus pour la pouflée des voûtes. A l'entendre,
les formules des ſçavans à ce ſujet méritent
peu d'attention , en ce qu'ils n'ont pas eu d'égard
au frottementdes vouloirs qu'il eſtime augmenter
de plus de inoitié la puiflance réſiſtante . En
conféquence il prétend que , non ſeulement il
fuffi: de donner aux piédroits d'une voûte,l'épaifſeur
indiquée pour l'équilibre ; mais encore qu'en
conſidérationdu frottement , on peut fans crainte
la diminuer de près de moitié. Une ſimple réflexion
fera fentir combien il eſt au contraire effentielde
ſe mettre au-deſſus de l'équilibre , en
faiſant même abſtraction du frottement. Comme
il y a toujours un taflement dans une voûte lorfqu'on
la déceintre , il y a de toute néceflité un
mouvement. A linſtant on ſe fait ce taflement
qui eft le moment critique pour les piédroits , les
joints de la voûte s'entrouvrent , & les vouſloirs
ne portantplus que ſur une arrête , le frottement
en cette circonstance ne ſauroit évidemment être
compté comme opérant de la réſiſtance. D'ailleurs
pour peu que le piédroit vienne à céder ,
la force agiſſante acquiert alors un mouvement
d'accélération qui , en éloignant du centre de la
AVRIL. 1772.
184
voûte , le centre de gravité du piédroit, raccour
eit conféquemment le bras de levier de la force
réſiſtante , & agit d'autant plus efficacement pour
la vaincre. Ainti la puiſlance agiſlante ne doit pas
être ſeulement multipliée par ſon bras de levier ,
mais encore par la viteſſe qu'elle acquiert lors du
taffement; & cette viteſſe ne pouvant être appréciée
que difficilement , il convient donc dans la
pratique , pour ſe mettre au deſſus de tous les cas
défavorables , d'ajouter aux piédroits , aints qu'on
Fobſerve toujours , en ſus de l'épaiſleur donnée
par les cafculs pour l'équilibre .
Une autre raiſon pour laquelle le frottement
nedoit pas non plus être conſidéré dans la conftruction
d'une voûte , c'eſt que , quand le taflement
ſe fait , de deux choſes l'une , ou bien le
mortier a déja acquis de la conſiſtance , ou bien
il n'en a pas encore acquis. Dans le dernier cas ,
c'eſt un corps humide & gliſſant qui , en empêchant
l'engrainement des parties dela pierre , diminne
le frottement , &dans lepremier , le mortier
écrasé par le taſſement doit être conſidéré
comme un amas de petites boules quine mettent -
pas moins d'obstacles à l'engrainement , & qui
font à-peu-près l'effet d'un touleau que l'on place
fous une pierre pour en faciliter la gluflade.
Telles font en général les diverſes conſidérations
qui ont engagé M. de la Hire & les Sçavans à ne
point avoir d'égard au frottement dans leurs formules
, & qui prouvent combien c'eft une erreur
de l'admettre pour moitié de la réſiſtance .
Par une ſuite de ſon ſyſtême , M. G. ne veut
pas aufli , malgré l'uſage univerſel de tous les
conſtructeurs , que l'on mette d'empatement aus
bas de la tour d'un dôme foutenu ſur pendentifs,
Lous prétexte , dit- il , que les voûtes ſur leſquet-
5
186 MERCURE DE FRANCE.
les elle doit être placée ſont un ſol incompreſſible :
1º. Il n'est pas vrai que des voûtes de différentes
eſpèces puiflent être regardées comme incompreffibles
ou également compreſſibles ; car elles ont
un taflement différent à raiſon de leur appareil
&de la poſition de la charge que l'on peut y placer
: 2º. Un empatement au pied de la tour d'un
dôme foutenu ſur des encorbellemens & des arcsdoubleaux
ſert à repartir ſur une plus grande ſurface
l'action de la pouffée qui ſe fait principalement
dans la circonférence extérieure du bas d'une
tour , &devient d'autant plus néceſſaire en cette
rencontre que cette tour devant être portée par
des corps différemment appareillés , produiroit à.
coup fur un taſſement inégal. A l'aide de cette
précaution , il réſulte que l'effort ſe repartit ſur
une couronne ſolide du plus long appareil poffible,
qui fait participer à la preſſion toutes les
différentes parties ſur lesquelles elle porte : par
exemple , ſous une pièce de bois de bout deſtinée
àporter un fardeau d'aplomb , ne met - on pas
fans cefle une ſemele malgré la ſolidité du corps
ſur lequel on la place ; ainſi à combien plus forte
raiſon ne doit-on pas négliger cette précaution ,
lorſqu'au contraire la puiſſance qui preſſe cette
piéce de bois peut opérer ſur elle un effort oblique
pour la faire tourner ſur un ſeul côte de fa
baſe , & que cette baſe doit porter ſur un corps
d'inégale confiſtance. Or, c'eſt là l'effet d'une tour
de dôme fur pendentif , & la raiſon pour laquelle
on ne fauroit ſe diſpenſer d'y placer un empatement
à l'ordinaire ,
M. G. propoſe encore comme un moyen de
diminuer beaucoup l'épaifleur des piédroits d'une
voûte ou d'une coupole,de la laifler ſur ſes ceintres
de charpente auffi long-tems que l'on vou
AVRIL. 1772 . 187
dra,& juſqu'à ce que les mortiers foient ſecs.
Outre que ce ſeroit agir contradictoirement au
but defiré , en ſurchargeant les piédroits d'un
nouveau fardeau , il eſt aifé de faire voir qu'un
tel procédé ne pourroit qu'être préjudiciable à une
bonne conſtruction. Car dans la ſuppoſition que
ces ceintres reſtaſſent bandés juſqu'à ce que les
mortiers euſſent durcis , lorſqu'on viendroit par la
fuite à déceintrer cette voûte , les calles ou coins
debois que l'on met entre les vouſſoirs pour porter
& reflerrer leurs têtes étant d'une matière
moins dure que la pierre , s'affaiſſeroient néceffairement;
& en ſuppoſant que le mortier ſe fût
adapté aux paremens inférieurs & fupérieurs des
joints , comme il n'auroit pu ſécher ſans diminuer
de volume à raiſon de l'évaporation de ſon
cau , il reſteroit donc des vuides dans le milieu ;
ainſi les calles venant à ſe comprimer & les joints
àſe refferrer davantage , le mortier ſeroit infailliblement
écrasé , & ne formeroit plus qu'une
pouſſière grenue incapable de prendre déformais
de conſiſtance , laquelle pouftière feroit préciſément
la fonction des petites boules dont on a par .
lé ci -devant. Il n'en eſt pas de même quand on
déceintre les voûtes pendant que les mortiers
font humides , parce que ſe trouvant d'avantage
comprimés dans les joints ils peuvent encore s'y
adapter ; & c'eſt ce qui arrive d'ordinaire. Par
conféquent il ne fauroit qu'être très - déſavantageux
pour la folidité de laiffer trop long- tems
une voûte ſur les ceintres .
و
C'eſt d'après les spéculations que je viens de
combattre que M. G. établit tous ſes calculs
pour eſſayer de juſtifier l'exécution d'une coupole
ſur les piliers de l'égliſe de Ste Geneviève. Sans
avoir égard à l'effet du taſſement , il n'ajoute rien
188 MERCURE DE FRANCE.
:
aux piédroits au- delà de l'épaiſſeur trouvée pour
l'équilibre : envain la tour ſera - t-elle poſée ſur
des encorbellemens à plus de 80 pieds du pavé de
l'églife , il ne veut aucun empatement vers ſa
baſe , & il conſidére ſes voûtes dans les circonf
tances les plus avantageuſes pour la pouffée , en
faiſant abſtraction de celles qui peuvent être défavorables
en exécution: il propoſe auffi de laifſer
tant que l'on voudra la coupole ſur ſes ceintres
, fans faire attention que ce ſeroit encore furcharger
d'un nouveau fardeau très - confidérable
fes fupports dont on conteſte déjà la ſuffiſance ;
enfin il admet la réſiſtance du frottement dans la
plupart de ſes conclufions pour plus de moitié ,
ce qui lui produit des furcroits de forces , auxquels
il ne manque que de la réalité. Telle eſt la
baſede tous ſes nouveaux moyens de conftruction
qu'il dit être fondée (ar une ſaine théorie ca
pable de tendre à la perfection de cet art,& qu'il
voudroit ſubſtituer aux principes reçus. Quant
aux exemples,ils ne ſe trouvent pas moins en
contradiction avec les spéculations de M. Gauthey
; aufſi ſe garde t'il bien d'en admettre aucun;
il prétend au contraire que les coupoles les plus
eftimées pour la légereté de leur exécution, ne inéritent
aucune attention. Suivant lui , elles ont
toutes été conftruites au hafard ou fans principes;
& il n'excepte pas même l'admirable dôme
de St Paul de Londres quoique bâti par un géomètre
queles Anglois mettent à coté de Newton.
A ces ſpéculations , M. G. ajoute le plus fouvent
toutes fortes d'hypothèſes qui ne peuvent
avoir lieu , foit en exécution , ſoit dans les circonſtances
préſentes. Eft- il embarraſlé du peu de
largeur des piliers du dôme de Ste Geneviève
qu'il convient n'être que de 3 pieds 9 poucesdans
AVRIL. 1772. 189
le bas , il dit qu'on augmentera cette largeur de
21 pouces vers le haut, ſans ſe mettre en devoir
d'expliquer du moins comment cet excédent en
porte à faux entre les colonnes , pourroit être
conftruit en bonne liaiſon avec le pilier , & aflez
folidement pour porter une partie correſpondante
du Dôme ? S'agit-il de justifier le peu de largeur
des arcs des nefs deftinés à foutenir la coupole, il
fuppoſe que l'on pratiquera dans la tour au-deſſus
deces arcs, d'autres grands arcs ogives qui repor
teront tout l'effort du dôme vers des contreforts
placés fur les piliers , fans nous apprendre encore ,
comment ces arcs ogives étant circulantes en plan
dansune pareille étendue, pourroient être exécutés
de manière à empêcher la pouflée des voûtes de
fouffler par l'intervalle de leurs points d'appui ?
Cherche-t-il quelle ſera la pouffée des deux voû
res de la coupole , à deſlein de favoriſer ſes calculs,
il ſuppoſe leurs ruptures dans le cas le plus
avantageux ; & lorſqu'il confidère après coup
l'action de la voûte ſupérieure dans une circonf
tance défavorable , comme il s'apperçoit que ſes
réſultats le rapprochent de l'épailleur que j'ai
trouvé pour les piédroits , il obmet de conſidérer
de la même façon la rupture de la
voûte inférieure ? Veut- il également établir par
des calculs qu'en donnant au mur de la tour
uniformément quatre pieds d'épaifleur , elle ſeroit
de beaucoup au deflus de la pouffée des deux,
voûtes ? il conſidére d'abord cette tour comme
rompue en huit parties au milieu des croiſées , &
il regarde tout l'eſpace ſolide compris entre elles
, comme ſa puiflance réſiſtante : mais dans le
cas préſent où l'on fait que le poids du dôme ſera
obligé d'être élégi au deſſus des croifées & reporté
par des lunettes vers le milieu de leurs true
19. MERCURE DE FRANCE.
meaux , la puiſlance agiſſante ne pouvant avoir
hieu que ſur un ſeul point , il eſt manifeſte qu'elle
aura certainement plus de facilité à rompre le milieu
des trumeaux où elle eſt dirigée , tant àcauſe
de la pouflée que du taſſement , qu'à opérer des
ruptures ou déchiremens au- deſſus des croisées ;
car il faudroit que la puiſſance réſiſtante dont il
a ſu par- là augmenter le bras de levier , acquît
encore un prodigieux mouvement de rotation fur
la tangente à l'arc dont elle fait partie. Si M. G.
a égard enſuiteà la repartition de la coupole ſur
certains points entre les croiféées & en admettant
des contreforts au- deſſus des piliers , il affecte
encored'oublier de faire pafler la direction de la
puiſlance agiſlante par la réſultante des efforts des
arcs ogives intérieurs & extérieurs pour l'approcher
davantage des contreforts , & alors il ſuppoſe
que la puiſſance agiflante n'aura d'action
que pour faire tourner la moitié du contrefort
joint au mur ſuivant la ligne A B de la figure 3º.:
mais il eſt aiſé de s'appercevoir que pour opérer
cet effet , il faudroit une force immenfe , puiſqu'il
fait plus que doubler par ce moyen ſa force réfiftante&
fon bras de levier , & que la puiſſance
agiſſante auroit bien moins d'effort à faire pour
rompre le mur de 4 pieds d'épaiſleur entre les directions
YG & YF , où elle feroit véritablement
appliquée. Cet auteur a- t il deſſein de déterminer
la réſiſtance du pilier contre l'effort des deux arcs
doubleaux , il regarde le pendentif & le poids qui
ycorreſpond comme devant tout entier roidir le
pilier , quoiqu'il convienne, page 53 , que ce poids
aura une action pour le renverſer ; il en fait même
le calcul en ſuppoſant la tour du dôme rompue à
la jonctiondu contrefort,&le poids du contrefort
entierſoutenu tant ſur le pendentif que ſur le piAVRIL.
1772 .
lier. Mais il auroit dû voir que tous le poids du
des deux voûtes du dôme étant porté ſur le devant
du contrefort , le centre de gravité ſe rencontre
néceflairement ſur la ſaillie du pendentif
&non point ſur le maſſif du pilier comme il le
prétend : & s'il ne s'étoit pas fait illuſion à cet
égard , il auroit trouvé alors que l'effort en bafſecule
ſera de 137949 pieds cubes , ( en négligeant
le poids des ceintres de la voûte ſupérieure
qu'il a propoſé de laiſſer ) tandis que la puiſſance
réſiſtante ne ſeroit que de 40743 pieds cubes :
ainſi en ajoutant cet effort en baſlecule avec celui
dela réſultante des deux arcs doubleaux qu'il a reconnu
lui - même être de 267077 , l'on aura pour l'ef
fort total contre le pilier 405026 pieds cubes ,
ce qui eſt bien différent du réſultat 267077 pieds
cubes , auquel il s'eſt arrêté. D'où il réſulte que
le pilier , bien loin d'être roidi par le poids porté
en baſſecule , & d'oppoſer une réſiſtance double ,
ainſi qu'il le conclud , ſeroit bien au- deſſous de
l'équilibre , & qu'en ſuppoſant que la force agilſante
rencontrât trop de réſiſtance pour renverſer
le pilier ſuivant ſa diagonale , elle le romproit infailliblement
ſoit dans ſa partie foible , ſoit à la
naiſſance des arcs où elle eſt principalement appliquée.
Mais ce qui achevera de révolter à la fois les
ſavans& les conſtructeurs , c'eſt que M. G. avance
qu'il n'y a pas beſoin de piliers pour porter la
coupole de Ste Geneviève , & qu'on peut exécuter
un dôme ſur pendentifs au centre de cette égliſe
d'un plus grand diamètre & beaucoup plus élevé
que celui projeté , avec le ſecours de les colonnes
itolées &de ſes murs pourtours : il va mêmejuſqu'à
donner ſérieuſement des deſſins , des calculs
&une longue liſte de la repartition du poids de ce
dôme ſur ces colonnes , parmi lesquelles il y en a
192 MERCURE DE FRANCE.
d'éloignées de 8 à9 toiſes des piliers qui feroient
d'obligation d'en foutenir une partie .
Les agens qu'il a imaginés pour ſuppléer aux
piliers & reporter au loin le fardeau du dôme
fontdes arcboutans qui partant du deſſus de chaque
colonne& du mur pourtour , doivent êtredirigés
vers différens points du haut des pendentifs;
comme fi une colonne étoit faite pour porter
un fardeau autrement que d'aplomb; comme ſi
un arcboutant par ſa nature étoit deſtiné pour
ſecourir une action en baſſecule , & qu'il ne fallût
pas alors une force foutenante plutôt qu'une
force repouſſante ; comme ſi une action de peſanteur
pouvoit être reportée à volonté obliquement
à8 ou 9 toiſes de fa perpendiculaire : comme fi
en un mot on pouvoit jamais ſe paſler d'oppoſer
une mafle cubique à l'action d'une coupole ſur
pendentifs conformément à tous les exemples .
Je ne finirois pas , Monfieur , ſi j'entreprenois
de relever toutes les faufſes applications dont cet
ouvrage eſt rempli : il me ſuffit d'avoir indiqué
les principales pour prouver combien il eſt éloigné
de porter la plus légère atteinte àmon mémoire
contre la poſſibilité de l'exécution de la
coupoledont il s'agit ; & combien il ſeroit dangereux
de prétendre déroger aux principes reçus &
&aux règles de conſtruction , conſacrées par les
chef-d'oeuvres de nos grands maîtres .
J'ai l'honneur d'être avec conſidération ,
MONSIEUR ,
Votre très - humble & trèsobéiflant
ſerviteur ,
CepremierMars 1772.
PATTE.
A
AVRIL. 1772. 193
LETTRE de Madame Hobson , Dame
Angloiſe , à M. Macmahon , docteurrégent
de la faculté de médecine de Paris
& médecin de l'Ecole royale militaire.
Du château de St Germain en Laye ;
ce 26 Septembre 1771 .
MONSIEUR ,
Je viens d'apprendre qu'il y a un Monfieur
Sutton à Paris qui inocule , je vous ferois infiniment
obligée ſi vous vouliez me mander fur le
champ fi c'eſt le même Sutton qui a eu un figrand
fuccès à Londres, ou bien ſi c'eſt un de ſes freres,
je ſuis d'autant plus empreffée à le ſavoir que la
ſaiſon pour l'inoculation eſt déja fort avancée.
Il y a une Dame de mes amies qui a quatre enfans
qu'elle voudroit faire inoculer , & je ferois
très fachée qu'elle perdît une pareille occaſion ;
mais aufli je ne me pardonnerois jamais de lui
avoir recommandée une perſonne moins habile
que le véritable M. Sutton. En cas que mon amie
veuille s'y réſoudre , je l'engagerai à vous conconfulter
afin de s'assûrer ſi ſes enfans font en
état de ſupporter une pareille épreuve , car il
faut vous dire qu'ils font d'une ſanté très - délicate.
J'ai l'honneur d'être , &c.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE
REPONSE.
Ecole milit. à Paris, le 29 Sept. 1771 .
MADAME ,
Je ne connois guères le ſieur Sutton qui eſt actuellement
à Paris , maisje connois beaucoup le
célèbre M. Daniel Sutton de Londres dont vous
me parlez , j'ai eu pluſieurs fois occafion de me
trouver avec lui l'été dernier , & je me rappèle
très - bien qu'il m'assura alors que le docteur
Power étoit la ſeule perſonne qui fût vraiment
inſtruite de ſa méthode d'inoculer, & que jamais
il n'autoriferoit aucun autre à la pratiquer à Paris.
J'ai ſou même que ces deux Meſſieurs ( Daniel
Sutton & le ſieur Power ) avoient pris des
engagemens enſemble qui ont été atteſtés par les
deux ambaſſadeurs de France & d'Angleterre , le
docteur Power en a même inſtruit le public dans
une brochure ſur l'inoculation intitulée , Précis
historique de la nouvelle méthode d'inoculer la petitevérole,
qu'il a fait imprimerà ſon arrivée ici ,
M. Sutton me dit dans le même tems qu'il étoit
três- fâché de voir que fon beau- père ( le ſieur
Verlok ) ſe fut aviſé de venir faire l'moculateurà
Paris , lui qui n'avoit aucune connoiflance de la
médecine & de la chirurgie , & qui par conféquent
feroit fort embarraflé a ordonner les reinèdes
néceſſaires en cas d'accident. Si j'entre dans
un auffi grand détail , Madame , c'eſt afin de
vous mettre en état de décider ſur une affaire qui
eſt ſi intéreſſante pour votre amie. J'ai inoculé&
j'ai vu inoculer un grand nombre de perſonnes ;
AVRIL. 1772. 195
ainfije me crois en droit de dire mon ſentiment
Soyez donc perfuadée , Madame , que votre amie
ne ſauroit s'adreſſer à un homme plus habile que
le docteur Power. Il a déja eu beaucoup de pratiquedans
cette partie à Paris , & même à Saint
Germain , & avec un ſuccès qui ne s'eſt jamais
démenti ; j'en puis parler avec certitude , car j'ai
ſuivi la plupart des inoculés qu'il a traité. Du
reſte , ſi vous voulez le connoître davantage ,
adreſſez -vous au docteur Comyn , qui pourra
même vous prêter la brochure en queſtion. Vous
ytrouverez le certificat du ſieur Daniel Sutton ,
ainſi que ceux des deux ambaſſadeurs. J'ai fait
mes études avec M. Power , il y a plus de vingt
ans qu'il pratique la médecine à Londres ou dans
les environs , je crois , Madame , que cela fuffit
pour le diftinguer d'un tas de gens de différens
métiers qui ſe donnent pour inoculateurs , fans
avoir affez de lumières pour ſavoir diminuer ces
ſymptômes extraordinaires qui font rates , à la
vérité , maisqui peuvent arriver. Il y a actuellement
une Dame de qualité & ſes deux enfans
qu'il vient de préparer pour être inoculées : leur
demeure eſt près de Marly , c'eſt dans votre voifinage;
illes verra ſouvent , &je l'engagerai , ſi
cela eſt poſſible , à vous faire une viſite à fon premier
voyage , je crois que ce ſera mardi prochain
, vous & votre amie vous aurez une converſation
avec lui , & vous faurez alors ſi les enfans
font en état de ſupporter l'inoculation. J'ai
T'honneur d'être avec reſpect , &c .
I ij
196. MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Aucouronnementde Ladiſlas frère aîné
du roiCafimir en Pologne, lePrimat ayant
demandé à la nobleſſe ſi elle agréoit ce
Prince , un ſimple gentilhomme répondit
que non . On lui demanda quel reproche
il avoit à faire à Ladiſlas . Aucun , ré
pondit - il , mais je ne veux pas qu'il foit
Roi. Il tint ce langage pendant plus d'une
heure & fufpendit la proclamation.
Enfin il ſe jetta aux pieds du Roi & dit
qu'il avoit voulu voir ſi ſa nation étoit
libre , qu'il étoit content & qu'il donnoit
fa voix à S. M.
III.
Milord Malboroug voyant la bonne
mine & l'air guerrier d'un ſoldat pris à
Bleiheim lui dit , s'il y eût eu cinquante
mille hommes comme toi à l'armée françoiſe
, elle ne ſe fût pas ainſi laiſſé battre ,
eh ! morbleu , repartit le Grenadier , nous
avions affez d'hommes comme moi , il ne
nous en manquoit qu'un comme vous .
AVRIL. 1772 . 197
III.
M. de Baſſompierre diſoit après être
forti de la baſtille au commencement du
regne de Louis XIV que tout le changement
qu'il avoit trouvé dans le monde
depuis douze ans de prifon qu'il ne l'avoit
vu , c'étoit queles hommes n'avoient
plus de barbe & les chevaux plus de
queue.
EPITAPHE Pour M. D'EVREUX ,
d'Irlande.
JAACCOOBBII D'EVREUX DE CARIGMENAN.
Quod mortale fuit , jacet hic.
Stirpis nobilitate
Utrinque infignis :
Omni literarum genere excultus ;
Eloquio mire facundus';
Inter familiares comitate ,
Erga colonos humanitate
Colendus .
Avitæ fidei
Per temporum anguftias
Et procliva patriæ exempla
Conftans affertor ,
Cunctis fuî defiderium
Reliquit moriens
Anno Dom. 1761 , die 27 Aprilis.
Etatis fui 59 .
Marmontel expreffit.
:
I iij
19 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
EXTRAIT d'une lettre de M. MORAND ,
confeiller médecin ordinaire du feu Roi de Pologne,
Due de Lorraine , aggregé honoraire au
collège royal de médecine de Nancy , de l'académie
des sciences , &c. à M. RONNOW
écuyer, ci-devantpremier médecin de S. M. le
Roi de Pologne , Duc de Lorraine , aggregé
honoraire au collège royal des médecins de Nancy,&
membre de l'académie royale desſciences
de Suède , fur un remède anti-vénérien,feuille
in- 12.
,
M. Ronnow ayant entendu faire de grands
éloges de la méthode de M. Nicole par pluſieurs
malades qu'elle avoit guéris demanda à M.
Morand à qui cette méthode étoit parfaitement
connue; fi en effet elle opéroit des cures auffi
noinbreuſes & auſſi fingulières que la renommée
le publioit. Voici quelle eſt en ſubſtance ; la réponſe
de M. Morand , très-favorable au remède
de M. Nicole .
Il rappèle dabord en peu de mots les différens
remèdes employés depuis vingt - cinq ans pour la
guériſon des mêmes maladies que traite M. Nicole.
Chacun a eu ſon tems : ils ont été en vogue
tour à tour , & M. Morand convient que la plûpart
ont été employés avec ſuccès. Mais comme le
mercure faifoit preſque toujours la baſe de ces
ſpécifiques , il y avcit des cas ou ce minéral pou
AVRIL. 1772. 199
voit être nuiſible , & alors M. Morand lui-même
s'eft vu obligé de chercher un remède plus doux ,
qui en pénétrant les voies les plus éloignées de la
circulation , en levant les obſtructions des derniers
vaiſſeaux lymphatiques , en diſlipant le virus
, fût incapable de produire aucune forte de
révolution , & qui néanmoins guériſſe radicalement.
>> Ce ſont-là , dit M. Morand à ſon confrère
» M. Ronnow , Ce ſont là les avantages du re-
ככ mède de N. Nicole , qui me ſemble mériter
>> pour le moins autant d'attention que tous les
>> différens effets dont nous avons connoiffance
>> en ce genre : agiſſant d'une façon peu ſenſible
> &peu incommode , en ce qu'il porte ordinai-
>>> rement du côté des voies urinaires ou de la
>> transpiration , évacuations qui font les moins
>> fatigantes pour l'économie animale. Ceremède
altérant convient en même- tems aux
ſonnes délicates , à celles qui ne voulant que
> prendreune précaution quelquefois importante
ود
בכ
,
1errelativement
à leur vie paſſée craindroient
> une méthode trop roide ou trop afſujettiſſante .
Il eſt propre enfin dans les cas où il ſemble
» qu'il faille une action vive pour parvenir à la
>> guériſon.
>> D'après l'exemple de pluſieurs malades atta-
>> qués de ſymptômes les plus graves , & que
>> j'ai vûs dans tous les périodes du traitement ,
>> j'ai lieu d'être très-content de ce remède. Il
לכ conſiſte en une boiffon dans laquelle il n'entre
>> point de mercure. Sa couleur , fon goût & fon
>> odeur ne donnent aucune répugnance. Après ,"
ככ les préparatifs indiqués par les circonstances ,
>> on en prend une chopine le matin une cho-
,
liv
200 MERCURE DE FRANCE .
> pine le ſoir ; ce qui ſe continue pendant vingt-
>> deux , vingt-cinq , ou trente jours au plus fans
>> aucune interruption que celle qu'exige natu-
>> rellement une fièvre accidentelle qui peut fur-
- venir dans toutes les maladies. Le cours des
>> règles dans les femines& le temps de la grof-
>> ſeſlejuſques dans les derniers mois , n'obligent
pas de diſcontinuer ce remède. «
J'ai l'honneur d'être , &c.
II.
Pluſieurs perſonnes de confidération ayant
paru defirer avoir des Muſettes des ſieurs Chefdeuille
& les ouvrages de Muſique de ces deux
Auteurs, l'on a cru devoir inférer dans le préſent
Mercure que le ſieur Chefdeuille s'est fait
un laboratoire dans une grande maiſon qu'il a
acquiſe des héritiers de S. A. S. Monfeigneur le
Cointe de Charolois , rue de Bellefonds , quartier
Montmartre , où l'on trouvera tous les oeuvres
de feu ſon frère & les fiennes , avec Mufettes
tant de l'un que de l'autre fur tous les
tons pour tous ceux ou celles qui voudront s'amuſer
de cet inſtrument. Son intention nous a
paru defirer d'annoncer au public qu'il remettra
en état les inftrumens qu'il a fi bien conſtruits ,
en les lui envoyant où il réſide. Il a beaucoup
fait de conſtructions , & il lui reſte pluſieurs
beaux terreins propres à bâtir dans la plus belle
yue des environs de Paris . C'eſt auſſi côte de
Montmartre vis-à-vis le Clos de Meſſieurs de
Saint- Lazare , rue Poiffonnière Barrière Sainte-
Anne.
AVRIL. 1772. 201
III.
د
Le ſieur Dubuiffon , Coeffeur de Dame , rue
des Citeaux , près l'Abbaye Saint - Germain
continue de fabriquer ſon beau rouge déjà renommé
pour la facilité qu'il a de s'étendre &
de tenir ſur la peau , qu'il nourrit tant par få
fineſſe que par labeauté de fon coloris que le fieur
Dubuiffon vient encore de perfectionner. On
en trouvera toujours chez lui de toutes les
nuances & des mieux aſſorties. Prix , 3 liv . le
pot.
Nota. Ce Rouge a été approuvé par M. le
Thieullier , Doyen de la Faculté le 22 Avril
1770, DUBUISSON.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg , le 28 Février 1772 .
L'Amital Knowles eſt parti de cette capitale ,
le 24 de ce mois , avec les officiers de terre &de
mer nommés pour exécuter l'entrepriſe qu'on
doit tenter ſur la Mer Noire , à louverture de la
campagne , & pour laquelle on a conſtruit un
grand nombre de petits bâtimens. Sa Majesté Impériale
a donné à cet amiral , pour les frais de ſes
équipages , une gratification de 6000 roubles.
Cette expédition ſera combinée avec les opérations
que notre armée doit faire en Moldavie ;
en conféquence , les officiers ont ordre de ſe ren
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
dre à Yafly , pour conférer avec le comte Roman- .
zow.
DeWarsovie , le 8 Mars 1772.-
Les eſpérances de paix dont on nous avoit flattés
commencent à s'évanouir. Toutes les nouvelles
qui arrivent des Provinces conquiſes par les
Rufles annoncent que les Turcs font des préparatifs
immenfes pour la campagne prochaine. L'amiral
Knowles a paflé par Kiovie : il avoit avec
lui le général major Katzkin & quelques officiers
de mer , tant Anglois que Hollandois , qui font
entrés au ſervice de la Ruſſie. Il dirigeoit ſa route
vers Bender , d'où l'on prétend qu'il ſe rendra
àKilia C'eſt dans cette ville que doit le faire
T'armement destiné à l'attaque de l'entrée du Canal
de Conſtantinople par la Mer Noire. On a déjà
préparé, pour cet effet, quatre ou cinq bâtimens
devingt à vingt cinq canons,un de trente & unde
quarante.
De Berlin , le 29 Mars 1772 .
Sa Majesté ayant été obligée , par les circonftances
, de renforcer &de faire marcher en avant
le cordon de troupes qu'Elle a établi ſur les frontières
de Pologne , Elle a fait déclarer aux Confédérés
qu'Elle prenoit ſous ſa protection tout le
pays couvert par ce cordon , afin qu'ils aient ſoin
de s'en éloigner & de n'y rien entreprendre qui
puifle bleffer la bonne harmonie que Sa Majeſté
defire conferver avec eux.
DeHambourg , le 16 Mars 1772 .
Les principaux habitans des environs deCopenhague
ont réſolu d'ériger une ſtatue au feu comte
de Bernstorff, miniſtre d'état , qui avoit accomAVRIL.
1772. 203
pagné le Roi de Danemarck pendant fon voyage
en France & en Angleterre.
De Constantinople , le 3 Mars 1772 .
Le Capitan Pacha a fait fortir des Dardanelles,
le 22 du mois dernier , une frégate , un chebee &
trois galiotes. On ignore à quelle expédition ils
font destinés .
On mande de Naxie ( Naxos , vis- à- vis l'iſſe
deParos ) que le comte deGrun , Hollandois , au
ſervice de la Ruffie , s'eſt occupé à faire des recherches
d'antiquités dans les ifles de l'Archipel ,
& qu'il a découvert dans celle de Nio ( Jos ) le
tombeau d'Homère , qu'on a toujours prétendu
être mort dans ce lieu. Ce Comte a publié qu'il
avoittrouvé fur ce tombeau une infcription grecque;
que le ſquelette de ce poëte , le plus célèbre
de l'antiquité , y étoit affis , & qu'il étoit tombé
enpouffière dès que l'air y avoit été introduit ;
qu'il y avoit auprès de lui un petit vaſe de marbre&
une pierre tranchante , en forme de ſtiler.
Cet Hollandois a écrit à ſes correſpondans qu'il
avoit fait beaucoup d'autres découvertes de toumbeaux
& de médailles , tant à Nio qu'à Naxie &
dans l'iſle deMilo.
:
De Stockolm , le 25 Mars 1772 .
Le Roi n'a pas encore fixé le jour de ſon couronnement.
L'intention de Sa Majesté eſt vraiſemblablement
que cette cérémonie ne précéde
que de peu de jours celle de la ſéparation de la
Diete.
Un Payfan s'eſt plaintà ſon Ordre de l'indulgence
avec laquelle le parlement de Gothic a jugé
I vj .
204 MERCURE DE FRANCE.
les officiers publics de fon reffort , qui le font mêlés
illégalement des élections des députés à la
Diete. Les trois Ordres inférieurs ont arrêté de
faire de nouvelles repréſentations au Roi pour
ſupplier Sa Majesté de faire au plutôt terminer &
porter devant les états les procès intentés dans
les divers parlemens du royaume , pour le même
fujet.
De Copenhague , le 24 Mars 1772 .
Le Roi vient de nommer une commiſſion de
trente-cinq perſonnes choiſies dans tous les Ordres
de l'Etat. Sa Majesté les a relevées du ſerment
de fidélité & leur a impoſé le plus profond
fecret ſur tout ce qui peut avoir rapport à l'affaire
importante ſoumiſe à leurs lumières & à leur
jugement. Ces commiflaires ſe ſont déjà aflemblés;
mais fur le réquifitoire des avocats , ils ont
ſuſpendu leurs délibérations juſqu'au 2 Avril pro.
chain. On foupçonne que cette commiſſion , d'un
genre extraordinaire , doit s'occuper du jugement
d'une des perſonnes arrêtées le 17 Janvier.
De Drefde , le 24 Mars 1772 .
Il vient d'être décidé que l'on crééra , d'icià la
fin du mois , des papiers qui ne porteront point
intérêt & qui tiendront lieu d'eſpéces monnoyées.
On paiera , en argent , toutes les ſommes au deffous
d'une rixdable ( 3 liv. 15 f. de France , ) &
le papier aura cours pour toutes les ſommes audeflus.
On croit qu'on en crééra pour deux mil-
Jions de rixdahles. Afin de prévenir les inconvéniens
qui pourroient réſulter de cette opération ,
par l'agiotage ou par d'autres manoeuvres de ce
geure, on établira un caiſſe d'eſcompte , où l'on
AVRIL. 1772 . 205
pourra convertir le papier en argent , moyennant
une perte de 2 pour 100. L'électeur paiera les
gages , appointemens , penfions & arrérages , &c.
moitié en argent , moitié en papiers , & l'on recevra
auſſi , dans les caiſſes , moitié en argent &
moitié en papiers. Les négocians de Léipfick ont
envoyé ici des députés chargésde faire tous leurs
efforts pour empêcher l'exécution de ce projet.
De Londres , le 29 Mars 1772 .
LeGouvernement ſe propoſe d'envoyer le major
Roger à la recherche du paflage par le Nord-
Oueſtdans les Mers de l'Amérique. L'expédition a
été approuvée par les Lords du Commerce; le bureau
de la Tréſorerie eft occupé à examiner le
mémoire donné à ce ſujet , & à dreffer l'acte néceflaire.
Les Francs - Maçons , qui s'oppoſent au bill
dont l'objet eſt de donner à leur ſociété la forme
de corps politique , ont obſervé que ce bill tendoit
à détruire cette aſſociation , parce que , s'il
arrivoit quelque conteftation , elle feroit portée
au parlement& que par-là ce qu'ils appellent leur
fecret (eroit néceflairement divulgué.
Le Roi vient d'accorder au Lord North leCordon
de l'Ordre de la Jarretiere, vacant par la mort
du Duc Réguant de Saxe Gotha .
L'anonyme Junius a profité de cette occafion
pour ſe ſignaler de nouveau en faveur du parti de
l'oppoſition . Il a publié une lettre adreflée à ce
premier miniſtre , dans laquelle il déclame , nonſeulement
contre la conduite de ce Lord , mais encore
contre tout le confeil de St James .
r
: De Marseille , le 1 Avril 1772 .
Les lettres de Seyde, du 12 Février , & celles
206 MERCURE DE FRANCE .
d'Acre, du 22 du même mois , ne font mention
d'aucun événement qui ait pu troubler la tranquillité
dont jouiſloient cesdeux villes &le refte
de la Syrie à cette époque , exepté le ſoulevement
des habitans de Tripoli contre leur gouverneur.
Elles annoncent le départ prochain de la caravane
de la Mecque qui s'aſſemble auprès de Damas ; le
Pacha de cette Ville enapris le commandement
ſelon l'uſage.
De Paris , le 13 Avril 1772 .
L'Académie des inſcriptions & belles- lettres a
élu , dans ſon aſſemblée du 31 du mois dernier ,
pour académicien honoraire , le Sr Bertin , mini(-
tre& fecrétaire d'état, à la place du fen Sr Bignon.
Le fieur Séguier , habitant de la ville de Nilmes ,
a été élu , le même jour, académicien libre régnicole
, à la place du feu Sr de Fontette .
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé l'évêché de Beauvais , à l'Abbéde
la Rochefoucaut - Bayers , vicaire général
du diocèle de Rouen , & l'abbaye de Lieffies , Ordre
de St Benoît , diocèſe de Cambray , au Cardinal
de Gêvres .
Le Roi a nommé colonels de huit régimens du
Corps Royal de Marine que Sa Majesté a créés ,
par l'ordonnance du 18 Février dernier , les Sieurs
d'Orvilliers , du Chaffault , de Breugnon , de la
Touche , Dabon , le chevalier Fouquet , le ſieur
la Jonquière-Taffanel & le ſieur de Brovets , chefs
d'eſcadre.
Le Roi a accordé l'abbaye de St Paul de Beaurepaire
, Ordre de Cîteaux , diocèle de Vienne , à
laDame de Monteynard , religieuſe profeſle au
monaſtère des Urfulines de Grenoble.
AVRIL. 1772. 207
LePrincede Naflau- Siegen , colonel commandant
du régimentde Royal Allemand , cavalerie ,
vient d'être nommé colonel dudit régiment.
Le comte de Chabannes , brigadier des armées
du Roi , colonel du régiment de Bretagne , a eu ,
le même jour , l'honneur de prêter ferment entre
les mains de Sa Majesté , pour la ſurvivance de la
charge de premier écuyer de Madame Adelaide ,
dont leRoi l'a pourvû.
Le Roi a accordé au Prince de Pignatelly , capitaine
attaché au régiment de Schomberg , dragons,
la charge de meſtre de camp- commandant
de ce régiment , qui étoit vacante par la promotionducomtedeDonnezan
au grade de maréchal
de camp.
L'Evêque de Vence a prêté ſerment, le premier
Avril , entre les mains de Sa Majesté.
Le Roi a confié le dépôt des cartes & plans de
la inarine au ſieur Rizzi Zannoni .
Sa Majesté a nommé à la place de premier préſidentdu
parlement de Bourgogne, vacante par la
démiſſiondu ſieur Fyot de la Marche , le ſicur
Cheſnard de Layé , préſident du méme parlement,
qui aeul'honneurde prêter ſerment entre lesmains
duRoi , les Avril.
Le ſieur de Marmontel , l'un des Quarante de
l'Académie Françoiſe , vient d'être nommé par le
Roi à la place d'hiſtoriographe de France , vacante
par la mort du ſieur Duclos. Il a eu l'honneur
de faire , à ceette occafion , ſes remercimens
àSa Majesté , le s Avril.
L'Abbé Soulet de Borderouſle , chanoine d'Iſſondun
, ayant donné ſa démiſſion de la charge d'aumônier
ordinaite de la Maiſon du Roi , Sa Majeſté
en a diſpoſé en faveur de l'abbé d'Audiffrer ,
208 MERCURE DE FRANCE.
vicaire-général du diocèſe de Siſteron , chanoine
de l'Egliſe de Meaux .
Le ſieur Coufin , lecteur royal en mathématiques
, & profefleur à l'Ecole royale militaire , a
éré nommé , le 20 de mars , à la place d'adjointgéomètre
de l'académie royale des ſciences , vacante
par la nomination du ſieur Jeaurat à celle
d'aſſocié. Cette dernière étoit occupée par le chevalier
de Borda , qui a été nommé à la place de
penſionnaire dans la même claſle , vacante par la
mort du fieur Fontaine .
PRÉSENTATIONS .
Le 22 Mars , le Comte Guillaume de Forbach a
eu l'honneur d'être préſenté au Roi , ainſi qu'à la
Famille Royale.
Le 24 Mars , le Baron de Wittorff , grandchambellan
du Landgrave de Heſle -Caffel , eut
l'honneur d'être préſenté au Roi & à la Famille
Royale.
Le Duc d'Albe a eu auſſi l'honneur d'être préſenté
, le 22 Mars , à Sa Majesté , ainſi qu'à la
Famille Royale.
Le Prince de Nadau- Saatbruck eſt arrivé à Verſailles
, le 24 Mars , il a eu l'honneur d'être préfenté
à Sa Majesté , ainſi qu'à la Famille Royale.
Le Vicomte d'Ademar , en épouſant la marquile
de Valbelle , a reprit le titre de comte , anciennement
porté par la première race des comtes d'Orange
de la Maiſon d'Adhemar. La comteile d'Adhemar
a eu l'honneur d'être préſenté au Roi & à
la Famille Royale , le 29 Mars , par la marquiſe
de Castellanne.
Le mêmejour , la comteſſe de Clarac a été pré
AVRIL. 1772. 200
ſentée par la comteſſe d'Eſparbés , & la comtefle
de Ricée , par la comteſſede Broglie.
le comtede Mercy , ambaſſadeur de Leurs Majeſtés
Impériales & Royales , eut , le 7 Avril , une
audience particulière du Roi , à qui il préſenta le
Prince Lobskowitz , ambaſladeur de la Cour de
Vienne à celle de Madrid.
La comtelle de Prunélé a eu l'honneur d'être
préſentée , le même jour , au Roi & à la Famille
Royale , par la comteſle de Montboiffier.
Le Sieur Bignon , qui avoit été pourvû précédemment
en ſurvivance de la charge de bibliothécaire
du Roi , exercée par ſon père , a eu l'honneur
d'être préſenté au Roi en qualité de ſon bibliothécaire
, &de faire ſes remercîmens à Sa Majeſté
, le s Avril.
Le Corps de Ville s'étant rendu , le 23 Mars , à
Verſailles , ayant à ſa tête le Maréchal Duc de
Briflac , gouverneur de Paris , eut audience de Sa
Majesté , à qui il fut préſenté par le Duc de la
Vrilliere , miniſtre & fecrétaire d'état. Il fut conduità
cette audience par le Sieur de Nantouillet ,
maître des cérémonies. Le Sieur de la Michodière,
nouveau prevôt des marchands , prêta , entre les
mains du Roi , le ſerment de fidélité dont le Duc
de la Vrillière fit la lecture , ainſi que du ſcrutin
qui fut préſenté par le ſieur Dufour , maître des
requêtes. Après cette audience , le Corps de Ville
rendit ſes reſpects à la Famille Royale .
MARIAGES.
Le Roi & la Famille Royale ont ſigné , le 22
Mars , le contrat de mariage du vicomte de la Blache
, enſeigne de la Gendarmerie , avec Demoifelle
le Roide Senneville.
210 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi & la Famille Royale ont ſigné , le 29
Mars , le contrat de mariage du vicomte de Moneſtay
- Chazeron , capitaine de cavalerie , avec
Demoiselle de Baschi .
MORTS.
Alexandre Donald eſt mort , le is Février , à
Kinsbourg , dans l'iſſe de Sky , à l'âge de quatrevingt-
trois ans. C'eſt le même chez lequel le Pré.
tendant ſe refugia après la batailie de Cullod en
1745. Le Gouvernement avoit promis une récompenſe
de 30,000 liv. sterlings à quiconque
le livreroit. Cette ſomme , qui auroit fait la fortune
du Sieur Donald & de toute ſa famille , ne
fut pas capable de l'engager à violer les droits de
Phoſpitalité.
Nicolas Bellen , premier ingénieur- géographe
dela marine&du dépôt des cartes & plans , cenfeur
royal , de l'académie royale de marine &de
la ſociété royale de Londres , eſt mort à Versailles
, le 21 Mars , dans la ſoixante - douzième année
de fon âge.
Louis de Lambert , maréchal des camps & armées
du Roi , directeur général des fortifications
d'Alface , eſt mort à Strasbourg , le 19 de ce mois,
âgéde loixante- deux ans.
Vincent Paillet , du village de Mauveſin , près
Bagnères , diocèſe de Tarbes , vient de mourir
dans la cent douzième année de ſon âge , chez la
baronne de Hifax , à deux lieues de la ville de
Dax , où il ſervoit en qualité de jardinier , depuis
cinquante ans. Il avoit été marié trois fois , la
première à vingt-ſeptans , la ſeconde à ſoixante ,
&la troiſième à ſoixante-douze. Il n'a eu qu'un
ſeul garçon de ſon troiſième mariage.
AVRIL. 1772. 211
Fréderic III , Duc régnant de Saxe Gotha, frère
de feue la Princeſſe de Galles , eſt mort , le 10 de
Mars , dans la réſidence' , âgé de ſoixante- treize
ans & dans la quarantième année de ſon règne.
Son fils aîné Ernest- Louis , né le 28 Janv . 1745,
lui (uccéde dans les duchés de Gotha & d'Altenbourg.
Fréderic Comte de St Séverin , Abbé commendataire
de l'abbaye royale de St Maixent, en Poitou
, ordre de St Benoît , eſt mort à Plaiſance , le 3
de Mars , âgé de ſoixante-quatre ans .
Jean-Baptiste de Sieurray baron de Sieurray ,
gentilhommede la Manche de Mgrle Comted'Artois
, & ci-devant de Monſeigneur le Dauphin &
de Monſeigneur le Comte de provence , meſtre de
cavalerie& chevalier de l'Ordre royal & militai.
re de St Louis , eſt mort , le 22 Mars , dans la cinquante-
deuxième année de ſon âge.
Charles Pinot Duclos , hiſtoriographe de France
, l'un des Quarante & fecrétaire perpétuel de
l'Académie Françoiſe , de l'académie des inſcriptions&
belles- lettres , de la ſociété royale de Lon
dres , de l'académie de Berlin &de pluſieurs autres
académies , eſt mort à Paris , le 26Mars, âgé
de foixante- huit ans .
La Dame de Grandchamp , religieuſe du prieuré
de Chanchanoux , diocèle d'Autun , eſt morte
le 3 de Mars , âgée de cent ſept ans. Elle avoit
quatre- vingt- lept ans de profeſſion.
On écrit de Séez que le nommé Jean Gallais y
eſt mort , le 19 Mars , dans la cent ſeptième année
de ſon âge. Il s'étoit marié à trente cirq ans ,
& ila eu trente & un ,tant enfans que petits-enfans.
On mande du Vivarais qu'il y eſt mort depuis
212 MERCURE DE FRANCE.
quelque tems , cinq centenaires , entr'autres , le
nommé André Dulac, habitant de Privat qui avoit
cent cinq ans ; la femme , âgée de cent trois , ſe fir
porter auprès de fon lit, avant qu'il expirat , l'embraffa
, lui fit ſes adieux , & mourut deux jours
après lui.
Le nommé Jean George Prufer eſt mort , dernièrement
, à Teutſch- Keſlel , en Baffe- Siléſie , à
l'âge de cent trois ans & un mois. Il a été marié
trois fois , & il a eu de ſa dernière femine , à l'âge
de quatre- vingt-cinq ans , une fille qui vit encore.
N. Meyronnet , maréchal des camps & armées
du Roi , commandeur de l'Ordre royal & militaire
de St Louis , eſt mort àAix en Provence , le 17 du
mois de Mars.
Henri - Louis de Barberie de St Contest , maître
des requêtes honoraire & ancien intendant de la
province du Limousin & enſuite de celle de Cham .
pagne , eſt mort à Paris , le 16 Mars , âgée de
foixante- trois ans onze mois.
La nommé Higounengue eſt morte , la nuit du
21 au 22 Mars , à Mairès , village fitué à une demi-
lieue de Lodève , âgée de cent fix ans.
Antoine de Clermont-Tonnerre , abbé de l'abbaye
royale de Clairefontaine , eſt mort à Paris ,
le 24 Mars , à l'âge de ſoixante-huit ans.
Charles-François de Ponty , vicomte de Suzi
&de Vantheuille , lieutenant-général des armées
du Roi , grand'croix & commandeur de l'Ordre.
royal &militaire de St Louis , gouverneur de St
Jean Pied-de- Porc , ancien major des gardes du
Corps de Sa Majesté , eſt mort à Soiflions , le 30
Mars , âgé de quatre-vingt ans.
Le nommé André Larſion, habitant de Lani ,
en Laponie , eſt mort , dans le courant de cette
AVRIL. 1772. 213
,
année, âgé d'environ cent quinze ans. Il eſt trésdifficile
de ſavoir aujuſte l'âge des vieillards dans
la Laponie , lorſqu'un enfant tombe malade, auffitôt
après le baptême , on a la ſuperſtition de croire
que cet accident vient de ce qu'il n'a pas été
nommé du nom qu'on auroit dû lui donner. En
conféquence , on lui en donne un autre ſous lequel
il refte connu ; celui qui eſt infcrit fur les regiſtres
s'oublie & les recherches qu'on feroit
pour s'aflurer de l'âge d'un homme deviennent ,
par- là inutiles. La plupart des Lapons ignorent
leur âge , l'époque de leur mariage & la durée du
tems qu'ils ont payé à la Couronne ; mais celui
dont on patle ſavoit qu'il avoit trente ans lorfqu'il
ſe maria pour la première fois : qu'il avoit
enſuirepayé les impôts pendant quatre-vingt ans,
&qu'il en avoit été exempt pendant cinq , ce qui
fait cent quinze ans .
FAUTES eſſentielles à corriger dans le premier
volume du Mercure d'Avril dernier.
PAGE 37 , ligne 2 , lui reproche un ſçavant ,
lifez, lui reproche un parent,
Pag. 130 , lig. 1 & 2 , lifez ,
Déefle d'Antium , ô déeſſe fatale !
Fortune , à ton pouvoir qui ne ſe ſoumet pas .
Pag. 131 , lig. 1 & 2 , retranchez les deux vers
cités ci-deſſus tranſportés mal- à-propos en cet
endroit.
214 MERCURE DE FRANCE.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& en profe , page 5
Dapliné ou la Vengeance de l'amour , traduit
d'Ovide en vers par M. de St Ange. ibid.
Dorante , histoire morale د
Suite de l'Été , chant ſecond , traduit de
13
Thompson , 27
Vers à M. Dorat , 31
Vers à M. de Voltaire au tragédie de Pélopides
, ibid.
Le Lion& le Pivert ,fable , 32
Epître à ma Veuve , 33.
Le Vieillard credule , proverbe , 35
Traduction en vers de l'Epiſode de la mort
de Célar, 54
Vers adreſlés à Mgr le Prince Régnant de
Hohenlohe- Schillingsfärst , 57
Explication des Enigmes & Logogryphes , 58
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
59
61
63
Traité du bonheur public , ibid.
Les Stratagêmes , 66
Mémoires du Cardinal de la Valette , 67
Traité du domaine de propriété , 69
Hiſtoire naturelle de l'air & des météores , ibid.
Hiſtoire de l'avénement de la Maiſon de
Bourbon ,
L'Agenda ou manuel des gens d'affaires ,
Eſſai de crystallographie,
Du Luxe & de ſa nature ,
Lephiloſophe ſérieux , hiſtoire comique ,
75
77
78
80
85
AVRIL. 1772. 215
Hiſtoire de Richard rockocke ,
Nouveau Dictionnaite univerſel de médecine
, chirurgie , &c.
Lettres fur divers ſujets de la géographie
facrée ,
Les Odes pythiques de Pindare ,
Hiſtoire de la ville de Bordeaux ,
L'Eccléſiaſte de Salomon ,
Adelfon & Salvini ,
Principes de médecine ,
Logica , &c .
96
97
100
123
125
126
129
129
Almanach général des Marchands ,
Nouveau traité de géographie ,
130
133
Suite du nouveau traité de géographie , 134
Le livre du Chrétien , 235
Eflai ſur les combinaiſons de la loterie de
l'Ecole royale militaire , 136
Soin facile pour la propreté de la bouche , ibid,
A. Cornelii Celſi de re medicâ libri octo , 137
Obſervations ſur le cacao & fur le chocolat, 139
Coſtumes des anciens Peuples , ibid,
Conditionsde la ſouſcription , 142
Hiſtoire des différens peuples du Monde , 144
Le Spectateur François , 146
Réponſe du Spectateur , 147
L'hiſtoire & les mémoires de l'Académic
royale des ſciences , 148
ACADÉMIE de Rouen , 155
SPECTACLES , 159
Concert ſpirituel ,
ibid.
Opéra , 164
Comédie françoife , 166
Comédie italienne , 169
ARTS , Gravure , 172
Muſique ,
175
Aſtronomic , 183
216 MERCURE DE FRANCE.-
:
Architecture , ibid.
Lettre de M. Patte , ſur la pouflée des voutes.
ib
Lettre de Mde Hobſon , concernant l'inoculation,
19
Réponſe , 19.
Anecdotes ; 196
Epitaphe pour M. d'Evreux , d'Irlande,
Avis ,
197
198
Nouvelles politiques , 201
Nominations , 206
Préſentations ,
Mariages ,
208
209
Morts ,
Errata ,
210
213
J''AAII lu
APPROBATI0N.
par ordre de Mgr le Chancelier , le
ſecond vol. du Mercure du mois d'Avril 1772 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreſſion .
A Paris , lets Avril 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
AVRIL , 1772 .
PREMIER VOLUME .
842.
M
1772
Mobilite GILE.
1517
VE
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſler , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & niéces de rufione,
CeJ
vrage
cultivert ,
i
fectioned
enverre
Γου
S
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
francsde port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
portpar la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de36 ſols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui ſont abonnés.
On fupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
lilzaire , à Paris , rue Christine.
On trouve auffi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in-12 , 14 vol.
par an à Paris.
franc de port en Province ,
16 liv.
201.4(.
- L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
des nouveautés des Sciences, des Arts , &c.
L'abonnement , ſoit a Paris , ſoit pour la Province
, port franc par la poſte , eſt de 12 liv.
JOURNAL ECCLESIASTIQUE , par M. l'Abbé Di
nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv. 16 .
EnProvince , port franc par la poſte , 14 liv.
GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; il en
paroît deux feuilles par ſemaine , port franc
par la poſte ; aux DEUX- PONTS ; ou à PARIS ,
chez Lacombe , libraise , & aux BUREAUX DE
CORRESPONDANCE. Prix , 18 liv.
GAZETTE POLITIQUE des DEUX- PONTS , dont il
paroît deux feuilles par ſemaine ; on ſouſcrit
à PARIS , au bureau général des gazettes étran .
geres, rue de la Juflienne. 36 liv..
EPHÉMÉRIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque raiſonnée
desSciences morales & politiques.in- 12.
12 vol . paran portfranc , à Paris,
EnProvince ,
18 liv.
24liv.
LE SPECTATEUR FRANÇOIS , Is cahiers par an ,
àParis ,
EnProvince ,
و liv.
12liv.
A ij
Nouveautés chez le même Libraire
LES Odes pythiques de Pindare , traduites
par M. Chabanon , avec le texte grec ,
in- 8 ° broche ,
1 1.10 1.
5 liv.
Traité fur l'Equitation & Traité de la
cavalerie de Xenophon , traduit par M.
du Paty de Clam , in- 8 ° broch.
Le Droit commun de la France & la coutume
de Paris réduits en principes , &c. nouv.
édition par Bourjon , 2 vol . in -fol br. 481.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV , &c. in fol. avec planches ,
rel . en carton ,
'Mémoires fur les objets les plus importans de
241.
l'Architecture , in 4°. avec figures, rel . en
carton , 121.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4vol . in. 8 °. gr. format rel . 201.
Les Caracteres modernes , 2 vol. br. 31 .
Maximes deguerre du C. de Kevenhuiler , 11. 101.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in - 8 °. rel .
GRAVURES .
71.
* Sept Estampes de St Gregoire , d'après Van-
100 , 241.
Deux grands Paysages , d'après Diétric , 121.
Le Roi de la Féve , d'après Jordans ,
Le Jugement de Paris , d'après le Trevifain
,
Deux grands Paysages , d'après M. Vernet
,
Vénus & l'Amour , d'après M. Pierre ,
Angelique & Médor , d'après Blanchart ,
Hommage à l'Amour , d'après Vanioo ,
41 .
11.161.
121.
31.
1.
41.
MERCURE
DE FRANCE...
AVRIL , 1772 .
PIÉCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
UN
LE GOUPIL. Fable.
N Goupil , c'eſt ainſi qu'on nommoit un ree
nard
Au bon vieux tems de Charlemagne.
Illuſtre & docte Foncemagne ,
Oracle unique à cet égard ,
Dis- nous fi je bas la campagne :
Qu'aprèstout je la batte ou non ,
Autant que je puis m'y connoître ,
C'eſt de ſa queue & de fon nom
Aiij
1
6 MERCURE DE FRANCE.
Quedérive&que reçut l'être
L'outil appellé Goupillon.
Mais que cela ſoit ou puifle être ,
Que ce ſoit folie ou raiſon ,
Qu'importe , pourvu que la boule
Aille fon train , s'avance , roule
Et vienne au but. Un renard donc
Mal avifé , s'il en fut onc ,
Dans la gueule à pas lent emportoit une poule ,
Etgagnoit ſon terrier par des lieux creux & bas ,
La tenant bien aux dents , mais ne les ferrans
pas,
Rendant ſes allures très-douces ,
Decrainte qu'aux moindres ſecoufcs
La poule, par ſes cris & ce ſignalement
Ne mît des chiens , dans le moment ,
La maréchauflée à fes troufles .
La poule cependant , pieds , ventre & bee ea
haut ,
Et prête à périr bientôt ,
Rouloit en fine femelle ,
Ettrouva dans ſa cervelle
Un bon tour pour s'évader:
Ah! monDieu le beau tems , comme il eſt bleu ,
dit-elle ,
L'agréable ſoleil , que ſa lumière eſt belle !
Quel plaifir de le regarder !
Le Renard curieux lève un moment la vue.
Le ſoleil , du tabac produit le prompt effer;
AVRIL. 1772 . 7
Ilhauffe&baifle l'oeil , ſa narine remue ,
Et ne ſachant plus ce qu'il fait ,
Agueule ouverte il éternue.
La Geline l'attendoit là.
Libre& ſe mocquant du jocrille ,
Sur un arbre elle s'envola
En lui criant Dieu vousbenifle!
La curiofité faiſant perdre le tems ,
Et tendant ſes filets àla ſottiſe humaine ,
Depertes enpertes nous mene ,
Et mal en prendà bien des gens.
ParM. Piron.
1
1
LE COCHON DE LAIT & LE
CHARLATAN. Conte.
Du petit quadrupède encore jeune & tendre ,
Dont, quand il eſt rôti , l'on dit : vive la peau !
Ou du Cochon de lait , pour mieux me faire entendre
,
Un farceur au Pont-neuf, le nez ſous le manteau
,
Contrefaiſoit le cri d'un ton à s'y méprendre.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
La canaille diſoit : bravo ! bravo ! bravo !
Un drole feul ofa , fans craindre le hato ,
Dire, s'il s'en méloit qu'il fauroit mieux s'y pren
dre;
On vous le traita d'apoco.
Il gage ; indique unjour ; on promet de s'y rendre;
Le jour venu , voilà nos deux rivaux ,
Sur la fellette & les tréteaux ,
Misdans la balance fatale
De leur juge au nez levé
Parterre prononçant de bout ſur le pavé
Où le déſoeuvrement l'inſtale.
Des deux le premier ſe ſignale ,
Non fans avoir pour lui , ſuivant le nouveau
train ,
Ameuté fourdement la brigue& la cabale.
Aufli commence-t-il à peine que foudain ,
La tourbe aveuglément des mains ſe met
battre
Et frappe les échosdufaubourg Sain-t Germain:
Un brouhaha plus long eût pû faire à la fin
Prendre le mord aux dents au cheval d'Henri
Quatre.
Lors la téte levée & hors du capuchon ,
AtoiGille , dit- il : voyons de tes merveilles.
Il faifoit froid , & Gille , au fond d'un grosmanchon
,
Le nez deſſus, cachoit un vif petit cochon :
AVRIL. 1772 . 9
Il lui pinça la peau : lui tira les oreilles ;
Lui fait pouffer ſur le bon ton
De hauts cris à percer la nue ;
Peine perdue.
Où plaît le faux , le vrai n'eſt rien.
A l'école ! à l'école ! on le file: on lehue ?
On l'appelle un cochon lui-même : "gens debien,
Dit-il à la noble aſſemblée ;
Et montrant ſon garand pendu par un lien ,
Tenez , n'opinez plus d'emblée ,
Voilà votre juge & le mien.>>
Que de foibles génies ,
De débiles cerveaux
Etde francs étourneaux
Plus bruyans que des pies ,
Dépriment les travaux
Des vrais originaux ,
Et prônent des copies .
!
Parle méme.
A
10 MERCURE DE FRANCE.
LE CHARLATAN & LE VILLAGEOIS ,
* Conte fur le même sujet.
TROP de prévention ôte le jugement :
On ſe prendde rigueur pour certains perſonnages
,
Mais notre préjugé tôt ou tard ſe dément ,
Et la vérité perce à travers les nuages .
Un Charlatan , fameux par ſes bons tours ,
Voyant , de nouveautés , le vulgaire idolâtre ,
Fit publierdans tous les carrefours ,
Quetel jour , à telle heure , on verroit au théâtre
Un ſpectacle étonnant & dont ſous le ſoleil
Perſonne juſques-là n'auroit vu le pareil.
Cebruit , répandu par la ville ,
Ameuta la tourbe imbécille :
On ſe prefle , on s'aſſemble au tour de ſon guichet
,
Notre homme y prend l'argent comme en untrébuchet;
*Ce Conte nous a été pareillement envoyépar
M.Piron.
AVRIL. 11 1772 .
La foule entre , on ſe place , au tumulte on fait
trêve ,
L'orchestre joue un air , & la toile ſe lève.
L'hiſtrion paroît ſeul ; avec lui point d'acteur ,
D'atrice encore moins , pas même de ſouffleur.
Les yeux ouverts , on attend qu'il commence ;
L'attente produit le filence .
Alors, courbant le front dans ſon manteau cas
ché ,
Il contrefit fibien le cri d'un chat fâché ,
Que penſant qu'il tenoit l'animal véritable ,
On lui fit ſecouer le manteau ſerviable
Où l'on croyoit tapi le rominagrobis :
Mais, nes'y trouvant rien , on s'écria bis , bis !
Quoi , dit un Villageois , dans un coin du parterre
,
Pour untour fi commun voilà bien du myſtère !
Je gage en faire autant; je promets aujourd'hui
Demiauler demain encore mieux que lui .
Le peuple prévenu vient tenir piedà boule,
Amène ſes voiſins & fait groſſir la foule ,
Plus pour favoriſer l'habile Charlatan
Et ridiculiſer le pauvre paylan ,
Quepour être témoin de ce qu'il pourroit faire.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Ils paroiflent tous deux : l'hiſtrion fait le chat,
Et fi bien , qu'à l'inſtant une voix circulaire
Bourdonne le bravo , puis avec plus d'éclat
On crie , on bat des mains , des pieds & de la
canne, >
Et ſur l'homme des champs par avance on ri
canne.
Pour lui , ſans ſe troubler , tenant ſous ſonmanteau
Unjeune chat vivant , il lui pince la peau ,
Il lui cauſe trois fois une douleur nouvelle
Et l'oblige à le plaindre en ſa voix naturelle.
Tous les faux-connoiffeurs par des ris indiſcrets ,
Sans fonger au manteau , commencent la huée;
D'oranges , de brocards , il pleut une nuée ;
Mais l'adroit Villageois fit taire les fifflets.
Il tire de ſon ſein le minon véritable
Et dit , en leur montrant l'acteur inimitable :
Or , maintenant , Meſſieurs , jugez lequel des
deux ,
Ou de l'homme , ou du chat , a miauléle mieux !
ParM. B****
AVRIL. 1772. 13
HISTOIRE DE ZEMZI ,
écrite par lui même au Chevalier B***.
QU'EXIGEZ-- vous de moi , mon cher
Chevalier ? Pourquoi faut-il que je vous
peigne les charmes de l'état , innocent &
coupable tout - à - la- fois , dans lequel je
vivois avec ma chere Axa fur les folitaires
montagnes de Xarico .
foi-
Axa , malheureuſe Axa ! la religion
condamne ces larmes que je te conſacre ,
& cependant je ne puis m'empêcher d'en
verſer ; elles ſeules font ma confolation !
vous voulez apprendre ce qu'eſt unhomme
par ſes propres forces ; eh bien , connoiftez-
moi , connoiffez toutes mes
bleſles ; & fouvenez- vous que tout autre
à ma place , fans éducation , ſans religion ,
ſans principes n'eût peut- être pas mieux
agi que moi . Je vous fais part de mon
hiſtoire, de mes malheurs ; c'eſt pour
vous , pour vous ſeul que j'écris .
Je fuis né parmi les Thébuctos , peuple
au fud de l'Amérique . Azaab , leur
dernier Cacique , fut mon père. Ma patrie
fubit le joug qu'il plût aux Eſpagnols
14 MERCURE DE FRANCE.
d'impoſer aux Péruviens , dont ils étoient
voiſins ; &mon père , ne pouvant fubir
un ſi dur eſclavage , ſe retira ſur les montagnes
de Xarico , emportant avec lui ſes
richeſſes. Nous le ſuivîmes, Axa , un efclave
fidèle nommé Tabul , & moi. Azaab
ſe donna tous les ſoins poſſibles pour
nous former à la vertu. Il imprima
dans nos ames des ſentimens humains ,
nous fit horreur du vice , & n'oublia
rien pour nous porter à modérer nos
paffions.
Nous approchions de cet âge où tout
s'anime par un fentiment inconnu . O
jours de l'innocence , jours de l'ignorance
! où je ne connoiſſois encore ni la Divinité
, ni la nature , ni moi - même ;
fuis-je coupable ſi je ne puis penſer à vous
ſans raviffement ?
Sans ſavoir quel ſentiment m'animoit,
j'étois inquiet , troublé , & je n'étois ſatisfait
que quand mon père ſortoit avec
notre eſclave Tabul. Alors une joie douce,
un frémiſſement agréable que j'avois
peine à cacher, s'emparoient de mes ſens .
Je m'approchois d'Axa ,je la contemplois
&mon bonheur étoit parfait. Nous habitions
une caverne affez ſpacieuſe , que
la nature avoit formée dans le creux d'un
AVRIL.
1772. 15
énorme rocher. Mon père , qui fortoit
rarement , ſe plaiſoit à nous enſeigner le
peu d'eſpagnol qu'il ſavoir. Cette eſpèce
d'étude commença peu- à - peu à former
ma raiſon , ou plutôt l'amour fit ce miracle.
Tout ce que j'avois vu avec indif.
férence , je le conſidérai alors avec inté.
rêt . Mes idées devinrent diſtinctes ; &
j'acquis pluſieurs connoiſſances qui , toutes
foibles qu'elles étoient , me coûterent
beaucoup de foin &d'inquiétude. Axa ,
ma foeur & ma maîtreſſe ,devint l'objet
de toutes mes complaiſances. J'allois
cueillir des fruits , des racines ; ceux qui
avoient le meilleur' goût étoient pour
elle. Un regard , un ſourire portoit la joie
dans mon ame ; & le plus petitde ſes cha .
grins étoit pour moi le commencement
du déſeſpoir. Je remarquai qu'Axa me
fuïoit , j'en cherchai vainement la cauſe.
Je ne pus réſiſter long - tems aux maux
que j'endurois , je réſolus d'épancher mes
chagrins dans le ſeinde mon père ou dans
celui d'Axa .
Un jour , qu'abîmé dans des penſées
douloureuſes , j'étois forti de la caverne
pour m'entretenit avec moi même , je
vins juſqu'au pied du rocher où lesThébuctos
ſe rendoient jadis pour dépoſer
16 MERCURE DE FRANCE.
leur infortune. L'amour , qui m'occupoir
tout entier , m'empêcha de faire attention
aux riſques que je courois. J'avançai toujours
, & me trouvai dans une vallée habitée
, d'où l'on appercevoit les montagnes
du Pérou. Il m'eſt impoſſible de
vous détailler ce que je reflentis à cet afpect
nouveau pour moi. Tous mes ſens
étoient ſuſpendus , mes yeux ſeuls erroient
au loin& ſe repaiſloient d'un ſpectacle
i raviſſant .
د
Revenu de mon extaſe ,j'admirai ces
côteaux , ces plaines Aeuries , ces ruiſſeaux
argentés cette ſimétrie naturelle que
vous autres Européens prenez plaifir à
détruire. Ah ! m'écriai-je , fi Axa étoit
» ici , elle parrageroit mon bonheur !
>> mais , me disje , qui a fait tout cela ?
>>pourquoi ne connois - je pas celui qui
>> a créé tant de belles chofes ? OErre !
>> Opuiſſance ! carje ne ſçais quel nom
>> vous donner , paroiſlez , je vous con-
» jure ; ô paroiſſez , que je vous adore :
>> vous partagerez les ſentimens que j'ai
>> pour Axa , je crois que vous en êtes
>>digne. » Je cueillis des fruits, des fleurs
&les portai dans notre folitude. J'apperçus
Axa ; ſes yeux étoient mouillés de
larmes ; ma longue abſence les faiſoit
رشن
AVRIL. 1772. 17
couler. Lorſqu'elle me vit, elle rougit , &
cette rougeur augmenta ſes charmes. Je
lui donnai mes fruits , mes Heurs ; elle
mangea des uns& mit les autres dans ſes
beaux cheveux & ſar ſon ſein d'albâtre.
Le jour ſuivant, nous laiſſames Azaab
à la caverne , & nous nous rendîmes dans
l'agréable vallée que j'avois découvert la
veille. Nous nous afsîmes ſous des orangers
, auprès d'on ruiſſeau; le murmure
des eaux , le ramage varié de mille oiſeaux
différens , tout s'unit pour nous attendrir.
Aza ine regarda languiſſamment,
ſes yeux étoient pleins de larmes voluptueuſes
, ſon ſein palpitoit , ſa main trembloit
ſous la mienne . « Aka! m'écriai-je,
>> tu pleures ? parle , calme mon inquié
>>tude ; qui fait couler tes larmes ? .. Tu
>> gardes le filence ! méconnois-tu,Zemzi ?
»Me hais tu , Axa ? Ah que je ſerois
"
-
... malheureux fi cela étoit ! oui , plus
>> malheureux que je ne puis l'exprimer.
" -Pourquoi déſapprouves-tuines larmes?
» Zemzi , mon inquiétude n'est pas plus
>>grande que la tienne. Si tu m'avois ouvert
ton coeur , il y a long- tems , oui ,
>> bien long - tems que je t'aurois confié
>> mon fecrer . Je ſens une émotion que
>>je ne puis définir ; éclaircis mes dou
18 MERCURE DE FRANCE.
>> tes , Zemzi . Je ſoupire lorſque tu es
> abfent , & je ſoupire encore lorſque je
>> ſuis près de toi. Mon tremblement ,
>> une ſecrete honte , quand je reçois tes
>> careſſes ; tout cela m'étonne. Pourquoi
>> ne reſſenté-je pas la même émotion ,
>>>en recevant celles d'Azaab & de Tabul?
»Ah! Zemzi , toi ſeul , je le ſens bien ,
> peut faire ma félicité! » Je ferrai Axa
dans mes bras tremblans , & je cueillis
fur ſes lèvres brûlantes , des baifers qui
faifoient alors mon bonheur , & qui font
aujourd'hui ma honte & mon repentir.
Peu de jours après mon père nous unit,
nous bénit & je goûtai le ſouverain
bonheur dans les bras d'Axa . Je ne reſtai
pas long-tems dans cette douce ataraxie :
un defir inquiet ſe fit fentir à mon ame ,
& me fit éprouver mille tourmens . Je
m'apperçus que mon père s'écartoit fouvent
, & pafloit des heures entieres éloignéde
nous: je remarquai même que ſes
joues portoient encore l'empreinte des
larmes qu'il répandoit en ſecret. Je le
fuivis un ſoir fans qu'il s'en apperçur. Je
le vis deſcendre du rocher par un ſentier
qui m'étoit inconnu , & ſe perdre dans
unbuiffon touffu. Je m'y gliſſai après lui
&je le trouvai proſterné dans un petit
1
AVRIL. 1772. 19
antre , dont une épaiſſe feuillée déroboit
la vue. Il garda quelques tems un filence
refpectueux , puis tout à coup élevant la
voix , il s'écria :
« Si tu exiſtes , ſi tu m'entends , ô toi
>>Père de la nature , toi , que les ſçavans
> appellent Dieu & que les Sauvages de
>>Quixoto adorent ſous différens noms ;
>>ô toi , apprends moi qui commande au
>>ſoleil de m'échauffer , à la terre de pro-
>> duire des fruits pour ma nourritute ;
> apprends - moi qui m'a ſi miraculeuſe.
> ment formé... Tu es; mon coeur pal
>> pitant me le dit; & la nature entière
» élève ſa voix pour l'annoncet. Oui , fi
» j'étois aflez ingrat pour me taire , tout
>> démentiroit mon coeur infidèle. Mais
>> hélas ! c'eſt en vain que je me demande
» où tu réſides ! Où te chercherai -je ? où
>>te trouverai-je ? .. Habiterois - tu dans
» le temple de ces hommes de ſang, qui
>> ſe rendent célèbres à force de forfaits ?
>> ou bien est - ce dans le coeur des pau-
>>vres ſauvages , que ta divinité ſe com-
>>plaît ? ... O grand Etre ! les ténèbres
>>m'environneront-ils toujours? je crains
>>de t'offenſer en t'adorant , parce que je
* ne puis adorer que celui qui eſt Dieu.
>> Quand eft ce que ces membres , quece
20 MERCURE DE FRANCE.
>> corps abbatu deviendra pouffière ? Faut-
>> il qu'Azaab périffe avant de connoître
>> les ſentiers qui menent à toi ! .. Qu'il
> laiſſe Zemzi , Axa , qu'il les laiffe dans
>>l'obſcurité qui les couvre ? comment
>> puis-je les inſtruire , ſi l'ignorance eft
>> mon partage ? Comment t'aimeront- ils,
>> t'adoreront - ils , s'ils ne te connoiflent
>> pas ? & comment feront ils heureux
> fans t'adorer ! .. »
Azaab finit ainſi ſa prière , ou plutôt
un torrent de larmes l'empêcha de continuer.
Le tremblement me faifit , je friffonnai.
La crainte , la vénération pour
un nom que je n'avois pas encore entendu
prononcer , le defir de connoître celui
fans lequel Azaab diſoit , qu'Axa ni moi
ne pouvions être heureux , tout livra à
mon coeur des combats que je ne puis décrire.
J'entrai dans la grote , lorſque mon
père en fut forti. J'y trouvai une petite
table , couverte d'une peau apprêtée.Une
figure monstrueuſe , moitié homme &
moitié dragon , étoit poſée deſſus . Deux
petites lampes éclairoient ce lieu redoutable.
L'obfcurité ,le profond filence qui
y regnoir, m'inſpirent une ſainte horreur.
J'étois agité , mes pas étoient chancellans;
enfin , je m'adreſſfai à cet être inconnu;
AVRIL. 1772. 21
j'invoquai le père de la nature. Je balbutiai
quelques mots , mais mon effroi
m'empêcha de reſter plus long-tems en ce
lieu.
Je revins triſte auprès d'Axa, J'eus
beaucoup de peine à lui cacher ce qui
m'occupoit. Le lendemain je ſuivis encore
mon père , & lorſqu'il eût commencé
ſa prière , j'entrai ,je me jettai à ſes
pieds & lui dis : " O mon père , ſi je te
>> fuis cher , confie moi un ſecret d'où dé-
» pend le bonheur de mes jours ! à qui
>> parles - tu ? .. Apprend , apprend - moi
» à parler comme toi. Mon père , mon-
» tre moi à ce père de la nature , fais lui
>> connoître que je ſuis ton fils. Où eſt-il,
>>que j'unifle mes prières aux tiennes ? .. »
Azaab fut étonné de me voir. Il me preſſa
avec ardeur contre ſon ſein& m'inonda
de ſes larmes paternelles. Je réiterai mes
demandes. Queje fuis malheureux ! s'écriat
il en foupirant,je ne le connois pas
moi même Il me fir fortirde la caverne ,
nous montâmes ſur le rocher qui la dominoit
, nous nousy aſsimes ; & là mon
père me dit : « J'ai toujours cherché , ô
>> mon fils , à t'épargner des doutes , des
» erreurs. C'eſt pour cela que je t'ai laillé
>> guider par la ſimple nature. Tu croif
22 MERCURE DE FRANCE.
>> fois dans ton heureuſe ignorance , tu
>> étois content ; qu'aurois -je defiré de
>> plus ? t'aurois-je imprimé des idées que
>> je n'aurois pu éclaircir , puiſque je ne
>> ſuis pas plus ſcavant que toi. Crains ,
> mon fils , crains que ta curiofité ne te
raviſſe le repos. Je fais qu'il y a un Etre
» qui nous crée , qui nous conferve &
» qui nous rend heureux ; mais je ne puis
>> aller au-delà. Je lui demande avec lar-
» mes de ſe manifeſter à moi , il me dé-
>> daigne , ne me répond pas. Eh bien ,
» Zemzi , adorons-le tel qu'il eſt. Quel-
>> que choſe me dit que nous ne ferons
>> pas toujours malheureux ; mon coeur
>> me l'aſſure ; puiſſe-t- il ne ſe pas trom-
» per ! voilà ce qu'Azaab te peut dire ,
>> confulte ton propre coeur , peut - être
>> t'en dira-t il davantage, »
Je laiſſai mon père enfeveli dans les
plus fombres penſées. Je deſcendis du
rocher & fus me promener dans la vallée
des Thébuctos. Tout ce qu'Azaab m'avoit
dit me repaſſa dans la mémoire ; qui
m'écriai je , il eft! .. il exiſte ! .. Je m'étonnai
du tems que j'avois patlé fans faire
attention aux preuves fentibles de fon
exiſtence. Au milieu de mon ignorance ,
je me réjouillois d'entrevoir l'aurore d'an
AVRIL . 1772. 23
jour heureux. Mon peu de connoiſſance
ne me fatisfaifot pas &, fans ſavoir ce
que c'étoit , je concevois que quelque
choſe me manquoit. Je me proſternai la
face contre terre & dis , emporté par l'excès
du ſentiment : " Grand Etre, que vous
>> êtes ſage , que vous êtes bon ! je vis
» avec Axa , c'eſt vous qui me l'avez
>> donnée pour faire mon bonheur ! ô que
>>je vous trouve , que je vous voie , que je
>> vous adore avec elle ; tous mes voeux
» feront remplis. »
Dès le même jour , j'inſtruiſis Axa de
mes découvertes. Elle y fut ſenſible &
s'empreſſa avec ardeur de ſe pénétrer du
pen de vérités que je lui annonçai. En
peu de tems ſa foi devint plus vive que
la mienne. Oui , mon cher Zemzi , me
>> dit - elle , en me preffant contre fon
» ſein , cet Etre dont tu me parles , qui
>>nous a créés pour nous aimer l'un &
>>l'autre ; efforçons - nous d'obéir à ſes
>>décrets . Jurons - nous par lui , jurons-
> nous une tendreſſe éternelle . De tendres
baifers cimentèrent nos fermens .
Depuis ce jour , nous n'en paſſames aucun
, Axa & moi , fans nous rendre àune
certaine heure dans cette vallée pour con
facrer tous nos inſtans au grand Etre. Je
24 MERCURE DE FRANCE.
commençai alors à goûter une tranquilli.
lité que je n'avois jamais connue , & ma
joie redoubla par la naiſſance d'une fille.
Ce fut l'époque de mes inalheurs. Hélas !
l'ignorant ſe réjouit parce qu'il ne con .
noît pas l'abîme dans lequel il s'enfonce
pour chercher un bonheur qui le fuit tou.
jours. Je pris cette petite innocente dans
mes bras , je l'offris à cet Etre inconnu .
inviſible ; je le conjurai avec larmes de
la protéger ; je m'engageai à conferver fes
jours ... Qui m'eût dit en cet inſtant que
je violerois un ferment ſi ſolemnel ! les
traits de ma chère Axa étoient imprimés
fur le viſage de ſa fille ; ce fut ce qui
m'engagea à l'aimer davantage.
Me voici parvenu au commencement
de mes fouffrances , c'est ici , Chevalier ,
qu'il faut que j'implore votre indulgence .
Mes larmes inondent mon papier , effacent
mon écriture; & ma main tremblante
laiſſe échapper la plume . O amitié
, que tes droits font facrés ! qu'il m'en
coûte pour remplir la tache pénible que
tu m'impoſes ! n'importe , je pourfuis.
Nous nous promenions unjour dans la
vallée des Thébuctos , Axa & moi; nous
admirions les beautés de la ſimple nature
, lorſque des plaintes &des cris douloureux
AVRIL. 1772. 25
loureux nous forcèrent à nous arrêter. Notre
premier mouvement fut de fuir , mais
la pitié nous retint. Nous avançâmes en
tremblant du côté d'où partoit la voix &
nous vîmes derrière un buiſſon , un malheureux
étendu ſur la terre , qui imploroit
le ſecours du Ciel. Axa ne balança
pas ,fecourons cet infortuné ! me dit-elle,
&, fans attendre ma réponſe , elle courut
vers cet étranger. Je la ſuivis &nous trouvâmes
qu'il s'étoit fracaflé en tombant du
haut du rocher. A notre approche ſes cris
redoublèrent , un mouvement qu'il fit ,
me perſuada qu'il nous prenoit pour des
ennemis qui venoient lui arracher le peu
de vie qui lui reſtoit. Nous le raffurâmes
par ſigne , & Axa courut chercher Tabul.
J'eſſayai de lui parler par des ſignes connus
des Sauvages ; il ne me put répondre;
mon père m'avoit appris un peu d'eſpagnol
, je m'en ſervis utilement ; l'étranger
m'entendit & me répondit en la même
langue , qu'il étoit un eſclave fugitif.
Axa revint en peu de minutes avec
mon père & Tabul. Nous portâmes ce
malheureux fur notre rocher; Azaab, qui
connoiſſoit la vertu des ſimples , le guérit
en peu de jours. Azaab lui parla eſpagnol
&lui demanda par quel malheur il s'é-
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
toit trouvé ſeul dans une contrée auflidé.
ferre. Il lui répondit qu'il étoit Anglois ;
que les Eſpagnols l'avoient pris à la guerre
, & l'avoient envoyé dans leurs colonies
, & que , laffé des ſouffrances qu'il
enduroit, il s'étoit échappé , & s'étoit ſauvé
, qu'il avoit erré pluſieurs jours , &
qu'enfin voulant gravir le rocher , il s'étoit
laiſſe tomber , ce qui l'avoit mis dans
l'état pitoyable où nous l'avions trouvé.
La peinture qu'il nous fit des Eſpagnols ,
auginenta notre haine pour eux & notre
compaffion pour leurs malheureuſes victimes.
L'Anglois étoit l'unique objet de mes
entretiens avec Axa. Je me promis bien
detirerdelui des connoiſſances utiles. Je
peignis à mon épouſe les charmes que fon
amitié répandroit ſur notre vie ; je l'y vis
plus ſenſible que moi. Lorſqu'elle parloit
de Lowthon , ainſi ſe nommoit l'étranger
, elle ne tariſſoit pas ſur ſes louanges.
Cet excès me déplût bientôt. Je devins
inquiet , bizarre ; je la faifois parler ,
ſe taire , recommencer dix fois la même
choſe ; en un mot , j'étois jaloux. Axa, la
tendre Axa , me demanda en tremblant
la cauſe de toutes ces inégalités. J'eus
honte de me plaindre ,je gardai le filenAVRIL.
1772. 27
ce; mais un inſtant après , emporté par
ma jaloufie , je m'écriai : " Ofes - tu me
>>demander la cauſe de mes peines , toi
>> qui les excite ? Qu'ai- je fait , Axa, pour
>> mériter d'être haï de toi ? .. Cet étran-
>>ger que ton coeur me préfère , eſt- il plus
>>tendre, plus fidele que moi ? .. Axa me
regarda languiſſamment,& après un filence
qui portoit l'expreſſion de la douleur ,
elle me dit : « Que tu es injuſte , Zemzi !
» mon coeur ne peut- il être touché du fort
>>d'un infortuné , ne peut - il s'attendrir
>> ſur ſes maux , ſans que l'amour en ſoit
>> le principe ? Je ne t'ai pas caché que je
>>ne haïllois pas cet Anglois , je te dirai
» plus , je l'aime , mais fans que cet
» amour fade tort à celui que je t'ai voué .
» Oui , après toi , & ma fille , c'eſt le ſeul
> homme pour qui je ſente quelque peu
>> de tendreſſe ; mais toi ſeul , mon cher
>> Zemzi , toi ſeul peut faire ma félicité. »
Ces mots , cet air charmant avec lequel
Axa prononçoit ces paroles , tout m'enchanta
; & , für d'être aimé , je me livrai
à la joie la plus vive. Nous fimes la paix
& je l'obligeai de retourner auprès de
Lowthon. Elle me ſuivit en ſoupirant ,
&depuis ce jour elle évita d'être ſeule
avec lui. Lowthon m'apprit beaucoup de
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
choſes , me donna une idée des moeurs
d'Europe &de la Religion Chrétienne .
Je pris du goût pour tous deux : dès ce
jour ma folitude me devint inſupportable
, &je projettai d'en fortir le plutôt
poſſible. Lowton & moi nous y travaillâmes
de concert. Nous nous fimes une
eſpèce de radeau ; nous l'eſſayâmes pluſieurs
fois , & nous nous diſposâmes à
nous confier à l'élément indocile. Je ne
prévoyois guère les aſſauts que j'étois à la
veille de foutenir ! quelques jours avant
notre départ , mon père mourut dans nos
bras , & cette mort porta dans nos ames
unedouleur que nous n'avions jamais refſentie.
Une foule de ſenſations douloureuſes
nous accueillirent ; &, fans notre
Anglois , nous y euſſions fuccombés. Je
conſidérois la face de ce vénérable vieillard,
ſa pâleur m'effrayoit ; je l'appellois,
je tâchois de le réchauffer , mais c'étoit
en vain , la mort , la cruelle mort nous
l'avoit ravi pour toujours .
Azaab , qui avoit laillé à la nature le
ſoin de nous inſtruire , ne nous avoit jamais
parlé de la morr. Lowthon nous
l'apprit , & faiſit cet inſtant pour parler
de l'immortalité. Dès qu'il eût entamé ce
diſcours , je m'écriai avec tranſport ,
AVRIL. 1772. 29
,
" Quoi ! Azaab ne ſeroit pas mort ? ...
» Mes yeux le reverroient ? .. Il me bé-
>> miroit &fes mains paternelles ſe poſe-
>> roient encore ſur ma tête ? Ah ! Low-
>> thon , que j'aime votre religion ! mais
>>dites mol où dois - je le cher-
>> cher ? quand le reverrai-je ? » Il fourit
&prenant un air plus ſérieux , il nous
expliqua le mieux qu'il lui fut poſſible ,
que l'homme eſt formé de deux parties ;
l'une fpirituelle & impaſſible , & l'autre
terreſtre : que la partie ſpirituelle ſe nomme
ame , & la terreſtre , corps : qu'à l'inftant
de la mort, l'ame ſe ſéparoit du corps
& s'envoloit au Ciel, jouir d'une éternité
de délices . S'il s'en fût tenu là , ma vie
n'eut été qu'un tiſſu de félicité ; mais il
ſe crut obligé de me dire qu'Azaab étant
fauvage , & par conféquent hors de l'Eglife
, il étoit condamné à ſouffrir éternellement.
« Azaab , damné ! m'écriai-je
>> ſaiſi de frayeur. Eft- ce parce qu'il fut
>> vertueux ? parce qu'il adoroit ton Dieu?
>>Va, cela est impoſſible ; car s'il eſt Dieu ,
» il ne peut être cruel , ou bien ta religion
>> eſt faulle.
Il eut beaucoup de peine à me faire
comprendre tous les dogmes de fa loi ; il
en vint enfin àbout , & il ne me reſta
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
que la douleur de douter du deſtin d'Azaab.
A ce chagrin il s'en joignit un autre.
Je furpris Axa & Lowthon dans un
ſecret entretien. Je me cachai derrière un
buiflon&je les écoutai. Lowthon débitoit
une foule de douceurs à Axa qui les écoutoit
avec l'air de l'impatience . « Pourquoi
> me tourmentes - tu ? lui dit- elle triſte-
>> ment. Tu fais que jene te hais pas , que
>> te faut- il davantage ? Mon coeur eſt ten-
>> dre , je ſuis touchée de tes ſoins , & je
>>voudrois t'aimer encore plus tendre-
>> ment. Mais Zemzi l'emporte ſur toi .
» Oh ! certainement le pauvre Zemzi
>> mourroit ſi je t'aimois plus que lui , &
> Axa ne pourroit ni ne voudroit lui fur.
> vivre. Que t'ai-je fait , que t'a faitZem-
» zi , pour vouloir nous rendre malheu-
>> reux ? » Les plaintes d'Axa ranimèrent
l'eſpérance de Lowthon ; il redoubla ſes
inftances & lui propoſa de partager fon
coeur entre lui & moi. « Non , répondit
» Axa , ce partage eſt impoffible , & il n'y
>> conſentiroitjamais . Laiſſez-moi , laiffez.
>> moi , vous ſeul faites mon malheur . »
Elle le quitta , alors je me montrai ; & ,
charmé de voir qu'ellejme préféroit à
mon rival , je la ferrai dans mes bras , &
lui dis tout ce que la reconnoiſſance &
l'amour m'inspirerent. Mon rival ne pue
AVRIL. 1772. 31
foutenir ma vue , il s'enfuit, &je fus aſſez
ſimple de courir après lui. J'avois tant
ſouffert par ma jalouſie que j'eus pitié de
fon état. Il me fit de mauvaiſes excuſes,
je les pris pour bonnes ,& nous devînmes
les meilleurs amis du monde.
Deux jours après nous partimes. Nous
nous embarquames , Axa , ma fille , Lowthon
, Tabul & moi. Nous avions eu ſoin
de prendre quantité de fruits&toutes les
richeſſes de la caverne. Nous navigeâmes
ſans danger juſqu'à la hauteur de la rivière
des Amazones. Nous prîmes ſur la
droite, eſpérant trouver quelque vaiſſeau
qui nous conduisit plus commodément
dansune desColonies Angloiſes , où nos.
richeſſes nous faiſoient eſpérer de mener
une vie des plus agréables .
Peu faits à la fatigue de la mer , nous
nous en trouvâmes incommodés. Une
nuit qu'Axa & Tabul s'étoient aſſoupis ,
le barbare Lowthon me ſaiſit & me jetta
dans la mer , fans pitié pour l'innocente
que je tenois dans mes bras. Je ne ſçais
ce que je devins dans ce fatal moment.
En revenant à moi , je me trouvai fur un
ſable aride , tenant ma fille ferrée contre
mon ſein . Le déſeſpoir s'empara de tout
mon être ; vingt fois je fus tenté de me
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
jetter à la mer , & vingt fois l'intérêt de
mon enfant me retint. L'obſcurité ajoutoit
encore à ma douleur. Les cris de ma
fille , le broüiſſement des vagues , tout ſe
réuniffoit pour augmenter moneffroi . Je
paſſai toute la nuit dans ce cruel état. Le
crime de Lowthon , la perte d'une épouſe
adorée m'étonnoient au point qu'ils n'ô .
toient la faculté de penſer. Lejour parut,
mes yeux noyés dans les larmes errèrent
au tour de moi , & n'apperçurent aucun
veſtige d'hommes ni d'animaux . Un fable
brûlant fut le ſeul objet qui ſe préſenta à
ma vue .
Axa , l'infortunée Axa fut l'objet de
toutes mes penſées. Je craignois pour ſa
vie , pour fon honneur; je priois le Dieu
du cruel Lowthon de la défendre contre
les attaques de ce perfide. Je paſſai trois
jours dans cet état fans prendre aucune
nourriture , ne foutenant ma fille qu'avec
ma falive & mes larmes. L'amour paternel
fut feul capable de me faire ſupperter
la vie. Je parcourus les bords de la
mer , je m'enfonçai dans les terres , toutes
mes recherches furent vaines. Je faifois
retentir ce déſert de mes cris , je m'emportois
contre ce Dieu qu'on m'avoit dépeint
fi doux , fi bon; je l'accufois d'ins
AVRIL. 1772 . 33
juſtice& de cruauté. Ma fureur monta à
un tel excès queje pris une pierre aigue ,
dont je fracaſſai la tête de mon enfant.
J'embraſſai ſes reſtes ſanglans , & , réſolu
de finir à la fois & ma vie & ma miſére ,
je me traînai ſur le rivage , & m'élançai
dans la mer.
Vous frémiflez , Chevalier ; vos yeux
ſe détournent avec horreur. Vous m'appellez
monſtre , aſſaſſin , parricide. Je mé.
rite tous ces noms ; vos reproches ne peuvent
égaler mon repentir.
Un amour pour la vie , dontje ne me
croyois pas capable , me fit efforcer de
nager & de regagner la rive. Ma foibleſſe
trompa mon attente , les flots me porterent
au loin. Un navire m'appercut , détacha
une chaloupe & me fecourut dans
l'inſtant où je commençois à perdre le
ſentiment. On me fit avaler d'une liqueur
fortifiante qui rappella mes eſprits . On
me porta dans le vaiſſean ; mais o Dieu !
quelle fut ma ſurpriſe , ma rage ! .. Axa ,
Lowthon furent les premiers objets qui
frappètent mes yeux mourans. Axa , ma
chère Axa , tremblante , preſqu'inanimée,
étoit penchée dans les bras du pertide
Lowthon. La vue de ce traître ranima mes
forces éteintes , je me précipitai ſur lui ,
By
34
MERCURE DE FRANCE.
lui arrachai fon épée & le perçai . Ce per
fide la retira de ſon corps , & me regardant
avec des yeux terribles ,je meurs ,je
me venge : il dit & plongea le fer dans le
fein de la malheureuſe Axa .
Je fis un cri perçant & tombai ſans connoiſlance.
Lorſque je revins de cette pamoiſon
,j'eus untranſport ſi violent qu'on
fut obligé de me lier. Je demeurai quinze
jours dans cet état. Mon premier ſoin ,
quand la raiſon me revint,futde demander
des nouvelles d'Axa. L'air, le ton dont on
me répondit ; Tabul que je vis près de
-mon lit fondant en pleurs , tout me perfuada
qu'il n'étoit plus d'Axa pour moi.
Mon déſeſpoir fut des plus violens ; on
ne ſeroit jamais venu à bout de le calmer,
ſi l'aumônier du vaiſleau , que mon épouſe
avoit inſtruit de nos malheurs communs
, ne m'eût conſolé & ne m'eût garanti
de ma propre fureur.
Il parvint enfin à me faire concevoir
les vérités de la religion. Quel renouvellement
de douleur n'éprouvé je pas ,
quand je fus que j'étois parricide& inceftueux.
Dieu me fit enfin la grace de me
reconnoître . Notre vaiſſeau relacha à St
Salvator ; je ſaiſis cette occaſion pour me
conſacrer à ce Dieu qui m'a attiré à lui pas
AVRIL. 1772. 35
des chemins de douleur. Les larmes , les
prières font ma ſeule reſſource. Le tems
ne peut rien ſur l'âpretéde mon chagrin :
votre amitié , Chevalier , eſt la ſeule choſe
qui puiſſe l'adoucir. Puiſſe mon funeſte
récit ne me la pas faire perdre ! Le ſouvenir
d'Axa , ſa mort infortunée , ma
fille , la trahifon de Lowthon m'occupent
tout-à-tour. L'enſemble m'épuiſe & ne
me laiſſe que la force de vous dire adieu ,
& celled'attendre la mort , comme le ſeul
remède à mes maux .
Traduit de l'allemand, par Mlle Matně
deMorville.
LE danger des Proverbes nationaux ,
Si l'on
Conte.
ne veut pailer pour un original ,
Au fiécle il faut qu'on s'accommode;
Mon conte un peu ſera moral ,
Puiſque la morale eſt de mode.
Sur l'épaule d'un ſien ami
Un Fat , auſſi fou qu'il ſe puiſſe ,
Frappe & s'écrie : es-tu donc endormi,
Ou ton eſprit rêve-t'il à la Suiffe?
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
C'étoit dans un café : certain Suiſſe !' entend :
A la Suifle, Monfieur ! ſçachez qu'un Suifle penſe,
>>C'en eſt un qui vous parle &dès ce même inftant
,
>>S'il vous plait , de me ſuivre ayez la complaifance...>>>
Il fort , ſe bat , eſt bleſſé , reconduit ,
Et le tout ſans beaucoup de bruit.
De ſa bleſſure très - légère
Il eſt rétabli promptement ;
La Renommée eſt menſongère ,
'Elle brodoit l'événement .
Selon fon uſage ordinaire
Il retourne au café ... Bon jour... Qu'est- ce ? ..
Comment ? ...
On dit ... Contez - nous votre affaire ...
N'y ſongeons plus , répond-il leſtement ,
Ce fut un rien , une milère ,
Une querelle d'Allemand ;
Un Allemand quinteux étoit de l'auditoire :
On ſe battit encore au rapport de l'hiſtoire.
Qui fut vainqueur ? mon Fat; il vante ſon ſuecès
,
(Du ſuccès vanité to ujours eſt la compagne )
J'ai fait , raconta-t'il , la nique à l'Allemagne ,
Mon gros champion parut fier comme un Ecoffais
,
Mais pour l'Ecofle autre procès
AVRIL. 1772. 37
Autre combat... Dieu ! quelle extravagance ,
Lui reproche un ſçavant , c'est être bien Frençais!
Etpour venger la gloire de la France
Il court s'efcrimer de nouveau .
Ainſi pouvoit ſa ſanguinaire ronde
Finir par l'envoyer juſques en l'autre monde.
Son dernier accident lui mûrit le cerveau.
Loin, pour des lieux - communs , ces haines éter
nelles
,
Et que les Nations ſe reſpectent entre elles.
ParM. Guichard.
QUATRAIN pour mettre au bas du portraitde
Madame la Marquise d'Antre.
mont.
L'AIMABLE modeftic orne ſes traits brillans .
L'amour , d'un oeil joyeux l'admire , la contemple.
A ſes vertus Minerve élève un temple ,
Le dieudes vers un trône à ſes talens .
ParM. le François.
38 MERCURE DE FRANCE.
L'AMATEUR.
DANAnSs notre fiécle on ne fait rien qui vaille,
Diſoit un amateur tenant une médaille ,
Qu'il retournoit d'un & d'autre côré ;
Ma foi vive l'antiquité !
Oui... oui.. cette tête eſt divine ;
Rome fut fon berceau ; qui la voit le devine...
D'Eglé dans le moment il vante les appas ;
Mais celle-ci finement lui replique ,
Eh ! Monheur , vous n'y penſez pas ;
Me prenez - vous pour une antique ?
ParM. Houllier de St Remy.
EGLE & LE MOINEAU. Fable.
Aux bords d'un tranquille ruiſſeaw
Voltigeoit un jeune Moineau ;
Eglé le voit , elle en eſt folle :
Sans bruit , à petits pas , elle avance , & foudain
Etend le bras , ouvre la main ,
La ferme ... mais l'oiſeau s'envole.
AVRIL. 1772 . 39
Ainfi trompés par nos defirs
Nous n'embraſſons ſouvent que l'ombre des plai
firs.
Parle même.
A M. le Vicomte DE BAR , Garde-
Marine à Toulon .
Lorsqu'a peine échappé des horreurs du nau
frage,
Denouveau dans les flots on te vit te plonger ,
Une ſublime ivreffe échauffoit ton courage.
De ton ami la vie eſt en danger ,
Tu ne peux la ſauver qu'en expoſant la tienne.
Le ſentiment nedélibère pas ;
Son charine impérieux te maîtriſe , t'entraîne,
Tu voles , & déjà les efforts de ton bras ,
A l'onde qui mugit ont arraché ſa proie.
Dans ce moment ſi cher à tes tendres defirs,
Ton ame ſe livra toute entière à la joie :
Tu reffentis ces vrais plaiſirs ,
Cette eſtime de ſoi , cette volupté pure ,
Qu'au plus ſaintdes devoirs attachala nature
Ainſi , de ton ami devenu le Sauveur ,
D'un acte vertueux la douce confcience ,
Suite de ton bienfait , en fut la récompenfe.
Celle quiluiſuccéde eſt digne de ton coeur.
40 MERCURE DE FRANCE
« Puiſqu'il aime ſi bien , qu'il ſe nomme lui-
-même
>>U>n camarade généreux ,
>>Qui ſache l'aimer comme il aime. ( 1 )
De ce prix délicat que le choix eſt heureux !
Ce choix n'eſt pas de vous , ames indifférentes ,
Qui ſuivez le devoir , &jamais le penchant ,
Et qui , froidement bienfaiſantes ,
Souvent , même en récompenfant ,
D'une ame qui s'honore offenſez la nobleffe;
Jugez les actions avant de les payer :
Qui n'a pas l'heureux don de les apprécier ,
Aveugle dans ſes dons , flatte moins qu'il ne
bleffe.
ſa voix: Le Miniſtre ( 2) a parlé , Louis entend
Tout ſentiment, tout acte de tendreſſe
Ne peut qu'être applaudi du plus aimé des Rois ;
Ta générosité le charme , l'intéreſſe ,
Et ton maître veut qu'une fois
Adix-huit ans , tu ſois dépofiraire
De ſa puiſſance &de ſes droits.
Déjà mille rivaux aſpirent à te plaire ;
Mais bannis les égards , écarte la faveur :
Dans le choix d'un ami , d'une main étrangère
Le ſecours eſt ſouvent trompeur.
(1) Il lui a été accordé la nomination d'un
Garde-Marine .
(2)M. de Boynes.
AVRIL . 1772 . 41
Suis un guide plus für , ton penchant , & prefère-
Celui qui te ſera déſigné pour ton coeur.
ENVO 1 .
1
L eſt beau de gagner au printems de ſon âge ,
Le prix de l'immortalité.
L'Europe entière read hommage
Au noble dévouement qui te l'a mérité.
Fière de ce trait qui l'honore ,
La France s'applaudit de t'avoir enfanté ;
Que ne lui promet pas une ſi belle aurore?
Tu ne trahiras point ſes voeux & ſon amour ;
Ton ame lui répond du reſte de ta vie :
Héros de l'amitié , jeune guerrier , un jour
Tu le ſeras de la patrie.
ANECDOTE.
COLLETTE , jeune & jolie , fille d'un
pauvre laboureur , aimoit Collin & en
étoit aimée. Au village, l'amour conduit
toujours au temple de l'hymen. Celui de
Collette devoit être célébré dans peu . La
veilledu jour qui alloit mettre le comble
au bonheur de ces jeunes époux , Collete
s'occupoit avec ſes compagnes à former
42 MERCURE DE FRANCE.
:
des guirlandes de fleurs pour orner la fête
&s'en parer elle-même. Pendant qu'elles
étoient fi agréablement occupées,Collin
menoit fes troupeaux paître dans la
prairie. La chaleur du jour invita le berger
à ſe coucher ſur l'herbe , où il s'endormit
profondément. Les rofes de la jeuneſſe
&de la ſanté coloroient fon teint ,
fa bouche vermeille paroiſſoit ſourire ,
c'étoit ſans doute l'effet d'un rêve agréa
ble. Un jeune ſeigneur dont le château
étoit peu diſtant du hameau , ſe promenoit
en rêvant dans cette prairie où dormoit
Collin ; il le voit, s'arrête & dit affez
haut : que ce ruſtre eſt heureux ! comme
il dort d'un fommeil paiſible fur ce gazon
, tandis que moi couché dans un lit,
fait parles mains de la volupté , n'ai pu
fermer les yeux. Ces propos accompagnés
d'un profond foupir réveillèrent le
berger. Eft- ce toi , Collete , dit - il en ſe
frottant les yeux ? Eh ! qui eſt cette Colete
, mon ami ? Ah ! Monſeigneur, c'eſt
une jolie fille du village que j'aime bien ,
& que j'épouſe demain. -Quoi ! tu te
maries demain , & tu dors ſi tranquillement
aujourd'hui ? -Eh ! oui , Monfeigneur
, eſt - ce que d'être bien aiſe cela
empêche de dormir ? Si vous vouleznous
AVRIL. 1772 . 43
faire l'honneur de venir à nos nôces vous
verrez que nous ne dormons pas toujours.
-J'irai , je te le promets. -Collin retourna
tout joyeux au village & raconta
ſon aventure à Collete, qui rougit un peu;
les nôces ſe célébrèrent ; la ſimplicité en
faiſoit l'ornement , & l'allégreſſe pure
tous les frais. Le jeune Seigneur tint parole
, il aſſiſta à la fête , ſe mêla dans les
danſes , tout en diſant mille jolies choſes
à Collete , qu'elle n'entendit pas ou feignit
de ne pas entendre.
Peu de jours après , un incendie dans
le hameau vint troubler la joie de ces
heureux époux ; leur chaumière fut enveloppée
dans ce malheur ; ils l'avoient
achetée d'un laboureur leur voiſin & ne
l'avoient pas encore payée. La pauvre
Collete & fon mari ne ſavoient où donner
de la tête. Que ferons nous , que deviendrons
- nous , comment nous acquiter
où rebâtir notre cabane , nous avons
tout perdu ? Ecoute ,Collete , il me vient
une idée , j'irai trouver cet aimable Seignent
qui eſt venu à nos nôces ; je lui
conterai nos malheurs , &peut-être nous
prêtera-t- il de quoi payer ou rebâtir notre
maiſon . Cela ſeroit bon , mon cher Colin
, mais j'ai un peu peur de ces grands
,
44 MERCURE DE FRANCE.
ſeigneurs ; on dit qu'ils ne font rien pour
rien. Eh ! que crains- tu Collete ? Celuici
eſt marié , eſt- ce qu'on ſe ſoucie de la
femmed'un autre quand on en a une ? Et
puis tu es honnête ,& tu m'aimes bien.
Là - deſſus ils s'embraſfèrent , & Collin
partit. Arrivé au château il aborde en
tremblant un des domeſtiques; il demande
à parler à ſon maître pour des affaires
très preſſantes ; le laquais répond qu'il va
l'annoncer, & fur le champ Collin eſt introduit.
Bon jour l'ami , lui dit le jeune
ſeigneur , qui t'amènes ſi matin ? Comment
ſe porte la charmante Collete ? Hélas
! Monseigneur , elle ſe porteroit aſſez
bienſans le malheur qui nous eſt arrivé.
La nuit paſſée notre chaumière a été brûlée
avecpluſieurs autres du village. Nous
l'avions achetée d'un voiſin , & il ne nous
refte ni de quoi la payer , ni de quoi en
rebâtir une autre. Nous ſommes à la rue
ſi votre grandeur ne nous fait pas la grace
de nous prêter quelque argent. Ah ! mon
pauvre Collin, que ton infortune me touche
, & que je voudrois pouvoir y remédier
; mais je n'ai pas un fol à l'heure
qu'il eſt ; je perdis hier à une partie de
loup tout l'argent comptant qu'il mereftoit
! -Collin recula d'un pas. -Quoi !
AVRIL. 1772. 45
Monſeigneur , vous badinez ici avec les
loups , tandis que nous en avons ſi peu
au village.
Tu ne m'entends pas , mon cher Collin
, c'eſt un jeu qu'on appelle le Loup ;
on y perd , il faut payer , & c'eſt juſtement
ce qui fait qu'il ne me reſte rien
pour te ſecourir. -Le pauvre Collin
après ce triſte oracle , tira ſa révérence &
partit , le coeur bien déchiré. -Collete
l'attendoit avec impatience. -Hé bien !
mon ami , quelle nouvelle ? Ah ! ma pauvre
enfant, je reviens les mains vides.
Le Seigneur du château m'a preſque fait
pitié. Il eſt doux & honnête , mais il n'a
pas un fol. Il conta mot à mot tout ce
que le gentilhomme lui avoit dit , & finit
par verſer des larmes. Collete ſanglottoir
fi fort que les villageois s'atrouppèrent
autour d'elle. La laboureur & ſa femme
qui leur avoient vendu la cabanne étoient
de la troupe.-Qu'avez vous donc , mes
enfans , pour vous tant attriſter ? -Ah !
pouvez-vous le demander ? Nous ſommes
vos débiteurs , & vous n'ignorez pas le
malheur qui nous eſt arrivé la nuit pafſée.
Oh ! dit la bonne fenime , ſi c'eſt - là
ce qui vous afflige , ſoyez tranquilles ; je
46 MERCURE DE FRANCE.
ne vous demande rien ( 1 ) . Si Dieu vous
met en état un jour de me payer , à la
bonne heure , finon je vous remets la dette
de tout mon coeur.-D'autres payſans
ſe mirent de la converſation , & dirent à
cette généreuſe femme qu'ayant été incendiée
elle- même, elle devoit aller réclamer
les graces du Roi . C'eſt un ſi bon
Prince , difoient- ils; c'eſt le vrai Père de
fon Peuple . Voyez comme il a ſoin des
pauvres. Tous les jours il leur donne des
preuves de fon amour. Dieu nous le conſerve.
-Je fai , comme vous, répondoit
la bonne femme , que nous avons le neilleur
des Rois ; cependant je me garderai
bien d'aller l'importuner , & intercepter
peut- être des charités dont nos infortunés
voiſinsqui ont tout perdu ont plus beſoin
que moi. Voyez-vous cette petite cabane
, elle m'a été confervée ; elle fuffit
pour mettre mon mari , mes enfans &
moi à l'abri de l'injure du tems ? Je ſuis
vigoureuſe , je puis travailler. Croyez-
(1 ) Des gens dignes de foi m'ont aſſuré qu'ils ont
été témoins de ce procédé & de ces diſcours d'une
payſanne du village de Hvidovre , nommée Ellen
Lars Pavelſen. Ce sont les mêmes mots que
l'on rapportedans cette hiſtoire.
AVRIL . 1772 . 47
moi , mes enfans , faites comme moi ,
prenez courage ; vous n'êtes peut-être pas
ſi mal que vous le penſez. os troupeaux
ne ſont pas péris. Ils ne font qu'égarés .
Va , Colin , va par la campagne , ratfemble-
les ; & toi Collete ſuis-moi , je vais
te donner de l'ouvrage ; vous partagerez
l'un & l'autre avec nous le peu qui nous
reſte , & le Ciel, témoin de nos efforts &
de nos peines , les bénira .
EPITRE à Mademoiselle R ***.
L'ART de plaire ,
Ma bergère ,
Eſt un don
Vraiment bon ;
Quand les femmes
Ont des ames
Que l'on peut ,
Comme on veut ,
Ou conduire
Ou réduire ;
Mais auſſi
Le fouci
Qui m'occupe
Eſt qu'en juppo
۱
48 MERCURE DE FRANCE.
L'on me dit
Qu'on ne vit ,
De la vie ,
Que folie ,
Que hauteurs
Etque coeurs
Indociles ,
Volatiles
Et trompeurs.
Mes frayeurs
Sont extrêmes.
Dieux ſuprêmes
Eſt-il, vrai
Que j'aurai
Dans mon ame
Une flame ,
Parvos ſoins
Qui rien moins
Qu'éternelle
Etcruelle
M'ôtera
Ravira
Toute joie?
Non. Qu'on croie
Que les dieux
Sont ſans yeux ,
Que leurs fléches
Font des bréches
AVRIL. 1772. 49
Anos coeurs ;
Etqu'auteurs
Denos chaînes ,
Par des peines ,
Leur courroux
Faitde nous
Les victimes
De leurs crimes :
C'eſt ma foi ,
Selon moi ,
Une impie ,
Héréſie .
Clairvoyans ,
Point méchans ,
L'on peut dire
Que leur ire
N'a de feux
Que pour ceux
Dont l'oreille
Ne s'éveille
Aleur voix
Que par fois.
Par exemple ;
Quand au temple
De l'Amour ,
Chaque jour ,
L'on ne brûle ,
Sans ſcrupule ,
1. Vol. C
So
MERCURE DE FRANCE.
De l'encens ;
Dans le tems
Qu'il vousdompte
Et furmonte ;
Envers vous
Son courroux
Eſt étrange;
Il ſe venge.
D'autre part ,
Si ſans fard ,
Et fidèle ,
Votre zèle
Chaque jour
A l'Amour
Sacrifie
Votre vie
De defirs ,
De plaifirs
Et de joie
Eſt la voie.
Quel bonheur
Pour un cooeur !
Ma bergère
Veux-tu plaire
A ces dieux ;
Tu le peux ,
Soisamante
Etconftante ;
AVRIL. 1772. SI
Etpour moi
Mon emploi ,
Mon bien être
Sera d'être
Ton amant
Très-conſtant.
Par M. Dubois.
CONTE.
Daux villageois couchoient EUX dans une étable :
Certain plancher des boeufs les ſéparoit ;
Par une échelle on y grimpoit ,
Et ſur la paille on y dormoit :
Quand on eſt fatigué , tout lit eſt agréable.
Tandis qu'un d'eux en ſommeillant ,
S'étend ſur ſon grabat , s'agite , ſe tourmente ,
Il écarte inſenſiblement
Quelques ais mal unis qui formoient la ſoupente.
Patatras ... tout s'écroule ; à bas notre manant ,
Sous le ventre des boeufs & toujours en ronflant.
Le voilà dont couché ſur la litière
Sans ſe douter qu'il ait roulé ,
Tant qu'à la fin meurtri , foulé ,
Il ouvre à peine la paupière.
Puis regardant au tour de ſoi;
1
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
"Guillot , dit- il, Guillot , dors- tu ? Nenni. Pour-
>> quoi?
Tiens , tiens , vois donc , l'avanture eſt nou-
>> velle ,
>>Ma foi les boeufs font montés à l'échelle. >>
ParM. D.
EPIGRAMME.
Sur un Portrait en pastel.
En quoi ! ce vieux portrait d'Hortenfe,
Cet antique paſtel , que d'amant en amant
J'ai vu ſe promener , eſt donc en ta puiſſance !
Mon cher Marquis,je t'en fais compliment.-
Comment le trouves - tu ? -Reflemblant ; c'eſt
dommage
Qu'à force de venir , revenir , voyager
La couleur ſe détache & commence à changer !
Je puis fairefixer un fi charmant ouvrage ,
Etje vais dès ce four chez Lorior (1 ) l'envoyer
L'envoyer chez Loriot ! Marquis , quelle démence!
Ah! ſi jamais tu le failoisfixer ,
Il y perdroit ſa reſſemblance !
Par M. L. D. B.
(1 ) Artiſte célèbre par ſon ſecret pour fixer le
paſtel.
AVRIL. 1772 . 53
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du volume du mois de Mars
1772 , eſt la Cloche ; celui de la ſeconde
eſt Portrait ; celui de la troiſième eſt Linge.
Le mot du premier logogryphe eſt
Rafoir , dans lequel ſe trouvent ori , or ,
roi , o , air , ris , fi , les ris , foir , oris ,
as , os ; celui du ſecond eſt Code , où l'on
trouve ode ; celui du troiſième eft Canne,
où se trouvent ane , canne , ( femelle du
canard) Anne , Anne, ( grand facrificateur
des Juifs ) an , Caen.
ÉNIGME
J ſuis une, & rous ſommes trois ,
D'amour & d'amitié je ſuis une compagne ,
Pour peu qu'on ait des yeux on me voit en campagne
,
Etje commence tous les mois ;
Si je n'existe point , il n'eſt homme , ni femme ,
Monfieur , Demoiſelles ni Dame ,
Et rien pourtant ne manque à l'Univers ;
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
On ne me voit jamais en faux jour ni travers ;
Unpoëte ſans moi ne peut faire aucun drame ,
Pas méme une ſeule épigramme ,
Etje ne ſuis proſe , ni vers ;
Il n'eſt ſans moi , lecteur , royaume , ni monar
que ;
Je ſuis avec la mort , &ne ſuis point la Parque ,
Néceflaire dans Rome , inutile à Paris :
C'en eſt aſſez , il faut queje me taiſe ;
Vous me devinerez à l'aile ,
Filles , qui cherchez des maris.
Par M. B.. , à Paris.
1
AUTRE.
RENEDNDEEZZ--VVOOUUSS journalier d'inutilescohortes ,
Je reçois dans mon ſein des gens de toutes fortes;
De tout rang , detout âge , oififs & parefleux
Que l'on trouve chez moi plas ſouvent que chez
eux .
L'un , cenſeur éternel , ſans ceſſe vous ennuie
Du tiflu menſonger du roman de ſa vie.
L'autre mauvais plaiſant, plus ennuyeux encor
De farcaſmes uſés , de bon mots vous endort.
Ici l'on voit Damon panché ſur une chaiſe ,
Faire le bel eſprit,débiter des fadaiſes.
AVRIL. 1772. 55
:
Là, fier d'un vieux plumet , enflé d'un titre vain ,
En vantant ſes ayeux , Dorilas meurt de faim ,
Ou bien c'eſt Bezenval qui , d'ancienne nouvelle ,
Avec un front d'airain vous fatigue l'oreille,
Certain qu'il vous apprend , comme des faits nouveaux
,
Que nommer un Bourbon , c'eſt nommer un héros
.
Qu'en penſes- tu , lecteur , crois tu me bien connoître.
Dirai- je qu'à Paris un Turc me donna l'être.
LOGOGRYPH Ε .
MEUBLE dans les appartemens ,
Je ſers à meſurer le tems ;
Anciennement je n'étois pas connue :
J'ai ſept pieds ; fort heureuſement ;
Car , cher lecteur , un de moins ſeulement ,
I'ar ma fois je ſerois... pendue.
Par M. Houllier de St Remi.
Civ
36
MERCURE DE FRANCE .
J
AUTRE.
I fuis , mon cher lecteur , un oiſeau domeſtique
Qui devient aisément un vrai meuble d'optique.
Parle même.
AUTRE.
J&fuis plus prompte qu'un éclair,
Sans parcourir , ſans fendre l'air ,
Je ſuis plus vite encor que foudre ou coulevrine ,
Je ſuis humorale ou fanguine ,
Accidentelle quelquefois ,
Je mets dans un clin d'oeil le plus fort aux abois ,
Quoique j'aille fans bruit, toujours à la fourdine.
Neuflettres compoſent mon nom :
Avec quatre , je ſuis un Anglois de renom ;
Un Saint , une ville d'Afie ;
Un Prince électif d'Italie ;
L'inſtrument des plaiſirs du marin , du grivois ;
Ce qui pare ou gâte un minois ;
Un prophéte fameux ; un des bouts de la terre;
AVRIL. 57 1772 .
Ce dicu qu'on prend ſouvent pour le dieu du tonerre
;
Un poiflon délicat , un duvet , un coton ;
Ce qui fait repoſer Caron ;
Un lieu toujours fâcheux ; un mince ou gros falaire;
Des habitans des airs l'agile itinéraire;
Maintenant ajoutons une lettre de plus ,
Et rendons , s'il ſe peut , notre être plus confus :
Par ce petit renfort je ſuis une rivière ;
Théâtre de tant de milére .
Une ville , undrap , un fourneau ,
Une espèce de dais qu'on porte fans chapeau ;
Un uſtencile de cuiſine;
Une invitation de barbare origine ;
Un bruit de guerre ou des forêts ;
Le ſigne affreux d'un mal dont on craint les pros
grès ;
Si l'on m'en ôte deux , je défends la patrie ;
Je ſuis effentieldans la géométrie;
Je ſuis la triſte fin d'une aimable liqueur ;
Des vicaires du Chriſt je fus un fuccefleur ;
Je ſuis un animal ſoupçonné de rapine ;
Je porte dans mon ſein plus ou moins de farine ;
J'aiguiſe ou donne l'appetit;
Dans un feſtin bourgeois je fais un très - grand
bruit ;
Je ſuis dans le blaſon un mot , une figure ;
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Ie fus avant ma ſoeur ( par certaine impoſture )
L'épouſe du fils d'Abraham ;
Ma foeur l'eut enſuite à mon dam :
M'en retranchez - vous trois , me voilà dans la
game ;
Je deviens un adverbe ou bien je ſuis la femme
Que Junon métamorphoſa ,
Qu'Argus dès lors toujours garda :
Ce dernier trait va me faire connoître ,
J'y confens , me voilà , je crains peu de paroître.
Par M. de Bouffanelle , brigadier des armées
du Roi , ancien capitaine au régiment du
Commiſſaire- Général de la Cavalerie.
NOUVELLES LITTÉRAIRES..
Traité de la Circulation & du Crédit , contenant
uue analyſe raiſonnée des fonds
d'Angleterre , & de ce qu'on appelle
commerce ou jeu d'actions ; un examen
critique de plufieurs traités ſur les impôts
, les finances , l'agriculture , la population
, le commerce , &c. précédé
✓de l'extrait d'un ouvrage intitulé Bilan
général& raisonnéde l'Angleterre depuis
1600 jusqu'en 1761 ; & ſuivi d'une
Pag. 53.
l'Amant heureux,
Les Paroles et laMusique sont deM.Davy.
Andantino.
Avril 83
2772 .
*
無
Non rien n'égale mon bon-
3
heur Lorsque sur
3
3
3
=po = se, Lors que sur
※
ton
seanje re=
3
ton sein je re
=pose.Pourprix demafi delle ardeur ,
Des peines que l'amour me cause Tu
saism'o-ter le souvenir Par le doux
+
char:me du plaisir , Par te doua
W
charme du plaisir. Non &c.
AVRIL. 1772. 59
lettre fur la jalousie du commerce , où
l'on prouve que l'intérêt des puiſſances
commerçantes ne ſe croiſe point , &c .
avec un tableau de ce qu'on appelle
commerce ou plutôt jeu d'actions. Par
l'auteur de l'Effai fur le Luxe & de la
Lettrefur lejeu de Cartes , qu'on a ajoutés
à la fin ; vol . in 8 °. A Amſterdam ;
& ſe trouve à Paris , chez Leclerc , quai
des Auguſtins ; prix , 3 liv . broché.
PLUSIEURS écrits contenusdans ce recueil
ont déjà été publiés. On reconnoît dans
ceux relatifs au commerce cet amour de
l'humanité, cet eſprit de logique,de calcul
& de combinaiſon particulier à l'auteur.
On les diftinguera ſur - tout de ceux que
le préjugé , la paffion, les petits intérêts
ou la manie des ſyſtêmes ont dictés . L'auteur
prouve très bien dans ſa lettre ſur la
jalouſie du commerce que les intérêts efſentiels
des puiſſances commerçantes ,
rivales & voiſines ne ſe croiferoient pas ,
au moins autant qu'on le penſe , ſi l'intérêt
particulier ne venoit ſouvent à la
traverſe.
La lettre inférée dans ce recueil fur le
jeu de cartes & où l'auteur eſſaie de prou
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
ver les avantages que le genre humain a
retiré de ce divertiſſement imaginé d'abord
pour amufer les enfans & des imbécilles
ne peut être regardée que comme
un badinage malgré le ton férieux
qui y règne. Voici le raiſonnement
de l'auteur. Avant que le jeu de cartes
fût devenu un amusement univer-
>>fel , les deux ſexes étoient moins unis ,
ود c'est-à- dire qu'ils étoient moins enſem-
>> ble , en ſociété , en compagnie : les
>> hommes l'étoient davantage ; il y avoit
" des cotteries ; on alloit à la taverne ; it
» y avoit plus d'ivrognes , & par confé-
>> quent plus de liaiſons , plus d'amitié.
ود L'ennui , une des plus grandes caufes
>> du développement de la pérfectibilité
>> humaine , excitoit les hommes à culti-
» ver leurs talens , à s'occuper , à étudier,
» à travailler , à cabaler , à faire des conf-
» pirations. La politique étoit le ſujet
ود des converſations , que le loiſir&l'en-
>> nui enfantoient : on contrôloit le gou-
>> vernement , on s'en plaignoit , on conf.
>> piroit , & l'on trouvoit des amis à qui
>> ſe fier : les grandes vertus & les grands
>> vices étoient plus ordinaires. D'un au-
» tre côté , les regards des hommes ne ſe
>> raſfaſiant pas des appas des femmes vis
AVRI L. 61
1772 .
>> à-vis un tapis verd au moyen du talif-
> man des cartes , l'amitié & l'amour
>> étoient des paſſions.Apréſent graces aux
>> cartes , on n'eſt guères que galant; on a
>> beaucoup de connoiſlances , & pas un
>> ami ; nombre de maîtreſſes , & pas une
>> amante . Un Mahometan , qui contem-
>>pleroit avec des yeux aſiatiques nos
>>grandes aſſemblées , auroit la malice de
>>croire que les bachas européens ont
>>leur férail en commun. Un jeu qui
>> mêle& confond les hommes & les fem-
» mes dans la ſociété doit donc forcement
>> ralentir l'énergie de l'amour. Ajoutez
>> à cela que les efforts pour fuir l'ennui
" ſe trouvent ralentis par cet amusement.
» Du relâchement de ces trois refforts ,
>> combinez en les effets , & calculez en
>>les réſultats , &c. >> On pourroit peutêtre
prouver avec autant de ſuccès les
avantages de la paralyfie ou de l'opium.
On diroit , en ſe ſervant du raiſonnement
de l'auteur , que la fermentation
des grandes paſſions produifant plus de
mal que de bien , la ſociété ne pourroit
que gagner à faire uſage d'une liqueur
qui énerveroit la force & l'activité des
membres qui la compofent.
62 MERCURE DE FRANCE.
Médecine primitive ou recueil des remèdes
choiſis & éprouvés par des expériences
conftantes , à l'uſage des gens
de la campagne , des riches &des pauvres;
traduit de l'anglois de Wefley
fur la treizième édition , revue & aumentée
conſidérablement .
Homeſum ; humani nihil à me alienum puto.
A Lyon , chez Jean - Marie Bruyſet ,
imprimeur libraire ;& à Paris , chez P.
F. Didot le jeune , libraire , quai des
Auguſtins ; prix , 2 liv. 10 f. rel.
Le nom de Médecine primitive donné à
ce recueil eſt aſſez justifié par le ſoin que
le médecin Anglois a pris de n'y admettre
que des remèdes ſimples , éprouvés &
qui ne peuvent jamais être auſſi diſpendieux
& même auffi à craindre par l'abus
qu'on en pourroit faire que les remèdes
chymiques & les galeniques compoſés.
Le traducteur, dans la vue de rendre cette
espéce de manuel d'un uſage encore plus
fûr & plus facile , a conſulté les meilleurs
praticiens & a donné des définitions
claires & préciſes de la plupart des maladies.
Ceux qui vivent à la campagne
uqui ſont éloignés de tout fecours trou
AVRIL. 1772 . 63
veront dans ce manuel un médecinà leur
portée & toujours prêt à les ſervir. On
leur conſeille ici néanmoins de ne pas
négliger dans des cas compliqués de confulter
un médecin de profeſſion. Ce médecin
ne verra quelquefois pas plus clair
que ceux qui le confultent. Mais comme
la pratique lui a appris les effets ordinaires
des remèdes , il ſaura s'arrêter , reculer
même à-propos . C'eſt auſſi ce que vouloit
faire entendre un habile praticien à M. le
Prince de ***, qui diſoit que la médecine
n'étoit qu'une ſcience conjecturale ,
&que les médecins étoient des aveugles
qui ſe mêloient d'en conduire d'autres .
« Il est vrai , répondit le médecin hom-
>> me d'esprit ; mais ſi les brouillards les
>>plus épais couvroient Paris & que Vo-
>> tre Alteſſe fût obligée de fortir de fon
>> palais , quel guide prendroit-elle pour
>> la conduire ? un aveugle ſans doute ,
>>qui par l'uſage qu'il auroit de fon bâ-
>> ton , lui indiqueroit les chemins plus
>>fûrement que tous ceux qui n'ont point
>>>contracté l'habitude de s'en fervir. >>
Ce manuel eſt précédé d'une préface
où l'auteur donne un petit nombre de
maximes ſimples , aiſées & préciſes pour
la conſervation de la ſanté. La plus im64
MERCURE DE FRANCE .
portante de ces maximes eſt d'établir une
proportion raifonnable entre la quantité
des alimens que l'on prend & celle du
mouvement ou de l'exercice du corps que
l'on eſt en état de faire , eu égard au degré
de force dont on jouit ; ce qui indique
aſſez que pour qu'il y ait un juſte équilibre
dans l'économie animale , ſans quoi la
furabondance ou le défaut d'humeurs furvient
, il faut que la dépenſe ſoit égale à
la recette. Cette maxime ſe trouve confirmée
par cet oracle du père de la médecine
: Non fatiari cibis & impigrum effe
ad laborem fanum efficit corpus.
Obfervations critiques fur le Traité de la
célébration des SS . Mystères ; par M.
Collet , conformément à la ſeptième
édition ; par le R. P. Nicolas Collin ,
docteur en théologie , chanoine regulier
de la réforme de Prémontré , ancien
prieur de Rengeval ; vol . in 12 .
AParis , chez de Bure père , libraire ,
quai des Auguſtins , & Cl. Hériſſant ,
rue Notre-Dame.
Ces obſervations annoncent dans l'auteur
une grande connoiſſance des rubriques
& de tout ce qui a rapport à la célébration
des SS. Myſtères. Sa critique eft
AVRIL. 1772 . 6
exacte , ſcrupuleuſe même & très détaillée.
Elle pourra être utile à ceux qui deſfirent
de connoître à fonds la matière dont
il s'agit.
L'Elève de la Nature , nouvelle édition ,
augmentée d'un volume , & ornée de
figures en taille douce.AAmſterdam ,
& ſe trouve à Lille , chez J. B. Henry ,
imprimeur- libraire ; ; parties in - 1 2 .
Les deux premières parties de cer ouvrage
publiées en 1763 , nous préfentent
un de nos ſemblables abandonné à la ſeulenature.
Les premières notions , les premiers
ſentimens de cet élève de la nature
ſe trouvent développés dans ce roman à
la faveur d'une fiction qui pouvoit être
plus heureuſe. Mais quelques fenfations
rendues avec afſſez de naïveté & des maximes
ſur l'éducation extraites de bons écrivains
& que l'auteur a ſçu habilement
s'approprier , ont fait agréer du Public
ces deux parties , dont l'une eſt intitulée
la Solitude ; & la ſeconde la Société. La
troiſième partie , ajoutéeà cette nouvelle
édition , a pour titre les Plaisirs champêtres;
elle eft dédiée aux Habitans de la
Virginie qui vivent au milieu de leurs
plantations de tabac. L'auteur , inspiré
66 MERCURE DE FRANCE.
par cet exemple , nous donne dans cette
derniere partie la description d'une république
qu'il établit dans une ifle dont le
nom étoit ignoré juſqu'à préſent. Elle
s'appelle l'ifle de la Paix Ses habitans
s'occupent de travaux champêtres . Ces
amas de maiſons nommés villes & où une
multitude d'animaux vivans , morts ou
mourans font raffemblés pêle & mêle ,font
inconnus dans cette ifle. Les moeurs s'y
confervent dans leur pureté parce que le
luxe n'y trouve pointd'alimens , & que le
vice qui ſe plaît dans le trouble & la confuſion
ne peuty tendre ſes voiles & drefſer
ſes embuches. Differentes peintures
des plaiſirs champêtres ornent
la description du ſéjour de la paix. Ces
peintures font empruntées pour la plûpart
de Lucréce , de Virgile & fur - tout
de Vaniere que l'auteur s'eſt contenté de
traduire. Lorsqu'il nous donne des préceptes
fur l'agriculture , il nous recommande
fur tout la plantation des grands
arbres. «On ſe plaint , dit- il, que le nom-
>> bre des hommes diminue , & ce mal-
>> heur est très-grand, on n'en fauroit affez
>> gémir ; mais on eſt inſenſible à un au-
>>>tre malheur , dont on devroit auſſi tâ-
>> cher d'arrêtet les progrès. La chymie &
AVRIL. 1772 . 67
» la molleſſe brûlent les trois quarts des
» arbres , le luxe emploie en bâtimens la
>> moitié de ce qui en reſte, & ni l'amour
>> de la nature , ni notre intérêt ne nous
>> font arrêter le mal ou le réparer. » L'auteur
ignore fans doute les ſoins que le
gouvernement prend journellement pour
former des pépinières & empêcher le dépériſſement
des forêts. '
Si la diminution de l'espèce humaine
dont parle encore l'auteur a lieu , ce n'eſt
pas la faute de nos politiques qui ſe font
toujoursbeaucoupplus occupésdesmoyens
d'accroître l'espèce humaine que de ce
qui est néceſſaire pour la perfectionner.
Cette diminution peut être un malheur.
Cependant lorsque l'on jette les yeux fur
le grand nombre d'infortunés quilingui
fentdans tel & tel pays , & que l'on eft
ſouvent obligé de renfermer parce qu'ils
manquentde pain &de travail, on feroit
tenté de ſouhaiter plutôt la diminution
de la population que fon accroiſſement .
La maxime du célèbre Pontife Sixte V
étoit qu'il valoit mieux détruire une ville
que de la remplir d'habitans malheureux .
Abregé chronologique de l'Histoire eccléfiaftique
civile & littéraire de Bourgogne;
68 MERCURE DE FRANCE.
depuis l'etabliſſement des Bourguignons
dans les Gaules juſqu'à l'année
1772 ; par M. Mille ; tome II , in- 8 °.
Etpius est patriæ facta referre labor .
Ov. Triftium , lib . 2 .
ADijon , chez Cauſſe , imprimeur ; d
Paris , chez Delalain , libraire , rue &
à côté de la Comédie Françoife .
Le ſecond volume de cet abregé préſente
la ſuite des événemens arrivés en
Bourgogne depuis la réunion du ſecond
royaume de Bourgogne à la Monarchie
Françoiſe en 613 , jusqu'aux démembremens
réels & effectifs qui ſe firent fous
les fucceffeurs de Charles le Chauve. La
méthode de l'hiſtorien eſt ſuffisamment
connue par le premier volume de cette
hiſtoire publiée l'année dernière. Elle a
été goûtée du plus grand nombre des lecteurs
qui ne peuvent ſe livrer à une lecture
ſuivie & qui regardent avec raiſon
l'ordre chronologique comme le plus
propre à conſtater les faits relatifs à chaque
révolution. Les différens livres de
cette hiſtoire font terminés par des notices
affez étendues fur les hommes & les
ſavans illuftres. Des notes accompagnent
AVRIL. 1772 . 69
le recit de l'hiſtorien . Ces notes discutent
des points de critique ou donnent
l'origine de divers uſages ou de quelques
proverbes . On dit encore affez cominunément
aujourd'hui lorsque l'on veut affurerquelque
choſe : J'enmettrois la main
aufeu. Cette façon de parler proverbiale
peut venir de l'injonction qui étoit faite
antrefois à l'accuſé qui vouloit juftifier
fon innocence d'étendre fa main fur un
brafier ardent oude prendre un fer chaud
ſans ſe brûler. Cette épreuve judiciaire
étoit réſervée ſur-tout aux eccléſiaſtiques,
aux moines & aux femmes. Vers le treizième
fiécle , un homme condamné à la
ſubir , refufa de s'y ſoumettre , diſant
qu'il n'étoit pas un charlatan. Comme le
juge , malgré cette réponſe , lui faifoit
quelqu'inſtance : « Je prendrai volontiers
>> le fer ardent , repliqua til , pourvu que
» je le reçoive de votre main. Le juge
trop prudent pour accepter la propofition ,
convint qu'ilne falloit point tenter Dieu,
M. Mille , pour nous donner une idée
de la magnificence & du faſte qui regnoient
à la cour du Roi Dagobert , nous
dit que St Eloy qui n'y étoit encore connu
que par ſes ouvrages d'orfévrerie
portoit des ceintures enrichies de pierre
70
MERCURE DE FRANCE .
ries . Mais St Eloy qui faifoit le commerce
de pierres précieuſes ne les portoit à
fa ceinture que pour les vendre. C'eſt encore
la pratique de pluſieurs Levantinsde
mettre dans leur ceinture qui leur fert de
poches les pierreries & les autres joyaux
dont ils font trafic .
Il y a , dans ce nouveau volume , pluſieurs
points de chronologie , d'hiſtoire ,
de géographie& de critique qui méritent
d'être difcutés ; mais de ſavans Bénédicrins
ſe ſont chargés de cette tâche, & nous
croyons que ceux qui ont lu cet abregé ne
doiventpoint ſedispenſerde ſe procurer la
lettre adreſſée à M. Mille ,&qui ſe diſtribue
à Paris chez Desprez, imprimeur , rue
St Jacques . Cette lettre & celles qui la
ſuivront ne peuvent d'ailleurs que contribuer
à rendre les recherches de l'hiſtorien
de Bourgogne plus utiles , plus intéreſſantes
& plus exactes.
Histoire nouvelle & impartiale d'Angleterre
, depuis l'invaſion de Jules - Céfar
jusqu'aux préliminaires de la paix
de 1762 , traduite de l'anglois de J.
Barrow. A Paris , chez J. P. Coſtard ,
rue St Jean-de- Beauvais.
M. Barrow a placé à la tête de cette
AVRIL. 1772 . 71
hiſtoire,des obſervations ſur l'origine des
habitans de la Grande Bretagne , leurs
coutumes , leurs moeurs , leur gouvernement
, leur commerce , leurs bardes ou
écrivains , leurs bois ſacres & leurs cérémonies
religieuſes. Ces obſervations ſont
une introduction néceſſaire à cette nouvelle
hiſtoire. Il ſeroit difficile , comme
l'obſerve l'hiſtorien , de fixer l'origine &
les premiers faits des Bretons & même
de tout autre peuple. Ces faits ſont obscurcis
par des relations fabuleuſes , par
des fictions extravagantes & des abfurdités
monstrueuſes que des hommes artificieux
& adroits ont cherché à multiplier
dans un âge qui étoit celui de la ſupeſtition
& de la crédulité. On nous peint ici
les premiers Bretons comme des gens
ſimples & de bonne foi dans le commerce
, qui ſe contentoient d'une nourriture
très frugale. " Une autre vertu , ajoute
" l'hiſtorien Anglois , qui rendit nos an-
>> cètres célèbres , fut l'hospitalité . Un
» étranger , parmi eux , étoit un objet
>> facré & inviolable : ils lui offroient
>> tous les fecours qui dépendoient d'eux ,
>>pendant tout le tems qu'il reſtoit dans
» l'ifle. » Mais les devoirs de l'hospitalité
furent également respectés par tous
72 MERCURE DE FRANCE.
les peuples de l'antiquité. On penſoit
alors que les Dieux mêmes prenoient
ſouvent la forme de voyageurs pour corriger
l'injustice des hommes , réprimer
leurs violences & leurs rapines. Cette
croyance jointe à la difficulté des chemins
, au défaut de commerce &d'hospices
publiques , & à l'embarras par conſéquent
pour les voyageurs de ſe procurer
les choſes les plus néceſſaires à la vie ,
avoient formé chez les premiers peuples
les liensde l'hospitalité. Mais aujourd'hui
que toute l'Europe eſt devenue voyagean .
te&commerçante , que chaque province,
chaque ville a des hospices pour les
étrangers, que les chemins ſontplus fûrs ,
que la circulation de l'argent s'eſt accélérée
par le moyen des lettres de change ,
&que nous jouiſſons de la commodité
des vaiſſeaux , des poſtes & autres voitures
, l'hospitalité a dû ſe perdre parmi
nous. Comment d'ailleurs pourroit-elle
ſe ſoutenir chez des peuples où regne
l'esprit de commerce & qui trafiqueroient
des élémens même s'ils étoient en
leur pouvoir?
Les premiers Bretons adoroient l'Etre
Suprême ſous les noms d'Eſus ou Heſus ,
dont le chêne étoit le ſymbole. Ils n'avoient
AVR 1774 73r
voient d'autre temple qu'un bois ou un
bosquet où ils faifoient toutes leurs cérémonies
religieuſes. Perſonne n'étoit admis
dans ces retraites ſacrées , à moins
qu'il ne portât avec lui une chaîne, comme
un témoignage d'une foumiffion fans,
bornes à la Divinité. Toute leur religions
conſiſtoit, dans fon origine, à reconnoitte,
que l'Etre Suprême qui venoit habiter,
dans ces bosquets ſagrés , gouverneit Univers
; que toute créature devoit obéirà
ſes loix & lui rendre les hommages divins.
Les Druides qui étoient les ministres
de la religion , s'étoient chargés, de
faire parler da Divinité & d'interprêter,
ſes décrets . Une des maximes de leur po
litique étoit de ne rien confier à l'écriture;
tous leurs myſtères étoient renfermés
dans des vers compofés à ce ſujer ,
&qu'ils retenoient de mémoire. Mais ce
qui contribuoit le plus à en impoſer au
peuple , c'étoit leurs prétendus entretiens
familiers avec les dieux. D'ailleurs pour
couvrir leur propre ignorance & dérober
leurs impoſtures à la connoiffance publi
que , ils ſe vantoient d'être inſtruits dans
la magie ; ils cultivoient en conféquence
quelques branches des mathématiques.
&particulièrement l'astronomie , Us pré
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
diſoient le tems , le nombre & la durée,
des éclypſes ; circonſtance qui ne pouvoit
manquer de leur attirer le respect de la
multitude ignorante. Ces prêtres enorgueillis
de leur pouvoir en abusèrent fouvent
, & il y a eu lieu de croire que les
Bretons , fatigués du joug des miniſtres'
de la théocratie , voulurent avoir patmi
eux les ſymboles vivans de la Divinité
&qu'ils créérent des Rois qui furentpour
enx les repréſentans du Monarque invifible.
M. Barrow , après cette courte introduction
, nous trace la ſuite des événemens
qui forment l'hiſtoire de la Grande
Bretagne , qu'il diviſe en pluſieurs périodes.
La première commence à la descente
de Jules-Céfar dans la Grande Bretagne.
Il ne paroît encore que les huit premiers
volumes de cet ouvrage , qui vont juf
qu'en l'année 1625. Nous les avons parcourus,&
nous avons vu avec plaifir que
l'auteur s'eſt rappellé la promeffe qu'il a
faite dans fon avertiſſement de ne point
s'écarter de cette fidélité qui fait le premier
ornement de l'hiſtoire .
:
1
Manuel deMorale , dédié à Monſeigneur
le Comte d'Arrois . A Paris , chez Ed-
P
α
AVRIL. 1772. 75
me , libraire , rue St Jean- de-Beauvais;
in 12. petit format , 1772 ; prix , 2 liv .
relié.
Ce livre eſt moins l'ouvrage de l'auteur
, comme il ledit lui- même , que celui
d'une multitude d'écrivains célèbres
dont il a recueilli les penſées & les maximes.
Mais c'eſt un mérite que d'avoir
fait un choix aufli heureux , & qui par la
variété des matières forme un cours de
philoſophie morale : philoſophie fans pédanterie
, ſans verbiage , ſans ſéchereſſe ,
où les préceptes ne font point noyés dans
un déluge de paroles , mais où tout eſt
ſubſtantiel , où chaque ligne , pour ainſi
dire , offre une leçon intéreſſante. Il eſt à
ſouhaiter, dit l'approbateur, M. Riballier,
que les perſonnes chargées de l'éducation
de la jeuneſſe mettent ce livre entre les
mains de leurs élèves , & ſuivent le plan
que l'auteur a tracé dans ſa préface. Nous
croyons ce plan très ſage en effet ; & peutêtre
, s'il étoit généralement& conftamment
ſuivi , en réſulteroit- il une heureuſe
révolution dans les moeurs.
Théâtre lyrique de M. de la J. 2 vol. in-
8°. , chacun de près de 400 pages. A
:
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
{
:
Paris , chez Barbou , rue des Mathu
rins ; V. Ducheſne , rue St Jacques , &
Jombert fils , rue Dauphine ; prix , 9 l.
de l'imprimerie de Barbou .
-11
Ce recueil , bien imprimé en beau papier
, contient un eſſai ſur l'opéra , huit
opéra précédés chacun d'un avant- propos
&des lettres critiques ſur quelques ouvrages
qui ont paru dernièrement, & qui
traitoient de la muſique &de l'imitation
desarts.
Cet eſſai fur l'opéra eſt diviſé en cinq
parties , qui ont pour objet la poëfie , la
muſique , l'art du chant & de la déclamation
, la danſe , les machines & tout ce
qui a rapport à la magnificence du ſpectacle.
Avant d'entrer en matière , l'auteur
examine les cauſes des foibles progrès de
l'opéra ; & il termine fon traité par des
réflexions morales & politiques ſur les
ſpectacles , fur les arts & fur leurs relations
avec les moeurs .
Les poëmes ont pour titres : Amphitrion,
balle-t héroï- comique entrois actes.
Antiope , ballet héroïque en trois actes,
précédé d'un prologue .
Alexandre & Thalestris , ballet héroïque
en trois actes.
Le Siège de Tyr, tragédie en cinq actes .
AVRIL. 1772 . 77
Scamandre , pastorale héroïque, en quatre
actes , précédée d'un prologue .
Maffitie , ou la fondation de Marſeille,
opéra en cinq actes .
Théſée , opéra en trois actes .
Sapho , opéra en trois actes .
Ces huit poëmes ſont précédés d'avantpropos
, dans leſquels l'auteur a traité différens
points de mythologie & d'hiſtoire ,
qu'il a ſemés de pluſieurs traits de morale
&de critique.
Les lettres qui terminent ce recueil
font écrites par l'auteur à ſon éditeur , en
réponſe aux ſollicitations que celui- ci lui
faifoit , pour l'engager à entreprendre la
critique du traité du Mélodrame & de
deux petits traités ſur l'imitation des arts,
qui ont paru dans les Mercures de Septembre
&de Novemb.de l'année dernière.
L'éditeur a inféré ces lettres dans le recueil
, pour fuppléer à la critique qu'il
demandoit .
L'auteur , dans ſa préface , s'annonce
comme un amateur qui ne s'eſt d'abord
livré à la compoſition des opéra que par
délaſſement , & que l'amour des arts a
tellement échauffé peu à peu qu'il a completté
ce recueil & s'eſt déterminé à le
donner au Public , fans autre motif que
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
celui de ſe rendre utile au ſpectacle de
l'opéra .
Annales de la ville de Toulouſe , dédiées à
Monſeigneur le Dauphin.A Paris chez
la veuve Duchefne rue Saint Jacques ,
au Temple duGoût , ſecond volume
in-4 .
Nous avons déja rendu compte du
premier volume de cet ouvrage intéreſfant
pour le Languedoc. Le ſecond volume
ajoute à l'idée que le public s'en
eft formée. Les termes mêmes de l'hiftorien
feront connoître quel plan il a
adopté . Nous avons cru que rien n'é-
>> toit plus rebutant pour des amateurs
>>éclairésque de lire ſous chaque année
>> ſeulement quelques phraſes peu liées
avec celles qui tiendroient à l'année
>>précédente , auxquelles ſeroient ajou-
>>tés les noms des Capitouls. Cette mo-
>> notonie fatigante , cette nomenclature
>>>continuelle , cette interruption des ma-
>> tières ſuffiroient ſeules à rebutermême
>> les perfonnes les plus avides de s'inf-
>>truire. Un plan bien différent nous a
>>paruremplir dignement les devoirs que
>>>nous impoſe cette entrepriſe. Nous
>> avons diviſé notre travail par chaque
AVRIL. 1772. 79
رد
«regne. Pour ne point interrompre la
>> narration , nous avons mis à la fin de
>> chacun d'eux la litte des capitouls.Cha-
>>que année étant notée à la marge & à
>>la tête de chaque élection , on connoî-
>>tra par les dates ſous leſquels de ces
>> magiſtrats un évènement s'eſt pallé...
L'hiſtorien a bien ſenti que l'hiſtoire
d'une feule ville pouvoit paroître à bien
des lecteurs un travail preſqu'inutile, puifqu'à
peine les faits principaux y ferojent
eſquillés , & en ſuivant ſon ſyſtême , il
defire toujours qu'elle ſerve à former les
moeurs.
Pour donner une idée de ce ſecond
volume , nous nous contenterons de citet
le chapitre dans lequel il s'agit des
Etats Généraux tenus ſous Philippe le
Bel. Voici comme l'auteur en parle. »Tou-
>> tes les affaires majeures de la monar-
>>chie ſe traitoient,dans ſon origine,dans
>>les aſſemblées genérales des Francs;
» c'eſt à dire , que tout ce qui n'étoit
>>point compris dans les ſujets du roi
>>nommés Leudes , Vaſſali Nobiliores
» & depuis Fidèles n'étant preſque
>>comptés pour rien , parce qu'il rampoit
>>dans la plus triſte ſervitude , ces allem-
>>blées n'étoient , en effet , compofées
,
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
>>que de grands. Pepin, premier Roide
>>la ſeconde race , tranſporta au mois de
>>Mai cette affemblée générale des Francs,
>> proprement dits , parce que ce mois
>> étoit plus agréable que celui de Mars ,
>> tems auquel elle ſe tenoit auparavant.
>>Plus on examine les monumens qui en
>>font reſtés depuis Charlemagne , &
>>plus on voit qu'on n'admettoit dans
> ces Parlemens que les principaux de
>>l'ordre laïque &eccléſiaſtique . Les évê-
>>ques & les hauts barons fiégeoient ainfi
>> deux fois par an , & jamais plus fou-
>>vent. Ces placites auguſtes ne peuvent
>>être mieux repréſentés qu'en citant un
>>capitulaire de Louis leDébonnaire ; peu
>>de paſſages renferment des vérités auffi
fublimes. Après avoir parlé de fes de-
>> firs ſur l'heureuſe manutention desloix,
>>ceroi empereur ajoute : Quoique cette
>> plénitude de miniſtère paroiſſe réſider
>> en entier dans notre perfonne , cepen-
>>dant il eſt de notoriété publique que
>>tant par l'autorité divine que par celle
>> des hommes , ce ministère eſt divifé
>>de manière que chacun de vous eft con-
>> nu pour partager avec nous ce même
>> miniſtère , bienque nôtre , ſuivant fon
>> rang& fa place. Par-là il eſt évident
AVRIL. , 1772 . 81I
>>que je dois être pour chacun de vous
>>unbon conſeiller , & que vous devez à
>> votre tour être mes coadjuteurs. Auſſi
>>n'ignorant pas quel devoir chacun de
>> vous doit remplir ſelon la partie d'ad-
>> miniſtration qui lui eſt confiée ,nous ne
> devons point négliger de donner en
>>conféquence à chacun de vous les avis
>> dont il a beſoin , felon ſon rang.
>>Jamais prince n'a pu établir par des ex-
> preſſions plus déciſives& plus touchan-
>> tes les devoirs réciproques &du chefde
>> la nation & de ceux qui , revêtus d'une
>>portion de ſon autorité, font chargés de
>> gouverner les peuples en fon nom..
>>Ce ne fut qu'au temps de Louis le
>> Gros , depuis 1108 juſqu'en 1137 que
❤ ce que l'on nomme aujourd'hui le
>>Tiers-Etat commença à être compté
>> pour quelque choſe , nous ne difons
"pas dans l'adminiſtration , mais même
>> dans l'état. L'établiſſement des com-
>> munes étoit à fon aurore fous ce regne,
» & ce fut fous Louis le jeune ſon fils
" qu'elle éclaira d'un nouveau jour ces
>>>milliers d'êtres plus ranıpans , plus
>> malheureux que les bètes fauves, &qui
>>juſqu'alors avoient eu les fatigues des
•bêtes de charge ſans en avoir les dé
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
>> dommagemens. Alors les arts nâqui-
>> rent du commerce ; ce père commun
>> des nations qu'on ne peut trop célé-
>> brer , & qui par ſa vigueur ou par ſa
>> foibleſſe eſt le pouls d'après lequel on
>> peut juger l'état de toute nation , & fes
>>forces ou ſes maladies ſecrettes ; alors
>> la tyrannie des Seigneurs particuliers
>>fut réprimée par ces communes , qui ,
>> marchant chacunes ſous leurs drapeaux
>> particuliers , formoient autant de corps
>> armés pour la libertédu citoyen & pour
→ la grandeur du prince. Les grands vaf-
>> faux oppoſant à la politique de Louis
» VIII, de Philippe Auguste & de Louis
>> IX, une politique égale , formèrent à
>> leur tour des communes dans les terres
>>qui leur appartenoient ,& delà l'origine
>> de l'arrière-ban , convoqué enſuite par
>> les Rois dans des temps d'infortunes/
>>Enfin la rédaction des communes en
>>corps bien diſtincts & bien établis , ne
>>fut conſommée que ſousPhilippe le Bel.
>>Ainſi pendant les huit ouneuf premiers
>>fiécles de la Monarchie Françoiſe , le
>>peuple ne fut point compris dans l'af-
>>ſemblée générale nommée Parlement.
>>On n'y voyoit point des hommes re-
>>préſentans tous les ordres de citoyens
1
AVRIL. 1772 . 83
>> ſoumis au roi . Enfin dans les guerres de
>>> la Flandre , ſi longues , ſi ruineuſes
>> pour la France , Enguerrand de Mari-
>>gny conſeilla à Philippe-le Bel d'af-
>>ſembler les états généraux ; & comme
>>les peuples avoient été accablés par les
>>impôrs, &que leurs murmures faifoient
>>craindre les plus grands defordres , on
>> ſentit que ce même peuple , ſi difficile
>>à manier , deviendroit auſſi ſoumis que
>>libéral , dès que le Prince paroiffant re-
> mettre toute ſa confiance en lui , l'ad-
>>mettroit dans un conſeil où l'on pique-
>> roit ſa généroſité. Ce qu'on avoit prévu
arriva . L'honneur de voter dans cette
>>aſſemblée repréſentative de la nation ,
>>parut une marque de confiance de la
>> part du Prince , trop glorieuse pour n'y
ود pas répondre par นก procédé ſemblable.
>> On donna de l'argent en échange de cet
>>>honneur nouveau. Mais dès- lors tout
>> changea. Juſqu'à ce tems , quelques
>>légers impôts avoient été payés par les
>>citoyens. Depuis que le roturier eût
>> donné ſa voix dans la tenue des états ,
>> il eut la liberté de préſenter des cahiers
>>dictés par le patriotiſme , où il renfer-
>>>moit des objets de réforme , des plans
>> d'éonomie. On admira , ou l'on feignit
-
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE,
>> d'admirer ; mais il paya tou ours à
>> compte : de forte qu'échappé à la tyran-
> nie du petitdeſpote qui l'attachoit à la
>>glebe , il ſe trouva confondu dans la
>>maſſe générale , feul chargé du faix des
<<travaux & des redevances publics ; enfin
>>plus honoré , plus riche , mais mis à
>>contribution en raiſon de ces honneurs ,
>> de ſon induſtrie & de ſes acquifitions.
>> Alors le nom de Parlement ne fut plus
>> donné à ces aſſemblées. Il paffa aux
>> corps établis pour juger les affaires par-
>>ticulières des citoyens ; alors les affem-
>> blées générales elles - mêmes ne furent
>> plus ces placites où la légiflation fondamentale
du royaume étoit exercée avec
>> autant d'étendue que de vigueur. On
» n'y traita plus ni de la paix , ni de la
> guerre, ni des alliances avec les Puiffan-
>> ces étrangères ; objets ſi importans , &
» qui entraînant par les dépenses qu'ils
>> exigent le reſte des opérations du Mi-
>>>niſtère , auroient dû refter liés aux dé-
>> libérations des Etats Généraux.Ces af-
>> ſemblées , fi dégénérées de ce qu'elles
>>>avoient été, furent bornées à difcuter la
>>> levée des ſubſides , la manière de les
>> percevoir ; c'eſt à dire , qu'au lieu de
>>délibérer fur les caufes , on ne traita
AVRIL. 83 1772 .
que des effets ; & qu'au lieu de voter
>>pour empêcher le mal , ou pour faire
>> naître le bien, on ne ſe raffembla que
>>pour trouver les moyens de faire du
>> mal le moins fortement qu'il feroit
>>>poffible ; car ce n'étoit pas même tou-
>> jours le plus foiblement potlible.
» Il réſulte de cès obſervations, que les
>>premiers Parlemens & les Etats-Géné-
>> raux n'ont jamais été la même choſe ,
»& n'ont jamais traité les mêmes objets .
>>>Nous remarquerons ſeulement ici qu'il
> eſt bien fingulier que le judicieux Paf-
» quier , en parlant du Tiers - Etat , dit ,
» que lorſqu'on eût décidé de l'admettre
>> aux Etats-Généraux, il ne fut ainfi nom-
» mé que pour reblandir d'un nom plus
» doux & moins bas , celui de Peuple .
>> Comment ce mot Peuple pent il n'être
>> ni doux ni noble ? Il eût fallu deman-
>> der aux Athéniens , quel nom étoit plus
>> digne d'être honoré & chéri. Quoi !
>> cette partie du monde , qui meurt, qui
>> combat & travaille pour ſes chefs ; ces
>> citoyens dont les ſueurs arroſent nos
> fillons & fertiliſent nos champs ; ces
>> artiſans qui préviennent nos beſoins ,
>> qui triomphent pour nous des ſaiſons ,
>>des tems , de la nature ; enfin ces hom
36 MERCURE DE FRANCE.
>> mes laborieux par état , compatiſſans
>> par penchant , utiles par inſtinct , éton.
>> nans par génie , le Peuple enfin , on
> croiroit ne rien nommer que de bas en
> en parlant : Malheur à ceux qui n'ont
>> point dans l'ame la ſenſibilité qui le
>> fait aimer.
Un des ſujets le plus détaillé de ce
volume eſt l'inſtitution des Jeux floraux.
L'auteur annonce les obligations qu'il a
contractées avec M. de Ponfau , l'un des
Quarante de cette Académie , par les recherches
curieuſes que cet académicien a
communiquées.
M. de Rozoi a joint à l'hiſtoire de Toulouſe
des notes hiſtoriques & généalogiques.
Il invite toutes les perſonnes qui
ont des mémoires ou des anecdotes analogues
à fon ouvrage , & dignes d'intéreſſer
ſes lecteurs , de vouloir bien les lui
communiquer ; &pour répondre aux vues
des perſonnesqui n'ont point encore foufcrit
, & qui deſirent ſe procurer ces annales
, on a prolongé laſouſcriptionjusqu'à
la livraiſon du troiſième volume.
Les Odes pythiques de Pindare , traduites
avec des remarques par M. Chabanon,
de l'académie royale des inſcriptions
AVRIL. 1772 . 87
&belles - lettres , & de l'académie de
Lyon . A Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriſtine près la rue Dauphine,
1772 ; in 8 °. broché , s liv.
Cette édition eſt remarquable par la
beauté de l'impreſſion & du papier. Le
texte grec eft imprimé avec le plus grand
ſoin à côté de la traduction qui eſt en
même tems littérale & facile. Chaque
ode eſt précédée d'un argument qui en
prépare l'intelligence , & ſuivie de notes
qui donnent l'explication des endroits
difficiles , & qui en font connoître les
principales alluſions ou imitations. Un
difcours préliminaire ſert d'introduction
à la lecture de Pindare , & en général à
celle des poëtes lyriques.Nous ferons connoître
plus particulièrement ce bon ouvrage
dans le Mercure prochain.
Differtation fur l'origine de la ville de
Dijon &fur les antiquités découvertes
fous les murs bátis par Aurélien A Dijon
, chez Fantin . 1
Le nom de la ville de Dijon eſt Celtique
, ſuivant pluſieurs ſavans & fignifie
Fontaines par alluſion aux ſources nombreuſes
qui defcendent des côteaux voi88
MERCURE DE FRANCE.
ſins . Un vers d'Anfone ſemble démontrer
cette étimologie :
Divona , Celtarum linguâ fons.
L'auteur de cette differtation propoſe
une autre conjecture. Divio , autre_mot
celtique ſignifie choix , préférence , &
Dijon eft en effet , dans ſon origine , un
pofte choiſi par Céfar pour former un de
ces camps que les Romains appelloient
Stativa . Il en fit une place d'armes & un
dépôt de légions pour contenir les peuples
de Langres & d'Autun ,les Séquanois
&les Helvétiens .
,
Quoiqu'il en ſoit de ces étimologies
auxquelles on peut en ſubſtituer d'autres
, ( 1 ) l'auteur de cette differtation
après avoir cherché l'origine de Dijon ,
parcourt rapidement ſon hiſtoire depuis
Céfar juſqu'au tems où elle est devenue
une capitale opulente & la patrie de pluſieurs
hommes de génie. ( 2)
( 1) Divio ne ſeroit - il pas une corruption de
Divifio ? Dijon eſt le point de partage où les eaux
de cette province ſe ſéparent pour couler les unes
dans l'Océan , les autres dans la Méditerranée.
Ce fait étoit connu des Romains .
(2) Boffuet , Crébillon , M. de Buffon , Ra
meau ,&c.
AVRIL. 1772 . 89
Il ſe forma une ville autour du camp
de Célar. Marc- Aurèle l'embellit. Les
Marcomans & les Quades la ruinèrent
dansleurs irruptions ; Aurelien la rebâtir.
Lesmonumens dont elle étoitornée avant
l'irruption des Barbares devinrent des
matériaux pour élever les nouveaux murs ,
&on les retrouve encore fous ces fondations
que le tems &les Barbares n'ont pu
détruire.
Dans la difette entière des fecours pour
l'hiſtoire des Gaulois , c'eſt une foible
reſſource que des bas-reliefs très dégra
dés , des inſcriptions fauſſes , des repréſentations
, tantôt de Gaulois & de Druides
, tantôt de Romains , le mêlange des
arts groffiers des Gaulois avec les arts imparfaits
d'une colonie romaine peu opulente
.
L'Antiquaire Dijonnois confidère chacun
de ces monumens , & en tire tout le
parti qu'on peut attendre du zèle d'un citoyen&
de la ſagacité d'ur hommed'eſprit.
On doit applaudir à ſes talens , à fesintentions
& à la tournure philofophique qu'il
donne à ſes ſavantes recherches .
En parcourant fon ouvrage on trouvera
des diſcuſſions intéreſſantes fur les Druides
, fur la décadence des arts au déclin
de l'Empire & quant aux monumens qu'il
9. MERCURE DE FRANCE.
araſſemblés,les plus eſtimables ſont quelques
ornemens d'architecture d'un deſſin
riche & élégant. Toutes les figures font
drapées , même un Apollon que l'on voit
à la planche XXI , avec cetre inſcription,
àMithras , père des étres. On fait que
Mithras , le Soleil , Apollon ſont la même
divinité. Le culte de Mithras avoit
paffé dans les Gaules , & les Gaulois y
avoient ajouté les idées des Grecs & des
Romains fur Apollon. On pourroit attaquer
quelques-unes des explications que
donne l'ingénieux Antiquaire. Mais la
plupart paroiſſent fondées , & fontdédui .
tes fans cet eſprit de pédanterie qui accompagne
trop ſouvent l'érudition .
Galerie Françoise. A Paris , chez Hériffant
fils , libraire , rue des Foſſés M. le
Prince ; in fol. avec gravures , V. ca
hier.
Cette ſuite intéreſſante des portraits &
de l'hiſtoire des Hommes célèbres qui ont
fait honneur à ce fiécle & à la Nation
Françoiſe , ſe continue avec ſuccès & avec
rapidité Le numéro V , ou le cinquième
cahier de cette belle collection contient
les portraits &les tableaux hiſtoriques du
Maréchal de Belle Isle , célèbre miniſtre
AVRIL. 1772 . 91
&habile guerrier ; de Lorry , ſavant profeffeur
en droit; de Crébillon , l'un des
premiers poëtes tragiques avoués par le
génie ; de Boucher , premier peintre du
Roi ,& le peintre desGraces;de Panard,
que la gaîté& la facilité de ſon eſprit &
de ſa poëfie ont fait ſur nommer le Père du
Vaudeville François. Cet ouvrage nous
paroît mériter de plus en plus l'eſtime &
la confiance du Public. La gravure des
portraits de ce Ve. cahier eſt traitée avec
beaucoup de foin & de talens par MM .
Mellini , Ingouf le jeune , Moitte , Miger
; & l'hiſtoire des hommes qui y font
célèbrés eſt remplie de traits de caractères&
d'anecdotes intéreſſantes qui peignent
leur ame & leur génie.
Lettres de M. le Chevalier de Boufflers pendant
ſon voyage en Suiffe , à Madame
Sa mère..... En Suisse 1772 , 26 pages.
Nous ignoronspar quelle voie les neuf
Lettres qui compoſent cette brochure trop
courte font parvenues à l'impreſſion ;mais
c'eſt undes dons les plus agréables qu'on
ait faits depuis long-tems au public. C'eſt
quelquefois la gaîtédu comte de Grammont
, c'eſt ailleurs le naturel & l'eſprit
de Madame de Sévigné , & par-tout c'eſt
92 MERCURE DE FRANCE.
l'ouvrage d'une imagination vive & enjouée.
Il eſt peu de lecteurs qui ne ſentent
quelque peine,en liſant ces Lettres ,
de voir qu'ils arriventtrop tôt à leur fin
&qui ne faffent des voeux pour que leur
ingénieux auteur voie encore divulguer
quelques unes de ſes correſpondances .
...
Le tableau qu'il fait de la Suiſſe dans
ſa ſeconde Lettre eſt plein de philofophie
&de gaîré. Ce peuple- ci, dit- il , me repré-
Sente les anciens gaulois. Il en a lasta.
ture , la force, le courage , lafierté , la douceur
& la liberté..... Les hommes y sèment
poureux , & ne recueillent pas pour d'autres.
Les payfansfont grands & forts ,
les paysannes font fortes & belles. Je remarque
que par tout oùily a de grandshommes
, il y a de belles femmes ,ſoit que les
climats les produisent , foit qu'elles viennent
les chercher ; ce qui ne seroit pas décent.
Cette nation- ci ne s'amuse guère , mais
ellejouit beaucoup ..... Les loix des Suif-
Sesfont auftères , mais ils ont le plaifir de
les faire eux-mêmes , & celui qu'on pend
poury avoir manqué , a le plaifir deſe voir
obéir par le bourreau.
La troiſiéme Lettre confirme ce que le
philoſophe gênevois nous avoit appris de
lafimplicité des moeurs de la ville de
AVRIL. 1772 . 93
Vévay. L'âge d'or dure encore pour ces
gens là , dit M. le Chevalier ; cen'estpas
lapeine d'être grand Seigneur pour se pré .
fenter chezeux; ilſuffit d'être homme. L'humanué
eft pource bonpeuple- ci,tout ce que la
parentéferoitpour un autre. Tablean char.
mant , & qui peut le diſputer à celui de
Tilluſtre ami de Scipion & de Lælius,
• • • . . Vel vicinitas
Quod ego in propinquâ parte amicitiæ puto.
Cette Lettre où M. le Chevalier de B.
conte avecgrace une.aventure qu'il a eue
à Vévay dans la qualité de peintre qu'il
avoit priſe pour s'amuſer , ſe termine de
la façon la plus plaifante & la moins attendue.
Mettez-moi aux pieds du Roi (Staniſlas)
contez-lui mes folies & annoncezlui
une de mes Lettres où je voudrois bien
lui manquer de reſpect afin de ne le pas ennuyer.
Les princes ont plus besoin d'être
divertis qu'adorés....
Me voilà dans les Alpes juſqu'au cou ,
dit- il dans ſa quatriéme Lettre , ily a des
endroits ici oùun enrhumé peut cracher à
fon choix dans l'Océan ou dans la Médi
téranée. Où est l'abbé P..... , queje le place
lui&fa perruqueſur le ſommet chauve des
94
MERCURE DE FRANCE.
Alpes , & quefa calotte devienne pour la
première fois le point le plus élevé de la
terre.
Une converſation de cinq heures qu'il
a eue avec le célèbre Haller en préſence
de dix ou douze témoins étonnés d'entendre
raiſonner un françois , l'a pénétré
d'eſtime pour ce philoſophe poëte , qu'il
ne trouve cependant point aſſez jaloux de
Voltaire. Malgré les applaudiſſemens
que lui a mérités fon entretien avec le
chantre fublime des Alpes , il eſt loin de
ſe croire ſon égal. J'ai vú , dit- il , que pour
parvenir à une certaineſupériorité , les li.
vres valent mieux que les chevaux.
On trouve dans la cinquiéme Lettre
quelques impromptus , dont la facilitéde
l'auteur pour tout ce qu'il veut faire eſt
le principal mérite. Il y annonce qu'il eſt
prêt d'arriver à Ferney d'où M. de Voltaire
lui a écrit une lettre charmante.
Vous avez mieux pris votre tems pour le
voir , dit- il à Madame ſa mère ; mais on
boit le vin de Tokaijuſqu'à la lie.
La ſixiéme Lettre eſt datéede Ferney ,
& voici comme il peint cet homme étonnant
, qu'inſulte quelquefois la médiocrité
chagrine , & qu'on commence , au
)
AVRIL. 1772 . 25
moins trop tard , à ne plus reſpecter affez.
Vous ne pouvez , dit - il , vous faire
d'idéede la dépense &du bien qu'il fait. Il
est le roi &lepère dupays qu'il habite. Il
fait le bonheur de ce qui l'entoure , & il
eft auſſi bon père defamille que bon poëte.
Si on le partageoit en deux , & queje viſſe
d'un côté l'homme que j'ai lu , &de l'autre
celui quej'entends , je ne sçais auquelje
courrois .
Cequ'il ya deplusjoli à Genève , dit
M. Je Chevalier de B..... dans ſa ſeptiéme
Lettre , cefont lesfemmes ; elles s'ennuient
comme des mortes , mais elles mériteroient
bien de s'amuser. Il fait à cette oc
cafion une remarque aſſez fingulière, c'eſt
que moins on eſt libre & mieux on aime
les femmes . Les Suiſſes s'en ſervent
moins que les François , & les Turcs
plus que ces derniers. Cette réfléxion lui
artache le quatrain ſuivant :
Vous dont l'empire eſt la beauté ,
Sexe charmant,je plains le Suiſſe qui vous brave,
Dequoi peut lui ſervir ſa triſte liberté ?
Si le Ciel vous deſtine à conſoler l'eſclave.
Il revient encore dans lahuitiéme Lettre
à l'éloge de M. de Voltaire. Il est ve
96 MERCURE DE FRANCE.
nu chez lui un Anglois , dit-il , qui nefe
laſſe point de l'entendre parlerAnglois , &
réciter tous les Poëmes de Dryden ..... Cet
homme là , ajoûte- t- il , est trop grand pour
'être contenu dans les limites defon pays.
C'est un préſent que la nature a fait à toute
la terre. Il a le don des Langues & des
in folio ; car on nefait pas comment il
a eu le temps d'apprendre les unes & de lire
les autres.
:
Onretrouvera dans la neuvième Lettre
les jolis vers que M. de B.... adreſſe àM.
deVoltaire & qu'on a lus avec plaifir dans
un des Almanachs des Muſes , ainſi que
l'ingénieuſe réponſe que fit M. de Voltaire
àces vers .
Nous le dirons encore , quand M. le
Chevalier de B..... murmureroit de l'infidélité
qu'on a pû lui faire en lui dérobant
ce petit recueil , de public ne pourra
que s'en féliciter , & en defirer un plus
conſidérable.
Le Diable amoureux , nouvelle espagnole.
A Naples 1772 , in 8º 144 pages avec
figures .
-C'eſt une opinion établie parmi nous
qu'on ne fait bien conftruire un ouvra
ge
AVRIL. 1772. 97
ge qu'en France , & cela ne prouve pas
qu'ils y ſoient toujours excellens ; mais
il réſulte de cet art , pour être un peu
méchanique , que preſque tous nos tableaux
modernes ſe reſſemblent pour le
faire.
Une Tragédie , un roman , un conte,
une comédie ont en général un air de famille
avec tel ouvrage du même genre
qui les a précédés , & impoferont aux
productions qui les ſuivront , àpeu près
la même phiſionomie.
,
Les exceptions à cette obſervation ſont
trop rares. Cependant il s'en rencontre
de tems à autre & l'imagination de
quelques écrivains moins fufceptibles de
la fervile imitation , jette dans un moule
nouveau les ouvrages que'lle aime à
créer.
Telle eſt celle de l'auteur du Diable
amoureux , déja connu par le joli poëme
enproſe d'Olivier , & par le Roman fingulier
du Lord Impromptu.
Le but moral de ce dernier ouvrage
que nous annonçons ( car il en a un malgré
fon apparente frivolité ) eſt d'armer
la force de nos principes contre la ſéduction
de nos penchans. Voici ſous quelle
enveloppe & ſous quel badinage l'auteur
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE
nousdonne cette utile leçon.Alvare,jeune
Eſpagnol impétueux & peu prudent , exige
de fon ami Soberano grand cabaliſte ,
de lui faire voir des eſprits. Il n'eſt intimidé
par aucun des dangers dont le me
nace ſon ami , & il eſt homme , dit- il ,
à tirer les oreilles au grand diable d'en .
fer.
Soberano ſe laiſſe vaincre & conduit
Alvare dans un ſouterrein où ſa curiofité
folle doit être fatisfaite. Dès que ce dernier
s'eſt placé dans le cercle magique , &
qu'il a prononcé la formule évocatoire
une fenêtre s'ouvre , il en fort un torrent
de lumière au milieu de laquelle paroît
une horrible tête de chameau qui , d'une
voix effrayante , lui demande ce qu'il
veut,
Alvare tremblant ſe rassûre ; il ofe
fixer le monſtre & lui ordonner de paroître
ſous la figure d'un eſpagnol . Il eſt
obéï , & pour tenir la parole qu'il avoit
donnée à Subérano , il tire les oreilles de
l'animal , qui le lêche , & auquel il demande
impérieuſement une collation
pour ſes amis. J'obéïrai , dit l'eſpagnol ;
mais fous quelle condition ? Sous celle
d'obéir , répond Alvare avec fermeté ,
*& auſſitôt le ſouterrein ſe change en un
AVRIL. 1772. 99
.
ſalon ſuperbe . Les préparatifs de la fête
- la plus galante & la plus riche ſe préſentent
aux yeux d'Alvare , qui dit à ſon efpagnolde
ſe transformer en page , & d'a :
vertir ſes amisqu'on les attend.
Ils arrivent ; ils s'étonnent ; on admire
; on cauſe , on boit. Biendetto , dir
Alvare à ſon page , lafignora Fiorentina
m'apromis de venir, voyezfielle n'estpoint
arrivée.
On annonce la cantatrice avec ſa har
pe. Nouvel enchantement. On n'a pas
plus de gofier , pas plus d'ame & pas plus
d'expreffion. On nesçauroit rendreplus, en
changeant moins.
Alvare lui-même eſt ému juſqu'à oublier
qu'il eſt le créateur du charme qui
le ravit.
On va'ſe ſéparer.Un équipage commo
de ſe préſente&l'eſpagnol commence à
réfléchir ſur tout ce qui lui eſt arrivé,& fur
ſon indiſcrette curioſité ; mais élevé par
ungentilhomme ſans reproche & par la
plus reſpectable mère de l'Extramadure ;
il ſe flatte de ſe rendre digne d'eux .
Arrivé dant ſa chambre , Biendetto ne
l'a point quitté ; il veut le renvoyer ,
mais le page eſt une femelle adroite &
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
intéreſſante qui obtient de coucher dans
fa chambre .
Alvare ne dort point ; il a le portrait
du page attaché aux quatre colonnes de
fon lit ; il s'efforce en vain de ſe rappeller
ſon origine ; le chant mélodieux de
la Signora Fiorentina , fait oublier le vilain
dromadaire.
Nous ne ſuivrons point exactement les
différens évènemens de cette nouvelle ,
&nous nous contenterens de dire que le
jeune eſpagnol une fois engagé avec l'efprit,
& toujours entouré de toutes les
illufions qui nous font perdre de vue nos
devoirs , ne reprend la route des fiens
qu'avec beaucoup de peine ..... Vous aviez
provoqué l'esprit malin , lui dit ſa mère ,
il s'eft préfenté comme une groſſe vilaine
bête , vous avezjugé à propos de lui donner
unetournure , de l'esprit& des graces...
Votrefolie n'est comparable par fon excès
qu'à celui du bonheur qui vous a délivré
des fuites de vos égaremens. C'est une leçon
pour lafuite quand votre ennemife reproduira
, car il n'estpas àfon dernier mafque;
congédiez le brusquement , &fur tout
n'allezjamais le chercher dans les grottes .
C'eſt par ce înotde l'énigme que ſe termine
cette bagatelle ingénieuſe & gaie ,
précédée d'une préface très plaiſante , &
AVRIL. 1772. 101
ornée de figures qui , quoique de nos
meilleurs maîtres , peuvent paroître à
des yeux peu connoiſſeurs, des caricatures
du plus mauvais goût .
* De la Poësie lyrique ou de l'Ode chez
les Anciens & les Modernes.
On convient que l'ode étoit chantée chez
les Anciens. Le mot d'ode lui -même , ωδη ,
fignifie chant. Je ne prétends point m'enfoncer
dans des diſcuſſions protondes ſur la lyre des
Grecs & celle des Latins; ſur l'accord de la mufique,
de la daníe &de la poësie chez ces peuples;
fur la ſtrophe , l'antistrophe & l'épode , qui marquoient
les mouvemens dont le choeur devoit accompagner
celui qui pinçoit l'inſtrument appellé
Φορμινέ , cithara , testudo , barbiton , &c. fur la
meſure des vers lyriques grecs , fur cette coutume
d'enjamber d'une ſtrophe à l'autre , de maniè
re qu'un ſens commencé dans la première ne fini
ſoit que dans la ſeconde ou dans la troiſième ;
ſur la poſſibilité d'accorder ces ſuſpenſions de
ſens avec les phraſes muſicales & les mouvemens
desdanſeurs,&c.Toutes ces difficultés ont fouvent
exercé les ſavans , &pluſieurs ne font pas encore
éclaircies . Je me repréſente l'hiſtoire des arts chez
les Anciens , comme un pays immenſe ſemé de
monumens & de ruines , de chefs - d'oeuvre & de
débris. Nous avons mis notre gloire à imiter les
uns & à étudier les autres. Mais le génte a été
plus loin que l'érudition , & il eſt plus für que
l'Iphigénie de Racine eſt au-deſſus de celle d'Eu-
* Article de M. de la Harpe.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ripide qu'il n'eſt fûr que nous ayons bien com
pris la combinaiſon & les procédés de tous les
arts qui concouroient chez les Grecs pour la repréſentation
d'Iphigénie.
D'ailleurs les Anciens n'ont rien fait pour nous
conſerver une tradition exacte de leurs connoiffances
& de leurs progrès ; ils n'ont point pris de
précautions contre le tems& la barbarie. Il ſembloit
qu'ils ne redoutaſſent ni l'un ni l'autre , &
peut- être l'on doit pardonner à ces peuples qui
jouèrent long-tems dans le monde un rôle fi brillant
d'avoir été trompés juſqu'à un certain point
par le fentiment de leur gloire& de leur immortalité.
Les différences dans les moeurs , dans la religion
, dans le gouvernement , dans la langue ,
ont dû néceflairement en amener aufi dans les
arts que nous avons imités , & qui ont pris
fous nos mans de nouvelles formes. Ainſi les
mêmes mots n'ont plus ſignifié les mêmes choſes.
Nous avons continué d'appeller une action dialoguée
ſur la ſcène , tragédie , chant du bouc
quoique nos tragédies ne ſoient plus chantées &
que l'auteur du Siége de Calais ait reçu , au lieu
d'un bouc , une belle médaille d'or , ce qui, n'en
déplaiſe aux Grecs , me paroît valoir beaucoup
mieux. Ainſi nous avons des odes , quoique nos
odes ne foient point des chants , & ces odes ont
des ſtrophes (des conversions ) quoiqu'on n'ait
encore jamais imaginé de mettre l'ode à la Fortune
enballet.
Tout ce que je me propoſe ici , c'eſt de me rendre
compte à moi-même des différences que j'ai
cru remarquer entre les odes , les chants des Anciens
, & les vers que l'on nomme parmi nous
odes , qui ne font point chantés , &qui ſouvent
même ne ſont pas lus.
AVRIL. 1772 . 103
Un chant m'offre en général l'idée d'une inſpia
ration ſoudaine , d'un mouvement qui ébranle
notre ame , d'un ſentiment qui a beſoin de ſe
produire au-dehors. Il ſemble que rien de ce qui
eſt médité , réfléchi , rien de ce qui ſuppoſe l'opé
ration tranquille de l'entendement, n'appartienne
au chant conçu de cette manière. Le chanteur
m'offrira beaucoup plus de ſentimens & d'images
que de raiſonnemens , & parlera bien plus à mes
organes qu'à ma raiſon. Si le ſon de l'inſtrument
qui réſonne ſous ſes doigts , ſi l'impreſſion irréfiſtible
de l'harmonie , ſile plaifir qu'il éprouvé
&qu'il donne vient à remuer plus fortement ſon
ame & ajoute de moment en moment à la première
impulfion qu'il reflentoit , alors il s'élève
juſqu'à l'enthouſiaſme ; les objets paſſent rapidement
devant lui , & les tableaux ſe multiplient
ſous les yeux , comme les accords ſe preflent ſous
fon archet ; ſes chants portent dans les ames le
trouble qui paroît être dans la ſienne ; c'eſt un
oracle, un prophéte , un peëte ; il tranſporte &
il eſt tranſporté ; il ſemble maîtriſé par une
puiflance étrangère qui le fatigue & l'accable; il
halete ſous le dieu qui le remplit ; & ſemblable
àun homme emporté par une courſe rapide , il
ne s'arrête qu'au moment où il eſt délivré du gé
nie qui l'obſédoit.
Ces traits , qui ſont précisément ceux ſous lef
quels les Anciens ſe repréſentoient le poëre lyrique
, ne paroîtront point des exagérations , fi
l'on veutbien ſe ſouvenir que leur poëhe qui par
elle même étoit une eſpèce de muſique vocale ,
ne ſe ſéparoit point de la muſique d'accompagnement
; que l'harmonie produit un enthouſiaſme
réel dans tous les hommes qui ont des organes
ſenſibles , & que Rameau compoſant à ſon clavee
۱
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
cin le monologue de Thélaïre , ou Grétri effayant
fur un piano fortè le quatuor de Lucile ,
étoient précilément dans la méme ivreſſe où l'on
ſuppoſe que doit être le poëte lyrique.
Tel étoit Pindare , du moins s'il en faut croire
Horace. Ecoutons un poëte qui parle d'un
poëte.
Ah ! que jamais morteljaloux du grand Pindare ,
Ne s'expoſe à le ſuivre en ſon vol orgueilleux ;
Sur des aîles de cire élevé dans les Cieux ,
Il retraceroit à nos yeux
L'audace & la chûte d'Icare.
Tel qu'un torrent furieux
Qui , groſſi par les orages ,
Se ſoulève en grondant &couvre les rivages;
Tel ce chantre impérieux ,
Ivre d'enthouſiaſme , ivre de l'harmonie,
Des vaſtes profondeurs de ſon puiſſant génie
Précipite à grand bruit ſes vers impétueux ;
Soit que plein d'un bouillant délire ,
Et de termes nouveaux inventeur admiré ,
Il laiſſe errer ſur ſa lyre
Le bruyant Dithyrambe à Bacchus confacré;
Soit que ſoumis aux loix d'un rithme plus ſévère.
Il chante les immortels ,
Et ces enfans des dieux , vainqueurs de la chimère
,
Et des Centaures cruels ;
Soit qu'aux champs de l'Elide épris d'une autre
gloire;
AVRIL . 105
1772 .
Il ramène triomphans
L'Athlète & le Courſier qu'a choiſis la Victoire ,
Qui mieux que ſur l'airain revivront dans ſes
chants ;
Soit qu'enfin ſur des tons plus doux & plas touchans
,
Il calme les regrets d'une épouſe éplorée ,
Et dérobe à la nuit des temps
D'un fils ou d'un époux la mémoire adorée . &c.
Si quelqu'un , d'après ce portrait , va lire Pindare
ailleurs que dans l'original , il croira qu'Horace
avoit apparemment ſes raiſons pour exalter
ceLyriqueGrec;mais quant à lui il s'accommodera
fort peu de tout ce magnifique appareil de
mythologie qui remplit les odes de Pindare; de ces
digreſſions éternelles qui ſemblent étouffer le ſujet
principal , de ces écarts dont on ne voit ni le but ni
lepoint de réunion. Quelques grandes images qu'il
appercevra çà&là malgré la traduction qui en aura
ôté le coloris , quelques traits de force qui n'auront
pas été tout- à - fait détruits , ne lui paroîtront
pas un mérite ſuffiſant pour lui faire aimer
des ouvrages où d'ailleurs rien ne l'attache. Il
s'ennuyera , il quittera le livre & il aura raiſon ;
mais s'il juge Pindare & contredit Horace ſur cet
te lecture , je crois qu'il aura tort.
Je n'ai jamais bien conçu , je l'avoue , quel
pouvoit être le projet de ceux qui , les premiers ,
ont imaginé de traduire un poëte en profe. Etoitce
pour le faire connoître , pour en donner une
idée ? Mais il arrivoit tout le contraire . Ils le
faifoient méconnoître , ils en donnoientune très
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
fauſle idée . Il eſt facile de le démontrer. Ne convient-
on pas qu'en traduiſant même un profateur
, pourvu qu'il ait du génie , on ſe trouve à
tout moment arrêté par une foule d'expreffions ,
de figures & d'images qui ne pouvant paſſer dans
une autre langue , demandent des équivalens ?
Voilà donc l'auteur original abſolument livré au
traducteur. Le premier perdra plus ou moins felon
que le ſecond aura plus ou moins de talent ;
& la traduction , quelle qu'elle foit , ne peut plus
être qu'une reſſemblance éloignée , puiſque les
traits primitifs auront disparu. Mais combien ces
traits doivent - ils s'effacer davantage , lorſque
non- feulement on fait parler à un écrivain une
langue qui n'étoit pas celle de ſes pentées , mais.
qu'on fait encore defcendre un poëtede toute fa
hauteur & qu'on l'abaifle au langage vulgaire !
mais , dira- t'on , les idées ſeront rendues. Oui ,
vous aurez le fonds de l'ouvrage , vous en aurez
le ſujet ; mais vous n'aurez pas l'exécution , &
c'eſt l'exécution qui fait le poëte. Examinez , je
vous prie , toutes les pertes qu'il doit fubir néceſſairement
dans la meilleure profe. Commençons
par la plus grande de toutes , la plus inappréciable
, la plus douloureuſe pour un vrai poëte,
la perte de l'harmonie. Si vous vous connoiflez
en vers , ne ſentez-vous pas qu'ils font faits
pour parler à vos organes ? Ne ſentez - vous pas
quel charme inexprimable réſulte de cet heureux
arrangement des mots , de ce concours de fons
meſurés , tour à tour lents ou rapides , prolongés
avec mollefle ou briſés avec éclat ; de ces périodes
harmonieuſes qui s'arrondiſſent dans l'oreille;
de cette combinaiſon ſavante du mouvement &.
du rithine avec le ſentiment&la penſée; &n'éAVRIL
. 1772 . 107
prouvez - vous pas que cet accord continuel qui
ne trompe jamais ni votre oreille ni votre ame,
malgré les difficultés de l'art , eſt précisément la
cauſe du plaisir que vous procurent de beaux vers?
C'eſt- là ce qui conſtitue eſſentiellement le poëte;
c'eſt-là fon art. Il s'applique à des objets plus ou
moins grands ; il y joint plus ou moins d'idées ;
ilconçoit un ſujet plus ou moins fortement , &
&ſes choix ſont plus ou moins heureux. C'eſt
ainſi que s'établiſſent les rangs & la prééminence.
Mais il faut avant tout qu'il ſache manier ſon
inſtrument , car le vers en eſt un. Quelque choſe
qu'il diſe avec ſon vers , s'il y paroît contraint
&gêné , fi la meſure qui eft faite pour ajouter à
ſa penſée lui ôte quelque choſe , ſi le rithme
bleſte l'oreille qu'il doit enchanter , ce n'eſt pas
un poëte ; qu'il parle & qu'il ne chante pas ; qu'il
laiſle-là ſon inſtrument qui le gêne& lui péſe. Il
ſouffre en s'efforçant de le manier , & je ſouffre
auſſi de l'en voir accablé, comme un homme d'une
taille ordinaire le ſeroit de l'armure d'un géant.
Il eſt donc bien évident qu'une traduction en
proſe commence par anéantir l'art du poëte que
Î'on traduit ; & l'on peut bien dire alors ce mot ſi
ſouvent vrai que traduire ainſi c'est détruire. Il
eſt für que vous n'entendez plus le chant du poëze;
vous lifez les penſées d'un écrivain ; on vous
montre ſon eſprit; mais non pas ſon talent. Vous
ne pouvez pas ſavoir pourquoi il charmoit ſes
contemporains , & ſouvent vous le trouverez
médiocre , là où on le trouvoit admirable , &
peut- être l'admirerez- vous quelque fois là où on
Je trouvoit médiocre.
Combiend'autres déſavantages n'a-t'ilpas encore
à eſſuyer dans les mains du proſateur qui le
Evj
108 MERCURE DE FRANCE .
dépouille ainſi de ſes vêtemens poëtiques ! telle
idée avoit infiniment de grace en ſe liant à telle
image que le traducteur n'a pu lui laıfler. Telle
phrafe étoit belle dans la préciſion originale ;
T'effet en eft perdu , parce qu'il faudra un ou deux
mots de plus pour la rendre ; & qui ne fait ce que
fait un mot deplus ou de moins. Tel hémiſtiche
étoit d'un effet terrible , & cet effet tenoit abſo-
Jument au rithme , & le rithme eſt disparu . Si je
voulois poufler cette espèce de calcul , je prendrois
vingt vers de Virgile traduits par l'Abbé
Desfontaines ,&je prendrois à témoin, tous ceux
qui entendent le latin, des bleſſures que reçoit
Virgile à chaque vers de la main de fon cruel
traducteur,
Reſte les traductions en vers. Alors du moins
c'eſt poësie pour poësie , & fi le talent du traducteur
eſt égal à celui de l'original , l'idée qu'il en
donnera à ſes lecteurs pourra ne les pas tromper ,
parce qu'il remplacera l'harmonie par l'harmonie
, les figures par les figures , les graces poëtiques
par d'autres graces poétiques , l'audacicule
énergie des expreffions par d'autres hardiefles
analogues au caractère de ſa langue: c'eſt la mememuſique
jouée ſur un autre inftrument; mais
enfin c'eſt de la muſique , & l'on pourra juger par
le plaifir que donne celui qui la répéte, du plaifir
que faiſoit autre fois celui qui l'a chantée lepremier.
Il ne faut Jonc pas juger Pindare , ni quelque
poëte que ce foit ſur une traduction en profe ,&
c'eſt ce qu'il falloit prouver. A cette première
conſidération j'en ajouterai une autre. C'eft qu'en
le lifant même dans la langue originale , il faut ,
fl'on veut être juſte à ſon égard , ſe reporter an
AVRIL. 1772. 109
,
tems où il écrivoit. Ce principe est très - connu ;
mais il n'y a que les esprits de la meilleure trempe
qui le mettent en pratique. Le plus grand
nombre des lecteurs eſt trop rempli des idées , des
moeurs , des préjugés qui les entourent , & rejette
trop promptement tout ce qui paroît s'en éloigner.
Il eſt certain que la famille d'Hercule & de
Théſée , que la race de Cadmus & la guerre des
Géans, & les jeux olympiques & l'expédition des
Argonautes , ne nous touchent pas d'auffi près
que les Grecs , & que des odes qui ne contiennent
guères que des alluſions à toutes ces fables , &
qui roulent toutes ſur le même ſujet ne ſont pas
très - piquantes pour nous. Mais nous conviendrons
bien auſſi que l'histoire des Grecs devoit
intéreſſer les Grecs , que ces fables étoient en
grande partie leur hiſtoire, qu'elles fondoient leur
religion ; que les jeux olympiques , néméens
ifthmiens , &c. étant des actes religieux , des fêtes
folemnelles en l'honneur des dieux de la Grèce ,
le poëte ne pouvoit rien faire de plus agréable
pour ces peuples que de mêler enſemble les noms
des dieux qui avoient fondé ces jeux & ceux des
athlètes qui venoient d'y triompher, Il confacroit
ainſi la louange des vainqueurs , en la joignant
à celle des immortels , & il s'emparoit avidement
de ces fables ſi propres à exciter l'enthoufialme
lyrique & à déployer les richeffes de la
poësie. On ne peut nier , en lifant Pindare dans
leGrec, qu'il ne ſoit très-prodigue de cette eſpèce
de tréſors qui ſemblent naître en foule ſous ſa
plume. Il n'y a point de diction plus audacicuſement
figurée. Il franchit toutes les idées intermédiaires
, & fes phrases font une ſuite de tableaux
dont il faut ſouvent ſuppléer la liaiſon.
Toutes les formules ordinaires qui lient enfem
TIO MERCURE DE FRANCE.
ble les parties d'un diſcours ne ſe retrouvent jamais
dans ſes chants , d'où l'on peut conclurre
que les Grecs qui avoient une ſi grande admiration
pour ce poëte, étoient bien éloignés d'exiger
cette marche méthodique que nous voulons dans
toute eſpèce d'ouvrages , ce tiſlu d'idées qui ne
doit jamais échapper à notre attention , & que
notre prétendu déſordre lyrique n'a jamais rompu .
J'examinerai tout-à- l'heure cette différence en
parlantdes odes deRouſſeau. Il me ſuffit d'obſerver
pour le moment que les Grecs , beaucoup plus
ſenſibles que nous à la poësie proprement dite
parce que leur langue étoit élémentairement plus
poétique , ne demandoient au poëte que des ſons
&des images , & Pindare leur prodiguoit l'un &
Pautre. Quoique les graces de la prononciation
grecque foient probablement perdues pour nous ,
il eſt impoſſible de n'être pas frappé de cet affemblage
de fyllabes toujours fonores , de cette harmonie
toujours imitative, de ce rithme impoſant
&majestueux qui ſemble fait pour retentir dans
P'Olympe. Liſez ſeulement le commencement de
la quatrième olympique.
Ελατὴρ ὑπέρτατε βροντᾶς
ἀκαμαντόποδος ζεῦ , &c.
J'en citerois volontiers davantage pour le plai
firdes oreilles grecques ; mais en voilà beaucoup
crop pour les Dames qui liront cet article dans le
Mercure nommé autrefois Mercure galant. Je
leur demande pardon de ce petit étalage d'érudition
, qu'en vérité je ne me ſuis permis que pour
l'amour du grec; mais pour l'amour d'elles , je
me ſuis effarcé de traduire le moins mal qu'il
m'étoit poſſible lecommencement de la première
AVRIL. 1772. III
Pithique , & quand je viendrai à parler d'Horace,
je leur promets encore la traduction de deux odes
galantes , & je me flatte qu'en voilà affez pour
qu'elles me pardonnent d'avoir tant parlé de
grec.
Cettepremière ode pithique est faite en l'honneur
d'Hiéron , roi de Syracuſe , vainqueur à la
courſe des chars , c'eft - à- dire , dont le cocher
avoit remporté la victoire. Mais les Grecs étoient
fi paſſionnés pour ces fortes de ſpectacles , qu'on
ne pouvoit trop célébrer à leur gré celui quiavoit
ſu ſe procurer le cocher le plus habile & les chevaux
les plus légers. Voici le début de Pindare.
Doux tréſor des neuf ſoeurs , inſtrument du gé
nie ,
Lyre d'or , qu'Apollon anime ſous les doigts,
Mère des plaiſirs purs , mère de l'harmonie ,
Lyre , ſoutiens ma voix.
Tu préſides au chant , tu gouvernes ladanſe..
Tout le choeur attentif& docile à tes fons ,
Soumet au mouvement marqué par ta cadence
Ses pas & ſes chanfons .
L'Olympe en eſt émû; Jupiter eſt ſenſible ;
Il éteint les carreaux qu'alluma ſon courroux.
Il ſourit aux mortels , & ſon aigle terrible
S'endort à ſes genoux.
Ildort , il eſt vaincu; ſes paupières prefiées,
D'unehumide vapeur ſe couvrent mollement.
112 MERCURE DE FRANCE.
Il dort , & ſur ſon dos ſes aîles abaillées
Tombent languiflamment .
Tu fléchis des combats l'arbitre ſanguinaire.
Ses traits enfanglantés échappent de ſes mains.
Ildépoſe le glaive & promet à la terre
Des jours purs & fereins .
O lyre d'Apollon , puiſſance enchantereſſe !
Tu loumets tour-à- tour & la terre & les cieux :
Quin'aime point les arts , les muſes , la ſageffe ,
Eſt ennemi des dieux.
Tel eſt ce fier géant dont la rage étouffée
D'un rugifſlement ſourd épouvante l'enfer 3
Ce ſuperbe Titan , ce monstrueux Tiphée
Qu'a puni Jupiter.
Le tonnerre frappa ſes cent têtes difformes .
Sous l'Etna qui l'accable il veut brifer ſes fers .
L'Etna s'ébranle , s'ouvre , & des rochers énormes
Vont rouler dans les mers .
Ce reptile effroyable enchaîné dans ce gouffre ,
Et portant dans ſon ſein une ſource de feux ,
Vomitdes tourbillons & de flamme & de ſouffre
Qui montent dans les cieux.
Qui pourra s'approcher de ces rives brûlantes ?
Quine frémira pas de ces grands châtimens ,
AVRIL. 1772. 113
Des tourmens de Tıphée , & des roches perçantes
Qui déchirent ſes flancs ?
J'adore , & Jupiter ! ta puiſlance & ta gloire.
Tu regnes ſur l'Etna , ſur ces fameux remparts
Elevéspar ce Roi qu'a nommé la victoire
Dans la lice des chars .
Hieron eſt vainqueur , ſon nom s'eſt fait entendre
, &c.
Voilà la marche de Pindare. D'une invocation
aux Mules , d'un éloge de leurs attributs , ouverture
très- naturelle dans le ſujet qu'il traitoit ,
il paffeà la peinture de Tiphée écrasé ſous l'Etna
, ſous prétexte que ce Tiphée eſt ennemi des
dieux&des muſes. C'eſt s'accrocher à un mot ,
&une pareille tranfition ne nous paroîtroit qu'un
écart mal déguiſé. Peut-être les Grecs n'avoientils
pas tort d'en juger autrement. C'eſt d'Hiéron
qu'il s'agilloit ; Hieron regnoit ſur Syracufe &
fur l'Etna ; il avoit bâti une ville de ce nom près
de cette montagne. Il falloit bien lui parler de
l'Etna , & comment parler de l'Etna ſans parler
de Tiphée ? C'eût été une grande maladreſle dans
un poëte lyrique de ſe refuſer cette magnifique
deſcription ; & les Grecs aimoient prodigieuſement
la poëſie descriptive Ils étoient à cet égard
à-peu - près dans la même dispofition où nous
ſommes pour les ballets qui nous paroiffent toujours
affez bien amenés , pourvu que les danſes
en foient bonnes & que les d'Auberval , les Allart
, les Guimarts y paroiſſent ſouvent. Nous ne
ſommes pas àbeaucoup près ſi indulgens pour les
114 MERCURE DE FRANCE.
vers. Les vers parmi nous font jugés par l'esprit,
par laraiſon; chez les Grecs ils étoient jugés
davantage par les ſens , par l'imagination ; & l'on
fait combien l'eſprit eſt un juge inflexible , &
combienles ſens font des juges favorables. En
amour , par exemple , ( de la poësie à l'amour il
n'y a pas bien loin) gagneroit - t-on jamais ſon
procès , ſi les ſens ne s'en mêloient pas ?
Dans une épître aux Poëtes, pleine d'eſprit &de
vers heureux , où l'auteur compare la poësie à
Pandore & rappelle les divers dons que chaque
dieu voulut faire à la poësie , au moment de ſa
naiflance ontrouve ces vers remplis de ſens & de
gracequi ne ſont point du tout étrangers à l'objet
queje confidère ici :
La raiſon même , à la jeune immortelle ,
Voulut ſervir de compagne fidèle ;
Maisquelque fois ſage & diſcret témoin ,
Elle la fuit & l'obſerve de loin .
Onnepeut mieux employer l'imagination pour
donner un précepte de goût. Mais parmi nous il
faut que la raiſon ſuive la poësie de fort près , &
✓ chez les Grecs la raiſon étoit ſouvent perdue de
vue. C'eſt qu'ils avoient de quoi s'en paffer , &
que nous ne pouvons pas être comme eux aflez
grandsmuficiens en poëfie pour qu'on nous permette
quelques momens de dérailon . Nous avons
d'autres avantages ; mais ce n'eſt pas ici le lieu d'en
parler.
La Motte qui d'ailleurs étoit un très -bon efprit
, mais qui n'étoit pas organisé pour ſentir la
poësie , la Motte qui a toujours raiſon quand il
ielève dans Iliade des défauts de convenance ,
AVRIL. 1772. 113
de morale , de plan , de juſteſſe , &c. ne paroît
pas avoir compris jamais combien dans le genre
de l'Epopée (qui n'eſt pas à beaucoup près audi
foumis à la raiſon & à la vraiſemblance que le
genre dramatique) la poësie de ſtyle , le charme
des vers , la multitude des tableaux , le brillant
du coloris doivent faire aisément excuſer tous les
défauts qu'il reprend avec tantde ſévérité. Il n'y
aqu'à lire les Anciens pour voir qu'ils n'étoient
pas aveugles ſur les défectuoſités d'Homère ,
mais dix vers harmonieux transportoient les
Grecs qui dès lors ne jugeoient plus& faifoient
redire encore les vers qui venoient de les charmer.
La Motte , après avoir beaucoup critiqué
l'extravagante Iliade d'Homère , en fit une trèsraiſonnable.
Mais il ſe trouva que ſa raiſon étoit
auſſi ennuyeuſe que les folies d'Homère étoient
charmantes. Ileſt abſolument impoſſible de lire
un chant de ſon Iliade. Il vouloit être poëre &
juger un poëte. L'un & l'autre lui étoit refuſé par
lanature. Il voulut imiter auſſi quelques odes de
Pindare. Il le traita comme il avoit traité Homère.
Il n'eut qu'une erreur , mais qui le trempa
toute ſa vie; ce fut de croire que l'eſprit tenoit
lieu de tout.
Aureſte, ſi les ſuffrages d'un peuple auſſi éclairé
&auſſi délicat que les Grecs ſuffifent pour nous décider
ſur Pindare , nous aurons la plus haute idée
de ſon mérite. On fait qu'il laiſla une mémoire
révérée & que la vengeance d'Alexandre qui avoit
enveloppé tout un peuple dans un même arrêt ,
s'arrêta dans Thèbes devant cette inscription ;
Nebrûlezpas lamaison du poëte Pindare. Les
Lacédémoniens , lorsqu'ils avoient pris Thèbes
dansle tems de leur puiſſance , avoient eu le mê116
MERCURE DE FRANCE .
me respect ; mais ce qui prouve les ſuccès qu'il
eut des ſon vivant , c'eſt le grand nombre d'odes
qu'il compoſa ſur le même ſujet , c'eſt - à - dire
pour les vainqueurs des jeux. Il paroît que chaque
triomphateur étoit jaloux d'avoir Pindare
pour panégyriſte , & qu'on auroit cru qu'il manquoit
quelque choſe à la gloire du triomphe ſi
Pindare ne l'avoit pas chanté. Ces chants n'étoient
pas fans récompente. La fable de Simonidedans
Phédre fait voir qu'on avoit coutume de
payer libéralement les poëtes lyriques. Parmi
nousje ne crois pas qu'ily ait un plus mauvais
moyen de fortune que les odes. Elles ſont dans
le plus granddifcrédit. Elles étoient un peu mieux
accueillies autrefois . Une ode valut un évêché à
Godeau , c'eſt la plus heureuſe de toutes les odes,
&c'eſt une des plus mauvaiſes. Chapelain en fit
une pour le cardinal de Richelieu qui lui donna
une perfion . Cela n'étonne pas dans le cardinal
de Richelieu; mais ce qui peut étonner dans Chapelain
, c'eſt que l'ode eſt aſſez bonne.
Je ne dirai rien d'Alcée , d'Alcman , de Stéfichore
, de Simonide , de Bacchilide & des autres
que l'on appel'e Poetæ minores Graci , Poëtes
Grecs de lafeconde claſſe, & dont il ne nous reite
que des fragmens cités ça & la dans les critiques
Grecs ou Latins. Sapho, dont les amours & le
génie ne feront jamais oubliés , & dont les ouvrages
étoient connus a Rome du tems d'Horace ,
comme le témoignent ces vers ,
Vivuntque commiſſi calores
Æoliæ fidibus puella.
Sapho ne nous eft connue que par un très-pe
AVRIL. 1772. 117
tit nombre de vers affez paſſionnés pour nous
faire croire tout ce qu'on raconte d'elle & pour
nous faire regretter tout ce que nous avons perdu.
Mais on ne me pardonneroit pas de ne point m'ar.
rêter un moment ſur Anacreon, ſur ce mortel heureux
qui s'eſt immortalisé par ſes plaiſirs , lorfque
tant d'autres n'ont pu l'être par leurs travaux ;
ce philoſophe voluptueux , qui ne connut d'autre
ſageſle que celle d'aimer & de jouir , ni d'autre
gloire que cellede chanter ſes amours& ſes jouil-
Tances , ou qui plutôt ne voyoit dans ſes chanfons
qui lui ont acquis tant de gloire , qu'un
amuſement de plus. Ses poëſies plemes de délicateffe&
de grace respirent la molleſle & l'enjoûment.
S'il parle de la vieilleſle & de la mort , ce
n'eſt pas pour les braver avec la morgue ſtoïque
, c'eſt pour s'exhorter lui- même à ne rien perdre
de tout ce qu'il peut leur dérober. Remarquons
en paflant que les auteurs anciens les plus
voluptueux , Anacreon , Horace , Tibulle , Catulle
mêloient volontiers l'image de la mort à
celle des plaifirs . Ils appelloient la mort à leurs
fêtes & la plaçoient à table comme un convive
qui , loin de les attriſter , les avertiroit de jouir.
Horace fur- tout , dans vingt endroits de ſes odes,
ſe plaît à rappeller la néceſſité de mourir , & ces
paſſages rapides qui fixent un moment l'imagination
ſur des idées fombres exprimées par des
figures frappantes & des métaphores juſtes &
heureuſes , font ſur l'ame une impreffion douce
qui l'émeut fans trop l'effrayer , y répandent pour
unmoment une triſteſle réfléchiflante qui s'ac-
-corderoit mal , il eſt vrai , avec la joie bruyante
&tumultueuſe , mais qui fe concilie très - bien
avec le calme d'une ame ſatisfaite & même avec
les épanchemens d'un amour heureux. J'ajoute
$ 18 MERCURE DE FRANCE.
rai que c'eſt encore une preuve du goût naturel
des Anciens de n'avoir jamais parlé qu'en paſlant
de ces éternels ſujets de lieux communs chez les
Modernes , tels que le Tems , la Mort , &c. fur
leſquels notre imagination permet qu'on la reveille
, mais qui dégoûtent & rebutent bientôt
lorſqu'ils font prolixement delayès par des rhéteurs
mélancoliques.
On ne ſera pas fâché d'apprendre qu'Anacreon
joignoit à un fortune médiocre beaucoup de défintéreſſement
, deux grandes raiſons pour être
heureux. Il vécut affez long-tems à Samos , à la
cour de ce Policrate qui n'eut d'un tyran que le
nom Ce Prince lui fit préſent de cinq talens
(quinze mille francs de notre monnoie. ) Mais
Anacreon qui n'avoit pas coutume de poſſéder
tant d'argent , en perdit preſque le ſommeil pendant
deux jours. Il rapporta bien vîte au généreux
Policrate ſes cinq talens , & ce trait hiſtorique
rapporté par les Ecrivains Grecs & cité par
Giralde dans ſon hiſtoire des Poëtes , eſt certainement
l'original de la fable du Savetier dans la
Fontaine.
Quelque envie que j'aie d'obliger ceux qui ne
peuvent lire Anacréon dans le grec ,je ne puis en
confcience leur en donner la moindre eſquifle.
Il y perdroit trop. Il y a dans ſa compofition
originale une molleſſe de ton,une douceurde nuances,
une ſimplicitéfacile qui ne peuvent ſe retrouver
dans le travail d'une verſion. Ce ſont des caractères
dont l'empreinte n'eſt pas aſlez forte pour
ne pas diſparoître dans une copie. Il compoſoit
de verve , & l'on traduit d'effort. On m'objectera
que j'ai bien haſardé de reproduire pour un moment
la verve de Pindare. Oui , mais nous autres
poëtes , nous ſommes , comme on fait , touAVRIL.
1772. 119
jours prêts à être ſublimes. C'eſt une diſpoſition
naturelle qui ne nous coûte preſque rien. Mais
Anacreon n'eſt point ſublime, Anacreon n'eſt
point auteur. Il eſt à table avec des filles Grec
ques , la tête couronnée de roſes , buvant d'excellent
vinde Scio ou de Lesbos , & tandis que
Mnaës ou Aglaé entrelacenr des fleurs dans les
cheveux , il prend ſa petite lyre d'ivoire à quatre
cordes , & chante une hymne à la roſe ſur le
mode lydien. Moi , je n'ai là ni beautés grecques
, ni vin de Scio , ni couronnes.de roſes , ni
lyre d'ivoire. Je ne traduirai point Anacreon.
Au ſurplus tout le monde n'eſt pas fi difficile
que moi. Nous avons trois traductions en vers
des poëfies d'Anacreon , l'une de Gâcon , d'une
édition très -jolie avec le grec à côté , l'autre de
la Fofle , la dernière de M. de Sivri , le traducteur
de Pline le Naturaliſte. Cette troiſième verſion
d'Anacreon eſt écrite avec élégance &pureté,
Les deux autres ne ſont pas liſibles. Mais
n'oublions pas , avant de quitter Anacreon , de
citer des vers charmans de l'un de nos plus aimables
poëtes , qu'il faut compter dans le petit
nombre des Ecrivains François qui ont eu un caractère
original, Je veux parler de l'auteur du
Méchant & de la Chartreuſe. C'eſt dans cette
dernière pièce , l'un des plus gracieux monumens
de notre poësie , que l'on trouve ces vers ſur Anacréon
qui valent beaucoup mieux que tout ce que
j'enpourroisdıre.
Tantôt de l'azur d'un nuage ,
Plus brillant que les plus beaux jours ,
Je vois fortir l'ombre volage
D'Anacreon , ce tendre ſage,
120 MERCURE DE FRANCE.
Le neſtor du galant rivage ,
Le patriarche des amours.
J'ai honte , en rapportant ces vers , de la proſe
bavarde dont je charge ici le papier. Mais une
réflexion qui m'aflige davantage , c'est qu'en
voyant le portrait d'Anacreon ſi heureuſement
tracé par M. Greflet , je me rappelle qu'Anacréon
, octogénaire , étoit encore fidèle à là poëfie&
faiſoit des vers & des chanſons .
Si quelqu'un , parmi les Modernes , ſe rapproche
de la manière de ce poëte , c'eſt ſans doute
Chaulieu . L'Epicurien du temple paroît avoir eu
les mêmes principes , les mêmes goûts que l'Epicurien
de Téos. Chaulieu attache comme Anacréonpar
le naturel de ſon ſtyle qui n'a jamais
l'apparence de Faffectation , par cette heureuſe
facilité de tourner ſes idées en ſentimens , quoiqu'il
les exprime ſouvent en vers foibles , par la
douceur de fa morale , &quelque fois même par
des beautés vraiment poëtiques qu'il ſemble produire
ſans effort. Enfin malgré les négligences &
ſes défauts , il a un caractère , & un caractère qui
plaît; c'eſt beaucoup. Une douzaine de pièces a
luffi pour lui mériter une réputation qui ne fera
point détruite , parce qu'il fera relu. Je me fouviens
d'avoir entendu dire , non pas à un homme
de lettres , mais à un auteur , qu'en furpaflant
aujourd'hui Chaulieu , on feront encore très peu
de choſe. Je ne ſais pas ce que cet homme croyoit
être ; mais il auroit dû ſavoir que deux pages de
počſie où l'on trouve à la fois du naturel , de l'imagination
& de la philoſophie , valent beaucoup
mieux que des volumes entiers de bagatelles infipides
ou médiocres.
Je
AVRI L. 1772. 121
Je n'ai point cependant prétendu parler de
Chaulieu comme d'un poëte lyrique , quoiqu'il
ait fait des ſtances qui font comptées parmi ſes
meilleures pièces. Je n'ai voulu qu'enviſager les
rapports qu'il me paroît avoir avec Anacreon. Les
deux ſeuls lyriques François dont on doive aujourd'hui
faire mention font Malherbe & le célèbre
Roufleau. J'en parlerai tout- à- l'heure. Mais
auparavant jettons un coup-d'oeil.fur un homme
bien ſupérieur à Malherbe & à Rouſleau même ,
fur Horace.
Horace ſemble réunir en lui Pindare & Anacréon;
mais il ajoute à tous les deux ; il a l'enthouſiaſine
& l'élévation de Pindare ; il n'eft pas
moins riche que lui en figures& en images ; mais
fes écarts font moins bruſques , ſa marche eſt
moins vague ; la diction a plus de nuances &de
douceur. Pindare qui chante toujours les mêmes
ſujets , n'a qu'un ton toujours le même ; Horace
les a tous ; tous lui ſemblent naturels , & il a la
perfection de tous. Qu'il prenne ſa lyre ; que ſaiſi
de l'esprit poëtique , il ſoit transporté dans le
conſeil des dieux , ou ſur les ruines de Troye, ou
fur la cime des Alpes , ou dans le lit de Glicère;
ſa voix ſe monte toujours au ſujet qui l'infpire;
il eſt majestueux dans l'Olympe &charmant
près de ſa maîtrefle. Il ne lui en coûte pas plus
pour peindre avec des traits fublimes l'ame de
Caton &de Regulus, que pour peindre avec des
traits enchanteurs, oules carefles de Lycimnie, ou
les coquetteries de Pirrha. Auſſi franchement voluptueux
qu'Anacréon , auſſi fidèle apêtre du plai,
fir , il a les graces de ce lyrique Grec , avec plus
d'esprit &de philofophie , comme il a l'imagination
de Pindare avec bien plus de morale & de
I. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE .
pensées. Si l'on fait enſuite attention à la ſageſle
de ſes idées , à la préciſion de ſon ſtyle , à l'harmonie
de ſes vers , à la variété de ſes ſujets ; fi
J'on ſe ſouvient que ce même homme a fait des
ſatyres pleines de fineſſe & de raiſon , des épîtres
qui contiennent les meilleures leçons de la ſociété
civile, en vers qui ſe gravent d'eux - mêmes dans
la mémoire , un art poëtique quieſt le code éternel
du bon goût; on conviendra qu'Horace , eſt
un des meilleurs eſprits que la nature ait pris
plaifir à former.
J'ai promis la traduction de deux odes d'Horace
& je vais tenir parole , quoique je ſente tour
ce que je haſarde. On me dira qu'apparemment
Horace m'effraie moins qu'Anacréon , quoiqueje
paroifle en faire beaucoup plusde cas. Je réponds
qu'Horace , entre autres avantages , a beaucoup
d'eſprit proprement dit , & que l'eſprit eſt de toutes
les langues. Mais avant tout , il faut me permettre
d'expoſer en deux mots la méthode queje
fuis en traduiſant un poëte. C'eſt peut- être encore
une eſpèce de digreffion ; mais qu'importe, pourvu
que jeme retrouve ?
Prétendre qu'un poëte qui en traduit un autre
en vers doit s'aſſervir à rendre tous les mots , à
renfermer dans le même eſpace les mêmes idées
dans un même ordre , c'eſt le ridicule préjugé
d'un pédant à cervelle étroite qui malheureuſement
fait aſſez de latin pour juger très - mal le
françois , & qui a beaucoup plus de raiſons pour
envier les Modernes que de titres pour admirer
les Anciens. Tout homme qui traduit en vers
prend la place de ſon modèle , & doit ſonger avant
tout à plaire dans la langue , comme l'auteur
original plaiſoit dans la fienne. C'eſt là le plus
AVRIL.
1772. 123
grand ſervice qu'il puifle lui rendre , puiſque de
T'effet que fera la verſion,dépend l'opinion qu'auront
de l'original ceux qui ne peuvent le connoître
autrement . C'eſt donc à l'effet total de l'enſemble
qu'il doit d'abord s'appliquer. S'il eſt fidèle & ennuyeux
, n'aura - t'il pas tait un beau chef-d'oeuvre
Il faut que fa compoſition , pour être animée , ſoit
libre; qu'il ſe pénétre quelque temps du morceau
qu'il va traduire , & qu'il ſe rapproche autant qu'il
eſt poſſibledu dégré de chaleur & de verve où il ſeroit,
s'il travailloit de génie. Alors qu'il ſe mette à
lutter contre l'auteur qu'il vafaire parler, qu'il comprenon
pas les mots, mais les beautés, & qu'il falle
enſorte que le calcul ne ſoit pas trop à ſon défavantage
, il aura d'abord fait beaucoup , & fon
lesteur , s'il eſt juſte , ſera content. C'est ainſi que
Despréaux & M. de Voltaire ont traduit des fragmens
des Anciens. Sans doute le mérite du traducteur
ſera d'autant plus grand qu'il aura plus
conſervé de traits particuliers & diftinctifs de
l'ouvrage original & qu'il en ſera demeuré plus
près ſans avoir l'air trop contraint & trop enchaîné
. Mais il faut un goût bien für pour pouvoir
décider en quels endroits le traducteur a eu
tort de s'écarter de ſon guide. Il faut démontrer
alors la poſſibilité de faire autrement , il faut calculer
ce que le vers ſuivant , le vers précédent ,
ceque la phraſe entière pouvoit perdre. Il n'y a
guères qu'un homme de l'art qui puifle faire cet
examen avec connoiſſance de cauſe; & quand on
a ſtatué d'abord que la verſion eſt par elle-même
un bon ouvrage ſi l'on veut prouver enſuite
qu'elle devoit être plus fidèle , il n'y a qu'un
moyen, c'eſt d'en faire une meilleure.
Ce petit préambule n'est fait , comme on le
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
voit, que pour les intérêts de la vérité & non pas
pour les miens. Car avec le dernier moyen dont
je viens de parler , rien ne ſera plus facile que d'avoir
raiſon contre moi , & comme beaucoup de
gens ne manquent pas de bonne volonté à cet
égard , je m'attends bien que cinq ou fix perfonnes
auront la complaisance de traduire les deux
odes que voici , & nous y gagnerons tous.
A CLLOOEE.
*
Ulla fijuris tibi pejerati , &c.
Si le Ciel t'avoit punie
De l'oubli de tes fermens ,
S'il te rendoit moins jolie ,
Quand tu trompes tes amans ;
Je croirois ton doux langage ,
J'aimerois ton doux lien ;
Mais Cloé , qu'il te fied bien
D'être parjure & volage !
Viens- tu de trahir ta foi ?
Tun'en es que plus piquante ,
Plus belle &plus féduiſante ;
Les coeurs volent après toi.
Par le menfonge embellie ,
Ta bouche a plus de fraîcheur ;
Après une perfidie ,
Tes yeux ont plus de douceur.
* Il y a dans l'original , bariné , nom défagréable
en françois.
AVRIL. 17728 125
:
Si par l'ombre de ta mère,
Si par tous les dieux du Ciel ,
Tu jures d'être ſincète,
Les dieux reſtent ſans colère ,
Ace ferment criminel ;
Vénus en rit la première;
Et cet enfant fi cruel ,
Qui , ſur la pierre ſanglante ,
Aiguiſe la fléche ardente
Que ſur nous tu vas lancer ,
Rit du mal qu'il te voit faire ,
Et t'inſtruit encore à plaire ,
Pour te mieux récompenſer.
Combien de voeux on t'adreſle !
C'eſt pour toi que lajeuneſle
Semble croître & ſe former .
Combien d'encens on t'apporte!
Que d'amans ſont à ta porte ,
Jurant de ne plus t'aimer !
Le vieillard qui t'enviſage
Craint que ſon fils ne s'engage
En un piége ſi charmant;
Et l'épouſe la plus belle
Croit fon époux infidèle ,
S'il te regarde un moment.
A PIRRH Α .
Pirrha , quel eſt l'amant enivré de tendreffe,
Qui ſur un lit de roſe étendu près de toi ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
T'admire , te ſourit, te parle , te carefle ,
Etjure qu'à jamais il vivra ſous ta loi ?
Quelle grotte fraîche & tranquille
Eſt le voluptueux aſyle
Où ce jeune imprudent , comblé de tes faveurs
Te couvre de parfums , de baiſers & de fleurs ?
C'eſt pour lui qu'à préſent Pirrha veut être belle ,
Que ton goût délicat relève élégamment
Ta fimplicité naturelle ,
Et fait naître une grace à chaque mouvement.
Pour lui ta main légère aflemble àl'aventure
Une flottante chevelure
Qu'elle attache négligemment .
Hélas! s'il prévoyoit les pleurs qu'il doit répandre!
Crédule , il s'abandonne à l'amour , au bonheur.
Dans ce calmeperfide il eſt loin de s'attendre
A l'orage affreux du malheur.
L'orage n'est pas loin ; il va bientôt apprendre
Que l'aimable Pirrha qu'il poſléde aujourd'hui ,
Que Pirrha fi belle & fi tendre ,
N'étoit pas pour long-tems à lui.
Qu'alors il pleurera ſon fatal eſclavage!
Inſenſé qui ſe fie à ton premier accueil !
Pour moi le tems m'a rendu ſage ;
J'ai regagné le port , & j'obſerve de l'oeil
Ceux qui vont comme moi ſe briſer à l'écueil
Que j'ai connu par mon naufrage.
AVRIL. 1772. 127
Quelques idées de la première de ces deux odes
ſe retrouvent dans une très-jolie chanfon , inférée
dans l'anthologie françoiſe.
Si l'on peut compter ſur un coeur ,
C'eſt ſur le coeur d'une bergère ;
Par ſon air naïf , mais rrompeur ,
Ma Corinne avoit ſu me plaire.
Je la croyois belle ſans art ;
Je chériſlois ſon coeur ſans fard ;
Mais comme une autre elle eſt légère.
Amour, venge un fidèle amant
Des trahiſons d'une infidelle ;
Fais lui perdre quelque agrément ,
A chaque inconſtance nouvelle.
Amour , tu ne m'écoutes pas ,
Loin d'ôter rien à ſes appas ,
Chaque forfait la rend plus belle.
Cette dernière penſée répond précisément à ces
vers d'Horace .
Simul obligaſti
Perfidum votis caput , eniteſcis
Pulchrior multò .
1
Il y adans Horace environ une trentaine d'odes
dans le genre de celles qu'on vient de voir , & que
ma traduction, toute foible qu'elle eſt,n'a pû défigurer
aflez pour qu'on n'apperçoive pas combien
cet écrivain a l'eſprit fin & délicat. Toutes ſes
odes galantes font autant de chefs - d'oeuvre qui
ſemblent finis par la main des Graces. Perfonne
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ne lui en avoit donné le modèle. Ce n'eſt point
là , comme on l'a déjà dit , la manière d'Aва-
créon. Le fonds de ces petites piéces eſt également
piquant dans toutes les langues , & chez
tous les peuples où regnent la galanterie& la
politefle. Elles font même beaucoup plus agréables
pour nous que les odes héroïques du même
auteur dont le fonds nous eſt ſouvent trop étranger
, & dont la marche hardie & rapide ne peut
guères être ſuivie dans notre langue qui procède
avec plus de timidité , & qui veut toujours de la
méthode & des liaiſons. J'ai pourtant efſfaïé de
traduire , & même afiez fidèlement , l'ode à la
Fortune. On pourra la comparer avec celle de
Roufleau , & l'on verra qu'une ode françoiſe refſemble
très-peu à une ode latine.
J'avertis que j'ai rejoint l'ode O diva gratum
quæ regis Antium , &c. avec la précédente ,
Parcus Deorum cultor & infrequens, &c. qui me
paroît en être le commencement , & en avoir
été détachée fort mal - à- propos. Il y a même
des éditions où elles ſont réunies. Le lujetde cette
ode étoit fort ſimple. On parloit d'une deſcente
en Angleterre qu'Auguſte devoit conduire luimême
& qui n'eut pas lieu. On parloit enmême
tems d'une guerre contre les Parthes. Le poëre
invoque la Fortune &lui recommande Auguſte
& les Romains. Mais il commence par ſe réconcilier
avec les dieux qu'en ſa qualité d'Epicurien
il avoit fort négligés. Il s'étend enſuite ſur les
attributs de la Fortune & finit , après l'avoir invoquée
, par déplorer les guerres civiles & la corruption
des moeurs. Tel eſt le plan de cette ode.
J'ai riſqué en la traduiſant de changer pluſieurs
fois de rithme pour rendre mieux la variété des
tons & pour ſuppléer , quand les phrales deman
AVRIL. 1772. 129
doient une certaine étendue , à la facilité qu'avoient
les Grecs & les Latins , d'enjamber d'une
ſtrophe à l'autre.
D'Epicure élève profane ,
Je refuſois aux dieux des voeux &de l'encens .
Je ſuivois les égaremens
Desſages inſenſés qu'aujourd'hui je condamne."
Je reconnois des dieux;c'en eſt fait,je me rends,
J'ai vu le maître du tonnerre
Qui , la foudre à la main ſemontrait à la terre ;
J'ai vu dans un ciel pur voler l'éclair brillant ;
Et les voûtes éternelles
S'embrafer des étincelles
Que lançoit Jupiter de fon char foudroyant.
Le Styx en a mugi dans ſa ſource profonde.
DuTénare trois fois les portes ont tremblé ;
Des hauteurs de l'Olympe aux fondemens du
monde
L'Atlas a chancelé.
Oui , des puiſſances immortelles
Dictent à l'Univers d'irrévocables loix.
La Fortune agitant ſes inconſtantes aîles ,
Plane d'un vol bruyant fur la tête des Rois.
Aux deſtins des états ſon caprice préſide.
Elle ſeule diſpenſe ou la g'oire ou l'affront ;
Enlève un diadême , & d'un eflor rapide
Le porte fur un autre front.
F
130 MERCURE DE FRANCE.
Tu couvres la pourpre royale
Des crêpes affreux du trepas .
Fortune , ô redoutable reine !
Tu places les humains au trône ou ſur l'écueil ;
Tu trompes le bonheur , l'efpérance & l'orgueil ,
Et l'on voit ſe changer à ta voix fouveraine
La faibleſſe en puiflance & le triomphe en deuil,
ン
Le pauvre te demande une noiſſon féconde ,
Et l'avide marchand fur les gouffres de l'onde
Rapportant fon tréſor ,
Préſente à la Fortune , arbitre des orages ,,
Ses timides hommages ,
Et te demande un vent qui le conduile au port.
Le Scythe vagabond, le Dace ſanguinaire ,
Et le guerrier Latin conquérant de la terre ,
Craint tes funeſtes coups ;
De l'Orient ſoumis les tyrans inviſibles ,
A tes autels terribles ,
L'encenſoir à la main fléchiffent les genoux.
Tu peux , & c'eſt l'effroi dont leur ame eſt troublée
,
Heurtant de leur grandeur la colonne ébranlée ,
Frapper ces demi - dieux ;
Et ſoulevant contre eux la révolte & la guerre,
Cacher dans la pouſſière
Le trône où leur orgueil crut s'approcher des
cieux.
:
AVRIL. 1772 . 131
Déeſſe d'Antium , ô déeſſe fatale !
Fortune , à ton pouvoir qui ne ſe ſoumet pas ?
La Néceſſité cruelle
Toujours marche à ton côté ,
De ſon ſceptre détesté
Frappant la race mortelle ;
Cette fille de l'enfer
Porte dans ſa main ſanglaute
Une tenaille brûlante ,
Du plomb , des coins & du fer.
L'eſpérance te ſuit, compagne plus propice ,
Et la fidélité , déeſſe protectrice ,
Au Ciel tendant les bras ,
Unvoile ſur le front accompagne tes pas ;
Lorſqu'annonçant les alarmes ,
Sous un vêtement de deuil ,
Tu viens occuper le ſeuil
D'un palais rempli de larmes ,
D'où s'éloigne avec eff: oi ,
Et le vulgaire perfide ,
Et la courtiſane avide ,
Et ces convives ſans foi ,
Qui dans un tems favorable ,
Du mortel tout- puiſſant par le fort adopté
Venoient entourer la table ,
Et s'enivroient du vin de la proſpérité.
Je t'implore à mon tour , déeſſe redoutée;
Auguſte va deſcendre à cette iſle indomptée
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Qui borne l'Univers ; *
Tandis que nos guerriers vont affronter encore
Ces peuples de l'aurore
Qui ſeuls ont repouflé notre joug & nos fers .
Ah ! Rome vers les dieux lève des mains coupables.
Ils ne ſont point lavés ces forfaits exécrables
Qu'ont vûs les immortels.
Elles ſaignent encor nos honteuſes bleſlures ;
La fraude & les parjures ,
L'inceſte & l'homicide entourent les autels .
N'importe , c'eſt à toi , Fortune , à nous abſoudre.
Porte aux antres brûlans où ſe forge la foudre
Nos glaives émouffés.
Dans le ſang odieux des guerriers d'Aflytie
Il faut que Rome expie
Les flots de ſang romain qu'elle- même a verſés .
Avantd'aller plus loin , je rapporterai le commencement
d'une ode de Pindare où il invoque la
Fortune & dont Horace paroît avoir emprunté
quelques idées . C'eſt la douzième des Olympiques.
Fille de Jupiter , Fortune impérieuſe ,
* L'Angleterre , que les Romains regardoient
comme une extrémité de l'Univers.
AVRIL. 1772 . 133
Lesconſeils, les combats,les querelles des Rois ,
La courſe des vaiſſeaux ſur la mer orageuſe ,
Tout reconnoît tes loix .
LeCiel mit ſur nos yeux le ſceau de l'ignorance.
De nos obfcurs deſtins nous portons le fardeau ,
De revers en ſuccès traînés par l'eſpérance
Juſqu'au bord du tombeau.
Le bonheur nous ſéduit ; le malheur nous accable.
Mais nul ne peutpercer la nuit de l'avenir ;
Tel qui ſe plaint aux dieux de ſon fort déplorable,
Demain va les bénir. &c.
On a pu ſe convaincre , en lifant cette ode , de
ce que j'ai dit ci - deſſus du poëte lyrique des Anciens
, qu'il ſembloit écouter & ſuivre une infpirationmomentanée&
peindre tout ce qui ſe préſente
devant lui . On a vu tout le chemin que fait Horace.
On l'a vu monter dans les cieux , deſcendre
dans les enfers , voler avec la Fortune au tour des
trônes & fur les mers. Tout- à coup il ſe la repréſente
ſous un appareil formidable , & il peint l'affreuſe
Néceſſité; il lui donne enfuite un cortége
plus doux , l'eſpérance & la fidélité ; il l'habille
de deuil dans le palais d'un Grand diſgracié ; il
trace rapidement les feſtins du bonheur & la fuite
des convives infidèles. Enfin il arrive à fon but
qui eft de recommander Auguſte , & fa courſe eft
finie.
Je ne fais nous nous accommoderions beau134
MERCURE DE FRANCE.
coup de cette accumulation de tableaux allégoriques&
fi nous ne trouverions pas qu'il y a dans
cette eſpèce de poëfie trop pour l'imagination &
pas aflez pour l'eſprit. Peut-être ſerions - nous
un peu étourdis de la courſe vagabonde du poëte.
Je ne dis pas qu'il faille nous en blâmer. Chaque
peuple a ſon goût analogue à ſon caractère & à
ſa langue. Mais il n'en eſt pas moins vrai que
c'eſt là précisément la poëſſe lyrique , celle qui
dans ſon origine devoit être chantée & accompagnéed'inſtrumens.
Cela eſt ſi vrai qu il n'y a peutêtre
pas , dans l'ode qu'on vient de lire , une ſeule
ſtrophe dont le fonds ne ſoit très - favorable à la
muſique; & en général elle est compoſée de ce que
lamuſique rendle mieux , de tableaux & de mouvemens.
Effayez au contraire de mettre en mufique
l'ode à la Fortune ou telle autre que vous
voudrez , & vous trouverez à peine une ou deux
ſtrophes qui puiflent s'y prêter. C'est qu'en général
nos odes font des diſcours en vers , à-peuprès
auſſi ſuivis , auffi bien liés qu'ils le feroient
en profe. Il eſt ſfür que nos odes n'étant pas faites
pour être chantées ne doivent pas reflembler
aux.odes grecques & latines. Mais ne feroientelles
pas fufceptibles d'un peu plus d'enthousiasme
& de rapidité qu'on n'en remarque même dans.
nos plus belles? Prenons pour exemple l'ode à la
Fortune dont nous parlions tout-à-l'heure .
Fortune dont la main couronne
Les forfaits les plus inouis
Du faux éclat qui t'environne ,
Serons -nous toujours éblouis ?
Juſques à quand , trompeuſe idole,
1
AVRIL. 1772 . 135
D'un culte honteux & frivole
Honorerons -nous tes autels ?
Verra- t'on toujours tes caprices
Conſacrés par les ſacrifices
Et par l'hommage des mortels ?
Le peuple , dans ton moindte ouvrage ,
Adorant la proſpérité ,
Te nomme grandeur de courage ,
Valeur , prudence , fermeté.
Du titre de vertu ſuprême
Il dépouille la vertu même
Pour le vice que tu chéris ,
Et toujours les fauſles maximes
Erigent en héros fublimes
Tes plus coupables favoris .
,
Mais de quelque ſuperbe titre
Dont ces héros ſoient revêtus ,
Prenons la raiſon pour arbitre
Et cherchons en eux leurs vertus.
Je n'y trouve qu'extravagance
Foibleſſe , injustice , arrogance ,
Trahisons , fureurs , cruautés ;
Etrange vertu qui ſe forme
Souvent de l'afleinblage énorme
Des vices les plus déteſtés , &c.
Ne font- ce pas là de purs raiſonnemens ? Ne
font-ce pas làtoutes les formules de la diſcuſſion
136 MERCURE DE FRANCE.
en proſe ? De quelque fuperbe titre qu'ils foient
revêtus. prenons la raison pour arbitre & cherchons
, &c. s'exprimeroit - t'on autrement dans
une traité de morale! Cette ode n'eſt - elle pas une
eſpèce de plaidoyer ? Otez les rimes , qu'y a - t'il
d'ailleurs dans ces traits qui reſſemble à un poëte?
Allons plus loin. Ces trois ſtrophes ne ſont elles
pas un peu languiſlantes ? Ne rediſent - elles pas
trop prolixement des penſées aflez communes ? Si
l'on examine de près le ſtyle, n'y trouvera - t'on
pas des fautes d'autant moins excuſables que
les vers doivent être plus travaillés dans une
pièce de peu d'étendue ,& dans un genre où l'on ne
fauroit être trop poëte ? Qu'est - ce qu'un culte
frivole? Le culte que l'on rend à la Fortune n'eſtil
pas malheureuſement trop réel ? Jusques à
quand honorerons- nous , &c. est- il bien flatteur
pour l'oreille ? Du titre de vertu fuprême , & c .
fuprême n'eſt- il pas là pour la rime ? Dépouillet'on
la vertu du titre de vertu fuprême ? extravagance
, foibleſſe , injustice , arrogance , trahisons ,
fureurs, cruautés. Cet aflemblage de ſubſtantifs
eſt-il d'une élégance bien lyrique ? étrange vertu
qui se formesouvent , &c. Souvent n'est- il pas là
rejetté contre toutes les règles de la conſtruction
poëtique ? Continuons .
Apprends que la ſeule ſageſfie
Peut faire des héros parfaits .
Laſageſſe ne fait point des héros , & il n'eſt
point néceſſaire qu'un héros ſoit parfait ; &
qu'est-ce qu'un héros parfait ? Ce n'eſt là ni penſer
juſte , ni s'exprimer correctement. Les trois
ſtrophes ſuivantes font belles, quoiqu'il n'eût pas
AVRIL. 1772. 137
fallu , comme on l'a remarqué , mettre ſur la
même ligne Alexandre &Attila,
Mais je veux que dans les alarmes
Réfide le folide honneur.
Onn'entend pas trop comment l'honneur peut
réfider dans les alarmes , & réſide le folide n'eft
pas fort harmonieux.
Quel est donc le hérosfolide
Deut la gloire nefoit qu'à lui?
C'eſt un roi que l'équité guide
Et dont les vertus ſont l'appui.
Voilà encore le mot de ſolide qui n'eſt pas
mieux placé. Un héros folide n'eſt pas élégant.
Nefoit qu'à lui &que l'équité guide forment des
fons déſagréables , & ces quatre vers ne ſont- ils
pas de la proſe trop ſéche ? &le reſte de la ſtrophe
n'eſt- il pas un peu trop commun? Quand on dit
des choſes qu'on a tant redites ,ne faut- il pas les
rajeunir un peu par le ſtyle& ſe les rendre propres
par le mérite & la nouveauté de l'expreſſion ?
Cette idée de mettre Socrate à la place d'Alexandre
, & Alexandre à la place de Socrate , pour les
apprécier tous deux , eſt-elle bien juſte ? Faur- il
mettre unhomme hors de ſa place pour le bien
juger ? Falloit- il que Turenne & le grand Condé,
pour être grands , ſe trouvaflent grands à la placedu
chancelier de l'Hôpital ou du philoſophe
Charron? Eft il bien vrai d'ailleurs qu'Alexandre
à la place de Socrate eût été le dernier des mortels
? Rien n'a plus illustré Socrate que ſa mort.
Alexandre n'auroit -il pas lu mourir ? Socrate
138 MERCURE DE FRANCE.
prêchoit la morale. Alexandre n'en a- t'il pas donné
quelquefois les plus beaux exemples? Cette
phrafe, de Rouffſeau , fi on y regarde de bien près,
n'a même aucun sens. Concevez Alexandre à la
place de Socrate. Mais comment ? Est - ce Alexandre
avec ſon caractère , tranſporté dans telle ou
telle circonſtance de la vie de Socrate ? Eſt - ce
Alexandre chargé de la deſtinée de Socrate , &
obligé de n'être que philoſophe ? Eh bien , il auroit
voulu être le premier des philoſophes. Pourquoi
auroit-il été le dernier des mortels ? Au fonds
toute cette ftrophe ne ſignifie rien. On me dira
que j'examine rigoureuſement des idées poëtiques.
Non , j'examine des ſophifmes , de mauvais
raifonnemens , des déclamations en vers
foibles.
Il faut que je me hâte de rendre à Rouſſeau
toute la juſtice que je lui crois due & que je lui
rendsdu fondsdu coeur. Car ſur les critiques que
je viens de faire on ne manquera pas de crier au
détracteur de Roufleau &de crier d'autant plus
fort , qu'il feroit peut- être plus difficile de nie répondre.
J'ai choiſi l'ode à la Fortune comme une
des plus célèbres , & je l'ai choifie pour l'oppoſer à
celle d'Horace ſur le même ſujet ; mais j'avoue
que cette ode me paroît une des plus foibles de
l'auteur. J'en citerois dix que je crois bien ſupérieures.
En général toutes les odes , àl'exception
de cinq ou fix du dernier livre , renferment de
grandes beautés . L'ode au Cointe du Luc , celle
à Malherbe , celle au Prince Eugène , celle à M.
de Vendôme , l'ode ſur la bataille de Pétervaradin
, l'ode aux Princes Chrétiens , font les chefsd'oeuvre
de notre poësie lyrique , remarquables
par la richeſle de l'expreffion , l'harmonie des vers,
&fur- tout par des tableaux poëtiques d'une beauté
1
1
AVRIL. 1772 . 139
fingulière & qui font honneur à notre langue. 11
y a de la grace dans l'ode à une Veuve , dans les
ſtances àl'Abbé de Chaulieu , dans l'ode au Com .
te de Bonneval , & l'on regrette qu'il en ait fait
trop peu de ce genre. Ses cantates ſont des morceaux
achevés. j'avoue que je les trouve plus véritablement
lyriques que ſes odes , quoiqu'il s'élève
davantage dans celles ci . Je ne vois dans ſes
cantates que des images fortes ou gracieuſes . Il
parle toujours à l'imagination , & il n'eſt jamais
ni verbeux ni prolixe. Dans ſes odes au contraire ,
même les plus belles , ily a toujours des ſtrophes
qui languiffent , des idées trop délayées , des vers
d'un foiblefle inexcuſable. Vous trouvez dans
l'ode à Malherbe :
Mais cette flatteuſe amorce
D'un hommage qu'on croit dû
Souvent prête même force
Au vice qu'à la vertu.
C'eſt là de la très-mauvaiſe profe. Peut-on dire
qu'une amorce prête de laforce ? qu'on croit da
fait frémir l'oreille.
Dans l'ode à M. d'Uffé ;
Lesdiſgraces déſeſpérées
Et de nul eſpoir tempérées , &c.
Il eſt ſûr que ſi elles ſont désespérées , elles ne
font tempérées de nul espoir. Ce font là des fautes
impardonnables.
Dans l'ode à M. le Comte de Luc ;
Et je verrais enfin de mes froides alarmes
140 MERCURE DE FRANCE.
Fondre tous les glaçons.
Dans l'ode à M. de Vendôme ;
Ils font le plus beau de l'histoire
D'un héros en tout lieu vainqueur , &c .
Leplus beau de l'histoire n'eſt pas heureux,
Dans la même ode ;
O déteſtable calomnie ,
Fille de l'obſcure fureur ,
Compagne de la zizanie , &c .
Dans l'ode à M. de la Fare ;
Sur-tout réprimons les ſaillies
De notre curiofité ,
Source de toutes nos folies ,
Mère de notre vanité , &c.
Ces vers ne ſeroient pas aſſez élégans , même
pourune épître.
Dans l'ode au Prince Eugène ;
Et les faits qu'on ignore
Sont bien peu différens des faits non avenus , &c.
Ontrouve beancoup trop de vers de cette eſpèce
dans Rouleau , & encore une fois quand on
n'a que des vers à faire , on n'y doit laiffer que
ces légères imperfections , inévitables dans notre
verſification françaiſe ſi difficile & fi peu maniable
, & l'on ne peut excuſer rien de ce qui bleſſe
trop ouvertement l'oreille& le goûr .
AVRIL. 1772 . 141
:
Toutes ces remarques n'empêchent pas que
Roufſeau ne ſoit un grand poëte , parce qu'il a
excellé parmi nous dans le genre lyrique où perſonne
ne lui peut être comparé ; & la poſtérité
équitable ne juge un écrivain que fur ce qu'il a
fait de beau. Ou a oublié preſque toutes les épîtres
qui ſont d'un très - mauvais eſprit & d'un
plus mauvais ſtyle , ſes ennuyeuſes allégories ,
Ies comédies ſi froides , ſes opéra plus froids
encore , & je ne les rappelle ici que parce qu'il y
ade jeunes fanatiques qui trouvent tout beau
dans celui qu'ils appellent leGrand Rouffeau , le
prince de la poësie françaiſe. Du moins je l'ai vu
ainſi nommé dans plus d'une brochure. Il n'eſt
peut - être pas hors de propos de remarquer ici
comment s'eſt établie dans une certaine littérature
( car il y en a plus d'une) cette dénomination
de Grand Rouſſeau que je n'ai vu nulle part
employée par aucun écrivain accrédité. Il ſemble
que ce titre ſoit un honneur rendu au génie.
Point du tour. Ce titre eſt un préſent fait par la
haine. Ce ſont les ennemis de M. de Voltaire qui
ont cru l'affliger en honorant ſon ennemi. Je ne
fuis point détracteur de Rouſſeau , & pourquoi
le ſerais-je ? Mais je ne puis m'accoutumer , je
l'avoue , à le regarder comme le prince de la poëfie
françoile. Ce nom de Grand ſi juſtement décerné
àCorneille , au créateur Corneille qui a tiré
le théâtre de la barbarie & répandu tant de lumière
dans une ſi profonde obſcurité , ce nom de
Grand me paroît un peu au-deſſus du mérite de
Roufleau , qui , venu long-tems après Malherbe,
atrouvé la langue toute créée , & qui , avectous
ces ſecours , eſt reſté fort au- deſſous d'Horace
dont il n'a ni l'eſprit,ni les graces, ni la variété,
142 MERCURE DE FRANCE.
ni le goût , ni la ſenſibilité * , ni la philofophie,
&qui manque ſur-tout de cet intérêt & de ce
charme de ſtyle qui rend un écrivain cher à ſes
lecteurs. Et de quel titre ſe ſervira - t- on pour les
Racine & les Voltaire , pour ces hommes qui ont
été ſi loindans les arts les plus difficiles où l'efprit
humain puifle s'exercer , pour ces enchanteurs
fi ſéduiſans & fi aimables , à qui nous ne
pouvons jamais donner autant de louanges qu'ils
nous ont donné de plaiſirs ? Si Roufleau eft Grand
pour avoir fait de beaux vers qui ſouvent ne font
que de beaux mots , comment appellera - t- on
ceux qui ont dit tant de belles choſes en aufli
beaux vers , ceux qui non- ſeulement ſavent flatter
notre oreille , mais qui remuentfi puiflamment
notre ame, éclairent & élévent notre efprit;
ceux que nous reliſons avec délices , que
nous ne pouvons louer qu'avec tranſport ? Je
fais qu'il y a des têtes exaltées pour qui le mérite
de tourner fortement un vers eſt le premier de
tous les mérites , & qui font bien plus frappées
d'une ſtrophe de Rouleau que d'une ſcène de
Zaïre ou de Mahomet. Mais ces enthouſiaſtes font
en petit nombre ; ils font jeunes pour la plupart,
&ils verront peut- être par la fuite , qu'un poëte,
pour être relu , doit parler à l'eſprit & à l'ame ,
&que Roufleau ne parle guères ni à l'un ni à l'autre.
Je crois aimer autant la poësie que perſonne
au monde , quoique je fois un des moindres de
ceux qui la cultivent; mais je demande à tous
* J'ai lu dans une brochure que Rouſſeau avoit
beaucoup de ſenſibilité , & l'on citoit en témoignage
l'ode à la Poſtérité. C'eſt ſe connoître en
ſenſibilité & en ſtyle,
AVRIL. 1772 . 143
les lecteurs éclairés & (enſibles ſi ( ſans même
parler ici des ouvrages dramatiques ſi ſupérieurs
àune ode pour le mérite & pour l'effer ) fi , disje,
ils ne liront pas plus ſouvent des ouvrages tels
que les diſcours en vers de M. de Voltaire , le
poëme ſur Lisbonne , ſur la loi naturelle , & d'autres
de ce genre , que les odes de Roufieau ? s'ils
trouveront dans Rouſſeau des morceaux tels que
celui-ci fur le Bonheur , &les ſuivans .
Il eſt ſemblable au feu dont la douce chaleur
Dans chaque autre éléinent en ſecret s'infinue
Deſcend dans les rochers , s'élève dans la nue ,
Va rougir le corail dans le ſable des mers ,
Et vit dans les glaçons qu'ont durcis les hivers.
:
• •
Platon dit qu'autrefois l'homme avoit eu des aîles.
Un corps impénétrable aux atteintes mortelles.
La douleur , le trépas , n'approchoient point de
lui;
De cet état brillant qu'il différe aujourd'hui !
Il rampe , il ſouffre , il meurt ; tout ce quinaîtex
pire.
De la deſtruction la nature eſt l'empire .
Unfoible compoſé de nerfs & d'oflemens ,
1
144 MERCURE DE FRANCE.
Ne peut être inſenſible au choc des élémens.
Cemêlange de ſang , de liqueur & de poudre
Puiſqu'il fut aſſemblé fut fait pour ſe diſloudre ,
Et le ſentimentprompt de nos nerfs délicats
Futfoumis aux douleurs , miniſtres du trépas,&c.
Etailleurs .
Aidons nous l'un & l'autre à porter nos fardeaux.
Nous marchons tous courbés ſous le poids de nos
maux.
Mille ennemis cruels aſſiégent notre vie ,
Toujours par nous maudite& toujours ſi chérie.
Notre coeur égaré , ſans guide & fans appui ,
Eſt brûlé de deſirs ou glacé par l'ennui .
Nul de nous n'a vécu ſans connoître les larmes .
De la ſociété les ſecourables charmes
Conſolent nos douleurs au moins quelques inftans
,
Remède encor trop foible à des maux fi conftans .
Ah ! n'empoilonnons pas la douceur qui nous
: refte.
Je crois voir des forçats dans leur priſon funeſte ,
Se pouvant ſecourir , l'un ſur l'autre acharnés ,
Combattre avec les fers dont ils font enchainés .
De pareils vers ne réuniflent - ils pas tous les
mérites , l'imagination , la philoſophie , le ſentiment
, l'harmonie ? Si j'avois voulu choiſir des
morceaux d'une poësie plus forte , j'en aurois
trouvé
:
:
1
AVRIL. 1772. 145
trouvé un grand nombre. Mais j'ai voulu citer
ſeulement des exemples d'un ſtyle & d'an ordre
de beautés qui me paroît ſuppoſer un génie
beaucoup plus heureux que celui de Roufſeau.
J'y trouve le qui me mihi reddat amicum
d'Horace. Ce même Horace a ſi bien dit :
Necfatis eft pulchra efſſe poemata , dulcia funto:
Roufleau a ſouvent le pulchra ; mais a-t'il le dulcia
? Non. On ne peut donc pas dire de lui , om
ne tulit punctum .
J'avois déjà exprimé à- peu près les mêmes
idées ſur Rouſſeau dans une épître compotée à
Ferney , dont M. de Voltaire a daigné citer quel
ques vers * , & qui eſt entre les mains de plufieurs
gens de lettres. Je rapporterai ici ce mor
ceau , parce qu'on a prétendu qu'il étoit inju
rieux. On en jugera : le voici .
Ce nom de grand Rouſleau fut donné par l'envie!
Le grand homme eſt celui dont les riches pinceaux
st
Rapprochent les objets ſous des afpects nou?
veaux ,
Dont la plume éloquente aux grands traits exer
cée
Joint le charine du ſtyle au don de la penſée ;
Qui de la vérité profond obſervateur ,
De ſa raiſon féconde enrichit ſon lecteur ;
* Dans une lettre imprimée dans les mêlanges
in- 8° . & in-4° .
1. Vol. G
f
146 MERCURE DE FRANCE.
Noble& fimple à la fois; grand fans chercher à
l'être .
C'eſt le Chantre Romain qui des coeurs toujours
maître ,
Inſpirant de l'amour les lugubres douleurs ,
Au bucher de Didon nous traîne tout en pleurs;
C'eſt l'enchanteur divin qui fûr du même empire ,
Prête un charme fi doux aux douleurs de Zaïre.
C'eſt l'auteur adoré dont la touchante voix
Dicte aux pieds de Joas la morale des rois.
Odes , arts & du goût véritables arbitres ,
Nos larmes ſont vos droits ; nos plaiſirs ſont vos
titres.
Sans cefle votre éloge anime nos diſcours ;
Toujours heureux pat vous , nous vous louons
toujours .
,
J'admire de Rouſleau la poëtique ivreſſe ,
De ſestermes choifis la pompeuſe richeſſle ;
Je le crois en effet inſpiré par les Cieux
Quand il traduit David en vers mélodieux ;
Et de nos vieux conteurs les naïves ſaillies
Dans lescadres heureux ſont toujours embellies.-
Mais la raiſon , l'eſprit , fur-tout le ſentiment
Dans ſes vers ſi nombreux parlent trop rarement.
En plaiſant à l'oreille , il ne dit rien à l'ame ;
Etjen'appellegrand que l'auteur quim'enflamme,
Qui mettantfous nos yeux nos penchans , nos erreurs
,
Semble le confident des beſoins de nos cooeurs ,
AVRIL. 1772 . 147
Nous ramène vers lui par un pouvoir qu'on aime ,
Et pour nous être cher , nous parle de nousmême.
Le parallèle d'Horace & de Rouſſeau m'a entraîné
, & j'ai laiſſé de côté Malherbe dont j'aurais
dû parler auparavant. Mais j'ai peu de choſe
åen dire. Il fuffiroit pour ſon éloge de te rappeler
qu'il écrivoit ſous Henri IV & qu'on a retenu
de fes vers . Onfait les ſervices qu'il a rendus à
la langue & à la poësie. Il avoit un ſentimentde
T'harmonie auffi exquis que Kouſleau lui-même ,
quoiqu'il n'ait pû en faire un autli bel uſage
parce que la langue poëtique n'étoit encore qu'ébauchée.
On a beaucoup admiré cette célèbre
paraphrafe d'un pallage d'Horace , la mort a des
rigueurs , &c. Les quatre premiers vers font
d'uneggrraande foiblefle. Les derniers font adımirables
pour le nombre ; & l'image qui termine la
période eſt belle. Mais j'avouerai encore que j'aime
mieux Pallida mors æquo pulfat pede, pauperum
tabernas, regumque turres, il y a plus de choſes
dans ces deux vers que dans les huit vers de
Malherbe, & le tableau me paroît bien plus frappant.
Au reſte on ſe tromperoit beaucoup , fi fur
la réputation de Malherbe on ſe promettoit un
grand plaifir de la lecture de ſes ouvrages. C'étoient
des efforts prodigieux pour ce tems - là ;
mais il ne faut pas lire les odes de Malherbe après
celles de Rouffeau.
Il faut bien parler de la Motte , puiſqu'il a
fait des odes. Mais la Motte étoit - il poëte ?
Etoit- il né pour faire des vers ou pour les fentir ?
Il y a de lui quelques ſtrophes élégantes , pas
une vraiment poëtique. Son ſtyle eſt de la plus
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
rebutante ſéchereſſe , & ſes vers d'une odieuſe
dureté. Il n'exiſtoit point d'harmonie pour cet
homme qui a rimé des pensées ingénieuſes. Il a
fait des opéra ballets d'une difpofition heureuſe
& ſemés de quelques jolis madrigaux ; il a fait
quelques fables pleines d'elprit & de finefle ; il a
Écrit enproſe avec une préciſion lumineufe, quoique
fa profe , comme ſes vers , ſoit dénuée d'imagination
; enfin il a rencontré le ſujet d'Inès ;
voilà ſa gloire. Il a joui dans un fiécle trèséclairé
d'une réputation fort au- deſlus de ſon mé
rite ; voilà fon bonheur.
De ſon tems on aimoit encore les odes. Aujourd'hui
on les abandonne trop. On n'en a pas
diftingué fix depuis vingt ans. Ily en a eu une
fur la mort de Rouſſeau. L'auteur paroît quelque
fois animé de la verve du poëte qu'il chantoit.
En voici une ſtrophe frappante. Il s'agit de
la fupériorité du grand homme ſur ſes ennemis,
Le Nil a vu ſur les rivages ,
De noirs habitans des déferts
Inſulter par leurs cris lauvages
L'aſtre éclatant de l'Univers .
Cris impuiſſans ! fureurs bizarres !
Tandis que ces monftres barbares
Poufſoient d'inſolentes clameurs ;
Le Dieu , pourſuivant la carrière ,
Verſoit des torrens de lumière
Sur ſes obfcurs blafphémateurs.
Je n'ai guères vu de plus grande idée rendue
par une plus grande image , ni de vers d'une harmonic
plus impoſante. Je ne connois point de
AVRIL. 1772 . 149
ſtrophe de Rouſſeau que je préférafle à celle- là.
Je la recitai un jour à M. de Voltaire qui l'admira
avec tranſport. Il y trouvoit tous les genres
de fublime réunis. Je lui en nommai l'auteur. Il
me pria de redire la ſtrophe. Je la lui redis , & il
l'admira encore davantage. Je pourrois parler de
quelques autres odes qui méritent d'échapper à
l'oubli. Mais ce morceau n'eſt déjà que trop long.
J'ajouterai cependant quelques lignes qui ſerviront
de réponſe à ceux qui me reprocheroient
d'énoncer mes opinions avec trop de liberté.
Je ne connois point d'autre politique en littérature
que d'être juſte & honnête. Ce n'eſt pas la
plus adroite ; mais c'eſt au moins la plus noble.
Ily a une foule de préjugés littéraires tenus en
réſerve par certains partis , comine des dépôts
précieux pour les paffions & pour la haine. J'enai
attaqué quelques-uns ; je pourrai en attaquer
d'autres. Mais je ne me fuis jamais écarté ni ne
m'écarterai jamais du ton qui convient à un homme
de lettres . On m'a toujours combattu avec
des injures & des clameurs. Je ne ſais point me
ſervir de telles armes ; mais je n'en ſuis pas effrayé.
Je ne doute pas que cet article neme vaille
encore des libelles . Mais s'il y a quelque vérité
dans ce que j'ai dit , on ne la détruira pas , &
l'on comparera le langage de mes adverſaires &
le mien. Ce parallèle me (uffiroit pour ma vengeance
, fij'en pouvois defirer une. On ira plus
Join peut- être. On me ſuppoſera quelque intérêt
à médire d'un écrivain mort. Cette fuppofition
feroit bien lâche , &je n'y oppoſe que la connoifſance
qu'ont beaucoup d'honnêtes gens de mon
caractère & de mes principes. Sij'avois ſu déguifer
mon eſtime ou mon mépris , je pourtois être
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
moins bien avec moi - même ; mais je ne ſerois
pas mal avec beaucoup d'autres. Si je me permettois
de regarder tel de mes ennemis comme un
homme vil , c'eſt ſur-tout quand on m'aflureroit
qu'il ne penſe pas ce qu'il écrit. Cette habitudede
mentir à ſoi-même doit être un odieux fardeau , &
l'ame qui n'en eſt pas accablée doit être une ame
plus odieuſe. On a imprimé queje facrifiois à une
cabale dominante les gens que j'eſtimois le plus
aufond du coeur : Je ne ſuis pas dans le cas de
facrifier perſonne , & je ne facrifie qu'à la vérité
qui n'eſt point une cabale , encore moins une cabale
dominante .
LETTRE de M. de la Harpe
à M. de L **.
Après tout le bavardage dont j'ai déja ſurcharge
votre Mercure de ce mois , pourriez - vous , Monſieur
, me donner encore une petite place pour
une nouveauté bien intéreſſante ? il ne s'agit de
⚫rien moins que d'un miracle , d'une réſurrection ;
c'eſtBoileau reffuſcité. Vous allez dire qu'on ne
peut pas reffufciter plus à propos , & que jamais
on n'eut tant de beſoin d'un prodige de cette
eſpèce. Mais vous refuferez peut- être d'y croire .
Du moins j'ai déja vû beaucoup d'incrédules qui
comparent le nouveau Boileau à cet aventurier
qui avoit pris le nom de je ne ſais quel empereur
mort , & qui finit par laver la vaiſſelle dans la
cuifine du prince regnant. Mais ces gens à comparaiſon
n'ontpas raiſon , je vous assûre , &
AVRIL. 1772. I
vous voulez jetter avec moi un coup d'oeil rapide
ſur l'Epître que Boileau vient d'envoyer de l'Elyſée
à Ferney , vous verrez qu'il n'y a point de
correſpondance mieux prouvée ni mieux établie ,
&qu'on ne peut s'empecher de reconnoître Boileau
, un peu changé , à la vérité ; mais la mort
change beaucoup un homme.
Lamiraculeuſe miſſive eſt précédée d'un avertiſſement
en profe. Vous ſavez que la proſe de
Boileau n'a jamais paflé pour bonne ; il ne s'eſt
pas corrigé chez les morts ; il a même empiré ,
comme de raifon . M. de Voltaire , très-hardi contre
les morts & contre ceux qui ne peuvent pas fe
défendre . Il est sûr que perſonne ne peut moins
Se défendre que les morts , & pour empêcher que
le ſecond membre de la phrafe n'eût l'air d'une répétition
niaiſe , il eût fallu metrre & contre les
vivans qui ne peuvent pas se défendre.
Peut- être cette réponſe lui fera - t elle quelque
peur des revenans ; ce n'eſt pas là le foible de M.
de Voltaire , & le dégoûtera de faire lefanfaron
avec les månes des Corneille , &c. Faire le fanfa
ron avec les manes eſt d'un ton tout- à- fait noble:
Son ombre ( de Boileau ) infultée , ayant porté fes
regards parmi nous, rappelle ces vers de la Riſſole :
LesHollandois réduits à du biſcuit de ſeigle
Ayant connu , &c.
Ny a vû d'un côté que la foule deses détracteurs
auſſi nombreux que la foule des fots. Cette phrate
de calcul eſt d'une tournure très - plaiſante. De
l'autre le petit nombre éclairé deſes admirateurs De
Sesadmirateurs ſembleroit être à l'ablatif par la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
conſtruction grammaticale , & l'on entendroit
éclairé de comme éclairé par ; éclairé ne pouvant
pas être l'adjectif de nombre qui en a déja un auparavant
; mais point du tout ; la phraſe n'auroit
point de fens , & le de eft au génitif. Boileau a
pu oublier un peu la grammaire depuis le tems
qu'il n'a écrit. Qui pufillanimes & fans courage,ces
deuxmots paroiſſent dire deux fois la même chofe.
Mais il faut croire que l'auteur y a vû quelque
différence. Pufillanimes fignifie étimologiquement
de peu de courage. Sans courage eft
une nuance de plus , crefcat oratio , tout eſt dans
les règles. Defpréaux s'est donc élevé lui- méme
pour repouffer la main qui est venu remuerfa cendreSatyrique.
S'élevé pour repouſſer eft une conftruction
heureuſe. Cendre fatyrique veut dire fans
doute que Boileau a confervé fon caractère même
parmi les morts , & c'eſt pour cela que de ſes
cendres il fort encore une fatyre. Les gens malins
diſent que cette fatyre n'est que de la cendre.
Mais nous allons voir le contraire tout à l'heure .
Il n'a pas pour cela négligé la raillerie ,ni lefel de
lafatyre quand ils'est trouvéfous fa main. Je ne
ſais pas fi le fel de la fatyre s'est trouvé fous fa
main , mais on ne convient pas qu'il l'ait répandu
à pleines mains. C'eſt encore une injuftice.
Si cesujet paroît trop férieux à de certaines per-
Sonnes, il laiſſera M. de V. donner la farce au
petit peuple , & c . Il n'y a aucune connexion entre
le premier membre de la phrafe & le ſecond.
Mais ce qui eſt plus remarquable , c'eſt M. de
V. donnantlafarce au petit peuple..
Il faut avouer que ſi ce précieux morceau de
proſe n'eſt pas de Boileau , celui qui a pris fon
AVRIL. 1772 . 153
nom s'eſt bien ſouvenu du précepte de Molière :
Quand fur une perſonne on prétend ſe régler ,
C'eſt par les beaux côtés qu'il faut lui reſſembler.
Paſſons à l'épître .
V. , Auteur brillant , léger , frivole & vain.
On retrouve dabord le caractère véridique de
Boileau . Brillant , il eſt difficile de nier que M.
de V. ait un ſtyle brillant. Léger. Il a excellé dans
ce qu'on appele la poëfie légère. Frivole. Il a fait
douze ou quinze Tragédies qui depuis quarante
ans font verſer des larmes chez tous les peuples
qui ont un théâtre , il a fait un poëme épique ,
le Siécle de Louis XIV , un Eſſai ſur l'Hiſtoire générale
, l'Hiſtoire de Charles XII , &c. Il y a des
perſonnes qui au premier abord ne trouveront
pas que ces ouvrages ſoient ſi frivoles. Mais c'eſt
faute d'attention ; car au fond, qu'y a- t-il de plus
frivole que des tragédies , des poëmes épiques &
des hiſtoires ? Il est vrai que M. de V. a écrir
ſur la géométrie ; c'eſt une petite difficulté ; je
n'oferais manquer de reſpect à la géométrie , au
point de la traiter de frivole. Mais , après tout ,
elle tient peu de place dans l'immenſe collection
de M. de V. , & il demeurera , malgré ſa géométrie
, un auteur très frivole. Vain. Il n'y a
guère d'écrivain qui ne le ſoit un peu , & l'on croi
roit d'abord que c'eſt là un trait vague. Mais
Fauteur veut dire qu'un homme eſt d'autant plus
vain qu'il a moins de mérite & qu'il s'en croit davantage
; ce qui eſt évidemment le cas où ſe
trouve M. deV.
;
G
2
154 MERCURE DE FRANCE.
Zoïle de Corneille & flatteur de S **.
Zoïle étoit un homine très- ſavant qui avoit le
malheur de ne trouver rien de bondans les écrits
d'Homère , ni dans les meilleurs ouvrages de fon
temps. A la ſcience près , beaucoup de gens lui
reſſemblent aujourd'hui. M. de V. eſt donc le
Zoïlede Corneille, s'il a méconnu toutes les beautés
de Corneille , ce dontil eſt aiſe de ſe convain
cre, en lifant le commentaire où il n'y en a pas
une qui ne ſoit exaltée avec enthouſiaſme. Flatteurde
***. Cela ſignifie ſimplement que M. de
V. a dit à M. S*** des vérités flatteuſes comme
Boileau en diſoit à Louis XIV. Quand M. de
V. appele Boileau flatteur de Louis , il ne veut
pasdire qu'il ait tortde louer un grand roi trèslouable
à beaucoup d'égards ; & Boileau qui parodie
les vers de M. de V. , n'a pas donné un
autre ſens que lui à ce mot de flatteur ; ainfi
iln'y a rien à dire.
Qui ſans cefle affectant de blâmer la ſatyre ,
As vaincu l'Arétin maître en l'art de médire.
Maitre en l'art de médire eſt une appofition un
peu traînante , dira - t- on , mais on ne peut nier
que M. de V, quand il s'eſt mêlé de ſatyre , n'ait
beaucoup mieux écrit que l'Arétin. Ainfi Boileau
a dit la vérité ,
Aquoi bon d'un eſprit ſi foible à ſon déclin.
Rien ne prouve mieux le foibleſſe de cet eſprit
que l'Epître à Boileau qui a occaſionné cette réponſe
, & que tout le monde fait par coeur. En
AVRIL.
1772. 155
général , rien n'eſt ſi miférable que ces vers qu'on
retient ſi facilement ; c'eſt une preuve qu'ils n'ont
rien d'extraordinaire.
Sur un ton familier moins plaiſant que malin.
L'auteur ne ſeroit pas content ſi des gens de
mauvaiſe humeur lui diſoient qu'il n'eſt ni malin
ni plaifant , il feroit fur - tout fâché du premier
reproche.
En des vers dépourvus de cadence &de nombre.
Vous allez voir comme l'auteurdonne l'exemple
de la cadence & du nombre dans le vers ſuivant.
1
Venir apostropher &gourmander mon ombre .
On peur dire avec Molière :
Ces trois infinitifs font admirablement.
Vous imaginez bien , Monfieur , que je ne prétends
point ſuivre ainſi pas à pas le ſatyrique refſuſcité.
Vous voyez dèja qu'à quelques petites difficultés
près , c'eſt l'équité , la juſtefle , & même
l'élégance de Boileau. Pour achever de vous convaincre
, il me ſuffira de mettre ſous vos yeux un
certain nombre de vers dont tous les lecteurs ſaifiront
aifément les beautés, fans que je prenne la
peine de les détailler.
Eh bien donc , raiſonnons , car toujours badiner,
Turlupiner , railler , fans jamais raiſonner,
C'eſt imiter le ſinge , & payer en gambades.
Le bouffon démaſquéparmoivitſa baffeſſe ,
Gvj
1.56 MERCURE DE FRANCE.
Y
Etnon moins ennemi d'un ſtyle trop hautain , &c.
Des ſuccès de Pradon je fis rougir la scène.
Je dégoûtai Quinault d'affadir Melpomene.
Si des ſots en faveur , ma muſeſe moquant', &c.
Ma plume ramaſſant l'infamie & l'ordure ,
A-t-elle fait fur lui couler lafale injure?
du Poëte ennuyeux , cenfurant le travers.
Mais toi que dans ce champ lajalousie attire
Qui voudrois des beaux arts voir les derniers débris
,
Et toi ſeul y regner avec tes ſeuls écrits , &c.
,
Quoique j'aye promis de ne faire aucune remarque
, je ne puis m'empêcher d'obſerver combien
il eſtnaturel qu'un homme veuille d'abord voir
les derniers débris des arts , & enſuite y regner
avecfes écrits . Ces deux deſirs s'accordentà merveille.
Ta folle ambition , ta vaineſuffisance ,
Contre les vrais talens arma ta médiſance .
De tout mérite obſcur protecteur déclaré ,
Le ſot qui t'admira par toi fut admiré.
Lefot est néceſſairement le nominatif des deux
vers. Ce n'eſt point là le cas de l'ablatif abſolu .
Boileau s'est réconcilié avec les ſoléciſmes . Mais
ce qui prouve que c'eſt toujours lui , c'eſt qu'il
ſe répète ; il avoit déja dit :
Unfottrouve toujours unplus ſot qui l'admire.
AVRIL. 1772. 157
Un autre àMelpomene impose un nouveau ton ;
Et fait parler Eustache au lieu d'Agamemnon .
Ce dernier vers eſt gai. Le ſatyrique veut abſolument
qu'un perſonnage tragique s'appele Agamemnon
, & non pas Euftache. J'avoue qu'Euftache
n'eſt pasfi harmonieux qu'Agamemnon .
Mais auffi on ne peut pas empêcher qu'un hommequi
a fait une belle action s'appele Eustache.
Tout ce qu'on peut faire , c'eſt de ne le nommer
que le moins qu'on peut , & de le faire parler en
vers auſſi harmonieux , auſſi nobles , auffi naturels,
auffi touchants que ceux que prononce Agamemnon
.
Apropos de ce plaiſant reproche d'appeler un
homme par fon nom,je me ſouviens d'avoir eſſuyé
moi- même une cenfure auffi merveilleuſe. Dans
une longue &plate facétie qui courut le monde
dans le tems où leDrame de Mélanie parut, & que
l'auteur a imprimée depuisdans ſes ouvrages pour
achever de la faire oublier , on faiſoit l'énumération
de tous les chefs - d'oeuvre de la ſcène , & l'on
finiſſoit par un défi très - ingénieux de trouver un
Curédans aucune de ces pieces. Qu'il y a d'eſprit
& de fineſſe dans cette tournure , & que c'eſt-là
de labonne plaiſanterie ! En vérité ,je ferois tout
auffi furpris de trouver un Curé dans Cinna , que
de voir un conful dans Mélanie.
Vous me pardonnerez cette digreſſion qui peut
égayer le lecteur. Encore quelques vers du nouveau
Boileau , plus amuſans que mes digreffions.
Tous ſans rien redouter de ta plaiſanteric
158 MERCURE DE FRANCE .
Peuvent du goûtfrançois háter la barbarie
Dans ce nombre effrayant d'auteurs dont les écrits
Menacent chaque jour de noyer tout Paris ,
Et vont par des torrens defaux goût , d'ignorance
Dans une nuit barbare enfevelir la France , &c.
Enfevelirdans la nuitpar des torrens ! Voilà
des métaphores ſuivies , voilà Boileau.
Sous couleur d'illustrer Corneille & fa mémoire
, &c.
Et de faire beaucoup au lieu defaire bien , &c.
En voilà bien aſſez , Monfieur , & vous voyez
que c'eſt à peu de choſes près le ſtyle de l'art poëtique
, c'eſt Boileau tout pur. Boileau attaquoit
de ſon vivant les Pradons , les Cotins , les Chapelains
, les Scuderis , &c . Boileau après la mort
attaque les Volt. , les St. L. , les S , lesTh. , les
Marm. , &c. Or ileſtévidentque M. de V. a remplacé
Pradon,que M. de St. L. nous a rendu Chapelain
, queles panégyriques de M. Th. ont fuccédé
aux fermons de Cotin, &que l'auteur de Spartacus
, de Béverley , &c , eſt un nouveau Scudéri.
Vous me direz que ſi je parois ſi content de
l'ouvrage , c'eſt que j'y ſuis mieux traité que tous
les hommes célèbres dont je viens de parler. Il eſt
vrai que je n'ai pas à me plaindre de l'auteur ; il
ne me fait d'autre reproche que d'avoir loué la
tragédie d'Oreſte que j'ai appelée ,dit- il , un chefd'oeuvre
des cieux. Je n'ai jamais appelé Oreſte
un chef- d'oeuvte des cieux , ce qui ſeroit un peu
AVRIL. 1772 . 159
plat. Je ne l'ai pas même app elé un chef- d'oeuvre
du théâtre ; il ne m'appartient pas de prononcer ſi
décifivement, mais j'avoue que j'ai beaucoup loué
les beautés que j'ai cru y voir , & je ne peux pas
m'en repentir. Il ajoûte que je me promets bien
d'être unjourle légataire deMde. V. Ceux qui
croyent que dans l'Epître nouvelle il n'y a deBoileau
que le nom, diſent que fije ne ſuis pas plus
légataire de M. de V. que l'auteur ne l'eſt de Boileau
, ma fortune n'eſt pas encore faite .
Au reſte , ſi le talent poëtique ne fait pas réuffir
cette fatyre , vous conviendrez au moins que
l'intention de l'écrivain doit en faire le ſuccès.
J'ai l'honneur d'être , &c .
SPECTACLES.
OPÉRA.
SUR LA MUSIQUE ,
à l'occafion de Cuftor.
DEPUIS le départ des Bouffons , les querelles
fur la Muſique s'étoient aſſoupies ; non , qu'un des
deux partis s'avouât vaincu. Dans les guerres
d'opinion , c'eſt ce qui n'arrive jamais. L'obſtination
naît de la contrariété , les opinions ſe hériflent
, & chacun demeure inacceſſible dans la
fienne . Le filence des combattans ne venoit donc
que de laſſitude ; la paix qui règnoit n'étoit qu'une
trève , & cette trève eſt rompue.
Dans les débats qui viennent de ſe renouveller ,
160 MERCURE DE FRANCE .
nous accuſerions volontiers le parti François d'être
l'aggrefleur. Le ſuccès de Caſtor a enflé fon
courage. L'argent des recettes devient un argument
triomphant pour ſa cauſe , il s'en prévaut &
affecte du mépris pour la cauſe contraire. Nul
ſentiment n'eſt plus für du retour que celui- là;
auſſi l'en a - t'on payé ; de là, les injuſtices réciproques
; d'une part , Castor est au- deſſus de touze
muſique italienne , de l'autre , Castor ne vaut
pas mieux que le dernier des opéra françois.
Entre ces ſentimens il en eſt un moins extrême
&plus ſage; ofons l'indiquer , & puiſque l'opéra
de Caſtor eſt l'objet actuel de la diſpute ,
puiſque c'eſt l'étendart ſous lequel on ſe bat ,
faiſons un examen impartial de cet ouvrage ;
n'en diffimulons ni les beautés , ni les défauts.
Cette analyſe raiſonnée deviendra un traité ſur
le genre même : heureux , fi nos vues concouroient
à le perfectionner . *
Dans l'examen de Caſtor , nous commencerons
par l'Ouverture que nous jugeons être d'un effer
fimple & noble. Une dans ſon chant ; une dans
* C'eſt içi le lieu de prévenir le lecteur ſur la
marche interrompue que nous allons fuivre. Nous
ne ſaurions procéder autrement , puiſque nous
devons pafler à tout moment du particulier au
général. Que le lecteur ne regarde nos aflertions
que comme des obſervations appuyées le plus
ſouvent ſur le jugement même d'une grande partie
du Public. L'auteur ne prétend point affecter
la ſupériorité d'opinion : après de longues reflexions
, il feroit poſſible qu'il éclarât quelques
perſonnes , mais , lui - même , il ſouhaite qu'on
l'éclaire.
AVRIL. 1772 . 161
ſes modulations , & composée avec cette chaleur
qui n'a jamais abandonné Rameau dans ſes compoſitions
inſtrumentales .
Nous n'aurons pas l'injustice de comparer
l'ouverture de Caſtor avec les ſymphonies que
l'Allemagne nous a données depuis douze ou
quinze ans , avec les ouvrages des Stamits , des
Holzbaur , des Toëschi , des Bach , avec ceux de
M Goffet , devenu le muficien de notre Nation
pour cette partie. Les morceaux que je cite ont
l'avantage de produire ſouvent du chant autant
que du bruit. Les compoſiteurs y ont raſſemblé
une multitude d'inſtrumens différens , dont quelques-
uns n'étoient point en uſage au tems où
Caſtor fut écrit. Tous ces inftrumens , dont la
réunion nourrit lecorps des ſymphonies modernes
, y jettent une variété charmante , lorſqu'ils
ſe font entendre ſéparément , ou qu'ils figurent
tour- à - tour. Les nuances du doux au fort , continuellement
& graduellement ménagées , font
encore des fineſſes de l'art , dont Rameau faifoit
peu d'ulage. Ses morceaux ſont d'une teneur ,
comme on peut s'en appercevoir dans l'ouverture
de Caſtor. De ſon tems l'art de l'exécution
étoit moins perfectionné qu'il ne l'eſt aujourd'hui.
Rameau , dans ſa vieilleſſe le ſentoit ; il
étoit le premier à le dire , il s'affligcoit que fon
génie l'abandonnât lorſque ſon goût s'éclairoit.
Il admiroit de bonne foi ceux qui affectent aujourd'hui
de le mépriſer ; n'est- ce pas une preuve ,
que leurs talens ſont dignes d'admiration , & que
les fiens ne ſont pas faits pour le mépris ?
Quelques perſonnes qui ſavent entendre &jager
la muſique , n'ont aucun goût pour celle qui
n'est qu'inſtrumentale. D'où vient cela ? Cette
162 MERCURE DE FRANCE .
L
exclufion (que nous ſavons être donnée par des
hommes d'un mérite ſupérieur ) ne tiendroit-elle
pas à cette curiofité philoſophique , qui cherche
à ſe rendre compte de tout , qui veutdonnerun
nomà nos ſenſations , à nos plaiſirs ? Lorſqu'on
entend une ſymphonie , on ſe demande ce qu'elle
dit, ce qu'elle peint ; quelle a été l'intention de
l'auteur ? Ces queſtions témoignent évidemment
que ceux qui les font ſont peu touchés de ce
qu'ils entendent. Si la muſique les eût ſaiſis , ils
n'en chercheroient pas l'interprétation. Eh quoi !
lorſqu'on voit un beau viſage , ſe demande - t'on
la raiſon du plaifir qu'il nous fait ? Que dis -je ?
S'il falloit affigner cette raiſon , la trouveroiton
? Un beau chant , comme un beau viſage ,
porte avec lui ſon effet , ſon plaiſir , indépendant
de l'imitation , & donné par le rapport intime
qu'ils ont l'un & l'autre avec nos fens. Si le beau
chant imite quelque choſe , c'eſt un ſecond plaiſir
que la réflexion y fait trouver , mais l'inſtinct
plus promt a joui du fien antérieurement. Les
perſonnes qui n'aiment point la muſique inſtrumentale,
n'ont beſoin , je crois , pour l'aimer, que
d'acquérir l'habitude de l'entendre. Revenons à
Caſtor.
Tout le premier acte , juſqu'au divertiſſement,
eſt abfolument (ans muſique. Ce n'eſt que du ré .
citatif , & du récitatif dont la lenteur aflomme.
Qui doute , qu'à la place du monologue éclatex
mes justes regrets , un bel air meſuré, caractérité,
ne titât nos oreilles de l'engourdiſſement où la
monotonie les jette ? Quant au ſimple récitatif
de dialogue , c'eſt de toutes les parties de l'art la
plus délicate à traiter , c'eſt celle où il eſt le plus
difficile de mettre d'accord le raiſonnement & l'ex .
périence.
AVRIL
. 1772 . 163
Ane conſulterque le taiſonnement,le récitatif
italien réunit tout ce qui peutconſtituer la perfection.
Il eſt ſimple, déclamatoire , facile à dé- biter. Ses intonations , nous dit on , ſont conformes
à l'accent de la langue parlée. ( Nous ne vou- drions l'affirmer qu'après une longue obfervation.
) Quoiqu'il en ſoit , ce récitatif, tout par- fait qu'il eſt , ennuie ceux qui l'écoutent ; il pro- duit cet effet fur les nationaux mêmes , & l'on ne
peut s'en prendre aux paroles , puiſque les Ita- liens ont des poëmes dont l'enthouſiaſme ultra montain s's'exagère peut- être le mérite réel.
nous
Que le récitatif italien ne plaiſe pas, on a droit de s'en étonner; mais que le récitatif françois
attache & intéreſſe , nous en étonnerons
moins ? C'eſt pourtant ce qui arrive toutes les fois que la ſcène par elle même eſt bien faite. On n'en citeroit pas une peut être que le poëte ait bien conçue , bien traitée , & dont le muficien
par ſon récitatif ait détruit l'effer.
Concluons que leprincipat mérite d'une ſcène , même à l'opéra , conſiſte dans la ſituation , dans le dialogue , & dans la beauté des vers ; le ſpec- tateur le rend indulgent ſurtout le reſte; il l'eſt au point même de ne pas relever les fautes eſſen- tielles de déclamation . Dans la belle ſcène de Dardanus
au fecond acte , l'eſpèce d'air
Arrachézde mon coeur le trait qui le déchire.
eſt applaudi , quoiqu'il fafle un contreſens avec la fituation.Cet air a paru néceffiter l'actrice à le chan. ter lentement; mais comment admettre de la len- teur dans le moment le plus vif , dans le moment où Dardanus vient d'apprendre qu'il eſt aimé ? Eh quoi ! cet amant tranſporté de fonbonheur , fouf164
MERCURE DE FRANCE.
fre qu'Iphiſe , avec des répétitions lentes &trafnées
, lui demande de la délivrer de ſon amour?
Il ne l'interrompt pas ? Il ne s'écrie pas ,
Dieux ! qu'exigez-vous de mon zèle.
Je voudrois refferrer une chaîne fi belle
Loin de fonger à la brifer ?
..
2
Ce manque de vérité ſi eſſentiel n'a point été
ſenti du plus grand nombre.
Puiſque j'ai cité la belle ſcène de Dardanus, je
propoſerai un changement qui pourroit y être
avantageux ; que l'on me pardonne cette courte
digreffion. Dardanus eft fans armes , il a jeté la
baguette qui faifoit ſa füsté. Iphiſe oppoſe , aux -
inftances de fon amour , la noble réſiſtance du
devoir. Qu'Arcas paroifle en ce moment ; qu'avec
une troupe nombreuſe il inveſtiſle le héros. Iphiſe
oublie ſa vertu , ſa fierté ; elle ne voit plus qui
le péril de fon amant , elle le ſuit avec des cris
dedéſeſpoir, en accufant la trahiſon de ceux que
l'enchaînent. Ce mouvement nous ſemble tragique,
il termineron l'acte avec chaleur.
La réforme la plus eſſentielle , la plus preſlante
qu'ilyait à faire à notre récitatif , c'eſt que les acteurs
le débitent beaucoup plus qu'ils ne font. Ce
conſeil ſeroit inutile pour quelques - uns d'entreeux,
mais l'exemple de ceux-là, leur ſuccès, doivent
ſervir de modèle & d'encouragement aux autres.
Le reciratif du Devin du village eſt un chef-d'oeu
vre , il ne reſſemble à aucun autre, il réunit tous
les avantages ; il eſt ſimple , gracieux , chantant
&vrai ; il l'eût paru bien davantage , ſi l'on eût
ſuivi l'intention de l'auteur dans la façon de le
debiter.
Nous voici parvenus à l'examen du premier
AVRIL . 1772 . 165
divertiflement de Caſtor. L'air qui ouvre ce di
vertiflement eſt d'un beau caractère. Les menuets
qui ſuivent font moins dignes de Rameau Le
chant en eft commun & obfcurci par un accompagnement
de baflon, qui ſans être figuré , produit
cependant quelque confufion. Les gavottes
légères n'ont rien de diftingué. Les deux airs vifs
de la fin ſont plus brillans.
La fête eſt interrompue par l'annonce des trou
bles que Lincée a ſuſcités. Ce moment eſt théâ
tral; le bruit de guerre eſt plein de force & de
chatcur. C'eſt plus que du bruit , les penſées en
font caractériſées ; l'auteur a marqué dans le
rhythme , des fecoufles qui ſe tranfimettent aux
ſpectateurs . Rameau , dans ce morceau & dans
pluſieurs autres , nous ſemble un muficien ſupérieur&
que nul autre n'efface. L'inſtant où l'on
annonce que Caſtor vient de périr , eft intéreſ
ſant. Le chant du choeur qui ſuit , nous attendrit
toujours ; nos larmes coulent à ces mots , O perte
irréparable. L'acte finit auſſi heureuſement qu'il
ſe puifle , avec éclat & intérêt.
Le ſpectacle qui ouvre le ſecond acte produit
un contraſte heureux . Ces oppofitions bien ménagées
dans l'opéra de Caſtor font une des raiſons
les plus certaines de ſon ſuccès. Les deux premiers
vers du choeur , Que tout gémiſſe , chantés à voix
bafle font un bon effet. Les deux notes lentes &
ſéparées que l'orchestre fait entendre dans le filence
du choeur , méritent fur-tout qu'on les diftingue;
elles portent un caractère fimple & touchant.
Mais au vers , Préparons , élevons d'éternels, &c.
tout le charme eſt détruit. Ce n'eſt plus qu'une
harmonie lourde &plaquée , où les accords s'entaffent
fans deſlein ni mélodie. Aufſi de ce mo
166 MERCURE DE FRANCE.
ment renforce- t'on la voix ; rien ne rappelle plus
à ce morne & triſte abattement qu'exprimoient
d'abord des lons interrompus , des ſons voilés &
afforblis. On demande aux amateurs de la vraie
mufique pourquoi ils font jaloux de ſentir dans
chaque morceau un ſujet , un motif bien exprimé;
le voici. C'eft que ce motif une fois donné,
le caractère de l'air eſt déterminé. Toutes les idées
doivent émaner de la première , & lui appartenir
par un rapport ſecret ; elles doivent avoir toutes ,
entre-elles,cette reflemblance diverſifiée qui convient
à des ſoeurs , Qualem decet effe fororum.
Dans ce groupe d'idées affiliées , lorſque l'idée
mère vient à reparoître , lorſque le motif ſe fait
réentendre , l'oreille le retrouve avec un plaifir
plus grand qu'auparavant , comme ſi elle luitenoit
compte de tout ce qu'il a produit. Quiconque
ne fent pas ce que je dis , doit renoncer à en.
tendre jamais la muſique.
Dans le choeur que tout gemiſſe , le trait de ſym.
phonie chromatique eſt à citer. Ce paſſage d'harmonie
ſi ſouvent employé depuis , confervoit encore
quelque feur de nouveauté lorſque Rameau
en fit uſage. Il l'a rendu plus frappant, en yjoignant
la note tonique que les choeurs chantans
ſoutiennent à des octaves différentes , tandis que
les violons font entendre le chromatique qui defcend.
Le crefcendo ajoute encore une nouvelle
énergie à ce paflage : mais nous ne penſons pas
que Rameau l'ait eu en vue. De telles fineſles
dans l'exécution n'étoient point pratiquées de fon
tems; ſi cet artiſte pouvoit revivre , il verroit fon
ouvrage rendu plus ſoigneulement que lorſqu'il
préſidoit lui -même à l'exécution..
Le choeur que tout gemiſſe eſt une très - belle
!
AVRIL. 1772 . 167
choſe pour le tems où ce choeur fut compoſé.
Mais ſuppoſons que Rameau eût imaginé le premier
morceau du Stabat , & qu'il y eût attaché
les plaintes funèbres de Caſtor ; croit - on qu'il y
cût à perdre au change ? Cette épreuve pourroit
encore ſe tenter.
Au choeur dont nous venons de faire l'analyſe,
fuccéde le monologue triſtes apprêts. Nous dirons
du monologue ce que nous avons dit du
choeur , qu'il fut fublime dans ſon tems , qu'il furpalla
de beaucoup tout ce qui avoit précédé , &
qu'a préſent un bel air feroit un effet bien plus
fenfible. Cette conjecture ne nous ſemble point
hafardée ; & ce qui, pour nous , n'a pas moins
d'évidence , c'eſt qu'à la repréſentation , le monologue
dont il s'agit, jere du froid fur les ſpectateurs.
Sans doute le grand nombre ſe le diffimule;
car telle eft la force de la prévention , qu'elle nous
trompe fur nos ſenſations mêmes , & nous arrache
des applaudiſſemens dans l'inſtant où l'ennui
nousglace intérieurement.
* La ſcène troiſième du ſecond ade rend bien
fenfibie le défaut du récitatif lentement débité ;
elle ajoute au froid du monologue précédent ;
ainſi , l'acte va toujours en s'affo bliflant juſqu'à
ce que le divertiflement le ranime.
Comme nous nous ſommes promis de ne rien
omettie de ce qui nous ſemble digne d'éloge ,
nous citerons ce moment du choeur :
Le cri de la vengeance est le chant des enfers.
Ce chant eft articulé , fier , bien contraſté dans
les parties , & en tout d'un bon effet muſical.
C'eſt ici le lieu de faire , fur tous les choeurs
:
168 MERCURE DE FRANCE
que l'on entend à l'opéra , une obſervation que
nous croyons eflentielle. Si quelque choſe pouvoit
nous la rendre ſuſpecte , c'eſt qu'elle eſt ſi
fimple , qu'elle n'auroit du échapper à aucun des
muficiens qui ont travaillé pour ce ſpectacle , &
nul ne l'a faite.
Ecoutez un choeur à l'opéra , vous entendrez
preſque toujours dominer les tailles & les hautecontres
, qui ddaanns la diſtribution de l'harmonie
cependant ne font chargées que des parties de
rempliflage. Ces voix correfpondent aux Alto
dans l'orchestre; mais ceux-ci ne dominent jamais
, on ne peut guères les diftinguer que lorfque
le filence des bafles les laifle figurer. Pourquoi
n'en eſt il pas de même des tailles chantantes
? On devroit en diminuer le nombre , eu leur
faire diminuer la voix. Ce dernier avis s'éten
droit à merveille à la partie entière des choeurs ;
ils fonttrop criés. Dela, les tons faux ,dela encore,
l'exécution lente & ſouvent infidèle; les choeurs
ſe traînent après l'orchestre comme une mafle
lourde & pareſſeuſe que preſſe envain l'éguillon
de la meſure.
Les choeurs font des ſymphonies chantées. Jeunes
Artiſtes qui deſtinez vos talens aux compofitions
théâtrales , ne négligez pas d'étudier la
bonne muſique inſtrumentale. C'eſt - là que l'art
déploie toutes ſes reflources ; ily marche ſeul ,
rien ne l'aide , ni ne le contraint. Une idée naît de
l'autre , fans autre dépendance que celle du chant
même . Que de traits de ſymphonie raviroient ,
tranſporteroient , ſi l'on yjoignoit du ſpectacle ou
des paroles !
La marche des Spartiates , par laquelle le divertiſlement
commence , eft très-belle. Elle a furtour
AVRIL. 1772. 169
:
tout l'avantage de remplir parfaitement l'idée
qu'on s'eſt faitede ce peuple fier & guerrier. L'air
meſuré en eſt écrit avec chaleur , & ne dégénère
point du caractère ſpartiate. Le ſecond air
de la victoire ( mouvement à trois tems ) eſt
vif, animé ; & la contredanſe de la fin qui reſpire
la gaîté , en auroit encore plus le caractère ſi on
l'exécutoit plus gaîment.
Nous paſions ſous filence l'air Eclatex fières
trompettes , parce que nous n'avons point remarqué
qu'il eût des partiſans & parce qu'il ne mérite
pas d'en avoir. Ceux qui ont vécu avec Rameau
les dix dernières années de ſa vie , ont pu
l'entendre ſe juger , & fe condamner lui- même
fur ce que nous appellons les ariettes & fur les
duos. A la dernière remiſe desfêtes de l'Hymen
& de l'Amour , on lui demandoir de refaire un
duo, « Vous vous moquez , répondit-il , je n'en
>> ai jamais fait debons. >> Cet artiſte , allez grand
pour avouer les fautes , ne ſe diſſimuloit pas non
plus les avantages de la muſique moderne. « Je
>> fais mieux qu'autrefois ce qu'il faut faire , diſoit-
il , mais je n'ai plus de génie. » Qu'il eſt
fatisfaiſant de mettre en oppofition ce témoignage
impartial d'un grand homme qui s'inculpe
lui- même , avec l'aveugle prévention de ceux qui
outrent ſon éloge ! Je crois voir Rameau , avec
ſa franchiſe ſauvage , repoufler l'encens de ces
flatteurs indignes de le louer. Il auroit pu leur
dire , ce que nous-mêmes nous leur adreſlons ici.
Quiconque rabaille la bonne muſique italienne
& celle de nos opéra- comiques , pour élever Rameau;
trente ans plûtôt, eût été le détracteur le
plus opiniâtre de Rameau lui-même .
Tout le troiſième acte de Caſtor nous paroît
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
froid & ennuyeux. Il n'eſt pas difficile d'en trouver
la raiſon. La muſique inſtrumentale eſt , en
grande partie , du même ton & un peu lente. Toutes
les ſcènes manquent d'intérêt & font inutiles
àl'action. Aufli , penfons nous que l'opéra gagneroit
au retranchement de cet acte entier. Pollux
n'a que faire du conſentement de Jupiter
pourdefcendre aux enfers. Soutenu de ſon courage
, il peut ainſi qu'Hercule , s'en ouvrir le chemin&
il feroit mieux que Mercure, qui l'accompagne,
ne ſervît pas de jouet aux Furies, comme
il en ſert au quatrième acte.
Dans le tems où l'on a vu l'opéra de Caſtor
avec le plus d'enthouſiaſme , on a cherché des façons
extraordinaires de le louer; & l'on avoit
imaginé de dire que la muſique des Cieux étoit
toute différente de celle des Champs Elysées , par.
ce que l'une & l'autre peignoient deux états de
félicité différens . Peut-être auroit - on embarraflé
ceux qui failoient cette diſtinction ſubtile , fi on
les avoit preflés de définir les nuances qu'ils
voyoient ſi clairement exprimées : le bonheur du
Ciel , comme celui des Champs Elysées , conſiſte
dans un état de quiétude & de ſérénité , qui ſuppoſe
le même caractère de muſique. Veut on que
les voluptés célestes admettent plus de trouble&
d'enivrement ? Cela n'eſt point exprimé dans la
muſique de Rameau : au contraire , elle eſt au
troiſième acte , moins animée ,moins variée qu'au
quatrième. L'air charmant Que nos jeux comblent
nos voeux , ſe chante dans le Ciel , & n'eût
pas moins convenu à l'Elysée ; les deux gavottes
tendres du quatrième acte conviendroient de
même aux voluptés célestes ; mais obſervons que
Rameau ne les a compoſées pour aucune de ces
AVRIL. 1772. 171
deux circonstances. Il les fit pour fon prologue.
Delà que conclure ? Que l'enthouſiaſme va trop
loindans ſes éloges , & qu'un beau chant s'applique
également bien à des ſituations qui ne font
pas abſolument les mêmes. La muſique (ſi j'oſe
ainſi parler) peint les genres plus que les eſpèces.
Elle eſt tendre , & quelquefois avec une nuance
de triſteſle; elle eſt gracieuſe , gaie ,fière , vive,
bruïante. Chacun de ces caractères comprend
une certaine latitude qui embraſſe toutes les nuances
douteuſes. Parlons de bonne foi ; qui de nous,
s'il eûr entendu hors du théâtre , dans une fête ,
par exemple , le trio du tableau d'Azor , exécuté
ſeulement par des cors & des clarinettes , y eût
appliqué le ſentiment de la triſteſle ? Le caractère
gracieux & tendre , ſi je ne me trompe , auroit dû
plutôty être ſenti. Au théâtre ce morceau prend
la nuance de triſteſſe que la ſituation & les paroles
lui communiquent; il ſecolore du reflet de ce
qui l'entoure.
:
Je ne ferois pas étonné que l'on ne trouvât point
le caractère de la triſteſle précisément exprimé
dans lepremier morceau du Stabat; la muſique ,
fur- tout ,jugée indépendamment des paroles , &
comme ſymphonie.Que dis-je ?Cet avis eſt le nôtre.
D'autres penſent que ce morceau est le ſcul
où les inſtrumens aient l'air de gémir & de pleurer.
Quelque ſoit de ces deux avis celui que.
l'on doit préférer , leur différence ſuppoſe quelque
choſe d'indéterminé dans l'expreffion de la
muſique. Sans doute on ne me reprochera pas
d'être en contradiction avec moi-même , en propoſant
pour les cérémonies funèbres de Caſtor
unemuſique que je ne juge pas profondément trifte.
Cequej'ai dit des latitudes de chaque caractè-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
re , del'illufion du théâtre , & enfin du trio d'Azor
fuffit pour me justifier .
Puifque j'ai entamé cet article intéreſiant du
rapport intime de la muſique avec les paroles , je
propoſerat aux gens de goût , aux philoſophes
fur tout qui ſont verſés dans la connoiflance de
l'art,une expérience qu'en mon particulier j'ai faite
aſſez ſouvent. En lifant Métaſtaſe, je me deinande
àchaque air quelle muſique il comporte. Quelquefois
je ne trouve dans les paroles tien de bien
déterminant ; d'autres fois , il ſe préſente un autre
embarras. L'air porte ſur une comparaifon ;
dans ce cas , d'où tirer le caractère de la muſique?
Eft-ce de la fituation dans laquelle le perſonnage
ſe trouve , ou de l'allégorie qu'il emploie ? Le
premier feroit plus vrai ; mais en s'y arrêtant , la
muſique court rifque de contredire les vers. Ci--
tons un exemple à l'ouverture du livre . Au premier
acte d'Artaxerce , Megaclès amoureux de
Semire , & accablé de les dedains , lui dit qu'il
ne peut ſe diſtraire de ſon ſouvenir.
AIR: Le Guerrierfonge aux camps ; le Chaffeur
aux forêts ; le Pécheur aux filets & aux
hameçons ; je ſonge à celle que je defire &que
j'appelle.
Quel ſera le caractère général de l'air ? D'où
le muficien tirera - t-il ſon motif ? Est- ce de la
douleur & du déſeſpoir de Megaclès ? Est- ce de
ce vers ,
Le Guerrier ſonge aux camps ?
•La précipitation avec laquelle nous écrivons
ceci , ne nous permet pas de chercher d'autres
:
AVRIL. 1772 . 173
exemples. Nous ne doutons pas qu'il ne s'en préſente
pluſieurs aux lecteurs attentifs & non prevenus.
Revenons à Caſtor .
Lepremier choeur du quatrième acte eſt plutôt
de la muſique bien faite que de la muſique d'un
grand effet. L'artiſte avoit à ſoutenir long- tems
le même genre ; il a ménagé des gradations , &
paroît avoir moins fongé d'abord à produire la
terreur , qu'à y diſpoſer les eſprits. Le deſlein du
choeur dont nous parlons eft noble & fier ; & , ce
qui eſt aſſez remarquable , il reſſemble à ungrave
des concerros de Geminiani , que j'ai toujours entendu
appeler les portes de l'enfer. J'ignore d'où
lui vient cette dénomination. Letno , rentrez ,
rentrezdans l'esclavage , comme morceau de Fa-
Eture , a joui d'une grande réputation; ce trio
réuffit moins aujourd'hui , parce que l'on juge
l'effet plus que le travail du compoſiteur , & plus
que la combinaiſon des parties. Cette combinaifon
n'est rien dans le choeur Briſons tous nos
fers , mais l'effet en eft prodigieux . Ce morceau ,
nous prenons plaiſir à le confefler , nous paroît
fublune. La marche diatonique en montant,que
l'artiſte y a employée , de meſure en meſure, renforce
l'effet; jamais nous n'avons entendu ce
pailage, fans éprouver ce friffonnement qui fait
pointer les cheveux fur la tête. Sans doute les Euménides
d'Eſchile chantoient ſur une muſique
ſemblable , quand le peuple d'Athènes crut voir
les enfers s'ouvrir devant lui , quand l'effroi des
femmes alla juſqu'aux douleurs de l'avortement .
Après ce témoignage fincère de mon admiration
pour le choeur dont il s'agit ,je demanderai
aux artuftes fi Rameau n'eût pas mieux fait en
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
cored'y mettre les inſtrumens à l'uniffon des voix?
C'eût été en doubler , en tripler l'effet .
Sur ce ballet des Furies , il ne me reſte plus
qu'une obfervation à faire , c'est que plus il réuffit,
moins il faut en faire d'autres du même genre.
C'eſt anéantir les grands effets que de les prodiguer.
Il ſemble qu'on ne puiſſe faire un opéra
fans le fecours des enfers ; & depuis l'invention
des flambeaux , la ſcène n'a plus ceflé d'en être
éclairée. Abſtenons - nous de ces moyens d'illufion
, & cherchons-en de nouveaux Faire , comme
on a fait , eſt le principe de l'impuiſlance ou
de la parefle ; Tenter ce qui est àfaire , eſt la maxime
du génie. Nous voici au plus bel inſtant de
Caſtor; & cet inſtant , il le faut avouer , eſt délicieux
, c'eſt celui où l'on pafle de l'Enfer à l'Elyfée
. Toute idée de trouble & d'horreur s'efface ;
les ſens tranquillités ſe repoſent ſur des images
riantes,& fur des fons paiſibles ; le calme renaît
dans l'ame , & la félicité de ce ſéjour tranquille
devient le partage de ceux qui la contemplent.
Lemonologue Séjourde l'éternelle paix , est d'un
chant agréable; il a même le mérite d'être mefuré
, mérite rare dans la muſique françoiſe ; auffr
l'accompagnement est-il figuré , ce qui ne peut
jamais être , quand le morceau n'est pas aſſervi
aux loix de la meſure. Il eſt plus aiſe de fentir
que de définir ce qui manque à ce monologue. La
mélodie en eſt facile , l'harmonie pure ; mais les
oreilles muficiennes y defirent ce je ne fais quoi
qui conftitue en muſique le charme du ſtyle. Remarquez
qu'il n'eſt pas une note à laquelle on
puifle donner une inflexion particulière , fur laquelle
on veuille renforcer un moment la voix,
pour l'aftoiblir & l'éteindre le moment d'après.
/
AVRIL. 1772. 175
:
Toute muſique qui ne porte pas avec foi cette
accentuation marquée , ces nuances variées de
l'expreſſion , eſt néceſſairement infipide , du moins
juſqu'à un certain point. Il faut la comparer à
des vers qu'un déclamateur ſenſible pourroit débiter
froidement & du même ton ; encore cet exemple
affoiblit- il ce que je veux rendre y car il eſt incomparablement
plus froid de chanter ſur le même
ton,que de lire & de déclamer de même.
د
Tous les airs danſans des Champs Elysées ſont
charmans , gracieux dans leur gaîté & variés à
l'infini . J'iniſterai ſur cette variété, parce que c'eſt
unmérite éminent des compofitions inftrumentales
de Rameau. Dans un ſeul diverriflement, que
de mouvemens que de rhythmes , que de caractères
différens ! nous ne croyons pas que la
muſique italienne ait une variété auſſi grande ,
&cela vient ſans doute de ce qu'elle est chantée,
&de ce que celle-ci ſe danſe. L'inſtrument a plus
de reſſources que la voix , la voix eſt encore gênée
dans ſes procédés par le ménagement qu'elle
doit aux paroles ; l'autre procéde plus librement ,
&peut à fon gré , renforcer , multiplier & varier
l'expreſſion. La danſe exige plusd'articulation dans
les rhythmes de la muſique , afin d'en tirer ellemême
des rhythmes très-articulés. Me trompéje?
Il me ſemble que le muſicien qui compoſe pour
ladanſe , travaille pour deux ſens à la fois , l'ouie
& la vue ; le muſicien de chant ne travaille que
pour l'oreille , dont le ſentiment délicat ſe contente
d'articulations adoucies .
Rameau , par ſes compoſitions expreſſives &
variées , a créé parmi nous la danſe. Pour vérifier
cette affertion , il ne faudroit que confulter
les traditions de l'Opéra. Avant Camargo nulle
Η iv
175 MERCURE DE FRANCE.
danfeuſe n'avoit mis de la vivacité dans ſon exécution.
Ladanſe des femmes n'étoit qu'une marche
, froidement compaſlée ſur des notes fans
vie& fans chaleur. L'époque de la danſe perfectionnée
parDuprélefameux,quadre avec le tems
où Rameau fit une révolution dans ſon art.
Dans une ſociété l'on diſoit dernièrement que
l'Italie n'avoit point de muſique danſante , parce
qu'elle manque de danſeurs. Ce raiſonnement,
je l'avoue , nous paroît étrange. Dans l'ordre de
la génération , lequel de ces deux arts doit devancer
l'autre & le produire ? La danſe eſt le
gefte de la muſique , &n'eſt que cela. Geſticulet'on
avant de parler , avant même d'avoir rien
àdire ?
Eh ! qu'auroit- on penſé d'un françois qui au
roit dit , il y a vingt ans: « Nous n'avons point
>>de bonne muſique vocale , parce que nous man-
>>>quons de chanteurs. >> Ce ſont les bons ouvrages
qui forment les exécutans habiles. Notre
opéra-comique à ſa naiſſance fut rendu par des
acteurs à qui l'on faifort folfier leurs rôles ; des
hommes de génie ont écrit ; il s'eſt formé des
chanteurs dignes d'exécuter ce qu'ils ont conçu.
La ſcène qui termine le quatrième acte a un
but & de l'intérêt ; les acteurs l'ont debitée plus
que les autres ſcènes , elle a réuſſi . En admettant
le retranchement du troiſième acte , comme nous
l'avons propoſé , il faudroit que les deux frères
au moment de quitter les Champs Elysées , appriſſent
l'ordre de Jupiter qui oblige l'un des deux
àdemeurer aux enfers. Cet avis changeroit toutà-
coup l'érat de la ſcène , & feroit par conféquent
un coup de théâtre. Peut-être le combat de géAVRIL.
1772 . 177
1
nérofité entre les deux frères , en deviendroit encore
plus intéreflant.
Plus nous avançons dans l'examen de Caſtor ,
plus nos obſervations , en ſe généraliſant , s'abrégent.
Tout détail nous mencioit à des répéti
tions.
Dans la ritournelle du cinquième acte , on
trouve un bon effet de chant & d'harmonie. C'eſt
la progreſſion en montant dans laquelle deux
parties figurent & ſe répondent par imitation.
Mais nous voudrions que la ritournelle fût d'un
mouvement animé ; elle ſeroit plus conforme à
l'état actuel de la ſcène. Lajoie de Telaïre qui
retrouve ſon amant, eſt le premier fentimentdont
le ſpectateur s'occupe. Les alarmes ſecrettes du
héros , la nouvelle dont il va conſterner fon
amante , ne font que le ſecond mode de la ſcène.
C'eſt donc en intervertir la marche que d'anticiper
d'abord far le ſentiment de la triſteſle. Indépendamment
de cette raiſon on doit mettre à l'opéra
le moins de muſique lente qu'il ſe peut. Il y
règne déjà tant de lenteur !
La dernière partie de la ſcène eſt intéreſſante.
Le chant de ce vers ..
J'entens frémir les airs ,jeſens trembler la terre ,
forme une modulation très- belle. La ſymphonie,
ou ce qui ſuccède au tonnerre , eſt d'un effet paifible
& agréable. J'ignore fi avant Rameau nous
avions employé cette marche de baſſe diatonique
en montant, qui donne ſucceſſivement la fixte
*la quinte& fixte & la quarte & fixte . Cet emploi
de l'harmonie réuffit toujours .
Il ne nous reſte plus qu'à parler du dernier di
1
178 MERCURE DE FRANCE.
vertiſſement , & pour ne point répéter les éloges
que nous avons déjà donnés à Rameau fur ſamufique
inſtrumentale , nous nous contenterons d'indiquer
que ce qui nous ſemble préférable à tout
dansun dernier divertiſſement , c'eſt la gaîté & la
briéveté. Après cinq actes de muſique , le ſpectateur
n'a plus beſoin que d'être renvoyé , & il
veut l'être gaîment. Nous rejeterions donc vers
le milieu de l'opéra , les chaconnes & les paflacailles;
encore nous paroît-il à defirer que ces
moreeaux foient moins longs. L'auteur a beau en
diverſifier les couplets , l'uniformité du mouvement
primitif s'y fait ſentir & produit de la monotonie.
1
Nous terminerons cet écrit , en énonçant les
voeux que la partie la plus éclairée de la nation
forme pour le progrès de la ſcène lyrique. Ce
n'eſt point fur les crisdes fanatiques qu'il faut fe
regler; l'un & l'autre parti a les fiens , & ceux qui
crient à l'Italie , ne ſe ſont peut - être pas plus
rendu compte de ce qu'ils demandent que les autres
. Ce qui plaît à une nation ne peut être admis
par une autre qu'avec des modifications . Racine
n'a pas traduit Euripide , il l'a imité. D'ailleurs
aux ſpectacles de l'Italie on boit , on mange , on
ſe vifite , on caufe , on baille , on s'ennuie ; fic'est
là le but où l'art doit tendre , notre opéra n'eſt
déjà que trop près de la perfetion .
Ecarter les préventions , fentir le vrai beau
dans les productions étrangères & chercher à
l'appliquer aux nôtres , étudier le goût de la nation
; mais diftinguer , en l'étudiant , le ſentiment
du préjugé , & l'instinct de l'habitude , confulter
tous les arts que l'opera met en oeuvre , & les diriger
tous vers une même fin , voilà le grand
AVRIL. 1772. 179
oeuvre pour lequel l'expérience coníommée des
artiſtes a beſoin encore des lumières de la philofophie.
L'édifice de la ſcène lyrique ne portera
ſur des fondemens ſolides , qu'autant que la main
des bons poëtes y placera les premières pierres .
Onpeut faire d'excellente muſique ſans paroles ,
mais on ne fera jamais de bons opéra ſans de
bons poëmes. C'eſt donc à nos écrivains diſtingués
à favoriſet les progrès de la muſique. C'eſtà
nos muficiens les plus avoués de la nation, à faire
taire l'aveugle prévention , qui relègue leurs talens
dans un genre inférieur à celui de la tragédie.
Pluſieurs de leurs airs démentent cette préſomption
injufte. Malgré l'anathême porté contre
la langue de Racine que l'on juge antimuficale,
Paris fourmille de muficiens étrangers qui
ne demandent qu'à conſacrer leurs talens à nos
théâtres; nous en connoiſſons d'Allemans , d'Italiens
, qui n'attendent que des poëmes pour travailler.
Mais notre langue , demande- t- on , leur
eſt-elle familière ? Il y a une queſtion bien plus
importante à faire : Ont - ils du génie ? Celle - ci
réſolue à leur avantage , l'autre ne doit pas inquiéter.
Puiſſions - nous voir bientôt tant de talens divers
occupés du ſoin de nos plaiſirs , & l'opéra-
François (malgré cette dénomination , aujourd'hui
preſque injurieuſe ) jouit de la même ſupériorité
que la ſcène françoiſe s'eſt acquiſe ſur tous
les théâtres de l'Europe.
Hvj
185 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE famedi , 7 Mars , les Comédiens
François ont donné la première repréſentation
des Druides , tragédie nouvelle de
M. le Blanc .
L'action ſe paſſe chez les Carnutes
dans unbois ſacré, bordé par la Seine , où
étoit le principal temple de laGaule .
Les Acteurs font
Cindonax , grand Druide des Gaules ,
M. BRISARD.
Emnon , premier Druide des Carnutes ,
M. PONTEUIL .
Indumar, Roi des Carnutes, M. DALAINVAL
.
Clodomir, Prince du ſang royal,M. MOLÉ .
Luthar , Druide attaché à Emnon , M.
DAUBERVAL .
Emirène , fille d'Indumar , Mlle St VAL.
Axénoé, première Druideſſe des Carnutes
, Mde MOLÉ.
IF ACTE. Indumar , Roi des Carnutes ,
a promis de conſacrer ſa fille Emirène au
AVRIL. 1772. 181
culte d'Hesus , le Mars des Gaulois ; s'il
fort triomphant d'une attaque qu'il médite
contre l'arinée de Céfar. Les principaux
chefs des Gaulois ſe rendent auprès
de lui , & avec eux Clodomir, prince
du ſang royal. Ce jeune héros ſauve la vie
à Indumar abandonné des ſiens : il rallie
les Gaulois & décide la victoire. Il
eſpéroit pour prix de tant de ſuccès d'obtenir
la main d'Emirène ſon amante ;
mais cetre princeſſe eſt déjà dans le temple
redoutable des Druides , où , prête à
prononcer ſes voeux , elle ne peut conte.
nit les ſecrets de fon coeur , qu'elle confie
à Axénoé , première Druideſſe ; elle la
conjure même de la punir de fon amour
facrilege , & de venger le dieu qu'elle
offenfe. Cependant le ſage Cindonax ,
grand pontife des Druides , eſt parti
d'Albion pour recevoir les voeux de la
princeſſe ; & Indumar ſon père , ſuivi
d'Emnon , premier Druide des Carnutes,
vient encourager ſa fille , dont il ignore
les diſpoſitions au facrifice qu'elle doit
faire de fa liberté. Emirène étonne le
Roi , & le pontife , par ſon trouble &
par ſes inquiétudes. En même tems on annonce
l'arrivée de Cindonax , on vole à
ſa rencontre. La princeſſe eſt ſeule aban.
182 MERCURE DE FRANCE.
donnée à ſes irréſolutions, lorſque Clodo
mir , emporté par ſa paſſion , pénétre jufques
dans le parvis facré des Druides ,
ſanctuaire terrible où nul profane ne
peut aborder ſans être puni de mort . Ce
jeune guerrier vient réclamer les droits
qu'il a fur fon coeur , & la conjure de ne
point faire le ferment qui doit les ſéparer
pour jamais . La princeſſe effrayée ne
voit que le danger de fon amant ; elle le
preſſe de s'éloigner ; un Druide s'avance
avec des Satellites. Clodomir eſt arrêté ,
déſarmé & enchaîné.
II . ACTE. Le grand pontife , entouré
de Druides & de Druideſſes , paroît ; il
rejette les hommages exceſſifs qu'on veut
lui rendre ; il renvoie aux dieux ſeuls ce
culte en quelque forte idolâtre ; Indumar
va pour dépoſer ſon diadême à ſes pieds;
Cindonax , indigné , lui dit :
Périfle le Pontife , ivre ds ſa grandeur ,
Qui nourrit ſans rougir ſa vanité ſecrette
Des voeux dont ſur la terre il n'eſt que l'intere
prète.
Enfin , le Roi l'engage de recevoir les
ſermens d'Emirène ſa fille , qu'il deſtine
aux autels , & qui , dès ce moment, n'est
AVRIL. 1772, 183
plus à lui ; elle eſt encore à vous , lui répond
le grand Pontife , elle eſt encore à
elle même ſi elle ne confirme pas le ſacrifice
de ſa liberté. Dieu refuſe un coeur
qui ſe donne à regret. On ſe retire . Emirène
vient tremblante devant le grand
Pontife qui la raſſure & l'abſout du voeu
téméraire du Roi , ſi elle ne le defire &
ne le confirme. Emnon apprend au grand
Pontife que l'aſyle du bois ſacré a été
violé , & qu'une telle profanation mérite
la mort. Cindonax rejette une loi fi cruelle
& défend le coupable dont le Druide
fanatique veut répandre le ſang. Emirène
prend auſſi la défenſe de fon amant. Alors
elle apprend que c'eſt le privilége d'une
Prêtreife qui vient de s'engager,de ſauver
un criminel . Elle n'hésite plus , elle court
à l'autel , elle prononce ſes fermens , &
délivre Clodomir. Cependant les Romains
veulent furprendre les Gaulois ; on
s'arme : Clodomir marche au combar. Le
Druide diffère le ſacrifice de la victime
humaine due aux Dieux. Cindonax veut
abolir ce culte atroce & fanguinaire.
111. АСТЕ . Emirène a délivré ſon
amant ; mais elle s'eſt enchaînée aux autels
d'un Dieu redoutable . Son ame eft
agitée. Les Romains font repouflés& dé184
MERCURE DE FRANCE.
1
faits , & Clodomit a la plus grande part
à la victoire. Tant de gloire ne le difpenfe
point d'être arrêté & défarmé par
les Druides pour venir expier le crime de
ſa profanation. On ſe prépare auffi à tirer
au fort le nom de la victime qui doit
être immolée ſur l'autel d'Héfus. Cindonax
ſe recrie envain contre ce fanatifme
horrible. On lui amène Clodomir qu'il
préſente aux Dieux & qu'il abfout. Ce
jeune guerrier encouragé par les bontés de
ce digne Pontife , lui fait l'aveu de fon
amour pour Emirène. Cindonax conſterné
lui apprend que la Princeſſe a pronon.,
cé ſes ſermens & qu'elle lui eſt enlevée
fans retour. Clodomir fort furieux & dé.
ſeſpéré. Emnon profite de l'abſence de
Cindonax pour faire tirer le fort de la
victime de l'une fatale dans laquelle font
les noms du peuple , des ſoldats , du Roi
même & de Clodomir. Emirène , au milieu
d'un nombreux cortège des Druides
& des Druideſſes , eſt chargée de ce cruel
miniſtère . Elle tire de l'urne le billet de
mort ; elle le regarde , le rejette avec
horreur& tombe dans les bras d'Axénoć.
Cindonax arrive & défend lui - même à
la Prêtreſſe de nommer la victime. Emnon
veut foutenir le ſacrifice des DruiAVRIL.
1772. 185
des& le culte ſanguinaire que Cindonax
combat par les loix de la raifon&
de l'humanité. Emirène reſte ſeule avec
Axénoé & promet , au péril même de ſa
vie , de ne pas reveler le nom de la victime.
Clodomir vient à la tête de ſes
ſoldats pour forcer le parvis facré , & pour
en enlever la Princeſſe ; Emirène ſans défenſe,&
quoique ſollicitée par ſon amour,
oppoſe ſa foibleſſe à la violence ; elle
embraſſe l'autel , d'où ſon amant interdit
n'oſe l'en arracher ; il la laiſſe ſortir.
Ve. ACTE . Le grand Pontife perſiſte à
vouloir abolir le culte homicide des
Druides & le condamne en préſence des
guerriers , des prêtres , & du Roi qui
ne peut ſe réfoudre de regarder comme
un crime un culte contaré par la
religion & par un uſage ancien & toujours
reſpecté. Emnon furieux ne reconnoît
plus l'autorité du grand Pontife,
& ordonne que le ſacrifice ſoit confommé.
CependantCindonax effrayé par l'approche
du crime qui va ſe faire au nom
des Dieux , fort pour raffembler les Gaulois
, & les exciter à renverſer les autels
fanguinaires. La Prêtreſſe forcée par le
Druide fanatique de nommer la victime,
refuſe de lui obéir , & fa réſiſtance opi
186 MERCURE DE FRANCE.
niâtre fait croire à Indumar que c'eſt lui
que le fort à profcrit : ce Roi veut accomplir
fur lui le facrifice. Clodomir entre
avecprécipitation en déclarant ſon amour
pour Emirène dont il eſt aimé. Emirène
dit alors : choiſiſſez ſi vous l'oſez entre
mon père ou mon amant. C'eſt l'un des
deux qni eſt la victime. Indumar va pour
s'immoler ; ſa fille ſe précipitant fur lui ,
s'écrie : Ciel ! ce n'est pas vous ; c'eſt
donc moi , dit Crudomir en levant le
bras pour ſe frapper. Mais auffi tôt Cindonax
, ſuivi du peuple , vient & arrête
le glaive dans les mains de Clodomir. II
Empêche les foldats d'attenter à la vie du
farouche Emnon . Il rompt les voeux forcés
de la Princeſſe; le Roi défabuſé l'accorde
aujeune Clodomir , défenſeur de la
patrie: le culte ſanguinaire d'Héſus eſt
aboli. Le ſage Cindonax eſt enfin parvenu
à en établir un plus digne d'honorer &
de fléchir la Divinité.
Cette tragédie dont le ſuccès avoit paru
douteux à la première repréſentation ,
a été très - applaudie à la ſeconde & aux
ſuivantes au moyen de quelques changemens
&de beaucoup de vers qui ont été
retranchés. La poëſie en a paru élégante ,
noble & facile. Il y a des détails très
AVRIL. 1772. 187
beaux; des ſentimens d'humanité , heureuſement
exprimés, & des ſituations intéreſſantes
. On doit auſſi de juſtes éloges à
l'ame pleine de ſenſibilité de Mlle de St
Val ; à l'action impoſante de M. Brifart ,
& au jeu énergique & paſſionné de M.
Molé , &c.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné le
jeudi 19 Mars la première repréſentation
du Faucon , Opéra Comique en un acte
en profe mêlée d'ariettes , par M. Sédaine :
la muſique eſt de M. Moncini.
Les perſonnages font :
Clitie , Mde TRIAL.
Eléonore , Mde LARUETTE.
La Vieille , Mde BERARD.
Fédertc , M. CLAIRVAL.
Guillaume , M. CAILLOT .
Pierre Picolet , M. LARUETTE.
Jacques Picolet , M. DESBROSSES .
La Scène est dans une terre très éloignée
de la Capitale.
188 MERCURE DE FRANCE .
La fable de cette pièce eſt imitée d'un
conte fortconnu de la Fontaine , qui luimême
avoit tiré ce ſujet de Bocace ; &
que Delifle a mis en Comédie avec les
Oies de Bocace.
Féderic laiſſe échapper un ſoupir ;
Guillaume lui répond par un autre foupir
; ce fidèle valet veut égayer ſon maître;
il chante , & lui conte enſuite que
fon intendant avoit acheté ſa terre pour
peu de choſe , mais que Picolet, ſon père ,
veut l'obliger de la reſtituer , & que Féderic
va rentrer en poſleſſion d'un grand
territoire qui va juſqu'à celui de Mada.
me Clitie. Ce nom réveille l'attention
de Federic. Guillaume lui récite ſon rêve,
dans lequel il a vu la grange en feu , &
un ange en habit bleu qui en ſortoit. Féderic
feul ſe rappèle l'image de fa maîtreſſe,
pour laquelle il a épuisé ſa fortune.
Guillaume accourt en fautant , & criant :
Ah ! Monseigneur ,, voilà l'ange bleu , il
eftbleu , vous disje , il est bleu . C'eſt en
effet Clitie en habit bleu qui vient avec
Eléonore ſa ſuivante. Fédéric ne fait à
quoi attribuer le bonheur qu'il a de recevoir
ſa maîtreſſe. Elle lui demande à dîner
; & dans fon abſence elle déplore l'état
de médiocrité où ſon amour trop géné
AVRIL. 1772. 189
reux pour elle l'a réduit.Elle héſite d'exiger
encorede luiſon faucon,facrificetropgrand
après tous ceux que ſon amant lui a faits
ſi infructueuſement. Sa ſuivante apperçoit
le portrait de ſa maîtreſſe d'où elle tire
un bon augure de ce qu'on peut eſpérer.
Elle interroge Guillaume , qui lui fait
l'éloge de cet oiſeau , admirable chaffeur
qui eſt devenu preſque toute la richeſſe
de Féderic. Clitie deſire le faucon pour
fatisfaire fon fils unique & mourant ,
qui ne cefle de le demander. Cependant
Féderic ne ſçachant comment témoigner
ſa joie , fait couper tous les fruits de fon
jardin , & arrache toutes les fleurs pour
les répandre furles pas deClitie. Il voit fon
faucon , & ne balance pas , àdéfaut d'autre
mets , de le faire ſervir à ſa maîtreſſe .
Guillaume& Eléonore ſe ſont aimés aufſitôt
qu'ils ſe ſont vus. Guillaume fait
cette déclaration à Eléonore , & s'exprime
en termes plus galans & plus choifis
quetous les autres perſonnages.
Je ne ſais pas ce que je ſens ,
En vous voyant , Eléonore ;
Mais c'eſt un trouble dans mes lens ,
Mais c'eſt un plaiſir qui devore.
J'ai bien vu des appas naiſſans ,
190 MERCURE DE FRANCE,
Des roſes qui venoient d'éclore ,
J'ai vu des filles de quinze ans
Plus belles que la belle Aurore ,
J'avois le plaiſir le plus grand ;
Hé bien je n'en avois pas tant
Qu'en vous voyant , Eléonore.
L'attachement qu'ils ont , l'un pour fon
maître , l'autre pour ſa maîtreſſe , les empêche
de les quitter pour ſe marier.
La Vieille déplore le fort de l'oiſeau que
Féderic a tué. Clitie & Féderic ſe mettent
à table ; Clitie toujours inquiette n'ofe
affliger ſon amant envers qui elle a été
injuſte. Elle haſarde enfin ſa demande.
Mais quel éronnement pour elle & quel
chagrin pour Fréderic quand il lui apprend
qu'elle a dîné de cet oiſeau qu'elle defire!
Clitie ſe rend àce dernier trait de l'amour
le plus tendre & le plus parfait. Elle fait
l'offre de fon coeur &de ſa main que Frédericaccepte
avec transport. Le père Picoler
amène fon fils devant fon Seigneur,
&lui fait reftituer la terre dont il s'eſt
rendu maître par fraude. Clitie emmène
fon amant qui va être ſon époux . Guillaume&
Eléonore ſuivent leur exemple .
Cette pièce finit par un Vaudeville .
AVRIL. 1772 . Igt
C'eſt la conſtance
Qui fait tout le prix de l'amour.
On ne doit un tendre retour
Qu'à la perſévérance.
Lorſque le coeur craint de céder ,
Qui peut enfin le décider
C'eſt la conſtance,
La muſique d'un chant agréable , expref.
fif& pittoreſque , a été applaudie. On auroit
deſiré plusde fonds dans le Drame ;
an intérêtplus foutenu&une ſimplicité
moins négligée . Cette pièce eſt parfaitement
jouée & chantée par Mde Trial &
Mde Laruette , par MM. Caillot &Clairval.
/
ARTS.
GRAVURES.
I.
L'Hommage à l'Amour , Eſtampe d'environ
24 pouces de haut ſur 17 de large,
gravée par de Lorraine , d'après le ta
bleau original de Carle Vanloo , pre
192 MERCURE DE FRANCE.
mier peintre du Roi. A Paris , chez
Lacombe , libraire , rue Chriſtine ;
prix , 4 liv .
UNE aimable fille dans cet heureux age
où l'amour fait ſentir ſes premiers feux ,
rend hommage à la ſtatue de ce dien placéedans
un boſquet & lui offre une guirlande
de fleurs . Ce ſujet eſt traité dans la
noble ſimplicité de l'antique. Il feroit
ſans doute à ſouhaiter que les artiſtes
tentaſſent quelquefois par de pareilles
compoſitions à nous rapprocher de la pu
reté ingénue des Anciens. Ils pourroient
contribuer à nous corriger des excès vicieux
où nous entraîne quelquefois le
luxe de l'imagination dans les arts. La
figure principale , ainſi que tous les acceſſoirs
de cette compoſition , ont été
rendus avec intelligence & un ſentiment
de couleur par M. de Lorraine.
II.
Le Festin Espagnol, estampe de 16 pouces
&demi dehaut fur 22 de large , gravée
par Louis Lempereur graveur du Roi ,
d'après le tableau de Palame des Stevens
, peintre de l'Ecole de Flandres ,
mort
AVRIL. 1772 . 193
mort en 1638. A Paris , chez Lempereur
, rue St Jacques , la première porte
cochère au - deffus du petit Marché ;
prix, 12 liv.
Ce feſtin , traité dans le coſtume efpagnol
, ſe fait dans un vaſte & magnifique
falon qui donne ſur un jardin. L'artifte
a choiſi le moment que le repas finit
&queles convives , échauffés par les vapeurs
du vin , ſe livrent à lajoie qu'il infpire.
Les uns chantent, les autres plus
occupés de leurs amours s'efforcent d'attendrir
leurs belles. Des Bohémiennes
que l'on a fait entrer dans la ſalle du feftin
diſent la bonne aventure à un jeune
Eſpagnol, qui paroît ajouter plus de foi à
un coup-d'oeil de ſa maîtreſſe qui eſt à ſes
côtés , qu'à toutes les prédictions de l'Oracle
bohémien. Cette eſtampe peut fervir
de pendant au Jardin d'amour que
M. Lempereur a gravé d'après Rubens &
qu'il a publié au mois de Janvier 1769 .
Elle a été gravée d'un burin très- foigné&
l'effet en eſt agréable & piquant.
On distribue chez le même graveur
deux autres estampes. L'une a pour titre
lesfuites du naufrage. Différentes perfon.
nes échappées au naufrage &que l'on s'efforce
de foulager rendent la ſcène de cete
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
te marine intéreſſante. L'eſtampe a environ
20 pouces de large fur 14 de hant.
Elle a été gravée avec intelligence par
Catherine - Elifabeth Couſiner femme
Lempereur d'après le tableau original de
M. Vernet , peintre du Roi.
La ſeconde eſtampe eſt intitulée , départpour
le marché. Elle a été gravée d'après
le tableau de J. Vangoyen parAnne-
Philberte Coulet , de l'académie royale&
impériale de Vienne. Cette eſtampe qui
annonce avantageuſement les talens de
l'artiſte a 16 pouces de haut fur 12 de
large.
III.
Portrait de Frederic 11 , Roi de Pruſſe &
Electeur de Brandebourg , né le 24 Janvier
1712 , gravé par M, B. A Paris ,
chez Maſſard , rue St Hyacinthe , maifon
neuve , vis-à- vis le ſerrurier,
Ce portrait eſt vu des trois quarts &
renfermé dans un petit médaillon. On a
placé au bas de l'eſtampe ces fix vers qui
peignent l'ame du Prince dont la gravure
ne peut nous rappeler que les traits.
Modeſte ſur un trône orné par la victoire ,
Il ſçut apprécier& mériter la gloire ;
Héros dans ſes malheurs, prompt à les réparer ,
AVRIL. 1772 . 19
De Mars & d'Apollon déployant le génie ,
Il vit l'Europe réunie
Pour le combattre & l'admirer.
Gravures du Cabinet de M. le Duc
de Choiseul.
Les ſieurs Bafan & Poignant ſon gen .
dre , marchand d'eſtampes , demeurant
àParis , rue & hotel Serpente , diſtribuent
la deuxième partie des planches qui compoſent
le volume d'eſtampes gravées d'a .
près les tableaux du cabinet de M. le
duc de Choiſeul. La première partie donnée
au public l'année dernière étoit compoſée
de si pièces, compris le titre ; la
ſeconde eſt de 79 , compris le portrait de
M. le duc de Choiſeul , ce qui fait en
tout 130 planches de format in 4º , avec
une explication de chaque tableau à la
tête de l'ouvrage. Quoique cette deuxiè
me fuite foit plus nombreuſe que la première
& qu'elle ſoit beaucoup mieux
traitée , cependant pour en faciliter &
accélérer le débit , le fieur Bafan & compagnie
en ont fixé le prix à 39 livres , ce
qui fera pour la totalité 75 livres , ayane
dejà fait payer 36 livres pour les so
premières. Toutes ces planches fontgra-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
vées d'après les tableaux les plus agréables
& les plus précieux des écoles Flamande
& Hollandoiſe , peints par Metzu , Neſtcher
, Berghem , Wauvermans , Tenieres
, Rembrandt , Oſtade , Vanderwerf ,
Potter , & c , & c . *
Les mêmesatſociés annoncent qu'étant
aujourd'hui ſeuls poffefleurs des 140 planches
de la belle édition in- 4º des Métamorphofes
d'Ovide , ils ont mis le prix
de l'exemplaire à 84 livres au lieu de 96
livres qu'il a été payé par ſouſcription ;
& comme cet ouvrage a été imprimé
avec ſoin , les amateurs peuvent ſe flatter
d'avoir de belles épreuves. Ceux qui ne
voudront point joindre aux eſtampes les
quatre volumes du texte in-4º pourront
ſe procurer un exemplaire de ces eſtampes
du format in- 8 ° , avec une explication
de chaque fable. Cette explication
compofée de 20 pages , ſe met à la fin
de l'ouvrage , & ne forme qu'un ſeul
volume du prix de 72 livres. On trouve
chez leſdits Geurs Bafan & Poignant les
onvrages ci - deſſus annoncés , reliés en
veau & en maroquin .
* La collection des tableaux de ce riche cabinet,
faite avec tant de goût & de ſoins, va donc être
miſe en vente & diſperſée le lundi 6 Avril , rue de
Richelieu. On en diftribue le catalogue chez Boi
leau , quai de la Mégiflerie,
AVRIL. 1772. 197
MUSIQUE .
I.
Recueild'Ariettes Italiennes , publiées par
M. Gio , Ant. B. Rizzi Zannoni , de
l'Académie de Padoue. A Paris , chez
Croiſey , Graveur , rue Dauphine , du
côté du Pont neuf. Brochure in 8º de
48 pages.
Ce recueil doit être périodique . Le premier
cahier qui ſe diſtribue actuellement
eſt précédé d'un diſcours ſur la muſique
italienne où l'éditeur rappelle tout ce qui
a été dit de plus favorable à cette muſique
& à la langue italienne. Perſonne
fans doute ne conteſte à cette langue d'être
plus douce , plus ſonore , plus harmonieuſe
, plus accentuée qu'aucune autre
& ces qualités font celles qui conviennent
le mieux au chant. La préférence
d'ailleurs que les Virtuoſes donnent
à la muſique italienne fur les autres muſiques
ſemble aſſûrer le ſuccès de M. Zannoni
qui ſe propoſe de leur offrir tous
les mois un recueil d'Ariettes , de Duo ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
de Récitatifs obligés ,de Romances , &c ,
extraits des opéra des plus habiles muſi.
ciens de tous les théâtres d'Italie . Un
pareil choix fera fans doute plus capable
d'accélérer parmi nous les progrèsde l'art
muſical q toutes les méthodes de mufique
, & routes les diſſertation publiées
juſqu'à préſent ſur cet art. Les amateurs
qui voudront ſe procurer les accompagnemens
des Ariettes pourront s'adreffer
au ſieur Croiſey ci deſſus nommé.
11.
Six Quatuor pour deux violon alto &
baffe, compoſés par F. J. Goſſec d'Anvers.
5. Recueil des petits airs pour deux
violons,tirés des opéra comiques , ce qu'il
y a de plus nouveau , arrangés par Valentin
Ræſer. Chez le ſieur Sieber , rue
S. Honoré . A l'hôtel d'Aligre , près la
Croix du Trahoir , & aux adreſſes ordinaires.
A Lyon , chez M. Caſtaur.
COURS DE MATHÉMATIQUES .
LE Geur Dupont a recommencé le 16
du mois de Mats dans ſon école rue
AVRIL. 1772 . 199
neuve Saint Méderic les élémens de
mathématiques ; ſçavoir l'arithmétique ,
la géométrie , & l'algébre . Indépendamment
des leçons particulières qu'il donne
fur toutes les parties de cette ſcience , il
donnera tous les jeudis des leçons de
géomètrie-pratique , fur tout ce qui concerne
l'arpentage , le nivellement , la manière
de lever les camps &les tracer,prendre
hauteur , & tout ce qui eſt utile àla
géographie . Il achez lui un excellentMaître
de deffin , pour le payſage & la carte ;
il fait deſſiner ſes élèves à vue ( c'eſt une
partie très eſſentielle pour les militaires )
Le Sieur Dupont continue tous les dimanches
fon cours gratis pour les ouvriers
; il a chez lui cinq chambres &
leurs cabinets , toutes meublées , pour y
recevoir cinq jeunes gens , dont les parens
veulent exactitude & vue ſur leur
conduite.
ASTRONOMIE .
CARTE nouvelle contenant les cinq
patfages de mercure ſur le diſque du ſoleil
, qui arriveront depuis 1772 juſqu'à
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
1800. calculés par M. Libour , profef.
feur de mathématiques , à l'Ecole royale
militaire. Prix 1 liv. 10 ſols . Chez le
ſieur le Rouge , ingénieur géographe du
roi , rue des grands Auguſtins.
GÉOGRAPHIE.
Le chevalier de Beaurain géographe or
dinaire du roi & fon penſionnaire , offre
par foufcription l'hiſtoire militaire , de
la glorieuſe campagne du grand Condé
en Flandres de 1674 in folio , dans le
goût des campagnes du maréchal de Luxembourg
, qui contiendra 40 planches ,
dont quelques -unes font déjà gravées.
Les Soufcripteurs payeront 30 livres en
foufcrivant & 20 liv. en retirant l'ouvrage
dans le mois de février 1773. Les
foufcriptions n'auront lieu que juſqu'au
mois d'août , paflé ce tems ceux qui n'auront
pas ſouſcrit payeront 72 liv . Le
public peut voir l'ouvrage chez l'auteur ,
rue Gît le coeur , la première porte cochère
à droite , en entrant par le quai des
Auguſtins où ſe délivreront les foufcriptions
, & le profpectus de l'ouvrage ; &
AVRIL. 1772. 201
chez Prault fils aîné , libraire , à l'Immortalité
, quai des Auguſtins ; Monory ,
libraire de S. A. S. Mgr. le prince de
Condé , Culd- e-fac des quatre vents &
à Pâques , rue & vis-à vis la Comédie
françoiſe ; Santus , au Luxembourg , du
côté de la rue de Tournon .
GYMNASTIQUE.
2
Il ya eu le 11 du préſent mois au Coliſée
du Cours- la-Reine la réception du
ſieur Erienne , Prevôt du maître en fait
d'armes de l'Ecole militaire en préſence
d'environ 8 à 10 mille perſonnes. Le
fieur la Salle , maître en fait d'armes y a
tiré le premier. Il a touché une botte &
en a reçu une autre ; ce qui lui a donné
un des prix , ainſi qu'il eſt d'uſage en
pareil cas. Le ſieur Meneſſiez , maître
en fait d'armes a tiré le ſecond , avec
autant de grace que d'adreſſe pendant
une dem i -heure. Il a porté au récipiendaire
les deux plus belles bottes qu'on
puiffe porter. Il a fait un ſecond affant
de l'épée & du poignard avec le même
fuccès , & le prix lui a été remis. Les
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
fieurs Teillagori & Oſutivan ont enfuite
affaut avec le Récipiendaire.
LETTRE de M. de St George à M.
Teillegori , mature en fait d'armes des
Académies du Roi & des Pages de S.
A. S. Mgr le Due d'Orléans , au sujet
de ce qui s'eft paſſe à la reception de
M. Etienne , qui ſe fit au Coliſée le
mercredi 11 Mars dernier.
Paris, ce is Mars 1772 .
Je ſuis indiſpofé , Monfieur , fans cela j'aurois
eu l'avantage de vous voir pour vous faire mon
compliment & vous témoigner combien vo s
avez fait de plaisir à moi & à tous les connoifſeurs
à la réception de M. Etienne. Vous avez
montré cette assûrance mâle qu'on ne voit que
dans les hommes ſupérieurs ; & dans tout ce
que vous avez exécuté on a vu le grand tireur ,
ona connu le grand maître. Si l'on vous eût
donné le prix , on eût couronné le mérite&le talent
, mais vous êtes au deſſus de cela: je vous
prie , Monfieur , au non de tous les connoif-
*M. de StGeorge fi connu par ſes grands salens
& fon mérite perſonnel.
AVRIL. 1772 . 203
ſeurs , de vouloir bien accepter l'épée que je
vous envoie ; il ſera glorieux pour moi de l'avoir
mis dans les mains d'un homme qui ſçait ſi bien
s'en ſervir , recevez la comme un gage de l'attachement
fincère avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Monfieur ,
Votre très-humble ſerviteur ,
DE SAINT GEORGE.
LETTRE de M. de Voltaire à un de fes
Confrères de l'Académie.
J n'ai point lû , Monfieur , les beaux vers ou
vous dites que le très-inclément Clément me déchire
auſſi -bien que pluſieurs de mes amis. Il y a
environ ſoixante ans que je ſuis accoutumé à être
déchiré par les Desfontaines , les bonnevals , les
Frérons, les Cléments , les La Beaumelle ,& les
autres grands hommes du fiécie. Je vous envoie
la jolie pièce de vers que ce M. Clément fit , ily
a quelques années,à monhonneur & gloire.
J'en retranche ſeulement quelques vers , tant
parce qu'il faut être modeſte que parce qu'il ne
faut pas trop abuſer de votre loiſir.
O toi que j'aime aurant que je t'admire
Sur ces vers que mon coeur infpire ,
Et que lui ſeul doit avouer ,
Jette un regardde bonté ,de tendrefie.
L'art d'une main enchantereſſe
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Ne cherche point à t'y louer.
Laiflons la louange infipide
Pour ces mortels peu délicats
Que de la vérité l'ombre même intimide
Et que l'encens n'affadir pas .
C'est un poifon qu'en nos climats
Une complaifance perfide
Prépara pour la vanité.
La fable , de la vérité
Eſt une image réfléchie.
C'eſt un miroir où l'on n'eſt point flatte.
Je t'offre ſa glace fidèle ,
Voltaire , tu t'y connoîtras ;
Mais , ô toi , mon autre modèle,
Maudit Geay tu la termiras.
LE ROSSIGNOL & LE GEAY.
Dis
Fable .
s ſon printems , dès fon jeune âge
Un Roffignol par fon ramage ,
Dans ſes cantons s'étoir fait reſpecter.
Il enchantoit ſon voisinage ,
On ſe taiſoit pour l'écouter.
Sa voix plaifoit aux coeurs plus encor qu'aux
oreilles
د
Et ſes fredonnemens même étaient des merveil
les.
AVRIL. 1772 . 205
UnGeay fort ſot , fort ennuyeux ,
• Et fort bavard , c'eſt l'ordinaire ;
Ne put entendre fans colère
Du Roſſignol les chants délicieux ,
Le mérite d'autrui le rendait envieux ,
Pourquoi ? le voici ſans myſtère ,
C'eſt qu'il n'en avait point. Il n'avait plû jamais
Et ne voulait que tout autre pût plaire.
Or , en vers maître Geay fur ce point très -ſévère
Le Roffignol avait des torts très -vraiş .
On l'admirait ; témoin de ſes ſuccès
Jacque enrageait , & lui fit ſon procès.
Au chanteur , au bon goût il déclara la guerre,
A fa langue il donna carrière ,
De fon babil étourdit les forêts.
Outrage , injure journalière
Il porta tout aux plus groſſiers excès.
Que fit meffire Jacque? oh de l'eau toute claire.
Il avoit beau crier , Meffieurs que c'eſt mauvais ,
Cette voix eft caflée ; elle devrait ſe taire .
Ah! croiez-moi... l'on n'en voulut rien faire;
Il ne perfuada que quelques fors , des Geays .
Le Roffignol , toujours en paix ,
Ne s'aviſa de lui répondre.
Répondre aux fots ! fintroit- on jamais !
Mépriſant le ſtupide , & pour le mieux confondre
Il formait avec ſoin des chants toujours nouveaux,
206 MERCURE DE FRANCE.
Toujours plus beaux ;
Et les autres oiſeaux
Diſaient au Geay bouffi de rage ;
Au Roffignol tu crois être fatal ,
Détrompe-toi , vain animal ,
Ta cenſure pour lui peut elle être un outrage ,
S'il te plaiſait c'eſt qu'il chanterait mal.
Monfieur , fi vous avez la bonté de mepermettrede
rendre ces vers publics , après y avoir ajouté,
retranché , corrigé ce que bon vous ſemblera , je
les enverrai dans quelque ouvrage périodique ,
oudansquel recueil que vous aurez la complaifance
de m'indiquer.
Je ſuis avec tout le reſpect poſſible , &c.
Vous voiez , Monfieur , que ceClément qui me
traitait impudemment de Roffignol eſt devenu
Geay; mais il ne s'eſt point paré des plumes du
paon ; il s'eft contenté de becqueter MM. de St
Lambert , Delile , Vatelet , Marmontel , &c . &c.
Je voudrois voir cette épître dans laquelle il
nous apprend à tous notre devoir. J'en profiterais
, je n'ai que foixante& dix - huit ans , les
jeunesgens comme moi peuvent toujours ſe corriger
, & nous devons une grande reconnaiſſance
àceux qui nous avertiſſent publiquement & avec
charité de nos défauts . J'ai dit autrefois.
L'envie eſt un mal néceſſaire
C'eſt un petit coup d'aiguillon
Qui vous force encor à mieux faire.
AVRIL. 1772 . 207
Il fallait dire l'envie eſt un bien néceſſaire , fi
pourtant ces Meſſieurs connoiſſent d'autre envie
que celle de perfectionner les arts & d'être utiles
al'Univers. M. Clément ſemble être l'homme
du monde le plus utile après l'illuftre Fréron , il
entre fagement dans une carrière qui doit l'immortaliter
, & fur- tout lui faire beaucoup d'amis ,
&c.
A
ANECDOTES.
1.
Laplupart des Recueils de bons mots
font remplis de réponſes très froides.
Celles du Marquis Maffei Ambaſfadeur
de Sicile auprès du Pape Clément XI
n'eſt ni froide , ni injurieuſe , ni piquante,
mais c'eſt un bel à propos . Le Papeſe plaignoit
aveclarmes de ce qu'on avoit ouvert
malgré lui les Eglifes de Sicile qu'il avoit
interdites : Pleurez, St Père , lui dit- il ,
quand on lesfermera.
1 I.
Le Comte de Péterborough eſt undes
plus finguliers hommes qu'ait jamais porté
l'Angleterre , ce pays ſi fertile en efprits
fiers , courageux & bizarres. Il fortit
208 MERCURE DE FRANCE .
d'angleterre à 15 ans pour aller faire la
guerre aux Maures en Afrique. A 20 ans ,
il avoit commencé la révolution d'Angleterre.
Il a donné pluſieurs fois tout fon
bien. En 1705 il commandoit les Anglois
en Eſpagne & faiſoit la guerre preſque à
ſes dépens , nourriſſant l'Archiduc , défrayant
toute ſa maiſon . Cette même année
il prit Barcelonne , ſecondé par les
Allemands que commandoit le prince de
Darmſtad. Pendant qu'il capituloit à la
porte de Barcelonne avec le Gouverneur
Eſpagnol , la herſe baiffée entre eux deux,
ils entendirent des cris & deshurlemens
effroyables dans la ville.Vous nous trahiffez
, dit le Gouverneur , pendant que
nous capitulons de bonne foi ? Non , dit
Péterborough ; il faut que ce foient les
Allemands du prince deDarmſtat; livrezmoi
la ville : Je vais les charger avec mes
Anglois & je viendrai vous retrouver ici
pour achever la capitulation. Frappé de
fon air de grandeur & du ton de vérité
dont ildit ces paroles , le Gouverneur le
laiffe entrer ; il bat les Allemands , il les
chaffe , leur ôre le butin qu'ils emportoient
, atrache la ducheſſe de Papoli des
mains des foldats prêts à la deshonorer ,
la rend à fon mari , appaiſe le tumulte ,
AVRIL. 1772 . 209
fait reſſortir les Anglois & revient à la
portede la ville continuer la capitulation,
au grand étonnement des Eſpagnols confondus
de voir tant de magnanimité dans
des anglois qu'ils avoient pris pour des
barbares.
III .
Marie de Médicis mère de Louis XIII
reçut un jour à Blois une lettre que lui
apportoit M. de Berule de la part du Roi :
elle pleura après l'avoir lue. M. de Berule
furpris lui demanda , s'il avoit été
aſſez malheureux pour lui apporter une
lettre qui l'eût tellement touchée. Elle
lui répondit , c'est tout le contraire ; car
c'est de joie & non pas de douleur que je
pleure , parce qu'ayant depuis mon éloignement
reçu tant de lettres du Roi , voici
la première que j'ai reçue de monfils.
AVIS.
I.
Magaſin général des Plantes des montagnes
de la Suiffe , des Vosges , des Pyrenées
, d'Auvergne , &c. rue St Ho210
MERCURE DE FRANCE.
noré, vis - à - vis celle de l'Arbre-fec ,
chez le Brûleur d'or , à l'entrefol , à
l'Enseigne d'Apollon.
N y trouve une nouvelle plante étrangèretrèsagréable
au goût , qui ſe prend en forme de thé.
Cette plante est très-fouverainepour les maladies
de poitrine , les rhumes & les indigeftions.
On trouve encore dans ce magaſin un nouveau
ſyrop pectoral ſimple qui , étant le pur extraitde
cette nouvelle plante étrangère , en a les mêmes
propriétés ; on la prend en forme de bavaroiſe.
De plus , on y débire de la très - excellente pâte
de guimauve rafinée , blanche & brune. C'eſt la
ſeule de ſon eſpèce que l'on trouve à Paris , n'étant
compoſée que des meilleurs végétaux étrangers.
On y vend auſſi des fleurs d'Arnica dont l'infuſion
théiforme & très - légère produit une
prompte guériſon dans tous les cas de chûre ,
contufion , crachement de ſang , hémorragies ,
ſang coagulé , & dans l'aſtlime humide.
Des plantes mélangées pour les fumigations
dans les maladies de poitrine.
D'autres plantes admitables pour les maux de
reins , la rétention d'urine, la gravelle &la pierre;
en un mot , toutes les autres plantes à l'ufage de
la médecine.
Ony trouve auſſi les véritables boules d'acier
vulnéraires de Nancy.
AVRIL. 1772. ΣΕΙ
1 1.
Le Sieur Rouffel donnne avis au Public qu'il
a trouvé un remède efficace pour les cors des
pieds. C'eſt untopique für contre ce mal , qu'il
eſt aiſé d'employer Un morceau de toile noire
ou de føie , enduit du médicament dont il s'agit ,
a la vertu d'ôter très-promptement la douleur des
cors , de les amollir , &de les faire mourir par
ſucceſſionde tems. On en forme une emplâtre
un peu plus large que le mal , que l'on envelopped'unebandelette
après avoir coupé le cor. Au
bout de huit jours , on peut lever ce premier appareil
, & remettre une autre emplâtre pour autantde
tems.
Ungrand nombre de perſonnes ont été parfairement
guéris par l'uſage de ce topique.
Le prix des boëtes à douze mouches eſt de 3 liv.
Celui des boëtes à fix mouches eſt de 1 livre
30 fols.
Le ſieur Rouffel demeure à Paris , rue Jean de
l'Epine , chez l'Epicier en gros , la porte cochère
àcôté du Taillandier , près de la Grève. Il débite
auſſi des bagues , dont la propriété eft de guérir
la goutte. Ces bagues , qu'il faut porter au doigt
annulaire , guérillent les perſonnes qui ont la
goutte aux pieds & aux mains , & en peu de tems
cellesqui en ſont moyennement attaquées. Quant
àcelles qui en font fort affligées , clles doivent
les porter avant ou après l'attaque de la goutte ,
& pour lors elle ne revient plus. En les portant
toujours au doigt , elles préſervent d'apoplexie &
deparalyfie.
212 MERCURE DE FRANCE.
Le prix de ces bagues , montées en or , eft de 36
liv.&celles en argent , de 24.
On le trouve tous les jours , excepté les fêtes&
dimanches . On prie les perſonnes d'affranchir leurs
lettres .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Dantrick , le 22 Février 1771 .
Les troupes Rufles , après s'être répandues dans
tous les Palatinats & les Districts de la Lithuanie
, viennent de forcer la Noblefle de cette province
de tenir les Diétines dans leíquelles il eſt
d'uſage de nommer des députés à la Cour de
Warfovie. Ils veulent fur tout leur faire donner
des inſtructions tendant à reconnoître la légalité
des actes de l'élection & du couronnement de
Staniflas-Auguſte. Ces élections ont eu lieu dans
les Palatinats & Districts de Wilna , Lida , Wilkomitz
, Grodno , Smonlensk , Starodub , Samogitie,
Nowogrodeck , Slonim , Kowno & Upita.
Les fix mille Ruſſes qui font entrés dans le
Grand Duché , ſous les ordres des généraux Romanius
& Galitzin , ſe font diſperſés , après avoir
laiflé des détachemens à Sluck , Nieſzwiez & Slonim.
Une partie s'est établie ſur les terres du
Grand Général Comte Oginski , une autre a marché
vers Brzesc & le reſte a pris la route de Warfovie.
De Stockolm , le 25 Février 1771 .
Il y cut , le 22 de ce mois , une aſlemblée des
AVRIL. 1772. 213
Etats , dans laquelle on diſputa vivement les ob
jets qui diviſent les ordres non Nobles avec la
Noblefle , relativement à l'acte d'afſfurance &
aux privileges la roture. Pluſieurs membres de
la Noblefle paroiſſoient ſe rapprocher des autres
Ordres & infinuoient des moyens de conciliation;
mais le parti contraire s'oppoſa à tout arrangement.
Cette diſcuſſion occaſionna de grands débats.
Le parti qui opinoit pour la conciliation
demandoit qu'on fit , de l'avis de la Nobleſſe
modifié , une propoſition formelle qui ſeroit décidée
à la pluralité des voix. La chambre s'étoit
aſſemblée à neuf heures du matin , & il étoit minuit
avant qu'il y eût rien d'arrêté. Les Etats
auroient été fans doute aflemblés juſqu'au lendemain
, ſans un incendie qui ſurvint au milieu
de la nuit & qui interrompit les délibérations.
La chambre ſe ſépara ; mais l'affaire étoit trop
avancée pour qu'on la renvoyât à l'aſſemblée ordinaire
du mercredi ſuivant : on réſolut de la
reprendre extraordinairement le ſurlendemain.
Ce jour- là , les délibérations continuèrent ſur le
même objet dans la chambre de la Noblefle , &
l'on difputa depuis le matin juſqu'à ſept heures
&demie du ſoir. On s'accorda enfin à mettre aux
voix la propoſition ſuivante : De quelle manière
&à quelles canditions la Nobleſſe ſe réuniroit
aux quatre Ordres concernant l'Acte de Capitulation
? L'avis du chambellan baron d'Eſlen, fur
les conditions à établir , prévalut fur les autres
avis qui furent propofés. On ne ſçait ſi les
Ordres inférieurs agréetont ces conditions & s'ils
ſe déſiſteront de la ferme réſolution qu'ils avoient
prife unanimement de s'en tenir à leur premier
projet. S'ils s'obſtinent à refuſer toute modifica
214 MERCURE DE FRANCE.
tion , cette grande affaire reſtera au même point
où elle étoit auparavant.
De Copenhague , le 5 Mars 1772 .
Le 22 de Février , le comte de Brandt fut amené
de la priſon à la citadelle avec les mêmes précautions
qui avoient été priſes pour le comte de
Struenſée. Il étoit en bottines & vêtu d'un habit
verdgalonné d'or. Lorſqu'il fut dans l'anti- chambredu
commandant , on lui ôra ſes fers . Il avoit
T'air fort tranquille & s'entretint quelque tems
avec l'officier de garde qui étoit auprès de lui.
Un demi- quart d'heure après , on l'appella dans
la ſalle où les commiſſaires étoient aflemblés. Il
parut , dans ce moment , reſſentir quelqu'émotion;
mais il ſe remit bientôt & reprit ſon air de
tranquillité. Son interrogatoire dura une heure
&demie. On fit entrer enſuite le profefleur Berger
qu'on interrogea pendant trois heures. On
conjecture que ce médecin n'eſt point coupable
du crime dont on l'a chargé dans le public , parce
qu'après ſon interrogatoire , on lui a permis de
ſe faire raſer &de coucher ſur ſon propre lit. II
aobtenu enmême tems l'uſage des livres , du tabac
, des couteaux & des fourchettes. Le 25 , le
comte de Struenſée a été interrogé pour la troiſième
fois. On dit que les articles de ſes interrogatoires
ſont au nombre de fix cens trente , &
qu'iln'a encore répondu qu'à deux cens. Le même
jour, on venditàl'encan, par ordre des commiffaires
inquifiteurs , les chevaux des comtes de
Struentée & de Brandt. Cette vente ſembleroit
annoncer qu'on a déjà pris un parti à l'égard de ces
deux ſeigneurs.
AVRIL.
215 1772 .
De Vienne , le 1 Mars 1772 .
Sa Majesté Impériale & Royale voulant empêcher
les particuliers d'emprunter au - delà de
leurs facultés réelles & aflurer aux créances qui
feront enregistrées , une hypothèque ſpéciale ,
felon la priorité du tems , a rendu une ordonnan.
ce portant que , dans les ſept villes immédiates
de l'Autriche , il ſera dreſlé un regiftre public où
•les poſſeſſions de chaque particulier feront infcrires
dans le plus grand détail , avec les charges
dontelles font affectées , &où l'on inférera tous
les changemens qui s'opéreront , par la fuite , à
cet égard. Un établiſſement ſemblable fubfifte
depuis long-tems en Bohême , avec le plus grand
fuccès.
On vient d'établir , en cette capitale , unepetite-
poſte ſemblable à celles de Paris & de Londres.
DeBerlin , le 29 Février 1772 .
Le major Kenler , qui étoit paflé en Pologne ,
avec des détachemens de houſſards , eſt de retour
en cette ville ; il avoit été chargé d'amener quatre
mille houſlards & fix cens chevaux de remonte;
mais on dit qu'il n'a pu remplir l'objet de ſa
miſſion, Il a amené un Négre que le général Romanzow
envoyoit en préſent au Roi , & qui avoit
été pris en combattant à la tête de cinq cens Janiflaires
dont il étoit Aga (capitaine commandant.
) Cet homine eſt d'une taille avantageuſe ,
&de la plus belle figure. Il eſt très inſtruit & parle
avec dignité . Sa Majeſté a été ſi étonnée de fon
maintien&de ſes diſcours , qu'elle a defiré apprendre
ſon hiſtoire. Ce Negre eſt un de cesen
216 MERCURE DE FRANCE.
fans que les Arabes amènent tous les ans en tribut
au Grand Seigneur. Le Sultan en fit préſent à un
de ſes Aga qui le prit fi fort en amitié , qu'après
lui avoir donné la plus belle éducation , il lui
laiſſa en mourant la moitié de ſon bien & lui fit
épouſer ſa fille . Par une grace particulière du
Souverain , il obtint la charge de fon bienfaiteur.
Il s'y eſt tellement diftingué qu'il s'étoit acquis
àla Porte la plus grande conſidération. Fait prifonier
par les Rufles , il a été regardé comme efclave
,& réduit à cet état de mépris que l'injuſtice
des hommes croit fondé ſur la différence de la
couleur blanche d'avec la noire. Ce qui a paru
affecter davantage ce prifonnier dans fon malheur
, c'étoit d'être ſéparé de ſa femme & de ſes
enfans . Il a fait au Roi une peinture ſi touchante
de ſa ſituation , que Sa Majesté lui a tendu ſa liberté
& lui a fait donner une ſomme (uffiſante
pour les frais de ſon ſéjour en Prufle & ceux de
fon retour à Constantinople. Cette marque de
bienfaitance a fait la plus vive impreſſion ſur cet
homme qui paroît auffi recommandable par ſa
ſenſibilité que par ſes talens & fa figure.
Des lettres arrivées de Petersbourg annoncent
qu'ony craint la contagion & que l'Impératrice
doit abandonner cette capitale pour aller fixer fon
ſéjour en Finlande .
De la Haye , le 13 Mars 1772 .
On apprend , par une lettre de Finlande , du 4
Février , que le navire Follandois du capitaine
Rynold Laurens qu'on croyoit perdu depuis l'été
dernier , & fur le quel étoient les tableaux du feu
fieur Brankamp, a été retrouvé près d'Abo , entre
des rochers , d'où l'on eſpère pouvoir le retirer.
De
AVRIL. 1772. 217
De Londres , le 9 Mars 1772.
LeDuc de Beaufort & pluſieurs particuliers de
la ſociété des Francs - Maçons ont préſenté à la
chambre des Communes une requête , par laquelle
ils expoſent que , depuis pluſieurs années ,
ils ont levé parmi eux des contributions volontaires
de plus de 600 liv, ſterlings deſtinées à ſoulager
ceux de leurs frères qui étoient dans l'indigence
; qu'ils poſlédent un fonds de 1200 liv. ft.
d'annuités de banque , de l'argent comprant &
une ſomme ſuffiſante pour bâtir une loge; que la
ſociété eſt dans l'intention de faire conſtruire
cette loge, ainſi que des maiſons de charité pour
les pauvres ; que pour effectuer cette réſolution ,
elledemande la permiſſion de préſenter à la chambre
un projet d'acte pour donner une forme &de
la conſiſtanceàla ſociété. La chambre a cu égard
à cette requête , & elle aordonné qu'on drefiât un
bill enconféquence.
L'Aldernian Sawbridge eſt dans la réſolution de
pourſuivre au banc du Roi le ſieur Jennings , le
Lord Greville & beaucoup d'autres qui ont cru
pouvoir reſter au parlement & continuer d'y donner
leur voix , après avoir accepté des emplois
lucratifs de la part de la Cour. Cette conduite eft
contraire à l'acte paflé ſous le regne de la Reine
Anne , relativement aux places occupées par los
membres du parlement. L'amende impolée dans
cette occaſion eſt de soo liv. ſterlings , & il y auroit
un tiers des membres du parlement qui ſeroient
obligés de la payer ſi cette affaire étoit
pourſuivie a la rigueur.
La ſéance du 9 Mars fut remarquable par la
fameuse queftion que le ſieur Sawbridge y éleva
I. Vol. K
G
218 MERCURE DE FRANCE.
fur la durée des parlemens. Il fit untrès-long difcours
, dans lequel il remonta juſqu'au tems des
Saxons : il donna un précis hiſtorique de la durée
des parlenens ſous les différens regnes : il fit remarquer
toutes les ufurpations de la prérogative
royale , & déclama beaucoup contre le ministère
actuel , ſur ce qu'il refuſoit aux peuples la diflolution
du parlement. Il fut appuyé par le ſieur
Townshend , qui dit que le meilleur moyen de
rendre les élections libres , étoit de les renouveller
ſouvent. Cette opinion fut combattue par le
fieur Cox . Ce dernier afſura que les obſtacles qui
génoient la liberté des élections , n'avoient d'autre
cauſe que la corruption des tems. Après quelques
débats , on alla au ſcrutin , & la propoſition
fut rejettée à la pluralité de deux cens cinquante&
une voix contre quatre-vingt- trois .
De Paris , le 23 Mars 1772 .
Il s'eft tenu , à l'hôtel- de- ville , le 17 de ce
mois , une aflemblée générale du corps-de-ville ,
dans la quelle le ſieur de la Michodiere, conſeiller
d'état , a été elu à la place de Prevêt des Marchands
, vacante par la mort du Sr Bignon .
Le 20 du mois de Février , le ſieur de Marzi ,
lieutenant - colonel du régiment d'Auxonne , du
Corps Royal d'Artillerie , en garnison à Besançon,
adonné le grade de vétéran & les marques de
-cette diftinction à vingt-cinq foldats de ce régiment.
Cette cérémonie , qui s'est faite au bruit du
canon , a été ſuivie d'une fête que le Sr des Mays ,
maréchal de camp , commandant en chef le Corps
Royal d'Artillerie à Béſançon , a donnée aux vétérans
& à laquelle le Maréchal Duc de Lorges a
aſſiſté , ainſi que les principaux officiers de la pla ,
AVRIL. 1772 . 219
ce&de la garnison , un grand nombre d'autres
officiers & une partie des vétérans du régiment du
Roi & de celui de la Reine , Dragons .
Le 8 de ce mois , à ſept heures du foir , le ſieur
Montagne découvrit à Limoges une Comère auprès
de l'étoile Mu , de la quatrième grandeur ,
dans la constellation de l'Erdan. A 7 heures 30
minutes , elle étoit moins avancée que cette Etoile
d'un degré en afcenfion droite , & la déclinaifon
auſtrale étoit moindre de 10 minutes que celle de
l'étoile . A 9 heures 30 minutes , elle s'étoit approchée
de 30 minutes de l'Etoile Mu , & n'avoit
preſque point changé de déclinaifon. fon mouvement
apparent eſt donc lelon l'odre des figues
& elle avance en aſcenſion droite d'un degré 25
minutes , en 24 heures . Le9 , a 7 heures 30 m
nutes du four , elle étoit plus avancée que l'étoile
Mu en afcenfion droite , de 25 minutes , & fa
déclinaiſon étoit diminuée de 3 minutes . Elle
avoit une queue oppoſée au ſoleil & qui n'étoit
que de 4 à 5 minutes. Sa tête n'étoit point brillante;
elle paroiſſoit tout au moins comme une
étoile de la fixième grandeur. Sa lumière & fa
queue n'ont point changé dans l'intervalle du 8
au 9. On ne l'apperçoit point à la vue fimple , &
on la verra même à peine dans la lunette , loftque
la lumière de la lune ſera devenue plus forte.
D'après le chemin qu'elle a fait , on juge qu'elle
doit ſe trouver , le 14 au ſoir , aux environs de
l'étoile Bétha , la dernière de l'éridan , & qu'elle
traverſera enſuite la conſtellation d'Orion entre
Rigel & la Ceinture. En comparant ſon mouvement
apparent & l'angle de fon élongation au
Soleil , on penſe qu'elle a paflé , il y a quelque
tems , par ſon périhelie & qu'elle tend à la fin de
fon apparition .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
NOMINATIONS.
Le Roi a donné le gouvernement du Neuf-
Brifac , vacant par la mort du Marquis de Gauville
, au Maréchal d'Armentières , & celui de
Belle-ifle en Mer , vacant par la mort du marquis
de Vibraye , au marquis de Montmorin ,
lieutenant-général des armées de Sa Majefté.
Le Roi vient d'accorder les entrées de la chambre
au comte de Crenay , meſtre de camp de cavalerie
, enſeigne des Gendarmes de la Garde
ordinaire de Sa Majesté , maître de la garderobe
deMonſeigneur le Comte de Provence .
Le Roi & le Roi de Portugal ayant réſolu d'entretenir
, dans leurs cours refpectives , des miniftres
du premier Ordre , Sa Majesté a revêtu du
caractère de ſon ambaſſadeur à la cour de Portugal
, le marquis de Clermont- d'Amboile , ci - devant
miniſtre plénipotentiaire auprès de Sa Majeſté
Très-Fidèle , lequel a eu l'honneur de faire
ſes remercîmens au Roi , à cette occafion , le to
deMars. Le Roi de Portugal a nommé , de ſon
côté , pour ſon ambaſſadeur à la cour de France ,
Dom Vincent de Souza Coutinho , qui y réſidoit
en qualité de miniſtre plénipotentiaire de ce Prince
auprès du Roi.
Le Sieur d'Agueſſeau , doyen du conſeil d'état ,
ayant eu l'agrément du Roi pour la charge de
prévôt maître des cérémonies des Ordres de Sa
Majesté , vacante par la mort du Sieur Bignon ,
eut , hier , l'honneur de faire , à cette occafion
ſes remercîmens au Roi & à la Famille Royale.
Le marquis de Vizé , lieutenant - colonel au
régiment des Gardes- Françoiles , a obtenu les en
AVRIL. 1772. 22
trées de la chambre du Roi , ainſi que l'Abbé d'Argentré,
premier aumônier de Mgt le Comte de
Provence en ſurvivance .
PRÉSENTATIONS .
Le 23 Fév. le St Bourgeois de Geudreville que
le Roi a nommé à la place d'intendant de la Marine
àToulon vacante par la retraite du Sieur Hurfon
; le chevalier de Kearney , capitaine de frégate
, commandant particulier de Sainte - Lucie ;
*&le Sieur Deſmaretz de Montchaton , adminiftrateur
général , commandant à l'Ifle de Gorée &
dépendances , ont eu l'honneur d'être préſentés au
Roi , par le St de Boynes , ſecrétaire d'état , ayant
le département de la Marine.
La comteile de Colbert a été préſentée à Sa
Majesté , ainſi qu'à la Famille Royale , par la marquiſe
de Seignelay.
La marquiſe de Prie a eu , le 15 Mars , l'honneur
d'être préſentée au Roi & à la Famille Royale
par la Princeſſe de Beaufremont.
Le comte de Marcellus a eu , le même jour ,
l'honneur de prêter ferment entre les mains de Sa
Majesté pour la lieutenance de Roi dela province
de Guienne , au département d'Albret , dont Sa
Majesté l'a pourvu , & il a eu l'honneur d'être
préſenté à la Famille Royale.
Le comte de Grosberg , meſtre de camp de cavalerie
au ſervice de France , & chambellan de
l'Electeur de Bavière , a eu l'honneur d'être préſentée
à Sa Majesté , le 18 Mars ,
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
MARIAGES.
Sa Majesté & la Famille Royale ont ſigné , le
28 du mois de Février , le contrat de mariage du
comte de Clarac, colonel du régiment de Périgord
, avec Demoiselle Chaumont de la Millière;
&celui du comte de Galliffet , capitaine de cavalerie
, avec Demoiselle de Galliffer.
NAISSANCES .
Le 22 Février , la marquiſe de Mailly , Dame
de Madame la Dauphine , eſt accouchée d'un
garçon .
On écrit de la ville d'Eu , que le 22 Février >
la nommée Marie - Jeanne Tellier , femme de
Matthieu du Crocq, ferrurier aubourg d'Aulp ,
eft accouchée , dans le ſeptième moisde ſa groffefle,
de trois enfans , ſavoir , de deux garçons &
d'une fille , tous ont reçu le baptême : les deux
garçons ont vécu ſept heures , & la fille n'est morre
que le lendemain. On mande de Châlons- fur-
Saône que la femine du nommé Jean de Villard ,
vigneron , habitant de la paroiſſe de Buay , bailliage
de Châlons , eſt accouchée à terme , le 4
Mars , de trois enfans , ſavoir , d'un garçon & de
deux filles qui ſont de la groſſeur des enfans ordinaires
& qui fe portent bien.
MORTS.
Marc- Antoine - François Lepellerin , marquis
de Gauville & de la Chartre- fur Loir lieutenantgénéral
des armées du Roi & gouverneur des vil
AVRIL. 1772 . 223 1
le& fortereſſe du Neuf- Brifac , eſt mort à Paris ,
le 15 Février , dans la foixante-douzième année
defonâge.
Didier - François Meſaard , chevalier , commandeur
& procureur- général des Ordres royaux
& militaires & hofpitaliers de Nôtre - Dame de
Mont Carmel & de Saint Lazare de Jéruſalem ,
ſecrétaire des commandemens & du cabinet de
Monſeigneur le Dauphin & de Monſeigneur le
Comte d'Artois , eſt mort à Paris , le 19 Février ,
dans la ſoixante- quinzième année de ſon âge.
Charles-Frédéric , Prince héréditaire de Holftein-
Beck , maréchal des camps & armées du Roi ,
meſtre de camp lieutenant du régiment Royal-
Allemand , cavalerie , eſt mort à Strasbourg , le
21 du mois de Février , dans la quarante unième
année de ſon âge.
Jacques de Monguyot , chevalier , ſeigneur de
Monguyot - Urville & brigadier des armées du
Roi , eſt mort à Reims , âgé de foixante - treize
ans.
Jean-Baptiste de Chabannes , marquis de Curton
, chevalier de l'Ordre royal & militaire de St
Louis , eſt mort dernierement dans ſes terres , âgé
de quatre- vingt cinq ans .
Judith de Bouchet de Sourches , comteffe de
Rochemore , eſt morte , le 24 Février , au château
de Gallargues , en Languedoc , âgé de trente .
cinqans.
Marie Doumergue eſt morte à Villeréal , ca
Agenois , le 29 Janvier dernier , âgée de cent
fixans.
Charlottede Campron , comteflede Tourville,
veuve de Jean- Baptiste César de Conftentin , com
224 MERCURE DE FRANCE.
te de Tourville , neveu du maréchal de ce nom ,
eſtmorte en ſon château de Saint-Germain- le Vicomte
, diocèſe de Coutantes , le 22 Janvier dernier
, dans la quatre - vingt- onzième année de ſon
âge.
Pierre Beillan , journalier , eſt mort dernièrement
, dans la paroiſle de St Aigue , à une lieue
de Toulouſe , âgé de cent cinq ans & ſept mois.
Arnaud- Jerôme Bignon , commandeur, prévôr,
maître des cérémonies des Ordres du Roi , conſeiller
d'état ordinaire , bibliothécaire de Sa Majeſté
, l'un des Quarante de l'Académie Françoiſe
&honoraire de celle des inſcriptions & belles-lettres
, & prévôt des marchands de la ville de Paris,
yeſt mort ,le 8 Mars , âgé de ſoixante & un ans.
Anne Floris eſt morte , le premier Mars , à
Hoorn , âgée de cent & un an& près de ſept mois.
Il eſt plus rare dans ce pays que dans tout autre ,
de voir des perſonnes prolonger leur carrière audelà
de cent ans. On a obſervé que les étrangers,
tels que les François refugiés , vivent plus longtems
, en Hollande , que les Hollandois , & que
ceux- ci vivent moins long- tems dans les Colonies
que les naturels. On voit dans les relations
des côtes méridionales d'Afrique : des hommes
âgés de cent dix & cent vingt ans; mais ces exemples
ne ſe trouvent que pami ceux qui conſervent
les moeurs & la manière de vivre du pays .
Le Sieur Févret de Fontette , aſſocié libre de
l'Académie royale des inſcriptions & belles - lettres
, eſt mort à Dijon , le 16 du mois dernier.
Anne- Barbe de Courcelles , veuve d'Arnauld ,
baron de Ville , de l'Empire & des Deux - Modaves
, eſt morte le 10 Mars , en ſon château de la
Broſle , en Brie , âgée de quatre- vingt-huit ans.
AVRIL .
225 1772 .
Marie de la Fare , veuve de Jean - François Marquis
de la Fare , lieutenant-général de la province
de Languedoc , & foeur de feu Philippe-Charles
de la Fare , maréchal de France , eſt morte à
Paris le 7 Février , âgée de quatre - vingt - trois
ans.
Frère Jean du Merle de Blancbuiſſon , chevalier
de l'Ordre de St Jean de Jérusalem , commandeur
de Maupas & Soiſſons , eſt mort à Verſailles , le
15 Mars , dans la quatre-vingtième année de ton
âge.
LOTERIES.
Le cent trentième quatrième tirage de la Loterie
de l'hôtel - de ville s'est fait , le 24 Février ,
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 35184. Celui de vingt
mille livres au No. 20314 , & les deux de dix mille
aux numéros 28944 & 31632 .
Letiragede la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait les de Mars. Les numéros ſortis de la
rouede fortune font , 77 , 54 , 40 , 72 , 23. Le prochain
tirage ſe fera le 6 Avril.
FAUTES à corriger dans le Mercure de Février,
dernier , à l'article de la Maiſon d'Arces .
PAAGGEE 210 , ligne 6 , ſur l'amiſſion , lifez lur
l'admiſſion .
Idem, lig. 14 , colonel , li.s conſeiller.
1
226 MERCURE DE FRANCE:
Pag. 212, lig. 21 , c'eſt une illuſtration , lif. c'eſt
cette illuſtration .
François . Joſeph d'Arcis , jeune virtuoſe dontnous
avons annoncé les talens , & le génie précoce
pour la compofition de la muſique , élève du
célèbre M. Gretry , n'a que douze ans & quelques
mois ; & c'eſt par erreur que nous avons dit qu'il
avoit 14 à 15 ans.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& en profe ,page
5
LeGoupil ,fable de M. Piron , ibid.
Le Cochon de lait & le Charlatan , par le
même , 7
Le Charlatan & le Villageois , 10
Hiſtoire de Zemzi , 13
Le danger des proverbes nationaux , conte
en vers , 35
Quatrain pour mettre au bas du portrait de
Mde la Marquiſe d'Antremont , 37
L'Amateur , épigramme , 38
Eglé & leMoineau , fable , ibid.
Toulon,
Envoi ,
Anecdote ,
AM. le Vicomte de Bar , garde - marine à
Epître à Mademoiselle R *** ,
Conte en vers ,
Epigramme ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
39
41
ibid.
47
SI
52
53
ENIGMES ,
ibid.
AVRIL. 1772. 227
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Traité de la circulation &du crédit ,
Médecine primitive ,
Obſervations critiques ſur le traité de la cé-
55
58
ibid.
62
tique , civile & littéraire de Bourgogne ,
Hiſtoire nouvelle & impartiale d'Angleterre , 70
Manuel de morale ,
Théâtre lyrique ,
Annales de la ville de Toulouſe ,
Les Odes pythiques de Pindare ,
Diflertation ſur l'origine de la ville de Dijon
, &c.
Le Diable amoureux , nouvelle eſpagnole ,
De la Poësie lyrique, par M. de la Harpe ,
Lettre de M. de la Harpe à M. L. ,
SPECTACLES ,
Opéra. Obfervations ſur la muſique à l'occafion
de Caſtor ,
lébration des SS. Myſtères , 64
L'Elève de la nature , 65
Abrégé chrono'ogique de l'hiſtoire eccléſial-
67
74
75
78
86
87
96
ΙΘΙ
150
159
ibid.
Comédie françoiſe , 180
Comédie italienne , 187
ARTS , Gravure , 191
Muſique , 197
Cours de Mathématiques , 198
Aſtronomic , 199
Géographie, 200
Gymnaſtique , 201
Lettre de M. de St George à M. Teillagory
, & c. 202
Lettre de M. de Voltaire à un de ſes Confières
de l'Académie , 203
Le Roſſignol & le Geay , fable , 204
228 MERCURE DE FRANCE.
Anecdotes ,
AVIS ,
Magaſin général des plantes des montagnes
de la Suiſſe , des Volges , &c.
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préſentations ,
Mariages ,
Naiſſance ,
Morts ,
Loteries ,
207
209
209
212
220
221
222
ibid.
ibid.
213
APPROBATION.
J'AAII lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
premier vol. du Mercure du mois d'Avril 1772 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
AParis , le 29 Mars 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
AVRIL , 1972. 840.6
SECOND VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
M558
1772
april
0:2
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
Nouveautés chez le même Libraire,
LES Odes pythiques de Pindare , traduites
par M. Chabanon , avec le texte grec,
in- 8° broche ,
12 .
s liv.
Le Philofopheférieux , hist. comique , br. 1 1. 4. f.
DuLuxe , broché ,
Traité fur l'Equitation & Traité de la
cavalerie de Xenophon , traduit par M.
du Paty de Clam , in- 8º broch . 1 1. 10 1:
Le Droit commun de la France & la coutume
de Paris réduits en principes , &c. nouv.
édition par Bourjon , 2 vol . in-fol. br. 48 1 ,
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c . in - fol. avec planches ,
rel . en carton , 241.
Mémoires ſur les objets les plus importans de
l'Architecture , in-4°. avec figures, rel. en
carton , 121.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol. in - 8 ° . gr. format rel .
Les Caracteres modernes , 2 vol . br.
201.
31.
Maximes de guerre du C. de Kevenhuller , 11. 101.
GRAVURES.
Sept Estampes de St Gregoire , d'après Vanloo,
241.
Deux grands Paysages , d'après Diétric , 121 .
Le Roi de la Féve , d'après Jordans ,
Le Jugement de Paris , d'après le Trevi-
✓ſain ,
Deuxgrands Paysages , d'après M. Vernet,
Vénus & l'Amour , d'après M. Pierre ,
Angelique & Médor , d'après Blanchart ,
Hommage à l'Amour , d'après Vanloo
St Jean , d'après le Guide,
41.
11.16 f.
121.
31.
1.
41.
34.
On trouve auſſi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in- 12 , 14 vol.
par an à Paris.
Franc de port en Province ,
16 liv.
20 1.4f.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
des nouveautés des Sciences , des Arts , &c .
L'abonnement , ſoit à Paris , ſoit pour la Province
, port franc par la poſte , eſt de 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Di
nouart ; de 14 vol. par an , à Paris , 9 liv . 16f.
EnProvince , port franc par la poſte , 14liv.
GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; il en
paroît deux feuilles par ſemaine , port franc
par la poſte ; aux DEUX- PONTS ; ou à PARIS ,
chez Lacombe , libraire , & aux BUREAUX DE
CORRESPONDANCE. Prix , 18 liv.
GAZETTE POLITIQUE des DEUX- PONTS , dont il
paroît deux feuilles par ſemaine ; on ſouſcrit
àPARIS , au bureau général des gazettes étrangeres
, rue de la Jullienne.
EPHÉMÉRIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque rai-
36 liv.
fonnée desSciences morales & politiques.in- 12.
12 vol . par an port franc , à Paris , 18 liv.
En Province , 24liv.
LE SPECTATEUR FRANÇOIS , Is cahiers par an ,
àParis , و liv.
EnProvince , 12liv.
A ij
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les efxampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouwrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux qui n'ont pas ſouſcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance leprix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire, à Paris , rue Chriftine.
MERCURE
DE FRANCE .
AVRIL , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE,
LA VENGEANCE DE L'AMOUR
ou Daphné métamorphofée en laurier.
Ov. Met. l. 1 , fig. 9 .
* Du jeune dieu des vers, de la lyre & du jour,
Daphné , pour ſon malheur,fut le premier amour.
* Ces vers ſont de M. de St Ange , dont le
goût & les talens pour la poëſie ſont déjà ſi avan
tageuſement connus par les traductions de Ver-
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Non que du ſort jaloux l'aſcendant invincible
Eût décidé le choix d'Apollon trop ſenſible.
Cupidon irrité ſe fit un jeu cruel
D'embraſer de ſes feux le coeur de l'immortel.
Fier d'avoir triomphe d'un monstrueux reptile,
Apollon vit l'Amour , qui , d'un arc indocile
Tâchoit , en le courbant , de tendre le reſſort.
Foible enfant , lui dit-il , à quoi bon cet effort ?
Pourquoi ces traits cruels dans tes mains innecentes?
Va, croi-moi , jette- là ces armes trop peſantos .
Ce ſuperbe carquois , parure des combats ,
Siedmieux à mon épaule & cet arc à mon bras.
Ce dragon menaçant qui ſur un long eſpace
Traînoit les longs replis de ſa rampante mafle ,
Pithon , l'affreux Pithon , de mille traits percé,
Sous mes puiflantes mains vient d'être terraflé.
Content de ton flambeau , dans le coeur d'une
belle ,
Deje ne fai quels feux fais jaillir l'étincelle ,
Fais pleurer des amans enchaînés ſous tes loix ,
Pleure toi- même auſſi , ce ſont- là tes exploits .
tumne & Pomone , de Biblis & Caunus , des quatre
Ages de l'Homme comparés aux quatre Saifons
, inférées dans pluſieurs Mercures précédens.
AVRIL.
1772 . 7
Mais aux droits d'Apollon garde-toi de prétendre.
De tes traits , dit l'Amour , on ne peut ſe défendre
,
Mais défends- toi des miens , ou fais au moins
l'aveu
Qu'autant que le reptile eſt au - deſſous d'un
Dieu ,
Autant d'un foible enfant le triomphe & la
gloire
Surpaſſent d'Apollon la plus belle victoire :
Il dit , & l'arc en main , brûlant de ſe venger
Il part & dans les airs gliſſe d'un vol léger ;
Des cieux , en un moment , il traverſe l'eſpace
Et va ſe repoſer au ſommet du Parnaffe.
Là ſans être apperçu , ſous un ombrage épais ,
Dans un double carquois ſa main choiſit deux
traits.
L'un armé d'un plomb vil qui mollit & s'émouſſe,
Loin d'inſpirer l'amour , l'écarte , le repouſſe.
Aiguiſé ſur la pierre&dans le ſang trempé ,
L'autre ouvre au fol amour le coeur qu'il a frappé.
La nymphe du premier ſentit bleſſer ſon ame ;
L'autre perce le Dieu , le pénètre , l'enflamme.
C'en est fait : malheureux ! il aime ſans retour ,
Il aime ... & Daphne tremble au ſeul nom de
l'amour.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Les jeux ſanglans des bois, les dépouilles des
bêtes ,
Son ſes plus doux plaiſirs , ſes plus chères conquêtes.
Compagne de Diane un noeud ſimple & fans art
Raflemble les cheveux ondoyans au hafard.
Envain de mille amans elle reçut l'hommage ;
L'hommage des amans eſt pour elle un ourrage.
Errante , folitaire , & parcourant les bois ,
Elle veut ignorer & l'hymen & ſes loix.
Son père mille fois la preſſade ſe rendre :
Ma fille , diſoit- il , vous me devez un gendre ,
Ma fille , diſoit il , je vous dois un époux.
Comme un horrible affront craignant un nom
doux
La nymphe rougiſſoit. Une pudeur touchante
Animoit de fon teint la fraîcheur innocente ;
Et tenant ſur ſon ſein le vieillard incliné ,
Mon père, diſoit- elle , accordez à Daphné
D'échapper à des noeuds que ſa pudeur condamne.
Jupiter , autrefois , l'a permis à Diane .
Penée , en ce moment , tendrement careſlé,
Appuyé ſur ſa fille , entre ſes bras preflé,
Céde& voudroit en vain condamner ſa prière.
Mais que te ſert , Daphné , d'avoir fléchi ton
père ?
Ta beauté contredit tes deſirs vertueux
AVRIL. 1772 .
Ou deviens moins aimable , ou renonce à tes
veux.
Apollon voit la nymphe , il ſetrouble , il foupire,
Son carquois l'importune , il n'aime plus ſa lyre.
Comme on voit s'allumer les ſtériles débris
D'un chaume pétillant , reſte des blonds épis ;
Ou comme en un inſtant on voit la lamme aride
Atteindre , dévorer une bruyère aride ,
Lorſque le voyageur au point du jour naiſlant
En approche trop près ſon flambeau pâliflant;
Ainfid'un feu ſecret il brûle , & l'eſpérance
A l'aſpect de Daphné l'enivre par avance.
Il voit négligemment flotter ſes longs cheveux ...
O fi la main de l'art en eût treflé les noeuds !
Il voit ſon teint de lys , ſa bouche demi-cloſe ,
Telle que dans nos champs s'ouvre à peine une
rofe ;
Il la voit , mais hélas ! ne peut-il que la voir ?
Il admire ſes traits , fon oeil piquant & noir ,
L'albâtre de ſon cou , ſa gorge démi-nue ;
Par- tout avidement il promène ſa vue ,
Et de tout ce qu'il voit les ſéduiſans appas
Embelliſſent encor tout ce qu'il ne voit pas.
Plus prompte que le vent Daphné vole & l'évite ;
C'eſt envain que le dieu veut rallentir ſa fuite.
Où vas- tu , belle nymphe , arrête , ne crois pas
V
10 MERCURE DE FRANCE.
Qu'un perfide ennemi pourſuive ici tes pas.
Arrête. Si l'on voit d'une aîle fugitive
Echapper au vautour la colombe craintive ;
Si l'agneau fuit le loup , ſi le chevreuil léger
Se dérobe au lion , ils craignent le danger ;
Ce font leurs ennemis . Mais au moins confidère
Que celui que tu fuis n'aſpire qu'à te plaire .
Les ſentiers où tu cours , hélas !ſont peu frayés ,
Les buiſſons épineux peuvent bleſſer tes piés.
J'aurois cauſé tes maux ! ah ! retarde ta fuite.
Faisgrace à mon effroi , je te ſuivrai moins vite ,
Mais retourne les yeux & connois ton amant.
Ce n'eſt point de ces monts un ſauvage habitant.
Ce n'eſt point un berger errant dans cette plaine ,
Un pâtre plus hideux que les chèvres qu'il mène.
Tu ne ſais qui tu fuis & qui court ſur tes pas.
Si tu le connoiſlois , tu ne me fuirois pas .
Le Souverain du Ciel m'a donné la naiſſance .
Mille peuples fameux revèrent ma puiſſance.
Claros & Tenedos & Patare & les rois ,
Encenfent mes autels , reconnoiſſent mes loix.
Je ſuis le dieu des vers : le Pinde eſt mon empire.
Sousma ſavante main je fais parler la lyre.
Je prédis l'avenir , je connois le paflé .
Nul aux combars de l'arc ne m'avoit ſurpaflé.
Il eſt pourtant , il eſt une fléche plus fûre
Dont mon coeur libre encore a ſenti la bleffure.
Je connois les vertus des puiſſans végétaux ;
Heureux de pofléder l'art de guérir les maux ,
AVRIL. 1772. 11
Malheureux que l'amour ſoit un mal incurable ,
Quemon art , pour moi ſeul , ſoit en vain ſécourable
!
Tandis qu'il parle encor , la nymphe à pas preffés
,
Echappe à ſes diſcours à demi- commencés ;
Et de ſes derniers mots à peine au loin frappée
N'entend que foiblement ſa voix entrecoupée,
Avecplus de vîteſle elle eut plus de beauté :
Sa grace s'embellitde ſon agilité.
Les folâtres zéphirs d'une aîle careflante
Soulevent les replis de ſa robe flottante ,
Et de ſon jeune ſein découvrant les tréſors
Du dieu qui la pourſuit irritent les tranſports.
Apollon , las de perdre une plainte frivole,
Précipite ſes pas & court moins qu'il ne vole.
Tel qu'on voit l'animal compagnon des bergers ,
Pourſuivre avec ardeur un liévre aux piés legers ;
Il s'élance ſur lui , le preſſe , le menace ,
Et prêt à le ſaiſir ſemble mordre ſa trace.
Le liévre fugitif déjà pris - à- demi
Trompe , en ſe détournant , la dent de l'ennemi.
Tels font les deux amans. L'un pourſuit , l'autre
évite ,
L'eſpoir le rend léger , la peurla précipite ,
Mais le dieuſans relâche attaché ſur ſes pas
Enivré de defir , étend déjà les bras ;
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Etle ſouffle incertain de ſon haleine humide
Agite les cheveux de la nymphe timide .
Daphné tremble , pâlit ; ſes pas font rallentis.
La frayeur qui la preſſe a glacé les eſprits .
Sa force l'abandonne. Interdite , éperdue ,
Vers les eaux du Penée elle tourne la vue ;
Si les fleuves ſont dieux , s'ils en ont le pouvoir
Viens , ômon père , accours & vois mon déſefpoir
;
و
Sauve- moi des tranſports d'un amant téméraire..
Terre engloutis-moi ; la mort me ſera chère.
Ou bien , en les changeant punis ces vains at
traits ,
Ces attraits dangereux qu'on aime &que je hais.
Oprodige! à ces mots ſes membres s'engour-.
diffent ,
Ses cheveux ſur ſa tête en feuillages verdiffent .
Ses bras tendus au ciel s'allongent en rameaux ;
Ses piés enracinés reſtent dans le repos .
S'élevant par dégrés une écorce naiſſante
Embraſſe les contours de ſa taille élégante.
Ses traits font effacés . Elle eſt une arbre enfina
Apollon l'aime encore , il l'embrafle & fa main
Sent palpiter un coeur ſous l'écorce qu'il prefle ,
Etquandil perd l'eſpoir , conſervant ſa tendreſſe
A ce bois qui lui refte il imprime un baifer ;
L'arbre rebelle encor ſemble s'y refuſer.
AVRIL. 1772 . 13
Eh ! bien puiſque du ſort la volonté jalouſe ,
Dir- il , ne permet pas que tu fois mon épouſe ,
Sois mon arbre du moins. Que ton feuillage heureux
Décore mon carquois , couronne mes cheveux.
Dans ces jours folemnels de triomphe & de fêtes
Où Rome étalera ſes nombreuſes conquêtes ,
Tu ſeras des vainqueurs l'ornement & le priz.
Tes rameaux refpectés des foudres ennemis
Du palais des Céfars protégèront l'entrée.
Et comme de mon front la jeunefle honorée
Ne ſentira jamais les outrages du tems ,
Que ta feuille conſerve un éternel printeins :
Il dit , & le Laurier par un nouveau prodige ,
Comme pour l'approuver , ſemble incliner ſa
tige.
, une
DORANTE , Histoire morale.
DORANTE avoit un coeur droit
ame ſenſible ; mais il perdit ſes parens
dès fon enfance , & il fut confié à des précepteurs
mercénaires aux yeux de qui l'or
étoit tout & l'élève rien. Dirai - je qu'ils
avoient peu de connoiſſances , cela eſt
fuperflu; n'en attendez point où manquent
les fentimens .
Dorante mépriſa ſes maures , conçut
14 MERCURE DE FRANCE.
par conféquent de lui une opinion fort
avantageuſe , & devint abſolu dans ſes
volontés.
Ce caractère étoit dégénéré en habitude
, quand il atteignit cet âge où l'on entre
dans le monde & où l'on choiſit un
état.
Décoré d'un emploi militaire , auffitôt
qu'il parut le deſirer , Dorante fut
préſenté à Lucinde , chez qui ſe raffembloient
ceux qui vouloient étudier le
goût du jour , ſaiſir la fantaiſie du moment
& brillet dans l'art de plaire.
Au lieu de ſe ſoumettre au ton général
, Dorante ne vouloit ſe livrer à un
uſage que lorſqu'il avoit foutenu l'épreuve
d'un mois; ce qui étoir un moyen affez
fûr de ne s'y livrer jamais .
Ne pas céder au torrent de la mode ,
en faire la fatyre , ce n'est qu'une ſingularité
, qu'une folie ; on en rit , mais cela
ſe pardonne.
Ce qu'on ne lui pardonnoit pas , c'eſt
ſa conſtance dans ſes avis , c'eſt la manière
obſtinée dont il les défendoit contre
ſes ſupérieurs , contre ceux qui avoient
acquis de l'aſcendant dans la ſociété.
Cette obſtination marche ſouventavec
la vérité , mais elle n'en eſt pas la preuve ;
1
AVRIL.
1772 . 15
l'erreur a eu ſes martyrs : Dorante ne revenoit
jamais de l'opinion qu'il avoit
embraflée ; en pareil cas on commence
par être de bonne foi , on finit par être
détrompé ; mais l'amour-propre empêche
de l'avouer.
Ceux qui avoient raiſon dans leurs
diſputes avec Dorante ſe contentoient de
badiner de ſes travers ; car la ſupériorité
eſt indulgente : ceux qui ſe trompoient ,
&devant qui ils déchiroient le voile de
l'erreur , n'étoient pas ſi faciles , & les
démêlés renaiſſoient à chaque pas .
Par exemple , il rompit avec Médor ,
un de ſes amis , uniquement parce qu'il
ne ſentoit pas aſſez vivement le mérite
d'un acteur fublime : Dorante s'échauffa,
&ils mirent les armes à la main : le com .
bat ne fut pas bien ſanglant , ils en furent
quittes l'un & l'autre pour de légères
bleffures ; mais enfin il pouvoit l'être .
Quoiqu'ils euſſent cherché à enſevelir
leur combat dans le filence , on fait que
de pareils myſtères ne le font pas pour les
amis ; ces nouvelles ne ſe répandent qu'à
demi mot , & pourtant perſonne ne les
ignore.
Or rejettoit unanimement le tort fur
Dorante . Lucinde en fut affectée : il ſe
16 MERCURE DE FRANCE.
roit fâcheux , dit- elle , qu'un homme
d'honneur , qu'un homme que j'ai reçu ,
ſe perdît à l'entrée de ſa carrière : venez,
aimable Cloé , je vous prépare un triomphe
; c'eſt à l'amour à le corriger , eſt - il
de plus grand maître ?
Cette demande s'accordoit avec ſes
defirs , & Lucinde n'eût pû faire un meilleur
choix : Cloé favoit embellir la raifon
fans lui ôter de ſes droits ; on la repréſente
ordinairement environnée d'épines
; on en fait la route difficile ; c'eſt la
faute des conducteurs .
C'eſt par ce charme ſecret que Cloé
s'étoit acquis du crédit ſur Dorante ; fubjugué
par ſes graces , il croyoit ne céder
qu'à ſes raiſonnemens .
Ferai - je le portrait de Cloé , on ſe
défie de ceux que trace l'hiſtoire; ainſi je
me contenterai de dire que ſa beauté faifoit
l'entretien ordinaire des hommes ;
que ſes bonnes amies ne lui trouvoient
qu'un défaut , &qu'une rivale n'en compta
que deux. Ses yeux , dit- elle , peignent
la tendreſſe lorſqu'ils doivent ex .
primer l'indifférence ,&les couleurs dont
s'anime fon teint reſſemblent un peu
trop à celles de l'art à force d'être bril-
Jantes.
AVRIL. 1772 . 17
-
Cloé vit bientôt Dorante ; il ſe hâtoit
d'effacer par ſa préſence les bruits du combat
: comment , s'écria - t-elle , déjà ici ;
votre ſanté vous eſt bien indifférente .
Ma ſanté , je ne vous entends pas.-Dorante
, point de petites ruſes , la franchiſe
eſt votre vertu , gardez votre franchiſe ;
ce qui vous importe , c'eſt qu'elle ne devienne
pas obſtination . -Eh ! bien , je
l'avoue , je me ſuis battu , j'ai été très-légèrement
bléſſé; me blâmerez vous d'avoir
montré du courage ? il eſt le partage
des guerriers. -Sans doute , mais la politeſſe
eſt auſſi de leur partage ; au fond
de quoi s'agiſſoit- il entre vous&Médor;
vous admirez l'ame , le feu , la fenfibilité
de l'acteur Mélonas , & je ne vous en
eſtime que davantage de penſer ainfi.
Médor,moins heureuſement organifé que
vous , l'admire ſans enthouſiaſme : en
confcience étoit- ce la peinede s'emporter ?
Dorante , votre trouble , votre filence
m'annoncent du repentir. -Madame , ils
n'annoncent que de l'étonnement ; je
n'euſſe pas imaginé que la valeur fût un
crime à vos yeux . -Je vous l'ai déjà dit ,
je ne hais point la valeur , je n'en hais
que l'abus : le ſang ne doit jamais couler
pour une diſpute de goût ; réparez votre
18 MERCURE DE FRANCE .
faute , vous le pouvez fans compromettre
votre réputation ; avouez à Médor que
vous l'avez infulté fans raiſon , ſans titres
. -Que me propoſez vous ? Non ,
Madame , je ne me dégraderai point; un
aveu comme celui-là n'attireroit que des
infultes: j'eus tort peut- être. Ah ! Madame
, quel mot venez vous de m'arracher!
certe eſpèce de confeſſion , fut tout ce
qu'en pût tirer Cloé , & encore il s'affligeoit
de l'avoir faite .
Qu'on eſt injuſte ! on ſe déchaîne comtre
ceux qui ne flattent pas nos préjugés ,
&Cloé déplaiſoit à Dorante par ce trait
qui eût dû augmenter fon amour : on critique
ma conduite , dit- il , c'eſt qu'elle
eſt eſtimable ; car on ne fait qu'à ce qui
eſt bien l'honneur de le critiquer. Eh !
bien, fuyons cescenſeursridicules, fuyons
Cloé , elle eft , comme tant d'autres , emportée
par le tourbillon du monde , prête
àcéder à ceux qui font accrédités ; car
elle a trop de ſens pour penſer différemment
de moi : je ne vois plus en elle que
l'adulatrice de mes ennemis .
Renoncer aux connoiſſances qu'on a
déjà , c'eſt s'impoſer la néceſſité d'en faire
d'autres ; Dorante en trouva . Un caractère
comme le ſien & beaucoup de richef
AVRIL. 1772. 19
ſes offroient une belle perſpective à ces
hommesqui ſe propoſent de fortir de leur
mifére par leur induſtrie , & qui fuppléent
au travail par des baſſeſſes & par
l'intrigue.
Entre ceux qui l'entourerent , nul ne
fut plus intriguant que Damis : occupé
fans ceſſe à démêler les foibles de l'humanité
, attentif ſur les traits , fur la démarche
, ſur les diſcours , fur les regards ,
il n'employoit ſes connoiſſances qu'à fes
intérêts.
Les caracteres abſolus font avides de
louange,& c'eſt l'arme que mania Damis;
loin de faire contraſter ſes opinions avec
celles de Dorante , il en exaltoit la profondeur,
il les reſpectoit; comme un com.
mentateur reſpecte celles d'un auteur d'Athênes
ou de Rome.
Au premier accès de flatterie , Dorante
fut revolté ; mais où ſont les hommes
qui réſiſtent au ſecond ? Le coeur eſt ſon
propre complice , & ſi l'on aſpire à la
conſidération du Public, l'on eſt à moitié
féduir.
Diſputer avec ménagement le terrein ,
prévenir les goûts , ou s'y accommoder ,
c'étoit le manége de Damis ; il faut , ditil
à Dorante , que je vous faſſe lier con20
MERCURE DE FRANCE .
noiſſance avec une jeune provinciale que
ſes parens ont confiée à mes ſoins ; elle eſt
aſſez jolie ; vous la formerez , vous l'inftruirez.
Dorante, prévenu favorablementdu caractère
de Clorinde,ne vitque des naïvetés
oùd'autres auroient apperçu de la fineffe,&
fut enchanté de ſa figure que Damis avoit
foiblement efquiffee. Ce n'eſt pas qu'elle
eût les attraits de Cloé ; mais il entre
beaucoup d'amour- propre dans les jugemens
que nous portons ſur la beauté. Souvent
on décrie en ſecret la beauté que
d'autres applaudiſſent avec chaleur , &
l'on céde à celle qu'on ne vanta jamais.
Sans ce combat de l'amour propre contre
le goût général , deux ou trois perſonnes
enleveroient tous les fuffrages , & la plûpartdes
femmes n'auroient pointde cour.
Quoiqu'ilen ſoit , le coeur de Dorante
héſita entre ces deux belles ; mais quand
il ſe vit applaudi de Clorinde , quand il
compara les fons gracieux de l'eloge aux
bruits du reproche , il ne fut plus queſtion
de parallèle ; une ſirène obtint la pomme
qu'il refufoit à la ſageſſe.
Clorinde le pénétra facilement &étendit
ſes vues ; auparavant elle ſe bornoit à
mettre à contribution la bourſe , à acqué
AVRIL . 1772 .
21
rir des meubles & des bijoux , de concert
avec Damis ; mais en conſidérant l'impreſſion
qu'elle a faite , c'eſt au titre d'épouſe
qu'elle prétend : oui , dit elle àDamis
, il ſera mon mari , n'en ris pas. J'ai
des scrupules , je veux finir en femme
d'honneur ; ma fantaiſie eſt d'eſſayer de
tous les rôles : au reſte , ma probiré t'eſt
connue , je te dois les premières leçons
de l'amour , & je ferai fidèle à mon maître
.
Clorinde avoit à lutter contre deux
difficultés : fon indigence & cet obſtacle
eſt fort dans notre ſiécle; mais qu'étoitce,
comparé aux bruits ſemés ſur ſa réputation
? Elle ne s'étoit pas toujours piquée
de myſtère , & puiſqu'un ſoupçon d'infidélité
arrête un mariage, comment remplir
ſon projet lorſque cent voix dépoſent
contr'elle ? Comment étouffer les cris de
la renommée ? D'abord Clorinde épaiſſit
le nuage qui déroboit Dorante au public ;
elle répandit au tour de lui , par des propos
artificieux , la défiance fur ſes pareils,
& elle perfuada à un homme déjà aigri
que cemonde étoit couvert de coupables :
plus indulgente ou plus vraie , elle eût
ajouté que les crimes font rarement l'ouvrage
du coeur , preſque toujours l'ouvra22
MERCURE DE FRANCE.
ge de la foibleſſe , des préjugés , de l'erreur
, de l'ignorance ; mais il eſt de l'intérêt
du méchant de dégrader l'humanité
&de la faire à fon image .
Après avoir déprécié ceux qui n'étoient
pas les amis de la maiſon , le grand ſecret
de Clorinde fut d'inſpirer à ſon amant
de la conſidération par des dehors ſages
&modeſtes & de nourrir l'amour par de
petits facrifices. D'un côté elle choififfoit
des ſituations où il eſt permis de tout rifquer
, ſans trop de témérité ; de l'autre ,
elle tempéroit par des diſcours l'ardeur
qu'elle ſavoit exciter ; elle le reduiſoit à
ſe contenter des plus petites graces , en
lui faiſant entrevoir qu'il en obtiendroit
de plus grandes , ainſi elle provoquoit ſes
déſirs & elle l'enchaînoit par l'eſpérance :
de tout cela il réſultoit un mélange piquant
qui entretenoit l'amour en confervant
l'eftime.
Dorante étoit bien prêt à conclure par
le dénoument du mariage , & fans doute
il n'eût pas héſité à terminer , ſans l'excès
des précautionsde Clorinde ; mais elle lui
avoit peint l'humanité ſous des traits i
difformes qu'il craignoit de lui fournir de
nouvelles victimes &de créer des dupes
ou des méchans.
AVRIL. 1772 . 23
Cependant , afin d'accélérer la conclufion
, Clorinde change de batterie ; elle
devient fcrupuleuſe ; elle ne reçoit plus
Dorante qu'en gémiſlant de la force d'un
amour qui l'attache àſes pas; elle ſe pare
de l'extérieur de la dévotion , & après
l'avoir ainſi préparé , elle lui déclare que
ſa vertu , fon honneur , ſa confcience &
les conſeils des ſaintes ames l'obligent à
ſe refugier dans un de ces aſyles de l'innocence
, où l'on conſacre aux prières un
tems que d'autres conſacrent aux plaifirs.
Dorante parle , prie , conjure , prononce
cent fois des fermens de tendrefle , &
finit par lui promettre de la mener à l'autel.
Si Clorinde y eût volé , ſi elle eût follicité
une diſpenſe des bans qu'on n'eût
pas.refufé , rien ne manquoit à fon triomphe
; mais elle employa à repréſenter un
tems qu'il faut employer à agir , & elle
laiſſa échapper ſa fortune en la contemplant.
Cette nouvelle ne tarde pas à ſe répandre
; les anciens amis de Dorante , affectés
d'un exemple qui peut être contagieux
, s'empreſſent à le diſſuader.
Ce n'étoit pas l'heure d'entendre la vé
24
MERCURE DE FRANCE.
rité ; toujours épris de ſes idées , il lui ferme
l'oreille ; il s'aproche du précipice ;
ſes pieds ſont ſuſpendus ſur le bord de
l'abyme.
Encoreune ſemaine &jouet du Public,
mais ne s'en eſtimant que davantage ,
Dorante étoit marié ; heureuſement pour
lui Clorinde qui touchoit au terme de ſes
travaux & qui tenoit la palme dans ſes
mains s'ennuie d'une diſſimulation qui
lui paroît inutile & qui eſt toujours gênante.
Dorante ſe voit, comme le reſte
du public , l'objet de ſa critique ; elle le
traite , non pas en amant , mais en mari .
Quoi ! ne pas ſe gêner pendant huit
jours , le fait eſt incroyable ! ceux qui parleront
ainſi oublient que la victoire
éblouit , & que rien n'eſt plus proche de
la décadence que le ſommet de la grandeur
, & quand ils auroient raiſon , puisje
ſacrifier à des embéliſſemens la vérité
de l'hiſtoire?
Cette métamorphoſe dans l'humeur
de Clorinde fit tomber le bandeau des
yeux de Dorante. Il compare ce qu'il voit
à ce qu'il a vu , à ce qu'il a entendu. Reveillé
à peine d'un long fommeil , forti
du preſtige , il court chez ſes amis ; il
reconnoît une fois en ſa vie la néceſſité
des
AVRIL.
1772 . 25
des conſeils. La vérité , trop long - tems
étouffée , fort de toutes parts , & on inftruit
ce malheureux amant de mille hiftoires
ſcandaleuſes .
Je ne tenterai pas de rendre ſes regrets.
Ceux qui ont paffé par ces circonſtances
douloureuſes ſe les repréſententaſſez ,
&onn'en inſtruit pas les autres . Cloé furtout
ſe retraçoit à ſon imagination ; il
craignoit de l'avoir trop offenſée, par fon
inconſtance , pour en obtenir ſa grace.
Flottant encore entre l'amour qui l'attiroit
& la honte qui l'éloignoit , il apprend
qu'elle a diſparu avec un homme ; & com.
ment racontoit on cette abſence ? Les
témoins de cette aventure n'aimoient pas
Cloé qui les obfcurciſſoit , ils l'avoient
vue ſeule dans un lieu écarté ; enſuite ils
avoient vu un homme qui l'aborde &
l'emmène : tout cela étoit vrai ; mais ce
qu'il eût fallu ajouter , c'eſt que Cloé s'étoit
jettée aux genoux de fon raviſſeur ,
c'eſt qu'elle avoit verſé un torrent de larmes
; mais l'oeil de la jalouſie n'eſt perçant
que pour ce qui plaît à la paffion .
Quand cette hiſtoire fut publique ,
quelques perſonnes juſtifièrent Cloé ;
d'autres dirent que cet écart ne les furprenoit
pas , qu'il tenoit à ſon caractère :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
de plus hardis aſſurèrent qu'ils l'avoient
prédit. Dorante ſeul réſolut d'approfondir
cet événement & d'arracher Cloé à
ſes fers ; car fa vertu ne lui fut pas un
ſeul inſtant fufpecte. Mais où aller ? En
multipliant les perquiſitions il découvre
qu'il eſt parti de Dieppe pour l'ifle de
Jerſey , un vaiſſeau qui porte une femme
jeune , très -belle , qu'on ne laiſſe pas approcher
& qui eſt en proie à la triſteſſe.
Sur cette lueur il part ; les facrifices ne
ſont pas pénibles à celui qui veut recouvrer
l'honneur , délivrer ſon amante &
mèriter ſon amour ; il arrive . Dieux !
quelle image ! c'étoit Médor qui conduiſoitCloé
au temple : daignez , diſoit Médor
, unir deux amans qui viennent ſe
jurer une fidélité conſtante. Le prêtre
l'entend & veut bénir : arrêtez ! arrêtez !
répond Cloé , ne prononcez point un facrilége
, délivrez - moi de ſes mains impies
, délivrez moi. C'eſt à ce moment
que Dorante ſe préſente ; la foudre qui
écraſe un homme au ſein d'une fête , les
eûtmoins étonnés. Cloé , alarmée un inftant
, jette bientôt mille cris de joie ,
Médor ignore où il eſt , ce qu'il fait , ce
qu'il dit ; le trouble préſide à ſes démarches;
il ne balbutie que des mots entre,
>
AVRIL. 1772 . 27
coupés ; il s'égare ; il s'avoue coupable ,
&il fuit avec précipitation un rivage
qu'il deshonore.
Après cela Dorante court embraſſer
Cloé. Les chagrins qu'il lui a donnés s'éclipſent
devant le plus grand des fervices.
Son tort étoit l'inflexibilité ; mais
l'infortune qui change les coeurs, changea
le ſien; l'amour qui les adoucit, le rendic
flexible. Dorante , époux de Cloé , vécut
&mourut heureux .
Par M. Butini.
SUITE de l'Eté ; Chant second du Poëmie
des Saiſons : Imitation libre de
Thompson .
Progrès de la Chaleur.
MAIS le foleil embraſe l'hémisphère ,
Et le Midi s'avance furieux ;
Du ſein des airs un déluge de feux
Semble couvrir & confumer la terre :
En vain la vue implore ſon ſecours ;
La plaine aride eſt par tout deſſéchée ;
Du Moiflonneur la faucille eſt cachée :
L'e travail cefle & les échos ſont ſourds .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Tout est en feu ſur la nature entière ;
On voit de loin les languiſſans ruifleaux ,
Dont l'onde brille à travers la clairière ,
D'un cours rapide y conduire leurs flots .
:
Fière chaleur , ſuſpends , ſuſpends ta rage :
Fuyons ces feux qui coulent en torrens ,
Et qui ſur moi preſſent leurs flots brûlans :
Je cherche en vain la fraîcheur de l'ombrage;
Onuit , en vain j'invoque ton fecours :
Ton char est loin de commencer ſon cours ,
Et la chaleur redouble ſon ravage .
Heureux , heureux , qui peut ſur le penchant
De ces côteaux , où le lière ferpente ,
Braver les feux du ſoleil menaçant ,
Et, couronné d'une forêt riante ,
Goûter à l'ombre unrepos bienfaiſant !
Salut , falut , retraite ſolitaire ,
Pins élevés , & vous , berceaux épais ,
Salut ! ici je viens chercher la paix.
Combien votre ombre à l'ame eſt ſalutaire!
Votre douceur s'empare de mes lens ;
Mon coeur renaît ; mon oeil frais ſe déploic :
Je ſens en moi d'heureux raviſſemens ,
Etje ſavoure une innocentejoie.
Au fonddes bois on conduitles troupeaux ,
Pour les ſouſtraire au chaud qui les accable ,
Et les bergers , prenant leurs chalumeaux ,
AVRIL. 1772 . 29
Forment enſemble un concert agréable.
Le fier taureau , battant ſes flanes poudreux ,
Cherche à calmer dans la ſource prochaine
Dela chaleur l'aſcendant furieux.
Cédant par fois au ſommeil qui l'enchaine ,
Le Roi berger s'endort en sûreté :
Son chien , qui veille avec activité ,
De tout danger ſçait garantir la plaine ;
Mais ſon ſommeil bientôt s'évanouit ,
Si des eſſains de guêpes irritées ,
Se déchaînant ſur ſon troupeau qui fuit ,
Lui font ſentir leurs fureurs indomptées.
De ſon paſteur il mépriſe la voix ,
Et , du Midi bravant l'ardeur brûlante ,
Sans frein , ſans guide il traverſe les bois ,
Franchit les monts , & , réduit aux abdis
Plonge dans l'eau ſa narine écumante.
Mais avançons vers ces bois ſpacieux T
Dont aucun bruit ne trouble le filence :
A chaque pas le jour fuit , l'ombre avance ;
A
1
Tout devient grand , noble & majestueux .
L
C'eſt le ſéjour où les anciens poëtes
20
Venoient puiſer le ſouffle inſpirateur;;
Π
Où , pénétrés de l'eſprit des prophètes ,
Juſqu'au fublime ils élévoient leur coeur.
J'entre en tremblant : une terreur facrée
Saifit mon ame & pénètre mes ſens ;
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
J'erre attentif ; une voix révérée
Du fond des bois m'adreſſe ces accens :
Ceſſe de craindre &dans ces doux aſyles ,
>>V>iens , ô mortel , chercher des jours tranquil-
∞ les
>> Et célébrer les merveilles des cieux :
>> Ce n'est qu'ici que le feu du génie
>> Se communique au chantre aimé des Dieux ;
>> Viens y puiſer la céleste harmonie ,
>Et pour jamais ton nom ſera fameux. >>>
Aces accens , qui frappent mon oreille ,
Je ſens renaître une nouvelle ardeur ;
Et, tranſporté de merveille en merveille ,
De l'Univers je célèbre l'auteur.
1
Sous ces forêts quel attrait enchanteur !
Repoſons- nous à l'ombre de ces hêtres ,
Où la rofée entretient la fraîcheur ,
Et le gazon , jonché de fleurs champêtres ,
Répand au loin une agréable odeur.
Le chèvrefeuil , lejaſmin & la roſe ,
Courbés en dais , tapiflent ces beaux lieux ,
Où , pour cueillir un miel délicieux ,
Detous côtés l'abeille le repoſe.
Par M. Willemain d'Abancourt.
AVRIL. 1772 . 31
VERS à M. D **** , fur le Roman
qu'il vient de publier.
PEINTRE du tendre amour , favori de lamère,
Que tes tableaux ſont enchanteurs !
Avec quel art , avec quelles couleurs
Tu peins les héros de Cythère !
Ton éloge eſt dans tous les coeurs
Où l'amour trouve un ſanctuaire.
Que tes écrits ingénieux
Méritent bien d'obtenir nos fuffrages !
Tant que l'amour fera ſentir ſes feux ,
D**** , on lira tes ouvrages.
Parle même.
VERS à M. de Voltaire , au sujet de
D
la tragédie des Pélopides .
E ton rare & fécond génie
Tu nous produis encore un chef- d'oeuvre nouveau
!
Voltaire , aux traits frappans , dont ta pièce eſt
remplie ,
Qui ne reconnoît ton pinceau ?
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
L'envie en vain murmure ; on la laiſſe , on t'ad
mire ;
Chacun eſt embraſé du feu de tes écrits ,
Et ton âge , loin de leur nuire ,
Ne fait qu'en augmenter le prix.
Parlemême.
LE LION & LE PIVERT ,
fable imitée de l'allemand.
Pour s'emparer du gibier d'un canton
Le Lion s'aflocia l'Ane :
Indigné de le voir deſcendre à ce profane ,
Un Pivert lui cria , dit on :
" Se peut- il bien que l'Ane , animal imbécille,
> Du Roi des animaux marche le compagnon !
>>> Et pourquoi pas , repartit le Lion ;
>>>Je le fouffre avec moi parce qu'il m'eſt utile..
C'eſt aſſez le propos que tiennent tous lesGrands ,
Quand ils ont par hafard beſoin de nos talens .
Par le même.
AVRIL.
33 1772 .
EPITRE A MA VEUVE.
CEST du ſéjour des morts
Veuve:
que j'écris à ma
i
Mercure , comme moi , trouvant la choſe neuve ,
Veutbien porter ma lettre au terreſtre téjour.
Ma Veuve , tu pâlis . Craindrois-tu mon retour ?
Unmort ne revient point quand il laiſſe une femme.
Vas , livre toi ſans crainte au tranſport de ton
ame.
1
Je ſuis bien mort, crois moi , c'eſt moi qui te le
dis.
D'un veuvage agréable on fait que tu jouis.
Mercure me l'apprend : c'eſt l'ami des poëtes .
C'eſt ce dien qui conduit les morts dans leurs retraites.
Comme tu te jouois d'un époux complaiſant!
Madame , ledéfunt , depuis votre veuvage ,
Connoît très - bien quel cas vous faifiez du vi-
:
vant.
Je ne vous blâme point. Profitez du bel âge.
La plus aimable fleur ne vit qu'une ſaiſon.
Elle ſourit d'abord au papillon volage
Et ne dédaigne pas le ſtupide frélon .
Arthemiſe mourut jadis pour ſon Mauſole.
By
MERCURE DE FRANCE .
34
Arthemiſe eut grand tort. Ma Veuve ſe conſole ;
Elle fait mieux. Autant j'en fais avec les morts ,
Et me trouve de plus fortbien de mes conforts.
D'aucun bruit avec eux l'oreille n'eſt bleſlée ;
Les trépaflés n'ont plus ni morgue ni fierté.
Chez eux , & non ailleurs règne la vérité.
Sachez que votre époux habite l'Elylée ;
Ma Veuve , auprès de vous il l'a bien mérité.
Sa femme ſur la terre aſſez l'a tourmenté.
Auſſi ſon ame est- elle ici récompenfée.
Pour compagne le Ciel lui donne une houri,
Qui l'aimera toujours , quoiqu'il foit fon mari.
La plus pure beauté par elle eſt éclipſée;
Brillante d'elle ſeule , aucun fard emprunté
Ne nuità ſes attraits : ſon nom eſt , Liberté.
Sous ces bocages verds , dans ces lieux de délices
,
Oùdes plaiſirs réels j'ai goûté les prémices ,
Je l'entends qui m'appelle ; & regrette l'inftant
Queloin de ſes appas je perds en t'écrivant.
Je vole dans les bras; ſur ſa bouche adorée
D'un torrent deplaiſirs mon ame eſt enivrée .
Pour un bonheur ſans fin , ſans cefle renaiſſant ,
AVRIL.
1772. 35
Mon coeur libre & content goûte une paix profonde:
Dieux ! que l'on est heureux de n'être, plus au
monde.
Adieu , ma Veuve , adieu , tu n'as plus de mari.
Je vais à ta ſanté boire au fleuve d'oubli.
Par M. Girard-Raigné.
LE VIEILLARD CRÉDULE.
Proverbe.
PERSONNAGES :
GERONTE , père de Julie & de Valère.
JULIE , fille de Géronte .
DORANTE , neveu de Géronte , amant
de Julie.
AGATHE , amie de Julie & amante de
Valère.
VALERE , fils de Géronte-
Le Marquis D'ESTAVANAS , valet dé
guifé.
La Baronne DE WANDÉGREFFEN, intrigante.
La Scène ſe paſſe dans la maison de
campagne de Géronte.
:
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE PREMIERE..
:
VALERE , AGATHE.
VALERE.
:
Vous êtes triſte , chère Agathe , qu'avez
vous ! vous ne voulez rien me répondre
, Agathe , regardez votre amant, vous
ne l'aimez donc plus ?
AGATHE ,Soupirant. Ah Valère .
VALERE. Vous ſoupirez ! garderezvous
toujours ce cruel filence!
AGATHE , Ah Valère ! il faut ceſſer de
nous aimer ; tout s'oppoſe à notre bonheur.
VALERE. Ne nous plus aimer ! c'eſt
Agathe qui me le propoſe ! ... m'écraſe
plutôt le Ciel ! ... pardonnez mon emportement
; mais pourquoi déſeſpérer du
fort ; il ne nous fera pas toujours contraire
; nous vaincrons les refus de mon
père ; notre tendreſſe triomphera ; il ne
poutra voir fon fils expirer de chagrin à
ſes yeux. Agathe , crois - tu que je puiſſe
vivre , ſi je n'eſpérois te pofféder?
AGATHE. Ce ſont bien les ſentimens
de mon coeur ; pourquoi faut - il qu'un
preſſentiment... Je ne ſais ; mais foiez
AVRIL. 1772. 37
fûr que votre père a dans la tête quelque
grand projet... il faudroit tâcher de le
faire ſe déclarer.
VALERE. Perſonne ne peut mieux nous
fervir que Dorante : c'eſt mon coulin &
mon ami. Mon père en fait très grand
cas ; je le prierai de s'informer adroitement....
AGATHE. Rien de mieux imaginé; voici
Dorante , je vous laiſſe avec lui .
Agathefort.
SCÈNE II.
DORANTE , VALERE .
VALERE prend Dorante par la main.
Dorante , m'aimez - vous !
DORANTE. Je croiois vous en avoir
convaincu.
VALERE. Eh bien , mon ami , j'attens
de votre amitié le plus fûr témoignage.
J'adore Agathe .
DORANTE. Vos yeux m'avoient appris
, avant vous , votre ſecret.
VALERE. Je l'adore , je mourrai ſi je
ne l'épouſe.
DORANTE ,fouriant. Le parti ſeroit un
peu violent... Que faut- il faire ?
38 MERCURE DE FRANCE.
VALERE. Peindre à mon père mon
amour , mon déſeſpoir ; l'aſſurer qu'il
acquerra deux enfans qui feront leur
bonheur du ſien... .... l'attendrir enfin
& obtenir de lui ma maîtreſſe .
DORANTE , riant. Rien que cela !
VALERE , fouriant amèrement. Les difficultés
vous effraient.
DORANTE . Vous m'offenſeriez ſi vous
le penfiez ſérieuſement ; mais apprenez
que j'aurois moi-même grand beſoin de
ſecours ; un motif ſemblable me conduit
ici , & c'eſt votre ſoeur que je viens le
prier de m'accorder .
VALERE , avec humeur. Ah ! vous m'oublierez
.
DORANTE. Comptez plus ſur un ami .
Je l'entens , retirez -vous .
VALERE , vivement. Si vous parliez
pour moi ... d'abord.. De peur que ..
DORANTE. Ne craignez rien , l'occafion
me décidera... Partez .
Illepouffe dehors.
AVRIL. 1772 . 39
SCÈNE ΙΙΙ.
GERONTE , révant , DORANTE .
DORANTE , à pari.
Travaillons pour Valère & pour moi.
GERONTE , fans voir Dorante. C'eſt
une belle choſe que d'être de qualité.
Quoique certains philoſophes prétendent
que la nobleſſe eſt un titre imaginaire ,
je dis , moi , qu'ils n'en parlent ainſi que
par envie , & je leur foutiens ...
DORANTE , avec timidité. Bon jour ,
mon cher oncle .
GERONTE. Te voici ! tant mieux , je te
cherchois .
DORANTE . J'en ſuis ravi , mon oncle .
GERONTE. Tu es un garçon ſenſé.
DORANTE . Je me félicite ...
GERONTE . Je t'aime .
DORANTE. Mon cher oncle .
GERONTE. Et je te conſidère infiniment.
DORANTE. Que je ſuis heureux , à
part. Tout fert nos voeux !
GERONTE. Je vais te prouver ma con
fiance.
40 MERCURE DE FRANCE.
DORANTE. Vous ne pouvez trouver un
homme plus attaché.
GERONTE. Il s'agit d'établir ma fille .
DORANTE , à part. Bon ! haut. Ce ſera
très bien fait.
GERONTE , riant. Je ſuis charmé d'avoir
ton avis.
DORANTE. Tout ce que vous faites eſt
à ravir... Et à qui !
GERONTE , riant. C'eſt mon fecret...
Après tout , il faut bien que tu le ſaches..
C'eſt à un jeune homme.
DORANTE . Tant mieux. àpart. C'eſt
moi .
GERONTE. Plein de bonnes qualités..
DORANTE , rougiſſant. Ah! mon oncle,
vous êtes indulgent.
GERONTE. Non , je te dis vrai ; c'eſt un
garçon d'un grand mérite.
DORANTE , modeftement. Je vous affure...
GERONTE. Maisje t'aſſure que ſi ; moi,
je ne crois pas ſa fortune conſidérable .
DORANTE. Les richeſſes ne font pas le
bonheur. à part. L'excellent oncle!
GERONTE . Mais en revanche ſa naiffance
eſt diſtinguée .
AVRIL. 1772 . 41
DORANTE. Vous badinez. }
GERONTE . Ce que je te dis eſt véritable;
c'eſt un homme illustre .
DORANTE. Oh ! pour le coup...
GERONTE. Parbleu, tu es plaiſant avec
ton entêtement. Tu ne ſais pas qui ,
prétens me foutenir que le Marquis d'Eftavanas.
&tu
DORANTE , confondu. Un Marquis.
GERONTE. Tu m'impatienterois en vé- >
rité... Oui ſans doute un Marquis ! & un
Marquis de condition au moins.
DORANTE. Je n'en reviens point.
GERONTE. Il n'en démordra pas....
Mais laiſſons les qualités de mon gendre;
je te difoisdonc que commeje te regarde
comme un homme raiſonable , je te charge
d'aller annoncer cette bonne nouvelle
à ma fille , & d'en joindre une encore
meilleure , c'eſt qu'il arrive .
DORANTE , confondu. Il arrive.
GERONTE. Oui , avec ſa coufine , Madame
la Baronne de Windégréffen...
Peſte , quelle couſine ! tu la verras ; je te
l'aurois fait épouſer ſans que je la deſtine
à mon fils... Allons gai , deux nôces :
Cela me rejouit ; vas répandre la joie
42
MERCURE DE FRANCE.
dans leurs coeurs , mon cher Dorante , je
cours tout faire préparer pour l'arrivée de
mon cher gendre &de ma chère bru .
Ilfort.
SCÈNE IV.
DORANTE .
Le diable puiſſe - til mille fois leur
rompre le col . Belle nouvelle à annoncer
àſes enfans ; pauvre Valère ! malheureuſe
Julie!
SCÈNE V.
Valère & Julie entrent chacun par un côté
de lafalle.
VALERE , impétueusement. Eh bien ,
mon ami , avez - vous parlé ; tout a - t-il
réuffi ; ſommes- nous heureux ? .. Vous
vou taiſez !
JULIE , tendrement. Dorante , vous n'avez
donc rien à me dire ?
VALERE. Vous avez vu mon père !
JULIE . Vous levez les yeux au Ciel !
DORANTE. Nous ſommes perdus !
VALERE & JULIE . Perdus !
DORANTE. Qui , votre père a donné ſa
AVRIL. 1772 . 43
parolede vous unir à je ne ſais quel Marquis,
&vous à une Baronne ſa coufine.
JULIE. Ciel!
DORANTE. Ils arrivent , & Geronte
m'a fait l'honneurde me choiſir pour vous
porter cette agréable nouvelle.
VALERE. UnMarquis ! .. Oh ! nous le
verrons , nous le verrons , je lui prépare
un compliment.
DORANTE. Modérez- vous , Valère .
VALERE , piqué. Me dire de me modérer
, lorſqu'on veut faire le malheur de
ma foeur , lorſqu'on veut m'arracher celle
que j'adore ; Monfieur , je n'ai pas le
bonheur d'être doué d'un auſſi reſpectable
ſens froid. J'aime avec fureur, &je m'occupe
plus de votre bonheur que vousmême.
DORANTE. Ecoutez , cher Valère , laifſons
arriver les originaux , peut - être le
fort nous offrira - t- il quelques moyens
pour fortir d'embarras , il ſera toujours
tems de ſe livrer au déſeſpoir.
JULIE. Mon frère , accordez -moi cette
grace.
VALERE. Je le veux bien ;je me tairai ,
je me tairai ; mais fi mon père prétend
me forcer... Je faurai me venger.
44 MERCURE DE FRANCE.
JULIE. Je ne veux pas le quitter.
Ilsfortent
SCÈNE VI.
DORANTE , GERONTE ,fansse voir.
DORANTE.
res.
J'affecte une aſſurance que je n'ai guè-
GERONTE . La belle alliance pour ma
famille! un Marquis ! une Baronne !
DORANTE le choque. Tu es bien diftrait
, mon neveu; vas , je te prie , avertir
lè notaire , il eſt dans le jardin .
DORANTE , Surpris. Quoi , déjà !
GERONTE. Et lui dire qu'il vienne ici
fur le champ.
DORANTE ,Soupirant. Allons. (Ilfort.)
SCÈNE VII .
GERONTE .
J'entens une voiture . Il va regarder. Ce
font eux , rajuſtons ma perruque, ma cravatte
où ſont mes gants .. Ilse rajuste.
AVRIL. 1772 . 45
SCÈNE VIII .
GERONTE ,le Marquis D'ESTAVANAS, la
Baronne DE WINDEGREFFEN , ridiculement
vétus.
LE MARQUIS , Gascon. Eh bon jour ,
dix mille fois bon jour à l'aimable Monſu
Géronte.
LA BARONNE , lentement &faisantfon.
ner tous les E muets. Je ſalue de tout mon
coeur le Seigneur Géronte.
LE MARQUIS, Cadédis , j'exige l'amitié
de Monſu Géronte .
LA BARONNE. Je compte ſur l'eſtime
du Seigneur Géronte .
GERONTE , confus , les ſaluanı. M. le
Marquis , Madame la Baronne.
LEMARQUIS. Sandis , je veux lui témoigner
l'indicible plaiſir que j'ai dé lé
voir. Il l'embraffe.
LA BARONNE. Je veux lui prouver
mon exceffive fatisfaction .
Elle l'embraſſe.
GERONTE. Ouf, ouf trop d'honneur.
( à part) Comme les gens de qualité font
tendres.
46 MERCURE DE FRANCE.
LE MARQUIS. Ah çà , pèré Géronte ,
nous allons donc épouſer la petite fillé ;
elle eſt jolié , il faut , Dieu me damne ,
toure ſa beauté , tout fon mérite pour qué
jé veuille allier le ſang nobiliffime des
Caillandoux , Peſénac , Tartas , Eſtavanas
, au ſang roturier des Mathurins Gérontes.
GERONTE. Je ſuis bien ſenable .
LE MARQUIS. Mais beaucoup d'écus ,
papa Géronte , beaucoup d'écus , c'eſt là
notre marché, jé né mé méſallie qu'au
poids de l'or.
GERONTE. Vous pouvez compter.
LE BARONNE , lentement. Depuis trente-
deux quartiers , l'on ne peut prouver en
notre famille aucune tache , aucune méſalliance
foit en ligne directe , indirecte
ou collatérale ... Mais le tems déloyal...
Et puis l'amitié , l'eſtime , la vertu , le
ſentiment... Votre fils, m'avez - vous dir,
eſt joli garçon .
Ellese cache avec fon éventail.
GERONTE . C'eſt la vérité.
LA BARONNE , lui frappantfur l'épaule.
Je l'ai promis , je ne m'en dédirai pas .
LE MARQUIS , lui frappant ſur l'épaule.
Jé né manqué jamais à ma parole .
AVRIL. 1772. 47
GÉRONTE. Si cependant cela vous fachoit
trop ...
LE MARQUIS . Non , non .
GERONTE. Nous n'itions pas plus loin.
LE MARQUIS & LA BARONNE , lui
frappant tous deux fur l'épaule. Et je vous
dis qué cela vaut fait.
LA BARONNE le tire à part. Mon cher
Géronte , que vous êtes heureux que
mon coufin daigne épouſer votre fille ;
vous ferez bien l'homme le mieux engendré.
LE MARQUIS le tire à part. Ce n'eſt
pas à cauſe qu'elle eſt ma coufine... Mais
fandis ! dans toute la province je défie de
trouver une race comme celle des Wandégreffen.
GERONTE. Je le crois .
LA BARONNE le tire à part. C'eſt le
plus brave Gaſcon. Il a eu vingt affaires
dont il s'eſt tiré avec honneur , & ila , à
lui ſeul , emporté une ville d'aſſault.
GÉRONTE. Quel homme !
LE MARQUIS le tire à part. C'eſt , la
peſte m'étouffe , un dragon de vertu ; fon
premier époux n'a jamais pu rien obtenir
d'elle que par violence; depuis ſa mort
4S MERCURE DE FRANCE .
deux amans ſe ſont mis fur les rangs &
ont voulu... Elle en a étranglé un & afait
jetter l'autre par les fenêtres.
GÉRONTE . Quelle femme !
SCÈNE IX.
LE NOTAIRE , DORANTE & les précédens .
LE NOTAIRE , à Dorante .
Je vais finir le contrat.
L
Il s'affied & écrit.
DORANTE, à part. Ecoutons .
LA BARONNE tire à part Géronte. Il a
dans l'étendue de ſes terres , droit de pied
fourchu , de jambage , & cætera ; de plus ,
du Marquiſat d'Eſtavanas relèvent trentecinq
duchés , cinquante - trois châteaux ,
vingt-fept fiefs , ſans compter les rôtures.
DORANTE , àpart. Bon !
LE MARQUIS tire à part Géronte. Il
n'y a pas dans toute l'Europe un château
comme celui de Wandégreffen... Cadédis...
Imaginés - vousun bâtimentdé forme
ronde & quarrée , un périſtille de ſix
mille colonnes doriennes , ſupporté par
quatorze cens pilaſtres corhintiques, trois
étangs, ſept foffés , deux jets d'eau , douze
arpens de parc , millé dé potager , chaffe
à
AVRIL. 1772. 49
â la plume & au poil , colombier à boulins
, baſſe cour , étables & écuries .
Ils parlent tous trois bas.
DORANTE , au Notaire. Mais je connois
ces viſages ... Oui ma foi , oh , oh ,
l'aventure eſt excellente !
GÉRONTE . bien , bien ! je vais les faire
appeller , qu'on aille chercher Julie &
Valère.
DORANTE. Voici le Notaire.
GERONTE , fans ſe retourner. Oui , &
le Notaire .
SCÈNE X. & DERNIERE.
Géronte parle avec feu au Marquis & à la
Baronne ; Valère entre furieux ; Julie
eft affligée ; Dorante fourit.
JULIE , en entrant. Dorante , vous allez
me perdre,& vous paroiſſez gai. Qu'allons
nous faire !
DORANTE , gaïment. Conſentir à tout .
VALERE. Conſentir à tout !
DORANTE. Point de fureur , nous n'avons
plus rien à craindre ; paroiſſez faire
ce qu'il defire , je vous en conjure. haut.
Voici vos enfans .
II. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
GERONTE. Vous allez voir comme on
m'obéit. Allons qu'on vienne& qu'on falueM.
le Marquis d'Eſtavanas & Madame
la Baronne de Wandégreffen.
Julie & Valère Saluent. Géronte continue
: Je vous marie.
VALERE. Mon père .
GÉRONTE. Je le veux, ſignons le contrat.
( Dorante est derrière la chaise du
Notaire , & n'est pas vu.
Pendant que Gérontefigne , le Marquis
faitfa cour à Julie , & la Baronne badine
avec Valère ; Géronte , après avoir figné ,
dit au Marquis & à la Baronne : à votre
tour.
JULIE , à Valère, Dorante a l'air bien
affure , qu'a- t il dans l'eſprit ?
Le Marquis & la Baronne vont pour
figner ; Dorantese montre , les prend cous
deux par la main , les ramène près de Gé.
ronte ; ils le regardent & s'écrient : Ciel !
DORANTE . Eh ! bon jour donc mes
amis , comment cela va- t il ?
GÉRONTE , riant. Bon bon , vous vous
connoiflez .
DORANTE . Très - parfaitement , & je
m'en fais honneur.
AVRIL .
sr 1772.
GÉRONTE . Je te difois bien qu'ils
étoient d'une famille .
pas.
DORANTE. Oh ! très - diftinguée.
LE MARQUIS , bas. Ne nous perdez
DORANTE. Quel plaifir de retrouver
ſes amisaprès une longue abſence ! Voyez
comme la joie éclate dans leurs yeux .
Mon oncle , il faut vous mettre au fait de
notre intimité:voici M. la Fleur , monarcien
laquais , homme eſtimable , qui me
voloit quelque fois .
GERONTE. Comment !
DORANTE. Et c'eſt ici Mde Jacob , la
plus honnête des prêteuſes ſur gages .
LE MARQUIS , bas à Géronte. Votré
néveu a donc le cerveau timbré , il falloit
nous prévenir.
LA BARONNE , bas à Geronte. C'eſt
grand dommage , ſi jeune !
DORANTE , d'un ton goguenard. Eh !
bien , Mde Jacob , le commerce a donc
bien rendu. Vous avez amaſſé beaucoup
de richeſſes , & fans doute très - loyalement
... Rien n'eſt plus beau que d'obliger.
Ah! je n'oublierai jamais, Mde Jacob
, que dans un beſoin urgent , vous
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
m'avez prêté à 90 pour 100 , c'eſt ce qui
s'appelle un procédé... Et vous , Mons
la Fleur , comment diable ! vous voilà
bien brave ! les grands hommes ſe font
connoître , & du rang le plus bas , parviennent
au plus élevé. Ah! çà , Mons la
Fleur , ſouvenez - vous de moi , j'aurois
pu vous faire voguer.
LE MARQUIS , à Géronte. C'eſt pouffer
trop loin la plaiſanterie , Manfu Géronte
faites finir , où bien je ne répons
pas.
LA BARONNE , à Géronte. Sans ma
douceur , je le déviſagerois .
DORANTE . Ah ! par exemple , voilà
qui eſt mal , vous ne paroiſſez pas éprouver
autant de plaiſir que moi , dans notre
reconnoiſſance !
GÉRONTE. Mon neveu , qu'est- ce dono
que cela veut dire ?
DORANTE. Ah ! mon oncle , de grace ,
c'eſt une affaire entre nous trois ... Vous
voilà tous ſtupefaits ... Allons ferme, dites
-moi donc , vous comptez entrer dans
notre famille , vraiment j'en ſuis ravi ;
Mon oncle , veut- il bien que je le félicite
ſur ſon choix; une prêteuſe à ໑໐ pour
100 , & un valet très - honnête homme
qui a mérité d'être pendu.
AVRI L. 1772. 53
GERONTE. Vous ne répondez rien !
LE MARQUIS , bas à Géronte. Eh que
diable voulez vous que je réponde à cet
infenfé ?
GÉRONTE. Pas de détours, parlez haut,
êtes-vous un valet ?
DORANTE. En doutez- vous ! ah Mons
la Fleur eſt trop galant homme pour le
nier ; d'ailleurs , s'il n'en vouloit pas convenir
, un commiſſaire.
LA FLEUR. Un commiflaire ! ah ! gracé,
gracé mon maître,j'aimerois mieux
voir le diable.
Mde JACOB , avec dignité. Comment
vous êtes un laquais?
DORANTE , la contrefaiſant. Quelle in .
fulte pour l'illuſtre Madaine Jacob ! ..
Ah ne te fâche pas , ſans cela une maiſon
deforce.
Mde JACOB , quittant fon accent. Miféricorde
! une maiſon de force ! je tombe
à vos genoux.
GERONTE. Comment coquin !
DORANTE. Pardonnez- leur... Sortez ,
&qu'on ne vous revoie jamais.
Ils s'enfuient.
DORANTE , continuant. Mon oncle.
:
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
VALERE. Mon père.
DORANTE. Accordez- moi Julie.
VALERE. Donnez-moi Agathe.
JULIE . Nous ferions tous heureux.
GÉRONTE. J'y conſens , c'eſt la vraie
richeſſe d'un père que le bonheur de ſes
enfans . M. le Notaire corrigez le contrat ,
vous le rapporterez ; aimez
braſſez - vous , ceci me fait bien voir que
tout ce qui reluit n'est pas or.
1
vous , em-
Par M.le Chevalier D. G. N.
TRADUCTION de l'Episode de la Mort
de Céfar.
Ce foleil , c'eſt un dieu de qui la prévoyance
Eclairant des deſleins confiés au filence
Par des fignes certains vient nous manifeſter
Les complots ténébreux qui ſont prêts d'éclater.
Souvent du haut des cieux il annonce à la terre
Que ſes Rois font armés , & reſpirent la guerrei
Quand Céfar expira frappé de coups affreux ,
L'aſtre perdit ſoudain ſa clarté dans les cieux
Etl'on vit des mortels la race criminelle
Trembler que cette nuit ne devînt éternelle.
Maisquoit tout reffentit la mort de ce héros,
AVRIL.
1772 . 55
Des chiens ſouillésde ſang , de ſiniſtres oiſeaux ,
Le ciel même , la terre & les mers menaçantes
En donnèrent par- tout des marques éclatantes.
On a vu de l'Ethna le Géant furieux
Dans nos champs déſolés déchaîner tous fes
feux ,
Etjettant de ſon ſeindes flammes ondoyantes ,
Jusqu'au ciel élancer mille roches péſantes.
On entendit dans l'air des combats ſurprenans .
Les monts font ébranlés par de longs tremblemeus
.
Soudain l'Eridan s'enfle & ſe gonfle d'orages ;
Il ſurmonte ſa rive , & parmi ſes ravages
Emporte ſans pitié bergers , arbres , troupeaux ,
Foule d'infortunés qu'ont englouti les flots .
Le dirai je ? On a vu dans Rome épouvantée
Couler du fond des puits une onde enfanglantée.
Les victimes n'offroient que préſages certains
Où les dieux en courroux menaçoient les humains
.
Par-tout des loups affreux , troublant les nuits
tranquilles
-
Par de longs hurlemens épouvantoient les villes.
Souvent on entendit en de paiſibles lieux
Se plaindre dans le fonddes bois filentieux
Une effrayante voix. Des fantômes funèbres ,
Pâles , apparoiſſoient dans l'horreur des ténébres.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Tout annonça les maux que les dieux apprêtoient
:
La terre s'entrouvroit ; les fleuves s'arrêtoient.
L'Univers plein de trouble étoit leur interprête.
Même les animaux en leur bouche muette
Reçurent la parole , & parloient aux mortels ,
Et l'inſenſible airain pleura ſur nos autels.
Mille éclairs ſillonnoient les voûtes étoilées.
Les comètes en feu couroient échevelées .
Bientôt on vit s'armer tout le Peuple Romain.
Le ciel faifoit juſtice : une inviſible main
Sur un champ de bataille entraina les coupables.
La Macédoine a vu les Romains implacables
L'un contre l'autre armés revenir furieux ,
Expier dans leur ſang la colère des dieux.
Unjour le laboureur , cultivant cette terre ,
Etonné trouvera des inſtrumens de guerre..
Sous le rateau roulans ; des dards , des boucliers
Et des caſques hélas ! qui manquent de guerriers
;
Et le témoin lointain d'antiques aventures
Sous ſes pas entrouvrant d'étranges ſépultures ,
Muet admirera les débris des héros ,
Grands oflemens giflans en de vaſtes tombeaux.
Par M. Fontaine.
i
AVRIL. 1772 .
57
VERS adreſſés à Monseigneur le Prince
Régnant de Hohenlohe Schillingsfürst ,
ausujet de fon Mariage avec la Princeffe
Marie Jofeph de Salm- Salm , par
un Germain de la Vieille . Roche.
INTREPIDES dans le danger ,
Juſtes , clémens , humains , généreux & ſincères ,
Les chefs de nos auguſtes pères *
Chériſſoient leurs ſujets , ſcurent les protéger :
Et leurs époules vertueuſes ,
Aimables fans orgueil, ſimples dans leurs deſirs ,
En femmes vraîment courageuſes ,
Partageoient leurs travaux , leurs peines , leurs
plaiſirs.
Vous allez les faire renaître
Cesjours heureux , ces jours de juſtice & de paix :
L'aurore qui vient de paraître
Nous annonce un ciel pur & comble nosſouhaits
Par l'amour , par la bienfaiſance ,
Regnez , couple chéri , faites notre bonheur ;
Ouverts à la reconnoiſlance ,
Les coeurs de vos ſujets ne feront tous qu'un
coeur,
* Les Germains .
C
58 MERCURE DE FRANCE.
Ah! quel charme pour nous de dire ,
>>> Dans ces lieux les vertus ont fixé leur ſéjour :
>>Pour nous ſeuls Schillingsfürſt reſpire :
>> Il ravit notre eſtime , il obtient notre amour;
>>O>ui , notre maître eſt notre père;
D Ses ſoins laborieux fondent notre repos ,
>> Et Salm- Salm ſera notre mère ,
>>> Elle partagera ſes utiles travaux .
>> De ce ſang l'auguſte nobleſſe ,
>.>D>e tout tems protégea l'indigent vértueux.
>> Livrons nos coeurs à l'allégreſſe .
>>Une heureuſe union produit des jours heureux,
כ
Par M. Sta.. L.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du premier volume du mois d'Avril
1772 , eſt la lettre M; celui de la
ſeconde est le Café. Le mot du premier
logogryphe eſt Pendule; celui du fecond
eſt Poule , où l'on trouve loupe ; celui du
troiſième eſt Apoplexie , où ſe trouvent
Pope , Eloi , Alep , Pape , pipe , oeil, Elie,
Fole , Eole , plie , poil, paix , exil , paie ,
aile , ville de la Lippe , poële , ( draps mor.
tuaire , ) poële ( forte de fourneau , )poële
(dais portatif , ) poële ( à frire , ) plaie ,
AVRI L. 1772 .
59
loi , axe , lie , Pie ( Pape , ) Pie ( oiſeau , )
épi , ail , oie , pal , Lia ( fille de Laban ,
foeur de Rachel , première femme de Jacob
à la place de Rachel . ) la , là , io .
ÉNIGME
Lesénigmes& logogryphes de ce volume font
de l'auteur de l'énigme de l'Eternument .
CROINEZ- VOUS , ô lecteur , ce que vous allez
lire?
Aux yeux de mon parrein , l'on me pend ſans
façon
Pour cauſe de religion .
L'apoftolat ſuccède à mon martyre.
Je monte & prêche ſur les toits ,
On implore au fon de ma voix
La divine Miféricorde.
Je ne fors point de ma prifon ,
Et c'eſt en gambadant & danſant ſur la corde
Que j'acheve ma miſſion.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
La pauvreté m'enorgueillit ,
Pauvre je me redreſſe ;
Et quand la fortune me rit ,
Opulent je m'abaiſſe.
Mes cheveux couvrent mon tréſor
Dans leur verte jeuneſle ;
Dès qu'ils deviennent couleur d'or
Ils tombent de vieillefle .
Vos ayeux en vrais étourdis
Ont cauſé leur misère ,
Pour avoir dépouillé jadis
Mononcle ou mon grand père.
AUTRE.
Nous ſommes deux frères fort doux ;
Mais qui ne pouvons vivre enſemble une ſeconda
Tout le monde , en tout lieu , nous donne à tout
le monde ,
Etrien n'eſt plus rare que nous.
Souvent de l'amitié nous paroiſſons le gage ,
Etchacun de nous a fon tems :
AVRIL. 1772 . 61
Quand d'un bruſque refus nous préſentons l'image
,
Tous les tems ſont indifferens .
LOGOGRYPΗ Ε.
DAANnSs mon ſens naturel je ne ſuis jamais
vieux ,
Car mon nom change en ma vieilleſſe.
Pris dans un autre ſens , tendre , mystérieux ,
Je ne conviens qu'à la jeuneſſe.
Si je perdois mon dernier élément ,
Le croiriez-vous? je deviendrois ma mère.
Par un demi renverſement
Je fieds mal fur le front d'une jeune bergère ;
Mais ſi vous me prenez métaphoriquement
J'offre à vos yeux un heureux ſupplément ,
Qui peut avec le tems devenir néceſſaire ;
Et dont le curieux fait ſon amusement.
Retranchez en la queue , un autre la remplace :
Si le proverbe eſt vrai vous devriez la voir.
Remettez mes membres en place.
Ma première moitié fait faire la grimace ,
Et ſur le pauvre exerce ſon pouvoir.
Ma tête jointe aux piés ne laiſſe point de trace;
Mais l'oreille & le nez la font appercevoir.
62 MERCURE DE FRANCE.
LA
AUTRE.
A corde au coldans un collier concave ,
Mon tout habite le grenier.
Ma dernière moitié ſe repoſe à la cave ,
Tandis que fon voisin monte ſeul au premier.
Jointeà mon chef elle offre un fort plat perſonnage.
Quantà l'autre moitié c'eſt un antropophage.
Tranchez fon nouveau chef ſi je vous dilois où ,
Je vous en dirois trop , j'en dis encor beaucoup :
Lecteur , nouveau myſtère .
Mon tout rendu boîteux ,
Si vous le laiſſez faire ,
Va pondre ſur ſes oeufs.
TAN
AUTRE.
ANT que j'exifte je dévore
Et je finis par être dévoré.
Mon buſte plaît beaucoup au buveur altéré.
Tranchez ma queue , aux morts j'infulte encore
Leur cadavre ſanglant eſt par moi déchiré ;
Sans mon chef un prélat eft par moi décoré.
Otez moi tête & queue , un pilote m'abhorre.
AVRIL. 1772 . 63
Amon aſpect s'il n'eſt pas préparé.
Encore un pied de moins on m'invoque , on m'honore
Dans la rue à Paris dite Saint Honoré.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Traité du Bonheur public , par M. Louis-
Antoine Muratori , bibliothécaire du
Duc de modène , traduit de l'italien fur
l'édition de Lucques , 1749 ; avec ſa
nie & le catalogue de ſes ouvrages :
par M. Jean- François Soli Muratori ,
fon neveu : le tout extrait & traduit
auſſi de l'italien fur l'édition de Veniſe,
1756; par L. P. D. L. B. 2 vol. in 12 .
AParis , chez Coſtard , rue St Jean-de-
Beauvais.
Ce Traité eſt précédé de la vie de l'auteur
, bien connu dans la république des
lettres par de nombreux écrits ſur l'antiquité
, l'hiſtoire & la littérature; & principalement
par des annales d'Italie. On
pourra être étonné en parcourant le catalogue
des ouvrages de ce ſavant imprimé
à la ſuite de ſa vie, qu'un ſeul homme ait
!
64 MERCURE DE FRANCE.
pu fournir à un travail auſſi long& auffi
pénible & que cet homme ait paffé une
vieilleſſe ſaine & robuſte juſqu'à l'âge de
77 ans , malgré la foibleſſe de ſon tempérament.
Muratori s'étoit fait un régime
qu'il obſerva tout le tems de ſa vie.
L'étude d'ailleurs quand on y prend goût
eft le meilleur remède contre l'ennui , &
ce remède ne peut que contribuer à prolonger
la vie. Muratori , quoiqu'adonné
aux lettres , ne négligea cependantjamais
les devoirs de ſon état. Appellé aux miniſtères
des autels & nommé curé de Ste
Marie de la Pompoſa de Madene , il s'acquitta
des pénibles fonctions de paſteur
avec une ardeur infatigable. Son amoor
pour les pauvres , ſon attention à confoler
les malheureux , fon zèle à rétablir
par tout la paix le rendoient bien digne
de nous donner un traité ſur le bonheur
public. Mais Muratori plus érudit que
philoſophe , plus verſé dans les ſciences
eccléſiaſtiquesque dans la connoiſſance des
matières économiques s'occupe moins à
difcuter les vrais principes de bonheur
public qu'à expofer les maximes de morale
évangélique. Il exhorte les Souverains
à faire le bonheur de leurs ſujets ,
mais il ne leur démontre point fuffifam
AVRIL. 1772. 65
ment que le leur propre y eſt attaché ; il
ne fait point affez connoître les relations
politiques entre le prince & les ſujets . II
dira à ſes lecteurs que le premier principede
juſtice eſt de ne point faire à autrui
ce qu'ils ne voudroient pas qu'on leur fît.
Mais il ne leur prouve point par des calculs
faciles à faire & par des raiſonnemens
puiſés dans la conſtitution même
de la ſociété que le mal qu'ils feroient à
autrui ils le feroientà eux - mêmes . Le
grand point de tout écrivain politique
qui veut portet ſes concitoyens àla pratique
des devoirs ſociales , & affurer le
bonheur de la ſociété , eſt de ne jamais
ſéparer l'homme de lui - même , de lui
faire voir au contraire que ſes intérêts
particuliers loin d'être oppoſés à ceux de
tous , il ne peut trouver ſon bien- être que
dans celui de la ſociété dont il eſt membre.
Mais ſi Muratori , dans ſon traité ne
poſe point la vraie baſe du bonheur , on
ſera ſans doute fatisfait des inſtructions
& des exemples de vertu & de bienfaiſance
qu'il y a répandus. Il ſeroit à ſouhaiter
que tous les princes euſſent toujours
préſente la réponſe que l'auteur rapporte
d'Alphonfe , Roi d'Eſpagne , à un
miniſtre qui lui conſeilloit dans une guer,
66 MERCURE DE FRANCE.
re ruineuſe , d'impoſer de nouvelles contributions
: « Les larmes de mon peuple ,
> repliqua ce bon prince , me font plus
>> de peur que les forces de mes ennemis.
Les Stratagémes ou ruſes de guerre recueillis
par Frontin,traduits en françois
par un ancien Officier , avec le texte
latin à côté : On y a joint des recherches
fur la perſonne & les ouvrages de
Frontin , vol . in 8 °. petit format ; prix ,
4 liv . A Paris , chez Fr. Amb. Didot
l'aîné , libraire & imprimeur , rue Pa
vée près du quai des Auguſtins .
Frontin , élevé dans la profeſſion des
armes & nommé par Veſpaſien au gouvernement
d'Angleterre , eut ſouvent occaſion
de ſe convaincre de la néceſſité
pour un général,de ſavoir mettre en oeuvre
les ſtratagêmes &les rufes militaires ,
lorqu'à la tête d'une perite armée il veut
combattre des troupes nombreuſes, aguerries
& favoriſées par la poſition des lieux.
Mais l'art des ruſes n'eſt point un art qui
s'apprenne par la pratique ou par la routine;
il faut beaucoup lire , beaucoup
étudier ; auffi trouve - t- on peu de généraux
affez habiles dans cette matière pour
AVRIL. -1772 . 67
en faire un uſage fréquent . On en a vu
même pluſieurs qui , fans manquer d'intelligence
, ſe ſont laiffés ſurprendre par
des ſtratagêmes pratiqués pluſieurs fois.
Les militaires ne peuvent donc ſe diſpenfer
de lire & d'étudier ce que Frontin a
raſſemblé fur ce ſujet. Son recueil qu'il
appelle avec raifon un conſeil d'exemples
eſt en même tems inſtructif & curieux
mais comme le texte de cet hiftorien ne
nous eſt point parvenu dans toute ſa pureté
, qu'il a été ſouvent corrompu par le
mauvais goût ou l'ignorance des copiſtes;
on ne peut que bien accueillir une traduction
exacte & fidèle qui en facilite l'intelligence.
Cette traduction eſt précédée
de très bonnes recherches ſur la perſonne
&les ouvrages de Frontin , & même ſur
la littérature ancienne .
Mémoires de Louis de Nogaret , Cardinal
de la Valetre , général des armées du
Roi en Allemagne , en Lorraine , en
Flandre & en Italie ; ouvrage néceffaire
à l'intelligence de l'hiſtoire de
Louis XIII , & très- utile à la Nobleffe;
années 1635 , 1636 , 1637. A Paris ,
de l'imprimerie de Ph . D. Pierres , rue
St Jacques , 2 vol. in 12 .
68 MERCURE DE FRANCE .
Le manufcrit original de ces mémoires
rédigés par Jacques Talon , ſecrétaire du
Cardinal , eſt conſervé dans la bibliothéque
de M. le marquis de Baletta. Ces
mémoires méritoient d'autant plus d'être
publiés qu'ils donnent des détails intéreſlans
de fiéges , de marches d'armées ,
de campemens , &c. détails que les hiſtoriens
expoſent ordinairement avec trèspeu
d'exactitude faute d'inſtructions . Le
redacteur de cette eſpèce de journal rapporte
des faits dont il a été lui-même témoin
, & il les rapporte avec une forte
de ſimplicité qui gagne la confiance du
lecteur. Il loue le déſintéreſlement du
Cardinal de la Valette , l'attention de ce
général à reſtreindre autant qu'il étoit en
lui les droits cruels de la guerre , à maintenir
le bon ordre parmi les troupes , à
leur faire religieuſement obſerver les conventions
tacites dont l'intérêt des deux
parties exige également l'obſervation. Ce
fut le maintien de ces règles de modération
, d'honneur , de générosité qui fit
donner à fon armée en Italie le nom de
Sainte. Mais ce qui couronne l'éloge de
ceCardinal eſt de s'être toujours montré
attentifà répondre à la confiance que fon
Prince lui avoit donnée. Ces mémoires
AVRIL.
69 1772 .
ſont dédiés à Mgr le Duc de la Vrilliere ,
Comte de St Florentin , &c . miniſtre &
ſecrétaire d'état , chancelier de la feu
Reine , commandeur desOrdres du Roi ,
&c. &c.
Traité du droit de Domaine de Propriété,
par l'auteur du Traité des Obligations.
A Paris chez Debure père , quai des
Auguſtins ; à Orléans , chez la Veuve
Rouzeau- Montaut; vol. in - 12 . prix ,
3 liv. relié.
Ce traité eſt diviſé en deux parties . On
voit dans la première ce que c'eſt que le
droit de Domaine de Propriété ; en quoi
il conſiſte ; quelles font les différentes
manières de l'acquérir & de le perdre.
L'auteur traite dans la ſeconde,des actions
qui naiſſenr du droit de propriété. Il y
joindra un traité de la poſſeſſion qui eſt
actuellement ſous preſſe.
On diftribue chez les mêmes libraires &
du même auteur un Commentairefur l'Ordonnance
des Eaux&Forêts dumois d'Août
1669 , vol . in 12 .; prix , 3 liv. relié.
Histoire naturelle de l'air & des météores
par M. l'Abbé Richard , tomes VII ,
VIII , IX & X in-12.; prix , 10 liv ,
70
MERCURE DE FRANCE.
brochés en carton , & 12 liv. reliés. A
Paris , chez Saillant & Nyon , libraires
, rue St Jean-de- Beauvais.
Les premiers volumes de cette hiſtoire
naturelle , publiés en 1769 , ont été d'autant
plus accueillis que l'auteur fait l'em.
ploi le plus heureux des découvertes de
la phyſique moderne pour donner à ſes
lecteurs des notions diſtinctes de ce qui
ſe paſſe ſous leurs yeux & des phénomènes
qui peuvent intéreſſer leur ſanté, leur
vie même ou du moins leur curioſité. Les
matières contenues dans ces derniers volumes
font traitées , ainſi que dans les
premiers , ſous la forme de diſcours. Il
eſt queſtion dans le VII volume de la
neige , de la grêle & des météores emphatiques;
dans le tome ſuivant , du tonnere
, des éclairs & de la foudre , & de
quelques phénomènes qui y font relatifs.
On peut croire d'après les faits que rapporte
notre Naturaliſte , que ceux qui
meurent frappés de la foudre périſſent
ordinairement de ſuffocation , & par la
ceſſation ſubite des fonctions vitales.
C'eſt ce qui fut obſervé à Altorf en 1681
à l'égard d'un homme foudroyé, fur le
corps duquel il ne parur , après fa mort ,
qu'une petite ligne noire ſur le ſternum ;
AVRIL. 1772. 71
la flamme lui avoit légèrement crêpé les
cheveux des tempes. Cette opinion fur
la cauſe de ce genre de mort , ne paroîtra
point fans fondement , ſi on ajoute foi à
ce que rapporte Cardan , de huit moiffonneurs
de l'ifle de Lemnos , qui tandis
qu'ils prenoient leur repas ſous un chêne,
furent tués d'un coupde tonnerre. Ils furent
trouvés après leur mort chacun dans
l'attitude où ils étoient avant que d'être
foudroyés . Ils est très- vraiſemblable que
ceux qui meurent ainſi ſans bleſſures apparentes&
fans être déformés , ſont étouf
fés tout d'un coup par la vapeur du phlogiſtique
dont ils font environnés , &
éprouvent au moment même où elle
s'enflamme , une commotion fi forte ,
qu'elle arrête tout mouvement. L'auteur
rapporte à ce ſujet un fait très - récent du
mois d'Août 1769. Le Prince Royal de
Suéde , allant dans une voiture ouverte ,
de ſa maiſon de Calsberg â celle d'Eckolmfund,
fut ſurpris d'un violent orage
, accompagné du tonnerre. Une foudre
, fans doute légère , paſſa entre lui&
deux de ſes chambellans qui étoient fur
le devant de la voiture , & tomba à terre
à peu de diſtance d'eux. Le Prince reflentit
une commotion très violente , & fut
72 MERCURE DE FRANCE.
fur le point d'être ſuffoqué ; mais comme
les chevaux ne s'arrêtèrent point , & que
bientôt il ſe trouva dans un air différemment
modifié , il reprit ſon état naturel;
cet accident n'eut pointde ſuites facheu.
ſes . Mais ſi la foudre l'eût environné de
ſon athmosphère , s'il eût été dans un air
moins pur&moins vifque celui que l'on
reſpire preſque toujours en Suede , tout
mouvement auroit pu être intercepté ſubi.
tement, & le Prince en être la victime.On
enjugera parcette obſervation de l'auteur,
obſervation dont il garantit la vérité. Il a
vu un homme qui , dans la force de ſon
âge , fut frappé de la foudre. L'étincelle
fulminante , ou la colonne de matière
embraſée , fit ſon premier effort ſur l'agraffe
d'argent qui attachoit ſon col &
quelie fondit en partie; elle courut enſuite
le long de fon dos , elle ſe partagea
endeux branches qui gliſsèrent le long
des cuiffes & s'arrêtèrent aux boucles de
jarretières qu'elles noircirent ; de-là elles
paſsèrentjusqu'aux talons& firent un petit
trou aux bas & aux chauſſons. La foudre
n'avoit certainement point pénétré
dans l'intérieur du corps , elle n'avoit enflammé
ni la chemiſe ni les habits de cet
homme , cependant il reſta ſans connoiffance
,
AVRIL. 1772. 73
ſance , ſans mouvement, ſans reſpiration,
fans pouls avec toutes les apparences de
la mort. La Dame chez laquelle il étoir,
à côté de laquelle il avoit été frappé , revenue
de ſa première ſurpriſe , ne pouvant
ſe perfuader qu'il fut mort , le fit
deshabiller fur le champ & mettre dans
un lit bien chaud , où on le frotta de liqueurs
ſpiritueuſes pendant deux ou trois
heures , avant que l'on pût en eſpérer aucun
ſuccès. Enfin la chaleur ſe rétablit
peu à-peu dans les parties extérieures , le
mouvement & la connoiſſance revinrent,
& ce même homme a vécu pluſieurs années
après cet accident. Ainſi il dût ſa
converfation à la tendreſſe d'une femme
courageuſe , qui ne voyant aucun ſigne
apparent de mort fur un homme qu'elle
aimoit , fut affez heureuſe pour le rappeler
à la vie , par des précautions que tout
autre auroit cru inutiles. Il est vrai que
cet accident fit fur lui un changement total
: la commotion fut fi forte qu'elle cauſa
le plus grand dérangement dans fon
organiſation . Avant cet accident c'étoit
un homme aimable , plein de connoillances
& de talens , dont toutes les traces
furent totalement anéanties pour le réſte
de ſa vie Si on réuſſiſſoit à lui en renou-
II. Vol. D
يف
74 MERCURE DE FRANCE.
veller quelques idées , il ſembloit ſe les
rappeller comme de choſes dont on a
un ſouvenir confus & qui ſe ſont pallées
depuis long- tems.A peine fut- il capable
dans la ſuite des affaires les plus communes
, ſon état habituel paroiſſoit être celui
de la revêrie , avec un air penſif& étonné.
Il n'avoit conſervé de ſon premier
caractère que beaucoup de douceur & une
habitude de politeſſe qui ne le quitta jamais.
Les autres obſervations de notre Naturaliſte
ſont également intéreſſantes. II
traite dans le tome IX des differens météores
ignés , des phoſphores naturels &
de la nature & des qualités du feu , &
dans le tome X & dernier , de l'aurore
boréale. Cet ouvrage ſera d'autant plus
accueilli que l'auteur y a répandu les connoiſſances
les plus variées , & a ſçu habilement
ajouter ſes propres obſervations à
celles des Naturaliſtes & des Phyſiciens
qui l'ont précédé. Il a levé un coin du
voile qui nous couvre beaucoup d'effets
naturels regardés ſouvent comme merveilleux
; ou le ſigne de quelques fâcheufes
catastrophes , parce qu'on a coutume
de les examiner fans attention on ſans
connoiffances préliminaires & ſouvent
AVRIL. 1772 . 75
àla fauſſe lueur de la prévention , de l'ignorance
ou de la fuperftition .
Hiſtoire de l'avénement de la Maison de
Bourbon au Trône d'Espagne , dédiée
au Roi , par M. Targe ; 6 vol. in 12 .
A Paris , chez Saillant & Nyon , rue
St Jean de Beauvais ; la Ve Deſaint ,
rue du Foîn St Jacques .
L'avénement de la Maiſon de Bourbon
au Trône d'Eſpagne étant l'époque la plus
intéreſſante de l'hiſtoire de l'Europe, méritoit
d'être conſacré à la poſtérité dans
un ouvrage particulier. M. Targe a fair
précéder le recit hiſtorique de cet avénement
par un tableau de l'Europe en l'année
1696 , tems où furent entamées les
négociations qui ſe terminèrent par la
paix de Riſwick. L'hiſtorien s'eſt permis
très-peu de réflexions ; il a pensé avec
raiſon que le ſimple recit des faits fuffifoit
pour le lecteur qui profiteroit peu
de celles qui lui ſeroient préſentées , s'il
n'étoit pas aſſez éclairé pour les faire luimême.
On louera fur - tout l'exactitude
& la ſageſſe avec laquelle cette hiſtoire
eſt écrite. Elle va juſqu'en l'année 1715 .
Louis XIV eut la fatisfaction de voir.
1
1
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
fon auguſte Petit -fils paiſible pofleffeur
de la monarchie où il avoit été appellé
par le droit de ſa naiſſance , par les loix
du royaume & par le reſtament de Charles
II : mais qu'il avoit été obligé de conquérir
, au moins en grande partie , par
les ſecours de la France. La mort empêcha
Louis de jouir long-rems de cette fatisfaction
. L'hiſtorien ne s'eſt point étendu
fur l'éloge de ce Prince , à qui tous les
traits de l'envie n'ont pu ravir le titre de
Louis le Grand. Il le mérita moins en
réculant les bornes des états que lui
avoient laiſſes ſes ancètres , qu'en ſe faifant
admirer par les vertus quiforinent les
Monarques. Son zèle pour la religion ,
ajoute l'hiſtorien , ſa tendrelle pour fa
famille , ſon amour pour ſes ſujets , fa
magnificence & la protection qu'il accorda
aux ſciences & aux arts , le diftinguèrent
entre tous les Princes de ſon ſiècle.
Les Puiflances Etrangères , jalouſes de
tant de gloire , formèrent fouvent des ligues
contre lei , & le forcèrent à prendre
les armes pour réprimer leur orgueil ;
mais il rendit toujours la paix à l'Europe
anſſi- tôt qu'il put le faire avec honneur.
Le nouveau Roi d'Eſpagne Philippe V
fontit vivement la perte qu'il faiſeit à la
AVRIL.
1772. 77
mort de ſon ayeul: elle fut ſuivie d'événemens
importans pour la Maiſon de
Bourbon , & en particulier pour la branche
qui règne ſur l'Eſpagne , & qui a de
puis étendu ſes rameaux fur la plus belle
partie de l'Italie. Ces événemens feront
décrits dans les volumes ſuivants , ſi le
Public continue d'accorder à l'hiſtorien
la faveur qu'il s'eſt efforcé de mériter par
fes foins à compulſer les écrits & les mémoires
nationaux , ou étrangers relatifs à
fon objet , par fon reſpect pour lesNoms
illuſtres,& en même tems par fon exactitude
à ne rien déguiſer de ce qui peut
éclairer la poſtérité ſur les fautes des miniſtres
&des généraux , par ſa prudence à
écarter les nuages que l'envie ou l'intzigue
s'eſt efforcée de répandre ſurpluſieurs
négociations ou quelques faits particuliers
, enfin par la nobleſſe du ſtyle & la
pureté de la diction .
L'Agenda ou Manuel des gens d'affaires,
ouvrage fort intéreſſant&très-utile au
PPuubblliicc, à tous les marchands , commerçans
, banquiers , négocians , praticiens
, &généralement aux perſonnes
de tous états , auquel on a joint , 1º .
différens tarifs très néceſlaires au com
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
merce & à la vie , 2º . Des explications
particulières des divers commerces des
principales villes de l'Europe , France
& Allemagne , avec la diſtance d'un
endroit à un autre , préſentée ſur trois
tableaux géographiques ; 3 °. Un état
des foires & marchés de l'Europe , par
ordre alphabétique , avec les routes défignées
pour y aller & leur diſtance de
Paris . A Paris , chez Phil . Denis Langlois
, libraire , rue du petit Pont près
la rue St Severin ; vol. in-8°. petit for.
mat ; prix , 3 liv . 10 f. broché , & 41.
10 f. relié. :
Utilité, befoin, économie l'auteur paroît
avoir tout confulté pour remplir le
titre de ſon ouvrage. Ce repertoire eſt
d'ailleurs imprimé avec ſoin & fous un
format très-commode.
Effai de Cristallographie ou Deſcription
des figures géométriques , propres à
différens corps durègne minéral , connus
vulgairement ſous le nom de crif..
taux , avec figures & dévélopemens ;
par M. de Romé de Lifle , de l'académie
électorale des ſciences utiles de
Mavence ; vol. in 8 °. avec des planches.
AParis , chez Didot lejeune ,liAVRIL.
1772. 79
braire , quai des Auguſtins , près le
pont St Michel ; Knapen & de laGuette
, libraires - imprimeurs , en face du
pont St Michel.
Différens Naturaliſtes ont remarqué
pluſieurs fois les formes regulières &
conſtantes que les corps déſignés fous le
nom de cristaux prennent naturellement.
Mais M. Romé de Lille eſt le premier
qui ait tenté de nous préſenter l'enſem -
ble de ces différentes formes . Son eſſai
eſt diviſé en quatre parties. Il eſt queſtion
dans la première des cristaux ſalins ; la
ſeconde traite des cristaux pierreux ; la
troiſième , des criſtaux pyriteux , &la
quatrième des criſtaux métalliques . L'auteur
fait très bien ſentir dans un difcours
préliminaire l'analogie qui ſe trouve entre
les cristaux , même à ne les conſidérer
que par leurs formes extérieures. Cette
analogie paroîtra encore plus frappante
lorſqu'on jetera les yeux fur le Tableau
christallographique dreflé par l'auteur &
diftribué en dix colonnes . Ce tableau
nous rappellera cette pensée d'Encelius :
Natura geometriam exercet fub terræ vifceribus
mirabili officio.
DE RE METALL. LIB . I.
Diy
80 MERCURE DE FRANCE .
Cet eflai de cristallographie a beaucoup
de clarté , de méthode & de préciſion. Il
eſt enrichi d'une table alphabétique des
principaux auteurs qui ont écrit fur les
cristaux ou qui font cités dans l'ouvrage à
l'occaſion des criſtaux.
Du Luxe , de fa nature , deſa vraie cauſe
& defes effets. Brochure in 8 °.; prix ,
12 fols . A Londres ; on en trouve des
exemplaires à Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriſtine ; 1772 .
Cet écrit eſt d'un ſage qui a beaucoup
réfléchi fur les cauſes &les effets du Luxe,
&qui paroît avoir démaſqué ce fléau def.
tructeur des grands Empires; mais c'eſt le
mémoire même précis & ferré , qu'il faut
confulter & dont on ne peut donner ici
qu'une foible idée.
Le Luxe doit ſon origine à l'argent
(j'entends l'or en même tems ; ) il lui
doit fes progrès & ſes excès. Que l'on réfléchiſſe
à ce que le Luxe a de plus diſpendieux
, je maintiens que fans l'argent il
ne pourroit pas être auſſi exceſſif: fans lui
verrions - nous tant de Célibataires fufpects
dans l'un & l'autre ſexe , &qui dépenſent
avec autant de profuſion ? Le jeu
feroit - il auſſi monstrueux ? De ſimples
AVRIL. 1772 . 81
:
particuliers ſans biens - fonds , faroientils
auffi magnifiques dans leurs vêtemens ,
leur ameublement & l'état de leur maifon
? Rien de fi dangereux qu'un genre de
richeſſe ſi facile à répandre par le prodigue
, à renfermer par l'avare , à accumuler
par l'ufurier , à ufurper par la force , par
l'adreſſe , par un coupable ſavoir faire ?
cette richeſſe eſt la pâture de beaucoupde
vices , dont ſans elle on auroit à peine l'idée;
& cette richeſſe eſt l'argent ; il fait
le malheur du plus grand nombre à qui
trop ſouvent on en demande , quand il
n'en a pas ; ceux qui en ont peu font dévorésde
la foif d'en avoir davantage ; il
donne une fatiété , pour ainſi dire , ſtupide
fur toute eſpèce de jouiſſance , par
l'abus qu'on en fait toujours , à celui qui
en poffede hors de meſure ; le mortel le
plus heureux eſt celui qui n'en connoît
ni l'uſage , ni le beſoin , ou qui , en le
poffedant , vivra modérement : quelle eſt
votre idole ? un tyran quand il vous abandonne
, un corrupteur quand vous le tenez.
Le titre de ſigne repréſentatif des richeſles
réelles eſt ſans doute le plus grand
mérite de l'argent ; au moins en cela eſtil
de reſſfource par la facilité qu'il apporte
dans les échanges ; qu'il brille fur nos vê-
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
temens ou dans nos bijoux , ce n'eſt pas
une choſe ſi merveilleuſe ; qu'il remplace
même d'autres métaux inférieurs , dans
l'uſage que nous en faiſons ; nous ne lui
en fautons gré que parce qu'il eſt plus
rare , car il ne nous fervira pas mieux ;
mais qu'il foit devenu indiſpenſable pour
fe procurer tous les objets de néceſſité ,
d'utilité , d'agrémens , voilà le point intéreſſant;
c'eft fous ce coup d'oeil qu'il
vaut la peine d'être conſidéré , afin de
s'affurer de la ſituation de chaque Nation,
relativement à l'argent & par rapport à
lui.
On ſe perfuadera facilement que l'Efpagne
& le Portugal font les propriétaires
mal aiſés de l'argent.
Mais où ſe répand cette maffe d'argent
apportée chaque annnée par les galions
fi défirés ? Une portion s'engloutit dans
l'Inde en échange des denrées & marchandiſes
qu'il plaît au luxe de faire venir du
boutdu monde; une autre portion circule
un inſtant dans la France , qui ne la reçoit
que pour la reverſer en grande partie pour
payement d'intérêts &de profits dans des
pays où l'amour du gain & l'économie
font les dieux tutélaires; il en eſt de même,
à peu de choſe près, en Angleterre qu'en
France ; ainſi la Hollande , la Suifle , GeAVRIL.
1772 . 83
nes , Veniſe , font devenues une ſeconde
patrie pour l'argent, & il s'y concentre fi
bien , qu'il en coûte , pour ainſi dire, autant
de peines & de ſueurs pour en tirer
des parcelles , qu'il en a coûté originairement
pour l'arracher des entrailles de la
terre.
Qu'on demande à l'Angleterre à quel
point elle pouſſe le travail & les efforts
pour ſe foutenir dans la prépondérance
qu'elle s'eſt attribuée ! Elle conviendra ,
ſi elle eſt de bonne foi , que malgré la
force de ſa bonne conſtitution , elle s'apperçoit
ſenſiblement que ſa vigueur diminue
, qu'elle s'épuiſe par la multiplicité
des engagemens qu'elle contracte , &
qu'elle ne voit pas jour à s'en délivrer ſans
retour ; elle cherche à repouſſer la détreſſe
qui la menace par les avantages du commerce
.
La France a fans contredit un avantage
fur l'Angleterre ; celle ci eſt à ſon dernier
période , quant au folide ,& l'autre peut
doubler ſes richeſſes dans ce genre , fi
une fois elle veut s'y livrer; mais ne faudroit-
il pas préalablement un remède ,
qui , tout au moins , amortit les mauxqui
la travaillent depuis nombre d'années ,
& lui ôtent les forces& le courage dont
D vj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
elle auroit beſoin pour rentrer avec fuccès
dans la poſſeſſion des richeſſes réelles ?
L'argent fut fans doute une facilité
pour le gouvernement & pour le contribuable
, quand il remplaça l'impôt en
nature ; mais cette facilité a tourné tousà
fait contre l'un & contre l'autre par
celle qu'elle a donné au goût de la dépenſe
, à la cupidité , à l'uſure , & par
contre coup à l'augmentation de l'impôt.
Que n'est- il poffible d'en revenir à l'impôt
en nature ? mais il eſt des poſitions
où la prudence n'admet pas même l'aſſurance
d'un grand bien , quand , pour l'établir
, il faudroit faire des changemens
capables d'ébranler la machine , & malheureuſement
nous fommes dans ce genre
de poſition. Je ſuis fi convaincu de l'avantage
prompt que retireroit la France d'un
régime qui , en la mettant à portée de ſa.
tisfaire à tous ſes engagemens , la délivre .
roit du joug afſommant de l'argent , que
pour le trouver ce régime , je donnerois
ma vie; je laiſſerois le maître le plus digne
de l'être dans la plus grande fatisfaction
de rendre heureux tous ſes ſujets.
L'auteur laiſſe entrevoir qu'il a trouvé
unmoyenqui ne feroit ni tortionnaire, ni
ſyſtématique , & fi fimple que nous ne
AVRIL. 1772. 85
jouerions que le rôle de ce payſan qui ,
témoin de l'élévaton d'un obéliſque à
Rome , ſans s'alarmer en vain avec les
gens de l'art ſur la rupture menaçante des
ordres , crioit de toutes ſes forces : mouillez
, mouillez donc. Il n'y auroit plus de
pauvres , il n'y auroit plus de riches pécunieux
, parce que l'aiſance ſeroit univerfelle.
Le Philofophe ferieux , hiftoire comique.
ALondres ; & ſe trouve à Paris , chez
Lacombe , libraire , rue Chriſtine ; bro.*
chure , 24 f.
Ce roman eft écrit avec beaucoup d'agrément,
de gaîté & d'eſprit. On y trouve
une cenſure très fine , en même tems fort
plaiſante , des ridicules , des moeurs , du
néologiſme & du perſiflage à la mode-
Phlegmaton est un philoſophe froid
par tempérament , cependant amoureux ,
homme de lettres , ayant tous les talens
utiles & agréables , d'ailleurs très opulent.
La nature qui ſe joue avec les contraſtes
lui donna une maîtreſſe dont voici le por.
trait. Un front riant , des yeux pétillans
du feu de la gaîté , la roſe des plus belles
lèvres voluptueuſement épanouie par la
charmante convulfion du rire , un menton
86 MERCURE DE FRANCE.
fin , des joues animées du beau fard de la
nature , le menton & les joues embellies
de ces rians petits trous où ſe nichent les
amours ; en un mot , l'aſſemblage complet
des graces , vous voyez Semillantine. Son
eſprit, ſes talens étoient àl'unitſon & for.
moient un concert parfait ; auffi Phlegmaton
en étoit- il fou , mais ſa phyſionomie
n'en diſoit mot. Pourtant pour plaire à
Semillantine il falloit que cette phyſionomie
parlat. -A propos , Monfieur le
philoſophe, je veux abſolument votre por
trait , entendez - vous ? Songez bien que
ce n'eſt pas la phiſolophie en peinture
que je vous demande.
Phlegmaton fait faire fon portrait ,
mais ſous les traits de la jeuneſſe &de la
gaîté ; il le donne à Semillantine qui lui
dit : « je ne connois rien de plus galant
que vous , ce portrait- là eſt charmant;
couronnez l'oeuvre ; remportez- le , Comte;
faites en promptement tirer une copie
exacte , vous me rapporterez l'original
, & pour exprimer tout l'excès de ma
reconnoiſſance , j'exige , entendez - vous
bien , cher Comte , que placé devant une
glace , ce portrait à la main vous vous
faſſiez une étude de reſſemblance ... enfin
vous me plairez par deſſus rout lorſqu'à,
AVRIL. 1772. 87
force d'effats , de travaux , vous ferez
parvenu à reſſembler à votre portrait :
avec le défir de plaire ,il ne fautdéſeſpérer
de rien ; bon courage , je répondrois
preſquedu ſuccès.
Le Philoſophe amoureux environné
de glaces , le portrait d'une main, la tête
penchée ſur l'autre , le coude appuyé fur
un bureau , fait rout ce qu'il peut pour
rire & déſeſpérant d'y jamais parvenir ,
lance avec fureur la peinture contre la
glace , briſe l'une & l'autre , en s'écriant :
hélas ! ſi l'on ne peut plaire qu'à ce prix ,
c'en est fair... Je renonce aux femmes
pour la vie . Certain Marquis , plein de
faillies , petulant , fol à l'excès , entre fubitement
ſans s'être fait annoncer , &
furprend le Comte dont il va conter l'aventure
à Semillantine . La Baronne eſt
inquiéte de ne plus voir reparoître fon
Philoſophe ; elle le retrouve chez un ami,
entre en explication avec lui; mais cet
amant a honte de ſa paffion , & pour s'en
diſtraire il paſſe en Angleterre. Un Milord
le mene fouper à la taverne. Il l'introduit
enfuite chez les Miſs Bimore
deux foeurs fort aimables & très - riches.
Milord étoit le mari de l'aîrée. Phlegmaton
devint l'amant de Jenni la cadetter
,
88 MERCURE DE FRANCE.
Tandis qu'il eſt avec elle , on annonce
CACHINNOUS ; Pardon , Meſſieurs , dit
Jenni Bimore , c'est mon maître à rire ,
ne prenez pas garde. M. Cachinnous étoit
un grand individu tranſparent de maigreur.
Ses joues concaves ne réfléchiffoient
point le rire ſardonique que dardent
des yeux d'aigle. Son auſtère décharnement
figuroit la gravité eſpagnole du
Héros de la Manche. Quel maître pour
enſeigner les graces du rire ! Il avoit parcouru
toute la France à deſſein de ſe perfectionner
dans ce comique talent . Son.
eſpoir étoit d'en tirer une fortune immenſe
chez ſes concitoyens... Ce nouveaugenre
d'agrément fut annoncédans le
Magasin de Londres : chez un peuple qui
n'eſt pas plaiſant , jamais on n'eût préſumé
le haur ſuccès de cette comique extravagance.
Le Comte étoit extrêmement
curieux de voir comment on s'y
prenoit pour faire rire quelqu'un & furtout
méthodiquement : la choſe lui parut
d'une nouveauté exquiſe Miledi & le
maître ſe pelorèrent comme deuxftatues
vis - à - vis une grande glace. -Allons ,
Miledi , commençons par le rire des petites
maîtreſſes , regardez moi avec atten.
tion, faites tout de même ; allongez bien
AVRIL. 1772. 89
le col en avant... retirez la gorge entre
les deux épaules , & vîte partez du gofier
&de toute la tête en éclatant bien fort ...
Ahah... ahah.. & fur tout les huit derniers
ahah très-précipités... A merveille .
Quand on rit comme cela , c'eſt ce que
l'on appelle à gorge déployée , on a de
l'eſprit comme un ange ,& cela fe communique
électriquement à toutun cercle;
il n'eſt point dutout néceſſaire d'avoir de
la joie pour pratiquer ces fortes d'éclats ..
Le maître lui enſeigne enſuite le rire deprosection,
le rire de l'ingénue , le rire naturel.
Phlegmaton avoit quitté en France
une maîtreſſe adorable , gaie , enjouée &
folâtte pour s'attacher en Angleterre au
char d'une beauté muette , profonde &
taciturnement réfléchie ; & ce qu'il y a
de fingulier , c'eſt qu'il s'eſt engagé de
donner des leçons de gaité , lui que la
gaîté vient d'expatrier. Phlegmaton
triomphe de la taciturnité de Miledi ;
lesdeux foeurs & les deux amans viennent
à Paris ? ils y prennent un grand train de
maiſon; il font de toutes les fêtes ; Phlegmaton
ivre d'amour & de plaiſir , paroît
dans les ſpectacles & dans les cercles , &
y ſoutient le titre&le ton de Milord. Ce.
pendant le pétulent Marquis le reconnoît
وه
MERCURE DE FRANCE.
malgré fon traveſtiſſement étranger. Il
court encore faire part de l'aventure à Semillantine.
Elle reprend ſon amour pout
le Philofophe ; elle envoie à ſa découverre
; Flore lui porte une lettre de ſa
maîtreffe . Phlegmaton vole chez Sémillantine.
Jenni Bimore inquiéte de cette
fortie ſubite , va dans le cabinet du Philofphe
& trouve la fatale lettre de ſa tivale.
Preffentant tout ce qu'elle avoit à
craindre , elle s'abandonne à fon défefpoir.
Elle écrit à fon amant infidèle ; elle
ſe fait conduire à St Cloud & ſe précipite
dans la Seine ; on la retire de l'eau ; on la
reconduit à fon hôtel. Cependant le Philofophe
& Sémillantine font leur racommodement.
L'Anglois & les deux foeurs
retournent à Londres , après avoir exprimé
en termes très-énergiques leur dépit
& leur mépris contre le François qui les
abandonnoit. Apréſent que nous devons
être plus tranquilles , dit Sémillantine
j'exige , mon cher Comte , que vous me
détailliez vos petites caravanes angloiſes ;
je me ſens le courage de les écouter de
fang froid & même d'y prendre plaifir ;
car je fuis en vérité bien curieuſe de ſavoir
par quel inconcevable phénomène
la gaîté a pris naiſſance dans votre ame ;
2.
AVRIL. 1772 . 91
rien ne me paroît ſi piquant. Des Anglois
qui prennent la consomption à Paris , un
François qui s'en va guérir à Londres , c'eſt
en vérité quelque choſe de merveilleux .
Le Comte fit le fidèle recit de ſon voyage
& de ſes amours. Il unit ſa deſtinée à
celle de Sémillantine ; & l'hiſtoire ajoute
qu'ils continuèrent à s'aimer.
Voyages de Richard Pockocke , membre
de la ſociété royale &de celle des antiquités
de Londres , &c. en Orient ,
dans l'Egyte , l'Arabie , la Palestine ,
la Syrie , la Grèce , la Thrace , & c .
contenant une deſcription exacte de
l'Orient & de pluſieurs autres contrées :
comme la France , l'Italie , l'Allemagne
, la Pologne , la Hongrie , &c. &
des obfervations intéreſſantes fur les
moeurs , la religion , les loix , le gouvernement
, les arts, les ſciences , le
commerce , la géographie & l'hiſtoire
naturelle & civile de chaque pays , &
généralement ſur toutes les curiofités
de la nature& de l'art qui s'y trouvent :
traduits de l'anglois fur la ſeconde édition;
par une ſociété de gens de lertres
; 9 vol , in 12. A Paris , chez J. P.
Coſtard, libraire , rue St Jean- de Beauvais.
92 MERCURE DE FRANCE.
Nous penfons que l'on diftinguera ces
mémoires de ceux donnés par des voyageurs
plus curieux de ſurprendre l'admiration
du lecteur que de l'éclairer. Pockocke
qui joignoit à une vaſte érudition
le déſir le plus ardent d'acquérir de nouvelles
connoiſſances , n'a inféré dans ſes
mémoires que ce qu'il a pu voir , obſerver
ou apprendre par lui même ; bien différent
en cela de la plupart des voyageurs
qui croiroient que leur rélation ſeroit incomplette
s'ils n'y ajoutoient les fables.
que leurs prédéceſſeurs ont débitées . Il
faut avouer que le goût du merveilleux
eſt un peu éteint parmi nous , & qu'un
voyageur réuffiroit mal aujourd'hui à nous
debirer le roman de ſes aventures. Les
voyages de Pockocke offrent des détails
topographiques , &des deſcriptions d'anciens
monumens qui pourront nous rappeller
pluſieurs paſſages d'anciens auteurs
ou contribuer à les éclaircir. Ce voyageur
ſe livre très peu àdes conjonctures , il ſe
contente de rapporter les faits. La ſorte
d'indifférence philofophique avec laquel.
le il parle des moeurs , des uſages , des
coutumes & des cérémonies religieuſes
des différentes Nations qu'il parcourt ,
doitd'ailleurs lui mériter la confiance du
AVRIL. 1772 . 93
lecteur. S'il s'eſt trompé , comme il eſt
arrivé quelquefois , fur-tout dans des objets
de phyſique , de chymie ou d'hiſtoire
naturelle , ſes obſervations cependant ne
feront point abfolument indifférentes à
ceux qui cultivent ces ſciences .
Les mémoires de notre voyageur contiennent
beaucoup d'inſtructions fur l'Egypte.
Un Européen regarde ordinairement
les eſclaves chez les Turcs comme
des malheureux , ſujets aux caprices d'un
maître qui ne leur laiſſe que le travail
après le travail. Mais ſi on jette les yeux
fur ces voyages on ſe convaincra que la
condition de ces infortunés eſt ſouvent
plus douce que celle de nos journaliers ,
fur-tout lorſque ces eſclaves ont été élevésdans
la maiſon du maître & qu'ils ont
renoncé au Chriſtianiſme. Chaque maiſon
en Egypte a un inſtituteur gagé pour
les inſtruire. On leur apprend à lire , à
écrire , à faire leurs exercices , &c. & les ,
maîtres pourvoient ordinairement à leurs
établiſſemens . Ils leur achetent des terres
, les marient & les gardent chez eux ,
ou s'ils en font mécontens & qu'ils les
congédient , ils leur laiſſent leurs reve
nus. Its les placent dans les corps des Ja
niſſaires. Lorſqu'un eſclave vient à s'éle
94 MERCURE DE FRANCE.
ver il eſt ſurnommé fils de fon patron . II
eſt rare que la profpérité porte ces eſclaves
à s'oublier ; s'ils rencontrent leurs ,
patrons dans les rues , ils mettent pied à
terre& vont leur baifer la main ou la
veſte. Aufli les Turcs n'ont rien de plus
à coeur que de faire le bonheur de leurs
eſclaves. Notre voyageur rapporte à ce
ſujet la réponſe que fit un Bey àun autre
Seigneur auquel il étoit allé rendre viſite.
Ce dernier faifoit alors bâtir une maiſon
ſuperbe , quoiqu'il en eût déjà deux
ou trois. Le premier au contraire étoit
très-mal logé , & n'avoit jamais travaillé
qu'à l'avancement de ſes domeſtiques. Il
avoit alors cinq ou ſix de ſes eſclaves tous
beys commelui , ou chefs des Janiffaires
& des Spahis . Leur converſation étant
tombée fur les bâtimens , ſon ami lui demanda
, pourquoi étant très riche & trèsmal
logé , il n'élevoit point quelques palais
? « J'ai beaucoup bâti , répondit ce
» Bey , & les bâtimens auxquels j'ai tra-
>> vaillé , me font plus d'honneur que ne
• vous en feront jamais les vôtres ; auſſi
>>ne font - ils point ſujets aux injures du
>> tems ; ce font , ajouta - t-il, tels & tels
» qu'il lui nomma. Voilà quels font les
» édifices à l'élévation deſquels j'ai traAVRIL.
1772 .
95
>> vaillé toute ma vie . Je les ai tirés de
>> l'esclavage , & ils font aujourd'hui les
>> plus grands ſeigneurs de l'Egypre
» Avouez que mes bâtimens ſont bien
>>plus dignes que les vôtres de l'ambition
>> d'un honnêre homme..".
Ces mémoires ou cette eſpèce de journal
intéreſſe plus par le fond d'inſtructions
qu'il contient que par le ſtyle. On
n'exigera pas fans doute qu'un écrivain
qui a paſſé la plus grande partie de ſa vie
à examiner les veſtiges des anciens monumens
& qui a preſque toujours vécu au
milieu de Nations dont la langue lui
étoit étrangère ait mis plus de préciſion
dans ſes deſcriptions , plus d'élégance &
de correction dans ſa diction .
La traduction de ces voyages eſt de
M. Eidous , connu par pluſieurs traductions
& qui a reclamé celle- ci par une lettre
inférée dans l'Avant Coureur de cette
année Nº. 6.
Il ne paroît encore que les ſix premiers
volumes de cet ouvrage. La condition de
l'acquiſition actuelle eſt ſimplement de
payer 22 liv. 10 f. en recevant ces fix volumes
en feuilles ; au moyen de quoi l'on
recevra gratis les trois derniers volumes
qui font fous preſſe.
وک MERCURE DE FRANCE.
Nouveau Dictionnaire univerſel & raifonné
de médecine , de chirurgie , & de l'art
vétérinaire ; contenant des connoiflances
étendues ſur toutes ces parties , &
particulièrement des détails exacts &
précis fur les plantes uſuelles , avec le
traitement des maladies des beſtiaux ;
ouvrage utile à toutes les claſſes des citoyens
, fur - tout aux habitans de la
campagne & mis à leur portée par une
ſociété de médecins ; 6 vol . in. 8 ° . petit
format. A Paris , chez la V. Ducheſne
, libraire , rue St Jacques , au
Temple duGoût .
La première leçon de ſageſſe que l'on
devroit donner à un jeune homme ſeroit
d'apprendre à ſe connoître lui - même :
nofce te ipfum ; leçon également importante
au phyſique comme au moral . C'eſt
pour faciliter cette étude que les auteurs
de ce dictionnaire ſe ſont appliqués à rafſembler
les inſtructions les plus journalières
& les plus utiles relatives à l'anatomie
, la phyſiologie , l'hiſtoire des maladies
, la manière de les guérir & les
moyens propres à produire cet effet. Mais
l'hiſtoire des maladies eſt la partie la plus
conſidérable de cette eſpèce de bibliothèque
AVRIL. 1772. 97
les
que de médecine ; celle à laquelle les aureurs
ſe ſont le plus appliqués . Comme
cet ouvrage eſt particulièrement conſacré
à ceux qui font leur ſéjour à la campagne;
on y a inféré les articles les plus intéreſſans
de l'art vétérinaire. Les Seigneurs
bienfaifans , les Curés reſpectables ,
cultivateurs chers à ceux qui les environ.
nent , peuvent eſpérer de trouver dans ce
dictionnaire de nouveaux moyens d'étendre
leurs bienfaits & de venir au ſecours
de l'indigent ou du malheureux que les
maladies empêchent de reprendre ſestravaux.
Lettres fur divers ſujets de la Géographie
Sacrée & de l'Histoire fainte , avec des
planches & des cartes géographiques ;
par le P. Joſeph Romain Joly , de St
Claude , Capucin ; chez Buttard , imprimeur
& libraire , rue St Jacques ;
in-4°.
: -
Cet ouvrage regarde les monumens
dont il eſt parlé dans l'Hiſtoire fainte , &
la géographie des lieux dont elle fait
mention. L'auteur commence par l'arche
de Noë'& la tour de Babel. Il donne enſuite
le détail des lieux que les patriar-
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
ches ont parcouru dans leurs voyages : on
met l'itinéraire ſous les yeux du lecteur
dans une carte. La carte ſuivante marque
les ſtations des Iſraëlites depuis leur départ
d'Egypte juſqu'à leur entrée dans la
Palestine: elle a été dreſſée en partie d'après
les obſervations que le P. Sicard a
faites fur les lieux. La lettre où l'on difcute
les trois premières journées contient
de nouvelles découvertes au moyen defquelles
toutes les difficultés diſparoiffent.
Voici les autres cartes qui font dans le
livre: la Terre de Chanaam avant les conquêtes
de Joſué ; la Palestine ſuivant le
partage des douzes Tribus ; la même province
ſelon fa nouvelle diviſion après le
retour de la captivité ; les villes épisſcopåles
dépendantes du Patriarchat de Jérufalem
; enfin , les lieux viſités par les
Apôtres.
Al'égarddes monumens, ontrouve dans
cet ouvrage , la deſcription du tabernacle
&le détail des ſacrifices , des ornemens
des prêtres; puis le temple de Salomon,&
la plupart des inſtrumens de muſique en
ufage chez les Hébreux; le plan de Jérufalemdutems
de Jeſus - Chriſt avec celui
du nouveau temple. On a fait auſſi graver
>
AVRIL. 1772 . 99
une planche qui repréſente la matche du
Peuple de Dieu dans le défert.
L'auteur donne une explication conciſedans
ſes lettres de ce qui eſt contenu
dans les planches & dans les cartes géographiques
. Il a puifé ſes remarques dans
l'Ecriture ſainte; il a conſulté les anciens
géographes & l'hiſtorien Joſephe ; les
voyageurs modernes lui ont été d'un grand
fecours , ainſi que les differtations de
Dom Calmer& le dictionnaire de la Martinière.
Ce petit in quarto réunit tout ce qu'il
ya de plus important dans la plupart des
commentaires ſur l'Ecriture relativement
aux deux objets que l'auteur avoit en vue :
'il s'eſt propoſé de faciliter la lecture de
l'Histoire fainte , en offrant au lecteur des
diſcuſſions qui n'ont pas la ſéchereſſe &
la prolixité que l'on rencontre dans les autres.
Les nouvelles découvertes qu'on y
trouve ſont d'autant plus précieuſes que
les moindres chofes ſontde la plus grande
importance dans un livre qui eſt le dépôt
des révélations divines ; & elles ſont intéreſſantes
non-feulement pour les vrais
fidèles , mais encore pour les gens de let-
:
tres , de telle ſecte qu'ils ſoient.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
* Les Odes Pithiques de Pindare traduites ,
avec dés remarques par M. Chabanon ,
de l'académie royale des inſcriptions &
belles- lettres , &c. A Paris, chez Lacombe,
libraire , rue Chriſtine , près la
rue Dauphine ; 1772. Le texte grec eſt
imprimé à côté de la traduction , & l'édition
eſt très belle ; vol . in 8 ° . br . 5 l.
Dans le tems même où j'imprimais
qu'il ne fallait pas traduire les poëtes en
profe, ni juger Pindare ſur une traduction
, paroiſlait l'eſtimable ouvrage dont
je vais parler , & auquel je rendrai toute
la juſtice qui lui eſt due,d'autant plus volontiers
que ce témoignage ne ſe trouvera
point , quoiqu'on en ait voulu dire ,
en contradiction avec mes principes . J'ai
foutenu qu'on ne pouvait traduire un
poëre en proſe ſans lui ôter deux grands
avantages qui lui font propres , l'harmonie
& les formes poëtiques. Du moins le
meilleur traducteur ne ſe vantera pas , je
crois , de les lui conſerver. Mais d'un
autre côté , il y a tel poëte , Pindare par
exemple , fi éloigné de nos moeurs & de
nos idées , qu'il ne fauaroit pas même le
* Article de M. de la Harpe.
AVRIL. 1772. 101
traduire en vers , du moins tout entier ,
&qu'il ne pourrait guères nous plaire que
traduit par fragmens. Dans ce cas ce ne
ferait pas rendre un mauvais ſervice à
ceux qui voudraient avoir quelque notion
d'un écrivain de ce genre ,que de leur en
donner une verſion en proſe qui fût exacte&
élégante , & d'après laquelle on pût
ſe former une idée,non pas de l'étendue
de fon mérite , qu'on ne peut apprécier
que dans l'original , mais de fa manière
de voir & de fentir , &du genre dans lequel
il écrivait.
En général je n'ai pas voulu dire & je
n'ai pas dit , qu'aucune traduction en proſe
d'un ouvrage en vers ne pût êtte bonne
; mais qu'il ne fallait pasjuger ſur cette
proſe celui qui a écrit en vers , &c'eſt, je
penſe , ce que tous les traducteurs & M.
Chabanon tout le premier , m'accorderont
fans difficulté. D'ailleurs tous les
principes de goût les plus vrais ſouffrent
naturellement des exceptions. Lucréce ,
par exemple , n'eſt pas ſuſceptible d'être
traduit en vers. Quelques morceaux trèspoëtiques
, tels que le début du premier
chant traduit par Hainault, celui du ſecond
, par M. de Voltaire , ont pû pafler
dans notre langue avec fuccès. Mais le
plein & le vuide & la déclinaison des ató
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
mes font des ſujets qui ſe refuſent abfolument
à notre verfification . On a donc
très-bien fait de traduire Lucrèce en proſe
& ce qu'il y a de plus heureux , c'eſt
que cette traduction eſt un modèle en ce
genre.
Le principe que M. Chabanon a ſuivi
dans la ſienne me paraît très fage. Voici
comme ill'énonce &le motive lui-même.
« Des quatre livres de Pindare qui nous
>> reſtent , on n'en donne ici qu'un ſeul
>> traduit. C'eſt l'eflai d'un travail affez
>>pénible pour que nous n'oſions le con-
>> tinuer fans quelque encouragement de
>>la part du Public. Le traducteur, prêt à
>>laiſſer la plume ou à la reprendre , at-
>>tend que fon juge le décide. Difonsun
>>mot du principe de traduction que nous
>>avons fuivi. Ce principe eſt celui d'une
>>fervitude rigoureuſe. La raiſon qui nous
>>l'a fait adopter , tirée du caractère ex-
>> traordinaire de Pindare pouvoit nous
>> faire préférer un ſyſtème de traduction
>>tout oppofé. Il s'agiſſoit ou de rappro-
>>cher de notre goût , de notre façon d'é-
>>crire , le poëte de l'antiquité qui en eſt
>> le plus éloigné , ou de lui conſerver cet
>>air étranger , ce tour original , cette li-
>>berté audacieuſe qui l'a diſtingué de fes
>> contemporains mêmes. Dans cette alAVRIL.
1772 . 103
» ternative , je me fuis regardé comme
» un peintre chargé de faire connaître un
>> homme à la fois extraordinaire & célè-
>>bre , &j'ai pensé que mon premier de-
» voir était de le montrer reſſemblant.
>>Le principal éffort de cette traduction
>> a donc été de ſe mouler ſur le texte ,
>> de garder toujours le mot caractériſti-
>>que , l'expreſſion qui peint , de rendre
>> les métaphores telles qu'elles font &
>>ſans équivalent. Si quelquefois je me
>>ſuis écarté de cette règle auſtère , je ré-
>> pare mon infidélitépar une note.C'eſt là
>> qu'on retrouve le nud pour ainſi dire .
Peut-être eſt - il à propos d'avertir le
>>lecteur de la ſurpriſe que doit quelque-
>>fois lui caufer la lecture de notre poëte .
>> Cette ſurpriſe nous ſemble inévitable ,
» & nous la regardons d'avance comme
>>un témoignage de notre fidélité. Qui-
>> conque en traduiſant Pindare le fera
>> lire ſans aucune forte d'étonnement ,
» ſera ſûr de l'avoir dénaturé. »
M. Chabanon conſidère enſuite la nature
de l'ode , ſon union chez les Anciens
avec la muſique inſtrumentale , & les
changemens qu'elle a fubis chez les Modernes
où elle n'eſt plus chantée. Sur tous
ces objets , fon opinion eſt préciſement la
même que celle que j'ai tâché de dévé
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
lopper dans le fragment ſur la poëfie lyrique
inféré dans le dernier Mercure , &
je me félicite de m'être rencontré ſur toutes
ces matières avec un homme qui a
autant d'eſprit , de goût & de connoiffances
que M. Chabanon. Voici comme
il s'explique dans ſon diſcours préliminaire
, & malgré tout ce que je puis craindre
de la comparaiſon , je préfére les intérêts
du lecteur aux miens , & je vais
tranſcrire les endroits où ſon avis paraît
s'accorder avec le mien. L'ode fut au-
>> trefois chantée. La muſique parle aux
>> ſens , à l'ame , à l'imagination , non à
>>l'eſprit. Elle produit des ſenſations for.
> tes , vives ou touchantes , &fi elle man-
>> que ces effets , il ne lui en reſte plus à
>> produire. Ceci pofé , que doit faire la
>> poëfie pour s'accommoder à la muſique
>> & s'unir intimément avec elle ? Elle
>> doit peindre , émouvoir & non raiſon-
> ner. Réduiſons ceci en exemple. Qu'un
>> artiſte , poëte à la fois & muſicien, pré-
» lude avec enthouſiaſme ſur les cordes
>> d'une lyre ou d'une harpe , & qu'il ap-
>>' plique à ces chants peu fuivis ſinon des
» vers , du moins des penſées, celles qu'il
>> proférera donnent l'idée primitive de
>> l'ode . Qu'attendrons - nous de cet im-
>> proviſateur? qu'il diſcute quelque point
AVRIL. 1772. 105
» & l'approfondiſſe ? l'émotion qu'il
>> éprouve ne peut le conduire à des idées
* réfléchies . Nous étonnerons- nous ſi les
fiennes ne ſe ſuccédent pas dans un or-
>>dre méthodique ? le chant lui tient lieu
>>de règle & de méthode , & l'imagina-
>>tion d'ailleurs qui le conduit en ce mo-
>>ment eft comme la vue ; elle embraſſe
>> les objets qui ont entre eux le moins de
>> rapports ; différente en cela de l'eſprit
» qui combine tout ce qu'il rapproche.
>>Nous étonnerons - nous encore ſi notre
>> muſicien poëte énonce ces formules de
>> l'ode ſi ſouvent critiquées , que vois je?
» oùfuis je ? où me tranſportez- vous ? & c .
>>diſons-le; les odes dépouillées duchant
>> font parmi nous comme une poſtérité
» dégénérée, qui porte encore le nom& la
>> livrée de ſes ancêtres , mais qui déchue
>> dumérite qu'ils avaient , reclame à tort
leurs priviléges. »
J'obferverai , quant à ces formules fouvent
critiquées dont parle l'auteur , qu'el.
les l'ont été avec justice lorſqu'on les repétait
juſqu'au dégoût & fur-tout lorſque
le poëte , après avoir dit que vois je ? ne
voyait rien & ne faifait rien voit , & en
s'écriant où me transportez- vous ? reſtait à
fa place & nous laiſſait à la nôtre. Il eſt
beaucoup
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
• De ces gens inſpirés qui n'ont rien à nous dire ,
pour me fervir d'un vers très heureux
d'un homme de lettres qui a le talent d'en
faire ſouvent de pareils , & la modettie
de ne pas les publier .
En général rien n'eſt ſi commun & fi
dégoûtant que le faux enthouſiaſme qui
d'abord ne s'était montré que dans l'ode
& qui depuis a corrompu tous les genres
d'écrire. On ne fauroit trop repéter que
rien n'eſt ſi froid que de s'échauffer hors
de propos, que rien n'eſt ſiridicule qu'une
grande ouverture de bouche , ſuivant
l'expreffion d'Horace, pour dire des riens,
& qu'il ne faut pas imiter cet Allemand
qui , dans une ode ſur le tabac , déburoic
ainſi ; Où m'emporte - tu, dieu du tabac ?
où m'emporte- tu plein de toi ?
J'ai ſous les yeux en ce moment un
exemple de cette manière outrée de dire
les choſes les plus ſimples. C'eſt le début
d'une ode ſur l'Enthousiasme , vantée
comme de raifon , par tous les journaux ,
&miſe dans tous les recueils .
Animé d'une noble audace
Je céde à mes tranſports brûlans,
La route que la raiſon trace
Fut toujours l'écueil des talens.
6
AVRIL. 1772. 107
D'abord it eſt plaiſant que l'auteur ait
des tranfports brûlans , fans nous dire au
moins pourquoi. Qud me , Bacche , rapis
tuiplenum ? dit Hotace. On fait ce qui
le transporte. C'eſt Bacchus. Mais ce qu'il
faut remarquer , c'eſt non-feulement une
route qui eſt un écueil , mais la raison qui
eſt l'écueil des talens. On voit bien ce que
Pauteur a voulu dire , que le génie ne
doit point être eſclave , qu'il eſt des momens
où le délire le conduit mieux que
la raifon ,
Etde l'art même apprend à franchir les limites.
Voilà ce qu'on avait dit , ce qu'il était
convenable de dire. L'auteur qui a voulu
enfler cette idée , la rend faulle & déraifonnable.
Comment peut on dire que la
raiſon est toujours l'écueil des talens ?
Horace penſait différemment quand il
difait,
Scribendi rectèfapere eft&principium&fons.
De tous les bons écrits le bon ſens eſt la bafe.
Si l'on veut enfuite avoir une idée de
l'heureux délire de ces écrivains brûlans ,
iln'y a qu'à lire le reſte de la ſtrophe .
Souveraine de l'harmonie ,
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
Ivrefle , mère du Génie ,
Epuise fur moi ta fureur.
Quel accès violent m'agite ?
Il m'embraſe ; un démon l'excite ;
Tous mes ſens frémiſſent d'horreur.
Quels vers pour un homme qu'un démon
excite ! ce démon là n'eſt pas celui de
la poësie . Qu'est - ce qu'une ivreffe qui
épuise fa fureur ? Qu'est - ce qu'un accès
violent après des tranſports brûlans !
La plupart de mes lecteurs me diront
qu'ils ne ſavent ce que c'eſt que cette ode.
Je leur répondrai que ce n'eſt pas ma faute
, que cette ode eſt imprimée par tout
depuis quinze ans ,&que je me fouviens
d'avoir lu que c'était la plus belle ode
qu'on eût faite depuis Rouſſeau. Il eſt
vrai que jamais je n'en ai entendu citer
un vers à qui que ce ſoit ; mais c'eſt le
fort de tous les chefs - d'oeuvre exaltés
dans les feuilles périodiquespour l'inftruction
de l'Univers.
Je puis encore , non pas pour l'inftruc .
tion de l'Univers , mais pour l'amusement
des amateurs , leur citer la troiſième ſtrophe
qui vaut encore mieux que la première.
Tu fis les Dieus , facré délire.
:
AVRIL. 1772 . 109
Les murs s'élèvent à tes fons.
Tu fais de l'enfer qui t'admire
Treflaillir les cachots profonds.
De Mars tufouffles les alarmes.
Alexandre court , vole aux armes ;
Le courage , c'eſt ta chaleur;
Sparte dans ſes revers ſommeille ;
Quel chant la frappe ? elle s'éveille ;
Tout fuccombe ſousſa valeur.
Voilà comme il faut faire des vers pour
être loué ; mais voilà comme il n'en faut
pas faire pour être lu. Si Pindare avait
écrit en grec , comme cet auteur écrit en
français , il ne ferait pas queſtion aujourd'hui
de diſcuter le mérite de Pindare .
Je vais tranfcrire la première Pithique
traduite par M. Chabanon avec cette
exactitude littérale dont il s'est fait un
devoir , & pour donner au lecteur le
plaiſir de la comparaiſon , je mettrai enfuite
ſous ſes yeux une traduction de la
même ode plus libre & plus étendue , inférée
autrefois dans la gazette littéraire.
" Tréſor d'Apollon & des Muſes, com-
>>pagne de leurs chants , lyre dorée , tu
>>règles la marche qui ouvre nos fères ;
>> le concert des voix t'obéit , lorfan'é
110 MERCURE DE FRANCE.
>> branlée une fois , tu fais retentir le
>> prélude des hymnes qui conduiſent le
>> choeur ; tu éteins les traits de la foudre ,
>> que des feux éternels embraſent. Le
>> fouverain des oiſeaux , l'aigle , s'en-
>> dort ſous le fceptre de Jupiter. Son aîle
>> rapide des deux côtés s'abaiſſe.
» Un nuage ſombre , répandu ſur ſon
>> bec recourbé eſt le ſceau dont tu fer-
>> mes doucement ſa paupière ; dominé
>> par tes fons , il dort& fon dos humide
>> ſe ſouléve. Le dieu de la guerre quitte
>>>ſes armes & ſe laiſſe aller aux charmes
>>d'une volupté tranquille. Tes doux en-
>> chantemens , ouvrage des Muſes & du
>> fils de Latone , réjouiffent l'intelligen-
>> ce des dieux.
>> Tout ce que Jupiter n'a point aimé
>> fur la terre &dans l'immenfité des flots
>> redoute le chant des Piérides ; tel eſt
>> cet ennemi des dieux , Tiphée aux cens
> têtes couché au fond du Tartare . La
>>Cilicie l'a nourri dans un antre fameux;
>>aujourd'hui le rivage de Cumes , bor-
>>nes des mers , & la Sicile oppreffent ſa
>>poitrine hériſſée ; l'Etna l'écraſe , le
>> blanc Etna , colonne du ciel , éternel
>> nourricier des neiges & des frimats ;
>> dont l'abîme vomit des ſources ſacrées
>> d'un feu inacceffible. Ces fleuves brûAVRIL.
1772.
>> lans ne ſemblent dans l'éclat du jour
>> que des torrens de fumée rougis par la
>> flamme ; dans l'obfcurité c'eſt la flam-
» me elle - même roulant des rochers
>> qu'elle fait tomber avec fracas fur la
>> profonde étendue des mers. Tiphée ,
>> ce reptile énorme , vomit ces ſources
>> embraſées. O prodige ! dont le ſpecta-
>> cle& le récit étonnent.
>> Il eſt attaché au pied & au ſommet
» ombragé de l'Etna. Le roc ſur lequel
» il eſt étendu pénétre ſon dos & le dé-
>>chire . O ! Jupiter ! puiſſe-je te plaire ,
>> toi qui règnes ſur cette montagne, front
>> fourcilleux de la féconde Sicile. Une
>> ville voiſine de l'Etna & qui en porte
>> le nom , partage la gloire du mortel
>> illuſtre qui l'a fondée. Le héraut l'a
>> proclamée dans le ſtade pithique , en
>> annonçant la victoire d'Hiéron à la
>> courſe des chars.
>>Le navigateur éprouve le plaiſir le
>> plus doux ſi , au moment qu'il ſe met
>> en mer, le vent favoriſe ſa route ; il en
>> conçoit l'augure du plus heureux re-
>>> tour ; de même par les premiers ſuccès
>> de la ville d'Etna , je prévois tout ce
» qu'elle doit être , illuſtre par ſes cout-
> fiers , par ſes couronnes , & célébrée
12 MERCURE DE FRANCE.
» dans les feſtins qu'anime l'harmonie.
>> Roi de Lycie & de Délos , Phoebus ,
>> toi qui chéris le Parnaſfe& la fontaine
• Caſtalie, accomplis ce préſage ,& rends
>> cette ville fertile en grands hommes.
>>>Car les vertus nous viennent des
>> dieux. Sage , fort ou éloquent , on naît
>> ce qu'on doit être. Je veux louer Hiéron
, & le trait revêtu d'airain que ma
>>main s'apprête à lancer n'ira point ſe
>> perdre hors des limites ; il va percer au
>> loin, & paffer tous ceux de mes ri-
>> vaux.. Ainfi puiſſele tems accorder ton-
>> jours à mon héros les richeſles & le
>> bonheur & lui porter l'oubli de fes
» maux !
>> Puiſſe le Temps rappeller fans ceffe
>> les combats qu'il a foutenus avec une
>> conſtance inébranlable , lorſque favo-
>> riſés des dieux , Gélon & lui obtinrent
→la plus brillante couronne de la Grèce ,
>> prix ſplendide de l'opulence ! Tel que
>>Philoctète, Hiéron combat aujourd'hui.
» Un héros qui l'aime l'a flatté en lui
» montrant le deſtin de la guerre attaché
» à ſa préſence. Les demi-dieux de la
» Gréce vinrent , dit - on , dans Lemnos
>> chercher le fils de Pæin, célebre par fes
>> fléches , & tourmenté par ſa bleſfure.
AVRIL. 1772. 113
" Quoique infirme & marchant d'un pas
>> languiſſant , Troye tomba devant lui ,
& les travaux des Grecs ceffèrent . Tel
>> étoit l'ordre du deſtin. Ainſi puiſſe un
» dieu, réparateur aſſiſter déſormais Hié-
» ron & lui diſpenſer les biens qu'il de-
» fire!
>>Muſe , obéis . Tandis que tu chantes
>> les courſiers vainqueurs , fais entendre
>> le nom de Dinoméne ; la gloire d'Hié-
>> ron ſon père ne lui eſt point étrangère .
>>Enfante pour le ſouverain d'Etna une
>> hymne qui lui ſoit agréable. Hieron
>>fonda pour lui cette ville ; il y plaça la
>>liberté dont l'origine eſt célèbre , & la
>> balance d'Hillus pour règle de tous les
>> droits . Les deſcendans de Pamphile &
>> des Héraclides , Doriens d'origine,ha-
>> bitans des vallons du Taigete veulent
>>conferver la législation d'Egimius .
>> Partis du Pinde , ces peuples fortunés
>> font venus habiter Amyclès ; illuftres
» voiſins des Tyndarides dont la gloire a
>> fleuri par les armes .
» O Jupiter ! accorde à jamais un fort
>> pareil aux rois & aux citoyens de la
• ville ſituée près du fleuve Amène ; que
>> leur bonheur juſtifie tout ce que la voix
>> des hommes en publie. Aidé de Toi ,
114 MERCURE DE FRANCE.
>> que leur chef vieilliſſant gouverne la
>> jeuneſſe de ſon fils , &procure à ce peu-
>>ple le calme heureux que produit l'hat.
>> monie des états. Fils de Saturne , mes
>> voeux t'en preſſent. Contiens dans leur
> pays les bruyantes arinées du Tyrrhé-
22 nien&du Phénicien , frappés du défaf-
>>>tre de leur flotte devant Cumes , & des
>> affronts qu'ils ont foufferts , quand le
>> maître de Syracuſe les dompra fur leurs
>>vaiſleaux légers. Il précipita dans les
>> flors leur jeuneſſe brillante , & déroba
laGréce à une fervitude onéreuse .Dans
>> Salamine je chanterais Athènes , & la
>> payerais de ſes travaux ; dans Sparte je
>> chanterais ce combat donné près du
>>Cirhéron , où l'on vit tomber le Mède
armé de ſes traits. Sur les bords rians
>> de l'Himère , j'adreſſe un hymne aux
>> enfans de Dinomène; leur vertu le mé-
>> rite ; leurs ennemis ont fuccombé.
→ Parler à propos; en peu de mots raf-
>> ſembler beaucoup d'idées , c'eſt prêter
>> le moins qu'il ſe peut à la cenfure. L'ef-
>> prit eſt prompt ; la fatiété l'émouſſe &
> l'appéſantir. La louange d'autrui op-
>>preſſe en fecret celui qui l'écoute. Quoi.
» qu'il en ſoit , Hiéron , fais de grandes
choſes ; il vaut mieux exciter l'envie
AVRIL.. 1772. 1 τις
>> que la pitié. Gouverne avec ſageſſe le
>> timon de l'état , & que ta langue , tra-
>> vaillée fur l'enclume de la vérité , en
>> foit l'inſtrument fidèle .
>>S'il t'échappe une erreur , venant de
>> toi , c'eſt un mal important. Tu fais le
>> fort d'un peuple & mille témoins irré-
>>prochables dépoſent de tes vertus ou de
>> tes vices . Veux - tu jouir toujours d'un
>> renom qui te flatte ? conſerve les no-
>>bles mouvemens de ton ame ; fois li-
>> béral & magnifique. Pilote , le vent
>>t'appelle ,déploie tes voiles ; mais fur-
>> tout , ô prince chéri , échappe aux amor.
>> ces de tout profit honteux. L'homme
>> meurt , & fa gloire lui ſurvit.
>>Elle eſt l'ouvrage des orateurs & des
>> poëtes , & quand le héros n'eſtplus, leur
>>témoignage ſeul nous apprend ce qu'il
>> fut pendant ſa vie. La vertu bienfai-
>> ſante de Créfus ne périt point. Phala-
>> ris , ce monftre cruel , qui embraſait le
>>>taureau d'airain, porte le fardeau d'une
>> odieuſe renommée , & jamais dans les
>> doux entretiens de la jeuneſſe raffem-
>>>blée on n'entend fon nom marié aux
>> accens des Lyres. Le premier des biens
>> eſt la vertu , la gloire eſt le ſecond ; les
>> réunir c'eſt porter la plus belle couronne
.
116 MERCURE DE FRANCE.
Voici maintenant l'autre verſion .
>> Je t'invoque en ce jour lyre d'or que
tiennent tour à tour dans leurs mains
>> immortelles Apollon & les Muſes dont
>> les blondes treſſes ſont entourées de
> violettes. Tu guides la mélodie , princi-
>> pe des brillans accords & les chantres
>> fameux prennent le ton divin de tes
cordes ébranlées , lorſqu'elles annon-
>>cent ces préludes enchanteurs qui ramè
>> nentTerplicore. Tes fons éteignent les
>> redoutables traits que la foudre allume
>> dans les feux éternels ; l'aigle s'endort
> ſur le ſceptre de Jupiter ; les, rapides
>>aîles du roi des oiſeaux panchent &
>> tombent à ſes côtés. Un fombre nuage
>> par toi répandu ſur ſa tête recourbée ,
> voile délicieuſement ſes paupières ; &
>> dans cette ivreſſe profonde , il fouleve
> & balance en dormant ſon dos treflail-
>> lant de volupté. Mars lui - même , le
>> farouche Mars , oubliant fes cohortes
>> hériſſées de fer,dans une douce langueur
>> ſe livre fon ame enchantée.
» Mais ſous les ſavantes mains d'A-
>> pollon & des Muſes , fi tes traits har-
>> monieux charment le coeur des immor-
>> tels , aux cris menaçans des neuf foeurs
>>les ennemis de Jupiter tremblent & fe
AVRIL. 1772. 117
>> confondent. Cette voix formidable re-
>> tentit fur la terre & dans le ſein des
>>ondes orageuſes. Elle épouvante au
>> fond du noir Tartare ce Tiphon dont
▸ les cent têtes altières bravaient la ven-
> geance des dieux .
>>>Jadis l'antre fameux de Cilicie recé-
>> lait cet énorme géant, Aujourd'hui la
> Sicile & les profonds rivages de Cumes
>> compriment ſon horrible ſein forte-
>ment contenu par l'Etna , cette colon-
>> ne des cieux , l'Etna dont le front tou-
>> jours glacé nourritdes neiges éternelles .
» Du fond de ſes cavernes brûlantes jail-
>> liffent les fources pures d'un feu inacceffible
aux mortels. Pendant le jour ,
>> des torrens de fumée répandent leurs
>> flots noirâtres , & la nuit , de brillans
tourbillons de flamme roulent& préci-
>> pitent à grand bruit les rochers dans le
>> vaſte abîme des mers ,
>> C'eſt Tiphon , c'eſt ce grand reptile ,
>> qui ſous la main du maître des Ciclo-
>> pes, vomit ces torrens effroyables . Quel
>> ſpectacle impoſant ! quelle étonnante
» merveille d'entendre ce monftre en-
>> chaîné ſous la plaine & fous les fom-
» mets enfumés de l'Etna ! il s'effraie , il
» s'agite ; ſa couche dure & raboteuſe le
118 MERCURE DE FRANCE .
» perce, le déchire , & fe grave profon-
» dément dans fon dos renverſé.
>> Effets terribles de la colère des Mu-
>> ſes contre un ennemi de Jupiter ! mais
>>quel bonheurde te plaire , ô maître des
» Dieux ! O fuprême modérateur de l'Et-
>>na ! par toi cette montagne élève fon
>>front ſur des campagnes fortunées ; par
>> toi le nom d'Etna , donné à la cité voi-
> ſine, vient d'être à jamais illuſtré avec
>>elle , & le héraut en proclamant Hié-
>> ron , a fait retentir ce grand nom d'Etna
>dans les courſes de Pitho .
» Prêt à quitter ſes rivages , le Nau-
>>>tonnier , ſecondé par Eole , voit dans
>cette première faveur des Dieux le ga-
>>ge assûré d'une navigation facile & du
>>plus heureux retour. Ainſi ce premier
>> ſuccès nous annonce qu'Etna deviendra
>>fameuſe par ſes courſiers ,par les cou-
>> ronnes des jeux ; & dansla joie des fef-
>>tins , fon nom ſera le ſujet des plus fa-
> vans accords .
>>Roi de Lycie & de Délos , ô toi qui
fur le Parnaſſe fais tes délices desondes
>> de Caſtalie , daigne conſerver la mé-
» moite de mes voeux pour un peuple de
héros! La force, la ſageſſe , l'éloquence,
>> tous les talens , toutes les vertus font
AVRIL. 1772 .
→des préſens des immortels. Inſpiré par
toi , j'eſpère , en louant Hiéron , ne
>>pas lancer mon trait d'une main incer-
>> taine: je frapperai le but ,je furpaſſerai
>>>mesrivaux. Ainfi puiſſe le tems toujours
>> attentifà maintenir la proſpérité de ce
>> Prince , & lui prodiguant fans cefle les
❤tréfors de la fortune , écarter pour ja-
>> mais juſqu'au ſouvenir d'une maladie
>>cruelle. C'eſt alors que mon héros fau-
>> toit nous rappeler ces combats où la
>> main des Dieux guidant au carnage fa
>> valeur intrépide , it moiſſonna plus de
>> lauriersque nul autre héros de laGrèce ,
•& couronna ſa richeſſe immenfe des
>>ſuperbes trophées de la gloire.
>>Hieron combattant aujourd'hui , re.
>> trace à nos yeux l'image de Philoctére ,
» & plus d'un prince orgueilleux eſt forcé
>>d'implorer ſon ſecours. Ainfi l'on vit
>> autrefois des guerriers dont les Dieux
> mêmes avoient redoute la valeur , ra.
« mener de Lemnos le fils de Pean ſans
>>celſe tourmenté par ſa bleſſure. Héritier
>> des flêches d'Hercule , il détruifit, la
• ville de Priam , & par lui les Grecs
virent enfin terminer leurs travaux.
>>Son corps étoit faible , abattu , ſes pas
>> chancelans ; mais les deſtins avaient
120 MERCURE DE FRANCE.
» nommé Philoctete. Vous qui ſous les
• murs d'llion réparâtes ſes forces épui-
>> ſées , Dieux , tendez une main ſecou-
>> table au roi de Syracuſe; ſecondez ſes
>> nobles projets ! Et toi , Muſe , en célé-
>>brant les courſiers d'Hieron , fais reten-
>>tir les accords juſques dans le palais de
» Dinomène ; le triomphe d'un pere eft
>>le ſien. Que de nouveaux accens of-
> frent donc en ce jour au ſouverain d'Et-
>>na le témoignage de notre zèle !
»C'eſt pour lui qu'Hiéron a fondé cette
» ville , & qu'avec la liberté , ce doux
>>préſent des Dieux , il y fait fleurir les
>>ſages loix d'Hillus adoptéespar Egimius .
» Ces loix de la Doride ſont encore au-
>> jourd'hui près du Taigète conſtam-
» ment révérées par les deſcendans de
Pamphile & des Héraclides. Elles fai-
» ſaient déja leur bonheur , quand ils
>> préférèrent au Pinde Amiclès & le glo-
> rieux voifinage de ces Tindarides qui
» ſur leurs courfiers éclatans portaient la
terreur au milieu des combats .
» Jupiter , achève ce grand ouvrage
» d'Hiéron. Que les rives de l'Amène ne
>> le cèdent point aux plaines du Tai-
» gêre , & qu'une égale ſageſſe y découvre
toujours aux peuples& aux rois les
>> maximes
AVRIL. 1772. 121
•>> maximes d'une ſaine politique ; fais que
>> ce monarque parvienne à une longue
» vieilleſſe en donnant de grandes le-
>> çons à fon fils , une heureuſe tranquil
lité à ſon peuple. Qu'un ſigne de ta
> tête calme le Phénicien & le Tofcan in-
* quiet ; que déſormais ces nations hau-
>> taines bornent leur gloire àne pas trem-
>> bler pour leurs propres foyers. Fumes ,
-> étale encore à leurs yeux les honteux
>>> débris de leur flotte vaincue par les
>> rapides vaiſſeaux du Roi de Syracufe.
>> Les flots ont englouti leurs guerriers ,
->& ce grand jour a délivré la Grèce
-> d'une ſervitude cruelle . Sitheron , Sala-
» mine , lieux célèbres où le Mède vit
->>briſer ſon caſque. A Sparte & dans
2Athène vos noms ſeuls rempliſſoient
>> mes accords. Près de l'Himer , fur ces
>> bords fortunés , je ne voudrois chan-
» ter que cette grande journée où les
>> fils de Dinomènes domptèrent desen-
» nemis belliqueux. Oui , Fuyons de
>>longs éloges , renfermons-les dans un
>ſeul trait éclatant ; ils feront moins en
>>bute à la malignité ; ils braveront plus
>> aisément les injuftes dégoûts & ce cha-
>>grin ſecret qui ferme l'oreille des mor-
>>tels au récit des proſpérités étrangères .
II. Vol. F
12-2 MERCURE DE FRANCE.
>>Mais , ſage Hieron , que cette injustice
>> ne te détourne point des ſentiers de la
>> gloire , & préférant les traits de l'envie
» à la foible douceur d'être plaint , conti-
>> nue de gouverner les peuples avec la
>>même ſageſle .
>>Sur- tout que ta voix ſoit toujours l'in-
->> faillible organe de la vérité. Rien n'eſt
>>frivole dans ta bouche. Tout eſt grand
>> dans un grand monarque , & les moin-
>> drespromeſſes ſont atteſtées par les plus
>> ſages des mortels. Confulte même ta
>>noble ardeur pour la gloire , & fi ton
>>oreille ſe plaît au récit de tes ra-
>> res exploits , ne te laſſe point de ré-
>>pandre des bienfaits. Crains , ami
« crains les écueils cachés ſous une trom-
>>peuſe économie : ſemblable au pilote
>>qui livre toutes ſes voiles au fouffle pro-
» pice du zéphyr , déploye au loin toute
>> ta magnificence.
>>Arbitres de la renommée, l'éloquence
>& la poëſie jugent les mortels au de là
>>même du tombeau . Par elles nous chériffons
encore l'aimable vertu de Cré-
» fus. Mais l'univers déteſte la mémoire
>> de Phalaris , de ce monſtre impitoyable
>> qui brûloit des infortunés dans fon
>>tonneau d'airain. Jamais la riante jeuAVRIL.
1772. 123
1
>> neſſe ne mêle aux doux accords des ly-
>> res le nom de ce Prince abhorré . Entre
» les faveurs du deſtin , la première eſt
>> le bonheur , la ſeconde une haute re-
" nommée. S'offrent - elles toutes deux à
>>la fois , les ſaiſir c'eſt avoir remporté
>>la plus brillante des couronnes. »
Cette dernière verſion , quoiqu'il y
ait des traits heureux , n'eſt , en général ,
qu'une paraphrafe trop verbeuſe , & quelques
fois peu fidèle. L'original eſt rapide,
& cette traduction eſt prolixe. Je crois
que les lecteurs préféreront , ainſi que
moi , la ſimplicité préciſe de M. Chaba
non & que les fuffrages qu'il deſiroit
pour la continuation de ſon ouvrage ne
lui feront pas refufés .
,
Histoire de la Ville de Bordeaux , première
partie contenant les événemens
civils & la vie de pluſieurs hommes
célèbres ; parDom deVienne, religieux
Bénédictin de la Congrégation de St
Maur ; vol . in -4°. A Bordeaux , chez
Simon de la Court , les Frères Chappuis
& la Bottiere ; & à Paris , chez
Merlin , rue de la Harpe .
Depuis pluſieurs années , des ſçavans
encouragés par le ministère , ont travaillé
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à nous tracer l'hiſtoire de différentes villes
ou provinces de France. Lorſque ces
hiſtoires font bien faites , elles doivent
préſenter pluſieurs traits finguliers & caractériſtiques.
Cette phyſionomie particulière
en quelque forte ſe trouve dans
cette hiſtoire de la ville de Bordeaux .
L'auteur y rapporte pluſieurs faits qui
peignent très - bien la vivacité gafcone.
Ces faits tranſportent le lecteur ſur le lieu
de la ſcène , l'y fixent en quelque forte &
lui procurent le double avantage de s'inftruire
& de s'amuſer. On doit d'ailleurs
ſavoir gré à l'hiſtorien d'avoir écarté de
fon ouvrage tout ce qui pouvoit être
étranger aux Bordelais. Il s'eſt procuré
par ce moyen la facilité de donner une
certaine étendue aux événemens les plus
intéreſfans . Cette hiſtoire eſt diviſée en
pluſieurs parties. La première ſe publie
actuellement. L'auteur , après avoir traité
dans une differtation préliminaire , ce qui
concerne la fondation de Bordeaux & le
local de cette ville , expoſe les révolutions
qu'elle a éprouvées , & ce qui s'y eſt
paflé de plus remarquable dans l'ordre civil
ſous les différens maîtres auxquels
elle a été afſujettie. Il y a joint la vie de
quelques ſcavans qui ſe ſont distingués
d'une manière plus particulière. Les au
AVRIL. 1772 . 125
tres parties de cet ouvrage ſont ſous pref.
ſe. Elles feront le ſupplément de la première
, & contiendront l'hiſtone des Prélats
qui ont occupé le fiége de Bordeaux ;
ainſi que l'hiſtoire des differens chapitres
, des maiſons religieuſes , des établiſſemens
civils , &c . Tout ce qui concerne
les loix , les coutumes , les priviléges
& le commerce de Bordeaux ſera
auſſi l'objet de ces fupplémens ; & l'auteur
nous promet de traiter ces articles
ſéparément & avec une étendue ſuffiſante
pour ne rien omettre d'eſſentiel .
L'Ecclefiafte de Salomon , traduit de
l'hébreu en latin & en françois , avec
des nores critiques , morales & hiſtoriques.
par les auteurs des Principes
difcutés. vol. in- 12. A Paris chez
Claude Hériflant, rue Notre-Dame.
L'Eccléſiaße eſt un des livres de l'écriture
qui préſente le plus de difficultés
aux traducteurs & aux interprêtes. Les
auteurs des Principes difcutés , pour appla-
Bir la plupart de ces difficultés ont conſulté
le génie de la langue hébraïque ,
les ſentimens des Peres de l'égliſe & ceux
des commentateurs , & ſe ſont appuyé
1
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fur la plus faine Théologie. Ils nous ont
mis à même , par leurs travaux , de profiter
avec plus de facilité des inſtructions
du plus ſage des tois , qui ne ceffe de
nousrépèter dans fon livre de l'Ecclefiafte
que les richeſſes , les honneurs & les
plaiſirs de ce monde ne font que vanité ;
vérité bien oppoſée aux inclinations &
aux préjugés des hommes.
Adelfon & Salvini , Anecdote Angloife
par M. d'Arnaud .A Paris chez le Jay ,
rue Saint Jacques. volume in- 8 ° avec
figures.
L'amour nous eſt peint quelquefois
comme un Dieu , ami de la paix , de
l'honneur & de la vertu. Quelquefois
auſſi il ſe montre à nous comme un vain
queur cruel , & le pere de tous les crimes.
Le ſpectacle de ſes fureurs nous eſt
ici préſenté fous le point de vue le plus
effrayant , & le plus propre par conféquent
à nous mettre en garde contre une
paſſion déſordonnée , & qui ne s'attache
à ſa proie que pour la dévorer. Le malheureux
Salvini conçut l'amour le plus
violent pour une jeune perfoune qui devoit
lui être facrée , pour la maîtrefle
d'Adelfon fon bienfaiteur & fon ami .
VRIL . 1772 . 127
Ce jeune homme , livré par fon tempérament
ardent , par fon caractère ſombre
& melancolique à toute l'effervefcence
des paflions , méconnoit fes devoirs
, outrage l'amitié , & termine fes
fureurs par aſſaffiner la fidèle amante de
celui qui avoitpartagé avec lui ſesbiens ,
ſa ſociété ,& le regardoit comme le confident
de ſes plus fecrettes penſées . Les
remords que l'hiſtorien donne à ce forcéné
nous rendent fon fort plus pathéti
que , plus intéreſſfant. Ces remords ,
comme autant de furies attachées à fes
pas , lui font éprouver un tourment mille
fois plus cruel que celui qui l'attend
fur l'échafaud , & termine ſa malheureuſe
vie.Onaura peut-être de la peine ,
en lifant cette hiſtoire, às'imaginer qu'un
amour comme celui de Salvini , qui
n'eſt point enflammé par les tendres ſentimens
de celle qui en eſt l'objet , puiſſe
ſe porter à un degré de force & d'énergie
tel qu'il nous eſt ici repréſenté . Lorfqu'un
amant ne possède point le coeur
de ſa maîtreſſe , il peut faire bon marché
du reſte . Sacrifiera- t- il fon repos &
ſes devoirs pour un objet phyſique qu'il
peut trouver par- tout ailleurs ? Quoiqu'il
en ſoit , les ſituations des deux amis ,
?
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Salvini & Adelſon, nous préſentent des
ſcènes ſi touchantes , ſi pathétiques , ſi
animées , qu'on lira cette dernière anecdote
de M. d'Arnaud avec le plus grand
intérêt. Le coloris du peintre prend , en
quelque forte , la teinte des paſſions qu'il
repréſente. L'accueil que le public continue
de faire à ſes tableaux , doit l'engager
à nous donner la cinquiéme hiſtoire
quidoit completter le ſecond volume des
Epreuves du ſentiment.
Principes de Médecine de M. Home , traduitsdu
latin en françois , par M. Gaftellier
, D. M. auxquels on a joint un
extrait d'un autre ouvrage du même
auteur , intitulé , Expériences & Obfervations
de Médecine , traduites de
l'Anglois. AParis chez Vincent , Imprimeur-
Libraire rue des Mathurins.
Il s'eſt fait pluſieurs éditions latines
de cette eſpèce de Compendium où les
principes les plus utiles de la médecine
font expoſés d'une manière claire & précife.
Le docteur Anglois ſe contente ,
après avoir tracé le tableau fidèle de chaque
maladie , d'indiquer pour le traitement
de chacune les moyens dont une
longue expérience a confirmé l'efficacité.
AVRIL. 1772. 129
Le traducteur s'eſt rapproché autant qu'il
lui a été poſſible de la précifion du ſtyle
de ſon original. Les expériences & les
obſervations qu'il a ajoûtées à la fin du
volume font d'autant plus intéreſſantes
qu'elles éclairciſſent ou confirment pluſieurs
des principes de médecine recueillis
par le même auteur.
Logica , &c. La Logique ou l'art de penfer
juſte , à l'uſage des collèges , par
M. Martinet , Curé de Chauppes ,
près Mirebeau en Poitou. Nouvelle
édition , plus correcte & plus ample
queles précédentes. vol . in- 12 . A Poitiers
, chez Claude Faix Libraire , &
à Paris chez Barbou rue des Mathu
rins.
Il eſt néceſſaire , pour penſer juſte, de
bien appercevoir , de bien juger , de bien
difcourir & de lier méthodiquement ſes
idées ; il ſuit de là que l'appréhenſion ou
perception , le jugement , le difcours &
la méthode deviennent les quatre articles
fondamentaux de la logique. L'an .
cienne école a fi fort furchargé cet art
de termes & de phraſes barbares , elle
l'a tellement noyé dans de sèches & vai-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
:
nes futilités , qu'il ſembloit que la logique
avoit plutôt pour but d'exercer
l'eſprit dans des querelles & des diſputes,
que de l'aider à penſer juſte. M. Martinet
a bien fenti ces défauts ; il a cherché
à dégager la logique des queſtions inutiles
de l'ancienne école. Cette logique
a d'ailleurs une grande prérogative ſur la
plûpart de celles qui l'ont précédé , c'eſt
que renfermant autant de choſes utiles ,
elle est beaucoup plus courte .
Almanach généraldes Marchands , Nigo
cians & Commerçans de la France &
de l'Europe , contenant l'état des principales
villes commerçantes , la natute
des marchandises ou denrées qui
s'y trouvent , les différentes manufactures
ou fabriques relatives au commerce
, avec les noms de leurs principaux
marchands négocians , banquiers
, artiſtes , &c , & une table générale
par ordre alphabétique de tout
ce qui a rapport au commerce. Pour
l'année 1772. A Paris chez ValadeLibraire
rue S. Jacques .
د
Le titre de cet ouvrage annonce fon
utilité. Le but des auteurs eſt principalement
de mettre tous les manufacturiers,
AVRIL. 1772. 131
tous les marchands& tous les négocians
des différentes villes de l'Europe à portée
de fe connoître entre eux &de ſe
procurer facilement des relations utiles
dans les divers lieux où se trouvent les
marchandiſes propres à leur négoce .
Le plan des auteurs est très-vaſte. Ils
déclarent dans l'avertiſſement qu'ils ne ſe
flattent pas de l'avoir encore rempli . Il
eſt certain qu'il étoit impoſſible de conduire
à ſa perfection unouvrage de la nature
de celui ci , qui exige une variété
étonnante de connoiffances &d'éclaircif
femens locaux.
Les villes commerçantes qui font entrées
dans l'édition de cette année ſontindiquées
ſuivant l'ordre alphabétique .
Dans chaque article on trouve d'abord le
tableau des productions particulières qui
eneſt leſujet.
Onvoitquels fontles grains,les fruits
qui y croiffent, quels fontles fotlilles qui
s'y rencontrent , quel eſt le bétail qu'on
y élève pour le commerce. Delà les aureurs
paſſent au détail de l'induſtrie des
habitans ; ils indiquent les atteliers , les
manufactures , les magaſins .
Ala ſuitede chacune de ces notices on
trouve la liſte des fabriquars& des mar
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
chands qui ſe diftinguentle plus, ſoit par
la main- d'oeuvre , ſoit dans le commerce.
Tousles articles ne ſont pas également
complets , & il ſemble qu'on ne pouvoit
exiger cette exactitude dans un premier
travail. Il y a même des villes dont le nom
`n'est qu'annoncé & ſemble être une pierre
d'attente pour l'édition prochaine. Si tous
les articles étoient traités comme ceux
d'Alençon , d'Aubuſſon , de Bar le Duc,
de Dieppe , de Reims , de Sédan , de
Stokolm , & c , il eſt certain que l'ouvrage
feroit excellent. Telqu'il eſt il paroîtmériter
des éloges. Il n'y manque rien du
côté de la diſtribution , de l'ordre , de la
clarté. Les auteurs ont ſu varier par des
réfléxions la monotonie & la ſéchereſſe
de certains articles .
L'article de Paris eſt traité avec beaucoup
d'étendue. On y a fait des ſous-diviſions
alphabétiques , de manière que chaque
objet d'induſtrie ou de commerce
fournit un paragraphe .
Ala ſuite de l'ouvrage on a placé une
indication des établiſſemens particuliers
formés depuis peu&des inventionsnouvelles
publiées dans le cours de l'année.
Ony a fait auffi un choix d'anecdotes relatives
au commerce. は
AVRIL. 1772 . 135
Il eſt à ſouhaiter que le ſuccès encourage
les auteurs de ce travail utile , & les
porte à l'enrichir annuellement.
Ils invitent toutes les perſonnes quiauront
quelques inſtructionsà leur faire parvenir
, ou qui defireront y faire placer
leurs noms , & d'y indiquer la nature de
leur commerce , de leur adreſſer leurs
mémoires ou leurs avis avant le premier
Αοûτ.
Nouveau Traité de Géographie traduit
del'Allemandde M. lé docteur Buſching ,
avec des augmentations & corrections
qui ne font pas dans l'original , Cette
traduction eſt ſous prefle , il en a paru
juſqu'à préſent ſix volumes in 8 ° d'environ
700 pages chacun , à Zullichow en
Siléſie , & ſe trouvent à Paris à fix livres
le volume. Les tomes I & II contiennent
undifcours ſur l'utilité de la géographie ,
une introduction à la géographie , une
deſcription de l'Europe en général & des
mers qui l'environnent , & celle des états
qui compofent les couronnes de Dannemarck
, de Norwege , de Suéde , de Ruffie
, de. Pruffe & de Pologne , avec une
table alphabétique des lieux contenus
dans ces deux premiers volumes. Le to134
MERCURE DE FRANCE.
me III comprend le royaume deHongrie ,
l'Empire Ottomanou la Turquie en Europe
, & les royaumes de Portugal &
d'Eſpagne , avec une table alphabétique
des lieux contenus dans ce troisième volume.
Les tomes IV & V comprennent
le royaume de France diviſé en trente huit
gouvernemens militaires & en ſes Provinces
, avec une table alphabétique des
lieux qui y ſont contenus . On pourroit
joindreà ces deux volumes le Dictionnaire
géographique de la France imprimé à
Parisen 1765 en quatre volumes du même
format , où l'on donne les noms des
bureaux de poſtes , auxquels il faut adreffer
les lettres pour les faire parvenir à tous
les lieux de la France & dans les païs
étrangers. Le prix eſt de douze livres
broché.
Suite du nouveau Traité de Géographie.
On délivrera à Paris au moisde Juin prochain
le tome VI ou premier volume de
l'Empire d'Allemagne. Les amateurs qui
ſe feront infcrire avant le 15 du mois
de Mai prochain chez le ſieur Perrier , à
l'Hôtel de Soubiſe , où l'on trouve les
meilleurs cartes en tout genre , ne le
payeronr que 4 livres 10 fols at Libraire
qui fera chargé de le délivrer. Ce volume
AVRIL. 1772. 135
contiendra une ample introduction hiftorique
à l'Allemagne en général , & la
defcription des Provinces de Bohëme ,
Siléfie , Moravie , Alface & Autriche.
Le Livre du Chrétien , dans lequelſe trouve
tout ce que le chrétien doit ſçavoir
& pratiquer par rapport à la Religion .
Ouvrage pofthume de M. Tricatet ,
Directeur du Séminaire de S. Nicolas
du Chardonner à Paris; ſeconde édition
, revue , corrigée , & augmentée
de l'Ordinaire de la Meſſe , des Vêpres
& des Complies du Dimanche ; à Paris
chez Auguftin - Martin Lottin l'aîné
, Imprimeur- Libraire ordinaire de
Mgr le Dauphin &de la ville , rue S.
Jacques.
Cette ouvrage eſt diviſé en deux parties.
La première renferme l'abrégé de la
créance du chrétien & les motifs de ſa foi ,
la ſeconde préſente un règlement de vie
chrétienne , des formules de prières & des
moyens de s'animer à la piéré, ce qui a
fait dire au Cenſeur que ce livre eſt un
recueil de maximes & de ſentimens puiſésdans
les diverſes écritures que l'on ne
peut trop méditer , pour regler ſes penfées&
faconduite.
136 MERCURE DE FRANCE.
Effaifur les combinaiſons de la Loterié de.
l'Ecole royale militaire , ou Almanach
des trois fortunes , pour ſervir d'inftruction
fur cette Loterie , & d'éclairciſſement
ſur divers avantages que l'on
en peuttirer.
Aſpice! diverfos anceps rotat alea cafus;
Nunc tibi , nunc aliis officioſa favet.
Prix : livre 10 fols broché , augmenté
de tablettes d'un papier nouveau pour
yinſcrire avec une pointe quelconque ,
même une épingle , les numéros des
tirages qui ſe feront pendant le tems
que s'exécutera la Loterie. A Paris chez
Defnos Libraire & ingénieurGéographe
du roi de Dannemarck , rue Saint
Jacques.
On a calculé dans cet Almanach les
probabilités du jeu de la Loterie , & il paroît
très-propre à exciter les calculateurs
ou les joueurs à courir les haſards du fort
pardes miſes combinées & ſuivies.
, Soinsfaciles pour la propretéde la bouche
pour la conſervation des dents ,& pour
faire éviter aux enfans les accidens de
la dentition : Ouvrage ou l'on donne
AVRIL, 1772 . 137
auſſi les moyens de reconnoître lechar-
• lataniſme d'un grand nombre d'opérations
qui ſe pratiquent ſurles dents ,
fur- tout à leur renouvellement & arrangement
dans la jeuneſſe. Par M.
Bourdet , écuyer , dentiſte du roi & de
la famille royale, chirurgien ordinaire ,
opérateur lithotomiſte de Sa Majeſté ,
&chirurgien de Mgr le Comte de Provence.
Nouvelle édition conſidérablement
augmentée. A Paris rue S. Jacques
, chez Jean Hériſſant pere , Imprimeur
du Roi , Maiſon & Cabinet
de Sa Majeſté .
Ce livre eſt rempli d'inſtructions pour
la conſervation des dents. L'auteur rejette
avec raiſon tous ces remèdes , ces poudres
inventées par le charlataniſme , qui
occafionnent ſouvent le mal au lieu dele
prévenir. Enfin il donne des avis utiles
aux perſonnes chargées du ſoin d'élever
des enfans; il enſeigne les moyens néceffaires
de gouverner leur bouche quand
les dents veulent percer & croiffent , &
pour procurer aux dents un bel arrangementà
meſure qu'elles ſe renouvellent .
A. Cornelii Celfi de re medicâ libri octo.
Ex fide manufcriptorum codicum &
138 MERCURE DE FRANCE.
vetutiffimorum librorum, fummâ diligentia
fummoque ſtudio recenfuit J.
Valart. Parifiis apud P. Fr. Didot juniorem
faluberrimæ facultatis medicinæ
bibliopolam; 1772. Prix , sliv.
4 f. relié en carton , & 6 liv . rel . doré
fur tranche.
Cette édition , fortie des preſſes de M.
Didot l'aîné , imprimeur , eſt très belle
& faite avec beaucoup de"foin . Celſe
a beaucoup d'autorité en médecine ; il
fera toujours confulté comme un excellent
guide & lu comme un bon écrivain
. L'éditeur , fort verſé dans l'étudede
la langue latine , a rendu un ſervice
à la médecine & aux lettres en retabliffant
le texte pur & original de Celſe d'après
les éditions les plus eſtimées & les
manufcrits lesplus anciens. Il areſtitué les
omiſſions & les tranſpoſitions faites dans
Fouvrage de ce médecin ; il a donné un
ſens à des phrafesqu'une mauvaiſe ponctuation
rendoit inintelligibles ; il a diftingué
les aphorifmes d'Hippocrate dont
Celfe appuie ſon ſentiment; enfin , rien
n'a été négligé pour que cette édition fût
ſupérieure à toutes celles qui l'ont précédée.
AVRIL. 1772. 139
Obſervations fur le Cacao &fur le Chocolat
, où l'on examine les avantages &
les inconvéniens qui peuvent réſulter de
l'uſage de ces ſubſtances nourricières. Le
tout fondé fur l'expérience & fur les recherches
analytiques de l'amande du cacao
; ſuivies de réflexions ſur le ſyſtême
de M. Lamure touchant le batement des
artères. A Amſterdam ; & ſe trouve à Paris
, chez P. Fr. Didot J. , libraire , quai
des Auguſtins , à St Auguſtin ; 1772 .
Prix , 1 liv . 4 f. broché.
Costume des anciens Peuples , par M. Dandré
Bardon , profeſſeur de l'académie
royale de peinture &de ſculpture ,
directeur perpétuel de celle de Marſeille
, & membre de l'académie des
belles-lettres , ſciences & arts de la
même ville.
On propoſe ici la ſouſcription du Coftume
des anciens Peuples. Le plan de cet
ouvrage fut annoncé dans le Traité de
Peinture de M. Dandré Bardon en
L'idée avantageuſe que le public en corçut
, détermina l'auteur à redoubler les
* Voyez l'avis de l'éditeur , page X111 .
* 50
140 MERCURE DE FRANCE.
ſoins , les études & les recherches qui
devoient rendre ſa collection intéreſſante
pour les amateurs , inſtructive pour les
artiſtes , utile aux gens de lettres , &
amuſante pour les perſonnes qui chérifſent
par goût les connoiſſances rares &
curieuſes.
Dans ces vues il n'a ceſſé de fouiller
dans les monumens de l'antiquité ; dans
les chef - d'oeuvres des grands maîtres ,
dansles volumes des écrivains accrédités,
dans les cabinets des curieux , & dans les
porte-feuilles des ſavans. Il a tiré de ces
fonds précieux& inépuiſables un receuil
d'environ trois cent deſſins , qui renfer
me ce qu'il y a de plus connu dans le coftume
des anciens peuples. L'ouvrage ſera
diviſé en deux parties ; la première aura
pour objet les uſages des Grecs & des Romains
, la feconde concernera les Ifraélites
, les Egyptiens , les Perſes , & autres ;
Scythes , Amazones , Parthes, Germains,
&c. dont les uſages particuliers ſontdifperſés
dans une infinité de ſources quine
font pas au pouvoir de tout le monde ,
&où bien des perſonnes n'ont ni le tems,
ni le courage de recourir. Un ouvrage qui
réunit ſous un même coup- d'oeil tant de
variétés inſtructives , manquoit à la république
des arts .
AVRIL.
1772. 141
Parmi les particularités de coſtume des
principalesde ces nations , fontdiftingués
parordre leurs uſages religieux , civils ,
&militaires.
Uſages religieux: habitsdes pontifes ,
des ſacrificateurs , des prêtreſſes , des néocores
, des camilles ; inſtrumens & apprêts
des facrifices , ornemens des victimes ,
temples , autels , trépieds , lampes , &c .
On a réuni à ces uſages les luttes , les
courſes , les funérailles , les tombeaux ,
comme faiſant partie du culte des Anciens.
Uſages civils & domeſtiques : bains,
repas , tricliniums , cérémonies de mariage
, ajuſtemens , meubles , voitures ,
tribunaux , fupplices , monumens publics
& particuliers , &c .
Ulages militaires : accoutremens des
officiers & des foldats , cuiraffes , corſelets
, caſques , brodequins ; leurs armes ,
épées , lances , javelots , frondes, léches ,
carquois , boucliers , &c, leurs étendards ,
leurs fignaux , leurs allocutions , leurs
machines de guerre : beliers , corbeaux ,
catapultes , baliſtes , tours roulantes, chars
armés de faulx , &c. Quelques détails de
leur marine y font aſſociés avec les cérémonies
de leurs triomphes & de leurs
apothéofes.
142 MERCURE DE FRANCE.
Pour publier cette collection convenablement
& fans délai , on a choiſi pluſieurs
bons graveurs , qui feront dirigés
par un de nos plus exellens maîtres * dans
l'art de la pointe & du burin. On a déjà
gravé le premier cahier , pour preſſentir
le goût du Public , & lui donner unejuſte
idée de l'ouvrage. Tout y ſera préſenté ,
ainſi que dans ces douze feuilles , ſous
un trait net , ferme , ſpirituel , que releveront
de légères maſſes d'ombres , comme
doivent être traités ces fortes d'ouvrages
, quand on veut en faire des ouvrages
de goût .
Conditions de la ſouſcription.
Cet ouvrage , où les amateurs , les curieux
, les gens de lettres trouveront de
quoi fatisfaire le goût & agrandir la
ſphère de leurs connoiſſances dans la
ſciencedu coſtume , eſt compoſé d'environ
trois cents planches. Comme il eſt
eſſentiellement utile aux artiſtes , & même
aux élèves , il a paru néceſſaire , pour
leur en faciliter l'acquiſition , de le divi-
* M. Cochin , chevalier de l'Ordre du Roi ,
fecrétaire perpétuel de l'académie royale de peinture&
de ſculpture , &c.
AVRIL. 1772. 143
ſer en cahier de douze eſtampes chacun ,
auxquels ſera jointe l'explication propre à
en donner l'intelligence , &de les propofer
par ſouſcription , avec un avantage
aſſez conſidérable pour les ſouſcripteurs.
Ces cahiers de douze eftampes , du format
grand in- 4°. feront du prix de fix
francs chacun pour ceux qui n'ont point
foufcrit . On les délivrera ſéparément, de
manière que les acquéreurs feront libres
de ne prendre que ceux qui leur feront
plus agréables ou plus utiles.
Al'égard des fouſcripteurs qui , par la
ſouſcription , ſe trouveront engagés à
prendre les cahiers à meſure qu'ils paroîtront
, on leur cédera chaque cahier pour
quatre francs , payables en la forme qui
fuit: ils donneront fix francs en recevant
le premier cahier ; c'eſt à-dire , 4 1. pour
la valeur d'icelui , & 40 f. d'avance & à
compte ſur le ſuivant. Aux autres livraifons
de chaque cahier ils ne donneront
que 4 liv. , c'est- à-dire 40 ſols pour achever
le paiement de ce cahier , & 40 fols
pour l'autre , dont il fera tenu compte à
la dernière livraiſon .
L'éditeur ſe propoſe de donner exactement
un cahier de fix en fix ſemaines ,
144 MERCURE DE FRANCE.
4
€
c'est- à -dire deux cahiers tous les trois
mois ; il eſpère même de pouvoir accélérer
cet arrangement , & peut - être de
fournir trois cahiers dans les trois mois ;
mais comme la gravure eſt ſujette à beaucoup
d'accidens qui peuvent ſuſpendreles
livraiſons , il prévient les ſouſcripteurs
qu'il eſt poſſible qu'il ſe trouve quelquefois
néceſſité à des retardemens au - delà
de ſes promeſſes , & les prie de lui accorder
la confiance de croire qu'il fera
tout ce qui dépendra de lui pour ſatisfaire
à leur empreſſement.
La livraiſon du premier cahier a été
faite au commencement d'Avril 1772 ,
&les autres ſuivront de ſix en ſix ſemaines,
autant qu'il fera poſſible.
Onfoufcrira chez M. COCHIN , éditeur
de cet ouvrage , aux galeries du louvre ;
&chez Ch. An. Jombert pere , L. Cellor,
Cl. Ant . Jombert , fils aîné , rue Dauphine.
Histoire des différens Peuples duMonde ,
contenant les cérémonies religieuſes&
civiles , l'origine des religions , les
moeurs & les uſages de chaque nation,
in- 8 ° . , 6 vol . 30 liv. broché AParis ,
chez
AVRIL. 1772. 145
chez Edme , libraire , rue St Jean-de-
Beauvais , à côté du collége ; 1772 .
Cet ouvrage intéreſſant , que l'on peut
regarder comme une eſpèce d'hiſtoire
univerſelle , doit être utile à la jeunelle,
en lui donnant des notions ſuffiſantes ſur
les différens paysde la terre qu'il importe
toujours de connoître. Ilpeut ſervirauſſi
aux perſonnes plus avancées, en leur préſentant
en abrégé le tableau d'études plus
étendues qu'elles auroient faites. Pour le
rendre en même tems inſtructif & amuſant
, on s'eſt attaché à ne rapporter que
ce qu'il y a de plus curieux fur chaque nation.
Les hiſtoires générales & particulières
font les ſources où l'on a puiſé. On
a fait choix des auteurs les plus dignes
de foi , & l'on a évité toutes differtations,
ſouvent dangereuſes & preſque toujours
ennuyeuſes& fuperflues.
Tracer hiſtoriquement tout ce qui concerne
la religion de chaque pays , ſes dogmes
, ſes cérémonies , les changemens
qu'elle a éprouvés , les uſages ſuperſtitieux
qu'elle a fait naître ,& le pouvoir
qu'elle a obtenu ſur l'eſprit des peuples ;
faire précéder ces tableaux par une idée
ſuccincte & géographique du pays dont on
parle; s'attacher à rendre compte de la
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
forme du gouvernement , ſi intimement
liée avec la religion établie ; donner enfuite
des détails intéreſſans ſur les coutu.
mes civiles , les uſages particuliers , les
productions naturelles &le commerce de
chaque nation ; tel eſt le plan de cet ouvrage.
Les volumes font ornés de quatre vignettes
en taille-douce , qui repréſentent
quelques objets intéreſſansde chaque pays .
Le Spectateur François pour fervir de
fuite à celui de M. de Marivaux. Année
compoſée de quinze cahiers , rendu
port franc à Paris
Eten Province
و liv.
12 liv .
Il y a déjà trois volumes de cinq cahiers
chacun ou une année complette ,
dont on trouve des exemplaires chez
Lacombe , Libraire , rue Chriſtine , le
prix de chacun de ces volumes eſt de
3 liv. On publie actuellement le troiſiéme
cahier du quatriéme volume qui
fait le premier de la ſeconde année de ce
journal phyloſophique & moral .
Le Spectateur à la fois inſtructif &
amuſant , a obtenu les ſuffrages de pluſieurs
gens de lettres & des hommes du
AVRIL. 1772 . 147
monde. Nous ne pouvons rapporter un
témoignage plus éclatant en ſa faveur
que cette lettre de M. de Voltaire.
Vous pardonnerez , Monfieur , à un
vieux malade de ne vous avoir pas remercié
plutôt. J'ai connu autrefois pluſieurs
Auteurs du Spectateur Anglois; vous
me paraiſſez avoir hérité de Steele &
d'Adiffon ; pour moi je ne puis plus être
ſpectateur , ni même auditeur; je perds
inſenſiblement la vue & l'ouie ; & je
me prépare à faire le voyage du pays dont
perſonne ne revient ; mais tant que je
reſterai dans ce pays ci & que mes yeux
verront un reſte de lumière je litai vorre
ouvrage avec autant de plaiſir que d'eſtime&
de reconnoiffarce.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Le vieux malade de
Ferney .
Réponſe du Spectateur.
M. Pourquoi vous plaiſez vous à nous
effrayer de votre départ ? Vous qui nous
faites entendre de ſi jolies choses; qu'allez-
vous faire dans ce vilain pays ? Ah!
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
reſtez , reſtez dans celui- ci. Si vous per
dez l'ouie , nous éleverons la voix , &
nos cris d'admiration perceront juſqu'à
votre oreille. Quand votre vue ſeroit
éteinte , & il ſeroit encore à ſouhaiter
que les clairvoyans vous priffent pour leur
guide.
Vous me faites trop d'honneur , Monfieur,
en me croyant un héritier de Steele
&d'Adiſſon , ils ne m'ont laiffé ni leurs
talens ni leur célébrité,
Je ſuis jeune , plein de ſanté & votre
génie encore tout étincelant me fait envier
votre vieilleſſe & vos maladies .
L'Histoire & les mémoires de l'acad. royale
desSciences in-4°. depuisfon origine,
en 1666 , jusqu'en 1769 ; nouv . edit.
en 33 vol. in 4. Prix 396 liv.
Les quatre premiers volumesfont actuellement
en vente.
, ily
Le Sieur Panckoucke étant parvenu
a pluſieurs années à former environ deux
cens corps complets de ce grand ouvrage en 88
volumes in - 4°. , par l'acquiſition de pluſieurs
parties répandues dans différentes mains , & par
AVRIL. 1I972. 149
la réimpreſſion d'un grand nombre de volumes ,
ena épuiſé tout le fonds, par la ſouſcription qu'il
a propofée de cet ouvrage à 800 livres ; néanmoins
conſidérant que l'hiſtoire & les mémoires
de l'académie ſont le plus précieux monumens
&le plus utile de toutes les ſciences naturelles ,
&que ſi on laifloit manquer un ouvrage de cette
importance , les Etrangers ne manqueroient pas
de s'en emparer & de le contrefaire ; le St Panckoucke
croit rendre un nouveau ſervice à ſanation
&aux gens de lettres , en leur propoſant une nouvelle
édit. de cet ouvrage in -4°. , qui ne reviendra
pas à 400 liv. Voici en conséquence l'opération
qu'il s'eſt propolée , & qu'il croit devoir mettre
fous les yeux du Public.
Quoique tout foit intéreſſant dans ce grand
ouvrage , il faut cependant convenir que ce que
l'on appelle la tête des mémoires de l'académie
(depuis 1666 juſqu'à 1720) l'eſt bien moins que
les volumes ſuivans. M. Guénau de Montbelliard
* a fait un excellent abrégé de ces premiè
res années , en 4 vol. in-4°. Ces quatre volumes ,
qui font aujourd'hui en vente , entrent dans le
plan de la fouscription actuelle.
Les volumes de l'académie , à commencer par
l'année 1720 , feront imprimés dans le même format
, papier , caractères ,que ces quatre volumes ;
mais les volumes à cette époque devenant plus
* M. Guénau eſt l'éditeur de la collection acaa
dénique , & l'auteur des diſcours philoſophiques
qui ſont à la tête des volumes de cet ouvrage s
difcours fi fortement pentés & fi ſupéricurement
écrits ,qu'on les a cru de la main de M. de Buffon
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
intéreſlans , à mesure que les ſciences ſe perfectionnent,
on n'a pas cru devoir ſe permettre de
les abréger; on les réimprimera en entier ,&dans
le même ordre que l'académie les a donnés , à
l'exception des parties purement mathématiques,
qu'on a également retranchées dans les quatre
volumes abrégés; par la fuppreffion de cette partie
mathématique , on a évalué que deux volumes
de l'académie , n'en feroient qu'un du nouvel ouvrage
que l'on annonce ; de forte que les années
1720 à 1769 , formant aujourd'hui cinquante
voluines , feront réduits à ving-cinq , qui , avec
les quatre premiers volumes qu'on publie aujourd'hui
, & quatre volumes de tables , compoferont
un total de trente- trois volumes.
Conditions.
1º. Chaque volume fera du prix de 12 liv. en
blanc.
2º. On payera 48 livres , en retirant actuellement
les quatre premiers volumes.
3°. Les volumes ſuivans ſe publieront ſéparément.
On en donnera cinq à fix par an; comme
la copie eſt toute faite , l'ouvrage ne peut éprouver
aucun retard.
Il réſulte de ce projet pluſieurs avantages.
19. Les nouveaux volumes , à commencer au
tome V, feront en même tems la ſuite de la collection
académique , partie Françoiſe , & on les
imprimera avec ce titre , pour les Souſcripteurs.
2º. Comme il manque nombre de volumes de
la grande collection de l'hiſtoire & des mémoires
de l'académie , qui ne feront jamais réimprimés,
que pluſieurs bibliothèques & beaucoup de particaliers
n'ont pu juſqu'à préſent compléter leurs
exemplaires ; ils le pourront au moyen de la
AVRIL. 1772. IS
réimpreffion ci-deſſus , & ils auront même l'avantage
, en achetant un volume de cette nouvelle
édition , d'avoir deux volumes de l'ancienne, qui
ne leur coûteront que 12 livres au lieu de 24.
Pour inſpirer au Public toute confiance , le Sr
Panckoucke s'oblige de reprendre des ſouſcripteurs
les volumes qu'ils auront acquis , ſi l'entrepriſe
ne ſe continue pas , &, en conféquence il a ſigné
le profpectus , qui ſervira au porteur de reconnoillance
, qu'il a acheté un exemplaire .
On imprime actuellement l'abrégé des mémoi
res de Suéde , celui des mémoires de Bologne :
un médecin très connu eſt occupé de l'abrégé des
tranſactions de Londres ; cet abrégé formera huit
à dix volumes in-4°. : lorſque la collection académique
ſera au pair de toutes les académies de
l'Europe , ce ſera le recueil le plus précieux de
toutes les ſciences naturelles ; puiſque le Public
aura , dans un petit nombre de volumes , tout ce
qu'il y a de vrai , de réel & d'utile dans tous les
mémoires des académies étrangères de l'Europe;
mémoires dont l'acquifition totale coûteroit aujourd'hui
plus de mille louis ,& que peut être on
ſeroit dans l'impoſſibilité de raſſembler.
L'hiſtoire & les mémoires de littérature & belles-
lettres de l'Académie royale des inſcriptions
in- 12. avec le même nombre de figures & de
planches que dans l'édit. in- 4 °. ſont propoſés à : 1.
Is ſols , au lieu de 3 1. 10 ſols.
NB. Cette diminution n'aura lieu que juſqu'au
premier Août 1772, & (ur quatre cents exemplaires
ſculement; elle a ſur-tout pour principal
motif de mettre les gens de lettres , même les
moins ailés , à qui cet ouvrage devient indiſpenfable
, à portée de ſe le procurer à bon compte.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Les vingt fix premiers volumes ont paru il y
adeux ans.
an.
Les vingt-quatre volumes ſuivans , il y a un
Lesdix-huit volumes ſuivans ſont actuellement
en vente.
Ces foixante - huit volumes mettent l'édition
in-12. au pairdes trente volumes in 4º .
Hôtel de Thou , rue des Poitevins , quartier
St André , 1772 .
Les mémoires de l'académie des inscriptions
font fi connus , & l'édit. in-4° . en eſt ſi répandue
en France & chez l'Etranger, qu'on peut fe diſpenſer
d'entrerdans un grand détail pour en faire connoître
le mérite & l'utilité. Ce dépôt littéraire ,
l'ouvrage d'une compagnie lavante & d'un fiécle
entier de travaux , eſt le recueil de littérature le
plus complet & le plus étendu qui exifte en aucu
ne langue , ſoit ſur la géographie , la chronologie
, l'hiſtoire ancienne , Thiſtoire moderne , ſoit
pour les notices de nos anciens romans ou de nos
vieux poëtes;fur tout pour toutes les obſervations
&fingularités qui concernent la poësie , l'art dramatique
, les théâtres d'Athènes & de Rome ; la
muſique & la danſe; la peinture , la ſculpture &
tous les arts anciens . Cette riche collection , dans
le cabinet d'un homme de lettres , d'un amateur
ou d'un curieux , eſt une bibliothéque entière de
littérature , qui peut lui tenir lieu de pluſieurs milliers
de volumes.
Les trente volumes de l'édition in 4° . étant entièrement
épuiſés , on a cru rendre ſervice au Public&
aux gens de lettres , en acquérant tout le
fonds de l'édition in 12. des vingt- fix premiers ve
James imprimés en Hollande.
AVRIL.
1772 . 153
Les deux volumes in 4°: ſe vendent 24 liv . Et
commeils forment quatre ou cinq volumes in- 12
qui ſe vendent enſemble 7 liv. ou 8 liv. 10 fols ,
ladifférence du prix de cette édition in- 12. à celle
in-4°. eſt deplus de deux tiers .
Pour rendre cette acquifition encore plus facile
aux gens de lertres , on leur donne la liberté d'acquérir
chaque livraiſon ſéparément , encommen
çant par la dernière :
SÇAVOIR ;
3. Livraison , 18 vol .
1e. Livraiſon , 24
Ire . Livraiſon , 26
•
liv. f.
31
10
• 42
imp. en Hol. 45 10
Total des vol. 68. Total du prix , 119
Les volumes de tables paroîtront dans quelque
tems.
Soufcription continuéejusqu'au premier
Août 1772 .
Hiſtoire naturelle par M. de Buffon , ſéparéede
la partie anatomique , treize volumes in- 12 ; en
feuilles , 32 livres 10 fols; après la ſouſcrip
tion , 39 liv .
On a mis en vente au même hôtel de Thous
L'hiſtoire des oiſeaux , par M, de Buffon , tom
II , in - 4 °. fol . grand & petit papier , & les tomes
III & IV en - 12 . planches enluminées , vingt-troifième
cahier. Le manufcrit de cet ouvrage eſt en
tièrement achevé.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
LegrandVocabulaire François , in. 4. tom. XIX.
Les fouscripteurs recevront gratis le tome vingtième
, quoiqu'on n'ait promis que les 5 , 10 , 15 &
dernier.
L'année 1768 des ſciences ,& le tome VIII du
recueil des prix de ladite académie , in 4.
Cinquante planches pour les OEuvres in - 4. gr.
papier , de M. de Voltaire.
La Henriade , édition très-ornée, in 8. 2vol.
Le Droit de la Nature & des Gens , 2 vol. in- 4.
L'Hiſtoire des Celtes , 2 vol, in- 4°. & 9 vol.
in-12 .
Noſologie du célèbre Sauvages , 10 vol . in - 12 .
Nouveaux Principes de Phyſique , in- 12.
&c. &c. &c.
Ouvrages continués à une diminution de près de
moitié , jusqu'au premier Août 1772 .
Hiſtoire générale des Voyages , 17 vol. in-4.
Le vol. blanc , 8 liv au lieu de 14 .
Le même ouvrage , 68 vol. in- 12 , le volume
blanc 1 liv. 10 ſols , au lieu de 2 liv. 10 ſols. Les
tomes XVIII ,XIX in 4°. & LXIX a LXXVI in 12 .
reſteront à l'ancien prix.
*Collection académique , compoſte de toutes
les ſciences naturelles , tirées des mémoires des
Académies de l'Europe , 10 vol. in 4. Le vol . 81.
au lieu de 12 liv. Les tomes XI , XII , XIII reſtesontà
l'ancienprix.
Nota. Les volumes ſéparés reſteront auffi à
Pancien prix , la diminution n'aura plus lieu qu'en
prenant des corps complets.
Les reliûres & brochuresſe paientséparément.
AVRIL . 1772 . 155
ACADÉMIES.
LACADÉMIE royale des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Rouen a tenu fon
aſſemblée ordinaire dans la ſalle de l'hô
tel de ville le Mercredi 7 Août 1771 .
M. le Gallois de Macquerville , directeur
, ouvrit la ſéance par un Difcours .
M. Hailletde Couronne , ſecrétaire ,
rendit compte des travaux de l'année dans
ledépartement des Belles Lettres & des
Arts agréables .
Distribution des prix fondés par le Corps
municipal.
Avant de diſtribuer les prix que l'Académie
eſt dans l'uſage d'adjuger aux
élèves qui ſont ſous ſa protection , M.
de Couronne annonça que M. le Mar-
>>quis de Marigny, directeur & ordonna-
>> teur général des bâtimens de Sa Ma-
» jeſté , jardins , arts , académies & ma-
>>nufactures royales , ayant ſéjourné dans
>>Rouen en 1769 , il avoit été dans la
>> poſſibilité de juger par lui-même de
l'utilité de l'école de deſſin établie en
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
cette ville ; & il ajoûta que le 20
>>d'Août 1770 cet illuſtre protecteur des
> arts avoit envoyé un brevet de penſion-
>> naire du roi àRome , au ſieur Jean Tu-
>> beuf , élève de l'école de Rouen , celui
qui avoit remporté le premier prix
>>d>'architecture décerné à notre affem-
>>blée publique du premier Août 1770 .
>> Comme cette faveurde faire le voyage
> de Rome & d'y reſter pendant trois ans
>> aux dépens du roi n'a jamais encore
>> été accordée à aucune des académies de
>> peinture etablies en Province; elle de-
>> vient ſt honorable pour le profeſſeur de
>> l'école de Rouen & elle produira
>> parmi les élèves une ſi vive émulation ,.
>> que l'académie a cru devoir configner
> ſur ſes regiſtres cet évènement intéreſ--
>> ſant , & elle s'empreſſe de témoigner
>> ici publiquement toute l'étendue de ſa
>> reconnoiſſance. »
Il n'y a point eu cette année de prix pour
la claſſede peinture , ni pour celle d'archi
tecture.
Dans la claſſe d'aprèsnature le premier
prix a été remporté par M. François Alix
d'Honfleur : il avoit obtenu l'année précédente
le prix de laclaffe du deffin .
Le ſecond prix a été adjugé à M. Jean
ic
AVRIL. 1772. 197
François le Sueur de Bouillancour en Picardie
, le même qui eut le premier prix
d'après la Boffe l'année dernière.
Dans la claſſe d'après la Boffe , le prix
a été mérité par M. Claude Jacques Notte
de Nanteüil fur Marne.
M. Deſcamps , profeſſeur , ayant demandé
que l'académie lui permît de donner
à ſes frais un prix d'émulation , ce
prix extraordinaire a été accordé à M.
Alexandre le Ricque , de Rouen .
Dans la elaſſe du deſſin , le prix a été
pour M. Pierre- Nicolas Scelles , de Bernay.
L'Acceffit a éte accordé à M. Michel
Piquenot , de Monville en Caux .
Proclamation du grand prix des belleslettres.
:
Le ſujet de diſſertation littéraire propoſé
par l'académie , étoit de déterminer,
dans les principes du goût, ce qui appartient
àla nature& ce qui appartient à l'opinion,
pour en conclure juſques à quel point un
homme de génie doits'accommoder au goût
defonfiécle & defa nation ?
Deux bons ouvrages ont fixé l'attention
&partagé les opinions. L'un avoit pour
158 MERCURE DE FRANCE.
épigraphe : Id generatim pulchrum eft ,
quod tum ipfius naturæ cùm noftræ convenit.
L'autre : Quidverum atque decens curo
& rogo & omnis in hocfum.
Quelque mérite qu'on aitreconnu dans
le premier de ces deux mémoires : quelque
louable & inſtructive que ſoir la façon
dont l'auteur , ( qui eſt homme d'ef.
prit & de goût ) a traité la queſtion propoſée.
(M. Getz , avocat en parlement demeurant
à Toulouſe , s'eſt fait connoître
depuis quelque tems pourl'auteur du premier
mémoire ) cependant les fuffrages ſe
ſont réunis en faveur de la diſſertation ,
ayant pour épigraphe : Quid verum atque
decens curo & rogo , & omnis in hoc fum.
L'auteur est Dom François-Philippes
Gourdin , Bénédictin , à Beaumont-en-
Auge. Ce nom eſt connu par les différens
ouvrages , dont nous avons parlé , & l'académie
l'a reçu aſſocié-adjointle mois de
Juin dernier. Nous devons prévenir le Public
, à cette occafion , que ce mémoire
couronné , dont nous ignorions l'auteur ,
nous eſt parvenu avant que Dom Gourdin
ait étéadmis comme aſſocié- adjoint.
La ſéance a été terminée par cette lecture.
AVRIL . 1772. 159
Annonce du Prix pour 1772 .
L'uſage de cette académie est de diſtri.
buer tous lesans un prix alternativement
pour les ſciences &les belles lettres ; elle
déclare done qu'en 1772 cefera le tour de
lapoësie. Les poëtes auront la bonté de
choifir leur fujet. On defire ſeulement
que chaque pièce françoiſe envoyée pour
le concours ne ſoit pas de plus de 200
vers alexandrins .
Les ouvrages , francs de port & ſous la
forme ordinaire , feront adreſſés avant le
premier Juillet 1772 , à M. Haillet de
Couronne , ſecrétaire perpétuel de l'académie
, lieutenant - général criminel du
bailliage de Rouen .
Distribution des Prix des Sciences.
Le ſujet propoſé pour le prix dans la
claffe des ſciences étoit: » Après avoir
» établi ce qui caractériſe les argilles en
>> général déterminer les différences
>> chimiques & phyſiques qui diſtin-
>> guent entre elles celles des argilles ,
» qu'on connoît ſous le nom de bols ,
>> de glaiſes & de terre à foulon ?
19
Le prix a été décerné au Mémoire qui
a pour épigraphe In nova fert animus.
160 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur a favamment ſatisfait à la demande
de l'Académie , qui d'ailleurs
n'entend admettre ni improuver fon ſyſtême
ſur l'origine de ces terres , qui eſt
abſolument étranger à la queſtion. Ce
ſyſtême a donné lieua de profondes difcuffions
de chimie , de phyſique &
d'hiſtoire naturelle , de la part de MM.
Goddes & l'Abbé Bacheley , deux des
commiſſaires nommés pour l'examen des
mémoires admis. L'auteur eſt M. Charles
François Chellé , ancien apothicaire en
chef de l'hôpital général de Paris , Maître
apothicaire de la même ville .
Les diverſes écoles que protège l'académie
ont tenu leurs concours ordinaires
pour la diſtributiondes prix fondés par
le corps municipal , &qui ont été décernés
aux concurrens par des commiflaires
que l'académie avoit nommés.
Anatomie.
Le premier prix au ſieur Jean - Baptiſte
Ragnian , élève de la ville.
Le ſecond au ſieur Jean Baptiste Courant
, du païs de Caux , élève de l'Hôtel-
Dieu.
Le troiſiéme au fieur François Milhet
deMenller , près Dieppe , élève de l'Hô
tel-Dieu.
AVRIL. 1772. 161
Le quatrième au ſieur François le RichedeBonne
Maiſon en Bafle Normandie
, élève de l'Hôtel- Dieu.
Chirurgie.
Les deux prix de chirurgie ont été renvoyés
à l'année prochaine.
Botanique.
Le premier prix au ſieur Gamard de
Pont - l'Evêque , élève en chirurgie , le
même qui remporta le premier prix l'annéedernière.
,
Le ſecond au ſieur Férier d'Orbec ,
éléve en pharmacie. Il concourt pour la
première fois & a fi bien répondu
qu'une feule erreur ſur les caractères lui
a fait perdre l'ex aquo pour le premier
prix.
Le troifiéme au ſieur Baillatre de
Rouen.
Mathématique.
Le premier prix à M. Pierre Aléxandre
Forfaitde Rouen .
Le fecond à M. Nicolas- Alexandre le
Blanc , de Rouen .
Le troiſiéme à M. Pierre François
Jean , de Rouen.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le premier acceffit à M. Jean - Baptiſte
Jacques , de Rouen.
Le deuxième acceffit à M. Iſambert , de
Rouen.
Hydrographie.
Le premier prix à M. Jean - Sébastien
Mabire , de la paroiſſede Beauficel , près
Lions- la - Foreſt , qui l'an paſſé eut le ſecond
prix , & le premier de mathématique.
Le fecond à M. Jean- Charles- Louis
Allais de Rouen .
1 Le troiſième à M. Pierre Forfait de
Rouen , qui a remporté cette année le
premier prix de Mathématiques
L'acceffit a été accordé à M. Louis-
Alexandre de l'Eſpine , de Rouen.
Artdes Accouchemens.
Quoique M. de Beaumont , actuellement
profeſſear en cette partie , ne foit
point attaché à la compagnie comme
l'eſt M. Thibaut fon prédéceſſeur , il a
demandé que les prix deſtinés à ſes élèves
fuſſent diſtribués en ſéance publique.
En conféquence l'académie pour la
conſervationdeſes droits & pour fatisfaire
à la demande de M. de Beaumont , a
nominéMM. Pinard & David pour l'exa-
د
AVRIL. 1772. 163
men des concurrens , &ces prix ont été
par euxdécernés , ſavoir :
Le premier à M. Jean - Jacques Gamard
, de Pont l'Evêque .
Le ſecond à M. Jacques- André Dieu ,
de Rouen .
L'acceffit à M. Jacques-RichardBailheître
, de Rouen .
SPECTACLE S.
CONCERT
ON
T
SPIRITUEL.
N a entendu avec plaifir dans ce Concert
les Motets de M. de Mondonville ,
dont on avoit été privé pendant pluſieurs
années. Les chants faciles & gracieux , les
effets d'harmonie , les choeurs brillans de
ces Motets mériteront en tout tems les
fuffragesdes amateurs. Les autres compofiteurs
des Motets qui ont été entendus
dans ce Concert font MM. l'Abbé Giroust
, M. l'Abbé Jollier , M. Fantin , le
célèbre Pergoleze. Les virtuoſes ſontMM.
Stamitz freres , pour le violon & l'alto ;
M. Baer pour la clarinette ; M. Capron ,
M. le Duc le jeune , M. Chartrain , M.
Paiſible pour le violon ; M. Bezozzi pour
le hautbois, M. Palbatre & M. Charpen-.
164 MERCURE DE FRANCE.
tier pour l'orgue , M. Eichner pour le baf
fon , Madame Henri pour la harpe. Les
voix recitantes font Mefdames FArrivée
, Dubois , Charpentier , le Clerc ,
la Madeleine , d'Avantois ; MM. Gelin ,
le Gros , Durand , Richer , Durais , Platel
,Muguet. Ces Concerts ſont ſaivis &
le ſeroient encore davantage fi la nouveauté
reveilloit la curiofité.
On a parlé dans un des Mercures précédens
du Motet Dominus regnavit, exultet
terra , chanté au Concert Spirituel le
8 Décembre dernier , le fieur Azaïs ,
Maître de Muſique du Concert de Marſeille
demande qu'on le faſſe connoître
pour le compoſiteur de ce Moter.
ON
OPERA.
N a donné fur ce théâtre , pour les
acteurs , trois repréſentations des actes
de Pygmalion , de Pſyché , du Devin du
Village. Jamais on n'a vu une ſi grande
affluence de fpectateurs , & plus de fatisfaction
de la part des amateurs .
Le rôle de Pygmalion a été parfaitement
joué & chanté par M. le Gros ; &
Mademoifelle Dervieux qui réunit le
AVRIL . 1772 . 165
double talent du chant & de la danſe ,
a fait le plus grand plaiſir dans la repréſentation
de la Statue animée . Le baller
de cer acte qui eſt de la compoſition de
M. Gardel , fait honneur à ſon goût ,
& l'exécution ajoute encore à l'idée que
l'on a de ſon talent. On a été enchanté
du pas de deux qu'il a danſé avec Mademoiſelle
Guimard ; on ne peut repréſenter
un tableau plus vrai , plus naif & plus
piquantde la ſurpriſe niaiſe& villageoife.
Les autres danſes de ce ballet font d'une
gaité charmante.
Mademoiſelle Arnould a joué & chanté
le rôle de Pſyché , avec cette ſenſibilité
touchante & avec cette intelligence
ſupérieure qui caractériſent le talent naturel
, perfectionné par l'art. M. Gelin
a rendu avec l'énergie convenable le rôle
de la furie. Le ballet de cet acte qui eſt
de la compoſition de M. Vetris a été
fort applaudi.
Le Devin du Village a renouvellé le
plaifir que l'on a toujours d'entendre une
muſique dont les chants ſont ſi naturels
& fi piquants. M. le Gros a chanté avec
goût & fimplicité le rôle de colin , &
Mademoiselle Roſalie celui de colette.
M. Gelin a tepréſenté le Devin. Le ballet
eſt encore de la compoſition de M.
166 MERCURE DE FRANCE .
Gardel , & a réuni tous les fuffrages; ainſi
que les danſes de ces fragmens , exécutées
par MM. Veſtris , Gardel , Simonin ,
Malter ; par Meſdemoiselles Allart , Pelin
, Guimard , Anſelin, le Clerc, &c . &c
COMÉDIE FRANÇOISE.
M. BELISSEN a debuté le 29Mars dernier
dans les rôles dits à manteau ; par
les rôles d'Arnolphe de l'Ecole des Femmes
; & celui d'Oronte de Criſpin rival ,
&le mercredi premier Avril il a joué
Sganarelle dans l'Ecole des Maris
Cet acteur a l'habitude de la ſcène ; il
a de l'intelligence &de la chaleur. Il peut
ſe rendre utile fur ce théâtre en modifiant
fon accent provençal & en étudiant le ton
& le jeu de la bonne comédie .
On a donné pour la clôture Polieucte ,
tragédie de P. Corneille. M. Lekain y a
joué pour le premiere foisle rôle de Sévère.
On ne peut meure plus d'att & un ſentiment
plus profond que ce grand acteur
n'en a montré dans la repréſentation de
ce rôle d'autant plus difficile à rendre que
des expreſſions exagerées ou des termes
vieillis en affoibliſſent l'effet.
AVRIL . 1772 . 167
Voici le compliment qui a été prononcé
par M. Dalinval.
MESSIEURS ,
En vous confacrant leurs travaux &
leurs veilles, les maîtres de la ſcène françoiſe
ont éprouvé plus d'une fois que le
meilleur moyen de mériter vos fuffrages ,
étoit de vous faire de la tragédie , un
ſpectacle de terreur & de pitié , où l'homme
frémit en ſe repliant ſur lui-même ,
où l'eſprit ne pût jamais tenir lieu du ſen
timent qui doit en être l'ame ; & de la
comédie , une école de morale d'autant
plus fructuenſe que la leçon y eſt déguifée
avec plus d'adreſſe , & que les ridicules
qu'offrent les différens états qui s'agitent
&ſe heurtent ſans ceſſe ſur la ſcène du
monde , y font préſentés avec toutes les
nuances qui leur appartiennent.
Telles font , Meſſieurs , les obligations
rigoureuſes que s'imposèrent dans tous
les tems les grands hommes qui ont eu
la noble ambition de vous inſtruire en
ajoutant à vos plaiſirs. Les devoirs des
Comédiens ne font ni moins étendus ni
moins difficiles à remplir. Se transformer
en autant de caractères qu'il y a de rôles
au théâtre ; oublier celui que la nature
168 MERCURE DE FRANCE .
nous a donné , l'anéantir même pour paroîtte
plus vrais; ne s'occuper que de ce
que la ſcène exige ; ne jamais perdre de
vue que , quelqu'indulgens que vous puiffiez
être , vous voulez mettre vos amuſemens
à profit ; que vous êtes aſſez équitables
pour pardonner des fautes , mais que
jamais elles ne peuvent échapper à votre
fagacité : voilà , Meſſieurs , ce qui a dirigé
dans leurs recherches ceux de mes camarades
dont vous chériſſez les talens ;
voilà ce qui doit faire trembler ceux qui ,
comme moi , n'ont encoré étédans le cas
d'exercer que votre indulgence. Vousle
favez , Meffieurs , trop ſouvent avare de
ſes dons , la nature ne les prodigue qu'à
quelques-uns de ſes enfans chéris qu'elle
ſemble avoir adoptés pour contribuer à
vos plaiſirs : vous récompenſez leurs travaux
par ces applaudiſſemens ſi flatteurs ,
faits pour les grands talens & propres à
encourager ceux qui commencent à paroître.
Vous êtes trop judicieux , Mefſieurs
, pour ne pas ſentir que le tems &
des études multipliées ont ſouvent développé
des diſpoſitions moins brillantes,
& dont le germe auroit été étouffé
dans ſa naiſſance , ſi, en jugeant ceux qui
marchent d'un pas mal afſuré dans la pénible
AVRIL. 1772. 169
nible carrière du théâtre , vous ne faifiez
uſage que de vos lumières & fi vous n'ecoutiez
pas quelquefois votre indulgence.
Daignez donc , Meſſieurs , continuer
de nous honorer de vos bontés ; pourroient
elles jamais ceffer de nous être nécellaires?
Heureux! ſi en faiſant de nouveaux
efforts pour vous plaire , nous mé
ritons de partager les éloges ſi légitimement
dûs à un fiécle qui a augmenté la
ſphère de connoiſſances humaines , & qui
a répandu la lumière la plus éclatante fur
les beaux arts dont vous faites vos delices.
COMÉDIE ITALIENNE.
0
Na donné pour la clôture une tepréſentation
du Roi & le Fermier, & da
Tableau parlant, piéce ingénieuſe&amuſante
de M. Anfeaume , dans laquelle
M. Gretry a ſi bien développé les reffources
de fon génie &de ſon talent par une
muſique charmante , pittorefque & pantomime
; & qui eſt repréſentée avec tant
de vérité & de gaité , & chantée avec
tant d'art & de goût par MM. Clairval ,
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
la Ruette , Trial , & par Meſdames la
Ruette & Trial ,
Le compliment eſt un petit drame que
M. Anſeaume compofe avec ſuccès depuis
pluſieurs années. Celui pour la clôture
eſt la Harangue interrompue, dont
voici quelques traits .
M. Carlin ſous l'habit d'arlequin vient
marquer ſa reconnoiſſance , guidé par
le zèle qui l'anime depuis trente ans ;
il eſt interrompu dans ſa harangue par
M. Nainville en magiſter , par Mademoiſelle
Beaupré en villageoiſe & par plufieurs
autres acteurs & actrices en différens
caractères .
M. Nainville chante ſur l'air c'est bien
fort pour nous. (de l'amoureux de quinze
ans. )
Je v'nons tont exprès
Le coeur plein de r'grets
Vous faire triſtement
Notre compliment.
Mile BEAUPRÉ ,
C'eſt qu'en vérité
On n'eſt point flatté
D'voir terminer le cours
De ſes plus beaux jours , &c.
AVRIL. 1772. 171
Arlequin les interrompt , & il eſt in.
terrompu par Madame Zanerini , par
Madame Billioni , par MM. la Ruette
& Clairval.
Madame Billioni chante ſur l'air ceGar
çon me plaît. ( Du Faulc on .
Le ton ſérieux
Eſt trop ennuyeux ;
La ſombre triſteſſe
Déplaît en ces lieux.
Portons l'allégrefle
Juſqu'en nos adieux , &c:
Meſdames Zanerini , Billioni & Beau
pré chantent ſur l'air veillons mesfoeurs.
( Dans Zémire & Azor. )
Le zèle ardent qui nous enflame
D'un feu nouveau remplit notre ame
Bientôt la voix du doux plaifir
Vous excite ,
Vous invite
A revenir;
Cédez à ſes loix , &c.
Arlequin veut reprende ſa harangue,
& il eſt toujours interrompu par M.
Clairval qui débite ſon compliment ,
& par M. la Ruette qui chante fur l'air
du Vaudeville. (du Maréchal .)
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Je ne fais point faire de phrafe ,
L'éloquence n'est pas mon lot ;
Je vais vous le dire ſans emphaſe ,
Je vais vous dire le vrai mot :
C'eſt aujourd'hui notre clôture ,
L'ouverture viendra bientôt ,
Venez y tôt , tôς , τότ ;
Et pour nous en donner l'augure
Avec nous chantez fans façons :
Nous y viendrons.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Saint Jean- Baptiste dans le déſert , eſtamped'environ
20 poucesde haut fur 14
de large , gravée par Paſcal P. Molès ,
d'après le tableau original duGuide ;
Prix 3 liv . A Paris , chez Lacombe ,
Libraire , rue Chriſtine .
CETTE Scène très- ſimple en elle- même
eſt neanmoins intéreſſante par l'attitude
vive , animée & pleine de grace que l'habile
Artiſte a ſçu donner au perſonnage
qu'il a repréſenté. Le Saint eſt affis fur
* AVRIL. 1772 . 173
un rocher auprès d'une ſource d'eau vive.
Son mouton eſt à ſes côtés , d'une main
il tient un rozeau qui a la figure d'une
croix & il éleve l'autre vers le Ciel.; fon
caractère expreffif&fa bouche entr'ouverte
ſemblent nous faire entendre la voix
de celui qui crie dans le déſert. Le graveur
, M. Molès , s'eſt appliqué fur-tout
à donner beaucoup de douceur & d'harmonie
à fon burin , pour mieux rapprocher
l'eſtampe du tableau qu'il copioit.
•Cette gravure eſt dédiée à ſon excellence
monſeigneur le comte de Fuentes, minif
tre plénipotentaire de ſa M. C. auprès de
fa M. T. C.
<
Le Fanal exhauffé. Cette belle eſtampe
eſt gravée d'après un tableau de M.
Vernet , par M. Willm. Byrne , & ſe
trouve à Paris , chez M. Aliamet , rue
des Mathurins , vis-à- vis celle des Maçons.
Prix 6 liv. Elle eſt dédiée à Monſeigneur
le duc de la Rochefoucauld ,
pair de France. Elle a enviton 20 pouces
de largeur , & dix - sept de hauteur.
Cette marine eſt d'un bel effet ; on y
voit des matelots qui font effort pour
amener un canot ; une mer agitée , un
Hiij
*74 MERCURE DE FRANCE.
vaiſſeau battu par le vent; un fanal trèsélevé
& d'autres acceſſoires piquants . La
gravure eft faite avec ſoin&intelligence.
III.
d'a
Lefieur BONNET , Graveur , rue Galan
de, place Maubert , près du Chandelier
, vient de graver dans la manière
du crayon rouge, & de publier trois têres
d'enfans grandes comme nature ,
près les deſſins de M. Bouchardon ;
prix 12 fols chaque gravure; deux Académies
de femmes , dont l'une d'après
M. Lagrenée , chacune de 15 fols . La
Jardinière fleuriste , d'après M. Boucher
, prix 12 fols; & une Tête de
fille couronnée de fleurs , d'après C.
Vanloo ; prix 12 fols.
Toutes ces gravures repréfentent parfaitement
le deſſin à la ſanguine , & peuvent
en tenir lieu. On ne peut confulter
de meilleurs modèles pour apprendre le
maniment du crayon.
I V.
L'heureux Retour , eſtampe qui peut
ſervir de pendant au dédommagement de
l'Absence, qui a paru il y a deux ans . Elle a
AVRIL. 1772 . 173
environ 19 pouces de hauteur & 14 de
largeur. Elle eſt gravée avec ſoin & intelligence
par Vidal , d'après le tableau
de Schneau , Peintre de S. A. E. de Saxe .
La ſcène intéreſſante de cette gravure eſt
exprimée dans les quatre vers qui font au
bas:
Leciel enfin te rend à ma vive tendreſſe ,
Qu'il ſoit béni cent fois de ton heureux retour ,
Cher époux , chers enfans , que ce jour d'allègreſte
Dans nos coeurs réunis faſle briller l'Amour..
Cetre eſtampe eſt de 4 liv. ; & ſe trouve
à Paris , chez J. F. Chereau , Marchand ,
rue S. Jacques , près les Mathurins.
MUSIQUE.
I.
M. LE PIN vient de mettre au jour un
ſecond OEuvre de Sonates pourle violoncelle
d'un genre très agréable , & dont
l'exécution ſera d'autant plus facile anx
amateurs que l'Auteur a eu attention d'indiquer
toutes les poſitions hors du man.
che dans un avertiſſement placé au commencement
de fon Ouvrage ; prix 7 liv .
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
4 fols . A Paris , chez l'Auteur , rue Saint
Victor , vis à vis le Bon . Puits , & aux
adreſſes ordinaires deMuſique.
I I.
IIe Reveil d'Airs d'Opéra- Comiques &
autres , avec accompagnementde Guitarre
, par M. Vidal , Maître de Guitarre ;
mis au jour par M. Bouin ; prix 6 liv.
A Paris , chez l'Editeur , Marchand de
Muſique & de cordes d'inſtrumens , rue
S. Honoré , au Gagne Petit , près Saint-
Roch ; Mademoiselle Castagnety , rue
des Prouvaires . A Lyon , Bordeaux ,
Lille & Toulouſe , chez les Marchands
de Muſique.
L'accueil favorable que le public a fait
àun OEuvre de Trio pour deux violons
& un violoncelle , composé d'Ariettes,
tirées des meilleurs Opéra Comiques par
le fheur Tiffier a déterminé l'Aureur à
continuer cet ouvrage , & à le propoſer
par foufcription.
,
En conféquence, à compter du premier
Avril , il paroîtra le premier de chaque
mois un Trio dialogué composéde trois
Ariettes.
AVRI L. 1772 177
Les prix de la ſouſcription feront pour
l'année de 10 liv . pour Paris , & de 16
liv. pour la Province , franc de port , qui
ſe payeront d'avance en ſouſcrivant.
On ſouſcrira en tout tems chez l'Auteur
, rue S. Honoré , près l'Oratoire ; &
chez le fieur Bouin , Marchand de Muſique
, Editeur dudit ouvrage , rue Saint
Honoré.
Les perſonnes qui écriront pour ladite
foufcription, font priées d'affranchir leurs
lettres.
I V.
Differtation fur les differentes méthodes
d'accompagnement , pour le Clavecin ou
pour l'Orgue , avec le plan d'une nouvelle
méthode établie fur une méchanique des
doigts que fournit la fucceffion fonda .
mentale de l'harmonie , & à l'aide de
laquelle on peut devenir ſçavant compofiteur
, & habile accompagnateur , même
fans ſçavoir lire la muſique. Par M. Rameau.
Le prix eſt de trois livres. A Paris,
chez le fieur Bailleux , marchand de mufique
ordinaite de la chambre & menus
plaifirs du Roi , rue S. Honoré , à la
régle d'or. A Lyon & à Bordeaux , chez
les Marchands.
H
178 MERCURE DE FRANCE.
V.
Recueil d'Ariettes choisies , arrangées
pour le clavecin ou le forté piano , dédiées
à Madame la marquiſe Deſtiau ,
par M. Benault maître de clavecin . Gravé
par Madame ſon épouſe. Prix 3 liv.
12fols.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Bacq,
fauxbourg Saint Germain , la troiſième
porte cochère à droite de convalefcents ,
&aux adreſſes ordinaires ..
VI.
Troiſième Recueil de Duo , tiré des
ariettes des opéra - comiques , arrangées
pour deux violons , deux mandolines ou
deux par-deſſus, dédié à Madame de Rocquemont
, par M. Mahoni le Berton ;
prix , 6 liv . A Paris , au bureau d'abonnement
de muſique , cour de l'ancien
Grand-Cerf , rues St Denis&des Deux-
Portes St Sauveur , & aux adreſſes ordinaires
de muſique. A Lyon , chez Caf
taud , place de la Comédie.
AVRIL. 1772. 179
VII.
Opufcules facrés & Lyriques on Cantiques
fur différens ſujets de piété , avec
des airs notés à l'ufage de la jeuneſſe
de la Paroiſſe de S. Sulpice , 4 parties
in- 8°. Prix 3 liv. chaque partie brochée.
A Paris , chez Nicolas Crapart ,
Libraire , rue de Vaugirard près la
Place S. Michel .
Cette collection est dédiée à Madame
Louiſe de France , religieuſe Carmélite
, ſous le nom de ſooeur Thérèſe de
S. Auguſtin . L'Editeur pour rendre fon
recueil plus digne de l'auguſte Princeſſe
à laquelle il a été préſenté , & plus agréa
ble aux amateurs de la muſique , a faic
choix des meilleures pièces de nos poëtes
lyriques François , & les a adaptés à
des airs connus & qui ont reçu l'approbation
des Virtuoſes. Il y a néanmoins
pluſieurs cantiques pour leſquels la muſique
a été compoſée. L'Auteur a eu foin
de conſulter la proſodie de la langue ,
mais fon premier objet a toujours été de
rendre les leçons de morale , de verras
&de religion agréables à la jeunelle &
de les lui graver profondement dans la
mémoire par l'attrait de la muſique.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
La troiſième partie de cette collection
contient une notice des recueils de cantiques
qui ont paru depuis 1586 juf.
qu'en 1772. Cette notice enrichit cen
ouvrage & il répand une forte d'érudition
qui n'eſt point indifférente.
VIII .
Journal de pièces d'orgues compofées
par M. Lafceux , organiſte des Mathurins
,& en ſurvivance de Saint Etienne
du Mont ; prix 2 1. 8. f. chaque Magnificat&
3 liv. chaque Meffe. On fouferis
en tout tems chez l'Auteur,rue Saint Victor
, au deffus du Séminaire de Saint Nicolas
du Chardonnet , & aux adreſſes ordinaires
de Muſique , moyennant 24 livres
par an , & 36 livres pour la Province,
francde port.
Le Journal du mois de Mars qui vient
deparoître contient un Magnificat en la
majeur.
Profpectus de folféges ou leçons de musique
'avec la baſſe chiffrée.
Les fieurs Leveſque & Beche , ordinaires de
la mufique du roi , ayant recueilli une nombreuſe
collection de folféges italiens , compoſés par
Leo , Durante,ſcarlatti,Porpora Haffe,Maz
AVRIL. 1772 . 181
zoni , David Perez & autres , en ont formé une
méthode pour les pages de la muſique de SaMajeſté
, dont l'éducation leur est confiée .
Les progrès rapides que ces jeunes gens ont
faitdans lamuſique depuis qu'ils font enfeignés
avec ces ſavantes leçons , ont fait naître l'idée de
lesdonner au public.
Elles formeront un ample volume diviſé en
quatre parties .
La première préſentera les principes qu'il eſt
indiſpenſable de ſavoir avant de commencer a
chanter; ils feront ſuivis d'une quantité ſuffifante
de leçons pour mettre l'écolier en état de
connoître tous les différens fignes uſités dans la
muſique.
La ſeconde renfermera des folféges fur toutes
les clefs , meſures & tons relatifs ſuivant l'ordre
des dièzes & des bémols .
La troifiéme contiendra beaucoup de lolféges
mêlés indifféremment , en obfervant cependant
que les difficultés ne ſe préſentent que par gradation.
La quatrième ſera compoſée de douze trio ,
contenans chacun trois morceaux très- étendus .
Ce livre ſera d'un grand ſecours aux maîtres
des chapitres pour enfeignerles enfans de choeur..
On ne doute pasqu'ils ne foient en état de faire
d'excellentes leçons, mais les ouvrages qu'ils font
dans la néceſſité de compoſer tous les jours , ne
leur permettant pas d'y donner le tems néceflaires
cette méthode eſt particulièrement deſtinée à
abréger leur travail.
Cet ouvrage , dont toutes les baſſes ſont chif
frées, fera aauuffi très - utile à ceux qui appren
nentl'accompagnement ſur le clavecin.
182 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage complet ſe vendra 24livres broché.
Ceux qui voudront ſouſcrire l'auront pour 18
livres , qu'ils donneront en assûrant leur exemplaire
, qu'on leur délivrera tour relié dans le
courant de la préſente année 1772 .
On foufcrira juſqu'au premier Août à Paris
chez le fieur Durand,bibliothécaire de l'Opera ,
rue Saint Honoré , vis- à- vis le Palais royal , aux
traits galant.
Et à Versailles chez le Sieur Fournier Libraire
rue Satory.
Les amateurs réſidents en Province qui n'auroient
pas la facilité de faire ſouſcrire aux endroits
ci deffus , peuvent y fuppléer en écrivant
au ſieur Beche ou Leveſque àVerſailles. On les
prie ſeulement d'affranchir leurs lettres , & d'indiquer
par quelle voie on pourra leur faire parvenir
les exemplaires qu'ils auront retenus. Par
ce moyen ils ſeront furs d'avoir des premières
épreuves.
Cours de Pharmacie.
M. Roüel'e , apothicaire deS. A. S.
Mgr le Duc d'Orléans , démonstrateur de
chymie au Jardin du Roi , de la ſociété
des arts de Londres , & de l'académie
électorale d'Erfort , ouvrira un cours de
pharmacie le lundi 27 du préſent mois
d'Avril 1772 , en fon laboratoire rue Jacob
, à trois heures & demie après midi,
&continuera ſes leçons , les lundi , mar
di ,jeudi & vendredi de chaque ſemaine.
AVRIL. 1772 . 183
ASTRΟΝΟΜΙΕ.
CARTE nouvelle contenant les cinq pafſages
du Mercure ſur le diſque du ſoteil
qui arriveront depuis 1772 jufqu'à
1800 , calculés par M. Libour , profeffeur
de Mathématiques à l'école royale
militaire ; prix a livre 10 fols.. A Paris
chez le Rouge , Ingénieur Géographe du
Roi , rue des Grands Auguſtins.
ARCHITECTURE.
LETTRE de M. Patte à M. L* .
MONSIEUR , vous avez conſigné jusqu'ici
dans votre Journal tout ce qui vous a été communiqué
concernant ma diſcuſſion ſur la coupolede
la nouvelle Egliſe de Ste Geneviève , c'eſt
pourquoi j'espère que vous voudrez bien y inférer
mes obſervations ſur un écrit qui vient de
paroître , intitulé : Application des principes de
Mécanique à la poussée des voûtes & des dômes
parM. Gauthey , dans lequel , ſous ce titre impoſant
, il n'eſt en effet queſtion que de prendre
le contrepied de ce que j'ai prouvé dans mon mémoire.
Vous pouvez vous rappeler que j'ai invité
tous ceux qui entreprendroient d'y répondre d'appuyer
leurs refutations ſur les principes reçus,cu
184 MERCURE DE FRANCE.
du moins fur des exemples mis en parallèle ; &
précisément dans l'ouvrage dont il s'agit , on prétend
que ſans avoir égard ni aux uns ni aux autres
, l'Architecte de Ste Geneviève peut ſuivre
des procédés qui leur feroient contradictoires.
Eſt - il vrai qu'il n'y ait pas de règles certaines
pour bâtir avec folidité , & que , pour favorifer
la foibleſle des ſupports de la coupole en queftion
, on puifle eſpérer de les changer avec fuccès?
c'eſt ſur quoi il eſt important de mettre
chacun en étatde prononcer.
M. Gauthey débute par vouloir rectifier les
principes reçus pour la pouflée des voûtes. A l'entendre,
les formules des ſçavans à ce ſujet méritent
peu d'attention , en ce qu'ils n'ont pas eu d'égard
au frottementdes vouloirs qu'il eſtime augmenter
de plus de inoitié la puiflance réſiſtante . En
conféquence il prétend que , non ſeulement il
fuffi: de donner aux piédroits d'une voûte,l'épaifſeur
indiquée pour l'équilibre ; mais encore qu'en
conſidérationdu frottement , on peut fans crainte
la diminuer de près de moitié. Une ſimple réflexion
fera fentir combien il eſt au contraire effentielde
ſe mettre au-deſſus de l'équilibre , en
faiſant même abſtraction du frottement. Comme
il y a toujours un taflement dans une voûte lorfqu'on
la déceintre , il y a de toute néceflité un
mouvement. A linſtant on ſe fait ce taflement
qui eft le moment critique pour les piédroits , les
joints de la voûte s'entrouvrent , & les vouſloirs
ne portantplus que ſur une arrête , le frottement
en cette circonstance ne ſauroit évidemment être
compté comme opérant de la réſiſtance. D'ailleurs
pour peu que le piédroit vienne à céder ,
la force agiſſante acquiert alors un mouvement
d'accélération qui , en éloignant du centre de la
AVRIL. 1772.
184
voûte , le centre de gravité du piédroit, raccour
eit conféquemment le bras de levier de la force
réſiſtante , & agit d'autant plus efficacement pour
la vaincre. Ainti la puiſlance agiſlante ne doit pas
être ſeulement multipliée par ſon bras de levier ,
mais encore par la viteſſe qu'elle acquiert lors du
taffement; & cette viteſſe ne pouvant être appréciée
que difficilement , il convient donc dans la
pratique , pour ſe mettre au deſſus de tous les cas
défavorables , d'ajouter aux piédroits , aints qu'on
Fobſerve toujours , en ſus de l'épaiſleur donnée
par les cafculs pour l'équilibre .
Une autre raiſon pour laquelle le frottement
nedoit pas non plus être conſidéré dans la conftruction
d'une voûte , c'eſt que , quand le taflement
ſe fait , de deux choſes l'une , ou bien le
mortier a déja acquis de la conſiſtance , ou bien
il n'en a pas encore acquis. Dans le dernier cas ,
c'eſt un corps humide & gliſſant qui , en empêchant
l'engrainement des parties dela pierre , diminne
le frottement , &dans lepremier , le mortier
écrasé par le taſſement doit être conſidéré
comme un amas de petites boules quine mettent -
pas moins d'obstacles à l'engrainement , & qui
font à-peu-près l'effet d'un touleau que l'on place
fous une pierre pour en faciliter la gluflade.
Telles font en général les diverſes conſidérations
qui ont engagé M. de la Hire & les Sçavans à ne
point avoir d'égard au frottement dans leurs formules
, & qui prouvent combien c'eft une erreur
de l'admettre pour moitié de la réſiſtance .
Par une ſuite de ſon ſyſtême , M. G. ne veut
pas aufli , malgré l'uſage univerſel de tous les
conſtructeurs , que l'on mette d'empatement aus
bas de la tour d'un dôme foutenu ſur pendentifs,
Lous prétexte , dit- il , que les voûtes ſur leſquet-
5
186 MERCURE DE FRANCE.
les elle doit être placée ſont un ſol incompreſſible :
1º. Il n'est pas vrai que des voûtes de différentes
eſpèces puiflent être regardées comme incompreffibles
ou également compreſſibles ; car elles ont
un taflement différent à raiſon de leur appareil
&de la poſition de la charge que l'on peut y placer
: 2º. Un empatement au pied de la tour d'un
dôme foutenu ſur des encorbellemens & des arcsdoubleaux
ſert à repartir ſur une plus grande ſurface
l'action de la pouffée qui ſe fait principalement
dans la circonférence extérieure du bas d'une
tour , &devient d'autant plus néceſſaire en cette
rencontre que cette tour devant être portée par
des corps différemment appareillés , produiroit à.
coup fur un taſſement inégal. A l'aide de cette
précaution , il réſulte que l'effort ſe repartit ſur
une couronne ſolide du plus long appareil poffible,
qui fait participer à la preſſion toutes les
différentes parties ſur lesquelles elle porte : par
exemple , ſous une pièce de bois de bout deſtinée
àporter un fardeau d'aplomb , ne met - on pas
fans cefle une ſemele malgré la ſolidité du corps
ſur lequel on la place ; ainſi à combien plus forte
raiſon ne doit-on pas négliger cette précaution ,
lorſqu'au contraire la puiſſance qui preſſe cette
piéce de bois peut opérer ſur elle un effort oblique
pour la faire tourner ſur un ſeul côte de fa
baſe , & que cette baſe doit porter ſur un corps
d'inégale confiſtance. Or, c'eſt là l'effet d'une tour
de dôme fur pendentif , & la raiſon pour laquelle
on ne fauroit ſe diſpenſer d'y placer un empatement
à l'ordinaire ,
M. G. propoſe encore comme un moyen de
diminuer beaucoup l'épaifleur des piédroits d'une
voûte ou d'une coupole,de la laifler ſur ſes ceintres
de charpente auffi long-tems que l'on vou
AVRIL. 1772 . 187
dra,& juſqu'à ce que les mortiers foient ſecs.
Outre que ce ſeroit agir contradictoirement au
but defiré , en ſurchargeant les piédroits d'un
nouveau fardeau , il eſt aifé de faire voir qu'un
tel procédé ne pourroit qu'être préjudiciable à une
bonne conſtruction. Car dans la ſuppoſition que
ces ceintres reſtaſſent bandés juſqu'à ce que les
mortiers euſſent durcis , lorſqu'on viendroit par la
fuite à déceintrer cette voûte , les calles ou coins
debois que l'on met entre les vouſſoirs pour porter
& reflerrer leurs têtes étant d'une matière
moins dure que la pierre , s'affaiſſeroient néceffairement;
& en ſuppoſant que le mortier ſe fût
adapté aux paremens inférieurs & fupérieurs des
joints , comme il n'auroit pu ſécher ſans diminuer
de volume à raiſon de l'évaporation de ſon
cau , il reſteroit donc des vuides dans le milieu ;
ainſi les calles venant à ſe comprimer & les joints
àſe refferrer davantage , le mortier ſeroit infailliblement
écrasé , & ne formeroit plus qu'une
pouſſière grenue incapable de prendre déformais
de conſiſtance , laquelle pouftière feroit préciſément
la fonction des petites boules dont on a par .
lé ci -devant. Il n'en eſt pas de même quand on
déceintre les voûtes pendant que les mortiers
font humides , parce que ſe trouvant d'avantage
comprimés dans les joints ils peuvent encore s'y
adapter ; & c'eſt ce qui arrive d'ordinaire. Par
conféquent il ne fauroit qu'être très - déſavantageux
pour la folidité de laiffer trop long- tems
une voûte ſur les ceintres .
و
C'eſt d'après les spéculations que je viens de
combattre que M. G. établit tous ſes calculs
pour eſſayer de juſtifier l'exécution d'une coupole
ſur les piliers de l'égliſe de Ste Geneviève. Sans
avoir égard à l'effet du taſſement , il n'ajoute rien
188 MERCURE DE FRANCE.
:
aux piédroits au- delà de l'épaiſſeur trouvée pour
l'équilibre : envain la tour ſera - t-elle poſée ſur
des encorbellemens à plus de 80 pieds du pavé de
l'églife , il ne veut aucun empatement vers ſa
baſe , & il conſidére ſes voûtes dans les circonf
tances les plus avantageuſes pour la pouffée , en
faiſant abſtraction de celles qui peuvent être défavorables
en exécution: il propoſe auffi de laifſer
tant que l'on voudra la coupole ſur ſes ceintres
, fans faire attention que ce ſeroit encore furcharger
d'un nouveau fardeau très - confidérable
fes fupports dont on conteſte déjà la ſuffiſance ;
enfin il admet la réſiſtance du frottement dans la
plupart de ſes conclufions pour plus de moitié ,
ce qui lui produit des furcroits de forces , auxquels
il ne manque que de la réalité. Telle eſt la
baſede tous ſes nouveaux moyens de conftruction
qu'il dit être fondée (ar une ſaine théorie ca
pable de tendre à la perfection de cet art,& qu'il
voudroit ſubſtituer aux principes reçus. Quant
aux exemples,ils ne ſe trouvent pas moins en
contradiction avec les spéculations de M. Gauthey
; aufſi ſe garde t'il bien d'en admettre aucun;
il prétend au contraire que les coupoles les plus
eftimées pour la légereté de leur exécution, ne inéritent
aucune attention. Suivant lui , elles ont
toutes été conftruites au hafard ou fans principes;
& il n'excepte pas même l'admirable dôme
de St Paul de Londres quoique bâti par un géomètre
queles Anglois mettent à coté de Newton.
A ces ſpéculations , M. G. ajoute le plus fouvent
toutes fortes d'hypothèſes qui ne peuvent
avoir lieu , foit en exécution , ſoit dans les circonſtances
préſentes. Eft- il embarraſlé du peu de
largeur des piliers du dôme de Ste Geneviève
qu'il convient n'être que de 3 pieds 9 poucesdans
AVRIL. 1772. 189
le bas , il dit qu'on augmentera cette largeur de
21 pouces vers le haut, ſans ſe mettre en devoir
d'expliquer du moins comment cet excédent en
porte à faux entre les colonnes , pourroit être
conftruit en bonne liaiſon avec le pilier , & aflez
folidement pour porter une partie correſpondante
du Dôme ? S'agit-il de justifier le peu de largeur
des arcs des nefs deftinés à foutenir la coupole, il
fuppoſe que l'on pratiquera dans la tour au-deſſus
deces arcs, d'autres grands arcs ogives qui repor
teront tout l'effort du dôme vers des contreforts
placés fur les piliers , fans nous apprendre encore ,
comment ces arcs ogives étant circulantes en plan
dansune pareille étendue, pourroient être exécutés
de manière à empêcher la pouflée des voûtes de
fouffler par l'intervalle de leurs points d'appui ?
Cherche-t-il quelle ſera la pouffée des deux voû
res de la coupole , à deſlein de favoriſer ſes calculs,
il ſuppoſe leurs ruptures dans le cas le plus
avantageux ; & lorſqu'il confidère après coup
l'action de la voûte ſupérieure dans une circonf
tance défavorable , comme il s'apperçoit que ſes
réſultats le rapprochent de l'épailleur que j'ai
trouvé pour les piédroits , il obmet de conſidérer
de la même façon la rupture de la
voûte inférieure ? Veut- il également établir par
des calculs qu'en donnant au mur de la tour
uniformément quatre pieds d'épaifleur , elle ſeroit
de beaucoup au deflus de la pouffée des deux,
voûtes ? il conſidére d'abord cette tour comme
rompue en huit parties au milieu des croiſées , &
il regarde tout l'eſpace ſolide compris entre elles
, comme ſa puiflance réſiſtante : mais dans le
cas préſent où l'on fait que le poids du dôme ſera
obligé d'être élégi au deſſus des croifées & reporté
par des lunettes vers le milieu de leurs true
19. MERCURE DE FRANCE.
meaux , la puiſlance agiſſante ne pouvant avoir
hieu que ſur un ſeul point , il eſt manifeſte qu'elle
aura certainement plus de facilité à rompre le milieu
des trumeaux où elle eſt dirigée , tant àcauſe
de la pouflée que du taſſement , qu'à opérer des
ruptures ou déchiremens au- deſſus des croisées ;
car il faudroit que la puiſſance réſiſtante dont il
a ſu par- là augmenter le bras de levier , acquît
encore un prodigieux mouvement de rotation fur
la tangente à l'arc dont elle fait partie. Si M. G.
a égard enſuiteà la repartition de la coupole ſur
certains points entre les croiféées & en admettant
des contreforts au- deſſus des piliers , il affecte
encored'oublier de faire pafler la direction de la
puiſlance agiſlante par la réſultante des efforts des
arcs ogives intérieurs & extérieurs pour l'approcher
davantage des contreforts , & alors il ſuppoſe
que la puiſſance agiflante n'aura d'action
que pour faire tourner la moitié du contrefort
joint au mur ſuivant la ligne A B de la figure 3º.:
mais il eſt aiſé de s'appercevoir que pour opérer
cet effet , il faudroit une force immenfe , puiſqu'il
fait plus que doubler par ce moyen ſa force réfiftante&
fon bras de levier , & que la puiſſance
agiſſante auroit bien moins d'effort à faire pour
rompre le mur de 4 pieds d'épaiſleur entre les directions
YG & YF , où elle feroit véritablement
appliquée. Cet auteur a- t il deſſein de déterminer
la réſiſtance du pilier contre l'effort des deux arcs
doubleaux , il regarde le pendentif & le poids qui
ycorreſpond comme devant tout entier roidir le
pilier , quoiqu'il convienne, page 53 , que ce poids
aura une action pour le renverſer ; il en fait même
le calcul en ſuppoſant la tour du dôme rompue à
la jonctiondu contrefort,&le poids du contrefort
entierſoutenu tant ſur le pendentif que ſur le piAVRIL.
1772 .
lier. Mais il auroit dû voir que tous le poids du
des deux voûtes du dôme étant porté ſur le devant
du contrefort , le centre de gravité ſe rencontre
néceflairement ſur la ſaillie du pendentif
&non point ſur le maſſif du pilier comme il le
prétend : & s'il ne s'étoit pas fait illuſion à cet
égard , il auroit trouvé alors que l'effort en bafſecule
ſera de 137949 pieds cubes , ( en négligeant
le poids des ceintres de la voûte ſupérieure
qu'il a propoſé de laiſſer ) tandis que la puiſſance
réſiſtante ne ſeroit que de 40743 pieds cubes :
ainſi en ajoutant cet effort en baſlecule avec celui
dela réſultante des deux arcs doubleaux qu'il a reconnu
lui - même être de 267077 , l'on aura pour l'ef
fort total contre le pilier 405026 pieds cubes ,
ce qui eſt bien différent du réſultat 267077 pieds
cubes , auquel il s'eſt arrêté. D'où il réſulte que
le pilier , bien loin d'être roidi par le poids porté
en baſſecule , & d'oppoſer une réſiſtance double ,
ainſi qu'il le conclud , ſeroit bien au- deſſous de
l'équilibre , & qu'en ſuppoſant que la force agilſante
rencontrât trop de réſiſtance pour renverſer
le pilier ſuivant ſa diagonale , elle le romproit infailliblement
ſoit dans ſa partie foible , ſoit à la
naiſſance des arcs où elle eſt principalement appliquée.
Mais ce qui achevera de révolter à la fois les
ſavans& les conſtructeurs , c'eſt que M. G. avance
qu'il n'y a pas beſoin de piliers pour porter la
coupole de Ste Geneviève , & qu'on peut exécuter
un dôme ſur pendentifs au centre de cette égliſe
d'un plus grand diamètre & beaucoup plus élevé
que celui projeté , avec le ſecours de les colonnes
itolées &de ſes murs pourtours : il va mêmejuſqu'à
donner ſérieuſement des deſſins , des calculs
&une longue liſte de la repartition du poids de ce
dôme ſur ces colonnes , parmi lesquelles il y en a
192 MERCURE DE FRANCE.
d'éloignées de 8 à9 toiſes des piliers qui feroient
d'obligation d'en foutenir une partie .
Les agens qu'il a imaginés pour ſuppléer aux
piliers & reporter au loin le fardeau du dôme
fontdes arcboutans qui partant du deſſus de chaque
colonne& du mur pourtour , doivent êtredirigés
vers différens points du haut des pendentifs;
comme fi une colonne étoit faite pour porter
un fardeau autrement que d'aplomb; comme ſi
un arcboutant par ſa nature étoit deſtiné pour
ſecourir une action en baſſecule , & qu'il ne fallût
pas alors une force foutenante plutôt qu'une
force repouſſante ; comme ſi une action de peſanteur
pouvoit être reportée à volonté obliquement
à8 ou 9 toiſes de fa perpendiculaire : comme fi
en un mot on pouvoit jamais ſe paſler d'oppoſer
une mafle cubique à l'action d'une coupole ſur
pendentifs conformément à tous les exemples .
Je ne finirois pas , Monfieur , ſi j'entreprenois
de relever toutes les faufſes applications dont cet
ouvrage eſt rempli : il me ſuffit d'avoir indiqué
les principales pour prouver combien il eſt éloigné
de porter la plus légère atteinte àmon mémoire
contre la poſſibilité de l'exécution de la
coupoledont il s'agit ; & combien il ſeroit dangereux
de prétendre déroger aux principes reçus &
&aux règles de conſtruction , conſacrées par les
chef-d'oeuvres de nos grands maîtres .
J'ai l'honneur d'être avec conſidération ,
MONSIEUR ,
Votre très - humble & trèsobéiflant
ſerviteur ,
CepremierMars 1772.
PATTE.
A
AVRIL. 1772. 193
LETTRE de Madame Hobson , Dame
Angloiſe , à M. Macmahon , docteurrégent
de la faculté de médecine de Paris
& médecin de l'Ecole royale militaire.
Du château de St Germain en Laye ;
ce 26 Septembre 1771 .
MONSIEUR ,
Je viens d'apprendre qu'il y a un Monfieur
Sutton à Paris qui inocule , je vous ferois infiniment
obligée ſi vous vouliez me mander fur le
champ fi c'eſt le même Sutton qui a eu un figrand
fuccès à Londres, ou bien ſi c'eſt un de ſes freres,
je ſuis d'autant plus empreffée à le ſavoir que la
ſaiſon pour l'inoculation eſt déja fort avancée.
Il y a une Dame de mes amies qui a quatre enfans
qu'elle voudroit faire inoculer , & je ferois
très fachée qu'elle perdît une pareille occaſion ;
mais aufli je ne me pardonnerois jamais de lui
avoir recommandée une perſonne moins habile
que le véritable M. Sutton. En cas que mon amie
veuille s'y réſoudre , je l'engagerai à vous conconfulter
afin de s'assûrer ſi ſes enfans font en
état de ſupporter une pareille épreuve , car il
faut vous dire qu'ils font d'une ſanté très - délicate.
J'ai l'honneur d'être , &c.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE
REPONSE.
Ecole milit. à Paris, le 29 Sept. 1771 .
MADAME ,
Je ne connois guères le ſieur Sutton qui eſt actuellement
à Paris , maisje connois beaucoup le
célèbre M. Daniel Sutton de Londres dont vous
me parlez , j'ai eu pluſieurs fois occafion de me
trouver avec lui l'été dernier , & je me rappèle
très - bien qu'il m'assura alors que le docteur
Power étoit la ſeule perſonne qui fût vraiment
inſtruite de ſa méthode d'inoculer, & que jamais
il n'autoriferoit aucun autre à la pratiquer à Paris.
J'ai ſou même que ces deux Meſſieurs ( Daniel
Sutton & le ſieur Power ) avoient pris des
engagemens enſemble qui ont été atteſtés par les
deux ambaſſadeurs de France & d'Angleterre , le
docteur Power en a même inſtruit le public dans
une brochure ſur l'inoculation intitulée , Précis
historique de la nouvelle méthode d'inoculer la petitevérole,
qu'il a fait imprimerà ſon arrivée ici ,
M. Sutton me dit dans le même tems qu'il étoit
três- fâché de voir que fon beau- père ( le ſieur
Verlok ) ſe fut aviſé de venir faire l'moculateurà
Paris , lui qui n'avoit aucune connoiflance de la
médecine & de la chirurgie , & qui par conféquent
feroit fort embarraflé a ordonner les reinèdes
néceſſaires en cas d'accident. Si j'entre dans
un auffi grand détail , Madame , c'eſt afin de
vous mettre en état de décider ſur une affaire qui
eſt ſi intéreſſante pour votre amie. J'ai inoculé&
j'ai vu inoculer un grand nombre de perſonnes ;
AVRIL. 1772. 195
ainfije me crois en droit de dire mon ſentiment
Soyez donc perfuadée , Madame , que votre amie
ne ſauroit s'adreſſer à un homme plus habile que
le docteur Power. Il a déja eu beaucoup de pratiquedans
cette partie à Paris , & même à Saint
Germain , & avec un ſuccès qui ne s'eſt jamais
démenti ; j'en puis parler avec certitude , car j'ai
ſuivi la plupart des inoculés qu'il a traité. Du
reſte , ſi vous voulez le connoître davantage ,
adreſſez -vous au docteur Comyn , qui pourra
même vous prêter la brochure en queſtion. Vous
ytrouverez le certificat du ſieur Daniel Sutton ,
ainſi que ceux des deux ambaſſadeurs. J'ai fait
mes études avec M. Power , il y a plus de vingt
ans qu'il pratique la médecine à Londres ou dans
les environs , je crois , Madame , que cela fuffit
pour le diftinguer d'un tas de gens de différens
métiers qui ſe donnent pour inoculateurs , fans
avoir affez de lumières pour ſavoir diminuer ces
ſymptômes extraordinaires qui font rates , à la
vérité , maisqui peuvent arriver. Il y a actuellement
une Dame de qualité & ſes deux enfans
qu'il vient de préparer pour être inoculées : leur
demeure eſt près de Marly , c'eſt dans votre voifinage;
illes verra ſouvent , &je l'engagerai , ſi
cela eſt poſſible , à vous faire une viſite à fon premier
voyage , je crois que ce ſera mardi prochain
, vous & votre amie vous aurez une converſation
avec lui , & vous faurez alors ſi les enfans
font en état de ſupporter l'inoculation. J'ai
T'honneur d'être avec reſpect , &c .
I ij
196. MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Aucouronnementde Ladiſlas frère aîné
du roiCafimir en Pologne, lePrimat ayant
demandé à la nobleſſe ſi elle agréoit ce
Prince , un ſimple gentilhomme répondit
que non . On lui demanda quel reproche
il avoit à faire à Ladiſlas . Aucun , ré
pondit - il , mais je ne veux pas qu'il foit
Roi. Il tint ce langage pendant plus d'une
heure & fufpendit la proclamation.
Enfin il ſe jetta aux pieds du Roi & dit
qu'il avoit voulu voir ſi ſa nation étoit
libre , qu'il étoit content & qu'il donnoit
fa voix à S. M.
III.
Milord Malboroug voyant la bonne
mine & l'air guerrier d'un ſoldat pris à
Bleiheim lui dit , s'il y eût eu cinquante
mille hommes comme toi à l'armée françoiſe
, elle ne ſe fût pas ainſi laiſſé battre ,
eh ! morbleu , repartit le Grenadier , nous
avions affez d'hommes comme moi , il ne
nous en manquoit qu'un comme vous .
AVRIL. 1772 . 197
III.
M. de Baſſompierre diſoit après être
forti de la baſtille au commencement du
regne de Louis XIV que tout le changement
qu'il avoit trouvé dans le monde
depuis douze ans de prifon qu'il ne l'avoit
vu , c'étoit queles hommes n'avoient
plus de barbe & les chevaux plus de
queue.
EPITAPHE Pour M. D'EVREUX ,
d'Irlande.
JAACCOOBBII D'EVREUX DE CARIGMENAN.
Quod mortale fuit , jacet hic.
Stirpis nobilitate
Utrinque infignis :
Omni literarum genere excultus ;
Eloquio mire facundus';
Inter familiares comitate ,
Erga colonos humanitate
Colendus .
Avitæ fidei
Per temporum anguftias
Et procliva patriæ exempla
Conftans affertor ,
Cunctis fuî defiderium
Reliquit moriens
Anno Dom. 1761 , die 27 Aprilis.
Etatis fui 59 .
Marmontel expreffit.
:
I iij
19 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
EXTRAIT d'une lettre de M. MORAND ,
confeiller médecin ordinaire du feu Roi de Pologne,
Due de Lorraine , aggregé honoraire au
collège royal de médecine de Nancy , de l'académie
des sciences , &c. à M. RONNOW
écuyer, ci-devantpremier médecin de S. M. le
Roi de Pologne , Duc de Lorraine , aggregé
honoraire au collège royal des médecins de Nancy,&
membre de l'académie royale desſciences
de Suède , fur un remède anti-vénérien,feuille
in- 12.
,
M. Ronnow ayant entendu faire de grands
éloges de la méthode de M. Nicole par pluſieurs
malades qu'elle avoit guéris demanda à M.
Morand à qui cette méthode étoit parfaitement
connue; fi en effet elle opéroit des cures auffi
noinbreuſes & auſſi fingulières que la renommée
le publioit. Voici quelle eſt en ſubſtance ; la réponſe
de M. Morand , très-favorable au remède
de M. Nicole .
Il rappèle dabord en peu de mots les différens
remèdes employés depuis vingt - cinq ans pour la
guériſon des mêmes maladies que traite M. Nicole.
Chacun a eu ſon tems : ils ont été en vogue
tour à tour , & M. Morand convient que la plûpart
ont été employés avec ſuccès. Mais comme le
mercure faifoit preſque toujours la baſe de ces
ſpécifiques , il y avcit des cas ou ce minéral pou
AVRIL. 1772. 199
voit être nuiſible , & alors M. Morand lui-même
s'eft vu obligé de chercher un remède plus doux ,
qui en pénétrant les voies les plus éloignées de la
circulation , en levant les obſtructions des derniers
vaiſſeaux lymphatiques , en diſlipant le virus
, fût incapable de produire aucune forte de
révolution , & qui néanmoins guériſſe radicalement.
>> Ce ſont-là , dit M. Morand à ſon confrère
» M. Ronnow , Ce ſont là les avantages du re-
ככ mède de N. Nicole , qui me ſemble mériter
>> pour le moins autant d'attention que tous les
>> différens effets dont nous avons connoiffance
>> en ce genre : agiſſant d'une façon peu ſenſible
> &peu incommode , en ce qu'il porte ordinai-
>>> rement du côté des voies urinaires ou de la
>> transpiration , évacuations qui font les moins
>> fatigantes pour l'économie animale. Ceremède
altérant convient en même- tems aux
ſonnes délicates , à celles qui ne voulant que
> prendreune précaution quelquefois importante
ود
בכ
,
1errelativement
à leur vie paſſée craindroient
> une méthode trop roide ou trop afſujettiſſante .
Il eſt propre enfin dans les cas où il ſemble
» qu'il faille une action vive pour parvenir à la
>> guériſon.
>> D'après l'exemple de pluſieurs malades atta-
>> qués de ſymptômes les plus graves , & que
>> j'ai vûs dans tous les périodes du traitement ,
>> j'ai lieu d'être très-content de ce remède. Il
לכ conſiſte en une boiffon dans laquelle il n'entre
>> point de mercure. Sa couleur , fon goût & fon
>> odeur ne donnent aucune répugnance. Après ,"
ככ les préparatifs indiqués par les circonstances ,
>> on en prend une chopine le matin une cho-
,
liv
200 MERCURE DE FRANCE .
> pine le ſoir ; ce qui ſe continue pendant vingt-
>> deux , vingt-cinq , ou trente jours au plus fans
>> aucune interruption que celle qu'exige natu-
>> rellement une fièvre accidentelle qui peut fur-
- venir dans toutes les maladies. Le cours des
>> règles dans les femines& le temps de la grof-
>> ſeſlejuſques dans les derniers mois , n'obligent
pas de diſcontinuer ce remède. «
J'ai l'honneur d'être , &c.
II.
Pluſieurs perſonnes de confidération ayant
paru defirer avoir des Muſettes des ſieurs Chefdeuille
& les ouvrages de Muſique de ces deux
Auteurs, l'on a cru devoir inférer dans le préſent
Mercure que le ſieur Chefdeuille s'est fait
un laboratoire dans une grande maiſon qu'il a
acquiſe des héritiers de S. A. S. Monfeigneur le
Cointe de Charolois , rue de Bellefonds , quartier
Montmartre , où l'on trouvera tous les oeuvres
de feu ſon frère & les fiennes , avec Mufettes
tant de l'un que de l'autre fur tous les
tons pour tous ceux ou celles qui voudront s'amuſer
de cet inſtrument. Son intention nous a
paru defirer d'annoncer au public qu'il remettra
en état les inftrumens qu'il a fi bien conſtruits ,
en les lui envoyant où il réſide. Il a beaucoup
fait de conſtructions , & il lui reſte pluſieurs
beaux terreins propres à bâtir dans la plus belle
yue des environs de Paris . C'eſt auſſi côte de
Montmartre vis-à-vis le Clos de Meſſieurs de
Saint- Lazare , rue Poiffonnière Barrière Sainte-
Anne.
AVRIL. 1772. 201
III.
د
Le ſieur Dubuiffon , Coeffeur de Dame , rue
des Citeaux , près l'Abbaye Saint - Germain
continue de fabriquer ſon beau rouge déjà renommé
pour la facilité qu'il a de s'étendre &
de tenir ſur la peau , qu'il nourrit tant par få
fineſſe que par labeauté de fon coloris que le fieur
Dubuiffon vient encore de perfectionner. On
en trouvera toujours chez lui de toutes les
nuances & des mieux aſſorties. Prix , 3 liv . le
pot.
Nota. Ce Rouge a été approuvé par M. le
Thieullier , Doyen de la Faculté le 22 Avril
1770, DUBUISSON.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg , le 28 Février 1772 .
L'Amital Knowles eſt parti de cette capitale ,
le 24 de ce mois , avec les officiers de terre &de
mer nommés pour exécuter l'entrepriſe qu'on
doit tenter ſur la Mer Noire , à louverture de la
campagne , & pour laquelle on a conſtruit un
grand nombre de petits bâtimens. Sa Majesté Impériale
a donné à cet amiral , pour les frais de ſes
équipages , une gratification de 6000 roubles.
Cette expédition ſera combinée avec les opérations
que notre armée doit faire en Moldavie ;
en conféquence , les officiers ont ordre de ſe ren
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
dre à Yafly , pour conférer avec le comte Roman- .
zow.
DeWarsovie , le 8 Mars 1772.-
Les eſpérances de paix dont on nous avoit flattés
commencent à s'évanouir. Toutes les nouvelles
qui arrivent des Provinces conquiſes par les
Rufles annoncent que les Turcs font des préparatifs
immenfes pour la campagne prochaine. L'amiral
Knowles a paflé par Kiovie : il avoit avec
lui le général major Katzkin & quelques officiers
de mer , tant Anglois que Hollandois , qui font
entrés au ſervice de la Ruſſie. Il dirigeoit ſa route
vers Bender , d'où l'on prétend qu'il ſe rendra
àKilia C'eſt dans cette ville que doit le faire
T'armement destiné à l'attaque de l'entrée du Canal
de Conſtantinople par la Mer Noire. On a déjà
préparé, pour cet effet, quatre ou cinq bâtimens
devingt à vingt cinq canons,un de trente & unde
quarante.
De Berlin , le 29 Mars 1772 .
Sa Majesté ayant été obligée , par les circonftances
, de renforcer &de faire marcher en avant
le cordon de troupes qu'Elle a établi ſur les frontières
de Pologne , Elle a fait déclarer aux Confédérés
qu'Elle prenoit ſous ſa protection tout le
pays couvert par ce cordon , afin qu'ils aient ſoin
de s'en éloigner & de n'y rien entreprendre qui
puifle bleffer la bonne harmonie que Sa Majeſté
defire conferver avec eux.
DeHambourg , le 16 Mars 1772 .
Les principaux habitans des environs deCopenhague
ont réſolu d'ériger une ſtatue au feu comte
de Bernstorff, miniſtre d'état , qui avoit accomAVRIL.
1772. 203
pagné le Roi de Danemarck pendant fon voyage
en France & en Angleterre.
De Constantinople , le 3 Mars 1772 .
Le Capitan Pacha a fait fortir des Dardanelles,
le 22 du mois dernier , une frégate , un chebee &
trois galiotes. On ignore à quelle expédition ils
font destinés .
On mande de Naxie ( Naxos , vis- à- vis l'iſſe
deParos ) que le comte deGrun , Hollandois , au
ſervice de la Ruffie , s'eſt occupé à faire des recherches
d'antiquités dans les ifles de l'Archipel ,
& qu'il a découvert dans celle de Nio ( Jos ) le
tombeau d'Homère , qu'on a toujours prétendu
être mort dans ce lieu. Ce Comte a publié qu'il
avoittrouvé fur ce tombeau une infcription grecque;
que le ſquelette de ce poëte , le plus célèbre
de l'antiquité , y étoit affis , & qu'il étoit tombé
enpouffière dès que l'air y avoit été introduit ;
qu'il y avoit auprès de lui un petit vaſe de marbre&
une pierre tranchante , en forme de ſtiler.
Cet Hollandois a écrit à ſes correſpondans qu'il
avoit fait beaucoup d'autres découvertes de toumbeaux
& de médailles , tant à Nio qu'à Naxie &
dans l'iſle deMilo.
:
De Stockolm , le 25 Mars 1772 .
Le Roi n'a pas encore fixé le jour de ſon couronnement.
L'intention de Sa Majesté eſt vraiſemblablement
que cette cérémonie ne précéde
que de peu de jours celle de la ſéparation de la
Diete.
Un Payfan s'eſt plaintà ſon Ordre de l'indulgence
avec laquelle le parlement de Gothic a jugé
I vj .
204 MERCURE DE FRANCE.
les officiers publics de fon reffort , qui le font mêlés
illégalement des élections des députés à la
Diete. Les trois Ordres inférieurs ont arrêté de
faire de nouvelles repréſentations au Roi pour
ſupplier Sa Majesté de faire au plutôt terminer &
porter devant les états les procès intentés dans
les divers parlemens du royaume , pour le même
fujet.
De Copenhague , le 24 Mars 1772 .
Le Roi vient de nommer une commiſſion de
trente-cinq perſonnes choiſies dans tous les Ordres
de l'Etat. Sa Majesté les a relevées du ſerment
de fidélité & leur a impoſé le plus profond
fecret ſur tout ce qui peut avoir rapport à l'affaire
importante ſoumiſe à leurs lumières & à leur
jugement. Ces commiflaires ſe ſont déjà aflemblés;
mais fur le réquifitoire des avocats , ils ont
ſuſpendu leurs délibérations juſqu'au 2 Avril pro.
chain. On foupçonne que cette commiſſion , d'un
genre extraordinaire , doit s'occuper du jugement
d'une des perſonnes arrêtées le 17 Janvier.
De Drefde , le 24 Mars 1772 .
Il vient d'être décidé que l'on crééra , d'icià la
fin du mois , des papiers qui ne porteront point
intérêt & qui tiendront lieu d'eſpéces monnoyées.
On paiera , en argent , toutes les ſommes au deffous
d'une rixdable ( 3 liv. 15 f. de France , ) &
le papier aura cours pour toutes les ſommes audeflus.
On croit qu'on en crééra pour deux mil-
Jions de rixdahles. Afin de prévenir les inconvéniens
qui pourroient réſulter de cette opération ,
par l'agiotage ou par d'autres manoeuvres de ce
geure, on établira un caiſſe d'eſcompte , où l'on
AVRIL. 1772 . 205
pourra convertir le papier en argent , moyennant
une perte de 2 pour 100. L'électeur paiera les
gages , appointemens , penfions & arrérages , &c.
moitié en argent , moitié en papiers , & l'on recevra
auſſi , dans les caiſſes , moitié en argent &
moitié en papiers. Les négocians de Léipfick ont
envoyé ici des députés chargésde faire tous leurs
efforts pour empêcher l'exécution de ce projet.
De Londres , le 29 Mars 1772 .
LeGouvernement ſe propoſe d'envoyer le major
Roger à la recherche du paflage par le Nord-
Oueſtdans les Mers de l'Amérique. L'expédition a
été approuvée par les Lords du Commerce; le bureau
de la Tréſorerie eft occupé à examiner le
mémoire donné à ce ſujet , & à dreffer l'acte néceflaire.
Les Francs - Maçons , qui s'oppoſent au bill
dont l'objet eſt de donner à leur ſociété la forme
de corps politique , ont obſervé que ce bill tendoit
à détruire cette aſſociation , parce que , s'il
arrivoit quelque conteftation , elle feroit portée
au parlement& que par-là ce qu'ils appellent leur
fecret (eroit néceflairement divulgué.
Le Roi vient d'accorder au Lord North leCordon
de l'Ordre de la Jarretiere, vacant par la mort
du Duc Réguant de Saxe Gotha .
L'anonyme Junius a profité de cette occafion
pour ſe ſignaler de nouveau en faveur du parti de
l'oppoſition . Il a publié une lettre adreflée à ce
premier miniſtre , dans laquelle il déclame , nonſeulement
contre la conduite de ce Lord , mais encore
contre tout le confeil de St James .
r
: De Marseille , le 1 Avril 1772 .
Les lettres de Seyde, du 12 Février , & celles
206 MERCURE DE FRANCE .
d'Acre, du 22 du même mois , ne font mention
d'aucun événement qui ait pu troubler la tranquillité
dont jouiſloient cesdeux villes &le refte
de la Syrie à cette époque , exepté le ſoulevement
des habitans de Tripoli contre leur gouverneur.
Elles annoncent le départ prochain de la caravane
de la Mecque qui s'aſſemble auprès de Damas ; le
Pacha de cette Ville enapris le commandement
ſelon l'uſage.
De Paris , le 13 Avril 1772 .
L'Académie des inſcriptions & belles- lettres a
élu , dans ſon aſſemblée du 31 du mois dernier ,
pour académicien honoraire , le Sr Bertin , mini(-
tre& fecrétaire d'état, à la place du fen Sr Bignon.
Le fieur Séguier , habitant de la ville de Nilmes ,
a été élu , le même jour, académicien libre régnicole
, à la place du feu Sr de Fontette .
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé l'évêché de Beauvais , à l'Abbéde
la Rochefoucaut - Bayers , vicaire général
du diocèle de Rouen , & l'abbaye de Lieffies , Ordre
de St Benoît , diocèſe de Cambray , au Cardinal
de Gêvres .
Le Roi a nommé colonels de huit régimens du
Corps Royal de Marine que Sa Majesté a créés ,
par l'ordonnance du 18 Février dernier , les Sieurs
d'Orvilliers , du Chaffault , de Breugnon , de la
Touche , Dabon , le chevalier Fouquet , le ſieur
la Jonquière-Taffanel & le ſieur de Brovets , chefs
d'eſcadre.
Le Roi a accordé l'abbaye de St Paul de Beaurepaire
, Ordre de Cîteaux , diocèle de Vienne , à
laDame de Monteynard , religieuſe profeſle au
monaſtère des Urfulines de Grenoble.
AVRIL. 1772. 207
LePrincede Naflau- Siegen , colonel commandant
du régimentde Royal Allemand , cavalerie ,
vient d'être nommé colonel dudit régiment.
Le comte de Chabannes , brigadier des armées
du Roi , colonel du régiment de Bretagne , a eu ,
le même jour , l'honneur de prêter ferment entre
les mains de Sa Majesté , pour la ſurvivance de la
charge de premier écuyer de Madame Adelaide ,
dont leRoi l'a pourvû.
Le Roi a accordé au Prince de Pignatelly , capitaine
attaché au régiment de Schomberg , dragons,
la charge de meſtre de camp- commandant
de ce régiment , qui étoit vacante par la promotionducomtedeDonnezan
au grade de maréchal
de camp.
L'Evêque de Vence a prêté ſerment, le premier
Avril , entre les mains de Sa Majesté.
Le Roi a confié le dépôt des cartes & plans de
la inarine au ſieur Rizzi Zannoni .
Sa Majesté a nommé à la place de premier préſidentdu
parlement de Bourgogne, vacante par la
démiſſiondu ſieur Fyot de la Marche , le ſicur
Cheſnard de Layé , préſident du méme parlement,
qui aeul'honneurde prêter ſerment entre lesmains
duRoi , les Avril.
Le ſieur de Marmontel , l'un des Quarante de
l'Académie Françoiſe , vient d'être nommé par le
Roi à la place d'hiſtoriographe de France , vacante
par la mort du ſieur Duclos. Il a eu l'honneur
de faire , à ceette occafion , ſes remercimens
àSa Majesté , le s Avril.
L'Abbé Soulet de Borderouſle , chanoine d'Iſſondun
, ayant donné ſa démiſſion de la charge d'aumônier
ordinaite de la Maiſon du Roi , Sa Majeſté
en a diſpoſé en faveur de l'abbé d'Audiffrer ,
208 MERCURE DE FRANCE.
vicaire-général du diocèſe de Siſteron , chanoine
de l'Egliſe de Meaux .
Le ſieur Coufin , lecteur royal en mathématiques
, & profefleur à l'Ecole royale militaire , a
éré nommé , le 20 de mars , à la place d'adjointgéomètre
de l'académie royale des ſciences , vacante
par la nomination du ſieur Jeaurat à celle
d'aſſocié. Cette dernière étoit occupée par le chevalier
de Borda , qui a été nommé à la place de
penſionnaire dans la même claſle , vacante par la
mort du fieur Fontaine .
PRÉSENTATIONS .
Le 22 Mars , le Comte Guillaume de Forbach a
eu l'honneur d'être préſenté au Roi , ainſi qu'à la
Famille Royale.
Le 24 Mars , le Baron de Wittorff , grandchambellan
du Landgrave de Heſle -Caffel , eut
l'honneur d'être préſenté au Roi & à la Famille
Royale.
Le Duc d'Albe a eu auſſi l'honneur d'être préſenté
, le 22 Mars , à Sa Majesté , ainſi qu'à la
Famille Royale.
Le Prince de Nadau- Saatbruck eſt arrivé à Verſailles
, le 24 Mars , il a eu l'honneur d'être préfenté
à Sa Majesté , ainſi qu'à la Famille Royale.
Le Vicomte d'Ademar , en épouſant la marquile
de Valbelle , a reprit le titre de comte , anciennement
porté par la première race des comtes d'Orange
de la Maiſon d'Adhemar. La comteile d'Adhemar
a eu l'honneur d'être préſenté au Roi & à
la Famille Royale , le 29 Mars , par la marquiſe
de Castellanne.
Le mêmejour , la comteſſe de Clarac a été pré
AVRIL. 1772. 200
ſentée par la comteſſe d'Eſparbés , & la comtefle
de Ricée , par la comteſſede Broglie.
le comtede Mercy , ambaſſadeur de Leurs Majeſtés
Impériales & Royales , eut , le 7 Avril , une
audience particulière du Roi , à qui il préſenta le
Prince Lobskowitz , ambaſladeur de la Cour de
Vienne à celle de Madrid.
La comtelle de Prunélé a eu l'honneur d'être
préſentée , le même jour , au Roi & à la Famille
Royale , par la comteſle de Montboiffier.
Le Sieur Bignon , qui avoit été pourvû précédemment
en ſurvivance de la charge de bibliothécaire
du Roi , exercée par ſon père , a eu l'honneur
d'être préſenté au Roi en qualité de ſon bibliothécaire
, &de faire ſes remercîmens à Sa Majeſté
, le s Avril.
Le Corps de Ville s'étant rendu , le 23 Mars , à
Verſailles , ayant à ſa tête le Maréchal Duc de
Briflac , gouverneur de Paris , eut audience de Sa
Majesté , à qui il fut préſenté par le Duc de la
Vrilliere , miniſtre & fecrétaire d'état. Il fut conduità
cette audience par le Sieur de Nantouillet ,
maître des cérémonies. Le Sieur de la Michodière,
nouveau prevôt des marchands , prêta , entre les
mains du Roi , le ſerment de fidélité dont le Duc
de la Vrillière fit la lecture , ainſi que du ſcrutin
qui fut préſenté par le ſieur Dufour , maître des
requêtes. Après cette audience , le Corps de Ville
rendit ſes reſpects à la Famille Royale .
MARIAGES.
Le Roi & la Famille Royale ont ſigné , le 22
Mars , le contrat de mariage du vicomte de la Blache
, enſeigne de la Gendarmerie , avec Demoifelle
le Roide Senneville.
210 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi & la Famille Royale ont ſigné , le 29
Mars , le contrat de mariage du vicomte de Moneſtay
- Chazeron , capitaine de cavalerie , avec
Demoiselle de Baschi .
MORTS.
Alexandre Donald eſt mort , le is Février , à
Kinsbourg , dans l'iſſe de Sky , à l'âge de quatrevingt-
trois ans. C'eſt le même chez lequel le Pré.
tendant ſe refugia après la batailie de Cullod en
1745. Le Gouvernement avoit promis une récompenſe
de 30,000 liv. sterlings à quiconque
le livreroit. Cette ſomme , qui auroit fait la fortune
du Sieur Donald & de toute ſa famille , ne
fut pas capable de l'engager à violer les droits de
Phoſpitalité.
Nicolas Bellen , premier ingénieur- géographe
dela marine&du dépôt des cartes & plans , cenfeur
royal , de l'académie royale de marine &de
la ſociété royale de Londres , eſt mort à Versailles
, le 21 Mars , dans la ſoixante - douzième année
de fon âge.
Louis de Lambert , maréchal des camps & armées
du Roi , directeur général des fortifications
d'Alface , eſt mort à Strasbourg , le 19 de ce mois,
âgéde loixante- deux ans.
Vincent Paillet , du village de Mauveſin , près
Bagnères , diocèſe de Tarbes , vient de mourir
dans la cent douzième année de ſon âge , chez la
baronne de Hifax , à deux lieues de la ville de
Dax , où il ſervoit en qualité de jardinier , depuis
cinquante ans. Il avoit été marié trois fois , la
première à vingt-ſeptans , la ſeconde à ſoixante ,
&la troiſième à ſoixante-douze. Il n'a eu qu'un
ſeul garçon de ſon troiſième mariage.
AVRIL. 1772. 211
Fréderic III , Duc régnant de Saxe Gotha, frère
de feue la Princeſſe de Galles , eſt mort , le 10 de
Mars , dans la réſidence' , âgé de ſoixante- treize
ans & dans la quarantième année de ſon règne.
Son fils aîné Ernest- Louis , né le 28 Janv . 1745,
lui (uccéde dans les duchés de Gotha & d'Altenbourg.
Fréderic Comte de St Séverin , Abbé commendataire
de l'abbaye royale de St Maixent, en Poitou
, ordre de St Benoît , eſt mort à Plaiſance , le 3
de Mars , âgé de ſoixante-quatre ans .
Jean-Baptiste de Sieurray baron de Sieurray ,
gentilhommede la Manche de Mgrle Comted'Artois
, & ci-devant de Monſeigneur le Dauphin &
de Monſeigneur le Comte de provence , meſtre de
cavalerie& chevalier de l'Ordre royal & militai.
re de St Louis , eſt mort , le 22 Mars , dans la cinquante-
deuxième année de ſon âge.
Charles Pinot Duclos , hiſtoriographe de France
, l'un des Quarante & fecrétaire perpétuel de
l'Académie Françoiſe , de l'académie des inſcriptions&
belles- lettres , de la ſociété royale de Lon
dres , de l'académie de Berlin &de pluſieurs autres
académies , eſt mort à Paris , le 26Mars, âgé
de foixante- huit ans .
La Dame de Grandchamp , religieuſe du prieuré
de Chanchanoux , diocèle d'Autun , eſt morte
le 3 de Mars , âgée de cent ſept ans. Elle avoit
quatre- vingt- lept ans de profeſſion.
On écrit de Séez que le nommé Jean Gallais y
eſt mort , le 19 Mars , dans la cent ſeptième année
de ſon âge. Il s'étoit marié à trente cirq ans ,
& ila eu trente & un ,tant enfans que petits-enfans.
On mande du Vivarais qu'il y eſt mort depuis
212 MERCURE DE FRANCE.
quelque tems , cinq centenaires , entr'autres , le
nommé André Dulac, habitant de Privat qui avoit
cent cinq ans ; la femme , âgée de cent trois , ſe fir
porter auprès de fon lit, avant qu'il expirat , l'embraffa
, lui fit ſes adieux , & mourut deux jours
après lui.
Le nommé Jean George Prufer eſt mort , dernièrement
, à Teutſch- Keſlel , en Baffe- Siléſie , à
l'âge de cent trois ans & un mois. Il a été marié
trois fois , & il a eu de ſa dernière femine , à l'âge
de quatre- vingt-cinq ans , une fille qui vit encore.
N. Meyronnet , maréchal des camps & armées
du Roi , commandeur de l'Ordre royal & militaire
de St Louis , eſt mort àAix en Provence , le 17 du
mois de Mars.
Henri - Louis de Barberie de St Contest , maître
des requêtes honoraire & ancien intendant de la
province du Limousin & enſuite de celle de Cham .
pagne , eſt mort à Paris , le 16 Mars , âgée de
foixante- trois ans onze mois.
La nommé Higounengue eſt morte , la nuit du
21 au 22 Mars , à Mairès , village fitué à une demi-
lieue de Lodève , âgée de cent fix ans.
Antoine de Clermont-Tonnerre , abbé de l'abbaye
royale de Clairefontaine , eſt mort à Paris ,
le 24 Mars , à l'âge de ſoixante-huit ans.
Charles-François de Ponty , vicomte de Suzi
&de Vantheuille , lieutenant-général des armées
du Roi , grand'croix & commandeur de l'Ordre.
royal &militaire de St Louis , gouverneur de St
Jean Pied-de- Porc , ancien major des gardes du
Corps de Sa Majesté , eſt mort à Soiflions , le 30
Mars , âgé de quatre-vingt ans.
Le nommé André Larſion, habitant de Lani ,
en Laponie , eſt mort , dans le courant de cette
AVRIL. 1772. 213
,
année, âgé d'environ cent quinze ans. Il eſt trésdifficile
de ſavoir aujuſte l'âge des vieillards dans
la Laponie , lorſqu'un enfant tombe malade, auffitôt
après le baptême , on a la ſuperſtition de croire
que cet accident vient de ce qu'il n'a pas été
nommé du nom qu'on auroit dû lui donner. En
conféquence , on lui en donne un autre ſous lequel
il refte connu ; celui qui eſt infcrit fur les regiſtres
s'oublie & les recherches qu'on feroit
pour s'aflurer de l'âge d'un homme deviennent ,
par- là inutiles. La plupart des Lapons ignorent
leur âge , l'époque de leur mariage & la durée du
tems qu'ils ont payé à la Couronne ; mais celui
dont on patle ſavoit qu'il avoit trente ans lorfqu'il
ſe maria pour la première fois : qu'il avoit
enſuirepayé les impôts pendant quatre-vingt ans,
&qu'il en avoit été exempt pendant cinq , ce qui
fait cent quinze ans .
FAUTES eſſentielles à corriger dans le premier
volume du Mercure d'Avril dernier.
PAGE 37 , ligne 2 , lui reproche un ſçavant ,
lifez, lui reproche un parent,
Pag. 130 , lig. 1 & 2 , lifez ,
Déefle d'Antium , ô déeſſe fatale !
Fortune , à ton pouvoir qui ne ſe ſoumet pas .
Pag. 131 , lig. 1 & 2 , retranchez les deux vers
cités ci-deſſus tranſportés mal- à-propos en cet
endroit.
214 MERCURE DE FRANCE.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& en profe , page 5
Dapliné ou la Vengeance de l'amour , traduit
d'Ovide en vers par M. de St Ange. ibid.
Dorante , histoire morale د
Suite de l'Été , chant ſecond , traduit de
13
Thompson , 27
Vers à M. Dorat , 31
Vers à M. de Voltaire au tragédie de Pélopides
, ibid.
Le Lion& le Pivert ,fable , 32
Epître à ma Veuve , 33.
Le Vieillard credule , proverbe , 35
Traduction en vers de l'Epiſode de la mort
de Célar, 54
Vers adreſlés à Mgr le Prince Régnant de
Hohenlohe- Schillingsfärst , 57
Explication des Enigmes & Logogryphes , 58
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
59
61
63
Traité du bonheur public , ibid.
Les Stratagêmes , 66
Mémoires du Cardinal de la Valette , 67
Traité du domaine de propriété , 69
Hiſtoire naturelle de l'air & des météores , ibid.
Hiſtoire de l'avénement de la Maiſon de
Bourbon ,
L'Agenda ou manuel des gens d'affaires ,
Eſſai de crystallographie,
Du Luxe & de ſa nature ,
Lephiloſophe ſérieux , hiſtoire comique ,
75
77
78
80
85
AVRIL. 1772. 215
Hiſtoire de Richard rockocke ,
Nouveau Dictionnaite univerſel de médecine
, chirurgie , &c.
Lettres fur divers ſujets de la géographie
facrée ,
Les Odes pythiques de Pindare ,
Hiſtoire de la ville de Bordeaux ,
L'Eccléſiaſte de Salomon ,
Adelfon & Salvini ,
Principes de médecine ,
Logica , &c .
96
97
100
123
125
126
129
129
Almanach général des Marchands ,
Nouveau traité de géographie ,
130
133
Suite du nouveau traité de géographie , 134
Le livre du Chrétien , 235
Eflai ſur les combinaiſons de la loterie de
l'Ecole royale militaire , 136
Soin facile pour la propreté de la bouche , ibid,
A. Cornelii Celſi de re medicâ libri octo , 137
Obſervations ſur le cacao & fur le chocolat, 139
Coſtumes des anciens Peuples , ibid,
Conditionsde la ſouſcription , 142
Hiſtoire des différens peuples du Monde , 144
Le Spectateur François , 146
Réponſe du Spectateur , 147
L'hiſtoire & les mémoires de l'Académic
royale des ſciences , 148
ACADÉMIE de Rouen , 155
SPECTACLES , 159
Concert ſpirituel ,
ibid.
Opéra , 164
Comédie françoife , 166
Comédie italienne , 169
ARTS , Gravure , 172
Muſique ,
175
Aſtronomic , 183
216 MERCURE DE FRANCE.-
:
Architecture , ibid.
Lettre de M. Patte , ſur la pouflée des voutes.
ib
Lettre de Mde Hobſon , concernant l'inoculation,
19
Réponſe , 19.
Anecdotes ; 196
Epitaphe pour M. d'Evreux , d'Irlande,
Avis ,
197
198
Nouvelles politiques , 201
Nominations , 206
Préſentations ,
Mariages ,
208
209
Morts ,
Errata ,
210
213
J''AAII lu
APPROBATI0N.
par ordre de Mgr le Chancelier , le
ſecond vol. du Mercure du mois d'Avril 1772 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreſſion .
A Paris , lets Avril 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères