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1772, 01, vol. 1-2, 02-03
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JANVIER , 1772 .
PREMIER
VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
neugner
A PARIS ,
Chez LACOMBE
, Libraire , Rue
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation
& Privilége du Roi.
NEW YORK
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les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
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15 1.
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31 .
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Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in -8°. rel .
Dict. de Morale , 2 in - 8 ° . rel .
GRAVURES .
306
71.
و ا .
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Vanloo
,
241.
Deux
grands
Payfages
, d'après
Diétrici
, 121.
Le Roi de la Féve
, d'après
Jordans
,
4 l.
Le Jugement
de Paris
, d'après
le Trevifain
,
Deux grands Paysages , d'après M. Vernet
,
1 l. f 16 .
12 l.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HIVER. Imitation de Pope ; Eglogue
quatrième à la mémoire de Lady
Tempeft...
DAPHNE , LYCIDAS & TIRCIS.
LYCIDA S.
UEL aftre bienfaifant , berger aimé des
Cieux ,
Ou quel trifte deftin te conduit en ces lieux ?
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Peut-être quittes- tu de plus heureux rivages ,
Pour venir foupirer au fein de nos bocages.
TIRCI S.
Je ne viens point ici conduit par le hafard.
Jefai votre triftefle , & j'y veux prendre part.
Le bruit de vos malheurs s'eft fait affez enten
die ;
Les échos attendris font venus me l'apprendre.
LYCIDAS.
Le murmure enchanteur de ces foibles ruifleaux ,
N'égale pas les fons de tes doux chalumeaux ,
Tircis , les airs plaintifs que chante Philomèle ,
Les foupirs qu'en nos bois poufle la tourterelle ,
Des oileaux expirans les douloureux accens ,
N'ont rien de comparable aux douceurs de to
chants.
Les brebis au bercail dorment fur la fougères
Au milieu de fon cours la lune nous éclaire ;
Les oifeaux retités à l'ombre des forêts ,
Par leur trifte filence annoncent leurs regrets.
Que Daphne foit toujours préfente à ta mémoire ,
Gémis fur fon deftin , berger , chante la gloire !
TIRCI S.
Tout s'éteint ; tout périt dans vos champs défolés
;
De vos humbles hameaux les toits font ébranlés ;
JANVIER. 1772 . 7
Vos champs font fans moiffon , vos jardins fans
culture ;
Vos prés jadis fibeaux ont perdu leur parure ;
L'aquilon établit fon empire dans l'air ;
La nature gémit dans les fers de l'hiver ;
Eole captivant vos jeunes payſanes ,
A chaffé les plaifirs de vos humbles cabanes:
Infortuné berger ! quand tout meurt dans vos
champs ,
Puis-je encore aux échos faire entendre mes
chants ?
LYCIDA S.
Daphné n'est plus : hélas ! dans ces jours de tris
refle ,
Pourrions-nous refufer ce tribut de tendrefle ?
Elle-même aflemblant les bergers du hameau ,
Leur dit en expirant : « Chantez fur mon tome
» beau ;
Vous favez à quel point j'aimai les bergeries ;
»J'expire ; adieu , bergers ; adieu , brebis che
»ries. »
Elle dit , & mourut. Les yeux baignés de pleurs ,
Je vais à fon tombeau le couronner de fleurs.
Mais toi , digne berger , fi Daphné te fut chère ,
Chante pour l'honorer , couronne-toi de lierre,
TIRCIS.
Mufes , abandonnez vos fources de cryſtal
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Sylvains , venez gémir aux bords de ce canal ;
Nymphes de ces côteaux , fortez de vos retraites ,
Ornez vos tendres mains de nos foibles houlettes
,
Soupirez avec nous à l'ombre des cyprès ,
Et mêlez à nos pleurs vos fenfibles regrets .
Amours , qui gémiflez de nos trop juftes peines ,
De mytte & de cyprès couronnez ces fontaines ,
Brifez encor vos traits : vous le fîtes jadis ,
Lorsque Vénus pleura le deftin d'Adonis :
Laiffez votre carquois maintenant inutile ,
Et gravez , en pleurant , fur ce marbre immobile
,
Elevé par la main des bergers attendris ,
Ces triftes vers qu'exprès vous a dicté Cypris ;
«Que la terre & les cieux pleurent notre dis-
» grace ,
Que la nature prenne une nouvelle face ,
» La beauté vient de perdre & l'éclat & lejour ,
»Hélas ! Daphné n'eft plus , il n'eft donc plus d'amour.
"
Le jour s'eft retiré fous de fombres nuages ,
Une éternelle nuit règne dans ces bocages ,
Le trifte & noir verfeau , dans nos obscurs déferts
Eternife le cours des farouches hivers .
Bergères , qui paflez encore fur ces rives ;
Vous vîtes de nos fleurs les beautés fugitives ,
Vous difiez que Daphné poflédoit des attraits ;
Que l'âge ni le tems ne détruiroient jamais ;
JANVIER. 1772 . ୨
Ces fleurs avec Daphné dans la faifon nouvelle
Nâquirent fous nos yeux , & meurent avec elle.
Heureux printems ! envain nos champs t'ont regretté
;
"Hélas ! Daphné n'eft plus ; il n'eft plus de beauté.
Les troupeaux attriftés refufent l'herbe tendre ;
Les bergers dans les champs refufent de fe rendre
;
Les cignes moins touchés de leurs propres malheurs
,
Gémiffent fut leurs eaux de nos juftes douleurs.
Abandonnant aux pleurs fon aimable jeuneſſe ,
Hébé , loin des hameaux emporte fa triſteſle ;
Et l'écho retiré dans la nuit des forêts ,
сс
Ne fait plus aux côteaux repéter fes regrets ;
Si quelquefois la voix fe fait entendre encore ,
C'est pour dire :«< Daphné fut plus belle que Flore,
» Plus riante qu'amour , plus fraîche que zéphir ;
»Hélas ! Daphné n'eft plus , il n'eft plus de plai-
» fir. »
Les prés ne brillent plus de perles de rofée ;
La campagne n'eft plus de zéphir careflée .
Le matin on voyoit fur nos humbles maifons
De légères vapeurs s'élever en fillons ;
On respiroit des fleurs l'odeur pure & naiffante ;
L'aurore à fon lever étoit douce & riante ;
Les jours étoient filés par la main des plaifirs ;
Les bergers ignoroient les pleurs & les foupirs
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
On voioit fur les fleurs l'abeille induſtrieufe
Compofer de fon miel la douceur fructueufe ,
Expofer au foleil fes diverfes couleurs.
«Hélas! Daphné n'eft plus , il n'eft plus de douceurs.
Chère & tendre Daphné ! le linot pour t'entendre
Ne viendra plus fur toi dans les airs fe fufpendre.
Le roffignol charmé dans le fond de ces bois ,
Ne repétera plus les charmes de ta voix ;
Il n'écoutera plus au frais de ces bocages ,
Les airs que tu chantois fous ces naillans feuil
lages.
Les ruiffeaux i long - tems attentifs fur leurs
bords ,
Ne s'arrêteront plus à tes charmans accords ;
Ils fuivront dans leur cours la loi de la nature ,
Et reprenant encor leur tendre & doux mur
mure ,
3ls diront aux échos de ces triſtes déferts :
« Hélas ! Daphné n'eft plus ; il n'eft plus de con-
" certs, »
Les dieux ont terminé fa courfe fortunée ;
Le vent annonce au vent fa trifte deſtinée ;
L'oifeau dans le bosquet la revèle à l'oifeau ;
Le ruilleau dans fon cours la repète au ruifleau ;
Les foupirs des Zéphirs l'apprennent dans les plaît
nes
JANVIER. 1772.
Echo la dit aux bois , aux antres , aux fontaines ;
Flore , loin de nos champs emportant fes préfens
,
Courtfous un autre Ciel la redire au printems.
A la mort de Daphné tous les êtres gémirent ;
Lefoleil fe noircit , les étoiles pâlirent ;
Tout à nos triftes champs annonça la douleur.
« Hélas ! Daphné n'eft plus ; il n'eft plus de bonheur.
Quand nous pleurons Daphné ; quand les triftes
Dryades
Apprennent fon deftin aux Faunes , aux Ménades
;
Daphné plus belle encor que l'aurore & le jour ,
Au- deflas du foleil a fixé fon féjour.
Les dieux l'ont élevée au -deffus des nuages ;
Elle voit fous les pieds fe former les orages.
Elle est dans des vergers toujours frais & fleuris
;
Les traits de la beauté n'y font jamais flétris.
O Daphné ! foit qu'encor dans ces bosquets er
rante ,
Tujoignes aujasmin le myrte & l'amaranthe ,
Tu choififles des fleurs qui ne fanent jamais ;
Soit qu'an fein de l'amour tu repoſes en paix ,
Souviens -toi que des champs tu fus la protec
trice.
Daigne tendre aux bergers une main bienfaitrice.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Si le deftin t'enlève au milieu de ton cours ,
Ah ! c'est pour te porter au temple des amours ,
C'est pour te couronner d'une gloire éternelle.
Daphné ! tu n'étois pas une fimple mortelle ,
Et ton fort glorieux fait tout notre bonheur.
Chaque berger t'élève un temple dans fon coeur.
LYCIDA S.
Tout fe tait aux accords de ta mule plaintive ;
Tout prête à tes chanfons une oreille attentive .
Le foir quand Philomèle annonce fes regrets ,
Tels regnent dans nos champs le filence & la
paix.
Tant qu'il naîtra des fleurs dans les riants bocages
,
Que les arbres touffus s'orneront de feuillages ,
Obrillante déeffe , honneur des immortels !
Le (ang de mes agneaux rougira tes autels .
Tu vivras dans nos coeurs. Tes honneurs & ta
gloire ,
Daphné, feront toujours gravés dans ma mémoire.
TIRCI S.
Levons- nous. Orion élève dans les champs
Une vapeur mal faine & des brouillards glaçans .
Le violent Borée enchaîne la nature ;
Les hameaux n'offrent plus qu'une trifte peinture.
JANVIER . 1772. 13
Il faut céder au tems ; c'eft lui qui nous détruit .
Marchons un froid plus vif s'avance avec la
nuit.
Adieu , triftes côteaux ; adieu , tilleuls & hêtres ;
Adieu , Sylvains ; adieu , champs & plaifirs champêtres
;
Adieu , troupeaux , paiflez dans ces fombres déferts
;
Adieu , Daphné , reçois mon hommage & mes
vers,
Par M. de Belami.
ALCI PPE.
Imitation libre de l'Aftrée.
ALCIPPE , mon père , * étoit d'une des
plus anciennes familles de ce pays. Ses
ancêtres qui faifoient leurs délices de la
vie paſtorale , lui donnèrent une éduca .
tion conforme à leurs fentimens . Mais
que peut l'éducation contre la force toujours
victorieufe de la nature ? Alcippe
Le berger Céladon raconte à la nymphe Galathée
& à fes foeurs l'hiftoire d'Alcippe fon père
& de la mère Amaryllis , & l'origine de leurs divifions
avec Alcé , père d'Aftrée. Aftrée , part, 1 ,
liv. 2.
14
MERCURE DE FRANCE.
étoit né avec un caractère ardent ; fon
ame inquiéte le rendoit ennemi de tout
repos. Dès l'âge le plus tendre & à peine
forti de la première enfance , il fçavoit fe
faire des armes de tout ce qui l'environnoit
& il s'en fervoit pour foumettre à
fes caprices les autres enfans de fon âge.
Il s'étoit formé au milieu d'eux une petite
cour ; il avoit fes courtifans & fes favoris
: du nombre de ces derniers étoient
ceux qu'une fympathie d'inclinations lui
avoit fait trouver dignes de fon amitié ,
& avec leurs fecours il avoit établi un
petit defpotifme fur ceux qu'un caractére
doux & timide rendoit peu capables de
lui réfifter. Ces difpofitions allarmèrent
les anciens de nos hameaux ; ils en firent
plufieurs fois des plaintes au père d'Alcippe
qui fe confuma en vains efforts
pour adoucir cette humeur féroce & en
tempérer la dangereufe effervefcence.
Cependant Alcippe avançoit en âge.
La violence & l'impétuofité de fon caractère
fe manifeftoient de jour en jour. Au
lieu de houlettes & de pannetières , on
ne voyoit entre fes mains & entre celles
de fes compagnons que des épées , des
arcs , des frondes. Ils fe répandoient ainſi
armés dans les campagnes & mettoient
out le pays à contribution,
JANVIER . 1772. IS
Alcippe avoit environ vingt ans , lorfque
retournant dans fon hameau , aprèsune
de fes courfes , il apperçut un foic
la bergère Amaryllis aflife devant la
porte de fon père & s'occupant à orner
de fleurs la tête de fa brebis la plus chérie.
La bergère , toute entière à fon occupation
, ne vit point Alcippe qui avec
une hardieffe qui lui étoit affez ordinaire
, alla familièrement prendre place à
fes côtés. Amaryllis furprife fit un cri , &
jettant précipitamment les fleurs qu'elle
tenoit , fe leva pour prendre la fuite .
L'audacieux berger la retint & la contraignit
de fe raffeoir ; il paffoit déjà un bras
au tour de fon corps , lorfque rencontrant
un regard d'Amaryllis , le téméraire Alcippe
perdit tout- à coup contenance . Son
effronterie l'abandonna; tremblant & confus
, il ne fongea plus qu'à fe jetter aux
pieds de la bergère pour en obtenir un
pardon dont il fe reconnoiffoit indigne.
Cet homme fi altier , ce coeur fi fauvage
devint en un inftant le plus tendre & le
plus refpectueux des amans . Un feul regard
d'Amarillis avoit fait ce prodige :
quel triomphe pour la bergère ! fon
amour- proprefut fenfiblement flatté d'une
victoire auffi prompte & auffi éclatante ;
16 MERCURE DE FRANCE .
il lui fit perdre le fouvenir de l'abord infolent
du berger ; une joie vive brilloit
dans fes yeux , & l'amour , qui depuis
long - tems cherchoit l'occafion de furprendre
fon coeur , profita de celle - ci
pour fubjuguer la fière Amaryllis. Elle fit
relever le berger & après un léger reproche
de fa témérité , elle finit par l'affurer
que s'il pouvoit obtenir le confentement
de fes parens , elle verroit avec plaifir
fon amour & qu'elle recevroit fes foins
avec reconnoiſſance .
Amaryllis furpaffoit en beauté toutes
les bergères de la contrée. Ses charmes
avoient attiré à fa fuite une foule d'adorateurs
; mais foit dédain , foit infenfibilité
, aucun n'avoit pu parvenir à lui plaire
. Elle les traitoit tous avec une égale
indifférence , de forte qu'on ne l'appeloit
pas autrement que la belle infenfible . Un
des plus ardens à fa pourfuite étoit le
berger Alcé ; il étoit tellement épris d'Amaryllis
que rien n'avoit pu le décourager
, & confervant toujours dans fon coeur
l'efpérance de fléchir celui de la bergère ,
il s'étoit prémuni de l'approbation de fes
parens . Depuis ce tems , il importunoit
plus que jamais Amaryllis : quoiqu'elle
l'eût déjà congédié plufieurs fois , l'opiJANVIER
. 1772. 17
niâtre Alcé revenoit toujours à la charge.
Amaryllis avoit enfin pris le parti de recevoir
des foins dont elle ne pouvoit fe
débarraffer ; mais lorsqu'il lui parloit de
fon amour , elle fe contentoit de rire &
de folâtrer par mille détours que fon efprit
ne manquoit jamais de lui fournir ,
elle changeoit la converfation e punif
foit le berger de fon obftination en fe dérobant
fubitement à fa vue.
Cependant Alcippe , que les dernières
paroles d'Amaryllis avoient tranfporté de
joie , ne perdit point de tems ; il fit folliciter
vivement les confentemens des parens
de la bergère. Ce fut alors qu'il reffentit
pour la première fois le tort qu'il
s'étoit fait par fon imprudente conduite.
Le père d'Amaryllis refufa les propofitions
d'Alcippe ; fa famille & fes amis fe
joignirent à lui pour appuyer fes refus ;
tant étoit grande l'averfion que l'on avoit
conçue pour Alcippe. Amaryllis ne tarda
point à apprendre le peu de fuccès des
tentatives de fon amant , & ne pouvant
faire tomber le poids de fa colère fur les
auteurs de fes peines , elle fe vengea fur
le malheureux Alcé. Son indifférence fe
changea en haine , les foins de ce berger
lui devinrent infupportables ; enfin elle
18 MERCURE DE FRANCE .
le traita avec tant de mépris & de dureté
que le chagrin s'empara du coeur du trop
conftant Alcé ; il fe laiffa infenfiblement
confumer par une langueur qui le condui
fit jufqu'aux bords du tombeau.
La maladie d'Alcé fit beaucoup de
bruit ; il n'étoit perfonne qui n'en connût
la véritable caufe ; mais le père d'Amaryllis
fut le feul qui eût quelque doute
de la nouvelle inclination de fa fille . Ce
foupçonneux vieillard fut bientôt inftruit
de ce qu'il craignoit d'apprendre , il furprit
des lettres adreffées à Alcippe . Cette
découverte le mit dans la plus grande co
lère ; il étoit emporté & inébranlable
dans fes réfolutions . Sur le champ il pric
le parti d'éloigner la bergère ; il ne fe
lailla toucher ni par fes prières ni par fes
larmes ; en peu de tems tout fut prêt ;
cette amante fut conduite à un hameau
fort éloigné fur les bords de l'Allier , &
confiée à la garde & aux foins d'une foeur
d'Alcé , de la févère Artémis.
La nouvelle du départ d'Amaryllis
parvint bientôt aux oreilles de l'impétueux
Alcippe. Il ne s'attendoit à rien
moins qu'à un coup auffi terrible . Sa fureur
devint extrême . N'écoutant que la
fougue de fon caractère , il fe livra à des
JANVIER . 1772. 19
tranfports qui ne firent qu'aigrir les eſprits
& le rendre de plus en plus odieux .
Il éclatoit en imprécations contre fon rival
; il le défioit publiquement , & fans
la maladie d'Alcé , perfonne ne doutoir
qu'il n'eût attaqué ce berger & qu'il n'eût
mis fa vie en danger. Le féjour de nos
hameaux devint infupportable à mon père
; le genre de vie qu'il y menoit lui
rappelloit fes malheurs ; il réfolut de l'abandonner
abfolument & de fuivre fes
premières inclinations.
Les amis d'Alcippe ne voulurent point
l'abandonner ; il emmenoit avec lui la
plus brillante jeuneffe du pays ; ce départ
caufa une confternation univerfelle.
Cléante , père d'Aleippe , fut un de ceux
qu'il affligea le plus vivement ; il aimoir
tendrement fon fils , & les chagrins que
lui donnoit fa conduite n'avoient pu altérer
chez lui ce fentiment . Il employa
toutes fortes de moyens pour le retenir ;
il lui repréfenta les dangers de la vie militaire
: les mépris , les infultes qu'il lui
faudroit effuyer lorfqu'on auroit connoiffance
de fon origine & du genre de vie
de fes pères. Mais Alcippe fut inébranlable
, les dangers ne l'effrayoient point ;
quant aux mépris il le propofoit de faire
20 MERCURE DE FRANCE.
bientôt connoître combien il les méritoit.
peu. Cléante voyant que rien n'étoit capable
de le faire changer de réfolution ,
lui dit , les larmes aux yeux : « Mon fils,
» votre père fe flattoit de trouver en
vous la confolation & le foutien de fa
» vieilleſſe , une malheureuſe expérience
» me prouve combien peu je dois com-,
» pter fur cet appui . Allez , mon fils , par-
» tez ; vous êtes iffu d'une des plus an-
» ciennes familles de cette contrée ; ap-
» prenez qu'il en eft déjà forti plafieurs
» braves Chevaliers. Il vous futhra de
» les nommer pour être bien reçu ; je ne
» vous clois pas indigne de marcher fur
» leurs traces. » Après ce difcours le bon
vieillard lui fournit tout ce qui étoit
néceffaire pour fon voyage , & l'arrofant
de fes larmes , il lui dit un adieu qu'il
croyoit le dernier de fa vie.
Alcippe fe livra entièrement à la profeffion
des armes , tant pour fuivte fa
propre inclination que pour perdre le
fouvenir d'Amaryllis . Bientôt fa valeur
& fon intrépidité lui acquirent l'eftime
& l'amitié des Chevaliers les plus renommés
& rendirent fon nom redoutable aux
ennemis . Sa taille avantageufe & fa bonne
mine qui vinrent à l'appui de fa répu
JANVIER.
1772. 21
tation lui occafionnèrent plufieurs aventures
galantes. Je ne m'arrêterai qu'à la
dernière ; elle fut la cauſe de tous fes
malheurs .
Dans une des fêtes qui fe donnèrent à
Toulouſe , mon père s'étoit montré avec
beaucoup d'avantages ; il fut principalement
remarqué par une Dame des plus
confidérables de la ville , qui , je crois
même , étoit parente du Gouverneur de
la place. Elle en devint éprife au point ,
qu'elle eut recours pour fatisfaire fa paffion
à une rufe qui fuffira feule pour en
faire connoître la violence.
Un jour Alcippe affiftoit à un facrifice
qu'il faifoit offrir en reconnoiffance
des
victoires qu'il avoit remportées aux joûtes
; une vieille femme vint fe placer à
côté de lui & ſe mit à l'appeler plufieurs
fois par fon nom fans le regarder. Alcippe
furpris voulut d'abord interroger la
vieille , mais comme elle ne le regardoit
point , il crut qu'elle s'adreffoit à quelqu'autre.
Cependant la vieille continuoit
toujours à l'appeler , & s'appercevant
qu'il
l'écoutoit , lui dit : « C'eſt à vous que je
» parle , valeureux Alcippe. Si vous vou-
» lez avoir une bonne fortune digne de
» votre mérite , trouvez - vous à l'entrée
22 MERCURE DE FRANCE.
» de la nuit au temple de Minerve. » Alcippe
, qui ne pouvoit plus douter que
cette aventure ne le regardât , répondit ,
fans jetter les yeux fur la vieille , qu'il s'y
trouveroit. Il fut exact au rendez - vous.
La vieille de fun côté ne fe fit pas attendre
long-tems . Elle parut couverte d'un
voile de taffetas noir qui lui defcendoit .
jufqu'aux pieds. « Heureux jeune - homme
, lui dit- elle , en le prenant par la
» main , fous quelle étoile es- tu donc né
» pour avoir fçu infpirer une paffion auffi
» vive à la plus belle perfonne de la cour ;
» elle a dédaigné pour toi les voeux de
» nos courtifans les plus aimables . Mais
❞ avant tout , il faut que tu me promet-
» tes de ne témoigner aucune curiofité
» de connoître la Dame qui te favorife ;
" la moindre recherche que tu ferois
» pour découvrir fon nom t'attireroit fa
» haine & occafionneroit indubitable-
» ment ta perte. » Alcippe promit tout ;
mais voyant que la vieille tiroit un mouchoir
de deffous fa robe & qu'elle fe mettoit
en devoir de lui voiler le vifage , il
fit quelque réſiſtance ; cependant , impatient
de fçavoir la fin d'une auffi fingulière
aventure , il lui laiffa faire ce qu'elle
voulut : il eut foin d'ailleurs de ne point
JANVIER . 1772. 23
quitter fon épée dans la crainte que ce
ne fut quelque piége tendu par un ennemi
fecret . Après avoir marché environ
un quart- d'heure avec fa conductrice , il
fe trouva au milieu d'une chambre ; toutes
les lumières furent éteintes à fon arrivée
, enfuite la vieille lui découvrit le
vifage & le laiffa feul . La Dame entra
auffi-tôt ; elle le reçut avec des tranfports
d'autant plus grands qu'ils n'étoient gênés
par aucune contrainte. Certaine de
n'être point connue , elle ne s'empreffoit
qu'à lui témoigner toute l'ardeur de fon
amour. Alcippe ne fe montra point indigne
de faveurs auffi fignalées ; toutefois
au milieu des embraffemens les plus doux ,
il lai reftoit dans le coeur un defir fecret
d'en connoître l'objet , & ce defir ne laiffoit
pas de troubler fon bonheur . On lui
prodiguoit careffes pour careffes , mais il
ne put tirer une feule parole de la belle
inconnue. Le lendemain , une heure environ
avant que le jour parût , la vieille
entra dans la chambre , & voilant de nouveau
le vifage d'Alcippe , elle le conduifit
avec les mêmes précautions dans l'endroit
où elle l'avoit abordé. Elle lui donna
rendez - vous pour le jour ſuivant , &
elle lui promit de fe trouver exactement
24
MERCURE
DE FRANCE
.
à la chute du jour dans la même place ,
toures les fois que l'inconnue jugeroit àde
le recevoir. propos
•
Alcippe auroit été le plus heureux des
hommes , fi fon inquiétude naturelle le
lui eût permis. Il avoit confié le détail
de fon aventure à Clindor , le plus intime
de fes amis , un de ceux à qui fon exemple
avoit fait quitter la vie paftorale. I
lui avoit en même tems fait part de fa
curiofité & des diverfes tentatives qu'il
avoit employées pour la fatisfaire . Clindor
, trop facile à favorifer l'indifcrétion
de fon ami , lui confeilla de couper un
morceau de la frange du lit de la belle
inconnue. L'imprudent Alcippe ne manqua
pas de fuivre ce confeil. Le lendemain
il parcourut avec Clindor les maifons
les plus confidérables de la ville , &
bientôt ils découvrirent ce qu'ils auroient
dû éternellement ignorer. Il faut avouer
cependant qu'ils furent tellement difcrets
l'un & l'autre que , non - feulement ils cacherent
fon nom à leurs meilleurs amis ;
mais , qu'ils ne fe permirent pas même
de le nommer dans le fein de leurs familles.
Heureux ! fi mon pêre l'eût éten
due cette difcrétion jufqu'à l'objet de la
paffion . Mais trop affuré de l'amour que
l'on
V
JANVIER. 1772. 25
l'on avoit pour lui , il crut pouvoir hafarder
cette confidence . Sa vanité lui faifoit
efpérer que la Dame , après cette découverte
, ne feroit plus mystère de fa paſfion
, il fe flattoit de fe faire un honneur
public de fa conquête .
Un matin donc lorfqu'il étoit prêt à fe
lever , il fe jetta aux pieds de l'inconnue ,
& la conjura par toute fa tendreffe de ne
vouloir plus lui cacher fon nom & fon
rang. La Dame , fans lui répondre , lui
fit entendre par geftes combien fes importunités
la chagrinoient. Le téméraire
Alcippe infifta , & voyant qu'il ne pouvoit
rien obtenir , il lui dit que tant de
réfiftance étoit inutile , que fon nom n'avoit
pu échapper aux artifices de fon
amour , & fur le champ il la nomma . A
ce mot la Dame fe débarralla des bras de
mon père en jettant un grand cri . La
vieille accourut auffi-tôt:« Malheureufe ,
» lui dit la Dame d'une voix entrecoupée
, tu m'as perdue ; mais crois que
» je me vengerai de ta perfidie . » La
vieille , interdite & tremblante , ne favoit
que répondre. Mais Alcippe fouriant
: « N'accufez perfonne de tout ceci ,
», dit- il en s'adreffant à la Dame , c'eft ,
» comme je vous l'ai dit , un artifice que
I. Vol.
"3
n
B
26 MERCURE DE FRANCE.
C
» l'amour & l'amitié m'ont fuggéré. » Il
lui raconta le confeil que lui avoit donné
Clindor & l'heureux fuccès de ce qu'il
appelloit leur innocent ftratagême ; il
voulut alors s'approcher de la Dame qui
fondoit en larmes , mais elle le repouffa
avec indignation , & fe levant précipi
tamment, elle s'enferma avec grand bruit
dans une chambre voifine . La vieille , reftée
feule avec Alcippe , lui reprocha fon
indifcrétion , puis tâchant de lui faire
prendre le change , elle l'affura qu'il s'étoit
trompé & que fon obftination feule
à la connoître malgré fa défenſe avoit été
caufe de la colère de la belle inconnue.
Alcippe , qui commençoit à fe repentir
de fon indifcrétion , feignit de tout croire
, & après qu'on lui eût voilé le vifage
comme à l'ordinaire , il fortit de la maifon.
Cependant la Dame étoit mortellement
offenfée de l'imprudente curiofité
d'Alcippe. Les avances qu'elle avoit faites
la couvroient de confufion . Elle en
conçut le dépit le plus violent . Dès lors
elle ceffa de le recevoir ; cependant comme
elle ne pouvoit le haïr , toute fa colère
fe tourna contre Clindor , elle réfolut
d'en faire la victime de fa
vengeance
.
JANVIER. 1772. 27
A force d'intrigues , elle fçut lui fufciter
un ennemi irréconciliable dans un de fes
parens qui paffoit pour un des plus braves
Chevaliers de la ville . Clindor fut
obligé de fe battre ; il étoit auffi trèsbrave
, & fon ennemi ne le ménageant
point , il vit qu'il s'agifloit de la vie de
l'un ou de l'autre . Clindor, plus heureux,
tua fon adverfaire . Le Chevalier mort
étoit neveu de Pimander , gouverneur de
la place ; la Dame , qui vouloit perdre
Clindor, fit femer le bruit qu'il l'avoit
lâchement affaffiné. Quelque peu fondée
que fût cette accufation , elle trouva un
facile accès auprès de Pimander. Clindor
ne put fe fouftraire à une mort infâme
que par une prompte fuite . Il fe fauva à
l'aide d'un déguisement dans une ville
voifine , dont Alaric , Roi des Vifigots ,
venoit de fe rendre maître . La furie
acharnée à fa perte , alla le chercher jufqu'au
fonds de fa retraite ; elle follicita
fon fupplice auprès d'Alaric ; elle le lui
peignit comme un fcélerat capable des
plus noirs attentats . Alaric ne voulant
pas faire périr un Chevalier fans avoir
pris connoiffance de fon crime , fe contenta
de faire emprifonner Clindor , &
promit de l'envoyer avec efcorte à Pimander.
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE
.
Alcippe , au défefpoir de l'infortune de
fon ami , fit agir les plus puiffantes follicitations
pour obtenir fa grace. Pimander
fe montra inflexible ; il étoit tellement
affuré de la bravoure de fon neven
qu'il imaginoit qu'on n'avoit pu le tuer
que par furprife. Mon père ne fe décou
ragea point; il avoit formé le deffein de
tout tenter pour fauver fon ami ; il vit
qu'il ne lui reftoit d'autres reffources que
la violence , il réfolut de l'employer.
Il s'affura de douze des plus braves de
fes amis ; avec leur fecours il projetta
d'aller à la rencontre de ceux qui conduifoient
Clindor. Ils fe déguifèrent tous en
villageois ; ils fe munirent de provifions
de bouche , & ils cachèrent fous leurs
longs habits des épées & des poignards.
Dans cet équipage , ils abordèrent les Vifigots
qui s'étoient arrêtés dans un petit
village , & tandis que plufieurs d'entr'eux
amufoient le gros de la troupe avec des
fruits de toute faifon qu'ils avoient apportés
, Alcippe & deux de fes amis pénétrèrent
jusqu'à la chambre voifine où
l'on gardoit Clindor ; il s'élança fur le
capitaine des gardes & d'un coup de poignard
l'étendit à fes pieds . Clindor fecondant
la valeur de fes braves défenJANVIER
. 1772 : 29
feurs , brifa fes liens. Les gardes étonnés
ne firent aucune réfiftance , ils prirent lâ ..
chement la fuite & répandirent par-tout
l'effroi dont ils étoient faifis . Les amis ,
d'Alcippe avertis par ce fignal , augmen- .
tèrent le défordre en fondant tout - à coup
l'épée à la main fur les Vifigots ; ils les
mirent en une telle déroute que , fans
fonger à la fupériorité de leur nombre ,
chacun d'eux chercha fon falut dans la
fuite . L'intrépide Alcippe & fes braves
compagnons emmenèrent Clindor fans
obftacles, fans même qu'une action auffi
périlleufe coutât à aucun d'eux la bleſſure
la plus légère .
Les Viligots , à peine remis de leur terreur
, fe rendirent le jour fuivant dans
leur camp. Quelques - uns d'eux avoient
reconnu Alcippe : bientôt Alaric fut inftruit
du défaftre de fes gardes & de la
mort de leur capitaine ; il apprit en même
tems que mon père avoit conduit
cette entreprife. Ce fuperbe monarque
fe crut perfonnellement offenfé , il entra
dans une colère terrible contre Alcippe
& jura fa perte . Cependant Alcippe étoit
forti dès la nuit même de fes états avec
fes douze compagnons ; le lendemain ils
décidèrent de fe féparer pour éviter plus
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
sûrement d'être reconnus par leurs ennemis.
Mon père refta quelque , tems déguifé
dans les états de Pimander ; mais ayant
appris qu'Alaric le faifoit chercher avec
une opiniâtreté fans égale & qu'il avoit
intéreflé tous les voifins dans fa querelle,
il quitta un pays où il couroit les plus
grands périls . Après avoir long tems erré
de royaume en royaume , il s'arrêta à Byfance
.
Quoique la fortune parût s'être un peu
laffée de le perfécuter , Alcippe n'en étoit
pas plus tranquille. Il avoit gagné les bonnes
graces de l'Empereur , & s'il eût voulu
profiter de la faveur où il étoit auprès de
ce prince , il auroit pu parvenir aux plus
grandes charges de l'empire . Mais il étoit
dévoré par une envie démefurée de revoir
le lieu de fa naiffance . Le fouvenir
d'Amaryllis , que fon aventure de Touloufe
avoit un peu affoupi , fe réveilla
dans fon coeur ; il fe confumoit d'amour
& d'ennui ; il étoit difpofé à s'expofer à
tout pour contenter fon defir , lorfqu'il
apprit la mort d'Alaric. Ce prince laifloit
fon royaume divifé entre plufieurs fils
qui , affez embarraffés à fe maintenir les
uns contre les autres dans leurs poffeffions
JANVIER. 1772. 31
ου
particulières , ne pouvoient guères s'occuper
des inimitiés de leur père. La joie
d'Alcippe à cette nouvelle ne peut fe
comparer qu'au chagrin que lui caufoit
l'éloignement d'Amaryllis. Tout fon
amour pour cette bergère fe ralluma , ou
plutôt il prit une nouvelle force ; il reftoit
encore à mon père à craindre la haine
de Pimander, mais cet obftacle , quelqu'attention
qu'il méritât , ne fut point capable
de l'arrêter. Il partit donc fans fonger
comment il calmeroit la colère du gouverneur,
ou comment il fe mettroit à l'abri
de fon reffentiment.
La fortune qui avoit commencé à ſe
déclarer pour Alcippe , ne l'abandonna
point en cette occafion ; elle fit fervir à
fon deffein ces mêmes Viligots qui avoient
été la caufe de fes malheurs. Un chevalier
de cette nation qui , à l'imitation de
la nouvelle inftitution des chevaliers de
la Table- ronde , parcouroit les Gaules
pour chercher des aventures , s'étoit arrêté
dans les états de Pimander. Il avoit
défié tous les chevaliers de la contrée ;
plufieurs des plus braves s'étoient préfentés
. Le cruel Vifigot les avoit tous vaincas,
& abufant avec férocité de fa victoire,
il coupoit la tête de fes ennemis & les
B iv
32
MERCURE DE FRANCE.
envoyoit à une Dame Efpagnole qu'il
avoit choifie pour la maîtreffe de fes penfées
.
Alcippe fe préfenta pour combattre le
fuperbe chevalier . Il parut devant Pimander
, armé de toutes pièces. La viſière de
fon cafque étoit baiffée , & il dit qu'il ne
pouvoit le faire connoître qu'après avoir
mis fin à une aventure qei l'amenoit de
très loin . Le défolé Pimander fentit renaître
en fou coeur l'efpérance de voir punir
la barbare arrogance du Vifigot ; il vit
avec joie la noble affurance du chevalier
inconnu , & après lui avoir donné tous
les éloges que méritoit fon intrépidité, il
affigna jour pour ce fameux combat .
Pour terminer , Alcippe vainquit cet
homme altier que quelques fuccès avoient
fait croire indomptable . Il le traita non
en chevalier , fon exceffive cruauté l'ayant
rendu indigne de ce beau titre , mais en
infâme bourreau qui avoit trempé de fang
froid fes mains dans le fang d'un ennemi
vaincu & défarmé. Il lui enleva la tête de
deffus les épaules , & mettant un genou
en terre , il la préfenta à Pimander. Le
gouverneur , pénétré de joie & d'admiration
, fe précipita fur l'inconnu pour l'embraffer
étroitement ; mon père levant
JANVIER . 1772 . 33
auffi tôt la vifière de fon cafque , offrit
aux yeux de Pimander étonné le vifage
de ce même Alcippe qu'il avoit pourfuivi
avec tant d'acharnement. Interdit , immobile
, Pimander étoit comme frappé
de la foudre. Un refte de haine que les
traits d'un ennemi fi détefté avoient été
chercher jufqu'au fonds de fon ame, combattoit
avec l'admiration & la reconnoiffance
pour ce vainqueur fi brave & fi ſoumis.
Ce dernier fentiment prévalut , & ſe
jettant au cou d'Alcippe : « Vous l'em-
» portez , brave Chevalier , lui dit Pimander
, ma haine ne peut réfifter à tant
de courage. Vous venez de gagner deux
» victoires dont la dernière n'eft pas la
» moins éclatante . Acceptez mon amitié
» & venez prendre dans mes états la pla-
" ce qui eft due à votre mérite . » Je palle
fur toutes les fêtes qui célébrèrent la réconciliation
d'Alcippe & de Pimander &
fur les honneurs par lefquels le gouver
neur fembloit vouloir faire oublier à
mon père les maux qu'il lui avoit caufés.
Cependant Alcippe , fidèle à fon projet,
ne fongeoir qu'à revenir dans nos folitu
des , il ne s'occupoit que d'Amaryllis.
Tout ce qui pouvoit le diftraire de cette
penfée ne lui infpiroit que haine & que
Bv
24 MERCURE DE FRANCE.
dégoût. Après avoir donné à Pimander le
tems que fa reconnoiffance lui impoſoit ,
il lui fit part de fa réfolution . Pimander
ne s'y oppofa que légèrement. Outre que
fa haine n'étoit pas abfolument éteinte ,
il avoit conçu une fecrete jaloufie contre
Alcippe dont les exploits effaçoient entierement
les fiens . Alcippe , à qui une
trifte expérience avoit fait connoître tout
le prix d'une vie douce & tranquille, partit
peu fenfible à cette ingratitude.
Il arriva après dix ans d'abfence dans
ce féjour fi défiré ; il trouva le refpectable
Cléante plein de vie , & demandant aux
dieux le retour d'un fils qui ne pouvoit
ceffer de lui être cher. J'entreprendrois
vainement de vous exprimer les douceurs
de cette première entrevue ; ce n'eft que
dans nos hameaux que l'on peut voir de
ces prodiges de fentimens. Alcippe brifa
aux yeux de ce digne père ce cafque ,
cette épée , cette armure , tous ces inftrumens
de deftruction qui faifoient fes dé
lices dans l'âge de la folie & de l'inexpérience
; il reprit, en les baifant avec tranfport
, le chapeau , la pannetière & la houlette
qui retraçoient à fes yeux les charmes
de fes premières occupations . Bientôt
il parla d'Amaryllis ; il apprit que
JANVIER . 1772. 3'5
petcette
bergère , fidèle à fa mémoire , avoit
fui tout engagement . Demeurée libre par
la mort de fon père , elle avoit fait
dre à Alcé toute efpérance . L'heureux Alcippe
, hors de lui - même , vole auprès de
fa bergère. Quelle furprife agréable pour
la trifte Amaryllis cet amant fi cher à
fon coeur , & dont elle commençoit à
pleurer la mort ou l'infidélité , eſt à fes
pieds plus tendre & plus amoureux que
jamais.
La nouvelle du retour d'Alcippe fe répandit
bientôt dans toute la contrée. On
fçut que corrigé par une longue fuite d'infortunes
, il revenoit plus épris que perfonne
des charmes de la vie champêtre ,
on accouroit de tous côtés pour l'en féliciter,
chacun s'empreffoit à l'envi de lui
témoigner fa joie . Le feul Alcé apprit
cette nouvelle avec un mortel chagrin . Il
avoit conçu contre Alcippe la jaloufie la
plus amère. Malgré les dédains d'Amaryllis
, il en étoit toujours éperdument
amoureux . De quel ceil pouvoit - il voir le
bonheur d'un rival d'autant plus odieux
qu'il étoit plus aimé ? Quant à mon père
il auroit aisément pardonné au malheureux
berger ; mais les infultes vives qu'il
lui en falloit effuyer à chaque inftant ému-
B vj
36 MERCURE
DE FRANCE
.
rent l'ame violente d'Alcippe. Il fe vit
obligé de punir plufieurs fois le téméraire
Alcé , & de contenir par la crainte les efforts
toujours renailfans d'une haine auffi
envenimée. Ces petités querelles étoient
très-fréquentes , elles chagrinèrent Alcip .
pe , elles alterèrent la pureté de fon bonheur
; mais elles fervirent à le détromper.
Une félicité fans mêlange avoit toujours
été fa chimère , & il apprit que la vie la
plus heureufe eft celle dont le cours eftfemé
de moins d'infortunes.
Par Mile Raigner de Malfontaine.
LE JUGEMENT DE PARIS.
CETTE devife : A la plus Belle ,
Peut femer la guerre en cent lieux ,
Elle cût troublé la terre , elle troubla les cieux
Quand la difcorde criminelle
Ofa , fur la table des dieux ,
Jetter ce fruit féditieux
Que réclamoit chaque immortelle.
C'est ce que fit Junon , c'est ce que fit Pallas ,
Et l'on préfume bien , chofe aflez naturelle ,
Que Vénus n'y renonçoit pas.
Jupiter eft nommé juge de la querelle :
JANVIER. 1772 . 37
On veut qu'à l'inftant même il décide le cas ;
Mais contre les Titans une guerre nouvelle
Lui cauferoit moins d'embarras.
Econduire Vénus eft un point difficile :
D'autre part il voudroit ne point choquer Junon .
Chacun fait trop qu'aux cieux , comme à la ville ,
Un mari , tant foit peu fripon ,
A fa femme est toujours docile ,
Lorfqu'au repos de fa maiſon
Cette complaisance eft utile.
Jupiter un inftant abaifle fes fourcis ,
Dont le feul mouvement peut ébranler le monde .
L'inftant d'après la foudre gronde.
C'est l'ufage : les dieux dans leurs moindres foucis
Trouvent quelque douceur à confterner la terre ,
Et c'est par des coups de tonnerre
Que de leurs démêlés nous fommes avertis ,
Enfin le dieu que l'Olympe révère ,
Prend un air plus fercin , plus doux ,
Et dit aux trois Beautés pour juger entre vous ,
Chacune de vous m'eft trop chère .
Ce qui peut fater l'une , à l'autre doit déplaire .
Vous êtes trois , & je ne voi qu'un prix :
De trois, au moins , je voudrois faire ufage.
Confultez donc , je ne dis pas un fage ,
Je ne dis pas un grave perfonnage ;
Mais aux champs Phrygiens allez trouver Pâris ;
Il eft expert en pareil arbitrage ;
38 MERCURE
DE FRANCE
.
Jeune , bienfait , amoureux & beau fils ;
C'eft triompher deux fois que d'avoir fon fuffrage.
On part. Mercure eft nommé conducteur
De cette cohorte rivale .
De l'Olympe à la terre on franchit l'intervale ;
On eft déjà près du jeune pafteur.
Un tel afpect l'éblouit & l'étonne .
Mercure lui tient ce difcours :
"Berger , c'eft Jupiter qui par ma voix t'ordonne
De préfider à ce concours .
Voi la Reine des Cieux , voi la Reine des armes ,
Voi la Déefle des Amours :
Sois aujourd'hui l'arbître de leurs charmes ;
Et que ce fruit fi beau , par ta main préfenté ,
Devienne en ce moment le prix de la Beauté . »
Il dit , & difparoît . Pâris eft immobile .
Il ne fent point en lui cet orgueil magiftral
Qu'au juge le plus imbécile
Communique à l'inftant le moindre tribunal .
Mais on veut qu'il prononce. On l'exhorte , on le
prefle .
On exige , du ton dont on prie à la cour.
Il leve enfin les yeux , il ofe , tour -à - tour ,
Envifager chaque déelle.
Il voit dans leurs regards des regards fupplians.
Junon tempère , enfin , la hauteur arrogante :
Pallas a dépouillé fa fierté menaçante :
JANVIER.
1772.
39
Vénus laifle à fes yeux leurs charmes attrayans.
Tel eft ſon heureux lot : pour féduire & pour
plaire ,
Ses rivales font tout ; Vénus n'a rien à faire.
Pâris détaille alors leurs charmes apparens ,
Et porte fur le refte une vue inquiète.
Sa rare intégrité , pour être fatisfaite ,
Voudroit mettre à l'écart ces riches ornemens ,
Ces voiles redoublés , qu'aux yeux les plus perçans
Oppole l'art de la toilette.
Déefles , leur dit- il , je préfume & je fens
Que chacune de vous en tous points eſt parfaite 3
Mais vous juger avec ces ornemens
C'est vous juger fur l'étiquette.
Examiner de près eft l'unique moyen
De prononcer avec pleine fcience .
Quittez cet attirail , & je réponds d'avance
Que vos charmes n'y perdront rien.
Volontiers , dit Vénus : Junon fe tait encore.
Pallas eft interdite , & fon front fe colore.
Mais que ne peut l'efpoir doublement fédacteur
D'avoirfur fa rivale un public avantage?
La vaincre eft un triomphe en tous fens bien flateur
;
L'humilier eft encor davantage.
Déjà , de fes atours divins
Junon a décoré la plus proche Coline ,
Et Pallas , de fes chaſtes mains ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Détaché fon égide & fa jupe divine.
On voit les enfans de Cypris ,
A l'envi dépouiller leur mère
De cette robe éclatante & légère ,
Qu'entr'eux fe difputoient les zéphirs & les ris.
Que de charmes divers frappent l'heureux Pâris !
Chaque inftant lui fait voir mille beautés nouvelles.
Ses regards enchantés , mais non pas affouvis ,
Voltigent , tour- à - tour , fur les trois immortelles.
Leurs charmes féparés , leurs charmes réunis ,
Eblouiflent fes yeux , balancent fon fuffrage .
Ainfi dans nos jardins fleuris
On voit le papillon volage ,
Incertain dans fon choix , promener fon hommage
De l'oeillet à la role & de la rofe au lys.
Junon, fière de fa puiflance ,
Et sûre que les dons firent plus d'une fois
De la fage Thémis incliner la balance ,
De fon juge par eux croit captiver la voix .
Renonce , lui dit - elle , aux ruftiques emplois ,
Et ma main t'offre une couronne :
Tu feras de l'Afie un des plus puiflans Rois.
Pallas lui dit , berger , vole aux champs de Bellone
,
Et je vais en tous lieux feconder tes exploits.
JANVIER. 1771. 41.
Entre les honneurs & la gloire ,
Entre le fceptre & la victoire ,
C'eft à toi de choifir ; mais fais un digne choix.
Le berger balançoit l'un & l'autre avantage ;
Quand la déeffe au regard enchanteur ,
Au fouris tendre , au plus tendre langage ,
Lui dit berger , dédaigne la grandeur ,
Et ces exploits dont le haſard dispoſe.
Je t'offre plus , je t'offre le bonheur ;
Il eft certain quand Vénus le propoſe.
Si tu fçais nous juger , file prix eft pour moi ,
Pars , Hélène t'attend , & fon coeur eſt à toi.
Ce nom décide tout , & la pomme eft donnée.
Junon eft en fureur , Pallas eft confternée ,
Et toutes deux,, chacune à part ,
De la plus trifte deſtinée
Ont menacé Pâris , qui fonge à fon départ.
Ce n'eft point la grandeur qui féduit un jeune
homme.
Belles qui prétendez enchaîner les défirs ;
Si vous promettez les plaiſirs ,
J'ofe vous promettre la pomme.
Par M. de la Dixmerie;
42 MERCURE
DE FRANCE.
A Madame DE SOMBREUIL , qui avois
1
demandé des vers à l'Auteur.
Ce n'eft qu'au matin de la vie
Que ledieu de la poëfic
Prodigue fes dons éclatans :
Une mufe de cinquante ans
Eft une beauté furannée ,
Qui , des amours abandonnée ,
Veut encor plaire , & perd fon tems.
La mienne par ce contretems
A plié bagage & toilette ,
Et vous ofez dans la retraite
Solliciter les débiles accens !
Que peut fervir à vos appas naifans
L'hommage d'un Anacorère ?
Eglé , l'automne n'eft pas faite
Pour la parure du printems.
Forcé d'abjurer la chimère
Où je puifai tant de douceurs ,
Je fuis Apollon , les neuffoeurs ,
Peut-être même la bergère
Qui , bien mieux qu'eux fur la fougère,
M'inspiroit des fons enchanteurs ;
Je fuis les échos , les prairies ,
Les ruiffeaux , les bois & les fleurs ,
JANVIER . 1772 . 43
Qui , de mes douces rêveries ,
Nourriffoient les tendres erreurs ;
Je n'ofe plus fonger à Flore ;
D'un oeil diftrait je vois la cour
Et pour moi la naiſlante aurore
N'eft plus que la pointe du jour ;
Je fuis fur-tout les grottes & l'ombrage ,
Ils font l'afyle de l'amour...
Hélas ! ce fut fous fon aprentiflage
Que de mes chants le galant badinage
Charmajadis les nymphes d'alentour !
Mais ce n'eft qu'un dieu de paffage ,
Et s'il careffe le bel âge
Il fuit avec lui fon retour.
Tout eft riant , tout intéreſſe ,
Tandis que fon flambeau nous luit ;
Mais s'éteint- il le charme ceffe ,
Tout dégénère & s'appauvrit.
Les échos ne font qu'un vain bruit ,
Un ruifleau n'eft qu'une eau courante ,
Et c'est un fimple oifeau qui chante
Quand Philon èle s'attendrit .
Au lieu qu'à fes feux l'onde pure ,
Les doux zéphirs , l'ombrage , la verdure
Font éclore parmi les fleurs
Ce goût, ces transports , cette ivreffe
Qu'on va chercher fur le Permeffe ,
Et qu'amour feul fait germer dans les coeurs.
En vous donnant les attraits en partage ,
44 MERCURE DE FRANCE.
Ce dieu vous donna fon pouvoir ,
Eglé , vous n'avez qu'à vouloir ,
Et ces faveurs deviendront votre ouvrage ;
Mais fi l'amour vous céde ainfi fes droits ,
Confacrés - les au moins par votre hommage ,
Et goûtez un double avantage
En cédant vous- même à ſes loix.
Pour moi déformais , fans ce guide ,
Je ne puis que d'un pas timide
Rentrer dans le facré vallon :
Mon foleil touche l'horifon ,
Et le foir pâle de ma vie
Menacé de la létargie
Qui flétrit l'arrière ſaiſon
Secrétement me follicite
A prendre congé d'Apollon.
L'Amour & lui marchent à l'uniflon ;
Ils dédaignent tout profélite
Dont le reveil a beſoin d'aiguillon ,
Et tandis que leur oeil propice
Sourit à la jeune milice ,
Aux vétérans il fait faux-bond.
Auffi le reveil d'un barbon
Rarement produit - il grand - chole !
Et
l'heureuse
métamorphofe
Qu'Aurore opéra fur Titon
Eut un fuccès i peu durable ,
Que la déeffe inconfolable
En regretta fans doute la façon.
JANVIER. 1772 .
45
Mais convenons que l'immortelle
N'étoit adroite qu'à demi ;
Car enfin c'étoit fon mari...
Et je doute qu'aucune belle
Eût ici - bas autant de zèle
Pour le reveil d'un pareil favori.
Quoiqu'il en foit vous pouvez plus qu'Aurore
De mes beaux jours , l'Apollon que j'implore ,
Dans l'inftant me rend la clarté ,
Je renais à l'activité
Des feux vainqueurs que vos yeux font éclore ;
Mais eft- ce aflez pour ma félicité ?
Daignez , Eglé , faire un peu plus encore...
Et je fuis sûr de l'immortalité,
Par M. Defmarais du Chambon
en Limousin.
L'HEUREUX MARIAGE.
Anecdote.
JULIE ULIE Couloit fes jours dans une paisible
innocence. Son coeur n'avoit point encore
éprouvé le tumulte des paffions . Jeune ,
belle & riche , elle fixoit les regards de
tous les élégans . Chacun afpitoit à l'honneur
de faire fa conquête ; mais elle re46
MERCURE DE FRANCE.
cevoit avec froideur les déclarations d'amour
qu'on lui adreffoit. A peine fa raifon
commençoit - elle à éclore que déjà
elle indiquoit le plus beau naturel . Une
mère tendre & fage , la Marquife de M..
avoit le foin d'éclairer fes idées & de fortifier
les heureuſes difpofitions . « Accou-
» tumez- vous de bonne heure , lui difoit-
» elle , à regarder les hommes avec in-
» différence ; défiez - vous de leurs dif-
» cours : la plûpart font perfides : ils exagèrent
toujours leurs fentimens : ils
» couvrent de fleurs le précipice : ils emploient
les rufes les plus adroites , les
» piéges les plus dangereux pour triom-
"
"
pher de la timide innocence : fermez
» votre coeur à l'amour & croyez que
» dans la vertu feule réfide le vrai bon-
» heur. »
Julie écoutoit avec docilité les confeils
de fa mère ; elle fuyoit l'oifiveté des cercles
, & fe livroit entierement à l'étude
des belles lettres. On
s'étonnoit que ,
dans un âge encore tendre , on pût ainfi
renoncer à tous les plaisirs & n'en trouver
que dans la folitude. Ceux qui l'approchoient
admiroient en elle une élocution
brillante , un tact fin & délicat , des connoiffances
variées , & fur- tout une méJANVIER.
1772. 47
moire prodigieufe. Mais on a beau éviter
les écueils féduifans de l'amour , tôt ou
tard l'indifférence va s'y brifer & faire un
trifte naufrage . Julie , jufqu'à préfent infenfible
, eft dévorée par la paffion la plus
funefte.
Mundor alloit fréquemment chez la
Marquife. Ilavoit confacré fes plus beaux
jours , dans une congrégation diftinguée,
à l'éducation de la jeuneffe , & goûtoit ,
dans un âge avancé , les douceurs du repos.
Parmi tous fes élèves , il avoit toujours
diftingué St Albin. Celui - ci joignoit
aux graces de la figure , à une taille
noble & aifée , un caractère charmant ,
un coeur fenfible & un efprit orné. Eloigné
depuis dix ans de Mundor , il n'avoit
pas ceffé de lui écrire & de lui donner
des témoignages de fa reconnoiffance . Il
l'entretenoit des différentes fituations
dans lesquelles il fe trouvoit ; il lui parloit
des dangers auxquels fa vertu avoit
été exposée & de ceux auxquels l'effetvefcence
de la jeuneffe l'expofoit encore;
il lui avouoit avec une naïveté charmante
· les fautes qu'il avoit commifes ; il lui
communiquoir tous fes petits ouvrages &
le prioit de l'aider de fes confeils.
Mundor étoit touché jufqu'aux larmes
48 MERCURE DE FRANCE .
"
des marques de tendreffe qu'il recevoit
de fon difciple chéri & de fes progrès
dans les belles - lettres. Il parloit avec enthoufiafme
de fon élève à la Marquife &
à Julie ; il leur fifoit de même toutes les
lettres . L'une & l'autre en écoutoient la
lecture avec un plaifir infini . « Je fuis
enchanté de St Albin , s'écrivit la Marquife
; qu'il doit être aimable ! la bonté
» de fon coeur , l'honnêteté de fon ame
fe peint dans fes écrits. Quelle élégan-
» ce , quelle délicateffe , quelle pureté ,
» on voit regner dans fon ftyle ! ce qui
» me pénètre de la plus vive admiration ,
» c'eft la reconnoiffance
qu'il a pour vous ,
» Mundor , des foins que vous avez pris
» de fun enfance . Quelle leçon pour les
» jeunes gens de fon age qui oublient
fouvent jufqu'au nom de leur bienfai-
» teur ! que je voudrois avoir un fils qui
» lui reffemblât ! »
Julie formoit en fecret des voeux encore
plus ardens que ceux de fa mère. Elle
n'ofoit s'expliquer fur le compte de St
Albin , elle fe feroit décélée . En effet l'amour
s'étoit déjà gliffé dans fon coeur .
L'image de St Albin fe préfentoir à fon
idée fous mille formes agréables . Elle fe
nourriffoit du doux efpoir d'être aimée
un
JANVIER. 1772. 49
un jour de lui . Elle relifoit fans ceffe les
lettres que lui avoit laiffé Mundor , &
plus elle les lifoit, plus fa paffion prenoit
de profondes racines . Mais que de malheurs
vont t'accabler , infortunée Julie !
comment pourras tu apprendre , fans mourir
de douleur , la funefte nouvelle du
mariage de St Albin !
St Albin annonce à Mundor qu'il doit,
fous peu de tems , unir fon fort à celui
d'une Demoifelle très riche , dont il cultivoit
les bonnes graces depuis plufieurs
mois. « Je vais donc , ajoutoit- il , m'embarquer
fur cette mer orageufe où tant
» de gens font un trifte naufrage . Puiffe
» le Ciel rendre heureufe ma naviga-
» tion ! ",
"
Mundor communiqua à la Marquife
& à Julie la lettre de St Albin. Julie fe
retira auffi - tôt dans fon appartement &
eut affez de force d'efprit pour cacher le
trouble qui l'agitoit. Quelle plainte allez
éloquente pourroit rendre les triftes accens
de fa douleut ! « Cher St Albin ,
» s'écrioit-elle , c'en eft donc fait je vais
» te perdre pour toujours... Je n'ai donc
plus d'efpoir d'être unie à toi... De
» couler mes jours avec toi ... Amour
» cruel amour , pourquoi t'ai-je écouté ?.
"
و د
I. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
ןכ
Pourquoi as tu détruit , par tes prefti-
» ges flatteurs , l'innocente tranquillité
» dont je jouiffois ?.. Ah ! cruel St Albin ,
» fi tu favois tous les maux que tu me
» fais fouffrir , ton ame en feroit atten-
» drie... Mais que dis - je ? malheureuſe ..
» où ma raifon égarée me conduit - elle ? ..
Pourquoi accufai - je St Albin ? .. Ne
» fuis je pas la feule coupable ? .. Devois-
» je écouter un tendre penchant ? .. De-
» vrois-je me défefpérer... aimer , ado-
» rer un être chimérique que je ne con-
» nois pas & qui ne peut jamais m'appar-
» tenir?
"}
Telles étoient les réflexions que faifoit
la trifte Julie : elle tâchoit inutilement
d'arracher de fon coeur le trait qui l'avoit
percé. La gaîté fuyoit loin d'elle : le doux
fourire n'erroit plus fur fes lèvres : on ne
voyoit plus briller fur fon vifage le tendre
éclat de la rofe : une pâleur mortelle
couvroit fes joues : infenfiblement elle
tomba dans une langueur qui menaçoit
Les jours .
La Marquife qui chériffoit tendrement
fa fille , éroit défefpérée de la voir dans
un état auffi déplorable. Elle cherchoit à
en découvrir la caufe. Elle foupçonnoit
que Julie pouvoit être atteinte d'une inJANVIER.
1772.
Si
clination malheureufe qu'elle vouloit cacher.
Chère Julie , difoit cette mère
» déſolée , dépofe tes peines dans mon
» fein tu connois ma tendreffe : parles ,
» ma Julie. » Julie répondoit vaguement
à ces propos. Cependant elle dit , en faifant
un effort pour fourire , à Mundor
qui étoit venu s'informer de fa fanté, de
marquer à St Albin qu'il avoit fait , fans
le fçavoir , la conquête d'une jeune perfonne
de fa connoiffance , & qu'elle lui
fouhaitoit , dans le mariage qu'il alloit
contracter , tout le bonheur qu'il méritoit
. (J'aurai du moins , difoit - elle en
elle même , avant de mourir , la confolation
d'informer l'objet que j'aime de
mes tendres fentimens . )
Mundor , fans pénetrer le motif de Julie
, s'acquitta par forme de plaifanterie
de fa commiffion . Il y joignit le portrait
des charmes de Julie. St Albin fit des réflexions
fur ce qu'on lui marquoit , & defiroit
que la plaifanterie devint férieule.
Il avoit à effuyer des parens de Lucile
qu'on lui deftinoit mille tracafferies . L'intérêt
, la convenance & les follicitations
de fa famille avoient feules formé fes
noeuds. Malgré le vif amour de fa maîtreffe
, il n'avoit jamais éprouvé près
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
1
d'elle ces douces émotions & ces tranfports
délicieux qui font le bonheur de
deux vrais amans. La lettre de Mundor
fut une foible étincelle qui caufa un grand
incendie. L'imagination de St Albin fe
porta rapidement vers l'objet dont on lui
parloit. Un certain je ne fçai quoi qu'on
fent mieux qu'on ne peut définir lui faifoit
defirer avec la plus grande impatience
de connoître Julie , & déjà même , fans
la connoître , elle regnoit en fouveraine
dans fon coeur.
Lucile ne fut pas long- tems à s'appercevoir
de la froideur, de St Albin . ( Les
yeux d'une amante font difficiles à tromper.
) Elle l'accabla de reproches , & il ne
chercha point à fe juftifier.
Cependant St Albin , préoccupé de fa
nouvelle paffion , informa Mundor de la
fituation de fon coeur ; il lui fit part auffi
des défagrémens qu'il rencontroit dans le
mariage qu'on lui propofoit , & finit par
l'exhorter à travailler férieufement à fon
bonheur. Mundor fut étrangement furpris
de voir qu'un léger badinage de ſa
part eût fi fort affecté fon élève. Il regardoit
fa lettre comme le fruit d'une imagination
enflammée. Il crut devoir lui
faire à ce fujet quelques repréfentations .
JANVIER . 1772. 53
Il lui répondit qu'il n'étoit pas prudent
de renoncer à un mariage certain & avantageux
pour courir après une chimère . Il
luimit fous les yeux l'éloignement des provinces
qui feroit un obftacle à fes defirs .
(& en effet , St Albin & Julie étoient féparés
l'un de l'autre par une efpace de cent
lieues. ) St Albin infifte : il marque à
Mundor que la diftance qu'il lui oppofoit
n'étoit qu'un point que l'amour fçauroit
franchir. Il le conjure d'accélérer le moment
de fon départ.
Mundor voyant que St Albin perfiftoit
dans fa réſolution
, ne confulte
plus alors
que fon amitié. Il vole auffi - tôt chez la
Marquife
à laquelle
il communique
la
lettre qu'il venoit de recevoir
. « Je fuis
» enchantée
, s'écria la Marquife
, des
» vues que St Albin a fur Julie . Vous fa-
» vez combien je l'eftime & avec quelle
» ardeur j'ai toujours
defiré d'avoir un fils
» tel que lui. D'ailleurs
je crois que la
» maladie de Julie pourroit bien prove-
» nir d'une paffion violente que le mérite
» de St Albin auroit fait naître en elle.
» Elle s'eft formée des idées fingulières
» des hommes
, de leur inconftance
, de
» leur perfidie. Les lettres de St Albin &
» tout le bien que vous nous dites de lui
ן כ
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
"
» ont sûrement allumé dans fon fein lê
» feu qui la confume . Le Ciel fe déclare
en ma faveur : il veut me conferver , en
» m'envoyant St Albin , une fille que
j'aime plus que ma vie . Feu mon époux
» m'a laiffé une fucceffion cor fidérable.
Je vais la partager avec Julie. Ne dif-
» férez pas d'écrire à votre élève , & de
» lui marquer mes intentions. » Auffi tôt
la Marquife & Mundor montent dans
l'appartement de Julie . « Je veux , lui diɛ
la Marquife , en fouriant d'un air d'in
telligence avec Mundor , vous donner
» un époux . A votre âge c'eft un joli pré-
»fent à recevoir que celui d'un mari .
» Vous ne le refuferez pas , fans doute ,
Julie. Plus la Marquife & Mundor
rioient, plus le trouble de Julie augmentoit
, plus elle étoit déconcertée. Elle fe
remet cependant un peu de fon agitation
& répond avec une voix presqu'étouffée
par fes foupirs. «Je fuis bien fenfible à
» vos bontés , Madame : je n'ai pas les
» befoins que vous me fuppofez . Daignez
» ne point gêner mon inclination & me
» laiffer vivre dans le célibat. »
19
La Marquife & Mundor , après quelques
légers badinages fur une pareille réfolution
, inftruifirent Julie du projet de
JANVIER. 1772: 55
fon établiſſement & lui communiquèrent
les lettres écrites à ce fujet . A une nou
velle auffi agréable & auffi peu espérée ,
Julie eut bien de la peine à contenir fa
joie. Elle admira en filence les refforts
fecrets dont la Providence fe fervoit pour
la rendre heureufe . Elle fit un aveu ingé
nu de fa paffion pour St Albin & de tous
les maux qu'elle avoit foufferts depuis la
nouvelle de fon mariage avec Lucile . Ju
lie , délivrée de fes inquiétudes , reprit ,
en peu de tems , fes forces. Bientôt un
coloris charmant anima fon viſage . Une
gaîté aimable accompagne toutes fes actions
. Ses yeux brillent du même feu
qu'autrefois ; l'amour ajoute encore à leur
vivacité naturelle .
Mundor n'eut rien de plus preffé que
d'annoncer à St Albin le fuccès de fa né
gociation & de lui donner tous les éclairciflemens
néceffaires fur la famille & la
fortune de Julie. St Albin reçut avec tranf
port la lettre de fon ami. Il fe propoſoit
d'aller à Paris pour quelques affaires , &
enfuite dans la patrie de la Marquife. Il
hâte donc le moment de fon départ. Il
marque à Mundor fon arrivée , & le prie
de témoigner à Julie l'empreffement qu'il
a de la voir & de lui jurer un amour éternel.
Civ
S.G
MERCURE
DE
FRANCE
.
Pendant que St Albin s'occupoit du
plaifir qu'il auroit de connoître bientôt
Julie & qu'il fe dispofoit d'écrire à fes
parens une lettre très -preffante pour leur
faire agréer fon nouveau projet de mariage
, il s'élève un nuage terrible fur
l'autore de fon bonheur . On lui marque
que le Marquis de St Albin fon père eſt
tombé dangereufement malade , & que
s'il veut recueillir fes derniers foupirs , il
faut qu'il parte fur le champ. A peine at-
il jetté les yeux fur les premières lignes
de cette lettre fatale qu'il n'a pas la force
de l'achever ; elle lui tombe des mains ;
il verfe un torrent de larmes ; il fe paffe
en lui un combat violent entre l'amour
& la piété filiale . L'amour le follicite vivement
en faveur de Julie & veut abſolument
l'entraîner vers elle. Sa tendrefle
lui repréfente un père livré aux horreurs
de la mort , prêt à expirer , prononçant
le nom de fon fils & demandant
avec empreffement de le voir. Une voix
intérieure ne ceffe de lui faire entendre
qu'on doit honorer fes parens , & furtout
leur rendre aux derniers inftans de
leur vie ces triftes & lugubres devoirs
qu'impofent le respect & la tendreffe . St
Albin céde à des raifons auffi folides ; il
n'hésite plus ; il ne prend pas même le
JANVIER. 1772 . 57
tems d'inftruire Mundor du fâcheux contretems
qui l'oblige de retourner dans ſa
patrie ; il vole auprès de fon père qu'il
trouve à toute extrémité.
Sur ces entrefaites la tendre Julie étoit
plongée dans la plus profonde mélancolie
: elle s'allarmoit de ce que St Albin
n'arrivoit point. Tantôt elle craignoit
qu'il ne lui fût arrivé quelqu'accident ;
tantôt fon imagination ingénieufe à la
tourmenter lui faifoit appercevoir fon
amant qui tendoit un hommage infidèle
à Lucile fa rivale & qui rioit de fa fotte
crédulité. En un mot elle étoit livrée à
ces perplexités d'esprit inféparables de
l'attente , lorsque Mundor vint lui apporter
une lettre de St Albin. Il lui appre
noit la maladie de fon père & fa convalescence
. Il réclamoit l'indulgence de la
Marquife & de Julie , & il ajoutoit que
dès que le Marquis de St Albin feroit entièrement
rétabli il partiroit pour unir fa
deftinée à celle de l'aimable Julie.
Cependant St Albin étoit dans un grand
embarras. Il avoit pris , fans confulter fa
famille , des engagemens avec Julie qu'il
refferroit de plus en plus par les nouvelles
affurances de fon amour , & il ne
fongeoit point à ceux qu'il avoit contrac
Cv
38 MERCURE DE FRANCE.
tés avec Lucile. (L'imprudence eft le fors
de la jeuneffe ; le feu des paffions l'emporte
au- delà des bornes de la raiſon &
il lui ôte l'ufage de la réflexion. ) Les
chofes étoient tellement avancées avec
Lucile qu'il ne pouvoit pas décemment
reculer. Le père de Lucile devoit en outre
venir inceffamment chez le Marquis
de St Albin , afin de prendre les derniers
arrangemens pour la conclufion du mariage
avec fa fille. Quel parti prendre
dans une occurence auffi fâcheufe ? Le
Ciel favorifa bientôt St Albin . Le père
de Lucile arrive & il fuscite mille tracafferies
& mille chicanes. Ce père tenoit
la plus grande partie de fa fortune de fa
première femme mère de fa fille . Il fe
défespéroit lorsqu'il réfléchiffoit qu'il
étoit à la veille d'abandonner un riche
patrimoine. Un fentiment généreux lui
faifoit bien defirer quelquefois le bonheur
de Lucile ; mais l'intérêt murmuroit
& détruifoit presqu'auffi- tôt ce premier
mouvement que la nature inspire à un
bon père.
St Albin ne laiffa pas échapper une occafion
auffi favorable de rompre avec Lu
cile & de communiquer à fes parens le
projet de fon mariage avec Julie . Il les
JANVIE R. 1772. 59
trouve partagés d'opinions. Les uns alléguent
le défagrément d'un long voyage .
Les autres difent qu'il y auroit la plus
grande témérité d'aller , fur la bonne foi
d'un ami , époufer une fille qu'on ne connoît
pas. Le Marquis de St Albin , vaincu
par les follicitations & la tendreffe
qu'il avoit pour fon fils , eft le feul qui
opine en fa faveur . Après bien des contradictions
, on s'en tient à fon avis. On
écrit à la Marquife ; en peu de tems on
reçoit d'elle une réponse favorable , &
bientôt le Marquis de St Albin & fon fils
s'acheminent vers la patrie de Julie.
Il ne m'eft pas poffible de rendre ici les
doux transports , les palpitations , les tendres
émotions & tous les autres fentimens
délicieux qu'éprouvèrent Julie & St Albin
à leur première entrevue . St Albin
ne fe lafloit pas de regarder Julie , de contempler
fes charmes & de faire parler à
fes yeux le langage muet de l'amour. Julie
, de fon côté, étoit dans un trouble qui
annonçoit le défordre de fon ame. St Albin
adreffoit-il la parole à la Marquife ,
auffi- tôt elle promenoit fes regards avides
& curieux fur lui . Celui- ci tournoit- il de
nouveau fes yeux fur elle , elle fe hâtoit
de baiffer les fiens avec une modeftie qui
relevoit l'éclat de fes charmes .
C vj
Go MERCURE DE FRANCE .
ود
93
A cet état de contrainte & de gêne fuccéda
bientôt une agréable confiance entre
les deux jeunes amans. L'un & l'autre fe
racontoient mutuellement les perplexités
d'esprit qu'ils avoient eues , les maux
qu'ils avoient foufferts , & ils fe livroient
à ces doux épanchemens qui font les délices
de l'amour. « Chere Julie, lui difoit
» St Albin , le Ciel nous fit naître l'un
» pour l'autre. La fympathie uniffoit nos
» coeurs avant qu'ils fe connuffent. Dès
» que Mundor m'eût parlé de vous , je
» fentis en moi le plus vif defir de vous
voir. Votre image me fuivoit par - tout.
Que je fuis heureux de pouvoir aujour-
» d'hui vous jurer un amour éternel . Oui,
» mon aimable Julie , je ne vis que pour
» vous ; je ne respire que pour votre bonheur
; en vous feule réfide le mien.
Qu'il tarde à ma vive impatience de
» me voir uni à vous pour toujours par
» les liens facrés de l'hymen ! je crains
quelques nouveaux malheurs. -Pourquoi
vous inquiéter , cher St Albin ?
Pourquoi chercher dans l'avenir des
maux qui n'exifteront pas ? La fortune
n'a t'elle pas affez éprouvé notre conftance
? Elle eft laffe de nous perfécu
» ter : elle nous regarde d'un oeil favora-
» ble : jouiffons tranquillement de fes fa-
و د
93
39
"
JANVIE R. 1772. 61
» veurs : mon coeur n'eft - il pas à vous ,
» cher amant ? Croyez - vous que votre
Julie puiffe jamais devenir inconf-
"
» tante ? »
Rien ne troubloit l'innocente tranquillité
de ces deux jeunes amans. Plus ils fe
voyoient, plus ils s'aimoient . Le Marquis
de St Albin & la Marquife de M.
étoient enchantés de voir ce couple charmant
d'auffi bon accord , & ils ne négli
geoient rien pour accélerer fon bonheur .
Déjà on avoit envoyé des bans dans la
patrie de St Albin pour les faire publier ,
déjà ils l'avoient été dans ceile de Julie ,
lorsqu'il furvint un événement qui jetta
la confternation dans tous les esprits.
Lucile , inconfolable de la perte de fon
amant , ne ceffoit pas de déplorer fon
malheureux fort . Elle accabloit fon père
de reproches , en lui difant qu'il étoit
l'auteur de fon infortune & qu'un vil intérêt
le rendoit fourd à la voix du fang.
Senfible à des propos auffi aigres & voiant
que le mariage de St Albin étoit décidé
il meurt de chagrin. A peine Lucile lui
eût elle rendu les derniers devoirs , qu'elle
dépêcha exprès fur exprès à la Marquife
de St Albin pour lui annoncer la mort de
fon père. Elle réclame dans fes lettres la
62
MERCURE DE FRANCE.
tendreffe de fon amant ; elle follicite fon
retour & promet de pardonner fon infidélité.
La Marquife de St Albin , touchée
de l'amour fincère de Lucile pour
fon fils , ne laiffa pas ignorer cet événement
à fon époux : elle le preffe vivement
de ne rien conclure avec Julie , & pour
lui impofer cette néceffité , elle dit qu'elle
n'enverra pas les bans , quoiqu'elle les eût
fait publier.
Le Marquis de St Albin , en lifant cette
lettre , manqua expirer de douleur . II
avoit pour la Marquife de M ... beaucoup
de respect, & pour Julie toute la tendrefle
d'un père . Cependant quel parti prendrat'il?
Ira- t'il irriter fa famille en perfiftant
dans un projet qui lui déplaît ? Il fçavoit
bien qu'il avoit l'autorité en main , mais
jamais il n'en fit d'ufage. La clémence
accompagna toujours fes actions . Il étoit
dans une irréfolution affreufe . St Albin
qui fçavoit que le Marquis avoit reçu une
lettre , entre dans fon appartement. Le
premier objet qui frappe fa vue est fon
père noyé de larmes . Ah ! qu'avez vous,
Monfieur , s'écria auffi - tôt St Albin !
» quelles nouvelles avez vous reçu ?
Hélas ! mon fils , je fuis défefpéré : que
» ton fort eit malheureux ! De grace
»
"
-
JANVIER. 1772 63
expliquez - vous. Tiens , lis ... & vois
» s'il eſt une fituation plus cruelle que la
» nôtre. » St Albin parcourut rapidement
la lettre de la Marquife : elle excite fon
indignation : il pleure ; mais bientôt rappellant
fa fermeté : « Mon père , dit - il ,
» me croit- on affez lâche pour abandon-
» ner Julie ? on m'arrachera plutôt l'ame
» que de me féparer d'elle. » Ce peu de
mots prononcés avec chaleur fixa abfolument
l'irréfolution du Marquis. Ils convinrent
entr'eux de dévorer en fecret
leurs douleurs , de ne rien dire à Julie &
à la Marquife qui pât les décéler , & St
Albin prit la réfolution de partir en pofte
pour aller chercher fes bans fans lesquels
il ne pouvoit pas fe marier.
Cependant , quelques précautions que
St Albin apportât pour cacher fes peines ,
l'inquiétude de la tendre Julie fçut les
deviner. « Cher amant , lui dit- elle,vous
» avez reçu quelques nouvelles fâcheufes
» que vous voulez me déguifer... Cruel
» que vous êtes , je ne mérite donc plus
votre confiance ... Vous n'aimez donc
» plus votre Julie . Moi , je n'aime
» plus ma Julie ... Quelle injukice vous
» me faites. — Mais , au nom de notre
tendre amour , parlez , cher St Albing
-
64
MERCURE
DE
FRANCE
.
-
» Je n'ofe. Ah ! que vous redoublez
" ma curiofité. Eh bien mes parens...
» ma Julie . -Hélas ! achevez . -veulent
» s'opposer à mon bonheur : ils refufent
d'envoyer nos bans : Lucile les a inté-
» reffé en fa faveur. Je pars demain en
""
pofte pour les faire changer de réfolu-
» tion. Ingrat que tu es... tu voudrois
» m'abandonner ainfi ... me laiffer en
proie aux plus vives allarmes ... Si tu
» pars , je ne te reverrai plus... Ah ! fi
je te fuis encore chere... fi tu es enco-
» re fenfible aux bontés de ta Julie , reftes
» auprès d'elle. »
"
Le Marquis de St Albin dans ce moment
rejoignit ces deux amans infortu
nés. Il les trouva l'un & l'autre fort triftes .
Ce bon père mêla fes larmes aux leurs .
« Confolez - vous , mes enfans , leur dit-
" il , je ne vous abandonnerai point : le
» Ciel benira la pureté de mes inten- .
» tions. J'oppoferai une conftance in-
» flexible aux rigueurs du deftin. Vous
» ferez heureux avant qu'il foit peu de
» tems , duffai - je moi- même aller chercher
ce qui eft néceffaire pour votre
mariage. Ce discours calma les craintes
de Julie & ranima entierement l'espérance
de St Albin.
ן כ
JANVIER. 1772 65
La Marquife de St Albin réfléchiffant
fur la réfiftance de fon époux , comprit
enfin qu'elle étoit occafionnée par l'avantage
réel qu'il trouvoit fans doute pour
fon fils dans le projet d'établiffement avec
Julie. Elle prit fagement le parti d'envoyer
les bans . Le Marquis les reçut avec
une joie qu'il n'eft pas poffible d'exprimer.
Les inquiétudes , les perplexités
firent bientôt place aux jeux & aux ris .
On tâcha d'effacer jusqu'au fouvenir des
maux qu'on avoit effluyés . St Albin preffa
la conclufion de fon mariage qui fur célébré
avec magnificence . Peu de tems
après il conduifit fa chere Julie dans fa
patrie. Ses parens le félicitèrent fincèrement
fur le choix qu'il avoit fait . Ces
deux époux coulent maintenant leurs
jours dans une agréable tranquillité , &
ils offrent le tableau le plus parfait de
l'union conjugale
.
Par M. Jaymebon , préfident au grenier
à fel d'Argenton en Berry.
66 MERCURE DE FRANCE.
CLORIS , Hiftoriette.
CLORIS aimoit éperduement
Un jeune berger du village ,
Son coeur étoit à tout moment
Rempli de cette douce image ;
Elle le voyoit tous les jours ,
Depuis qu'il alloit à la treille
Avec fa petite corbeille ,
Paré des plus charmans atours :
Mais n'ofant s'offrir à la vue ,
La pauvrette toute éperdue
Fuyoit en le lorgnant toujours ;
Elle eut voulu de la tendrefle
Inftruire le jeune Colin ,
Mais un peu de délicateffe
La détournoit de ce deffein .
Un foir elle apperçoit Sylvie
Affile à l'ombre d'un tilleul ;
Elle laifle fon troupeau feul
Et va trouver la bonne amie.
A force de s'entretenir ,
Bientôt du beau berger Lyfandre
JANVIER . 1772. 67
On difcourut avec plaifir ;
Qu'il t'aime , que fon ame eft tendre !
Dit Cloris avec un foupir:
Jamais berger fut plus aimable ,
Dis- moi par quel hafard heureux ,
Par quelle rencontre agréable
Vous êtes-vous aimés tous deux?
Ecoute , répondit Sylvie ,
Je ne fçais , mais un beau matin
Je me trouvai toute endormic
Et je m'aflis fous ce jalmin.
Je croyois l'endroit folitaire ,
Je m'endormis au bord de l'eau ;
Point du tout , avec fon troupeau
Il y venoitpour l'ordinaire.
Ily
Voilà-t-il pas que le coquin
S'approche & me baile la main ;
Je m'éveille , & d'un ton févère
Je lui dis d'être moins badin.
L'efprit occupé du jaſmin ,
Cloris dit bon foir à Sylvie.
Sous la treille le lendemain ,
Appercevant venir Colin ,
Bon Dieu , qu'elle fut endormie !
Par M. de Launey , de Bayeux ,
udiant en dreit
38 MERCURE DE FRANCÉ.
EPIGRAMME imitée de l'anthologie ,
fur un vainqueur à la courfe .
L'HEUREUX fils d'Arias eſt fils de la Victoire ,
Delphes , je reconnois ton noble fondateur ,
Il attache à fes pieds les aîles de la gloire ,
Et l'agile Perfée admire fon vainqueur.
Telle dans fa courfe légère
Une flêche lancée auffi -tôt disparut :
Tel invifible en la carrière ,
Arias ne fe voit qu'au but .
Par M. L. D. L.
AUTRE , fur Niobé , changée en pierre &
fculptée par Praxitèle.
Pour le trouble des coeurs & le charme des
усих
Je fus femme autrefois ; mais moins tendre que
belle
Je devins pierre , hélas ! par le courroux des
dieux ,
Je renais aujourd'hui par l'art de Praxitèle.
Un mortel a plus fait que n'avoient fait les dicuz.
Par le même.
JANVIER . 1772 69
LA FEMME COMPATISSANTE ,
Conte.
Je viens vous conter mon chagrin ,
Dit Perrette à lon médecin ;
Mon mari devient aftmatique :)
Notre esculape lui replique ,
Raflurez -vous ; on voit cette espèce de gens
Souffrirbeaucoup , mais vivre très long- tems ;
Pour s'en débarraffer il faut qu'on les affomme.
Perrette auffi - tôt s'écria :
Monfieur , faites que mon pauvre homme
Souffre le moins qu'il le pourra.
Par M. Houllier de St Remi , de Sezanne.)
* Comparaifon des quatre Saifons avea
Les quatre Ages de la vie.
LIS
OVID. Mét. liv . 1
Las diverfes faifons , de nos différens âges ,
Retracent à nos yeux de fidèles images.
* Le Public verra avec plaifir que ces vers ne
démentent point l'idée avantageufe qu'ont donnée
de ce jeune auteur les morceaux imprimés dans le
dernier Mercure.
70
MERCURE DE FRANCE.
Le printems ,jeune enfant que bercent les zéphirs ,
Se couronne de fleurs & fourit aux plaifirs.
La terre allaite encor l'herbe tendre des plaines
Et Cérès craint de voir les espérances vaines.
Tout fleurit , tout eft jeune en cet aimable tems .
L'Eté , fils du Soleil , fuccéde au doux printems.
Sa robufte jeuneffe a l'air virile & mâle ,
-Et fes vives couleurs éclatent fous le hâle.
Il n'eft point de faifon où l'art plus vigoureux
Enfante plus de fruits , brûle de plus de feux.
L'Automne fuit fes pas d'un air tranquille &
fage ;
Sans être vieux encore il n'eft plus au bel âge ,
De la jeuneſſe en lui les feux font amortis ,
fur fon front compter des cheveux
Même on peut
gris.
L'Hiver , hideux vieillard qui chemine avec peine
,
Chancelle à chaque pas dans fa marche incertaine
;
Et fur fon front blanchi , couronné de glaçons ,
Le tems injurieux a creufé fes fillons .
Les faifons , dans leur cours , changent auffi les
hommes.
Ce qu'hier nous étions , ce qu'aujourd'hui nous
fommes ,
Demain , foibles mortels , nous ne le ferons plus.
Autrefois dans le fein où nous fumes conçus ,
JANVIER. 1772 . 75
Del'homme encore à naître incertaine espérance
S'accroifloit lentement notre informe existence .
Nous n'étions qu'ébauchés . Mais la nature alors ,
Ouvrière lavante , organifa nos corps ;
Et les tirant enfin de leur prifon féconde ,
Nousmontra tout- à- coup fur la (cène du monde .
L'homme entre dans la vie , automate impuif
fant ,
Sur la terre couché ne vit qu'en gémiflant ,
Y rampe avec effort , & femblable aux reptiles ,
Au fecours de fes pieds viennent les mains débiles,
Il veut fe foulever & retombant foudain
Il implore en criant l'appui d'une autre main .
Bientôt de les genoux effayant la foupleffe ,
Il fe foutient & marche avec moins de foiblefle.
Déjà plein de vigueur & plein d'agilité
Il parcourt la jeuneffe avec rapidité .
A peine a -t'il franchi le midi de la vie,
Sa courfe impétueufe eft bientôt rallentie.
Sa tremblante vieillefle a befoin d'un appui ,
Ou plutôt le penchant l'entraîne malgré lui.
Fille affreuse du tems , de notre foible argile
La vieilleffe détruit l'édifice fragile ,
Nous confume en détail . Milon , devenu vieux ,
Pleure de voir fes bras autrefois fi nerveux ,
D'os , de muscles tendus , vigoureux aflemblage,
Tomber languiflamment , appéfantis par l'âge.
1
72 MERCURE DE FRANCE:
Tu pleures , Tyndaris , tu pleures & tu crains
Qu'un cryftal indiscret n'offre à tes yeux éteints
Les rides de ton front d'où s'envolent les graces.
Tu n'ofes demander aux trop fidèles glaces ,
Si l'on a pu t'aimer & t'enlever deux fois ,
Ou comment ta beauté fit armer tant de Rois.
O tems , tems deftructeur tout reflent ton ou
trage ,
Et d'une longue mort notre vie eft l'image.
Par M. de St Ange.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois de Décembre
, eft Ongle ; celui de la feconde eft
la Patrie ; celui de la troifième eft le Vin.
Le mot du premier logogryphe eft Montre
, où le trouvent or , mer , renom, mot ,
Rome , Noë , More , re & mort ; celui du
fecond eft Mail, où l'on trouve mil,ami,
mai , mal , ail , ali , mi , la ; celui du troifième
eft Plaine , où ſe trouve laine.
ÉNIGME .
AIR DE ZÉMIRE ET AZOR .
Janvier
Pag
1772.
Rose cheri......e, Aimablefleur
Rose chéri......., Viens sur mon catar Ai
mablefleur, Viens sur mon coeur,Viens sur mon
coeur pui:ser la vi....... Viens du
moins mourir sur mon coeur .Aimable fleur,
Viens sur mon coeur.Viens du moins mourir,Tier
Viens du moins mourir sur mon coeur, Mor
rar sur mon coeur.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
JANVIER . 1772 : 73
JE
ENIGME
E fuis mère des fils qui font tout mon appui ;
Mais toujours inconftans , l'un me quitte aujour
d'hui ,
Et l'autre , par ordre fuprême ;
Afon tour en agit de même ,
Il n'eftjamais en moi , ni je ne fuis en lui.
Par M. Taconet.
AUTRE.
MON emploi n'eft pas éclatant ,
Je fais le mal , mais toujours on m'y porte ,'
Ce que je touche , alors , je l'étouffe à l'inftant ,
Un long bâton fait toute mon escorte ;
Je me promène , & mon bâton me (uit .
Comme ennemi de la lumière
Je force à rentrer dans la nuit
Des objets qui n'ont pas achevé leur carrière ;
Souvent quand un bal eſt fini
Je ne fuis pas chofe inutile ;
I. Vol. D
74 MERCURE
DE FRANCE.
Mais fi je diſois de la ville
L'endroit où l'on me voit le plus affujéti ,
Deme nommer il feroit très-facile.
Par M. Leclerc de la Motte , Capitaine
au régiment d'Orléans infanterie.
A
AUTRE.
LA beauté je fuis nuifible ,
Je favorife la laideur ;
Souvent , fous un dehors trompeur ,
Je cache un coeur ſenſible.
Par M. M. D. C.
JE
AUTRE.
ne puis , belle Eglé , vous offrir mes fervices ;
Maman eft trop rigide , & fa première loi
Ceft que vous vous paffiez de tous mes bons offi .
ces ,
Et que vos paffe-tems foient ailleurs que chez
moi.
Colas y vient pourtant à côté de Rofette ;
Chaque jour je les vois toujours plus amoureux ;
Tout auprès cft Lubin avec fa tendre Anette ;
JANVIE R. 1772 . 75
J'apperçois leurs transports , je fouris à leurs feux.
Des dons que je prodigue une jeune bergère
Se pare avec plaifir , en offre à fon berger ;
Le plus petit préfent fert à nous engager ;
Il eſt même ſouvent le premier art de plaire ;
Puis on rit , on folâtre & moi je laiffe faire ;
On court, on faute , on danfe , on eft content ;
La danse en fait d'amour eft un moyen charmant.
Ce n'est rien , belle Eglé , voiez un jour de fête ;
Hommes , femmes , enfans , enfin tout le canton ,
Pour venir à ma cour avec grand foin s'apprête ;
Le dimanche , & fur- tout le grand jour du Pa
tron ,
Chaque Bergère m'amene fa conquête ,
Chaque bergère y chante une chanfon ;
Souvent maître Baudet le met à l'uniffon.
C'eſt mon plaifir ; je n'éconduis perfonne ;
Venez , filletes , en automne ,
Je brille alors , c'eſt ma ſaiſon.
Venez , venez , jeunes garçons ,
Laiflez gronder la févère vieillefle
Elle condamne la tendreffe ;
Fermez l'oreille à fes triftesl eçons.
Jouiffez ; à l'amour rendez un pur hommages
D'aimer , goûtez le doux plaifir ;
Lejour viendra trop tôt , où les glaces de l'âge ;
Dans vos coeurs refroidis éteindront tout defir,
.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
EN VOI.
D'une Mufe fans art recevez cet hommage ;
C'eft un préfent bien peu flatteur ;
Quand on voit deux beaux yeux , je fais que c'eſt
l'ufage,
De leur parler le langage du coeur.
Oui , belle Eglé , ce doux langage
Fefoit autrefois mon bonheur.
Je ne le connois plus , on l'oublie à mon âge ;
Puiffe bientôt , quelque aimable vainqueur ,
Auprès de vous en faire apprentiſlage ,
Et d'amant paffionné devenir mari fage.
L'amour & la beauté font des dieux que je lers ,
Mais hélas ! ce n'eft plus que par des foibles vers .
Par M. D. M. à Aups en Provence.
LOGO GRYPH E.
MON trône eft ton pois , jeune & belle
Thémire
J'ybrille avec éclat , j'embellis tous tes traits.
Eh que peuvent fans moi tous tes charmes fecrets
?
JANVIER. 1772 .
77
Pour captiver les cours ils ne fauroient fuffire.
J'y parois ; auffi - tôt ton aimable berger ,
Tendre & content , te rend hommage ;
Dût-il être d'humeur volage ,
Tu fçaurois par mon art l'empêcher de changer.
Pour donner de mon fort plus claire connoiſlance ;
Analylons ici , lecteur , mon exiſtence.
Par vos combinaiſons cherchez , trouvez en moi
Le titre fi connu d'un Roi ;
La fleur qui s'empreffe d'éclore
Pour regner un matin dans les jardins de Flore .
Cet animal pefant qu'on peut voir dans Paris ,
Amufer par les tours , effrayer par les cris.
Le titre favori du dieu de la vendange.
L'amante de Jupin paiffant dans les forêts.
La paffion qui fait un noir démon d'un ange.
Le métal qui pour l'homme a les plus grands attraits
.
Ce que Briffaut fous table attend pour fon falaire
;
Celle , en un mot dont vous êtes le frère.
Par M. D. M. , à Aups en Provence:
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
AUTRE.
Je fuis un frère aîné , je ne dure qu'un mois ;
De fept pieds , quatre à bas & tête fupprimée ,
Lecteur , je vais plus loin ; car fans doute tu vois
Queje dois durer une année.
Par M. Bouvet , à Gifors.
L'ON
AUTRE.
'ON me prend , l'on me rend ;
Je fuis d'un grand rapport . fais vivre bien des
gens.
Mon origine eſt le fein de la terre ;
Deux pieds , de moins , fur l'eau je deviens néceffaire.
Par M. M. D. C.
JANVIER. 1772. 79
1
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Obfervations fur la Statue de Marc-Aurèle,
& fur d'autres objets relatifs aux
beaux arts. A M. Diderot, par Etienne
Falconet.
Ut enim de pictore , fculptore , fitore nifi artifex
judicare , ità nifi fapiens non poteft perfpicere
fapientem.
PLIN. Ep. 10 , 1. r .
vol. in 12. A Amfterdam , chez -Matc-
Michel Rey , 1771 ; & fe trouve à Paris
, chez Leclerc , libraire , quai des
Auguſtins.
CES obfervations peuvent être regardées
comme un très - bon commentaire de
la lettre que ce même artiſte a publiée il
y a quelques années fur la fculpture. Elles
font affaifonnées d'excellentes remarques
fur les arts , les artiſtes & les prétendus
connoiffeurs. Le ftyle en eft agréable ,
enjoué & piquant . On ne refufera vraifemblablement
pas à M. Falconet , à l'ar
tifte que l'Impératrice de Ruffie a appellé
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
à Saint Petersbourg pour ériger la ftatue
équeftre de Pierre le Grand , le droit d'ap
précier celle de Marc Aurele , que l'on
voit à Rome au milieu de la place du
Capitole . Cette ftatue eft un de ces monumens
antiques que l'on admire encore
fur parole . Les voyageurs fe transmettent
l'un à l'autre ce mot de Piétre de Cortone
qui dit un jour de ce cheval antique :
Et pourquoi ne marches tu pas ? Ne fçaistu
point que tu es vivant ? Mais Piétre de
Cortone a t il dit ce mot ? Et quand il
l'auroit dit , un inftant d'enthousiasme
du plus habile homme que ce foit est- il
une autorité fuffifante pour nous fermer
les yeux , fur- tout lorsque ce très- habile
homme n'a point fait d'études particulières
de l'objet qu'il examine , ou lorsque
celles qu'il a faites ne font que des àpeu-
près & ne peuvent que lui donner
des mouvemens & des formes infidèles ,
lorsqu'enfin l'ouvrage exifte & qu'il contredit
l'éloge. Mais quand il feroit
vrai d'ailleurs que l'action que Piétre de
Cortone y trouvoit l'eût engagé à le fuppofer
vivant , fon éloge qui n'étoit que
partial , n'étoit pas une raifon pour qu'on
l'ait généralifé ; & que par un fophisme
affez commun aux mauvais raifonneurs ,
JANVIER. 1772. 81
on fe foit écrié : c'eft un ouvrage parfait,
car Piétre de Cortone y a trouvé de la
vie. Le cheval de Marc - Aurèle a du
mouvement. Qui eft ce qui le nie ? Mais
un animal quelconque , s'il eft mal fait ,
aura beau avoir du mouvement , il ne
paffera jamais pour un bel animal. Therfite
avoit du mouvement , mais il étoit
le plus laid des Grecs. Si la comparaifon
eft trop forte , l'auteur confeille de n'en
prendre que ce qui convient à l'objet.
M. Falconet ne parle point ici du Cavalier
qu'il n'a point vu ; il ſe borne au
cheval dont il a des modèles en plâtre
très-exacts . Il l'a examiné avec l'oeil févère
d'un artiſte chargé lui même de modéler
la ftatue d'un cheval ; & qui pour s'élever
au vrai beau , a fait une étude attentive ,
fuivie & répétée de la nature . M. Falconet
a placé celuiqui eft l'objet de fes obfervations
fous toutes les faces poffibles ; il
l'a vu de près & à la diftance où il doit
être fur fon piédeftal. Les détails dans
lesquels il eft entré prouveront fuffifamment
à ceux qui ne font point tout à fait
prévenus que le cheval de Marc - Aurèle
eft bien au- deffous de fa réputation & du
beau naturel .
Les digreffions que l'artifle s'eft per-
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
mifes dans cet examen font toutes relati
ves aux beaux arts ; elles confirment cette
maxime de Pline qu'il a prife pour épigraphe
: Ut enim de pictore , &c . Il releve
fur- tout plufieurs jugemens que feu l'Ab
bé Winkelman , membre de plufieurs
académies , a porté fur les arts ; & fait
très-bien voir que l'on peut être bon littérateur
& fçavant antiquaire & dérailonner
en peinture & en sculpture. M. Falconet
obferve même que M. Winkelman
a mal rendu un paffage de Plutarque;
il eft fans doute allez curieux de voir un
sculpteur au milieu de fon attelier prouver
à un président d'académie , à un profelleur
en langue grecque , qu'il n'entend
point cette langue. Au refte cette petite
revanche n'eft point ici déplacée ; M. le
Préfident avoit jugé à propos de relever
plufieurs endroits de la lettre de M. Falconet
fur la sculpture , & de les interpréter
à fa manière .
Ces nouvelles obfervations d'un artifte
auffi diftingué que M. Falconet ne peuvent
manquer d'être accueillies Si Apelles
, Zeuxis , Phidias , Glycon , Praxitèles
euffent écrits de leur art , leurs livres feroient
ceux des artiftes ; & une page de
leurs réflexions nous inftruiroit plus que
JANVIER. 1772. 83
ce que Paufanias , Strabon ou Pline onc
écrit fur la peinture & la sculpture. Tout
ce que l'on apprend bien clairement dans
un écrit fait par un prétendu connoiffeur
qui n'a pas lui - même pratiqué l'art dont
il parle , eft de discourir fur un objet fans
l'entendre. Rarement ces prétendus connoiffeurs
mettent le doigt où il faut. Comme
ils n'ont qu'un fentiment vague de la
chofe, fentiment toujours fort éloigné de
la connoiffance exacte qu'il faut avoir
pour bien juger , ils tournent fans celle au
tour de l'objet fans vous le faire connoître.
Frère Jacques , jardinier des Chartreux
, lifoit un jour le Spectacle de la
Nature de l'Abbé Pluche ; il trouvoit tout
admirable . Quand il en fut au jardinage ,
il fronça le foucil & jetta le livre en difant
: Il ne fçait ce qu'il dit. Si Frère Jacques
eût été artifte & homme de lettres
il auroit pu dire la même chofe en lifant
une multitude d'écrits fur les arts ou fur
des objets de littérature faits par de fimples
amateurs. Il auroit trouvé fur - tout
fort plaifantes les critiques que les gens du
monde font quelquefois d'un poëme ,
d'une comédie ou d'une tragédie dont ils
ne connoiffent fouvent pas les premières
règles : Felices effent artes , fi de illis foli
artificesjudicarent, QUINTILIEN.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire générale des Infectes de Surinam
& de toute l'Europe , contenant leurs
defcriptions , leurs figures , leurs différentes
métamorphofes , de même
que les defcriptions des plantes , fleurs
& fruits dont ils fe nourriffent , & fur
lefquels on les trouve le plus communément
; avec quelques détails fur les
crapauds , lezards , ferpens , araignées ,
& autres petits animaux de Surinam ,
peints fur les lieux d'après nature , &
gravés avec foin par Mlle Marie- Sy-
Bille de Merian , en deux parties in folio
; troisième édition , revue , corrigée
& confidérablement augmentée ,
par M. Buch'oz , médecin botaniste de
feu S. M. le Roi de Pologne , mem .
bre de plufieurs académies , à laquelle
on a joint une troisième partie qui traite
des plus belles fleurs , telles que des
plantes bulbeufes , liliacées , caryophil
fées , & c. avec leur defcription exacte ,
leur culture & leurs propriétés , ouvrage
intéreffant pour les amateurs de
l'hiftoire naturelle , & unique en fon
genre ; tome premier , vol . in-f. grand
format . A Paris , chez Defnos , librai .
re & ingénieur-géographe , tue St Jacques
, au Globe .
JANVIER . 1772 85
Cette nouvelle édition dont il ne pa
roît que le premier volume , eft en latin
& en françois. Le nom de Mlle de Merian
eft bien connu des amateurs de l'his +
toire naturelle ; les planches que cette
virtuofe avoit fait graver d'après fes peintures
à gouache fourniffent encore des
épreuves très- pures & très- nettes . Le foin
d'ailleurs qu'a pris le fçavant botaniſte
Lorrain pour rendre cette dernière édition
plus correcte , plus exacte & plus
inftructive que les précédentes doivent la
rendre précieufe aux Naturaliftes . Les
deux autres parties de ce grand ouvrage
feront publiées dans peu & fucceffivement.
De l'Education de la Jeuneffe , avec des
notes intéreffantes : Epître, par M. Fran
çois , de plufieurs académies ; in- 12. A
Neufchâteau ; & fe trouve à Paris, chez
Valade , libraire , rue St Jacques , visà-
vis la rue de la Parcheminerie .
Cette épître publiée dans le premier
volume du Mercure du mois d'Octobre
dernier , vient d'être imprimée
avec des notes qui dévéloppent , étendent
ou confirment la penfée du poëte. Le
lecteur même inftruit prendra plaifir à les
lire ; il converfera fouvent avec Plutar86
MERCURE DE FRANCE.
que , Rabelais , Montaigne. Dans une de
ces notes l'auteur compare ingénieuſement
l'enfant qui donne les premiers
fignes d'intelligence , à la ftatue de Pygmalion
qui s'anime ; alors l'enfant perd
peu-à- peu l'habitude de ces vagiflemens
plaintifs , de ces fons foibles & inarticulés
dont il avoit affligé nos oreilles depuis
fa naiflance. La nature travaille aux
opérations nécellaires pour le dévéloppement
fucceffif de fes organes . Son eſtomach
fe fortifie , fon front s'éclaircit , fa
phyfionomie fe décide , fes dents percent,
fes pieds s'affermiffent , fes yeux diftinguent
les traits , fon oreille reconnoît les
fa bouche les prononce . L'enfant
n'a point encore d'idées ; mais a la faculté
d'en acquérir , & chaque jour il en acquiert
de nouvelles. Il a peu d'imagination
, mais il a beaucoup de mémoire ;
auffi aime t-il à répéter ce qu'il entend , a
imiter ce qu'il voit. Il eft finge , parce
qu'il ne peut pas être autre chofe ; &
quiconque y réfléchira bien , verra qu'il
en eft de même des hommes. Presque
tous font des finges qui écoutent avec les
oreilles d'autrui , qui regardent avec des
yeux étrangers , & qui femblent n'avoir
que des fens d'emprunt . Frappé de ces
réflexions, Young a dit quelque part :
noms ,
JANVIER. 1772. $7
T
Nous naiffons originaux , & nous mour-
Tons copies . Montaigne s'étoit déjà plaint,
avec fon énergie ordinaire , de ne voir à
presque tous ceux qui fe croyoient les
plus fçavans , qu'une fuffifance relative &
mendiée. Parmi cette foule vulgaire d'esprits
jettés dans le même moule de fervitude
& d'imitation , s'il fe trouve une
tête d'une trempe plus vigoureufe qui devance
, rectifie ou crée les idées des autres
, cette tête appartiendra fûrement à
un grand homme. De ce peu de réflexions,
on doit conclure que l'enfance même
n'eft pas indifférente à des yeux obfervareurs.
Il importe plus qu'on ne penfe
communément de veiller dès lors aux
fenfations qu'elle éprouve , & aux idées
préliminaires qui fe tracent fur fes fibres.
tendres & délicats .
Une bonne mère s'amufe pour amufer
fon enfant ; elle rend les commencemens
de fon exiftence doux & agréables , fans
quoi elle n'auroit fait qu'un préfent funefte
& haïffable au malheureux à qui elle
auroit donné la vie . Sans doute celui - là
avoit été abandonné des auteurs de fa
naiſſance , qui ofa faire mettre fur fon
tombeau cette défolante & mémorable
inscription : Ci git qui ne fe rendit coupe
88 MERCURE DE FRANCE.
33
»
ble envers perfonne du crime que fa mère
commit en le mettant au monde . « Mères
» vertueufes & fenfibles , s'écrie ici , M.
» F. , pourriez - vous lire ces lignes fans
frémir pour vous - mêmes & pour vos
» enfans ? s'ils ne tenoient de vous que
» la vie , fi vous n'y ajoutiez pas l'inef-
» timable bienfait de l'éducation , vous
» feriez criminelles envers eux ; vous
" outrageriez le Ciel ; vous infulteriez la
fociété ; vous rendriez vos jours mal-
» heureux & votre mémoire odieufe . In-
» terrogez votre confcience. C'eft un juge
» inacceffible aux fophismes , & que les
» foibleffes du coeur ne fçauroient cor-
» rompre. Elle vous crie de remplir les
devoirs que je vous rappelle . Elle vous
» fomme , au nom de la nature , de re-
» noncer aux vaines diffipations qui vous
» écarteroient de ces devoirs facrés . Que
» vous importe le tourbillon du luxe &
» de la folie ? Une mère n'a pour tréfor
» que l'ame de ſes enfans , pour volupté
» que leurs careffes , & que leur vertu
"
» pour parure . »
Sur toutes chofes , a dit Plutarque , il
faut exercer & accoutumer la mémoire des
enfans , pour ce que c'eft , par manière de
dire , le trèfor de fcience . C'eft pourquoi les
JANVIER. 1772. 89
anciens poëtes ont feint que Mnemofine ,
c'eft à-dire, Mémoire , étoit la mère des
Mufes. Mais l'art d'approvifionner la mémoire
des enfans , comme l'obferve M.
François , eft un art délicat & peu connu .
On les force d'accumuler fans ordre &
fans relâche des notions , ou trop vagues
pour leur être utiles , ou trop abftraites
pour être à leur portée , ou trop confuſes
enfin pour fe graver trop profondément
dans leur fouvenir ; un enfant ne doit
étudier les penfées des autres que pour
apprendre à penfer de lui - même . Si vous
chargez fon esprit au hafard ,d'une multitude
d'idées incohérentes , vous le priverez
du développement de fes propres
idées. Il s'accoutumera à répéter ce qu'il
aura lu avec une fidélité niaife , redifant
fans ceffe ce qui a été dit , fans rien dire
de lui - même qui vaille la peine d'être
redit à fon tour , & reffemblera à celui
dont parle Montaigne , qui s'arrêtoit à fe
chauffer chez fon voifin ,fans fe fouvenir
de rapporter dufeu chezfoi.
M. F. parle dans ces mêmes notes des
abus de l'éducation publique. Si ces abus
ont déjà été relevés , il ne faut pas craindre
de les attaquer encore puisqu'ils fubfiftent
toujours. On entend beaucoup de
90 MERCURE
DE
FRANCE
.
gens affurer que tout eft dit depuis longtems
, & que nous fommes venus trop
tard pour trouver des penfées neaves. Ce
propos eft fondé fur un mot de la Bruyere
, qui devoit lui - même ce mot à un
ancien. Mais en convenant avec eux que
tout a déjà été dit , on peut leur répondre
que bien des chofes font encore à redire.
Une vérité d'ailleurs doit être toujours
réputée nouvelle tant que les hommes ne
l'auront point entendue.
Analyfe des Conciles généraux & particu
liers , contenant leurs canons touchans
le dogme , la morale & la discipline ,
tant ancienne que moderne , expliqués
par des notes , conférés avec le droit
nouveau de la Françe principalement,
& précédés d'un traité des conciles en
général , pour fervir d'introduction :
ouvrage utile au Clergé féculier & régulier
, ainſi qu'aux jurisconfultes ; par
leLe R. P. Charles - Louis Richard , profeffeur
en théologie , de l'Ordre des
Frères Prêcheurs , auteur du dictionnaire
eccléfiaftique. Quatre volumes
in- 4°. de huit à neuf cents pages chacun
, même caractère & même papier
que le Profpectus publié ; propoſé par
JANVIER . 1772. 91
fouscription à Paris , chez Vincent ,
imprimeur - libraire , rue des Mathurins
hôtel de Clugny.
Cet ouvrage , utile à tous les miniftres
de la Religion , fera divifé en deux parties.
On donnera dans la première , felon
l'ordre chronoligique, une notice historique
de tous les conciles , tant généraux
que particuliers , avec leurs canons
fur la foi , les moeurs , la discipline , &
des notes pour l'éclairciffement de ceux
qui font obscurs .
La feconde partie contiendra , felon
l'ordre alphabétique , toutes les matières
dont il eft traité dans les conciles ; & , fur
chacune de ces matières , les principaux
canons qui y ont rapport. Ces canons paroîtront
ici en latin , & feront fuivis du
droit nouveau , fpécialement de la France
, puifé dans les pragmatiques & les
concordats , édits & déclarations de nos
Rois ; les arrêts du parlement & du grand
confeil ; les délibérations des affemblées
générales du clergé , les loix , ufages &
libertés de l'Eglife Gallicane ; les meilleurs
jurisconfultes.
L'ouvrage complet en quatre volumes
in-4°. fe vendra 48 livres en feuilles . Les
92 MERCURE DE FRANCE .
perfonnes qui foufcriront ne la payeront
que 36 liv.: fçavoir ; en fouscrivant &
en retirant le premier volume , que l'on
délivrera au mois de Février 1772 , 18 livres
; en retirant le fecond volume qui
fera délivré dans le courant de la même
année , 9 liv .; en retirant les deux derniers
volumes , qui paroîtront l'année
fuivante 1773 , 9 liv .
Les foufcriptions ne feront ouvertes
que jusqu'au premier Juillet 1772 , paffé
lequel tems perfonne ne pourra jouir du
bénéfice accordé.
On trouve , chez le même libraire cideffus
nommé , l'ouvrage intitulé : Dif
fertation fur les voeux , avec les lettres de
N.S. P. le Pape Clément XIV , touchant
la prife d habit de Madame Louife Marie
de France , &c, par l'auteur de l'analyfe
des conciles & du dictionnaire univerfel
des fciences eccléfiaftiques.
Elémens du fyftême général du Monde
in- 12. petit format. A Amfterdam
aux dépens de la Compagnie .
Surgit humus , crefcunt loca descrefcentibus
undis.
OviD. Mét.
JANVIE R. 1772 . 93
L'auteur de ce nouveau fyftême général
n'admet qu'une matière infinié , exiftante
par parties toutes femblables , plus ou
moins rapprochées les unes des autres ,
& plus ou moins en mouvement par leur
propre impulfion . Il rejette par conféquent
tous ces fluides fubtils & différens
qu'on fuppofe pénétrer les corps & agir
fur leurs parties . C'eft par le moyen d'une
matière homogène qu'il prétend tendre
raifon de tous les phénomènes de la nature.
Si la bafe de l'édifice , dont il faut
voir les détails & l'enſemble dans l'ouvrage
même , ne portoit point fur un fait
purement hypothétique , ce nouveau ſyſtême
devroit être mis beaucoup au - deſſus
de tous ceux qui l'ont précédé , parce que
l'auteur , en réduifant les chofes à la plus
grande fimplicité , nous donne de la na
ture, l'idée que l'on doit s'en former. Mais
à qui perfuadera- t- il que l'eau eft la matière
commune de tous les corps & qu'elle
peut fe changer en terre ? De nouvelles
expériences faites à ce fujet prouvent inconteftablement
que l'eau eft indeftructible
& inaltérable ; que la terre que quelques
chymiftes ont imaginé retirer de
l'eau n'étoit que du verre rapproché par
évaporation , ou des débris des aurres
vaiffeaux dont ils fe font fervis . L'expé94
MERCURE DE FRANCE.
rience par laquelle Boële & un autre phyficien
font parvenus , l'un à faire croître
une citrouille & l'autre un faule dans de
l'eau feule , ne peut être favorable au fyftême
de l'auteur , parce qu'il eft reconnu
qu'indépendamment de la petite quantité
de terre dont l'eau eft toujours chargée ,
l'air feul , fans le concours duquel la végétation
ne peut fe dévélopper , eft le
véhicule d'une très grande quantité de ces
fubftances ou des principes qui les produifent.
Il n'eft pas d'ailleurs prouvé ,
comme le prétend l'auteur , que les eaux
du globe décroiffent. Il lui fera cependant
facile de faire voir que les eaux de la mer
ont abandonné certaines parties de terres,
mais c'elt parce qu'elles ont miné ou fub.
mergé d'autres terreins. Ce nouveau fyftême
n'empêchera donc pas que la vieille
doctrine des élémens , pour nous fervit
ici de l'expreffion de l'auteur , n'ait encore
des partifans . On pourra s'amufer
cependant à fuivre dans l'écrit que nous
annonçons tous les détails de ce fyftême
général . On reconnoîtra que toutes les
parties fe correspondent très - bien , que
la marche en eft facile , que l'édifice a
droit de plaire par fa fimplicité ; mais on
cherche fa bafe & on ne lui en voit point,
ou du moins on ne lui trouve qu'une
JANVIER . 1772. 95
bafe d'argile que le moindre choc peut
détruire.
Réfultat des expériences fur les moyens les
plus efficaces & les moins onéreux au
peuple , pour détruire dans le royaume
L'espèce des bêtes voraces ; par l'auteur
des mémoires imprimés par ordre du
gouvernement à l'imprimerie royale ,
fur le même objet , en 1766 & 1768 ;
brochure in- 8°. A Paris , chez Guillyn
, rue du Hurpoix & Guéffier , rue
de la Harpe ; à Metz , chez Bouchard.
La deftruction des loups a fixé depuis
quelques années l'attention du gouvernement,
& c'eft feconder fes vues que de
publier des écrits fur cet objet , fur- tout
lorsque ces écrits font fondés fur l'expérience
& l'obfervation . L'auteur de ce
réfultat , M. de l'Ifle de Moncel , a luimême
pratiqué ce qu'il enfeigne ici , &
les moyens qu'il donne pour le délivrer
des bêtes voraces peuvent fe réduire à
fix principaux ; 10. Les tracs ou battues
, fous la direction des officiers de
Louvererie , précédées des connoiffances
prifes avec les fecours des limiers ou de
la neige ; 2 °. Les chaffes avec un petit
96 MERCURE
DE FRANCE
.
nombre de chiens , & quelques limiers
dreflés pour le loup ; 3 ° . Les embuscades
après les moiffons , à la rive des bois ;
4. Les foffes ou louvieres ; 5. Les piéges
à la Pruffienne & à la planchette que
les appas rendent fi efficaces ; 6°. Les af
fûts domestiques pendant l'hiver avec de
fimples carnages & quelques appas indiqués
dans le mémoire.
Des extraits de mémoires fur la deftruction
des loups & une notice des principaux
ravages caufés par ces animaux depuis
environ quinze mois dans les différentes.
provinces de France terminent cette brochure
que l'on peut regarder comme l'annonce
d'un plus grand ouvrage fur la def
truction des bêtes voraces & le repeuplement
du gibier. Les obfervations nouvelles
& les faits notoires dont l'auteur
ne manquera point d'enrichir cet écrit ,
doivent intérefler à fa publication les
propriétaires de terre & tous ceux qui
font de la chaffe leur occupation ou leur
amufement. L'auteur invite ceux qui
peuvent avoir par devers eux quelques
faits particuliers relatifs à fon objet à les
lui faire parvenir. Ils contribueront au
bien-être de la fociété & rendront l'ouvrage
de M. de Moncel plus digne d'être
préfenté
JANVIER.
97 1772 .
préfenté au Prince augufte qui a bien vouÎu
l'agréer.
Les Graces & Pfyché entre les Graces ,
traduites de l'Allemand M. Wieland ,
parM.Junker, de l'Académie des belleslettres
de Gottingen. A Francfort, chez
Fr. Varentrapp , libraire ; & fe trouve
à Paris , chez de Hanfy le jeune , libraire,
rue St Jacques , près les Mathurins
; & Baſtien , libraire , rue du petit
Lyon , près celle de Tournon ; A Châ
lons - fur - Saone , chez De Livani ,
libraire , brochure in- 12 .
Chaque fcience , chaque art avoit
chez les Anciens fa divinité tutélaire ;
mais tous les arts & toutes les fciences
reconnoiffoient l'empire des Graces.
C'étoit de ces divinités bienfaifantes
qu'ils attendoient les plus précieux de
tous les biens , la gaîté , l'égalité d'humeur
, l'aifance des manières , toutes ces
qualités liantes qui répandent tant de
douceur dans la fociété. M. Wieland
nous trace dans les premiers chants de
fon poëme qui en a fix , l'hiftoire des Graces
telles qu'elles étoient révérées dans la
Gréce; il nous peint fous les images les plus
E
98 MERCURE
DE
FRANCE
.
"
riantes l'heureux accord des mouvemens
d'un corps fouple & docile avec ceux d'une
ame libre & franche. La Beauté fans les
Graces eft la ftatue de Pygmalion avant
qu'elle commençât à respirer & à fentir.
Elle n'a rien de cette magie incompréhenfible
dont Petrarque , le plus enthoufiafte
des poctes , chante d'un ton fi tendre
& fi touchant la fource & les effets
finguliers.
" Cet aimable poëte fe propo-
» fa - t'il jamais de chanter la beauté fen-
» fible de fon adorable Laure ? Non ,
F'objet de fon enthouſiaſme ne fut point
» de célébrer le vif incarnat du teint de
» fa maîtreffe , ni le pur coloris des rofes
qui éclatoit fur fes lèvres , ni les gra-
» cieux contours d'un fein naiffant où
» brilloient tous les charmes d'une pi-
» quante jeuneffe , ni l'or de fes cheveux
qui tomboient en boucles flottantes
jusqu'au bas d'une taille fine & déliée ;
mais ce qui excitoit fes transports poëtiques
étoit ce charme qu'on ne peut
» définir & qui donne l'ame & la vie à
» tous ces différens attraits ; le feu de fes
regards , dont Fame la plus froide au-
» roit été embrafée ; fon fourire raviffant
qui auroit infpiré de l'amour au coeur le
plus fauvage , fa démarche noble &
"
"
»
»
"
"
JANVIER. 1772. ୨୭
majestueuse qui fembloit être celle de
» la plus belle des nymphes de Diane ;
>> les doux accens de fa voix qui furpaffoit
» la voix enchantereffe des firenes ; toutes
» ces beautés enfin que l'imagination ,
» plus pénétrante que les yeux , peut feule
» appercevoir . »
Héfiode avoit donné les Graces pour com
pagnes à toutes les Mufes pour nous faire
entendre qu'un ouvrage d'efprit ne peut
plaire fans les graces . M. Wieland nous
entretient dans les derniers chants de fon
poëme de leur influence fur les fciences ,
les arts & les moeurs . Il nous rappelle ce
fiécle à jamais mémorable dans les annales
des arts , depuis Périclès jufqu'à Alexandre.
« Ce tems dont on peut dire plus
» que d'aucun autre , qu'il a été fous l'em-
» pire des Graces ; ce tems où les philofophes
, les artiftes , les poëtes , les ar
» chontes , les prêtreffes , les juges éprou-
» voient leur influence : où ils admiroient
la hardieffe fublime du cifeau de Phi-
» dias & la délicateffe du pinceau de Ca-
» lamis : où ils joignoient le goût au plai-
» fir , & trouvoient le plaifir dans tout ce
qui étoit beau : où Platon apprit aux
» Grecs à penſer , Hippias à plaire , &
» Laïs à fentir , où quiconque n'étoit pas
E ij
39
330804
100 MERCURE DE FRANCE.
» esclave révéroit & cultivoit les beaux
arts : où les philofophes s'empreffoient
» au tour des Euphranors & des Damons,
» pour fuivre de l'oeil le pinceau dans la
main du premier , & prêter une oreille
» attentive aux chants mélodieux du fe-
» cond : où au fon des inftrumens , au
» milieu des jeux & des ris , ils appre-
» noient aux vieillards l'art de fe rejouir,
» & donnoient aux jeunes gens des leçons
» de fageffe : où Périclès paffoit avec la
» même facilité du travail au plaifir , &
» des bras d'Afpafie voloit au Prytané ,
» & où Alcibiade , que de trop féduifanso
tes occafions entraînoient dans le déré-
» glement , étoit Ulyffe dans le confeil ,
» Achille dans le péril , Pâris avec de
» jeunes beautés , & favoit , quoique fuc
» fon bouclier il portât l'amour pour de-
» vife , fe rendre redoutable à l'ennemi .
» O âge d'or ! où les Graces & les Mufes
» étoient unies comme de tendres foeurs ;
» où des héros s'effayoient à tirer des fons
» fur la lyre , & fentoient le mérite du
» chantre d'Achille ; où Menandre fe
» formoit entre Théophrafte & Glycère;
» où un préjugé peu fondé ne déroboit
point encore la nature aux yeux d'un
» Alcamene & d'un Zeuxis ; où fans en-
39
JANVIER.
101
1772.
"
» vie Apelles & Protogène fe disputoient
» le prix , chacun prêt à convenir du mé-
» tite de fon concurrent , ne penfant
dans leurs défis , qu'à la gloire & à la
perfection de l'art .
"
"
"3
>>
מ
»
"
""
33
Uranie même qui jusqu'alors n'avoit
parlé que d'un ton grave & fententieux,
apprit des Graces le fecret d'inftruire
» & de plaire à la fois. C'eft de leur main
" divine que les Platons , les Humes &
les Fontenelles reçurent les fleurs dont
» ils parfemèrent le fentier rude & eſcarpé
de la vérité fugitive , & cette draperie
légère qui fert à en tempérer l'é-
" clat & à ménager nos foibles yeux . >>
Ce font les Graces qui ont inftruit M.
Wieland à écrire . Les Graces Allemandes
n'ont peut- être pas la légereté & l'élégance
des Graces Françoifes ; mais elles
font plus fimples , plus naïves. Elles ont
fur- tout droit de plaire à ceux qui aiment
àfe rapprocher de plus près de la nature .
33
Ce poëme des Graces eft fuivi d'un
fragment intitulé , Pfyché entre les Graces.
Cette nymphe voyoit d'un oeil fatisfait
les hommages que rendoit à fa beauté
un berger qui l'aimoit . Si elle n'avoit
point encore d'amour , fon ame fimple &
naïve paroiffoit s'ouvrir à ce fentiment &
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
en reffentoit les premières atteintes . Elle
ne s'étoit jamais trouvée fi fenfible . Une
tendre flamme pénétroit fon jeune coeur
doucement agité. Le berger venoit de
faifir une de fes belles mains : elle veut
la retirer , mais le feu de fes regards n'a
rien de févère . Le fourire femble éclore
fur fes lèvres de rofes , & fon irréfolution
pleine de charmes apprend au berger
qu'il ne doit plus douter de fon bonheur ;
vain & flatteur efpoir ! au moment qu'il
s'abandonne aux riantes idées du plaifir ,
& qu'il veut imprimer fur cette main
d'albâtre les baifers d'un amour tendre &
refpectueux , Pfyché, foulevée par les zéphirs
, laiffe fon amant fe confumer en
d'inutiles plaintes , & eft portée dans les
bras des Graces qui l'appellent du doux
nom de foeur. Collée contre leurs bouches
vermeilles , preffée contre leurs feins
d'albâtre , elle fent le plaifir circuler dans
fes veines, & s'abandonne aux fentimens
de tendreffe dont fon coeur trop fenfible
eft furchargé. Elle apprend au milieu des
careffes qu'on lui prodigue la félicité quit
lui eft réfervée . « Tandis que Pfyché
» s'oublie elle - même dans les plaifirs, la
» troupe des Amours faifit ce moment
» favorable pour la transformer en GraJANVIER
. 103 1772 .
ce . Le voile qui la couvre eft arraché
» d'une main impatiente en un clin
» d'ail elle fe voit nue . L'éclat de fes
» charmes brille aux yeux éblouis des
» amours qui les dévorent ; le rouge de
» la pudeur couvre les joues ; elle cache
» fon vifage enflammé dans le fein de
» Pafithée . Timide, enfantine , elle igno-
» roit combien les Graces même gagnent
» à n'emprunter aucune parure étran-
» gère. »
M. Junker , qui a eu part à la traduction
des fables de Leffing & à celle du
Meffie de M. Klopftock , n'a pas peu contribué
à répandre parmi nous le goût de
la paëlie allemande. Nous lai devons
aufi la traduction de Louife ou le pouvoir
de la vertu du Sexe , conte moral de M.
Zacharie , qui fe diftribue chez les mêmes
libraires ci - deffus nommés . Dans ce
conte tous les caractères femblent avoir
été facrifiés pour faire valoir avec plus
davantage l'ame noble , franche & vertneufe
de l'aimable Louife. On aura cependant
de la peine à imaginer un caractère
auffi méchant & auffi vil que celui
d'une certaine Dame de Moncrif , tante
de Louife. Cette femme , à qui l'âge devroit
infpirer des projets de retraite , fe
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
laiffe encore tourmenter par la jaloufie
des conquêtes. Elle regarde Louife fa pupile
comme une rivale, & s'eftimant affez
peu elle-même , cherche , pour conferver
un foible pouvoir fur un amant qui la
méprife , à immoler la vertu de fa propre
niéce. Mais cette balfe tentative ne
contribue qu'à faire triompher avec plus
d'éclat le vertu de cette jeune perfonne.
>
Lettre de M. *** à Madame la Ducheffe
de *** fur un nouveau fyftême de
lecture applicable à toutes les langues.
Prix , 1 liv. 4 fols . A Paris , chez Ofmond
, libraire , rue Galande , Grangé ,
pont Nôtre Dame , au cabinet littéraire
, & M. Degraffe , rue Traverfière
, maiſon de M. le comte de Barre .
Cette lettre eft en quelque forte l'analyfe
d'un plus grand ouvrage que l'auteur
nous promet fur une nouvelle méthode
de lecture. Cette méthode cependant ne
doit être regardée nouvelle que relativement
à ce qui fe pratique aujourd'hui ;
car l'auteur , au lieu d'avoir recours à de
nouvelles inventions , a étudié la nature .
Il a placé le difciple à la naiffance de l'écriture
, & lui faifant parcourir les changemens
fucceffifs qu'elle a éprouvés , il le
JANVIER . 1772. 105
le
met à portée de concilier la langue parlée
& la langue écrite . Il rend à ce difciple
le befoin de lire plus preffant par
defir d'apprendre, qu'il lui fuggère en même
tems. Cette nouvelle méthode a
d'ailleurs l'avantage de fe prêter aux vues
de l'instituteur éclairé qui defire bien
fincèrement l'avancement de fon élève.
L'on ne peut donc trop encourager l'auteur
à publier le traité complet qu'il a
compofé fur cet objet intéreflant.
Dictionnaire du Diagnoftic , ou l'art de
connoître les maladies & de les diftinguer
exactement les unes des autres ;
par M. Helian , D. M .; vol . in 12. A
Paris , chez Vincent , rue des Mathurins
, hôtel de Clugay.
Une Dame de Charité qui avoit raf
femblé plufieurs médicamens & s'étoit
adonnée au foin des malades avec plus
de zèle que de connoiffance difoit affez
naïvement qu'elle favoit bien donner la
fièvre , mais qu'elle ne pouvoit jamais
réuffir à l'ôter. L'application des remèdes
étoit toujours ce qui l'embarraffoit le plus.
C'eft principalement pour ces perfonnes
charitables qui vivent à la campagne que
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
ce Dictionnaire du Diagnoſtic eft compofé
. Les fymptômes des maladies y font
raflemblés de manière qu'il fera facile ,
avec un peu d'ufage , de reconnoître la
préfence de la maladie que l'on veut attaquer.
Pour mieux faire connoître la
méthode de l'auteur , nous citerons l'article
Migraine. Les fignes qui caractéri-
» fent cette maladie font d'abord des dou-
» leurs vives , aigues , lancinantes , qui
» quelquefois font aftreintes à un côté
» de la tête ; & on a obfervé que la
n
"
ود
19
par.
tie gauche étoit le plus fouvent affec-
" tée. Quelquefois elles occupent tout ce
côté , & plus fouvent elles font fixées
» à la tempe , d'autres fois elles courent ,
» comme on dit , par toute la tête , fans
» diftinction de côté ; côté ; elles s'étendent
» auffi jufqu'aux yeux , aux oreilles , aux
» dents , & même au cou & aux bras . La
» violence de ces douleurs eft telle , qu'il
» femble aux malades qu'on leur fend la
» tête , qu'on en déchire les enveloppes ;
ils ne peuvent quelquefois fupporter
la lumière , ni le bruit qu'on fait en
» marchant fur le même plancher où ils
» fe trouvent ; ils font tellement fenfi-
"
bles à cette impreffion , qu'on en a vu
» s'enfermer feuls dans une chambre penJANVIER.
1772. 107
"
33
» dant plus d'un jour , fans fouffrir que
perfonne en approchât . Il eft rare que
» les malades éprouvent fans relâche ces
» cruelles douleurs ; elles reviennent par
efpèce d'accès , qui n'ont , pour l'ordinaire
, aucun type réglé . Quoi qu'aucun
» des fignes que nous venons de détail-
» ler ne puiffe être cenfé vraiment patognomonique
, cependant leur con-
» cours , leur enfemble eft fi frappant
» qu'il n'y a perfonne qui méconnoiſſe
la migraine , & qui ne la diftingue très-
» bien des autres douleurs de tête.
39
13
Art Militaire des Chinois , ou Recueil
d'anciens Traités fur la Guerre , compofés
avant l'Ere Chrétienne par différens
Généraux Chinois ; ouvrages
fur lefquels les Afpirans aux grades
militaires font obligés de fubir des
cxamens . On y a joint dix préceptes
adreffés aux Troupes par l'Empereut
Yong- tcheng , pere de l'Empereur régnant
, & des planches gravées pour
l'intelligence des exercices , des évolutions
, des habillemens , des armes
& des inftrumens militaires des Chinois
, traduit en François par le Pere
Amiot , Miffionnaire à Pekin , teva
E vj
103 MERCURE DE FRANCE.
& publié par M. de Guignes , in 4º.
avec des notes fréquentes. A Paris ,
chez Didot l'aîné , Libraire Imprimeur
, rue Pavée , près du quai des
Auguftins 1772 , avec approbation &
privilège du Roi . Prix en feuilles avec
les trente - trois planches enluminées
d'après les modèles Chinois , 36 liv.
& fans enluminure 27 liv. La brochure
en carton eft de 15 fols . On n'a
tiré qu'un très- petit nombre d'exemplaires.
Ces ouvrages fur l'art militaire des
Chinois , traduits en François par le
Pere Amiot , font dépofés dans le cabinet
de M. Bertin , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , à qui ils ont éré envoyés de la
Chine par le traducteur. C'est le fruit
d'une correfpondance fuivie que ce Miniftre
, plein de zèle pour le progrès de
nos connoiffances , & que fous fes ordres ,
M. Parent , Confeiller de la Cour des
Monnoies, entretiennent , par la permiffion
du Roi , avec des Lettrés Chinois
que Sa Majefté a honorés de fa protection
, & qu'elle a comblés de fes bienfaits
pendant le féjour qu'ils ont fait en
France .
Ces Traités de l'art de la guerre , comJANVIER
. 1772.
109
pofés par les Chinois & recueillis dans
cet ouvrage , font regardés comme claffiques
; tout militaire doit les favoir , &
ils fervent encore à les examiner.
On lira avec plaifir dans cet ouvrage ,
un avis de M. de Guignes , & fes obfervations
fur les ouvrages traduits par
le Pere Amiot ; enfuite un Difcours
du Traducteur , dans lequel il donne
un tableau exact des moeurs & du génie
des Chinois , & de leur connoiffance dans
l'art militaire , tableau d'autant plus intéreffant
& d'autant plus recommandable
, que le Pere Amiot eft plus près des
maurs & des chofes qu'il décrit.
On admirera le Difcours très - impofant
& les dix préceptes très- fages que
l'Empereur Yong- tcheng adreffe aux gens
de guerre ; ainfi que les Traités de plufieurs
célèbres Généraux Chinois fur la
théorie & la pratique de l'art militaire.
On peut prendre dans cet ouvrage une
idée trés jufte de leur juftice , & par le
fecours des planches , une connoiffance
exacte de leurs évolutions militaires , de
leurs armes & de leurs habillemens.
Les. Empereurs Tartares Mantchous ,
qui ont gouverné la Chine depuis la deftruction
des Ming , n'ont pas cru pouvoir
110 MERCURE DE FRANCE.
mieux traiter la théorie de la guerre que
n'avoient fait les Chinois qu'ils ont
vaincus ; c'est pourquoi ils fe font contentés
de faire traduire avec tout le foin
poffible leurs ouvrages les plus effentiels .
Ils fe font approprié tout ce qui pouvoit
leur convenir chez la nation vaincue
; & en adoptant la forme de fon
Gouvernement , quant au principal , ils
n'ont pas jugé qu'il fût indigne d'eux
d'adopter également le plûpart de fes
préceptes militaires.
La lecture de cet ouvrage eft intéreſfante
comme hiftoire , elle eft utile
comme inftruction , & amufante comme
anecdotes ; nous finirons par ce trait que
rapporte le Pere Amiot dans la préface
du Traité de Sunt fe.
Le Roi de Ou ( 1 ) avoit quelques démêlés
avec les Rois de Tchou & de Holou
(2 ) . Ils étoient fur le point d'en ve-
( 1 ) Le royaume de Ou étoit dans le Tchekiang.
Il s'étendoit dans le Kiang -fi , & dans le
Kiang-nan , & occupoit une partie de chacune de
ces provinces.
(1 ) Le royaume de Ho - lou étoit dans le Chantong
. On l'appelloit plus communément le royaume
de Lou .
JANVIER. 1772. 111
nir à une guerre ouverte , & de part &
d'autre on en faifoit les préparatifs . Sunthe
ne voulut pas demeurer oifif. Perfuadé
que le perfonnage de fpectateur n'étoit
pas fait pour lui , il alla fe préfenter
au Roi de Ou pour obtenir de l'emploi
dans fes armées. Le Roi , charmé qu'un
homme de ce mérite fe rangeât dans fon
parti , lui fir un très bon accueil . Il voulut
le voir & l'interroger lui - même.
Sun- tfe , lui dit - il , j'ai vu l'ouvrage
» que vous avez compofé fur l'art militaire
, & j'en ai été content ; mais les
préceptes que vous donnez me paroifn
fent d'une exécution bien difficile ; il
» y en a même quelques uns que je crois
» abfolument impraticables : vous - mê-
» me , pourriez- vous les exécuter ? car il
» y a loin de la théorie à la pratique . On
» imagine les plus beaux moyens lorf-
» qu'on eft tranquille dans fon cabinet &
qu'on ne fait la guerre qu'en idée ; il
» n'en eſt pas de même lorſqu'on ſe trou-
» ve dans l'occafion . Il arrive alors qu'on
regarde fouvent comme impoffible ce
» qu'on avoit envisagé d'abord comme
» fort aifé. "
ود
"
Prince , répondit Sun- tle , je n'ai rien
dit dans mes écrits que je n'aie déjà pra112
MERCURE DE FRANCE.
tiqué dans les armées ; mais ce que je
n'ai pas encore dit , & dont cependant
j'ofe affurer aujourd'hui Votre Majeſté ,
c'eft que je fuis en état de le faire pratiquer
par qui que ce foit , & de le former
aux exercices militaires quand j'aurai l'autorité
pour le faire.
Je vous entends, répliqua le Roi : vous
voulez dire
que vous inftruirez aisément
de vos maximes , des hommes intelligens
, & qui auront déjà la prudence &
la valeur en partage ; que vous formerez
fans beaucoup de peine aux exercices militaires
, des hommes accoutumés au rravail
, dociles & pleins de bonne volonté.
Mais le grand nombre n'eft pas de cette
efpèce.
N'importe , répondit Sun tfe : j'ai dit
qui que ce foit , & je n'excepte perfonne
de ma propofition : les plus mutins , les
plus lâches & les plus foibles y font compris.
A vous entendre , reprit le Roi , vous
infpireriez même à des femmes les fentimens
qui font les guerriers ; vous les
drefferiez aux exercices des armes.
Oui , Prince , répliqua Sun tfe d'un ton
ferme , & je prie Votre Majeſté de n'en
pas douter.
JANVIER . 1772. 113
Le Roi , que les divertiffemens ordinaires
de la cour n'amufoient plus guère
dans les circonftances où il fe trouvoit
alors , profita de cette occafion pour s'en
procurer d'un nouveau genre. Qu'on m'a.
mène ici , dit- il , cent quatre - vingt de
mes femmes. Il fut obéi , & les princeffes
parurent. Parmi elles il y en avoit deux
en particulier que le Roi aimoit tendrement
; elles furent mifes à la tête des autres
. Nous verrons , dit le Roi en fouriant
, nous verrons , Sun - tfe, fi vous nous
tiendrez parole. Je vous conftitue géné
ral de ces nouvelles troupes. Dans toute
l'étendue de mon palais vous n'avez qu'à
choifir le lieu qui vous paroîtra le plus
commode pour les exercer aux armes .
Quand elles feront fuffisamment inftruites
, vous m'avertirez , & j'irai moi - même
pour rendre juftice à leur adreffe & à
votre talent .
Le général , qui fentit tout le ridicule
du perfonnage qu'on vouloit lui faire
jouer , ne fe déconcerta pas , & parut au
contraire très fatisfait de l'honneur que
lui faifoit le Roi , non - feulement de lui
laiffer voir fes femmes , mais encore de
les mettre fous fa direction . Je vous en
rendrai bon compte , Sire , lui dit il d'un
114 MERCURE DE FRANCE .
peu
on affuré , & j'espère que dans Votre
Majefté aura lieu d'être contente de
mes fervices ; elle fera convaincue , tout
au moins , que Sun - tfe n'eft pas homme à
s'avancer témérairement .
Le Roi s'étant retiré dans un apparte
ment intérieur , le guerrier ne penfa plus
qu'à exécuter la commiffion . Il demanda
des armes & tout l'équipage militaire
pour fes foldats de nouvelle création ; &
en attendant que tout fut prêt , il conduifit
fa troupe dans une des cours du palais
, qui lui parut la plus propre pour fon
deffein. On ne fut pas long-tems fans lui
apporter ce qu'il avoit demandé . Sun the
adreffant alors la parole aux Princeffes :
Vous voilà , leur dit - il , fous ma direction
& fous mes ordres : vous devez m'écouter
attentivement , & m'obéir dans
tour ce que je vous commanderai . C'eſt
la première & la plus effentielle des loix
militaires : gardez vous bien de l'enfreindre.
Je veux que dès demain vous faffiez
l'exercice devant le Roi , & je compte
que vous vous en acquitterez exactement.
Après ces mots il les ceignit du baudrier
, leur mit une pique à la main , les
partagea en deux bandes , & mit à la
JANVIER . 1772. 115
tête de chacune , une des Princeffes favorites
. Cet arrangement etant fait , il
commence fes inftructions en ces termes
diftinguez - vous bien votre poitrine
d'avec votre dos , & votre main
droite d'avec votre main gauche ? Répondez
. Quelques éclats de rire furent
toute la réponse qu'on lui donna d'abord .
Mais comme il gardoit le filence & tout
fon férieux : Oui , fans doute , lui répon
dirent enfuite les Dames d'une commune
voix. Cela étant , reprit Sun-tfe ,
retenez bien ce que je vais dire . Lorsque
le tambour ne frappera qu'un feul
coup , vous retterez comme vous vous
trouvez actuellement , ne faifant attention
qu'à ce qui eft devant votre poitrine.
Quand le tambour frappera deux
coups , il faut vous tourner de façon que
votre poitrine foit dans l'endroit où étoit
ci- devant votre main droite . Si au lieu
de deux coups vous en entendiez trois ,
il faudroit vous tourner de forte que votre
poitrine fût précisément dans l'endroit
où étoit auparavant votre main
gauche. Mais lorsque le tambour frappera
quatre coups , il faut que vous vous
tourniez de façon que votre poitrine fe
trouve où étoit votre dos , & votre dos
où étoit votre poitrine.
116 MERCURE DE FRANCE.
Ce que je viens de dire n'eft peutêtre
pas affez clair : je m'explique. Un
feul coup de tambour doit vous fignifier
qu'il ne faut pas changer de contenance,
& que vous devez être fur vos gardes :
deux coups , que vous devez vous tourner
à droite : trois coups , qu'il faut vous
tourner à gauche ; & quatre coups , que
vous devez faire le demi tour. Je m'explique
encore.
L'ordre que je fuivrai eft tel : je ferai
d'abord frapper un feul coup : à ce fignal
vous vous tiendrez prêtes à ce que je dois
vous ordonner. Quelques momens après
je ferai frapper deux coups : alors , toutes
enfemble , vous vous tournerez à droite
avec gravité ; après quoi je ferai frapper
non pas trois coups , mais quatre , &
vous acheverez le demi- tour. Je vous
ferai reprendre enfuite votre première
fituation , & , comme auparavant , je ferai
frapper un feul coup. Recueillezvous
à ce premier fignal. Enfuite je ferai
frapper , non pas deux coups , mais
trois , & vous vous tournerez à gauche ;
aux quatre coups vous acheverez le demi-
tour. Avez- vous bien compris ce que
j'ai voulu vous dire ? S'il vous reste quel .
que difficulté , vous n'avez qu'à me la
JANVIER. 1772. 117
propofer , je tâcherai de vous fatisfahe
Nous fommes au fait , répondirent les
Dames. Cela étant , reprit Sun- tfe , je
vais commencer. N'oubliez pas que le fon
du tambour vous tient lieu de la voix
du Général , puisque c'eft par lui qu'il
vous donne fes ordres .
Après cette inftruction répétée trois
fois , Sun- tfe rangea de nouveau fa petite
armée ; après quoi il fait frapper un
coup de tainbour. A ce bruit toutes les
Dames fe mirent à rire il fait frapper
deux coups , elles rirent encore plus fort.
Le Général , fans perdre fon férieux ,
leur adreffa la parole en ces termes. Il
peut fe faire , que je ne me fois pas affez
clairement expliqué dans l'inftruction
que je vous ai donnée. Si cela eft , je fuis
en faute ; je vais tâcher de la réparer en
vous parlant d'une manière qui foit plus
à votre portée ( & fur le champ il leur
répéta jusqu'à trois fois la même leçon
en d'autres termes :) puis , nous verrons
, ajouta- t- il , fi je ferai mieux obéi .
Il fait frapper un coup de tambour , il
en fait frapper deux. A fon air grave ,
& à la vue de l'appareil bifarre où elles
fe trouvoient , les Dames oublièrent
qu'il falloit obéir. Après s'être fait quel
IIS MERCURE DE FRANCE .
ques momens de violence pour arrêter
le rire qui les fuffoquoit , elles le laifferent
enfin échapper par des éclats immodérés.
Sun tfe ne fe déconcerta point ; mais
du même ton dont il leur avoit parlé
auparavant , il leur dit : Si je ne m'étois
pas bien expliqué , ou que vous ne m'eusfiez
pas affuré , d'une commune voix ,
que vous compreniez ce que je voulois
vous dire , vous ne feriez point coupables
mais je vous ai parlé clairement ,
comme vous l'avez avoué vous- mêmes ;
pourquoi n'avez - vous pas obéi ? Vous
méritez punition , & une punition militaire.
Parmi les Gens de guerre , quiconque
n'obéit pas aux ordres de fon Général
, mérite la mort : vous mourrez donc .
Après ce court préambule , Sun - tfe ordonna
à celles des femmes qui formoient
les deux rangs de tuer les deux qui étoient
à leur tête. A l'inftant , un de ceux qui
étoient prépofés pour la garde des femmes
, voyant bien que le.Guerrier n'entendoit
pas raillerie , fe détache pour aller
avertir le Roi de ce qui fe paffoit. Le
Roi dépêche quelqu'un vers Sun the pour
lui défendre de paffer outre , & en particulier
de maltraiter les deux femmes
JANVIE R. 1772 . 119
qu'il aimoit le plus & fans lesquelles il
ne pouvoit vivre .
Le Général écouta avec respec les paroles
qu'on lui portoit de la part du Roi ;
mais il ne déféra pas pour cela à ſes volontés
Allez dire au Roi , répondit il
que Sun- tfe , le croit trop raifonnable &
trop jufte pour penfer qu'il ait fi tôr changé
de fentiment , & qu'il veuille véritablement
être obéi dans ce que vous venez
annoncer de fa part. Le Prince fait
la loi ; il ne fauroit donner des ordres
qui aviliffent la dignité dont il m'a revêtu
. Il m'a chargé de dreffer aux exercices
des armes cent quatre - vingts de fes
Femmes , il m'a conftitué leur Général ;
c'eſt à moi à faire le refte. Elles m'ont
défobéi , elles mourront. A peine eût- il
prononcé ces derniers mots , qu'il tire
fon fabre , & du même fang froid qu'il
avoit témoigné jusqu'alors , il abat la tête
aux deux qui commandoient les autres .
Auffi tôt il en met deux autres à leur
place , fait battre les différens coups de
tambour dont il étoit convenu avec fa
troupe ; & comme fi ces femmes euffent
fait toute leur vie le métier de la guer
elles fe tournèrent en filence & toujours
à propos.
120 MERCURE DE FRANCE:
Sun - tfe adreffant la parole à l'Envoyé
Allez avertir le Roi , lui dit - il ,
que fes femmes favent faire l'exercice ;
que je puis les mener à la guerre , leur
faire affronter toute forte de périls , &
les faire paffer même au travers de l'eau
& du feu .
Le Roi ayant appris tout ce qui s'étoit
paffé , fut pénétré de la plus vive douleur.
J'ai donc perdu , dit- il en pouffant
un profond foupir , j'ai donc perdu ce
que j'aimois le plus en ce monde....
Que cet Etranger fe retire dans fon pays.
Je ne veux ni de lui , ni de fes fervices....
Qu'as-tu fait , barbare ? ... Comment
pourrai - je vivre déformais , & c.
Quelque inconfolable
le Roi paque
rût , le tems & les circonftances lui firent
bientôt oublier fa perte . Les ennemis.
étoient prêts à fondre fur lui ; il redemanda
Sun -tfe , le fit Général de fes armées
, & par fon moyen il détruifit le
royaume de Tchou (a) . Ceux de fes voifins
qui lui avoient douné le plus d'inquiétude
auparavant , pénétrés de crainte
au feul bruit des belles actions de Sun-
( 1 ) Le royaume de Tchou étoit dans le Hoaan.
Kin- tcheou en étoit la capitale .
tle ,
JANVIER. 1772 121
tfe , ne penferent qu'à fe tenir en repos
fous la protection d'un Prince qui avoit
un tel homme à fon fervice.
Telle est l'idée que les Chinois donnent
de leur héros . De l'événement qu'ils
racontent , & que je viens de raconter
d'après eux , foit qu'il foit réel , foit qu'il
foit fuppofé , on conclut également que
la févérité eft la bafe fur laquelle appuïe
la plus grande autorité du Général . Cette
maxime , qui peut- ètre n'eſt pas bonne
chez les Nations d'Europe , eft excellente
pour les Afiatiques , chez qui l'honneur
n'eft pas toujours le premier mobile.
Catalogue des Eftampes , Vafes de Poterie
Etrufques , figures , bas reliefs &
Buftes de bronze , de marbre & de
terre cuite , ouvrages en marqueterie
du célèbre Boule , Pere , piéces de
méchanique , & autres objets curieux
du cabinet du feu M. Crefat , Baron
de Thiers . Brigadier des Armées du
Roi , Lieutenant Général pour Sa Majefté
de la Province de Champagne
au département de Reims , & Commandant
en ladite Province ; par
P. Remy. A Paris , chez Muzier ,
: Pere , Libraire , quai des Auguftins.
I. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE;
La riche collection de tableaux , f
connue de toute l'Europe , formée par
M. Crozat , avoit encore été augmentée
par M. le Baron de Thiers . Elle eft compofée
des tableaux des plus grands Maîtres
des Ecoles Françoife & Flamande ,
& principalement des meilleurs Maîtres
d'Italie. Cette fuperbe collection eft perdue
pour la France par l'acquifition qu'en
a faite l'Impératrice de Ruffie.
Le goût de M. le Baron de Thiers ne
fe bornoit pas aux tableaux ; il poflédoit
encore une très- grande quantité de Statues
antiques & modernes en bronze &
en marbre , des modèles en terre cuite
des plus grands Maîtres , une nombreuſe
collection d'Estampes , enfin des meubles
précieux du célèbre Boule . Ainfi la
vente , annoncée dans ce Catalogue vers
la fin de Février prochain , fera encore
curieufe & confidérable,
Nouveau Dictionnaire Hiftorique ,
Hiftoire Abrégée de tous les hommes
qui fe font fait un nom par le génie ,
les talens , les vertus , les erreurs même
, &c. depuis le commencement du
monde jusqu'à nos jours ; avec des taples
chronologiques pour réduire en
JANVIER. 1772 ris
corps d'hiftoire les articles répandus
dans ce Dictionnaire , par une fociété
de Gens de Lettres.
Mihi galba , Otho , Vitellius , nec beneficio , nea
injuriâ cogniti.
A Paris , chez Lejay , Libraire , rue
Saint-Jacques , au grand Corneille. A
Caën , chez G. le Roy , Imprimeur
du Roi . A Lyon , chez L. Roffet , libraire
, rue Mercière , 1772 ; 6 vol .
in- 8°. prix , 30 liv . brochés , & 36 livą
reliés.
Les Editeurs de ce Dictionnaire ont
profité de tous les Dictionnaires qui ont
précédé celui - ci , ils ont eu recours aux
Journaux , & ils ont fait beaucoup d'articles
nouveaux fur des mémoires particuliers
; ce qui rend néceffairement leur
ouvrage plus complet , plus étendu &
plus exact . On défireroit que les Editeurs
euffent cité leurs autorités & les fources
où ils ont puifé ; c'étoit même une juftice
à rendre à plufieurs Auteurs , dont le
travail leur a été utile . Nous devons faire
remarquer l'honnêteté des Libraires quí
donnent , fans augmentation de prix aux
Soufcripteurs , fix volumes au lieu de
Fij
J24 MERCURE DE FRANCE.
cinq qu'ils s'étoient engagés de fournir
par leur Profpectus.
Voici un article nouveau de ce Dictionnaire
, par lequel le Lecteur pourra
juger des autres.
Chappe d'Anteroche , ( Jean ) célèbre
Aftronome de l'Académie des Sciences
de Paris , naquit à Mauriac en Auvergne
en 1722 d'une famille noble . Il embrasfa
l'Etat Eccléfiaftique de bonne heure ,
& fe confacra dès - fors à fa fcience favosite
, à l'Aftronomie . L'Académie des
fciences le nomma en 1760 , pour aller
obferver en Sibérie le pallage de Venus ,
Axé au 6 Juin 1761. L'Abbé Chappe
partit avec l'enthousiasme qu'infpire ce
qu'on aime. Arrivé à Tobolsk , capitale
de la Sibérie , à travers mille périls il fit
fon obfervation , & termina fon opération
& fes calculs dans une fituation d'esprit
qu'il comparoît à l'état le plus hen
reux dont l'ame humaine foit fuscepti
ble. De retour en France , il rédigea la
Relation de fon voyage en Sibérie , &
la fit imprimer à Paris en 1768 , en deux
vol. in-4° . La Minéralogie , l'Hiftoire
naturelle , politique & civile , le tableau
des moeurs & des ufages , rien n'eft nègligé
dans cet ouvrage , enrichi d'ailleurs
1
JANVIE R. 1772. 125
d'excellentes Cartes Géographiques , que
l'Auteur lui-même avoit tracées ou rectifiées.
Un nouveau paffage de Venus étant
annoncé pour le 3 Juin 1769 , notre
Aftronome partit en 1768 , pour l'aller
obferver à Saint - Lucar , fur la côte la
plus occidentale de l'Amérique. Une maladie
épidémique défoloit cette contrée.
L'abbé Chappe en fut attaqué, & il mourut
victime de fon zèle , mais avec la
confolation d'avoir rempli le but de fon
voyage . Tout entier aux fciences , il
comptoit pour rien les agrémens d'une
vie douce & pailible . Son caractère étoit
noble , défintéreffé , droit & plein de
candeur. Il avoit un esprit ouvert , aimable
, gai , & capable dans l'occaſion
d'une fermeté fans bornes.
Vocabulaire François , ou Abrégé du Dictionnaire
de l'Académie Françoife. A
Paris , chez la V. Regnard , imprimeur
de l'Académie Françoife , & Demonville
, libraire , grand'falle du palais ,
à la Providence , & rue baffe de l'hôtel
des Urfins ; deux vol. in - 8°. 10 liv.
reliés.
L'utilité de cet ouvrage eft fenfible.
Une fociété illuftre , où préfident le bon
F iij
26 MERCURE DE FRANCE.
›
goût & le génie de notre langue , toujours
occupée des moyens d'en faciliter les fecours
, de les multiplier , de les rendre
même communs & d'une acquifition
moins difpendieufe , le méditoit depuis
long- tems. C'eft en conféquence qu'elle
a bien voulu donner fon agrément aux
éditeurs . Elle a même honoré de fon choix
le rédacteur qui lui a été préſenté ; & par
fuite de la fatisfaction qu'elle a trouvé
dans fon travail , elle a permis que ce Vocabulaire
parût fous l'autorité de fon privilege.
Le travail immenfe du dictionnaire de
l'Académie , renfermé dans deux volumes
in-folio , étoit perdu pour une infinité
de perfonnes qui n'étoient pas en état
de fe le procurer. Il étoit perdu pour les
jeunes gens , entre les mains defquels on
ne pouvoit le mettre . On a levé ces difficultés
, en le réduifant fous un format
portatif & commode , où l'on n'a rien
omis de ce qui étoit effentiel & néceſſaire.
On y a même inféré nombre de mots
qui ne fe trouvoient point dans le diction .
naire in folio : ils feront aifément reconnus
par * qui les précéde .
Aucun des livres de ce genre n'avoit
jufqu'à préfent réuni & l'orthographe &
JANVIE R. 1772 127
l'explication des termes . C'eft la conduite
généralement obfervée dans cet ouvrage.
Il y a lieu de préfumer qu'il fixera l'attention
de tous les François , celle même des
Etrangers. La fource pure où l'on a puiſé
eft le préjugé qui parle le plus en fa faveur.
Il pourra devenir pour les enfans
qui font dans le cours de leurs ételes un´
livre claffique , & pour toute efpèce de
perfonnes un livre néceflaire . Une no
menclature géographique fort étendue ,
diftribuée par ordre alphabétique à la fin
de chaque volume , pourra encore concourir
au mérite de ce Vocabulaire , & en
augmenter les avantages .
Lettres de M. Desp. de B * . ( Desprez de
Boily ) Avocat au Parlement , fur les
Spectacles , avec une Hiftoire des ou
vrages pour & contre les Théâtres . Quatriéme
édition , Paris 1771 , chez Butard
& Boudet , rue S. Jacques , la
veuve Deffaint , rue du Foin , Saillant
& Nyon , fue S. Jean de Beauvais .
L'Univerfité de Paris a admis ce livre
dans le nombre de ceux qu'elle donne
dans fa diftribution générale des prix.
Meffieurs les Principaux des Colléges de
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
certe Capitale , & de ceux des Provinces
fe font aufli empreflés à le mettre entre
les mains des jeunes gens prêts à entrer
dans le monde .
Cet accueil a engagé M. Desprez de
Boilly à étendre cette quatrième édition
.
Cet ouvrage a deux parties. La premiere
contient deux lettres qui originairement
parurent fucceffivement , l'une en
1756 & l'autre en 1758. Cette dernière
fut donnée fous un nom fictif, & elle
fut reçue duPublic comme un fupplément
nécetfaire à la première.
On reconnut dans l'une & l'autre que
l'Auteur n'avoit eu en vue que l'intérêt
des moeurs publiques & particulières. Il
expofe le danger de la trop grande fré
quentation des fpectacles. Mais il a compris
qu'en attaquant ce qui plaît à la multitude
, il ne falloit pas paroître ifolé .
Aufli fe montre -t-il foutenu d'une foule
d'autorités . C'eft de Corneille , de Racine
, de Despréaux , de la Mothe , de
Fontenelle , de Buffy Rabutin , de Ricoboni
, de M. de Voltaire même , & c.
qu'il reçoit des armes pour combattre les
apologiftes des fpectacles.
Ces deux Lettres de M. de Boiffy
JANVIER. 1772. 129
étoient parvenues par leurs éditions fucceffives
à ne plus être fusceptibles d'augmentation.
Il n'en étoit pas de même
de l'hiftoire des ouvrages pour & contre
les théâtres.
Cette feconde partie eft confidérablement
augmentée dans cette quatrième
édition , de maniere que l'ouvrage entier
, qui dans la troifiéme édition ne
contenoit pas 300 pages , en contient
700 dans celle- ci , y compris l'Avertiffement
du Libraire.
Les augmentations font 1°. des Notices
préliminaires fur l'origine & les progrès
de nos fpectacles. 2 °. Un grand nombre
de nouvelles indications d'ouvrages . Celles-
ci font fuivies d'extraits , ou d'obfervations
& d'anecdotes littéraires qui forment
une variété agréable.
Cette nouvelle édition eft auffi ornée
par différentes petites pièces qui s'y trouvent
inférées en entier , & qui ne méritent
pas d'être oubliées. Tels font une
pièce de vers qui parut il y a quelques.
années fur l'Opéra , une Epitre en vers
qui fut adreffée au célèbre M. Boffuet ,
au fujer de fes Maximes contre la Comédie
; le Sonnet de M. Godeau contre
les Théâtres ; la Lettre que M. Greffer
Fv
130 MERCURE DE FRANCE:
a donnée pour manifefter fon repentir
d'avoir travaillé pour le Théâtre ; une
Ode fur la volupté , l'Ode de M. Arcere
fur le danger des fpectacles , la Lettre du
Pere Caffaro , Théatin , à M. de Harlai ,
Archevêque de Paris ; elle a donné lieu à
M. de Boiffy de raffembler dans cet endroit
un choix d'autorités eccléfiaftiques
contre les fpectacles. Elles s'y trouvent
fuivies de ce que la Jurisprudence civile
a produit fur la même caufe. On y
a compris l'Extrait d'un Réglement de
Impératrice Reine de Hongrie fur les
Ipectacres , & d'autres morceaux relatifs .
Comme ce livre fe trouve deſtiné à
être donné aux jeunes gens , M. de Boiffy
s'eft ménagé les occafions d'y jetter incidemment
des principes de moeurs pour
les profeffions les plus intéreffantes.
Galerie poëtique, renfermant, en plufieurs
parties , de cinquante planches chacune
, une fuite de Sujets gravés à l'eau.
forte , dans lefquels on préfente aux
yeux les différents tableaux qu'offre à
l'efprit la lecture des plus beaux Poëmes
anciens & modernes ; avec une
courte explication en vers de chacun
des Sujets , & une efpéce de glofe renJANVIER.
1772. 131
fermant l'analyfe des Poëmes , des
éclairciffemens fur l'hiftoire , la mythologie
, la géographie des différens
âges , &c , &c , &c. dédiée à Mademoifelle
de B....
Segnius irritant animos demiffa per aures
Quamquæfunt oculis fubje&ta fidelibus... Hor
MÉTAMORPHOSES D'OVIDE.
Prix 6 livres broché. A Rome , & fe
trouve à Paris chez Coftard , rue Saint
Jean de Beauvais.
O
Cet ouvrage , peu fufceptible d'une
analyfe raifonnée , eft compofé de trois
parties , 1º de gravures , 2 ° d'explications
en vers , 3 ° d'une efpéce de glofe dans
laquelle on montre la liaifon que les fujets
ont entre- eux dans le Poëme dont ils
font tirés , & dans laquelle auffi on infére
des détails fur l'hiftoire , la mytho
logie , la géographie , lefquels n'auroient
pu entrer dans les vers .
I. Les gravures , faites feulement à
l'eau-forte , font comme les auteurs de
la G. P. l'ont annoncé dans une espéce
de Profpectus , l'ouvrage d'un peintre &
non pas d'un graveur ; & la manière de
F v)
132 MERCURE DE FRANCE.
cet artiſte a obtenu les fuffrages & les encouragemens
de la part du célèbre M.
Cochin , fi bon juge en cette matiere , &
cenfeur de cet ouvrage. On a fupplée ,
difent les auteurs , au moëleux du burin ,
par la facilité du deffin & le feu de
l'expreffion . D'ailleurs , il ne feroit pas
poffible de donner à un prix fi modique
cinquante planches , telles qu'on les obtient
du burin délicat & facile des Beauvarlet
, des le Mire , des Longueil , & c.
II. Les vers expliquent fuffifamment
chaque planche , pour donner une idée de
ces courtes explications ; nous allons en
tranfcrire ici deux .
DEUCALION & PYRRHA ,
préfervés du déluge .
Mais fur les juftes dieux que ne peut l'innocence
!
Deucalion , Pyrrha , reftés feuls vertueux ,
Par la ferveur de leurs voeux
Délarmèrent du Ciel la trop jufte vengeance ,
Dans un léger efquif ballotés ſur les eaux ,
Et transportés de flots en flots
Le fort enfin les guide ,
Vers un temple de la Phocide
Ou Thémis rendoit les arrêts .
L'un & l'autre en tremblant révèrent fon image
JANVIER. 1772. 133
Et lui préfentent leur hommage
En confultant fes auguftes décrets.
On trouve dans la glofe qui fuit à peu
près la traduction littérale d'Ovide......
quelques éclairciffemens fur Thémis ,
déeffe de la Juſtice , & que l'on peint ordinairement
avec des balances... La pofition
de la Phocide , province de la Gréce
propre , au N. O. de la Béotie , & au N.
du golphe de Corinthe .... Enfin quelques
mots fur Deucalion , roi de Theffalie ,
Nous paffons au fujet fuivant .
Pierres changées en hommes .
Malgré la réponſe peu claire
De l'oracle ambigu l'époux faifit le fens.
Auffi-tôt pour y fatisfaire ,
Après avoir aux dieux offert un pur encens ,
Voile baiflé , ceinture détachée ,
De pierres par leurs mains la campagne eft jon
chée ;
Et ces pierres , peuplant les plaines , les côteaux ,
Sont les germes heureux d'autant d'hommes nouveaux
,
De celles de Fyrrha les fémelles fortirent
Et de Deucalion tous les mâles nâquirent .
Ici la glofe donne un abrégé du beau
134 MERCURE DE FRANCE.
tableau que fait Ovide de la fituation &
des regrets de ces deux époux prêts à fe
féparer pour jamais en perdant la vie fous
les eaux . On rapporte enfuite la réponſe
ambigue de l'Oracle , & enfin on indique
la pofition du Céphifle dans lequel , ſelon
Ovide , ils allèrent fe laver.
Cet ouvrage continuera à fe diftribuer
plufieurs fois par an , & chaque partie
contiendra toujours cinquante planches .
Les Auteurs ont commencé par les Métamorphofes
, comme plus utiles en ellesmêmes
, & plus propres à faire fentir l'avantage
de leur plan. Ils reprendront enfuite
les denx Poëmes d'Homère , celui
de Virgile , & fucceflivement jufqu'à la
Henriade mais s'ils n'accelèrent pas
leur travail , il fera de longue durée .
Diflionnaire hiftorique d'Education , où ,
fans donner des préceptes , on fe propofe
d'exercer & d'enrichir toutes les
facultés de l'ame & de l'efprit, en fabftituant
les exemples aux leçons , les
faits aux raifonnemens , la pratique à
la théorie . A Paris , chez Vincent
imprimeur libraire , rue des Mathurins
, hôtel de Clugny ; 2 vol . in - 8 °.
petit format , rel. 10 l
·
JANVIER. 1772 135
Les vues de l'auteur de cette collection
ne font pas nouvelles ; car à qui n'eft- il
pas tombé quelque fois dans l'efprit de
vouloir inftruire & former la jeuneffe à
la vertu ? Pluſieurs même fe font chargés
de cette pénible entreprife ; les uns par
d'ingénieux fyftêmes d'éducation , les autres
par de fçavans traités de morale .
Mais la plupart ou n'ont point atteint le
but, ou s'en font beaucoup trop éloignés .
Il n'en fera pas ainfi du nouveau Diction
naire hiftorique , dans lequel on trouve
réunies deux qualités qui , dans un plan
d'éducation , avoient parues jufqu'alors
incompatibles . Rien ne fent ici l'infttuc
tion ni la morale , parce qu'elles font tou
jours cachées fous les attraits de l'hiftoimais
leurs effets n'en feront que plus
fûrs & plus marqués . On a rangé les faits
hiftoriques fous le titre des vertus & des
qualités auxquelles ils appartiennent ; & ,
comme un même titre contient fouvent
un grand nombre de faits , on les a diftingués
par des chiffres différens .
re ;
ABSTINENCE , 10. M. le Duc d'Or
léans , qui fut Régent du royaume , invita
le célèbre Defpréaux à dîner. C'étoit
un jour maigre , & l'on n'avoit fervi que
gras . On s'apperçut qu'il ne touchoi
du
136 MERCURE DE FRANCE.
:
qu'à fon pain. « Il faut bien , lui dit le Prin
» ce , que vous mangiez gras comme les
» autres ; on a oublié le maigre. - Vous
» n'avez qu'à frapper du pied , Monfei-
» gneur, lui répondit Boileau , & les poiffons
fortiront de terre. » Cette allufion
au mot de Pompée fit plaifir à la compagnie
; & fa conftance à ne vouloir point
toucher au gras fit honneur à fa religion ..
AMITIÉ , 25. Deshayes de Courme
nin , ayant arrêté , par ordre du Roi
Louis XIII , fon père , gouverneur de
Montargis , fe rendit au Pont-St Eſprit ,
& fe logea chez M. de Brienne , fon ami ,
qui fe chargea de folliciter avec lui la
grace de Deshayes . Le généreux Brienne
en parla d'abord au Cardinal de Richelieu
, qui gouvernoit la France fous le
nom de Louis. « Pourquoi votre maiſon
» fert- elle d'afyle à cet homme , lui dit
»
froidement le miniftre? Ma maiſon ,
répondit M. de Brienne , ne peut être
» fermée à mon ami. Il m'eût outragé ,
» s'il en eût prife une autre ; & votre
>> Eminence a l'ame trop belle & trop
» grande pour ne pas approuver ma con-
» duite. »
ASSURANCE , 23. Anne de Montmorenci
, premier Baron & Connétable de
JANVIER . 1772. 137
Fratice , étant fur le point de mourir , un
Cordelier cherchoit à le raffurer fur les
frayeurs qu'iufpire naturellement l'idée
de la mort. Le Connétable lui dit d'un
ton ferme & hardi : « Penfez - vous , mon
» Père , qu'un homme qui a vécu près de
» quatre - vingts ans avec honneur , n'ait
» pas appris à mourir un quart- d'heure.
BONTÉ , 23. Bontems , premier valet
de chambre de Louis XIV , lui demandoit
quelque grace pour un de fes amis.
Quand cefferez - vous donc de deman-
» der , lui dit le Roi? " Bontems fut
étourdi du reproche : Louis s'en apperçur
; & , dans l'inftant même , il ajouta ,
en fouriant : « Et de deinander pour les
» autres , jamais pour vous ? La grace
dont il s'agit en faveur d'un de vos
» amis , je vous l'accorde pour votre
» fils . »
33
"
Le titre Caradère offre une fuite
intéreffante & nombreuſe de portraits
hiftoriques , parmi lefquels on diftingue
ceux de la plupart des Rois de France,
On trouve à l'article Etude , un précis de
l'hiftoire de ceux qui fe font fait un nom
par les productions de leur efprit , avant
l'âge de vingt ans. Il faut lire ce morceau
curieux dans l'ouvrage même. Il ne fçau138
MERCURE DE FRANCE .
roit manquer d'exciter l'émulation
& l'a
mour de l'étude. Nous en difons autant
de tous les titres de ce dictionnaire
, &
nous les croyons trés- propres à former
aux fciences & à la vertu l'efprit & le
coeur des jeunes perfonnes de l'un & de
l'autre fexe.
Almanach encyclopédiqué de l'hiftoire de
France , où les principaux événemens
de notre histoire fe trouvent rangés ,
fuivant leurs dates , fous chacun des
jours de l'année. ( 1772 ) Chez Vincent
, imprimeur- libraire , rue des Mathurins
, hôtel de Clugny , in- 18. joli
format , relié , 1 liv. 5 f.
Chaque jour de l'année fe trouve rempli
par des faits curieux , des anecdotes
intéreffantes , des époques remarquables
de l'hiftoire de France , & forme une petite
chronologie qui n'a rien de fec ni
d'indifférent.
15 Janvier. Plein des fauffes maximes
de la Cour de Rome , le Légat du Pape ,
à la faveur des troubles de la ligue , fe
rend au parlement & veut s'affeoir fous le
dais du coin , place affectée au Souverain .
Le premier préfident fut obligé de le
JANVIER 1772 139
prendre par le bras , & de le faire afleoir
au- deffous de lui , 1590 .
4 Février. Louis , Duc d'Orléans , Père
du Duc d'Orléans d'aujourd'hui , meurt
à l'abbaye de fainte Geneviève , où ce
Prince , auffi pieux que fçavant , s'étoit
retiré depuis plufieurs années. Par fon
teftament il légua fon corps à l'école de
chirurgie , afin qu'il pût fervir à l'inftruction
des élèves ; exemple unique dans
l'hiftoire , 1752.
11 Mars. Jacques de Molai , grandmaître
de l'Ordre des Templiers , eft brûlé
vifà Paris , dans l'endroit où eft à préfent
la ftatue de Henri IV , avec trois autres
chevaliers . On dit que le grand- maître
ajourna le Pape Clément V à comparoître
devant le Tribunal de Dieu , dans
quarante jours , & le Roi Philippe le bel
dans un an. Ils moururent l'nn & l'autre
au bout de ce terme , 1307. Voyez le 13
Octobre.
11. Mai. Bataille de Fontenoi gagnée
contre les Anglois par Louis XV en perfonne
, ayant fous lui le maréchal comte
de Saxe. La préfence d'efprit du duc de
Richelieu , la valeur des Irlandois & l'impétueufe
bravoure des troupes de la Maifon
du Roi arrachèrent la victoire aux
ennemis
, 1745 .
1
140 MERCURE DE FRANCE.
les
·
Il n'eft prefque point de jour qui n'offre
un ou plufieurs événemens de ce genre.
Les amateurs de l'hiftoire , les curieux ,
gens du monde , les fçavans , les jeunes
gens fur tout , auxquels l'almanach
encyclopédique paroît plus particulièrement
deftiné , le liront avec autant de
plaifir que de fruit. Le morceau d'hiftoire
de France qui le termine & qui comprend
la première race de nos Rois , nous
a paru fait avec goût.
Réponse à un écrit anonyme , intitulé :
Mémoire fur les rangs & les honneurs
de la cour , in- 8 ° , à Paris , chez le
Breton, imprimeur du Boi , & la veuve
Duchefne , rue S. Jacques .
Cet
ouvrage
par
eft de M. l'abbé Georgel ,
qui s'attache à constater
des titres authentiques
, la grandeur & l'éclat de l'origine
de la maifon de Rohan. Il répond
d'une nianière victorieufe au Mémoire
qui attaque les droits & les privileges des
Princes étrangers établis en France ; &
c'eft dans les archives de Bretagne , dans
les annales de la monarchie , dans les
faftes de l'europe , qu'il fait voir le nom
de Rohan confacré parmi ceux des maiJANVIER.
1772. 141
fons fouveraines , & jouiffans avec elles
des honneurs attachés par la justice de
nos rois au titre de Prince par naiſſance .
Ce Mémoire plein d'érudition , de recherches
, de faits , & de traits hiftoriques
, eft appuyé fur des titres & des aurités
qui font cités & que l'on peut vérifier
à la bibliothéque de l'hôtel de Soubife.
Nouvel Almanach Encyclopédique , ou
chronologie des faits les plus remarquables
de l'histoire univerfelle , tant ancienne
que moderne ; revue , corrigé , &
confidérablement augmenté d'anecdotes
curieufes , utiles , & intéreffantes. Année
biffextille 1772. A Amfterdam , & fe
trouve à Paris . chez Pillot , Libraire ,
rue S. Jacques , à la Providence 1772 .
"
Almanach chronologique des Rois de
France , pour l'année Biffextile 1772 .
A Paris , chez Dufour , Libraire , rue
de la Vieille Draperie ; Lefclapart , Libraire
, quai de Gêvres , près le pont
Notre Dame , & aux adreffes ordinaires
où fe vendent les nouveautés .
Le Bon Jardinier , Almanach pour
l'année 1772 , contenant une idée géné142
MERCURE DE FRANCE.
rale des quatre fortes de Jardins , les
règles pour les cultiver , la manière de
les planter , & celle d'élever les plus
belles fleurs ; nouvelle édition , confidérablement
augmentée de méthodes & fecrets
pour conferver les fleurs , les fruits,
contre tous les infectes , deftructeurs
des jardins , & dans laquelle la partie
des fleurs a été entierement réfondue par
un amateur , prix , 1 livre 10 fols relié.
A Paris , chez Guillyn , quai des Auguftins
, du côté du pont S. Michel , au
Lys d'or. 1772,
Etrennes d'un pere à fes enfans , ou
Almanach du premier âge , pour cette
année 1772 , avec cette épigraphe ;
Il faut femer , lorsqu'on veut recueillir.
A Paris , chez Grangé , Imprimeur- Libraire
, au Cabinet littéraire , pont Notre-
Dame,
Etrennes intéreffantes pour lajeuneffe ,
ou Recueil de petites fables très- ingénieufes
; enrichi de figures en tailledouce
, analogues à chaque fujet ; feconde
partie. Chez Briffon de Maillard , graveur
& marchand d'eftampes , rue Saint
Jacques , près celle des Mathurins ,
Paris ,
JANVIER. 1772. 148
Les Etrennes de l'amitié , ou recueil de
petites piéces de vers pour la nouvelle
année , & pour des Fêtes ; chez le mêmę
marchand .
Etat Militaire de France , pour l'année
1772 , quatorziéme édition , augmenté
de plus de deux mille officiers ; par Mrs
de Rouffel & de Montandre , prix 2 liv,
15 fols broché , 3 liv . 5 f. relié. A Paris,
chez Guillyn , Libraire , quai des Auguf
tins , près le pont S. Michel , au lys d'or,
On trouve chez le même Libraire
l'extrait de cet almanach , qui eft de 12 f
broché.
Lottin le jeune , Libraire , rue Saint-
Jacques à Paris , vient de recevoir de
Lyon , avec quelques autres affortimens
, les Livres fuivans.
Les Libertés de l'Eglife Gallicane ,
prouvées & commentées fuivant l'ordre
& la difpofition des articles dreffés par
M. Pierre Pithou , & fur les Recueils de
M. Pierre Dupuy , Confeiller d'Etat
avec approbation & privilége du Roi ;
144 MERCURE DE FRANCE.
M. Durand de Maillane , Avocat en
par
Parlement , s vol . in-4°. 1771 .
Le
Dictionnaire de Droit Canonique
& de Pratique Bénéficiale , &c. par le
même M. Durand de Maillane , nouvelle
édition , corrigée & très - augmentée ,
4 vol . in-4°.
Les Grandeurs de Jéfus - Chrift dans
fes fouffrances , ou Explication abrégée
de fa Paffion , par feu M. Loyer , Curé
du Diocèfe de Lyon , 2 vol . in - 12 .
• Nouvelle Méthode raifonnée du Blafon
, du Pere Meneftrier , nouvelle édition
corrigée & très augmentée , avec
51 planches gravées à neuf, en un fort
volume in- 8 °.
Modèles de Lettres , nouvelle & quatrieme
édition augmentée , 1771 .
Nouvelle Grammaire Efpagnole &
Françoise de Sobrino , avec un petit
Dictionnaire Espagnol & François , &c .
1772.
ACADÉMIES .
JANVIER. 1772. 145
ACADÉMIES.
Séance de l'Académie royale des beaux
Arts de Parme .
LE 27 Juin dernier cette Académie
tint fa féance publique pour la diftribution
de fes prix . On fe rappéle que le ſujet
de peinture étoit Annibal vainqueur
qui , du haut des Alpes , jettefes premiers
regards fur les campagnes d'Italie. Celui
d'architecture étoit le plan d'un théâtre
propre à la représentation de toutes fortes
de poëmes dramatiques .
L'Académie fe félicite dans le programme
qu'elle vient de publier , du grand
nombre de concurrens nationaux & étiangers
qui ont disputé fes prix . Le premier
de peinture a été accordé au tableau qui
avoit pour devife : Montes fregit aceto ,
& qui étoit de M. Paul Borroni de Voghera
, élève de M. Boffi , profeffeur de
Académie. Le fecond prix de peinture
a été remporté par M. François Goja, Romain
, élève de M. Vajeu , peintre du
roi d'Espagne. Le premier tableau a paru
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
fixer les fuffrages de l'Académie , par
une compofition ingénieufe , un coloris
harmonieux , des nuds bien étudiés . Les
foldats d'Annibal occupés à rompre les
rochers , exprimoient très bien par leurs
différens mouvemens , leurs efforts pour
furmonter les obftacles qui s'oppofoient
à leur paffage.
L'Académie a remarqué avec plaifir
dans le fecond tableau un beau maniement
de pinceau , de la chaleur d'expref
fion dans le regard d'Annibal , & un
caractère de grandeur dans l'attitude de
ce général . Si M. Goja fe fût moins
écarté dans fa compofition du fujet du
programme , & s'il eût mis plus de vérité
dans fon coloris , il auroit balancé les
fuffrages pour le premier prix .
M. Donnino Ferrari de Parme , élève
de M. le chevalier Petitot , profeſſeur de
l'Académie , a obtenu le premier prix de
de deffin d'architecture . Les diftributions
de fon théâtre ont paru bien étudiées
, les formes élégantes & variées ,
les ornemens répandus avec goût , & le
deffin en général exécuté avec beaucoup
de foin & de précifion .
Le fecond prix fut auffi donné à un
élève de M. Petitot , M. Pierre Cugini ,
JANVIER . 1772 . 147
qui avoit adopté des formes très- fimples,
mais dont les différentes parties exécutées
avec beaucoup de jufteffe , formoient
l'enſemble le plus agréable & le plus
harmonieux. Cinq autres deffins fur le
même fujet furent trouvés fi bien exécutés
, quoiqu'inférieurs aux deux premiers,
l'Académie décerna une couronne à
chacun. Les auteurs de ces deffins étoient .
élèves de MM. Petitot , Douvilly , le
marquis Galliani & Potain . Il fut auffi
diftribué plufieurs prix à des deffins de
compofition , de nud , de bas - reliefs ,
&c. de divers élèves de maîtres Italiens
& François.
que
* L'Académie a publié le programme
des prix qu'elle diftribuera cette année
1772. Le ſujet de celui de peinture
eft : Latone & Diane panfant la
bleffure d'Enée , dans le temple d'Apollon.
Ce fujet , fuivant les réflexions du
comte de Caylus que l'Académie a rappelées
dans fon programme , peut être
agréable par la fituation de la fcène &
grand par la nature des perfonnages ..
Diane eft , fuivant la mythologie , fille
de Latone. Ces divinités doivent conferver
dans l'action qui eft ici défignée ,
la nobleffe de leurs caractères & l'inté
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
rêt d'un pareil fecours rendu par deux
femmes dont la beauté fera exprimée ,
relativement à leur âge. Les anciens
avoient des temples découverts ; on pour.
roit repréſenter de même celui d'Apollon
, & faire voir ce Dieu s'éloignant
fur les nuages avec lefquels il a conduit
Enée dans ce temple. L'Académie fait
auffi remarquer dans fon programme ,
qu'Enée fut bleffé par une pierre énorme
que Dioméde lui lança dans le flanc,
Ce fujet eft tiré du cinquième livre de
I'Iliade liv. V. Les peintres doivent lire
ce livre , le génie d'Homère échauffera
le leur.
Le fujet proposé pour le prix d'Architecture
, eft le plan , l'élévation & les
dimenfions d'un édifice deftiné à des
bains publics & particuliers , ornés de
portiques ou de colonnades , qui puiſſent
Servir de promenade aux perfonnes des
deux fexes , avant & après le bain, L'Académie
exige que l'édifice renferme diverfes
boutiques de marchands , quelques
cafés , des chambres , & c. Elle recommande
aux concurrens de marquer exactement
la diſtribution des appartemens
& des bains , de diftinguer ceux des
hommes de ceux des femmes ; de s'atta
JANVIER . 1772 149
1
que ,
cher à faifir les beautés du coftume anti-
& de les approprier autant qu'il
fera poffible à nos moeurs & à nos ufages.
On les exhorte à lire avec attention
le chapitre dix du cinquième Livre de
Vitruve , où ils trouveront des lumières
dont ils ont befoin fur cet objet . Les
plans feront tracés fur une échelle commune
dont les divifions feront de huit
lignes , prifes fut le pied de Roi. L'Académie
fixe cette proportion , pour qu'il
y ait plus d'égalité dans les deffins & que
la comparaifon en foit plus facile à
faire.
L'Académie admet au concours tous les
Elèves Nationaux & Etrangers ; & pour
qu'ils ne foient point arrêtés par les frais
d'envoi elle veut bien s'en charger elle mê
me, ainfi que de ceux du retour. Elle le déclare
expreffément par fon programme.
On peut confulter celui que nous avons
inféré dans le fecond volume du Mercure
du mois d'Octobre 1770 , fur les autres
conditions impofées par
l'Académie.
་
G iìj
150 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Lundi 9 Décembre 1771 , le Concert
Spirituel donné au Château des
Thuileries , a commencé par une fymphonie
; enfuite on a exécuté Super flumina
Babylonis , motet à grand choeur ,
qui a remporté le premier prix de concours
, de la compofition de M. l'Abbé
Girouft , maître de mufique des SS . Innocens.
M. Befozzi , célèbre virtuofe de
la mufique du Roi , a exécuté un concerto
de hautbois de fa compofition . M.
& Madame le Gros ont chanté Jubilate ,
motet à deux voix , de M. Dauvergne
furintendant de la mufique du Roi . M.
Capron a exécuté avec applaudiffemens
un concerto de violon de fa compofition
. M. l'abbé Platel a chanté un motet
à voix feule de M. l'abbé Girouft . Le
Concert a fini par Dominus regnavit ,
nouveau moter à grand choeur , dans lequel
il y a de beaux effets d'harmonie ,
des chants agréables , & une belle modulation
.
JANVIER . 1772. 151
OPÉRA.
LE peu de tems que nous avons eu pour
rendre compte dans le dernier Mercure
de la repriſe d'Amadis , ne nous a point
permis de faire connoître que les beautés
de détail dont cet opéra a été enrichi
font dues aux talens réunis d'un amateur
célèbre , M. de la Borde , premier Valet
de-Chambre du Roi , & de M. le Berton ,
l'un des Directeurs de ce fpectacle. Ces
compofiteurs habiles ont confulté le goût
du fiécle pour retoucher , changer , & refaire
prefque toute la mufique de cet
opéra , à l'exception du récitatif dans les
fcènes , qui appartient à Lully , & qui
doit dans tous les tems être refpecté &
fervir de modèle . Il fuffiroit de citer le
prologue d'Amadis où l'on n'a fait que
fubftituer quelques airs de danfe. Tous
les morceaux d'expreffion font dans ce
prologue d'une vérité frappante , le fommeil
d'Alquif enchanteur , d'Urgande fon
époufe , & de leur fuite ; le coup de tonnerre
, les éclairs qui les réveillent , la
fymphonie qui peint tous ces effets , &
les choeurs font autant de tableaux , vrais
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
chefs d'anvres de fpectacle & de mufique.
L'intérêt augmente avec la même
chaleur jufqu'à la fin . Mrs Gélin & Caffaignade
, Mlle Duplant & Duranci ont
fucceffivement rempli les rôles d'Alquif
& d'Urgande , & ont partagé , avec juftice
, les applaudiffemens réitérés dont
le Public ne ceffe d'accueillir cet opéra ,
qui a été généralement goûté & fuivi .
C'eft une obligation que l'on a , fans
doute , aux Auteurs qui y ont travaillé
avec autant de goût que de génie , & aux
principaux acteurs dont les talens embelliffent
& font valoir tout ce qu'ils exécutent.
M. le Gros , dans le rôle d'Amadis
s'eft , pour ainsi dire , montré fupérieur à
lui-même ; il femble avoir à fa difpofition
plufieurs organes qu'il varie & qu'il adapte
aux différentes fituations où il fe trouve.
Le goût & l'expreffion qu'il met dans le
monologue du fecond acte , Bois épais ,
&c , ne manquent jamais de captiver
l'attention du public , qui applaudit alternativement
l'acteur & l'orchestre , où
M. Rault , célébre pour fon talent pour
la flûte , exécute la principale partie d'accompagnement.
Mile Arnould , malgré
la foibleffe de fa fanté , a prouvé dans le
rôle d'Oriane , combien le vrai talent a
JANVIER . 1772. 153
de reffources pour plaire. Mlles Beaumenil
& Rofalie ont fucceffivement paru
dans le même rôle , & y ont reçu des
applaudiffemens mérités . Le rôle d'Arcalaus
, chevalier enchanteur , par M. Gelin
, & celui d'Arcabonne , célébre enchantereffe
, par Mlle Duplant , ont été
rendus avec la force & l'enthousiasme
propres à ces caractères. Le rôle de Flareftan
n'a pas moins fait d'honneur à M.
Durand , tant par la manière dont il l'a
chanté , que par l'action théâtrale à laquelle
il s'eft particulierement appliqué.
Au troifiéme acte , le morceau de l'ombre,
exécuté par M. Gelin , eft du plus grand
effet les nouveaux Auteurs y ont ajouté
un accompagnement compofé d'inftrumens
à vents , qui font placés fous le
théâtre près du tombeau . Les fons lugubres
qui en fortent expriment les plaintes
& les gémiffemens avec une vérité étonnante
: cet acte eft plein de beautés muficales
& de fituations intéreffantes .
Dans les divertiffemens , les airs de
danfes font d'un genre qui ne s'éloigne
point de celui des fcènes , ils ont le mérite
de produire de grands effets d'orcheftre
, que l'on ne connoiffoit point du
tems de Lally , & cependant de former
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
un enfemble de mufique qui paroît être
du même auteur .
Les Ballets fon en général d'une belle
compofition , & fufpendent agréablement
l'intérêt de l'action . Ceux du prologue &
du premier acte font de M. Gardel ; celui
du troifiéme de M. Dauberval ; ceux des
fecond , quatriéme & cinquiéme actes ,
font de M. Veftris. On connoît affez les
talens des premiers Sujets qui font employés
dans les divertiffemens de cet
opéra , pour être difpenfé de faire un
détail des éloges qu'ils méritent , & des
applaudiffemens qu'ils ont reçus. Mlle
Compain , âgée de 13 à 14 ans , a quitté.
la place de premiere danfeufe à la Comédie
Françoife , pour entrer à l'Opéra ;;
elle y a débuté dans le ballet du troifiéme
acte d'Amadis : fon fuccès annonce
de grandes efpérances pour le genre de
Mile Allard .
Le fieur Lagier , bafle - taille , avoit
précédemment débuté dans l'acte de l'Air
de l'opéra des Elemens par le rôle d'Ixion ;.
on lui a trouvé l'organe agréable , volumineux
& égal dans tous les tons ; il eſt
affez grand & bien fait de fa perfonne : il
joint à ces avantages une fenfibilité qui le
rendra intéreflant dans les rôles qui pourront
lui être confiés..
JANVIER. 1772. ISS
*
On a remis au théâtre pour les jeudis ,
les fragmens compofés de l'acte des Incas,
de celui d'Alphée & Arethufe , & de la
Fête de Flore. On a rendu compte de la
réuflite des deux derniers dans le Mercure
du mois de Juillet . Le nombre des repréfentations
qu'ils ont eues lors de leur
premiere mife , n'a pas épuifé le plaifir
que le public a de le revoir ; ils font
fuivis comme dans leur nouveauté ;
Mlle Rofalie , que l'on n'avoit pas encore
vue dans le rôle d'Arethufe , y plaît
comme dans tous les rôles différens
qu'elle entreprend de jouer & de chanter.
Le divertiffement de la fête de Flore eft
le triomphe des talens de M. Dauberval ,
de Miles Allard & Peflin. L'auteur de la
muſique de cet acte charmant fera longtems
regrété par les amis & par le public
qu'il intére foit par fes compofitions .
On nous a envoyé l'éloge de ce Muficien
que nous nous fomines empreflès de placer
dans ce Journal .
* Cette paftorale ainfi que tous les ouvrages de
M. Trial fe vendent chez le Marchand de mufique
dans le paffage du cloître de St Thomas du Louvre,
& àfa boutique dans le veftibule de lafalle
de-l'opéra
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont remis fur
leur Théâtre , le mercredi 4 Décembre ,
Béverlei , Tragédie Bourgeoife , en cinq
actes & en vers , imitée de l'Anglois ,
par M. Saurin , de l'Académie Françoife.
Ce fpectacle a renouvellé le tableau terrible
de l'excès du malheur & du crime ,
qui font à la fuite de la paffion effrénée
du jeu . On fait avec quelle énergie &
avec quelle vérité effrayante M. Molé
rend le rôle de Beverlei ; & quel intérêt
attendrillant Mile Doligni met dans le
rôle d'épouse & de mere. C'eft par de
telles leçons , qu'une ame honnête peut
être utilement avertie des dangers du jeu
& de la fureur d'une paffion qui fe déguife
fouvent fous l'appas d'un fimple
amufement.
Mlle Dubois a joué à Verfailles , le
Vendredi 29 Novembre , le rôle de Zaïre
qu'elle a repréfenté à Paris le Dimanche
8 Décembre. Elle a été accueillie avec
des applaudiffemens d'autant plus vifs ,
que l'on avoit été allarmé fur l'état de fa
fanté , & privé depuis longtemps de fa
JANVIER. 1772. 157
préfence. Cette actrice a rendu fon rôle
avec tout l'intérêt que les graces de fa perfonne
, un bel organe , une ame fenfible ,
un jeu noble & pathétique , peuvent donner
à la jeune & belle Zaïre. M. le Kain
qui femble toujours fupérieur à lui-même,
& qui ajoute continuellement à la perfection
de fon jeu , a étonné autant que
charmé dans la repréfentation d'Orofmane.
Cet acteur inimitable met tant de
vérité dans fon action , & une fi belle
fimplicité dans fon récit , que ce n'est
plus l'acteur , c'eft le perfonnage même
que l'on voit & que l'on entend.
Mlle Dubois a joué à Versailles le
Vendredi 13 Décembre , Idamé dans
l'Orphelin de la Chine .
COMÉDIE ITALIENNE.
Le Lundi 16 Décembre 1771 , les Comédiens
Italiens ont donné la premiere
repréſentation de Zémire & Azor , * Co.
médie ballet , en vers & en quatre actes ,
*Cette pièce eft imprimée & fe vend à Paris ,
chez Vente , libraire , au bas de la montagne Sic
Genevieve ; prix , 30 fols.
158 MERCURE DE FRANCE.
mêlée de chants & de danfe ; par M.
Marmontel , de l'Académie Françoife.
La mufique eft de M. Gretry .
La fcène eft en Perfe , alternativement
dans un Palais de Fée & dans une maifon
de campagne , fur le golfe d'Ormus .
Les acteurs font Azor , Prince Perfan,
Roi de Kamir , d'abord fous une forme
effrayante. M. CLAIRVAL .
Sander Perfan , Négociant d'Ormus ,
M. CAILLOT.
Ali , Efclave de Sander, M. LA RUETTE..
Zémire, Mde LA RUETTE .
Fatmé , Filles de Sander. Mde TRIAL..
Lisbé ,
Une Fée ,
Mlle BEAUPRÉ .
Mlle DESGLANDS.
Jer ACTE. Sander fuyant l'orage fe
réfugie dans un Palais de Fée où tour
l'étonne , & tout effraye Ali fon efclave .
Que pourroit craindre Sander ? il a tout
perdu , & pour lai la vie n'eft pas un bien.
Mais Ali ne peut fe résoudre à dormir
chez des esprits & fans avoir foupé . Auffi--
tôt une table fervie s'offre à fes defirs . Let
vin lui donne du courage . Sander cueille
une rose que Zémire lui a demandée.-
Azor paroît fous une forme effrayante ,
il le menace de la mort pour le punir de
fon larcin. Il ne lui promet la vie & ne
JANVIER. 1772. 159
lui donne la liberté, qu'à condition qu'une
de fes filles consentira de venir fe livrer
à fa place , ou qu'il reviendra lui - même.
Azor le fait transporter avec fon
esclave fur un nuage . Le Théâtre change
& représente l'intérieur de la maiſon de
Sander.
Į
II. ACTE. Zemire , Fatmé , Lisbé ,
travaillent à la lumiere d'une lampe , en
attendant le retour d'un pere qu'elles
chériffent. Sander revient accablé de
trifteffe. Zemire le confole ; mais nepouvant
diffiper fon chagrin , elle en
demande le fujet à fon efclave , qui n'a
pas la force de lui cacher le malheur qui
attend fon maître. Zemire prend la réfolution
d'aller trouver Azor , & de
s'expofer à fa fureur pour les jours de
fon pere
.
"ACTE III . Azor déplore fon état.
Cruelle Fée abrége ou ma vie ou ma peine ,,
Tu m'avois donné la beauté.
De ce donje fus trop flatté ;
Mais hélas ! eft- ce un crime à mériter ta haine?
Qu'exige de moi ta rigueur ?
Sous ces traits tu veux que l'on m'aime ;
Et le charme eft détruit , fi , malgré ma laideur:
Je puis toucher un jeune coeur
160 MERCURE DE FRANCE.
Mais peux-tu l'espérer toi- même ?
Pour commander aux élémens
Tu m'as bien donné ta puiſſance ;
Mais les coeurs ne font pas fous ton obéiflance ;
L'amour eft au- deffus de tes enchantemens.
Ali conduit Zémire dans le palais
d'Azor , & veut s'en aller ; il y eft retenu
pendant quelque temps. Zemire
marque fon inquiétude fur la laideur
d'Azor . Cependant elle remarque dans
ce palais tout ce qui peut flatter fes
goûts , des fleurs , des inftrumens de
mufique , un magnifique appartement
qui lui eft deſtiné. Des Fées & des Génies
viennent rendre hommage à Zemire
; enfin Azor paroît , fa laideur effraye
fon amante ; mais l'expreffion de
fon amour & de fes fentimens génereux
& tendres la raffure & l'intérelle. Eile
chante pour lui plaire. Zémire demande
à voir fon Pere & fes foeurs , ce qu'Azor
ne lui accorde qu'à regret . Sander , Fatmé
, Lisbé paroiffent à fes yeux dar.s
un tableau magique , qui doit s'évanouir
fi elle veut s'en approcher. Elle les voit
& entend leurs plaintes ; elle s'attendrit ,
elle vole à leur rencontre , & le tableau
JANVIER. 1772. 161
difparoît. Elle obrient encore de fon
amant la liberté d'aller trouver fon pere
& fes foeurs , mais avec la condition
expreffe de revenir avant la fin du jour ,
fi elle ne veut pas caufer fa mort . Il lui
donne un anneau qui la rend libre &
indépendante ; & c'eft en le quittant
qu'elle fe remettra fous fon pouvoir.
ACTE IV . Sander paroît dans l'abattement
, lorfque le retour imprévu de Zémire
le comble d'étonnement & de plaifir
; mais il jouit à peine de fa préfence ,
que , fidelle à fa promeffe ; elle veut
aller revoir Azor . En vain un pere &
fes foeurs veulent la retenir . Elle vole
dans les jardins d'Azor , qui , défefpéré
de l'abfence & de l'oubli de Zémire ,
demande le trépas. Zémire le cherche ,
& le demande aux échos.
Azor , en vain ma voix t'appelle .
L'écho des bois
Répond feul à ma voix.
Revois Zémire. Elle eft fidèle ,
Elle confent à vivre fous tes loix.
Hélas ! plus que moi-même
Jefens que je t'aimois ;
Et dans ce moment même
162 MERCURE DE FRANCE.
Plus que jamais
Je t'aime , Azor , je t'aime.
A ces accens d'une amante fidelle , le
théâtre change , & repréfente un palais
enchanté. Azor y paroît fur un trône dans
tout l'éclat de fa gloire . Le charme eft
détruit ; la Fée a défarmé fa colère ; elle
a rendu au tendre Azor fes traits & fa
beauté. Zémire obtient le confentement
de fon pere dont elle fait le bonheur.
LA FÉE.
Azor , tu vois que la bonté
A tous les droits de la beauté ;
Sur les coeurs étends fon empire ;
Et que fous ma loi
Tout ce qui refpire
Adore Zémire ,
L'adore avec toi.
Ce fpectacle charmant & dans un nouveau
genre plaît à l'imagination ainfi
qu'aux yeux , & intéreffe le coeur. La
Mufique en eft délicieufe ; & toujours
vraie , fentie & raifonnée , elle rend
toutes les affections de l'ame . Il faudroit
citer tous les morceaux pour en
JANVIER. 1772. 163
faire le jufte éloge ; mais on ne pourra
jamais affez louer le Trio en fourdine
du pere & de fes deux filles qui paroiffent
dans le tableau magique ; il eft d'un
pathetique attendriffant qui fait couler
les larmes . Les rôles ont été fupérieurement
joués & chantés. Les auteurs de
la mufique & des paroles ont été demandés
par le Public , toujours empreffé
d'applaudir à des talens fi heureufement
aflortis.
SPECTACLE méchanique d'Automates ,
préfentés au Roi & approuvés de l'Académie
, rue Mauconfeil , vis - à - vis la
comédie italienne.
L'auteur , engagé par l'accueil du Pablic
, a augmenté fon fpectacle composé
des piéces fuivantes d'une méchanique
induftrieufe .
1º. Un Amour de grandeur naturelle
écrit en lettres majeures ; un jeu d'orgue
placé fous la table , exécute deux airs
d'opéra , analogues au fujet.
2º. Un Automate marche alternativement
d'un mouvement lent & d'un mouvement
prompt.
164 MERCURE DE FRANCE:
3°. Un autre pêche , dans une eau na
turelle , le poiffon que le fpectateur a
choifi dans un nombre donné.
4°. Joûte d'automates fur la pièce d'eau ,
au gré du spectateur ; le rouge jette le
bleu , ou il eft renversé par lui .
On fait voir & on explique le mécaniſme
de toutes ces piéces fingulières .
L'auteur offre fes automates à la perfonne
qui y trouvera la plus petite fupercherie.
Détail de ce qui s'eſt paſſé à la diftribution
des prix de l'Ecole Royale gratuite de
Deffin , faite aux Thuileries dans la
Galerie de la Reine ; le 26 Décembre
1771 .
>
M. DE SARTINE étant arrivé vers les fix
heures , accompagné de MM . le Comte
de Brancas , de Montullé , Lempereur
Poultier , de Meulan & de Montaran ,
Administrateurs de cette Ecole , M. Bachelier
, Directeur , ouvrit la féance par
un difcours qu'il prononça , & que
nous croyons devoit donner au Public.
On procéda enfuite à la diftribution de
deux cent vingt prix , & M. de Sartine ,
JANVIER. 1772 . 165
préfident , délivra les lettres de maîtrife
& les brevets d'apprentiffage aux éleves
ci-après dénommés.
SÇAVOIR,
Huré l'aîné , prix de perfpective , mérité
en 1768 , maîtrise d'orfévre .
Allard , prix d'architecture 1769 , maîtrife
de Luthier.
Donfe , prix d'ornement 1770 , Maitrife
d'orfévre.
Turpin , prix de figure 1771 , maîtriſe
d'éventaillifte.
Huré , cadet , prix d'ornement 1771 ,
maîtriſe d'orfévre.
Mauguier , prix d'ornement 1771 , apprentiffage
d'orfévre.
Brevets d'Appareilleurs,
"De BULLY , prix d'architecture,
NICOLE , prix de perſpective.
1771 PHELIPEAUX , prix de trait .
SANSON , prix de mathématiques.
BUISSON cadet , prix de géométrie.
Les acclamations de l'affemblée ſe joignant
au bruit des fanfares, donnoient aux
élèves couronnés la fatifaction la plus
complete .
166 MERCURE DE FRANCE.
Difcours de M. Bachelier aux Elèves.
Dans ce jour folennel , confacré par la
bienfaifance d'un Roi , l'amour de fes
fujets , & dans un lieu qui nous retrace fa
préfence augufte , vous voyez honorer ,
encourager , protéger vos travaux , &
couronner vos fuccès par des récompenfes
que vous allez recevoir aux yeux de la
Nation.
Qu'un triomphe fi éclatant n'enfle point
votre amour propre ! fongez qu'on ne
vous l'accorde que pour exciter en vous
une noble émulation , qui , vous élevant
au-deffus de vous- mêmes , faffe un jour
de vous des hommes utiles à la Patrie.
Les faveurs dont on vous comble aujourd'hui
, ne peuvent qu'exciter dans
vos coeurs les fentimens de la plus vive
reconnoillance.
Les bons offices de M. le Marquis de
Champcenet, Gouverneur de ce Château ,
ne doivent jamais fortir de votre mémoire
; fon goût pour les talents vous
conferve l'avantage de recevoir dans ce
palais des prix qui doivent encourager
vos études ; diftinction d'autant plus flatteufe
qu'elle manifefte la protection finJANVIER
. 1772. 167
guliere dont Sa Majeſté veut bien honorer
cet établiffement.
Le Magiftrat dont le zèle & l'affection
Vous font fi chers , vient , accompagné de
l'adminiftration à laquelle il préfide , vous
juger & vous applaudir. Son amour pour
vous , les foins paternels qu'il donne à
votre éducation , lui font trouver , au
milieu de fes occupations importantes ,
le moment de vous procurer cette fatisfaction
, & de la partager lui - même avec
vous.
Le bureau de l'adminiftration qui fe
renouvelle tous les ans , eft compofé des
citoyens les plus généreux ; le fang le plus
illuftre daigne même fe charger d'une
fonction fi pénible pour contribuer au
foutien de cet établiffement , & vous
donner des preuves de l'intéret qu'il
prend à votre avancement .
La bienfaifance publique s'accroit tous
les jours ; les Princes , la plus haute Nobleffe
, les Corps , les Particuliers , tous
les ordres de l'Etat , s'empreffent d'augmenter
le nombre & la valeur des récompenfes
qui vous font deftinées ; elles vous
attendent , elles ne font point limitées .
Que d'obligations vous contractez ,
Meffieurs pourrez vous jamais oublier
168 MERCURE DE FRANCE.
les mains généreufesqui fe font empreffées
de guider votre jeunelle dans la carriere
des arts , & d'écarter tous les obftacles qui
pouvoient vous empêcher d'y entrer ?
Non , vos coeurs fenfibles vont s'occuper
des moyens de témoigner leur reconnoiffance
par un zèle ardent & une conftance
infatigable dans le travail ; il n'en elt
point de plus digne de vous ; rien n'eft
impoffible au courage d'une jeuneffe laborieufe.
Que ceux d'entre vous qui ne feront
ici que les témoins des fuccès de
leurs émules , & qui n'auront pas l'avanage
de les partager , foient encouragés
par ces fuccès même à faire de nouveaux
efforts & à mériter des lauriers qui fans
doute ne font que différés
pour eux,
ELOGE de M. TRIAL.
Jean-Claude Trial , né à Avignon le 13 Décembre
1732 , étoit iſſu de parens peu fortunés ,
mais honnêtes ; fon goût pour la mufique fe manifefta
dès fa plus tendre enfance . A l'âge de
douze ans , il étoit déjà, maître de mufique de
la Cathédrale de Vaifon . Cette place le mettant
peu à portée de voir & d'entendre les hommes
célèbres dans fon art ; il la quitta peu de tems
après pour entrer au Concert d'Avignon , &
enfuite à celui de Montpellier . Le violon fut le
le feul inftrument auquel il s'appliqua d'abord
pour
JANVIER. 1772. 169
-
pour fe procurer plus promptement les reffources
dont la fortune l'avoit privé. Au milieu d'un
travail penible , il prenoit fur fon repos le
tems qu'il donnoit à l'étude de la compofition.
M. Granier , qui eft aujourd'hui l'un des premiers
violons de la chapelle du Roi , eft le ſeul
maître qu'il ait eu en cet art. Après en avoir
reçu un petit nombre de leçons , il eflaya de
compofer des motets & des airs de violon qui
firent appercevoir le germe du vrai talent. Le
goût de la mufique Italienne , qui alors commençoit
à prendre faveur , ne détourna point
fon admiration des ouvrages de Rameau , il
lifoit fans ceffe fes partitions ; il étudioit ſa maniere
, il combinoit fes marches d'harmonie.
Enfin , tourmenté depuis long- tems du defir de
voir cet Auteur célèbre , il vint à Paris , avec
le projet de retourner à Monpellier , où il étoit
attendu pour la furvivance de maître de mufique.
des Etats du Languedoc , qu'il regardoit alors
comme une fortune confidérable. Mais à Paris ,
au centre des arts , fon mérite le porta plus loin
que fon ambition. Il accepta la place de premier
violon à l'Opéra -comique. On commençoit à y
donner des comédies en mufique qui exigeoient
un homme habile à la tête de l'Orcheſtre, d'autant
plus que la plupart des acteurs , qui jufques -là n'avoient
, pour ainfi dire , chanté que des vaudevilles
, n'étant pas muficiens , il falloit beaucoup
d'art & de patience pour parvenir à l'exécution
des pièces qui ont eu lieu dans ce tems - là ,
comme le Maréchal , Blaife le Savetier, On ne
s'avife jamais de tout , le Jardinier & fon Seigreur
, &c. Les Directeurs s'applaudiſſoient , au
1. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
milieu de tant de difficultés , d'avoir trouvé un
homme qui fçavoit fi bien les applanir & faire
régner entre le théâtre & l'orchestre un enfemble
qui flattoit les Auteurs , & les encourageoit à travailler
pour ce fpectacle où le Public fe portoit
en foule. Il compofa alors plufieurs ouvertures
qui furent très-goûtées , & des cantates qui eurent
beaucoup de fuccès . A cette époque , S. A.
$ . Mgr le Prince de Conti , qui n'avoit qu'un
petit nombre de inuficiens , augmenta fon orcheftre
: M. Trial y entra en qualité de fecond
violon. La reconnoiffance & l'envie de plaire à
ce Prince , achevèrent de développer fon génie ;
il faififfoit toutes les occafions de le rendre agréa
ble à Son Alteffe ; chaque jour fon concert étoit
yarié par quelques nouveautés , comme de petits
airs arrangés avec goût , & des ariettes d'un
genre & d'un ftile qui n'étoient qu'à lui . Toutes
ces marques de zèle & d'empreffement, méritèrent
bientôt à Trial les bontés & la confiance de fon
Alteffe. Elle le nomma Directeur de fa mufique,
alors compofée des premiers talens de l'Europe ,
& Elle ne ceffa depuis ce teins , de l'accueillir
avec une diftinction & une bienveillauce particu
lieres. Dans cette heureufe pofition , Trial , plus
recommandable encore par fon naturel & l'excellence
de fon bon coeur, que par fes talens, n'avoit
befoin de rien pour lui , mais il avoit de l'inquiétude
pour fa famiile , quoiqu'il n'eût mis en
tout temps à fa tendreffe filiale , d'autres bornes
que celles où il étoit reftreint par la fortune . Il
fit venir fon Frere puîné pour
chanter au Concert
& au fpectacle du Prince , & enfuite fa foeur
qu'il maria avec M. Duport connu par fa
JANVIER. 1772 .
171
célébrité pour le violoncelle & par fes moeurs.
Après cet arrangement , & la difpofition
qu'il fit de 1200 livres par an , qu'il envoyoit
à Avignon , il devint plus tranquille fur le
foin de fa famille. Il lui reftoit cependant ,
pa : rapport à lui-même , quelque chofe à
defirer fur l'éducation qu'il regrettoit de n'avoit
pas reçue dans fa jeuneffe ; il donna tous
fes momens de loisirs à la lecture , il acheta des
Livres & finit par avoir une Bibliothèque affez
confidérable & des mieux compofée . L'étude
fuivie qu'il donnoit à divers objets de Littérature
& d'Hiftoire , ne l'empêchoit pas de s'occuper de
fon talent; il travailloit à l'Opéra de Silvie , en fociété
avec M. Berton. Dans la diftribution du
poëme, il le chargea particuliéremeut de mettre
en mufique le prologue qui eft regardé comme un
Chef-d'oeuvre en cet Art. Quelque - tems après la
mife de cet ouvrage auThéâtre , les Directeurs de
l'Opéra demanderent leur retraite. Trial ſe mit
fur les rangs pour leur fuccéder avec M. Berton &
il eut à vaincre bien des difficultés ; mais dans
cette occafion il reçut da prince de Conti des
preuves fignalées d'eftime & de protection. Ce
Prince l'appuia avec tant d'intérêt & de chaleur
queTrial, qui croyoit n'avoir pour toute fortune
que fon violon , fe vit le maître de difpofer
d'une fomme de 400000 liv . qu'il verfa dans les
coffres de la Ville pour fon cautionnement &
pour celui de M. Berton fon ami , qui fut nommé,
avec lui, Directeur de l'Académie Royale de
Mufique. Dès qu'il le vit en poffeffion de cette
place , l'une des premières de fon état , dans un
âge où l'on conçoit à peine l'efpérance d'y arri
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ver , il s'appliqua à gagner l'eftime & la confian
ce des Sujets qui compofent l'Académie il travailla
conjointement avec M. Berton , à faire
Aleurir ce Spectacle dont les recettes devinrent
plus fortes qu'elles ne l'avoient été jufqu'alors.
Il y a de M. Trial , outre les OEuvres publiées
fous fon nom , plufieurs morceaux de mufique
dans les divertiffemens des anciens Opéra qui
ont été mis au Théâtre de fon tems . Le dernier
ouvrage qu'il a donné au Public eft la Fête de
Flore , Paftorale en un acte. Il n'a joui du fuccès
que des deux premieres repréfentations de cette
pièce. Le Dimanche 23 Juin , il fut trouvé à fix
heures du matin , mort dans fon lit où il s'étoit
couché en fe félicitant de fouper le lendemain
avec fa famille & quelques amis qui devoient
fe réunir chez lui à l'occafion de fa Fête . Ce coup
affreux jetta la défolation dans tous les coeurs ,
même des perfonnes qui ne le connoiffoient qu'in
directement. Les fujets de l'Académie employés
dans la Fête de Flore , obligés d'y repréfenter le
même foir , porterent leurs larmes jufque fur le
Théâtre ; leur douleur étoit telle , que l'on ne
pût fe difpenfer d'en fufpendre les repréfentations.
Cette circonftance fuffit feule à l'éloge du
Directeur. Le lendemain l'affluence des perfonnes
qui étoient à la fuite de fon convoi , prouva
de la maniere la plus marquée combien il eſt
regretté comme ami & comme homme à talens .
L'Académie a fait célébrer , avec toutes les
cérémonies d'ufage aux pompes funèbres , un
fervice en mufique , pour le repos de fon ame ,
dans l'Eglife royale & paroiffiale de S. Germain
l'Auxerrois où fon corps eft inhuiné.
JANVIER. 1772. 173.
VERS de M. N.... à M. St Aubin ,
fur un portrait àfaire de Mlle Dubois,
dans le rôle de Zaïre.
AMI , MI , tu dois , dis - tu , peindre en Sultanç
La touchante Dubois , l'amantè d'Oroſmane :
Ah ! c'eft un plaifir , entre nous ,
Dont le talent peut fe montrer jaloux.
Mais , à te dire vrai , je tremble
De voir échouer ton pinceau.
Veux-tu que ce portrait reflemble?
Joins l'amante à l'amant dans le même tableau ,
f
Et confonds leurs ames enfemble ;
Tu feras un piquant morceau.
Autrement peine fuperflue ,
De Zaïre j'ai vu les traits ,
Mais fi refplendiffants d'attraits...
Dieux ; que mon ame en fut émue !
Non ! tu ne la rendras jamais
Aufli belle que je l'ai vus,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
A Mademoiselle DURANCY , jouant le
rôle de Junon , dans l'acte de l'AIR.
DEE Jupiter que voilà bien l'épouse !
O qu'il a tort de la rendre jalouſe !
Mais.... fi te déclarer fa tendre paffion
mériter les éclats du tonnerre ,
Suffit pour
Fais donc frapper tout le Parterre ,
Plus criminel encor que ne l'eft Ixion !
ADIEUX de M. l'Abbé Charles Pepin à
fa perruque , qu'on lui empruntoit pour
jouer un Proverbe , dans lequel elle couroit
rifque d'être mise en pièces.
RESPECTABLE Perruque , ornement de mon
chef,
Paifles-tu dans mes mains revenir faine & lauve !
N'eft-ce donc pas affez d'être Pepin le Bref, *
Sans être encor Charles le Chauve ?
Il eft probable que M. l'Abbé Charles Pepia
eft de petite taille.
JANVIER. 1772. 175
IMPROMPTU à Madame LE F **
TOUJOURS
àfa toilette.
OUJOURS fimple & décente , avec goût né
gligée ,
Le talent du coëffeur a pour vous peu d'attraits :
Une belle aisément fuit l'art & fes fecrets ,
Lorfque par la nature elle eft déjà parée.
Par un Abonné.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Le fommeil de Vénus , eftampe d'environ
15 pouces de long fur 12 de haut . A
Paris , chez Bonnet , graveur , rue
Galande , place Maubert. Prix 1 livre
4 fols.
CETTE eftampe nous repréfente une
jeune perfonne qui , la tête appuyée fur
une de fes mains , goûte les douceurs du
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
fommeil. Ce fujet a été gravé d'après un
deflein de feu François Boucher , premier
peintre du Roi , par L. Bonnet , dans la
manière du deffin au crayon noir , rehauffé
de blanc fur papier bleu.
1 I. •
Deuxième Académie de femmes , d'après
M. Lagrenée , peintre du Roi.
Cette Académie , gravée à la manière
du deffin au crayon rouge , fe diftribue
à l'adreffe ci- deffus , prix 15 fols .
Cette Académie fait fuite à celles que
le même Artiſte a publiées précédemment.
III.
Pouvoir de l'Amour , eftampe allégorique
de format in-folio . A Paris , chez
P. Remy , peintre du Roi , rue Poupée ,
au coin de la rue Haute - feuille . Prix
I livre.
Cette eftampe a été gravée avec efprit
par M. Moreau le jeune , d'après une efquiffe
de feu Deshaye , peintre du Roi .
On y voit l'Amour couronné de rofes
JANVIE R. 1772 . 177
& qui vient de brifer la maffue d'Hercule.
Un lyon , un léopard & un aigle couchés
à fes pieds , femblent reconnoître fes
lois. Le cafque & l'épée de Mars , placés
à côté de l'Amour , & fur lefquels fe repofent
les colombes de Vénus , fervent
encore à défigner que tout eft foumis au
pouvoir de l'amour.
I V.
Portrait de M. Van Swieten, médecin &
* confeiller intime de l'Empereur & de
l'Impératrice Reine , deffiné par Auguſtin
de Saint- Aubin , & gravé par
N. Pruneau . A Paris , chez l'auteur
rue de la Harpe , au collège de Narbonne.
Prix i livre.
"
Ce portrait en forme de médaillon eft
vu de profil. Il fera très bien placé à la
tête des favans écrits que M. Van Swieten
a publiés fur plufieurs objets intéreffans
de la médecine .
HV
178 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
XXIII Livre de guitarre contenant des
vaudevilles & rondeaux connus , avec
accompagnemens faciles , des préludes &
des ritournelles , par M. Merchis , OEuvre
XXVII ; prix 6 liv. A Paris , chez l'auteur
, rue S. Thoma's du Louvre , en entrant
du côté du Château d'eau , à côté
de M. Godin ; & aux adreffes ordinaires .
de mufique ..
Trois Sonates en trio pour le clavecin ,
ou le forte piano , avec accompagnement
de violon & violoncelle ad libitum , dédiées
à Madame Brillon de Joui ,
pac
Ernefto Eickner , maître de concert de
S. A. S. Mgr le duc des Deux- Ponts ,
uvre II. A Paris , chez Mme Bertaut ,
rue de la Comédie françoife , fauxbourg
S. Germain ; & aux adreffes ordinaires ..
Le Débat , duo pour un deffus & une
taille avec fymphonie , paroles & mufique
Ja M. de Norciat amateur , dédié à Mlle
JANVIER. 1772 . 179
Mathieu l'aînée , à Dijon , mis au jour
par M. Siéber , de l'Académie royale de
mufique : fe vend chez l'éditeur , à l'hôtel
d'Aligre , rue S. Honoré , & aux adreſſes
r dinaires ; prix 2 livres.
La raifon furprise par l'Amour , ariette
pour un deffus , avec fymphonie ; paroles
& mufique de M. de Norciat , amateur ,
dédiée à Mlle Gründler à Laufanne , mife
au jour par M. Siéber , &c .; prix 1 1. 16 f.
Aimer eft un plaifir , ariette pour un
deffus avec fymphonie ; mufique de M.
de Nerciat , amateur , dédiée à Mlie de
Mathieu l'aînée , à Châlons fur- Saône
mife au jour par M. Siéber , & c. ; prix
1 liv. 10 fols.
Il y a aux frontifpices de ces pièces une
jolie vignette en taille - douce , deffinée par
M. Quéverdo , & gravée par Mlle Marginer..
Hvj
-190 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. J. J. R. à un jeune
homme qui demandoit à s'établir à Mont
morency , pour profiter defes leçons.
Vous ignorez , Monfieur, que vous écrivez à
un pauvre homme accablé de maux , & de plus
fort occupé , qui n'eft guères en état de vous répondre
, & qui le feroit encore moins d'établir
avec vous la fociété que vous lui propoſez. Vous
m'honorez en pcufant que je pourrois vous yêtre
utile , & vous êtes louable du motif qui vous la
fait defirer ; mais fur le motif même je ne vois
rien de moins néceffaire que de venir vous établir
à Montmorency. Vous n'avez pas besoin d'aller
chercher fi loin les principes de la morale. Rentrez
dans votre coeur & vous les y trouverez ; &
je ne pourrai rien vous dire à ce fujer que ne vous
dife encore mieux votre confcience , quand vous
voudrez la confulter. La vertu , Monfieur , n'eft
pas une fcience qui s'apprenne avec tant d'appazeil;
pour être vertueux il fuffit de vouloir l'être ;;
&, fi vous avez bien cette volonté ; tout eft fait ,
votre bonheur eft décidé . S'il m'appartenoit de
vous donner des conftils , le premier que je voudrois
vous donner feroit de ne point vous livrer
à ce goût que vous dites avoir pour la vie contemplative
, & qui n'eft qu'une parefle de l'amecondamnable
à tout âge , & fur - tout au vôtre.
L'homme n'eft point fait pour méditer , mais pour
agir ; la vie laborieule que Dieu nous impofe n'a
xien que de doux au coeur de l'homme de bien qui
JANVIER . 1772. 131
s'y livre en vue de remplir fon devoir ; & la vi
gueur de la jeunefle ne vous a pas été donnée pour
la perdre à d'oifives contemplations . Travaillez
donc , Monfieur , dans l'état où vous ont placé
vos parens , & la Providence. Voilà le premier
précepte de la vertu que vous voulez fuivre; & fi
le féjour de Paris , joint à l'emploi que vous rempliffez
, vous paroît d'un trop difficile alliage:
avec elle , faites mieux , Monfieur , retournez
dans votre province , allez vivre dans le fein de
votre famille , fervez , foignez vos vertueux parens
, c'est là que vous remplirez véritablement
les foins que la vertu vous impofe ; une vie dure
eft plus facile à fupporter en province que la fortune
à pourfuivre à Paris , fur- tout quand on fait,
comme vous ne l'ignorez point , que les plus indignes
manéges y font plus de fripons gueux que
de parvenus. Vous ne devez point vous estimer
malheureux de vivre comme fait M. votre père ;
& il n'y a point de fort que le travail , la vigilance
, l'innocence & le contentement de foi ne rendent
fupportable quand on s'y foumer en vue de
remplir fon devoir. Voilà , Monfieur , des confeils
qui valent tous ceux que vous pourriez venir
prendre à Montmorency , peut- être ne ferontils
pas de votre goût , & je crains que vous ne
preniez pas le parti de les fuivre , mais je fuis fûr
que vous vous en repentirez un jour ; je vous
fouhaite un fort qui ne vous force jamais à vous
en fouvenir. Je vous prie , Monfieur , d'agréer
mes falutations très-humbles.
182 MERCURE DE FRANCE :
LETTRE de M. Laffus , chirurgien de
Mesdames de France , ancien profeſſeur
d'anatomie , & membre du collège de
chirurgie de Paris , à M. de Beauchamp,
fur un paffage de Suétone , qui a trait à
la médecine.
Je réponds , Monfieur , à toutes vos queftions
fur le paffage de Suétone. Cet auteur, dans
la vie de Céfar Augufte s'exprime ainfi au
chap. 80.
» Coxendice & femore , & crure finiftro non
perindè valebat , ut fæpè etiam indè claudicaret
: fed remedio arenarum atque arundinum
confirmabatur.
Vous demandez ce que c'eft que ce remède
de fable & de rofeau , vous trouvez de l'obfcurité
dans ce paffage latin : vous en trouvez
même dans la verfion de M. de la Harpe qui
traduit ainfi :
Augufte avoit la hanche , la cuiffe & la
jambe gauches un peu foibles : il boîtoit
" même quelquefois ; mais il fe rafermiffoit
" en appliquant du fable chaud & un rofeau
fendu fur la partie affectée.
La phrafe de Suétone eft claire & três -intel--
ligible. Augufte avoit la goutte , & fouffroit
d'une fciatique qui occupoit la hanche , la cuiſſe
JANVIE R. 1772. 185
& la jambe gauche , ce qui le faifoit boîter;
mais il étoit foulagé par une fomentation de
fable chaud & par un mélange de fuc de ro
feau & de vinaigre qu'on appliquoit fur la partic
malade .
Les Anciens faifoient un grand ufage des fomentations
de fable chaud . » On fait différentes
efpèces de fomentations chaudes , dit
» Celfe , avec du millet , du fel ou du fable ;
» on emploïe chacune de ces matières chaudes
» & enveloppées dans du linge .
» La fueur , dit le même auteur , s'excite de
deux façons , ou par la chaleur féche , out
par le bain. La chaleur féche eft celle du fa-
» ble , des étuves , des fours.
Ce reméde , qui eft tombé aujourd'hui en
défuétude , étoit d'un ufage fréquent chez les ..
Anciens. Ils l'employoient dans plufieurs maladies
& fur-tout dans l'hydropiíre comme
vous en ferez convaincu en lifant feulement
le commencement du huitieme chapitre d'Au-
Ingelle , livre XIX.
"
Quant au fuc de rofeau , prefque tous les
auteurs de médecine Grecs & Latins en font
mention. Diofcoride , qui vivoit fous le regne
de Néron , dit expreffément que les racines &
les feuilles de rofeau pilées ou macérées dans
du viaaigre , ont la vertu de faire fortir les
échardes ou épines entrées dans la peau , &
qu'on peut s'en fervir utilement dans les douleurs
de reins , dans les luxations ; pour guérir
Téréfipelle & toutes les inflammations . Voici le
paffage entier de Diofcoride, tel qu'on le trouve.
134 MERCURE DE FRANCE.
à la page 148 , chap. 97 de l'édition de Valgrife
, donnée à Venife en 1565. Arundinis
trita radix per fe aut cum bulbis fuis illita ,
fpicula aculeofque corpore extrahit , luxata
lumborumque dolores cum aceto mulcet.
» Virentia folia tufa & impofita ignibus facris
» medentur & ceteris inflammationibus.
30
5
Mathiole eft abfolument du même avis. Le
rofeau , dit- il , échauffe : il deflèche cependant
plus qu'il n'échauffe . Enfin Pline le Naturalifte
, Marcel l'empirique , Galien , Paul d'Egine:
& Celle penfoient abfolument de même.
J'efpere , Monfieur , qu'à l'aide de ce petic
commentaire , vous ne trouverez plus d'obſcu
rité dans le texte de Suétone . Je ne vous confeille
pourtant pas , fi jamais vous avez la
goutte , de vous fetvir du fuc de roſeau ,
comme fit Augufte , quoiqu'en difent tous les
graves auteurs que j'ai cités. Vous trouverez
un remède plus agréable & plus für en lifant
quelqu'ouvrage de poéfie ou de littérature . Je
ne doute pas que l'excellente traduction de
Suétone par M. de la Harpe ne contribuât
beaucoup à vous faire oublier vos douleurs , & à
diffiper l'ennui que caufe un mal incurable &
aufi trifte. J'en juge par le plaifir que j'ai eu
en la lifant , quoique je n'aie pas la goutte.
J'ai l'honneur d'être , & c.
De Versailles, le 15 Décembre 1775
JANVIER . 1772. 185
ANECDOTES.
I.
ALCIRIADE nourri dans les plaifirs & la
moleffe ne concevoit pas qu'il eft plus doux
de vivre , comme les Spartiates , fous la
févérité de bonnes lois qu'à l'ombre des
boccages comme les Sybarites ; auffi , un
jour qu'on faifoit devant lui l'éloge de la
valeur des Spartiates , de quoi s'étonnet-
on , difoit- il , à la vie malheureufe qu'ils
menent ils ne doivent avoir rien de ft
preffe que de mourir.
I I.
Un Gafcon étoit dans un jeu de paulme,
un homme étoit auprès de lui , qui voyant
venir une balle , baifa la tête , de forte
que le Gafcon la reçut , ce qui le mit fi
fort en colere qu'il donna un foufflet à ce .
lui qui s'étoit baiffé , en lui difant ; comment
morbleu , poltron que vous êtes , vous
avez peur.
III.
Philippe IV étant encore Prince d'Ef186
MERCURE DE FRANCE.
pagne avoit obtenu la grace d'un Seigneur
qui avoit commis un grand crime : ce Seigneur
ayant négligé de la faire entériner ,
où il falloit , fut pourfuivi après la mort
de Philippe III , & condamné à avoir la
tête tranchée. Ses parens & fes amis eurent
récours au nouveau Roi , tenant pour affuré
que ce Prince accorderoit volontiers
une grace qu'il avoit lui - même demandée
au Roi fon pere ; mais ils fe trouverent
bien loin de leur compte , lorfque
Philipe IV leur dit : » Meffieurs , tandis
» que j'étois homme privé , j'ai préféré
la compaffion à la rigueur des lois :
maintenant que je fuis Roi je dois la
juftice à mes fujets , & par conféquent
» laiffer punir les criminels ».
I V.
M. le Grand Condé étoit amoureux de
la Duchefe de B ** , qui avoit beaucoup
d'efprit , il fe brouilla avec elle , & lui
dit qu'il étoit entiérement dégagé , & qu il
ne la verroit plus. Quelques jours après il
revint chez elle. Elle en parut furprife.
Le Prince lui dit qu'elle ne devoit point
l'être , qu'il ne l'aimoit plus , & qu'il étoit
libre dans ſa taille ; la Ducheffe le regarda
JANVIER. 1772. 187
quelque tems , & lui répondit ; je vous
trouve cependant un peu engoncé . Ce mot
les raccomomoda .
V.
Voiture paffant par un village d'Efpa
gne, rencontra un Tailleur qu'on menoit
pendre. Les payfans conteftoient avec le
Juge , difant qu'ils ne vouloient pas qu'il
fit pendre leur Tailleur. Le Juge alloit
toujours en les laiffant fe plaidre ; enfin
les payfans lui dirent , nous n'avons qu'un
Tailleur pour faire nos habits , mais nous
avons deux Charrons ; Faites en pendre
un, fi vous voulez, & ils délivrerent le
Tailleur de la potence.
V I.
Deux hommes prirent quérelle dans le
parterre de l'Opéra. Un d'eux qui faifoit
le Seigneur dit à l'autre que , s'il étoit
déhors il lui feroit donner cent coups de
bâton par fes Celui- ci repliqua :
gens .
Monfieur , je ne fuis pas grand Seigneur
& n'ai point de domeftiques ; mais fi vous
voulez prendre la peine defortir d'ici ,j'au.
zai l'honneur de vous les donner moi - même.
188 MERCURE DE FRANCE.
Cours d'hiftoire naturelle & de chymie.
M. Bucquet , Docteur Régent de la Faculté
de Médecine de Paris , commencera un Cours
particulier d'Hiftoire Naturelle & de Chymie le
Mardi 7 Janvier 1772 : il continuera les Mardi ,
Jeudi & Samedi de chaque femaine à la même
heure , en fa maiſon , rue des Foffés - Saint-
Jacques à l'Eftrapade.
Cours de mathématiques.
Le fieur Dupont , Maître de Mathématiques ,
recommencera le 7 de Janvier 1772 , dans fon
Ecole , rue Neuve- Saint -Méderic , fon fecond
Cours d'Arithmétique & d'Algèbre ; il donnera
auffi , trois fois la femaine , la Mécanique de
M. l'Abbé Boffat ; il fait fuivre alternativement
las OEuvres de MM. Camus , Bezoul & l'Abbé
Boffut. Il y a en tout tems chez lui trois Cours
d'Elémens far ces célèbres Auteurs ; favoir ,
d'Arithmétique , de Géométrie & d'Algèbre ,
indépendammant de leurs OEuvres fuivantes ,
qui font la Mécanique , la Dinamique , l'Hidrodinamique
, le Pilotage , &c. qu'il fait fuivre
dans fes Cours. Le fieur Dupont donne les matins
des leçons particulieres fur la Marine , ainfi
que pour les Eleves Militaires , & fur toutes les
parties Mathématiques qui font ' relatives aux
Arts Mécaniques. Les leçons de fon Cours font
tous les jours depuis deux heures l'après midi
JANVIER. 1772.
189
jufqu'à fept heures du foir ; il fe borne à un
certain nombre d'Eleves pour ne point avoir
de confufion ; chaque leçon eft répétée deux
fois , il fait démontrer fes Eleves , & répond
à toutes leurs difficultés . Le prix eft de 12 liv.
par mois , & 16 liv. lorfque l'on y comprend
le Maître de Deffin qui eft un des premiers dans
fon genre pour la Carte & le Paysage ; le fieur
Dupont fait des examens publics pour les Elèves
, où toutes perfonnes peuvent affifter ;
fes leçons d'opérations à la campagne font fans
aucuns frais pour les Elèves. Il prête des inftrumens
à ceux qui font en état d'opérer. Il continue
fon Cours gratuit les Dimanches depuis fept
heures jufqu'à neufheures le matin , & il donne
le même jour un Cours de Géographie Aftronomique
fuivant les principes de MM. Le
Monnier & de Lalande . Ses Elèves ont l'agré
ment de trouver une collection de livres choifis
dans fa bibliothèque qui font relatifs aux Mathématiques
, ainfi que les Mémoires de l'Académie
& des figures eu relief pour l'intelligence
de leurs leçons,
Cours de Phyfique expérimentale,
M. Sigaud de la Fond , Profeffeur de Mathé
matiques , Démonftrateur de Phyfique expérimentale
en l'Univerfité , Membre de plafieurs
Académies , recommencera un Cours de Phyfique
expérimentale , le mardi 7 Janvier à fix
heures du foir , qu'il continuera les Mardi ,
Jeudi & Samedi de chaque femaine à la même
heure. Il prie ceux qui voudront le fuivre , de
vouloir bien le faire infcrire d'ici à ce tems.
199 MERCURE DE FRANCE.
Cours de Cofmographie.
Le fieur de Mornas , Géographe du Roi &
des Enfans de France , & Auteur de l'Atlas hiftorique
& géographique , vient de fe déterminer
de faire un Cours de Cofmographic , c'eſt- àdire
, de Géographie aftronomique , politique
& phyfique . Il l'ouvrira le 3 Janvier par un
Difcours fur le fpectacle de l'Univers , & le
continuera pendant trois mois les Mardi , Jeudi
& Samedi de chaque femaine , les Fêtes
exceptées. Il invite ceux qui auroient envie
d'en profiter , de venir fe faire infcrire chez
lui , rue Saint- Jacques près de Saint-Yves. Il
avertit qu'il pourra en ouvrir un fecond les
Lundis , Mercredis & Vendredis de chaque femaine
, au cas qu'il fe préfente des amateurs.
pour ces jours- là.
A juger d'après l'empreffement du Public à fe
procurer l'Atlas de M. de Mornas , & d'après les
éloges qu'en ont fait MM. les Journaliſtes , on
eft fondé à croire que le Cours que cet Auteur
annonce réunira l'agréable à l'utile , & ne pourra
que picquer la curiofité des Amateurs , s'il développe
les matieres importantes contenues
dans le premier volume de fon Atlas , dans lequel
on trouve tout ce qu'on peut defirer fur
la Terre , l'Eau & le Ciel, & fur les fondemens
de la Chronologie , qui , comme l'on fait , eft
un des yeux de l'Hiftoire. Le fecond , le troifieme
& le quatrieme volumes de cet Atlas nous
préfentent l'hiftoire du genre humain depuis la
Créationjufqu'à l'Ere Chtérienne . C'eſt un Cours
complet d'Histoire ancienne . On y trouve l'oJANVIER.
1772 . 191
tigine de l'Idolâtrie , des Loix , des Gouvernemens
& de tous les anciens peuples. On y détaille
ce qui eft arrivé d'intéreffant au Peuple
Juif, & les traits les plus frappans de l'Hiftoire
profane , & ces événemens font prefque tous
accompagnés d'obſervations curieuſes & impor
tantes. On peut avancer que cet Atlas eft un
Cours complet d'Aftronomie , de Géographie ,
de Chronologie & d'Hiftoire. Il eft compofé de
268 Cartes divifées en 4 volumes ; & , pour en
faciliter l'acquifition , l'Auteur a fait tirer fes
Cartes fur trois papiers différens , grand , moyen
& petit , & c'eft à lui feul qu'il faut s'adreffer
pour l'avoir complet.
On ne peut trop inviter les Peres de famille
à en faire l'acquifition , à caufe des avantages
qu'ils en peuvent retirer pour leurs enfans . C'eſt
d'ailleurs un livre de bibliothèque que l'on peut
confulter , & dont la lecture eft agréable par la
variété des matières , par la clarté , la précifion
& la méthode qu'on y trouve ,
Cours de phyfiologie-pratique , confidérée
comme l'art de perfectionner les facultés
corporelles & Spirituelles de l'homme ;
pour fervir de fuite aux études des écoles,
& d'introduction auxfciences & arts
du monde ; par M. *** docteur en
médecine.
La fcience de l'homme phyfique & moral a été
formée par les obfervations des philofophes moraliftes
& inftituteurs de la jeuneſle ! & ce n'eft
192 MERCURE DE FRANCE.
que depuis que les médecins modernes l'ont perfectionnée
par leurs expériences & par leurs découverres
, qu'on la regarde comme leur appanage
particulier. Dans le plan des études facrées
& profanes de l'antiquité , elle étoit comme le
tronc d'où s'élevoient toutes les fciences & les
beaux arts , qui en recevoient des influences plus
ou moins grandes.
Pour démontrer ce qu'on peut attendre de la
phyfiologic plus parfaite de nos jours , on fe propofe
d'en faire un cours , dans lequel en confidérant
l'homme dans les rapports avec les différens
êtres , on confidérera la phyfiologie dans fes rapports
, avec toutes les fciences & les beaux arts.
Pour aller du fimple au compofé , & du plus
connu au moins connu , on cominencera par traiter
des fenfations & des mouvemens qui font en
même tems les effets & les caufes des fonctions
animales . On remontera enfuite aux fens extérieurs
& intérieurs & aux facultés du mouvement
volontaire , qu'on peut nommer gymnastiques.
Après avoir ainfi expofé le commerce immédiat
& réciproque de l'ame & du corps , on paflera
aux fonctions qui mettent particulièrement le
corps humain en commerce avec les agens extérieurs.
En traitant de la digeftion , de la circulation
des fucs , de la refpiration , de la nutrition
& des fecrétions , on examinera ce qu'elles peuvent
pour le corps & pour l'efprit. On finirá par
les tempéramens , & l'on en examinera les rapports
avec les fonctions corporelles & fpirituelles ;
avec les conceptions & les moeurs ; avec les maladies
du corps & de l'efprit.
Pour rendre ce cours aufli utile qu'on le pourra
faire
JANVIER. 1772. 193
faire on paffera légèrement fur les caufes prochaines
& immédiates des fonctions , parce qu'elles
font prefque toujours hypothétiques ; mais on
s'attachera à celles qui font éloignées , fenfibles,
prefque toujours certaines & dont l'ufage dépend
de la volonté. On ne donnera que le moins qu'il
fera poffible aux recherches métaphysiques &
l'on tâchera de déduire toutes les théories & les
règles , des obfervations & des expériences anatomiques
, chymiques & phyfiques.
:
Sur chaque fonction & opération de l'économie
animale , on en décrira les phénomènes & les différences.
On en rechercherà les caules , les effets
& les indications. On indiquera les moyens capables
de procurer leur perfection & de corriger
leurs vices. Enfin on fera appercevoir l'ufage que
les anciens en ont fait & qu'on en peut faire encore
pour l'étude & la pratique des profeffions
fcientifiques & des beaux arts , & même dans la
vie économique & civile.
Le Public fera averti du tems & du lieu où ce
cours fe fera.
Il paroît chez Guillyn & Lacombe, libraires, un
ouvrage intitulé , Recueils de Mémoires & d'Ob
fervations fur la perfectibilité de l'homme , par les
agens phyfiques & moraux . On délivrera un exemplaire
des trois premiers recueil à chacun de ceux
qui fuivront le cours de Phyfiologie- pratique. Le
premier contient un effai fur l'hiftoire & le renouvellement
de l'art , de l'éducation & de la morale.
Le ſecond contiendra une analyle des perfections
& des vices qui peuvent fe trouver dans chacune
des facultés corporelles & fpirituelles de l'homme.
Le troisième enfin , une analyfe des moyens qui
1. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
peuvent fervirà perfectionner les mêmes facultés
& à en corriger les vices.
On s'adreffera à M. Verdier , docteur en méde
cine , rue Poiffonniere , à la feconde barrière Stę
Anne.
EDITS , ARRÊTS , &C.
EDIT du Roi , donné à Versailles au mois de
Novembre 1771 , regiftré en parlement ; portant
prorogation des deux vingtièmes & de différens
autres droits , & établiffement de deux nouveaux
fous pour livre en fus fur les droits des fermes &
autres.
I I.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois d'Octobre
1771 , regiftré en la cour fouveraine de
Napci , le 22 des mêmes mois & an ; portant créa
tion d'offices dans la cour fouveraine de Nanci,
I I I.
Lettres-patentes du Roi , données à Fontainebleau
le 15 Octobre 1771 , regiſtrées en parle
ment en vacations , le 22 des mêmes mois & an ;
portant fixation des gages des afficiers du conſeil
Tupérieur de Bayeux.
I V.
Lettres patentes du Roi , données à FontaineJANVIER
. 1772. 195
bleau le 17 Octobre 1771 , regiſtrées en parlement
en vacations , le 26 des mêmes mois & an ;
qui permettent aux pourvus d'offices d'huiffiersaudienciers
au fiége de l'Amirauté de Paris , de
continuer l'exercice de leurs fonctions , fous l'inf
pection du parlement , leur vie durant.
V.
Lettres-patentes du Roi , données à Fontainebleau
le 16 Octobre 1771 , regiſtrées en vacations
le 24 des mêmes mois & an ; qui ordonnent
que le bailliage de Breteuil en Normandie reflor
tira à l'avenir au parlement de Paris.
V I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 15 Décembre
1771 ; qui règle la perception des différens
fous pour livre fur les droits dûs aux entrées de
la ville , faubourgs & baniieue de Paris.
VII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 15 Dècembre
1771 ; qui exempte les droits fur le blé & la
farine , établis pour la conftruction de la Gare &
Halle de Paris , des fous pour livre , dont la perception
eft ordonnée par l'édit du mois de Novembre
1771 : Et ordonne qu'il fera compté à
l'Adjudicataire des Fermes des huit fous pour li- .
vre qui feront perçus au profit de Sa Majeſté , en
fus des autres droits établis par les lettres - patentes
duas Novembre 1762.
I ij
196 MERCURE
DE FRANCE.
VIII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du Décembre
1771 ; qui commet l'Adjudicataire des Ferines
pour faire la perception & recouvrement des
différens fous pour livre , perceptibles en exécution
de l'édit du mois de Novembre 1771 , tant
fur les droits faifant partie de fon bail , que fur
ceux d'octroi & autres défignés en l'article VI de
la Déclaration du 3 Février 1760.
I X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , durs Décembre
1771 ; qui modère à deux fous pour livre
feulement , les huit fous pour livre , perceptibles
en exécution de l'édit du mois de Novembre 177 ,
en fus du principal du droit fur les cuirs .
X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 16 Q &tobre
1771 ; portant règlement pour lala perception
du droit fur l'amidon.
X I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 15 Décembre
1771 ; qui règle la perception des fous pour
livre , en exécution de l'édit du mois de Novembre
1771 , en fus des droits du Don gratuit des
villes & bourgs , & autres , dont la prorogation
eft ordonnée par l'article IV dudit édit .
JANVIER. 1772. 197
X I I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 24 Novembre
1771 ; qui modère à 20 livres par quintal
, le droit de 60 liv. impofé fur tous les livres
venans de l'Etranger.
XIII.
Arrêt de la cour des monnoies , du 12 Novembre
1771 ; qui cafle & annulle une ordonnance
rendue par le Prevôt général des Monnoies au
département de Lyon , & lui fait défenfes d'en
rendre àl'avenir de pareilles.
XI V.
Arrêt de la cour des Monnoies, du 29 Novembre
1771 ; qui condamne Marie - Catherine Dumay
, femme de Charles Antoine , en cinq cents
livres d'amende , pour avoir expofé des liards de
fabrique étrangère, dits Stubers.
X V.
Arrêt de la cour des monnoies , du 27 Novembre
1771 ; qui fait défenſes à tous Juifs ,Colporteurs
, &c. de vendre , acheter , troquer ou dé
biter aucuns ouvrages , bijoux , vaiflelles ou
marchandiſes d'or & d'argent , fans y être autorifés
par des permiffions particulières , dûment enregiſtrées
en ladite cour.
I iv
198 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
LE Sieur Maille , feul Vinaigrier ordinaire du
Roi & de Leurs Majeflés Impériales , nommé par
Sa Majesté après la mort du Sr le Comte , voulant
donner des preuves de fon zèle pour le bien pu
blic , & fe rendre de plus en plus digne de la grace
dont le Roi a bien voulu l'honorer , en le nommant
fon vinaigrier ordinaire , a commencé de
puis le 4 du mois de Novembre dernier à diftribuer
gratis aux pauvres fa moutarde pour les engelures
. Il avertit que cette diftribution fe fera
tous les dimanches , depuis huit heures jufqu'à
midi , jufques & compris le dernier dimanche du
mois d'Avril prochain. Il a choifi le dimanche par
préférence à tout autre jour , afin que les pauvres
ouvriers ne le dérangent point de leurs occupations.
L'on trouve dans fon magafin, généralement tou
tes fortes de vinaigre , au nombre de 200 fortes ,
Loit pour la table , les bains & la toilette , tels que
le vinaigre de rouge pour les Dames , qui a la
commodité de ne point difparoître lorfqu'on s'effuie
, ce qui eft très-agréable pour les perfonnes
qui vont au bal. Il imite les couleurs naturelles à
tromper la vue. Ce vinaigre s'emploie également
fur les lévres , & leur donne une couleur vermeille
& empêche qu'elles ne fe gerfent pas le froid :
le vinaigre romain qui blanchit les dents , arrête
les progrès de la carie , & les raffermit dans leurs
JANVIER. 1972 :
alvéoles. Le vinaigre de Turbie qui en guérit
radicalement la douleur. Le vinaigre de ſtorag
qui blanchit la peau , & empêche qu'elle ne fe ri
de. Le vinaigre de fleurs de citrons pour les bou
tons. Le vinaigre d'écaille pour les dartres. Le vi
naigre royal, pour la brûlure. Le vinaigre admira
ble & fans pareil. Le vinaigre rafraîchiffant à l'u
fage de la garderobe , pour les perfonnes ſujettes
aux hémorrhoïdes. Le vinaigre de Vénus , pour les
vapeurs ; & le véritable vinaigre des quatre Voleurs
, préfervatif de tout air contagieux ; & différentes
moutardes , telles que celles aux capres
& aux enchois par extrait d'herbes fines , à 1 liv.
le moindre pot , & celle pour les engelures , à 1 liv.
ro fols. Tous les différens vinaigres , foit pour le
rouge , les dents & le vifage , font de 3 liv. ies
moindres bouteilles. Les perfonnes de province
qui voudront le procurer ces différentes espèces
de moutardes ou vinaigres , écrivant une lettre
d'avis & envoyant l'argent , le toutfranc deport ,
on leur fera tenir exactement les vinaigres ou
moutardes , avec la façon de s'en fervir.
Toutes les bouteilles & les pots font garnis d'un
étiquette aux armes du Roi & de Leurs Majeſtés
Impériales , & cachetées d'un cachet aux armes
du Roi : Cette précaution eft prife pour éviter
toute furpriſe de la part de différens particuliers
qui fe mêlent de contrefaire ces différentes fortes
de vinaigres. Toutes ces espèces de vinaigres peu
ventfe transporter par mer avec la même bonté.
La demeure du Sr Maille eft rue St André des
arcs , la porte cochère qui faitface à la rue Haute
Feuille.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
I L
Le Sr Ravoifé , marchand , rue des Lombards ,
au fidèle Berger, a fait exécuter de nouvelles pièces
de méchanique qui peuvent être placées fur les
cheminées des appartemens.
On trouve dans fon magafin de petits théâtrés
deftinés à fervir de furtout dans les deflerts &
dont les figures rendent des fcènes connues & intéreflantes.
Ces furtous peuvent être accompagnés
d'affiettes montées en compartimens qui portent
des grouppes d'amours avec des allégories.
Il a auffi de jolies corbeilles à bombon pour les
toilettes , des caves garnies de pommades & d'odeurs
d'Italie , des livres & almanacs qui renferment
différens jeux , des boîtes à bombon de toute
efpèce.
Il vend des ratafiats , des liqueurs des Ifles &
des bombons nouveaux ; du rach en paſtille , dont
on fait fur le champ du punch.
Il a travaillé, en nouvelle pâte d'office , des fruits,
dès légumes & autres comestibles , qui font illufion
; chaque pièce contient , foit un fac à ouvra
ge , foit un éventail , foit des bijoux .
Il a auffi de nouvelles croquignoles aux avelines
& aux oranges de Malthe .
En un mot fon magafin eft fi varié qu'il n'eſt
guère poffible d'entrer dans les différens détails des.
chofes utiles & agréables dont il eſt rempli.
I I I.
Le Sieur Obry , marchand épicier - droguifte ,
rue Dauphine , au magafin d'Angleterre , vis à - vis
JANVIER . 1772. 201
la botte d'or , continue de vendre avec fuccès différens
remèdes qu'il tire des Chymiftes Anglois ,
très -approuvés de M. le Doyen de la faculté de
médecine , & avec permiffion de M. le Lieutenant-
Général de police : Sçavoir ;
Les emplâtres écoflois pour guérir & déraciner
toutes fortes de cors ; ces emplâtres ſe vendent
30 f. la boîte.
Les taffetas d'Angleterre , noir & blanc , pour
les coupures & brûlures , 20 f. la pièce .
Les tablettes pectorales du Sieur Archebald
pour le rhume , 24 f. la boîte.
L'eau de perle du Sieur Dubois , pour blanchir
la peau , 40 f. la bouteille.
Les teintures pour blanchir les dents & en guérir
le mal , 24 f. la bouteille.
L'eflence volatile d'ambre gris pour lesvapeurs
& maux de tête , 40 l . le flâcon .
L'élixir de Stougthon d'Angleterre , pour les
maux d'estomach , 24 f. la bouteille.
La véritable cau de Cologne , à 36 1. la bouteille.
Le véritable élixir de Garrhus , fi connu depuis
long-tems pour les rares vertus ; il y a des bouteilles
de 3 , 6 & 12 liv.
Il vend auffi la fleur de moutarde d'Angleterre,
que l'on prépare foi - même pour la table & qui eſt
d'un ulage très - fréquent en médecine ; c'eſt la
meilleure que l'on connoiffe encore en France pour
la délicatele de la fanté ; le flâcon ſe vend 20 l.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg , le 30 Octobre 1771 .
LA pefte continue de fe répandre dans les provinces
intérieures de cet empire . Elle a gagné les
Districts de Wologda & de Wiodomir , & l'on
prétend qu'elle vient de le manifefter auffi à Novogrod.
On a envoyé le Sieur Glebow à Moskow,
avec des inftructions générales , pour y prendre ,
fous la direction du comte Orlow , les mefures les
plus propres à empêcher les progrès ultérieurs de
ce fléau & pour fauver les manufactures qui ont
été établies , à grands frais , dans cette ville.
De Berlin , le 30 Novembre 1771 .
La nouvelle qu'on avoit répandue de la défaite
'des Turcs au-delà du Danube paroît fe confirmer.
On n'a cependant encore aucun détail fur ce grand
événement Le fait eflentiel , dont on ne doute
point, c'eft la prife de Giurgewo par les Ruffes.
De Dantzick, le 23 Novembre 1771 .
Il est arrivé ici , depuis un mois , une trèsgrande
quantité de grains , par la Viftule.
On craint que la ville ne foit obligée de loger
les troupes Pruffiennes , fur fon territoire , pendant
J'hiver.
La nouvelle de la reprise de Giurgewo par les
Ruffes , fous les ordres du général Ellen , ne patoît
plus douteuse,
JANVIER . 1772. 203
De Vienne , le 27 Novembre 1771 .
On continue de faire , dans nos magaſins , de
grands amas de grains pour les tranſporter en
Bohême. Ceux que l'Empereur a fait acheter en
Hongrie afurent la fubfiftance des troupes juf
qu'à la récolte prochaine.
De Barcelone , le 9 Novembre 1771.
On a reflenti ici , avant hier , vers les fept
heures & un quart du foir , un tremblement de
terre , qui a duré cinq à fix fecondes . Les fecoufles
ont été verticales ; elles n'ont heureuſement caufé
aucun dommage.
De Naples , le 23 Novembre 1771.
Le Colonel Brown a eu l'honneur de notifier à
Leurs Majeſtés , de la part de l'Empereur & de
l'Impératrice - Reine , le mariage de l'Archiduc
Ferdinand avec la Princefle Marie Béatrix d'Eft.
De la Haye , le 10 Décembre 1771;
Suivant des lettres de Petersbourg , la pefte
continue toujours à Moskow , mais elle ne fait
pas des progrès fenfibles au-dehors. On apprend ,
par les mêmes lettres , que deux cents foixantedix
perfonnes , qui étoient exilées depuis plufieurs
années , en Sibérie , en ont été rappellées.
De Londres , le 10 Décembre 1771.
Suivant une lettre de Carlifle , les pluies violentes
qui font tombées depuis peu dans ce pays
y ont fait des ravages terribles ; mais rien n'eft
auffi furprenant que ce qui eft arrivé à Solway-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Mofs , fur les frontières d'Ecoffe , à dix milles de
cette ville. Une grande croute de terre , d'environ
quatre cens acres d'étendue & toute couverte de
moufle , s'eft d'abord gonflée par l'inondation &
s'eft élevée enfuite à une telle hauteur au deflus
de fon niveau , qu'à la fin elle s'eft détachée , & ,
roulant comme un torrent , elle a entraîné , dans
l'efpace d'un mille , les arbres les maifons.
E le s'eft enfuite divifée en différentes ifles qui
portoient depuis un pied d'épaifleur jufqu'à dix ,
& fur lefquelles on voyoit des liévres , des oifeaux
de rivière & d'autres animaux. Ces mafles
de terre , entraînées par les eaux , ont décruit plus
de trente hameaux & ont englouti un nombre
prodigieux de beftiaux . On a de grandes inquié
tudes fur le fort d'une famille entiere , dont on
n'a pas de nouvelles depuis cet événement.
De Marfeille, le 11 Décembre 1771 .
'Extrait d'une lettre du capitaine Roux , écrite
de Metelin (l'lfle de Lesbos ) le 15 Novembre
1771.
ם כ
« J'avois mon chargement , le 4 Novembre , &
ɔɔje n'ai pu mettre à la voile que le 15. Trois
jours avant mon départ , les Rufles ont paru
avec lept vaiffeaux de guerre & quatre - vingt
» bâtimens de tranfport . Ils ont débarqué vis - a-
» vis de la ville à laquelle ils ont mis le feu, ainfi
qu'aux magafins d'huile , après avoir taillé en
pièces les Turcs qui ont voulu s'opposer à la
defcente , & dont le reste a pris la fuite. Le Pa
cha s'eft retiré dans le château où il a fait trancher
la tête à l'Evêque & aux Primats des Grecs
»qu'il tenoit en ôtage. Les Rufles ont brûlé deux
JANVIER . 1772. 205
»vaiffeaux du Grand Seigneur , qui étoient fur le
chantier , & tous les bois de conftruction . Ils
»travailloient à mettre à la mer un troisième vaif-
» kau qui étoit prêt à être lancé . J'ai vu du Port
»Olivier, où j'étois mouillé , l'incendie de la
ville , pendant un jour & une nuit. »
33
De Verfailles , le 14 Décembre 1771 .
Le Roi a difpofé du gouvernement de la ville
de la Rochelle , vacant par la démiffion du maréchal
duc de Briffac , en faveur du Prince de Mont.
morency , maréchal de camp .
De Paris , le 13 Décembre 1771 .
La chambre des Comtes du Dauphiné & le par
lement de la même province ont fait leur rentrée ,
le mois dernier , avec les formalités ordinaires.
Le Comte de Montbarey , capitaine - colonel
de la compagnie des Suiffes de la Garde du Corps
de Mgr le Comte de Provence & les officiers de
cette compagnie ont fait chanter , les de ce
mois , dans l'églife royale & paroiffiale de Paffy ,
un Te Deum , en actions de graces du parfait rétabliffement
de Madame la Comtefle de Provence.
L'Académie Françoife a élu , le 23 du mois dernier
, le Sr de Belloi , à la place du feu Comte de
Clermont , Prince du Sang.
L'Académie Royale des Inferiptions & Belles-
Lettres a élu , le 3 de ce mois , affocié- ordinaire,
à la place de feu l'Abbé Mignor, le Sr Deformeaux,
& affocié libre , le Sr Fevret de Fontette.
206 MERCURE DE FRANCE.
Du 16 Décembre.
On mande de Pont- l'Evêque , ville de la géné
ralité de Rouen , que , le 12 du mois dernier, à
uatre heures & demie du matin , plufieurs parti
culiers , allant de cette ville au marché du bourg
de Beuzeville , ont vu un globe de feu , d'environ
un pied de diametre , qui s'eft détaché du Ciel , &
qui eft tombé , fans explofion , aflez près d'eux.
NOMINATIONS.
Le Roi a nommé à l'évêché d'Acqs l'Abbé de la
Neufville, vicaire- général du diocèle de Bordeaux.
& vifiteur général des Carmelites de France . Sa
Majefté a accordé en même- tems l'abbaye regulière
de Bouillas , ordre de Citeaux , diocèfe
d'Auch , à Dom Pellegrin , religieux du même
ordre.
Le Marquis de Pont , maréchal des camps &
armées du Roi , vient d'être nommé miniftre
plénipotentiaire de Sa Majefté à la Cour de BerÎin.
Il a eu , le 24 Novembre , l'honneur de faire
fes remercimens au Roi , à qui il a été préfenté
par le duc d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état
ayant le département des affaires étrangères...
Le Duc de Laval a eu l'honneur de prêter ferment
entre les mains du Roi , le premier Décembre,
pour le gouvernement du Pays d'Aunis, dont
Sa Majefté l'a pourvû.
Le Roi a nommé le Comte de Nozières , ma
réchal des camps & armées de Sa Majesté , commendant
général des Inles du Vent , & le Sieur
Tascher, intendant des mêmes Ifles. Ils ont eu
JANVIER. 1772. 207
l'honneur de faire leurs remercimens à Sa Majefté,
à laquelle ils ont été préfentés par le Sieur de
Boynes , fecrétaire d'état ayant le département de
la Marine.
Le Sieur de Durey de Noinville , capitaine au
régiment de Bourgogne , cavalerie , a eu l'hon
neur de prêter ferment entre les mains de Sa Majefté
, le 9 Décembre , pour la lieutenance- générale
de la province du Verdunois.
Le Roi a nommé à l'évêché de Valence l'Abbé
de Grave , vicaire - général de Saintes , & à celui
du Périgueux , l'Abbé de Rougé , vicaire général
de Séez.
Le Sieur Maillart de Mefle , commiflaire général
de la Marine, ci- devant ordonnateur à Cayenne
,nommé par Sa Majesté pour remplir les fonctions
d'intendant aux Ifles de France & de Bourbon,
a auffi eu l'honneur de prendre congé du Roi,
ce même jour , pour ſe rendre à fa deſtination.
PRESENTATIONS.
Le Vicomte de Choifeul , ci - devant ambaffadeur
extraordinaire de Sa Majefté auprès du Roi
des Deux - Siciles , eft arrivé à Verſailles , le 24
Novembre. Il a eu l'honneur d'être préſenté au
Roi , le même jour par le duc d'Aiguillon.
Le Chevalier de Ternay , commandant-général
des Ifles de France & de Bourbon , a pris congé
de Sa Majesté pour le rendre à la deftination . Ila
été préfenté au Roi par le Sieur de Boynes , fecrétaire
d'état ayant le département de la Marine.
La Marquife de Fraigne a eu l'honneur d'être
préfentée au Roi , le 24 Novembre , par la com
208 MERCURE DE FRANCE.
teffe de Narbonne , Dame d'Atours de Madame
Adelaïde.
Le premier Décembre , le Marquis de Clauſon→
net , miniftre plénipotentiaire du Roi auprès du
Duc de Wirtemberg & du Cercle de Suabe , a eu
P'honneur de prendre congé de Sa Majefté , ainfi
que de la Famille Royale , pour le rendre à fa
deftination . Il a été préfenté au Roi par le Duc,
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant le
département des affaires étrangères .
La Maréchale d'Armentières a eu l'honneur d'ê
tre préfentée au Roi , ainfi qu'à la Famille Roya
le , le premier Décembre , par la marquise de
Conflans.
Le Vicomte de Béarn , enfeigne des vaifleaux du
Roi , a eu , le 9 Décembre , l'honneur d'être préfenté
au Roi & à la Famille Royale , par le duc,
de Duras , premier gentilhomme de la chambre
de Sa Majesté .
La Baronne de Mackau , fous - gouvernante des
Enfans de France , a eu l'honneur d'être présentée.
à Sa Majefté , ainfi qu'à la Famille Royale , le même
jour, par la marquife de Paulmy.
Le Comte de Nozières , commandant général
des Ifles du Vent , ainfi que le Sieur Tascher , intendant
de cette colonie , ont eu l'honneur de
prendre congé du Roi , le 15 de ce mois , pour fe
rendre à leur destination. Ils ont été préfentés à Sa
Majefté par le Sieur de Boynes , ſecrétaire d'état
au département de la Marine.
JANVIER. 1772 . 209
La Vicomtefle de Breteuil a eu l'honneur d'être
préfentée à Sa Majefté , ainfi qu'à la Famille Royale
, le 15 de ce mois , par la vicomtefle de Pons .
Le Chevalier de Grave a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi & à la Famille Royale , ces jours
derniers.
Le Comte de Quemadeuc , capitaine de cavalerie
au régiment de la Reine , a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi & à la Famille Royale .
Le Vicomte de la Chaftre a eu dernièrement
l'honneur d'être préfenté au Roi.
MARIAGES.
Sa Majesté , ainfi que la Famille Royale , a
figué , le premier Décembre , le contrat de mariage
du Sr de Chabert , capitaine des vailleaux du
Roi , avec Demoiſelle Tascher.
NAISSANCES.
le 19
On mande de St Malo , que du mois dernier
, Jeanne Gofle , feume de Touflaint Quintin,
journalier , eft accouchée d'un garçon & d'une
fille , & le lendemain d'un autre garçon , & que
ces trois enfans , qui font de groffeur & de grandeur
ordinaire , vivent & fe portent bien.
210 MERCURE DE FRANCE:
MORTS.
Le Chevalier de Drée de la Sertèe , maréchal
des camps & armées du Roi , commandeur de
l'Ordre royale & militaire de St Louis , lieutenant
de Roi de la ville de Metz , y eft mort , le 19
Novembre , dans la foixante - douzième année de
fon âge.
On mande d'Egens , dans la Frife Orientale ,
au Cercle de Weftphalie , qu'il vient d'y mourir
une femme âgée de quatre-vingt-cinq ans , qui a
eu , depuis l'âge de dix - fept ans , où elle s'eft mariée
, dix fept enfans , vingt- neuf petits enfans &
dix-fept arrière petits - enfans ; ce qui forme une
famille de foixante- trois perfonnes . Il en exifte
encore cinquante- quatre.
Jean-Charles de Machico de Premeaux , évêque
de Périgueux , eft mort en ſon évêché , le 28 du
mois de Novembre.
Alexandre Milon , évêque comte de Valence ,
prince de Soyon , abbé commendataire des abbayes
de Léoncel , ordre de Citeaux , diocèle de
Valence & de St Benoît - fur - Loire , ordre de St
Benoît , congrégation de St Maur , diocèse d'Or
léans , eft mort en cette dernière abbaye , le 18
Novembre , âgé de quatre-vingt- trois ans.
On écrit de Valogne que le nommé Jean François
Baudry y eft mort , dans le mois d'Octobre
dernier , agé de cent quatre à cent cinq ans. Ce
particulier n'avoit celé de travailler qu'à l'âge de
quatre vingt-dix - huit ans , tems auquel un accident
l'avoit obligé de garder le lit. Il avoit à ſa
JANVIE R. 1772 211
mort l'efprit encore auffi ferme & auffi fain que
dans fa jeuneffe.
André Eléonor - George de Jacques de la Borde ;
chevalier de l'Ordre royal & militaire de St Louis,
ancien mestre de camp de cavalerie , eft mort à
Angers , le 10 Novembre dernier , dans fa quatrevingt-
fixième année.
Auguftin Belley , prêtre , licentié en théologie,
bibliothécaire ordinaire & interprête du Duc d'Or
léans , penfionnaire de l'acedémie royale des inf
criptions & belles letrres , eft mort , le 26 du
même mois , dans la foixante quinzième année
de fon âge.
·
•
Charles-Anne de la Badie de Grafinier eft mort ,
à la terre en Lorraine , âgé de cent cinq ans. Il
n'avoit jamais été malade.
Gilles - George Gerard , ancien Curé de Bertecourt
, diocèse de Beauvais , vient de mourir dans
fa quatre - vingt - douzième année . Il laiffe une
four, âgée de quatre- vingt- quatorze ans, un frère
de 88, & un autre foeur de 86. Sa fervante , qui vit
encore , âgée de foixante quinze ans , le fervoit
depuis cinquante neufans.
·
Il vient de mourir , à Stockholm , un particulier
âgé de cent dix fept ans & trois mois.
Il n'avoit jamais eu de maladie . Il laifle un fils
âgé de quatre-vingt- treize ans.
François Victor Marquis de Breteuil , ancien
officier de Gendarmerie , eft mort à Dourlens en
Picardie , le 4 de ce mois , âgé de quarante - cinq
ans.
René Edouard Colbert , Marquis de Maulé
·
212 MERCURE DE FRANCE .
vrier , eft mort au château d'Everly en Brie ,
Octobre dernier.
le 19
Frere Roch Henri Chafteigner de Rouvre ,
chevalier de l'Ordre de Saint -Jean de Jérufalem
, fous- lieutenant des Carabiniers , fils de
meffire Jean- Henri , marquis Chaſteigner de
Rouvre , ancien capitaine de cavalerie , chevalier
de l'Ordre Militaire de Saint Louis , commandant
de la nobleffe du haut Poitou à l'affemblée
de Saint-Jean d'Angely en 1758 , & de
dame Marie-Armande-Eléonor Chafteigner de
Saint-George de même nom , fon épouſe , eſt
mort au château de Touffue en Poitou , près
Poitiers , le 13 Octobre 1771 , âgé de vingt- un
an , huit mois , quelques jours , étant né le 22
Février 1750 ; il étoit frere de M. le comte,
Chafteigner , enfeigne des Gendarmes de la
Reine , du chevalier Chafteigner , officier de
dragons au régiment de la Rochefoucault , &
du chevalier Chaſteigner , auffi chevalier de
Malthe & garde de la Marine , & de quatre filles
dont une religieufe & une mariée.
Il refte plufieurs branches de la maifon des
Chafteigner , toutes forties de Thibault Chafteigner
, feigneur de la Chafteigneraye , qui
vivoit és années 1140 & 1160 ; celles de Leneffue
de Rouvre en Poitou ; celle du Lindois
en Engoumois ; celle de Chafteigner de Sainte-
Foi en Agenois , dont eft M. l'évêque de Saintes
; qui ont toutes fourni des hommes illuftres
dans l'état militaire & Eccléfiaftique , &
ont des alliances avec les maifons de Bourbon,
de Montmorency , Chaftillon , Rochechouard ,
JANVIER. 1772. 213
Betune , Chabot , Rohan , Voyer , Turpin ,
Merinville & autres . Voyez du Chêne & autres
auteurs.
LOTERIES.
Le cent trentième tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eft fait , le 25 Novembre , en la maniere
accoutumée. Le lot de cinquante mille livres eft
échu au No. 64397. Celui de vingt mille livres au
No. 67148 , & les deux de dix mille aux numéros
68945 & 71563.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire.
s'eft fait les Décembre. Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 47 , 16 , 90 , 39 , 44. Le prochain
tirage fe fera le 4 Janvier 1772.
FAUTES effentielles à corriger.
PAGE AGE 70 , au lieu de ces vers ,
Sa robufte jeuneffe à l'air virile & mâle ,
Et fes vives couleurs éclatent fous le hâle.
lifez,
Plus robuſte , plus mûr , plus fécond que fon frère,'
Il difpenfe aux humains les bienfaits de la terre.
Mêmepage , au lieu du vers ,
Les faifons , dans leurs cours , changent auffi les
hommes.
lifez,
Ainfi que les faifons on voit changer les hommes.
214
MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages PIECES
L'Hiver , imitation de Pope ,
Alcippe , imitation libre de l'Aftrée ,
Le Jugement de Pâris ,
Vers à Madame de Sombreuil ,
L'heureux Mariage ,
Epigrammes ,
La Femme compâtiffante ,
Comparaifon des quatre Saifons ,
ibid.
13
36
42
45
68
69
ibid.
Explication des Enigmes & Logogryphes , 72
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Hiftoire générale des infectes ,
Education de la Jeunefle , avec des notes ,
Analyfe des Conciles ,
Elemens du fyftême général du Monde ,
Réſultat des expériences fur les bêtes voraces
,
Les Graces & Pfyché ,
Lettres de M. *** , à Madame la Duchefle
de ***
Dictionnaire du diagnoſtic ,
Art militaire des Chinois ,
73
76
79
$4
85
99
92
95
97
104
105
197
JANVIER . 1772 .
215
Catalogue des eftampes , 121
Nouveau dictionnaire hiftorique , 124
Vocabulaire françois , 125
Lettres de M. Defp . de B ** , 127
Galerie poétique , 139
Métamorphofes d'Ovide ;
138
Dictionnaire hiftorique d'Education , 134
Almanach encyclopédique de France, 138
Réponse à un Ecrit anonyme , 140
Nouvel Almanach encyclopédique, 141
Almanach chronologique des Rois de France
,
ibid.
Le bon Jardinier , ibid.
Etrennes d'un père à fes enfans , 142
Etrennes intéreflantes pour la Jeuneſſe , ibid,
Les Etrennes de l'Amitié , 143
Etat militaire de France , ibid.
Les libertés de l'Eglife Gallicane , &c. ibid.
ACADÉMIES , 145
SPECTACLES
150
Opéra ,
ISI
Comédie françoife , 156
Comédie italienne , 157
Spectacle méchanique d'Automates , 163
Détail des prix de l'Ecole royale ,
Eloge de M. Trial ,
Vers de M. N... à M. de St Aubin ,
Yers à Mademoiſelle Durancy ,
173
174
164
168
216 MERCURE DE FRANCE .
Adieux de Ml'Abbé Ch. Pepin à fa perruque, ibid
Impromptu à Madame le F **
ARTS , Gravure ,
Mufique ,
175
ibid.
17.8
Lettre de M. J. J. R. à un jeune homme, &c. 189
Lettre de M. Laflus , fur Suétone ,
Anecdotes ,
182
185
Cours d'hiftoire naturelle & de chymie , & c. 188
Edits , arrêts , &c,
Avis ,
Nouvelles politiques ,
Nominations , Préfentations , Mariages ,
Naiflances,
Morts ,
Loteries ,
194
198
202
206
210
213
APPROBATIO N.
JAT lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
premier volume du Mercure du mois de Janvier
1772 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir
en empêcher l'impreflion .
A Paris , le 30 Décembre 1771 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JANVIER
, 1772.
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget . VIRGILE .
li.
A PARIS ,
1 Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris , rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port ,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, cftampes & piéces de mufique .
>
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv !
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas fouferit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On fupplic Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
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de chaque femaine , & qui donne la notice
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paroît deux feuilles par femaine ; on foulcrit
à PARIS , au bureau général des gazettes étran◄
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Les douze Céfars de Suétone , traduits par
M. de la Harpe , 2 vol. in - 8 °. brochés 8 1.
L'Ecole Dramatique de l'Homme , in - 8 °.
broch. 31. 10 f
Hiftoire des Philofophes anciens , avec leurs
Portraits , 2 vol. in - 12 . br.
Diet. Lyrique , 2 vol br.
Supplément du Dict. Lyrique , 2 vol. br.
Recueil lyrique d'airs italiens ,
s liv.
Is 1.
15 l.
31.
1.
de
141.
Monumens érigés en France à la gloire
Louis XV, &c . in- fol. avec planches ,
rel. en carton ,
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in- 4°. avec figures, rel. en
carton ,
12 1.
'Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol . in-8°. gr. format rel.
Les Caracteres modernes , 2 vol . br.
201.
31 .
Maximes deguerre du C. de Kevenhuller , 1 1. 10 f.
Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in-8°. rel .
Dift. de Morale , 2 in- 8 ° . rel.
GRAVURES.
71.
91.
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Van-
241.
loo ,
Deux
grands
Paysages
, d'après
Diétrici
, 12 l .
Le
Roi
de la Féve
, d'après
Jordans
,
41.
Le
Jugement
de
Pâris
,
d'après
le
Trevifain
,
Deux grands Payfages , d'après M. Vernet
Il. f16.
12h
www
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
1
T
DISCOURS de Brutus aux Romains ,
traduit d'une tragédie de Sachefpéar ,
célèbre Poëte Anglois.
BRUTUS aux Romains , après avoir
tué Céfar.
ROMOMAAIINNS qui m'écoutez , s'il en eft entre vous
Qui condamne l'effort d'un généreux courroux ,
S'il en eft de Céfar qui regrette la cendre ,
Qu'il vienne m'accufer , je fuis prêt à l'entendre.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
J'ai moi- même prifé l'amitié de Céfar ,
Dans fon fein cependant j'enfonçai le poignard.
Brutus vit Rome au joug lâchement aflervie ,
Brutus courut venger l'honneur de la patrie.
Qui pourroit voir Célar , par de honteux liens ,
A fon char de triomphe enchaîner les Romains;
Voir la fuperbe Rome indignement flétrie ,
Plutôt que d'un perfide exterminer la vie.
Laiflez tomber vos fers , & maîtres des humains ,
N'allez pas confier à d'autres , vos deftins.
De Céfar & de moi l'amitié pure & tendre
Veut que je donne ici des larmes à ſa cendre ,
Son bonheur au- deffus du fort & des revers
Enchaîna les Romains & foumit l'univers.
A fes heureux exploits je rends un jufte hommage
,
Je refpectai toujours , j'honorai fon courage ;
Mais fon ambition , l'excès de fa fierté
A terminéle cours de fa profpérité.
Si quelque ame contraire à la vertu Romaine
Au lieu de m'applaudir me réferve fa haine ,
Qu'il vienne m'accufer à la face des dieux ,
S'il l'ofe , de punir un tyran odieux.
Qu'il approche c'eſt lui , c'est lui que je déclare
D'un cruel oppreffeur le miniftre barbare.
LE CHUR.
Il n'eft point de Romain qui , d'un efprit rampant
,
JANVIER . 1772.
7
Brutus , veuille infulter à ton bras triomphant.
Il n'en eft point , Brutus , qui regrette ce traîtref
BRUTUS.
Rome , je t'ai vengée en poignardant ton maître.
Mais je vois de Célar le corps pâle & ſanglant
Qui jufques au trépas porte un front menaçant ,'
Antoine , dans ces lieux , à fon ombre va rendre
Les funèbres honneurs qu'elle a droit de préten
dre ;
Lui qui , de fes deffcias complice & l'inftrument
Veut recueillir le fruit d'un jufte châtiment.
Goulez , Romains , rendus déformais à vous .
mêmes ,
La douceur de donner , d'ôter les diadèmes.
J'ai tué dans ce jour mon plus fidele ami ,
Il étoit trop coupable , il vous avoit trahi.
Je garde ce poignard , pour moi , quand la pattie
Oubliant mes bienfaits demandera ma vie.
LE CHE V R.
O généreux Brutus , dont la jufte fureur
Nous épargne du joug l'infâmie & l'horreur ,
Daigne vivre entre nous pour nous fervir de père ;
A tes concitoyens ta gloire eft toujours chère.
Par M. D... L...
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
SUR la mort d'une Epoufe.
ODE traduite de M. Haller , poëte
Allemand.
DANS ANS ce funefte jour , fi ta paifible cendre ,
Chère épouſe , l'objet de mes vives douleurs ,
Avec ce nom garant d'un amour pur & tendre
Ne dédaigne mes pleurs;
Comme l'aftre du jour dans fa noble carrière ,
Répand par tout les feux de fa vive clarté ,
Daigne verfer fur moi des raïons de lumière
Du féjour enchanté.
Oui , je fçais que ton ame , au fein de l'allégrefle ,
Sé repaît maintenant de plaifirs immortels ,
Tandis que ton époux a pour lot la triſteſle
Et les chagrins cruels .
On ofe m'inviter par des accens profanes
A chercher mon repos & de nouveaux plaifirs ,
En offenfant mon coeur on outrage tes mânes ,
On accroît mes foupirs.
Fidèle Elife , en vain veut- on tarir la fource ,
Des pleurs que fur ta tombe a verfé mon amour.
Le malheureux inftant qui termine ta courfe
Ya m'arracher le jour.
JANVIER. 1772 .
Vers toi , de mes fanglots que la voix retentiffe
Et t'annonce l'excès de mes noirs déplaifirs .
Sur les bords ténébreux que ton ombre gémiffe
Entendant mes foupirs.
Infenfibles mortels , loin de blâmer mes larmes ,
Vous gémiriez , témoins de mon fort rigoureux ,
Si vos coeurs infenfés fçavoient prifer les charmes
D'un amour généreux ;
Les tendres agrémens lui donnent la naiflance ,
Redoutable rival d'un penchant criminel ,
Les graces , les vertus affurent la puiflance
Et le font éternel.
L'ardeur de mon amour diffipoit ma triſtefle ,
Etouffoit dans mon fein la voix de la douleur ;
Mon amour confiftoit à chérir ta tendreffe ,
A prifer mon bonheur.
Ojours trop fortunés , vous qui vires éclore
Les feux de cet amour qui toujours nous unit ,
Le Ciel peu favorable a changé votre aurore
En éternelle nuit.
Si quelque fois du fort les cruelles difgraces ;
Sur les pas fortunés des jeux & des amours ,
De leurs triftes venins avoient noirci nos traces
Et flétri nos beaux jours ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Pareils à ces oifeaux qui craignant la tempête
Et l'orage & la nuit dans un nuage épais ,
Vont éviter les coups qui menacent leurs têtes
Sous l'ombre des forêts;
Ou qui fuyant les traits du cylindre perfide ,
Et dans un Ciel ferein voyant jaillir l'éclair ,
Malheureux & tremblans fendent d'un vol rapide
Les vaftes champs de l'air;
Ainfi nous écartions ces funeftes images
Qui , des foibles mortels alimentent les maux ;
Et parmi la tempête , au milieu de l'orage ,
Nous goûtions le repos.
✪ doux reflouvenir , ô Berne , ô ma patrie !
Obienheureux féjour dont le tableau flatteur
Ames foibles efprits , à mon ame attendrie
Préfente le bonheur ;
Rappellez-moi les traits d'une époufe mourante ,
De cette épouse , hélas , fi chère à mes douleurs ;
Rappellez-moi l'inftant où fa main défaillante
S'arrofa de mes pleurs.
Je poufle en vain des cris que tu ne peux entendre,
Fidèle Elife , en vain je te cherche en ces lieux ;
Un fepulchre effrayant , une immobile cendre
Te dérobe à mes yeux.
JANVIER . 1772 . II
A peine étaloit - elle une beauté naiſſante ,
La mort porte fur elle un homicide bras ;
Au printems de fes jours , fa rage étincellante
Moiffonne les appas.
C'est là que le tombeau la tient fous fa puiflance ; ]
Là, fur ce monument j'ai tracé mes malheurs ,
Et ces funeftes lieux confacrés au filence
Verront finir mes pleurs.
Parle même.
L'OFFICIEUX ou les bonnes intentions,
Hiftoire tragique.
Je fus dans les premières années de ma
jeuneffe le plus heureux des hommes . Je
croiois devoir la vie à l'honnête particulier
qui m'avoit élevé ; je paffois des jours
délicieux auprès d'une foeur aufli aimable
qu'on peut l'être , & qui payoit les foins
que je prenois pour former fon efprit
par le charme de fes talens agréables .
J'avois pour ami le plus tendre , le plus
officieux des mortels.
Mon premier chagrin , à l'âge de dixhuit
ans , fut de voir dangereufement
malade celui que j'appellois du doux
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
nom de père , & qui méritoit fi bien tou
te ma tendreffe. Je ne le quittois point ,
& ma reconnoiffance pour les foins qu'il
avoit pris de moi faifoit dans mon coeur
autant d'effet que la nature . Son état em
piroit tous les jours , & nous fumes menacés
, Junie & moi , du plus grand des
malheurs.
19
" Valfrais , me dit- il une nuit que je
veillois , écartez pour une heure cette
femme qui me fert ; exigez qu'elle aille
fe repofer dans la chambre voifine ; je
» me fens la force de vous parler, & nous
» n'avons pas befoin de témoins ; allez
» ne perdez point de tems. »
J'obéis , Sufanne fe retira , & m'approchant
du lit de Montbel , je faifis une
de fes mains que j'arrofai de mes larmes,
quoique je me fuffe impofé de n'en point
répandre , de peur de le trop effraïer fur
font fort. Vous pleurez , me dit- il , hélas !
vous prévoiez donc les malheurs que je
vais vous apprendre ? Des malheurs , interrompis
- je , ah , mon père ! nous ne
fommes point fans efpérance fur le retour
de votre fanté , & fi ce bien nous arrive ,
quel fils fera plus heureux que le vôtre ?
Ecoutez-moi , reprit- il , infortuné Valfrais
, la Providence , dans le fein de laJANVIER
. 1772 13
1
quelle je vais rentrer , m'eft témoin que
lorfque je lui demandois de m'accorder
un fils , je le fouhaitois tel que vous êtes ;
mais fes décrets fouverains auxquels il
faut fe foumettre , avoient borné fans dou
te la bénédiction de mon mariage à la
naiffance de Junie ... Que dites - vous ,
Monfieur , m'écriai - je en le regardant
d'un air effraïé , les mains ouvertes , tremblantes
& portées loin de moi , comme
fi j'avois voulu repouffer l'affreufe vérité
qui s'annonçoit.
N'agitez point trop mes derniers momens
, me dit-il , ô mon cher Valfrais !
& faites vous quelques efforts pour m'enrendre
cette nuit ; peut-être eft ce la dernière
où je pourrai vous parler. -Vous
avez raifon , Monfieur ; mais de grace
abregez & pour vous & pour moi votre
récit inquiétant... En un mot , ô refpectable
Montbel ! fuis- je votre fils ? -Vous
êtes mon ami , vous le ferez toujours. —
Et c'eft un titre plus précieux & plus facré
que je réclame , parlez , êtes vous mon
père ? Les dieux m'ont refufé cette faveur.
Anéanti , conflerné par cet aveu , je reftai
un moment les yeux fermés & pour
ainfi dire retournés fur moi - même ,
14 MERCURE DE FRANCE:
»
Montbel avança la main , prit la mienne
& me ranima en la ferrant. Valfrais ,
» me dit- il , qu'il m'eft affreux de déchi-
» rer votre coeur ! car je conçois & me
» Alatte que vous m'aviez accepté pour
père. » Si je vous avois accepté , vertueux
Montbel , lui répondis- je , Eh qu'avois
-je à fouhaiter que de tenir tout de
vous ? Mais fans doute vous favez qui je
fuis , & comment , & par qui mon éducation
vous a été confiée . « Lifez , me dit-
» il , voilà le premier billet que j'ai reçu
» à votre égard.
33
"
A M. Montbel.
" On avoit befoin , Monfieur , d'une
perfonne auffi difcréte & auffi honnête
» que vous , & l'on a ofé fe fervir de
" votre nom fans vous avoir prévenu ,
» pour confier à une nourrice de Lagni en
" Brie un enfant né depuis trois jours &
» que l'on a dit être votre fils. On eſpère
» que vous voudrez bien ne pas détruire
l'efpoir qu'on a conçu de votre bienfai-
» fance , & que vous fervirez de père au
» jeune Valfrais jufqu'à ce que des cir-
» conftances permettent à fes parens de
"
le reconnoître. M. Montbel recevra
» tous les ans un penſion pour fon élève ;
JANVIER. 1772 . 15
» mais on attend de lui de ne faire aucune
» tentative pour découvrir ceux qui lui
» donnent cette marque de confiance , &
» de n'admettre perfonne dans fa confi-
» dence fur ce point délicat. »
On ne s'étoit pas trompé , ajouta- t-il .
Après que j'eus fait la lecture du billet ,
fur l'espérance qu'on avoit conçue , j'allai
vous voir , vous recommander & me
faire connoître à Lagni. La mort de ma
femme & l'extrême jeuneffe de ma fille
me laiffoient la liberté dont la circonftance
avoit befoin. Pour plus grande fûreté
je changeai de domeftiques & de
quartier , tant j'avois pris d'intérêt à vous
dès la première fois que je vous eus vû.
Depuis ce tems vous favez fi je vous
fuis attaché , & fimon propre fils m'eût
été plus cher. Mais Valfrais, je me meurs,
vous ferez étranger à ma fucceffion , parce
qu'il n'y a point d'acte qui autorife mon
adoption , & parce qu'il fera de notoriété
que ma femme ne ma laiffé que Junie.
Vous comprenez qu'il étoit effentiel que
je vous prévinffe de votre fituation , afin
que vous ne vous expofaffiez pas à un défaveu
de la part de ma famille.
Eh quoi , Monfieur , lui dis je , depuis
ce tems vous n'avez rien découvert ? Non,
16 MERCURE DE FRANCE.
me répondit- il , tous les ans j'ai reçu, tantôt
d'une ville & tantôt d'une autre , une
lettre de change pour cette penfion à laquelle
on s'étoit engagé comme vous avez
vu , elle n'étoit que trop forte , & je m'étois
fi bien accoutumé à vous regarder
comme mon fils , j'étois fi content d'être
votre pète que j'ai rougi du don qu'on me
faifoit , & que fucceffivement j'ai placé
fur votre tête tout ce que j'ai tiré de ces
lettres de change ; c'eft un fonds qui vous
appartient & que vous trouverez.
Eh , Monfieur , m'écriai -je , en me jettant
fur fon fein , de tous les maux que je
puis craindre , il n'en eft point que je redoute
autant que celui de vous perdre ;
que les dieux daignent vous conferver, &
dans l'opprobre où je tombe je ne me plaindrai
de rien !
Laiffez-moi vous achever ma confidence
, me dit le foible Montbel , vous
favez que d'après mes confeils plus que
d'après mon inclination vous étiez prêt
l'année dernière à prendre le parti de la
robe , dans lequel vos talens ne pouvoient
manquer de vous diftinguer ; voici le fecond
billet anonyme que je reçus & dont
vous êtes encore l'objet,
JANVIER. 1772 . 17
"
A M. Montbel.
« On vient d'apprendre que Valfrais fe
deftine à la robe , & cet état contrarie-
» roit les vues de fes parens encore dans
l'obligation de fe cacher. On doublera
» fa penfion fi l'état militaire peut lui
» convenir. On fupplie M. Montbel
» qu'on ne peut trop remercier d'avoir fi
» bien élevé fon pupile , de le porter au
» choix de cet état . »
Je vous l'avouerai , me dit- il , les bruits
d'une guerre qui s'annonce ont fait frémir
mon coeur ; vous m'êres fi cher , Valfrais ,
que je n'ai pû me déterminer encore à
vous voir courir les rifques d'une profeffion
fi dangereufe . Je ne fatisfis donc qu'en
partie au fecond biller en ne vous preffant
plus de continuer des études qu'on
vous interdifoit , & même en vous annonçant
que j'avois changé d'idée à cet
égard ; mais prêt à quitter la vie , devoisje
vous laiffer ignorer ce qu'on attend de
vous?
Montbel eut peine à prononcer ces derniers
mots , il porta la main fur fon front
qui fe mouilloit , & je le vis tomber dans
une foibleffe qui me fit appeller la garde
à fon fecours & prefque au mien ; car j'é18
MERCURE DE FRANCE.
tois dans un état d'anéantiflement dont
ma tendreffe pour Montbel put feule me
faire triompher.
Nos foins furent affez heureux pour le
rappeler à la vie , & cette crife que j'avois
fi fort redoutée fut fi falutaire à Montbel
qu'à la pointe du jour il fe trouva infinimeat
mieux . Ses médecins , que nous
avions envoié chercher , furent étonnés
du changement qui s'étoit fait & nous
laifferent , en fe retirant , les efpérances
les plus décidées.
C'eft une fituation étonnante pour une
ame fenfible de fe trouver tumultueufement
agitée dans des fens contraires , d'avoir
à la fois à fupporter le poids accablant
du chagrin & le plaifir inopiné d'un
événement heureux . Intérieurement déchiré
par les idées dont m'avoit rempli
l'affreufe confidence de Montbel , je fentois
en même tems la douceur confolante
d'etre raffuré fur fon fort , mais la joie
que cette dernière circonftance peignoit
fur mon vifage avoit un caractère de convallion
plus difficile à exprimer qu'à fentir.
Junie , que fon impatience de favoir
des nouvelles de fon père avoit arrachée
de fon appartement , parut alors , & en
JANVIE R. 1772. 19
l'appercevant , je ne fais quelle voix je
crus entendre au fond de mon coeur qui
me crioit : Valfrais , tu n'es plus le frère
de Junie , & ces fons imaginaires décidèrent
tout à- coup ma phyfionomie . Je courus
au-devant d'elle , Junie , lui dis - je
avec transport , nous n'avons plus rien à
redouter , une foibleffe , une crife heureufe
nous ont rendu ce que nous avions
de plus chér.
A ces mots , elle s'élance dans mes bras...
Dans mes bras ? Situation terrible que je
me rappelle encore... O vertu , que ton
fentiment eft prompt ! je fentis un frémif
fement dont tu étois la fource , mais dont
Junie n'eut pas le tems de s'appercevoir
parce qu'elle courut auffi- tôt au lit de fon
père .
On l'en arracha malgré elle ; il falloit
du repos à Montbel , & nous le quittâmes
tous deux pour quelque tems. Mon frère,
me dit-elle dans le ravitfement où elle
étoit , vous ne me fuivez pas chez moi ?
Le befoin de repos où je pouvois être
moi-même me fervit d'excufe , & j'allai
me renfermer dans mon appartement
pour y développer le cahos des idées confufes
dont j'étois tourmenté , à- peu - près
comme on l'eft dans ce faux fommeil que
20 MERCURE
DE FRANCE.
procure l'accablement de la fièvre & dans
lequel mille penfées chimériques fe croifent
, s'entrechoquent & fe détruifent.
Ah ! malheureux , me dis je en mne renfermant
, tu perds le plus honnête , le plus
tendre des pères , & quel eft celui qui t'a
donné l'être ? ... Es-tu le fruit honteux
de la licence de ton fiécle... de ces amours
adultères que rejettte & profcrit la loi !
ce mystère profond que couvre ta naiffance
ne reflemble- t- il pas à ces ombres dont
le crime cherche à s'envelopper ? Ainfi
j'augmentois par ces images la honte qui
m'environnoit , je me faifois de moi- même
un portrait hideux & repouffant.
Ingrat ! ajoutai -je , il t'eſt venu dans la
tête que Junie n'étoit point ta foeur , que
l'amitié que tu avois pour elle pouvoit
devenir un fentiment plus vif & plus doux
encore... Ah monftre ! eft- ce ainſi que tu
reconnoîtras les obligations que tu as à
Montbel ? .. Et quel coeur offrirois- tu à
fa fille ? .. Celui d'une créature avilie &
deftinée à rougit aux yeux de tout le
monde ? ... Vas , cours , me difois - je ,
ofe te déclarer , & pour te faire un fupplice
épouvantable , attire fur toi les mépris
& joins les remords à l'infâmie .
A des torrens de larmes fuccédoient
JANVIER. 1772. 21
des inftans de défefpoir où j'ofai méditer
ma mort. La confolation de revoir Montbel
en convalefcence , les foins que je
pouvois lui donner encore & que je lui
devois , traverfoient par intervalles mes
idées fombres & farouches qui revenoient
à leur tour enfin , tant de mouvemens
divers agiterent tellement ma tête que
ma raifon m'en parut troublée ; c'étoit le
tranfport d'une fiévre ardente qui s'allama
tout-à- coup dans mon fang.
Un égarement fombre & un filence abfolu
firent d'abord défeſpérer de moi . J'étois
fi loin de connoître ma fituation que
je n'apperçus pendant huit jours aucune
des perfonnes qui m'environèrent. Junie
appella mille fois fon frère fans que je
remarquaffe ni le fon de fa voix ni fa
figure enchantereffe . Le premier fentiment
que j'éprouvai fut de reconnoître
Montbel qui me ferroit la main . Eft - ce
vous , Montbel , lui dis-je ? Moi - même ,
me répondit- il , cher Valfrais , qui cherche
àvous rappeller à la vie . Si la mienne
vous eft encore chere , fongez que c'eft
de votre rétabliſſement qu'elle dépend ,
je n'en faurois douter ; fi vous ne me ren
dez pas quelque efpoir, une rechûte prom
pte terminera mes jours.
22 MERCURE DE FRANCE.
Pouvez -vous m'ordonner de vivre , lui
dis -je ? J'en ai befoin , Valfrais , répliquat-
il , je meurs fi vous ne m'êtes point rendu...
Eh bien , lui répondis je , je redemande
aux dieux le funefte préfent de la
vie , qu'ils me l'accordent encore , j'en
accepte le poids horrible pour vous témoi
gner une plus vive reconnoillance.
En effet il parut de ce moment qu'on
n'avoit plus rien à redouter pour moi. Le
courage que je m'impofai fit plus que tous
les fecours de la médecine , & je fus bientôt
en état de prendre quelque nourriture
.
Montbel qui , plus d'une fois s'étoit
apperçu que je répondois à peine à Junie ,
que je me détournois même lorfqu'elle
m'offroit quelque chofe , & fur- tout que
je ne lui donnois plus le nom de foeur, ce
qui affligeoit extrêmement ſa fille , profita
d'un moment où il étoit feul avec moi
pour me tenir ce discours.
"
Valfrais , j'ai compté fur ma mort
prochaine lorsque je me fuis ouvert à
vous. Le retour de ma fanté m'accufe à
chaque inftant d'une indiscrétion qui
» vous a rendu malheureux & qui a pres-
» que terminé vos jours. Au nom de l'a-
"
mitié tendre que j'ai pour vous , au nom
JANVIER . 1772. 23
"
» de celle que j'ai pu vous
pu vous inspirer , ou-
» bliez tout ce que je vous ai dit & replaçons
nous au même point où nous
» étions avant ma cruelle maladie Il n'eft
queftionque d'attendre avec tranquilli-
» té le moment qui doit vous rendre vos
» parens . Vous favez que les deux billets
» annoncent des circonftances qui doi-
» vent les mettre en état de vous recon-
» noître. Ils doivent être d'un ordre au-
» deſſus du mien , fi j'en juge par les pen-
» fions confidérables qu'ils m'ont fait tou
» cher avec tant d'exactitude.Si nous nous
rappellons encore cette envie de vous
» voir préférer l'état militaire à celui de
» la robe ; nous examinons le ton impofant
des billets , ils ne peuvent être
» le ftyle & le procédé que d'un fupérieur.
Eh que m'importent toutes
confidérations , fi je ne fuis pas moins
en droit de foupçonner la honte de mes
parens & la mienne ! -Prenez y garde ,
Valfrais , c'est par de pareilles idées que
vous êtes effraïé au point d'altérer votre
fanté ; mais , on je me trompe , ou ce ton
de franchiſe noble qu'on a pris avec moi
n'annonce rien de bas & rien de criminel.
Espérons tout du tems , mon cher Valfrais
, & fur-tout gardez vous , en chan-
"
ces
24 MERCURE DE FRANCE.
geant de conduite avec Junie , de compromettre
votre fecret. Peut - être votre
bonheur en dépend- il , c'eft du moins ce
que femble dire ce mystère toujours fou
tenu qu'on obferve depuis fi long- tems ;
en un mot , foiez toujours mon fils & le
frère de Junie , il le faut , ' ou vous vous
trahiflez.
Montbel exigea ma parole que je ne
donnerois plus à Junie aucun fujet de fe
plaindre de mon réfroidiffement , & je la
donnai ; mais dès que nous nous trouvâ
mes enfemble , dès que Junie fe livra à ce
ton de familiarité dans lequel nous avions
paffé tant d'années , je fentis que le degré
de vertu dont j'avois befoin pouvoit furpaffer
mes forces.
J'ofai l'appeler encore du nom de foeur
pour ne pas manquer à la promeffe que
j'avois faite à Montbel ; mais fous le prétexte
de la diffipation & du grand air que
demandoit ma convalefcence , je pris le
parti de refter à la maifon le moins qu'il
étoit poffible .
Ce fut chez Bigny , chez cet ami dont
j'ai parlé que j'allai paffer des journées
entieres ; fa vive affection & cette espèce
d'emportement d'amitié que je lui connoiffois
me le rendoient précieux . Hélas !
ce
JANVIER. 1772. 25.
ce même emportement , fa curiofité de
tout pénétrer , de tout apprendre , fon zèle
exceffif auroient dû peut - être m'avertir
de ne point manquer à la promeffe que
j'avois faite à Montbel .
Quelqu'effort que je fiffe pour lui cacher
toutes les espèces de trouble qui
m'agitoient , il les apperçur & voulut les
connoître . Valfrais , me dit-il , vous of
fenfez l'amitié par une coupable réferve ,
vous me cachez des chagrins qui vous
dévorent , vous le nieriez en vain , vous
ne refpirez plus , vous foupirez fans ceffe,
qu'avez- vous ? Je ſuis votre ami , j'ai droit
de le favoir ; parlez , qu'avez vous ? rien ,
lui difois je , peut être la maladie m'at-
elle laiffé quelque langueur qui altère la
gaîté que vous me connoiffiez , mais le
tems y remédiera.
Il n'y remédiera point , difoit il , fi
vous n'ouvrez votre coeur à votre ami ,
vous vous laiffez déchirer ; je m'y connois.
Vous vous trompez , lui dis je un
jour avec fermeté , & Bigny fe tut pour
cette fois & me laiffa remporter encore
mon fecret.
-
Quelque tems après j'eus , malgré moi ,
avec Junie une explication que j'avois
toujours évitée . Ne croiez pas , me dit-
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
elle , que je fois plus long tems la dupe
du motif dont vous colorez vos fréquen
tes abfences . Vous preniez autrefois plaifir
à m'inftruire , à vous amufer de mes
foibles talens , & vous me fuiez aujour
d'hui : votre coeur eft changé , parlez - moi
avec franchiſe , de quoi fuis je coupable ?
Que vous a fait votre foeur ?
Les queftions de l'aimable Junie étoient
preffantes , je m'embarraflai dans la réponſe
& je la vis en concevoir plus d'inquiétude
encore. Oh ! mon frère , s'écriatelle
, vous n'avez plus d'amitié pour Ju
nie. Quelle injure me fait ma foeur , répondis
je , & qui pourroit lui refufer les
fentimens que tout infpire en elle ? Vous ,
interrompit Junie , oui , vous , Valfrais ;
un frère qui m'aimoit & qui m'eft plus
cher que moi - même ... Non , ce n'eſt
point ainfi que vous étiez avec moi , ajouta
telle en me prenant la main , en me la
ferrant & en s'avançant pour m'embraffer.
L'effort que je fis pour me retirer
& pour me refufer à ce baifer,lui fit poulfer
un cri dont je fus épouvanté. C'en eft
fait , dit elle , Junie vous eft odieufe ; on
vous a prévenu contre elle , parlez , Valfrais
, feroit ce l'effet de cette longue converfation
que vous avez eue avec mon
JANVIER . 1772. 27
père, & pour laquelle on fit retirer Suzanne
? ... Alors redoutant toutes les
conféquences qu'elle alloit titer de cette
marque apparente de ma froideur , je cherchai
moi - même fa main & me penchai
tendrement vers elle.
Rien ne fut fi vif que le tranfport avec
lequel elle fe livra au defir que je lui témoignois
de l'embraffer... Careffe innocente
pour fon coeur , vous étiez presque
un crime pour le mien ! un feu rapide cir
cula dans mes veines , mais je fus lui ca
cher l'embrafement par une fuite bien
néceſſaire à la vertu la plus épurée .
A peine l'eus je quittée que tout le pésil
de ma fituation chez Montbel s'offrit
à moi & me cauſa l'effroi le plus vif, Bigny
parat à mes yeux ; il venoit me chercher
; il s'indignoit fans doute du myflère
que je lui faifois de mes peines , & moi
dans ce moment plein de cette flamme
que j'avois retenue près de Junie , je ne
pus en arrêter l'explofion auprès d'un ami
qui redoubla fes plaintes , & qui , le premier
, me parla de l'amour dont il me
foupçonnoit la victime .
A ce mot d'amour , je me jettai dans
les bras de Bigny , je l'arrofai des larmes
qui cherchoient à fe répandre. O Val-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
--
frais ! me dit- il , l'amitié triomphe enfin ,
je reçois en ami tendre l'aveu que vous
me faites de votre paffion ; mais vous
n'êtes donc point aimé ? Je ne puis l'être.
Et pourquoi auriez vous la timidité
de ne point vous déclarer ? -Inutile
aveu ! Quelle folie ! Valfrais , il faut
ofer fe faire entendre . Je ne le puis ,
vous dis- je , la mort eft mon partage.
La mort ? vous m'épouvantez ... Mon
ami , à votre âge , avec votre caractère , on
fe fait des chimères qu'il faut que la réflexion
détruife. Il faut avant tout ne
pas
-
-
devenir un monftre . Quel langage !
Ciel ! & qu'elle idée fe prefente à moi ?
Vous paffez votre vie chez Montbel...
Je ne puis vous foupçonner... Votre
foeur... Junie. -Arietez , m'écriai- je ,
quel nom vous est échappé ! cruel Bigny.
Quoi, votre four ? -Elle ne l'eft point.
-Junie n'eft point la fille de Montbel ?
-Il eft fon père , mais ... ne me forcez
pas d'achever . Il n'eft pas le vôtre . —
Oh ! mon ami , vous allez donc rougir
des fentimens que vous aviez conçu pour
moi ? Valfrais , me dit - il , n'infultez point
mon coeur , ce n'eft point à des préjugés
d'une certaine espèce à diriger ou à rallentir
fes mouvemens . Je vous aime
acheyez de m'inftruire .
-
-
JANVIER . 1772 . 29
Comment aurois- je pû me taire ? Bigny
étoit trop preffant ; j'en avois trop dit ; il
fallut pourfuivre , & lui conter en frémiffant
tout ce que Montbel m'avoit appris.
Il est vrai que je lui recommandai le fecret
le plus inviolable , & qu'il me le
promit. On n'effraie point aflez les hommes
dans leur première éducation fur la
légéreté de leurs engagemens ; ils promettroient
moins , ils feroient plus fidèles .
Je l'avouerai , la confiance que je venois
de prendre en Bigny m'étonna lorfque
je l'eus quitté ; un fecret murmure
s'élevoit dans mon coeur... Cependant il
m'avoit toujours paru fi zélé pour les intérêts
de les amis ... Oui , mais je venois
de manquer moi - même à la promeffe que
j'avois faite à Montbel de me taire .. Ce
fontnos propres défauts qui nous éclairent
fur ceux des autres.
Ma confidence à Bigny avoit produit
l'effet qu'elles font toujours , celui de
foulager un peu nos maux. Dès que je
revis Junie , toute leur pefanteur fe fit
reffentir , & je me déterminai à la fuite
la plus prompte du danger où je me trouvois
, en vivant fans ceffe auprès de la perfonne
la plus aimable & la plus careffante
.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
L'ouverture que Montbel m'avoit faite
du defir que mes parens inconnus avoient
de me voir embraffer le métier des armes
me parut pour cela le moyen le plus fûr.
Je lui fis part du deffein que j'avois de
fuivre ce parti le plutôt qu'il me feroit
poffible , & il me promit de s'occuper des
voies qu'il faudroit prendre à cet égard .
J'en parlai à Bigny qui m'applaudit fort,
qui m'offrit & fa bourfe & fon crédit , &
qui , trois jours après , vint m'apprendre
que ce feroit à lui que je devrois une place
dans le régiment de **** , & qu'il
alloit fur le champ me préfenter à mon
colonel , qui lui avoit les plus grandes
obligations.
Un fervice auffi important me fit rougir
du léger remord que j'avois fenti après
lui avoir confié mes fecrets , & Montbel
en ne me diffimulant pas qu'il étoit enchanté
d'avoir été prévenu , parce qu'il
avoit peu de débouchés pour me fervic
fur ce point , augmenta encore à mes yeux
le prix de ce que Bigny venoit de faire
pour moi.
Je ne redoutois que les réflexions de
Junie fur ce nouvel établiſſement , dont il
n'avoit pas encore été queſtion ; mais tous
les foins qu'il fallut me donner pour me
JANVIER. 1772 . 31
mettre en état de joindre la troupe , m'occupèrent
fi fort , que je ne la vis que des
momens & toujours avec Montbel .
J'avois l'intérêt le plus vifà ne pas perdre
un inftant , & quatre jours fuffirent à
mes apprêts. Je ne fçais ce qui m'étonna
le plus à mon départ , ou du ton de réferve
que Junie mit à nos adieux , ou d'entendre
Bigny me dire , les larmes aux yeux
& tout bas , en me mettant dans ma chaife
; adieu , mon cher Valfrais , ne revenez
que couvert de gloire & foiez für d'être paie
par l'amour.
J'avois beau m'éloigner , ces derniers
mots retentifoient toujours à mes oreilles...
d'être païé par l'amour... L'amour
de qui ?... Ce ne pouvoit être Junie...
Ses adieux fi froids... Mais pourquoi Junie
m'avoit - elle paru fi différente de ce
qu'elle étoit auparavant ? Ah ! fans doute
le choix de mon état lui déplaifoit... Je
l'avois fipeu cherchée depuis que le jour
de mon départ avoit été arrêté... J'étois
moi- même fi fort changé pour elle depuis
ma maladie... Elle étoit à coup für bleffée
de ma propre indifférence .
Occupé fans relâche d'idées de cette
nature , je fis une affez grande toute
& j'arrivai enfin ponr prendre poffeffion
Biv
32 MERCURE
DE FRANCE
.
de mon nouvel état pour lequel j'avois
toujours eu le goût le plus vif & dont
l'apprentiffage calma l'agitation incroïable
de mon ame .
Heureux de n'avoir pas manqué à la reconnoiffance
que je devois à Montbel , en
ofant parler à fa fille des fentimens qu'elle
avoit infpirés à un malheureux fi peu digne
d'elle , je ne fongeai qu'à me diftinguer
parmi mes égaux , & la guerre que
nous avions alors à foutenir ne pouvoit
manquer de m'en fournir quelques occafions
.
L'amour pur de la gloire auroit pû feul
exciter ce noble defir chez moi comme
chez la plupart de mes camarades . J'étois
jeune & François ; mais il faut en convenir
, il fe joignoit à ce fentiment un mépris
pour la vie qui me difpofoit encore
plus à folliciter les poftes les plus dangereux
& à courir même au devant des périls
les plus évidens .
Les éloges queme mérita ma conduite ,
me firent rougir intérieurement plus d'une
fois , parce que je ne pouvois me diffimuler
que la honte de mon existence ôtoit
à la gloire que j'acquérois une partiede fon
éclat.Je n'en paroiffois que plus modeſte ,
& tout fembloit tourner à mon avantage,
JANVIER.
1772 .
33
puifque cette
modeftie au fond très- julte
me
rendoit encore plus
eftimable dans
mon
corps.
J'avois
fouvent écrit à
Montbel & à
Bigny qui , plus
inftruits que moi de la
fenfation que je
commençois à faire dans
mon
régiment , me
combloient de louanges.
Qu'il me foit permis de me rendre
juftice fur ce point , j'eus
toujours le courage
d'en écarter le
poifon , & ce
courage
qui en vaut bien un autre
m'appartenoit
véritablement.
Une
circonftance plus
brillante dans ma
feconde
campagne
m'attira des
diftinctions
plus
flatteufes encore. A la tête d'une
troupe
avancée qui devoit
protéger , pendant
une nuit fort
obscure , l'un des côtés
du camp, je fis fi bonne garde en me
portant
moi-même de côté &
d'autre que
j'entrevisun
corps en
mouvement dont le projet
étoit de me
furprendre. Je
rejoins auffitôt
ma troupe ; je la divife &
l'étends en
deux aîles pour border ventre à terre le
chemin
qu'alloit fuivre
néceffairement
l'ennemi. Il s'avance en effet , & dès que
je
m'apperçois qu'il m'a dépaffé , je me
referme fur les
derrières , je
l'enfonce &
lui cauſe un fi grand effroi qu'il
n'échappe
perfonne à notre
enceinte . Le corps enties
Bv
34 MERCURE
DE FRANCE
.
mit bas les armes , & fans quitter mon
pofte , je garde mes prifonniers jufqu'au
moment où je fus relevé .
Cette petite manoeuvre fit plus de bruit
qu'elle ne méritoit ; elle m'attira , de la
part du général des complimens fans
nombre qui excitèrent dans le coeur d'un
officier nouvellement arrivé & des parens
du général , le fentiment de l'envie. Il ne
put le renfermer , & il fit bientôt éclater
l'orage affreux qui , de loin grondant fur
ma tête , alloit, dans le plus beau moment
de ma vie , arrêter le cours de mes profpérités
& me replonger à jamais dans un
abîme de douleurs.
J'appris deux jours après cet événement
que le jeune officier jaloux avoit dit affez
haut qu'il n'y avoit de bonheur que pour
Les gens de mon efpèce , & que fur l'explication
qu'on lui avoit demandée de ce
mot , il avoit laiffé errer l'imagination de
tout le monde fur tous les fens injurieux
qu'il pouvoit préfenter.
Je n'hésitai point à l'aller trouver pour
tirer de lui des éclairciflemens de ce qu'il
avoit dit . Il foutint avec fermeté , ou plutôt
avec un ton de mépris & de fatisfaction
qui m'indignoit , qu'il avoit tenu le
propos ; & que fi j'étois fort curieux de
4
JANVIER. 1772. 35
l'approfondir il ne pouvoit me cacher que
l'illégitimité de ma naiflance étoit l'hiftoire
ſcandaleufe de Paris lorſqu'il l'avoit
quitté.
Accablé de ce coup de foudre , je portai
comme un furieux la main fur mon
épée ; le jeune officier fe mit en défenſe ,
& je l'étendis mort à mes pieds. C'étoit
le neveu & l'héritier préfomptif de celui
qui commandoit l'armée. Tous mes camarades
, inftruits du fait , me confeillèrent
de prendre la fuite , & je gagnai le
pays ennemi en m'appercevant que j'avois
été pourfuivi long- tems d'affez près .
Je n'allai point offrir des fervices à des
gens que j'avois combattus. Quel François
peut concevoir l'idée de fervir contre
fa patrie ? En fût- il rejetté , fon coeur trahiroit
fa main. Je pourfuivis donc ma
route jufqu'à une ville neutre , d'où j'écrivis
à Montbel ma fatale hiftoire , &
voici fa réponſe encore plus cruelle .
Lettre de Montbel à Valfrais.
« Malheureux qu'aviez - vous fait
» avant de partir d'ici , malgré votre pro-
» meſſe vous aviez tout appris à Bigny.
» Frémiffez des fuites funeftes de votre
B vj
36 MERCURE
DE FRANCE
.
ود
» indifcrétion & de la fienne. Le premier
ufage qu'il avoit fait de votre fecret
» avoit été d'en faire part à ma fille. Elle
» vous connoifloit deux jours avant votre
départ. Depuis ce moment elle & vo-
» tre cruel ami , ligués enfemble pour
» découvrir le fecret de votre naiffance ,
» n'ont rien épargné pour le pénétrer . Bi-
و د
ر د
gny, après avoir engagé Junie à me dé-
» rober les lettres que je vous avois fait
lire , a fait fecrétement quelques voyages
dans les villes d'où étoient parties
les lettres de change annuelles que j'a-
" vois reçues. A force de foin , d'argent
» & de ce zèle dont fon coeur s'embrafe
toujours pour les intérêts d'autrui fans
en prévoir les conféquences , il eft mal-
» heureufement arrivé au point qu'il de-
» firoit , & fortifié par la nouvelle de
quelques fuccès que vous aviez eus , il
s'eft hardiment préfenté chez le Comte
» de **** , auquel il a eu le courage de
dire qu'il étoit tems de reconnoître un
» fils qui le couvroit de gloire. Le Com-
» te étonné , a voulu nier. Bigny lui a
» montré les lettres qu'il avoit vérifiées
» de fa main . Alors le Comte fe jette
» dans les bras de Bigny , implore fon
» filence pour des raifons de la plus gran-
"
JANVIER. 1772. 37
» de importance qui n'arrêtent point le
» zèle indifcret de votre ami . Il court
» chez le Duc de ****** , père du Com-
» te , lui découvre le mariage fecret de
» fon fils avec la fille du plus grand enne
» mi qu'il ait eu , ( & il faut convenir
» que Bigny ignoroit cette circonftance )
» il vous nomme , il parle des efpérances
» que toute l'armée conçoit de vous , il
» croit que la vanité du Duc s'empreffera
» de vous nommer fon fils ; mais le Duc ,
» immobile & d'un fang froid qui con-
» fond votre ami , le remercie , avec la
politeffe d'un courtifan , de l'avis qu'il
» vient de lui donner.
» O Valfrais ! ô mon élève ! quelles
» fcènes épouvantables vont s'ouvrir ? le
» Duc de ...... chez lequel la haine ne
» s'éteint jamais , obtient un ordre pour
» faire enlever Mademoiſelle de ****
» votre mère. Cet ordre ne peut s'exécu-
» ter fans que le Comte de ... en foit
» averti ; il vole à fon fecours ; il fe pré-
» fente en furieux à fes raviffeurs dont il
» bleffe les premiers ; mais le puis je di-
» re ? O dieux ! Mlle de .... bleffée elle-
» même dans le tumulte & le fracas des
» armes , voit tomber fon mari dans fon
fang... Valfrais , je ne puis vous le ca-,
29
"
"
38 MERCURE DE FRANCE .
"
» cher , vous n'avez plus de père que
» moi.
» Ces horreurs devenues publiques
» m'ont été cachées quelques jours , par-
» ce que j'étois abfent ; mais dès que j'en
» fuis inftruit , je cours chez Bigny. Il
» étoit parti; on ignoroit ce qu'il étoit
» devenu. Je reviens chez moi ; la dou-
» leur que je vois peinte fur le front de
» Junie m'étonne ; je l'interroge , elle
» tombe à mes pieds & m'apprend ce qui
» s'étoit paflé entre elle & votre ami .
» Depuis cet aveu , elle femble annéan-
» tie & ne paroît plus devant moi . Adieu ,
» Valfrais , je frémis pour ma fille , que
de maux vous avez alfemblés fur vous
» & fur moi ?
» Je ne vous parle pas de votre aven-
» ture de l'armée ; fon horreur difparoît
devant celle des faits que je viens de
» vous apprendre , & c. »
Je ne fçais fi jamais il s'eft réuni fur un
feul homme plus de cruautés. Ma rage ,
mes cris , mes fureurs ne peuvent fe comprendre.
Si j'avois pû rentrer en France
avec quelque fûreté , j'aurois volé chez
Montbel ; j'aurois été percer le coeur du
perfide qui m'avoit trahi ; j'aurois été
pleurer avec Junie... Il fallut me con
JANVIER. 1772. 39
traindre & attendre de Montbel une nouvelle
lettre auffi déchirante que celle
qu'on vient de lire. Il m'apprenoit que
ma mère , deux jours après fon enlevement
, étoit morte , plus de fa douleur
que de fa bleflure ; que Bigny s'étoit allé
jetter dans un de ces afyles redoutables &
facrés où la pénitence la plus auftère n'expiera
jamais les fuites funeftes de fon
zèle indifcret & barbare. Pour Junie , hélas
! c'en étoit fait de fa raifon. Une mélancolie
fombre enveloppoit fon ame &
la rendoit infenfible même à la tendreſſe
de fon père . Je ne tins point à cette image,
je rifquai tout ; je partis ; j'arrivai chez
Montbel qui frémit de me voir . Junie ne
me reconnut point , elle ne me fit que la
faveur d'accepter de ma main quelques
fecours qu'elle avoit toujours refufés ; ſecours
impuiflans & qu'il fallut abandonner!
Junie , depuis dix ans dans le même
état , refpire encore machinalement au
fond d'une retraite qui nous cache fous
d'autres noms à tous les yeux . Son père
& moi , fans ceffe auprès d'elle , nous attendens
qu'elle nous reconnoiffe ; nous
la fervons avec toute la tendreffe qu'elle
a mérité de nous autrefois. Des inftans
40 MERCURE
DE FRANCE
.
de calme nous font efpérer un retour
heureux ; mais bientôt des torrens de
pleurs , des agitations dans lefquelles elle
femble pourfuivre quelqu'un en nommant
cent fois Bigny , nous replongent
dans le défefpoir. Tout ce qui me reſte
fur la terre , c'eft l'amitié conftante de
Montbel que la mort cruelle menace chaque
jour de m'enlever. O vous qui n'êtes
plus que l'ombre de Junie , vous me ferez
toujours chère ; ne redoutez pas que je
vous abandonne à d'autres mains que les
miennes ; votre ancienne image , vos gra.
ces , vos talens , votre efprit , tout eft dans
mon coeur , tout vous y répond de mon
inviolable conftance.
Dans un des inftans de mon trifte loifir
j'ai tracé rapidement cette fatale hiſtoire
, afin qu'elle pût fervir à faire redou
ter les bonnes intentions d'un ami trop
officieux . Je l'ai trop éprouvé. On n'eft
curieux que pour redire ; on n'eft prefque
toujours officieux que pour nuire.
Par M.B...
JANVIER. 1772 : 41
TRADUCTION libre de l'Idylle de Bion ,
fur la mort d'Adonis .
D'A'ADDOONNIISS expirant , pleurons , pleurons les
charmes ,
Les amours affligés en répandent des larmes !
Sors du lit nuptial , ô plaintive Vénus ,
Viens pleurer avec nous l'objet de ta tendreffe ,
Viens en habits de deuil , & repète fans cefle
Ces lamantables cris : Il n'eft plus , il n'eft plus.
Son fang coule à grands flots , une dent meurtrière
A porté tout-à-coup le trépas dans fon fein ;
Je vois les yeux éteints languir fous fa paupière ,
Et la mort qui flétrit les rofes de fon tein!
Il n'eft plus , il n'eft plus , malheureuſe déefle ,
Il emporte en mourant les bailers amoureux
Qu'imprime fur fon front ta bouche qui le prefle.
Il n'entend plus déjà tes regrets douloureux .
Comme il eft renversé ! .. Privé de la lumière ,
L'amour n'anime plus ce regard fi touchant ;
Ses cheveux négligés font fouillés de pouffière ,
Et fon coeur amoureux n'a plus de fentiment ! ..
Ses chiens triftes , plaintifs , l'environnent encore
,
La forêt retentit de leurs longs hurlemens ;
42
MERCURE DE FRANCE.
Diane , les Sylvains , Palès , la jeune Flore
Le rappellent en vain dans leurs tendres accens...
Pour la trifte Vénus , interdite , égarée ,
L'ail fombre , les pieds nuds , pâle & défigurée
Elle remplit les bois de les gémiflemens ,
Et fes cheveux épars font le jouet des vents.
Elle appelle à grands cris l'objet de fa tendrefle ;
Dans des fentiers affreux elle porte les pas ;
On voit le lang couler de fes pieds délicats ,
Et les rochers font teints du fang d'une déeffe !
En perdant fon amant au printems de les jours ,
Vénus perd avec lui tout l'éclat de fes charmes ;
Elle aima fa beauté dans le fein des amours.
Maintenant fes attraits font flétris par fes larmes ! .
C'en eft fait , il n'eft plus , malheureufe Vénus !
L'écho redit fans ceffe , il n'eftplus , il n'eft plus !
Hélas ! dès qu'elle apprit la funefte aventure ,
Interdite , éplorée , elle accourt à l'inſtant ,
Elle voit un lang noir couler de la bleſſure ,
Et le froid de la mort glacer fon corps fanglant.
Arrête , cher époux , dit- elle en gémiffaut ,
» Ouvre encore une fois tes paupières mourantes ,
» Et reçois ces bailers que mes lèvres brûlantes
» Impriment fur ton front où règne le trèpas ,
30
Que ton dernier foupir pafle encor dans mon
ame ,
30 Qu'il y grave à jamais l'objet que je réclame
» Et que la mort barbare arrache de mes bras !
JANVIER . 43 1772 .
Mais il ne m'entend plus , le cruel m'abandonne ,
Il m'échappe , il me fuit , & la nuit l'environne.
Hélas ! j'ai tout perdu , malheureux Adonis ,
Arrête, entends encor mes lamentables cris.
»>Quoi! tu defcends déjà vers les royaumes fum-
>> bres ,
Que ne puis-je t'y fuivre , errante avec les om-
» bres !
De nos tendres amours j'irois t'entretenir ;
Là , je fuivrois tes pas , mon ombre voltigeante
Sans cefle iroit chercher ton image charmante ;
»Mais , non , je fuis déeffe , &je ne puis mourir.
30 Eh bien , reine des morts , divinité barbare ,
לכ
Puifq ue le fort cruel fait defcendre vers toi
Tour ce que la nature a formé de plus rare ,
» Reçois donc mon amant enchaîné ſous ta loi ,
Tandis qu'abandonnée au malheur qui m'acca-
» ble ,
အ
30
30
Je parcours les déferts , feule avec mes dou-
»leurs ;
Mon amant ne vit plus , déefle inexorable ,
Pourrois-je donc encor redouter tes fureurs ? ..
Dans la fombre langueur ou fon trépas me
» plonge ,
Je vois dans le paflé nos amours comme un fon-
" ge ,
Et je n'ai de plaifirs qu'en répandant des pleurs ! »
44
MERCURE DE FRANCE.
Vénus dans les déferts eft trifte & folitaire ,
Les Amours défolés pleurent à ſon côté ,
Mais auffi falloit-il , ô jeune téméraire ,
Affronter les dangers avec tant de beauté.
C'eft ainfi qu'on entend foupirer l'immortelle ,
Les graces à l'envi ſoupirent avec elle.
Ceffe tendre Vénus d'errer dans les forêts
Vois fur un lit pompeux l'amant que tu déplore,'
Viens à lui , quoique mort il eft charmant encore
Et le trépas n'a pu défigurer les traits ,
On diroit qu'il fommeille endormi dans la paix.
Rends à fon corps glacé la parure élégante
Qu'il portoit autrefois dans ces heureux momens
Où l'amour le menoit dans tes bias carreflans !
Quelque trifte que foit cette fête touchante ,
Il eft doux de pleurer quand on eit malheureux .
Couronnons le de fleurs , embaumons fes cheveux ;
Dans un Temple paré qu'un foible jour éclaire
Adonis eft couché fur le lit funéraire ,
On voit autour de lui les amours affligés
Arracher en pleurant leurs cheveux négligés .
L'un,dujeune chafleur détache la chauffure ,
Et l'autre, dans un bain lave encor la bleflure ;
Celui- ci prend fon arc , le brife en foupirant
JANVIER. 1772 . 45
Celui-là foule aux pieds fes fléches menaçantes ,.
Tandis que ranimant fes aîles languiflantes ,
Un autre raffraîchit fon vilage mourant .
D'Adonis qui n'eft plus pleurons , pleurons les
charmes ,
Les Amours confternés en répandent des larmes.
Hymen eft fans flambeau , les yeux baignés de
pleurs ,
Il renverse à fes pieds fa couronne de fleurs ,
L'écho ne redit plus fes doux chants d'hymenée.
Les graces en pleurant plaignent ſa deſtinée ,
La mort l'a dévoré , c'en eft fait il n'eft plus
S'écrient-elles encor plus triftes que Vénus ,
La fille du cahos dans fes chanſons funèbres ,
La Parque le demande au féjour des enfers .
Mais Proferpine eft fourde à ces triftes concerts
Et l'enchaîne à jamais dans le fein des ténèbres .
Gefle tendre Vénus , mets fin à tes douleurs ,
Une autre année encor fera couler nos pleurs.
Par un Abonné , d'Amboife.
46 MERCURE DE FRANCE .
LA VIE D'ALCIBIADE.
UNN jour, on exaltoit devant Alcibiade
La fermeté conftante au milieu des travaux ,
L'activité , le mépris du repos ,
La bonne foi qui perfuade ,
Er l'intrépidité qui brave tous les maux .
Pour exemple un vieillard cita les Spartiates .
» Comme ils affrontent le danger !
» L'éclair eft moins rapide , & le vent plus léger
» On ne voit point chez eux de ſantés délicates ,
20 Difoit-il , à l'égard des horreurs du trépas ,
» C'eſt un jeu pour leur âme en leurs jours da
» combats.cc
(L'homme futile & vain ne voit que la molleffe.)
Mais vraiment , répondit le jeune Athénien ,
Leur vie eft une mort ; & la mienne est un bien;
Ils ne conçoivent rien de ce qui m'intéreffe.
» Ils cherchent, en mourant , à cefler de fouffrir...
» Allez , bon homme, il faut , pour l'honneur de
30
l'espèce ,
20 Que cespauvres gens - là fe preffent de mourir.
Par M. Coftard, libraire.
JANVIER. 1772. 47
LA FRANCHISE INDISCRÈTE.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES ;
Le Vicomte DORIMON.
ORPHISE , épouse du Vicomte.
SOPHIE , leur fille .
SÉLICOURT , amant de Sophie.
M. DORLY , oncle de Sélicourt.
DORIGNY , autre amant de Sophie.
UN BROCANTEUR.
La fcène fe paffe à la maison de cam
pagne du Vicomie , dans un falon garni
d'antiques & de quantité de morceaux
d'hiftoire naturelle.
•
SCÈNE PREMIERE
DORLY , SÉLICOURT.
DORLY.
Vous avez un grand défaut , mon neveu.
SÉLICOURT. Quel eft ce défaut , mon
oncle?
48 MERCURE
DE FRANCE
.
DORLY. Vous ne parviendrez jamais.
SÉLICOURT . Je me foucie très- peu de
parvenir.
DORLY. Eh ! pourquoi ?
SÉLICOURT. Parce qu'on ne parvient
guères qu'à force de baffeffes .
DORLY. J'ai donc été bas , moi qui
fuis parvenu ?
SELICOURT. Ma foi , mon oncle, vous
avez fait comme tant d'autres qui ne
croient point l'avoir été , & qui n'en
confervent pas moins leur portion d'orgueil
.
DORLY. Vous retombez encore dans
ce défaut que je vous reprochois.
SELICOURT. Expliquez - le moi , je vous
prie je crois en avoir plus d'un , & il eſt
bon que je distingue celui qui vous choque
.
DORLY. C'est votre fincérité défefpérante.
Vous ne déguifez à ceux qui vous
parlent , ni leurs propres défaurs , ni les
vôtres.
SÉLICOURT. Eh ! pourquoi les déguifer
? Je m'expédie prefque toujours d'avance.
Ferai je à autrui plus de grace que
je ne m'en fais à moi-même ?
DORLY. J'augure bien mal de vos projets
, de vos amours & de votre mariage
JANVIER. 1772 49
fi vous ne daignez changer ici de ton.
Connoiffez - vous bien ceux à qui nous
avons à faire ?
SÉLICOURT. Vous en allez juger . Premièrement
, Dorimon , père de Sophie ,
eft un bon homme , auffi entêté de l'antiquité
de fa race que de celles de certaines
pièces qui compofent fon cabinet, &
je fçais , moi , qu'il eft également trompé
par les généalogiftes & par les brocanteurs.
Sa femme eft , dit- on , un peu trop
vouée aux Modernes , & fa fille , ma chè
re Sophie , cache avec autant de foins
fes penchans , que les auteurs de fes jours
affichent librement leurs travers.
DORLY. Appuïez , mon neveu ! En
continuant ainui vous donnerez beau jeu à
Dorigni , vorre rival.
SÉLICOURT. Il n'eft pas fans mérite
mais il verroit brûler votre maifon qu'il
ne vous en avertiroit pas , de peur de
vous caufer une émotion trop vive . C'eſt
l'homme le plus fait pour les petits foins ,
& le moins propre à tout le refte. Mais il
fait flatter ; il pourra plaire & parvenir.
DORLY. Perfuadez- vous bien , mon
neveu , qu'on finit par déplaire à tous ,
quand on veut ne faire grace à rien . Voi-
II. Vol. C
.༠ MERCURE
DE FRANCE.
ci la mère de votre future. Daignez , au
moins , diffimuler avec elle.
SCÈNE I I.
Les Acteurs précédens . ORPHISE,
ORPHIS E.
Comment ? Meffieurs , en converfation
reglée ? C'eft du férieux . Vous dif
fertiez , peut- être , fur quelques unes de
ces antiques. Il faut vous tirer d'entre les
morts. Comment trouvez- vous les nouveaux
embelliffemens que j'ai fait faire à
ma maiſon ?
DORLY. Madame , ils font du meilleur
goûr.
SÉLICOURT. Madame votre architecte
eft , fans doute , fort jeune ?
ORPHISE. Il arrive tout droit de Rome.
J'aime les jeunes gens , & leur hardieffe
heureufe.
SELICOURT. Il en résulte quelque fois
d'affez bonnes chofes .
>
ORPHISE. Je veux que chez moi tout
foit amoderné. J'aime , par exemple
qu'une maiſon ait l'air , à l'extérieur ,
de n'avoir ni toît , ni cheminées.
DORLY. La forme en eft bien plus
agréable .
JANVIER. 1772 .
SÉLICOURT. Il me femble pourtant que
cette forme ne fur imaginée que par des
gens qui étoient obligés de coucher fur le
faîte de leurs Maifons.
ORPHISE . Vous avez vu mes jardins?
DORLY. Madame , ils font charmans .
ORPHISE . C'étoient ( le croiriez- vous ?)
des jardins fruitiers ! J'ai fait arracher
tous ces arbres que nos bons peres plantoient
eux- mêmes : j'y ai fubftitué le
maronier & le tilleul . Vous n'y verrez
plus maintenant que des fleurs , du fable
& de belles peloufes. Je ne veux pas
qu'une Maifon de Plaifance ait l'air d'une
Ferme.
SÉLICOURT. Je crains fort qu'à la fin
chaque Ferme ne devienne une Maiſon
de Plaifance. Nous tirerons de l'Etranger
nos légumes & nos fruits . Voilà ce qu'on
appelle établir une nouvelle branche de
commerce.
DORLY à demie voix. Mon neveu !
ORPHISE. Vous tenez encore aux vieux
préjugés , tout jeune que vous êtes ! mon
mari eft plus excufable ; il eſt vieux . Sa
fureur eft d'avoir encore de ces falles où
l'on pourroit affembler les Etats , & de
ces foyers autour defquels toute une famille
pouvoit fe réunir. J'efpère le dé-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
terminer à faire conftruire un appartement
dans chaque falle .
DORLY. Ce fera fe conformer au goût
régnant .
SELICOURT. Il eft vrai qu'aujourd'hui
tous nos appartemens font en boudoirs.
ORPHISE . Mais où avez - vous donc
vécu , Monfieur , pour fronder ainfi tout
ce que l'ufage autorife ?
SÉLICOURT. Madame , je ne me pique
point d'être frondeur ; mais j'ai le malheur
de penfer tout haut.
ORPHISE. Il vaudroit encore mieux
ne penfer jamais . Efpérez- vous plaire à
beaucoup de gens en leur difant tout ce
que vous penfez ?
SÉLICOURT. Je ne crois pas avoir jamais
plû à perfonne , & j'en ai du regret ;
car peu de gens me déplaifent.
ORPHISE. Quoi ? vous n'êtes pas mifanthrope
?
SÉLICOURT. A Dieu ne plaife ! je veux
vivre avec les hommes , leur dire ce que
je penſe & d'eux & de moi ; ne jamais
contraindre ma penfèe , & les fouffrir
pour en être fouffert.
DORLY. Ah! l'inconfidéré !
ORPHISE . M. d'Orly , daignez me fuiJANVIER.
1772. 53
vre : j'ai quelque chofe à vous commu
niquer.
D'ORLY , à Sélicourt. Reftez- là , héros
de la fincérité !
SCÈNE II I.
SILICOURT , feul.
Voilà qui eft merveilleux . Les hommes,
& fur-tout les femmes , ne parlent que
pour être applaudis ; ne confultent que
pour être approuvés ; n'interrogent que
pour obtenir une réponſe flatteufe . On
veut que nous reffemblions à ces inftru .
mens qu'on ne peut toucher fans en tirer
des fons agréables . Mais j'apperçois ma
chère Sophie.
SCÈNE I V.
SOPHIE , SELICOURT. •
SOPHIE. Monfieur , j'efpérois trouver
ma mère ici.
SÉLICOURT. Elle en fort , belle Sophic
, & je crois en être la caufe.
SOPHIE . Vous m'étonnez , Monfieur.
SÉLICOURT. On ne s'accoutume point
à ma franchife .
SOPHIE. L'extrême franchiſe peut de-
C iij
5.4 MERCURE DE FRANCE.
venir choquante. Alors ce pourroit être un
défaut.
SÉLICOURT. Si c'en eft un , il eft du
moins fi rare qu'on devroit lui faire grace
en faveur de la nouveauté . Par exemple ,
belle Sophie , j'admire & j'aime en vous
mille belles qualités. Que ne puis - je y
trouver auffi le défaut dont nous parlons
!
SOPHIE. Un tel fouhait annonce au
moins un doute , & ce doute n'eft point
obligeant.
SÉLICOURT . Je voudrois bien pouvoir
l'éclaircir ; mais votre ame eft aufli enveloppée
que vos charmes font apparens.
SOPHIE. Vous favez quel rôle me prefcrit
ma fituation . Une fille bien née ne
peut difpofer d'elle que de l'aveu de ceux
à qui elle doit le jour. Elle ne doit point
laiffer agir fon coeur , puifque fon coeur
peut n'être pas
confulté.
SELICOURT. Mais , enfin , on laiffe deviner
ce qu'on ne dit pas.
SOPHIE . Ce feroit le dire..
SELICOURT . Ecoutez moi , belle Sophie
; j'ai un rival ?
SOPHIE. Je n'en fais rien.
SELICOURT. D'Orfigny vous rend des
hommages. Il eft le ferviteur de toute la
JANVIER. 1772 .
terre , à plus forte raifon le vôtre . Daignez
m'apprendre s'il eft mieux inſtruit de
fon fort que je ne le fuis du mien ?
SOPHIE . S'il n'a pu être inftruit que par
moi , vous pouvez compter qu'il ignore
tour.
SELICOURT. Courage ! voilà, du moins,
un extrait de fincérité. Dites- moi fi vous
auriez pu lui apprendre quelque chofe
d'agréable ?
SOPHIE.Voilà encore ce que je ne puis,
ni ne dois vous dire .
SÉLICOURT . Sans doute , pour ne point
me mortifier.
SOPHIE . Je ne dis pas cela .
SELICOURT. Quel excès de diffimula
tion ! Je vais encore vous donner un
exemple de franchife. J'aimois Dorimène
: fon humeur franche & vraie convenoit
à mon caractère . Vos charmes
l'ont emporté. Je fuis devenu infidèle ;
mais je n'ai pas été perfide . J'ai inftruit
Dorimène & de votre triomphe & du
charme invincible qui m'attachoit à
yous.
SOPHIE. Vous aimiez Dorimène ,
Monfieur ?
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
SELICOURT. Oui ; mais c'étoit avant
que je vous ainaffe , avant même que
vous cuffiez jamais paru à mes regards.
SOPHIE. Vous aimiez Dorimène !...
& vous avez eu la cruauté de lui annoncer
vous- même votre changement ?
SELICOURT. Rien n'eft plus fimple : je
ne voulois point qu'elle fût trompée plus
long-tems par mon filence.
SOPHIE . Allez , Monfieur ; il y a plus
de barbarie que de franchife dans ce procédé.
SÉLICOURT. Raffurez vous . Dorimène
a très-bien pris la chofe . Elle s'eft même
excufée de ne m'avoir pas prévenu , ayant
elle-même un pareil changement à m'apprendre.
SOPHIE. Il n'importe. C'est vous qui
avez eu la dureté de la prévenir . Eh ! qui
me répondra qu'au premier jour vous
n'ayez pas occafion d'exercer la même
fincérité envers moi ? L'aveu d'une infidélité
, qu'on ne répare point , nous humilie
encore plus que l'infidélité même.
( Ellefort. )
JANVIER. 1772. 57
SCÈNE V.
SÉLICOURT feul.
Et deux ! Si Dorimon eft aufli ennemi
de la fincérité que fa femme & fa fille,
paroiffent l'être , ni ma franchife ni moi
ne feront pas long féjour ici. Il est pourtant
vrai que j'aime Sophie. Hé bien !
contraignons-nous. La crainte de la perdre
mérite bien que je diffimule certaines
vérités qu'on débite fi fouvent en pure
perte.
SCÈNE V I.
SÉLICOURT , UN BROCANTEUR.
LE BROCANTEUR . Monfieur , feriezvous
Monfieur Dorimon ?
SÉLICOURT. Je ne le fuis pas ; mais
que voulez- vous ?
LE BROCANTEUR. Lui faire voir beau
coup de nouvelles antiquités.
SÉLICOURT. Vous faites-là un métier
propre à faire bien des dupes.
LE BROCANTEUR. Monfieur n'eft donc
pas antiquaire ?
SÉLICOURT . Le ciel m'en préferve.
Cr
$8 MERCURE
DE FRANCE
.
LE BROCANTEUR . Et Monfieur n'eft
pas Monfieur Dorimon ?
SÉLICOURT . Non , encore une fois.
LE BROCANTEUR . En ce cas , Monfieur
, mon métier & moi , fommes tout
ce qu'il vous plaira , puifque vous n'achetez
rien.
SELICOURT . Mais ne crains tu pas que
je ne prévienne Dorimon de ce que tu es ,
& de ce que tu lui apportes ?
LE BROCANTEUR. Tout cela n'y feroit
rien. Un amateur eft comme un amoureux
dites au premier du mal de fa maî
treffe , il n'en aura que plus envie de la
revoir ; dites à l'autre du mal de ce que
nous lui vendons , il n'en aura que plus
envie d'acheter.
SELICOURT. Une chofe m'étonne . C'eſt
que tant d'hommes fenfés , ou qui ſe piquent
de l'être , échangent fi fouvent une
fortune réelle contre de pareilles futilités
.
LE BROCANTEUR. Il faut bien que tout
le monde vive . C'eft la manie des uns
qui fait fubfifter les autres . Je vendois
au- paravant une marchandife , qui , malheureufement
, n'eft plus à la mode . C'étoient
des livres . Chacun lifoit , chacun
vouloit en avoir. Les médailles & les
JANVIER . 1772. 59
coquilles leur ont donné du deffous . On
vouloit connoître les actions d'un Empereur
, d'un grand homme . On fe borne
aujourd'hui à voir comment il eut le nez
fait . Je pris donc mon parti ; je troquai
tous mes livres contre des médailles , des
coquilles & d'autres morceaux friands
pour nos amateurs. Par exemple , je donnai
vingt exemplaires du Molière pour
une dent d'éléphant , quarante exemplaires
du Corneille pour une machoire d'âne
des Indes , & toute la belle Collection
des Fables de la Fontaine pour la peau du
loup qu'il y fait parler.
là
SELICOURT. Son ingénuité me plaît .
Après tout , le charlatanifme de ces gens
peut fervir à ralentir la frénélie de nos
amateurs enthouſiaſtes , ( haut .) Vous leur
faites , fans doute , payer un peu cher ces
acquifitions futiles?"
LE BROCANTEUR . Je leur vend des
médailles de cuivre un peu plus qu'au
poids de l'or. Je fais donner un air de
vieilleffe à celles qui pourroient fembler
trop jeunes je les défigure à propos , &
moins on y comprend , plus on les eftime.
SÉLICOURT. Tu n'as donc pas encore
trompé Dorimon ?
C vj
60
MERCURE DE FRANCE.
LE BROCANTEUR. Je ne lui ai encore
rien vendu .
SÉLICOURT. C'eft ce que je voulois dire.
Mais qui a pu t'informer de fon goût.
LE BROCANTEUR . Oh ! nous fentons
cela de vingt lieues , nous autres ; & puis ,
M. le Chevalier d'Origny eft un bon guide.
Jugez- en par fa lettre .
SÉLICOURT lit à haute voix . Rends- toi
demain chez le Vicomte Dorimon , à fa
campagne, & porte lui tout ce que tu voudras.
C'eft un bon homme , à qui le médailler
& le coquiller tournent la tête. Ne crains
pas qu'il te chicanne fur le prix , il craint
trop lui-même de dévoiler par làfon igno
rance.
( à part , après avoir lu. )
Monfieur l'homme aux révérences !
voilà qui eft un peu lefte.
LE BROCANTEUR . On vient. Eft - ce
Monfieur le Vicomte ?
SÉLICOURT. C'eft lui- même.
LE BROCANTEUR . Ne metrahiffez pas ;
au moins !
SÉLICOURT. Va , fais ton métier ; mais
n'abuſe point de tes avantages .
JANVIER . 1772. 61
SCÈNE VII.
DORIMON , DORIGNY , les acteurs précédens
.
DORIMON tenant à la main une vieille
coupe.
Voici une piéce qui va bien enrichir
mon cabinet. C'eft la coupe dans laquelle
Socrate but autrefois la cigue.
DORIGNY. Je vous la garantis bien au
tentique.
DORIMON à Sélicourt. Monfieur le
Chevalier m'en promet une encore plus
intéreffante ; celle avec laquelle Alexandre
-s'enivra pour la dernière fois .
SELICOURT ( à part. ) Quelle imprudence
d'une part , & quelle crédulité de
l'autre !
DORIGNY à Dorimon . Monfieur le
Vicomte , voilà l'homme que je vous
avois adreflé.
DORIMON. Hé bien !
m'apportes- tu
beaucoup de chofes précieuſes ?
LE BROCANTEUR. Monfieur le Vicomte
, je n'en ai pas d'autres. Tenez , voici
la plume avec laquelle Charlemagne fignoit
fon nom .
62 MERCURE DE FRANCE.
SÉLICOURT. Charlemagne ne fçavoit
pas figner.
LE BROCANTEUR. La preuve du cons
traire , c'est qu'on a confervé fa plume.
Voici quelque chofe de plus rare : c'eſt
un morceau de la toile que brodoit Pénélope....
SELICOURT. Vous favez que cette hiſtoire
eft abfurde , même dans Homère.
DORIMON. Oh ! je fais que vous n'approuvez
jamais rien . Croiriez- vous , par
exemple , que j'ai ici la lampe de Démofthène?
SÉLICOURT. On fçait que Démosthène
fe fervoit d'une lampe ; mais en fuppofant
qu'elle vous ait été fidélement tranf
mife , je ne vois pas quel mérite elle a
aujourd'hui pat-deffus les autres lampes
de fon tems.
DORIMON . Monfieur le Marquis , je
vous trouve une franchiſe un peu cynique .
DORIGNY d'un ton affectueux . La lampe
de Démosthène , Monfieur , nous rappelle
que ce fut à fa lueur qu'il compofa
tant de chefs d'oeuvres immortels .
SÉLICOURT. Il est un moyen plus sûr
de fe les rappeler ; c'eft de les lire .
DORIMON vivement. Et fi je ne veux
pas lire , moi?
JANVIER. 1772
63
SÉLICOURT . A Vous très - permis.
DORIMON toujours avec humeur. Eh !
fije veux avoir ici les lunettes de Platon,
fans y fouffrir un feul de fes ouvrages ?
SÉLICOURT. Platon ne connoiffoit pas
les lunettes.
DORIGNY . Il faut , pourtant, croire
qu'il avoit quelque chofe d'équivalent ,
u bien il auroit ceffé d'écrire plutôt.
SÉLICOURT. Comme il vous plaira ;
mais il n'avoit point de lunettes .
DORIMON à Dorigny. Chevalier ! ma
fille eft à vous . Je ne veux pas d'un gendre
qui me contrarie , même avant que
de l'être.
SÉLICOURT. Monfieur , daignez m'accorder
Sophie , & ne point me confulter
fur vos antiques , je vous réponds d'une
paix éternelle .
DORIMON. Non , Monfieur , je veux
un gendre qui époufe & ma fille & mon
cabinet. D'ailleurs , j'ai trop d'obligations
au Chevalier ; il travaille , en même
tems , & à fatisfaire mes goûts , & à maintenir
ma fortune .
DORIGNY en s'inclinant. Ah , Monfieur
, tout ce que j'ai fait eft bien peu de
chofe.
64 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VIII , & DERNIERE.
Les Acteurs précédens . OHPHISE , SOPHIE
& DORLY .
ORPHISE à Dorly. Oui , je fens bien
qu'il faut pardonner quelque chofe à la
franchiſe de fon âge . A cela près , il a
d'excellentes qualités.
DORIMON à Orphife. Madame , je
viens d'engager ma parole au Chevalier.
Je vous prie de le regarder , dès ce moment
, comme votre gendre.
SOPHIE ( à part. ) Ah ciel !
ORPHISE . Monfieur ! écoutez moi.
DORIMON. Ma parole eft donnée ; je
ne veux plus rien entendre .
DORLY à fon neveu. J'avois raifon de
craindre quelque nouvelle imprudence .
ORPHISE à Dorimon. Monfieur , votre
parole fut d'abord donnée à Sélicourt ,
fouvenez- vous- en , & confultez la reconnoiffance.
Nous femmes redevables au
Marquis de la faveur que le Miniftre
vient de nous accorder.
*
DORIMON. C'est au Chevalier ; il me
l'a dit lui- même.
JANVIER . 1772 .
65
DORIGNY avec embarras. Il est vrai que
j'ai eu le bonheur de faire quelques démarches
.
ORPHISE . C'eſt au Marquis , vous disje.
La lettre que m'écrit le Miniftre en
eft une preuve. ( Elle lui donne cette lettre.)
DORIMON ( après avoir lu . ) On n'en
peut plus douter. Pourquoi donc (à Sélicourt.)
n'en difiez - vous rien ?
SÉLICOURT. Ces chofes- là méritent peu
qu'on en parle. D'ailleurs , j'ai moins fait
pour vous que vous ne préfumez . Il fut
queftion de votre affaire chez le Miniftre
où je me trouvois à dîner. Je parlai de
vous comme je le devois , & comme je
parlerois de toute autre perfonne que j'ef
time. Apparemment qu'il jugea que vos
intérêts m'étoient chers. Le bien qu'il me
veut a fait le refte .
ORPHISE, Il nous l'avoue : il ajoute
même que la franchiſe de votre caractère
a donné le plus grand poids à vos éloges.
C'est peut- être la premiere fois que la fincérité
a été comptée pour quelque choſe.
à la Cour.
DORIGNY à Dorimon . Monfieur , un
fervice rendu fans intention ne doit pas
faire oublier celle qu'un autre a eu de le
rendre. J'adore Sophie ; je n'épargne
66 MERCURE DE FRANCE.
rien pour mériter fon coeur , & vous
m'avez promis fa main. J'en appelle à
votre parole , à mon attachement pour
vous , à mon refpect ....
SÉLICOURT . C'en eft trop , & j'en ap
pelle moi- même à votre conduite , à vos
difcours , à vos écrits ... ( Il tire une lettre
de fa poche. )
LE BROCANTEUR ( en effayant de lafaifir.
) Ah ! Menfieur , rendez moi ma
lettre !
SÉLICOURT. Non , je ne dois la rendre'
qu'à celui qui n'auroit point dû l'écrire : il
feroit fâcheux pour lui qu'elle tombât dans'
d'autres mains. ( Il donne la lettre à Dorigny
)
DORIGNY déconcerté , & après avoirfait
femblant de la parcourir. Cette lettre exige
que je parte fur le champ . ( à Dorimon . Y
Monfieur , je vous rends votre parole. Il
vous feroit même , je l'avoue , très petmis
de la reprendre .
DORIMON . Comment ? Qu'est- ce que
tout cela veut dire ?
LE BROCANTEUR . Cela veut dire que
je ferai bien de le fuivre ; car je vois que
nous vendrions tous deux ici fort mal nos
coquilles ( Ilfort. )
SELICOURT. Daignez ne pas approfonJANVIER.
1772. 69
dir davantage ce miférable mystère , &
accordez-moi votre bienveillance
Sophie.
&
DORIMON . Soit ; mais un peu plus de
refpect pour mes antiques.
SELICOURT . Je vous promets de me
faire violence.
DORLY ( à part . ) Fort bien !
ORPHISE . Ne calomniez plus mes bâtimens.
SELICOURT. Je n'en dirai pas un mot .
DORLY (àpart.) Il eft incorrigible .
SELICOURT. Et vous , belle Sophie , ne
ferez vous qu'obéir ?
SOPHIE . J'obéirai , du moins , volon
tiers ; mais plus de fincérité qui humilie.
SÉLICOURT. Et vous , plus de diflimulation
qui inquiète .
DORIMON. Allons , mon gendre ,
foyez à l'uniffon des autres hommes ,
puifque vous prétendez vivre parmi eux .
Vous dites fort fouvent des vérités ; mais
l'expérience & certain proverbe ont du
vous apprendre que toute vérité n'eft pas
bonne à dire,
Par M, de la Dixmerie,
63 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour le portrait de M. Dauberval ,
danfeur de l'Académie royale de Mufique.
C'EST Zéphire amoureux qui veut carefler
Flore ,
C'est un fatyre ardent & bouillant de defir ,
Il pourfuit tendrement la nymphe qu'il adore ,
Et fait briller les éclairs du plaifir ;
C'eft Momus , folâtrant au jardin de Cythère ,
C'eft Jupiter pour un rival.
Cupidon croit l'avoir pour frère ,
Al'opéra c'eft Dauberval.
A M. le Comte de Korguen , jeune homme
deftiné au fervice , en lui faisant le préfent
des trois volumes des Elémens de la
Poëfie Françoife.
Les Mufes dans les camps ne font plus étrangè • ES
res ;
Leurs graces vives & légères
S'animent au bruit du canon ;
Les élèves de Mars affiégent l'Hélicon :
JANVIE R. 1772 . 69
L'officier , fans rougir , peut du haut du Permeffe
Se permettre l'heureufe ivrefle,
Préférez Polybe & Folard ;
Délaflez -vous avec Horace ;
Franchiflez avec lui le fommet du Parnafle ,
D'aimables Souverains ont ennobli fon art.
Dans ce livre oblervez l'exacte poësie ,
Il doit toujours guider les élans du génie.
Fait pour les captiver , cultivez les neuffoeurs,
Rival des chantres d'Aufonie ,
Reflufcitez leur harmonic ;
Un fi noble exercice offre mille douceurs.
Les Muſes à vos voeux ne feront point rebelles ;
Mais pour plaire à ces immortelles ,
Songez qu'il faut toujours ofer avoir des moeurs.
QUATRA I N.
A M. le Duc DE BRISSAC.
UNN triomphe eft moins beau que cette illuftre
fête ,
Les Chevaliers Français en confacrent le jour ;
L'honneur les réunit , BRISSAC eft à leur tête ,
Il en eft l'ornemens , le modèle & l'amour.
Par M. Feutry.
70
MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du premier volume du mois de
Janvier 1772 , eft l'Année , dans lequel
on ne trouve point mois. Celui de la
feconde eft l'Eteignoir ; celui de la troifième
eft Mafque ; celui de la quatrième
eft Prairie. Le mot du premier logogryphe
eſt fourire , dans lequel on trouvefire,
Rofe , ours , fou , io , ire , ou , os , foeur ;
celui du fecond eft Janvier , en fupprimant
la première & les quatre dernières
lettres , il reste an ; celui du troiſième eft
Tabac , oùfe trouve bac.
ENIGMES & LOGOGRYPHES .
Les énigmes & logogryphes fuivans font
du même auteur. Il prétend que depuis
long- tems cette partie inégrante du Mercure
, qui tient àfa première origine , y eft
fouvent négligée. Il reste à favoir s'il
fera changer le Public d'avis.
JANVIER. 1772 . 78
ENIGME
SORTANT d'une obfcure priſon ,
De mon libérateur j'allois être la proie :
Un tiers plus fin que lui , fans dire de raifon,
La force en main vint rabattre fa joie.
Souventje meurs fans avoir vu le jour.
Des champs on m'apporte à la ville ,
Où l'on connoît mon prix auffi bien qu'à la cour ,
Rarement je deviens utile
Qu'après avoir paflé par les quatre élémens :
Quelquefois au lieu d'eau c'eft du vin que je
prends.
Ma couleur n'eft pas éclatante ,
Ma figure eft baroque & toujours différente ;
C'eft la terre qui me produit :
Je ne fuis légume ni plante ,
Racine , fleur , herbe ni fruit;
Encore moins je fuis un arbre.
Je ne luis ni métal ni pierre ; fi pourtant
Je tiens quelque chofe du marbre ,
Mon prix en deviendra plus grand,
72 MERCURE
DE FRANCE
.
RAREME
AUTRE.
AREMENT on me voit , fouvent on me regarde
;
Celle que je défends me porte fur fon coeur ;
Contre les traits d'un fier vainqueur
Je fuis la feule fauvegarde.
J'ai le teint brun ; quelque fois cependant
Le rouge me monte au viſage ,
Lorfque mon ennemi me careffe & m'outrage :
Son triomphe eft encor plus grand
Quand je pâlis par l'effort de fa rage.
AUTR E.
L'INDULGEN INDULGENTE & ſage nature
Aime à confoler fes enfans .
Malgré mes foixante & dix ans ,
Mes piés figés & vacillants
D'une volupté douce & pure
Je goûte les raviflemens ,
Qui me rappellent mon printems.
Unc
JANVIER. 1772: 73
Une fois ou deux la ſemaine
J'éprouve ces heureux momens ;
Alors une extaze foudaine
Surprend , enivre tous mes fens
Jufqu'à neuf fois je perds haleine
Par tout autant d'E.
Le mot restéen blanc eft celui de l'énigme
LOGOGRYPH E.
D'UN ' UN mêts fort dégoûtant mon tout offre l'i
mage.
Ce tout , fingulier aflemblage ,
Peut en trois tiers égaux être décomposé
Le premier , ton cadet peut-être ,
Et que ton père à coup-für a vu naître ,
T'aura quelquefois amuſé. 1
Le fecond , s'il n'eft pas brifé ,
Eft un meuble d'un grand ufage ;
Néceflaite même au ſauvage.
Quant au troisième , ennemi des attraits
Les femmes n'en parlent jamais ;
C'eft pourtant les trois quarts du fage.
Mais voyons mes trois tiers deux à deux combinés.
Les deux premiers , aux jeux , aux plaiſirs deſtinés
,
Ont le plus fombre deuil pour unique parure :
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Les deux derniers en s'approchant du nez
Souvent menacent de brûlure.
Premier & dernier tiers réunis , devinez :
J'annonce un heureux choix. Lecteur , je te fais
grace
De cent autres objets que dans mon ſein j'embraſſe.
AUTRE.
TANTÔT monftre effraïant , tantôt difciplinable
,
Toujours je porte un nom qui répand la terreur.
Otez mon col : je fus un objet vénérable ,
Chez un peuple aflez mépriſable ,
Pour qu'un os d'âne lui fit peur.
Prenez mes piés : ils font tout le monde & per-
(onne.
Joignez - les à mon chef je fuis ce qu'on vous
donne , ..
Quand quelqu'un vous fait un préfent.
Otez- moi la tête & la queue ;
Faites au refte encore , un petit changement ;
J'ai porté des héros fur une plaine bleue ;
Un autre vous diroit fur l'humide élément. 2:
Mais qu'alloient - ils chercher fur un lointain ri
vage ?
Quoi ? ma moitié faifoit l'objet de leur voyage,
JANVIER. 1772. 75
A
AUTRE.
MES feuls favoris je me montre de jour ;
Mais en grand appareil avec l'air du myſtère.
Les bords de ma moitié dernière
Sont inondés dans leur contour.
Mon chefde moins , nuit & jour je vous touche.
Otez - moi le nombril ; mais rendez - moi mon
chef;
D'auffi loin qu'il me voit le Diable s'effarouche.
Otez encor mon col , le patron d'une nef
Me révéroit jadis ; mais ici -bas tout paſſe ,
St Nicolas a pris ma place.
AUTRE.
Mon père , quand il eft bien vieux , ON
En périflant me donne l'être.
Mes membres déchirés à toi - même peut-être
Offrenten certain cas un fecours précieux.
Mon chef coupé me change en un monftre odieux.
Ote-lui fon pied droit , je flatte les oreilles
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
Par mes accords harmonieux.
Fais deux parts de mon tout au vieux tems des
merveilles ,
La première portoit les héros & les dieux ;
L'autre a porté Turenne , & par fois la thiare.
Et dans un autre lens , fidèle image de l'avare ,
L'argent , l'or enfoui pour elle ont des appas .
Mais dans mon fein fécond que ne trouve- t- on
pas ?
Volons au bord du Nil , contemples- y le Phare ,
Dans les ruines de Memphis
Un oeil perçant peut découvrir Icare ;
Et dans cette ifte où le plaifoit Cypris
L'arme cruelle de fon fils.
Ici regna Maufole , ici finit Byzance.
Je t'ai fait voir bien du
pays :
Es-tu las ? revenons en France ,
Tu trouveras chez moi chair & poiflon ;
Mais poiflon de plus d'une espèce .
L'homme qui gravement fe promene à la meſſe ,
A tout ce qu'il te faut pour deviner mon nom.
JANVIER . 1772. 77
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Voyage de la raison en Europe ; par l'au
teur des Lettres recréatives & morales ;
vol. in- 12. A Compiegne , chez Louis
Bertrand , libraire ; à Paris , chez Saillant
& Nyon , libraires , rue St Jeande-
Beauvais .
PLUSIEURS Nations dont il eſt parlé dans
ce voyage ne fe rappelleront peut-être pas
d'avoir été vifitées en 1769 , par la rai
fon qui avoit pris la taille & la phyfionomie
d'un philofophe aimable & le nom
de Lucidor. Ce philofophe ou plutôt la
raifon qui eft cenfée nous donner ici fes
obfervations , a moins cherché à plaire
par des réflexions neuves & faillantes
qu'à fe rendre utile par une légere critique
des moeurs & ufages qu'elle a droit de
cenfurer.
Notre philofophe s'arrêta fur - tout en
France , dont il parcourut les différentes
provinces. Mauvais chemins , mauvais
gites , mais bonne chère , bonnes gens ,
voilà ce qu'il trouva dans le Poitou. La
groffe gaîté qui fubfifte encore parmi les
D iij
3 MERCURE DE FRANCE.
Poitevins eft la preuve d'un bon caractère.
Les ris ne font apprêtés que parce qu'il
n'y a plus de franchife ni cordialité. La
promenade de Poitiers lui parut , valoir
nieux que toute la ville ; elle eft réellement
magnifique , fans cependant approcher
des tuileries , comme le prétendent
les habitans . Il n'y apperçut que quelques
perfonnes difperfées ça & là , qui avoient
l'air de ces ombres errantes dont parle
Virgile au fixième livre de fon Enéide.
Loudun fixa l'attention de Lucidor ; &
autant qu'il en peut juger , il lui fembla
que Rabelais avoit outré les chofes , lorfqu'il
dir que le Diable , en montrant au
Fils de Dieu tous les royaumes du monde ,
s'étoit référvé comme fon domaine chatelle
raut , Chinon , Donfront & fur tout Lou
dun.
Le Berry , quoiqu'au centre de la France
, lui parut un défert. « La ville même
» de Bourges n'a prefque pas d'habitans .
» On n'y rencontre perfonne ; & pour
» peu qu'un étranger y féjourne , on le
» croit exilé. L'univerfité raffemble quel-
» ques étudians , mais en fi petite quan-
» tité , qu'elle paroît garder l'incognito.
Quelques affemblées que Lucidor fré
» quenta étoient au bain mari. Elles ne
JANVIER. 1772 79
"
» font point affez nombreuſes pour exci-
» ter l'émulation , mais un Wisk fup-
» plée à tout.
C'est dommage que l'on ne connoiffe
» la Marche que par les tapifferies d'Au-
» buffon. I1l1 femble que l'efprit y foit en-
» touré d'épines , & qu'il ne puiffe per-
» cer.
»
رد
Limoges lui fit voir des habitans induftrieux.
Le commerce y a beaucoup
d'activité , mais les fciences y paroiffent
en quelque forte étrangères. On
» lui parla beaucoup des détails de la
» campagne. Il fallut voir tous les che-
» vaux de la province , & on ne lui fic
» pas grace d'un poulain .
""
"
» Brive - la - Gaillarde qui n'a rien de
gaillard , le reçut comme tout le mon-
» de ; & Tulles le jugea un homme ex-
» traordinaire. Mais ce qui rejouit Lu-
» cidor , fut de prendre fur le fait nom-
» bre d'officiers élégans qui , dans les gar-
33
nifons , ne trouvent ni fociété, ni ville
» à leur gré , & qui , pendant leur fémeftre
, habitoient d'honnêtes chaumières
décorées du nom de châteaux. Alors il
» falloit fe contenter d'un trifte gîte,d'un
» dîner extrêmement frugal , fuivre les
payfans dans leurs travaux , & n'avoir
"
Div
30 MERCURE DE FRANCE:
fouvent pour toute perfpective que des
foeurs bien laides ou ruftiques . Ajoutez
à cela que c'eft prefque toujours la fête
» des lampes ; on n'y brûloit que de l'hui
» le qui empefte.
" Lucidor ne fut pas long - tems fans
» s'appercevoir qu'Angoulême étoit le
» pays de la bonne chère. C'étoit une
fucceffion de repas qui ne finiffoient
» point, ou plutôt une manufacture d'in-
» digeſtions. »
Nous pourrions citer d'autres plaifanteries
pareilles que l'on auroit peut- être
de la peine à fupporter dans une converfation
familière & même au milieu de la
joie bruyante d'un feftin . Les perfonnes
de province trouveront d'ailleurs que Lucidor
rit un peu amèrement à leurs dépens
, que fes remarques font trop générales
& ne portent point fur des objets
affez intéredans. La taifon , pendant fon
féjour à Paris , obferva « que cette capitale
eft un monde où chaque quartier
» compofe une province . Le ton du fau-
» bourg St Honoré n'eft point celui du
fauxbourg St Germain ; le Marais a des
» manières plus unies que les environs
» du Palais royal ou du Luxembourg. On
y dîne & l'on y foupe à la façon des
29
JANVIER. 1772. 81.
bourgeois ; & les modes , quelquefois
» mêmes les nouvelles , n'y parviennent
» que tard , relativement aux quartiers
plus brillans & plus fréquentés . » Ceci
a déjà été dit & pouvoit être vrai autrefois
que les voitures étoient moins nom→
breufes à Paris : chaque famille étoit alors
obligée de fe former dans le quartier où
elle fe trouvoit , des fociétés qui avoient
peu de communication avec les fociétés
des autres quartiers.
Le portrait que Lucidor nous fait des
cafés de Paris ne convient pas plus à
ces endroits publics qu'à tous les autres
lieux où une multitude de faineans ont
coutume de fe raffembler. Les variations.
des modes attirent fur les Parifiens principalement
les farcafmes de notre voya
gear. a Etre à Paris fans voir de modes,
» c'est exactement fe fermer les yeux .
Les places , les rues , les boutiques, les
équipages , les habillemens , les perfonnes
, tout ne préfente que cela. Le Pa
» rifien eft tellement fanatique de la nou-
» veauté , que la religion même ne déplaît
à certains étourdis que parce qu'el
» le eft trop ancienne. Un habit de quinze
» jours paffe pour très vieux parmi les
gens du bel air. Ils veulent des étoffes
"
"
Dv
82 MERCURE DE FRANCE:
» neuves , des brochures nailfantes , des
» fyftêmes modernes , des amis du jour .
Lorsqu'une mode commence à éclore ,
» la capitale en raffole , & perfonne n'ofe
fe montrer , s'il n'eft décoré de la nou-
» velle parure. Mais la mode exerce
également fes caprices dans toutes les
grandes villes devenues le rendez - vous
des étrangers & des gens oififs. Ceux- ci
cherchant à fe diftinguer , du moins dans
leurs coteries , trouvent qu'il eft plus aifé
d'acquérir cette célébrité éphemère par
un habit élégant ou une coëffure nouvel
le que par une bonne action . Les ouvra¬
ges de mode font d'ailleurs une branche
utile de commerce pour les Parifiens , &
fi les étrangers paient chérement ces bagatelles
, de quel côté eft le ridicule ?
"
·
Rien de plus joliment imaginé , ajoute-
» t'on ici , que de porter une époque fut
» fa tête ou fur fes habits. Ainfi des coëf-
» fures à la Port Mahon atteftoient la
prife de cette ville . Nous en aurons
» fans doute inceffament qui défigneroic
la
guerre des Ruffes avec les Turcs , &
» vraisemblablement on leur donnera la
» forme d'un turban. » Mais qu'on leur
donne cette forme ou celle d'un croiffet,
n'importe , pourvu que l'honnête ouvrier
ود
JANVIER . 1772. 83
trouve dans le bénéfice que ces changemens
lui rapportent de quoi fournir à fon
entretien & mariet fes filles.
La Raifon vifite la Turquie , les pays
du Nord , l'Allemagne , l'Italie . Cette
voyageufe fatiguée apparemment de voir
par- tout regner les illufions & les préjugés
, fe dépouille de l'enveloppe mortelle
dont elle s'étoit couverte & retourne dans
l'Olympe avec le projet néanmoins de
continuer fes voyages en Amérique , en
Afrique & en Afie.
Traductions de diverfes OEuvres , compofées
en Allemand , en vers & en profe ,
par M. Jacobi , chanoine d'Halberftar .
On trouve des couleurs pour peindre la nature ;
Mais quel heureux pinceau trace le fentiment ?
Le chercher , c'est le fuir le fentir , c'est le pein
dre ;
C'eft en mériter les faveurs.
OEuvres du C. de *** , tom . II , n. 60.
Vol. in 8 , grand format . A Paris ,
chez le Clerc , Libraire , Quai des Auguftins
, prix , liv. broché,
3
Lorfqu'un arsite a entrepris de nous
faire voir fous les traits de fon crayon ,
D vj
84
MERCURE
DE FRANCE
.
l'on
un tableau de l'Albane , tout ce que
a droit d'exiger de lui , eft qu'il nous
rende l'heureufe difpofition des grouppes ,
la naïveté des expreflions , les graces du
deffin ; mais on ne doit point efpérer
qu'il reveille en nous les mêmes fentimens
que le modèle qu'il copie . Cette
couleur tendre & animée qui diftingue
les poëfies originales de M. Jacobi , dif
paroît néceffairement dans une traduction.
On pourra , néanmoins le convaincre
, en lifant plufieurs pièces de ce recueil
, de l'heureufe application que l'on
a faite aux poëfies de M. Jacobi , de ce
jugement porté fur les tableaux de l'Albane
; qu'ils inſpiroient la joie , & que
fansjamais bleffer la pudeur , ils faifoient
naître le plaifir.
La première pièce de ce recueil eft
adreffée au lit de Belinde,
"
}
vadkami ,
» Petit lit , où répofent la beauté &
» l'innocence , heureux fanctuaire de la
» mour! près duquel même un Satyre effronté
feroit refpectueux , & timide ;
» j'éparpillerai autour de toi des fleurs
odorantes ; tu ne feras point profané
» par un Poëte , qui , én badinant avec
» l'Amour , fent encore le prix de la fageffe
. Frémillemens fecrets , volupté.
JANVIER. 1772:
"
39
» tranquille , venez faifir l'ame d'un
jeune homme ! ... Couche adorée de
» mon Amante , montre-moi l'image de
Belinde ; tu vois ici tous fes attraits dé-
» voilés ; ici peut- être les fons d'une voix
» à demi éteinte , te découvrent ce qui
» manque à fes fouhaits , & ce qu'elle fe
» cache à elle- même.
» Tes rideaux s'agitent , je vois des
fonges fe gliffer à travers : troupe char-
» mante beaux comme les enfans de
Cypris , ils voltigent autour de cette
» fille vertueufe. Belinde fe fâche , la
» pudeur , la jeuneffe & les defirs colo
rent fes joues .
"
"
» Maintenant lorfqu'elle s'éveillera , &
que plus tendre , troublée encore par
» les fantômes du plaifir , elle fourira à
» l'aurore ; quand d'une main agile les
» Graces lui jetteront ce vêtement leger ,
qui trahit tous fes charmes : alors , ah !
c'eft alors , que je te porte envie !
» Mais ce petit temple ne doit
» entendre des voeux indifcrets ; je ne
permettrai que des foupirs auffi mo-
» deftes que le langage des Amours qui
» s'entretiennent avec Cythère,
pas
» Vous qui , enflammés d'une ardeur
« brutale , n'avez jamais connu le Dieu
8.6 MERCURE DE FRANCE.
» de l'Amour ! déchirez d'une main té-,
» méraire ces voiles faints , que les Graces,
» ont tiffus à la beauté ; tandis qu'un
amant délicat tremble en voyant le lit
» de Belinde , s'éloigne par un mouve-
» ment refpectueux de fa demeure , & ne
cherche Belinde que dans de riantes,
» prairies , où des Dieux gardent les
troupeaux avec cette douce Bergere ;
» c'est là qu'il la pourfuit fur les fleurs
qu'il l'atteint l'embraffe , & , fans remords
, eft plus heureux que vous dans
» l'ivreffe de vos plaifirs ».
ม
»
Le morceau , le plus confidérable de
ce Recueil , eft l'Elysée , drame mêlé
d'ariettes , repréfenté , pour la premiere
fois , à Hanovre , par les comédiens ordinaires
du Roi , le 18 Janvier 1769. Le
Poëte a cherché à peindre dans ce drame
la joie innocente dont jouit un coeur pur
par le fouvenir du bien qu'il a fait . Elife
jeune bergere , admife dans les champs
Elyfées , prend part aux doux plaifirs qui
y regnent ; mais ces plaifirs ne lui étoient
pas tout à fait inconnus . « J'en goutai
une partie , dit- elle , le jour que j'allai en
ville pour y vendre quelques fruits.
" Oh , comme il avoit faim , ce pauvre
homme , qui vint me demander l'au-
39
"
(t
JANVI E R. 1772. 87
» mône fous le tilleul près duquel je
» m'étois aflife fur la route ! hélas je ne
pouvois lui donner que quelques fruits
» de ma corbeille , & la moitié du pain
"
dont je faifois mon repas ! qu'il avoit
» l'air content en fe plaçant à mon côté ,
» & que mon pain , après l'avoir partagé
» avec lui , me paroiffoit favoureux ! Au
» même inftant un cartoffe magnifique
» palla devant nous.... Je jetai les yeux fur
"ma petite corbeille.... O les pauvres
»gens ! un homme qui auroit faim n'ofe-
>> roit approcher de leur table , & manger
» dans leurs plats d'argent . Quand , par la
troifiéme main , ils lui font porter quel
que chofe , & qu'ils ne fe foucient pas
» de voir eux - mêmes la joie qu'ils lui
» caufent , quel plaifir leur en revient-
" il » ?
"
Hygieine five ars fanitatem confervandi ,
poëma. L'Hygiène ou l'art de conferver
la fanté , poëme ; par M. Geoffroy
docteur & ancien profeffeur en médecine
de l'univerfité de Paris ; vol. in-
8°. A Paris , chez Cavelier , rue St Jacques
, au lis d'or.
Il eft rare quand on fe porte bien que
l'on demande confeil fur la conduite qu'il
88 MERCURE DE FRANCE.
faut tenir pour continuer à jouir de cet
avantage. La plupart des hommes font
portés à croire que le feul objet de la médecine
eft de guérir les maladies. On ne
peut donc que favoir gré à M. Geoffroy
de contribuer par fon beau poëme fur
l'Hygiène à nous détromper de cette erreur.
Il nous apprend à nous paffer de
médecin ou du moins à être de nous- même
le premier médecin , fur- tout fi nous
ne fommes point à portée d'en confulter
qui foient éclairés ; ce qui eft plus fâcheux
encoré que d'en manquer abfolument. Il
nous confirme par fes óbfervations or
nées de toutes les graces de la poësie , la
vérité de cette maxime du docteur Celfe
: Optima medicina eft non uti mediciná.
Ce poëme eft divifé en fept livres ou
chants . Le poëte nous entretient dans le
premier livre de l'air & des influences de
l'atmosphère , des météores & des exhalaifons
de la terre fur l'économie animale.
Il est question dans le fecond & le
troifième livre des alimens & de la boiffon.
Le quatrième livre traite du mouvement
& du repos . Le cinquième du fommeil
& de la veille . La matière des fécrétions
& celles des fuppreffions forment
JANVIER. 1772
89
l'objet du fixième livre. Le feptième peut
être regardé comme un tableau abregé
des paffions qui contribuent à entretenir
la fanté ou à la détruire felon qu'elles favorifent
ou qu'elles troublent l'exercice
de fes fonctions.
Un médecin qui a de l'efprit & qui
connoît l'humeur , le caractère & même
les préventions de fon malade , fe fert de
cette connoiffance pour l'amufer , le diftraire
, calmer fon efprit par des raiſonnemens
exposés avec art , & c'eft dans ce
fens que l'on peut dire : Medicina confolatio
animi. Cette confolation eft fouvent
préférable à tous les remèdes & d'autant
plus néceffaire que la crainte , la trif
teffe , les chagrins donnent lieu à des obftructions
& à des affections hypocondriaques.
La haine , la jaloufie produifent de
violentes douleurs de tête , des délires ;
l'amour heureux diffipe la mélancolie ;
l'amour non fatisfait caufe l'infomnie ,
les pâles couleurs , les opilations , la -confomption
; la joie modérée rend la tranfpiration
plus abondante & plus favorable.
Le poëte , en nous expofant dans fon
feptième livre ces effets des paffions ,
nous peint avec autant de chaleur que de
vérité la joie de la France lorfqu'elle vit
90 MERCURE DE FRANCE.
fon Roi armé pour fa défenfe fe tranfporter
en Flandre à la tête de fes armées ,
& s'empreffer par amour pour fon peuple
, au milieu même des champs de la
gloire , de cindre fon front victorieux de
l'olivier de la paix . A ce tableau agréable
fuccéde la defcription pathétique de la
trifteffe de la France lorfqu'elle appric
que fon Roi , qui avoit tout facrifié pour
elle , étoit tombé malade à Metz . Ces
images nobles , vraies & animées par le
fentiment occupent délicieufement le lecteur.
Il y en a plufieurs dans ce poëme &
qui font toujours relatives au fujet qui eft
traité. C'est ainsi que M. Geoffroy , en
nous parlant des exercices du corps, nous
décrit l'exercice de la chaffe avec autant
d'agrément que de goût. Dans le livre de
fomno & vigilia , il nous préfente deux
tableaux charmans de la vie du citadin &
de l'agricole . On prendra encore fans dou
te plaifir à comparer la peinture énergique
qu'il nous donne de la pefte dans fon
premier livre de aëre , à celles que nous
avons de Virgile & de Lucréce , à celles
même des célèbres artittes Mignard ,
Pouffin ; Detroye . M. Geoffroy , en regar
dant leurs tableaux , pourroit avec juſtice
s'écrier & moi auffi jefuis peintre. Son
JANVIER . 1772. 91
vers eft plein , harmonieux , coulant. Il a
fçu habilement adapter à fes penfées toujours
juftes , toujours claires , les formes
variées & cadencées de la langue latine .
Comme ce poëme peut intéreffer toutes
fortes de lecteurs par les préceptes utiles
qu'il contient , il y a lieu d'efpérer que
quelqu'écrivain s'occupera à le traduire en
françois. Il participera à lá gloire du poë
te qui , comme médecin , nous a rendu
un plus grand fervice en nous expofant
les principes de l'Hygiène que s'il nous
eût donné un fçavant traité fur les maladies.
Pluris eft , dit Séneque , labantem
fubftinere , quàm lapfum erigere. C'est un
plus grand fervice de foutenir quelqu'un
qui eft dans le cas de faire une chûte, que
de relever celui qui est tombé.
De l'Impôt du Vingtième fur les Succeffions
, & de l'Impôtfur les Marchandifes,
chez les Romains . Recherches hif
toriques dédiées à MM. de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres ; par M. Bouchaud , Membre
de cette Académie , Docteur Régent
de la Faculté de Droit de Paris , Cenfeur
Royal & ancien Avocat au Parlement
nouvelle édition , vol . in- 8 °.
92 MERCURE DE FRANCE.
prix 4 liv . 10 fols relié . A Paris , chez
Debure , pere , Libraire quai des Auguftins.
Ces deux traités préfentent des recher
ches favantes & des difcuffious profondes.
La critique éclairée qui les accompagne
& fert à guider le Lecteur au milieu
d'une multitude immenfe de citations
, ne peut encore que contribuer à
rendre ces deux traités intéreffans . Ils le
feront fur tout pour ceux qui étudient
l'hiftoire , celle des Peuples fpécialement
, qui , comme les Gaulois , ont retenu
en partie les loix , les ufages & les
moeurs des Romains , leurs vainqueurs.
Ces deux Differtations en font defiret
d'autres qui puiffent former un Traité
complet des Finances chez les Romains.
Ce Traité nous manque , & M. Bouchaud
a cet efprit de recherche & de
difcuffion néceffaire pour templir cette
tâche laborieufe. Mais des circonstances
particulieres , qui lui prefcrivent des devoirs
plus preffans à remplir, ainfiqu'il s'en
explique dans l'avertiffement , ne lui permettent
point de continuer un ouvrage
d'une fi vafte étendue. Les deux Traités ,
dont le Libraire annonce une nouvelle
édition , peuvent néanmoins être regarJANVIER
. 1772 93
dés comme complets & tout -à - fait indépendans
des recherches
dont les autres
efpèces d'impôts chez les Romains
font
fufceptibles
.
Anecdotes Ecclefiaftiques , contenant tout
ce qui s'eft pallé de plus intéreffant
dans les Eglifes d'Orient & d'Occident
, depuis le commencement de
l'Ere Chrétienne juſqu'à préſent , 2 vol .
in-8°. petit format. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Vincent , Imprimeur
- Libraire , rue des Mathurins ,
hôtel de Clugny.
L'auteur s'eft contenté de détacher les
faits & de les ranger par ordre chronologique
: il en a écarté les réflexions & les
obfervations
, celles- mêmes qui auroient
pu répandre du jour fur différens événemens
, ou fuppléer à bien des vuides que
l'on s'eft permis ici pour ne pas multiplier
les volumes . Cette maniere de préfenter
l'Hiftoire eft fuffifamment
juftifiée
par le fuccès qu'ont eues les Anecdotes
Françoiſes , Italiennes , Angloifes , Germaniques
, &c. qui fe diftribuent chez
le même Libraire. Elle peut être agréa
ble au commun des Lecteurs dont l'efprit
léger & fuperficiel ne peut s'occuper que
94
MERCURE DE FRANCE.
>>
d'extraits , d'abrégés , de penfées ou de
faits ifolés qui ne demandent point une
application fuivie & continue . Parmi les
différens ufages des premiers fiécles dont
l'Hiftoire Eccléfiaftique fait mention , il
y en a plufieurs qu'on n'entend plus ,
mais dont on peut trouver l'explication
dans ces anecdotes . On rapporte fous
l'année 1198 un Réglement de Saint
Jacques de l'Hôpiral de Paris , fuivant lequel
le crieur eft tenu , avant la fête de
Monfeigneur Saint Jacques d'aller par
la ville avec fa clochette & vêtu de lon
corfer , crier la confrérie. Item , doit à
chaque Pélerin & Pélerine quatre épingles
pour attacher les quatre cornets
» des mantelets des hommes & les chapeaux
de fleurs des femmes ; les Pélerines
hors le choeur . Item , doit herbes
» vertes pour la jonchée ; & après le
» dîner , on porte le bâton au chaur ; &
» là eft le tréforier qui chante & fait le
» depofuit. On a demandé ce que c'eſt
que faire le depofuit . On dit bien aujourd'hui
faire la Saint Martin , & on difʊit
autrefois faire les Anges , faire les trois
Maries , faire le defructu & même faire
les Rois , pour fignifier que trois Eccléfiaftiques
étoient habillés en perfonnages
ود
""
»
13
JANVIE R. 1772. 25
de Rois le jour de l'Epiphanie. Il n'étoit
pas plus rare d'y faire le depofuit. Ce
n'eft que le non ufage qui a fait perdre
de vue la fignification de cette expreffion ,
qui néanmoins fera facile à entendre , fi
l'on fait que dans les Confréries , outre
l'image du Saint Patron , placée ordinairement
au deffus des Autels des Eglifes
ou dans quelque niche , & qu'il eft impoflible
de tranfporter , il y en avoit une
petite image que chacun des Confreres
étoit tenu de conferver chez lui pendant
un an, à tour de rôle ; & cette image
étoit le jour de la fête, mife fur la table
des Tréforiers ou Receveurs de la Confrérie.
Lorfqu'on la tranfportoit dans les
rues , on avoit foin de l'élever fur un
bâton orné de fleurs & de rubans. Le
Confrere qui avoit porté le bâton , le remettoit
à fon fuccefleur après que l'on
avoit récité ce verfet du Magnificat : Depofuit
potentes de fede. C'est ce qui s'appelloit
faire la cérémonie du Depofuit.
Ces anécdotes vont juſqu'en 1770 , &
font terminées par une Table des matières
diftribuées par ordre alphabétique.
Verniffeur parfait ou Manuel du Verniffeur
, par l'auteur du gopveau Teintu6
MERCURE DE FRANCE.
rier; vol. in- 12. A Paris , chez Jombert
père , libraire , rue Dauphine , à
l'Image Nôtre- Dame.
L'auteur de ce Manuel nous donne la
recette des meilleures compofitions de
vernis employés jufqu'à préfent. Ce détail
eft d'autant plus intérelfant qu'il nous
fait connoître les progrès de l'art du Verniffeur
, & nous rappelle plufieurs recettes
anciennes qui , quoiqu'abandonnées
pourront paroître utiles à quelques lecteurs.
On distingue ici les différentes efpèces
de vernis felon les matières qui entrent
dans leur compofition & felon les
menftrues dans lesquelles on diffout ces
matières. L'auteur , après nous avoir inftruit
des différentes réfines & bitumes
propres aux vernis , donne la recette du
vernis du P. Jamart , de pluſieurs autres
faits à fon imitation & connus fous le nom
de vernis de laque , & de différens vernis
clairs ou à l'efprit - de -vin bons pour les
couleurs auxquelles le vernis de laque ne
conviendroit pas. Ces recettes font fuivies
de la manière de peindre les boîtes
de toilettes , & de plufieurs compofitions
de vernis modernes propres à ces fortes
d'ouvrages. Viennent enfuite des inftructions
JANVIER. 1772. 97
tions fur les vernis de la Chine & du Japon
; fur la manière de fabriquer , peindre
& vernir des ouvrages en carton tels
que tabatieres , vafes , baffins , & c. L'ouvrage
eft terminé par des détails fur les
vernis des métaux qui réfiftent à l'action
du feu ; fur les moyens de faire les fonds
polis pour les boiferies & les lambris des
appartemens , de les peindre & de les vernir
; enfin fur les compofitions de plufieurs
couleurs qu'on a coutume d'employer
dans les ouvrages qu'on vernit.
Dictionnaire portatif de fanté , dans lequel
tout le monde peut prendre une
connoiffance fuffifante de toutes les
maladies , des différens fignes qui les
caractérisent chacune en particulier,
des moyens les plus fûrs pour s'en préferver
, ou des remedes efficaces pour
fe guérir , & enfin de toutes les inftructions
néceffaires pour être foi - même
fon propre médecin ; le tout recueilli
des ouvrages des Médecins les
plus fameux , & compofé d'une infinité
de recettes particulières & de fpécifiques
pour plufieurs maladies ; per
M. L*** ancien Médecin des Armées
du Roi , & M. de B*** Médecin des
II. Vol. E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
Hôpitaux : quatrième édition revue ,
corrigée & confidérablement augmen
tée , 2 vol . in - 8 ° . petit format. A Paris
chez Vincent , Imprimeur- Libraire
, rue des Mathurins , Hôtel de
Clugny.
La nouvelle édition d'un ouvrage où
l'on peut prendre les inftructions qu'il
importe le plus d'avoir pour fe conduire
dans l'état de maladie , & confulter en
connoiffance de caufe un Médecin éclai
ré , ne peut être qu'agréable au public.
Cette nouvelle édition eft d'ailleurs enrichie
de quantité de bonnes obfervations
, de plufieurs formules faciles à
exécuter , & de diverfes corrections qui
lui feront donner la préférence fur celles
qui l'ont précédées .
Le nom de l'Imprimeur Vincent , placé
fur le revers du titre de chaque exemplaire
de cetre nouvelle édition , fervira
à faire diftinguer ces exemplaires de ceux
qui font contrefaits & qui fourmillent de
fautes toujours très - graves dans les matières
qui font l'objet de ce Dictionnaire
de fanté.
Vies des Peres , des Martyres , & des auprès
principaux Saints , tirées des actes
JANVIER. 1772 . 99
originaux & des monumens les plus
autentiques , avec des notes hiftoriques
& critiques ; ouvrage traduit de
l'Anglois , tome VIII in 8 °. A Ville-
Franche de Rouergue , chez Pierre Vedeilhié
, Imprimeur - Libraire . A Paris ,
chez Barbou , rue des Mathurins , &
Defaint , rue du Foin Saint-Jacques .
Cet ouvrage édifiant par les beaux
exemples d'humilité , de charité , d'amour
du prochain qu'il préfente , eft encore
inftructif par les notes hiftoriques & critiques
dont le traducteur a eu foin d'enrichir
les Vies particulières qu'il a traduites.
On lira avec intérêt dans ce huitième
volume la vie de Saint Auguftin ,
Docteur de l'Eglife ; celle de Saint Genès
, Comédien & Martyr ; de Saint
Etienne , Roi de Hongrie ; de Saint Cyprien
, Archevêque de Carthage ; de Saint
Janvier , Evêque de Benevent , & c. Le
Biographe rapporte , d'après plufieurs
graves auteurs , le célèbre miracle de la
liquéfaction
& de l'ébullition du fang
de l'Evêque de Benevent , patron de la
ville de Naples . On garde dans la chapelle
du tréfor de la Cathédrale de cette
ville , la tête de ce Saint avec fon fang
E ij.
100 MERCURE DE FRANCE.
renfermé dans deux phioles de verre fort
anciennes. On met la tête fur l'autel du
côté de l'Evangile , & les phioles du côté
de l'Epître . On a quelquefois trouvé le
fang liquide ; mais en général il eft folide.
Lorfque les phioles font vis - à - vis
de la tête , le fang fe liquéfie ou dans le
moment , ou tout au plus en quelques
minutes. Cette liquefaction eft fuivie
d'une ébullition, Quand on a retiré le
fang , & qu'il n'eft plus en préfence de
la tête , il redevient folide ; quoiqu'il y
ait plufieurs cierges fur l'autel , on trouve
en touchant les phioles qu'elles font
prefqu'entiérement froides. On les fait
baifer au peuple en certaines occafions .
Quelquefois le fang s'eft liquéfié dans
les mains de ceux qui tenoient les phioles
; quelquefois auffi il eft redevenu folide
de liquide qu'il étoit , auffi tôt qu'on
y touchoit. La liqéufaction a lieu également
, lorfque les phioles font en préfence
d'un offement ou de quelqu'autre
partie du fang de Saint Janvier. Il eſt arrivé
quelquefois que la liquéfaction ne
s'eft pas faire ; ce que l'on a regardé
comme une marque de la colère céleste .
On met enſemble les deux phioles fur
l'autel , & le fang fe liquéfie dans l'une
JANVIER. 1772. IOL
ou l'autre en même tems , & dans le même
degré , quoiqu'il y en ait peu dans
la plus petite , & qu'il foit attaché aux
parois da verre. Addiffon , Middleton
& plufieurs Proteftans d'Allemagne ont
attaqué la vérité de ce miracle. Les uns
l'ont attribué à la chaleur des mains du
Prêtre , les autres aux vapeurs qui s'exha ,
lent de l'Eglife ou des lampes ; d'autres
enfin penfent que les phioles ne renfer
ment qu'une compofition chymique d'une
nature fufceptible de liquéfaction . Gafpard
-Neuman , Médecin & Chirurgien
de Berlin , s'eft même vanté d'avoir trouvé
une compofition qui fe liquétioit en
préfence d'une tête . Il s'enfuivroit que
le fait que
l'on donne pour miraculeux ,
ne feroit qu'un effet du charlatanilme ou
de la fourberie des Piêtres . Mais ce fentiment
eft infoutenable , felon ceux qui
défendent le miracle . Comment s'ima
giner , difent ils , que tant d'hommes recommandables
par leur favoir & leur
vertu , ont été des hypocrites . des impofteurs
& des charlatans ? La fuppofition
d'un fecret chymique annonce nonfeulement
une fourberie notoire , mais
encore une découverte tout - à - fait merveilleufe.
Où font les preuves de cette
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
"3
"
"
»
découverte ? La compofition de Neuman
D'infirme point l'authenticité du miracle ;
elle a été préparée & difpofée pour la liquéfaction.
D'ailleurs , ajoute le Biographe
, le fang de Saint Janvier eft
» renfermé fous quatre clefs , dont deux
» font gardées par deux dignitaires du
Chapitre , & deux font entre les mains
» de deux membres des Seggi . Les feggi
» ou fiéges , au nombre de cinq , font
remplis par la nobleffe ; ils ont chacun
» un tribunal public , & ont fucceffive-
» ment part au Gouvernemeut civil de
Naples. On n'expofe les reliques de
» Saint Janvier qu'avec les quatre per
fonnes dépofitaires des clefs dont
» nous parlons ; & ces dépofitaires
changent tous les ans. Il faudroit donc
qu'il y eût de la collufion entr'eux ,
» pour rendre poffible une préparation
quelconque , & cette collufion devroit
» fe renouveller fréquemment. D'ail
» leurs la variété des circonftances dans
lefquelles le miracle s'opère , ne per-
» met pas d'en révoquer en doute l'au-
» tenticité . >>
"
"
CC
"
Analyfe ou Expofition abrégée du fyftême
général des influences folaires , par
Mademoiſelle de ***.
JANVIER. 1772. 103
Dans une éclatante voute ,
Il a placé de fes mains ,
Ce foleil qui , dans ſa route
Eclaire tous les humains.
J. B. ROUSSEAU .
vol. in- 12 . A Paris , chez Durand , rue
des Noyers.
Lorfque l'on défire d'établir un fyftême
ou une hypothèſe , dont l'objet eft d'expliquer
quelques vérités inconnues , relativement
à des principes reçus , on doit ,
fans doute , attendre que toutes les expériences
foient faites & bien conftatées .
C'eft alors le moment favorable pour
dévoiler le fecret & furprendre le méchanifme
de la nature . L'auteur du fyftême
a cru , néanmoins , avant d'avoir
cette provifion de faits néceflaires , pouvoir
fonder les fonds qu'il avoit entre les
mains , afin de s'aflurer s'il n'auroit peutêtre
pas déjà de quoi former un fyltême
général. L'électricité regardée d'abord
comme un phénomène fingulier , propre
à certains corps feulement , lui a parue ,
d'après les obfervations , commune à tous
les corps , fans exception . Il s'eft , d'ail-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
leurs , convaincu par plufieurs expériences
, que les phénomènes de l'électricité
que le phyficien fait naître dans fon cabinet
, étoient une image fenfible & fuivie
de ce qui fe paffe en grand dans les
efpaces céleftes. L'auteur a été , de plus ,
conduit par une analogie conftante , à
croire que l'électricité ne domine pas
moins dans l'intérieur de la terre , que
dans les corps qui font fous nos mains.
11 s'eft affuré par des obfervations multipliées
que ce phénomène est l'effet d'un
Auide qui n'eft diftingué du feu que par
de légères modifications ; que ce fluide
eft répandu par- tout ; qu'il opère en grand
comme en petit ; que le principe de fon
action eft le même que celui de l'action
du feu en général . En réunifant ces obfervations
, il a porté fes réflexions fur
le foleil ; il le regarde comme le mobile
de l'électricité , & penfe qu'il peut être
le grand reffort de toute la Nature.
L'analyfe que nous annonçons de ce
fyftême général des influences folaires ,
eft divifée en trois articles . Le premier
donne une expofition fuccinte & fuffifante
de ce fytême : le fecond une application
fommaire de ce même fyftême
à tous les phénomènes de la Nature ; le
JANVIER . 1772 . 105
troifieme contient une réfutation du fyitême
de la gravitation univerfelle.
On objectera peut-être à l'auteur qu'il
y a toujours plus à gagner d'étudier la
Nature par des faits , & de multiplier les
expériences , que de former des fyllemes
qui ne fervent ordinairement qu'à
préoccuper les efprits , & empêcher ceux
qui époufent ces hypothèfes , de voir
comme tout le monde voit. Combien de
perfonnes néanmoins condamnent les
fyftêmes , & font les premières à y recourir.
Une bombe , par exemple , élevée
à deux cens toifes , retombe vers la
terre. Le point le plus important eft de
favoir que cela arrive toujours , que cette
bombe eft capable d'un tel effet , & que
cet effet dépend de la maffe & de la vîreffe
avec laquelle elle fe précipite fur
la terre. Mais chacun voudra favoir pourquoi
elle s'y précipite. Le Cartéfien dira :
cette bombe tombe parce qu'elle y eft
forcée par le mouvement rapide d'un
tourbillon de matieresfubtiles qui la frappe
en tout fens. Le Newtonien répondra
que c'eſt parce que la terre & cette
bombe s'attirent réciproquement , oa
gravitent l'une vers l'autre ; un troisieme
viendra , & ce fera l'auteur du ſyſtême
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
des influences folaires , qui traitera ces
tourbillons & cette gravitation de chimères
, & foutiendra que la bombe tombe
, parce qu'un fluide invifible qui la
frappe fans ceffe d'en haut vers la terre
perpendiculairement à fa furface , l'oblige
à s'y précipiter. Les autres explications
contradictoires contenues dans
cette analyfe , d'ailleurs très bien faite ,
porteront fouvent le Lecteur à dire avec
le fage : Mundum tradidit Deus difputationibus
eorum .
Defcription du nouveau Pont de pierre
confruit fur la rivière d'Allier à Moulins
, avec l'expofé des motifs qui ont
déterminé fon emplacement , & les deffins
& détails relatifs àfa conftruction ;
par M. de Regemortes , premier ingénieur
des turcies & levées ; vol . grand
in folio. A Paris , chez Lottin , libraire,
rue St Jacques.
Perfonne n'ignore le progrès que la
conftruction des ponts a fait fous ce règne
: ni le pont - neuf , ni le pont- royal à
Paris , fi vantés dans leur tems , ne peuvent
entrer en comparaifon pour la hardieffe
de l'exécution avec les ponts d'Orléans
& de Mantes , ou ceux de Tours &
JANVIER . 1772. 107
de Neuilly que l'on exécute . On eft parvenu
jufqu'à opérer des ponts avec la plus
grande folidité fur les rivières les plus
rapides fans détourner leur cours , fans
faire de batardeaux ou d'épuifemens , &
même avec moitié moins de dépenfe
qu'auparavant : c'est ainsi qu'a été bâti le
fameux pont de Saumur fur la Loire ,
dont on voit les détails de toutes les opé
rations , décrites avec beaucoup de fagacité
dans les mémoires * fur les objets les
plus importans de l'architecture , que nous
avons annoncés dans le Mercure d'Octobre
dernier.
Les procédés employés pour parvenir à
l'exécution du pont de Moulins fur l'AIlier
, ne méritoient pas moins d'être développés
& connus du Public , à caufe des
difficultés qui paroiffoient infurmontables
pour affurer fes fondations . Trois ponts
de pierre exécutés fur pilotis , dont le der
nier étoit un ouvrage du célèbre Hardouin
Manfard , avoient été renverfés confécutivement:
depuis ces diverfes tentatives , &
le peu de fuccès d'un auffi habile conftruc-
Cet ouvrage in -4°. avec beaucoup de planches
, où il eft auffi queftion de la conftruction
du pont de Moulins , fe vend chez Lacombe , libraire
; prix , 12 liv.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
teur que Manfard , on fembloit avoir renoncé
à l'exécution d'un pont en pierre
en cet endroit ; & la plupart des gens
l'art regardoient en quelque forte cette
entrepriſe comme impraticable.
de
Le paffage de l'Allier à Moulins étant
un point effentiel de communication de
l'extérieur du royaume avec une partie
des provinces méridionales , faifoit néanmoins
fans ceffe defirer l'établiſſement
d'un pont folide dans cette ville , de forte
que le gouvernement pour feconder les
vaux du Public , commit , en 1750 , M.
de Regemortes , déjà connu avantageufement
par l'exécution de plufieurs ouvrages
en ce genre , pour faire le projet de
ce pont & pour en conduire l'exécution .
Avant de s'engager dans cette importante
entreprife , cet ingénieur s'appliqua
d'abord à bien connoître la nature du fol
de la rivière fur lequel il étoit question'
d'établir cet ouvrage. L'Allier eft fujet à
des crues d'eau fubites & irrégulières dans
toutes les faifons de l'année : fon lit eft
compofé de couches de fable qui ont fouvent
jufqu'à so pieds d'épaiffeur : ce fable
, quoique mouvant à fa fuperficie , ne
laifle pourtant pas à une certaine profondeur
d'être compact , & l'on remarque
JANVIER. 1772. 109
cres ,
qu'en le comprimant fortement de toutes
parts , on peut en former une maſſe inaltérable,
capable de foutenir les plus grands
fardeaux fans crainte de taffement fenfible.
Dans les crues d'eau même médiole
courant de cette rivière forme
des affouillemens jufqu'à 15 & 20 pieds
de profondeur , & ces affouillemens font
occafionnés le plus fouvent par la plus légère
réfiftance : De plus en couvrant la
fuperficie de ce fable de terre glaife , des
expériences avoient appris que cette terre
fuffifoit pour empêcher les filtrations des
eaux & remplir leurs débouchés à travers
le fable. D'après ces obfervations , M. de
Regemortes comprit qu'il n'y auroit pas
de folidité à espérer pour fon pont , en
l'établiffant fur pilotis , que des piles &
des culées ifolées comme à l'ordinaire feroient
exposées aux affouillemens, que c'étoient
eux qui avoient évidemment caufé
la ruine des trois ouvrages précédens , &
qu'enfin il ne pouvoit efpérer de fuccès ,
qu'en adoptant une méthode qui fût capable
d'obvier à cet inconvénient .
En conféquence , au lieu de piloter ,
cet ingénieur réfolut d'établir un radier
ou mafif continu de maçonnerie fous tou-
Le la longueur& largeur de fon pont, au cra
FIO MERCURE DE FRANCE .
vers du lit de la rivière pour lui fervir de
fondation. L'invention d'un radier n'étoit
pas une chofe nouvelle ; on en avoit fait
fouvent ufage pour fonder les môles & les
rifbans que l'on avance dans la
mer ; &
l'on fçait que François Blondel , architecte
de la porte St Denis , avoit employé
ce moyen avec fuccès , le fiécle dernier,
pour la conftruction d'un pont à Xaintes
fur la Charente. Toute la difficulté étoit
d'affeoir folidement ce radier fur le lit
de l'Allier , tant à caufe des affouillemens
, qu'à caufe des filtrations d'eau
continuelles à travers les fables qui fembloient
rendre les épuifemens impoffi
bles. Voici les procédés que fuivit M. de
Regemortes pour vaincre ces obftacles.
Après avoir fait fonder la couche de
fable fur laquelle il vouloit affeoir fon
pont , & reconnu qu'elle avoit près de
47 pieds d'épaiffeur , il commença 1º . par
en faire draguer 9 ou 10 pieds au - deffous
des plus baffes eaux . 2º. Îl fit battre cinq:
rangs de palplanches bien jointives , fçavoir,
trois rangs au deffus des avant becs
& deux rangs au deffous des arrière becs,
espacés de manière à former des espèces
de batardeaux & une crèche capable de
contregarder tout l'ouvrage dnrant &
après fon exécution . 3 °. Ayant fait rega
JANVIE R. 1772 FIT
:
ler les fables de l'emplacement que devoit
occuper le radier , il fit verfer des
terres glaifes fur toute la fuperficie de fa
fondation , à l'aide de deux bateaux placés
à une certaine diftance l'un de l'autre
fuivant la largeur du pont , & foutenant
fur leurs bords des efpèces de grillages ,
dont les fonds pouvoient s'ouvrir & fermer
tous enfemble à volonté avec des
trapes ou clapets. Après avoir couvert
ces trapes de terres glaifes , on les
lâchoit toutes à la fois , alors la glaiſe par
fa chûte fe répandoit uniformement fur
la fondation cela étant fait , on avançoit
le bateau plus loin , & l'on répétoit cette
opération jufqu'à ce que le fol de la partie
du pont que l'on avoit entrepriſe fut
tout à fait couverte. 4° . Pour empêcher
l'eau de délayer cette terre- glaife , on defcendit
enfuite par le moyen des mêmesbateaux
bien quarrément , des chaſſis de
planches de 12 pieds en quarré , chargés
de nombre de moëlons pour les contenir
au fond de l'eau , lefquels moëlons fe
trouverent ainfi tout portés , pour commencer
, après les épuifemens , la conftruction
du radier : ces chaffis étoient af
femblés par d'autres planches qui les traverfoient
, & pour que rien ne pût tranf112
MERCURE DE FRANCE.
pirer à travers leurs joints , on y avoit
cloué des bandes de coutil . 5 ° . Cet expédient
ayant opéré l'effet d'une efpèce de
batardeau placé dans le fond de l'eau &
capable d'arrêter les tranfpirations , on
fut en etat d'entreprendre les épuifemens ;
& pour y réaffir , on remplit à l'ordinaire
les batardeaux de terre glaife , &
l'on fit jouer les chapelets qui en peu de
tems épuifèrent les eaux jufqu'aux chaf
fis. 6. Enfin fur ces chaffis on conftruific
àfec bien quarrément à trois pieds audeffous
des plus baffes eaux , le radier auquel
on donna fix pieds d'épaifleur de maçonnerie
, & l'on remplit femblablement
l'intervalle entre les palplanches & la
crêche .
A l'aide de toutes ces précautions , on
vint à bout de captiver le fable de toutes
parts ; on parvint à vaincre les affouillemens
& les filtrations ; le radier fut rendu
inébranlable , & l'on patvint à y élever un
pont à l'ordinaire comme fur un fol par
faitement folide .
Ce Pont a 154 toifes de longueur entre
les culées , fur 7 toiles de largeur : il
eft compofé de treize arches furbaillées
d'un tiers , ayant chacune dix toifes d'ouverture
& foutenues par des piéces de
JANVIER. 1772. 113
11 pieds d'épaifleut. Il a été conftruit en
deux parties , l'une de huit arches & l'autre
de cinq. Son exécution a duré environ
dix ans , & fouvent on y a employé
jufqu'à 900 ouvriers à la fois , & près de
500 bêtes de fomme . Pour concevoir une
idée de la grandeur de ce travail , nous
remarquerons qu'on a donné au lit de
cette riviere , vis - à- vis Moulins , plus du
double de largeur qu'il n'avoit ; qu'il a
fallu pour cet effet détruire un fauxbourg
entier au delà du Pont , & en reconftruire
un nouveau ; qu'il a fallu faire difparoître
nombre d'ifles qui embarraffoient
le cours de cette riviere , & , de leurs deblais
faire dans tous les environs des levées
immenfes , pour les mettre à couvert
des inondations de cette riviere qui
font très-fréquentes. Toutes ces opérations
font décrites dans l'ouvrage que
nous annonçons avec la plus grande clarté
, & doivent faire le plus grand honneur
aux lumieres & à l'expérience de
M. de Regemortes : elles font accompa
gnées de 16 grandes planches très -bien
rendues , qui repréfentent toutes les machines
dont on s'eft fervi pour les différentes
manoeuvres , & qui ne laiffent rien
114 MERCURE DE FRANCE .
ignorer de tous les détails de ce Pont capables
d'intéreffer.
De l'utilité de joindre à l'étude de l'Architecture
celle des Sciences & des Arts:
qui luifont relatifs , extrait du troiſieme
volume d'Architecture de J. F. Blondel
, chez la veuve Deffaint , Libraire ,
rue du Foin , in 8 ° . de 80 pages .
L'objet de cette Differtation eft de.
faire voir combien il eft important à
ceux qui fe definent à l'Architecture , de
Joindre à fon étude particulière celle des
Arts & des Sciences qui y ont rapport.
L'imagination fera étonnée de l'énumération
des connoiffances que propofe
M. Blondel. Il voudroit que l'Architecte
poffédât , outre les Arts qui font direc
tement relatifs à la conftruction des bâtimens
, tous les genres de deffins con-.
cernant l'Architecture , l'Ornement , let
Payfage , la figure ; qu'il fût modéler en
relief ; qu'il eût appris la coupe des pierres
& des bois de charpente , qu'il fût
inftruit de la Perfpective , de la Géométrie
, de la Trigonométrie , de l'Hydrau
lique , de la Mécanique , de la Phyfique ,
de l'Hiftoire Naturelle ; qu'il eût étudié
JANVIE R. 1772 115
les Fortifications , les Elémens de la conf
truction des vaiffeaux & de tout ce qui a
rapport à la Marine ; & qu'enfin il eût
acquis des lumieres très étendues dans
les diverfes parties de la Littérature .
M. Blondel s'attache à montrer en quoi'
chacune de ces études peut être utile à
un Architecte , & s'appuye fur- tout de
l'autorité de Vitruve qui cxigeoit que les
Architectes de fon tems embraflaffent
ces diverfes connoiffances. Nous penfons
que bien des perfonnes trouveront fans
doute ce plan d'étude trop vafte , par la
raifon que l'état actuel de l'Architecture
n'a aucune comparaifon avec ce qu'il
étoit autrefois en effet , à l'exception
de la décoration des dehors des édifices
que les Anciens ont perfectionné à un
certain point , l'art de la diftribution &
du jardinage étoit alors peu de choſe ;
celui de la coupe des pierres étoit borné
au trait des voûtes en berceaux pleinceintre
ou furbaiffées ; la Perfpective n'étoit
compofée que de règles vagues &
incertaines ; les Fortifications ne confiftoient
qu'en des murs de circonvallation.
flanqués de tours : la conftruction des
vaiffeaux n'offroit guères plus de difficultés
que celle de nos gaillotes : quant
116 MERCURE DE FRANCE.
aux Sciences , elles éroient alors dans leur
enfance : la phyſique étoit prefqu'ignoréé ;
la Géométrie fe bornoit à l'art d'arpenter
, ou de tracer des figures fur un terrein
; la mécanique ne confiftoit qu'en
quelques machines très fimples , telles
que le levier , le plan incliné , la vis
d'Archimède & d'autres femblables ; elle
étoit bien éloignée d'être pourvue des
lumieres néceflaires pour inventer ces
chefs-d'oeuvres d'induftrie qui ont paru
de nos jours On conçoit que l'Architecture
restreinte au peu de connoiffan
ces que l'on avoit alors , pouvoir aifément
être einbraffée dans fa généralité par
un même homme ; l'Architecte pouvoit
fans difficulté être à la fois ingénieur ;
mais qu'aujourd'hui , à raifon du progrès
des connoiffances humaines , cela n'eſt
plus également praticable ; auffi at on
été obligé de divifer l'Architecture en
plufieurs claffes , telles que l'Architec
ture civile , militaire , navale & hydraulique
, qui ont chacune des écoles particulieres
& des artiftes particuliers : l'Architecture
, proprement dite , a été ref
trainté à la compofition & conftruction
des maifons & bâtimens publics .
Cette Differtation eft fuivie de fort
JANVIER. 1772. 117
bonnes réflexions fur différentes parties
de l'Architecture , fervant à faire voir
le fruit que l'on peut tirer de la lecture
de nombre d'ouvrages , autres que ceux
de cet art. En effet , la plupart des connoillances
humaines fe connectent en
quelque forte comme les anneaux d'une
chaîne ; les principes primitifs des Arts
& des Sciences dérivent pour la plupart
d'une même fource ; & pour peu que
l'on y false d'attention , on s'apperçoit
qu'il eft aifé de les rendre reverfibles de
l'un à l'autre.
A la fin de cet ouvrage , M. Blondel
expoſe l'ordre des leçons qu'il donne ou
doit donner dans fon école , tant fur
l'architecture que fur les Sciences qui y
ont rapport , conjointement avec divers
maîtres ; il avoit déjà publié ci - devant
de femblables annonces ; il y a ajouté
feulement qu'on y apprend auffi » les ar-
» mes , la mufique & la danfe ; exercices ,
» dit il , qui doivent entrer dans le plan
» de l'éducation des hommes bien nés
qui fe vouent à l'Architecture .
Les fpectacles de Paris , ou Calendrier hiftorique
& chronologique des Théâtres ,
avec des anecdotes & un catalogue de
118 MERCURE DE FRANCE.
toutes les piéces reftées au théâtre dans
les différens fpectacles ; le nom de tous
les auteurs vivans qui ont travaillé dans
le gente dramatique , & la lifte de leurs
ouvrages. On y a joint les demeures des
principaux acteurs , danfeurs , muficiens
, & autres perfonnes employées
aux fpectacles , 21 ° partie , pour l'année
1772 , chez la veuve Ducheſne ,
Libraire , rue S. Jacques .
Cet ouvrage eft depuis 22 ans entre
les mains du public , & fe réimprime chaque
année avec des changemens & des
additions qui en renouvellent l'utilité.
Les articles de chacun des trois fpectacles
font accompagnés d'anecdotes relatives.
aux piéces & aux acteurs.
Opéra. Lorfqu'on eût retiré l'opéra
d'Achille & Déidamie , qui n'avoit pas
réuffi , les Italiens en donnerent la parodie
, ce qui fit dire que les comédiens
avoient violé le droit des morts.
A la repréſentation de l'opéra d'Achille
& Polixène , on fit cette épigramme :
Lully près du trépas , Quinault fur le retour ,
Abjurent l'opéra , renoncent à l'amour ,
Preflés de la frayeur que le remords leur donne
JANVIER. 1772. 19
D'avoir gâté de jeunes coeurs
Avec des vers touchans & des fons enchanteurs:
Colafle & Campiftron ne gâteront perfonne .
Defpréaux étant à la falle de l'opéra à
Verſailles , dit à l'officier qui plaçoit les
fpectateurs : mettez moi dans un endroit
où je n'entende point les paroles ; j'eftime
fort la mufique de Lully , mais je mépri
fe les vers de Quinault. Il avoit tort.
Comédie Françoife. Avant Mademoifelle
Dumefnil on ne croyoit pas qu'il
fût permis de courir fur la fcène dans une
tragédie. On vouloit que dans toutes les
fituations & les circonstances poffibles ,
les pas de l'acteur fuffent mefurés & cadencés.
Mademoiſelle Dumefnil ofa
rompre ces entraves bifarres. On la vit
dans Mérope traverfer rapidement la
fcène , voler au fecours d'Egifte , s'écriant :
arrête , c'eft mon fils . Au paravant on ne
foupçonnoit pas qu'une mere qui voloit
au fecours de fon fils , dût rompre la mefure
de fes pas.
Quelques curieux ont eu en manufcrit
la Mérope de M. de Voltaire , réduite en
trois actes par le Roi de Pruffe , & dans
laquelle ce Monarque a ajouté quelques
ariettes pour en faire un opéra,
120 MERCURE DE FRANCE .
Voici le projet que l'on donne dans cet
almanach fur l'emplacement de la comé
die françoife , dont on va reconftruire la
falle.
Depuis que la comédie françoife a
quitté la falle du fauxbourg S. Germain ,
pour aller occuper celle des Thuileries ,
en attendant la conftruction d'une nouvelle
, plufieurs perfonnes zélées fe font
empreffées de donner différens projets &
en différens quartiers , pour cette conftruction.
Sans nous occuper à approuver ou à
défapprouver ces divers projets , nous
'croyons devoir en faire connoître un qui
nous a paru le plus commode , le plus au
centre des amateurs de ce fpectacle , & le
moins difpendieux.
Autant qu'il eft poffible , il faut qu'un
fpectacle foit placé au milieu d'une ville ,
qu'il foit cependant dans un quartier dont
les rues ne foient point occupées par des
marchands , ni que celles qui y aboutiffent
foient paffagères par de grandes
routes.
La comédie françoife ne pourroit donc
être mieux placée que dans la rue de
Seine , fauxbourg S. Germain , vis- à - vis
de la rue du Colombier, Ce quartier ,
comme
JANVIER. 1772. 127
comme on le dit ci-deffus , n'eft poins
embarraflant pour le commerce ; aucune
grande route n'y aboutit , & les débouchés
font très - commodes . L'emplace
ment eft à la portée de tous les quartiers
Lion excepte celui du Marais . Les voitu
res , pour le fauxbourg S. Germain , ont
les rues du Colombier & de Buffy ; celles
du fauxbourg S. Honoré , la rue de Seine
& le quai des Théatins ; celles du Marais ,
les rues Mazarine & Guénégand , & c .
La falle peut être conftruite dans l'efpace
de terrein occupé par un grand jeu
de paume : il n'y auroit à démolir que
trois maifons qui donnent fur la rue , dont
une eft fort grande & vieille , où eſt un
loueur de carroffes ; la façade donneroit
donc dans la rue de Seine , & le derrière
du théâtre dans la rue Mazarine , au
moyen d'une galerie ménagée lors de la
conftruction . Les gens de pied du Marais ,
ainfi que les perfonnes à équipages , pour
roient entrer par la rue Mazarine .
Il y a dans cette rue de Seine , du côté
de la rue du Colombier , une ifle , qui
forme un triangle long , qui n'eft occupé
que par trois ou quatre maifonnettes , que
l'on pourroit acheter à bon compte , &
qui , en les démoliffant , feroient une
JI. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
place en face de la falle , qui rendroit le
local agréable & commode.
Comme l'emplacement eft très- vafte
dans ce quartier , dont l'intérieur n'eft
occupé que par de grandes cours ou jeux
de paume , l'architecte auroit de quoi
conftruire , indépendamment de la falle ,
des foyers commodes , des magafins , des
cafés , & même des logemens pour les
anciens acteurs.
Hiftoire de l'Ancien & du Nouveau Teftament
, repréfentée en 586 figures avec
un difcours abrégé au bas de chaque
figure qui en explique le fujet , ouvrage
utile pour l'inftruction de la jeuneffe ,
volume in - 8° . A Paris , chez Jean-
Thomas Heriffant pere , Imprimeur
ordinaire du Roi , rue S. Jacques.
Les images font le premier livre de
ceux qui ne favent pas encore lire , & le
livre unique , je dirois prefque le livre néceffaire
de ceux qui jamais n'ont pu parvenir
à la lecture . Un enfant ou un homme
qui ne fait pas lire , communément, dès
qu'il voit un livre d'images, fe fent porté
demander ; Qu'est - ce que cela ? on le
lui, explique en écoutant l'explication ,
il regarde la figure : elle s'imprime dans
JANVIER. 1772. 123.
fon imagination ; l'explication qu'on lui
donne s'y joint ; il confervera en même
tems dans fon ame l'une & l'autre, & s'il y
revient à deux ou trois fois , & que deux
ou trois fois vous lui en répétiez l'explication
; il ne l'oubliera jamais . Un livre de
figures de la Bible eft donc un livre de la
plus grande utilité ; on pourroit même
peut être dire de ia premiere néceffité dans
les Ecoles pour l'inftruction des enfans ,
& dans les campagnes pour l'inftruction
& l'édification d'une multitude de gens
de tout âge & de tout fexe qui paffent leur
vie dans une ignorance fouvent dangereufe
faute d'avoir les fecours d'une inftruction
proportionnée à leur foible capa
cité .
Ce font ces motifs qui ont fait imaginer
ce livre dans lequel le fujet gravé précéde
toujours le morceau hiftorique qui
lui fert d'explication.
Ces figures ont été produites par le génie
& le travail de plufieurs artistes célèbres
, entr'autres de Bernard Salomon
plus connu fous le nom du petit Bernard ,
& particuliérement de Pierre & Nicolas
le Sueur , qui y ont mis la dernière main ,
& en ont eux- mêmes gravé un affez grand
nombre; enforte que, pour diftinguer cette
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Bible entre les autres on pourra l'appeler
la Bible des le Sueur.
Cette collection précieufe de planches
gravées en bois appartenoit dans l'origine
a Jacques Colombat Imprimeur , & premier
auteur du Calendrier de la Cour , 8
a paffé avec fon fonds à M. Jean - Thomas
Herillant pere , qui publie ce recueil auffi
précieux qu'utile pour l'inftruction &
l'amufement de la jeuneffe.
Obfervations fur le nouveau dictionnaire
hiftorique en 6 volumes.
Voici quelques obfervations fur la nouvelle
édition du Dictionnaire Hiftorique ; je n'ai encore
parcouru que les deux premières lettres de
l'alphabet. Je prie la fociété des gens de lettres
qui a préfidé à cet ouvrage , de lever les
doutes , & les contradictions apparentes qu'elle a
Jaiflé fubfifter dans la feconde édition de ce Dictionnaire
en 6 volumes , quoiqu'elle prétende y
avoir donné tous les foins.
Aaron , frere de Moyfe . A la première édition
de ce Dictionnaire , cet article me parut être
le même que celui de l'Abbé Ladvocat , que l'on
avoit amplifié. J'étois d'autant plus porté à le
croire , qu'il me fembloit que le jeune littérateur
chargé de rédiger cet article , avoit facrifié la chronologie
des faits pour avoir le plaifir de faire cette
jolie tranfition antithétique. Sa gloire étoit fans
tache , illaternit , &c . Je croyois donc que c'était à
JANVIER. 1772 1
Fenvie de briller dans le ftyle que l'on voyoit la
confecration d'Aaron, en qualité de grand- prêtre ,
le miracle de la verge fleurie, &c . précéder la fabri
cation du veau d'or. J'étois même tenté de donner
la préférence à l'Abbé Ladvocat , parce qu'il me
paroiffoit plus conforme à la bible. Mais quand
j'ai vu paroître la même inverfion de faits dans
la nouvelle édition de ce Dictionnaire , j'ai penfe
que la fociété avoit travaillé fur de nouveau
mémoires , qu'elle eft fuppliée de faire con
noître.
Je vois que dans les deux éditions de ce Dic
tionnaire on donne 143 ans de vie à Aaron , &
cependant on le fait naître 1574 ans avant J. C.
& mourir 1452 ans avant J. C. j'ai beau calcu
ler , je ne trouve que 22 ou 123 ans , relativement
aux différentes faifons de l'année où il a
pu naitre & mourir.
Abdiffi , patriarche de Mural , dans la Syrie
orientale. Il faut que je n'aye que de mauvaiſes
éditions du Concile de Trente & de fes hiſtoires
, car je trouve toujours , comme dans l'Abbé
Ladvocat , patriarche de Muzal , dans l'Affyrio
orientale , au-delà de l'Euphrate .
Abubekre , mort en 624 , & Mahomet , auquel
il fuccéda , n'eft mort qu'en 632 , fuivant
le même Dictionnaire .
Accius : comment , 186 ans avant J. C. font
ils la 665 année de la fondation de Rome , qui
a été fondée , fuivant ce même Dictionnaire ,
753 ans avant J. C.
Adalberon , je ne croyois pas que ce fût l'ar
Fiij
116 MERCURE DE FRANCE.
chevêque de Rheims , mais l'evêque de Laon de
même nom , qui paffoit pour l'auteur du poëme.
Adlerfeld , depuis la première édition de ce
Dictionnaire je cherche inutilement l'hiftoire de
Charles XII de cet auteur , de 1739 , 4 volumes
in-4° ; elle feroit cependant bien plus ample que
celle que je connois , & j'aurois befoin de la confulter.
Agathias , cet auteur fe dit de Myrine , la
fociété le dit de Smyrne , fans doute Agathias s'eft
trompé, & la fociété nous le fera connoître . Je
ne conçois pas non plus comment cet auteur ,
étant du cinquiéme fiécle , il a pu écrire l'hiftoire
de Juftinien , qui n'eft mort qu'en 565 ; la premicre
édition mettoit du fixiéme fiécle , je ne fçais
pourquoi on l'a changé.
Agricola , ( Rodolphe ) puifque les deux édi
tions de ce Dictionnaire indiquent une édition
de cet auteur de 1599 , 2 volumes in - 8 ° , elle
exifte ; le bibliographe de la fociété nous dira
dans quelle bibliothéque .
Akiba , meurt par l'ordre d'Adrien , l'an 175
de J. C. & le même Dictionnaire fait mourr
Adrien l'an 13 8 de J. C.
Alba Efquivel meurt en 1526 , & cependant
il a aflifté au Concile de Trente , que je croyois
avoir commencé plus tard,
Albrazi , je cherche toujours , fans pouvoir la
trouver , depuis 1766 , l'édition de Liber conformitatum
, de Bologne , 1690.
Alting , ( Jacques ) né en 1618. Ses oeuvres.
JANVIER. 1772. 127
font imprimées un an avant ſa naiſſance en 1617 , en s volumes in folio. Je ne fçaurois croire ce- pendant qu'il y ait erreur , elle auroit ſauté aux
yeux du réviseur de la premiere édition .
Androuet du Cerceau , architecte du feiziéme
fiécle , fe retire en pays étranger , à caufe de la
révocation de l'Edit de Nantes. Je ne fçavois
pas qu'il avoit été révoqué fi-tôt.
Ange de Sainte - Rofalie , auteur d'un état de
la France , réimprimé en 8 volumes in- 12 ; je
perds mon tems à la chercher depuis la premiere
édition de ce Dictionnaire.
Anfelme Mantuan , évêque de Lucques en
1161 & mort en 1186. Comment a -t-il des dés
mêlés pour l'inveftiture de fon évéché avec l'Empereur
, Henri IV , & avec Grégoire VII , qui
étoient morts long - tems auparavant , fuivant le
même Dictionnaire .
Anfelme , ( Antoine ) fes fermons , panégyriques
, oraifons funèbres , en 6 volumes in - 8° ;
je croyois en avoir vu 7 .
Antoine , Roi titulaire de Portugal , fils de
Louis II ; je cherche par - tout des Rois de Portu
gal nommés Louis , & je n'en trouve pas même
dans la chronologie de ces Rois , qui eſt à la tête
de ce Dictionnaire .
Argus , la déeffe le changea en paon ; Ovide
dit qu'elle attacha fes yeux fur la queue du paon ;
mais les auteurs du Dictionnaire nous feront
connoître une meilleure fource , d'où ils ont tiré
cese fait , ainfi que l'Abbé Ladvocat , que j'avois
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
taxé mal- à-propos d'avoir fait une faute en cet
endroit.
Avenzoar, médecin du douziéme ficcle , con
temporam d'Avicenne , & le même Dictionnaire
fait mourir Avicenne l'an 1036 ; dans les deux
éditions que j'en ai , s'il y a faute , l'Abbé Ladvocat
l'auroit faite auffi , mais le chronologiſte
de la fociété ne l'a sûrement pas copié ; il nous
applanira la difficulté .
Auguftin , ( Antoine ) je cherche inutilement
l'édition de Emendatione Gratiani , donnée par
Balufe , in-4°.
Bacon , (François ) page 288 , feconde colonne ,
lorfque le Marquis d'Effiat accompagna en Angleterre
la fille de Henri le Grand, époufe deJacques L.
Je ne connois pas cette fille de Henri le Grand ,
elle auroit été bien jeune pour Jacques I.
Ballon , le Pape Urbain VIII accorde en 1528
une Bulle pour la réforme des Bernardines , que
la mere de Ballon , née en 1591 , avoit entrepriſe.
Bana , fi ce n'eft pas Mathieu , mais Jean ,
qui eft auteur des nouvelles , comment Mathieu
publia-t-il fes nouvelles galantes dans Agen ,
dont il étoit évêque ?
Ses nouvelles , dont la premiere & feconde partiefurent
imprimées à Lucques , 1554, 3 volumes
in- 4° ; il me fembloit que chaque partie ne faifoit
qu'un volume ; la troifiéme à Chilan , 1560 ,
in- 8° ; je n'avois pas entendu dire qu'à l'édition
de 1554 on y joignoit une troifiéme partie d'une
autre édition ; je ne connois pas non plus la ville
de Chilan ; aucun géographe ni bibliographe
'en fait mention .
JANVIER. 1772 129
A propos de géographie , j'ai eu occafion de
chercher quelque chofe dans l'article Pythéas ,
où j'ai lu cette phrafe : Pythéas parcourut toutes
les côtes de l'Océan , depuis Cadix jufqu'à l'embouchure
du Tanais ; il obferva qu'à mesure qu'il
avançoit vers le Pole Arctique , & c. J'avois déjà
lu cette phrafe dans l'Abbé Ladvocat , & je n'a
vois pas hésité à la taxer de faute. Quand je l'ai
vue portée dans la premiere édition de ce Dictionnaire
, j'ai fufpendu mon jugement , parce
que , difois-je , une fociété de gens de lettres ne
copieroit pas une pareille bévue , fi c'en étoit
une. Mais lorsque je revois cetre méme phraſe
dans la nouvelle édition de ce Dictionnaire , je
refte perfuadé que la bévue étoit de mon côté.
J'ai cherché , dans le Recueil de l'Académie des
Infcriptions & Belles- Lettres , quelques mémoires
fur la route que tenoient les anciens , pour
fe rendre, en remontant l'Océan par le Nord ,
de Cadix à l'embouchure du Tanaïs , & je n'en
ai pas trouvé. Le géographe de la fociété nous
le fera connoître.
Bartholin , ( Gafpard ) meurt en 1919 & for
fils en 1660 , voilà un cent-trentenaire inconnu .
Beverland , dejure foluta virginitatis , j'ai vu
un exemplaire de ce livre où il y a de ftolata virginitatis
jure, mais ftolata virginitas & foluta
virginitas , font peut-être la même choſe ; autrement
, le littérateur de la fociété ne l'auroit
pas laiffé paffer dans deux éditions différentes.
Boecler , ( Jean-Henri ) naquit dans la Franconie
en 1611 , & mourut en 1626. A la première
édition de ce Dictionnaire , j'avois été
étonné de voir un homme mort en 1626 , rece
Fv
130 MERCURE DE FRANCE:
voir des penfions de Louis XIV & de la Reine-
Mere , mais il faut bien que cela foit , puifque
je l'ai retrouvé de même dans la feconde édision
.
Bruni , de plufieurs académies d'Italie , mort
en 1536 ; je croyois ces académies bien plus modernes.
Bukingham , ( George de Villiers , Duc de )
naquit en 1962. En 1625 , ayant vainement tenté
d'inspirer de l'amour à Anne d'Autriche , il fit déclarer
la guerre , &c. Un amant du 63 ans auroit
pû ne pas réuffir auprès d'une jeune Princeffe
moins fière qu'Anne d'Autriche. J'aurois voulu
que les auteurs de ce Dictionnaire euffent fait
remarquer la folie de cet homme à fon âge.
Quand la fociété aura rendu publics fes éclairciffemens
fur ces articles , je vous ferai paffer mes
autres obfervations fur les mêmes lettres , &
confécutivement fur les autres , mais je demande
que ces éclairciffemens ne fe réduifent pas à un
fimple aveu qu'il y a des fautes , car j'en concluerois
qu'aucun membre de cette fociété n'eft
verfé dans l'arithmétique , dans la chronologie ,
dans la bibliographie , dans l'hiſtoire , dans la
géographie , ni même dans la littérature . Je n'y
verrois que des rhétoriciens , qui , fur un article
donné , font une amplification , fans avoir égard
au raifonnement , à l'ordre , ni à la date des faits ;
& en ce cas , je renonce à faire l'errata de cette
collection hiftorique ; e m'en tiendrai à l'Abbé
Ladvocat , qui n'a que fes fautes , au lieu que
dans le nouveau Dictionnaire je trouverois les
fiennes & d'autres encore plus choquantes.
JANVIER . 1772. 131
ACADÉMIE S.
I.
Académie Françoife.
L'ACADEMIE
Françoiſe a tenu le 9 de
Janvier une féance publique pour la réception
de M. du Belloy , connu par fes
fuccès du Siége de Calais , de Bayard , &
d'autres tragédies
dans le genre national
& patriotique
. Le nouvel Académicien
a
prononcé
le difcours d'ufage dans lequel
il a témoigné
fa reconnoillance
, & fait
l'éloge de fon prédéceffeur
& des fondateur
& protecteurs
de l'académie
. Il a intéreffé
par le fimple récit des vertus civiles
& des qualités militaires
de S. A. S.
Mgr le Comte de Clermont
, Prince du
-Sang , qui s'eft diftingué dans la guerre ,
& que le Maréchal
de Saxe avouoit pout
fon élève . Ce Prince cultivoit les lettres &
les gens de lettres , parmi lefquels il ai
moit à fe compter. Il fecouroit
l'humanité
fouffrante
. Il avoit acheté autour de
fon palais plufieurs maiſons , où des familles
malheureuſes
trouvoient
non-feu .
F vj
132 MERCURE DE FRANCE :
lement les befoins de la vie , mais même
l'aifance ; & comme il rougiffoit en queique
forte de paroître donner , le citoyen
infortuné ne rougiffoit pas de recevoir.
M. du Belloy a rapproché les traits de
bienfaifance , les fervices rendus au
courage & au mérite du foldat , & les
établi femens utiles de notre Monarque
Bien-Aimé.
M. l'Abbé le Batteux , en l'abfence de
M. le Maréchal de Saxe , que le fort avoit
élu directeur , a répondu au nouvel Académicien.
Il a remarqué , comme un
événement unique dans les faftes littëraires
, qu'un Prince du Sang Royal eûṛ
été précédé & remplacé par un homme
de lettres .
M. d'Alembert a fini la féance par la'
lecture d'une Epître en très - beaux vers ,
de M. Saurin , fur l'Amour de la vérité.
Nous parlerons plus particulièrement
de ces éloges quand ils feront imprimés..
JANVIE R. 1772. 133
I I.
ANNONCE d'un prix propofépar la Fàculté
de Médecine de Paris.
M. Cuvilliers de Champoyaux , médecin
, originaire de Mefle en Poitou ,
ayant legué à la faculté de medecine de
Paris une fomme pour la fondation d'un
prix , la compagnie s'eft chargée volontiers
de remplir les intentions de ce citoyen
zélé : elle a vu dans cet établiffement
un nouveau motif d'émulation ,
propre à favorifer les progrès de l'art im
portant dont elle s'occupe . En conféquence
, il a été arrêté , par un décret du mercredi
4 Décembre 1771 , que la faculté
diftribueroit tous les deux ans un prix de
200 livres , dont la valeur feroit remiſe à
l'auteur du mémoire couronné , en eſpèces
, ou en une bourfe de 100 jettons
d'argent , portant l'empreinte du doyen
lors en charge.
Dans le choix des matières qu'on donnera
à traiter , la faculté préférera toujours
celles qui feront véritablement utiles
, à celles qui pourroient plutôt faire
briller les talens , que procurer des découvertes
intéreffantes : elle propofe pour
134 MERCURE DE FRANCE.
fujet du prix qui fera diftribué dans le
courant du mois d'Août de l'année 1772 ,
la queſtion fuivante.
SCAVOIR ,
S'il eft poffible de prévoir les maladies épidémiques,
& quels feroient les moyens
de les prévenir , ou d'en arrêter les
progrès.
Toutes perfonnes , tant étrangères que
régnicoles , feront admifes à concourir ,
à l'exception des docteurs de la faculté de
médecine de Paris , & même des bacheliers
de ladite faculté , en obfervant les
conditions fuivantes.
1º. Les mémoires pourront être écrits
en françois ou en latin ; ils feront envoyés
avant le 8 Juillet de l'année 1772 ,
paflé lequel tems , ils ne feront plus admis
on les adreffera à M. le Doyen de
la faculté , francs de port , ou ils lui feront
remis par une perfonne tierce.
2º. Les auteurs éviteront de fe faire
connoître , & pour cela , ils auront foin
de ne point fe nommer ; ils écriront la
devife , qu'ils mettront à la tête de leur
ouvrage , leurs noms & furnoms , leurs
qualités , & leur adreffe préciſe fur une
JANVIER. 1772 135
feuille féparée , qui fera pliée , cachetée ,
& qu'ils joindront au mémoire .
De tous les cachets , on ne levera que
ceux des deux ouvrages qui auront remporté
le prix & l'acceffit , les autres ſeront
brûlés , à moins que la faculté n'ait
une permiflion expreffe des auteurs d'en
ufer autrement.
Pour éviter les méprifes , M. le Doyen
ne remettra le prix qu'à l'auteur même
du mémoire couronné , ou à quelqu'un
chargé par lui d'une procuration en forme
, & le fera repréfenter une double copie
de l'ouvrage.
La proclamation du prix fe fera le jour
de l'acte folemnel, nommé les paranymphes
, qui fe célèbre publiquement tous
les deux ans dans les écoles de la faculté
, après lequel on rendra compte des
différens mémoires qui auront été préfentés
, & particuliérement de celui qui
aura mérité le prix .
I I I.
Séance publique de l'Académie des Sciences
, Arts & Belles Lettres de Dijon ,
tenue le 18 Août 1771 .
M. Maret , fecrétaire perpétuel , a
annoncé , en ouvrant la féance , que l'A136
MERCURE DE FRANCE.
cadémie ne diftribueroit point de prix
cette année .
Elle avoit proposé un problême phyfico
chymique ; il s'agiffoit de détermi
ner l'action des acides fur les hailes , le
méchanifme de leur combinaifon & la
nature des différens compofés favoneux
qui en résultent.
L'Académie avoit invité les auteurs à
indiquer , dans les trois règnes , les productions
naturelles les plus fimples qui
participent de l'état favoneux acide , à
effayer en ce genre de nouvelles compofitions
, à expliquer leurs propriétés générales
& leurs caractères particuliers , &
à ne préfenter de théorie qu'appuyée de
l'obfervation & de l'expérience.
C'étoit interdire toutes les fpéculations.
vagues , reftreindre les recherches à ce qui
concernoit les favons acides , mais ouvrir
en même tems une belle & vafte carrière
à ceux que l'amour de la gloire & la fatisfaction
précieufe d'être utile auroient
décidés à y entrer .
Mais , a dit M. Maret , peu de perfonnes
ont effayé de parcouric cette carrière ,
& un feul s'y eft montré avec avantage .
La differtation porte peur épigraphe
cette fentence de Cicéron , Non nobis nati
JANVIE R. 1772 137
Jumus , fed patria & amicis. Elle forme
un très bon ouvrage fur les favons en général
. Mais en prenant pour objet de fon
travail toutes les fubftances favoneules ,
qu'il diftribue en cinq claffes , l'auteur n'a
donné aux favons acides qu'une très- petite
partie de fon attention ; & a traité cet
objet fi fuperficiellement , que les vues de
l'Académie ne font abfolument point
remplies.
Ce jugement ne paroîtra pas trop févère
à l'auteur, puifqu'il l'a porté lui - même fur
fon ouvrage ; puifqu'après avoir reconnu
que le fujet propofé étoit des plus intére lfans
& pouvoit faire la matière d'un traité
très curieux & encore plus utile , il s'eft
écrié : heureux qui pourra avoir le tems
de défricher un auffi vafte champ ! Perfon
ne n'eft plus en état que lui de rendre ce
fervice à la fociété.
L'enfemble de là differtation dont on
parle
annonce
un efprit
méthodique
; &
l'on voit , par les détails
de l'exécution
, l'auteur
est très- verfé
dans la chymie
,
que
très-éclairé
en phyfique
& très-inftruit
des
procédés
de différens
arts.
Le defir d'avoir , fur les favons acides,
un ouvrage fatisfaisant engage l'Acadé138
MERCURE DE FRANCE.
mie à propofer le même fujet pour le prix
de
1774.
Ce prix confiftera en deux médailles
d'or , chacune de la valeur de 300 liv.
En reculant ainfi le moment de la dif
tribution on donne le tems de faire les
expériences néceffaires .
Le fçavant qui a regretté de n'avoir pu
traiter d'une manière convenable cet important
fujet , mettra probablement à profit
un intervalle auffi confidérable. L'Académie
le verra rentrer en lice avec d'au
tant plus de plaifir qu'elle lui a refufé la
couronne avec peine .
M. Maret a lu enfuite l'éloge de M. Jofeph
Durey , marquis du Terrail , lieutenant
général du Verdunois , maréchal des
camps & armées du Roi & académicien
honoraire non réſident , né à Paris le 11
Octobre 1711 , & mort le 13 Juin 1770.
Une probité peu commune avoit concilié
l'eftime des miniftres & des plus
grands feigneurs de la cour , au père de
M. du Terrail , tréforier de l'extraordinaire
des guerres & commandeur honoraire
de l'Ordre militaire de St Louis.
Sa mère , fille de Jean d'Efteing , baron
de Saillant & de Claude Combourcier ,
Dame du Terrail , lui avoit tranſmis pac
JANVIER . 1772 139
l'effet d'une fubftitution le nom & les armes
des du Terrail.
M. Maret fait obferver que ces heureuſes
circonstances influèrent beaucoup
fur les fentimens dont M. du Terrail fut
animé , & que l'honneur d'appartenir à
l'illuftre chevalier Bayard & d'en porter
le nom l'enflamma du plus ardent patriotiſme.
Bayard y voit telle étoit , remarque
M. M. , la devife dont M. du Terrail
avoit décoré fes armes , & jamais il ne
ceffa de fe croire honoré des regards d'un
auffi grand homme .
Un précis hiftorique de la vie de cer
académicien fert de preuve à cette aflertion.
M. M. le fuit dans les différentes
campagnes qu'il fit en qualité de capitaine
dans le régiment Royal cavalerie , de
cornette de la feconde compagnie des
Mousquetaires , de colonel des dragons
de la Reine & de brigadier des armées du
Roi.
Il rappele que ce militaire intrépide
contribua au gain de la bataille de Coni
dans laquelle il commandoit les dragons ;
que fa conduite en cette célèbre journée
lui mérita les éloges de l'Infant Dom
Philippe & du Prince de Conti & le grade
140 MERCURE DE FRANCE.
de maréchal des camps & armées du Roi,
auquel il fut élevé peu de tems après.
Une maladie , qui l'a conduit au tombeau
après l'avoir fait fouffrir cruellement
pendant un grand nombre d'années ,
le força à quitter le fervice ; mais il avoit
trop de patriotifme pour renoncer au defir
de fe rendre utile à la patrie . Il s'étoit
étudié à connoître les intérêts des Princes,
& M. le Cardinal de Fleuri , qui avoit eu
des preuves de fes talens politiques , l'avoit
choisi pour l'envoyer en qualité d'am
balladeur à la cour de l'Infant Duc de Parme.
Sa mauvaife fanté ne lui permit pas
de répondre à l'honneur qu'on lui faifoit ;
il fe vit obligé de mener une vie pri
Née.
Plufieurs ouvrages de divers genres
remplirent les momens que lui laillèrent
fes maux ; on a de lui des pièces de théâ
tre , des romans & quelques mémoires fur
différens fujets .
Son zèle patut avec éclat dans l'expofition
des moyens qu'il avoit imaginés pour
l'illuftration de la nobleffe , & l'on pourroit
regretter que les galeries patriotiques
dont il avoit conçu l'idée n'aient pas pu
être exécutées .
Protéger les artiftes & les gens de let
JANVIER. 1772. 141
tres , favorifer leurs progrès par fa générofité
, verfer dans le fein des pauvres les
aumônes les plus abondantes & donner à
tous les parens les preuves les moins équivoques
de fa tendreffe pour eux fut conftamment
l'objet des attentions de M. du
Terrail.
Sa bienfaifance & fon amour pour les
fciences & les lettres fe manifeftèrent par
la fondation du prix que l'Académie dif
tribue chaque année. Par un effet de la
modeftie la plus rare , il renonça en quel
que forte à la gloire que répand fur lui
ce bienfait , & confentit que la médaille
continuât à porter l'empreinte du nom &
des armes de M. Poufier , fondateur de
l'Académie.
M. Maret termine le recit de toutes
les belles actions de M. du Terrail
par
l'expofition de fes vertus fociales , & fait
voir qu'aux qualités diftinguées qui rendent
un homme précieux à l'Etat , cet
académicien réuniffoit celles qui font eftimer
, refpecter & chérir les particuliers.
Cette lecture a été fuivie de celle d'un
mémoire fur un peuple nain de l'Afrique
, par M. Debroffes , préfident à mor
çier au parlement de çette province ,
142 MERCURE DE FRANCE.
On a mis au rang des fables ce que les
Anciens ont debité au fujet des Pigmées,
mais il ne faut pas toujours nier les faits
parce que des circonftances fabuleufes en
accompagnent le recit . M. de Broffe , qui
fait cette remarque dans le début de fon
mémoire , en fournit la preuve en conciliant
ce que les Anciens ont dit des Pigmées
avec la rélation contenue dans une
lettre que M. Comerfon , botaniste , envoyé
aux Indes par le gouvernement , lui
a écrite de Madagascar.
Ce naturaliſte a vu , fur la fin de l'année
dernière, au Fort Dauphin , chez M. le
Comte de Modave , gouverneur de l'établiffement
que nous avons au Sud de cette
ifle, une femme Quimoffe ( c'est le nom
que les naturels du pays donnent au peuple
nain qui habite les montagnes fituées
au centre de l'ifle. ) On donnera feulement
la defcription de cette femme qui
fuffira pour faire connoître cette espèce
extraordinaire ; elle avoit été enlevée fort
jeune fur les confins de fon pays , & paroiffoit
âgée d'environ trente ans. Elle
étoit haute de 3 pieds 7 à 8 pouces . Sa
couleur étoit du noir le plus clair que M.
Commerfon eût vu parmi les Négres . Ses
membres étoient gros & lui donnoient
JANVIE R. 1772. 143
beaucoup de reflemblance à une femme
de proportion ordinaire de laquelle elle
ne différoit que par fa hauteur. Ses bras
étoient très- longs ; lorfqu'elle les laiffoit
tomber
perpendiculairement à fes côtés ,
la main defcendoit au- deffous du genouil.
Les mamelles étoient abfolument plates
fans aucune apparence qu'elles euffent été
plus groffes , on n'appercevoit de faillant
que le mamelon. Elle avoit les cheveux
lainés comme les Négres ; fa phyfionomie
n'étoit point défagréable & annonçoit la
bonté de fon caractère ; elle avoit plus de
rapport avec celle d'une Européenne qu'a
vec celle d'une Malgache ( nom des habirans
de Madagascar . ) Quoiqu'elle eûtles
tempes ridées , cela n'ôtoit rien à la férénité
de fon air. Son humeur étoit douce
& , à juger par fa conduite , cette femme
avoit beaucoup de bon fens.
Ce portrait , fait d'après nature , eft en
même tems à peu de chofe près celui de
tous les Quimos. Les rélations des habitans
du pays donnent à ces pigmées beaucoup
de valeur , d'industrie & d'équité.
Ils ne fortent pas de leurs
montagnes &
ne permettent à perfonne d'y pénétrer .
Leurs armes font la fagaie , efpèce de trait
qu'ils lancent on ne peut pas plus adroi144
MERCURE
DE FRANCE .
tement . Les armes à feu leur font incon
Dues.
M. Mailli a lu l'hiftoire de l'entrepriſe
que fit Jacques Verne du tems de la ligue
pour remettre la ville de Dijon en
robéiffance d'Henri IV . Cette hiftoire eft
un fragment d'un ouvrage que M. M. fe
propofe de donner au Public , & dans le
quel il raconte ce qui s'eft paflé en Bourgogne
en ces tems affreux où le fanatifme
faifoit aux François l'illufion la plus
funefte.
On a vu avec plaifir , dans ce fragment
hiftorique , que fi Dijon ne fut pas une
des premières villes de la province qui
ouvrit fes portes au Roi , c'est que le Duc
de Mayenne étant gouverneur de cette
province ; fon fils , que l'on appeloit Heni
Monfieur, faifant fa réfidence au palais
des Ducs , & les Ligueurs ayant une forte
garnifon dans le château fous le comman
dement de Francefque , Italien rufé &
cruel , il y avoit tout à craindre de fe déclarer
contr'eux . Que cependant le coeur
de la plus grande partie des habitans étoit
pour Henri IV ; que , parmi les membres
du parlement refté à Dijon , il y en avoit
beaucoup qui n'afpiroient qu'au moment
de fe foumettre à leur Roi légitime , &
travailloient
JANVIER . 1772. 145
wavailloient à le rendre maître de la
ville.
L'entrepriſe de Verne fut fans fuccès
& lui coûta la vie , ainfi qu'à plufieurs
autres fidèles royaliftes ; mais elle ne contribua
pas peu à hâter la révolution qui
peu de tems après, remit notre patrie fous
l'obéiffance d'Henri le Grand.
La féance a été terminée par un mémoire
de M. Dantick fur la fauffe éméraude
d'Auvergne.Cette pierre qui fe trouve
à Loubeyrat , terre appartenante à Mde
la Marquife de la Fayette , eft un fpath fu
fible ou vitreux. Quand on la frappe elle
fe caffe en morceaux irréguliers comme le
verre; elle peut être gratée avec un couteau
& ne fait point effervefcence avec
les acides . Elle fait feu au briquet , du
moins d'une manière très- fenfible dans
l'obscurité, & paroît une vraie cryſtallifation
. Ses cryftaux font de forme rhomboïdale
, gros , bien marqués , bien tranf
parens & d'un verd clair. Elle eft fpécifiquement
plus pefante que le quartz.
M, Dantick fait l'énumération de toutes
les qualités particulières de cette fauffe
éméraude & de fes propriétés.
.On peut , avec cette pierre , faire des
opales factices , plus dures & moins fra-
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
giles que
celles que l'on fait avec de la
craie , de la chaux éteinte , & c .
On peut , par fon mêlange avec la fritte
, avoir une belle porcelaine
de verre.
Cette pierre remplaceroit avec avantage
la foude , la cendre & la chaux dans
la compofition du verre. Si par un défaut
de mêlange des ingrédiens ou par la faute
des ouvriers le verre grailfoit , elle feroit
capable de diffiper cette graiffe.
On pourroit encore en tirer un grand
parti dans les manufactures de porcelaine ,
de fayance & même de brique tant pour
la pâte que pour la couverte .
M. D. fe propofe de multiplier les
expériences pour connoître plus fûrement
tous les avantages qu'on peut tirer de ce
minéral .
I V.
De Besançon.
Le 21 Décembre 1771 , l'Académie des
Sciences , Belles Lettres & Arts de Befançon
tint fa féance publique de la rentrée ,
que diverfes circonstances avoient retardée.
M. le Cardinal de Choifeul , le Maréchal
Duc de Lorges , M. Chifflet , Pre-
ม
JANVIER . 1772. 147
mier Préfident , & M. Delacoré , Intendant
de la Province , y affifterent.
M. l'Abbé de Soraife , Vice- Préfident ;
fit l'ouverture par des obfervations fenfées
& ingénieufes fur la décadence du goût ;
il en montra les progrès dans plufieurs
ouvrages récens : il en rechercha enfuite
le principe & la cauſe.
M. Philipou , Avocat du Roi au Bureau
des Finances , fit part du projet d'un ouvrage
, qui pourroit avoir pour titre : La
Philofophie du Peuple , & qui rouleroit
fur l'explication hiftorique & morale des
proverbes. Il en développa quelques - uns
fur le plan qu'il avoit annoncé , & endit
trés intéreffant une matière qui a roît
d'abord peu fufceptible d'intérêt . Le développement
qu'il fit de ce proverbe :
Bonne renommée vaut mieux que ceinture
dorée , fat goûté & applaudi , & plus encore
la fiction agréable par laquelle il
établit la fupériorité de la vertu fur les
graces & les talens .
M. Ethis , Commiflaire provincial des
guerres , annonça un Recueil des mêmes
vies qu'a écrits Plutarque ; mais traitées
& travaillées fur un plan nouveau . Le
defir de former le coeur de fon fils , autant
que l'envie d'en étendre les connoidances,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
l'a porté à dégager l'hiftoire des hommes
que l'orateur de Chéronée a célébrés , de
cet amas de fables & de détails minutieux
ou peu vraisemblables qui révoltent les
gens fenfés ; il faifit le vrai de chaque
fait , réduit le merveilleux à fa juſte valeur
, & fait fortir destraits de vertus qu'il
préfente , ces moralités fans lesquelles
T'hiftoire feroit au- deffous du roman. La
vie de Théfée fut celle dont il fit lecture .
Les expéditions de ce Héros contre les
Brigands qui ravageoient l'Altique , fournit
à l'hiftorien l'occafion précieufe de
relever le fervice des Maréchauffées ,
trop mal apprécié parmi nous. La réfor
mela légiflation dans Athènes , amena
d'autres reflexions intéreffantes , fur tout
pour ce moment. 11 ôta à la fable du Minotaure
ce qu'elle a d'incroyable ; & au
lieu de faire de Théfée un demi dieu , il
fe contenta de le préfenter comme un
grand homme , qui fut le bienfaiteur de
fes femblables ; ce qui doit fervir de modele
aux Souverains , jaloux des fuffrages
de la postérité. En rendant juftice aux talens
de M. Ethis , chacun convint que
cette façon de prefenter les Vies de Piutarque
étoit également philofophique &
agréable , & que ce feroit faire au Public
JANVIE R. 1772. 149
un préfent bien précieux que de lui donner
promptement la collection que M. Ethis
a préparée. Le travail qu'il a fait pour
l'éducation de fon fils , ne peut qu'enrichir
notre littérature , & fe faire rechercher
de tous les pères de famille qui voudront
remplir l'étendue de ce titre.
La féance fut terminée par l'éloge de
Maillon que lut M. l'Abbé Talbert , cha
noine de la Métropole , & prédicateur de
S. M. Il étoit d'autant plus capable d'apprécier
ce célébre Orateur , qu'il le fuit de
près dans la carrière de la chaire . Des
anecdotes qu'il avoit reçues depuis peu
de M. Morin , ancien Vicaire général
de l'Evêque de Clermont , le déterminérent
à entreprendre cet éloge . On applau- રે
dit beaucoup au tableau rapide & fini des
Orateurs chrétiens qui avoient devancés
Maffillon . Ce morceau décéloit un grand
maître. Lepetit Carême fut caractérisé par
ces traits fi vrais. « Qui pourroit n'y pas
» admirer avec quelle folidité , quelle
»force il fait inftruire un Roi ; avec
quelle fimplicité il fait inftruire un en-
» fant rien n'y paroît au -deffus de fon
» âge , ni au- deffous de fa dignité . C'eſt
» en même-tems le code des Courtfans
» & des Souverains ; c'eft l'art de regner
"
& iij
150 MERCURE DE FRANCE.
"
fur les peuples , & fur foi même » . Les
anecdotes & les détails de la vie privée
ou épifcopale de Maffillon , firent le plus
grand plaifir. Elles joignoient au mérite
de la nouveauté celui d'être écrites avec
autant d'efprit que de goût.
V.
Difcours fur la néceffité & les moyens de
Supprimer les peines capitales , lu dans
la féance publique tenue par l'Académie
des fciences , belles lettres & arts de
Befançon , le 15 Décembre 1770 .
-
Les Compagnies Littéraires , qui fembloient
n'être formées que pour fixer la langue & pour
donner des leçons de bon goût , ont étendu leurs
travaux fur des objets plus intéreflans pour l'humanité
, & digaes en même tems de l'homme de
lettres & du citoyen. Parmi les fujets qui ont été
traités en ce genre , celui du difcours que nous
annonçons eft fans contredit un des plus beaux
Le motif & la manière font également honneur
à l'Académicien qui l'a compofé . L'Auteur an
nonce & prouve non - feulement que la rigueur des
peines ne diminue pas le nombre des crimes ,
mais encore que l'impoffibilité de réparer le mal
que l'on peut faire , en faifant fubir la mort à
des innocens , devroit feul faire abolir les peines
capitales ,
Que lert aux manes de Calas l'honneur
JANVIER . 15x 1772 .
qu'un Prince humain & jufte a reftitué folemnellement
à fa mémoire ? Que lui fervent les
pleurs dont l'Europe a baigné la tombe , &
les libéralités qui font allées chercher &
confoler fa veuve & fes enfans : Effet cruel
& néceflaire des peines capitales ! Quand une
» fois elles ont frappé l'innocent , toutes les
réparations poflibles ne fauroient en ranimer la
» cendre.
20
Autre vice de ces fortes de peines : elles ne
s'appefantiflent que fur le peuple. Le mortel que
la fortune couvre de fon aile leur échappe pref
» que toujours. Ce font ces toiles d'araignées
dont parle Anacharfis ; le moucheron s'y
prend , l'hirondelle les déchire .
»ADieu ne plaife que j'accufe les difpenfateurs
» de la juftice criminelle ? Je crois volontiers
qu'ils font incorruptibles comme la loi , & que
les flots des paffions ne s'élèvent pas jusqu'à
eux ; mais eft- ce d'eux que dépend l'exercice
de leur ministère ? Que de perfonnes il leur faur
» pour être informés du crime , s'aflurer du cou-
» pable », &c.
Il fait enfuite le parallèle du tems où , chez
la même nation , les Chefs de la Juftice font ef
cortés de bourreaux , & de celui où , en aboliffant
les peines capitales , ces charges de meurtrier
public & légitime feroient fupprimées . Il eft fâché
de ne voir par-tout que des tortures pour le
crime , & point de prix pour la vertu .
» Un Légiflateur éclairé prépare plus d'appâts
» pour la vertu , qu'il ne drefle d'épouventails
» pour le vice. La crainte du châtiment ne peut
qu'éloigner du mal : l'efpoir de la récompenfe
30
Giv
52 MERCURE DE FRANCE.
» mène au bien ; il créeroit une ame à celui qui
n'en a pas. Combien à la vue des couronnes
→ obfidionales & civiques ne s'exalta pas le courage
des aventuriers raflemblés par Romulus ?
Quelques feuilles de chêne & des brins d'herbes
firent ces Héros ; les châtimens n'euflent
. formé que des efclaves » .
30
Ce n'eft pas tout que de démontrer qu'un
moyen eft vicieux ; il faut encore y ſuppléer par
un autre meilleur : c'eft auffi ce que fait l'Auteur,
En abolifant les peines capitales , il en indique
d'autres non moins onéreules , plus efficaces &
plus capables de dédommager la fociété du tort
que le criminel a pu lui faire , & il dit :
30
» Si élevé tout-à- coup à la noble fonction de
Légiflateur , & ne pouvant rappeler le bon
ordre ni par l'attrait bien puiflant des récompenfes
, ni par l'attrais plus puiflant encore des
bonnes moeurs , il me falloit abfolument compofer
un code pénal , je commencerois par
အ defcendre bien avant dans le coeur humain . Là
»je chercherois à démêler parmi les refforts de
fon organifation quels font ceux qui impri-
»ment à lon ame plus d'énergie & d'activité ; &
» dès qu'une fois j'aurois pu les découvrir , j'y
attacherois comme à un point fixe le premier
anneau de mes loix. Ou je me trompe fort , ou
la crainte de l'opprobre eft ce point que je cher
che. En effet jobferve que la louange nous
flatte moins que le mépris ne nous blefle ; que
» beaucoup d'hommes voient , fans être ébranlés ,
» s'écrouler autour d'eux l'édifice de leur fortune;
» qu'un grand nombre envifage le tombeau fans
» émotion , qu'on regarde même des fers fans
pâlir, pourvu que ce ne foit pas l'infamic qui
"
1
JANVIER. 1772. 153
les préfente. Mais quel mortel tient devant la
honte & l'avilifiement ? »
En effet , fi , au lieu de pendre ceux qui , fe
lon nos loix , méritent de l'être , on leur appliquoit
, non fur l'épaule qu'on ne voit pas , mais
fur le vifage , une marque ineffaçable d'ignominie
, qu'auroit- on à craindre d'eux davantage ?
Chacun , en les voyant , auroit grand foin de
s'en méfier . Fænum habet in cornu , le diroit- on
longè fuge. De plus on fauveroit leur postérité ,
& ils payeroient par le travail qu'on pourroit
exiger d'eux , l'existence qu'on leur laifferoit. A
l'égard des fcélérats les plus déterminés , l'Auteur
voudroit non-feulement que des chaînes éternelles
répondiffent de leurs perfonnes , mais encore
qu'ils fuflent employés à foulager les labou
reurs dans leurs corvées , à travailler aux grands
chemins ou à tout autre ouvrage public. Ce feroit,
pour ainsi dire , une amende journalière qu'ils
payeroient à l'humanité.
SPECTACLES.
CONCERT
IL y a
SPIRITUEL.
y a eu concert aux Tuileries la veille
& le jour de Noël . Les nouveantés ont
été dans celui du 24 décembre un moter
à voix feule de M. l'Ecuyer , ordinaire de
l'académie royale de mufique , chanté par
M. Warin. M. Beere , ordinaire de la
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
mufique de S. A. S. Mgr le Duc d'Or
léans , a exécuté un concerto de clarinettes
de la compofition de M. Stamitz fils .
Mlle Dubois , âgée de treize ans & demi
, élève de la Demoifelle de ce nom ,
de la mufique du Roi , a chanté Coronate,
motet à voix feule de M. le Févre , & le
Public a été auffi étonné que fatisfait du
talent & du goût précoces de cette jeune
Muficienne , tant pour l'étendue de fa
voix dans un âge fi peu avancé , que pour
les cadences qu'elle a des plus brillantes .
On a auffi beaucoup applaudi M. le Duc
le jeune , très jeune Virtuofe , qui a exécuté
avec fupériorité un beau concerto
de M. le Duc l'aîné.
OPERA.
L'ACADEMIE royale de mufique continue
les repréſentations d'Amadis , qu'elle
doit bien-tôt remplacer par Caftor & Pol
lux, dont les paroles font de M. Bernard,
& la mufique de Rameau.
JANVIER. 1772 155
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES comédiens françois ont donné lun
di 23 Décembre , la première repréfen
tation de la Mere Jaloufe , comédie en
trois actes & en vers . L'auteur eft M. Barthe
, connu par plufieurs piéces de vers
très -agréables , & par la charmante comédie
des Fauffes Infidélités. Ce nouvel
ouvrage ne peut qu'ajouter beaucoup à fa
réputation , par le mérite fingulier du
ftyle , par la vivacité , la fineffe & la vérité
du dialogue , par plufieurs fcènes trèsbien
faites & qui ont eu le plus grand fuccès
, fur-tout par un des caractères qui a
généralement paru original & piquant ,
& qui ne dépareroit aucune des bonnes
comédies que nous ayons au théâtre. On
doit encore fçavoir gré à M. Barthe d'avoir
donné une pièce dans le vrai genfe
de la comédie , genre trop négligé pár
ceux même qui auroient le plus de talent
pour y réuffir . Le public , quelquefois
fi indulgent , & quelquefois fi févère
, eft trop éclairé , fans doute , pour
vouloir lui-même confpirer contre fon
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
plaifir. Malgré les critiques que cette
piéce a effuyées ( à la première repréfentation
fur-tout ) elle a eu le plus grand
fuccès d'eftime pour l'auteur ; fon fuccès
doit tous les jours augmenter au théâtre ;
& l'on ne peut douter qu'il ne foit trèsgrand
à la lecture . Dès qu'elle paroîtra ,
nous nous hâterons d'en donner l'extrait.
Nous tâcherons de la juger avec cette
impartialité qu'on doit au public & à foimême
, & fur tout avec les égards dus
à des talens qui s'annoncent d'une mamière
fi diftinguée dans un genre auffi
difficile.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont remis fur
leur théâtre les Deux Avares , comédie
en deux actes de M. de Falbaire , muſique
de M. Grétti .
JANVIER. 1772. 197
ARTS.
PHYSIQUE.
EXTRAIT du mémoire lû à l'Académie
royale des Sciences , fur le Météore du
17 Juillet.
UNN Philofophe ancien difoit , qu'on devroit
étudier la Phyfique , quand ce ne feroit que
pour nous délivrer des vaines terreurs , que nous
infpirent certains météores : il avoit raison ; fans
cela , nous fommes continuellement exposés à
être furpris & allarmés par des phénomènes ,
qui font cependant auffi anciens que le monde.
Un globe de feu paffe au-deffus de Paris , il
étonne les uns , il épouvante les autres ; toute
la ville en raiſonne . On débite , & même parmi
cette partie de la nation , qui n'eft point peuple,
cent chofes extraordinaires fur la caufe de ce
météore. On ouvre les annales de la Phyfique ,
& la furpriſe difparoît ; on apprend que ce
phénomène , qui'a étonné tant de monde, a été
obfervé dans tous les tems.
Tout ce qui peut nous éclairer fur ces objets ,
étant très- important ; nous voudrions bien donner
à nos lecteurs un détail fuffifamment étendu
du mémoire que M. le Roi a lu fur ce météore , à
la rentrée de l'Académie des Sciences , & que
158 MERCURE DE FRANCE .
nous avons annoncé dans le Mercure de Décem
bre ; mais bornés malheureufement par l'abondance
des matières , nous ne pouvons en parler
que d'une manière fort abrégée . Quoiqu'il en
foit , nous allons tâcher de faire connoître , ce
qu'il renferme de plus intéreffant.
Les grands phénomènes de la nature n'échappent
pas , même aux peuples les plus fauvages ,
& les moins occupés des merveilles de cet Univers
cette vérité eft confignée dans l'hiftoire
des temps. Les Anciens ont connu le globe de
feu. Ariftote , Seneque & Pline l'ont décrit. Nos
vieilles chroniques en parlent fouvent , mais
d'une maniere qui caractérife bien l'ignorance &
la fuperftition de ces tems - là . Comme on ne
voyoit alors dans toutes les apparences célestes ,
qui pouvoient avoir quelque chofe d'extraordinaire
, que des marques de la colère du ciel ; on
ne voyoit dans les globes de feu , que des épées
flamboyantes , des dragons volans , qui vomiffoient
des flammes, & d'autres figures non moins
épouvantables ; & ces dragons de feu volans ,
(car c'eft le nom qu'on leur donnoit le plus fauvent
) ne manquoient jamais , comme on l'imagine
bien d'annoncer la mort d'un grand , la
guerre , la famine ou la pefte.
Après cette hiftoire très - courte des globes
de feu , mais très - néceffaire , parce que nous
avons dit , M. le Roi pafle rapidement à la defcription
de celui du mois de Juillet , & comme
il est toujours important de connoître ces phénomènes
avec exactitude ; nous la mettrons ici
en entier.
JANVIER . 1772 . 159
Le dix-fept de Juillet ( de l'année derniere ,)
» vers les dix heures & demie du foir , le tems
» étant parfaitemeut ferein , à l'exception de
quelques nuages qui bordoient l'horizon du
» côté du couchant ; on vit tout d'un coup dans
» le nord- oueft , un feu femblable à une groffe
» étoile tombante , qui augmentant à mesure
» qu'il approchoit , parut bientôt fous la forme
» d'un globe , & enfuite avec une queue qu'il
» traînoit après lui. Ce globe ayant traversé
" une partie du ciel , à peu - près du nord nord-
" oueft au fud fud - eft , avec une extrême rapidi-
» té, & dans une direction très-inclinée à la terre,
fon mouvement parut fe ralentir , & fa forme
» devenir femblable à celle d'une larme batavique;
il répandit alors la plus vive lumière ,
» étant d'une blancheur éblouiffante , pareille à.
» celle du métal en fufion . Sa tête paroiffoit en-
20
vironnée de flammèches de feu , dont les unes.
» fembloient appartenir au corps du météore , &
» les autres en être détachées ; & fa queue bordée
» de rouge, étoit parfémée des couleurs de l'arc-
" en- ciel. Ce globe étant devenu comme ſtation-
" naire, parut prendre une forme encore moins allongée
, comme celle d'une poire , & avoir dans
»fon milieu des bouillonnemens , accompagnés
» d'une matière fumeufe. Alors ayant comme
épuifé tout fon mouvement , il éclata en répan-
" dant un grand nombre de parties lumineuses ,
" femblables aux brillans des feux d'artifice , ces
"brillans produifirent une fi vive lumiere & fi
éblouiffante , que la plupart des fpectateurs ne
» purent en foutenir l'éclat , & crurent l'inftanı
d'après , être au milieu des plus profondes
» ténèbres. “
59
53
160 MERCURE DE FRANCE.
1
Quand on vit ce globe traverfer notre atmolphère
, on auroit eu de la peine à fe perfuader
qu'il venoit des côtes d'Angleterre , au -deffus
defquelles il s'étoit formé ; cependant rien n'eſt
plus conftant. Il partit de cette région & dirigeant
fa courſe , au- deffus des confins de la
Picardie & de la Normandie , il palla prefqu'au
zénith de Paris , & alla éclater aux environs de
Melun .
Deux minutes après fon exploſion , ou à peu
près , on entendit un bruit extraordinaire , com
paré par les uns à un coup de tonnerre , qui
gronde au loin , & par les autres à un bâtiment
qui s'écroule , ou à une charette fort chargée
qui roule fur le pavé. Ce bruit fut fuivi d'un
fecond plus clair & plus foible ; mais qui ne fut
entendu que dans les maifons de Melun.
A peu près dans le même- tems , où on enter
lit à Paris le premier bruit , il y eut une
efpèce de commotion dans l'air qui fit trembler
les vitres & les meubles , dans les parties de la
ville fituées au fud-fud- eft , particuliérement
dans les lieux élevés , comme à l'Obfervatoire.
On a cru que c'étoit l'effet d'un tremblement
de terre ; c'est une erreur ; l'exploſion de ces
globes produit prefque toujours ces fortes de
commotions. Il y en a nombre d'exemples ;.
M. Leroi en rapporte un arrivé de nos jours.
En 1756 , un globe de cette espèce éclata audefus
de la ville d'Aix en Provence ; la commotion
fut fi forte , que la plupart des maifons
en ayant été ébranlées , les cheminées tombeJANVIER
. 1772. 161
rent de la fecouffe. Les habitans * épouvantés
attribuèrent cet effet à un tremblement de terre ;
mais dès le lendemain ils furent détrompés &
raffurés par des gens de la campagne qui avoient
vu le globe defcendre du ciel & éclater au-delfus
de la ville.
Cette violente commotion ne doit pas étonner
, vu la grandeur de ces globes. Selon cet
Académicien , celui du mois de Juillet avoit près
de soo toifes de diamètre ; il en cite plufieurs
autres encore plus confidérables.
En nous parlant d'un volume de feu fi énorme,
il femble qu'il nous annonce un nouveau
danger dont nous fommes menacés , que nous
ne connoillions pas encore , & bien plus tertible
que celui de la foudre. Quelle ville pourroit en
effet échapper à un incendie général & à une
ruine totale , fi un pareil globe tombeit au
milieu de fes murs ? Mais M. le Roi nous raffure
en nous montrant que ces globes par leur
nature & par ce qu'on a recueilli de leurs apparitions
, ne tombent jamais fur la terre en entier,
ou , comme il le dit , en corps de feu. S'ils
y defcendent , ce n'eft que par partics , ou détachées
du météore par l'explosion , ou qui
flottoient auparavant autour de lui * .
* Comme ce globe éclata vers les deux heures
du matin , les Dames d'Aix toutes effrayées
arrivèrent prefqu'en chemife au Cours , où tout
le monde fe rendoit , craignant les fuites funeftes
de ce prétendu tremblement de terre.
* Malgré tous les contes qu'on a faits lors du
162 MERCURE DE FRANCE.
L'explosion de ces globes a quelque chofe de
fingulier qui n'avoit pas encore été remarqué ,
& qui mérite cependant bien de l'être . Elle eft
prefque toujours accompagnée de deux bruits
fucceflifs , l'un très - fort & l'autre plus foible ,
comme nous l'avons dit en parlant des deux
bruits qu'on entendit dans les environs de Melun.
La caufe en eft bien fimple , comme le fait
voir M. Leroi . Lorfque ces globes éclatent , il
y a prefque toujours deux explofions , l'une du
globe entier , l'autre des parties ( réfultantes de
la premiere explofion ) qui éclatent à leur tour :
ces deux explosions fucceffives doivent donc
cauſer néceſlairement les deux bruits de différentes
forces qu'on entend après.
On a de la peine à s'accoutumer au volume
prodigieux de ces météores ; la rapidité de leur
mouvement n'eft pas moins extraordinaire. Ce
lui de Juillet fe mouvoit avec une telle vitefle ,
qu'il parcouroit plus de 6 lieues par feconde ,
ayant décrit en moins de 10 fecondes un arc
dans le ciel de plus de 60 lieues ; c'est- à - dire ,
météore de Juillet de perfonnes brûlées à Paris
& à Vanvres , qui n'ont pas le moindre fondement
, il femble par différens faits qu'on né
puiffe pas douter que plufieurs parties de feu ne
foient defcendues jufqu'à terre , ou au moins
n'ayent paru dans les régions les plus baffes de
l'atmosphere , lors du paffage ou de l'exploſion
de ce globe. Ce feu étoit extrêmement rare ,
& reffembloit à la flamme légere des efprits ardens.
JANVIER. 1772. 163
qui embrasfoit l'efpace compris entre les côtes
d'Angleterre & les environs de Melun où il
éclata. Enfin la hauteur de ces globes , comparée
à celle des nuages , eft encore un nouveau ſujet
d'étonnement ; car ceux- ci ne montent guêres
qu'à 3600 toiles ; & ces globes fe meuvent dans
des régions de l'atmosphère beaucoup plus élevées.
Celui dont nous parlons étoit dans les premiers
inftans de fa courfe , à près de 41076 toifes
ou 18 lieues de haut ; & dans les derniers ,
ou lorsqu'il éclata , il étoit encore à plus de
9 lieues de hauteur.
Ainfi on ne doit être nullement furpris qu'il
ait été vu dans des lieux fi éloignés les uns des
autres , comme à Londres , à Granville , à la
Fléche , à Limoges , à Moulins , à Lyon , à Dijon
, à Joinville , à Reims * ; & il eft important
de remarquer , comme le fait M. Leroi ( pour
ne laiffer aucune équivoque fur cette grande
hauteur) que ce n'eft feulement pas la lueur du
globe , qu'on a vue dans ces différentes villes ,
mais le corps même de ce météore , de manière à
enreconnoître la forme , & à en fpécifier la grandeur.
On a apperça de bien plus loin fa fimple lumiere,
puifqu'on l'a vue à Sarlat & dans les environs
, à près de 120 lieues de Paris . On explique
facilement par la hauteur & par la grandeur de
* Il eft prefqu'inutile d'ajouter ici qu'ayant
tracé à - peu -près la circonférence du cercle ou
ce globe a été vu , on s'eft crû diſpenſé de
parler des villes fituées dans l'intérieur de ce
cercle où il a été apperçu de même.
164 MERCURE DE FRANCE.
cem étéore pourquoi tant de petfonnes se font
imaginées qu'il avoit éclaté auprès d'elles.
La grande diſtance des différens lieux où on
a vu ce globe , fournit une obfervation intéreffante
pour la Phyfique , fur la vafte étendue
de pays où on peut avoir le même tems au même
inftant. Il réſulte en effet des obſervations
de ce météore , que le 17 Juillet vers les dix
heures & demie du foir , le tems étoit parfai--
tement ferein dans une étendue de pays de près
de 200 lieues de diamètre.
La plupart des obfervateurs fe récrient fur
cette circonftance de la beauté du ciel au moment
où on vit le météore , & en parlent com
d'une chofe extraordinaire . M. Leroi obferve
que cette circonftance qui les a tant frappés , eft
précifément une condition néceffaire , fans laquelle
ils ne l'auroient pas apperçu . Car les globes
de feu fe formant beaucoup au- deffus de la
région des nuages , on ne les voit plus dès que
le tems eft chargé ; ou fi on les apperçoit , ce
n'eft que comme la lueur d'un éclair , ainfi qu'on
l'a fouvent obfervé. En effet , un globe de feu
fe voit quelquefois dans plufieurs endroits , tandis
que dans d'autres on ne l'apperçoit point du
ou on ne l'apperçoit que comme une lueur,
à caufe des nuages dont le ciel y eft couvert.
De là on éprouve une très - grande furprife ,
quand on entend enfuite le bruit de fon explofion
. Cet Académicien penfe en conféquence que
ces météores font fouvent la caufe de ces bruits
extraordinaires qu'on entend fur- tout en plein
jour ; & que faute de favoir à quoi les attribuer ,
on les attribue mal- à-propos au tonnerre. Cette
tout ,
JANVIER . 1772. 165
conjecture eft d'autant plus vraisemblable que
ees globes font très -fréquens. Ils paroiffent à
toutes les heures du jour & de la nuit & dans
toutes les faifons de l'année , en été , en hyver ,
au Printems , en Automae . En vain a- t- on imaginé
qu'ils étoient l'effet de la chaleur , & en
conféquence qu'on les voyoit plus fouvent en
été qu'en hyver . Les obfervations prouvent le
contraire , & montrent qu'en en voit moins dans
la première de ces faifons que dans la feconde ,
foit par quelque caufe inconnue , foit par la
longueur des nuits d'hyver qui compenfe ce
qu'elles ont de moins favorable que celles
d'été.
On fe tromperoit également , fi l'on fuppofoit
qu'ils affectaflent quelque direction particulière
dans leur mouvement. Ils le meuvent
dans tous les fens de haut en bas , de bas en
haut , du midi au nord , du nord au midi , de
l'Eft à l'Ouest , &c. &c. &c. Mais ceux qui fe
meuvent avec l'extrême rapidité dont nous avons
parlé , defcendent tous vers la terre dans une
direction très- inclinée .
Nous fupprimons beaucoup de chefes ; mais
nous ne pouvons nous empêcher de parler d'une
remarque curieufe que fait M. Leroi fur la reffemblance
de ces météores avec les comètes. Elle
paroît en effet fi grande à certains égards , qu'on
eft fort porté à croire , avec cet Académicien ,
qu'elle a donné lieu à l'opinion qui a fait regarder
fi long-tems ces aftres comme des corps
fublunaires & appartenans à notre atmosphère.
Après avoir expofé les circonftances principales
qu'on obferve dans l'apparition des globes
166 MERCURE DE FRANCE .
1
de feu , particuliérement de ceux qu'on appelle
globes de feu volans , & que nous ne pouvons
rapporter ici parce que cela nous meneroit trop
loin ; cet Académicien ajoute : » L'imagination
» eft épouvantée quand on réfléchit à des naffes
de feu d'un volume fi énorme , & qui fe
» meuvent avec une rapidité fi prodigieufe ; on
» ne conçoit pas comment , dans des régions fi
29
élevées que celles où ils prennent naiffance ,
» il puiffe fe trouver & fe raffembler une fi
prodigieufe quantité de matière inflamma-
» ble cominent dans des efpaces où le froid
» eft bien plus grand que celui de nos plus ru-
» des hivers , elle peut s'enflammer ? Quelle eft
» la nature de cette matière qui produit un feu
» fi rare , & qui paroît avoir cependant une fi
grande force d'explofion ? &c. &c. 39
כ כ
לכ
Malgré toutes les difficultés que cette énumération
préfente , on demandera peut-être quelles
font les caufes de ces étonnans météores ;
M. Leroi déclare » qu'il ne connoît aucun Phyfi-
» cien qui ait dit là - deffus des chofes feulement
» vraiſemblables , fi l'on en excepre l'illuftre
M. Halley ( dont l'hypothèſe eft cependant
» fujette à mille difficultés ) & qu'il a été fort
furpris d'entendre dire que ces cauſes étoient
» bien connues des Phyficiens. Que pour lui ,
» il avoue fans détour qu'il ne les connoît pas.
» Combien on réduiroit les livres de Phyſique ,
» fi chacun avoit le même courage. Au lieu ,
dit-il , de s'empreffer d'expliquer des phénomènes
fur lefquels nous avons fi peu de con-
» noiffance , amaffons des obfervations , & at-
20
JANVIER. 1772. 167
5כ
ל כ
5כ
» tendons qu'elles nous ayent fourni affez de
données pour tenter d'en développer les caufes
. L'atmosphère eft un vafte laboratoire
chimique , où il fe fait mille différentes com-
» binaiſons dont nous ne connoiffons même
qu'un très - petit nombre de réfultats . C'eſt
» du tems qu'il faut efpérer la connoiffance des
» autres. Remarquons cependant , continue- toil
, qu'on a trop gratuitement borné la hau-
» teur de cette atmosphère , & qu'on a ſuppoſé
» auffi trop légérement qu'il ne pouvoit pas fe
» former dans fes régions fupérieures nombre
» de phénomènes dont nous n'avons que peu
» de connoiffance.
ود
לכ
"
32
Enfin il termine ce mémoire par ces paroles :
» Plus nous faifons de progrès dans la Philofophie
& dans les Sciences , plus nous nous
rapprochons des Anciens ( comme l'a jufte-
» ment obfervé un de mes plus illuftres confreres
* ) ; il feroit bien extraordinaire , & ce
tems n'eft peut- être pas fort éloigné , qu'on
reconnût enfin la vérité de ce qu'ils ont avancé
autrefois fur cette région du feu qu'ils avoient
placée au-deffus de celle des nuages , & que
» cette région fe trouvât être en effet celle où
fe forme les étoiles tombantes , les globes de
» feu & d'autres météores ignés .
»
* M. d'Alembert dans la Préface de l'Encyclopédie.
168 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE NATURELLE.
Cabinets de Minéralogie portatifs , ou
Caiffes minéralogiques.
;
CELUI qui s'adonne à l'étude de la nature
, & fpécialement à celle de la minéralogie
, ne peut efpérer de voir dans les
cabinets d'hiftoire naturelle les plus riches
, que des échantillons de minéraux
mais ces échantillons fuffifent fouvent
pour donner des vues au Minéralogifte ,
& lui indiquer les objets de fes recherches.
M. Monnet , minéralogifte des
académies des fciences de Turin & de
Rouen , pour rendre cette étude de la
minéralogie encore plus facile & moins
difpendieufe , vient de former plufieurs
cailles ou cabinets portatifs de minéralogie.
Le regne minéral s'y trouve divifé
en cinq claffes ; favoir , terres , pierres
mines , fubftances inflammables , & fels .
Chaque cabinet ou caiffe minéralogique ,
longue de deux pieds , & large de dix
pouces , & compofée de 48 cafes , eft expliquée
par un catalogue raifonné qui renvoie
JANVIER. 1772. 169
voie aux numéros des cafes & à ceux qui
font appliqués fur les fubftances mêmes.
Un autre papier joint à ce catalogue ,
donne des explications particulières des
morceaux qui ont befoin d'être détaillés .
Le prix de ce cabinet eft de cinquante
écus , que l'on fera paffer à M. Monnet ,
demeurant à Paris , rue Charlot , au Marais
, chez M. Legrand , Ingénieur & Infpecteur
du Pavé de Paris.
GRAVURE.
L'Infomnie amoureufe , eftampe d'environ
17 pouces de haut fur 12 de large.
A Paris , chez Bonnet , Graveur , rue
Galande , place Maubert.
CETTE eftampe eft gravée dans la manière
du deffin au crayon rouge , par le
Sr Bonner , d'après le tableau original de
M. Lagrenée , Peintre du Roi. Ce tableau
a été vu des amateurs lors de la dernière
expofition qui a été faite au Sallon du
Louvre des ouvrages de MM . de l'Aca-
< démie royale de Peinture & de Sculpture.
L'eftampe nous rappelle bien agréable-
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
ment la fcène repréfentée dans ce tableau.
On y voit une jeune fille demi- nue , &
debout qui tire le rideau de fon lit qui ett
en défordre. On reconnoît ailément la
caufe de l'inquiétude de la Belle , à la vue
d'un petit Amour qui la regarde maligne.
ment. La gravure en eft traitée avec beaucoup
de foin & de propreté.
MUSIQUE.
COLLECTION lyrique , ou choix des plus
beaux morceaux de Mufique pour la voix ,
& pour toutes fortes d'inftrumens , premierrecueil
, gravée par Madame la veuve
Leclerc. Par M. Moret de Lefcer , Ecuyer
ordinaire de la Mufique de S. A. S. le
Prince de Condé ; prix 12 liv . A Paris ,
aux adrefles ordinaires de Mufique ; & à
Charleville , chez M. Moret de Lefcer,
Avec permiffion.
Chaffe enfonate de violon & baffe continue
, par M. C. Royer ; prix , 2 liv. f.
8
chez l'auteur , à la première barrière du
Temple , chez l'épicier & aux adreffes
ordinaires.
JANVIER. 1772. 171
TYPOGRAPHIE.
LE ST LUCE , Graveur du Roi , attaché
à l'Imprimerie Royale , a eu l'honneur de
préfenter à Sa Majefté , le 27 Décembre
1771 , une épreuve de Fonderie ayant
pour titre : Effai d'une nouvelle Typographie
, de fa compofition . Cette épreuve
contient de grands cartels où font renfer
més les armoiries & chiffres du Roi de
toute grandeur , des trophées allégoriques
aux Sciences & aux Arts ; des ornemens
de toute espèce , des caractères fur tous
les corps , tant Romains qu'Italiques imitant
l'écriture bâtarde , l'écriture ronde ,
curfive , & c. On y trouve auffi des filets
de vignettes & des cadres adaptés à chaque
caractère qui peuvent fe compofer
comme les pièces ci - deffus , de telle grandeur
qu'on défirera en formant toujours
les mêmes deffins , & qui fe varieront de
différens goûts. Le tout eft gravé en acier ,
imitant la taille - douce , & le fond de la
même matière que celle des lettres , & fe
compofe dans toutes les grandeurs de for
mats différens de l'Imprimerie , depuis
T'in -folio julqu'à l'in -feize .
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE.
JEU d'Echecs des Chinois.
Ce jeu est tiré d'un manufcrit des jeux de l'Afie .
Il a auffi fon agrément ; ce que l'on lale à juger
aux amateurs.
Toutes les piéces en général ne pofent que fur
les fections que forment les lignes , &non au milieu
des cafes .
Echiquier.
L'échiquier eft formé de huit carreaux, fur neuf, d'environ vingt lignes en quarré, tracées à l'encre
fimplement
fur une feuille de papier , que l'on colle fur une planche ou carton. Entre la cinquié me & fixiéme ligne parallèlement
aux côtés des
huit carreaux , l'on fe figure une rivière ou foſſé
qui fépare les champs de bataille , ainfi que les joueurs : c'eft pourquoi l'efpace de ces deux lignes
doit être différencié en couleur de la place des miniftres qui fe verra ci -après, & des deuxièmes
points de fections ; en avant de ces fections font
tracées deux diagonales qui fec oupent à une fection
en avant de la place de l'Empereur. L'extrê mité de ces diagonales
forme un quarré dont
l'empereur & fes miniftres ne fortent jamais , ce
qu'on appelle fa redoute , qui eft également des
deux côtés de la rivière.
Nota.
Les Chinois jouent à ce jeu avec des dames de
ANVIER. 1772.
173
&
bois, fur les faces defquelles eft écrit le nom de
chaque pièce , tel qu'Empereur, miniſtre , major ,
cavaliers , élephants , foldats , fergens : au lieu
de ces dames dont nous n'avons pas l'ufage , on
fe fervira de feize piéces de notre échec ordinaire
pour chaque joueur.
Pofition des pièces en commençant une
partie.
On pofe les neuf piéces fuivantes fur la premiere
ligne d'en bas , côté des huit carreaux.
Un roi au milieu de la ligne ; enfuite de droite
& de gauche dans cet ordre , une dame , un fou,
un cavalier , une tour.
Sur la troifiéme ligne parallèlement, un grand
pion , nommé chef- pion , vis-à- vis chaque cavalier.
Sur la quatriéme ligne parallelement , cinq
petits pions , vis-à - vis du roi , des fous , & des
tours.
Marche des pièces.
Le roi ne fait jamais qu'un pas ſoit en avant ;
en arrière , ou de côté ; il ne roque pas , ne fort
jamais de fon quartier limité par les diagonales
qui font les marches de fes deux miniftres feule.
ment , & qu'il ne peut pas fuivre lui - même ; il
prend fuivant fa marche.
Les dames ne peuvent fortir du quartier du
roi , ne font qu'un pas à la fois , & ne fuivent
dans leurs marches que les diagonales , fans pou-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
voir marcher fur les pas du roi. Elles prennent
fuivant leur marche.
Les foux. Leur marche eft de deux diagonales
de carreaux en droite ligne , en forte que
de leurs places ils n'ont que fept fections à pouvoir
fe pofer dans l'étendue de leur camp , ne
pouvant paffer la rivière.
Ils prennent fuivant leur pofition ; & fi la
marche eft interrompue ou barrée par le milieu ,
par une piéce quelconque , ennemie ou autre, ils
ne peuvent jouer ni prendre.
Le cavalier fuit deux lignes à la fois dans fa
marche , quifont premièrement un pas droit foit
en avant , en arriere , ou de côté , enfuite la diagonale
de la cafe à gauche ou à droite en avant
de fon pas droit , ou , pour mieux dire , il décrit
dans fa marche un côté d'Y.
Il ne peut commencer ſa marche pat un diago
nale , ni par conféquent retourner à fa place par
le même chemin .
S'il fe trouve une pièce ennemie ou autre, au
milieu de fa marche , ou au fommet de l'angle
qu'il décrit , il ne peut pas marcher de ce côté.
Il prend fuivant fa pofition , & va dans le
camp ennemi en paffant la rivière.
La tour marche & prend de même qu'au jeu
d'ufage en Europe , & paffe dans le camp ennemi.
Le petit pion ne fait jamais qu'un pas à la fois¸
& prend fuivant la marche ; fon premier pas eft
toujours en avant; mais étant arrivé fur les bords
de la riviere & dans le camp ennemi , il peut
marcher de droite & de gauche & en avant , &
prendre de même .
JANVIER. 1772: 175
Il ne peut pas prendre chez lui de côté, n'ayant
pas encore marché ; mais il peut prendre devant
fui ; il peur revenir fur fes pas de côté ; mais il ne
peut jamais retrograder en arrière.
Quand il va à dame , il n'augmente pas en
valeur.
Les pions de la même couleur peuveut fe croifer
vis-à-vis les uns des autres.
Le grand pion ou chef-pion , marche & prend
comme la tour; mais pour prendre il faut qu'il
fe trouve dans la direction à un feul pas de lui
& joignant une piéce ennemie ou autre ; alors il
prend en paffant par- deffus celle - ci la piéce en
échec , finon il ne peut rien prendre.
Il faut que le chef-pion , en
le chef- pion , en s'épaulant ainfi
d'une pièce dans l'intention d'en prendre une
autre , prenne garde de fe joindre à une piéce
ennemie qui prend d'un pas . Il paffe dans le
camp ennemi .
Nota,
Pat on mat est égal en Chine ainſi qu'en Afie .
L'on prévient de l'échec au roi feulement.
L'habitude fera voir qu'il eft avantageux de
commencer à porter les pions fur le bord de la
rivière , enfuite de porter un des foux en avant
du roi , & de dégager les tours d'un pas en avant,
après quoi on peut fonger à l'attaque ou à la
défenfe.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
De la préférence des pièces .
Des quatre piéces qui paffent chez l'ennemi ,
la tour eft la plus effentielle , enfuite le cavalier.
Le chef-pion eft très-important à conferver au
commencement d'une partie où il fait un dégat
fingulier ; mais il diminue beaucoup de fa force
fur la fin.
Le cavalier vaut mieux fur la fin qu'au commencement
d'une partie , fa marche étant facile
à
rompre.
Les pions bien conduits , font en général les
meilleures piéces du jeu, quand ils fe foutiennent
mutuellement.
Les foux & les miniftres , quand ils font défa
couplés , perdent beaucoup de leur valeur.
ANECDOTES.
I.
LORSQUE Colcheſter fe fût rendu à difcrétion
à Fairfax , Général de l'armée du
Parlement contre Charles I , ce Général ,
abufant du terme de difcrétion , s'étoit
réfervé le pouvoir de faire paffer fur le
champ toute la garnifon au fil de l'épée.
Les officiers s'efforcèrent en vain d'animer
le rette de leurs troupes à s'ouvrir un
JANVIE R. 1772 177
paffage au travers de l'ennemi , ou du
moins à vendre leur vie auffi cher qu'il
leur feroit poffible . Ils furent obligés
d'accepter les conditions offertes. Fairfax
, pouffé par le furieux Treton , que
Cromwell , dans fon abfence , avoit donné
pour furintendant au docile Général ,
fit faifir les chevaliers Lucas & Lille ,
dans la réfolution de les facrifier fur le
champ à la juftice militaire. Tous les
prifonniers fe réunirent contre une rigueur
qui étoit encore fans exemple. Le
Lord Cappel , fupérieur au danger , en fit
un reproche à Treton , & l'excita , puifqu'ils
étoient tous engagés dans la même
caufe , à leur faire fubir à tous la même
vengeance. Lucas , qui fut paffé le premier
par les armes , donna ordre anx
exécuteurs de faire feu , avec la même
liberté d'efprit , que s'il eût commandé
un peloton de ses propres foldats . Lille
courut à l'inftant , baifa le corps mort de
fon ami , & fe préfenta joyeuſement au
même fort. Les foldats qui devoient le
tirer lui paroiffant à trop de diftance , li
leur dit de s'approcher. Un d'entr'eux lui
répondit : Soyez sûr , monfieur , que nous
ne vous manquerons pas . Amis , repliqu'àt-
il , en fouriant , je vous ai vus de plus
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
près & vous m'avez manqué. Ainfi périt
ce généreux officier qui ne s'étoit pas
moins fait aimer par fa douceur & fa modeftie
, qu'eftimer par fon courage & par
fa conduite militaire .
I I
Un capitaine de dragons étant dans
une ville en quartier , & étant à fouper
dans une maifon où la converfation rouloit
fur l'incommodité de la goutte ,
interrompit la converfation en difant à
fon laquais : Jean , n'ai -je pas eu la goutte?
-Oui , Monfieur : Mefdames , dit l'Officier
, je connois cette incommodité , elle
eft bien facheufe. Il reprit tout de fuite :
Jean , à quel pied ai - je eu la goutte ?
Au pied gauche , Monfieur : Cela eft
vrai , Mesdames , c'eft au pied gauche ; je
plains beaucoup ceux qui ont cette maladie.
Il reprit encore : Jean , l'ai - je en
long- tems ? Treize jours , Monfieur , répondit
te laquais. Oui , Meflames , je
l'ai eue treize jours : avouez, Meldames ,
que ce terme eft bien long..
JANVIER. 1772. 179
I I I.
Le cardinal Mazarin , jeune encore ,
inconnu & fans autre autorité que celle
de la raifon , s'élança entre deux armées
prêtes à combattre , en criant : Vous êtes
hommes , vous êtes freres. Je vous défends ,
au nom de l'humanité, de vous égorger.
Cet événement , & glorieux pour Mazarin
, & qui fe trouve enfoui fous les reproches
fans nombre qu'on peut lui faire ,
d'avoir trompé les hommes , arriva devant
Cafal le 26 Octobre 1630. Spinola
commandoit les Espagnols ; le maréchal
de Schomberg , les François . Mazarin
fépara les armées , comme s'il n'eût féparé
que deux combattans . Il menagea une
trève , qui , par fes foins , fut bientôt
fuivie de la paix.
I V.
Le prince Maurice étoit au fiége de
Peft en 1553 , en qualité de volontaire ,
& âgé pour lors de 16 ans. Etant un jour
forti du camp , accompagné d'un feul
gentilhomme domeftique , il rencontra
des Turcs , avec lefquels il en vint aux
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
pas
fon chemains
; mais comme la partie n'étoit
égale , il fut renversé par terre ,
val ayant été tué fous lui , & . par conféquent
, il alloit perdre la vie , ou tout au
moins , la liberté , fie Gentilhomme ,
en fe jettant far lui tout de fon long , &
recevant les coups des ennemis , ne lui
eût fervi de cuiraffe & donné le tems
d'attendre le fecours d'une troupe de cavaliers
, qui l'enlevèrent aux Turcs & le
ramenèrent au campavec fon compagnon ,
où celui - ci mourut de fes bleffures quelques
heures après.
ور
V.
M. de Bautru préfentant un Poëte à
M. l'Emeri , furintendant des Finances ;
» Monfieur , lui dit - il , voilà une perfonne
qui vous donnera l'immortalité ;
» mais il faut auffi que vous lui donniez
a de quoi vivre »
V I.
Un efclave de Pifon , proconful d'Afrique
, étant interrogé par des gens qui venoient
pour tuer fon maître où étoit Pi
fon ? répondit , c'est moi qui fuis Pifon ;
& fut tué fur le champ.
JANVIER. 1772. 131
USAGES ANCIENS.
Les Hurebets.
LLeEsS habitans de Villenauxe , diocèſe de
Troyes , étoient incommodés depuis plufieurs
années par des chénilles , appellées
en patois hurebets , qui endommagoient
leurs vignes & celles des lieux voifins .La
difette , qui fuivoit ces ravages , caufoit
une défection des gens de labeur , qui ne
pouvoient pas être employés à la culture
& aux récoltes ; la fuperftition fe joignant
aux défordres des infectes , éloignoit de
Villenauxe tous les étrangers , qui n'ofoient
employer leurs peines dans un lieu
qui fembloit être deftiné aux malédictions
du ciel. Ce fut en conféquence de ces
préjugés que les Notables de cette Paroiffe
préfenterent requête à l'audience de Jean
Milon , Cfficial de Troyes , adverfus brucos
feu erucas vel alia non diffimilia ani
malia , Gallicè Hurebets. En 1516 l'Official
ayant entendu la requète & l'ayant
communiquée au Confeil, fur les conclu
fons du Promoteur , ordonna une information
fur le fait , & des Commiffaires
ad hoc , qui fe tranfportèrent fur les lieux .
182 MERCURE DE FRANCE.
elle fut dreffée dans les vignes , par un
Notaire de l'Officialité. Il fut reconnu que
les dégâts caufés par les fauterelles dans
le territoire de Villenauxe étoient extraor
dinaires . Les habitans firent encore de
nouvelles réquifitions devant le Juge ; ils
reconnurent leurs fautes paffées ; fur la promelle
d'une meilleure vie dans l'avenir ils
obtinrent une Sentence de l'Official , qui ,
de fon autorité , enjoint aux hurebets dont
étoit queftion dans la requête , qu'ils ayent
à fe retirer dans le délai de fix jours des
vignes & territoires de Villenauxe , fans
caufer aucun dommage dans tout le diocèle
de Troyes ; que fi dans le terme pref
crit par la Sentence ils défobéiflent & fe
trouvent encore à Villenauxe , ils font déclarés
excommuniés & maudits. Au furplus
enjoint aux habitans d'implorer le
fecours du ciel , de s'abftenir d'aucuns crimes
, & de payer fans fraude les dixmes
accoutumées .
La pièce originale eft rapportée par Jean
Rochette , Avocat & Confeiller en la Pre
vôté de Troyes , l'un des Commentateurs
de la Coûtume de ce Bailliage , dans un
fommaire décifoire des queftions Eccléfiaftiques
, imprimé dans cette Ville , en
1610 , in-8°.
JANVIER . 1772. 183
RÉFLEXIONS d'un Citoyen , fur
l'élévation des bâtimens de Paris.
La beauté des édifices contribue fans
doute à la magnificence d'une grande ville
; mais il faut fur- tout prendre garde en
les multipliant , ou en permettant leur
élévation arbitraire , qu'ils ne deviennent
nuifibles à la falubriré de l'air qu'on y ref
pire , & par- là préjudiciables à la fanté
des citoyens qui l'habitent. Cette confidération
doit particulièrement avoir lieu
pour la ville de Paris .
En comparant les anciens quartiers de
cette ville avec les nouveaux , on voit
que dans les premiers les rues étoient
étroites , ferrées par endroits , & que les
maifons y étoient peu élevées ; on peut
obferver ces difpofitions dans le quartier
de la cité , & on y remarque qu'en géné
ral les rues y font humides , qu'elles féchent
à peine , & même que quelquesunes
n'y féchent pas dans les plus grandes
chaleurs de l'été , qu'elles exhalent prefque
toujours une odeur déſagréable , &
qu'en conféquence on y refpire un air
mal fain. Ces inconvéniens , & d'un au184
MERCURE DE FRANCE.
tre côté la multiplicité des voitures qui y
caufent des embarras fréquens , n'ont pas
paru fans danger , & ils étoient trop fenfibles
pour ne pas fixer l'attention des
magiftrats , particulièrement de ceux qui
font chargés de la police des bâtimens &
de l'allignement des rues. C'eft pour corriger
ces défauts que l'on s'eft propofé de
faire élargir la voie publique , dans la
proportion que les édifices tombent , en
obligeant de faire rentrer la nouvelle
conftruction , pour donner aux rues la
largeur preferite.
A la vérité , en rendant ainsi les rues
plus larges , on prévient les embarras &
les accidens qui pourroient en être la fuite;
il femble même que l'on auroît dû en
efpérer que la circulation de l'air devenue
plus libre lui procureroit plus de falubriré.
Mais ces précautions ne font pas auffi
avantageufes qu'elles paroiffent l'être au
premier afpect , & l'utilité que l'on pouvoit
attendre de l'élargiffement des rues
s'évanouit par l'élévation énorme que l'on
donne aux nouveaux bâtimens , enforte
que l'on détruit par- là une partie du bien
qui devoit en réfulter. Les rues étroites
ne féchoient pas , l'air y étoit humide &
mauvais par le peu d'efpace ; les rues plus
JANVIE R. 1772. 185
larges , privées de l'influence bienfaifante
du foleil à caufe des maifons élevées , ne
fécheront pas davantage , & l'air fera toujours
peu falubre dans cette grande ville ,
fi on ne met des bornes à la cupidité de
ceux pour qui l'on bâtit , & à la témérité
de ceux qui bâtiffent.
Un étranger ne peut fe défendre de la
furpriſe en voyant des maifons dont l'élé.
vation effraïe ; il pourroit croire ( pour
employer l'expreffion de l'immortel auteur
des lettres perfannes , lettre 22. )
qu'elles ne font deftinées que pour être
habitées par des aftrologues , & il ne feroit
pas mal fondé à penfer que Paris pour
roit être regardé comme une ville bâtie
en l'air , & dans laquelle on voit fix ou
fept maifons les unes fur les autres .
Outre ces inconvéniens qui nuifent en
général à la falubrité de l'air , on pourroit
encore reconnoître d'autres incommodités
intérieures qui ne font pas moins
défagréables . Des maifons auffi élevées
admettent néceffairement un grand nombre
d'habitans ; les plus opulens occupent
les appartemens inférieurs , les plus
pauvres habitent ceux qui font plus hauts;
on voit alors moins de propreté , par conféquent
moins de falubrité. Si les pro185
MERCURE DE FRANCE.
que
priétaires étoient plus attentifs à leurs
véritables intérêts , ils devroient s'appercevoir
de telles maifons font occupées
par des gens de toutes espèces , qu'elles
font confervées en moins bon état ,
que par ces élévations outrées , leurs maifons
font moins durables , & même proportionellement
d'un moindre rapport ,
que s'il y avoit des habitans choifis.
Pour empêcher les élévations arbitrai-.
res , il feroit convenable de déterminer
une hauteur fixe fur laquelle les proprié
taires auroient cependant la liberté d'élever
autant d'étages qu'ils voudroient.
Ainfi on pourroit permettre pour les maifons
ordinaires une élévation de quarante
pieds , ou cinquante au plus ; alors , fans
excéder cette mefure fixe , on conftruireir
plus ou moins d'étages , en leur donnant
plus ou moins de hauteur , & rien n'empêcheroit
les Artistes de bâtir avec beau
coup de pompe & de goût des édifices
percés d'un nombre prodigieux de fenêtres
, ornés de sculptures & couronnés
d'une balustrade pour loger avec dignité
au rez de chauffée un frippier ou un marchand
de bottes . On pourroit citer beaucoup
d'exemples , même très nouveaux ,
de ces conftructions merveilleufes . Les
JANVIER. 1772. 187
maifons des grands , ni les édifices publics
ne feroient pas affujettis à cette règle.
On ne doit pas être moins attentif à
ces groffes & épaiffes corniches , foit en
pierre, foit en plâtre , ni à ces grands balcons
faillans dont on décore l'extérieur
des maifons. Le défaut de construction
le vice des matériaux , enfin le tems deftructeur
, donnent fouvent lieu à une portion
de ces ornemens de fe détacher ;
d'où ont quelque fois réfulté les accidens.
les plus funeftes .
Que ne pourroit- on pas dire de plus , fi
on ajoute à ces inconvéniens le danger des
écroulemens pour des maifons , dont
quelques - unes font ifolées , peu foutenues
, continuellement ébranlées par les
fecouffes des voitures , & préfentent un
afpect effraïant. Il fuffiroit de rappeller
l'accident qui s'eſt paffé , il y a quelques
années , dans une de nos rues ,
fentir la conféquence de ce que nous
avançons .
*
pour
Nous n'avons d'autre but que l'utilité
générale en propofant ces réflexions ; elles
* La rue de la Huchette.
18S MERCURE DE FRANCE.
font dictées par l'amour du bien public ;
nous defirons qu'elles puiffent mériter
l'attention de ceux qui veillent à la décoration
de cette ville , à la confervation
des citoyens , & qu'elles donnent lieu à
quelque réglement avantageux .
Chanfon grivoife , compofée par un Cadet
de d'fus l'port , fur la convalefcence de
Madame la Comteffe de Provence.
Sur l'AIR: Reçois dans ton galetas , &c.
FRANÇAIS , enfans d'la gafté
Y faut bannir vot'triftefle
L'Ciel a rendu la fanté
A l'illuftre & bonne Comtene ,
Epoufe d'un ptit-Fils
De ftilà qu'eft l'honneur des lys. (bis)
Camarades , queux regrets ,
Si c'te chienn' de maladie
Y eût offenfé les attraits
D'une Princefle auffi jolie !
Mais ; Dieu marci , le danger
Eft ben loin n'y faut pu fonger. (bis)
JANVIER. 1772. 189
Chantons , réjouiflons - nous ,
L'occafion eft fi belle !
Amis , n'eft- il pas ben doux
Par nos chants de montrer not' zèle
Au Prince que j'ons nommé
Louis toujours le Bien - Aimé. (bis . )
Et vantez-vous que c't'amour
Y au fond d'not'coeur a fa fource ;
Aufli dans c't heureux jour
J'vous l'y laiffons prendre la courfe !
Oh ! dam' quand z'il eft en train ,
N'y a pu pied à ly met' de frein . (bis.)
Oui , pour c'q'eft dans l'cas d'not' Roi
J'brûlons d' la pu vive flamme ;
Morgué , pour luivre la loi ,
J'n'avons tretous que la même ame ;
Par des lentimens fi chers ,
J'donnons l'exemple à l'Univers. (bis )
Not'bonheurferait complet
Si de c're chanfon , quoiq'mince ,
Tam feulement z'un pauv' couplet
Parvenait jufqu'a ce bon Prince ;
Carj'nons d'autr' ambition
Que de faire chanter (on nom . (bis.)
190 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Sur l'AIR : Mes enfans , après la pluye.
MIS, effuyons nos larmes ,
Déformais foyons joyeux ;
Y n'eft plus queftion d'alarmes ,
Not' Princefle eft hors du creux ;
J'allons nous divartir ,
Et des ris goûter les charmes ;
J'allons nous divartir
Et prendre biaucoup d'plaifir.
C'eft ben vrai que c'te déefle
Qui d'Arropo z'a le nom ,
Sur nor'aimable Comtefle ,
P'tite-fille du grand Bourbon ,
Voulait lancer des coups
Funeftes à not' tendrefle ,
Voulait , &c.
Que j'aurions reffenti tous.
Mais enfin note prière
Et nos voeux font exaucés ,
De c'te Parque meurtrière ,
Tous les traits font émouffés ;
Chantons , vive Louis .
Not' allégrefle eft entière ;
JANVIER. 1772 .
191
Chantons , & c.
Nos maux font évanouis .
Dans l'feu d'an noble délire ,
Grand Roi j'vous ouvrons not'coeur ;
Vous y lirez qu'y n'aſpire
Qu'à c'qui concern' vot ' bonheur .
Pour vous , pour vos enfans ,
( Toujours j'aim'rons à le dire ; )
Pour vous , & c.
Je n'changerons point d'fentimens ,
* Vous , qui nous étes ſi chère ,
Si nos vers , tout comme y font ,
Ont l'avantage d'vous plaire ,
J'nous crairons de z'Apollons.
Nos rim'z'et nos chansons
Partent d'une ame fincère ;
Nos rim' z'et nos chanfons
Expriment ce que j'penfons,
Que Dieu d'vote belle vie
Confarve l'fil précieux !
Et fur la trame chérie
Varfe tous les dons des Cieux !
Au gré de nos fouhaits ,
* Envoi , à Madame la Comtefle de Provence.
192 MERCURE DE FRANCE:
Al ne vous ferait point ravie ;
Au gré de nos fouhaits
Al ne finirait jamais.
AVIS.
I.
Dais en baldaquin & en fer.
CE Dais , chef-d'oeuvre de l'art de la Serrurererie
, a été préſenté au Roi & approuvé par
l'Académie Royale des Sciences , & par l'Académie
Royale d'Architecture .
Le plan de l'ouvrage a fept pieds en quarré , &
feize pieds de hauteur. Il s'élève des piédeftaux
aux quatre angles , quatre palmes avec des guirlandes
de fleurs , d'épis , de pampres , de raifins.
Ces palmes foutiennent le dais & forment une
partie de fon couronnement , lequel eft terminé
par une gloire ; chacun des montans porte un
Ange adorateur ; & des angles de la partie fupérieure
fortent des armatures en fer , revêtue d'ornemens
relatifs .
Au milieu de leur réunion eft l'Agneau Pafcal ,
au deflus duquel eft un foleil rayonnant. Ce foleil
eft fufpendu au dais . Ce baldaquin , quoique tout
en fer , eft facile à tranſporter. Il eſt deſtiné à fervir
de dais dans les proceffions annuelles des Fétes
- Dieu , ou à décorer un Maître - Autel à quatrefaces
, lorfqu'il fera élevé fur un plan quarré
avec
JANVIER . 1772. 193
que
avec les dimenfions convenables. Le deffin &
l'exécution de ce morceau de ferrurerie non
moins recommandable par l'élégance des formes ,
par la folidité & la délicatefle du travail
par le poli & le brillant du métal , font dûs au
génie de M. Gerard , chargé de la ferrurerie des
bâtimens royaux de la nouvelle glise de Sainte
Geneviève.
Si un Prince , une Communauté , ou une Eglife
opulente defire faire l'acquifition de ce dais , le
fieur Gerard le charge de le faire tranfporter,
de le mettre en place , & de le garantir de la
rouille. Mais , en attendant , il propofe aux amateurs
de venir le voir les Lundi , Mercredi & Vendredi
, qui font les jours que la Bibliothèque de
Sainte Geneviève eft ouverte. Ce dais eft placé
dans un bâtiment neuf , enclos de Sainte Geneviève
, du côté de l'Eftrapade. Le prix des places
eft de vingt - quatre fols par perfonnes i des
compagnies veulent voir ce dais d'autres jours
que ceux indiqués , elles peuvent faire avertir le
fieur Gerard , qui demeure à Paris , au coin de
la rue Bordet & de celle des Prêtres S. Etienne.
I I.
Liqueurs & Syrops.
Le fieur Riffoan , Marchand Epicier- Droguifte,
& Diftillateur , ancien élève de l'Hôtel- Dieu ,
rue de Buffi , en face de la rue Mazarine , au
grand Turc , débite avec fuccès le Sirop de Guimauve
& Capillaire à 15 fols , d'Orgcât 16 fols ,
de limon 18 fols , de Groseille & de Vinaigre à
la Framboise vingt - quatre fols le roulot. Il fa-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
brique d'excellent Chocolat & en vend de différens
prix , depuis 30 fols la livre jufqu'à 4 liv .
10 fols. Il eft afforti en tout genre de liqueurs
fines , depuis 24 fols jusqu'à 6 liv. la bouteille.
Comme il a jugé fur le débit des années précédentes
que les liqueurs qu'il faifoit étoient goû
tées du public, il compte fur la même faveur cette
année , principalement pour une nouvelle liqueur
également agréable & bienfaifante , dont il eft
inventeur. La vertu de cette liqueur lui a fait don
ner le nom de Baume d'Hercule.
I I I.
Le Tréfor de la bouche.
Le fieur Pierre Bocquillon , Marchand Gantier-
Parfumeur , rue S. Antoine , à la Providence , continue
de débiter par permiffion de M. le Lieutenant
Général de Police & avec l'approbation de
Meflicurs de la Faculté de Médecine de Paris , unc
liqueur , que l'on peut nommer , à jufte raiſon
le véritable tréfor de la bouche , dont il pofléde
feul le fecret. Cette liqueur ayant été mise en usage
dans toutes les Provinces , eft approuvée par
quantité de certificats authentiques qu'il a entre
fes mains. Cette liqueur a la vertu de purger de
tous venins , abcès , ulceres , & tout ce qui peut
contribuer à gâter les dents , qui s'y forment par
l'âcreté des eaux qui descendent du cerveau , ce
qui cause des douleurs très - violentes . Elle guérit
les maux que l'on fouffre , tels violens qu'ils
foient , & conservent les dents quoique gâtées ,
rend l'haleine douce & agréable , & raffermit les
gencives. Le prix des bouteilles eft de 24 fols
JANVIER. 1772 195
3 liv. 5 liv. 10 liv . La feule véritable ne fe fait &
ne fe vend que par l'Auteur. Il a la précaution de
mettre fur le cachet des bouteilles & fur l'étiquet ,
ainfi que fur la manière de s'en fervir , fon nom
de baptême & de famille , figné & paraphé de la
main. Il y a un tableau à la porte.
I V.
Les arts méchaniques ainfi que les autres fcienees
, font tous les jours de grands progrès. La
Lorraine , qui , depuis le règne de feu le Roi
Stanislas , abonde en artiftes en tout genre , a
produit des ouvriers eftimés par leur industrie &
leurs ouvrages. Le nommé Pierre Marfan , ( Maître
Cordonnier , ) originaire de Nantes en Bretagne
& établi à Nanci , a trouvé une méthode
de faire des bottes à l'Angloife fans aucune couture
, c'est - à- dire , que la jambe & le deffus du
pied eft d'une feule pièce ; il en eft de même des
fouliers.
Le fieur Marfan fatisfera ceux qui lui feront
l'honneur de s'adrefler à lui pour toutes fortes
de chauffures. Sa demeure eft rue S. Staniſlas ,
N° 308 , à Nancy.
V.
Vente des Mines de Lacroix en Lorraine.
La compagnie qui fait exploiter les mines d'argent
& plomb , fe trouvant furchargée par d'autres
exploitations fituées ailleurs , a réfolue d
wendre celle-ci , qu'elle offre à des conditions raic
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fonnables . On s'adreffera au fieur Monnet , Minéralogiſte
, rue Charlot au Marais , même maifon
de M. Legrand , Infpecteur des pavés de
Paris , qui eft chargé de tout ce qui regarde cette
vente .
Ces mines , fort anciennes , ont toujours fourni
du plomb & argent ; elles fe foutiennent aujourd'hui
par cinquante mincurs ; il existe encore
en pied à la Croix une fonderie avec toutes les
dépendances ; trois laveries , dont il y en a une
nouvellement bâtie , une ferge & magafin , &
une bonne proviſion d'uftenfiles de toutes eſpèces
, néceffaires pour l'exploitation des mines.
La compagnie cédera , de plus , deux maifons ,
un pré , un grand jardin & une fcierie , l'un &
l'autre loués & portant cinquante écus de rente ,
avec fubrogation à fes droits au bail , & à la
conceffion accordée par le feu Roi de Pologne ,
Duc de Lorraine.
Il eft compris dans la conceffion des mines de
Lacroix , toutes les mines qui peuvent fe trouver
d'un côté , depuis le village de Lacroix jufqu'à
Saint -Diez , & de l'autre , jufqu'à Sainte-
Marie- aux -Mines ; on offre de faire jouir , dans
cette dernière partie , de l'exploitation de quatre
nouveaux filons , & des anciennes mines d'argent
exploitées par feu M. Saur , dans la partie
de Sainte -Marie-aux - Mines en Lorraine ; la conpagnie
ne fe réferve de cette conceffion que le
petit diftrict de S. Hypolyte.
JANVIER. 1772. 197
Collection minéralogique.
C'eft une collection complette en mines & minéraux
, compofée de plus de deux cens mor-,
ceaux , tous caractéristiques , c'est- à - dire , propres
pour inftruire dans la minéralogie & faire
connoître toutes les efpèces & variétés qui ont paru
jufqu'aujourd'hui. Le prix eft de cent - dix louis.
On s'adreffera au fieur Monnet , Minéralogifte ,
rue Charlot au Marais , même maifon de M. Legrand
, Infpecteur des pavés de Paris , qui en fera
voir le Catalogue Raifonné.
V I.
Remède contre les maux de dents.
Le Sr David , demeurant à Paris , rue des Orties
butte S. Roch , au petit hôtel Notre Dame , à
main droite en entrant par la rue Ste Anne , visà-
vis d'un perruquier , continue de débiter un remède
infaillible pour guérir toutes fortes de maux
de dents , quelques gâtées qu'elles foient , fans
qu'on foit obligé de les faire arracher .
Ce remède , approuvé par MM. les Doyens de '
la Faculté de Médecine & autorifé par M. le Lientenant-
Général de Police , & dont les fuccès ont
été annoncés dans tous les journaux & papiers pu
blics , depuis huit ans , confifte en un topique que
l'on applique le foir en fe couchant fur l'artère
temporale , du côté de la douleur : il la guérit ainfi
que les fluxions qui en proviennent , les maux de
tête , migraines & rhumes de cerveau : auffi - tôt
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE.
I
qu'il eft appliqué il procure un fommeil paiſible ;
pendant lequel il le fait une tranfpiration douce :
le matin, ce topique tombe de lui-même, fans laiffer
aucune marque , ni caufer dommage à la peau,
& on eft guéri fans retour.
Mais , ce remède n'opérant la guérifon que
lorfqu'on eft couché & le mal de dents prenant
dans tous les momens du jour , ce qui empêcheroit
de vaquerà les affaires , le Sr David vend une eau
fpiritueufe incorruptible d'une nouvelle compofition
très agréable au goût & à l'odorat , dont les
vertus font de faire ceffer dans la minute les douleurs
de dents les plus violenres . Elle purifie les
gencives gonflées , fait tranfpirer les férofités , raffermit
les dents , prévient & détruit la carie & les
affections fcorbutiques , diffipe la mauvaiſe odeur
caufée par les dents gâtées , fait tomber le tartre
& leur conferve la blancheur , fi l'on en fait ufage
deux ou trois fois la femaine. Meffieurs les marins
en portent ordinairement par précaution , ainfi
que des topiques , lorfqu'ils vont s'embarquer.
Le prix des bouteilles eft de 3 & de 6 liv. , &
celui des topiques 1 liv. 4 f. chaque : il donne un
imprimé qui indique la manière d'employer l'un
& l'autre. On le trouve chez lui tous les jours juſ
qu'à dix heures du foir.
Les perfonnes de Paris font priées d'apporter
pour les topiques un morceau de linge fin , blanc
de leffive .
Le Sieur David a beaucoup de certificats dont
il ne peut ici donner copie , mais qu'il fera voir à
qui le voudra .
Il prie d'affranchir le port des lettres & de l'ar-
5
JANVIER. 1772. 159
gent qu'on lui a trefl tra par la pofte , & de joindre
6 à 8 fols pour la boîte qui fert à mettre lesdits
remèdes.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , le 1 ' Décembre 1771 .
ON eft entierement rafluré fur les craintes
qu'on avoit conçues de la retraite inopinée du
Grand Vifir dans les montagnes de la Bulgarie.
Les Rufles ont pris leurs quartiers d'hiver dans
la Moldavie & dans la Valachie , & n'ont confervé
aucun pofte fur la rive droite du Danube.
Tout annonce ici la réfolution , prife par le
Sultan , de continuer la guerre avec vigueur. Il y
a apparence que la marine du Grand Seigneur fera
eu état de prendre part aux opérations de la campagne
prochaine. Les nouvelles difpofitions du
Prince Héraclius , en faveur de la Porte , ont
procuré les moyens de renforcer , avec les troupes
répandues fur les frontières de la Géorgie , celles
qui le foutiennent encore dans la Crimée , d'augmenter
la garnifon de Kaffa & d'y envoyer des
munitions & des provifions abondantes , par la
voie de Trébifonde .
La retraite d'une partie de l'efcadre Rufle dans
les ports d'Italie , ayant ouvert la communication
par le Détroit des Dardanelles , on voit arriver
, tous les jours des vaifleaux chargés de riz,
de bled , de café & d'autres denrées , & les retours
que ces bâtimens prennent en marchandiſes
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
du pays , ont rendu l'activité au commerce & à
la circulation. Ces circonftances avantageufes ,
que le Peuple regarde comme un effet de la fage
prévoyance de fon Souverain , ont ranimé la joie
dans cette capitale , & l'on s'attend aux plus grands
efforts , pendant la campagne prochaine.
De Warfovie, le 10 Décembre 1771 .
Le grand nombre de Ruffes & les troupes Pruffiennes
qui font répandues dans nos Provinces
contiennent les différentes Confédérations , &
empêchent qu'il ne s'en forme de nouvelles. On a
même appris que le fieur Zembrzuski , Régimenraire
de la Confédération de la Terre de Zacroczin
vient de quitter le parti de la Généralité , & lève
aujourd'hui une Compagnie franche pour le fervice
du Roi. Les autres chefs de Confédérés font
réunis dans le Palatinat de Cracovie, à l'exception
du fieur Zaremba , qui a pris des quartiers dans la
grande Pologne avec deux mille chevaux . Le fieur
Pulawski , qui avoit une cavalerie très - nombreuſe
depuis la jonction du ficur Kolakowski , en a
tiré onze cens hommes des plus robuftes , pour
les incorporer à fon Infanterie , qui monte à plus
de deux mille deux cens hommes . Ce régimentaire
vient de faire condamner à mort , dans un Confeil
de guerre tenu à Czenftochaw , le fieur Lenartowicz
, Colonel de Dragons , pour s'être
retiré lâchement , avec toute fa divifion , dans
la derniêre affaire de Radom , au premier coup
de canon que lui tirèrent les Rufles , qu'il étoit
chargé de prendre à dos.
De Dantrick , le 18 Décembre 1771 ;
Les dernières nouvelles de Petersbourg annoncent
que les fortes gelées ont diminué les progrès
JANVIER. 1772 . 201
des maladies contagieufes qui régnoient à Moskow
& dans différentes autres Provinces de la
Ruffie. Les mêmes lettres parlent des préparatifs
qu'on fait pour pouder la guerre avec vigueur &
pour rendre cette quatrième campagne décifive .
De Berlin , le 11 Décembre 1771 .
Les quatre mille Houflards qu'on avoit envoyés
pour faire des remontes de chevaux , font
reftés aux environs de Warlovic . Quelques Majors
feulement ont pénétré en Ukraine avec une
fuite peu nombreuſe.
Il pale pour conftant que le Maréchal Romanzow
a pris fes quartiers d'hiver à Yaffi , & l'on
regarde la campagne comme entièrement terminée.
De Londres , le 27 Décembre 1771 .
L'inondation qui eft arrivée dernièrement au
nord de l'Angleterre , fait maintenant l'objet des
recherches des Savans . On remarque qu'elle n'a
pas été précédée de pluies violentes . Cette croute
de terre , de foixante acres , qui a été enlevée ,
les torrens de mouffe humectée qui en font fortis
& qui ont couvert les campagnes voisines , ainfi
que plufieurs autres circonftances réunies , font
croire que l'inondation dont on parle provient de
quelque tremblement de terre . Plufleurs lettres
de différens endroits affurent qu'il s'eft fait à la
terre des ouvertures par lefquelles il eft forti de
l'eau. Un célèbre Naturalifte n'eft cependant pas
de cet avis . Il observe qu'il n'y a pas de province
en Angleterre qui foit aufli abondante en lacs que
celle de Cumberland , & que ces lacs venant de
quelques paffages fouterreins , on peut leur at-
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
tribuer l'inondation & le phénomène de Solway-
Mofs . Il en arriva un tout femblable , il y a une
trentaine d'années , dans un lieu appelé Pellingmofs
, fur le bord du Wier , dans le pays de
Lancastre.
De la Haye, le 27 Décembre 1771 .
Un de nos Négocians a reçu une lettre de
l'Ile Sainte - Marie des Sorlingues , datée du 8
de ce mois , qui contient les détails fuivans . Le
17 du mois dernier , entre cinq & fix heures du
matin , un vent violent de Sud - Eft fit monter
la mer par- deffus la langue de terre qui joint la
ville de Sainte- Marie à l'autre partie de l'Ifle. Le
débordement fut fi prompt , que l'eau avoit déjà
gagné le premier étage des maisons avant qu'on
s'en fût apperçu. Un particulier , étonné de ſe
fentir foulever fur fon lit au milieu de la chambre
, fut le premier qui donna l'alarme dans
toute la ville. Il feroit difficile de peindre l'affreufe
fituation des habitaus , qui , au milieu des
ténèbres de la nuit , luttoient contre les eaux pour
fauver leur vie & celle de leurs enfans , qu'ils
portoient dans leurs bras & fur leurs épaules . Ce
délaftre a fait périr un grand nombre de beftiaux
& a réduit plufieurs familles à la dernière misère.
De Rome , le 18 Décembre 1771 .
Lundi dernier , le Souverain Pontife tint un
Confiftoire , dans lequel , après avoir déclaré
Légat de Ferrare le Cardinal Borghese , Sa Sainteté
fit cardinal Charles- Antoine de la Roche
Aymon , archevêque de Reims , pair & grand
aumônier de France. Enfuite le S. Pere , & fuc-
I vj
1
JANVIER. 1772. 203
ceffivement le cardinal de Bernis & le cardinal
Alexandre Albani proposèrent & préconisèrent les
différens fujets défignés aux Sièges vacans.
De Marſeille , le 27 Décembre 1771 .
On vient d'afficher un avis , par lequel on informe
les capitaines & navigateurs de cette place,
que le Grand Seigneur a donné ordre de vifiter
tous les bâtimens qui entreront aux Dardanelles ,
& on leur enjoint de le conformer à cette police
de guerre .
D'autres affiches annoncent qu'à quinze ou
vingt lieues au Sud -Est de l'île de Flore , la plus
Occidentale des Açores , il paroît dans le mois
d'Avril de gros poiffons qu'on appelle Souffleurs ;
qu'il part tous les ans de Bofton une grande quantité
de bateaux , qui retirent de cette pêche un
produit confidérable en huile. On invite nos navi.
gateurs à tenter cette nouvelle branche de commerce
, & on leur promet des encouragemens .
Du 3 Janvier 1772 .
Le capitaine Guierard , venu de Conftantineple
, a dépofé qu'il avoit vu paffer aux Dardanelles
, d'où il a fait voile le 1 Décembre , les
prifonniers Ruffes qu'on conduifoit à cette capitale
, & qu'on avoit pris à Metelin . Les lettres de
Conftantinople reçues par ce capitaine , potent
que le Grand Seigneur paroiffoit difpofé à rappeler
le Grand Vifir , à le dépofer , & à mettre à
fa place Muflun Oglou Pacha , qui jouit d'une
grande réputation dans l'Empire Ottoman .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
De Paris , le 13 Janvier 1771 .
Le 22 du mois dernier , entre fept & huit heures
du foir , il s'éleva à Beaumont de Lomagne
un ouragan , accompagné d'une pluie mêlée de
grêle. Le tonnerre tomba en plufieurs endroits ;
le nommé Maybon étoit occupé à fixer fon moulin
, la foudre lui brûla les cheveux & la moitié
du vifage , lui caffa un bras & lui enfonça la tête
dans les épaules. Cet ouragan dirigeoit fa courfe
du couchant au levant , & dura trois quartsd'heures.
On ne fe rappele pas d'en avoir vu
de femblable dans ce pays dans une faifon aufli
reculée .
On mande de Boulogne que le navire Anglois
la Royale Charlotte , de deux cens tonneaux ,
commandé par le capitaine George Hamelt , a
fait naufrage fur la côte d'Andrefeilles , la nuit
du 8 au 9 de ce mois . Le navire & la cargaifon ,
qui étoient fort riches , ont été perdus , mais l'équipage
, compofé de douze hommes , ainsi que le
même nombre de paffagers qui étoient à bord ,
s'eft fauvé. Ce vailleau venoit de l'ifle de Grenade
, d'où il rapportoit du fucre , de l'indigo , du
café & du cacao .
Inauguration civique.
M. Guérin de Fremicourt , commandant en la
ville de l'Orient , reçut l'année dernière , à la fol .
licitation de la ville & communauté , une grati
fication annuelle , en confidération de fes fervices
& de fon attachement envers fes concitoyens
. Il en fit auffitôt le plus noble uſage , en
faifant diftribuer cette fomme aux pauvres par
JANVIER
. 1772.
205
les mains des officiers municipaux . Son définté- reflement & les vertus excitant la reconnoiffance
publique , la ville & communauté
, fur les repré- Tentations de l'Avocat du Roi , ont voulu confacrer
fon nom par un monument qui le perpétuât
d'âge en âge à la mémoire des citoyens. En con- féquence la communauté
& fes habitans affem- blés ont été unanimement
d'avis de donner le nom de Guérin de Fremicourt à une nouvelle rue de
l'Orient le 30 Décembre 1771. Cette elpèce
d'Inauguration
Civique a été célébrée par une fête , dans laquelle les inftrumens de la ville ont ajouté à la joie des citoyens . On a fait des aumô- ncs , & M. Guérin a fait drefler dans la nouvelle
rue des tables chargées de pain blanc , que les deux jeunes enfans , âgés de fix à fept ans , aiderent
à diftribuer aux pauvres avec de l'argent.
NOMINATIONS
.
Le Roi a donné à Monfeigneur
le Comte d'Ar- tois , la charge de Colonel -général des Suifles & Grifons vacante par la démiflion du Duc de
Choifeul.
>
Le Comte de Monteynard
, brigadier des armées
du Roi , lieutenant - général de la province de Bourgogne , vient d'être nommé miniftre plénipotentiaire
de Sa Majefté auprès de l'Electeur
de Cologne. Il a eu l'honneur de faire , à cette occafion , le 24 Décembre fes remercîmens
au
Roi , à qui il a été préſenté par le duc d'Aiguillon
, miniftre & fecrétaire d'état , ayant le dépar
tement des affaires étrangères.
Le Roi vient de nommer à la place de Dame d'Honneur de Madame la Comteffe de Provence ,
vacante par la démiffion de la Duchefle de Brans
205 MERCURE DE FRANCE.
cas , la Duchefle de Valentinois , Dame d'Arours
de cette Princefle ; & Sa Majeſté a diſpoſé de la
place de Dame d'Atours , en faveur de la Duchefle
de Saint- Megrin , qui a eu l'honneur de
faire les remercîmens à Sa Majefté , ainsi que la
Duchefle de Valentinois .
L'Abbé le Gris , chapelain de la chapelle du
Roi , vient d'être nommé Clerc de la chapelle
ordinaire , en furvivance de l'Abbé Beme.
PRESENTATIONS .
La Marquife d'Arcambal a eu l'honneur d'être
préfentée à Sa Majefté & à la Famille Royale , le
22 Décembre , par la comtefle de Merle.
Le Comte de Galliffet , capitaine au régiment
Dauphin , Dragons , ainfi que le Chevalier de Turenne
, capitaine au régiment de Chartres , Cavalerie
, ont eu l'honneur d'être préfentés au Roi ,
ces jours derniers.
Le 28 Décembre , l'Abbé de Gain de Montaignac
, viciaire- général de Rheims , qui a été nommé
, le mois d'Août dernier , Aumônier du Roi ,
à la place de l'Abbé de Fénélon , a eu l'honneur
de faire fes remercîmens à Sa Majefté , à qui il a
été préfenté , ainfi qu'à la Famille Royale.
Les Députés des Etats de Bretagne ont été admis
, les Janvier , à l'audience du Roi . Ils ont
été préfentés à Sa Majesté par le Duc de Penthievre
, gouverneur de la province , & par le Duc de
la Vrilliere , miniftre & fecrétaire d'état ayant le
département de cette province , & conduits par
le Marquis de Dreux , grand-maître , & par le Sr
de Watronville , aide des cérémonies . La députation
étoit compofée, pour le Clergé , de l'Evêque
JANVIER. 1772. 207
de Treguier , qui porta la parole ; pour la Nobleffe
, du Marquis de Piré ; pour le Tiers - Etat ,
du Sieur de la Haye- Jouſſein , & du Comte de la
Bourdonnaye , procureur - général , fyndic de la
province.
Le Comte de Guines , ambaſſadeur du Roi auprès
de Sa Majefté Britannique , a pris congé du
Roi & de la Famille Royale , le s Janvier , pour
fe rendre à la deftination Il a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi par le Duc d'Aiguillon , miniftre
& fecrétaire d'état ayant le département des affaires
étrangères .
Le Baron de Bon , miniftre plénipotentiaire du
Roi à Bruxelles , ayant obtenu un congé de la
Cour , eft arrivé ici , le s Janvier . Il a eu l'honneur
d'être préfenté à Sa Majeſté , ce même jour
par le duc d'Aiguillon , & enfuite à la Famille
Royale.
Le Marquis de Carcado , fils aîné du Marquis
de Molac , maréchal des camps & armées du Roi,
a eu l'honneur d'être préfenté à Sa Majeſté & à la
Famille Royale , le premier de ce mois.
Le nom des marquis de Carcado & de Molac eft
le SÉNECHAL , nom qu'ils doivent à l'ancien office
& dignité inféodés de fénéchal héréditaire de la
vicomté de Rohan en Bretagne.
Ils juftifient que leurs auteurs ont été les premiers
pe fleurs de cet office & de plufieurs fonds
mobles qui en compofoient le fief.
La vicomté de Rohan & le comté de Porrhoet
étoient un partage & démembrement du duché de
Bretagne. On peut juger de ce qu'étoit cette char
ge & office dans fon origine. Ils en prouvent
208. MERCURE DE FRANCE.
conftamment la poffeffion par plufieurs monu
mens , notamment par une charte de fondation de
l'abbaye de Bonrepos , du 23 Juin 1184 , à laquelle
un Daniel le Sénéchal paroît & eft cité comme
quatrième feigneur témoin.
On fçait que le Sénéchal commandoit la noblefle
& les troupes , & qu'il réunifloit dans fa perfonne
le pouvoir civil & militaire.
Cette Maifon n'eft pas moins diftinguée par les
places &emplois dont elle a été revêtuepar , les fervices
qu'elle a rendus à fes Princes , par les allian
ces illuftres qu'elle compte , que par fon ancienneté
.
L'an 1320 , elle fut partagée en deux branches ,
par deux frères , dont l'aîné fuccéda à leur père
dans la poffeffion de l'office de Sénéchal féodé
héréditaire de la vicomté de Rohan & des fiefs
qui y étoient annexés : & diverfes héritières de fa
ligne & de fon fang ont tranfmis ce même office
& dignité fucceffivement dans l'ancienne maison
de Molac , dans celles de Rieux , de Rohan & de-
Rofmadec.
L'autre frère cut en partage le fief appelé le
Bot au fénéchal , poffédé encore aujourd'hui par
fes defcendans , & y ajouta la terre de Carcado ,
en époufant une héritière des feigneurs de ce
nom .
La branche dont il a été la tige s'eft fubdivifée
en trois rameaux , qui fe font diftingués les uns
des autres par les noms de Carcado , de Molac &
de Kerguilé.
Un cadet , forti de ce dernier rameau , s'eft érabli
depuis peu à St Domingue , où un mariage ri
che l'a fixé.
JANVIER . 1772. 209
Le feu marquis de Carcado , lieutenant-général
des armées du Roi , décédé en 1763 , étoit
chef du nom & de toute la maiſon. Il étoit frère
du comte de Carcado , aujourd'hui maréchal de
camp ,repréfentant la branche aînée . Le marquis
de Carcado n'a laiffé que deux filles , dont l'aînée
avoit époufé en 1751 , le marquis de Molac fon
coufin . C'eft de ce mariage qu'eft né lejeune marquis
de Carcado , qui fe trouve par là héritier
des deux principales branches du nom , qui ont
été réunies.
•
La cadette a époufé le marquis de Graſſe .
L'héritière d'une branche de la maifon de Rohan
épousa , le 6 Octobre 1463 , un des auteurs
communs des trois rameaux , aujourd'hui exiftans
du nom de le Sénéchal , & ce mariage a apporté
à fes defcenòans la terre du Guesdelille ,
que les deux foeurs , la marquife de Molac & la
marquife de Grafle ont partagées entr'elles.
MORT S.
Charlotte - Victoire - Jofephe - Henriette Princefle
de Rohan Guéméné , fille de Henri - Louis-
Marie Prince de Rohan & de Guéméné , & de Armande-
Victoire -Jofephe de Rohan - Soubife , princefle
de Guéméné , eſt morte à Paris le 14 Décembre
, dans la dixième année de fon âge.
Louife de Broglie , Princefle du Saint Empire .
époufe d'Etienne François Comte de Damas de
Crux , menin de Monfeigneur le Dauphin , brigadier
des armées du Roi , colonel du régiment
de Limofin , eft morte au château de Broglie , le
210 MERCURE DE FRANCE.
13 Décembre , dans la dix- neuvième année de fon
âge.
·
Jean René d'Olmond , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , gouverneur de la
ville d'Argentan , eft mort le 5 Décembre , à St
Juft , près de Vernon fur Seine , âgé de foixantequatre
ans.
Jacques Garos , laboureur , natif & habitant
de la ville de Morlas en Béarn , y eft mort , le 6
Novembre dernier , âgé de cent neuf ans. Il a
joui de la plus parfaite fanté , jufqu'à fon dernier
moment. Il a eu , autour de fon lit , le jour de fa
mort , foixante-dix fils ou filles , petits fils & arrière
- petits- fils qui font tous en âge de gagner
leur vie.
Catherine-Henriette de Vaflan , veuve de Hardouin-
Thérefe de Morel , chevalier , marquis de
Putange , lieutenant- général des armées du Roi ,
eft morte à Paris , le 10 Décembre , dans la
foixante-dixième année de fon âge.
Pierre Neyreau , meunier , eft mort à Saint-
Avid , près de la ville de Marmande , dans la gé.
néralité de Guyenne , âgé de cent quatre ans. Il
fe rendoit , tous les jours , à l'Eglife , quoiqu'il
en fut éloigné d'une demie lieue. Anne Perpezer,
de la même paroifle , y eft morte auffi à l'âge de
cent ans.
Marie Fontaine , veuve Salleux , eft morte , le
22 du mois de Novembre , au château de Riez ,
près de la Fere en Picardie , âgée d'environ cent
Lept ans.
Pierre Jacques de Vaulx Palanin , Chevalier
profès de l'Ordre de St Jean de Jerufalem , commandeur
de Grezan & ancien officier dans le ré
JANVIER. 1772 : 211
timent des Gardes- Françoifes , eft mort , le 9 Décembre
, au château de Vaulx , diocèse de Vienne,
âgé de foixante -feize ans .
Auguftin - Paul- Dominique Marquis de Sorba ,
Noble Génois , miniftre plénipotentiaire de la
République de Gènes auprès de Sa Majesté Très-
Chrétienne , eft mort fubitement à Paris , d'une
attaque d'apoplexie , le 20 Lécembre , âgé de
cinquante- fix ans .
Etienne Bock , Chevalier , Membre de la Noblefle
Immédiate de l'Empire , ancien Lieutenant
des Maréchaux de France au département de
Thionville , eft mort , dans la ville de Metz , le
13 Décembre , âgé de quatre - vingt-fept ans.
Guy . Alphonfe de Donnifleau , marquis de Ci
tran , eft mort , le 12 Décembre , dans fon château
de Chilac , en Saintonge , âgé de foixantedix
ans.
Sigifmond Chriftophe de Schrottenbach , archevêque
de Saltzbourg , Primat d'Allemagne
Légat né du St Siége , premier Prince Eccléfiaftique
du St Empire , & Directeur né du collège des
Princes , conjointement avec l'Archiduc d'Autriche
, eft mort à Saltzbourg , le 16 Décembre , dans
la foixante treizième année de fon âge.
Charles -Marie Comte de la Vieuville , ancien
meftre de camp de cavalerie , eft mort à Paris , le
16 Décembre , âgé de loixante quatorze ans.
Le Marquis de Beufeville , colonel du régiment
de Penthièvre , cavalerie , eft mort à Toul , le 28
Décembre , dans la trente- fixième année de fon
âge.
Paul -Maximilien Hurault , marquis de Vi
212 MERCURE DE FRANCE.
braye , lieutenant - général des armées du Roi ,
commandeur de l'Ordre royal & militaire de St
Louis & gouverneur de Belle - Ifle - en - Mer , eft
mort en cette ville , le 28 Décembre , dans la
foixante douzième année de fon âge .
Un Juif , nommé Salomon Emmanuel , eft
mort dernièrement à la Haye , àgé de cent neuf
ans & dix mois : il étoit né en Moravie : il laifle
foixante fept petits - enfans ou arrière petits enfans.
Charlotte Chandler eft morte dernièrement à
Londres , âgée de cent huit ans : elle faifoit , depuis
plus de foixante ans , le métier de ravodeufe
d'habits , profeffion qu'elle a continué d'exercer
jufqu'à la veille de fa mort , & dans laquelle elle
ayoit gagné plus de 1000 livres fterlings.
Jofeph le Vicomte , Comte de Saint - Hilaire ,
ancien officier d'infanterie , chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , eft mort à Rouen ,
le is Décembre dernier .
Philippe de Gontaut de Saint- Geniez eft mort ,
le 12 du mois de Décembre , dans fon château de
St Cirq en Périgord , âgé de quatre-vingt- douze
ans.
Frère Jacques - François de Picot de Combreux, t
grand'croix de l'Ordre de St Jean de Jérufalem ,
ancien commandant des vaifleaux de la Religion
& fon ambasadeur extraordinaire en 1759 auprès
de Sa Majesté le Roi des Deux - Siciles ; commandeur
des commanderies de Colimiere & de Caftelnaudary
, & ci devant chargé des affaires de la
Cour de France auprès du Grand Maître , eft mort
à Malte , le 3 Septembre dernier , dans la foixantefixième
année de ion âge.
JANVIER. 1772. 213
M.le Bailly de Combreux eft de la même Maifon
que M. le Marquis de Dampiere , capitaine
aux Gardes , dont il eft chef , qui a pour feconde
branche M. le Marquis de Combreux , ancien officier
aux Gardes Françoifes , neveu du Bailly cideflus
, & pour troifième branche M. le Comte de
Moras , lieutenant-colonel du régiment provin-
.cial de Salins.
Le fieur de la Croix , lieutenant - colonel de
cavalerie , ci - devant commandant de la compagnie
franche de fon nom , eſt mort à Longwy ,
le 26 du mois dernier , à l'âge de cent- deux
ans.
Maric Morand , veuve de Jacques Bourier ,
journalier , eft morte , dans la paroifle de Plantis
, élection d'Alençon , âgée de cent- quatre
tans & huit mois. Un an avant la mort , elle gardoit
encore les beftiaux dans la campagne. Une
particolarité remarquable , c'eft qu'à l'âge de cent
elle eft revenue dans l'état d'une fille nubile
, & cet accident n'a ceflé que peu de tems
lavant fa mort.
ans ,
LOTERIE S.
Le cent trentième tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eft fait , le 25 Décembre , en la maniere
accoutumée. Le lot de cinquante mille livres eſt
échu au No. 97115. Celui de vingt mille livres au
No. 96279 , & les deux de dix mille aux numéros
86036 & 96735.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Difcours de Brutus aux Romains ,
Ode fur la mort d'une Epouse ,
L'Officieux ou les bonnes intentions , hiſtoire
tragique ,
Traduction libre de l'Idylle de Bion , fur la
mort d'Adonis ,
La Vie d'Alcibiade ,
ibid.
Ir
41
46
La Franchife indifcrete , prov. dramatique , 47
Vers pour le portrait de M. Dauberval ,
-A M. le Comte de Korguen ,
Quatrain àM. le Duc de Briffac ,
Explicatica des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Traduction de divers oeuvres composées en
allemand ,
Hygicine ou l'art de conferver fa fanté ,
De l'impôt du vingtième chez les Romains ,
Anecdotes eccléfiaftiques ,
Vernifleur parfait ,
Dictionnaire portatif de fanté,
68
ibid.
69
70
71
73
77
83
87
91
93
95
27
JANVIE R. 1772. 215
Vie des Pères , des Martyres & des autres
principaux Saints ,
Analyfe du fyftême général des influences
folaires ,
Defcription du nouveau pont de pierre ,
De l'utilité de joindre à l'étude de l'architecture
celle des fciences & des arts qui lui
font relatives ,
Les Spectacles de Paris ,
Hiftoire de l'ancien & du nouv . Teſtament
avec figures ,
Obfervations fur le nouveau Dictionnaire en
6 vol. ,
98
102
106
114
117
122
124
ACADÉMIES , 131
Annonce d'un prix de médecine ,
Séances publ. de l'Académie des fciences de
133
Dijon , 135
с
De
Befançon , 145
SPECTACLES ,
153
Opéra ,
$ 54.
Comédie françoiſe,
155
Comédie italienne,
156
ARTS , Phyfique , 157
Hiftoire naturelle 168
Gravure , 169
Mufique , 170
Typographie ,
171
Jeu d'échecs des Chinois 17%
216 MERCURE DE FRANCE.
Anecdotes ,
Ufages anciens , (les )
Réflexions d'an Citoyen , fur la hauteur des
maifons de Paris ,
Chanfon grivoile fur la convalefcence de
Madame la Comtefle de Provence ,
Autre ,
AVIS ,
Nouvelles politiques ,
Inauguration civique ,
Nominations ,
Préfentations ,
Morts ,
Loteries ,
176
181
183
188
190
192
199
204
205
206
209
213
'AI
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
fecond volume du Mercure du mois de Janvier
1772 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir
en empêcher l'impreffion..
A Paris , le 15 Janvier 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT, rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
FEVRIER
, 1772.
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Avec Approbation & Privilége du Roi.
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les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de veis ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui es
cultivent , ils font invités à concourir à fa pe'rfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
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Le Droit commun de la France & la coutume
de Paris réduits en principes , & c. nouv,
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Louis XV , &c. in - fol. avec planches ,
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l'Architecture , in - 4° . avec figures , rel . en
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Les Caracteres modernes , 2 vol . br .
201.
31.
Maximes de guerre du C. de Kevenhuller , 1 1. 10 f.
Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in-8°. rel.
Dist. de Morale , 2 in- 8 °. rel.
GRAVURES.
71.
و ا م
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Van-
100 ,
241.
Deux
grands
Payfages
, d'après
Diétrici
121.
Le Roi de la Féve
, d'après
Jordans
,
41.
Le
Jugement
de Paris
, d'après
le Trevifain
,
Deux grands Payfages , d'après M. Vernet
,
Vénus & l'Amour ,
Angelique & Mid
I 1.116.
121.
31.
31.
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS EF EN PROSE.
LE CHRISTIANISME. Ode
CHEF - d'oeuvre de la main propice
D'un Dieu dont la puiflance égale la bonté,
L'homme créé dans la juftice
Fut fait pour la félicité ;
Roi de fes paffions , épris d'un bien fuprême
Il goûtoit des plaifirs avoués du Ciel même ;
Heureux fans crime & fans effort ,
Paifible fectateur d'une vertu facile ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Au fein de l'innocence il trouvoit un afyle
Contre la douleur & la mort.
Mais que vois-je ? ingrat , infidèle ,
Quand tu combles fes voeux , il viole ta loi ;
Grand Dieu , la pouffière rebelle
Ofe s'élever contre toi?
Cet affreux attentat foulève la nature ,
La foudre vapartir pour venger ton injure ;
Non , c'eft te venger à demi.
L'homme a pû t'offenfer ! Que l'infenfé périffe ;
Mais ce n'eft , Dieu puiffant , qu'après un long
fupplice
Que doit périr ton ennemi.
Ses triftes enfans avec l'être
Reçoivent de les maux le levain dangereux ;
Coupables avant que de naître ,
En naiflant ils font malheureux :
Le feu difpute à l'eau , l'air difpute à la terre
L'avantage fatal de leur faire la guerre.
Ciel irrité fufpends tes coups ,
Livre à leurs paffions ces objets de ta haine !
Elles feront pour eux la plus cruelle peine
Que puifle inventer ton courroux.
Quel fpectacle affreux m'épouvante !
Et quel monftre hideux eft forti des enfers !
La vertu fuit pâle & tremblante ;
Le crime inonde l'Univers.
FEVRIER . 1772 . 7
L'adultère , le vol , le meurtre , le parjure ,
Les forfaits dont le nom fait rougit la nature ;
Leur afpect me glace d'effroi !
Par tout de l'équité qui gémit enchaînée ,
Triomphe impudemment la licence effrénée ;
Les mortels n'ont plus d'autre loi,
Par des châtimens mémorables
Tu te venges, grand Dieu ; mais tu frappes en,
vain :
Chaque jour de nouveaux coupables
Bravent la foudre dans ta main.
L'homme , au crime enhardi , ne craint plus ta
juftice ;
Seigneur , que ta bonté l'arrache à fa malice !
De tes feux daigne l'enflammer.
Du céleste féjour hâte-toi de defcendre ,
Viens , parois à fes yeux ; pourra-t'il le défendre
De t'obéir & de t'aimer?
C'en eft fait ; mes voeux s'accompliſſent ,
Le Ciel s'ouvre , la terre enfante fon Sauveur ;
Les enfers vainement frémiflent ;
Leur proie échappe à leur fureur.
Je te vois confondue , orgueilleufe fagefle ,
L'Eternel fe revêt de l'humaine foibleffe ,
Il naît , il vit dans le mépris.
Eft-ce aflez ? tu vas voir un plus grand facrifice ,
Le bonheur des mortels dépend de fon fupplice;
Il va l'acheter à ce prix.
A iv
$ MERCURE DE FRANCE .
Il meurt ; mais la mort terraffée ,
Bientôt de fes liens le voit fortir vainquen
Sa gloire à mes yeux éclipfée
Reprend fa première fplendeur.
Au retour des enfers dont il ravit la proie ,
Dans les cieux triomphant il fe fraie une voie.
Quel bruit? quel feu mystérieux ?
Ses enfans font faifis d'une ivrefle divine ,
L'Efprit Saint les remplit , l'Efprit Saint les do
mine.
En a- t- il fait autant de Dieux ?
Quelle doctrine , quels oracles-
Vont être par leur bouche en tous lieux annoncés
?
Leurs mains prodiguent les miracles ,
Les peuples courent empreflés.
Une foule attentive auprès d'eux fe raflemble.
Quel refpect ? quel filence ils parlent ; l'erreur
tremble ;
Leur voix enfante les Chrétiens.
Tombez , dieux impuiflans , vile & frêle matière.
Grand Dieu ! que leurs autels foient réduits en
pouffière ?
Qu'en tous lieux s'élèvent les tiens.
Tout prend une face nouvelle ;
A des hommes impurs , injuftes , inhumains
Succède une race fidelle ,
FEVRIER. 1772.
9
Une nation d'hommes faints .
Maîtres de leurs penchans, vainqueurs de tous les
vices ,
Triomphans des tourmens , triomphans des délices;
Mon oeil les admire étonné
Portique , ton héros ne fut qu'un vain fantôme.
C'est dans le Chrétien feul que tu peux trouver
l'homme
Tel que tu l'as imaginé.
Ici quelles tragiques fcènes ?
En faveur de les dieux , je vois armer l'erreur;
Par- tout je vois charger de chaînes
Les victimes de fa fureur.
Par-- tout le fer barbare à mes yeux étincelles
Des fidèles profcrits par- tout le fang ruiffelle ;
Au glaive ils courent ſe livrer.
Dieu , quelle fermeté ! mais quels tourmens hor
ribles ?
On croit vous faire grace , athlètes invincibles ;
Lorfqu'on vous permet d'expirer.
Leur fang verfé devient fertile ,
Leur cendre reproduit un peuple de héros ,
Un Chrétien meurt , il en naît mille ,
Leur nombre lafle les bourreaux .
Seigneur , ta main féconde en merveilles fubites
De leurs perfécuteurs leur fait des profélytes :
Av
MRCURE EF
Le menfonge fuit confterné.
Déjà même éclairé de ta vive lumière ,
Célar * a , fous ton joug , courbé fa tête altière ,
Je vois un Chrétien couronné.
Enfin , tranquille & triomphante ,
La vérité le montre aux paifibles mortels.
Des fers , plus pure & plus brillante ,
Elle pafle fur les autels.
Le trône eft devenu l'appui du fanctuaire ,
Et l'épouse du Chrift , dans fon fein falutaire ,
Réunit cent peuples divers.
Ton oracle eft certain , Seigneur , le dernier âge
La verra , des enfers bravant la vaine
Darer autant que l'Univers !
rage ,
Par M. le Ch. de L✶✶ St J. L.
des Mx de F. au Havre.
RÉPONSE d'un Roi de Perfe.
DANS les faftes connus de l'empire perfan
On lit qu'un jeune prince appellé Nourshirvan
A qui fon père en appanage
Avoit donné le Khorafan :
Enfils du Roi des Rois , en prince jufte & lage
* Conftantin .
FEVRIER. 1772.
Sur tous les malheureux étendoit fes regards ,
Eroit l'augufte ami des talens , des beaux arts ;
Et jouiffoit en paix des plaiſirs du bel âge.
Muficien lui -même , il aimoit à l'excès ,
Les joueurs d'inftrumens , les chanteurs , la mufique
:
Tous ceux qui l'exerçoient avec quelque fuccès
Auprès de fa perfonne avoient un libre accès ,
Il les récompenfoit en prince magnifique.
Donner étoit pour lui l'amuſement d'un Dieu.
Ce Prince généreux , digne de la naiflance ,
Embellifloit par là fon rang , fon exiſtence ,
Et l'on célébroit en tout lieu
Sa juftice & fa bienfaisance.
» Un Prince , difoit-il , coule des jours rians;
» S'il cherche à rendre heureux tout ce qui l'envi
>> ronne.
Il étoit adoré de tous les courtifans ,
Quand fon père en mourant lui laiffa la couronne.
Le jour qu'il monta fur le trône
Combla le bonheur des Perfans.
Le bruit de les bienfaits , la gloire fans feconde
Ayant déja frappé tous les peuples connus ,
Les plus parfaits enfans d'Orphée & de Linus
Volèrent dans fa cour des quatre coins du monde :
Ce monarque avec joie entendit leurs concerts ,
Les loua finement fur leurs talens divers ,
Mais il ne leur donna qu'une fomme fort mince.
A vj
11 MERCURE DE FRANCE.
Eux qui le flattoient tous que le grand roi des rois
Qui les enrichiffoit n'étant qu'un petit prince ,
Feroit encor mieux qu'autrefois ,
Murmurèrent beaucoup d'un traitement femblable.
Nourshirvan leur parut moins grand , moins eſtimable
:
L'un d'eux même tout haut ofa lui témoigner
Combien un tel falaire étoit à dédaigner.
Et loin de le punir , ce monarque adorable
Lui fit cette réponse à jamais mémorable :
« Tant qu'à mes feuls dépens , j'augmentois mes
»bienfaits ,
» Ma générolité n'a point connu de digue.
Je vous donne aujourd'hui l'argent de mes
>>fujets ;
J'offenferois les dieux , fi j'en étois prodigue.
Par M. le François , ancien Officier
de Cavalerie.
FEVRIER. 1772 . 13
URSANIE ou l'Effet des Paffions.
'HIBERNIE ou l'Irlande fe maintenoit
avec fuccès contre l'ambition des Rois
d'Angleterre ce pays contenoit quatre
petits royaumes & plufieurs feigneurs
puiffans qui prenoient le titre de Princes ,
& qui tous afpiroient à la royauté . Ce
n'étoit entr'eux que combats , que traités
auffi-tôt rompus qu'acceptés , ce qui favorifoit
les prétentions de leurs voifins ;
mais lorsqu'ils avoient quelque force fupérieure
fur les bras , ils fe réuniffoient
contre l'ennemi commun oublioient
leurs différens & ne penfoient qu'à maintenir
leur liberté & le droit de fe maffacrer
de nouveau. C'eft ainfi que la République
Romaine a fait pendant long-tems,
& c'eft auffi la caufe de fa ruine . Les deux
plus dangereufes paffions , ( l'amour &
l'ambition ) s'unirent pour la perte de
l'Hibernie , & les peuples , victimes des
fureurs de leurs chefs , fubirent la peine
de leurs faures. On cherche bien loin de
grandes cauſes aux grands événemens ;
les politiques raifonnent , les favans écrivent
; tous fe trompent : l'amour , l'impé
14 MERCURE DE FRANCE.
rieux amour a caufé la deftruction de
prefque tous les empires .
L'Hibernie étoit partagée , ainfi qu'on
vient de le dire , en quatre petits royaumes
: le plus confidérable étoit celui de
Lagénie , dont le Monarque prenoit le
titre de Roi d'Hibernie ou d'Irlande , &
avoit Dublin pour capitale . Les trois au
tres étoient la Momonie , l'Ultonie & la
Connacie. Orodice , comte & prince fouverain
de Médie , tenoit le premier rang
après les Rois. Il n'avoit qu'une fille , qui
joignoit à une grande beauté, à un carac
tère charmant , le titre de fouveraine de
Médie ; cet enfemble la rendoit l'objet
préféré de tous les princes du Nord.
Démertius , Roi de Lagénie , la fic demander
pour Egards , fon fils . Le comte
de Médie , dont cette alliance flattoit
les deffeins fecrets, put à peine contenir
fa joie , & répondit favorablement .
Il envoya chercher Sidy , fon favori , lui
fit part de cette nouvelle , & lui ordonna
de dire fincérement ce qu'il en penfoit.
Sidy pâlit à ce difcours , le Comte le pref
fa ; fon trouble ne fit qu'augmenter : mais
enfin fe remettant , il répondit au Conte
qu'il n'étoit pas de la politique d'accorder
Urfanie à Démertius , dont l'ambition
FEVRIER . 1772. 15
étoit connue. Qu'il le fupplioit de confidérer
le danger de s'allier à un monarque
puiffant , de mauvaiſe foi , qui , fous prétexte
de cette alliance , ne fongeoit qu'à
le dépouiller de fes biens. Orodice connoiffoit
toutes les mauvaiſes qualités de
Démertius & d'Egards : mais fatisfait de
la voir régner , il n'imaginoit pas qu'il
exiftât , pour eile , d'autre bonheur. Néanmoins
ne voulant découvrir à perfonne le
fentiment qui le dominoit , il fe contenta
de dire qu'il y penferoit.
Cependant Egards fuivit de bien près
les anibafladeurs de fon père ; il fut reçu
du Comte avec tout le refpect que lui infpiroit
l'héritier préfomptif de deux royaumes
.Il vit Urfanie , l'amour fe gliffa dans
fon coeur ; il brûla d'une flâme bien funefte
pour fa patrie. Cette jeune princeffe
, à qui le comte avoit fait favoir fa
volonté , loin d'envifager avec joie le
trône qu'on lui faifoit eſpérer , étoit dans
des tranfes mortelles & s'abandonnoit à la
douleur la plus violente . Urfanie n'avoit
plus de mère ; jeune , fans expérience , elle
n'avoit pu réfifter au penchant qui l'entraînoit
vers Sidy . Elle l'aimoit , en étoit
adorée , & , fans fe flatter que fon père ap .
prouvât leur union , elle ne laiffoit pas que
de nourrir dans fon coeur ce doux poifon,
IG MERCURE DE FRANCE.
d'autant plus dangereux , qu'il nous plaît .
à proportion du mal qu'il nous caufe.
Sara , foeur de Sidy , quoiqu'aimée de
la princeffe , ignoroit tout ce commerce ,
& vint avec empreffement la féliciter.
Quelle fut fa furprife de la trouver en
pleurs & prefqu'inanimée ! Elle recula
deux pas : Eh quoi ! Madame , lui dit- elle,
eft - ce ainfi que vous vous livrez à la joie
de régner fur toute l'Irlande , & d'époufer
un prince qui vous adore ? Urfanie la regarda
languiffamment : ma chere Sara , lui
dit-elle , votre furprife eft jufte , mais ma
douleur l'eft encore plus. J'aime , j'aimerai
toujours ; mais ce n'eft pas le prince
Egards. Je ne veux rien vous cacher ,
voyez , ajouta - t- elle en lui donnant un
portrait , plaignez votre princeffe , confeillez
la ; & fur tout gardez moi le fecret
, vous y êtes engagée pas plus d'une .
raifon.
Sara ouvrit la boîte & fit un cri en y
reconnoiffant fon frère, Cette aventure
la mettoit hors d'elle. Elle regardoit le
portrait, fixoit Urfanié pour chercher dans
fes yeux la vérité de ce qu'elle venoit de
lui dire. Pendant fon filence , Urfanie fe
rafluroit , fon coeur qui étoit furchargé de
peines , lui faifoit trouver une douceur
infinie à les épancher dans le fein d'une
FEVRIER. 1772 : 17
perfonne qui lui étoit fi chere . Eile fe leva,
courut l'embraffer & la conduifit dans
fon cabinet , où , fans lui donner le tems
de lui parler , elle lui conta le commencement
& le progrès de fon amour . Croiez,
ma chere Sara , ajouta - t - elle , que m'étant
une fois décidée pour votre frère , je le
préférerai à tous les princes de l'Univers ,
& que je ne voudrois une couronne qu'afin
de la lui mettre fur la tête , me rangeant
avec plaifir au rang de fes fujets. Ah ,
Madame ! lui répondit Sara , que mon
frère est heureux ! mais ce bonheur ne
m'empêche pas de prévoir tout ce que
vous aurez à fouffrir pour vous conferver
a lui. Que de peines vont fondre fur vous !
Je les furmonterai , lui dit Urfanie . S'il eft
fidèle , rien ne pourra m'ébranler . Elle
parloit encore, lorfque Sidy entra dans le
cabinet. Une profonde trifteffe regnoit
dans toute fa perfonne ; fes regards fombres
annonçoient la fureur qui l'animoit.
Je vous perds , divine Urfanie ! s'écriat-
il . Le comte vient de fixer le jour de
votre hymen avec Egards ; il m'envoie
vous dire de vous préparer à le célébrer
dans trois jours .
Urfanie , déjà attendrie par le recit
qu'elle venoit de faire , ne put entendre
Sidy fans faire éclater fa douleur . Elle fe
18 MERCURE DE FRANCE.
jetta dans les bras de Sara : les larmes , les
fanglots la fuffoquoient . Sidy, à fes pieds,
la conjuroit de fe modérer & de lui laiffer
le foin d'écarter cet orage . Elle entrevit ce
qu'il vouloit lui dire. Non , lui réponditelle
, je n'y confentirai jamais. Je vais
trouver mon père , me jetter à fes pieds ,
lui avouer mes fentimens & le conjurer
d'avoir pitié de moi . S'il me refufe , je
pars, & je fuirai au bout du monde , s'il le
faut. Sidy , tranfporté de joie , ne favoit
comment lui exprimer fa reconnoiffance ,
it lui embraffoit les genoux ; un filence
voluptueux leur fit goûter un inftant de
félicité.
Ils étoient dans cette fituation lorsqu'ils
virent venir Orodice fuivi d'Egards. La
Foudre les auroit moins furpris que cet afpect.
Sara s'avança vers eux , Sidy fe releva
& Urfanie effuya fes larmes. Ma fille,
lui dit le Comte , des raifons importantes
me portent à preffer l'honneur que le
Prince d'Irlande veut vous faire. Prépa
rez vous à l'accepter , & marquez lui - en
votre reconnoiffance . Urfanie , pâle, tremblante
, ne put obtenir d'elle de répondre;
une profonde révérence marqua fa foumiffion
, mais non fa joie.
Le Comte , qui n'imaginoit pas qu'on
dût réfifter à fes ordres, prit pour modeftie
FEVRIER. 1772. 19
l'effet de la douleur , & fe retira , faifant
figne à Sidy de le fuivre. Ce malheureux"
amant obéit en frémiffant. Orodice , charmé
d'avoir réufli dans fon projet , l'embraffa
: Mon cher Sidy , lui dit- il , je fuis
au comble de mes voeux ! c'eft peu que de
faire ma fille Reine , il faut que je monte
moi-même à ce rang augufte. Le Roi de
Momonie eft vieux ; fes fujets ne le trouvent
plus digne de leur commander ; ils
me choififfent pour leur fouverain. Le
Roi d'Irlande y confent , en faveur du
mariage d'Egards avec Urfanie. L'Ultonie
& la Connacie ne pourront fe maintenir
feule contre nous mon fang regnera
fur toute l'Hibernie.
Orodice cût pu parler davantage fans
que fon favori l'eûr interrompu . Livré
aux réflexions les plus cruelles , il ne fe
mettoit pas en peine de cacher fon chagrin.
Mais fon maître , qui attribuoit fon
filence au plaifir que lui caufoit cette confidence
, & à fon attachement pour lui , lui
en fçut gré ; il le congédia en lui ordonnant
de lever des troupes , & de les faire tenir
fur la frontiere du côté de la Momonie.
Pendant que le Comte fe repaiffoit de
fes chimères , que Sidy s'affligeoit , Egards
étoit auprès d'Urfanie , qu'il tâchoit de
rendre fenfible pour lui. Cette jeune prin2.0
MERCURE DE FRANCE.
ceffe , dont le parti étoit pris , cacha l'averfion
qu'il lui infpitoit fous un air de modeftie
, qui n'eût pas réuffi auprès d'un
autre , mais que le prince de Lagénie
interpréta en fa faveur. L'amour - propre
qui le dominoit lui fervit à quelque chofe
cette fois ; mais il paya cher ce moment
d'erreur.
Toute la foirée fe paffa , fans que Sidy
pût dire un mot à Urfanie , Orodice venoit
d'annoncer fon mariage ; il lui fallut
effuyer tous les complimens de fa cour ,
& les fadeurs dont Egards l'ennuya.
Rentrée dans fon appartement , elle fe
livra à toute la cruauté de fon fort . La
nuit ne lui offrit que des images terribles.
Le Comte , qui jugeoit de la fatisfaction
de fa fille pat celle qu'il reflentoit , entra
chez elle pour lui confier ce qu'il appeloit
fon bonheur. Il fut furpris de la trouver
en pleurs , & lui demanda brufquement
ce que fignifioient fes larmes ? Que
je fuis la plus infortunée des filles , fi vous
n'avez pitié de moi , lui répondit- elle en
fe jettant à fes pieds. Oui , Seigneur , une
averfion dont je ne fuis pas maîtreffe m'éloigne
du prince de Lagénie . J'aimerois
mieux la mort que fa main. Ah , Seigneur
! fi jamais vous m'avez marqué la
FEVRIER . 1772. 21
moindre tendreffe , je vous en conjure
par tout ce que vous avez de plus cher ,
éloignez , rompez ce funefte hymen . Une
couronne me touche peu ; contente de la
gloire de vous appartenir , de paffer mes
jours auprès de vous , le réduit le plus obf
cur me feroit préférable à la douleur de
m'éloigner & de vivre avec un prince que
j'abhorre ... Ses pleurs l'empêcherent de
pourfuivre , & fes yeux attachés fur ceux
du Comte , fembloient y chercher ou la
vie ou la mort.
Orodice aimoit fa fille ; il fut ému , attendri
de fon état ; mais l'intérêt d'une
couronne balançoit les mouvemens de la
nature . L'ambition l'emporta : il la releva
, & , fans répondre à tout ce qu'elle
venoit de dire , lui détailla les motifs qui
le faifoient agir , la pria de s'y conformer,
l'affurant de plus que l'amour n'étoit pas
néceffaire aux perfonnes de fon rang. Elle
voulut infifter , il l'interrompit au premier
mot , reprit un air févère & lui ordonna
d'obéir.
La trifte Urfanie fe détermina , elle ofa
faire fon bonheur. Elle envoya chercher
Sidy : il parut. Sidy , lui dit- elle , je n'ai
fléchir mon père. L'ambition l'emporte
fur tout ce que j'ai pu lui dire . Il
pu
22 MERCURE DE FRANCE .
me force à lui défobéir , j'y fuis réfolue .
Il faut nous féparer , conduifez - moi dans
un cloître , ne pouvant être à vous , je ne
veux être à perfonne. Non , Madame !
s'écria cet amant , je ne fouffrirai jamais
que vous falliez ce facrifice. Fuyez vos
perfécureurs , mais confentez que je vous
fuive : allons chez le Roi de Momonie ,
il me mettra en état de vous défendre
contre tous les Princes de la terre . Je difpofe
des troupes , elles me fuivront avec
joie , & facrifieront leur vie pour défendre
votre liberté. Mais , Madame , ajoutail
en lui lançant un regard de feu , il
eft un moyen plus affuré de vous conferver
à moi . Oſez fuivre un époux : ne fortons
de ce palais qu'après avoir formé des
liens indiffolubles...
Un bruit affez confidérable qui fe fit
entendre,l'enterrompit , & obligea la princeffe
d'envoyer Sara pour apprendre ce
qui le caufoit Cette jeune perfonne revint
toute effrayée leur dire qu'un différent
furvenu entre Egards & Orodice
étoit la caufe de cette rumeur. La princeffe
fit retirer fon amant , & fortit de fon
appartement pour voir fi elle devoir fe
plaindre ou fe louer de cet incident.
Elle rencontra fon père : Ma fille , lui
FEVRIER . 1772 .
23
cria -t-il d'auffi loin qu'il l'apperçut , je
vous avois commandé d'époufer Egards ;
& je vous ordonne maintenant de l'ou.
blier & de ne lui parler de votre vie ! le
comte de Médie étoit violent , il mena
la princeffe dans fon cabinet , fit chercher
Sidy & les inftruifit tous deux du fujet de
cette rupture.
Egards , qui avoit toutes les mauvaiſes
qualités de fon père , ne fe crut pas plutôt
afluré de la princeffe , qu'il lui échappa
quelques paroles qui firent douter au comte
de fa fincérité pour ce qui regardoit la
couronne de Momonie. Pour s'allurer des
intentions de Démertius & de fon fils , il
propofa à ce dernier de figner le traité
qu'ils venoient de conclurre. Le prince
de Lagénie le refufa fous divers prétextes
, & , fe voiant preflé , il déclara au
comte qu'il prétendoit que la Momonie
devint la dor de fa fille , ne voulant épou
fer qu'une Reine. Cette réponſe peu mefurée
& qui renverfoit toutes les efpérances
du comte , porta fa colere au plus
grand excès. Il mit la main fur la garde
de fon épée , le prince tira la fienne en
lui reprochant de violer le droit d'hofpitalité
: ils fondoient l'un fut l'autre avec
une égale fureur , & fans leurs courtiſans
24 MERCURE DE FRANCE.
qui entrerent en foule , la mort de l'un
d'eux , eût épargné le fang de leurs fujets ,
& l'Irlande n'eût point été affujetie.
Eh bien ! Sidy , ajouta le Comte , que
dites -vous de la mauvaife foi du Prince ?
Urfanie , c'eft de vous feule que j'attends
ma vengeance . Si j'en crois les pleurs que
je vous ai vu répandre , la perte du prince
de Lagénie & de deux royaumes vous
fera peu fenfible . C'eft à vous maintenant
à me prouver par une prompte obéiffance
que vous m'aimez & que vous êtes
digne de monter au rang que vous méprifez
: confentez à donner la main à Sidy
; je me dépouille de la Médie en fa
faveur ; dès ce moment vous regnez l'un
& l'autre , & moi je prétends conquérir
la Momonie aux yeux du Roi d'Irlande &
porter le fer & la fâme au fein de fes
états.
La princeffe , interdite , pénétrée de la
joie la plus vive , n'ofoit faire éclater tous
fes fentimens. Elle dit fimplement qu'elle
obéiroit , mais fes yeux fe tournerent fi
tendrement vers Sidy que le comte apperçut
une partie de ce qui fe paffoit en
elle. Il releva Urfanie , embraffa Sidy qui
s'étoit précipité à fes pieds pour lui exprimer
FEVRIER. 1772 25
mer fa gratitude. Je vous laiffe auprès de
ma fille , je vais tout faire préparer pour
votre hymen , je veux qu'il fe célèbre
demain , & s'il fe peut , que le prince de
Lagénie en foit témoin.
Urfanie , Sidy , Sara fe regardoient tous
trois , & ne pouvant imaginer que ce
qu'ils venoient d'entendre fut réel , ils
craignoient la fin d'une illufion fiflatteufe.
Leur crainte ne les quitta qu'au mo
ment fortuné où le comte les conduisit à
l'autel on les unit pour toujours. Toute la
cour , furpriſe d'un événement auffi fingulier,
cherchoit à pénétrer les motifs du comte
, croioit les faifir & raifonnoit à faux.
Egards , qui avoit quitté la cour au moment
de fa difpute avec le Comte , apprit
le mariage d'Urfanie avec une rage facile
à concevoir ; il jura de s'en venger , & ne
que trop parole.
tint
Le comte de Médie , qui s'attendoit à
une guerre fanglante , fit de fecrets préparatifs
; traita avec le Roi de Momonie ,
celui-même à qui deux jours auparavant
il vouloit enlever la couronne . Ces deux
princes fe virent , s'unirent étroitement
& de concert déclarerent la guerre au Roi
Démertius. Urfanie vouloit fuivre fon
B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
père & fon époux , partager les dangers
avec eux , mais ils ne purent y confentir;
elle demeura dans un château fur la frontiere
, où elle ne craignoit pas d'être furpriſe.
Egards vint préfenter la bataille aux
princes , elle s'engagea ; mais au fort de
la mêlée , ce prince , fuivi de deux cents
chevaux , fit le tour d'un bois , parvint au
château d'Urfanie , le força , l'enleva avec
Sara , l'envoya à Démertius & fut rejoindre
les fiens qui plicient de tous côtés .
Content du fuccès de fon entrepriſe , il fir
fonner la letraite , décampa en bon ordre
fans que le comte de Médie & Sidy qui
étoient bleflés fongeaffent à profiter de
leurs avantages.
L'enlevement de la princeffe les furprit
autant qu'il les affligea. Sidy, fuivant
la coutume de ces tems , vouloit ,
tout bleflé qu'il étoit , combattre fon rival
; mais le Comte plus prudent , ne fongea
qu'à fe mettre en état de redemander
la fille à la pointe de l'épée . Pour le faire
avec fuccès , il envoya un homme de confance
à Lotheric , Roi de Connacie , qu'il
favoit être ennemi de celui d'Irlande ,
Cet envoyé eut ordre de traiter fecretement
& de tout promettre pour obtenir
FEVRIER. 1772. 17
du fecours. Il y réuffit . Lotheric , qui avoit
des injures particulieres à venger , fe joignit
au Roi de Momonie & au Comte.
Ils entrerent tous trois dans la Lagenie ,
ravagerent tout le pays jufqu'à Dublin ,
qu'ils affiégerent , & qu'ils pritent ; rien ne
pouvoit réfifter à la fureur de Sidy & à la
prudence d'Orodice.
Démertius & Egards , voyant qu'il n'y
avoit plus d'espoir pour eux , fe fauverent
dans une fortie , emmenerent la princeffe
Urfanie en Angleterre , où ils furent reçus
du Roi Henri II avec toutes les marques
de bienveillance qu'ils pouvoient fouhaiter.
Henri qui depuis long- tems avoit
des vues fur l'Irlande , faifit avec empreffement
les moyens de s'en emparer , fous
prétexte de mettre fin aux troubles qui
ravageoient cette contrée.
Néanmoins, voulant garder quelque ombre
de justice , il envoia deux feigneurs aux
Rois de Momonie & de Connacie, & fe por
ta pour arbitre de leurs différens . On enrama
quelques négociations qui reſterent
fans effet par l'ordre fecret d'Henri & par
la fierté du comte de Médie. Pour aigrir
encore plus les chofes , Henri hit fecretement
évader Urfanie. Les envoyés de
Henriparlerent avec tant de hauteur qu'on
Bij
2 :8 MERCURE DE FRANCE.
leur fignifia qu'ils euffent à partir fur le
champ , s'ils ne vouloient porter la peine
de leur témérité.
Henri eût à peine vu les chofes dans
l'état où il les fouhaitoit , qu'il feignit la
plus grande colère & envoya Steinbock ,
an de fes feigneurs , à la tête de trente
mille hommes , fuivi d'Egards qui commandoit
fous lui , retenant Démertius
fous prétexte de ménager fa perfonne.
Celui à qui l'on avoit confié Urfanie
nela laiffa en liberté que lorfque l'armée
de Steinbock fut arrivée devant les ennemis
. Elle fut obligée de fe cacher dans un
pauvre hameau , d'où elle envoya avertir
fon père & fon mari de tout ce qui lui
étoit arrivé.
Steinbock donna la bataille à Lotheric
qui la perdit , malgré la valeur de Sidy &
les confeils du comte de Médie ; & demeura
prifonnier. Orodice fe renferma
dans Dublin , d'où il envoya propofer un
accommodement ; mais Steinbock , qui
avoit des ordres , n'y voulut point entendre
, & reprit la ville en peu de jours par
le moyen des intelligences qu'il y avoit.
Egards , dont le naturel féroce n'étoit plus
retenu par fon père , ne fut pas plutôt dans
FEVRIER. 1772 29
la ville qu'il la fit piller par les foldats &
y commit lui-même toute forte d'excès.
Le général Anglois ne fut pas fâché de
l'imprudence de ce jeune prince . Il fit
ceffer le carnage & fçut , par ce moyen ,
s'attacher le reste des habitans qui fe fou
mirent au Roi d'Angleterre , proteftant
qu'ils ne vouloient point d'un prince qui
s'étoit baigné dans leur fang.
Sidy , que
fon amour & la défaite rendoient
furieux , chercha par- tout Egards
pour le facrifier
à fon reffentiment
; défefpéré
de ne pouvoir
le joindre
, il fe
jetta au milieu
d'une troupe d'Anglois
qu'il tailla en piéce ; ce ne fut pas fans
recevoir
des bleures
confidérables
. Enfin
fe fentant
bleffé mortellement
, il fe fit
porter au hameau
qu'habitoit
l'infortunée
Urfanie
, & le hafard voulut qu'on le
mit dans la maiſfon
qu'elle avoit choifie.
Le bruit de la défaite
de Lotheric
, de la
prife de Dublin
étoit parvenu
jufqu'à elle .
De funeftes
preffentimens
l'agiterent
.
Oubliant
le danger qu'elle
couroit , fi eller
retomboit
dans les mains
d'Egards
; elle
s'étoit déterminée
à tout faire pour ſe rendre
auprès de fon père & de Sidy , qu'elle
croioit enfemble
.
Elle s'étoit déguifée & fe difpofoit à
B
iij
30 MERCURE DE FRANCE.
partir lorfqu'elle apprit par fon hôte qu'un
guerrier , extrêmement bleffé , venoit d'être
porté chez lui . Cette nouvelle la troubla
, tout fon fang s'émut , une pâleur fu
bite couvrit fon vifage ; un regard douloureux
fit comprendre & partager les
inquiétudes à Sara. Elles volent toutes
deux auprès de cet inconnu , le reconnoiffent
& tombent évanouies. Sidy la reconnut
à fa douleur ; mais trop foible pour
s'exprimer ,fes yeux chargés de pleurs, fes,
mains , qu'il foulevoit à peine & qu'il s'efforçoit
de lever vers elle , firent compren
dre , à tous ceux qui étoient là , une partie
de la vérité. Sara , revenue la première de
fon effroi , courut au lit de Sidy en difant :
Ah ! mon frère , mon frère ! .. Sidy , infenfible
à tout ce qui n'étoit pas Urfanie,
ne lui répondoit rien . Son ame toute entiere
étoit paſſée dans fes yeux ; des fanglots
étouffés étoient la feule marque de
fort existence . Urfanie revint enfin , chercha
Sidy , fe précipita fur lui , fans prononcer
un mot. Elle le tint long - tems
entre fes bras , mais que devint- elle , lorfqu'elle
s'apperçut qu'il ne lui reftoit plus,
de cet époux chéri , que le corps fanglant
& inanimé. Tout ce qu'on peut imaginer
de plus douloureux ne peut être comparé
FEVRIER. 1772. 31
à ce qu'elle reffentit. Son défefpoir la
porta plufieurs fois à attenter à fa vie
mais la tendre Sara en fufpendoit l'effet.
Dans un de ces momens où fa douleur
la rendoit furieufe , le barbare Egards qui
avoit appris la mort de Sidy , ofa ſe pré.
fenter devant elle . Elle frémit . Quoi ,
monftre , lui dit - elle , tu n'es pas content
des maux dont tu nous accables! que viens
tu faire dans ce lieu ? Madame , lui répondit-
il avec un rire amer , je viens vous
annoncer que votre père eft dans les fers ,
& qu'il faut contenter ma paffion,ou vous
réfoudre à le voir pétir . Barbare ! repritelle
avec fureur , tu vas être fatisfait. Elle
dit , & prenant un poinçon qu'elle portoit
à fes cheveux , elle fe l'enfonça dans
le coeur & tomba fans vie aux pieds du
cruel Egards. Ce furieux , défefpéré que
fa fourberie n'eût pas réuffi , voulut
porter plus loin l'outrage . Sara , qui étoit
préſente à ce fpectacle , fe jetta fur lui ;
fes cris attirerent quelques perfonnes
qui , ne pouvant fupporter la vie de ce
monftre , le percerent de mille coups.
Steinbock , qui ignoroit cette barbarie ,
faifoit chercher Eards avec le plus grand
foin. Il le connoiffoit trop pour ne le pas
B iv
32
MERCURE DE FRANCE.
craindre. Il fut enfin fa derniere action ;
l'horreur qu'il en conçut fut telle qu'il fe
hâta de foumettre toute l'Irlande pour
quitter une terre fouillée par un crime fi
horrible. Henri , qu'il informa de fes
fuccès , paffa en Irlande , s'y fit reconnoître
, rendit la Médie à Orodice , fit les
autres Rois tributaires , & dit- on , abrégea
les jours de Demertius. Quelques années
après , fur un léger prétexte , il dépouilla
les autres Rois , & réunit l'Irlande
irrévocablement à la couronne d'Angleterre
, dont elle fait toujours partie. C'eft
ainfi que l'amour & l'ambition ont foumis
toute l'Hybernie . Le comte de Médie
, dévoré de chagrin , ne put foutenir
les malheurs qu'il s'étoit attirés & mourut
en bute à la haine de ſes ſujets , au mépris
de fes voifins & aux reproches qu'il ſe faifoit
à lui-même.
Traduit de l'allemand par Mlle Matné
de Morville.
FEVRIER...1772 33
LES AGNEAUX ORPHELINS.
MIRE ÈRE Brebis mourut à la fleur de fon âge ,
Laiſlant deux Agneaux orphelins ,
Dont les bélemens enfantins
Attendrirent le voisinage.
Mais le berger les prit fous fa ' protection.
De la Brebis , dit - il , la mémoire m'eft chère;"
Pauvres infortunés , je ferai votre père ;
Votre mère vous laifle , & j'en fuis caution;
Un légitime bien , le prix de fes fervices ;
Et , ce qui vaut mieux , mes amis ,
Avec le lait fans doute elle vous a tranfmis
Ses bonnes qualités , fans mêlange de vices.
Par M. Boifard.
LES LOUVETEAUX ORPHELINS.
Au fond d'un bois , deux Louveteaux , U.
Grace aux rapines de leur mère , 23
Nourris de la chair des agneaux',
Avoient eu quelques jours un fort allez profpère.
Mais ce bonheur fat paffager ;
La cruelle expira fous les coups d'un berger.
Bv
34
MERCURE DE FRANCE
On prétend qu'une tourterelle ,
Voifine du repaire affreux
De ces coupables malheureux ,
En apprenant cette nouvelle ,
Parut céder encore à la compaſſion ,
E fit en foupirant cette réflexion :
Votre mère pour vous a commis bien des crimes
Elle vous abreuvoit du ſang de ſes victimes ;
La malheureuſe ! elle n'eft plus ,
Et vous laifle en mourant un funefte héritage!
Taifez-vous , orphelins ! .. vos cris font fuper-
Aus ,
Et des bergers vengeurs ils reveillent la rage.
Par le même.
EPITRE à un Dormeur.
HEUERUREEUX Damon , que je vous porte envie!
Que votre fort doit faire de jaloux ! Dis
Un long fommeil , abrégeant votre vie ,
Vous fait goûter les plaifirs les plus doux ;
Que , dis je , hélas , vous les poflédez tous!
Tantôt aidé d'un fongé favorable ,
Vous vous trouvez dans ces lieux enchantés ,
Dans ces jardins que le Tale a chantés ,
Dont la peinture appartient à la fable
Et qui pour vous devient des vérités.
FEVRIER . 35 \
1772.
Tous ces palais , chef- d'oeuvres des Armides ,
Tous ces châteaux jusqu'aux Cieux exhauffés
Où les rubis dans l'or font enchaflés ,
Qu'à l'opéra nous trouvons infipides ,
Sont vrais pour vous & vous en jouillez ;
Tantôt guidant quelques agneaux timides
Vous vous voyez en berger transformé ,
Et de l'objet dont vous êtes charmé
Ne craignant point les careffes perfides ,
Vous vous livrez au plaifir d'être aimé ;
Tantôt au fein d'un luxe afatique.
Embaraflé fur le choix des beautés ,
Vous dominez fur un férail d'Afrique
Où chacun fuit vos moindres volontés,
Où mille objets empreffés à vous plaire
Vous font goûter toutes les voluptés ,
Où fous vos pieds vous contemplež la terre.
Tantôt laffé d'éblouir le vulgaire
Et fatisfait de vous voir dérobé
Aux embarras d'un pefant ministère ,
Bien plus heureux & de ce rang tombé ,
Libre de foins , riche fans patrimoine ,
Vous végétez fous l'habit d'un chanoine ,
Ou fous celui d'un opulent abbé.
Heureux qui peut , à l'aide du menfönge ,
Jouir ainfi de la félicité !
Notre bonheur ici - bas n'eft qu'un fonge ,
Pien fou qui couit à la réalité.
Par M, Simoneau .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE de Mde Leroux d'Angers , à
une Epitre de M. Mugnerot.
BLEN
IEN grand merci de vos fleurettes ,
Quoiqu'elles foient d'or le plus pur ;
Tout beau difeur , tel que vous l'êtes ,
Peut en conter , mais l'âge mur
En trouve l'ufage peu für :
Cependant mon ame enchantée ;
Soit fentiment ou vanité ,
Trouve des traits de vérité
Dans une image auſſi Aattée.
Par cet aveu qu'elle a dicté ,
Déjà vous devez me connoître ;
Mais écoutez , je vais paroître ,
( Riez de ma fincérité , )
Ce que je fuis & je veux être.
J'ai vu la faifon des plaifirs ,
L'indocile & folle jeuneffe ,
Et fans contrainte & fans foiblefle
Couler au gré de mes defirs.
Jamais , ce dieu qui nous careſſe
Pour mieux nous cacher les rigueurs ,
Ne vint dans mon ame féduite
Porter le trouble qui l'agite ,
Sous les apparentes douceurs,
FEVRIER. 1772 37
Trop enjouée & trop volage ,
Pour m'aflervir à tous fes droits
A ces langoureux d'autrefois
Dont l'amour fut un eſclavage ;
Je laiſſai le trifte avantage
De vivre enchaînés fous les loir.
Hymen , fous les traits de fon frère ;
Vint me couronner de fes fleurs .
D'autres tems , dit - on , d'autres moeurs
Du moins c'eſt le dictum vulgaire.
Des foins , un ménage , un époux ,
Des enfans fans cefle avec nous ,
Leton & les devoirs de mère ,
Que fais-je enfin ? mille embarras
Le plus folide caractère
Se décourage & n'y tient pas.
Pour moi plus conftante & plus fage;
J'ai fçu dans mes engagemens
Conferver tous les agrémens
De la liberré du jeune âge.
Auffi , le dirai - je , à mes voeux
Le deftin toujours favorable ,
Me préparoit des jours heureux.
J'ai des maris le plus aimable ,
Le plus franc , le plus généreux ,
Aimé , chéri , digne de l'être
D'une épouse qui fait connoître
Le bonheur dont elle jouit ,
38 MERCURE
DE FRANCE
.
·
Il couvre de fes mains fidèles ,
Toujours de quelques feurs nouvelles
Le doux lien qui nous unit.
Dans cette égalité charmante
De goûts , de foins , de fentimens ,
Je peux aux doux égaremens
D'une liberté qui m'enchante ,
Donner encor quelques inftans.
Non qu'infenfible à ce murmure
Que la railon ou la nature
Oppofe à nos rellentimens ,
Je me falle un affreux ſyſtême
D'immoler tout à mes plaifirs ;
Et n'écoutant que mes defirs ,
De ne vivre que pour moi - même.
Il eft des devoirs différens
Que la fagefle multiplie
Suivant les âges & les rangs ;
C'est elle qui les concilie
Avec ces doux amuſemens ,
Cette gaîté vive & folâtre
Dont je chéris & j'idolâtre
Même jufqu'aux emportemens.
FEVRIER. 1772. 39
C
Comment voulez-vous done, beau fire ,
Me faire croire qu'Apollon
Ecarte du facré vallon
Ceux qu'hymen cient dans fon empire ?.
Et qu'au bruit de ces fons flatteurs ,
Formés aux bords de l'Hipocrène ,
Je vous croie en butte aux rigueurs
D'un dieu cruel qui vous enchaîne ?
Non , non , le penchant le plus doux
N'eft point un joug inſupportable ;
Et votre époufe raiſonable
N'a point ces mouvemens jaloux
Qui la rendroient bien moins aimable
Au plus aimable des époux ;
Non , à ce doucereux langage ,
A ceton un peu libertin ,
Je ne reconnois point enfin
L'air embarraffé du ménage ;
} ; ;༑ །
Et celle qui vous a dicté
Les vers naturels que j'admire ,
Eft celle-même qui m'infpire ,
Dites- le , c'eſt la liberté.
40 MERCURE
DE FRANCE :
LAVE U TARDI F.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES
LUCILE , jeune Veuve.
ROSETTE , fa femme de chambre.
D'ORVILLE ,
DAMIS ,
}
amans de Lucile .
GROCOURT , autre afpirant
La fcène eft fur une terraffe commune à
l'appartement de Lucile & de Dorville.
SCÈNE PREMIERE
D'ORVILLE , feul.
MA conduite & ma destinée font bien
bifarres ! j'aime Lucile tout m'annonce
que mon amour feroit écouté , & je n'ofe
rompre le filence. Je crains d'avoit été
prévenu. Lucile a mille charmes & ǝhille
adorateurs. Cependant , elle les reçoit
tous également bien ; cela femble dire
qu'aucun d'eux n'eft bien traité.
FEVRIER . 1772
SCÈNE I I.
D'ORVILLE , DA MIS.
DAMIS. Marquis ? remercie- moi.
D'ORVILLE . Très - volontiers . Puis - je
favoir de quoi il s'agit ?
DAMIS . Je t'ai choifi pour
D'ORVILLE. Moi feul?
confident.
DAMIS. Je ne l'ai dit qu'à trois ou
quatre de mes amis , trop occupés d'euxmêmes
pour s'entretenir de tout autre.
D'ORVILLE . Hé bien ! ce fecret , qui
n'eft fçu que de quatre perfonnes , quel
eft-il?
DAMIS. C'eft que j'aime la coufine , la
belle Lucile.
D'ORVILLE , un peu troublé. Tu l'aimés
?.. Que m'importe ? .. Le fait elle ?
DAMIS. J'aime cette queftion ! Tume
foupçonnes de lui en avoir fait mystère ?
Il est bien fimple de dire à une femme
que l'on aime , ce qui en eft . On fait le
même aveu à tant d'autres , lors même
qu'il n'en eft rien !
D'ORVILLE. Comment Lucile a - t- elle
reçu cet aveu ?
DAMIS . Comme elle reçoit tout; avec
42 MERCURE
DE FRANCE
.
réſerve & avec politeffe. Je n'ai pu tirer
que bien peu de paroles ; mais je me
fuis chargé du commentaire.
D'ORVILLE. En ce cas , tu es des mieux
traités.
DAMIS . Une feule chofe me fatigue :
c'eft que Lucile s'en repoſe toujours fur
moi pour l'explication. Il faut éternellement
deviner.
D'ORVILLE. Et cela t'embarraffe ?
DAMIS, Point du tout. Je fais aider à
la lettre ; mais enfin , tout doit avoir un
terme. Exhorte - là pour moi à conclure.
Je rifque un ridicule en prolongeant mes
foins , & tu fais qu'on fe doit à la réputation.
D'ORVILLE. Je l'avoue ; mais que puisjey
faire ?
DAMIS. Lucile fait cas de ta haute
prudence. Elle eft veuve , elle eſt ta coufine
, vous habitez fous le même toît. Un
mot de ta part peut abréger bien des lenteurs.
D'ORVILLE. Cette commiffion a fon
agrément !
DAMIS. Que t'importe ? Tu n'es pas
amoureux de Lucile. A peine on te voit
lui parler. Je fuis fûr que jamais un mot
FEVRIER. 1772. 43
de galanterie n'a égaïé vos graves entretiens.
D'ORVILLE. ( à part. ) Il a raifon , &
j'ai eu grand tort. ( haut. ) Je te promets
de parler de toi à Lucile.
DAMIS . Ne prends point le change.
Mon deffein n'eſt pas que tu lui parles en
ma faveur ; chofe par elle - même trèsfuperflae.
Exhorte- là feulement à ne plus
fe contraindre , & à ne pas immoler plus
long- tems fa propre fatisfaction à je ne
fais quel refpect humain . ( Ilfort. )
SCÈNE III.
D'ORVILLE , feul.
Voilà un fat qui jouit du bonhenr dont
jouiffent tous ceux de fon efpèce ; il eſt
toujours content de lui- même & de toutes
les femmes. Je parlerai , cependant ,
de lui à Lucile . Ce fera , peut -être , une
occafion de parler pour moi-même ....
hélas ! peut-être auffi Damis n'eft - il pas
auffi présomptueux que je le penfe . L'au
dace & l'étourderie ont toujours plus fubjugué
de femmes que les égards & la difcrétion
. Mais Lucile paroît. Voyons s'il
eft tems de rompre un filence qu'on ne
veut pas interpréter.
44 MERCURE DE FRANCE
SCÈNE I V.
LUCILE , D'OR VILLE.
LUCILE. Je viens refpirer l'air de cette
terrafle , & jouir un inftant du bénéfice
d'être feule .
D'ORVILLE. Madame , fi c'en eft un ,
vous en jouiffez bien rarement. . . Je
crains , à mon tour , de vous en priver.
LUCILE . J'ai lieu de croire que cette
crainte vous occupe fouvent. Elle vous
fait porter la circonfpection jufqu'à la négligence.
D'ORVILLE . J'ai tort , fi vous daignez
yous en appercevoir .
LUCILE . Hé bien ! oui , vous avez tort .
D'ORVILLE. Il me fera bien facile &
bien doux de m'en corriger .
LUGILE. Nous verrons.
D'ORVILLE. (à part. ) Ces mots peuvent
dire quelque chofe , ou ne rien dire ;
mais pourfuivons . ( haut ) Madame , j'avois
plus d'une raifon pour chercher votre
préfence.
LUCILE , ( avec intérêt. ) Plus d'un rai
fon ? .. Ne peut- on pas les favoir ?
D'ORVILLE . Je ne vous entretiendrai
FEVRIER. 1772 :
45
que de la moindre pour le préfent ... Je
ne vais être que l'interprète d'autrui .
LUCILE. ( à part. ) Que l'interprète
d'autrui ? Le rôle eft intéreflant! ( haut &
d'un ton férieux. ) De quoi s'agit - il ,
Monfieur ?
D'ORVILLE. Vous voyez fouvent Da
mis?
LUCILE. Oh ! très- fouvent !
D'ORVILLE: Il ne vous a point laiffé
ignorer qu'il vous aime ?
LUCILE. Il peut me l'avoir dit fans
je le fache encore.
que
D'ORVILLE. Il m'en a fait à moi - même
la confidence , & j'ai promis de vous.
en rappeler le fouvenir.
LUCILE , d'un air piqué. Vous êtes un
ami obligeant ! Damis eft heureux d'en
trouver de cette eſpèce.
D'ORVILLE. ( àpart. ) Elle femble pi
quée... Tant mieux ! ( haut. ) Il faut l'avouer
, Madame , j'ai cru obliger deux
perfonnes à la fois.
LUCILE . ( avec ironie ) Vous avez une
pénétration merveilleufe ! ... ( d'un ton
plusferieux. ) Au fonds , Damis pourroit
avoir de quoi plaire
D'ORVILLE . C'eſt ce que j'allois dire ,
46
MERCURE
DE
FRANCE
.
& il eft de bonne augure pour lui que vous
m'ayez prévenu .
LUCILE.Vous devez être bien fatisfait!
On ne fe charge pour l'ordinaire , d'une
pareille négociation que pour en accélerer
la réuffite .
D'ORVILLE . ( à part . ) Je fuis defefpéré
! ... ( haut ) Je dirai donc à Damis,
Madame , que fes voeux fetont bientôt
remplis?
LUCILE . Monfieur , je ne vous charge
de rien. Vous avez une furieufe vocation
pour ces fortes de meffages !
D'ORVILLE . Mais dirai - je à Damis
que les voeux font rejettés ?
LUCILE . Non , Monfieur .
D'ORVILLE . C'eft affez me dire ce qui
en eft.
LUCILE . Je me réſerve le foin de l'en
inſtruire moi - même. Vous pourriez
omettre quelque chofe , & il eft eflentiel
que mes fentimens lui foient bien connus.
Pardon je fens que l'air de la terraffe
me porte à la tête. Je vais chercher
ailleurs du repos.
FEVRIER. 1772 . 47
SCÈNE V.
D'ORVILLE , feul.
Que conclure de tout ce que je viens
d'entendre ? Que j'ai fait la démarche
d'un homme prudent , ou d'un fot. L'alternative
eft épineufe. Si Lucile ne prend
aucun intérêt à Damis , elle défapprouvera
celui que j'ai paru y prendre. Si Damis
l'intéreſſe , ma démarche étoit fuper-
Aue. N'importe , attendons l'événement.
Je ne connois rien de plus fâcheux, après
le malheur d'aimer envain , que celui
d'avouer inutilement que l'on aime.
SCÈNE V I.
D'ORVILLE , ROSETTE , apportant
fur la terraffe une corbeille de fleurs.
ROSETTE. Maudit foit le caprice des jolies
femmes ! Une pauvre fille eft bien à
plaindre d'être réduite à les fervir. Il fau
droit deviner ce qui peut leur plaire ou leur
déplaire. Ajoutez que ce qui leur plaît
aujourd'hui leur déplaira demain . C'eft ,
je crois , le tems qui règle leur humeur ,
ou plutôt , ma foi , leur humeur et toujours
déreglée.
48 MERCURE
DE FRANCE
.
D'ORVILLE. Tu grondes ? Ma chère
Rofetre ; quel eft le fujet de ton mécontentement
?
ROSETTE. Je ne reconnois plus Madame.
Elle étoit fi bonne ! fi douce ! .. Tout
eft changé depuis quelques mois ... Tenez
! prefque depuis le tems que vous ha
bitez cette maifon , je ne fais plus rien à
fon gré. Elle paroît mécontente de tout ,
& autant d'elle - même que des autres.
Elle avoit toujours aimé les feurs. Ce
matin Damis lui apporte cette corbeille.
Je la place dans fon boudoir , où je fais
qu'elle entre fouvent , & voilà qu'elle
m'ordonne de l'apporter fur cette terraffe.
Elle trouve que ces fleurs l'entêtent , l'incommodent.
Je ne fçais ; mais je crains
que Damis n'éprouve bientôt le même
traitement que la corbeille.
D'ORVILLE , vivement. Tu le crois ?
ROSETTE . J'en répondrois même.
D'ORVILLE. Quoi ? tu penfes que Lucile
a le coeur libre ?
ROSETTE . Libre ; ...
rien ; mais , au moins , n'eft- ce
je ne réponds de
qui l'empêche de l'être .
pas Damis
D'ORVILLE . Tu te trompes , Rofette:
ROSETTE.
FEVRIER. 1772. 49
ROSETTE. Allez , Monfieur , une femme
ne fe trompe point fur ces matières ,
& une femme de chambre moins que
toute autre .
D'ORVILLE. Hé bien ! dis- moi quel
eft le mortel affez heureux pour troubler
de Lucile ? le
je.
repos
ROSETTE. Je n'en fais rien , vous dis-
D'ORVILLE. Quoi ? tu ne vois rien qui
puiffe déceler...
ROSETTE . Oh ! je me pique d'avoir ma
petite pénétration ! je n'ai prefque rien
vu ; mais je répondrois bien que celui qui
intéreffe le plus Madame , ( regardant
finement d'Orville ) eft celui qu'elle voit
le moins.
D'ORVILLE , troublé. Qu'elle voit le
moins !
ROSETTE. Oui ; car je m'apperçois que
tous ceux qu'elle voit le plus fouvent lui
déplaifent beaucoup .
D'ORVILLE. (à part . ) Quelle heureufe
découverte!
ROSETTE. ( à part. ) Notre homme dif
cret parlera !
D'ORVILLE. Ecoute , Rofette...
C
so MERCURE DE FRANCE .
ROSETTE , vivement. Oh ! très-volontiers
.
D'ORVILLE. ( à part . ) Qu'allois - je
faire ? ... ( haut ) N'as - tu rien de plus
précis à me dire ?
ROSETTE. Je pourrois bien tirer encore
quelque chofe de mon magafin , fi vous
n'étiez pas fi foigneux de fermer le vôtre.
Parlez & je parlerai . Quoique femme, &
qui plus eft foubrette , je ne parle jamais
qu'on ne m'en donne l'exemple.
D'ORVILLE. Mais que veux - tu que je
te dife ?
ROSETTE. Vous voulez bien que j'aie
quelque chofe à vous dire , moi !
D'ORVILLE. Hé bien ! je t'avoue que
la queftion que je te fais m'intéreffe...
ROSETTE. Beaucoup ? beaucoup ?
D'ORVILLE. Prodigieufement.
ROSETTE. Vous êtes donc amoureux
de Madame?
1
D'ORVILLE , fe troublant . Mais , tu
tire là une conféquence ...
ROSETTE . Elle est toute fimple. A votre
âge on s'embaraffe peu de favoir qui
une femme aime ou n'aime point quand
on n'eft pas foi - même amoureux d'elle ,
FEVRIER. 1772. SL
D'ORVILLE. Roferte eft preffante.
ROSETTE . Parlez , parlez ! car je vois
bien qu'il faudra que j'inftruife ma maîtreffe
de ce que vous ne lui dites pas.
D'ORVILLE. Crois - tu qu'elle en foit
Alattée ?
ROSETTE . Jamais pareille découverte
n'a mortifié une femme.
D'ORVILLE. Cela ne me fuffit point...
Je veux être affuré...
ROSETTE , l'interrompant. Ne faut - il
pas vous en répondre corps pour corps ?
D'ORVILLE . Mais enfin , tu dois favoir...
ROSETTE. Je ne fais plus rien . Demandez-
le à Madame vous même . Comme
l'on dit , en donnant , donnant.
D'ORVILLE. Voilà une fuivante bien
difcrette ?
ROSETTE. Voilà un amoureux bien
diffimulé!
D'ORVILLE. On gagne toujours à m'avoir
pour ami.
ROSETTE . On ne perd jamais rien à
m'avoir pour amie. Allez , Monsieur ,
vous agiffez contre toutes les règles .
Quoi ? une foubrette que l'amant de fa
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
maîtreffe ne prend pas pour fà confidente !
Vous n'avez donc jamais lu , ni vu de pièce
de théâtre ?
D'ORVILLE. Hé bien ! ton zèle n'en
fera que plus neuf; tu ne fauras rien.
ROSETTE. (à part & s'en allant ) J'en
fais autant qu'il faut pour guérir la migraine
de Madame.
SCÈNE VII.
D'ORVILLE , feul.
Cette fille eft rufée . Elle a penſé m'arracher
mon fecret. Cependant , elle me
laiffe dans une extrême perplexité . Peutêtre
m'a-t- elle dit ce qui n'étoit pas ; peutêtre
ne m'a- t- elle point dit tout ce qui
eft... J'ai eu tort : j'aurois dû parler. Une
confidence en attire une autre , & il eft
rare qu'une foubrette s'interdife le droit
d'y répondre.
SCÈNE VIII.
D'ORVILLE , GROCOURT.
GROCOURT. M. le Marquis , vous fa
vez que je fuis fans compliment. Abrégeons
- les , & venons au fait. Vous êtes
le parent & l'ami de Lucile ?
FEVRIER. 1772. 53
D'ORVILLE. Je fuis fon parent.
GROCOURT. Mai , je voudrois être
quelque chofe de plus. Elle eft belle ; je
fuis riche , & ne fuis point encore trop
vieux. Je fuis veuf & elle eft veuve. Nous
pourrions réparer nos pertes l'un par l'autre
; & vous , mon cher Marquis , vous.
pourriez arranger tout cela , en bon parent
, puifque vous n'ambitionnez pas
d'être autre chofe.
D'ORVILLE . J'ai peu d'adreffe & de
vocation pour une femblable entremife.
GROCOURT. Mais rien n'eft plus fimple
! je m'en chargerois pour vous en pareil
cas.
D'ORVILLE. Je vous fuis obligé.
GROCOURT . Et moi , je ne vous en
tiens pas quitte . Vous devez être enchanté
de faire le bien de votre parente , & je
vous en offie un moyen. Chacun fait que
je fuis le meilleur homme du monde . Je
parle avec franchife , & j'agis de même.
J'ai cherché l'occafion de m'adrefler directement
à Lucile ; j'ai vu que cette occafion
pourroit être tardive , je m'adreſſe
à vous. J'ai de mon côté deux coufines ,
qui ne font point veuves ; mais qui font
dans l'âge de ceffer d'être filles : fi le coeur
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
vous en dit pour l'une des deux , vous
n'aurez qu'à parler , je ferai pour vous ce
que je vous prie de faire pour moi.
D'ORVILLE. ( à part ) . Quelle perfécution
!
GROCOURT. N'oubliez pas de dire à
Lucile que fi je defire être fon mari , c'eſt
que je defire qu'elle foit heureufe. Elle .
pourroit fe tromper fur tout autre , & je
fuis sûr de moi . Elle même réglera notre
étiquette de la fociété , fi elle lui plaît ;
de la folitude , fi elle l'exige...Il ne m'en
coûtera rien pour vivre & penfer comme
elle , pourvu que ce foit avec elle.
D'ORVILLE ( à part ) . Je ne parviendrai
jamais à m'en défaire , & je vois
qu'il faudra mettre encore Lucile à cette
nouvelle épreuve. ( haut ) . Oui , Monfieur
, je parlerai de vous.
GROCOURT . Et pour moi , fans doute ?
D'ORVILLE. Il le faut bien !
GROCOURT. Tenez ! L'occafion eft mer .
veilleufe , & fe préfente d'elle - même : je
vois paroître Lucile.
D'OR VILLLE ( à part ) . Quel embarras
FEVRIER. 1772. ss
影響
SCÈNE IX .
Les Acteurs précédens . LUCILE , ROSETTE.
ROSETTE . Oui , Madame , je vous
affure que l'air de la terraffe eft bon , &
que vous en ferez plus fatisfaite que
tantôt.
LUCILE. Tu abufes de ma complaifance,
ROSETTE.Voyez Monfieur le Marquis,
il s'en eft fi bien trouvé qu'il y eft encore.
D'ORVILLE à Lucile. Je m'en félicite ,
Madame , puifque vous deviez y reparoître.
GROCOURT. Je m'en félicite encore
plus moi , Madame , & d'Orville va
vous en dire la raifon . ( à d'Orville ) . Allons
, Marquis , tiens ta promeffe .
D'ORVILLE ( à part ) , Ah ! Quel
homme !
LUCILE. De quoi s'agit-il donc , Meffieurs
? ( à d'Orville ) . Vous avez l'air
embarrallé ? Ne fuis -je point de trop
ici ?
GROCOURT. Non , Madame non
d'honneur ! M. d'Orville vous dira com-
Civ
58 MERCURE
DE FRANCE
.
LUCILE . On pourroit ne s'y méprendre
pas. J'ai vu des perfonnes qui s'expliquoient
affez clairement par emblêmes.
DAMIS . Eh ! mais ... En vérité , vous
êtes incroyable ! ( à d'Orville ) Je vois que
tu n'as encore rien dit , parelleux Marquis
! Il faut te laiffer remplir ta miſſion .
Mais fouviens toi bien que je n'accorde
plus aucun délai. ( Il fort ).
GROCOURT. Madame , je commence
à vous croire ; mais je vous accorde , pour
changer d'avis , tous les délais qu'il vous
plaita . J'attendrai vos ordres ; daignez
feulement ne me pas laiffer trep vieillir.
( Ilfort).
D'ORVILLE ( aux genoux de Lucile ) . Je
vous crie merci ..
LUCILE . Que faites-vous , Marquis ?
Auriez- vous encore quelque nouveau Protégé
?
D'ORVILLE . Oui , Madame , il m'en
refte encore un ; & , fi vous le rejettez
comme les autres , c'est fait de mes jours.
LUCILE émue . Mais daignez vous lever
& vous expliquer,
D'ORVILLE. Je referai à vos pieds
jufqu'à ce que vous m'ayez promis de le
bien recevoir.
LUCILE ( à part ). Je ne fais où j'en
fuis ?
FEVRIER . 1772. 59
ROSETTE ( à Lucile ) . Courage , Madame
, tout va bien.
LUCILE en hésitant ) . Hébien ! Ce Pro- /
tégé... Quel eft - il ?
D'ORVILLE. Oferai - je vous l'avouer?..
C'est moi même .
LUCILE. Vous.
ROSETTE . Je vous l'avois bien dit!
D'ORVILLE . Pardonnez moi un filence
qui faifoit mon tourment. Je craignois
que votre coeur n'eût été prévenu ; je craignois
de le gêner par un aveu déplacé .
J'ai voulu connoître auparavant s'il étoit
libre encore , s'il pouvoit difpofer de lui .
Voilà le motif de ces démarches , de ces
épreuves qui n'ont pu que vous déplaire .
Daignez donc me répondre , belle Lucile
, agréez vous mon nouveau Protégé?
LUCILE ( affectueufement ) . Marquis ,
levez - vous .
D'ORVILLE. Me pardonnez -vous de
m'être expliqué fi tard ?
LUCILE ( en lui tendant la main ) . Ja
ne vous répondrai que par ce Proverbe :
Il vaut mieux tard que jamais .
Par M. de la Dixmerie.
C vj
65 MERCURE DE FRANCE.
Traduction d'un fragment de Lucilius . *
QU'EST- CE que la vertu ? c'eft l'ordre, l'équité ,
Raifon , force , grandeur , Conftance , humanité.
La vertunous enfeigne & l'honnête & l'utile ,
Et nous fait abhorrer toute démarche vile .
A nos vaftes projets elle préfente un frein ;
Et , montrant le vrai bu: du pouvoir fouverain ,
Elle indique le faux des brillantes chimères
Qui n'ont jamais féduit que des ames vulgaires.
C'eft elle qui tranfmet à l'homme courageux
Le droit de s'oppofer au criminel heureux ,
Se fût-il élevé jufques au rang fuprême .
C'est elle qui nous porte , en leur malheur extrême
,
A fecourir les bons , leur prodiguer nos foins ,
A leur fauver fur- tout la honte des befoins.
Le vertueux enfin dévoue à la patrie ,
Sa fortune , fon bras , & la gloire & la vie ;
C. Lucilius defcendoit d'une famille illuftre ,
& poflédoit de grands biens . Sa niéce fat la mère
du grand Pompée , & lui - même fervit dans la
cavalerie fous Scipion Numantin , dont il acquit
l'eftime & l'amitié , moins encore par la naiflance
que par les vertus & fes talens .
FEVRIER . 61
1772.
Aux fiens , à les amis , il le livre en entier ,
Et fon propre bonheur le touche le dernier.
ENVOI du Traducteur.
Cette antique vertu , de nos jours écartée ,
Malheureufe fouvent , mais toujours respectée ,
Dont le grand homme feul ofe fe faire honneur ,
O Villahermofa * le retrouve en ton coeur.
Par M. Feutry.
LE PRÉSENT DE NOCE.
Conte.
DANS certains pays c'eſt l'uſage
Que pour la nuit du mariage
La future fafle un préfent ;
Colin eut un noeud très-galant :
Oh! Colette , dit-il , je ne fuis pas fi bête ;
A d'autres cet ajuſtement :
Vouloir que dès ce foir je porte ce ruban ,
C'eft de bonne heure orner ma tête .
Par M. Houllier de St Remy.
* M. le Duc de la Villahermofa , &c. Grand
d'Efpagne de la première claffe , Gentilhomme de
la chambre de Sa Majefté Catholique , & c. & c.
62 MERCURE DE FRANCE.
•
LA FEMME VERIDIQUE.
(
Conte.
COLETTE dans fon lit gifſloit
Sur le point de devenir mère ;
L'hiftoire dit qu'elle crioit :
Son tendre époux fexagenaire ,
Afes cêtés fe lamentoit,
Et tout bonnement s'excufoit ;
Je fuis au défelpoir , mignonne ,
De t'avoir fait ainfi fouffrir ,
Dit-il , en pouffant un ſoupir :
Mon ami , reprit lafriponne ,
Ceffe de t'affliger , je fens qu'en bonne fai
Je ne fçaurois m'en prendre à toi.
Par le même.
A Madame *** à Troyes. •
PLUS belle que ne fut Helène ,
Vous avez plaire à de nouveaux Troyens ;
Mais elle étoit , je crois , moins inhumaine ,
Et d'en juger vous ôtez les moyens.
FEVRIER. 1772 . 63
Du Ximoïs & du Scamandre
On n'a point vu couler ici les flots ,
Le fier Achille & tant d'autres héros ,
Près de nos bords n'avoient rien à prétendre.
Mais file Troyen d'aujourd'hui
N'a point de murs & de tours à défendre ,
Il a fon coeur : fon coeur n'eft plus à lui
Quand il vous veit & qu'il peut vous entendre,
Par M. Leclerc de la Motte , Capitaine
au régiment d'Orléans infanterie
HYMNE à l'Amour. Traduction libre de
l'italien de Mde la Marquife de C** .
AMOUR , dieu de mon coeur , que j'ai choifi
pour maître ,
Qui répands fur mes jours le charme le plus doux;
Source de voluptés , principe de mon être ,
Je me livre à tes coups.
Quoique tu veuilles entreprendre
Sur mon malheur ou ma félicité ,
Tu n'as rien , dieu charmant , qui puiſſe me fuxprendre
;
Diſpoſe de ma vie & de ma liberté.
64
MERCURE
DE
FRANCE
.
Heureux qui te connoît ! malheureux qui te brave
!
Il a pour châtiment l'inſenſibilité .
Un prince indifférent ne vaut pas un eſclave
Dans tes fers arrêté.
Orcan , le fer en main , a conquis fon empire :
Il foule aux pieds tes loix ; on abbat le tyran.
Dans les jardins d'Orcan , Azor a vu Palmyre 3
Il halarde unfoupir ; il devient fon amant.
Tu ne veux pas , Amour , qu'en mes chants je
confonde
L'efclave & le maître orgueilleux :
Dans les bras de Palmyre Azor eft plus heureux
Que tous les conquérans du monde.
Par M. Coftard , libraire.
A M, le Maréchal Duc DE BRISSAC ,
fur fa nomination au gouvernement de
Paris.
Jouis de tes vertus , brave & noble guerrier :
Décore- toi , BRISSAC , de ce nouveau laurier !
Ton bras le cultiva dans les champs de Bellonne ,
Paris, avec plaifir, aujourd'hui te le donne,
FEVRIER. 1772. 65
Permets donc que fans fard un fimple citoyen
A l'éloge public ofe méler le fien.
Le dirai-je ! j'ai craint en te rendant hommage ,
Qu'on m'accufât d'offrir un compliment d'ufage ;
Mais ce qui me raflure en ces momens flatteurs ,
C'eft ton nom , c'eſt l'appui de mes chers protecteurs.
Oui , je peux fans rougir dire à toute la terre ,
BRISSAC eft un héros , un coeur droit & fincère :
Chacun reconnoîtra dans cette vérité ,
Que je fçais au moins rendre un tribut mérité .
C'eft aux nobles efforts de ton coeur magnanime
,
A l'amour pour ton Roi , qui fans cefle t'anime
chéri : Que tu dois les bienfaits d'un monarque
Tu méritois , BRISSAC , d'être fon favori.
Fidèle à tes devoirs , courtifan fans bafleffe ,
Tu fais avec grandeur foutenir ta nobleſſe.
Ah ! pourquoi n'ai - je donc qu'un trop
lent ?
foible ta
Quel fujet plus heureux ? quel modèle excellent !
L'art des vers près de toi n'eft plus une manie :
Cet art qui tour -à tour encenſe & parodie ,
Retrouve en te louant fon titre glorieux..
Oui , je fens qu'il eft fait pour célébrer les dieux .
O toi , de mon pays l'Euripide & l'Homère ,
Philofophe , orateur , ingénieux Voltaire ,
Lorsqu'en tes chants , Bourbon triomphe de Paris
,
66 MERCURE DE FRANCE.
Flattes - tu la valeur du plus grand des Henris ?
Non , d'accord avec toi , l'hiftoire irrévocable ,
A nos derniers neveux te rendra plus croyable.
Que ne puis-je imiter tes fons harmonieux !
De grace , infpire-moi tes chants mélodieux ;
Ma voix, dans ce beau jour , plus noble & plus
touchante ,
Sera plus digne au moins du héros que je chante.
Mais , je fens bien , hélas ! que je t'invoque en
vain ,
Tu veux pofléder feul ton organe divin ;
Qu'importe : j'ai prouvé , quoique foible & novice
,
Queje n'immole point à l'idole du vice.
Non, ce n'eft point à vous que j'adreſſe ces vers ;
A vous, mortels ingrats , orgueilleux & pervers :
Cherchez de vils flatteurs. Que d'une voix perfide
Ils enivrent vos fens d'un encens homicide.
Ah! s'il peut exifter des auteurs
corrompus
Qui briguent
vos faveurs aux dépens des vertus ,
Plus coupables
que vous , ils rentrent
dans vos
crimes ;
Oui ,loin d'en impofer, complices & victimes ,
L'idole & l'orateur ne percent l'avenir ,
Que pour mieux retracer un affreux fouvenir.
O toi ! queje révère , équitable déeffe ,
Augufte vérité , repétes - moi fans ceffe :
L'honneurfoule àfes pieds de honteufesfaveurs ;
FEVRIER. 1772. 67
Etfe fait un tréfor de l'or des bonnes mæurs.
Eh ! dois-je redouter d'empoifonner ma plume ,
Lorfque pour toi , BRISSAC , mon premier feu
s'allume ?
Non , je fens au plaifir de chanter mon héros ,
Que de la probité dépend notre répos.
Par M. Croi **..
COUPLETS chantés à la table de M. **
lejour du repas donné à l'hôtel- de- ville
à M. le Maréchal Duc DE BRISSAC,
Gouverneur de Paris.
BUVONS Buvons à notre Gouverneur ,
Aux Magiftrats qui l'environnent;
Mars & Bacchus , en leur honneur
De pampres nouveaux ſe couronnent.
Au fein de la Paix le laurier,
Arrofé d'un jus délectable ,
Doit fe changer en olivier,
Et décorer Minerve à table.
Célébrons donc , le verre en main ,
Le choix de notre cher Monarque ,
Amis , invoquons le deftin ,
Faifons une offrande à la Parque,
G8 MERCURE DE FRANCE.
Vive Louis le Bien- Aimé ,
Gloire au fujet brave & fidèle ,
BRISSAC , notre Roi t'a nommé
Pour que tu fois notre modèle.
Grace aux foins d'un de tes ayeux ,
Paris , plus calme & plus tranquile ,
Reçut Bourbon victorieux ,
Briflac eft né pour notre ville.
L'Anglais , cet illuftre Echevin ,
*
* En 1594 , Paris n'avoit vu ni reconnu de Roi
depuis quinze ans . Deux hommes ménagèrent
feuls cette révolution . Le Maréchal de Brifac &
un brave citoyen dont le nom étoit meins illuftre
& dont l'ame n'étoit pas moins noble , c'étoit
un Echevin de Paris nommé l'Anglais. Ces deux
reftaurateurs de la tranquillité publique s'aflocièrent
bientôt les Magiftrats & les principaux
Bourgeois. Les mefures furent fi bien prifes , le
Légat , le Cardinal de Pellevé , les Commandans
Efpagnols , les Seize fi artificieufement trompés
& enfuite fi bien contenus que Henri IV fit fon
entrée dans fa capitale , fans qu'il y eût prefque
de fang , il renvoya tous les étrangers qu'il pouvoit
retenir prifonniers ; il pardonna à tous les
Ligueurs (Hiftoire univerfelle ) En un mot, l'hiftoire
offre mille traits glorieux en l'honneur des
Coflé Briffac , & les derniers dont notre Gouverneur
vient de fignaler fon avénement , font des
preuves que les vertus & la grandeur d'ame font
héréditaires dans cette famille .
FEVRIER. 1772. 69
Mérite auffi qu'on s'en fouvienne ,
Honorons donc d'un jus divin
Toute ame noble & citoyenne.
Buvons à notre Gouverneur ,
Au cortége qui l'environne ,
C'est pour notre commun bonheur
Que Thémis s'unit à Bellonne :
Au fein de la paix le laurier ,
Arrofé d'un jus délectable ,
Doit fe changer en olivier
Et décorer Minerve à table.
Par le même.
LE CONSOLATEUR.
MON Mon bon ami de trente années ,
Quand je lui fais l'humble recit
De mes cruelles deſtinées
Sait par où ce mal s'adoucit.
Il me fait le bel étalage
D'un fuccès nouveau qui l'attend ;
Je le vois heureux & content ,
Comment me plaindre davantage ?
Par M. P.
70 MERCURE DE FRANCE.
Ir-
VERS pour être mis au bas du Portrait
de Madame la Comteffe d'Evreux ,
landoife.
Le Ciel la fit pour nous offrir
Le plus beau des modèles ;
La nature pour affervir
Les coeurs les plus rebèles .
Le goût vint encor l'embellir.
Elle cut mille attraits en partage ;
Mais le pinceau n'a pas rendu
Ni les charmes de la vertu ,
Ni tout l'efprit de ſon viſage.
VERS pour être mis à la tête d'une
collection de romans.
M'AMUSER, n'importe comment
Fait toute ma philofophic.
Je ne crois perdre aucun moment
Hors le moment où je m'ennuic ;
Et je tiens ma tâche remplie , *
* Ce vers a été changé dans l'almanach des
FEVRIER. 1772. 71
Pourvu qu'ainfi tout doucement
Je me défaffe de la vie.
Par M. l'Abbé Porquet.
L'EXPLIC
'EXPLICATION du mot de la première
énigme du fecond volume du mois de
Janvier 1772 , eft la Truffe ; celui de la
feconde eft la Plaque de cheminée ; celui
de la troisième eft l'Eternûment. Le mot
du premier logogryphe eft Tripotage ,
dans lequel on trouve Tri , ( jeu moderne
) pot , age , tripot , potage , triage ; celui
du fecond eft Dragon , où fe trouvent
Dagon , on , don , argo , ( navire ) or ;
celui du troifième eft Etoile , où fe trouvent
ile , toile , étole ; celui du quatrième
eft Charpie , dans lequel fe trouvent harpie
, harpe , char , pie , ( cheval de bataille
de M. de Turène ) Pie , ( Pape )
pie , (oileau ) phare , ( d'Alexandrie ) ica
re , Chypre , arc , Caire , Pera , ( fauxbourg
de Conftantinople ) chair , carpe ,
raie , chapier.
Mules . On a mis finie au lieu de remplie , c'eſt
une faute .
72 MERCURE DE FRANCE.
ÉNIGME
J fors de terre , & j'y rentre , Lecteur : E
Dèsque tu vois le jour je te fuis néceflaire.
Jefers au Prince , au Sénateur ,
A la Cour , au vulgaire.
J'honore & j'orne le Prélat.
Je diftingue fur-tout , un corps favant , utile
A l'Eglife , à l'Etat .
Mon emploi n'eft point futile.
On me trouve au combat.
Mon cher lecteur , devine & penfe
Qu'aux doigts de ta Philis , je dois mon exiſtence.
A Senlis , par un Abonné au Mercure.
AUTRE.
Desmains de l'art je reçus l'exiſtence .
Le fer , le feu , la terre & l'eau
Eurent tous part à ma naiſſance ,
Et pour combattre l'air je quittai le berçeau.
Par
Page 71.
AIR
Sur desparoles connuepar M.Raymond
Comedien a Ratisbonne.
Tempo di minuetto.
Fevrier
1772
Ze
con nois - tu ma chere E
le : o : no...re Ce tendre en fant qua te
suit en tout lieu ? Ce tendre en
fant qua le seroit en co...re
Ce
tendre enfant qui le seroit en
co... re Si tes re
-gards
n'en
3
a : voit fait
un Dieu n'en avoit
fait
un
un Dieu
.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
FEVRIER. 1772. 73
Par mon état placée à la claffe femelle ,
Je n'eus jamais d'époux , j'ai cependant un fils ,
Je le porte en mon fein , & fa nature eft telle ,
Qu'il exiftoit peut- être avant que je naquis.
Homme; de tous les tems ardente à te fervir ,
D'un fouffre menaçant par fois je te délivre.
Ma voix t'avertit de bien vivre ,
Et toi , de mes bienfaits tu perds le fouvenir:
Des plaiſirs & desjeux quand la troupe légere
T'entraîne , à tes devoirs je fcais te ramener,
Je te rends à l'amour , & plus d'une Bergère
N'eût pas reçu fans moi , l'hommage du Berger.
Par mes foins , par ma vigilance.
Je préviens les fureurs d'un fougueux élément ;
Et je m'oppose à la prudence
D'un ennemi qui te furprend.
Mets-tu le deuil ? fenfible à tes allarmes,
En accents douloureux je partage tes larmes ,
L'himen couronne- t- il ton amoureuſe ardeur ?
Par mille cris joyeux je chante ton bonheur.
Et quand la nuit fortant de fes demeures fom
bres
D
74 MERCURE DE FRANCE;
I
Seme dans l'Univers le filence & les ombres,
Tu dors , & refpectant ce précieux fommeil ,
Je me tais pour ne point trop hâter ton reveil.
Pour prix de mes bienfaits , quelle eft ma deftinée
?
Tu me charges de fers , me mets la corde au col ;
Au plus haut d'un gibet je me vois attachée ,
C'est l'acte d'un ingrat ou bien celui d'un fol.
A Perpignan.
LOGO GRYPH E.
LECTEUR , a ECTEUR , avec les pieds je fuis toujours ma
mère ;
Si tu coupe en deux parts mon tour également ,
Un vilain animal s'offre dans la première ;
La feconde autrefois fervoir de vêtement.
Par M. Houllier de St Remi
de Sezanne.
FEVRIER. 1772. 73
AUTR E.
La moitié de mon corps prend la naiffance en
terre ;
Dans l'air l'autre moitié la prend tout au cons
traire :
Mes fept pieds , dans les eaux prennent leur ali
ment ,
Par être mis au feu je finis très -fouvent.
Par M. Oye , vicaire à Oyé ,
diocèse d'Autun.
EN
AUTRE.
N de certains pays bienheureux qui me porte
En France on me reſpecte , on me craint à la
porte.
J'ai fix pieds bien comptés , dont toute la vag
leur ,
Je puis vous l'aflurer , confifte en la couleur.
Si vous les partagez , prenez garde à ma téte,
Souvent elle épouvante & fait fuir mainte bête.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Sivous la renverfez , on la craint dans les eaux;
En la décapitant elle eft un des métaux.
Quant à ma queue , on la trouve eſtimable ,
Selon que plus ou moins elle eft confidérable.
A mon tout eft pendu ce figne précieux ,
Qui , tout ainfi que moi , fait bien des envieux.
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Caufes célèbres & intéreffantes avec les jugemens
qui les ont décidées , rédigées
de nouveau par M. Richer , ancien
avocat au parlement ; in- 12 . A Amfterdam
, & fe trouve à Paris , chez
Defprez , Imprimeur-Libraire , rue S.
Jacques.
LEES Caufes célèbres en 20 volumes
in- 12 . de Gayot de Pitaval eft une collection
qui intéreffe par fon objet , mais
qui dégoûte par le ftyle fade & rampant
du compilateur , par les réflexions triviales
& hors d'oeuvre dont il l'a femés , par
des rapfodies en vers & en profe que Pitaval
, le plus mauffade & néanmoins le
plus vain des écrivains , croyoit néceffaiFEVRIER
. 1772. 77
res pour relever fon ouvrage , mais qui
n'ont contribué qu'à le rendre plus lourd
& plus dégoûtant. Le peu de méthode
d'ailleurs du compilateur faifoit deficer
que que quelqu'écrivain fe chargeât de
recommencer cette tâche & de lui donner
une forme plus agréable & plus inftructive.
Le travail de M. Richer qui ne
s'eft point diffimulé les défauts de fon
prédéceДeur ne peut donc manquer d'être
accueilli du Public. Cet écrivain ne s'eft
pas contenté de fubftituer fon ftyle à celui
de Pitaval & de renverfer l'ordre qu'il
avoit fuivi dans chaque caufe , il a enco
re cherché à y mettre plus d'intérêt en
ajoutant de nouveaux moyens à ceux que
Pitaval avoient employés , à ceux mêmes
qui fe trouvent dans les mémoires où il a
puifé. M. Richer a d'ailleurs enrichi fon
édition de plufieurs caufes intéreffantes
que Pitaval avoit négligé de donner au
Public. De ce nombre eft celle qui fut
plaidée devant Henri IV.
Ce Prince voulant procurer toutes fortes
d'amuſemens au Duc de Savoie qui
étoit venu en France fur la fin de 1599 ,
au fujet du marquifat de Saluces , fit favoir
à M de Harlai , premier préſident ,
qu'il iroit au palais entendre plaider , &
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
qu'il feroit accompagné du Duc de Savoie.
On fit préparer en la grand'chambre
une espèce de tribune grillée , telle
que font celles appellées aujourd'hui lanternes.
Le Roi & le Duc fe rendirent par
eau , du louvre au bas du jardin du premier
préfident , traverfèrent fon hôtel &
arrivèrent dans la lanterne qui leur étoit
deſtinée. Le premier préfident avoit fait
choix d'une caufe dont voici l'espèce.
Jean Proft avoit été envoyé à Paris par
fa mère , pour y faire fes études en droit.
Il fe logea en chambre garnie chez un
nomméBoulanger. Ce jeune homme dif
parut tout d'un coup dans le tems qu'il
venoit de recevoir de fa mère une fomme
d'argent affez confidérable. La juftice
, informée de cette difparution , fe
tranfporta dans la chambre de Proft ,
trouva fes coffres enfoncés & l'argent
enlevé. On arrêta Boulanger & on inftruifit
fon procès. A l'interrogatoire , il
foutint toujours qu'il ignoroit ce qu'étoit
devenu Proft , & qu'il n'avoit aucune
part au vol de fon argent. Ses enfans furent
arrêtés ; ils dépofèrent que le lende
main du jour que Proft étoit difparu , ils
avoient va entrer deux inconnus dans fa
chambre le plus jeune ajouta que ce.
FEVRIER. 1772. 79
même jour Boulanger , fon père , avoit
enlevé l'argent de Proft , l'avoit porté
chez fon beau frère , qui l'avoit caché
dans un endroit qu'il indiqua, Tous ces
faits fe trouvèrent vrais . Boulanger fut
condamné à la queftion ordinaire & extraordinaire
, il la foutint fans rien
avouer. Il fut enfin mis en liberté , mais
à la charge de fe repréfenter en juftice ,
toutes les fois qu'il en feroit requis
Quelque tems après , on arrêta trois gafcons
qui voloient dans Paris. Ils furent
condamnés à être pendus pour un vol fait
avec effraction . Celui qui fut exécuté le
dernier , déclara , avant de monter au gi.
bet , que Boulanger étoit innocent du
meurtre de Jean Proft ; que c'étoit lai
qui l'avoit commis conjointement avec
un de fes camarades que l'on venoit d'expédier.
Ils avoient appris que fa mère lui
avoit envoyé de l'argent ; pour voler cette
fomme plus facilement , ils réfolurent
de tuer Proft le foir dans la rue. S'ils
euffent commis cet affaffinat dans la
chambre même du jeune homme , le
bruit qu'il auroit fait en fe défendant , les
auroit décélés , & ils auroient pu être pris
en flagrant délit : au lieu que s'étant ainfi
défaits de lui , il leur étoit aifé d'aller
Div
30 MERCURE DE FRANCE:
dans fa chambre fans bruit , au moyen de
fa clefqu'ils lui avoient prife dans fa poche.
Il ajouta qu'ils n'avoient retiré aucun
fruit de ce crime . Ils étoient entrés à
la vérité dans la chambre le lendemain
de l'affaffinat ; ils avoient forcé les coffres
, mais ils n'avoient point trouvé l'argent
qu'ils cherchoient. On lui demanda
ce qu'il avoit fait du cadavre de Proft . Il
dit que fon camarade & lui l'avoient jetté
dans les commodités de la maison où
ils fe retiroient ordinairement ; ce qui fut
trouvé vrai.
Boulanger préfenta fa requête à la cour
par laquelle il demandoit qu'on le déclarât
innocent de l'affaffinat ; que la mère
de Jean Proft , qui l'avoit pourfuivi comme
affaffin de fon fils , fût condamnée à
lui faire réparation d'honneur avec dépens
, dommages & intérêts . Anne Robert
, qui plaidoit pour Boulanger , dé
buta par un exorde compofé dans le goût
de ce fiécle : Tout ainfi , dit - il , que
» Telephe , fils d'Hercule , ayant été bleſſé
d'un coup de lance par Achille , eut
» réponſe de l'oracle qu'il avoit confulté,
» que la lance feule d'Achille pouvoit le
» guérir , de même ma partie ayant été
» tourmentée par arrêt occafionné par
FEVRIER . 1772 Sr
י כ
l'accufation calomnieufe de fon adver
» faire , elle a recours à la même jufti-
» ce pour la punition de la calomnie &
» l'adouciflement de fes malheurs. » Paffant
enfuite aux moyens , il dit qu'inuti
lement la mère de Jean Proft alléguoit
pour fa défenſe , que la cour , ce tribunal
fi augufte & fi éclairé , avoit été frappée
des charges qui s'étoient trouvées au procès
contre Boulanger ; qu'à plus forte raifon
, une mère , qui ne cherche que la
vengeance de la perte de fon fils , a bien
pu tomber dans l'erreur , en marchant à
la fuite des traces qui pouvoient la conduire
à la découverte du coupable , puifque
c'étoient ces mêmes traces qui avoient
trompé la cour. Les pourfuites des parties
font pleinement volontaires ; par conféquent
, elles doivent , avant d'intenter
une action , bien prendre leurs meſures
pour difcerner le coupable d'avec l'innocent.
Le juge , au contraire , eft aftreint
à certaines formalités ; il eft des maximes
dont il ne peut s'écarter : il faut qu'il fuive
les indices qui lui font fournies par
les piéces que la partie lui met fous les
yeux , & par les témoins qu'elle lui fair
entendre. Il ne fonde fes décifions que fur
ce qu'on lui rapporte , & s'il en réfulte
Dr
82 MERCURE DE FRANCE.
quelqu'inconvénient , c'eft aux parties
qu'il faut l'imputer , & nullement à la
justice. Dans cette caufe c'étoit la mère de
Proft qui avoit allumé le flambeau de la
calomnie; elle avoit , par fes larmes , ſéduit
les témoins , qui , ne voyant les faitsqu'au
travers de la compaffion qu'elle
leur avoit infpirée , les avoient tournés
au défavantage de l'accufé . Par-là , elle
avoit fixé tous les foupçons fur Boulanger
; on l'avoit regardé comme devant
être le feul coupable ; on n'avoit point.
fongé qu'il pût y en avoir d'autres , &
l'on n'avoit point apperçu les démarches
qui pouvoient conduire à la découverte
de la vérité. L'accufation avoit été intentée
contre Boulanger feul ; le juge n'avoit
pa diriger la procédure que contre lui .
Quand une fauffe accufation n'eſt point
le fruit de la calomnie , mais de l'imprudence
, comme dans cette caufe , la
punition à la vérité n'eft point capitale ,
mais on la convertit en dommages &
intérêts . Les larmes d'une mère qui pleure
fon fils affaffiné doivent fans doute
toucher le coeur des juges ; mais ces juges
doivent-ils être moins fenfibles aux gémiffemens
d'un innocent auquel on fait
fouffrir les tourmens de la queftion la
FEVRIER. 1772 . 83
plus rigoureufe , & qui refte tellement
eftropié de tous fes membres , qu'il lai
eft impoffible de gagner la vie , celle
d'une femme & de cinq enfans ?
Quand l'avocat eut ceffé de parler , le
Duc de Savoie fe déclara pour lui & dic
qu'il avoit raifon . Attendez , lui repartit
Henri IV , vous ne connoiffez pas encore
toute l'éloquence de nos avocats.
Me Antoine Arnauld qui étoit chargé de
la défenſe de la mère , établit que , lorfque
Proft fut maffacré , Boulanger voyant
qu'il ne rentroit point chez lui , au lieu
d'avertir la mère de l'abſence de fon fils ,
étoit allé prendre fon argent & l'avoit
tranfporté hors de fa maifon ; qu'il avoit
plufieurs fois dénié ce fait à la face de la
juftice , & avec ferment ; que , lorsqu'il
avoit fçu que deux étrangers étoient entrés
dans la chambre du jeune homme ,
& y avoient enfoncé les coffres , il auroit
encore dû avertir la mère ; qu'il ne s'en
étoit difpenfé fans doute que par la crainte
de perdre fon larcin fi les lois condamnent
à la reftitution du quadruple celui
qui a volé ou récelé des chofes volées
dans un naufrage , une incendie , &c.
quelle punition doit - on infliger à celui
qui a volé l'argent de fon hôte affaffiné ?
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Toutes ces circonftances annonçoient que
Proft avoit été tué par quelqu'un qui , inf
truit qu'il avoit reçu de l'argent , vouloit
fe l'approprier. Sa mère pouvoit - elle
mieux s'adreffer qu'à celui qui s'étoit
trouvé faifi de cet argent ? Par arrêt du
lundi 27 Janvier 1600 , Boulanger fut
déclaré abfous du crime , & fur la demande
en dommages & interêts , les parties
furent mifcs hors de cour, fans dépens .
Dans toute autre circonstance , il auroit
été dû des dommages & intérêts à Baulanger;
mais l'argent enlevé & caché prouvoit
une mauvaiſe intention de fa part, &
l'on jugea qu'il avoit mérité la queftion
qu'il avoit fubie. Le Roi & le Duc de
Savoie applaudirent à cet arrêt.
Il ne paroît encore que les deux premiers
volumes de cette collection ; & la
caufe que nous venons de rapporter pour
mieux faire connoître la méthode du rédacteur
est une des plus courtes du premier
volume. La circonftance dans laquelle
cette caufe a été plaidée la rend
encore plus intéreffante qu'elle ne le feroit
par elle - même. Le fecond volume
contient uniquement l'hiſtoire du procès
de la Cadière contre le Père Girard . M.
Richer a fçu apprécier les faits de cette
FEVRIER. 1772 85
taufe fingulière , & il en a fagement écarté
cette teinte de furnaturel & de fortilége
que le défenfeur de la Cadière qui
avoit plus de zèle que de philofophie
avoit cherché à répandre fur une partie
des faits qu'il préfentoit. L'accufation de
magie étoit fans doute bien ridicule ;
mais celle de libertinage ne l'étoit peutêtre
pas moins . L'amour n'étoit pas le
foible de ce Jéfuite qui avoit alors plus
de cinquante ans. Son plus grand crime
fut d'être en bute à une cabale qui ne favoit
point pardonner & d'avoir eu la foibleffe
de prêter l'oreille aux prétendus
miracles de fa pénitente dont la réputation
de fainteté augmentoit celle du directeur.
Auffi le parlement d'Aix jugea
que le feul denouement que l'on devoit
donner à cette fcène ridicule & qui pouvoit
devenir funefte étoit de renvoyer les
parties hors de cour & de procès.
M. Richer fe propofe d'écarter de fa
collection les procès de Marie Stuard ,
ceux de Dom Carlos , de Robert d'Artois
& d'autres femblables que Pitaval ,
qui compiloit par- tout pour groffir fon
recueil , avoit admis fans faire attention
que ces fortes d'événemens fe trouvant
liés à ceux que préfente l'hifloire doivent
être lus uniquement dans les hiftoriens .
86 MERCURE DE FRANCE.
Mémoirefur la meilleure manière de faire
& de gouverner les vins de Provence
foit pour l'ufage , foit pour leur faire
paffer les mers , qui a remporté le
prix , au jugement de l'Académie de
Marfeille , en l'année 1770 , par M.
l'Abbé Rozier , de l'académie royaledes
fciences , beaux arts & belles - lettres
de Villefranche , de la fociété
impériale de phyfique & de botanique,
de Florence , de la fociété économique
de Berne , aflocié à celles de Lyon , de
Limoges & d'Orléans , ancien directeur
de l'Ecole royale de médecine
vétérinaire. A Marſeille , chez F. Bre
bion , imprimeur ; brochure in- 8 °.
Dans la plupart des provinces du
royaume la vigne eft abandonnée à des
vignerons ignorans qui travaillent machinalement
& fuivent de père en fils
une routine aveugle . Auffi ce n'eft point
à eux que ce mémoire s'adreffe directement.
Des expériences multipliées , des
tentatives heureufes , des bevues même ,
voilà leurs livres ; ce font des faits parlant
aux yeux , & les feuls documens qui
leur conviennent ; mais l'homme inf
truit , l'homme éclairé qui eft perfuadé
FEVRIER . 1772 87
que les fciences fe prêtent des fecours
mutuels & néceffaires , lira avec fruit &
même avec intérêt ce mémoire dicté par
un obfervateur intelligent & qui a fçu
s'aider des lumières de la phyfique & de
la chymie pour dérober à la nature une
partie de fes fecrets & améliorer la culture
des vignes.
Le favant Oenologifte , pour mettre
plus d'ordre & de méthode dans fon mémoire
, l'a divifé par chapitres . Il eft
queftion dans le premier & le fecond du
terrein & de l'expofition convenable d'une
vigne & du choix des raifins. Le troiſième
& le quatrième chapitres parlent du
tems le plus convenable pour vendanger,
& des foins néceffaires en mettant le raifin
dans la cuve , & pendant le tems de
la fermentation . Il eft queftion dans le
cinquième chapitre du tems auquel on
doit tirer le vin de la cuve , ainfi que des
moyens d'en connoître le point préfix
avec des expériences fur la chaleur du vin
en fermentation. La manière de tirer le
vin de la cuve , le choix & le rempliffage
des tonneaux forment la matière du
fixième chapitre. L'auteur confeille ici
de conftruire de grands tonneaux ou fou
dres dans des celliers affez fermés pour
88 MERCURE DE FRANCE:
que la gelée n'endommage pas le vin:
« La gelée , ajoute- t- il en note , ne donne
pas au vin une confiftance folide
» comme à l'eau , parce que l'efprit ardent
ne peut gêler . La partie aqueufe
du vin fe condenfe , & fes glaçons font
feuilletés. L'efprit refte dans l'interſtice
» qui fe trouve en eux . Si l'on perce le
» tonneau dans fa partie inférieure , on
» retirera toute l'effence du vin . » Lors
donc que Martin du Bellay dit , en parlant
de l'entrepriſe de Charles V , fur
Luxembourg en 1543 , qu'en ces tems les
gelées furent fifortes , qu'on départoit le
vin de munition à coups de coignée , & ſe
portoit dans des paniers .. On peut croire
que les foldats n'eurent que de l'eau , &
que les vivriers pour fe rechauffer gardèrent
l'efprit ardent .
Le feptième chapitre traite de la conduite
du vin depuis que le tonneau eft
bouché jufqu'en Mars . L'auteur expofe
dans ces deux derniers chapitres , c'est -àdire
dans le huitième & le neuvième ,
l'action de l'air fur le vin , les qualités
qui conftituent une bonne cave , & les
moyens d'y perfectionner le vin , même
avec économie , enfin les foins qu'exigent
les vins deſtinés à paffer la mer , &
FEVRIER. 1772 : 89
les procédés les plus faciles pour connoître
quand un vin tend à l'acidité ou à la
pouffe , afin de ne pas en rifquer le tranfport.
On ne fait pas toujours attention lorfque
l'on fait choix d'une cave de prendre
garde qu'elle ne foit placée près d'un
chemin , d'une rue fréquentée par des
voitures , ou près de l'attelier d'un charpentier
, d'un forgeron , &c. cependant
les fecouffes réiterées que les tonneaux
éprouvent , ne permettent jamais à la liqueur
de s'éclaircir , la tiennent dans une
agitation continuelle qui augmente la
fermentation infenfible , & accélère la
décompofition par une recombinaiſon
perpétuelle de la lie dans le vin . L'auteur
cite ici deux exemples des inconvéniens
que peut procurer le local de la cave
& qu'il a lui- même éprouvés. Des forgerons
demeuroient au rez - de chauffée de la
maifon voifine de la fienne. Les coups
qu'ils frappoient fans ceffe fur leur enclame
répondoient à fa cave , & le vin n'a
jamais été clair , quoique foutiré avant
d'être envoyé à la ville. La cave que M.
R. a dans la maifon où il demeure actuellement
, eft placée directement fous
l'allée par où chaque jour la voiture entre
90 MERCURE DE FRANCE.
& fort , & l'inconvénient eft encore plus
grand , parce que les ébranlemens font
plus directs ; ce qui l'a obligé de fe procurer
une autre cave dans une fituation
plus tranquille.
Les autres qualités requifes pour la
bonté d'une cave font qu'elle foit profonde
; le vin y étant moins fujet aux ofcillations
& aux variations de l'air , fe perfectionnera
plus facilement. Tout le
monde fçait qu'une cave humide gâte let
vin & abîme les tonneaux . Une cave ne
peut donc être trop féche . Si d'ailleurs la
voûte en eft élevée , l'air y fera moins
meurtrier. Il est encore bon que les jours
ou foupiraux foient placés du côté du
Nord & éloignés des murs ou de tels ob
jets capables de réfléchir la chaleur du
foleil. Il feroit même à- propos que ces
foupiraux fuffent fermés par des abatsjour.
C'eft la cave qui fait le vin , fuivant
un vieux proverbe , qui eft vrai malgré
fa généralité . On ne veut cependant point
dire ici qu'une bonne cave donnera une
qualité fupérieure à un vin plat & foible ,
mais qu'elle rendra ce vin meilleur qu'un
autre vin de même efpèce placé dans une
cave ordinaire .
Les autres obfervations de l'habile Oc
FEVRIER. 1772. 9 ་
nologifte doivent être lues dans fon mémoir
même dont les principes font appli
cables à tous les pays de vignoble.
Le phyficien , le naturalifte & tous
ceux qui s'intéreffent aux progrès des
fciences & des arts applaudiront également
aux obfervations fur la phyfique , fur
l'hiftoire naturelle & fur les arts que M.
l'Abbé Rozier continue de publier tous
les mois , & dont le fixième volume vient
de paroître à Paris , chez Lejai , libraire ,
rue St Jacques , au- deffus de la rue des
Mathurins.
Le droit commun de la France , & la
Coutumede Paris, réduits en principes ,
tirés des loix , des ordonnances , des
arrêts, des jurisconfultes & des auteurs,
& mis dans l'ordre d'un commentaire
complet & méthodique fur cette Coutume
; contenant dans cet ordre , les
ufages du Châtelet fur les liquidations ,
les comptes , les partages , les fubftitutions
, les dixmes , & toutes autres inatieres
. Nouvelle édition , confidérablement
augmentée , par feu Me François
Bourjon , ancien avocat au Parlement
; revue , corrigée , & auffi augmentée
d'un grand nombre de notes.
92 MERCURE DE FRANCE:
2 v. in fol. br. en carton 48 1. A Paris ,
chez Grangé , Imprimeur Libraire
au Cabinet Littéraire , Pont Notre-
Dame , près la pompe. Chez Cellot ,
Imprimeur Libraire , rue Dauphine ,
& à l'Ecu de France , grand'Salle du
Palais . Et chez Lacombe , Libraire ,
rue Chriftine .
Cette nouvelle édition d'un ouvrage
important long- tems demandé , & enfin
complet , ne laiffe rien à defirer . Aucun
livre n'offre un tableau plas fuivi & plus
intéreffant des loir civiles de la France.
Toutes les queftions s'y trouvent ame
nées dans un ordre naturel , & décidées
par les autorités des tribunaux , & par les
termes de la loi . Les difficultés y font
même prefqu'entièrement prévues par les
conféquences qui dérivent des principes
pofés & développés, dont la réunion & la
progreffion méthodique répandent un
grand jour dans le dédale de la juriſprudence.
L'auteur a fait mention des jugey
mens rendus depuis la première édition :
& de nouvelles recherches l'ont mis en
état de l'enrichir de cinq à fix mille citations
qu'il avoit d'abord négligées. Elles
l'ont auffi conduit à traiter plus à fond
FEVRIER. 1772 93
la matière des Dixmes , fur laquelle il
avoit paffé rapidement , & à rendre le
titre des fubftitutions conforme à la nouvelle
Ordonnance .
La première édition de cet ouvrage
n'avoit pas été exempte de critique.
» D'un côté , difent les Editeurs , on a
prétendu que c'étoit une compilation
» fans ordre & approchant du plagianif
» me , & de l'autre on a trouvé qu'il pé-
» choit par le défaut de citation des au-
» torités dans lesquelles les principes
avoient été puifés. M. Bourjon , loin
» de s'offenfer de la critique , a tâché de
» mettre à profit les reproches qu'une
efpéce de reconnoiffance fembloit de-
» voir lui épargner , & préférant le plai-
» fir fatisfaifant qui l'avoit fait agir , à
» tout autre avantage , il s'eft appliqué ,
» par de nouveaux travaux , à perfection-
» ner fon ouvrage , perfuadé que les Sa-
» vans auroient l'indulgence de lui paffer
» des explications inutiles à la vérité pour
" eux , mais qui peuvent être très nécef-
" faires à ceux qui font moins verfés dans
» l'étude de la jurisprudence. Ainfi , en
» réuniflant un grand nombre de propo
» fitions qui pouvoient le réunir , il 2
» ajouté toutes les autres ce qui pou94
MERCURE DE FRANCE:
voit les rendre plus claires , plus intel
ligibles & plus folidement établies ».
Ces augmentations , qui forment dans
l'édition que nous annonçons , plus d'un
tiers de l'ouvrage , en font un corps trèscomplet
& très- convenablement lié fur
la jurisprudence coutumière. Il eft à regretter
qu'une mort prématurée ait empêché
M. Bourjon d'offrir lui - même au
Public le fruit de fes travaux . Les Editeurs
affurent avoir entièrement fuivi fon
plan ; ils y ont feulement ajouté plufieurs
arrêts intéreffans & relatifs aux matières
qui ont été rendus depuis fon décès , avec
quelques notes qui ont paru néceffaires.
Le corps de l'ouvrage eft précédé d'une
differtation fur l'union du droit commun
de la France avec la coutume de Paris ,
contenant le plan de ce Commentaire.
Elle eft divifée en deux parties ; dans la
première l'Auteur examine la néceffité de
cette union , & ce qui avoit pu nous en
éloigner. Dans la feconde , il examine
l'ordre & l'arrangement qu'elle doit
avoir ; & il entreprend de démontrer
l'utilité de la précifion dans l'étude de la
Jurifprudence.
FEVRIER . 1772 25
L'Obfervateur François à Londres , ou
Lettres fur l'état préfent de l'Angleterre
, relativement à fes forces , à fon
commerce & à fes moeurs ; avec des
notes fur les papiers anglois , & des
remarques hiftoriques , critiques & politiques
de l'éditeur.
Felix qui potuit rerum cognofcere cauías !
VIRG. Georg.
Quatrième année. A Paris , chez P. F.
Gueffier , au bas de la rue de la Harpe,
à la Liberté.
La quatrième année de l'Obfervateur
François à Londres , a commencé le premier
Janvier 1772 ; ou diftribue un numéro
tous les quinze jours ; ces 24 numéros
compoferont huit volumes , pour
lefquels les Soufcripteurs de Paris payeront
d'avance 30 liv. & ceux de province
36 liv.au moyen de quoi ils les recevront
chez eux francs de port.
On continuera à foufcrire pour l'Obfer
vateur chez Gueffier , libraire , au bas de
la rue de la Harpe , chez lequel on trouvera
auffi des années complettes des trois
premières années , foit broc . foit reliées.
Les étrangers qui voudronr foufcrire ,
16 MERCURE DE FRANCE.
font priés d'indiquer un correfpondant à
Paris , auquel chaque numéro fera remis ,
ou bien on le fera pafler , foit au port ,
foit à la ville frontière de France qu'il
leur plaita choifir.
L'accueil que le Public a bien voulu
faire jufqu'à préfent à cet ouvrage , a dé
terminé l'auteur à fe procurer des mémoi
res fur le commerce , les moeurs , les forcès
, le gouvernement & l'état des lettres
des différens pays de l'Europe , qui
ont quelque relation avec l'Angleterre ,
dont il continuera à parler , comme il a
fait jafqu'à préfent. Mais il croit devoir
en même tems communiquer fes obfervations
& fes réflexions fur tous les autres
pays de l'Europe , qui ont avec elle
quelques relations , ou d'intérêts , ou de
commerce. Ce qu'il dit dans les 12 numéros
de la troisième année , de la Pologne
, de la Ruflie & de la Suéde , &c.
donnera une idée du plan qu'il s'eft formé
à cet égard. L'article des arts utiles de
l'Angleterre & des autres pays fera dans
la fuite traité avec beaucoup plus de foin
& d'étendue. Il s'eft procuré pour cet effet
nombre de plans , de deffins & d'inftrumens
utiles dont il fe propofe d'enrichir
fon ouvrage ; il a établi une corref
pondance
FEVRIER. 1772. 97
pondance fuivie pour être inftruit de toutes
les découvertes qui fe feront dans les
différens pays de l'Europe. Pour donner
plus de variété à cet ouvrage , chaque numéro
fera compofé de façon qu'il renfermera
des obfervatlons politiques , littéraires
, morales & philofophiques . Il aura
auffi une attention particulière à faire
connoître tous les grands hommes qui fe
font diftingués dans les arts & dans les
fciences , les grands miniftres & les guerriers
célèbres de chaque Nation. Ainfi
l'Obfervateur François à Londres fera
tout-à-la fois le Journal de la Politique ,
de la Littérature , des Moeurs & de la philofophie
de l'Europe , en en exceptant
cependant la France.
Cette exception ne fçauroit être condamnée
, fi l'on enviſage qu'il y auroit
de la témérité , dit l'Obfervateur , de parler
de la littérature françoife après les bons
Journaux qui en font leur objet principal.
Le premier volume de ce Journal qui
paroît , traite des affaires de l'Angleterre ;
on y trouve un extrait de la tragédie du
Douaire fatal de Maflinger ; une lettre
fur la Sardaigne , & fur l'excellence de fa
légiflation ; des obfervations fur le com
merce d'Afrique ; des vues fur la Pologne;
E
90 MERCURE DE FRANCE.
un traité des loix de l'Angleterre ; des
mémoires fur Richard Cumberland . Tous
ces objets affectent différemment les lecteurs
fuivant leur goût & leur connoiffance
; mais nous nous arrêterons particulièrement
à ces traits de bienfaiſance
qui font en poffeffion de plaire à tous ceux
qui ont un coeur fenfible.
" Il est des hommes qui ne devroient
jamais mourir , dont il feroit jufte d'allonger
la vie de tous les jours de ces être
inutiles qui font le fardeau de la terre
qui les porte , le fléau de la fociété qui
les fouffre , & la honte de leur nation .
La mort de M. Helvétius doit affliger &
contrifter l'humanité qu'il fervoit. La
république des lettres perd en lui un de
fes ornemens. Il vécut en fage , foulagea
le malheureux & le laiffa ignorer. Il fut
riche & méprifa le faſte , connut l'économie
& fut prodigue pour le pauvre. Les
Anglois l'eftimoient autant qu'il étoit
aimé de ceux qui le connoiffoient particulièrement.
On fait ici qu'on a trouvé
après fa mort un état de quinze familles
qu'il faifoit fubfifter. « Qui a été fi bienfaifant
, ( 1 ) difent les Anglois , a dû
(1) M. Helvétius étoit ami de feu M. de MariFEVRIER.
1772. 99
» être un bon père , un bon mari , un bon
» maître , un bon citoyen . » Un de fes
amis ( 1 ) s'eft fait un honneur infini par
le tribut public de reconnoillance qu'il
payé à fa mémoire. Voici comme il s'ex
prime :
O comment exprimer tout ce que j'ai perdu !
C'eft toi , qui me cherchant au fein de l'infor
tune ,
Relevas mon fort abatu ,
Et fçus me rendre chère une vie importune .
Quand un grand vient à mourir , la flatterie
entoure fon tombeau . On paye par
intérêt un tribut d'eloges à fa mémoire ,
qui eft tout pour la vanité de fes defcendans.
On écarte fes vices & on leur fubftitue
des vertus qu'ils n'eut jamais. On
trompe la postérité comme il avoit trom
vaux : tant que vécut ce dernier , il reçur de M.
Helvétius tous les ans 3000 liv. & c'eft depuis la
mort de M. Helvétius qu'on l'a fçu .
(1 ) Lorfque M. Helvétius fe maria , il fut
trouver cet ami ; jufqu'à préfent , lui dit- il , ma
bourle a été la vôtre ; je me marie , je ne fçais ce
qui peut arriver , trouvez bon que je vous affure
1500 liv . de rente , & lui remit un contrat de cette
Lomme.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
pé fes contemporains par la faufferé & le
menfonge . J'aime cet Anglois qui , affiftant
à l'orailon funèbre d'un lord , dit à
l'orateur : Dis moi qu'on a pleuré fa mort,
&je te croirai.
Quand le Ciel dans fon courroux ravira
aux habitans du village de Navarre
leur bon maître ; leurs fanglots , leurs gé
miffemens peindront mieux fes vertus
que toute l'éloquence , quelqu'énergique
qu'elle foit , de l'orateur chargé de faire
fon oraifon funèbre . Ce qu'il vient de
faire en faveur de fes vaffaux eft mille
fois plus grand , vû les préjugés reçus ,
que les grandes actions de fes ancêtres .
Les Anglois , qui en ont été inftruits par
les papiers publics , ne conçoivent pas
comment un grand Seigneur François
& patriotique , foit affez peu curieux de
fon droit de chatfe pour ordonner la deftruction
de fon gibier , & empêcher parlà
le ravage des terres de fes vaffaux. On
a trouvé ici cette action admirable , &
fur-tout l'emploi qu'on a fait des 1 100 liv.
qu'a produit la vente du gibier qu'on a tué,
pour payer la taille des malheureux dont
les terres avoient été ravagées par ce gibier.
Les Anglois , tout amis de l'humanité
qu'ils font , ne peuvent pas citer une ac
tion qui foit comparable à celle de M. le
FEVRIER . 1772. for
Duc de Bouillon . Leur paffion pour la
chaffe les rend fouvent injuftes à l'égard
de leurs vaffaux . Autrefois ils étoient
cruels lorfqu'il s'agilloit de venger la
mort d'un de leurs lapins. Leurs loix fur
ce point font auffi tyranniques que l'ancienne
loi des Bourguignons qui vouloit
que celui qui avoit volé un épervier ,
payât une amende de huit fols d'or , ou
fe laifsât manger par l'oifeau fix onces de
chair fur l'eftomac. Cette loi me rappelle
celle contre le voleur d'un chien. Ce
voleur étoit obligé de baifer publiquement
le chien au derriere , ou de payer
fept écus d'or au maître du chien .
Pendant que cela fe paffoit en France
Impératrice de Ruffie déclaroir qu'elle
fe chargeoit du foin de faire élever & de
pourvoir à la fubfiftance des pauvres enfans
de Moscou dont les parens avoient
été enlevés par la pefte. Dans le même
tems on ouvroit à Vienne une fouscription
pour le foulagement des pauvres .
Elle fut fignée par les plus grands Seigneurs
de l'Allemagne , dont quelquesuns
pour mille florins. Si le produit de
cette fouscription ne fuffit pas , l'Empereur
fournira le furplus . C'est par de femblables
actions que les Princes s'immor
E iij
162 MERCURE DE FRANCE.
talifent , qu'ils font idolâtrés de leur peu
ple , & l'objet du respect du monde entier
. Deux particuliers d'Angleterre viennent
de faire , en mourant , un acte de
bienfaifance d'autant plus admirable qu'il
eft tout à -la- fois utile aux particuliers &
au Public.
L'un , nommé le Chevalier Jean Langham
, a légué pour vingt- cinq foldats &
autant de matelots , une fomme qui doit
être diftribuée à ceux de ces états qui font
dans le befoin , & qui ne font pas penfionnés
par les hôpitaux de Greenvich &
de Chelfea . Chacun d'eux aura quatre
livres sterling , & ce font les Aldermans
de la cité de Londres , qui font chargés
de faire la diftribution de ce legs charitable
& pattiotique.
L'autre eft un fimple particulier de
Londres , nommé Wilfon. Il a laiffé par
fon teftament une fomme de 20 , 000 l.
fterl . deftinée à être diftribuée à titre de
prêt à vingt jeunes négocians établis &
domiciliés depuis deux ans dans la ville
& cité de Londres. Les intérêts des fommes
prêtées doivent être payés tous les
fix mois au bureau du Chambellan : & fi
le débiteur vient à mourir , les fonds feront
auffi-tôt retirés de la fucceffion &
FEVRIER. 1772. 103
diftribués à quelques autres marchands
aux mêmes conditions.
>
Recueils des Mémoires & d'Obfervations
fur la perfeftibilité de l'homme ; par les
Agens phyfiques & moraux. Par M.
Verdier , docteur en médecine , confeiller-
médecin ordinaire du feu roi
de Pologne , agrégé honoraire du collège
royal des médecins de Nancy
&c. Prix broché , 24 fols. A Paris chez
l'auteur rue Poiffonniere , à la feconde
barrière Sainte Anne , & chez Butard
Imprimeur-Libraire rue Saint Jacques ,
Guillyn Libraire quai des Auguftins
Lacombe Libraire rue Chriftine. 1772 .
Avec approbation & permiffion.
Platon regardoit la médecine de fon
temps comme un art aufli préjudiciable
aux particuliers qu'à la fociété en général
; il auroit voulu que les hommes euffent
préféré une mort prompte,à la ſanté,,
lorfqu'ils ne pouvoient l'obtenir , que
par un régime long - temps continué ; &
cependant Platon a été regardé lui -même
comme un médecin , par les hiftoriens
de l'art dont il a voulu proferire
l'ufage . Defcartes , au contraire , dit dans
E iv
104 MERCURE DE FRANCE :
fa méthode que l'efprit dépend tellement
du tempéramment & de la difpofition des
organes du corps , que s'il y a des moyens
de rendre les hommes plus fages & plus ſpirituels
qu'ils ne l'ont étéjufqu'à ce jour ;
il croit que c'eft dans la médecine qu'ilfaut
Les chercher , & cependant il eft peu de
philofophes qui ayent moins emprunté
des théories des médecins que Defcartes ;
il femble même qu'il ait pris à tâche
d'établir fes idées innées fur les ruines
de la théorie que les médecins & les
anciens philofophes avoient établie fur
les fens. Un autre philofophe moderne
a déclamé avec autant de force que
Platon contre la médecine & les médecins
, & il a emprunté d'eux prefque toute
fa doctrine fur l'éducatton phyfique &
morale .
M, Verdier prenant le paffage précédent
de Deſcartes pour épigraphe , femble
, par l'ufage qu'il en fait , vouloir lever
toutes ces contradictions. » Regardant.
» l'art de l'éducation , tel qu'il eft actuellement
, comme un embrion conçu dans
» le fein de la médecine économique des
» anciens ; fon but eft de fe fervir des fe-
» cours de la médecine plus perfectionnée
» de nos jours , pour " le faire reconnoître
FEVRIER. 1772. 105
»
»& le mettre entre les mains de ſes maî-
» tres , afin qu'ils puiffent l'élever & le
» nourrir. Il eft dans la nature des loix
qui mettent l'homme en commerce avec
toutes les productions , & avec les inventions
des arts , & fouvent on donne
le , nom de médecine à la collection de
ces loix. Tous les philofophes fe flattent
de les confulter lorfqu'ils entreprennent
d'établir les règles de l'art de l'éducation
& de la morale . Ils font tous d'accord fur
ce point , mais le plus fouvent ils diffèrent
par les notions qu'ils fe forment
de la nature & plus encore par
les fignes dont ils fe fervent pour rendre
leurs idées . M. Verdier femble devoir
prévenir les écarts de l'imagination & l'abus
des termes , en rappellant les inftituteurs
& les moraliftes à l'obfervation
des phénomènes de l'économie phy
que & morale .
•
Tout occupé de cet objet depuis vingt
années , il femble y avoir toujours dirigé
fes vues dans fes études & fa pratique
de médecine. La brochure que nous annonçons
fait voir dans une efpèce de
perfpective les réfléxions , les obfervations
& les découvertes qu'il croit avoir
faites. Ce n'eft pas un nouveau plan d'éducation
qu'il préfente au public ; il la
Ev
io MERCURE DE FRANCE. 106
confidère comme l'objet d'un art par-
» ticulier qui fe propose la perfection
des facultés corporelles & fpirituelles ;
» la confervation de la fanté du corps &
» de l'efprit , par le concours du régime
"
phyfique & morale . Il né berne pas fes
»vues aux premiers âges de la vie. L'hom
» me condamné à une viciffitude perpétuelle
, eft plus ou moins fufceptible
»de perfection & de correction jufqu'au
» tombeau..... L'art de l'éducation eft
»auffi bien l'art d'en corriger une mauvai .
»fe , que celui d'en établir une bonne
»comme la médecine eft auffi bien l'art
» de réparer les fautes d'un traite-
»ment mal entendu , que celui d'en
» approprier un à la maladie qu'on fe
» propofe de guérir. » Il borne enfuite la
notion du mot morale à l'art de faire naître
& de corriger les moeurs , c'est à- dire ,
les paffions & les habitudes des hommes.
M. Verdier prend l'éducation & la
morale dans leur origine & il en pour
fuit les progrès chez tous les anciens
peuples ; il s'attache enfuire à faire voir
que chez les différens peuplee l'art de
l'éducation & de la morale a eu des fuccès
proportionnés au foin qu'ils prenoient
d'en faire l'application aux facultés , au
empéramment , au génie & au caractère
FEVRIER . 1772. 107
de chaque fujet. C'eft en exerçant cet art
fur autant de particuliers qu'il y avoit
d'élèves , que les inftituteurs d'Athènes
& de Rome ont produit les plus grands
hommes dont l'hiftoire faffe mention.
La manière d'exercer l'art de l'éducation
& de la morale peut feule assûrer lesfuccès.
des moyens employés pour former & perfectionner
l'homme. Etudier par l'obfervation
& l'expérience , le degré de perfection
dont fes facultés font fufceptibles
, les vices qui les en éloignent &
Fefficacité des agens qu'on employe pour
les exercer ; voilà le premier travail qu'on
doit fe propofer pour renouveller l'art. Il
fait appercevoir les différens objets de ce
genre d'obfervation . En réuniffant les
nouvelles expériences qu'on pourroit
faire à celles qu'on a faites dans tous
les tems , on pourroit établir des théories
certaines & préciſes fur les différences , les
caufes , les effets , les fignes , les vices &
les indications des fonctions phyfiques
& morales , ainfi que fur les moyens
propres à les perfectionner & à corriger
leurs vices , enfin fur les méthodes d'adminiftrer
tous les agens qui peuvent
porter des impreffions fur le corps &
fur l'efprit . Ces théories pourroient
devenir utilement la matière d'un en-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
feignement particulier , & l'auteur tâ
che de faire voir combien l'enfeignement
général des fciences qui peut fuffire au
citoyen , est infuffifant pour former un
inftituteur.
M. Verdier promet d'étendre fes idées
dans d'autres recueils qui fuivront celuici
.
Ainfi M. Verdier s'ouvre & aux inftituteurs
& moraliftes une carrière des plus
vaftes . Pour la parcourir il defire y trouver
des coopérateurs. Il demande des lumières
& même des critiques à ceux qui
auront autant de zèle que lui pour le renouvellement
d'un art auffi utile : nous
ne doutons pas qu'il ne trouve , en effet ,
bientôt des unes & des autres . Il s'élèvera
fans doute parmi les maîtres d'éducation
des efprits philofophiques qui réuniront
leurs travaux aux fiens ; il fe trouvera
des parens
zélés pour la perfection de
leurs enfans qui préféreront l'art à la rou
tine.
Les Sacrifices de l'Amour , ou Lettres de
la Vicomteffe de Senanges au Chevalier
de Verfenay , 2 vol . in- 8° . par M. Dorat.
A Paris , chez Delalain , libraire ,
rue de la Comédie Françoife.
FEVRIER. 1772. 109
L'Auteur donne d'abord fes idées fur
les Romans. « Ce ne feroit pas , com-
» me il l'obſerve , une entrepriſe indigne
d'un homme de goût de jetter un
coup d'oeil fur les variations arrivées
» dans le genre de nos Romans , & de
» marquer , en fuivant cette chaîne inté-
» reffante , les nuances du caractère na-
» tional , les altérations qu'il a ſouffer-
» tes , les influences refpectives des
» moeurs fur les écrits , des écrits fur les
» moeurs , les progrès , les révolutions &
» la décadence de notre galanterie ». Il
paffe rapidement en revue & caractériſe
les divers Romans nationaux ou étrangers
: quant au fien , fon but a été d'y
prouver d'un côté qu'une femme qui ai
me peut remplir tous les devoirs qui contratient
fa paffion , & n'en être que plus
intéreffante ; de l'autre qu'il n'y a point
de facrifice que cette femme ne puifle
obtenir de l'homme le plus amoureux ,
s'il eft vraiment digne d'être aimé.
"
Le Chevalier de Verfeñay n'a pu fe
défendre d'aimer la Vicomteffe de Senanges.
Il fe fait préfenter chez elle , &
ne tarde à lui déclarer fa paffion , que
pas
Madame de Senanges combat . « Comment
, lui dit- elle , ne pas préférer
110 MERCURE DE FRANCE.
» l'amitié à l'amour ? Son charme eſt pur,
il ne doit rien à l'illufion , ne tient
"
point au caprice , l'eftime en forme
» les liens , le tems les refferre , jamais
» aucun remords n'en trouble la douceur.
» Les femmes , ajoute- t- elle , ont à
» craindre , en aimant , non - feulement
» l'indifcrétion , l'inconſtance d'un ſeul,
» mais encore le blâme de tous ».
Cependant Madame de Senanges va
à la campagne
; elle fair part au Chevalier
de fes amuſemens , & n'oublie pas de
lui parler de la Marquife d'Ercy , dont
elle a reçu la vifite , avec qui , « écrit-
» elle , on dit que vous êtes extrêmement
» bien. L'entretien eft tombé fur vous ,
» vous devez être content , Monfieur
très content de l'intérêt avec lequel
» elle en a parlé. J'ai cru vous plaire en
» ne vous le laiffant pas ignorer. Il y a
» toute apparence que vous obtiendrez la
place qu'elle follicite pour vous à la
» Cour. Je vous en fais mon compli-
» ment , ainfi que de votre conftance.
» Elle augmente la bonne opinion que
j'avois de cette Dame , & l'eftime que
» j'ai pour vous ».
Le Chevalier protefte qu'il n'a confervé
de tous les fentimens que la recon
FEVRIER . 1772. III
conle
hoiffance , & que fon coeur est tout à Ia
belle Vicomteffe . Le Baron de **
fident des amours du Chevalier
félicite de s'être dégagé des fers de la
Marquife d'Ercy , femme impérieuſe ,
& ce qu'on appelle une de ces femmes
d'affaires , qui ont leur cabinet
d'étude , ainfi que leur boudoir , qui raifonnentfur
tout , fe jettent à corps perdu
dans la politique, & rêvent effentiellement,
en faifant des nauds , aux abus de l'admi
niftration. Il lui parle de Madame de Senanges
, fille d'un Militaire diftingué
qui l'aimoit avec tendreffe , mais qui féduit
par le rang du Vicomte de Senanges ,
la força de l'époufer , caufa l'infortune de
fa fille , & mourut de chagrin. Elle
n'avoit pas quatorze ans , & fon mari en
avoit déjà cinquante- cinq. Comme M. de
Senanges paffe la moitié de fa vie dans
fon gouvernement , il en trace le portrait
à fon ami. C'eft un homme dur ,
jaloux , violent , & le tyran de fa femme
, qui a enfin obtenu fa féparation &
la liberté de vivre chez M. de Valois
fon oncle , avec une penfion affez modique.
Madame de Senanges eft aguerrie
contre l'amour par tout ce qu'elle a ſouffert
, & par fes réflexions. Elle # propres
12 MERCURE DE FRANCE .
fut trop long tems affujettie pour ne pas
trouver le bonheur dans les charmes de ,
l'indépendance . Il confeille à fon ami
d'abandonner le projet de toucher ſon
coeur paifible , de faire le malheur d'une
femme eftimable, en troublant fon repos ,
en l'expofant à la malignité de la Marquife
d'Ercy, & à lajaloufie cruelle de fon mari.
La Marquife d'Ercy écrit au Chevalier
pour fe plaindre de fon abfence ; elle lui
trace avec les traits de la fatyre les femmes
avec qui elle eft à la campagne ; elle
raconte , entr'autres , la crainte ridicule
do la Baronne de *** , eſcortée de fon
éternel époux qui a l'air de rouler quand il
marche. La Baronne encore toute effrayée
d'avoir vu à la chaffe un fanglier s'ap
procher de fa caleche , crut revoir ce farieux
animal , & jetta des cris exéctables ,
lorfque le gros Baron s'avila de s'approcher
d'elle , comme elle avoit le dos
tourné . Elle promet de ne pas oublier le
Chevalier dans un travail qu'elle va
avoir avec un homme fort accrédité. Elle
lui parle avec mépris de la Vicointelle de
Senanges , & lui recommande de l'humilier,
s'il la rencontre. Le Chevalier en
eft bien éloigné ; il s'enflamme par la
lectare de fes lettres & par le charme de
FEVRIER. 1772. 13
fa converfation , où Madame de Senanges
développe une ame ſenſible , un coeur
tendre , un efprit délicat. La Vicomteffe
fe plaint du deffein qu'a le Chevalier d'aller
en Angleterre , & fa tendre inquié
tude eft la première faveur dont il fe
félicite. Mais il eft bientôt alarmé de
la lettre que Madame de Senanges lui
écrit fur fon attachement avec la Marquife
d'Ercy , dont elle a fu tous les détails
, fur le refus qu'elle fait de le recevoir
chez elle & de répondre à fes billets,
enfin fur les vifites fréquentes du Marquis
de **. Ce Marquis rit le premier de
fa conduite légère & de fon inconftance
avec les femmes ; « Une de fes folies ,
» dit-il , c'eft de faire faire aux femmes
des chofes extraordinaires ; il n'y en a
"pas qu'en les prenant dans un certain
fens , on n'amene au dernier période
de l'extravagance , & quand il s'agit
» de fe diftinguer par quelque bonne fingularité
, les plus réfervées deviennent
intrépides ». Il raconte en effet quelques-
unes de fes aventures bien rifibles;
il veut badiner auffi de l'air prude de Madame
de Senanges ; mais le Chevalier
n'entend pas raillerie fur l'objet de fa
paffion , & impoſe filence à l'indifcret
"
»
»
"
"3
114 MERCURE DE FRANCE.
Marquis. Ce dernier eft congédié par
Madame de Senanges : il s'attache à
Madame d'Ercy , dont il ne tarde pas à
connoître les ridicules , qu'il raconte
gaîment. Il y a dans ce Roman beaucoup
de lettres defcriptives des caractères , des
perfonnages & des événemens de fociété.
Madame de Senanges ne peut enfin fe
défendré d'aimer & d'accorder un rendezvous
à fon amant. L'amour & le hafard
introduisent le Chevalier dans l'appartement
de la Vicomteffe , lorfqu'elle eft
endormie . Sa témérité bientôt réprimée,
mais offenfante , excite la jutte indignation
de la Vicomteffe : elle fuit dans fa
terre , elle cache fa retraite , & n'en fort
que pour voler au fecours de M. de Vafois
fon oncle , qui eft en danger de perdre
la vie. Elle revoit le Chevalier de
Verfenay chez une amie , elle est touchée
de fon défefpoir. « Chevalier , lui
» dit- elle , je vous pardonne : c'eft dé-
» clarer affez que je vous aime ; je vous
» en renouvelle l'aveu , & j'en fais le
ferment entre les mains de mon amie;
mais elle recevra le vôtre , & je l'exi-
» ge en fa préſence , que vous refpecte-
>> rez mes devoirs , mes principes , le
>> neud fatal qui me lie. L'amitié fera
FEVRIER. 1772. 115
témoin de vos promefles , l'honneur
» en fera le fceau , l'amour la récom-
» penfe , & fi vous y manquez , vous
» blefferez à la fois l'amour , l'honneur
» & l'amitié ». Le bonheur de ces deux
amans eft bientôr troublé par l'amour &
par la jalousie qui fe rallument avec fureur
dans le coeur du Vicomte de Senanges.
Le refús que fait fa femme de s'affujettir
de nouveau au cruel tyran de fa vie , l'irrite
; il attend le Chevalier dont il eſt
jaloux , l'attaque & le bleffe légèrement.
Il obtient un ordre & fait enfermer la
Vicomreffe de Senanges dans un Cou
vent. Le Chevalier trouve encore le
moyen de la voir , de lui écrire , de recevoir
fes lettres . Elle eft cependant effrayée
du long filence de fon amant , &
de la nouvelle de fon mariage avec une
riche héritière. Mais le Chevalier a été
dangereufement malade , & c'est avec
joie qu'elle apprend fa convalefcence , &
le refus qu'il a fait de la fortune qui lui
étoit offerte. Le Vicomte de Senanges
meurt d'une chûte à la chaffe , & fes
dernières paroles font pour exprimer fes
torts & pour blâmer fa conduite envers fa
femme . Enfin Mde de Senanges, libre de
difpofer de fa main , donne encore deux
116 MERCURE DE FRANCE.
ans à fon deuil , & après ces deux fiè
cles écoulés, l'himen unit des coeurs déjà
liés par l'amour le plus tendre & le plus
conftant. Telle eft la marche de ce Roman
dont il faudroit beaucoup citer pour
faire connoître ce qu'il y a d'agréable ,
d'ingénieux & de bien fenti.
Lettres d'une Chanoineffe de Lisbonne à
Melcour , Officier François , fuivies de
l'Epître intitulée ma Philofophie , & de
quelques Poëties fugitives , feconde Edition
; à Paris, chez Delalain , rue de la Comédie
Françoife , in 8 ° . Ce recueil fait
fuite de la belle collection des OEuvres de
M. Dorat . Les Lettres d'une Chanoineffe ,
imitées des fameufes Lettres d'une Chanoineffe
Portugaife , font très connues ;
les autres pièces font ma Philofophie, des
Idylles pour S. Cyr, la lettre en profe d'un
Philofophe , où le Poëme de M. le
Mierre fur la Peinture eft fingulièrement
exalté ; & la lettre d'un Curé où le Drame
de Melanie eft extraordinairement
déprifé.
Almanach des Mufes , ou choix des poëfies
fugitives de 1771. A Paris , chez Delalain
, libraire , rue de la Comédie
Françoife. 1772.
FEVRIER. 1772 117
Ce recueil de vers eft agréable ; mais
on defireroit que l'éditeur fupprimât ſes
notes & fes jugemens. C'eft un ridicule.
que de vouloir déterminer & fixer le
goût du lecteur par un mot tranchant ;
& c'est lui fuppofer trop peu d'efprit ,
que de l'avertir de ce qui eft bon ou mauvais
, quand il a la pièce entiere fous les
yeux.
Requête à Meffieurs de la Société d'Agriculture
, par M. de la Condamine.
AIR : Ne vld- t-il pas que j'aime.
* Saváns promoteurs des moiflons ,
Oavrez-moi votre temple ,
Non pour y donner des leçons ,
Mais pour fervir d'exemple.
J'avois des nerfs ; je n'en ai plus ;
Mais je végéte encore ;
Adieu l'Amour , adieu Vénus ,
Je ne tiens plus qu'à Flore,
Je fus un grand agriculteur
De vingt ans à cinquante :
NB. * L'Ariftarque de cet almanach a changé
ce vers en celui -ci qui n'a pas de ſens.
Savans protecteurs des Maçons.
118 MERCURE DE FRANCE;
Aujourd'hui de cultivateur
Je fuis devenu plante.
Mais plante des lointains pays ,
Délicate, étrangère ,
A qui l'on accorde à Paris
Les honneurs de la ferre.
Là, plus choyé que le jasmin ,'
Que le lys & la roſe ,
De bouillon , de fucre & de vin ,'
Tour-à- tour on m'arrofe.
Si j'en crois mes deux jardiniers
Qui gâtent leur élève ,
Des zéphirs les airs printanniers
Ranimeront ma féve.
Je n'oferois ajouter foi
A ce flatteur oracle ;
Et je n'attends pas que pour moi
Le Ciel fafle un miracle.
Pour les fleurs il n'eft qu'un printems ,
J'ai paffè mon automne ;
Un arbre dure plus longttems ,
Mais enfin le couronne.
* Pourquoi l'éditeur a- t- il mis fe confomme ,
perme oifif qui ne rime pas avec automne, au lieu
• 1772 123
Destagr
Caix
Quatrain
de
tra
rendre
hom
ans les langues
› Correfpondans
ette Gazette delépôt
général des
la littérature , &
précieux que l'on
her & de confulter.
de donner l'extrait
teur dit tout ce qu'il
rien de ce qu'il faut
avec foin les traits ou
euvent plaire & intés
vu arrofer de pleurs
la perte que les lettres
dans la perfonne de M.
onoroit l'humanité par
bienfaits , comme il ho
es par fon génie.
pareillement aux Deux-
Gazette , pour les événeque
les hommes de lettres
ni les Gazettes, étrangères,
l'intérêt du ſtyle , & par
s faits & des réflexions.
coute 36 liv. Elle est égaofée
de deux feuilles par
Te trouve au bureau des Gaeres
, rue de la Juffienne.
Fij
120 MERCURE DE FRANCE:
.
Je m'étois attendu que vous feriez cruelle ;
Je m'étois arrangé pour trouver des rigueurs.
Ah ! fije vous fuis cher , foyez plus inhumaine :
Laiſſez à mon amour le charme des defirs ;
Pour le faire durer , faites durer fa peine ,
Je ne vous réponds pas qu'il furvive aux plaiſirs.
Epigramme , par M. le Mierre,
Lorfque la fièvre & fes brûlantes crifes
Ont de notre machine attaqué les refforts ,
Lecorps humain eft un champ clos alors
Où la nature & le mal font aux prifes .
Ilfurvient un aveugle appellé Médecin ,
Tout au travers il frappe à l'aventure ;
S'il attrape le mal , il fait un homme ſain
Et du malade un mort , s'il frappe la nature.
Ce recueil renferme beaucoup de piéces
fugitives copiées du Mercure de France ,
& beaucoup d'autres piéces tirées des portes-
feuilles des amateurs. On y lit avec
plaifir des poëfies de Madame la Marquife
d'Antremont , de M. d'Arnaud , de M. Dorat
, les Difputes de M. de Rhulieres , des
vers de M. de Voltaire , &c.
Etre nne
FEVRIER. 1772.
121
Etrennes du Parnaſſe , poëfies , chez Fécil ,
Libraire , rue des Cordeliers .
On defiteroit que l'éditeur fût plus févère
dans le choix des piéces de ce recueil.
On blâmera fûrement la Charade ,
qui fait le fecond morceau de ces étrennes.
Mais il faut l'excufer en faveur de
l'épitre à l'Impératrice de Ruffie , de celle
au Roi de Dannemarck , par M. de Voltaire
, & de quelques autres poëfies eftimables
en petit nombre , de différens
auteurs .
VERS de M. Piron , pour mettre au bas
du Portrait de M. Dufaulx , traducteur
du Juvenal.
Libre fans indécence , en traducteur habile
Il dit tout ,fans pourtant dire trop , ni trop peu ;
Du fougueux Juvenal il adoucit la bile ,
Et ne garde en entier que le nerf& le feu.
Gazette univerfelle de Littérature , compofée
de deux feuilles par femaine , prix
18 livres par an pour la France , port
franc par la pofte . On foufcrit en tout
tems aux Deux-Ponts , à l'Imprimerie
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ducale ; & à Paris , chez Lacombe
Libraire , rue Chriſtine .
Cette Gazette remplit parfaitement le
plan qu'elle s'eft propofé ; elle fupplée
aux journaux françois & étrangers qui ne
peuvent que choifir dans le nombre des
ouvrages que l'Europe voit éclore & re-
- naître fans ceffe . Elle recueille & raffem .
ble avec exactitude , elle publie avec rapidité
les nouvelles littéraires , & celles
des fciences & des arts dont toutes les
nations policées font leur amuſement .
On peut la regarder comme le catalogue
générale & raifonné des productions du
génie , de l'efprit & du goût . Les annonces
& les notices littéraires y font toutes
claffées fous la dénomination qui leur
convient , fuivant la méthode des catalogues
des grandes bibliothèques. C'eft
par la lecture de cette Gazette que l'homme
de lettres & l'homme inftruit ou qui
veut l'être , peut fuivre les progrès des
nations favantes . On fçait que l'Auteur ,
très - connu par d'excellens ouvrages de
poësie & d'érudition , a beaucoup de connoillances
une critique fine , & une
impartialité rare dans fes jugemens. Il
analyfe avec précifion , & raiſonne avec
juſteffe . Il eft auffi aidé par une fociété de
>
FEVRIER. 1772 123
-
Littérateurs profonds dans les langues
étrangeres , & par des Correfpondans
inftruits & vigilans . Cette Gazette deviendra
dès lors le dépôt général des
richeffes fugitives de la littérature , &
fera un jour un recueil précieux que l'on
s'empreffera de rechercher & de confulter.
Il nous feroit difficile de donner l'extrait
de fes extraits, où l'Auteur dit tout ce qu'il
faut dire , & ne dit rien de ce qu'il faut
taire. Il fait encore avec foin les traits ou
les anecdotes qui peuvent plaire & intéreffer.
Nous avons vu arrofer de pleurs
le récit qu'il fait de la perte que les lettres
viennent de faire dans la perfonne de M.
Helvetius , qui honoroit l'humanité par
fes vertus & fes bienfaits , comme il ho
noroit les fciences par fon génie.
par
On imprime pareillement aux Deux-
Ponts, une autre Gazette , pour les événemens
publics , que les hommes de lettres
diftinguent parmi les Gazettes étrangères,
par la pureté & l'intérêt du ftyle , & par
la richelle des faits & des réflexions.
Cette Gazette coute 36 liv . Elle est également
compofée de deux feuilles par
femaine , & fe trouve au bureau des Gazettes
étrangères , rue de la Juffienne.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Traité élémentaire de méchaniqueftatique ,
avec des notes fur quelques endroits ;
par M. l'abbé Boffut , de l'Académie
Royale des ſciences , examinateur des
Ingénieurs , &c. in 8. avec planches.
Paris , 1772. chez Claude - Antoine
Jombert , fils aîné , rue Dauphine, près
le Pont - Neuf.
Cet ouvrage , dont l'auteur eft un géomètre
du premier ordre , renferme en un
affez petit volume , tout ce qu'il y a ď’utile
& d'intéreffant dans la fcience de
l'équilibre. On y trouve plufieurs chofes
nouvelles . M. l'abbé Boffut expofe avec
toute la clarté & l'élégance poflibles , les
principes de la ftatique ; & il en fait l'application
à l'équilibre des machines conli .
dérées dans l'érat mathématique , & dans
leur état phyfique & naturel . Ce traité
doit être regardé comme un livre vraiment
claffique en fon gente. L'auteur en
donne lui - même l'extrait dans une préface
très favante & parfaitement bien écrite ,
que nous inférerons dans le prochain Mercure
.
Lettres d'Elifabeth - Sophie de Valliere
à Louife Hortenfe de Canteleu fon amie;
Madame Riccoboni . A Paris , chez
Humblot , Libraire , rue S. Jacques .
par
FEVRIER . 1772. 125
Elifabeth Sophie de Valliere , élevée
fous le nom de Mademoiſelle de Saint-
Aulay , s'eft crue niéce de Madame de
Hauterive , qui avoit pour elle la tendrelle
de la meilleure des mères , & qui vient
de mourir.
A l'époque de cette mort , tout change
pour Sophie. Elle n'eft plus la niéce d'une
femme refpectée , l'héritière défignée d'une
grande fortune : elle ne tient à perfonne ;
fans parens , fans appui , elle n'eft rien ,
ne poffede rien , n'espère rien. C'est ce
qu'elle écrit à Mademoiſelle de Canteleu
fa fidelle amie , éloignée d'elle pendant
tout le cours de ce roman.
L'hiftoire funefte de la naiffance de
Mademoiſelle de Vallière , laiffée par
Madame de Hauterive , avec la copie des
actes juridiques qui l'ont accompagnée ;
le détail fuivi des recherches que cette
Dame a faites long - tems, pour retrouver
des parens à Sophie , tout cela eft avidement
lu par des héririers qui triomphent
en la voyant,fans efpérance de partager
avec eux une fortune qu'ils attendoient
impatiemment.
Le tableau tragique des horribles circonftances
qui précédent la naiffance.de
Sophie de Valliere, arrachée du fein d'une
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
mère qui vient de mourir , eft rendu par
l'auteur avec cet art & ce coloris qu'elle
a déjà fait admirer plus d'une fois : &
cette fcène mystérieufe & terrible dont
Madame de Hauterive pendant feize ans
n'a pu retrouver aucun fil , eft la fource de
la curiofité vive qu'infpire cet ouvrage.
L'infortunée Sophie , expofée dans la
maifon de fa tante , à bien des dégoûts
& même à des procédés durs de la part
des co-héritiers , ne pourroit avoir parmi
eux qu'un protecteur , c'eft le fils de Madame
de Germeuil , qui traite elle même
Sophie avec bien peu de ménagement ;
mais Germeuil eft abfent. Jeune Colonel
aimable & d'un mérite diftingué , il eft à
fon devoir , & Sophie ne voit autour
d'elle perfonne pour qui fes larmes foient
intéreffantes.
Un fervice que fon humanité & fa
bienfaifance naturelle lui avoient fait ·
rendre à une Dame Beaumont, marchande
de rubans , lorfqu'elle étoit au couvent
avec Mademoiſelle de Canteleu , lui fait
imaginer de recourir à cette bonne femme.
C'eft de chez elle qu'elle écrit avec
fermeté à fon amie : Je détournerai mes
regards de cette claffe qui n'eft pas la mienne.
J'entrerai courageufement dans celle où
FEVRIE R. 1772. 127
je fuis rejetée ... Ne vous attendriſſezpas ,
mon aimable Hortenfe , une humble condi
tion n'avilira point le coeur de votre amie...
J'ai appris à diftinguer l'honneur de tout ce
que le vulgaire appelle de ce nom . Je ne
ferai pas dépendre le mien de la place que
j'occuperai dans le monde , mais du fentiment
intérieur de mon ame. Tant que je
conferverai ma propre eftime , tant qu'un
reproche ne s'élèvera pas du fond de mon
coeur , tant qu'Hortenfe me nommera fa
compagne , fa foeur , je ne rougirai point
d'être inconnue , d'être abandonnée , d'être
pauvre.
Germenil inftruit du peu d'égard de fa
famille pour Sophie , lui écrit plus d'une
fois , en l'appellant toujours fa coufine . Il
eft prêt à revenir , ofera- t- il lui préſenter
un héritier de fa tante ? ... Sophie qui ne
voit en lui que le digne neveu & l'ami de
Madame de Hauterive , eft difpofée à le
recevoir. Quelle fituation a plus befoin
de confolateur que la fienne ?
A peine eft-il arrivé qu'elle tombe malade.
Il a fait accepter à Pauline , qui fert
Sophie , des fecours que celle ci , du prix
de quelques effets vendus , exige que Pauline
lui rende , & dont il n'ofe refufer la
reftitution.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
Sophie s'apperçoit que le feul travail de
fes mains ne peut la foutenir ; on lui a
parlé d'une Dame de Moncenay qui cherche
de jeunes perfonnes pour un meuble
qu'elle a projetté : elle s'y fait préfenter ,
& , malgré l'effroi de fon amie , & les
tendres efforts de Germeuil , prêt à repartir
pour la campagne avec la mere ?
fa
elle entre chez cette Dame .
Les vifites que lui rendoit Germeuil ,
le myftère qu'il étoit obligé d'y mettre,
ont encore plus de part à la réfignation de
Sophie , que la difficulté de fe foutenir
chez Madame de Beaumont.
Nous ne pouvons nous refufer de copier
ici une partie du portrait qu'elle fait de
Madame de Moncenay , il eft de main
de maître . Nos meilleurs peintres dramatiques
, la Bruyere même, n'ont pas mieux
copié la nature .
Je travaillerois inutilement , dit- elle ,
à me faire un amie de Madame de Moncenay
, je ne la crois fufceptible ni d'attachement
ni de haine . On ne peut guère être
plusjolie & moins aimable que cette Dame;
le foin de fa perfonne eftfon unique affaire :
elle eft fi occupée d'elle même , fi peu capable
de s'intéreffer aux autres , fi ennuyeufe
par le récits répété de petits événemens qui la
FEVRIER. 1772. 129
concernent , fi inquiete de la moindre altération
de fafanté ; elle en parle tant ,
elle en rend un compte fi minutieux , fes
détails font fi longs , fi révoltans , que fon
entretien laffe jufqu'à fes femmes , & c.
L'arrivée de Madame de Terville chez
Madame de Moncenay la fille , eſt un
nouveau defagrément pour Sophie . Safigure
eft defagréable , fon air commun ; elle
parle haut , a le ton impérieux , l'esprit
bourgeois , le naturel foupçonneux & l'humeurfort
aigre. Les différentes ambaffades
de fon mari l'ont fait connoître des étrangers
qui la mettent au nombre des rar tés
qu'ils fe propofent de voir en France , tandis
qu'aux yeux de fes compatriotes la
Comteffe de Tervile n'offre rien qui leur
paroiffe digne d'exciter la curiofité , encore
moins d'attirer le fuffrage des autres nations
, &c, & c. Pour M. fon fils , qui
croit trouver dans Sophie une petite perfonne
bien reconnoiffante de fon fade
hommage , c'est un petit feigneur à la
mode , c'eſt un joli François du dix - hui
tiéme fiècle .
A l'égard de M. de Moncenay , fon
extravagance eft grave & profonde , il erre
méthodiquement ; il fe croit bel efprit, phi
lofophe , politique , capable de réformer
FY
130 MERCURE DE FRANCE:
tous les ordres de l'Etat. Ceux qui poffedent
le mérite qu'ilfe donne dans fa propre
imagination , le trouvent ignorant , entété,
fouvent bavard, & toujours ennuyeux.
Tels font les originaux au milieu defquels
fe trouve la plus raifonnable , la
plus décente , la plus aimable des créatures
, l'intéreflante & malheureufe Sophie.
Pour furcroit de peine , un vieux intendant
de la maiſon ofe prétendre à plaire.
Ses propofitions de mariage ont l'aveu &
la protection de la Comteffe de Tervile ,
qui s'indigne des Lefus de Mademoiſelle
de Vallière .
Prête à quitter cette maifon , elle y eft
retenue par la première des femmes de
la Comteffe , qui veut lui apprendre à
fupporter les défauts des Grands , en lui
révélant que l'art qui les rend heureux ,
ainfi que les Riches , c'eft celui de s'aimer,
de fe prifer beaucoup , de dédaigner le refte
de la nature, & de regarder les autres com
me créés feulement pour les fervir ou les
amufer.
Sophie fe laiffe gagner par les confeils
de Cécile ; c'est un caractère rare & plaifant
dont l'hiftoire finguliere varie trèsheureufement
le ton de l'ouvrage . Ce
n'eft point un de ces êtres métaphyfiques ,
FEVRIER . 1772. 131
& , s'il eft permis de le dire , de ces pardelà
de la nature, fi recherchés, fi précieux
au mauvais goût du fiécle . C'eſt une nature
plus riante que Madame Riccoboni
offre ici ; mais c'est toujours la nature , &
fur tout fon aimable coloris .
Le hafard amène chez Madame de
Tervile une perfonne nouvellement mariée
, que Sophie avoit obligée dans font
couvent. Madame de Monglas reconnoît
fa bienfaitrice & fon amie; elle l'embraffe
avec transport. Elle entrevoit fes peines
& lui propofe fa maifon . Ses offres font
acceptées , & Sophie deformais n'a plus
d'humiliations à redouter , & va trouve
chez Monfieur & Madame de Monglas
des coeurs dignes du fien .
Nous avons négligé , pour n'être pas.
trop longs , de fuivre le détail enchanteur
de l'amour de Germeuil & de Sophie .
Leurs débats , leurs querelles , leur retour
font du plus vif intérêt. C'eſt l'amour
comme le peint fi bien Térence , Ira ...
pax rurfùm.
Un Anglois que M. de Monglas a connu
dans fes voyages , s'eft fait une retraite
auprès de fa terre ; c'eft lui qui va donner
enfin un état à Sophie.
Accablée d'une mélancolie profonde
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
qui le fuit par tout , Milord Lindſey a
vu chez M. de Monglas Mademoiselle
de Valliere ; des rapports de traits l'ont
frappé , il s'en eft troublé ; fa trifteffe
femble s'en être augmentée : il veut favoir
fon hiftoire. On lui remet les papiers
laiffés par Madame de Hauterive .... Il
n'en peut plus douter , il eſt la cauſe involontaire
des malheurs de Sophie.
Nommé tuteur de fa mere à la Caroline
, il avoit juré au pere de Mill Nesby
de l'époufer en Angleterre ; il l'y conduit,
& dans le moment qu'il met à la voile ,
un jeune homme éperdu s'élance à la mer
pour joindre fon vaiffeau , il le recueille ;
c'eft l'amant fecret de la mere de Sophie.
Les deux amans en fe revoyant, en impofent
affez à leurs premiers mouvemens ,
pour ne pas fe dévoiler aux yeux de Mylord
Lindley , qui ne voit rien , qui ne
foupçonne rien , & qui loge avec lui en
Angleterre l'impétueux & diffimulé Nelfon.
Le caractère indépendant & prefque
féroce du jeune Américain , donne à fa
paffion cachée une teinte obfcure & peu
commune où triomphe encore le pinceau
de Madame Riccoboni , qui fait affortir
fes couleurs à la variété de tous les objets. I
FEVRIER . 1772. 133
Nous l'avouerons pourtant , s'il eft un défaut
dans cette hiftoire un peu longue de
Mylord Lindſey , de Mill Nesby , & de
Nelfon , c'eft de faire difparoître trop
long- tems les premiers objets de l'intérêt,
Germeuil & Sophie.
L'amour triomphe enfin dans le coeur
brûlant de Nelfon & dans celui de Mi
Nesby , de leur reconnoiffance pour Mylord
Lindſey. Un lien fecret les unit , &
les fuites de cette union qui vont les trahir
, les obligent à quitter la maifor. de
leur bienfaiteur.
Mylord Lindley , trop amoureux de ia
mère de Sophie , pour n'être pas indigné
de cette trahison , fait les plus grandes
recherches , envoie dans tous les ports.
On lui apprend malheureuſement la route
que tiennent ces deux amans , il arrive
en Hollande , il y trouve Nelfon , qui furieux
de le revoir , le force de fe battre ,
& , dans fon impétuofité , fe précipite fur
le fer d'un homme qu'il a armé malgré
lui.
On le reporte mort à fa malheureufe
époufe , que le fpectacle affreux faifit au
les
point de lui coûter la vie , tandis que
amis de Mylord Lindfey le forcent à
s'éloigner bien vite de la Hollande.
I
134 MERCURE DE FRANCE.
Il n'a pu dans la fuite être inftruit que
de cette double mort qu'il fe reproche
fans ceffe , & dont l'image toujours préfente
à fon imagination , eft la fource de
la mélancolie qui le dévore. C'eft par les
papiers de Madame de Hauterive qu'il
apprend qu'on avoit arraché du fein de
Miff Nesby , un enfant de fept mois , &
que cet enfant étoit l'infortunée Sophie .
Tendre , compatiffant , vertueux , toujours
plein de l'amour qu'il avoit eu pour
fa mere , il veut réparer fes maux , il veut
lui tenir lieu de pere , il l'adopte . Il découvre
l'amour de Germeuil pour elle ,
& l'efpoir de la forrune immenfe qu'il
affure arrache de Madame de Germeuil
le confentement qui fait enfin le bonheur
de Sophie , de fon amant , & le plus doux
plaifir du Lecteur.
Tel eft , en abrégé , le plan de cet ingénieux
roman , dont l'imagination , la
variété , le pathétique , ne peuvent qu'augmenter
la jufte réputation de Madame
Riccoboni. Un ftyle pur & naturel , un
goût de réflexions fages & profondes fans
pédantifme & fans affectation , un choix
de fentimens honnêtes , vertueux & vrais;
voilà ce qui diftinguera toujours les fictions
de cet auteur de cette foule d'hiſto
FEVRIER. 1772 134
riettes , de contes , de romans , dont les
uns font ennuyeufement triftes & fans un
véritable intérêt , les autres indécemment
gais & prefque tous hors de la nature ,
hors du goût & de la vraisemblance.
Entretiens d'une ame pénitente avec for
Créateur , mêlés de réflexions & de
prieres relatives aux divers événemens
de la vie ; dédiés à la Reine & à
Madame Louife. Nouvelle édition.
Tome troifiéme , in 12. A Lille , chez
J. B. Henry , & à Paris , chez de Hanfy
le jeune ; Durand , neveu , Lejay , libraires
, rue S. Jacques , & Coftard ,
rue S. Jean- de- Beauvais.
Notre feue Reine à qui le premier voiume
de cet ouvrage eft dédié , avoit engagé
l'auteur à donner la fuite de ces
pieux entretiens . Cette augufte Princeffe
étoit perfuadée que l'on ne pouvoit trop
multiplier les livres , qui en nourriffant
la piété , nous difpofent à l'exercice des
vertus chrétiennes , fi néceffaires nonfeulement
à notre propre bonheur , mais
encore à celui de la fociété . Comme ces
fortes de livres peuvent fe porter à l'Egli
fe , on a eu foin d'inférer au commence
136 MERCURE DE FRANCE.
ment de chaque volume , des prieres pour
être récitées durant la Meffe .
Traité du droit d'Habitation , pour fervir
d'appendix au traité du Douaire : traité
des Donations entre mari & femme ,
& du don mutuel ; par l'auteur du traité
des obligations. A Paris , chez Debure ,
pere , quai des Auguftins . A Orleans ,
chez la veuve Rouzeau - Montaut. vol .
in- 12.
La méthode , la clarté & la préciſion
avec laquelle ces traités font rédigés , les
feront rechercher , ainfi que ceux que
l'auteur a publiés précédemment fur la
communauté, le douaire , les obligations,
les contrats de vente , d'échange , de louage
, de fociété , & c .
La Mère jaloufe , comédie en trois actes
en vers , par M. Barthe , de l'Académie
de Marfeille , repréfentée pour la
première fois , par les Comédiens Fran
çois ordinaires du Roi , le 23 Décem
bre 17715
Quod latet arcaná non enarrabile fibrá.
PERSE , fatyre v.
in- 8°. prix , 30 fols . A Paris , chez la
V. Duchefne , libr . rue St Jacques .
FEVRIER. 1772 . 137
Madame de Melcour , femme du grand
monde , diffipée , aimant à plaire , & qui dans
fa première jenneffe a été célébre par fa beauté ,
a d'un premier lit une fille de feize ans , qu'elle
a tenue jufqu'alors au Couvent.
Elle eft mariée en fecondes noces à M. de
Melcour , homme plein de droiture & de raifon
, ne foupçonnant pas les défauts , & jugeant
toutes les ames par la fenfibilité honnête de la
fienne.
M. de Melcour a un ami qui a fervi comme
lui & avec lui ; cet ami fe nomme Vilmon . C'eft
un homme froid , obfervateur , épiant les défauts
, les démêlant avec fineffe , & d'une honnêteté
un peu maligne .
· Madame de Melcour a une belle four du
côté de fon premier mari ; c'eft Madame de
Nozan , femme d'une foixantaine d'années, d'un
caractère fingulier & piquant ; elle eft brufque ,
vive , fenfible , impatiente & bonne , offenfant
fans s'en douter , prompte à revenir fur ellemêine
, n'ayant aucun des amours propres de fon
fexe , très - défintéreffée fur fa figure & fur fon
âge , fur tout très - paffionnée pour fa nièce.
Julie , fille de Madame de Melcour , &
nièce de Madame de Nozan , a toute la beauté
de fon âge , les graces de fon fexe , & cette
naïveté timide que doit donner l'ignorance du
monde , & un caractère contraint par la première
éducation . Elle a vu au Couvent un jeune
homme , nommé Terville , à qui elle a infpiré
de l'amour , & qu'elle aime auffi en fecret .
Terville a de la fortune , de l'efprit , des graces
, de la fenfibilité. Il aime avec paffion , mais
il ne s'eft point encore déclaré . Il eft conduit
138 MERCURE DE FRANCE.
par Vilmon , qui lui a confeillé , pour réuffir
de commencer par fe bien mettre dans l'efprit
de la mère , en lui faifant la cONF.
La mère a d'autres vues fur fa fille ; comme
elle eft peu flattée de l'avoir auprès d'elle , fon
projet eft de l'éloigner , en la mariant en province
. Son choix eft tombé fur un nommé Jerſac,
de Bayonne.
Ce Jerfac eft riche , affez avare , aimant peu ,
calculant beaucoup , fe maiiant par intérêt , &
ne péchant point par trop de fineffe . Tels font
les perfonnages de cette comédie.
ACTE I. Melcour & Vilmon ouvrent la fcène.
Melcour remarque avec chagrin que depuis quel
que tems il s'eft fait un changement dans fa maifon.
Plus de gaïté , plus de foupers ; plus de
concerts. Madame de Melcour paroît rêveuſe &
mélancolique . Vilmon convient de tout , & fans
faire part encore à Melcour de fes foupçons, il lui
fait remarquer la conduite fingulière qu'elle a
avec fa fille , fa trifteffe , fon humeur , fon
mécontentement dès qu'elle la voit parée , fon
obftination à ne la meuer nulle part & à la tenir
renfermée . Melcour excufe fa femme , qui
ne peut fortir , qui a la migraine.
VILMON.
S'il faut ne point flatter ?
Cette migraine-là nous vint ( je fais dater )
Lejour où du couvent la petite eft fortie ;
Moi , j'ai vu la migraine entrer avec Julie.
Madame de Nozan entre avec bruit & les in
terrompt. Elle annonce qu'elle emmène fa nièce,
FEVRIER. 1772. 139
qui n'eft point fortie depuis huit jours . Elle la
fait habiller clandeftinement & à l'infçu de fa
mère , qui repofe . Elle eft ivre de la beauté de fa
nièce , & va , dit - elle , la montrer.
Melcour , inquiet des propos de Vilmon , le
hâte d'y revenir. Il ne peut croire qu'une mère
foit, ni puiffe être jaloufe de fa fille ; au contraire
dit-il :
La beauté d'une fille enorgueillit la mère:
VILMO N.
Cela doit être au moins ; j'en connois toutefois..
MELCO U R.
Savez-vous quand du fang on étouffe la voix ,
Quand on peut fe réfoudre à n'aimer point o
fille ?
C'eft lorsque fa laideur dépare une famille.
vanité.
On devient même alors cruel par
J'ai vu plus d'une mère , ivre de la beauté ,
Punir dans (on enfant la laideur , comme un cri
me;
D'un barbare amour- propre en faire la victime ,
Et , pour n'en pas rougir , l'enfevelir fouvent
Dans le fond d'une terre ou l'ombre d'un couvent,
Julie a- t'elle donc ce tort avec ſa mère ?
VIL MON.
Non; au public pourtant on ne la montre guère
140 MERCURE DE FRANCE.
MELCO U R.
Vous êtes cruel.
VILMO N.
Vrai.
MELCO U R.
La nature a des droits. ::
VIL MO N.
Respectés , je le fais , du peuple , des bourgeois ;
Mais dans un fiécle vain , dans un monde frivole
Où la beauté du fexe eft fa première idole ;
Où les femmes , de plaire ont toutes la fureur ,
Voudroient de leur jeunefle éternifer la fleur ,
Disputen: le terrein à l'âge qui s'avance ,
Et font contre le tems la plus belle défenſe ;
Où leur coquetterie ( on ne nous entend pas )
Dure deux ou trois fois autant que leurs appas ,
Mon ami, ce travers , fans doute fort bizarre ,
Quoique peu remarqué , n'eft pourtant pas trèsrare
.
Melcour n'eft point perfuadé ; c'eft demain la
fête de fa femme ; il compte lui faire un préfent.
qui lui rendra toute fa gaieté & diffipera ces petits
nuages . Ce préfent eft un tableau où il a fait
peindre la mère à côté de la fille . L'idée eft de
Vilmon , & il l'a donnée à Melcour pour achever
de l'éclaircir. Il fort pour aller preffer le Peintre,
qui n'a point encore fini, &qui eft attendu avec
impatience.
1
FEVRIER . 1772. 141
Mde de Melcour paroît . Elle eft fotté tonnée
que fa fille foit fortie fans fa mère ; elle témoi
gne fon mécontentement , & exhale toute fon
humeur contre Madame de Nozan , qui n'eft occupée
, dit - elle , qu'à lui gâter fa fille , en l'ennivrant
d'éloges.
La voit-elle inquiète,
Un peu trifte ? Aurois - tu quelque peinefecrette ,
Quelque chagrin ? dis - moi : peut êtrefouffres- tu?
Le vilage un peu pâle ? Ah dieux ! tout cft perdu.
Atable , où poliment près de Mademoiselle ,
Elle ne fert , ne voit , & ne regarde qu'elle :
Mais tu ne manges point ! Ailleurs : tu ne dis
rien.
Et la très -chère foeur qui parle bien , très- bien ,
Jour & nuit , ne voit pas qu'il faut ſavoir le
taire ,
Qu'une enfant qui fe taît n'a rien de mieux à
faire .
Quel engoûment d'ailleurs ! quelle ivrefle ! &
pourquoi ?
Hier , je fais venir des étoffes pour moi ;
Là voilà qui déroule & parcourt chaque pièce :
Ma foeur , ces quatre ou cinq iroient bien à ma
nièce.
Souvent dans un accès , d'un air mystérieux ,
Elle prend par la main une perfonne ou deux ,
Et les mène en filence & tout droit de vant elle :
Eh mais ! admirez- donc , voyez comme elle e
belle
142 MERCURE DE FRANCE .
On regarde , on fourit : excellente leçon !
MEL COUR.
Sa tante a quelque tort , elle a quelque raiſon
Votre fille eft fi bien !
Mde DE MELCOUR.
eft- on mal àfon âge?
MELCOUR..
Quoi ! les plus jolis traits , le plus joli viſage !
D'abord, vous m'avoûrez qu'elle eft d'une frai
cheur !
Mde DE MELCOUR.
Dui , fraîcheur de feize ans.
MELCO U R.
Le teint , d'une blancheur !
Mde DE MELCOUR.
Un peu fade , fon front...
MELCO U R.
Va bien à fa figure ;
Et quant aux yeux , ce font les vôtres , je vous
jure ;
Oni ; tirez-vous de -là .
Mde DE MEL COUR.
Je conviens que les yeux ;
FEVRIER. 1772 143
(Jea'y mets point d'humeur ) font ce qu'elle a de
mieux .
M. de Melcour , dans toute cette fcène , n'eft
occupé qu'à louer la fille & excufer la tante ;
tout-à-coup ils font interrompus par l'arrivée de
Madame de Nozan & de Julie .
La tante paroît agitée , hots d'elle - même , com.
me au fortir d'une aventure extraordinaire . Elle
Le précipite dans un fauteuil. Julie a un refte
d'embarras & de trouble. M. & Madame de Melcour
font allarmés & inquiets de ce qui a pu arriver.
La tendrefle maternelle fe réveille dans le
coeur de la mère. Elle interroge tour - à - tour fa
belle -four & fa fille . Madame de Nozan lui
annonce qu'elles arrivent des Tuilleries.
J'ai peine à refpirer : tout Paris étoit là ,
Tout Paris en extafe ! il falloit voir cela,
Si vous aviez combien je vous ai defirée !
Ah ! que vous auriez vu votre fille admirée !
D'abord un , & puis deux, & puis vingt , & puis
cent ,
Puis deux mille : c'étoit un tableau raviſſant ;
Je ne l'embellis point & je ne fais pas feindre ;
Pour vous dédommager , tâchez de vous le peindre.
Ils accouroient en foule , & preflés , coudoyés ,
Se ferroient , le heurtoient , s'élevoient fur leurs
pieds ;
Les uns caufeurs bruyaas ; les autres plus hong
nêtes
144 MERCURE DE FRANCE:
Regardoient en filence , & par- deflus les têtes.
Mde DE MELCOUR .
Madame aſſurément a lieu de triompher...
Vous expofiez ma fille à le faire étouffer .
Mde DE NOZA N.
Etouffer eft fort bon ! Etouffer ! Je vous aime.'
C'étoit le plus beau cercle ! ils ſe rangeoient d'eux
même ,
Et quand nous avancions , le cercle reculoit.
Julie exprime naïvement fon embarras dans
cette fituation . Melcour partage la joie de la
tante. La mère a un dépit concentré qu'elle cache
, & qui éclate malgré elle. Madame de Nozan
triomphe , eft dans un état d'ivreffe . Elle finit
par une tirade charmante , pour répondre à la
mère qui lui a dit :
Et ma fille eft donc la fable de Paris !
Mde DE NOZA N.
La fable ! en vérité vous êtes fort à plaindre.
Elle fe place entre M. & Madame de Melcour
les prend par la main & leur parle bas , en imitani
les voix de plufieurs perfonnes qui interrogent
& qui répondent.
On difoit : elle est bien. Mais elle eft faite à
peindre ;
Quelle taille ! -Et cesyeux ! -Ellefort du couvent
Nous
FEVRIER. 1772.
145
Nous ne l'avions pas vue. -On ne voit pasfou
vent
-
De cesfigures- là. Quel air doux & modefte !
Sa rougeur l'embellit -Ellefera céleste.
—Elle l'eft . —Ce doit être un bon parti. —Trèsbon.
-Seize ans ? -au plus. Et puis on demandoit
fon
nom ,
Et quelqu'un vous nommoit. Cette Dame,?
eftfa tante
Qui lui laiffera bien dix mille écus de rente.
Baile- moi , mon enfant , tu les auras,
En même tems elle fe précipite fur la nièce ,
qu'elle baile fur les deux joues. La mère , d'un
ton févère , dit à fa fille de rentrer , & de ne jamais
fortir fans fon ordre.
Le beau- père & la tante fe regardent & pa
roiffent étonnés . Terville entre ; il a été témoin
de l'aventure des Tuileries , & a aidé Madame
de Nozan & Julie à regagner leur voiture. Il fait
fon compliment à la mère , qui lui répond d'un
air fec & diftrait,
Dans ce moment le Peintre arrive . Il eſt précédé
de deux laquais , qui portent un tableau.
Vilmon rentre auffi fur la scène , en ramenant
Julie. Tous les perfonnages regardent à la fois
ce tableau , où Madame de Melcour fe reconnoît
peinte à côté de fa fille. La tante y voyant fa
nièce , veut le baifer. Terville enchanté du portrait
de fon amante , va le louer ; mais Vilmon
lui fait figne , & Terville loue le portrait de la
G
146 MERCURE DE FRANCF:
mère tout haut , & tout bas celui de la fille.
Melcour obferve fa femme avec intérêt ; Vilmon
obferve tout avec malignité. La mère , au milieu
de tous ces perfonnages , tourmentée en fecret,
a une colère retenue , & interrompt ' tour- à-tour
la fille , la tante , le mari , Terville , Vilmon ,
le Peintre lui- même , qui veut défendre fon tableau
, & lui demande la permiffion de l'expofer.
au premier fallon . A ce mot de fallon , elleperd
tout-à- fait patience , & dit au Peintre d'un ton
rcès-brufque :
Monfieur , ma fille & moi
Nous n'irons pas groffir cette foule... imbécille
De portraits , qui placés , preflés , rangés en file ,
De leurs cadres dorés fortent de toutes parts ,
Er dès l'escalier même affiégent nos regards .
Eh! Meffieurs , voulez - vous une folide gloire ?
Donnez dans vos fallons de grands tableaux d'his
toire ,
Non des têtes de femme & de marmots d'enfans.
Madame de Nozan foutient toujours fon caractère
:
Mais ( dit - elle à Melcour ) concevez - vous rien à
cet otage- là ?
-
Mais à quel âge donc veut elle que ma niéce
? ..
Mais dires - moi , ma foeur , qu'avez - vous donc ?
Quoi ! Qu'elt- ce ?
FEVRIER. 1772. 147
Faut-il pour fon portrait attendre foixante ans ,
Qu'au lieu de cheveux blonds , elle ait des cheveux
blancs ,
Qu'au lieu de ces couleurs fraîches & naturelles ,
Et de ces beaux fourcils & de ces dents fi belles ,
De ce charmant vifage enfin que je lui voi ,
Elle foit bien ridée & laide……. comme moi ?
Eh fi! cela feroit peut-être pittoresque ,
Mais croyez-moi , fort trifte.
Elle fort auffi étonnée qu'indignée . Melcour
emmène le Peintre : Vilmon & Terville fe retirent
; & Julie veut fuivre fa tante. Sa mère l'arrête
, a une courte fcène avec elle , où elle lui
reproche fa diffipation , fa parure , fa fortie avec
fa tante , & fur- tout lui défend bien de croire
qu'elle reffemble au portrait. Elle l'avertit que
tout eft flatté , les détails & l'enfemble. Julie , à
-part , & prefqu'en pleurant , ne dit qu'un mot.
Terville du moins n'entendpas ; mot plein de naïveté
, de grace & de finefle. Cependant la douleur
de la fille attendrit la mère , qui lui parle alors
d'un ton plus doux . Julie rentre. M. de Melcour ,
qui commencé à être trop éclairci , revient ; il en
eft plus empreflé à marier Julie . Il propofe à la
mère une lifte de partis qui s'offrent pour la fille ;
Financier , Militaire , homme de Robe , homme
de Cour ; la mère rejette tous les partis avec humeur
, trouve d'excellentes raifons pour n'en admettre
aucun , & annonce qu'elle a un parti tout
prêt , qui convient beaucoup mieux à fa fille . Mel-
Courne peut prefque plus douter que Vilmon n'ait
dit vrai. Cette fcène , qui termine l'Ae , & qui
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
développe encore le caractère de la mère , eft
pleine d'ailleurs de détails charmans & de vers
agréables.
ACTE II. Les deux Amans paroiffent , & Vilmon
au milieu d'eux . Julie eft inquiète & tronblée
, Terville défespéré , Vilmon rêveur . Julie
annonce que la mère veut la marier à un homme
de province. Terville implore à grands cris les fecours
de Vilmon ; il veut s'aller jetter aux genoux
de la mère , aux genoux de la tante , aux pieds de
Melcour ; il reproche à Vilmon de lui avoir fait
garder le filence jufqu'alors. Vilmon calme fon
impétuofité & les fureurs , l'arrête , lui promet de
parler & de difpoler la mère. Les deux Amans , à
les côtés , lui parlent tour- à- tour & en dialogue
preflé , pour le conjurer d'embrafler leurs inté
rêts. La scène eft pleine de défordre & de chaleur
, & la fin a le ton & la vérité des fcènes
d'amans de Molière. La mère paroît , les deux
amans s'enfuient : Vilmon fourit de leur fuite. La
mère entre , accompagnée de Jerfac , qu'elle préfente
à Vilmon . Vous venez de me rendre un
Service important , dit - elle , & je vous dois mon
gendre. Vilmon qui avoit connu Jerfac à Bayonne
, qui , par hafard , l'avoit fait connoître à la
mère , eft fort étonné d'avoir pu contribuer à un
pareil mariage. Jerfac , de fon côté , le remer
cie , fait le détail de fes biens , de les terres , de
fes mailons de campagne , de ville , & cite à
chaque inftant Vilmon pour témoin , qui , cmbarraflé
de fa fituation , répond toujours d'un air
diftrait. A la fin le Provincial ſe met à célébrer
les charmes de la fille,
Nous espérons dans peu vous appeller grand's
mère,
FEVRIER. 1772 149
De ſes petits-enfans on eft , je crois , bien fière !
VILM O N.
Plus que des fiens , dit-on.
JERSA C.
On vous en enverra ,
Et vous les gâterez autant qu'il vous plalra.
La mère fouffre , & Vilmon appuye maligne
ment. Refté feul avec la mère , il montre fon
étonnement d'un pareil choix , & délavoue la
part qu'on veut lui donner dans ce mariage . Il
invite la mère à faire plutôt un choix dans Paris :
la mère , toujours attentive à cacher fa foiblefla
& le véritable motif qui l'anime , fait une fatyre
affreufe des moeurs de Paris , & le plus bel éloge
des moeurs de la Province :
i
Mde DE MELCOUR.
Dans Paris ! pour y voir
Mille travers des fats blafés dès leur jeuneffe ,
Ne pouvant rien aimer , pas même une maîtreſſe ,
Des fottifes de mode , un tas de jeunes fous ,
Très- prodigues amans , très- volages époux ,
Enfin , un luxe affreux , les plus folles dépenfes ,
Des enfans renommés par cent extravagances ,
En proie aux ufuriers , ruinés dès vingt ans ,
Et calculant déjà les jours de leurs parens.
Avouez : cet air-ci , pour une jeune femme, ..
Gif
150 MERCURE DE FRANCE .
Contagieux ?
VILMON.
Madame DE
MELCOUR .
Mortel.
VILMO N.
En province , Madame ,
On n'eft pas plus farouche.
Madame DE
MADAM E.
Un fat eft moins couru ;
On y rougir du vice & non de la vertu,
Nos puérilités n'y tournent pas les têtes 3.
Au lieu de parler bals , foupers , proverbes , fêtes,
On pense à fes devoirs , on vit chez foi , conten
Peut-être un agréable eſt là moins important ;
En revanche on y voit des époux & des pères ,
Plus de bonheur , & moins de riens & de miféres.
Vilmon propofe Terville. La mère convient
que ce feroit pour fa fille un parti très -avantageux
,elle fait même de Terville le portrait le plus
Brillant ; mais elle ajoute qu'il a une autre paffion
dans le coeur. Vilmon , à travers le filence
affecté de la mère , & ce qu'elle paroît avouer en
le cachant , voit clairement que Madaine de Melcour
, trompée par les foins qui lui ont été rendus
, croit avoir enflammé ce jeune homme . Il eft
plus embarraflé que jamais , toute la finefle tourne
contre lui ; il fait , fans le vouloir , un mariage
FEVRIER. 1772 151
auquel il ne penfoit pas , & il ne peut en faire.
un qu'il defire. Terville paroît ; il y auroit trop
de danger à différer ; il faut abfolument qu'il fe
déclare. Vilmon , en fortant , lui dit un mot à
l'oreille pour l'engager à parler. Terville , timide,
tout- à-la-fois & par fa paffion & par le danger
où il eft , veut enfin rompre fon fecret avec la
mère ; la mère , trompée , croit que Terville lui
parle d'elle- même , & reçoit les propos avec une
gaité qui le défefpère. Il ne s'apperçoi : pas de
l'erreur , & continuant toujours , prononce enfin
le nom de Julie , & demande fa main. La mère
eft frappée comme d'un coup de foudre :
TERVILLE.
Je l'adore.
Faut- il vous le jurer , vous le redire encore ?
Je l'ai vue au couvent & l'aime pourjamais.
Afon premier regard je lentis que j'aimais.
Un oncle me parloit d'Hortenfe , d'Emilie ;
Je repouffai cet oncle , & parlai de Julie :
Ne m'en fachez pas gré , c'eft qu'elle éclipfe tout
Seule , feule à mes yeux , je la voyois par- tout.
J'aime , j'ai quelque bien, un nom.connu , je
penfe.
Etpuis , je n'aurois pas la dure extravagance
De venir l'arracher à ces bras maternels ;
Ne me fuppofez point des projets fi cruels.
Près de vous , trop heureux , dans Paris , l'un &
l'autre ,
Vos goûts feront nos goûts ; votre maifon , la
Dôtre.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Voyant que la mère ne lui répond rien , il fe
précipice à les pieds pour la fléchir . Dans ce
moment entre Madame de Nozan , qui a appris
le projet de manier fa nièce en province ; elle eſt
furieule contre cet enlèvement , & vient pour
parler à la mère. En entrant elle apperçoit Terville
aux pieds de Madame de Melcour . Comme
elle ignore la paffion de Terville pour la nièce ;
elle croit que cet hommage s'adreſſe à la mère.
Terville , paffionné , & croyant que ce qui eft
dans fon coeur doit être connu de tout le monde,
conjure la tante de prier pour lui . La tante s'indigne
, & Terville court implorer le fecours du
beau père . Madame de Nozan reſtée ſeule avec
Madame de Melcour , fe livre à tout fon caractère
, & dans le tems que la mère eft fecrettement
humiliée de ce que la paffion dont elle
stoyoit être l'objet s'adrefle à ſa fille , la tante lui
reproche d'une manière vive & plaifante cette
même paffion qui n'eft pas pour elle :
La découverte eft bonne :
Ne vous figurez pas au moins qu'elle m'étonne.
On veut plaire , on s'expofe ; on voit des étourdis
Jeunes , entreprenans , & de plus , enhardis.
Très pathétiquement , à genoux , d'un air tendre ,
Ils viennent fupplier qu'on daigne les entendre ,
Qu'on ait quelque pitié de leurs timides feux ;
Les étourdis font bien, oui , le tort n'eft pas d'eux,
On quête adroitement ces belles entrepriſes ;
Je n'entendis jamais , moi , de telles fottifes.
FEVRIER. 1772. 153
Madame DE MELCOUR .
Que veut dire ce bruit ?
Madame DE NOZAN.
Ce bruit ?
Madame DE
MELCOUR.
Qu'entendez-vous !
Madame DE NOZAN .
J'entends que j'ai la clef de fes propos fi doux ,
De fes fouris flatteurs , de fes coups - d'oeil , des
vôtres ,
Et d'égards pour vous ſeule & d'oubli pour les autres
;
Car ils ne voient plus rien quand ils ont le coeur
pris ,
Ou ne voient qu'un objet. Ces tranquilles maris !
Non... que j'ole penfer...
Madame DE
MELCOU R.
Madame , êtes- vous folle
Madame DE NOZA N.
Le traître ! & pas un mot , une douce parole
A ma charmante niéce ! entre ces deux portraits ,
Monfieur n'étoit frappé que du vôtre ; vos traits ,
yos traits feuls le charmoient. Qu'il a ſu me déplaire
!
Gy
154 MERCURE DE FRANCE .
Mde DE MELCOUR , très - vivement.
Et vous aviez raiſon.
Mde DE NOZAN , à demi voix.
Vous qui feriez la mère.
Le petit fot!
Au milieu de cette querelle qui fait une fi
tuation vraiment comique , furvient le beau
père. Terville a été le trouver , & lui a déclaré
fa paffion pour Julie. Il preffe , il follicite , il la
demande en mariage. La tante en apprenant que
c'eft Julie que Terville aime , eft tranfportée de
joie. Alors elle fait férieuſement & naïvement de
cruelles excufes à la mère. A l'air paffionné de
Terville , elle auroit bien dû voir qu'il s'agif,
foit de fa nièce.
J'ai pensé , j'ai parlé , j'ai vu tout de travers.
Maintenant à vos pieds je verrois l'univers ,
Je croirois l'univers amoureux de ma niéce
Et qu'on vous parle d'elle.
Toute cette scène d'excufes , qu'il faut voir
dans la pièce , & qui eft d'un dialogue très- coupé
, eft tout- à-fait originale & plaifante. Il eft difficile
de mettre mieux la jaloufie & lesprétentions
fecretes de la mère en fituation .
L'acte eft terminé par une fcène éloquente &
pleine de chaleur entre M. & Madame de Melcour
; la mère emploie tout ce qu'elle a d'adreſſe
& de reffources dans l'efprit , pour juftifier l'exclufion
qu'elle donne à Terville : elle lui fait un
FEVRIER . 1772. 153
crime de fon âge , de fa paffion , de fa fenfibilité
même; le beau-père répond à tout avec autant de
raifon que de force : c'eft une lutte continuelle
d'une paffion fecrette qui fe déguife , & de tout
ce que l'honnêteté fenfible & courageufe a de
plus preffant.
Melcour finit par démafquer la mère à fes propres
yeux , & lui annonce que le monde qui eft
foupçonneux & frondeur iroit peut- être juf
qu'à l'accufer d'être jaloufe de fa fille ; la mère
paroît méprifer de tels foupçons , & refte obftinée
dans le projet d'établir fa fille hors de Paris.
Madame de Nozan qui arrive au moment que
la mère fort , eft au défefpoir ; dans une fcène
très-courte , elle s'emporte tour-à- tour contré
la mère , contre le beau- père , contre le provincial
, contre tout le monde ; elle ne peut
concevoir cet excès de barbaric ; fes fureurs font
à la fois comiques & tendres. Enfin elle prend la
réfolution d'aller chez tous les parens ; elle veut
ameuter toute la famille . Elle fort en déplorant
le malheur de fa nièce & le fien .
ACTE III. Les deux amans éperdus & troublés
paroiflent enfemble . Julie a eu derrière le théâtre
une converfation avec fa mère , qui lui a
ordonné expreffément d'époufer M. de Jerfac.
La mère lui a montré un mélange de févérité &
de tendreſſe ; fur - tout elle lui a dit beaucoup de
mal de Terville , & lui a défendu de le voir &
de lui parler jainais . Julie , inquiette & trem
blante d'être futprife , fe reproche d'obéir fi
mal. Son amant la railure . Madame de Nozan ar◄
rive . Elle a couru tout Paris , che a crevé fes
chevaux , mais elle n'a rien pu gagner auprès de
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
tous ces parens , de toutes ces ames de glace , qui
s'embarraffent fort peu que fa charmante nièce
foit facrifiée . Dans fon dépit , mêlé de fureur
elle les peint tous d'une manière comique , & fe
venge , en leur donnant des ridicules de leur
froide indifférence pour fa nièce. Julie n'a plus de
reffources , Terville eft au déſeſpoir . Madame de
Nozan , plus agitée que jamais , paroît vouloir
tout abandonner ; elle veut quitter cet hôtel &
renoncer pour jamais à Melcour , à ſa femme , à
toute cette famille qui lui devient odieuſe , &
qu'elle fe promet bien de détefter toute la vie.
Julie , abandonnée , fort en pleurant . Terville
cherche à intéreffer la tante , la tante a pris fon
parti ; elle voit que Jerfac eft un homme avare ,
& qui ne fe marie que par intérêt . Elle veut
l'aller trouver & lui dire :
Homme noir ,
Homme affreux , je fais bien , moi , ce qui t'inté
reſſe ,
Tu cherches mon argent encor plus que ma niéce ;
Ne compte pas toucher un denier de mon bien .
Eh ,
TERVILLE.
Julie eft fi belle ! Il la prendra pour rien?
Mde DE NOZAN .
J'irai devant ma four & toute la famille
Brûler le teftament que j'ai fait pour fa fille.
TERVILLE .
Bon ! n'en feriez - vous pas un autre avant deux
jours?
FEVRIER. 1772. 157
Mde DE NOZAN.
Deux jours , deux mois , deux ans ! C'en eft fait
pour toujours.
TERVILLE.
Ils ne le craindront pas ; vous êtes bonne
Mde DE NOZA N.
TERVILLE.
Vous vous attendrirez.
Durc
Mde DE NOZA N.
Non , mafoeur , je vous jure
Qu'on ne m'attendrit point.
Cette excellente fcène d'une ame tendre &
vive qui fe révolte contre fa propre bonté , qui
par excès de fenfibilité , veut fe perfuader
qu'elle eft dure , & faire du mal à la perfonne
qu'elle aime le plus , pour fe venger de ce qu'on
la contrarie dans fon amour même , eſt tout -àfait
neuve au théâtre. Terville laiffe Madame de
Nozan dans ces agitations , & fort pour faire un
coup de fa tête. Madame de Nozan , qui rêve à
part dans un fauteuil , annonce & par fon filence
& par des mots qui lui échappent qu'elle roule
auffi quelque projet. Le flegmatique Vilmon
arrive . Il veut favoir ce qu'ont produit les courfes
de la tante , & lui en demande des nouvelles.
Eh bien , dit-il ! La tante fe lève brufquement
, & lui dit ,
158 MERCURE DE FRANCE.
Eh bien, Monfieur, je ne veux ni n'entens
Que votreBaïonnois , qu'un trifte perlonnage
Qui vient de faire en pofte un fot & longvoyage
Pour me ravir ma niéce & pour me dépouiller ,
( Service où votre zèle a fu fe fignaler )
Ait quelque jour de moi dix mille écus de rente .
Il calcule ( ans moi ; je ne fuis point fa tante;
Mon bien n'eft pas pour lui ... je me marie.
VILMON, Souriant.
Eh quoi !
Mde DE NOZ a n.
Monfieur rit , je fuis vieille.
VILMO N.
Mde D E
Oh non ; même je croi ...
NOZA N.
Vous mentez , je le fuis ; oui , vieille , très - ma→
jeure ,
Mais j'aurai trois maris,fi je veux , tout- à -l'heure ,
Je fuis riche.
VILM ON.
Sans doute. Et pourrois-je , entre nous,
Vous demander ici ? ..
Mde D B NoZAN.
Qui j'époufe ? Mais ... vous.
FEVRIER. 1772. 139
Vilmon recule d'étonnement. Elle continue &
lui propofe fes conditions. Elle s'indigne qu'on
ofe s'opposer à fon projet , qu'on lui parle de
l'amour qu'elle a pour fa nièce , comme fi quelqu'un
au monde aimoit plus fa nièce qu'ellemême
, comme fi elle étoit obligée de l'aimer
plus que fa mère. Elle déclare en pleurant qu'elle
les deshérite , & la mère & la fille & fon cruet
mari ; enfin impatiente & tourmentée de tant
d'obſtacles , elle dit nettement à Vilmon :
Monfieur... me voulez- vous ?
Ne me voulez -vous point ?
VIL MON.
Serai-je affez barbare ? ..
Mde DE NOZA N.
Vous connoillez Dornet , ennuyeux , gauche ;
avare ,
Il eft amoureux fou de huit cent mille francs ;
Je ne le puis fouffrir ; balancez , je le prends ;
Le for , depuis dix ans , me conte fon martyre.
Vilmon fent qu'il ne faut pas brufquer ces
caractères extrêmes, & confent ou paroît confentir.
Madame de Nozan veut de ce pas courir chez
un Notaire ; au moment de fortir , elle s'arrête ,
tire des tablettes & un crayon , demande à Vilmon
fon nom de baptême , fon âge , & avoue
qu'elle a neuf ans plus que lui . Vilmou , à part,
s'applaudit de cette idée qui peut être heureufe.
Madaine de Nozan , de ſon côté , jouit d'avanes
160 MERCURE DE FRANCE .
›
::
des fureurs de fa belle-four. Dans ce moment
elle paroît , lui demande fi elle eft enfin décidée
; oui , dit la tante très-décidée je me
marie & donne mon bien à Monfieur. Elle fort
avec une révérence froide . Madame de Melcour,
effrayée , fe taît. Jerfac arrive . Il a rencontré la
tante fur l'efcalier , qui avoit prefque l'air , ditil,
de lui arracher les yeux. Madame de Melcour,
troublée , le quitte , lui dit de ne pas s'effrayer ,
& fort pour courir après la tante. Jerfac, étonné ,
ne fait tout ce que ce trouble & ce défordre
veulent dire. Vilmon lui dit le mot de l'énigme ;
Fille , rival , beau- père , tante , tout eft contre
Jui , & Madame de Nozan , qui ne peut confentir
à fe féparer de fa nièce , fouftrait de la
dot dix mille écus de rente . Cette nouvelle dérange
un peu les calculs de Jerfac . Tout-à-coup
l'idée lui vient de fe fixer à Paris pour tout concilier
; Vilmon , en paroiffant le contredire , l'ir-
Tite , & le confirme malignement dans ce deffein .
Jerfac le fait d'avance un plan de vie délicieux.
Pour mieux perfuader la tante , il prétend fe défaire
tout de fuite de fa charge , & va chez dix
Notaires. I jouit déjà de l'agréable furpriſe
qu'il ménage à tout le monde ; Vilmon rit auffi
de fon côté. Jerfac fort. Madame de Melcour
qui a couru vainement après Madame de Nozan,
& qui n'a pu la joindre , revient vers Vilmon',
à qui elle reproche de confentir à un pareil mariage.
Vilmon lui annonce que rien n'eft encore
perdu , que tout va fe réparer , que Jerfac fe
fixe à Paris ; il ajoute avec une malignité lente
& froide:
Les moeurs de la province avoient votre fuffrage,
FEVRIER. 1772 161
Et non pas le féjour ; on les garde à fon âge.
L'heureux projet ! Madame , il remedie à tout
Il fatisfait Melcour , votre foeur , votre goût ,
Il laifle à votre fille une tante , une mère ;
Il ne vous prive point d'une fille fi chere ;
Il me rend votre eftime , & j'en fuis très-jaloux ,
Madame :en la perdant , je perdois plus que vous♪
La mère eft frappée de ce nouveau coup. Elle
eft fans ceffe dans des fituations pénibles & qui
la tourmentent.
Avec quelle douceur cet homme m'affaffine.
dit - elle ; elle s'étonne de voir tant de tétes en
l'air pour celle d'un enfant . Dans ce moment elle
éprouve elle-même un retour de tendreffe pour
fa fille ; mais elle s'en défend & tâche de fe perfuader
que c'eft pour fon intérêt même qu'elle
veut l'éloigner. Tout- à-coup il lui vient un
moyen. Terville paroît ; Terville effrayé ,
éperdu de la nouvelle qu'il vient d'apprendre
que fon rival fe fixe à Paris. Il ne doute pas que
la main de Julie ne foit à ce prix. La mère lui
annonce qu'elle ne fe départira point de fon
projet , qu'elle ne veut point établir fa fille dans
Paris que fi Jerfac y demeure , Jerfac n'eſt
plus fon gendre. Terville , à qui tous les lieux
font indifférens , pourvu qu'il y foit avec ce
qu'il aime , a l'idée de fe fixer en provin
ce pour obtenir fon amante. La mère qui la
lui fuggére avec adreffe , paroît en même tems
la combattre. Terville fe décide avec tranſport ;
il eft prêt à prendre un état , une charge ; toutà
-coup il fe fouvient que Jerfac vend la fienne à
162 MERCURE DE FRANCE.
il fort. M. de Melcour & Madame de Nozan
entrent. Madame de Nozan a fait dreffer fon
contrat de mariage avec Vilmon , & n'a plus
qu'à le figner ; elle le tient à la main. Melcour
en a fait dreffer un autre , où la tante confent
encore de donner tout fon bien , pourvu que la
nièce épouſe Terville. La mère eft entre ces deux
contrats qui la pourfuivent , & qu'on lui préfente
à droite & à gauche. Julie , défolée , accourt
pour la féchir. La tante , en pleurant ,
s'indigne des larmes de la fille & de la dureté de
la mère. Cependant Terville & Jerfac entrent
tous deux fur la scène , tous deux contens d'avoir
figné un d.dit , l'un pour vendre , l'autre pour
acheter la charge , tous deux fe croyant sûrs de
Ja main de Julie , l'un en fe fixant à Paris , l'antre
en fe fixant en Province , tous deux enfin
comptant pour le fuccès , l'un fur la tante ,
l'autre fur la mère. C'eſt à Madame de Melcour
à prononcer , elle va décider du fort de deux
rivaux , du bonheur de la fille , du beau- père , de
la tante. Terville , paffionné , tâche d'intéreſſer
tout le monde à fon amour. Dans ce moment
Julie éperdue & tremblante implore la tendreffe
de fa mère , elle fe jette à fes genoux , les baigne
de fes pleurs & les embrasle. La mère ne
peut réfifter à ce fpectacle attendriffant ; le fentiment
qu'une foibleffe paffagere avoit étouffé
ou fufpendu dans fon coeur reprend tous fes
droits ; elle fe reproche d'avoir pu expofer le
bonheur de fa fille , elle la relève , l'embraffe ,
la donne à Terville, & leur dit de refter à jamais
unis auprès d'elle. La tante , la fille , l'amant , le
beau-père , tout eft tranfporté de joie. Jerfac
FEVRIER . 1772. 163
feul paroît interdit , il menace de plaider vingt
ans , s'il le faut 2 pour ravoir fa charge. La
tante lui crie qu'elle payera le dédit , remercie fa
belle-foeur , rend à Vilmon la parole , & finit
par ce vers charmant :
Vous voyez : rien ne peut réſiſter à ma nièce,
Réflexions fur la Mère jaloufe .
On vient de voir l'analyse de cette pièce qui
n'a pas été reque fans doute comme elle devoit
l'êtres qu'on a beaucoup critiquée , que peu de
gens ont entendue , qui eft remplie de beautés de
tous les genres, & qu'on peut nommer une des
meilleures comédies qui aient paru depuis long
tems.
Le caractère de la tante , ce mêlange continuel
d'étourderie & de bonté,de vivacité & de tendrefle,
cette espèce d'oubli des conventions & de l'amourpropre
, cet abandon de foi- même qui fait qu'elle
ne vit , ne penfe & ne respire que dans un autre,'
cette franchife qui tient à fon imagination qui
l'emporte encore plus que fon caractère ; les of
fenfes , les excufes , le befoin qu'elle a d'aimer ,
de gronder , de pardonner , enfin toutes fes paf
fions qui font en faillie & mêlées toujours d'une
brusquerie piquante fans jamais être voilées par
cette circonspection froide & monotone dont la
fociété fait un devoir & que l'ufage a fi bien établie
par-tout , tout cela enfemble forme un caractère
de théâtre très- original & du plus grand
effet ; aufli a-t-il généralement réuffi,
Le caractère de la mère a été beaucoup plus
164 MERCURE DE FRANCE:
critiqué. Les ans l'ont trouvé trop odieux , les
aurres pas aflez prononcé. Il feroit difficile que
ces deux critiques a la fois fuflent juftes ; car fi le
caractère eft trop dur , les nuances n'en peuvent
être toibles ; & fi les nuances font trop adoucies,
comment eft il odieux : Quoiqu'il en foit il n'étoit
guère poffible de mettre autrement ce carac
tère en scène. S'il eût été plus fortement peint,
il n'eût pas manqué de revolter. Il y a des vices
qu'on n'aime point à voir de trop près , même fur
le théâtre ; on y ( upporte aifément tous ceux qui
ne font que blefler les conventions & pour ainfi
dire la police de l'ufage , ceux qui importunent
& troublent la fociété plutôt qu'ils ne la détrui
fent , & font plus contraires aux moeurs d'agré
ment qu'à la nature. Il n'en eft pas de même des
Vices qui bleflent les premiers devoirs de l'humanité
& de la morale . C'eſt pour cela peut-être
que les fils ingrats ne pourront jamais réuſſir ( ur
le théâtre , quand ils feroient foutenus par toute
la vigueur du génie comique . Ce fujet met continuellement
les ames honnêtes dans une fitua.
tion pénible. Le caractère de la Mère jalouſe ,
traité dans toute la force , produiroit le même ef
fet. Si la mère avoit facrifié fa fille , fi elle l'eûr
rendu tout-à - fait malheureufe , fi d'un bout de la
pièce à l'autre elle eût fait couler fes larmes , c'eût
été un monftre , elle eût revolté. Si même , fans
porter les fituations à l'extrême , elle eût laiflé
éclater ouvertement fa jaloufie , elle eût encore
bleflé ; elle eût paru d'un autre fiécle , aujourd'hui
(ur- tout où les vices & les vertus fe cachent,
où l'on voile toujours de propos honnêtes , les
fentimens qui le font le moins , où la fociété ,
portée au plus haut degré , & l'ufage de fe conraindre
apprend à bien la néceffité de paroître
FEVRIER . 1772 . 165
différent de ce que l'on eft. D'ailleurs la jalousie
d'une mère contre la fille eft une foiblefle fecrette
qui eft au fond de fon coeur , & qu'elle fe diffimule
peut-être à elle - même. Il falloit donc qu'elle
eût de tems en tems des retours de tendrefle ; il
falloit encore que tout ce qu'elle dit , & ce que
La paffion même lui inspire , cûr roujours une apparence
de railon , de forte qu'elle pût le tromper
elle-même , fans pouvoir cependant tromper le
Spectateur.
ટિ
Tel eft le plan & la couleur générale de ce caractère.
On convient que préfenté de cette façon
il est & doit étre beaucoup moins faillant au théâ
tre , parce que toute fon agration eft fourde &
en dedans ; mais le poëte qui l'a fenti , pour l'échauffer
l'a environné par - tout du caractère de la
tante C'est elle qui eft chargée de faire fortir le
caractère de la mère ; qui la pour luit , la prefle ,
la tourmente naïvement ; & avec la bonté franche
& brusque fait l'ancienne fonction des Furies
auprès des coupables . Elle relève encore le carac
tère de la mère par fon contraſte , & par la bonne
foi comique avec laquelle elle convient tout natu
rellement de fa laideur & de fon âge.
On a fait une autre objection contre la mère ;
on a dit tout nettement que ce caractère n'étoit
point dans la nature . Il ne faut point diffimuler
que cette objection a été faite par des femmes . Ce
ne peut être furement que des mères tendres &
fenfibles que les vices de la focieté n'ont pu cor
rompre , qui ont mis tout leur amour- propre dans
leurs devoirs , leur bonheur dans la nature , & à
qui tout fentiment qui n'eft pas honnête est étrans
ger; ou des mères qui bien füres d'elles - mêmes
& tranquilles avec railon fur leur beauté ne peu
166 MERCURE DE FRANCE:
vent que gagner & s'embellir auprès de leurs ri
vales.
D'autres , en convenant que le caractère exiſte,
ont dit que dans la pièce il n'eſt pas fondé ; que
la coquetterie & le defir général de plaire ne fuffic
pas pour rendre une mère jalouſe de ſa fille ; qu'il
falloit donner à cette paſſion un objet , & l'exciter
par une rivalité d'amant . Je crois encore cette
critique faufle. Tous les jours une femme eft jaloufe
fans autre intérêt que celui de plaires
toute femme qui veut regner par la beauté a une
prétention exclufive. C'est une espèce de fouveraineté
qui n'admet point de partage. J'en demande
pardon aux femmes ; mais dans ce genre elles
reflemblent un peu aux Sultans , qui même, avant
que l'on conspire , font toujours importunés
de fe fentir des frères ou des rivaux . D'ailleurs
rendre la mère rivale de fa fille , c'eût été
mettre au théâtre une aventure au lieu d'un caractère
: c'eût été vouloir refaire la Mère coquet.
te de Quinault , qui n'eſt véritablement qu'une
pièce d'intrigue , quoiqu'on la mette au rang
des pièces de caractère .
Je ne m'étendrai point fur les autres rôles de
la pièce. Celui de Melcour eft grave & honnête ;
c'eft le tableau d'un beau père vertueux. Il dit en
raiſons à la mère ce que là tante lui dit en brufqueries.
Il protége la fille , il adoucit & rappro
che les deux belles- fours ; c'eft la morale fenfible
placée entre les paffions . Son caractère eft furtout
développé dans l'avant - derniere fcène da
fecond acte , une des plus belles de ce genre , &
des plus éloquemment écrites qu'il y ait au théâ
tre. C'eft-là qu'on trouve ce vers fi doux , en parlaut
des cours fenfibles.
FEVRIER. 1772 167
Et le peu de bonheur que l'on a nous vient d'eux.
Le rôle de la fille eft peu de chofe. Peut - être
fuffifoit-il qu'elle fût intéreflante & aimable ; &
elle l'eft. Sa naïveté amuſe , & ſon danger intérefle.
Le rôle de l'amant eft ce qu'il doit être , vif&
ardent. Son feul intérêt eft celui de fon amour :
il n'a point de nuances particulières ; mais tous
les amans de Molière & de Térence font les mêmes
. Ils ont le caractère de leur paffion , & cela
fuffit ; l'ame n'en a presque jamais d'autre.
Le rôle de Jerfac auroit pu être d'un comique
plus marqué , mais il ne devroit pas être plus
étendu ; c'est un rôle fubalterne & qui nedoit pas
occuper plus d'efpace .
Celui de Vilmon est nouveau ; il a de l'agrément
& de la finefle ; c'est un fpectateur de fang
froid qui voit tout , n'est dupe de rien , juge les
paffions fecrettes & ne fe fert jamais de la péné
tration que pour des vues honnêtes.
Ainfi la mère est tourmentée tout à la fois par
la paffion de Terville ; l'efprit de Vilmon , la raifon
de Melcourt & la franchiſe de la tante : il n'y
a pasjufqu'à la gaucherie de Jerfac qui ne tourne
contre elle ; tous les rôles font difpofés pour elle
& frappent fur elle.
Voilà pour la partie des caractères qui tons àpeu-
près font bien conçus , & dont plufieurs font
exécutés fupérieurement . Nous ne dirons pas tout
-à - fait de même de la marche & de l'enfemble de la
pièce : en général l'action n'est point aſſez rapide ;
les fcènes ne s'appellent pas toujours les unes les
autres :peut-être manquent-elles quelquefois d'u
nion dans leur enſemble ; de là naît un effet aflez
168 MERCURE DE FRANCE.
fingulier : chaque ſcène priſe à part a de la chaleu
& cette chaleur ne fe communique pas toujours au
totalde l'ouvrage.
Dans le premier acte , après la fcène des Tuileries
qui est charmante & du plus grand effer,
celle du tableau en fait moins ; elle annonce trop
& ne donne pas aflez : il ne faut frapper les
yeux qu'en proportion de ce qu'on a à dire à l'a
me. Les autres fcènes ont le défaut de ne pas enta,
mer l'action aflez vîte ; mais toutes rachètent ce
défaut par une foule de jolis vers & de détails piquans.
La première moitié du fecond acte n'a pas non
plus une marche aficz preflée ; l'action le fait atten
dre ; mais depuis l'entrée de la tante fur la Icène
jufqu'à la fin , on est très - vivement & très agréablement
occupé par des chofes ou comiques ou
forres
Toute la première moitié du troifiéme acte jul
qu'à la fortie de la tante , est d'un excellent comique
, & l'on n'y defire ni plus de mouvement , ni
plus d'action. La fcène fur- tour du mariage de la
tante avec Vilmon eft auffi imprés ue qu'exécutée
d'une maniere originale & vive ; elle excite toujours
les plus g ands applauditlemens , mais le
refte de ce troifiéme acte a trop de mouvemens &
d'embarras ; il y a trop de fils tendus ; la vente &
l'achat fubit de cette charge n'eft pas néceflaire &
manque un peu de reflemblance . Enfin c'est sûrement
la partie de la pièce la moins heureuſe ,
mais la piéce entière n'en eft pas moins un ouvra❤
ge du plus grand mérite , l'ouvrage d'un homme
de beaucoup d'efprit , d'un excellent écrivain ,
& d'un bon Poëte comique .
Je ne dirai rien du dialogue , ni du ftyle ; il n'y
a qu'une voix fur ces deux objets, Le ftyle eft un
modèle
FEVRIER. 1772. 169
modèle en ce genre , & le dialogue a un caractère
de finefle , de préciſion & de vérité que n'ont cu
peut être aucun des poëtes comiques qui ontfuivi
Molière.
Ilferoit peut-être curieux maintenant d'examiner
ce qui a pu diminuer le fuccès d'un ouvrage
auffi eftimable prefque par- tout , & en quelques
endroits fifupérieur. Ses défauts ne fuffisent pas ;
il faut qu'il y ait eu quelque caufe un peu différente.
Óferoit- on rifquer là deflus une conjecture?
On a remarqué , en général , que c'étoient
les femmes qui étoient les moins difpofées à louer
cet ouvrage ? Par une espèce de confédération tacite
elles font convenues de ne point autorifer une
pareille pièce ; il eft impoffible qu'elles ayent
voulu protéger par intérêt la foiblefle qui eft
jouée dans cette comédie. Ce genre de ridicule ou
de vice n'eft pas aflez général ; & dans Paris même
les mères tendres & fenfibles font fûrement
en beaucoup plus grand nombre que les mères jaloufes
; mais d'après quelques vers ( malheureufement
très-agréables ) répandus dans la pièce , la
plupart des femmes fe font imaginées que l'auteur
en leur laiffant le defir de plaire pour toute leur
vie , leur interdiſoit la beauté à trente-deux ans ;
elles auroient pû pardonner à l'ouvragebeaucoup
de défauts ; elles n'ont pu fans doute pardonner
une telle erreur. Trop de femmes étoient intéref
fées dans l'offenfe , & trop dailleurs étoient en
droit de réfuter cette calomnie. Ainfi la pièce entière
a été punie par elles du crime de quelques
vers. On a accuféla partie de déclamer contre les
juges , & le procès n'en a pas été mieux jugé. A
Paris fur tout cette moitié du Public entraîne l'au
tre, & parce qu'une tante paffionnée & folle a
H
170 MERCURE DE FRANCE.
dit une impertinence à fa belle -four , on a réfolu
de faire juſtice à la fois & de l'auteur & de la
pièce.
Peut - être même dans l'injufte accueil qu'on a
fait d'abord à cet ouvrage , eft il entré encore
d'autres raitons. Nous ne lommes point allez accoûtumés
fur notre theâtre à voir des vices ou des
ridicules de femmes. Tous nos poëtes comiques
ont eu pour elles le reſpect de la nation . Moliere a
mis en icene les précieufes & les femmes fçavantes;
mais dans l'une de ces piéces il n'a fait que jouer un
travers de l'efprit , un refte d'afectation que le
bon goût & fur tout la cour de Louis XIV commençoit
à proferire ; dans l'autre un ridicule que
les femmes même entr'elles ne le pardonnent pas ,
& que le goût général de la nation autorife le
moins. C'étoit immoler dans Paris une quinzaine
de femmes à toutes les autres , dont l'ignorance aimable
étoit bleffée en fecret par des prétentions
qu'elles n'avoient ni ne pouvoient avoir Ainfi
Moliere dans cette piéce fuivoit le goût général
des femmes au lieu de le combattre. La coquette
du Milantrope ne pouvoit guere plus les offenfer.
Elles pardonnoient tout parce qu'elles voyoient
une femme enchaîner quatre hommes à la fois.
Elles voyoient fur tout avec un fecret orgueil le
fier & dur Milantrope foumis à la beauté & fe débattant
inutilement daps fes chaînes qu'il ne peut
rompre. Moliere , dans prefque toutes les autres
piéces a tonjours flaté les femmes en prêchant leur
liberté , & dévouant au ridicule les maris , les peres
ou les tuteurs tyrans.
Regnard n'a peint en ridicules de femmes , que
celui des coquettes furannées. On peut les atta
quer fa peil , parce que ce ne font plus ellesqui
jugent; & quand elles le voudroient ce font des
FEVRIER. 1772 171
fouveraines qui ont perdu leur empire. Encore remarque-
t- on que ces rôles même pour la partie de
l'exécution , font toujours chargés au théâtre ,
comme fi on vouloit perfuader aux femmes intérelées
que ces fortes de rôles ne font d'aucuns
pays , n'y d'aucun fiécle .
Dutrelni n'a que deux piéces où il ait peint des
vices de femmes ; l'une eft l'efprit de contradiction
, efpece de travers qui n'a rien d'humiliant
, & un peu plus fâcheux pour nous que pour
elles. L'autre beaucoup moins connue eft la Joueu-
Le , Comédie qui n'eft jamais repiéfentée & qui ne
pourroit l'être ; elle infpiteroit du dégoût aux
hommes , & révolteroit les femmes . Au théâtre
comme dans le monde une paffion , ou un vice qui
développe les graces & la beauté le fait toujours
pardonner; une paffion ou un vice qui les éteint ne
peut réuffic.
Deftouches dans vingt Comédies n'en a que
deux où il ait eflayé de porter fur les femmes un
comique un peu fort , l'une eft l'Ambitieux , où
une certaine Dona Béatrix indifcrette autant par
caractere que par vanité , publie tout à l'oreille ,
& fait tout échouer : la piéce ne put réuffir , le
rôle de la femme fur- tout fut trouvé impertinent
& mauvais on décida que le caractere de la
Femme indifcrète n'é oit point dans la nature ;
l'autre eft la Belle orgueilleufe ou l'Enfant gâté ,
petite comédie en un acte , où l'on voit une mere
qui a deux filles , follement idolâtre de l'une , &
tyran de l'autre . La piéce ne prit point , & eft aujourd'hui
profondément inconnue. On peut encore
remarquer dans le Diffipareur quelle eft la
délicateffe du public François fur les rôles de femmes
; car la veuve qui eft très -honnée, qui n'a
Hy
172 MERCURE DE FRANCE .
d'autre but que de fauver le diffipatour en l'éclai
rant , paroiflant néanmoins dans les quatre premiers
actes vouloir le ruiner pour s'enrichir de les
dépouilles , on a de la peine à fupporter ce' rôle ,
& il bleffe fecrettement quoiqu'on fache dans le
fond à quoi s'en tenir , tant nous avons befoin au
théâtre de trouver de la perfection & des vertus
aux femmes , ou du moins de ne rien voir qui fuppofe
qu'elles n'en ayent pas .
Boiffy , dans fon théâtre , n'a peint ni hommes ,
ni femmes , ni vices , ni ridicules ; il a fait des
ouvrages dialogués fur des modes d'un jour qui
le lendemain n'étoient plus . Heureusement pour
lui, il a deviné un caractère , & rencontré un plau
qui fait que fon nom eft encore cité * . Mais on
voit qu'il n'a pas même penfé à mettre au théâ
tre un vice ou un ridicule de femme. Toutes les
pièces font ou des madrigaux ou des vaudevilles . "
La Chauffée en eft encor plus loin que tous les
autres. On peut dire dans le fens contraire que
c'eft véritablement lepoëte comique des Femmes,
fi cependant il eft comique. Ses plans , les fujets ,
fes intrigues , fes romans , tout dans fes pièces eft
fubordonné aux femmes . Elles y regnent , ellesy
inftruifent , elles raffemblent autour d'elles tout
T'intérêt . Elles y font toutes vertueuíes & tendres,
naïves avec grace , ou d'une fenfibilité courageufe
, intérellantes par les malheurs comme par
Tamour , enfin des modèles de mérite comme de
beauté. La Chauffée , dans ſon théatre , a pris les
idées on vraies ou de convention de l'ancienne
chevalerie fur les femmes , & les a fondues non
point avec nos moeurs que ces idées auroient
L'en me du jour ou les dehors trompeurs,
FEVRIER . 1772. 175
Contredites , mais avec nos ufages , & par ce més
lange il a perfuadé aisément à toutes les femmes
que c'étoit leur propre tableau qu'il leur préfen
toit. Racine & Corneille même avoient livré la
tragédie aux femmes ; la Chauffée leur a livré la
comédie , & c'eft depuis ce tems- là qu'elles font
accoutumées à regarder le théâtre comme leur
empire.
On voit donc qu'une piéce nouvelle-dont elles
font l'objet, & où l'on a voulu peindre une foibleffe
ou un vice , dont le plus grand nombre
d'entre elles eft fans doute exempt , mais que
plufieurs cachent avec foin & que d'autres ont
Jaiflé éclater , a dû être regardée comme une ef
péce de révolte. Qui fait même files hommes ne
devoient pas prendre un peu parti pourelles ? Pout
faire fortir le caractère de la Mère jaloufe , il
falloit mettre les fituations en contraſte avec le
caractère ; il falloit donc qu'elle fût humiliée : &
cependant il falloit qu'elle fût jeune , qu'elle eûr
encore de la beauté & des graces . Mais devant
des fpectateurs François , fes graces & fa beauté
devoient
naturellement obtenir pardon pour fa
foiblefle . Par une fuite de la galanterie nationale
les hommes même , en voyant une femme humi
liée , devoient fouffrir , & une partie de fpectafeurs
la protéger en fecret contre le poëte.
Il y auroit beaucoup de chofes à dire fur l'in
térêt de fenfibilité qu'on a demandé dans cet ou
vrage ; forte d'intérêt qui n'eft point du tout du
genre de la vraie comédie , & auquel nous fommes
trop accoûtumés peut- être par nos drames ,
par notre nouvelle mufique & par la tournure
pathétique que des hommes d'un grand talent ont
donnée aux opéras comiques modernes ; ce feroit
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
encore le lieu peut - être de parler de ce bon ton
qu'on exige tant aujourd'hui dans les comédies ,
comme s'il y avoit ou devoit y avoir pour les
Ouvrages un autre bon ton que le bon goût ; coinme
fi le Milantrope , le Tartuffe , l'Avare , Tur
caret , la Métromanie , étoient écrits dans le bon
ton ; comme fi ce bon ton qui confiſte à tout af
foiblir , à tour nuancer , qui oblige à le tenir fut
la réſerve , à na rien prononcer fortement & à
compter toujours avec les petites paffions , les
amours propres , les conventions , les préjugés &
les ufages de tout ce qui nous environne , n'étoit
pas meurtrier du vrai talent comique , & entiè
rement oppofé à l'expreflion forte & vigoureufe
des caracteres & des meurs ; mais ces deux objets
demanderoient de la discuffion , & nous avons
déjà paflé les bornes ordinaires d'un extrait. Nous
oferons allurer en finiflant que cette comédie
malgré les critiques juftes ou injuftes qu'elle a
efluyées , doit refter & reftera au théâtre . Elle eft
infiniment fupérieure à la plupart des pièces en
trois actes que nous avons. Il eft feulement à
fouhaiter qu'il trouve toujours deux aufli bonnes
actrices pour jouer les deux grands rôles de fem
mes. Si le talent de l'actrice pleine d'esprit & de
fineffe ( 1 ) qui a joué la mère n'eſt pas auffi ap
plaudi au théâtre que celui de la tante , (2 ) c'eſt
que le fpectateur , en applaudiffant la mère , craindroit
pour ainfi dire de paroître le rendre com→
plice de la foibleffe qu'elle cache. Il y a toujours
une espèce de fentiment moral qui conduit les
battemens de mains ; & le rôle du Tartuffe au
( 1 ) Mde Préville.
(2 ) Mde Drouin.
FEVRIER . 1772 :
175
toit beau être joué pour la partie de l'art , de la
manière du monde la plus parfaite , on rira, mais
on n'applaudira jamais , Préville même.
Au refte nous fommes bien aile d'annoncer
que depuis les repréfentations de Paris , la comédie
de la Mère jalouſe a été repréſentée à la cout
avec un fuccès général. Le Public doit defirer
qu'un auteur qui s'annonce avec tant de talent ,
continue cetre carrière , & ait le courage de lui
donner de nouveaux plaifirs.
ACADÉMIES.
Académie Royale de Chirurgie.
L'ACADÉMIE royale de chirurgie pro
pote pour le prix de l'année 1773 la
quettion fuivante :
Quelle eft , dans le traitement des maladies
chirurgicales , l'influence des chofes
nommées non naturelles ?
Le prix confiftera en une médaille d'or
de la valeur de cinq cens livres , fuivant
la fondation de M. de la Peyronie.
Ceux qui enverront des Mémoires font
priés de les écrire en françois ou en latin
, & d'avoir attention qu'ils foient fort
lifibles .
Les auteurs mettront fimplement une
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE:
devife à leurs ouvrages ; ils y joindront à
part , dans un papier cacheté & écrit de
leur propre main , leur nom , qualités &
demeure ; & ce papier ne fera ouvert
qu'en cas que la pièce ait mérité le
prix.
Ils adrefferont leurs ouvrages , francs
de port , à M. Louis , Secrétaire perpé.
tuel de l'académie royale de chirurgie ,
à Paris , ou les lui feront remettre entre
les mains .
Les étrangers font avertis qu'il ne fuffic
pas d'acquitter le port de leurs paquets
jufqu'aux frontières de la France ; mais
qu'ils doivent commettre quelqu'un pour
les affranchir depuis la frontière juſqu'à
Paris , fans quoi leurs Memoires ne fe
tont point admis au concours.
La médaille fera délivrée à l'auteur
même qui fe fera fait connoître , ou au
porteur d'une procuration de fa part ;
l'un ou l'autre repréfentant la marque
diftinctive , & une copie nette du Mé
moire .
Les ouvrages feront reçus jufqu'au
dernier jour de Décembre 1772 , inclufivement
; & l'académie ,
& l'académie , à ſon affemblée
publique de 1773 , qui fe tiendra
le jeudi après la quinzaine de Pâques ,
FEVRIER. 1772. 177
proclamera celui qui aura remporté le
prix,
L'académie ayant établi qu'elle donne-
Toit tous les ans fur les fonds qui lui ont
été légués pár M. de la Peyronie une médaille
d'or de deux cens livres à celui des
chirurgiens étrangers ou Regnicoles , non
membres de l'académie , qui l'aura meritée
par un ouvrage fur quelque matière de chirurgie
que ce foit , au choix de l'auteur ;
elle adjugera ce prix d'émulation le jour de
la Séance publique , à celui qui aura envoyé
le meilleur ouvrage dans le courant
de l'année 1772.
Le mêmejour elle diftribuera cinq médailles
d'or de cent francs chacune , à cinq
chirurgiens ,foit Académiciens de la claffè
des libres , foit fimplement regnicoles , qui
auront fourni dans le cours de l'année
1772 , un Mémoire ou trois Obfervations
intéreffantes.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADEMIE Royale de Mufique a donné
le mercredi 21 Janvier , la première
HY .
178 MERCURE DE FRANCE:
repréſentation de la reprife de Caftor &
Pollux , tragédie jouée pour la première
fois en 1737 , repriſe en 1754 & 1764 .
Le poëme eft de M. Bernard , la mufique
de Rameau .
Les acteurs fonr Pollux , M. Gelin ;
Caftor , M. Legros ; Thelaïre , Mlle Arnould
; Phébé , Mlle Duplant ; Mercure ,
M. Durand, Cléone , confidente de Phébé ,
Mlle Durancy ; le grand Prêtre de Jupiter
, M. Beauvalet ; un Spartiate , M.
Caffaignade; une fuivante d'Hébé , une
ombre heureufe , Mlle Rofalie. Des Spartiates
, des Guerriers combattans , des
plaifirs céleftes , des Puiffances magiques,
des Démons , des Ombrès heureuſes ,
des Peuples.
Cet Opéra qui réunit tous les moyens
en quelque forte de tous les autres Opéra ,
la pompe du fpectacle , l'intérêt de la
fcène , la variété des événemens , le contrafte
des effets , une poëfie facile & lyrique
, une Mufique favante & toujours
gracieufe , avec le fecours des premiers
talens , pour le jeu , pour le chant , &
pour la danfe , enfin la Tragédie de Caftor
&Pollux fera toujours l'admiration & les
délices des amateurs éclairés . Ce poëme
eft trop connu pour en retracer ici l'ana
FEVRIER . 1772. 179
lyfe ; il fuffit d'en rappeler les traits prin
cipaux.
Pollux fait à Caftor le facrifice de fon
amour en lui cédant Thélaïre , l'objet de
fa paffion ; mais Caftor périt dans un combat
contre Lincée , qui veut enlever la
princeffe , animé par Phébé , fa foeur &
fa rivale. Thélaïre vient pleurer au tombeau
de Caftor , & chante ce monologue
fameux par la recherche des accords , & le
pathétique de la mufique.
Triftes apprêts , pâles flambeaux ,
Jour plus affreux que les ténèbres ,
Aftres lugubres des tombeaux ,
Non , je ne verrai plus que vos clartés funèbres.
Toi , qui vois mon coeur éperdu ,
Père du jour , ô Soleil , ô mon père !
Je ne veux plus d'un bien que Caftor a perdu ,
Et je renonce à ta lumière.
Pollux triomphe de Lincée ; des chants
de victoire fuccèdent aux accens de la
douleur. Combats d'Athlètes & de Gladiateurs
. Pollux implore Jupiter de rendre
Caftor au jour & à fon amour . On fe
rappelle cette belle hymne à l'amitié , fi
bien exprimée par le poëte & le muficien .
Préfent des Dieux , doax charme des humains ,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
O divine Amitié , viens pénétrer nos ames ;
Les coeurs éclairés de tes flames ,
Avec des plaifirs purs n'ont que des jours fereins .
C'eft dans tes noeuds charmans que tout eft jouif
fance ,
Le temps ajoute encore un luftre à ta beauté :
L'amour te laifle la conſtance ,
Et tu ferois la volupté ,
Si l'homme avoit fon innocence.
Jupiter veut détourner Pollux de
quitter les plaifirs céleftes pour aller
trouver fon frere qu'il ne peut délivrer ,
fuivant l'ordre du deftin , qu'en prenant
fa place. Son amitié l'emporte , il def
cend aux enfers. Les démons s'efforcent
en vain de l'arrêter . Mercure le guide &
le conduit aux champs Elifées . Il délivre
Caftor , qui lui dit :
Qui , je céde enfin à tes voeux ,
J'irai fauver les jours d'une amante fidèle ,
Je renaîtrai pour elle;
Mais puisqu'enfin je touche au rang des immor
tels ,
Je jure par le Styx qu'une feconde aurore
Ne me trouvera pas au féjour des mortels.
Je ne veux que la voir & l'adorer encore
Er je te rends le jour , ton trône & tes autels. I
FEVRIER. 1772. 181
Thelaïre retient par fes larmes & les
prières Caftor au-delà du terme qu'il a
promis au deftin de retourner aux enfers .
Les Dieux fignalent leur colere par les
éclats de la foudre. Les amans font confternés
; Thelaïre tombe évanouie ; mais
le ciel fe laiffe fléchir par tant d'amour,
& Jupiter annonce le retour de Caftor ,
& permet aux deux freres le
l'immortalité.
>
partage
de
Nous donnerons dans le prochain
Mercure , le détail de la reprite de cer
opéra que le public fuit avec empreffement
, & revoit avec un plaifir toujours
nouveau.
COMÉDIE FRANÇOISE .
LES Comédiens François cominuent avec
fuccès les repréſentations de Gafton &
Baiard , tragédie de M. de Belloy , remife
fur leur théâtre le 22 de Janv . Mile Saintval,
joue à cette reprife,le rôle d'Euphemie
avec beaucoup de fenfibilité , & M. Ponreuil
celui du Duc d'Urbin avec nobleffe.
On doit donner bientôt les Druides , tra
gédie nouvelle de M. Leblanc.
1
182 MERCURE DE FRANCE:
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens jouent avec un
fuccès foutenu , Zémire & Azor , Comédie
ballet en quatre actes & en vers de M.
Marmontel , de l'académie Françoiſe ;
la mufique de M. Gretry.
On attend quelques nouveautés fur ce
théâtre.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Le Vieillard à laToque , portrait de forme
ovale , gravé d'après le tableau original
de Rembrant , par M. de Marcenay.
A Paris , chez l'auteur , rue d'Anjou
Dauphine , & chez M. Wille , graveur
du Roi , quai des Auguſtins.
CEE portrait
eft vu des trois quarts. Le
perionnage
qu'il repréfente
eft décoré
d'un colier d'ordre
, & coeffé d'une espéce
FEVRIER. 1772 : 183
de toque ou bonner. Son caractère de tête
a beaucoup de nobleffe & de douceur . Ce
portrait peut fervir de pendant à un autre
portrait en ovale que M. de Marcenay a
publié il y a deux ans , & qui eft connu
fous le nom de la Dame à la plume , ou
de la Dame à la perle . Au bas de la planche
que nous annonçons , M. de Marcenay
a gravé un petit payfage qui en fera
détaché par la fuite. Ces deux morceaux
forment les numéros 40 & 41 de fon auvre.
La gravure de cet artifte a de quoi
plaire , fur-tout à ceux qui demandent
que la fineffe & la propreté de l'exécution
fe trouvent réunies à l'intelligence
du clair - obfcur.
M. de Marcenay eft actuellement oc
cupé à terminer le portrait du célèbre
hiftorien de Thou , & une autre planche
dont le fujet , tiré de l'hiftoire Romaine ,
fervira à nous rappeller ce beau trait de
Regulus qui s'arrache aux empreffemens
de fes amis , & aux larmes de fa famille ,
pour fe remettre entre les mains des ennemis
de fa patrie : & dégager la parole
d'honneur qu'il leur avoit donnée.
184 MERCURE DE FRANCE .
I L.
Portrait de Profper Joliot de Crebillon ;
de l'Académie Françoife , peint par
Aved , & gravé par F , Ficquet. A Paris
aux adreſſes ordinaires de gravure.
Ce portrait eft du même format que
celui de Pierre Corneille & de Moliere
que nous a donné M. Ficquet. On n'admire
pas moins dans celui qui vient de
paroître , que dans les premiers , la précifion
& la légereté d'outil , & le fini précieux
de l'exécution . Le célèbre Poëte
tragique dont on nous rappele les traits
est yu de face. Le genre dans lequel il a
excellé eft particulièrement caractérisé
par une couronne & un fceptre placés au
bas du portrait, & par une coupe , un
Hambeau & des poignards que les ferpens
des furies entrelaffent.
I I I.
Le petit Glouton , & les enfans corrigés
par l'affront , deux eftampes gravées pat
M.J.Ouvrier , d'après les tableaux originaux
de M. Schneau , peintre de S. A. S. E.
de Saxe , d'environ 18 pouces de hauteur,
FEVRIER. 1772. 189
13 pouces de largeur . Ces eftampes repréfentent
des fcènes de la vie domeſti
que. Dans l'une c'eft une mere entourée
de fes enfans , qui fait donner un remède
par un grave apoticaire à un petit enfant
malade d'indigeftion . Dans l'autre , c'eſt
un enfant à qui l'on met les cornes , pour
le punir de fa malpropreté . La gravure eft
très bien traitée. On trouve ces eftampes
chez M. Ouvrier , place Maubert , même
maifon d'un Bonnetier , au Soleil d'or.
TOPOGRAPHIE.
I.
Routes de Paris à Strasbourg par Meaux ,
Château - Thierry , Châlons , Nancy ,
& c , autre routes par Metz ou par
Compiégne , Soiffons , Rheims , &c ,
ou par Troyes , Langres , Belfort ,
Bafle , &c , avec vingt- huit routes intermédiaires
en trente huit planches
in4° à l'angloife tirées des vingt-qua
tre cartes de l'académie .
CES routes font accompagnées de tous
les détails topographiques néceffaires aux
Voyageurs. Elles fe trouvent à Paris chez
}
186 MERCURE DE FRANCE.
le Rouge rue des grands Auguftins , prix
4 livres en blanc & 9 livres lavées.
1 I.
Plan général des château, parc , jardins de
Saint Cloud fitués à l'oueft de Paris , &
appartenans à Mgr le Duc d'Orléans ,
levé , deffiné & gravé par Croifey. A
Paris chez l'auteur , à l'entrée de la rue
Dauphine , entre un pâtiffier & un coffretier.
Ce plan ne peut manquer d'être agréable
à ceux qui fréquentent ces belles promenades
. Il a environ 18 pouces de large
fur orze de hauteur , & il eft exécuté
avec foin.
GEOGRAPHIE.
LACOMBE > libraire rue Chriſtine , a
reçu de Suède deux beaux globes møntés
fur leurs pieds , l'un célefte , l'autre
terreftre , dirigés par les foins de l'acadé
mie d'Upfal , & exécutés par le célèbre
Akerman , géographe de ladite académie.
FEVRIER. 1772 187
Ces globes font de grandeur à orner
une bibliothèque ou un vafte cabinet de
livres.
MUSIQUE.
MARCHE du Huron , arrangée en
quatuor pour le clavecin , ou le forté- piano
, avec accompagnement de hautbois &
violon , ou de flute & violon ; prix 3 1,
fuite première ; la deuxième fuite contient
lespetits airs de l'Amoureux de quinze
ans & de la Cinquantaine , arrangés en
quatuor pour le clavecin , le forté piano
& la harpe , avec accompagnement de
violon , cors & alto , par M. des Aulnais
Damoreaux , maître de clavecin ; prix 3 1 .
A Paris chez l'auteur , rue de Grenelle S.
Honoré , à côté de l'hôtel Notre -Dame ,
& aux adrefles ordinaires.
L'attente de la félicité , bouquet avec
accompagnement ; par M. *** ; prix 1 1.
16 f. avec les parties féparées . A Paris , &
aux adreffes ordinaires de mufique.
188 MERCURE DE FRANCE:
Inftitution d'Agriculture.
Les Sociétés d'Agriculture ont procuré
de grands avantages dans les différentes
provinces où elles ont été établies , par
l'exemple & l'encouragement qu'elles
ont donné aux cultivateurs. 11 reftoit un
bien à faire , c'étoit de s'affurer de la
meilleure manière connue jufqu'à ce jour
de cultiver les terres , afin de la répandre
par - tout ; mais elle ne peut être enfeignée
& les leçons du premier des arts ne peu
vent être données que fur le terrein avec
la charrue ou la hoyau dans les mains.
*
On est enfin parvenu à trouver un pro
priétaire de bonne volonté qui veut
bien prêter les terreins dépendans de fa
terre d'Annel près Compiegne , & formant
avec ceux de Beftinval qui la joignent
, une terre de plus de fix cents ar
pens , pour fervir à des enfeignemens de
Loute efpèce de culture , & qui confent
à fournir gratuiment les logemens & les
uftenfiles néceffaires pour les jeunes laboureurs
qu'on enverra pour recevoir les
inftructions.
* M. Panclier.
FEVRIER. 1772 189
D'une autre part , on a reconnu , par
les fuccès multipliés & bien conftatés
dans les provinces où elle a été miſe en
ufage depuis plufieurs années , que la méthode
de cultiver les terres , de M. Sarcey
de Sutières , membre de la Société
d'Agriculture de Paris , eft la plus fûre &
la plus utile ; il veut bien donner gratuitement
tous les foins pour inftruire chaque
année douze laboureurs , de la meilleure
manière de cultiver , qui leur fera
enfeignée conformément aux détails ciaprès.
1.Aconnoître les principes généraux
'de la végétation & du développement
des plantes , & l'on aura foin de fe met
tre à leur portée pour leur apprendre cette
opération de la nature.
2°. A bien diftinguer chaque efpèce de
terre par les productions naturelles de
chacune , c'eft-à- dire que quand la terre
fans culture produit telle plante , telle
graine , & pouffe telle racine , elle eft
propre à la culture de tel ou tel autre
gain.
3° . La culture qui doit convenir à chacune
de ces terres .
4°. Les différentes efpèces de charrues ,
& les raifons de préférence en faveur de
la charrue de Brie rectifiée .
190 MERCURE DE FRANCE.
5 °. Le nombre des labours , leur profondeur
nécellaire fuivant chaque nature
de terrein pour une bonne production ,
& le tems de faire ces labours .
6°. Les engrais convenables à chaque
nature de terre & leur quantité . On leut
démontrera à cette occafion , que trop
d'engrais nuit aux plantes , & que trop peu
ne produit qu'un médioete effet.
7°. Le tems & la faifon pour appliquer
les engrais.
8°. Le bombage des terres labourées
plus ou moins fort , fuivant leur nature
féche ou humide.
9°. La manière de former des fangfues
ou faignées dans des terreins trop humides
; ce qui conduira naturellement à leur
apprendre les moyens de deffécher les
terres marécageufes & de les rendre propres
à donner de bonnes productions.
10°. La qualité & la quantité des femences
qui conviennent à tel ou tel fol ;
c'eft- à-dire , que celui - ci peut porter du
froment , un autre du blé ramé , un autre
du gros , mayen , petit méteil ou
feigle. On fera connoître les moyens de
rendre les épis plus forts & plus grenés ,
& de donner plus de qualité aux grains ,
ce qui leur fait rendre beaucoup plus de
farine & de meilleure qualité.
FEVRIER . 1772. 191
11°. La manière & la néceflité d'apprêter
les femences , la compofition de ces
apprêts , leurs avantages & les inconvéniens
qui réfultent pour les femences
quand le chaulage en eft mal fait . On
comprend dans cet article l'explication
des maladies des blés , leurs caufes & les
moyens d'en garantir les grains.
12°. Le véritable tems de faire les fe
mence , & la raifon de les enterrér plutôt
avec la herfe qu'avec la charrue ,
139. Les foins qu'il faut donner aux
terres enfemencées jufqu'au mois de
Mai .
14°. La manière de faire & de ferrer
une récolte.
15º. Les moyens de conferver fans
rifque & fans frais les blés pendant plu
fieurs années .
16°. Quelles font les caufes & l'origi-
'ne de tous les infectes & vermines , tant
fur terre que dans les granges & greniers;
les précautions pour en garantir les grains
' ainsi que des charenfons & autres infectes.
17°. Les moyens de faire les défrichemens
à peu de frais & de tirer promptement
du profit des terres nouvellement
défrichées , même de faire rapporter aux
plus mauvaiſes les trois premières récol192
MERCURE DE FRANCE.
res, fans avoir befoin d'engrais . On comprendra
dans cet article l'explication des
défrichemens néceffaires dans les différens
terreins où l'on voudroit planter des
bois ; on y apprendra aux élèves jufqu'à
quel point un fol doit être défriché plus
qu'un autre , puifque , par le défaut de
ce foin , fouvent les meilleures plantions
dépériffent,
180. Les moyens d'améliorer les prés
bas & les prés hauts , fans avoir befoin
d'engrais en parlant des prés , on traitera
des prairies artificielles , l'on expliquera
les terres propres à chacune , & dans
quels climats les unes ou les autres doivent
être femées ; on fera voir en même
tems le danger de les établir indifférem .
ment dans toutes fortes de terres & dans
tous les climats .
19°. Le moyen de détruire dans les
terres les mulots & les autres animaux
deftructeurs.
20 °. On apprendra quels font les
moyens qu'il faut employer pour fe mettre
à l'abri des mauvaiſes herbes , plantes
, racines ou graines , foit pour les labours
, herfages , engrais , &c. On y expliquera
les trois façons d'appliquer le
parc fuivant les différentes qualités de
terre.
21 .
FEVRIER. 1772. 193
21º. On enſeignera la forme des labours
, la façon d'appliquer les engrais ,
les différentes natures de femences analogues
aux efpèces & aux qualités des terres
; on leur fera voir que l'apprêt appliqué
à ces mêmes femences en les enter
rant avec la herfe au lieu de la charrue
peut garantir toutes les récoltes de blé
d'être verfées comme il n'arrive que trop
fouvent.
22°. On leur enfeignera une vraie culture
économique , propre à ménager les
engrais , les feiences , les chevaux même
pour les labours ; & de cette économie
néceffaire , ils retireront de plus fortes
productions .
23°. On leur apprendra quelles font les
productions analogues au pays & aux climats
, & ce qu'ils pourroient faire de
leurs grains , fourrages & autres productions
. dans le cas où ils ne feroient pas à
portée de pouvoir les tranfporter , foit par
rapport aux défauts de communication ,
foit à caufe des mauvais chemins.
24°. On entreta enfuite dans les détails
des dépenfes néceffaires pour monter
une ferme avec économie , favoir
combien il faut de chevaux pour une
charrue , combien d'arpens par charrue ,
I
194 MERCURE DE FRANCE .
&c. enfin leur produit net. On fera connoître
en même tems aux élèves combien
la culture par les chevaux eft fupérieure à
celle qui eft faite avec les boeufs.
25°. On leur enfeignera les moyens
d'élever des chevaux & de fe procurer des
fourrages pour les bien nourrir & les entretenir
fains & vigoureux .
26°. On leur apprendra auffi à élever
d'autres beftiaux , comme vaches , boeufs ,
moutons , cochons , volailles , & c. & à .
les garantir des maladies auxquelles ils
font fujets par le défaut de foin ou de bonne
nourriture .
27°. On fera connoître les précautions
qu'il faut prendre pour prévenir les maladies
du bétail , en leur faiſant obſerver le
tems & la qualité des pâturages & des
nourritures.
28°. On leur fera connoître quelles
font les espèces de beftiaux qu'il convient
d'avoir dans une ferme , foit par rapport
au fol , foit par rapport aux climats , &
quels font les dangers d'en ufer autrement.
29 °. On leur enfeignera les moyens
de bien connoître les fols propres aux
communes & ceux qui doivent être défrichés.
FEVRIER . 1772. 195
30°. On apprendra encore aux élèves
à cultiver la vigne par principe , ce qui
la garantira d'une grande partie des intemperies
auxquelles elle eft fujette .
31º . On leur expliquera qu'elles font
les terres propres à planter tels ou tels arbres
fruitiers , leurs différentes cultures &
leurs tailles.
Le Roi a daigné approuver cette inftitution
d'Agriculture & pourvoir aux autres
dépenfes néceffaires à cet établiffement.
Conditions.
Les laboureurs qui feront envoyés au
château d'Annel près Compiegne , pour
y recevoir des inftructions pratiques , feront
pourvus de l'agrément de M. Bertin,
miniftre & fecrétaire d'état.
2º. Ils feront âgés de vingt à trente
ans , de bonne vie & moeurs ; ils donneront
de bons répondans de leur fidélité,
3°. Ils feront fous la conduite & direction
du Sieur Sarcey de Sutières , à qui ils
feront tenus d'obéir ou à fes prépofés , &
de fe conformer en tour à fes ordres dans
les travaux ; à peine , en cas de défobéiffance
ou de mauvaiſe conduite , d'être
renvoyés , fans que fous quelque prétexte
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
que ce foit , ils puiffent être admis de
nouveau dans l'inftitution.
. Les laboureurs fe rendront , à leurs
frais , au château d'Annel , munis de l'agrément
du Miniftre ; ils feront logés
nourris & blanchis gratuitement dans ce
lieu d'inftruction pendant une année , &
leurs répondans feront tenus feulement
de leur entretien en habillement & chauf
fure .
5 °. A la fin de leur année d'inftruction ,
il fera délivré à chaque laboureur qui aura
bien mérité , par fa conduite & par fon
travail , une charrue neuve conftruite fuivant
les principes de l'inftitution , & une
herfe.
6°. Le St de Sarcey de Sutières donnera
à chaque liboureur , un certificat de
1a capacité & de fa bonne conduite pendant
l'année dans laquelle il aura reçu fes
inftructions.
PRODIGE de l'amour filial .
Extrait d'une lettre de Befançon , dus Janvier
1772.
Un homme de 42 ans , qui n'a jamais
fçu deffiner ni modeler , prend une forte
FEVRIER. 1772. 197
envie d'avoir le portrait de fon pere, mort
il y a 26 ans ; les peintres & les fculpteurs
de la ville , aufquels il fait part de fon
deffein , fe moquent de fon entrepriſe ;
mais le fils , échauffé par une espèce d'enthoufiafme
, s'enferme chez lui , fait luimême
les inftrumens propres à modeler ,
fe procure de l'argile , & au bout de trois
jours expofe le bufte de fon pere , dont il
n'exiftoit aucun portrait , aux yeux de
trente vieux citoyens , amis du défunt ,
qui tous s'écrièrent unanimement que ,
c'eft un tel , & qu'ils le reconnoiffent parfaitement.
Ce qui doit étonner encore
davantage , c'eft qu'un fameux Sculpteur
Romain , actuellement à Befançon , entendant
parler de ce prodige , demanda à
voir le bufte , en adinira la régularité du
deffin , la fûreté des contours , le bon
goût de la coeffure , & fait le plus grand
éloge de ce coup d'eflai d'un homme à
qui la piété filiale & l'imagination ont
fervi de talent & même de génie .
N. B. La lettre qui contient ce fait
étonnant , eft adreffée par un Eccléfiafticue
, à M. Jollain , peintre du Roi , dont
l'attelier eft au vieux Louvre , du côté de
la colonnade .
I
iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Une femme de province avoit écrit à
Madame Cornuel pour la prier de lui
chercher un Précepteur qui eût telles ....
telles qualités , l'énumération ne finiffoit
pas , elle écrivit enfin une lettre très pref
ante. Madame Cornuel lui répondit :
" Madame , j'ai cherché un Précepteur
tel que vous me le demandez , je ne l'ai
" point encore trouvé ; mais je le cher-
» cherai , & je vous promets que dès que
» je l'aurai trouvé , je l'épouferai ».
I I.
Alonzo d'Artagon difoit ordinairement
à la louange de la vieilleffe , qu'il falloit
toujours tenir pour bonnes , ces quarre
chofes: le vieux bois , le vin vieux , les vieux
amis , & les vieux auteurs.
I I I.
Un Intendant écrivit au bas d'un placet
une ordonnance en crayon ; on en appella
au Confeil . M. d'Agueffeau difoit , c'eſt
FEVRIER. 1772. 199
une affaire à terminer avec de la mie de
pain.
I V.
Une Dame voyant dans une compagnie
un homme qui éclatoit de rire à tout pro
pos , & fans paroître même en avoir envie ,
dit tout bas à quelqu'un qui étoit à côté
d'elle cet homme rit toujours de toutes
fes forces , &jamais de tout fon coeur.
V
L'Abbé Fouquet , favori du Cardinal
Mazarin , ayant ofé s'émanciper jufqu'à
montrer fur une carte l'endroit où M. de
Turenne devoit paffer une riviere , ce
Maréchal lui donna féchement fur les
doigts , & lui dit : Monfieur l'abbi , voire
doigt n'eft pas un pont.
V I.
Un Poëte fatyrique , qui faifoit auffi
des opéra , avoit déjà reçu plufieurs fois
des coups de bâton . Un jour étant au
parterre de l'Opéra , un homme caufant
avec lui , lui demanda s'il ne donneroit
pas bientôt quelque chofe de fa façon ?
Vraiment oui , dit- il , je travaille à un
ballet. Une voix s'écria derrière lui : M.
prenez garde au manche.
I iy
200 MERCURE DE FRANCE.
AVIS. ·
I.
ETRENNES de Minerve aux Artiſtes ; Encyclopédie
économique ou Alexis moderne , contenant
différens fecrets fur l'agriculture & les arts
& métiers , où l'on a raffemblé tout ce qui fe
trouve de plus important , extrait de plus de
neuf cens auteurs ; ouvrage de la plus grande
utilité pour les différens états ; première partie ;
prix , i liv . broché. A Paris , chez Defnos , Libraire
, Ingénieur- Géographe du Roi de Dannemarck
, rue Saint Jacques , au Globe & à la
Sphère, 1772
1 I.
Le fieur l'Empereur , rue Saint Honoré , au
Roi de Dannemark , chez un Marchand de Drap ,
près la rue de l'Arbre- Sec , vis - à -vis l'Éperonnier
du Roi , pofféde feul le fecret de faire la Pierre
de Compofition changeante & transparente ,
imitant parfaitement le fin , propre pour les
boutons d'habits brodés & unis , cette compofition
eft très - belle & bien folide ; elle peut fervir
, fi l'on veut , à douze habits l'un après l'autre
; comme il fe trouve des perfonnes qui tâchent
de les contrefaire ; il avertit le public qu'il eft
aifé de les connoître ; les faux ne préfentent à la
vue qu'une couleur rouge , d'un rouge louche ,
& que la fienne varie de plufieurs couleurs ,
comme une étoffe changeante ; il les affortit à
FEVRIER . 1772. 201
la couleur des étoffes , fi on le fouhaite ; il en
fait auffi de toute couleur pour les broderies
nouvelles ; on n'en trouve de véritables que chez
lui & à jufte prix.
NOUVELLES
POLITIQUES .
De Conftantinople , le zo Décembre 1771 .
C'EST pour la feconde fois que Muflun Oglou
parvient à la place de Grand Vifir. On s'apperçoit
déjà du bon effet qu'a produit fa rentrée dans
le Vifiriat. Il avoit été queſtion , avant ſon arrivée
à l'armée , de transporter le quartier général
à Andrinople ; mais loin de faire reculer les troupes
, il a établi fes quartiers au bourg de Paflargik
& a pouflé les détachemens en avant pour
balayer la rive gauche du Danube de tout ce
qu'il y avoit encore de Ruffes & de Cofaques ;
de forte que toute la Bulgarie eft occupée par les
Ottomans. On a retrouvé , à Babadagh , la groffe
artillerie que l'ancien Grand Vifir avoit abandonnée
, lors de la déroute du 5 Novembre. Les
Rufles s'étoient contentés de l'enclouer. La petite
artillerie a été fauvée par fix mille Bosniaques ,
qui ont combattu avec le plus grand courage.
Ces circonstances rendent plus légère la perte
des Mufulmans , & leur derniere défaite paroît
n'avoir eu pour eux d'autre fuite que celle de
changer de pofition .
De Warfovie, le 8 Janvier 1771.
On a reçu dans cette ville le manifeſte public
par le Sicur Pulawski , à l'occafion de l'attentar
202 MERCURE DE FRANCE.
commis le 3 Novembre , & dont on l'acculoit
d'être l'auteur, 11 fe juftifie dans cette pièce.
«Je protefte devant Dieu , devant toute la République
de Pologne & devant toutes les Puiffances
de l'Europe , que mon coeur étant loin
du crime , mes penfécs & mes actions n'ont &
» n'auront jamais d'autre but que celui que pourront
avouer la vertu & le patriotisme. Je protefte
que je n'ai jamais cherché à attenter à la
vie d'une perfonne qui a fçu s'approprier , de
quelque façon que ce foit , le gouvernement de
» la Nation , & je ne me propofe de l'attaquer
directement que dans un combat où elle ſe joindroit
aux plus cruels de nos ennemis . Dieu
» connoît ma fincérité , & j'espère prouver , par
» ma conduite , que je n'ai d'autre objet que celui
de facrifier ma vie enfoutenant la Religion
→ & la liberté.
ود
Signé , PULAWSKI . »
le 29 Décembre Des Frontières de la Turquie ,
1771 .
Les Confédérés de Bar viennent d'arriver fur
les confins de la Tranfylvanie , au nombre de fept
cens hommes . Après y avoir fait quarantaine , ils
continueront leur route pour aller joindre les autres
Confédérés à Biala .
De Copenhague , le 8 Janvier 1772.
Par une ordonnance , du 23 Décembre dernier ,
le Roi a accordé aux Frères Moraves la permiffion
de s'établir dans le bailliage de Hadeifleben ,
du duché de Sleswick , & de former tels établiffemens
qu'ils voudroient dans les Colonies Danoifes.
Sa Majesté leur a donné un évêque particulier
& leur a prescrit la formule de ferment que
FEVRIER. 1772. 203
leur religion leur permet de prononcer. Je protefte
aux yeux de Dieu Tout - Puiſſant que je dis
la vérité.
On vient d'établir deux nouveaux fanaux dans
la Mer du Sund ,
D'Altona , le 2 Janvier 1772 .
On vient de publier un ordonnance du Roi ,
du 18 du mois dernier , qui accorde des iminunités
& des privileges à la ville d'Altona . Par cette
' ordonnance , Sa Majesté donne , dans cette ville,
un afyle de franchiſe à tout marchand , négociant
, artifte , artifan , étranger , avec le droit
de bourgeoifie & la maîtriſe de ſa profeffion. Les
marchandifes étrangères feront exemptes de toute
espéce de droit , dans quelque cas que ce puifle
être . Il fera permis généralement à tous les habitans
de monter toutes fortes de manufactures ,
& de vendre leurs ouvrages à qui bon leur fem
blera . Tous ceux qui s'établiront à Altona n'auront
à rendre compte à qui que ce foit de l'état de
leurs affaires & de leurs biens , & chacun fera libre
de fe retirer en tout tems , avec ce qui lui appartiendra
, fans payer ancun droit d'émigration,
& fans craindre d'être inquiété.
D'Erfort , le 6 Janvier 1772 .
On continue de faire des levées dans les Etats
Héréditaires de la Maifon d'Autriche & dans ceux
du Roi de Prufle . Ce Prince a ordonné de former
plufieurs corps de troupes légeres . Le Major
Kympl doit aflembler , à Salle , celui dont le commandement
lui eft deftiné , & qui fera de douze
cens hommes. On mande également de Berlin
que Sa Majesté Pruffienne a donné ordre de tenir
un grand nombre de chevaux prêts à marcher
pour le fervice de l'artillerie ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
De Bruxelles , le 4 Janvier 1772.
Sur les représentations des Etats du Duché de-
Limbourg & du Pays d'Halem , l'Impératrice-
Reine a rendu , le 20 du mois dernier , une ordonnance
, par laquelle tous ceux qui obtiendront
un emploi , feront obligés d'affirmer , par ferment
, qu'ils n'ont donné & qu'ils ne donneront
ni argent , ni aucune autre chofe , pour fe le
Curer.
pro-
De Marſeille , le 20 Janvier 1772..
On vient de recevoir de Syrie la nouvelle de
la prife de la ville de Seyde ( Sidon ) par le Cheik
Daher.
De Versailles , le 25 Janvier 1772 .
Le 23 de ce mois , le Sieur la Live de la Briche
, introducteur , & le Sieur de Sequeville , fecrétaire
ordinaire du Roi à la conduite des ambafladeurs
, allerent prendre , dans les carroffes
du Roi & de Madame la Dauphine , le Cardinal
de la Roche- Aymon , à fon hôtel ; ils le condui
firent à la falle des ambafladeurs , avec l'Abbé
Comte de Riva , camérier fecret du Pape , nommé
par Sa Sainteté pour apporter le bonnet au
Cardinal de la Roche- Aymon . On monta au château
en cet ordre . Le carroffe de l'introducteur ,
trois carrofles du Cardinal à fes armes ; le carrolle
du Roi & le carrofle de Madame la Dauphine.
Avant la Mefle du Roi , l'Abbé Comte de
Riva fut conduit , avec les cérémonies accoutu
mées , par le feur la Live de la Briche , introducteur
des ambaladeurs , à l'audience publique
que le Roi lui donna dans fon cabinet , & il préfenta
à Sa Majefté un bref de Sa Sainteté. Après
FEVRIER. 1772. 205
cette audience , le Roi descendit à la chapelle , o
le Cardinal de la Roche- Aymon fe rendit , à la
fin de la Meſſe , étant conduit par le Sieur la Live
de la Briche , introducteur , & le Sieur de Sequeville
, fecrétaire ordinaire du Roi à la conduite
des ambasadeurs : le marquis de Dreux , grand
naître des cérémonies , & le Sieur de Nantouillet
, maître des cérémonies , en ſurvivance du Sr
Desgranges , reçurent , à la porte de la chapelle,
le Cardinal de la Roche- Aymon , qui alla fe placer
près du Prie-Dieu du Roi & fe mit à genoux
fur un carreau. L'Abbé de Riva , revêtu de fon
habit de cérémonie , ayant remis entre les mains
du Cardinal , le bref du Pape , alla prendre fue la
crédence , du côté de l'épître , un baffin de ver
meil fur lequel étoit le Bonnet , qu'il préfenta au
Roi. Sa Majefté prit le Bonnet & le mit fur la
tête du Cardinal , qui , en le recevant , fit une
profonde inclination & à l'infant même le décou
vrit dès que le Roi fut en marche pour fortit de
la Chapelle , le Cardinal de la Roche - Aymon
entra dans la facriftie , où il prit les habits de fa
nouvelle dignité ; il monta enfuite chez le Roi ,
érant accompagné du grand maître & du maître
des cérémonies. Le Sicur la Live de la Briche introduifit
Son Eminence dans le cabinet du Roi ,
où elle fit fon remercîment à Sa Majesté . Le Cardinal
de la Roche- Aymon fut conduit , avec les
mêmes cérémonies , à l'audience de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine , où ,
pendant l'audience de cette Princefle , on approcha
au Cardinal un tabouret fur lequel il s'affit ;
il fut enfuite conduit aux audiences de Monfeigneur
le Comte de Provence, de Madame la Comrefle
de Provence & chez les autres Princes & Prin.
cefles de la Famille Royale. Après toutes ces audiences
, le Cardinal de la Roche . Aymon fut re206
MERCURE DE FRANCE.
conduit à fon hôtel dans les carrofles du Roi & de
Madame la Dauphine, avec les mèmes cérémonies
que le matin , par l'introducteur & le fecrétaire
du Roi à la conduite des ambaſladeurs.
De Paris , le 27 Janvier 1771 .
On mande de Doulens , en Picardie , que , le 9
de ce mois , les rivières d'Hautie & de Grouches,
gonflées par les pluies & par les fontes des neiges
, font forties de leur lit & ont inondé tous les
lieux des environs. Elles ont emporté des grains,
des beftiaux & des bâtimens . A Doulens , où les
deux rivières fe joignent , les eaux font montées
à huit pieds fix pouces au - deflus de leur lit or
dinaire , & elles le font répandues dans la ville .
On a été obligé d'étayer la plupart des maifons.
& beaucoup de murs de jardins ont été renversés .
Heureulement , il n'a péri perfonne.
NOMINATIONS .
LeRoi vient de nommer Commandeur de l'Or
dre royal & militaire de St Louis le Marquis de
Pontécoulant , maréchal des camps & armées de
Sa Majesté & major de Sa Maifon . Il a eu , le 15
Janvier , l'honneur de faire , à cette occafion , fes
remercîmens au Roi.
Monfeigneur le Comte de Provence a choifi
pour fes hiftoriographes l'Abbé Pichon , chantre
en dignité & chanoine de la Ste Chapelle royale
du Mans , & l'Abbé Garnier , de l'académie des
inscriptions & belles lettres. Ils ont eu l'un &
l'autre , le 16 Janvier , l'honneur de faire leurs
remercimens à ce Prince , qui les a chargés de travailler
à l'hiftoire des provinces de fon appapage.
FEVRIER . 1772 . 207
Le Roi a difpofé , ( fous la réferve de différens
démembremens) de l'Abbaye de St Germain - des-
Prés , Ordre de St Benoît , diocèfe & ville de Paris
, en faveur du Cardinal de la Roche- Aymon ,
qui s'est démis de celles de Cercamp & de Beaulieu
, en Argonne , que Sa Majefté a jugé à - propos
de mettre toutes deux en économat.
Le Roi vient d'accorder au Sr d'Ormeflon, maître
des requêtes ,la furvivance de la charge d'inten
dant de fes finances , dont le Sr d'Ormeflon , fon
pêre , eft pourvû. Il a cu , le 19 Janvier , l'honneur
de faire fes remercîmens à Sa Majeſté , à qui
il a été préfenté par l'abbé Terray , miniftre
d'état & confeiller ordinaire au Confeil Royal ,
contrôleur général des finances .
Le Roi vient de difpofer de la place de fecrétaire
général des Suifles & Grifons , vacante par
la démiffion de l'Abbé Barthelemy , garde des
médailles & antiques de Sa Majesté , l'un des
membres de l'académie royale des inscriptions &
belles- lettres , &c en faveur du Sieur de Martanges
, maréchal des camps & armées du Roi . Il
a cu , le 21 Janvier , l'honneur de faire , à cette
occafion , fes remercîmens à Sa Majefté , & il a
été préfenté , en cette qualité , à Monfeigneur le
Comte d'Artois ,
"
Sa Majefté a accordé les entrées de Sa Chambre
au Comte de Montbarey , maréchal de fes
camps & armées , inspecteur général de l'Infanterie
, capitaine colonel des Suifles de Monteigneur
le Comte de Provence , au Marquis d'Avaray
, colonel du régiment Royal de la Couronne,
maître de la garderobe de Monfeigneur le Comte
de Provence ; & à l'Evêque de Gap , premier au
mônier de Meldames Victoire & Sophie,
208 MERCURE DE FRANCE.
PRESENTATIONS.
Le Marquis d'Entraigues Latis , miniftre plé
nipotentiaire du Roi auprès de l'Electeur de
Mayence , a pris congé de Sa Majefté & de la Famille
Royale , le 12 Janvier , pour se rendre àfa
deftination. Il a été préfenté au Roi par le Duc
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant
le département des affaires étrangères.
Le 24 Décembre dernier , le Comte de la Noue-
Vieuxpont , miniftre plénipotentiaire de l'Electeur
de Cologne , eut une audience particulière
du Roi , dans laquelle il préfenta fes lettres de
créance à Sa Majesté. Il fut conduit à cette audience
, ainfi qu'à celle de la Famille Royale ,
par le Sieur Tolozan , introducteur des Ambafla
deurs.
La Maiſon de la Noue , anciennement la Noë,
originaire du Comté Nantois , connue de tout
tems dans l'Ordre de la Nobleffe de Bretagne , a
eu nombre d'alliances avec les Mailons de Rieux,
de Laval , de Chateaubriant , & autres Familles
de cette province.
Les Ducs qui confioient à la Nobleſſe toutes
les places de leurs états , ont employé honorablement
les la Noue , foit près de leurs perfonnes
, foit dans les négociations , foit dans les
grades militaires , foit dans les finances .
En 1459 , Guillaume de la Noue fut fait tréforier
général de Bretagne , équivalent de contrôleur
général. On le cite plus particulièrement ,
parce que c'eft à lui que fe fit la première féparation
des branches .
En 1487 , fon neveu , Guillaume de la Noüe
qui avoit époulé l'héritière de Liffeneuc , dont il
avoit pris le nom & le armes , cut la commiffion
de fortifier & de défendre la ville de Vannes.
FEVRIER. 1772 . 209
En 1504 , Guillaume de la Noue , capitaine
de 25 lances , fils de la Noüe S. de Lifleneuc ,
fut mandé à Chinon en Touraine pour le fervice
du Roi , & s'y maria , en 1505 , à Chriftine Pérault
, foeur du préfident Pérault , l'ami de Rabelais...
Sa poftérité a fait la b: anche cadette ,
demeurée en Touraine jusqu'en 1577 , qu'elle
rentra en Bretagne , par une charge de confeiller
au parlement de Rennes. Elle a produit les quatie
branches , actuellement exiftantes & diftinguées
par des noms d'alliances ... La Note de
Vair en Gascogne. La Noiie Vieuxpont en Pi--
cardie. La Noue de Bogard & la Noue des Aubiers
en Bretagne.
Jacques de la Noue , Comte de Vair , mort en
1711 brigadier de cavalerie, avoit épousé Catheri
ne de Vieuxpont , tante du marquis de Vieuxpont,
lieutenant général & chevalier des Ordes du Roi ,
à la mort duquel , en 1728 , cette illuftre Maifon
étant éteinte , François de la Noue , fecond fils
de Jacques & père du Comte de la Noue Vieuxpont
, miniftre plénipotentiaire de Cologne , accola
du nom & des armes de Vieuxpont.
La branche aînée , defcendante de Guillaume
de la Nouie , tréforier général de Bretagne , &
dont étoit François de la Noue dit Bras de Fer ,
a fini dans la perfonne de François de la Noüe
qui mourut Gentilhomme de la Manche de Mon.
fieur Gaſton , frère de Louis XIII.
La marquife d'Arces a eu l'honneur d'être pré- ,
fentée au Roi & à la Famille Royale le s Janvier ,
par la marquife de Chabrillan.
La maison d'Arces eft reconnue pour l'une des
plus illuftres du Dauphiné : fon antiquité , les
premiers grades militaires & les emplois de confiance
qu'elle a remplis à la Cour des anciens
210 MERCURE DE FRANCE.
Dauphins de Viennois , fes Souverains ; fes fervices
continués à nos Rois , fon illuftration &
fes alliances ; tout concourt à lui aflurer un rang
diftingué parmi la haute nobleffe du royaume.
Le marquis d'Arces , dont l'épouſe vient
d'être préfentée à Sa Majefté fur l'amiffion de
fes preuves , eft le chef de nom & d'armes de
cette maison , qui remonte , par une fuite noninterrompue
de titres originaux , jufqu'a l'an
1160. On fera bien aife de trouver ici le nom
de quelques - uns des fujets les plus diftingués de
cette maifon.
1. Soffrei d'Arces , Chevalier , bailli du Briançonnois
, colonel & maréchal de l'armée des Dau.
phins : cette derniere charge , quant à l'exercice ,
étoit toute femblable à celles des maréchaux de
France , qui étoient alors amovibles & en trèspetit
nombre. Dès l'an 1326 , les Dauphins lui
faifoient des done , tant en confidération de fes
fervices , que de ceux que fes aïeux avoient tendus
à leurs prédécefleurs. Ifabelle de France ,
époufe de Guigues XII , Dauphin , le députa depuis
à la cour de nos kois , porr y ménager fes
intérêts auprès de Philippe de Valcis ; & où a des
preuve a fat i agréable à ce Monarque , qu'il
T'employ, lui même , en 1343 , daus une ambaffade
fecréte.
2. Hugues d'Arces qui , fuivant les anciens
annalistes du pays , foutint au quatrième fiécle
le fiége du fort de la Terafle contre l'armée
du Comte de Savoie , que ce Prince commandoit
en perfonne
3. Softei d'Arces , Chevalier , bailli du Briançonnois
, fervoi : le Roi Charles VI en 1410 , en
qualité de chevalier Bachelier , à la tête de quinze
écuyers de la compagnie ; il fut conſtamment atFEVRIER.
1772. 211
taché aux intérêts de Charles , Dauphin de France
, depuis le Roi Charles VII , dans les guerres
qu'il eut à foutenir contre les Anglois . Les Etats
de Dauphiné , à la tête desquels il étoit , le dépu
terent , en 1429 , pour offrir un fecours de trente
mille florins à ce Prince , qui lui en témoigna fa
fatisfaction par les dons qu'il lui fit , & l'envoya
deux fois en ambaffade auprès du Duc de Savoie
pour ménager une trève avec ce Prince .
4. Pierre d'Arces , dans le même tems , fervoit
auffi le Dauphin contre les Anglois à la tête de fa
compagnie , compofée de quinze écuyers.
5. Antoine d'Arces , compagnon des premiers
exploits du chevalier Baïard , eft célèbre dans les
faltes de l'ancienne chevalerie fous le nom de
CHEVALIER BLANC : c'eft peut étre le dernier de
ces anciens preux qui parcouroient le monde, faifant
par tout des emprifes & des pas - d'armes pour
leurs belles ou pour la gloire. Il ſignala fa bravoure
en Espagne , en Portugal , en Angleterre :
fa réputation le fit élever à la dignité de licutenant-
général & de vice- toi d'Ecoffe ; place qu'il
remplit avec diftinction jusqu'en 1517 , qu'il pé
tit victime de l'envie. ( Voy les annotations fur
la vie du Chev . Baiard par Théodore Godefroy ,
augmentées par Louis Videl , pag. 31-36 , édit.
de Grenoble en 1651 , in 8 ° .
6. Raymond d'Arces étoit enfeigne de la compagnie
de cinquante hommes d'armes du Seigneur
de Boutieres , dont la valeur détermina en partie
le gain de la bataille de Cerifoles en 1544.
7. Gui d'Arces , fi connu à la cour du Roi
Henri III , fous le nom de Baron de LIVAROT ,
étoit guidon d'une compagnie de trente lances
des ordonnances ce fut lui qui tua Schomberg
dans le fameux duel de trois contre trois , fous
le règne de ce Prince ; & il fut tué lui - même peu
de tems après à la feur de fon âge.
:
ľ
212 MERCURE DE FRANCE.
8. Jean d'Arces , Seigneur de Reaumont ;
lieutenant de la compagnie de trente lances de
M. de Maugiron , & gentilhomme ordinaire de la
Chambre du Roi , combattoit dans l'armée du Duc
d'Anjou à la bataille de Moncontour en 1569.
9. Jean d'Arces , auffi gentilhomme ordinaire
de la Chambre du Roi & gouverneur du Fort Baraut
, fe diftingua fous le Duc , depuis Connetable
de Lesdiguieres , fon patent , à l'attaque du
Pont de Charra contre le Duc de Savoie , & défendit
vaillamment le Fort d'Aiguebelle contre
les troupes de ce Prince , dont il obtint une ca
pitulation honorable en 1598.
10. Dès l'an 1449 , Jean d'Arces , Patriarche
de Tarentaile , avoit été décoré de la pourpre
romaine par le Pape Nicolas V.
Pour éviter la prolixité , on le borne à l'énumération
précédente. Le nom d'Arces eft confi- .
gné dans tous nos anciens hiftoriens qui en parlent
unanimement avec la plus grande diftinction
. C'est une illuftration qui a donné lieu à l'ancien
proverbe :
Arces , Varces , Grange & Commier ,
Tel les regard' , qui n'ofe les ferier.
La devife de cette Maifon eft Charité d'Arce
qu'elle porte de tems immémorial , & qu'elle s'eft
fans doute acquife par les fréquentes donations
que les auteurs ont faites à divers monastères ;
& fa légende eft : le tronc eft verd , les feuilles
font arces.
Les principales alliances de la Maifon d'Arces
font avec celles d'Allemand , de Beaumont , Berenger
, Commiers , Grolée , Loras , Maugiron ,
Moreton de Chabrillan , Sailenage , Virieu , &c.
c'est-à- dire , avec tout ce qu'il y a de plus grand
dans la province.
FEVRIER. 1772. 213
MORT S.
André Coppack eft mort à Londres , âgé de
cent cinq ans. Il s'étoit refugié en Angleterre en
1683 , avec beaucoup d'autres Proteftans.
Marie Avarton eft morte à Londres , âgée de
cent quatre ans. Elle laifle une four de cent deux
ans qui jouit d'une bonne fanté.
Le Marquis de Mesplés eft mort , dans fa terre,
près d'Oléron , à l'âge de quatre- vingt- dix ans .
Jacqueline Lohier , veuve du nommé Naye, eſt
décédée à Weftoutre , chatellenic de Bailleul ,
dans la généralité de Lille , le 24 du mois de Décembre
, à l'âge de cent deux ans.
Henri Pitot , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
penfionnaire vétéran de l'académie royale des
fciences , de la fociété royale de Londres , de
celles de Lyon & de Montpellier , cenfeur royal
& ancien directeur général du canal de la jonction
des Mers , eft mort , à Aramont , diocèſe
d'Uzès , en Languedoc , le 27 Décembre dernier,
dans la foixante-dix - ſeptième année de fon âge .
Charles- François - Dominique de Raimond de
Modène , Chevalier de Malte & capitaine des
vaiffeaux du Roi , eft mort à Paris , le 17 Janvier,
âgé de quarante-cinq ans.
Le Marquis de Vienne , chef des efcadres &
armées navales , eft mort à Clermont - Ferrand ,
le 9 Janvier , à l'âge de foixante-neufans.
Il eft mort à Naples une femme Piémontoiſe ,
âgée de cent vingt- neuf ans. Elle avoit confervé
le fouvenir de tout ce qu'elle avoit vû arriver
pendant la vie .
Marie-Anne Moufle de la Tuillerie , veuve de
214 MERCURE DE FRANCE.
Aymard - Félicien Boffin , Marquis de la Sone ,
bailli du Viennois , commandeur de l'Ordre royal.
& militaire de St Louis , lieutenant - général des
armées du Roi & lieutenant colonel au régiment
de les Gardes Françoifes , eft morte à Paris , le 21
Janvier , dans la cinquante - quatrième année de
fon âge.
Jofeph le Viconte , Chevalier Comte de Saint-
Hilaire , feigneur de Folleville , l'Eprevier , de
Montpertus , le Bouteiller , du Thuit -fur- Andelle
& autres lieux ; ancien capitaine au régiment de
Champagne , chevalier de l'Ordre royal & miliraire
de St Louis , lieutenant de Noffeigneurs les
Maréchaux de France au département de Rouen ,
eft mort , le 15 Décembre 1771 , âgé de 59 ans
& 9 mois.
LOTERIES.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait les de ce mois. Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 32 , 29 , 34 , 90 , 21. Le prochain
tirage fe fera le 4 Février 1772.
PIECES
TABL E.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Le Chriftianiline , Ode ,
Réponse d'un Roi de Perle ,
Urlanie ou l'effet des paffions ,
Les Agneaux orphelins , fable ,
Les Louvetaux orphelins , fable ,
Epître à un Dorment ,
Réponse de Mide Leroux d'Angers à un épître
de M. Mugaciot ,
ibid.
10
13
33
ibid.
34
36
FEVRIER. 1772 . 215
L'Aveu tardif ,
Traduction d'un fragment de Lucilius ,
Le préfent de noce ,
La Femme véridique ›
Epître à Madame de *** ,
Hymne à l'Amour ,
A M. le Maréchal Duc de Briflac ,
Couplets chantés à M. le Maréchal Duc de
Brillac , Gouverneur de Paris ,
Le Confolateur ,
Vers pour mettre au bas du portrait de Mde
la Comtefle d'Evreux ,
Vers pour être mis à la tête d'une collection
de Romans ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Mémoires fur la meilleure manière de faire
les vins de Provence ,
Le Droit commun de la France ,
L'Obfervateur François à Londres ,
Recueils d'Obfervations fur la perfectibilité
de l'homme ,
Les Sacrifices de l'Amour ,
Almanach des Mules ,
Requête à MM . de la Société d'Agriculture ,
par M. de la Condamine ,
Quatrain fur une Statue de Pigmalion ,
A un Femme qui me menaçoit de ne rendre
heureux ,
Epigramme par M. le Miere ,
Errenues du Parnaffe ,
40
60
61
62
ibid.
63
64
67
69
79
ibid.
71
72
74
76
86
91
95
103
108
116
117
119
ibid.
120
12 [
ibid. Gazette univerfelle de littérature ,
Traité élémentaire de méchanique ftatique , 124
Lettres d'Elifabeth Sophie de Valliere , ibid.
Entretiens d'une ame pénit, avec fon Créateur, 135
216 MERCURE DE FRANCE.
Traité du Droit d'Habitations , 136
La Mère jaloufe , ibid.
Réflexions fur la Mère jalouſe , 163
ACADÉMIES ,
175
SPECTACLES ,
Opéra ,
Comédie françoife ,
Comédie italieune ,
177
ibid.
181
182
ARTS , Gravure ,
ibid.
Topographic ,
185
Géographie ,
186
Mufique ,
187
Inftitution d'Agriculture , 188
Prodige de l'Amour filial , 196
Anecdotes , 198
Avis ,
200
Nouvelles politiques ,
201
Nominations , 206
Préfentations ,
207
Morts ,
Loteries ,
213
ibid.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier ,
volume du Mercure du mois de Février 1772 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 29 Janvier 1772.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
MARS, 1772 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
•
A PARIS ,
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Avec Approbation & Privilége de Roi.
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les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , oblervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
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des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
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in 8°. rel .
Dict. de Morale , 2 in- 8 ° . rel.
GRAVURES.
71.
91.
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Vanloo
,
241.
Deux grands Payfages , d'après Diétric , 121.
Le Roi de la Féve , d'après Jordans , 41.
Le Jugement de Pâris , d'après le Trevifain
,
Deux grands Paysages , d'après M. Vernet
,
Vénus & l'Amour , d'après M. Pierre ,
Angelique & Médor , d'après Blanchart ,
Hommage à l'Amour , d'après Vanloa ,
1 l. 16 f.
121.
3 1.
l .
4 1.
MERCURE
DE FRANCE.
MARS , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE de l'Eté ; Chant fecond du Poëme
des Saifons ; imitation libre de
Thompfon.
MAIS
La Moiffon.
AIS tout fuccède aux vaux du laboureur ;
Et la moiffon jaune , épaifle , abondante ,
Courbant fa tête affaiffée & péfante ,
S'offre par-tout au fer du moiflonneur.
Dès que l'aurore aux bords de l'hémisphère
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Laifle éclatter une foible lumière ,
Dans le hameau tout eft en mouvement :
Les mo:ffonneurs aux champs le réuniffent :
Là fous leurs mains les gerbes s'épaififfent,
Et vont former un monceau de froment.
Le maître arrive , & rempli d'espérance ,
Sur la campagne il promene fes yeux :
De tous côtés témoin de l'abondance ,
Son regard brille & fon front eft joyeux.
Venez , glaneurs , venez , troupe innocente ,
De la moiffon recueillir les débris :
Vous , moiffonneurs , d'une main bienfaifante
Laiffez , laiffez échapper des épis ;
Tendez les bras à la foible indigence ;
De fes voeux feuls vos trésors font le prix !
Du fort jaloux la bifarre inconftance
Peut-être unjour forcera vos enfans
A mendier les fecours infultans
Qu'avec mépris accorde l'opulence.
Rofe autrefois eut des amis nombreux . *
Dès fon berceau la légère fortune
D'un fort brillant fembla fatter fes voeux ;
Mais , ô revers ! avec les malheureux
Bientôt , hélas ! fa caufe fut commune.
Sans protecteur , fans appui , fans fecours ,
Cet épilode paroît avoir fourni à M. Favart
fidée de l'intéreſlante comédie des Moiflonneurs.
MARS.
7 1772 .
Loin des cités , avec la trifte mère
Elle habitoit une vile chaumière ,
Et dans les pleurs paffoit les plus beaux jours.
Elles vivoient dans un vallon tranquille ,
Se dérobant au mépris affecté ,
Que l'opulence & l'orgueil à la ville
Font efluyer à l'humble pauvreté.
Etat cruel ! la main de la nature
Pourvoyoit feule à leurs fimples repas :
Role fans art & belle fans parure
Eclipfoit tout par fes naiflans appas.
De la vertu l'auguſte caractère
Etoit empreint fur fon front enchanteur :
La modeſtie abaifloit ſa paupière ,
Et les regards annonçoient fa candeur.
Embeliffant fa retraite profonde ,
Rofe vivoit inconnue au grand monde .
Forcée enfin par les befoins affreux
Qui , fans relâche , affiégent la miſére ,
Elle glana , pour foulager la mère ,
Dans la maison d'un mortel généreux .
De fes vaflaux & bienfaiteur & père ,
Le bon Candor couloit des jours heureux :
D'un indigent il effuyoit les larmes ,
Quand il vit Rofe & les traits gracieux :
Elle ignoroit le pouvoir de fes charmes,
Elle rougit & détourna les yeux ;
Candor ému lui rend bientôt les armes.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'amour honnête & le chafte defir
Dès cet inftant occupèrent fon ame :
Il n'ofe encore avouer , fans rougir ,
L'objet charmant qui le trouble & l'enflamme
Mais fon coeur laifle échapper un foupir.
CC Pourquoi , dit il , cette beauté touchante
»Eft elle en proie aux aflauts du malheur ?
» Ainfi peut être eft la fille d'Acante
A qui je dois l'aifance & le bonheur ,
Et je n'ai pu découvrir la chaumière
» Qui la dérobe à mes foins empreflés ;
» Mais il fe peut... ô fouhaits infenſés !
Que n'eft- ce , hélas ! cette jeune bergère ! »
33
Cédant au feu qui confume fon coeur ,
Il s'en informe ; il apprend qu'elle eft fille
De cet ami , victime du malheur :
Quelle ett fa joie ! à fa trifte famille
Il va pouvoir préfenter le bonheur.
Dès cet inftant fa tendrefle s'augmente ,
Et de fes yeux il fent couler des pleurs :
Rofe étonnée en devient plus touchante ,
Et de Candor l'ame reconnoiffante
Exprime ainfi l'aveu de fes ardeurs.
« Eft- ce donc toi que ma reconnoiffante
»A tant de fois fait chercher en ces lieux !
» De mon ami tu me rends la préſence ;
Ce font les traits , fa noblefle & les yeux.
MARS. 1772.
00
Etoit - ce , hélas ! à fa fille charmante
A mendier un fecours fi honteux ?
Rofe tendoit une main bienfaifante ,
» Roſe eſt réduite au fort le plus affreux !
»De mon ami fille aimable & chérie ,
»Ajoute aux biens que je dois à ſon coeur ,
Un bien plus cher à mon ame attendrie ,
» La liberté de faire ton bonheur. »
Candor fe tut : interdite , étonnée ,
Rofe rougit avec timidité ;
Mais à fon tour par l'amour entraînée
Elle confent à fa félicité.
Courant bientôt vers la plaintive mère ,
Elle l'inftruit du bonheur qui l'attend ;
Il femble alors qu'un nouveau jour l'éclaire .
Entre fes mains ce couple bienfaifant
De s'adorer prononça le ferment ,
Vécut heureux , protégea la mifére ,
Et du canton fait encor l'ornement .
Par M. Willemain d'Abancourt.
A v
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
VERS à Madame la Comteffe de *
fur le mariage de fa Fille.
**
ENFIN un brillant hymenée ,
Sous l'auspice le plus heureux ,
D'un couple aimable & vertueux
Va donc unir la deſtinée !
Souffrez que j'élève ma voix ,
Et qu'en ce jour , que l'allégrefle éclaire ,
Je mêle un hommage fincère
Aux applaudiflemens qu'on donne à votre choix.
Puiſlai - je en mon fimple langage
Vous témoigner l'ardeur dont mon coeur eſt épris !
Si la reconnoiffance a dicté cet hommage ,
Le fentiment y metle prix.
Par le même.
REGRETS à Mademoiselle **** , fur
Jon départ pour Turin , où un mariage
avantageux devoit lafixer.
DAIGNEZ fouffrir , jeune & ſage P*** ,
Que je vous adrefle mes voeux ;
Que je mêle mes chants à la vive allégrefle
MARS . 1772 .
Que votre hymen excite dans ces lieux.
La fortune & l'amour , pour vous d'intelligence ,
Vont prendre foin de votre heureux deftin ;
Mais , pardonnez , hélas ! cette illuftre alliance ,
En faisant le bonheur & l'espoir de Turin ,
Caule les regrets de la France .
Par le même.
SUR LE SOMMEI L.
EPITRE à Madame ***
, par Mlle .. ( 1 )
PLUS active que la penſée ,
Par toi , Zirphé, l'aurore eft devancée.
(1 ) On apprendra fans doute avec ſurpriſe que
l'auteur de cette piéce eft d'origine allemande ,
& n'a quitté qu'environ depuis deux ans le village
où elle est née , & qui a vu éclorre & mûrir fes
talens poètiques , village fitué à vingt lieues de
Berlin. Ces circonftances doivent la placer au rang
des phénomènes littéraires . Il eft vrai à la letrre
que c'eft fans la participation qu'on public cette
piéce , & qu'on leve un des coins du voile derrière
lequel fa modeftie voudroit dérober fes productions
au Public. Si cette tentative eſt ſuivie
du fuccès , on espère engager par- là l'auteur de
FEpître à publier plufieurs autres ouvrages du
même genre & à donner à la poësie tous les mobens
qu'elle pourra dérober au fommeil.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Et fouvent l'étoile du foir
Te voit avec ſurpriſe occupée au comptoir,
Souvent quand je fommeille encore
Tu parcours ce joli férail
Où la charité fait éclore
Les tendres fruits de fon travail .
D'un effain de beautés naillantes
Tu formes les moeurs innocentes
Par ton exemple & tes discours ;
Ton oeil éclairé les obferve ,
Et l'on te prendroit pour Minerve ,
Prêchant la fagefle aux amours. ( 1 )
Mais tandis qu'au travail épuifant ton génie ,
Tu hâtes fans pitié l'inftant de ton reveil ,
Du repos aimable ennemie
Songes -tu bien que dans la vie
Rien n'eft fi doux que le fommeil ?
De l'aimer peut-on ſe défendre ,
Et peux-tu , ma Zirphé , condamner un penchant
Auquel un charme tout puiflant
Me force fans cefle à me rendre,
Oui , le fommeil cft ma divinité.
Sur les humains quand la nuit vient répandre
(1 ) Cette Dame à qui l'Epître eft adreflée , &
qui mérite les éloges qu'elle contient , eft une des
directrices qui préfident gratuitement à une fondation
pieufe , où l'on élève les enfans des pauvres,
MARS. 1772. 13
Le filence & l'obscurité ;
A la lueur d'une foible clarté
Dans mon manoir que j'aime à voir descendre
Ce dieu charmant , ami de la ſanté !
Sur les pas de l'activité
Avec fa cour il vient s'y rendre.
Mais plus fouvent on le voit me furprendre
Quand les plaifirs & les jeux m'ont quitté.
D'un bouquet de pavots il couronne ma tête ,
Et fa main me conduit au duvet que m'apprête
La molefle & la volupté.
C'eftdans leurs bras que je repofe.
L'une répand fur moi le jasmin & la rofe ,
L'autre arrange mon traverſin .
Je m'endors ; un effain de fonges
Me berçant d'aimables menfonges ,
Rit & folâtre fur mon fein ,
Et fous leurs yeux quand je fommeille,
A mes côtés le plaifir veille
Et m'attend pour le lendemain.
Non , ces divinités dans l'Olympe adorées
Ne dorment pas fi bien entre les bras des dieux ,
Lorsque de nectar enivrées
Le bandeau du fommeil a fermé leurs beaux yeux.
O toi que les Mufes chériffent ,
Toi , que les Graces applaudiffent
Et que couronnent les Amours ,
L…………. , tu peux vanter les charmes
14 MERCURE DE FRANCE.
Du maître à qui tu rends les armes
Et qui file tes heureux jours.
Un Dieu plus aimable m'inspire ,
Il récompenfe mes travaux ,
Et fi je remonte ma lyre
C'est à l'ombre de ſes pavots.
Déjà le flambeau des étoiles
Commence à briller dans les cieux ;
Ole plus féduifant des dieux
Viens m'envelopper de tes voiles :
Sur ce gazon où fous des fleurs
La fanté fourit & repofe ,
Aux parfums de la jeune rofe
Viens mêler tes douces vapeurs.
Ecarte du bout de ton aîle
L'incommode eflain des defirs ,
Sous ton fceptre endors les foupirs ;
Mais fais veiller dans ma ruelle
L'aimable illufion , ta compagne fidèle ,
Et l'erreur , fource des plaifirs .
Je t'aime quand au fein de l'onde
Le tems a conduit le foleil ;
Je t'aime quand à fon reveil
Amphitrite le rend au monde.
A toute heure , dans tous les lieux ,
Morphée a reçu mon hommage ,
Sur des fophas délicieux
Et fur la fougère au village.
MARS. 1772 .
15
Lorsqu'au chevet des Monfeigneurs
L'ambition veille & foupire,
Loin du preftige des grandeurs ,
Je m'endors au fon de ma lyre
Sur l'émail diapré des fleurs .
Quand l'aveugle enfant de Cythère
Fait gémir les amans fous le poids de fes fers ,
Qu'il écarte dans fa colère
Le maître charmant que je fers ;
Dans une heureuſe indifférence
Ne formant pas même un defir ,
Je trouve au fein de l'indolence
Et le repos & le plaifir.
Zirphé , ton auftère fagefle
Condamnant ma dure parefle ,
Veut m'impoferfa douce loi ;
O ma divinité chérie ,
Sommeil , pour punir mon amie ,
Fais qu'elle dorme comme moi.
16 MERCURE DE FRANCE.
A
*
, par Mademoiselle ....
auteur de
DE
la pièce précédente.
E l'amour j'ai craint l'empire ,
J'ai craint fon arc , fon flambeau ,
Ses larmes , fon doux fourire ,
Ses fléches & fon bandeau ;
Mais un coeur tendre & fenfible
Eft bien prompt à s'enflammer
L'indifférence eft terrible
A qui fut né pour aimer.
Sera- t-elle mon partage ?
A l'autore du bel âge ,
Quoi ! toujours loin des amours
Verrai - je couler mes jours ?
Sans doute ils fauront me plaire,
Me difois-je avec douleur ;
Contre les penchans du coeur
Que peut la raiſon ſévère ?
Je voulus les accorder ,
Rien n'étoit plus téméraire ,
Il s'agifloit de frauder
Les droits du dieu de Cithère.
L'amitié me feconda ,
Je paffai fous fon empire ;
Et la raifon
approuva
MARS. 1772. 17
Tous les feux qu'elle m'inspire.
Sans crainte depuis ce jour
J'ole être fenfible & tendre ,
A l'amitié j'ai fait prendre
Les traits touchans de l'amour ;
Elle a fon fouris , fes graces ,
Ses yeux , fa vivacité ;
Les fleurs de la volupté
Naiflent par- tout fur les traces ;
J'y touche fans les flétrir ,
Et la rofe que je cueille
Ne m'offre point dans fa feuille
Un regret pour un plaifir.
Ami , ta philofophie
A paflé jusqu'à mon coeur ;
Sur chaque inftant de ma vie
Ta main répand le bonheur.
Ah ! ne crains point que la Parque
En puifle arrêter le cours ,
Ainfi que Laure & Pétrarque
Nous descendrons dans la barque
Sous l'étendart des amours .
S MERCURE DE FRANCE.
ALMONZIR & ZEHR A.
Conte arabe.
VERS l'an 300 de l'Hégire , & dans notre
façon de compter , au 10 fiécle , Almonzir
, berger heureux & tranquille ,
parcouroit les plaines de Cordoue * à la
tête des troupeaux qui lui avoient été
confiés. Son prédéceffeur , dans le même
emploi de nos premiers pères , lui avoit
appris à jouer de la flute , & cet obiet de
delaffement pour Almonzir , devenu par
la fuite un talent fupérieur , fut la fource
des troubles qui agirerent quelques années
de fa vie , parce qu'il écouta la voix enchantereffe
de l'orgueil ; & qu'un jour dé
tournant les yeux de fes brebis cheries &
& fidèles , il fe plut trop à confidérer le
nuage doté de l'ambition qui paffoit fur
fa tête.
Sollicité par un riche Sarrafin de fon
voitinage , de courir à la fortune que de-
* Cordoue , ville ancienne de l'Espagne dans
l'Andaloufie ne fut reprife fur les Maures que
dans le treizième fiécle par le Roi Ferdinand . Les
Infidèles l'avoient poflédée plus de 400 ans .
MARS. 1772. 19
voient lui procurer les charmes du talent
qu'il poffédost , Almonzir laiffa tomber
fa houlette de fes mains & fuivit le vieux
Arabe dans fa vafte demeure qu'avoient
embellie les arts , mais que n'habitoient
ni le calme heureux de l'esprit , ni la douce
paix de l'ame.
Zerneb , auquel Almonzir venoit de
s'attacher , étoit le riche & faftueux tyran
de tout ce que renfermoient fon palais &
fon harem . Un moment , libéral ; bizarre
& farouche , dans un autre ; voluptueux &
cruel , inhumain & fenfible , on eût penfé
que les deux principes du bien & du mal
avoient fait de fon coeur le champ de leurs
combats éternels , & fur - tout qu'Arimaneytriomphoit
le plus fouvent.
Almonzir effuïa long - tems les caprices
& les folies du nouveau maître qui tan
tôt l'admettoit à fa table & l'enivroit des
vins exquis du royaume de Grenade , &
tantôt l'occupoit au fervice le plus dur de
fon palais .
Un jour il l'entraîna dans l'intérieur de
fes appartemens où étoient renfermées
fes esclaves malheureufes. C'étoit là que
* Arimane étoit le dieu du mal , Oromaze étoit
le nom du principe oppofé.
20 MERCURE DE FRANCE
Zehra , jeune & charmante Grecque , victime
de l'infenfé Zerneb , méditoit fecretement
ou de mourir ou de le voir en liberté.
Zerneb, par une de fes fantaifies inconcevables
, avoit exigé que cette esclave à
laquelle dans fes momens de transports
il donnoit quelquefois le nom de Maiffamai,
c'est à dire , tofée du matin , s'exerçât
à jouer de ce bruïant inftrument qui
accompagne & qui règle la marche des
foldats , & Zehra étoit devenue , malgré
elle , un des meilleurs tambours de toutes
les Espagnes .
Ce fut à Zehra principalement que Zerneb
voulut préfenter Almonzir , dont il
lui avoit plus d'une fois vanté le talent .
Celui- ci frémiffoit de la nouvelle faveur
que lui faifoit fon maître , parce qu'il
etoit presque fûr qu'elle feroit fuivie de
quelque nouvelle dureté. Il s'occupoit
fur-tout da danger qu'il alloit courir , fi
dans fes extravagances trop fréquentes ,
Zerneb le foupçonnoit d'avoir jetté fur
quelqu'une de fes esclaves des regards
trop curieux.
Plein de cette dernière idée , & fuivant
fon maître qui le conduifoit , il fe promit
de faire fi peu d'attention à ce qu'il
MARS. 1772 . 21
alloit voir , que les couleuvres même de
la jaloufie fe laifferoient aller au fommeil
fur fa contenance indifférente.
En effet à peine jetta- t- il les yeux fur
la belle Zehra , & prenant fa Alûte à l'ordre
de Zerneb , il joua de fon mieux tous
les airs gais qu'il fe rappelloit , & fe garda
bien de moduler aucun des airs tendres
& paffionnés qu'il jouoit ordinairement
avec le plus de fuccès , mais dont le choix
auroit pû être mal interprêté par le cruel
Sarrafin .
Zerneb , indécemment couché fur des
piles de couffin , & tenant fur fa poitrine
la tête de fon esclave favorite qu'il regar
doit par intervalles avec des yeux qui auroient
auffi -bien exprimé la groffe ftupidité
qui admire , que la tendreffe , lui dit
qu'il falloit qu'elle marquât fa reconnoiffance
pour Almonzir , en lui faifant enrendre
l'inftrument qui la rendoit fi aimable
à fes regards : il appelle un eunuque
noir , & lui fait apporter le tambour de
Zehra .
La belle Circaffienne oublia fans doute
combien il étoit dangereux de refufer
quelque chofe à Zerneb ; fes premières
excufes firent faire au Sarrafin la plus hideufe
grimace . Point de réfiftance , lui
22
MERCURE DE FRANCE.
dit il , en lui mettant les baguettes à la
main cependant Zehra continuant à fe
défendre encore , il la repoufle en furieux,
fe lève avec précipitation & cherche fes
armes qu'il avoit quittées.
Zehra , effiaïée , veut le jetter dans les
bras d'Almonzir qui , lui - même tremblant
de peur , le débarraffe d'elle avec effort
& fe fauve en fermant la porte après lui ,
fans réfléchir qu'il laiffe la plus belle des
esclaves en proie à l'inftant de dont
Zerneb eft poffédé.
rage
Heureufement l'eunuque avoit placé
le fabre de Zerneb dans un autre appartement
; & Zehra qui , fans peine , auroit
vu terminer fes triftes jours , en fut quitte
pour fe voir arracher cruellement une
partie des plus beaux cheveux du monde.
Plus fenfible encore à la groffière inhumanité
du joueur de flûte dont elle avoit
en vain réclamé le fecours , qu'à la barbarie
d'un maître qu'elle étoit déterminée
de quitter.
Revenu de l'accès de férocité qu'avoit
fupporté l'infortunée Zehra , le Sarrafin
ne vit Almonzir que pour lui reprocher
de l'avoir abandonné à fa fureur & de
n'avoir pas fauvé fon esclave d'un premier
mouvement dont il n'avoit pas été le maî
MARS. 1772 .
23
tre. Si malheureufement mes armes m'étoient
tombées fous la main , lui dit- il , c'en
étoit fait de Zehra. Mais toi , láche , continua
-t-il en lui prenant la gorge de fes
doigts , par combien defupplicesje t'aurois
fait payer fa mort ! Périffent tous les jongleurs
de l'Europe pour ma belle maiſſamai
!
Cependant Zehra avoit préparé depuis
long tems les moyens qui devoient l'arracher
au fort d'appartenir à Zerneb. Le
prétexte d'amufer quelquefois ce tyran
domestique avoit introduit dans le harem
divers habits de foldats qui avoient fervi
à des déguiſemens inventés par elle pour
occuper l'infipide oifiveté de ce maître
infoutenable.
L'appartement de notre jeune Grecque
donnoit fur une petite plaine où paffoit
en liberté un des éléphans de Zerneb.
L'esclave adroite l'avoit accoutumé à venir
la nuit à fa voix au bas de fa fenêtre ,
& à s'élever jusqu'à elle pour y prendre
avec fa trompe les alimens choifis qu'elle
avoit foin de lui conferver.
L'induftrieux animal avoit lui même ,
au bas du balcon de Zehra , élevé une eſpéce
de tertre qui lui faifoit recevoir commodément
tout ce qu'on lui offroit . Ce
24 MERCURE DE FRANCE.
fut quelques jours après la fcène de brutalité
dont nous venons de parler que ,
déguifée en foldat Espagnol , fon tambour
fur le dos, les fourcils peints & une mouf
tache artiſtement appliquée fur le viſage,
la jeune esclave ofa fe placer fur la trompe
de l'éléphant qui , paroiffant deviner
fon deffein , la descendit doucement , &
la plaça fur fon dos .
A peine fe vit elle hors du harem fatal
qu'elle conduifit de la voix & de la
main le docile élephant fur les bords du
Guadalquivir , où elle abandonna fon
libérateur pour profiter d'une barque qui
l'éloigna bientôt du féjour qu'habitoit le
plus féroce des amans.
Zerneb , inftruit le lendemain de la
fuite de fa chère Maiffamai , ne put contenir
fa rage ; malheur à tous ceux qui
s'approchèrent de lui ; le fang couloit de
toutes parts dans fon palais , & le flûteur
Almonzir , inftruit du danger qu'il couroit
, par les cris de ceux que pourſuivoit
cet enragé , ne balança plus à facrifier à fa
fûreté les petits avantages dont il jouiffoit
par intervalles chez le riche Sarrafin.
* Guadalquivir . Le Batis , grand fleuve d'Espagne
qui va fe perdre dans le golfe de Cadix.
Ce
MARS. 1772. 25
Ce fut à Cordoue , fous les murs du
férail d'Abdoulraman qui y regnoit alors ,
qu'il fe retira. Déjà la nuit enveloppoic
de fes crêpes les champs de l'air raffraichi
, & fans fe douter à quoi fa flûte pourroit
lui devenir utile en cet endroit , il
fe mit à en jouer du mieux qu'il lui fut
poffible.
Le Calife en ce moment étoit avec
quelques esclaves fur un de fes balcons ;
A peine Almonzir eût- il joué quatre ou
cinq des plus beaux airs qu'il favoit ,
qu'on vint , de la part du Prince , le féliciter
, & lui demander s'il vouloir s'atta
cher à fa hauteffe , qui avoit , difoit - on , la
fenfibilité la plus grande pour tous les
arts . Il ne fe fit pas prier , & le plaifir
qu'il procura à fon nouveau maître , fut
pour lui , en peu de tems , la fource d'une
fortune auffi rapide que confidérable.
O vous dont les talens moins frivoles
font deftinés à l'inftruction des hommes !
vous ne parlez point à leurs fens , vous
n'excitez pas chez eux ces mouvemens ra
pides d'une magnificence libérale . S'ils
vous favorifent d'un regard , ce n'eft pas
même la reconnoiffance qui les y porte ;
c'eft au plus la honte de vous avoir toutà-
fait méconnus qu'ils redoutent.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Sages émules de Lokman , que cherchez-
vous dans les cours ? Le boftangi
qui préfide aux jardins du maître , y faitil
croître les plantes utiles , les végétaux
nourriffans ? Le ftérile arbuste , docile à la
main qui le façonne & qui le plie dans
tous les fens , voilà ce qu'il préfére . Mais
revenons au flûteur Almonzir comblé
de biens & qui dans l'illufion qui les fuit,
regarde fon évafion comme l'époque la
plus brillante & la plus heureuſe de ſa
vie .
Abdoulraman , VIII Calife de lafamille
des Ommiades en Espagne , & qui le premier
avoit pris la qualité d'Emir Almouménin
avoit éminemment toutes les grandes
qualités d'un Prince ; il étoit riche ,
guerrier & voluptueux , c'en étoit allez
pour rendre inépuifables les éloges dont
on l'accabloit à fa cour. Almonzir avoit
eu le bonheur de l'amufer , & pour obtenir
tout il n'avoit eu qu'à defirer . On le
vit honoré d'une place auprès du Prince ,
propriétaire de vingt esclaves choifies, &
d'une maifon fuperbe pour l'entretien de
laquelle l'Emir fe fit un jeu de lui abandonner
des fonds deftinés d'abord à réparet
les pertes qu'il avoit faites .
Les Rois de Léon & de Navarre avoient
MARS . 27 1772 .
enlevé à ce Calife plufieurs places qu'il
entreprit de faire rentrer dans fon domaine.
Almonzir , fon nouveaufavori , voulut
en vain le retenir ; il aimoit la gloire &
partit. Vainqueur à la bataille du Val de
Jouguera , il revint triomphant dans ſa
capitale , chargé de butin & environné
d'esclaves enchaînés qu'il avoit pris de fa
propre main à cette journée fameufe .
Almonzir, qui avoit mis en chants toutes
les fadeurs des petits verfificateurs de
Cordoue, ne vit dans ce triomphe de fon
maître qu'une espérance de lui devenir
plus cher encore ; mais le fouffle du vent
des décrets d'en haut alloit tourmenter la
nacelle d'Almonzir qui devoit trouver
dans ce même triomphe le terme du bonheur
paffager dont il s'enivroit.
Avant de décider du fort de fes prifon.
niers , l'Emir voulut qu'ils fulent mis
nuds en fa préfence , afin de s'affurer s'il
n'en étoit pas quelqu'un parmi eux qui
jadis eût vécu fous la loi du prophéte .
Déjà plufieurs avoient été fcrupuleuſement
examinés , lorsque celui des prifonniers
qui devoit être déshabillé , & qu'on
croioit un fimple tambour , repouЛla vi-
Au pied des Pyrénées.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE ,
vement la main des ministres de cette
vifite religieufe . Abdoulraman s'en étonne
, il s'approche de cet esclave rétif qui ,
fans lui dire un mot, laiffe tomber de faux
fourcils , une barbe fauffe , & lui découvre
un fein où l'albâtre , la rofe & la perfection
des formes fe disputoient l'avantage.
Le Calife ftupéfait & plus fenfible qu'un
autre à certe espèce de spectacle , jette
auffi tôt un voile fur ce fein raviffant
fait éloigner d'un coup- d'oeil & d'un gefte
tous les témoins de cette fcène , porte les
yeux fur tous les traits de l'esclave ; les
trouve enchanteurs , tombe à fes pieds ;
lui jure par la plume divine , * qu'il n'a
rien vu d'égal à fa beauté & qu'elle va de
venir le prix le plus doux de la victoire .
fa
Zehra ( car c'étoit elle - même ) ne laiſſe
pas long - tems l'Emir à fes genoux. Elle
lui conta l'hiftoire de fon traveſtiſſement ,
le bonheur qu'elle avoit eu depuis fa fuite
de n'être point reconnue pour ce qu'elle
étoit & la préférence qu'elle avoit donnée
à l'état miférable de tambour auquel
les circonstances l'avoient réduite , fur le
* Serment de Mahomet. Voy. le chap. 68 de
l'alcoran , qui a pour titre la plume.
MARS. 1772. 29
fatal honneur de plaire quelques inftans à
un tyran plus vain de la foumiffion de fes
esclaves que reconnoiffant de leur fenfibilité.
Ah ! ne redoutez point avec moi cette
injure , s'écria le Calife paffionné , ſuivez
moi , Zehra , dans mon férail , venez - y
donner des loix à vos compagnes jalouſes,
à mes fujets', à moi - même. Venez reprendre
des habits qui ne déparent point
vos graces ; venez , Abderame * apprendra
à l'Univers comme on doit vous aimer.
Ce fentiment de la liberté auquel Zehra
paroiffoit avoir immolé les avantages de
fa figure , n'avoit point encore jetté d'af
fez profondes racines dans fon coeur , I
ne tint point contre le tendre enthoufiafme
du Calife . Elle étoit femme , on lui
promettoit l'empire & celui qui lui en
faifoit la promeffe étoit aimable & vaillant.
Commandeur des Fidèles , ** lui die
Zehra , fongez-vous à ce que vous m'offrez
, à ce que je fuis ? Votre esclave fou-
* C'eſt ainſi qu'on appelloit auffi le Calife.
** C'est ce que fignifioit le titre d'Emir Al
moumenin , qu'avoit pris Abdoulraman.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
mife eut pour tout bien un jardin peutêtre
affez riant ; la rofe la plus fraîche y
brilloit de fon premier éclat , un vent
cruel en détruifit le charme ; & vous voulez
qu'avec un fi trifte héritage .... Ah ,
Zehra ! interrompit Abderame , le doux
zéphir de l'amour y rappellera le printems...
Oui , je donnerois tous mes tré,
fors pour cet héritage ; l'inftant qui m'en
verra poffeffeur fera le plus heureux de ma
vie.
Abdérame étoit fi preffant , fi enflammé
, il avoit l'air fi vrai qu'il fallut bien
fe rendre , & Zehra ne disputa plus avec
lui que fur les douceurs de la reconnoiffance
.
Chaque jour augmentoit le crédit de la
nouvelle Sultanne. Almonzir l'avoit reconnue
& devoit en être la première vic
time . Dès qu'elle l'eut apperçu au nombre
des favoris du Calife , elle forma le
deffein de fe venger de la lâcheté avec
laquelle il l'avoit abadonnée à la fureur
de Zerneb .
L'emploi qu'il exerçoit lui fut d'abord
ôté. Quelques jours après Zehra fe fir
donner fa maifon & tous fes autres biens,
il fut même chaffé du palais d'Abderame;
enfin , retombé dans fa première indigenMARS.
1772 . 31
ce , il éprouva que l'échanfon de la deftinée
n'avoit verfé de l'ambroifie que fur
les bords du vafe qu'elle lui avoit préſenté
, & qu'au fond il avoit prodigué le ſuc
amer de la coloquinte.
Convaincu que la faveur des cours reffembloit
à ces phénomènes d'un moment,
dont la lumière & les feux fe diffipent &
s'évaporent dans leur courfe ; il redevint
auffi pauvre qu'il l'avoit été lorsqu'il gardoit
les troupeaux dans les plaines de
Cordoue , & pour redevenir authi tranqui
le, auffi content qu'un mortel puiffe defirer
de l'être , il n'eut qu'à reprendre fon premier
métier ; tandis que Zehra , toujours
adcrée du plus amoureux & du plus magnifique
des Princes , vit bâtir une nouvelle
& fuperbe ville à laquelle on donna
fon nom ,*pour perpétuer dans la mémoire
des hommes & la tendreffe d'Abdoulraman
& la félicité de la belle & vindicative
Zehra .
Si parmi les lecteurs de ce conte il fe
trouve quelque favant inftruit de nos éthimologies
, on le prie d'examiner fi ce n'eſt
* La ville de Zehra , à trois mille de Cordoue ,
ne fubfifte plus.
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
pas delà que dérive notre ancien proverbe:
Ce qui vient de la flûte retourne au tambour.
Par M. Bret.
EPITRE d'une Demoifelle de quinze ans ,
au Public , pour lui annoncer le triomphe
du fentiment ; roman fait par elle..
Tor , dont le favant & le fage
Jaloux de plaire à la poſtérité ,
Briguent à l'envi le fuffrage
Qui feal conduit à l'immortalité ;
De quel oeil verras- tu , Public inexorable ,
Une fille auteur à quinze ans ,
De ton tribanaf redoutable
Groffir la foule des cliens ?
Pardonne un orgueil téméraire
Excité par l'appât de ce nom féduifant ;
Et déride ton front févère
Pour ne te montrer qu'indulgent.
Un goût prématuré , le feu de la jeunefle ,
La haine de l'ennui , je ne fai quel penchant
Fit couler dans mon coeur cette flatteule ivrede,
Je m'y livrai presqu'en naiffant .
J'arrangeai quelques vers d'abord fans harmo
nic :
MARS. 33 1772.
Dans ma retraite , ofant m'en applaudir ,
Souvent ma vanité prenoit pour du génie
Ce qui n'étoit que l'effet du loifir.
Ce goût s'accrût , j'en fis uſage ;
La verdure des fleurs , une amie , un oiſeau ,
Fournifloient des fujets à ma muſe volage
Qui fe plaifoit au badinage ,
Et béguayant dans fon berceau ,
Jejouois chaque jour fur un objet nouveau..
Mes vers , enfans de la faillie ,
Des règles s'écartoient par fois;
Mais bientôt de la poëfie
J'appris à respecter les loix.
Alors fur divers tons ayant monté ma lyre ,
Je fis quelques eflais , on daigna m'y fourire,
Et mon amour-propre flatté
Ne laiffa plus de digue à ma témérité.
Semblable à maint auteur critique.
Qui , du fond de fon galetas ,
Discute en profond politique
Les intérêts des Potentats ;>
Loin du monde & de fes intrigues
J'ofai peindre l'amour , fes complots & les bri--
gues ,
י
Connoiffant à peine fon nom.
De ce roman la naïve innocence ,
Dans un cercle d'amis acquit quelque renomi
Formé fans art , dépourvû d'éloquence ,
B v
34
MERCURE DE FRANCE .
Le ftyle eut pour ſeul ornement
Le coloris du fentiment.
Tel fut de ces amis l'unanime fuffrage ,
Soit que le bon goût l'ait dicté ,
Soit qu'il ne foit qu'un fimple hommage
Que mon fexe m'a mérité.
L'orgueil , à cet écrit , me fait trouver des charmes.
T Me dérobant aux foucis , aux alarmes
Que traînent à leur char tes fragiles faveurs ,
Il m'engage à voler au faîte des honneurs.
J'obéis à la voix , j'enrre dans la carrière ,
Des risques que je cours je franchis la barrière.
Pardonne mon audace en faveur du motif;
C'eft l'écueil des talens qu'un esprit trop craintif.
Le péril doit frayer le chemin de la gloire ,
C'est par lui qu'on arrive au temple de mémoire."
VERS écrits fur un papier qui enveloppoit
un liard donné à une jeune Quêteufe.
Ji E ne donne qu'un liard , mais mon oeuvre eft
très -bonne ;
Quêteufe , ce propos peut - être vous étonné ; .
Ecoutez donc fur quoi je fonde mes motifs :
Je devrois recevoir , au contraire je donne.
Car pour qui quêtez - vous ? Eft ce pour les captifs
?
MARS.
-35 1772.
De tous les malheureux qui font chargés de
chaînes ,
En eft-il qui voulût changer avec les miennes ?
Dites -moi , quête - t - on pour les pauvres hone
teux ?
Je fuis , pour mes péchés , de la catégorie
De ceux qui n'ofent point s'avouer malheureux ,
Et je fuis déchiré par mon fort rigoureux ,
Sans ofer demander au tyran de ma vie
La plus mince faveur qui pût me rendre heureux.
Quêtez vous feulement pour ces coquins pouilleux
,
Ces chevaliers errants dont la troupe aguerrie
Quelque fois pour deux liards fe prend par les
cheveux ?
J'ai l'honneur d'être encor de cette confrerie :
Etre fans coeur , c'eft être un véritable gueux .
Par M. de L. B. de V. , Moufquetaire,
J
VERS à Madame **
ALOUSE Contre vous , trop aimable Baronne ,
Deux Dames disputoient fur votre qualité ;
Mais tirez , croiez-moi , bienplus de vanité
De celle qu'à nos yeux le tendre amour vous
donne.
Cythère eft votre baronnie ;
B vt
36
MERCURE
DE FRANCE
.
Tous les amours font vos fujets ,
Vos titres les plus parfaits :
Sont d'être jeune & jolie.
L'HOMME. Apologue.
C'EST un bel apologue que cette ancienne
fable du premier homme , qui
étoit deftiné d'abord à vivre vingt ans
tout au plus : ce qui fe réduifoit à cinq
ans , en évaluant une vie avec une autre .
L'Homme étoit défespéré ; il avoit auprès
de lui une chenille , un papillon , un
paon , un cheval , un renard & un finge ..
Prolonge ma vie , dit - il à Jupiter ; je
vaux mieux que tous ces animaux là : il
eft jufte que moi & mes enfans nous vivions
très - long- tems , pour commander à
toutes les bêtes . Volontiers , dit Jupiter,
mais je n'ai qu'un certain nombre de
jours à partager entre tous les êtres à qui
j'ai accordé la vie . Je ne puis te donner
qu'en retranchant aux autres ; car ne t'imagine
pas , parce que je fuis Jupiter,que
je fois infini & tout puiffant. J'ai ma nature
& ma mefure. Çà , je veux bien t'accorder
quelques années de plus , en les
MARS. 1772 37
âtant à ces fix animaux dont tu es jaloux ,
à condition que tu auras fucceffivement
leurs manières d'être . L'homme fera d'abord
chenille , en fe traînant , comme
elle , dans fa première enfance. Il aura
jusqu'à quinze ans la légèreté d'un papil .
Jon ; dans fa jeuneffe la vaniré d'un paon.
Il faudra , dans l'âge viril , qu'il fubiffe
autant de travaux que le cheval . Vers les
cinquante ans , il aura les rufes du renard;
& dans fa vieilleffe , il fera laid & ridicule
comme un finge. C'eft affez là en gé
néral le deftin de l'homme ..
Remarquez encore que , malgré les
bontés de Jupiter , cet animal , toure
compenfation faite , n'ayant que vingtdeux
à vingt - trois ans à vivre tout au plus,
en prenant le genre humain en général , il
en faut ôter le tiers pour le tems du ſommeil
, pendant lequel on eft mort ; refteà
quinze ans , ou environ ; de ces quinze retranchons
au moins huit pour la première
enfance , qui eft , comme on l'a dit , le
veftibule de la vie ; le produit net fera
fept ans ; de ces fept ans la moitié , au
moins , fe confume dans les douleurs de
toute espèce ; pofe trois ans & demi pour
travailler , s'ennuyer & pour avoir un peu
de fatisfaction : & que de gens n'en ont
38 MERCURE DE FRANCE.
point du tout ! Eh bien , pauvre animal ,
feras tu encore le fier ?
Par M. de V.
;
L'ESPERANCE EN DIEU ; à M. de
Rom **. Ode tirée du Pfeaume cxxix .
De profundis clamavi , &c.
Du fein ténébreux des abymes ,
Effraïé des remerds qui déchirent mon coeur ,
Courbé fous le poids de mes crimes ,
J'élève en gémiffant ma voix vers le Seigneur.
Grand Dieu ! que mes pleurs te fléchiflent !
Ne ferme point l'oreille à mes triftes accens ;
Que tes entrailles s'attendriflent !
Rends la paix à mon ame & le calme à mes lens.
Si dans ta balance févère
Tu pefes le fardeau de mon iniquité ,
Tu me dois toute ta colère ,
Etje lis mon arrêt fur ton front irrité.
Mais n'écoute que ta clémence ;
Au pied de tes autels , mon unique recours ,
J'irai , rempli de confiance ,
De ta miféricorde attendre le fecours.
MAR S. 1772 . 39
"
Ta promeffe n'eft point frivole ,
Tu l'as juré , non , rien ne peut la révoquer ;
Ton nom.... j'atteſte ta parole ,
Ton Nom me fauvera , j'olerai l'invoquer.
Tels , dans les fers de Babilone ,
Les enfans d'Israël aflervis à fa loi ,
Quand l'Univers les abandonne ,
N'ont d'autre protecteur , d'autre afyle que toi.
Aux premiers feux que le jour lance ,
L'espoir qui les foutient éclatte dans leurs yeux;
La nuit dans les bras du filence ,
L'espérance repofe & fomeille avec eux,
Du repentir , triftes victimes ,
Leurs larmes t'imploroient , ils invoquoient ton
Nom ;
Ta juftice oublia leurs crimes ,
Et ru les ramenas dans les murs de Sion.
Par M. D. B. , Capitaine de grenadiers
au régiment de Touraine.
40 MERCURE DE FRANCE.
VERS adreffés à Madame la Marquife
de L......., le premier jour de l'an.
En expreffions peu nouvelles ,
Je vous rends chaque année un hommage nou
veau.
Sans finir le portrait , j'émoufle mon pinceau;
L'art ne peut égaler vos graces naturelles..
Vous les multipliez ; vous faites encor mieux ,
Vous captivez l'esprit en féduifant les yeux.
On s'empreffe à vous voir , on aime à vous entendre
;
Mais pour vous détailler on manque de loifir .
Chacun fe trouve pris , fans favoir où fe prendre :
C'eft l'éclair qui nous frappe & qu'on ne peu
faifir.
Apelle , en pareil cas , eût abdiqué l'ouvrage,
E je ne ferai point ce qu'il n'auroit pas fait
Ou dispensez- moi de l'hommage ,
Ou donnez-moi votre fecret.
Par M. de la Dixmeriej.
M À RS. 1772. 4:1
VERS pour être placés au bas du Portrait,
de M. le Maréchal Duc de Briffaa,
Gouverneur de Paris , &c.
COURTISAN véridique & guerrier intrépide ; ›
Homme d'état , homme de bien ;
4
BRISSAC , toujours fidèle à l'honneur qui le
guide ,
Sait combattre en héros & vivre en citoyen.
Par le même.
A Mademoiſelle de S *** en lui envoyant
une branche de cédre , le jour de
Ja fête.
DEPUIS que le Parnaffe adore
Vos galantes chansons , vos yeux faits pour
l'amour ,
Les fragiles préfens de Flore
Vous furent offerts tour - à - tour.
Favorite de Calliope ,
Un bouquet immortel manquoit à vos attraits
Et du cédre jusqu'à l'hiffope
Yous connoîtrez tout déformais.
42 MERCURE DE FRANCE.
Des forêts du Liban l'orgueilleufe parure
Eft digne de vous embellit ;
Les merveilles de la nature
Des bouts de l'Univers doivent fe réunir.
Pai M. de la Louptiere.
DESCRIPTION géographique du
Royaume de Poësie . ( 1 )
LA Poësie eft un royaume fort étendu
& fort peuplé . Il est borné à l'Eft par l'E .
Loquence ; au Sud , par la Peinture & la
Sculpture ; à l'Ouest , par la Mufique ; les
Côtes du Nord font baignées par l'Océan
de l'Erudition,
Il fe divife comme bien d'autres , en
haut & bas pays. La haute Poëfie elt habitée
par une forte de perfonnages graves,
à l'air important , à la mine refrognée ,
dont le langage comparé à celui des autres
provinces , eft comme l'Espagnol ( 2 )
par rapport au françois . Les hommes y
•
(1)Traduction de l'anglois.
(2 ) L'original porte , comme le Galois par rapport
à l'Anglois.
MARS. 1772. 43
font pour l'ordinaire héros de profeffion .
C'eft une bagatelle pour eux que de pour.
fendre en deux , d'un feul coup , un géant
armé de pied en cap. Pour les femmes ,
le foleil lui - même ne mérite pas d'être
comparé à la plus laide d'entre elles . Les
chevaux de cette contrée courent plus
vite que le vent , & les arbres portent
leurs têtes jusques dans les nuës .
La capitale de cette province s'appelle
Poëme épique. Elle eft bâtie dans un terrein
fablonneux & ingrat que peu de gens
ont effaïé de cultiver . On prétend que
cette ville eft plus grande que Ninive. Ce
qu'il y a de sûr , c'eſt que les voyageurs
qui en ont voulu parcouru toutes les dimenfions
fe font laffés avant que d'arriver
jusqu'au bout.
Les habitans , & en général ceux de
tout le royaume , ne font , pas extrêmement
scrupuleux fur la vérité de ce qu'ils
rapportent. Ils entretiennent un étranger
de contes faits à plaifir , qu'ils débitent
fort férieufement & d'une manière affez
intéreffante . Ils ont un grand foin de
conduire les curieux à l'antique Maufolée
d'Homère , au tombeau de Virgile &
au monument érigé en dernier lieu à la
mémoire de Télémaque .
44
MERCURE DE FRANCE.
Ce qu'il y a de défagréable dans cette
ville , ce font les querelles , les défis , les
combats & les malfacres qu'on rencontre
à chaque pas ; mais la trifteffe que cette
vue inspire fe diflipe dès qu'on a mis le
pied dans le grand fauxbourg , que l'on
nomme les Romans. Il furpafle en étendue
la ville elle - même. Le fang y eft par
faitement beau , & toutes les perfonnes
de l'un & de l'autre fexe font les plus accomplies
que l'on puiffe imaginer. Ils ont
tous été grands voyageurs , & font amans
paffionnés , tout leurs tems fe pafle dans
des plaifirs & des fêtes continuelles , &
ils ne permettent presque jamais qu'un
étranger s'en retourne chez lui fans avoir
afité à cinq ou fix mariages des plus brillans.
Des extrémités de ce fauxbourg , on
découvre des montagnes fort hautes &
fort escarpées , bordées de précipices de
toutes parts. C'eft la Tragédie , pays tout
extraordinaire où l'on remarque fur-touc
les ruines de quelques villes anciennes
dont les reftes font encore beaux. Dès
qu'on en approche , on fe fent faifi d'une
noire mélancolie , & les habitans devien
nent cruels & fanguinaires au point que
tes femmes mêmes battent des mains à la
MARS. 1772 45
vue d'un miférable qu'on poignarde ou
qui s'empoisonne lui -même. Il y avoit
dans la même province un palais enchanté
, nommé l'Opéra . Un Magicien Italien
l'avoit conftruit de manière qu'il pouvoit
fe transporter dans tout l'Univers ; mais
le tems & divers accidens en ayant défi
guré l'architecture & affoibli la garniſon ,
on dit qu'il vient d'être emporté par un
parti de troupes légères forties du Burlefque
, province fur les confins de la baffe
Poëfie ; ces conquérans ont changé le
nom de la place en celui d'Opéra comique.
Non loin de ce château , dans un emplacement
des plus favorables , s'élève
l'ancienne cité de Comédie. Un goût naturel
pour la peinture eft généralement
répandu dans cette ville agréable ; il eft
fâcheux qu'on fe ferve quelque fois de ce
talent,pour peindre des objets dangereux
d'une façon féduifante . Chacun des habitans
s'amufe volontiers des fotifes de
fon voifin , fans trop s'embaraffer s'il
n'apprête point à rite lui- même ; avec
cela ce font gens dont la morale n'eft
point fi mauvaiſe.
La ville eft partagée en cciinnqq quartiers ;
à l'entrée de chacun i'on eft reçu par une
46
MERCURE DE FRANCE.
:
bande de muficiens , & quelque fois de
danfeurs. L'abord de la place eft défendu
par une citadelle nommée en langue du
pays , le Prologue. ( 1 ) On vous arrête là
avant que de vous laiffer entrer dans la
ville pour vous informer de ce qu'elle
renferme de beau , & pour vous prier de
vous y conduire poliment pendant le féjour
que vous y ferez. Ces precautions
font destinées à tenir la place en fûreté
contre les entreprifes des Critiques , nation
rufée & méchante , toujours en guer
re avec la Poëfie.
Sur le penchant d'une colline , une autre
ville s'offre aux regards ; c'eft la Tragi-
Comédie. On prétendoit en faire la rivale
de celle dont nous venons de parler;
mais quoique des perfonnes du plus haut
rang euffent formé ce projet , il n'a cependant
pas réufli .
La haute & baffe Poëfies font féparées
par les vaftes Solitudes du bon Sens , elpéce
de défert où l'on ne trouve ni bourg,
ni hameau , mais feulement quelques
cabanes disperfées dans la plaine . C'eſt
au refte le plus beau payfage du royau-
(1) Les piéces angloifes ont un prologue auffi
bien qu'un épilogue.
MARS. 1772 .
47
me; il produit en abondance toutes les
chofes néceffaires à la vie . La difette
d'habitans dans cette riche contrée vient
d'abord de ce que les chemins en font ferrés
& scabreux , enfuite de la difficulté de
trouver des guides .
D'ailleurs cette province eft presqu'environnée
de toutes parts de celle de l'Esprit
faux , dont le peuple léger s'amufe à
courir après de jolis riens & de brillantes
chimères , on s'endott entre les bras de
la volupté , de façon que peu de gens
veulent en fortir & prendre la peine de
s'engager dans les folitudes voilines . La
capitale de cette dangereufe province fe
nomme Elégie. Elle eft environnée d'antres
& de ruiffeaux , de rochers & de
bois où les folitaires habitans fe promènent
fans celle . Ils en font les confidens
de leurs amours , & craignent fi fort d'en
être trahis , qu'ils les conjurent de garder
un filence que les pauvres rochers n'avoient
garde de rompre.
Le royaume de Poefie eft arrofé par
deux rivières , la Rime & la Raifon . Celle-
ci coule toute entière dans les folitudes
du bon fens , delà vient qu'elle eft fi
peu fréquentée . L'autre fort du pied de la
montagne de Réverie. Un château conf48
MERCURE
DE FRANCE .
truit fur les bords , avec beaucoup d'élé
gance , arrête nombre de voyageurs ; on le
nomme Frivolité.
La province que nous venons de décrire
eft bordée par la vafte forêt de Stupidité
, dont les arbres font fi ferrés , fi
touffus & fi embaraffés les uns dans les
autres , que les rayons du foleil n'ont jamais
Pu les pénétrer. Elle eft fi ancienne
que les hommes fe font un point de religion
de toucher à aucun de fes atbres.
Sur fes confins eft l'Imitation , province
qui n'eft que trop étendue , puisqu'elle
eft entièrement ftérile ; auffi fes habitans
font-ils d'une extrême pauvreté : ils gagnent
leur vie à glaner dans les champs
voifins , & cela fans en témoiguer beaucoup
de reconnoiſſance.
La Poëfie eft extrêmement froide du
côté du Nord ; elle eft habitée par des
hommes de petite taille , pédans & affectés
au point que fi vous les écoutez
, ils ne vous parleront qu'en latin , &
feront rouler la converfation pendant une
heure fur un terme ou fur une penfée retournée
en cent façons. C'eft - là que fe
trouvent les petites villes d'Anagramme ,
d'Acroftiche , de Charade, & quelques autres
qui ne valent pas la peine d'être
vues .
MARS. 49
1772.
vues. La feule chofe remarquable dans
cette province , c'eft qu'on n'y rencontre
pas un habitant âgé ; tous meurent fort
jeunes .
Le royaume eft borné de ce côté- là par
l'Océan dont nous avons parlé . A quelque
diſtance des côtes , on trouve l'Ifle
des Satyres qui dépend du royaume de
Poëfie . La mer dont cette ifle eft environnée
abonde en fels extrêmement âcres &
piquants ; c'eft peut - être une des caufes
qui rend les Infulaires ſi bilieux , & leur
humeur fi aigre & fi mordante . Il eſt cependant
une ville où le caractère eft meilleur.
Du tems que cette ifle étoit fous la
domination des Romains , cette ville fut
gouvernée par un certain Juvenal. Il y
laiffa après lui un goût du vrai & du bon
qui n'eft pas encore entièrement perdu .
Je pourrois encore vous parler de la
presqu'ille d'Epigramme qui fe termine
en une pointe fort aigue . Je pourrois vous
apprendre que la cour avoit deffein de
faire conftruire fur un promontoire voiſin
un château nommé Laureat ( 1 ).
Voici la commiffion dont ce comman-
(1 ) Il y a eu long-tems en Angleterre un poëte
Laureat ou couronné .
C
50
MERCURE DE FRANCE.
dant auroit été chargé . On voit fans ceffer
flotter fur les eaux quantité de petits
morceaux détachés de divers endroits , &
qui étant la légèreté même , font emportés
çà & là , & menacent quelquefois les
côtes du Bon Sens. Il s'agiffoit d'empêcher
tous ces Sonnets , Madrigaux , Chan .
fons , d'aborder fur les côtes. Mais après
de nouvelles réflexions , on a jugé qu'il
n'y avoit pas grand danger qu'ils y arrivallent
jamais. (1)
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du volume du mois de Février
1772 , eft la Toile ; celui de la feconde
eft la Cloche. Le mot du premier logogryphe
eft Poulin , dans lequel fe trouvent
pou & lin ; celui du fecond eft Poif
fon , où le trouvent pois & fon ; celui du
troifième eft Cordon , où le trouvent cor ,
roc , or & don.
( 1 ) Angl. vuide.
MARS. 1772 :
SI
Q
ÉNIGME
UOIQUE je fois dans l'élévation ,
Je ne fuis pas de noble extraction ;
Je rends fouvent un louable ſervice ;
J'invite au plus fublime emploi.
Quand on m'entend exercer mon office ,
Ciel! que de fainéans murmurent contre moi .
Je vais à droite , à gauche , & je reſte à ma place;
Sans égard pour les grands , j'interromps leur
repos.
Vous , qui portez foutane , écoutez- moi de grace
,
Je le mérite mieux que le dieu des pavots.
Par M. Bouvet , à Gifors.
AUTRE.
OUTRAGE d'une main habile ,
Je vis tant qu'on prend foin de moi ;
Et même je deviens utile
A faire fouvenir de toi.
Lecteur , en vivant je fais vivre
"Quiconque à ma naiſlance a prêté ſon ſecours :
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
S'il meurt ; c'eft mon triomphe : on veut m'avoir
toujours ;
Chacun de maint regard fe plaît à me pourſui
vre :
Qu'une belle en pleurant mefixe d'un oeil doux ;
Sans doute, c'est parce que je fçai plaire :
Oui , mais qui n'en feroit jaloux ?
Elle me voit , pour n'aimer que mon frère .
Par M. de la Vente, peintre , de Vire.
AUTR E.
Jx nais toujours parmi de pauvres malheureux
Réduits à travailler en des lieux ténébreux :
Dès mes premiers inftans j'éprouve leur misère ,
Puisque je fuis contraint d'abandonner mon pè
re ;
D'aller dans la maison d'un cruel étranger
Qui , fans pitié , me fait coucher dans fon ver
ger;
Non pour fervir de garde à la poire , à la pom
me ,
Mais perdre la couleur que Phoebus donne
l'homme.
MARS. 1772 53
Comme enfant des humains je chéris les plaifirs,
Et j'aime àfolâtrer avec les doux zéphirs.
Lorsque j'ai le malheur de tomber dans la fange ,
On m'en punit foudain d'uue manière étrange ;
Une femme bientôt , comme un tygre en courroux
,
Me traîne à la rivière en m'y rouant de coups ,
Elleporte en uite en fon maudit ménage ,
Où je reçois encor cent preuves de fa rage.
Car je fuis maltraité , déchiré par morceaux
Et forcé de fervir même aux plus vils travaux.
Malgré ce traitement & tant de barbarie ,
Je lui fuis attaché tout le tems de ma vie ;
Quand je fuis accablé du poids de mes vieux ans ,
fervir d'interprête aux amans . ›
Je renais pour
ParM, Rigollot , Contrôleur des Fermes
du Roi , à Etampes.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
LOGO GRYPHE.
JE fers à la moitié du monde .
J'étois fort peu connu fous l'ancienne loi ,
Et chez nombre de gens de piété profonde .
Je fais même encor fans emploi.
Six pieds forment mon existence.
En les décompofant j'offre un miniftre en France ;
Le plus brillant métal , le titre le plus beau ;
La nymphe qui devint l'amante d'un taureau ;
Un élément fubtil , une plante fertile ;
Une conjonction par qui tout eft facile ;
Le plus lefte escadron des fuivans de l'amour ;
La plus fombre moitié du jour ;
Ce qui fert à former notre dernier afyle ;
Ce qu'il eft bon d'avoir à plus d'un jeu ;
Ce que les chiens ne chériflent pas peu.
Je pourrois , cher lecteur , t'en dire davantage;
Mais à ces traits reconnois - moi ,
Ou bien , pour me venger de toi ,
Je te couperai le vifage.
Par M. le François , ancien
Officier de Cavalerie.
MARS. 1772 .
55
AUTRE.
JEE règle de Thémis la balance & les poids ,
Et fans tête je chante & les Dieux & les Rois .
Par un Invalide de la Garnifon
du Chateau de Dax.
AUTRE.
MEs cinq pieds font l'appui de la lente vieil- ES
leffe ,
Et fervent de maintien à l'aimablejeuneffe ;
Le fer blefle mon pied , fi l'or couvre mon chef,
Un corps fouple & pliant eſt tout mon relief.
Lecteur , décompose mon être ,
Et vois dans le moment paroître
Un animal très-fot , un autre très-glouton ,
Dont les voix font au loin un affreux carillon .
De Marie aifément tu trouveras la mère ,
Et de Caïphe auffi le fortuné beau père ,
Le cours de douze mois , & fi ce n'eft aflez ,
Une ville normande , abondante en procès.
Parle même.
Civ
56
MERCURE
DE
FRANCE
.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Epitres fur la Vieilleffe & fur la Vérité
fuivies de quelques piéces fugitives en
vers & d'une comédie nouvelle en profe
& en un acte , qui a pour titre , le
Mariage de Julie , par M. Saurin , de
l'Académie Françoife . A Paris , chez
la Veuve Duchesne , rue St Jacques, au
Temple du Goût .
Ces deux Epîtres , l'une fur la Vieilleffe
& l'autre fur la Vérité ,. les princi
pales piéces de ce recueil , avoient déjà
fabi le jugement de ce Public éclairé &
choifi qui fe raflemble ordinairement aux
féances de l'Académie , & en avoient obtenu
le fuffrage . Les applaudiffemens
qu'elles reçurent alors ne feront pas démentis
, du moins à ce que nous croyons ,
à la lecture réfléchie du cabinet. Le fonds
en eft attachant ; il y a des fentimens
des idées , des images & beaucoup de
vers très- bien faits. Quelques morceaux
cités mettront nos lecteurs à portée d'en
juger eux - mêmes . Car il n'appartient à
perfonne de dicter fon jugement comme
La nouvelle Pension ,
Chanson Bacchique)
La musique estde M. Gr.
Pag.
Mars,
1772.
Chers amis je suis un lu
ron ;
Et vous connoisse
tous Gr
goire: I:a je suis en -pen
pensi
-on , Mais c'estpour apprendre
a b
boire; Et j'aime
la répétiti
:on , Et
Et
j'ai
me la répétition
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS ,
MARS, 1772.
57
un arrêt . Celui qui rend compte d'un
ouvrage n'a comme un autre que fa voix,
qui a plus ou moins d'autorité , felon
qu'il paroît discuter mieux & fe prévenir
moins ; & l'on peut remarquer que ceux
qui prononcent d'un ton ridiculement
abfolu ce que le Public doit penfer , font
ordinairement des juges fans conféquence
, & qu'on laiffe parler tout feuls.
Voyez , cher Arifton , la Vieilleffe plaintive ,
Sur un bâton noueux courbant fes foibles reins ,
Le tems qui fur la tête amafla les chagrins ,
Hâte vers le tombeau fa démarche tardive.
·
A les yeux obscurcis le Ciel paroît chargé ,
L'aftre du jour en deuil , la nature en fouffrance ,
Et du monde vieilli pleurant la décadence ,
Elle croit que tout change , elle feule a changé
Que tout femble riant au matin de la vie !
Des rayons de l'espoir la nature embellie
Répand un jour fi pur ! fon éclat eft fi frais !
La jeuneſſe ne voit que des êtres parfaits ,
Tout homme eft un ami , toute femme eft fincère;
Tout poëte eft divin & fur- tout point jaloux ;
Mais par l'expérience éclairés malgré nous ,
Que nous perdons bientôt cette illufion chère !
La défiance vient , conduite par le tems ,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Monftre aux pas incertains , à l'oeil fixe , au teint
bléme,
Qui mêle un noir poifon aux plus doux fentimens
,
Et veríe dans nos coeurs , avec le froid des ans ,
Le dégoût des humains & l'ennui de foi- même.
Ce portrait de la défiance nous paroît
d'une couleur heureufe & poëtique , & il
contra&te parfaitement avec celui de la
jeuneffe qui le précéde & dont tous les
traits nous femblent également vrais.
Nous obferverons feulement que le jeune
homme dont parle l'auteur , pour qui
tout poëte eft divin , apparemment ne
fait pas des vers .
Je fais , cher Arifton , que l'orateur de Rome ,
Qui réunit en lui Démosthène & Platon ,
Qui fut parler , écrire & mourir en grand homme,
Dans un de fes écrits introduifant Caton ,
Offre de la vieillefle une plus douce image.
Qu'importe , (fait - il dire à ce grandperfonnage , )
Qu'importe mes amis , que la fille du tems
Ait de fon doigt d'airain fillonné mon vifage ,
Readu mon corps débile & mes genoux trem
blans ,
La raiſon le mûrit fous les rides de l'âge ,
Et l'esprit affranchi du tumulte des fens ,
MARS. 1772 . 59
Goûte ce calme heureux , la volupté du fage.
Sans trop apprécier ce fuperbe langage ,
Je veux bien avouer qu'il fut dans tous les tems
Quelques mortels choifis dont la mâle vicillefle
Sait cultiver en paix les fruits de la fagefle.
Nous en connoiflons un qui fublime & touchant ,
De la pourpre du Pinde embellit fon couchant ;
Dociles à la voix , tous les arts l'environnent ,
Et le jouant encore avec les cheveux blancs ,
Les Mules à l'envi , les Graces le couronnent.
Tel fut Anacréon , tel Sophocle à cent ans.
Mais d'un bonheur fi rare il eft peu de modèles.
Les Mufes trop fouvent font de l'humeur des belles
,
Et gardent leurs faveurs pour de jeunes amans.
Nous croyons que les connoiffeurs feront
contens du ton qui regne dans ces
morceaux , à quelques négligences près .
L'auteur finit par des regrets très touchans
fur la mort d'un ami respectable M. de
Trudaine . Telles font , dit - il ,
dit-il , les pertes
de la vieilleffe.
O quel illuftre appui , quel ami j'ai perdu !
TRUDAINE , homme d'état , citoyen & vrai fage ,
L'inflexible équité , l'ordre fut ton partage.
Ton esprit lumineux éclairoit tes vertus ;
Des trésors du public plus que des tiens avare ,
C vj
60
MERCURE DE FRANCE.
Tu donnois à ton fiécle un exemple bien rare ;
Il le méritoit peu , mais hélas ! tu n'es plus .
Ma Mufe , je le fais , ne peut rien pour ta gloire.
Mais dans ces foibles vers arrofés de mes pleurs ,
Sur ta tombe permets que je jette des fleurs ;
Tes bienfaits , tes bontés vivent dans ma mémoire.
OTRUDAINE ! l'Etat te retrouve en ton fils ;
Mais qui pourra jamais confoler tes amis ?
L'éloge du père & du fils ne fera contredit
par aucun bon citoyen ni par aucun
homme de lettres.
L'auteur , malheureufement destiné à
pleurer des amis illuftres , ne s'attendoit
pas , lorsqu'il écrivoit ces vers , à payer
bientôt le même tribut à la mémoire d'un
homme qui ayant reçu de la nature des
talens véritables & de véritables vertus ,
cultivoit les uns par l'habitude du travail
& les autres par l'habitude des bienfaits.
Comme les vers de M. Saurin , fur la
mort de M. Helvétius , font imprimés
dans pluſieurs journaux & en général trèsconnus
, nous ne les citerons pas ici .
Nous nous contenterons
contenterons d'obferver
* M. Helvétius.
MARS . 1772./ 61
que ces vers font pleins d'une fenfibilité
vraie ; que l'ami n'eft poëte qu'autant
qu'il le faut , & que ce morceau femble
prouver , ce qu'on ne croit pas communément
, que la douleur peut faire des
vers. Ceux-ci font honneur à l'ame de
M. Saurin autant qu'à fon talent . Quand
on voit un bienfaiteur célébré ainfi par la
reconnoiffance & pleuré par l'amitié , le
commerce des lettres femble être en même
tems le commerce des vertus .
Dans l'Epître fur la Vérité , le poëte
combat le fyftême injurieux de Hobbes
qui croit l'homme naturellement méchant.
Voici le tableau que M. Saurin lui
oppofe .
Lorsque l'enfant forti des flancs qui l'ont porté ,
Foible & par la douleur de toutes parts heurté ,
Mêle aux cris du befoin les pleurs de l'impuiffance
,
Peu d'inftans détruiroient la fragile existence ,
Si l'amour ne veilloit au foutien de fes jours.
Mais éprouvant d'abord les plus tendres fecours ,
Bientôt avec plaifir preffant une mammelle ,
Il foulage fa mère , & foulagé par elle ,
En commençant de vivre , il commence d'aimer.
Ce lien mutuel qui vient de fe former,
Tout l'accroît chaquejour & tout le fortifie ;]
62 MERCURE DE FRANCE.
Des êtres que le Ciel a doués de la vie ,
L'homme en fon premier âge eft le plus dépendant
,
Le plus foible de tous , le plus long - tems enfant.
Tendre objet de nos foins affidus & durables ,
Ce font les bienfaiteurs qu'il voit dans fes fembla
bles .
"C'est pour fon propre bien qu'il fut ainfi formé ;
Qui n'aime que lui feul de lui feul eſt aimé .
Eh ! qui voudroit du jour , fi quelque main chérie
N'aidoit à fupporter le fardeau de la vie ?
C'eft en le partageant qu'on goûte le bonheur.
Malheur à qui ne fent que fa propre douleur.
Il vit dans un défert ; jamais d'un coeur aride
Lafoule des plaifirs n'a pû remplir le vuide.
L'homme a , pour être heureux , befoin de fentimens
,
Et ler jours font bien longs pour qui n'a que des
fens.
Ils font courts pour celui qui fait aimer , qui
pente ,
Et qui , lorsque Morphée amène le filence ,
Veille pour les humains & pour la vérité.
Ce morceau nous a paru d'une grande
beauté . Les vers fur la naillance de l'homme
rappellent ces vers fameux de Lucréce,
MARS.
63
1772 .
Tùm porrò puer , utfævis projectus ab undis
Navita , nudus humi jacet , infans , indigus omni
Vitaï auxilio , cum primùm in luminis oras
Nixibus ex alvo matris natura profudit ,
Vagituque locum lugubri complet , ut æquum eft ,
Cui tantùm in vitâ reftat fuperare malorum , &c. .
On trouve après cette pièce une imitation
abrégée de l'Epître d'Héloïfe à
Abailard , du célèbre Pope . Voici comme
ie traducteur peint le moment où Héloïfe
, après avoir pris le voile par ordre
d'Abailard , fe fépare de lui pour refter
dans la folitude .
Tu vins bientôt après m'apporter tes adieux .
Tu me quittais , & moi feule avec ton image ,
Seule avec mes regrets je reftai dans ces lieux ,
Dont l'aspect effrayant , dont le Site fauvage
Plaifoit à ma douleur en attriftant mes yeux .
D'effroyables rochers pendans fur un abîme ,
Des pins & des cyprès qui couronnent leur cime ,
Un torrent à grand bruit roulant du haut des
monts ,
Et mêlant le fracas de fon onde écumante
Au fourd mugiflement des fombres aquilons;
Voilà quel est l'afyle où gémit ton amante.
La piété , dit on , y trouve le bonheur ;
Ceft là que des humains elle fuit les approches.
64 MERCURE DE FRANCE.
Hélas ! je n'ai trouvé dans ces lieux que l'horreur ,
Que l'affreux désespoir aflis entre des roches ,
De l'abyme à fes pieds mefurant la hauteur.
Tu vois mon fort ; tu vois qu'Héloïſe éperdae ,
Loin de toi ſe conſume en t'appellant en vain.
Ne fois point fans pitié ; rends - lui du moins ta
vue ;
Viens ; qu'Abailard encor repofe dans mon fein ;
Viens , que ma bouche encor fur ta bouche adorée
Retrouve ce poifon dont je fus enivrée .
Preffe- moi fur ton coeur ; ferre- moi dans tes bras.
Trompe enfin mes defirs , fi tu ne les fens pas ;
Laifle le foin du refte à mon ame égarée , &c .
Nous transcrirons encore ce morceau
qui , dans l'original , eft d'un grand effet
& dont plufieurs traits font rendus avec
énergie dans la traduction .
Qu'entends -je ? quelle voix ? on m'appelle.. Héloïfe
!
Qui prononce mon nom dans ces lieux où tout
dort ?
Une autre fois déjà dans mon ame furpriſe ,
Cette voix a porté les accens de la mort.
J'errois pendant la nuit fous ces voûtes funèbres ,
Où mêlant un jour pâle à d'affreufes ténèbres ,
La lueur d'une lampe éclaire des tombeaux.
Dans ce muet ſéjour de la froide épouvante ,
MARS. 65 1772.
Je conjurois la mort de terminer mes maux ;
J'embraffois une tombe , il en fortit ces mots :
Viens , chère & trifte foeur , viens , malheureufe
amante.
Tes voeux font exaucés , & ta place eft ici.
Tu ne nourriras plus un dévorant fouci.
C'eſt fous ce marbre froid que le repos habite.
Jadis le coeur en proie au trouble qui t'agite ,
Je n'ai trouvé la paix qu'en ce fombre féjour.
Un long filence y règne & fait taire les plaintes .
La fuperftition y dépofe fes craintes ;
Car ce Dieu qu'on nous peint terrible & fans retour
,
Plus indulgent que l'homme & juge moins févère,
Pardonne à la foiblefle & ne punit qu'en père.
Nous choifirons encore dans une épître
en vers mêlés , adreffée à M. Collé , ces
traits d'une poëfie originale & descriptive.
Quand de l'Aftre éclatant par le Guébre adoré ,
Les aquilons fougueux ont obscurci la face ,
Quand fon char plus oblique effleure nos climats ,
Et brifant les rayons dans des prismes de glace,
Réfléchit un jour pâle à travers les frimats ,
D'une cité nombreufe habitant folitaire ,
Loin des fots de tout caractère ,
Des importans de tous états ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Je médite , je prends un livre ;
Mon esprit cherche à fe nourrir ;
Dans Horace j'apprends à vivre ,
Sénéque m'apprend à mourir.
Mes livres font pour moi d'agréables demeures ,
Où je cueille différens fruits ;
C'eft ainfi des hivers que j'abrège les nuits.
Les beaux arts chaflent les ennuis ,
Et l'étude charme les heures .
Mais fitôt que la terre a ranolli fon fein ,
Et qu'avec les zéphirs un bourdonnant effaia
Ole quitter la ruche & revoit les campagnes ,
Je quitte auffi la mienne , & revolant aux champs ,
Avec les Mules mes compagnes ,
Je me plais à fouler les tapis du printems.
Ah ! quand du trifte hiver l'uniforme livrée
A long tems de la terre effacé les couleurs ,
Que l'ail aime à la voir nouvellement parée ,
Etaler fa robe de fleurs !
Ah ! que fi long- tems déchirée
Du fifflet aigu de Borée ,
L'oreille entend avec plaifir
Le doux murmure du zéphir !
Sous fes aîles bientôt tout s'emprefle d'éclore ,
Le plus doux des parfums s'exhale dans les airs ,
Et la fcène de l'Univers
S'embellit chaque jour pour s'embellir encore .
Nous ne dirons rien de quelques autres
MARS . 1772. 67
que
piéces qui fuivent , moins étendues
les précédentes , mais toutes d'un ſtyle
agréable & ingénieux , & nous allons donner
une idée du Mariage de Julie .
M. Durval , financier , qui fait grand
cas de l'argent & nul cas de l'esprit , veut
marier fa fille Julie à M. Dutour , jeune
financier , dont il a la meilleure idée du
monde . M. de Surmon fon frère , homme
d'un excellent esprit & d'une fortune bornée
voudroit marier fa niéce au jeune
Marquis de St Bon qui aime Julie & en
eft aimé , & qui d'ailleurs a des vertus &
des talens . M. de Surmon infifte pour ce
mariage auprès de M. Durval .
M. DURVA L.
Votre Marquis a un défaut qui megâteroit
feul tout ce qu'il peut avoir d'eftimable
.
M. DE SURMO N.
Quoi donc ?
M. DUR VAL.
C'eſt un merveilleux , un esprit , &
vous favez que ma bête à moi c'eſt un
homme d'esprit. Je n'aime pas ces Meffieurs
là .
68 MERCURE DE FRANCE.
M. DE SUR MON.
Vous en voyez pourtant.
M. DURVA L.
Dans une maifon comme la mienne il
faut bien avoir de tout. N'allez pas vous
imaginer que je les craigne au moins .
Les deux frères ne s'accordent fur rien.
Cependant le Marquis de St Bon qui eft
avec fa mère dans la maifon de campagne
de M. Durval , fait fa cour à Madame &
à Mlle Durval. Mde Durval lui eſt favorable.
Elle a un foible prodigieux pour
les gens de qualité , & le malheur de fa
vie eft de n'être qu'une bourgeoife. Elle
fent d'autant plus ce malheur que fa foeur
la Comteffe d'Altin qui a époufé un
homme de qualité pauvre , accable à tout
moment la financière de fa fupériorité.
Une fcène charmante qui nous a paru
mériter d'être transcrite toute entière
donnera l'idée de ce contrafte très - heureufement
marqué.
La Comteffe D'ALTIN.
Ma foeur , je viens prendre congé de
vous. Il n'y a pas moyen de demeurer
avec votre mari ; c'eft un homme qui
n'aime que les gens de fa forte. Je lui
MARS . 1772 .
69
avois propofé pour fa fille un très- grand
mariage , le frère d'un homme titré ; il
m'a tefufée , mais très- durement .
Mde DUR VAL.
Celui que vous propoſiez , ma ſoeur, eft
un homme perda de dettes , un joueur.
La Comteffe D'ALTIN.
Qui vous dit que non ? Sans cela Mlle
Durval feroit-elle un parti pour lui ?
Mde DUR VAL.
On dit qu'il a eu d'indignes procédés
avec des femmes...
La Comteffe
D'ALTIN.
Des femmes... de la ville.
Mde DUR VA L.
Je vous admire , ma foeur ; des femmes
de la ville valent bien...
La Comteffe D'ALTIN.
Mon Dieu ; mille pardons. Vous me
voyez confuſe... j'oubliois...
Mde
DURVAL.
Ce que vous avez été , ma foeur .
70 MERCURE
DE FRANCE .
La Comteffe D'ALTIN.
Oh ! j'ai tort , j'ai tort. Je ne fais comment
cela m'eft échappé devant vous. Ah!
çà , je ne puis m'arrêter . M. le Comte
m'attend à dîner à Paris chez le Duc , avec
qui nous allons ce foir à Verfailles ; il y a
quelque tems que nous n'y avons été , & il
faut bien faire fa cour.
Mde DURVAL.
C'est un grand affujettiſſement , ma
foeur , une grande dépendance que celle
de la Cour , & je vous plains bien de
n'être pas en état de vous en paffer.
La Comteſſe D'ALTIN .
Cette dépendance - là eft honorable &
met à portée des graces. M. le Comte
foupe dans les cabinets ; je fais la partie
de...
Mde DUR VAL.
Fort bien ; mais je refte chez moi où
l'on fait la mienne. Il eft vrai que tout le
monde ne peut pas tenir une maiſon.
La Comteffe D'ALBIN.
Tout le monde peut encore moins être
admis à l'honneur...
MARS. 1772 .
71
Mde DUR VAL.
Ma foeur , c'eft acheter bien cher cet
honneur que de refter les trois quarts de
l'année dans un vieux château délabré
pour avoir de quoi figurer quinze jours à
la Cour .
La Comtelle D'ALTIN.
Mais pendant ces quinze jours , ma
foeur , on voit meilleure compagnie que
ceux qui n'y peuvent aller , n'envoient
toute leur vie .
Mde DUR VAL,
Laiffons cela , ma foeur ; je veux vous
montrer mes diamans . Je les ai fait monter
dans un goût nouveau ; ils font d'un
éclat , d'une beauté...
La Comteffe D'ALBIN.
Je les verrai une autre fois ; je compte
même les emprunter pour le bal paré qu'il
doit y avoir ; comme vous ne pouvez pas
en être. ...
Mde DUR VAL.
Je voudrois que vous y puffiez joindre
une robe comme celle que je me fais faire
; c'eſt l'étoffe la plus riche , la plus fp72
MERCURE DE FRANCE.
perbe ; mais cela feroit trop cher... Je me
fuis aufli donné une voiture d'une élégance...
La Comteffe D'ALTIN .
Je vous approuve fort, ma foeur. Quand
on n'a pas le bonheur de porter un certain
nom , il faut avoir de tout cela . Avec de
l'argent chacun peut fe contenter ; car tout
eft fi confondu ...
Mde DUR VAL.
Pas fi confondu. Il y a peu de gens qui
puiffent atteindre à de certaines chofes.
Par exemple , je fuis en marché d'un bijou
unique ; la Princeffe Amélie l'a trouvé
trop cher ; mais j'en ai la fantaiſie &
je la pafferai.
La Comteffe D'ALTIN.
Adieu , ma foeur . Je vous quitte avec
bien du regret. Quand on s'aime comme
nous faifons , il eft cruel de fe féparer.
Mais vous pourriez me venir voir ; il y
aura des fêtes , & je me ferois un plaifir
de vous faire bien placer.
Mde DUR VA L.
Je fuis fi bien chez moi , ma foeur , &
puis
MARS. 1772 . 73
pais je n'aime les fêtes que quand je les
donne.
Cette fcène est très - piquante , & tout
le dialogue de cette pièce est toujours de
ce ton à la fois ingénieux & naturel , femé
de traits d'une critique jufte & fine
fur les moeurs & les ridicules .
Le Marquis de St Bon qui revient de
Verfailles , dont la maifon de campagne
de M. Durval eſt voifine , apprend à M.
Durval que ce M. Dutour dont il a une
fi bonne idée , pour qui même il avoit
obtenu l'agrément de fa charge dont il fe
défaifoit , eft depuis trois mois marié en
fecret avec une Mlle Lucile ; qu'il a été
furpris par les parens & forcé de déclarer
fon mariage. C'eft da Miniftre même
qu'l tient cette nouvelle , & le Ministre,
par égard pour le Marquis de St Bon veut
bien rendre la parole à M. Durval , fuppofant
, comme de raiſon , qu'il n'eft plus
dans l'intention de donner fa charge àun
homme qui l'a fi indignement trompé.
M. Durval eft un peu confus de fa mépriſe
& de la générofité du Marquis de St
Bon qui le laiffe maître de lui donner Julie
ou de la lui refufer. I la lui accorde
cependant ; mais il ne revient pas d'étonnement
que M. Dutour air pû faire un G
D
74
MERCURE DE FRANCE.
for mariage. Mon frère , lai dit M. de
Surmon , c'eft que ,
quoique vous en penfiez
, les fots ne fe
contentent pas de dire
des fottifes & que très - fouvent ils en font-
Cette jolie
comédie n'eft point indigne
de l'auteur des moeurs du tems , & nous
croyons qu'elle feroit plaifir au théâtre.
Euvres de Crébillon ; nouvelle édition ,
revue , corrigée & augmentée de la vie
de l'auteur. A Paris , chez les Libraires
affociés.
Cette édition , d'un format commode
& portatif, d'un joli caractère & d'une
exécution foignée , eft d'ailleurs plus complette
que toutes les précédentes. C'eſt la
feule où l'on trouve le Triumvirat , la
dernière tragédie de l'auteur. Peut - être
fe pafferoit- on fort bien d'y trouver un
éloge hiftorique compofé par une main
un peu partiale , une préface qui ne l'eſt
pas moins , des piéces relatives qui le
font encore plus . Si l'on vouloit discuter
ici le mérite & les défauts de cet écrivain
juſtement célèbre , examiner ce reffort de
la terreur dramatique qu'on a trop prétendu
lui appartenit exclufivement, & que
d'autres mains ont peut-être fçu manier
avec plus d'art ; fi nous le mettions en
MAR S. 1772 . 75
-
parallèle avec le grand homme qui a trai
té fouvent les mêmes fujets , nous aurions
fans doute de quoi faire un morceau de
critique très intéreffant ; mais plus il le
feroit , plus il y a de danger à l'entreprendre
. Il s'en faut bien que l'esprit de
parti foit éteint. Toute discuffion littéraire
eft aujourd'hui un fignal de discorde.
Toute opinion tient à des intérêts
cachés , & produit des haines furieufes ,
des querelles & des fcandales. Quiconque
veut dire la vérité doit renoncer à la paix ,
& l'on n'eft pas toujours d'humeur à foute.
nir la guerre
.
Nous nous bornerons donc à mettre
fous les yeux du lecteur des jugemens fur
Catilina & Rome fauvée , qu'aflurément
nous n'aurions jamais relevés , s'ils ne fe
trouvoient pas dans la nouvelle édition
de Crébillon . Ces paffages fuffiront pour
faire connoître à nos lecteurs quelle espéce
de témoignages l'éditeur a raffemblés
& pour faire approuver les raifons de
notre filence .
Un Journaliste , après avoir fait la
critique de Catilina , & remarqué une
grande partie des défauts de cet ouvrage
, conclud ainfi . « Sans y penſer ,
Monfieur , j'ai fait l'éloge de la Rome
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fauvée de M. de Voltaire . Vous n'avez
qu'à fubftituer des beautés d'ordonnan-
» ce aux défauts que j'ai relevés , & vous
» aurez une idée jufte de cette pièce ,
» c'eſt- à -dire d'un drame où l'action mar-
» che avec force , avec économie , ( nous
» ne remarquons pas le ftyle ) avec rapidité
, rien qui ne porte coup , qui ne
» remue , qui n'intéreſſe ; les caractères y
» font vrais , reffemblans , foutenus . Ci-
» céron eft le véritable héros de la piéce,
» il devoit l'être & non Catilina . Caton
" & Céfar , ces fameux Romains , y font
repréfentés avec des traits qui vous en-
» chantent ; les connoiffeurs & les favans
doivent en être fatisfaits . Catilina n'eft
» par tout que Catilina , c'eft-à dire un
❞ furieux , un fcélerat & non un héros ,
un grand homme . Le caractère d'Auré
» lie eft de toute beauté dans la précision ,
puisqu'elle remplit tous les devoirs
d'époufe , de fille & de Romaine ; elle
» s'immole à fon époux , à fon père , à fa
» patrie. A ces perfections du plan joignés
» celles du ftyle & des beautés de détail
» qui fe fuccédent rapidement les unes
» aux autres. Il ne s'agit point d'antithe-
» les pointues , de vers de remplitfage ,
» ou de maximes purement de parade &
MARS. 1772. 77
33
99
23
"
d'oftentation ; c'est une éloquence de
poëfie égale pour ainfi dire à l'éloquen-
» ce de profe de l'orateur Romain . On
» croit l'entendre parler de fa tribune &
foudroyer encore Catilina . Les autres
perfonnages parlent auffi le langage qui
» leur eft propre , celui de la paffion , des
» conjonctures , de leur caractère . En un
» mot cette piéce fait honneur à l'esprit
» humain , & je la regarde comme un des
≫ ouvrages de M. de Voltaire les mieux
» conçus , les mieux combinés , les plus
» forts & les plus foutenus. Je ne crois
» pas qu'on me foupçonne de partialité. s
» Année littéraire.
Il eft difficile de faire un plus grand
éloge d'une tragédie , & cet éloge eft jufte.
Voici comme le même homme parle
da même ouvrage quelques années après .
" M. de Voltaire a bien voulu immoler
fa propre gloire pour relever celle de
» M. de Crébillon , en donnant au Public
» Orefte & Rome fauvée. En effet ces
» deux piéces n'ont fervi qu'à confirmer
» le mérite d'Orefte & de Catilina . »
Le même journaliſte ( que nous ne citons
que parce que ces paffages fe trouvent
dans la nouvelle édition de M. de
Crébillon ) dit , en parlant d'Electre . « Le
D iij
78 MERCURE DE FRANCE .
"
» Public a fenti la différence de cette Elec-
» tre à celle qu'un homme qui , d'ailleurs
» a du talent , a voulu élever fur fes dé-
» bris. »
Cet homme qui d'ailleurs a du talent,
n'eft autre que M. de Voltaire . N'y a- t- il
pas un peu de complaifance , un peu de
générosité dans cet aveu ? Est- il bien für
que l'auteur de la Henriade , d'@dipe , de
Brutus , de Zaïre , d'Alzire , de Mérope ,
de Mahomet , de Sémiramis , d'Adelaïde
, de Nanine , de l'Ecoffoife , &c. ait
d'ailleurs du talent.
Euvres de Regnard , nouvelle édition ,
revue , exactement corrigée & conforme
à la repréſentation. A Paris , chez
les Libraires affociés.
Cette édition eft la même pour le format
& le caractère que celle de Crébillon
dont nous venons de parler. Nous entrerons
dans quelques détails fur la perfonne
& les ouvrages de Regnard , qui a
fu trouver une place éminente après Molière
, & qui a été un grand comique fans
lui reffembler.
La manière de Regnard eft originale.
MARS. 1772. 79
-
Ses piéces ont peu de fonds & d'intrigue ,
fes caractères font peu approfondis ; ce
n'eft ni la raiſon fublime , ni le génie ob
fervateur , ni l'excellente morale , ni l'éloquence
de ftyle de Molière ; fon comique
tient à une gaîté de détails , aux faillies
, aux tournures plaifantes dont il femble
avoir un fonds intariffable. Il ne fait
jamais penfer ; mais il fait toujours rite .
Son imagination d'ailleurs lui fournit des
fituations qui approchent du grotesque ,
fans être pourtant ni baffes ni triviales ;
le Légataire en eft rempli , & cette piéce
dont le fuccès fut très grand , eft peutêtre
le chef- d'oeuvre de la gaîté comique ;
du moins il n'y a point de comédie qui
fafle rire davantage . Le teftament de Crispin
eft la folie la plus plaifante qu'on ait
imaginée , & beaucoup de gens d'esprit
& de goût préférent cette pièce à toutes
celles de Regnard , même au Joueur qu'ils
trouvent un peu défiguré par deux rôles de
charge, la Comtelle & le Marquis . Cependant
il faut avouer que c'eft dans le Joueur
qu'on remarque le plus le comique d'obfervation
& de caractère qui n'eft pas ordinairement
celui de l'auteur . Toutes les
fcènes où le Joueur paroît font excellentes.
Les variations de fon amour , felon
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft plus ou moins heureux au jeu ,
fes transports de joie & de défespoir font
d'une grande vérité . Il y a même de ces
mots heureux pris bien avant dans le coeur
humain.
Ce Sénéque , Monheur , eft un excellent homme.
Itoit- il de Paris?
Non , il étoit de Rome.
Dix fois à carte triple être pris le premier !
Ce dialogue eft d'un homme fupérieur.
Au furplus , s'il eft vrai qu'on peint d'autant
mieux une paffion qu'on l'a plus reffentie
, Regnard avoit de Pavantage en
traitant ce fujet. On fait qu'il étoit joueur,
& joueur heureux. Il avoit gagné au jeu
une partie de fa fortune dans un voyage
d'Italie.
Dufresni fit le Chevalier joueur presque
en même tems que Regnard donnoit le
fien. Tous deux s'accusèrent de plagiat &
d'abus de confiance ; & l'on dir fore plaifamment
qu'il fe pouvoit que tous deux
fuffent un peu voleurs , mais que Regnard
avoit été le bon larron . On mit même ce
bon mot en épigramme. Dufresni fit encore
depuis la Joueufe , où il y a des traits
excellens . Mais ces deux piéces réunies
MARS. 1772 . &&
font bien loin de valoir celle de Regnard .
Ila imité les Ménechmes de Plaute ; mais
il a furpaffé fon original , & il pouffe le dé
fespoir du Menechme campagnard à un excès
bien plus plaifant que Plaute . On ne
peur citer les Menechmes fans fe rappeller
un de ces mots & gais qui naiflorent fous la
G
plume de Regnard , toujours d'autant plus
piquans qu'ils font plus inattendus ; c'eft
dans la fcène du Tailleur qui s'eft dic
fyndic & marguillier , & qui veut faire
payer à Menechme les habits d'un régiment
qu'il n'a jamais eu . Menechme eft
furieux .
Laiſſez- moi lui couper le nez.
Son valet qui eft un feipon , lui dit gravement
:
Laiflez-le aller.
Que feriez-vous , Monfieur , du nez d'un marguil
lier.
Il n'y a qu'un homme du caractère de
Regnard qui puiffe trouver des mots comme
celui- là . Aufli Despréaux qui a eu bien
fouvent raiſon , quoiqu'on en dife , répondit
à un homme qui traitoit Regnard
d'auteur médiocre ; il n'eft pas médiocrement
gai.
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
Regnard fe trompa , quand il crut que
Démocrite amoureux pourroit être un
perfonnage comique. Il eft épris de fa pupille
, à peu près comme Arnolphe l'eſt
de la fienne. Mais il s'en faut bien que fa
paffion ait des fymptomes auffi violens
& aufli marqués que celle d'Arnolphe ; il
ne fort presque jamais de la gravité philofophique
; il eft froid. Arnolphe eft fou
& fes accès font très - plaifans , c'eft- là cù
Molière excelle , à favoir jusqu'où un travers
dérange l'esprit , jusqu'où une paffion
renverfe une tête . Il va toujours aufli
loin que la nature . D'ailleurs la paffion
d'Arnolphe produit des incidens trèsheureux
. Celle de Démocrite ne produit
rien. Un mauvais roman acheve de gâter
l'ouvrage ; mais il y a une fcène du plus
grand mérite , une fcène vraiment comique
, celle de Strabon & de Cléanthis .
La diftraction n'eft point un caractère ,
une habitude morale ; c'eft un défaut de
l'esprit qui n'eft fusceptible d'aucun développement
, qui ne peut avoir aucun
but d'inftruction . Une diftraction reffemble
à une autre , & un homme peut être
diftrait vingt fois le jour fans être une
feule fois différent de lui - même . Auffi
la comédie du Diftrait n'eft qu'une fuite
MAR S. 1772 . 83
d'incidens plus ou moins plaifans , & la
piéce en général eft d'un effet médiocrę . ·
Le Retour imprévu eft une des plus jolis
actes que nous ayons . La Sérénade eft fort
inférieure . Les Folies amoureufes font dans
le genre de ces canevas italiens , où il y
a toujours un docteur trompé , un mariage
& des danfes . Nous obferverons à ce
fujet que Regnard effaïa fon talent comique
pendant environ dix ans fur le théâtre
italien. Il fit environ une douzaine de
piéces moitié italiennes , moitié françoifes
, tantôt lui feul , tantôt en fociété avec
Dufresni. Il avoit près de quarante ans
à pour quand il commença à travailler le
théâtre françois. Le voyage qu'il avoit
fait en Italie dans fa première jeuneffe ,
& la facilité qu'il avoit à parler la langue
du pays lui avoient fait goûter la gaîté
pantomime des Farces italiennes & le naturel
deleur dialogue . Il eft probable que
fes premiers travaux en ce genre influèrent
beaucoup fur fon goût & fur fa manière
d'écrire. On peut remarquer que
les François , nation beaucoup plus réĤéchiffante
que les Italiens & les Grecs ,
font les feuls qui aient établi la haute comédie
fur une bafe de philofophie morale.
La gefticulation & les largis font
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
plus de la moitié du comique italien ,
comme ils font la plus grande partie de
leur converfation & fouvent de leur efprit.
Regnard , célèbre par fes comédies ,
auroit pu l'être par fes feuls voyages . C'étoit
chez lui un goût dominant qui ne fut
pas toujours heureux ; mais ce goût étoit
fi vif qu'étant parti de Paris pour voir la
Flandre & la Hollande , il alla , en fe laiffant
toujours entraîner à fa paffion , d'abord
au- delà du Rhin jusqu'à Hambourg,
de Hambourg en Dannemarc , en Suéde
& de Suéde en Laponie . Un fimple motif
de complaifance pour le Roi de Suéde
qui le preffa de vifiter la Laponie , ou plu
tôt fa curiofité naturelle le conduifit jufques
fous le pôle , précisément au même
endroit où des favans ont été de nos jours,
fous les auspices du gouvernement , vérifier
des calculs mathématiques & déterminer
la figure de la Terre. Il fut accompagné
dans ce dernier voyage par deux
gentilshommes François qui avoient
voyagé en Afie , nommés l'un Fercourt
& l'autre Corberon . Arrivés à Torno qui
eft la dernière ville du monde du côté
du Nord , ils s'embarquerent fur le lac de
même nom qu'ils remonterent l'espace
de huit lieues , arriverent jusqu'au pied
MARS. 1772. 85
d'une montagne qu'ils nommerent Metavara
, & gravirent avec peine jusqu'au
fommet d'où ils découvrirent la Mer
Glaciale. Là ils graverent fur un rocher
cette inscription en vers latins qui ne feroient
pas indignes du fiécle d'Augufte.
Gallia nos genuit , vidit nos Africa , Gangem
Haufimus , Europamque oculis luftravimus om
nem .
Cafibus & variis a &ti terráque , marique
Siftimus hic tandem nobis ubi defuit orbis.
On peut les graduire ainfi.
Nés François , éprouvés par cent périls divers ,
Du Gange & du Zaïr nous avons vu les fources ,
Parcouru l'Europe & les mers.
Voici le terme de nos courfes ,
Et nous nous arrêtons où finit l'Univers.
Regnard n'avoit jamais été fur les bords
du Gange ; mais pour fon malheur il connoilloit
l'Afrique & la Grèce où il avoit
été esclave. L'amour fut la caufe de cette
disgrace. A fon fecond voyage d'Italie
Regnard rencontra à Bologne une Dame
Provençale qu'il appelle Elvire & dont
il nomme le mari de Prade . It conçut
pour elle une paffion très - vive ; & com86
MERCURE DE FRANCE.
me elle étoit fur le point de revenir en
France , il s'embarqua avec elle & fon
mari à Civitta Vechia fur une frégate angloife
qui faifoit route pour Toulon. La
frégate fut prife par deux vaiffeaux algériens
, & tout l'équipage mis aux fers &
conduit à Alger pour y être vendu . Regnard
fut évalué , on ne çonçoit pas trop
pourquoi , la moitié plas que fa maîtreffe,
ce qui pourroit faire naître des idées peu
avantageufes fur la beauté d'Elvire , quoique
Regnard la repréfente par- tout comme
une créature charmante. Leur patron
s'appelloit Achmet Talem. Il s'apperçut
que fon captif s'entendoit en bonne chère
; il le fit cuifinier. A l'égard d'Elvire ,
on ne dit pas ce qu'il en fit. Au bout de
quelque tems , Achmet eut affaire à
Conftantinople ; il y mena fes deux esclaves
dont il rendit la captivité très- rigoureufe
, jusqu'à ce que la famille de Regnard
lui fit toucher une fomme de douze
mille livres qui fervît à payer fa rançon,
celle de fon valet- de- chambre & de la
Provençale . Ils revinrent enfemble à Marfeille
. Pour comble de bonheur ils apprirent
la mort de Prade qui étoit demeuré
à Alger . Rien ne s'oppofoit plus à leur
union , & ils croyoient , après tant de traMARS.
1772. 87
verfes , toucher au moment le plus heureux
de leur vie , lorsque de Prade , que
l'on croyoit mort , reparut tout -à coup
avec deux religieux Mathurins qui l'avoient
racheté . Cette derniere révolution
renverfa toutes les espérances de Regnard,
& pour ſe diftraire de fes chagrins il fe
remit à voyager. C'eft alors qu'il tourna
fes pas vers le Nord . Il s'amufa depuis à
embellir toute cette aventure d'un vernis
romanesque , & il en compofa une nouvelle
intitulée la Provençale. Toutes les
règles du roman y font scrupuleufement
obfervées . Comme il eft le héros de fon
ouvrage , il commence par faire fon portrait
fous le nom de Zelmis , & foit à titre
de romancier , foit à celui de poëte ,
foit par la réunion de ces deux qualités ,
il fe dispenfe abfolument de la modeftie .
Voici comme il fe peint. Zelmis eft un
" cavalier qui plait d'abord ; c'eſt affez de
» le voir une fois pour le remarquer , &
» fa bonne mine eft fi avantageufe qu'il
» ne faut pas chercher avec foin des en-
» droits dans fa perfonne pour le trouver
» aimable ; il faut feulement fe défendre
» de le trop aimer. »
C
Paffe pour l'éloge , puisqu'il faut qu'un
héros de roman foit accompli ; mais la
88 MERCURE DE FRANCE.
bonne minequi est avantageufe & les endroits
de fa perfonne ne font pas une profe digne
des vers du Légataire & du Joueur . Tout
le refte eft écrit de ce ftyle. D'ailleurs
tout y eft monté au ton de l'héroïsme .
Elvire a bien plutôt la dignité romaine
que la vivacité provençale . Elle en impofe
d'un coup d'oeil à Muftapha le chef
des Pirates , qui a pour elle tout le respect
que des brigands Africains ont toujours
pour de jeunes captives. Le Roi d'Alger
(quoiqu'il n'y ait jamais eu de Roi à Alger
) fe trouve au port à la descente des
captifs , & ne manque pas de devenir
éperdument amoureux d'Elvire. Il l'amène
dans fon harem où fes rivales la
voient entrer en frémillant de jaloufie.
Toujours fidèle à fon amant , elle ſe refufe
à toutes les inftances du Roi qui , de
fon côté , ne brûle pour elle que
de l'amour
le plus pur & le plus respectueux ,
tel qu'il eft ordinairement dans le climat
d'Afrique. Elle parvient même à voir fon
amant , qui exerce dans Alger la profeffion
de peintre avec la permiffion de fon
patron . Ils concertent tous deux les
moyens de s'enfuir , & ils en viennent à
bout ; mais par malheur ils font renconwés
fur mer par un brigantin d'Alger qui
MARS. 1772 . 89
les ramène. Baba Hafan , c'eft le nom du
Roi d'Alger , ne fe fâche point du tout
de la fuite de la belle captive . Il finit même
par lui rendre la liberté , comme il
convient à un amant généreux . Elle retrouve
Zelmis dont la vie & la fidélité
ont auffi couru les plus grands dangers.
Deux ou trois favorites de fon maître
font devenues folles de lui ; il a fait la
plus belle défenſe ; mais , furpris avec une
d'elles , il fe voit fur le point d'être empalé
fuivant la loi mahométane , lorsque
le Conful de France interpofe fon crédit
& le délivre de ce danger & de l'escla
vage .
Tel eft le roman qu'a brodé Regnard
fur fa captivité d'Alger , & qui n'eft pas
plus mauvais que beaucoup d'autres . S'il
avoit écrit ainfi tous fes voyages , ils ne
feroient pas fort curieux . Ceux de Flandre
, de Hollande , d'Allemagne , de Pologne
, de Suéde ne contiennent guères
que des notions générales & fuperficielles.
Il n'eft peut-être pas inutile de remarquer
qu'au commencement de celui
de Flandres on trouve un exemple de ce
ton un peu avantageux que les prospérités
de Louis XIV avoient mis à la mode.
« Mons eft la capitale du Hainaut , & la
90 MERCURE DE FRANCE.
première qui reconnoiffe de ce côté la
domination espagnole , jusqu'à ce qu'il
plaife à la France de lui faire fentir fon
» joug. On peut juger que ce langage
qui étoit fort commun alors , n'auroit pas
contribué à nous faire aimer des autres
Nations , fi l'on n'eût pas remarqué d'ailleurs
que le François étoit porté plus qu'aucun
autre peuple à rendre juftice aux étrangers.
Le feul voyage de Regnard qui mérite
une attention particulière eft celui de Laponie.
C'eft le feul où il paroiffe avoir porté
plutôt l'oeil obfervateur d'un philofophe
que la curiofité diftraite d'un voyageur.
Peut-être la nature même du pays qui
étoit fort peu connu , & les moeurs extraordinaires
de fes habitans fuffifoient
pour attirer fon attention ; peut-être aufli
le defir de plaire au Roi de Suéde qui ne
l'avoit engagé à ce voyage que pour recueillir
les obfervations qu'il y pourroit
faire , le rendit plus attentif qu'il ne l'au
roit été naturellement ; & cet esprit cour
tifan que l'on prend toujours auprès des
Rois affervit pour un moment l'humeur
indépendante & libre d'un homme abſolument
livré à fes goûts , & qui fembloit
ne changer de lieu que pour le défaire du
tems.
MARS. 1772. 91
·
Quoiqu'il en foit , il décrit avec une
exactitude très détaillée tout ce que le
pays & les habitans peuvent avoir de remarquable
, foit qu'il ait tout vu par luimême
, foit qu'il ait confulté dans la rédaction
de fon voyage l'hiftoire de Laponie
écrite en latin par Joannes Tornaus ,
l'ouvrage le meilleur qu'on ait compofé
fur cette matière , & dont Regnard luimême
cite fouvent des paffages & attefte
l'autorité . Un des articles les plus curieux
eft celui de la forcellerie dons les Lapons
font grand ufage . Notte auteur va voir
un Lapon qui paffoit pour le plus grand
forcier du pays & qui prétendoit avoir un
démon à fes ordres qu'il pouvoit envoyer
à l'autre bout de l'Europe & faire revenir
en un moment. On le conjure bien vîte
de dépêcher fon démon en France pour
en rapporter des nouvelles . Le forcier a
recours à fon tambour & à fon marteau
qui font fes inftrumens magiques ; il fait
des conjurations & des grimaces , fe frappe
pe le vifage , fe met tout en fang ; mais
le diable n'en eft pas plus docile , &
l'on n'en a pas de nouvelles. Enfin
le forcier pouffé à bout avoue que fon
pouvoir commence à tomber depuis qu'il
eft vieux & qu'il perd fes dents ; qu'autrefois
il lui auroit été facile de faire co
92 MERCURE DE FRANCE .
qu'on lui demandoit , quoiqu'il n'eût jamais
envoyé fon démon plus loin que
Stockholm . Il ajoute que fi l'on veut lui
donner de l'eau de vie , il ne laiffera pas
de dire des chofes furprenantes . On l'enivre
d'eau- de vie pendant deux ou trois
jours , & nos voyageurs pendant ce tems
lui enlevent fes inftrumens magiques
fon tambour & fon marteau , qu'il pleure
amèrement comme Michas pleure la perte
de fes petits dieux , tulerunt deos meos.
Le tambour & le marteau n'étoient pour
tant pas des piéces affez curieufes pour
être rapportées en France , & ce n'étoit
pas la peine d'affliger ce bon Lapon &
de le priver du commerce de fon démon
familier.
Afon retour de Laponie en Suéde Regnard
paffe par Coperbérit , lieu renommé
par fes mines d'où l'on tire du fouffre
vif , du vitriol bleu & verd & des octaédres
, espéce de pierres donr on fait
cas dans le pays , taillées naturellement
en figure octogone . La description que
Regnard fait de ces mines eft animée &
pittoresque. On ne fera peut- être pas fàché
de la trouver ici.
C₁ On nous mena d'abord dans une
» chambre où nous changeâmes d'habit
MARS.
1772.
93
?
»
"
"
"
& primes un bâton ferré pour nous fou-
» tenir dans les endroits
dangereux . Nous
»
descendîmes enfuite dans la mine dont
» la
bouche est d'une largeur & d'une pro-
»
fondeur
furprenante. A peine voit on
» les
travailleurs dont les uns élèvent des
» pierres , les autres font fauter les ter-
» res , d'autres
allument des feux; chacun
» enfin a fon emploi différent . Nous def-
»
cendîmes dans le fond , & nous com-
»
mençâmes à
connoître que nous n'a-
» vions rien fait & que ce n'étoit qu'une
dispofition à de plus grands
travaux.
» Nos guides
allumèrent leurs
flambeaux
qui
avoient bien de la peine à
percer
les
ténébres épaiffes qui
regnoient dans
» ces lieux
fouterreins. On ne voit de
» tous côtés à perte de vue que des fujets
»
d'horreur , à la faveur de certains feux
»
fombres qui ne
donnent de
lumière
qu'autant qu'il en faut pour
diftinguer
ces objets affreux. La fumée vous of-
» fusque , le fouffre vous étouffe.
Joignez
» à cela le bruit des
marteaux & la vue
» de ces
ombres , de ces
malheureux qui
» font tous nus & noirs comme des dé-
» mons , & vous
ayouerez avec moi qu'il
n'y a rien qui
repréſente mieux l'enfer
» que ce tableau vivant . Nous
descendî-
»
94 MERCURE
DE
FRANCE
.
"
mes plus de deux lieues en terre par des
» chemins épouvantables ; tantôt fur des
» échelles tremblantes , tantôt fur des
" planches légères , & dans de continuel-
» les appréhenfions. Nous apperçûmes
» dans notre chemin quantité de pompes
"
"
qui élévoient l'eau , & des machines
» affez curieufes que nous n'eûmes pas le
» tems d'examiner... Mais quand il fal-
» lut remonter , le fouffre nous avoit tel-
» lement fuffoqués que ce fut avec des
» travaux inconcevables que nous regagnâmes
la première descente. Il fallut
» nous jetter à terre plufieurs fois , & les
» genoux nous manquant, on étoit obligé
» de nous porter fur les bras. Nous arrivâmes
enfin à la bouche de la mine ; ce
fut là que nous commençâmes à respi-
" rer comme une ame que l'on tireroit
» du purgatoire. Un objet pitoyable fe
préfenta pour lors à notre vue . On rap-
» portoit un de ces malheureux qui ven
و د
noit d'être bleffé par une petite pierre
» que la chûte de très - haut avoit rendu
» très -dangereufe . Ces pauvres gens ex-
» pofent leur vie à bon marché. On leur
>> donne feize fols par jour , & il y a en-
» viron fix ou fept cens hommes qui travaillent
continuellement à ces tra-
39
29
»`vaux. »
MAR S. 1772.
gran-
La mine d'argent qui eft à Salsbérit , à
95
deux
journées de
Stockholm , offre un
spectacle moins affreux . « Cette mine a
» trois larges
bouches ,
comme des puits
» dans lesquels on ne voit point de fonds .
» La moitié d'un tonneau
foutenu d'un
» cable fert
d'escalier pour
descendre dans
» cet abyme . Le cable eft attaché à une
» roue que l'eau fait mouvoir , foit pour
» monter , foit pour descendre. La
» deur du péril fe conçoit
aifement . On
» eſt à moitié dans un
tonneau dans lequel
» on n'a qu'une jambe . Un fatellite noir
» comme un diable , le flambeau à la
» main ,
descend avec vous &
entonne
»
triftement une
chanfon lugubre qui eft
faite exprès pour cette descente . Cette
» manière d'aller eft affez douce ; mais on
» ne laiffe pas d'être fort mal à fon aife ,
quand on fe voit au bout d'un cable ,
» dont la vie dépend . Quand nous fumes
» au milieu, nous
commençâmes à fentir
» un grand froid qui , joint aux torrens
» qui
tomboient de toutes parts , nous fit
» fortir de la
léthargie où nous étions.
» Nous
arrivâmes enfin au bout d'une de-
» mi - heure au fond de ce gouffre. La
» nos craintes
commencèrent à fe diffiper .
» Nous ne vîmes plus rien
d'affreux. Au
93
33
96 MERCURE
DE FRANCE
.
"3
"3
"
contraire
tout brilloit dans ces régions
Louterreines
, & après être descendus
» fort avant, foutenus
par des échelles ex-
» trêmement
hautes, nous arrivâmes
dans
» un fallon qui eft au fond de la mine
» foutenu de colonnes de ce précieux mé-
» tal. Quatre galeries spacieufes
y ve-
» noient aboutir , & la lueur des feux qui
» brûloient
de toutes parts& qui venoient
» frapper fur l'argent des voûtes & fur un
» clair ruiffeau qui couloit à côté , ne fer-
» voit pas tant à éclairer les travailleurs
qu'à rendre ce féjour plus magnifique
qu'on ne peut dire , & femblable
aux
» palais enchantés
de Pluton que les poë- » tes ont mis au centre de la terre où elle
» conferve
fes tréfors . On voit fans ceffe
» dans ces galeries des gens de toutes les
» nations qui recherchent
avec tant de
peine ce qui fait le plaifir des autres
» hommes. Les uns tirent des chariots ,
» les autres roulent des pierres , les au- » tres arrachent
le roc du roc , & tout le
» monde a fon emploi . C'eft uue ville
» fous une autre ville. Là il y a des caba-
» rets , des maifans , des écuries , des
» chevaux , & c. »
"
»
Nous terminerons
cet article en difant
un mot des poëfies diverfes de Regnard ,
qui
MARS. 1772.
97
qui ne font pas indignes qu'on y jette un
coup d'oeil. Ce font des fatyres & des épîtres
pleines d'imitations de Juvénal &
d'Horace & même de Boileau , & quelquefois
ces imitations font affez heureufes
; celle - ci par exemple , d'après ces
vers d'Horace , Pauper Opimius , & c.
Oronte pâle , étique & presque diaphane
Par les jeunes cruels auxquels il fe condamne ,
Tombe malade enfiu ; déjà de toutes parts
Le joyeux héritier promène fes regards ;
D'un ample coffre fort contemple la figure ,
Et perce de les yeux les ais & la ferrure.
Uu avide Esculape en cette extrémité ,
Au malade aux abois annonce la ſanté ,
S'il veut prendre un fyrop que dans fa main il
porte :
Que coûte-t'il , lui dit l'agonifant. Qu'importe ?
Qu'importe , dites - vous : je veux lavoir combien
.
Peu d'argent , lui dit- il . Mais encor . -Presque
rien.
Quinze fols. Jufte Ciel ! quel brigandage extrême
!
On me tue , on me vole , & n'est- ce pas le même }
De mourir par la fièvre ou par la pauvreté , &c.
Une des premières piéces de la jeuneſſe
E
98 MERCURE DE FRANCE:
de Regnard eft une épître à Quinault , ou
Boileau eft cité avec éloge . C'eft bien la
la franchiſe étourdie d'un jeune homme.
Refte à favoir fi elle fut du goût de Quinault.
Une autre épître eft adreffée à ce
même Despréaux à la tête de la comédie
des Ménechmes. Regnard fe brouilla de´
puis avec lui , répondit affez mal à la fatyre
contre les femmes par une fatyre
contre les maris , & en fit une contre lui,
intitulée le Tombeau de Boileau , dans laquelle
il y a des traits dignes de Boileau
lui - même. Il fuppofe que ce grand ſatyriqne
vient de mourir du chagrin que lui
a caufé le mauvais fuccès de fes derniers
écrits.
Mes yeux ont vû paffer dans la place prochaine
Des menins de la mort une bande inhumaine.
De pédans mal vêtus un bataillon crotté
Descendoit à pas lents de l'Univerfité.
Leurs longs manteaux de deuil traînoient jusques
à terre ;
A leurs crêpes flottans les vents faifoient la guer
re,
Et chacun à la main avoit pris pour flambeau ,
Un laurier jadis verd pour orner un tombeau.
J'ai vû parmi les rangs , malgré la foule extrê
me,
MARS .
99 1772.
De maint auteur dolent la face féche & blême ,
Deux Grecs & deux Latins escortoient le cercueil
Et le mouchoir en main Barbin menoit le deuil .
Ce dernier vers eft très- plaifant. Regnard
rapporte les dernières paroles de
Boileau , adreffées à fes vers .
O vous , mes triftes vers , noble objet de l'envie ,
Vous dont j'attends l'honneur d'une feconde vie ,
Puiffiez- vous échapper au naufrage des ans ,
Et braver à jamais l'ignorance & le tems.
Je ne vous verrai plus ; déjà la mort affreuſe ,
Au tour de mon chevet étend une aîle hideuſe.
Mais je meurs fans regret dans un tems dépravé ,
Où le mauvais goût règne & va le front levé ,
Où le Public ingrat , infidèle , perfide ,
Trouve ma veine ufée & mon ſtyle infipide.
Moi , qui me crus jadis à Regnier préféré ,
Que diront nos neveux ? Regnard m'eſt comparé
;
Regnard qui fi long- tems du couchant à l'aurore ,
Erra chez le Lapon ou rama fous le Maure ;
Lui qui ne fut jamais ni le grec , ni l'hébreu ,
Quijouajour & nuit, fit grand'chère& bon feu, &c.
Du Couchant à l'Aurore n'eft pas trop
bien placé avec le Maure & le Lapon qui
font au Nord & au Midi. Mais obfervons
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
plutôt que Regnard paroît reprocher à
Boileau d'avoir été jaloux de fa réputation
. Ils ne travailloient pourtant pas dans
le même genre . Au furplus on à oublié
ces querelles de l'amour - propre , & l'on
ne fe fouvient que des productions de
leur génie.
Les Pélopides , tragédie de M. de Voltaire.
A Genève ; & fe trouve à Paris ,
chez Valade , libraire , rue St Jacques ,
vis à vis la rue de la Parcheminerie.
Un avis de l'éditeur nous apprend que
ce nouveau drame du Sophocle François
eft tiré de l'édition de fes ouvrages que
l'on imprime actuellement à Lauſanne
chez Graffer. On trouve avant la pièce
un fragment de lettre relatif au fujet des
Pelopides , qui n'eft autre chofe que celui
d'Atrée & Thiefte , traité par M. de
Crébillon . Ce fragment , ainfi que tous
les morceaux de critique du même auteur
, eft trop curieux pour n'être pas infé
ici , au devant de l'analife que nous allons
faire de la tragédie.
« Je n'ai jamais cru que la tragédie dût
» être à l'eau rofe. L'églogue en dialo-
» gues , intitulée Bérénice , à laquelle
» Madame Henriette d'Angleterre fit traMARS.
1772 . ΙΟΣ
» vailler Corneille & Racine , étoit indi-
» gne du théâtre tragique. Aufli Corneil-
» le n'en fit qu'un ouvrage ridicule ; &
» ce grand maître Racine eut beaucoup
» de peine avec tous les charmes de fa di-
» ction éloquente , à fauver la ftérile pe-
» titelle du fujet . J'ai toujours regardé la
» famille d'Atrée depuis Pélops jufqu'à
Iphigénie comme l'attelier où l'on a dû
forger les poignards de Melpomène.
» Il lui faut des paflions furieuſes , de
grands crimes , des remords violens. Je
» ne la voudrais ni fadement amoureuſe ,
» ni raiſonneufe ; fi elle n'eft pas terrible ,
» fi elle ne transporte pas nos ames , elle
» m'eft infipide.
33
»
» Je n'ai jamais conçu comment ces
» Romains qui devaient être fi bien inf-
» truits par la poëtique d'Horace , ont pu
» parvenir à faire de la tragédie d'Arrée &
» de Thiefte une déclamation fi plate & fi
» faftidieufe . J'aime mieux l'horreur dont
» Crébillon a rempli fa pièce .
"
" Cette horreur aurait fort réuffi fans
» quatre défauts qu'on lui a reprochés . Le
premier c'eft la rage qu'un homme
» montre de fe venger d'une offenfe qu'on
» lui a faite il y a vingt ans. Nous ne nous
» intéreffons à de telles fureurs , nous ne
و ر
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ود
» les pardonnons que quand elles font
» excitées par une injure récente , qui doit
» troublerl'ame de l'offenfé , & qui émeut
» la nôtre.
"3
"
39
» Le fecond c'eft qu'un homme qui , au
premier acte , médite une action détef-
» table , & qui fans aucune intrigue , fans
» obftacle & fans danger l'exécute au cinquième
, eft beaucoup plus froid encore
qu'il n'eft horrible ; & quand il mangerait
le fils de fon frère & fon frère
» même tout cruds fur le théâtre , il n'en
» ferait
que plus froid & plus dégoûtant ,
» parce qu'il n'a aucune paffion qui ait
touché , parce qu'il n'a point été en péril
, parce qu'on n'a rien craint pour lui ,
» rien fouhaité , rien fenti .
39
"
"
Inventez des reflorts qui puiffent m'attacher.
BOIL.
» Le troisième défaut eft un amour inutile
qui a paru froid , & qui ne fert ,
» dit- on , qu'à remplir le vuide de la
» piéce.
و د
» Le quatrième vice & le plus révoltant
» de tous eft la diction incorrecte du poë-
» me. Le premier devoir quand on écrit
» eft de bien écrite. Quand votre piéce
» ferait conduite comme l'Iphigénie de
1
MARS . 1772 : 103
» Racine , les vers font-ils mauvais , vo-
» tre piéce ne peut être bonne.
"
» Si ces quatre péchés capitaux m'ont
» toujours révolté , fi je n'ai jamais pû
» en qualité de prêtre des mufes , leur
» donner l'abſolution , j'en ai commis
vingt dans cette tragédie des Pélopides .
» Plus je perds de tems à compofer des
piéces de théâtre , plus je vois combien
» l'art eft difficile . Mais Dieu me préfer-
» ve de perdre encore plus de tems à re-
» corder des acteurs & des actrices . Leur
» art n'eſt
و د
poësie . »
pas moins rare que celui de la
Il nous paroît difficile de répondre aux
quatre objections contre la tragédie d'Atrée
, faites depuis long - tems par tous les
gens de lettres les plus éclairés . Mais il
faudroit être injufte pour ne pas y reconnoître
en même tems des beautés tragiques
& des traits de force qui décéloient
déjà l'homme qui s'eft élevé jusqu'à Rhadamifthe.
Il y a de la profondeur dans le
caractère d'Atrée , de l'intérêt & de la
terreur dans la fcène où il reconnoît fon
frère , de l'art même dans la manière dont
la feconde réconciliation eft amenée
quoique cet art , fenti des connoiffeurs ,
n'ait point d'effet théâtral . Le grand mal
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
eft que le rôle de Thiefte eft purement
paffif , que rien ne traverſe la vengeance
d'Atrée , qu'il retourne à fon gré le malheureux
qu'il tient fous fes pieds pour
voir de quel côté il enfoncera le poignard ,
& qu'il n'y a point d'intérêt entre deux
perfonnages dont l'un n'eft que bourreau
& l'autre n'eft que victime . M. de Crébillon
dit , dans fa préface , je ne crois pas
qu'on puiffe mettre fur la fcène tragique
un tableau plus parfait que celui de la
fituation où fe trouve le malheureux Thiefte
, livré fans fecours à la fureur du plus
barbare de tous les hommes.
En cherchant à nous inftruire avec nos
maîtres & en confervant tout le respect
qu'on doit à un homme de génie , nous
oferons remarquer que cette phrafe fait
voir précisément en quoi confiftoit l'er
reur de M. Crébillon qui peut être à fes
grands talens naturels n'avoit pas joint
affez de réf.xions fur fon art . S'il avoit
eu ce goût éclairé qui nous inttruir fur
nos propres ouvrages , quand le feu de la
compofition eft paffé , il auroit vu que
c'eft précisément parce que Thiefte eft livréfans
fecours , que fon rôle n'eft point
théâtral ; que ce n'eft point affez d'être
malheureux pour être dramatique ; qu'il
MARS. 1772. 105
faut être agiflant & paffionné ; que la pitié
ne fe foutient que par la curiofité , la
crainte & l'espérance , & par des révolu
tions fur la fcène qui en produifer.t dans
nos coeurs. Voilà ce qui eft très - aifé à
concevoir avec un peu de réflexion , trèsdifficile
à exécuter même avec de grands
talens , & ce qu'un fiécle & demi de lumières
a pu apprendre à ceux même qui
feroient bien loin de pouvoir faire ne
fcène de Rhadamifthe . Venons aux Pélopides
.
Hippodamie
Thiefte , ouvre la fcène avec le vieillard
Polémon qui a élevé leur enfance . Elle
lui parle dans le parvis d'un temple d'Argos,
où s'eft retirée Erope depuis qu'elle
a été enlevée par Thiefte à l'autel même.
où elle alloit époufer Atrée . Ce parvis.
eft le lieu de la fcène pendant toute la
pièce . Hippodamie déplore fes malheurs
& ceux qui menacent les enfans . Argos
eft depuis un an le théâtre de la guerre
civile entre les deux frères , & de tous
les fléaux qui accompagnent la discorde .
On eft las enfin de tant de maux & de
combats. Le fénat popofe de les terminer.
On veut que Thiefte remette Ærope
entre les mains d'Atrée , qu'il accepte
mère d'Atrée & de
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
Micére pour fon partage &lui laifleArgos ;
on fuppofe qu'il a toujours respecté Ærope
, qu'il fe repent de fes attentats & que
l'intérêt des peuples, les larmes de fa mère
& fes propres remords ne lui permettront
pas de fe refufer à ce traité fi équitable.
Telles font les espérances de Polémon
; mais Hippodamie ne s'y livre qu'avec
peine. Elle fe défie du caractère des
deux frères & de la fatalité attachée au
fang des Pélopides .
Ils fe haïffent trop ; Thiefte eft trop coupable.
Le fombre & dur Atrée eft trop inexorable .
Aux autels de l'hymen , en ce temple , à mes
yeux ,
Bravant toutes les loix , outrageant tous les
dieux ,
Thiefte n'écoutant qu'un amour adultère ,
Ravit entre mes bras la femme de fon frère;
A garder la conquête il ofe s'obftiacr.
Je connois bien Atrée ; il ne peut pardonner.
Ærope au milieu d'eux , déplorable victime
Des fureurs de l'amour , de la haine & du crime ,
Attendant fon deftin du deftin des combats ,
Voit encor fes beaux jours entourés du trépas.
Et moi , dans ce faint temple où je fuis retirée ,
Dans les pleurs , dans les cris , de terreurs dévo-
τές ,
MARS. 1772 . 107
Tremblante pour eux tous , je tends ces foible
bras
A des dieux irrités qui ne m'écoutent pas.
Polémon fort pour aller au fénat . Erope
entre fur la fcène en pleurant , & embraffe
Mégare fa nourrice ; elle lui dit au
fond du théâtre :
Va , te dis - je , Mégare , & cache à tous les yeux
Dans ces antres fecrets ce dépôt précieux.
Mégare fort. Erope joint fes larmes à
celles d'Hippodamie , fans s'expliquer fur
Thiefte . Elle espère quelque chofe des
foins de Polémon. Hippodamie lui répond
:
J'attends beaucoup de lui ; mais malgré tous fes
foins
Mes transports douloureux ne me troublent pas
moins.
Je crains également la nuit & la lumière ;
Tout s'arme contre moi dans la nature entière ;
Et Tantale & Pélops & mes deux fils & vous ,
Les enfers déchaînés , & les dieux en courroux ,
Tout préfente à mes yeux les fanglantes images
De mes malheurs paffés & des plus noirs préfages.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Le fommeil fuit de moi ; la terreur me pourſuit;
Les fantômes affreux , ces enfans de la nuit ,
Qui des infortunés affiégent les pensées ,
Impriment la terreur dans mes veines glacées.
D'OEnomais mon père on déchire le flanc ;
Le glaive eft fur ma tête, on m'abreuve de fang ;
Je vois les noirs détours de la rive infernale ,
L'exécrable feftin que prépara Tantale ,
Son fupplice aux enfers & ces champs déſolés
Qui n'offrent à la faim que des troncs dépouillés
.
Je m'éveille mourante aux cris des Euménides ;
Ces muis ont retenti du nom des parricides ;
Ah fi mes fils favoient tout ce qu'ils m'ont
coûté ,
Ils maudiroient leur haine & leur férocité.
Ils tomberoient en pleurs aux pieds d'Hippodamie.
Quand on fonge que ces vers font d'un
vieillard prefque octogénaire , on ne fort
point d'étonnement & d'admiration .
Mégare rentre épouvantée & s'écrie que
les deux frères font aux mains. Ærope &
Hippodamie fortent éperdues . C'eft la fin
du premier acte .
Elles rentrent au fecond avec Polémon.
On a féparé les combattans . Le respect
pour les miniftres des loix en a impofé
MARS. 1772. 109
aux deux rivaux. On fe flatte plus que
jamais d'un accord entre eux . Thiefte paroît.
Erope fort en le voyant . Il s'excufe
devant Hippodamie & Polémon qui l'exhortent
à réparer fes fautes.
Lorsqu'à de tels excès fe laiffant emporter ,
On fuit des paffions l'empire illégitime ,
Quand on donné aux fujets les exemples du crime,
On leur doit , croyez - moi , celui du repentir.
La Gréce enfin s'éclaire & commence à fortir
De la férocité qui dans nos premiers âges
Fit des coeurs fans juſtice & des héros ſauvages.
On n'eft rien fans les moeurs . Hercule eft le premier
Qui marchant quelque fois dans ce noble fentier ,
Ainfi que les brigands ofa dompter les vices.
Son émule Thétée a fait des injuftices ;
Les crimes de Tidée ont fouillé (a valeur.
Mais bientôt leur grande ame abjurant leur erreur
,
N'en aspiroit que plus à des vertus nouvelles.
Ils ont réparé tout ; imitez vos modèles.
Thiefte ſe juſtifie autant qu'il le peut.
Je ne m'excufe point , devant vous condamné ,
Sur l'exemple éclatant que vingt Rois m'ont
donné ,
Sur l'exemple des Dieux dont on nous fait descen
dre ;
110 MERCURE DE FRANCE.
Votre aoftère vertu dédaigne de m'entendre.
Je vous dirai pourtant qu'avant l'hymen fatal
Que dans ces lieux facrés célèbra mon rival ,
J'aimois , j'idolâtrois la fille d'Euristée ;
Que par mes voeux ardens long - tems follicitée ,
Sa mère dans Argos cût voulu nous unir , & c .
Hippodamie infifte toujours pour remettre
Erope entre les mains d'Atrée.
Elle déclare que c'eft le feul parti qu'il
puiffe prendre , elle le quitte. Thiefte ,
après un court monologue , demande à
Mégare , qui paroît , des nouvelles de fon
fils . On lui répond qu'il eft caché dans
un afyle sûr ; mais que rien ne peut calmer
les alarmes de fa mère. Cette mère
tremblante vient elle - même exhaler fa
douleur & fon défespoir dans le féin de
fon époux . Thiefte l'eft quoiqu'on l'ignore.
Elle demande s'il eft vrai , s'il eſt
poffible qu'on la remette entre les mains
d'Arrée . Thiefte eft bien loin d'y conſentir.
Cependant Polémon vient annoncer
l'arrivée d'Atrée. Il eft tems d'exécuter
les conditions de la paix . Thiefte déclare
que cet effort eft au deffus de lui ; qu'il
ne peut s'y réfoudre . Le vieillard fort
indigné. Erope ne voit d'autre refuge
pour elle que la mort. Elle fort dans les
larmes.
MAR S. 1772. III
Attée paroît entin au troifième acte avec
Hippodamie , Polémon , fon confident
Idas , & fuivi du peuple , des prêtres , des
gardes , &c. Hippodamie s'applaudit d'une
paix qu'elle croit certaine .
Thiefte avant la nuit partira pour Micène.
J'ai vu s'éteindre enfin les flambeaux de la haine ,
Dans ma trifte maifon fi long-tems allumés ,
J'ai vu mes chers enfans paisibles , défarmés ,
Dans ce parvis du temple étouffant leur querelle ,
Commencer dans mes bras leur concorde éternelle.
Vous en ferez témoins , vous peuples réunis ,
Peuple qui m'écoutez ; dieux long - tems enne
mis ,
Vous en ferez garans ; ma débile paupière
Peut fans crainte à la fin s'ouvrir à la lumière .
J'attendrai dans la paix un fortuné trépas .
Me derniers jours font beaux ; je ne l'espérois
pas .
Atrée , toujours morne & fombre , ne
répond que par des ordres qui marquent
fa défiance. Il demande où eft fon époufe.
On lui dit qu'elle eft entre les mains
des prêtreffes. Sa mère le quitte affligée
de l'accueil qu'elle en reçoit. Il ne traite
pas mieux Polémon qui lui reproche fa
dureté. Enfin il refte avec Idas . C'eft à
112 MERCURE DE FRANCE.
lui qu'il confie les foupçons & les fureurs
dont il efttourmenté . Il ne fait encore jusqu'où
Thiefte a pouflé l'outrage, il ne fait fi
lui même eft encore amoureux d'Ærope.
Hippodamie rentre pour lui apprendre
qu'Erope , laffe d'être un flambeau de
discorde entre les deux frères , vient de
fe confacrer aux dieux par des voeux folemnels
. Elle ajoute qu'elle a cru devoir
imiter cet exemple & prononcer les mêmes
voeux. La réponſe d'Atrée est belle.
A cet affront nouveau je ne m'attendois pas .
Ma femme ole en ces lieux s'arracher à mes bras!
Vos autels , je l'avoue , ont de grands privileges.
Thiefte les fouilla de fes mains facriléges.
Mais de quel droit Erope ofe- t - elle y porter
Ce téméraire voeu qu'ils doivent rejetter ?
Par des voeux plus facrés elle me fut unie :
Voulez - vous que deux fois elle me foit ravie ?
Tantôt par un perfide & tantôt par les dieux ?
Ces voeux fi mal conçus , ces fermens odieux ,
Au Roi comme à l'époux font un trop grand outrage.
Vous pouvez accomplir le voeu qui vous engage.
Ces lieux faits pour votre âge , au repos coníacrés
,
Habités par ma mère , en feront honorés.
Mais Erope eft coupable en fuivant votre exem
ple
MARS. 113 1772 .
Arope m'appartient & non pas à ce temple.
Ces dieux , ces mêmes dieux qui m'ont donné fa
foi ,
Lui commandent fur tout de n'obéir qu'à moi.
Est -ce donc Polémon , ou mon frère ou vousmême
Qui penfez la fouftraire à mon pouvoirfuprême ?
Vous êtes-vous tous trois en fecret accordés
Pour détruire une paix que vous me demandez ?
Qu'on rende mon époule au maître qu'elle offenfe
;
Et fi l'on m'a trahi qu'on craigne ma vengeance.
Hippodamie ne peut fe refuſer à de fi
juftes raifons. Elle l'affure que puisqu'Erope
lui eft encore chère , elle lui fera
rendue. Atrée paroît s'appaifer. Il fort en
difant ces mots ;
Je vais preffer la fête , & je la crois heureuſe.
Si l'on m'avoit trompé , je la rendrois affreuse.
Thiefte paroît avec A ope à l'ouverture
du quatrième acte. Il ne s'oppoſe
pas moins qu'Atrée à fes projets de retraite
. Il en arrache l'aveu de l'amour
qu'elle a pour lui , & qu'elle ne lui avoit
jamais avoué même au milieu des foiblaffes
qui avoient été la fuite de fon en114
MERCURE DE FRANCE .
lévement . Thiefte , transporté de cet
aveu , fe prépare à mettre tout en ufage
pour garder la conquête . Il fort . Polémon fa
vient conjurer Erope d'engager Thieſte
à s'éloigner d'Argos. La paix ne peut être
fûre qu'après fon départ . Erope répond
en termes vagues & obscurs. Le moment
de l'entrevue fatale approche . Il faut voir
Atrée. Elle tombe à fes pieds .
La lumière à mes yeux femble fe dérober.
Seigneur , votre victime à vos pieds vient tomber.
Levez le fer , frappez ; un plainte offenfante
Ne s'échappera pas de ma bouche expirante.
Je fais trop que fur moi vous avez tous les droits ,
Ceux d'un époux , d'un maître & des plus faintes
loix.
Jeles ai tous trahis ; & quoique votre frère
Opprimât de les feux l'esclave involontaire ,
Quoique la violence ait ordonné mon fort ,
L'objet de tant d'affronts a mérité la mort.
Atrée , après quelques reproches , la
preffe de s'expliquer nettement.
Abjurez -vous un traître ?
Aux pieds des immortels remiſe entre mes bras ,
M'apportez-vous un coeur qu'il ne mérite pas ?
MAR S. 1772 : ITS
ÆROPE.
Je ne faurois tromper , je ne dois plus mè taire.
Mon deftin pour jamais me livre à votre frère.
Thiefte eft mon époux.
ATRÉE.
lui !
EROPE.
Les dieux ennemis
Eternifent ma faute en me donnant un fils.
Elle demande grace pour ce fils . Atrée
renferme toute fa rage , raffure rope
avec un calme affecté , un fang froid con
traint. L'aveu qu'elle a fait lui fuffit . Il
va la rendre à ſon époux. Il parle de fon
fils.
Cet enfant de Thiefte eft fans doute en ces lieux ?
EROPE.
Mon fils... eft loin de moi... fous la garde des
dieux .
ATRÉE.
Quelque lieu qui l'enferme, il fera fous la mienne.
Erope le quitte en tremblant. Atrée
développe toute fon ame dans le monologue
qui fuit.
116 MERCURE DE FRANCE.
Enfin de leurs complots j'ai connu la noirceur .
La perfide , elle aimoit fon lâche ravifleur.
Elle me fuit , m'abhorre , elle eft toure à Thiefte.
Du faint nom de l'hymen ils ont voilé l'inceſte.
Ils jouiffent en paix du fils qui leur eft né ;
Le vil enfant du crime au trône eft deſtiné .
Tu ne goûteras plus , race impure & coupable
Le fruit des attentats dont l'opprobre m'accable .
Par quel enchantement , par quel preftige affreux
Tous les coeurs contre moi le déclaroient pour
cux !
Polémon réprouvoit l'excès de ma colère ;
Une pitié crédule avoit féduit ma mère.
On flattoit leurs amours , on plaignoit leurs douleurs
;
On étoit attendri de leurs perfides pleurs.
Tout Argos favorable à leurs lâches tendrefles
Pardonne à des forfaits qu'on appelle foibleſſes ;
Et je fuis la victime & la fable à la fois
D'un peuple qui méprife & les moeurs & les loix !
Je vous ferai frémir , Gréce légère & vaine ,
Déteftable Thicfte , infolente Micène.
Soleil qui vois ce crime & toute ma fureur
Tu ne verras bientôt ces lieux qu'avec horreur.
Ceflez , filles du Styx , ceffez troupe infernale ,
D'épouvanter les yeux de mon ayeul Tantale.
Sur Thiefte & fur moi venez vous acharner ;
Paroiflez , dieux vengeurs , je vais vous étonner.
MARS.
1772.
117
Thiefte fe retrouve au cinquième acte
avec Erope & Hippodamie. Il eſt trompé
par la feinte douceur d'Atrée . Hippodamie
n'a pas plus de foupçons fur lui. La
paix va bientôt être jurée aux autels fur
la coupe de Tantale. Hippodamie eft furtout
impatiente de voir fon petit- fils , le
fils d'Erope. Ærope , quoiqu'à regret ,
donne ordre à Mégare d'aller le chercher.
Un moment après Atrée paroît. Tout fe
dispofe pour la cérémonie. Hippodamie
demande la coupe . Mégare rentre en jettant
de grands cris . Des foldats ont faifi
dans fes bras le fils de Thiefte.
THIEST E.
Ah ! mon frère , eft- ce ainfi que ta foi
Se conferve à nos dieux , à tes fermens , à moi ?
Ta main tremble en touchant à la coupe facrée.
ATRÉE.
Tremble encor plus , perfide , & reconnois Atrée.
EROPE.
Dieux ! quels maux je reflens ! ô ma mère ! ômon
fils !
Je me meurs...
A
TRÉE.
Tu meurs , indigne Erope , & tu mourras Thiefte
118 MERCURE DE FRANCE.
Ton déteitable fils eft celui de l'incefte ;
Et ce vafe contient le fang du malheureux ;
J'ai voulu de celang vous abreuver tous deux.
La nuit fe répand fur lascène & on en
tend le tonnerre.
ATRÉE tire fon épée.
Ce poifon m'a vengé ; glaive , acheve .
Les deux frères veulent fe précipiter
l'un fur l'autre l'épée à la main. Idas &
Polémon les féparent .
THIAST E.
Je ne puis t'arracher ta vie abominable.
Va , je finis la micane.
Il fe tue & Atrée invoque les enfers &
les Euménides .
Nous ne porterons aucun jugement fur
cette tragédie. M. de Voltaire ne doit
avoir pour juge que la voix publique &
celle de la postérité . *
Les quatre articles précédensfont de M. dela
Harpe.
Le Spectateur François pour fervir de
fuite à celui de M. de Mariveaux ,
journal compofé de quinze cahiers de
trois feuilles qui paroiffent dans le
MARS. 1772. 119
cours de l'année . On fouscrit pour cet
ouvrage chez Lacombe & chez la V.
Duchesne. Le prix de la fouscription
eft de 9 liv . pour Paris , & de 12 liv .
pour la province .
Nous avons déjà annoncé cet ouvrage
en rendant compte des premières feuilles
qui ont paru , nous avons dit combien
un journal qui avoit pour objet de préfenter
le tableau des moeurs du fiécle ;
d'en attaquer les ridicules , de faire defcendre
l'homme dans fon coeur pour lui
en découvrir les mouvemens les plus fecrets
, devoit paroître utile & intéreffant ,
Faire agir une multitude de perfonnages ,
conferver à chacun d'eux le ton qui lui eft
propre , répandre de l'enjouement fur la
vérité & adoucir fes traits , faire goûter à
la folie même les leçons de la fageffe ;
voilà ce que les auteurs du Spectateur
François fe font propofés.
Dans les trois volumes qu'ils viennent
de donner & qui complettent les quinze
cahiers annoncés par leur profpectus , nous
avons remarqué plufieurs discours écrits.
avec chaleur & femés d'idées neuves &
philofophiques ; mais ce qui donne à cet
ouvrage un intérêt plus varié , ce font leg
lettres adreflées au Spectateur.
120 MERCURE DE FRANCE.
Celle d'un homme opulent qui s'eft
marié avec une jolie femme dans l'espoir
de jouir de fa préfence , de l'entretenir
de fon amour , & qui ne la voit que pour
lui donner de l'argent , parce qu'elle eft
toujours emportée par le plaifir ou environnée
de tout de qui peut amufer ſa vanité
, nous a paru d'une vérité frappante.
Nous n'avons pas lu avec moins de
plaifir la lettre d'une jeune Demoiselle
que la jaloufie de fa mère retient avec fa
foeur éloignée du grand monde. Celle
d'une Demoiselle qui s'ennuie d'être fille
& qui a trouvé le moyen de multiplier
les mariages , préfente des idées affez agréa
bles .
M. le Spectateur , j'ai vingt fix ans &
je fuis encore fille . Je commence à craindre
de l'être toute mavie . Il feroir , je le
fai , plus honnête de ne me pas plaindre
d'un état qui eft celui de tant d'autres ;
mais , Monfieur , la nature m'a donné un
coeur & des fens , pourquoi faut il que je
leur impofe filence ? respectez les préjugés
, me dira- t on . Hélas ! c'eft parce que
je les refpecte que je fuis à plaindre . Tant
d'hommes me répétent que je fuis aimable
& paroiflent le fentir ; les uns atten-
'dent la mort d'un riche parent pour m'offrit
MARS. 1772. 121
frir une fortune digne de ma beauté , de
ma naiffance . Les autres ne defirent
avant de demander ma main , que la récompenfe
de leur bravoure & la preuve
apparente de leur fervice . Pendant ce
tems mon coeur s'épuife en espérance , &
je fuis toujours comptée au nombre de ces
inutiles créatures que l'infortune a condamnées
au célibat. J'entends tous les
jours dire à mes oreilles : quel dommage
de refter fille avec tant de graces , avec un
naturel fi doux , fi honnête ! une vieille
tante qui n'a que des confeils à me donner
, me fait quelque fois envifager le
couvent comme la feule retraite qui convienne
à une Demoiſelle bien née & qui
n'eſt pas riche. Hélas ! je ne ferai pas plutôt
renfermée dans ce trifte afyle que tous
les humains m'oublieront. Mes charmes
fe flétriront dans l'ennui ; peut être feraije
affez malheureufe pour festir mon coeur
furvivre à ma beauté ; alors mes defirs feront
ma honte ; je n'aurai plus qu'à rougird'un
fentiment que la nature a mis dans
tous les êtres pour adoucir leur peine , &
leur faire chérir la vie . C'eft pour éloigner
cet effroyable avenir que je me fuis
occupée du moyen de multiplier les mariages.
J'espère , Monfieur , que l'intérêt
F
122 MERCURE DE FRANCE.
que vous prenez à ces jeunes veftales qui
nourriffent dans leur ame agitée un feu
qu'elles n'ofent éteindre vous engagera à
publier mon projet . Puiffe t il n'avoit pas
le fort de tant d'autres & refter inutile
pour celle qui le propofe ».
Nous avons été très- fatisfait de l'entretien
du Spectateur avec un mendiant
qui prend tous les riches pour fes débiteurs
& qui leur apparoît tantôt fous l'habit
d'un gentilhomme ruiné au fervice ,
quelque fois fous celui d'un pauvre précep
teurdont tous les élèves ont été des ingrats,
La première feuille qui paroît de cette
année eft écrite avec le même ton d'enjouement
, de vérité & de philofophie.
Nous engageons les auteurs à continuer
cet ouvrage qu'ils favent rendrent tous
les mois plus intéreffans & qui pourroit
un jour leur donner la célébrité dont
jouiffent encore les écrivains qui ont travaillé
au Spectateur Anglois
Les Souscripteurs qui n'ont point renouvellé
leur fouscription font priés d'en
faire parvenir le prix au Sieur Lacombe ,
libraire, qui délivrera les trois volumes de
l'année 1771 à ceux qui n'ont pas
fouscri.
MARS. 1772. 123
Leçons hebdomadaires de la Langue ita
lienne , à l'ufage des Dames , fuivies de
deux vocabulaires , d'un recueil des
fynonimes françois de l'Abbé Girard ,
appliqués à cette langue ; d'un discours
fur les lettres familières , & d'un précis
des règles de la verfification italienne ;
dédiées aux Dames Françoifes , par M.
l'Abbé Bencirechi , Toscan , de l'académie
des Apatiftes de Florence ', de
celle des Arcades de Rome , & profeffeur
de langue italienne . A Paris , chez
la V. Ravenel , libraire , cloître Saint
Germain l'Auxerrois ; Fétil , libraire ,
rue des Cordeliers ; vol . in - 12 . Prix ,
2 liv. 10 f. broché.
M. l'Abbé Bencirechi a dédié fa nouvelle
méthode aux Dames Françoifes ,
parce qu'en effet la langue italienne , par
fa mélodie , fa douceur , fon accent mufical
, l'agrément de fes diminutifs eft
proprement la langue des Dames , de celles
fur-tout qui s'adonnent à la musique
vocale. Cette méthode eft d'ailleurs débaraffée
de toutes les épines qui pourroient
rebuter l'esprit vif & léger des jeunes
élèves . L'inftruction ne leur eft ici
préfentée que par forme d'entretiens ; &
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
pro . comme l'expérience a prouvé au zélé
feffeur que la pratique des verfions eft la
plus facile & la plus fûre pour parvenir à
parler promptement une langue , il a foin
de diftribuer à la fin de chacune de fes
leçons des fujets de thémes ou verfions
auffi utiles qu'agréables par le choix . Des
vocabulaires exactes , divers traités fur la
poësie , & la formule des complimens &
l'application que fait l'auteur des fynonimes
françois de l'Abbé Girard à la langue
italienne contribueront encore à rendre
ces leçons d'une utilité plus générale &
plus propre à faire connoître le génie particulier
de la langue italienne.
Pièces dramatiques du Théâtre François ,
traduites en italien par Mlle Elifabeth
Caminer , & propofées par fouscription.
A Venife , chez Paolo Colombani
, libraire.
Nous nous empreffons d'autant plus
d'annoncer cette entreprise qu'elle peut
être très - agréable pour les jeunes perfonnes
& tous ceux qui en France , étudient
la langue italienne , étude néceffaire furtout
aux Dames qui cultivent la mufique
vocale & à tous ceux qui veulent voyager
avec agrément en Italie. De pareilles
MARS. 1772 . 125
traductions devroient fur-tout entrer dans
l'éducation de la jeuneffe , puisqu'elles
font la voie la plus fûre pour bien connoître
même fa langue , par la comparaifon
que l'on peut faire du génie de cette
langue avec celui d'une langue étrangère
très riche & très - variée dans fes tours &
dans fes expreffions. Ces traductions dont
quelques - unes ont déjà été publiées féparément
, ont reçu le plus grand accueil
en Italie , & elles le méritoient parce
qu'elles ne peuvent manquer de contribuer
à accélérer parmi les Italiens les pro- .
grès de l'art dramatique en préfentant
aux poëtes des fujets d'études & leur procurant
de nouvelles couleurs pour leurs
tableaux dramatiques . Une bonne recom
mandation d'ailleurs pour ces traductions
eft le nom de la Mufe Italienne , Mlle
Elifabeth Caminer . Cette virtuofe qui
dans la fleur de la jeuneffe joint aux graces
de la figure , les charmes d'un efprit
orné & cultivé a fçu fe rendre propres en
quelque forte les beautés & les finefes
des originaux qu'elle a copiés. Son ſtyle
pur , élégant & enrichi de toutes les formes
variées de la langue italienne femble
ajouter de nouveaux agrémens à la
fcène françoife . Le premier volume de
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ces traductions eft actuellement fous pref
fe. Il fera fuivi de trois autres , & il y
aura quatre piéces dans chacun. Le premier
volume contient entr'autres , la traduction
de la petite piéce du Déferteur
qui a été jouée fur le théâtre de Veniſe
avec fuccès. Mlle Caminer fe propofe de
donner dans ce même recueil des piéces
de différens genres de comique , de joindre
même aux piéces françoifes quelques
verfions des meilleurs drames anglois &
allemands. Le profpectus très - court , mais
très -bien fait qu'elle a publié à ce fujet
annonce que le prix de la fouscription eſt
de quatre livres vénitiennes par volume
qui fe payent d'avance ou que l'on s'engage
de payer en recevant l'ouvrage , au
choix des fouscripteurs .
Apologie des Arts ou Lettre à M. Duclos ,
fecrétaire perpétuel de l'Académie
Françoife , à Dinan en Bretagne ; brochure
in 12. A Paris , chez Monory ,
libratre , cul de fac des Quatre Vents ;
& à Pâques prochain , rue de la Comé
die Françoife.
Et quand un gentilhomme , en commençant
vivrea
1
MARS. 1772. 127
Sait tirer en volant , lire & figner fon nom ,
Il eft auffi favant que défunt Cicéron.
Ces vers fervent d'épigraphe à cette
brochure. Reguard les a placés dans une
de fes comédies pour fe mocquer de ces
gentilshommes campagnards qui croient
ou affectent de croire que leur naiffance
les exempte de favoir quelque chofe . Ces
nobles ignorans ne diront pas comme autrefois
, lorfqu'il falloit figner leur nom ,'
qu'attendu leur qualité de gentilhomme
ils ne favent point écrire , mais ilsaffecteront
de dédaigner ceux qui cultivent
les lettres & font imprimer leurs productions
. Mais ce dédain ftupide n'eft le plus
fouvent qu'une rufe de leur amour - propre.
Ils ne peuvent fe diflimuler fouvent
qu'ils font incapables de rien produire &
que leurs connoiffances font très bornées;
& par un aveu tacite ils font cenvenus de
mordre quiconque veut fortir de la fphè
re étroite dans laquelle ils font renfermés.
Comme leurs propos dédaigneux
pourroient arrêter les jeunes gens de naiffance
qui fe fentiroient quelques difpofitions
pour les arts ; l'auteur de cette lettre
leur prouve très -bien par fes propres
réflexions & par les exemples des hom-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
mes les plus illuftres des tems reculés &
de nos jours que les lettres loin de faire
dégénérer le courage le perfectionnent &
l'éclairent. Epaminondas & tous les Héros
Grecs & Romains regardoient les mufes
comme leurs compagnes & leurs inftitutrices
. Jule - Céfar ne fe glorifioit pas
moins de fes commentaires que de fes conquêtes
; & de nos jours un Héros du Nord
pourroit , ainfi que le premier des Céfars ,
fe faire repréſenter fur le globe du monde
tenant une épée d'une main & un livre de
l'autre , avec cette devife : Je leur dois
également mon nom & ma gloire.
Traité de l'Equitation , avec une traduction
du traité de la cavalerie de Xeno.
phon ; par M. Dupaty de Clam , membre
de l'Académie des Sciences de
Bordeaux , auteur de la Pratique de
Equitation. Aux Deux - Ponts ; & fe
trouve à Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriftine près la rue Dauphine ,
brochure in 12. de 216 pag. Prix , tl.
10 fols.
Ceux qui cultivent l'art de monter à
cheval ou par état ou par goût feront fans
doute fatisfaits de connoître les principes
que les anciens s'etoient formés fur cet
MARS. 1772. 129
art , principes que Xenophon a raffemblés
dans fon Traité de la Cavalerie qui
n'avoit point encore été publié en françois.
L'eftimable Traducteur déjà bien
connu par une pratique de l'Equitation ,
qui réunit dans l'ordre le plus clair & le
plus méthodique les bonnes loix de l'équitation
& les moyens raifonnés d'appli
quer l'exécution aux principes, nous don
ne aujourd'hui des Ellais fur la théorie
de ce même art. Il nous fait voir , ou plutôt
il nous démontre par les principes de la
mécanique & les loix de la phyfique , celles
de l'équitation . La théorie de l'auteur
eft encore préfentée fous un nouveau jour
dans le difcours qu'il a prononcé lors de
fa reception dans l'académie de Bordeaux.
fur les rapports de l'équitation avec la phy
fique , la géométrie , la mécanique & l'anatomie.
Les perfonnes éclairées qui regardent
l'équitation autrement que comme
un fimple exercice fentiront toute l'importance
des recherches & des obfervations
contenues dans ces différens écrits.
Ils regarderont M. Dupaty comme le véritable
inftituteur de l'art de l'équitation
puifqu'il a tracé la route qu'il falloit fuivre
pour fixer cet art & le rendre une
fcience non moins fatisfaifante que tou
F v
130 MERCURE DE FRANCE
tes celles qui font partie des mathématiques.
Recherches fur les pouls par rapport aux
crifes , par M. Théophile de Bordeu ,
docteur en médecine , des facultés de
Paris & de Montpellier ; tome III . en
2 parties in- 12 . contenant les décisions
de plufieurs favans médecins fur la
doctrine du pouls ; avec des réflexions
& quelques differtations qui n'ont
point encore vu le jour ; on y a joint
une differtation nouvelle fur les fueurs
critiques & leurs pouls.
In vitium ducit culpæ fuga , fi carèt arte.
A Paris , chez P. Fr. Didot jeune , libraire
, quai des Auguftins .
Ce troisième volume fait fuite aux
deux premiers publiés précédemment fous
le même titre. Plufieurs faits concernant
l'hiftoire du pouls y font difcutés avec
beaucoup de fagacité. L'auteur ramène
fes lecteurs à la doctrine d'Hippocrate &
des autres anciens maîtres de l'art dont
il paroît avoir fait une étude particulière
, & développe plufieurs principes de
médecine pratique . Ce dernier volume
eft fur tout recommandable par une fuite
MARS. 1772. 131
d'obfervations de médecins de la faculté
de Paris & des autres facultés du royaume.
Ces obfervations confirment la théo
rie de l'auteur , théorie qui préfentant
l'art fous un nouveau jour ne peut manquer
d'intéreffer ceux qui étudient la médecine
& ceux qui la profeffent .
Introduction à l'étude des Corps naturels ,
tirés du règne minéral ; par M. Bucquet
, docteur régent de la faculté de
médecine de Paris ; 2 vol. in 12. A
Paris , chez Jean Th . Hériflant , père,
imprimear , rue St Jacques .
Cette introduction eft précédée d'un
discours préliminaire où l'auteur prouve
très- bien la néceflité de joindre à l'étude
de l'hiftoire naturelle les connoiffances
que l'on peut retirer de la chymie. Ces
deux branches de la phyfique ne devroient
jamais être féparées pour celui qui eft perfuadé
que l'eil du naturalifte eft fouvent
trompé par des reflemblances parfaites dans
des fubftances fouvent très - différentes. Le
phyficien en effet qui ne connoît que les
formes ou les qualités extérieures d'un
corps fans avoir approfondi les fubftances
qui entrent dans fa compofition ne
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
peut fe flatter que d'avoir une connoiffance
fuperficielle de ce corps . Dans ce
même discours l'auteur donne un effai
fur l'analyfe chymique où les objets font
rapprochés avec fagacité. Ce précis eft
fuivi du tableau général du règne minéral .
Les connoiffances de la chymie toujours
appliquées à celles de l'hiftoire naturelle
rendent ce tableau très intéreffant. L'auteur
est trop modefte pour fe flatter de
tout expliquer ; mais il expofe avec clarté
& précision les connoiffances que l'on
peut avoir fur les objets qu'il décrit . Cet
te description du règne minéral n'eft que
la première partie de l'ouvrage , & l'auteur
fe promet de donner fucceffivement
celle du règne végétal & du règne animal.
Le Médecin des Pauvres depuis la puberté
jusqu'à l'extrême vieilleffe.
Le Médecin des Dames , ou l'art de les
conferver en fanté ; 2 vol . in 12. A
Paris , chez Vincent , imprimeur - libraire
, rue des Mathurins , hôtel de
Clugny.
Ces deux traités fe vendent féparément
il eft cependant utile qu'ils foient
MARS. 1772 .
133
réunis , parce que le lecteur eft quelquefois
renvoyé d'un traité à l'autre pour les
maladies qui font communes aux deux
fexes . L'auteur n'a recueilli dans ces deux
ouvrages élémentaires que les précepres
ou les documens qui peuvent être à la
portée des gens du monde. Les inftructions
qu'il leur donne pourront contribuer
à les rendre plus attentifs à étudier
leur tempérament , & à prendre les précautions
neceffaires pour éviter bien des
maladies . Ils
apprendront à interroger en
connoiffance de caufe les médecins inftruits
& éclairés , & à fe mettre en garde
contre ces empiriques qui vantent partout
l'efficacité fouveraine de leurs remè
des , mais dont la plus grande vertu eft de
les empêcher de mourir de faim.
Le Médecin des Dames pour mieux les
engager à lire le traité qu'il a compoſe
pour elles , a bien voulu defcendre jufqu'aux
détails de la toilette. Il leur préfente
ici différentes recettes pour réparer
un teint qui fe flétrit & les occupe fouvent
plus que leur propre fanté. Plufieurs
de ces recettes ne peuvent être regardées
que comme un vain amufement . Mais
les vertus qu'on leur attribue Aatrent fi
agréablement l'imagination des femmes
134 MERCURE DE FRANCE .
qu'il feroit allez inutile de leur prouver la
futilité de tous ces beaux fecrets .
Traité élémentaire de Méchanique Statique
, avec des notes fur quelques endroits
; par M. l'Abbé Bollut , de l'Académie
royale des Sciences , examinateur
des Ingénieurs , &c. A Paris ,
chez Claude - Antoine Jombert , fils
aîné , libraire , rue Dauphine , près le
pont- neuf; 1772 ; avec approbation &
privilége du Roi .'
Nous rapportons , comme nous l'avons
promis , le Difcours préliminaire dans
lequel l'auteur donne le plan de fon ouvrage
, & en fait connoître l'utilité.
Le traité que je donne au Public eft la première
pattie d'un ouvrage dans lequel je me fuis propofé
de raflembler les principes généraux de l'équilibre
& du mouvement des corps folides , &
d'en faire l'application aux problêmes les plus
intéreflans de méchanique spéculative ou prati
que.
On réduit ordinairement l'objet de la ftatique
à la confidération de l'équilibre des machines . Ici
j'envilage cette fcience fous un point de vue
moins borné. Je commence par établir les propriétés
de l'équilibre d'une manière générale &
abftraite ; celles qui fe rapportent aux machines
fortent de là , comme des conféquences ou des
modifications particulières .
MARS. 1772 : 135
Tout , dans la nature , préfente l'image de la
force . L'idée qu'on attache à ce mot , paroît également
claire , au fens propre & au fens figuré.
Quand on peint la force d'un boulet de canon qui
frappe & renverfe un mur ; quand on parle de la
force d'un raifonnement : il n'y a perfonne qui ne
conçoive , à l'inftant , la chofe qu'on lui veut
exprimer. Croira- t-on après cela que les mathématiciens
, fi jaloux d'employer toujours le mot
propre dans leur langue , ayent pû être partagés
fur la notion de la force ? Ils l'ont été néanmoins;
& c'eft Leibnits qui a fait naître , pour un tems ,
cette efpèce de fchisme philofophique . Avant cet
homme illuftre , on eftimoit , d'une commune
voix , la force des corps en mouvement , par le
produit de leur maffe & de leur viteffe : il prétendit
qu'il falloit fubftituer dans cette mefure le
quarré de la viteffe , au lieu de la fimple vîteffe.
Il entraîna plufieurs fçavans dans fon opinion 3
les autres la rejettèrent . Oh écrivit des deux côrés
. La dispute devint d'autant plus vive , qu'elle
avoit fon origine dans la métaphysique , trop
fouvent fujette à égarer l'esprit humain ! Heureufement
le flambeau du calcul diffipa le nuage
qui fe formoit à l'entrée de la méchanique. Comme
les deux partis , en définiflant la force différemment
, s'accordoient d'ailleurs entr'eux fur
tous les autres points , & qu'ils étoient conféquens
dans leur maniérede raifonner , ils arrivoient
aux mêmes réſultats , dans la folution des mémes
problêmes. Il eft aifé de fentir que cela devoit
être ainfi ; car tout calcul eft fondé fur des hypothèfes
, & pourvû que dans la fuite des opérations
qu'il demande , on combine toujours de la
même manière un même élément avec les autres,
136 MERCURE DE FRANCE.
la conclufion aboutira toujours au même but.
S'il y a quelque différence , elle ne pourra être
qu'apparente, & fimplement dans l'énoncé . Auffi
la dispute dont nous parlons , a t- elle eu le fort
qu'elle devoit avoir ; elle est tombée entièrement.
On eft enfin convenu de s'entendre. La mefure des
forces que Leibnits vouloit proscrire a triomphé,
comme la plus naturelle & la plus fimple . C'eſt
donc celle que j'adopte & que je préfente à mes
lecteurs .
Dans l'état d'équilibre dont il eft ici queſtion ,
la force n'a pas d'exercice actuel ; elle ne produit
qu'une fimple tendance au mouvement. L'équili
bre réfulte de la deftruction de plufieurs forces
qui fe combattent , & qui anéantiflent réciptoquement
l'action qu'elles exercent les unes contre
les autres . Il ne s'agit donc plus que de favoir comment
cette deftruction s'opere ; & c'eſt en cela que
confifte précisément l'objet de la ftatique.
Il eft vifible que deux forces égales & directement
oppolées le détruilent ou le font équilibre.
Ce principe ou axiome eft le caractère auquel je
Teconnois & jeéduis l'équilibre , dans les différentes
combinaiſons de forces qui peuvent avoir
lieu . Parcourons rapidement ces combinaitons .
La première & la plus fimple de toutes eft celle
des forces qui agillent fuivant une même ligne
droite , les unes d'un côté , les autres du côté oppolé.
On prouve fans peine que toutes les forces
dirigées d'un même côté produisent une réſultante
égale à leur fomme. Ainfi , pour qu'il y ait équilibre
dans le cas préfent , il faut que la fomme
de toutes les forces qui tirent , par exemple , de
gauche à droite , foit égale à la fomme de toutes
les forces qui tirent de droite à gauche.
MARS. 1772. 137
Les forces dont les directions concourent en un
même point , forment une feconde clafle fort
étendue. En prenant d'abord deux de ces forces ,
elles ont une réſultante exprimée par la diagonale
d'un parallelogramme conftruit fur leurs directions
. Cette refultante , combinée avec une
troifième force , produit une réfultante exprimée
par la diagonale d'un fecond parallélogramme.
analogue au premier. Ainfi de fuite . Par ce
moyen , toutes les forces propofées le réduiront à
deux feulement , lesquelles , en vertu de l'équili
bre , feront égales & directemenr oppofées.
On peut rapporter à la même clafle les forces dont
les directions font parallèles ; car des lignes parallè
les peuvent être regardées comme concourantes en
un même point infiniment éloigné . Si l'on confidère
deuxde ces forces , qui agiflent d'un même côté, on
trouve qu'elles produifent une réfultante qui leur
eft parallèle , & qui eft égale à leur fomme , de même
que fi elles agilloient en ligne droite . De plus, la
direction de cette réfultante partage la diftance
des directions des forces compofantes , en parties
réciproquement proportionnelles aux quantités
des mêmes forces . On formera pareillement une
feconde réſultante , en combinant celle dont nous
venons de parler avec une troifième force. Ainfi
on parviendra , comme tout -à- l'heure à deux forces
finales qui feront égales & directement oppolées
, pour fatisfaite au principe fondamental
de l'équilibre. Je n'ai pas beſoin de faire obſerver
qu'on pourroit regarder comme un cas particulier
des forces parallèles , celui des forces qui agis
fent fuivant une même ligne droite.
Les forces parallèles ont un grand nombre de
propriétés que je démontre en détail , & d'une
138 MERCURE DE FRANCE .
manière nouvelle à quelques égards . Ces propriétés
font cuncufes par elles-mêmes , & fervent à
abréger extrêmement plufieurs recherches de méchanique.
A mesure que nous avançons , les problêmes
fe compliquent & fe généralifent. Après avoir
déterminé l'équilibre des forces concourantes en
un même point , ou parallèles entr'elles ; nous
voici parvenus à la coufidération des forces qui
ont des directions quelconques. Figurons - nous
donc qu'à différens points d'un corps folide , da
grandeur fenfible , parfaitement libre d'ailleurs ,
font attachées des forces qui le tirent ou le pouffent
, fuivant telles directions qu'on voudraimaginer.
Il feroit difficile de réduire immédiatement
toutes ces forces à deux qui fuflent égales
& directement oppofées . Mais on peut parvenir
au même but , en s'aidant des propofitions déjà
démontrées , & en obfervant de plus que chaque
force en particulier peut être décompofée en tross
autres , parallèles à trois lignes données de pofition.
Ainsi , traçons dans l'espace trois lignes
fixes , & qui fe croifent , perpendiculairement
entr'elles , en un même point. Chaque force appliquée
au corps ayant été décomposée en trois
autres , paralleles à ces trois lignes ; & confidérant
que toutes les forces parallèles qui agiflent
dans le même fens , font réductibles à une feule
égale à leur fomme ; il eft aifé de voir que toutes
les forces propolées , en quelque nombre qu'elles
foient , & de quelque manière qu'elles foient dirigées
, pourront être réduites à fix forces paral-
Jèles à nos trois lignes . Des deux forces parallèles
à une même ligne , l'une tire de gauche à droite,
T'autre de droite à gauche. Cela pofé , je trouve
MARS. 1772. 139
les conditions de l'équilibre , d'une manière nou
velle , & qui ne me paroît rien laiffer à defirer du
côté de la fimplicité . J'exprime ces conditions par
fix équations générales qui font voir , 1º que
pour chaque paire de forces qui agiflent parallè
lement à la même ligne , la force qui tire de droi
te à gauche , doit être égale à la force qui tire.
de gauche à droite . 2 °. Que la fomme des éner
gies ou momens des forces qui tendent à faire
tourner le corps , en un fens , autour de chacune
de nos trois lignes , doit être égale à la fomme
des momens des forces qui tendent à le faire
tourner dans le fens contraire. Ce problême eft le
plus compofé de toute la ftatique ; & il eft fulceptible
d'une infinité d'appli ations particuliè
res , à l'aide du calcul & de la géométrie . Lorsque
le corps , auquel les forces font appliquées , eft
gêné par un point autour duquel il a d'ailleurs
entière liberté de pouvoir pirouetter en toutes
fortes de fens , il n'y a plus que les trois dernières
équations qui foient néceflaires pour l'équilibre ;
& elles comprennent toute la théorie de l'équili
bre du levier ordinaire , envifagée fous le point
de vue le plus général .
Il y a , dans les corps foumis à l'action de la
pefantent , un point remarquable qu'on appelle
centre de gravité. La détermination de ce point
& des propriétés qui lui appartiennent , eft une
branche de la compofition & décompofition des
forces parallèles. On trouve dans la plupart des
livres de méchanique , que le centre de gravité
eft un point par lequel un corps étaut fufpendu
en ditterens fens , demeurera immobile dans tou
tes les fituations poffibles . Cela fuppofe , comme
on voit , qu'en attachant le corps par différentes,
140 MERCURE DE FRANCE.
pointes à un cordon , tous les prolongemens de
ce cordon fe croiferont au centre de gravité. Or,
cette aflertion eft- elle évidente par elle- même ,
& n'avoit- elle pas befoin d'être démontrée : Je
fais voir , très fimplement , qu'elle est en effet
exacte ; & par-là je leve le doute légitime qu'on
pourroit avoir à ce fujet. Cette théorie des centres
de gravité eft éclaircie par des applications
à plufieurs exemples ; & je donne , dans un article
à part , en forme de note , la manière générale
de trouver les centres de gravité des lignes , des
fuperficies , & des folides , dont la nature eft exprimée
par une équation .
L'équilibre des machines eft la partie , finon
la plus difficile , du moins la plus utile de la ftatique
, par les fervices continuels qu'elle rend à
la fociété. Il étoit donc effentiel de la traiter avec
clarté & préciſion . Je n'ai rien négligé pour remplir
cet objet.
La plupart des hommes qui n'ont pas fait une
étude approfondie des loix générales de l'équili
bre , ont des idées bien peu justes de l'effet des
machines. Il y a des gens qui , nés avec de l'adrefle
dans les doigts , & même avec de l'imagination
, ne voient que confufément le produit de
la combinaiſon des différentes pièces qui compofent
une machine , parce qu'ils font dépourvus
de principes puifés dans la faine théorie . Ils ont
néanmoins , pour l'ordinaire , beaucoup d'aflurance
; ils annoncent avec emphafe les prétendues
merveilles de leurs inventions en ce genre.
S'ils rencontrent des incrédules , ils leur citeront,
en exemple , la propofition que faifoit Archimè
de , bien digne d'inspirer la confiance , de foulever
le globe de la terre , pourvû qu'on lui donnât
MARS.
1772 .
141
un point fixe pour attacher fon levier. Voyons
fi cet exemple conclut en leur faveur ; & banniflant
le ton de la poëfie & de l'entouſiaſme , apprétions
l'espérance qu'on peut concevoir d'une
machine.
Le mouvement ne peut pas naître de lui- même.
Il eft
eflentiellement produit par
quelqu'agent
extérieur qui tire la matière de l'état de repos ,
ou qui accélère l'impulfion qu'elle peut avoir
déjà reçue. Or , la force que l'agent dépense pour
cela , eft
néceflairement limitée. Par exemple ,
qu'un homme traîne un bloc de pierre fur le terrein
, il perdra une certaine partie de fa force
contre cette mafle ; & fi elle lui oppoſe trop de
réſiſtance , il n'y aura point de mouvement. Suppofons
que la pierre marche : nous pouvons concevoir
que la force entière & abfolue de l'homme
eft partagée en deux autres ; l'une , qui lui
refte & en vertu de laquelle il marche lui- même;
l'autre , qui eft abforbée par la refiftánce de la
pierre. Cette dernière eft ce qu'on appelle la force
mouvante. Elle eft mefurée par le produit de la
mafle qu'elle meut , & de la vîteffe qu'elle lui
imprime. Il en eft de même pour toutes les efpèces
d'agens , proportion gardée . On peut confidérer
en général toute force mouvante , comme
ayant pour élémens ou facteurs , un poids & une
vitefle. Je n'examine point fi , dans l'hypothèſe
propofée , il n'y a pas , relativement à la manière
dont un animal tire fa force du jeu de fes mulcles,
une vitefle propre à rendre la dépenfe d'action
extérieure qu'il peut faire , la plus grande
qu'il eft poffible. Pour écarter cette question , qui
appartient à l'économie des forces animales , fije
puis m'exprimer ainfi ; & pour réduire le problé
142 MERCURE DE FRANCE:
tne à fes plus fimples termes , je fuppofe que cha
que agent eft employé de la façon la plus avantageufe
, & que par conféquent il donne à la machine
toute la force qu'il peut lui donner réellement.
Nous avons donc une force mouvante
fixe & déterminée , qui fervira à vaincre une certaine
réſiſtance , ou , ce qui revient au même , à
élever un certain fardeau. Elle demeurera toujours
la même , quelques moyens qu'on employe
pour la tranfmettre au fardeau dont il s'agit.
Vainement , dans la vue de l'augmenter , vous
multiplierez les leviers & les roues ; tous ces inftrumens
n'ont pat eux- mêmes aucune vertu active
; ils n'ont de force qu'autant qu'ils en reçoivent
; fouvent même ils abforbent en pure perte
une partie de la force mouvante , foit par les
points fixes & deftructeurs qu'ils lui préfentent ,
foit par le frottement & autres réfiftances qu'ils
occafionnent. Leur véritable deftination ne peut
donc être que de modifier différemment la forme
mouvante , en la transportant au fardeau à élever.
S'ils font augmenter ce fardeau , ils font diminuer
la vitelle en même rapport ; fi au contraire
ils augmentent la vîteffe , c'eft aux dépens
de la maffe. Archimède avoit raifon de dire qu'avec
un levier & un point fixe , il fouleveroit le
globe de la terre. Il fuffit , pour s'en convaincre,
de jetter les yeux fur une balance dont les bras
font inégaux. Plus l'un des bras eft long , par
rapport à l'autre , plus il favorife le poids attaché
à fon extrémité ; enforte qu'en augmentant
de plus en plus cette longueur , il n'y aura pas de
bornes à la diminution du poids qui lui eft appliqué
. Dans les machines où il eft ainfi queſtion
fimplement d'établir l'équilibre ; les forces , par
MARS. 1772. 143
la manière dont elles font fituées , peuvent diffé.
rer extrêmement en quantités . Mais la plupart
des machines ont pour objet de produire du mouvement
; & alors , la force mouvante étant toujours
la même , le fardeau élevé fera plus ou
moins grand , felon qu'il prendra moins ou plus
de vitefle. Vous pouvez donc , par exemple , avec
un poids d'une livre appliqué à l'extrémité d'un
bras de levier de dix pieds , faire équilibre à un
poids de dix livres appliqué à l'extrémité de l'autre
bras qui eft d'un pied : mais fi vous voulez
produire du mouvement , & fi vous fuppofez que
la force mouvante foit le poids d'une livre , animé
d'une vîtefle capable de lui faire parcourir un
pied en une feconde ; le fardeau élevé , c'eſt - àdire
, le poids de dix livres , ne parcourra , pendant
le même tems , que la dixième partie d'un
pied. Car les vîtefles des deux poids peuvent être)
représentées par les arcs femblables qu'ils décrivent
dans le même tems ; & ces deux arcs font
entr'eux comme les raions ou les bras du levier,
Il eft clair par -là que fi Archimède avoit réellement
cu les chofes qu'il demandoit pour faire
monter le globe de la terre , il fe feroit paflé un
tems aflez confidérable avant que cette mafle
énorme ne prît un mouvement fenfible. Quel eft
donc précisément le but des machines ? La réponfe
eft aifée , & fuit de ce qu'on vient de dire . Les
machines fervent à transmettre , fuivant une cer.
taine loi , la force mouvante , au fardeau qu'on
veut élever. Elles nous offrent la facilité d'augmenter
ce fardeau ou fa vitefle ; & cette prérogative
eft infiniment précieufe ; car il arrive trèsfouvent
qu'on a befoin d'élever un fardeau confi
Lidérable, & qu'on n'eft pas preflé par le tems ;
144 MERCURE DE FRANCE .
d'autres fois on veut le procurer une grande vitelle
, & non élever un grand fardeau . Vous avez
le moyen de remplir l'une ou l'autre condition.
Mais une machine , quelle qu'elle foit , ne vous
fera jamais rien gagner d'un côté , que vous ne le
perdiez de l'autre. Voilà le cercle néceflaire dont
il n'eft pas poffible de fortir.
Mais , dira- t- on , fi dans toutes les machines ,
le fardeau élevé & la vîtelle font réciproquement
proportionnels ; elles font donc toutes également
avantageufes , & il eft inutile de le travailler à
en imaginer de nouvelles. Ceci a beſoin d'être
expliqué.
On compte fept machines fimples & primitives
; la machine funiculaire , le levier , la poulie,
le tour , le plan incliné , la vis & le coin . Toutes
les autres machines faites ou à faire , ne peuvent
être que des combinaiſons de ces fept -là , ou
de la même , répétée un certain nombre de fois,
Les machines fimples ont chacune leurs proprié
tés , leur objet particulier , & toute la perfection
dont elles font fusceptibles . Elles ne peuvent fe
comparer enfemble que dans un fens fort impropie
, puifqu'elles ont différentes deftinations .
Ainfi la demande , s'il y a des machines plus par
faites les unes que les autres , ne doit pas les regarder
; mais elle eft très- failable par rapport
aux machines compolées. Or , l'ufage de ces der
nières eft fiéquent & indispenfable. Car il arrive
rarement qu'on puiffe produire l'effet dont on a
befoin , par le moyen d'une machine fimple. Lor [-
que vous êtes donc obligé d'employer une machine
compofée , ne la compliquez du moins
qu'autant qu'il eft abfolument néceflaire ; évitez,
le plus que vous pourrez , les frottemens & auties
MARS. 1772 . 145
tres réfiſtances étrangères au produit effectifque
vous voulez obtenir. La machine la plus parfaite
en ce genre eft celle où la force mouvante fe
tranfmet , avec le moins de déchet qu'il eft poffi
ble , au fardeau à élever . Travaillez à diminuer
ce déchet ; vos recherches auront un but trèsréel,
& le champ eft encore fertile en lauriers . Mais
tenez - vous en là ; ne nous promettez rien de
plus. Tout autre avantage que vous voudrez attribuer
à vos machines, eft une chimère.
Ces réflexions générales deviennent fenfibles
par les détails dans lefquels j'entre au fujet des
fept machines fimples . On conçoit qu'il n'est guè
res poffible de dire des chofes nouvelles fur une
matière fi rebattue . Cependant on trouve ici des
démonstrations qui ne font point ailleurs , & qui
ont l'avantage d'être fort fimples . En traitant du
Levier , je donne la théorie de l'équilibre des
Ponts- levis , théorie qui n'eft expliquée , du
moins que je fache , dans aucun livre de Méchanique.
Elle m'a conduit à chercher la nature de
la courbe que forme une corde attachée par fes
extrémités à des points mobiles , problême nouveau
; car dans toutes les folutions qu'on a données
du problême des chaînettes , on fuppofe que
la corde eft attachée à des points fixes.
Je ne me fuis pas borné à confidérer l'équilibre
mathématique des machines. J'examine les
réfiftances qu'elles éprouvent dans leur état phy
fique & naturel , lorfqu'elles font prêtes à fe monvoir.
Le frottement & la difficulté que les cordes
font à fe plier autour des cylindres qu'elles
embraflent , oppofent des obftacles plus ou moins
fenfibles à la génération du mouvement. Il fuffit
de réfléchir un peu fur la nature de ces réfiſtan-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
ces, & fur l'impoffibilité abfolue de les anéantir
totalement , pour reconnoître la chimère du mouvement
perpétuel. On eft très - éloigné de pouvoir
évaluer le frottement & la roideur des cordes
, avec une précifior géométrique. Néanmoins
cette théorie a fait des progrès depuis qu'on a commencé
à s'en occuper ; elle en peut faire de plus
grands encore, avec le fecours de l'expérience . Je la
développe en détail , & j'en fais l'application à des
exemples dont la pratique retirera quelque fruit.
Il étoit ainfi néceflaire , pour remplir le titre de
mon livre , que joignant la théorie phyfique de
l'équilibre des machines à celle de leur équilibre
mathématique , je déterminafle , du moins autant
qu'il eft poflible , le point où l'équilibre eft prêt
à fe rompre , pour faire place au mouvement. Je
confidérerai les machines en mouvement , & les
propriétés particulières que cet état leur donne ,
dans la feconde partie de cet ouvrage . Les commençans
pourront , en attendant qu'elle paroifle,
étudier les principes du mouvement dans mon
Traité élémentaire de Méchanique & de Dynami- que.
On trouvera dans le préfent traité , des chofes
que j'ai déjà dites ou dans l'ouvrage que je viens
de citer , ou dans mon Hydrodynamique ; mais
elles font ici à leur véritable place , & je n'aurois
pu les fupprimer , faus déroger aux droits de la
inéthode & de la clarté . D'ailleurs elles font en
petit nombre; & du moins la briéveté pouria fauver
l'ennui de la répétition .
Les principes qu'on va lire , doivent être regardés
comme publics en quelque forte , depuis dix
à douze ans. Car il y a environ ce tems , que j'ai
commencé à les expliquer à l'Ecole du Génie. Il
MARS. 1772 . 147
s'en eft même répandu plufieurs fragmens manuf
crits.
Réponse à l'Auteur des Obfervations , im.
primées dans le premier volume du
Mercure de Janvier dernier , fur le nou
veau Didionnaire hiftorique en 6 vol.
in- 8 ° . qui fe vend à Paris , chez le Jay ,
libraire , rue St Jacques.
Il eft , ce me femble , un peu tard de contef
ter au nouveau dictionnaire fon utilité , fon mérite
& la fupériorité fur tous ceux qui ont paru
jusqu'à prélent. Les fuffrages du Public , l'empreflement
des gens de lettres à fe le procurer ,.
trots éditions qui s'en font faites en cinq ans
tout lui affure une réputation que les efforts de la
critique ne pourront jamais détruire. Avant que
la dernière édition qui vient de paroître l'eûr errichi
de plus de deux mille articles nouveaux , on
convenoit déjà univerfellement que cet ouvrage
étoit la collection hiftorique la plus complette ,
non par l'étendue des matières qui y font conte
nues , mais par la jufteile des notions abrégées
& cependant fuffifantes qu'on y donne de tout ce
qui eft du reffort de la biographie.
Le degré de perfection auquel a été portée cette
excellente collection eft fans doute ce qui a excité
la mauvaife humeur de quelques perfonnes
intéretiées à en mal parler , & il ne feroit pas difficile
de s'expliquer plus clairement fur le motif
d'intérêt qui a dicté les Obfervations auxquelles
nous allons répondre. Nous dirons d'abord que
quand elles feroient auffi exactes qu'elles le font
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE
.
peu , du moins pour la plûpart , la conclufion
qu'on en tire n'en feroit ni plus fenfée ni plus
jufte. Ce n'est point par quelques articles obfcurs
ou peu importans qu'on doit juger du mérite
d'une pareille entreprife. Elle peut être heureufement
exécutée malgré des négligences prefque
inévitables de chronologie qui ont pu s'y gliffer.
Les auteurs du dictionnaire en avoient prévenu
le Public , & cette fage précaution étoit une réponſe
à toutes les objections du critique intéreflé.
Nous prouverons qu'il s'eft trompé lui - même &
qu'il donne dans des erreurs non moins repréhenfibles
que celles qu'il croit avoir remarquées.
On lit dans la dictionnaire que nous avons de
l'Abbé Anfelme un recueil de fermons en 6 vol.
in- 8°. & le Critique en compte ſept du même
format. Tous deux fe trompent , les fermons de
l'Abbé Anfelme font en fix vol in - 12 . imprimés
chez Julien - Michel Gandouin en 1731 .
On trouve dans le dictionnaire qu'Agathias étoit
de Smyrne , il falloit de Myrine ; & il n'y a perfonne
qui ne fente que c'eft une faute d'impreffion.
Cependant l'auteur des obfervations charmé
de cette importante découverte , en prend occafion
d'accufer d'ignorance les auteurs du dic
tionnaire.
Ils ont dit encore qu'Antoine , Roi titulaire de
Portugal ; étoit fils de Louis II , & le Critiquequi
cherche par-tout ce Louis , ne le trouve pas . Cependant
Damien de Goëz , Edouard de Nunez ,
Mariana , & plufieurs auttes hiftoriens en font
mention . Il étoit le fecond fils du Roi Emmanuel
, dit le Grand , & avoit eu dans la jeuneſſe
une maîtrefle fort aimable que fa paffion lui fit
époufer fecretement. Il eft vrai que ce Prince n'a
MARS. 1772 .
149
point porté la couronne ; mais fon droit a été fi
peu contefté , que fon fils Antoine prit la qualité
de Roi.
Buckingam ayant vainement tenté d'inspirer
de l'amour à Anne d'Autriche , fit déclarer la
guerre. On ne fait fi le Critique révoque ce fait
en doute , ou s'il trouve étrange que Buckingam
à foixante ans ait reffenti les feux de l'amour ;
mais d'abord les hiftoriens racontent le fait tel
qu'il eft rapporté dans le dictionnaire , & ce n'eft
Foint à eux à condamner ou à juſtifier un amant
fexagénaire. C'eft encore moins aux auteurs du
ditionnaire à fupprimer de pareils faits lorsqu'ils
fe trouvent confirmés par les hiftoriens.
Beverland , de jure folutæ virginitatis, Le Critique
a vu un exemplaire de ce livre où il y a de
ftolata virginitatis jure . S'il eût pris la peine de
confulter auffi les autres éditions du dictionnaire ,
il auroit trouvéftolata virginitatis , ce qui prouve
que dans la dernière édition foluta eft une faute
typographique , & non un trait d'ignorance , comme
il le prétend.
Quant aux éditions dont il eft parlé dans les
articles Adlerfeld , Agricola , Albrizzi , Auguftin
, l'auteur des
Obfervations nous permettra de
lui répondre qu'elles peuvent très - bien exifter ,
quoiqu'il ne les ait jamais vues. On pourroit aifément
lui en indiquer d'autres qu'il ne connoît
pas davantage.
Ange de Ste Rofalie , auteur d'un état de la
France , réimprimé en 8 vol . in 12. Le Critique
dit qu'il perd fon tems à chercher cet ouvrage .
On le prie d'aller demander aux RR. PP. Auguftins
le catalogue des auteurs de leur ordre ; nous
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
1
"
efpérons qu'il y trouvera l'Etat dela France dont
ileft fait mention dans le dictionnaire.
C'eft pour plaifanter fans doute que le cenfeur
termine fes remarques par conclure qu'aucun
membre de cette fociété n'eft verfé dans l'arithmétique
, la chronologie , la bibliographie , la
géographie , l'hiftoire & même la littérature ;
comme , parce que Brict a commis quelques
fautes géographiques , que Rollin a rapporté des
faits qui fe trouvent faux , que Bigot a indiqué
quelques fois des éditions qui n'exiftoient pas ,
& que Pétau n'eft pas toujours d'accord avec Pez
ron , on en concluoit que tous ces favans n'avoient
aucune connoiflance de la géographie , de
P'hiftoire , de la bibliographie & de la chronologie.
Tel eft cependant le raifonnement de l'auteur
des obfervations ; mais nous n'en conclurons pas
somme lui qu'il n'a ni jugement ni logique. **
Ce Critique ajoute : « Enfin je m'en tiendrai à
l'Abbé Ladvocat qui n'a que fes fautes , au lie
que dans le nouveau dictionnaire je trouverois
les fiennes & encore d'autres plus choquantes. »
Ce dernier trait décèle de quelle nature eft l'intérêt
que l'on prend à décrier cette excellente collection.
Il eft certain que l'ouvrage de l'Abbé
Ladvocat doit perdre à la comparaiſon . Chacun
fait que ce compilateur avoit plus d'érudi
tion que de goût . Si l'auteur des obfervations
veut s'en convaincre par lui - même , on le prie
de jetter un coup d'oeil fur les jugemens qu'il a
portés des hommes dont il parle ! Selon lui , pas
un d'eux qui ne foit un homme célèbre , pas un
qui n'ait fait du bruit dans le monde , & ce qu'il
y a de remarquable , c'eft que la plupart n'étoient
MARS. 1772 . ISI
connus , même de leur tems , les uns que dans la
province qui les avoit vu naître , les autres que
dans le fonds d'un cloître où ils commentoient
quelque moralifte ignoré comme eux ; ceux - ci
dans la pouffière de l'école , ceux - là dans une
falle du parlement. On ne fache point que leur
réputation fe foit étendue plus loin. Quoiqu'en
dife le Critique , l'Abbé Ladvocat réduit à la
jufte valeur , n'offrira qu'une lifte très incomplette
d'hommes vraiment célèbres . Elaguez enfuite
les jugemens faux ou peu folides dont il eft furchargé
, que deviendra le dictionnaire favori de
l'auteur des obfervations ! Ne pourroit on pas en
dire autant de prefque tous ceux qui l'ont précédé.
Ce feroit ici le lieu de faire voir le mérite
& la fupériorité du nouveau dictionnaire ; mais
les fuffrages libres & défintéreflés du Public , flattent
bien plus délicatement les auteurs de cette
compilation que les éloges les plus pompeux
qu'on en pourroit faire. S'il leur est échappé
quelques négligences , c'eft que dans un travail
long & pénible , elles font prefqu'inévitables.
Nous en fommes d'ailleurs amplement dédommagés
par une foule d'articles curieux , & d'autant
plus piquans qu'ils n'avoient jamais paru .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
ACADÉMIES.
Académie des Sciences , Belles Lettres &
arts de Lyon.
L'ACADÉMIE de Lyon avoit anciennement
propofé , pour fujet du prix des
Arts , fondé par M. Chriftin , de trouver
le moyen de durcir les cuirs , &c , elle continua
ce fujet pour l'année 1768 , le prix
étant double. Les Mémoires qui lui furent
adreflés n'ayant aucunement rempli
fes vues , elle réferva les trois prix pour
l'année 1771 , fans déterminer de lujet
précis ; elle annonça qu'ils feroient décernés
à une découverte utile dans les arts ,
& poftérieure à la publication du Programme
, &c.
Le nombre des Mémoires envoyés au
concours , & la diverfité de leurs objets ,
ayant forcé l'Académie de fufpendre pendant
quelque temps la diftribution , elle
y a procédé dans la Séance publique , du
3 Décembre 1771 .
Elle a décerné un premier prix , confiftant
en deux médailles d'or , chacune
de la valeur de 300 livres , au Mémoire
MARS . 1772.
153
coté n°. 8 , fuivant l'ordre de fa récep
tion , ayant pour devife :
Naturam contra & fruftra obluctantibus undis ,
Infuetum per iter flumen portatur in auras.
SANT.
Portant pour titre : Mémoire fur les vrais
diametres des tuyaux ou conduits d'eau ,
pourfervir à perfectionner l'art du Fontainier
avec des tables du déchet caufé dans
les tuyaux de conduite , par le frottement
contre leurs parois intérieures.
L'Auteur eft M. AUBÉRY , Chanoine-
Régulier de Sainte-Geneviève , Vicaire
de la paroifle de Nanterre , près de Paris .
Ce Savant eft le même qui obtint un
prix dans la même Académie en l'année
1769 , fur le fujet des Moulins.
Le fecond prix , confiftant en une médaille
d'or , de pareille valeur , a été
partagé entre les deux Mémoires , cotés
n ° . 5 & 11 .
a
Le n°. 5 portant pour devife : Hac
are & duri chalybis perfecta metallo
pour auteur M. J. N. RENARD , Médecin
à la Fere en Picardie .
No. 11 , avec certe épigraphe : Experientia
rerum magiftra , & ce titre : l'Art
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
de tanner en jufée , eft de M. JOSEPH DE
CHEURANT , maître Tanneur juré à Befançon
.
L'Académie , en couronnant ces deux
ouvrages , a cru devoir encourager des recherches
qui tendent à perfectionner , en
France , l'art du Tanneur : objet du Programme
qu'elle avoit publié dès l'année
1763. Ces Mémoires lui ont paru contenir
des vues utiles , telles que le procédé
de laminer les cuirs , au lieu de les
battre , & fur-tout celui d'employer des
diffolutions martiales pour augmenter
leur confiftance : moyen propofé par les
deux Auteurs . Elle auroit defiré qu'ils
euffent envoyé des cuirs préparés fuivant
les méthodes qu'ils indiquent. Elle les invite
à les porter à une plus grande perfection
, en continuant leurs expériences
fur l'emploi du vitriol martial , & d'autres
matieres ferrugineufes .
Dans la même féance , on a renouvellé
l'annonce des fujets de prix , propofés
pour les années fuivantes.
L'Académie a propofé pour le prix de
Mathématiques , fondé par M. Chriftin ,
qui fera diftribué en 1772 , le fujet fui--
yant :
Quelsfont les moyens les plus faciles &
MARS. 1772 . 155
les moins difpendieux , de procurer à la
ville de Lyon la meilleure eau , & d'en
diftribuer une quantitéfuffifante dans tous
fes quartiers,
Les eaux de puits prefque toujours défagréables
, font généralement reconnues
pour mal faines , lorfque les puits font
placés dans l'enceinte d'une ville peuplée.
Les eaux de rivières & celles des fources
choifies,font,au contraire,les plus pures &
les plus falubres .
La ville de Lyon eft fituée au confluent
de deux grandes rivières , & entourée de
collines , qui fourniffent des eaux faines
& abondantes ; cependant fes habitans ,
dans le plus grand nombre de fes quartiers
, n'ufent que des eaux de puits.
Tels font les objets du problême propofé
. L'Académie exige des Auteurs qui
s'occuperont à le réfoudre , de déterminer
la qualité des eaux qu'ils indiqueront ;
d'aligner la quantité néceffaire à la confommation
, & de joindre à leurs projets
, les plans des machines qu'ils voudront
employer , le calcul de leur produit
& de leur entretien , celui des nivellemens
néceffaires , & un devis général .
Les conditions , d'ailleurs , font les mêmes
que par le paffé . Les Auteurs ne fe
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
feront connoître ni directement ni in--
directement , finon leurs Mémoires ne
feront pas admis au concours. Ils feront
adreflés , francs de port , avant le premier
Avril 1772 à M. de la Tourrette , Secrétaire
perpétuel pour la claffe des Sciences
, rue Boillac ; ou à M. Bollioud
Mermet , Secrétaire perpétuel pour la
claffe des Belles- Lettres , rue du Plat ;
ou chez Aimé de la Roche , Libraire-
Imprimeur de l'Académie aux Halles
de la Grenette.
>
>
fondé
par
Le prix eft une Médaille d'or , de la
valeur de 300 livres . L'Académie l'adjugera
dans une féance publique , immédiatement
après la fête de S. Louis .
Le prix de Phyfique
M.Chriftin , fera décerné , en l'année 1773 ,
au meilleur Mémoire fur le fujet précé
demment propofé , pour l'année 1770.
Déterminer quels font les principes qui
conftituent la Lymphe ; quel eft le véritable
organe qui la prépare ; fi les vaisseaux
qui la portent dans toutes les parties du
corps, font une continuation des dernieres
divifions des arteres fanguines , ou fi ce
font des canaux totalement différens &
particuliers à ce fluide ; enfin quel eft fon
ufage dans l'économie animale.
MARS. 1772.
157
L'Académie invite ceux qui voudront.
traiter ce fujet à déterminer par des expé
riences la nature de la Lymphe, comparée:
aux autres humeurs, & à décrire fon cours
dans toute l'habitude du corps .
Le prix eft double , & confifte en deux
Médailles d'or , de 300 livres chacune .
-L'Académie a confervé au concours les
Mémoires qui y ont été ci - devant admis ;
elle n'en recevra aucun paffé le dernier
Janvier 1773. La diftribution fe fera
après la fête de S. Louis .
L'Académie a réfervé pour l'année
1773 un autre prix , & demande de nouveau
des recherches fur les caufes du Vice
Cancereux , & qui conduisent à déterminer
Ja nature,fes effets, & les meilleurs moyens
de le combattre.
Il importe que les Auteurs , après avoir
défini ce qu'on entend par Cancer , développent
les progrès que la Médecine a
faits jufqu'à nos jours dans la connoiffance
des maladies cancéreufes ; qu'ils
analyſent les obfervations , les expérienees
& les opinions des Auteurs les plus
célebres , en raffemblant les moyens Diététiques
, Chirurgicaux & Pharmacéutiques
, employés jufqu'à préfent pour
attaquer ces formidables maladies ; qu'ils
158 MERCURE DE FRANCE.
les décrivent , tapportent leurs obfervations
pratiques & leurs expériences; qu'ils
apprécient let fymptomes qui précédent ,
accompagnent & fuivent le Cancer, qu'ils
en fixent le pronoftic & établiffent les
indications dans fes différens Géges , fes
diverfes efpèces & fes divers états ; qu'ils
remontent aux principes qui y donnent
lieu ; qu'ils déterminent la manière de les
reconnoître , & en donnent une théorie
fatisfaifante ; qu'ils indiquent les meilleurs
fpécifiques, connus , dans tous les
cas , en démontrant leur pouvoir ou leur
infuffifance ; qu'ils donnent enfin , s'il eft
poffible , de nouvelles vues fur les découverres
à faire & fur les moyens d'y par
venir. L'Académie invite les Auteurs à
dreffer des tables raifonnées , qui contiennent
l'extrait de ce qu'ils auront dit
de plus effentiel .
Le prix étoit de 600 livtes , fomme
déposée par M. Pouteau , académicien
ordinaire , pour être adjugée , par l'Académie
, à l'auteur du meilleur ouvrage
fur ce fujet , qu'elle a continué , en cone
fervant les mémoires admis au concours,
en 1770. Un Citoyen , plein de zèle pour
l'humanité , fans vouloir être connu , a
doublé la fommc propofée ; de forte que
le prix eft actuellement de 1200 livres .
MARS . 1772. 159
Les Mémoires ne feront admis que
jufqu'au dernier Janvier 1773. Les conditions
comme ci- deffus . La diftribution
fera faite dans la même féance que
celle
du prix précédent .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
Le dimanche 2 Février , il y a eu concert
au Château des Tuileries . On a
commencé par Domine audivi , beau
moret à grand choeur de la compofition
de M. d'Auvergne , furintendaut de la
mufique du Roi. M. Salomon , premier
violon de la mufique de S. A. R. Mgc
le Prince Henri de Pruffe , a montré beau-
Coup de talent dans l'exécution d'une fo
nate de fa compofition .
Mlle d'Avantois , qui a un très bel
organe , a chanté Exultate Deó , motet à
voix feule de M. d'Auvergne . On a beau-,
coup applaudi l'exécution brillante &
précife de M. Baër, qui a joué un concerts
de clarinette de la compofition de M.Sta.
mitz. Mde Charpentier a chanté avec autant
d'art que de goût Adorate , très- agrén;
ble motet de M. le Grand,
160 MERCURE DE FRANCE.
On a donné les plus grands éloges à
M. le Duc le jeune , qui a joué un beau
concerto de violon de la compofition de
M. le Duc l'aîné. Le concert a fini par le
Miferere mei Deus , motet à grand choeur
de M. l'Abbé Girouft , maître de mufique
des SS. Innocens .
OPERA.
L'ACADEN
ACADEMIE Royale de Mufique continue
les repréſentations de Caftor & Pollux
: l'affluence eft fi confidérable que
l'on a été obligé de fixer le nombre des
billets de parterre , & jamais cet opéra
n'avoit eu un fuccès auffi décidé . Nous en
avons donné l'extrait dans le dernier
Mercure , & nous nous empreffons de
rendre aux acteurs , qui l'exécutent , les
éloges que nous leurs devons.
Le Public y admire , avec juftice , la
nobleffe , l'intelligence , la chaleur , &
enfin la beauté de l'organe de M. Gelin
dans le rôle de Pollux ; la vérité de M. le
Gros dans celui de Caftor , vérité précieufe
, à laquelle il joint la voix la plus
fenfible , la plus nette , & la plus agréa
ble.
MARS. 1772. 161
Depuis le commencement de fon rôle
jufqu'à la fin , Mlle Arnoud n'eft plus le
perfonnage de la pièce , mais Thélaire même
dans le fecond acte on verſe , avec
elle , des larmes fur le tombeau de Caf--
tor ; dans le cinquième , on partage les
craintes qu'elle reffent de perdre encore
une fois l'amant que l'amitié de Pollux
lui a rendu. On s'intéreffe à fes plaifirs
comme à fes peines , & tous les fentimens
qu'elle éprouve paffent involontairement
dans l'ame du fpectateur.
M. Durand a rempli parfaitement le
rôle de Jupiter , & Mlle Durancy celui
de Phoebé dans lequel elle foutient la
réputation que fes talens lui ont acquife.
Mlle Rofalie & Mlle Beaumefnil par
tagent tour-à- tour les applaudiffemens du
Public , dans les petits airs qu'elles chantent
alternativement .
On voit avec très grand plaifir le ballet
du premier acte , compofé par M.
Dauberval : les différentes évolutions du
combat qui le termine , le nombre & la
chaleur des guerriers produifent le plus
grand effet, & préfentent le tableau le plus
vrai que l'on ait vu , dans ce genre , au
théâtre de l'opéra.
La lutte du fecond acte , miſe en action
162 MERCURE DE FRANCE.
par M. Veftris , ne fait pas moins de fen
fation , ainfi que le pas de trois qui la ſuit,
& dans lequel M. Dauberval , Mlle Allard
& M. Gardel réuniffent tous les fuffrages.
M. Veftris a répandu dans l'acte du
Ciel toute la volupté que refpirent les
airs du divertiffement. M. Dauberval ,
échauffé par la mufique de l'acte des Enfers
dont il a compofé le ballet , s'eft furpaffé
lui-même. Nous n'avons point d'expreffion
affez forte pour rendre la manière
terrible avec laquelle , fecondé des talens
de Mlle Allard , de Mile Aelin &
de M. Malter , il s'oppofe au paffage de
Pollux dans les Champs Elysées .
C'eft ici que M. Veftris a déployé tout
le charme de fon art & toutes les refources
de fon talent perfonnel . Le pas de
deux , qu'il exécute avec Mlle Guimard ,
attendrit involontairement , & fi nous
avions un reproche à faire à M. Veftris,
ce feroit d'avoir donné peut- être trop de
volupté à des ames qui ne doivent plus
connoître ni le trouble des fens , ni le
mouvement des paflions .
Perfonne ne reud plus de juftice que
nous aux talens reconnus de M. Gardel ;
il a fait des ballets charmans , & l'on auMARS.
1772 . 163
roit defiré quelque chofe de mieux dans
celui du cinquième acte , dont il eft l'auteur.
Nous fommes perfuadés que les fujets
lui ont manqué , & que s'il avoit été
fecondé , il auroit trouvé dans fon génie
les mêmes refſources qu'il a employées
jufqu'ici avec fuccès .
I paroît auffi qu'en général on a tronvé
la partie des décorations un peu négligée
à l'égard du tombeau , que quelques
perfonnes ont critiqué , nous fommes obligés
de dire que l'idée en avoit été trèsbien
conçue , mais qu'elle n'a point été
exécutée au gré de l'auteur.
N
COMÉDIE FRANÇOISE.
On attend toujours , fur ce théâtre , les
Druides , tragédie nouvelle de M. le
Blanc ; & Pierre le Cruel , tragédie de M.
de Belloy .
Le Sieur Paillardelle , qui a déjà joué
fur plufieurs théâtres de la province, a
debuté à Paris , le 20 du mois de Février,
les rôles d'Orgon dans le Tartuffe ; &
la Pupille.
par
Cet acteur , qui n'a pas trente ans , a
154 MERCURE DE FRANCE.
choifi les rôles de vieillards & ceux dits
à manteau. Il a quelqu'habitude de la fcène
; & il a le tems de raifonner & d'étudier
un att fi difficile lorfqu'on veut rendre la
nature & prendre le véritable caractère &
le fentiment des perfonnages.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN doit bientôt repréfenter une piéce
nouvelle dont la mufique eft de la compofition
de M. Darci , jeune homme de
quatorze à quinze ans , qui joue très- bien
du clavecin , qui a exécuté des piéces d'or
gue au Concert Spirituel , & qui a déjà le
génie de la compofition dans l'âge où l'on
peut à peine lire la mufique .
MARS.
1772:
165
ARTS.
GRAVURES.
I.
Jupiter & Antiope , d'après le tableau de
M. le Barbier l'aîné , gravé par M. Duflos
, rue
Gallande à Paris ; prix , 4 l .
CETTE eftampe eft
agréable . Elle a environ
20 pouces de hauteur fur 14 de
largeur. Elle fait pendant avec Jupiter &
Semelé , du même genre.
I I.
Galerie
Françoife ou
Portraits des Hom
mes & des
Femmes illuftres qui ont
paru en France , in-fol. Nº. IV. A Pa
ris , chez
Hériffant fils ,
libraire , rue
des Follés de M. le Prince .
Ce dernier cahier
contient ainfi que les
précédens les
portraits de cinq
perfonnages
illuftres qui ont bien mérité de la pa
trie ou par leurs écrits ou par leurs travaux.
Les
portraits qu'on nous
préſente
166 MERCURE DE FRANCE.
aujourd'hui font ceux du Comte d'Argen
fon , de Gilbert de Voifins , de la Marquife
du Châtelet , de Claude- Nicolas le
Car , & de l'Abbé Prevôt . Des notices hiftoriques
accompagnent ces portraits &
nous rappellent les qualités de l'homme
dont la gravure ne peut nous offrir que
les traits. Ces derniers portraits ont été
gravés d'un burin pur & foigné par les Srs
le Vaffeur , Levesque , Lempereur , Hen
riquès & Thérefe Devaux.
I I I.
Angelique & Medor , Vénus & l'Amour ,
deux eftampes en pendant d'environ
8 pouces de long fur 13 de haut. A
Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine ; prix , 3 liv. chaque eftampe.
La première de ces eftampes nous remet
devant les yeux une des fcènes les
plus agréables de Roland furieux , poëme
de l'Ariofte. C'eft le moment où la belle
Angélique & fon cher Medor affis voluptueufement
près l'un de l'autre gravent
fur les arbres les tendres fentimens de leur
coeur.
Dans la feconde eftampe Vénus ou la
déeſſe de la beauté , entourée des amours
MARS. 1772. 167
qui lui rendent hommage , prefcrit à l'aîné
d'entr'eux l'ufage qu'il doit faire d'une
fléche qu'il tient entre fes mains. Les
fcènes de ces deux eftampes plairont d'autant
plus qu'elles font difpofées avec le
plus d'avantage poffible pour faire valoir
les charmes de la beauté & les graces de
la jeuneffe. La premiere a été gravée par
M. Voyez l'aîné d'après le tableau de Jacques
Blanchard , & la feconde par M.
Levefque , d'après le tableau de M. Pierre
, premier peintre du Roi . Ces deux gra
veurs n'ont rien négligé pour donner à
leurs eftampes l'harmonie de la couleur ,
& y rappeller les beautés touchantes des
tableaux qu'ils copioient.
I V.
Les Offres réciproques , eftampe d'environ
18 pouces de haut fur 13 de large ,
gravée d'après le tableau original de
Dietricy , peintre de la Cour Electorale
de Saxe, par J. G. Wille , graveur du
Roi , de L. M. 1. & R. & de S. M. D.
A Paris , chez l'auteur , quai des Augutins.
Cette eftampe qui fait le pendant des
Muficiens ambulans du même artifte, pré168
MERCURE DE FRANCE:
fente une fcène également agréable , éga
lement animée . On y voit une jolie marchande
de koucks ou de gâteaux qui offre
fa marchandiſe pour de l'argent. Il y a
beaucoup de ces offres - là dans la fociété.
L'artifte nous a particulièrement intéreffé
à cette fcène par la magie d'un burin tou
jours pur& brillant .
V.
Eflampe allégorique fur la naiffance du
Fils du Prince des Afturies , compofée
par M. Hallé peintre du Roi de France
& gravée par P. P. Moles , Efpagnol ,
des académies royales d'Efpagne . Cette
eftampe qui a dix-fept pouces & demi
de haut fur onze pouces & demi de
large fe diftribue à Paris , chez Buldet,
rue de Gêvres ; & chez Chereau , rue
St Jacques ; prix , 3 liv.-
Cette eftampe ingénieufement compofée
nous repréfente au milieu du temple
de l'Immortalité le Roi d'Espagne couronné
de laurier & revêtu de l'armure des
héros de l'antiquité. Le Prince & la Princeffe
des Afturies lui offrent, par les mains
de la Fécondité , l'heureux fruit de leur
hymen. La Renommée qui prend fon effor
MARS. 1772. 169
for dans le haut du temple s'empreffe d'annoncer
cet événement qui fait la joie des
Espagnols . On lit au bas de l'eftampe des
vers latins relatifs au fujet qui y eft repréfenté.
Ces vers ont été compofés par
M. l'Abbé Molès , frère du graveur .
V I.
Portrait de Jean Racine , gravé d'après
le tableau de J. B. Santerre par P. Savart.
A Paris , chez l'auteur , barrière de
Fontarabie & aux adreffes ordinaires
de gravure ; prix , 3 liv.
Ce Portrait fera très - bien placé à la
fuite de ceux gravés par le même auteur.
L'illuftre poëte tragique qui eſt ici
repréſenté joignoit à un regard plein
de douceur une phyfionomie fi ouverte ,
fi agréable , que Louis XIV le cita un jour
comme une des plus heureufes. Ce portrait
intéreffera encore par la délicateffe &
la légèreté avec laquelle M. Savart l'a gravé.
Il est renfermé dans un médaillon au
bas duquel l'on voit différens attributs
relatifs à la tragédie , & un petit génie tenant
une lyre.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
VII.
Portrait en médaillon de Monfeigneur
Chriftophe de Beaumont , Archevêque de
Paris. Ce portrait intéreſſant eft très bien
gravé par M. Romanet d'après un tableau
peint de fouvenir , & cependant fort reffemblant
; par M. Duhamel , quai d'Anjou
, ifle St Louis au coin de la rue des
Deux-Ponts.
VERS à M. Ficquet , fur les différens por
traits des grands Hommes qu'il continue
de graver.
Il va inceffamment mettre au jour celui
de Racine , du même format que fon
Corneille .
PARAR ton burin fidèle , ingénieux ,
Qui fur les plus vantés remporte la victoire ,
Que de mortels chéris refpirent fous nos yeux !
Couvert d'un rayon de leur gloire ,
Ton nom , comme les leurs , d'âge en âge vivra ;
Quel autre à ce degré pourra jamais atteindre ?
Sans fuccès on le tentera :
Ficquet , graver ainfi , c'eſt moins graver que
peindre.
Par M. Guichard.
MARS. 1772. 171
MUSIQUE.
I.
IV Sonate per due flauti , overo due violini
è violoncello del Signor Neumann .
oeuv. I. Prix , 6 liv. A Paris , chez M.
Taillart l'aîné , rue de la Monnoie , la
première porte cochère à gauche en
defcendant du Pont-neuf , maifon de
M. Fabre & aux adrefles ordinaires de
mufique.
CES Sonates d'une exécution facile font
néanmoins très- propres à faire briller
l'inftrument par des tournures de chant
agréables & variées .
I I.
Prix de Mufique.
MM. les Adminiftrateurs de l'Ecole
royale gratuite de Deffin adjugeront une
médaille d'or de la valeur de trois cens
livres à la meilleure fymphonie concertante
, ou fymphonie à grand orcheſtre ,
qui fera couronnée au premier concert que
donnera cette Ecole . Les auteurs enyer-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ront leurs partitions fous envelope à M.
Rigel , profeffeur , rue de Grenelle St Honoré
, Nº. 64. On prie ces Meſſieurs de
mettre une devife fur un petit paquet cacheté
qui renfermera leurs noms , lequel
ne fera ouvert que dans le cas où le morceau
auroit remporté le prix dans le concours.
On ne recevra plus de morceaux ;
paffé le premier Avril . Le Sr Rigel remettra
les fymphonies qui n'auront pas
pu concourir à ceux qui les enverront chercher
, en les demandant par leur devife
jointe à la première mefure. Les étrangers
feront admis en affranchiffant le port juſqu'aux
frontières.
I I I.
Traité des agrémens de la Mufiqae,
contenant l'origine de la petite Note , fa
valeur , la manière de la placer , toutes
les différentes espèces de cadences , la
manière de les employer ; le tremblement
& le mordant , l'ufage qu'on peut
en faire ; les modes ou agrémens natu
reis , les modes artificiels qui font à
l'infini. La manière de former un point
d'orgue.'
Ouvrage original très utile non -feule
MARS. 1772. 173
ment aux Maîtres du goût du chant , mais
encore à tous joueurs d'inftrumens , &
que tous bons Muficiens , même Compo
fiteurs liront avec plaifir.
Cet ouvrage compofé par le célèbre
Guizeppe Tartini à Padoue , eft traduic
en François par le Signor P. Denis .
Cet ouvrage , qui a donné la naiffance
à la Mufique moderne , a formé beaucoup
d'habiles Artiftes ... Le prix eft de
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Saint Roch , près la rue Poiffonniere ,
maifon du Commiffaire , & aux adrefles
ordinaires de Mufique.
I V.
M. Hardouin , Maître de Mufique de
l'Eglife de Reims , a propofé par foufcription
fix Meffes de fa compofition à
imprimer , lefquelles ont été exécutées &
approuvées par Meffieurs les Maîtres de
Mufique de Notre-Dame , de la fainte
Chapelle , des faints Innocens & S. Germain
de Paris , qui ont foufcrit : trois de
ces Mefles doivent être délivrées au
mois de Mars , & les autres au mois
de Mai fuivant , moyennant la fomme
de trente fix livres par foufcription. Sur
Hìij
174 MERCURE DE FRANCE.
les obfervations qui lui ont été faites , il
a pris le parti de les faire graver . Elles
paroîtront aux mêmes échéances fur papier
in fol. nom -Jefus. Les planches ont
feize pouces de hauteur , fur dix pouces
& demi. Elles feront délivrées au prix
ci- deffus à ceux qui ont fouferit jufqu'à ce
jour. Mais , comme la dépenfe de la gravure
eft plus confidérable que n'auroit
été celle de l'impreffion , il fe trouve
obligé d'augmenter les foufcriptions futures
de la fomme de quatre livres . Elles
ne feront reçues que jufqu'au mois dè
Mars. Il faut s'adreffer à l'Auteur au Cloître
de Notre- Dame , à Reims , & affranhir
les lettres.
V.
Six Trio d'Ariettes d'opéra - comiques
dialogués pour deux violons & un violoncelle
par M. Tiffier , mis au jour par
M. Boiiin ; prix 7 liv. 4 f. chez l'auteur ,
rue St Honoré près l'Oratoire , & chez
M. Bouin , Md de mufique & de cordes
d'inftrumens, rue St Honoré près St Roch,
au Gagne petit & aux adreffes de muf
que.
Recueil d'Ariettes choifies avec accompagnement
de harpe , doité & compofé
MARS. 1772 . ∙ 175
•
par M. Hoehbrucker ; oeuvre ive . Prix ,
7 liv. 4 f. chez l'auteur , rue de l'Arbre
fec , à l'lfle d'Amour ; chez M. Bouin ,
& autres adreffes.
Cette mufique agréable chantante & bien
diftribuéefera recherchée des Amateurs.
ÉCOLE D'ARCHITECTURE.
M. B. Derefniere Architecte Profeſſeur
& correfpondant de l'Académie des Sciences
& Beaux-Arts de Parme , prend des
élèves pour leur montrer l'architecture &
tout ce qui y a rapport . On donnera un
détail plus circonftancié fur les moyens
d'exciter l'émulation des élèves lorsqu'ils
viendront fe faire infcrire chez le profeffaur
qui ne prendra que douze livres pour
le premier mois , & neuf livres pour chacun
des mois fuivans . Certe école fetierdra
chez ledit profeffeur rue des Prêtres S.
Germain l'Auxerrois , maifon de Madame
Frederiq , Maîtreffe Sage-Femme.
Les premiers qui fe préfenteront gagneront
encore quelques douceurs fur le
prix.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
COURS de Phyfique expérimentale.
QUELQUES perfonnes de confidération
ont engagé M. Sigaud de la Fond , membre
de plufieurs académies , profeffeur de
phyfique expérimentale & de mathématiques
, à recommencer un cours de phy
fique expérimentale le lundi , Mars à midi.
Il fe continuera les lundi , mercredi &
vendredi de chaque femaine à la même
heure. Il prie ceux qui voudront fe joindre
à cette compagnie de vouloir bien fe
faire infcrire d'ici à ce tems , rue S. Jacques
, maifon de l'Univerfité près Saint
lves.
LE PHOTOPHORE
ou porte-lumière.
M. LAMBERT a préfenté à l'Académie
de Berlin un Photophore , ou Porte- lumière
, inftrument de fon invention , que
l'on peut comparer au Porte voix. C'eſt
une espèce de cône tronqué de fer blanc
poli en dedans , mis devant une méche
MARS . 1772. 177
allumée ; il répand & porte la lumière la
plus vive & la plus égale à une diftance
de plufieurs pieds. On prétend qu'une
lampe ordinaire à deux méches , avec le
fecours de ce Photophore , donne le produit
de la lumière de dix - huit lampes femblables.
Voici les proportions de celui
dont il eft queſtion . La bafe du cône eft
un cercle de quatre pouces dix lignes dè
diamètre , le cône eft tronqué fous un
angle de quarante- cinq degrés. Sa plus
grande hauteur eft de fix pouces deux lignes
, & fa plus petite de cinq pouces
cinq lignes , & fa fection forme une
ellipfe , dont le grand axe eft d'un pouce
cinq lignes , & le petit d'un pouce une
ligne. Ce porte- lumière s'adapte au montant
des pieds de la lampe , moyennant
une tige , & fous un angle de quarantecinq
degrés , de façon que l'ovale placé
devant la lumière fe trouve dans un plan
perpendiculaire à l'horifon. Il est bon
que le pied de la lampe foit affez élevé
pour qu'on puiffe le hauffer ou le baiffer à
volonté .
C'est une idée heureufe , à laquelle on
peut encore ajouter pour propager, éten
dre & multiplier la lumière.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
BALLETTI , veuve du Sieur Lelio
Riccoboni.
HELENE VIRGINIE BALLETTI , naquit à Ferrare
le 27 Avril 1686 , d'une mere & d'un pere
originairement attachés aux différens théâtres
de leur patrie. L'hiftoire du Théâtre Italien fait
mention d'une Agatha Calderoni Detta Flaminia,
fa grand mere , qui , dit - on , avoit vu &
examiné plufieurs anciens canevas de piéces Italiennes
, approuvés & fignés de la main de Saint
Charles Borromée , Cardinal & Archevêque de
Milan , ce qui prouveroit combien en Italie
l'art dramatique étoit éloigné de bleffer les bienféances
& les moeurs . Il eft vrai que le feur Riccoboni
avoue que pendant plus de vingt années,
il a cherché dans toutes les villes qu'il a parcou→
rues à fe procurer quelques- uns de ces canevas ,
fans avoir pû en venir à bout.
Les parens de la Demoiſelle Balletti lui don '
nereut une éducation qui paroîtroit au - deſſus de
l'état auquel elle étoit deftinée , fi l'on ne jugeoir
de la Comédie Italienne que par la manière dont
elle eft généralement jouée dans ce fiècle : mais
on croyoit alors qu'un comédien ne pouvoit
exceller dans fon art , s'il n'avoit pas une imagination
vive & fertile , une grande facilité de
s'exprimer, s'il ne poffédoit pas toutes les délicarefles
de fa langue , & s'il n'aveit acquis toutes
* V. l'Hift. du Théâtre Italien in - 8° , pag. 5 9
MARS. 1772 . 179
les connoiffances néceffaires aux différentes fituations
où fes rôles pouvoient le placer.
Ce portrait du vrai comédien impromptuaire
que nous devons au fieur Riccoboni pere , étoit
exactement celui de la Demoiſelle Balletti , fa
femme , qui , dès fa plus tendre jeuneffe , étonna
les villes d'Italie où elle parut.
Deux célèbres Avocats de la République de
Venife qui s'amufoient quelquefois eux- mêmes
à jouer la comédie en fociété , ne purent le perfuader
, en voyant la jeune actrice dont nous
parlons , que fes rôles ne fuffent point écrits .
Voici l'épreuve à laquelle ils la mirent pour s'affurer
, fuivant leurs foupçons , qu'elle devoit plus
à fa mémoire qu'à fon imagination.
Ils l'inviterent un jour à une de leurs repréfentations
particulières , & comme ils avoient
annoncé deux pièces , la première ne fut pas
plutôt finie , qu'il fe répandit dans la falle un
bruit que l'amoureufe de la feconde venoit de ſe
faire excufer , & qu'il étoit impoffible à la troupe
bourgeoife de remplir les engagemens .
Tous les fpectateurs affligés de ce contretems
, jetterent auffi - tôt les yeux fur la Demoifelle
Balletti , qui , très - obligeamment , & bien
loin de foupçonner qu'elle le prêtoit elle- même
à la maligne curiofité de quelques - uns des acteurs
, s'offit à pafler fur le théâtre , & ne demanda
qu'un moment pour s'inftruire du fujet
de la pièce , & des entrées qu'elle devoit y
avoir.
Les deux Avocats , dont l'un jouoit le Docteur
, & l'autre le Pantalon , crurent l'embarraf-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fer , fur-tout dans une fcène où ils avoient à
foutenir contr'elle l'autorité des peres , à l'égard
de l'établitlement de leurs enfans. La connoiffance
qu'ils avoient des loix , leur facilité de
parler exercée tous les jours fur de pareilles matières
, ne furent , pour les talens de la Demoifelle
Balletti , qu'un aiguillon de plus ; elle défendit
les droits de la nature & de la raiſon aveć
tant de chaleur , tant de force , & tant d'éloquence,
que les deux interlocuteurs vaincus ne
purent s'empêcher d'interrompre le cours de la
piéce , par l'aveu public de leur défaite .
Un pareil triomphe ne put qu'augmenter la
célébrité de la jeune Demoiſelle Balletti , qui ,
d'ailleurs , par différentes piéces de vers impri
mées dans les Recueils des Arcades de Rome ,
mérita bientôt que les Académies de Rome , de
Bologne , de Ferrare & de Venife , infcriviilent
fon nom dans leurs registres.
Le fieur Louis Riccoboni , devenu directeur
de troupe à 22 ans , ne pouvoit faire un meilleur
choix que celui de la Demoiſelle Balletti ,
qu'il époufa. Son projet de ramener fa nation au
bon goût du théatre , qui fe perdoit tous les
jours , trouva , dans les talens diftingués de fa
femme , un des moyens les plus sûrs d'y parvenir.
Traducteur dans fa Patrie de quelques piéces -
de Molière , & de differentes Comédies Françoifes
, il faifoit tous les efforts pour balancer
le goût de la farce qu'entretenoient, au contraite
les perfonnages à mafques ; lorfqu'en
1716 il fut appelé en France avec la troupe ,
compofée des meilleurs fujets de Pitalic , pour
MARS. 1772
181
remonter fur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne ,
alors vacant .
On voit par les Lettres Hiftoriques qui furent
écrites fur le début de cette troupe , que
ce ne fut pas fans peine qu'elle réuffit parmi
nous , mais qu'il n'y cût qu'une voix fur l'intelligence
, l'imagination & l'efprit du fieur Riccoboni
& de fa femme .
L'étude qu'ils firent l'un & l'autre de notre
langue , les mit en état de l'écrire ; on connoît
les utiles ouvrages que nous devons au mari , &
fur-tout fes Obfervations fur Molière . A l'égard
de fa femme , dont il eft principalement queftion
ici , ce fut fans fon aveu qu'une critique
qu'elle s'étoit permife de faire de la traduction
de la Jérufalem Délivrée , devint publique en
1724.
L'abbé Conti l'avoit follicitée de lui dire fon
avis fur cette traduction de M. Mirabaud , &
croyant ne fe livrer qu'à fon ami , elle ſe laiſſa
aller à un ton de critique trop peu ménagée
envers un homme de lettres auffi confidéré
que M. Mirabaud . Cet auteur s'en plaint dans
la préface de fes dernières éditions , mais avec
une fageffe & une modération qu'il eut toujours
, & en convenant que cette critique , malgré
fon amertume , lui avoit été fort utile dans
la fuite .
L'abbé Desfontaines n'avoit pas plus épargné
la nouvelle traduction , alors très défectueule ,
& l'on voit le critique , dans le tome troème
de fes Obfervations , dire avec plaifir de la nou--
velle édition du même ouvrage , qu'on n'y trouve
plus de ces méprifes que Mademoiſelle Rice
182 MERCURE DE FRANCE.
coboni , dans une brochure , & lui , dans le Journal
des Sçavans , avoient fait appercevoir à
l'auteur.
Deux ans après , Madame Riccoboni , à qui
la connoiffance de la langue latine étoit familière
, tira du Mercator & du Rudens de Plaute ,
une comédie en cinq actes , qu'elle intitula le
Naufrage , mais le fuccès n'en ayant pas été fort
heureux , elle abandonna ce genre , pour le
quel l'efprit n'eft pas la feule difpofition néceffaire
.
Elle fe retira du théâtre avec fon mari au
mois de Mars 1729 , & y remonta à la fin de
Novembre 1731 , pour le quitter tout-à- fait en
1732. Elle laifoit à la troupe un fils , qui s'y
diftingua long-tems fous la double qualité d'acteur
& d'auteur,, & qui , digne émule de fen
pere ,fit encore plus , pour la gloire de fon nom ,
en époufant Madame Riccoboni , aujourd'hui
vivante , & qui , par un grand nombre d'ouvrages
charmans fort au- deffus des Scuderis & des
Villedieux , fe place au moins à côté des Lafayette
& des Sévigné.
Honorée par fes propres talens , honorée par
ceux de fon mari , par ceux de fon fils , & par
ceux de fa belle - fille , Madame Riccoboni , la
mere, veuve depuis long - tems & parvenue à
l'âge de 85 ans , ne devoir plus rien avoir à fou
haiter fur la terre ; auffi fa vieilleffe fe confacra-
t-elle à des defirs qu'ont dû couronner la
piété & fa mort vraiment chrétienne , arrivée le
30 Décembre 1771 .
MARS. 1772. 183
BRAVOURE DES FEMMES.
N 1379 la garnifon d'Alfaro en Eſpagne
ayant pris la fuite & abandonné la
ville aux Anglois qui l'affiégeoient , les
femmes fe mirent fous les armes & foutinrent
l'affaut avec tant de courage &
d'intrépidité, que les ennemis furentobli
gés de fe retirer . Il faut avouer , dit leur
chef, que nous avons eu affaire à des hommes
bien efféminés , & à des femmes bien
måles.
ECONOMIE GÉNÉREUSE.
Les aumônes entretiennent fouvent
l'oifiveté & perpétuent la misère lorf
qu'elles n'appellent point le travail , &
qu'elles ne fourniffent pas des moyens
d'occupation. C'est ce qu'a bien compris
cet eftimable curé de Saint Gilles dans le
pays de Caux , diocèfe de Rouen . Ce bon
paſteur avec une cure d'environ deux
mille à deux mille cinq cens livres , a
fu épargner affez de fon revenu pour
184 MERCURE DE FRANCE .
fonder par une fage économie des travaux
de main d'oeuvre qui employent les
pauvres familles dans les jours ftériles de
l'hyver , & durant les longues foirées où
l'on ne peut travailler dans les champs. Il
a fait conftruire deux grands atteliers ,
l'un pour les garçons , l'autre pour les
filles ; il leur fournit les inftrumens néceffaires
à leur métier , & fait les avances
des matériaux convenables à leur manufacture
, & donne même des prix d'émulation
à ceux qui fe diftinguent. Il a fait
auffi bâtir plufieurs maifons pour de petits
ménages . Il fecourt & favorife les
nouveaux établiſſemens ; il prévient les
querelles & accommode les procès ; toute
fa paroiffe femble habitée par une même
famille dont il eft le chef, le guide &
l'appui. L'archevêque de Rouen a voulu
donner à ce digne Pafteur une cure de huit
mille livres de revenu ; mais ce curé a
prié fa Grandeur de le laiffer à fon premier
troupeau dont il fait les délices.
MARS. 1772. 185
ACTES DE BIENFAISANCE.
I.
Le nouvel évêque prince de Spite a réformé
une grande partie de fes dépenfes
attachées à fon rang , il a réduit le nombre
de fes troupes pour diminuer les impofitions
fur le peuple , difant qu'il ne
vouloit pas que fon fuperflu ótát le nécef
faire àfesfujets.
I I.
L'archiduc Ferdinand étant à Schonbrun,
on lui montra le deffeind'une illumi
nation que ce jeune prince confidéra en
foupirant & verfant quelques larmes
L'impératrice étonnée de cet attendriffement,
lui en demanda la cauſe . Hélas , répondit
ce Prince , voilà affez de fêtes qu'on
me donne ; encore une illumination , cela
coutera tant , & ily a tant de malheureux
à cause de la cherté des grains . L'impératrice
embraffa fon fils , & lui fit remettre
l'argent de la fête qui lui étoit deftinée.
Cette fomme fut employée auffitôt dans
186 MERCURE DE FRANCE.
le plus grand fecret à foulager plufieurs
familles honnêtes ; & le Prince fatisfait,
après cet acte de bienfaifance , abordant
l'impératrice , s'écria , ah , ma mère quelle
féte!
I I I.
L'archiduc arrivant à Milan , n'accepta
fuivant les intentions de l'Impératrice ,
le don gratuit de douze cens mille livres
que la ville lui offrit à l'occafion de fon
mariage avec la princeffe de Modène ,
qu'en la deftinant auffitôt à des travaux
utiles aux Milanois .
Ce Prince a aboli le tribunal de l'inquifition
: il confacre un jour de la femaine
à une audience publique qui commence
avec le jour. Ce Prince n'a que
dix-fept ans , il eft nouvellement marié ,
& il a déja la force de faire céder fes plaifirs
aux fonctions pénibles de la fouveraineté
.
V I.
Un des courtisans de l'Empereur vouloit
lui perfuader de profiter des troubles
de Pologne , pour faire valoir des prétenMARS.
1772 .
187
tions , peut-être dans le vrai légitimes ,
qu'il a fur quelques diftricts de la Pologne
qui fe trouvent enclavés dans la Hongrie
.
13
Moi , répondit ce généreux Prince ,
» faire valoir des prétentions , quand tous
» les fléaux femblent être réunis pour accabler
mes malheureux voisins ; à Dieu
ne plaife que j'aie jamais une telle pen-
»fée. Je fuis homme , ne puis - je pas être
malheureux un jour , & craindre que
» la vengeance célefte fufcite quelques
» voifins ambitieux pour achever de m'opprimer.
A quoi me ferviront quelques
» cantons de plus ? N'ai - je pas affez de
» terres incultes ? affez de fujets pauvres ?
» Hélas ! je n'en ai déjà que trop pour
pouvoir les rendre tous auffi éclairés ,
» auffi bons , auffi heureux que je le defire
».
Dans fon voyage de Prague , fe trouvant
logé dans une auberge de village ,
il fut environné d'une grande quantité de
gentilshommes & d'autres citoyens , les
uns pour lui rendre hommage , les autres
pour réclamer fa juftice. Il en retint un fi
grand nombre , que fes officiers lui repréfentèrent
qu'il n'avoit pas affez d'argenterie
pour tant de monde. Qu'importe ,
188 MERCURE DE FRANCE.
leur répondit tout haut l'Empereur , on
trouvera ici fuffifamment d'étain ; ces mef.
fieurs voudront bien excufer un voyageur.
Pendant tout fon voyage , il fit manger
avec lui les Capitaines & même les Syndics
des Cercles.
A Prague on voulut l'engager à aller au
fpectacle. J'ai trop d'affaires , dit- il , pour
perdre mon tems à m'amufer.
V.
Nous rapporterons encore comme un
trait de bienfaifance l'ordonnance que
Sa Majefté Impériale & Royale a rendue
de tenir renfermés dans des parcs , les
fangliers qui auparavant endommageoient
les récoltes , & attaquoient même
les hommes ; par cette ordonnance
tous poffeffeurs du droit de chaffe font
tenus de faire pourfuivre & tuer ceux de
ces animaux qui n'ayant pas été enfermés ,
feront apperçus dans les bois & dans les
plaines.
On fait auffi l'ordre donné par l'Archevêque
de Rouen de détruire fa ga
renne de Gaillon ; & celui du Duc de
Bouillon , qui en héritant du Prince , fon
MARS. 1772. 189
pere , fit faire une battue générale dans
fa Terre de Navarre pour détruire les lapins
, dont le produit de la vente fut
auffi tôr remis au Receveur des Tailles
à la décharge de la Paroiffe.
ÉTABLISSEMENT UTILE.
Le Roi d'Eſpagne , perfuadé quel'orappauvrit
fouvent les Etats, & que le travail
feul de la terre les féconde , vient d'établir
des colonies de Cultivateurs pour défrig
cher les vaftes plaines de l'Andaloufie . Sa
Majefté Cath. fait ouvrir des chemins
& des canaux de commurication pour
faciliter les débouchés des denrées . Des
manufactures utiles naiffent de l'abondance
des matières premières . Le laboureur
induftrieux voit la terre récompenfer
fes peines , & des familles accourent
de tous les pays de l'Europe partager des
travaux fertiles , qui font encouragés &
honorés par le Souverain ; c'eft l'avantage
de la culture ; elle eft la mère de tou
tes les richeffes , de tous les arts , de la
population , de l'abondance & des biens
qui font le bonheur & la force des Empires.
190 MERCURE DE FRANCE.
ACTE DE GÉNÉROSITÉ.
LIE jeune Roi de Suéde a donné un
graud exemple de modération durant la
tenue de la Diette. Un membre de l'ordre
de la nobleffe s'emporta contre un
projet approuvé par le Roi , & ménagea li
peu fes expreffions contre Sa Majesté
que fon ordre crut devoir lui impofer filence
, & lui refufa d'affifter davantage
à fes affemblées. Le Roi informé de cette
juſte punition , dit au Maréchal de la
Diette : Je vous prie d'intercéder de ma
pare auprès de la nobleffe pour un bon
citoyen , qui a pu s'oublier un moment
mais dont l'Etat a befoin, & que la Diette
a intérêt de conferver,
HONNEURS
MILITAIRES .
ES Les de ce mois , les Vétérans du régiment
duRoi infanterie, furent reçus par M.
Dupleffis, brigadier & major de ce Corps,
en préſence du Maréchal de Lorge qui leur
donna l'acolade , d'un grand nombre des
MAR S. 1772. 191
habitans de cette ville , & des Dames qui
occupoient les fenêtres du pavillon de
MM. les Officiers , vis - à - vis duquel le
régiment étoit en bataille. Après cette
cérémonie on fe rendir aux deux manéges
militaires qui étoient décorés à cet effet ,
Dans l'un on avoit dreffé une table de
180 couverts pour les Officiers étrangers,
les Vétérans du Corps , ceux du régiment
de la Reine Dragons & d'Auxone du
Corps Royal qui y étoient invités . M. le
Maréchal y dina avec eux au bruit de la
moufqueterie & d'une mufique militaire,
Des chanfons convenables à la fête animèrent
le repas ,après lequel on paffa dans
l'autre manége qui étoit divifé en falle
de jeu , falle de danfe , &c . Les Vétérans
ouvrirent le bal avec la Marquise de St
Simon , la Comteffe de Durfort & autres.
Ils continuèrent de fe livrer au plaifir
qu'ils reffentoient jusqu'au fouper qui ,
fut fervi for deux tables , l'une de 180
l'autre de 60 couverts ; après lequel le
bal recommença & fe foutint toute la
nuit , de façon que la fête entière dura
depuis deux heures après midi jusqu'à
fept du matin. Les propos que tinrent les
Vétérans , leur attendriffement même,témoignèrent
combien ils étoient fenfibles
192 MERCURE DE FRANCE.
à la marque de diftinction qui leur étoit
accordée & à cette fête par laquelle leurs
Officiers ont montré la part qu'ils y prenoient.
Ils ont paru flattés des vers fuivans
dont on avoit mis un , exemplaire
fous chaque couvert . M. Ethis , commiffaire
des guerres , leur en lut auffi qui
firent le plus grand plaifir , & que , d'après
l'éloge qu'on nous en a fait , nous inférerons
dans notre Journal , s'il veut bien
nous les communiquer.
Meffieurs les Officiers du Régiment du
Roi , aux 70 Vétérans du même Corps,
reçus le
Février 1772.
S
UERRIERS dont la valeur a maintenu fans
tache
L'honneur du Corps , des Chefs , & même de
l'Etat ,
Mais qui dans cette foule où le deftin vous cache
Des plus beaux traits peut- être aviez perdu l'éclat :
Vétérans , Compagnons , Lovis vange l'outrage
Que vous faifoit le fort trop injufte envers vous.
La marque qu'il vous donne eft le fceau du courage
:
Elle eft pour vous , Soldats , ce qu'eft la Croix
pour nous,
Qui
MAR S. 1772 . 193
Qui l'aura mérité , par- tout , fans qu'on le nomme
,
Entendra deformais répéter près de lui :
« Il a fervi long-tems , refpectons ce brave hom-
33
» me;
Qu'il foit cher à l'Etat , puifqu'il ca fut l'appui..
Tous nos jeunes Soldats , du même prix avides,
Déjà vous enviant ce figne glorieux ,
Aux fentiers de l'honneur vous prennent pour leurs
guides :
Ufez de l'afcendant qu'il vous donne fur eux.
་ ་
Formez - vous des rivaux dans tous vos camarades
;
Faites leur voir vos fronts endurcis au bivac ;
Contez leur , pour en faire autant de LA FEUILLADES
,
*
Les exploits de Laufeld , les travaux de Corbac.
Qu'ils partagent ce feu qui remplifloit vos ames,
Lorfque des ennemis vous bravicz les fureurs
Et l'airain qui tonnoit en vomiflant des flammes.
Formez- les & fur- tout fomentez dans leurs coeurs
Cet efprit d'union & cette intelligence ,
ง
* La Feuillade , le plus ancien des Vétérans du
Régiment , fert dès 1734 ; il a été depuis ce tems à
toutes les affaires où nous avons marché ; il fut
bleflé à Haftimbeck.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Qui liant chaque membre à l'intérêt d'un Corps ,
Les fait tous concourir au falut de la France ,
Et de l'Etat entier tend ainfi les reflorts.
Ce même efprit nous guide , avec vous il nous
lie ;
Il fe rechauffe encore en ce jour glorieux ,
Et nous fait célébrer vos honneurs qu'on public
Au milieu des feftins , des danfes & des jeux.
Nous devons prendre part à votre récompenſe,
Nous avons avec vous partagé vos travaux :
Mais , fi vous en gardez quelque reconnoiffance ,
Vous nous fuivrez encore à des périls nouveaux .
Par M. de V *** , Officier au
régiment du Roi Infanterie.
ANECDOTES.
I.
Le Maréchal d'Estrées étoit grand curieux
, il achetoit tout ce qui fe préfentoit
de beau ; cela fait , il l'enfermoit &
ne le revoyoit plus . Sa femme lui difoit
un jour : M. le maréchal , vous ferez bien
fáché de n'être pas à votre inventaire .
MARS. 1772 195.
I I.
Un mari trouva fa femme qui étoit
fort laide , couchée avec un homme , à qui
il dit fans fe fâcher : Eh , Monfieur , vous
n'y étiez pas obligé.
I I I.
La fille de Thémistocle étoit recherchée
d'un fot & d'un honnête homme
dont le premier étoit riche & l'autre pauvre.
Il prit l'honnête homme pour fon
gendre , car j'aime mieux , dit - il , un
homme qui ait befoin de bien , que du
"
ינ
»bien qui ait befoin d'un homme. »
و ر
I V.
Un homme de condition étoit très -malade
à une terre en Auvergne , éloignée
de tout fecours . On lui propofa d'envoyer
chercher le médecin de Clermont. » C'eſt
» un médecin trop confidérable , dit - il ,
» je n'en veux point ; qu'on aille cher-
» cher le chirurgien du village , je l'aime
» mieux , il n'aura peut être pas la har-
» dieffe de me tuer. »
·
I ij
196. MERCURE DE FRANCE.
V.
Anecdote de Corfe.
Deux Grenadiers François du Régiment
de Flandres , en garnifon à Ajacio ,
qui avoient déferté , appercevant leur Colonel
, fe cachèrent dans des hayes ; mais
un payfan Corfe les découvrit , & reçut
quatre louis d'or pour prix de fa dénonciation
. Il alla tout joyeux faire part de fa
bonne fortune à fa famille & à fes amis ,
qui furent fi indignés de cette action
qu'ils fe faifirent de lui , le firent confeffer
, & le conduisirent comme un criminel
fous les murs d'Ajacio , où ils le
fufillèrent ; ils renvoyèrent enfuite par
le Confefleur les quatre louis que ce
payfan avoit reçu , & firent dire au Colonel
qu'aucun d'eux n'oferoit toucher à
ce prix de l'infamie , fans fe croire deshonoré
& fouillé .
MARS. 1772. 197
EPITAPHE de M. de Chevert.
On a placé dans l'Eglife de St Euſtache à Paris
le médaillon en marbre de M. de Chevert , avec
une épitaphe que fa noble fimplicité a fait remarquer;
nous la rapportons ici comme un excellent
modèle en ce genre.
On attribue cette épitaphe à plufieurs de MM.
de l'Académie Françoile. La voici :
FRANÇOIS DE CHEVERT ,
Commandeur Grand'Croix de l'Ordre Royal &
militaire de St Louis , Chevalier de l'Orde royal
de l'Aigle Blanc de Pologne , Gouverneur des
villes de Giver & Charlemont , Lieutenant- géné
ral des armées du Roi.
Sans ayeux , fans fortune , fans appui ,
Orphelin dès l'enfance ;
Il entra au fervice à l'âge d'onze ans.
Il s'éleva , malgré l'envie , à force de mérite ;
Et chaque grade fut le prix d'une action d'éclat
Le feul titre de Maréchal de France a manqué
Non pas à fa gloire ,
Mais à l'exemple de ceux qui le prendront pour
modèle.
Il étoit né à Verdun fur Meufe le 2 Février 1695,
Il mourut à Paris le 24 Janvier 1769 .
Priez Dieu pour le repos de fon ame.
I
jij
198 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas du portrait
de M. Helvetius.
Tour entier à l'humanité ,
A l'aider , à l'inftruire il confacra fa vie ;
Ses écrits , fes bienfaits atteftent fon génie ,
Et le bonheur d'autrui fut fa félicité.
Tendre ami, tendre époux , bon citoyen, bon père,
De tout le bien qu'il fit , il remplit fa carrière ;
Mais hélas ! l'immortalité
Pouvoit feule fuffire au bien qu'il vouloit faire.
Par M. L ** , lib.
EDITS , ARRÊTS , & C .
I.
EDIT du Roi , donné à Versailles au mois de
Septembre 1771 , regiftré en parlement le 10 Décembre
fuivant ; portant rétabliſſement du préfidial
de Mâcon.
* M. Helvetius a fait un beau poème en fix
chants fur le bonheur , & d'autres ouvrages que fa
modeftic tenoit cachés.
MARS. 1772. 199
I I.
Edit du Roi , donné à Verfailles au mois de
Septembre 1771 , regiftré en vacation le 22 Octobre
1771 , en parlement le 20 Décembre audit
an ; portant création d'un confeil fupérieur à
Douai.
I I I.
Edit du Roi , donné à Verfailles au mois de
Novembre 1771 , regiftré en parlement le 18
Décembre audit an ; portant fupprefion de la
Vicomté de Cherbourg , & réunion au bailliage
de Valognes.
I V.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Décembre 1771 , regiftié en parlement le 10 du
même mois ; portant création d'un confeil fupérieur
à Rouen.
V.
Edit du Roi , denné à Fontainebleau au mois
d'Octobre 1771 , regiftré à l'audience de France
& au parlement de Paris ; portant établiflement
d'une chancellerie en Normandie.
V I.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois dé
Novembre 1771 , regiftré en la chambre des
Comptes les Décembre audit an ; portant fuppreffion
des deux offices de Tréforiers de la Maifon
du Roi , & création d'un feul office de Tréforier
général de ladite Maifon.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
VII.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 30
Novembre 1771 , regiftrée en parlement le 7
Décembre fuivant ; concernant le bureau des
Finances de Paris.
VIII.
Déclaration du Roi , donnée à Verfailles le 241
Novembre 1771 , regiftrée en parlement le 18.
Décembre audit an ; portant établiflement de
chancelleries dans les fiéges royaux reflortiſſant
Quement des cours de parlemens , &c.
I X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 27 Octobre
17713 qui ordonne que l'emprunt de deux
millions de livres de rente viagères fur une &
fur deux têtes , ouvert à Amſterdam , n'aura lieu
en Hollande que pour moitié ; & que l'autre
moitié dudit emprunt fera ouverte à Paris au
tiéfor royal.
X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 28 Décembre
1771 ; qui proroge le délai pour la conftitution
des promeffes à quatre ou à cinq pour
sent , de la Compagnie des Indes ; & qui ordonne
la conftitution de celles defdites promeffes qui
ont été déposées , foit au caiffier général de ladite
Compagnie , foit ès mains des dépofitaires
particuliers,
MARS 1772 . 201
X I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 16 Sep
tembre 1771 ; & lettres- patentes fur icelui , regiftrées
au parlement le 7 Décembre 1771 ; con
cernant la reconstruction de la nef de l'Eglife
royale & paroiffiale de St Bartelemi , en la Cîté
à Paris ; & l'acquifition des terreins néceflaires à
cet effet.
AVIS.
I.
Nouvelle découverte de pâtes , de fuops &
de tablettes d'orge , par M. de Chamouffet.
CETTE pâte , foivant le rapport même de
MM. les Commiffaires de la Faculté de Médecine
chargés de l'examiner , renferme plufieurs
avantages qui doivent rendre cette découverte
précieufe & utile à l'humanité . 1º . On eft für
de fournir aux malades un aliment médicamenreux
, dont les Anciens faifoient le plus grand
ufage , & qui , dépouillé de la partie extractive
qu'auroit pu lui fournir l'écorce , ne portera
rien d'acre ni d'irritant. 2 ° . Cette farine ayant
fubi antérieurement un mouvement de fermentation
, eft plus mifcible à toutes nos humeurs.
3. La facilité avec laquelle cette pâte fe diffout
dans l'eau chaude , permet aux Médecins
de la faire prendre aux malades dans des décoctions
ou des infufions appropriées à la fituation
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
+
des perfonnes qu'ils traitent. 4° . Enfin la modicité
du prix , en comparaifon de ce que coûtent
les bouillons faits avec la viande , la facilité
du transport & la célérité de la préparation
tendront cette pâte d'ua ufage journalier, &
doivent faire applaudir au zèle du Citoyen qui
l'a inventée.
Lorfque l'on ouvrira dans le public le débit
de ces firops & pâtes d'orge , les Apothicaires
qui voudront s'en charger , auront la préférence
fur tous les autres . Mais afin de mieux convaincre
le public de tous les avantages de cette
nouvelle découverte , on lui met fous les yeux
dans une brochure qui fe publie à Paris , chez
Barbou , Imprimeur, rue des Mathurins ; les fenti
mens de Médecins éclairés , des obfervations faites
en Angleterre , & différentes lettres fur ces
obfervations ; l'avis de MM. les Commiffaires de
la Faculté de Médecine de Paris , le decret de
cette Faculté , l'extrait des Regiftres de l'Académie
des Sciences de 1766 , enfin le privilége
qu'il a plu au Roi d'accorder à l'Auteur pour la
compofition des firops , pâtes & tablettes d'orge
& de bierre , fur le rapport avantageux qu'a
bien voulu lui faire de cette découverte un Miniftre
auffi éclairé que zélé pour le bien du public
en général , & particuliérement pour celui
de la Marine & des Colonies dont il a l'adminiftration
.
I I.
Penfion.
Le feur Cochet , Maître ès Arts & de Penfion
, rue de Montreuil , fauxbourg Saint - Antoine
à l'Hôtel de la Folie Titon , follicité par
MARS. 1772 . 203
des perfonnes qu'il n'a pu refufer , a fait arranger
un très -bel appartement ifolé de ſa Penfion
pour y élever des enfans dès l'âge de trois ans &
demi. Ils y font fous les yeux d'une Bonne intelligente
furveillée par la Maîtreffe de la maifon.
Le prix de la Penfion eft de 350 liv . fans
mémoire quelconque.
Il y a auffi chez le fieur Cochet une Ecole de
Mathématiques & de Deffin. Les leçons de Mathématiques
font particulieres à chaque Elève ,
& données tous les jours . Celles de Deffin font
de deux heures chacune trois fois la femaine.
Le prix de la Penfion pour ceux qui voudront
les Maîtres de Mathématiques & de Deffin avec
le refte de l'éducation , eft de 750 liv. fans mémoire.
I I I.
Effence de vie
M. Trefenchel avertit le public qu'il y a des
gens qui contrefont fon Effence de Vie , & que
pour avoir la véritable , il faut s'adreffer à luis
il demeure toujours Abbaye Saint Germain- des-
Prés , à Paris , rue Childebert , vis- à - vis la Grille
de la Cour des Religieux , à côté d'un Fayancier.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Hambourg le 23 Janvier 1772.
Les lettres de Copenhague ont confirmé la ES
nouvelle de la révolution arrivée en Danemark.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Elles contiennent les particularités fuivantes.
כ כ
ל כ
כ כ
55
ود
35
93
ל כ
ככ
» La nuit du 16 au 17 , il y avoit eu balà
la Cour. Le Roi s'étoit retiré , à minuit , dans
for appartement. C'eft à quatre heures du
» matin qu'il donna ordre d'arrêter la Reine
& plufieurs perfonnes de fa Cour ; & le fecret
avoit été tellement gardé qu'aucune ne fut
prévenue du fort qui l'attendoit . Le Comte
5, de Struenfé , principal Miniftre , fut un des
5 premiers qu'on arrêta . Ce Comte , qui avoit
accompagné le Roi dans fes voyages en qualité
de fon premier Médecin , étoit parvenu
à la plus grande faveur , & avoit avancé fa
famille. Deux de fes freres ont partagé fa
difgrace. Les ordres du Roi furent exécutés
en une heure de temps . Sa Majefté , après
s'être montrée , le matin , au peuple , fur fon
balcon , fe promena , à midi , dans un cartoffe
de parade , attelé de fix chevaux blancs ,
dans les principales rues de la ville , au milieu
des acclamations de fes Sujets . A deux
heures il y eut grande Cour au Château , &
l'après - dînée , Comédie Françoife au Théâtre
» de la Cour. Lorfque le Roi parut dans fa
» loge , les fpectateurs témoignerent une grande
joie. Le foir , la Ville fut illuminée , & la
populace pilla , dans la nuit , les maisons des
perfonnes difgraciées & quelques - unes de celles
de leurs amis. Le Roi , inftruit de ces
excès , les réprima par une Ordonnance qu'il
fit publier , & à laquelle on obéit avec refpect
. Toutes les peifonnes attachées au fer-
» vice de la Reine , fe font rendues le 19 à
Kronembourg.
ور
ככ
20
లు
ככ
ם כ
"
ככ
>
כ כ
ככ
د ر
ככ
ג כ
Au refte , les mêmes lettres annoncent qu'il
MARS. 1772. 205
regne à Copenhague le plus grand ordre & la
plus grande tranquillité.
De Warfovie, le 15 Janvier 1772.
Il paroît ici un Manifefte de la Confédération
générale , daté du 25 Décembre dernier ,
par lequel il eft enjoint à tous les Grands & à
tous les Nobles de fe trouver au rendez - vous
qu'elle a indiqué , fous peine de perdre leurs
charges & leurs biens . On dit qu'elle n'attend
que l'arrivée du Comte Porocki , Echanfon de
Lithuanie , & du fieur Krafinski , pour publier
de nouveaux Univerfaux.
De Cadix, le 24 Janvier 1772.
On a déjà procédé , en vertu des ordres de
la Cour , à la réforme de vingt - cinq hommes
par Compagnie , dans les Régimens d'Infanterie
Efpagnole , qui font en garnifon dans cette
Place ; de forte que les Compagnies fe trouvent
réduites à cinquante hommes. Cette réforme
n'a lieu que pour les troupes Nationales , &
non pour les troupes étrangeres , telles que les
Walons , les Irlandois & les Suiffes.
De Londres , le 11 Février 1772.
Il ne s'eft rien paffé au Parlement depuis le
21 du mois dernier qui ait excité la moindre
difcuffion dans les deux Chambres . Celle des
Pairs ne s'eft occupé que d'affaires civiles . La
plus grande partie des Membres de l'oppofition
continue de s'abfenter de cette Chambre , parce
qu'elle ne trouve aucune occafion d'attaquer
l'adminiftration actuelle . La taxe des terres a
été fixée à 3 fchelins pour liv . ainfi le quatrieme
206 MERCURE DE FRANCE.
9
fcheling, qui avoit été ajouté l'année derniere
comme fubfide extraordinaire , fe trouve fupprimé.
Le Bill , pour continuer la défense de
l'exportation des grains & celui qui permet l'importation
des viandes falées , ont reçu le confentement
du Roi.
De la Haye le 11 Février 1772 .
Les Armateurs Hollandois , intérefiés à la
pêche du hareng , n'ont pas appris fans inquiétude
le projet dont on étoit occupé en Angleterre
de limiter ou de taxer la pêche dans les
mers voisines de la Grande- Bretagne . Un bill de
cette nature porteroit le dernier coup à cette
branche de commerce de la République.
On a découvert une nouvelle maniere de
harponner la baleine. On fe fert d'une espèce
d'arbalête pour le jet du harpon ; il ne fera
plus lancé ni filé par la raain des Pêcheurs qui
étoient fouvent entraînés & périlloient dans les
flots. Par le moyen de cette invention , dont
la pêche prochaine juftifiera l'utilité , on chaffera
à la vue & au trait dans les Mers du Groenland ,
ainfi que dans les plaines du Continent.
De Verfailles le 19 Février 1772.
On fe rappelle l'action courageufe du Vicomte
de Bar , Garde de la Marine & neveu du Bailli
de Bar , ci -devant Général des Galères de Malte.
Ce jeune Officier , dans un naufrage qu'il
effuya avec quatre autres Gardes de la Marine
près de l'ifle Maire à la rade de Marfeille ,
fauva, aux rifques de fa vie , le fieur de Calamand
, & l'amena heureufement à l'Ifle Maire.
Le Roi , voulant récompenfer le zèle , le courage
& l'humanité du Vicomte de Bar , lui a
MARS .
1772.
207
accordé le droit de nommer , à fon choix , un
Garde de la Marine . En conféquence le Vicomte
de Bar a propofé le fieur de Saint - Georges , de
la. Province de Berry , que Sa Majefté a bien
voulu agréer.
De Paris , le 14 Février 1772.
Un Laboureur , en travaillant un champ aux
environs d'Agen , a trouvé plufieurs Médailles
de bronze d'Agrippa , de Néron , de Vefpafien ,
de Domitien & des Antonins . Ce champ fervoit
anciennement d'emplacement à un Temple
de Diane , qui fut démoli vers l'an 308. Les
fouilles qu'on fe propofe d'y faire , pourront
procurer quelques découvertes plus intéreilantes.
De Paris , le 21 Février 177 1 .
L'Académie Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres a élu . dans fon affemblée du 7 de ce
mois , pour Académicien afſocié , le fieur Dacier ,
à la place vacante par la promotion de l'Abbé
Foucher à la penfion .
Les Magiftrats de la ville d'Arras ont publié ,
le 24 Janvier , un Réglement , par lequel il eft
ordonné à ceux qui feront auprès des malades ,
de lailer dans le lit les perfonnes mortes , & de
les tenir couvertes , à l'exception de la tête qui
doit être libre ; il eft défendu aux Menuifiers
& autres Ouvriers , de renfermer les corps dans
les cercueils , avant le terme au moins de vingtquatre
heures pour ceux qui feront morts fubitement.
Ce Réglement eft d'autant plus intéreffant
, que , dans plufieurs Provinces du Royaume
, on met fur des planches les malades , dès
qu'ils font expirés , & qu'on les enferme quel208
MERCURE DE FRANCE.
ques heures après dans une biere. A Londres , à
Geneves , à Genes , dans le Nord , on n'enterre
les morts qu'au bout de trois jours ; il y a même,
dans quelques - uns de ces lieux , des Commiflaires
Infpecteurs des Corps pour conftater
la mort. A Rome , on faifoit des épreuves pendant
plufieurs jours , afin de s'affuter d'un fait
aufli intéreffant , & où l'erreur eft ſi affreuſe.
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre au
Marquis de Berenger , brigadier des armées de
Sa Majefté , cheval.er d'honneur de Madame la
Comtefle de Provence.
Le Roi a nommé à l'Abbaye regulière de Phalampin
, Ordre de St Auguftin , diocèle de Tournay
, le Père Delobel , Prieur de cette Abbaye.
PRÉSENTATIONS.
La Marquise de Loras a eu , le 2 Février, l'honneur
d'être préfentée au Roi & à la Famille Royale
, par la Comtefle de Bercheny ; la Marquife de
Champignelles a été préfentée par la Comteffe de
Brifay , & la Comtefle de Soudeils par la Comtefle
de Noailles.
Le Comte de Beaufobre , meftre de camp de
cavalerie & capitaine au régiment de Chamborant
, a eu l'honneur d'être préfenté au Roi & à la
Famille Royale , le 31 Janvier.
Le Marquis d'Elbée de Belmont a eu l'honneur
d'être préfenté au Roi & à la Famille Royale ,
dans le mois de Janvier.
La Comteffe de Choifeul Gouffier a eu l'honneur
d'être préfentée à Sa Majeſté , ainſi qu'à la
Famille Royale , le 9 Février , par la Marquile de
MARS. 1772. 209
Choifeul- la - Baume. La Comtefle de Lowendal a
été préfentée par la Comtefle de Turpin , & la
Marquife de Chabannois , par la Marquise de
Seiguelay.
Le Baron de la Houze , ci - devant miniftre plénipotentiaire
du Roi auprès de l'Infant Duc de
Parme , nommé en cette même qualité auprès des
Princes & Etats du Cercle de la Bafle Saxe , a eu,
le 16 Février , l'honneur de prendre congé de Sa
Majefté , à qui il a été préfenté par le Duc d'Aiguillon
, miniftre & fecrétaire d'état , ayant le
département des Affaires Etrangères. Le même
jour , il a eu l'honneur de prendre congé de la
Famille Royale.
La Marquife de Meaupeou a eu l'honneur d'être
préfentée au Roi & à la Famille Royale , par
la Comtelle de Rouault ; la Comtefle de Montamy
a été préſentée par la Comtefle de Lillebonne.
MARIAGES.
Le 2 Février , Sa Majefté & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du Comte de
Lowendal , brigadier des armées du Roi , avec
Demoiſelle de Bourbon , fille légitimée du feu
Comte de Charolois , Prince du Sang , & celui du
Marquis de Planelli de Mafcrany de Maubet ,
fous- lieutenant au régiment des Gardes Françoifes
, avec Dile de Mafcrauy de Château - Chinon .
Le Roi & la Famille Royale ont figné , le 9
Février , le contrat de mariage du Sicur Beraud
de Sanois , baron de Courville , capitaine de cavalerie
, écuyer de Sa Majeſté , avec Demoiſelle
de Virly.
NAISSANCE.
La Duchelle de Luxembourg eft accouchée d'un
garçon , le 21 Février 1771 .
210 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Le Marquis de Vignacourt ( ou plus exactement
Wignacourt ) baron de Pernes , ville d'Artois
, Seigneur de Camblin Câtelin , Ourton , &c.
chevalier de l'Ordre de St Louis , eſt mort , le 8
Février , en fon château de Camblin , âgé de cinquante
fix ans , fans laiffer de poftérité . Il étoit
chef de nom & d'armes de l'illuftre Maifon de
Vignacourt , qui a donné deux Grands - Maîtres
à l'Ordre de Malte , à la tête de laquelle fe trouve,
par cette mort , l'oncle du défunt à la mode de
Bretagne , feigneur de la Terre de Wignacourt
en Artois , & baron d'Humbercourt en Picardie ;
mais ce gentilhomme n'a que des filles . L'aînée
eft veuve de M. de Roliveau , d'une famille diftinguée
de Bretagne. La feconde eft mariée au
marquis de Couturelle , chevalier de St Louis ,
ancien député de la Noblefle des Etats d'Artois à
la Cour. Elle a été décorée , par l'Impératrice
Reine de Hongrie , de l'Ordre de la Croix Etoilée;
& fon fils , âgé de feize ans , en mémoire des
deux Grands- Maîtres dont il vient d'être parlé ,
a, dernierement , obtenu de l'Ordre de Malte , le
droit d'en porter la croix , même étant marié. La
troisième & dernière fille de M. de Vignacourt a
époulé M. de Louvencourt Betencourt , d'une
ancienne noblefle de Picardie Il existe encore
des branches de la Maifon de Wignacourt , entre
autres , celle du Comte de Wleteren en Flandres
, qui fe prononce Flétre , Seigneur haut-julticier
de la Baflée , & Grand - Bailli de la Cour
ville & châteHenie de Caffel,
Marie d'Angleterre , Landgrave de HeffeMARS.
1772. 217
Caffel , eft morte , le 16 de Janvier , à Hanau ,
dans la quarante neuvième année de fon âge.
Cette Princeffe étoit la quatrième fille du Roi
Georges II. Elle époufa , en 1745 , le Prince Fréderic
, aujourd'hui Landgrave de Hefle Caflel.
Anne-Marguerite Schemet eft morte à Mayence
, âgée de cent neufans.
Le Sieur Garrigue , habitant de la paroifle
d'Albiat , près Montauban , eft mort dernièrement
âgé de plus de cent ans.
Marie Crozi , veuve de Chryftophe Chovel ,
Journalier , demeurant au lieu de Tetra , paroifle
de St Eriunne , généralité de Lyon , eft morte ,
le 2 du mois de Janvier , âgée de cent deux ans.
Son mari mourut , il y a deux ans , à l'âge de
quatre-vingt- dix - huit ans. Ils avoient vécu enfemble
foixante - dix - huit ans , & ils avoient cu
de leur mariage vingt-quatre enfans .
Le Sieur Cordelon eft mort , à Rumzez , dans
le comté de Hants , à l'âge de cent fept ans . Il
étoit né en France & s'étoit refugié en Angleterre,
Tous le règne de la Reine Anne.
Antoine-Paul -Jacques de Quelen de Stuer &
de Cauftade , Duc de la Vauguyon , Prince de
Carency , Pair de France , Lieutenant Général
des Armées du Roi , Chevalier de fes Ordres ,
Menin de feu Monfeigneur le Dauphin , Gouverneur
des Enfans de France , premier Gentilhomme
de la Chambre de Monfeigneur le Dauphin
& de Monfeigneur le Comte d'Artois ,
Maître de la Garderobe de ces deux Princes , eft
mort à Versailles le 4 Février , dans la foixantefixieme
année de fon âge .
Le 27 Janvier, il eft mort , dans la Paroiffe
212 MERCURE DE FRANCE .
de Sainte Marguerite , fauxbourg Saint - Antoi
ne , une femme , nommée Françoife le Lievre ,
veuve de Pierre Dubuiflon , Sculpteui , âgée de
cent deux ans.
On mande de Saint Colombin , p'ès Cliſſon
en Bretagne , qu'il y eft mort , le 27 Novembre
dernier , une fille , âgée d'environ cinquante
ans , qui étoit fujette à une maladie extraordi
naire. Elle dormoit huit ou quinze jours de
fuite , & quelquefois trois femaines , fans prendre
auc ne nourriture ; lorfqu'elle étoit éveillée
, elle reftoit fouvent huit ou quinze jours
fans pouvoir proférer une parole.
Le nommé George Srrots Mayer eft mort,
dans le mois de Novembre dernier , à Tarrach ,
dans la haute Strie , âgé de 112 ans.
Ls nommé Summers eft mort , à Richmond ,
âgé de 102 ans Jean Paillet , Laboureur dans
la Jurifdiction de Duras en Guyenne , eſt mort
le is Janvier , âgé de cent ans.
Jean- Baptifte Saulty eft mort à Divion , village
de la Province d'Artois , âgé de 106 ans. A
cent ans , il alloit encore à la chaffe dont il
faifoit fon principal exercice.
Jofeph Morfe eft mort à Londres , le 26
Janvier , âgé de 102 ans.
Henriette Bibienne de Francquetot de Coigny,
époufe de Jean- Baptifte Joachim Colbert , Matquis
de Croiffy , Lieutenant Général des Armées
du Roi , eft morte en cette ville , le 11 Février ,
dans la foixante-neuvieme année de fon âge.
La Princeffe Douairiere de Galles , mere du Roi
d'Angleterre , eft morte le 8 Février , entre 6 & 7
MARS. 1772 .
213
heures du matin , à la fuite d'une maladie qui ,
depuis quelques mois , ne laifloit aucune efpé
rance de guérifon. Cette Prince fe , fille de Fréderic
II , Duc de Saxe- Gotha , étoit née le 30
Novembre 1719 , & elle avoit été mariée le 27
Avril 1746 au feu Prince de Galies.
La Dame de Windimore , qui defcendoit de
la Maifon de Clarendon , eft morte le 22 Janvier
, à Londres , âgée de 108 ans . Elle étoit
coufine de Marie , femme de Guillaume III . &
de la Reine Anne. Elle a vécu d'aumônes pendant
cinquante ans , & elle eft morte à l'hôpital
Emmanuel.
La veuve Clum eft morte à Orphurſt , près de
Liechrfiele en Angleterre , à l'âge de 138 ans.
Elle laifle deux filles & un fils , âgés tous trois
de plus de 100 ans .
LOTERIES.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait les Février. Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 67 , 46 , 52 , 53 , 30. Le prochain
tirage fe fera le s Mars.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIECE
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Suite de l'Eté. Imitation libre de Thompson, ibid.
Vers à la Cointeſſe de *** ,
Regrets à Mademoiſelle , fur fon départ ,
ΙΟ
ibid.
Epître à Madame par Mlle**, fur le Sommeil , ir
-A
Conte arabe ,
• par Mlle ***
Epître d'une Demoiſelle de 15 ans ,
Vers fur un papier donné à une quêteufe ,
Vers ,
L'Homme ,
L'Espérance en Dieu ,
16
18
32
34
35
36
38
40
Vers adrefiés à Mde la Marquife de L...,
Pour être mis au bas du Portrait de M.
le Maréchal Duc de Briflac ,
--A Mademoifelle de S *** 11
Defcription géogr . du royaume de Poëfie ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
41
ibid
42
so
SI
5.4
56
Epître far la Vieillefle & la vérité , ibid.
Euvres de Regnard , 78
MARS. 1772 . 215
Les Pélopides , tragédie ,
Leçons hebdomadaires de la langue italienne
,
Piéces dramatiques du Théâtre françois ,
Apologie des Arts ,
Traité de l'Equitation
Recherches fur les pouls par rapport aux
crifes ,
Introduction à l'étude des corps naturels ,
Le Médecin des Pauvres ,
Le Médecin des Daines ,
100
123
124
126
128
130
131
132
ibid.
Traité élémentaire de Méchanique ftatique , 134
Réponse à l'Auteur des Obfervations fur le
N. Dictionnaire hiftorique en 6 vol. in- 8°. 147
ACADÉMIES ,
SPECTACLES ,
Concert fpirituel ,
Ορέτα ,
Comédie françoiſe ,
Comédie italienne ,
ARTS , Gravure`,
152
159
ibid.
160
181
182
165
170
171
Ecole d'Architecture , 175
Cours de Phyfique, 176
Le Phothophore',
ibid.
Baler , Veuve du Sieur Lelio Riccoboni , 178
Bravoure des Femmes , 1,83
Vers à M. Fiquet ,
Mufique ,
216 MERCURE DE FRANCE.
Economie généreuse ,
Acte de Bienfaisance ,
Etabliflement utile,
Acte de générofité ,
Honneurs militaires ,
Compliment de MM. les Officiers du Roi à
MM. les Vétérans ,
Anecdotes ,
Epitaphe de M. de Chevert ,
Vers pour mettre au bas du portrait de M.
Helvétius ,
Edits , Arrêts ,
Avis ,
Nouvelles politiques,
Nominations ,
Prétentations ,
Manages ,
Naillance ,
Morts ,
Loteries ,
ibid
185
389
190
ibid.
192
194
197
198
ibid.
201
203
208
ibid.
209
210
ibid.
213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le AI
volume du Mercure du mois de Mars 1772 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 29 Février 1772.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT, rue de la Harpe.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JANVIER , 1772 .
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VOLUME.
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les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à la perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv !
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
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L'Ecole Dramatique de l'Homme , in - 8°.
broch . 1. iof.
Hiftoire des Philofophes anciens , avec leurs
Portraits , 2 vol. in - 12 . br.
Dia. Lyrique , 2 vol br.
Supplément du Dict. Lyrique , 2 vol . br.
Recueil lyrique d'airs italiens ,
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de Bouillon , in- 12 . br.
Tome Ve.
Dictionnaire portatif de commerce ,
4 vol. in. 8 °. gr. format rel.
s liv.
15 1.
15 1.
31.
31. 12 f
1 l . 16 f.
1770 ,
201.
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& modernes , 2 vol. in 8 ° . br.
Les Caracteres modernes , 2 vol. br.
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Syflême du Monde,
Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in -8°. rel .
Dict. de Morale , 2 in - 8 ° . rel .
GRAVURES .
306
71.
و ا .
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Vanloo
,
241.
Deux
grands
Payfages
, d'après
Diétrici
, 121.
Le Roi de la Féve
, d'après
Jordans
,
4 l.
Le Jugement
de Paris
, d'après
le Trevifain
,
Deux grands Paysages , d'après M. Vernet
,
1 l. f 16 .
12 l.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HIVER. Imitation de Pope ; Eglogue
quatrième à la mémoire de Lady
Tempeft...
DAPHNE , LYCIDAS & TIRCIS.
LYCIDA S.
UEL aftre bienfaifant , berger aimé des
Cieux ,
Ou quel trifte deftin te conduit en ces lieux ?
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Peut-être quittes- tu de plus heureux rivages ,
Pour venir foupirer au fein de nos bocages.
TIRCI S.
Je ne viens point ici conduit par le hafard.
Jefai votre triftefle , & j'y veux prendre part.
Le bruit de vos malheurs s'eft fait affez enten
die ;
Les échos attendris font venus me l'apprendre.
LYCIDAS.
Le murmure enchanteur de ces foibles ruifleaux ,
N'égale pas les fons de tes doux chalumeaux ,
Tircis , les airs plaintifs que chante Philomèle ,
Les foupirs qu'en nos bois poufle la tourterelle ,
Des oileaux expirans les douloureux accens ,
N'ont rien de comparable aux douceurs de to
chants.
Les brebis au bercail dorment fur la fougères
Au milieu de fon cours la lune nous éclaire ;
Les oifeaux retités à l'ombre des forêts ,
Par leur trifte filence annoncent leurs regrets.
Que Daphne foit toujours préfente à ta mémoire ,
Gémis fur fon deftin , berger , chante la gloire !
TIRCI S.
Tout s'éteint ; tout périt dans vos champs défolés
;
De vos humbles hameaux les toits font ébranlés ;
JANVIER. 1772 . 7
Vos champs font fans moiffon , vos jardins fans
culture ;
Vos prés jadis fibeaux ont perdu leur parure ;
L'aquilon établit fon empire dans l'air ;
La nature gémit dans les fers de l'hiver ;
Eole captivant vos jeunes payſanes ,
A chaffé les plaifirs de vos humbles cabanes:
Infortuné berger ! quand tout meurt dans vos
champs ,
Puis-je encore aux échos faire entendre mes
chants ?
LYCIDA S.
Daphné n'est plus : hélas ! dans ces jours de tris
refle ,
Pourrions-nous refufer ce tribut de tendrefle ?
Elle-même aflemblant les bergers du hameau ,
Leur dit en expirant : « Chantez fur mon tome
» beau ;
Vous favez à quel point j'aimai les bergeries ;
»J'expire ; adieu , bergers ; adieu , brebis che
»ries. »
Elle dit , & mourut. Les yeux baignés de pleurs ,
Je vais à fon tombeau le couronner de fleurs.
Mais toi , digne berger , fi Daphné te fut chère ,
Chante pour l'honorer , couronne-toi de lierre,
TIRCIS.
Mufes , abandonnez vos fources de cryſtal
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Sylvains , venez gémir aux bords de ce canal ;
Nymphes de ces côteaux , fortez de vos retraites ,
Ornez vos tendres mains de nos foibles houlettes
,
Soupirez avec nous à l'ombre des cyprès ,
Et mêlez à nos pleurs vos fenfibles regrets .
Amours , qui gémiflez de nos trop juftes peines ,
De mytte & de cyprès couronnez ces fontaines ,
Brifez encor vos traits : vous le fîtes jadis ,
Lorsque Vénus pleura le deftin d'Adonis :
Laiffez votre carquois maintenant inutile ,
Et gravez , en pleurant , fur ce marbre immobile
,
Elevé par la main des bergers attendris ,
Ces triftes vers qu'exprès vous a dicté Cypris ;
«Que la terre & les cieux pleurent notre dis-
» grace ,
Que la nature prenne une nouvelle face ,
» La beauté vient de perdre & l'éclat & lejour ,
»Hélas ! Daphné n'eft plus , il n'eft donc plus d'amour.
"
Le jour s'eft retiré fous de fombres nuages ,
Une éternelle nuit règne dans ces bocages ,
Le trifte & noir verfeau , dans nos obscurs déferts
Eternife le cours des farouches hivers .
Bergères , qui paflez encore fur ces rives ;
Vous vîtes de nos fleurs les beautés fugitives ,
Vous difiez que Daphné poflédoit des attraits ;
Que l'âge ni le tems ne détruiroient jamais ;
JANVIER. 1772 . ୨
Ces fleurs avec Daphné dans la faifon nouvelle
Nâquirent fous nos yeux , & meurent avec elle.
Heureux printems ! envain nos champs t'ont regretté
;
"Hélas ! Daphné n'eft plus ; il n'eft plus de beauté.
Les troupeaux attriftés refufent l'herbe tendre ;
Les bergers dans les champs refufent de fe rendre
;
Les cignes moins touchés de leurs propres malheurs
,
Gémiffent fut leurs eaux de nos juftes douleurs.
Abandonnant aux pleurs fon aimable jeuneſſe ,
Hébé , loin des hameaux emporte fa triſteſle ;
Et l'écho retiré dans la nuit des forêts ,
сс
Ne fait plus aux côteaux repéter fes regrets ;
Si quelquefois la voix fe fait entendre encore ,
C'est pour dire :«< Daphné fut plus belle que Flore,
» Plus riante qu'amour , plus fraîche que zéphir ;
»Hélas ! Daphné n'eft plus , il n'eft plus de plai-
» fir. »
Les prés ne brillent plus de perles de rofée ;
La campagne n'eft plus de zéphir careflée .
Le matin on voyoit fur nos humbles maifons
De légères vapeurs s'élever en fillons ;
On respiroit des fleurs l'odeur pure & naiffante ;
L'aurore à fon lever étoit douce & riante ;
Les jours étoient filés par la main des plaifirs ;
Les bergers ignoroient les pleurs & les foupirs
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
On voioit fur les fleurs l'abeille induſtrieufe
Compofer de fon miel la douceur fructueufe ,
Expofer au foleil fes diverfes couleurs.
«Hélas! Daphné n'eft plus , il n'eft plus de douceurs.
Chère & tendre Daphné ! le linot pour t'entendre
Ne viendra plus fur toi dans les airs fe fufpendre.
Le roffignol charmé dans le fond de ces bois ,
Ne repétera plus les charmes de ta voix ;
Il n'écoutera plus au frais de ces bocages ,
Les airs que tu chantois fous ces naillans feuil
lages.
Les ruiffeaux i long - tems attentifs fur leurs
bords ,
Ne s'arrêteront plus à tes charmans accords ;
Ils fuivront dans leur cours la loi de la nature ,
Et reprenant encor leur tendre & doux mur
mure ,
3ls diront aux échos de ces triſtes déferts :
« Hélas ! Daphné n'eft plus ; il n'eft plus de con-
" certs, »
Les dieux ont terminé fa courfe fortunée ;
Le vent annonce au vent fa trifte deſtinée ;
L'oifeau dans le bosquet la revèle à l'oifeau ;
Le ruilleau dans fon cours la repète au ruifleau ;
Les foupirs des Zéphirs l'apprennent dans les plaît
nes
JANVIER. 1772.
Echo la dit aux bois , aux antres , aux fontaines ;
Flore , loin de nos champs emportant fes préfens
,
Courtfous un autre Ciel la redire au printems.
A la mort de Daphné tous les êtres gémirent ;
Lefoleil fe noircit , les étoiles pâlirent ;
Tout à nos triftes champs annonça la douleur.
« Hélas ! Daphné n'eft plus ; il n'eft plus de bonheur.
Quand nous pleurons Daphné ; quand les triftes
Dryades
Apprennent fon deftin aux Faunes , aux Ménades
;
Daphné plus belle encor que l'aurore & le jour ,
Au- deflas du foleil a fixé fon féjour.
Les dieux l'ont élevée au -deffus des nuages ;
Elle voit fous les pieds fe former les orages.
Elle est dans des vergers toujours frais & fleuris
;
Les traits de la beauté n'y font jamais flétris.
O Daphné ! foit qu'encor dans ces bosquets er
rante ,
Tujoignes aujasmin le myrte & l'amaranthe ,
Tu choififles des fleurs qui ne fanent jamais ;
Soit qu'an fein de l'amour tu repoſes en paix ,
Souviens -toi que des champs tu fus la protec
trice.
Daigne tendre aux bergers une main bienfaitrice.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Si le deftin t'enlève au milieu de ton cours ,
Ah ! c'est pour te porter au temple des amours ,
C'est pour te couronner d'une gloire éternelle.
Daphné ! tu n'étois pas une fimple mortelle ,
Et ton fort glorieux fait tout notre bonheur.
Chaque berger t'élève un temple dans fon coeur.
LYCIDA S.
Tout fe tait aux accords de ta mule plaintive ;
Tout prête à tes chanfons une oreille attentive .
Le foir quand Philomèle annonce fes regrets ,
Tels regnent dans nos champs le filence & la
paix.
Tant qu'il naîtra des fleurs dans les riants bocages
,
Que les arbres touffus s'orneront de feuillages ,
Obrillante déeffe , honneur des immortels !
Le (ang de mes agneaux rougira tes autels .
Tu vivras dans nos coeurs. Tes honneurs & ta
gloire ,
Daphné, feront toujours gravés dans ma mémoire.
TIRCI S.
Levons- nous. Orion élève dans les champs
Une vapeur mal faine & des brouillards glaçans .
Le violent Borée enchaîne la nature ;
Les hameaux n'offrent plus qu'une trifte peinture.
JANVIER . 1772. 13
Il faut céder au tems ; c'eft lui qui nous détruit .
Marchons un froid plus vif s'avance avec la
nuit.
Adieu , triftes côteaux ; adieu , tilleuls & hêtres ;
Adieu , Sylvains ; adieu , champs & plaifirs champêtres
;
Adieu , troupeaux , paiflez dans ces fombres déferts
;
Adieu , Daphné , reçois mon hommage & mes
vers,
Par M. de Belami.
ALCI PPE.
Imitation libre de l'Aftrée.
ALCIPPE , mon père , * étoit d'une des
plus anciennes familles de ce pays. Ses
ancêtres qui faifoient leurs délices de la
vie paſtorale , lui donnèrent une éduca .
tion conforme à leurs fentimens . Mais
que peut l'éducation contre la force toujours
victorieufe de la nature ? Alcippe
Le berger Céladon raconte à la nymphe Galathée
& à fes foeurs l'hiftoire d'Alcippe fon père
& de la mère Amaryllis , & l'origine de leurs divifions
avec Alcé , père d'Aftrée. Aftrée , part, 1 ,
liv. 2.
14
MERCURE DE FRANCE.
étoit né avec un caractère ardent ; fon
ame inquiéte le rendoit ennemi de tout
repos. Dès l'âge le plus tendre & à peine
forti de la première enfance , il fçavoit fe
faire des armes de tout ce qui l'environnoit
& il s'en fervoit pour foumettre à
fes caprices les autres enfans de fon âge.
Il s'étoit formé au milieu d'eux une petite
cour ; il avoit fes courtifans & fes favoris
: du nombre de ces derniers étoient
ceux qu'une fympathie d'inclinations lui
avoit fait trouver dignes de fon amitié ,
& avec leurs fecours il avoit établi un
petit defpotifme fur ceux qu'un caractére
doux & timide rendoit peu capables de
lui réfifter. Ces difpofitions allarmèrent
les anciens de nos hameaux ; ils en firent
plufieurs fois des plaintes au père d'Alcippe
qui fe confuma en vains efforts
pour adoucir cette humeur féroce & en
tempérer la dangereufe effervefcence.
Cependant Alcippe avançoit en âge.
La violence & l'impétuofité de fon caractère
fe manifeftoient de jour en jour. Au
lieu de houlettes & de pannetières , on
ne voyoit entre fes mains & entre celles
de fes compagnons que des épées , des
arcs , des frondes. Ils fe répandoient ainſi
armés dans les campagnes & mettoient
out le pays à contribution,
JANVIER . 1772. IS
Alcippe avoit environ vingt ans , lorfque
retournant dans fon hameau , aprèsune
de fes courfes , il apperçut un foic
la bergère Amaryllis aflife devant la
porte de fon père & s'occupant à orner
de fleurs la tête de fa brebis la plus chérie.
La bergère , toute entière à fon occupation
, ne vit point Alcippe qui avec
une hardieffe qui lui étoit affez ordinaire
, alla familièrement prendre place à
fes côtés. Amaryllis furprife fit un cri , &
jettant précipitamment les fleurs qu'elle
tenoit , fe leva pour prendre la fuite .
L'audacieux berger la retint & la contraignit
de fe raffeoir ; il paffoit déjà un bras
au tour de fon corps , lorfque rencontrant
un regard d'Amaryllis , le téméraire Alcippe
perdit tout- à coup contenance . Son
effronterie l'abandonna; tremblant & confus
, il ne fongea plus qu'à fe jetter aux
pieds de la bergère pour en obtenir un
pardon dont il fe reconnoiffoit indigne.
Cet homme fi altier , ce coeur fi fauvage
devint en un inftant le plus tendre & le
plus refpectueux des amans . Un feul regard
d'Amarillis avoit fait ce prodige :
quel triomphe pour la bergère ! fon
amour- proprefut fenfiblement flatté d'une
victoire auffi prompte & auffi éclatante ;
16 MERCURE DE FRANCE .
il lui fit perdre le fouvenir de l'abord infolent
du berger ; une joie vive brilloit
dans fes yeux , & l'amour , qui depuis
long - tems cherchoit l'occafion de furprendre
fon coeur , profita de celle - ci
pour fubjuguer la fière Amaryllis. Elle fit
relever le berger & après un léger reproche
de fa témérité , elle finit par l'affurer
que s'il pouvoit obtenir le confentement
de fes parens , elle verroit avec plaifir
fon amour & qu'elle recevroit fes foins
avec reconnoiſſance .
Amaryllis furpaffoit en beauté toutes
les bergères de la contrée. Ses charmes
avoient attiré à fa fuite une foule d'adorateurs
; mais foit dédain , foit infenfibilité
, aucun n'avoit pu parvenir à lui plaire
. Elle les traitoit tous avec une égale
indifférence , de forte qu'on ne l'appeloit
pas autrement que la belle infenfible . Un
des plus ardens à fa pourfuite étoit le
berger Alcé ; il étoit tellement épris d'Amaryllis
que rien n'avoit pu le décourager
, & confervant toujours dans fon coeur
l'efpérance de fléchir celui de la bergère ,
il s'étoit prémuni de l'approbation de fes
parens . Depuis ce tems , il importunoit
plus que jamais Amaryllis : quoiqu'elle
l'eût déjà congédié plufieurs fois , l'opiJANVIER
. 1772. 17
niâtre Alcé revenoit toujours à la charge.
Amaryllis avoit enfin pris le parti de recevoir
des foins dont elle ne pouvoit fe
débarraffer ; mais lorsqu'il lui parloit de
fon amour , elle fe contentoit de rire &
de folâtrer par mille détours que fon efprit
ne manquoit jamais de lui fournir ,
elle changeoit la converfation e punif
foit le berger de fon obftination en fe dérobant
fubitement à fa vue.
Cependant Alcippe , que les dernières
paroles d'Amaryllis avoient tranfporté de
joie , ne perdit point de tems ; il fit folliciter
vivement les confentemens des parens
de la bergère. Ce fut alors qu'il reffentit
pour la première fois le tort qu'il
s'étoit fait par fon imprudente conduite.
Le père d'Amaryllis refufa les propofitions
d'Alcippe ; fa famille & fes amis fe
joignirent à lui pour appuyer fes refus ;
tant étoit grande l'averfion que l'on avoit
conçue pour Alcippe. Amaryllis ne tarda
point à apprendre le peu de fuccès des
tentatives de fon amant , & ne pouvant
faire tomber le poids de fa colère fur les
auteurs de fes peines , elle fe vengea fur
le malheureux Alcé. Son indifférence fe
changea en haine , les foins de ce berger
lui devinrent infupportables ; enfin elle
18 MERCURE DE FRANCE .
le traita avec tant de mépris & de dureté
que le chagrin s'empara du coeur du trop
conftant Alcé ; il fe laiffa infenfiblement
confumer par une langueur qui le condui
fit jufqu'aux bords du tombeau.
La maladie d'Alcé fit beaucoup de
bruit ; il n'étoit perfonne qui n'en connût
la véritable caufe ; mais le père d'Amaryllis
fut le feul qui eût quelque doute
de la nouvelle inclination de fa fille . Ce
foupçonneux vieillard fut bientôt inftruit
de ce qu'il craignoit d'apprendre , il furprit
des lettres adreffées à Alcippe . Cette
découverte le mit dans la plus grande co
lère ; il étoit emporté & inébranlable
dans fes réfolutions . Sur le champ il pric
le parti d'éloigner la bergère ; il ne fe
lailla toucher ni par fes prières ni par fes
larmes ; en peu de tems tout fut prêt ;
cette amante fut conduite à un hameau
fort éloigné fur les bords de l'Allier , &
confiée à la garde & aux foins d'une foeur
d'Alcé , de la févère Artémis.
La nouvelle du départ d'Amaryllis
parvint bientôt aux oreilles de l'impétueux
Alcippe. Il ne s'attendoit à rien
moins qu'à un coup auffi terrible . Sa fureur
devint extrême . N'écoutant que la
fougue de fon caractère , il fe livra à des
JANVIER . 1772. 19
tranfports qui ne firent qu'aigrir les eſprits
& le rendre de plus en plus odieux .
Il éclatoit en imprécations contre fon rival
; il le défioit publiquement , & fans
la maladie d'Alcé , perfonne ne doutoir
qu'il n'eût attaqué ce berger & qu'il n'eût
mis fa vie en danger. Le féjour de nos
hameaux devint infupportable à mon père
; le genre de vie qu'il y menoit lui
rappelloit fes malheurs ; il réfolut de l'abandonner
abfolument & de fuivre fes
premières inclinations.
Les amis d'Alcippe ne voulurent point
l'abandonner ; il emmenoit avec lui la
plus brillante jeuneffe du pays ; ce départ
caufa une confternation univerfelle.
Cléante , père d'Aleippe , fut un de ceux
qu'il affligea le plus vivement ; il aimoir
tendrement fon fils , & les chagrins que
lui donnoit fa conduite n'avoient pu altérer
chez lui ce fentiment . Il employa
toutes fortes de moyens pour le retenir ;
il lui repréfenta les dangers de la vie militaire
: les mépris , les infultes qu'il lui
faudroit effuyer lorfqu'on auroit connoiffance
de fon origine & du genre de vie
de fes pères. Mais Alcippe fut inébranlable
, les dangers ne l'effrayoient point ;
quant aux mépris il le propofoit de faire
20 MERCURE DE FRANCE.
bientôt connoître combien il les méritoit.
peu. Cléante voyant que rien n'étoit capable
de le faire changer de réfolution ,
lui dit , les larmes aux yeux : « Mon fils,
» votre père fe flattoit de trouver en
vous la confolation & le foutien de fa
» vieilleſſe , une malheureuſe expérience
» me prouve combien peu je dois com-,
» pter fur cet appui . Allez , mon fils , par-
» tez ; vous êtes iffu d'une des plus an-
» ciennes familles de cette contrée ; ap-
» prenez qu'il en eft déjà forti plafieurs
» braves Chevaliers. Il vous futhra de
» les nommer pour être bien reçu ; je ne
» vous clois pas indigne de marcher fur
» leurs traces. » Après ce difcours le bon
vieillard lui fournit tout ce qui étoit
néceffaire pour fon voyage , & l'arrofant
de fes larmes , il lui dit un adieu qu'il
croyoit le dernier de fa vie.
Alcippe fe livra entièrement à la profeffion
des armes , tant pour fuivte fa
propre inclination que pour perdre le
fouvenir d'Amaryllis . Bientôt fa valeur
& fon intrépidité lui acquirent l'eftime
& l'amitié des Chevaliers les plus renommés
& rendirent fon nom redoutable aux
ennemis . Sa taille avantageufe & fa bonne
mine qui vinrent à l'appui de fa répu
JANVIER.
1772. 21
tation lui occafionnèrent plufieurs aventures
galantes. Je ne m'arrêterai qu'à la
dernière ; elle fut la cauſe de tous fes
malheurs .
Dans une des fêtes qui fe donnèrent à
Toulouſe , mon père s'étoit montré avec
beaucoup d'avantages ; il fut principalement
remarqué par une Dame des plus
confidérables de la ville , qui , je crois
même , étoit parente du Gouverneur de
la place. Elle en devint éprife au point ,
qu'elle eut recours pour fatisfaire fa paffion
à une rufe qui fuffira feule pour en
faire connoître la violence.
Un jour Alcippe affiftoit à un facrifice
qu'il faifoit offrir en reconnoiffance
des
victoires qu'il avoit remportées aux joûtes
; une vieille femme vint fe placer à
côté de lui & ſe mit à l'appeler plufieurs
fois par fon nom fans le regarder. Alcippe
furpris voulut d'abord interroger la
vieille , mais comme elle ne le regardoit
point , il crut qu'elle s'adreffoit à quelqu'autre.
Cependant la vieille continuoit
toujours à l'appeler , & s'appercevant
qu'il
l'écoutoit , lui dit : « C'eſt à vous que je
» parle , valeureux Alcippe. Si vous vou-
» lez avoir une bonne fortune digne de
» votre mérite , trouvez - vous à l'entrée
22 MERCURE DE FRANCE.
» de la nuit au temple de Minerve. » Alcippe
, qui ne pouvoit plus douter que
cette aventure ne le regardât , répondit ,
fans jetter les yeux fur la vieille , qu'il s'y
trouveroit. Il fut exact au rendez - vous.
La vieille de fun côté ne fe fit pas attendre
long-tems . Elle parut couverte d'un
voile de taffetas noir qui lui defcendoit .
jufqu'aux pieds. « Heureux jeune - homme
, lui dit- elle , en le prenant par la
» main , fous quelle étoile es- tu donc né
» pour avoir fçu infpirer une paffion auffi
» vive à la plus belle perfonne de la cour ;
» elle a dédaigné pour toi les voeux de
» nos courtifans les plus aimables . Mais
❞ avant tout , il faut que tu me promet-
» tes de ne témoigner aucune curiofité
» de connoître la Dame qui te favorife ;
" la moindre recherche que tu ferois
» pour découvrir fon nom t'attireroit fa
» haine & occafionneroit indubitable-
» ment ta perte. » Alcippe promit tout ;
mais voyant que la vieille tiroit un mouchoir
de deffous fa robe & qu'elle fe mettoit
en devoir de lui voiler le vifage , il
fit quelque réſiſtance ; cependant , impatient
de fçavoir la fin d'une auffi fingulière
aventure , il lui laiffa faire ce qu'elle
voulut : il eut foin d'ailleurs de ne point
JANVIER . 1772. 23
quitter fon épée dans la crainte que ce
ne fut quelque piége tendu par un ennemi
fecret . Après avoir marché environ
un quart- d'heure avec fa conductrice , il
fe trouva au milieu d'une chambre ; toutes
les lumières furent éteintes à fon arrivée
, enfuite la vieille lui découvrit le
vifage & le laiffa feul . La Dame entra
auffi-tôt ; elle le reçut avec des tranfports
d'autant plus grands qu'ils n'étoient gênés
par aucune contrainte. Certaine de
n'être point connue , elle ne s'empreffoit
qu'à lui témoigner toute l'ardeur de fon
amour. Alcippe ne fe montra point indigne
de faveurs auffi fignalées ; toutefois
au milieu des embraffemens les plus doux ,
il lai reftoit dans le coeur un defir fecret
d'en connoître l'objet , & ce defir ne laiffoit
pas de troubler fon bonheur . On lui
prodiguoit careffes pour careffes , mais il
ne put tirer une feule parole de la belle
inconnue. Le lendemain , une heure environ
avant que le jour parût , la vieille
entra dans la chambre , & voilant de nouveau
le vifage d'Alcippe , elle le conduifit
avec les mêmes précautions dans l'endroit
où elle l'avoit abordé. Elle lui donna
rendez - vous pour le jour ſuivant , &
elle lui promit de fe trouver exactement
24
MERCURE
DE FRANCE
.
à la chute du jour dans la même place ,
toures les fois que l'inconnue jugeroit àde
le recevoir. propos
•
Alcippe auroit été le plus heureux des
hommes , fi fon inquiétude naturelle le
lui eût permis. Il avoit confié le détail
de fon aventure à Clindor , le plus intime
de fes amis , un de ceux à qui fon exemple
avoit fait quitter la vie paftorale. I
lui avoit en même tems fait part de fa
curiofité & des diverfes tentatives qu'il
avoit employées pour la fatisfaire . Clindor
, trop facile à favorifer l'indifcrétion
de fon ami , lui confeilla de couper un
morceau de la frange du lit de la belle
inconnue. L'imprudent Alcippe ne manqua
pas de fuivre ce confeil. Le lendemain
il parcourut avec Clindor les maifons
les plus confidérables de la ville , &
bientôt ils découvrirent ce qu'ils auroient
dû éternellement ignorer. Il faut avouer
cependant qu'ils furent tellement difcrets
l'un & l'autre que , non - feulement ils cacherent
fon nom à leurs meilleurs amis ;
mais , qu'ils ne fe permirent pas même
de le nommer dans le fein de leurs familles.
Heureux ! fi mon pêre l'eût éten
due cette difcrétion jufqu'à l'objet de la
paffion . Mais trop affuré de l'amour que
l'on
V
JANVIER. 1772. 25
l'on avoit pour lui , il crut pouvoir hafarder
cette confidence . Sa vanité lui faifoit
efpérer que la Dame , après cette découverte
, ne feroit plus mystère de fa paſfion
, il fe flattoit de fe faire un honneur
public de fa conquête .
Un matin donc lorfqu'il étoit prêt à fe
lever , il fe jetta aux pieds de l'inconnue ,
& la conjura par toute fa tendreffe de ne
vouloir plus lui cacher fon nom & fon
rang. La Dame , fans lui répondre , lui
fit entendre par geftes combien fes importunités
la chagrinoient. Le téméraire
Alcippe infifta , & voyant qu'il ne pouvoit
rien obtenir , il lui dit que tant de
réfiftance étoit inutile , que fon nom n'avoit
pu échapper aux artifices de fon
amour , & fur le champ il la nomma . A
ce mot la Dame fe débarralla des bras de
mon père en jettant un grand cri . La
vieille accourut auffi-tôt:« Malheureufe ,
» lui dit la Dame d'une voix entrecoupée
, tu m'as perdue ; mais crois que
» je me vengerai de ta perfidie . » La
vieille , interdite & tremblante , ne favoit
que répondre. Mais Alcippe fouriant
: « N'accufez perfonne de tout ceci ,
», dit- il en s'adreffant à la Dame , c'eft ,
» comme je vous l'ai dit , un artifice que
I. Vol.
"3
n
B
26 MERCURE DE FRANCE.
C
» l'amour & l'amitié m'ont fuggéré. » Il
lui raconta le confeil que lui avoit donné
Clindor & l'heureux fuccès de ce qu'il
appelloit leur innocent ftratagême ; il
voulut alors s'approcher de la Dame qui
fondoit en larmes , mais elle le repouffa
avec indignation , & fe levant précipi
tamment, elle s'enferma avec grand bruit
dans une chambre voifine . La vieille , reftée
feule avec Alcippe , lui reprocha fon
indifcrétion , puis tâchant de lui faire
prendre le change , elle l'affura qu'il s'étoit
trompé & que fon obftination feule
à la connoître malgré fa défenſe avoit été
caufe de la colère de la belle inconnue.
Alcippe , qui commençoit à fe repentir
de fon indifcrétion , feignit de tout croire
, & après qu'on lui eût voilé le vifage
comme à l'ordinaire , il fortit de la maifon.
Cependant la Dame étoit mortellement
offenfée de l'imprudente curiofité
d'Alcippe. Les avances qu'elle avoit faites
la couvroient de confufion . Elle en
conçut le dépit le plus violent . Dès lors
elle ceffa de le recevoir ; cependant comme
elle ne pouvoit le haïr , toute fa colère
fe tourna contre Clindor , elle réfolut
d'en faire la victime de fa
vengeance
.
JANVIER. 1772. 27
A force d'intrigues , elle fçut lui fufciter
un ennemi irréconciliable dans un de fes
parens qui paffoit pour un des plus braves
Chevaliers de la ville . Clindor fut
obligé de fe battre ; il étoit auffi trèsbrave
, & fon ennemi ne le ménageant
point , il vit qu'il s'agifloit de la vie de
l'un ou de l'autre . Clindor, plus heureux,
tua fon adverfaire . Le Chevalier mort
étoit neveu de Pimander , gouverneur de
la place ; la Dame , qui vouloit perdre
Clindor, fit femer le bruit qu'il l'avoit
lâchement affaffiné. Quelque peu fondée
que fût cette accufation , elle trouva un
facile accès auprès de Pimander. Clindor
ne put fe fouftraire à une mort infâme
que par une prompte fuite . Il fe fauva à
l'aide d'un déguisement dans une ville
voifine , dont Alaric , Roi des Vifigots ,
venoit de fe rendre maître . La furie
acharnée à fa perte , alla le chercher jufqu'au
fonds de fa retraite ; elle follicita
fon fupplice auprès d'Alaric ; elle le lui
peignit comme un fcélerat capable des
plus noirs attentats . Alaric ne voulant
pas faire périr un Chevalier fans avoir
pris connoiffance de fon crime , fe contenta
de faire emprifonner Clindor , &
promit de l'envoyer avec efcorte à Pimander.
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE
.
Alcippe , au défefpoir de l'infortune de
fon ami , fit agir les plus puiffantes follicitations
pour obtenir fa grace. Pimander
fe montra inflexible ; il étoit tellement
affuré de la bravoure de fon neven
qu'il imaginoit qu'on n'avoit pu le tuer
que par furprife. Mon père ne fe décou
ragea point; il avoit formé le deffein de
tout tenter pour fauver fon ami ; il vit
qu'il ne lui reftoit d'autres reffources que
la violence , il réfolut de l'employer.
Il s'affura de douze des plus braves de
fes amis ; avec leur fecours il projetta
d'aller à la rencontre de ceux qui conduifoient
Clindor. Ils fe déguifèrent tous en
villageois ; ils fe munirent de provifions
de bouche , & ils cachèrent fous leurs
longs habits des épées & des poignards.
Dans cet équipage , ils abordèrent les Vifigots
qui s'étoient arrêtés dans un petit
village , & tandis que plufieurs d'entr'eux
amufoient le gros de la troupe avec des
fruits de toute faifon qu'ils avoient apportés
, Alcippe & deux de fes amis pénétrèrent
jusqu'à la chambre voifine où
l'on gardoit Clindor ; il s'élança fur le
capitaine des gardes & d'un coup de poignard
l'étendit à fes pieds . Clindor fecondant
la valeur de fes braves défenJANVIER
. 1772 : 29
feurs , brifa fes liens. Les gardes étonnés
ne firent aucune réfiftance , ils prirent lâ ..
chement la fuite & répandirent par-tout
l'effroi dont ils étoient faifis . Les amis ,
d'Alcippe avertis par ce fignal , augmen- .
tèrent le défordre en fondant tout - à coup
l'épée à la main fur les Vifigots ; ils les
mirent en une telle déroute que , fans
fonger à la fupériorité de leur nombre ,
chacun d'eux chercha fon falut dans la
fuite . L'intrépide Alcippe & fes braves
compagnons emmenèrent Clindor fans
obftacles, fans même qu'une action auffi
périlleufe coutât à aucun d'eux la bleſſure
la plus légère .
Les Viligots , à peine remis de leur terreur
, fe rendirent le jour fuivant dans
leur camp. Quelques - uns d'eux avoient
reconnu Alcippe : bientôt Alaric fut inftruit
du défaftre de fes gardes & de la
mort de leur capitaine ; il apprit en même
tems que mon père avoit conduit
cette entreprife. Ce fuperbe monarque
fe crut perfonnellement offenfé , il entra
dans une colère terrible contre Alcippe
& jura fa perte . Cependant Alcippe étoit
forti dès la nuit même de fes états avec
fes douze compagnons ; le lendemain ils
décidèrent de fe féparer pour éviter plus
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
sûrement d'être reconnus par leurs ennemis.
Mon père refta quelque , tems déguifé
dans les états de Pimander ; mais ayant
appris qu'Alaric le faifoit chercher avec
une opiniâtreté fans égale & qu'il avoit
intéreflé tous les voifins dans fa querelle,
il quitta un pays où il couroit les plus
grands périls . Après avoir long tems erré
de royaume en royaume , il s'arrêta à Byfance
.
Quoique la fortune parût s'être un peu
laffée de le perfécuter , Alcippe n'en étoit
pas plus tranquille. Il avoit gagné les bonnes
graces de l'Empereur , & s'il eût voulu
profiter de la faveur où il étoit auprès de
ce prince , il auroit pu parvenir aux plus
grandes charges de l'empire . Mais il étoit
dévoré par une envie démefurée de revoir
le lieu de fa naiffance . Le fouvenir
d'Amaryllis , que fon aventure de Touloufe
avoit un peu affoupi , fe réveilla
dans fon coeur ; il fe confumoit d'amour
& d'ennui ; il étoit difpofé à s'expofer à
tout pour contenter fon defir , lorfqu'il
apprit la mort d'Alaric. Ce prince laifloit
fon royaume divifé entre plufieurs fils
qui , affez embarraffés à fe maintenir les
uns contre les autres dans leurs poffeffions
JANVIER. 1772. 31
ου
particulières , ne pouvoient guères s'occuper
des inimitiés de leur père. La joie
d'Alcippe à cette nouvelle ne peut fe
comparer qu'au chagrin que lui caufoit
l'éloignement d'Amaryllis. Tout fon
amour pour cette bergère fe ralluma , ou
plutôt il prit une nouvelle force ; il reftoit
encore à mon père à craindre la haine
de Pimander, mais cet obftacle , quelqu'attention
qu'il méritât , ne fut point capable
de l'arrêter. Il partit donc fans fonger
comment il calmeroit la colère du gouverneur,
ou comment il fe mettroit à l'abri
de fon reffentiment.
La fortune qui avoit commencé à ſe
déclarer pour Alcippe , ne l'abandonna
point en cette occafion ; elle fit fervir à
fon deffein ces mêmes Viligots qui avoient
été la caufe de fes malheurs. Un chevalier
de cette nation qui , à l'imitation de
la nouvelle inftitution des chevaliers de
la Table- ronde , parcouroit les Gaules
pour chercher des aventures , s'étoit arrêté
dans les états de Pimander. Il avoit
défié tous les chevaliers de la contrée ;
plufieurs des plus braves s'étoient préfentés
. Le cruel Vifigot les avoit tous vaincas,
& abufant avec férocité de fa victoire,
il coupoit la tête de fes ennemis & les
B iv
32
MERCURE DE FRANCE.
envoyoit à une Dame Efpagnole qu'il
avoit choifie pour la maîtreffe de fes penfées
.
Alcippe fe préfenta pour combattre le
fuperbe chevalier . Il parut devant Pimander
, armé de toutes pièces. La viſière de
fon cafque étoit baiffée , & il dit qu'il ne
pouvoit le faire connoître qu'après avoir
mis fin à une aventure qei l'amenoit de
très loin . Le défolé Pimander fentit renaître
en fou coeur l'efpérance de voir punir
la barbare arrogance du Vifigot ; il vit
avec joie la noble affurance du chevalier
inconnu , & après lui avoir donné tous
les éloges que méritoit fon intrépidité, il
affigna jour pour ce fameux combat .
Pour terminer , Alcippe vainquit cet
homme altier que quelques fuccès avoient
fait croire indomptable . Il le traita non
en chevalier , fon exceffive cruauté l'ayant
rendu indigne de ce beau titre , mais en
infâme bourreau qui avoit trempé de fang
froid fes mains dans le fang d'un ennemi
vaincu & défarmé. Il lui enleva la tête de
deffus les épaules , & mettant un genou
en terre , il la préfenta à Pimander. Le
gouverneur , pénétré de joie & d'admiration
, fe précipita fur l'inconnu pour l'embraffer
étroitement ; mon père levant
JANVIER . 1772 . 33
auffi tôt la vifière de fon cafque , offrit
aux yeux de Pimander étonné le vifage
de ce même Alcippe qu'il avoit pourfuivi
avec tant d'acharnement. Interdit , immobile
, Pimander étoit comme frappé
de la foudre. Un refte de haine que les
traits d'un ennemi fi détefté avoient été
chercher jufqu'au fonds de fon ame, combattoit
avec l'admiration & la reconnoiffance
pour ce vainqueur fi brave & fi ſoumis.
Ce dernier fentiment prévalut , & ſe
jettant au cou d'Alcippe : « Vous l'em-
» portez , brave Chevalier , lui dit Pimander
, ma haine ne peut réfifter à tant
de courage. Vous venez de gagner deux
» victoires dont la dernière n'eft pas la
» moins éclatante . Acceptez mon amitié
» & venez prendre dans mes états la pla-
" ce qui eft due à votre mérite . » Je palle
fur toutes les fêtes qui célébrèrent la réconciliation
d'Alcippe & de Pimander &
fur les honneurs par lefquels le gouver
neur fembloit vouloir faire oublier à
mon père les maux qu'il lui avoit caufés.
Cependant Alcippe , fidèle à fon projet,
ne fongeoir qu'à revenir dans nos folitu
des , il ne s'occupoit que d'Amaryllis.
Tout ce qui pouvoit le diftraire de cette
penfée ne lui infpiroit que haine & que
Bv
24 MERCURE DE FRANCE.
dégoût. Après avoir donné à Pimander le
tems que fa reconnoiffance lui impoſoit ,
il lui fit part de fa réfolution . Pimander
ne s'y oppofa que légèrement. Outre que
fa haine n'étoit pas abfolument éteinte ,
il avoit conçu une fecrete jaloufie contre
Alcippe dont les exploits effaçoient entierement
les fiens . Alcippe , à qui une
trifte expérience avoit fait connoître tout
le prix d'une vie douce & tranquille, partit
peu fenfible à cette ingratitude.
Il arriva après dix ans d'abfence dans
ce féjour fi défiré ; il trouva le refpectable
Cléante plein de vie , & demandant aux
dieux le retour d'un fils qui ne pouvoit
ceffer de lui être cher. J'entreprendrois
vainement de vous exprimer les douceurs
de cette première entrevue ; ce n'eft que
dans nos hameaux que l'on peut voir de
ces prodiges de fentimens. Alcippe brifa
aux yeux de ce digne père ce cafque ,
cette épée , cette armure , tous ces inftrumens
de deftruction qui faifoient fes dé
lices dans l'âge de la folie & de l'inexpérience
; il reprit, en les baifant avec tranfport
, le chapeau , la pannetière & la houlette
qui retraçoient à fes yeux les charmes
de fes premières occupations . Bientôt
il parla d'Amaryllis ; il apprit que
JANVIER . 1772. 3'5
petcette
bergère , fidèle à fa mémoire , avoit
fui tout engagement . Demeurée libre par
la mort de fon père , elle avoit fait
dre à Alcé toute efpérance . L'heureux Alcippe
, hors de lui - même , vole auprès de
fa bergère. Quelle furprife agréable pour
la trifte Amaryllis cet amant fi cher à
fon coeur , & dont elle commençoit à
pleurer la mort ou l'infidélité , eſt à fes
pieds plus tendre & plus amoureux que
jamais.
La nouvelle du retour d'Alcippe fe répandit
bientôt dans toute la contrée. On
fçut que corrigé par une longue fuite d'infortunes
, il revenoit plus épris que perfonne
des charmes de la vie champêtre ,
on accouroit de tous côtés pour l'en féliciter,
chacun s'empreffoit à l'envi de lui
témoigner fa joie . Le feul Alcé apprit
cette nouvelle avec un mortel chagrin . Il
avoit conçu contre Alcippe la jaloufie la
plus amère. Malgré les dédains d'Amaryllis
, il en étoit toujours éperdument
amoureux . De quel ceil pouvoit - il voir le
bonheur d'un rival d'autant plus odieux
qu'il étoit plus aimé ? Quant à mon père
il auroit aisément pardonné au malheureux
berger ; mais les infultes vives qu'il
lui en falloit effuyer à chaque inftant ému-
B vj
36 MERCURE
DE FRANCE
.
rent l'ame violente d'Alcippe. Il fe vit
obligé de punir plufieurs fois le téméraire
Alcé , & de contenir par la crainte les efforts
toujours renailfans d'une haine auffi
envenimée. Ces petités querelles étoient
très-fréquentes , elles chagrinèrent Alcip .
pe , elles alterèrent la pureté de fon bonheur
; mais elles fervirent à le détromper.
Une félicité fans mêlange avoit toujours
été fa chimère , & il apprit que la vie la
plus heureufe eft celle dont le cours eftfemé
de moins d'infortunes.
Par Mile Raigner de Malfontaine.
LE JUGEMENT DE PARIS.
CETTE devife : A la plus Belle ,
Peut femer la guerre en cent lieux ,
Elle cût troublé la terre , elle troubla les cieux
Quand la difcorde criminelle
Ofa , fur la table des dieux ,
Jetter ce fruit féditieux
Que réclamoit chaque immortelle.
C'est ce que fit Junon , c'est ce que fit Pallas ,
Et l'on préfume bien , chofe aflez naturelle ,
Que Vénus n'y renonçoit pas.
Jupiter eft nommé juge de la querelle :
JANVIER. 1772 . 37
On veut qu'à l'inftant même il décide le cas ;
Mais contre les Titans une guerre nouvelle
Lui cauferoit moins d'embarras.
Econduire Vénus eft un point difficile :
D'autre part il voudroit ne point choquer Junon .
Chacun fait trop qu'aux cieux , comme à la ville ,
Un mari , tant foit peu fripon ,
A fa femme est toujours docile ,
Lorfqu'au repos de fa maiſon
Cette complaisance eft utile.
Jupiter un inftant abaifle fes fourcis ,
Dont le feul mouvement peut ébranler le monde .
L'inftant d'après la foudre gronde.
C'est l'ufage : les dieux dans leurs moindres foucis
Trouvent quelque douceur à confterner la terre ,
Et c'est par des coups de tonnerre
Que de leurs démêlés nous fommes avertis ,
Enfin le dieu que l'Olympe révère ,
Prend un air plus fercin , plus doux ,
Et dit aux trois Beautés pour juger entre vous ,
Chacune de vous m'eft trop chère .
Ce qui peut fater l'une , à l'autre doit déplaire .
Vous êtes trois , & je ne voi qu'un prix :
De trois, au moins , je voudrois faire ufage.
Confultez donc , je ne dis pas un fage ,
Je ne dis pas un grave perfonnage ;
Mais aux champs Phrygiens allez trouver Pâris ;
Il eft expert en pareil arbitrage ;
38 MERCURE
DE FRANCE
.
Jeune , bienfait , amoureux & beau fils ;
C'eft triompher deux fois que d'avoir fon fuffrage.
On part. Mercure eft nommé conducteur
De cette cohorte rivale .
De l'Olympe à la terre on franchit l'intervale ;
On eft déjà près du jeune pafteur.
Un tel afpect l'éblouit & l'étonne .
Mercure lui tient ce difcours :
"Berger , c'eft Jupiter qui par ma voix t'ordonne
De préfider à ce concours .
Voi la Reine des Cieux , voi la Reine des armes ,
Voi la Déefle des Amours :
Sois aujourd'hui l'arbître de leurs charmes ;
Et que ce fruit fi beau , par ta main préfenté ,
Devienne en ce moment le prix de la Beauté . »
Il dit , & difparoît . Pâris eft immobile .
Il ne fent point en lui cet orgueil magiftral
Qu'au juge le plus imbécile
Communique à l'inftant le moindre tribunal .
Mais on veut qu'il prononce. On l'exhorte , on le
prefle .
On exige , du ton dont on prie à la cour.
Il leve enfin les yeux , il ofe , tour -à - tour ,
Envifager chaque déelle.
Il voit dans leurs regards des regards fupplians.
Junon tempère , enfin , la hauteur arrogante :
Pallas a dépouillé fa fierté menaçante :
JANVIER.
1772.
39
Vénus laifle à fes yeux leurs charmes attrayans.
Tel eft ſon heureux lot : pour féduire & pour
plaire ,
Ses rivales font tout ; Vénus n'a rien à faire.
Pâris détaille alors leurs charmes apparens ,
Et porte fur le refte une vue inquiète.
Sa rare intégrité , pour être fatisfaite ,
Voudroit mettre à l'écart ces riches ornemens ,
Ces voiles redoublés , qu'aux yeux les plus perçans
Oppole l'art de la toilette.
Déefles , leur dit- il , je préfume & je fens
Que chacune de vous en tous points eſt parfaite 3
Mais vous juger avec ces ornemens
C'est vous juger fur l'étiquette.
Examiner de près eft l'unique moyen
De prononcer avec pleine fcience .
Quittez cet attirail , & je réponds d'avance
Que vos charmes n'y perdront rien.
Volontiers , dit Vénus : Junon fe tait encore.
Pallas eft interdite , & fon front fe colore.
Mais que ne peut l'efpoir doublement fédacteur
D'avoirfur fa rivale un public avantage?
La vaincre eft un triomphe en tous fens bien flateur
;
L'humilier eft encor davantage.
Déjà , de fes atours divins
Junon a décoré la plus proche Coline ,
Et Pallas , de fes chaſtes mains ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Détaché fon égide & fa jupe divine.
On voit les enfans de Cypris ,
A l'envi dépouiller leur mère
De cette robe éclatante & légère ,
Qu'entr'eux fe difputoient les zéphirs & les ris.
Que de charmes divers frappent l'heureux Pâris !
Chaque inftant lui fait voir mille beautés nouvelles.
Ses regards enchantés , mais non pas affouvis ,
Voltigent , tour- à - tour , fur les trois immortelles.
Leurs charmes féparés , leurs charmes réunis ,
Eblouiflent fes yeux , balancent fon fuffrage .
Ainfi dans nos jardins fleuris
On voit le papillon volage ,
Incertain dans fon choix , promener fon hommage
De l'oeillet à la role & de la rofe au lys.
Junon, fière de fa puiflance ,
Et sûre que les dons firent plus d'une fois
De la fage Thémis incliner la balance ,
De fon juge par eux croit captiver la voix .
Renonce , lui dit - elle , aux ruftiques emplois ,
Et ma main t'offre une couronne :
Tu feras de l'Afie un des plus puiflans Rois.
Pallas lui dit , berger , vole aux champs de Bellone
,
Et je vais en tous lieux feconder tes exploits.
JANVIER. 1771. 41.
Entre les honneurs & la gloire ,
Entre le fceptre & la victoire ,
C'eft à toi de choifir ; mais fais un digne choix.
Le berger balançoit l'un & l'autre avantage ;
Quand la déeffe au regard enchanteur ,
Au fouris tendre , au plus tendre langage ,
Lui dit berger , dédaigne la grandeur ,
Et ces exploits dont le haſard dispoſe.
Je t'offre plus , je t'offre le bonheur ;
Il eft certain quand Vénus le propoſe.
Si tu fçais nous juger , file prix eft pour moi ,
Pars , Hélène t'attend , & fon coeur eſt à toi.
Ce nom décide tout , & la pomme eft donnée.
Junon eft en fureur , Pallas eft confternée ,
Et toutes deux,, chacune à part ,
De la plus trifte deſtinée
Ont menacé Pâris , qui fonge à fon départ.
Ce n'eft point la grandeur qui féduit un jeune
homme.
Belles qui prétendez enchaîner les défirs ;
Si vous promettez les plaiſirs ,
J'ofe vous promettre la pomme.
Par M. de la Dixmerie;
42 MERCURE
DE FRANCE.
A Madame DE SOMBREUIL , qui avois
1
demandé des vers à l'Auteur.
Ce n'eft qu'au matin de la vie
Que ledieu de la poëfic
Prodigue fes dons éclatans :
Une mufe de cinquante ans
Eft une beauté furannée ,
Qui , des amours abandonnée ,
Veut encor plaire , & perd fon tems.
La mienne par ce contretems
A plié bagage & toilette ,
Et vous ofez dans la retraite
Solliciter les débiles accens !
Que peut fervir à vos appas naifans
L'hommage d'un Anacorère ?
Eglé , l'automne n'eft pas faite
Pour la parure du printems.
Forcé d'abjurer la chimère
Où je puifai tant de douceurs ,
Je fuis Apollon , les neuffoeurs ,
Peut-être même la bergère
Qui , bien mieux qu'eux fur la fougère,
M'inspiroit des fons enchanteurs ;
Je fuis les échos , les prairies ,
Les ruiffeaux , les bois & les fleurs ,
JANVIER . 1772 . 43
Qui , de mes douces rêveries ,
Nourriffoient les tendres erreurs ;
Je n'ofe plus fonger à Flore ;
D'un oeil diftrait je vois la cour
Et pour moi la naiſlante aurore
N'eft plus que la pointe du jour ;
Je fuis fur-tout les grottes & l'ombrage ,
Ils font l'afyle de l'amour...
Hélas ! ce fut fous fon aprentiflage
Que de mes chants le galant badinage
Charmajadis les nymphes d'alentour !
Mais ce n'eft qu'un dieu de paffage ,
Et s'il careffe le bel âge
Il fuit avec lui fon retour.
Tout eft riant , tout intéreſſe ,
Tandis que fon flambeau nous luit ;
Mais s'éteint- il le charme ceffe ,
Tout dégénère & s'appauvrit.
Les échos ne font qu'un vain bruit ,
Un ruifleau n'eft qu'une eau courante ,
Et c'est un fimple oifeau qui chante
Quand Philon èle s'attendrit .
Au lieu qu'à fes feux l'onde pure ,
Les doux zéphirs , l'ombrage , la verdure
Font éclore parmi les fleurs
Ce goût, ces transports , cette ivreffe
Qu'on va chercher fur le Permeffe ,
Et qu'amour feul fait germer dans les coeurs.
En vous donnant les attraits en partage ,
44 MERCURE DE FRANCE.
Ce dieu vous donna fon pouvoir ,
Eglé , vous n'avez qu'à vouloir ,
Et ces faveurs deviendront votre ouvrage ;
Mais fi l'amour vous céde ainfi fes droits ,
Confacrés - les au moins par votre hommage ,
Et goûtez un double avantage
En cédant vous- même à ſes loix.
Pour moi déformais , fans ce guide ,
Je ne puis que d'un pas timide
Rentrer dans le facré vallon :
Mon foleil touche l'horifon ,
Et le foir pâle de ma vie
Menacé de la létargie
Qui flétrit l'arrière ſaiſon
Secrétement me follicite
A prendre congé d'Apollon.
L'Amour & lui marchent à l'uniflon ;
Ils dédaignent tout profélite
Dont le reveil a beſoin d'aiguillon ,
Et tandis que leur oeil propice
Sourit à la jeune milice ,
Aux vétérans il fait faux-bond.
Auffi le reveil d'un barbon
Rarement produit - il grand - chole !
Et
l'heureuse
métamorphofe
Qu'Aurore opéra fur Titon
Eut un fuccès i peu durable ,
Que la déeffe inconfolable
En regretta fans doute la façon.
JANVIER. 1772 .
45
Mais convenons que l'immortelle
N'étoit adroite qu'à demi ;
Car enfin c'étoit fon mari...
Et je doute qu'aucune belle
Eût ici - bas autant de zèle
Pour le reveil d'un pareil favori.
Quoiqu'il en foit vous pouvez plus qu'Aurore
De mes beaux jours , l'Apollon que j'implore ,
Dans l'inftant me rend la clarté ,
Je renais à l'activité
Des feux vainqueurs que vos yeux font éclore ;
Mais eft- ce aflez pour ma félicité ?
Daignez , Eglé , faire un peu plus encore...
Et je fuis sûr de l'immortalité,
Par M. Defmarais du Chambon
en Limousin.
L'HEUREUX MARIAGE.
Anecdote.
JULIE ULIE Couloit fes jours dans une paisible
innocence. Son coeur n'avoit point encore
éprouvé le tumulte des paffions . Jeune ,
belle & riche , elle fixoit les regards de
tous les élégans . Chacun afpitoit à l'honneur
de faire fa conquête ; mais elle re46
MERCURE DE FRANCE.
cevoit avec froideur les déclarations d'amour
qu'on lui adreffoit. A peine fa raifon
commençoit - elle à éclore que déjà
elle indiquoit le plus beau naturel . Une
mère tendre & fage , la Marquife de M..
avoit le foin d'éclairer fes idées & de fortifier
les heureuſes difpofitions . « Accou-
» tumez- vous de bonne heure , lui difoit-
» elle , à regarder les hommes avec in-
» différence ; défiez - vous de leurs dif-
» cours : la plûpart font perfides : ils exagèrent
toujours leurs fentimens : ils
» couvrent de fleurs le précipice : ils emploient
les rufes les plus adroites , les
» piéges les plus dangereux pour triom-
"
"
pher de la timide innocence : fermez
» votre coeur à l'amour & croyez que
» dans la vertu feule réfide le vrai bon-
» heur. »
Julie écoutoit avec docilité les confeils
de fa mère ; elle fuyoit l'oifiveté des cercles
, & fe livroit entierement à l'étude
des belles lettres. On
s'étonnoit que ,
dans un âge encore tendre , on pût ainfi
renoncer à tous les plaisirs & n'en trouver
que dans la folitude. Ceux qui l'approchoient
admiroient en elle une élocution
brillante , un tact fin & délicat , des connoiffances
variées , & fur- tout une méJANVIER.
1772. 47
moire prodigieufe. Mais on a beau éviter
les écueils féduifans de l'amour , tôt ou
tard l'indifférence va s'y brifer & faire un
trifte naufrage . Julie , jufqu'à préfent infenfible
, eft dévorée par la paffion la plus
funefte.
Mundor alloit fréquemment chez la
Marquife. Ilavoit confacré fes plus beaux
jours , dans une congrégation diftinguée,
à l'éducation de la jeuneffe , & goûtoit ,
dans un âge avancé , les douceurs du repos.
Parmi tous fes élèves , il avoit toujours
diftingué St Albin. Celui - ci joignoit
aux graces de la figure , à une taille
noble & aifée , un caractère charmant ,
un coeur fenfible & un efprit orné. Eloigné
depuis dix ans de Mundor , il n'avoit
pas ceffé de lui écrire & de lui donner
des témoignages de fa reconnoiffance . Il
l'entretenoit des différentes fituations
dans lesquelles il fe trouvoit ; il lui parloit
des dangers auxquels fa vertu avoit
été exposée & de ceux auxquels l'effetvefcence
de la jeuneffe l'expofoit encore;
il lui avouoit avec une naïveté charmante
· les fautes qu'il avoit commifes ; il lui
communiquoir tous fes petits ouvrages &
le prioit de l'aider de fes confeils.
Mundor étoit touché jufqu'aux larmes
48 MERCURE DE FRANCE .
"
des marques de tendreffe qu'il recevoit
de fon difciple chéri & de fes progrès
dans les belles - lettres. Il parloit avec enthoufiafme
de fon élève à la Marquife &
à Julie ; il leur fifoit de même toutes les
lettres . L'une & l'autre en écoutoient la
lecture avec un plaifir infini . « Je fuis
enchanté de St Albin , s'écrivit la Marquife
; qu'il doit être aimable ! la bonté
» de fon coeur , l'honnêteté de fon ame
fe peint dans fes écrits. Quelle élégan-
» ce , quelle délicateffe , quelle pureté ,
» on voit regner dans fon ftyle ! ce qui
» me pénètre de la plus vive admiration ,
» c'eft la reconnoiffance
qu'il a pour vous ,
» Mundor , des foins que vous avez pris
» de fun enfance . Quelle leçon pour les
» jeunes gens de fon age qui oublient
fouvent jufqu'au nom de leur bienfai-
» teur ! que je voudrois avoir un fils qui
» lui reffemblât ! »
Julie formoit en fecret des voeux encore
plus ardens que ceux de fa mère. Elle
n'ofoit s'expliquer fur le compte de St
Albin , elle fe feroit décélée . En effet l'amour
s'étoit déjà gliffé dans fon coeur .
L'image de St Albin fe préfentoir à fon
idée fous mille formes agréables . Elle fe
nourriffoit du doux efpoir d'être aimée
un
JANVIER. 1772. 49
un jour de lui . Elle relifoit fans ceffe les
lettres que lui avoit laiffé Mundor , &
plus elle les lifoit, plus fa paffion prenoit
de profondes racines . Mais que de malheurs
vont t'accabler , infortunée Julie !
comment pourras tu apprendre , fans mourir
de douleur , la funefte nouvelle du
mariage de St Albin !
St Albin annonce à Mundor qu'il doit,
fous peu de tems , unir fon fort à celui
d'une Demoifelle très riche , dont il cultivoit
les bonnes graces depuis plufieurs
mois. « Je vais donc , ajoutoit- il , m'embarquer
fur cette mer orageufe où tant
» de gens font un trifte naufrage . Puiffe
» le Ciel rendre heureufe ma naviga-
» tion ! ",
"
Mundor communiqua à la Marquife
& à Julie la lettre de St Albin. Julie fe
retira auffi - tôt dans fon appartement &
eut affez de force d'efprit pour cacher le
trouble qui l'agitoit. Quelle plainte allez
éloquente pourroit rendre les triftes accens
de fa douleut ! « Cher St Albin ,
» s'écrioit-elle , c'en eft donc fait je vais
» te perdre pour toujours... Je n'ai donc
plus d'efpoir d'être unie à toi... De
» couler mes jours avec toi ... Amour
» cruel amour , pourquoi t'ai-je écouté ?.
"
و د
I. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
ןכ
Pourquoi as tu détruit , par tes prefti-
» ges flatteurs , l'innocente tranquillité
» dont je jouiffois ?.. Ah ! cruel St Albin ,
» fi tu favois tous les maux que tu me
» fais fouffrir , ton ame en feroit atten-
» drie... Mais que dis - je ? malheureuſe ..
» où ma raifon égarée me conduit - elle ? ..
Pourquoi accufai - je St Albin ? .. Ne
» fuis je pas la feule coupable ? .. Devois-
» je écouter un tendre penchant ? .. De-
» vrois-je me défefpérer... aimer , ado-
» rer un être chimérique que je ne con-
» nois pas & qui ne peut jamais m'appar-
» tenir?
"}
Telles étoient les réflexions que faifoit
la trifte Julie : elle tâchoit inutilement
d'arracher de fon coeur le trait qui l'avoit
percé. La gaîté fuyoit loin d'elle : le doux
fourire n'erroit plus fur fes lèvres : on ne
voyoit plus briller fur fon vifage le tendre
éclat de la rofe : une pâleur mortelle
couvroit fes joues : infenfiblement elle
tomba dans une langueur qui menaçoit
Les jours .
La Marquife qui chériffoit tendrement
fa fille , éroit défefpérée de la voir dans
un état auffi déplorable. Elle cherchoit à
en découvrir la caufe. Elle foupçonnoit
que Julie pouvoit être atteinte d'une inJANVIER.
1772.
Si
clination malheureufe qu'elle vouloit cacher.
Chère Julie , difoit cette mère
» déſolée , dépofe tes peines dans mon
» fein tu connois ma tendreffe : parles ,
» ma Julie. » Julie répondoit vaguement
à ces propos. Cependant elle dit , en faifant
un effort pour fourire , à Mundor
qui étoit venu s'informer de fa fanté, de
marquer à St Albin qu'il avoit fait , fans
le fçavoir , la conquête d'une jeune perfonne
de fa connoiffance , & qu'elle lui
fouhaitoit , dans le mariage qu'il alloit
contracter , tout le bonheur qu'il méritoit
. (J'aurai du moins , difoit - elle en
elle même , avant de mourir , la confolation
d'informer l'objet que j'aime de
mes tendres fentimens . )
Mundor , fans pénetrer le motif de Julie
, s'acquitta par forme de plaifanterie
de fa commiffion . Il y joignit le portrait
des charmes de Julie. St Albin fit des réflexions
fur ce qu'on lui marquoit , & defiroit
que la plaifanterie devint férieule.
Il avoit à effuyer des parens de Lucile
qu'on lui deftinoit mille tracafferies . L'intérêt
, la convenance & les follicitations
de fa famille avoient feules formé fes
noeuds. Malgré le vif amour de fa maîtreffe
, il n'avoit jamais éprouvé près
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
1
d'elle ces douces émotions & ces tranfports
délicieux qui font le bonheur de
deux vrais amans. La lettre de Mundor
fut une foible étincelle qui caufa un grand
incendie. L'imagination de St Albin fe
porta rapidement vers l'objet dont on lui
parloit. Un certain je ne fçai quoi qu'on
fent mieux qu'on ne peut définir lui faifoit
defirer avec la plus grande impatience
de connoître Julie , & déjà même , fans
la connoître , elle regnoit en fouveraine
dans fon coeur.
Lucile ne fut pas long- tems à s'appercevoir
de la froideur, de St Albin . ( Les
yeux d'une amante font difficiles à tromper.
) Elle l'accabla de reproches , & il ne
chercha point à fe juftifier.
Cependant St Albin , préoccupé de fa
nouvelle paffion , informa Mundor de la
fituation de fon coeur ; il lui fit part auffi
des défagrémens qu'il rencontroit dans le
mariage qu'on lui propofoit , & finit par
l'exhorter à travailler férieufement à fon
bonheur. Mundor fut étrangement furpris
de voir qu'un léger badinage de ſa
part eût fi fort affecté fon élève. Il regardoit
fa lettre comme le fruit d'une imagination
enflammée. Il crut devoir lui
faire à ce fujet quelques repréfentations .
JANVIER . 1772. 53
Il lui répondit qu'il n'étoit pas prudent
de renoncer à un mariage certain & avantageux
pour courir après une chimère . Il
luimit fous les yeux l'éloignement des provinces
qui feroit un obftacle à fes defirs .
(& en effet , St Albin & Julie étoient féparés
l'un de l'autre par une efpace de cent
lieues. ) St Albin infifte : il marque à
Mundor que la diftance qu'il lui oppofoit
n'étoit qu'un point que l'amour fçauroit
franchir. Il le conjure d'accélérer le moment
de fon départ.
Mundor voyant que St Albin perfiftoit
dans fa réſolution
, ne confulte
plus alors
que fon amitié. Il vole auffi - tôt chez la
Marquife
à laquelle
il communique
la
lettre qu'il venoit de recevoir
. « Je fuis
» enchantée
, s'écria la Marquife
, des
» vues que St Albin a fur Julie . Vous fa-
» vez combien je l'eftime & avec quelle
» ardeur j'ai toujours
defiré d'avoir un fils
» tel que lui. D'ailleurs
je crois que la
» maladie de Julie pourroit bien prove-
» nir d'une paffion violente que le mérite
» de St Albin auroit fait naître en elle.
» Elle s'eft formée des idées fingulières
» des hommes
, de leur inconftance
, de
» leur perfidie. Les lettres de St Albin &
» tout le bien que vous nous dites de lui
ן כ
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
"
» ont sûrement allumé dans fon fein lê
» feu qui la confume . Le Ciel fe déclare
en ma faveur : il veut me conferver , en
» m'envoyant St Albin , une fille que
j'aime plus que ma vie . Feu mon époux
» m'a laiffé une fucceffion cor fidérable.
Je vais la partager avec Julie. Ne dif-
» férez pas d'écrire à votre élève , & de
» lui marquer mes intentions. » Auffi tôt
la Marquife & Mundor montent dans
l'appartement de Julie . « Je veux , lui diɛ
la Marquife , en fouriant d'un air d'in
telligence avec Mundor , vous donner
» un époux . A votre âge c'eft un joli pré-
»fent à recevoir que celui d'un mari .
» Vous ne le refuferez pas , fans doute ,
Julie. Plus la Marquife & Mundor
rioient, plus le trouble de Julie augmentoit
, plus elle étoit déconcertée. Elle fe
remet cependant un peu de fon agitation
& répond avec une voix presqu'étouffée
par fes foupirs. «Je fuis bien fenfible à
» vos bontés , Madame : je n'ai pas les
» befoins que vous me fuppofez . Daignez
» ne point gêner mon inclination & me
» laiffer vivre dans le célibat. »
19
La Marquife & Mundor , après quelques
légers badinages fur une pareille réfolution
, inftruifirent Julie du projet de
JANVIER. 1772: 55
fon établiſſement & lui communiquèrent
les lettres écrites à ce fujet . A une nou
velle auffi agréable & auffi peu espérée ,
Julie eut bien de la peine à contenir fa
joie. Elle admira en filence les refforts
fecrets dont la Providence fe fervoit pour
la rendre heureufe . Elle fit un aveu ingé
nu de fa paffion pour St Albin & de tous
les maux qu'elle avoit foufferts depuis la
nouvelle de fon mariage avec Lucile . Ju
lie , délivrée de fes inquiétudes , reprit ,
en peu de tems , fes forces. Bientôt un
coloris charmant anima fon viſage . Une
gaîté aimable accompagne toutes fes actions
. Ses yeux brillent du même feu
qu'autrefois ; l'amour ajoute encore à leur
vivacité naturelle .
Mundor n'eut rien de plus preffé que
d'annoncer à St Albin le fuccès de fa né
gociation & de lui donner tous les éclairciflemens
néceffaires fur la famille & la
fortune de Julie. St Albin reçut avec tranf
port la lettre de fon ami. Il fe propoſoit
d'aller à Paris pour quelques affaires , &
enfuite dans la patrie de la Marquife. Il
hâte donc le moment de fon départ. Il
marque à Mundor fon arrivée , & le prie
de témoigner à Julie l'empreffement qu'il
a de la voir & de lui jurer un amour éternel.
Civ
S.G
MERCURE
DE
FRANCE
.
Pendant que St Albin s'occupoit du
plaifir qu'il auroit de connoître bientôt
Julie & qu'il fe dispofoit d'écrire à fes
parens une lettre très -preffante pour leur
faire agréer fon nouveau projet de mariage
, il s'élève un nuage terrible fur
l'autore de fon bonheur . On lui marque
que le Marquis de St Albin fon père eſt
tombé dangereufement malade , & que
s'il veut recueillir fes derniers foupirs , il
faut qu'il parte fur le champ. A peine at-
il jetté les yeux fur les premières lignes
de cette lettre fatale qu'il n'a pas la force
de l'achever ; elle lui tombe des mains ;
il verfe un torrent de larmes ; il fe paffe
en lui un combat violent entre l'amour
& la piété filiale . L'amour le follicite vivement
en faveur de Julie & veut abſolument
l'entraîner vers elle. Sa tendrefle
lui repréfente un père livré aux horreurs
de la mort , prêt à expirer , prononçant
le nom de fon fils & demandant
avec empreffement de le voir. Une voix
intérieure ne ceffe de lui faire entendre
qu'on doit honorer fes parens , & furtout
leur rendre aux derniers inftans de
leur vie ces triftes & lugubres devoirs
qu'impofent le respect & la tendreffe . St
Albin céde à des raifons auffi folides ; il
n'hésite plus ; il ne prend pas même le
JANVIER. 1772 . 57
tems d'inftruire Mundor du fâcheux contretems
qui l'oblige de retourner dans ſa
patrie ; il vole auprès de fon père qu'il
trouve à toute extrémité.
Sur ces entrefaites la tendre Julie étoit
plongée dans la plus profonde mélancolie
: elle s'allarmoit de ce que St Albin
n'arrivoit point. Tantôt elle craignoit
qu'il ne lui fût arrivé quelqu'accident ;
tantôt fon imagination ingénieufe à la
tourmenter lui faifoit appercevoir fon
amant qui tendoit un hommage infidèle
à Lucile fa rivale & qui rioit de fa fotte
crédulité. En un mot elle étoit livrée à
ces perplexités d'esprit inféparables de
l'attente , lorsque Mundor vint lui apporter
une lettre de St Albin. Il lui appre
noit la maladie de fon père & fa convalescence
. Il réclamoit l'indulgence de la
Marquife & de Julie , & il ajoutoit que
dès que le Marquis de St Albin feroit entièrement
rétabli il partiroit pour unir fa
deftinée à celle de l'aimable Julie.
Cependant St Albin étoit dans un grand
embarras. Il avoit pris , fans confulter fa
famille , des engagemens avec Julie qu'il
refferroit de plus en plus par les nouvelles
affurances de fon amour , & il ne
fongeoit point à ceux qu'il avoit contrac
Cv
38 MERCURE DE FRANCE.
tés avec Lucile. (L'imprudence eft le fors
de la jeuneffe ; le feu des paffions l'emporte
au- delà des bornes de la raiſon &
il lui ôte l'ufage de la réflexion. ) Les
chofes étoient tellement avancées avec
Lucile qu'il ne pouvoit pas décemment
reculer. Le père de Lucile devoit en outre
venir inceffamment chez le Marquis
de St Albin , afin de prendre les derniers
arrangemens pour la conclufion du mariage
avec fa fille. Quel parti prendre
dans une occurence auffi fâcheufe ? Le
Ciel favorifa bientôt St Albin . Le père
de Lucile arrive & il fuscite mille tracafferies
& mille chicanes. Ce père tenoit
la plus grande partie de fa fortune de fa
première femme mère de fa fille . Il fe
défespéroit lorsqu'il réfléchiffoit qu'il
étoit à la veille d'abandonner un riche
patrimoine. Un fentiment généreux lui
faifoit bien defirer quelquefois le bonheur
de Lucile ; mais l'intérêt murmuroit
& détruifoit presqu'auffi- tôt ce premier
mouvement que la nature inspire à un
bon père.
St Albin ne laiffa pas échapper une occafion
auffi favorable de rompre avec Lu
cile & de communiquer à fes parens le
projet de fon mariage avec Julie . Il les
JANVIE R. 1772. 59
trouve partagés d'opinions. Les uns alléguent
le défagrément d'un long voyage .
Les autres difent qu'il y auroit la plus
grande témérité d'aller , fur la bonne foi
d'un ami , époufer une fille qu'on ne connoît
pas. Le Marquis de St Albin , vaincu
par les follicitations & la tendreffe
qu'il avoit pour fon fils , eft le feul qui
opine en fa faveur . Après bien des contradictions
, on s'en tient à fon avis. On
écrit à la Marquife ; en peu de tems on
reçoit d'elle une réponse favorable , &
bientôt le Marquis de St Albin & fon fils
s'acheminent vers la patrie de Julie.
Il ne m'eft pas poffible de rendre ici les
doux transports , les palpitations , les tendres
émotions & tous les autres fentimens
délicieux qu'éprouvèrent Julie & St Albin
à leur première entrevue . St Albin
ne fe lafloit pas de regarder Julie , de contempler
fes charmes & de faire parler à
fes yeux le langage muet de l'amour. Julie
, de fon côté, étoit dans un trouble qui
annonçoit le défordre de fon ame. St Albin
adreffoit-il la parole à la Marquife ,
auffi- tôt elle promenoit fes regards avides
& curieux fur lui . Celui- ci tournoit- il de
nouveau fes yeux fur elle , elle fe hâtoit
de baiffer les fiens avec une modeftie qui
relevoit l'éclat de fes charmes .
C vj
Go MERCURE DE FRANCE .
ود
93
A cet état de contrainte & de gêne fuccéda
bientôt une agréable confiance entre
les deux jeunes amans. L'un & l'autre fe
racontoient mutuellement les perplexités
d'esprit qu'ils avoient eues , les maux
qu'ils avoient foufferts , & ils fe livroient
à ces doux épanchemens qui font les délices
de l'amour. « Chere Julie, lui difoit
» St Albin , le Ciel nous fit naître l'un
» pour l'autre. La fympathie uniffoit nos
» coeurs avant qu'ils fe connuffent. Dès
» que Mundor m'eût parlé de vous , je
» fentis en moi le plus vif defir de vous
voir. Votre image me fuivoit par - tout.
Que je fuis heureux de pouvoir aujour-
» d'hui vous jurer un amour éternel . Oui,
» mon aimable Julie , je ne vis que pour
» vous ; je ne respire que pour votre bonheur
; en vous feule réfide le mien.
Qu'il tarde à ma vive impatience de
» me voir uni à vous pour toujours par
» les liens facrés de l'hymen ! je crains
quelques nouveaux malheurs. -Pourquoi
vous inquiéter , cher St Albin ?
Pourquoi chercher dans l'avenir des
maux qui n'exifteront pas ? La fortune
n'a t'elle pas affez éprouvé notre conftance
? Elle eft laffe de nous perfécu
» ter : elle nous regarde d'un oeil favora-
» ble : jouiffons tranquillement de fes fa-
و د
93
39
"
JANVIE R. 1772. 61
» veurs : mon coeur n'eft - il pas à vous ,
» cher amant ? Croyez - vous que votre
Julie puiffe jamais devenir inconf-
"
» tante ? »
Rien ne troubloit l'innocente tranquillité
de ces deux jeunes amans. Plus ils fe
voyoient, plus ils s'aimoient . Le Marquis
de St Albin & la Marquife de M.
étoient enchantés de voir ce couple charmant
d'auffi bon accord , & ils ne négli
geoient rien pour accélerer fon bonheur .
Déjà on avoit envoyé des bans dans la
patrie de St Albin pour les faire publier ,
déjà ils l'avoient été dans ceile de Julie ,
lorsqu'il furvint un événement qui jetta
la confternation dans tous les esprits.
Lucile , inconfolable de la perte de fon
amant , ne ceffoit pas de déplorer fon
malheureux fort . Elle accabloit fon père
de reproches , en lui difant qu'il étoit
l'auteur de fon infortune & qu'un vil intérêt
le rendoit fourd à la voix du fang.
Senfible à des propos auffi aigres & voiant
que le mariage de St Albin étoit décidé
il meurt de chagrin. A peine Lucile lui
eût elle rendu les derniers devoirs , qu'elle
dépêcha exprès fur exprès à la Marquife
de St Albin pour lui annoncer la mort de
fon père. Elle réclame dans fes lettres la
62
MERCURE DE FRANCE.
tendreffe de fon amant ; elle follicite fon
retour & promet de pardonner fon infidélité.
La Marquife de St Albin , touchée
de l'amour fincère de Lucile pour
fon fils , ne laiffa pas ignorer cet événement
à fon époux : elle le preffe vivement
de ne rien conclure avec Julie , & pour
lui impofer cette néceffité , elle dit qu'elle
n'enverra pas les bans , quoiqu'elle les eût
fait publier.
Le Marquis de St Albin , en lifant cette
lettre , manqua expirer de douleur . II
avoit pour la Marquife de M ... beaucoup
de respect, & pour Julie toute la tendrefle
d'un père . Cependant quel parti prendrat'il?
Ira- t'il irriter fa famille en perfiftant
dans un projet qui lui déplaît ? Il fçavoit
bien qu'il avoit l'autorité en main , mais
jamais il n'en fit d'ufage. La clémence
accompagna toujours fes actions . Il étoit
dans une irréfolution affreufe . St Albin
qui fçavoit que le Marquis avoit reçu une
lettre , entre dans fon appartement. Le
premier objet qui frappe fa vue est fon
père noyé de larmes . Ah ! qu'avez vous,
Monfieur , s'écria auffi - tôt St Albin !
» quelles nouvelles avez vous reçu ?
Hélas ! mon fils , je fuis défefpéré : que
» ton fort eit malheureux ! De grace
»
"
-
JANVIER. 1772 63
expliquez - vous. Tiens , lis ... & vois
» s'il eſt une fituation plus cruelle que la
» nôtre. » St Albin parcourut rapidement
la lettre de la Marquife : elle excite fon
indignation : il pleure ; mais bientôt rappellant
fa fermeté : « Mon père , dit - il ,
» me croit- on affez lâche pour abandon-
» ner Julie ? on m'arrachera plutôt l'ame
» que de me féparer d'elle. » Ce peu de
mots prononcés avec chaleur fixa abfolument
l'irréfolution du Marquis. Ils convinrent
entr'eux de dévorer en fecret
leurs douleurs , de ne rien dire à Julie &
à la Marquife qui pât les décéler , & St
Albin prit la réfolution de partir en pofte
pour aller chercher fes bans fans lesquels
il ne pouvoit pas fe marier.
Cependant , quelques précautions que
St Albin apportât pour cacher fes peines ,
l'inquiétude de la tendre Julie fçut les
deviner. « Cher amant , lui dit- elle,vous
» avez reçu quelques nouvelles fâcheufes
» que vous voulez me déguifer... Cruel
» que vous êtes , je ne mérite donc plus
votre confiance ... Vous n'aimez donc
» plus votre Julie . Moi , je n'aime
» plus ma Julie ... Quelle injukice vous
» me faites. — Mais , au nom de notre
tendre amour , parlez , cher St Albing
-
64
MERCURE
DE
FRANCE
.
-
» Je n'ofe. Ah ! que vous redoublez
" ma curiofité. Eh bien mes parens...
» ma Julie . -Hélas ! achevez . -veulent
» s'opposer à mon bonheur : ils refufent
d'envoyer nos bans : Lucile les a inté-
» reffé en fa faveur. Je pars demain en
""
pofte pour les faire changer de réfolu-
» tion. Ingrat que tu es... tu voudrois
» m'abandonner ainfi ... me laiffer en
proie aux plus vives allarmes ... Si tu
» pars , je ne te reverrai plus... Ah ! fi
je te fuis encore chere... fi tu es enco-
» re fenfible aux bontés de ta Julie , reftes
» auprès d'elle. »
"
Le Marquis de St Albin dans ce moment
rejoignit ces deux amans infortu
nés. Il les trouva l'un & l'autre fort triftes .
Ce bon père mêla fes larmes aux leurs .
« Confolez - vous , mes enfans , leur dit-
" il , je ne vous abandonnerai point : le
» Ciel benira la pureté de mes inten- .
» tions. J'oppoferai une conftance in-
» flexible aux rigueurs du deftin. Vous
» ferez heureux avant qu'il foit peu de
» tems , duffai - je moi- même aller chercher
ce qui eft néceffaire pour votre
mariage. Ce discours calma les craintes
de Julie & ranima entierement l'espérance
de St Albin.
ן כ
JANVIER. 1772 65
La Marquife de St Albin réfléchiffant
fur la réfiftance de fon époux , comprit
enfin qu'elle étoit occafionnée par l'avantage
réel qu'il trouvoit fans doute pour
fon fils dans le projet d'établiffement avec
Julie. Elle prit fagement le parti d'envoyer
les bans . Le Marquis les reçut avec
une joie qu'il n'eft pas poffible d'exprimer.
Les inquiétudes , les perplexités
firent bientôt place aux jeux & aux ris .
On tâcha d'effacer jusqu'au fouvenir des
maux qu'on avoit effluyés . St Albin preffa
la conclufion de fon mariage qui fur célébré
avec magnificence . Peu de tems
après il conduifit fa chere Julie dans fa
patrie. Ses parens le félicitèrent fincèrement
fur le choix qu'il avoit fait . Ces
deux époux coulent maintenant leurs
jours dans une agréable tranquillité , &
ils offrent le tableau le plus parfait de
l'union conjugale
.
Par M. Jaymebon , préfident au grenier
à fel d'Argenton en Berry.
66 MERCURE DE FRANCE.
CLORIS , Hiftoriette.
CLORIS aimoit éperduement
Un jeune berger du village ,
Son coeur étoit à tout moment
Rempli de cette douce image ;
Elle le voyoit tous les jours ,
Depuis qu'il alloit à la treille
Avec fa petite corbeille ,
Paré des plus charmans atours :
Mais n'ofant s'offrir à la vue ,
La pauvrette toute éperdue
Fuyoit en le lorgnant toujours ;
Elle eut voulu de la tendrefle
Inftruire le jeune Colin ,
Mais un peu de délicateffe
La détournoit de ce deffein .
Un foir elle apperçoit Sylvie
Affile à l'ombre d'un tilleul ;
Elle laifle fon troupeau feul
Et va trouver la bonne amie.
A force de s'entretenir ,
Bientôt du beau berger Lyfandre
JANVIER . 1772. 67
On difcourut avec plaifir ;
Qu'il t'aime , que fon ame eft tendre !
Dit Cloris avec un foupir:
Jamais berger fut plus aimable ,
Dis- moi par quel hafard heureux ,
Par quelle rencontre agréable
Vous êtes-vous aimés tous deux?
Ecoute , répondit Sylvie ,
Je ne fçais , mais un beau matin
Je me trouvai toute endormic
Et je m'aflis fous ce jalmin.
Je croyois l'endroit folitaire ,
Je m'endormis au bord de l'eau ;
Point du tout , avec fon troupeau
Il y venoitpour l'ordinaire.
Ily
Voilà-t-il pas que le coquin
S'approche & me baile la main ;
Je m'éveille , & d'un ton févère
Je lui dis d'être moins badin.
L'efprit occupé du jaſmin ,
Cloris dit bon foir à Sylvie.
Sous la treille le lendemain ,
Appercevant venir Colin ,
Bon Dieu , qu'elle fut endormie !
Par M. de Launey , de Bayeux ,
udiant en dreit
38 MERCURE DE FRANCÉ.
EPIGRAMME imitée de l'anthologie ,
fur un vainqueur à la courfe .
L'HEUREUX fils d'Arias eſt fils de la Victoire ,
Delphes , je reconnois ton noble fondateur ,
Il attache à fes pieds les aîles de la gloire ,
Et l'agile Perfée admire fon vainqueur.
Telle dans fa courfe légère
Une flêche lancée auffi -tôt disparut :
Tel invifible en la carrière ,
Arias ne fe voit qu'au but .
Par M. L. D. L.
AUTRE , fur Niobé , changée en pierre &
fculptée par Praxitèle.
Pour le trouble des coeurs & le charme des
усих
Je fus femme autrefois ; mais moins tendre que
belle
Je devins pierre , hélas ! par le courroux des
dieux ,
Je renais aujourd'hui par l'art de Praxitèle.
Un mortel a plus fait que n'avoient fait les dicuz.
Par le même.
JANVIER . 1772 69
LA FEMME COMPATISSANTE ,
Conte.
Je viens vous conter mon chagrin ,
Dit Perrette à lon médecin ;
Mon mari devient aftmatique :)
Notre esculape lui replique ,
Raflurez -vous ; on voit cette espèce de gens
Souffrirbeaucoup , mais vivre très long- tems ;
Pour s'en débarraffer il faut qu'on les affomme.
Perrette auffi - tôt s'écria :
Monfieur , faites que mon pauvre homme
Souffre le moins qu'il le pourra.
Par M. Houllier de St Remi , de Sezanne.)
* Comparaifon des quatre Saifons avea
Les quatre Ages de la vie.
LIS
OVID. Mét. liv . 1
Las diverfes faifons , de nos différens âges ,
Retracent à nos yeux de fidèles images.
* Le Public verra avec plaifir que ces vers ne
démentent point l'idée avantageufe qu'ont donnée
de ce jeune auteur les morceaux imprimés dans le
dernier Mercure.
70
MERCURE DE FRANCE.
Le printems ,jeune enfant que bercent les zéphirs ,
Se couronne de fleurs & fourit aux plaifirs.
La terre allaite encor l'herbe tendre des plaines
Et Cérès craint de voir les espérances vaines.
Tout fleurit , tout eft jeune en cet aimable tems .
L'Eté , fils du Soleil , fuccéde au doux printems.
Sa robufte jeuneffe a l'air virile & mâle ,
-Et fes vives couleurs éclatent fous le hâle.
Il n'eft point de faifon où l'art plus vigoureux
Enfante plus de fruits , brûle de plus de feux.
L'Automne fuit fes pas d'un air tranquille &
fage ;
Sans être vieux encore il n'eft plus au bel âge ,
De la jeuneſſe en lui les feux font amortis ,
fur fon front compter des cheveux
Même on peut
gris.
L'Hiver , hideux vieillard qui chemine avec peine
,
Chancelle à chaque pas dans fa marche incertaine
;
Et fur fon front blanchi , couronné de glaçons ,
Le tems injurieux a creufé fes fillons .
Les faifons , dans leur cours , changent auffi les
hommes.
Ce qu'hier nous étions , ce qu'aujourd'hui nous
fommes ,
Demain , foibles mortels , nous ne le ferons plus.
Autrefois dans le fein où nous fumes conçus ,
JANVIER. 1772 . 75
Del'homme encore à naître incertaine espérance
S'accroifloit lentement notre informe existence .
Nous n'étions qu'ébauchés . Mais la nature alors ,
Ouvrière lavante , organifa nos corps ;
Et les tirant enfin de leur prifon féconde ,
Nousmontra tout- à- coup fur la (cène du monde .
L'homme entre dans la vie , automate impuif
fant ,
Sur la terre couché ne vit qu'en gémiflant ,
Y rampe avec effort , & femblable aux reptiles ,
Au fecours de fes pieds viennent les mains débiles,
Il veut fe foulever & retombant foudain
Il implore en criant l'appui d'une autre main .
Bientôt de les genoux effayant la foupleffe ,
Il fe foutient & marche avec moins de foiblefle.
Déjà plein de vigueur & plein d'agilité
Il parcourt la jeuneffe avec rapidité .
A peine a -t'il franchi le midi de la vie,
Sa courfe impétueufe eft bientôt rallentie.
Sa tremblante vieillefle a befoin d'un appui ,
Ou plutôt le penchant l'entraîne malgré lui.
Fille affreuse du tems , de notre foible argile
La vieilleffe détruit l'édifice fragile ,
Nous confume en détail . Milon , devenu vieux ,
Pleure de voir fes bras autrefois fi nerveux ,
D'os , de muscles tendus , vigoureux aflemblage,
Tomber languiflamment , appéfantis par l'âge.
1
72 MERCURE DE FRANCE:
Tu pleures , Tyndaris , tu pleures & tu crains
Qu'un cryftal indiscret n'offre à tes yeux éteints
Les rides de ton front d'où s'envolent les graces.
Tu n'ofes demander aux trop fidèles glaces ,
Si l'on a pu t'aimer & t'enlever deux fois ,
Ou comment ta beauté fit armer tant de Rois.
O tems , tems deftructeur tout reflent ton ou
trage ,
Et d'une longue mort notre vie eft l'image.
Par M. de St Ange.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois de Décembre
, eft Ongle ; celui de la feconde eft
la Patrie ; celui de la troifième eft le Vin.
Le mot du premier logogryphe eft Montre
, où le trouvent or , mer , renom, mot ,
Rome , Noë , More , re & mort ; celui du
fecond eft Mail, où l'on trouve mil,ami,
mai , mal , ail , ali , mi , la ; celui du troifième
eft Plaine , où ſe trouve laine.
ÉNIGME .
AIR DE ZÉMIRE ET AZOR .
Janvier
Pag
1772.
Rose cheri......e, Aimablefleur
Rose chéri......., Viens sur mon catar Ai
mablefleur, Viens sur mon coeur,Viens sur mon
coeur pui:ser la vi....... Viens du
moins mourir sur mon coeur .Aimable fleur,
Viens sur mon coeur.Viens du moins mourir,Tier
Viens du moins mourir sur mon coeur, Mor
rar sur mon coeur.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
JANVIER . 1772 : 73
JE
ENIGME
E fuis mère des fils qui font tout mon appui ;
Mais toujours inconftans , l'un me quitte aujour
d'hui ,
Et l'autre , par ordre fuprême ;
Afon tour en agit de même ,
Il n'eftjamais en moi , ni je ne fuis en lui.
Par M. Taconet.
AUTRE.
MON emploi n'eft pas éclatant ,
Je fais le mal , mais toujours on m'y porte ,'
Ce que je touche , alors , je l'étouffe à l'inftant ,
Un long bâton fait toute mon escorte ;
Je me promène , & mon bâton me (uit .
Comme ennemi de la lumière
Je force à rentrer dans la nuit
Des objets qui n'ont pas achevé leur carrière ;
Souvent quand un bal eſt fini
Je ne fuis pas chofe inutile ;
I. Vol. D
74 MERCURE
DE FRANCE.
Mais fi je diſois de la ville
L'endroit où l'on me voit le plus affujéti ,
Deme nommer il feroit très-facile.
Par M. Leclerc de la Motte , Capitaine
au régiment d'Orléans infanterie.
A
AUTRE.
LA beauté je fuis nuifible ,
Je favorife la laideur ;
Souvent , fous un dehors trompeur ,
Je cache un coeur ſenſible.
Par M. M. D. C.
JE
AUTRE.
ne puis , belle Eglé , vous offrir mes fervices ;
Maman eft trop rigide , & fa première loi
Ceft que vous vous paffiez de tous mes bons offi .
ces ,
Et que vos paffe-tems foient ailleurs que chez
moi.
Colas y vient pourtant à côté de Rofette ;
Chaque jour je les vois toujours plus amoureux ;
Tout auprès cft Lubin avec fa tendre Anette ;
JANVIE R. 1772 . 75
J'apperçois leurs transports , je fouris à leurs feux.
Des dons que je prodigue une jeune bergère
Se pare avec plaifir , en offre à fon berger ;
Le plus petit préfent fert à nous engager ;
Il eſt même ſouvent le premier art de plaire ;
Puis on rit , on folâtre & moi je laiffe faire ;
On court, on faute , on danfe , on eft content ;
La danse en fait d'amour eft un moyen charmant.
Ce n'est rien , belle Eglé , voiez un jour de fête ;
Hommes , femmes , enfans , enfin tout le canton ,
Pour venir à ma cour avec grand foin s'apprête ;
Le dimanche , & fur- tout le grand jour du Pa
tron ,
Chaque Bergère m'amene fa conquête ,
Chaque bergère y chante une chanfon ;
Souvent maître Baudet le met à l'uniffon.
C'eſt mon plaifir ; je n'éconduis perfonne ;
Venez , filletes , en automne ,
Je brille alors , c'eſt ma ſaiſon.
Venez , venez , jeunes garçons ,
Laiflez gronder la févère vieillefle
Elle condamne la tendreffe ;
Fermez l'oreille à fes triftesl eçons.
Jouiffez ; à l'amour rendez un pur hommages
D'aimer , goûtez le doux plaifir ;
Lejour viendra trop tôt , où les glaces de l'âge ;
Dans vos coeurs refroidis éteindront tout defir,
.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
EN VOI.
D'une Mufe fans art recevez cet hommage ;
C'eft un préfent bien peu flatteur ;
Quand on voit deux beaux yeux , je fais que c'eſt
l'ufage,
De leur parler le langage du coeur.
Oui , belle Eglé , ce doux langage
Fefoit autrefois mon bonheur.
Je ne le connois plus , on l'oublie à mon âge ;
Puiffe bientôt , quelque aimable vainqueur ,
Auprès de vous en faire apprentiſlage ,
Et d'amant paffionné devenir mari fage.
L'amour & la beauté font des dieux que je lers ,
Mais hélas ! ce n'eft plus que par des foibles vers .
Par M. D. M. à Aups en Provence.
LOGO GRYPH E.
MON trône eft ton pois , jeune & belle
Thémire
J'ybrille avec éclat , j'embellis tous tes traits.
Eh que peuvent fans moi tous tes charmes fecrets
?
JANVIER. 1772 .
77
Pour captiver les cours ils ne fauroient fuffire.
J'y parois ; auffi - tôt ton aimable berger ,
Tendre & content , te rend hommage ;
Dût-il être d'humeur volage ,
Tu fçaurois par mon art l'empêcher de changer.
Pour donner de mon fort plus claire connoiſlance ;
Analylons ici , lecteur , mon exiſtence.
Par vos combinaiſons cherchez , trouvez en moi
Le titre fi connu d'un Roi ;
La fleur qui s'empreffe d'éclore
Pour regner un matin dans les jardins de Flore .
Cet animal pefant qu'on peut voir dans Paris ,
Amufer par les tours , effrayer par les cris.
Le titre favori du dieu de la vendange.
L'amante de Jupin paiffant dans les forêts.
La paffion qui fait un noir démon d'un ange.
Le métal qui pour l'homme a les plus grands attraits
.
Ce que Briffaut fous table attend pour fon falaire
;
Celle , en un mot dont vous êtes le frère.
Par M. D. M. , à Aups en Provence:
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
AUTRE.
Je fuis un frère aîné , je ne dure qu'un mois ;
De fept pieds , quatre à bas & tête fupprimée ,
Lecteur , je vais plus loin ; car fans doute tu vois
Queje dois durer une année.
Par M. Bouvet , à Gifors.
L'ON
AUTRE.
'ON me prend , l'on me rend ;
Je fuis d'un grand rapport . fais vivre bien des
gens.
Mon origine eſt le fein de la terre ;
Deux pieds , de moins , fur l'eau je deviens néceffaire.
Par M. M. D. C.
JANVIER. 1772. 79
1
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Obfervations fur la Statue de Marc-Aurèle,
& fur d'autres objets relatifs aux
beaux arts. A M. Diderot, par Etienne
Falconet.
Ut enim de pictore , fculptore , fitore nifi artifex
judicare , ità nifi fapiens non poteft perfpicere
fapientem.
PLIN. Ep. 10 , 1. r .
vol. in 12. A Amfterdam , chez -Matc-
Michel Rey , 1771 ; & fe trouve à Paris
, chez Leclerc , libraire , quai des
Auguſtins.
CES obfervations peuvent être regardées
comme un très - bon commentaire de
la lettre que ce même artiſte a publiée il
y a quelques années fur la fculpture. Elles
font affaifonnées d'excellentes remarques
fur les arts , les artiſtes & les prétendus
connoiffeurs. Le ftyle en eft agréable ,
enjoué & piquant . On ne refufera vraifemblablement
pas à M. Falconet , à l'ar
tifte que l'Impératrice de Ruffie a appellé
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
à Saint Petersbourg pour ériger la ftatue
équeftre de Pierre le Grand , le droit d'ap
précier celle de Marc Aurele , que l'on
voit à Rome au milieu de la place du
Capitole . Cette ftatue eft un de ces monumens
antiques que l'on admire encore
fur parole . Les voyageurs fe transmettent
l'un à l'autre ce mot de Piétre de Cortone
qui dit un jour de ce cheval antique :
Et pourquoi ne marches tu pas ? Ne fçaistu
point que tu es vivant ? Mais Piétre de
Cortone a t il dit ce mot ? Et quand il
l'auroit dit , un inftant d'enthousiasme
du plus habile homme que ce foit est- il
une autorité fuffifante pour nous fermer
les yeux , fur- tout lorsque ce très- habile
homme n'a point fait d'études particulières
de l'objet qu'il examine , ou lorsque
celles qu'il a faites ne font que des àpeu-
près & ne peuvent que lui donner
des mouvemens & des formes infidèles ,
lorsqu'enfin l'ouvrage exifte & qu'il contredit
l'éloge. Mais quand il feroit
vrai d'ailleurs que l'action que Piétre de
Cortone y trouvoit l'eût engagé à le fuppofer
vivant , fon éloge qui n'étoit que
partial , n'étoit pas une raifon pour qu'on
l'ait généralifé ; & que par un fophisme
affez commun aux mauvais raifonneurs ,
JANVIER. 1772. 81
on fe foit écrié : c'eft un ouvrage parfait,
car Piétre de Cortone y a trouvé de la
vie. Le cheval de Marc - Aurèle a du
mouvement. Qui eft ce qui le nie ? Mais
un animal quelconque , s'il eft mal fait ,
aura beau avoir du mouvement , il ne
paffera jamais pour un bel animal. Therfite
avoit du mouvement , mais il étoit
le plus laid des Grecs. Si la comparaifon
eft trop forte , l'auteur confeille de n'en
prendre que ce qui convient à l'objet.
M. Falconet ne parle point ici du Cavalier
qu'il n'a point vu ; il ſe borne au
cheval dont il a des modèles en plâtre
très-exacts . Il l'a examiné avec l'oeil févère
d'un artiſte chargé lui même de modéler
la ftatue d'un cheval ; & qui pour s'élever
au vrai beau , a fait une étude attentive ,
fuivie & répétée de la nature . M. Falconet
a placé celuiqui eft l'objet de fes obfervations
fous toutes les faces poffibles ; il
l'a vu de près & à la diftance où il doit
être fur fon piédeftal. Les détails dans
lesquels il eft entré prouveront fuffifamment
à ceux qui ne font point tout à fait
prévenus que le cheval de Marc - Aurèle
eft bien au- deffous de fa réputation & du
beau naturel .
Les digreffions que l'artifle s'eft per-
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
mifes dans cet examen font toutes relati
ves aux beaux arts ; elles confirment cette
maxime de Pline qu'il a prife pour épigraphe
: Ut enim de pictore , &c . Il releve
fur- tout plufieurs jugemens que feu l'Ab
bé Winkelman , membre de plufieurs
académies , a porté fur les arts ; & fait
très-bien voir que l'on peut être bon littérateur
& fçavant antiquaire & dérailonner
en peinture & en sculpture. M. Falconet
obferve même que M. Winkelman
a mal rendu un paffage de Plutarque;
il eft fans doute allez curieux de voir un
sculpteur au milieu de fon attelier prouver
à un président d'académie , à un profelleur
en langue grecque , qu'il n'entend
point cette langue. Au refte cette petite
revanche n'eft point ici déplacée ; M. le
Préfident avoit jugé à propos de relever
plufieurs endroits de la lettre de M. Falconet
fur la sculpture , & de les interpréter
à fa manière .
Ces nouvelles obfervations d'un artifte
auffi diftingué que M. Falconet ne peuvent
manquer d'être accueillies Si Apelles
, Zeuxis , Phidias , Glycon , Praxitèles
euffent écrits de leur art , leurs livres feroient
ceux des artiftes ; & une page de
leurs réflexions nous inftruiroit plus que
JANVIER. 1772. 83
ce que Paufanias , Strabon ou Pline onc
écrit fur la peinture & la sculpture. Tout
ce que l'on apprend bien clairement dans
un écrit fait par un prétendu connoiffeur
qui n'a pas lui - même pratiqué l'art dont
il parle , eft de discourir fur un objet fans
l'entendre. Rarement ces prétendus connoiffeurs
mettent le doigt où il faut. Comme
ils n'ont qu'un fentiment vague de la
chofe, fentiment toujours fort éloigné de
la connoiffance exacte qu'il faut avoir
pour bien juger , ils tournent fans celle au
tour de l'objet fans vous le faire connoître.
Frère Jacques , jardinier des Chartreux
, lifoit un jour le Spectacle de la
Nature de l'Abbé Pluche ; il trouvoit tout
admirable . Quand il en fut au jardinage ,
il fronça le foucil & jetta le livre en difant
: Il ne fçait ce qu'il dit. Si Frère Jacques
eût été artifte & homme de lettres
il auroit pu dire la même chofe en lifant
une multitude d'écrits fur les arts ou fur
des objets de littérature faits par de fimples
amateurs. Il auroit trouvé fur - tout
fort plaifantes les critiques que les gens du
monde font quelquefois d'un poëme ,
d'une comédie ou d'une tragédie dont ils
ne connoiffent fouvent pas les premières
règles : Felices effent artes , fi de illis foli
artificesjudicarent, QUINTILIEN.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire générale des Infectes de Surinam
& de toute l'Europe , contenant leurs
defcriptions , leurs figures , leurs différentes
métamorphofes , de même
que les defcriptions des plantes , fleurs
& fruits dont ils fe nourriffent , & fur
lefquels on les trouve le plus communément
; avec quelques détails fur les
crapauds , lezards , ferpens , araignées ,
& autres petits animaux de Surinam ,
peints fur les lieux d'après nature , &
gravés avec foin par Mlle Marie- Sy-
Bille de Merian , en deux parties in folio
; troisième édition , revue , corrigée
& confidérablement augmentée ,
par M. Buch'oz , médecin botaniste de
feu S. M. le Roi de Pologne , mem .
bre de plufieurs académies , à laquelle
on a joint une troisième partie qui traite
des plus belles fleurs , telles que des
plantes bulbeufes , liliacées , caryophil
fées , & c. avec leur defcription exacte ,
leur culture & leurs propriétés , ouvrage
intéreffant pour les amateurs de
l'hiftoire naturelle , & unique en fon
genre ; tome premier , vol . in-f. grand
format . A Paris , chez Defnos , librai .
re & ingénieur-géographe , tue St Jacques
, au Globe .
JANVIER . 1772 85
Cette nouvelle édition dont il ne pa
roît que le premier volume , eft en latin
& en françois. Le nom de Mlle de Merian
eft bien connu des amateurs de l'his +
toire naturelle ; les planches que cette
virtuofe avoit fait graver d'après fes peintures
à gouache fourniffent encore des
épreuves très- pures & très- nettes . Le foin
d'ailleurs qu'a pris le fçavant botaniſte
Lorrain pour rendre cette dernière édition
plus correcte , plus exacte & plus
inftructive que les précédentes doivent la
rendre précieufe aux Naturaliftes . Les
deux autres parties de ce grand ouvrage
feront publiées dans peu & fucceffivement.
De l'Education de la Jeuneffe , avec des
notes intéreffantes : Epître, par M. Fran
çois , de plufieurs académies ; in- 12. A
Neufchâteau ; & fe trouve à Paris, chez
Valade , libraire , rue St Jacques , visà-
vis la rue de la Parcheminerie .
Cette épître publiée dans le premier
volume du Mercure du mois d'Octobre
dernier , vient d'être imprimée
avec des notes qui dévéloppent , étendent
ou confirment la penfée du poëte. Le
lecteur même inftruit prendra plaifir à les
lire ; il converfera fouvent avec Plutar86
MERCURE DE FRANCE.
que , Rabelais , Montaigne. Dans une de
ces notes l'auteur compare ingénieuſement
l'enfant qui donne les premiers
fignes d'intelligence , à la ftatue de Pygmalion
qui s'anime ; alors l'enfant perd
peu-à- peu l'habitude de ces vagiflemens
plaintifs , de ces fons foibles & inarticulés
dont il avoit affligé nos oreilles depuis
fa naiflance. La nature travaille aux
opérations nécellaires pour le dévéloppement
fucceffif de fes organes . Son eſtomach
fe fortifie , fon front s'éclaircit , fa
phyfionomie fe décide , fes dents percent,
fes pieds s'affermiffent , fes yeux diftinguent
les traits , fon oreille reconnoît les
fa bouche les prononce . L'enfant
n'a point encore d'idées ; mais a la faculté
d'en acquérir , & chaque jour il en acquiert
de nouvelles. Il a peu d'imagination
, mais il a beaucoup de mémoire ;
auffi aime t-il à répéter ce qu'il entend , a
imiter ce qu'il voit. Il eft finge , parce
qu'il ne peut pas être autre chofe ; &
quiconque y réfléchira bien , verra qu'il
en eft de même des hommes. Presque
tous font des finges qui écoutent avec les
oreilles d'autrui , qui regardent avec des
yeux étrangers , & qui femblent n'avoir
que des fens d'emprunt . Frappé de ces
réflexions, Young a dit quelque part :
noms ,
JANVIER. 1772. $7
T
Nous naiffons originaux , & nous mour-
Tons copies . Montaigne s'étoit déjà plaint,
avec fon énergie ordinaire , de ne voir à
presque tous ceux qui fe croyoient les
plus fçavans , qu'une fuffifance relative &
mendiée. Parmi cette foule vulgaire d'esprits
jettés dans le même moule de fervitude
& d'imitation , s'il fe trouve une
tête d'une trempe plus vigoureufe qui devance
, rectifie ou crée les idées des autres
, cette tête appartiendra fûrement à
un grand homme. De ce peu de réflexions,
on doit conclure que l'enfance même
n'eft pas indifférente à des yeux obfervareurs.
Il importe plus qu'on ne penfe
communément de veiller dès lors aux
fenfations qu'elle éprouve , & aux idées
préliminaires qui fe tracent fur fes fibres.
tendres & délicats .
Une bonne mère s'amufe pour amufer
fon enfant ; elle rend les commencemens
de fon exiftence doux & agréables , fans
quoi elle n'auroit fait qu'un préfent funefte
& haïffable au malheureux à qui elle
auroit donné la vie . Sans doute celui - là
avoit été abandonné des auteurs de fa
naiſſance , qui ofa faire mettre fur fon
tombeau cette défolante & mémorable
inscription : Ci git qui ne fe rendit coupe
88 MERCURE DE FRANCE.
33
»
ble envers perfonne du crime que fa mère
commit en le mettant au monde . « Mères
» vertueufes & fenfibles , s'écrie ici , M.
» F. , pourriez - vous lire ces lignes fans
frémir pour vous - mêmes & pour vos
» enfans ? s'ils ne tenoient de vous que
» la vie , fi vous n'y ajoutiez pas l'inef-
» timable bienfait de l'éducation , vous
» feriez criminelles envers eux ; vous
" outrageriez le Ciel ; vous infulteriez la
fociété ; vous rendriez vos jours mal-
» heureux & votre mémoire odieufe . In-
» terrogez votre confcience. C'eft un juge
» inacceffible aux fophismes , & que les
» foibleffes du coeur ne fçauroient cor-
» rompre. Elle vous crie de remplir les
devoirs que je vous rappelle . Elle vous
» fomme , au nom de la nature , de re-
» noncer aux vaines diffipations qui vous
» écarteroient de ces devoirs facrés . Que
» vous importe le tourbillon du luxe &
» de la folie ? Une mère n'a pour tréfor
» que l'ame de ſes enfans , pour volupté
» que leurs careffes , & que leur vertu
"
» pour parure . »
Sur toutes chofes , a dit Plutarque , il
faut exercer & accoutumer la mémoire des
enfans , pour ce que c'eft , par manière de
dire , le trèfor de fcience . C'eft pourquoi les
JANVIER. 1772. 89
anciens poëtes ont feint que Mnemofine ,
c'eft à-dire, Mémoire , étoit la mère des
Mufes. Mais l'art d'approvifionner la mémoire
des enfans , comme l'obferve M.
François , eft un art délicat & peu connu .
On les force d'accumuler fans ordre &
fans relâche des notions , ou trop vagues
pour leur être utiles , ou trop abftraites
pour être à leur portée , ou trop confuſes
enfin pour fe graver trop profondément
dans leur fouvenir ; un enfant ne doit
étudier les penfées des autres que pour
apprendre à penfer de lui - même . Si vous
chargez fon esprit au hafard ,d'une multitude
d'idées incohérentes , vous le priverez
du développement de fes propres
idées. Il s'accoutumera à répéter ce qu'il
aura lu avec une fidélité niaife , redifant
fans ceffe ce qui a été dit , fans rien dire
de lui - même qui vaille la peine d'être
redit à fon tour , & reffemblera à celui
dont parle Montaigne , qui s'arrêtoit à fe
chauffer chez fon voifin ,fans fe fouvenir
de rapporter dufeu chezfoi.
M. F. parle dans ces mêmes notes des
abus de l'éducation publique. Si ces abus
ont déjà été relevés , il ne faut pas craindre
de les attaquer encore puisqu'ils fubfiftent
toujours. On entend beaucoup de
90 MERCURE
DE
FRANCE
.
gens affurer que tout eft dit depuis longtems
, & que nous fommes venus trop
tard pour trouver des penfées neaves. Ce
propos eft fondé fur un mot de la Bruyere
, qui devoit lui - même ce mot à un
ancien. Mais en convenant avec eux que
tout a déjà été dit , on peut leur répondre
que bien des chofes font encore à redire.
Une vérité d'ailleurs doit être toujours
réputée nouvelle tant que les hommes ne
l'auront point entendue.
Analyfe des Conciles généraux & particu
liers , contenant leurs canons touchans
le dogme , la morale & la discipline ,
tant ancienne que moderne , expliqués
par des notes , conférés avec le droit
nouveau de la Françe principalement,
& précédés d'un traité des conciles en
général , pour fervir d'introduction :
ouvrage utile au Clergé féculier & régulier
, ainſi qu'aux jurisconfultes ; par
leLe R. P. Charles - Louis Richard , profeffeur
en théologie , de l'Ordre des
Frères Prêcheurs , auteur du dictionnaire
eccléfiaftique. Quatre volumes
in- 4°. de huit à neuf cents pages chacun
, même caractère & même papier
que le Profpectus publié ; propoſé par
JANVIER . 1772. 91
fouscription à Paris , chez Vincent ,
imprimeur - libraire , rue des Mathurins
hôtel de Clugny.
Cet ouvrage , utile à tous les miniftres
de la Religion , fera divifé en deux parties.
On donnera dans la première , felon
l'ordre chronoligique, une notice historique
de tous les conciles , tant généraux
que particuliers , avec leurs canons
fur la foi , les moeurs , la discipline , &
des notes pour l'éclairciffement de ceux
qui font obscurs .
La feconde partie contiendra , felon
l'ordre alphabétique , toutes les matières
dont il eft traité dans les conciles ; & , fur
chacune de ces matières , les principaux
canons qui y ont rapport. Ces canons paroîtront
ici en latin , & feront fuivis du
droit nouveau , fpécialement de la France
, puifé dans les pragmatiques & les
concordats , édits & déclarations de nos
Rois ; les arrêts du parlement & du grand
confeil ; les délibérations des affemblées
générales du clergé , les loix , ufages &
libertés de l'Eglife Gallicane ; les meilleurs
jurisconfultes.
L'ouvrage complet en quatre volumes
in-4°. fe vendra 48 livres en feuilles . Les
92 MERCURE DE FRANCE .
perfonnes qui foufcriront ne la payeront
que 36 liv.: fçavoir ; en fouscrivant &
en retirant le premier volume , que l'on
délivrera au mois de Février 1772 , 18 livres
; en retirant le fecond volume qui
fera délivré dans le courant de la même
année , 9 liv .; en retirant les deux derniers
volumes , qui paroîtront l'année
fuivante 1773 , 9 liv .
Les foufcriptions ne feront ouvertes
que jusqu'au premier Juillet 1772 , paffé
lequel tems perfonne ne pourra jouir du
bénéfice accordé.
On trouve , chez le même libraire cideffus
nommé , l'ouvrage intitulé : Dif
fertation fur les voeux , avec les lettres de
N.S. P. le Pape Clément XIV , touchant
la prife d habit de Madame Louife Marie
de France , &c, par l'auteur de l'analyfe
des conciles & du dictionnaire univerfel
des fciences eccléfiaftiques.
Elémens du fyftême général du Monde
in- 12. petit format. A Amfterdam
aux dépens de la Compagnie .
Surgit humus , crefcunt loca descrefcentibus
undis.
OviD. Mét.
JANVIE R. 1772 . 93
L'auteur de ce nouveau fyftême général
n'admet qu'une matière infinié , exiftante
par parties toutes femblables , plus ou
moins rapprochées les unes des autres ,
& plus ou moins en mouvement par leur
propre impulfion . Il rejette par conféquent
tous ces fluides fubtils & différens
qu'on fuppofe pénétrer les corps & agir
fur leurs parties . C'eft par le moyen d'une
matière homogène qu'il prétend tendre
raifon de tous les phénomènes de la nature.
Si la bafe de l'édifice , dont il faut
voir les détails & l'enſemble dans l'ouvrage
même , ne portoit point fur un fait
purement hypothétique , ce nouveau ſyſtême
devroit être mis beaucoup au - deſſus
de tous ceux qui l'ont précédé , parce que
l'auteur , en réduifant les chofes à la plus
grande fimplicité , nous donne de la na
ture, l'idée que l'on doit s'en former. Mais
à qui perfuadera- t- il que l'eau eft la matière
commune de tous les corps & qu'elle
peut fe changer en terre ? De nouvelles
expériences faites à ce fujet prouvent inconteftablement
que l'eau eft indeftructible
& inaltérable ; que la terre que quelques
chymiftes ont imaginé retirer de
l'eau n'étoit que du verre rapproché par
évaporation , ou des débris des aurres
vaiffeaux dont ils fe font fervis . L'expé94
MERCURE DE FRANCE.
rience par laquelle Boële & un autre phyficien
font parvenus , l'un à faire croître
une citrouille & l'autre un faule dans de
l'eau feule , ne peut être favorable au fyftême
de l'auteur , parce qu'il eft reconnu
qu'indépendamment de la petite quantité
de terre dont l'eau eft toujours chargée ,
l'air feul , fans le concours duquel la végétation
ne peut fe dévélopper , eft le
véhicule d'une très grande quantité de ces
fubftances ou des principes qui les produifent.
Il n'eft pas d'ailleurs prouvé ,
comme le prétend l'auteur , que les eaux
du globe décroiffent. Il lui fera cependant
facile de faire voir que les eaux de la mer
ont abandonné certaines parties de terres,
mais c'elt parce qu'elles ont miné ou fub.
mergé d'autres terreins. Ce nouveau fyftême
n'empêchera donc pas que la vieille
doctrine des élémens , pour nous fervit
ici de l'expreffion de l'auteur , n'ait encore
des partifans . On pourra s'amufer
cependant à fuivre dans l'écrit que nous
annonçons tous les détails de ce fyftême
général . On reconnoîtra que toutes les
parties fe correspondent très - bien , que
la marche en eft facile , que l'édifice a
droit de plaire par fa fimplicité ; mais on
cherche fa bafe & on ne lui en voit point,
ou du moins on ne lui trouve qu'une
JANVIER . 1772. 95
bafe d'argile que le moindre choc peut
détruire.
Réfultat des expériences fur les moyens les
plus efficaces & les moins onéreux au
peuple , pour détruire dans le royaume
L'espèce des bêtes voraces ; par l'auteur
des mémoires imprimés par ordre du
gouvernement à l'imprimerie royale ,
fur le même objet , en 1766 & 1768 ;
brochure in- 8°. A Paris , chez Guillyn
, rue du Hurpoix & Guéffier , rue
de la Harpe ; à Metz , chez Bouchard.
La deftruction des loups a fixé depuis
quelques années l'attention du gouvernement,
& c'eft feconder fes vues que de
publier des écrits fur cet objet , fur- tout
lorsque ces écrits font fondés fur l'expérience
& l'obfervation . L'auteur de ce
réfultat , M. de l'Ifle de Moncel , a luimême
pratiqué ce qu'il enfeigne ici , &
les moyens qu'il donne pour le délivrer
des bêtes voraces peuvent fe réduire à
fix principaux ; 10. Les tracs ou battues
, fous la direction des officiers de
Louvererie , précédées des connoiffances
prifes avec les fecours des limiers ou de
la neige ; 2 °. Les chaffes avec un petit
96 MERCURE
DE FRANCE
.
nombre de chiens , & quelques limiers
dreflés pour le loup ; 3 ° . Les embuscades
après les moiffons , à la rive des bois ;
4. Les foffes ou louvieres ; 5. Les piéges
à la Pruffienne & à la planchette que
les appas rendent fi efficaces ; 6°. Les af
fûts domestiques pendant l'hiver avec de
fimples carnages & quelques appas indiqués
dans le mémoire.
Des extraits de mémoires fur la deftruction
des loups & une notice des principaux
ravages caufés par ces animaux depuis
environ quinze mois dans les différentes.
provinces de France terminent cette brochure
que l'on peut regarder comme l'annonce
d'un plus grand ouvrage fur la def
truction des bêtes voraces & le repeuplement
du gibier. Les obfervations nouvelles
& les faits notoires dont l'auteur
ne manquera point d'enrichir cet écrit ,
doivent intérefler à fa publication les
propriétaires de terre & tous ceux qui
font de la chaffe leur occupation ou leur
amufement. L'auteur invite ceux qui
peuvent avoir par devers eux quelques
faits particuliers relatifs à fon objet à les
lui faire parvenir. Ils contribueront au
bien-être de la fociété & rendront l'ouvrage
de M. de Moncel plus digne d'être
préfenté
JANVIER.
97 1772 .
préfenté au Prince augufte qui a bien vouÎu
l'agréer.
Les Graces & Pfyché entre les Graces ,
traduites de l'Allemand M. Wieland ,
parM.Junker, de l'Académie des belleslettres
de Gottingen. A Francfort, chez
Fr. Varentrapp , libraire ; & fe trouve
à Paris , chez de Hanfy le jeune , libraire,
rue St Jacques , près les Mathurins
; & Baſtien , libraire , rue du petit
Lyon , près celle de Tournon ; A Châ
lons - fur - Saone , chez De Livani ,
libraire , brochure in- 12 .
Chaque fcience , chaque art avoit
chez les Anciens fa divinité tutélaire ;
mais tous les arts & toutes les fciences
reconnoiffoient l'empire des Graces.
C'étoit de ces divinités bienfaifantes
qu'ils attendoient les plus précieux de
tous les biens , la gaîté , l'égalité d'humeur
, l'aifance des manières , toutes ces
qualités liantes qui répandent tant de
douceur dans la fociété. M. Wieland
nous trace dans les premiers chants de
fon poëme qui en a fix , l'hiftoire des Graces
telles qu'elles étoient révérées dans la
Gréce; il nous peint fous les images les plus
E
98 MERCURE
DE
FRANCE
.
"
riantes l'heureux accord des mouvemens
d'un corps fouple & docile avec ceux d'une
ame libre & franche. La Beauté fans les
Graces eft la ftatue de Pygmalion avant
qu'elle commençât à respirer & à fentir.
Elle n'a rien de cette magie incompréhenfible
dont Petrarque , le plus enthoufiafte
des poctes , chante d'un ton fi tendre
& fi touchant la fource & les effets
finguliers.
" Cet aimable poëte fe propo-
» fa - t'il jamais de chanter la beauté fen-
» fible de fon adorable Laure ? Non ,
F'objet de fon enthouſiaſme ne fut point
» de célébrer le vif incarnat du teint de
» fa maîtreffe , ni le pur coloris des rofes
qui éclatoit fur fes lèvres , ni les gra-
» cieux contours d'un fein naiffant où
» brilloient tous les charmes d'une pi-
» quante jeuneffe , ni l'or de fes cheveux
qui tomboient en boucles flottantes
jusqu'au bas d'une taille fine & déliée ;
mais ce qui excitoit fes transports poëtiques
étoit ce charme qu'on ne peut
» définir & qui donne l'ame & la vie à
» tous ces différens attraits ; le feu de fes
regards , dont Fame la plus froide au-
» roit été embrafée ; fon fourire raviffant
qui auroit infpiré de l'amour au coeur le
plus fauvage , fa démarche noble &
"
"
»
»
"
"
JANVIER. 1772. ୨୭
majestueuse qui fembloit être celle de
» la plus belle des nymphes de Diane ;
>> les doux accens de fa voix qui furpaffoit
» la voix enchantereffe des firenes ; toutes
» ces beautés enfin que l'imagination ,
» plus pénétrante que les yeux , peut feule
» appercevoir . »
Héfiode avoit donné les Graces pour com
pagnes à toutes les Mufes pour nous faire
entendre qu'un ouvrage d'efprit ne peut
plaire fans les graces . M. Wieland nous
entretient dans les derniers chants de fon
poëme de leur influence fur les fciences ,
les arts & les moeurs . Il nous rappelle ce
fiécle à jamais mémorable dans les annales
des arts , depuis Périclès jufqu'à Alexandre.
« Ce tems dont on peut dire plus
» que d'aucun autre , qu'il a été fous l'em-
» pire des Graces ; ce tems où les philofophes
, les artiftes , les poëtes , les ar
» chontes , les prêtreffes , les juges éprou-
» voient leur influence : où ils admiroient
la hardieffe fublime du cifeau de Phi-
» dias & la délicateffe du pinceau de Ca-
» lamis : où ils joignoient le goût au plai-
» fir , & trouvoient le plaifir dans tout ce
qui étoit beau : où Platon apprit aux
» Grecs à penſer , Hippias à plaire , &
» Laïs à fentir , où quiconque n'étoit pas
E ij
39
330804
100 MERCURE DE FRANCE.
» esclave révéroit & cultivoit les beaux
arts : où les philofophes s'empreffoient
» au tour des Euphranors & des Damons,
» pour fuivre de l'oeil le pinceau dans la
main du premier , & prêter une oreille
» attentive aux chants mélodieux du fe-
» cond : où au fon des inftrumens , au
» milieu des jeux & des ris , ils appre-
» noient aux vieillards l'art de fe rejouir,
» & donnoient aux jeunes gens des leçons
» de fageffe : où Périclès paffoit avec la
» même facilité du travail au plaifir , &
» des bras d'Afpafie voloit au Prytané ,
» & où Alcibiade , que de trop féduifanso
tes occafions entraînoient dans le déré-
» glement , étoit Ulyffe dans le confeil ,
» Achille dans le péril , Pâris avec de
» jeunes beautés , & favoit , quoique fuc
» fon bouclier il portât l'amour pour de-
» vife , fe rendre redoutable à l'ennemi .
» O âge d'or ! où les Graces & les Mufes
» étoient unies comme de tendres foeurs ;
» où des héros s'effayoient à tirer des fons
» fur la lyre , & fentoient le mérite du
» chantre d'Achille ; où Menandre fe
» formoit entre Théophrafte & Glycère;
» où un préjugé peu fondé ne déroboit
point encore la nature aux yeux d'un
» Alcamene & d'un Zeuxis ; où fans en-
39
JANVIER.
101
1772.
"
» vie Apelles & Protogène fe disputoient
» le prix , chacun prêt à convenir du mé-
» tite de fon concurrent , ne penfant
dans leurs défis , qu'à la gloire & à la
perfection de l'art .
"
"
"3
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מ
»
"
""
33
Uranie même qui jusqu'alors n'avoit
parlé que d'un ton grave & fententieux,
apprit des Graces le fecret d'inftruire
» & de plaire à la fois. C'eft de leur main
" divine que les Platons , les Humes &
les Fontenelles reçurent les fleurs dont
» ils parfemèrent le fentier rude & eſcarpé
de la vérité fugitive , & cette draperie
légère qui fert à en tempérer l'é-
" clat & à ménager nos foibles yeux . >>
Ce font les Graces qui ont inftruit M.
Wieland à écrire . Les Graces Allemandes
n'ont peut- être pas la légereté & l'élégance
des Graces Françoifes ; mais elles
font plus fimples , plus naïves. Elles ont
fur- tout droit de plaire à ceux qui aiment
àfe rapprocher de plus près de la nature .
33
Ce poëme des Graces eft fuivi d'un
fragment intitulé , Pfyché entre les Graces.
Cette nymphe voyoit d'un oeil fatisfait
les hommages que rendoit à fa beauté
un berger qui l'aimoit . Si elle n'avoit
point encore d'amour , fon ame fimple &
naïve paroiffoit s'ouvrir à ce fentiment &
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
en reffentoit les premières atteintes . Elle
ne s'étoit jamais trouvée fi fenfible . Une
tendre flamme pénétroit fon jeune coeur
doucement agité. Le berger venoit de
faifir une de fes belles mains : elle veut
la retirer , mais le feu de fes regards n'a
rien de févère . Le fourire femble éclore
fur fes lèvres de rofes , & fon irréfolution
pleine de charmes apprend au berger
qu'il ne doit plus douter de fon bonheur ;
vain & flatteur efpoir ! au moment qu'il
s'abandonne aux riantes idées du plaifir ,
& qu'il veut imprimer fur cette main
d'albâtre les baifers d'un amour tendre &
refpectueux , Pfyché, foulevée par les zéphirs
, laiffe fon amant fe confumer en
d'inutiles plaintes , & eft portée dans les
bras des Graces qui l'appellent du doux
nom de foeur. Collée contre leurs bouches
vermeilles , preffée contre leurs feins
d'albâtre , elle fent le plaifir circuler dans
fes veines, & s'abandonne aux fentimens
de tendreffe dont fon coeur trop fenfible
eft furchargé. Elle apprend au milieu des
careffes qu'on lui prodigue la félicité quit
lui eft réfervée . « Tandis que Pfyché
» s'oublie elle - même dans les plaifirs, la
» troupe des Amours faifit ce moment
» favorable pour la transformer en GraJANVIER
. 103 1772 .
ce . Le voile qui la couvre eft arraché
» d'une main impatiente en un clin
» d'ail elle fe voit nue . L'éclat de fes
» charmes brille aux yeux éblouis des
» amours qui les dévorent ; le rouge de
» la pudeur couvre les joues ; elle cache
» fon vifage enflammé dans le fein de
» Pafithée . Timide, enfantine , elle igno-
» roit combien les Graces même gagnent
» à n'emprunter aucune parure étran-
» gère. »
M. Junker , qui a eu part à la traduction
des fables de Leffing & à celle du
Meffie de M. Klopftock , n'a pas peu contribué
à répandre parmi nous le goût de
la paëlie allemande. Nous lai devons
aufi la traduction de Louife ou le pouvoir
de la vertu du Sexe , conte moral de M.
Zacharie , qui fe diftribue chez les mêmes
libraires ci - deffus nommés . Dans ce
conte tous les caractères femblent avoir
été facrifiés pour faire valoir avec plus
davantage l'ame noble , franche & vertneufe
de l'aimable Louife. On aura cependant
de la peine à imaginer un caractère
auffi méchant & auffi vil que celui
d'une certaine Dame de Moncrif , tante
de Louife. Cette femme , à qui l'âge devroit
infpirer des projets de retraite , fe
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
laiffe encore tourmenter par la jaloufie
des conquêtes. Elle regarde Louife fa pupile
comme une rivale, & s'eftimant affez
peu elle-même , cherche , pour conferver
un foible pouvoir fur un amant qui la
méprife , à immoler la vertu de fa propre
niéce. Mais cette balfe tentative ne
contribue qu'à faire triompher avec plus
d'éclat le vertu de cette jeune perfonne.
>
Lettre de M. *** à Madame la Ducheffe
de *** fur un nouveau fyftême de
lecture applicable à toutes les langues.
Prix , 1 liv. 4 fols . A Paris , chez Ofmond
, libraire , rue Galande , Grangé ,
pont Nôtre Dame , au cabinet littéraire
, & M. Degraffe , rue Traverfière
, maiſon de M. le comte de Barre .
Cette lettre eft en quelque forte l'analyfe
d'un plus grand ouvrage que l'auteur
nous promet fur une nouvelle méthode
de lecture. Cette méthode cependant ne
doit être regardée nouvelle que relativement
à ce qui fe pratique aujourd'hui ;
car l'auteur , au lieu d'avoir recours à de
nouvelles inventions , a étudié la nature .
Il a placé le difciple à la naiffance de l'écriture
, & lui faifant parcourir les changemens
fucceffifs qu'elle a éprouvés , il le
JANVIER . 1772. 105
le
met à portée de concilier la langue parlée
& la langue écrite . Il rend à ce difciple
le befoin de lire plus preffant par
defir d'apprendre, qu'il lui fuggère en même
tems. Cette nouvelle méthode a
d'ailleurs l'avantage de fe prêter aux vues
de l'instituteur éclairé qui defire bien
fincèrement l'avancement de fon élève.
L'on ne peut donc trop encourager l'auteur
à publier le traité complet qu'il a
compofé fur cet objet intéreflant.
Dictionnaire du Diagnoftic , ou l'art de
connoître les maladies & de les diftinguer
exactement les unes des autres ;
par M. Helian , D. M .; vol . in 12. A
Paris , chez Vincent , rue des Mathurins
, hôtel de Clugay.
Une Dame de Charité qui avoit raf
femblé plufieurs médicamens & s'étoit
adonnée au foin des malades avec plus
de zèle que de connoiffance difoit affez
naïvement qu'elle favoit bien donner la
fièvre , mais qu'elle ne pouvoit jamais
réuffir à l'ôter. L'application des remèdes
étoit toujours ce qui l'embarraffoit le plus.
C'eft principalement pour ces perfonnes
charitables qui vivent à la campagne que
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
ce Dictionnaire du Diagnoſtic eft compofé
. Les fymptômes des maladies y font
raflemblés de manière qu'il fera facile ,
avec un peu d'ufage , de reconnoître la
préfence de la maladie que l'on veut attaquer.
Pour mieux faire connoître la
méthode de l'auteur , nous citerons l'article
Migraine. Les fignes qui caractéri-
» fent cette maladie font d'abord des dou-
» leurs vives , aigues , lancinantes , qui
» quelquefois font aftreintes à un côté
» de la tête ; & on a obfervé que la
n
"
ود
19
par.
tie gauche étoit le plus fouvent affec-
" tée. Quelquefois elles occupent tout ce
côté , & plus fouvent elles font fixées
» à la tempe , d'autres fois elles courent ,
» comme on dit , par toute la tête , fans
» diftinction de côté ; côté ; elles s'étendent
» auffi jufqu'aux yeux , aux oreilles , aux
» dents , & même au cou & aux bras . La
» violence de ces douleurs eft telle , qu'il
» femble aux malades qu'on leur fend la
» tête , qu'on en déchire les enveloppes ;
ils ne peuvent quelquefois fupporter
la lumière , ni le bruit qu'on fait en
» marchant fur le même plancher où ils
» fe trouvent ; ils font tellement fenfi-
"
bles à cette impreffion , qu'on en a vu
» s'enfermer feuls dans une chambre penJANVIER.
1772. 107
"
33
» dant plus d'un jour , fans fouffrir que
perfonne en approchât . Il eft rare que
» les malades éprouvent fans relâche ces
» cruelles douleurs ; elles reviennent par
efpèce d'accès , qui n'ont , pour l'ordinaire
, aucun type réglé . Quoi qu'aucun
» des fignes que nous venons de détail-
» ler ne puiffe être cenfé vraiment patognomonique
, cependant leur con-
» cours , leur enfemble eft fi frappant
» qu'il n'y a perfonne qui méconnoiſſe
la migraine , & qui ne la diftingue très-
» bien des autres douleurs de tête.
39
13
Art Militaire des Chinois , ou Recueil
d'anciens Traités fur la Guerre , compofés
avant l'Ere Chrétienne par différens
Généraux Chinois ; ouvrages
fur lefquels les Afpirans aux grades
militaires font obligés de fubir des
cxamens . On y a joint dix préceptes
adreffés aux Troupes par l'Empereut
Yong- tcheng , pere de l'Empereur régnant
, & des planches gravées pour
l'intelligence des exercices , des évolutions
, des habillemens , des armes
& des inftrumens militaires des Chinois
, traduit en François par le Pere
Amiot , Miffionnaire à Pekin , teva
E vj
103 MERCURE DE FRANCE.
& publié par M. de Guignes , in 4º.
avec des notes fréquentes. A Paris ,
chez Didot l'aîné , Libraire Imprimeur
, rue Pavée , près du quai des
Auguftins 1772 , avec approbation &
privilège du Roi . Prix en feuilles avec
les trente - trois planches enluminées
d'après les modèles Chinois , 36 liv.
& fans enluminure 27 liv. La brochure
en carton eft de 15 fols . On n'a
tiré qu'un très- petit nombre d'exemplaires.
Ces ouvrages fur l'art militaire des
Chinois , traduits en François par le
Pere Amiot , font dépofés dans le cabinet
de M. Bertin , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , à qui ils ont éré envoyés de la
Chine par le traducteur. C'est le fruit
d'une correfpondance fuivie que ce Miniftre
, plein de zèle pour le progrès de
nos connoiffances , & que fous fes ordres ,
M. Parent , Confeiller de la Cour des
Monnoies, entretiennent , par la permiffion
du Roi , avec des Lettrés Chinois
que Sa Majefté a honorés de fa protection
, & qu'elle a comblés de fes bienfaits
pendant le féjour qu'ils ont fait en
France .
Ces Traités de l'art de la guerre , comJANVIER
. 1772.
109
pofés par les Chinois & recueillis dans
cet ouvrage , font regardés comme claffiques
; tout militaire doit les favoir , &
ils fervent encore à les examiner.
On lira avec plaifir dans cet ouvrage ,
un avis de M. de Guignes , & fes obfervations
fur les ouvrages traduits par
le Pere Amiot ; enfuite un Difcours
du Traducteur , dans lequel il donne
un tableau exact des moeurs & du génie
des Chinois , & de leur connoiffance dans
l'art militaire , tableau d'autant plus intéreffant
& d'autant plus recommandable
, que le Pere Amiot eft plus près des
maurs & des chofes qu'il décrit.
On admirera le Difcours très - impofant
& les dix préceptes très- fages que
l'Empereur Yong- tcheng adreffe aux gens
de guerre ; ainfi que les Traités de plufieurs
célèbres Généraux Chinois fur la
théorie & la pratique de l'art militaire.
On peut prendre dans cet ouvrage une
idée trés jufte de leur juftice , & par le
fecours des planches , une connoiffance
exacte de leurs évolutions militaires , de
leurs armes & de leurs habillemens.
Les. Empereurs Tartares Mantchous ,
qui ont gouverné la Chine depuis la deftruction
des Ming , n'ont pas cru pouvoir
110 MERCURE DE FRANCE.
mieux traiter la théorie de la guerre que
n'avoient fait les Chinois qu'ils ont
vaincus ; c'est pourquoi ils fe font contentés
de faire traduire avec tout le foin
poffible leurs ouvrages les plus effentiels .
Ils fe font approprié tout ce qui pouvoit
leur convenir chez la nation vaincue
; & en adoptant la forme de fon
Gouvernement , quant au principal , ils
n'ont pas jugé qu'il fût indigne d'eux
d'adopter également le plûpart de fes
préceptes militaires.
La lecture de cet ouvrage eft intéreſfante
comme hiftoire , elle eft utile
comme inftruction , & amufante comme
anecdotes ; nous finirons par ce trait que
rapporte le Pere Amiot dans la préface
du Traité de Sunt fe.
Le Roi de Ou ( 1 ) avoit quelques démêlés
avec les Rois de Tchou & de Holou
(2 ) . Ils étoient fur le point d'en ve-
( 1 ) Le royaume de Ou étoit dans le Tchekiang.
Il s'étendoit dans le Kiang -fi , & dans le
Kiang-nan , & occupoit une partie de chacune de
ces provinces.
(1 ) Le royaume de Ho - lou étoit dans le Chantong
. On l'appelloit plus communément le royaume
de Lou .
JANVIER. 1772. 111
nir à une guerre ouverte , & de part &
d'autre on en faifoit les préparatifs . Sunthe
ne voulut pas demeurer oifif. Perfuadé
que le perfonnage de fpectateur n'étoit
pas fait pour lui , il alla fe préfenter
au Roi de Ou pour obtenir de l'emploi
dans fes armées. Le Roi , charmé qu'un
homme de ce mérite fe rangeât dans fon
parti , lui fir un très bon accueil . Il voulut
le voir & l'interroger lui - même.
Sun- tfe , lui dit - il , j'ai vu l'ouvrage
» que vous avez compofé fur l'art militaire
, & j'en ai été content ; mais les
préceptes que vous donnez me paroifn
fent d'une exécution bien difficile ; il
» y en a même quelques uns que je crois
» abfolument impraticables : vous - mê-
» me , pourriez- vous les exécuter ? car il
» y a loin de la théorie à la pratique . On
» imagine les plus beaux moyens lorf-
» qu'on eft tranquille dans fon cabinet &
qu'on ne fait la guerre qu'en idée ; il
» n'en eſt pas de même lorſqu'on ſe trou-
» ve dans l'occafion . Il arrive alors qu'on
regarde fouvent comme impoffible ce
» qu'on avoit envisagé d'abord comme
» fort aifé. "
ود
"
Prince , répondit Sun- tle , je n'ai rien
dit dans mes écrits que je n'aie déjà pra112
MERCURE DE FRANCE.
tiqué dans les armées ; mais ce que je
n'ai pas encore dit , & dont cependant
j'ofe affurer aujourd'hui Votre Majeſté ,
c'eft que je fuis en état de le faire pratiquer
par qui que ce foit , & de le former
aux exercices militaires quand j'aurai l'autorité
pour le faire.
Je vous entends, répliqua le Roi : vous
voulez dire
que vous inftruirez aisément
de vos maximes , des hommes intelligens
, & qui auront déjà la prudence &
la valeur en partage ; que vous formerez
fans beaucoup de peine aux exercices militaires
, des hommes accoutumés au rravail
, dociles & pleins de bonne volonté.
Mais le grand nombre n'eft pas de cette
efpèce.
N'importe , répondit Sun tfe : j'ai dit
qui que ce foit , & je n'excepte perfonne
de ma propofition : les plus mutins , les
plus lâches & les plus foibles y font compris.
A vous entendre , reprit le Roi , vous
infpireriez même à des femmes les fentimens
qui font les guerriers ; vous les
drefferiez aux exercices des armes.
Oui , Prince , répliqua Sun tfe d'un ton
ferme , & je prie Votre Majeſté de n'en
pas douter.
JANVIER . 1772. 113
Le Roi , que les divertiffemens ordinaires
de la cour n'amufoient plus guère
dans les circonftances où il fe trouvoit
alors , profita de cette occafion pour s'en
procurer d'un nouveau genre. Qu'on m'a.
mène ici , dit- il , cent quatre - vingt de
mes femmes. Il fut obéi , & les princeffes
parurent. Parmi elles il y en avoit deux
en particulier que le Roi aimoit tendrement
; elles furent mifes à la tête des autres
. Nous verrons , dit le Roi en fouriant
, nous verrons , Sun - tfe, fi vous nous
tiendrez parole. Je vous conftitue géné
ral de ces nouvelles troupes. Dans toute
l'étendue de mon palais vous n'avez qu'à
choifir le lieu qui vous paroîtra le plus
commode pour les exercer aux armes .
Quand elles feront fuffisamment inftruites
, vous m'avertirez , & j'irai moi - même
pour rendre juftice à leur adreffe & à
votre talent .
Le général , qui fentit tout le ridicule
du perfonnage qu'on vouloit lui faire
jouer , ne fe déconcerta pas , & parut au
contraire très fatisfait de l'honneur que
lui faifoit le Roi , non - feulement de lui
laiffer voir fes femmes , mais encore de
les mettre fous fa direction . Je vous en
rendrai bon compte , Sire , lui dit il d'un
114 MERCURE DE FRANCE .
peu
on affuré , & j'espère que dans Votre
Majefté aura lieu d'être contente de
mes fervices ; elle fera convaincue , tout
au moins , que Sun - tfe n'eft pas homme à
s'avancer témérairement .
Le Roi s'étant retiré dans un apparte
ment intérieur , le guerrier ne penfa plus
qu'à exécuter la commiffion . Il demanda
des armes & tout l'équipage militaire
pour fes foldats de nouvelle création ; &
en attendant que tout fut prêt , il conduifit
fa troupe dans une des cours du palais
, qui lui parut la plus propre pour fon
deffein. On ne fut pas long-tems fans lui
apporter ce qu'il avoit demandé . Sun the
adreffant alors la parole aux Princeffes :
Vous voilà , leur dit - il , fous ma direction
& fous mes ordres : vous devez m'écouter
attentivement , & m'obéir dans
tour ce que je vous commanderai . C'eſt
la première & la plus effentielle des loix
militaires : gardez vous bien de l'enfreindre.
Je veux que dès demain vous faffiez
l'exercice devant le Roi , & je compte
que vous vous en acquitterez exactement.
Après ces mots il les ceignit du baudrier
, leur mit une pique à la main , les
partagea en deux bandes , & mit à la
JANVIER . 1772. 115
tête de chacune , une des Princeffes favorites
. Cet arrangement etant fait , il
commence fes inftructions en ces termes
diftinguez - vous bien votre poitrine
d'avec votre dos , & votre main
droite d'avec votre main gauche ? Répondez
. Quelques éclats de rire furent
toute la réponse qu'on lui donna d'abord .
Mais comme il gardoit le filence & tout
fon férieux : Oui , fans doute , lui répon
dirent enfuite les Dames d'une commune
voix. Cela étant , reprit Sun-tfe ,
retenez bien ce que je vais dire . Lorsque
le tambour ne frappera qu'un feul
coup , vous retterez comme vous vous
trouvez actuellement , ne faifant attention
qu'à ce qui eft devant votre poitrine.
Quand le tambour frappera deux
coups , il faut vous tourner de façon que
votre poitrine foit dans l'endroit où étoit
ci- devant votre main droite . Si au lieu
de deux coups vous en entendiez trois ,
il faudroit vous tourner de forte que votre
poitrine fût précisément dans l'endroit
où étoit auparavant votre main
gauche. Mais lorsque le tambour frappera
quatre coups , il faut que vous vous
tourniez de façon que votre poitrine fe
trouve où étoit votre dos , & votre dos
où étoit votre poitrine.
116 MERCURE DE FRANCE.
Ce que je viens de dire n'eft peutêtre
pas affez clair : je m'explique. Un
feul coup de tambour doit vous fignifier
qu'il ne faut pas changer de contenance,
& que vous devez être fur vos gardes :
deux coups , que vous devez vous tourner
à droite : trois coups , qu'il faut vous
tourner à gauche ; & quatre coups , que
vous devez faire le demi tour. Je m'explique
encore.
L'ordre que je fuivrai eft tel : je ferai
d'abord frapper un feul coup : à ce fignal
vous vous tiendrez prêtes à ce que je dois
vous ordonner. Quelques momens après
je ferai frapper deux coups : alors , toutes
enfemble , vous vous tournerez à droite
avec gravité ; après quoi je ferai frapper
non pas trois coups , mais quatre , &
vous acheverez le demi- tour. Je vous
ferai reprendre enfuite votre première
fituation , & , comme auparavant , je ferai
frapper un feul coup. Recueillezvous
à ce premier fignal. Enfuite je ferai
frapper , non pas deux coups , mais
trois , & vous vous tournerez à gauche ;
aux quatre coups vous acheverez le demi-
tour. Avez- vous bien compris ce que
j'ai voulu vous dire ? S'il vous reste quel .
que difficulté , vous n'avez qu'à me la
JANVIER. 1772. 117
propofer , je tâcherai de vous fatisfahe
Nous fommes au fait , répondirent les
Dames. Cela étant , reprit Sun- tfe , je
vais commencer. N'oubliez pas que le fon
du tambour vous tient lieu de la voix
du Général , puisque c'eft par lui qu'il
vous donne fes ordres .
Après cette inftruction répétée trois
fois , Sun- tfe rangea de nouveau fa petite
armée ; après quoi il fait frapper un
coup de tainbour. A ce bruit toutes les
Dames fe mirent à rire il fait frapper
deux coups , elles rirent encore plus fort.
Le Général , fans perdre fon férieux ,
leur adreffa la parole en ces termes. Il
peut fe faire , que je ne me fois pas affez
clairement expliqué dans l'inftruction
que je vous ai donnée. Si cela eft , je fuis
en faute ; je vais tâcher de la réparer en
vous parlant d'une manière qui foit plus
à votre portée ( & fur le champ il leur
répéta jusqu'à trois fois la même leçon
en d'autres termes :) puis , nous verrons
, ajouta- t- il , fi je ferai mieux obéi .
Il fait frapper un coup de tambour , il
en fait frapper deux. A fon air grave ,
& à la vue de l'appareil bifarre où elles
fe trouvoient , les Dames oublièrent
qu'il falloit obéir. Après s'être fait quel
IIS MERCURE DE FRANCE .
ques momens de violence pour arrêter
le rire qui les fuffoquoit , elles le laifferent
enfin échapper par des éclats immodérés.
Sun tfe ne fe déconcerta point ; mais
du même ton dont il leur avoit parlé
auparavant , il leur dit : Si je ne m'étois
pas bien expliqué , ou que vous ne m'eusfiez
pas affuré , d'une commune voix ,
que vous compreniez ce que je voulois
vous dire , vous ne feriez point coupables
mais je vous ai parlé clairement ,
comme vous l'avez avoué vous- mêmes ;
pourquoi n'avez - vous pas obéi ? Vous
méritez punition , & une punition militaire.
Parmi les Gens de guerre , quiconque
n'obéit pas aux ordres de fon Général
, mérite la mort : vous mourrez donc .
Après ce court préambule , Sun - tfe ordonna
à celles des femmes qui formoient
les deux rangs de tuer les deux qui étoient
à leur tête. A l'inftant , un de ceux qui
étoient prépofés pour la garde des femmes
, voyant bien que le.Guerrier n'entendoit
pas raillerie , fe détache pour aller
avertir le Roi de ce qui fe paffoit. Le
Roi dépêche quelqu'un vers Sun the pour
lui défendre de paffer outre , & en particulier
de maltraiter les deux femmes
JANVIE R. 1772 . 119
qu'il aimoit le plus & fans lesquelles il
ne pouvoit vivre .
Le Général écouta avec respec les paroles
qu'on lui portoit de la part du Roi ;
mais il ne déféra pas pour cela à ſes volontés
Allez dire au Roi , répondit il
que Sun- tfe , le croit trop raifonnable &
trop jufte pour penfer qu'il ait fi tôr changé
de fentiment , & qu'il veuille véritablement
être obéi dans ce que vous venez
annoncer de fa part. Le Prince fait
la loi ; il ne fauroit donner des ordres
qui aviliffent la dignité dont il m'a revêtu
. Il m'a chargé de dreffer aux exercices
des armes cent quatre - vingts de fes
Femmes , il m'a conftitué leur Général ;
c'eſt à moi à faire le refte. Elles m'ont
défobéi , elles mourront. A peine eût- il
prononcé ces derniers mots , qu'il tire
fon fabre , & du même fang froid qu'il
avoit témoigné jusqu'alors , il abat la tête
aux deux qui commandoient les autres .
Auffi tôt il en met deux autres à leur
place , fait battre les différens coups de
tambour dont il étoit convenu avec fa
troupe ; & comme fi ces femmes euffent
fait toute leur vie le métier de la guer
elles fe tournèrent en filence & toujours
à propos.
120 MERCURE DE FRANCE:
Sun - tfe adreffant la parole à l'Envoyé
Allez avertir le Roi , lui dit - il ,
que fes femmes favent faire l'exercice ;
que je puis les mener à la guerre , leur
faire affronter toute forte de périls , &
les faire paffer même au travers de l'eau
& du feu .
Le Roi ayant appris tout ce qui s'étoit
paffé , fut pénétré de la plus vive douleur.
J'ai donc perdu , dit- il en pouffant
un profond foupir , j'ai donc perdu ce
que j'aimois le plus en ce monde....
Que cet Etranger fe retire dans fon pays.
Je ne veux ni de lui , ni de fes fervices....
Qu'as-tu fait , barbare ? ... Comment
pourrai - je vivre déformais , & c.
Quelque inconfolable
le Roi paque
rût , le tems & les circonftances lui firent
bientôt oublier fa perte . Les ennemis.
étoient prêts à fondre fur lui ; il redemanda
Sun -tfe , le fit Général de fes armées
, & par fon moyen il détruifit le
royaume de Tchou (a) . Ceux de fes voifins
qui lui avoient douné le plus d'inquiétude
auparavant , pénétrés de crainte
au feul bruit des belles actions de Sun-
( 1 ) Le royaume de Tchou étoit dans le Hoaan.
Kin- tcheou en étoit la capitale .
tle ,
JANVIER. 1772 121
tfe , ne penferent qu'à fe tenir en repos
fous la protection d'un Prince qui avoit
un tel homme à fon fervice.
Telle est l'idée que les Chinois donnent
de leur héros . De l'événement qu'ils
racontent , & que je viens de raconter
d'après eux , foit qu'il foit réel , foit qu'il
foit fuppofé , on conclut également que
la févérité eft la bafe fur laquelle appuïe
la plus grande autorité du Général . Cette
maxime , qui peut- ètre n'eſt pas bonne
chez les Nations d'Europe , eft excellente
pour les Afiatiques , chez qui l'honneur
n'eft pas toujours le premier mobile.
Catalogue des Eftampes , Vafes de Poterie
Etrufques , figures , bas reliefs &
Buftes de bronze , de marbre & de
terre cuite , ouvrages en marqueterie
du célèbre Boule , Pere , piéces de
méchanique , & autres objets curieux
du cabinet du feu M. Crefat , Baron
de Thiers . Brigadier des Armées du
Roi , Lieutenant Général pour Sa Majefté
de la Province de Champagne
au département de Reims , & Commandant
en ladite Province ; par
P. Remy. A Paris , chez Muzier ,
: Pere , Libraire , quai des Auguftins.
I. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE;
La riche collection de tableaux , f
connue de toute l'Europe , formée par
M. Crozat , avoit encore été augmentée
par M. le Baron de Thiers . Elle eft compofée
des tableaux des plus grands Maîtres
des Ecoles Françoife & Flamande ,
& principalement des meilleurs Maîtres
d'Italie. Cette fuperbe collection eft perdue
pour la France par l'acquifition qu'en
a faite l'Impératrice de Ruffie.
Le goût de M. le Baron de Thiers ne
fe bornoit pas aux tableaux ; il poflédoit
encore une très- grande quantité de Statues
antiques & modernes en bronze &
en marbre , des modèles en terre cuite
des plus grands Maîtres , une nombreuſe
collection d'Estampes , enfin des meubles
précieux du célèbre Boule . Ainfi la
vente , annoncée dans ce Catalogue vers
la fin de Février prochain , fera encore
curieufe & confidérable,
Nouveau Dictionnaire Hiftorique ,
Hiftoire Abrégée de tous les hommes
qui fe font fait un nom par le génie ,
les talens , les vertus , les erreurs même
, &c. depuis le commencement du
monde jusqu'à nos jours ; avec des taples
chronologiques pour réduire en
JANVIER. 1772 ris
corps d'hiftoire les articles répandus
dans ce Dictionnaire , par une fociété
de Gens de Lettres.
Mihi galba , Otho , Vitellius , nec beneficio , nea
injuriâ cogniti.
A Paris , chez Lejay , Libraire , rue
Saint-Jacques , au grand Corneille. A
Caën , chez G. le Roy , Imprimeur
du Roi . A Lyon , chez L. Roffet , libraire
, rue Mercière , 1772 ; 6 vol .
in- 8°. prix , 30 liv . brochés , & 36 livą
reliés.
Les Editeurs de ce Dictionnaire ont
profité de tous les Dictionnaires qui ont
précédé celui - ci , ils ont eu recours aux
Journaux , & ils ont fait beaucoup d'articles
nouveaux fur des mémoires particuliers
; ce qui rend néceffairement leur
ouvrage plus complet , plus étendu &
plus exact . On défireroit que les Editeurs
euffent cité leurs autorités & les fources
où ils ont puifé ; c'étoit même une juftice
à rendre à plufieurs Auteurs , dont le
travail leur a été utile . Nous devons faire
remarquer l'honnêteté des Libraires quí
donnent , fans augmentation de prix aux
Soufcripteurs , fix volumes au lieu de
Fij
J24 MERCURE DE FRANCE.
cinq qu'ils s'étoient engagés de fournir
par leur Profpectus.
Voici un article nouveau de ce Dictionnaire
, par lequel le Lecteur pourra
juger des autres.
Chappe d'Anteroche , ( Jean ) célèbre
Aftronome de l'Académie des Sciences
de Paris , naquit à Mauriac en Auvergne
en 1722 d'une famille noble . Il embrasfa
l'Etat Eccléfiaftique de bonne heure ,
& fe confacra dès - fors à fa fcience favosite
, à l'Aftronomie . L'Académie des
fciences le nomma en 1760 , pour aller
obferver en Sibérie le pallage de Venus ,
Axé au 6 Juin 1761. L'Abbé Chappe
partit avec l'enthousiasme qu'infpire ce
qu'on aime. Arrivé à Tobolsk , capitale
de la Sibérie , à travers mille périls il fit
fon obfervation , & termina fon opération
& fes calculs dans une fituation d'esprit
qu'il comparoît à l'état le plus hen
reux dont l'ame humaine foit fuscepti
ble. De retour en France , il rédigea la
Relation de fon voyage en Sibérie , &
la fit imprimer à Paris en 1768 , en deux
vol. in-4° . La Minéralogie , l'Hiftoire
naturelle , politique & civile , le tableau
des moeurs & des ufages , rien n'eft nègligé
dans cet ouvrage , enrichi d'ailleurs
1
JANVIE R. 1772. 125
d'excellentes Cartes Géographiques , que
l'Auteur lui-même avoit tracées ou rectifiées.
Un nouveau paffage de Venus étant
annoncé pour le 3 Juin 1769 , notre
Aftronome partit en 1768 , pour l'aller
obferver à Saint - Lucar , fur la côte la
plus occidentale de l'Amérique. Une maladie
épidémique défoloit cette contrée.
L'abbé Chappe en fut attaqué, & il mourut
victime de fon zèle , mais avec la
confolation d'avoir rempli le but de fon
voyage . Tout entier aux fciences , il
comptoit pour rien les agrémens d'une
vie douce & pailible . Son caractère étoit
noble , défintéreffé , droit & plein de
candeur. Il avoit un esprit ouvert , aimable
, gai , & capable dans l'occaſion
d'une fermeté fans bornes.
Vocabulaire François , ou Abrégé du Dictionnaire
de l'Académie Françoife. A
Paris , chez la V. Regnard , imprimeur
de l'Académie Françoife , & Demonville
, libraire , grand'falle du palais ,
à la Providence , & rue baffe de l'hôtel
des Urfins ; deux vol. in - 8°. 10 liv.
reliés.
L'utilité de cet ouvrage eft fenfible.
Une fociété illuftre , où préfident le bon
F iij
26 MERCURE DE FRANCE.
›
goût & le génie de notre langue , toujours
occupée des moyens d'en faciliter les fecours
, de les multiplier , de les rendre
même communs & d'une acquifition
moins difpendieufe , le méditoit depuis
long- tems. C'eft en conféquence qu'elle
a bien voulu donner fon agrément aux
éditeurs . Elle a même honoré de fon choix
le rédacteur qui lui a été préſenté ; & par
fuite de la fatisfaction qu'elle a trouvé
dans fon travail , elle a permis que ce Vocabulaire
parût fous l'autorité de fon privilege.
Le travail immenfe du dictionnaire de
l'Académie , renfermé dans deux volumes
in-folio , étoit perdu pour une infinité
de perfonnes qui n'étoient pas en état
de fe le procurer. Il étoit perdu pour les
jeunes gens , entre les mains defquels on
ne pouvoit le mettre . On a levé ces difficultés
, en le réduifant fous un format
portatif & commode , où l'on n'a rien
omis de ce qui étoit effentiel & néceſſaire.
On y a même inféré nombre de mots
qui ne fe trouvoient point dans le diction .
naire in folio : ils feront aifément reconnus
par * qui les précéde .
Aucun des livres de ce genre n'avoit
jufqu'à préfent réuni & l'orthographe &
JANVIE R. 1772 127
l'explication des termes . C'eft la conduite
généralement obfervée dans cet ouvrage.
Il y a lieu de préfumer qu'il fixera l'attention
de tous les François , celle même des
Etrangers. La fource pure où l'on a puiſé
eft le préjugé qui parle le plus en fa faveur.
Il pourra devenir pour les enfans
qui font dans le cours de leurs ételes un´
livre claffique , & pour toute efpèce de
perfonnes un livre néceflaire . Une no
menclature géographique fort étendue ,
diftribuée par ordre alphabétique à la fin
de chaque volume , pourra encore concourir
au mérite de ce Vocabulaire , & en
augmenter les avantages .
Lettres de M. Desp. de B * . ( Desprez de
Boily ) Avocat au Parlement , fur les
Spectacles , avec une Hiftoire des ou
vrages pour & contre les Théâtres . Quatriéme
édition , Paris 1771 , chez Butard
& Boudet , rue S. Jacques , la
veuve Deffaint , rue du Foin , Saillant
& Nyon , fue S. Jean de Beauvais .
L'Univerfité de Paris a admis ce livre
dans le nombre de ceux qu'elle donne
dans fa diftribution générale des prix.
Meffieurs les Principaux des Colléges de
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
certe Capitale , & de ceux des Provinces
fe font aufli empreflés à le mettre entre
les mains des jeunes gens prêts à entrer
dans le monde .
Cet accueil a engagé M. Desprez de
Boilly à étendre cette quatrième édition
.
Cet ouvrage a deux parties. La premiere
contient deux lettres qui originairement
parurent fucceffivement , l'une en
1756 & l'autre en 1758. Cette dernière
fut donnée fous un nom fictif, & elle
fut reçue duPublic comme un fupplément
nécetfaire à la première.
On reconnut dans l'une & l'autre que
l'Auteur n'avoit eu en vue que l'intérêt
des moeurs publiques & particulières. Il
expofe le danger de la trop grande fré
quentation des fpectacles. Mais il a compris
qu'en attaquant ce qui plaît à la multitude
, il ne falloit pas paroître ifolé .
Aufli fe montre -t-il foutenu d'une foule
d'autorités . C'eft de Corneille , de Racine
, de Despréaux , de la Mothe , de
Fontenelle , de Buffy Rabutin , de Ricoboni
, de M. de Voltaire même , & c.
qu'il reçoit des armes pour combattre les
apologiftes des fpectacles.
Ces deux Lettres de M. de Boiffy
JANVIER. 1772. 129
étoient parvenues par leurs éditions fucceffives
à ne plus être fusceptibles d'augmentation.
Il n'en étoit pas de même
de l'hiftoire des ouvrages pour & contre
les théâtres.
Cette feconde partie eft confidérablement
augmentée dans cette quatrième
édition , de maniere que l'ouvrage entier
, qui dans la troifiéme édition ne
contenoit pas 300 pages , en contient
700 dans celle- ci , y compris l'Avertiffement
du Libraire.
Les augmentations font 1°. des Notices
préliminaires fur l'origine & les progrès
de nos fpectacles. 2 °. Un grand nombre
de nouvelles indications d'ouvrages . Celles-
ci font fuivies d'extraits , ou d'obfervations
& d'anecdotes littéraires qui forment
une variété agréable.
Cette nouvelle édition eft auffi ornée
par différentes petites pièces qui s'y trouvent
inférées en entier , & qui ne méritent
pas d'être oubliées. Tels font une
pièce de vers qui parut il y a quelques.
années fur l'Opéra , une Epitre en vers
qui fut adreffée au célèbre M. Boffuet ,
au fujer de fes Maximes contre la Comédie
; le Sonnet de M. Godeau contre
les Théâtres ; la Lettre que M. Greffer
Fv
130 MERCURE DE FRANCE:
a donnée pour manifefter fon repentir
d'avoir travaillé pour le Théâtre ; une
Ode fur la volupté , l'Ode de M. Arcere
fur le danger des fpectacles , la Lettre du
Pere Caffaro , Théatin , à M. de Harlai ,
Archevêque de Paris ; elle a donné lieu à
M. de Boiffy de raffembler dans cet endroit
un choix d'autorités eccléfiaftiques
contre les fpectacles. Elles s'y trouvent
fuivies de ce que la Jurisprudence civile
a produit fur la même caufe. On y
a compris l'Extrait d'un Réglement de
Impératrice Reine de Hongrie fur les
Ipectacres , & d'autres morceaux relatifs .
Comme ce livre fe trouve deſtiné à
être donné aux jeunes gens , M. de Boiffy
s'eft ménagé les occafions d'y jetter incidemment
des principes de moeurs pour
les profeffions les plus intéreffantes.
Galerie poëtique, renfermant, en plufieurs
parties , de cinquante planches chacune
, une fuite de Sujets gravés à l'eau.
forte , dans lefquels on préfente aux
yeux les différents tableaux qu'offre à
l'efprit la lecture des plus beaux Poëmes
anciens & modernes ; avec une
courte explication en vers de chacun
des Sujets , & une efpéce de glofe renJANVIER.
1772. 131
fermant l'analyfe des Poëmes , des
éclairciffemens fur l'hiftoire , la mythologie
, la géographie des différens
âges , &c , &c , &c. dédiée à Mademoifelle
de B....
Segnius irritant animos demiffa per aures
Quamquæfunt oculis fubje&ta fidelibus... Hor
MÉTAMORPHOSES D'OVIDE.
Prix 6 livres broché. A Rome , & fe
trouve à Paris chez Coftard , rue Saint
Jean de Beauvais.
O
Cet ouvrage , peu fufceptible d'une
analyfe raifonnée , eft compofé de trois
parties , 1º de gravures , 2 ° d'explications
en vers , 3 ° d'une efpéce de glofe dans
laquelle on montre la liaifon que les fujets
ont entre- eux dans le Poëme dont ils
font tirés , & dans laquelle auffi on infére
des détails fur l'hiftoire , la mytho
logie , la géographie , lefquels n'auroient
pu entrer dans les vers .
I. Les gravures , faites feulement à
l'eau-forte , font comme les auteurs de
la G. P. l'ont annoncé dans une espéce
de Profpectus , l'ouvrage d'un peintre &
non pas d'un graveur ; & la manière de
F v)
132 MERCURE DE FRANCE.
cet artiſte a obtenu les fuffrages & les encouragemens
de la part du célèbre M.
Cochin , fi bon juge en cette matiere , &
cenfeur de cet ouvrage. On a fupplée ,
difent les auteurs , au moëleux du burin ,
par la facilité du deffin & le feu de
l'expreffion . D'ailleurs , il ne feroit pas
poffible de donner à un prix fi modique
cinquante planches , telles qu'on les obtient
du burin délicat & facile des Beauvarlet
, des le Mire , des Longueil , & c.
II. Les vers expliquent fuffifamment
chaque planche , pour donner une idée de
ces courtes explications ; nous allons en
tranfcrire ici deux .
DEUCALION & PYRRHA ,
préfervés du déluge .
Mais fur les juftes dieux que ne peut l'innocence
!
Deucalion , Pyrrha , reftés feuls vertueux ,
Par la ferveur de leurs voeux
Délarmèrent du Ciel la trop jufte vengeance ,
Dans un léger efquif ballotés ſur les eaux ,
Et transportés de flots en flots
Le fort enfin les guide ,
Vers un temple de la Phocide
Ou Thémis rendoit les arrêts .
L'un & l'autre en tremblant révèrent fon image
JANVIER. 1772. 133
Et lui préfentent leur hommage
En confultant fes auguftes décrets.
On trouve dans la glofe qui fuit à peu
près la traduction littérale d'Ovide......
quelques éclairciffemens fur Thémis ,
déeffe de la Juſtice , & que l'on peint ordinairement
avec des balances... La pofition
de la Phocide , province de la Gréce
propre , au N. O. de la Béotie , & au N.
du golphe de Corinthe .... Enfin quelques
mots fur Deucalion , roi de Theffalie ,
Nous paffons au fujet fuivant .
Pierres changées en hommes .
Malgré la réponſe peu claire
De l'oracle ambigu l'époux faifit le fens.
Auffi-tôt pour y fatisfaire ,
Après avoir aux dieux offert un pur encens ,
Voile baiflé , ceinture détachée ,
De pierres par leurs mains la campagne eft jon
chée ;
Et ces pierres , peuplant les plaines , les côteaux ,
Sont les germes heureux d'autant d'hommes nouveaux
,
De celles de Fyrrha les fémelles fortirent
Et de Deucalion tous les mâles nâquirent .
Ici la glofe donne un abrégé du beau
134 MERCURE DE FRANCE.
tableau que fait Ovide de la fituation &
des regrets de ces deux époux prêts à fe
féparer pour jamais en perdant la vie fous
les eaux . On rapporte enfuite la réponſe
ambigue de l'Oracle , & enfin on indique
la pofition du Céphifle dans lequel , ſelon
Ovide , ils allèrent fe laver.
Cet ouvrage continuera à fe diftribuer
plufieurs fois par an , & chaque partie
contiendra toujours cinquante planches .
Les Auteurs ont commencé par les Métamorphofes
, comme plus utiles en ellesmêmes
, & plus propres à faire fentir l'avantage
de leur plan. Ils reprendront enfuite
les denx Poëmes d'Homère , celui
de Virgile , & fucceflivement jufqu'à la
Henriade mais s'ils n'accelèrent pas
leur travail , il fera de longue durée .
Diflionnaire hiftorique d'Education , où ,
fans donner des préceptes , on fe propofe
d'exercer & d'enrichir toutes les
facultés de l'ame & de l'efprit, en fabftituant
les exemples aux leçons , les
faits aux raifonnemens , la pratique à
la théorie . A Paris , chez Vincent
imprimeur libraire , rue des Mathurins
, hôtel de Clugny ; 2 vol . in - 8 °.
petit format , rel. 10 l
·
JANVIER. 1772 135
Les vues de l'auteur de cette collection
ne font pas nouvelles ; car à qui n'eft- il
pas tombé quelque fois dans l'efprit de
vouloir inftruire & former la jeuneffe à
la vertu ? Pluſieurs même fe font chargés
de cette pénible entreprife ; les uns par
d'ingénieux fyftêmes d'éducation , les autres
par de fçavans traités de morale .
Mais la plupart ou n'ont point atteint le
but, ou s'en font beaucoup trop éloignés .
Il n'en fera pas ainfi du nouveau Diction
naire hiftorique , dans lequel on trouve
réunies deux qualités qui , dans un plan
d'éducation , avoient parues jufqu'alors
incompatibles . Rien ne fent ici l'infttuc
tion ni la morale , parce qu'elles font tou
jours cachées fous les attraits de l'hiftoimais
leurs effets n'en feront que plus
fûrs & plus marqués . On a rangé les faits
hiftoriques fous le titre des vertus & des
qualités auxquelles ils appartiennent ; & ,
comme un même titre contient fouvent
un grand nombre de faits , on les a diftingués
par des chiffres différens .
re ;
ABSTINENCE , 10. M. le Duc d'Or
léans , qui fut Régent du royaume , invita
le célèbre Defpréaux à dîner. C'étoit
un jour maigre , & l'on n'avoit fervi que
gras . On s'apperçut qu'il ne touchoi
du
136 MERCURE DE FRANCE.
:
qu'à fon pain. « Il faut bien , lui dit le Prin
» ce , que vous mangiez gras comme les
» autres ; on a oublié le maigre. - Vous
» n'avez qu'à frapper du pied , Monfei-
» gneur, lui répondit Boileau , & les poiffons
fortiront de terre. » Cette allufion
au mot de Pompée fit plaifir à la compagnie
; & fa conftance à ne vouloir point
toucher au gras fit honneur à fa religion ..
AMITIÉ , 25. Deshayes de Courme
nin , ayant arrêté , par ordre du Roi
Louis XIII , fon père , gouverneur de
Montargis , fe rendit au Pont-St Eſprit ,
& fe logea chez M. de Brienne , fon ami ,
qui fe chargea de folliciter avec lui la
grace de Deshayes . Le généreux Brienne
en parla d'abord au Cardinal de Richelieu
, qui gouvernoit la France fous le
nom de Louis. « Pourquoi votre maiſon
» fert- elle d'afyle à cet homme , lui dit
»
froidement le miniftre? Ma maiſon ,
répondit M. de Brienne , ne peut être
» fermée à mon ami. Il m'eût outragé ,
» s'il en eût prife une autre ; & votre
>> Eminence a l'ame trop belle & trop
» grande pour ne pas approuver ma con-
» duite. »
ASSURANCE , 23. Anne de Montmorenci
, premier Baron & Connétable de
JANVIER . 1772. 137
Fratice , étant fur le point de mourir , un
Cordelier cherchoit à le raffurer fur les
frayeurs qu'iufpire naturellement l'idée
de la mort. Le Connétable lui dit d'un
ton ferme & hardi : « Penfez - vous , mon
» Père , qu'un homme qui a vécu près de
» quatre - vingts ans avec honneur , n'ait
» pas appris à mourir un quart- d'heure.
BONTÉ , 23. Bontems , premier valet
de chambre de Louis XIV , lui demandoit
quelque grace pour un de fes amis.
Quand cefferez - vous donc de deman-
» der , lui dit le Roi? " Bontems fut
étourdi du reproche : Louis s'en apperçur
; & , dans l'inftant même , il ajouta ,
en fouriant : « Et de deinander pour les
» autres , jamais pour vous ? La grace
dont il s'agit en faveur d'un de vos
» amis , je vous l'accorde pour votre
» fils . »
33
"
Le titre Caradère offre une fuite
intéreffante & nombreuſe de portraits
hiftoriques , parmi lefquels on diftingue
ceux de la plupart des Rois de France,
On trouve à l'article Etude , un précis de
l'hiftoire de ceux qui fe font fait un nom
par les productions de leur efprit , avant
l'âge de vingt ans. Il faut lire ce morceau
curieux dans l'ouvrage même. Il ne fçau138
MERCURE DE FRANCE .
roit manquer d'exciter l'émulation
& l'a
mour de l'étude. Nous en difons autant
de tous les titres de ce dictionnaire
, &
nous les croyons trés- propres à former
aux fciences & à la vertu l'efprit & le
coeur des jeunes perfonnes de l'un & de
l'autre fexe.
Almanach encyclopédiqué de l'hiftoire de
France , où les principaux événemens
de notre histoire fe trouvent rangés ,
fuivant leurs dates , fous chacun des
jours de l'année. ( 1772 ) Chez Vincent
, imprimeur- libraire , rue des Mathurins
, hôtel de Clugny , in- 18. joli
format , relié , 1 liv. 5 f.
Chaque jour de l'année fe trouve rempli
par des faits curieux , des anecdotes
intéreffantes , des époques remarquables
de l'hiftoire de France , & forme une petite
chronologie qui n'a rien de fec ni
d'indifférent.
15 Janvier. Plein des fauffes maximes
de la Cour de Rome , le Légat du Pape ,
à la faveur des troubles de la ligue , fe
rend au parlement & veut s'affeoir fous le
dais du coin , place affectée au Souverain .
Le premier préfident fut obligé de le
JANVIER 1772 139
prendre par le bras , & de le faire afleoir
au- deffous de lui , 1590 .
4 Février. Louis , Duc d'Orléans , Père
du Duc d'Orléans d'aujourd'hui , meurt
à l'abbaye de fainte Geneviève , où ce
Prince , auffi pieux que fçavant , s'étoit
retiré depuis plufieurs années. Par fon
teftament il légua fon corps à l'école de
chirurgie , afin qu'il pût fervir à l'inftruction
des élèves ; exemple unique dans
l'hiftoire , 1752.
11 Mars. Jacques de Molai , grandmaître
de l'Ordre des Templiers , eft brûlé
vifà Paris , dans l'endroit où eft à préfent
la ftatue de Henri IV , avec trois autres
chevaliers . On dit que le grand- maître
ajourna le Pape Clément V à comparoître
devant le Tribunal de Dieu , dans
quarante jours , & le Roi Philippe le bel
dans un an. Ils moururent l'nn & l'autre
au bout de ce terme , 1307. Voyez le 13
Octobre.
11. Mai. Bataille de Fontenoi gagnée
contre les Anglois par Louis XV en perfonne
, ayant fous lui le maréchal comte
de Saxe. La préfence d'efprit du duc de
Richelieu , la valeur des Irlandois & l'impétueufe
bravoure des troupes de la Maifon
du Roi arrachèrent la victoire aux
ennemis
, 1745 .
1
140 MERCURE DE FRANCE.
les
·
Il n'eft prefque point de jour qui n'offre
un ou plufieurs événemens de ce genre.
Les amateurs de l'hiftoire , les curieux ,
gens du monde , les fçavans , les jeunes
gens fur tout , auxquels l'almanach
encyclopédique paroît plus particulièrement
deftiné , le liront avec autant de
plaifir que de fruit. Le morceau d'hiftoire
de France qui le termine & qui comprend
la première race de nos Rois , nous
a paru fait avec goût.
Réponse à un écrit anonyme , intitulé :
Mémoire fur les rangs & les honneurs
de la cour , in- 8 ° , à Paris , chez le
Breton, imprimeur du Boi , & la veuve
Duchefne , rue S. Jacques .
Cet
ouvrage
par
eft de M. l'abbé Georgel ,
qui s'attache à constater
des titres authentiques
, la grandeur & l'éclat de l'origine
de la maifon de Rohan. Il répond
d'une nianière victorieufe au Mémoire
qui attaque les droits & les privileges des
Princes étrangers établis en France ; &
c'eft dans les archives de Bretagne , dans
les annales de la monarchie , dans les
faftes de l'europe , qu'il fait voir le nom
de Rohan confacré parmi ceux des maiJANVIER.
1772. 141
fons fouveraines , & jouiffans avec elles
des honneurs attachés par la justice de
nos rois au titre de Prince par naiſſance .
Ce Mémoire plein d'érudition , de recherches
, de faits , & de traits hiftoriques
, eft appuyé fur des titres & des aurités
qui font cités & que l'on peut vérifier
à la bibliothéque de l'hôtel de Soubife.
Nouvel Almanach Encyclopédique , ou
chronologie des faits les plus remarquables
de l'histoire univerfelle , tant ancienne
que moderne ; revue , corrigé , &
confidérablement augmenté d'anecdotes
curieufes , utiles , & intéreffantes. Année
biffextille 1772. A Amfterdam , & fe
trouve à Paris . chez Pillot , Libraire ,
rue S. Jacques , à la Providence 1772 .
"
Almanach chronologique des Rois de
France , pour l'année Biffextile 1772 .
A Paris , chez Dufour , Libraire , rue
de la Vieille Draperie ; Lefclapart , Libraire
, quai de Gêvres , près le pont
Notre Dame , & aux adreffes ordinaires
où fe vendent les nouveautés .
Le Bon Jardinier , Almanach pour
l'année 1772 , contenant une idée géné142
MERCURE DE FRANCE.
rale des quatre fortes de Jardins , les
règles pour les cultiver , la manière de
les planter , & celle d'élever les plus
belles fleurs ; nouvelle édition , confidérablement
augmentée de méthodes & fecrets
pour conferver les fleurs , les fruits,
contre tous les infectes , deftructeurs
des jardins , & dans laquelle la partie
des fleurs a été entierement réfondue par
un amateur , prix , 1 livre 10 fols relié.
A Paris , chez Guillyn , quai des Auguftins
, du côté du pont S. Michel , au
Lys d'or. 1772,
Etrennes d'un pere à fes enfans , ou
Almanach du premier âge , pour cette
année 1772 , avec cette épigraphe ;
Il faut femer , lorsqu'on veut recueillir.
A Paris , chez Grangé , Imprimeur- Libraire
, au Cabinet littéraire , pont Notre-
Dame,
Etrennes intéreffantes pour lajeuneffe ,
ou Recueil de petites fables très- ingénieufes
; enrichi de figures en tailledouce
, analogues à chaque fujet ; feconde
partie. Chez Briffon de Maillard , graveur
& marchand d'eftampes , rue Saint
Jacques , près celle des Mathurins ,
Paris ,
JANVIER. 1772. 148
Les Etrennes de l'amitié , ou recueil de
petites piéces de vers pour la nouvelle
année , & pour des Fêtes ; chez le mêmę
marchand .
Etat Militaire de France , pour l'année
1772 , quatorziéme édition , augmenté
de plus de deux mille officiers ; par Mrs
de Rouffel & de Montandre , prix 2 liv,
15 fols broché , 3 liv . 5 f. relié. A Paris,
chez Guillyn , Libraire , quai des Auguf
tins , près le pont S. Michel , au lys d'or,
On trouve chez le même Libraire
l'extrait de cet almanach , qui eft de 12 f
broché.
Lottin le jeune , Libraire , rue Saint-
Jacques à Paris , vient de recevoir de
Lyon , avec quelques autres affortimens
, les Livres fuivans.
Les Libertés de l'Eglife Gallicane ,
prouvées & commentées fuivant l'ordre
& la difpofition des articles dreffés par
M. Pierre Pithou , & fur les Recueils de
M. Pierre Dupuy , Confeiller d'Etat
avec approbation & privilége du Roi ;
144 MERCURE DE FRANCE.
M. Durand de Maillane , Avocat en
par
Parlement , s vol . in-4°. 1771 .
Le
Dictionnaire de Droit Canonique
& de Pratique Bénéficiale , &c. par le
même M. Durand de Maillane , nouvelle
édition , corrigée & très - augmentée ,
4 vol . in-4°.
Les Grandeurs de Jéfus - Chrift dans
fes fouffrances , ou Explication abrégée
de fa Paffion , par feu M. Loyer , Curé
du Diocèfe de Lyon , 2 vol . in - 12 .
• Nouvelle Méthode raifonnée du Blafon
, du Pere Meneftrier , nouvelle édition
corrigée & très augmentée , avec
51 planches gravées à neuf, en un fort
volume in- 8 °.
Modèles de Lettres , nouvelle & quatrieme
édition augmentée , 1771 .
Nouvelle Grammaire Efpagnole &
Françoise de Sobrino , avec un petit
Dictionnaire Espagnol & François , &c .
1772.
ACADÉMIES .
JANVIER. 1772. 145
ACADÉMIES.
Séance de l'Académie royale des beaux
Arts de Parme .
LE 27 Juin dernier cette Académie
tint fa féance publique pour la diftribution
de fes prix . On fe rappéle que le ſujet
de peinture étoit Annibal vainqueur
qui , du haut des Alpes , jettefes premiers
regards fur les campagnes d'Italie. Celui
d'architecture étoit le plan d'un théâtre
propre à la représentation de toutes fortes
de poëmes dramatiques .
L'Académie fe félicite dans le programme
qu'elle vient de publier , du grand
nombre de concurrens nationaux & étiangers
qui ont disputé fes prix . Le premier
de peinture a été accordé au tableau qui
avoit pour devife : Montes fregit aceto ,
& qui étoit de M. Paul Borroni de Voghera
, élève de M. Boffi , profeffeur de
Académie. Le fecond prix de peinture
a été remporté par M. François Goja, Romain
, élève de M. Vajeu , peintre du
roi d'Espagne. Le premier tableau a paru
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
fixer les fuffrages de l'Académie , par
une compofition ingénieufe , un coloris
harmonieux , des nuds bien étudiés . Les
foldats d'Annibal occupés à rompre les
rochers , exprimoient très bien par leurs
différens mouvemens , leurs efforts pour
furmonter les obftacles qui s'oppofoient
à leur paffage.
L'Académie a remarqué avec plaifir
dans le fecond tableau un beau maniement
de pinceau , de la chaleur d'expref
fion dans le regard d'Annibal , & un
caractère de grandeur dans l'attitude de
ce général . Si M. Goja fe fût moins
écarté dans fa compofition du fujet du
programme , & s'il eût mis plus de vérité
dans fon coloris , il auroit balancé les
fuffrages pour le premier prix .
M. Donnino Ferrari de Parme , élève
de M. le chevalier Petitot , profeſſeur de
l'Académie , a obtenu le premier prix de
de deffin d'architecture . Les diftributions
de fon théâtre ont paru bien étudiées
, les formes élégantes & variées ,
les ornemens répandus avec goût , & le
deffin en général exécuté avec beaucoup
de foin & de précifion .
Le fecond prix fut auffi donné à un
élève de M. Petitot , M. Pierre Cugini ,
JANVIER . 1772 . 147
qui avoit adopté des formes très- fimples,
mais dont les différentes parties exécutées
avec beaucoup de jufteffe , formoient
l'enſemble le plus agréable & le plus
harmonieux. Cinq autres deffins fur le
même fujet furent trouvés fi bien exécutés
, quoiqu'inférieurs aux deux premiers,
l'Académie décerna une couronne à
chacun. Les auteurs de ces deffins étoient .
élèves de MM. Petitot , Douvilly , le
marquis Galliani & Potain . Il fut auffi
diftribué plufieurs prix à des deffins de
compofition , de nud , de bas - reliefs ,
&c. de divers élèves de maîtres Italiens
& François.
que
* L'Académie a publié le programme
des prix qu'elle diftribuera cette année
1772. Le ſujet de celui de peinture
eft : Latone & Diane panfant la
bleffure d'Enée , dans le temple d'Apollon.
Ce fujet , fuivant les réflexions du
comte de Caylus que l'Académie a rappelées
dans fon programme , peut être
agréable par la fituation de la fcène &
grand par la nature des perfonnages ..
Diane eft , fuivant la mythologie , fille
de Latone. Ces divinités doivent conferver
dans l'action qui eft ici défignée ,
la nobleffe de leurs caractères & l'inté
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
rêt d'un pareil fecours rendu par deux
femmes dont la beauté fera exprimée ,
relativement à leur âge. Les anciens
avoient des temples découverts ; on pour.
roit repréſenter de même celui d'Apollon
, & faire voir ce Dieu s'éloignant
fur les nuages avec lefquels il a conduit
Enée dans ce temple. L'Académie fait
auffi remarquer dans fon programme ,
qu'Enée fut bleffé par une pierre énorme
que Dioméde lui lança dans le flanc,
Ce fujet eft tiré du cinquième livre de
I'Iliade liv. V. Les peintres doivent lire
ce livre , le génie d'Homère échauffera
le leur.
Le fujet proposé pour le prix d'Architecture
, eft le plan , l'élévation & les
dimenfions d'un édifice deftiné à des
bains publics & particuliers , ornés de
portiques ou de colonnades , qui puiſſent
Servir de promenade aux perfonnes des
deux fexes , avant & après le bain, L'Académie
exige que l'édifice renferme diverfes
boutiques de marchands , quelques
cafés , des chambres , & c. Elle recommande
aux concurrens de marquer exactement
la diſtribution des appartemens
& des bains , de diftinguer ceux des
hommes de ceux des femmes ; de s'atta
JANVIER . 1772 149
1
que ,
cher à faifir les beautés du coftume anti-
& de les approprier autant qu'il
fera poffible à nos moeurs & à nos ufages.
On les exhorte à lire avec attention
le chapitre dix du cinquième Livre de
Vitruve , où ils trouveront des lumières
dont ils ont befoin fur cet objet . Les
plans feront tracés fur une échelle commune
dont les divifions feront de huit
lignes , prifes fut le pied de Roi. L'Académie
fixe cette proportion , pour qu'il
y ait plus d'égalité dans les deffins & que
la comparaifon en foit plus facile à
faire.
L'Académie admet au concours tous les
Elèves Nationaux & Etrangers ; & pour
qu'ils ne foient point arrêtés par les frais
d'envoi elle veut bien s'en charger elle mê
me, ainfi que de ceux du retour. Elle le déclare
expreffément par fon programme.
On peut confulter celui que nous avons
inféré dans le fecond volume du Mercure
du mois d'Octobre 1770 , fur les autres
conditions impofées par
l'Académie.
་
G iìj
150 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Lundi 9 Décembre 1771 , le Concert
Spirituel donné au Château des
Thuileries , a commencé par une fymphonie
; enfuite on a exécuté Super flumina
Babylonis , motet à grand choeur ,
qui a remporté le premier prix de concours
, de la compofition de M. l'Abbé
Girouft , maître de mufique des SS . Innocens.
M. Befozzi , célèbre virtuofe de
la mufique du Roi , a exécuté un concerto
de hautbois de fa compofition . M.
& Madame le Gros ont chanté Jubilate ,
motet à deux voix , de M. Dauvergne
furintendant de la mufique du Roi . M.
Capron a exécuté avec applaudiffemens
un concerto de violon de fa compofition
. M. l'abbé Platel a chanté un motet
à voix feule de M. l'abbé Girouft . Le
Concert a fini par Dominus regnavit ,
nouveau moter à grand choeur , dans lequel
il y a de beaux effets d'harmonie ,
des chants agréables , & une belle modulation
.
JANVIER . 1772. 151
OPÉRA.
LE peu de tems que nous avons eu pour
rendre compte dans le dernier Mercure
de la repriſe d'Amadis , ne nous a point
permis de faire connoître que les beautés
de détail dont cet opéra a été enrichi
font dues aux talens réunis d'un amateur
célèbre , M. de la Borde , premier Valet
de-Chambre du Roi , & de M. le Berton ,
l'un des Directeurs de ce fpectacle. Ces
compofiteurs habiles ont confulté le goût
du fiécle pour retoucher , changer , & refaire
prefque toute la mufique de cet
opéra , à l'exception du récitatif dans les
fcènes , qui appartient à Lully , & qui
doit dans tous les tems être refpecté &
fervir de modèle . Il fuffiroit de citer le
prologue d'Amadis où l'on n'a fait que
fubftituer quelques airs de danfe. Tous
les morceaux d'expreffion font dans ce
prologue d'une vérité frappante , le fommeil
d'Alquif enchanteur , d'Urgande fon
époufe , & de leur fuite ; le coup de tonnerre
, les éclairs qui les réveillent , la
fymphonie qui peint tous ces effets , &
les choeurs font autant de tableaux , vrais
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
chefs d'anvres de fpectacle & de mufique.
L'intérêt augmente avec la même
chaleur jufqu'à la fin . Mrs Gélin & Caffaignade
, Mlle Duplant & Duranci ont
fucceffivement rempli les rôles d'Alquif
& d'Urgande , & ont partagé , avec juftice
, les applaudiffemens réitérés dont
le Public ne ceffe d'accueillir cet opéra ,
qui a été généralement goûté & fuivi .
C'eft une obligation que l'on a , fans
doute , aux Auteurs qui y ont travaillé
avec autant de goût que de génie , & aux
principaux acteurs dont les talens embelliffent
& font valoir tout ce qu'ils exécutent.
M. le Gros , dans le rôle d'Amadis
s'eft , pour ainsi dire , montré fupérieur à
lui-même ; il femble avoir à fa difpofition
plufieurs organes qu'il varie & qu'il adapte
aux différentes fituations où il fe trouve.
Le goût & l'expreffion qu'il met dans le
monologue du fecond acte , Bois épais ,
&c , ne manquent jamais de captiver
l'attention du public , qui applaudit alternativement
l'acteur & l'orchestre , où
M. Rault , célébre pour fon talent pour
la flûte , exécute la principale partie d'accompagnement.
Mile Arnould , malgré
la foibleffe de fa fanté , a prouvé dans le
rôle d'Oriane , combien le vrai talent a
JANVIER . 1772. 153
de reffources pour plaire. Mlles Beaumenil
& Rofalie ont fucceffivement paru
dans le même rôle , & y ont reçu des
applaudiffemens mérités . Le rôle d'Arcalaus
, chevalier enchanteur , par M. Gelin
, & celui d'Arcabonne , célébre enchantereffe
, par Mlle Duplant , ont été
rendus avec la force & l'enthousiasme
propres à ces caractères. Le rôle de Flareftan
n'a pas moins fait d'honneur à M.
Durand , tant par la manière dont il l'a
chanté , que par l'action théâtrale à laquelle
il s'eft particulierement appliqué.
Au troifiéme acte , le morceau de l'ombre,
exécuté par M. Gelin , eft du plus grand
effet les nouveaux Auteurs y ont ajouté
un accompagnement compofé d'inftrumens
à vents , qui font placés fous le
théâtre près du tombeau . Les fons lugubres
qui en fortent expriment les plaintes
& les gémiffemens avec une vérité étonnante
: cet acte eft plein de beautés muficales
& de fituations intéreffantes .
Dans les divertiffemens , les airs de
danfes font d'un genre qui ne s'éloigne
point de celui des fcènes , ils ont le mérite
de produire de grands effets d'orcheftre
, que l'on ne connoiffoit point du
tems de Lally , & cependant de former
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
un enfemble de mufique qui paroît être
du même auteur .
Les Ballets fon en général d'une belle
compofition , & fufpendent agréablement
l'intérêt de l'action . Ceux du prologue &
du premier acte font de M. Gardel ; celui
du troifiéme de M. Dauberval ; ceux des
fecond , quatriéme & cinquiéme actes ,
font de M. Veftris. On connoît affez les
talens des premiers Sujets qui font employés
dans les divertiffemens de cet
opéra , pour être difpenfé de faire un
détail des éloges qu'ils méritent , & des
applaudiffemens qu'ils ont reçus. Mlle
Compain , âgée de 13 à 14 ans , a quitté.
la place de premiere danfeufe à la Comédie
Françoife , pour entrer à l'Opéra ;;
elle y a débuté dans le ballet du troifiéme
acte d'Amadis : fon fuccès annonce
de grandes efpérances pour le genre de
Mile Allard .
Le fieur Lagier , bafle - taille , avoit
précédemment débuté dans l'acte de l'Air
de l'opéra des Elemens par le rôle d'Ixion ;.
on lui a trouvé l'organe agréable , volumineux
& égal dans tous les tons ; il eſt
affez grand & bien fait de fa perfonne : il
joint à ces avantages une fenfibilité qui le
rendra intéreflant dans les rôles qui pourront
lui être confiés..
JANVIER. 1772. ISS
*
On a remis au théâtre pour les jeudis ,
les fragmens compofés de l'acte des Incas,
de celui d'Alphée & Arethufe , & de la
Fête de Flore. On a rendu compte de la
réuflite des deux derniers dans le Mercure
du mois de Juillet . Le nombre des repréfentations
qu'ils ont eues lors de leur
premiere mife , n'a pas épuifé le plaifir
que le public a de le revoir ; ils font
fuivis comme dans leur nouveauté ;
Mlle Rofalie , que l'on n'avoit pas encore
vue dans le rôle d'Arethufe , y plaît
comme dans tous les rôles différens
qu'elle entreprend de jouer & de chanter.
Le divertiffement de la fête de Flore eft
le triomphe des talens de M. Dauberval ,
de Miles Allard & Peflin. L'auteur de la
muſique de cet acte charmant fera longtems
regrété par les amis & par le public
qu'il intére foit par fes compofitions .
On nous a envoyé l'éloge de ce Muficien
que nous nous fomines empreflès de placer
dans ce Journal .
* Cette paftorale ainfi que tous les ouvrages de
M. Trial fe vendent chez le Marchand de mufique
dans le paffage du cloître de St Thomas du Louvre,
& àfa boutique dans le veftibule de lafalle
de-l'opéra
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont remis fur
leur Théâtre , le mercredi 4 Décembre ,
Béverlei , Tragédie Bourgeoife , en cinq
actes & en vers , imitée de l'Anglois ,
par M. Saurin , de l'Académie Françoife.
Ce fpectacle a renouvellé le tableau terrible
de l'excès du malheur & du crime ,
qui font à la fuite de la paffion effrénée
du jeu . On fait avec quelle énergie &
avec quelle vérité effrayante M. Molé
rend le rôle de Beverlei ; & quel intérêt
attendrillant Mile Doligni met dans le
rôle d'épouse & de mere. C'eft par de
telles leçons , qu'une ame honnête peut
être utilement avertie des dangers du jeu
& de la fureur d'une paffion qui fe déguife
fouvent fous l'appas d'un fimple
amufement.
Mlle Dubois a joué à Verfailles , le
Vendredi 29 Novembre , le rôle de Zaïre
qu'elle a repréfenté à Paris le Dimanche
8 Décembre. Elle a été accueillie avec
des applaudiffemens d'autant plus vifs ,
que l'on avoit été allarmé fur l'état de fa
fanté , & privé depuis longtemps de fa
JANVIER. 1772. 157
préfence. Cette actrice a rendu fon rôle
avec tout l'intérêt que les graces de fa perfonne
, un bel organe , une ame fenfible ,
un jeu noble & pathétique , peuvent donner
à la jeune & belle Zaïre. M. le Kain
qui femble toujours fupérieur à lui-même,
& qui ajoute continuellement à la perfection
de fon jeu , a étonné autant que
charmé dans la repréfentation d'Orofmane.
Cet acteur inimitable met tant de
vérité dans fon action , & une fi belle
fimplicité dans fon récit , que ce n'est
plus l'acteur , c'eft le perfonnage même
que l'on voit & que l'on entend.
Mlle Dubois a joué à Versailles le
Vendredi 13 Décembre , Idamé dans
l'Orphelin de la Chine .
COMÉDIE ITALIENNE.
Le Lundi 16 Décembre 1771 , les Comédiens
Italiens ont donné la premiere
repréſentation de Zémire & Azor , * Co.
médie ballet , en vers & en quatre actes ,
*Cette pièce eft imprimée & fe vend à Paris ,
chez Vente , libraire , au bas de la montagne Sic
Genevieve ; prix , 30 fols.
158 MERCURE DE FRANCE.
mêlée de chants & de danfe ; par M.
Marmontel , de l'Académie Françoife.
La mufique eft de M. Gretry .
La fcène eft en Perfe , alternativement
dans un Palais de Fée & dans une maifon
de campagne , fur le golfe d'Ormus .
Les acteurs font Azor , Prince Perfan,
Roi de Kamir , d'abord fous une forme
effrayante. M. CLAIRVAL .
Sander Perfan , Négociant d'Ormus ,
M. CAILLOT.
Ali , Efclave de Sander, M. LA RUETTE..
Zémire, Mde LA RUETTE .
Fatmé , Filles de Sander. Mde TRIAL..
Lisbé ,
Une Fée ,
Mlle BEAUPRÉ .
Mlle DESGLANDS.
Jer ACTE. Sander fuyant l'orage fe
réfugie dans un Palais de Fée où tour
l'étonne , & tout effraye Ali fon efclave .
Que pourroit craindre Sander ? il a tout
perdu , & pour lai la vie n'eft pas un bien.
Mais Ali ne peut fe résoudre à dormir
chez des esprits & fans avoir foupé . Auffi--
tôt une table fervie s'offre à fes defirs . Let
vin lui donne du courage . Sander cueille
une rose que Zémire lui a demandée.-
Azor paroît fous une forme effrayante ,
il le menace de la mort pour le punir de
fon larcin. Il ne lui promet la vie & ne
JANVIER. 1772. 159
lui donne la liberté, qu'à condition qu'une
de fes filles consentira de venir fe livrer
à fa place , ou qu'il reviendra lui - même.
Azor le fait transporter avec fon
esclave fur un nuage . Le Théâtre change
& représente l'intérieur de la maiſon de
Sander.
Į
II. ACTE. Zemire , Fatmé , Lisbé ,
travaillent à la lumiere d'une lampe , en
attendant le retour d'un pere qu'elles
chériffent. Sander revient accablé de
trifteffe. Zemire le confole ; mais nepouvant
diffiper fon chagrin , elle en
demande le fujet à fon efclave , qui n'a
pas la force de lui cacher le malheur qui
attend fon maître. Zemire prend la réfolution
d'aller trouver Azor , & de
s'expofer à fa fureur pour les jours de
fon pere
.
"ACTE III . Azor déplore fon état.
Cruelle Fée abrége ou ma vie ou ma peine ,,
Tu m'avois donné la beauté.
De ce donje fus trop flatté ;
Mais hélas ! eft- ce un crime à mériter ta haine?
Qu'exige de moi ta rigueur ?
Sous ces traits tu veux que l'on m'aime ;
Et le charme eft détruit , fi , malgré ma laideur:
Je puis toucher un jeune coeur
160 MERCURE DE FRANCE.
Mais peux-tu l'espérer toi- même ?
Pour commander aux élémens
Tu m'as bien donné ta puiſſance ;
Mais les coeurs ne font pas fous ton obéiflance ;
L'amour eft au- deffus de tes enchantemens.
Ali conduit Zémire dans le palais
d'Azor , & veut s'en aller ; il y eft retenu
pendant quelque temps. Zemire
marque fon inquiétude fur la laideur
d'Azor . Cependant elle remarque dans
ce palais tout ce qui peut flatter fes
goûts , des fleurs , des inftrumens de
mufique , un magnifique appartement
qui lui eft deſtiné. Des Fées & des Génies
viennent rendre hommage à Zemire
; enfin Azor paroît , fa laideur effraye
fon amante ; mais l'expreffion de
fon amour & de fes fentimens génereux
& tendres la raffure & l'intérelle. Eile
chante pour lui plaire. Zémire demande
à voir fon Pere & fes foeurs , ce qu'Azor
ne lui accorde qu'à regret . Sander , Fatmé
, Lisbé paroiffent à fes yeux dar.s
un tableau magique , qui doit s'évanouir
fi elle veut s'en approcher. Elle les voit
& entend leurs plaintes ; elle s'attendrit ,
elle vole à leur rencontre , & le tableau
JANVIER. 1772. 161
difparoît. Elle obrient encore de fon
amant la liberté d'aller trouver fon pere
& fes foeurs , mais avec la condition
expreffe de revenir avant la fin du jour ,
fi elle ne veut pas caufer fa mort . Il lui
donne un anneau qui la rend libre &
indépendante ; & c'eft en le quittant
qu'elle fe remettra fous fon pouvoir.
ACTE IV . Sander paroît dans l'abattement
, lorfque le retour imprévu de Zémire
le comble d'étonnement & de plaifir
; mais il jouit à peine de fa préfence ,
que , fidelle à fa promeffe ; elle veut
aller revoir Azor . En vain un pere &
fes foeurs veulent la retenir . Elle vole
dans les jardins d'Azor , qui , défefpéré
de l'abfence & de l'oubli de Zémire ,
demande le trépas. Zémire le cherche ,
& le demande aux échos.
Azor , en vain ma voix t'appelle .
L'écho des bois
Répond feul à ma voix.
Revois Zémire. Elle eft fidèle ,
Elle confent à vivre fous tes loix.
Hélas ! plus que moi-même
Jefens que je t'aimois ;
Et dans ce moment même
162 MERCURE DE FRANCE.
Plus que jamais
Je t'aime , Azor , je t'aime.
A ces accens d'une amante fidelle , le
théâtre change , & repréfente un palais
enchanté. Azor y paroît fur un trône dans
tout l'éclat de fa gloire . Le charme eft
détruit ; la Fée a défarmé fa colère ; elle
a rendu au tendre Azor fes traits & fa
beauté. Zémire obtient le confentement
de fon pere dont elle fait le bonheur.
LA FÉE.
Azor , tu vois que la bonté
A tous les droits de la beauté ;
Sur les coeurs étends fon empire ;
Et que fous ma loi
Tout ce qui refpire
Adore Zémire ,
L'adore avec toi.
Ce fpectacle charmant & dans un nouveau
genre plaît à l'imagination ainfi
qu'aux yeux , & intéreffe le coeur. La
Mufique en eft délicieufe ; & toujours
vraie , fentie & raifonnée , elle rend
toutes les affections de l'ame . Il faudroit
citer tous les morceaux pour en
JANVIER. 1772. 163
faire le jufte éloge ; mais on ne pourra
jamais affez louer le Trio en fourdine
du pere & de fes deux filles qui paroiffent
dans le tableau magique ; il eft d'un
pathetique attendriffant qui fait couler
les larmes . Les rôles ont été fupérieurement
joués & chantés. Les auteurs de
la mufique & des paroles ont été demandés
par le Public , toujours empreffé
d'applaudir à des talens fi heureufement
aflortis.
SPECTACLE méchanique d'Automates ,
préfentés au Roi & approuvés de l'Académie
, rue Mauconfeil , vis - à - vis la
comédie italienne.
L'auteur , engagé par l'accueil du Pablic
, a augmenté fon fpectacle composé
des piéces fuivantes d'une méchanique
induftrieufe .
1º. Un Amour de grandeur naturelle
écrit en lettres majeures ; un jeu d'orgue
placé fous la table , exécute deux airs
d'opéra , analogues au fujet.
2º. Un Automate marche alternativement
d'un mouvement lent & d'un mouvement
prompt.
164 MERCURE DE FRANCE:
3°. Un autre pêche , dans une eau na
turelle , le poiffon que le fpectateur a
choifi dans un nombre donné.
4°. Joûte d'automates fur la pièce d'eau ,
au gré du spectateur ; le rouge jette le
bleu , ou il eft renversé par lui .
On fait voir & on explique le mécaniſme
de toutes ces piéces fingulières .
L'auteur offre fes automates à la perfonne
qui y trouvera la plus petite fupercherie.
Détail de ce qui s'eſt paſſé à la diftribution
des prix de l'Ecole Royale gratuite de
Deffin , faite aux Thuileries dans la
Galerie de la Reine ; le 26 Décembre
1771 .
>
M. DE SARTINE étant arrivé vers les fix
heures , accompagné de MM . le Comte
de Brancas , de Montullé , Lempereur
Poultier , de Meulan & de Montaran ,
Administrateurs de cette Ecole , M. Bachelier
, Directeur , ouvrit la féance par
un difcours qu'il prononça , & que
nous croyons devoit donner au Public.
On procéda enfuite à la diftribution de
deux cent vingt prix , & M. de Sartine ,
JANVIER. 1772 . 165
préfident , délivra les lettres de maîtrife
& les brevets d'apprentiffage aux éleves
ci-après dénommés.
SÇAVOIR,
Huré l'aîné , prix de perfpective , mérité
en 1768 , maîtrise d'orfévre .
Allard , prix d'architecture 1769 , maîtrife
de Luthier.
Donfe , prix d'ornement 1770 , Maitrife
d'orfévre.
Turpin , prix de figure 1771 , maîtriſe
d'éventaillifte.
Huré , cadet , prix d'ornement 1771 ,
maîtriſe d'orfévre.
Mauguier , prix d'ornement 1771 , apprentiffage
d'orfévre.
Brevets d'Appareilleurs,
"De BULLY , prix d'architecture,
NICOLE , prix de perſpective.
1771 PHELIPEAUX , prix de trait .
SANSON , prix de mathématiques.
BUISSON cadet , prix de géométrie.
Les acclamations de l'affemblée ſe joignant
au bruit des fanfares, donnoient aux
élèves couronnés la fatifaction la plus
complete .
166 MERCURE DE FRANCE.
Difcours de M. Bachelier aux Elèves.
Dans ce jour folennel , confacré par la
bienfaifance d'un Roi , l'amour de fes
fujets , & dans un lieu qui nous retrace fa
préfence augufte , vous voyez honorer ,
encourager , protéger vos travaux , &
couronner vos fuccès par des récompenfes
que vous allez recevoir aux yeux de la
Nation.
Qu'un triomphe fi éclatant n'enfle point
votre amour propre ! fongez qu'on ne
vous l'accorde que pour exciter en vous
une noble émulation , qui , vous élevant
au-deffus de vous- mêmes , faffe un jour
de vous des hommes utiles à la Patrie.
Les faveurs dont on vous comble aujourd'hui
, ne peuvent qu'exciter dans
vos coeurs les fentimens de la plus vive
reconnoillance.
Les bons offices de M. le Marquis de
Champcenet, Gouverneur de ce Château ,
ne doivent jamais fortir de votre mémoire
; fon goût pour les talents vous
conferve l'avantage de recevoir dans ce
palais des prix qui doivent encourager
vos études ; diftinction d'autant plus flatteufe
qu'elle manifefte la protection finJANVIER
. 1772. 167
guliere dont Sa Majeſté veut bien honorer
cet établiffement.
Le Magiftrat dont le zèle & l'affection
Vous font fi chers , vient , accompagné de
l'adminiftration à laquelle il préfide , vous
juger & vous applaudir. Son amour pour
vous , les foins paternels qu'il donne à
votre éducation , lui font trouver , au
milieu de fes occupations importantes ,
le moment de vous procurer cette fatisfaction
, & de la partager lui - même avec
vous.
Le bureau de l'adminiftration qui fe
renouvelle tous les ans , eft compofé des
citoyens les plus généreux ; le fang le plus
illuftre daigne même fe charger d'une
fonction fi pénible pour contribuer au
foutien de cet établiffement , & vous
donner des preuves de l'intéret qu'il
prend à votre avancement .
La bienfaifance publique s'accroit tous
les jours ; les Princes , la plus haute Nobleffe
, les Corps , les Particuliers , tous
les ordres de l'Etat , s'empreffent d'augmenter
le nombre & la valeur des récompenfes
qui vous font deftinées ; elles vous
attendent , elles ne font point limitées .
Que d'obligations vous contractez ,
Meffieurs pourrez vous jamais oublier
168 MERCURE DE FRANCE.
les mains généreufesqui fe font empreffées
de guider votre jeunelle dans la carriere
des arts , & d'écarter tous les obftacles qui
pouvoient vous empêcher d'y entrer ?
Non , vos coeurs fenfibles vont s'occuper
des moyens de témoigner leur reconnoiffance
par un zèle ardent & une conftance
infatigable dans le travail ; il n'en elt
point de plus digne de vous ; rien n'eft
impoffible au courage d'une jeuneffe laborieufe.
Que ceux d'entre vous qui ne feront
ici que les témoins des fuccès de
leurs émules , & qui n'auront pas l'avanage
de les partager , foient encouragés
par ces fuccès même à faire de nouveaux
efforts & à mériter des lauriers qui fans
doute ne font que différés
pour eux,
ELOGE de M. TRIAL.
Jean-Claude Trial , né à Avignon le 13 Décembre
1732 , étoit iſſu de parens peu fortunés ,
mais honnêtes ; fon goût pour la mufique fe manifefta
dès fa plus tendre enfance . A l'âge de
douze ans , il étoit déjà, maître de mufique de
la Cathédrale de Vaifon . Cette place le mettant
peu à portée de voir & d'entendre les hommes
célèbres dans fon art ; il la quitta peu de tems
après pour entrer au Concert d'Avignon , &
enfuite à celui de Montpellier . Le violon fut le
le feul inftrument auquel il s'appliqua d'abord
pour
JANVIER. 1772. 169
-
pour fe procurer plus promptement les reffources
dont la fortune l'avoit privé. Au milieu d'un
travail penible , il prenoit fur fon repos le
tems qu'il donnoit à l'étude de la compofition.
M. Granier , qui eft aujourd'hui l'un des premiers
violons de la chapelle du Roi , eft le ſeul
maître qu'il ait eu en cet art. Après en avoir
reçu un petit nombre de leçons , il eflaya de
compofer des motets & des airs de violon qui
firent appercevoir le germe du vrai talent. Le
goût de la mufique Italienne , qui alors commençoit
à prendre faveur , ne détourna point
fon admiration des ouvrages de Rameau , il
lifoit fans ceffe fes partitions ; il étudioit ſa maniere
, il combinoit fes marches d'harmonie.
Enfin , tourmenté depuis long- tems du defir de
voir cet Auteur célèbre , il vint à Paris , avec
le projet de retourner à Monpellier , où il étoit
attendu pour la furvivance de maître de mufique.
des Etats du Languedoc , qu'il regardoit alors
comme une fortune confidérable. Mais à Paris ,
au centre des arts , fon mérite le porta plus loin
que fon ambition. Il accepta la place de premier
violon à l'Opéra -comique. On commençoit à y
donner des comédies en mufique qui exigeoient
un homme habile à la tête de l'Orcheſtre, d'autant
plus que la plupart des acteurs , qui jufques -là n'avoient
, pour ainfi dire , chanté que des vaudevilles
, n'étant pas muficiens , il falloit beaucoup
d'art & de patience pour parvenir à l'exécution
des pièces qui ont eu lieu dans ce tems - là ,
comme le Maréchal , Blaife le Savetier, On ne
s'avife jamais de tout , le Jardinier & fon Seigreur
, &c. Les Directeurs s'applaudiſſoient , au
1. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
milieu de tant de difficultés , d'avoir trouvé un
homme qui fçavoit fi bien les applanir & faire
régner entre le théâtre & l'orchestre un enfemble
qui flattoit les Auteurs , & les encourageoit à travailler
pour ce fpectacle où le Public fe portoit
en foule. Il compofa alors plufieurs ouvertures
qui furent très-goûtées , & des cantates qui eurent
beaucoup de fuccès . A cette époque , S. A.
$ . Mgr le Prince de Conti , qui n'avoit qu'un
petit nombre de inuficiens , augmenta fon orcheftre
: M. Trial y entra en qualité de fecond
violon. La reconnoiffance & l'envie de plaire à
ce Prince , achevèrent de développer fon génie ;
il faififfoit toutes les occafions de le rendre agréa
ble à Son Alteffe ; chaque jour fon concert étoit
yarié par quelques nouveautés , comme de petits
airs arrangés avec goût , & des ariettes d'un
genre & d'un ftile qui n'étoient qu'à lui . Toutes
ces marques de zèle & d'empreffement, méritèrent
bientôt à Trial les bontés & la confiance de fon
Alteffe. Elle le nomma Directeur de fa mufique,
alors compofée des premiers talens de l'Europe ,
& Elle ne ceffa depuis ce teins , de l'accueillir
avec une diftinction & une bienveillauce particu
lieres. Dans cette heureufe pofition , Trial , plus
recommandable encore par fon naturel & l'excellence
de fon bon coeur, que par fes talens, n'avoit
befoin de rien pour lui , mais il avoit de l'inquiétude
pour fa famiile , quoiqu'il n'eût mis en
tout temps à fa tendreffe filiale , d'autres bornes
que celles où il étoit reftreint par la fortune . Il
fit venir fon Frere puîné pour
chanter au Concert
& au fpectacle du Prince , & enfuite fa foeur
qu'il maria avec M. Duport connu par fa
JANVIER. 1772 .
171
célébrité pour le violoncelle & par fes moeurs.
Après cet arrangement , & la difpofition
qu'il fit de 1200 livres par an , qu'il envoyoit
à Avignon , il devint plus tranquille fur le
foin de fa famille. Il lui reftoit cependant ,
pa : rapport à lui-même , quelque chofe à
defirer fur l'éducation qu'il regrettoit de n'avoit
pas reçue dans fa jeuneffe ; il donna tous
fes momens de loisirs à la lecture , il acheta des
Livres & finit par avoir une Bibliothèque affez
confidérable & des mieux compofée . L'étude
fuivie qu'il donnoit à divers objets de Littérature
& d'Hiftoire , ne l'empêchoit pas de s'occuper de
fon talent; il travailloit à l'Opéra de Silvie , en fociété
avec M. Berton. Dans la diftribution du
poëme, il le chargea particuliéremeut de mettre
en mufique le prologue qui eft regardé comme un
Chef-d'oeuvre en cet Art. Quelque - tems après la
mife de cet ouvrage auThéâtre , les Directeurs de
l'Opéra demanderent leur retraite. Trial ſe mit
fur les rangs pour leur fuccéder avec M. Berton &
il eut à vaincre bien des difficultés ; mais dans
cette occafion il reçut da prince de Conti des
preuves fignalées d'eftime & de protection. Ce
Prince l'appuia avec tant d'intérêt & de chaleur
queTrial, qui croyoit n'avoir pour toute fortune
que fon violon , fe vit le maître de difpofer
d'une fomme de 400000 liv . qu'il verfa dans les
coffres de la Ville pour fon cautionnement &
pour celui de M. Berton fon ami , qui fut nommé,
avec lui, Directeur de l'Académie Royale de
Mufique. Dès qu'il le vit en poffeffion de cette
place , l'une des premières de fon état , dans un
âge où l'on conçoit à peine l'efpérance d'y arri
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ver , il s'appliqua à gagner l'eftime & la confian
ce des Sujets qui compofent l'Académie il travailla
conjointement avec M. Berton , à faire
Aleurir ce Spectacle dont les recettes devinrent
plus fortes qu'elles ne l'avoient été jufqu'alors.
Il y a de M. Trial , outre les OEuvres publiées
fous fon nom , plufieurs morceaux de mufique
dans les divertiffemens des anciens Opéra qui
ont été mis au Théâtre de fon tems . Le dernier
ouvrage qu'il a donné au Public eft la Fête de
Flore , Paftorale en un acte. Il n'a joui du fuccès
que des deux premieres repréfentations de cette
pièce. Le Dimanche 23 Juin , il fut trouvé à fix
heures du matin , mort dans fon lit où il s'étoit
couché en fe félicitant de fouper le lendemain
avec fa famille & quelques amis qui devoient
fe réunir chez lui à l'occafion de fa Fête . Ce coup
affreux jetta la défolation dans tous les coeurs ,
même des perfonnes qui ne le connoiffoient qu'in
directement. Les fujets de l'Académie employés
dans la Fête de Flore , obligés d'y repréfenter le
même foir , porterent leurs larmes jufque fur le
Théâtre ; leur douleur étoit telle , que l'on ne
pût fe difpenfer d'en fufpendre les repréfentations.
Cette circonftance fuffit feule à l'éloge du
Directeur. Le lendemain l'affluence des perfonnes
qui étoient à la fuite de fon convoi , prouva
de la maniere la plus marquée combien il eſt
regretté comme ami & comme homme à talens .
L'Académie a fait célébrer , avec toutes les
cérémonies d'ufage aux pompes funèbres , un
fervice en mufique , pour le repos de fon ame ,
dans l'Eglife royale & paroiffiale de S. Germain
l'Auxerrois où fon corps eft inhuiné.
JANVIER. 1772. 173.
VERS de M. N.... à M. St Aubin ,
fur un portrait àfaire de Mlle Dubois,
dans le rôle de Zaïre.
AMI , MI , tu dois , dis - tu , peindre en Sultanç
La touchante Dubois , l'amantè d'Oroſmane :
Ah ! c'eft un plaifir , entre nous ,
Dont le talent peut fe montrer jaloux.
Mais , à te dire vrai , je tremble
De voir échouer ton pinceau.
Veux-tu que ce portrait reflemble?
Joins l'amante à l'amant dans le même tableau ,
f
Et confonds leurs ames enfemble ;
Tu feras un piquant morceau.
Autrement peine fuperflue ,
De Zaïre j'ai vu les traits ,
Mais fi refplendiffants d'attraits...
Dieux ; que mon ame en fut émue !
Non ! tu ne la rendras jamais
Aufli belle que je l'ai vus,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
A Mademoiselle DURANCY , jouant le
rôle de Junon , dans l'acte de l'AIR.
DEE Jupiter que voilà bien l'épouse !
O qu'il a tort de la rendre jalouſe !
Mais.... fi te déclarer fa tendre paffion
mériter les éclats du tonnerre ,
Suffit pour
Fais donc frapper tout le Parterre ,
Plus criminel encor que ne l'eft Ixion !
ADIEUX de M. l'Abbé Charles Pepin à
fa perruque , qu'on lui empruntoit pour
jouer un Proverbe , dans lequel elle couroit
rifque d'être mise en pièces.
RESPECTABLE Perruque , ornement de mon
chef,
Paifles-tu dans mes mains revenir faine & lauve !
N'eft-ce donc pas affez d'être Pepin le Bref, *
Sans être encor Charles le Chauve ?
Il eft probable que M. l'Abbé Charles Pepia
eft de petite taille.
JANVIER. 1772. 175
IMPROMPTU à Madame LE F **
TOUJOURS
àfa toilette.
OUJOURS fimple & décente , avec goût né
gligée ,
Le talent du coëffeur a pour vous peu d'attraits :
Une belle aisément fuit l'art & fes fecrets ,
Lorfque par la nature elle eft déjà parée.
Par un Abonné.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Le fommeil de Vénus , eftampe d'environ
15 pouces de long fur 12 de haut . A
Paris , chez Bonnet , graveur , rue
Galande , place Maubert. Prix 1 livre
4 fols.
CETTE eftampe nous repréfente une
jeune perfonne qui , la tête appuyée fur
une de fes mains , goûte les douceurs du
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
fommeil. Ce fujet a été gravé d'après un
deflein de feu François Boucher , premier
peintre du Roi , par L. Bonnet , dans la
manière du deffin au crayon noir , rehauffé
de blanc fur papier bleu.
1 I. •
Deuxième Académie de femmes , d'après
M. Lagrenée , peintre du Roi.
Cette Académie , gravée à la manière
du deffin au crayon rouge , fe diftribue
à l'adreffe ci- deffus , prix 15 fols .
Cette Académie fait fuite à celles que
le même Artiſte a publiées précédemment.
III.
Pouvoir de l'Amour , eftampe allégorique
de format in-folio . A Paris , chez
P. Remy , peintre du Roi , rue Poupée ,
au coin de la rue Haute - feuille . Prix
I livre.
Cette eftampe a été gravée avec efprit
par M. Moreau le jeune , d'après une efquiffe
de feu Deshaye , peintre du Roi .
On y voit l'Amour couronné de rofes
JANVIE R. 1772 . 177
& qui vient de brifer la maffue d'Hercule.
Un lyon , un léopard & un aigle couchés
à fes pieds , femblent reconnoître fes
lois. Le cafque & l'épée de Mars , placés
à côté de l'Amour , & fur lefquels fe repofent
les colombes de Vénus , fervent
encore à défigner que tout eft foumis au
pouvoir de l'amour.
I V.
Portrait de M. Van Swieten, médecin &
* confeiller intime de l'Empereur & de
l'Impératrice Reine , deffiné par Auguſtin
de Saint- Aubin , & gravé par
N. Pruneau . A Paris , chez l'auteur
rue de la Harpe , au collège de Narbonne.
Prix i livre.
"
Ce portrait en forme de médaillon eft
vu de profil. Il fera très bien placé à la
tête des favans écrits que M. Van Swieten
a publiés fur plufieurs objets intéreffans
de la médecine .
HV
178 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
XXIII Livre de guitarre contenant des
vaudevilles & rondeaux connus , avec
accompagnemens faciles , des préludes &
des ritournelles , par M. Merchis , OEuvre
XXVII ; prix 6 liv. A Paris , chez l'auteur
, rue S. Thoma's du Louvre , en entrant
du côté du Château d'eau , à côté
de M. Godin ; & aux adreffes ordinaires .
de mufique ..
Trois Sonates en trio pour le clavecin ,
ou le forte piano , avec accompagnement
de violon & violoncelle ad libitum , dédiées
à Madame Brillon de Joui ,
pac
Ernefto Eickner , maître de concert de
S. A. S. Mgr le duc des Deux- Ponts ,
uvre II. A Paris , chez Mme Bertaut ,
rue de la Comédie françoife , fauxbourg
S. Germain ; & aux adreffes ordinaires ..
Le Débat , duo pour un deffus & une
taille avec fymphonie , paroles & mufique
Ja M. de Norciat amateur , dédié à Mlle
JANVIER. 1772 . 179
Mathieu l'aînée , à Dijon , mis au jour
par M. Siéber , de l'Académie royale de
mufique : fe vend chez l'éditeur , à l'hôtel
d'Aligre , rue S. Honoré , & aux adreſſes
r dinaires ; prix 2 livres.
La raifon furprise par l'Amour , ariette
pour un deffus , avec fymphonie ; paroles
& mufique de M. de Norciat , amateur ,
dédiée à Mlle Gründler à Laufanne , mife
au jour par M. Siéber , &c .; prix 1 1. 16 f.
Aimer eft un plaifir , ariette pour un
deffus avec fymphonie ; mufique de M.
de Nerciat , amateur , dédiée à Mlie de
Mathieu l'aînée , à Châlons fur- Saône
mife au jour par M. Siéber , & c. ; prix
1 liv. 10 fols.
Il y a aux frontifpices de ces pièces une
jolie vignette en taille - douce , deffinée par
M. Quéverdo , & gravée par Mlle Marginer..
Hvj
-190 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. J. J. R. à un jeune
homme qui demandoit à s'établir à Mont
morency , pour profiter defes leçons.
Vous ignorez , Monfieur, que vous écrivez à
un pauvre homme accablé de maux , & de plus
fort occupé , qui n'eft guères en état de vous répondre
, & qui le feroit encore moins d'établir
avec vous la fociété que vous lui propoſez. Vous
m'honorez en pcufant que je pourrois vous yêtre
utile , & vous êtes louable du motif qui vous la
fait defirer ; mais fur le motif même je ne vois
rien de moins néceffaire que de venir vous établir
à Montmorency. Vous n'avez pas besoin d'aller
chercher fi loin les principes de la morale. Rentrez
dans votre coeur & vous les y trouverez ; &
je ne pourrai rien vous dire à ce fujer que ne vous
dife encore mieux votre confcience , quand vous
voudrez la confulter. La vertu , Monfieur , n'eft
pas une fcience qui s'apprenne avec tant d'appazeil;
pour être vertueux il fuffit de vouloir l'être ;;
&, fi vous avez bien cette volonté ; tout eft fait ,
votre bonheur eft décidé . S'il m'appartenoit de
vous donner des conftils , le premier que je voudrois
vous donner feroit de ne point vous livrer
à ce goût que vous dites avoir pour la vie contemplative
, & qui n'eft qu'une parefle de l'amecondamnable
à tout âge , & fur - tout au vôtre.
L'homme n'eft point fait pour méditer , mais pour
agir ; la vie laborieule que Dieu nous impofe n'a
xien que de doux au coeur de l'homme de bien qui
JANVIER . 1772. 131
s'y livre en vue de remplir fon devoir ; & la vi
gueur de la jeunefle ne vous a pas été donnée pour
la perdre à d'oifives contemplations . Travaillez
donc , Monfieur , dans l'état où vous ont placé
vos parens , & la Providence. Voilà le premier
précepte de la vertu que vous voulez fuivre; & fi
le féjour de Paris , joint à l'emploi que vous rempliffez
, vous paroît d'un trop difficile alliage:
avec elle , faites mieux , Monfieur , retournez
dans votre province , allez vivre dans le fein de
votre famille , fervez , foignez vos vertueux parens
, c'est là que vous remplirez véritablement
les foins que la vertu vous impofe ; une vie dure
eft plus facile à fupporter en province que la fortune
à pourfuivre à Paris , fur- tout quand on fait,
comme vous ne l'ignorez point , que les plus indignes
manéges y font plus de fripons gueux que
de parvenus. Vous ne devez point vous estimer
malheureux de vivre comme fait M. votre père ;
& il n'y a point de fort que le travail , la vigilance
, l'innocence & le contentement de foi ne rendent
fupportable quand on s'y foumer en vue de
remplir fon devoir. Voilà , Monfieur , des confeils
qui valent tous ceux que vous pourriez venir
prendre à Montmorency , peut- être ne ferontils
pas de votre goût , & je crains que vous ne
preniez pas le parti de les fuivre , mais je fuis fûr
que vous vous en repentirez un jour ; je vous
fouhaite un fort qui ne vous force jamais à vous
en fouvenir. Je vous prie , Monfieur , d'agréer
mes falutations très-humbles.
182 MERCURE DE FRANCE :
LETTRE de M. Laffus , chirurgien de
Mesdames de France , ancien profeſſeur
d'anatomie , & membre du collège de
chirurgie de Paris , à M. de Beauchamp,
fur un paffage de Suétone , qui a trait à
la médecine.
Je réponds , Monfieur , à toutes vos queftions
fur le paffage de Suétone. Cet auteur, dans
la vie de Céfar Augufte s'exprime ainfi au
chap. 80.
» Coxendice & femore , & crure finiftro non
perindè valebat , ut fæpè etiam indè claudicaret
: fed remedio arenarum atque arundinum
confirmabatur.
Vous demandez ce que c'eft que ce remède
de fable & de rofeau , vous trouvez de l'obfcurité
dans ce paffage latin : vous en trouvez
même dans la verfion de M. de la Harpe qui
traduit ainfi :
Augufte avoit la hanche , la cuiffe & la
jambe gauches un peu foibles : il boîtoit
" même quelquefois ; mais il fe rafermiffoit
" en appliquant du fable chaud & un rofeau
fendu fur la partie affectée.
La phrafe de Suétone eft claire & três -intel--
ligible. Augufte avoit la goutte , & fouffroit
d'une fciatique qui occupoit la hanche , la cuiſſe
JANVIE R. 1772. 185
& la jambe gauche , ce qui le faifoit boîter;
mais il étoit foulagé par une fomentation de
fable chaud & par un mélange de fuc de ro
feau & de vinaigre qu'on appliquoit fur la partic
malade .
Les Anciens faifoient un grand ufage des fomentations
de fable chaud . » On fait différentes
efpèces de fomentations chaudes , dit
» Celfe , avec du millet , du fel ou du fable ;
» on emploïe chacune de ces matières chaudes
» & enveloppées dans du linge .
» La fueur , dit le même auteur , s'excite de
deux façons , ou par la chaleur féche , out
par le bain. La chaleur féche eft celle du fa-
» ble , des étuves , des fours.
Ce reméde , qui eft tombé aujourd'hui en
défuétude , étoit d'un ufage fréquent chez les ..
Anciens. Ils l'employoient dans plufieurs maladies
& fur-tout dans l'hydropiíre comme
vous en ferez convaincu en lifant feulement
le commencement du huitieme chapitre d'Au-
Ingelle , livre XIX.
"
Quant au fuc de rofeau , prefque tous les
auteurs de médecine Grecs & Latins en font
mention. Diofcoride , qui vivoit fous le regne
de Néron , dit expreffément que les racines &
les feuilles de rofeau pilées ou macérées dans
du viaaigre , ont la vertu de faire fortir les
échardes ou épines entrées dans la peau , &
qu'on peut s'en fervir utilement dans les douleurs
de reins , dans les luxations ; pour guérir
Téréfipelle & toutes les inflammations . Voici le
paffage entier de Diofcoride, tel qu'on le trouve.
134 MERCURE DE FRANCE.
à la page 148 , chap. 97 de l'édition de Valgrife
, donnée à Venife en 1565. Arundinis
trita radix per fe aut cum bulbis fuis illita ,
fpicula aculeofque corpore extrahit , luxata
lumborumque dolores cum aceto mulcet.
» Virentia folia tufa & impofita ignibus facris
» medentur & ceteris inflammationibus.
30
5
Mathiole eft abfolument du même avis. Le
rofeau , dit- il , échauffe : il deflèche cependant
plus qu'il n'échauffe . Enfin Pline le Naturalifte
, Marcel l'empirique , Galien , Paul d'Egine:
& Celle penfoient abfolument de même.
J'efpere , Monfieur , qu'à l'aide de ce petic
commentaire , vous ne trouverez plus d'obſcu
rité dans le texte de Suétone . Je ne vous confeille
pourtant pas , fi jamais vous avez la
goutte , de vous fetvir du fuc de roſeau ,
comme fit Augufte , quoiqu'en difent tous les
graves auteurs que j'ai cités. Vous trouverez
un remède plus agréable & plus für en lifant
quelqu'ouvrage de poéfie ou de littérature . Je
ne doute pas que l'excellente traduction de
Suétone par M. de la Harpe ne contribuât
beaucoup à vous faire oublier vos douleurs , & à
diffiper l'ennui que caufe un mal incurable &
aufi trifte. J'en juge par le plaifir que j'ai eu
en la lifant , quoique je n'aie pas la goutte.
J'ai l'honneur d'être , & c.
De Versailles, le 15 Décembre 1775
JANVIER . 1772. 185
ANECDOTES.
I.
ALCIRIADE nourri dans les plaifirs & la
moleffe ne concevoit pas qu'il eft plus doux
de vivre , comme les Spartiates , fous la
févérité de bonnes lois qu'à l'ombre des
boccages comme les Sybarites ; auffi , un
jour qu'on faifoit devant lui l'éloge de la
valeur des Spartiates , de quoi s'étonnet-
on , difoit- il , à la vie malheureufe qu'ils
menent ils ne doivent avoir rien de ft
preffe que de mourir.
I I.
Un Gafcon étoit dans un jeu de paulme,
un homme étoit auprès de lui , qui voyant
venir une balle , baifa la tête , de forte
que le Gafcon la reçut , ce qui le mit fi
fort en colere qu'il donna un foufflet à ce .
lui qui s'étoit baiffé , en lui difant ; comment
morbleu , poltron que vous êtes , vous
avez peur.
III.
Philippe IV étant encore Prince d'Ef186
MERCURE DE FRANCE.
pagne avoit obtenu la grace d'un Seigneur
qui avoit commis un grand crime : ce Seigneur
ayant négligé de la faire entériner ,
où il falloit , fut pourfuivi après la mort
de Philippe III , & condamné à avoir la
tête tranchée. Ses parens & fes amis eurent
récours au nouveau Roi , tenant pour affuré
que ce Prince accorderoit volontiers
une grace qu'il avoit lui - même demandée
au Roi fon pere ; mais ils fe trouverent
bien loin de leur compte , lorfque
Philipe IV leur dit : » Meffieurs , tandis
» que j'étois homme privé , j'ai préféré
la compaffion à la rigueur des lois :
maintenant que je fuis Roi je dois la
juftice à mes fujets , & par conféquent
» laiffer punir les criminels ».
I V.
M. le Grand Condé étoit amoureux de
la Duchefe de B ** , qui avoit beaucoup
d'efprit , il fe brouilla avec elle , & lui
dit qu'il étoit entiérement dégagé , & qu il
ne la verroit plus. Quelques jours après il
revint chez elle. Elle en parut furprife.
Le Prince lui dit qu'elle ne devoit point
l'être , qu'il ne l'aimoit plus , & qu'il étoit
libre dans ſa taille ; la Ducheffe le regarda
JANVIER. 1772. 187
quelque tems , & lui répondit ; je vous
trouve cependant un peu engoncé . Ce mot
les raccomomoda .
V.
Voiture paffant par un village d'Efpa
gne, rencontra un Tailleur qu'on menoit
pendre. Les payfans conteftoient avec le
Juge , difant qu'ils ne vouloient pas qu'il
fit pendre leur Tailleur. Le Juge alloit
toujours en les laiffant fe plaidre ; enfin
les payfans lui dirent , nous n'avons qu'un
Tailleur pour faire nos habits , mais nous
avons deux Charrons ; Faites en pendre
un, fi vous voulez, & ils délivrerent le
Tailleur de la potence.
V I.
Deux hommes prirent quérelle dans le
parterre de l'Opéra. Un d'eux qui faifoit
le Seigneur dit à l'autre que , s'il étoit
déhors il lui feroit donner cent coups de
bâton par fes Celui- ci repliqua :
gens .
Monfieur , je ne fuis pas grand Seigneur
& n'ai point de domeftiques ; mais fi vous
voulez prendre la peine defortir d'ici ,j'au.
zai l'honneur de vous les donner moi - même.
188 MERCURE DE FRANCE.
Cours d'hiftoire naturelle & de chymie.
M. Bucquet , Docteur Régent de la Faculté
de Médecine de Paris , commencera un Cours
particulier d'Hiftoire Naturelle & de Chymie le
Mardi 7 Janvier 1772 : il continuera les Mardi ,
Jeudi & Samedi de chaque femaine à la même
heure , en fa maiſon , rue des Foffés - Saint-
Jacques à l'Eftrapade.
Cours de mathématiques.
Le fieur Dupont , Maître de Mathématiques ,
recommencera le 7 de Janvier 1772 , dans fon
Ecole , rue Neuve- Saint -Méderic , fon fecond
Cours d'Arithmétique & d'Algèbre ; il donnera
auffi , trois fois la femaine , la Mécanique de
M. l'Abbé Boffat ; il fait fuivre alternativement
las OEuvres de MM. Camus , Bezoul & l'Abbé
Boffut. Il y a en tout tems chez lui trois Cours
d'Elémens far ces célèbres Auteurs ; favoir ,
d'Arithmétique , de Géométrie & d'Algèbre ,
indépendammant de leurs OEuvres fuivantes ,
qui font la Mécanique , la Dinamique , l'Hidrodinamique
, le Pilotage , &c. qu'il fait fuivre
dans fes Cours. Le fieur Dupont donne les matins
des leçons particulieres fur la Marine , ainfi
que pour les Eleves Militaires , & fur toutes les
parties Mathématiques qui font ' relatives aux
Arts Mécaniques. Les leçons de fon Cours font
tous les jours depuis deux heures l'après midi
JANVIER. 1772.
189
jufqu'à fept heures du foir ; il fe borne à un
certain nombre d'Eleves pour ne point avoir
de confufion ; chaque leçon eft répétée deux
fois , il fait démontrer fes Eleves , & répond
à toutes leurs difficultés . Le prix eft de 12 liv.
par mois , & 16 liv. lorfque l'on y comprend
le Maître de Deffin qui eft un des premiers dans
fon genre pour la Carte & le Paysage ; le fieur
Dupont fait des examens publics pour les Elèves
, où toutes perfonnes peuvent affifter ;
fes leçons d'opérations à la campagne font fans
aucuns frais pour les Elèves. Il prête des inftrumens
à ceux qui font en état d'opérer. Il continue
fon Cours gratuit les Dimanches depuis fept
heures jufqu'à neufheures le matin , & il donne
le même jour un Cours de Géographie Aftronomique
fuivant les principes de MM. Le
Monnier & de Lalande . Ses Elèves ont l'agré
ment de trouver une collection de livres choifis
dans fa bibliothèque qui font relatifs aux Mathématiques
, ainfi que les Mémoires de l'Académie
& des figures eu relief pour l'intelligence
de leurs leçons,
Cours de Phyfique expérimentale,
M. Sigaud de la Fond , Profeffeur de Mathé
matiques , Démonftrateur de Phyfique expérimentale
en l'Univerfité , Membre de plafieurs
Académies , recommencera un Cours de Phyfique
expérimentale , le mardi 7 Janvier à fix
heures du foir , qu'il continuera les Mardi ,
Jeudi & Samedi de chaque femaine à la même
heure. Il prie ceux qui voudront le fuivre , de
vouloir bien le faire infcrire d'ici à ce tems.
199 MERCURE DE FRANCE.
Cours de Cofmographie.
Le fieur de Mornas , Géographe du Roi &
des Enfans de France , & Auteur de l'Atlas hiftorique
& géographique , vient de fe déterminer
de faire un Cours de Cofmographic , c'eſt- àdire
, de Géographie aftronomique , politique
& phyfique . Il l'ouvrira le 3 Janvier par un
Difcours fur le fpectacle de l'Univers , & le
continuera pendant trois mois les Mardi , Jeudi
& Samedi de chaque femaine , les Fêtes
exceptées. Il invite ceux qui auroient envie
d'en profiter , de venir fe faire infcrire chez
lui , rue Saint- Jacques près de Saint-Yves. Il
avertit qu'il pourra en ouvrir un fecond les
Lundis , Mercredis & Vendredis de chaque femaine
, au cas qu'il fe préfente des amateurs.
pour ces jours- là.
A juger d'après l'empreffement du Public à fe
procurer l'Atlas de M. de Mornas , & d'après les
éloges qu'en ont fait MM. les Journaliſtes , on
eft fondé à croire que le Cours que cet Auteur
annonce réunira l'agréable à l'utile , & ne pourra
que picquer la curiofité des Amateurs , s'il développe
les matieres importantes contenues
dans le premier volume de fon Atlas , dans lequel
on trouve tout ce qu'on peut defirer fur
la Terre , l'Eau & le Ciel, & fur les fondemens
de la Chronologie , qui , comme l'on fait , eft
un des yeux de l'Hiftoire. Le fecond , le troifieme
& le quatrieme volumes de cet Atlas nous
préfentent l'hiftoire du genre humain depuis la
Créationjufqu'à l'Ere Chtérienne . C'eſt un Cours
complet d'Histoire ancienne . On y trouve l'oJANVIER.
1772 . 191
tigine de l'Idolâtrie , des Loix , des Gouvernemens
& de tous les anciens peuples. On y détaille
ce qui eft arrivé d'intéreffant au Peuple
Juif, & les traits les plus frappans de l'Hiftoire
profane , & ces événemens font prefque tous
accompagnés d'obſervations curieuſes & impor
tantes. On peut avancer que cet Atlas eft un
Cours complet d'Aftronomie , de Géographie ,
de Chronologie & d'Hiftoire. Il eft compofé de
268 Cartes divifées en 4 volumes ; & , pour en
faciliter l'acquifition , l'Auteur a fait tirer fes
Cartes fur trois papiers différens , grand , moyen
& petit , & c'eft à lui feul qu'il faut s'adreffer
pour l'avoir complet.
On ne peut trop inviter les Peres de famille
à en faire l'acquifition , à caufe des avantages
qu'ils en peuvent retirer pour leurs enfans . C'eſt
d'ailleurs un livre de bibliothèque que l'on peut
confulter , & dont la lecture eft agréable par la
variété des matières , par la clarté , la précifion
& la méthode qu'on y trouve ,
Cours de phyfiologie-pratique , confidérée
comme l'art de perfectionner les facultés
corporelles & Spirituelles de l'homme ;
pour fervir de fuite aux études des écoles,
& d'introduction auxfciences & arts
du monde ; par M. *** docteur en
médecine.
La fcience de l'homme phyfique & moral a été
formée par les obfervations des philofophes moraliftes
& inftituteurs de la jeuneſle ! & ce n'eft
192 MERCURE DE FRANCE.
que depuis que les médecins modernes l'ont perfectionnée
par leurs expériences & par leurs découverres
, qu'on la regarde comme leur appanage
particulier. Dans le plan des études facrées
& profanes de l'antiquité , elle étoit comme le
tronc d'où s'élevoient toutes les fciences & les
beaux arts , qui en recevoient des influences plus
ou moins grandes.
Pour démontrer ce qu'on peut attendre de la
phyfiologic plus parfaite de nos jours , on fe propofe
d'en faire un cours , dans lequel en confidérant
l'homme dans les rapports avec les différens
êtres , on confidérera la phyfiologie dans fes rapports
, avec toutes les fciences & les beaux arts.
Pour aller du fimple au compofé , & du plus
connu au moins connu , on cominencera par traiter
des fenfations & des mouvemens qui font en
même tems les effets & les caufes des fonctions
animales . On remontera enfuite aux fens extérieurs
& intérieurs & aux facultés du mouvement
volontaire , qu'on peut nommer gymnastiques.
Après avoir ainfi expofé le commerce immédiat
& réciproque de l'ame & du corps , on paflera
aux fonctions qui mettent particulièrement le
corps humain en commerce avec les agens extérieurs.
En traitant de la digeftion , de la circulation
des fucs , de la refpiration , de la nutrition
& des fecrétions , on examinera ce qu'elles peuvent
pour le corps & pour l'efprit. On finirá par
les tempéramens , & l'on en examinera les rapports
avec les fonctions corporelles & fpirituelles ;
avec les conceptions & les moeurs ; avec les maladies
du corps & de l'efprit.
Pour rendre ce cours aufli utile qu'on le pourra
faire
JANVIER. 1772. 193
faire on paffera légèrement fur les caufes prochaines
& immédiates des fonctions , parce qu'elles
font prefque toujours hypothétiques ; mais on
s'attachera à celles qui font éloignées , fenfibles,
prefque toujours certaines & dont l'ufage dépend
de la volonté. On ne donnera que le moins qu'il
fera poffible aux recherches métaphysiques &
l'on tâchera de déduire toutes les théories & les
règles , des obfervations & des expériences anatomiques
, chymiques & phyfiques.
:
Sur chaque fonction & opération de l'économie
animale , on en décrira les phénomènes & les différences.
On en rechercherà les caules , les effets
& les indications. On indiquera les moyens capables
de procurer leur perfection & de corriger
leurs vices. Enfin on fera appercevoir l'ufage que
les anciens en ont fait & qu'on en peut faire encore
pour l'étude & la pratique des profeffions
fcientifiques & des beaux arts , & même dans la
vie économique & civile.
Le Public fera averti du tems & du lieu où ce
cours fe fera.
Il paroît chez Guillyn & Lacombe, libraires, un
ouvrage intitulé , Recueils de Mémoires & d'Ob
fervations fur la perfectibilité de l'homme , par les
agens phyfiques & moraux . On délivrera un exemplaire
des trois premiers recueil à chacun de ceux
qui fuivront le cours de Phyfiologie- pratique. Le
premier contient un effai fur l'hiftoire & le renouvellement
de l'art , de l'éducation & de la morale.
Le ſecond contiendra une analyle des perfections
& des vices qui peuvent fe trouver dans chacune
des facultés corporelles & fpirituelles de l'homme.
Le troisième enfin , une analyfe des moyens qui
1. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
peuvent fervirà perfectionner les mêmes facultés
& à en corriger les vices.
On s'adreffera à M. Verdier , docteur en méde
cine , rue Poiffonniere , à la feconde barrière Stę
Anne.
EDITS , ARRÊTS , &C.
EDIT du Roi , donné à Versailles au mois de
Novembre 1771 , regiftré en parlement ; portant
prorogation des deux vingtièmes & de différens
autres droits , & établiffement de deux nouveaux
fous pour livre en fus fur les droits des fermes &
autres.
I I.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois d'Octobre
1771 , regiftré en la cour fouveraine de
Napci , le 22 des mêmes mois & an ; portant créa
tion d'offices dans la cour fouveraine de Nanci,
I I I.
Lettres-patentes du Roi , données à Fontainebleau
le 15 Octobre 1771 , regiſtrées en parle
ment en vacations , le 22 des mêmes mois & an ;
portant fixation des gages des afficiers du conſeil
Tupérieur de Bayeux.
I V.
Lettres patentes du Roi , données à FontaineJANVIER
. 1772. 195
bleau le 17 Octobre 1771 , regiſtrées en parlement
en vacations , le 26 des mêmes mois & an ;
qui permettent aux pourvus d'offices d'huiffiersaudienciers
au fiége de l'Amirauté de Paris , de
continuer l'exercice de leurs fonctions , fous l'inf
pection du parlement , leur vie durant.
V.
Lettres-patentes du Roi , données à Fontainebleau
le 16 Octobre 1771 , regiſtrées en vacations
le 24 des mêmes mois & an ; qui ordonnent
que le bailliage de Breteuil en Normandie reflor
tira à l'avenir au parlement de Paris.
V I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 15 Décembre
1771 ; qui règle la perception des différens
fous pour livre fur les droits dûs aux entrées de
la ville , faubourgs & baniieue de Paris.
VII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 15 Dècembre
1771 ; qui exempte les droits fur le blé & la
farine , établis pour la conftruction de la Gare &
Halle de Paris , des fous pour livre , dont la perception
eft ordonnée par l'édit du mois de Novembre
1771 : Et ordonne qu'il fera compté à
l'Adjudicataire des Fermes des huit fous pour li- .
vre qui feront perçus au profit de Sa Majeſté , en
fus des autres droits établis par les lettres - patentes
duas Novembre 1762.
I ij
196 MERCURE
DE FRANCE.
VIII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du Décembre
1771 ; qui commet l'Adjudicataire des Ferines
pour faire la perception & recouvrement des
différens fous pour livre , perceptibles en exécution
de l'édit du mois de Novembre 1771 , tant
fur les droits faifant partie de fon bail , que fur
ceux d'octroi & autres défignés en l'article VI de
la Déclaration du 3 Février 1760.
I X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , durs Décembre
1771 ; qui modère à deux fous pour livre
feulement , les huit fous pour livre , perceptibles
en exécution de l'édit du mois de Novembre 177 ,
en fus du principal du droit fur les cuirs .
X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 16 Q &tobre
1771 ; portant règlement pour lala perception
du droit fur l'amidon.
X I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 15 Décembre
1771 ; qui règle la perception des fous pour
livre , en exécution de l'édit du mois de Novembre
1771 , en fus des droits du Don gratuit des
villes & bourgs , & autres , dont la prorogation
eft ordonnée par l'article IV dudit édit .
JANVIER. 1772. 197
X I I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 24 Novembre
1771 ; qui modère à 20 livres par quintal
, le droit de 60 liv. impofé fur tous les livres
venans de l'Etranger.
XIII.
Arrêt de la cour des monnoies , du 12 Novembre
1771 ; qui cafle & annulle une ordonnance
rendue par le Prevôt général des Monnoies au
département de Lyon , & lui fait défenfes d'en
rendre àl'avenir de pareilles.
XI V.
Arrêt de la cour des Monnoies, du 29 Novembre
1771 ; qui condamne Marie - Catherine Dumay
, femme de Charles Antoine , en cinq cents
livres d'amende , pour avoir expofé des liards de
fabrique étrangère, dits Stubers.
X V.
Arrêt de la cour des monnoies , du 27 Novembre
1771 ; qui fait défenſes à tous Juifs ,Colporteurs
, &c. de vendre , acheter , troquer ou dé
biter aucuns ouvrages , bijoux , vaiflelles ou
marchandiſes d'or & d'argent , fans y être autorifés
par des permiffions particulières , dûment enregiſtrées
en ladite cour.
I iv
198 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
LE Sieur Maille , feul Vinaigrier ordinaire du
Roi & de Leurs Majeflés Impériales , nommé par
Sa Majesté après la mort du Sr le Comte , voulant
donner des preuves de fon zèle pour le bien pu
blic , & fe rendre de plus en plus digne de la grace
dont le Roi a bien voulu l'honorer , en le nommant
fon vinaigrier ordinaire , a commencé de
puis le 4 du mois de Novembre dernier à diftribuer
gratis aux pauvres fa moutarde pour les engelures
. Il avertit que cette diftribution fe fera
tous les dimanches , depuis huit heures jufqu'à
midi , jufques & compris le dernier dimanche du
mois d'Avril prochain. Il a choifi le dimanche par
préférence à tout autre jour , afin que les pauvres
ouvriers ne le dérangent point de leurs occupations.
L'on trouve dans fon magafin, généralement tou
tes fortes de vinaigre , au nombre de 200 fortes ,
Loit pour la table , les bains & la toilette , tels que
le vinaigre de rouge pour les Dames , qui a la
commodité de ne point difparoître lorfqu'on s'effuie
, ce qui eft très-agréable pour les perfonnes
qui vont au bal. Il imite les couleurs naturelles à
tromper la vue. Ce vinaigre s'emploie également
fur les lévres , & leur donne une couleur vermeille
& empêche qu'elles ne fe gerfent pas le froid :
le vinaigre romain qui blanchit les dents , arrête
les progrès de la carie , & les raffermit dans leurs
JANVIER. 1972 :
alvéoles. Le vinaigre de Turbie qui en guérit
radicalement la douleur. Le vinaigre de ſtorag
qui blanchit la peau , & empêche qu'elle ne fe ri
de. Le vinaigre de fleurs de citrons pour les bou
tons. Le vinaigre d'écaille pour les dartres. Le vi
naigre royal, pour la brûlure. Le vinaigre admira
ble & fans pareil. Le vinaigre rafraîchiffant à l'u
fage de la garderobe , pour les perfonnes ſujettes
aux hémorrhoïdes. Le vinaigre de Vénus , pour les
vapeurs ; & le véritable vinaigre des quatre Voleurs
, préfervatif de tout air contagieux ; & différentes
moutardes , telles que celles aux capres
& aux enchois par extrait d'herbes fines , à 1 liv.
le moindre pot , & celle pour les engelures , à 1 liv.
ro fols. Tous les différens vinaigres , foit pour le
rouge , les dents & le vifage , font de 3 liv. ies
moindres bouteilles. Les perfonnes de province
qui voudront le procurer ces différentes espèces
de moutardes ou vinaigres , écrivant une lettre
d'avis & envoyant l'argent , le toutfranc deport ,
on leur fera tenir exactement les vinaigres ou
moutardes , avec la façon de s'en fervir.
Toutes les bouteilles & les pots font garnis d'un
étiquette aux armes du Roi & de Leurs Majeſtés
Impériales , & cachetées d'un cachet aux armes
du Roi : Cette précaution eft prife pour éviter
toute furpriſe de la part de différens particuliers
qui fe mêlent de contrefaire ces différentes fortes
de vinaigres. Toutes ces espèces de vinaigres peu
ventfe transporter par mer avec la même bonté.
La demeure du Sr Maille eft rue St André des
arcs , la porte cochère qui faitface à la rue Haute
Feuille.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
I L
Le Sr Ravoifé , marchand , rue des Lombards ,
au fidèle Berger, a fait exécuter de nouvelles pièces
de méchanique qui peuvent être placées fur les
cheminées des appartemens.
On trouve dans fon magafin de petits théâtrés
deftinés à fervir de furtout dans les deflerts &
dont les figures rendent des fcènes connues & intéreflantes.
Ces furtous peuvent être accompagnés
d'affiettes montées en compartimens qui portent
des grouppes d'amours avec des allégories.
Il a auffi de jolies corbeilles à bombon pour les
toilettes , des caves garnies de pommades & d'odeurs
d'Italie , des livres & almanacs qui renferment
différens jeux , des boîtes à bombon de toute
efpèce.
Il vend des ratafiats , des liqueurs des Ifles &
des bombons nouveaux ; du rach en paſtille , dont
on fait fur le champ du punch.
Il a travaillé, en nouvelle pâte d'office , des fruits,
dès légumes & autres comestibles , qui font illufion
; chaque pièce contient , foit un fac à ouvra
ge , foit un éventail , foit des bijoux .
Il a auffi de nouvelles croquignoles aux avelines
& aux oranges de Malthe .
En un mot fon magafin eft fi varié qu'il n'eſt
guère poffible d'entrer dans les différens détails des.
chofes utiles & agréables dont il eſt rempli.
I I I.
Le Sieur Obry , marchand épicier - droguifte ,
rue Dauphine , au magafin d'Angleterre , vis à - vis
JANVIER . 1772. 201
la botte d'or , continue de vendre avec fuccès différens
remèdes qu'il tire des Chymiftes Anglois ,
très -approuvés de M. le Doyen de la faculté de
médecine , & avec permiffion de M. le Lieutenant-
Général de police : Sçavoir ;
Les emplâtres écoflois pour guérir & déraciner
toutes fortes de cors ; ces emplâtres ſe vendent
30 f. la boîte.
Les taffetas d'Angleterre , noir & blanc , pour
les coupures & brûlures , 20 f. la pièce .
Les tablettes pectorales du Sieur Archebald
pour le rhume , 24 f. la boîte.
L'eau de perle du Sieur Dubois , pour blanchir
la peau , 40 f. la bouteille.
Les teintures pour blanchir les dents & en guérir
le mal , 24 f. la bouteille.
L'eflence volatile d'ambre gris pour lesvapeurs
& maux de tête , 40 l . le flâcon .
L'élixir de Stougthon d'Angleterre , pour les
maux d'estomach , 24 f. la bouteille.
La véritable cau de Cologne , à 36 1. la bouteille.
Le véritable élixir de Garrhus , fi connu depuis
long-tems pour les rares vertus ; il y a des bouteilles
de 3 , 6 & 12 liv.
Il vend auffi la fleur de moutarde d'Angleterre,
que l'on prépare foi - même pour la table & qui eſt
d'un ulage très - fréquent en médecine ; c'eſt la
meilleure que l'on connoiffe encore en France pour
la délicatele de la fanté ; le flâcon ſe vend 20 l.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg , le 30 Octobre 1771 .
LA pefte continue de fe répandre dans les provinces
intérieures de cet empire . Elle a gagné les
Districts de Wologda & de Wiodomir , & l'on
prétend qu'elle vient de le manifefter auffi à Novogrod.
On a envoyé le Sieur Glebow à Moskow,
avec des inftructions générales , pour y prendre ,
fous la direction du comte Orlow , les mefures les
plus propres à empêcher les progrès ultérieurs de
ce fléau & pour fauver les manufactures qui ont
été établies , à grands frais , dans cette ville.
De Berlin , le 30 Novembre 1771 .
La nouvelle qu'on avoit répandue de la défaite
'des Turcs au-delà du Danube paroît fe confirmer.
On n'a cependant encore aucun détail fur ce grand
événement Le fait eflentiel , dont on ne doute
point, c'eft la prife de Giurgewo par les Ruffes.
De Dantzick, le 23 Novembre 1771 .
Il est arrivé ici , depuis un mois , une trèsgrande
quantité de grains , par la Viftule.
On craint que la ville ne foit obligée de loger
les troupes Pruffiennes , fur fon territoire , pendant
J'hiver.
La nouvelle de la reprise de Giurgewo par les
Ruffes , fous les ordres du général Ellen , ne patoît
plus douteuse,
JANVIER . 1772. 203
De Vienne , le 27 Novembre 1771 .
On continue de faire , dans nos magaſins , de
grands amas de grains pour les tranſporter en
Bohême. Ceux que l'Empereur a fait acheter en
Hongrie afurent la fubfiftance des troupes juf
qu'à la récolte prochaine.
De Barcelone , le 9 Novembre 1771.
On a reflenti ici , avant hier , vers les fept
heures & un quart du foir , un tremblement de
terre , qui a duré cinq à fix fecondes . Les fecoufles
ont été verticales ; elles n'ont heureuſement caufé
aucun dommage.
De Naples , le 23 Novembre 1771.
Le Colonel Brown a eu l'honneur de notifier à
Leurs Majeſtés , de la part de l'Empereur & de
l'Impératrice - Reine , le mariage de l'Archiduc
Ferdinand avec la Princefle Marie Béatrix d'Eft.
De la Haye , le 10 Décembre 1771;
Suivant des lettres de Petersbourg , la pefte
continue toujours à Moskow , mais elle ne fait
pas des progrès fenfibles au-dehors. On apprend ,
par les mêmes lettres , que deux cents foixantedix
perfonnes , qui étoient exilées depuis plufieurs
années , en Sibérie , en ont été rappellées.
De Londres , le 10 Décembre 1771.
Suivant une lettre de Carlifle , les pluies violentes
qui font tombées depuis peu dans ce pays
y ont fait des ravages terribles ; mais rien n'eft
auffi furprenant que ce qui eft arrivé à Solway-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Mofs , fur les frontières d'Ecoffe , à dix milles de
cette ville. Une grande croute de terre , d'environ
quatre cens acres d'étendue & toute couverte de
moufle , s'eft d'abord gonflée par l'inondation &
s'eft élevée enfuite à une telle hauteur au deflus
de fon niveau , qu'à la fin elle s'eft détachée , & ,
roulant comme un torrent , elle a entraîné , dans
l'efpace d'un mille , les arbres les maifons.
E le s'eft enfuite divifée en différentes ifles qui
portoient depuis un pied d'épaifleur jufqu'à dix ,
& fur lefquelles on voyoit des liévres , des oifeaux
de rivière & d'autres animaux. Ces mafles
de terre , entraînées par les eaux , ont décruit plus
de trente hameaux & ont englouti un nombre
prodigieux de beftiaux . On a de grandes inquié
tudes fur le fort d'une famille entiere , dont on
n'a pas de nouvelles depuis cet événement.
De Marfeille, le 11 Décembre 1771 .
'Extrait d'une lettre du capitaine Roux , écrite
de Metelin (l'lfle de Lesbos ) le 15 Novembre
1771.
ם כ
« J'avois mon chargement , le 4 Novembre , &
ɔɔje n'ai pu mettre à la voile que le 15. Trois
jours avant mon départ , les Rufles ont paru
avec lept vaiffeaux de guerre & quatre - vingt
» bâtimens de tranfport . Ils ont débarqué vis - a-
» vis de la ville à laquelle ils ont mis le feu, ainfi
qu'aux magafins d'huile , après avoir taillé en
pièces les Turcs qui ont voulu s'opposer à la
defcente , & dont le reste a pris la fuite. Le Pa
cha s'eft retiré dans le château où il a fait trancher
la tête à l'Evêque & aux Primats des Grecs
»qu'il tenoit en ôtage. Les Rufles ont brûlé deux
JANVIER . 1772. 205
»vaiffeaux du Grand Seigneur , qui étoient fur le
chantier , & tous les bois de conftruction . Ils
»travailloient à mettre à la mer un troisième vaif-
» kau qui étoit prêt à être lancé . J'ai vu du Port
»Olivier, où j'étois mouillé , l'incendie de la
ville , pendant un jour & une nuit. »
33
De Verfailles , le 14 Décembre 1771 .
Le Roi a difpofé du gouvernement de la ville
de la Rochelle , vacant par la démiffion du maréchal
duc de Briffac , en faveur du Prince de Mont.
morency , maréchal de camp .
De Paris , le 13 Décembre 1771 .
La chambre des Comtes du Dauphiné & le par
lement de la même province ont fait leur rentrée ,
le mois dernier , avec les formalités ordinaires.
Le Comte de Montbarey , capitaine - colonel
de la compagnie des Suiffes de la Garde du Corps
de Mgr le Comte de Provence & les officiers de
cette compagnie ont fait chanter , les de ce
mois , dans l'églife royale & paroiffiale de Paffy ,
un Te Deum , en actions de graces du parfait rétabliffement
de Madame la Comtefle de Provence.
L'Académie Françoife a élu , le 23 du mois dernier
, le Sr de Belloi , à la place du feu Comte de
Clermont , Prince du Sang.
L'Académie Royale des Inferiptions & Belles-
Lettres a élu , le 3 de ce mois , affocié- ordinaire,
à la place de feu l'Abbé Mignor, le Sr Deformeaux,
& affocié libre , le Sr Fevret de Fontette.
206 MERCURE DE FRANCE.
Du 16 Décembre.
On mande de Pont- l'Evêque , ville de la géné
ralité de Rouen , que , le 12 du mois dernier, à
uatre heures & demie du matin , plufieurs parti
culiers , allant de cette ville au marché du bourg
de Beuzeville , ont vu un globe de feu , d'environ
un pied de diametre , qui s'eft détaché du Ciel , &
qui eft tombé , fans explofion , aflez près d'eux.
NOMINATIONS.
Le Roi a nommé à l'évêché d'Acqs l'Abbé de la
Neufville, vicaire- général du diocèle de Bordeaux.
& vifiteur général des Carmelites de France . Sa
Majefté a accordé en même- tems l'abbaye regulière
de Bouillas , ordre de Citeaux , diocèfe
d'Auch , à Dom Pellegrin , religieux du même
ordre.
Le Marquis de Pont , maréchal des camps &
armées du Roi , vient d'être nommé miniftre
plénipotentiaire de Sa Majefté à la Cour de BerÎin.
Il a eu , le 24 Novembre , l'honneur de faire
fes remercimens au Roi , à qui il a été préfenté
par le duc d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état
ayant le département des affaires étrangères...
Le Duc de Laval a eu l'honneur de prêter ferment
entre les mains du Roi , le premier Décembre,
pour le gouvernement du Pays d'Aunis, dont
Sa Majefté l'a pourvû.
Le Roi a nommé le Comte de Nozières , ma
réchal des camps & armées de Sa Majesté , commendant
général des Inles du Vent , & le Sieur
Tascher, intendant des mêmes Ifles. Ils ont eu
JANVIER. 1772. 207
l'honneur de faire leurs remercimens à Sa Majefté,
à laquelle ils ont été préfentés par le Sieur de
Boynes , fecrétaire d'état ayant le département de
la Marine.
Le Sieur de Durey de Noinville , capitaine au
régiment de Bourgogne , cavalerie , a eu l'hon
neur de prêter ferment entre les mains de Sa Majefté
, le 9 Décembre , pour la lieutenance- générale
de la province du Verdunois.
Le Roi a nommé à l'évêché de Valence l'Abbé
de Grave , vicaire - général de Saintes , & à celui
du Périgueux , l'Abbé de Rougé , vicaire général
de Séez.
Le Sieur Maillart de Mefle , commiflaire général
de la Marine, ci- devant ordonnateur à Cayenne
,nommé par Sa Majesté pour remplir les fonctions
d'intendant aux Ifles de France & de Bourbon,
a auffi eu l'honneur de prendre congé du Roi,
ce même jour , pour ſe rendre à fa deſtination.
PRESENTATIONS.
Le Vicomte de Choifeul , ci - devant ambaffadeur
extraordinaire de Sa Majefté auprès du Roi
des Deux - Siciles , eft arrivé à Verſailles , le 24
Novembre. Il a eu l'honneur d'être préſenté au
Roi , le même jour par le duc d'Aiguillon.
Le Chevalier de Ternay , commandant-général
des Ifles de France & de Bourbon , a pris congé
de Sa Majesté pour le rendre à la deftination . Ila
été préfenté au Roi par le Sieur de Boynes , fecrétaire
d'état ayant le département de la Marine.
La Marquife de Fraigne a eu l'honneur d'être
préfentée au Roi , le 24 Novembre , par la com
208 MERCURE DE FRANCE.
teffe de Narbonne , Dame d'Atours de Madame
Adelaïde.
Le premier Décembre , le Marquis de Clauſon→
net , miniftre plénipotentiaire du Roi auprès du
Duc de Wirtemberg & du Cercle de Suabe , a eu
P'honneur de prendre congé de Sa Majefté , ainfi
que de la Famille Royale , pour le rendre à fa
deftination . Il a été préfenté au Roi par le Duc,
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant le
département des affaires étrangères .
La Maréchale d'Armentières a eu l'honneur d'ê
tre préfentée au Roi , ainfi qu'à la Famille Roya
le , le premier Décembre , par la marquise de
Conflans.
Le Vicomte de Béarn , enfeigne des vaifleaux du
Roi , a eu , le 9 Décembre , l'honneur d'être préfenté
au Roi & à la Famille Royale , par le duc,
de Duras , premier gentilhomme de la chambre
de Sa Majesté .
La Baronne de Mackau , fous - gouvernante des
Enfans de France , a eu l'honneur d'être présentée.
à Sa Majefté , ainfi qu'à la Famille Royale , le même
jour, par la marquife de Paulmy.
Le Comte de Nozières , commandant général
des Ifles du Vent , ainfi que le Sieur Tascher , intendant
de cette colonie , ont eu l'honneur de
prendre congé du Roi , le 15 de ce mois , pour fe
rendre à leur destination. Ils ont été préfentés à Sa
Majefté par le Sieur de Boynes , ſecrétaire d'état
au département de la Marine.
JANVIER. 1772 . 209
La Vicomtefle de Breteuil a eu l'honneur d'être
préfentée à Sa Majefté , ainfi qu'à la Famille Royale
, le 15 de ce mois , par la vicomtefle de Pons .
Le Chevalier de Grave a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi & à la Famille Royale , ces jours
derniers.
Le Comte de Quemadeuc , capitaine de cavalerie
au régiment de la Reine , a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi & à la Famille Royale .
Le Vicomte de la Chaftre a eu dernièrement
l'honneur d'être préfenté au Roi.
MARIAGES.
Sa Majesté , ainfi que la Famille Royale , a
figué , le premier Décembre , le contrat de mariage
du Sr de Chabert , capitaine des vailleaux du
Roi , avec Demoiſelle Tascher.
NAISSANCES.
le 19
On mande de St Malo , que du mois dernier
, Jeanne Gofle , feume de Touflaint Quintin,
journalier , eft accouchée d'un garçon & d'une
fille , & le lendemain d'un autre garçon , & que
ces trois enfans , qui font de groffeur & de grandeur
ordinaire , vivent & fe portent bien.
210 MERCURE DE FRANCE:
MORTS.
Le Chevalier de Drée de la Sertèe , maréchal
des camps & armées du Roi , commandeur de
l'Ordre royale & militaire de St Louis , lieutenant
de Roi de la ville de Metz , y eft mort , le 19
Novembre , dans la foixante - douzième année de
fon âge.
On mande d'Egens , dans la Frife Orientale ,
au Cercle de Weftphalie , qu'il vient d'y mourir
une femme âgée de quatre-vingt-cinq ans , qui a
eu , depuis l'âge de dix - fept ans , où elle s'eft mariée
, dix fept enfans , vingt- neuf petits enfans &
dix-fept arrière petits - enfans ; ce qui forme une
famille de foixante- trois perfonnes . Il en exifte
encore cinquante- quatre.
Jean-Charles de Machico de Premeaux , évêque
de Périgueux , eft mort en ſon évêché , le 28 du
mois de Novembre.
Alexandre Milon , évêque comte de Valence ,
prince de Soyon , abbé commendataire des abbayes
de Léoncel , ordre de Citeaux , diocèle de
Valence & de St Benoît - fur - Loire , ordre de St
Benoît , congrégation de St Maur , diocèse d'Or
léans , eft mort en cette dernière abbaye , le 18
Novembre , âgé de quatre-vingt- trois ans.
On écrit de Valogne que le nommé Jean François
Baudry y eft mort , dans le mois d'Octobre
dernier , agé de cent quatre à cent cinq ans. Ce
particulier n'avoit celé de travailler qu'à l'âge de
quatre vingt-dix - huit ans , tems auquel un accident
l'avoit obligé de garder le lit. Il avoit à ſa
JANVIE R. 1772 211
mort l'efprit encore auffi ferme & auffi fain que
dans fa jeuneffe.
André Eléonor - George de Jacques de la Borde ;
chevalier de l'Ordre royal & militaire de St Louis,
ancien mestre de camp de cavalerie , eft mort à
Angers , le 10 Novembre dernier , dans fa quatrevingt-
fixième année.
Auguftin Belley , prêtre , licentié en théologie,
bibliothécaire ordinaire & interprête du Duc d'Or
léans , penfionnaire de l'acedémie royale des inf
criptions & belles letrres , eft mort , le 26 du
même mois , dans la foixante quinzième année
de fon âge.
·
•
Charles-Anne de la Badie de Grafinier eft mort ,
à la terre en Lorraine , âgé de cent cinq ans. Il
n'avoit jamais été malade.
Gilles - George Gerard , ancien Curé de Bertecourt
, diocèse de Beauvais , vient de mourir dans
fa quatre - vingt - douzième année . Il laiffe une
four, âgée de quatre- vingt- quatorze ans, un frère
de 88, & un autre foeur de 86. Sa fervante , qui vit
encore , âgée de foixante quinze ans , le fervoit
depuis cinquante neufans.
·
Il vient de mourir , à Stockholm , un particulier
âgé de cent dix fept ans & trois mois.
Il n'avoit jamais eu de maladie . Il laifle un fils
âgé de quatre-vingt- treize ans.
François Victor Marquis de Breteuil , ancien
officier de Gendarmerie , eft mort à Dourlens en
Picardie , le 4 de ce mois , âgé de quarante - cinq
ans.
René Edouard Colbert , Marquis de Maulé
·
212 MERCURE DE FRANCE .
vrier , eft mort au château d'Everly en Brie ,
Octobre dernier.
le 19
Frere Roch Henri Chafteigner de Rouvre ,
chevalier de l'Ordre de Saint -Jean de Jérufalem
, fous- lieutenant des Carabiniers , fils de
meffire Jean- Henri , marquis Chaſteigner de
Rouvre , ancien capitaine de cavalerie , chevalier
de l'Ordre Militaire de Saint Louis , commandant
de la nobleffe du haut Poitou à l'affemblée
de Saint-Jean d'Angely en 1758 , & de
dame Marie-Armande-Eléonor Chafteigner de
Saint-George de même nom , fon épouſe , eſt
mort au château de Touffue en Poitou , près
Poitiers , le 13 Octobre 1771 , âgé de vingt- un
an , huit mois , quelques jours , étant né le 22
Février 1750 ; il étoit frere de M. le comte,
Chafteigner , enfeigne des Gendarmes de la
Reine , du chevalier Chafteigner , officier de
dragons au régiment de la Rochefoucault , &
du chevalier Chaſteigner , auffi chevalier de
Malthe & garde de la Marine , & de quatre filles
dont une religieufe & une mariée.
Il refte plufieurs branches de la maifon des
Chafteigner , toutes forties de Thibault Chafteigner
, feigneur de la Chafteigneraye , qui
vivoit és années 1140 & 1160 ; celles de Leneffue
de Rouvre en Poitou ; celle du Lindois
en Engoumois ; celle de Chafteigner de Sainte-
Foi en Agenois , dont eft M. l'évêque de Saintes
; qui ont toutes fourni des hommes illuftres
dans l'état militaire & Eccléfiaftique , &
ont des alliances avec les maifons de Bourbon,
de Montmorency , Chaftillon , Rochechouard ,
JANVIER. 1772. 213
Betune , Chabot , Rohan , Voyer , Turpin ,
Merinville & autres . Voyez du Chêne & autres
auteurs.
LOTERIES.
Le cent trentième tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eft fait , le 25 Novembre , en la maniere
accoutumée. Le lot de cinquante mille livres eft
échu au No. 64397. Celui de vingt mille livres au
No. 67148 , & les deux de dix mille aux numéros
68945 & 71563.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire.
s'eft fait les Décembre. Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 47 , 16 , 90 , 39 , 44. Le prochain
tirage fe fera le 4 Janvier 1772.
FAUTES effentielles à corriger.
PAGE AGE 70 , au lieu de ces vers ,
Sa robufte jeuneffe à l'air virile & mâle ,
Et fes vives couleurs éclatent fous le hâle.
lifez,
Plus robuſte , plus mûr , plus fécond que fon frère,'
Il difpenfe aux humains les bienfaits de la terre.
Mêmepage , au lieu du vers ,
Les faifons , dans leurs cours , changent auffi les
hommes.
lifez,
Ainfi que les faifons on voit changer les hommes.
214
MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages PIECES
L'Hiver , imitation de Pope ,
Alcippe , imitation libre de l'Aftrée ,
Le Jugement de Pâris ,
Vers à Madame de Sombreuil ,
L'heureux Mariage ,
Epigrammes ,
La Femme compâtiffante ,
Comparaifon des quatre Saifons ,
ibid.
13
36
42
45
68
69
ibid.
Explication des Enigmes & Logogryphes , 72
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Hiftoire générale des infectes ,
Education de la Jeunefle , avec des notes ,
Analyfe des Conciles ,
Elemens du fyftême général du Monde ,
Réſultat des expériences fur les bêtes voraces
,
Les Graces & Pfyché ,
Lettres de M. *** , à Madame la Duchefle
de ***
Dictionnaire du diagnoſtic ,
Art militaire des Chinois ,
73
76
79
$4
85
99
92
95
97
104
105
197
JANVIER . 1772 .
215
Catalogue des eftampes , 121
Nouveau dictionnaire hiftorique , 124
Vocabulaire françois , 125
Lettres de M. Defp . de B ** , 127
Galerie poétique , 139
Métamorphofes d'Ovide ;
138
Dictionnaire hiftorique d'Education , 134
Almanach encyclopédique de France, 138
Réponse à un Ecrit anonyme , 140
Nouvel Almanach encyclopédique, 141
Almanach chronologique des Rois de France
,
ibid.
Le bon Jardinier , ibid.
Etrennes d'un père à fes enfans , 142
Etrennes intéreflantes pour la Jeuneſſe , ibid,
Les Etrennes de l'Amitié , 143
Etat militaire de France , ibid.
Les libertés de l'Eglife Gallicane , &c. ibid.
ACADÉMIES , 145
SPECTACLES
150
Opéra ,
ISI
Comédie françoife , 156
Comédie italienne , 157
Spectacle méchanique d'Automates , 163
Détail des prix de l'Ecole royale ,
Eloge de M. Trial ,
Vers de M. N... à M. de St Aubin ,
Yers à Mademoiſelle Durancy ,
173
174
164
168
216 MERCURE DE FRANCE .
Adieux de Ml'Abbé Ch. Pepin à fa perruque, ibid
Impromptu à Madame le F **
ARTS , Gravure ,
Mufique ,
175
ibid.
17.8
Lettre de M. J. J. R. à un jeune homme, &c. 189
Lettre de M. Laflus , fur Suétone ,
Anecdotes ,
182
185
Cours d'hiftoire naturelle & de chymie , & c. 188
Edits , arrêts , &c,
Avis ,
Nouvelles politiques ,
Nominations , Préfentations , Mariages ,
Naiflances,
Morts ,
Loteries ,
194
198
202
206
210
213
APPROBATIO N.
JAT lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
premier volume du Mercure du mois de Janvier
1772 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir
en empêcher l'impreflion .
A Paris , le 30 Décembre 1771 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JANVIER
, 1772.
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget . VIRGILE .
li.
A PARIS ,
1 Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris , rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port ,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, cftampes & piéces de mufique .
>
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv !
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas fouferit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On fupplic Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
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On trouve auffi chez le même Libraire
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par an à Paris.
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de chaque femaine , & qui donne la notice
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nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv. 16 f.
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paroît deux feuilles par femaine , port franc
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GAZETTE POLITIQUE des DEUX - PONTS , dont il
paroît deux feuilles par femaine ; on foulcrit
à PARIS , au bureau général des gazettes étran◄
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desSciences morales & politiques.in- 12
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LE SPECTATEUR FRANÇOIS , 15 cahiers par an ,
à Paris ,
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9 liv.
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HISTOIRE de l'Ordre du St Eſprit , par
M. de St Foix , le 2º. vol . br. 21.
Les douze Céfars de Suétone , traduits par
M. de la Harpe , 2 vol. in - 8 °. brochés 8 1.
L'Ecole Dramatique de l'Homme , in - 8 °.
broch. 31. 10 f
Hiftoire des Philofophes anciens , avec leurs
Portraits , 2 vol. in - 12 . br.
Diet. Lyrique , 2 vol br.
Supplément du Dict. Lyrique , 2 vol. br.
Recueil lyrique d'airs italiens ,
s liv.
Is 1.
15 l.
31.
1.
de
141.
Monumens érigés en France à la gloire
Louis XV, &c . in- fol. avec planches ,
rel. en carton ,
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in- 4°. avec figures, rel. en
carton ,
12 1.
'Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol . in-8°. gr. format rel.
Les Caracteres modernes , 2 vol . br.
201.
31 .
Maximes deguerre du C. de Kevenhuller , 1 1. 10 f.
Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in-8°. rel .
Dift. de Morale , 2 in- 8 ° . rel.
GRAVURES.
71.
91.
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Van-
241.
loo ,
Deux
grands
Paysages
, d'après
Diétrici
, 12 l .
Le
Roi
de la Féve
, d'après
Jordans
,
41.
Le
Jugement
de
Pâris
,
d'après
le
Trevifain
,
Deux grands Payfages , d'après M. Vernet
Il. f16.
12h
www
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
1
T
DISCOURS de Brutus aux Romains ,
traduit d'une tragédie de Sachefpéar ,
célèbre Poëte Anglois.
BRUTUS aux Romains , après avoir
tué Céfar.
ROMOMAAIINNS qui m'écoutez , s'il en eft entre vous
Qui condamne l'effort d'un généreux courroux ,
S'il en eft de Céfar qui regrette la cendre ,
Qu'il vienne m'accufer , je fuis prêt à l'entendre.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
J'ai moi- même prifé l'amitié de Céfar ,
Dans fon fein cependant j'enfonçai le poignard.
Brutus vit Rome au joug lâchement aflervie ,
Brutus courut venger l'honneur de la patrie.
Qui pourroit voir Célar , par de honteux liens ,
A fon char de triomphe enchaîner les Romains;
Voir la fuperbe Rome indignement flétrie ,
Plutôt que d'un perfide exterminer la vie.
Laiflez tomber vos fers , & maîtres des humains ,
N'allez pas confier à d'autres , vos deftins.
De Céfar & de moi l'amitié pure & tendre
Veut que je donne ici des larmes à ſa cendre ,
Son bonheur au- deffus du fort & des revers
Enchaîna les Romains & foumit l'univers.
A fes heureux exploits je rends un jufte hommage
,
Je refpectai toujours , j'honorai fon courage ;
Mais fon ambition , l'excès de fa fierté
A terminéle cours de fa profpérité.
Si quelque ame contraire à la vertu Romaine
Au lieu de m'applaudir me réferve fa haine ,
Qu'il vienne m'accufer à la face des dieux ,
S'il l'ofe , de punir un tyran odieux.
Qu'il approche c'eſt lui , c'est lui que je déclare
D'un cruel oppreffeur le miniftre barbare.
LE CHUR.
Il n'eft point de Romain qui , d'un efprit rampant
,
JANVIER . 1772.
7
Brutus , veuille infulter à ton bras triomphant.
Il n'en eft point , Brutus , qui regrette ce traîtref
BRUTUS.
Rome , je t'ai vengée en poignardant ton maître.
Mais je vois de Célar le corps pâle & ſanglant
Qui jufques au trépas porte un front menaçant ,'
Antoine , dans ces lieux , à fon ombre va rendre
Les funèbres honneurs qu'elle a droit de préten
dre ;
Lui qui , de fes deffcias complice & l'inftrument
Veut recueillir le fruit d'un jufte châtiment.
Goulez , Romains , rendus déformais à vous .
mêmes ,
La douceur de donner , d'ôter les diadèmes.
J'ai tué dans ce jour mon plus fidele ami ,
Il étoit trop coupable , il vous avoit trahi.
Je garde ce poignard , pour moi , quand la pattie
Oubliant mes bienfaits demandera ma vie.
LE CHE V R.
O généreux Brutus , dont la jufte fureur
Nous épargne du joug l'infâmie & l'horreur ,
Daigne vivre entre nous pour nous fervir de père ;
A tes concitoyens ta gloire eft toujours chère.
Par M. D... L...
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
SUR la mort d'une Epoufe.
ODE traduite de M. Haller , poëte
Allemand.
DANS ANS ce funefte jour , fi ta paifible cendre ,
Chère épouſe , l'objet de mes vives douleurs ,
Avec ce nom garant d'un amour pur & tendre
Ne dédaigne mes pleurs;
Comme l'aftre du jour dans fa noble carrière ,
Répand par tout les feux de fa vive clarté ,
Daigne verfer fur moi des raïons de lumière
Du féjour enchanté.
Oui , je fçais que ton ame , au fein de l'allégrefle ,
Sé repaît maintenant de plaifirs immortels ,
Tandis que ton époux a pour lot la triſteſle
Et les chagrins cruels .
On ofe m'inviter par des accens profanes
A chercher mon repos & de nouveaux plaifirs ,
En offenfant mon coeur on outrage tes mânes ,
On accroît mes foupirs.
Fidèle Elife , en vain veut- on tarir la fource ,
Des pleurs que fur ta tombe a verfé mon amour.
Le malheureux inftant qui termine ta courfe
Ya m'arracher le jour.
JANVIER. 1772 .
Vers toi , de mes fanglots que la voix retentiffe
Et t'annonce l'excès de mes noirs déplaifirs .
Sur les bords ténébreux que ton ombre gémiffe
Entendant mes foupirs.
Infenfibles mortels , loin de blâmer mes larmes ,
Vous gémiriez , témoins de mon fort rigoureux ,
Si vos coeurs infenfés fçavoient prifer les charmes
D'un amour généreux ;
Les tendres agrémens lui donnent la naiflance ,
Redoutable rival d'un penchant criminel ,
Les graces , les vertus affurent la puiflance
Et le font éternel.
L'ardeur de mon amour diffipoit ma triſtefle ,
Etouffoit dans mon fein la voix de la douleur ;
Mon amour confiftoit à chérir ta tendreffe ,
A prifer mon bonheur.
Ojours trop fortunés , vous qui vires éclore
Les feux de cet amour qui toujours nous unit ,
Le Ciel peu favorable a changé votre aurore
En éternelle nuit.
Si quelque fois du fort les cruelles difgraces ;
Sur les pas fortunés des jeux & des amours ,
De leurs triftes venins avoient noirci nos traces
Et flétri nos beaux jours ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Pareils à ces oifeaux qui craignant la tempête
Et l'orage & la nuit dans un nuage épais ,
Vont éviter les coups qui menacent leurs têtes
Sous l'ombre des forêts;
Ou qui fuyant les traits du cylindre perfide ,
Et dans un Ciel ferein voyant jaillir l'éclair ,
Malheureux & tremblans fendent d'un vol rapide
Les vaftes champs de l'air;
Ainfi nous écartions ces funeftes images
Qui , des foibles mortels alimentent les maux ;
Et parmi la tempête , au milieu de l'orage ,
Nous goûtions le repos.
✪ doux reflouvenir , ô Berne , ô ma patrie !
Obienheureux féjour dont le tableau flatteur
Ames foibles efprits , à mon ame attendrie
Préfente le bonheur ;
Rappellez-moi les traits d'une époufe mourante ,
De cette épouse , hélas , fi chère à mes douleurs ;
Rappellez-moi l'inftant où fa main défaillante
S'arrofa de mes pleurs.
Je poufle en vain des cris que tu ne peux entendre,
Fidèle Elife , en vain je te cherche en ces lieux ;
Un fepulchre effrayant , une immobile cendre
Te dérobe à mes yeux.
JANVIER . 1772 . II
A peine étaloit - elle une beauté naiſſante ,
La mort porte fur elle un homicide bras ;
Au printems de fes jours , fa rage étincellante
Moiffonne les appas.
C'est là que le tombeau la tient fous fa puiflance ; ]
Là, fur ce monument j'ai tracé mes malheurs ,
Et ces funeftes lieux confacrés au filence
Verront finir mes pleurs.
Parle même.
L'OFFICIEUX ou les bonnes intentions,
Hiftoire tragique.
Je fus dans les premières années de ma
jeuneffe le plus heureux des hommes . Je
croiois devoir la vie à l'honnête particulier
qui m'avoit élevé ; je paffois des jours
délicieux auprès d'une foeur aufli aimable
qu'on peut l'être , & qui payoit les foins
que je prenois pour former fon efprit
par le charme de fes talens agréables .
J'avois pour ami le plus tendre , le plus
officieux des mortels.
Mon premier chagrin , à l'âge de dixhuit
ans , fut de voir dangereufement
malade celui que j'appellois du doux
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
nom de père , & qui méritoit fi bien tou
te ma tendreffe. Je ne le quittois point ,
& ma reconnoiffance pour les foins qu'il
avoit pris de moi faifoit dans mon coeur
autant d'effet que la nature . Son état em
piroit tous les jours , & nous fumes menacés
, Junie & moi , du plus grand des
malheurs.
19
" Valfrais , me dit- il une nuit que je
veillois , écartez pour une heure cette
femme qui me fert ; exigez qu'elle aille
fe repofer dans la chambre voifine ; je
» me fens la force de vous parler, & nous
» n'avons pas befoin de témoins ; allez
» ne perdez point de tems. »
J'obéis , Sufanne fe retira , & m'approchant
du lit de Montbel , je faifis une
de fes mains que j'arrofai de mes larmes,
quoique je me fuffe impofé de n'en point
répandre , de peur de le trop effraïer fur
font fort. Vous pleurez , me dit- il , hélas !
vous prévoiez donc les malheurs que je
vais vous apprendre ? Des malheurs , interrompis
- je , ah , mon père ! nous ne
fommes point fans efpérance fur le retour
de votre fanté , & fi ce bien nous arrive ,
quel fils fera plus heureux que le vôtre ?
Ecoutez-moi , reprit- il , infortuné Valfrais
, la Providence , dans le fein de laJANVIER
. 1772 13
1
quelle je vais rentrer , m'eft témoin que
lorfque je lui demandois de m'accorder
un fils , je le fouhaitois tel que vous êtes ;
mais fes décrets fouverains auxquels il
faut fe foumettre , avoient borné fans dou
te la bénédiction de mon mariage à la
naiffance de Junie ... Que dites - vous ,
Monfieur , m'écriai - je en le regardant
d'un air effraïé , les mains ouvertes , tremblantes
& portées loin de moi , comme
fi j'avois voulu repouffer l'affreufe vérité
qui s'annonçoit.
N'agitez point trop mes derniers momens
, me dit-il , ô mon cher Valfrais !
& faites vous quelques efforts pour m'enrendre
cette nuit ; peut-être eft ce la dernière
où je pourrai vous parler. -Vous
avez raifon , Monfieur ; mais de grace
abregez & pour vous & pour moi votre
récit inquiétant... En un mot , ô refpectable
Montbel ! fuis- je votre fils ? -Vous
êtes mon ami , vous le ferez toujours. —
Et c'eft un titre plus précieux & plus facré
que je réclame , parlez , êtes vous mon
père ? Les dieux m'ont refufé cette faveur.
Anéanti , conflerné par cet aveu , je reftai
un moment les yeux fermés & pour
ainfi dire retournés fur moi - même ,
14 MERCURE DE FRANCE:
»
Montbel avança la main , prit la mienne
& me ranima en la ferrant. Valfrais ,
» me dit- il , qu'il m'eft affreux de déchi-
» rer votre coeur ! car je conçois & me
» Alatte que vous m'aviez accepté pour
père. » Si je vous avois accepté , vertueux
Montbel , lui répondis- je , Eh qu'avois
-je à fouhaiter que de tenir tout de
vous ? Mais fans doute vous favez qui je
fuis , & comment , & par qui mon éducation
vous a été confiée . « Lifez , me dit-
» il , voilà le premier billet que j'ai reçu
» à votre égard.
33
"
A M. Montbel.
" On avoit befoin , Monfieur , d'une
perfonne auffi difcréte & auffi honnête
» que vous , & l'on a ofé fe fervir de
" votre nom fans vous avoir prévenu ,
» pour confier à une nourrice de Lagni en
" Brie un enfant né depuis trois jours &
» que l'on a dit être votre fils. On eſpère
» que vous voudrez bien ne pas détruire
l'efpoir qu'on a conçu de votre bienfai-
» fance , & que vous fervirez de père au
» jeune Valfrais jufqu'à ce que des cir-
» conftances permettent à fes parens de
"
le reconnoître. M. Montbel recevra
» tous les ans un penſion pour fon élève ;
JANVIER. 1772 . 15
» mais on attend de lui de ne faire aucune
» tentative pour découvrir ceux qui lui
» donnent cette marque de confiance , &
» de n'admettre perfonne dans fa confi-
» dence fur ce point délicat. »
On ne s'étoit pas trompé , ajouta- t-il .
Après que j'eus fait la lecture du billet ,
fur l'espérance qu'on avoit conçue , j'allai
vous voir , vous recommander & me
faire connoître à Lagni. La mort de ma
femme & l'extrême jeuneffe de ma fille
me laiffoient la liberté dont la circonftance
avoit befoin. Pour plus grande fûreté
je changeai de domeftiques & de
quartier , tant j'avois pris d'intérêt à vous
dès la première fois que je vous eus vû.
Depuis ce tems vous favez fi je vous
fuis attaché , & fimon propre fils m'eût
été plus cher. Mais Valfrais, je me meurs,
vous ferez étranger à ma fucceffion , parce
qu'il n'y a point d'acte qui autorife mon
adoption , & parce qu'il fera de notoriété
que ma femme ne ma laiffé que Junie.
Vous comprenez qu'il étoit effentiel que
je vous prévinffe de votre fituation , afin
que vous ne vous expofaffiez pas à un défaveu
de la part de ma famille.
Eh quoi , Monfieur , lui dis je , depuis
ce tems vous n'avez rien découvert ? Non,
16 MERCURE DE FRANCE.
me répondit- il , tous les ans j'ai reçu, tantôt
d'une ville & tantôt d'une autre , une
lettre de change pour cette penfion à laquelle
on s'étoit engagé comme vous avez
vu , elle n'étoit que trop forte , & je m'étois
fi bien accoutumé à vous regarder
comme mon fils , j'étois fi content d'être
votre pète que j'ai rougi du don qu'on me
faifoit , & que fucceffivement j'ai placé
fur votre tête tout ce que j'ai tiré de ces
lettres de change ; c'eft un fonds qui vous
appartient & que vous trouverez.
Eh , Monfieur , m'écriai -je , en me jettant
fur fon fein , de tous les maux que je
puis craindre , il n'en eft point que je redoute
autant que celui de vous perdre ;
que les dieux daignent vous conferver, &
dans l'opprobre où je tombe je ne me plaindrai
de rien !
Laiffez-moi vous achever ma confidence
, me dit le foible Montbel , vous
favez que d'après mes confeils plus que
d'après mon inclination vous étiez prêt
l'année dernière à prendre le parti de la
robe , dans lequel vos talens ne pouvoient
manquer de vous diftinguer ; voici le fecond
billet anonyme que je reçus & dont
vous êtes encore l'objet,
JANVIER. 1772 . 17
"
A M. Montbel.
« On vient d'apprendre que Valfrais fe
deftine à la robe , & cet état contrarie-
» roit les vues de fes parens encore dans
l'obligation de fe cacher. On doublera
» fa penfion fi l'état militaire peut lui
» convenir. On fupplie M. Montbel
» qu'on ne peut trop remercier d'avoir fi
» bien élevé fon pupile , de le porter au
» choix de cet état . »
Je vous l'avouerai , me dit- il , les bruits
d'une guerre qui s'annonce ont fait frémir
mon coeur ; vous m'êres fi cher , Valfrais ,
que je n'ai pû me déterminer encore à
vous voir courir les rifques d'une profeffion
fi dangereufe . Je ne fatisfis donc qu'en
partie au fecond biller en ne vous preffant
plus de continuer des études qu'on
vous interdifoit , & même en vous annonçant
que j'avois changé d'idée à cet
égard ; mais prêt à quitter la vie , devoisje
vous laiffer ignorer ce qu'on attend de
vous?
Montbel eut peine à prononcer ces derniers
mots , il porta la main fur fon front
qui fe mouilloit , & je le vis tomber dans
une foibleffe qui me fit appeller la garde
à fon fecours & prefque au mien ; car j'é18
MERCURE DE FRANCE.
tois dans un état d'anéantiflement dont
ma tendreffe pour Montbel put feule me
faire triompher.
Nos foins furent affez heureux pour le
rappeler à la vie , & cette crife que j'avois
fi fort redoutée fut fi falutaire à Montbel
qu'à la pointe du jour il fe trouva infinimeat
mieux . Ses médecins , que nous
avions envoié chercher , furent étonnés
du changement qui s'étoit fait & nous
laifferent , en fe retirant , les efpérances
les plus décidées.
C'eft une fituation étonnante pour une
ame fenfible de fe trouver tumultueufement
agitée dans des fens contraires , d'avoir
à la fois à fupporter le poids accablant
du chagrin & le plaifir inopiné d'un
événement heureux . Intérieurement déchiré
par les idées dont m'avoit rempli
l'affreufe confidence de Montbel , je fentois
en même tems la douceur confolante
d'etre raffuré fur fon fort , mais la joie
que cette dernière circonftance peignoit
fur mon vifage avoit un caractère de convallion
plus difficile à exprimer qu'à fentir.
Junie , que fon impatience de favoir
des nouvelles de fon père avoit arrachée
de fon appartement , parut alors , & en
JANVIE R. 1772. 19
l'appercevant , je ne fais quelle voix je
crus entendre au fond de mon coeur qui
me crioit : Valfrais , tu n'es plus le frère
de Junie , & ces fons imaginaires décidèrent
tout à- coup ma phyfionomie . Je courus
au-devant d'elle , Junie , lui dis - je
avec transport , nous n'avons plus rien à
redouter , une foibleffe , une crife heureufe
nous ont rendu ce que nous avions
de plus chér.
A ces mots , elle s'élance dans mes bras...
Dans mes bras ? Situation terrible que je
me rappelle encore... O vertu , que ton
fentiment eft prompt ! je fentis un frémif
fement dont tu étois la fource , mais dont
Junie n'eut pas le tems de s'appercevoir
parce qu'elle courut auffi- tôt au lit de fon
père .
On l'en arracha malgré elle ; il falloit
du repos à Montbel , & nous le quittâmes
tous deux pour quelque tems. Mon frère,
me dit-elle dans le ravitfement où elle
étoit , vous ne me fuivez pas chez moi ?
Le befoin de repos où je pouvois être
moi-même me fervit d'excufe , & j'allai
me renfermer dans mon appartement
pour y développer le cahos des idées confufes
dont j'étois tourmenté , à- peu - près
comme on l'eft dans ce faux fommeil que
20 MERCURE
DE FRANCE.
procure l'accablement de la fièvre & dans
lequel mille penfées chimériques fe croifent
, s'entrechoquent & fe détruifent.
Ah ! malheureux , me dis je en mne renfermant
, tu perds le plus honnête , le plus
tendre des pères , & quel eft celui qui t'a
donné l'être ? ... Es-tu le fruit honteux
de la licence de ton fiécle... de ces amours
adultères que rejettte & profcrit la loi !
ce mystère profond que couvre ta naiffance
ne reflemble- t- il pas à ces ombres dont
le crime cherche à s'envelopper ? Ainfi
j'augmentois par ces images la honte qui
m'environnoit , je me faifois de moi- même
un portrait hideux & repouffant.
Ingrat ! ajoutai -je , il t'eſt venu dans la
tête que Junie n'étoit point ta foeur , que
l'amitié que tu avois pour elle pouvoit
devenir un fentiment plus vif & plus doux
encore... Ah monftre ! eft- ce ainſi que tu
reconnoîtras les obligations que tu as à
Montbel ? .. Et quel coeur offrirois- tu à
fa fille ? .. Celui d'une créature avilie &
deftinée à rougit aux yeux de tout le
monde ? ... Vas , cours , me difois - je ,
ofe te déclarer , & pour te faire un fupplice
épouvantable , attire fur toi les mépris
& joins les remords à l'infâmie .
A des torrens de larmes fuccédoient
JANVIER. 1772. 21
des inftans de défefpoir où j'ofai méditer
ma mort. La confolation de revoir Montbel
en convalefcence , les foins que je
pouvois lui donner encore & que je lui
devois , traverfoient par intervalles mes
idées fombres & farouches qui revenoient
à leur tour enfin , tant de mouvemens
divers agiterent tellement ma tête que
ma raifon m'en parut troublée ; c'étoit le
tranfport d'une fiévre ardente qui s'allama
tout-à- coup dans mon fang.
Un égarement fombre & un filence abfolu
firent d'abord défeſpérer de moi . J'étois
fi loin de connoître ma fituation que
je n'apperçus pendant huit jours aucune
des perfonnes qui m'environèrent. Junie
appella mille fois fon frère fans que je
remarquaffe ni le fon de fa voix ni fa
figure enchantereffe . Le premier fentiment
que j'éprouvai fut de reconnoître
Montbel qui me ferroit la main . Eft - ce
vous , Montbel , lui dis-je ? Moi - même ,
me répondit- il , cher Valfrais , qui cherche
àvous rappeller à la vie . Si la mienne
vous eft encore chere , fongez que c'eft
de votre rétabliſſement qu'elle dépend ,
je n'en faurois douter ; fi vous ne me ren
dez pas quelque efpoir, une rechûte prom
pte terminera mes jours.
22 MERCURE DE FRANCE.
Pouvez -vous m'ordonner de vivre , lui
dis -je ? J'en ai befoin , Valfrais , répliquat-
il , je meurs fi vous ne m'êtes point rendu...
Eh bien , lui répondis je , je redemande
aux dieux le funefte préfent de la
vie , qu'ils me l'accordent encore , j'en
accepte le poids horrible pour vous témoi
gner une plus vive reconnoillance.
En effet il parut de ce moment qu'on
n'avoit plus rien à redouter pour moi. Le
courage que je m'impofai fit plus que tous
les fecours de la médecine , & je fus bientôt
en état de prendre quelque nourriture
.
Montbel qui , plus d'une fois s'étoit
apperçu que je répondois à peine à Junie ,
que je me détournois même lorfqu'elle
m'offroit quelque chofe , & fur- tout que
je ne lui donnois plus le nom de foeur, ce
qui affligeoit extrêmement ſa fille , profita
d'un moment où il étoit feul avec moi
pour me tenir ce discours.
"
Valfrais , j'ai compté fur ma mort
prochaine lorsque je me fuis ouvert à
vous. Le retour de ma fanté m'accufe à
chaque inftant d'une indiscrétion qui
» vous a rendu malheureux & qui a pres-
» que terminé vos jours. Au nom de l'a-
"
mitié tendre que j'ai pour vous , au nom
JANVIER . 1772. 23
"
» de celle que j'ai pu vous
pu vous inspirer , ou-
» bliez tout ce que je vous ai dit & replaçons
nous au même point où nous
» étions avant ma cruelle maladie Il n'eft
queftionque d'attendre avec tranquilli-
» té le moment qui doit vous rendre vos
» parens . Vous favez que les deux billets
» annoncent des circonftances qui doi-
» vent les mettre en état de vous recon-
» noître. Ils doivent être d'un ordre au-
» deſſus du mien , fi j'en juge par les pen-
» fions confidérables qu'ils m'ont fait tou
» cher avec tant d'exactitude.Si nous nous
rappellons encore cette envie de vous
» voir préférer l'état militaire à celui de
» la robe ; nous examinons le ton impofant
des billets , ils ne peuvent être
» le ftyle & le procédé que d'un fupérieur.
Eh que m'importent toutes
confidérations , fi je ne fuis pas moins
en droit de foupçonner la honte de mes
parens & la mienne ! -Prenez y garde ,
Valfrais , c'est par de pareilles idées que
vous êtes effraïé au point d'altérer votre
fanté ; mais , on je me trompe , ou ce ton
de franchiſe noble qu'on a pris avec moi
n'annonce rien de bas & rien de criminel.
Espérons tout du tems , mon cher Valfrais
, & fur-tout gardez vous , en chan-
"
ces
24 MERCURE DE FRANCE.
geant de conduite avec Junie , de compromettre
votre fecret. Peut - être votre
bonheur en dépend- il , c'eft du moins ce
que femble dire ce mystère toujours fou
tenu qu'on obferve depuis fi long- tems ;
en un mot , foiez toujours mon fils & le
frère de Junie , il le faut , ' ou vous vous
trahiflez.
Montbel exigea ma parole que je ne
donnerois plus à Junie aucun fujet de fe
plaindre de mon réfroidiffement , & je la
donnai ; mais dès que nous nous trouvâ
mes enfemble , dès que Junie fe livra à ce
ton de familiarité dans lequel nous avions
paffé tant d'années , je fentis que le degré
de vertu dont j'avois befoin pouvoit furpaffer
mes forces.
J'ofai l'appeler encore du nom de foeur
pour ne pas manquer à la promeffe que
j'avois faite à Montbel ; mais fous le prétexte
de la diffipation & du grand air que
demandoit ma convalefcence , je pris le
parti de refter à la maifon le moins qu'il
étoit poffible .
Ce fut chez Bigny , chez cet ami dont
j'ai parlé que j'allai paffer des journées
entieres ; fa vive affection & cette espèce
d'emportement d'amitié que je lui connoiffois
me le rendoient précieux . Hélas !
ce
JANVIER. 1772. 25.
ce même emportement , fa curiofité de
tout pénétrer , de tout apprendre , fon zèle
exceffif auroient dû peut - être m'avertir
de ne point manquer à la promeffe que
j'avois faite à Montbel .
Quelqu'effort que je fiffe pour lui cacher
toutes les espèces de trouble qui
m'agitoient , il les apperçur & voulut les
connoître . Valfrais , me dit-il , vous of
fenfez l'amitié par une coupable réferve ,
vous me cachez des chagrins qui vous
dévorent , vous le nieriez en vain , vous
ne refpirez plus , vous foupirez fans ceffe,
qu'avez- vous ? Je ſuis votre ami , j'ai droit
de le favoir ; parlez , qu'avez vous ? rien ,
lui difois je , peut être la maladie m'at-
elle laiffé quelque langueur qui altère la
gaîté que vous me connoiffiez , mais le
tems y remédiera.
Il n'y remédiera point , difoit il , fi
vous n'ouvrez votre coeur à votre ami ,
vous vous laiffez déchirer ; je m'y connois.
Vous vous trompez , lui dis je un
jour avec fermeté , & Bigny fe tut pour
cette fois & me laiffa remporter encore
mon fecret.
-
Quelque tems après j'eus , malgré moi ,
avec Junie une explication que j'avois
toujours évitée . Ne croiez pas , me dit-
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
elle , que je fois plus long tems la dupe
du motif dont vous colorez vos fréquen
tes abfences . Vous preniez autrefois plaifir
à m'inftruire , à vous amufer de mes
foibles talens , & vous me fuiez aujour
d'hui : votre coeur eft changé , parlez - moi
avec franchiſe , de quoi fuis je coupable ?
Que vous a fait votre foeur ?
Les queftions de l'aimable Junie étoient
preffantes , je m'embarraflai dans la réponſe
& je la vis en concevoir plus d'inquiétude
encore. Oh ! mon frère , s'écriatelle
, vous n'avez plus d'amitié pour Ju
nie. Quelle injure me fait ma foeur , répondis
je , & qui pourroit lui refufer les
fentimens que tout infpire en elle ? Vous ,
interrompit Junie , oui , vous , Valfrais ;
un frère qui m'aimoit & qui m'eft plus
cher que moi - même ... Non , ce n'eſt
point ainfi que vous étiez avec moi , ajouta
telle en me prenant la main , en me la
ferrant & en s'avançant pour m'embraffer.
L'effort que je fis pour me retirer
& pour me refufer à ce baifer,lui fit poulfer
un cri dont je fus épouvanté. C'en eft
fait , dit elle , Junie vous eft odieufe ; on
vous a prévenu contre elle , parlez , Valfrais
, feroit ce l'effet de cette longue converfation
que vous avez eue avec mon
JANVIER . 1772. 27
père, & pour laquelle on fit retirer Suzanne
? ... Alors redoutant toutes les
conféquences qu'elle alloit titer de cette
marque apparente de ma froideur , je cherchai
moi - même fa main & me penchai
tendrement vers elle.
Rien ne fut fi vif que le tranfport avec
lequel elle fe livra au defir que je lui témoignois
de l'embraffer... Careffe innocente
pour fon coeur , vous étiez presque
un crime pour le mien ! un feu rapide cir
cula dans mes veines , mais je fus lui ca
cher l'embrafement par une fuite bien
néceſſaire à la vertu la plus épurée .
A peine l'eus je quittée que tout le pésil
de ma fituation chez Montbel s'offrit
à moi & me cauſa l'effroi le plus vif, Bigny
parat à mes yeux ; il venoit me chercher
; il s'indignoit fans doute du myflère
que je lui faifois de mes peines , & moi
dans ce moment plein de cette flamme
que j'avois retenue près de Junie , je ne
pus en arrêter l'explofion auprès d'un ami
qui redoubla fes plaintes , & qui , le premier
, me parla de l'amour dont il me
foupçonnoit la victime .
A ce mot d'amour , je me jettai dans
les bras de Bigny , je l'arrofai des larmes
qui cherchoient à fe répandre. O Val-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
--
frais ! me dit- il , l'amitié triomphe enfin ,
je reçois en ami tendre l'aveu que vous
me faites de votre paffion ; mais vous
n'êtes donc point aimé ? Je ne puis l'être.
Et pourquoi auriez vous la timidité
de ne point vous déclarer ? -Inutile
aveu ! Quelle folie ! Valfrais , il faut
ofer fe faire entendre . Je ne le puis ,
vous dis- je , la mort eft mon partage.
La mort ? vous m'épouvantez ... Mon
ami , à votre âge , avec votre caractère , on
fe fait des chimères qu'il faut que la réflexion
détruife. Il faut avant tout ne
pas
-
-
devenir un monftre . Quel langage !
Ciel ! & qu'elle idée fe prefente à moi ?
Vous paffez votre vie chez Montbel...
Je ne puis vous foupçonner... Votre
foeur... Junie. -Arietez , m'écriai- je ,
quel nom vous est échappé ! cruel Bigny.
Quoi, votre four ? -Elle ne l'eft point.
-Junie n'eft point la fille de Montbel ?
-Il eft fon père , mais ... ne me forcez
pas d'achever . Il n'eft pas le vôtre . —
Oh ! mon ami , vous allez donc rougir
des fentimens que vous aviez conçu pour
moi ? Valfrais , me dit - il , n'infultez point
mon coeur , ce n'eft point à des préjugés
d'une certaine espèce à diriger ou à rallentir
fes mouvemens . Je vous aime
acheyez de m'inftruire .
-
-
JANVIER . 1772 . 29
Comment aurois- je pû me taire ? Bigny
étoit trop preffant ; j'en avois trop dit ; il
fallut pourfuivre , & lui conter en frémiffant
tout ce que Montbel m'avoit appris.
Il est vrai que je lui recommandai le fecret
le plus inviolable , & qu'il me le
promit. On n'effraie point aflez les hommes
dans leur première éducation fur la
légéreté de leurs engagemens ; ils promettroient
moins , ils feroient plus fidèles .
Je l'avouerai , la confiance que je venois
de prendre en Bigny m'étonna lorfque
je l'eus quitté ; un fecret murmure
s'élevoit dans mon coeur... Cependant il
m'avoit toujours paru fi zélé pour les intérêts
de les amis ... Oui , mais je venois
de manquer moi - même à la promeffe que
j'avois faite à Montbel de me taire .. Ce
fontnos propres défauts qui nous éclairent
fur ceux des autres.
Ma confidence à Bigny avoit produit
l'effet qu'elles font toujours , celui de
foulager un peu nos maux. Dès que je
revis Junie , toute leur pefanteur fe fit
reffentir , & je me déterminai à la fuite
la plus prompte du danger où je me trouvois
, en vivant fans ceffe auprès de la perfonne
la plus aimable & la plus careffante
.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
L'ouverture que Montbel m'avoit faite
du defir que mes parens inconnus avoient
de me voir embraffer le métier des armes
me parut pour cela le moyen le plus fûr.
Je lui fis part du deffein que j'avois de
fuivre ce parti le plutôt qu'il me feroit
poffible , & il me promit de s'occuper des
voies qu'il faudroit prendre à cet égard .
J'en parlai à Bigny qui m'applaudit fort,
qui m'offrit & fa bourfe & fon crédit , &
qui , trois jours après , vint m'apprendre
que ce feroit à lui que je devrois une place
dans le régiment de **** , & qu'il
alloit fur le champ me préfenter à mon
colonel , qui lui avoit les plus grandes
obligations.
Un fervice auffi important me fit rougir
du léger remord que j'avois fenti après
lui avoir confié mes fecrets , & Montbel
en ne me diffimulant pas qu'il étoit enchanté
d'avoir été prévenu , parce qu'il
avoit peu de débouchés pour me fervic
fur ce point , augmenta encore à mes yeux
le prix de ce que Bigny venoit de faire
pour moi.
Je ne redoutois que les réflexions de
Junie fur ce nouvel établiſſement , dont il
n'avoit pas encore été queſtion ; mais tous
les foins qu'il fallut me donner pour me
JANVIER. 1772 . 31
mettre en état de joindre la troupe , m'occupèrent
fi fort , que je ne la vis que des
momens & toujours avec Montbel .
J'avois l'intérêt le plus vifà ne pas perdre
un inftant , & quatre jours fuffirent à
mes apprêts. Je ne fçais ce qui m'étonna
le plus à mon départ , ou du ton de réferve
que Junie mit à nos adieux , ou d'entendre
Bigny me dire , les larmes aux yeux
& tout bas , en me mettant dans ma chaife
; adieu , mon cher Valfrais , ne revenez
que couvert de gloire & foiez für d'être paie
par l'amour.
J'avois beau m'éloigner , ces derniers
mots retentifoient toujours à mes oreilles...
d'être païé par l'amour... L'amour
de qui ?... Ce ne pouvoit être Junie...
Ses adieux fi froids... Mais pourquoi Junie
m'avoit - elle paru fi différente de ce
qu'elle étoit auparavant ? Ah ! fans doute
le choix de mon état lui déplaifoit... Je
l'avois fipeu cherchée depuis que le jour
de mon départ avoit été arrêté... J'étois
moi- même fi fort changé pour elle depuis
ma maladie... Elle étoit à coup für bleffée
de ma propre indifférence .
Occupé fans relâche d'idées de cette
nature , je fis une affez grande toute
& j'arrivai enfin ponr prendre poffeffion
Biv
32 MERCURE
DE FRANCE
.
de mon nouvel état pour lequel j'avois
toujours eu le goût le plus vif & dont
l'apprentiffage calma l'agitation incroïable
de mon ame .
Heureux de n'avoir pas manqué à la reconnoiffance
que je devois à Montbel , en
ofant parler à fa fille des fentimens qu'elle
avoit infpirés à un malheureux fi peu digne
d'elle , je ne fongeai qu'à me diftinguer
parmi mes égaux , & la guerre que
nous avions alors à foutenir ne pouvoit
manquer de m'en fournir quelques occafions
.
L'amour pur de la gloire auroit pû feul
exciter ce noble defir chez moi comme
chez la plupart de mes camarades . J'étois
jeune & François ; mais il faut en convenir
, il fe joignoit à ce fentiment un mépris
pour la vie qui me difpofoit encore
plus à folliciter les poftes les plus dangereux
& à courir même au devant des périls
les plus évidens .
Les éloges queme mérita ma conduite ,
me firent rougir intérieurement plus d'une
fois , parce que je ne pouvois me diffimuler
que la honte de mon existence ôtoit
à la gloire que j'acquérois une partiede fon
éclat.Je n'en paroiffois que plus modeſte ,
& tout fembloit tourner à mon avantage,
JANVIER.
1772 .
33
puifque cette
modeftie au fond très- julte
me
rendoit encore plus
eftimable dans
mon
corps.
J'avois
fouvent écrit à
Montbel & à
Bigny qui , plus
inftruits que moi de la
fenfation que je
commençois à faire dans
mon
régiment , me
combloient de louanges.
Qu'il me foit permis de me rendre
juftice fur ce point , j'eus
toujours le courage
d'en écarter le
poifon , & ce
courage
qui en vaut bien un autre
m'appartenoit
véritablement.
Une
circonftance plus
brillante dans ma
feconde
campagne
m'attira des
diftinctions
plus
flatteufes encore. A la tête d'une
troupe
avancée qui devoit
protéger , pendant
une nuit fort
obscure , l'un des côtés
du camp, je fis fi bonne garde en me
portant
moi-même de côté &
d'autre que
j'entrevisun
corps en
mouvement dont le projet
étoit de me
furprendre. Je
rejoins auffitôt
ma troupe ; je la divife &
l'étends en
deux aîles pour border ventre à terre le
chemin
qu'alloit fuivre
néceffairement
l'ennemi. Il s'avance en effet , & dès que
je
m'apperçois qu'il m'a dépaffé , je me
referme fur les
derrières , je
l'enfonce &
lui cauſe un fi grand effroi qu'il
n'échappe
perfonne à notre
enceinte . Le corps enties
Bv
34 MERCURE
DE FRANCE
.
mit bas les armes , & fans quitter mon
pofte , je garde mes prifonniers jufqu'au
moment où je fus relevé .
Cette petite manoeuvre fit plus de bruit
qu'elle ne méritoit ; elle m'attira , de la
part du général des complimens fans
nombre qui excitèrent dans le coeur d'un
officier nouvellement arrivé & des parens
du général , le fentiment de l'envie. Il ne
put le renfermer , & il fit bientôt éclater
l'orage affreux qui , de loin grondant fur
ma tête , alloit, dans le plus beau moment
de ma vie , arrêter le cours de mes profpérités
& me replonger à jamais dans un
abîme de douleurs.
J'appris deux jours après cet événement
que le jeune officier jaloux avoit dit affez
haut qu'il n'y avoit de bonheur que pour
Les gens de mon efpèce , & que fur l'explication
qu'on lui avoit demandée de ce
mot , il avoit laiffé errer l'imagination de
tout le monde fur tous les fens injurieux
qu'il pouvoit préfenter.
Je n'hésitai point à l'aller trouver pour
tirer de lui des éclairciflemens de ce qu'il
avoit dit . Il foutint avec fermeté , ou plutôt
avec un ton de mépris & de fatisfaction
qui m'indignoit , qu'il avoit tenu le
propos ; & que fi j'étois fort curieux de
4
JANVIER. 1772. 35
l'approfondir il ne pouvoit me cacher que
l'illégitimité de ma naiflance étoit l'hiftoire
ſcandaleufe de Paris lorſqu'il l'avoit
quitté.
Accablé de ce coup de foudre , je portai
comme un furieux la main fur mon
épée ; le jeune officier fe mit en défenſe ,
& je l'étendis mort à mes pieds. C'étoit
le neveu & l'héritier préfomptif de celui
qui commandoit l'armée. Tous mes camarades
, inftruits du fait , me confeillèrent
de prendre la fuite , & je gagnai le
pays ennemi en m'appercevant que j'avois
été pourfuivi long- tems d'affez près .
Je n'allai point offrir des fervices à des
gens que j'avois combattus. Quel François
peut concevoir l'idée de fervir contre
fa patrie ? En fût- il rejetté , fon coeur trahiroit
fa main. Je pourfuivis donc ma
route jufqu'à une ville neutre , d'où j'écrivis
à Montbel ma fatale hiftoire , &
voici fa réponſe encore plus cruelle .
Lettre de Montbel à Valfrais.
« Malheureux qu'aviez - vous fait
» avant de partir d'ici , malgré votre pro-
» meſſe vous aviez tout appris à Bigny.
» Frémiffez des fuites funeftes de votre
B vj
36 MERCURE
DE FRANCE
.
ود
» indifcrétion & de la fienne. Le premier
ufage qu'il avoit fait de votre fecret
» avoit été d'en faire part à ma fille. Elle
» vous connoifloit deux jours avant votre
départ. Depuis ce moment elle & vo-
» tre cruel ami , ligués enfemble pour
» découvrir le fecret de votre naiffance ,
» n'ont rien épargné pour le pénétrer . Bi-
و د
ر د
gny, après avoir engagé Junie à me dé-
» rober les lettres que je vous avois fait
lire , a fait fecrétement quelques voyages
dans les villes d'où étoient parties
les lettres de change annuelles que j'a-
" vois reçues. A force de foin , d'argent
» & de ce zèle dont fon coeur s'embrafe
toujours pour les intérêts d'autrui fans
en prévoir les conféquences , il eft mal-
» heureufement arrivé au point qu'il de-
» firoit , & fortifié par la nouvelle de
quelques fuccès que vous aviez eus , il
s'eft hardiment préfenté chez le Comte
» de **** , auquel il a eu le courage de
dire qu'il étoit tems de reconnoître un
» fils qui le couvroit de gloire. Le Com-
» te étonné , a voulu nier. Bigny lui a
» montré les lettres qu'il avoit vérifiées
» de fa main . Alors le Comte fe jette
» dans les bras de Bigny , implore fon
» filence pour des raifons de la plus gran-
"
JANVIER. 1772. 37
» de importance qui n'arrêtent point le
» zèle indifcret de votre ami . Il court
» chez le Duc de ****** , père du Com-
» te , lui découvre le mariage fecret de
» fon fils avec la fille du plus grand enne
» mi qu'il ait eu , ( & il faut convenir
» que Bigny ignoroit cette circonftance )
» il vous nomme , il parle des efpérances
» que toute l'armée conçoit de vous , il
» croit que la vanité du Duc s'empreffera
» de vous nommer fon fils ; mais le Duc ,
» immobile & d'un fang froid qui con-
» fond votre ami , le remercie , avec la
politeffe d'un courtifan , de l'avis qu'il
» vient de lui donner.
» O Valfrais ! ô mon élève ! quelles
» fcènes épouvantables vont s'ouvrir ? le
» Duc de ...... chez lequel la haine ne
» s'éteint jamais , obtient un ordre pour
» faire enlever Mademoiſelle de ****
» votre mère. Cet ordre ne peut s'exécu-
» ter fans que le Comte de ... en foit
» averti ; il vole à fon fecours ; il fe pré-
» fente en furieux à fes raviffeurs dont il
» bleffe les premiers ; mais le puis je di-
» re ? O dieux ! Mlle de .... bleffée elle-
» même dans le tumulte & le fracas des
» armes , voit tomber fon mari dans fon
fang... Valfrais , je ne puis vous le ca-,
29
"
"
38 MERCURE DE FRANCE .
"
» cher , vous n'avez plus de père que
» moi.
» Ces horreurs devenues publiques
» m'ont été cachées quelques jours , par-
» ce que j'étois abfent ; mais dès que j'en
» fuis inftruit , je cours chez Bigny. Il
» étoit parti; on ignoroit ce qu'il étoit
» devenu. Je reviens chez moi ; la dou-
» leur que je vois peinte fur le front de
» Junie m'étonne ; je l'interroge , elle
» tombe à mes pieds & m'apprend ce qui
» s'étoit paflé entre elle & votre ami .
» Depuis cet aveu , elle femble annéan-
» tie & ne paroît plus devant moi . Adieu ,
» Valfrais , je frémis pour ma fille , que
de maux vous avez alfemblés fur vous
» & fur moi ?
» Je ne vous parle pas de votre aven-
» ture de l'armée ; fon horreur difparoît
devant celle des faits que je viens de
» vous apprendre , & c. »
Je ne fçais fi jamais il s'eft réuni fur un
feul homme plus de cruautés. Ma rage ,
mes cris , mes fureurs ne peuvent fe comprendre.
Si j'avois pû rentrer en France
avec quelque fûreté , j'aurois volé chez
Montbel ; j'aurois été percer le coeur du
perfide qui m'avoit trahi ; j'aurois été
pleurer avec Junie... Il fallut me con
JANVIER. 1772. 39
traindre & attendre de Montbel une nouvelle
lettre auffi déchirante que celle
qu'on vient de lire. Il m'apprenoit que
ma mère , deux jours après fon enlevement
, étoit morte , plus de fa douleur
que de fa bleflure ; que Bigny s'étoit allé
jetter dans un de ces afyles redoutables &
facrés où la pénitence la plus auftère n'expiera
jamais les fuites funeftes de fon
zèle indifcret & barbare. Pour Junie , hélas
! c'en étoit fait de fa raifon. Une mélancolie
fombre enveloppoit fon ame &
la rendoit infenfible même à la tendreſſe
de fon père . Je ne tins point à cette image,
je rifquai tout ; je partis ; j'arrivai chez
Montbel qui frémit de me voir . Junie ne
me reconnut point , elle ne me fit que la
faveur d'accepter de ma main quelques
fecours qu'elle avoit toujours refufés ; ſecours
impuiflans & qu'il fallut abandonner!
Junie , depuis dix ans dans le même
état , refpire encore machinalement au
fond d'une retraite qui nous cache fous
d'autres noms à tous les yeux . Son père
& moi , fans ceffe auprès d'elle , nous attendens
qu'elle nous reconnoiffe ; nous
la fervons avec toute la tendreffe qu'elle
a mérité de nous autrefois. Des inftans
40 MERCURE
DE FRANCE
.
de calme nous font efpérer un retour
heureux ; mais bientôt des torrens de
pleurs , des agitations dans lefquelles elle
femble pourfuivre quelqu'un en nommant
cent fois Bigny , nous replongent
dans le défefpoir. Tout ce qui me reſte
fur la terre , c'eft l'amitié conftante de
Montbel que la mort cruelle menace chaque
jour de m'enlever. O vous qui n'êtes
plus que l'ombre de Junie , vous me ferez
toujours chère ; ne redoutez pas que je
vous abandonne à d'autres mains que les
miennes ; votre ancienne image , vos gra.
ces , vos talens , votre efprit , tout eft dans
mon coeur , tout vous y répond de mon
inviolable conftance.
Dans un des inftans de mon trifte loifir
j'ai tracé rapidement cette fatale hiſtoire
, afin qu'elle pût fervir à faire redou
ter les bonnes intentions d'un ami trop
officieux . Je l'ai trop éprouvé. On n'eft
curieux que pour redire ; on n'eft prefque
toujours officieux que pour nuire.
Par M.B...
JANVIER. 1772 : 41
TRADUCTION libre de l'Idylle de Bion ,
fur la mort d'Adonis .
D'A'ADDOONNIISS expirant , pleurons , pleurons les
charmes ,
Les amours affligés en répandent des larmes !
Sors du lit nuptial , ô plaintive Vénus ,
Viens pleurer avec nous l'objet de ta tendreffe ,
Viens en habits de deuil , & repète fans cefle
Ces lamantables cris : Il n'eft plus , il n'eft plus.
Son fang coule à grands flots , une dent meurtrière
A porté tout-à-coup le trépas dans fon fein ;
Je vois les yeux éteints languir fous fa paupière ,
Et la mort qui flétrit les rofes de fon tein!
Il n'eft plus , il n'eft plus , malheureuſe déefle ,
Il emporte en mourant les bailers amoureux
Qu'imprime fur fon front ta bouche qui le prefle.
Il n'entend plus déjà tes regrets douloureux .
Comme il eft renversé ! .. Privé de la lumière ,
L'amour n'anime plus ce regard fi touchant ;
Ses cheveux négligés font fouillés de pouffière ,
Et fon coeur amoureux n'a plus de fentiment ! ..
Ses chiens triftes , plaintifs , l'environnent encore
,
La forêt retentit de leurs longs hurlemens ;
42
MERCURE DE FRANCE.
Diane , les Sylvains , Palès , la jeune Flore
Le rappellent en vain dans leurs tendres accens...
Pour la trifte Vénus , interdite , égarée ,
L'ail fombre , les pieds nuds , pâle & défigurée
Elle remplit les bois de les gémiflemens ,
Et fes cheveux épars font le jouet des vents.
Elle appelle à grands cris l'objet de fa tendrefle ;
Dans des fentiers affreux elle porte les pas ;
On voit le lang couler de fes pieds délicats ,
Et les rochers font teints du fang d'une déeffe !
En perdant fon amant au printems de les jours ,
Vénus perd avec lui tout l'éclat de fes charmes ;
Elle aima fa beauté dans le fein des amours.
Maintenant fes attraits font flétris par fes larmes ! .
C'en eft fait , il n'eft plus , malheureufe Vénus !
L'écho redit fans ceffe , il n'eftplus , il n'eft plus !
Hélas ! dès qu'elle apprit la funefte aventure ,
Interdite , éplorée , elle accourt à l'inſtant ,
Elle voit un lang noir couler de la bleſſure ,
Et le froid de la mort glacer fon corps fanglant.
Arrête , cher époux , dit- elle en gémiffaut ,
» Ouvre encore une fois tes paupières mourantes ,
» Et reçois ces bailers que mes lèvres brûlantes
» Impriment fur ton front où règne le trèpas ,
30
Que ton dernier foupir pafle encor dans mon
ame ,
30 Qu'il y grave à jamais l'objet que je réclame
» Et que la mort barbare arrache de mes bras !
JANVIER . 43 1772 .
Mais il ne m'entend plus , le cruel m'abandonne ,
Il m'échappe , il me fuit , & la nuit l'environne.
Hélas ! j'ai tout perdu , malheureux Adonis ,
Arrête, entends encor mes lamentables cris.
»>Quoi! tu defcends déjà vers les royaumes fum-
>> bres ,
Que ne puis-je t'y fuivre , errante avec les om-
» bres !
De nos tendres amours j'irois t'entretenir ;
Là , je fuivrois tes pas , mon ombre voltigeante
Sans cefle iroit chercher ton image charmante ;
»Mais , non , je fuis déeffe , &je ne puis mourir.
30 Eh bien , reine des morts , divinité barbare ,
לכ
Puifq ue le fort cruel fait defcendre vers toi
Tour ce que la nature a formé de plus rare ,
» Reçois donc mon amant enchaîné ſous ta loi ,
Tandis qu'abandonnée au malheur qui m'acca-
» ble ,
အ
30
30
Je parcours les déferts , feule avec mes dou-
»leurs ;
Mon amant ne vit plus , déefle inexorable ,
Pourrois-je donc encor redouter tes fureurs ? ..
Dans la fombre langueur ou fon trépas me
» plonge ,
Je vois dans le paflé nos amours comme un fon-
" ge ,
Et je n'ai de plaifirs qu'en répandant des pleurs ! »
44
MERCURE DE FRANCE.
Vénus dans les déferts eft trifte & folitaire ,
Les Amours défolés pleurent à ſon côté ,
Mais auffi falloit-il , ô jeune téméraire ,
Affronter les dangers avec tant de beauté.
C'eft ainfi qu'on entend foupirer l'immortelle ,
Les graces à l'envi ſoupirent avec elle.
Ceffe tendre Vénus d'errer dans les forêts
Vois fur un lit pompeux l'amant que tu déplore,'
Viens à lui , quoique mort il eft charmant encore
Et le trépas n'a pu défigurer les traits ,
On diroit qu'il fommeille endormi dans la paix.
Rends à fon corps glacé la parure élégante
Qu'il portoit autrefois dans ces heureux momens
Où l'amour le menoit dans tes bias carreflans !
Quelque trifte que foit cette fête touchante ,
Il eft doux de pleurer quand on eit malheureux .
Couronnons le de fleurs , embaumons fes cheveux ;
Dans un Temple paré qu'un foible jour éclaire
Adonis eft couché fur le lit funéraire ,
On voit autour de lui les amours affligés
Arracher en pleurant leurs cheveux négligés .
L'un,dujeune chafleur détache la chauffure ,
Et l'autre, dans un bain lave encor la bleflure ;
Celui- ci prend fon arc , le brife en foupirant
JANVIER. 1772 . 45
Celui-là foule aux pieds fes fléches menaçantes ,.
Tandis que ranimant fes aîles languiflantes ,
Un autre raffraîchit fon vilage mourant .
D'Adonis qui n'eft plus pleurons , pleurons les
charmes ,
Les Amours confternés en répandent des larmes.
Hymen eft fans flambeau , les yeux baignés de
pleurs ,
Il renverse à fes pieds fa couronne de fleurs ,
L'écho ne redit plus fes doux chants d'hymenée.
Les graces en pleurant plaignent ſa deſtinée ,
La mort l'a dévoré , c'en eft fait il n'eft plus
S'écrient-elles encor plus triftes que Vénus ,
La fille du cahos dans fes chanſons funèbres ,
La Parque le demande au féjour des enfers .
Mais Proferpine eft fourde à ces triftes concerts
Et l'enchaîne à jamais dans le fein des ténèbres .
Gefle tendre Vénus , mets fin à tes douleurs ,
Une autre année encor fera couler nos pleurs.
Par un Abonné , d'Amboife.
46 MERCURE DE FRANCE .
LA VIE D'ALCIBIADE.
UNN jour, on exaltoit devant Alcibiade
La fermeté conftante au milieu des travaux ,
L'activité , le mépris du repos ,
La bonne foi qui perfuade ,
Er l'intrépidité qui brave tous les maux .
Pour exemple un vieillard cita les Spartiates .
» Comme ils affrontent le danger !
» L'éclair eft moins rapide , & le vent plus léger
» On ne voit point chez eux de ſantés délicates ,
20 Difoit-il , à l'égard des horreurs du trépas ,
» C'eſt un jeu pour leur âme en leurs jours da
» combats.cc
(L'homme futile & vain ne voit que la molleffe.)
Mais vraiment , répondit le jeune Athénien ,
Leur vie eft une mort ; & la mienne est un bien;
Ils ne conçoivent rien de ce qui m'intéreffe.
» Ils cherchent, en mourant , à cefler de fouffrir...
» Allez , bon homme, il faut , pour l'honneur de
30
l'espèce ,
20 Que cespauvres gens - là fe preffent de mourir.
Par M. Coftard, libraire.
JANVIER. 1772. 47
LA FRANCHISE INDISCRÈTE.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES ;
Le Vicomte DORIMON.
ORPHISE , épouse du Vicomte.
SOPHIE , leur fille .
SÉLICOURT , amant de Sophie.
M. DORLY , oncle de Sélicourt.
DORIGNY , autre amant de Sophie.
UN BROCANTEUR.
La fcène fe paffe à la maison de cam
pagne du Vicomie , dans un falon garni
d'antiques & de quantité de morceaux
d'hiftoire naturelle.
•
SCÈNE PREMIERE
DORLY , SÉLICOURT.
DORLY.
Vous avez un grand défaut , mon neveu.
SÉLICOURT. Quel eft ce défaut , mon
oncle?
48 MERCURE
DE FRANCE
.
DORLY. Vous ne parviendrez jamais.
SÉLICOURT . Je me foucie très- peu de
parvenir.
DORLY. Eh ! pourquoi ?
SÉLICOURT. Parce qu'on ne parvient
guères qu'à force de baffeffes .
DORLY. J'ai donc été bas , moi qui
fuis parvenu ?
SELICOURT. Ma foi , mon oncle, vous
avez fait comme tant d'autres qui ne
croient point l'avoir été , & qui n'en
confervent pas moins leur portion d'orgueil
.
DORLY. Vous retombez encore dans
ce défaut que je vous reprochois.
SELICOURT. Expliquez - le moi , je vous
prie je crois en avoir plus d'un , & il eſt
bon que je distingue celui qui vous choque
.
DORLY. C'est votre fincérité défefpérante.
Vous ne déguifez à ceux qui vous
parlent , ni leurs propres défaurs , ni les
vôtres.
SÉLICOURT. Eh ! pourquoi les déguifer
? Je m'expédie prefque toujours d'avance.
Ferai je à autrui plus de grace que
je ne m'en fais à moi-même ?
DORLY. J'augure bien mal de vos projets
, de vos amours & de votre mariage
JANVIER. 1772 49
fi vous ne daignez changer ici de ton.
Connoiffez - vous bien ceux à qui nous
avons à faire ?
SÉLICOURT. Vous en allez juger . Premièrement
, Dorimon , père de Sophie ,
eft un bon homme , auffi entêté de l'antiquité
de fa race que de celles de certaines
pièces qui compofent fon cabinet, &
je fçais , moi , qu'il eft également trompé
par les généalogiftes & par les brocanteurs.
Sa femme eft , dit- on , un peu trop
vouée aux Modernes , & fa fille , ma chè
re Sophie , cache avec autant de foins
fes penchans , que les auteurs de fes jours
affichent librement leurs travers.
DORLY. Appuïez , mon neveu ! En
continuant ainui vous donnerez beau jeu à
Dorigni , vorre rival.
SÉLICOURT. Il n'eft pas fans mérite
mais il verroit brûler votre maifon qu'il
ne vous en avertiroit pas , de peur de
vous caufer une émotion trop vive . C'eſt
l'homme le plus fait pour les petits foins ,
& le moins propre à tout le refte. Mais il
fait flatter ; il pourra plaire & parvenir.
DORLY. Perfuadez- vous bien , mon
neveu , qu'on finit par déplaire à tous ,
quand on veut ne faire grace à rien . Voi-
II. Vol. C
.༠ MERCURE
DE FRANCE.
ci la mère de votre future. Daignez , au
moins , diffimuler avec elle.
SCÈNE I I.
Les Acteurs précédens . ORPHISE,
ORPHIS E.
Comment ? Meffieurs , en converfation
reglée ? C'eft du férieux . Vous dif
fertiez , peut- être , fur quelques unes de
ces antiques. Il faut vous tirer d'entre les
morts. Comment trouvez- vous les nouveaux
embelliffemens que j'ai fait faire à
ma maiſon ?
DORLY. Madame , ils font du meilleur
goûr.
SÉLICOURT. Madame votre architecte
eft , fans doute , fort jeune ?
ORPHISE. Il arrive tout droit de Rome.
J'aime les jeunes gens , & leur hardieffe
heureufe.
SELICOURT. Il en résulte quelque fois
d'affez bonnes chofes .
>
ORPHISE. Je veux que chez moi tout
foit amoderné. J'aime , par exemple
qu'une maiſon ait l'air , à l'extérieur ,
de n'avoir ni toît , ni cheminées.
DORLY. La forme en eft bien plus
agréable .
JANVIER. 1772 .
SÉLICOURT. Il me femble pourtant que
cette forme ne fur imaginée que par des
gens qui étoient obligés de coucher fur le
faîte de leurs Maifons.
ORPHISE . Vous avez vu mes jardins?
DORLY. Madame , ils font charmans .
ORPHISE . C'étoient ( le croiriez- vous ?)
des jardins fruitiers ! J'ai fait arracher
tous ces arbres que nos bons peres plantoient
eux- mêmes : j'y ai fubftitué le
maronier & le tilleul . Vous n'y verrez
plus maintenant que des fleurs , du fable
& de belles peloufes. Je ne veux pas
qu'une Maifon de Plaifance ait l'air d'une
Ferme.
SÉLICOURT. Je crains fort qu'à la fin
chaque Ferme ne devienne une Maiſon
de Plaifance. Nous tirerons de l'Etranger
nos légumes & nos fruits . Voilà ce qu'on
appelle établir une nouvelle branche de
commerce.
DORLY à demie voix. Mon neveu !
ORPHISE. Vous tenez encore aux vieux
préjugés , tout jeune que vous êtes ! mon
mari eft plus excufable ; il eſt vieux . Sa
fureur eft d'avoir encore de ces falles où
l'on pourroit affembler les Etats , & de
ces foyers autour defquels toute une famille
pouvoit fe réunir. J'efpère le dé-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
terminer à faire conftruire un appartement
dans chaque falle .
DORLY. Ce fera fe conformer au goût
régnant .
SELICOURT. Il eft vrai qu'aujourd'hui
tous nos appartemens font en boudoirs.
ORPHISE . Mais où avez - vous donc
vécu , Monfieur , pour fronder ainfi tout
ce que l'ufage autorife ?
SÉLICOURT. Madame , je ne me pique
point d'être frondeur ; mais j'ai le malheur
de penfer tout haut.
ORPHISE. Il vaudroit encore mieux
ne penfer jamais . Efpérez- vous plaire à
beaucoup de gens en leur difant tout ce
que vous penfez ?
SÉLICOURT. Je ne crois pas avoir jamais
plû à perfonne , & j'en ai du regret ;
car peu de gens me déplaifent.
ORPHISE. Quoi ? vous n'êtes pas mifanthrope
?
SÉLICOURT. A Dieu ne plaife ! je veux
vivre avec les hommes , leur dire ce que
je penſe & d'eux & de moi ; ne jamais
contraindre ma penfèe , & les fouffrir
pour en être fouffert.
DORLY. Ah! l'inconfidéré !
ORPHISE . M. d'Orly , daignez me fuiJANVIER.
1772. 53
vre : j'ai quelque chofe à vous commu
niquer.
D'ORLY , à Sélicourt. Reftez- là , héros
de la fincérité !
SCÈNE II I.
SILICOURT , feul.
Voilà qui eft merveilleux . Les hommes,
& fur-tout les femmes , ne parlent que
pour être applaudis ; ne confultent que
pour être approuvés ; n'interrogent que
pour obtenir une réponſe flatteufe . On
veut que nous reffemblions à ces inftru .
mens qu'on ne peut toucher fans en tirer
des fons agréables . Mais j'apperçois ma
chère Sophie.
SCÈNE I V.
SOPHIE , SELICOURT. •
SOPHIE. Monfieur , j'efpérois trouver
ma mère ici.
SÉLICOURT. Elle en fort , belle Sophic
, & je crois en être la caufe.
SOPHIE . Vous m'étonnez , Monfieur.
SÉLICOURT. On ne s'accoutume point
à ma franchife .
SOPHIE. L'extrême franchiſe peut de-
C iij
5.4 MERCURE DE FRANCE.
venir choquante. Alors ce pourroit être un
défaut.
SÉLICOURT. Si c'en eft un , il eft du
moins fi rare qu'on devroit lui faire grace
en faveur de la nouveauté . Par exemple ,
belle Sophie , j'admire & j'aime en vous
mille belles qualités. Que ne puis - je y
trouver auffi le défaut dont nous parlons
!
SOPHIE. Un tel fouhait annonce au
moins un doute , & ce doute n'eft point
obligeant.
SÉLICOURT . Je voudrois bien pouvoir
l'éclaircir ; mais votre ame eft aufli enveloppée
que vos charmes font apparens.
SOPHIE. Vous favez quel rôle me prefcrit
ma fituation . Une fille bien née ne
peut difpofer d'elle que de l'aveu de ceux
à qui elle doit le jour. Elle ne doit point
laiffer agir fon coeur , puifque fon coeur
peut n'être pas
confulté.
SELICOURT. Mais , enfin , on laiffe deviner
ce qu'on ne dit pas.
SOPHIE . Ce feroit le dire..
SELICOURT . Ecoutez moi , belle Sophie
; j'ai un rival ?
SOPHIE. Je n'en fais rien.
SELICOURT. D'Orfigny vous rend des
hommages. Il eft le ferviteur de toute la
JANVIER. 1772 .
terre , à plus forte raifon le vôtre . Daignez
m'apprendre s'il eft mieux inſtruit de
fon fort que je ne le fuis du mien ?
SOPHIE . S'il n'a pu être inftruit que par
moi , vous pouvez compter qu'il ignore
tour.
SELICOURT. Courage ! voilà, du moins,
un extrait de fincérité. Dites- moi fi vous
auriez pu lui apprendre quelque chofe
d'agréable ?
SOPHIE.Voilà encore ce que je ne puis,
ni ne dois vous dire .
SÉLICOURT . Sans doute , pour ne point
me mortifier.
SOPHIE . Je ne dis pas cela .
SELICOURT. Quel excès de diffimula
tion ! Je vais encore vous donner un
exemple de franchife. J'aimois Dorimène
: fon humeur franche & vraie convenoit
à mon caractère . Vos charmes
l'ont emporté. Je fuis devenu infidèle ;
mais je n'ai pas été perfide . J'ai inftruit
Dorimène & de votre triomphe & du
charme invincible qui m'attachoit à
yous.
SOPHIE. Vous aimiez Dorimène ,
Monfieur ?
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
SELICOURT. Oui ; mais c'étoit avant
que je vous ainaffe , avant même que
vous cuffiez jamais paru à mes regards.
SOPHIE. Vous aimiez Dorimène !...
& vous avez eu la cruauté de lui annoncer
vous- même votre changement ?
SELICOURT. Rien n'eft plus fimple : je
ne voulois point qu'elle fût trompée plus
long-tems par mon filence.
SOPHIE . Allez , Monfieur ; il y a plus
de barbarie que de franchife dans ce procédé.
SÉLICOURT. Raffurez vous . Dorimène
a très-bien pris la chofe . Elle s'eft même
excufée de ne m'avoir pas prévenu , ayant
elle-même un pareil changement à m'apprendre.
SOPHIE. Il n'importe. C'est vous qui
avez eu la dureté de la prévenir . Eh ! qui
me répondra qu'au premier jour vous
n'ayez pas occafion d'exercer la même
fincérité envers moi ? L'aveu d'une infidélité
, qu'on ne répare point , nous humilie
encore plus que l'infidélité même.
( Ellefort. )
JANVIER. 1772. 57
SCÈNE V.
SÉLICOURT feul.
Et deux ! Si Dorimon eft aufli ennemi
de la fincérité que fa femme & fa fille,
paroiffent l'être , ni ma franchife ni moi
ne feront pas long féjour ici. Il est pourtant
vrai que j'aime Sophie. Hé bien !
contraignons-nous. La crainte de la perdre
mérite bien que je diffimule certaines
vérités qu'on débite fi fouvent en pure
perte.
SCÈNE V I.
SÉLICOURT , UN BROCANTEUR.
LE BROCANTEUR . Monfieur , feriezvous
Monfieur Dorimon ?
SÉLICOURT. Je ne le fuis pas ; mais
que voulez- vous ?
LE BROCANTEUR. Lui faire voir beau
coup de nouvelles antiquités.
SÉLICOURT. Vous faites-là un métier
propre à faire bien des dupes.
LE BROCANTEUR. Monfieur n'eft donc
pas antiquaire ?
SÉLICOURT . Le ciel m'en préferve.
Cr
$8 MERCURE
DE FRANCE
.
LE BROCANTEUR . Et Monfieur n'eft
pas Monfieur Dorimon ?
SÉLICOURT . Non , encore une fois.
LE BROCANTEUR . En ce cas , Monfieur
, mon métier & moi , fommes tout
ce qu'il vous plaira , puifque vous n'achetez
rien.
SELICOURT . Mais ne crains tu pas que
je ne prévienne Dorimon de ce que tu es ,
& de ce que tu lui apportes ?
LE BROCANTEUR. Tout cela n'y feroit
rien. Un amateur eft comme un amoureux
dites au premier du mal de fa maî
treffe , il n'en aura que plus envie de la
revoir ; dites à l'autre du mal de ce que
nous lui vendons , il n'en aura que plus
envie d'acheter.
SELICOURT. Une chofe m'étonne . C'eſt
que tant d'hommes fenfés , ou qui ſe piquent
de l'être , échangent fi fouvent une
fortune réelle contre de pareilles futilités
.
LE BROCANTEUR. Il faut bien que tout
le monde vive . C'eft la manie des uns
qui fait fubfifter les autres . Je vendois
au- paravant une marchandife , qui , malheureufement
, n'eft plus à la mode . C'étoient
des livres . Chacun lifoit , chacun
vouloit en avoir. Les médailles & les
JANVIER . 1772. 59
coquilles leur ont donné du deffous . On
vouloit connoître les actions d'un Empereur
, d'un grand homme . On fe borne
aujourd'hui à voir comment il eut le nez
fait . Je pris donc mon parti ; je troquai
tous mes livres contre des médailles , des
coquilles & d'autres morceaux friands
pour nos amateurs. Par exemple , je donnai
vingt exemplaires du Molière pour
une dent d'éléphant , quarante exemplaires
du Corneille pour une machoire d'âne
des Indes , & toute la belle Collection
des Fables de la Fontaine pour la peau du
loup qu'il y fait parler.
là
SELICOURT. Son ingénuité me plaît .
Après tout , le charlatanifme de ces gens
peut fervir à ralentir la frénélie de nos
amateurs enthouſiaſtes , ( haut .) Vous leur
faites , fans doute , payer un peu cher ces
acquifitions futiles?"
LE BROCANTEUR . Je leur vend des
médailles de cuivre un peu plus qu'au
poids de l'or. Je fais donner un air de
vieilleffe à celles qui pourroient fembler
trop jeunes je les défigure à propos , &
moins on y comprend , plus on les eftime.
SÉLICOURT. Tu n'as donc pas encore
trompé Dorimon ?
C vj
60
MERCURE DE FRANCE.
LE BROCANTEUR. Je ne lui ai encore
rien vendu .
SÉLICOURT. C'eft ce que je voulois dire.
Mais qui a pu t'informer de fon goût.
LE BROCANTEUR . Oh ! nous fentons
cela de vingt lieues , nous autres ; & puis ,
M. le Chevalier d'Origny eft un bon guide.
Jugez- en par fa lettre .
SÉLICOURT lit à haute voix . Rends- toi
demain chez le Vicomte Dorimon , à fa
campagne, & porte lui tout ce que tu voudras.
C'eft un bon homme , à qui le médailler
& le coquiller tournent la tête. Ne crains
pas qu'il te chicanne fur le prix , il craint
trop lui-même de dévoiler par làfon igno
rance.
( à part , après avoir lu. )
Monfieur l'homme aux révérences !
voilà qui eft un peu lefte.
LE BROCANTEUR . On vient. Eft - ce
Monfieur le Vicomte ?
SÉLICOURT. C'eft lui- même.
LE BROCANTEUR . Ne metrahiffez pas ;
au moins !
SÉLICOURT. Va , fais ton métier ; mais
n'abuſe point de tes avantages .
JANVIER . 1772. 61
SCÈNE VII.
DORIMON , DORIGNY , les acteurs précédens
.
DORIMON tenant à la main une vieille
coupe.
Voici une piéce qui va bien enrichir
mon cabinet. C'eft la coupe dans laquelle
Socrate but autrefois la cigue.
DORIGNY. Je vous la garantis bien au
tentique.
DORIMON à Sélicourt. Monfieur le
Chevalier m'en promet une encore plus
intéreffante ; celle avec laquelle Alexandre
-s'enivra pour la dernière fois .
SELICOURT ( à part. ) Quelle imprudence
d'une part , & quelle crédulité de
l'autre !
DORIGNY à Dorimon . Monfieur le
Vicomte , voilà l'homme que je vous
avois adreflé.
DORIMON. Hé bien !
m'apportes- tu
beaucoup de chofes précieuſes ?
LE BROCANTEUR. Monfieur le Vicomte
, je n'en ai pas d'autres. Tenez , voici
la plume avec laquelle Charlemagne fignoit
fon nom .
62 MERCURE DE FRANCE.
SÉLICOURT. Charlemagne ne fçavoit
pas figner.
LE BROCANTEUR. La preuve du cons
traire , c'est qu'on a confervé fa plume.
Voici quelque chofe de plus rare : c'eſt
un morceau de la toile que brodoit Pénélope....
SELICOURT. Vous favez que cette hiſtoire
eft abfurde , même dans Homère.
DORIMON. Oh ! je fais que vous n'approuvez
jamais rien . Croiriez- vous , par
exemple , que j'ai ici la lampe de Démofthène?
SÉLICOURT. On fçait que Démosthène
fe fervoit d'une lampe ; mais en fuppofant
qu'elle vous ait été fidélement tranf
mife , je ne vois pas quel mérite elle a
aujourd'hui pat-deffus les autres lampes
de fon tems.
DORIMON . Monfieur le Marquis , je
vous trouve une franchiſe un peu cynique .
DORIGNY d'un ton affectueux . La lampe
de Démosthène , Monfieur , nous rappelle
que ce fut à fa lueur qu'il compofa
tant de chefs d'oeuvres immortels .
SÉLICOURT. Il est un moyen plus sûr
de fe les rappeler ; c'eft de les lire .
DORIMON vivement. Et fi je ne veux
pas lire , moi?
JANVIER. 1772
63
SÉLICOURT . A Vous très - permis.
DORIMON toujours avec humeur. Eh !
fije veux avoir ici les lunettes de Platon,
fans y fouffrir un feul de fes ouvrages ?
SÉLICOURT. Platon ne connoiffoit pas
les lunettes.
DORIGNY . Il faut , pourtant, croire
qu'il avoit quelque chofe d'équivalent ,
u bien il auroit ceffé d'écrire plutôt.
SÉLICOURT. Comme il vous plaira ;
mais il n'avoit point de lunettes .
DORIMON à Dorigny. Chevalier ! ma
fille eft à vous . Je ne veux pas d'un gendre
qui me contrarie , même avant que
de l'être.
SÉLICOURT. Monfieur , daignez m'accorder
Sophie , & ne point me confulter
fur vos antiques , je vous réponds d'une
paix éternelle .
DORIMON. Non , Monfieur , je veux
un gendre qui époufe & ma fille & mon
cabinet. D'ailleurs , j'ai trop d'obligations
au Chevalier ; il travaille , en même
tems , & à fatisfaire mes goûts , & à maintenir
ma fortune .
DORIGNY en s'inclinant. Ah , Monfieur
, tout ce que j'ai fait eft bien peu de
chofe.
64 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VIII , & DERNIERE.
Les Acteurs précédens . OHPHISE , SOPHIE
& DORLY .
ORPHISE à Dorly. Oui , je fens bien
qu'il faut pardonner quelque chofe à la
franchiſe de fon âge . A cela près , il a
d'excellentes qualités.
DORIMON à Orphife. Madame , je
viens d'engager ma parole au Chevalier.
Je vous prie de le regarder , dès ce moment
, comme votre gendre.
SOPHIE ( à part. ) Ah ciel !
ORPHISE . Monfieur ! écoutez moi.
DORIMON. Ma parole eft donnée ; je
ne veux plus rien entendre .
DORLY à fon neveu. J'avois raifon de
craindre quelque nouvelle imprudence .
ORPHISE à Dorimon. Monfieur , votre
parole fut d'abord donnée à Sélicourt ,
fouvenez- vous- en , & confultez la reconnoiffance.
Nous femmes redevables au
Marquis de la faveur que le Miniftre
vient de nous accorder.
*
DORIMON. C'est au Chevalier ; il me
l'a dit lui- même.
JANVIER . 1772 .
65
DORIGNY avec embarras. Il est vrai que
j'ai eu le bonheur de faire quelques démarches
.
ORPHISE . C'eſt au Marquis , vous disje.
La lettre que m'écrit le Miniftre en
eft une preuve. ( Elle lui donne cette lettre.)
DORIMON ( après avoir lu . ) On n'en
peut plus douter. Pourquoi donc (à Sélicourt.)
n'en difiez - vous rien ?
SÉLICOURT. Ces chofes- là méritent peu
qu'on en parle. D'ailleurs , j'ai moins fait
pour vous que vous ne préfumez . Il fut
queftion de votre affaire chez le Miniftre
où je me trouvois à dîner. Je parlai de
vous comme je le devois , & comme je
parlerois de toute autre perfonne que j'ef
time. Apparemment qu'il jugea que vos
intérêts m'étoient chers. Le bien qu'il me
veut a fait le refte .
ORPHISE, Il nous l'avoue : il ajoute
même que la franchiſe de votre caractère
a donné le plus grand poids à vos éloges.
C'est peut- être la premiere fois que la fincérité
a été comptée pour quelque choſe.
à la Cour.
DORIGNY à Dorimon . Monfieur , un
fervice rendu fans intention ne doit pas
faire oublier celle qu'un autre a eu de le
rendre. J'adore Sophie ; je n'épargne
66 MERCURE DE FRANCE.
rien pour mériter fon coeur , & vous
m'avez promis fa main. J'en appelle à
votre parole , à mon attachement pour
vous , à mon refpect ....
SÉLICOURT . C'en eft trop , & j'en ap
pelle moi- même à votre conduite , à vos
difcours , à vos écrits ... ( Il tire une lettre
de fa poche. )
LE BROCANTEUR ( en effayant de lafaifir.
) Ah ! Menfieur , rendez moi ma
lettre !
SÉLICOURT. Non , je ne dois la rendre'
qu'à celui qui n'auroit point dû l'écrire : il
feroit fâcheux pour lui qu'elle tombât dans'
d'autres mains. ( Il donne la lettre à Dorigny
)
DORIGNY déconcerté , & après avoirfait
femblant de la parcourir. Cette lettre exige
que je parte fur le champ . ( à Dorimon . Y
Monfieur , je vous rends votre parole. Il
vous feroit même , je l'avoue , très petmis
de la reprendre .
DORIMON . Comment ? Qu'est- ce que
tout cela veut dire ?
LE BROCANTEUR . Cela veut dire que
je ferai bien de le fuivre ; car je vois que
nous vendrions tous deux ici fort mal nos
coquilles ( Ilfort. )
SELICOURT. Daignez ne pas approfonJANVIER.
1772. 69
dir davantage ce miférable mystère , &
accordez-moi votre bienveillance
Sophie.
&
DORIMON . Soit ; mais un peu plus de
refpect pour mes antiques.
SELICOURT . Je vous promets de me
faire violence.
DORLY ( à part . ) Fort bien !
ORPHISE . Ne calomniez plus mes bâtimens.
SELICOURT. Je n'en dirai pas un mot .
DORLY (àpart.) Il eft incorrigible .
SELICOURT. Et vous , belle Sophie , ne
ferez vous qu'obéir ?
SOPHIE . J'obéirai , du moins , volon
tiers ; mais plus de fincérité qui humilie.
SÉLICOURT. Et vous , plus de diflimulation
qui inquiète .
DORIMON. Allons , mon gendre ,
foyez à l'uniffon des autres hommes ,
puifque vous prétendez vivre parmi eux .
Vous dites fort fouvent des vérités ; mais
l'expérience & certain proverbe ont du
vous apprendre que toute vérité n'eft pas
bonne à dire,
Par M, de la Dixmerie,
63 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour le portrait de M. Dauberval ,
danfeur de l'Académie royale de Mufique.
C'EST Zéphire amoureux qui veut carefler
Flore ,
C'est un fatyre ardent & bouillant de defir ,
Il pourfuit tendrement la nymphe qu'il adore ,
Et fait briller les éclairs du plaifir ;
C'eft Momus , folâtrant au jardin de Cythère ,
C'eft Jupiter pour un rival.
Cupidon croit l'avoir pour frère ,
Al'opéra c'eft Dauberval.
A M. le Comte de Korguen , jeune homme
deftiné au fervice , en lui faisant le préfent
des trois volumes des Elémens de la
Poëfie Françoife.
Les Mufes dans les camps ne font plus étrangè • ES
res ;
Leurs graces vives & légères
S'animent au bruit du canon ;
Les élèves de Mars affiégent l'Hélicon :
JANVIE R. 1772 . 69
L'officier , fans rougir , peut du haut du Permeffe
Se permettre l'heureufe ivrefle,
Préférez Polybe & Folard ;
Délaflez -vous avec Horace ;
Franchiflez avec lui le fommet du Parnafle ,
D'aimables Souverains ont ennobli fon art.
Dans ce livre oblervez l'exacte poësie ,
Il doit toujours guider les élans du génie.
Fait pour les captiver , cultivez les neuffoeurs,
Rival des chantres d'Aufonie ,
Reflufcitez leur harmonic ;
Un fi noble exercice offre mille douceurs.
Les Muſes à vos voeux ne feront point rebelles ;
Mais pour plaire à ces immortelles ,
Songez qu'il faut toujours ofer avoir des moeurs.
QUATRA I N.
A M. le Duc DE BRISSAC.
UNN triomphe eft moins beau que cette illuftre
fête ,
Les Chevaliers Français en confacrent le jour ;
L'honneur les réunit , BRISSAC eft à leur tête ,
Il en eft l'ornemens , le modèle & l'amour.
Par M. Feutry.
70
MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du premier volume du mois de
Janvier 1772 , eft l'Année , dans lequel
on ne trouve point mois. Celui de la
feconde eft l'Eteignoir ; celui de la troifième
eft Mafque ; celui de la quatrième
eft Prairie. Le mot du premier logogryphe
eſt fourire , dans lequel on trouvefire,
Rofe , ours , fou , io , ire , ou , os , foeur ;
celui du fecond eft Janvier , en fupprimant
la première & les quatre dernières
lettres , il reste an ; celui du troiſième eft
Tabac , oùfe trouve bac.
ENIGMES & LOGOGRYPHES .
Les énigmes & logogryphes fuivans font
du même auteur. Il prétend que depuis
long- tems cette partie inégrante du Mercure
, qui tient àfa première origine , y eft
fouvent négligée. Il reste à favoir s'il
fera changer le Public d'avis.
JANVIER. 1772 . 78
ENIGME
SORTANT d'une obfcure priſon ,
De mon libérateur j'allois être la proie :
Un tiers plus fin que lui , fans dire de raifon,
La force en main vint rabattre fa joie.
Souventje meurs fans avoir vu le jour.
Des champs on m'apporte à la ville ,
Où l'on connoît mon prix auffi bien qu'à la cour ,
Rarement je deviens utile
Qu'après avoir paflé par les quatre élémens :
Quelquefois au lieu d'eau c'eft du vin que je
prends.
Ma couleur n'eft pas éclatante ,
Ma figure eft baroque & toujours différente ;
C'eft la terre qui me produit :
Je ne fuis légume ni plante ,
Racine , fleur , herbe ni fruit;
Encore moins je fuis un arbre.
Je ne luis ni métal ni pierre ; fi pourtant
Je tiens quelque chofe du marbre ,
Mon prix en deviendra plus grand,
72 MERCURE
DE FRANCE
.
RAREME
AUTRE.
AREMENT on me voit , fouvent on me regarde
;
Celle que je défends me porte fur fon coeur ;
Contre les traits d'un fier vainqueur
Je fuis la feule fauvegarde.
J'ai le teint brun ; quelque fois cependant
Le rouge me monte au viſage ,
Lorfque mon ennemi me careffe & m'outrage :
Son triomphe eft encor plus grand
Quand je pâlis par l'effort de fa rage.
AUTR E.
L'INDULGEN INDULGENTE & ſage nature
Aime à confoler fes enfans .
Malgré mes foixante & dix ans ,
Mes piés figés & vacillants
D'une volupté douce & pure
Je goûte les raviflemens ,
Qui me rappellent mon printems.
Unc
JANVIER. 1772: 73
Une fois ou deux la ſemaine
J'éprouve ces heureux momens ;
Alors une extaze foudaine
Surprend , enivre tous mes fens
Jufqu'à neuf fois je perds haleine
Par tout autant d'E.
Le mot restéen blanc eft celui de l'énigme
LOGOGRYPH E.
D'UN ' UN mêts fort dégoûtant mon tout offre l'i
mage.
Ce tout , fingulier aflemblage ,
Peut en trois tiers égaux être décomposé
Le premier , ton cadet peut-être ,
Et que ton père à coup-für a vu naître ,
T'aura quelquefois amuſé. 1
Le fecond , s'il n'eft pas brifé ,
Eft un meuble d'un grand ufage ;
Néceflaite même au ſauvage.
Quant au troisième , ennemi des attraits
Les femmes n'en parlent jamais ;
C'eft pourtant les trois quarts du fage.
Mais voyons mes trois tiers deux à deux combinés.
Les deux premiers , aux jeux , aux plaiſirs deſtinés
,
Ont le plus fombre deuil pour unique parure :
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Les deux derniers en s'approchant du nez
Souvent menacent de brûlure.
Premier & dernier tiers réunis , devinez :
J'annonce un heureux choix. Lecteur , je te fais
grace
De cent autres objets que dans mon ſein j'embraſſe.
AUTRE.
TANTÔT monftre effraïant , tantôt difciplinable
,
Toujours je porte un nom qui répand la terreur.
Otez mon col : je fus un objet vénérable ,
Chez un peuple aflez mépriſable ,
Pour qu'un os d'âne lui fit peur.
Prenez mes piés : ils font tout le monde & per-
(onne.
Joignez - les à mon chef je fuis ce qu'on vous
donne , ..
Quand quelqu'un vous fait un préfent.
Otez- moi la tête & la queue ;
Faites au refte encore , un petit changement ;
J'ai porté des héros fur une plaine bleue ;
Un autre vous diroit fur l'humide élément. 2:
Mais qu'alloient - ils chercher fur un lointain ri
vage ?
Quoi ? ma moitié faifoit l'objet de leur voyage,
JANVIER. 1772. 75
A
AUTRE.
MES feuls favoris je me montre de jour ;
Mais en grand appareil avec l'air du myſtère.
Les bords de ma moitié dernière
Sont inondés dans leur contour.
Mon chefde moins , nuit & jour je vous touche.
Otez - moi le nombril ; mais rendez - moi mon
chef;
D'auffi loin qu'il me voit le Diable s'effarouche.
Otez encor mon col , le patron d'une nef
Me révéroit jadis ; mais ici -bas tout paſſe ,
St Nicolas a pris ma place.
AUTRE.
Mon père , quand il eft bien vieux , ON
En périflant me donne l'être.
Mes membres déchirés à toi - même peut-être
Offrenten certain cas un fecours précieux.
Mon chef coupé me change en un monftre odieux.
Ote-lui fon pied droit , je flatte les oreilles
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
Par mes accords harmonieux.
Fais deux parts de mon tout au vieux tems des
merveilles ,
La première portoit les héros & les dieux ;
L'autre a porté Turenne , & par fois la thiare.
Et dans un autre lens , fidèle image de l'avare ,
L'argent , l'or enfoui pour elle ont des appas .
Mais dans mon fein fécond que ne trouve- t- on
pas ?
Volons au bord du Nil , contemples- y le Phare ,
Dans les ruines de Memphis
Un oeil perçant peut découvrir Icare ;
Et dans cette ifte où le plaifoit Cypris
L'arme cruelle de fon fils.
Ici regna Maufole , ici finit Byzance.
Je t'ai fait voir bien du
pays :
Es-tu las ? revenons en France ,
Tu trouveras chez moi chair & poiflon ;
Mais poiflon de plus d'une espèce .
L'homme qui gravement fe promene à la meſſe ,
A tout ce qu'il te faut pour deviner mon nom.
JANVIER . 1772. 77
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Voyage de la raison en Europe ; par l'au
teur des Lettres recréatives & morales ;
vol. in- 12. A Compiegne , chez Louis
Bertrand , libraire ; à Paris , chez Saillant
& Nyon , libraires , rue St Jeande-
Beauvais .
PLUSIEURS Nations dont il eſt parlé dans
ce voyage ne fe rappelleront peut-être pas
d'avoir été vifitées en 1769 , par la rai
fon qui avoit pris la taille & la phyfionomie
d'un philofophe aimable & le nom
de Lucidor. Ce philofophe ou plutôt la
raifon qui eft cenfée nous donner ici fes
obfervations , a moins cherché à plaire
par des réflexions neuves & faillantes
qu'à fe rendre utile par une légere critique
des moeurs & ufages qu'elle a droit de
cenfurer.
Notre philofophe s'arrêta fur - tout en
France , dont il parcourut les différentes
provinces. Mauvais chemins , mauvais
gites , mais bonne chère , bonnes gens ,
voilà ce qu'il trouva dans le Poitou. La
groffe gaîté qui fubfifte encore parmi les
D iij
3 MERCURE DE FRANCE.
Poitevins eft la preuve d'un bon caractère.
Les ris ne font apprêtés que parce qu'il
n'y a plus de franchife ni cordialité. La
promenade de Poitiers lui parut , valoir
nieux que toute la ville ; elle eft réellement
magnifique , fans cependant approcher
des tuileries , comme le prétendent
les habitans . Il n'y apperçut que quelques
perfonnes difperfées ça & là , qui avoient
l'air de ces ombres errantes dont parle
Virgile au fixième livre de fon Enéide.
Loudun fixa l'attention de Lucidor ; &
autant qu'il en peut juger , il lui fembla
que Rabelais avoit outré les chofes , lorfqu'il
dir que le Diable , en montrant au
Fils de Dieu tous les royaumes du monde ,
s'étoit référvé comme fon domaine chatelle
raut , Chinon , Donfront & fur tout Lou
dun.
Le Berry , quoiqu'au centre de la France
, lui parut un défert. « La ville même
» de Bourges n'a prefque pas d'habitans .
» On n'y rencontre perfonne ; & pour
» peu qu'un étranger y féjourne , on le
» croit exilé. L'univerfité raffemble quel-
» ques étudians , mais en fi petite quan-
» tité , qu'elle paroît garder l'incognito.
Quelques affemblées que Lucidor fré
» quenta étoient au bain mari. Elles ne
JANVIER. 1772 79
"
» font point affez nombreuſes pour exci-
» ter l'émulation , mais un Wisk fup-
» plée à tout.
C'est dommage que l'on ne connoiffe
» la Marche que par les tapifferies d'Au-
» buffon. I1l1 femble que l'efprit y foit en-
» touré d'épines , & qu'il ne puiffe per-
» cer.
»
رد
Limoges lui fit voir des habitans induftrieux.
Le commerce y a beaucoup
d'activité , mais les fciences y paroiffent
en quelque forte étrangères. On
» lui parla beaucoup des détails de la
» campagne. Il fallut voir tous les che-
» vaux de la province , & on ne lui fic
» pas grace d'un poulain .
""
"
» Brive - la - Gaillarde qui n'a rien de
gaillard , le reçut comme tout le mon-
» de ; & Tulles le jugea un homme ex-
» traordinaire. Mais ce qui rejouit Lu-
» cidor , fut de prendre fur le fait nom-
» bre d'officiers élégans qui , dans les gar-
33
nifons , ne trouvent ni fociété, ni ville
» à leur gré , & qui , pendant leur fémeftre
, habitoient d'honnêtes chaumières
décorées du nom de châteaux. Alors il
» falloit fe contenter d'un trifte gîte,d'un
» dîner extrêmement frugal , fuivre les
payfans dans leurs travaux , & n'avoir
"
Div
30 MERCURE DE FRANCE:
fouvent pour toute perfpective que des
foeurs bien laides ou ruftiques . Ajoutez
à cela que c'eft prefque toujours la fête
» des lampes ; on n'y brûloit que de l'hui
» le qui empefte.
" Lucidor ne fut pas long - tems fans
» s'appercevoir qu'Angoulême étoit le
» pays de la bonne chère. C'étoit une
fucceffion de repas qui ne finiffoient
» point, ou plutôt une manufacture d'in-
» digeſtions. »
Nous pourrions citer d'autres plaifanteries
pareilles que l'on auroit peut- être
de la peine à fupporter dans une converfation
familière & même au milieu de la
joie bruyante d'un feftin . Les perfonnes
de province trouveront d'ailleurs que Lucidor
rit un peu amèrement à leurs dépens
, que fes remarques font trop générales
& ne portent point fur des objets
affez intéredans. La taifon , pendant fon
féjour à Paris , obferva « que cette capitale
eft un monde où chaque quartier
» compofe une province . Le ton du fau-
» bourg St Honoré n'eft point celui du
fauxbourg St Germain ; le Marais a des
» manières plus unies que les environs
» du Palais royal ou du Luxembourg. On
y dîne & l'on y foupe à la façon des
29
JANVIER. 1772. 81.
bourgeois ; & les modes , quelquefois
» mêmes les nouvelles , n'y parviennent
» que tard , relativement aux quartiers
plus brillans & plus fréquentés . » Ceci
a déjà été dit & pouvoit être vrai autrefois
que les voitures étoient moins nom→
breufes à Paris : chaque famille étoit alors
obligée de fe former dans le quartier où
elle fe trouvoit , des fociétés qui avoient
peu de communication avec les fociétés
des autres quartiers.
Le portrait que Lucidor nous fait des
cafés de Paris ne convient pas plus à
ces endroits publics qu'à tous les autres
lieux où une multitude de faineans ont
coutume de fe raffembler. Les variations.
des modes attirent fur les Parifiens principalement
les farcafmes de notre voya
gear. a Etre à Paris fans voir de modes,
» c'est exactement fe fermer les yeux .
Les places , les rues , les boutiques, les
équipages , les habillemens , les perfonnes
, tout ne préfente que cela. Le Pa
» rifien eft tellement fanatique de la nou-
» veauté , que la religion même ne déplaît
à certains étourdis que parce qu'el
» le eft trop ancienne. Un habit de quinze
» jours paffe pour très vieux parmi les
gens du bel air. Ils veulent des étoffes
"
"
Dv
82 MERCURE DE FRANCE:
» neuves , des brochures nailfantes , des
» fyftêmes modernes , des amis du jour .
Lorsqu'une mode commence à éclore ,
» la capitale en raffole , & perfonne n'ofe
fe montrer , s'il n'eft décoré de la nou-
» velle parure. Mais la mode exerce
également fes caprices dans toutes les
grandes villes devenues le rendez - vous
des étrangers & des gens oififs. Ceux- ci
cherchant à fe diftinguer , du moins dans
leurs coteries , trouvent qu'il eft plus aifé
d'acquérir cette célébrité éphemère par
un habit élégant ou une coëffure nouvel
le que par une bonne action . Les ouvra¬
ges de mode font d'ailleurs une branche
utile de commerce pour les Parifiens , &
fi les étrangers paient chérement ces bagatelles
, de quel côté eft le ridicule ?
"
·
Rien de plus joliment imaginé , ajoute-
» t'on ici , que de porter une époque fut
» fa tête ou fur fes habits. Ainfi des coëf-
» fures à la Port Mahon atteftoient la
prife de cette ville . Nous en aurons
» fans doute inceffament qui défigneroic
la
guerre des Ruffes avec les Turcs , &
» vraisemblablement on leur donnera la
» forme d'un turban. » Mais qu'on leur
donne cette forme ou celle d'un croiffet,
n'importe , pourvu que l'honnête ouvrier
ود
JANVIER . 1772. 83
trouve dans le bénéfice que ces changemens
lui rapportent de quoi fournir à fon
entretien & mariet fes filles.
La Raifon vifite la Turquie , les pays
du Nord , l'Allemagne , l'Italie . Cette
voyageufe fatiguée apparemment de voir
par- tout regner les illufions & les préjugés
, fe dépouille de l'enveloppe mortelle
dont elle s'étoit couverte & retourne dans
l'Olympe avec le projet néanmoins de
continuer fes voyages en Amérique , en
Afrique & en Afie.
Traductions de diverfes OEuvres , compofées
en Allemand , en vers & en profe ,
par M. Jacobi , chanoine d'Halberftar .
On trouve des couleurs pour peindre la nature ;
Mais quel heureux pinceau trace le fentiment ?
Le chercher , c'est le fuir le fentir , c'est le pein
dre ;
C'eft en mériter les faveurs.
OEuvres du C. de *** , tom . II , n. 60.
Vol. in 8 , grand format . A Paris ,
chez le Clerc , Libraire , Quai des Auguftins
, prix , liv. broché,
3
Lorfqu'un arsite a entrepris de nous
faire voir fous les traits de fon crayon ,
D vj
84
MERCURE
DE FRANCE
.
l'on
un tableau de l'Albane , tout ce que
a droit d'exiger de lui , eft qu'il nous
rende l'heureufe difpofition des grouppes ,
la naïveté des expreflions , les graces du
deffin ; mais on ne doit point efpérer
qu'il reveille en nous les mêmes fentimens
que le modèle qu'il copie . Cette
couleur tendre & animée qui diftingue
les poëfies originales de M. Jacobi , dif
paroît néceffairement dans une traduction.
On pourra , néanmoins le convaincre
, en lifant plufieurs pièces de ce recueil
, de l'heureufe application que l'on
a faite aux poëfies de M. Jacobi , de ce
jugement porté fur les tableaux de l'Albane
; qu'ils inſpiroient la joie , & que
fansjamais bleffer la pudeur , ils faifoient
naître le plaifir.
La première pièce de ce recueil eft
adreffée au lit de Belinde,
"
}
vadkami ,
» Petit lit , où répofent la beauté &
» l'innocence , heureux fanctuaire de la
» mour! près duquel même un Satyre effronté
feroit refpectueux , & timide ;
» j'éparpillerai autour de toi des fleurs
odorantes ; tu ne feras point profané
» par un Poëte , qui , én badinant avec
» l'Amour , fent encore le prix de la fageffe
. Frémillemens fecrets , volupté.
JANVIER. 1772:
"
39
» tranquille , venez faifir l'ame d'un
jeune homme ! ... Couche adorée de
» mon Amante , montre-moi l'image de
Belinde ; tu vois ici tous fes attraits dé-
» voilés ; ici peut- être les fons d'une voix
» à demi éteinte , te découvrent ce qui
» manque à fes fouhaits , & ce qu'elle fe
» cache à elle- même.
» Tes rideaux s'agitent , je vois des
fonges fe gliffer à travers : troupe char-
» mante beaux comme les enfans de
Cypris , ils voltigent autour de cette
» fille vertueufe. Belinde fe fâche , la
» pudeur , la jeuneffe & les defirs colo
rent fes joues .
"
"
» Maintenant lorfqu'elle s'éveillera , &
que plus tendre , troublée encore par
» les fantômes du plaifir , elle fourira à
» l'aurore ; quand d'une main agile les
» Graces lui jetteront ce vêtement leger ,
qui trahit tous fes charmes : alors , ah !
c'eft alors , que je te porte envie !
» Mais ce petit temple ne doit
» entendre des voeux indifcrets ; je ne
permettrai que des foupirs auffi mo-
» deftes que le langage des Amours qui
» s'entretiennent avec Cythère,
pas
» Vous qui , enflammés d'une ardeur
« brutale , n'avez jamais connu le Dieu
8.6 MERCURE DE FRANCE.
» de l'Amour ! déchirez d'une main té-,
» méraire ces voiles faints , que les Graces,
» ont tiffus à la beauté ; tandis qu'un
amant délicat tremble en voyant le lit
» de Belinde , s'éloigne par un mouve-
» ment refpectueux de fa demeure , & ne
cherche Belinde que dans de riantes,
» prairies , où des Dieux gardent les
troupeaux avec cette douce Bergere ;
» c'est là qu'il la pourfuit fur les fleurs
qu'il l'atteint l'embraffe , & , fans remords
, eft plus heureux que vous dans
» l'ivreffe de vos plaifirs ».
ม
»
Le morceau , le plus confidérable de
ce Recueil , eft l'Elysée , drame mêlé
d'ariettes , repréfenté , pour la premiere
fois , à Hanovre , par les comédiens ordinaires
du Roi , le 18 Janvier 1769. Le
Poëte a cherché à peindre dans ce drame
la joie innocente dont jouit un coeur pur
par le fouvenir du bien qu'il a fait . Elife
jeune bergere , admife dans les champs
Elyfées , prend part aux doux plaifirs qui
y regnent ; mais ces plaifirs ne lui étoient
pas tout à fait inconnus . « J'en goutai
une partie , dit- elle , le jour que j'allai en
ville pour y vendre quelques fruits.
" Oh , comme il avoit faim , ce pauvre
homme , qui vint me demander l'au-
39
"
(t
JANVI E R. 1772. 87
» mône fous le tilleul près duquel je
» m'étois aflife fur la route ! hélas je ne
pouvois lui donner que quelques fruits
» de ma corbeille , & la moitié du pain
"
dont je faifois mon repas ! qu'il avoit
» l'air content en fe plaçant à mon côté ,
» & que mon pain , après l'avoir partagé
» avec lui , me paroiffoit favoureux ! Au
» même inftant un cartoffe magnifique
» palla devant nous.... Je jetai les yeux fur
"ma petite corbeille.... O les pauvres
»gens ! un homme qui auroit faim n'ofe-
>> roit approcher de leur table , & manger
» dans leurs plats d'argent . Quand , par la
troifiéme main , ils lui font porter quel
que chofe , & qu'ils ne fe foucient pas
» de voir eux - mêmes la joie qu'ils lui
» caufent , quel plaifir leur en revient-
" il » ?
"
Hygieine five ars fanitatem confervandi ,
poëma. L'Hygiène ou l'art de conferver
la fanté , poëme ; par M. Geoffroy
docteur & ancien profeffeur en médecine
de l'univerfité de Paris ; vol. in-
8°. A Paris , chez Cavelier , rue St Jacques
, au lis d'or.
Il eft rare quand on fe porte bien que
l'on demande confeil fur la conduite qu'il
88 MERCURE DE FRANCE.
faut tenir pour continuer à jouir de cet
avantage. La plupart des hommes font
portés à croire que le feul objet de la médecine
eft de guérir les maladies. On ne
peut donc que favoir gré à M. Geoffroy
de contribuer par fon beau poëme fur
l'Hygiène à nous détromper de cette erreur.
Il nous apprend à nous paffer de
médecin ou du moins à être de nous- même
le premier médecin , fur- tout fi nous
ne fommes point à portée d'en confulter
qui foient éclairés ; ce qui eft plus fâcheux
encoré que d'en manquer abfolument. Il
nous confirme par fes óbfervations or
nées de toutes les graces de la poësie , la
vérité de cette maxime du docteur Celfe
: Optima medicina eft non uti mediciná.
Ce poëme eft divifé en fept livres ou
chants . Le poëte nous entretient dans le
premier livre de l'air & des influences de
l'atmosphère , des météores & des exhalaifons
de la terre fur l'économie animale.
Il est question dans le fecond & le
troifième livre des alimens & de la boiffon.
Le quatrième livre traite du mouvement
& du repos . Le cinquième du fommeil
& de la veille . La matière des fécrétions
& celles des fuppreffions forment
JANVIER. 1772
89
l'objet du fixième livre. Le feptième peut
être regardé comme un tableau abregé
des paffions qui contribuent à entretenir
la fanté ou à la détruire felon qu'elles favorifent
ou qu'elles troublent l'exercice
de fes fonctions.
Un médecin qui a de l'efprit & qui
connoît l'humeur , le caractère & même
les préventions de fon malade , fe fert de
cette connoiffance pour l'amufer , le diftraire
, calmer fon efprit par des raiſonnemens
exposés avec art , & c'eft dans ce
fens que l'on peut dire : Medicina confolatio
animi. Cette confolation eft fouvent
préférable à tous les remèdes & d'autant
plus néceffaire que la crainte , la trif
teffe , les chagrins donnent lieu à des obftructions
& à des affections hypocondriaques.
La haine , la jaloufie produifent de
violentes douleurs de tête , des délires ;
l'amour heureux diffipe la mélancolie ;
l'amour non fatisfait caufe l'infomnie ,
les pâles couleurs , les opilations , la -confomption
; la joie modérée rend la tranfpiration
plus abondante & plus favorable.
Le poëte , en nous expofant dans fon
feptième livre ces effets des paffions ,
nous peint avec autant de chaleur que de
vérité la joie de la France lorfqu'elle vit
90 MERCURE DE FRANCE.
fon Roi armé pour fa défenfe fe tranfporter
en Flandre à la tête de fes armées ,
& s'empreffer par amour pour fon peuple
, au milieu même des champs de la
gloire , de cindre fon front victorieux de
l'olivier de la paix . A ce tableau agréable
fuccéde la defcription pathétique de la
trifteffe de la France lorfqu'elle appric
que fon Roi , qui avoit tout facrifié pour
elle , étoit tombé malade à Metz . Ces
images nobles , vraies & animées par le
fentiment occupent délicieufement le lecteur.
Il y en a plufieurs dans ce poëme &
qui font toujours relatives au fujet qui eft
traité. C'est ainsi que M. Geoffroy , en
nous parlant des exercices du corps, nous
décrit l'exercice de la chaffe avec autant
d'agrément que de goût. Dans le livre de
fomno & vigilia , il nous préfente deux
tableaux charmans de la vie du citadin &
de l'agricole . On prendra encore fans dou
te plaifir à comparer la peinture énergique
qu'il nous donne de la pefte dans fon
premier livre de aëre , à celles que nous
avons de Virgile & de Lucréce , à celles
même des célèbres artittes Mignard ,
Pouffin ; Detroye . M. Geoffroy , en regar
dant leurs tableaux , pourroit avec juſtice
s'écrier & moi auffi jefuis peintre. Son
JANVIER . 1772. 91
vers eft plein , harmonieux , coulant. Il a
fçu habilement adapter à fes penfées toujours
juftes , toujours claires , les formes
variées & cadencées de la langue latine .
Comme ce poëme peut intéreffer toutes
fortes de lecteurs par les préceptes utiles
qu'il contient , il y a lieu d'efpérer que
quelqu'écrivain s'occupera à le traduire en
françois. Il participera à lá gloire du poë
te qui , comme médecin , nous a rendu
un plus grand fervice en nous expofant
les principes de l'Hygiène que s'il nous
eût donné un fçavant traité fur les maladies.
Pluris eft , dit Séneque , labantem
fubftinere , quàm lapfum erigere. C'est un
plus grand fervice de foutenir quelqu'un
qui eft dans le cas de faire une chûte, que
de relever celui qui est tombé.
De l'Impôt du Vingtième fur les Succeffions
, & de l'Impôtfur les Marchandifes,
chez les Romains . Recherches hif
toriques dédiées à MM. de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres ; par M. Bouchaud , Membre
de cette Académie , Docteur Régent
de la Faculté de Droit de Paris , Cenfeur
Royal & ancien Avocat au Parlement
nouvelle édition , vol . in- 8 °.
92 MERCURE DE FRANCE.
prix 4 liv . 10 fols relié . A Paris , chez
Debure , pere , Libraire quai des Auguftins.
Ces deux traités préfentent des recher
ches favantes & des difcuffious profondes.
La critique éclairée qui les accompagne
& fert à guider le Lecteur au milieu
d'une multitude immenfe de citations
, ne peut encore que contribuer à
rendre ces deux traités intéreffans . Ils le
feront fur tout pour ceux qui étudient
l'hiftoire , celle des Peuples fpécialement
, qui , comme les Gaulois , ont retenu
en partie les loix , les ufages & les
moeurs des Romains , leurs vainqueurs.
Ces deux Differtations en font defiret
d'autres qui puiffent former un Traité
complet des Finances chez les Romains.
Ce Traité nous manque , & M. Bouchaud
a cet efprit de recherche & de
difcuffion néceffaire pour templir cette
tâche laborieufe. Mais des circonstances
particulieres , qui lui prefcrivent des devoirs
plus preffans à remplir, ainfiqu'il s'en
explique dans l'avertiffement , ne lui permettent
point de continuer un ouvrage
d'une fi vafte étendue. Les deux Traités ,
dont le Libraire annonce une nouvelle
édition , peuvent néanmoins être regarJANVIER
. 1772 93
dés comme complets & tout -à - fait indépendans
des recherches
dont les autres
efpèces d'impôts chez les Romains
font
fufceptibles
.
Anecdotes Ecclefiaftiques , contenant tout
ce qui s'eft pallé de plus intéreffant
dans les Eglifes d'Orient & d'Occident
, depuis le commencement de
l'Ere Chrétienne juſqu'à préſent , 2 vol .
in-8°. petit format. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Vincent , Imprimeur
- Libraire , rue des Mathurins ,
hôtel de Clugny.
L'auteur s'eft contenté de détacher les
faits & de les ranger par ordre chronologique
: il en a écarté les réflexions & les
obfervations
, celles- mêmes qui auroient
pu répandre du jour fur différens événemens
, ou fuppléer à bien des vuides que
l'on s'eft permis ici pour ne pas multiplier
les volumes . Cette maniere de préfenter
l'Hiftoire eft fuffifamment
juftifiée
par le fuccès qu'ont eues les Anecdotes
Françoiſes , Italiennes , Angloifes , Germaniques
, &c. qui fe diftribuent chez
le même Libraire. Elle peut être agréa
ble au commun des Lecteurs dont l'efprit
léger & fuperficiel ne peut s'occuper que
94
MERCURE DE FRANCE.
>>
d'extraits , d'abrégés , de penfées ou de
faits ifolés qui ne demandent point une
application fuivie & continue . Parmi les
différens ufages des premiers fiécles dont
l'Hiftoire Eccléfiaftique fait mention , il
y en a plufieurs qu'on n'entend plus ,
mais dont on peut trouver l'explication
dans ces anecdotes . On rapporte fous
l'année 1198 un Réglement de Saint
Jacques de l'Hôpiral de Paris , fuivant lequel
le crieur eft tenu , avant la fête de
Monfeigneur Saint Jacques d'aller par
la ville avec fa clochette & vêtu de lon
corfer , crier la confrérie. Item , doit à
chaque Pélerin & Pélerine quatre épingles
pour attacher les quatre cornets
» des mantelets des hommes & les chapeaux
de fleurs des femmes ; les Pélerines
hors le choeur . Item , doit herbes
» vertes pour la jonchée ; & après le
» dîner , on porte le bâton au chaur ; &
» là eft le tréforier qui chante & fait le
» depofuit. On a demandé ce que c'eſt
que faire le depofuit . On dit bien aujourd'hui
faire la Saint Martin , & on difʊit
autrefois faire les Anges , faire les trois
Maries , faire le defructu & même faire
les Rois , pour fignifier que trois Eccléfiaftiques
étoient habillés en perfonnages
ود
""
»
13
JANVIE R. 1772. 25
de Rois le jour de l'Epiphanie. Il n'étoit
pas plus rare d'y faire le depofuit. Ce
n'eft que le non ufage qui a fait perdre
de vue la fignification de cette expreffion ,
qui néanmoins fera facile à entendre , fi
l'on fait que dans les Confréries , outre
l'image du Saint Patron , placée ordinairement
au deffus des Autels des Eglifes
ou dans quelque niche , & qu'il eft impoflible
de tranfporter , il y en avoit une
petite image que chacun des Confreres
étoit tenu de conferver chez lui pendant
un an, à tour de rôle ; & cette image
étoit le jour de la fête, mife fur la table
des Tréforiers ou Receveurs de la Confrérie.
Lorfqu'on la tranfportoit dans les
rues , on avoit foin de l'élever fur un
bâton orné de fleurs & de rubans. Le
Confrere qui avoit porté le bâton , le remettoit
à fon fuccefleur après que l'on
avoit récité ce verfet du Magnificat : Depofuit
potentes de fede. C'est ce qui s'appelloit
faire la cérémonie du Depofuit.
Ces anécdotes vont juſqu'en 1770 , &
font terminées par une Table des matières
diftribuées par ordre alphabétique.
Verniffeur parfait ou Manuel du Verniffeur
, par l'auteur du gopveau Teintu6
MERCURE DE FRANCE.
rier; vol. in- 12. A Paris , chez Jombert
père , libraire , rue Dauphine , à
l'Image Nôtre- Dame.
L'auteur de ce Manuel nous donne la
recette des meilleures compofitions de
vernis employés jufqu'à préfent. Ce détail
eft d'autant plus intérelfant qu'il nous
fait connoître les progrès de l'art du Verniffeur
, & nous rappelle plufieurs recettes
anciennes qui , quoiqu'abandonnées
pourront paroître utiles à quelques lecteurs.
On distingue ici les différentes efpèces
de vernis felon les matières qui entrent
dans leur compofition & felon les
menftrues dans lesquelles on diffout ces
matières. L'auteur , après nous avoir inftruit
des différentes réfines & bitumes
propres aux vernis , donne la recette du
vernis du P. Jamart , de pluſieurs autres
faits à fon imitation & connus fous le nom
de vernis de laque , & de différens vernis
clairs ou à l'efprit - de -vin bons pour les
couleurs auxquelles le vernis de laque ne
conviendroit pas. Ces recettes font fuivies
de la manière de peindre les boîtes
de toilettes , & de plufieurs compofitions
de vernis modernes propres à ces fortes
d'ouvrages. Viennent enfuite des inftructions
JANVIER. 1772. 97
tions fur les vernis de la Chine & du Japon
; fur la manière de fabriquer , peindre
& vernir des ouvrages en carton tels
que tabatieres , vafes , baffins , & c. L'ouvrage
eft terminé par des détails fur les
vernis des métaux qui réfiftent à l'action
du feu ; fur les moyens de faire les fonds
polis pour les boiferies & les lambris des
appartemens , de les peindre & de les vernir
; enfin fur les compofitions de plufieurs
couleurs qu'on a coutume d'employer
dans les ouvrages qu'on vernit.
Dictionnaire portatif de fanté , dans lequel
tout le monde peut prendre une
connoiffance fuffifante de toutes les
maladies , des différens fignes qui les
caractérisent chacune en particulier,
des moyens les plus fûrs pour s'en préferver
, ou des remedes efficaces pour
fe guérir , & enfin de toutes les inftructions
néceffaires pour être foi - même
fon propre médecin ; le tout recueilli
des ouvrages des Médecins les
plus fameux , & compofé d'une infinité
de recettes particulières & de fpécifiques
pour plufieurs maladies ; per
M. L*** ancien Médecin des Armées
du Roi , & M. de B*** Médecin des
II. Vol. E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
Hôpitaux : quatrième édition revue ,
corrigée & confidérablement augmen
tée , 2 vol . in - 8 ° . petit format. A Paris
chez Vincent , Imprimeur- Libraire
, rue des Mathurins , Hôtel de
Clugny.
La nouvelle édition d'un ouvrage où
l'on peut prendre les inftructions qu'il
importe le plus d'avoir pour fe conduire
dans l'état de maladie , & confulter en
connoiffance de caufe un Médecin éclai
ré , ne peut être qu'agréable au public.
Cette nouvelle édition eft d'ailleurs enrichie
de quantité de bonnes obfervations
, de plufieurs formules faciles à
exécuter , & de diverfes corrections qui
lui feront donner la préférence fur celles
qui l'ont précédées .
Le nom de l'Imprimeur Vincent , placé
fur le revers du titre de chaque exemplaire
de cetre nouvelle édition , fervira
à faire diftinguer ces exemplaires de ceux
qui font contrefaits & qui fourmillent de
fautes toujours très - graves dans les matières
qui font l'objet de ce Dictionnaire
de fanté.
Vies des Peres , des Martyres , & des auprès
principaux Saints , tirées des actes
JANVIER. 1772 . 99
originaux & des monumens les plus
autentiques , avec des notes hiftoriques
& critiques ; ouvrage traduit de
l'Anglois , tome VIII in 8 °. A Ville-
Franche de Rouergue , chez Pierre Vedeilhié
, Imprimeur - Libraire . A Paris ,
chez Barbou , rue des Mathurins , &
Defaint , rue du Foin Saint-Jacques .
Cet ouvrage édifiant par les beaux
exemples d'humilité , de charité , d'amour
du prochain qu'il préfente , eft encore
inftructif par les notes hiftoriques & critiques
dont le traducteur a eu foin d'enrichir
les Vies particulières qu'il a traduites.
On lira avec intérêt dans ce huitième
volume la vie de Saint Auguftin ,
Docteur de l'Eglife ; celle de Saint Genès
, Comédien & Martyr ; de Saint
Etienne , Roi de Hongrie ; de Saint Cyprien
, Archevêque de Carthage ; de Saint
Janvier , Evêque de Benevent , & c. Le
Biographe rapporte , d'après plufieurs
graves auteurs , le célèbre miracle de la
liquéfaction
& de l'ébullition du fang
de l'Evêque de Benevent , patron de la
ville de Naples . On garde dans la chapelle
du tréfor de la Cathédrale de cette
ville , la tête de ce Saint avec fon fang
E ij.
100 MERCURE DE FRANCE.
renfermé dans deux phioles de verre fort
anciennes. On met la tête fur l'autel du
côté de l'Evangile , & les phioles du côté
de l'Epître . On a quelquefois trouvé le
fang liquide ; mais en général il eft folide.
Lorfque les phioles font vis - à - vis
de la tête , le fang fe liquéfie ou dans le
moment , ou tout au plus en quelques
minutes. Cette liquefaction eft fuivie
d'une ébullition, Quand on a retiré le
fang , & qu'il n'eft plus en préfence de
la tête , il redevient folide ; quoiqu'il y
ait plufieurs cierges fur l'autel , on trouve
en touchant les phioles qu'elles font
prefqu'entiérement froides. On les fait
baifer au peuple en certaines occafions .
Quelquefois le fang s'eft liquéfié dans
les mains de ceux qui tenoient les phioles
; quelquefois auffi il eft redevenu folide
de liquide qu'il étoit , auffi tôt qu'on
y touchoit. La liqéufaction a lieu également
, lorfque les phioles font en préfence
d'un offement ou de quelqu'autre
partie du fang de Saint Janvier. Il eſt arrivé
quelquefois que la liquéfaction ne
s'eft pas faire ; ce que l'on a regardé
comme une marque de la colère céleste .
On met enſemble les deux phioles fur
l'autel , & le fang fe liquéfie dans l'une
JANVIER. 1772. IOL
ou l'autre en même tems , & dans le même
degré , quoiqu'il y en ait peu dans
la plus petite , & qu'il foit attaché aux
parois da verre. Addiffon , Middleton
& plufieurs Proteftans d'Allemagne ont
attaqué la vérité de ce miracle. Les uns
l'ont attribué à la chaleur des mains du
Prêtre , les autres aux vapeurs qui s'exha ,
lent de l'Eglife ou des lampes ; d'autres
enfin penfent que les phioles ne renfer
ment qu'une compofition chymique d'une
nature fufceptible de liquéfaction . Gafpard
-Neuman , Médecin & Chirurgien
de Berlin , s'eft même vanté d'avoir trouvé
une compofition qui fe liquétioit en
préfence d'une tête . Il s'enfuivroit que
le fait que
l'on donne pour miraculeux ,
ne feroit qu'un effet du charlatanilme ou
de la fourberie des Piêtres . Mais ce fentiment
eft infoutenable , felon ceux qui
défendent le miracle . Comment s'ima
giner , difent ils , que tant d'hommes recommandables
par leur favoir & leur
vertu , ont été des hypocrites . des impofteurs
& des charlatans ? La fuppofition
d'un fecret chymique annonce nonfeulement
une fourberie notoire , mais
encore une découverte tout - à - fait merveilleufe.
Où font les preuves de cette
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
"3
"
"
»
découverte ? La compofition de Neuman
D'infirme point l'authenticité du miracle ;
elle a été préparée & difpofée pour la liquéfaction.
D'ailleurs , ajoute le Biographe
, le fang de Saint Janvier eft
» renfermé fous quatre clefs , dont deux
» font gardées par deux dignitaires du
Chapitre , & deux font entre les mains
» de deux membres des Seggi . Les feggi
» ou fiéges , au nombre de cinq , font
remplis par la nobleffe ; ils ont chacun
» un tribunal public , & ont fucceffive-
» ment part au Gouvernemeut civil de
Naples. On n'expofe les reliques de
» Saint Janvier qu'avec les quatre per
fonnes dépofitaires des clefs dont
» nous parlons ; & ces dépofitaires
changent tous les ans. Il faudroit donc
qu'il y eût de la collufion entr'eux ,
» pour rendre poffible une préparation
quelconque , & cette collufion devroit
» fe renouveller fréquemment. D'ail
» leurs la variété des circonftances dans
lefquelles le miracle s'opère , ne per-
» met pas d'en révoquer en doute l'au-
» tenticité . >>
"
"
CC
"
Analyfe ou Expofition abrégée du fyftême
général des influences folaires , par
Mademoiſelle de ***.
JANVIER. 1772. 103
Dans une éclatante voute ,
Il a placé de fes mains ,
Ce foleil qui , dans ſa route
Eclaire tous les humains.
J. B. ROUSSEAU .
vol. in- 12 . A Paris , chez Durand , rue
des Noyers.
Lorfque l'on défire d'établir un fyftême
ou une hypothèſe , dont l'objet eft d'expliquer
quelques vérités inconnues , relativement
à des principes reçus , on doit ,
fans doute , attendre que toutes les expériences
foient faites & bien conftatées .
C'eft alors le moment favorable pour
dévoiler le fecret & furprendre le méchanifme
de la nature . L'auteur du fyftême
a cru , néanmoins , avant d'avoir
cette provifion de faits néceflaires , pouvoir
fonder les fonds qu'il avoit entre les
mains , afin de s'aflurer s'il n'auroit peutêtre
pas déjà de quoi former un fyltême
général. L'électricité regardée d'abord
comme un phénomène fingulier , propre
à certains corps feulement , lui a parue ,
d'après les obfervations , commune à tous
les corps , fans exception . Il s'eft , d'ail-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
leurs , convaincu par plufieurs expériences
, que les phénomènes de l'électricité
que le phyficien fait naître dans fon cabinet
, étoient une image fenfible & fuivie
de ce qui fe paffe en grand dans les
efpaces céleftes. L'auteur a été , de plus ,
conduit par une analogie conftante , à
croire que l'électricité ne domine pas
moins dans l'intérieur de la terre , que
dans les corps qui font fous nos mains.
11 s'eft affuré par des obfervations multipliées
que ce phénomène est l'effet d'un
Auide qui n'eft diftingué du feu que par
de légères modifications ; que ce fluide
eft répandu par- tout ; qu'il opère en grand
comme en petit ; que le principe de fon
action eft le même que celui de l'action
du feu en général . En réunifant ces obfervations
, il a porté fes réflexions fur
le foleil ; il le regarde comme le mobile
de l'électricité , & penfe qu'il peut être
le grand reffort de toute la Nature.
L'analyfe que nous annonçons de ce
fyftême général des influences folaires ,
eft divifée en trois articles . Le premier
donne une expofition fuccinte & fuffifante
de ce fytême : le fecond une application
fommaire de ce même fyftême
à tous les phénomènes de la Nature ; le
JANVIER . 1772 . 105
troifieme contient une réfutation du fyitême
de la gravitation univerfelle.
On objectera peut-être à l'auteur qu'il
y a toujours plus à gagner d'étudier la
Nature par des faits , & de multiplier les
expériences , que de former des fyllemes
qui ne fervent ordinairement qu'à
préoccuper les efprits , & empêcher ceux
qui époufent ces hypothèfes , de voir
comme tout le monde voit. Combien de
perfonnes néanmoins condamnent les
fyftêmes , & font les premières à y recourir.
Une bombe , par exemple , élevée
à deux cens toifes , retombe vers la
terre. Le point le plus important eft de
favoir que cela arrive toujours , que cette
bombe eft capable d'un tel effet , & que
cet effet dépend de la maffe & de la vîreffe
avec laquelle elle fe précipite fur
la terre. Mais chacun voudra favoir pourquoi
elle s'y précipite. Le Cartéfien dira :
cette bombe tombe parce qu'elle y eft
forcée par le mouvement rapide d'un
tourbillon de matieresfubtiles qui la frappe
en tout fens. Le Newtonien répondra
que c'eſt parce que la terre & cette
bombe s'attirent réciproquement , oa
gravitent l'une vers l'autre ; un troisieme
viendra , & ce fera l'auteur du ſyſtême
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
des influences folaires , qui traitera ces
tourbillons & cette gravitation de chimères
, & foutiendra que la bombe tombe
, parce qu'un fluide invifible qui la
frappe fans ceffe d'en haut vers la terre
perpendiculairement à fa furface , l'oblige
à s'y précipiter. Les autres explications
contradictoires contenues dans
cette analyfe , d'ailleurs très bien faite ,
porteront fouvent le Lecteur à dire avec
le fage : Mundum tradidit Deus difputationibus
eorum .
Defcription du nouveau Pont de pierre
confruit fur la rivière d'Allier à Moulins
, avec l'expofé des motifs qui ont
déterminé fon emplacement , & les deffins
& détails relatifs àfa conftruction ;
par M. de Regemortes , premier ingénieur
des turcies & levées ; vol . grand
in folio. A Paris , chez Lottin , libraire,
rue St Jacques.
Perfonne n'ignore le progrès que la
conftruction des ponts a fait fous ce règne
: ni le pont - neuf , ni le pont- royal à
Paris , fi vantés dans leur tems , ne peuvent
entrer en comparaifon pour la hardieffe
de l'exécution avec les ponts d'Orléans
& de Mantes , ou ceux de Tours &
JANVIER . 1772. 107
de Neuilly que l'on exécute . On eft parvenu
jufqu'à opérer des ponts avec la plus
grande folidité fur les rivières les plus
rapides fans détourner leur cours , fans
faire de batardeaux ou d'épuifemens , &
même avec moitié moins de dépenfe
qu'auparavant : c'est ainsi qu'a été bâti le
fameux pont de Saumur fur la Loire ,
dont on voit les détails de toutes les opé
rations , décrites avec beaucoup de fagacité
dans les mémoires * fur les objets les
plus importans de l'architecture , que nous
avons annoncés dans le Mercure d'Octobre
dernier.
Les procédés employés pour parvenir à
l'exécution du pont de Moulins fur l'AIlier
, ne méritoient pas moins d'être développés
& connus du Public , à caufe des
difficultés qui paroiffoient infurmontables
pour affurer fes fondations . Trois ponts
de pierre exécutés fur pilotis , dont le der
nier étoit un ouvrage du célèbre Hardouin
Manfard , avoient été renverfés confécutivement:
depuis ces diverfes tentatives , &
le peu de fuccès d'un auffi habile conftruc-
Cet ouvrage in -4°. avec beaucoup de planches
, où il eft auffi queftion de la conftruction
du pont de Moulins , fe vend chez Lacombe , libraire
; prix , 12 liv.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
teur que Manfard , on fembloit avoir renoncé
à l'exécution d'un pont en pierre
en cet endroit ; & la plupart des gens
l'art regardoient en quelque forte cette
entrepriſe comme impraticable.
de
Le paffage de l'Allier à Moulins étant
un point effentiel de communication de
l'extérieur du royaume avec une partie
des provinces méridionales , faifoit néanmoins
fans ceffe defirer l'établiſſement
d'un pont folide dans cette ville , de forte
que le gouvernement pour feconder les
vaux du Public , commit , en 1750 , M.
de Regemortes , déjà connu avantageufement
par l'exécution de plufieurs ouvrages
en ce genre , pour faire le projet de
ce pont & pour en conduire l'exécution .
Avant de s'engager dans cette importante
entreprife , cet ingénieur s'appliqua
d'abord à bien connoître la nature du fol
de la rivière fur lequel il étoit question'
d'établir cet ouvrage. L'Allier eft fujet à
des crues d'eau fubites & irrégulières dans
toutes les faifons de l'année : fon lit eft
compofé de couches de fable qui ont fouvent
jufqu'à so pieds d'épaiffeur : ce fable
, quoique mouvant à fa fuperficie , ne
laifle pourtant pas à une certaine profondeur
d'être compact , & l'on remarque
JANVIER. 1772. 109
cres ,
qu'en le comprimant fortement de toutes
parts , on peut en former une maſſe inaltérable,
capable de foutenir les plus grands
fardeaux fans crainte de taffement fenfible.
Dans les crues d'eau même médiole
courant de cette rivière forme
des affouillemens jufqu'à 15 & 20 pieds
de profondeur , & ces affouillemens font
occafionnés le plus fouvent par la plus légère
réfiftance : De plus en couvrant la
fuperficie de ce fable de terre glaife , des
expériences avoient appris que cette terre
fuffifoit pour empêcher les filtrations des
eaux & remplir leurs débouchés à travers
le fable. D'après ces obfervations , M. de
Regemortes comprit qu'il n'y auroit pas
de folidité à espérer pour fon pont , en
l'établiffant fur pilotis , que des piles &
des culées ifolées comme à l'ordinaire feroient
exposées aux affouillemens, que c'étoient
eux qui avoient évidemment caufé
la ruine des trois ouvrages précédens , &
qu'enfin il ne pouvoit efpérer de fuccès ,
qu'en adoptant une méthode qui fût capable
d'obvier à cet inconvénient .
En conféquence , au lieu de piloter ,
cet ingénieur réfolut d'établir un radier
ou mafif continu de maçonnerie fous tou-
Le la longueur& largeur de fon pont, au cra
FIO MERCURE DE FRANCE .
vers du lit de la rivière pour lui fervir de
fondation. L'invention d'un radier n'étoit
pas une chofe nouvelle ; on en avoit fait
fouvent ufage pour fonder les môles & les
rifbans que l'on avance dans la
mer ; &
l'on fçait que François Blondel , architecte
de la porte St Denis , avoit employé
ce moyen avec fuccès , le fiécle dernier,
pour la conftruction d'un pont à Xaintes
fur la Charente. Toute la difficulté étoit
d'affeoir folidement ce radier fur le lit
de l'Allier , tant à caufe des affouillemens
, qu'à caufe des filtrations d'eau
continuelles à travers les fables qui fembloient
rendre les épuifemens impoffi
bles. Voici les procédés que fuivit M. de
Regemortes pour vaincre ces obftacles.
Après avoir fait fonder la couche de
fable fur laquelle il vouloit affeoir fon
pont , & reconnu qu'elle avoit près de
47 pieds d'épaiffeur , il commença 1º . par
en faire draguer 9 ou 10 pieds au - deffous
des plus baffes eaux . 2º. Îl fit battre cinq:
rangs de palplanches bien jointives , fçavoir,
trois rangs au deffus des avant becs
& deux rangs au deffous des arrière becs,
espacés de manière à former des espèces
de batardeaux & une crèche capable de
contregarder tout l'ouvrage dnrant &
après fon exécution . 3 °. Ayant fait rega
JANVIE R. 1772 FIT
:
ler les fables de l'emplacement que devoit
occuper le radier , il fit verfer des
terres glaifes fur toute la fuperficie de fa
fondation , à l'aide de deux bateaux placés
à une certaine diftance l'un de l'autre
fuivant la largeur du pont , & foutenant
fur leurs bords des efpèces de grillages ,
dont les fonds pouvoient s'ouvrir & fermer
tous enfemble à volonté avec des
trapes ou clapets. Après avoir couvert
ces trapes de terres glaifes , on les
lâchoit toutes à la fois , alors la glaiſe par
fa chûte fe répandoit uniformement fur
la fondation cela étant fait , on avançoit
le bateau plus loin , & l'on répétoit cette
opération jufqu'à ce que le fol de la partie
du pont que l'on avoit entrepriſe fut
tout à fait couverte. 4° . Pour empêcher
l'eau de délayer cette terre- glaife , on defcendit
enfuite par le moyen des mêmesbateaux
bien quarrément , des chaſſis de
planches de 12 pieds en quarré , chargés
de nombre de moëlons pour les contenir
au fond de l'eau , lefquels moëlons fe
trouverent ainfi tout portés , pour commencer
, après les épuifemens , la conftruction
du radier : ces chaffis étoient af
femblés par d'autres planches qui les traverfoient
, & pour que rien ne pût tranf112
MERCURE DE FRANCE.
pirer à travers leurs joints , on y avoit
cloué des bandes de coutil . 5 ° . Cet expédient
ayant opéré l'effet d'une efpèce de
batardeau placé dans le fond de l'eau &
capable d'arrêter les tranfpirations , on
fut en etat d'entreprendre les épuifemens ;
& pour y réaffir , on remplit à l'ordinaire
les batardeaux de terre glaife , &
l'on fit jouer les chapelets qui en peu de
tems épuifèrent les eaux jufqu'aux chaf
fis. 6. Enfin fur ces chaffis on conftruific
àfec bien quarrément à trois pieds audeffous
des plus baffes eaux , le radier auquel
on donna fix pieds d'épaifleur de maçonnerie
, & l'on remplit femblablement
l'intervalle entre les palplanches & la
crêche .
A l'aide de toutes ces précautions , on
vint à bout de captiver le fable de toutes
parts ; on parvint à vaincre les affouillemens
& les filtrations ; le radier fut rendu
inébranlable , & l'on patvint à y élever un
pont à l'ordinaire comme fur un fol par
faitement folide .
Ce Pont a 154 toifes de longueur entre
les culées , fur 7 toiles de largeur : il
eft compofé de treize arches furbaillées
d'un tiers , ayant chacune dix toifes d'ouverture
& foutenues par des piéces de
JANVIER. 1772. 113
11 pieds d'épaifleut. Il a été conftruit en
deux parties , l'une de huit arches & l'autre
de cinq. Son exécution a duré environ
dix ans , & fouvent on y a employé
jufqu'à 900 ouvriers à la fois , & près de
500 bêtes de fomme . Pour concevoir une
idée de la grandeur de ce travail , nous
remarquerons qu'on a donné au lit de
cette riviere , vis - à- vis Moulins , plus du
double de largeur qu'il n'avoit ; qu'il a
fallu pour cet effet détruire un fauxbourg
entier au delà du Pont , & en reconftruire
un nouveau ; qu'il a fallu faire difparoître
nombre d'ifles qui embarraffoient
le cours de cette riviere , & , de leurs deblais
faire dans tous les environs des levées
immenfes , pour les mettre à couvert
des inondations de cette riviere qui
font très-fréquentes. Toutes ces opérations
font décrites dans l'ouvrage que
nous annonçons avec la plus grande clarté
, & doivent faire le plus grand honneur
aux lumieres & à l'expérience de
M. de Regemortes : elles font accompa
gnées de 16 grandes planches très -bien
rendues , qui repréfentent toutes les machines
dont on s'eft fervi pour les différentes
manoeuvres , & qui ne laiffent rien
114 MERCURE DE FRANCE .
ignorer de tous les détails de ce Pont capables
d'intéreffer.
De l'utilité de joindre à l'étude de l'Architecture
celle des Sciences & des Arts:
qui luifont relatifs , extrait du troiſieme
volume d'Architecture de J. F. Blondel
, chez la veuve Deffaint , Libraire ,
rue du Foin , in 8 ° . de 80 pages .
L'objet de cette Differtation eft de.
faire voir combien il eft important à
ceux qui fe definent à l'Architecture , de
Joindre à fon étude particulière celle des
Arts & des Sciences qui y ont rapport.
L'imagination fera étonnée de l'énumération
des connoiffances que propofe
M. Blondel. Il voudroit que l'Architecte
poffédât , outre les Arts qui font direc
tement relatifs à la conftruction des bâtimens
, tous les genres de deffins con-.
cernant l'Architecture , l'Ornement , let
Payfage , la figure ; qu'il fût modéler en
relief ; qu'il eût appris la coupe des pierres
& des bois de charpente , qu'il fût
inftruit de la Perfpective , de la Géométrie
, de la Trigonométrie , de l'Hydrau
lique , de la Mécanique , de la Phyfique ,
de l'Hiftoire Naturelle ; qu'il eût étudié
JANVIE R. 1772 115
les Fortifications , les Elémens de la conf
truction des vaiffeaux & de tout ce qui a
rapport à la Marine ; & qu'enfin il eût
acquis des lumieres très étendues dans
les diverfes parties de la Littérature .
M. Blondel s'attache à montrer en quoi'
chacune de ces études peut être utile à
un Architecte , & s'appuye fur- tout de
l'autorité de Vitruve qui cxigeoit que les
Architectes de fon tems embraflaffent
ces diverfes connoiffances. Nous penfons
que bien des perfonnes trouveront fans
doute ce plan d'étude trop vafte , par la
raifon que l'état actuel de l'Architecture
n'a aucune comparaifon avec ce qu'il
étoit autrefois en effet , à l'exception
de la décoration des dehors des édifices
que les Anciens ont perfectionné à un
certain point , l'art de la diftribution &
du jardinage étoit alors peu de choſe ;
celui de la coupe des pierres étoit borné
au trait des voûtes en berceaux pleinceintre
ou furbaiffées ; la Perfpective n'étoit
compofée que de règles vagues &
incertaines ; les Fortifications ne confiftoient
qu'en des murs de circonvallation.
flanqués de tours : la conftruction des
vaiffeaux n'offroit guères plus de difficultés
que celle de nos gaillotes : quant
116 MERCURE DE FRANCE.
aux Sciences , elles éroient alors dans leur
enfance : la phyſique étoit prefqu'ignoréé ;
la Géométrie fe bornoit à l'art d'arpenter
, ou de tracer des figures fur un terrein
; la mécanique ne confiftoit qu'en
quelques machines très fimples , telles
que le levier , le plan incliné , la vis
d'Archimède & d'autres femblables ; elle
étoit bien éloignée d'être pourvue des
lumieres néceflaires pour inventer ces
chefs-d'oeuvres d'induftrie qui ont paru
de nos jours On conçoit que l'Architecture
restreinte au peu de connoiffan
ces que l'on avoit alors , pouvoir aifément
être einbraffée dans fa généralité par
un même homme ; l'Architecte pouvoit
fans difficulté être à la fois ingénieur ;
mais qu'aujourd'hui , à raifon du progrès
des connoiffances humaines , cela n'eſt
plus également praticable ; auffi at on
été obligé de divifer l'Architecture en
plufieurs claffes , telles que l'Architec
ture civile , militaire , navale & hydraulique
, qui ont chacune des écoles particulieres
& des artiftes particuliers : l'Architecture
, proprement dite , a été ref
trainté à la compofition & conftruction
des maifons & bâtimens publics .
Cette Differtation eft fuivie de fort
JANVIER. 1772. 117
bonnes réflexions fur différentes parties
de l'Architecture , fervant à faire voir
le fruit que l'on peut tirer de la lecture
de nombre d'ouvrages , autres que ceux
de cet art. En effet , la plupart des connoillances
humaines fe connectent en
quelque forte comme les anneaux d'une
chaîne ; les principes primitifs des Arts
& des Sciences dérivent pour la plupart
d'une même fource ; & pour peu que
l'on y false d'attention , on s'apperçoit
qu'il eft aifé de les rendre reverfibles de
l'un à l'autre.
A la fin de cet ouvrage , M. Blondel
expoſe l'ordre des leçons qu'il donne ou
doit donner dans fon école , tant fur
l'architecture que fur les Sciences qui y
ont rapport , conjointement avec divers
maîtres ; il avoit déjà publié ci - devant
de femblables annonces ; il y a ajouté
feulement qu'on y apprend auffi » les ar-
» mes , la mufique & la danfe ; exercices ,
» dit il , qui doivent entrer dans le plan
» de l'éducation des hommes bien nés
qui fe vouent à l'Architecture .
Les fpectacles de Paris , ou Calendrier hiftorique
& chronologique des Théâtres ,
avec des anecdotes & un catalogue de
118 MERCURE DE FRANCE.
toutes les piéces reftées au théâtre dans
les différens fpectacles ; le nom de tous
les auteurs vivans qui ont travaillé dans
le gente dramatique , & la lifte de leurs
ouvrages. On y a joint les demeures des
principaux acteurs , danfeurs , muficiens
, & autres perfonnes employées
aux fpectacles , 21 ° partie , pour l'année
1772 , chez la veuve Ducheſne ,
Libraire , rue S. Jacques .
Cet ouvrage eft depuis 22 ans entre
les mains du public , & fe réimprime chaque
année avec des changemens & des
additions qui en renouvellent l'utilité.
Les articles de chacun des trois fpectacles
font accompagnés d'anecdotes relatives.
aux piéces & aux acteurs.
Opéra. Lorfqu'on eût retiré l'opéra
d'Achille & Déidamie , qui n'avoit pas
réuffi , les Italiens en donnerent la parodie
, ce qui fit dire que les comédiens
avoient violé le droit des morts.
A la repréſentation de l'opéra d'Achille
& Polixène , on fit cette épigramme :
Lully près du trépas , Quinault fur le retour ,
Abjurent l'opéra , renoncent à l'amour ,
Preflés de la frayeur que le remords leur donne
JANVIER. 1772. 19
D'avoir gâté de jeunes coeurs
Avec des vers touchans & des fons enchanteurs:
Colafle & Campiftron ne gâteront perfonne .
Defpréaux étant à la falle de l'opéra à
Verſailles , dit à l'officier qui plaçoit les
fpectateurs : mettez moi dans un endroit
où je n'entende point les paroles ; j'eftime
fort la mufique de Lully , mais je mépri
fe les vers de Quinault. Il avoit tort.
Comédie Françoife. Avant Mademoifelle
Dumefnil on ne croyoit pas qu'il
fût permis de courir fur la fcène dans une
tragédie. On vouloit que dans toutes les
fituations & les circonstances poffibles ,
les pas de l'acteur fuffent mefurés & cadencés.
Mademoiſelle Dumefnil ofa
rompre ces entraves bifarres. On la vit
dans Mérope traverfer rapidement la
fcène , voler au fecours d'Egifte , s'écriant :
arrête , c'eft mon fils . Au paravant on ne
foupçonnoit pas qu'une mere qui voloit
au fecours de fon fils , dût rompre la mefure
de fes pas.
Quelques curieux ont eu en manufcrit
la Mérope de M. de Voltaire , réduite en
trois actes par le Roi de Pruffe , & dans
laquelle ce Monarque a ajouté quelques
ariettes pour en faire un opéra,
120 MERCURE DE FRANCE .
Voici le projet que l'on donne dans cet
almanach fur l'emplacement de la comé
die françoife , dont on va reconftruire la
falle.
Depuis que la comédie françoife a
quitté la falle du fauxbourg S. Germain ,
pour aller occuper celle des Thuileries ,
en attendant la conftruction d'une nouvelle
, plufieurs perfonnes zélées fe font
empreffées de donner différens projets &
en différens quartiers , pour cette conftruction.
Sans nous occuper à approuver ou à
défapprouver ces divers projets , nous
'croyons devoir en faire connoître un qui
nous a paru le plus commode , le plus au
centre des amateurs de ce fpectacle , & le
moins difpendieux.
Autant qu'il eft poffible , il faut qu'un
fpectacle foit placé au milieu d'une ville ,
qu'il foit cependant dans un quartier dont
les rues ne foient point occupées par des
marchands , ni que celles qui y aboutiffent
foient paffagères par de grandes
routes.
La comédie françoife ne pourroit donc
être mieux placée que dans la rue de
Seine , fauxbourg S. Germain , vis- à - vis
de la rue du Colombier, Ce quartier ,
comme
JANVIER. 1772. 127
comme on le dit ci-deffus , n'eft poins
embarraflant pour le commerce ; aucune
grande route n'y aboutit , & les débouchés
font très - commodes . L'emplace
ment eft à la portée de tous les quartiers
Lion excepte celui du Marais . Les voitu
res , pour le fauxbourg S. Germain , ont
les rues du Colombier & de Buffy ; celles
du fauxbourg S. Honoré , la rue de Seine
& le quai des Théatins ; celles du Marais ,
les rues Mazarine & Guénégand , & c .
La falle peut être conftruite dans l'efpace
de terrein occupé par un grand jeu
de paume : il n'y auroit à démolir que
trois maifons qui donnent fur la rue , dont
une eft fort grande & vieille , où eſt un
loueur de carroffes ; la façade donneroit
donc dans la rue de Seine , & le derrière
du théâtre dans la rue Mazarine , au
moyen d'une galerie ménagée lors de la
conftruction . Les gens de pied du Marais ,
ainfi que les perfonnes à équipages , pour
roient entrer par la rue Mazarine .
Il y a dans cette rue de Seine , du côté
de la rue du Colombier , une ifle , qui
forme un triangle long , qui n'eft occupé
que par trois ou quatre maifonnettes , que
l'on pourroit acheter à bon compte , &
qui , en les démoliffant , feroient une
JI. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
place en face de la falle , qui rendroit le
local agréable & commode.
Comme l'emplacement eft très- vafte
dans ce quartier , dont l'intérieur n'eft
occupé que par de grandes cours ou jeux
de paume , l'architecte auroit de quoi
conftruire , indépendamment de la falle ,
des foyers commodes , des magafins , des
cafés , & même des logemens pour les
anciens acteurs.
Hiftoire de l'Ancien & du Nouveau Teftament
, repréfentée en 586 figures avec
un difcours abrégé au bas de chaque
figure qui en explique le fujet , ouvrage
utile pour l'inftruction de la jeuneffe ,
volume in - 8° . A Paris , chez Jean-
Thomas Heriffant pere , Imprimeur
ordinaire du Roi , rue S. Jacques.
Les images font le premier livre de
ceux qui ne favent pas encore lire , & le
livre unique , je dirois prefque le livre néceffaire
de ceux qui jamais n'ont pu parvenir
à la lecture . Un enfant ou un homme
qui ne fait pas lire , communément, dès
qu'il voit un livre d'images, fe fent porté
demander ; Qu'est - ce que cela ? on le
lui, explique en écoutant l'explication ,
il regarde la figure : elle s'imprime dans
JANVIER. 1772. 123.
fon imagination ; l'explication qu'on lui
donne s'y joint ; il confervera en même
tems dans fon ame l'une & l'autre, & s'il y
revient à deux ou trois fois , & que deux
ou trois fois vous lui en répétiez l'explication
; il ne l'oubliera jamais . Un livre de
figures de la Bible eft donc un livre de la
plus grande utilité ; on pourroit même
peut être dire de ia premiere néceffité dans
les Ecoles pour l'inftruction des enfans ,
& dans les campagnes pour l'inftruction
& l'édification d'une multitude de gens
de tout âge & de tout fexe qui paffent leur
vie dans une ignorance fouvent dangereufe
faute d'avoir les fecours d'une inftruction
proportionnée à leur foible capa
cité .
Ce font ces motifs qui ont fait imaginer
ce livre dans lequel le fujet gravé précéde
toujours le morceau hiftorique qui
lui fert d'explication.
Ces figures ont été produites par le génie
& le travail de plufieurs artistes célèbres
, entr'autres de Bernard Salomon
plus connu fous le nom du petit Bernard ,
& particuliérement de Pierre & Nicolas
le Sueur , qui y ont mis la dernière main ,
& en ont eux- mêmes gravé un affez grand
nombre; enforte que, pour diftinguer cette
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Bible entre les autres on pourra l'appeler
la Bible des le Sueur.
Cette collection précieufe de planches
gravées en bois appartenoit dans l'origine
a Jacques Colombat Imprimeur , & premier
auteur du Calendrier de la Cour , 8
a paffé avec fon fonds à M. Jean - Thomas
Herillant pere , qui publie ce recueil auffi
précieux qu'utile pour l'inftruction &
l'amufement de la jeuneffe.
Obfervations fur le nouveau dictionnaire
hiftorique en 6 volumes.
Voici quelques obfervations fur la nouvelle
édition du Dictionnaire Hiftorique ; je n'ai encore
parcouru que les deux premières lettres de
l'alphabet. Je prie la fociété des gens de lettres
qui a préfidé à cet ouvrage , de lever les
doutes , & les contradictions apparentes qu'elle a
Jaiflé fubfifter dans la feconde édition de ce Dictionnaire
en 6 volumes , quoiqu'elle prétende y
avoir donné tous les foins.
Aaron , frere de Moyfe . A la première édition
de ce Dictionnaire , cet article me parut être
le même que celui de l'Abbé Ladvocat , que l'on
avoit amplifié. J'étois d'autant plus porté à le
croire , qu'il me fembloit que le jeune littérateur
chargé de rédiger cet article , avoit facrifié la chronologie
des faits pour avoir le plaifir de faire cette
jolie tranfition antithétique. Sa gloire étoit fans
tache , illaternit , &c . Je croyois donc que c'était à
JANVIER. 1772 1
Fenvie de briller dans le ftyle que l'on voyoit la
confecration d'Aaron, en qualité de grand- prêtre ,
le miracle de la verge fleurie, &c . précéder la fabri
cation du veau d'or. J'étois même tenté de donner
la préférence à l'Abbé Ladvocat , parce qu'il me
paroiffoit plus conforme à la bible. Mais quand
j'ai vu paroître la même inverfion de faits dans
la nouvelle édition de ce Dictionnaire , j'ai penfe
que la fociété avoit travaillé fur de nouveau
mémoires , qu'elle eft fuppliée de faire con
noître.
Je vois que dans les deux éditions de ce Dic
tionnaire on donne 143 ans de vie à Aaron , &
cependant on le fait naître 1574 ans avant J. C.
& mourir 1452 ans avant J. C. j'ai beau calcu
ler , je ne trouve que 22 ou 123 ans , relativement
aux différentes faifons de l'année où il a
pu naitre & mourir.
Abdiffi , patriarche de Mural , dans la Syrie
orientale. Il faut que je n'aye que de mauvaiſes
éditions du Concile de Trente & de fes hiſtoires
, car je trouve toujours , comme dans l'Abbé
Ladvocat , patriarche de Muzal , dans l'Affyrio
orientale , au-delà de l'Euphrate .
Abubekre , mort en 624 , & Mahomet , auquel
il fuccéda , n'eft mort qu'en 632 , fuivant
le même Dictionnaire .
Accius : comment , 186 ans avant J. C. font
ils la 665 année de la fondation de Rome , qui
a été fondée , fuivant ce même Dictionnaire ,
753 ans avant J. C.
Adalberon , je ne croyois pas que ce fût l'ar
Fiij
116 MERCURE DE FRANCE.
chevêque de Rheims , mais l'evêque de Laon de
même nom , qui paffoit pour l'auteur du poëme.
Adlerfeld , depuis la première édition de ce
Dictionnaire je cherche inutilement l'hiftoire de
Charles XII de cet auteur , de 1739 , 4 volumes
in-4° ; elle feroit cependant bien plus ample que
celle que je connois , & j'aurois befoin de la confulter.
Agathias , cet auteur fe dit de Myrine , la
fociété le dit de Smyrne , fans doute Agathias s'eft
trompé, & la fociété nous le fera connoître . Je
ne conçois pas non plus comment cet auteur ,
étant du cinquiéme fiécle , il a pu écrire l'hiftoire
de Juftinien , qui n'eft mort qu'en 565 ; la premicre
édition mettoit du fixiéme fiécle , je ne fçais
pourquoi on l'a changé.
Agricola , ( Rodolphe ) puifque les deux édi
tions de ce Dictionnaire indiquent une édition
de cet auteur de 1599 , 2 volumes in - 8 ° , elle
exifte ; le bibliographe de la fociété nous dira
dans quelle bibliothéque .
Akiba , meurt par l'ordre d'Adrien , l'an 175
de J. C. & le même Dictionnaire fait mourr
Adrien l'an 13 8 de J. C.
Alba Efquivel meurt en 1526 , & cependant
il a aflifté au Concile de Trente , que je croyois
avoir commencé plus tard,
Albrazi , je cherche toujours , fans pouvoir la
trouver , depuis 1766 , l'édition de Liber conformitatum
, de Bologne , 1690.
Alting , ( Jacques ) né en 1618. Ses oeuvres.
JANVIER. 1772. 127
font imprimées un an avant ſa naiſſance en 1617 , en s volumes in folio. Je ne fçaurois croire ce- pendant qu'il y ait erreur , elle auroit ſauté aux
yeux du réviseur de la premiere édition .
Androuet du Cerceau , architecte du feiziéme
fiécle , fe retire en pays étranger , à caufe de la
révocation de l'Edit de Nantes. Je ne fçavois
pas qu'il avoit été révoqué fi-tôt.
Ange de Sainte - Rofalie , auteur d'un état de
la France , réimprimé en 8 volumes in- 12 ; je
perds mon tems à la chercher depuis la premiere
édition de ce Dictionnaire.
Anfelme Mantuan , évêque de Lucques en
1161 & mort en 1186. Comment a -t-il des dés
mêlés pour l'inveftiture de fon évéché avec l'Empereur
, Henri IV , & avec Grégoire VII , qui
étoient morts long - tems auparavant , fuivant le
même Dictionnaire .
Anfelme , ( Antoine ) fes fermons , panégyriques
, oraifons funèbres , en 6 volumes in - 8° ;
je croyois en avoir vu 7 .
Antoine , Roi titulaire de Portugal , fils de
Louis II ; je cherche par - tout des Rois de Portu
gal nommés Louis , & je n'en trouve pas même
dans la chronologie de ces Rois , qui eſt à la tête
de ce Dictionnaire .
Argus , la déeffe le changea en paon ; Ovide
dit qu'elle attacha fes yeux fur la queue du paon ;
mais les auteurs du Dictionnaire nous feront
connoître une meilleure fource , d'où ils ont tiré
cese fait , ainfi que l'Abbé Ladvocat , que j'avois
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
taxé mal- à-propos d'avoir fait une faute en cet
endroit.
Avenzoar, médecin du douziéme ficcle , con
temporam d'Avicenne , & le même Dictionnaire
fait mourir Avicenne l'an 1036 ; dans les deux
éditions que j'en ai , s'il y a faute , l'Abbé Ladvocat
l'auroit faite auffi , mais le chronologiſte
de la fociété ne l'a sûrement pas copié ; il nous
applanira la difficulté .
Auguftin , ( Antoine ) je cherche inutilement
l'édition de Emendatione Gratiani , donnée par
Balufe , in-4°.
Bacon , (François ) page 288 , feconde colonne ,
lorfque le Marquis d'Effiat accompagna en Angleterre
la fille de Henri le Grand, époufe deJacques L.
Je ne connois pas cette fille de Henri le Grand ,
elle auroit été bien jeune pour Jacques I.
Ballon , le Pape Urbain VIII accorde en 1528
une Bulle pour la réforme des Bernardines , que
la mere de Ballon , née en 1591 , avoit entrepriſe.
Bana , fi ce n'eft pas Mathieu , mais Jean ,
qui eft auteur des nouvelles , comment Mathieu
publia-t-il fes nouvelles galantes dans Agen ,
dont il étoit évêque ?
Ses nouvelles , dont la premiere & feconde partiefurent
imprimées à Lucques , 1554, 3 volumes
in- 4° ; il me fembloit que chaque partie ne faifoit
qu'un volume ; la troifiéme à Chilan , 1560 ,
in- 8° ; je n'avois pas entendu dire qu'à l'édition
de 1554 on y joignoit une troifiéme partie d'une
autre édition ; je ne connois pas non plus la ville
de Chilan ; aucun géographe ni bibliographe
'en fait mention .
JANVIER. 1772 129
A propos de géographie , j'ai eu occafion de
chercher quelque chofe dans l'article Pythéas ,
où j'ai lu cette phrafe : Pythéas parcourut toutes
les côtes de l'Océan , depuis Cadix jufqu'à l'embouchure
du Tanais ; il obferva qu'à mesure qu'il
avançoit vers le Pole Arctique , & c. J'avois déjà
lu cette phrafe dans l'Abbé Ladvocat , & je n'a
vois pas hésité à la taxer de faute. Quand je l'ai
vue portée dans la premiere édition de ce Dictionnaire
, j'ai fufpendu mon jugement , parce
que , difois-je , une fociété de gens de lettres ne
copieroit pas une pareille bévue , fi c'en étoit
une. Mais lorsque je revois cetre méme phraſe
dans la nouvelle édition de ce Dictionnaire , je
refte perfuadé que la bévue étoit de mon côté.
J'ai cherché , dans le Recueil de l'Académie des
Infcriptions & Belles- Lettres , quelques mémoires
fur la route que tenoient les anciens , pour
fe rendre, en remontant l'Océan par le Nord ,
de Cadix à l'embouchure du Tanaïs , & je n'en
ai pas trouvé. Le géographe de la fociété nous
le fera connoître.
Bartholin , ( Gafpard ) meurt en 1919 & for
fils en 1660 , voilà un cent-trentenaire inconnu .
Beverland , dejure foluta virginitatis , j'ai vu
un exemplaire de ce livre où il y a de ftolata virginitatis
jure, mais ftolata virginitas & foluta
virginitas , font peut-être la même choſe ; autrement
, le littérateur de la fociété ne l'auroit
pas laiffé paffer dans deux éditions différentes.
Boecler , ( Jean-Henri ) naquit dans la Franconie
en 1611 , & mourut en 1626. A la première
édition de ce Dictionnaire , j'avois été
étonné de voir un homme mort en 1626 , rece
Fv
130 MERCURE DE FRANCE:
voir des penfions de Louis XIV & de la Reine-
Mere , mais il faut bien que cela foit , puifque
je l'ai retrouvé de même dans la feconde édision
.
Bruni , de plufieurs académies d'Italie , mort
en 1536 ; je croyois ces académies bien plus modernes.
Bukingham , ( George de Villiers , Duc de )
naquit en 1962. En 1625 , ayant vainement tenté
d'inspirer de l'amour à Anne d'Autriche , il fit déclarer
la guerre , &c. Un amant du 63 ans auroit
pû ne pas réuffir auprès d'une jeune Princeffe
moins fière qu'Anne d'Autriche. J'aurois voulu
que les auteurs de ce Dictionnaire euffent fait
remarquer la folie de cet homme à fon âge.
Quand la fociété aura rendu publics fes éclairciffemens
fur ces articles , je vous ferai paffer mes
autres obfervations fur les mêmes lettres , &
confécutivement fur les autres , mais je demande
que ces éclairciffemens ne fe réduifent pas à un
fimple aveu qu'il y a des fautes , car j'en concluerois
qu'aucun membre de cette fociété n'eft
verfé dans l'arithmétique , dans la chronologie ,
dans la bibliographie , dans l'hiſtoire , dans la
géographie , ni même dans la littérature . Je n'y
verrois que des rhétoriciens , qui , fur un article
donné , font une amplification , fans avoir égard
au raifonnement , à l'ordre , ni à la date des faits ;
& en ce cas , je renonce à faire l'errata de cette
collection hiftorique ; e m'en tiendrai à l'Abbé
Ladvocat , qui n'a que fes fautes , au lieu que
dans le nouveau Dictionnaire je trouverois les
fiennes & d'autres encore plus choquantes.
JANVIER . 1772. 131
ACADÉMIE S.
I.
Académie Françoife.
L'ACADEMIE
Françoiſe a tenu le 9 de
Janvier une féance publique pour la réception
de M. du Belloy , connu par fes
fuccès du Siége de Calais , de Bayard , &
d'autres tragédies
dans le genre national
& patriotique
. Le nouvel Académicien
a
prononcé
le difcours d'ufage dans lequel
il a témoigné
fa reconnoillance
, & fait
l'éloge de fon prédéceffeur
& des fondateur
& protecteurs
de l'académie
. Il a intéreffé
par le fimple récit des vertus civiles
& des qualités militaires
de S. A. S.
Mgr le Comte de Clermont
, Prince du
-Sang , qui s'eft diftingué dans la guerre ,
& que le Maréchal
de Saxe avouoit pout
fon élève . Ce Prince cultivoit les lettres &
les gens de lettres , parmi lefquels il ai
moit à fe compter. Il fecouroit
l'humanité
fouffrante
. Il avoit acheté autour de
fon palais plufieurs maiſons , où des familles
malheureuſes
trouvoient
non-feu .
F vj
132 MERCURE DE FRANCE :
lement les befoins de la vie , mais même
l'aifance ; & comme il rougiffoit en queique
forte de paroître donner , le citoyen
infortuné ne rougiffoit pas de recevoir.
M. du Belloy a rapproché les traits de
bienfaifance , les fervices rendus au
courage & au mérite du foldat , & les
établi femens utiles de notre Monarque
Bien-Aimé.
M. l'Abbé le Batteux , en l'abfence de
M. le Maréchal de Saxe , que le fort avoit
élu directeur , a répondu au nouvel Académicien.
Il a remarqué , comme un
événement unique dans les faftes littëraires
, qu'un Prince du Sang Royal eûṛ
été précédé & remplacé par un homme
de lettres .
M. d'Alembert a fini la féance par la'
lecture d'une Epître en très - beaux vers ,
de M. Saurin , fur l'Amour de la vérité.
Nous parlerons plus particulièrement
de ces éloges quand ils feront imprimés..
JANVIE R. 1772. 133
I I.
ANNONCE d'un prix propofépar la Fàculté
de Médecine de Paris.
M. Cuvilliers de Champoyaux , médecin
, originaire de Mefle en Poitou ,
ayant legué à la faculté de medecine de
Paris une fomme pour la fondation d'un
prix , la compagnie s'eft chargée volontiers
de remplir les intentions de ce citoyen
zélé : elle a vu dans cet établiffement
un nouveau motif d'émulation ,
propre à favorifer les progrès de l'art im
portant dont elle s'occupe . En conféquence
, il a été arrêté , par un décret du mercredi
4 Décembre 1771 , que la faculté
diftribueroit tous les deux ans un prix de
200 livres , dont la valeur feroit remiſe à
l'auteur du mémoire couronné , en eſpèces
, ou en une bourfe de 100 jettons
d'argent , portant l'empreinte du doyen
lors en charge.
Dans le choix des matières qu'on donnera
à traiter , la faculté préférera toujours
celles qui feront véritablement utiles
, à celles qui pourroient plutôt faire
briller les talens , que procurer des découvertes
intéreffantes : elle propofe pour
134 MERCURE DE FRANCE.
fujet du prix qui fera diftribué dans le
courant du mois d'Août de l'année 1772 ,
la queſtion fuivante.
SCAVOIR ,
S'il eft poffible de prévoir les maladies épidémiques,
& quels feroient les moyens
de les prévenir , ou d'en arrêter les
progrès.
Toutes perfonnes , tant étrangères que
régnicoles , feront admifes à concourir ,
à l'exception des docteurs de la faculté de
médecine de Paris , & même des bacheliers
de ladite faculté , en obfervant les
conditions fuivantes.
1º. Les mémoires pourront être écrits
en françois ou en latin ; ils feront envoyés
avant le 8 Juillet de l'année 1772 ,
paflé lequel tems , ils ne feront plus admis
on les adreffera à M. le Doyen de
la faculté , francs de port , ou ils lui feront
remis par une perfonne tierce.
2º. Les auteurs éviteront de fe faire
connoître , & pour cela , ils auront foin
de ne point fe nommer ; ils écriront la
devife , qu'ils mettront à la tête de leur
ouvrage , leurs noms & furnoms , leurs
qualités , & leur adreffe préciſe fur une
JANVIER. 1772 135
feuille féparée , qui fera pliée , cachetée ,
& qu'ils joindront au mémoire .
De tous les cachets , on ne levera que
ceux des deux ouvrages qui auront remporté
le prix & l'acceffit , les autres ſeront
brûlés , à moins que la faculté n'ait
une permiflion expreffe des auteurs d'en
ufer autrement.
Pour éviter les méprifes , M. le Doyen
ne remettra le prix qu'à l'auteur même
du mémoire couronné , ou à quelqu'un
chargé par lui d'une procuration en forme
, & le fera repréfenter une double copie
de l'ouvrage.
La proclamation du prix fe fera le jour
de l'acte folemnel, nommé les paranymphes
, qui fe célèbre publiquement tous
les deux ans dans les écoles de la faculté
, après lequel on rendra compte des
différens mémoires qui auront été préfentés
, & particuliérement de celui qui
aura mérité le prix .
I I I.
Séance publique de l'Académie des Sciences
, Arts & Belles Lettres de Dijon ,
tenue le 18 Août 1771 .
M. Maret , fecrétaire perpétuel , a
annoncé , en ouvrant la féance , que l'A136
MERCURE DE FRANCE.
cadémie ne diftribueroit point de prix
cette année .
Elle avoit proposé un problême phyfico
chymique ; il s'agiffoit de détermi
ner l'action des acides fur les hailes , le
méchanifme de leur combinaifon & la
nature des différens compofés favoneux
qui en résultent.
L'Académie avoit invité les auteurs à
indiquer , dans les trois règnes , les productions
naturelles les plus fimples qui
participent de l'état favoneux acide , à
effayer en ce genre de nouvelles compofitions
, à expliquer leurs propriétés générales
& leurs caractères particuliers , &
à ne préfenter de théorie qu'appuyée de
l'obfervation & de l'expérience.
C'étoit interdire toutes les fpéculations.
vagues , reftreindre les recherches à ce qui
concernoit les favons acides , mais ouvrir
en même tems une belle & vafte carrière
à ceux que l'amour de la gloire & la fatisfaction
précieufe d'être utile auroient
décidés à y entrer .
Mais , a dit M. Maret , peu de perfonnes
ont effayé de parcouric cette carrière ,
& un feul s'y eft montré avec avantage .
La differtation porte peur épigraphe
cette fentence de Cicéron , Non nobis nati
JANVIE R. 1772 137
Jumus , fed patria & amicis. Elle forme
un très bon ouvrage fur les favons en général
. Mais en prenant pour objet de fon
travail toutes les fubftances favoneules ,
qu'il diftribue en cinq claffes , l'auteur n'a
donné aux favons acides qu'une très- petite
partie de fon attention ; & a traité cet
objet fi fuperficiellement , que les vues de
l'Académie ne font abfolument point
remplies.
Ce jugement ne paroîtra pas trop févère
à l'auteur, puifqu'il l'a porté lui - même fur
fon ouvrage ; puifqu'après avoir reconnu
que le fujet propofé étoit des plus intére lfans
& pouvoit faire la matière d'un traité
très curieux & encore plus utile , il s'eft
écrié : heureux qui pourra avoir le tems
de défricher un auffi vafte champ ! Perfon
ne n'eft plus en état que lui de rendre ce
fervice à la fociété.
L'enfemble de là differtation dont on
parle
annonce
un efprit
méthodique
; &
l'on voit , par les détails
de l'exécution
, l'auteur
est très- verfé
dans la chymie
,
que
très-éclairé
en phyfique
& très-inftruit
des
procédés
de différens
arts.
Le defir d'avoir , fur les favons acides,
un ouvrage fatisfaisant engage l'Acadé138
MERCURE DE FRANCE.
mie à propofer le même fujet pour le prix
de
1774.
Ce prix confiftera en deux médailles
d'or , chacune de la valeur de 300 liv.
En reculant ainfi le moment de la dif
tribution on donne le tems de faire les
expériences néceffaires .
Le fçavant qui a regretté de n'avoir pu
traiter d'une manière convenable cet important
fujet , mettra probablement à profit
un intervalle auffi confidérable. L'Académie
le verra rentrer en lice avec d'au
tant plus de plaifir qu'elle lui a refufé la
couronne avec peine .
M. Maret a lu enfuite l'éloge de M. Jofeph
Durey , marquis du Terrail , lieutenant
général du Verdunois , maréchal des
camps & armées du Roi & académicien
honoraire non réſident , né à Paris le 11
Octobre 1711 , & mort le 13 Juin 1770.
Une probité peu commune avoit concilié
l'eftime des miniftres & des plus
grands feigneurs de la cour , au père de
M. du Terrail , tréforier de l'extraordinaire
des guerres & commandeur honoraire
de l'Ordre militaire de St Louis.
Sa mère , fille de Jean d'Efteing , baron
de Saillant & de Claude Combourcier ,
Dame du Terrail , lui avoit tranſmis pac
JANVIER . 1772 139
l'effet d'une fubftitution le nom & les armes
des du Terrail.
M. Maret fait obferver que ces heureuſes
circonstances influèrent beaucoup
fur les fentimens dont M. du Terrail fut
animé , & que l'honneur d'appartenir à
l'illuftre chevalier Bayard & d'en porter
le nom l'enflamma du plus ardent patriotiſme.
Bayard y voit telle étoit , remarque
M. M. , la devife dont M. du Terrail
avoit décoré fes armes , & jamais il ne
ceffa de fe croire honoré des regards d'un
auffi grand homme .
Un précis hiftorique de la vie de cer
académicien fert de preuve à cette aflertion.
M. M. le fuit dans les différentes
campagnes qu'il fit en qualité de capitaine
dans le régiment Royal cavalerie , de
cornette de la feconde compagnie des
Mousquetaires , de colonel des dragons
de la Reine & de brigadier des armées du
Roi.
Il rappele que ce militaire intrépide
contribua au gain de la bataille de Coni
dans laquelle il commandoit les dragons ;
que fa conduite en cette célèbre journée
lui mérita les éloges de l'Infant Dom
Philippe & du Prince de Conti & le grade
140 MERCURE DE FRANCE.
de maréchal des camps & armées du Roi,
auquel il fut élevé peu de tems après.
Une maladie , qui l'a conduit au tombeau
après l'avoir fait fouffrir cruellement
pendant un grand nombre d'années ,
le força à quitter le fervice ; mais il avoit
trop de patriotifme pour renoncer au defir
de fe rendre utile à la patrie . Il s'étoit
étudié à connoître les intérêts des Princes,
& M. le Cardinal de Fleuri , qui avoit eu
des preuves de fes talens politiques , l'avoit
choisi pour l'envoyer en qualité d'am
balladeur à la cour de l'Infant Duc de Parme.
Sa mauvaife fanté ne lui permit pas
de répondre à l'honneur qu'on lui faifoit ;
il fe vit obligé de mener une vie pri
Née.
Plufieurs ouvrages de divers genres
remplirent les momens que lui laillèrent
fes maux ; on a de lui des pièces de théâ
tre , des romans & quelques mémoires fur
différens fujets .
Son zèle patut avec éclat dans l'expofition
des moyens qu'il avoit imaginés pour
l'illuftration de la nobleffe , & l'on pourroit
regretter que les galeries patriotiques
dont il avoit conçu l'idée n'aient pas pu
être exécutées .
Protéger les artiftes & les gens de let
JANVIER. 1772. 141
tres , favorifer leurs progrès par fa générofité
, verfer dans le fein des pauvres les
aumônes les plus abondantes & donner à
tous les parens les preuves les moins équivoques
de fa tendreffe pour eux fut conftamment
l'objet des attentions de M. du
Terrail.
Sa bienfaifance & fon amour pour les
fciences & les lettres fe manifeftèrent par
la fondation du prix que l'Académie dif
tribue chaque année. Par un effet de la
modeftie la plus rare , il renonça en quel
que forte à la gloire que répand fur lui
ce bienfait , & confentit que la médaille
continuât à porter l'empreinte du nom &
des armes de M. Poufier , fondateur de
l'Académie.
M. Maret termine le recit de toutes
les belles actions de M. du Terrail
par
l'expofition de fes vertus fociales , & fait
voir qu'aux qualités diftinguées qui rendent
un homme précieux à l'Etat , cet
académicien réuniffoit celles qui font eftimer
, refpecter & chérir les particuliers.
Cette lecture a été fuivie de celle d'un
mémoire fur un peuple nain de l'Afrique
, par M. Debroffes , préfident à mor
çier au parlement de çette province ,
142 MERCURE DE FRANCE.
On a mis au rang des fables ce que les
Anciens ont debité au fujet des Pigmées,
mais il ne faut pas toujours nier les faits
parce que des circonftances fabuleufes en
accompagnent le recit . M. de Broffe , qui
fait cette remarque dans le début de fon
mémoire , en fournit la preuve en conciliant
ce que les Anciens ont dit des Pigmées
avec la rélation contenue dans une
lettre que M. Comerfon , botaniste , envoyé
aux Indes par le gouvernement , lui
a écrite de Madagascar.
Ce naturaliſte a vu , fur la fin de l'année
dernière, au Fort Dauphin , chez M. le
Comte de Modave , gouverneur de l'établiffement
que nous avons au Sud de cette
ifle, une femme Quimoffe ( c'est le nom
que les naturels du pays donnent au peuple
nain qui habite les montagnes fituées
au centre de l'ifle. ) On donnera feulement
la defcription de cette femme qui
fuffira pour faire connoître cette espèce
extraordinaire ; elle avoit été enlevée fort
jeune fur les confins de fon pays , & paroiffoit
âgée d'environ trente ans. Elle
étoit haute de 3 pieds 7 à 8 pouces . Sa
couleur étoit du noir le plus clair que M.
Commerfon eût vu parmi les Négres . Ses
membres étoient gros & lui donnoient
JANVIE R. 1772. 143
beaucoup de reflemblance à une femme
de proportion ordinaire de laquelle elle
ne différoit que par fa hauteur. Ses bras
étoient très- longs ; lorfqu'elle les laiffoit
tomber
perpendiculairement à fes côtés ,
la main defcendoit au- deffous du genouil.
Les mamelles étoient abfolument plates
fans aucune apparence qu'elles euffent été
plus groffes , on n'appercevoit de faillant
que le mamelon. Elle avoit les cheveux
lainés comme les Négres ; fa phyfionomie
n'étoit point défagréable & annonçoit la
bonté de fon caractère ; elle avoit plus de
rapport avec celle d'une Européenne qu'a
vec celle d'une Malgache ( nom des habirans
de Madagascar . ) Quoiqu'elle eûtles
tempes ridées , cela n'ôtoit rien à la férénité
de fon air. Son humeur étoit douce
& , à juger par fa conduite , cette femme
avoit beaucoup de bon fens.
Ce portrait , fait d'après nature , eft en
même tems à peu de chofe près celui de
tous les Quimos. Les rélations des habitans
du pays donnent à ces pigmées beaucoup
de valeur , d'industrie & d'équité.
Ils ne fortent pas de leurs
montagnes &
ne permettent à perfonne d'y pénétrer .
Leurs armes font la fagaie , efpèce de trait
qu'ils lancent on ne peut pas plus adroi144
MERCURE
DE FRANCE .
tement . Les armes à feu leur font incon
Dues.
M. Mailli a lu l'hiftoire de l'entrepriſe
que fit Jacques Verne du tems de la ligue
pour remettre la ville de Dijon en
robéiffance d'Henri IV . Cette hiftoire eft
un fragment d'un ouvrage que M. M. fe
propofe de donner au Public , & dans le
quel il raconte ce qui s'eft paflé en Bourgogne
en ces tems affreux où le fanatifme
faifoit aux François l'illufion la plus
funefte.
On a vu avec plaifir , dans ce fragment
hiftorique , que fi Dijon ne fut pas une
des premières villes de la province qui
ouvrit fes portes au Roi , c'est que le Duc
de Mayenne étant gouverneur de cette
province ; fon fils , que l'on appeloit Heni
Monfieur, faifant fa réfidence au palais
des Ducs , & les Ligueurs ayant une forte
garnifon dans le château fous le comman
dement de Francefque , Italien rufé &
cruel , il y avoit tout à craindre de fe déclarer
contr'eux . Que cependant le coeur
de la plus grande partie des habitans étoit
pour Henri IV ; que , parmi les membres
du parlement refté à Dijon , il y en avoit
beaucoup qui n'afpiroient qu'au moment
de fe foumettre à leur Roi légitime , &
travailloient
JANVIER . 1772. 145
wavailloient à le rendre maître de la
ville.
L'entrepriſe de Verne fut fans fuccès
& lui coûta la vie , ainfi qu'à plufieurs
autres fidèles royaliftes ; mais elle ne contribua
pas peu à hâter la révolution qui
peu de tems après, remit notre patrie fous
l'obéiffance d'Henri le Grand.
La féance a été terminée par un mémoire
de M. Dantick fur la fauffe éméraude
d'Auvergne.Cette pierre qui fe trouve
à Loubeyrat , terre appartenante à Mde
la Marquife de la Fayette , eft un fpath fu
fible ou vitreux. Quand on la frappe elle
fe caffe en morceaux irréguliers comme le
verre; elle peut être gratée avec un couteau
& ne fait point effervefcence avec
les acides . Elle fait feu au briquet , du
moins d'une manière très- fenfible dans
l'obscurité, & paroît une vraie cryſtallifation
. Ses cryftaux font de forme rhomboïdale
, gros , bien marqués , bien tranf
parens & d'un verd clair. Elle eft fpécifiquement
plus pefante que le quartz.
M, Dantick fait l'énumération de toutes
les qualités particulières de cette fauffe
éméraude & de fes propriétés.
.On peut , avec cette pierre , faire des
opales factices , plus dures & moins fra-
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
giles que
celles que l'on fait avec de la
craie , de la chaux éteinte , & c .
On peut , par fon mêlange avec la fritte
, avoir une belle porcelaine
de verre.
Cette pierre remplaceroit avec avantage
la foude , la cendre & la chaux dans
la compofition du verre. Si par un défaut
de mêlange des ingrédiens ou par la faute
des ouvriers le verre grailfoit , elle feroit
capable de diffiper cette graiffe.
On pourroit encore en tirer un grand
parti dans les manufactures de porcelaine ,
de fayance & même de brique tant pour
la pâte que pour la couverte .
M. D. fe propofe de multiplier les
expériences pour connoître plus fûrement
tous les avantages qu'on peut tirer de ce
minéral .
I V.
De Besançon.
Le 21 Décembre 1771 , l'Académie des
Sciences , Belles Lettres & Arts de Befançon
tint fa féance publique de la rentrée ,
que diverfes circonstances avoient retardée.
M. le Cardinal de Choifeul , le Maréchal
Duc de Lorges , M. Chifflet , Pre-
ม
JANVIER . 1772. 147
mier Préfident , & M. Delacoré , Intendant
de la Province , y affifterent.
M. l'Abbé de Soraife , Vice- Préfident ;
fit l'ouverture par des obfervations fenfées
& ingénieufes fur la décadence du goût ;
il en montra les progrès dans plufieurs
ouvrages récens : il en rechercha enfuite
le principe & la cauſe.
M. Philipou , Avocat du Roi au Bureau
des Finances , fit part du projet d'un ouvrage
, qui pourroit avoir pour titre : La
Philofophie du Peuple , & qui rouleroit
fur l'explication hiftorique & morale des
proverbes. Il en développa quelques - uns
fur le plan qu'il avoit annoncé , & endit
trés intéreffant une matière qui a roît
d'abord peu fufceptible d'intérêt . Le développement
qu'il fit de ce proverbe :
Bonne renommée vaut mieux que ceinture
dorée , fat goûté & applaudi , & plus encore
la fiction agréable par laquelle il
établit la fupériorité de la vertu fur les
graces & les talens .
M. Ethis , Commiflaire provincial des
guerres , annonça un Recueil des mêmes
vies qu'a écrits Plutarque ; mais traitées
& travaillées fur un plan nouveau . Le
defir de former le coeur de fon fils , autant
que l'envie d'en étendre les connoidances,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
l'a porté à dégager l'hiftoire des hommes
que l'orateur de Chéronée a célébrés , de
cet amas de fables & de détails minutieux
ou peu vraisemblables qui révoltent les
gens fenfés ; il faifit le vrai de chaque
fait , réduit le merveilleux à fa juſte valeur
, & fait fortir destraits de vertus qu'il
préfente , ces moralités fans lesquelles
T'hiftoire feroit au- deffous du roman. La
vie de Théfée fut celle dont il fit lecture .
Les expéditions de ce Héros contre les
Brigands qui ravageoient l'Altique , fournit
à l'hiftorien l'occafion précieufe de
relever le fervice des Maréchauffées ,
trop mal apprécié parmi nous. La réfor
mela légiflation dans Athènes , amena
d'autres reflexions intéreffantes , fur tout
pour ce moment. 11 ôta à la fable du Minotaure
ce qu'elle a d'incroyable ; & au
lieu de faire de Théfée un demi dieu , il
fe contenta de le préfenter comme un
grand homme , qui fut le bienfaiteur de
fes femblables ; ce qui doit fervir de modele
aux Souverains , jaloux des fuffrages
de la postérité. En rendant juftice aux talens
de M. Ethis , chacun convint que
cette façon de prefenter les Vies de Piutarque
étoit également philofophique &
agréable , & que ce feroit faire au Public
JANVIE R. 1772. 149
un préfent bien précieux que de lui donner
promptement la collection que M. Ethis
a préparée. Le travail qu'il a fait pour
l'éducation de fon fils , ne peut qu'enrichir
notre littérature , & fe faire rechercher
de tous les pères de famille qui voudront
remplir l'étendue de ce titre.
La féance fut terminée par l'éloge de
Maillon que lut M. l'Abbé Talbert , cha
noine de la Métropole , & prédicateur de
S. M. Il étoit d'autant plus capable d'apprécier
ce célébre Orateur , qu'il le fuit de
près dans la carrière de la chaire . Des
anecdotes qu'il avoit reçues depuis peu
de M. Morin , ancien Vicaire général
de l'Evêque de Clermont , le déterminérent
à entreprendre cet éloge . On applau- રે
dit beaucoup au tableau rapide & fini des
Orateurs chrétiens qui avoient devancés
Maffillon . Ce morceau décéloit un grand
maître. Lepetit Carême fut caractérisé par
ces traits fi vrais. « Qui pourroit n'y pas
» admirer avec quelle folidité , quelle
»force il fait inftruire un Roi ; avec
quelle fimplicité il fait inftruire un en-
» fant rien n'y paroît au -deffus de fon
» âge , ni au- deffous de fa dignité . C'eſt
» en même-tems le code des Courtfans
» & des Souverains ; c'eft l'art de regner
"
& iij
150 MERCURE DE FRANCE.
"
fur les peuples , & fur foi même » . Les
anecdotes & les détails de la vie privée
ou épifcopale de Maffillon , firent le plus
grand plaifir. Elles joignoient au mérite
de la nouveauté celui d'être écrites avec
autant d'efprit que de goût.
V.
Difcours fur la néceffité & les moyens de
Supprimer les peines capitales , lu dans
la féance publique tenue par l'Académie
des fciences , belles lettres & arts de
Befançon , le 15 Décembre 1770 .
-
Les Compagnies Littéraires , qui fembloient
n'être formées que pour fixer la langue & pour
donner des leçons de bon goût , ont étendu leurs
travaux fur des objets plus intéreflans pour l'humanité
, & digaes en même tems de l'homme de
lettres & du citoyen. Parmi les fujets qui ont été
traités en ce genre , celui du difcours que nous
annonçons eft fans contredit un des plus beaux
Le motif & la manière font également honneur
à l'Académicien qui l'a compofé . L'Auteur an
nonce & prouve non - feulement que la rigueur des
peines ne diminue pas le nombre des crimes ,
mais encore que l'impoffibilité de réparer le mal
que l'on peut faire , en faifant fubir la mort à
des innocens , devroit feul faire abolir les peines
capitales ,
Que lert aux manes de Calas l'honneur
JANVIER . 15x 1772 .
qu'un Prince humain & jufte a reftitué folemnellement
à fa mémoire ? Que lui fervent les
pleurs dont l'Europe a baigné la tombe , &
les libéralités qui font allées chercher &
confoler fa veuve & fes enfans : Effet cruel
& néceflaire des peines capitales ! Quand une
» fois elles ont frappé l'innocent , toutes les
réparations poflibles ne fauroient en ranimer la
» cendre.
20
Autre vice de ces fortes de peines : elles ne
s'appefantiflent que fur le peuple. Le mortel que
la fortune couvre de fon aile leur échappe pref
» que toujours. Ce font ces toiles d'araignées
dont parle Anacharfis ; le moucheron s'y
prend , l'hirondelle les déchire .
»ADieu ne plaife que j'accufe les difpenfateurs
» de la juftice criminelle ? Je crois volontiers
qu'ils font incorruptibles comme la loi , & que
les flots des paffions ne s'élèvent pas jusqu'à
eux ; mais eft- ce d'eux que dépend l'exercice
de leur ministère ? Que de perfonnes il leur faur
» pour être informés du crime , s'aflurer du cou-
» pable », &c.
Il fait enfuite le parallèle du tems où , chez
la même nation , les Chefs de la Juftice font ef
cortés de bourreaux , & de celui où , en aboliffant
les peines capitales , ces charges de meurtrier
public & légitime feroient fupprimées . Il eft fâché
de ne voir par-tout que des tortures pour le
crime , & point de prix pour la vertu .
» Un Légiflateur éclairé prépare plus d'appâts
» pour la vertu , qu'il ne drefle d'épouventails
» pour le vice. La crainte du châtiment ne peut
qu'éloigner du mal : l'efpoir de la récompenfe
30
Giv
52 MERCURE DE FRANCE.
» mène au bien ; il créeroit une ame à celui qui
n'en a pas. Combien à la vue des couronnes
→ obfidionales & civiques ne s'exalta pas le courage
des aventuriers raflemblés par Romulus ?
Quelques feuilles de chêne & des brins d'herbes
firent ces Héros ; les châtimens n'euflent
. formé que des efclaves » .
30
Ce n'eft pas tout que de démontrer qu'un
moyen eft vicieux ; il faut encore y ſuppléer par
un autre meilleur : c'eft auffi ce que fait l'Auteur,
En abolifant les peines capitales , il en indique
d'autres non moins onéreules , plus efficaces &
plus capables de dédommager la fociété du tort
que le criminel a pu lui faire , & il dit :
30
» Si élevé tout-à- coup à la noble fonction de
Légiflateur , & ne pouvant rappeler le bon
ordre ni par l'attrait bien puiflant des récompenfes
, ni par l'attrais plus puiflant encore des
bonnes moeurs , il me falloit abfolument compofer
un code pénal , je commencerois par
အ defcendre bien avant dans le coeur humain . Là
»je chercherois à démêler parmi les refforts de
fon organifation quels font ceux qui impri-
»ment à lon ame plus d'énergie & d'activité ; &
» dès qu'une fois j'aurois pu les découvrir , j'y
attacherois comme à un point fixe le premier
anneau de mes loix. Ou je me trompe fort , ou
la crainte de l'opprobre eft ce point que je cher
che. En effet jobferve que la louange nous
flatte moins que le mépris ne nous blefle ; que
» beaucoup d'hommes voient , fans être ébranlés ,
» s'écrouler autour d'eux l'édifice de leur fortune;
» qu'un grand nombre envifage le tombeau fans
» émotion , qu'on regarde même des fers fans
pâlir, pourvu que ce ne foit pas l'infamic qui
"
1
JANVIER. 1772. 153
les préfente. Mais quel mortel tient devant la
honte & l'avilifiement ? »
En effet , fi , au lieu de pendre ceux qui , fe
lon nos loix , méritent de l'être , on leur appliquoit
, non fur l'épaule qu'on ne voit pas , mais
fur le vifage , une marque ineffaçable d'ignominie
, qu'auroit- on à craindre d'eux davantage ?
Chacun , en les voyant , auroit grand foin de
s'en méfier . Fænum habet in cornu , le diroit- on
longè fuge. De plus on fauveroit leur postérité ,
& ils payeroient par le travail qu'on pourroit
exiger d'eux , l'existence qu'on leur laifferoit. A
l'égard des fcélérats les plus déterminés , l'Auteur
voudroit non-feulement que des chaînes éternelles
répondiffent de leurs perfonnes , mais encore
qu'ils fuflent employés à foulager les labou
reurs dans leurs corvées , à travailler aux grands
chemins ou à tout autre ouvrage public. Ce feroit,
pour ainsi dire , une amende journalière qu'ils
payeroient à l'humanité.
SPECTACLES.
CONCERT
IL y a
SPIRITUEL.
y a eu concert aux Tuileries la veille
& le jour de Noël . Les nouveantés ont
été dans celui du 24 décembre un moter
à voix feule de M. l'Ecuyer , ordinaire de
l'académie royale de mufique , chanté par
M. Warin. M. Beere , ordinaire de la
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
mufique de S. A. S. Mgr le Duc d'Or
léans , a exécuté un concerto de clarinettes
de la compofition de M. Stamitz fils .
Mlle Dubois , âgée de treize ans & demi
, élève de la Demoifelle de ce nom ,
de la mufique du Roi , a chanté Coronate,
motet à voix feule de M. le Févre , & le
Public a été auffi étonné que fatisfait du
talent & du goût précoces de cette jeune
Muficienne , tant pour l'étendue de fa
voix dans un âge fi peu avancé , que pour
les cadences qu'elle a des plus brillantes .
On a auffi beaucoup applaudi M. le Duc
le jeune , très jeune Virtuofe , qui a exécuté
avec fupériorité un beau concerto
de M. le Duc l'aîné.
OPERA.
L'ACADEMIE royale de mufique continue
les repréſentations d'Amadis , qu'elle
doit bien-tôt remplacer par Caftor & Pol
lux, dont les paroles font de M. Bernard,
& la mufique de Rameau.
JANVIER. 1772 155
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES comédiens françois ont donné lun
di 23 Décembre , la première repréfen
tation de la Mere Jaloufe , comédie en
trois actes & en vers . L'auteur eft M. Barthe
, connu par plufieurs piéces de vers
très -agréables , & par la charmante comédie
des Fauffes Infidélités. Ce nouvel
ouvrage ne peut qu'ajouter beaucoup à fa
réputation , par le mérite fingulier du
ftyle , par la vivacité , la fineffe & la vérité
du dialogue , par plufieurs fcènes trèsbien
faites & qui ont eu le plus grand fuccès
, fur-tout par un des caractères qui a
généralement paru original & piquant ,
& qui ne dépareroit aucune des bonnes
comédies que nous ayons au théâtre. On
doit encore fçavoir gré à M. Barthe d'avoir
donné une pièce dans le vrai genfe
de la comédie , genre trop négligé pár
ceux même qui auroient le plus de talent
pour y réuffir . Le public , quelquefois
fi indulgent , & quelquefois fi févère
, eft trop éclairé , fans doute , pour
vouloir lui-même confpirer contre fon
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
plaifir. Malgré les critiques que cette
piéce a effuyées ( à la première repréfentation
fur-tout ) elle a eu le plus grand
fuccès d'eftime pour l'auteur ; fon fuccès
doit tous les jours augmenter au théâtre ;
& l'on ne peut douter qu'il ne foit trèsgrand
à la lecture . Dès qu'elle paroîtra ,
nous nous hâterons d'en donner l'extrait.
Nous tâcherons de la juger avec cette
impartialité qu'on doit au public & à foimême
, & fur tout avec les égards dus
à des talens qui s'annoncent d'une mamière
fi diftinguée dans un genre auffi
difficile.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont remis fur
leur théâtre les Deux Avares , comédie
en deux actes de M. de Falbaire , muſique
de M. Grétti .
JANVIER. 1772. 197
ARTS.
PHYSIQUE.
EXTRAIT du mémoire lû à l'Académie
royale des Sciences , fur le Météore du
17 Juillet.
UNN Philofophe ancien difoit , qu'on devroit
étudier la Phyfique , quand ce ne feroit que
pour nous délivrer des vaines terreurs , que nous
infpirent certains météores : il avoit raison ; fans
cela , nous fommes continuellement exposés à
être furpris & allarmés par des phénomènes ,
qui font cependant auffi anciens que le monde.
Un globe de feu paffe au-deffus de Paris , il
étonne les uns , il épouvante les autres ; toute
la ville en raiſonne . On débite , & même parmi
cette partie de la nation , qui n'eft point peuple,
cent chofes extraordinaires fur la caufe de ce
météore. On ouvre les annales de la Phyfique ,
& la furpriſe difparoît ; on apprend que ce
phénomène , qui'a étonné tant de monde, a été
obfervé dans tous les tems.
Tout ce qui peut nous éclairer fur ces objets ,
étant très- important ; nous voudrions bien donner
à nos lecteurs un détail fuffifamment étendu
du mémoire que M. le Roi a lu fur ce météore , à
la rentrée de l'Académie des Sciences , & que
158 MERCURE DE FRANCE .
nous avons annoncé dans le Mercure de Décem
bre ; mais bornés malheureufement par l'abondance
des matières , nous ne pouvons en parler
que d'une manière fort abrégée . Quoiqu'il en
foit , nous allons tâcher de faire connoître , ce
qu'il renferme de plus intéreffant.
Les grands phénomènes de la nature n'échappent
pas , même aux peuples les plus fauvages ,
& les moins occupés des merveilles de cet Univers
cette vérité eft confignée dans l'hiftoire
des temps. Les Anciens ont connu le globe de
feu. Ariftote , Seneque & Pline l'ont décrit. Nos
vieilles chroniques en parlent fouvent , mais
d'une maniere qui caractérife bien l'ignorance &
la fuperftition de ces tems - là . Comme on ne
voyoit alors dans toutes les apparences célestes ,
qui pouvoient avoir quelque chofe d'extraordinaire
, que des marques de la colère du ciel ; on
ne voyoit dans les globes de feu , que des épées
flamboyantes , des dragons volans , qui vomiffoient
des flammes, & d'autres figures non moins
épouvantables ; & ces dragons de feu volans ,
(car c'eft le nom qu'on leur donnoit le plus fauvent
) ne manquoient jamais , comme on l'imagine
bien d'annoncer la mort d'un grand , la
guerre , la famine ou la pefte.
Après cette hiftoire très - courte des globes
de feu , mais très - néceffaire , parce que nous
avons dit , M. le Roi pafle rapidement à la defcription
de celui du mois de Juillet , & comme
il est toujours important de connoître ces phénomènes
avec exactitude ; nous la mettrons ici
en entier.
JANVIER . 1772 . 159
Le dix-fept de Juillet ( de l'année derniere ,)
» vers les dix heures & demie du foir , le tems
» étant parfaitemeut ferein , à l'exception de
quelques nuages qui bordoient l'horizon du
» côté du couchant ; on vit tout d'un coup dans
» le nord- oueft , un feu femblable à une groffe
» étoile tombante , qui augmentant à mesure
» qu'il approchoit , parut bientôt fous la forme
» d'un globe , & enfuite avec une queue qu'il
» traînoit après lui. Ce globe ayant traversé
" une partie du ciel , à peu - près du nord nord-
" oueft au fud fud - eft , avec une extrême rapidi-
» té, & dans une direction très-inclinée à la terre,
fon mouvement parut fe ralentir , & fa forme
» devenir femblable à celle d'une larme batavique;
il répandit alors la plus vive lumière ,
» étant d'une blancheur éblouiffante , pareille à.
» celle du métal en fufion . Sa tête paroiffoit en-
20
vironnée de flammèches de feu , dont les unes.
» fembloient appartenir au corps du météore , &
» les autres en être détachées ; & fa queue bordée
» de rouge, étoit parfémée des couleurs de l'arc-
" en- ciel. Ce globe étant devenu comme ſtation-
" naire, parut prendre une forme encore moins allongée
, comme celle d'une poire , & avoir dans
»fon milieu des bouillonnemens , accompagnés
» d'une matière fumeufe. Alors ayant comme
épuifé tout fon mouvement , il éclata en répan-
" dant un grand nombre de parties lumineuses ,
" femblables aux brillans des feux d'artifice , ces
"brillans produifirent une fi vive lumiere & fi
éblouiffante , que la plupart des fpectateurs ne
» purent en foutenir l'éclat , & crurent l'inftanı
d'après , être au milieu des plus profondes
» ténèbres. “
59
53
160 MERCURE DE FRANCE.
1
Quand on vit ce globe traverfer notre atmolphère
, on auroit eu de la peine à fe perfuader
qu'il venoit des côtes d'Angleterre , au -deffus
defquelles il s'étoit formé ; cependant rien n'eſt
plus conftant. Il partit de cette région & dirigeant
fa courſe , au- deffus des confins de la
Picardie & de la Normandie , il palla prefqu'au
zénith de Paris , & alla éclater aux environs de
Melun .
Deux minutes après fon exploſion , ou à peu
près , on entendit un bruit extraordinaire , com
paré par les uns à un coup de tonnerre , qui
gronde au loin , & par les autres à un bâtiment
qui s'écroule , ou à une charette fort chargée
qui roule fur le pavé. Ce bruit fut fuivi d'un
fecond plus clair & plus foible ; mais qui ne fut
entendu que dans les maifons de Melun.
A peu près dans le même- tems , où on enter
lit à Paris le premier bruit , il y eut une
efpèce de commotion dans l'air qui fit trembler
les vitres & les meubles , dans les parties de la
ville fituées au fud-fud- eft , particuliérement
dans les lieux élevés , comme à l'Obfervatoire.
On a cru que c'étoit l'effet d'un tremblement
de terre ; c'est une erreur ; l'exploſion de ces
globes produit prefque toujours ces fortes de
commotions. Il y en a nombre d'exemples ;.
M. Leroi en rapporte un arrivé de nos jours.
En 1756 , un globe de cette espèce éclata audefus
de la ville d'Aix en Provence ; la commotion
fut fi forte , que la plupart des maifons
en ayant été ébranlées , les cheminées tombeJANVIER
. 1772. 161
rent de la fecouffe. Les habitans * épouvantés
attribuèrent cet effet à un tremblement de terre ;
mais dès le lendemain ils furent détrompés &
raffurés par des gens de la campagne qui avoient
vu le globe defcendre du ciel & éclater au-delfus
de la ville.
Cette violente commotion ne doit pas étonner
, vu la grandeur de ces globes. Selon cet
Académicien , celui du mois de Juillet avoit près
de soo toifes de diamètre ; il en cite plufieurs
autres encore plus confidérables.
En nous parlant d'un volume de feu fi énorme,
il femble qu'il nous annonce un nouveau
danger dont nous fommes menacés , que nous
ne connoillions pas encore , & bien plus tertible
que celui de la foudre. Quelle ville pourroit en
effet échapper à un incendie général & à une
ruine totale , fi un pareil globe tombeit au
milieu de fes murs ? Mais M. le Roi nous raffure
en nous montrant que ces globes par leur
nature & par ce qu'on a recueilli de leurs apparitions
, ne tombent jamais fur la terre en entier,
ou , comme il le dit , en corps de feu. S'ils
y defcendent , ce n'eft que par partics , ou détachées
du météore par l'explosion , ou qui
flottoient auparavant autour de lui * .
* Comme ce globe éclata vers les deux heures
du matin , les Dames d'Aix toutes effrayées
arrivèrent prefqu'en chemife au Cours , où tout
le monde fe rendoit , craignant les fuites funeftes
de ce prétendu tremblement de terre.
* Malgré tous les contes qu'on a faits lors du
162 MERCURE DE FRANCE.
L'explosion de ces globes a quelque chofe de
fingulier qui n'avoit pas encore été remarqué ,
& qui mérite cependant bien de l'être . Elle eft
prefque toujours accompagnée de deux bruits
fucceflifs , l'un très - fort & l'autre plus foible ,
comme nous l'avons dit en parlant des deux
bruits qu'on entendit dans les environs de Melun.
La caufe en eft bien fimple , comme le fait
voir M. Leroi . Lorfque ces globes éclatent , il
y a prefque toujours deux explofions , l'une du
globe entier , l'autre des parties ( réfultantes de
la premiere explofion ) qui éclatent à leur tour :
ces deux explosions fucceffives doivent donc
cauſer néceſlairement les deux bruits de différentes
forces qu'on entend après.
On a de la peine à s'accoutumer au volume
prodigieux de ces météores ; la rapidité de leur
mouvement n'eft pas moins extraordinaire. Ce
lui de Juillet fe mouvoit avec une telle vitefle ,
qu'il parcouroit plus de 6 lieues par feconde ,
ayant décrit en moins de 10 fecondes un arc
dans le ciel de plus de 60 lieues ; c'est- à - dire ,
météore de Juillet de perfonnes brûlées à Paris
& à Vanvres , qui n'ont pas le moindre fondement
, il femble par différens faits qu'on né
puiffe pas douter que plufieurs parties de feu ne
foient defcendues jufqu'à terre , ou au moins
n'ayent paru dans les régions les plus baffes de
l'atmosphere , lors du paffage ou de l'exploſion
de ce globe. Ce feu étoit extrêmement rare ,
& reffembloit à la flamme légere des efprits ardens.
JANVIER. 1772. 163
qui embrasfoit l'efpace compris entre les côtes
d'Angleterre & les environs de Melun où il
éclata. Enfin la hauteur de ces globes , comparée
à celle des nuages , eft encore un nouveau ſujet
d'étonnement ; car ceux- ci ne montent guêres
qu'à 3600 toiles ; & ces globes fe meuvent dans
des régions de l'atmosphère beaucoup plus élevées.
Celui dont nous parlons étoit dans les premiers
inftans de fa courfe , à près de 41076 toifes
ou 18 lieues de haut ; & dans les derniers ,
ou lorsqu'il éclata , il étoit encore à plus de
9 lieues de hauteur.
Ainfi on ne doit être nullement furpris qu'il
ait été vu dans des lieux fi éloignés les uns des
autres , comme à Londres , à Granville , à la
Fléche , à Limoges , à Moulins , à Lyon , à Dijon
, à Joinville , à Reims * ; & il eft important
de remarquer , comme le fait M. Leroi ( pour
ne laiffer aucune équivoque fur cette grande
hauteur) que ce n'eft feulement pas la lueur du
globe , qu'on a vue dans ces différentes villes ,
mais le corps même de ce météore , de manière à
enreconnoître la forme , & à en fpécifier la grandeur.
On a apperça de bien plus loin fa fimple lumiere,
puifqu'on l'a vue à Sarlat & dans les environs
, à près de 120 lieues de Paris . On explique
facilement par la hauteur & par la grandeur de
* Il eft prefqu'inutile d'ajouter ici qu'ayant
tracé à - peu -près la circonférence du cercle ou
ce globe a été vu , on s'eft crû diſpenſé de
parler des villes fituées dans l'intérieur de ce
cercle où il a été apperçu de même.
164 MERCURE DE FRANCE.
cem étéore pourquoi tant de petfonnes se font
imaginées qu'il avoit éclaté auprès d'elles.
La grande diſtance des différens lieux où on
a vu ce globe , fournit une obfervation intéreffante
pour la Phyfique , fur la vafte étendue
de pays où on peut avoir le même tems au même
inftant. Il réſulte en effet des obſervations
de ce météore , que le 17 Juillet vers les dix
heures & demie du foir , le tems étoit parfai--
tement ferein dans une étendue de pays de près
de 200 lieues de diamètre.
La plupart des obfervateurs fe récrient fur
cette circonftance de la beauté du ciel au moment
où on vit le météore , & en parlent com
d'une chofe extraordinaire . M. Leroi obferve
que cette circonftance qui les a tant frappés , eft
précifément une condition néceffaire , fans laquelle
ils ne l'auroient pas apperçu . Car les globes
de feu fe formant beaucoup au- deffus de la
région des nuages , on ne les voit plus dès que
le tems eft chargé ; ou fi on les apperçoit , ce
n'eft que comme la lueur d'un éclair , ainfi qu'on
l'a fouvent obfervé. En effet , un globe de feu
fe voit quelquefois dans plufieurs endroits , tandis
que dans d'autres on ne l'apperçoit point du
ou on ne l'apperçoit que comme une lueur,
à caufe des nuages dont le ciel y eft couvert.
De là on éprouve une très - grande furprife ,
quand on entend enfuite le bruit de fon explofion
. Cet Académicien penfe en conféquence que
ces météores font fouvent la caufe de ces bruits
extraordinaires qu'on entend fur- tout en plein
jour ; & que faute de favoir à quoi les attribuer ,
on les attribue mal- à-propos au tonnerre. Cette
tout ,
JANVIER . 1772. 165
conjecture eft d'autant plus vraisemblable que
ees globes font très -fréquens. Ils paroiffent à
toutes les heures du jour & de la nuit & dans
toutes les faifons de l'année , en été , en hyver ,
au Printems , en Automae . En vain a- t- on imaginé
qu'ils étoient l'effet de la chaleur , & en
conféquence qu'on les voyoit plus fouvent en
été qu'en hyver . Les obfervations prouvent le
contraire , & montrent qu'en en voit moins dans
la première de ces faifons que dans la feconde ,
foit par quelque caufe inconnue , foit par la
longueur des nuits d'hyver qui compenfe ce
qu'elles ont de moins favorable que celles
d'été.
On fe tromperoit également , fi l'on fuppofoit
qu'ils affectaflent quelque direction particulière
dans leur mouvement. Ils le meuvent
dans tous les fens de haut en bas , de bas en
haut , du midi au nord , du nord au midi , de
l'Eft à l'Ouest , &c. &c. &c. Mais ceux qui fe
meuvent avec l'extrême rapidité dont nous avons
parlé , defcendent tous vers la terre dans une
direction très- inclinée .
Nous fupprimons beaucoup de chefes ; mais
nous ne pouvons nous empêcher de parler d'une
remarque curieufe que fait M. Leroi fur la reffemblance
de ces météores avec les comètes. Elle
paroît en effet fi grande à certains égards , qu'on
eft fort porté à croire , avec cet Académicien ,
qu'elle a donné lieu à l'opinion qui a fait regarder
fi long-tems ces aftres comme des corps
fublunaires & appartenans à notre atmosphère.
Après avoir expofé les circonftances principales
qu'on obferve dans l'apparition des globes
166 MERCURE DE FRANCE .
1
de feu , particuliérement de ceux qu'on appelle
globes de feu volans , & que nous ne pouvons
rapporter ici parce que cela nous meneroit trop
loin ; cet Académicien ajoute : » L'imagination
» eft épouvantée quand on réfléchit à des naffes
de feu d'un volume fi énorme , & qui fe
» meuvent avec une rapidité fi prodigieufe ; on
» ne conçoit pas comment , dans des régions fi
29
élevées que celles où ils prennent naiffance ,
» il puiffe fe trouver & fe raffembler une fi
prodigieufe quantité de matière inflamma-
» ble cominent dans des efpaces où le froid
» eft bien plus grand que celui de nos plus ru-
» des hivers , elle peut s'enflammer ? Quelle eft
» la nature de cette matière qui produit un feu
» fi rare , & qui paroît avoir cependant une fi
grande force d'explofion ? &c. &c. 39
כ כ
לכ
Malgré toutes les difficultés que cette énumération
préfente , on demandera peut-être quelles
font les caufes de ces étonnans météores ;
M. Leroi déclare » qu'il ne connoît aucun Phyfi-
» cien qui ait dit là - deffus des chofes feulement
» vraiſemblables , fi l'on en excepre l'illuftre
M. Halley ( dont l'hypothèſe eft cependant
» fujette à mille difficultés ) & qu'il a été fort
furpris d'entendre dire que ces cauſes étoient
» bien connues des Phyficiens. Que pour lui ,
» il avoue fans détour qu'il ne les connoît pas.
» Combien on réduiroit les livres de Phyſique ,
» fi chacun avoit le même courage. Au lieu ,
dit-il , de s'empreffer d'expliquer des phénomènes
fur lefquels nous avons fi peu de con-
» noiffance , amaffons des obfervations , & at-
20
JANVIER. 1772. 167
5כ
ל כ
5כ
» tendons qu'elles nous ayent fourni affez de
données pour tenter d'en développer les caufes
. L'atmosphère eft un vafte laboratoire
chimique , où il fe fait mille différentes com-
» binaiſons dont nous ne connoiffons même
qu'un très - petit nombre de réfultats . C'eſt
» du tems qu'il faut efpérer la connoiffance des
» autres. Remarquons cependant , continue- toil
, qu'on a trop gratuitement borné la hau-
» teur de cette atmosphère , & qu'on a ſuppoſé
» auffi trop légérement qu'il ne pouvoit pas fe
» former dans fes régions fupérieures nombre
» de phénomènes dont nous n'avons que peu
» de connoiffance.
ود
לכ
"
32
Enfin il termine ce mémoire par ces paroles :
» Plus nous faifons de progrès dans la Philofophie
& dans les Sciences , plus nous nous
rapprochons des Anciens ( comme l'a jufte-
» ment obfervé un de mes plus illuftres confreres
* ) ; il feroit bien extraordinaire , & ce
tems n'eft peut- être pas fort éloigné , qu'on
reconnût enfin la vérité de ce qu'ils ont avancé
autrefois fur cette région du feu qu'ils avoient
placée au-deffus de celle des nuages , & que
» cette région fe trouvât être en effet celle où
fe forme les étoiles tombantes , les globes de
» feu & d'autres météores ignés .
»
* M. d'Alembert dans la Préface de l'Encyclopédie.
168 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE NATURELLE.
Cabinets de Minéralogie portatifs , ou
Caiffes minéralogiques.
;
CELUI qui s'adonne à l'étude de la nature
, & fpécialement à celle de la minéralogie
, ne peut efpérer de voir dans les
cabinets d'hiftoire naturelle les plus riches
, que des échantillons de minéraux
mais ces échantillons fuffifent fouvent
pour donner des vues au Minéralogifte ,
& lui indiquer les objets de fes recherches.
M. Monnet , minéralogifte des
académies des fciences de Turin & de
Rouen , pour rendre cette étude de la
minéralogie encore plus facile & moins
difpendieufe , vient de former plufieurs
cailles ou cabinets portatifs de minéralogie.
Le regne minéral s'y trouve divifé
en cinq claffes ; favoir , terres , pierres
mines , fubftances inflammables , & fels .
Chaque cabinet ou caiffe minéralogique ,
longue de deux pieds , & large de dix
pouces , & compofée de 48 cafes , eft expliquée
par un catalogue raifonné qui renvoie
JANVIER. 1772. 169
voie aux numéros des cafes & à ceux qui
font appliqués fur les fubftances mêmes.
Un autre papier joint à ce catalogue ,
donne des explications particulières des
morceaux qui ont befoin d'être détaillés .
Le prix de ce cabinet eft de cinquante
écus , que l'on fera paffer à M. Monnet ,
demeurant à Paris , rue Charlot , au Marais
, chez M. Legrand , Ingénieur & Infpecteur
du Pavé de Paris.
GRAVURE.
L'Infomnie amoureufe , eftampe d'environ
17 pouces de haut fur 12 de large.
A Paris , chez Bonnet , Graveur , rue
Galande , place Maubert.
CETTE eftampe eft gravée dans la manière
du deffin au crayon rouge , par le
Sr Bonner , d'après le tableau original de
M. Lagrenée , Peintre du Roi. Ce tableau
a été vu des amateurs lors de la dernière
expofition qui a été faite au Sallon du
Louvre des ouvrages de MM . de l'Aca-
< démie royale de Peinture & de Sculpture.
L'eftampe nous rappelle bien agréable-
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
ment la fcène repréfentée dans ce tableau.
On y voit une jeune fille demi- nue , &
debout qui tire le rideau de fon lit qui ett
en défordre. On reconnoît ailément la
caufe de l'inquiétude de la Belle , à la vue
d'un petit Amour qui la regarde maligne.
ment. La gravure en eft traitée avec beaucoup
de foin & de propreté.
MUSIQUE.
COLLECTION lyrique , ou choix des plus
beaux morceaux de Mufique pour la voix ,
& pour toutes fortes d'inftrumens , premierrecueil
, gravée par Madame la veuve
Leclerc. Par M. Moret de Lefcer , Ecuyer
ordinaire de la Mufique de S. A. S. le
Prince de Condé ; prix 12 liv . A Paris ,
aux adrefles ordinaires de Mufique ; & à
Charleville , chez M. Moret de Lefcer,
Avec permiffion.
Chaffe enfonate de violon & baffe continue
, par M. C. Royer ; prix , 2 liv. f.
8
chez l'auteur , à la première barrière du
Temple , chez l'épicier & aux adreffes
ordinaires.
JANVIER. 1772. 171
TYPOGRAPHIE.
LE ST LUCE , Graveur du Roi , attaché
à l'Imprimerie Royale , a eu l'honneur de
préfenter à Sa Majefté , le 27 Décembre
1771 , une épreuve de Fonderie ayant
pour titre : Effai d'une nouvelle Typographie
, de fa compofition . Cette épreuve
contient de grands cartels où font renfer
més les armoiries & chiffres du Roi de
toute grandeur , des trophées allégoriques
aux Sciences & aux Arts ; des ornemens
de toute espèce , des caractères fur tous
les corps , tant Romains qu'Italiques imitant
l'écriture bâtarde , l'écriture ronde ,
curfive , & c. On y trouve auffi des filets
de vignettes & des cadres adaptés à chaque
caractère qui peuvent fe compofer
comme les pièces ci - deffus , de telle grandeur
qu'on défirera en formant toujours
les mêmes deffins , & qui fe varieront de
différens goûts. Le tout eft gravé en acier ,
imitant la taille - douce , & le fond de la
même matière que celle des lettres , & fe
compofe dans toutes les grandeurs de for
mats différens de l'Imprimerie , depuis
T'in -folio julqu'à l'in -feize .
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE.
JEU d'Echecs des Chinois.
Ce jeu est tiré d'un manufcrit des jeux de l'Afie .
Il a auffi fon agrément ; ce que l'on lale à juger
aux amateurs.
Toutes les piéces en général ne pofent que fur
les fections que forment les lignes , &non au milieu
des cafes .
Echiquier.
L'échiquier eft formé de huit carreaux, fur neuf, d'environ vingt lignes en quarré, tracées à l'encre
fimplement
fur une feuille de papier , que l'on colle fur une planche ou carton. Entre la cinquié me & fixiéme ligne parallèlement
aux côtés des
huit carreaux , l'on fe figure une rivière ou foſſé
qui fépare les champs de bataille , ainfi que les joueurs : c'eft pourquoi l'efpace de ces deux lignes
doit être différencié en couleur de la place des miniftres qui fe verra ci -après, & des deuxièmes
points de fections ; en avant de ces fections font
tracées deux diagonales qui fec oupent à une fection
en avant de la place de l'Empereur. L'extrê mité de ces diagonales
forme un quarré dont
l'empereur & fes miniftres ne fortent jamais , ce
qu'on appelle fa redoute , qui eft également des
deux côtés de la rivière.
Nota.
Les Chinois jouent à ce jeu avec des dames de
ANVIER. 1772.
173
&
bois, fur les faces defquelles eft écrit le nom de
chaque pièce , tel qu'Empereur, miniſtre , major ,
cavaliers , élephants , foldats , fergens : au lieu
de ces dames dont nous n'avons pas l'ufage , on
fe fervira de feize piéces de notre échec ordinaire
pour chaque joueur.
Pofition des pièces en commençant une
partie.
On pofe les neuf piéces fuivantes fur la premiere
ligne d'en bas , côté des huit carreaux.
Un roi au milieu de la ligne ; enfuite de droite
& de gauche dans cet ordre , une dame , un fou,
un cavalier , une tour.
Sur la troifiéme ligne parallèlement, un grand
pion , nommé chef- pion , vis-à- vis chaque cavalier.
Sur la quatriéme ligne parallelement , cinq
petits pions , vis-à - vis du roi , des fous , & des
tours.
Marche des pièces.
Le roi ne fait jamais qu'un pas ſoit en avant ;
en arrière , ou de côté ; il ne roque pas , ne fort
jamais de fon quartier limité par les diagonales
qui font les marches de fes deux miniftres feule.
ment , & qu'il ne peut pas fuivre lui - même ; il
prend fuivant fa marche.
Les dames ne peuvent fortir du quartier du
roi , ne font qu'un pas à la fois , & ne fuivent
dans leurs marches que les diagonales , fans pou-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
voir marcher fur les pas du roi. Elles prennent
fuivant leur marche.
Les foux. Leur marche eft de deux diagonales
de carreaux en droite ligne , en forte que
de leurs places ils n'ont que fept fections à pouvoir
fe pofer dans l'étendue de leur camp , ne
pouvant paffer la rivière.
Ils prennent fuivant leur pofition ; & fi la
marche eft interrompue ou barrée par le milieu ,
par une piéce quelconque , ennemie ou autre, ils
ne peuvent jouer ni prendre.
Le cavalier fuit deux lignes à la fois dans fa
marche , quifont premièrement un pas droit foit
en avant , en arriere , ou de côté , enfuite la diagonale
de la cafe à gauche ou à droite en avant
de fon pas droit , ou , pour mieux dire , il décrit
dans fa marche un côté d'Y.
Il ne peut commencer ſa marche pat un diago
nale , ni par conféquent retourner à fa place par
le même chemin .
S'il fe trouve une pièce ennemie ou autre, au
milieu de fa marche , ou au fommet de l'angle
qu'il décrit , il ne peut pas marcher de ce côté.
Il prend fuivant fa pofition , & va dans le
camp ennemi en paffant la rivière.
La tour marche & prend de même qu'au jeu
d'ufage en Europe , & paffe dans le camp ennemi.
Le petit pion ne fait jamais qu'un pas à la fois¸
& prend fuivant la marche ; fon premier pas eft
toujours en avant; mais étant arrivé fur les bords
de la riviere & dans le camp ennemi , il peut
marcher de droite & de gauche & en avant , &
prendre de même .
JANVIER. 1772: 175
Il ne peut pas prendre chez lui de côté, n'ayant
pas encore marché ; mais il peut prendre devant
fui ; il peur revenir fur fes pas de côté ; mais il ne
peut jamais retrograder en arrière.
Quand il va à dame , il n'augmente pas en
valeur.
Les pions de la même couleur peuveut fe croifer
vis-à-vis les uns des autres.
Le grand pion ou chef-pion , marche & prend
comme la tour; mais pour prendre il faut qu'il
fe trouve dans la direction à un feul pas de lui
& joignant une piéce ennemie ou autre ; alors il
prend en paffant par- deffus celle - ci la piéce en
échec , finon il ne peut rien prendre.
Il faut que le chef-pion , en
le chef- pion , en s'épaulant ainfi
d'une pièce dans l'intention d'en prendre une
autre , prenne garde de fe joindre à une piéce
ennemie qui prend d'un pas . Il paffe dans le
camp ennemi .
Nota,
Pat on mat est égal en Chine ainſi qu'en Afie .
L'on prévient de l'échec au roi feulement.
L'habitude fera voir qu'il eft avantageux de
commencer à porter les pions fur le bord de la
rivière , enfuite de porter un des foux en avant
du roi , & de dégager les tours d'un pas en avant,
après quoi on peut fonger à l'attaque ou à la
défenfe.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
De la préférence des pièces .
Des quatre piéces qui paffent chez l'ennemi ,
la tour eft la plus effentielle , enfuite le cavalier.
Le chef-pion eft très-important à conferver au
commencement d'une partie où il fait un dégat
fingulier ; mais il diminue beaucoup de fa force
fur la fin.
Le cavalier vaut mieux fur la fin qu'au commencement
d'une partie , fa marche étant facile
à
rompre.
Les pions bien conduits , font en général les
meilleures piéces du jeu, quand ils fe foutiennent
mutuellement.
Les foux & les miniftres , quand ils font défa
couplés , perdent beaucoup de leur valeur.
ANECDOTES.
I.
LORSQUE Colcheſter fe fût rendu à difcrétion
à Fairfax , Général de l'armée du
Parlement contre Charles I , ce Général ,
abufant du terme de difcrétion , s'étoit
réfervé le pouvoir de faire paffer fur le
champ toute la garnifon au fil de l'épée.
Les officiers s'efforcèrent en vain d'animer
le rette de leurs troupes à s'ouvrir un
JANVIE R. 1772 177
paffage au travers de l'ennemi , ou du
moins à vendre leur vie auffi cher qu'il
leur feroit poffible . Ils furent obligés
d'accepter les conditions offertes. Fairfax
, pouffé par le furieux Treton , que
Cromwell , dans fon abfence , avoit donné
pour furintendant au docile Général ,
fit faifir les chevaliers Lucas & Lille ,
dans la réfolution de les facrifier fur le
champ à la juftice militaire. Tous les
prifonniers fe réunirent contre une rigueur
qui étoit encore fans exemple. Le
Lord Cappel , fupérieur au danger , en fit
un reproche à Treton , & l'excita , puifqu'ils
étoient tous engagés dans la même
caufe , à leur faire fubir à tous la même
vengeance. Lucas , qui fut paffé le premier
par les armes , donna ordre anx
exécuteurs de faire feu , avec la même
liberté d'efprit , que s'il eût commandé
un peloton de ses propres foldats . Lille
courut à l'inftant , baifa le corps mort de
fon ami , & fe préfenta joyeuſement au
même fort. Les foldats qui devoient le
tirer lui paroiffant à trop de diftance , li
leur dit de s'approcher. Un d'entr'eux lui
répondit : Soyez sûr , monfieur , que nous
ne vous manquerons pas . Amis , repliqu'àt-
il , en fouriant , je vous ai vus de plus
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
près & vous m'avez manqué. Ainfi périt
ce généreux officier qui ne s'étoit pas
moins fait aimer par fa douceur & fa modeftie
, qu'eftimer par fon courage & par
fa conduite militaire .
I I
Un capitaine de dragons étant dans
une ville en quartier , & étant à fouper
dans une maifon où la converfation rouloit
fur l'incommodité de la goutte ,
interrompit la converfation en difant à
fon laquais : Jean , n'ai -je pas eu la goutte?
-Oui , Monfieur : Mefdames , dit l'Officier
, je connois cette incommodité , elle
eft bien facheufe. Il reprit tout de fuite :
Jean , à quel pied ai - je eu la goutte ?
Au pied gauche , Monfieur : Cela eft
vrai , Mesdames , c'eft au pied gauche ; je
plains beaucoup ceux qui ont cette maladie.
Il reprit encore : Jean , l'ai - je en
long- tems ? Treize jours , Monfieur , répondit
te laquais. Oui , Meflames , je
l'ai eue treize jours : avouez, Meldames ,
que ce terme eft bien long..
JANVIER. 1772. 179
I I I.
Le cardinal Mazarin , jeune encore ,
inconnu & fans autre autorité que celle
de la raifon , s'élança entre deux armées
prêtes à combattre , en criant : Vous êtes
hommes , vous êtes freres. Je vous défends ,
au nom de l'humanité, de vous égorger.
Cet événement , & glorieux pour Mazarin
, & qui fe trouve enfoui fous les reproches
fans nombre qu'on peut lui faire ,
d'avoir trompé les hommes , arriva devant
Cafal le 26 Octobre 1630. Spinola
commandoit les Espagnols ; le maréchal
de Schomberg , les François . Mazarin
fépara les armées , comme s'il n'eût féparé
que deux combattans . Il menagea une
trève , qui , par fes foins , fut bientôt
fuivie de la paix.
I V.
Le prince Maurice étoit au fiége de
Peft en 1553 , en qualité de volontaire ,
& âgé pour lors de 16 ans. Etant un jour
forti du camp , accompagné d'un feul
gentilhomme domeftique , il rencontra
des Turcs , avec lefquels il en vint aux
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
pas
fon chemains
; mais comme la partie n'étoit
égale , il fut renversé par terre ,
val ayant été tué fous lui , & . par conféquent
, il alloit perdre la vie , ou tout au
moins , la liberté , fie Gentilhomme ,
en fe jettant far lui tout de fon long , &
recevant les coups des ennemis , ne lui
eût fervi de cuiraffe & donné le tems
d'attendre le fecours d'une troupe de cavaliers
, qui l'enlevèrent aux Turcs & le
ramenèrent au campavec fon compagnon ,
où celui - ci mourut de fes bleffures quelques
heures après.
ور
V.
M. de Bautru préfentant un Poëte à
M. l'Emeri , furintendant des Finances ;
» Monfieur , lui dit - il , voilà une perfonne
qui vous donnera l'immortalité ;
» mais il faut auffi que vous lui donniez
a de quoi vivre »
V I.
Un efclave de Pifon , proconful d'Afrique
, étant interrogé par des gens qui venoient
pour tuer fon maître où étoit Pi
fon ? répondit , c'est moi qui fuis Pifon ;
& fut tué fur le champ.
JANVIER. 1772. 131
USAGES ANCIENS.
Les Hurebets.
LLeEsS habitans de Villenauxe , diocèſe de
Troyes , étoient incommodés depuis plufieurs
années par des chénilles , appellées
en patois hurebets , qui endommagoient
leurs vignes & celles des lieux voifins .La
difette , qui fuivoit ces ravages , caufoit
une défection des gens de labeur , qui ne
pouvoient pas être employés à la culture
& aux récoltes ; la fuperftition fe joignant
aux défordres des infectes , éloignoit de
Villenauxe tous les étrangers , qui n'ofoient
employer leurs peines dans un lieu
qui fembloit être deftiné aux malédictions
du ciel. Ce fut en conféquence de ces
préjugés que les Notables de cette Paroiffe
préfenterent requête à l'audience de Jean
Milon , Cfficial de Troyes , adverfus brucos
feu erucas vel alia non diffimilia ani
malia , Gallicè Hurebets. En 1516 l'Official
ayant entendu la requète & l'ayant
communiquée au Confeil, fur les conclu
fons du Promoteur , ordonna une information
fur le fait , & des Commiffaires
ad hoc , qui fe tranfportèrent fur les lieux .
182 MERCURE DE FRANCE.
elle fut dreffée dans les vignes , par un
Notaire de l'Officialité. Il fut reconnu que
les dégâts caufés par les fauterelles dans
le territoire de Villenauxe étoient extraor
dinaires . Les habitans firent encore de
nouvelles réquifitions devant le Juge ; ils
reconnurent leurs fautes paffées ; fur la promelle
d'une meilleure vie dans l'avenir ils
obtinrent une Sentence de l'Official , qui ,
de fon autorité , enjoint aux hurebets dont
étoit queftion dans la requête , qu'ils ayent
à fe retirer dans le délai de fix jours des
vignes & territoires de Villenauxe , fans
caufer aucun dommage dans tout le diocèle
de Troyes ; que fi dans le terme pref
crit par la Sentence ils défobéiflent & fe
trouvent encore à Villenauxe , ils font déclarés
excommuniés & maudits. Au furplus
enjoint aux habitans d'implorer le
fecours du ciel , de s'abftenir d'aucuns crimes
, & de payer fans fraude les dixmes
accoutumées .
La pièce originale eft rapportée par Jean
Rochette , Avocat & Confeiller en la Pre
vôté de Troyes , l'un des Commentateurs
de la Coûtume de ce Bailliage , dans un
fommaire décifoire des queftions Eccléfiaftiques
, imprimé dans cette Ville , en
1610 , in-8°.
JANVIER . 1772. 183
RÉFLEXIONS d'un Citoyen , fur
l'élévation des bâtimens de Paris.
La beauté des édifices contribue fans
doute à la magnificence d'une grande ville
; mais il faut fur- tout prendre garde en
les multipliant , ou en permettant leur
élévation arbitraire , qu'ils ne deviennent
nuifibles à la falubriré de l'air qu'on y ref
pire , & par- là préjudiciables à la fanté
des citoyens qui l'habitent. Cette confidération
doit particulièrement avoir lieu
pour la ville de Paris .
En comparant les anciens quartiers de
cette ville avec les nouveaux , on voit
que dans les premiers les rues étoient
étroites , ferrées par endroits , & que les
maifons y étoient peu élevées ; on peut
obferver ces difpofitions dans le quartier
de la cité , & on y remarque qu'en géné
ral les rues y font humides , qu'elles féchent
à peine , & même que quelquesunes
n'y féchent pas dans les plus grandes
chaleurs de l'été , qu'elles exhalent prefque
toujours une odeur déſagréable , &
qu'en conféquence on y refpire un air
mal fain. Ces inconvéniens , & d'un au184
MERCURE DE FRANCE.
tre côté la multiplicité des voitures qui y
caufent des embarras fréquens , n'ont pas
paru fans danger , & ils étoient trop fenfibles
pour ne pas fixer l'attention des
magiftrats , particulièrement de ceux qui
font chargés de la police des bâtimens &
de l'allignement des rues. C'eft pour corriger
ces défauts que l'on s'eft propofé de
faire élargir la voie publique , dans la
proportion que les édifices tombent , en
obligeant de faire rentrer la nouvelle
conftruction , pour donner aux rues la
largeur preferite.
A la vérité , en rendant ainsi les rues
plus larges , on prévient les embarras &
les accidens qui pourroient en être la fuite;
il femble même que l'on auroît dû en
efpérer que la circulation de l'air devenue
plus libre lui procureroit plus de falubriré.
Mais ces précautions ne font pas auffi
avantageufes qu'elles paroiffent l'être au
premier afpect , & l'utilité que l'on pouvoit
attendre de l'élargiffement des rues
s'évanouit par l'élévation énorme que l'on
donne aux nouveaux bâtimens , enforte
que l'on détruit par- là une partie du bien
qui devoit en réfulter. Les rues étroites
ne féchoient pas , l'air y étoit humide &
mauvais par le peu d'efpace ; les rues plus
JANVIE R. 1772. 185
larges , privées de l'influence bienfaifante
du foleil à caufe des maifons élevées , ne
fécheront pas davantage , & l'air fera toujours
peu falubre dans cette grande ville ,
fi on ne met des bornes à la cupidité de
ceux pour qui l'on bâtit , & à la témérité
de ceux qui bâtiffent.
Un étranger ne peut fe défendre de la
furpriſe en voyant des maifons dont l'élé.
vation effraïe ; il pourroit croire ( pour
employer l'expreffion de l'immortel auteur
des lettres perfannes , lettre 22. )
qu'elles ne font deftinées que pour être
habitées par des aftrologues , & il ne feroit
pas mal fondé à penfer que Paris pour
roit être regardé comme une ville bâtie
en l'air , & dans laquelle on voit fix ou
fept maifons les unes fur les autres .
Outre ces inconvéniens qui nuifent en
général à la falubrité de l'air , on pourroit
encore reconnoître d'autres incommodités
intérieures qui ne font pas moins
défagréables . Des maifons auffi élevées
admettent néceffairement un grand nombre
d'habitans ; les plus opulens occupent
les appartemens inférieurs , les plus
pauvres habitent ceux qui font plus hauts;
on voit alors moins de propreté , par conféquent
moins de falubrité. Si les pro185
MERCURE DE FRANCE.
que
priétaires étoient plus attentifs à leurs
véritables intérêts , ils devroient s'appercevoir
de telles maifons font occupées
par des gens de toutes espèces , qu'elles
font confervées en moins bon état ,
que par ces élévations outrées , leurs maifons
font moins durables , & même proportionellement
d'un moindre rapport ,
que s'il y avoit des habitans choifis.
Pour empêcher les élévations arbitrai-.
res , il feroit convenable de déterminer
une hauteur fixe fur laquelle les proprié
taires auroient cependant la liberté d'élever
autant d'étages qu'ils voudroient.
Ainfi on pourroit permettre pour les maifons
ordinaires une élévation de quarante
pieds , ou cinquante au plus ; alors , fans
excéder cette mefure fixe , on conftruireir
plus ou moins d'étages , en leur donnant
plus ou moins de hauteur , & rien n'empêcheroit
les Artistes de bâtir avec beau
coup de pompe & de goût des édifices
percés d'un nombre prodigieux de fenêtres
, ornés de sculptures & couronnés
d'une balustrade pour loger avec dignité
au rez de chauffée un frippier ou un marchand
de bottes . On pourroit citer beaucoup
d'exemples , même très nouveaux ,
de ces conftructions merveilleufes . Les
JANVIER. 1772. 187
maifons des grands , ni les édifices publics
ne feroient pas affujettis à cette règle.
On ne doit pas être moins attentif à
ces groffes & épaiffes corniches , foit en
pierre, foit en plâtre , ni à ces grands balcons
faillans dont on décore l'extérieur
des maifons. Le défaut de construction
le vice des matériaux , enfin le tems deftructeur
, donnent fouvent lieu à une portion
de ces ornemens de fe détacher ;
d'où ont quelque fois réfulté les accidens.
les plus funeftes .
Que ne pourroit- on pas dire de plus , fi
on ajoute à ces inconvéniens le danger des
écroulemens pour des maifons , dont
quelques - unes font ifolées , peu foutenues
, continuellement ébranlées par les
fecouffes des voitures , & préfentent un
afpect effraïant. Il fuffiroit de rappeller
l'accident qui s'eſt paffé , il y a quelques
années , dans une de nos rues ,
fentir la conféquence de ce que nous
avançons .
*
pour
Nous n'avons d'autre but que l'utilité
générale en propofant ces réflexions ; elles
* La rue de la Huchette.
18S MERCURE DE FRANCE.
font dictées par l'amour du bien public ;
nous defirons qu'elles puiffent mériter
l'attention de ceux qui veillent à la décoration
de cette ville , à la confervation
des citoyens , & qu'elles donnent lieu à
quelque réglement avantageux .
Chanfon grivoife , compofée par un Cadet
de d'fus l'port , fur la convalefcence de
Madame la Comteffe de Provence.
Sur l'AIR: Reçois dans ton galetas , &c.
FRANÇAIS , enfans d'la gafté
Y faut bannir vot'triftefle
L'Ciel a rendu la fanté
A l'illuftre & bonne Comtene ,
Epoufe d'un ptit-Fils
De ftilà qu'eft l'honneur des lys. (bis)
Camarades , queux regrets ,
Si c'te chienn' de maladie
Y eût offenfé les attraits
D'une Princefle auffi jolie !
Mais ; Dieu marci , le danger
Eft ben loin n'y faut pu fonger. (bis)
JANVIER. 1772. 189
Chantons , réjouiflons - nous ,
L'occafion eft fi belle !
Amis , n'eft- il pas ben doux
Par nos chants de montrer not' zèle
Au Prince que j'ons nommé
Louis toujours le Bien - Aimé. (bis . )
Et vantez-vous que c't'amour
Y au fond d'not'coeur a fa fource ;
Aufli dans c't heureux jour
J'vous l'y laiffons prendre la courfe !
Oh ! dam' quand z'il eft en train ,
N'y a pu pied à ly met' de frein . (bis.)
Oui , pour c'q'eft dans l'cas d'not' Roi
J'brûlons d' la pu vive flamme ;
Morgué , pour luivre la loi ,
J'n'avons tretous que la même ame ;
Par des lentimens fi chers ,
J'donnons l'exemple à l'Univers. (bis )
Not'bonheurferait complet
Si de c're chanfon , quoiq'mince ,
Tam feulement z'un pauv' couplet
Parvenait jufqu'a ce bon Prince ;
Carj'nons d'autr' ambition
Que de faire chanter (on nom . (bis.)
190 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Sur l'AIR : Mes enfans , après la pluye.
MIS, effuyons nos larmes ,
Déformais foyons joyeux ;
Y n'eft plus queftion d'alarmes ,
Not' Princefle eft hors du creux ;
J'allons nous divartir ,
Et des ris goûter les charmes ;
J'allons nous divartir
Et prendre biaucoup d'plaifir.
C'eft ben vrai que c'te déefle
Qui d'Arropo z'a le nom ,
Sur nor'aimable Comtefle ,
P'tite-fille du grand Bourbon ,
Voulait lancer des coups
Funeftes à not' tendrefle ,
Voulait , &c.
Que j'aurions reffenti tous.
Mais enfin note prière
Et nos voeux font exaucés ,
De c'te Parque meurtrière ,
Tous les traits font émouffés ;
Chantons , vive Louis .
Not' allégrefle eft entière ;
JANVIER. 1772 .
191
Chantons , & c.
Nos maux font évanouis .
Dans l'feu d'an noble délire ,
Grand Roi j'vous ouvrons not'coeur ;
Vous y lirez qu'y n'aſpire
Qu'à c'qui concern' vot ' bonheur .
Pour vous , pour vos enfans ,
( Toujours j'aim'rons à le dire ; )
Pour vous , & c.
Je n'changerons point d'fentimens ,
* Vous , qui nous étes ſi chère ,
Si nos vers , tout comme y font ,
Ont l'avantage d'vous plaire ,
J'nous crairons de z'Apollons.
Nos rim'z'et nos chansons
Partent d'une ame fincère ;
Nos rim' z'et nos chanfons
Expriment ce que j'penfons,
Que Dieu d'vote belle vie
Confarve l'fil précieux !
Et fur la trame chérie
Varfe tous les dons des Cieux !
Au gré de nos fouhaits ,
* Envoi , à Madame la Comtefle de Provence.
192 MERCURE DE FRANCE:
Al ne vous ferait point ravie ;
Au gré de nos fouhaits
Al ne finirait jamais.
AVIS.
I.
Dais en baldaquin & en fer.
CE Dais , chef-d'oeuvre de l'art de la Serrurererie
, a été préſenté au Roi & approuvé par
l'Académie Royale des Sciences , & par l'Académie
Royale d'Architecture .
Le plan de l'ouvrage a fept pieds en quarré , &
feize pieds de hauteur. Il s'élève des piédeftaux
aux quatre angles , quatre palmes avec des guirlandes
de fleurs , d'épis , de pampres , de raifins.
Ces palmes foutiennent le dais & forment une
partie de fon couronnement , lequel eft terminé
par une gloire ; chacun des montans porte un
Ange adorateur ; & des angles de la partie fupérieure
fortent des armatures en fer , revêtue d'ornemens
relatifs .
Au milieu de leur réunion eft l'Agneau Pafcal ,
au deflus duquel eft un foleil rayonnant. Ce foleil
eft fufpendu au dais . Ce baldaquin , quoique tout
en fer , eft facile à tranſporter. Il eſt deſtiné à fervir
de dais dans les proceffions annuelles des Fétes
- Dieu , ou à décorer un Maître - Autel à quatrefaces
, lorfqu'il fera élevé fur un plan quarré
avec
JANVIER . 1772. 193
que
avec les dimenfions convenables. Le deffin &
l'exécution de ce morceau de ferrurerie non
moins recommandable par l'élégance des formes ,
par la folidité & la délicatefle du travail
par le poli & le brillant du métal , font dûs au
génie de M. Gerard , chargé de la ferrurerie des
bâtimens royaux de la nouvelle glise de Sainte
Geneviève.
Si un Prince , une Communauté , ou une Eglife
opulente defire faire l'acquifition de ce dais , le
fieur Gerard le charge de le faire tranfporter,
de le mettre en place , & de le garantir de la
rouille. Mais , en attendant , il propofe aux amateurs
de venir le voir les Lundi , Mercredi & Vendredi
, qui font les jours que la Bibliothèque de
Sainte Geneviève eft ouverte. Ce dais eft placé
dans un bâtiment neuf , enclos de Sainte Geneviève
, du côté de l'Eftrapade. Le prix des places
eft de vingt - quatre fols par perfonnes i des
compagnies veulent voir ce dais d'autres jours
que ceux indiqués , elles peuvent faire avertir le
fieur Gerard , qui demeure à Paris , au coin de
la rue Bordet & de celle des Prêtres S. Etienne.
I I.
Liqueurs & Syrops.
Le fieur Riffoan , Marchand Epicier- Droguifte,
& Diftillateur , ancien élève de l'Hôtel- Dieu ,
rue de Buffi , en face de la rue Mazarine , au
grand Turc , débite avec fuccès le Sirop de Guimauve
& Capillaire à 15 fols , d'Orgcât 16 fols ,
de limon 18 fols , de Groseille & de Vinaigre à
la Framboise vingt - quatre fols le roulot. Il fa-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
brique d'excellent Chocolat & en vend de différens
prix , depuis 30 fols la livre jufqu'à 4 liv .
10 fols. Il eft afforti en tout genre de liqueurs
fines , depuis 24 fols jusqu'à 6 liv. la bouteille.
Comme il a jugé fur le débit des années précédentes
que les liqueurs qu'il faifoit étoient goû
tées du public, il compte fur la même faveur cette
année , principalement pour une nouvelle liqueur
également agréable & bienfaifante , dont il eft
inventeur. La vertu de cette liqueur lui a fait don
ner le nom de Baume d'Hercule.
I I I.
Le Tréfor de la bouche.
Le fieur Pierre Bocquillon , Marchand Gantier-
Parfumeur , rue S. Antoine , à la Providence , continue
de débiter par permiffion de M. le Lieutenant
Général de Police & avec l'approbation de
Meflicurs de la Faculté de Médecine de Paris , unc
liqueur , que l'on peut nommer , à jufte raiſon
le véritable tréfor de la bouche , dont il pofléde
feul le fecret. Cette liqueur ayant été mise en usage
dans toutes les Provinces , eft approuvée par
quantité de certificats authentiques qu'il a entre
fes mains. Cette liqueur a la vertu de purger de
tous venins , abcès , ulceres , & tout ce qui peut
contribuer à gâter les dents , qui s'y forment par
l'âcreté des eaux qui descendent du cerveau , ce
qui cause des douleurs très - violentes . Elle guérit
les maux que l'on fouffre , tels violens qu'ils
foient , & conservent les dents quoique gâtées ,
rend l'haleine douce & agréable , & raffermit les
gencives. Le prix des bouteilles eft de 24 fols
JANVIER. 1772 195
3 liv. 5 liv. 10 liv . La feule véritable ne fe fait &
ne fe vend que par l'Auteur. Il a la précaution de
mettre fur le cachet des bouteilles & fur l'étiquet ,
ainfi que fur la manière de s'en fervir , fon nom
de baptême & de famille , figné & paraphé de la
main. Il y a un tableau à la porte.
I V.
Les arts méchaniques ainfi que les autres fcienees
, font tous les jours de grands progrès. La
Lorraine , qui , depuis le règne de feu le Roi
Stanislas , abonde en artiftes en tout genre , a
produit des ouvriers eftimés par leur industrie &
leurs ouvrages. Le nommé Pierre Marfan , ( Maître
Cordonnier , ) originaire de Nantes en Bretagne
& établi à Nanci , a trouvé une méthode
de faire des bottes à l'Angloife fans aucune couture
, c'est - à- dire , que la jambe & le deffus du
pied eft d'une feule pièce ; il en eft de même des
fouliers.
Le fieur Marfan fatisfera ceux qui lui feront
l'honneur de s'adrefler à lui pour toutes fortes
de chauffures. Sa demeure eft rue S. Staniſlas ,
N° 308 , à Nancy.
V.
Vente des Mines de Lacroix en Lorraine.
La compagnie qui fait exploiter les mines d'argent
& plomb , fe trouvant furchargée par d'autres
exploitations fituées ailleurs , a réfolue d
wendre celle-ci , qu'elle offre à des conditions raic
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fonnables . On s'adreffera au fieur Monnet , Minéralogiſte
, rue Charlot au Marais , même maifon
de M. Legrand , Infpecteur des pavés de
Paris , qui eft chargé de tout ce qui regarde cette
vente .
Ces mines , fort anciennes , ont toujours fourni
du plomb & argent ; elles fe foutiennent aujourd'hui
par cinquante mincurs ; il existe encore
en pied à la Croix une fonderie avec toutes les
dépendances ; trois laveries , dont il y en a une
nouvellement bâtie , une ferge & magafin , &
une bonne proviſion d'uftenfiles de toutes eſpèces
, néceffaires pour l'exploitation des mines.
La compagnie cédera , de plus , deux maifons ,
un pré , un grand jardin & une fcierie , l'un &
l'autre loués & portant cinquante écus de rente ,
avec fubrogation à fes droits au bail , & à la
conceffion accordée par le feu Roi de Pologne ,
Duc de Lorraine.
Il eft compris dans la conceffion des mines de
Lacroix , toutes les mines qui peuvent fe trouver
d'un côté , depuis le village de Lacroix jufqu'à
Saint -Diez , & de l'autre , jufqu'à Sainte-
Marie- aux -Mines ; on offre de faire jouir , dans
cette dernière partie , de l'exploitation de quatre
nouveaux filons , & des anciennes mines d'argent
exploitées par feu M. Saur , dans la partie
de Sainte -Marie-aux - Mines en Lorraine ; la conpagnie
ne fe réferve de cette conceffion que le
petit diftrict de S. Hypolyte.
JANVIER. 1772. 197
Collection minéralogique.
C'eft une collection complette en mines & minéraux
, compofée de plus de deux cens mor-,
ceaux , tous caractéristiques , c'est- à - dire , propres
pour inftruire dans la minéralogie & faire
connoître toutes les efpèces & variétés qui ont paru
jufqu'aujourd'hui. Le prix eft de cent - dix louis.
On s'adreffera au fieur Monnet , Minéralogifte ,
rue Charlot au Marais , même maifon de M. Legrand
, Infpecteur des pavés de Paris , qui en fera
voir le Catalogue Raifonné.
V I.
Remède contre les maux de dents.
Le Sr David , demeurant à Paris , rue des Orties
butte S. Roch , au petit hôtel Notre Dame , à
main droite en entrant par la rue Ste Anne , visà-
vis d'un perruquier , continue de débiter un remède
infaillible pour guérir toutes fortes de maux
de dents , quelques gâtées qu'elles foient , fans
qu'on foit obligé de les faire arracher .
Ce remède , approuvé par MM. les Doyens de '
la Faculté de Médecine & autorifé par M. le Lientenant-
Général de Police , & dont les fuccès ont
été annoncés dans tous les journaux & papiers pu
blics , depuis huit ans , confifte en un topique que
l'on applique le foir en fe couchant fur l'artère
temporale , du côté de la douleur : il la guérit ainfi
que les fluxions qui en proviennent , les maux de
tête , migraines & rhumes de cerveau : auffi - tôt
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE.
I
qu'il eft appliqué il procure un fommeil paiſible ;
pendant lequel il le fait une tranfpiration douce :
le matin, ce topique tombe de lui-même, fans laiffer
aucune marque , ni caufer dommage à la peau,
& on eft guéri fans retour.
Mais , ce remède n'opérant la guérifon que
lorfqu'on eft couché & le mal de dents prenant
dans tous les momens du jour , ce qui empêcheroit
de vaquerà les affaires , le Sr David vend une eau
fpiritueufe incorruptible d'une nouvelle compofition
très agréable au goût & à l'odorat , dont les
vertus font de faire ceffer dans la minute les douleurs
de dents les plus violenres . Elle purifie les
gencives gonflées , fait tranfpirer les férofités , raffermit
les dents , prévient & détruit la carie & les
affections fcorbutiques , diffipe la mauvaiſe odeur
caufée par les dents gâtées , fait tomber le tartre
& leur conferve la blancheur , fi l'on en fait ufage
deux ou trois fois la femaine. Meffieurs les marins
en portent ordinairement par précaution , ainfi
que des topiques , lorfqu'ils vont s'embarquer.
Le prix des bouteilles eft de 3 & de 6 liv. , &
celui des topiques 1 liv. 4 f. chaque : il donne un
imprimé qui indique la manière d'employer l'un
& l'autre. On le trouve chez lui tous les jours juſ
qu'à dix heures du foir.
Les perfonnes de Paris font priées d'apporter
pour les topiques un morceau de linge fin , blanc
de leffive .
Le Sieur David a beaucoup de certificats dont
il ne peut ici donner copie , mais qu'il fera voir à
qui le voudra .
Il prie d'affranchir le port des lettres & de l'ar-
5
JANVIER. 1772. 159
gent qu'on lui a trefl tra par la pofte , & de joindre
6 à 8 fols pour la boîte qui fert à mettre lesdits
remèdes.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , le 1 ' Décembre 1771 .
ON eft entierement rafluré fur les craintes
qu'on avoit conçues de la retraite inopinée du
Grand Vifir dans les montagnes de la Bulgarie.
Les Rufles ont pris leurs quartiers d'hiver dans
la Moldavie & dans la Valachie , & n'ont confervé
aucun pofte fur la rive droite du Danube.
Tout annonce ici la réfolution , prife par le
Sultan , de continuer la guerre avec vigueur. Il y
a apparence que la marine du Grand Seigneur fera
eu état de prendre part aux opérations de la campagne
prochaine. Les nouvelles difpofitions du
Prince Héraclius , en faveur de la Porte , ont
procuré les moyens de renforcer , avec les troupes
répandues fur les frontières de la Géorgie , celles
qui le foutiennent encore dans la Crimée , d'augmenter
la garnifon de Kaffa & d'y envoyer des
munitions & des provifions abondantes , par la
voie de Trébifonde .
La retraite d'une partie de l'efcadre Rufle dans
les ports d'Italie , ayant ouvert la communication
par le Détroit des Dardanelles , on voit arriver
, tous les jours des vaifleaux chargés de riz,
de bled , de café & d'autres denrées , & les retours
que ces bâtimens prennent en marchandiſes
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
du pays , ont rendu l'activité au commerce & à
la circulation. Ces circonftances avantageufes ,
que le Peuple regarde comme un effet de la fage
prévoyance de fon Souverain , ont ranimé la joie
dans cette capitale , & l'on s'attend aux plus grands
efforts , pendant la campagne prochaine.
De Warfovie, le 10 Décembre 1771 .
Le grand nombre de Ruffes & les troupes Pruffiennes
qui font répandues dans nos Provinces
contiennent les différentes Confédérations , &
empêchent qu'il ne s'en forme de nouvelles. On a
même appris que le fieur Zembrzuski , Régimenraire
de la Confédération de la Terre de Zacroczin
vient de quitter le parti de la Généralité , & lève
aujourd'hui une Compagnie franche pour le fervice
du Roi. Les autres chefs de Confédérés font
réunis dans le Palatinat de Cracovie, à l'exception
du fieur Zaremba , qui a pris des quartiers dans la
grande Pologne avec deux mille chevaux . Le fieur
Pulawski , qui avoit une cavalerie très - nombreuſe
depuis la jonction du ficur Kolakowski , en a
tiré onze cens hommes des plus robuftes , pour
les incorporer à fon Infanterie , qui monte à plus
de deux mille deux cens hommes . Ce régimentaire
vient de faire condamner à mort , dans un Confeil
de guerre tenu à Czenftochaw , le fieur Lenartowicz
, Colonel de Dragons , pour s'être
retiré lâchement , avec toute fa divifion , dans
la derniêre affaire de Radom , au premier coup
de canon que lui tirèrent les Rufles , qu'il étoit
chargé de prendre à dos.
De Dantrick , le 18 Décembre 1771 ;
Les dernières nouvelles de Petersbourg annoncent
que les fortes gelées ont diminué les progrès
JANVIER. 1772 . 201
des maladies contagieufes qui régnoient à Moskow
& dans différentes autres Provinces de la
Ruffie. Les mêmes lettres parlent des préparatifs
qu'on fait pour pouder la guerre avec vigueur &
pour rendre cette quatrième campagne décifive .
De Berlin , le 11 Décembre 1771 .
Les quatre mille Houflards qu'on avoit envoyés
pour faire des remontes de chevaux , font
reftés aux environs de Warlovic . Quelques Majors
feulement ont pénétré en Ukraine avec une
fuite peu nombreuſe.
Il pale pour conftant que le Maréchal Romanzow
a pris fes quartiers d'hiver à Yaffi , & l'on
regarde la campagne comme entièrement terminée.
De Londres , le 27 Décembre 1771 .
L'inondation qui eft arrivée dernièrement au
nord de l'Angleterre , fait maintenant l'objet des
recherches des Savans . On remarque qu'elle n'a
pas été précédée de pluies violentes . Cette croute
de terre , de foixante acres , qui a été enlevée ,
les torrens de mouffe humectée qui en font fortis
& qui ont couvert les campagnes voisines , ainfi
que plufieurs autres circonftances réunies , font
croire que l'inondation dont on parle provient de
quelque tremblement de terre . Plufleurs lettres
de différens endroits affurent qu'il s'eft fait à la
terre des ouvertures par lefquelles il eft forti de
l'eau. Un célèbre Naturalifte n'eft cependant pas
de cet avis . Il observe qu'il n'y a pas de province
en Angleterre qui foit aufli abondante en lacs que
celle de Cumberland , & que ces lacs venant de
quelques paffages fouterreins , on peut leur at-
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
tribuer l'inondation & le phénomène de Solway-
Mofs . Il en arriva un tout femblable , il y a une
trentaine d'années , dans un lieu appelé Pellingmofs
, fur le bord du Wier , dans le pays de
Lancastre.
De la Haye, le 27 Décembre 1771 .
Un de nos Négocians a reçu une lettre de
l'Ile Sainte - Marie des Sorlingues , datée du 8
de ce mois , qui contient les détails fuivans . Le
17 du mois dernier , entre cinq & fix heures du
matin , un vent violent de Sud - Eft fit monter
la mer par- deffus la langue de terre qui joint la
ville de Sainte- Marie à l'autre partie de l'Ifle. Le
débordement fut fi prompt , que l'eau avoit déjà
gagné le premier étage des maisons avant qu'on
s'en fût apperçu. Un particulier , étonné de ſe
fentir foulever fur fon lit au milieu de la chambre
, fut le premier qui donna l'alarme dans
toute la ville. Il feroit difficile de peindre l'affreufe
fituation des habitaus , qui , au milieu des
ténèbres de la nuit , luttoient contre les eaux pour
fauver leur vie & celle de leurs enfans , qu'ils
portoient dans leurs bras & fur leurs épaules . Ce
délaftre a fait périr un grand nombre de beftiaux
& a réduit plufieurs familles à la dernière misère.
De Rome , le 18 Décembre 1771 .
Lundi dernier , le Souverain Pontife tint un
Confiftoire , dans lequel , après avoir déclaré
Légat de Ferrare le Cardinal Borghese , Sa Sainteté
fit cardinal Charles- Antoine de la Roche
Aymon , archevêque de Reims , pair & grand
aumônier de France. Enfuite le S. Pere , & fuc-
I vj
1
JANVIER. 1772. 203
ceffivement le cardinal de Bernis & le cardinal
Alexandre Albani proposèrent & préconisèrent les
différens fujets défignés aux Sièges vacans.
De Marſeille , le 27 Décembre 1771 .
On vient d'afficher un avis , par lequel on informe
les capitaines & navigateurs de cette place,
que le Grand Seigneur a donné ordre de vifiter
tous les bâtimens qui entreront aux Dardanelles ,
& on leur enjoint de le conformer à cette police
de guerre .
D'autres affiches annoncent qu'à quinze ou
vingt lieues au Sud -Est de l'île de Flore , la plus
Occidentale des Açores , il paroît dans le mois
d'Avril de gros poiffons qu'on appelle Souffleurs ;
qu'il part tous les ans de Bofton une grande quantité
de bateaux , qui retirent de cette pêche un
produit confidérable en huile. On invite nos navi.
gateurs à tenter cette nouvelle branche de commerce
, & on leur promet des encouragemens .
Du 3 Janvier 1772 .
Le capitaine Guierard , venu de Conftantineple
, a dépofé qu'il avoit vu paffer aux Dardanelles
, d'où il a fait voile le 1 Décembre , les
prifonniers Ruffes qu'on conduifoit à cette capitale
, & qu'on avoit pris à Metelin . Les lettres de
Conftantinople reçues par ce capitaine , potent
que le Grand Seigneur paroiffoit difpofé à rappeler
le Grand Vifir , à le dépofer , & à mettre à
fa place Muflun Oglou Pacha , qui jouit d'une
grande réputation dans l'Empire Ottoman .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
De Paris , le 13 Janvier 1771 .
Le 22 du mois dernier , entre fept & huit heures
du foir , il s'éleva à Beaumont de Lomagne
un ouragan , accompagné d'une pluie mêlée de
grêle. Le tonnerre tomba en plufieurs endroits ;
le nommé Maybon étoit occupé à fixer fon moulin
, la foudre lui brûla les cheveux & la moitié
du vifage , lui caffa un bras & lui enfonça la tête
dans les épaules. Cet ouragan dirigeoit fa courfe
du couchant au levant , & dura trois quartsd'heures.
On ne fe rappele pas d'en avoir vu
de femblable dans ce pays dans une faifon aufli
reculée .
On mande de Boulogne que le navire Anglois
la Royale Charlotte , de deux cens tonneaux ,
commandé par le capitaine George Hamelt , a
fait naufrage fur la côte d'Andrefeilles , la nuit
du 8 au 9 de ce mois . Le navire & la cargaifon ,
qui étoient fort riches , ont été perdus , mais l'équipage
, compofé de douze hommes , ainsi que le
même nombre de paffagers qui étoient à bord ,
s'eft fauvé. Ce vailleau venoit de l'ifle de Grenade
, d'où il rapportoit du fucre , de l'indigo , du
café & du cacao .
Inauguration civique.
M. Guérin de Fremicourt , commandant en la
ville de l'Orient , reçut l'année dernière , à la fol .
licitation de la ville & communauté , une grati
fication annuelle , en confidération de fes fervices
& de fon attachement envers fes concitoyens
. Il en fit auffitôt le plus noble uſage , en
faifant diftribuer cette fomme aux pauvres par
JANVIER
. 1772.
205
les mains des officiers municipaux . Son définté- reflement & les vertus excitant la reconnoiffance
publique , la ville & communauté
, fur les repré- Tentations de l'Avocat du Roi , ont voulu confacrer
fon nom par un monument qui le perpétuât
d'âge en âge à la mémoire des citoyens. En con- féquence la communauté
& fes habitans affem- blés ont été unanimement
d'avis de donner le nom de Guérin de Fremicourt à une nouvelle rue de
l'Orient le 30 Décembre 1771. Cette elpèce
d'Inauguration
Civique a été célébrée par une fête , dans laquelle les inftrumens de la ville ont ajouté à la joie des citoyens . On a fait des aumô- ncs , & M. Guérin a fait drefler dans la nouvelle
rue des tables chargées de pain blanc , que les deux jeunes enfans , âgés de fix à fept ans , aiderent
à diftribuer aux pauvres avec de l'argent.
NOMINATIONS
.
Le Roi a donné à Monfeigneur
le Comte d'Ar- tois , la charge de Colonel -général des Suifles & Grifons vacante par la démiflion du Duc de
Choifeul.
>
Le Comte de Monteynard
, brigadier des armées
du Roi , lieutenant - général de la province de Bourgogne , vient d'être nommé miniftre plénipotentiaire
de Sa Majefté auprès de l'Electeur
de Cologne. Il a eu l'honneur de faire , à cette occafion , le 24 Décembre fes remercîmens
au
Roi , à qui il a été préſenté par le duc d'Aiguillon
, miniftre & fecrétaire d'état , ayant le dépar
tement des affaires étrangères.
Le Roi vient de nommer à la place de Dame d'Honneur de Madame la Comteffe de Provence ,
vacante par la démiffion de la Duchefle de Brans
205 MERCURE DE FRANCE.
cas , la Duchefle de Valentinois , Dame d'Arours
de cette Princefle ; & Sa Majeſté a diſpoſé de la
place de Dame d'Atours , en faveur de la Duchefle
de Saint- Megrin , qui a eu l'honneur de
faire les remercîmens à Sa Majefté , ainsi que la
Duchefle de Valentinois .
L'Abbé le Gris , chapelain de la chapelle du
Roi , vient d'être nommé Clerc de la chapelle
ordinaire , en furvivance de l'Abbé Beme.
PRESENTATIONS .
La Marquife d'Arcambal a eu l'honneur d'être
préfentée à Sa Majefté & à la Famille Royale , le
22 Décembre , par la comtefle de Merle.
Le Comte de Galliffet , capitaine au régiment
Dauphin , Dragons , ainfi que le Chevalier de Turenne
, capitaine au régiment de Chartres , Cavalerie
, ont eu l'honneur d'être préfentés au Roi ,
ces jours derniers.
Le 28 Décembre , l'Abbé de Gain de Montaignac
, viciaire- général de Rheims , qui a été nommé
, le mois d'Août dernier , Aumônier du Roi ,
à la place de l'Abbé de Fénélon , a eu l'honneur
de faire fes remercîmens à Sa Majefté , à qui il a
été préfenté , ainfi qu'à la Famille Royale.
Les Députés des Etats de Bretagne ont été admis
, les Janvier , à l'audience du Roi . Ils ont
été préfentés à Sa Majesté par le Duc de Penthievre
, gouverneur de la province , & par le Duc de
la Vrilliere , miniftre & fecrétaire d'état ayant le
département de cette province , & conduits par
le Marquis de Dreux , grand-maître , & par le Sr
de Watronville , aide des cérémonies . La députation
étoit compofée, pour le Clergé , de l'Evêque
JANVIER. 1772. 207
de Treguier , qui porta la parole ; pour la Nobleffe
, du Marquis de Piré ; pour le Tiers - Etat ,
du Sieur de la Haye- Jouſſein , & du Comte de la
Bourdonnaye , procureur - général , fyndic de la
province.
Le Comte de Guines , ambaſſadeur du Roi auprès
de Sa Majefté Britannique , a pris congé du
Roi & de la Famille Royale , le s Janvier , pour
fe rendre à la deftination Il a eu l'honneur d'être
préfenté au Roi par le Duc d'Aiguillon , miniftre
& fecrétaire d'état ayant le département des affaires
étrangères .
Le Baron de Bon , miniftre plénipotentiaire du
Roi à Bruxelles , ayant obtenu un congé de la
Cour , eft arrivé ici , le s Janvier . Il a eu l'honneur
d'être préfenté à Sa Majeſté , ce même jour
par le duc d'Aiguillon , & enfuite à la Famille
Royale.
Le Marquis de Carcado , fils aîné du Marquis
de Molac , maréchal des camps & armées du Roi,
a eu l'honneur d'être préfenté à Sa Majeſté & à la
Famille Royale , le premier de ce mois.
Le nom des marquis de Carcado & de Molac eft
le SÉNECHAL , nom qu'ils doivent à l'ancien office
& dignité inféodés de fénéchal héréditaire de la
vicomté de Rohan en Bretagne.
Ils juftifient que leurs auteurs ont été les premiers
pe fleurs de cet office & de plufieurs fonds
mobles qui en compofoient le fief.
La vicomté de Rohan & le comté de Porrhoet
étoient un partage & démembrement du duché de
Bretagne. On peut juger de ce qu'étoit cette char
ge & office dans fon origine. Ils en prouvent
208. MERCURE DE FRANCE.
conftamment la poffeffion par plufieurs monu
mens , notamment par une charte de fondation de
l'abbaye de Bonrepos , du 23 Juin 1184 , à laquelle
un Daniel le Sénéchal paroît & eft cité comme
quatrième feigneur témoin.
On fçait que le Sénéchal commandoit la noblefle
& les troupes , & qu'il réunifloit dans fa perfonne
le pouvoir civil & militaire.
Cette Maifon n'eft pas moins diftinguée par les
places &emplois dont elle a été revêtuepar , les fervices
qu'elle a rendus à fes Princes , par les allian
ces illuftres qu'elle compte , que par fon ancienneté
.
L'an 1320 , elle fut partagée en deux branches ,
par deux frères , dont l'aîné fuccéda à leur père
dans la poffeffion de l'office de Sénéchal féodé
héréditaire de la vicomté de Rohan & des fiefs
qui y étoient annexés : & diverfes héritières de fa
ligne & de fon fang ont tranfmis ce même office
& dignité fucceffivement dans l'ancienne maison
de Molac , dans celles de Rieux , de Rohan & de-
Rofmadec.
L'autre frère cut en partage le fief appelé le
Bot au fénéchal , poffédé encore aujourd'hui par
fes defcendans , & y ajouta la terre de Carcado ,
en époufant une héritière des feigneurs de ce
nom .
La branche dont il a été la tige s'eft fubdivifée
en trois rameaux , qui fe font diftingués les uns
des autres par les noms de Carcado , de Molac &
de Kerguilé.
Un cadet , forti de ce dernier rameau , s'eft érabli
depuis peu à St Domingue , où un mariage ri
che l'a fixé.
JANVIER . 1772. 209
Le feu marquis de Carcado , lieutenant-général
des armées du Roi , décédé en 1763 , étoit
chef du nom & de toute la maiſon. Il étoit frère
du comte de Carcado , aujourd'hui maréchal de
camp ,repréfentant la branche aînée . Le marquis
de Carcado n'a laiffé que deux filles , dont l'aînée
avoit époufé en 1751 , le marquis de Molac fon
coufin . C'eft de ce mariage qu'eft né lejeune marquis
de Carcado , qui fe trouve par là héritier
des deux principales branches du nom , qui ont
été réunies.
•
La cadette a époufé le marquis de Graſſe .
L'héritière d'une branche de la maifon de Rohan
épousa , le 6 Octobre 1463 , un des auteurs
communs des trois rameaux , aujourd'hui exiftans
du nom de le Sénéchal , & ce mariage a apporté
à fes defcenòans la terre du Guesdelille ,
que les deux foeurs , la marquife de Molac & la
marquife de Grafle ont partagées entr'elles.
MORT S.
Charlotte - Victoire - Jofephe - Henriette Princefle
de Rohan Guéméné , fille de Henri - Louis-
Marie Prince de Rohan & de Guéméné , & de Armande-
Victoire -Jofephe de Rohan - Soubife , princefle
de Guéméné , eſt morte à Paris le 14 Décembre
, dans la dixième année de fon âge.
Louife de Broglie , Princefle du Saint Empire .
époufe d'Etienne François Comte de Damas de
Crux , menin de Monfeigneur le Dauphin , brigadier
des armées du Roi , colonel du régiment
de Limofin , eft morte au château de Broglie , le
210 MERCURE DE FRANCE.
13 Décembre , dans la dix- neuvième année de fon
âge.
·
Jean René d'Olmond , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , gouverneur de la
ville d'Argentan , eft mort le 5 Décembre , à St
Juft , près de Vernon fur Seine , âgé de foixantequatre
ans.
Jacques Garos , laboureur , natif & habitant
de la ville de Morlas en Béarn , y eft mort , le 6
Novembre dernier , âgé de cent neuf ans. Il a
joui de la plus parfaite fanté , jufqu'à fon dernier
moment. Il a eu , autour de fon lit , le jour de fa
mort , foixante-dix fils ou filles , petits fils & arrière
- petits- fils qui font tous en âge de gagner
leur vie.
Catherine-Henriette de Vaflan , veuve de Hardouin-
Thérefe de Morel , chevalier , marquis de
Putange , lieutenant- général des armées du Roi ,
eft morte à Paris , le 10 Décembre , dans la
foixante-dixième année de fon âge.
Pierre Neyreau , meunier , eft mort à Saint-
Avid , près de la ville de Marmande , dans la gé.
néralité de Guyenne , âgé de cent quatre ans. Il
fe rendoit , tous les jours , à l'Eglife , quoiqu'il
en fut éloigné d'une demie lieue. Anne Perpezer,
de la même paroifle , y eft morte auffi à l'âge de
cent ans.
Marie Fontaine , veuve Salleux , eft morte , le
22 du mois de Novembre , au château de Riez ,
près de la Fere en Picardie , âgée d'environ cent
Lept ans.
Pierre Jacques de Vaulx Palanin , Chevalier
profès de l'Ordre de St Jean de Jerufalem , commandeur
de Grezan & ancien officier dans le ré
JANVIER. 1772 : 211
timent des Gardes- Françoifes , eft mort , le 9 Décembre
, au château de Vaulx , diocèse de Vienne,
âgé de foixante -feize ans .
Auguftin - Paul- Dominique Marquis de Sorba ,
Noble Génois , miniftre plénipotentiaire de la
République de Gènes auprès de Sa Majesté Très-
Chrétienne , eft mort fubitement à Paris , d'une
attaque d'apoplexie , le 20 Lécembre , âgé de
cinquante- fix ans .
Etienne Bock , Chevalier , Membre de la Noblefle
Immédiate de l'Empire , ancien Lieutenant
des Maréchaux de France au département de
Thionville , eft mort , dans la ville de Metz , le
13 Décembre , âgé de quatre - vingt-fept ans.
Guy . Alphonfe de Donnifleau , marquis de Ci
tran , eft mort , le 12 Décembre , dans fon château
de Chilac , en Saintonge , âgé de foixantedix
ans.
Sigifmond Chriftophe de Schrottenbach , archevêque
de Saltzbourg , Primat d'Allemagne
Légat né du St Siége , premier Prince Eccléfiaftique
du St Empire , & Directeur né du collège des
Princes , conjointement avec l'Archiduc d'Autriche
, eft mort à Saltzbourg , le 16 Décembre , dans
la foixante treizième année de fon âge.
Charles -Marie Comte de la Vieuville , ancien
meftre de camp de cavalerie , eft mort à Paris , le
16 Décembre , âgé de loixante quatorze ans.
Le Marquis de Beufeville , colonel du régiment
de Penthièvre , cavalerie , eft mort à Toul , le 28
Décembre , dans la trente- fixième année de fon
âge.
Paul -Maximilien Hurault , marquis de Vi
212 MERCURE DE FRANCE.
braye , lieutenant - général des armées du Roi ,
commandeur de l'Ordre royal & militaire de St
Louis & gouverneur de Belle - Ifle - en - Mer , eft
mort en cette ville , le 28 Décembre , dans la
foixante douzième année de fon âge .
Un Juif , nommé Salomon Emmanuel , eft
mort dernièrement à la Haye , àgé de cent neuf
ans & dix mois : il étoit né en Moravie : il laifle
foixante fept petits - enfans ou arrière petits enfans.
Charlotte Chandler eft morte dernièrement à
Londres , âgée de cent huit ans : elle faifoit , depuis
plus de foixante ans , le métier de ravodeufe
d'habits , profeffion qu'elle a continué d'exercer
jufqu'à la veille de fa mort , & dans laquelle elle
ayoit gagné plus de 1000 livres fterlings.
Jofeph le Vicomte , Comte de Saint - Hilaire ,
ancien officier d'infanterie , chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , eft mort à Rouen ,
le is Décembre dernier .
Philippe de Gontaut de Saint- Geniez eft mort ,
le 12 du mois de Décembre , dans fon château de
St Cirq en Périgord , âgé de quatre-vingt- douze
ans.
Frère Jacques - François de Picot de Combreux, t
grand'croix de l'Ordre de St Jean de Jérufalem ,
ancien commandant des vaifleaux de la Religion
& fon ambasadeur extraordinaire en 1759 auprès
de Sa Majesté le Roi des Deux - Siciles ; commandeur
des commanderies de Colimiere & de Caftelnaudary
, & ci devant chargé des affaires de la
Cour de France auprès du Grand Maître , eft mort
à Malte , le 3 Septembre dernier , dans la foixantefixième
année de ion âge.
JANVIER. 1772. 213
M.le Bailly de Combreux eft de la même Maifon
que M. le Marquis de Dampiere , capitaine
aux Gardes , dont il eft chef , qui a pour feconde
branche M. le Marquis de Combreux , ancien officier
aux Gardes Françoifes , neveu du Bailly cideflus
, & pour troifième branche M. le Comte de
Moras , lieutenant-colonel du régiment provin-
.cial de Salins.
Le fieur de la Croix , lieutenant - colonel de
cavalerie , ci - devant commandant de la compagnie
franche de fon nom , eſt mort à Longwy ,
le 26 du mois dernier , à l'âge de cent- deux
ans.
Maric Morand , veuve de Jacques Bourier ,
journalier , eft morte , dans la paroifle de Plantis
, élection d'Alençon , âgée de cent- quatre
tans & huit mois. Un an avant la mort , elle gardoit
encore les beftiaux dans la campagne. Une
particolarité remarquable , c'eft qu'à l'âge de cent
elle eft revenue dans l'état d'une fille nubile
, & cet accident n'a ceflé que peu de tems
lavant fa mort.
ans ,
LOTERIE S.
Le cent trentième tirage de la Loterie de l'hôtelde-
ville s'eft fait , le 25 Décembre , en la maniere
accoutumée. Le lot de cinquante mille livres eſt
échu au No. 97115. Celui de vingt mille livres au
No. 96279 , & les deux de dix mille aux numéros
86036 & 96735.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Difcours de Brutus aux Romains ,
Ode fur la mort d'une Epouse ,
L'Officieux ou les bonnes intentions , hiſtoire
tragique ,
Traduction libre de l'Idylle de Bion , fur la
mort d'Adonis ,
La Vie d'Alcibiade ,
ibid.
Ir
41
46
La Franchife indifcrete , prov. dramatique , 47
Vers pour le portrait de M. Dauberval ,
-A M. le Comte de Korguen ,
Quatrain àM. le Duc de Briffac ,
Explicatica des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Traduction de divers oeuvres composées en
allemand ,
Hygicine ou l'art de conferver fa fanté ,
De l'impôt du vingtième chez les Romains ,
Anecdotes eccléfiaftiques ,
Vernifleur parfait ,
Dictionnaire portatif de fanté,
68
ibid.
69
70
71
73
77
83
87
91
93
95
27
JANVIE R. 1772. 215
Vie des Pères , des Martyres & des autres
principaux Saints ,
Analyfe du fyftême général des influences
folaires ,
Defcription du nouveau pont de pierre ,
De l'utilité de joindre à l'étude de l'architecture
celle des fciences & des arts qui lui
font relatives ,
Les Spectacles de Paris ,
Hiftoire de l'ancien & du nouv . Teſtament
avec figures ,
Obfervations fur le nouveau Dictionnaire en
6 vol. ,
98
102
106
114
117
122
124
ACADÉMIES , 131
Annonce d'un prix de médecine ,
Séances publ. de l'Académie des fciences de
133
Dijon , 135
с
De
Befançon , 145
SPECTACLES ,
153
Opéra ,
$ 54.
Comédie françoiſe,
155
Comédie italienne,
156
ARTS , Phyfique , 157
Hiftoire naturelle 168
Gravure , 169
Mufique , 170
Typographie ,
171
Jeu d'échecs des Chinois 17%
216 MERCURE DE FRANCE.
Anecdotes ,
Ufages anciens , (les )
Réflexions d'an Citoyen , fur la hauteur des
maifons de Paris ,
Chanfon grivoile fur la convalefcence de
Madame la Comtefle de Provence ,
Autre ,
AVIS ,
Nouvelles politiques ,
Inauguration civique ,
Nominations ,
Préfentations ,
Morts ,
Loteries ,
176
181
183
188
190
192
199
204
205
206
209
213
'AI
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
fecond volume du Mercure du mois de Janvier
1772 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir
en empêcher l'impreffion..
A Paris , le 15 Janvier 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT, rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
FEVRIER
, 1772.
Mobilitate viget . VIRGILE.
Reughes
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sicur LACOMBE libraire , à Paris , rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de veis ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui es
cultivent , ils font invités à concourir à fa pe'rfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés .
On fupplic Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
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les Journaux fuivans.
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par an à Paris.
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de chaque femaine , & qui donne la notice
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nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv. 16 f.
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GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; il en
paroît deux feuilles par femaine , port franc
par la pofte ; aux DEUX - PONTS ; ou à PARIS ,
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CORRESPONDANCE
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paroît deux feuilles par femaine ; on foulcrit
à PARIS , au bureau général des gazettes étran
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l'Equitation & Traité de la
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Les douze Céfars de Suétone , traduits par
M. de la Harpe , 2 vol . in - 8 °. brochés 8 1,
Le Droit commun de la France & la coutume
de Paris réduits en principes , & c. nouv,
édition par Bourjon , 2 vol . in-fol br. 48 1.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV , &c. in - fol. avec planches ,
rel. en carton ,
241,
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in - 4° . avec figures , rel . en
carton ,
12 1.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol. in - 8°. gr. format rel.
Les Caracteres modernes , 2 vol . br .
201.
31.
Maximes de guerre du C. de Kevenhuller , 1 1. 10 f.
Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in-8°. rel.
Dist. de Morale , 2 in- 8 °. rel.
GRAVURES.
71.
و ا م
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Van-
100 ,
241.
Deux
grands
Payfages
, d'après
Diétrici
121.
Le Roi de la Féve
, d'après
Jordans
,
41.
Le
Jugement
de Paris
, d'après
le Trevifain
,
Deux grands Payfages , d'après M. Vernet
,
Vénus & l'Amour ,
Angelique & Mid
I 1.116.
121.
31.
31.
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS EF EN PROSE.
LE CHRISTIANISME. Ode
CHEF - d'oeuvre de la main propice
D'un Dieu dont la puiflance égale la bonté,
L'homme créé dans la juftice
Fut fait pour la félicité ;
Roi de fes paffions , épris d'un bien fuprême
Il goûtoit des plaifirs avoués du Ciel même ;
Heureux fans crime & fans effort ,
Paifible fectateur d'une vertu facile ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Au fein de l'innocence il trouvoit un afyle
Contre la douleur & la mort.
Mais que vois-je ? ingrat , infidèle ,
Quand tu combles fes voeux , il viole ta loi ;
Grand Dieu , la pouffière rebelle
Ofe s'élever contre toi?
Cet affreux attentat foulève la nature ,
La foudre vapartir pour venger ton injure ;
Non , c'eft te venger à demi.
L'homme a pû t'offenfer ! Que l'infenfé périffe ;
Mais ce n'eft , Dieu puiffant , qu'après un long
fupplice
Que doit périr ton ennemi.
Ses triftes enfans avec l'être
Reçoivent de les maux le levain dangereux ;
Coupables avant que de naître ,
En naiflant ils font malheureux :
Le feu difpute à l'eau , l'air difpute à la terre
L'avantage fatal de leur faire la guerre.
Ciel irrité fufpends tes coups ,
Livre à leurs paffions ces objets de ta haine !
Elles feront pour eux la plus cruelle peine
Que puifle inventer ton courroux.
Quel fpectacle affreux m'épouvante !
Et quel monftre hideux eft forti des enfers !
La vertu fuit pâle & tremblante ;
Le crime inonde l'Univers.
FEVRIER . 1772 . 7
L'adultère , le vol , le meurtre , le parjure ,
Les forfaits dont le nom fait rougit la nature ;
Leur afpect me glace d'effroi !
Par tout de l'équité qui gémit enchaînée ,
Triomphe impudemment la licence effrénée ;
Les mortels n'ont plus d'autre loi,
Par des châtimens mémorables
Tu te venges, grand Dieu ; mais tu frappes en,
vain :
Chaque jour de nouveaux coupables
Bravent la foudre dans ta main.
L'homme , au crime enhardi , ne craint plus ta
juftice ;
Seigneur , que ta bonté l'arrache à fa malice !
De tes feux daigne l'enflammer.
Du céleste féjour hâte-toi de defcendre ,
Viens , parois à fes yeux ; pourra-t'il le défendre
De t'obéir & de t'aimer?
C'en eft fait ; mes voeux s'accompliſſent ,
Le Ciel s'ouvre , la terre enfante fon Sauveur ;
Les enfers vainement frémiflent ;
Leur proie échappe à leur fureur.
Je te vois confondue , orgueilleufe fagefle ,
L'Eternel fe revêt de l'humaine foibleffe ,
Il naît , il vit dans le mépris.
Eft-ce aflez ? tu vas voir un plus grand facrifice ,
Le bonheur des mortels dépend de fon fupplice;
Il va l'acheter à ce prix.
A iv
$ MERCURE DE FRANCE .
Il meurt ; mais la mort terraffée ,
Bientôt de fes liens le voit fortir vainquen
Sa gloire à mes yeux éclipfée
Reprend fa première fplendeur.
Au retour des enfers dont il ravit la proie ,
Dans les cieux triomphant il fe fraie une voie.
Quel bruit? quel feu mystérieux ?
Ses enfans font faifis d'une ivrefle divine ,
L'Efprit Saint les remplit , l'Efprit Saint les do
mine.
En a- t- il fait autant de Dieux ?
Quelle doctrine , quels oracles-
Vont être par leur bouche en tous lieux annoncés
?
Leurs mains prodiguent les miracles ,
Les peuples courent empreflés.
Une foule attentive auprès d'eux fe raflemble.
Quel refpect ? quel filence ils parlent ; l'erreur
tremble ;
Leur voix enfante les Chrétiens.
Tombez , dieux impuiflans , vile & frêle matière.
Grand Dieu ! que leurs autels foient réduits en
pouffière ?
Qu'en tous lieux s'élèvent les tiens.
Tout prend une face nouvelle ;
A des hommes impurs , injuftes , inhumains
Succède une race fidelle ,
FEVRIER. 1772.
9
Une nation d'hommes faints .
Maîtres de leurs penchans, vainqueurs de tous les
vices ,
Triomphans des tourmens , triomphans des délices;
Mon oeil les admire étonné
Portique , ton héros ne fut qu'un vain fantôme.
C'est dans le Chrétien feul que tu peux trouver
l'homme
Tel que tu l'as imaginé.
Ici quelles tragiques fcènes ?
En faveur de les dieux , je vois armer l'erreur;
Par- tout je vois charger de chaînes
Les victimes de fa fureur.
Par-- tout le fer barbare à mes yeux étincelles
Des fidèles profcrits par- tout le fang ruiffelle ;
Au glaive ils courent ſe livrer.
Dieu , quelle fermeté ! mais quels tourmens hor
ribles ?
On croit vous faire grace , athlètes invincibles ;
Lorfqu'on vous permet d'expirer.
Leur fang verfé devient fertile ,
Leur cendre reproduit un peuple de héros ,
Un Chrétien meurt , il en naît mille ,
Leur nombre lafle les bourreaux .
Seigneur , ta main féconde en merveilles fubites
De leurs perfécuteurs leur fait des profélytes :
Av
MRCURE EF
Le menfonge fuit confterné.
Déjà même éclairé de ta vive lumière ,
Célar * a , fous ton joug , courbé fa tête altière ,
Je vois un Chrétien couronné.
Enfin , tranquille & triomphante ,
La vérité le montre aux paifibles mortels.
Des fers , plus pure & plus brillante ,
Elle pafle fur les autels.
Le trône eft devenu l'appui du fanctuaire ,
Et l'épouse du Chrift , dans fon fein falutaire ,
Réunit cent peuples divers.
Ton oracle eft certain , Seigneur , le dernier âge
La verra , des enfers bravant la vaine
Darer autant que l'Univers !
rage ,
Par M. le Ch. de L✶✶ St J. L.
des Mx de F. au Havre.
RÉPONSE d'un Roi de Perfe.
DANS les faftes connus de l'empire perfan
On lit qu'un jeune prince appellé Nourshirvan
A qui fon père en appanage
Avoit donné le Khorafan :
Enfils du Roi des Rois , en prince jufte & lage
* Conftantin .
FEVRIER. 1772.
Sur tous les malheureux étendoit fes regards ,
Eroit l'augufte ami des talens , des beaux arts ;
Et jouiffoit en paix des plaiſirs du bel âge.
Muficien lui -même , il aimoit à l'excès ,
Les joueurs d'inftrumens , les chanteurs , la mufique
:
Tous ceux qui l'exerçoient avec quelque fuccès
Auprès de fa perfonne avoient un libre accès ,
Il les récompenfoit en prince magnifique.
Donner étoit pour lui l'amuſement d'un Dieu.
Ce Prince généreux , digne de la naiflance ,
Embellifloit par là fon rang , fon exiſtence ,
Et l'on célébroit en tout lieu
Sa juftice & fa bienfaisance.
» Un Prince , difoit-il , coule des jours rians;
» S'il cherche à rendre heureux tout ce qui l'envi
>> ronne.
Il étoit adoré de tous les courtifans ,
Quand fon père en mourant lui laiffa la couronne.
Le jour qu'il monta fur le trône
Combla le bonheur des Perfans.
Le bruit de les bienfaits , la gloire fans feconde
Ayant déja frappé tous les peuples connus ,
Les plus parfaits enfans d'Orphée & de Linus
Volèrent dans fa cour des quatre coins du monde :
Ce monarque avec joie entendit leurs concerts ,
Les loua finement fur leurs talens divers ,
Mais il ne leur donna qu'une fomme fort mince.
A vj
11 MERCURE DE FRANCE.
Eux qui le flattoient tous que le grand roi des rois
Qui les enrichiffoit n'étant qu'un petit prince ,
Feroit encor mieux qu'autrefois ,
Murmurèrent beaucoup d'un traitement femblable.
Nourshirvan leur parut moins grand , moins eſtimable
:
L'un d'eux même tout haut ofa lui témoigner
Combien un tel falaire étoit à dédaigner.
Et loin de le punir , ce monarque adorable
Lui fit cette réponse à jamais mémorable :
« Tant qu'à mes feuls dépens , j'augmentois mes
»bienfaits ,
» Ma générolité n'a point connu de digue.
Je vous donne aujourd'hui l'argent de mes
>>fujets ;
J'offenferois les dieux , fi j'en étois prodigue.
Par M. le François , ancien Officier
de Cavalerie.
FEVRIER. 1772 . 13
URSANIE ou l'Effet des Paffions.
'HIBERNIE ou l'Irlande fe maintenoit
avec fuccès contre l'ambition des Rois
d'Angleterre ce pays contenoit quatre
petits royaumes & plufieurs feigneurs
puiffans qui prenoient le titre de Princes ,
& qui tous afpiroient à la royauté . Ce
n'étoit entr'eux que combats , que traités
auffi-tôt rompus qu'acceptés , ce qui favorifoit
les prétentions de leurs voifins ;
mais lorsqu'ils avoient quelque force fupérieure
fur les bras , ils fe réuniffoient
contre l'ennemi commun oublioient
leurs différens & ne penfoient qu'à maintenir
leur liberté & le droit de fe maffacrer
de nouveau. C'eft ainfi que la République
Romaine a fait pendant long-tems,
& c'eft auffi la caufe de fa ruine . Les deux
plus dangereufes paffions , ( l'amour &
l'ambition ) s'unirent pour la perte de
l'Hibernie , & les peuples , victimes des
fureurs de leurs chefs , fubirent la peine
de leurs faures. On cherche bien loin de
grandes cauſes aux grands événemens ;
les politiques raifonnent , les favans écrivent
; tous fe trompent : l'amour , l'impé
14 MERCURE DE FRANCE.
rieux amour a caufé la deftruction de
prefque tous les empires .
L'Hibernie étoit partagée , ainfi qu'on
vient de le dire , en quatre petits royaumes
: le plus confidérable étoit celui de
Lagénie , dont le Monarque prenoit le
titre de Roi d'Hibernie ou d'Irlande , &
avoit Dublin pour capitale . Les trois au
tres étoient la Momonie , l'Ultonie & la
Connacie. Orodice , comte & prince fouverain
de Médie , tenoit le premier rang
après les Rois. Il n'avoit qu'une fille , qui
joignoit à une grande beauté, à un carac
tère charmant , le titre de fouveraine de
Médie ; cet enfemble la rendoit l'objet
préféré de tous les princes du Nord.
Démertius , Roi de Lagénie , la fic demander
pour Egards , fon fils . Le comte
de Médie , dont cette alliance flattoit
les deffeins fecrets, put à peine contenir
fa joie , & répondit favorablement .
Il envoya chercher Sidy , fon favori , lui
fit part de cette nouvelle , & lui ordonna
de dire fincérement ce qu'il en penfoit.
Sidy pâlit à ce difcours , le Comte le pref
fa ; fon trouble ne fit qu'augmenter : mais
enfin fe remettant , il répondit au Conte
qu'il n'étoit pas de la politique d'accorder
Urfanie à Démertius , dont l'ambition
FEVRIER . 1772. 15
étoit connue. Qu'il le fupplioit de confidérer
le danger de s'allier à un monarque
puiffant , de mauvaiſe foi , qui , fous prétexte
de cette alliance , ne fongeoit qu'à
le dépouiller de fes biens. Orodice connoiffoit
toutes les mauvaiſes qualités de
Démertius & d'Egards : mais fatisfait de
la voir régner , il n'imaginoit pas qu'il
exiftât , pour eile , d'autre bonheur. Néanmoins
ne voulant découvrir à perfonne le
fentiment qui le dominoit , il fe contenta
de dire qu'il y penferoit.
Cependant Egards fuivit de bien près
les anibafladeurs de fon père ; il fut reçu
du Comte avec tout le refpect que lui infpiroit
l'héritier préfomptif de deux royaumes
.Il vit Urfanie , l'amour fe gliffa dans
fon coeur ; il brûla d'une flâme bien funefte
pour fa patrie. Cette jeune princeffe
, à qui le comte avoit fait favoir fa
volonté , loin d'envifager avec joie le
trône qu'on lui faifoit eſpérer , étoit dans
des tranfes mortelles & s'abandonnoit à la
douleur la plus violente . Urfanie n'avoit
plus de mère ; jeune , fans expérience , elle
n'avoit pu réfifter au penchant qui l'entraînoit
vers Sidy . Elle l'aimoit , en étoit
adorée , & , fans fe flatter que fon père ap .
prouvât leur union , elle ne laiffoit pas que
de nourrir dans fon coeur ce doux poifon,
IG MERCURE DE FRANCE.
d'autant plus dangereux , qu'il nous plaît .
à proportion du mal qu'il nous caufe.
Sara , foeur de Sidy , quoiqu'aimée de
la princeffe , ignoroit tout ce commerce ,
& vint avec empreffement la féliciter.
Quelle fut fa furprife de la trouver en
pleurs & prefqu'inanimée ! Elle recula
deux pas : Eh quoi ! Madame , lui dit- elle,
eft - ce ainfi que vous vous livrez à la joie
de régner fur toute l'Irlande , & d'époufer
un prince qui vous adore ? Urfanie la regarda
languiffamment : ma chere Sara , lui
dit-elle , votre furprife eft jufte , mais ma
douleur l'eft encore plus. J'aime , j'aimerai
toujours ; mais ce n'eft pas le prince
Egards. Je ne veux rien vous cacher ,
voyez , ajouta - t- elle en lui donnant un
portrait , plaignez votre princeffe , confeillez
la ; & fur tout gardez moi le fecret
, vous y êtes engagée pas plus d'une .
raifon.
Sara ouvrit la boîte & fit un cri en y
reconnoiffant fon frère, Cette aventure
la mettoit hors d'elle. Elle regardoit le
portrait, fixoit Urfanié pour chercher dans
fes yeux la vérité de ce qu'elle venoit de
lui dire. Pendant fon filence , Urfanie fe
rafluroit , fon coeur qui étoit furchargé de
peines , lui faifoit trouver une douceur
infinie à les épancher dans le fein d'une
FEVRIER. 1772 : 17
perfonne qui lui étoit fi chere . Eile fe leva,
courut l'embraffer & la conduifit dans
fon cabinet , où , fans lui donner le tems
de lui parler , elle lui conta le commencement
& le progrès de fon amour . Croiez,
ma chere Sara , ajouta - t - elle , que m'étant
une fois décidée pour votre frère , je le
préférerai à tous les princes de l'Univers ,
& que je ne voudrois une couronne qu'afin
de la lui mettre fur la tête , me rangeant
avec plaifir au rang de fes fujets. Ah ,
Madame ! lui répondit Sara , que mon
frère est heureux ! mais ce bonheur ne
m'empêche pas de prévoir tout ce que
vous aurez à fouffrir pour vous conferver
a lui. Que de peines vont fondre fur vous !
Je les furmonterai , lui dit Urfanie . S'il eft
fidèle , rien ne pourra m'ébranler . Elle
parloit encore, lorfque Sidy entra dans le
cabinet. Une profonde trifteffe regnoit
dans toute fa perfonne ; fes regards fombres
annonçoient la fureur qui l'animoit.
Je vous perds , divine Urfanie ! s'écriat-
il . Le comte vient de fixer le jour de
votre hymen avec Egards ; il m'envoie
vous dire de vous préparer à le célébrer
dans trois jours .
Urfanie , déjà attendrie par le recit
qu'elle venoit de faire , ne put entendre
Sidy fans faire éclater fa douleur . Elle fe
18 MERCURE DE FRANCE.
jetta dans les bras de Sara : les larmes , les
fanglots la fuffoquoient . Sidy, à fes pieds,
la conjuroit de fe modérer & de lui laiffer
le foin d'écarter cet orage . Elle entrevit ce
qu'il vouloit lui dire. Non , lui réponditelle
, je n'y confentirai jamais. Je vais
trouver mon père , me jetter à fes pieds ,
lui avouer mes fentimens & le conjurer
d'avoir pitié de moi . S'il me refufe , je
pars, & je fuirai au bout du monde , s'il le
faut. Sidy , tranfporté de joie , ne favoit
comment lui exprimer fa reconnoiffance ,
it lui embraffoit les genoux ; un filence
voluptueux leur fit goûter un inftant de
félicité.
Ils étoient dans cette fituation lorsqu'ils
virent venir Orodice fuivi d'Egards. La
Foudre les auroit moins furpris que cet afpect.
Sara s'avança vers eux , Sidy fe releva
& Urfanie effuya fes larmes. Ma fille,
lui dit le Comte , des raifons importantes
me portent à preffer l'honneur que le
Prince d'Irlande veut vous faire. Prépa
rez vous à l'accepter , & marquez lui - en
votre reconnoiffance . Urfanie , pâle, tremblante
, ne put obtenir d'elle de répondre;
une profonde révérence marqua fa foumiffion
, mais non fa joie.
Le Comte , qui n'imaginoit pas qu'on
dût réfifter à fes ordres, prit pour modeftie
FEVRIER. 1772. 19
l'effet de la douleur , & fe retira , faifant
figne à Sidy de le fuivre. Ce malheureux"
amant obéit en frémiffant. Orodice , charmé
d'avoir réufli dans fon projet , l'embraffa
: Mon cher Sidy , lui dit- il , je fuis
au comble de mes voeux ! c'eft peu que de
faire ma fille Reine , il faut que je monte
moi-même à ce rang augufte. Le Roi de
Momonie eft vieux ; fes fujets ne le trouvent
plus digne de leur commander ; ils
me choififfent pour leur fouverain. Le
Roi d'Irlande y confent , en faveur du
mariage d'Egards avec Urfanie. L'Ultonie
& la Connacie ne pourront fe maintenir
feule contre nous mon fang regnera
fur toute l'Hibernie.
Orodice cût pu parler davantage fans
que fon favori l'eûr interrompu . Livré
aux réflexions les plus cruelles , il ne fe
mettoit pas en peine de cacher fon chagrin.
Mais fon maître , qui attribuoit fon
filence au plaifir que lui caufoit cette confidence
, & à fon attachement pour lui , lui
en fçut gré ; il le congédia en lui ordonnant
de lever des troupes , & de les faire tenir
fur la frontiere du côté de la Momonie.
Pendant que le Comte fe repaiffoit de
fes chimères , que Sidy s'affligeoit , Egards
étoit auprès d'Urfanie , qu'il tâchoit de
rendre fenfible pour lui. Cette jeune prin2.0
MERCURE DE FRANCE.
ceffe , dont le parti étoit pris , cacha l'averfion
qu'il lui infpitoit fous un air de modeftie
, qui n'eût pas réuffi auprès d'un
autre , mais que le prince de Lagénie
interpréta en fa faveur. L'amour - propre
qui le dominoit lui fervit à quelque chofe
cette fois ; mais il paya cher ce moment
d'erreur.
Toute la foirée fe paffa , fans que Sidy
pût dire un mot à Urfanie , Orodice venoit
d'annoncer fon mariage ; il lui fallut
effuyer tous les complimens de fa cour ,
& les fadeurs dont Egards l'ennuya.
Rentrée dans fon appartement , elle fe
livra à toute la cruauté de fon fort . La
nuit ne lui offrit que des images terribles.
Le Comte , qui jugeoit de la fatisfaction
de fa fille pat celle qu'il reflentoit , entra
chez elle pour lui confier ce qu'il appeloit
fon bonheur. Il fut furpris de la trouver
en pleurs , & lui demanda brufquement
ce que fignifioient fes larmes ? Que
je fuis la plus infortunée des filles , fi vous
n'avez pitié de moi , lui répondit- elle en
fe jettant à fes pieds. Oui , Seigneur , une
averfion dont je ne fuis pas maîtreffe m'éloigne
du prince de Lagénie . J'aimerois
mieux la mort que fa main. Ah , Seigneur
! fi jamais vous m'avez marqué la
FEVRIER . 1772. 21
moindre tendreffe , je vous en conjure
par tout ce que vous avez de plus cher ,
éloignez , rompez ce funefte hymen . Une
couronne me touche peu ; contente de la
gloire de vous appartenir , de paffer mes
jours auprès de vous , le réduit le plus obf
cur me feroit préférable à la douleur de
m'éloigner & de vivre avec un prince que
j'abhorre ... Ses pleurs l'empêcherent de
pourfuivre , & fes yeux attachés fur ceux
du Comte , fembloient y chercher ou la
vie ou la mort.
Orodice aimoit fa fille ; il fut ému , attendri
de fon état ; mais l'intérêt d'une
couronne balançoit les mouvemens de la
nature . L'ambition l'emporta : il la releva
, & , fans répondre à tout ce qu'elle
venoit de dire , lui détailla les motifs qui
le faifoient agir , la pria de s'y conformer,
l'affurant de plus que l'amour n'étoit pas
néceffaire aux perfonnes de fon rang. Elle
voulut infifter , il l'interrompit au premier
mot , reprit un air févère & lui ordonna
d'obéir.
La trifte Urfanie fe détermina , elle ofa
faire fon bonheur. Elle envoya chercher
Sidy : il parut. Sidy , lui dit- elle , je n'ai
fléchir mon père. L'ambition l'emporte
fur tout ce que j'ai pu lui dire . Il
pu
22 MERCURE DE FRANCE .
me force à lui défobéir , j'y fuis réfolue .
Il faut nous féparer , conduifez - moi dans
un cloître , ne pouvant être à vous , je ne
veux être à perfonne. Non , Madame !
s'écria cet amant , je ne fouffrirai jamais
que vous falliez ce facrifice. Fuyez vos
perfécureurs , mais confentez que je vous
fuive : allons chez le Roi de Momonie ,
il me mettra en état de vous défendre
contre tous les Princes de la terre . Je difpofe
des troupes , elles me fuivront avec
joie , & facrifieront leur vie pour défendre
votre liberté. Mais , Madame , ajoutail
en lui lançant un regard de feu , il
eft un moyen plus affuré de vous conferver
à moi . Oſez fuivre un époux : ne fortons
de ce palais qu'après avoir formé des
liens indiffolubles...
Un bruit affez confidérable qui fe fit
entendre,l'enterrompit , & obligea la princeffe
d'envoyer Sara pour apprendre ce
qui le caufoit Cette jeune perfonne revint
toute effrayée leur dire qu'un différent
furvenu entre Egards & Orodice
étoit la caufe de cette rumeur. La princeffe
fit retirer fon amant , & fortit de fon
appartement pour voir fi elle devoir fe
plaindre ou fe louer de cet incident.
Elle rencontra fon père : Ma fille , lui
FEVRIER . 1772 .
23
cria -t-il d'auffi loin qu'il l'apperçut , je
vous avois commandé d'époufer Egards ;
& je vous ordonne maintenant de l'ou.
blier & de ne lui parler de votre vie ! le
comte de Médie étoit violent , il mena
la princeffe dans fon cabinet , fit chercher
Sidy & les inftruifit tous deux du fujet de
cette rupture.
Egards , qui avoit toutes les mauvaiſes
qualités de fon père , ne fe crut pas plutôt
afluré de la princeffe , qu'il lui échappa
quelques paroles qui firent douter au comte
de fa fincérité pour ce qui regardoit la
couronne de Momonie. Pour s'allurer des
intentions de Démertius & de fon fils , il
propofa à ce dernier de figner le traité
qu'ils venoient de conclurre. Le prince
de Lagénie le refufa fous divers prétextes
, & , fe voiant preflé , il déclara au
comte qu'il prétendoit que la Momonie
devint la dor de fa fille , ne voulant épou
fer qu'une Reine. Cette réponſe peu mefurée
& qui renverfoit toutes les efpérances
du comte , porta fa colere au plus
grand excès. Il mit la main fur la garde
de fon épée , le prince tira la fienne en
lui reprochant de violer le droit d'hofpitalité
: ils fondoient l'un fut l'autre avec
une égale fureur , & fans leurs courtiſans
24 MERCURE DE FRANCE.
qui entrerent en foule , la mort de l'un
d'eux , eût épargné le fang de leurs fujets ,
& l'Irlande n'eût point été affujetie.
Eh bien ! Sidy , ajouta le Comte , que
dites -vous de la mauvaife foi du Prince ?
Urfanie , c'eft de vous feule que j'attends
ma vengeance . Si j'en crois les pleurs que
je vous ai vu répandre , la perte du prince
de Lagénie & de deux royaumes vous
fera peu fenfible . C'eft à vous maintenant
à me prouver par une prompte obéiffance
que vous m'aimez & que vous êtes
digne de monter au rang que vous méprifez
: confentez à donner la main à Sidy
; je me dépouille de la Médie en fa
faveur ; dès ce moment vous regnez l'un
& l'autre , & moi je prétends conquérir
la Momonie aux yeux du Roi d'Irlande &
porter le fer & la fâme au fein de fes
états.
La princeffe , interdite , pénétrée de la
joie la plus vive , n'ofoit faire éclater tous
fes fentimens. Elle dit fimplement qu'elle
obéiroit , mais fes yeux fe tournerent fi
tendrement vers Sidy que le comte apperçut
une partie de ce qui fe paffoit en
elle. Il releva Urfanie , embraffa Sidy qui
s'étoit précipité à fes pieds pour lui exprimer
FEVRIER. 1772 25
mer fa gratitude. Je vous laiffe auprès de
ma fille , je vais tout faire préparer pour
votre hymen , je veux qu'il fe célèbre
demain , & s'il fe peut , que le prince de
Lagénie en foit témoin.
Urfanie , Sidy , Sara fe regardoient tous
trois , & ne pouvant imaginer que ce
qu'ils venoient d'entendre fut réel , ils
craignoient la fin d'une illufion fiflatteufe.
Leur crainte ne les quitta qu'au mo
ment fortuné où le comte les conduisit à
l'autel on les unit pour toujours. Toute la
cour , furpriſe d'un événement auffi fingulier,
cherchoit à pénétrer les motifs du comte
, croioit les faifir & raifonnoit à faux.
Egards , qui avoit quitté la cour au moment
de fa difpute avec le Comte , apprit
le mariage d'Urfanie avec une rage facile
à concevoir ; il jura de s'en venger , & ne
que trop parole.
tint
Le comte de Médie , qui s'attendoit à
une guerre fanglante , fit de fecrets préparatifs
; traita avec le Roi de Momonie ,
celui-même à qui deux jours auparavant
il vouloit enlever la couronne . Ces deux
princes fe virent , s'unirent étroitement
& de concert déclarerent la guerre au Roi
Démertius. Urfanie vouloit fuivre fon
B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
père & fon époux , partager les dangers
avec eux , mais ils ne purent y confentir;
elle demeura dans un château fur la frontiere
, où elle ne craignoit pas d'être furpriſe.
Egards vint préfenter la bataille aux
princes , elle s'engagea ; mais au fort de
la mêlée , ce prince , fuivi de deux cents
chevaux , fit le tour d'un bois , parvint au
château d'Urfanie , le força , l'enleva avec
Sara , l'envoya à Démertius & fut rejoindre
les fiens qui plicient de tous côtés .
Content du fuccès de fon entrepriſe , il fir
fonner la letraite , décampa en bon ordre
fans que le comte de Médie & Sidy qui
étoient bleflés fongeaffent à profiter de
leurs avantages.
L'enlevement de la princeffe les furprit
autant qu'il les affligea. Sidy, fuivant
la coutume de ces tems , vouloit ,
tout bleflé qu'il étoit , combattre fon rival
; mais le Comte plus prudent , ne fongea
qu'à fe mettre en état de redemander
la fille à la pointe de l'épée . Pour le faire
avec fuccès , il envoya un homme de confance
à Lotheric , Roi de Connacie , qu'il
favoit être ennemi de celui d'Irlande ,
Cet envoyé eut ordre de traiter fecretement
& de tout promettre pour obtenir
FEVRIER. 1772. 17
du fecours. Il y réuffit . Lotheric , qui avoit
des injures particulieres à venger , fe joignit
au Roi de Momonie & au Comte.
Ils entrerent tous trois dans la Lagenie ,
ravagerent tout le pays jufqu'à Dublin ,
qu'ils affiégerent , & qu'ils pritent ; rien ne
pouvoit réfifter à la fureur de Sidy & à la
prudence d'Orodice.
Démertius & Egards , voyant qu'il n'y
avoit plus d'espoir pour eux , fe fauverent
dans une fortie , emmenerent la princeffe
Urfanie en Angleterre , où ils furent reçus
du Roi Henri II avec toutes les marques
de bienveillance qu'ils pouvoient fouhaiter.
Henri qui depuis long- tems avoit
des vues fur l'Irlande , faifit avec empreffement
les moyens de s'en emparer , fous
prétexte de mettre fin aux troubles qui
ravageoient cette contrée.
Néanmoins, voulant garder quelque ombre
de justice , il envoia deux feigneurs aux
Rois de Momonie & de Connacie, & fe por
ta pour arbitre de leurs différens . On enrama
quelques négociations qui reſterent
fans effet par l'ordre fecret d'Henri & par
la fierté du comte de Médie. Pour aigrir
encore plus les chofes , Henri hit fecretement
évader Urfanie. Les envoyés de
Henriparlerent avec tant de hauteur qu'on
Bij
2 :8 MERCURE DE FRANCE.
leur fignifia qu'ils euffent à partir fur le
champ , s'ils ne vouloient porter la peine
de leur témérité.
Henri eût à peine vu les chofes dans
l'état où il les fouhaitoit , qu'il feignit la
plus grande colère & envoya Steinbock ,
an de fes feigneurs , à la tête de trente
mille hommes , fuivi d'Egards qui commandoit
fous lui , retenant Démertius
fous prétexte de ménager fa perfonne.
Celui à qui l'on avoit confié Urfanie
nela laiffa en liberté que lorfque l'armée
de Steinbock fut arrivée devant les ennemis
. Elle fut obligée de fe cacher dans un
pauvre hameau , d'où elle envoya avertir
fon père & fon mari de tout ce qui lui
étoit arrivé.
Steinbock donna la bataille à Lotheric
qui la perdit , malgré la valeur de Sidy &
les confeils du comte de Médie ; & demeura
prifonnier. Orodice fe renferma
dans Dublin , d'où il envoya propofer un
accommodement ; mais Steinbock , qui
avoit des ordres , n'y voulut point entendre
, & reprit la ville en peu de jours par
le moyen des intelligences qu'il y avoit.
Egards , dont le naturel féroce n'étoit plus
retenu par fon père , ne fut pas plutôt dans
FEVRIER. 1772 29
la ville qu'il la fit piller par les foldats &
y commit lui-même toute forte d'excès.
Le général Anglois ne fut pas fâché de
l'imprudence de ce jeune prince . Il fit
ceffer le carnage & fçut , par ce moyen ,
s'attacher le reste des habitans qui fe fou
mirent au Roi d'Angleterre , proteftant
qu'ils ne vouloient point d'un prince qui
s'étoit baigné dans leur fang.
Sidy , que
fon amour & la défaite rendoient
furieux , chercha par- tout Egards
pour le facrifier
à fon reffentiment
; défefpéré
de ne pouvoir
le joindre
, il fe
jetta au milieu
d'une troupe d'Anglois
qu'il tailla en piéce ; ce ne fut pas fans
recevoir
des bleures
confidérables
. Enfin
fe fentant
bleffé mortellement
, il fe fit
porter au hameau
qu'habitoit
l'infortunée
Urfanie
, & le hafard voulut qu'on le
mit dans la maiſfon
qu'elle avoit choifie.
Le bruit de la défaite
de Lotheric
, de la
prife de Dublin
étoit parvenu
jufqu'à elle .
De funeftes
preffentimens
l'agiterent
.
Oubliant
le danger qu'elle
couroit , fi eller
retomboit
dans les mains
d'Egards
; elle
s'étoit déterminée
à tout faire pour ſe rendre
auprès de fon père & de Sidy , qu'elle
croioit enfemble
.
Elle s'étoit déguifée & fe difpofoit à
B
iij
30 MERCURE DE FRANCE.
partir lorfqu'elle apprit par fon hôte qu'un
guerrier , extrêmement bleffé , venoit d'être
porté chez lui . Cette nouvelle la troubla
, tout fon fang s'émut , une pâleur fu
bite couvrit fon vifage ; un regard douloureux
fit comprendre & partager les
inquiétudes à Sara. Elles volent toutes
deux auprès de cet inconnu , le reconnoiffent
& tombent évanouies. Sidy la reconnut
à fa douleur ; mais trop foible pour
s'exprimer ,fes yeux chargés de pleurs, fes,
mains , qu'il foulevoit à peine & qu'il s'efforçoit
de lever vers elle , firent compren
dre , à tous ceux qui étoient là , une partie
de la vérité. Sara , revenue la première de
fon effroi , courut au lit de Sidy en difant :
Ah ! mon frère , mon frère ! .. Sidy , infenfible
à tout ce qui n'étoit pas Urfanie,
ne lui répondoit rien . Son ame toute entiere
étoit paſſée dans fes yeux ; des fanglots
étouffés étoient la feule marque de
fort existence . Urfanie revint enfin , chercha
Sidy , fe précipita fur lui , fans prononcer
un mot. Elle le tint long - tems
entre fes bras , mais que devint- elle , lorfqu'elle
s'apperçut qu'il ne lui reftoit plus,
de cet époux chéri , que le corps fanglant
& inanimé. Tout ce qu'on peut imaginer
de plus douloureux ne peut être comparé
FEVRIER. 1772. 31
à ce qu'elle reffentit. Son défefpoir la
porta plufieurs fois à attenter à fa vie
mais la tendre Sara en fufpendoit l'effet.
Dans un de ces momens où fa douleur
la rendoit furieufe , le barbare Egards qui
avoit appris la mort de Sidy , ofa ſe pré.
fenter devant elle . Elle frémit . Quoi ,
monftre , lui dit - elle , tu n'es pas content
des maux dont tu nous accables! que viens
tu faire dans ce lieu ? Madame , lui répondit-
il avec un rire amer , je viens vous
annoncer que votre père eft dans les fers ,
& qu'il faut contenter ma paffion,ou vous
réfoudre à le voir pétir . Barbare ! repritelle
avec fureur , tu vas être fatisfait. Elle
dit , & prenant un poinçon qu'elle portoit
à fes cheveux , elle fe l'enfonça dans
le coeur & tomba fans vie aux pieds du
cruel Egards. Ce furieux , défefpéré que
fa fourberie n'eût pas réuffi , voulut
porter plus loin l'outrage . Sara , qui étoit
préſente à ce fpectacle , fe jetta fur lui ;
fes cris attirerent quelques perfonnes
qui , ne pouvant fupporter la vie de ce
monftre , le percerent de mille coups.
Steinbock , qui ignoroit cette barbarie ,
faifoit chercher Eards avec le plus grand
foin. Il le connoiffoit trop pour ne le pas
B iv
32
MERCURE DE FRANCE.
craindre. Il fut enfin fa derniere action ;
l'horreur qu'il en conçut fut telle qu'il fe
hâta de foumettre toute l'Irlande pour
quitter une terre fouillée par un crime fi
horrible. Henri , qu'il informa de fes
fuccès , paffa en Irlande , s'y fit reconnoître
, rendit la Médie à Orodice , fit les
autres Rois tributaires , & dit- on , abrégea
les jours de Demertius. Quelques années
après , fur un léger prétexte , il dépouilla
les autres Rois , & réunit l'Irlande
irrévocablement à la couronne d'Angleterre
, dont elle fait toujours partie. C'eft
ainfi que l'amour & l'ambition ont foumis
toute l'Hybernie . Le comte de Médie
, dévoré de chagrin , ne put foutenir
les malheurs qu'il s'étoit attirés & mourut
en bute à la haine de ſes ſujets , au mépris
de fes voifins & aux reproches qu'il ſe faifoit
à lui-même.
Traduit de l'allemand par Mlle Matné
de Morville.
FEVRIER...1772 33
LES AGNEAUX ORPHELINS.
MIRE ÈRE Brebis mourut à la fleur de fon âge ,
Laiſlant deux Agneaux orphelins ,
Dont les bélemens enfantins
Attendrirent le voisinage.
Mais le berger les prit fous fa ' protection.
De la Brebis , dit - il , la mémoire m'eft chère;"
Pauvres infortunés , je ferai votre père ;
Votre mère vous laifle , & j'en fuis caution;
Un légitime bien , le prix de fes fervices ;
Et , ce qui vaut mieux , mes amis ,
Avec le lait fans doute elle vous a tranfmis
Ses bonnes qualités , fans mêlange de vices.
Par M. Boifard.
LES LOUVETEAUX ORPHELINS.
Au fond d'un bois , deux Louveteaux , U.
Grace aux rapines de leur mère , 23
Nourris de la chair des agneaux',
Avoient eu quelques jours un fort allez profpère.
Mais ce bonheur fat paffager ;
La cruelle expira fous les coups d'un berger.
Bv
34
MERCURE DE FRANCE
On prétend qu'une tourterelle ,
Voifine du repaire affreux
De ces coupables malheureux ,
En apprenant cette nouvelle ,
Parut céder encore à la compaſſion ,
E fit en foupirant cette réflexion :
Votre mère pour vous a commis bien des crimes
Elle vous abreuvoit du ſang de ſes victimes ;
La malheureuſe ! elle n'eft plus ,
Et vous laifle en mourant un funefte héritage!
Taifez-vous , orphelins ! .. vos cris font fuper-
Aus ,
Et des bergers vengeurs ils reveillent la rage.
Par le même.
EPITRE à un Dormeur.
HEUERUREEUX Damon , que je vous porte envie!
Que votre fort doit faire de jaloux ! Dis
Un long fommeil , abrégeant votre vie ,
Vous fait goûter les plaifirs les plus doux ;
Que , dis je , hélas , vous les poflédez tous!
Tantôt aidé d'un fongé favorable ,
Vous vous trouvez dans ces lieux enchantés ,
Dans ces jardins que le Tale a chantés ,
Dont la peinture appartient à la fable
Et qui pour vous devient des vérités.
FEVRIER . 35 \
1772.
Tous ces palais , chef- d'oeuvres des Armides ,
Tous ces châteaux jusqu'aux Cieux exhauffés
Où les rubis dans l'or font enchaflés ,
Qu'à l'opéra nous trouvons infipides ,
Sont vrais pour vous & vous en jouillez ;
Tantôt guidant quelques agneaux timides
Vous vous voyez en berger transformé ,
Et de l'objet dont vous êtes charmé
Ne craignant point les careffes perfides ,
Vous vous livrez au plaifir d'être aimé ;
Tantôt au fein d'un luxe afatique.
Embaraflé fur le choix des beautés ,
Vous dominez fur un férail d'Afrique
Où chacun fuit vos moindres volontés,
Où mille objets empreffés à vous plaire
Vous font goûter toutes les voluptés ,
Où fous vos pieds vous contemplež la terre.
Tantôt laffé d'éblouir le vulgaire
Et fatisfait de vous voir dérobé
Aux embarras d'un pefant ministère ,
Bien plus heureux & de ce rang tombé ,
Libre de foins , riche fans patrimoine ,
Vous végétez fous l'habit d'un chanoine ,
Ou fous celui d'un opulent abbé.
Heureux qui peut , à l'aide du menfönge ,
Jouir ainfi de la félicité !
Notre bonheur ici - bas n'eft qu'un fonge ,
Pien fou qui couit à la réalité.
Par M, Simoneau .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE de Mde Leroux d'Angers , à
une Epitre de M. Mugnerot.
BLEN
IEN grand merci de vos fleurettes ,
Quoiqu'elles foient d'or le plus pur ;
Tout beau difeur , tel que vous l'êtes ,
Peut en conter , mais l'âge mur
En trouve l'ufage peu für :
Cependant mon ame enchantée ;
Soit fentiment ou vanité ,
Trouve des traits de vérité
Dans une image auſſi Aattée.
Par cet aveu qu'elle a dicté ,
Déjà vous devez me connoître ;
Mais écoutez , je vais paroître ,
( Riez de ma fincérité , )
Ce que je fuis & je veux être.
J'ai vu la faifon des plaifirs ,
L'indocile & folle jeuneffe ,
Et fans contrainte & fans foiblefle
Couler au gré de mes defirs.
Jamais , ce dieu qui nous careſſe
Pour mieux nous cacher les rigueurs ,
Ne vint dans mon ame féduite
Porter le trouble qui l'agite ,
Sous les apparentes douceurs,
FEVRIER. 1772 37
Trop enjouée & trop volage ,
Pour m'aflervir à tous fes droits
A ces langoureux d'autrefois
Dont l'amour fut un eſclavage ;
Je laiſſai le trifte avantage
De vivre enchaînés fous les loir.
Hymen , fous les traits de fon frère ;
Vint me couronner de fes fleurs .
D'autres tems , dit - on , d'autres moeurs
Du moins c'eſt le dictum vulgaire.
Des foins , un ménage , un époux ,
Des enfans fans cefle avec nous ,
Leton & les devoirs de mère ,
Que fais-je enfin ? mille embarras
Le plus folide caractère
Se décourage & n'y tient pas.
Pour moi plus conftante & plus fage;
J'ai fçu dans mes engagemens
Conferver tous les agrémens
De la liberré du jeune âge.
Auffi , le dirai - je , à mes voeux
Le deftin toujours favorable ,
Me préparoit des jours heureux.
J'ai des maris le plus aimable ,
Le plus franc , le plus généreux ,
Aimé , chéri , digne de l'être
D'une épouse qui fait connoître
Le bonheur dont elle jouit ,
38 MERCURE
DE FRANCE
.
·
Il couvre de fes mains fidèles ,
Toujours de quelques feurs nouvelles
Le doux lien qui nous unit.
Dans cette égalité charmante
De goûts , de foins , de fentimens ,
Je peux aux doux égaremens
D'une liberté qui m'enchante ,
Donner encor quelques inftans.
Non qu'infenfible à ce murmure
Que la railon ou la nature
Oppofe à nos rellentimens ,
Je me falle un affreux ſyſtême
D'immoler tout à mes plaifirs ;
Et n'écoutant que mes defirs ,
De ne vivre que pour moi - même.
Il eft des devoirs différens
Que la fagefle multiplie
Suivant les âges & les rangs ;
C'est elle qui les concilie
Avec ces doux amuſemens ,
Cette gaîté vive & folâtre
Dont je chéris & j'idolâtre
Même jufqu'aux emportemens.
FEVRIER. 1772. 39
C
Comment voulez-vous done, beau fire ,
Me faire croire qu'Apollon
Ecarte du facré vallon
Ceux qu'hymen cient dans fon empire ?.
Et qu'au bruit de ces fons flatteurs ,
Formés aux bords de l'Hipocrène ,
Je vous croie en butte aux rigueurs
D'un dieu cruel qui vous enchaîne ?
Non , non , le penchant le plus doux
N'eft point un joug inſupportable ;
Et votre époufe raiſonable
N'a point ces mouvemens jaloux
Qui la rendroient bien moins aimable
Au plus aimable des époux ;
Non , à ce doucereux langage ,
A ceton un peu libertin ,
Je ne reconnois point enfin
L'air embarraffé du ménage ;
} ; ;༑ །
Et celle qui vous a dicté
Les vers naturels que j'admire ,
Eft celle-même qui m'infpire ,
Dites- le , c'eſt la liberté.
40 MERCURE
DE FRANCE :
LAVE U TARDI F.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES
LUCILE , jeune Veuve.
ROSETTE , fa femme de chambre.
D'ORVILLE ,
DAMIS ,
}
amans de Lucile .
GROCOURT , autre afpirant
La fcène eft fur une terraffe commune à
l'appartement de Lucile & de Dorville.
SCÈNE PREMIERE
D'ORVILLE , feul.
MA conduite & ma destinée font bien
bifarres ! j'aime Lucile tout m'annonce
que mon amour feroit écouté , & je n'ofe
rompre le filence. Je crains d'avoit été
prévenu. Lucile a mille charmes & ǝhille
adorateurs. Cependant , elle les reçoit
tous également bien ; cela femble dire
qu'aucun d'eux n'eft bien traité.
FEVRIER . 1772
SCÈNE I I.
D'ORVILLE , DA MIS.
DAMIS. Marquis ? remercie- moi.
D'ORVILLE . Très - volontiers . Puis - je
favoir de quoi il s'agit ?
DAMIS . Je t'ai choifi pour
D'ORVILLE. Moi feul?
confident.
DAMIS. Je ne l'ai dit qu'à trois ou
quatre de mes amis , trop occupés d'euxmêmes
pour s'entretenir de tout autre.
D'ORVILLE . Hé bien ! ce fecret , qui
n'eft fçu que de quatre perfonnes , quel
eft-il?
DAMIS. C'eft que j'aime la coufine , la
belle Lucile.
D'ORVILLE , un peu troublé. Tu l'aimés
?.. Que m'importe ? .. Le fait elle ?
DAMIS. J'aime cette queftion ! Tume
foupçonnes de lui en avoir fait mystère ?
Il est bien fimple de dire à une femme
que l'on aime , ce qui en eft . On fait le
même aveu à tant d'autres , lors même
qu'il n'en eft rien !
D'ORVILLE. Comment Lucile a - t- elle
reçu cet aveu ?
DAMIS . Comme elle reçoit tout; avec
42 MERCURE
DE FRANCE
.
réſerve & avec politeffe. Je n'ai pu tirer
que bien peu de paroles ; mais je me
fuis chargé du commentaire.
D'ORVILLE. En ce cas , tu es des mieux
traités.
DAMIS . Une feule chofe me fatigue :
c'eft que Lucile s'en repoſe toujours fur
moi pour l'explication. Il faut éternellement
deviner.
D'ORVILLE. Et cela t'embarraffe ?
DAMIS, Point du tout. Je fais aider à
la lettre ; mais enfin , tout doit avoir un
terme. Exhorte - là pour moi à conclure.
Je rifque un ridicule en prolongeant mes
foins , & tu fais qu'on fe doit à la réputation.
D'ORVILLE. Je l'avoue ; mais que puisjey
faire ?
DAMIS. Lucile fait cas de ta haute
prudence. Elle eft veuve , elle eſt ta coufine
, vous habitez fous le même toît. Un
mot de ta part peut abréger bien des lenteurs.
D'ORVILLE. Cette commiffion a fon
agrément !
DAMIS. Que t'importe ? Tu n'es pas
amoureux de Lucile. A peine on te voit
lui parler. Je fuis fûr que jamais un mot
FEVRIER. 1772. 43
de galanterie n'a égaïé vos graves entretiens.
D'ORVILLE. ( à part. ) Il a raifon , &
j'ai eu grand tort. ( haut. ) Je te promets
de parler de toi à Lucile.
DAMIS . Ne prends point le change.
Mon deffein n'eſt pas que tu lui parles en
ma faveur ; chofe par elle - même trèsfuperflae.
Exhorte- là feulement à ne plus
fe contraindre , & à ne pas immoler plus
long- tems fa propre fatisfaction à je ne
fais quel refpect humain . ( Ilfort. )
SCÈNE III.
D'ORVILLE , feul.
Voilà un fat qui jouit du bonhenr dont
jouiffent tous ceux de fon efpèce ; il eſt
toujours content de lui- même & de toutes
les femmes. Je parlerai , cependant ,
de lui à Lucile . Ce fera , peut -être , une
occafion de parler pour moi-même ....
hélas ! peut-être auffi Damis n'eft - il pas
auffi présomptueux que je le penfe . L'au
dace & l'étourderie ont toujours plus fubjugué
de femmes que les égards & la difcrétion
. Mais Lucile paroît. Voyons s'il
eft tems de rompre un filence qu'on ne
veut pas interpréter.
44 MERCURE DE FRANCE
SCÈNE I V.
LUCILE , D'OR VILLE.
LUCILE. Je viens refpirer l'air de cette
terrafle , & jouir un inftant du bénéfice
d'être feule .
D'ORVILLE. Madame , fi c'en eft un ,
vous en jouiffez bien rarement. . . Je
crains , à mon tour , de vous en priver.
LUCILE . J'ai lieu de croire que cette
crainte vous occupe fouvent. Elle vous
fait porter la circonfpection jufqu'à la négligence.
D'ORVILLE . J'ai tort , fi vous daignez
yous en appercevoir .
LUCILE . Hé bien ! oui , vous avez tort .
D'ORVILLE. Il me fera bien facile &
bien doux de m'en corriger .
LUGILE. Nous verrons.
D'ORVILLE. (à part. ) Ces mots peuvent
dire quelque chofe , ou ne rien dire ;
mais pourfuivons . ( haut ) Madame , j'avois
plus d'une raifon pour chercher votre
préfence.
LUCILE , ( avec intérêt. ) Plus d'un rai
fon ? .. Ne peut- on pas les favoir ?
D'ORVILLE . Je ne vous entretiendrai
FEVRIER. 1772 :
45
que de la moindre pour le préfent ... Je
ne vais être que l'interprète d'autrui .
LUCILE. ( à part. ) Que l'interprète
d'autrui ? Le rôle eft intéreflant! ( haut &
d'un ton férieux. ) De quoi s'agit - il ,
Monfieur ?
D'ORVILLE. Vous voyez fouvent Da
mis?
LUCILE. Oh ! très- fouvent !
D'ORVILLE: Il ne vous a point laiffé
ignorer qu'il vous aime ?
LUCILE. Il peut me l'avoir dit fans
je le fache encore.
que
D'ORVILLE. Il m'en a fait à moi - même
la confidence , & j'ai promis de vous.
en rappeler le fouvenir.
LUCILE , d'un air piqué. Vous êtes un
ami obligeant ! Damis eft heureux d'en
trouver de cette eſpèce.
D'ORVILLE. ( àpart. ) Elle femble pi
quée... Tant mieux ! ( haut. ) Il faut l'avouer
, Madame , j'ai cru obliger deux
perfonnes à la fois.
LUCILE . ( avec ironie ) Vous avez une
pénétration merveilleufe ! ... ( d'un ton
plusferieux. ) Au fonds , Damis pourroit
avoir de quoi plaire
D'ORVILLE . C'eſt ce que j'allois dire ,
46
MERCURE
DE
FRANCE
.
& il eft de bonne augure pour lui que vous
m'ayez prévenu .
LUCILE.Vous devez être bien fatisfait!
On ne fe charge pour l'ordinaire , d'une
pareille négociation que pour en accélerer
la réuffite .
D'ORVILLE . ( à part . ) Je fuis defefpéré
! ... ( haut ) Je dirai donc à Damis,
Madame , que fes voeux fetont bientôt
remplis?
LUCILE . Monfieur , je ne vous charge
de rien. Vous avez une furieufe vocation
pour ces fortes de meffages !
D'ORVILLE . Mais dirai - je à Damis
que les voeux font rejettés ?
LUCILE . Non , Monfieur .
D'ORVILLE . C'eft affez me dire ce qui
en eft.
LUCILE . Je me réſerve le foin de l'en
inſtruire moi - même. Vous pourriez
omettre quelque chofe , & il eft eflentiel
que mes fentimens lui foient bien connus.
Pardon je fens que l'air de la terraffe
me porte à la tête. Je vais chercher
ailleurs du repos.
FEVRIER. 1772 . 47
SCÈNE V.
D'ORVILLE , feul.
Que conclure de tout ce que je viens
d'entendre ? Que j'ai fait la démarche
d'un homme prudent , ou d'un fot. L'alternative
eft épineufe. Si Lucile ne prend
aucun intérêt à Damis , elle défapprouvera
celui que j'ai paru y prendre. Si Damis
l'intéreſſe , ma démarche étoit fuper-
Aue. N'importe , attendons l'événement.
Je ne connois rien de plus fâcheux, après
le malheur d'aimer envain , que celui
d'avouer inutilement que l'on aime.
SCÈNE V I.
D'ORVILLE , ROSETTE , apportant
fur la terraffe une corbeille de fleurs.
ROSETTE. Maudit foit le caprice des jolies
femmes ! Une pauvre fille eft bien à
plaindre d'être réduite à les fervir. Il fau
droit deviner ce qui peut leur plaire ou leur
déplaire. Ajoutez que ce qui leur plaît
aujourd'hui leur déplaira demain . C'eft ,
je crois , le tems qui règle leur humeur ,
ou plutôt , ma foi , leur humeur et toujours
déreglée.
48 MERCURE
DE FRANCE
.
D'ORVILLE. Tu grondes ? Ma chère
Rofetre ; quel eft le fujet de ton mécontentement
?
ROSETTE. Je ne reconnois plus Madame.
Elle étoit fi bonne ! fi douce ! .. Tout
eft changé depuis quelques mois ... Tenez
! prefque depuis le tems que vous ha
bitez cette maifon , je ne fais plus rien à
fon gré. Elle paroît mécontente de tout ,
& autant d'elle - même que des autres.
Elle avoit toujours aimé les feurs. Ce
matin Damis lui apporte cette corbeille.
Je la place dans fon boudoir , où je fais
qu'elle entre fouvent , & voilà qu'elle
m'ordonne de l'apporter fur cette terraffe.
Elle trouve que ces fleurs l'entêtent , l'incommodent.
Je ne fçais ; mais je crains
que Damis n'éprouve bientôt le même
traitement que la corbeille.
D'ORVILLE , vivement. Tu le crois ?
ROSETTE . J'en répondrois même.
D'ORVILLE. Quoi ? tu penfes que Lucile
a le coeur libre ?
ROSETTE . Libre ; ...
rien ; mais , au moins , n'eft- ce
je ne réponds de
qui l'empêche de l'être .
pas Damis
D'ORVILLE . Tu te trompes , Rofette:
ROSETTE.
FEVRIER. 1772. 49
ROSETTE. Allez , Monfieur , une femme
ne fe trompe point fur ces matières ,
& une femme de chambre moins que
toute autre .
D'ORVILLE. Hé bien ! dis- moi quel
eft le mortel affez heureux pour troubler
de Lucile ? le
je.
repos
ROSETTE. Je n'en fais rien , vous dis-
D'ORVILLE. Quoi ? tu ne vois rien qui
puiffe déceler...
ROSETTE . Oh ! je me pique d'avoir ma
petite pénétration ! je n'ai prefque rien
vu ; mais je répondrois bien que celui qui
intéreffe le plus Madame , ( regardant
finement d'Orville ) eft celui qu'elle voit
le moins.
D'ORVILLE , troublé. Qu'elle voit le
moins !
ROSETTE. Oui ; car je m'apperçois que
tous ceux qu'elle voit le plus fouvent lui
déplaifent beaucoup .
D'ORVILLE. (à part . ) Quelle heureufe
découverte!
ROSETTE. ( à part. ) Notre homme dif
cret parlera !
D'ORVILLE. Ecoute , Rofette...
C
so MERCURE DE FRANCE .
ROSETTE , vivement. Oh ! très-volontiers
.
D'ORVILLE. ( à part . ) Qu'allois - je
faire ? ... ( haut ) N'as - tu rien de plus
précis à me dire ?
ROSETTE. Je pourrois bien tirer encore
quelque chofe de mon magafin , fi vous
n'étiez pas fi foigneux de fermer le vôtre.
Parlez & je parlerai . Quoique femme, &
qui plus eft foubrette , je ne parle jamais
qu'on ne m'en donne l'exemple.
D'ORVILLE. Mais que veux - tu que je
te dife ?
ROSETTE. Vous voulez bien que j'aie
quelque chofe à vous dire , moi !
D'ORVILLE. Hé bien ! je t'avoue que
la queftion que je te fais m'intéreffe...
ROSETTE. Beaucoup ? beaucoup ?
D'ORVILLE. Prodigieufement.
ROSETTE. Vous êtes donc amoureux
de Madame?
1
D'ORVILLE , fe troublant . Mais , tu
tire là une conféquence ...
ROSETTE . Elle est toute fimple. A votre
âge on s'embaraffe peu de favoir qui
une femme aime ou n'aime point quand
on n'eft pas foi - même amoureux d'elle ,
FEVRIER. 1772. SL
D'ORVILLE. Roferte eft preffante.
ROSETTE . Parlez , parlez ! car je vois
bien qu'il faudra que j'inftruife ma maîtreffe
de ce que vous ne lui dites pas.
D'ORVILLE. Crois - tu qu'elle en foit
Alattée ?
ROSETTE . Jamais pareille découverte
n'a mortifié une femme.
D'ORVILLE. Cela ne me fuffit point...
Je veux être affuré...
ROSETTE , l'interrompant. Ne faut - il
pas vous en répondre corps pour corps ?
D'ORVILLE . Mais enfin , tu dois favoir...
ROSETTE. Je ne fais plus rien . Demandez-
le à Madame vous même . Comme
l'on dit , en donnant , donnant.
D'ORVILLE. Voilà une fuivante bien
difcrette ?
ROSETTE. Voilà un amoureux bien
diffimulé!
D'ORVILLE. On gagne toujours à m'avoir
pour ami.
ROSETTE . On ne perd jamais rien à
m'avoir pour amie. Allez , Monsieur ,
vous agiffez contre toutes les règles .
Quoi ? une foubrette que l'amant de fa
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
maîtreffe ne prend pas pour fà confidente !
Vous n'avez donc jamais lu , ni vu de pièce
de théâtre ?
D'ORVILLE. Hé bien ! ton zèle n'en
fera que plus neuf; tu ne fauras rien.
ROSETTE. (à part & s'en allant ) J'en
fais autant qu'il faut pour guérir la migraine
de Madame.
SCÈNE VII.
D'ORVILLE , feul.
Cette fille eft rufée . Elle a penſé m'arracher
mon fecret. Cependant , elle me
laiffe dans une extrême perplexité . Peutêtre
m'a-t- elle dit ce qui n'étoit pas ; peutêtre
ne m'a- t- elle point dit tout ce qui
eft... J'ai eu tort : j'aurois dû parler. Une
confidence en attire une autre , & il eft
rare qu'une foubrette s'interdife le droit
d'y répondre.
SCÈNE VIII.
D'ORVILLE , GROCOURT.
GROCOURT. M. le Marquis , vous fa
vez que je fuis fans compliment. Abrégeons
- les , & venons au fait. Vous êtes
le parent & l'ami de Lucile ?
FEVRIER. 1772. 53
D'ORVILLE. Je fuis fon parent.
GROCOURT. Mai , je voudrois être
quelque chofe de plus. Elle eft belle ; je
fuis riche , & ne fuis point encore trop
vieux. Je fuis veuf & elle eft veuve. Nous
pourrions réparer nos pertes l'un par l'autre
; & vous , mon cher Marquis , vous.
pourriez arranger tout cela , en bon parent
, puifque vous n'ambitionnez pas
d'être autre chofe.
D'ORVILLE . J'ai peu d'adreffe & de
vocation pour une femblable entremife.
GROCOURT. Mais rien n'eft plus fimple
! je m'en chargerois pour vous en pareil
cas.
D'ORVILLE. Je vous fuis obligé.
GROCOURT . Et moi , je ne vous en
tiens pas quitte . Vous devez être enchanté
de faire le bien de votre parente , & je
vous en offie un moyen. Chacun fait que
je fuis le meilleur homme du monde . Je
parle avec franchife , & j'agis de même.
J'ai cherché l'occafion de m'adrefler directement
à Lucile ; j'ai vu que cette occafion
pourroit être tardive , je m'adreſſe
à vous. J'ai de mon côté deux coufines ,
qui ne font point veuves ; mais qui font
dans l'âge de ceffer d'être filles : fi le coeur
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
vous en dit pour l'une des deux , vous
n'aurez qu'à parler , je ferai pour vous ce
que je vous prie de faire pour moi.
D'ORVILLE. ( à part ) . Quelle perfécution
!
GROCOURT. N'oubliez pas de dire à
Lucile que fi je defire être fon mari , c'eſt
que je defire qu'elle foit heureufe. Elle .
pourroit fe tromper fur tout autre , & je
fuis sûr de moi . Elle même réglera notre
étiquette de la fociété , fi elle lui plaît ;
de la folitude , fi elle l'exige...Il ne m'en
coûtera rien pour vivre & penfer comme
elle , pourvu que ce foit avec elle.
D'ORVILLE ( à part ) . Je ne parviendrai
jamais à m'en défaire , & je vois
qu'il faudra mettre encore Lucile à cette
nouvelle épreuve. ( haut ) . Oui , Monfieur
, je parlerai de vous.
GROCOURT . Et pour moi , fans doute ?
D'ORVILLE. Il le faut bien !
GROCOURT. Tenez ! L'occafion eft mer .
veilleufe , & fe préfente d'elle - même : je
vois paroître Lucile.
D'OR VILLLE ( à part ) . Quel embarras
FEVRIER. 1772. ss
影響
SCÈNE IX .
Les Acteurs précédens . LUCILE , ROSETTE.
ROSETTE . Oui , Madame , je vous
affure que l'air de la terraffe eft bon , &
que vous en ferez plus fatisfaite que
tantôt.
LUCILE. Tu abufes de ma complaifance,
ROSETTE.Voyez Monfieur le Marquis,
il s'en eft fi bien trouvé qu'il y eft encore.
D'ORVILLE à Lucile. Je m'en félicite ,
Madame , puifque vous deviez y reparoître.
GROCOURT. Je m'en félicite encore
plus moi , Madame , & d'Orville va
vous en dire la raifon . ( à d'Orville ) . Allons
, Marquis , tiens ta promeffe .
D'ORVILLE ( à part ) , Ah ! Quel
homme !
LUCILE. De quoi s'agit-il donc , Meffieurs
? ( à d'Orville ) . Vous avez l'air
embarrallé ? Ne fuis -je point de trop
ici ?
GROCOURT. Non , Madame non
d'honneur ! M. d'Orville vous dira com-
Civ
58 MERCURE
DE FRANCE
.
LUCILE . On pourroit ne s'y méprendre
pas. J'ai vu des perfonnes qui s'expliquoient
affez clairement par emblêmes.
DAMIS . Eh ! mais ... En vérité , vous
êtes incroyable ! ( à d'Orville ) Je vois que
tu n'as encore rien dit , parelleux Marquis
! Il faut te laiffer remplir ta miſſion .
Mais fouviens toi bien que je n'accorde
plus aucun délai. ( Il fort ).
GROCOURT. Madame , je commence
à vous croire ; mais je vous accorde , pour
changer d'avis , tous les délais qu'il vous
plaita . J'attendrai vos ordres ; daignez
feulement ne me pas laiffer trep vieillir.
( Ilfort).
D'ORVILLE ( aux genoux de Lucile ) . Je
vous crie merci ..
LUCILE . Que faites-vous , Marquis ?
Auriez- vous encore quelque nouveau Protégé
?
D'ORVILLE . Oui , Madame , il m'en
refte encore un ; & , fi vous le rejettez
comme les autres , c'est fait de mes jours.
LUCILE émue . Mais daignez vous lever
& vous expliquer,
D'ORVILLE. Je referai à vos pieds
jufqu'à ce que vous m'ayez promis de le
bien recevoir.
LUCILE ( à part ). Je ne fais où j'en
fuis ?
FEVRIER . 1772. 59
ROSETTE ( à Lucile ) . Courage , Madame
, tout va bien.
LUCILE en hésitant ) . Hébien ! Ce Pro- /
tégé... Quel eft - il ?
D'ORVILLE. Oferai - je vous l'avouer?..
C'est moi même .
LUCILE. Vous.
ROSETTE . Je vous l'avois bien dit!
D'ORVILLE . Pardonnez moi un filence
qui faifoit mon tourment. Je craignois
que votre coeur n'eût été prévenu ; je craignois
de le gêner par un aveu déplacé .
J'ai voulu connoître auparavant s'il étoit
libre encore , s'il pouvoit difpofer de lui .
Voilà le motif de ces démarches , de ces
épreuves qui n'ont pu que vous déplaire .
Daignez donc me répondre , belle Lucile
, agréez vous mon nouveau Protégé?
LUCILE ( affectueufement ) . Marquis ,
levez - vous .
D'ORVILLE. Me pardonnez -vous de
m'être expliqué fi tard ?
LUCILE ( en lui tendant la main ) . Ja
ne vous répondrai que par ce Proverbe :
Il vaut mieux tard que jamais .
Par M. de la Dixmerie.
C vj
65 MERCURE DE FRANCE.
Traduction d'un fragment de Lucilius . *
QU'EST- CE que la vertu ? c'eft l'ordre, l'équité ,
Raifon , force , grandeur , Conftance , humanité.
La vertunous enfeigne & l'honnête & l'utile ,
Et nous fait abhorrer toute démarche vile .
A nos vaftes projets elle préfente un frein ;
Et , montrant le vrai bu: du pouvoir fouverain ,
Elle indique le faux des brillantes chimères
Qui n'ont jamais féduit que des ames vulgaires.
C'eft elle qui tranfmet à l'homme courageux
Le droit de s'oppofer au criminel heureux ,
Se fût-il élevé jufques au rang fuprême .
C'est elle qui nous porte , en leur malheur extrême
,
A fecourir les bons , leur prodiguer nos foins ,
A leur fauver fur- tout la honte des befoins.
Le vertueux enfin dévoue à la patrie ,
Sa fortune , fon bras , & la gloire & la vie ;
C. Lucilius defcendoit d'une famille illuftre ,
& poflédoit de grands biens . Sa niéce fat la mère
du grand Pompée , & lui - même fervit dans la
cavalerie fous Scipion Numantin , dont il acquit
l'eftime & l'amitié , moins encore par la naiflance
que par les vertus & fes talens .
FEVRIER . 61
1772.
Aux fiens , à les amis , il le livre en entier ,
Et fon propre bonheur le touche le dernier.
ENVOI du Traducteur.
Cette antique vertu , de nos jours écartée ,
Malheureufe fouvent , mais toujours respectée ,
Dont le grand homme feul ofe fe faire honneur ,
O Villahermofa * le retrouve en ton coeur.
Par M. Feutry.
LE PRÉSENT DE NOCE.
Conte.
DANS certains pays c'eſt l'uſage
Que pour la nuit du mariage
La future fafle un préfent ;
Colin eut un noeud très-galant :
Oh! Colette , dit-il , je ne fuis pas fi bête ;
A d'autres cet ajuſtement :
Vouloir que dès ce foir je porte ce ruban ,
C'eft de bonne heure orner ma tête .
Par M. Houllier de St Remy.
* M. le Duc de la Villahermofa , &c. Grand
d'Efpagne de la première claffe , Gentilhomme de
la chambre de Sa Majefté Catholique , & c. & c.
62 MERCURE DE FRANCE.
•
LA FEMME VERIDIQUE.
(
Conte.
COLETTE dans fon lit gifſloit
Sur le point de devenir mère ;
L'hiftoire dit qu'elle crioit :
Son tendre époux fexagenaire ,
Afes cêtés fe lamentoit,
Et tout bonnement s'excufoit ;
Je fuis au défelpoir , mignonne ,
De t'avoir fait ainfi fouffrir ,
Dit-il , en pouffant un ſoupir :
Mon ami , reprit lafriponne ,
Ceffe de t'affliger , je fens qu'en bonne fai
Je ne fçaurois m'en prendre à toi.
Par le même.
A Madame *** à Troyes. •
PLUS belle que ne fut Helène ,
Vous avez plaire à de nouveaux Troyens ;
Mais elle étoit , je crois , moins inhumaine ,
Et d'en juger vous ôtez les moyens.
FEVRIER. 1772 . 63
Du Ximoïs & du Scamandre
On n'a point vu couler ici les flots ,
Le fier Achille & tant d'autres héros ,
Près de nos bords n'avoient rien à prétendre.
Mais file Troyen d'aujourd'hui
N'a point de murs & de tours à défendre ,
Il a fon coeur : fon coeur n'eft plus à lui
Quand il vous veit & qu'il peut vous entendre,
Par M. Leclerc de la Motte , Capitaine
au régiment d'Orléans infanterie
HYMNE à l'Amour. Traduction libre de
l'italien de Mde la Marquife de C** .
AMOUR , dieu de mon coeur , que j'ai choifi
pour maître ,
Qui répands fur mes jours le charme le plus doux;
Source de voluptés , principe de mon être ,
Je me livre à tes coups.
Quoique tu veuilles entreprendre
Sur mon malheur ou ma félicité ,
Tu n'as rien , dieu charmant , qui puiſſe me fuxprendre
;
Diſpoſe de ma vie & de ma liberté.
64
MERCURE
DE
FRANCE
.
Heureux qui te connoît ! malheureux qui te brave
!
Il a pour châtiment l'inſenſibilité .
Un prince indifférent ne vaut pas un eſclave
Dans tes fers arrêté.
Orcan , le fer en main , a conquis fon empire :
Il foule aux pieds tes loix ; on abbat le tyran.
Dans les jardins d'Orcan , Azor a vu Palmyre 3
Il halarde unfoupir ; il devient fon amant.
Tu ne veux pas , Amour , qu'en mes chants je
confonde
L'efclave & le maître orgueilleux :
Dans les bras de Palmyre Azor eft plus heureux
Que tous les conquérans du monde.
Par M. Coftard , libraire.
A M, le Maréchal Duc DE BRISSAC ,
fur fa nomination au gouvernement de
Paris.
Jouis de tes vertus , brave & noble guerrier :
Décore- toi , BRISSAC , de ce nouveau laurier !
Ton bras le cultiva dans les champs de Bellonne ,
Paris, avec plaifir, aujourd'hui te le donne,
FEVRIER. 1772. 65
Permets donc que fans fard un fimple citoyen
A l'éloge public ofe méler le fien.
Le dirai-je ! j'ai craint en te rendant hommage ,
Qu'on m'accufât d'offrir un compliment d'ufage ;
Mais ce qui me raflure en ces momens flatteurs ,
C'eft ton nom , c'eſt l'appui de mes chers protecteurs.
Oui , je peux fans rougir dire à toute la terre ,
BRISSAC eft un héros , un coeur droit & fincère :
Chacun reconnoîtra dans cette vérité ,
Que je fçais au moins rendre un tribut mérité .
C'eft aux nobles efforts de ton coeur magnanime
,
A l'amour pour ton Roi , qui fans cefle t'anime
chéri : Que tu dois les bienfaits d'un monarque
Tu méritois , BRISSAC , d'être fon favori.
Fidèle à tes devoirs , courtifan fans bafleffe ,
Tu fais avec grandeur foutenir ta nobleſſe.
Ah ! pourquoi n'ai - je donc qu'un trop
lent ?
foible ta
Quel fujet plus heureux ? quel modèle excellent !
L'art des vers près de toi n'eft plus une manie :
Cet art qui tour -à tour encenſe & parodie ,
Retrouve en te louant fon titre glorieux..
Oui , je fens qu'il eft fait pour célébrer les dieux .
O toi , de mon pays l'Euripide & l'Homère ,
Philofophe , orateur , ingénieux Voltaire ,
Lorsqu'en tes chants , Bourbon triomphe de Paris
,
66 MERCURE DE FRANCE.
Flattes - tu la valeur du plus grand des Henris ?
Non , d'accord avec toi , l'hiftoire irrévocable ,
A nos derniers neveux te rendra plus croyable.
Que ne puis-je imiter tes fons harmonieux !
De grace , infpire-moi tes chants mélodieux ;
Ma voix, dans ce beau jour , plus noble & plus
touchante ,
Sera plus digne au moins du héros que je chante.
Mais , je fens bien , hélas ! que je t'invoque en
vain ,
Tu veux pofléder feul ton organe divin ;
Qu'importe : j'ai prouvé , quoique foible & novice
,
Queje n'immole point à l'idole du vice.
Non, ce n'eft point à vous que j'adreſſe ces vers ;
A vous, mortels ingrats , orgueilleux & pervers :
Cherchez de vils flatteurs. Que d'une voix perfide
Ils enivrent vos fens d'un encens homicide.
Ah! s'il peut exifter des auteurs
corrompus
Qui briguent
vos faveurs aux dépens des vertus ,
Plus coupables
que vous , ils rentrent
dans vos
crimes ;
Oui ,loin d'en impofer, complices & victimes ,
L'idole & l'orateur ne percent l'avenir ,
Que pour mieux retracer un affreux fouvenir.
O toi ! queje révère , équitable déeffe ,
Augufte vérité , repétes - moi fans ceffe :
L'honneurfoule àfes pieds de honteufesfaveurs ;
FEVRIER. 1772. 67
Etfe fait un tréfor de l'or des bonnes mæurs.
Eh ! dois-je redouter d'empoifonner ma plume ,
Lorfque pour toi , BRISSAC , mon premier feu
s'allume ?
Non , je fens au plaifir de chanter mon héros ,
Que de la probité dépend notre répos.
Par M. Croi **..
COUPLETS chantés à la table de M. **
lejour du repas donné à l'hôtel- de- ville
à M. le Maréchal Duc DE BRISSAC,
Gouverneur de Paris.
BUVONS Buvons à notre Gouverneur ,
Aux Magiftrats qui l'environnent;
Mars & Bacchus , en leur honneur
De pampres nouveaux ſe couronnent.
Au fein de la Paix le laurier,
Arrofé d'un jus délectable ,
Doit fe changer en olivier,
Et décorer Minerve à table.
Célébrons donc , le verre en main ,
Le choix de notre cher Monarque ,
Amis , invoquons le deftin ,
Faifons une offrande à la Parque,
G8 MERCURE DE FRANCE.
Vive Louis le Bien- Aimé ,
Gloire au fujet brave & fidèle ,
BRISSAC , notre Roi t'a nommé
Pour que tu fois notre modèle.
Grace aux foins d'un de tes ayeux ,
Paris , plus calme & plus tranquile ,
Reçut Bourbon victorieux ,
Briflac eft né pour notre ville.
L'Anglais , cet illuftre Echevin ,
*
* En 1594 , Paris n'avoit vu ni reconnu de Roi
depuis quinze ans . Deux hommes ménagèrent
feuls cette révolution . Le Maréchal de Brifac &
un brave citoyen dont le nom étoit meins illuftre
& dont l'ame n'étoit pas moins noble , c'étoit
un Echevin de Paris nommé l'Anglais. Ces deux
reftaurateurs de la tranquillité publique s'aflocièrent
bientôt les Magiftrats & les principaux
Bourgeois. Les mefures furent fi bien prifes , le
Légat , le Cardinal de Pellevé , les Commandans
Efpagnols , les Seize fi artificieufement trompés
& enfuite fi bien contenus que Henri IV fit fon
entrée dans fa capitale , fans qu'il y eût prefque
de fang , il renvoya tous les étrangers qu'il pouvoit
retenir prifonniers ; il pardonna à tous les
Ligueurs (Hiftoire univerfelle ) En un mot, l'hiftoire
offre mille traits glorieux en l'honneur des
Coflé Briffac , & les derniers dont notre Gouverneur
vient de fignaler fon avénement , font des
preuves que les vertus & la grandeur d'ame font
héréditaires dans cette famille .
FEVRIER. 1772. 69
Mérite auffi qu'on s'en fouvienne ,
Honorons donc d'un jus divin
Toute ame noble & citoyenne.
Buvons à notre Gouverneur ,
Au cortége qui l'environne ,
C'est pour notre commun bonheur
Que Thémis s'unit à Bellonne :
Au fein de la paix le laurier ,
Arrofé d'un jus délectable ,
Doit fe changer en olivier
Et décorer Minerve à table.
Par le même.
LE CONSOLATEUR.
MON Mon bon ami de trente années ,
Quand je lui fais l'humble recit
De mes cruelles deſtinées
Sait par où ce mal s'adoucit.
Il me fait le bel étalage
D'un fuccès nouveau qui l'attend ;
Je le vois heureux & content ,
Comment me plaindre davantage ?
Par M. P.
70 MERCURE DE FRANCE.
Ir-
VERS pour être mis au bas du Portrait
de Madame la Comteffe d'Evreux ,
landoife.
Le Ciel la fit pour nous offrir
Le plus beau des modèles ;
La nature pour affervir
Les coeurs les plus rebèles .
Le goût vint encor l'embellir.
Elle cut mille attraits en partage ;
Mais le pinceau n'a pas rendu
Ni les charmes de la vertu ,
Ni tout l'efprit de ſon viſage.
VERS pour être mis à la tête d'une
collection de romans.
M'AMUSER, n'importe comment
Fait toute ma philofophic.
Je ne crois perdre aucun moment
Hors le moment où je m'ennuic ;
Et je tiens ma tâche remplie , *
* Ce vers a été changé dans l'almanach des
FEVRIER. 1772. 71
Pourvu qu'ainfi tout doucement
Je me défaffe de la vie.
Par M. l'Abbé Porquet.
L'EXPLIC
'EXPLICATION du mot de la première
énigme du fecond volume du mois de
Janvier 1772 , eft la Truffe ; celui de la
feconde eft la Plaque de cheminée ; celui
de la troisième eft l'Eternûment. Le mot
du premier logogryphe eft Tripotage ,
dans lequel on trouve Tri , ( jeu moderne
) pot , age , tripot , potage , triage ; celui
du fecond eft Dragon , où fe trouvent
Dagon , on , don , argo , ( navire ) or ;
celui du troifième eft Etoile , où fe trouvent
ile , toile , étole ; celui du quatrième
eft Charpie , dans lequel fe trouvent harpie
, harpe , char , pie , ( cheval de bataille
de M. de Turène ) Pie , ( Pape )
pie , (oileau ) phare , ( d'Alexandrie ) ica
re , Chypre , arc , Caire , Pera , ( fauxbourg
de Conftantinople ) chair , carpe ,
raie , chapier.
Mules . On a mis finie au lieu de remplie , c'eſt
une faute .
72 MERCURE DE FRANCE.
ÉNIGME
J fors de terre , & j'y rentre , Lecteur : E
Dèsque tu vois le jour je te fuis néceflaire.
Jefers au Prince , au Sénateur ,
A la Cour , au vulgaire.
J'honore & j'orne le Prélat.
Je diftingue fur-tout , un corps favant , utile
A l'Eglife , à l'Etat .
Mon emploi n'eft point futile.
On me trouve au combat.
Mon cher lecteur , devine & penfe
Qu'aux doigts de ta Philis , je dois mon exiſtence.
A Senlis , par un Abonné au Mercure.
AUTRE.
Desmains de l'art je reçus l'exiſtence .
Le fer , le feu , la terre & l'eau
Eurent tous part à ma naiſſance ,
Et pour combattre l'air je quittai le berçeau.
Par
Page 71.
AIR
Sur desparoles connuepar M.Raymond
Comedien a Ratisbonne.
Tempo di minuetto.
Fevrier
1772
Ze
con nois - tu ma chere E
le : o : no...re Ce tendre en fant qua te
suit en tout lieu ? Ce tendre en
fant qua le seroit en co...re
Ce
tendre enfant qui le seroit en
co... re Si tes re
-gards
n'en
3
a : voit fait
un Dieu n'en avoit
fait
un
un Dieu
.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
FEVRIER. 1772. 73
Par mon état placée à la claffe femelle ,
Je n'eus jamais d'époux , j'ai cependant un fils ,
Je le porte en mon fein , & fa nature eft telle ,
Qu'il exiftoit peut- être avant que je naquis.
Homme; de tous les tems ardente à te fervir ,
D'un fouffre menaçant par fois je te délivre.
Ma voix t'avertit de bien vivre ,
Et toi , de mes bienfaits tu perds le fouvenir:
Des plaiſirs & desjeux quand la troupe légere
T'entraîne , à tes devoirs je fcais te ramener,
Je te rends à l'amour , & plus d'une Bergère
N'eût pas reçu fans moi , l'hommage du Berger.
Par mes foins , par ma vigilance.
Je préviens les fureurs d'un fougueux élément ;
Et je m'oppose à la prudence
D'un ennemi qui te furprend.
Mets-tu le deuil ? fenfible à tes allarmes,
En accents douloureux je partage tes larmes ,
L'himen couronne- t- il ton amoureuſe ardeur ?
Par mille cris joyeux je chante ton bonheur.
Et quand la nuit fortant de fes demeures fom
bres
D
74 MERCURE DE FRANCE;
I
Seme dans l'Univers le filence & les ombres,
Tu dors , & refpectant ce précieux fommeil ,
Je me tais pour ne point trop hâter ton reveil.
Pour prix de mes bienfaits , quelle eft ma deftinée
?
Tu me charges de fers , me mets la corde au col ;
Au plus haut d'un gibet je me vois attachée ,
C'est l'acte d'un ingrat ou bien celui d'un fol.
A Perpignan.
LOGO GRYPH E.
LECTEUR , a ECTEUR , avec les pieds je fuis toujours ma
mère ;
Si tu coupe en deux parts mon tour également ,
Un vilain animal s'offre dans la première ;
La feconde autrefois fervoir de vêtement.
Par M. Houllier de St Remi
de Sezanne.
FEVRIER. 1772. 73
AUTR E.
La moitié de mon corps prend la naiffance en
terre ;
Dans l'air l'autre moitié la prend tout au cons
traire :
Mes fept pieds , dans les eaux prennent leur ali
ment ,
Par être mis au feu je finis très -fouvent.
Par M. Oye , vicaire à Oyé ,
diocèse d'Autun.
EN
AUTRE.
N de certains pays bienheureux qui me porte
En France on me reſpecte , on me craint à la
porte.
J'ai fix pieds bien comptés , dont toute la vag
leur ,
Je puis vous l'aflurer , confifte en la couleur.
Si vous les partagez , prenez garde à ma téte,
Souvent elle épouvante & fait fuir mainte bête.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Sivous la renverfez , on la craint dans les eaux;
En la décapitant elle eft un des métaux.
Quant à ma queue , on la trouve eſtimable ,
Selon que plus ou moins elle eft confidérable.
A mon tout eft pendu ce figne précieux ,
Qui , tout ainfi que moi , fait bien des envieux.
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Caufes célèbres & intéreffantes avec les jugemens
qui les ont décidées , rédigées
de nouveau par M. Richer , ancien
avocat au parlement ; in- 12 . A Amfterdam
, & fe trouve à Paris , chez
Defprez , Imprimeur-Libraire , rue S.
Jacques.
LEES Caufes célèbres en 20 volumes
in- 12 . de Gayot de Pitaval eft une collection
qui intéreffe par fon objet , mais
qui dégoûte par le ftyle fade & rampant
du compilateur , par les réflexions triviales
& hors d'oeuvre dont il l'a femés , par
des rapfodies en vers & en profe que Pitaval
, le plus mauffade & néanmoins le
plus vain des écrivains , croyoit néceffaiFEVRIER
. 1772. 77
res pour relever fon ouvrage , mais qui
n'ont contribué qu'à le rendre plus lourd
& plus dégoûtant. Le peu de méthode
d'ailleurs du compilateur faifoit deficer
que que quelqu'écrivain fe chargeât de
recommencer cette tâche & de lui donner
une forme plus agréable & plus inftructive.
Le travail de M. Richer qui ne
s'eft point diffimulé les défauts de fon
prédéceДeur ne peut donc manquer d'être
accueilli du Public. Cet écrivain ne s'eft
pas contenté de fubftituer fon ftyle à celui
de Pitaval & de renverfer l'ordre qu'il
avoit fuivi dans chaque caufe , il a enco
re cherché à y mettre plus d'intérêt en
ajoutant de nouveaux moyens à ceux que
Pitaval avoient employés , à ceux mêmes
qui fe trouvent dans les mémoires où il a
puifé. M. Richer a d'ailleurs enrichi fon
édition de plufieurs caufes intéreffantes
que Pitaval avoit négligé de donner au
Public. De ce nombre eft celle qui fut
plaidée devant Henri IV.
Ce Prince voulant procurer toutes fortes
d'amuſemens au Duc de Savoie qui
étoit venu en France fur la fin de 1599 ,
au fujet du marquifat de Saluces , fit favoir
à M de Harlai , premier préſident ,
qu'il iroit au palais entendre plaider , &
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
qu'il feroit accompagné du Duc de Savoie.
On fit préparer en la grand'chambre
une espèce de tribune grillée , telle
que font celles appellées aujourd'hui lanternes.
Le Roi & le Duc fe rendirent par
eau , du louvre au bas du jardin du premier
préfident , traverfèrent fon hôtel &
arrivèrent dans la lanterne qui leur étoit
deſtinée. Le premier préfident avoit fait
choix d'une caufe dont voici l'espèce.
Jean Proft avoit été envoyé à Paris par
fa mère , pour y faire fes études en droit.
Il fe logea en chambre garnie chez un
nomméBoulanger. Ce jeune homme dif
parut tout d'un coup dans le tems qu'il
venoit de recevoir de fa mère une fomme
d'argent affez confidérable. La juftice
, informée de cette difparution , fe
tranfporta dans la chambre de Proft ,
trouva fes coffres enfoncés & l'argent
enlevé. On arrêta Boulanger & on inftruifit
fon procès. A l'interrogatoire , il
foutint toujours qu'il ignoroit ce qu'étoit
devenu Proft , & qu'il n'avoit aucune
part au vol de fon argent. Ses enfans furent
arrêtés ; ils dépofèrent que le lende
main du jour que Proft étoit difparu , ils
avoient va entrer deux inconnus dans fa
chambre le plus jeune ajouta que ce.
FEVRIER. 1772. 79
même jour Boulanger , fon père , avoit
enlevé l'argent de Proft , l'avoit porté
chez fon beau frère , qui l'avoit caché
dans un endroit qu'il indiqua, Tous ces
faits fe trouvèrent vrais . Boulanger fut
condamné à la queftion ordinaire & extraordinaire
, il la foutint fans rien
avouer. Il fut enfin mis en liberté , mais
à la charge de fe repréfenter en juftice ,
toutes les fois qu'il en feroit requis
Quelque tems après , on arrêta trois gafcons
qui voloient dans Paris. Ils furent
condamnés à être pendus pour un vol fait
avec effraction . Celui qui fut exécuté le
dernier , déclara , avant de monter au gi.
bet , que Boulanger étoit innocent du
meurtre de Jean Proft ; que c'étoit lai
qui l'avoit commis conjointement avec
un de fes camarades que l'on venoit d'expédier.
Ils avoient appris que fa mère lui
avoit envoyé de l'argent ; pour voler cette
fomme plus facilement , ils réfolurent
de tuer Proft le foir dans la rue. S'ils
euffent commis cet affaffinat dans la
chambre même du jeune homme , le
bruit qu'il auroit fait en fe défendant , les
auroit décélés , & ils auroient pu être pris
en flagrant délit : au lieu que s'étant ainfi
défaits de lui , il leur étoit aifé d'aller
Div
30 MERCURE DE FRANCE:
dans fa chambre fans bruit , au moyen de
fa clefqu'ils lui avoient prife dans fa poche.
Il ajouta qu'ils n'avoient retiré aucun
fruit de ce crime . Ils étoient entrés à
la vérité dans la chambre le lendemain
de l'affaffinat ; ils avoient forcé les coffres
, mais ils n'avoient point trouvé l'argent
qu'ils cherchoient. On lui demanda
ce qu'il avoit fait du cadavre de Proft . Il
dit que fon camarade & lui l'avoient jetté
dans les commodités de la maison où
ils fe retiroient ordinairement ; ce qui fut
trouvé vrai.
Boulanger préfenta fa requête à la cour
par laquelle il demandoit qu'on le déclarât
innocent de l'affaffinat ; que la mère
de Jean Proft , qui l'avoit pourfuivi comme
affaffin de fon fils , fût condamnée à
lui faire réparation d'honneur avec dépens
, dommages & intérêts . Anne Robert
, qui plaidoit pour Boulanger , dé
buta par un exorde compofé dans le goût
de ce fiécle : Tout ainfi , dit - il , que
» Telephe , fils d'Hercule , ayant été bleſſé
d'un coup de lance par Achille , eut
» réponſe de l'oracle qu'il avoit confulté,
» que la lance feule d'Achille pouvoit le
» guérir , de même ma partie ayant été
» tourmentée par arrêt occafionné par
FEVRIER . 1772 Sr
י כ
l'accufation calomnieufe de fon adver
» faire , elle a recours à la même jufti-
» ce pour la punition de la calomnie &
» l'adouciflement de fes malheurs. » Paffant
enfuite aux moyens , il dit qu'inuti
lement la mère de Jean Proft alléguoit
pour fa défenſe , que la cour , ce tribunal
fi augufte & fi éclairé , avoit été frappée
des charges qui s'étoient trouvées au procès
contre Boulanger ; qu'à plus forte raifon
, une mère , qui ne cherche que la
vengeance de la perte de fon fils , a bien
pu tomber dans l'erreur , en marchant à
la fuite des traces qui pouvoient la conduire
à la découverte du coupable , puifque
c'étoient ces mêmes traces qui avoient
trompé la cour. Les pourfuites des parties
font pleinement volontaires ; par conféquent
, elles doivent , avant d'intenter
une action , bien prendre leurs meſures
pour difcerner le coupable d'avec l'innocent.
Le juge , au contraire , eft aftreint
à certaines formalités ; il eft des maximes
dont il ne peut s'écarter : il faut qu'il fuive
les indices qui lui font fournies par
les piéces que la partie lui met fous les
yeux , & par les témoins qu'elle lui fair
entendre. Il ne fonde fes décifions que fur
ce qu'on lui rapporte , & s'il en réfulte
Dr
82 MERCURE DE FRANCE.
quelqu'inconvénient , c'eft aux parties
qu'il faut l'imputer , & nullement à la
justice. Dans cette caufe c'étoit la mère de
Proft qui avoit allumé le flambeau de la
calomnie; elle avoit , par fes larmes , ſéduit
les témoins , qui , ne voyant les faitsqu'au
travers de la compaffion qu'elle
leur avoit infpirée , les avoient tournés
au défavantage de l'accufé . Par-là , elle
avoit fixé tous les foupçons fur Boulanger
; on l'avoit regardé comme devant
être le feul coupable ; on n'avoit point.
fongé qu'il pût y en avoir d'autres , &
l'on n'avoit point apperçu les démarches
qui pouvoient conduire à la découverte
de la vérité. L'accufation avoit été intentée
contre Boulanger feul ; le juge n'avoit
pa diriger la procédure que contre lui .
Quand une fauffe accufation n'eſt point
le fruit de la calomnie , mais de l'imprudence
, comme dans cette caufe , la
punition à la vérité n'eft point capitale ,
mais on la convertit en dommages &
intérêts . Les larmes d'une mère qui pleure
fon fils affaffiné doivent fans doute
toucher le coeur des juges ; mais ces juges
doivent-ils être moins fenfibles aux gémiffemens
d'un innocent auquel on fait
fouffrir les tourmens de la queftion la
FEVRIER. 1772 . 83
plus rigoureufe , & qui refte tellement
eftropié de tous fes membres , qu'il lai
eft impoffible de gagner la vie , celle
d'une femme & de cinq enfans ?
Quand l'avocat eut ceffé de parler , le
Duc de Savoie fe déclara pour lui & dic
qu'il avoit raifon . Attendez , lui repartit
Henri IV , vous ne connoiffez pas encore
toute l'éloquence de nos avocats.
Me Antoine Arnauld qui étoit chargé de
la défenſe de la mère , établit que , lorfque
Proft fut maffacré , Boulanger voyant
qu'il ne rentroit point chez lui , au lieu
d'avertir la mère de l'abſence de fon fils ,
étoit allé prendre fon argent & l'avoit
tranfporté hors de fa maifon ; qu'il avoit
plufieurs fois dénié ce fait à la face de la
juftice , & avec ferment ; que , lorsqu'il
avoit fçu que deux étrangers étoient entrés
dans la chambre du jeune homme ,
& y avoient enfoncé les coffres , il auroit
encore dû avertir la mère ; qu'il ne s'en
étoit difpenfé fans doute que par la crainte
de perdre fon larcin fi les lois condamnent
à la reftitution du quadruple celui
qui a volé ou récelé des chofes volées
dans un naufrage , une incendie , &c.
quelle punition doit - on infliger à celui
qui a volé l'argent de fon hôte affaffiné ?
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Toutes ces circonftances annonçoient que
Proft avoit été tué par quelqu'un qui , inf
truit qu'il avoit reçu de l'argent , vouloit
fe l'approprier. Sa mère pouvoit - elle
mieux s'adreffer qu'à celui qui s'étoit
trouvé faifi de cet argent ? Par arrêt du
lundi 27 Janvier 1600 , Boulanger fut
déclaré abfous du crime , & fur la demande
en dommages & interêts , les parties
furent mifcs hors de cour, fans dépens .
Dans toute autre circonstance , il auroit
été dû des dommages & intérêts à Baulanger;
mais l'argent enlevé & caché prouvoit
une mauvaiſe intention de fa part, &
l'on jugea qu'il avoit mérité la queftion
qu'il avoit fubie. Le Roi & le Duc de
Savoie applaudirent à cet arrêt.
Il ne paroît encore que les deux premiers
volumes de cette collection ; & la
caufe que nous venons de rapporter pour
mieux faire connoître la méthode du rédacteur
est une des plus courtes du premier
volume. La circonftance dans laquelle
cette caufe a été plaidée la rend
encore plus intéreffante qu'elle ne le feroit
par elle - même. Le fecond volume
contient uniquement l'hiſtoire du procès
de la Cadière contre le Père Girard . M.
Richer a fçu apprécier les faits de cette
FEVRIER. 1772 85
taufe fingulière , & il en a fagement écarté
cette teinte de furnaturel & de fortilége
que le défenfeur de la Cadière qui
avoit plus de zèle que de philofophie
avoit cherché à répandre fur une partie
des faits qu'il préfentoit. L'accufation de
magie étoit fans doute bien ridicule ;
mais celle de libertinage ne l'étoit peutêtre
pas moins . L'amour n'étoit pas le
foible de ce Jéfuite qui avoit alors plus
de cinquante ans. Son plus grand crime
fut d'être en bute à une cabale qui ne favoit
point pardonner & d'avoir eu la foibleffe
de prêter l'oreille aux prétendus
miracles de fa pénitente dont la réputation
de fainteté augmentoit celle du directeur.
Auffi le parlement d'Aix jugea
que le feul denouement que l'on devoit
donner à cette fcène ridicule & qui pouvoit
devenir funefte étoit de renvoyer les
parties hors de cour & de procès.
M. Richer fe propofe d'écarter de fa
collection les procès de Marie Stuard ,
ceux de Dom Carlos , de Robert d'Artois
& d'autres femblables que Pitaval ,
qui compiloit par- tout pour groffir fon
recueil , avoit admis fans faire attention
que ces fortes d'événemens fe trouvant
liés à ceux que préfente l'hifloire doivent
être lus uniquement dans les hiftoriens .
86 MERCURE DE FRANCE.
Mémoirefur la meilleure manière de faire
& de gouverner les vins de Provence
foit pour l'ufage , foit pour leur faire
paffer les mers , qui a remporté le
prix , au jugement de l'Académie de
Marfeille , en l'année 1770 , par M.
l'Abbé Rozier , de l'académie royaledes
fciences , beaux arts & belles - lettres
de Villefranche , de la fociété
impériale de phyfique & de botanique,
de Florence , de la fociété économique
de Berne , aflocié à celles de Lyon , de
Limoges & d'Orléans , ancien directeur
de l'Ecole royale de médecine
vétérinaire. A Marſeille , chez F. Bre
bion , imprimeur ; brochure in- 8 °.
Dans la plupart des provinces du
royaume la vigne eft abandonnée à des
vignerons ignorans qui travaillent machinalement
& fuivent de père en fils
une routine aveugle . Auffi ce n'eft point
à eux que ce mémoire s'adreffe directement.
Des expériences multipliées , des
tentatives heureufes , des bevues même ,
voilà leurs livres ; ce font des faits parlant
aux yeux , & les feuls documens qui
leur conviennent ; mais l'homme inf
truit , l'homme éclairé qui eft perfuadé
FEVRIER . 1772 87
que les fciences fe prêtent des fecours
mutuels & néceffaires , lira avec fruit &
même avec intérêt ce mémoire dicté par
un obfervateur intelligent & qui a fçu
s'aider des lumières de la phyfique & de
la chymie pour dérober à la nature une
partie de fes fecrets & améliorer la culture
des vignes.
Le favant Oenologifte , pour mettre
plus d'ordre & de méthode dans fon mémoire
, l'a divifé par chapitres . Il eft
queftion dans le premier & le fecond du
terrein & de l'expofition convenable d'une
vigne & du choix des raifins. Le troiſième
& le quatrième chapitres parlent du
tems le plus convenable pour vendanger,
& des foins néceffaires en mettant le raifin
dans la cuve , & pendant le tems de
la fermentation . Il eft queftion dans le
cinquième chapitre du tems auquel on
doit tirer le vin de la cuve , ainfi que des
moyens d'en connoître le point préfix
avec des expériences fur la chaleur du vin
en fermentation. La manière de tirer le
vin de la cuve , le choix & le rempliffage
des tonneaux forment la matière du
fixième chapitre. L'auteur confeille ici
de conftruire de grands tonneaux ou fou
dres dans des celliers affez fermés pour
88 MERCURE DE FRANCE:
que la gelée n'endommage pas le vin:
« La gelée , ajoute- t- il en note , ne donne
pas au vin une confiftance folide
» comme à l'eau , parce que l'efprit ardent
ne peut gêler . La partie aqueufe
du vin fe condenfe , & fes glaçons font
feuilletés. L'efprit refte dans l'interſtice
» qui fe trouve en eux . Si l'on perce le
» tonneau dans fa partie inférieure , on
» retirera toute l'effence du vin . » Lors
donc que Martin du Bellay dit , en parlant
de l'entrepriſe de Charles V , fur
Luxembourg en 1543 , qu'en ces tems les
gelées furent fifortes , qu'on départoit le
vin de munition à coups de coignée , & ſe
portoit dans des paniers .. On peut croire
que les foldats n'eurent que de l'eau , &
que les vivriers pour fe rechauffer gardèrent
l'efprit ardent .
Le feptième chapitre traite de la conduite
du vin depuis que le tonneau eft
bouché jufqu'en Mars . L'auteur expofe
dans ces deux derniers chapitres , c'est -àdire
dans le huitième & le neuvième ,
l'action de l'air fur le vin , les qualités
qui conftituent une bonne cave , & les
moyens d'y perfectionner le vin , même
avec économie , enfin les foins qu'exigent
les vins deſtinés à paffer la mer , &
FEVRIER. 1772 : 89
les procédés les plus faciles pour connoître
quand un vin tend à l'acidité ou à la
pouffe , afin de ne pas en rifquer le tranfport.
On ne fait pas toujours attention lorfque
l'on fait choix d'une cave de prendre
garde qu'elle ne foit placée près d'un
chemin , d'une rue fréquentée par des
voitures , ou près de l'attelier d'un charpentier
, d'un forgeron , &c. cependant
les fecouffes réiterées que les tonneaux
éprouvent , ne permettent jamais à la liqueur
de s'éclaircir , la tiennent dans une
agitation continuelle qui augmente la
fermentation infenfible , & accélère la
décompofition par une recombinaiſon
perpétuelle de la lie dans le vin . L'auteur
cite ici deux exemples des inconvéniens
que peut procurer le local de la cave
& qu'il a lui- même éprouvés. Des forgerons
demeuroient au rez - de chauffée de la
maifon voifine de la fienne. Les coups
qu'ils frappoient fans ceffe fur leur enclame
répondoient à fa cave , & le vin n'a
jamais été clair , quoique foutiré avant
d'être envoyé à la ville. La cave que M.
R. a dans la maifon où il demeure actuellement
, eft placée directement fous
l'allée par où chaque jour la voiture entre
90 MERCURE DE FRANCE.
& fort , & l'inconvénient eft encore plus
grand , parce que les ébranlemens font
plus directs ; ce qui l'a obligé de fe procurer
une autre cave dans une fituation
plus tranquille.
Les autres qualités requifes pour la
bonté d'une cave font qu'elle foit profonde
; le vin y étant moins fujet aux ofcillations
& aux variations de l'air , fe perfectionnera
plus facilement. Tout le
monde fçait qu'une cave humide gâte let
vin & abîme les tonneaux . Une cave ne
peut donc être trop féche . Si d'ailleurs la
voûte en eft élevée , l'air y fera moins
meurtrier. Il est encore bon que les jours
ou foupiraux foient placés du côté du
Nord & éloignés des murs ou de tels ob
jets capables de réfléchir la chaleur du
foleil. Il feroit même à- propos que ces
foupiraux fuffent fermés par des abatsjour.
C'eft la cave qui fait le vin , fuivant
un vieux proverbe , qui eft vrai malgré
fa généralité . On ne veut cependant point
dire ici qu'une bonne cave donnera une
qualité fupérieure à un vin plat & foible ,
mais qu'elle rendra ce vin meilleur qu'un
autre vin de même efpèce placé dans une
cave ordinaire .
Les autres obfervations de l'habile Oc
FEVRIER. 1772. 9 ་
nologifte doivent être lues dans fon mémoir
même dont les principes font appli
cables à tous les pays de vignoble.
Le phyficien , le naturalifte & tous
ceux qui s'intéreffent aux progrès des
fciences & des arts applaudiront également
aux obfervations fur la phyfique , fur
l'hiftoire naturelle & fur les arts que M.
l'Abbé Rozier continue de publier tous
les mois , & dont le fixième volume vient
de paroître à Paris , chez Lejai , libraire ,
rue St Jacques , au- deffus de la rue des
Mathurins.
Le droit commun de la France , & la
Coutumede Paris, réduits en principes ,
tirés des loix , des ordonnances , des
arrêts, des jurisconfultes & des auteurs,
& mis dans l'ordre d'un commentaire
complet & méthodique fur cette Coutume
; contenant dans cet ordre , les
ufages du Châtelet fur les liquidations ,
les comptes , les partages , les fubftitutions
, les dixmes , & toutes autres inatieres
. Nouvelle édition , confidérablement
augmentée , par feu Me François
Bourjon , ancien avocat au Parlement
; revue , corrigée , & auffi augmentée
d'un grand nombre de notes.
92 MERCURE DE FRANCE:
2 v. in fol. br. en carton 48 1. A Paris ,
chez Grangé , Imprimeur Libraire
au Cabinet Littéraire , Pont Notre-
Dame , près la pompe. Chez Cellot ,
Imprimeur Libraire , rue Dauphine ,
& à l'Ecu de France , grand'Salle du
Palais . Et chez Lacombe , Libraire ,
rue Chriftine .
Cette nouvelle édition d'un ouvrage
important long- tems demandé , & enfin
complet , ne laiffe rien à defirer . Aucun
livre n'offre un tableau plas fuivi & plus
intéreffant des loir civiles de la France.
Toutes les queftions s'y trouvent ame
nées dans un ordre naturel , & décidées
par les autorités des tribunaux , & par les
termes de la loi . Les difficultés y font
même prefqu'entièrement prévues par les
conféquences qui dérivent des principes
pofés & développés, dont la réunion & la
progreffion méthodique répandent un
grand jour dans le dédale de la juriſprudence.
L'auteur a fait mention des jugey
mens rendus depuis la première édition :
& de nouvelles recherches l'ont mis en
état de l'enrichir de cinq à fix mille citations
qu'il avoit d'abord négligées. Elles
l'ont auffi conduit à traiter plus à fond
FEVRIER. 1772 93
la matière des Dixmes , fur laquelle il
avoit paffé rapidement , & à rendre le
titre des fubftitutions conforme à la nouvelle
Ordonnance .
La première édition de cet ouvrage
n'avoit pas été exempte de critique.
» D'un côté , difent les Editeurs , on a
prétendu que c'étoit une compilation
» fans ordre & approchant du plagianif
» me , & de l'autre on a trouvé qu'il pé-
» choit par le défaut de citation des au-
» torités dans lesquelles les principes
avoient été puifés. M. Bourjon , loin
» de s'offenfer de la critique , a tâché de
» mettre à profit les reproches qu'une
efpéce de reconnoiffance fembloit de-
» voir lui épargner , & préférant le plai-
» fir fatisfaifant qui l'avoit fait agir , à
» tout autre avantage , il s'eft appliqué ,
» par de nouveaux travaux , à perfection-
» ner fon ouvrage , perfuadé que les Sa-
» vans auroient l'indulgence de lui paffer
» des explications inutiles à la vérité pour
" eux , mais qui peuvent être très nécef-
" faires à ceux qui font moins verfés dans
» l'étude de la jurisprudence. Ainfi , en
» réuniflant un grand nombre de propo
» fitions qui pouvoient le réunir , il 2
» ajouté toutes les autres ce qui pou94
MERCURE DE FRANCE:
voit les rendre plus claires , plus intel
ligibles & plus folidement établies ».
Ces augmentations , qui forment dans
l'édition que nous annonçons , plus d'un
tiers de l'ouvrage , en font un corps trèscomplet
& très- convenablement lié fur
la jurisprudence coutumière. Il eft à regretter
qu'une mort prématurée ait empêché
M. Bourjon d'offrir lui - même au
Public le fruit de fes travaux . Les Editeurs
affurent avoir entièrement fuivi fon
plan ; ils y ont feulement ajouté plufieurs
arrêts intéreffans & relatifs aux matières
qui ont été rendus depuis fon décès , avec
quelques notes qui ont paru néceffaires.
Le corps de l'ouvrage eft précédé d'une
differtation fur l'union du droit commun
de la France avec la coutume de Paris ,
contenant le plan de ce Commentaire.
Elle eft divifée en deux parties ; dans la
première l'Auteur examine la néceffité de
cette union , & ce qui avoit pu nous en
éloigner. Dans la feconde , il examine
l'ordre & l'arrangement qu'elle doit
avoir ; & il entreprend de démontrer
l'utilité de la précifion dans l'étude de la
Jurifprudence.
FEVRIER . 1772 25
L'Obfervateur François à Londres , ou
Lettres fur l'état préfent de l'Angleterre
, relativement à fes forces , à fon
commerce & à fes moeurs ; avec des
notes fur les papiers anglois , & des
remarques hiftoriques , critiques & politiques
de l'éditeur.
Felix qui potuit rerum cognofcere cauías !
VIRG. Georg.
Quatrième année. A Paris , chez P. F.
Gueffier , au bas de la rue de la Harpe,
à la Liberté.
La quatrième année de l'Obfervateur
François à Londres , a commencé le premier
Janvier 1772 ; ou diftribue un numéro
tous les quinze jours ; ces 24 numéros
compoferont huit volumes , pour
lefquels les Soufcripteurs de Paris payeront
d'avance 30 liv. & ceux de province
36 liv.au moyen de quoi ils les recevront
chez eux francs de port.
On continuera à foufcrire pour l'Obfer
vateur chez Gueffier , libraire , au bas de
la rue de la Harpe , chez lequel on trouvera
auffi des années complettes des trois
premières années , foit broc . foit reliées.
Les étrangers qui voudronr foufcrire ,
16 MERCURE DE FRANCE.
font priés d'indiquer un correfpondant à
Paris , auquel chaque numéro fera remis ,
ou bien on le fera pafler , foit au port ,
foit à la ville frontière de France qu'il
leur plaita choifir.
L'accueil que le Public a bien voulu
faire jufqu'à préfent à cet ouvrage , a dé
terminé l'auteur à fe procurer des mémoi
res fur le commerce , les moeurs , les forcès
, le gouvernement & l'état des lettres
des différens pays de l'Europe , qui
ont quelque relation avec l'Angleterre ,
dont il continuera à parler , comme il a
fait jafqu'à préfent. Mais il croit devoir
en même tems communiquer fes obfervations
& fes réflexions fur tous les autres
pays de l'Europe , qui ont avec elle
quelques relations , ou d'intérêts , ou de
commerce. Ce qu'il dit dans les 12 numéros
de la troisième année , de la Pologne
, de la Ruflie & de la Suéde , &c.
donnera une idée du plan qu'il s'eft formé
à cet égard. L'article des arts utiles de
l'Angleterre & des autres pays fera dans
la fuite traité avec beaucoup plus de foin
& d'étendue. Il s'eft procuré pour cet effet
nombre de plans , de deffins & d'inftrumens
utiles dont il fe propofe d'enrichir
fon ouvrage ; il a établi une corref
pondance
FEVRIER. 1772. 97
pondance fuivie pour être inftruit de toutes
les découvertes qui fe feront dans les
différens pays de l'Europe. Pour donner
plus de variété à cet ouvrage , chaque numéro
fera compofé de façon qu'il renfermera
des obfervatlons politiques , littéraires
, morales & philofophiques . Il aura
auffi une attention particulière à faire
connoître tous les grands hommes qui fe
font diftingués dans les arts & dans les
fciences , les grands miniftres & les guerriers
célèbres de chaque Nation. Ainfi
l'Obfervateur François à Londres fera
tout-à-la fois le Journal de la Politique ,
de la Littérature , des Moeurs & de la philofophie
de l'Europe , en en exceptant
cependant la France.
Cette exception ne fçauroit être condamnée
, fi l'on enviſage qu'il y auroit
de la témérité , dit l'Obfervateur , de parler
de la littérature françoife après les bons
Journaux qui en font leur objet principal.
Le premier volume de ce Journal qui
paroît , traite des affaires de l'Angleterre ;
on y trouve un extrait de la tragédie du
Douaire fatal de Maflinger ; une lettre
fur la Sardaigne , & fur l'excellence de fa
légiflation ; des obfervations fur le com
merce d'Afrique ; des vues fur la Pologne;
E
90 MERCURE DE FRANCE.
un traité des loix de l'Angleterre ; des
mémoires fur Richard Cumberland . Tous
ces objets affectent différemment les lecteurs
fuivant leur goût & leur connoiffance
; mais nous nous arrêterons particulièrement
à ces traits de bienfaiſance
qui font en poffeffion de plaire à tous ceux
qui ont un coeur fenfible.
" Il est des hommes qui ne devroient
jamais mourir , dont il feroit jufte d'allonger
la vie de tous les jours de ces être
inutiles qui font le fardeau de la terre
qui les porte , le fléau de la fociété qui
les fouffre , & la honte de leur nation .
La mort de M. Helvétius doit affliger &
contrifter l'humanité qu'il fervoit. La
république des lettres perd en lui un de
fes ornemens. Il vécut en fage , foulagea
le malheureux & le laiffa ignorer. Il fut
riche & méprifa le faſte , connut l'économie
& fut prodigue pour le pauvre. Les
Anglois l'eftimoient autant qu'il étoit
aimé de ceux qui le connoiffoient particulièrement.
On fait ici qu'on a trouvé
après fa mort un état de quinze familles
qu'il faifoit fubfifter. « Qui a été fi bienfaifant
, ( 1 ) difent les Anglois , a dû
(1) M. Helvétius étoit ami de feu M. de MariFEVRIER.
1772. 99
» être un bon père , un bon mari , un bon
» maître , un bon citoyen . » Un de fes
amis ( 1 ) s'eft fait un honneur infini par
le tribut public de reconnoillance qu'il
payé à fa mémoire. Voici comme il s'ex
prime :
O comment exprimer tout ce que j'ai perdu !
C'eft toi , qui me cherchant au fein de l'infor
tune ,
Relevas mon fort abatu ,
Et fçus me rendre chère une vie importune .
Quand un grand vient à mourir , la flatterie
entoure fon tombeau . On paye par
intérêt un tribut d'eloges à fa mémoire ,
qui eft tout pour la vanité de fes defcendans.
On écarte fes vices & on leur fubftitue
des vertus qu'ils n'eut jamais. On
trompe la postérité comme il avoit trom
vaux : tant que vécut ce dernier , il reçur de M.
Helvétius tous les ans 3000 liv. & c'eft depuis la
mort de M. Helvétius qu'on l'a fçu .
(1 ) Lorfque M. Helvétius fe maria , il fut
trouver cet ami ; jufqu'à préfent , lui dit- il , ma
bourle a été la vôtre ; je me marie , je ne fçais ce
qui peut arriver , trouvez bon que je vous affure
1500 liv . de rente , & lui remit un contrat de cette
Lomme.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
pé fes contemporains par la faufferé & le
menfonge . J'aime cet Anglois qui , affiftant
à l'orailon funèbre d'un lord , dit à
l'orateur : Dis moi qu'on a pleuré fa mort,
&je te croirai.
Quand le Ciel dans fon courroux ravira
aux habitans du village de Navarre
leur bon maître ; leurs fanglots , leurs gé
miffemens peindront mieux fes vertus
que toute l'éloquence , quelqu'énergique
qu'elle foit , de l'orateur chargé de faire
fon oraifon funèbre . Ce qu'il vient de
faire en faveur de fes vaffaux eft mille
fois plus grand , vû les préjugés reçus ,
que les grandes actions de fes ancêtres .
Les Anglois , qui en ont été inftruits par
les papiers publics , ne conçoivent pas
comment un grand Seigneur François
& patriotique , foit affez peu curieux de
fon droit de chatfe pour ordonner la deftruction
de fon gibier , & empêcher parlà
le ravage des terres de fes vaffaux. On
a trouvé ici cette action admirable , &
fur-tout l'emploi qu'on a fait des 1 100 liv.
qu'a produit la vente du gibier qu'on a tué,
pour payer la taille des malheureux dont
les terres avoient été ravagées par ce gibier.
Les Anglois , tout amis de l'humanité
qu'ils font , ne peuvent pas citer une ac
tion qui foit comparable à celle de M. le
FEVRIER . 1772. for
Duc de Bouillon . Leur paffion pour la
chaffe les rend fouvent injuftes à l'égard
de leurs vaffaux . Autrefois ils étoient
cruels lorfqu'il s'agilloit de venger la
mort d'un de leurs lapins. Leurs loix fur
ce point font auffi tyranniques que l'ancienne
loi des Bourguignons qui vouloit
que celui qui avoit volé un épervier ,
payât une amende de huit fols d'or , ou
fe laifsât manger par l'oifeau fix onces de
chair fur l'eftomac. Cette loi me rappelle
celle contre le voleur d'un chien. Ce
voleur étoit obligé de baifer publiquement
le chien au derriere , ou de payer
fept écus d'or au maître du chien .
Pendant que cela fe paffoit en France
Impératrice de Ruffie déclaroir qu'elle
fe chargeoit du foin de faire élever & de
pourvoir à la fubfiftance des pauvres enfans
de Moscou dont les parens avoient
été enlevés par la pefte. Dans le même
tems on ouvroit à Vienne une fouscription
pour le foulagement des pauvres .
Elle fut fignée par les plus grands Seigneurs
de l'Allemagne , dont quelquesuns
pour mille florins. Si le produit de
cette fouscription ne fuffit pas , l'Empereur
fournira le furplus . C'est par de femblables
actions que les Princes s'immor
E iij
162 MERCURE DE FRANCE.
talifent , qu'ils font idolâtrés de leur peu
ple , & l'objet du respect du monde entier
. Deux particuliers d'Angleterre viennent
de faire , en mourant , un acte de
bienfaifance d'autant plus admirable qu'il
eft tout à -la- fois utile aux particuliers &
au Public.
L'un , nommé le Chevalier Jean Langham
, a légué pour vingt- cinq foldats &
autant de matelots , une fomme qui doit
être diftribuée à ceux de ces états qui font
dans le befoin , & qui ne font pas penfionnés
par les hôpitaux de Greenvich &
de Chelfea . Chacun d'eux aura quatre
livres sterling , & ce font les Aldermans
de la cité de Londres , qui font chargés
de faire la diftribution de ce legs charitable
& pattiotique.
L'autre eft un fimple particulier de
Londres , nommé Wilfon. Il a laiffé par
fon teftament une fomme de 20 , 000 l.
fterl . deftinée à être diftribuée à titre de
prêt à vingt jeunes négocians établis &
domiciliés depuis deux ans dans la ville
& cité de Londres. Les intérêts des fommes
prêtées doivent être payés tous les
fix mois au bureau du Chambellan : & fi
le débiteur vient à mourir , les fonds feront
auffi-tôt retirés de la fucceffion &
FEVRIER. 1772. 103
diftribués à quelques autres marchands
aux mêmes conditions.
>
Recueils des Mémoires & d'Obfervations
fur la perfeftibilité de l'homme ; par les
Agens phyfiques & moraux. Par M.
Verdier , docteur en médecine , confeiller-
médecin ordinaire du feu roi
de Pologne , agrégé honoraire du collège
royal des médecins de Nancy
&c. Prix broché , 24 fols. A Paris chez
l'auteur rue Poiffonniere , à la feconde
barrière Sainte Anne , & chez Butard
Imprimeur-Libraire rue Saint Jacques ,
Guillyn Libraire quai des Auguftins
Lacombe Libraire rue Chriftine. 1772 .
Avec approbation & permiffion.
Platon regardoit la médecine de fon
temps comme un art aufli préjudiciable
aux particuliers qu'à la fociété en général
; il auroit voulu que les hommes euffent
préféré une mort prompte,à la ſanté,,
lorfqu'ils ne pouvoient l'obtenir , que
par un régime long - temps continué ; &
cependant Platon a été regardé lui -même
comme un médecin , par les hiftoriens
de l'art dont il a voulu proferire
l'ufage . Defcartes , au contraire , dit dans
E iv
104 MERCURE DE FRANCE :
fa méthode que l'efprit dépend tellement
du tempéramment & de la difpofition des
organes du corps , que s'il y a des moyens
de rendre les hommes plus fages & plus ſpirituels
qu'ils ne l'ont étéjufqu'à ce jour ;
il croit que c'eft dans la médecine qu'ilfaut
Les chercher , & cependant il eft peu de
philofophes qui ayent moins emprunté
des théories des médecins que Defcartes ;
il femble même qu'il ait pris à tâche
d'établir fes idées innées fur les ruines
de la théorie que les médecins & les
anciens philofophes avoient établie fur
les fens. Un autre philofophe moderne
a déclamé avec autant de force que
Platon contre la médecine & les médecins
, & il a emprunté d'eux prefque toute
fa doctrine fur l'éducatton phyfique &
morale .
M, Verdier prenant le paffage précédent
de Deſcartes pour épigraphe , femble
, par l'ufage qu'il en fait , vouloir lever
toutes ces contradictions. » Regardant.
» l'art de l'éducation , tel qu'il eft actuellement
, comme un embrion conçu dans
» le fein de la médecine économique des
» anciens ; fon but eft de fe fervir des fe-
» cours de la médecine plus perfectionnée
» de nos jours , pour " le faire reconnoître
FEVRIER. 1772. 105
»
»& le mettre entre les mains de ſes maî-
» tres , afin qu'ils puiffent l'élever & le
» nourrir. Il eft dans la nature des loix
qui mettent l'homme en commerce avec
toutes les productions , & avec les inventions
des arts , & fouvent on donne
le , nom de médecine à la collection de
ces loix. Tous les philofophes fe flattent
de les confulter lorfqu'ils entreprennent
d'établir les règles de l'art de l'éducation
& de la morale . Ils font tous d'accord fur
ce point , mais le plus fouvent ils diffèrent
par les notions qu'ils fe forment
de la nature & plus encore par
les fignes dont ils fe fervent pour rendre
leurs idées . M. Verdier femble devoir
prévenir les écarts de l'imagination & l'abus
des termes , en rappellant les inftituteurs
& les moraliftes à l'obfervation
des phénomènes de l'économie phy
que & morale .
•
Tout occupé de cet objet depuis vingt
années , il femble y avoir toujours dirigé
fes vues dans fes études & fa pratique
de médecine. La brochure que nous annonçons
fait voir dans une efpèce de
perfpective les réfléxions , les obfervations
& les découvertes qu'il croit avoir
faites. Ce n'eft pas un nouveau plan d'éducation
qu'il préfente au public ; il la
Ev
io MERCURE DE FRANCE. 106
confidère comme l'objet d'un art par-
» ticulier qui fe propose la perfection
des facultés corporelles & fpirituelles ;
» la confervation de la fanté du corps &
» de l'efprit , par le concours du régime
"
phyfique & morale . Il né berne pas fes
»vues aux premiers âges de la vie. L'hom
» me condamné à une viciffitude perpétuelle
, eft plus ou moins fufceptible
»de perfection & de correction jufqu'au
» tombeau..... L'art de l'éducation eft
»auffi bien l'art d'en corriger une mauvai .
»fe , que celui d'en établir une bonne
»comme la médecine eft auffi bien l'art
» de réparer les fautes d'un traite-
»ment mal entendu , que celui d'en
» approprier un à la maladie qu'on fe
» propofe de guérir. » Il borne enfuite la
notion du mot morale à l'art de faire naître
& de corriger les moeurs , c'est à- dire ,
les paffions & les habitudes des hommes.
M. Verdier prend l'éducation & la
morale dans leur origine & il en pour
fuit les progrès chez tous les anciens
peuples ; il s'attache enfuire à faire voir
que chez les différens peuplee l'art de
l'éducation & de la morale a eu des fuccès
proportionnés au foin qu'ils prenoient
d'en faire l'application aux facultés , au
empéramment , au génie & au caractère
FEVRIER . 1772. 107
de chaque fujet. C'eft en exerçant cet art
fur autant de particuliers qu'il y avoit
d'élèves , que les inftituteurs d'Athènes
& de Rome ont produit les plus grands
hommes dont l'hiftoire faffe mention.
La manière d'exercer l'art de l'éducation
& de la morale peut feule assûrer lesfuccès.
des moyens employés pour former & perfectionner
l'homme. Etudier par l'obfervation
& l'expérience , le degré de perfection
dont fes facultés font fufceptibles
, les vices qui les en éloignent &
Fefficacité des agens qu'on employe pour
les exercer ; voilà le premier travail qu'on
doit fe propofer pour renouveller l'art. Il
fait appercevoir les différens objets de ce
genre d'obfervation . En réuniffant les
nouvelles expériences qu'on pourroit
faire à celles qu'on a faites dans tous
les tems , on pourroit établir des théories
certaines & préciſes fur les différences , les
caufes , les effets , les fignes , les vices &
les indications des fonctions phyfiques
& morales , ainfi que fur les moyens
propres à les perfectionner & à corriger
leurs vices , enfin fur les méthodes d'adminiftrer
tous les agens qui peuvent
porter des impreffions fur le corps &
fur l'efprit . Ces théories pourroient
devenir utilement la matière d'un en-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
feignement particulier , & l'auteur tâ
che de faire voir combien l'enfeignement
général des fciences qui peut fuffire au
citoyen , est infuffifant pour former un
inftituteur.
M. Verdier promet d'étendre fes idées
dans d'autres recueils qui fuivront celuici
.
Ainfi M. Verdier s'ouvre & aux inftituteurs
& moraliftes une carrière des plus
vaftes . Pour la parcourir il defire y trouver
des coopérateurs. Il demande des lumières
& même des critiques à ceux qui
auront autant de zèle que lui pour le renouvellement
d'un art auffi utile : nous
ne doutons pas qu'il ne trouve , en effet ,
bientôt des unes & des autres . Il s'élèvera
fans doute parmi les maîtres d'éducation
des efprits philofophiques qui réuniront
leurs travaux aux fiens ; il fe trouvera
des parens
zélés pour la perfection de
leurs enfans qui préféreront l'art à la rou
tine.
Les Sacrifices de l'Amour , ou Lettres de
la Vicomteffe de Senanges au Chevalier
de Verfenay , 2 vol . in- 8° . par M. Dorat.
A Paris , chez Delalain , libraire ,
rue de la Comédie Françoife.
FEVRIER. 1772. 109
L'Auteur donne d'abord fes idées fur
les Romans. « Ce ne feroit pas , com-
» me il l'obſerve , une entrepriſe indigne
d'un homme de goût de jetter un
coup d'oeil fur les variations arrivées
» dans le genre de nos Romans , & de
» marquer , en fuivant cette chaîne inté-
» reffante , les nuances du caractère na-
» tional , les altérations qu'il a ſouffer-
» tes , les influences refpectives des
» moeurs fur les écrits , des écrits fur les
» moeurs , les progrès , les révolutions &
» la décadence de notre galanterie ». Il
paffe rapidement en revue & caractériſe
les divers Romans nationaux ou étrangers
: quant au fien , fon but a été d'y
prouver d'un côté qu'une femme qui ai
me peut remplir tous les devoirs qui contratient
fa paffion , & n'en être que plus
intéreffante ; de l'autre qu'il n'y a point
de facrifice que cette femme ne puifle
obtenir de l'homme le plus amoureux ,
s'il eft vraiment digne d'être aimé.
"
Le Chevalier de Verfeñay n'a pu fe
défendre d'aimer la Vicomteffe de Senanges.
Il fe fait préfenter chez elle , &
ne tarde à lui déclarer fa paffion , que
pas
Madame de Senanges combat . « Comment
, lui dit- elle , ne pas préférer
110 MERCURE DE FRANCE.
» l'amitié à l'amour ? Son charme eſt pur,
il ne doit rien à l'illufion , ne tient
"
point au caprice , l'eftime en forme
» les liens , le tems les refferre , jamais
» aucun remords n'en trouble la douceur.
» Les femmes , ajoute- t- elle , ont à
» craindre , en aimant , non - feulement
» l'indifcrétion , l'inconſtance d'un ſeul,
» mais encore le blâme de tous ».
Cependant Madame de Senanges va
à la campagne
; elle fair part au Chevalier
de fes amuſemens , & n'oublie pas de
lui parler de la Marquife d'Ercy , dont
elle a reçu la vifite , avec qui , « écrit-
» elle , on dit que vous êtes extrêmement
» bien. L'entretien eft tombé fur vous ,
» vous devez être content , Monfieur
très content de l'intérêt avec lequel
» elle en a parlé. J'ai cru vous plaire en
» ne vous le laiffant pas ignorer. Il y a
» toute apparence que vous obtiendrez la
place qu'elle follicite pour vous à la
» Cour. Je vous en fais mon compli-
» ment , ainfi que de votre conftance.
» Elle augmente la bonne opinion que
j'avois de cette Dame , & l'eftime que
» j'ai pour vous ».
Le Chevalier protefte qu'il n'a confervé
de tous les fentimens que la recon
FEVRIER . 1772. III
conle
hoiffance , & que fon coeur est tout à Ia
belle Vicomteffe . Le Baron de **
fident des amours du Chevalier
félicite de s'être dégagé des fers de la
Marquife d'Ercy , femme impérieuſe ,
& ce qu'on appelle une de ces femmes
d'affaires , qui ont leur cabinet
d'étude , ainfi que leur boudoir , qui raifonnentfur
tout , fe jettent à corps perdu
dans la politique, & rêvent effentiellement,
en faifant des nauds , aux abus de l'admi
niftration. Il lui parle de Madame de Senanges
, fille d'un Militaire diftingué
qui l'aimoit avec tendreffe , mais qui féduit
par le rang du Vicomte de Senanges ,
la força de l'époufer , caufa l'infortune de
fa fille , & mourut de chagrin. Elle
n'avoit pas quatorze ans , & fon mari en
avoit déjà cinquante- cinq. Comme M. de
Senanges paffe la moitié de fa vie dans
fon gouvernement , il en trace le portrait
à fon ami. C'eft un homme dur ,
jaloux , violent , & le tyran de fa femme
, qui a enfin obtenu fa féparation &
la liberté de vivre chez M. de Valois
fon oncle , avec une penfion affez modique.
Madame de Senanges eft aguerrie
contre l'amour par tout ce qu'elle a ſouffert
, & par fes réflexions. Elle # propres
12 MERCURE DE FRANCE .
fut trop long tems affujettie pour ne pas
trouver le bonheur dans les charmes de ,
l'indépendance . Il confeille à fon ami
d'abandonner le projet de toucher ſon
coeur paifible , de faire le malheur d'une
femme eftimable, en troublant fon repos ,
en l'expofant à la malignité de la Marquife
d'Ercy, & à lajaloufie cruelle de fon mari.
La Marquife d'Ercy écrit au Chevalier
pour fe plaindre de fon abfence ; elle lui
trace avec les traits de la fatyre les femmes
avec qui elle eft à la campagne ; elle
raconte , entr'autres , la crainte ridicule
do la Baronne de *** , eſcortée de fon
éternel époux qui a l'air de rouler quand il
marche. La Baronne encore toute effrayée
d'avoir vu à la chaffe un fanglier s'ap
procher de fa caleche , crut revoir ce farieux
animal , & jetta des cris exéctables ,
lorfque le gros Baron s'avila de s'approcher
d'elle , comme elle avoit le dos
tourné . Elle promet de ne pas oublier le
Chevalier dans un travail qu'elle va
avoir avec un homme fort accrédité. Elle
lui parle avec mépris de la Vicointelle de
Senanges , & lui recommande de l'humilier,
s'il la rencontre. Le Chevalier en
eft bien éloigné ; il s'enflamme par la
lectare de fes lettres & par le charme de
FEVRIER. 1772. 13
fa converfation , où Madame de Senanges
développe une ame ſenſible , un coeur
tendre , un efprit délicat. La Vicomteffe
fe plaint du deffein qu'a le Chevalier d'aller
en Angleterre , & fa tendre inquié
tude eft la première faveur dont il fe
félicite. Mais il eft bientôt alarmé de
la lettre que Madame de Senanges lui
écrit fur fon attachement avec la Marquife
d'Ercy , dont elle a fu tous les détails
, fur le refus qu'elle fait de le recevoir
chez elle & de répondre à fes billets,
enfin fur les vifites fréquentes du Marquis
de **. Ce Marquis rit le premier de
fa conduite légère & de fon inconftance
avec les femmes ; « Une de fes folies ,
» dit-il , c'eft de faire faire aux femmes
des chofes extraordinaires ; il n'y en a
"pas qu'en les prenant dans un certain
fens , on n'amene au dernier période
de l'extravagance , & quand il s'agit
» de fe diftinguer par quelque bonne fingularité
, les plus réfervées deviennent
intrépides ». Il raconte en effet quelques-
unes de fes aventures bien rifibles;
il veut badiner auffi de l'air prude de Madame
de Senanges ; mais le Chevalier
n'entend pas raillerie fur l'objet de fa
paffion , & impoſe filence à l'indifcret
"
»
»
"
"3
114 MERCURE DE FRANCE.
Marquis. Ce dernier eft congédié par
Madame de Senanges : il s'attache à
Madame d'Ercy , dont il ne tarde pas à
connoître les ridicules , qu'il raconte
gaîment. Il y a dans ce Roman beaucoup
de lettres defcriptives des caractères , des
perfonnages & des événemens de fociété.
Madame de Senanges ne peut enfin fe
défendré d'aimer & d'accorder un rendezvous
à fon amant. L'amour & le hafard
introduisent le Chevalier dans l'appartement
de la Vicomteffe , lorfqu'elle eft
endormie . Sa témérité bientôt réprimée,
mais offenfante , excite la jutte indignation
de la Vicomteffe : elle fuit dans fa
terre , elle cache fa retraite , & n'en fort
que pour voler au fecours de M. de Vafois
fon oncle , qui eft en danger de perdre
la vie. Elle revoit le Chevalier de
Verfenay chez une amie , elle est touchée
de fon défefpoir. « Chevalier , lui
» dit- elle , je vous pardonne : c'eft dé-
» clarer affez que je vous aime ; je vous
» en renouvelle l'aveu , & j'en fais le
ferment entre les mains de mon amie;
mais elle recevra le vôtre , & je l'exi-
» ge en fa préſence , que vous refpecte-
>> rez mes devoirs , mes principes , le
>> neud fatal qui me lie. L'amitié fera
FEVRIER. 1772. 115
témoin de vos promefles , l'honneur
» en fera le fceau , l'amour la récom-
» penfe , & fi vous y manquez , vous
» blefferez à la fois l'amour , l'honneur
» & l'amitié ». Le bonheur de ces deux
amans eft bientôr troublé par l'amour &
par la jalousie qui fe rallument avec fureur
dans le coeur du Vicomte de Senanges.
Le refús que fait fa femme de s'affujettir
de nouveau au cruel tyran de fa vie , l'irrite
; il attend le Chevalier dont il eſt
jaloux , l'attaque & le bleffe légèrement.
Il obtient un ordre & fait enfermer la
Vicomreffe de Senanges dans un Cou
vent. Le Chevalier trouve encore le
moyen de la voir , de lui écrire , de recevoir
fes lettres . Elle eft cependant effrayée
du long filence de fon amant , &
de la nouvelle de fon mariage avec une
riche héritière. Mais le Chevalier a été
dangereufement malade , & c'est avec
joie qu'elle apprend fa convalefcence , &
le refus qu'il a fait de la fortune qui lui
étoit offerte. Le Vicomte de Senanges
meurt d'une chûte à la chaffe , & fes
dernières paroles font pour exprimer fes
torts & pour blâmer fa conduite envers fa
femme . Enfin Mde de Senanges, libre de
difpofer de fa main , donne encore deux
116 MERCURE DE FRANCE.
ans à fon deuil , & après ces deux fiè
cles écoulés, l'himen unit des coeurs déjà
liés par l'amour le plus tendre & le plus
conftant. Telle eft la marche de ce Roman
dont il faudroit beaucoup citer pour
faire connoître ce qu'il y a d'agréable ,
d'ingénieux & de bien fenti.
Lettres d'une Chanoineffe de Lisbonne à
Melcour , Officier François , fuivies de
l'Epître intitulée ma Philofophie , & de
quelques Poëties fugitives , feconde Edition
; à Paris, chez Delalain , rue de la Comédie
Françoife , in 8 ° . Ce recueil fait
fuite de la belle collection des OEuvres de
M. Dorat . Les Lettres d'une Chanoineffe ,
imitées des fameufes Lettres d'une Chanoineffe
Portugaife , font très connues ;
les autres pièces font ma Philofophie, des
Idylles pour S. Cyr, la lettre en profe d'un
Philofophe , où le Poëme de M. le
Mierre fur la Peinture eft fingulièrement
exalté ; & la lettre d'un Curé où le Drame
de Melanie eft extraordinairement
déprifé.
Almanach des Mufes , ou choix des poëfies
fugitives de 1771. A Paris , chez Delalain
, libraire , rue de la Comédie
Françoife. 1772.
FEVRIER. 1772 117
Ce recueil de vers eft agréable ; mais
on defireroit que l'éditeur fupprimât ſes
notes & fes jugemens. C'eft un ridicule.
que de vouloir déterminer & fixer le
goût du lecteur par un mot tranchant ;
& c'est lui fuppofer trop peu d'efprit ,
que de l'avertir de ce qui eft bon ou mauvais
, quand il a la pièce entiere fous les
yeux.
Requête à Meffieurs de la Société d'Agriculture
, par M. de la Condamine.
AIR : Ne vld- t-il pas que j'aime.
* Saváns promoteurs des moiflons ,
Oavrez-moi votre temple ,
Non pour y donner des leçons ,
Mais pour fervir d'exemple.
J'avois des nerfs ; je n'en ai plus ;
Mais je végéte encore ;
Adieu l'Amour , adieu Vénus ,
Je ne tiens plus qu'à Flore,
Je fus un grand agriculteur
De vingt ans à cinquante :
NB. * L'Ariftarque de cet almanach a changé
ce vers en celui -ci qui n'a pas de ſens.
Savans protecteurs des Maçons.
118 MERCURE DE FRANCE;
Aujourd'hui de cultivateur
Je fuis devenu plante.
Mais plante des lointains pays ,
Délicate, étrangère ,
A qui l'on accorde à Paris
Les honneurs de la ferre.
Là, plus choyé que le jasmin ,'
Que le lys & la roſe ,
De bouillon , de fucre & de vin ,'
Tour-à- tour on m'arrofe.
Si j'en crois mes deux jardiniers
Qui gâtent leur élève ,
Des zéphirs les airs printanniers
Ranimeront ma féve.
Je n'oferois ajouter foi
A ce flatteur oracle ;
Et je n'attends pas que pour moi
Le Ciel fafle un miracle.
Pour les fleurs il n'eft qu'un printems ,
J'ai paffè mon automne ;
Un arbre dure plus longttems ,
Mais enfin le couronne.
* Pourquoi l'éditeur a- t- il mis fe confomme ,
perme oifif qui ne rime pas avec automne, au lieu
• 1772 123
Destagr
Caix
Quatrain
de
tra
rendre
hom
ans les langues
› Correfpondans
ette Gazette delépôt
général des
la littérature , &
précieux que l'on
her & de confulter.
de donner l'extrait
teur dit tout ce qu'il
rien de ce qu'il faut
avec foin les traits ou
euvent plaire & intés
vu arrofer de pleurs
la perte que les lettres
dans la perfonne de M.
onoroit l'humanité par
bienfaits , comme il ho
es par fon génie.
pareillement aux Deux-
Gazette , pour les événeque
les hommes de lettres
ni les Gazettes, étrangères,
l'intérêt du ſtyle , & par
s faits & des réflexions.
coute 36 liv. Elle est égaofée
de deux feuilles par
Te trouve au bureau des Gaeres
, rue de la Juffienne.
Fij
120 MERCURE DE FRANCE:
.
Je m'étois attendu que vous feriez cruelle ;
Je m'étois arrangé pour trouver des rigueurs.
Ah ! fije vous fuis cher , foyez plus inhumaine :
Laiſſez à mon amour le charme des defirs ;
Pour le faire durer , faites durer fa peine ,
Je ne vous réponds pas qu'il furvive aux plaiſirs.
Epigramme , par M. le Mierre,
Lorfque la fièvre & fes brûlantes crifes
Ont de notre machine attaqué les refforts ,
Lecorps humain eft un champ clos alors
Où la nature & le mal font aux prifes .
Ilfurvient un aveugle appellé Médecin ,
Tout au travers il frappe à l'aventure ;
S'il attrape le mal , il fait un homme ſain
Et du malade un mort , s'il frappe la nature.
Ce recueil renferme beaucoup de piéces
fugitives copiées du Mercure de France ,
& beaucoup d'autres piéces tirées des portes-
feuilles des amateurs. On y lit avec
plaifir des poëfies de Madame la Marquife
d'Antremont , de M. d'Arnaud , de M. Dorat
, les Difputes de M. de Rhulieres , des
vers de M. de Voltaire , &c.
Etre nne
FEVRIER. 1772.
121
Etrennes du Parnaſſe , poëfies , chez Fécil ,
Libraire , rue des Cordeliers .
On defiteroit que l'éditeur fût plus févère
dans le choix des piéces de ce recueil.
On blâmera fûrement la Charade ,
qui fait le fecond morceau de ces étrennes.
Mais il faut l'excufer en faveur de
l'épitre à l'Impératrice de Ruffie , de celle
au Roi de Dannemarck , par M. de Voltaire
, & de quelques autres poëfies eftimables
en petit nombre , de différens
auteurs .
VERS de M. Piron , pour mettre au bas
du Portrait de M. Dufaulx , traducteur
du Juvenal.
Libre fans indécence , en traducteur habile
Il dit tout ,fans pourtant dire trop , ni trop peu ;
Du fougueux Juvenal il adoucit la bile ,
Et ne garde en entier que le nerf& le feu.
Gazette univerfelle de Littérature , compofée
de deux feuilles par femaine , prix
18 livres par an pour la France , port
franc par la pofte . On foufcrit en tout
tems aux Deux-Ponts , à l'Imprimerie
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ducale ; & à Paris , chez Lacombe
Libraire , rue Chriſtine .
Cette Gazette remplit parfaitement le
plan qu'elle s'eft propofé ; elle fupplée
aux journaux françois & étrangers qui ne
peuvent que choifir dans le nombre des
ouvrages que l'Europe voit éclore & re-
- naître fans ceffe . Elle recueille & raffem .
ble avec exactitude , elle publie avec rapidité
les nouvelles littéraires , & celles
des fciences & des arts dont toutes les
nations policées font leur amuſement .
On peut la regarder comme le catalogue
générale & raifonné des productions du
génie , de l'efprit & du goût . Les annonces
& les notices littéraires y font toutes
claffées fous la dénomination qui leur
convient , fuivant la méthode des catalogues
des grandes bibliothèques. C'eft
par la lecture de cette Gazette que l'homme
de lettres & l'homme inftruit ou qui
veut l'être , peut fuivre les progrès des
nations favantes . On fçait que l'Auteur ,
très - connu par d'excellens ouvrages de
poësie & d'érudition , a beaucoup de connoillances
une critique fine , & une
impartialité rare dans fes jugemens. Il
analyfe avec précifion , & raiſonne avec
juſteffe . Il eft auffi aidé par une fociété de
>
FEVRIER. 1772 123
-
Littérateurs profonds dans les langues
étrangeres , & par des Correfpondans
inftruits & vigilans . Cette Gazette deviendra
dès lors le dépôt général des
richeffes fugitives de la littérature , &
fera un jour un recueil précieux que l'on
s'empreffera de rechercher & de confulter.
Il nous feroit difficile de donner l'extrait
de fes extraits, où l'Auteur dit tout ce qu'il
faut dire , & ne dit rien de ce qu'il faut
taire. Il fait encore avec foin les traits ou
les anecdotes qui peuvent plaire & intéreffer.
Nous avons vu arrofer de pleurs
le récit qu'il fait de la perte que les lettres
viennent de faire dans la perfonne de M.
Helvetius , qui honoroit l'humanité par
fes vertus & fes bienfaits , comme il ho
noroit les fciences par fon génie.
par
On imprime pareillement aux Deux-
Ponts, une autre Gazette , pour les événemens
publics , que les hommes de lettres
diftinguent parmi les Gazettes étrangères,
par la pureté & l'intérêt du ftyle , & par
la richelle des faits & des réflexions.
Cette Gazette coute 36 liv . Elle est également
compofée de deux feuilles par
femaine , & fe trouve au bureau des Gazettes
étrangères , rue de la Juffienne.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Traité élémentaire de méchaniqueftatique ,
avec des notes fur quelques endroits ;
par M. l'abbé Boffut , de l'Académie
Royale des ſciences , examinateur des
Ingénieurs , &c. in 8. avec planches.
Paris , 1772. chez Claude - Antoine
Jombert , fils aîné , rue Dauphine, près
le Pont - Neuf.
Cet ouvrage , dont l'auteur eft un géomètre
du premier ordre , renferme en un
affez petit volume , tout ce qu'il y a ď’utile
& d'intéreffant dans la fcience de
l'équilibre. On y trouve plufieurs chofes
nouvelles . M. l'abbé Boffut expofe avec
toute la clarté & l'élégance poflibles , les
principes de la ftatique ; & il en fait l'application
à l'équilibre des machines conli .
dérées dans l'érat mathématique , & dans
leur état phyfique & naturel . Ce traité
doit être regardé comme un livre vraiment
claffique en fon gente. L'auteur en
donne lui - même l'extrait dans une préface
très favante & parfaitement bien écrite ,
que nous inférerons dans le prochain Mercure
.
Lettres d'Elifabeth - Sophie de Valliere
à Louife Hortenfe de Canteleu fon amie;
Madame Riccoboni . A Paris , chez
Humblot , Libraire , rue S. Jacques .
par
FEVRIER . 1772. 125
Elifabeth Sophie de Valliere , élevée
fous le nom de Mademoiſelle de Saint-
Aulay , s'eft crue niéce de Madame de
Hauterive , qui avoit pour elle la tendrelle
de la meilleure des mères , & qui vient
de mourir.
A l'époque de cette mort , tout change
pour Sophie. Elle n'eft plus la niéce d'une
femme refpectée , l'héritière défignée d'une
grande fortune : elle ne tient à perfonne ;
fans parens , fans appui , elle n'eft rien ,
ne poffede rien , n'espère rien. C'est ce
qu'elle écrit à Mademoiſelle de Canteleu
fa fidelle amie , éloignée d'elle pendant
tout le cours de ce roman.
L'hiftoire funefte de la naiffance de
Mademoiſelle de Vallière , laiffée par
Madame de Hauterive , avec la copie des
actes juridiques qui l'ont accompagnée ;
le détail fuivi des recherches que cette
Dame a faites long - tems, pour retrouver
des parens à Sophie , tout cela eft avidement
lu par des héririers qui triomphent
en la voyant,fans efpérance de partager
avec eux une fortune qu'ils attendoient
impatiemment.
Le tableau tragique des horribles circonftances
qui précédent la naiffance.de
Sophie de Valliere, arrachée du fein d'une
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
mère qui vient de mourir , eft rendu par
l'auteur avec cet art & ce coloris qu'elle
a déjà fait admirer plus d'une fois : &
cette fcène mystérieufe & terrible dont
Madame de Hauterive pendant feize ans
n'a pu retrouver aucun fil , eft la fource de
la curiofité vive qu'infpire cet ouvrage.
L'infortunée Sophie , expofée dans la
maifon de fa tante , à bien des dégoûts
& même à des procédés durs de la part
des co-héritiers , ne pourroit avoir parmi
eux qu'un protecteur , c'eft le fils de Madame
de Germeuil , qui traite elle même
Sophie avec bien peu de ménagement ;
mais Germeuil eft abfent. Jeune Colonel
aimable & d'un mérite diftingué , il eft à
fon devoir , & Sophie ne voit autour
d'elle perfonne pour qui fes larmes foient
intéreffantes.
Un fervice que fon humanité & fa
bienfaifance naturelle lui avoient fait ·
rendre à une Dame Beaumont, marchande
de rubans , lorfqu'elle étoit au couvent
avec Mademoiſelle de Canteleu , lui fait
imaginer de recourir à cette bonne femme.
C'eft de chez elle qu'elle écrit avec
fermeté à fon amie : Je détournerai mes
regards de cette claffe qui n'eft pas la mienne.
J'entrerai courageufement dans celle où
FEVRIE R. 1772. 127
je fuis rejetée ... Ne vous attendriſſezpas ,
mon aimable Hortenfe , une humble condi
tion n'avilira point le coeur de votre amie...
J'ai appris à diftinguer l'honneur de tout ce
que le vulgaire appelle de ce nom . Je ne
ferai pas dépendre le mien de la place que
j'occuperai dans le monde , mais du fentiment
intérieur de mon ame. Tant que je
conferverai ma propre eftime , tant qu'un
reproche ne s'élèvera pas du fond de mon
coeur , tant qu'Hortenfe me nommera fa
compagne , fa foeur , je ne rougirai point
d'être inconnue , d'être abandonnée , d'être
pauvre.
Germenil inftruit du peu d'égard de fa
famille pour Sophie , lui écrit plus d'une
fois , en l'appellant toujours fa coufine . Il
eft prêt à revenir , ofera- t- il lui préſenter
un héritier de fa tante ? ... Sophie qui ne
voit en lui que le digne neveu & l'ami de
Madame de Hauterive , eft difpofée à le
recevoir. Quelle fituation a plus befoin
de confolateur que la fienne ?
A peine eft-il arrivé qu'elle tombe malade.
Il a fait accepter à Pauline , qui fert
Sophie , des fecours que celle ci , du prix
de quelques effets vendus , exige que Pauline
lui rende , & dont il n'ofe refufer la
reftitution.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
Sophie s'apperçoit que le feul travail de
fes mains ne peut la foutenir ; on lui a
parlé d'une Dame de Moncenay qui cherche
de jeunes perfonnes pour un meuble
qu'elle a projetté : elle s'y fait préfenter ,
& , malgré l'effroi de fon amie , & les
tendres efforts de Germeuil , prêt à repartir
pour la campagne avec la mere ?
fa
elle entre chez cette Dame .
Les vifites que lui rendoit Germeuil ,
le myftère qu'il étoit obligé d'y mettre,
ont encore plus de part à la réfignation de
Sophie , que la difficulté de fe foutenir
chez Madame de Beaumont.
Nous ne pouvons nous refufer de copier
ici une partie du portrait qu'elle fait de
Madame de Moncenay , il eft de main
de maître . Nos meilleurs peintres dramatiques
, la Bruyere même, n'ont pas mieux
copié la nature .
Je travaillerois inutilement , dit- elle ,
à me faire un amie de Madame de Moncenay
, je ne la crois fufceptible ni d'attachement
ni de haine . On ne peut guère être
plusjolie & moins aimable que cette Dame;
le foin de fa perfonne eftfon unique affaire :
elle eft fi occupée d'elle même , fi peu capable
de s'intéreffer aux autres , fi ennuyeufe
par le récits répété de petits événemens qui la
FEVRIER. 1772. 129
concernent , fi inquiete de la moindre altération
de fafanté ; elle en parle tant ,
elle en rend un compte fi minutieux , fes
détails font fi longs , fi révoltans , que fon
entretien laffe jufqu'à fes femmes , & c.
L'arrivée de Madame de Terville chez
Madame de Moncenay la fille , eſt un
nouveau defagrément pour Sophie . Safigure
eft defagréable , fon air commun ; elle
parle haut , a le ton impérieux , l'esprit
bourgeois , le naturel foupçonneux & l'humeurfort
aigre. Les différentes ambaffades
de fon mari l'ont fait connoître des étrangers
qui la mettent au nombre des rar tés
qu'ils fe propofent de voir en France , tandis
qu'aux yeux de fes compatriotes la
Comteffe de Tervile n'offre rien qui leur
paroiffe digne d'exciter la curiofité , encore
moins d'attirer le fuffrage des autres nations
, &c, & c. Pour M. fon fils , qui
croit trouver dans Sophie une petite perfonne
bien reconnoiffante de fon fade
hommage , c'est un petit feigneur à la
mode , c'eſt un joli François du dix - hui
tiéme fiècle .
A l'égard de M. de Moncenay , fon
extravagance eft grave & profonde , il erre
méthodiquement ; il fe croit bel efprit, phi
lofophe , politique , capable de réformer
FY
130 MERCURE DE FRANCE:
tous les ordres de l'Etat. Ceux qui poffedent
le mérite qu'ilfe donne dans fa propre
imagination , le trouvent ignorant , entété,
fouvent bavard, & toujours ennuyeux.
Tels font les originaux au milieu defquels
fe trouve la plus raifonnable , la
plus décente , la plus aimable des créatures
, l'intéreflante & malheureufe Sophie.
Pour furcroit de peine , un vieux intendant
de la maiſon ofe prétendre à plaire.
Ses propofitions de mariage ont l'aveu &
la protection de la Comteffe de Tervile ,
qui s'indigne des Lefus de Mademoiſelle
de Vallière .
Prête à quitter cette maifon , elle y eft
retenue par la première des femmes de
la Comteffe , qui veut lui apprendre à
fupporter les défauts des Grands , en lui
révélant que l'art qui les rend heureux ,
ainfi que les Riches , c'eft celui de s'aimer,
de fe prifer beaucoup , de dédaigner le refte
de la nature, & de regarder les autres com
me créés feulement pour les fervir ou les
amufer.
Sophie fe laiffe gagner par les confeils
de Cécile ; c'est un caractère rare & plaifant
dont l'hiftoire finguliere varie trèsheureufement
le ton de l'ouvrage . Ce
n'eft point un de ces êtres métaphyfiques ,
FEVRIER . 1772. 131
& , s'il eft permis de le dire , de ces pardelà
de la nature, fi recherchés, fi précieux
au mauvais goût du fiécle . C'eſt une nature
plus riante que Madame Riccoboni
offre ici ; mais c'est toujours la nature , &
fur tout fon aimable coloris .
Le hafard amène chez Madame de
Tervile une perfonne nouvellement mariée
, que Sophie avoit obligée dans font
couvent. Madame de Monglas reconnoît
fa bienfaitrice & fon amie; elle l'embraffe
avec transport. Elle entrevoit fes peines
& lui propofe fa maifon . Ses offres font
acceptées , & Sophie deformais n'a plus
d'humiliations à redouter , & va trouve
chez Monfieur & Madame de Monglas
des coeurs dignes du fien .
Nous avons négligé , pour n'être pas.
trop longs , de fuivre le détail enchanteur
de l'amour de Germeuil & de Sophie .
Leurs débats , leurs querelles , leur retour
font du plus vif intérêt. C'eſt l'amour
comme le peint fi bien Térence , Ira ...
pax rurfùm.
Un Anglois que M. de Monglas a connu
dans fes voyages , s'eft fait une retraite
auprès de fa terre ; c'eft lui qui va donner
enfin un état à Sophie.
Accablée d'une mélancolie profonde
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
qui le fuit par tout , Milord Lindſey a
vu chez M. de Monglas Mademoiselle
de Valliere ; des rapports de traits l'ont
frappé , il s'en eft troublé ; fa trifteffe
femble s'en être augmentée : il veut favoir
fon hiftoire. On lui remet les papiers
laiffés par Madame de Hauterive .... Il
n'en peut plus douter , il eſt la cauſe involontaire
des malheurs de Sophie.
Nommé tuteur de fa mere à la Caroline
, il avoit juré au pere de Mill Nesby
de l'époufer en Angleterre ; il l'y conduit,
& dans le moment qu'il met à la voile ,
un jeune homme éperdu s'élance à la mer
pour joindre fon vaiffeau , il le recueille ;
c'eft l'amant fecret de la mere de Sophie.
Les deux amans en fe revoyant, en impofent
affez à leurs premiers mouvemens ,
pour ne pas fe dévoiler aux yeux de Mylord
Lindley , qui ne voit rien , qui ne
foupçonne rien , & qui loge avec lui en
Angleterre l'impétueux & diffimulé Nelfon.
Le caractère indépendant & prefque
féroce du jeune Américain , donne à fa
paffion cachée une teinte obfcure & peu
commune où triomphe encore le pinceau
de Madame Riccoboni , qui fait affortir
fes couleurs à la variété de tous les objets. I
FEVRIER . 1772. 133
Nous l'avouerons pourtant , s'il eft un défaut
dans cette hiftoire un peu longue de
Mylord Lindſey , de Mill Nesby , & de
Nelfon , c'eft de faire difparoître trop
long- tems les premiers objets de l'intérêt,
Germeuil & Sophie.
L'amour triomphe enfin dans le coeur
brûlant de Nelfon & dans celui de Mi
Nesby , de leur reconnoiffance pour Mylord
Lindſey. Un lien fecret les unit , &
les fuites de cette union qui vont les trahir
, les obligent à quitter la maifor. de
leur bienfaiteur.
Mylord Lindley , trop amoureux de ia
mère de Sophie , pour n'être pas indigné
de cette trahison , fait les plus grandes
recherches , envoie dans tous les ports.
On lui apprend malheureuſement la route
que tiennent ces deux amans , il arrive
en Hollande , il y trouve Nelfon , qui furieux
de le revoir , le force de fe battre ,
& , dans fon impétuofité , fe précipite fur
le fer d'un homme qu'il a armé malgré
lui.
On le reporte mort à fa malheureufe
époufe , que le fpectacle affreux faifit au
les
point de lui coûter la vie , tandis que
amis de Mylord Lindfey le forcent à
s'éloigner bien vite de la Hollande.
I
134 MERCURE DE FRANCE.
Il n'a pu dans la fuite être inftruit que
de cette double mort qu'il fe reproche
fans ceffe , & dont l'image toujours préfente
à fon imagination , eft la fource de
la mélancolie qui le dévore. C'eft par les
papiers de Madame de Hauterive qu'il
apprend qu'on avoit arraché du fein de
Miff Nesby , un enfant de fept mois , &
que cet enfant étoit l'infortunée Sophie .
Tendre , compatiffant , vertueux , toujours
plein de l'amour qu'il avoit eu pour
fa mere , il veut réparer fes maux , il veut
lui tenir lieu de pere , il l'adopte . Il découvre
l'amour de Germeuil pour elle ,
& l'efpoir de la forrune immenfe qu'il
affure arrache de Madame de Germeuil
le confentement qui fait enfin le bonheur
de Sophie , de fon amant , & le plus doux
plaifir du Lecteur.
Tel eft , en abrégé , le plan de cet ingénieux
roman , dont l'imagination , la
variété , le pathétique , ne peuvent qu'augmenter
la jufte réputation de Madame
Riccoboni. Un ftyle pur & naturel , un
goût de réflexions fages & profondes fans
pédantifme & fans affectation , un choix
de fentimens honnêtes , vertueux & vrais;
voilà ce qui diftinguera toujours les fictions
de cet auteur de cette foule d'hiſto
FEVRIER. 1772 134
riettes , de contes , de romans , dont les
uns font ennuyeufement triftes & fans un
véritable intérêt , les autres indécemment
gais & prefque tous hors de la nature ,
hors du goût & de la vraisemblance.
Entretiens d'une ame pénitente avec for
Créateur , mêlés de réflexions & de
prieres relatives aux divers événemens
de la vie ; dédiés à la Reine & à
Madame Louife. Nouvelle édition.
Tome troifiéme , in 12. A Lille , chez
J. B. Henry , & à Paris , chez de Hanfy
le jeune ; Durand , neveu , Lejay , libraires
, rue S. Jacques , & Coftard ,
rue S. Jean- de- Beauvais.
Notre feue Reine à qui le premier voiume
de cet ouvrage eft dédié , avoit engagé
l'auteur à donner la fuite de ces
pieux entretiens . Cette augufte Princeffe
étoit perfuadée que l'on ne pouvoit trop
multiplier les livres , qui en nourriffant
la piété , nous difpofent à l'exercice des
vertus chrétiennes , fi néceffaires nonfeulement
à notre propre bonheur , mais
encore à celui de la fociété . Comme ces
fortes de livres peuvent fe porter à l'Egli
fe , on a eu foin d'inférer au commence
136 MERCURE DE FRANCE.
ment de chaque volume , des prieres pour
être récitées durant la Meffe .
Traité du droit d'Habitation , pour fervir
d'appendix au traité du Douaire : traité
des Donations entre mari & femme ,
& du don mutuel ; par l'auteur du traité
des obligations. A Paris , chez Debure ,
pere , quai des Auguftins . A Orleans ,
chez la veuve Rouzeau - Montaut. vol .
in- 12.
La méthode , la clarté & la préciſion
avec laquelle ces traités font rédigés , les
feront rechercher , ainfi que ceux que
l'auteur a publiés précédemment fur la
communauté, le douaire , les obligations,
les contrats de vente , d'échange , de louage
, de fociété , & c .
La Mère jaloufe , comédie en trois actes
en vers , par M. Barthe , de l'Académie
de Marfeille , repréfentée pour la
première fois , par les Comédiens Fran
çois ordinaires du Roi , le 23 Décem
bre 17715
Quod latet arcaná non enarrabile fibrá.
PERSE , fatyre v.
in- 8°. prix , 30 fols . A Paris , chez la
V. Duchefne , libr . rue St Jacques .
FEVRIER. 1772 . 137
Madame de Melcour , femme du grand
monde , diffipée , aimant à plaire , & qui dans
fa première jenneffe a été célébre par fa beauté ,
a d'un premier lit une fille de feize ans , qu'elle
a tenue jufqu'alors au Couvent.
Elle eft mariée en fecondes noces à M. de
Melcour , homme plein de droiture & de raifon
, ne foupçonnant pas les défauts , & jugeant
toutes les ames par la fenfibilité honnête de la
fienne.
M. de Melcour a un ami qui a fervi comme
lui & avec lui ; cet ami fe nomme Vilmon . C'eft
un homme froid , obfervateur , épiant les défauts
, les démêlant avec fineffe , & d'une honnêteté
un peu maligne .
· Madame de Melcour a une belle four du
côté de fon premier mari ; c'eft Madame de
Nozan , femme d'une foixantaine d'années, d'un
caractère fingulier & piquant ; elle eft brufque ,
vive , fenfible , impatiente & bonne , offenfant
fans s'en douter , prompte à revenir fur ellemêine
, n'ayant aucun des amours propres de fon
fexe , très - défintéreffée fur fa figure & fur fon
âge , fur tout très - paffionnée pour fa nièce.
Julie , fille de Madame de Melcour , &
nièce de Madame de Nozan , a toute la beauté
de fon âge , les graces de fon fexe , & cette
naïveté timide que doit donner l'ignorance du
monde , & un caractère contraint par la première
éducation . Elle a vu au Couvent un jeune
homme , nommé Terville , à qui elle a infpiré
de l'amour , & qu'elle aime auffi en fecret .
Terville a de la fortune , de l'efprit , des graces
, de la fenfibilité. Il aime avec paffion , mais
il ne s'eft point encore déclaré . Il eft conduit
138 MERCURE DE FRANCE.
par Vilmon , qui lui a confeillé , pour réuffir
de commencer par fe bien mettre dans l'efprit
de la mère , en lui faifant la cONF.
La mère a d'autres vues fur fa fille ; comme
elle eft peu flattée de l'avoir auprès d'elle , fon
projet eft de l'éloigner , en la mariant en province
. Son choix eft tombé fur un nommé Jerſac,
de Bayonne.
Ce Jerfac eft riche , affez avare , aimant peu ,
calculant beaucoup , fe maiiant par intérêt , &
ne péchant point par trop de fineffe . Tels font
les perfonnages de cette comédie.
ACTE I. Melcour & Vilmon ouvrent la fcène.
Melcour remarque avec chagrin que depuis quel
que tems il s'eft fait un changement dans fa maifon.
Plus de gaïté , plus de foupers ; plus de
concerts. Madame de Melcour paroît rêveuſe &
mélancolique . Vilmon convient de tout , & fans
faire part encore à Melcour de fes foupçons, il lui
fait remarquer la conduite fingulière qu'elle a
avec fa fille , fa trifteffe , fon humeur , fon
mécontentement dès qu'elle la voit parée , fon
obftination à ne la meuer nulle part & à la tenir
renfermée . Melcour excufe fa femme , qui
ne peut fortir , qui a la migraine.
VILMON.
S'il faut ne point flatter ?
Cette migraine-là nous vint ( je fais dater )
Lejour où du couvent la petite eft fortie ;
Moi , j'ai vu la migraine entrer avec Julie.
Madame de Nozan entre avec bruit & les in
terrompt. Elle annonce qu'elle emmène fa nièce,
FEVRIER. 1772. 139
qui n'eft point fortie depuis huit jours . Elle la
fait habiller clandeftinement & à l'infçu de fa
mère , qui repofe . Elle eft ivre de la beauté de fa
nièce , & va , dit - elle , la montrer.
Melcour , inquiet des propos de Vilmon , le
hâte d'y revenir. Il ne peut croire qu'une mère
foit, ni puiffe être jaloufe de fa fille ; au contraire
dit-il :
La beauté d'une fille enorgueillit la mère:
VILMO N.
Cela doit être au moins ; j'en connois toutefois..
MELCO U R.
Savez-vous quand du fang on étouffe la voix ,
Quand on peut fe réfoudre à n'aimer point o
fille ?
C'eft lorsque fa laideur dépare une famille.
vanité.
On devient même alors cruel par
J'ai vu plus d'une mère , ivre de la beauté ,
Punir dans (on enfant la laideur , comme un cri
me;
D'un barbare amour- propre en faire la victime ,
Et , pour n'en pas rougir , l'enfevelir fouvent
Dans le fond d'une terre ou l'ombre d'un couvent,
Julie a- t'elle donc ce tort avec ſa mère ?
VIL MON.
Non; au public pourtant on ne la montre guère
140 MERCURE DE FRANCE.
MELCO U R.
Vous êtes cruel.
VILMO N.
Vrai.
MELCO U R.
La nature a des droits. ::
VIL MO N.
Respectés , je le fais , du peuple , des bourgeois ;
Mais dans un fiécle vain , dans un monde frivole
Où la beauté du fexe eft fa première idole ;
Où les femmes , de plaire ont toutes la fureur ,
Voudroient de leur jeunefle éternifer la fleur ,
Disputen: le terrein à l'âge qui s'avance ,
Et font contre le tems la plus belle défenſe ;
Où leur coquetterie ( on ne nous entend pas )
Dure deux ou trois fois autant que leurs appas ,
Mon ami, ce travers , fans doute fort bizarre ,
Quoique peu remarqué , n'eft pourtant pas trèsrare
.
Melcour n'eft point perfuadé ; c'eft demain la
fête de fa femme ; il compte lui faire un préfent.
qui lui rendra toute fa gaieté & diffipera ces petits
nuages . Ce préfent eft un tableau où il a fait
peindre la mère à côté de la fille . L'idée eft de
Vilmon , & il l'a donnée à Melcour pour achever
de l'éclaircir. Il fort pour aller preffer le Peintre,
qui n'a point encore fini, &qui eft attendu avec
impatience.
1
FEVRIER . 1772. 141
Mde de Melcour paroît . Elle eft fotté tonnée
que fa fille foit fortie fans fa mère ; elle témoi
gne fon mécontentement , & exhale toute fon
humeur contre Madame de Nozan , qui n'eft occupée
, dit - elle , qu'à lui gâter fa fille , en l'ennivrant
d'éloges.
La voit-elle inquiète,
Un peu trifte ? Aurois - tu quelque peinefecrette ,
Quelque chagrin ? dis - moi : peut êtrefouffres- tu?
Le vilage un peu pâle ? Ah dieux ! tout cft perdu.
Atable , où poliment près de Mademoiselle ,
Elle ne fert , ne voit , & ne regarde qu'elle :
Mais tu ne manges point ! Ailleurs : tu ne dis
rien.
Et la très -chère foeur qui parle bien , très- bien ,
Jour & nuit , ne voit pas qu'il faut ſavoir le
taire ,
Qu'une enfant qui fe taît n'a rien de mieux à
faire .
Quel engoûment d'ailleurs ! quelle ivrefle ! &
pourquoi ?
Hier , je fais venir des étoffes pour moi ;
Là voilà qui déroule & parcourt chaque pièce :
Ma foeur , ces quatre ou cinq iroient bien à ma
nièce.
Souvent dans un accès , d'un air mystérieux ,
Elle prend par la main une perfonne ou deux ,
Et les mène en filence & tout droit de vant elle :
Eh mais ! admirez- donc , voyez comme elle e
belle
142 MERCURE DE FRANCE .
On regarde , on fourit : excellente leçon !
MEL COUR.
Sa tante a quelque tort , elle a quelque raiſon
Votre fille eft fi bien !
Mde DE MELCOUR.
eft- on mal àfon âge?
MELCOUR..
Quoi ! les plus jolis traits , le plus joli viſage !
D'abord, vous m'avoûrez qu'elle eft d'une frai
cheur !
Mde DE MELCOUR.
Dui , fraîcheur de feize ans.
MELCO U R.
Le teint , d'une blancheur !
Mde DE MELCOUR.
Un peu fade , fon front...
MELCO U R.
Va bien à fa figure ;
Et quant aux yeux , ce font les vôtres , je vous
jure ;
Oni ; tirez-vous de -là .
Mde DE MEL COUR.
Je conviens que les yeux ;
FEVRIER. 1772 143
(Jea'y mets point d'humeur ) font ce qu'elle a de
mieux .
M. de Melcour , dans toute cette fcène , n'eft
occupé qu'à louer la fille & excufer la tante ;
tout-à-coup ils font interrompus par l'arrivée de
Madame de Nozan & de Julie .
La tante paroît agitée , hots d'elle - même , com.
me au fortir d'une aventure extraordinaire . Elle
Le précipite dans un fauteuil. Julie a un refte
d'embarras & de trouble. M. & Madame de Melcour
font allarmés & inquiets de ce qui a pu arriver.
La tendrefle maternelle fe réveille dans le
coeur de la mère. Elle interroge tour - à - tour fa
belle -four & fa fille . Madame de Nozan lui
annonce qu'elles arrivent des Tuilleries.
J'ai peine à refpirer : tout Paris étoit là ,
Tout Paris en extafe ! il falloit voir cela,
Si vous aviez combien je vous ai defirée !
Ah ! que vous auriez vu votre fille admirée !
D'abord un , & puis deux, & puis vingt , & puis
cent ,
Puis deux mille : c'étoit un tableau raviſſant ;
Je ne l'embellis point & je ne fais pas feindre ;
Pour vous dédommager , tâchez de vous le peindre.
Ils accouroient en foule , & preflés , coudoyés ,
Se ferroient , le heurtoient , s'élevoient fur leurs
pieds ;
Les uns caufeurs bruyaas ; les autres plus hong
nêtes
144 MERCURE DE FRANCE:
Regardoient en filence , & par- deflus les têtes.
Mde DE MELCOUR .
Madame aſſurément a lieu de triompher...
Vous expofiez ma fille à le faire étouffer .
Mde DE NOZA N.
Etouffer eft fort bon ! Etouffer ! Je vous aime.'
C'étoit le plus beau cercle ! ils ſe rangeoient d'eux
même ,
Et quand nous avancions , le cercle reculoit.
Julie exprime naïvement fon embarras dans
cette fituation . Melcour partage la joie de la
tante. La mère a un dépit concentré qu'elle cache
, & qui éclate malgré elle. Madame de Nozan
triomphe , eft dans un état d'ivreffe . Elle finit
par une tirade charmante , pour répondre à la
mère qui lui a dit :
Et ma fille eft donc la fable de Paris !
Mde DE NOZA N.
La fable ! en vérité vous êtes fort à plaindre.
Elle fe place entre M. & Madame de Melcour
les prend par la main & leur parle bas , en imitani
les voix de plufieurs perfonnes qui interrogent
& qui répondent.
On difoit : elle est bien. Mais elle eft faite à
peindre ;
Quelle taille ! -Et cesyeux ! -Ellefort du couvent
Nous
FEVRIER. 1772.
145
Nous ne l'avions pas vue. -On ne voit pasfou
vent
-
De cesfigures- là. Quel air doux & modefte !
Sa rougeur l'embellit -Ellefera céleste.
—Elle l'eft . —Ce doit être un bon parti. —Trèsbon.
-Seize ans ? -au plus. Et puis on demandoit
fon
nom ,
Et quelqu'un vous nommoit. Cette Dame,?
eftfa tante
Qui lui laiffera bien dix mille écus de rente.
Baile- moi , mon enfant , tu les auras,
En même tems elle fe précipite fur la nièce ,
qu'elle baile fur les deux joues. La mère , d'un
ton févère , dit à fa fille de rentrer , & de ne jamais
fortir fans fon ordre.
Le beau- père & la tante fe regardent & pa
roiffent étonnés . Terville entre ; il a été témoin
de l'aventure des Tuileries , & a aidé Madame
de Nozan & Julie à regagner leur voiture. Il fait
fon compliment à la mère , qui lui répond d'un
air fec & diftrait,
Dans ce moment le Peintre arrive . Il eſt précédé
de deux laquais , qui portent un tableau.
Vilmon rentre auffi fur la scène , en ramenant
Julie. Tous les perfonnages regardent à la fois
ce tableau , où Madame de Melcour fe reconnoît
peinte à côté de fa fille. La tante y voyant fa
nièce , veut le baifer. Terville enchanté du portrait
de fon amante , va le louer ; mais Vilmon
lui fait figne , & Terville loue le portrait de la
G
146 MERCURE DE FRANCF:
mère tout haut , & tout bas celui de la fille.
Melcour obferve fa femme avec intérêt ; Vilmon
obferve tout avec malignité. La mère , au milieu
de tous ces perfonnages , tourmentée en fecret,
a une colère retenue , & interrompt ' tour- à-tour
la fille , la tante , le mari , Terville , Vilmon ,
le Peintre lui- même , qui veut défendre fon tableau
, & lui demande la permiffion de l'expofer.
au premier fallon . A ce mot de fallon , elleperd
tout-à- fait patience , & dit au Peintre d'un ton
rcès-brufque :
Monfieur , ma fille & moi
Nous n'irons pas groffir cette foule... imbécille
De portraits , qui placés , preflés , rangés en file ,
De leurs cadres dorés fortent de toutes parts ,
Er dès l'escalier même affiégent nos regards .
Eh! Meffieurs , voulez - vous une folide gloire ?
Donnez dans vos fallons de grands tableaux d'his
toire ,
Non des têtes de femme & de marmots d'enfans.
Madame de Nozan foutient toujours fon caractère
:
Mais ( dit - elle à Melcour ) concevez - vous rien à
cet otage- là ?
-
Mais à quel âge donc veut elle que ma niéce
? ..
Mais dires - moi , ma foeur , qu'avez - vous donc ?
Quoi ! Qu'elt- ce ?
FEVRIER. 1772. 147
Faut-il pour fon portrait attendre foixante ans ,
Qu'au lieu de cheveux blonds , elle ait des cheveux
blancs ,
Qu'au lieu de ces couleurs fraîches & naturelles ,
Et de ces beaux fourcils & de ces dents fi belles ,
De ce charmant vifage enfin que je lui voi ,
Elle foit bien ridée & laide……. comme moi ?
Eh fi! cela feroit peut-être pittoresque ,
Mais croyez-moi , fort trifte.
Elle fort auffi étonnée qu'indignée . Melcour
emmène le Peintre : Vilmon & Terville fe retirent
; & Julie veut fuivre fa tante. Sa mère l'arrête
, a une courte fcène avec elle , où elle lui
reproche fa diffipation , fa parure , fa fortie avec
fa tante , & fur- tout lui défend bien de croire
qu'elle reffemble au portrait. Elle l'avertit que
tout eft flatté , les détails & l'enfemble. Julie , à
-part , & prefqu'en pleurant , ne dit qu'un mot.
Terville du moins n'entendpas ; mot plein de naïveté
, de grace & de finefle. Cependant la douleur
de la fille attendrit la mère , qui lui parle alors
d'un ton plus doux . Julie rentre. M. de Melcour ,
qui commencé à être trop éclairci , revient ; il en
eft plus empreflé à marier Julie . Il propofe à la
mère une lifte de partis qui s'offrent pour la fille ;
Financier , Militaire , homme de Robe , homme
de Cour ; la mère rejette tous les partis avec humeur
, trouve d'excellentes raifons pour n'en admettre
aucun , & annonce qu'elle a un parti tout
prêt , qui convient beaucoup mieux à fa fille . Mel-
Courne peut prefque plus douter que Vilmon n'ait
dit vrai. Cette fcène , qui termine l'Ae , & qui
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
développe encore le caractère de la mère , eft
pleine d'ailleurs de détails charmans & de vers
agréables.
ACTE II. Les deux Amans paroiffent , & Vilmon
au milieu d'eux . Julie eft inquiète & tronblée
, Terville défespéré , Vilmon rêveur . Julie
annonce que la mère veut la marier à un homme
de province. Terville implore à grands cris les fecours
de Vilmon ; il veut s'aller jetter aux genoux
de la mère , aux genoux de la tante , aux pieds de
Melcour ; il reproche à Vilmon de lui avoir fait
garder le filence jufqu'alors. Vilmon calme fon
impétuofité & les fureurs , l'arrête , lui promet de
parler & de difpoler la mère. Les deux Amans , à
les côtés , lui parlent tour- à- tour & en dialogue
preflé , pour le conjurer d'embrafler leurs inté
rêts. La scène eft pleine de défordre & de chaleur
, & la fin a le ton & la vérité des fcènes
d'amans de Molière. La mère paroît , les deux
amans s'enfuient : Vilmon fourit de leur fuite. La
mère entre , accompagnée de Jerfac , qu'elle préfente
à Vilmon . Vous venez de me rendre un
Service important , dit - elle , & je vous dois mon
gendre. Vilmon qui avoit connu Jerfac à Bayonne
, qui , par hafard , l'avoit fait connoître à la
mère , eft fort étonné d'avoir pu contribuer à un
pareil mariage. Jerfac , de fon côté , le remer
cie , fait le détail de fes biens , de les terres , de
fes mailons de campagne , de ville , & cite à
chaque inftant Vilmon pour témoin , qui , cmbarraflé
de fa fituation , répond toujours d'un air
diftrait. A la fin le Provincial ſe met à célébrer
les charmes de la fille,
Nous espérons dans peu vous appeller grand's
mère,
FEVRIER. 1772 149
De ſes petits-enfans on eft , je crois , bien fière !
VILM O N.
Plus que des fiens , dit-on.
JERSA C.
On vous en enverra ,
Et vous les gâterez autant qu'il vous plalra.
La mère fouffre , & Vilmon appuye maligne
ment. Refté feul avec la mère , il montre fon
étonnement d'un pareil choix , & délavoue la
part qu'on veut lui donner dans ce mariage . Il
invite la mère à faire plutôt un choix dans Paris :
la mère , toujours attentive à cacher fa foiblefla
& le véritable motif qui l'anime , fait une fatyre
affreufe des moeurs de Paris , & le plus bel éloge
des moeurs de la Province :
i
Mde DE MELCOUR.
Dans Paris ! pour y voir
Mille travers des fats blafés dès leur jeuneffe ,
Ne pouvant rien aimer , pas même une maîtreſſe ,
Des fottifes de mode , un tas de jeunes fous ,
Très- prodigues amans , très- volages époux ,
Enfin , un luxe affreux , les plus folles dépenfes ,
Des enfans renommés par cent extravagances ,
En proie aux ufuriers , ruinés dès vingt ans ,
Et calculant déjà les jours de leurs parens.
Avouez : cet air-ci , pour une jeune femme, ..
Gif
150 MERCURE DE FRANCE .
Contagieux ?
VILMON.
Madame DE
MELCOUR .
Mortel.
VILMO N.
En province , Madame ,
On n'eft pas plus farouche.
Madame DE
MADAM E.
Un fat eft moins couru ;
On y rougir du vice & non de la vertu,
Nos puérilités n'y tournent pas les têtes 3.
Au lieu de parler bals , foupers , proverbes , fêtes,
On pense à fes devoirs , on vit chez foi , conten
Peut-être un agréable eſt là moins important ;
En revanche on y voit des époux & des pères ,
Plus de bonheur , & moins de riens & de miféres.
Vilmon propofe Terville. La mère convient
que ce feroit pour fa fille un parti très -avantageux
,elle fait même de Terville le portrait le plus
Brillant ; mais elle ajoute qu'il a une autre paffion
dans le coeur. Vilmon , à travers le filence
affecté de la mère , & ce qu'elle paroît avouer en
le cachant , voit clairement que Madaine de Melcour
, trompée par les foins qui lui ont été rendus
, croit avoir enflammé ce jeune homme . Il eft
plus embarraflé que jamais , toute la finefle tourne
contre lui ; il fait , fans le vouloir , un mariage
FEVRIER. 1772 151
auquel il ne penfoit pas , & il ne peut en faire.
un qu'il defire. Terville paroît ; il y auroit trop
de danger à différer ; il faut abfolument qu'il fe
déclare. Vilmon , en fortant , lui dit un mot à
l'oreille pour l'engager à parler. Terville , timide,
tout- à-la-fois & par fa paffion & par le danger
où il eft , veut enfin rompre fon fecret avec la
mère ; la mère , trompée , croit que Terville lui
parle d'elle- même , & reçoit les propos avec une
gaité qui le défefpère. Il ne s'apperçoi : pas de
l'erreur , & continuant toujours , prononce enfin
le nom de Julie , & demande fa main. La mère
eft frappée comme d'un coup de foudre :
TERVILLE.
Je l'adore.
Faut- il vous le jurer , vous le redire encore ?
Je l'ai vue au couvent & l'aime pourjamais.
Afon premier regard je lentis que j'aimais.
Un oncle me parloit d'Hortenfe , d'Emilie ;
Je repouffai cet oncle , & parlai de Julie :
Ne m'en fachez pas gré , c'eft qu'elle éclipfe tout
Seule , feule à mes yeux , je la voyois par- tout.
J'aime , j'ai quelque bien, un nom.connu , je
penfe.
Etpuis , je n'aurois pas la dure extravagance
De venir l'arracher à ces bras maternels ;
Ne me fuppofez point des projets fi cruels.
Près de vous , trop heureux , dans Paris , l'un &
l'autre ,
Vos goûts feront nos goûts ; votre maifon , la
Dôtre.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Voyant que la mère ne lui répond rien , il fe
précipice à les pieds pour la fléchir . Dans ce
moment entre Madame de Nozan , qui a appris
le projet de manier fa nièce en province ; elle eſt
furieule contre cet enlèvement , & vient pour
parler à la mère. En entrant elle apperçoit Terville
aux pieds de Madame de Melcour . Comme
elle ignore la paffion de Terville pour la nièce ;
elle croit que cet hommage s'adreſſe à la mère.
Terville , paffionné , & croyant que ce qui eft
dans fon coeur doit être connu de tout le monde,
conjure la tante de prier pour lui . La tante s'indigne
, & Terville court implorer le fecours du
beau père . Madame de Nozan reſtée ſeule avec
Madame de Melcour , fe livre à tout fon caractère
, & dans le tems que la mère eft fecrettement
humiliée de ce que la paffion dont elle
stoyoit être l'objet s'adrefle à ſa fille , la tante lui
reproche d'une manière vive & plaifante cette
même paffion qui n'eft pas pour elle :
La découverte eft bonne :
Ne vous figurez pas au moins qu'elle m'étonne.
On veut plaire , on s'expofe ; on voit des étourdis
Jeunes , entreprenans , & de plus , enhardis.
Très pathétiquement , à genoux , d'un air tendre ,
Ils viennent fupplier qu'on daigne les entendre ,
Qu'on ait quelque pitié de leurs timides feux ;
Les étourdis font bien, oui , le tort n'eft pas d'eux,
On quête adroitement ces belles entrepriſes ;
Je n'entendis jamais , moi , de telles fottifes.
FEVRIER. 1772. 153
Madame DE MELCOUR .
Que veut dire ce bruit ?
Madame DE NOZAN.
Ce bruit ?
Madame DE
MELCOUR.
Qu'entendez-vous !
Madame DE NOZAN .
J'entends que j'ai la clef de fes propos fi doux ,
De fes fouris flatteurs , de fes coups - d'oeil , des
vôtres ,
Et d'égards pour vous ſeule & d'oubli pour les autres
;
Car ils ne voient plus rien quand ils ont le coeur
pris ,
Ou ne voient qu'un objet. Ces tranquilles maris !
Non... que j'ole penfer...
Madame DE
MELCOU R.
Madame , êtes- vous folle
Madame DE NOZA N.
Le traître ! & pas un mot , une douce parole
A ma charmante niéce ! entre ces deux portraits ,
Monfieur n'étoit frappé que du vôtre ; vos traits ,
yos traits feuls le charmoient. Qu'il a ſu me déplaire
!
Gy
154 MERCURE DE FRANCE .
Mde DE MELCOUR , très - vivement.
Et vous aviez raiſon.
Mde DE NOZAN , à demi voix.
Vous qui feriez la mère.
Le petit fot!
Au milieu de cette querelle qui fait une fi
tuation vraiment comique , furvient le beau
père. Terville a été le trouver , & lui a déclaré
fa paffion pour Julie. Il preffe , il follicite , il la
demande en mariage. La tante en apprenant que
c'eft Julie que Terville aime , eft tranfportée de
joie. Alors elle fait férieuſement & naïvement de
cruelles excufes à la mère. A l'air paffionné de
Terville , elle auroit bien dû voir qu'il s'agif,
foit de fa nièce.
J'ai pensé , j'ai parlé , j'ai vu tout de travers.
Maintenant à vos pieds je verrois l'univers ,
Je croirois l'univers amoureux de ma niéce
Et qu'on vous parle d'elle.
Toute cette scène d'excufes , qu'il faut voir
dans la pièce , & qui eft d'un dialogue très- coupé
, eft tout- à-fait originale & plaifante. Il eft difficile
de mettre mieux la jaloufie & lesprétentions
fecretes de la mère en fituation .
L'acte eft terminé par une fcène éloquente &
pleine de chaleur entre M. & Madame de Melcour
; la mère emploie tout ce qu'elle a d'adreſſe
& de reffources dans l'efprit , pour juftifier l'exclufion
qu'elle donne à Terville : elle lui fait un
FEVRIER . 1772. 153
crime de fon âge , de fa paffion , de fa fenfibilité
même; le beau-père répond à tout avec autant de
raifon que de force : c'eft une lutte continuelle
d'une paffion fecrette qui fe déguife , & de tout
ce que l'honnêteté fenfible & courageufe a de
plus preffant.
Melcour finit par démafquer la mère à fes propres
yeux , & lui annonce que le monde qui eft
foupçonneux & frondeur iroit peut- être juf
qu'à l'accufer d'être jaloufe de fa fille ; la mère
paroît méprifer de tels foupçons , & refte obftinée
dans le projet d'établir fa fille hors de Paris.
Madame de Nozan qui arrive au moment que
la mère fort , eft au défefpoir ; dans une fcène
très-courte , elle s'emporte tour-à- tour contré
la mère , contre le beau- père , contre le provincial
, contre tout le monde ; elle ne peut
concevoir cet excès de barbaric ; fes fureurs font
à la fois comiques & tendres. Enfin elle prend la
réfolution d'aller chez tous les parens ; elle veut
ameuter toute la famille . Elle fort en déplorant
le malheur de fa nièce & le fien .
ACTE III. Les deux amans éperdus & troublés
paroiflent enfemble . Julie a eu derrière le théâtre
une converfation avec fa mère , qui lui a
ordonné expreffément d'époufer M. de Jerfac.
La mère lui a montré un mélange de févérité &
de tendreſſe ; fur - tout elle lui a dit beaucoup de
mal de Terville , & lui a défendu de le voir &
de lui parler jainais . Julie , inquiette & trem
blante d'être futprife , fe reproche d'obéir fi
mal. Son amant la railure . Madame de Nozan ar◄
rive . Elle a couru tout Paris , che a crevé fes
chevaux , mais elle n'a rien pu gagner auprès de
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
tous ces parens , de toutes ces ames de glace , qui
s'embarraffent fort peu que fa charmante nièce
foit facrifiée . Dans fon dépit , mêlé de fureur
elle les peint tous d'une manière comique , & fe
venge , en leur donnant des ridicules de leur
froide indifférence pour fa nièce. Julie n'a plus de
reffources , Terville eft au déſeſpoir . Madame de
Nozan , plus agitée que jamais , paroît vouloir
tout abandonner ; elle veut quitter cet hôtel &
renoncer pour jamais à Melcour , à ſa femme , à
toute cette famille qui lui devient odieuſe , &
qu'elle fe promet bien de détefter toute la vie.
Julie , abandonnée , fort en pleurant . Terville
cherche à intéreffer la tante , la tante a pris fon
parti ; elle voit que Jerfac eft un homme avare ,
& qui ne fe marie que par intérêt . Elle veut
l'aller trouver & lui dire :
Homme noir ,
Homme affreux , je fais bien , moi , ce qui t'inté
reſſe ,
Tu cherches mon argent encor plus que ma niéce ;
Ne compte pas toucher un denier de mon bien .
Eh ,
TERVILLE.
Julie eft fi belle ! Il la prendra pour rien?
Mde DE NOZAN .
J'irai devant ma four & toute la famille
Brûler le teftament que j'ai fait pour fa fille.
TERVILLE .
Bon ! n'en feriez - vous pas un autre avant deux
jours?
FEVRIER. 1772. 157
Mde DE NOZAN.
Deux jours , deux mois , deux ans ! C'en eft fait
pour toujours.
TERVILLE.
Ils ne le craindront pas ; vous êtes bonne
Mde DE NOZA N.
TERVILLE.
Vous vous attendrirez.
Durc
Mde DE NOZA N.
Non , mafoeur , je vous jure
Qu'on ne m'attendrit point.
Cette excellente fcène d'une ame tendre &
vive qui fe révolte contre fa propre bonté , qui
par excès de fenfibilité , veut fe perfuader
qu'elle eft dure , & faire du mal à la perfonne
qu'elle aime le plus , pour fe venger de ce qu'on
la contrarie dans fon amour même , eſt tout -àfait
neuve au théâtre. Terville laiffe Madame de
Nozan dans ces agitations , & fort pour faire un
coup de fa tête. Madame de Nozan , qui rêve à
part dans un fauteuil , annonce & par fon filence
& par des mots qui lui échappent qu'elle roule
auffi quelque projet. Le flegmatique Vilmon
arrive . Il veut favoir ce qu'ont produit les courfes
de la tante , & lui en demande des nouvelles.
Eh bien , dit-il ! La tante fe lève brufquement
, & lui dit ,
158 MERCURE DE FRANCE.
Eh bien, Monfieur, je ne veux ni n'entens
Que votreBaïonnois , qu'un trifte perlonnage
Qui vient de faire en pofte un fot & longvoyage
Pour me ravir ma niéce & pour me dépouiller ,
( Service où votre zèle a fu fe fignaler )
Ait quelque jour de moi dix mille écus de rente .
Il calcule ( ans moi ; je ne fuis point fa tante;
Mon bien n'eft pas pour lui ... je me marie.
VILMON, Souriant.
Eh quoi !
Mde DE NOZ a n.
Monfieur rit , je fuis vieille.
VILMO N.
Mde D E
Oh non ; même je croi ...
NOZA N.
Vous mentez , je le fuis ; oui , vieille , très - ma→
jeure ,
Mais j'aurai trois maris,fi je veux , tout- à -l'heure ,
Je fuis riche.
VILM ON.
Sans doute. Et pourrois-je , entre nous,
Vous demander ici ? ..
Mde D B NoZAN.
Qui j'époufe ? Mais ... vous.
FEVRIER. 1772. 139
Vilmon recule d'étonnement. Elle continue &
lui propofe fes conditions. Elle s'indigne qu'on
ofe s'opposer à fon projet , qu'on lui parle de
l'amour qu'elle a pour fa nièce , comme fi quelqu'un
au monde aimoit plus fa nièce qu'ellemême
, comme fi elle étoit obligée de l'aimer
plus que fa mère. Elle déclare en pleurant qu'elle
les deshérite , & la mère & la fille & fon cruet
mari ; enfin impatiente & tourmentée de tant
d'obſtacles , elle dit nettement à Vilmon :
Monfieur... me voulez- vous ?
Ne me voulez -vous point ?
VIL MON.
Serai-je affez barbare ? ..
Mde DE NOZA N.
Vous connoillez Dornet , ennuyeux , gauche ;
avare ,
Il eft amoureux fou de huit cent mille francs ;
Je ne le puis fouffrir ; balancez , je le prends ;
Le for , depuis dix ans , me conte fon martyre.
Vilmon fent qu'il ne faut pas brufquer ces
caractères extrêmes, & confent ou paroît confentir.
Madame de Nozan veut de ce pas courir chez
un Notaire ; au moment de fortir , elle s'arrête ,
tire des tablettes & un crayon , demande à Vilmon
fon nom de baptême , fon âge , & avoue
qu'elle a neuf ans plus que lui . Vilmou , à part,
s'applaudit de cette idée qui peut être heureufe.
Madaine de Nozan , de ſon côté , jouit d'avanes
160 MERCURE DE FRANCE .
›
::
des fureurs de fa belle-four. Dans ce moment
elle paroît , lui demande fi elle eft enfin décidée
; oui , dit la tante très-décidée je me
marie & donne mon bien à Monfieur. Elle fort
avec une révérence froide . Madame de Melcour,
effrayée , fe taît. Jerfac arrive . Il a rencontré la
tante fur l'efcalier , qui avoit prefque l'air , ditil,
de lui arracher les yeux. Madame de Melcour,
troublée , le quitte , lui dit de ne pas s'effrayer ,
& fort pour courir après la tante. Jerfac, étonné ,
ne fait tout ce que ce trouble & ce défordre
veulent dire. Vilmon lui dit le mot de l'énigme ;
Fille , rival , beau- père , tante , tout eft contre
Jui , & Madame de Nozan , qui ne peut confentir
à fe féparer de fa nièce , fouftrait de la
dot dix mille écus de rente . Cette nouvelle dérange
un peu les calculs de Jerfac . Tout-à-coup
l'idée lui vient de fe fixer à Paris pour tout concilier
; Vilmon , en paroiffant le contredire , l'ir-
Tite , & le confirme malignement dans ce deffein .
Jerfac le fait d'avance un plan de vie délicieux.
Pour mieux perfuader la tante , il prétend fe défaire
tout de fuite de fa charge , & va chez dix
Notaires. I jouit déjà de l'agréable furpriſe
qu'il ménage à tout le monde ; Vilmon rit auffi
de fon côté. Jerfac fort. Madame de Melcour
qui a couru vainement après Madame de Nozan,
& qui n'a pu la joindre , revient vers Vilmon',
à qui elle reproche de confentir à un pareil mariage.
Vilmon lui annonce que rien n'eft encore
perdu , que tout va fe réparer , que Jerfac fe
fixe à Paris ; il ajoute avec une malignité lente
& froide:
Les moeurs de la province avoient votre fuffrage,
FEVRIER. 1772 161
Et non pas le féjour ; on les garde à fon âge.
L'heureux projet ! Madame , il remedie à tout
Il fatisfait Melcour , votre foeur , votre goût ,
Il laifle à votre fille une tante , une mère ;
Il ne vous prive point d'une fille fi chere ;
Il me rend votre eftime , & j'en fuis très-jaloux ,
Madame :en la perdant , je perdois plus que vous♪
La mère eft frappée de ce nouveau coup. Elle
eft fans ceffe dans des fituations pénibles & qui
la tourmentent.
Avec quelle douceur cet homme m'affaffine.
dit - elle ; elle s'étonne de voir tant de tétes en
l'air pour celle d'un enfant . Dans ce moment elle
éprouve elle-même un retour de tendreffe pour
fa fille ; mais elle s'en défend & tâche de fe perfuader
que c'eft pour fon intérêt même qu'elle
veut l'éloigner. Tout- à-coup il lui vient un
moyen. Terville paroît ; Terville effrayé ,
éperdu de la nouvelle qu'il vient d'apprendre
que fon rival fe fixe à Paris. Il ne doute pas que
la main de Julie ne foit à ce prix. La mère lui
annonce qu'elle ne fe départira point de fon
projet , qu'elle ne veut point établir fa fille dans
Paris que fi Jerfac y demeure , Jerfac n'eſt
plus fon gendre. Terville , à qui tous les lieux
font indifférens , pourvu qu'il y foit avec ce
qu'il aime , a l'idée de fe fixer en provin
ce pour obtenir fon amante. La mère qui la
lui fuggére avec adreffe , paroît en même tems
la combattre. Terville fe décide avec tranſport ;
il eft prêt à prendre un état , une charge ; toutà
-coup il fe fouvient que Jerfac vend la fienne à
162 MERCURE DE FRANCE.
il fort. M. de Melcour & Madame de Nozan
entrent. Madame de Nozan a fait dreffer fon
contrat de mariage avec Vilmon , & n'a plus
qu'à le figner ; elle le tient à la main. Melcour
en a fait dreffer un autre , où la tante confent
encore de donner tout fon bien , pourvu que la
nièce épouſe Terville. La mère eft entre ces deux
contrats qui la pourfuivent , & qu'on lui préfente
à droite & à gauche. Julie , défolée , accourt
pour la féchir. La tante , en pleurant ,
s'indigne des larmes de la fille & de la dureté de
la mère. Cependant Terville & Jerfac entrent
tous deux fur la scène , tous deux contens d'avoir
figné un d.dit , l'un pour vendre , l'autre pour
acheter la charge , tous deux fe croyant sûrs de
Ja main de Julie , l'un en fe fixant à Paris , l'antre
en fe fixant en Province , tous deux enfin
comptant pour le fuccès , l'un fur la tante ,
l'autre fur la mère. C'eſt à Madame de Melcour
à prononcer , elle va décider du fort de deux
rivaux , du bonheur de la fille , du beau- père , de
la tante. Terville , paffionné , tâche d'intéreſſer
tout le monde à fon amour. Dans ce moment
Julie éperdue & tremblante implore la tendreffe
de fa mère , elle fe jette à fes genoux , les baigne
de fes pleurs & les embrasle. La mère ne
peut réfifter à ce fpectacle attendriffant ; le fentiment
qu'une foibleffe paffagere avoit étouffé
ou fufpendu dans fon coeur reprend tous fes
droits ; elle fe reproche d'avoir pu expofer le
bonheur de fa fille , elle la relève , l'embraffe ,
la donne à Terville, & leur dit de refter à jamais
unis auprès d'elle. La tante , la fille , l'amant , le
beau-père , tout eft tranfporté de joie. Jerfac
FEVRIER . 1772. 163
feul paroît interdit , il menace de plaider vingt
ans , s'il le faut 2 pour ravoir fa charge. La
tante lui crie qu'elle payera le dédit , remercie fa
belle-foeur , rend à Vilmon la parole , & finit
par ce vers charmant :
Vous voyez : rien ne peut réſiſter à ma nièce,
Réflexions fur la Mère jaloufe .
On vient de voir l'analyse de cette pièce qui
n'a pas été reque fans doute comme elle devoit
l'êtres qu'on a beaucoup critiquée , que peu de
gens ont entendue , qui eft remplie de beautés de
tous les genres, & qu'on peut nommer une des
meilleures comédies qui aient paru depuis long
tems.
Le caractère de la tante , ce mêlange continuel
d'étourderie & de bonté,de vivacité & de tendrefle,
cette espèce d'oubli des conventions & de l'amourpropre
, cet abandon de foi- même qui fait qu'elle
ne vit , ne penfe & ne respire que dans un autre,'
cette franchife qui tient à fon imagination qui
l'emporte encore plus que fon caractère ; les of
fenfes , les excufes , le befoin qu'elle a d'aimer ,
de gronder , de pardonner , enfin toutes fes paf
fions qui font en faillie & mêlées toujours d'une
brusquerie piquante fans jamais être voilées par
cette circonspection froide & monotone dont la
fociété fait un devoir & que l'ufage a fi bien établie
par-tout , tout cela enfemble forme un caractère
de théâtre très- original & du plus grand
effet ; aufli a-t-il généralement réuffi,
Le caractère de la mère a été beaucoup plus
164 MERCURE DE FRANCE:
critiqué. Les ans l'ont trouvé trop odieux , les
aurres pas aflez prononcé. Il feroit difficile que
ces deux critiques a la fois fuflent juftes ; car fi le
caractère eft trop dur , les nuances n'en peuvent
être toibles ; & fi les nuances font trop adoucies,
comment eft il odieux : Quoiqu'il en foit il n'étoit
guère poffible de mettre autrement ce carac
tère en scène. S'il eût été plus fortement peint,
il n'eût pas manqué de revolter. Il y a des vices
qu'on n'aime point à voir de trop près , même fur
le théâtre ; on y ( upporte aifément tous ceux qui
ne font que blefler les conventions & pour ainfi
dire la police de l'ufage , ceux qui importunent
& troublent la fociété plutôt qu'ils ne la détrui
fent , & font plus contraires aux moeurs d'agré
ment qu'à la nature. Il n'en eft pas de même des
Vices qui bleflent les premiers devoirs de l'humanité
& de la morale . C'eſt pour cela peut-être
que les fils ingrats ne pourront jamais réuſſir ( ur
le théâtre , quand ils feroient foutenus par toute
la vigueur du génie comique . Ce fujet met continuellement
les ames honnêtes dans une fitua.
tion pénible. Le caractère de la Mère jalouſe ,
traité dans toute la force , produiroit le même ef
fet. Si la mère avoit facrifié fa fille , fi elle l'eûr
rendu tout-à - fait malheureufe , fi d'un bout de la
pièce à l'autre elle eût fait couler fes larmes , c'eût
été un monftre , elle eût revolté. Si même , fans
porter les fituations à l'extrême , elle eût laiflé
éclater ouvertement fa jaloufie , elle eût encore
bleflé ; elle eût paru d'un autre fiécle , aujourd'hui
(ur- tout où les vices & les vertus fe cachent,
où l'on voile toujours de propos honnêtes , les
fentimens qui le font le moins , où la fociété ,
portée au plus haut degré , & l'ufage de fe conraindre
apprend à bien la néceffité de paroître
FEVRIER . 1772 . 165
différent de ce que l'on eft. D'ailleurs la jalousie
d'une mère contre la fille eft une foiblefle fecrette
qui eft au fond de fon coeur , & qu'elle fe diffimule
peut-être à elle - même. Il falloit donc qu'elle
eût de tems en tems des retours de tendrefle ; il
falloit encore que tout ce qu'elle dit , & ce que
La paffion même lui inspire , cûr roujours une apparence
de railon , de forte qu'elle pût le tromper
elle-même , fans pouvoir cependant tromper le
Spectateur.
ટિ
Tel eft le plan & la couleur générale de ce caractère.
On convient que préfenté de cette façon
il est & doit étre beaucoup moins faillant au théâ
tre , parce que toute fon agration eft fourde &
en dedans ; mais le poëte qui l'a fenti , pour l'échauffer
l'a environné par - tout du caractère de la
tante C'est elle qui eft chargée de faire fortir le
caractère de la mère ; qui la pour luit , la prefle ,
la tourmente naïvement ; & avec la bonté franche
& brusque fait l'ancienne fonction des Furies
auprès des coupables . Elle relève encore le carac
tère de la mère par fon contraſte , & par la bonne
foi comique avec laquelle elle convient tout natu
rellement de fa laideur & de fon âge.
On a fait une autre objection contre la mère ;
on a dit tout nettement que ce caractère n'étoit
point dans la nature . Il ne faut point diffimuler
que cette objection a été faite par des femmes . Ce
ne peut être furement que des mères tendres &
fenfibles que les vices de la focieté n'ont pu cor
rompre , qui ont mis tout leur amour- propre dans
leurs devoirs , leur bonheur dans la nature , & à
qui tout fentiment qui n'eft pas honnête est étrans
ger; ou des mères qui bien füres d'elles - mêmes
& tranquilles avec railon fur leur beauté ne peu
166 MERCURE DE FRANCE:
vent que gagner & s'embellir auprès de leurs ri
vales.
D'autres , en convenant que le caractère exiſte,
ont dit que dans la pièce il n'eſt pas fondé ; que
la coquetterie & le defir général de plaire ne fuffic
pas pour rendre une mère jalouſe de ſa fille ; qu'il
falloit donner à cette paſſion un objet , & l'exciter
par une rivalité d'amant . Je crois encore cette
critique faufle. Tous les jours une femme eft jaloufe
fans autre intérêt que celui de plaires
toute femme qui veut regner par la beauté a une
prétention exclufive. C'est une espèce de fouveraineté
qui n'admet point de partage. J'en demande
pardon aux femmes ; mais dans ce genre elles
reflemblent un peu aux Sultans , qui même, avant
que l'on conspire , font toujours importunés
de fe fentir des frères ou des rivaux . D'ailleurs
rendre la mère rivale de fa fille , c'eût été
mettre au théâtre une aventure au lieu d'un caractère
: c'eût été vouloir refaire la Mère coquet.
te de Quinault , qui n'eſt véritablement qu'une
pièce d'intrigue , quoiqu'on la mette au rang
des pièces de caractère .
Je ne m'étendrai point fur les autres rôles de
la pièce. Celui de Melcour eft grave & honnête ;
c'eft le tableau d'un beau père vertueux. Il dit en
raiſons à la mère ce que là tante lui dit en brufqueries.
Il protége la fille , il adoucit & rappro
che les deux belles- fours ; c'eft la morale fenfible
placée entre les paffions . Son caractère eft furtout
développé dans l'avant - derniere fcène da
fecond acte , une des plus belles de ce genre , &
des plus éloquemment écrites qu'il y ait au théâ
tre. C'eft-là qu'on trouve ce vers fi doux , en parlaut
des cours fenfibles.
FEVRIER. 1772 167
Et le peu de bonheur que l'on a nous vient d'eux.
Le rôle de la fille eft peu de chofe. Peut - être
fuffifoit-il qu'elle fût intéreflante & aimable ; &
elle l'eft. Sa naïveté amuſe , & ſon danger intérefle.
Le rôle de l'amant eft ce qu'il doit être , vif&
ardent. Son feul intérêt eft celui de fon amour :
il n'a point de nuances particulières ; mais tous
les amans de Molière & de Térence font les mêmes
. Ils ont le caractère de leur paffion , & cela
fuffit ; l'ame n'en a presque jamais d'autre.
Le rôle de Jerfac auroit pu être d'un comique
plus marqué , mais il ne devroit pas être plus
étendu ; c'est un rôle fubalterne & qui nedoit pas
occuper plus d'efpace .
Celui de Vilmon est nouveau ; il a de l'agrément
& de la finefle ; c'est un fpectateur de fang
froid qui voit tout , n'est dupe de rien , juge les
paffions fecrettes & ne fe fert jamais de la péné
tration que pour des vues honnêtes.
Ainfi la mère est tourmentée tout à la fois par
la paffion de Terville ; l'efprit de Vilmon , la raifon
de Melcourt & la franchiſe de la tante : il n'y
a pasjufqu'à la gaucherie de Jerfac qui ne tourne
contre elle ; tous les rôles font difpofés pour elle
& frappent fur elle.
Voilà pour la partie des caractères qui tons àpeu-
près font bien conçus , & dont plufieurs font
exécutés fupérieurement . Nous ne dirons pas tout
-à - fait de même de la marche & de l'enfemble de la
pièce : en général l'action n'est point aſſez rapide ;
les fcènes ne s'appellent pas toujours les unes les
autres :peut-être manquent-elles quelquefois d'u
nion dans leur enſemble ; de là naît un effet aflez
168 MERCURE DE FRANCE.
fingulier : chaque ſcène priſe à part a de la chaleu
& cette chaleur ne fe communique pas toujours au
totalde l'ouvrage.
Dans le premier acte , après la fcène des Tuileries
qui est charmante & du plus grand effer,
celle du tableau en fait moins ; elle annonce trop
& ne donne pas aflez : il ne faut frapper les
yeux qu'en proportion de ce qu'on a à dire à l'a
me. Les autres fcènes ont le défaut de ne pas enta,
mer l'action aflez vîte ; mais toutes rachètent ce
défaut par une foule de jolis vers & de détails piquans.
La première moitié du fecond acte n'a pas non
plus une marche aficz preflée ; l'action le fait atten
dre ; mais depuis l'entrée de la tante fur la Icène
jufqu'à la fin , on est très - vivement & très agréablement
occupé par des chofes ou comiques ou
forres
Toute la première moitié du troifiéme acte jul
qu'à la fortie de la tante , est d'un excellent comique
, & l'on n'y defire ni plus de mouvement , ni
plus d'action. La fcène fur- tour du mariage de la
tante avec Vilmon eft auffi imprés ue qu'exécutée
d'une maniere originale & vive ; elle excite toujours
les plus g ands applauditlemens , mais le
refte de ce troifiéme acte a trop de mouvemens &
d'embarras ; il y a trop de fils tendus ; la vente &
l'achat fubit de cette charge n'eft pas néceflaire &
manque un peu de reflemblance . Enfin c'est sûrement
la partie de la pièce la moins heureuſe ,
mais la piéce entière n'en eft pas moins un ouvra❤
ge du plus grand mérite , l'ouvrage d'un homme
de beaucoup d'efprit , d'un excellent écrivain ,
& d'un bon Poëte comique .
Je ne dirai rien du dialogue , ni du ftyle ; il n'y
a qu'une voix fur ces deux objets, Le ftyle eft un
modèle
FEVRIER. 1772. 169
modèle en ce genre , & le dialogue a un caractère
de finefle , de préciſion & de vérité que n'ont cu
peut être aucun des poëtes comiques qui ontfuivi
Molière.
Ilferoit peut-être curieux maintenant d'examiner
ce qui a pu diminuer le fuccès d'un ouvrage
auffi eftimable prefque par- tout , & en quelques
endroits fifupérieur. Ses défauts ne fuffisent pas ;
il faut qu'il y ait eu quelque caufe un peu différente.
Óferoit- on rifquer là deflus une conjecture?
On a remarqué , en général , que c'étoient
les femmes qui étoient les moins difpofées à louer
cet ouvrage ? Par une espèce de confédération tacite
elles font convenues de ne point autorifer une
pareille pièce ; il eft impoffible qu'elles ayent
voulu protéger par intérêt la foiblefle qui eft
jouée dans cette comédie. Ce genre de ridicule ou
de vice n'eft pas aflez général ; & dans Paris même
les mères tendres & fenfibles font fûrement
en beaucoup plus grand nombre que les mères jaloufes
; mais d'après quelques vers ( malheureufement
très-agréables ) répandus dans la pièce , la
plupart des femmes fe font imaginées que l'auteur
en leur laiffant le defir de plaire pour toute leur
vie , leur interdiſoit la beauté à trente-deux ans ;
elles auroient pû pardonner à l'ouvragebeaucoup
de défauts ; elles n'ont pu fans doute pardonner
une telle erreur. Trop de femmes étoient intéref
fées dans l'offenfe , & trop dailleurs étoient en
droit de réfuter cette calomnie. Ainfi la pièce entière
a été punie par elles du crime de quelques
vers. On a accuféla partie de déclamer contre les
juges , & le procès n'en a pas été mieux jugé. A
Paris fur tout cette moitié du Public entraîne l'au
tre, & parce qu'une tante paffionnée & folle a
H
170 MERCURE DE FRANCE.
dit une impertinence à fa belle -four , on a réfolu
de faire juſtice à la fois & de l'auteur & de la
pièce.
Peut - être même dans l'injufte accueil qu'on a
fait d'abord à cet ouvrage , eft il entré encore
d'autres raitons. Nous ne lommes point allez accoûtumés
fur notre theâtre à voir des vices ou des
ridicules de femmes. Tous nos poëtes comiques
ont eu pour elles le reſpect de la nation . Moliere a
mis en icene les précieufes & les femmes fçavantes;
mais dans l'une de ces piéces il n'a fait que jouer un
travers de l'efprit , un refte d'afectation que le
bon goût & fur tout la cour de Louis XIV commençoit
à proferire ; dans l'autre un ridicule que
les femmes même entr'elles ne le pardonnent pas ,
& que le goût général de la nation autorife le
moins. C'étoit immoler dans Paris une quinzaine
de femmes à toutes les autres , dont l'ignorance aimable
étoit bleffée en fecret par des prétentions
qu'elles n'avoient ni ne pouvoient avoir Ainfi
Moliere dans cette piéce fuivoit le goût général
des femmes au lieu de le combattre. La coquette
du Milantrope ne pouvoit guere plus les offenfer.
Elles pardonnoient tout parce qu'elles voyoient
une femme enchaîner quatre hommes à la fois.
Elles voyoient fur tout avec un fecret orgueil le
fier & dur Milantrope foumis à la beauté & fe débattant
inutilement daps fes chaînes qu'il ne peut
rompre. Moliere , dans prefque toutes les autres
piéces a tonjours flaté les femmes en prêchant leur
liberté , & dévouant au ridicule les maris , les peres
ou les tuteurs tyrans.
Regnard n'a peint en ridicules de femmes , que
celui des coquettes furannées. On peut les atta
quer fa peil , parce que ce ne font plus ellesqui
jugent; & quand elles le voudroient ce font des
FEVRIER. 1772 171
fouveraines qui ont perdu leur empire. Encore remarque-
t- on que ces rôles même pour la partie de
l'exécution , font toujours chargés au théâtre ,
comme fi on vouloit perfuader aux femmes intérelées
que ces fortes de rôles ne font d'aucuns
pays , n'y d'aucun fiécle .
Dutrelni n'a que deux piéces où il ait peint des
vices de femmes ; l'une eft l'efprit de contradiction
, efpece de travers qui n'a rien d'humiliant
, & un peu plus fâcheux pour nous que pour
elles. L'autre beaucoup moins connue eft la Joueu-
Le , Comédie qui n'eft jamais repiéfentée & qui ne
pourroit l'être ; elle infpiteroit du dégoût aux
hommes , & révolteroit les femmes . Au théâtre
comme dans le monde une paffion , ou un vice qui
développe les graces & la beauté le fait toujours
pardonner; une paffion ou un vice qui les éteint ne
peut réuffic.
Deftouches dans vingt Comédies n'en a que
deux où il ait eflayé de porter fur les femmes un
comique un peu fort , l'une eft l'Ambitieux , où
une certaine Dona Béatrix indifcrette autant par
caractere que par vanité , publie tout à l'oreille ,
& fait tout échouer : la piéce ne put réuffir , le
rôle de la femme fur- tout fut trouvé impertinent
& mauvais on décida que le caractere de la
Femme indifcrète n'é oit point dans la nature ;
l'autre eft la Belle orgueilleufe ou l'Enfant gâté ,
petite comédie en un acte , où l'on voit une mere
qui a deux filles , follement idolâtre de l'une , &
tyran de l'autre . La piéce ne prit point , & eft aujourd'hui
profondément inconnue. On peut encore
remarquer dans le Diffipareur quelle eft la
délicateffe du public François fur les rôles de femmes
; car la veuve qui eft très -honnée, qui n'a
Hy
172 MERCURE DE FRANCE .
d'autre but que de fauver le diffipatour en l'éclai
rant , paroiflant néanmoins dans les quatre premiers
actes vouloir le ruiner pour s'enrichir de les
dépouilles , on a de la peine à fupporter ce' rôle ,
& il bleffe fecrettement quoiqu'on fache dans le
fond à quoi s'en tenir , tant nous avons befoin au
théâtre de trouver de la perfection & des vertus
aux femmes , ou du moins de ne rien voir qui fuppofe
qu'elles n'en ayent pas .
Boiffy , dans fon théâtre , n'a peint ni hommes ,
ni femmes , ni vices , ni ridicules ; il a fait des
ouvrages dialogués fur des modes d'un jour qui
le lendemain n'étoient plus . Heureusement pour
lui, il a deviné un caractère , & rencontré un plau
qui fait que fon nom eft encore cité * . Mais on
voit qu'il n'a pas même penfé à mettre au théâ
tre un vice ou un ridicule de femme. Toutes les
pièces font ou des madrigaux ou des vaudevilles . "
La Chauffée en eft encor plus loin que tous les
autres. On peut dire dans le fens contraire que
c'eft véritablement lepoëte comique des Femmes,
fi cependant il eft comique. Ses plans , les fujets ,
fes intrigues , fes romans , tout dans fes pièces eft
fubordonné aux femmes . Elles y regnent , ellesy
inftruifent , elles raffemblent autour d'elles tout
T'intérêt . Elles y font toutes vertueuíes & tendres,
naïves avec grace , ou d'une fenfibilité courageufe
, intérellantes par les malheurs comme par
Tamour , enfin des modèles de mérite comme de
beauté. La Chauffée , dans ſon théatre , a pris les
idées on vraies ou de convention de l'ancienne
chevalerie fur les femmes , & les a fondues non
point avec nos moeurs que ces idées auroient
L'en me du jour ou les dehors trompeurs,
FEVRIER . 1772. 175
Contredites , mais avec nos ufages , & par ce més
lange il a perfuadé aisément à toutes les femmes
que c'étoit leur propre tableau qu'il leur préfen
toit. Racine & Corneille même avoient livré la
tragédie aux femmes ; la Chauffée leur a livré la
comédie , & c'eft depuis ce tems- là qu'elles font
accoutumées à regarder le théâtre comme leur
empire.
On voit donc qu'une piéce nouvelle-dont elles
font l'objet, & où l'on a voulu peindre une foibleffe
ou un vice , dont le plus grand nombre
d'entre elles eft fans doute exempt , mais que
plufieurs cachent avec foin & que d'autres ont
Jaiflé éclater , a dû être regardée comme une ef
péce de révolte. Qui fait même files hommes ne
devoient pas prendre un peu parti pourelles ? Pout
faire fortir le caractère de la Mère jaloufe , il
falloit mettre les fituations en contraſte avec le
caractère ; il falloit donc qu'elle fût humiliée : &
cependant il falloit qu'elle fût jeune , qu'elle eûr
encore de la beauté & des graces . Mais devant
des fpectateurs François , fes graces & fa beauté
devoient
naturellement obtenir pardon pour fa
foiblefle . Par une fuite de la galanterie nationale
les hommes même , en voyant une femme humi
liée , devoient fouffrir , & une partie de fpectafeurs
la protéger en fecret contre le poëte.
Il y auroit beaucoup de chofes à dire fur l'in
térêt de fenfibilité qu'on a demandé dans cet ou
vrage ; forte d'intérêt qui n'eft point du tout du
genre de la vraie comédie , & auquel nous fommes
trop accoûtumés peut- être par nos drames ,
par notre nouvelle mufique & par la tournure
pathétique que des hommes d'un grand talent ont
donnée aux opéras comiques modernes ; ce feroit
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
encore le lieu peut - être de parler de ce bon ton
qu'on exige tant aujourd'hui dans les comédies ,
comme s'il y avoit ou devoit y avoir pour les
Ouvrages un autre bon ton que le bon goût ; coinme
fi le Milantrope , le Tartuffe , l'Avare , Tur
caret , la Métromanie , étoient écrits dans le bon
ton ; comme fi ce bon ton qui confiſte à tout af
foiblir , à tour nuancer , qui oblige à le tenir fut
la réſerve , à na rien prononcer fortement & à
compter toujours avec les petites paffions , les
amours propres , les conventions , les préjugés &
les ufages de tout ce qui nous environne , n'étoit
pas meurtrier du vrai talent comique , & entiè
rement oppofé à l'expreflion forte & vigoureufe
des caracteres & des meurs ; mais ces deux objets
demanderoient de la discuffion , & nous avons
déjà paflé les bornes ordinaires d'un extrait. Nous
oferons allurer en finiflant que cette comédie
malgré les critiques juftes ou injuftes qu'elle a
efluyées , doit refter & reftera au théâtre . Elle eft
infiniment fupérieure à la plupart des pièces en
trois actes que nous avons. Il eft feulement à
fouhaiter qu'il trouve toujours deux aufli bonnes
actrices pour jouer les deux grands rôles de fem
mes. Si le talent de l'actrice pleine d'esprit & de
fineffe ( 1 ) qui a joué la mère n'eſt pas auffi ap
plaudi au théâtre que celui de la tante , (2 ) c'eſt
que le fpectateur , en applaudiffant la mère , craindroit
pour ainfi dire de paroître le rendre com→
plice de la foibleffe qu'elle cache. Il y a toujours
une espèce de fentiment moral qui conduit les
battemens de mains ; & le rôle du Tartuffe au
( 1 ) Mde Préville.
(2 ) Mde Drouin.
FEVRIER . 1772 :
175
toit beau être joué pour la partie de l'art , de la
manière du monde la plus parfaite , on rira, mais
on n'applaudira jamais , Préville même.
Au refte nous fommes bien aile d'annoncer
que depuis les repréfentations de Paris , la comédie
de la Mère jalouſe a été repréſentée à la cout
avec un fuccès général. Le Public doit defirer
qu'un auteur qui s'annonce avec tant de talent ,
continue cetre carrière , & ait le courage de lui
donner de nouveaux plaifirs.
ACADÉMIES.
Académie Royale de Chirurgie.
L'ACADÉMIE royale de chirurgie pro
pote pour le prix de l'année 1773 la
quettion fuivante :
Quelle eft , dans le traitement des maladies
chirurgicales , l'influence des chofes
nommées non naturelles ?
Le prix confiftera en une médaille d'or
de la valeur de cinq cens livres , fuivant
la fondation de M. de la Peyronie.
Ceux qui enverront des Mémoires font
priés de les écrire en françois ou en latin
, & d'avoir attention qu'ils foient fort
lifibles .
Les auteurs mettront fimplement une
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE:
devife à leurs ouvrages ; ils y joindront à
part , dans un papier cacheté & écrit de
leur propre main , leur nom , qualités &
demeure ; & ce papier ne fera ouvert
qu'en cas que la pièce ait mérité le
prix.
Ils adrefferont leurs ouvrages , francs
de port , à M. Louis , Secrétaire perpé.
tuel de l'académie royale de chirurgie ,
à Paris , ou les lui feront remettre entre
les mains .
Les étrangers font avertis qu'il ne fuffic
pas d'acquitter le port de leurs paquets
jufqu'aux frontières de la France ; mais
qu'ils doivent commettre quelqu'un pour
les affranchir depuis la frontière juſqu'à
Paris , fans quoi leurs Memoires ne fe
tont point admis au concours.
La médaille fera délivrée à l'auteur
même qui fe fera fait connoître , ou au
porteur d'une procuration de fa part ;
l'un ou l'autre repréfentant la marque
diftinctive , & une copie nette du Mé
moire .
Les ouvrages feront reçus jufqu'au
dernier jour de Décembre 1772 , inclufivement
; & l'académie ,
& l'académie , à ſon affemblée
publique de 1773 , qui fe tiendra
le jeudi après la quinzaine de Pâques ,
FEVRIER. 1772. 177
proclamera celui qui aura remporté le
prix,
L'académie ayant établi qu'elle donne-
Toit tous les ans fur les fonds qui lui ont
été légués pár M. de la Peyronie une médaille
d'or de deux cens livres à celui des
chirurgiens étrangers ou Regnicoles , non
membres de l'académie , qui l'aura meritée
par un ouvrage fur quelque matière de chirurgie
que ce foit , au choix de l'auteur ;
elle adjugera ce prix d'émulation le jour de
la Séance publique , à celui qui aura envoyé
le meilleur ouvrage dans le courant
de l'année 1772.
Le mêmejour elle diftribuera cinq médailles
d'or de cent francs chacune , à cinq
chirurgiens ,foit Académiciens de la claffè
des libres , foit fimplement regnicoles , qui
auront fourni dans le cours de l'année
1772 , un Mémoire ou trois Obfervations
intéreffantes.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADEMIE Royale de Mufique a donné
le mercredi 21 Janvier , la première
HY .
178 MERCURE DE FRANCE:
repréſentation de la reprife de Caftor &
Pollux , tragédie jouée pour la première
fois en 1737 , repriſe en 1754 & 1764 .
Le poëme eft de M. Bernard , la mufique
de Rameau .
Les acteurs fonr Pollux , M. Gelin ;
Caftor , M. Legros ; Thelaïre , Mlle Arnould
; Phébé , Mlle Duplant ; Mercure ,
M. Durand, Cléone , confidente de Phébé ,
Mlle Durancy ; le grand Prêtre de Jupiter
, M. Beauvalet ; un Spartiate , M.
Caffaignade; une fuivante d'Hébé , une
ombre heureufe , Mlle Rofalie. Des Spartiates
, des Guerriers combattans , des
plaifirs céleftes , des Puiffances magiques,
des Démons , des Ombrès heureuſes ,
des Peuples.
Cet Opéra qui réunit tous les moyens
en quelque forte de tous les autres Opéra ,
la pompe du fpectacle , l'intérêt de la
fcène , la variété des événemens , le contrafte
des effets , une poëfie facile & lyrique
, une Mufique favante & toujours
gracieufe , avec le fecours des premiers
talens , pour le jeu , pour le chant , &
pour la danfe , enfin la Tragédie de Caftor
&Pollux fera toujours l'admiration & les
délices des amateurs éclairés . Ce poëme
eft trop connu pour en retracer ici l'ana
FEVRIER . 1772. 179
lyfe ; il fuffit d'en rappeler les traits prin
cipaux.
Pollux fait à Caftor le facrifice de fon
amour en lui cédant Thélaïre , l'objet de
fa paffion ; mais Caftor périt dans un combat
contre Lincée , qui veut enlever la
princeffe , animé par Phébé , fa foeur &
fa rivale. Thélaïre vient pleurer au tombeau
de Caftor , & chante ce monologue
fameux par la recherche des accords , & le
pathétique de la mufique.
Triftes apprêts , pâles flambeaux ,
Jour plus affreux que les ténèbres ,
Aftres lugubres des tombeaux ,
Non , je ne verrai plus que vos clartés funèbres.
Toi , qui vois mon coeur éperdu ,
Père du jour , ô Soleil , ô mon père !
Je ne veux plus d'un bien que Caftor a perdu ,
Et je renonce à ta lumière.
Pollux triomphe de Lincée ; des chants
de victoire fuccèdent aux accens de la
douleur. Combats d'Athlètes & de Gladiateurs
. Pollux implore Jupiter de rendre
Caftor au jour & à fon amour . On fe
rappelle cette belle hymne à l'amitié , fi
bien exprimée par le poëte & le muficien .
Préfent des Dieux , doax charme des humains ,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
O divine Amitié , viens pénétrer nos ames ;
Les coeurs éclairés de tes flames ,
Avec des plaifirs purs n'ont que des jours fereins .
C'eft dans tes noeuds charmans que tout eft jouif
fance ,
Le temps ajoute encore un luftre à ta beauté :
L'amour te laifle la conſtance ,
Et tu ferois la volupté ,
Si l'homme avoit fon innocence.
Jupiter veut détourner Pollux de
quitter les plaifirs céleftes pour aller
trouver fon frere qu'il ne peut délivrer ,
fuivant l'ordre du deftin , qu'en prenant
fa place. Son amitié l'emporte , il def
cend aux enfers. Les démons s'efforcent
en vain de l'arrêter . Mercure le guide &
le conduit aux champs Elifées . Il délivre
Caftor , qui lui dit :
Qui , je céde enfin à tes voeux ,
J'irai fauver les jours d'une amante fidèle ,
Je renaîtrai pour elle;
Mais puisqu'enfin je touche au rang des immor
tels ,
Je jure par le Styx qu'une feconde aurore
Ne me trouvera pas au féjour des mortels.
Je ne veux que la voir & l'adorer encore
Er je te rends le jour , ton trône & tes autels. I
FEVRIER. 1772. 181
Thelaïre retient par fes larmes & les
prières Caftor au-delà du terme qu'il a
promis au deftin de retourner aux enfers .
Les Dieux fignalent leur colere par les
éclats de la foudre. Les amans font confternés
; Thelaïre tombe évanouie ; mais
le ciel fe laiffe fléchir par tant d'amour,
& Jupiter annonce le retour de Caftor ,
& permet aux deux freres le
l'immortalité.
>
partage
de
Nous donnerons dans le prochain
Mercure , le détail de la reprite de cer
opéra que le public fuit avec empreffement
, & revoit avec un plaifir toujours
nouveau.
COMÉDIE FRANÇOISE .
LES Comédiens François cominuent avec
fuccès les repréſentations de Gafton &
Baiard , tragédie de M. de Belloy , remife
fur leur théâtre le 22 de Janv . Mile Saintval,
joue à cette reprife,le rôle d'Euphemie
avec beaucoup de fenfibilité , & M. Ponreuil
celui du Duc d'Urbin avec nobleffe.
On doit donner bientôt les Druides , tra
gédie nouvelle de M. Leblanc.
1
182 MERCURE DE FRANCE:
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens jouent avec un
fuccès foutenu , Zémire & Azor , Comédie
ballet en quatre actes & en vers de M.
Marmontel , de l'académie Françoiſe ;
la mufique de M. Gretry.
On attend quelques nouveautés fur ce
théâtre.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Le Vieillard à laToque , portrait de forme
ovale , gravé d'après le tableau original
de Rembrant , par M. de Marcenay.
A Paris , chez l'auteur , rue d'Anjou
Dauphine , & chez M. Wille , graveur
du Roi , quai des Auguſtins.
CEE portrait
eft vu des trois quarts. Le
perionnage
qu'il repréfente
eft décoré
d'un colier d'ordre
, & coeffé d'une espéce
FEVRIER. 1772 : 183
de toque ou bonner. Son caractère de tête
a beaucoup de nobleffe & de douceur . Ce
portrait peut fervir de pendant à un autre
portrait en ovale que M. de Marcenay a
publié il y a deux ans , & qui eft connu
fous le nom de la Dame à la plume , ou
de la Dame à la perle . Au bas de la planche
que nous annonçons , M. de Marcenay
a gravé un petit payfage qui en fera
détaché par la fuite. Ces deux morceaux
forment les numéros 40 & 41 de fon auvre.
La gravure de cet artifte a de quoi
plaire , fur-tout à ceux qui demandent
que la fineffe & la propreté de l'exécution
fe trouvent réunies à l'intelligence
du clair - obfcur.
M. de Marcenay eft actuellement oc
cupé à terminer le portrait du célèbre
hiftorien de Thou , & une autre planche
dont le fujet , tiré de l'hiftoire Romaine ,
fervira à nous rappeller ce beau trait de
Regulus qui s'arrache aux empreffemens
de fes amis , & aux larmes de fa famille ,
pour fe remettre entre les mains des ennemis
de fa patrie : & dégager la parole
d'honneur qu'il leur avoit donnée.
184 MERCURE DE FRANCE .
I L.
Portrait de Profper Joliot de Crebillon ;
de l'Académie Françoife , peint par
Aved , & gravé par F , Ficquet. A Paris
aux adreſſes ordinaires de gravure.
Ce portrait eft du même format que
celui de Pierre Corneille & de Moliere
que nous a donné M. Ficquet. On n'admire
pas moins dans celui qui vient de
paroître , que dans les premiers , la précifion
& la légereté d'outil , & le fini précieux
de l'exécution . Le célèbre Poëte
tragique dont on nous rappele les traits
est yu de face. Le genre dans lequel il a
excellé eft particulièrement caractérisé
par une couronne & un fceptre placés au
bas du portrait, & par une coupe , un
Hambeau & des poignards que les ferpens
des furies entrelaffent.
I I I.
Le petit Glouton , & les enfans corrigés
par l'affront , deux eftampes gravées pat
M.J.Ouvrier , d'après les tableaux originaux
de M. Schneau , peintre de S. A. S. E.
de Saxe , d'environ 18 pouces de hauteur,
FEVRIER. 1772. 189
13 pouces de largeur . Ces eftampes repréfentent
des fcènes de la vie domeſti
que. Dans l'une c'eft une mere entourée
de fes enfans , qui fait donner un remède
par un grave apoticaire à un petit enfant
malade d'indigeftion . Dans l'autre , c'eſt
un enfant à qui l'on met les cornes , pour
le punir de fa malpropreté . La gravure eft
très bien traitée. On trouve ces eftampes
chez M. Ouvrier , place Maubert , même
maifon d'un Bonnetier , au Soleil d'or.
TOPOGRAPHIE.
I.
Routes de Paris à Strasbourg par Meaux ,
Château - Thierry , Châlons , Nancy ,
& c , autre routes par Metz ou par
Compiégne , Soiffons , Rheims , &c ,
ou par Troyes , Langres , Belfort ,
Bafle , &c , avec vingt- huit routes intermédiaires
en trente huit planches
in4° à l'angloife tirées des vingt-qua
tre cartes de l'académie .
CES routes font accompagnées de tous
les détails topographiques néceffaires aux
Voyageurs. Elles fe trouvent à Paris chez
}
186 MERCURE DE FRANCE.
le Rouge rue des grands Auguftins , prix
4 livres en blanc & 9 livres lavées.
1 I.
Plan général des château, parc , jardins de
Saint Cloud fitués à l'oueft de Paris , &
appartenans à Mgr le Duc d'Orléans ,
levé , deffiné & gravé par Croifey. A
Paris chez l'auteur , à l'entrée de la rue
Dauphine , entre un pâtiffier & un coffretier.
Ce plan ne peut manquer d'être agréable
à ceux qui fréquentent ces belles promenades
. Il a environ 18 pouces de large
fur orze de hauteur , & il eft exécuté
avec foin.
GEOGRAPHIE.
LACOMBE > libraire rue Chriſtine , a
reçu de Suède deux beaux globes møntés
fur leurs pieds , l'un célefte , l'autre
terreftre , dirigés par les foins de l'acadé
mie d'Upfal , & exécutés par le célèbre
Akerman , géographe de ladite académie.
FEVRIER. 1772 187
Ces globes font de grandeur à orner
une bibliothèque ou un vafte cabinet de
livres.
MUSIQUE.
MARCHE du Huron , arrangée en
quatuor pour le clavecin , ou le forté- piano
, avec accompagnement de hautbois &
violon , ou de flute & violon ; prix 3 1,
fuite première ; la deuxième fuite contient
lespetits airs de l'Amoureux de quinze
ans & de la Cinquantaine , arrangés en
quatuor pour le clavecin , le forté piano
& la harpe , avec accompagnement de
violon , cors & alto , par M. des Aulnais
Damoreaux , maître de clavecin ; prix 3 1 .
A Paris chez l'auteur , rue de Grenelle S.
Honoré , à côté de l'hôtel Notre -Dame ,
& aux adrefles ordinaires.
L'attente de la félicité , bouquet avec
accompagnement ; par M. *** ; prix 1 1.
16 f. avec les parties féparées . A Paris , &
aux adreffes ordinaires de mufique.
188 MERCURE DE FRANCE:
Inftitution d'Agriculture.
Les Sociétés d'Agriculture ont procuré
de grands avantages dans les différentes
provinces où elles ont été établies , par
l'exemple & l'encouragement qu'elles
ont donné aux cultivateurs. 11 reftoit un
bien à faire , c'étoit de s'affurer de la
meilleure manière connue jufqu'à ce jour
de cultiver les terres , afin de la répandre
par - tout ; mais elle ne peut être enfeignée
& les leçons du premier des arts ne peu
vent être données que fur le terrein avec
la charrue ou la hoyau dans les mains.
*
On est enfin parvenu à trouver un pro
priétaire de bonne volonté qui veut
bien prêter les terreins dépendans de fa
terre d'Annel près Compiegne , & formant
avec ceux de Beftinval qui la joignent
, une terre de plus de fix cents ar
pens , pour fervir à des enfeignemens de
Loute efpèce de culture , & qui confent
à fournir gratuiment les logemens & les
uftenfiles néceffaires pour les jeunes laboureurs
qu'on enverra pour recevoir les
inftructions.
* M. Panclier.
FEVRIER. 1772 189
D'une autre part , on a reconnu , par
les fuccès multipliés & bien conftatés
dans les provinces où elle a été miſe en
ufage depuis plufieurs années , que la méthode
de cultiver les terres , de M. Sarcey
de Sutières , membre de la Société
d'Agriculture de Paris , eft la plus fûre &
la plus utile ; il veut bien donner gratuitement
tous les foins pour inftruire chaque
année douze laboureurs , de la meilleure
manière de cultiver , qui leur fera
enfeignée conformément aux détails ciaprès.
1.Aconnoître les principes généraux
'de la végétation & du développement
des plantes , & l'on aura foin de fe met
tre à leur portée pour leur apprendre cette
opération de la nature.
2°. A bien diftinguer chaque efpèce de
terre par les productions naturelles de
chacune , c'eft-à- dire que quand la terre
fans culture produit telle plante , telle
graine , & pouffe telle racine , elle eft
propre à la culture de tel ou tel autre
gain.
3° . La culture qui doit convenir à chacune
de ces terres .
4°. Les différentes efpèces de charrues ,
& les raifons de préférence en faveur de
la charrue de Brie rectifiée .
190 MERCURE DE FRANCE.
5 °. Le nombre des labours , leur profondeur
nécellaire fuivant chaque nature
de terrein pour une bonne production ,
& le tems de faire ces labours .
6°. Les engrais convenables à chaque
nature de terre & leur quantité . On leut
démontrera à cette occafion , que trop
d'engrais nuit aux plantes , & que trop peu
ne produit qu'un médioete effet.
7°. Le tems & la faifon pour appliquer
les engrais.
8°. Le bombage des terres labourées
plus ou moins fort , fuivant leur nature
féche ou humide.
9°. La manière de former des fangfues
ou faignées dans des terreins trop humides
; ce qui conduira naturellement à leur
apprendre les moyens de deffécher les
terres marécageufes & de les rendre propres
à donner de bonnes productions.
10°. La qualité & la quantité des femences
qui conviennent à tel ou tel fol ;
c'eft- à-dire , que celui - ci peut porter du
froment , un autre du blé ramé , un autre
du gros , mayen , petit méteil ou
feigle. On fera connoître les moyens de
rendre les épis plus forts & plus grenés ,
& de donner plus de qualité aux grains ,
ce qui leur fait rendre beaucoup plus de
farine & de meilleure qualité.
FEVRIER . 1772. 191
11°. La manière & la néceflité d'apprêter
les femences , la compofition de ces
apprêts , leurs avantages & les inconvéniens
qui réfultent pour les femences
quand le chaulage en eft mal fait . On
comprend dans cet article l'explication
des maladies des blés , leurs caufes & les
moyens d'en garantir les grains.
12°. Le véritable tems de faire les fe
mence , & la raifon de les enterrér plutôt
avec la herfe qu'avec la charrue ,
139. Les foins qu'il faut donner aux
terres enfemencées jufqu'au mois de
Mai .
14°. La manière de faire & de ferrer
une récolte.
15º. Les moyens de conferver fans
rifque & fans frais les blés pendant plu
fieurs années .
16°. Quelles font les caufes & l'origi-
'ne de tous les infectes & vermines , tant
fur terre que dans les granges & greniers;
les précautions pour en garantir les grains
' ainsi que des charenfons & autres infectes.
17°. Les moyens de faire les défrichemens
à peu de frais & de tirer promptement
du profit des terres nouvellement
défrichées , même de faire rapporter aux
plus mauvaiſes les trois premières récol192
MERCURE DE FRANCE.
res, fans avoir befoin d'engrais . On comprendra
dans cet article l'explication des
défrichemens néceffaires dans les différens
terreins où l'on voudroit planter des
bois ; on y apprendra aux élèves jufqu'à
quel point un fol doit être défriché plus
qu'un autre , puifque , par le défaut de
ce foin , fouvent les meilleures plantions
dépériffent,
180. Les moyens d'améliorer les prés
bas & les prés hauts , fans avoir befoin
d'engrais en parlant des prés , on traitera
des prairies artificielles , l'on expliquera
les terres propres à chacune , & dans
quels climats les unes ou les autres doivent
être femées ; on fera voir en même
tems le danger de les établir indifférem .
ment dans toutes fortes de terres & dans
tous les climats .
19°. Le moyen de détruire dans les
terres les mulots & les autres animaux
deftructeurs.
20 °. On apprendra quels font les
moyens qu'il faut employer pour fe mettre
à l'abri des mauvaiſes herbes , plantes
, racines ou graines , foit pour les labours
, herfages , engrais , &c. On y expliquera
les trois façons d'appliquer le
parc fuivant les différentes qualités de
terre.
21 .
FEVRIER. 1772. 193
21º. On enſeignera la forme des labours
, la façon d'appliquer les engrais ,
les différentes natures de femences analogues
aux efpèces & aux qualités des terres
; on leur fera voir que l'apprêt appliqué
à ces mêmes femences en les enter
rant avec la herfe au lieu de la charrue
peut garantir toutes les récoltes de blé
d'être verfées comme il n'arrive que trop
fouvent.
22°. On leur enfeignera une vraie culture
économique , propre à ménager les
engrais , les feiences , les chevaux même
pour les labours ; & de cette économie
néceffaire , ils retireront de plus fortes
productions .
23°. On leur apprendra quelles font les
productions analogues au pays & aux climats
, & ce qu'ils pourroient faire de
leurs grains , fourrages & autres productions
. dans le cas où ils ne feroient pas à
portée de pouvoir les tranfporter , foit par
rapport aux défauts de communication ,
foit à caufe des mauvais chemins.
24°. On entreta enfuite dans les détails
des dépenfes néceffaires pour monter
une ferme avec économie , favoir
combien il faut de chevaux pour une
charrue , combien d'arpens par charrue ,
I
194 MERCURE DE FRANCE .
&c. enfin leur produit net. On fera connoître
en même tems aux élèves combien
la culture par les chevaux eft fupérieure à
celle qui eft faite avec les boeufs.
25°. On leur enfeignera les moyens
d'élever des chevaux & de fe procurer des
fourrages pour les bien nourrir & les entretenir
fains & vigoureux .
26°. On leur apprendra auffi à élever
d'autres beftiaux , comme vaches , boeufs ,
moutons , cochons , volailles , & c. & à .
les garantir des maladies auxquelles ils
font fujets par le défaut de foin ou de bonne
nourriture .
27°. On fera connoître les précautions
qu'il faut prendre pour prévenir les maladies
du bétail , en leur faiſant obſerver le
tems & la qualité des pâturages & des
nourritures.
28°. On leur fera connoître quelles
font les espèces de beftiaux qu'il convient
d'avoir dans une ferme , foit par rapport
au fol , foit par rapport aux climats , &
quels font les dangers d'en ufer autrement.
29 °. On leur enfeignera les moyens
de bien connoître les fols propres aux
communes & ceux qui doivent être défrichés.
FEVRIER . 1772. 195
30°. On apprendra encore aux élèves
à cultiver la vigne par principe , ce qui
la garantira d'une grande partie des intemperies
auxquelles elle eft fujette .
31º . On leur expliquera qu'elles font
les terres propres à planter tels ou tels arbres
fruitiers , leurs différentes cultures &
leurs tailles.
Le Roi a daigné approuver cette inftitution
d'Agriculture & pourvoir aux autres
dépenfes néceffaires à cet établiffement.
Conditions.
Les laboureurs qui feront envoyés au
château d'Annel près Compiegne , pour
y recevoir des inftructions pratiques , feront
pourvus de l'agrément de M. Bertin,
miniftre & fecrétaire d'état.
2º. Ils feront âgés de vingt à trente
ans , de bonne vie & moeurs ; ils donneront
de bons répondans de leur fidélité,
3°. Ils feront fous la conduite & direction
du Sieur Sarcey de Sutières , à qui ils
feront tenus d'obéir ou à fes prépofés , &
de fe conformer en tour à fes ordres dans
les travaux ; à peine , en cas de défobéiffance
ou de mauvaiſe conduite , d'être
renvoyés , fans que fous quelque prétexte
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
que ce foit , ils puiffent être admis de
nouveau dans l'inftitution.
. Les laboureurs fe rendront , à leurs
frais , au château d'Annel , munis de l'agrément
du Miniftre ; ils feront logés
nourris & blanchis gratuitement dans ce
lieu d'inftruction pendant une année , &
leurs répondans feront tenus feulement
de leur entretien en habillement & chauf
fure .
5 °. A la fin de leur année d'inftruction ,
il fera délivré à chaque laboureur qui aura
bien mérité , par fa conduite & par fon
travail , une charrue neuve conftruite fuivant
les principes de l'inftitution , & une
herfe.
6°. Le St de Sarcey de Sutières donnera
à chaque liboureur , un certificat de
1a capacité & de fa bonne conduite pendant
l'année dans laquelle il aura reçu fes
inftructions.
PRODIGE de l'amour filial .
Extrait d'une lettre de Befançon , dus Janvier
1772.
Un homme de 42 ans , qui n'a jamais
fçu deffiner ni modeler , prend une forte
FEVRIER. 1772. 197
envie d'avoir le portrait de fon pere, mort
il y a 26 ans ; les peintres & les fculpteurs
de la ville , aufquels il fait part de fon
deffein , fe moquent de fon entrepriſe ;
mais le fils , échauffé par une espèce d'enthoufiafme
, s'enferme chez lui , fait luimême
les inftrumens propres à modeler ,
fe procure de l'argile , & au bout de trois
jours expofe le bufte de fon pere , dont il
n'exiftoit aucun portrait , aux yeux de
trente vieux citoyens , amis du défunt ,
qui tous s'écrièrent unanimement que ,
c'eft un tel , & qu'ils le reconnoiffent parfaitement.
Ce qui doit étonner encore
davantage , c'eft qu'un fameux Sculpteur
Romain , actuellement à Befançon , entendant
parler de ce prodige , demanda à
voir le bufte , en adinira la régularité du
deffin , la fûreté des contours , le bon
goût de la coeffure , & fait le plus grand
éloge de ce coup d'eflai d'un homme à
qui la piété filiale & l'imagination ont
fervi de talent & même de génie .
N. B. La lettre qui contient ce fait
étonnant , eft adreffée par un Eccléfiafticue
, à M. Jollain , peintre du Roi , dont
l'attelier eft au vieux Louvre , du côté de
la colonnade .
I
iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Une femme de province avoit écrit à
Madame Cornuel pour la prier de lui
chercher un Précepteur qui eût telles ....
telles qualités , l'énumération ne finiffoit
pas , elle écrivit enfin une lettre très pref
ante. Madame Cornuel lui répondit :
" Madame , j'ai cherché un Précepteur
tel que vous me le demandez , je ne l'ai
" point encore trouvé ; mais je le cher-
» cherai , & je vous promets que dès que
» je l'aurai trouvé , je l'épouferai ».
I I.
Alonzo d'Artagon difoit ordinairement
à la louange de la vieilleffe , qu'il falloit
toujours tenir pour bonnes , ces quarre
chofes: le vieux bois , le vin vieux , les vieux
amis , & les vieux auteurs.
I I I.
Un Intendant écrivit au bas d'un placet
une ordonnance en crayon ; on en appella
au Confeil . M. d'Agueffeau difoit , c'eſt
FEVRIER. 1772. 199
une affaire à terminer avec de la mie de
pain.
I V.
Une Dame voyant dans une compagnie
un homme qui éclatoit de rire à tout pro
pos , & fans paroître même en avoir envie ,
dit tout bas à quelqu'un qui étoit à côté
d'elle cet homme rit toujours de toutes
fes forces , &jamais de tout fon coeur.
V
L'Abbé Fouquet , favori du Cardinal
Mazarin , ayant ofé s'émanciper jufqu'à
montrer fur une carte l'endroit où M. de
Turenne devoit paffer une riviere , ce
Maréchal lui donna féchement fur les
doigts , & lui dit : Monfieur l'abbi , voire
doigt n'eft pas un pont.
V I.
Un Poëte fatyrique , qui faifoit auffi
des opéra , avoit déjà reçu plufieurs fois
des coups de bâton . Un jour étant au
parterre de l'Opéra , un homme caufant
avec lui , lui demanda s'il ne donneroit
pas bientôt quelque chofe de fa façon ?
Vraiment oui , dit- il , je travaille à un
ballet. Une voix s'écria derrière lui : M.
prenez garde au manche.
I iy
200 MERCURE DE FRANCE.
AVIS. ·
I.
ETRENNES de Minerve aux Artiſtes ; Encyclopédie
économique ou Alexis moderne , contenant
différens fecrets fur l'agriculture & les arts
& métiers , où l'on a raffemblé tout ce qui fe
trouve de plus important , extrait de plus de
neuf cens auteurs ; ouvrage de la plus grande
utilité pour les différens états ; première partie ;
prix , i liv . broché. A Paris , chez Defnos , Libraire
, Ingénieur- Géographe du Roi de Dannemarck
, rue Saint Jacques , au Globe & à la
Sphère, 1772
1 I.
Le fieur l'Empereur , rue Saint Honoré , au
Roi de Dannemark , chez un Marchand de Drap ,
près la rue de l'Arbre- Sec , vis - à -vis l'Éperonnier
du Roi , pofféde feul le fecret de faire la Pierre
de Compofition changeante & transparente ,
imitant parfaitement le fin , propre pour les
boutons d'habits brodés & unis , cette compofition
eft très - belle & bien folide ; elle peut fervir
, fi l'on veut , à douze habits l'un après l'autre
; comme il fe trouve des perfonnes qui tâchent
de les contrefaire ; il avertit le public qu'il eft
aifé de les connoître ; les faux ne préfentent à la
vue qu'une couleur rouge , d'un rouge louche ,
& que la fienne varie de plufieurs couleurs ,
comme une étoffe changeante ; il les affortit à
FEVRIER . 1772. 201
la couleur des étoffes , fi on le fouhaite ; il en
fait auffi de toute couleur pour les broderies
nouvelles ; on n'en trouve de véritables que chez
lui & à jufte prix.
NOUVELLES
POLITIQUES .
De Conftantinople , le zo Décembre 1771 .
C'EST pour la feconde fois que Muflun Oglou
parvient à la place de Grand Vifir. On s'apperçoit
déjà du bon effet qu'a produit fa rentrée dans
le Vifiriat. Il avoit été queſtion , avant ſon arrivée
à l'armée , de transporter le quartier général
à Andrinople ; mais loin de faire reculer les troupes
, il a établi fes quartiers au bourg de Paflargik
& a pouflé les détachemens en avant pour
balayer la rive gauche du Danube de tout ce
qu'il y avoit encore de Ruffes & de Cofaques ;
de forte que toute la Bulgarie eft occupée par les
Ottomans. On a retrouvé , à Babadagh , la groffe
artillerie que l'ancien Grand Vifir avoit abandonnée
, lors de la déroute du 5 Novembre. Les
Rufles s'étoient contentés de l'enclouer. La petite
artillerie a été fauvée par fix mille Bosniaques ,
qui ont combattu avec le plus grand courage.
Ces circonstances rendent plus légère la perte
des Mufulmans , & leur derniere défaite paroît
n'avoir eu pour eux d'autre fuite que celle de
changer de pofition .
De Warfovie, le 8 Janvier 1771.
On a reçu dans cette ville le manifeſte public
par le Sicur Pulawski , à l'occafion de l'attentar
202 MERCURE DE FRANCE.
commis le 3 Novembre , & dont on l'acculoit
d'être l'auteur, 11 fe juftifie dans cette pièce.
«Je protefte devant Dieu , devant toute la République
de Pologne & devant toutes les Puiffances
de l'Europe , que mon coeur étant loin
du crime , mes penfécs & mes actions n'ont &
» n'auront jamais d'autre but que celui que pourront
avouer la vertu & le patriotisme. Je protefte
que je n'ai jamais cherché à attenter à la
vie d'une perfonne qui a fçu s'approprier , de
quelque façon que ce foit , le gouvernement de
» la Nation , & je ne me propofe de l'attaquer
directement que dans un combat où elle ſe joindroit
aux plus cruels de nos ennemis . Dieu
» connoît ma fincérité , & j'espère prouver , par
» ma conduite , que je n'ai d'autre objet que celui
de facrifier ma vie enfoutenant la Religion
→ & la liberté.
ود
Signé , PULAWSKI . »
le 29 Décembre Des Frontières de la Turquie ,
1771 .
Les Confédérés de Bar viennent d'arriver fur
les confins de la Tranfylvanie , au nombre de fept
cens hommes . Après y avoir fait quarantaine , ils
continueront leur route pour aller joindre les autres
Confédérés à Biala .
De Copenhague , le 8 Janvier 1772.
Par une ordonnance , du 23 Décembre dernier ,
le Roi a accordé aux Frères Moraves la permiffion
de s'établir dans le bailliage de Hadeifleben ,
du duché de Sleswick , & de former tels établiffemens
qu'ils voudroient dans les Colonies Danoifes.
Sa Majesté leur a donné un évêque particulier
& leur a prescrit la formule de ferment que
FEVRIER. 1772. 203
leur religion leur permet de prononcer. Je protefte
aux yeux de Dieu Tout - Puiſſant que je dis
la vérité.
On vient d'établir deux nouveaux fanaux dans
la Mer du Sund ,
D'Altona , le 2 Janvier 1772 .
On vient de publier un ordonnance du Roi ,
du 18 du mois dernier , qui accorde des iminunités
& des privileges à la ville d'Altona . Par cette
' ordonnance , Sa Majesté donne , dans cette ville,
un afyle de franchiſe à tout marchand , négociant
, artifte , artifan , étranger , avec le droit
de bourgeoifie & la maîtriſe de ſa profeffion. Les
marchandifes étrangères feront exemptes de toute
espéce de droit , dans quelque cas que ce puifle
être . Il fera permis généralement à tous les habitans
de monter toutes fortes de manufactures ,
& de vendre leurs ouvrages à qui bon leur fem
blera . Tous ceux qui s'établiront à Altona n'auront
à rendre compte à qui que ce foit de l'état de
leurs affaires & de leurs biens , & chacun fera libre
de fe retirer en tout tems , avec ce qui lui appartiendra
, fans payer ancun droit d'émigration,
& fans craindre d'être inquiété.
D'Erfort , le 6 Janvier 1772 .
On continue de faire des levées dans les Etats
Héréditaires de la Maifon d'Autriche & dans ceux
du Roi de Prufle . Ce Prince a ordonné de former
plufieurs corps de troupes légeres . Le Major
Kympl doit aflembler , à Salle , celui dont le commandement
lui eft deftiné , & qui fera de douze
cens hommes. On mande également de Berlin
que Sa Majesté Pruffienne a donné ordre de tenir
un grand nombre de chevaux prêts à marcher
pour le fervice de l'artillerie ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
De Bruxelles , le 4 Janvier 1772.
Sur les représentations des Etats du Duché de-
Limbourg & du Pays d'Halem , l'Impératrice-
Reine a rendu , le 20 du mois dernier , une ordonnance
, par laquelle tous ceux qui obtiendront
un emploi , feront obligés d'affirmer , par ferment
, qu'ils n'ont donné & qu'ils ne donneront
ni argent , ni aucune autre chofe , pour fe le
Curer.
pro-
De Marſeille , le 20 Janvier 1772..
On vient de recevoir de Syrie la nouvelle de
la prife de la ville de Seyde ( Sidon ) par le Cheik
Daher.
De Versailles , le 25 Janvier 1772 .
Le 23 de ce mois , le Sieur la Live de la Briche
, introducteur , & le Sieur de Sequeville , fecrétaire
ordinaire du Roi à la conduite des ambafladeurs
, allerent prendre , dans les carroffes
du Roi & de Madame la Dauphine , le Cardinal
de la Roche- Aymon , à fon hôtel ; ils le condui
firent à la falle des ambafladeurs , avec l'Abbé
Comte de Riva , camérier fecret du Pape , nommé
par Sa Sainteté pour apporter le bonnet au
Cardinal de la Roche- Aymon . On monta au château
en cet ordre . Le carroffe de l'introducteur ,
trois carrofles du Cardinal à fes armes ; le carrolle
du Roi & le carrofle de Madame la Dauphine.
Avant la Mefle du Roi , l'Abbé Comte de
Riva fut conduit , avec les cérémonies accoutu
mées , par le feur la Live de la Briche , introducteur
des ambaladeurs , à l'audience publique
que le Roi lui donna dans fon cabinet , & il préfenta
à Sa Majefté un bref de Sa Sainteté. Après
FEVRIER. 1772. 205
cette audience , le Roi descendit à la chapelle , o
le Cardinal de la Roche- Aymon fe rendit , à la
fin de la Meſſe , étant conduit par le Sieur la Live
de la Briche , introducteur , & le Sieur de Sequeville
, fecrétaire ordinaire du Roi à la conduite
des ambasadeurs : le marquis de Dreux , grand
naître des cérémonies , & le Sieur de Nantouillet
, maître des cérémonies , en ſurvivance du Sr
Desgranges , reçurent , à la porte de la chapelle,
le Cardinal de la Roche- Aymon , qui alla fe placer
près du Prie-Dieu du Roi & fe mit à genoux
fur un carreau. L'Abbé de Riva , revêtu de fon
habit de cérémonie , ayant remis entre les mains
du Cardinal , le bref du Pape , alla prendre fue la
crédence , du côté de l'épître , un baffin de ver
meil fur lequel étoit le Bonnet , qu'il préfenta au
Roi. Sa Majefté prit le Bonnet & le mit fur la
tête du Cardinal , qui , en le recevant , fit une
profonde inclination & à l'infant même le décou
vrit dès que le Roi fut en marche pour fortit de
la Chapelle , le Cardinal de la Roche - Aymon
entra dans la facriftie , où il prit les habits de fa
nouvelle dignité ; il monta enfuite chez le Roi ,
érant accompagné du grand maître & du maître
des cérémonies. Le Sicur la Live de la Briche introduifit
Son Eminence dans le cabinet du Roi ,
où elle fit fon remercîment à Sa Majesté . Le Cardinal
de la Roche- Aymon fut conduit , avec les
mêmes cérémonies , à l'audience de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine , où ,
pendant l'audience de cette Princefle , on approcha
au Cardinal un tabouret fur lequel il s'affit ;
il fut enfuite conduit aux audiences de Monfeigneur
le Comte de Provence, de Madame la Comrefle
de Provence & chez les autres Princes & Prin.
cefles de la Famille Royale. Après toutes ces audiences
, le Cardinal de la Roche . Aymon fut re206
MERCURE DE FRANCE.
conduit à fon hôtel dans les carrofles du Roi & de
Madame la Dauphine, avec les mèmes cérémonies
que le matin , par l'introducteur & le fecrétaire
du Roi à la conduite des ambaſladeurs.
De Paris , le 27 Janvier 1771 .
On mande de Doulens , en Picardie , que , le 9
de ce mois , les rivières d'Hautie & de Grouches,
gonflées par les pluies & par les fontes des neiges
, font forties de leur lit & ont inondé tous les
lieux des environs. Elles ont emporté des grains,
des beftiaux & des bâtimens . A Doulens , où les
deux rivières fe joignent , les eaux font montées
à huit pieds fix pouces au - deflus de leur lit or
dinaire , & elles le font répandues dans la ville .
On a été obligé d'étayer la plupart des maifons.
& beaucoup de murs de jardins ont été renversés .
Heureulement , il n'a péri perfonne.
NOMINATIONS .
LeRoi vient de nommer Commandeur de l'Or
dre royal & militaire de St Louis le Marquis de
Pontécoulant , maréchal des camps & armées de
Sa Majesté & major de Sa Maifon . Il a eu , le 15
Janvier , l'honneur de faire , à cette occafion , fes
remercîmens au Roi.
Monfeigneur le Comte de Provence a choifi
pour fes hiftoriographes l'Abbé Pichon , chantre
en dignité & chanoine de la Ste Chapelle royale
du Mans , & l'Abbé Garnier , de l'académie des
inscriptions & belles lettres. Ils ont eu l'un &
l'autre , le 16 Janvier , l'honneur de faire leurs
remercimens à ce Prince , qui les a chargés de travailler
à l'hiftoire des provinces de fon appapage.
FEVRIER . 1772 . 207
Le Roi a difpofé , ( fous la réferve de différens
démembremens) de l'Abbaye de St Germain - des-
Prés , Ordre de St Benoît , diocèfe & ville de Paris
, en faveur du Cardinal de la Roche- Aymon ,
qui s'est démis de celles de Cercamp & de Beaulieu
, en Argonne , que Sa Majefté a jugé à - propos
de mettre toutes deux en économat.
Le Roi vient d'accorder au Sr d'Ormeflon, maître
des requêtes ,la furvivance de la charge d'inten
dant de fes finances , dont le Sr d'Ormeflon , fon
pêre , eft pourvû. Il a cu , le 19 Janvier , l'honneur
de faire fes remercîmens à Sa Majeſté , à qui
il a été préfenté par l'abbé Terray , miniftre
d'état & confeiller ordinaire au Confeil Royal ,
contrôleur général des finances .
Le Roi vient de difpofer de la place de fecrétaire
général des Suifles & Grifons , vacante par
la démiffion de l'Abbé Barthelemy , garde des
médailles & antiques de Sa Majesté , l'un des
membres de l'académie royale des inscriptions &
belles- lettres , &c en faveur du Sieur de Martanges
, maréchal des camps & armées du Roi . Il
a cu , le 21 Janvier , l'honneur de faire , à cette
occafion , fes remercîmens à Sa Majefté , & il a
été préfenté , en cette qualité , à Monfeigneur le
Comte d'Artois ,
"
Sa Majefté a accordé les entrées de Sa Chambre
au Comte de Montbarey , maréchal de fes
camps & armées , inspecteur général de l'Infanterie
, capitaine colonel des Suifles de Monteigneur
le Comte de Provence , au Marquis d'Avaray
, colonel du régiment Royal de la Couronne,
maître de la garderobe de Monfeigneur le Comte
de Provence ; & à l'Evêque de Gap , premier au
mônier de Meldames Victoire & Sophie,
208 MERCURE DE FRANCE.
PRESENTATIONS.
Le Marquis d'Entraigues Latis , miniftre plé
nipotentiaire du Roi auprès de l'Electeur de
Mayence , a pris congé de Sa Majefté & de la Famille
Royale , le 12 Janvier , pour se rendre àfa
deftination. Il a été préfenté au Roi par le Duc
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant
le département des affaires étrangères.
Le 24 Décembre dernier , le Comte de la Noue-
Vieuxpont , miniftre plénipotentiaire de l'Electeur
de Cologne , eut une audience particulière
du Roi , dans laquelle il préfenta fes lettres de
créance à Sa Majesté. Il fut conduit à cette audience
, ainfi qu'à celle de la Famille Royale ,
par le Sieur Tolozan , introducteur des Ambafla
deurs.
La Maiſon de la Noue , anciennement la Noë,
originaire du Comté Nantois , connue de tout
tems dans l'Ordre de la Nobleffe de Bretagne , a
eu nombre d'alliances avec les Mailons de Rieux,
de Laval , de Chateaubriant , & autres Familles
de cette province.
Les Ducs qui confioient à la Nobleſſe toutes
les places de leurs états , ont employé honorablement
les la Noue , foit près de leurs perfonnes
, foit dans les négociations , foit dans les
grades militaires , foit dans les finances .
En 1459 , Guillaume de la Noue fut fait tréforier
général de Bretagne , équivalent de contrôleur
général. On le cite plus particulièrement ,
parce que c'eft à lui que fe fit la première féparation
des branches .
En 1487 , fon neveu , Guillaume de la Noüe
qui avoit époulé l'héritière de Liffeneuc , dont il
avoit pris le nom & le armes , cut la commiffion
de fortifier & de défendre la ville de Vannes.
FEVRIER. 1772 . 209
En 1504 , Guillaume de la Noue , capitaine
de 25 lances , fils de la Noüe S. de Lifleneuc ,
fut mandé à Chinon en Touraine pour le fervice
du Roi , & s'y maria , en 1505 , à Chriftine Pérault
, foeur du préfident Pérault , l'ami de Rabelais...
Sa poftérité a fait la b: anche cadette ,
demeurée en Touraine jusqu'en 1577 , qu'elle
rentra en Bretagne , par une charge de confeiller
au parlement de Rennes. Elle a produit les quatie
branches , actuellement exiftantes & diftinguées
par des noms d'alliances ... La Note de
Vair en Gascogne. La Noiie Vieuxpont en Pi--
cardie. La Noue de Bogard & la Noue des Aubiers
en Bretagne.
Jacques de la Noue , Comte de Vair , mort en
1711 brigadier de cavalerie, avoit épousé Catheri
ne de Vieuxpont , tante du marquis de Vieuxpont,
lieutenant général & chevalier des Ordes du Roi ,
à la mort duquel , en 1728 , cette illuftre Maifon
étant éteinte , François de la Noue , fecond fils
de Jacques & père du Comte de la Noue Vieuxpont
, miniftre plénipotentiaire de Cologne , accola
du nom & des armes de Vieuxpont.
La branche aînée , defcendante de Guillaume
de la Nouie , tréforier général de Bretagne , &
dont étoit François de la Noue dit Bras de Fer ,
a fini dans la perfonne de François de la Noüe
qui mourut Gentilhomme de la Manche de Mon.
fieur Gaſton , frère de Louis XIII.
La marquife d'Arces a eu l'honneur d'être pré- ,
fentée au Roi & à la Famille Royale le s Janvier ,
par la marquife de Chabrillan.
La maison d'Arces eft reconnue pour l'une des
plus illuftres du Dauphiné : fon antiquité , les
premiers grades militaires & les emplois de confiance
qu'elle a remplis à la Cour des anciens
210 MERCURE DE FRANCE.
Dauphins de Viennois , fes Souverains ; fes fervices
continués à nos Rois , fon illuftration &
fes alliances ; tout concourt à lui aflurer un rang
diftingué parmi la haute nobleffe du royaume.
Le marquis d'Arces , dont l'épouſe vient
d'être préfentée à Sa Majefté fur l'amiffion de
fes preuves , eft le chef de nom & d'armes de
cette maison , qui remonte , par une fuite noninterrompue
de titres originaux , jufqu'a l'an
1160. On fera bien aife de trouver ici le nom
de quelques - uns des fujets les plus diftingués de
cette maifon.
1. Soffrei d'Arces , Chevalier , bailli du Briançonnois
, colonel & maréchal de l'armée des Dau.
phins : cette derniere charge , quant à l'exercice ,
étoit toute femblable à celles des maréchaux de
France , qui étoient alors amovibles & en trèspetit
nombre. Dès l'an 1326 , les Dauphins lui
faifoient des done , tant en confidération de fes
fervices , que de ceux que fes aïeux avoient tendus
à leurs prédécefleurs. Ifabelle de France ,
époufe de Guigues XII , Dauphin , le députa depuis
à la cour de nos kois , porr y ménager fes
intérêts auprès de Philippe de Valcis ; & où a des
preuve a fat i agréable à ce Monarque , qu'il
T'employ, lui même , en 1343 , daus une ambaffade
fecréte.
2. Hugues d'Arces qui , fuivant les anciens
annalistes du pays , foutint au quatrième fiécle
le fiége du fort de la Terafle contre l'armée
du Comte de Savoie , que ce Prince commandoit
en perfonne
3. Softei d'Arces , Chevalier , bailli du Briançonnois
, fervoi : le Roi Charles VI en 1410 , en
qualité de chevalier Bachelier , à la tête de quinze
écuyers de la compagnie ; il fut conſtamment atFEVRIER.
1772. 211
taché aux intérêts de Charles , Dauphin de France
, depuis le Roi Charles VII , dans les guerres
qu'il eut à foutenir contre les Anglois . Les Etats
de Dauphiné , à la tête desquels il étoit , le dépu
terent , en 1429 , pour offrir un fecours de trente
mille florins à ce Prince , qui lui en témoigna fa
fatisfaction par les dons qu'il lui fit , & l'envoya
deux fois en ambaffade auprès du Duc de Savoie
pour ménager une trève avec ce Prince .
4. Pierre d'Arces , dans le même tems , fervoit
auffi le Dauphin contre les Anglois à la tête de fa
compagnie , compofée de quinze écuyers.
5. Antoine d'Arces , compagnon des premiers
exploits du chevalier Baïard , eft célèbre dans les
faltes de l'ancienne chevalerie fous le nom de
CHEVALIER BLANC : c'eft peut étre le dernier de
ces anciens preux qui parcouroient le monde, faifant
par tout des emprifes & des pas - d'armes pour
leurs belles ou pour la gloire. Il ſignala fa bravoure
en Espagne , en Portugal , en Angleterre :
fa réputation le fit élever à la dignité de licutenant-
général & de vice- toi d'Ecoffe ; place qu'il
remplit avec diftinction jusqu'en 1517 , qu'il pé
tit victime de l'envie. ( Voy les annotations fur
la vie du Chev . Baiard par Théodore Godefroy ,
augmentées par Louis Videl , pag. 31-36 , édit.
de Grenoble en 1651 , in 8 ° .
6. Raymond d'Arces étoit enfeigne de la compagnie
de cinquante hommes d'armes du Seigneur
de Boutieres , dont la valeur détermina en partie
le gain de la bataille de Cerifoles en 1544.
7. Gui d'Arces , fi connu à la cour du Roi
Henri III , fous le nom de Baron de LIVAROT ,
étoit guidon d'une compagnie de trente lances
des ordonnances ce fut lui qui tua Schomberg
dans le fameux duel de trois contre trois , fous
le règne de ce Prince ; & il fut tué lui - même peu
de tems après à la feur de fon âge.
:
ľ
212 MERCURE DE FRANCE.
8. Jean d'Arces , Seigneur de Reaumont ;
lieutenant de la compagnie de trente lances de
M. de Maugiron , & gentilhomme ordinaire de la
Chambre du Roi , combattoit dans l'armée du Duc
d'Anjou à la bataille de Moncontour en 1569.
9. Jean d'Arces , auffi gentilhomme ordinaire
de la Chambre du Roi & gouverneur du Fort Baraut
, fe diftingua fous le Duc , depuis Connetable
de Lesdiguieres , fon patent , à l'attaque du
Pont de Charra contre le Duc de Savoie , & défendit
vaillamment le Fort d'Aiguebelle contre
les troupes de ce Prince , dont il obtint une ca
pitulation honorable en 1598.
10. Dès l'an 1449 , Jean d'Arces , Patriarche
de Tarentaile , avoit été décoré de la pourpre
romaine par le Pape Nicolas V.
Pour éviter la prolixité , on le borne à l'énumération
précédente. Le nom d'Arces eft confi- .
gné dans tous nos anciens hiftoriens qui en parlent
unanimement avec la plus grande diftinction
. C'est une illuftration qui a donné lieu à l'ancien
proverbe :
Arces , Varces , Grange & Commier ,
Tel les regard' , qui n'ofe les ferier.
La devife de cette Maifon eft Charité d'Arce
qu'elle porte de tems immémorial , & qu'elle s'eft
fans doute acquife par les fréquentes donations
que les auteurs ont faites à divers monastères ;
& fa légende eft : le tronc eft verd , les feuilles
font arces.
Les principales alliances de la Maifon d'Arces
font avec celles d'Allemand , de Beaumont , Berenger
, Commiers , Grolée , Loras , Maugiron ,
Moreton de Chabrillan , Sailenage , Virieu , &c.
c'est-à- dire , avec tout ce qu'il y a de plus grand
dans la province.
FEVRIER. 1772. 213
MORT S.
André Coppack eft mort à Londres , âgé de
cent cinq ans. Il s'étoit refugié en Angleterre en
1683 , avec beaucoup d'autres Proteftans.
Marie Avarton eft morte à Londres , âgée de
cent quatre ans. Elle laifle une four de cent deux
ans qui jouit d'une bonne fanté.
Le Marquis de Mesplés eft mort , dans fa terre,
près d'Oléron , à l'âge de quatre- vingt- dix ans .
Jacqueline Lohier , veuve du nommé Naye, eſt
décédée à Weftoutre , chatellenic de Bailleul ,
dans la généralité de Lille , le 24 du mois de Décembre
, à l'âge de cent deux ans.
Henri Pitot , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
penfionnaire vétéran de l'académie royale des
fciences , de la fociété royale de Londres , de
celles de Lyon & de Montpellier , cenfeur royal
& ancien directeur général du canal de la jonction
des Mers , eft mort , à Aramont , diocèſe
d'Uzès , en Languedoc , le 27 Décembre dernier,
dans la foixante-dix - ſeptième année de fon âge .
Charles- François - Dominique de Raimond de
Modène , Chevalier de Malte & capitaine des
vaiffeaux du Roi , eft mort à Paris , le 17 Janvier,
âgé de quarante-cinq ans.
Le Marquis de Vienne , chef des efcadres &
armées navales , eft mort à Clermont - Ferrand ,
le 9 Janvier , à l'âge de foixante-neufans.
Il eft mort à Naples une femme Piémontoiſe ,
âgée de cent vingt- neuf ans. Elle avoit confervé
le fouvenir de tout ce qu'elle avoit vû arriver
pendant la vie .
Marie-Anne Moufle de la Tuillerie , veuve de
214 MERCURE DE FRANCE.
Aymard - Félicien Boffin , Marquis de la Sone ,
bailli du Viennois , commandeur de l'Ordre royal.
& militaire de St Louis , lieutenant - général des
armées du Roi & lieutenant colonel au régiment
de les Gardes Françoifes , eft morte à Paris , le 21
Janvier , dans la cinquante - quatrième année de
fon âge.
Jofeph le Viconte , Chevalier Comte de Saint-
Hilaire , feigneur de Folleville , l'Eprevier , de
Montpertus , le Bouteiller , du Thuit -fur- Andelle
& autres lieux ; ancien capitaine au régiment de
Champagne , chevalier de l'Ordre royal & miliraire
de St Louis , lieutenant de Noffeigneurs les
Maréchaux de France au département de Rouen ,
eft mort , le 15 Décembre 1771 , âgé de 59 ans
& 9 mois.
LOTERIES.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait les de ce mois. Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 32 , 29 , 34 , 90 , 21. Le prochain
tirage fe fera le 4 Février 1772.
PIECES
TABL E.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Le Chriftianiline , Ode ,
Réponse d'un Roi de Perle ,
Urlanie ou l'effet des paffions ,
Les Agneaux orphelins , fable ,
Les Louvetaux orphelins , fable ,
Epître à un Dorment ,
Réponse de Mide Leroux d'Angers à un épître
de M. Mugaciot ,
ibid.
10
13
33
ibid.
34
36
FEVRIER. 1772 . 215
L'Aveu tardif ,
Traduction d'un fragment de Lucilius ,
Le préfent de noce ,
La Femme véridique ›
Epître à Madame de *** ,
Hymne à l'Amour ,
A M. le Maréchal Duc de Briflac ,
Couplets chantés à M. le Maréchal Duc de
Brillac , Gouverneur de Paris ,
Le Confolateur ,
Vers pour mettre au bas du portrait de Mde
la Comtefle d'Evreux ,
Vers pour être mis à la tête d'une collection
de Romans ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Mémoires fur la meilleure manière de faire
les vins de Provence ,
Le Droit commun de la France ,
L'Obfervateur François à Londres ,
Recueils d'Obfervations fur la perfectibilité
de l'homme ,
Les Sacrifices de l'Amour ,
Almanach des Mules ,
Requête à MM . de la Société d'Agriculture ,
par M. de la Condamine ,
Quatrain fur une Statue de Pigmalion ,
A un Femme qui me menaçoit de ne rendre
heureux ,
Epigramme par M. le Miere ,
Errenues du Parnaffe ,
40
60
61
62
ibid.
63
64
67
69
79
ibid.
71
72
74
76
86
91
95
103
108
116
117
119
ibid.
120
12 [
ibid. Gazette univerfelle de littérature ,
Traité élémentaire de méchanique ftatique , 124
Lettres d'Elifabeth Sophie de Valliere , ibid.
Entretiens d'une ame pénit, avec fon Créateur, 135
216 MERCURE DE FRANCE.
Traité du Droit d'Habitations , 136
La Mère jaloufe , ibid.
Réflexions fur la Mère jalouſe , 163
ACADÉMIES ,
175
SPECTACLES ,
Opéra ,
Comédie françoife ,
Comédie italieune ,
177
ibid.
181
182
ARTS , Gravure ,
ibid.
Topographic ,
185
Géographie ,
186
Mufique ,
187
Inftitution d'Agriculture , 188
Prodige de l'Amour filial , 196
Anecdotes , 198
Avis ,
200
Nouvelles politiques ,
201
Nominations , 206
Préfentations ,
207
Morts ,
Loteries ,
213
ibid.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier ,
volume du Mercure du mois de Février 1772 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 29 Janvier 1772.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
MARS, 1772 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
•
A PARIS ,
> Chez LACOMBE , Libraire Rue
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége de Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , oblervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas fouferit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
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241.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol . in 8°. gr . format rel .
Les Caracteres modernes , 2 vol. br.
12 1.
201.
31.
Maximes deguerre du C. de Keven huller , 1 1. 10 f.
Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in 8°. rel .
Dict. de Morale , 2 in- 8 ° . rel.
GRAVURES.
71.
91.
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Vanloo
,
241.
Deux grands Payfages , d'après Diétric , 121.
Le Roi de la Féve , d'après Jordans , 41.
Le Jugement de Pâris , d'après le Trevifain
,
Deux grands Paysages , d'après M. Vernet
,
Vénus & l'Amour , d'après M. Pierre ,
Angelique & Médor , d'après Blanchart ,
Hommage à l'Amour , d'après Vanloa ,
1 l. 16 f.
121.
3 1.
l .
4 1.
MERCURE
DE FRANCE.
MARS , 1772 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE de l'Eté ; Chant fecond du Poëme
des Saifons ; imitation libre de
Thompfon.
MAIS
La Moiffon.
AIS tout fuccède aux vaux du laboureur ;
Et la moiffon jaune , épaifle , abondante ,
Courbant fa tête affaiffée & péfante ,
S'offre par-tout au fer du moiflonneur.
Dès que l'aurore aux bords de l'hémisphère
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Laifle éclatter une foible lumière ,
Dans le hameau tout eft en mouvement :
Les mo:ffonneurs aux champs le réuniffent :
Là fous leurs mains les gerbes s'épaififfent,
Et vont former un monceau de froment.
Le maître arrive , & rempli d'espérance ,
Sur la campagne il promene fes yeux :
De tous côtés témoin de l'abondance ,
Son regard brille & fon front eft joyeux.
Venez , glaneurs , venez , troupe innocente ,
De la moiffon recueillir les débris :
Vous , moiffonneurs , d'une main bienfaifante
Laiffez , laiffez échapper des épis ;
Tendez les bras à la foible indigence ;
De fes voeux feuls vos trésors font le prix !
Du fort jaloux la bifarre inconftance
Peut-être unjour forcera vos enfans
A mendier les fecours infultans
Qu'avec mépris accorde l'opulence.
Rofe autrefois eut des amis nombreux . *
Dès fon berceau la légère fortune
D'un fort brillant fembla fatter fes voeux ;
Mais , ô revers ! avec les malheureux
Bientôt , hélas ! fa caufe fut commune.
Sans protecteur , fans appui , fans fecours ,
Cet épilode paroît avoir fourni à M. Favart
fidée de l'intéreſlante comédie des Moiflonneurs.
MARS.
7 1772 .
Loin des cités , avec la trifte mère
Elle habitoit une vile chaumière ,
Et dans les pleurs paffoit les plus beaux jours.
Elles vivoient dans un vallon tranquille ,
Se dérobant au mépris affecté ,
Que l'opulence & l'orgueil à la ville
Font efluyer à l'humble pauvreté.
Etat cruel ! la main de la nature
Pourvoyoit feule à leurs fimples repas :
Role fans art & belle fans parure
Eclipfoit tout par fes naiflans appas.
De la vertu l'auguſte caractère
Etoit empreint fur fon front enchanteur :
La modeſtie abaifloit ſa paupière ,
Et les regards annonçoient fa candeur.
Embeliffant fa retraite profonde ,
Rofe vivoit inconnue au grand monde .
Forcée enfin par les befoins affreux
Qui , fans relâche , affiégent la miſére ,
Elle glana , pour foulager la mère ,
Dans la maison d'un mortel généreux .
De fes vaflaux & bienfaiteur & père ,
Le bon Candor couloit des jours heureux :
D'un indigent il effuyoit les larmes ,
Quand il vit Rofe & les traits gracieux :
Elle ignoroit le pouvoir de fes charmes,
Elle rougit & détourna les yeux ;
Candor ému lui rend bientôt les armes.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'amour honnête & le chafte defir
Dès cet inftant occupèrent fon ame :
Il n'ofe encore avouer , fans rougir ,
L'objet charmant qui le trouble & l'enflamme
Mais fon coeur laifle échapper un foupir.
CC Pourquoi , dit il , cette beauté touchante
»Eft elle en proie aux aflauts du malheur ?
» Ainfi peut être eft la fille d'Acante
A qui je dois l'aifance & le bonheur ,
Et je n'ai pu découvrir la chaumière
» Qui la dérobe à mes foins empreflés ;
» Mais il fe peut... ô fouhaits infenſés !
Que n'eft- ce , hélas ! cette jeune bergère ! »
33
Cédant au feu qui confume fon coeur ,
Il s'en informe ; il apprend qu'elle eft fille
De cet ami , victime du malheur :
Quelle ett fa joie ! à fa trifte famille
Il va pouvoir préfenter le bonheur.
Dès cet inftant fa tendrefle s'augmente ,
Et de fes yeux il fent couler des pleurs :
Rofe étonnée en devient plus touchante ,
Et de Candor l'ame reconnoiffante
Exprime ainfi l'aveu de fes ardeurs.
« Eft- ce donc toi que ma reconnoiffante
»A tant de fois fait chercher en ces lieux !
» De mon ami tu me rends la préſence ;
Ce font les traits , fa noblefle & les yeux.
MARS. 1772.
00
Etoit - ce , hélas ! à fa fille charmante
A mendier un fecours fi honteux ?
Rofe tendoit une main bienfaifante ,
» Roſe eſt réduite au fort le plus affreux !
»De mon ami fille aimable & chérie ,
»Ajoute aux biens que je dois à ſon coeur ,
Un bien plus cher à mon ame attendrie ,
» La liberté de faire ton bonheur. »
Candor fe tut : interdite , étonnée ,
Rofe rougit avec timidité ;
Mais à fon tour par l'amour entraînée
Elle confent à fa félicité.
Courant bientôt vers la plaintive mère ,
Elle l'inftruit du bonheur qui l'attend ;
Il femble alors qu'un nouveau jour l'éclaire .
Entre fes mains ce couple bienfaifant
De s'adorer prononça le ferment ,
Vécut heureux , protégea la mifére ,
Et du canton fait encor l'ornement .
Par M. Willemain d'Abancourt.
A v
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
VERS à Madame la Comteffe de *
fur le mariage de fa Fille.
**
ENFIN un brillant hymenée ,
Sous l'auspice le plus heureux ,
D'un couple aimable & vertueux
Va donc unir la deſtinée !
Souffrez que j'élève ma voix ,
Et qu'en ce jour , que l'allégrefle éclaire ,
Je mêle un hommage fincère
Aux applaudiflemens qu'on donne à votre choix.
Puiſlai - je en mon fimple langage
Vous témoigner l'ardeur dont mon coeur eſt épris !
Si la reconnoiffance a dicté cet hommage ,
Le fentiment y metle prix.
Par le même.
REGRETS à Mademoiselle **** , fur
Jon départ pour Turin , où un mariage
avantageux devoit lafixer.
DAIGNEZ fouffrir , jeune & ſage P*** ,
Que je vous adrefle mes voeux ;
Que je mêle mes chants à la vive allégrefle
MARS . 1772 .
Que votre hymen excite dans ces lieux.
La fortune & l'amour , pour vous d'intelligence ,
Vont prendre foin de votre heureux deftin ;
Mais , pardonnez , hélas ! cette illuftre alliance ,
En faisant le bonheur & l'espoir de Turin ,
Caule les regrets de la France .
Par le même.
SUR LE SOMMEI L.
EPITRE à Madame ***
, par Mlle .. ( 1 )
PLUS active que la penſée ,
Par toi , Zirphé, l'aurore eft devancée.
(1 ) On apprendra fans doute avec ſurpriſe que
l'auteur de cette piéce eft d'origine allemande ,
& n'a quitté qu'environ depuis deux ans le village
où elle est née , & qui a vu éclorre & mûrir fes
talens poètiques , village fitué à vingt lieues de
Berlin. Ces circonftances doivent la placer au rang
des phénomènes littéraires . Il eft vrai à la letrre
que c'eft fans la participation qu'on public cette
piéce , & qu'on leve un des coins du voile derrière
lequel fa modeftie voudroit dérober fes productions
au Public. Si cette tentative eſt ſuivie
du fuccès , on espère engager par- là l'auteur de
FEpître à publier plufieurs autres ouvrages du
même genre & à donner à la poësie tous les mobens
qu'elle pourra dérober au fommeil.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Et fouvent l'étoile du foir
Te voit avec ſurpriſe occupée au comptoir,
Souvent quand je fommeille encore
Tu parcours ce joli férail
Où la charité fait éclore
Les tendres fruits de fon travail .
D'un effain de beautés naillantes
Tu formes les moeurs innocentes
Par ton exemple & tes discours ;
Ton oeil éclairé les obferve ,
Et l'on te prendroit pour Minerve ,
Prêchant la fagefle aux amours. ( 1 )
Mais tandis qu'au travail épuifant ton génie ,
Tu hâtes fans pitié l'inftant de ton reveil ,
Du repos aimable ennemie
Songes -tu bien que dans la vie
Rien n'eft fi doux que le fommeil ?
De l'aimer peut-on ſe défendre ,
Et peux-tu , ma Zirphé , condamner un penchant
Auquel un charme tout puiflant
Me force fans cefle à me rendre,
Oui , le fommeil cft ma divinité.
Sur les humains quand la nuit vient répandre
(1 ) Cette Dame à qui l'Epître eft adreflée , &
qui mérite les éloges qu'elle contient , eft une des
directrices qui préfident gratuitement à une fondation
pieufe , où l'on élève les enfans des pauvres,
MARS. 1772. 13
Le filence & l'obscurité ;
A la lueur d'une foible clarté
Dans mon manoir que j'aime à voir descendre
Ce dieu charmant , ami de la ſanté !
Sur les pas de l'activité
Avec fa cour il vient s'y rendre.
Mais plus fouvent on le voit me furprendre
Quand les plaifirs & les jeux m'ont quitté.
D'un bouquet de pavots il couronne ma tête ,
Et fa main me conduit au duvet que m'apprête
La molefle & la volupté.
C'eftdans leurs bras que je repofe.
L'une répand fur moi le jasmin & la rofe ,
L'autre arrange mon traverſin .
Je m'endors ; un effain de fonges
Me berçant d'aimables menfonges ,
Rit & folâtre fur mon fein ,
Et fous leurs yeux quand je fommeille,
A mes côtés le plaifir veille
Et m'attend pour le lendemain.
Non , ces divinités dans l'Olympe adorées
Ne dorment pas fi bien entre les bras des dieux ,
Lorsque de nectar enivrées
Le bandeau du fommeil a fermé leurs beaux yeux.
O toi que les Mufes chériffent ,
Toi , que les Graces applaudiffent
Et que couronnent les Amours ,
L…………. , tu peux vanter les charmes
14 MERCURE DE FRANCE.
Du maître à qui tu rends les armes
Et qui file tes heureux jours.
Un Dieu plus aimable m'inspire ,
Il récompenfe mes travaux ,
Et fi je remonte ma lyre
C'est à l'ombre de ſes pavots.
Déjà le flambeau des étoiles
Commence à briller dans les cieux ;
Ole plus féduifant des dieux
Viens m'envelopper de tes voiles :
Sur ce gazon où fous des fleurs
La fanté fourit & repofe ,
Aux parfums de la jeune rofe
Viens mêler tes douces vapeurs.
Ecarte du bout de ton aîle
L'incommode eflain des defirs ,
Sous ton fceptre endors les foupirs ;
Mais fais veiller dans ma ruelle
L'aimable illufion , ta compagne fidèle ,
Et l'erreur , fource des plaifirs .
Je t'aime quand au fein de l'onde
Le tems a conduit le foleil ;
Je t'aime quand à fon reveil
Amphitrite le rend au monde.
A toute heure , dans tous les lieux ,
Morphée a reçu mon hommage ,
Sur des fophas délicieux
Et fur la fougère au village.
MARS. 1772 .
15
Lorsqu'au chevet des Monfeigneurs
L'ambition veille & foupire,
Loin du preftige des grandeurs ,
Je m'endors au fon de ma lyre
Sur l'émail diapré des fleurs .
Quand l'aveugle enfant de Cythère
Fait gémir les amans fous le poids de fes fers ,
Qu'il écarte dans fa colère
Le maître charmant que je fers ;
Dans une heureuſe indifférence
Ne formant pas même un defir ,
Je trouve au fein de l'indolence
Et le repos & le plaifir.
Zirphé , ton auftère fagefle
Condamnant ma dure parefle ,
Veut m'impoferfa douce loi ;
O ma divinité chérie ,
Sommeil , pour punir mon amie ,
Fais qu'elle dorme comme moi.
16 MERCURE DE FRANCE.
A
*
, par Mademoiselle ....
auteur de
DE
la pièce précédente.
E l'amour j'ai craint l'empire ,
J'ai craint fon arc , fon flambeau ,
Ses larmes , fon doux fourire ,
Ses fléches & fon bandeau ;
Mais un coeur tendre & fenfible
Eft bien prompt à s'enflammer
L'indifférence eft terrible
A qui fut né pour aimer.
Sera- t-elle mon partage ?
A l'autore du bel âge ,
Quoi ! toujours loin des amours
Verrai - je couler mes jours ?
Sans doute ils fauront me plaire,
Me difois-je avec douleur ;
Contre les penchans du coeur
Que peut la raiſon ſévère ?
Je voulus les accorder ,
Rien n'étoit plus téméraire ,
Il s'agifloit de frauder
Les droits du dieu de Cithère.
L'amitié me feconda ,
Je paffai fous fon empire ;
Et la raifon
approuva
MARS. 1772. 17
Tous les feux qu'elle m'inspire.
Sans crainte depuis ce jour
J'ole être fenfible & tendre ,
A l'amitié j'ai fait prendre
Les traits touchans de l'amour ;
Elle a fon fouris , fes graces ,
Ses yeux , fa vivacité ;
Les fleurs de la volupté
Naiflent par- tout fur les traces ;
J'y touche fans les flétrir ,
Et la rofe que je cueille
Ne m'offre point dans fa feuille
Un regret pour un plaifir.
Ami , ta philofophie
A paflé jusqu'à mon coeur ;
Sur chaque inftant de ma vie
Ta main répand le bonheur.
Ah ! ne crains point que la Parque
En puifle arrêter le cours ,
Ainfi que Laure & Pétrarque
Nous descendrons dans la barque
Sous l'étendart des amours .
S MERCURE DE FRANCE.
ALMONZIR & ZEHR A.
Conte arabe.
VERS l'an 300 de l'Hégire , & dans notre
façon de compter , au 10 fiécle , Almonzir
, berger heureux & tranquille ,
parcouroit les plaines de Cordoue * à la
tête des troupeaux qui lui avoient été
confiés. Son prédéceffeur , dans le même
emploi de nos premiers pères , lui avoit
appris à jouer de la flute , & cet obiet de
delaffement pour Almonzir , devenu par
la fuite un talent fupérieur , fut la fource
des troubles qui agirerent quelques années
de fa vie , parce qu'il écouta la voix enchantereffe
de l'orgueil ; & qu'un jour dé
tournant les yeux de fes brebis cheries &
& fidèles , il fe plut trop à confidérer le
nuage doté de l'ambition qui paffoit fur
fa tête.
Sollicité par un riche Sarrafin de fon
voitinage , de courir à la fortune que de-
* Cordoue , ville ancienne de l'Espagne dans
l'Andaloufie ne fut reprife fur les Maures que
dans le treizième fiécle par le Roi Ferdinand . Les
Infidèles l'avoient poflédée plus de 400 ans .
MARS. 1772. 19
voient lui procurer les charmes du talent
qu'il poffédost , Almonzir laiffa tomber
fa houlette de fes mains & fuivit le vieux
Arabe dans fa vafte demeure qu'avoient
embellie les arts , mais que n'habitoient
ni le calme heureux de l'esprit , ni la douce
paix de l'ame.
Zerneb , auquel Almonzir venoit de
s'attacher , étoit le riche & faftueux tyran
de tout ce que renfermoient fon palais &
fon harem . Un moment , libéral ; bizarre
& farouche , dans un autre ; voluptueux &
cruel , inhumain & fenfible , on eût penfé
que les deux principes du bien & du mal
avoient fait de fon coeur le champ de leurs
combats éternels , & fur - tout qu'Arimaneytriomphoit
le plus fouvent.
Almonzir effuïa long - tems les caprices
& les folies du nouveau maître qui tan
tôt l'admettoit à fa table & l'enivroit des
vins exquis du royaume de Grenade , &
tantôt l'occupoit au fervice le plus dur de
fon palais .
Un jour il l'entraîna dans l'intérieur de
fes appartemens où étoient renfermées
fes esclaves malheureufes. C'étoit là que
* Arimane étoit le dieu du mal , Oromaze étoit
le nom du principe oppofé.
20 MERCURE DE FRANCE
Zehra , jeune & charmante Grecque , victime
de l'infenfé Zerneb , méditoit fecretement
ou de mourir ou de le voir en liberté.
Zerneb, par une de fes fantaifies inconcevables
, avoit exigé que cette esclave à
laquelle dans fes momens de transports
il donnoit quelquefois le nom de Maiffamai,
c'est à dire , tofée du matin , s'exerçât
à jouer de ce bruïant inftrument qui
accompagne & qui règle la marche des
foldats , & Zehra étoit devenue , malgré
elle , un des meilleurs tambours de toutes
les Espagnes .
Ce fut à Zehra principalement que Zerneb
voulut préfenter Almonzir , dont il
lui avoit plus d'une fois vanté le talent .
Celui- ci frémiffoit de la nouvelle faveur
que lui faifoit fon maître , parce qu'il
etoit presque fûr qu'elle feroit fuivie de
quelque nouvelle dureté. Il s'occupoit
fur-tout da danger qu'il alloit courir , fi
dans fes extravagances trop fréquentes ,
Zerneb le foupçonnoit d'avoir jetté fur
quelqu'une de fes esclaves des regards
trop curieux.
Plein de cette dernière idée , & fuivant
fon maître qui le conduifoit , il fe promit
de faire fi peu d'attention à ce qu'il
MARS. 1772 . 21
alloit voir , que les couleuvres même de
la jaloufie fe laifferoient aller au fommeil
fur fa contenance indifférente.
En effet à peine jetta- t- il les yeux fur
la belle Zehra , & prenant fa Alûte à l'ordre
de Zerneb , il joua de fon mieux tous
les airs gais qu'il fe rappelloit , & fe garda
bien de moduler aucun des airs tendres
& paffionnés qu'il jouoit ordinairement
avec le plus de fuccès , mais dont le choix
auroit pû être mal interprêté par le cruel
Sarrafin .
Zerneb , indécemment couché fur des
piles de couffin , & tenant fur fa poitrine
la tête de fon esclave favorite qu'il regar
doit par intervalles avec des yeux qui auroient
auffi -bien exprimé la groffe ftupidité
qui admire , que la tendreffe , lui dit
qu'il falloit qu'elle marquât fa reconnoiffance
pour Almonzir , en lui faifant enrendre
l'inftrument qui la rendoit fi aimable
à fes regards : il appelle un eunuque
noir , & lui fait apporter le tambour de
Zehra .
La belle Circaffienne oublia fans doute
combien il étoit dangereux de refufer
quelque chofe à Zerneb ; fes premières
excufes firent faire au Sarrafin la plus hideufe
grimace . Point de réfiftance , lui
22
MERCURE DE FRANCE.
dit il , en lui mettant les baguettes à la
main cependant Zehra continuant à fe
défendre encore , il la repoufle en furieux,
fe lève avec précipitation & cherche fes
armes qu'il avoit quittées.
Zehra , effiaïée , veut le jetter dans les
bras d'Almonzir qui , lui - même tremblant
de peur , le débarraffe d'elle avec effort
& fe fauve en fermant la porte après lui ,
fans réfléchir qu'il laiffe la plus belle des
esclaves en proie à l'inftant de dont
Zerneb eft poffédé.
rage
Heureufement l'eunuque avoit placé
le fabre de Zerneb dans un autre appartement
; & Zehra qui , fans peine , auroit
vu terminer fes triftes jours , en fut quitte
pour fe voir arracher cruellement une
partie des plus beaux cheveux du monde.
Plus fenfible encore à la groffière inhumanité
du joueur de flûte dont elle avoit
en vain réclamé le fecours , qu'à la barbarie
d'un maître qu'elle étoit déterminée
de quitter.
Revenu de l'accès de férocité qu'avoit
fupporté l'infortunée Zehra , le Sarrafin
ne vit Almonzir que pour lui reprocher
de l'avoir abandonné à fa fureur & de
n'avoir pas fauvé fon esclave d'un premier
mouvement dont il n'avoit pas été le maî
MARS. 1772 .
23
tre. Si malheureufement mes armes m'étoient
tombées fous la main , lui dit- il , c'en
étoit fait de Zehra. Mais toi , láche , continua
-t-il en lui prenant la gorge de fes
doigts , par combien defupplicesje t'aurois
fait payer fa mort ! Périffent tous les jongleurs
de l'Europe pour ma belle maiſſamai
!
Cependant Zehra avoit préparé depuis
long tems les moyens qui devoient l'arracher
au fort d'appartenir à Zerneb. Le
prétexte d'amufer quelquefois ce tyran
domestique avoit introduit dans le harem
divers habits de foldats qui avoient fervi
à des déguiſemens inventés par elle pour
occuper l'infipide oifiveté de ce maître
infoutenable.
L'appartement de notre jeune Grecque
donnoit fur une petite plaine où paffoit
en liberté un des éléphans de Zerneb.
L'esclave adroite l'avoit accoutumé à venir
la nuit à fa voix au bas de fa fenêtre ,
& à s'élever jusqu'à elle pour y prendre
avec fa trompe les alimens choifis qu'elle
avoit foin de lui conferver.
L'induftrieux animal avoit lui même ,
au bas du balcon de Zehra , élevé une eſpéce
de tertre qui lui faifoit recevoir commodément
tout ce qu'on lui offroit . Ce
24 MERCURE DE FRANCE.
fut quelques jours après la fcène de brutalité
dont nous venons de parler que ,
déguifée en foldat Espagnol , fon tambour
fur le dos, les fourcils peints & une mouf
tache artiſtement appliquée fur le viſage,
la jeune esclave ofa fe placer fur la trompe
de l'éléphant qui , paroiffant deviner
fon deffein , la descendit doucement , &
la plaça fur fon dos .
A peine fe vit elle hors du harem fatal
qu'elle conduifit de la voix & de la
main le docile élephant fur les bords du
Guadalquivir , où elle abandonna fon
libérateur pour profiter d'une barque qui
l'éloigna bientôt du féjour qu'habitoit le
plus féroce des amans.
Zerneb , inftruit le lendemain de la
fuite de fa chère Maiffamai , ne put contenir
fa rage ; malheur à tous ceux qui
s'approchèrent de lui ; le fang couloit de
toutes parts dans fon palais , & le flûteur
Almonzir , inftruit du danger qu'il couroit
, par les cris de ceux que pourſuivoit
cet enragé , ne balança plus à facrifier à fa
fûreté les petits avantages dont il jouiffoit
par intervalles chez le riche Sarrafin.
* Guadalquivir . Le Batis , grand fleuve d'Espagne
qui va fe perdre dans le golfe de Cadix.
Ce
MARS. 1772. 25
Ce fut à Cordoue , fous les murs du
férail d'Abdoulraman qui y regnoit alors ,
qu'il fe retira. Déjà la nuit enveloppoic
de fes crêpes les champs de l'air raffraichi
, & fans fe douter à quoi fa flûte pourroit
lui devenir utile en cet endroit , il
fe mit à en jouer du mieux qu'il lui fut
poffible.
Le Calife en ce moment étoit avec
quelques esclaves fur un de fes balcons ;
A peine Almonzir eût- il joué quatre ou
cinq des plus beaux airs qu'il favoit ,
qu'on vint , de la part du Prince , le féliciter
, & lui demander s'il vouloir s'atta
cher à fa hauteffe , qui avoit , difoit - on , la
fenfibilité la plus grande pour tous les
arts . Il ne fe fit pas prier , & le plaifir
qu'il procura à fon nouveau maître , fut
pour lui , en peu de tems , la fource d'une
fortune auffi rapide que confidérable.
O vous dont les talens moins frivoles
font deftinés à l'inftruction des hommes !
vous ne parlez point à leurs fens , vous
n'excitez pas chez eux ces mouvemens ra
pides d'une magnificence libérale . S'ils
vous favorifent d'un regard , ce n'eft pas
même la reconnoiffance qui les y porte ;
c'eft au plus la honte de vous avoir toutà-
fait méconnus qu'ils redoutent.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Sages émules de Lokman , que cherchez-
vous dans les cours ? Le boftangi
qui préfide aux jardins du maître , y faitil
croître les plantes utiles , les végétaux
nourriffans ? Le ftérile arbuste , docile à la
main qui le façonne & qui le plie dans
tous les fens , voilà ce qu'il préfére . Mais
revenons au flûteur Almonzir comblé
de biens & qui dans l'illufion qui les fuit,
regarde fon évafion comme l'époque la
plus brillante & la plus heureuſe de ſa
vie .
Abdoulraman , VIII Calife de lafamille
des Ommiades en Espagne , & qui le premier
avoit pris la qualité d'Emir Almouménin
avoit éminemment toutes les grandes
qualités d'un Prince ; il étoit riche ,
guerrier & voluptueux , c'en étoit allez
pour rendre inépuifables les éloges dont
on l'accabloit à fa cour. Almonzir avoit
eu le bonheur de l'amufer , & pour obtenir
tout il n'avoit eu qu'à defirer . On le
vit honoré d'une place auprès du Prince ,
propriétaire de vingt esclaves choifies, &
d'une maifon fuperbe pour l'entretien de
laquelle l'Emir fe fit un jeu de lui abandonner
des fonds deftinés d'abord à réparet
les pertes qu'il avoit faites .
Les Rois de Léon & de Navarre avoient
MARS . 27 1772 .
enlevé à ce Calife plufieurs places qu'il
entreprit de faire rentrer dans fon domaine.
Almonzir , fon nouveaufavori , voulut
en vain le retenir ; il aimoit la gloire &
partit. Vainqueur à la bataille du Val de
Jouguera , il revint triomphant dans ſa
capitale , chargé de butin & environné
d'esclaves enchaînés qu'il avoit pris de fa
propre main à cette journée fameufe .
Almonzir, qui avoit mis en chants toutes
les fadeurs des petits verfificateurs de
Cordoue, ne vit dans ce triomphe de fon
maître qu'une espérance de lui devenir
plus cher encore ; mais le fouffle du vent
des décrets d'en haut alloit tourmenter la
nacelle d'Almonzir qui devoit trouver
dans ce même triomphe le terme du bonheur
paffager dont il s'enivroit.
Avant de décider du fort de fes prifon.
niers , l'Emir voulut qu'ils fulent mis
nuds en fa préfence , afin de s'affurer s'il
n'en étoit pas quelqu'un parmi eux qui
jadis eût vécu fous la loi du prophéte .
Déjà plufieurs avoient été fcrupuleuſement
examinés , lorsque celui des prifonniers
qui devoit être déshabillé , & qu'on
croioit un fimple tambour , repouЛla vi-
Au pied des Pyrénées.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE ,
vement la main des ministres de cette
vifite religieufe . Abdoulraman s'en étonne
, il s'approche de cet esclave rétif qui ,
fans lui dire un mot, laiffe tomber de faux
fourcils , une barbe fauffe , & lui découvre
un fein où l'albâtre , la rofe & la perfection
des formes fe disputoient l'avantage.
Le Calife ftupéfait & plus fenfible qu'un
autre à certe espèce de spectacle , jette
auffi tôt un voile fur ce fein raviffant
fait éloigner d'un coup- d'oeil & d'un gefte
tous les témoins de cette fcène , porte les
yeux fur tous les traits de l'esclave ; les
trouve enchanteurs , tombe à fes pieds ;
lui jure par la plume divine , * qu'il n'a
rien vu d'égal à fa beauté & qu'elle va de
venir le prix le plus doux de la victoire .
fa
Zehra ( car c'étoit elle - même ) ne laiſſe
pas long - tems l'Emir à fes genoux. Elle
lui conta l'hiftoire de fon traveſtiſſement ,
le bonheur qu'elle avoit eu depuis fa fuite
de n'être point reconnue pour ce qu'elle
étoit & la préférence qu'elle avoit donnée
à l'état miférable de tambour auquel
les circonstances l'avoient réduite , fur le
* Serment de Mahomet. Voy. le chap. 68 de
l'alcoran , qui a pour titre la plume.
MARS. 1772. 29
fatal honneur de plaire quelques inftans à
un tyran plus vain de la foumiffion de fes
esclaves que reconnoiffant de leur fenfibilité.
Ah ! ne redoutez point avec moi cette
injure , s'écria le Calife paffionné , ſuivez
moi , Zehra , dans mon férail , venez - y
donner des loix à vos compagnes jalouſes,
à mes fujets', à moi - même. Venez reprendre
des habits qui ne déparent point
vos graces ; venez , Abderame * apprendra
à l'Univers comme on doit vous aimer.
Ce fentiment de la liberté auquel Zehra
paroiffoit avoir immolé les avantages de
fa figure , n'avoit point encore jetté d'af
fez profondes racines dans fon coeur , I
ne tint point contre le tendre enthoufiafme
du Calife . Elle étoit femme , on lui
promettoit l'empire & celui qui lui en
faifoit la promeffe étoit aimable & vaillant.
Commandeur des Fidèles , ** lui die
Zehra , fongez-vous à ce que vous m'offrez
, à ce que je fuis ? Votre esclave fou-
* C'eſt ainſi qu'on appelloit auffi le Calife.
** C'est ce que fignifioit le titre d'Emir Al
moumenin , qu'avoit pris Abdoulraman.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
mife eut pour tout bien un jardin peutêtre
affez riant ; la rofe la plus fraîche y
brilloit de fon premier éclat , un vent
cruel en détruifit le charme ; & vous voulez
qu'avec un fi trifte héritage .... Ah ,
Zehra ! interrompit Abderame , le doux
zéphir de l'amour y rappellera le printems...
Oui , je donnerois tous mes tré,
fors pour cet héritage ; l'inftant qui m'en
verra poffeffeur fera le plus heureux de ma
vie.
Abdérame étoit fi preffant , fi enflammé
, il avoit l'air fi vrai qu'il fallut bien
fe rendre , & Zehra ne disputa plus avec
lui que fur les douceurs de la reconnoiffance
.
Chaque jour augmentoit le crédit de la
nouvelle Sultanne. Almonzir l'avoit reconnue
& devoit en être la première vic
time . Dès qu'elle l'eut apperçu au nombre
des favoris du Calife , elle forma le
deffein de fe venger de la lâcheté avec
laquelle il l'avoit abadonnée à la fureur
de Zerneb .
L'emploi qu'il exerçoit lui fut d'abord
ôté. Quelques jours après Zehra fe fir
donner fa maifon & tous fes autres biens,
il fut même chaffé du palais d'Abderame;
enfin , retombé dans fa première indigenMARS.
1772 . 31
ce , il éprouva que l'échanfon de la deftinée
n'avoit verfé de l'ambroifie que fur
les bords du vafe qu'elle lui avoit préſenté
, & qu'au fond il avoit prodigué le ſuc
amer de la coloquinte.
Convaincu que la faveur des cours reffembloit
à ces phénomènes d'un moment,
dont la lumière & les feux fe diffipent &
s'évaporent dans leur courfe ; il redevint
auffi pauvre qu'il l'avoit été lorsqu'il gardoit
les troupeaux dans les plaines de
Cordoue , & pour redevenir authi tranqui
le, auffi content qu'un mortel puiffe defirer
de l'être , il n'eut qu'à reprendre fon premier
métier ; tandis que Zehra , toujours
adcrée du plus amoureux & du plus magnifique
des Princes , vit bâtir une nouvelle
& fuperbe ville à laquelle on donna
fon nom ,*pour perpétuer dans la mémoire
des hommes & la tendreffe d'Abdoulraman
& la félicité de la belle & vindicative
Zehra .
Si parmi les lecteurs de ce conte il fe
trouve quelque favant inftruit de nos éthimologies
, on le prie d'examiner fi ce n'eſt
* La ville de Zehra , à trois mille de Cordoue ,
ne fubfifte plus.
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
pas delà que dérive notre ancien proverbe:
Ce qui vient de la flûte retourne au tambour.
Par M. Bret.
EPITRE d'une Demoifelle de quinze ans ,
au Public , pour lui annoncer le triomphe
du fentiment ; roman fait par elle..
Tor , dont le favant & le fage
Jaloux de plaire à la poſtérité ,
Briguent à l'envi le fuffrage
Qui feal conduit à l'immortalité ;
De quel oeil verras- tu , Public inexorable ,
Une fille auteur à quinze ans ,
De ton tribanaf redoutable
Groffir la foule des cliens ?
Pardonne un orgueil téméraire
Excité par l'appât de ce nom féduifant ;
Et déride ton front févère
Pour ne te montrer qu'indulgent.
Un goût prématuré , le feu de la jeunefle ,
La haine de l'ennui , je ne fai quel penchant
Fit couler dans mon coeur cette flatteule ivrede,
Je m'y livrai presqu'en naiffant .
J'arrangeai quelques vers d'abord fans harmo
nic :
MARS. 33 1772.
Dans ma retraite , ofant m'en applaudir ,
Souvent ma vanité prenoit pour du génie
Ce qui n'étoit que l'effet du loifir.
Ce goût s'accrût , j'en fis uſage ;
La verdure des fleurs , une amie , un oiſeau ,
Fournifloient des fujets à ma muſe volage
Qui fe plaifoit au badinage ,
Et béguayant dans fon berceau ,
Jejouois chaque jour fur un objet nouveau..
Mes vers , enfans de la faillie ,
Des règles s'écartoient par fois;
Mais bientôt de la poëfie
J'appris à respecter les loix.
Alors fur divers tons ayant monté ma lyre ,
Je fis quelques eflais , on daigna m'y fourire,
Et mon amour-propre flatté
Ne laiffa plus de digue à ma témérité.
Semblable à maint auteur critique.
Qui , du fond de fon galetas ,
Discute en profond politique
Les intérêts des Potentats ;>
Loin du monde & de fes intrigues
J'ofai peindre l'amour , fes complots & les bri--
gues ,
י
Connoiffant à peine fon nom.
De ce roman la naïve innocence ,
Dans un cercle d'amis acquit quelque renomi
Formé fans art , dépourvû d'éloquence ,
B v
34
MERCURE DE FRANCE .
Le ftyle eut pour ſeul ornement
Le coloris du fentiment.
Tel fut de ces amis l'unanime fuffrage ,
Soit que le bon goût l'ait dicté ,
Soit qu'il ne foit qu'un fimple hommage
Que mon fexe m'a mérité.
L'orgueil , à cet écrit , me fait trouver des charmes.
T Me dérobant aux foucis , aux alarmes
Que traînent à leur char tes fragiles faveurs ,
Il m'engage à voler au faîte des honneurs.
J'obéis à la voix , j'enrre dans la carrière ,
Des risques que je cours je franchis la barrière.
Pardonne mon audace en faveur du motif;
C'eft l'écueil des talens qu'un esprit trop craintif.
Le péril doit frayer le chemin de la gloire ,
C'est par lui qu'on arrive au temple de mémoire."
VERS écrits fur un papier qui enveloppoit
un liard donné à une jeune Quêteufe.
Ji E ne donne qu'un liard , mais mon oeuvre eft
très -bonne ;
Quêteufe , ce propos peut - être vous étonné ; .
Ecoutez donc fur quoi je fonde mes motifs :
Je devrois recevoir , au contraire je donne.
Car pour qui quêtez - vous ? Eft ce pour les captifs
?
MARS.
-35 1772.
De tous les malheureux qui font chargés de
chaînes ,
En eft-il qui voulût changer avec les miennes ?
Dites -moi , quête - t - on pour les pauvres hone
teux ?
Je fuis , pour mes péchés , de la catégorie
De ceux qui n'ofent point s'avouer malheureux ,
Et je fuis déchiré par mon fort rigoureux ,
Sans ofer demander au tyran de ma vie
La plus mince faveur qui pût me rendre heureux.
Quêtez vous feulement pour ces coquins pouilleux
,
Ces chevaliers errants dont la troupe aguerrie
Quelque fois pour deux liards fe prend par les
cheveux ?
J'ai l'honneur d'être encor de cette confrerie :
Etre fans coeur , c'eft être un véritable gueux .
Par M. de L. B. de V. , Moufquetaire,
J
VERS à Madame **
ALOUSE Contre vous , trop aimable Baronne ,
Deux Dames disputoient fur votre qualité ;
Mais tirez , croiez-moi , bienplus de vanité
De celle qu'à nos yeux le tendre amour vous
donne.
Cythère eft votre baronnie ;
B vt
36
MERCURE
DE FRANCE
.
Tous les amours font vos fujets ,
Vos titres les plus parfaits :
Sont d'être jeune & jolie.
L'HOMME. Apologue.
C'EST un bel apologue que cette ancienne
fable du premier homme , qui
étoit deftiné d'abord à vivre vingt ans
tout au plus : ce qui fe réduifoit à cinq
ans , en évaluant une vie avec une autre .
L'Homme étoit défespéré ; il avoit auprès
de lui une chenille , un papillon , un
paon , un cheval , un renard & un finge ..
Prolonge ma vie , dit - il à Jupiter ; je
vaux mieux que tous ces animaux là : il
eft jufte que moi & mes enfans nous vivions
très - long- tems , pour commander à
toutes les bêtes . Volontiers , dit Jupiter,
mais je n'ai qu'un certain nombre de
jours à partager entre tous les êtres à qui
j'ai accordé la vie . Je ne puis te donner
qu'en retranchant aux autres ; car ne t'imagine
pas , parce que je fuis Jupiter,que
je fois infini & tout puiffant. J'ai ma nature
& ma mefure. Çà , je veux bien t'accorder
quelques années de plus , en les
MARS. 1772 37
âtant à ces fix animaux dont tu es jaloux ,
à condition que tu auras fucceffivement
leurs manières d'être . L'homme fera d'abord
chenille , en fe traînant , comme
elle , dans fa première enfance. Il aura
jusqu'à quinze ans la légèreté d'un papil .
Jon ; dans fa jeuneffe la vaniré d'un paon.
Il faudra , dans l'âge viril , qu'il fubiffe
autant de travaux que le cheval . Vers les
cinquante ans , il aura les rufes du renard;
& dans fa vieilleffe , il fera laid & ridicule
comme un finge. C'eft affez là en gé
néral le deftin de l'homme ..
Remarquez encore que , malgré les
bontés de Jupiter , cet animal , toure
compenfation faite , n'ayant que vingtdeux
à vingt - trois ans à vivre tout au plus,
en prenant le genre humain en général , il
en faut ôter le tiers pour le tems du ſommeil
, pendant lequel on eft mort ; refteà
quinze ans , ou environ ; de ces quinze retranchons
au moins huit pour la première
enfance , qui eft , comme on l'a dit , le
veftibule de la vie ; le produit net fera
fept ans ; de ces fept ans la moitié , au
moins , fe confume dans les douleurs de
toute espèce ; pofe trois ans & demi pour
travailler , s'ennuyer & pour avoir un peu
de fatisfaction : & que de gens n'en ont
38 MERCURE DE FRANCE.
point du tout ! Eh bien , pauvre animal ,
feras tu encore le fier ?
Par M. de V.
;
L'ESPERANCE EN DIEU ; à M. de
Rom **. Ode tirée du Pfeaume cxxix .
De profundis clamavi , &c.
Du fein ténébreux des abymes ,
Effraïé des remerds qui déchirent mon coeur ,
Courbé fous le poids de mes crimes ,
J'élève en gémiffant ma voix vers le Seigneur.
Grand Dieu ! que mes pleurs te fléchiflent !
Ne ferme point l'oreille à mes triftes accens ;
Que tes entrailles s'attendriflent !
Rends la paix à mon ame & le calme à mes lens.
Si dans ta balance févère
Tu pefes le fardeau de mon iniquité ,
Tu me dois toute ta colère ,
Etje lis mon arrêt fur ton front irrité.
Mais n'écoute que ta clémence ;
Au pied de tes autels , mon unique recours ,
J'irai , rempli de confiance ,
De ta miféricorde attendre le fecours.
MAR S. 1772 . 39
"
Ta promeffe n'eft point frivole ,
Tu l'as juré , non , rien ne peut la révoquer ;
Ton nom.... j'atteſte ta parole ,
Ton Nom me fauvera , j'olerai l'invoquer.
Tels , dans les fers de Babilone ,
Les enfans d'Israël aflervis à fa loi ,
Quand l'Univers les abandonne ,
N'ont d'autre protecteur , d'autre afyle que toi.
Aux premiers feux que le jour lance ,
L'espoir qui les foutient éclatte dans leurs yeux;
La nuit dans les bras du filence ,
L'espérance repofe & fomeille avec eux,
Du repentir , triftes victimes ,
Leurs larmes t'imploroient , ils invoquoient ton
Nom ;
Ta juftice oublia leurs crimes ,
Et ru les ramenas dans les murs de Sion.
Par M. D. B. , Capitaine de grenadiers
au régiment de Touraine.
40 MERCURE DE FRANCE.
VERS adreffés à Madame la Marquife
de L......., le premier jour de l'an.
En expreffions peu nouvelles ,
Je vous rends chaque année un hommage nou
veau.
Sans finir le portrait , j'émoufle mon pinceau;
L'art ne peut égaler vos graces naturelles..
Vous les multipliez ; vous faites encor mieux ,
Vous captivez l'esprit en féduifant les yeux.
On s'empreffe à vous voir , on aime à vous entendre
;
Mais pour vous détailler on manque de loifir .
Chacun fe trouve pris , fans favoir où fe prendre :
C'eft l'éclair qui nous frappe & qu'on ne peu
faifir.
Apelle , en pareil cas , eût abdiqué l'ouvrage,
E je ne ferai point ce qu'il n'auroit pas fait
Ou dispensez- moi de l'hommage ,
Ou donnez-moi votre fecret.
Par M. de la Dixmeriej.
M À RS. 1772. 4:1
VERS pour être placés au bas du Portrait,
de M. le Maréchal Duc de Briffaa,
Gouverneur de Paris , &c.
COURTISAN véridique & guerrier intrépide ; ›
Homme d'état , homme de bien ;
4
BRISSAC , toujours fidèle à l'honneur qui le
guide ,
Sait combattre en héros & vivre en citoyen.
Par le même.
A Mademoiſelle de S *** en lui envoyant
une branche de cédre , le jour de
Ja fête.
DEPUIS que le Parnaffe adore
Vos galantes chansons , vos yeux faits pour
l'amour ,
Les fragiles préfens de Flore
Vous furent offerts tour - à - tour.
Favorite de Calliope ,
Un bouquet immortel manquoit à vos attraits
Et du cédre jusqu'à l'hiffope
Yous connoîtrez tout déformais.
42 MERCURE DE FRANCE.
Des forêts du Liban l'orgueilleufe parure
Eft digne de vous embellit ;
Les merveilles de la nature
Des bouts de l'Univers doivent fe réunir.
Pai M. de la Louptiere.
DESCRIPTION géographique du
Royaume de Poësie . ( 1 )
LA Poësie eft un royaume fort étendu
& fort peuplé . Il est borné à l'Eft par l'E .
Loquence ; au Sud , par la Peinture & la
Sculpture ; à l'Ouest , par la Mufique ; les
Côtes du Nord font baignées par l'Océan
de l'Erudition,
Il fe divife comme bien d'autres , en
haut & bas pays. La haute Poëfie elt habitée
par une forte de perfonnages graves,
à l'air important , à la mine refrognée ,
dont le langage comparé à celui des autres
provinces , eft comme l'Espagnol ( 2 )
par rapport au françois . Les hommes y
•
(1)Traduction de l'anglois.
(2 ) L'original porte , comme le Galois par rapport
à l'Anglois.
MARS. 1772. 43
font pour l'ordinaire héros de profeffion .
C'eft une bagatelle pour eux que de pour.
fendre en deux , d'un feul coup , un géant
armé de pied en cap. Pour les femmes ,
le foleil lui - même ne mérite pas d'être
comparé à la plus laide d'entre elles . Les
chevaux de cette contrée courent plus
vite que le vent , & les arbres portent
leurs têtes jusques dans les nuës .
La capitale de cette province s'appelle
Poëme épique. Elle eft bâtie dans un terrein
fablonneux & ingrat que peu de gens
ont effaïé de cultiver . On prétend que
cette ville eft plus grande que Ninive. Ce
qu'il y a de sûr , c'eſt que les voyageurs
qui en ont voulu parcouru toutes les dimenfions
fe font laffés avant que d'arriver
jusqu'au bout.
Les habitans , & en général ceux de
tout le royaume , ne font , pas extrêmement
scrupuleux fur la vérité de ce qu'ils
rapportent. Ils entretiennent un étranger
de contes faits à plaifir , qu'ils débitent
fort férieufement & d'une manière affez
intéreffante . Ils ont un grand foin de
conduire les curieux à l'antique Maufolée
d'Homère , au tombeau de Virgile &
au monument érigé en dernier lieu à la
mémoire de Télémaque .
44
MERCURE DE FRANCE.
Ce qu'il y a de défagréable dans cette
ville , ce font les querelles , les défis , les
combats & les malfacres qu'on rencontre
à chaque pas ; mais la trifteffe que cette
vue inspire fe diflipe dès qu'on a mis le
pied dans le grand fauxbourg , que l'on
nomme les Romans. Il furpafle en étendue
la ville elle - même. Le fang y eft par
faitement beau , & toutes les perfonnes
de l'un & de l'autre fexe font les plus accomplies
que l'on puiffe imaginer. Ils ont
tous été grands voyageurs , & font amans
paffionnés , tout leurs tems fe pafle dans
des plaifirs & des fêtes continuelles , &
ils ne permettent presque jamais qu'un
étranger s'en retourne chez lui fans avoir
afité à cinq ou fix mariages des plus brillans.
Des extrémités de ce fauxbourg , on
découvre des montagnes fort hautes &
fort escarpées , bordées de précipices de
toutes parts. C'eft la Tragédie , pays tout
extraordinaire où l'on remarque fur-touc
les ruines de quelques villes anciennes
dont les reftes font encore beaux. Dès
qu'on en approche , on fe fent faifi d'une
noire mélancolie , & les habitans devien
nent cruels & fanguinaires au point que
tes femmes mêmes battent des mains à la
MARS. 1772 45
vue d'un miférable qu'on poignarde ou
qui s'empoisonne lui -même. Il y avoit
dans la même province un palais enchanté
, nommé l'Opéra . Un Magicien Italien
l'avoit conftruit de manière qu'il pouvoit
fe transporter dans tout l'Univers ; mais
le tems & divers accidens en ayant défi
guré l'architecture & affoibli la garniſon ,
on dit qu'il vient d'être emporté par un
parti de troupes légères forties du Burlefque
, province fur les confins de la baffe
Poëfie ; ces conquérans ont changé le
nom de la place en celui d'Opéra comique.
Non loin de ce château , dans un emplacement
des plus favorables , s'élève
l'ancienne cité de Comédie. Un goût naturel
pour la peinture eft généralement
répandu dans cette ville agréable ; il eft
fâcheux qu'on fe ferve quelque fois de ce
talent,pour peindre des objets dangereux
d'une façon féduifante . Chacun des habitans
s'amufe volontiers des fotifes de
fon voifin , fans trop s'embaraffer s'il
n'apprête point à rite lui- même ; avec
cela ce font gens dont la morale n'eft
point fi mauvaiſe.
La ville eft partagée en cciinnqq quartiers ;
à l'entrée de chacun i'on eft reçu par une
46
MERCURE DE FRANCE.
:
bande de muficiens , & quelque fois de
danfeurs. L'abord de la place eft défendu
par une citadelle nommée en langue du
pays , le Prologue. ( 1 ) On vous arrête là
avant que de vous laiffer entrer dans la
ville pour vous informer de ce qu'elle
renferme de beau , & pour vous prier de
vous y conduire poliment pendant le féjour
que vous y ferez. Ces precautions
font destinées à tenir la place en fûreté
contre les entreprifes des Critiques , nation
rufée & méchante , toujours en guer
re avec la Poëfie.
Sur le penchant d'une colline , une autre
ville s'offre aux regards ; c'eft la Tragi-
Comédie. On prétendoit en faire la rivale
de celle dont nous venons de parler;
mais quoique des perfonnes du plus haut
rang euffent formé ce projet , il n'a cependant
pas réufli .
La haute & baffe Poëfies font féparées
par les vaftes Solitudes du bon Sens , elpéce
de défert où l'on ne trouve ni bourg,
ni hameau , mais feulement quelques
cabanes disperfées dans la plaine . C'eſt
au refte le plus beau payfage du royau-
(1) Les piéces angloifes ont un prologue auffi
bien qu'un épilogue.
MARS. 1772 .
47
me; il produit en abondance toutes les
chofes néceffaires à la vie . La difette
d'habitans dans cette riche contrée vient
d'abord de ce que les chemins en font ferrés
& scabreux , enfuite de la difficulté de
trouver des guides .
D'ailleurs cette province eft presqu'environnée
de toutes parts de celle de l'Esprit
faux , dont le peuple léger s'amufe à
courir après de jolis riens & de brillantes
chimères , on s'endott entre les bras de
la volupté , de façon que peu de gens
veulent en fortir & prendre la peine de
s'engager dans les folitudes voilines . La
capitale de cette dangereufe province fe
nomme Elégie. Elle eft environnée d'antres
& de ruiffeaux , de rochers & de
bois où les folitaires habitans fe promènent
fans celle . Ils en font les confidens
de leurs amours , & craignent fi fort d'en
être trahis , qu'ils les conjurent de garder
un filence que les pauvres rochers n'avoient
garde de rompre.
Le royaume de Poefie eft arrofé par
deux rivières , la Rime & la Raifon . Celle-
ci coule toute entière dans les folitudes
du bon fens , delà vient qu'elle eft fi
peu fréquentée . L'autre fort du pied de la
montagne de Réverie. Un château conf48
MERCURE
DE FRANCE .
truit fur les bords , avec beaucoup d'élé
gance , arrête nombre de voyageurs ; on le
nomme Frivolité.
La province que nous venons de décrire
eft bordée par la vafte forêt de Stupidité
, dont les arbres font fi ferrés , fi
touffus & fi embaraffés les uns dans les
autres , que les rayons du foleil n'ont jamais
Pu les pénétrer. Elle eft fi ancienne
que les hommes fe font un point de religion
de toucher à aucun de fes atbres.
Sur fes confins eft l'Imitation , province
qui n'eft que trop étendue , puisqu'elle
eft entièrement ftérile ; auffi fes habitans
font-ils d'une extrême pauvreté : ils gagnent
leur vie à glaner dans les champs
voifins , & cela fans en témoiguer beaucoup
de reconnoiſſance.
La Poëfie eft extrêmement froide du
côté du Nord ; elle eft habitée par des
hommes de petite taille , pédans & affectés
au point que fi vous les écoutez
, ils ne vous parleront qu'en latin , &
feront rouler la converfation pendant une
heure fur un terme ou fur une penfée retournée
en cent façons. C'eft - là que fe
trouvent les petites villes d'Anagramme ,
d'Acroftiche , de Charade, & quelques autres
qui ne valent pas la peine d'être
vues .
MARS. 49
1772.
vues. La feule chofe remarquable dans
cette province , c'eft qu'on n'y rencontre
pas un habitant âgé ; tous meurent fort
jeunes .
Le royaume eft borné de ce côté- là par
l'Océan dont nous avons parlé . A quelque
diſtance des côtes , on trouve l'Ifle
des Satyres qui dépend du royaume de
Poëfie . La mer dont cette ifle eft environnée
abonde en fels extrêmement âcres &
piquants ; c'eft peut - être une des caufes
qui rend les Infulaires ſi bilieux , & leur
humeur fi aigre & fi mordante . Il eſt cependant
une ville où le caractère eft meilleur.
Du tems que cette ifle étoit fous la
domination des Romains , cette ville fut
gouvernée par un certain Juvenal. Il y
laiffa après lui un goût du vrai & du bon
qui n'eft pas encore entièrement perdu .
Je pourrois encore vous parler de la
presqu'ille d'Epigramme qui fe termine
en une pointe fort aigue . Je pourrois vous
apprendre que la cour avoit deffein de
faire conftruire fur un promontoire voiſin
un château nommé Laureat ( 1 ).
Voici la commiffion dont ce comman-
(1 ) Il y a eu long-tems en Angleterre un poëte
Laureat ou couronné .
C
50
MERCURE DE FRANCE.
dant auroit été chargé . On voit fans ceffer
flotter fur les eaux quantité de petits
morceaux détachés de divers endroits , &
qui étant la légèreté même , font emportés
çà & là , & menacent quelquefois les
côtes du Bon Sens. Il s'agiffoit d'empêcher
tous ces Sonnets , Madrigaux , Chan .
fons , d'aborder fur les côtes. Mais après
de nouvelles réflexions , on a jugé qu'il
n'y avoit pas grand danger qu'ils y arrivallent
jamais. (1)
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du volume du mois de Février
1772 , eft la Toile ; celui de la feconde
eft la Cloche. Le mot du premier logogryphe
eft Poulin , dans lequel fe trouvent
pou & lin ; celui du fecond eft Poif
fon , où le trouvent pois & fon ; celui du
troifième eft Cordon , où le trouvent cor ,
roc , or & don.
( 1 ) Angl. vuide.
MARS. 1772 :
SI
Q
ÉNIGME
UOIQUE je fois dans l'élévation ,
Je ne fuis pas de noble extraction ;
Je rends fouvent un louable ſervice ;
J'invite au plus fublime emploi.
Quand on m'entend exercer mon office ,
Ciel! que de fainéans murmurent contre moi .
Je vais à droite , à gauche , & je reſte à ma place;
Sans égard pour les grands , j'interromps leur
repos.
Vous , qui portez foutane , écoutez- moi de grace
,
Je le mérite mieux que le dieu des pavots.
Par M. Bouvet , à Gifors.
AUTRE.
OUTRAGE d'une main habile ,
Je vis tant qu'on prend foin de moi ;
Et même je deviens utile
A faire fouvenir de toi.
Lecteur , en vivant je fais vivre
"Quiconque à ma naiſlance a prêté ſon ſecours :
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
S'il meurt ; c'eft mon triomphe : on veut m'avoir
toujours ;
Chacun de maint regard fe plaît à me pourſui
vre :
Qu'une belle en pleurant mefixe d'un oeil doux ;
Sans doute, c'est parce que je fçai plaire :
Oui , mais qui n'en feroit jaloux ?
Elle me voit , pour n'aimer que mon frère .
Par M. de la Vente, peintre , de Vire.
AUTR E.
Jx nais toujours parmi de pauvres malheureux
Réduits à travailler en des lieux ténébreux :
Dès mes premiers inftans j'éprouve leur misère ,
Puisque je fuis contraint d'abandonner mon pè
re ;
D'aller dans la maison d'un cruel étranger
Qui , fans pitié , me fait coucher dans fon ver
ger;
Non pour fervir de garde à la poire , à la pom
me ,
Mais perdre la couleur que Phoebus donne
l'homme.
MARS. 1772 53
Comme enfant des humains je chéris les plaifirs,
Et j'aime àfolâtrer avec les doux zéphirs.
Lorsque j'ai le malheur de tomber dans la fange ,
On m'en punit foudain d'uue manière étrange ;
Une femme bientôt , comme un tygre en courroux
,
Me traîne à la rivière en m'y rouant de coups ,
Elleporte en uite en fon maudit ménage ,
Où je reçois encor cent preuves de fa rage.
Car je fuis maltraité , déchiré par morceaux
Et forcé de fervir même aux plus vils travaux.
Malgré ce traitement & tant de barbarie ,
Je lui fuis attaché tout le tems de ma vie ;
Quand je fuis accablé du poids de mes vieux ans ,
fervir d'interprête aux amans . ›
Je renais pour
ParM, Rigollot , Contrôleur des Fermes
du Roi , à Etampes.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
LOGO GRYPHE.
JE fers à la moitié du monde .
J'étois fort peu connu fous l'ancienne loi ,
Et chez nombre de gens de piété profonde .
Je fais même encor fans emploi.
Six pieds forment mon existence.
En les décompofant j'offre un miniftre en France ;
Le plus brillant métal , le titre le plus beau ;
La nymphe qui devint l'amante d'un taureau ;
Un élément fubtil , une plante fertile ;
Une conjonction par qui tout eft facile ;
Le plus lefte escadron des fuivans de l'amour ;
La plus fombre moitié du jour ;
Ce qui fert à former notre dernier afyle ;
Ce qu'il eft bon d'avoir à plus d'un jeu ;
Ce que les chiens ne chériflent pas peu.
Je pourrois , cher lecteur , t'en dire davantage;
Mais à ces traits reconnois - moi ,
Ou bien , pour me venger de toi ,
Je te couperai le vifage.
Par M. le François , ancien
Officier de Cavalerie.
MARS. 1772 .
55
AUTRE.
JEE règle de Thémis la balance & les poids ,
Et fans tête je chante & les Dieux & les Rois .
Par un Invalide de la Garnifon
du Chateau de Dax.
AUTRE.
MEs cinq pieds font l'appui de la lente vieil- ES
leffe ,
Et fervent de maintien à l'aimablejeuneffe ;
Le fer blefle mon pied , fi l'or couvre mon chef,
Un corps fouple & pliant eſt tout mon relief.
Lecteur , décompose mon être ,
Et vois dans le moment paroître
Un animal très-fot , un autre très-glouton ,
Dont les voix font au loin un affreux carillon .
De Marie aifément tu trouveras la mère ,
Et de Caïphe auffi le fortuné beau père ,
Le cours de douze mois , & fi ce n'eft aflez ,
Une ville normande , abondante en procès.
Parle même.
Civ
56
MERCURE
DE
FRANCE
.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Epitres fur la Vieilleffe & fur la Vérité
fuivies de quelques piéces fugitives en
vers & d'une comédie nouvelle en profe
& en un acte , qui a pour titre , le
Mariage de Julie , par M. Saurin , de
l'Académie Françoife . A Paris , chez
la Veuve Duchesne , rue St Jacques, au
Temple du Goût .
Ces deux Epîtres , l'une fur la Vieilleffe
& l'autre fur la Vérité ,. les princi
pales piéces de ce recueil , avoient déjà
fabi le jugement de ce Public éclairé &
choifi qui fe raflemble ordinairement aux
féances de l'Académie , & en avoient obtenu
le fuffrage . Les applaudiffemens
qu'elles reçurent alors ne feront pas démentis
, du moins à ce que nous croyons ,
à la lecture réfléchie du cabinet. Le fonds
en eft attachant ; il y a des fentimens
des idées , des images & beaucoup de
vers très- bien faits. Quelques morceaux
cités mettront nos lecteurs à portée d'en
juger eux - mêmes . Car il n'appartient à
perfonne de dicter fon jugement comme
La nouvelle Pension ,
Chanson Bacchique)
La musique estde M. Gr.
Pag.
Mars,
1772.
Chers amis je suis un lu
ron ;
Et vous connoisse
tous Gr
goire: I:a je suis en -pen
pensi
-on , Mais c'estpour apprendre
a b
boire; Et j'aime
la répétiti
:on , Et
Et
j'ai
me la répétition
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS ,
MARS, 1772.
57
un arrêt . Celui qui rend compte d'un
ouvrage n'a comme un autre que fa voix,
qui a plus ou moins d'autorité , felon
qu'il paroît discuter mieux & fe prévenir
moins ; & l'on peut remarquer que ceux
qui prononcent d'un ton ridiculement
abfolu ce que le Public doit penfer , font
ordinairement des juges fans conféquence
, & qu'on laiffe parler tout feuls.
Voyez , cher Arifton , la Vieilleffe plaintive ,
Sur un bâton noueux courbant fes foibles reins ,
Le tems qui fur la tête amafla les chagrins ,
Hâte vers le tombeau fa démarche tardive.
·
A les yeux obscurcis le Ciel paroît chargé ,
L'aftre du jour en deuil , la nature en fouffrance ,
Et du monde vieilli pleurant la décadence ,
Elle croit que tout change , elle feule a changé
Que tout femble riant au matin de la vie !
Des rayons de l'espoir la nature embellie
Répand un jour fi pur ! fon éclat eft fi frais !
La jeuneſſe ne voit que des êtres parfaits ,
Tout homme eft un ami , toute femme eft fincère;
Tout poëte eft divin & fur- tout point jaloux ;
Mais par l'expérience éclairés malgré nous ,
Que nous perdons bientôt cette illufion chère !
La défiance vient , conduite par le tems ,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Monftre aux pas incertains , à l'oeil fixe , au teint
bléme,
Qui mêle un noir poifon aux plus doux fentimens
,
Et veríe dans nos coeurs , avec le froid des ans ,
Le dégoût des humains & l'ennui de foi- même.
Ce portrait de la défiance nous paroît
d'une couleur heureufe & poëtique , & il
contra&te parfaitement avec celui de la
jeuneffe qui le précéde & dont tous les
traits nous femblent également vrais.
Nous obferverons feulement que le jeune
homme dont parle l'auteur , pour qui
tout poëte eft divin , apparemment ne
fait pas des vers .
Je fais , cher Arifton , que l'orateur de Rome ,
Qui réunit en lui Démosthène & Platon ,
Qui fut parler , écrire & mourir en grand homme,
Dans un de fes écrits introduifant Caton ,
Offre de la vieillefle une plus douce image.
Qu'importe , (fait - il dire à ce grandperfonnage , )
Qu'importe mes amis , que la fille du tems
Ait de fon doigt d'airain fillonné mon vifage ,
Readu mon corps débile & mes genoux trem
blans ,
La raiſon le mûrit fous les rides de l'âge ,
Et l'esprit affranchi du tumulte des fens ,
MARS. 1772 . 59
Goûte ce calme heureux , la volupté du fage.
Sans trop apprécier ce fuperbe langage ,
Je veux bien avouer qu'il fut dans tous les tems
Quelques mortels choifis dont la mâle vicillefle
Sait cultiver en paix les fruits de la fagefle.
Nous en connoiflons un qui fublime & touchant ,
De la pourpre du Pinde embellit fon couchant ;
Dociles à la voix , tous les arts l'environnent ,
Et le jouant encore avec les cheveux blancs ,
Les Mules à l'envi , les Graces le couronnent.
Tel fut Anacréon , tel Sophocle à cent ans.
Mais d'un bonheur fi rare il eft peu de modèles.
Les Mufes trop fouvent font de l'humeur des belles
,
Et gardent leurs faveurs pour de jeunes amans.
Nous croyons que les connoiffeurs feront
contens du ton qui regne dans ces
morceaux , à quelques négligences près .
L'auteur finit par des regrets très touchans
fur la mort d'un ami respectable M. de
Trudaine . Telles font , dit - il ,
dit-il , les pertes
de la vieilleffe.
O quel illuftre appui , quel ami j'ai perdu !
TRUDAINE , homme d'état , citoyen & vrai fage ,
L'inflexible équité , l'ordre fut ton partage.
Ton esprit lumineux éclairoit tes vertus ;
Des trésors du public plus que des tiens avare ,
C vj
60
MERCURE DE FRANCE.
Tu donnois à ton fiécle un exemple bien rare ;
Il le méritoit peu , mais hélas ! tu n'es plus .
Ma Mufe , je le fais , ne peut rien pour ta gloire.
Mais dans ces foibles vers arrofés de mes pleurs ,
Sur ta tombe permets que je jette des fleurs ;
Tes bienfaits , tes bontés vivent dans ma mémoire.
OTRUDAINE ! l'Etat te retrouve en ton fils ;
Mais qui pourra jamais confoler tes amis ?
L'éloge du père & du fils ne fera contredit
par aucun bon citoyen ni par aucun
homme de lettres.
L'auteur , malheureufement destiné à
pleurer des amis illuftres , ne s'attendoit
pas , lorsqu'il écrivoit ces vers , à payer
bientôt le même tribut à la mémoire d'un
homme qui ayant reçu de la nature des
talens véritables & de véritables vertus ,
cultivoit les uns par l'habitude du travail
& les autres par l'habitude des bienfaits.
Comme les vers de M. Saurin , fur la
mort de M. Helvétius , font imprimés
dans pluſieurs journaux & en général trèsconnus
, nous ne les citerons pas ici .
Nous nous contenterons
contenterons d'obferver
* M. Helvétius.
MARS . 1772./ 61
que ces vers font pleins d'une fenfibilité
vraie ; que l'ami n'eft poëte qu'autant
qu'il le faut , & que ce morceau femble
prouver , ce qu'on ne croit pas communément
, que la douleur peut faire des
vers. Ceux-ci font honneur à l'ame de
M. Saurin autant qu'à fon talent . Quand
on voit un bienfaiteur célébré ainfi par la
reconnoiffance & pleuré par l'amitié , le
commerce des lettres femble être en même
tems le commerce des vertus .
Dans l'Epître fur la Vérité , le poëte
combat le fyftême injurieux de Hobbes
qui croit l'homme naturellement méchant.
Voici le tableau que M. Saurin lui
oppofe .
Lorsque l'enfant forti des flancs qui l'ont porté ,
Foible & par la douleur de toutes parts heurté ,
Mêle aux cris du befoin les pleurs de l'impuiffance
,
Peu d'inftans détruiroient la fragile existence ,
Si l'amour ne veilloit au foutien de fes jours.
Mais éprouvant d'abord les plus tendres fecours ,
Bientôt avec plaifir preffant une mammelle ,
Il foulage fa mère , & foulagé par elle ,
En commençant de vivre , il commence d'aimer.
Ce lien mutuel qui vient de fe former,
Tout l'accroît chaquejour & tout le fortifie ;]
62 MERCURE DE FRANCE.
Des êtres que le Ciel a doués de la vie ,
L'homme en fon premier âge eft le plus dépendant
,
Le plus foible de tous , le plus long - tems enfant.
Tendre objet de nos foins affidus & durables ,
Ce font les bienfaiteurs qu'il voit dans fes fembla
bles .
"C'est pour fon propre bien qu'il fut ainfi formé ;
Qui n'aime que lui feul de lui feul eſt aimé .
Eh ! qui voudroit du jour , fi quelque main chérie
N'aidoit à fupporter le fardeau de la vie ?
C'eft en le partageant qu'on goûte le bonheur.
Malheur à qui ne fent que fa propre douleur.
Il vit dans un défert ; jamais d'un coeur aride
Lafoule des plaifirs n'a pû remplir le vuide.
L'homme a , pour être heureux , befoin de fentimens
,
Et ler jours font bien longs pour qui n'a que des
fens.
Ils font courts pour celui qui fait aimer , qui
pente ,
Et qui , lorsque Morphée amène le filence ,
Veille pour les humains & pour la vérité.
Ce morceau nous a paru d'une grande
beauté . Les vers fur la naillance de l'homme
rappellent ces vers fameux de Lucréce,
MARS.
63
1772 .
Tùm porrò puer , utfævis projectus ab undis
Navita , nudus humi jacet , infans , indigus omni
Vitaï auxilio , cum primùm in luminis oras
Nixibus ex alvo matris natura profudit ,
Vagituque locum lugubri complet , ut æquum eft ,
Cui tantùm in vitâ reftat fuperare malorum , &c. .
On trouve après cette pièce une imitation
abrégée de l'Epître d'Héloïfe à
Abailard , du célèbre Pope . Voici comme
ie traducteur peint le moment où Héloïfe
, après avoir pris le voile par ordre
d'Abailard , fe fépare de lui pour refter
dans la folitude .
Tu vins bientôt après m'apporter tes adieux .
Tu me quittais , & moi feule avec ton image ,
Seule avec mes regrets je reftai dans ces lieux ,
Dont l'aspect effrayant , dont le Site fauvage
Plaifoit à ma douleur en attriftant mes yeux .
D'effroyables rochers pendans fur un abîme ,
Des pins & des cyprès qui couronnent leur cime ,
Un torrent à grand bruit roulant du haut des
monts ,
Et mêlant le fracas de fon onde écumante
Au fourd mugiflement des fombres aquilons;
Voilà quel est l'afyle où gémit ton amante.
La piété , dit on , y trouve le bonheur ;
Ceft là que des humains elle fuit les approches.
64 MERCURE DE FRANCE.
Hélas ! je n'ai trouvé dans ces lieux que l'horreur ,
Que l'affreux désespoir aflis entre des roches ,
De l'abyme à fes pieds mefurant la hauteur.
Tu vois mon fort ; tu vois qu'Héloïſe éperdae ,
Loin de toi ſe conſume en t'appellant en vain.
Ne fois point fans pitié ; rends - lui du moins ta
vue ;
Viens ; qu'Abailard encor repofe dans mon fein ;
Viens , que ma bouche encor fur ta bouche adorée
Retrouve ce poifon dont je fus enivrée .
Preffe- moi fur ton coeur ; ferre- moi dans tes bras.
Trompe enfin mes defirs , fi tu ne les fens pas ;
Laifle le foin du refte à mon ame égarée , &c .
Nous transcrirons encore ce morceau
qui , dans l'original , eft d'un grand effet
& dont plufieurs traits font rendus avec
énergie dans la traduction .
Qu'entends -je ? quelle voix ? on m'appelle.. Héloïfe
!
Qui prononce mon nom dans ces lieux où tout
dort ?
Une autre fois déjà dans mon ame furpriſe ,
Cette voix a porté les accens de la mort.
J'errois pendant la nuit fous ces voûtes funèbres ,
Où mêlant un jour pâle à d'affreufes ténèbres ,
La lueur d'une lampe éclaire des tombeaux.
Dans ce muet ſéjour de la froide épouvante ,
MARS. 65 1772.
Je conjurois la mort de terminer mes maux ;
J'embraffois une tombe , il en fortit ces mots :
Viens , chère & trifte foeur , viens , malheureufe
amante.
Tes voeux font exaucés , & ta place eft ici.
Tu ne nourriras plus un dévorant fouci.
C'eſt fous ce marbre froid que le repos habite.
Jadis le coeur en proie au trouble qui t'agite ,
Je n'ai trouvé la paix qu'en ce fombre féjour.
Un long filence y règne & fait taire les plaintes .
La fuperftition y dépofe fes craintes ;
Car ce Dieu qu'on nous peint terrible & fans retour
,
Plus indulgent que l'homme & juge moins févère,
Pardonne à la foiblefle & ne punit qu'en père.
Nous choifirons encore dans une épître
en vers mêlés , adreffée à M. Collé , ces
traits d'une poëfie originale & descriptive.
Quand de l'Aftre éclatant par le Guébre adoré ,
Les aquilons fougueux ont obscurci la face ,
Quand fon char plus oblique effleure nos climats ,
Et brifant les rayons dans des prismes de glace,
Réfléchit un jour pâle à travers les frimats ,
D'une cité nombreufe habitant folitaire ,
Loin des fots de tout caractère ,
Des importans de tous états ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Je médite , je prends un livre ;
Mon esprit cherche à fe nourrir ;
Dans Horace j'apprends à vivre ,
Sénéque m'apprend à mourir.
Mes livres font pour moi d'agréables demeures ,
Où je cueille différens fruits ;
C'eft ainfi des hivers que j'abrège les nuits.
Les beaux arts chaflent les ennuis ,
Et l'étude charme les heures .
Mais fitôt que la terre a ranolli fon fein ,
Et qu'avec les zéphirs un bourdonnant effaia
Ole quitter la ruche & revoit les campagnes ,
Je quitte auffi la mienne , & revolant aux champs ,
Avec les Mules mes compagnes ,
Je me plais à fouler les tapis du printems.
Ah ! quand du trifte hiver l'uniforme livrée
A long tems de la terre effacé les couleurs ,
Que l'ail aime à la voir nouvellement parée ,
Etaler fa robe de fleurs !
Ah ! que fi long- tems déchirée
Du fifflet aigu de Borée ,
L'oreille entend avec plaifir
Le doux murmure du zéphir !
Sous fes aîles bientôt tout s'emprefle d'éclore ,
Le plus doux des parfums s'exhale dans les airs ,
Et la fcène de l'Univers
S'embellit chaque jour pour s'embellir encore .
Nous ne dirons rien de quelques autres
MARS . 1772. 67
que
piéces qui fuivent , moins étendues
les précédentes , mais toutes d'un ſtyle
agréable & ingénieux , & nous allons donner
une idée du Mariage de Julie .
M. Durval , financier , qui fait grand
cas de l'argent & nul cas de l'esprit , veut
marier fa fille Julie à M. Dutour , jeune
financier , dont il a la meilleure idée du
monde . M. de Surmon fon frère , homme
d'un excellent esprit & d'une fortune bornée
voudroit marier fa niéce au jeune
Marquis de St Bon qui aime Julie & en
eft aimé , & qui d'ailleurs a des vertus &
des talens . M. de Surmon infifte pour ce
mariage auprès de M. Durval .
M. DURVA L.
Votre Marquis a un défaut qui megâteroit
feul tout ce qu'il peut avoir d'eftimable
.
M. DE SURMO N.
Quoi donc ?
M. DUR VAL.
C'eſt un merveilleux , un esprit , &
vous favez que ma bête à moi c'eſt un
homme d'esprit. Je n'aime pas ces Meffieurs
là .
68 MERCURE DE FRANCE.
M. DE SUR MON.
Vous en voyez pourtant.
M. DURVA L.
Dans une maifon comme la mienne il
faut bien avoir de tout. N'allez pas vous
imaginer que je les craigne au moins .
Les deux frères ne s'accordent fur rien.
Cependant le Marquis de St Bon qui eft
avec fa mère dans la maifon de campagne
de M. Durval , fait fa cour à Madame &
à Mlle Durval. Mde Durval lui eſt favorable.
Elle a un foible prodigieux pour
les gens de qualité , & le malheur de fa
vie eft de n'être qu'une bourgeoife. Elle
fent d'autant plus ce malheur que fa foeur
la Comteffe d'Altin qui a époufé un
homme de qualité pauvre , accable à tout
moment la financière de fa fupériorité.
Une fcène charmante qui nous a paru
mériter d'être transcrite toute entière
donnera l'idée de ce contrafte très - heureufement
marqué.
La Comteffe D'ALTIN.
Ma foeur , je viens prendre congé de
vous. Il n'y a pas moyen de demeurer
avec votre mari ; c'eft un homme qui
n'aime que les gens de fa forte. Je lui
MARS . 1772 .
69
avois propofé pour fa fille un très- grand
mariage , le frère d'un homme titré ; il
m'a tefufée , mais très- durement .
Mde DUR VAL.
Celui que vous propoſiez , ma ſoeur, eft
un homme perda de dettes , un joueur.
La Comteffe D'ALTIN.
Qui vous dit que non ? Sans cela Mlle
Durval feroit-elle un parti pour lui ?
Mde DUR VAL.
On dit qu'il a eu d'indignes procédés
avec des femmes...
La Comteffe
D'ALTIN.
Des femmes... de la ville.
Mde DUR VA L.
Je vous admire , ma foeur ; des femmes
de la ville valent bien...
La Comteffe D'ALTIN.
Mon Dieu ; mille pardons. Vous me
voyez confuſe... j'oubliois...
Mde
DURVAL.
Ce que vous avez été , ma foeur .
70 MERCURE
DE FRANCE .
La Comteffe D'ALTIN.
Oh ! j'ai tort , j'ai tort. Je ne fais comment
cela m'eft échappé devant vous. Ah!
çà , je ne puis m'arrêter . M. le Comte
m'attend à dîner à Paris chez le Duc , avec
qui nous allons ce foir à Verfailles ; il y a
quelque tems que nous n'y avons été , & il
faut bien faire fa cour.
Mde DURVAL.
C'est un grand affujettiſſement , ma
foeur , une grande dépendance que celle
de la Cour , & je vous plains bien de
n'être pas en état de vous en paffer.
La Comteſſe D'ALTIN .
Cette dépendance - là eft honorable &
met à portée des graces. M. le Comte
foupe dans les cabinets ; je fais la partie
de...
Mde DUR VAL.
Fort bien ; mais je refte chez moi où
l'on fait la mienne. Il eft vrai que tout le
monde ne peut pas tenir une maiſon.
La Comteffe D'ALBIN.
Tout le monde peut encore moins être
admis à l'honneur...
MARS. 1772 .
71
Mde DUR VAL.
Ma foeur , c'eft acheter bien cher cet
honneur que de refter les trois quarts de
l'année dans un vieux château délabré
pour avoir de quoi figurer quinze jours à
la Cour .
La Comtelle D'ALTIN.
Mais pendant ces quinze jours , ma
foeur , on voit meilleure compagnie que
ceux qui n'y peuvent aller , n'envoient
toute leur vie .
Mde DUR VAL,
Laiffons cela , ma foeur ; je veux vous
montrer mes diamans . Je les ai fait monter
dans un goût nouveau ; ils font d'un
éclat , d'une beauté...
La Comteffe D'ALBIN.
Je les verrai une autre fois ; je compte
même les emprunter pour le bal paré qu'il
doit y avoir ; comme vous ne pouvez pas
en être. ...
Mde DUR VAL.
Je voudrois que vous y puffiez joindre
une robe comme celle que je me fais faire
; c'eſt l'étoffe la plus riche , la plus fp72
MERCURE DE FRANCE.
perbe ; mais cela feroit trop cher... Je me
fuis aufli donné une voiture d'une élégance...
La Comteffe D'ALTIN .
Je vous approuve fort, ma foeur. Quand
on n'a pas le bonheur de porter un certain
nom , il faut avoir de tout cela . Avec de
l'argent chacun peut fe contenter ; car tout
eft fi confondu ...
Mde DUR VAL.
Pas fi confondu. Il y a peu de gens qui
puiffent atteindre à de certaines chofes.
Par exemple , je fuis en marché d'un bijou
unique ; la Princeffe Amélie l'a trouvé
trop cher ; mais j'en ai la fantaiſie &
je la pafferai.
La Comteffe D'ALTIN.
Adieu , ma foeur . Je vous quitte avec
bien du regret. Quand on s'aime comme
nous faifons , il eft cruel de fe féparer.
Mais vous pourriez me venir voir ; il y
aura des fêtes , & je me ferois un plaifir
de vous faire bien placer.
Mde DUR VA L.
Je fuis fi bien chez moi , ma foeur , &
puis
MARS. 1772 . 73
pais je n'aime les fêtes que quand je les
donne.
Cette fcène est très - piquante , & tout
le dialogue de cette pièce est toujours de
ce ton à la fois ingénieux & naturel , femé
de traits d'une critique jufte & fine
fur les moeurs & les ridicules .
Le Marquis de St Bon qui revient de
Verfailles , dont la maifon de campagne
de M. Durval eſt voifine , apprend à M.
Durval que ce M. Dutour dont il a une
fi bonne idée , pour qui même il avoit
obtenu l'agrément de fa charge dont il fe
défaifoit , eft depuis trois mois marié en
fecret avec une Mlle Lucile ; qu'il a été
furpris par les parens & forcé de déclarer
fon mariage. C'eft da Miniftre même
qu'l tient cette nouvelle , & le Ministre,
par égard pour le Marquis de St Bon veut
bien rendre la parole à M. Durval , fuppofant
, comme de raiſon , qu'il n'eft plus
dans l'intention de donner fa charge àun
homme qui l'a fi indignement trompé.
M. Durval eft un peu confus de fa mépriſe
& de la générofité du Marquis de St
Bon qui le laiffe maître de lui donner Julie
ou de la lui refufer. I la lui accorde
cependant ; mais il ne revient pas d'étonnement
que M. Dutour air pû faire un G
D
74
MERCURE DE FRANCE.
for mariage. Mon frère , lai dit M. de
Surmon , c'eft que ,
quoique vous en penfiez
, les fots ne fe
contentent pas de dire
des fottifes & que très - fouvent ils en font-
Cette jolie
comédie n'eft point indigne
de l'auteur des moeurs du tems , & nous
croyons qu'elle feroit plaifir au théâtre.
Euvres de Crébillon ; nouvelle édition ,
revue , corrigée & augmentée de la vie
de l'auteur. A Paris , chez les Libraires
affociés.
Cette édition , d'un format commode
& portatif, d'un joli caractère & d'une
exécution foignée , eft d'ailleurs plus complette
que toutes les précédentes. C'eſt la
feule où l'on trouve le Triumvirat , la
dernière tragédie de l'auteur. Peut - être
fe pafferoit- on fort bien d'y trouver un
éloge hiftorique compofé par une main
un peu partiale , une préface qui ne l'eſt
pas moins , des piéces relatives qui le
font encore plus . Si l'on vouloit discuter
ici le mérite & les défauts de cet écrivain
juſtement célèbre , examiner ce reffort de
la terreur dramatique qu'on a trop prétendu
lui appartenit exclufivement, & que
d'autres mains ont peut-être fçu manier
avec plus d'art ; fi nous le mettions en
MAR S. 1772 . 75
-
parallèle avec le grand homme qui a trai
té fouvent les mêmes fujets , nous aurions
fans doute de quoi faire un morceau de
critique très intéreffant ; mais plus il le
feroit , plus il y a de danger à l'entreprendre
. Il s'en faut bien que l'esprit de
parti foit éteint. Toute discuffion littéraire
eft aujourd'hui un fignal de discorde.
Toute opinion tient à des intérêts
cachés , & produit des haines furieufes ,
des querelles & des fcandales. Quiconque
veut dire la vérité doit renoncer à la paix ,
& l'on n'eft pas toujours d'humeur à foute.
nir la guerre
.
Nous nous bornerons donc à mettre
fous les yeux du lecteur des jugemens fur
Catilina & Rome fauvée , qu'aflurément
nous n'aurions jamais relevés , s'ils ne fe
trouvoient pas dans la nouvelle édition
de Crébillon . Ces paffages fuffiront pour
faire connoître à nos lecteurs quelle espéce
de témoignages l'éditeur a raffemblés
& pour faire approuver les raifons de
notre filence .
Un Journaliste , après avoir fait la
critique de Catilina , & remarqué une
grande partie des défauts de cet ouvrage
, conclud ainfi . « Sans y penſer ,
Monfieur , j'ai fait l'éloge de la Rome
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fauvée de M. de Voltaire . Vous n'avez
qu'à fubftituer des beautés d'ordonnan-
» ce aux défauts que j'ai relevés , & vous
» aurez une idée jufte de cette pièce ,
» c'eſt- à -dire d'un drame où l'action mar-
» che avec force , avec économie , ( nous
» ne remarquons pas le ftyle ) avec rapidité
, rien qui ne porte coup , qui ne
» remue , qui n'intéreſſe ; les caractères y
» font vrais , reffemblans , foutenus . Ci-
» céron eft le véritable héros de la piéce,
» il devoit l'être & non Catilina . Caton
" & Céfar , ces fameux Romains , y font
repréfentés avec des traits qui vous en-
» chantent ; les connoiffeurs & les favans
doivent en être fatisfaits . Catilina n'eft
» par tout que Catilina , c'eft-à dire un
❞ furieux , un fcélerat & non un héros ,
un grand homme . Le caractère d'Auré
» lie eft de toute beauté dans la précision ,
puisqu'elle remplit tous les devoirs
d'époufe , de fille & de Romaine ; elle
» s'immole à fon époux , à fon père , à fa
» patrie. A ces perfections du plan joignés
» celles du ftyle & des beautés de détail
» qui fe fuccédent rapidement les unes
» aux autres. Il ne s'agit point d'antithe-
» les pointues , de vers de remplitfage ,
» ou de maximes purement de parade &
MARS. 1772. 77
33
99
23
"
d'oftentation ; c'est une éloquence de
poëfie égale pour ainfi dire à l'éloquen-
» ce de profe de l'orateur Romain . On
» croit l'entendre parler de fa tribune &
foudroyer encore Catilina . Les autres
perfonnages parlent auffi le langage qui
» leur eft propre , celui de la paffion , des
» conjonctures , de leur caractère . En un
» mot cette piéce fait honneur à l'esprit
» humain , & je la regarde comme un des
≫ ouvrages de M. de Voltaire les mieux
» conçus , les mieux combinés , les plus
» forts & les plus foutenus. Je ne crois
» pas qu'on me foupçonne de partialité. s
» Année littéraire.
Il eft difficile de faire un plus grand
éloge d'une tragédie , & cet éloge eft jufte.
Voici comme le même homme parle
da même ouvrage quelques années après .
" M. de Voltaire a bien voulu immoler
fa propre gloire pour relever celle de
» M. de Crébillon , en donnant au Public
» Orefte & Rome fauvée. En effet ces
» deux piéces n'ont fervi qu'à confirmer
» le mérite d'Orefte & de Catilina . »
Le même journaliſte ( que nous ne citons
que parce que ces paffages fe trouvent
dans la nouvelle édition de M. de
Crébillon ) dit , en parlant d'Electre . « Le
D iij
78 MERCURE DE FRANCE .
"
» Public a fenti la différence de cette Elec-
» tre à celle qu'un homme qui , d'ailleurs
» a du talent , a voulu élever fur fes dé-
» bris. »
Cet homme qui d'ailleurs a du talent,
n'eft autre que M. de Voltaire . N'y a- t- il
pas un peu de complaifance , un peu de
générosité dans cet aveu ? Est- il bien für
que l'auteur de la Henriade , d'@dipe , de
Brutus , de Zaïre , d'Alzire , de Mérope ,
de Mahomet , de Sémiramis , d'Adelaïde
, de Nanine , de l'Ecoffoife , &c. ait
d'ailleurs du talent.
Euvres de Regnard , nouvelle édition ,
revue , exactement corrigée & conforme
à la repréſentation. A Paris , chez
les Libraires affociés.
Cette édition eft la même pour le format
& le caractère que celle de Crébillon
dont nous venons de parler. Nous entrerons
dans quelques détails fur la perfonne
& les ouvrages de Regnard , qui a
fu trouver une place éminente après Molière
, & qui a été un grand comique fans
lui reffembler.
La manière de Regnard eft originale.
MARS. 1772. 79
-
Ses piéces ont peu de fonds & d'intrigue ,
fes caractères font peu approfondis ; ce
n'eft ni la raiſon fublime , ni le génie ob
fervateur , ni l'excellente morale , ni l'éloquence
de ftyle de Molière ; fon comique
tient à une gaîté de détails , aux faillies
, aux tournures plaifantes dont il femble
avoir un fonds intariffable. Il ne fait
jamais penfer ; mais il fait toujours rite .
Son imagination d'ailleurs lui fournit des
fituations qui approchent du grotesque ,
fans être pourtant ni baffes ni triviales ;
le Légataire en eft rempli , & cette piéce
dont le fuccès fut très grand , eft peutêtre
le chef- d'oeuvre de la gaîté comique ;
du moins il n'y a point de comédie qui
fafle rire davantage . Le teftament de Crispin
eft la folie la plus plaifante qu'on ait
imaginée , & beaucoup de gens d'esprit
& de goût préférent cette pièce à toutes
celles de Regnard , même au Joueur qu'ils
trouvent un peu défiguré par deux rôles de
charge, la Comtelle & le Marquis . Cependant
il faut avouer que c'eft dans le Joueur
qu'on remarque le plus le comique d'obfervation
& de caractère qui n'eft pas ordinairement
celui de l'auteur . Toutes les
fcènes où le Joueur paroît font excellentes.
Les variations de fon amour , felon
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft plus ou moins heureux au jeu ,
fes transports de joie & de défespoir font
d'une grande vérité . Il y a même de ces
mots heureux pris bien avant dans le coeur
humain.
Ce Sénéque , Monheur , eft un excellent homme.
Itoit- il de Paris?
Non , il étoit de Rome.
Dix fois à carte triple être pris le premier !
Ce dialogue eft d'un homme fupérieur.
Au furplus , s'il eft vrai qu'on peint d'autant
mieux une paffion qu'on l'a plus reffentie
, Regnard avoit de Pavantage en
traitant ce fujet. On fait qu'il étoit joueur,
& joueur heureux. Il avoit gagné au jeu
une partie de fa fortune dans un voyage
d'Italie.
Dufresni fit le Chevalier joueur presque
en même tems que Regnard donnoit le
fien. Tous deux s'accusèrent de plagiat &
d'abus de confiance ; & l'on dir fore plaifamment
qu'il fe pouvoit que tous deux
fuffent un peu voleurs , mais que Regnard
avoit été le bon larron . On mit même ce
bon mot en épigramme. Dufresni fit encore
depuis la Joueufe , où il y a des traits
excellens . Mais ces deux piéces réunies
MARS. 1772 . &&
font bien loin de valoir celle de Regnard .
Ila imité les Ménechmes de Plaute ; mais
il a furpaffé fon original , & il pouffe le dé
fespoir du Menechme campagnard à un excès
bien plus plaifant que Plaute . On ne
peur citer les Menechmes fans fe rappeller
un de ces mots & gais qui naiflorent fous la
G
plume de Regnard , toujours d'autant plus
piquans qu'ils font plus inattendus ; c'eft
dans la fcène du Tailleur qui s'eft dic
fyndic & marguillier , & qui veut faire
payer à Menechme les habits d'un régiment
qu'il n'a jamais eu . Menechme eft
furieux .
Laiſſez- moi lui couper le nez.
Son valet qui eft un feipon , lui dit gravement
:
Laiflez-le aller.
Que feriez-vous , Monfieur , du nez d'un marguil
lier.
Il n'y a qu'un homme du caractère de
Regnard qui puiffe trouver des mots comme
celui- là . Aufli Despréaux qui a eu bien
fouvent raiſon , quoiqu'on en dife , répondit
à un homme qui traitoit Regnard
d'auteur médiocre ; il n'eft pas médiocrement
gai.
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
Regnard fe trompa , quand il crut que
Démocrite amoureux pourroit être un
perfonnage comique. Il eft épris de fa pupille
, à peu près comme Arnolphe l'eſt
de la fienne. Mais il s'en faut bien que fa
paffion ait des fymptomes auffi violens
& aufli marqués que celle d'Arnolphe ; il
ne fort presque jamais de la gravité philofophique
; il eft froid. Arnolphe eft fou
& fes accès font très - plaifans , c'eft- là cù
Molière excelle , à favoir jusqu'où un travers
dérange l'esprit , jusqu'où une paffion
renverfe une tête . Il va toujours aufli
loin que la nature . D'ailleurs la paffion
d'Arnolphe produit des incidens trèsheureux
. Celle de Démocrite ne produit
rien. Un mauvais roman acheve de gâter
l'ouvrage ; mais il y a une fcène du plus
grand mérite , une fcène vraiment comique
, celle de Strabon & de Cléanthis .
La diftraction n'eft point un caractère ,
une habitude morale ; c'eft un défaut de
l'esprit qui n'eft fusceptible d'aucun développement
, qui ne peut avoir aucun
but d'inftruction . Une diftraction reffemble
à une autre , & un homme peut être
diftrait vingt fois le jour fans être une
feule fois différent de lui - même . Auffi
la comédie du Diftrait n'eft qu'une fuite
MAR S. 1772 . 83
d'incidens plus ou moins plaifans , & la
piéce en général eft d'un effet médiocrę . ·
Le Retour imprévu eft une des plus jolis
actes que nous ayons . La Sérénade eft fort
inférieure . Les Folies amoureufes font dans
le genre de ces canevas italiens , où il y
a toujours un docteur trompé , un mariage
& des danfes . Nous obferverons à ce
fujet que Regnard effaïa fon talent comique
pendant environ dix ans fur le théâtre
italien. Il fit environ une douzaine de
piéces moitié italiennes , moitié françoifes
, tantôt lui feul , tantôt en fociété avec
Dufresni. Il avoit près de quarante ans
à pour quand il commença à travailler le
théâtre françois. Le voyage qu'il avoit
fait en Italie dans fa première jeuneffe ,
& la facilité qu'il avoit à parler la langue
du pays lui avoient fait goûter la gaîté
pantomime des Farces italiennes & le naturel
deleur dialogue . Il eft probable que
fes premiers travaux en ce genre influèrent
beaucoup fur fon goût & fur fa manière
d'écrire. On peut remarquer que
les François , nation beaucoup plus réĤéchiffante
que les Italiens & les Grecs ,
font les feuls qui aient établi la haute comédie
fur une bafe de philofophie morale.
La gefticulation & les largis font
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
plus de la moitié du comique italien ,
comme ils font la plus grande partie de
leur converfation & fouvent de leur efprit.
Regnard , célèbre par fes comédies ,
auroit pu l'être par fes feuls voyages . C'étoit
chez lui un goût dominant qui ne fut
pas toujours heureux ; mais ce goût étoit
fi vif qu'étant parti de Paris pour voir la
Flandre & la Hollande , il alla , en fe laiffant
toujours entraîner à fa paffion , d'abord
au- delà du Rhin jusqu'à Hambourg,
de Hambourg en Dannemarc , en Suéde
& de Suéde en Laponie . Un fimple motif
de complaifance pour le Roi de Suéde
qui le preffa de vifiter la Laponie , ou plu
tôt fa curiofité naturelle le conduifit jufques
fous le pôle , précisément au même
endroit où des favans ont été de nos jours,
fous les auspices du gouvernement , vérifier
des calculs mathématiques & déterminer
la figure de la Terre. Il fut accompagné
dans ce dernier voyage par deux
gentilshommes François qui avoient
voyagé en Afie , nommés l'un Fercourt
& l'autre Corberon . Arrivés à Torno qui
eft la dernière ville du monde du côté
du Nord , ils s'embarquerent fur le lac de
même nom qu'ils remonterent l'espace
de huit lieues , arriverent jusqu'au pied
MARS. 1772. 85
d'une montagne qu'ils nommerent Metavara
, & gravirent avec peine jusqu'au
fommet d'où ils découvrirent la Mer
Glaciale. Là ils graverent fur un rocher
cette inscription en vers latins qui ne feroient
pas indignes du fiécle d'Augufte.
Gallia nos genuit , vidit nos Africa , Gangem
Haufimus , Europamque oculis luftravimus om
nem .
Cafibus & variis a &ti terráque , marique
Siftimus hic tandem nobis ubi defuit orbis.
On peut les graduire ainfi.
Nés François , éprouvés par cent périls divers ,
Du Gange & du Zaïr nous avons vu les fources ,
Parcouru l'Europe & les mers.
Voici le terme de nos courfes ,
Et nous nous arrêtons où finit l'Univers.
Regnard n'avoit jamais été fur les bords
du Gange ; mais pour fon malheur il connoilloit
l'Afrique & la Grèce où il avoit
été esclave. L'amour fut la caufe de cette
disgrace. A fon fecond voyage d'Italie
Regnard rencontra à Bologne une Dame
Provençale qu'il appelle Elvire & dont
il nomme le mari de Prade . It conçut
pour elle une paffion très - vive ; & com86
MERCURE DE FRANCE.
me elle étoit fur le point de revenir en
France , il s'embarqua avec elle & fon
mari à Civitta Vechia fur une frégate angloife
qui faifoit route pour Toulon. La
frégate fut prife par deux vaiffeaux algériens
, & tout l'équipage mis aux fers &
conduit à Alger pour y être vendu . Regnard
fut évalué , on ne çonçoit pas trop
pourquoi , la moitié plas que fa maîtreffe,
ce qui pourroit faire naître des idées peu
avantageufes fur la beauté d'Elvire , quoique
Regnard la repréfente par- tout comme
une créature charmante. Leur patron
s'appelloit Achmet Talem. Il s'apperçut
que fon captif s'entendoit en bonne chère
; il le fit cuifinier. A l'égard d'Elvire ,
on ne dit pas ce qu'il en fit. Au bout de
quelque tems , Achmet eut affaire à
Conftantinople ; il y mena fes deux esclaves
dont il rendit la captivité très- rigoureufe
, jusqu'à ce que la famille de Regnard
lui fit toucher une fomme de douze
mille livres qui fervît à payer fa rançon,
celle de fon valet- de- chambre & de la
Provençale . Ils revinrent enfemble à Marfeille
. Pour comble de bonheur ils apprirent
la mort de Prade qui étoit demeuré
à Alger . Rien ne s'oppofoit plus à leur
union , & ils croyoient , après tant de traMARS.
1772. 87
verfes , toucher au moment le plus heureux
de leur vie , lorsque de Prade , que
l'on croyoit mort , reparut tout -à coup
avec deux religieux Mathurins qui l'avoient
racheté . Cette derniere révolution
renverfa toutes les espérances de Regnard,
& pour ſe diftraire de fes chagrins il fe
remit à voyager. C'eft alors qu'il tourna
fes pas vers le Nord . Il s'amufa depuis à
embellir toute cette aventure d'un vernis
romanesque , & il en compofa une nouvelle
intitulée la Provençale. Toutes les
règles du roman y font scrupuleufement
obfervées . Comme il eft le héros de fon
ouvrage , il commence par faire fon portrait
fous le nom de Zelmis , & foit à titre
de romancier , foit à celui de poëte ,
foit par la réunion de ces deux qualités ,
il fe dispenfe abfolument de la modeftie .
Voici comme il fe peint. Zelmis eft un
" cavalier qui plait d'abord ; c'eſt affez de
» le voir une fois pour le remarquer , &
» fa bonne mine eft fi avantageufe qu'il
» ne faut pas chercher avec foin des en-
» droits dans fa perfonne pour le trouver
» aimable ; il faut feulement fe défendre
» de le trop aimer. »
C
Paffe pour l'éloge , puisqu'il faut qu'un
héros de roman foit accompli ; mais la
88 MERCURE DE FRANCE.
bonne minequi est avantageufe & les endroits
de fa perfonne ne font pas une profe digne
des vers du Légataire & du Joueur . Tout
le refte eft écrit de ce ftyle. D'ailleurs
tout y eft monté au ton de l'héroïsme .
Elvire a bien plutôt la dignité romaine
que la vivacité provençale . Elle en impofe
d'un coup d'oeil à Muftapha le chef
des Pirates , qui a pour elle tout le respect
que des brigands Africains ont toujours
pour de jeunes captives. Le Roi d'Alger
(quoiqu'il n'y ait jamais eu de Roi à Alger
) fe trouve au port à la descente des
captifs , & ne manque pas de devenir
éperdument amoureux d'Elvire. Il l'amène
dans fon harem où fes rivales la
voient entrer en frémillant de jaloufie.
Toujours fidèle à fon amant , elle ſe refufe
à toutes les inftances du Roi qui , de
fon côté , ne brûle pour elle que
de l'amour
le plus pur & le plus respectueux ,
tel qu'il eft ordinairement dans le climat
d'Afrique. Elle parvient même à voir fon
amant , qui exerce dans Alger la profeffion
de peintre avec la permiffion de fon
patron . Ils concertent tous deux les
moyens de s'enfuir , & ils en viennent à
bout ; mais par malheur ils font renconwés
fur mer par un brigantin d'Alger qui
MARS. 1772 . 89
les ramène. Baba Hafan , c'eft le nom du
Roi d'Alger , ne fe fâche point du tout
de la fuite de la belle captive . Il finit même
par lui rendre la liberté , comme il
convient à un amant généreux . Elle retrouve
Zelmis dont la vie & la fidélité
ont auffi couru les plus grands dangers.
Deux ou trois favorites de fon maître
font devenues folles de lui ; il a fait la
plus belle défenſe ; mais , furpris avec une
d'elles , il fe voit fur le point d'être empalé
fuivant la loi mahométane , lorsque
le Conful de France interpofe fon crédit
& le délivre de ce danger & de l'escla
vage .
Tel eft le roman qu'a brodé Regnard
fur fa captivité d'Alger , & qui n'eft pas
plus mauvais que beaucoup d'autres . S'il
avoit écrit ainfi tous fes voyages , ils ne
feroient pas fort curieux . Ceux de Flandre
, de Hollande , d'Allemagne , de Pologne
, de Suéde ne contiennent guères
que des notions générales & fuperficielles.
Il n'eft peut-être pas inutile de remarquer
qu'au commencement de celui
de Flandres on trouve un exemple de ce
ton un peu avantageux que les prospérités
de Louis XIV avoient mis à la mode.
« Mons eft la capitale du Hainaut , & la
90 MERCURE DE FRANCE.
première qui reconnoiffe de ce côté la
domination espagnole , jusqu'à ce qu'il
plaife à la France de lui faire fentir fon
» joug. On peut juger que ce langage
qui étoit fort commun alors , n'auroit pas
contribué à nous faire aimer des autres
Nations , fi l'on n'eût pas remarqué d'ailleurs
que le François étoit porté plus qu'aucun
autre peuple à rendre juftice aux étrangers.
Le feul voyage de Regnard qui mérite
une attention particulière eft celui de Laponie.
C'eft le feul où il paroiffe avoir porté
plutôt l'oeil obfervateur d'un philofophe
que la curiofité diftraite d'un voyageur.
Peut-être la nature même du pays qui
étoit fort peu connu , & les moeurs extraordinaires
de fes habitans fuffifoient
pour attirer fon attention ; peut-être aufli
le defir de plaire au Roi de Suéde qui ne
l'avoit engagé à ce voyage que pour recueillir
les obfervations qu'il y pourroit
faire , le rendit plus attentif qu'il ne l'au
roit été naturellement ; & cet esprit cour
tifan que l'on prend toujours auprès des
Rois affervit pour un moment l'humeur
indépendante & libre d'un homme abſolument
livré à fes goûts , & qui fembloit
ne changer de lieu que pour le défaire du
tems.
MARS. 1772. 91
·
Quoiqu'il en foit , il décrit avec une
exactitude très détaillée tout ce que le
pays & les habitans peuvent avoir de remarquable
, foit qu'il ait tout vu par luimême
, foit qu'il ait confulté dans la rédaction
de fon voyage l'hiftoire de Laponie
écrite en latin par Joannes Tornaus ,
l'ouvrage le meilleur qu'on ait compofé
fur cette matière , & dont Regnard luimême
cite fouvent des paffages & attefte
l'autorité . Un des articles les plus curieux
eft celui de la forcellerie dons les Lapons
font grand ufage . Notte auteur va voir
un Lapon qui paffoit pour le plus grand
forcier du pays & qui prétendoit avoir un
démon à fes ordres qu'il pouvoit envoyer
à l'autre bout de l'Europe & faire revenir
en un moment. On le conjure bien vîte
de dépêcher fon démon en France pour
en rapporter des nouvelles . Le forcier a
recours à fon tambour & à fon marteau
qui font fes inftrumens magiques ; il fait
des conjurations & des grimaces , fe frappe
pe le vifage , fe met tout en fang ; mais
le diable n'en eft pas plus docile , &
l'on n'en a pas de nouvelles. Enfin
le forcier pouffé à bout avoue que fon
pouvoir commence à tomber depuis qu'il
eft vieux & qu'il perd fes dents ; qu'autrefois
il lui auroit été facile de faire co
92 MERCURE DE FRANCE .
qu'on lui demandoit , quoiqu'il n'eût jamais
envoyé fon démon plus loin que
Stockholm . Il ajoute que fi l'on veut lui
donner de l'eau de vie , il ne laiffera pas
de dire des chofes furprenantes . On l'enivre
d'eau- de vie pendant deux ou trois
jours , & nos voyageurs pendant ce tems
lui enlevent fes inftrumens magiques
fon tambour & fon marteau , qu'il pleure
amèrement comme Michas pleure la perte
de fes petits dieux , tulerunt deos meos.
Le tambour & le marteau n'étoient pour
tant pas des piéces affez curieufes pour
être rapportées en France , & ce n'étoit
pas la peine d'affliger ce bon Lapon &
de le priver du commerce de fon démon
familier.
Afon retour de Laponie en Suéde Regnard
paffe par Coperbérit , lieu renommé
par fes mines d'où l'on tire du fouffre
vif , du vitriol bleu & verd & des octaédres
, espéce de pierres donr on fait
cas dans le pays , taillées naturellement
en figure octogone . La description que
Regnard fait de ces mines eft animée &
pittoresque. On ne fera peut- être pas fàché
de la trouver ici.
C₁ On nous mena d'abord dans une
» chambre où nous changeâmes d'habit
MARS.
1772.
93
?
»
"
"
"
& primes un bâton ferré pour nous fou-
» tenir dans les endroits
dangereux . Nous
»
descendîmes enfuite dans la mine dont
» la
bouche est d'une largeur & d'une pro-
»
fondeur
furprenante. A peine voit on
» les
travailleurs dont les uns élèvent des
» pierres , les autres font fauter les ter-
» res , d'autres
allument des feux; chacun
» enfin a fon emploi différent . Nous def-
»
cendîmes dans le fond , & nous com-
»
mençâmes à
connoître que nous n'a-
» vions rien fait & que ce n'étoit qu'une
dispofition à de plus grands
travaux.
» Nos guides
allumèrent leurs
flambeaux
qui
avoient bien de la peine à
percer
les
ténébres épaiffes qui
regnoient dans
» ces lieux
fouterreins. On ne voit de
» tous côtés à perte de vue que des fujets
»
d'horreur , à la faveur de certains feux
»
fombres qui ne
donnent de
lumière
qu'autant qu'il en faut pour
diftinguer
ces objets affreux. La fumée vous of-
» fusque , le fouffre vous étouffe.
Joignez
» à cela le bruit des
marteaux & la vue
» de ces
ombres , de ces
malheureux qui
» font tous nus & noirs comme des dé-
» mons , & vous
ayouerez avec moi qu'il
n'y a rien qui
repréſente mieux l'enfer
» que ce tableau vivant . Nous
descendî-
»
94 MERCURE
DE
FRANCE
.
"
mes plus de deux lieues en terre par des
» chemins épouvantables ; tantôt fur des
» échelles tremblantes , tantôt fur des
" planches légères , & dans de continuel-
» les appréhenfions. Nous apperçûmes
» dans notre chemin quantité de pompes
"
"
qui élévoient l'eau , & des machines
» affez curieufes que nous n'eûmes pas le
» tems d'examiner... Mais quand il fal-
» lut remonter , le fouffre nous avoit tel-
» lement fuffoqués que ce fut avec des
» travaux inconcevables que nous regagnâmes
la première descente. Il fallut
» nous jetter à terre plufieurs fois , & les
» genoux nous manquant, on étoit obligé
» de nous porter fur les bras. Nous arrivâmes
enfin à la bouche de la mine ; ce
fut là que nous commençâmes à respi-
" rer comme une ame que l'on tireroit
» du purgatoire. Un objet pitoyable fe
préfenta pour lors à notre vue . On rap-
» portoit un de ces malheureux qui ven
و د
noit d'être bleffé par une petite pierre
» que la chûte de très - haut avoit rendu
» très -dangereufe . Ces pauvres gens ex-
» pofent leur vie à bon marché. On leur
>> donne feize fols par jour , & il y a en-
» viron fix ou fept cens hommes qui travaillent
continuellement à ces tra-
39
29
»`vaux. »
MAR S. 1772.
gran-
La mine d'argent qui eft à Salsbérit , à
95
deux
journées de
Stockholm , offre un
spectacle moins affreux . « Cette mine a
» trois larges
bouches ,
comme des puits
» dans lesquels on ne voit point de fonds .
» La moitié d'un tonneau
foutenu d'un
» cable fert
d'escalier pour
descendre dans
» cet abyme . Le cable eft attaché à une
» roue que l'eau fait mouvoir , foit pour
» monter , foit pour descendre. La
» deur du péril fe conçoit
aifement . On
» eſt à moitié dans un
tonneau dans lequel
» on n'a qu'une jambe . Un fatellite noir
» comme un diable , le flambeau à la
» main ,
descend avec vous &
entonne
»
triftement une
chanfon lugubre qui eft
faite exprès pour cette descente . Cette
» manière d'aller eft affez douce ; mais on
» ne laiffe pas d'être fort mal à fon aife ,
quand on fe voit au bout d'un cable ,
» dont la vie dépend . Quand nous fumes
» au milieu, nous
commençâmes à fentir
» un grand froid qui , joint aux torrens
» qui
tomboient de toutes parts , nous fit
» fortir de la
léthargie où nous étions.
» Nous
arrivâmes enfin au bout d'une de-
» mi - heure au fond de ce gouffre. La
» nos craintes
commencèrent à fe diffiper .
» Nous ne vîmes plus rien
d'affreux. Au
93
33
96 MERCURE
DE FRANCE
.
"3
"3
"
contraire
tout brilloit dans ces régions
Louterreines
, & après être descendus
» fort avant, foutenus
par des échelles ex-
» trêmement
hautes, nous arrivâmes
dans
» un fallon qui eft au fond de la mine
» foutenu de colonnes de ce précieux mé-
» tal. Quatre galeries spacieufes
y ve-
» noient aboutir , & la lueur des feux qui
» brûloient
de toutes parts& qui venoient
» frapper fur l'argent des voûtes & fur un
» clair ruiffeau qui couloit à côté , ne fer-
» voit pas tant à éclairer les travailleurs
qu'à rendre ce féjour plus magnifique
qu'on ne peut dire , & femblable
aux
» palais enchantés
de Pluton que les poë- » tes ont mis au centre de la terre où elle
» conferve
fes tréfors . On voit fans ceffe
» dans ces galeries des gens de toutes les
» nations qui recherchent
avec tant de
peine ce qui fait le plaifir des autres
» hommes. Les uns tirent des chariots ,
» les autres roulent des pierres , les au- » tres arrachent
le roc du roc , & tout le
» monde a fon emploi . C'eft uue ville
» fous une autre ville. Là il y a des caba-
» rets , des maifans , des écuries , des
» chevaux , & c. »
"
»
Nous terminerons
cet article en difant
un mot des poëfies diverfes de Regnard ,
qui
MARS. 1772.
97
qui ne font pas indignes qu'on y jette un
coup d'oeil. Ce font des fatyres & des épîtres
pleines d'imitations de Juvénal &
d'Horace & même de Boileau , & quelquefois
ces imitations font affez heureufes
; celle - ci par exemple , d'après ces
vers d'Horace , Pauper Opimius , & c.
Oronte pâle , étique & presque diaphane
Par les jeunes cruels auxquels il fe condamne ,
Tombe malade enfiu ; déjà de toutes parts
Le joyeux héritier promène fes regards ;
D'un ample coffre fort contemple la figure ,
Et perce de les yeux les ais & la ferrure.
Uu avide Esculape en cette extrémité ,
Au malade aux abois annonce la ſanté ,
S'il veut prendre un fyrop que dans fa main il
porte :
Que coûte-t'il , lui dit l'agonifant. Qu'importe ?
Qu'importe , dites - vous : je veux lavoir combien
.
Peu d'argent , lui dit- il . Mais encor . -Presque
rien.
Quinze fols. Jufte Ciel ! quel brigandage extrême
!
On me tue , on me vole , & n'est- ce pas le même }
De mourir par la fièvre ou par la pauvreté , &c.
Une des premières piéces de la jeuneſſe
E
98 MERCURE DE FRANCE:
de Regnard eft une épître à Quinault , ou
Boileau eft cité avec éloge . C'eft bien la
la franchiſe étourdie d'un jeune homme.
Refte à favoir fi elle fut du goût de Quinault.
Une autre épître eft adreffée à ce
même Despréaux à la tête de la comédie
des Ménechmes. Regnard fe brouilla de´
puis avec lui , répondit affez mal à la fatyre
contre les femmes par une fatyre
contre les maris , & en fit une contre lui,
intitulée le Tombeau de Boileau , dans laquelle
il y a des traits dignes de Boileau
lui - même. Il fuppofe que ce grand ſatyriqne
vient de mourir du chagrin que lui
a caufé le mauvais fuccès de fes derniers
écrits.
Mes yeux ont vû paffer dans la place prochaine
Des menins de la mort une bande inhumaine.
De pédans mal vêtus un bataillon crotté
Descendoit à pas lents de l'Univerfité.
Leurs longs manteaux de deuil traînoient jusques
à terre ;
A leurs crêpes flottans les vents faifoient la guer
re,
Et chacun à la main avoit pris pour flambeau ,
Un laurier jadis verd pour orner un tombeau.
J'ai vû parmi les rangs , malgré la foule extrê
me,
MARS .
99 1772.
De maint auteur dolent la face féche & blême ,
Deux Grecs & deux Latins escortoient le cercueil
Et le mouchoir en main Barbin menoit le deuil .
Ce dernier vers eft très- plaifant. Regnard
rapporte les dernières paroles de
Boileau , adreffées à fes vers .
O vous , mes triftes vers , noble objet de l'envie ,
Vous dont j'attends l'honneur d'une feconde vie ,
Puiffiez- vous échapper au naufrage des ans ,
Et braver à jamais l'ignorance & le tems.
Je ne vous verrai plus ; déjà la mort affreuſe ,
Au tour de mon chevet étend une aîle hideuſe.
Mais je meurs fans regret dans un tems dépravé ,
Où le mauvais goût règne & va le front levé ,
Où le Public ingrat , infidèle , perfide ,
Trouve ma veine ufée & mon ſtyle infipide.
Moi , qui me crus jadis à Regnier préféré ,
Que diront nos neveux ? Regnard m'eſt comparé
;
Regnard qui fi long- tems du couchant à l'aurore ,
Erra chez le Lapon ou rama fous le Maure ;
Lui qui ne fut jamais ni le grec , ni l'hébreu ,
Quijouajour & nuit, fit grand'chère& bon feu, &c.
Du Couchant à l'Aurore n'eft pas trop
bien placé avec le Maure & le Lapon qui
font au Nord & au Midi. Mais obfervons
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
plutôt que Regnard paroît reprocher à
Boileau d'avoir été jaloux de fa réputation
. Ils ne travailloient pourtant pas dans
le même genre . Au furplus on à oublié
ces querelles de l'amour - propre , & l'on
ne fe fouvient que des productions de
leur génie.
Les Pélopides , tragédie de M. de Voltaire.
A Genève ; & fe trouve à Paris ,
chez Valade , libraire , rue St Jacques ,
vis à vis la rue de la Parcheminerie.
Un avis de l'éditeur nous apprend que
ce nouveau drame du Sophocle François
eft tiré de l'édition de fes ouvrages que
l'on imprime actuellement à Lauſanne
chez Graffer. On trouve avant la pièce
un fragment de lettre relatif au fujet des
Pelopides , qui n'eft autre chofe que celui
d'Atrée & Thiefte , traité par M. de
Crébillon . Ce fragment , ainfi que tous
les morceaux de critique du même auteur
, eft trop curieux pour n'être pas infé
ici , au devant de l'analife que nous allons
faire de la tragédie.
« Je n'ai jamais cru que la tragédie dût
» être à l'eau rofe. L'églogue en dialo-
» gues , intitulée Bérénice , à laquelle
» Madame Henriette d'Angleterre fit traMARS.
1772 . ΙΟΣ
» vailler Corneille & Racine , étoit indi-
» gne du théâtre tragique. Aufli Corneil-
» le n'en fit qu'un ouvrage ridicule ; &
» ce grand maître Racine eut beaucoup
» de peine avec tous les charmes de fa di-
» ction éloquente , à fauver la ftérile pe-
» titelle du fujet . J'ai toujours regardé la
» famille d'Atrée depuis Pélops jufqu'à
Iphigénie comme l'attelier où l'on a dû
forger les poignards de Melpomène.
» Il lui faut des paflions furieuſes , de
grands crimes , des remords violens. Je
» ne la voudrais ni fadement amoureuſe ,
» ni raiſonneufe ; fi elle n'eft pas terrible ,
» fi elle ne transporte pas nos ames , elle
» m'eft infipide.
33
»
» Je n'ai jamais conçu comment ces
» Romains qui devaient être fi bien inf-
» truits par la poëtique d'Horace , ont pu
» parvenir à faire de la tragédie d'Arrée &
» de Thiefte une déclamation fi plate & fi
» faftidieufe . J'aime mieux l'horreur dont
» Crébillon a rempli fa pièce .
"
" Cette horreur aurait fort réuffi fans
» quatre défauts qu'on lui a reprochés . Le
premier c'eft la rage qu'un homme
» montre de fe venger d'une offenfe qu'on
» lui a faite il y a vingt ans. Nous ne nous
» intéreffons à de telles fureurs , nous ne
و ر
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ود
» les pardonnons que quand elles font
» excitées par une injure récente , qui doit
» troublerl'ame de l'offenfé , & qui émeut
» la nôtre.
"3
"
39
» Le fecond c'eft qu'un homme qui , au
premier acte , médite une action détef-
» table , & qui fans aucune intrigue , fans
» obftacle & fans danger l'exécute au cinquième
, eft beaucoup plus froid encore
qu'il n'eft horrible ; & quand il mangerait
le fils de fon frère & fon frère
» même tout cruds fur le théâtre , il n'en
» ferait
que plus froid & plus dégoûtant ,
» parce qu'il n'a aucune paffion qui ait
touché , parce qu'il n'a point été en péril
, parce qu'on n'a rien craint pour lui ,
» rien fouhaité , rien fenti .
39
"
"
Inventez des reflorts qui puiffent m'attacher.
BOIL.
» Le troisième défaut eft un amour inutile
qui a paru froid , & qui ne fert ,
» dit- on , qu'à remplir le vuide de la
» piéce.
و د
» Le quatrième vice & le plus révoltant
» de tous eft la diction incorrecte du poë-
» me. Le premier devoir quand on écrit
» eft de bien écrite. Quand votre piéce
» ferait conduite comme l'Iphigénie de
1
MARS . 1772 : 103
» Racine , les vers font-ils mauvais , vo-
» tre piéce ne peut être bonne.
"
» Si ces quatre péchés capitaux m'ont
» toujours révolté , fi je n'ai jamais pû
» en qualité de prêtre des mufes , leur
» donner l'abſolution , j'en ai commis
vingt dans cette tragédie des Pélopides .
» Plus je perds de tems à compofer des
piéces de théâtre , plus je vois combien
» l'art eft difficile . Mais Dieu me préfer-
» ve de perdre encore plus de tems à re-
» corder des acteurs & des actrices . Leur
» art n'eſt
و د
poësie . »
pas moins rare que celui de la
Il nous paroît difficile de répondre aux
quatre objections contre la tragédie d'Atrée
, faites depuis long - tems par tous les
gens de lettres les plus éclairés . Mais il
faudroit être injufte pour ne pas y reconnoître
en même tems des beautés tragiques
& des traits de force qui décéloient
déjà l'homme qui s'eft élevé jusqu'à Rhadamifthe.
Il y a de la profondeur dans le
caractère d'Atrée , de l'intérêt & de la
terreur dans la fcène où il reconnoît fon
frère , de l'art même dans la manière dont
la feconde réconciliation eft amenée
quoique cet art , fenti des connoiffeurs ,
n'ait point d'effet théâtral . Le grand mal
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
eft que le rôle de Thiefte eft purement
paffif , que rien ne traverſe la vengeance
d'Atrée , qu'il retourne à fon gré le malheureux
qu'il tient fous fes pieds pour
voir de quel côté il enfoncera le poignard ,
& qu'il n'y a point d'intérêt entre deux
perfonnages dont l'un n'eft que bourreau
& l'autre n'eft que victime . M. de Crébillon
dit , dans fa préface , je ne crois pas
qu'on puiffe mettre fur la fcène tragique
un tableau plus parfait que celui de la
fituation où fe trouve le malheureux Thiefte
, livré fans fecours à la fureur du plus
barbare de tous les hommes.
En cherchant à nous inftruire avec nos
maîtres & en confervant tout le respect
qu'on doit à un homme de génie , nous
oferons remarquer que cette phrafe fait
voir précisément en quoi confiftoit l'er
reur de M. Crébillon qui peut être à fes
grands talens naturels n'avoit pas joint
affez de réf.xions fur fon art . S'il avoit
eu ce goût éclairé qui nous inttruir fur
nos propres ouvrages , quand le feu de la
compofition eft paffé , il auroit vu que
c'eft précisément parce que Thiefte eft livréfans
fecours , que fon rôle n'eft point
théâtral ; que ce n'eft point affez d'être
malheureux pour être dramatique ; qu'il
MARS. 1772. 105
faut être agiflant & paffionné ; que la pitié
ne fe foutient que par la curiofité , la
crainte & l'espérance , & par des révolu
tions fur la fcène qui en produifer.t dans
nos coeurs. Voilà ce qui eft très - aifé à
concevoir avec un peu de réflexion , trèsdifficile
à exécuter même avec de grands
talens , & ce qu'un fiécle & demi de lumières
a pu apprendre à ceux même qui
feroient bien loin de pouvoir faire ne
fcène de Rhadamifthe . Venons aux Pélopides
.
Hippodamie
Thiefte , ouvre la fcène avec le vieillard
Polémon qui a élevé leur enfance . Elle
lui parle dans le parvis d'un temple d'Argos,
où s'eft retirée Erope depuis qu'elle
a été enlevée par Thiefte à l'autel même.
où elle alloit époufer Atrée . Ce parvis.
eft le lieu de la fcène pendant toute la
pièce . Hippodamie déplore fes malheurs
& ceux qui menacent les enfans . Argos
eft depuis un an le théâtre de la guerre
civile entre les deux frères , & de tous
les fléaux qui accompagnent la discorde .
On eft las enfin de tant de maux & de
combats. Le fénat popofe de les terminer.
On veut que Thiefte remette Ærope
entre les mains d'Atrée , qu'il accepte
mère d'Atrée & de
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
Micére pour fon partage &lui laifleArgos ;
on fuppofe qu'il a toujours respecté Ærope
, qu'il fe repent de fes attentats & que
l'intérêt des peuples, les larmes de fa mère
& fes propres remords ne lui permettront
pas de fe refufer à ce traité fi équitable.
Telles font les espérances de Polémon
; mais Hippodamie ne s'y livre qu'avec
peine. Elle fe défie du caractère des
deux frères & de la fatalité attachée au
fang des Pélopides .
Ils fe haïffent trop ; Thiefte eft trop coupable.
Le fombre & dur Atrée eft trop inexorable .
Aux autels de l'hymen , en ce temple , à mes
yeux ,
Bravant toutes les loix , outrageant tous les
dieux ,
Thiefte n'écoutant qu'un amour adultère ,
Ravit entre mes bras la femme de fon frère;
A garder la conquête il ofe s'obftiacr.
Je connois bien Atrée ; il ne peut pardonner.
Ærope au milieu d'eux , déplorable victime
Des fureurs de l'amour , de la haine & du crime ,
Attendant fon deftin du deftin des combats ,
Voit encor fes beaux jours entourés du trépas.
Et moi , dans ce faint temple où je fuis retirée ,
Dans les pleurs , dans les cris , de terreurs dévo-
τές ,
MARS. 1772 . 107
Tremblante pour eux tous , je tends ces foible
bras
A des dieux irrités qui ne m'écoutent pas.
Polémon fort pour aller au fénat . Erope
entre fur la fcène en pleurant , & embraffe
Mégare fa nourrice ; elle lui dit au
fond du théâtre :
Va , te dis - je , Mégare , & cache à tous les yeux
Dans ces antres fecrets ce dépôt précieux.
Mégare fort. Erope joint fes larmes à
celles d'Hippodamie , fans s'expliquer fur
Thiefte . Elle espère quelque chofe des
foins de Polémon. Hippodamie lui répond
:
J'attends beaucoup de lui ; mais malgré tous fes
foins
Mes transports douloureux ne me troublent pas
moins.
Je crains également la nuit & la lumière ;
Tout s'arme contre moi dans la nature entière ;
Et Tantale & Pélops & mes deux fils & vous ,
Les enfers déchaînés , & les dieux en courroux ,
Tout préfente à mes yeux les fanglantes images
De mes malheurs paffés & des plus noirs préfages.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Le fommeil fuit de moi ; la terreur me pourſuit;
Les fantômes affreux , ces enfans de la nuit ,
Qui des infortunés affiégent les pensées ,
Impriment la terreur dans mes veines glacées.
D'OEnomais mon père on déchire le flanc ;
Le glaive eft fur ma tête, on m'abreuve de fang ;
Je vois les noirs détours de la rive infernale ,
L'exécrable feftin que prépara Tantale ,
Son fupplice aux enfers & ces champs déſolés
Qui n'offrent à la faim que des troncs dépouillés
.
Je m'éveille mourante aux cris des Euménides ;
Ces muis ont retenti du nom des parricides ;
Ah fi mes fils favoient tout ce qu'ils m'ont
coûté ,
Ils maudiroient leur haine & leur férocité.
Ils tomberoient en pleurs aux pieds d'Hippodamie.
Quand on fonge que ces vers font d'un
vieillard prefque octogénaire , on ne fort
point d'étonnement & d'admiration .
Mégare rentre épouvantée & s'écrie que
les deux frères font aux mains. Ærope &
Hippodamie fortent éperdues . C'eft la fin
du premier acte .
Elles rentrent au fecond avec Polémon.
On a féparé les combattans . Le respect
pour les miniftres des loix en a impofé
MARS. 1772. 109
aux deux rivaux. On fe flatte plus que
jamais d'un accord entre eux . Thiefte paroît.
Erope fort en le voyant . Il s'excufe
devant Hippodamie & Polémon qui l'exhortent
à réparer fes fautes.
Lorsqu'à de tels excès fe laiffant emporter ,
On fuit des paffions l'empire illégitime ,
Quand on donné aux fujets les exemples du crime,
On leur doit , croyez - moi , celui du repentir.
La Gréce enfin s'éclaire & commence à fortir
De la férocité qui dans nos premiers âges
Fit des coeurs fans juſtice & des héros ſauvages.
On n'eft rien fans les moeurs . Hercule eft le premier
Qui marchant quelque fois dans ce noble fentier ,
Ainfi que les brigands ofa dompter les vices.
Son émule Thétée a fait des injuftices ;
Les crimes de Tidée ont fouillé (a valeur.
Mais bientôt leur grande ame abjurant leur erreur
,
N'en aspiroit que plus à des vertus nouvelles.
Ils ont réparé tout ; imitez vos modèles.
Thiefte ſe juſtifie autant qu'il le peut.
Je ne m'excufe point , devant vous condamné ,
Sur l'exemple éclatant que vingt Rois m'ont
donné ,
Sur l'exemple des Dieux dont on nous fait descen
dre ;
110 MERCURE DE FRANCE.
Votre aoftère vertu dédaigne de m'entendre.
Je vous dirai pourtant qu'avant l'hymen fatal
Que dans ces lieux facrés célèbra mon rival ,
J'aimois , j'idolâtrois la fille d'Euristée ;
Que par mes voeux ardens long - tems follicitée ,
Sa mère dans Argos cût voulu nous unir , & c .
Hippodamie infifte toujours pour remettre
Erope entre les mains d'Atrée.
Elle déclare que c'eft le feul parti qu'il
puiffe prendre , elle le quitte. Thiefte ,
après un court monologue , demande à
Mégare , qui paroît , des nouvelles de fon
fils . On lui répond qu'il eft caché dans
un afyle sûr ; mais que rien ne peut calmer
les alarmes de fa mère. Cette mère
tremblante vient elle - même exhaler fa
douleur & fon défespoir dans le féin de
fon époux . Thiefte l'eft quoiqu'on l'ignore.
Elle demande s'il eft vrai , s'il eſt
poffible qu'on la remette entre les mains
d'Arrée . Thiefte eft bien loin d'y conſentir.
Cependant Polémon vient annoncer
l'arrivée d'Atrée. Il eft tems d'exécuter
les conditions de la paix . Thiefte déclare
que cet effort eft au deffus de lui ; qu'il
ne peut s'y réfoudre . Le vieillard fort
indigné. Erope ne voit d'autre refuge
pour elle que la mort. Elle fort dans les
larmes.
MAR S. 1772. III
Attée paroît entin au troifième acte avec
Hippodamie , Polémon , fon confident
Idas , & fuivi du peuple , des prêtres , des
gardes , &c. Hippodamie s'applaudit d'une
paix qu'elle croit certaine .
Thiefte avant la nuit partira pour Micène.
J'ai vu s'éteindre enfin les flambeaux de la haine ,
Dans ma trifte maifon fi long-tems allumés ,
J'ai vu mes chers enfans paisibles , défarmés ,
Dans ce parvis du temple étouffant leur querelle ,
Commencer dans mes bras leur concorde éternelle.
Vous en ferez témoins , vous peuples réunis ,
Peuple qui m'écoutez ; dieux long - tems enne
mis ,
Vous en ferez garans ; ma débile paupière
Peut fans crainte à la fin s'ouvrir à la lumière .
J'attendrai dans la paix un fortuné trépas .
Me derniers jours font beaux ; je ne l'espérois
pas .
Atrée , toujours morne & fombre , ne
répond que par des ordres qui marquent
fa défiance. Il demande où eft fon époufe.
On lui dit qu'elle eft entre les mains
des prêtreffes. Sa mère le quitte affligée
de l'accueil qu'elle en reçoit. Il ne traite
pas mieux Polémon qui lui reproche fa
dureté. Enfin il refte avec Idas . C'eft à
112 MERCURE DE FRANCE.
lui qu'il confie les foupçons & les fureurs
dont il efttourmenté . Il ne fait encore jusqu'où
Thiefte a pouflé l'outrage, il ne fait fi
lui même eft encore amoureux d'Ærope.
Hippodamie rentre pour lui apprendre
qu'Erope , laffe d'être un flambeau de
discorde entre les deux frères , vient de
fe confacrer aux dieux par des voeux folemnels
. Elle ajoute qu'elle a cru devoir
imiter cet exemple & prononcer les mêmes
voeux. La réponſe d'Atrée est belle.
A cet affront nouveau je ne m'attendois pas .
Ma femme ole en ces lieux s'arracher à mes bras!
Vos autels , je l'avoue , ont de grands privileges.
Thiefte les fouilla de fes mains facriléges.
Mais de quel droit Erope ofe- t - elle y porter
Ce téméraire voeu qu'ils doivent rejetter ?
Par des voeux plus facrés elle me fut unie :
Voulez - vous que deux fois elle me foit ravie ?
Tantôt par un perfide & tantôt par les dieux ?
Ces voeux fi mal conçus , ces fermens odieux ,
Au Roi comme à l'époux font un trop grand outrage.
Vous pouvez accomplir le voeu qui vous engage.
Ces lieux faits pour votre âge , au repos coníacrés
,
Habités par ma mère , en feront honorés.
Mais Erope eft coupable en fuivant votre exem
ple
MARS. 113 1772 .
Arope m'appartient & non pas à ce temple.
Ces dieux , ces mêmes dieux qui m'ont donné fa
foi ,
Lui commandent fur tout de n'obéir qu'à moi.
Est -ce donc Polémon , ou mon frère ou vousmême
Qui penfez la fouftraire à mon pouvoirfuprême ?
Vous êtes-vous tous trois en fecret accordés
Pour détruire une paix que vous me demandez ?
Qu'on rende mon époule au maître qu'elle offenfe
;
Et fi l'on m'a trahi qu'on craigne ma vengeance.
Hippodamie ne peut fe refuſer à de fi
juftes raifons. Elle l'affure que puisqu'Erope
lui eft encore chère , elle lui fera
rendue. Atrée paroît s'appaifer. Il fort en
difant ces mots ;
Je vais preffer la fête , & je la crois heureuſe.
Si l'on m'avoit trompé , je la rendrois affreuse.
Thiefte paroît avec A ope à l'ouverture
du quatrième acte. Il ne s'oppoſe
pas moins qu'Atrée à fes projets de retraite
. Il en arrache l'aveu de l'amour
qu'elle a pour lui , & qu'elle ne lui avoit
jamais avoué même au milieu des foiblaffes
qui avoient été la fuite de fon en114
MERCURE DE FRANCE .
lévement . Thiefte , transporté de cet
aveu , fe prépare à mettre tout en ufage
pour garder la conquête . Il fort . Polémon fa
vient conjurer Erope d'engager Thieſte
à s'éloigner d'Argos. La paix ne peut être
fûre qu'après fon départ . Erope répond
en termes vagues & obscurs. Le moment
de l'entrevue fatale approche . Il faut voir
Atrée. Elle tombe à fes pieds .
La lumière à mes yeux femble fe dérober.
Seigneur , votre victime à vos pieds vient tomber.
Levez le fer , frappez ; un plainte offenfante
Ne s'échappera pas de ma bouche expirante.
Je fais trop que fur moi vous avez tous les droits ,
Ceux d'un époux , d'un maître & des plus faintes
loix.
Jeles ai tous trahis ; & quoique votre frère
Opprimât de les feux l'esclave involontaire ,
Quoique la violence ait ordonné mon fort ,
L'objet de tant d'affronts a mérité la mort.
Atrée , après quelques reproches , la
preffe de s'expliquer nettement.
Abjurez -vous un traître ?
Aux pieds des immortels remiſe entre mes bras ,
M'apportez-vous un coeur qu'il ne mérite pas ?
MAR S. 1772 : ITS
ÆROPE.
Je ne faurois tromper , je ne dois plus mè taire.
Mon deftin pour jamais me livre à votre frère.
Thiefte eft mon époux.
ATRÉE.
lui !
EROPE.
Les dieux ennemis
Eternifent ma faute en me donnant un fils.
Elle demande grace pour ce fils . Atrée
renferme toute fa rage , raffure rope
avec un calme affecté , un fang froid con
traint. L'aveu qu'elle a fait lui fuffit . Il
va la rendre à ſon époux. Il parle de fon
fils.
Cet enfant de Thiefte eft fans doute en ces lieux ?
EROPE.
Mon fils... eft loin de moi... fous la garde des
dieux .
ATRÉE.
Quelque lieu qui l'enferme, il fera fous la mienne.
Erope le quitte en tremblant. Atrée
développe toute fon ame dans le monologue
qui fuit.
116 MERCURE DE FRANCE.
Enfin de leurs complots j'ai connu la noirceur .
La perfide , elle aimoit fon lâche ravifleur.
Elle me fuit , m'abhorre , elle eft toure à Thiefte.
Du faint nom de l'hymen ils ont voilé l'inceſte.
Ils jouiffent en paix du fils qui leur eft né ;
Le vil enfant du crime au trône eft deſtiné .
Tu ne goûteras plus , race impure & coupable
Le fruit des attentats dont l'opprobre m'accable .
Par quel enchantement , par quel preftige affreux
Tous les coeurs contre moi le déclaroient pour
cux !
Polémon réprouvoit l'excès de ma colère ;
Une pitié crédule avoit féduit ma mère.
On flattoit leurs amours , on plaignoit leurs douleurs
;
On étoit attendri de leurs perfides pleurs.
Tout Argos favorable à leurs lâches tendrefles
Pardonne à des forfaits qu'on appelle foibleſſes ;
Et je fuis la victime & la fable à la fois
D'un peuple qui méprife & les moeurs & les loix !
Je vous ferai frémir , Gréce légère & vaine ,
Déteftable Thicfte , infolente Micène.
Soleil qui vois ce crime & toute ma fureur
Tu ne verras bientôt ces lieux qu'avec horreur.
Ceflez , filles du Styx , ceffez troupe infernale ,
D'épouvanter les yeux de mon ayeul Tantale.
Sur Thiefte & fur moi venez vous acharner ;
Paroiflez , dieux vengeurs , je vais vous étonner.
MARS.
1772.
117
Thiefte fe retrouve au cinquième acte
avec Erope & Hippodamie. Il eſt trompé
par la feinte douceur d'Atrée . Hippodamie
n'a pas plus de foupçons fur lui. La
paix va bientôt être jurée aux autels fur
la coupe de Tantale. Hippodamie eft furtout
impatiente de voir fon petit- fils , le
fils d'Erope. Ærope , quoiqu'à regret ,
donne ordre à Mégare d'aller le chercher.
Un moment après Atrée paroît. Tout fe
dispofe pour la cérémonie. Hippodamie
demande la coupe . Mégare rentre en jettant
de grands cris . Des foldats ont faifi
dans fes bras le fils de Thiefte.
THIEST E.
Ah ! mon frère , eft- ce ainfi que ta foi
Se conferve à nos dieux , à tes fermens , à moi ?
Ta main tremble en touchant à la coupe facrée.
ATRÉE.
Tremble encor plus , perfide , & reconnois Atrée.
EROPE.
Dieux ! quels maux je reflens ! ô ma mère ! ômon
fils !
Je me meurs...
A
TRÉE.
Tu meurs , indigne Erope , & tu mourras Thiefte
118 MERCURE DE FRANCE.
Ton déteitable fils eft celui de l'incefte ;
Et ce vafe contient le fang du malheureux ;
J'ai voulu de celang vous abreuver tous deux.
La nuit fe répand fur lascène & on en
tend le tonnerre.
ATRÉE tire fon épée.
Ce poifon m'a vengé ; glaive , acheve .
Les deux frères veulent fe précipiter
l'un fur l'autre l'épée à la main. Idas &
Polémon les féparent .
THIAST E.
Je ne puis t'arracher ta vie abominable.
Va , je finis la micane.
Il fe tue & Atrée invoque les enfers &
les Euménides .
Nous ne porterons aucun jugement fur
cette tragédie. M. de Voltaire ne doit
avoir pour juge que la voix publique &
celle de la postérité . *
Les quatre articles précédensfont de M. dela
Harpe.
Le Spectateur François pour fervir de
fuite à celui de M. de Mariveaux ,
journal compofé de quinze cahiers de
trois feuilles qui paroiffent dans le
MARS. 1772. 119
cours de l'année . On fouscrit pour cet
ouvrage chez Lacombe & chez la V.
Duchesne. Le prix de la fouscription
eft de 9 liv . pour Paris , & de 12 liv .
pour la province .
Nous avons déjà annoncé cet ouvrage
en rendant compte des premières feuilles
qui ont paru , nous avons dit combien
un journal qui avoit pour objet de préfenter
le tableau des moeurs du fiécle ;
d'en attaquer les ridicules , de faire defcendre
l'homme dans fon coeur pour lui
en découvrir les mouvemens les plus fecrets
, devoit paroître utile & intéreffant ,
Faire agir une multitude de perfonnages ,
conferver à chacun d'eux le ton qui lui eft
propre , répandre de l'enjouement fur la
vérité & adoucir fes traits , faire goûter à
la folie même les leçons de la fageffe ;
voilà ce que les auteurs du Spectateur
François fe font propofés.
Dans les trois volumes qu'ils viennent
de donner & qui complettent les quinze
cahiers annoncés par leur profpectus , nous
avons remarqué plufieurs discours écrits.
avec chaleur & femés d'idées neuves &
philofophiques ; mais ce qui donne à cet
ouvrage un intérêt plus varié , ce font leg
lettres adreflées au Spectateur.
120 MERCURE DE FRANCE.
Celle d'un homme opulent qui s'eft
marié avec une jolie femme dans l'espoir
de jouir de fa préfence , de l'entretenir
de fon amour , & qui ne la voit que pour
lui donner de l'argent , parce qu'elle eft
toujours emportée par le plaifir ou environnée
de tout de qui peut amufer ſa vanité
, nous a paru d'une vérité frappante.
Nous n'avons pas lu avec moins de
plaifir la lettre d'une jeune Demoiselle
que la jaloufie de fa mère retient avec fa
foeur éloignée du grand monde. Celle
d'une Demoiselle qui s'ennuie d'être fille
& qui a trouvé le moyen de multiplier
les mariages , préfente des idées affez agréa
bles .
M. le Spectateur , j'ai vingt fix ans &
je fuis encore fille . Je commence à craindre
de l'être toute mavie . Il feroir , je le
fai , plus honnête de ne me pas plaindre
d'un état qui eft celui de tant d'autres ;
mais , Monfieur , la nature m'a donné un
coeur & des fens , pourquoi faut il que je
leur impofe filence ? respectez les préjugés
, me dira- t on . Hélas ! c'eft parce que
je les refpecte que je fuis à plaindre . Tant
d'hommes me répétent que je fuis aimable
& paroiflent le fentir ; les uns atten-
'dent la mort d'un riche parent pour m'offrit
MARS. 1772. 121
frir une fortune digne de ma beauté , de
ma naiffance . Les autres ne defirent
avant de demander ma main , que la récompenfe
de leur bravoure & la preuve
apparente de leur fervice . Pendant ce
tems mon coeur s'épuife en espérance , &
je fuis toujours comptée au nombre de ces
inutiles créatures que l'infortune a condamnées
au célibat. J'entends tous les
jours dire à mes oreilles : quel dommage
de refter fille avec tant de graces , avec un
naturel fi doux , fi honnête ! une vieille
tante qui n'a que des confeils à me donner
, me fait quelque fois envifager le
couvent comme la feule retraite qui convienne
à une Demoiſelle bien née & qui
n'eſt pas riche. Hélas ! je ne ferai pas plutôt
renfermée dans ce trifte afyle que tous
les humains m'oublieront. Mes charmes
fe flétriront dans l'ennui ; peut être feraije
affez malheureufe pour festir mon coeur
furvivre à ma beauté ; alors mes defirs feront
ma honte ; je n'aurai plus qu'à rougird'un
fentiment que la nature a mis dans
tous les êtres pour adoucir leur peine , &
leur faire chérir la vie . C'eft pour éloigner
cet effroyable avenir que je me fuis
occupée du moyen de multiplier les mariages.
J'espère , Monfieur , que l'intérêt
F
122 MERCURE DE FRANCE.
que vous prenez à ces jeunes veftales qui
nourriffent dans leur ame agitée un feu
qu'elles n'ofent éteindre vous engagera à
publier mon projet . Puiffe t il n'avoit pas
le fort de tant d'autres & refter inutile
pour celle qui le propofe ».
Nous avons été très- fatisfait de l'entretien
du Spectateur avec un mendiant
qui prend tous les riches pour fes débiteurs
& qui leur apparoît tantôt fous l'habit
d'un gentilhomme ruiné au fervice ,
quelque fois fous celui d'un pauvre précep
teurdont tous les élèves ont été des ingrats,
La première feuille qui paroît de cette
année eft écrite avec le même ton d'enjouement
, de vérité & de philofophie.
Nous engageons les auteurs à continuer
cet ouvrage qu'ils favent rendrent tous
les mois plus intéreffans & qui pourroit
un jour leur donner la célébrité dont
jouiffent encore les écrivains qui ont travaillé
au Spectateur Anglois
Les Souscripteurs qui n'ont point renouvellé
leur fouscription font priés d'en
faire parvenir le prix au Sieur Lacombe ,
libraire, qui délivrera les trois volumes de
l'année 1771 à ceux qui n'ont pas
fouscri.
MARS. 1772. 123
Leçons hebdomadaires de la Langue ita
lienne , à l'ufage des Dames , fuivies de
deux vocabulaires , d'un recueil des
fynonimes françois de l'Abbé Girard ,
appliqués à cette langue ; d'un discours
fur les lettres familières , & d'un précis
des règles de la verfification italienne ;
dédiées aux Dames Françoifes , par M.
l'Abbé Bencirechi , Toscan , de l'académie
des Apatiftes de Florence ', de
celle des Arcades de Rome , & profeffeur
de langue italienne . A Paris , chez
la V. Ravenel , libraire , cloître Saint
Germain l'Auxerrois ; Fétil , libraire ,
rue des Cordeliers ; vol . in - 12 . Prix ,
2 liv. 10 f. broché.
M. l'Abbé Bencirechi a dédié fa nouvelle
méthode aux Dames Françoifes ,
parce qu'en effet la langue italienne , par
fa mélodie , fa douceur , fon accent mufical
, l'agrément de fes diminutifs eft
proprement la langue des Dames , de celles
fur-tout qui s'adonnent à la musique
vocale. Cette méthode eft d'ailleurs débaraffée
de toutes les épines qui pourroient
rebuter l'esprit vif & léger des jeunes
élèves . L'inftruction ne leur eft ici
préfentée que par forme d'entretiens ; &
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
pro . comme l'expérience a prouvé au zélé
feffeur que la pratique des verfions eft la
plus facile & la plus fûre pour parvenir à
parler promptement une langue , il a foin
de diftribuer à la fin de chacune de fes
leçons des fujets de thémes ou verfions
auffi utiles qu'agréables par le choix . Des
vocabulaires exactes , divers traités fur la
poësie , & la formule des complimens &
l'application que fait l'auteur des fynonimes
françois de l'Abbé Girard à la langue
italienne contribueront encore à rendre
ces leçons d'une utilité plus générale &
plus propre à faire connoître le génie particulier
de la langue italienne.
Pièces dramatiques du Théâtre François ,
traduites en italien par Mlle Elifabeth
Caminer , & propofées par fouscription.
A Venife , chez Paolo Colombani
, libraire.
Nous nous empreffons d'autant plus
d'annoncer cette entreprise qu'elle peut
être très - agréable pour les jeunes perfonnes
& tous ceux qui en France , étudient
la langue italienne , étude néceffaire furtout
aux Dames qui cultivent la mufique
vocale & à tous ceux qui veulent voyager
avec agrément en Italie. De pareilles
MARS. 1772 . 125
traductions devroient fur-tout entrer dans
l'éducation de la jeuneffe , puisqu'elles
font la voie la plus fûre pour bien connoître
même fa langue , par la comparaifon
que l'on peut faire du génie de cette
langue avec celui d'une langue étrangère
très riche & très - variée dans fes tours &
dans fes expreffions. Ces traductions dont
quelques - unes ont déjà été publiées féparément
, ont reçu le plus grand accueil
en Italie , & elles le méritoient parce
qu'elles ne peuvent manquer de contribuer
à accélérer parmi les Italiens les pro- .
grès de l'art dramatique en préfentant
aux poëtes des fujets d'études & leur procurant
de nouvelles couleurs pour leurs
tableaux dramatiques . Une bonne recom
mandation d'ailleurs pour ces traductions
eft le nom de la Mufe Italienne , Mlle
Elifabeth Caminer . Cette virtuofe qui
dans la fleur de la jeuneffe joint aux graces
de la figure , les charmes d'un efprit
orné & cultivé a fçu fe rendre propres en
quelque forte les beautés & les finefes
des originaux qu'elle a copiés. Son ſtyle
pur , élégant & enrichi de toutes les formes
variées de la langue italienne femble
ajouter de nouveaux agrémens à la
fcène françoife . Le premier volume de
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ces traductions eft actuellement fous pref
fe. Il fera fuivi de trois autres , & il y
aura quatre piéces dans chacun. Le premier
volume contient entr'autres , la traduction
de la petite piéce du Déferteur
qui a été jouée fur le théâtre de Veniſe
avec fuccès. Mlle Caminer fe propofe de
donner dans ce même recueil des piéces
de différens genres de comique , de joindre
même aux piéces françoifes quelques
verfions des meilleurs drames anglois &
allemands. Le profpectus très - court , mais
très -bien fait qu'elle a publié à ce fujet
annonce que le prix de la fouscription eſt
de quatre livres vénitiennes par volume
qui fe payent d'avance ou que l'on s'engage
de payer en recevant l'ouvrage , au
choix des fouscripteurs .
Apologie des Arts ou Lettre à M. Duclos ,
fecrétaire perpétuel de l'Académie
Françoife , à Dinan en Bretagne ; brochure
in 12. A Paris , chez Monory ,
libratre , cul de fac des Quatre Vents ;
& à Pâques prochain , rue de la Comé
die Françoife.
Et quand un gentilhomme , en commençant
vivrea
1
MARS. 1772. 127
Sait tirer en volant , lire & figner fon nom ,
Il eft auffi favant que défunt Cicéron.
Ces vers fervent d'épigraphe à cette
brochure. Reguard les a placés dans une
de fes comédies pour fe mocquer de ces
gentilshommes campagnards qui croient
ou affectent de croire que leur naiffance
les exempte de favoir quelque chofe . Ces
nobles ignorans ne diront pas comme autrefois
, lorfqu'il falloit figner leur nom ,'
qu'attendu leur qualité de gentilhomme
ils ne favent point écrire , mais ilsaffecteront
de dédaigner ceux qui cultivent
les lettres & font imprimer leurs productions
. Mais ce dédain ftupide n'eft le plus
fouvent qu'une rufe de leur amour - propre.
Ils ne peuvent fe diflimuler fouvent
qu'ils font incapables de rien produire &
que leurs connoiffances font très bornées;
& par un aveu tacite ils font cenvenus de
mordre quiconque veut fortir de la fphè
re étroite dans laquelle ils font renfermés.
Comme leurs propos dédaigneux
pourroient arrêter les jeunes gens de naiffance
qui fe fentiroient quelques difpofitions
pour les arts ; l'auteur de cette lettre
leur prouve très -bien par fes propres
réflexions & par les exemples des hom-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
mes les plus illuftres des tems reculés &
de nos jours que les lettres loin de faire
dégénérer le courage le perfectionnent &
l'éclairent. Epaminondas & tous les Héros
Grecs & Romains regardoient les mufes
comme leurs compagnes & leurs inftitutrices
. Jule - Céfar ne fe glorifioit pas
moins de fes commentaires que de fes conquêtes
; & de nos jours un Héros du Nord
pourroit , ainfi que le premier des Céfars ,
fe faire repréſenter fur le globe du monde
tenant une épée d'une main & un livre de
l'autre , avec cette devife : Je leur dois
également mon nom & ma gloire.
Traité de l'Equitation , avec une traduction
du traité de la cavalerie de Xeno.
phon ; par M. Dupaty de Clam , membre
de l'Académie des Sciences de
Bordeaux , auteur de la Pratique de
Equitation. Aux Deux - Ponts ; & fe
trouve à Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriftine près la rue Dauphine ,
brochure in 12. de 216 pag. Prix , tl.
10 fols.
Ceux qui cultivent l'art de monter à
cheval ou par état ou par goût feront fans
doute fatisfaits de connoître les principes
que les anciens s'etoient formés fur cet
MARS. 1772. 129
art , principes que Xenophon a raffemblés
dans fon Traité de la Cavalerie qui
n'avoit point encore été publié en françois.
L'eftimable Traducteur déjà bien
connu par une pratique de l'Equitation ,
qui réunit dans l'ordre le plus clair & le
plus méthodique les bonnes loix de l'équitation
& les moyens raifonnés d'appli
quer l'exécution aux principes, nous don
ne aujourd'hui des Ellais fur la théorie
de ce même art. Il nous fait voir , ou plutôt
il nous démontre par les principes de la
mécanique & les loix de la phyfique , celles
de l'équitation . La théorie de l'auteur
eft encore préfentée fous un nouveau jour
dans le difcours qu'il a prononcé lors de
fa reception dans l'académie de Bordeaux.
fur les rapports de l'équitation avec la phy
fique , la géométrie , la mécanique & l'anatomie.
Les perfonnes éclairées qui regardent
l'équitation autrement que comme
un fimple exercice fentiront toute l'importance
des recherches & des obfervations
contenues dans ces différens écrits.
Ils regarderont M. Dupaty comme le véritable
inftituteur de l'art de l'équitation
puifqu'il a tracé la route qu'il falloit fuivre
pour fixer cet art & le rendre une
fcience non moins fatisfaifante que tou
F v
130 MERCURE DE FRANCE
tes celles qui font partie des mathématiques.
Recherches fur les pouls par rapport aux
crifes , par M. Théophile de Bordeu ,
docteur en médecine , des facultés de
Paris & de Montpellier ; tome III . en
2 parties in- 12 . contenant les décisions
de plufieurs favans médecins fur la
doctrine du pouls ; avec des réflexions
& quelques differtations qui n'ont
point encore vu le jour ; on y a joint
une differtation nouvelle fur les fueurs
critiques & leurs pouls.
In vitium ducit culpæ fuga , fi carèt arte.
A Paris , chez P. Fr. Didot jeune , libraire
, quai des Auguftins .
Ce troisième volume fait fuite aux
deux premiers publiés précédemment fous
le même titre. Plufieurs faits concernant
l'hiftoire du pouls y font difcutés avec
beaucoup de fagacité. L'auteur ramène
fes lecteurs à la doctrine d'Hippocrate &
des autres anciens maîtres de l'art dont
il paroît avoir fait une étude particulière
, & développe plufieurs principes de
médecine pratique . Ce dernier volume
eft fur tout recommandable par une fuite
MARS. 1772. 131
d'obfervations de médecins de la faculté
de Paris & des autres facultés du royaume.
Ces obfervations confirment la théo
rie de l'auteur , théorie qui préfentant
l'art fous un nouveau jour ne peut manquer
d'intéreffer ceux qui étudient la médecine
& ceux qui la profeffent .
Introduction à l'étude des Corps naturels ,
tirés du règne minéral ; par M. Bucquet
, docteur régent de la faculté de
médecine de Paris ; 2 vol. in 12. A
Paris , chez Jean Th . Hériflant , père,
imprimear , rue St Jacques .
Cette introduction eft précédée d'un
discours préliminaire où l'auteur prouve
très- bien la néceflité de joindre à l'étude
de l'hiftoire naturelle les connoiffances
que l'on peut retirer de la chymie. Ces
deux branches de la phyfique ne devroient
jamais être féparées pour celui qui eft perfuadé
que l'eil du naturalifte eft fouvent
trompé par des reflemblances parfaites dans
des fubftances fouvent très - différentes. Le
phyficien en effet qui ne connoît que les
formes ou les qualités extérieures d'un
corps fans avoir approfondi les fubftances
qui entrent dans fa compofition ne
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
peut fe flatter que d'avoir une connoiffance
fuperficielle de ce corps . Dans ce
même discours l'auteur donne un effai
fur l'analyfe chymique où les objets font
rapprochés avec fagacité. Ce précis eft
fuivi du tableau général du règne minéral .
Les connoiffances de la chymie toujours
appliquées à celles de l'hiftoire naturelle
rendent ce tableau très intéreffant. L'auteur
est trop modefte pour fe flatter de
tout expliquer ; mais il expofe avec clarté
& précision les connoiffances que l'on
peut avoir fur les objets qu'il décrit . Cet
te description du règne minéral n'eft que
la première partie de l'ouvrage , & l'auteur
fe promet de donner fucceffivement
celle du règne végétal & du règne animal.
Le Médecin des Pauvres depuis la puberté
jusqu'à l'extrême vieilleffe.
Le Médecin des Dames , ou l'art de les
conferver en fanté ; 2 vol . in 12. A
Paris , chez Vincent , imprimeur - libraire
, rue des Mathurins , hôtel de
Clugny.
Ces deux traités fe vendent féparément
il eft cependant utile qu'ils foient
MARS. 1772 .
133
réunis , parce que le lecteur eft quelquefois
renvoyé d'un traité à l'autre pour les
maladies qui font communes aux deux
fexes . L'auteur n'a recueilli dans ces deux
ouvrages élémentaires que les précepres
ou les documens qui peuvent être à la
portée des gens du monde. Les inftructions
qu'il leur donne pourront contribuer
à les rendre plus attentifs à étudier
leur tempérament , & à prendre les précautions
neceffaires pour éviter bien des
maladies . Ils
apprendront à interroger en
connoiffance de caufe les médecins inftruits
& éclairés , & à fe mettre en garde
contre ces empiriques qui vantent partout
l'efficacité fouveraine de leurs remè
des , mais dont la plus grande vertu eft de
les empêcher de mourir de faim.
Le Médecin des Dames pour mieux les
engager à lire le traité qu'il a compoſe
pour elles , a bien voulu defcendre jufqu'aux
détails de la toilette. Il leur préfente
ici différentes recettes pour réparer
un teint qui fe flétrit & les occupe fouvent
plus que leur propre fanté. Plufieurs
de ces recettes ne peuvent être regardées
que comme un vain amufement . Mais
les vertus qu'on leur attribue Aatrent fi
agréablement l'imagination des femmes
134 MERCURE DE FRANCE .
qu'il feroit allez inutile de leur prouver la
futilité de tous ces beaux fecrets .
Traité élémentaire de Méchanique Statique
, avec des notes fur quelques endroits
; par M. l'Abbé Bollut , de l'Académie
royale des Sciences , examinateur
des Ingénieurs , &c. A Paris ,
chez Claude - Antoine Jombert , fils
aîné , libraire , rue Dauphine , près le
pont- neuf; 1772 ; avec approbation &
privilége du Roi .'
Nous rapportons , comme nous l'avons
promis , le Difcours préliminaire dans
lequel l'auteur donne le plan de fon ouvrage
, & en fait connoître l'utilité.
Le traité que je donne au Public eft la première
pattie d'un ouvrage dans lequel je me fuis propofé
de raflembler les principes généraux de l'équilibre
& du mouvement des corps folides , &
d'en faire l'application aux problêmes les plus
intéreflans de méchanique spéculative ou prati
que.
On réduit ordinairement l'objet de la ftatique
à la confidération de l'équilibre des machines . Ici
j'envilage cette fcience fous un point de vue
moins borné. Je commence par établir les propriétés
de l'équilibre d'une manière générale &
abftraite ; celles qui fe rapportent aux machines
fortent de là , comme des conféquences ou des
modifications particulières .
MARS. 1772 : 135
Tout , dans la nature , préfente l'image de la
force . L'idée qu'on attache à ce mot , paroît également
claire , au fens propre & au fens figuré.
Quand on peint la force d'un boulet de canon qui
frappe & renverfe un mur ; quand on parle de la
force d'un raifonnement : il n'y a perfonne qui ne
conçoive , à l'inftant , la chofe qu'on lui veut
exprimer. Croira- t-on après cela que les mathématiciens
, fi jaloux d'employer toujours le mot
propre dans leur langue , ayent pû être partagés
fur la notion de la force ? Ils l'ont été néanmoins;
& c'eft Leibnits qui a fait naître , pour un tems ,
cette efpèce de fchisme philofophique . Avant cet
homme illuftre , on eftimoit , d'une commune
voix , la force des corps en mouvement , par le
produit de leur maffe & de leur viteffe : il prétendit
qu'il falloit fubftituer dans cette mefure le
quarré de la viteffe , au lieu de la fimple vîteffe.
Il entraîna plufieurs fçavans dans fon opinion 3
les autres la rejettèrent . Oh écrivit des deux côrés
. La dispute devint d'autant plus vive , qu'elle
avoit fon origine dans la métaphysique , trop
fouvent fujette à égarer l'esprit humain ! Heureufement
le flambeau du calcul diffipa le nuage
qui fe formoit à l'entrée de la méchanique. Comme
les deux partis , en définiflant la force différemment
, s'accordoient d'ailleurs entr'eux fur
tous les autres points , & qu'ils étoient conféquens
dans leur maniérede raifonner , ils arrivoient
aux mêmes réſultats , dans la folution des mémes
problêmes. Il eft aifé de fentir que cela devoit
être ainfi ; car tout calcul eft fondé fur des hypothèfes
, & pourvû que dans la fuite des opérations
qu'il demande , on combine toujours de la
même manière un même élément avec les autres,
136 MERCURE DE FRANCE.
la conclufion aboutira toujours au même but.
S'il y a quelque différence , elle ne pourra être
qu'apparente, & fimplement dans l'énoncé . Auffi
la dispute dont nous parlons , a t- elle eu le fort
qu'elle devoit avoir ; elle est tombée entièrement.
On eft enfin convenu de s'entendre. La mefure des
forces que Leibnits vouloit proscrire a triomphé,
comme la plus naturelle & la plus fimple . C'eſt
donc celle que j'adopte & que je préfente à mes
lecteurs .
Dans l'état d'équilibre dont il eft ici queſtion ,
la force n'a pas d'exercice actuel ; elle ne produit
qu'une fimple tendance au mouvement. L'équili
bre réfulte de la deftruction de plufieurs forces
qui fe combattent , & qui anéantiflent réciptoquement
l'action qu'elles exercent les unes contre
les autres . Il ne s'agit donc plus que de favoir comment
cette deftruction s'opere ; & c'eſt en cela que
confifte précisément l'objet de la ftatique.
Il eft vifible que deux forces égales & directement
oppolées le détruilent ou le font équilibre.
Ce principe ou axiome eft le caractère auquel je
Teconnois & jeéduis l'équilibre , dans les différentes
combinaiſons de forces qui peuvent avoir
lieu . Parcourons rapidement ces combinaitons .
La première & la plus fimple de toutes eft celle
des forces qui agillent fuivant une même ligne
droite , les unes d'un côté , les autres du côté oppolé.
On prouve fans peine que toutes les forces
dirigées d'un même côté produisent une réſultante
égale à leur fomme. Ainfi , pour qu'il y ait équilibre
dans le cas préfent , il faut que la fomme
de toutes les forces qui tirent , par exemple , de
gauche à droite , foit égale à la fomme de toutes
les forces qui tirent de droite à gauche.
MARS. 1772. 137
Les forces dont les directions concourent en un
même point , forment une feconde clafle fort
étendue. En prenant d'abord deux de ces forces ,
elles ont une réſultante exprimée par la diagonale
d'un parallelogramme conftruit fur leurs directions
. Cette refultante , combinée avec une
troifième force , produit une réfultante exprimée
par la diagonale d'un fecond parallélogramme.
analogue au premier. Ainfi de fuite . Par ce
moyen , toutes les forces propofées le réduiront à
deux feulement , lesquelles , en vertu de l'équili
bre , feront égales & directemenr oppofées.
On peut rapporter à la même clafle les forces dont
les directions font parallèles ; car des lignes parallè
les peuvent être regardées comme concourantes en
un même point infiniment éloigné . Si l'on confidère
deuxde ces forces , qui agiflent d'un même côté, on
trouve qu'elles produifent une réfultante qui leur
eft parallèle , & qui eft égale à leur fomme , de même
que fi elles agilloient en ligne droite . De plus, la
direction de cette réfultante partage la diftance
des directions des forces compofantes , en parties
réciproquement proportionnelles aux quantités
des mêmes forces . On formera pareillement une
feconde réſultante , en combinant celle dont nous
venons de parler avec une troifième force. Ainfi
on parviendra , comme tout -à- l'heure à deux forces
finales qui feront égales & directement oppolées
, pour fatisfaite au principe fondamental
de l'équilibre. Je n'ai pas beſoin de faire obſerver
qu'on pourroit regarder comme un cas particulier
des forces parallèles , celui des forces qui agis
fent fuivant une même ligne droite.
Les forces parallèles ont un grand nombre de
propriétés que je démontre en détail , & d'une
138 MERCURE DE FRANCE .
manière nouvelle à quelques égards . Ces propriétés
font cuncufes par elles-mêmes , & fervent à
abréger extrêmement plufieurs recherches de méchanique.
A mesure que nous avançons , les problêmes
fe compliquent & fe généralifent. Après avoir
déterminé l'équilibre des forces concourantes en
un même point , ou parallèles entr'elles ; nous
voici parvenus à la coufidération des forces qui
ont des directions quelconques. Figurons - nous
donc qu'à différens points d'un corps folide , da
grandeur fenfible , parfaitement libre d'ailleurs ,
font attachées des forces qui le tirent ou le pouffent
, fuivant telles directions qu'on voudraimaginer.
Il feroit difficile de réduire immédiatement
toutes ces forces à deux qui fuflent égales
& directement oppofées . Mais on peut parvenir
au même but , en s'aidant des propofitions déjà
démontrées , & en obfervant de plus que chaque
force en particulier peut être décompofée en tross
autres , parallèles à trois lignes données de pofition.
Ainsi , traçons dans l'espace trois lignes
fixes , & qui fe croifent , perpendiculairement
entr'elles , en un même point. Chaque force appliquée
au corps ayant été décomposée en trois
autres , paralleles à ces trois lignes ; & confidérant
que toutes les forces parallèles qui agiflent
dans le même fens , font réductibles à une feule
égale à leur fomme ; il eft aifé de voir que toutes
les forces propolées , en quelque nombre qu'elles
foient , & de quelque manière qu'elles foient dirigées
, pourront être réduites à fix forces paral-
Jèles à nos trois lignes . Des deux forces parallèles
à une même ligne , l'une tire de gauche à droite,
T'autre de droite à gauche. Cela pofé , je trouve
MARS. 1772. 139
les conditions de l'équilibre , d'une manière nou
velle , & qui ne me paroît rien laiffer à defirer du
côté de la fimplicité . J'exprime ces conditions par
fix équations générales qui font voir , 1º que
pour chaque paire de forces qui agiflent parallè
lement à la même ligne , la force qui tire de droi
te à gauche , doit être égale à la force qui tire.
de gauche à droite . 2 °. Que la fomme des éner
gies ou momens des forces qui tendent à faire
tourner le corps , en un fens , autour de chacune
de nos trois lignes , doit être égale à la fomme
des momens des forces qui tendent à le faire
tourner dans le fens contraire. Ce problême eft le
plus compofé de toute la ftatique ; & il eft fulceptible
d'une infinité d'appli ations particuliè
res , à l'aide du calcul & de la géométrie . Lorsque
le corps , auquel les forces font appliquées , eft
gêné par un point autour duquel il a d'ailleurs
entière liberté de pouvoir pirouetter en toutes
fortes de fens , il n'y a plus que les trois dernières
équations qui foient néceflaires pour l'équilibre ;
& elles comprennent toute la théorie de l'équili
bre du levier ordinaire , envifagée fous le point
de vue le plus général .
Il y a , dans les corps foumis à l'action de la
pefantent , un point remarquable qu'on appelle
centre de gravité. La détermination de ce point
& des propriétés qui lui appartiennent , eft une
branche de la compofition & décompofition des
forces parallèles. On trouve dans la plupart des
livres de méchanique , que le centre de gravité
eft un point par lequel un corps étaut fufpendu
en ditterens fens , demeurera immobile dans tou
tes les fituations poffibles . Cela fuppofe , comme
on voit , qu'en attachant le corps par différentes,
140 MERCURE DE FRANCE.
pointes à un cordon , tous les prolongemens de
ce cordon fe croiferont au centre de gravité. Or,
cette aflertion eft- elle évidente par elle- même ,
& n'avoit- elle pas befoin d'être démontrée : Je
fais voir , très fimplement , qu'elle est en effet
exacte ; & par-là je leve le doute légitime qu'on
pourroit avoir à ce fujet. Cette théorie des centres
de gravité eft éclaircie par des applications
à plufieurs exemples ; & je donne , dans un article
à part , en forme de note , la manière générale
de trouver les centres de gravité des lignes , des
fuperficies , & des folides , dont la nature eft exprimée
par une équation .
L'équilibre des machines eft la partie , finon
la plus difficile , du moins la plus utile de la ftatique
, par les fervices continuels qu'elle rend à
la fociété. Il étoit donc effentiel de la traiter avec
clarté & préciſion . Je n'ai rien négligé pour remplir
cet objet.
La plupart des hommes qui n'ont pas fait une
étude approfondie des loix générales de l'équili
bre , ont des idées bien peu justes de l'effet des
machines. Il y a des gens qui , nés avec de l'adrefle
dans les doigts , & même avec de l'imagination
, ne voient que confufément le produit de
la combinaiſon des différentes pièces qui compofent
une machine , parce qu'ils font dépourvus
de principes puifés dans la faine théorie . Ils ont
néanmoins , pour l'ordinaire , beaucoup d'aflurance
; ils annoncent avec emphafe les prétendues
merveilles de leurs inventions en ce genre.
S'ils rencontrent des incrédules , ils leur citeront,
en exemple , la propofition que faifoit Archimè
de , bien digne d'inspirer la confiance , de foulever
le globe de la terre , pourvû qu'on lui donnât
MARS.
1772 .
141
un point fixe pour attacher fon levier. Voyons
fi cet exemple conclut en leur faveur ; & banniflant
le ton de la poëfie & de l'entouſiaſme , apprétions
l'espérance qu'on peut concevoir d'une
machine.
Le mouvement ne peut pas naître de lui- même.
Il eft
eflentiellement produit par
quelqu'agent
extérieur qui tire la matière de l'état de repos ,
ou qui accélère l'impulfion qu'elle peut avoir
déjà reçue. Or , la force que l'agent dépense pour
cela , eft
néceflairement limitée. Par exemple ,
qu'un homme traîne un bloc de pierre fur le terrein
, il perdra une certaine partie de fa force
contre cette mafle ; & fi elle lui oppoſe trop de
réſiſtance , il n'y aura point de mouvement. Suppofons
que la pierre marche : nous pouvons concevoir
que la force entière & abfolue de l'homme
eft partagée en deux autres ; l'une , qui lui
refte & en vertu de laquelle il marche lui- même;
l'autre , qui eft abforbée par la refiftánce de la
pierre. Cette dernière eft ce qu'on appelle la force
mouvante. Elle eft mefurée par le produit de la
mafle qu'elle meut , & de la vîteffe qu'elle lui
imprime. Il en eft de même pour toutes les efpèces
d'agens , proportion gardée . On peut confidérer
en général toute force mouvante , comme
ayant pour élémens ou facteurs , un poids & une
vitefle. Je n'examine point fi , dans l'hypothèſe
propofée , il n'y a pas , relativement à la manière
dont un animal tire fa force du jeu de fes mulcles,
une vitefle propre à rendre la dépenfe d'action
extérieure qu'il peut faire , la plus grande
qu'il eft poffible. Pour écarter cette question , qui
appartient à l'économie des forces animales , fije
puis m'exprimer ainfi ; & pour réduire le problé
142 MERCURE DE FRANCE:
tne à fes plus fimples termes , je fuppofe que cha
que agent eft employé de la façon la plus avantageufe
, & que par conféquent il donne à la machine
toute la force qu'il peut lui donner réellement.
Nous avons donc une force mouvante
fixe & déterminée , qui fervira à vaincre une certaine
réſiſtance , ou , ce qui revient au même , à
élever un certain fardeau. Elle demeurera toujours
la même , quelques moyens qu'on employe
pour la tranfmettre au fardeau dont il s'agit.
Vainement , dans la vue de l'augmenter , vous
multiplierez les leviers & les roues ; tous ces inftrumens
n'ont pat eux- mêmes aucune vertu active
; ils n'ont de force qu'autant qu'ils en reçoivent
; fouvent même ils abforbent en pure perte
une partie de la force mouvante , foit par les
points fixes & deftructeurs qu'ils lui préfentent ,
foit par le frottement & autres réfiftances qu'ils
occafionnent. Leur véritable deftination ne peut
donc être que de modifier différemment la forme
mouvante , en la transportant au fardeau à élever.
S'ils font augmenter ce fardeau , ils font diminuer
la vitelle en même rapport ; fi au contraire
ils augmentent la vîteffe , c'eft aux dépens
de la maffe. Archimède avoit raifon de dire qu'avec
un levier & un point fixe , il fouleveroit le
globe de la terre. Il fuffit , pour s'en convaincre,
de jetter les yeux fur une balance dont les bras
font inégaux. Plus l'un des bras eft long , par
rapport à l'autre , plus il favorife le poids attaché
à fon extrémité ; enforte qu'en augmentant
de plus en plus cette longueur , il n'y aura pas de
bornes à la diminution du poids qui lui eft appliqué
. Dans les machines où il eft ainfi queſtion
fimplement d'établir l'équilibre ; les forces , par
MARS. 1772. 143
la manière dont elles font fituées , peuvent diffé.
rer extrêmement en quantités . Mais la plupart
des machines ont pour objet de produire du mouvement
; & alors , la force mouvante étant toujours
la même , le fardeau élevé fera plus ou
moins grand , felon qu'il prendra moins ou plus
de vitefle. Vous pouvez donc , par exemple , avec
un poids d'une livre appliqué à l'extrémité d'un
bras de levier de dix pieds , faire équilibre à un
poids de dix livres appliqué à l'extrémité de l'autre
bras qui eft d'un pied : mais fi vous voulez
produire du mouvement , & fi vous fuppofez que
la force mouvante foit le poids d'une livre , animé
d'une vîtefle capable de lui faire parcourir un
pied en une feconde ; le fardeau élevé , c'eſt - àdire
, le poids de dix livres , ne parcourra , pendant
le même tems , que la dixième partie d'un
pied. Car les vîtefles des deux poids peuvent être)
représentées par les arcs femblables qu'ils décrivent
dans le même tems ; & ces deux arcs font
entr'eux comme les raions ou les bras du levier,
Il eft clair par -là que fi Archimède avoit réellement
cu les chofes qu'il demandoit pour faire
monter le globe de la terre , il fe feroit paflé un
tems aflez confidérable avant que cette mafle
énorme ne prît un mouvement fenfible. Quel eft
donc précisément le but des machines ? La réponfe
eft aifée , & fuit de ce qu'on vient de dire . Les
machines fervent à transmettre , fuivant une cer.
taine loi , la force mouvante , au fardeau qu'on
veut élever. Elles nous offrent la facilité d'augmenter
ce fardeau ou fa vitefle ; & cette prérogative
eft infiniment précieufe ; car il arrive trèsfouvent
qu'on a befoin d'élever un fardeau confi
Lidérable, & qu'on n'eft pas preflé par le tems ;
144 MERCURE DE FRANCE .
d'autres fois on veut le procurer une grande vitelle
, & non élever un grand fardeau . Vous avez
le moyen de remplir l'une ou l'autre condition.
Mais une machine , quelle qu'elle foit , ne vous
fera jamais rien gagner d'un côté , que vous ne le
perdiez de l'autre. Voilà le cercle néceflaire dont
il n'eft pas poffible de fortir.
Mais , dira- t- on , fi dans toutes les machines ,
le fardeau élevé & la vîtelle font réciproquement
proportionnels ; elles font donc toutes également
avantageufes , & il eft inutile de le travailler à
en imaginer de nouvelles. Ceci a beſoin d'être
expliqué.
On compte fept machines fimples & primitives
; la machine funiculaire , le levier , la poulie,
le tour , le plan incliné , la vis & le coin . Toutes
les autres machines faites ou à faire , ne peuvent
être que des combinaiſons de ces fept -là , ou
de la même , répétée un certain nombre de fois,
Les machines fimples ont chacune leurs proprié
tés , leur objet particulier , & toute la perfection
dont elles font fusceptibles . Elles ne peuvent fe
comparer enfemble que dans un fens fort impropie
, puifqu'elles ont différentes deftinations .
Ainfi la demande , s'il y a des machines plus par
faites les unes que les autres , ne doit pas les regarder
; mais elle eft très- failable par rapport
aux machines compolées. Or , l'ufage de ces der
nières eft fiéquent & indispenfable. Car il arrive
rarement qu'on puiffe produire l'effet dont on a
befoin , par le moyen d'une machine fimple. Lor [-
que vous êtes donc obligé d'employer une machine
compofée , ne la compliquez du moins
qu'autant qu'il eft abfolument néceflaire ; évitez,
le plus que vous pourrez , les frottemens & auties
MARS. 1772 . 145
tres réfiſtances étrangères au produit effectifque
vous voulez obtenir. La machine la plus parfaite
en ce genre eft celle où la force mouvante fe
tranfmet , avec le moins de déchet qu'il eft poffi
ble , au fardeau à élever . Travaillez à diminuer
ce déchet ; vos recherches auront un but trèsréel,
& le champ eft encore fertile en lauriers . Mais
tenez - vous en là ; ne nous promettez rien de
plus. Tout autre avantage que vous voudrez attribuer
à vos machines, eft une chimère.
Ces réflexions générales deviennent fenfibles
par les détails dans lefquels j'entre au fujet des
fept machines fimples . On conçoit qu'il n'est guè
res poffible de dire des chofes nouvelles fur une
matière fi rebattue . Cependant on trouve ici des
démonstrations qui ne font point ailleurs , & qui
ont l'avantage d'être fort fimples . En traitant du
Levier , je donne la théorie de l'équilibre des
Ponts- levis , théorie qui n'eft expliquée , du
moins que je fache , dans aucun livre de Méchanique.
Elle m'a conduit à chercher la nature de
la courbe que forme une corde attachée par fes
extrémités à des points mobiles , problême nouveau
; car dans toutes les folutions qu'on a données
du problême des chaînettes , on fuppofe que
la corde eft attachée à des points fixes.
Je ne me fuis pas borné à confidérer l'équilibre
mathématique des machines. J'examine les
réfiftances qu'elles éprouvent dans leur état phy
fique & naturel , lorfqu'elles font prêtes à fe monvoir.
Le frottement & la difficulté que les cordes
font à fe plier autour des cylindres qu'elles
embraflent , oppofent des obftacles plus ou moins
fenfibles à la génération du mouvement. Il fuffit
de réfléchir un peu fur la nature de ces réfiſtan-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
ces, & fur l'impoffibilité abfolue de les anéantir
totalement , pour reconnoître la chimère du mouvement
perpétuel. On eft très - éloigné de pouvoir
évaluer le frottement & la roideur des cordes
, avec une précifior géométrique. Néanmoins
cette théorie a fait des progrès depuis qu'on a commencé
à s'en occuper ; elle en peut faire de plus
grands encore, avec le fecours de l'expérience . Je la
développe en détail , & j'en fais l'application à des
exemples dont la pratique retirera quelque fruit.
Il étoit ainfi néceflaire , pour remplir le titre de
mon livre , que joignant la théorie phyfique de
l'équilibre des machines à celle de leur équilibre
mathématique , je déterminafle , du moins autant
qu'il eft poflible , le point où l'équilibre eft prêt
à fe rompre , pour faire place au mouvement. Je
confidérerai les machines en mouvement , & les
propriétés particulières que cet état leur donne ,
dans la feconde partie de cet ouvrage . Les commençans
pourront , en attendant qu'elle paroifle,
étudier les principes du mouvement dans mon
Traité élémentaire de Méchanique & de Dynami- que.
On trouvera dans le préfent traité , des chofes
que j'ai déjà dites ou dans l'ouvrage que je viens
de citer , ou dans mon Hydrodynamique ; mais
elles font ici à leur véritable place , & je n'aurois
pu les fupprimer , faus déroger aux droits de la
inéthode & de la clarté . D'ailleurs elles font en
petit nombre; & du moins la briéveté pouria fauver
l'ennui de la répétition .
Les principes qu'on va lire , doivent être regardés
comme publics en quelque forte , depuis dix
à douze ans. Car il y a environ ce tems , que j'ai
commencé à les expliquer à l'Ecole du Génie. Il
MARS. 1772 . 147
s'en eft même répandu plufieurs fragmens manuf
crits.
Réponse à l'Auteur des Obfervations , im.
primées dans le premier volume du
Mercure de Janvier dernier , fur le nou
veau Didionnaire hiftorique en 6 vol.
in- 8 ° . qui fe vend à Paris , chez le Jay ,
libraire , rue St Jacques.
Il eft , ce me femble , un peu tard de contef
ter au nouveau dictionnaire fon utilité , fon mérite
& la fupériorité fur tous ceux qui ont paru
jusqu'à prélent. Les fuffrages du Public , l'empreflement
des gens de lettres à fe le procurer ,.
trots éditions qui s'en font faites en cinq ans
tout lui affure une réputation que les efforts de la
critique ne pourront jamais détruire. Avant que
la dernière édition qui vient de paroître l'eûr errichi
de plus de deux mille articles nouveaux , on
convenoit déjà univerfellement que cet ouvrage
étoit la collection hiftorique la plus complette ,
non par l'étendue des matières qui y font conte
nues , mais par la jufteile des notions abrégées
& cependant fuffifantes qu'on y donne de tout ce
qui eft du reffort de la biographie.
Le degré de perfection auquel a été portée cette
excellente collection eft fans doute ce qui a excité
la mauvaife humeur de quelques perfonnes
intéretiées à en mal parler , & il ne feroit pas difficile
de s'expliquer plus clairement fur le motif
d'intérêt qui a dicté les Obfervations auxquelles
nous allons répondre. Nous dirons d'abord que
quand elles feroient auffi exactes qu'elles le font
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE
.
peu , du moins pour la plûpart , la conclufion
qu'on en tire n'en feroit ni plus fenfée ni plus
jufte. Ce n'est point par quelques articles obfcurs
ou peu importans qu'on doit juger du mérite
d'une pareille entreprife. Elle peut être heureufement
exécutée malgré des négligences prefque
inévitables de chronologie qui ont pu s'y gliffer.
Les auteurs du dictionnaire en avoient prévenu
le Public , & cette fage précaution étoit une réponſe
à toutes les objections du critique intéreflé.
Nous prouverons qu'il s'eft trompé lui - même &
qu'il donne dans des erreurs non moins repréhenfibles
que celles qu'il croit avoir remarquées.
On lit dans la dictionnaire que nous avons de
l'Abbé Anfelme un recueil de fermons en 6 vol.
in- 8°. & le Critique en compte ſept du même
format. Tous deux fe trompent , les fermons de
l'Abbé Anfelme font en fix vol in - 12 . imprimés
chez Julien - Michel Gandouin en 1731 .
On trouve dans le dictionnaire qu'Agathias étoit
de Smyrne , il falloit de Myrine ; & il n'y a perfonne
qui ne fente que c'eft une faute d'impreffion.
Cependant l'auteur des obfervations charmé
de cette importante découverte , en prend occafion
d'accufer d'ignorance les auteurs du dic
tionnaire.
Ils ont dit encore qu'Antoine , Roi titulaire de
Portugal ; étoit fils de Louis II , & le Critiquequi
cherche par-tout ce Louis , ne le trouve pas . Cependant
Damien de Goëz , Edouard de Nunez ,
Mariana , & plufieurs auttes hiftoriens en font
mention . Il étoit le fecond fils du Roi Emmanuel
, dit le Grand , & avoit eu dans la jeuneſſe
une maîtrefle fort aimable que fa paffion lui fit
époufer fecretement. Il eft vrai que ce Prince n'a
MARS. 1772 .
149
point porté la couronne ; mais fon droit a été fi
peu contefté , que fon fils Antoine prit la qualité
de Roi.
Buckingam ayant vainement tenté d'inspirer
de l'amour à Anne d'Autriche , fit déclarer la
guerre. On ne fait fi le Critique révoque ce fait
en doute , ou s'il trouve étrange que Buckingam
à foixante ans ait reffenti les feux de l'amour ;
mais d'abord les hiftoriens racontent le fait tel
qu'il eft rapporté dans le dictionnaire , & ce n'eft
Foint à eux à condamner ou à juſtifier un amant
fexagénaire. C'eft encore moins aux auteurs du
ditionnaire à fupprimer de pareils faits lorsqu'ils
fe trouvent confirmés par les hiftoriens.
Beverland , de jure folutæ virginitatis, Le Critique
a vu un exemplaire de ce livre où il y a de
ftolata virginitatis jure . S'il eût pris la peine de
confulter auffi les autres éditions du dictionnaire ,
il auroit trouvéftolata virginitatis , ce qui prouve
que dans la dernière édition foluta eft une faute
typographique , & non un trait d'ignorance , comme
il le prétend.
Quant aux éditions dont il eft parlé dans les
articles Adlerfeld , Agricola , Albrizzi , Auguftin
, l'auteur des
Obfervations nous permettra de
lui répondre qu'elles peuvent très - bien exifter ,
quoiqu'il ne les ait jamais vues. On pourroit aifément
lui en indiquer d'autres qu'il ne connoît
pas davantage.
Ange de Ste Rofalie , auteur d'un état de la
France , réimprimé en 8 vol . in 12. Le Critique
dit qu'il perd fon tems à chercher cet ouvrage .
On le prie d'aller demander aux RR. PP. Auguftins
le catalogue des auteurs de leur ordre ; nous
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
1
"
efpérons qu'il y trouvera l'Etat dela France dont
ileft fait mention dans le dictionnaire.
C'eft pour plaifanter fans doute que le cenfeur
termine fes remarques par conclure qu'aucun
membre de cette fociété n'eft verfé dans l'arithmétique
, la chronologie , la bibliographie , la
géographie , l'hiftoire & même la littérature ;
comme , parce que Brict a commis quelques
fautes géographiques , que Rollin a rapporté des
faits qui fe trouvent faux , que Bigot a indiqué
quelques fois des éditions qui n'exiftoient pas ,
& que Pétau n'eft pas toujours d'accord avec Pez
ron , on en concluoit que tous ces favans n'avoient
aucune connoiflance de la géographie , de
P'hiftoire , de la bibliographie & de la chronologie.
Tel eft cependant le raifonnement de l'auteur
des obfervations ; mais nous n'en conclurons pas
somme lui qu'il n'a ni jugement ni logique. **
Ce Critique ajoute : « Enfin je m'en tiendrai à
l'Abbé Ladvocat qui n'a que fes fautes , au lie
que dans le nouveau dictionnaire je trouverois
les fiennes & encore d'autres plus choquantes. »
Ce dernier trait décèle de quelle nature eft l'intérêt
que l'on prend à décrier cette excellente collection.
Il eft certain que l'ouvrage de l'Abbé
Ladvocat doit perdre à la comparaiſon . Chacun
fait que ce compilateur avoit plus d'érudi
tion que de goût . Si l'auteur des obfervations
veut s'en convaincre par lui - même , on le prie
de jetter un coup d'oeil fur les jugemens qu'il a
portés des hommes dont il parle ! Selon lui , pas
un d'eux qui ne foit un homme célèbre , pas un
qui n'ait fait du bruit dans le monde , & ce qu'il
y a de remarquable , c'eft que la plupart n'étoient
MARS. 1772 . ISI
connus , même de leur tems , les uns que dans la
province qui les avoit vu naître , les autres que
dans le fonds d'un cloître où ils commentoient
quelque moralifte ignoré comme eux ; ceux - ci
dans la pouffière de l'école , ceux - là dans une
falle du parlement. On ne fache point que leur
réputation fe foit étendue plus loin. Quoiqu'en
dife le Critique , l'Abbé Ladvocat réduit à la
jufte valeur , n'offrira qu'une lifte très incomplette
d'hommes vraiment célèbres . Elaguez enfuite
les jugemens faux ou peu folides dont il eft furchargé
, que deviendra le dictionnaire favori de
l'auteur des obfervations ! Ne pourroit on pas en
dire autant de prefque tous ceux qui l'ont précédé.
Ce feroit ici le lieu de faire voir le mérite
& la fupériorité du nouveau dictionnaire ; mais
les fuffrages libres & défintéreflés du Public , flattent
bien plus délicatement les auteurs de cette
compilation que les éloges les plus pompeux
qu'on en pourroit faire. S'il leur est échappé
quelques négligences , c'eft que dans un travail
long & pénible , elles font prefqu'inévitables.
Nous en fommes d'ailleurs amplement dédommagés
par une foule d'articles curieux , & d'autant
plus piquans qu'ils n'avoient jamais paru .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
ACADÉMIES.
Académie des Sciences , Belles Lettres &
arts de Lyon.
L'ACADÉMIE de Lyon avoit anciennement
propofé , pour fujet du prix des
Arts , fondé par M. Chriftin , de trouver
le moyen de durcir les cuirs , &c , elle continua
ce fujet pour l'année 1768 , le prix
étant double. Les Mémoires qui lui furent
adreflés n'ayant aucunement rempli
fes vues , elle réferva les trois prix pour
l'année 1771 , fans déterminer de lujet
précis ; elle annonça qu'ils feroient décernés
à une découverte utile dans les arts ,
& poftérieure à la publication du Programme
, &c.
Le nombre des Mémoires envoyés au
concours , & la diverfité de leurs objets ,
ayant forcé l'Académie de fufpendre pendant
quelque temps la diftribution , elle
y a procédé dans la Séance publique , du
3 Décembre 1771 .
Elle a décerné un premier prix , confiftant
en deux médailles d'or , chacune
de la valeur de 300 livres , au Mémoire
MARS . 1772.
153
coté n°. 8 , fuivant l'ordre de fa récep
tion , ayant pour devife :
Naturam contra & fruftra obluctantibus undis ,
Infuetum per iter flumen portatur in auras.
SANT.
Portant pour titre : Mémoire fur les vrais
diametres des tuyaux ou conduits d'eau ,
pourfervir à perfectionner l'art du Fontainier
avec des tables du déchet caufé dans
les tuyaux de conduite , par le frottement
contre leurs parois intérieures.
L'Auteur eft M. AUBÉRY , Chanoine-
Régulier de Sainte-Geneviève , Vicaire
de la paroifle de Nanterre , près de Paris .
Ce Savant eft le même qui obtint un
prix dans la même Académie en l'année
1769 , fur le fujet des Moulins.
Le fecond prix , confiftant en une médaille
d'or , de pareille valeur , a été
partagé entre les deux Mémoires , cotés
n ° . 5 & 11 .
a
Le n°. 5 portant pour devife : Hac
are & duri chalybis perfecta metallo
pour auteur M. J. N. RENARD , Médecin
à la Fere en Picardie .
No. 11 , avec certe épigraphe : Experientia
rerum magiftra , & ce titre : l'Art
Gv
154 MERCURE DE FRANCE:
de tanner en jufée , eft de M. JOSEPH DE
CHEURANT , maître Tanneur juré à Befançon
.
L'Académie , en couronnant ces deux
ouvrages , a cru devoir encourager des recherches
qui tendent à perfectionner , en
France , l'art du Tanneur : objet du Programme
qu'elle avoit publié dès l'année
1763. Ces Mémoires lui ont paru contenir
des vues utiles , telles que le procédé
de laminer les cuirs , au lieu de les
battre , & fur-tout celui d'employer des
diffolutions martiales pour augmenter
leur confiftance : moyen propofé par les
deux Auteurs . Elle auroit defiré qu'ils
euffent envoyé des cuirs préparés fuivant
les méthodes qu'ils indiquent. Elle les invite
à les porter à une plus grande perfection
, en continuant leurs expériences
fur l'emploi du vitriol martial , & d'autres
matieres ferrugineufes .
Dans la même féance , on a renouvellé
l'annonce des fujets de prix , propofés
pour les années fuivantes.
L'Académie a propofé pour le prix de
Mathématiques , fondé par M. Chriftin ,
qui fera diftribué en 1772 , le fujet fui--
yant :
Quelsfont les moyens les plus faciles &
MARS. 1772 . 155
les moins difpendieux , de procurer à la
ville de Lyon la meilleure eau , & d'en
diftribuer une quantitéfuffifante dans tous
fes quartiers,
Les eaux de puits prefque toujours défagréables
, font généralement reconnues
pour mal faines , lorfque les puits font
placés dans l'enceinte d'une ville peuplée.
Les eaux de rivières & celles des fources
choifies,font,au contraire,les plus pures &
les plus falubres .
La ville de Lyon eft fituée au confluent
de deux grandes rivières , & entourée de
collines , qui fourniffent des eaux faines
& abondantes ; cependant fes habitans ,
dans le plus grand nombre de fes quartiers
, n'ufent que des eaux de puits.
Tels font les objets du problême propofé
. L'Académie exige des Auteurs qui
s'occuperont à le réfoudre , de déterminer
la qualité des eaux qu'ils indiqueront ;
d'aligner la quantité néceffaire à la confommation
, & de joindre à leurs projets
, les plans des machines qu'ils voudront
employer , le calcul de leur produit
& de leur entretien , celui des nivellemens
néceffaires , & un devis général .
Les conditions , d'ailleurs , font les mêmes
que par le paffé . Les Auteurs ne fe
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
feront connoître ni directement ni in--
directement , finon leurs Mémoires ne
feront pas admis au concours. Ils feront
adreflés , francs de port , avant le premier
Avril 1772 à M. de la Tourrette , Secrétaire
perpétuel pour la claffe des Sciences
, rue Boillac ; ou à M. Bollioud
Mermet , Secrétaire perpétuel pour la
claffe des Belles- Lettres , rue du Plat ;
ou chez Aimé de la Roche , Libraire-
Imprimeur de l'Académie aux Halles
de la Grenette.
>
>
fondé
par
Le prix eft une Médaille d'or , de la
valeur de 300 livres . L'Académie l'adjugera
dans une féance publique , immédiatement
après la fête de S. Louis .
Le prix de Phyfique
M.Chriftin , fera décerné , en l'année 1773 ,
au meilleur Mémoire fur le fujet précé
demment propofé , pour l'année 1770.
Déterminer quels font les principes qui
conftituent la Lymphe ; quel eft le véritable
organe qui la prépare ; fi les vaisseaux
qui la portent dans toutes les parties du
corps, font une continuation des dernieres
divifions des arteres fanguines , ou fi ce
font des canaux totalement différens &
particuliers à ce fluide ; enfin quel eft fon
ufage dans l'économie animale.
MARS. 1772.
157
L'Académie invite ceux qui voudront.
traiter ce fujet à déterminer par des expé
riences la nature de la Lymphe, comparée:
aux autres humeurs, & à décrire fon cours
dans toute l'habitude du corps .
Le prix eft double , & confifte en deux
Médailles d'or , de 300 livres chacune .
-L'Académie a confervé au concours les
Mémoires qui y ont été ci - devant admis ;
elle n'en recevra aucun paffé le dernier
Janvier 1773. La diftribution fe fera
après la fête de S. Louis .
L'Académie a réfervé pour l'année
1773 un autre prix , & demande de nouveau
des recherches fur les caufes du Vice
Cancereux , & qui conduisent à déterminer
Ja nature,fes effets, & les meilleurs moyens
de le combattre.
Il importe que les Auteurs , après avoir
défini ce qu'on entend par Cancer , développent
les progrès que la Médecine a
faits jufqu'à nos jours dans la connoiffance
des maladies cancéreufes ; qu'ils
analyſent les obfervations , les expérienees
& les opinions des Auteurs les plus
célebres , en raffemblant les moyens Diététiques
, Chirurgicaux & Pharmacéutiques
, employés jufqu'à préfent pour
attaquer ces formidables maladies ; qu'ils
158 MERCURE DE FRANCE.
les décrivent , tapportent leurs obfervations
pratiques & leurs expériences; qu'ils
apprécient let fymptomes qui précédent ,
accompagnent & fuivent le Cancer, qu'ils
en fixent le pronoftic & établiffent les
indications dans fes différens Géges , fes
diverfes efpèces & fes divers états ; qu'ils
remontent aux principes qui y donnent
lieu ; qu'ils déterminent la manière de les
reconnoître , & en donnent une théorie
fatisfaifante ; qu'ils indiquent les meilleurs
fpécifiques, connus , dans tous les
cas , en démontrant leur pouvoir ou leur
infuffifance ; qu'ils donnent enfin , s'il eft
poffible , de nouvelles vues fur les découverres
à faire & fur les moyens d'y par
venir. L'Académie invite les Auteurs à
dreffer des tables raifonnées , qui contiennent
l'extrait de ce qu'ils auront dit
de plus effentiel .
Le prix étoit de 600 livtes , fomme
déposée par M. Pouteau , académicien
ordinaire , pour être adjugée , par l'Académie
, à l'auteur du meilleur ouvrage
fur ce fujet , qu'elle a continué , en cone
fervant les mémoires admis au concours,
en 1770. Un Citoyen , plein de zèle pour
l'humanité , fans vouloir être connu , a
doublé la fommc propofée ; de forte que
le prix eft actuellement de 1200 livres .
MARS . 1772. 159
Les Mémoires ne feront admis que
jufqu'au dernier Janvier 1773. Les conditions
comme ci- deffus . La diftribution
fera faite dans la même féance que
celle
du prix précédent .
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
Le dimanche 2 Février , il y a eu concert
au Château des Tuileries . On a
commencé par Domine audivi , beau
moret à grand choeur de la compofition
de M. d'Auvergne , furintendaut de la
mufique du Roi. M. Salomon , premier
violon de la mufique de S. A. R. Mgc
le Prince Henri de Pruffe , a montré beau-
Coup de talent dans l'exécution d'une fo
nate de fa compofition .
Mlle d'Avantois , qui a un très bel
organe , a chanté Exultate Deó , motet à
voix feule de M. d'Auvergne . On a beau-,
coup applaudi l'exécution brillante &
précife de M. Baër, qui a joué un concerts
de clarinette de la compofition de M.Sta.
mitz. Mde Charpentier a chanté avec autant
d'art que de goût Adorate , très- agrén;
ble motet de M. le Grand,
160 MERCURE DE FRANCE.
On a donné les plus grands éloges à
M. le Duc le jeune , qui a joué un beau
concerto de violon de la compofition de
M. le Duc l'aîné. Le concert a fini par le
Miferere mei Deus , motet à grand choeur
de M. l'Abbé Girouft , maître de mufique
des SS. Innocens .
OPERA.
L'ACADEN
ACADEMIE Royale de Mufique continue
les repréſentations de Caftor & Pollux
: l'affluence eft fi confidérable que
l'on a été obligé de fixer le nombre des
billets de parterre , & jamais cet opéra
n'avoit eu un fuccès auffi décidé . Nous en
avons donné l'extrait dans le dernier
Mercure , & nous nous empreffons de
rendre aux acteurs , qui l'exécutent , les
éloges que nous leurs devons.
Le Public y admire , avec juftice , la
nobleffe , l'intelligence , la chaleur , &
enfin la beauté de l'organe de M. Gelin
dans le rôle de Pollux ; la vérité de M. le
Gros dans celui de Caftor , vérité précieufe
, à laquelle il joint la voix la plus
fenfible , la plus nette , & la plus agréa
ble.
MARS. 1772. 161
Depuis le commencement de fon rôle
jufqu'à la fin , Mlle Arnoud n'eft plus le
perfonnage de la pièce , mais Thélaire même
dans le fecond acte on verſe , avec
elle , des larmes fur le tombeau de Caf--
tor ; dans le cinquième , on partage les
craintes qu'elle reffent de perdre encore
une fois l'amant que l'amitié de Pollux
lui a rendu. On s'intéreffe à fes plaifirs
comme à fes peines , & tous les fentimens
qu'elle éprouve paffent involontairement
dans l'ame du fpectateur.
M. Durand a rempli parfaitement le
rôle de Jupiter , & Mlle Durancy celui
de Phoebé dans lequel elle foutient la
réputation que fes talens lui ont acquife.
Mlle Rofalie & Mlle Beaumefnil par
tagent tour-à- tour les applaudiffemens du
Public , dans les petits airs qu'elles chantent
alternativement .
On voit avec très grand plaifir le ballet
du premier acte , compofé par M.
Dauberval : les différentes évolutions du
combat qui le termine , le nombre & la
chaleur des guerriers produifent le plus
grand effet, & préfentent le tableau le plus
vrai que l'on ait vu , dans ce genre , au
théâtre de l'opéra.
La lutte du fecond acte , miſe en action
162 MERCURE DE FRANCE.
par M. Veftris , ne fait pas moins de fen
fation , ainfi que le pas de trois qui la ſuit,
& dans lequel M. Dauberval , Mlle Allard
& M. Gardel réuniffent tous les fuffrages.
M. Veftris a répandu dans l'acte du
Ciel toute la volupté que refpirent les
airs du divertiffement. M. Dauberval ,
échauffé par la mufique de l'acte des Enfers
dont il a compofé le ballet , s'eft furpaffé
lui-même. Nous n'avons point d'expreffion
affez forte pour rendre la manière
terrible avec laquelle , fecondé des talens
de Mlle Allard , de Mile Aelin &
de M. Malter , il s'oppofe au paffage de
Pollux dans les Champs Elysées .
C'eft ici que M. Veftris a déployé tout
le charme de fon art & toutes les refources
de fon talent perfonnel . Le pas de
deux , qu'il exécute avec Mlle Guimard ,
attendrit involontairement , & fi nous
avions un reproche à faire à M. Veftris,
ce feroit d'avoir donné peut- être trop de
volupté à des ames qui ne doivent plus
connoître ni le trouble des fens , ni le
mouvement des paflions .
Perfonne ne reud plus de juftice que
nous aux talens reconnus de M. Gardel ;
il a fait des ballets charmans , & l'on auMARS.
1772 . 163
roit defiré quelque chofe de mieux dans
celui du cinquième acte , dont il eft l'auteur.
Nous fommes perfuadés que les fujets
lui ont manqué , & que s'il avoit été
fecondé , il auroit trouvé dans fon génie
les mêmes refſources qu'il a employées
jufqu'ici avec fuccès .
I paroît auffi qu'en général on a tronvé
la partie des décorations un peu négligée
à l'égard du tombeau , que quelques
perfonnes ont critiqué , nous fommes obligés
de dire que l'idée en avoit été trèsbien
conçue , mais qu'elle n'a point été
exécutée au gré de l'auteur.
N
COMÉDIE FRANÇOISE.
On attend toujours , fur ce théâtre , les
Druides , tragédie nouvelle de M. le
Blanc ; & Pierre le Cruel , tragédie de M.
de Belloy .
Le Sieur Paillardelle , qui a déjà joué
fur plufieurs théâtres de la province, a
debuté à Paris , le 20 du mois de Février,
les rôles d'Orgon dans le Tartuffe ; &
la Pupille.
par
Cet acteur , qui n'a pas trente ans , a
154 MERCURE DE FRANCE.
choifi les rôles de vieillards & ceux dits
à manteau. Il a quelqu'habitude de la fcène
; & il a le tems de raifonner & d'étudier
un att fi difficile lorfqu'on veut rendre la
nature & prendre le véritable caractère &
le fentiment des perfonnages.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN doit bientôt repréfenter une piéce
nouvelle dont la mufique eft de la compofition
de M. Darci , jeune homme de
quatorze à quinze ans , qui joue très- bien
du clavecin , qui a exécuté des piéces d'or
gue au Concert Spirituel , & qui a déjà le
génie de la compofition dans l'âge où l'on
peut à peine lire la mufique .
MARS.
1772:
165
ARTS.
GRAVURES.
I.
Jupiter & Antiope , d'après le tableau de
M. le Barbier l'aîné , gravé par M. Duflos
, rue
Gallande à Paris ; prix , 4 l .
CETTE eftampe eft
agréable . Elle a environ
20 pouces de hauteur fur 14 de
largeur. Elle fait pendant avec Jupiter &
Semelé , du même genre.
I I.
Galerie
Françoife ou
Portraits des Hom
mes & des
Femmes illuftres qui ont
paru en France , in-fol. Nº. IV. A Pa
ris , chez
Hériffant fils ,
libraire , rue
des Follés de M. le Prince .
Ce dernier cahier
contient ainfi que les
précédens les
portraits de cinq
perfonnages
illuftres qui ont bien mérité de la pa
trie ou par leurs écrits ou par leurs travaux.
Les
portraits qu'on nous
préſente
166 MERCURE DE FRANCE.
aujourd'hui font ceux du Comte d'Argen
fon , de Gilbert de Voifins , de la Marquife
du Châtelet , de Claude- Nicolas le
Car , & de l'Abbé Prevôt . Des notices hiftoriques
accompagnent ces portraits &
nous rappellent les qualités de l'homme
dont la gravure ne peut nous offrir que
les traits. Ces derniers portraits ont été
gravés d'un burin pur & foigné par les Srs
le Vaffeur , Levesque , Lempereur , Hen
riquès & Thérefe Devaux.
I I I.
Angelique & Medor , Vénus & l'Amour ,
deux eftampes en pendant d'environ
8 pouces de long fur 13 de haut. A
Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine ; prix , 3 liv. chaque eftampe.
La première de ces eftampes nous remet
devant les yeux une des fcènes les
plus agréables de Roland furieux , poëme
de l'Ariofte. C'eft le moment où la belle
Angélique & fon cher Medor affis voluptueufement
près l'un de l'autre gravent
fur les arbres les tendres fentimens de leur
coeur.
Dans la feconde eftampe Vénus ou la
déeſſe de la beauté , entourée des amours
MARS. 1772. 167
qui lui rendent hommage , prefcrit à l'aîné
d'entr'eux l'ufage qu'il doit faire d'une
fléche qu'il tient entre fes mains. Les
fcènes de ces deux eftampes plairont d'autant
plus qu'elles font difpofées avec le
plus d'avantage poffible pour faire valoir
les charmes de la beauté & les graces de
la jeuneffe. La premiere a été gravée par
M. Voyez l'aîné d'après le tableau de Jacques
Blanchard , & la feconde par M.
Levefque , d'après le tableau de M. Pierre
, premier peintre du Roi . Ces deux gra
veurs n'ont rien négligé pour donner à
leurs eftampes l'harmonie de la couleur ,
& y rappeller les beautés touchantes des
tableaux qu'ils copioient.
I V.
Les Offres réciproques , eftampe d'environ
18 pouces de haut fur 13 de large ,
gravée d'après le tableau original de
Dietricy , peintre de la Cour Electorale
de Saxe, par J. G. Wille , graveur du
Roi , de L. M. 1. & R. & de S. M. D.
A Paris , chez l'auteur , quai des Augutins.
Cette eftampe qui fait le pendant des
Muficiens ambulans du même artifte, pré168
MERCURE DE FRANCE:
fente une fcène également agréable , éga
lement animée . On y voit une jolie marchande
de koucks ou de gâteaux qui offre
fa marchandiſe pour de l'argent. Il y a
beaucoup de ces offres - là dans la fociété.
L'artifte nous a particulièrement intéreffé
à cette fcène par la magie d'un burin tou
jours pur& brillant .
V.
Eflampe allégorique fur la naiffance du
Fils du Prince des Afturies , compofée
par M. Hallé peintre du Roi de France
& gravée par P. P. Moles , Efpagnol ,
des académies royales d'Efpagne . Cette
eftampe qui a dix-fept pouces & demi
de haut fur onze pouces & demi de
large fe diftribue à Paris , chez Buldet,
rue de Gêvres ; & chez Chereau , rue
St Jacques ; prix , 3 liv.-
Cette eftampe ingénieufement compofée
nous repréfente au milieu du temple
de l'Immortalité le Roi d'Espagne couronné
de laurier & revêtu de l'armure des
héros de l'antiquité. Le Prince & la Princeffe
des Afturies lui offrent, par les mains
de la Fécondité , l'heureux fruit de leur
hymen. La Renommée qui prend fon effor
MARS. 1772. 169
for dans le haut du temple s'empreffe d'annoncer
cet événement qui fait la joie des
Espagnols . On lit au bas de l'eftampe des
vers latins relatifs au fujet qui y eft repréfenté.
Ces vers ont été compofés par
M. l'Abbé Molès , frère du graveur .
V I.
Portrait de Jean Racine , gravé d'après
le tableau de J. B. Santerre par P. Savart.
A Paris , chez l'auteur , barrière de
Fontarabie & aux adreffes ordinaires
de gravure ; prix , 3 liv.
Ce Portrait fera très - bien placé à la
fuite de ceux gravés par le même auteur.
L'illuftre poëte tragique qui eſt ici
repréſenté joignoit à un regard plein
de douceur une phyfionomie fi ouverte ,
fi agréable , que Louis XIV le cita un jour
comme une des plus heureufes. Ce portrait
intéreffera encore par la délicateffe &
la légèreté avec laquelle M. Savart l'a gravé.
Il est renfermé dans un médaillon au
bas duquel l'on voit différens attributs
relatifs à la tragédie , & un petit génie tenant
une lyre.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
VII.
Portrait en médaillon de Monfeigneur
Chriftophe de Beaumont , Archevêque de
Paris. Ce portrait intéreſſant eft très bien
gravé par M. Romanet d'après un tableau
peint de fouvenir , & cependant fort reffemblant
; par M. Duhamel , quai d'Anjou
, ifle St Louis au coin de la rue des
Deux-Ponts.
VERS à M. Ficquet , fur les différens por
traits des grands Hommes qu'il continue
de graver.
Il va inceffamment mettre au jour celui
de Racine , du même format que fon
Corneille .
PARAR ton burin fidèle , ingénieux ,
Qui fur les plus vantés remporte la victoire ,
Que de mortels chéris refpirent fous nos yeux !
Couvert d'un rayon de leur gloire ,
Ton nom , comme les leurs , d'âge en âge vivra ;
Quel autre à ce degré pourra jamais atteindre ?
Sans fuccès on le tentera :
Ficquet , graver ainfi , c'eſt moins graver que
peindre.
Par M. Guichard.
MARS. 1772. 171
MUSIQUE.
I.
IV Sonate per due flauti , overo due violini
è violoncello del Signor Neumann .
oeuv. I. Prix , 6 liv. A Paris , chez M.
Taillart l'aîné , rue de la Monnoie , la
première porte cochère à gauche en
defcendant du Pont-neuf , maifon de
M. Fabre & aux adrefles ordinaires de
mufique.
CES Sonates d'une exécution facile font
néanmoins très- propres à faire briller
l'inftrument par des tournures de chant
agréables & variées .
I I.
Prix de Mufique.
MM. les Adminiftrateurs de l'Ecole
royale gratuite de Deffin adjugeront une
médaille d'or de la valeur de trois cens
livres à la meilleure fymphonie concertante
, ou fymphonie à grand orcheſtre ,
qui fera couronnée au premier concert que
donnera cette Ecole . Les auteurs enyer-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ront leurs partitions fous envelope à M.
Rigel , profeffeur , rue de Grenelle St Honoré
, Nº. 64. On prie ces Meſſieurs de
mettre une devife fur un petit paquet cacheté
qui renfermera leurs noms , lequel
ne fera ouvert que dans le cas où le morceau
auroit remporté le prix dans le concours.
On ne recevra plus de morceaux ;
paffé le premier Avril . Le Sr Rigel remettra
les fymphonies qui n'auront pas
pu concourir à ceux qui les enverront chercher
, en les demandant par leur devife
jointe à la première mefure. Les étrangers
feront admis en affranchiffant le port juſqu'aux
frontières.
I I I.
Traité des agrémens de la Mufiqae,
contenant l'origine de la petite Note , fa
valeur , la manière de la placer , toutes
les différentes espèces de cadences , la
manière de les employer ; le tremblement
& le mordant , l'ufage qu'on peut
en faire ; les modes ou agrémens natu
reis , les modes artificiels qui font à
l'infini. La manière de former un point
d'orgue.'
Ouvrage original très utile non -feule
MARS. 1772. 173
ment aux Maîtres du goût du chant , mais
encore à tous joueurs d'inftrumens , &
que tous bons Muficiens , même Compo
fiteurs liront avec plaifir.
Cet ouvrage compofé par le célèbre
Guizeppe Tartini à Padoue , eft traduic
en François par le Signor P. Denis .
Cet ouvrage , qui a donné la naiffance
à la Mufique moderne , a formé beaucoup
d'habiles Artiftes ... Le prix eft de
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Saint Roch , près la rue Poiffonniere ,
maifon du Commiffaire , & aux adrefles
ordinaires de Mufique.
I V.
M. Hardouin , Maître de Mufique de
l'Eglife de Reims , a propofé par foufcription
fix Meffes de fa compofition à
imprimer , lefquelles ont été exécutées &
approuvées par Meffieurs les Maîtres de
Mufique de Notre-Dame , de la fainte
Chapelle , des faints Innocens & S. Germain
de Paris , qui ont foufcrit : trois de
ces Mefles doivent être délivrées au
mois de Mars , & les autres au mois
de Mai fuivant , moyennant la fomme
de trente fix livres par foufcription. Sur
Hìij
174 MERCURE DE FRANCE.
les obfervations qui lui ont été faites , il
a pris le parti de les faire graver . Elles
paroîtront aux mêmes échéances fur papier
in fol. nom -Jefus. Les planches ont
feize pouces de hauteur , fur dix pouces
& demi. Elles feront délivrées au prix
ci- deffus à ceux qui ont fouferit jufqu'à ce
jour. Mais , comme la dépenfe de la gravure
eft plus confidérable que n'auroit
été celle de l'impreffion , il fe trouve
obligé d'augmenter les foufcriptions futures
de la fomme de quatre livres . Elles
ne feront reçues que jufqu'au mois dè
Mars. Il faut s'adreffer à l'Auteur au Cloître
de Notre- Dame , à Reims , & affranhir
les lettres.
V.
Six Trio d'Ariettes d'opéra - comiques
dialogués pour deux violons & un violoncelle
par M. Tiffier , mis au jour par
M. Boiiin ; prix 7 liv. 4 f. chez l'auteur ,
rue St Honoré près l'Oratoire , & chez
M. Bouin , Md de mufique & de cordes
d'inftrumens, rue St Honoré près St Roch,
au Gagne petit & aux adreffes de muf
que.
Recueil d'Ariettes choifies avec accompagnement
de harpe , doité & compofé
MARS. 1772 . ∙ 175
•
par M. Hoehbrucker ; oeuvre ive . Prix ,
7 liv. 4 f. chez l'auteur , rue de l'Arbre
fec , à l'lfle d'Amour ; chez M. Bouin ,
& autres adreffes.
Cette mufique agréable chantante & bien
diftribuéefera recherchée des Amateurs.
ÉCOLE D'ARCHITECTURE.
M. B. Derefniere Architecte Profeſſeur
& correfpondant de l'Académie des Sciences
& Beaux-Arts de Parme , prend des
élèves pour leur montrer l'architecture &
tout ce qui y a rapport . On donnera un
détail plus circonftancié fur les moyens
d'exciter l'émulation des élèves lorsqu'ils
viendront fe faire infcrire chez le profeffaur
qui ne prendra que douze livres pour
le premier mois , & neuf livres pour chacun
des mois fuivans . Certe école fetierdra
chez ledit profeffeur rue des Prêtres S.
Germain l'Auxerrois , maifon de Madame
Frederiq , Maîtreffe Sage-Femme.
Les premiers qui fe préfenteront gagneront
encore quelques douceurs fur le
prix.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
COURS de Phyfique expérimentale.
QUELQUES perfonnes de confidération
ont engagé M. Sigaud de la Fond , membre
de plufieurs académies , profeffeur de
phyfique expérimentale & de mathématiques
, à recommencer un cours de phy
fique expérimentale le lundi , Mars à midi.
Il fe continuera les lundi , mercredi &
vendredi de chaque femaine à la même
heure. Il prie ceux qui voudront fe joindre
à cette compagnie de vouloir bien fe
faire infcrire d'ici à ce tems , rue S. Jacques
, maifon de l'Univerfité près Saint
lves.
LE PHOTOPHORE
ou porte-lumière.
M. LAMBERT a préfenté à l'Académie
de Berlin un Photophore , ou Porte- lumière
, inftrument de fon invention , que
l'on peut comparer au Porte voix. C'eſt
une espèce de cône tronqué de fer blanc
poli en dedans , mis devant une méche
MARS . 1772. 177
allumée ; il répand & porte la lumière la
plus vive & la plus égale à une diftance
de plufieurs pieds. On prétend qu'une
lampe ordinaire à deux méches , avec le
fecours de ce Photophore , donne le produit
de la lumière de dix - huit lampes femblables.
Voici les proportions de celui
dont il eft queſtion . La bafe du cône eft
un cercle de quatre pouces dix lignes dè
diamètre , le cône eft tronqué fous un
angle de quarante- cinq degrés. Sa plus
grande hauteur eft de fix pouces deux lignes
, & fa plus petite de cinq pouces
cinq lignes , & fa fection forme une
ellipfe , dont le grand axe eft d'un pouce
cinq lignes , & le petit d'un pouce une
ligne. Ce porte- lumière s'adapte au montant
des pieds de la lampe , moyennant
une tige , & fous un angle de quarantecinq
degrés , de façon que l'ovale placé
devant la lumière fe trouve dans un plan
perpendiculaire à l'horifon. Il est bon
que le pied de la lampe foit affez élevé
pour qu'on puiffe le hauffer ou le baiffer à
volonté .
C'est une idée heureufe , à laquelle on
peut encore ajouter pour propager, éten
dre & multiplier la lumière.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
BALLETTI , veuve du Sieur Lelio
Riccoboni.
HELENE VIRGINIE BALLETTI , naquit à Ferrare
le 27 Avril 1686 , d'une mere & d'un pere
originairement attachés aux différens théâtres
de leur patrie. L'hiftoire du Théâtre Italien fait
mention d'une Agatha Calderoni Detta Flaminia,
fa grand mere , qui , dit - on , avoit vu &
examiné plufieurs anciens canevas de piéces Italiennes
, approuvés & fignés de la main de Saint
Charles Borromée , Cardinal & Archevêque de
Milan , ce qui prouveroit combien en Italie
l'art dramatique étoit éloigné de bleffer les bienféances
& les moeurs . Il eft vrai que le feur Riccoboni
avoue que pendant plus de vingt années,
il a cherché dans toutes les villes qu'il a parcou→
rues à fe procurer quelques- uns de ces canevas ,
fans avoir pû en venir à bout.
Les parens de la Demoiſelle Balletti lui don '
nereut une éducation qui paroîtroit au - deſſus de
l'état auquel elle étoit deftinée , fi l'on ne jugeoir
de la Comédie Italienne que par la manière dont
elle eft généralement jouée dans ce fiècle : mais
on croyoit alors qu'un comédien ne pouvoit
exceller dans fon art , s'il n'avoit pas une imagination
vive & fertile , une grande facilité de
s'exprimer, s'il ne poffédoit pas toutes les délicarefles
de fa langue , & s'il n'aveit acquis toutes
* V. l'Hift. du Théâtre Italien in - 8° , pag. 5 9
MARS. 1772 . 179
les connoiffances néceffaires aux différentes fituations
où fes rôles pouvoient le placer.
Ce portrait du vrai comédien impromptuaire
que nous devons au fieur Riccoboni pere , étoit
exactement celui de la Demoiſelle Balletti , fa
femme , qui , dès fa plus tendre jeuneffe , étonna
les villes d'Italie où elle parut.
Deux célèbres Avocats de la République de
Venife qui s'amufoient quelquefois eux- mêmes
à jouer la comédie en fociété , ne purent le perfuader
, en voyant la jeune actrice dont nous
parlons , que fes rôles ne fuffent point écrits .
Voici l'épreuve à laquelle ils la mirent pour s'affurer
, fuivant leurs foupçons , qu'elle devoit plus
à fa mémoire qu'à fon imagination.
Ils l'inviterent un jour à une de leurs repréfentations
particulières , & comme ils avoient
annoncé deux pièces , la première ne fut pas
plutôt finie , qu'il fe répandit dans la falle un
bruit que l'amoureufe de la feconde venoit de ſe
faire excufer , & qu'il étoit impoffible à la troupe
bourgeoife de remplir les engagemens .
Tous les fpectateurs affligés de ce contretems
, jetterent auffi - tôt les yeux fur la Demoifelle
Balletti , qui , très - obligeamment , & bien
loin de foupçonner qu'elle le prêtoit elle- même
à la maligne curiofité de quelques - uns des acteurs
, s'offit à pafler fur le théâtre , & ne demanda
qu'un moment pour s'inftruire du fujet
de la pièce , & des entrées qu'elle devoit y
avoir.
Les deux Avocats , dont l'un jouoit le Docteur
, & l'autre le Pantalon , crurent l'embarraf-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fer , fur-tout dans une fcène où ils avoient à
foutenir contr'elle l'autorité des peres , à l'égard
de l'établitlement de leurs enfans. La connoiffance
qu'ils avoient des loix , leur facilité de
parler exercée tous les jours fur de pareilles matières
, ne furent , pour les talens de la Demoifelle
Balletti , qu'un aiguillon de plus ; elle défendit
les droits de la nature & de la raiſon aveć
tant de chaleur , tant de force , & tant d'éloquence,
que les deux interlocuteurs vaincus ne
purent s'empêcher d'interrompre le cours de la
piéce , par l'aveu public de leur défaite .
Un pareil triomphe ne put qu'augmenter la
célébrité de la jeune Demoiſelle Balletti , qui ,
d'ailleurs , par différentes piéces de vers impri
mées dans les Recueils des Arcades de Rome ,
mérita bientôt que les Académies de Rome , de
Bologne , de Ferrare & de Venife , infcriviilent
fon nom dans leurs registres.
Le fieur Louis Riccoboni , devenu directeur
de troupe à 22 ans , ne pouvoit faire un meilleur
choix que celui de la Demoiſelle Balletti ,
qu'il époufa. Son projet de ramener fa nation au
bon goût du théatre , qui fe perdoit tous les
jours , trouva , dans les talens diftingués de fa
femme , un des moyens les plus sûrs d'y parvenir.
Traducteur dans fa Patrie de quelques piéces -
de Molière , & de differentes Comédies Françoifes
, il faifoit tous les efforts pour balancer
le goût de la farce qu'entretenoient, au contraite
les perfonnages à mafques ; lorfqu'en
1716 il fut appelé en France avec la troupe ,
compofée des meilleurs fujets de Pitalic , pour
MARS. 1772
181
remonter fur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne ,
alors vacant .
On voit par les Lettres Hiftoriques qui furent
écrites fur le début de cette troupe , que
ce ne fut pas fans peine qu'elle réuffit parmi
nous , mais qu'il n'y cût qu'une voix fur l'intelligence
, l'imagination & l'efprit du fieur Riccoboni
& de fa femme .
L'étude qu'ils firent l'un & l'autre de notre
langue , les mit en état de l'écrire ; on connoît
les utiles ouvrages que nous devons au mari , &
fur-tout fes Obfervations fur Molière . A l'égard
de fa femme , dont il eft principalement queftion
ici , ce fut fans fon aveu qu'une critique
qu'elle s'étoit permife de faire de la traduction
de la Jérufalem Délivrée , devint publique en
1724.
L'abbé Conti l'avoit follicitée de lui dire fon
avis fur cette traduction de M. Mirabaud , &
croyant ne fe livrer qu'à fon ami , elle ſe laiſſa
aller à un ton de critique trop peu ménagée
envers un homme de lettres auffi confidéré
que M. Mirabaud . Cet auteur s'en plaint dans
la préface de fes dernières éditions , mais avec
une fageffe & une modération qu'il eut toujours
, & en convenant que cette critique , malgré
fon amertume , lui avoit été fort utile dans
la fuite .
L'abbé Desfontaines n'avoit pas plus épargné
la nouvelle traduction , alors très défectueule ,
& l'on voit le critique , dans le tome troème
de fes Obfervations , dire avec plaifir de la nou--
velle édition du même ouvrage , qu'on n'y trouve
plus de ces méprifes que Mademoiſelle Rice
182 MERCURE DE FRANCE.
coboni , dans une brochure , & lui , dans le Journal
des Sçavans , avoient fait appercevoir à
l'auteur.
Deux ans après , Madame Riccoboni , à qui
la connoiffance de la langue latine étoit familière
, tira du Mercator & du Rudens de Plaute ,
une comédie en cinq actes , qu'elle intitula le
Naufrage , mais le fuccès n'en ayant pas été fort
heureux , elle abandonna ce genre , pour le
quel l'efprit n'eft pas la feule difpofition néceffaire
.
Elle fe retira du théâtre avec fon mari au
mois de Mars 1729 , & y remonta à la fin de
Novembre 1731 , pour le quitter tout-à- fait en
1732. Elle laifoit à la troupe un fils , qui s'y
diftingua long-tems fous la double qualité d'acteur
& d'auteur,, & qui , digne émule de fen
pere ,fit encore plus , pour la gloire de fon nom ,
en époufant Madame Riccoboni , aujourd'hui
vivante , & qui , par un grand nombre d'ouvrages
charmans fort au- deffus des Scuderis & des
Villedieux , fe place au moins à côté des Lafayette
& des Sévigné.
Honorée par fes propres talens , honorée par
ceux de fon mari , par ceux de fon fils , & par
ceux de fa belle - fille , Madame Riccoboni , la
mere, veuve depuis long - tems & parvenue à
l'âge de 85 ans , ne devoir plus rien avoir à fou
haiter fur la terre ; auffi fa vieilleffe fe confacra-
t-elle à des defirs qu'ont dû couronner la
piété & fa mort vraiment chrétienne , arrivée le
30 Décembre 1771 .
MARS. 1772. 183
BRAVOURE DES FEMMES.
N 1379 la garnifon d'Alfaro en Eſpagne
ayant pris la fuite & abandonné la
ville aux Anglois qui l'affiégeoient , les
femmes fe mirent fous les armes & foutinrent
l'affaut avec tant de courage &
d'intrépidité, que les ennemis furentobli
gés de fe retirer . Il faut avouer , dit leur
chef, que nous avons eu affaire à des hommes
bien efféminés , & à des femmes bien
måles.
ECONOMIE GÉNÉREUSE.
Les aumônes entretiennent fouvent
l'oifiveté & perpétuent la misère lorf
qu'elles n'appellent point le travail , &
qu'elles ne fourniffent pas des moyens
d'occupation. C'est ce qu'a bien compris
cet eftimable curé de Saint Gilles dans le
pays de Caux , diocèfe de Rouen . Ce bon
paſteur avec une cure d'environ deux
mille à deux mille cinq cens livres , a
fu épargner affez de fon revenu pour
184 MERCURE DE FRANCE .
fonder par une fage économie des travaux
de main d'oeuvre qui employent les
pauvres familles dans les jours ftériles de
l'hyver , & durant les longues foirées où
l'on ne peut travailler dans les champs. Il
a fait conftruire deux grands atteliers ,
l'un pour les garçons , l'autre pour les
filles ; il leur fournit les inftrumens néceffaires
à leur métier , & fait les avances
des matériaux convenables à leur manufacture
, & donne même des prix d'émulation
à ceux qui fe diftinguent. Il a fait
auffi bâtir plufieurs maifons pour de petits
ménages . Il fecourt & favorife les
nouveaux établiſſemens ; il prévient les
querelles & accommode les procès ; toute
fa paroiffe femble habitée par une même
famille dont il eft le chef, le guide &
l'appui. L'archevêque de Rouen a voulu
donner à ce digne Pafteur une cure de huit
mille livres de revenu ; mais ce curé a
prié fa Grandeur de le laiffer à fon premier
troupeau dont il fait les délices.
MARS. 1772. 185
ACTES DE BIENFAISANCE.
I.
Le nouvel évêque prince de Spite a réformé
une grande partie de fes dépenfes
attachées à fon rang , il a réduit le nombre
de fes troupes pour diminuer les impofitions
fur le peuple , difant qu'il ne
vouloit pas que fon fuperflu ótát le nécef
faire àfesfujets.
I I.
L'archiduc Ferdinand étant à Schonbrun,
on lui montra le deffeind'une illumi
nation que ce jeune prince confidéra en
foupirant & verfant quelques larmes
L'impératrice étonnée de cet attendriffement,
lui en demanda la cauſe . Hélas , répondit
ce Prince , voilà affez de fêtes qu'on
me donne ; encore une illumination , cela
coutera tant , & ily a tant de malheureux
à cause de la cherté des grains . L'impératrice
embraffa fon fils , & lui fit remettre
l'argent de la fête qui lui étoit deftinée.
Cette fomme fut employée auffitôt dans
186 MERCURE DE FRANCE.
le plus grand fecret à foulager plufieurs
familles honnêtes ; & le Prince fatisfait,
après cet acte de bienfaifance , abordant
l'impératrice , s'écria , ah , ma mère quelle
féte!
I I I.
L'archiduc arrivant à Milan , n'accepta
fuivant les intentions de l'Impératrice ,
le don gratuit de douze cens mille livres
que la ville lui offrit à l'occafion de fon
mariage avec la princeffe de Modène ,
qu'en la deftinant auffitôt à des travaux
utiles aux Milanois .
Ce Prince a aboli le tribunal de l'inquifition
: il confacre un jour de la femaine
à une audience publique qui commence
avec le jour. Ce Prince n'a que
dix-fept ans , il eft nouvellement marié ,
& il a déja la force de faire céder fes plaifirs
aux fonctions pénibles de la fouveraineté
.
V I.
Un des courtisans de l'Empereur vouloit
lui perfuader de profiter des troubles
de Pologne , pour faire valoir des prétenMARS.
1772 .
187
tions , peut-être dans le vrai légitimes ,
qu'il a fur quelques diftricts de la Pologne
qui fe trouvent enclavés dans la Hongrie
.
13
Moi , répondit ce généreux Prince ,
» faire valoir des prétentions , quand tous
» les fléaux femblent être réunis pour accabler
mes malheureux voisins ; à Dieu
ne plaife que j'aie jamais une telle pen-
»fée. Je fuis homme , ne puis - je pas être
malheureux un jour , & craindre que
» la vengeance célefte fufcite quelques
» voifins ambitieux pour achever de m'opprimer.
A quoi me ferviront quelques
» cantons de plus ? N'ai - je pas affez de
» terres incultes ? affez de fujets pauvres ?
» Hélas ! je n'en ai déjà que trop pour
pouvoir les rendre tous auffi éclairés ,
» auffi bons , auffi heureux que je le defire
».
Dans fon voyage de Prague , fe trouvant
logé dans une auberge de village ,
il fut environné d'une grande quantité de
gentilshommes & d'autres citoyens , les
uns pour lui rendre hommage , les autres
pour réclamer fa juftice. Il en retint un fi
grand nombre , que fes officiers lui repréfentèrent
qu'il n'avoit pas affez d'argenterie
pour tant de monde. Qu'importe ,
188 MERCURE DE FRANCE.
leur répondit tout haut l'Empereur , on
trouvera ici fuffifamment d'étain ; ces mef.
fieurs voudront bien excufer un voyageur.
Pendant tout fon voyage , il fit manger
avec lui les Capitaines & même les Syndics
des Cercles.
A Prague on voulut l'engager à aller au
fpectacle. J'ai trop d'affaires , dit- il , pour
perdre mon tems à m'amufer.
V.
Nous rapporterons encore comme un
trait de bienfaifance l'ordonnance que
Sa Majefté Impériale & Royale a rendue
de tenir renfermés dans des parcs , les
fangliers qui auparavant endommageoient
les récoltes , & attaquoient même
les hommes ; par cette ordonnance
tous poffeffeurs du droit de chaffe font
tenus de faire pourfuivre & tuer ceux de
ces animaux qui n'ayant pas été enfermés ,
feront apperçus dans les bois & dans les
plaines.
On fait auffi l'ordre donné par l'Archevêque
de Rouen de détruire fa ga
renne de Gaillon ; & celui du Duc de
Bouillon , qui en héritant du Prince , fon
MARS. 1772. 189
pere , fit faire une battue générale dans
fa Terre de Navarre pour détruire les lapins
, dont le produit de la vente fut
auffi tôr remis au Receveur des Tailles
à la décharge de la Paroiffe.
ÉTABLISSEMENT UTILE.
Le Roi d'Eſpagne , perfuadé quel'orappauvrit
fouvent les Etats, & que le travail
feul de la terre les féconde , vient d'établir
des colonies de Cultivateurs pour défrig
cher les vaftes plaines de l'Andaloufie . Sa
Majefté Cath. fait ouvrir des chemins
& des canaux de commurication pour
faciliter les débouchés des denrées . Des
manufactures utiles naiffent de l'abondance
des matières premières . Le laboureur
induftrieux voit la terre récompenfer
fes peines , & des familles accourent
de tous les pays de l'Europe partager des
travaux fertiles , qui font encouragés &
honorés par le Souverain ; c'eft l'avantage
de la culture ; elle eft la mère de tou
tes les richeffes , de tous les arts , de la
population , de l'abondance & des biens
qui font le bonheur & la force des Empires.
190 MERCURE DE FRANCE.
ACTE DE GÉNÉROSITÉ.
LIE jeune Roi de Suéde a donné un
graud exemple de modération durant la
tenue de la Diette. Un membre de l'ordre
de la nobleffe s'emporta contre un
projet approuvé par le Roi , & ménagea li
peu fes expreffions contre Sa Majesté
que fon ordre crut devoir lui impofer filence
, & lui refufa d'affifter davantage
à fes affemblées. Le Roi informé de cette
juſte punition , dit au Maréchal de la
Diette : Je vous prie d'intercéder de ma
pare auprès de la nobleffe pour un bon
citoyen , qui a pu s'oublier un moment
mais dont l'Etat a befoin, & que la Diette
a intérêt de conferver,
HONNEURS
MILITAIRES .
ES Les de ce mois , les Vétérans du régiment
duRoi infanterie, furent reçus par M.
Dupleffis, brigadier & major de ce Corps,
en préſence du Maréchal de Lorge qui leur
donna l'acolade , d'un grand nombre des
MAR S. 1772. 191
habitans de cette ville , & des Dames qui
occupoient les fenêtres du pavillon de
MM. les Officiers , vis - à - vis duquel le
régiment étoit en bataille. Après cette
cérémonie on fe rendir aux deux manéges
militaires qui étoient décorés à cet effet ,
Dans l'un on avoit dreffé une table de
180 couverts pour les Officiers étrangers,
les Vétérans du Corps , ceux du régiment
de la Reine Dragons & d'Auxone du
Corps Royal qui y étoient invités . M. le
Maréchal y dina avec eux au bruit de la
moufqueterie & d'une mufique militaire,
Des chanfons convenables à la fête animèrent
le repas ,après lequel on paffa dans
l'autre manége qui étoit divifé en falle
de jeu , falle de danfe , &c . Les Vétérans
ouvrirent le bal avec la Marquise de St
Simon , la Comteffe de Durfort & autres.
Ils continuèrent de fe livrer au plaifir
qu'ils reffentoient jusqu'au fouper qui ,
fut fervi for deux tables , l'une de 180
l'autre de 60 couverts ; après lequel le
bal recommença & fe foutint toute la
nuit , de façon que la fête entière dura
depuis deux heures après midi jusqu'à
fept du matin. Les propos que tinrent les
Vétérans , leur attendriffement même,témoignèrent
combien ils étoient fenfibles
192 MERCURE DE FRANCE.
à la marque de diftinction qui leur étoit
accordée & à cette fête par laquelle leurs
Officiers ont montré la part qu'ils y prenoient.
Ils ont paru flattés des vers fuivans
dont on avoit mis un , exemplaire
fous chaque couvert . M. Ethis , commiffaire
des guerres , leur en lut auffi qui
firent le plus grand plaifir , & que , d'après
l'éloge qu'on nous en a fait , nous inférerons
dans notre Journal , s'il veut bien
nous les communiquer.
Meffieurs les Officiers du Régiment du
Roi , aux 70 Vétérans du même Corps,
reçus le
Février 1772.
S
UERRIERS dont la valeur a maintenu fans
tache
L'honneur du Corps , des Chefs , & même de
l'Etat ,
Mais qui dans cette foule où le deftin vous cache
Des plus beaux traits peut- être aviez perdu l'éclat :
Vétérans , Compagnons , Lovis vange l'outrage
Que vous faifoit le fort trop injufte envers vous.
La marque qu'il vous donne eft le fceau du courage
:
Elle eft pour vous , Soldats , ce qu'eft la Croix
pour nous,
Qui
MAR S. 1772 . 193
Qui l'aura mérité , par- tout , fans qu'on le nomme
,
Entendra deformais répéter près de lui :
« Il a fervi long-tems , refpectons ce brave hom-
33
» me;
Qu'il foit cher à l'Etat , puifqu'il ca fut l'appui..
Tous nos jeunes Soldats , du même prix avides,
Déjà vous enviant ce figne glorieux ,
Aux fentiers de l'honneur vous prennent pour leurs
guides :
Ufez de l'afcendant qu'il vous donne fur eux.
་ ་
Formez - vous des rivaux dans tous vos camarades
;
Faites leur voir vos fronts endurcis au bivac ;
Contez leur , pour en faire autant de LA FEUILLADES
,
*
Les exploits de Laufeld , les travaux de Corbac.
Qu'ils partagent ce feu qui remplifloit vos ames,
Lorfque des ennemis vous bravicz les fureurs
Et l'airain qui tonnoit en vomiflant des flammes.
Formez- les & fur- tout fomentez dans leurs coeurs
Cet efprit d'union & cette intelligence ,
ง
* La Feuillade , le plus ancien des Vétérans du
Régiment , fert dès 1734 ; il a été depuis ce tems à
toutes les affaires où nous avons marché ; il fut
bleflé à Haftimbeck.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Qui liant chaque membre à l'intérêt d'un Corps ,
Les fait tous concourir au falut de la France ,
Et de l'Etat entier tend ainfi les reflorts.
Ce même efprit nous guide , avec vous il nous
lie ;
Il fe rechauffe encore en ce jour glorieux ,
Et nous fait célébrer vos honneurs qu'on public
Au milieu des feftins , des danfes & des jeux.
Nous devons prendre part à votre récompenſe,
Nous avons avec vous partagé vos travaux :
Mais , fi vous en gardez quelque reconnoiffance ,
Vous nous fuivrez encore à des périls nouveaux .
Par M. de V *** , Officier au
régiment du Roi Infanterie.
ANECDOTES.
I.
Le Maréchal d'Estrées étoit grand curieux
, il achetoit tout ce qui fe préfentoit
de beau ; cela fait , il l'enfermoit &
ne le revoyoit plus . Sa femme lui difoit
un jour : M. le maréchal , vous ferez bien
fáché de n'être pas à votre inventaire .
MARS. 1772 195.
I I.
Un mari trouva fa femme qui étoit
fort laide , couchée avec un homme , à qui
il dit fans fe fâcher : Eh , Monfieur , vous
n'y étiez pas obligé.
I I I.
La fille de Thémistocle étoit recherchée
d'un fot & d'un honnête homme
dont le premier étoit riche & l'autre pauvre.
Il prit l'honnête homme pour fon
gendre , car j'aime mieux , dit - il , un
homme qui ait befoin de bien , que du
"
ינ
»bien qui ait befoin d'un homme. »
و ر
I V.
Un homme de condition étoit très -malade
à une terre en Auvergne , éloignée
de tout fecours . On lui propofa d'envoyer
chercher le médecin de Clermont. » C'eſt
» un médecin trop confidérable , dit - il ,
» je n'en veux point ; qu'on aille cher-
» cher le chirurgien du village , je l'aime
» mieux , il n'aura peut être pas la har-
» dieffe de me tuer. »
·
I ij
196. MERCURE DE FRANCE.
V.
Anecdote de Corfe.
Deux Grenadiers François du Régiment
de Flandres , en garnifon à Ajacio ,
qui avoient déferté , appercevant leur Colonel
, fe cachèrent dans des hayes ; mais
un payfan Corfe les découvrit , & reçut
quatre louis d'or pour prix de fa dénonciation
. Il alla tout joyeux faire part de fa
bonne fortune à fa famille & à fes amis ,
qui furent fi indignés de cette action
qu'ils fe faifirent de lui , le firent confeffer
, & le conduisirent comme un criminel
fous les murs d'Ajacio , où ils le
fufillèrent ; ils renvoyèrent enfuite par
le Confefleur les quatre louis que ce
payfan avoit reçu , & firent dire au Colonel
qu'aucun d'eux n'oferoit toucher à
ce prix de l'infamie , fans fe croire deshonoré
& fouillé .
MARS. 1772. 197
EPITAPHE de M. de Chevert.
On a placé dans l'Eglife de St Euſtache à Paris
le médaillon en marbre de M. de Chevert , avec
une épitaphe que fa noble fimplicité a fait remarquer;
nous la rapportons ici comme un excellent
modèle en ce genre.
On attribue cette épitaphe à plufieurs de MM.
de l'Académie Françoile. La voici :
FRANÇOIS DE CHEVERT ,
Commandeur Grand'Croix de l'Ordre Royal &
militaire de St Louis , Chevalier de l'Orde royal
de l'Aigle Blanc de Pologne , Gouverneur des
villes de Giver & Charlemont , Lieutenant- géné
ral des armées du Roi.
Sans ayeux , fans fortune , fans appui ,
Orphelin dès l'enfance ;
Il entra au fervice à l'âge d'onze ans.
Il s'éleva , malgré l'envie , à force de mérite ;
Et chaque grade fut le prix d'une action d'éclat
Le feul titre de Maréchal de France a manqué
Non pas à fa gloire ,
Mais à l'exemple de ceux qui le prendront pour
modèle.
Il étoit né à Verdun fur Meufe le 2 Février 1695,
Il mourut à Paris le 24 Janvier 1769 .
Priez Dieu pour le repos de fon ame.
I
jij
198 MERCURE DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas du portrait
de M. Helvetius.
Tour entier à l'humanité ,
A l'aider , à l'inftruire il confacra fa vie ;
Ses écrits , fes bienfaits atteftent fon génie ,
Et le bonheur d'autrui fut fa félicité.
Tendre ami, tendre époux , bon citoyen, bon père,
De tout le bien qu'il fit , il remplit fa carrière ;
Mais hélas ! l'immortalité
Pouvoit feule fuffire au bien qu'il vouloit faire.
Par M. L ** , lib.
EDITS , ARRÊTS , & C .
I.
EDIT du Roi , donné à Versailles au mois de
Septembre 1771 , regiftré en parlement le 10 Décembre
fuivant ; portant rétabliſſement du préfidial
de Mâcon.
* M. Helvetius a fait un beau poème en fix
chants fur le bonheur , & d'autres ouvrages que fa
modeftic tenoit cachés.
MARS. 1772. 199
I I.
Edit du Roi , donné à Verfailles au mois de
Septembre 1771 , regiftré en vacation le 22 Octobre
1771 , en parlement le 20 Décembre audit
an ; portant création d'un confeil fupérieur à
Douai.
I I I.
Edit du Roi , donné à Verfailles au mois de
Novembre 1771 , regiftré en parlement le 18
Décembre audit an ; portant fupprefion de la
Vicomté de Cherbourg , & réunion au bailliage
de Valognes.
I V.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois de
Décembre 1771 , regiftié en parlement le 10 du
même mois ; portant création d'un confeil fupérieur
à Rouen.
V.
Edit du Roi , denné à Fontainebleau au mois
d'Octobre 1771 , regiftré à l'audience de France
& au parlement de Paris ; portant établiflement
d'une chancellerie en Normandie.
V I.
Edit du Roi , donné à Versailles au mois dé
Novembre 1771 , regiftré en la chambre des
Comptes les Décembre audit an ; portant fuppreffion
des deux offices de Tréforiers de la Maifon
du Roi , & création d'un feul office de Tréforier
général de ladite Maifon.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
VII.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 30
Novembre 1771 , regiftrée en parlement le 7
Décembre fuivant ; concernant le bureau des
Finances de Paris.
VIII.
Déclaration du Roi , donnée à Verfailles le 241
Novembre 1771 , regiftrée en parlement le 18.
Décembre audit an ; portant établiflement de
chancelleries dans les fiéges royaux reflortiſſant
Quement des cours de parlemens , &c.
I X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 27 Octobre
17713 qui ordonne que l'emprunt de deux
millions de livres de rente viagères fur une &
fur deux têtes , ouvert à Amſterdam , n'aura lieu
en Hollande que pour moitié ; & que l'autre
moitié dudit emprunt fera ouverte à Paris au
tiéfor royal.
X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 28 Décembre
1771 ; qui proroge le délai pour la conftitution
des promeffes à quatre ou à cinq pour
sent , de la Compagnie des Indes ; & qui ordonne
la conftitution de celles defdites promeffes qui
ont été déposées , foit au caiffier général de ladite
Compagnie , foit ès mains des dépofitaires
particuliers,
MARS 1772 . 201
X I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 16 Sep
tembre 1771 ; & lettres- patentes fur icelui , regiftrées
au parlement le 7 Décembre 1771 ; con
cernant la reconstruction de la nef de l'Eglife
royale & paroiffiale de St Bartelemi , en la Cîté
à Paris ; & l'acquifition des terreins néceflaires à
cet effet.
AVIS.
I.
Nouvelle découverte de pâtes , de fuops &
de tablettes d'orge , par M. de Chamouffet.
CETTE pâte , foivant le rapport même de
MM. les Commiffaires de la Faculté de Médecine
chargés de l'examiner , renferme plufieurs
avantages qui doivent rendre cette découverte
précieufe & utile à l'humanité . 1º . On eft für
de fournir aux malades un aliment médicamenreux
, dont les Anciens faifoient le plus grand
ufage , & qui , dépouillé de la partie extractive
qu'auroit pu lui fournir l'écorce , ne portera
rien d'acre ni d'irritant. 2 ° . Cette farine ayant
fubi antérieurement un mouvement de fermentation
, eft plus mifcible à toutes nos humeurs.
3. La facilité avec laquelle cette pâte fe diffout
dans l'eau chaude , permet aux Médecins
de la faire prendre aux malades dans des décoctions
ou des infufions appropriées à la fituation
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
+
des perfonnes qu'ils traitent. 4° . Enfin la modicité
du prix , en comparaifon de ce que coûtent
les bouillons faits avec la viande , la facilité
du transport & la célérité de la préparation
tendront cette pâte d'ua ufage journalier, &
doivent faire applaudir au zèle du Citoyen qui
l'a inventée.
Lorfque l'on ouvrira dans le public le débit
de ces firops & pâtes d'orge , les Apothicaires
qui voudront s'en charger , auront la préférence
fur tous les autres . Mais afin de mieux convaincre
le public de tous les avantages de cette
nouvelle découverte , on lui met fous les yeux
dans une brochure qui fe publie à Paris , chez
Barbou , Imprimeur, rue des Mathurins ; les fenti
mens de Médecins éclairés , des obfervations faites
en Angleterre , & différentes lettres fur ces
obfervations ; l'avis de MM. les Commiffaires de
la Faculté de Médecine de Paris , le decret de
cette Faculté , l'extrait des Regiftres de l'Académie
des Sciences de 1766 , enfin le privilége
qu'il a plu au Roi d'accorder à l'Auteur pour la
compofition des firops , pâtes & tablettes d'orge
& de bierre , fur le rapport avantageux qu'a
bien voulu lui faire de cette découverte un Miniftre
auffi éclairé que zélé pour le bien du public
en général , & particuliérement pour celui
de la Marine & des Colonies dont il a l'adminiftration
.
I I.
Penfion.
Le feur Cochet , Maître ès Arts & de Penfion
, rue de Montreuil , fauxbourg Saint - Antoine
à l'Hôtel de la Folie Titon , follicité par
MARS. 1772 . 203
des perfonnes qu'il n'a pu refufer , a fait arranger
un très -bel appartement ifolé de ſa Penfion
pour y élever des enfans dès l'âge de trois ans &
demi. Ils y font fous les yeux d'une Bonne intelligente
furveillée par la Maîtreffe de la maifon.
Le prix de la Penfion eft de 350 liv . fans
mémoire quelconque.
Il y a auffi chez le fieur Cochet une Ecole de
Mathématiques & de Deffin. Les leçons de Mathématiques
font particulieres à chaque Elève ,
& données tous les jours . Celles de Deffin font
de deux heures chacune trois fois la femaine.
Le prix de la Penfion pour ceux qui voudront
les Maîtres de Mathématiques & de Deffin avec
le refte de l'éducation , eft de 750 liv. fans mémoire.
I I I.
Effence de vie
M. Trefenchel avertit le public qu'il y a des
gens qui contrefont fon Effence de Vie , & que
pour avoir la véritable , il faut s'adreffer à luis
il demeure toujours Abbaye Saint Germain- des-
Prés , à Paris , rue Childebert , vis- à - vis la Grille
de la Cour des Religieux , à côté d'un Fayancier.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Hambourg le 23 Janvier 1772.
Les lettres de Copenhague ont confirmé la ES
nouvelle de la révolution arrivée en Danemark.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Elles contiennent les particularités fuivantes.
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55
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35
93
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» La nuit du 16 au 17 , il y avoit eu balà
la Cour. Le Roi s'étoit retiré , à minuit , dans
for appartement. C'eft à quatre heures du
» matin qu'il donna ordre d'arrêter la Reine
& plufieurs perfonnes de fa Cour ; & le fecret
avoit été tellement gardé qu'aucune ne fut
prévenue du fort qui l'attendoit . Le Comte
5, de Struenfé , principal Miniftre , fut un des
5 premiers qu'on arrêta . Ce Comte , qui avoit
accompagné le Roi dans fes voyages en qualité
de fon premier Médecin , étoit parvenu
à la plus grande faveur , & avoit avancé fa
famille. Deux de fes freres ont partagé fa
difgrace. Les ordres du Roi furent exécutés
en une heure de temps . Sa Majefté , après
s'être montrée , le matin , au peuple , fur fon
balcon , fe promena , à midi , dans un cartoffe
de parade , attelé de fix chevaux blancs ,
dans les principales rues de la ville , au milieu
des acclamations de fes Sujets . A deux
heures il y eut grande Cour au Château , &
l'après - dînée , Comédie Françoife au Théâtre
» de la Cour. Lorfque le Roi parut dans fa
» loge , les fpectateurs témoignerent une grande
joie. Le foir , la Ville fut illuminée , & la
populace pilla , dans la nuit , les maisons des
perfonnes difgraciées & quelques - unes de celles
de leurs amis. Le Roi , inftruit de ces
excès , les réprima par une Ordonnance qu'il
fit publier , & à laquelle on obéit avec refpect
. Toutes les peifonnes attachées au fer-
» vice de la Reine , fe font rendues le 19 à
Kronembourg.
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Au refte , les mêmes lettres annoncent qu'il
MARS. 1772. 205
regne à Copenhague le plus grand ordre & la
plus grande tranquillité.
De Warfovie, le 15 Janvier 1772.
Il paroît ici un Manifefte de la Confédération
générale , daté du 25 Décembre dernier ,
par lequel il eft enjoint à tous les Grands & à
tous les Nobles de fe trouver au rendez - vous
qu'elle a indiqué , fous peine de perdre leurs
charges & leurs biens . On dit qu'elle n'attend
que l'arrivée du Comte Porocki , Echanfon de
Lithuanie , & du fieur Krafinski , pour publier
de nouveaux Univerfaux.
De Cadix, le 24 Janvier 1772.
On a déjà procédé , en vertu des ordres de
la Cour , à la réforme de vingt - cinq hommes
par Compagnie , dans les Régimens d'Infanterie
Efpagnole , qui font en garnifon dans cette
Place ; de forte que les Compagnies fe trouvent
réduites à cinquante hommes. Cette réforme
n'a lieu que pour les troupes Nationales , &
non pour les troupes étrangeres , telles que les
Walons , les Irlandois & les Suiffes.
De Londres , le 11 Février 1772.
Il ne s'eft rien paffé au Parlement depuis le
21 du mois dernier qui ait excité la moindre
difcuffion dans les deux Chambres . Celle des
Pairs ne s'eft occupé que d'affaires civiles . La
plus grande partie des Membres de l'oppofition
continue de s'abfenter de cette Chambre , parce
qu'elle ne trouve aucune occafion d'attaquer
l'adminiftration actuelle . La taxe des terres a
été fixée à 3 fchelins pour liv . ainfi le quatrieme
206 MERCURE DE FRANCE.
9
fcheling, qui avoit été ajouté l'année derniere
comme fubfide extraordinaire , fe trouve fupprimé.
Le Bill , pour continuer la défense de
l'exportation des grains & celui qui permet l'importation
des viandes falées , ont reçu le confentement
du Roi.
De la Haye le 11 Février 1772 .
Les Armateurs Hollandois , intérefiés à la
pêche du hareng , n'ont pas appris fans inquiétude
le projet dont on étoit occupé en Angleterre
de limiter ou de taxer la pêche dans les
mers voisines de la Grande- Bretagne . Un bill de
cette nature porteroit le dernier coup à cette
branche de commerce de la République.
On a découvert une nouvelle maniere de
harponner la baleine. On fe fert d'une espèce
d'arbalête pour le jet du harpon ; il ne fera
plus lancé ni filé par la raain des Pêcheurs qui
étoient fouvent entraînés & périlloient dans les
flots. Par le moyen de cette invention , dont
la pêche prochaine juftifiera l'utilité , on chaffera
à la vue & au trait dans les Mers du Groenland ,
ainfi que dans les plaines du Continent.
De Verfailles le 19 Février 1772.
On fe rappelle l'action courageufe du Vicomte
de Bar , Garde de la Marine & neveu du Bailli
de Bar , ci -devant Général des Galères de Malte.
Ce jeune Officier , dans un naufrage qu'il
effuya avec quatre autres Gardes de la Marine
près de l'ifle Maire à la rade de Marfeille ,
fauva, aux rifques de fa vie , le fieur de Calamand
, & l'amena heureufement à l'Ifle Maire.
Le Roi , voulant récompenfer le zèle , le courage
& l'humanité du Vicomte de Bar , lui a
MARS .
1772.
207
accordé le droit de nommer , à fon choix , un
Garde de la Marine . En conféquence le Vicomte
de Bar a propofé le fieur de Saint - Georges , de
la. Province de Berry , que Sa Majefté a bien
voulu agréer.
De Paris , le 14 Février 1772.
Un Laboureur , en travaillant un champ aux
environs d'Agen , a trouvé plufieurs Médailles
de bronze d'Agrippa , de Néron , de Vefpafien ,
de Domitien & des Antonins . Ce champ fervoit
anciennement d'emplacement à un Temple
de Diane , qui fut démoli vers l'an 308. Les
fouilles qu'on fe propofe d'y faire , pourront
procurer quelques découvertes plus intéreilantes.
De Paris , le 21 Février 177 1 .
L'Académie Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres a élu . dans fon affemblée du 7 de ce
mois , pour Académicien afſocié , le fieur Dacier ,
à la place vacante par la promotion de l'Abbé
Foucher à la penfion .
Les Magiftrats de la ville d'Arras ont publié ,
le 24 Janvier , un Réglement , par lequel il eft
ordonné à ceux qui feront auprès des malades ,
de lailer dans le lit les perfonnes mortes , & de
les tenir couvertes , à l'exception de la tête qui
doit être libre ; il eft défendu aux Menuifiers
& autres Ouvriers , de renfermer les corps dans
les cercueils , avant le terme au moins de vingtquatre
heures pour ceux qui feront morts fubitement.
Ce Réglement eft d'autant plus intéreffant
, que , dans plufieurs Provinces du Royaume
, on met fur des planches les malades , dès
qu'ils font expirés , & qu'on les enferme quel208
MERCURE DE FRANCE.
ques heures après dans une biere. A Londres , à
Geneves , à Genes , dans le Nord , on n'enterre
les morts qu'au bout de trois jours ; il y a même,
dans quelques - uns de ces lieux , des Commiflaires
Infpecteurs des Corps pour conftater
la mort. A Rome , on faifoit des épreuves pendant
plufieurs jours , afin de s'affuter d'un fait
aufli intéreffant , & où l'erreur eft ſi affreuſe.
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre au
Marquis de Berenger , brigadier des armées de
Sa Majefté , cheval.er d'honneur de Madame la
Comtefle de Provence.
Le Roi a nommé à l'Abbaye regulière de Phalampin
, Ordre de St Auguftin , diocèle de Tournay
, le Père Delobel , Prieur de cette Abbaye.
PRÉSENTATIONS.
La Marquise de Loras a eu , le 2 Février, l'honneur
d'être préfentée au Roi & à la Famille Royale
, par la Comtefle de Bercheny ; la Marquife de
Champignelles a été préfentée par la Comteffe de
Brifay , & la Comtefle de Soudeils par la Comtefle
de Noailles.
Le Comte de Beaufobre , meftre de camp de
cavalerie & capitaine au régiment de Chamborant
, a eu l'honneur d'être préfenté au Roi & à la
Famille Royale , le 31 Janvier.
Le Marquis d'Elbée de Belmont a eu l'honneur
d'être préfenté au Roi & à la Famille Royale ,
dans le mois de Janvier.
La Comteffe de Choifeul Gouffier a eu l'honneur
d'être préfentée à Sa Majeſté , ainſi qu'à la
Famille Royale , le 9 Février , par la Marquile de
MARS. 1772. 209
Choifeul- la - Baume. La Comtefle de Lowendal a
été préfentée par la Comtefle de Turpin , & la
Marquife de Chabannois , par la Marquise de
Seiguelay.
Le Baron de la Houze , ci - devant miniftre plénipotentiaire
du Roi auprès de l'Infant Duc de
Parme , nommé en cette même qualité auprès des
Princes & Etats du Cercle de la Bafle Saxe , a eu,
le 16 Février , l'honneur de prendre congé de Sa
Majefté , à qui il a été préfenté par le Duc d'Aiguillon
, miniftre & fecrétaire d'état , ayant le
département des Affaires Etrangères. Le même
jour , il a eu l'honneur de prendre congé de la
Famille Royale.
La Marquife de Meaupeou a eu l'honneur d'être
préfentée au Roi & à la Famille Royale , par
la Comtelle de Rouault ; la Comtefle de Montamy
a été préſentée par la Comtefle de Lillebonne.
MARIAGES.
Le 2 Février , Sa Majefté & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du Comte de
Lowendal , brigadier des armées du Roi , avec
Demoiſelle de Bourbon , fille légitimée du feu
Comte de Charolois , Prince du Sang , & celui du
Marquis de Planelli de Mafcrany de Maubet ,
fous- lieutenant au régiment des Gardes Françoifes
, avec Dile de Mafcrauy de Château - Chinon .
Le Roi & la Famille Royale ont figné , le 9
Février , le contrat de mariage du Sicur Beraud
de Sanois , baron de Courville , capitaine de cavalerie
, écuyer de Sa Majeſté , avec Demoiſelle
de Virly.
NAISSANCE.
La Duchelle de Luxembourg eft accouchée d'un
garçon , le 21 Février 1771 .
210 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Le Marquis de Vignacourt ( ou plus exactement
Wignacourt ) baron de Pernes , ville d'Artois
, Seigneur de Camblin Câtelin , Ourton , &c.
chevalier de l'Ordre de St Louis , eſt mort , le 8
Février , en fon château de Camblin , âgé de cinquante
fix ans , fans laiffer de poftérité . Il étoit
chef de nom & d'armes de l'illuftre Maifon de
Vignacourt , qui a donné deux Grands - Maîtres
à l'Ordre de Malte , à la tête de laquelle fe trouve,
par cette mort , l'oncle du défunt à la mode de
Bretagne , feigneur de la Terre de Wignacourt
en Artois , & baron d'Humbercourt en Picardie ;
mais ce gentilhomme n'a que des filles . L'aînée
eft veuve de M. de Roliveau , d'une famille diftinguée
de Bretagne. La feconde eft mariée au
marquis de Couturelle , chevalier de St Louis ,
ancien député de la Noblefle des Etats d'Artois à
la Cour. Elle a été décorée , par l'Impératrice
Reine de Hongrie , de l'Ordre de la Croix Etoilée;
& fon fils , âgé de feize ans , en mémoire des
deux Grands- Maîtres dont il vient d'être parlé ,
a, dernierement , obtenu de l'Ordre de Malte , le
droit d'en porter la croix , même étant marié. La
troisième & dernière fille de M. de Vignacourt a
époulé M. de Louvencourt Betencourt , d'une
ancienne noblefle de Picardie Il existe encore
des branches de la Maifon de Wignacourt , entre
autres , celle du Comte de Wleteren en Flandres
, qui fe prononce Flétre , Seigneur haut-julticier
de la Baflée , & Grand - Bailli de la Cour
ville & châteHenie de Caffel,
Marie d'Angleterre , Landgrave de HeffeMARS.
1772. 217
Caffel , eft morte , le 16 de Janvier , à Hanau ,
dans la quarante neuvième année de fon âge.
Cette Princeffe étoit la quatrième fille du Roi
Georges II. Elle époufa , en 1745 , le Prince Fréderic
, aujourd'hui Landgrave de Hefle Caflel.
Anne-Marguerite Schemet eft morte à Mayence
, âgée de cent neufans.
Le Sieur Garrigue , habitant de la paroifle
d'Albiat , près Montauban , eft mort dernièrement
âgé de plus de cent ans.
Marie Crozi , veuve de Chryftophe Chovel ,
Journalier , demeurant au lieu de Tetra , paroifle
de St Eriunne , généralité de Lyon , eft morte ,
le 2 du mois de Janvier , âgée de cent deux ans.
Son mari mourut , il y a deux ans , à l'âge de
quatre-vingt- dix - huit ans. Ils avoient vécu enfemble
foixante - dix - huit ans , & ils avoient cu
de leur mariage vingt-quatre enfans .
Le Sieur Cordelon eft mort , à Rumzez , dans
le comté de Hants , à l'âge de cent fept ans . Il
étoit né en France & s'étoit refugié en Angleterre,
Tous le règne de la Reine Anne.
Antoine-Paul -Jacques de Quelen de Stuer &
de Cauftade , Duc de la Vauguyon , Prince de
Carency , Pair de France , Lieutenant Général
des Armées du Roi , Chevalier de fes Ordres ,
Menin de feu Monfeigneur le Dauphin , Gouverneur
des Enfans de France , premier Gentilhomme
de la Chambre de Monfeigneur le Dauphin
& de Monfeigneur le Comte d'Artois ,
Maître de la Garderobe de ces deux Princes , eft
mort à Versailles le 4 Février , dans la foixantefixieme
année de fon âge .
Le 27 Janvier, il eft mort , dans la Paroiffe
212 MERCURE DE FRANCE .
de Sainte Marguerite , fauxbourg Saint - Antoi
ne , une femme , nommée Françoife le Lievre ,
veuve de Pierre Dubuiflon , Sculpteui , âgée de
cent deux ans.
On mande de Saint Colombin , p'ès Cliſſon
en Bretagne , qu'il y eft mort , le 27 Novembre
dernier , une fille , âgée d'environ cinquante
ans , qui étoit fujette à une maladie extraordi
naire. Elle dormoit huit ou quinze jours de
fuite , & quelquefois trois femaines , fans prendre
auc ne nourriture ; lorfqu'elle étoit éveillée
, elle reftoit fouvent huit ou quinze jours
fans pouvoir proférer une parole.
Le nommé George Srrots Mayer eft mort,
dans le mois de Novembre dernier , à Tarrach ,
dans la haute Strie , âgé de 112 ans.
Ls nommé Summers eft mort , à Richmond ,
âgé de 102 ans Jean Paillet , Laboureur dans
la Jurifdiction de Duras en Guyenne , eſt mort
le is Janvier , âgé de cent ans.
Jean- Baptifte Saulty eft mort à Divion , village
de la Province d'Artois , âgé de 106 ans. A
cent ans , il alloit encore à la chaffe dont il
faifoit fon principal exercice.
Jofeph Morfe eft mort à Londres , le 26
Janvier , âgé de 102 ans.
Henriette Bibienne de Francquetot de Coigny,
époufe de Jean- Baptifte Joachim Colbert , Matquis
de Croiffy , Lieutenant Général des Armées
du Roi , eft morte en cette ville , le 11 Février ,
dans la foixante-neuvieme année de fon âge.
La Princeffe Douairiere de Galles , mere du Roi
d'Angleterre , eft morte le 8 Février , entre 6 & 7
MARS. 1772 .
213
heures du matin , à la fuite d'une maladie qui ,
depuis quelques mois , ne laifloit aucune efpé
rance de guérifon. Cette Prince fe , fille de Fréderic
II , Duc de Saxe- Gotha , étoit née le 30
Novembre 1719 , & elle avoit été mariée le 27
Avril 1746 au feu Prince de Galies.
La Dame de Windimore , qui defcendoit de
la Maifon de Clarendon , eft morte le 22 Janvier
, à Londres , âgée de 108 ans . Elle étoit
coufine de Marie , femme de Guillaume III . &
de la Reine Anne. Elle a vécu d'aumônes pendant
cinquante ans , & elle eft morte à l'hôpital
Emmanuel.
La veuve Clum eft morte à Orphurſt , près de
Liechrfiele en Angleterre , à l'âge de 138 ans.
Elle laifle deux filles & un fils , âgés tous trois
de plus de 100 ans .
LOTERIES.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait les Février. Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 67 , 46 , 52 , 53 , 30. Le prochain
tirage fe fera le s Mars.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIECE
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Suite de l'Eté. Imitation libre de Thompson, ibid.
Vers à la Cointeſſe de *** ,
Regrets à Mademoiſelle , fur fon départ ,
ΙΟ
ibid.
Epître à Madame par Mlle**, fur le Sommeil , ir
-A
Conte arabe ,
• par Mlle ***
Epître d'une Demoiſelle de 15 ans ,
Vers fur un papier donné à une quêteufe ,
Vers ,
L'Homme ,
L'Espérance en Dieu ,
16
18
32
34
35
36
38
40
Vers adrefiés à Mde la Marquife de L...,
Pour être mis au bas du Portrait de M.
le Maréchal Duc de Briflac ,
--A Mademoifelle de S *** 11
Defcription géogr . du royaume de Poëfie ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
41
ibid
42
so
SI
5.4
56
Epître far la Vieillefle & la vérité , ibid.
Euvres de Regnard , 78
MARS. 1772 . 215
Les Pélopides , tragédie ,
Leçons hebdomadaires de la langue italienne
,
Piéces dramatiques du Théâtre françois ,
Apologie des Arts ,
Traité de l'Equitation
Recherches fur les pouls par rapport aux
crifes ,
Introduction à l'étude des corps naturels ,
Le Médecin des Pauvres ,
Le Médecin des Daines ,
100
123
124
126
128
130
131
132
ibid.
Traité élémentaire de Méchanique ftatique , 134
Réponse à l'Auteur des Obfervations fur le
N. Dictionnaire hiftorique en 6 vol. in- 8°. 147
ACADÉMIES ,
SPECTACLES ,
Concert fpirituel ,
Ορέτα ,
Comédie françoiſe ,
Comédie italienne ,
ARTS , Gravure`,
152
159
ibid.
160
181
182
165
170
171
Ecole d'Architecture , 175
Cours de Phyfique, 176
Le Phothophore',
ibid.
Baler , Veuve du Sieur Lelio Riccoboni , 178
Bravoure des Femmes , 1,83
Vers à M. Fiquet ,
Mufique ,
216 MERCURE DE FRANCE.
Economie généreuse ,
Acte de Bienfaisance ,
Etabliflement utile,
Acte de générofité ,
Honneurs militaires ,
Compliment de MM. les Officiers du Roi à
MM. les Vétérans ,
Anecdotes ,
Epitaphe de M. de Chevert ,
Vers pour mettre au bas du portrait de M.
Helvétius ,
Edits , Arrêts ,
Avis ,
Nouvelles politiques,
Nominations ,
Prétentations ,
Manages ,
Naillance ,
Morts ,
Loteries ,
ibid
185
389
190
ibid.
192
194
197
198
ibid.
201
203
208
ibid.
209
210
ibid.
213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le AI
volume du Mercure du mois de Mars 1772 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 29 Février 1772.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT, rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères