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1771, 10, vol. 1-2
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MERCURE
DE
FRANCE ,
ROI. DÉDIÉ AU
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES;
OCTOBRE , 1771 .
PREMIER
VOLUME.
2
Mobilitate viget. VIRGIL
DU
EVE17 276,
N
251
THEOTH
CHITRA
DEC
TALAIS
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire ,
Christine , près la rue Dauphine.
ROYAL
Avec Approbation & Privilége du Roi.
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A ij
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Di&t. de Morale , 2 in- 8º. rel ,
GRAVURES .
301
71.
91.
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Van-
100 , 241.
Deux grands Paysages , d'après Diétrici , 12 l . Le Roi de la Féve , d'après Jordans , 4 l.
Le Jugement de Paris , d'après le Trevi-
Sain ,
11.116.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE , 1771 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
1
L'ETE ; chant fecond du Poëme des
Saifons : imitation libre de Thompson.
Retour de l'Eté.
L'Eré paroît & dore les campagnes :
Fils du Soleil , il s'avance orgueilleux ,
Etjufqu'au fein des plus hautes montagnes ,
Il fait agir le pouvoir de les feux.
Afon afpect le printems fe retire ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Laiffant en proie à fon brûlant empire
Les vaftes mers , & la terre & les cieux.
Repofons - nous fous l'ombre folitaire
Que rafraîchit le cryſtal des ruiffeaux :
C'est là qu'en paix , affis fur la fougere ,
J'efquifferai de champêtres tableaux.
Invocation.
Viens me tracer une route nouvelle ,
Defcends des cieux , douce Infpiration ,
Et dans mon fein fais luire une étincelle
Du feu divin qui remplit Apollon .
Dédicace.
Toi , dont le coeur , nourri dans la fageffe ,
Sçait réunir les vertus aux talens ,
Toi , que j'aimai dès mes plus jeunes ans ,
Qui me payas d'une égale tendreffe ,
Reçois , T......, le tribut de mes chants :
Prête l'oreille au ſujet qui m'inſpire ,
Et viens m'apprendre à tirer de ma lyre .
Ainfi que toi , d'harmonieux accens.
Lever du Soleil.
L'aftre brillant regne fur l'hémiſphère :
Tout eft empreint du pouvoir de fes feux ;
La nuit n'a plus qu'un empire douteux :
OCTOBRE. 1771. 7
Elle paroît ; mais ſon ombre légère
Fuit auffi tot devant le char pompeux .
Qui du Soleil annonce la lumière.
Le Roi du jour le montre à l'Orient :
Afon afpect les ombres s'éclairciflent ,
La vapeur fuit , les étoiles pâliffent ,
Et la campagne offre un tableau riant.
Un doux éclat orne le paysage
Qui s'embellit des tréfors de Cérès :
Pour regagner la retraite fauvage,
Le cerfbondit & quitte les guérêts .
Des bois s'élance une tendre harmonieg
La troupe aîlée annonce par fes chants
Du Dieu du jour la préfence chérie ,
Et le Pafteur , ouvrant fa bergerie ,
Laifle à leur gré les troupeaux bondiflans
Se difperfer fur la plaine fleurie ;
Par les autans l'air pur n'eft point troublés
Mille parfums embaument la prairie,
Et l'oeil le perd dans un fleuve de blé.
Hymne au Soleil.
Amé du monde , Océan de lumière,
Ecoulement de la divinité ,
De les bienfaits fource immenfe & première ,
Brillant Soleil , c'eſt à toi que la terre
Doit fon éclat , fonluftre & la beauté.
A iv
MERCURE DE FRANCE.
C'eft par toi feul que tout vit & refpire :
Que d'êtres nés du feu de tes rayons !
Le vafte cercle , où s'étend fon empire ,
Marque les jours , les ans & les faifons.
L'éclat te fuit ; la pompe t'environne ,
Lamajefté triomphe fur ton trône ,
Et devant toi l'homme baiſle les
C'eft de ton charque defcend l'abondance ;
Les fleurs , les fruits doivent l'être à tes feux :
Dans les climats , qu'embellit ta préfence ,
Tout ce qui vit , plein de reconnoiffance ,"
Chante ta gloire & tes bienfaits nombreux.
yeux.
Tes fiers regards jufqu'au fein de la terre
Font pénétrer un feu vivifiant :
Des minéraux épurant la matière ,
éclatant.
Tu les foumets à ton regne
Du marbre ici tu fotmes la nuance ;
Là , tu mûris ces outils précieux
Qui , des guérêts fecondant l'abondance ,
Du laboureur fatisferont les voeux .
Tes foins enfin préparent ces ouvrages ,
Où l'induftrie épuife les refforts ,
Et ces métaux qui , dans la main des fages ,
Vont du commerce épancher les tréfors.
Le rocher même , empreint de ta lumière ,
Puife tes feux & conçoit cette pierre ,
Qui réunit toute ta majeſté ,
OCTOBRE. 1771.
Et , relevant l'éclat de la beauté ,
Afes attraits livre une ample carrière.
L'être , privé même du fentiment ,
Dans res regards femble puifer la vie :
Aton retour le ruifleau transparent
Paroît jouer à travers la prairie."
Quand tu renais , la mort & la terreur
Neregnent plus fur les mers orageuſes ,
Et des tombeaux les ruines affreuſes ,
A ton afpect infpirent moins d'horreur.
L'éclat enfin dont brille la nature
Ne feroit rien fans ta lumière pure
Qui la revêt de gloire & de fplendeur;
Mais toi , grand Dieu ! qui créas le jour même ,
Toi , qui foumis le foleil à tes lois ,
Qui t'ofera célébrer ? Quelle voix
Pourra chanter ta fagefle luprême !
Etre infini , ton génie éminent
Gouverne tout d'un fouris bienfaifant :
S'il détournoit les regards tutélaires ,
Les Cieux troublés fortiroient de leurs fphères ,
Et le cahos renaîtroit à l'inftant.
Si l'homme ingrat , de la reconnciflance
A tes autels faifoit taire'la voix ,
Pour célébrer tes foins , ta bienfaifance ,
L'Univers même interromproit fes lois ;
Et des cités auxlieux les plus fauvages,
A v
10 MERCURE
DE FRANCE
.
Du fein des airs & du milieu des bois
Tu recevrois de finceres hommages.
Difpenfateur des dons & des talens ,
Daigne à mes yeux déployer la nature ,
Et qu'enivré d'une volupté pure ,
J'efquifle en paix les tableaux attrayans !
Par M. Willemain d'Abancourt.
EPITRE à Monfieur D *** , qui refufoit
de m'en adreffer une , fous le prétexte
quej'étois fon maître.
Moi , votre maître ! y pensez -vous ?
Dans l'art des vers je balbutie ,
Et vous formez des fons fi doux ,
Que leur touchante mélodie
Calmeroit l'enfer en courroux.
Si quelquefois l'amour m'infpire ,
Je fais des chanfons pour Zélis ,
Heureux quand des fons de ma lyre
Un baifer peut être le prix :
Voilà tout l'éclat que j'en tire ;
Mais vous , favori d'Apollon ,
Qui réuniffez fur vos traces
Les jeux ,les amours & les graces ,
Qui chantez comme Anacréon ;
OCTOBRE. 1771 .
II
Faites un pas dans la carrière ,
Il ne peut qu'être glorieux ;
Car deux vers de vous vaudront mieux i
Que monépître toute entière.
T
Par le même.
3
TO LE SERIN ,
fable imitée de l'allemand.
Aux oifeaux de fon voiſinage
Un Serin fit un jour entendre fon rámage :
Le Geai trouva les chants pleins de douceurs
Le Pivert , le Corbeau vinrent lui rendre hommage
;
La Pie à les accens applaudit de bon coeur ,
Et du bruyant Canard il obtint le fuffrage.
Je vous fuis obligé des applaudiffemens
Qae vous donnez , dit- il , à mes foibles talens ;
»Mais comme de l'orgueil l'éloge eft le refuge :
Permettez - moi de me choisir un juge ,
» Et c'eft le Roffignol que pourjuge je prends. »
כ כ
Cet oifeau recherchoit la véritable gloire ,
Et la méritoit bien : Finiflons en deux mots :
Quelque juftes que foient les éloges des fors ,
Ils ne conduisent point au temple de mémoire.
от
Par le même.
A vj
12 MERCURE
DE FRANCE .
EPITRE d'Alcibiade à Théano , Prêtreffe
de Vénus à Athènes.
ARGUMENT.
Les ennemis d'Alcibiade profitant de
fon abfence pour renouveller l'accufation
intentée contre lui avant fon départ , il
fut appelé de Sicile où il commandoit
l'armée des Athéniens pour venir fe juftifier
; mais craignant le jugement d'un
peuple prévenu , il fe retira à Lacédémone.
Sur cette nouvelle les Athéniens porterent
un décret de mort contre lui & ordonnerent
aux prêtres & aux prêtreffes de
le maudire. La feule Théano , prêtreffe
de Vénus eut le courage de refufer fou
miniftere aux ennemis d'Alcibiade on
prétend que la tendreffe qu'elle avoit
reffentie pour lui avoit dicté fes refus.
C'eft pour lui en témoigner fa reconnoiffance
qu'Alcibiade lui écrit de Lacédémone.
Quo
UOI ! Théano , les traits de l'imposture.
N'ont pu changer ton amant à tes yeux 2 - 1
Tous les effortsd'une ville parjure
OCTOBRE. 1771 :
остов
Sont impuiflans fur ton coeur généreux ?
Tu ne veux point , déteftable furie ,
Porter la mort dans un féjour de vie ,
Dans ce féjour où d'un regard flatteur
Tu lus fi bien te foumettre mon coeur ,
Et m'inspirer la plus vive tendreffe.
Tu t'en fouviens ; ô Théano ! quel jour !
Je reflentis tous les feux de l'amour.
Tu paroiflois , ô ma chere Prêtrefle ,
Dans ces beaux lieux à Vénus confacrés ,
Plus belle encor que l'aimable déefle
Dont tu chantois les hymnes révérés.
Ah Théano ! que tu me parus belle !
Dans tes regards brilloit la volupté ;
Dans tes regards ton amant enchanté
Puifoit fans ceffe une ardeur plus nouvelle.
Je me taifois , tu devinas mon coeur.
Pour s'exprimer , quand l'amour eft extrême
Qu'a- t- on befoin d'un langage trompeur ?
Toutdit , hélas ! oui , tout dit je vous aime.
Tout in'annonçoit le plus parfait bonheur.
Tout me difoit , & même ton filence ,
Que tu daignois partager mon ardeur.
Oui , quelquefois, ô fouvenir flatteur !
Je te voyois prendre de préférence
Les ornemens qui plaifoient à mon coeur.
Ta main favoit deviner la coeffure sta
Qui te rendroit plus aimable à mes yeux.
13
14 MERCURE DE FRANCE.
Je retrouvois mon goût dans ta parure ;
Ce que j'aimois , Théano l'aimoit mieux.
Si d'une fleur dans fon corcet placée ,
Le vif éclat , la couleur nuancée ,
Le difputoit aux rofes de fon tein ,
Ma Théano la tenoit de ma main.
Heureufe fleur , par fon fein careflée ,
Combien de fois dans un tendre tranſport
Alcibiade a défiré ron fort.
Si Théano vouloit chanter Cythère ,
Alcibiade avoit dicé ſes chants.
De l'art des vers j'ignorois le mystère,
Amour m'inftruit' ; pour chanter ma bergère
Il fçut bientôt embellir mes accens.
Ainfi ce Dieu , de fa main libertine ,
Semoit nos jours des plus brillantes fleurs ,
Et le bonheur de fon urné divine
Verloit fur nous les plus douces faveurs.
La nuit pour nous ménageoit de beaux fongess
Chaque matin préſageoit un beau jour ;
Douces vapeurs , délicieux menfonges ,
Vous ne naiffez qu'au ſein du tendre amour !
Le dour (ommeil eft un dieu lecourable :
112
OCTOBRE . 1771 . 1771 . 15
Dont le pouvoir aux mortels favorable
A leurs efprits reproduit les plaifirs .
Souvent il rend une beauté traitable ;
Du tendre objet qui caufe nos foupirs ,
Souvent il peint les lèvres demi- cloſes ;
Il permet tout aux volages defirs ;
Pour les amans les pavots font des roles.
Ta bouche , enfin , d'accord avec ton coeur
Daigna fixer l'inſtant de mon bonheur.
A quels tranfports mon ame fût livrée ?
De quelle ardeur elle fût enivrée ?
Quand rougiffant de pudeur & d'amour
Tu m'afluras du plus tendre retour.
D'un demi - jour la nature parée
Avoit quitté fa furface dorée ;
On refpiroit d'amoureuſes vapeurs.
Un vent plus frais rajeunifloit les fleurs.
Un foir plus pur , une clarté plus tendre
Alloient chercher l'amour au fond des coeurs.
D'aimer alors , pourroit-on fe défendre ?
Par le defir on fe laifle furprendre
Avant d'avoir reconnu fon vainqueur.
De doux tranfports précurfeurs de l'ivæíté
16 MERCURE DE FRANCE.
Nous préfageoient l'approche du bonheur .
Nos coeurs preflés palpitoient de tendrefle ,
Tu me ferrois entre tes bras tremblans ,
Sur ton amant ta mourante paupière
Laiffoit tomber des regards careflans.
Ah Théano ! combien tu m'étois chère !
Je reffentis le bonheur d'être aimé :
A mes foupirs tu mêlois ton haleine ;
Déjà ta main ne repoufloit qu'à peine
Les doux efforts d'un amant enflammé ;
Déjà tes yeux , ôfortuné préfage !
Etoicnt couverts du voile des plaifirs :
O volupté ! je touchois au rivage
Où tu devois couronner mes defirs ,
Belle Vénus ! reçois nos facrifices !
Du haut des Cieux contemple deux amans
Que le plaifir plonge dans les délices ;
Et des inftans fi tu connois le prix ,
Quitte les Cieux , vole auprès d'Adonis ...
Ma Théano ! quelles ardeurs foudaines !
Quels feux nouveaux s'emparent de mon coeur !
Mon fang s'allume & bouillonne en mes veines :
OCTOBRE . 177 1 . 17
Cédons , cédons , que l'amour foit vainqueur...
De nos amours , rien ne troubloit la fête ;
En jouiflant j'admirois ma conquête ;
Chaque regard me caufoit un defir ;
Chaque regard te valoit un plaifir...
Mais , Théano ! .. quelle effrayante image
Vient tout-à-coup attrifter mes efprits ?
Lefouvenir des biens que j'ai fentis
Doit-il faner les roſes de mon âge ? ..
Eloignez - vous , ô regrets fuperflus ,
Ta feule idée , ô bonheur qui n'es plus ,
Me montre au moins l'inſtant où j'ai fu plaire;
Si , loin des lieux où j'ai reçu le jour ,
Le deftin veut terminer mes années :
Sans murmurer , ſuivons nos deſtinées ;
Par le plaifir égaïons ce féjour.
Pour les amans de l'aimable nature ,
Il naît des fleurs , même au fein des hivers ;
On voit les ris habiter les déferts :
Le doux printems conferver fa parure ,
Et Flore même embellir nos jardins.
Ainfi que moi , Théano , fois volage ;
18 MERCURE DE FRANCE.
Conferve bien ces coups- d'oeils libertins
Qui t'ont valu tant d'amoureux larcins :
Que chaque jour , quelque nouvel hommage
Vienne groffir la lifte des vaincus :
Traîne à ton char cette troupe folâtre
Que d'un regard tu rends plus idolâtre.
Que de ton coeur les chagrins foient exclus.
N'y laifle entrer que l'aimable folie ;
Et pour fixer l'éclair de ton printems ,
Par le plaifir marque tous tes inftans ,
C'eft le moyen de prolonger ta vie.
L'AUTRUCHE & L'OISEAU- ;
UN jo
MOUCHE, Fable .
N jour ,fur fes longs pieds redreffant fon long
cou ,
L'Autruche , aux plumes éclattantes ;
Mais , pour fon délefpoir , aux aîles impuiſſantes
Pour charmer les ennuis , allaur je ne fais où ,
Apperçut l'Oifeau mouche , élevé far fa tête ,
Qui , par les airs , dit -on , s'en alloit en conquête
:
Moucheron , foi -difant oifeau ,
Rampe àmes pieds , dit-elle , & rentre en ton ber
ceau .
C'eft à toi de ramper, franche-bête de fomme ,
OCTOBRE. 1771 . 19
Répondit l'Oifillon ; ce qui t'énorgueillit ,
Au lieu de t'élever , t'abaifle & t'avilit...
Tu ferois l'esclave de l'homme ,
Si le Ciel , qui te fit le plus lourd des oifeaux ,
Ne t'avoit fait encor le plus fot des chameaux .
Par M. Brifard.
LE VIEILLARD & L'HIRONDELLE.
Fable.
PROGNE bâtiffoit fous la frife
D'un château , que cent bras élevoient dans les
airs ,
Pour ombrager la tête grife
D'un fénateur , chargé de quatre-vingt hivers.
Le Vieillard , un beau foir , admirant fon porti
que ,
Affis près d'un canal & refpirant le frais ,
Apperçoit le nouveau palais ,
Que l'Hirondelle enchaîne & cimente & mafti
que ,
N'ayant pour tout cela qu'un inftrument unique.
Il s'amufa long tems à regarder les tours
Du rivage à fon nid , de fon nid au rivage.
Enfin , en louriant , il lui tint ce diſcours :
Tu bâtis pour un fiécle , oifillon de paflage ?
20 MERCURE DE FRANCE.
Nous touchons à l'automne ; & tu fais que , l'hiver
,
Le deftin te condamne à repaffer la mer :
L'architecte eft prudent ; mais l'oiseau n'eft pas
Lage !
Eh ! l'es -tu plus que moi , lui répondit Progné ?
Par le deftin auffi ton féjour eft borné ;
La vicilleffe pour l'homme eft l'hiver... Qui l'ignore
?
La neige eft fur ta tête & tu bâtis encore.
Par le même.
L'INGENUE , anecdote hiftorique
par Mlle de Dun **
M. DORRÉ ayant quitté le fervice ,
vivoit dans une de fes terres avec une
femme qu'il n'avoit jamais aimée , parce
qu'elle n'avoit jamais fongé à lui plaire :
les convenances les avoient unis dans l'âge
où il eft reçu de prendre un engagement
femblable à ceux que l'on voit tous lesjours ;
c'eft à dire avec l'extérieur dû à la bienféance
, & une grande liberté . Ce fut dans
ce commerce peu fait pour l'ame tendre
de M. Dorré que s'écoulerent vingt - cinq
années de fa vie. Il en avoit cinquante
OCTOBRE . 1771 . 21
quand il fe trouva libre . Un vifage & une
fanté qui en annonçoient beaucoup moins ,
une immenfe fortune , & point d'enfans ,
lui firent croire qu'il devoit fonger à fe
remarier. Trouver une fille étoit affùrément
la chofe la plus aifée qu'il y eûr ; la
trouver du caractere dont il la défiroit , ne
l'étoit pas autant . Feignons , dit - il , de
l'éloignement pour un fecond hymen , ce
fera peut - être le moyen de meux connoître
ce fexe accoutumé à la diffimulation
; fruit fans doute de l'éducation qu'on
lui donne , & auffi quelquefois de la né
ceffité.
Ce fut avec ce projet qu'il fe répandit
dans fon voisinage , y vit des femmes ,
n'en goûta aucune ; fut à la ville , même
à Paris , en trouva des plus aimables , parce
qu'elles cherchoient à l'être davantage ;
mais il vouloit la nature , & par - tout il
D'appercevoit que l'art . Il revint donc
chez lui , peu content de fes recherches ,
& plus incertain qu'auparavant fur le
parti qu'il devoir prendre . Comme il y
rêvoit fans ceffe , il fe rappela qu'un hom
me avec lequel il avoit été lié , lui avoit
dit , il y avoit environ dix ans , qu'il venoit
de confier aux foins d'une foeur à lui ,
fa fille unique pour être élevée dans un
22 MERCURE
DE FRANCE
.
couvent à la campagne , par des principes
différens de ceux qu'on avoit coutume
de donner à toutes les femmes.
M. Dorré efpéra que fi cette jeune perfonne
exiftoit & n'étoit point mariée , elle
pourroit fort bien remplir fon idée . Les
recherches qu'il fit à ce fujet lui apprirent
qu'elle avoit perdu fes parens , & n'étoit
point fortie des mains de Mde de Permere
fa tante depuis qu'elle lui avoit été
amenée. Content de ce qui lui avoit été
rendu , il partit aufli tôt pour aller juger
s'il feroit affez heureux de rencontrer
l'objet qui devoit réalifer les chimères
agréables que chaque jour il fe faifoit
, depuis qu'il fongeoit à un fecond
mariage.
M. Dorré poffédoit une de ces ames
rares qui , par leur douce fenfibilité , ne
connoiffent de bonheur vrai que celui
qu'elles procurent aux autres : rien donc
n'en promettoit pius que celui de lui apparrenir
; mais au moins il falloit être
d'âge à le fentit , & Lucinte en étoit
loin encore felon les apparences ; à peine
avoit - elle treize ans . Sa mine étoit
belle & jolie ; fa taille fort au - deffus
de fon âge étoit celle qu'on accorde
aux nymphes. De plus , un air d'inOCTOBRE
. 1771. 23
génuité & de can deur répandoit fur fon vi
fage un charme attrayant dont on ne pouvoit
fe défendre , & l'on peut ajouter que
c'étoit exactement l'image de fon caractère.
Elle plut infiniment à l'homme honnête
qui l'alloit chercher dans une folitude
où fa tante craignoit déjà qu'elle ne
fût oubliée. Des malheurs avoient ruiné
fes parens ; ce qui pour tout autre eût été
une raifon de moins , en fut une de plus
à M. Dorré pour vouloir l'époufer.
Elle me devra tout , difoit - il , & fi elle
a l'ame aflez parfaite pour m'aimer par
reconnoiffance , combien je lui deviendrai
plus cher encore par mes foins à prévenir
tous fes voeux ! je n'en formerai
plus que pour fon bonheur ; pourroit - elle
ne pas contribuer au mien? La conféquence
n'eft pas toujours jufte malheureufement
, mais il eft aifé de croire ce qu'on
defire beaucoup.
Ce mariage étoit trop avantageux pour
Lucinte pour que Mde de Permere le refusât
. Il fut arrêté & fait en moins de trois
femaines : pendant ce court efpace de tems ,
cette tante qui ne craignoit pas que fon
élève pût perdre à être plus connue , lailla
plufieurs fois à M. Dorré la liberté de
s'entretenir feul avec elle m'époufez24
MERCURE DE FRANCE.
"
و د
vous fans répugnance , chere Lucinte , lai
difoit-il un jour ? Eh pourquoi en au-
» rois-je , répondit- elle naïvement ,je n'ai
» pas de raifon pour vous haïr ; & avec
» le tems , ma tante m'a bien affûrée que
j'en aurois mille pour vous aimer : je
» vous avoue que j'en ferai bien-aife ; car
jufqu'ici je n'ai vécu qu'avec des gens.
que j'aime , & qui m'aiment aufli ; vous
» voyez que s'il falloit que ce fût autre-
» ment , çà me feroit bien de la peine . »
Ah! charmante enfant , dit M. Dorré en
prenant une de fes mains qu'il couvrit de
baifers fans qu'elle fît le moindre mouvement
pour la retirer ; ( elle ignoroit l'ufaelle
étoit fans art ) tu n'es pas faite
pour craindre un tel fort ; crois qu'au contraire
tu feras toujours adorée. Hé , reprit
Lucinte avec joie , je crois en vérité
que vous m'aimez déjà , car vous me tutoyez...
Oh ! ia tante me tútoie toujours
& m'a dit que c'étoit une très - grande
marque d'amitié. En effet j'ai réfléchi
( car car je réfléchis fur tout ce qu'elle me dit
au moins ) que je ne tutoyois avec plaifir
que celles de mes compagnes que je préfé
rois aux autres. Et moi , Lucinte, commentm'appelerez
- vous ? -Oh ! nous verrons.
Mais me préférez vous à tout auge
;
tre
OCTOBRE . 1771 . 25
-
-
tre mari, par exemple ? Comment voulez-
vous que je le fache, je ne connois que
vous. Et quand vous en verrez d'autres?
-Eft- ce que je puis favoir ce que je ferai...
Mais tenez ... tout ce dont je puis
vous répondre , c'eſt que je vous le dirai ,
parce que ma tante m'a toujours dit qu'il
ne falloit rien cacher à fon mari . -Sa
candeur eft extrême , difoit en lui - même
M. Dorré ; mais qu'elle fe corrigera vîte
d'une morale fi peu ufitée .
Le mariage fe fit fans nul appareil ,
mais M. Dorré fe fit un plaifir de prodiguer
les bijoux ; fa jeune époufe les admira
tous les uns après les autres comme une perfonne
qui n'avoit jamais rien vu ni rien
eu , & difoit à fon mari , de la meilleure
foi du monde , en l'embraffant , que vous
êtes bon de me donner tant de choſes !
Que tout cela eft beau ! Eft ce que toutes
les filles qui fe marient en ont autant ?-
Quelquefois plus , lui répondit - il , furtout
dans Paris où elles n'en font nul
cas. —Nul cas ! .. çà n'eft pas croïable
& pourquoi ? Parce qu'elles font laffes
d'en voir , & d'en avoir quand elles
fe marient. Et bien moi je fuis fort
aife de n'en avoir que lorfque je fuis
tout-à-fait raisonnable , parce que je vous
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
fçaurai toujours bon gré de me les avoir
donnés. A ce tout- à - fait raisonnable , M.
Dorré ne put s'empêcher de fourire . Lucinte
s'en apperçut & le devina . Oh oui ,
tout- à -fait raisonnable , mon bon ami , (ce
fut le nom qu'elle lui donna toujours . )
Vous le verrez : Mde de Permere a dû
vous le dire, elle difoit bien que je l'étois
dès dix ans ... jugez à préfent que j'en ai
treize ! .. Je le veux croire , ma chere
petite , répondit M. Dorré ; mais de la
raifon qu'on a dans un couvent à celle
dont on a befoin dans le monde , la différence
eft bien grande ! la fanté de Mde
votre tante ne lui ayant pas permis de
vous accompagner , vous voilà bien jeune
fur votre compte ; je vais fur cela , ma
chere enfant , vous dire les chofes que je
crois les plus faciles pour vous conduire
& réuffir. Il faut d'abord être trèsprévenante
, & extrêmement polie avec
les femmes , pour qu'elles diferit du bien
de vous : honnête pour tous les hommes
en général , mais jamais attentive pour
aucun en particulier , afin qu'ils n'en difent
point de mal . Avec les gens qui vont
dépendre de vous , être douce fans foibleffe
, ne jamais vous prêter à leurs adulations
qui ne tendent qu'à vous tromper ;
OCTOBRE . 1771 . 27
dites leur quelquefois des chofes obligeantes
quand ils vous auront bien fervie;
mais foiez toujours laconique , fur - tout
quand vous leur parlerez de leurs torts ,
c'eft le feul moyen de leur éviter d'en
avoir de plus grands . Voilà ,ma Lucinte ,
ce que j'ai cru devoir vous dire touchant
le rôle que vous allez jouer. Dorénavant
regardez moi comme votre meilleur ami
qui defire votre confiance , mais qui ne
s'érigera point en juge févère de votre
conduite.
Que je vais être heureuſe , s'écria Lucinte
, en fautant au col de M. Dorré !
avec quelle bonté vous me contez tout
celal .. Oh ! je vous promets de n'en rien
oublier ; vous verrez par -là fi je cherche
à vous plaire. Elle n'avoit pas grands frais
à faire pour cela ; fa douceur & fon ingénuité
combloient chaque jour fon mari
d'étonnement & de plaifir ..
Les premiers mois fe pafferent tant à
faire des vifites qu'à en recevoir. Les femmes
trouverent Mde Dorré une jolie enfant,
qu'elles aimerent parcequ'elles la crurent
trop jeune pour la craindre , & que
d'ailleurs elle n'annonçoit nulle coqueterie
. Les hommes , au contraire , la virent
avec le plus grand intérêt. Quel plai-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE ,
fir pour celui qui , le premier , lui feroit
fentir qu'elle avoit un coeur... Combien
fon ingénuité donneroit de graces à un je
vous aime ! ce triomphe ne pouvoit en
bonne règle regarder le pauvre Dorré ;
quand à fon âge on avoit imaginé de faire
la folie d'époufer une fille de treize ans ,
on fçavoit de fuite ce qui devoit en arriver.
Ainfi raiſonnoit cette brillante jeuneffe
, attirée à la campagne par la belle
faifon . Tous fongerent à lui plaire , & pas
un n'y réuffit . Lucinte , attentive à fuivre
les confeils de fon mari , les traita avec
la plus parfaite égalité : aucun n'eut à s'en
plaindre , mais pas un ne put s'en louer.
Nous verrons l'année prochaine , fe dirent-
ils , elle eft fi enfant celle- ci , qu'elle
ne fonge encore qu'à fes bijoux ou à fon
perroquet ; mais comme l'ufage nous la
doit , nous l'aurons avec le tems . Leur
vanité , accoutumée peut - être à de plus
heureux fuccès , fe confola ainfi des rigueurs
de Lucinte.
Si fon coeur fut infenfible à leurs foins,
ce n'étoit pas qu'il ne fût déjà affez formé
pour être ému ; mais leurs galanteries
bruyantes l'avoient étourdie fans l'attendrir.
Elle tarda peu à l'être . L'automne
ayant ramené les militaires , un feul fuffit
OCTOBRE . 1771. 29
pour venger tous les papillons du printems.
C'étoit un de ces hommes dangereux
pour les femmes , parce qu'il avoit l'air
de n'en diftinguer aucune . Une politeffe
froide étant le feul hommage qu'elles en
recevoient . Toutes defiroient lui faire
perdre cette indifférence qui bleffe leur
amour- propre , & qui par fuite intéreffe
quelquefois leur cont . Ces êtres finguliers
font toujours l'écueil des coquettes ,
& fouvent encore celui des plus fages ;
fur- tout quand, comme Dorvigni , ils joignent
à de l'efprit, la plus grande douceur;
de plus une taille noble & fwelte , & la
figure la plus féduifante ; telle étoit la
fienne : des fourcils noirs & des paupières
pareilles couronnoient de grands yeux
bleus pleins d'une tendreffe qu'il eût été
défefpérant qu'il n'eût fçu qu'infpirer :
chacune donc chercha le meilleur moyen
pour qu'il en fût autrement , & lui fit des
agaceries à fa maniere ; toutes y perdoient
leurs peines fans les regretter & fans pou.
voir le réfoudre à quitter la partie. Ce
ton gagna infenfiblement la naïve Lucinte
; foit exemple ou attrait, tenant à elle
ou tout naturellement à fon fexe , qui s'irrite
par la réfiftance . Ce fut toutefois avec
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
une très-grande retenue ; mais enfin elle
le grondoit quand il paffoit plufieurs jours
fans venir dîner chez elle , & fi elle lui
propofoir quelque partie , elle s'obtinoit
à vouloir qu'il en fût , fans égards aux raifons
qu'il connoit de fes refus .
les
yeux d'un
On juge aifément
que les
mari tendre ne tarderent pas à voir ce
dont fa femme ne fe doutoit pas encore.
Dorvigny , je crois , te paroît plus aimable
qu'un autre ( lui dit- il un jour fans
nulle affectation ) car j'ai cru remarquer
que tu fouhaitois qu'il fût de toutes tes
parties ? Oh ! mon Dieu , point du tout ,
répondit la naïve Lucinte ( pourtant avec
une forte d'embarras ) c'eft feulement parce
qu'il s'obftine à ne jamais vouloir en
être, & que cela m'impatiente . Seroitce
auffi par la même raifon que tu le gron
des dès qu'il laiffe paffer quelques jours
fans venir dîner ici ? Mais.... non...
mais... c'eſt parce qu'il y vient moins
fouvent que tout autre,& je ne fçais pourquoi
. Ah ! ma Lucinte ( reprit M. Dorré
avec douceur ) tu ne crois cela que
parce que tu compres tous les jours où il
n'y vient pas , conviens en ? Il eſt vrai ,
répondit elle ; mais il eft incroyable que
vous l'aïez deviné... Comment çà fe peut-
-
OCTOBRE. 1771 . 31.
-
il ? -Hélas , mon enfant , c'eſt qu'à mon
âge on devine bien de chofes... Malheu
reufement , & par une fuite de pénétration
, je t'avertis que tu l'aimes . Oh
pour le coup , s'écria Lucinte avec vivacité
, vous vous trompez... & j'en fuis
ravie... je vais vous le prouver... puifqu'au
contraire il ne s'en faut rien que je
le haïffe. Et pourquoi ? -Pourquoi ...
parce qu'il femble chercher à me défobliger
en tout. Mais comment cela , je
ne m'en fuis jamais apperçu . -Si fait bien
moi ! .. tenez , par exemple , fi je vante une
fleur , chacun s'empreffe d'aller me la
cueillir , eh bien , croiriez - vous que lui n'a
jamais fait un pas pour l'aller chercher ?
-Qu'est ce que cela te fait,pourvû que tu
l'aies, ( en la regardant attentivement . ) -
Vous avez raifon... mais enfin cela vous
fait voir le peu d'envie qu'il a de faire ce
qui me fait plaifir... Ce n'eft pas tout en
core ... Ah ! nous allons voir comment
vous trouverez ceci ; quand je me promene
& que je change d'allée , qu'il foit devant
ou derriere , tout cela lui eft égal ,
croiriez-vous bien qu'il fait toujours fon
chemin fans avoir l'air de fonger qu'il eft
forti d'avec moi... Eft - il malhonnête ?
coup , reprit M. Dorré , de
Ah !
pour le
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'air du monde le plus férieux , celui - là eft
fort, & fûrement, Lucinte , il eft le feul qui
vous ait fait de ces tours là , n'est-ce pas ?
-Je n'ai pas trop pris garde aux autres ,
mais j'en fuis perfuadée . -Eh bien ,mon
coeur , moi je le fais que tu ne parois defirer
une fleur que pour voir fi Dorvigni
ira te la chercher ; que tu ne changes d'allée
que pour effaier s'il fuivra tes pas...
& qu'enfin... Ah ! n'ajoutez plus rien ,
dit Mde Dorré , en fe jettant dans les
bras de fon mari , tout cela eft vrai...
( Sa candeur l'emporta fur le beſoin de
feindre ) mais au moins puifque vous lifez
fi bien & mieux que moi dans mon
ame , mon bon ami , vous avez dû y voir
ma tendre amitié pour vous , que rien ne
peut ni déranger ni affoiblir ; & ce tort ,
car c'en eſt un fûrement , puifque vous
m'aviez dit de traiter tous les hommes
également , & que j'ai pu l'oublier ( elle
ne croyoit encore avoir que celui-là ) fera
réparé par l'extrême indifférence que j'au
rai pour tous en général & pour Dorvigni
en particulier ; mais pourquoi auffi fa
conduite eft elle fi différente de celle des
autres ? C'est ce qui a fait mon malheur ,
mon bon ami ; de grace , vous qui devinez
tout , dites-le moi ? ce fera , je vous
OCTOBRE . 1771 . 33
-
--
jure , la feule queftion que je vous ferai à
fon fajet: C'eft parce qu'il eft plus vrai
--Plus vrai , reprit Lucinte avec l'air de
chercher en tremblant ce que cela vouloit
dire. Et vous entendez par- là ? - Que
n'étant pas comme la plupart des hommes
, il veut aimer avant d'être amou
reux. Aimer... avant d'être amoureux ..
Je n'entends pas cela encore. ( elle ne l'entendoit
point parce qu'elle ne vouloit pas
l'entendre)-Or je veux dire qu'il ne veut
pas feindre des fentimens qu'il n'a point :
comprends tu maintenant ? Hélas ! trèsbien
, répondit la naïve Lucinte , avec un
foupir qui acheva de déchirer l'ame fenfible
de M. Dorré. Sa femme étoit toujours
restée dans fes bras pendant cette
fatale converfation ; il la ferra tendrement
contre fon coeur . Celui de Lucinte ét o't
attendri par une douleur qui n'étoit bien
connue que par celui à qui elle en caufo¹ t
une amère . Ses beaux yeux fe couvrire "c
de larmes ; fon mari y mêla les fiennes
par un fentiment bien différent de celui
qui les lui faifoit verfer . Cet inftant la
rendit à elle même : vous pleurez , s'écriat-
elle en l'accablant de careffer. Ah ! mon
bon ami , il faut que je fois bien coupable
puifque j'ai pu vous affliger à ce
1
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Point... Mais pardonnez à mon peu d'expérience
, ajouta - t-elle en fe jettant à fes
genoux , & foiez perfuadé qu'à l'avenir ...
Ah ! ceffe de t'excufer , charmante créature
, reprit M. Dorré en la relevant , tu
n'es pas coupable ; & fi tu l'étois , ta franchife
adorable me feroit tout oublier ;
mais avec un caractere tel que le tien
peut- être unique , on ne peut jamais avoir
des torts réels .
Cet homme honnête & jufte avoit raifon.
Lucinte le prouva par l'extrême attention
qu'elle mit à n'avoir plus pour
Dorvigni aucun de ces riens qui l'avoient
décélée aux yeux de fon mari ; & fi elle
conferva le goût qu'elle avoit pour lui ,
ce fut par un attrait de la nature plus fort
que toute fa raifon ; mais elle feule en
fut la victime , car jamais qui que ce fut
ne put s'en appercevoir , pendant environ
deux ans que vécut encore M. Dorré.
Une pleuréfie l'ayant emporté en quatre
jouts , il fit fa femme fa légatrice univerfelle.
Que je le regrette de bonne foi ,
difoit- elle en fondant en larmes ... Combien
il m'aimoit ! & qu'il m'a rendue
heureuſe mais enfin il étoit bien plus
âgé que. moi , & felon le cours de la naure
, il est tout fimple qu'il foit mort le
-
OCTOBRE . 1771 . 35
premier. (A quinze ans on voit quelqu'un
qui en paffe cinquante , dans la décrépitude
) Maintenant , ajouta - t- elle , je crois
pouvoir penfer à Dorvigni fans crime ...
Hélas ! pourtant M. Dorré , qui devine
tout , m'a aſſez fait entendre qu'il ne
m'aimoit point. Eh bien , je veux l'en
faire repentir , en lui offrant de partager
la grande fortune dont je fuis la maîtreffe;
la fienne eft médiocre... Quand bien
même il n'accepteroit pas ma propofition
, mon bon procédé me vengera au
moins de fon indifférence. ( Eft - ce ainfi
que les femmes ordinaires fçavent fe
venger ?)
Dorvigni n'eut garde de la refufer ; il
l'avoit adorée fitôt qu'il l'avoit connue.
Sa franchiſe unique , fa naïveté touchante
, les charmes de fa perfonne , tout enfin
avoir contribué à l'enchaîner au char de
Lucinte. Mais il l'aimoit trop pour ne
pas refpecter fa candeur ; il n'avoit pas
été longtems fans s'appercevoir des progrès
qu'il eut pû faire fur fon coeur . Cette
raifon l'avoir déterminé à affecter la plus
parfaite indifférence qui , d'ailleurs, par fa
tournure , fembloit lui être naturelle .
Deux perfonnes auffi extraordinaires
chacune dans leur genre , étoient faites
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
pour jouir d'un bonheur qui le fut auffi.
Ils s'aimerent donc toujours d'une tendreffe
égale ; en faut - il de meilleure
preuve ?
HYMNE à Diane ; imitation libre du
Carmen feculare , ou 35 Epigramme
de Catulle : Dianæ fumus in fide.
JEUN EUNES Filles , jeunes Garçons ,
Qu'une profonde paix règne feule en vos ames ;
Gardez -vous que l'amour les fouille par fes
flâmes :
Cet aurel qu'ici nous dreſſons ,
Rejetteroit l'encens d'un coeur vil & profane :
Au fon brillant du cor danfons fur ces gazons ;
Par des jeux innocens , de naïves chanſons ,
Rendons un pur hommage à la chaſte Diane . *
O toi , dont nous fuivons les lois !
Fille du Dieu puiffant qui lance le tonnerre ,
De tes rares vertus toi qui remplis la terre
Viens , habite avec nous ces bois :
>
* Cette déeffe , fille de Jupiter & de Latone ,
étoit adorée fous trois noms. On l'appeloit fur la
terre , Diane ; dans les cieux , Phoebé ou la Lune
& dans les enfers , Hécate. Elle avoit un magnifi
que temple à Ephèse.
OCTOBRE. 1771 . ST
Qu'ils te foient auffi chers que les bois de Délie ,
Lieux fombres & facrés , refpectable ſéjour ,
Où Latone , fouftraite à la clarté du jour ,
Treffaillit d'allégrefle en te donnant la vie.
Louéfoit l'inftant où tes yeux ,
Pour la premiere fois s'ouvrant à la lumière ,
Déjà , pour cet enfant dont Vénus eft la mère ,
S'armoient d'un regard dédaigneux :
Tes Nymphes font toujours tes fidèles compagnes
;
Leur zèle , fur tes pas , les conduit de bien près ,
Lorſqu'un arc à la main , tu parcours les forêts ,
Ou que,d'uu pied léger, tu franchis les montagnes.
Malgré ces attrayans plaiſirs ,
Aux befoins des mortels es- tu moins attentive ?
Ta pitié généreufe eft- elle moins active ?
En préviens- tu moins leurs defirs ?
Le front ceint de pavôts , dès que ſur l'hémifphère
La nuit déploie au loin fes voiles ténébreux ,
Sur ton char étoilé tu remontes aux cieux ,
Et ton difque éclatant nous guide & nous éclaire.
C'est alors que du tems qui fuit ,
Ton cours , égal & fûr , fçait régler la durée :
Sous un foleil brûlant la campagne altérée ,
Par ta fraîcheur s'ouvre & produit :
38
MERCURE
DE
FRANCE
.
Ces humides vapeurs dont s'humecte la terre ,
Fécondant de nos grains le germe précieux ,
Au laboureur avide offrent l'efpoir heureux
D'une riche moiffon qui devient ſon ſalaire.
Ta defcends encore aux enfers ; *
Et là , gardant du Styx les rives effrayantes ,
Tu défends fon paflage aux ames gémiflantes
Des criminels & des pervers ,
Dont les corps , à jamais , privés de lépulture ;
Pour prix de leurs forfaits , de leurs impiétés ,
Se trouvant , au hafard , fur le fable jettés ,
Des Vautours dévorans font l'horrible pâture.
Oui , vois à tes pieds l'Univers ;
Quelle gloire à ton culte eft par-tout décernée !
Dans ton temple célèbre Ephèse profternée ,
T'adore lous trois noms divers :
Mais , fous quelque attribut que le monde te nomme
,
Sois l'objet éternel de nos voeux affidus ;
On fçait que Diane , fous le nom d'Hécate
, avoit aux enfers la commiffion d'empêcher
le paflage du Styx à ceux qui n'avoient pas joui
des honneurs de la fépulture.
OCTOBRE. 17710 39.
Comble , de tes bienfaits , les fucceffeurs d'Ancus
,
Et fois toujours propice aux citoyens de Rome.
Par M. Gaudet , à Survilliers ,
entre Louvres & Senlis.
ALLUSION à la fable de Daphné.
Ode anacreontique , traduite de l'anglois
de Waller.
ANIM de la double ivreſſe
De l'Amour & du Dieu des vers ,
Tircis chantoit une maîtreffe
Qui le fuyoit dans les déferts.
Tendre , ainfi que le dieu du Pinde ,
Et par les Mufes couronné ,
Il pourfuit en tous lieux Olinde
Belle & fière comme Daphné.
Ces forêts , ces antres fauvages ,
Ces prés , invoqués tant de fois ,
D'Olinde fidèles images ,
Sont infenfibles à fa voix.
40 MERCURE
DE FRANCE
.
Tel que le dain qu'un chaſſeur bleſſe ,
Il les parcourt rapidement.
Il atteint la nymphe , il la preſſe ;
Quels fons ! Olinde les entend .
Mais la plus douce mélodie
N'a rien qui puifle la toucher.
Elle fuit , toujours pourfuivic ,
Plus inflexible qu'un rocher.
Cependant , malgré l'inhumaine ,
Tircis reçut un autre prix ;
L'Univers , touché de fa peine ,
Admira fes tendres écrits.
Ainfi , même dans fa difgrace ,
Toujours femblable au Dieu du jour ,
Olinde fuit ; mais il embraffe
Des lauriers au lieu de l'amour.
Par M. B. de M. à Ratisbonne.
SUR un Vieillard aimable.
L'ÉTERNEL F ** , une bequille en main ,
Neftor galant, fourit à l'effain de nos belles
Chez lui l'on vole le matin
Des boudoirs de Paphos apprendre les nouvelles
Je crois voir le gouteux Chaulieu ,
OCTOBRE . 1771 . 41
Des roſes du plaifir couronner fa vieilleffe ,
Aux ris en tous tems , en tout lieu
Animer l'ardente jeuneſſe .
Chanter un hymne aux folâtres amours
D'une voix aimable & légère ,
Se promettre encor de beaux jours ;
Et des rides qu'imprime une fagefle auftère ,
Sauver fon front octogénaire.
Par Mr Doigné du Ponceau.
HOMMAGE à une jeune perfonne de
quatorze ans.
Our , bel & refpectable enfant ;
J'ai pour toi remonté ma lyre¸
Tes graces & ton enjoûment
M'ont rendu mon heureux délire.
J'ai fouvent par oifiveté ,
Et toujours par coquetterie ,
Pour une infipide beauté
Brûlé l'encens de la galanterie ;
Les charmes de tes quatorze ans
Exercent une autre puiflance ,
Et l'hommage que je leur rends
Eft pur comme ton innocence,
Au fouffle aimable du plaiſir ,
J'aime à voir ton eſprit éclore ,
42 MERCURE
DE FRANCE
.
Semblable à la roſe que Flore
Fait naître au fouffle du zéphir ;
Les folâtres dieux de Cythère
Ont quitté ton couvent pour voler fur tes pas ;
Tous les coeurs font émus en voyant tes appas.
Sans le fçavoir tu fçais nous plaire.
Des fleurs de ta jeune ſaiſon
Viens donc embelir notre vie ,
Ta charmante gaîté , ta piquante folic
Vaudront mieux que notre raiſon.
Par le même.
AKMON & SOLIN A.
Conte moral,
DANS l'un des plus rians hameaux de
la Chine , au midi de Pekin , vivoient
dans une paix & dans une union inaltérables
, deux tendres époux , formés fur le
modèle de Philémon & Baucis . Le Ciel
refufa quelque tems aux voeux de ce couple
fortuné une image de leurs vertus &
de leurs amours. Akmon , qui ne fe plaignoit
jamais de la ftérilité de fon épouse ,
laiffa un jour échapper aux champs , où il
étoit feul , cette plainte , que les échos
rendirent plus touchante & plus trifte ;
OCTOBRE. 1771. 43
hélas ! difoit - il , que ne puis - je te voir
mère d'un enfant qui te reffemblât ! O
digne moitié de moi - même ! que je l'aimerois
, qu'il me feroit cher ! avec quel
plaifir je cultiverois cette jeune plante !
comme je me plairois à faire croître dans
fon jeune coeur le germe de l'innocence
& de la vertu ! Il partageroit mes plaifirs,
je lui déroberois mes peines . Ah ! fi je
pouvois ... Eh ! dis - moi , chere époufe ,
quelle main fermera donc nos paupières ?
Sera-ce celle d'un mercenaire avide ? Ces
réflexions le plongèrent dans la plus fombre
mélancolie : cependant il arrive à fon
habitation , Gelnida court à lui & l'embraffe.
Akmon glacé demeure immobile;
Gelnida , tremblante , craint & redoute
quelque infortune ; mon ami , mon frère,
mon époux , Akmon , cher Akmon , lui
dit-elle , quelle peine te dévore? qui peut
t'affliger ainfi ? La trifteffe eft peinte fur
ton front, & cet incarnat qui te coloroit
tantôt a diſparu pour faire place à la pâleur
de la mort. Akmon , peux tu avoir
des regrets pour une époufe qui r'adore ?
En eft-il que tu ne doives verfer dans mon
fein ? Dépofes -y tes peines , j'en dévorerai
feule l'amertume ; elle dit , Akmon
la raffure . Il feint une indifpofition ; mais
44 MERCURE DE FRANCE.
il ne veut point de remède . Akmon , malade
, n'attendit jamais fa guérifon que de
la fimple nature.
Le Ciel , toujours fenfible aux voeux
des ames pures & vertueufes , fe laiſſa fléchir
par les prières d'Akmon . Gelnida devint
enceinte. Avec quel raviffement
avec quels tranfports Akmon la contemple
& l'admire dans ce nouvel état ! Tu
feras mere , lui difoit- il , nos voeux font
accomplis , notre être fe multiplie . Ah !
fois mere fans connoître les douleurs de
l'enfantement. Le terme expire , Gelnida
accouche , c'eft un fils que les dieux lui
donnent. Toute fa famille nâge dans les
plaifirs , & le tendre Akmon ne répond
à leur empreffement , à leurs félicitations
, que par des pleurs d'allégreffe &
de joie. L'enfant croît , le pere & la
mere ne perdent jamais de vue cette
jeune plante , fes progrès les raviffent ,
& Akmon conçoit déjà des espérances
Hatteufes du jeune Akmon fon fils . L'enfance
paffe , la jeuneffe arrive ; que vas
tu faire, jeune Akmon ? quel parti prendras-
tu ? quitteras- tu l'héritage de tes
peres , cet afyle de la paix , de l'innocence
, & de la candeur ? Un jour , mais
trop tard peut-être , ta propre expérience
OCTOBRE. 17717 45
t'en fera connoître le prix , & regretter
la douceur . Tu vas te convaincre que les
foucis dévorans préférent les palais des
Rois au chaume de nos maifons champêtres
. Heureux encore fi par cette conviction
tu peux un jour acquérir la fageffe
!
Le jeune Akmon avoit été élevé à la
ville , le brillant fracas du monde l'avoit
déjà féduit , il foupiroit dans la maiſon
paternelle , & fon ame avide d'un état
plus brillant ne lui faifoit refpirer qu'ennui
dans cette folitude . Son père voit
avec douleur le poifon lent qui le confume
: quoi , lui dit- il , mon fils , notre
afyle commence à te déplaire , crois moi,
tu n'as pas l'idée du vrai bonheur ; ces
Rois , ces Grands qui te font envie font
moins heureux que l'homme vertueux ,
qui fous un toît ruftique pratique la verru
. J'ai vu les hommes , ma jeuneſſe s'eſt
paffée parmi eux , & je la regrette . Akmon
, mon fils , mon cher fils , apprens
que,je n'ai été heureux , que du moment
que renonçant à tout ce qui te Aatte je
vins habiter cet afyle , & confacrer mes
jours à la paix & à la fageffe. Ici fe trouve
l'innocence , ici fe trouve lé bonheur.
La vertu tranquille & pure m'y a filé des
jours fereins ; que ne puis je en étendre
46
MERCURE
DE
FRANCE
. fur tei la douceur ! ta tendre , ta vertueufe
mère y met le comble à ma félicité
; & les noeuds de l'hymen prostitués
à la ville y furent toujours facrés parmi
nous. Ah! s'il falloit nous arracher de ce
féjour , fût- ce même pour une couronne,
s'il falloit.... tiens , mon fils, cette feule
penſée glace mon coeur d'effroi .
ran ,
Ce discours fit peu d'impreffion fur le
jeune Akmon , dont l'ame inconftante
& légère voltigeoit fans ceffe fur des
objets nouveaux. Je ne fuis point un tyajoute
alors le vertueux vieillard ; -
pars , épuife tous les plaifirs , favoure
toutes les délices du monde , la fatiété
fuivra de près l'inftant de la jouiffance ;
mais arrête , écoute , je tremble. Ah !
mon fils , le monde eft une mer remplie
d'écueils , où la jeuneffe imprudente fait
trop fouvent naufrage , crains l'envie ,
fuis le crime , aime la fageffe ..... que ne
puis- je tremper ton ame dans le fleuve du
Styx , pour la rendre inacceffible aux
paffions cruelles que je vois fermenter
dans ton coeur , & dont bientôt tu vas
être la proie ! que ne puis- je te donner
un pilote , un guide , un mentor auffi
fage que Minerve , qui vienne t'arracher
aux charmes perfides de Calipfo , & oppofer
fon Egide aux traits enflammés
OCTOBRE . 1771 : 47
d'Eucharis ! apprens que les regrets , que
les remords fuivent toujours le crime , &
que le vrai bonheur n'eft que dans la
vertu .
L'ame du jeune Akmon étoit comme
une belle glace life & polie , qui refléchit
les objets fans en conferver l'impreffion
; il fut peu touché du tableau que
fon père venoit de lui tracer ; mais toujours
enchanté de fon illufion , il ne defire
que l'inftant de la réalifer. Que de
plaifirs , difoit- il , je vais gouter dans le
monde! Fêté à la cour , fêté à la ville
chéri des hommes , adoré des femmes ,
accablé des faveurs de la déeffe aveugle
quel fort fera plus heureux que le mien ?
(Attends, jeune homme, effaie , & tu verras
) Il arrive à la cour , les railleries , les
hauteurs , la fierté des courtifans le défolent
, & fon ame encore ingénue ne peut
digérer le poifon de cette louange baſſe
& indigne , qui fait l'appanage des flateurs
. Cherche - t - il des amis ? il en trouve
dans cette foule errante d'hommes
desoeuvrés & inutiles , qui furchargent
les capitales & qui les inondent ; mais
quels amis , des ingrats qui l'abandonnent
au befoin , des perfides qui ne cherchent
qu'à le trahir , des lâches de qui
les carelles n'ont jamais d'objet que leur
48
MERCURE
DE
FRANCE
. intérêt perfonnel . Voit - il des femmes ?
il en eft trompé avec non moins de cruauté;
ici c'eft une perfide qui ſe joue de ſa
crédulité , là c'eft une coquette qui le facrifie
à un rival indigne , ici .... n'achevons
pas ce tableau . Akmon parcourt
tous les états ; de la grifette il monte
au brocard , du brocard il descend à la
grifette , & dans ces révolutions périodiques
il ne trouve jamais le bonheur.
Ah ! mon pere , que n'ai - je écouté vos
confeils ! j'ai péri fur cette mer d'orages ,
& vous l'aviez prédit. Fuyons ce féjour
empefté . Périffe le jour d'horreur où votre
malheureux fils forma le projet barbare
de s'éloigner de vos bras paternels :
11 dit , & il s'achemina vers la retraite
paisible & pure , où fon père & fa mère
noyés dans les larmes pleuroient fur fon
erreur.
Le jeune Akmon à la campagne devint
un petit philofophe ; la nature lui
parut le plus beau de tous les livres , il
fe plut à y étudier , il cultiva des fruits
des fleurs , des plantes , il prit plaifir à
leurs productions , & dans peu ,
le goût
de cette vie calme & paisible , prit tellement
dans fon imagination , qu'il ne
pouvoit plus s'éloigner d'un féjour où
fon ame trouvoit tant de délices ; il fe
repentit
OCTOBRE. 1771 49.
repentit de fes erreurs ; il aima la vertu ,
il cultiva la fageffe, & fes jours couloient
lentement dans une paix profonde ; cependant
Akmon avoit à la campagne un
voilin puiffamment riche , qui avoit une
fille d'une extrême beauté ; le jeune Akmon
devint senfible aux charmes de fa
belle voisine , & la fille de Solin ne fut
pas long- tems à approuver fes feux . Com.
bien de fois à l'ombre d'un tilleul leurs
ames s'étoient déjà confondues ; combien
de fois fur les bords d'un ruiffeau
paifible , dont l'onde tranquille & pure
invitoit l'ame à la volupté , ils s'étoient
jurés un amour éternel , lorsque Solin
tint ce discours à fa fille !
« Solina , mon enfant , l'hymen eſt
» presque toujours heureux , quand la for-
» tune l'accompagne , te voilà déjà gran-
» de , le voifin Ranka a un fils à qui il
» donne beaucoup de richeſſes , je lui ai
» promis ta main , & tu es trop fage ,
» pour défobéir à un père qui t'a tou-
» jours aimé.
Un coup de foudre eût moins accablé
Solina que ce discours inattendu , elle
baiffe les yeux , rougit , foupire & ne dit
mot. Son filence eft pris pour un figne de.
confentement . Solin s'éloigne , & laiffe
I. Vol. C
150 ' MERCURE
DE
FRANCE
.
fa fille en proie à l'amertume de ſa fituation.
A l'inftant à travers les humides
paupières de Solina s'échapent des torrens
de perles , qui fe répandant fur l'albâtre
de fon fein qui palpite , femblent
donner effort au chagrin qui dévore fon
coeur ; eh quoi ! dit- elle en fanglottant ,
moi , je ferois parjure , j'oublierois mon
amant , je faufferois mes promeffes , je
porterois dans le lit de Ranka un coeur
qui brulera toujours pour Akmón ....,
non .... ce feroit une perfidie , il vaut
mieux mourir que d'être perfide.... mourons....
fi cependant je difois tout à mon
père il eft fi bon .... peut- être.... lui tour
dire... fille cruelle , il en mourroit ... l'effet
de la douleur avoit troublé le cerveau
de Solina , & fon ame épuifée étoit dans
un abbatement qu'on ne peut exprimer.
Akmon arrive , l'amour le guidoit , il
trouve fa maitreffe expirante . Puiflances
du Ciel , s'écria - t- il , Solina , chère Solina
, quelle main barbare a tranché le fil
de tes jours ? Quel est le monftre qui ? ...
Ah ! futil..... il ne périra que de ma
main ; Solina , belle Solina , tendre Solina
daigne donc me répondre..... n'estu
plus ? O mort , inexorable mort ! quoi ?
Solina , n'eft plus, & je fefpire encore…..
OCTOBRE. 1771. SI
il la preffe contre fon fein , il l'inonde
de fes pleurs , il la couvre de fes careffes,
c'est un marbre qu'il voudroit animer
ainfi que Prométhée anima jadis fa ftatue
..... l'ame fenfible d'Akmon paroît
enfin animer celle de Solina , elle refpire
, pouffe des cris , verfe des larmes ; &
dans les plus beaux yeux dont la nature ait
jamais orné une mortelle , l'on voit empreinte
l'image de la mort , de la douleur
, du défefpoir . Ces beaux yeux , les
yeux de Solina fe tournent vers Akmon
qu'elle adore , & dans le tranſport le
plus tendre , elle s'écrie en gémillant.
Akmon , cher Akmon , l'on veut nous
féparer , mais.... fa voix expire fur fes lévres
mourantes , & Akmon , non moins
abbatu refte fans connoillance . Ni les regrets
d'Eucharis , ni les larmes de l'amant
de Julie , ni la douleur de la tendte Heloyfe
, non , rien n'eft comparable à la
fituation d'Akmon & de Solina .
Cependant la vertu veilloit fur les
jours de ces tendres amans , leurs coeurs
font chaftes , dit- elle , leurs ames font
pures , ils ont rejetté tous les moyens
honteux & deshonnêtes que la gêne inventa,
& que l'exemple autorife . Récom
penfons leurs feux ; elle dit & foudain
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE .
elle va trouver le père de Solina . « Ecou
» te, Solin , lui dit- elle , je fuis la vertu ,
» reconnois mes accens , au fortir du ber-
» ceau je pris foin de ta fille , fi le nature
» l'embellit & l'orna , mes mains l'ont
» confervée pure...... Il eft tems qu'elle
» faffe les délices du mortel heureux que
» fon coeur a choifi . Croi - moi , tu pré-
» tendrois envain troubler l'ordre des
» deftinées ; c'eft Akmon que les dieux
» te donnent pour fils . Cede fans mur-
» murer , ou crains le courroux des im-
» mortels . >> "
Déeffe , répondit le veillard , j'aime ma
fille , fon bonheur m'eft plus cher que le
mien , aimable vertu , je vous refpecte , je
vous adore,j'obéis ; je conçois que les noud
que vous formerez pour Solina feront
des noeuds toujours heureux ; je vous la
donne , conduisez- la , protégez - la , ne
l'abandonnez point , & faites lui trouver
dans le fein de fon jeune époux la tendreffe
, & les fentimens d'un amant &
d'un père .
Les autels de l'hymen furent préparés.
Akmon & Solina s'y jurèrent un amour
éternel . Leurs fermens furent faits entre
les mains de la vertu , leurs coeurs font
le temple de cette déefle , & fur les auOCTOBRE
. 1771 . 13
tels que la reconnoiffance y éléve , ces
bienheureux époux brulent fans ceffe , à
l'honneur de la vertu bienfaifante , l'encens
le plus pur & le plus parfait.
EPITRE à Mlle DU BOCAGE.
JEUNE élève de Polymnie
Dont l'aimable fimplicité ,
A tant de douceur eſt unie ;
Toi , qui , dans mon coeur enchanté
Ranime la vivacité
Et les premiers feux du bel âge ,
Dis-moi , charmante Dubocage ,
Par quels voluptueux accens ,
Ta bouche enfantine & jolie ,
Porte l'ivrefle dans mes fens.
Quel eft cet art qui multiplic
Les defirs & les fentimens ?
Et quelle invifible magie ,
Sur le charme heureux de la vie ;
Verfe d'agréables tourmens ?
Je fçais que c'eft à la nature.
Que tu dois tes perfections ;
Et fi , par un tendre murmure ,
Ton ame s'ouvre aux paffions ,
C'eft a vertu qui les épure.
C iij
54
MERCURE
DE FRANCE.
Jeuneffe , éclat , douce fraîcheur ,
Le Ciel a formé la candeur
Pour l'ame des fimples bergeres';
Et l'Amour , cet enfant gâté ,
Refpectant leur délicateffe,
Emprunte le trait qui les bleſſe
Des mains de l'ingénuité ..
Mais enfin quel eſt mon délire ?
Quelle attrayante illufion
A la flâme que je refpire
Soumet ma fragile raiſon !
O vertu , voilà ton empire ;
Voilà le fruit de tes bienfaits,
C'eſt top agréable ſourire , į ,
Ce font tes innocens attraits
Qui , dans les fources de la vie,
Fomentent l'ardeur infinie
D'un feu qui ne s'éteint jamais.
Dans le fentier de la fagefle
Il eft des écueils dangereux ;
Il eft mille momens d'ivrefle
Où la scène change à nos yeux.
O mon amie , à ta foiblefle ,
Oppofe un effort généreux :
Des vains plaifirs fu's la moleffe ,
On n'eft point confolé par eux.
Préfère à leur vile impofture.
Les vrais devoirs de la nature.
"
OCTOBRE . 17717
55
Rends -lui compte de tes momens :
Dans le fein d'une tendre mère
Verfe le précieux falaire
De tes refpectables talens.
Quelle volupré nous anime ;
Quel charme répand fur nos jours
La voix de la publique eftime ,
C'est un bien qui dure toujours.
Sois efclave de la décence ;
De tes principes vertueux ,
A chaque inftant un calme heureux
Embélira ton existence .
La raison réglant tes defirs ,
Tu fentiras le bien fuprême
De jouir , par la vertu même ,
Des paffions & des plaifirs .
D'une faine philofophie
Je t'expofe ici le tableau ,
L'Amour eft le dieu de ma vie
Lui feul a conduit le pinceau .
C'est ce Dieu puiflant qui m'infpire :
Je m'abandonne à tous les traits ;
Soumis aux vertus que j'admire ,
Mon coeur te jure pour jamais
D'être fidèle à ton empire.
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
EPITRE à M. de Chamblage , Préfident
à la cour fouveraine de St Menges , fur
desfruits qu'il m'avoit envoyés.
TEs fruits , Préfident aimable ,
Flattent le goût & les yeux ;
Du plus délicat des dieux
Ils embéliroient la table...
J'en vois de plus merveilleux.
Dans ta demeure chérie ;
Fruits d'amour , dignes d'envie ,
Cent fois plus délicieux ,
Qui vont faire de ta vie
Le charme le plus heureux.
Les fruits exquis de Pomone
Raviflent quelques inftans.
S'il en furvit en automne ,
Le cruel dieu des Autans
A la hâte les moiffonne ;
Mais ceux que l'amour te donne
Charmeront dans tous les tems .
Sous les regards de Minerve
Ils mûriffent chaque jour ,
Qu'avec foin ton rendre amour
Les cultive & les conferve.
L'arbriffeau foible , en naiffant,
OCTOBRE. 1771 .
57
A befoin qu'on le ſoutienne.
Hélas ! même trop fouvent
Il tombe avant qu'il parvienne
A fon âge floriflant.
Tout-à-coup les vents mugiflent ,
Et les échos retentiflent
De fombres cris de terreur.
Jupiter avec fureur ,
Sur les peuples qui gémiffent ,
Lance fon carreau vengeur.
Vois la feuille jauniflante ;
Vois la tête languiflante
De l'arbre déraciné.
Je cherche en vain les veftiges
Des fruits tombés de les tiges ,
Les eaux ont tout entraîné.
Des élémens dans leur rage ,
Les triftes diffenffions
Sont la plus fidèle image
Des funeftes paffions
Qui tourmentent le bel âge.
Mais tes enfans , cher Chamblage ,
Trop fortunés rejettons ,
Réfifteront à l'orage.
Par tes leçons animés
Ils triompheront fans ceffe
Des triftes écueils femés
Sous les pas de la jeuneffe,
Cv
38 MERCURE
DE FRANCE:
Tes foins tendres , vigilans ,po
Feront naître leurs talens ;
Et de leur charmante mère ,"
Qui s'empreffe à les former,:
Ils apprendront l'art de plaire ,
Et de toi celui d'aimer .
ParM...., marchand à Besançon.
VERS fur les avantages de la Folie.
91 ith by Ral 9 °
Que nos ludit amabilis infania !..
camillycott
FOLIE , agréable déelle ,
(HOR.
Que n'as- tu pour moi les attraits
Que je trouve dans la fagede ?
Alors , avec délicateffe ,
Je pourrois crayonner ces traits ,
Cet air & cette gentilleſle ,
Dont toujours les charmes fecrets
Te gagnent la tendre jeunefle ,
Et font fouvent que la vieillefle
Se laifle prendre à tes filets ;
Alors , dans une douce ivrefle ,
Sans defirs comme fans regrets .
De la noire & fombre triſtelle
Je ne craindrois pas les accès ;
2
OCTOBRE 1771 . 1
59
Alors , guidé par l'allégrefle ,
Folie , aimable enchantereffe ,
J'irois célébrer à jamais ,
Et tes appas & res bienfaits.
Heureux qui t'aime avec tendreffe ;
Du plaifir qu'on pourfuit fans ceflè ,
Il goûte à longs traits la douceur ,
Tranquille il brave la douleur
Qui femble être notre partage ;
Ne paroît-il pas le vrai fage ?
Il vit au fein du vrai bonheur.
Acouvert de la noire envie ,
Il en méprife la fureur ;
La paix, la gloire de fa vie
Eft de marcher avec ardeur
Sous l'étendart de la Folie
Et d'en relever la fplendeur.
A fa célefte bienfaitrice
Il n'offre pas d'encens flatteur ,
Et s'il lui fait un facrifice , 1
y'
1
Il ne vient pas d'un coeur trompet .
Ce facrifice eft légitime ,
L'amour immole la victime , e
Et la victime c'est fon coeur.
Mars , ce dieu féroce & barbare ,
Ne rend pas heureux le guerrier ,
Et lorfque , d'une main avare ,
Il lui donne quelque laurier ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Ce monftre cruel & bilarre
Veut qu'un courage meurtrier
Lui falle peupler le tartare
Et défoler le monde entier.
Trifte laurier , préfent funefte!
Ah ! c'est trop cher quel'on vous vend,
L'homme qui penſe vous déteſte,
Toujours vous êtes teint de fang.
Thémis nous prêche qu'à ſa ſuite
L'on devient tendre & généreux ,
Faites - en l'objet de vos voeux ,
Vos chagrins vont prendre la fuite ,
Devenez donc fon profélyte ,
Tarir les pleurs des malheureux ,
Ce fera là votre mérite ,
Eft-il de fort plus glorieux ?
Vainement Thémis nous étale
Ses charmes , la gloire & fes dons ,
Pour faire écouter les leçons ,
C'eft dans un horrible dédale
Qu'elle conduit les nourriffons.
Ses loix ,je le veux , font divines ;
Mais pour débrouiller ce cahos ,
Il faut renoncer au repos.
Tes leçons tendres & badines ,
Folie , ont bien plus de douceurs ;
Thémis nous fait couler des pleurs ,
Ses champs font tout remplis d'épines ;
OCTOBRE. 1771 . Gr
Et les tiens font femés de fleurs.
Vivons au ſein de la Folie ;
A fon côté les doux plaifirs
Chaffent loin d'elle les loupirs ,
Etouffent la mélancolie ,
Et donnent des fers aux defirs.
Les ris , les jeux vont auprès d'elle
Fixer à jamais leur séjour,
Et le bonheur toujours fidèle
Ne s'éloigne pas de fa cour.
Pour compagnes inféparables
Elle prend l'affabilité ,
Le badinage , la gaîté ,
Toutes ces déeffes aimables ,
Que nous vante l'antiquité ,
Avec les graces adorables
Qu'elle veut pourtant fans fierté.
O Folie ô divinité !
Que je méconnus , que j'adore ,
Exauce mes voeux , je t'implore ,
Viens faire ma félicité .
Déjà de ton pouvoir fuprême ,
J'éprouve les foins généreux.
Alors qu'on te connoît on t'aime ,
Et dès qu'on t'aime , on eft heureux.
Par M. R. docteur en droit , d'Avignon.
62 MERCURE DE FRANCE.
A deux jeunes Epoux , le jour de
l'anniverfaire de leur mariage.
J'AL ' AI vu l'Amour embraffant l'hymenée ,
De leurs flambeaux ils confondoient les feux ,
Et l'Amitié , de rofes couronnée ,
Les uniffoit d'indiflolubles noeuds .
Je viens chez vous honorer ces trois dieux.
En vous voyant fortunés l'un par l'autre ,
Mon coeur jouit du bonheur de tous deux
Et c'eft ma fête auffi - bien que la vôtre .
Par M. B *** , officier du Corps royal
d'artillerie , à Strasbourg.
RACOM MODEMENT.
PARDON ARDONNE - MOI , ma charmanté maîtrefle;
Mon coeur fans doute eut trop d'emportement ,
Il eft fenfible , il s'afflige aifément ,
Un rien le flatte , un rien auffi le bleffe ;
t'accufa par excès de tendreffe ,
C'est un grand tort, mais crois que ton amant ,
S'il t'aimoit moins , feroit plus indulgent,
Ah ! tous les deux oublions un orage

Pag. 63.
Chanson .
Tempo di minuetto.
Octobre
1771.
Ai : mable
enfant
de Cythere Que fais-tu de
ton flambeau ? Tri- om-phe
d'un coeur severe Et
sur les
yeux de
gli
- cere viens arbo
-rer ton bandeau .
Les Paroles et la musique sont deMT... abonné.
De l'Imprimerie de Recoquillice rue Cristineprès du Notaire
Les
OCTOBRE. 1771: 63
Trop paflager pour troubler un beaujour ,
Et n'expions les fautes de l'Amour
Qu'en nous aimant , s'il le peut , davantage .
Par le même
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure du mois de Septem
bre eft le Vers ; celui de la feconde eft
Brouette ; celui de la troisième eft Cheminée
; celui de la quatrième eft Efcalier
Le mot du premier logogryphe eft Solia
veau , où l'on trouve fel, fol , ( terrein )
faoul , raffafié) Louve, a , e, i , o , u ,
olive , fuie , foie , ( de fanglier ) foie , ( à
faire des étoffes ) Louis , ( d'or ) fol oufou,
( monnoie ) le , vous , io , où , ou , oui
Elias , Siloe ou filo , fol , la , fi , vis , lie ,
celui du fecond eft Joue , où l'on trouve
Eu , jeu , quie celui du troisième eft"
Carillonneur , où l'on trouve larroR
cruel , caillou , lion , âne , anon , cor ,
roc , carriere , ire ; ( colère ) celui du quatrième
eft Chanfon , où l'on trouve fon ,
ha , canon.
82
64 MERCURE DE FRANCE.
JI
ENIGME
Jx fuis , lecteur , ainfi que tof ,
Compofé d'un corps & d'une ame ;
Je ne fuis point garçon , homme , fille ni femme,
Et les fais quelquefois tous courir après moi :
Mais pour mieux jouer ma marote ,
On me lie & l'on me garote,
Et fi vous brifez mon lien ,
En me tenant vous ne tenez plus rien.
Ouvre les yeux , lecteur , enfin je vas paroître ;
Tel que je fuis , tu peux , fi tu veux me connoître
.
J'ai la taille fort courte avec un col très - long ;
Et la tête petite , avec un oeil très - rond.
Je ſuis de ma nature un tant foit peu fragile ,
Et qui me conduit bien a la main fort agile.
Symbole de gaîté , je ranime à tout âge.
Infpirer le plaifir fut toujours mon partage.
J'amufe également & le fol & le fage ,
Et quelquefois entr'eux j'ai caufé du tapage.
Par mes cris redoublés je plais aux Demoiſelles ,
Et leur déplais fouvent quand je fuis trop près
d'elles.
Pour me faire parler , la baguette à la main ,
Souvent tel qui me tient s'eſcrime en vrai lutin.
On metrouve à la ville ainfi qu'à la campagne ,
OCTOBRE . 1771 65
Et ne fuis peu pour toi fi tu n'as ta compagne.
Cherche- moi bien , lecteur , fi tu ne me tiens pas ,
Souviens-toi cependant que j'ai guidé tes pas .
Par M. D... Comté de R... près
la Ferté- Soujouarre.
DANS ma
AUTR E.
ANS ma maison des champs , j'élève unc
beauté
Si tendrelette ,
Si rondelette ,
Quel'oeil ne peut la voir fans en être enchante
Et cette belle ,
A peine a -t-elle
Quatre mois accomplis ; mais fon corps eft fifait
Qu'on ne voit guère ,
Jeune bergère ,
A l'âge de quinze ans l'avoir auffi parfait .
Peau délicate :
Son tein éclate
De roles & de-lys : fans parure & fans fard ,
C'eft la nature ,
Dont la main
pure
Surpaffe , enfe jouant , tous les efforts de l'art :
Petite laine ,
66 MERCURE
DE FRANCE
.
Qu'on voit à peine
Au tour de fon beau corps , forme un tapis léger.
Mais , ô trifteffe !
1
Cette maîtreffe
A lecoeur, fans mentir , auffi dur que l'acier.
Par M. Ġar....lejeune , d'Auxerre.
AUTRE.
QUOIQUE de très-peu de valeur ,
Si l'on poffédoit tous mes frères
On feroit un riche ſeigneur ;
Mais la choſe ne ſe peut guères.
Dans le monde trop répandus
Souvent nous aidons l'indigence ,
Et qui parvient à l'abondance ,
Alors ne nous eftime plus ;
Tous les jours je me mets en quatre
Pour foulager le malheureux ,
Et cette ceuvre , loin de rabattre
Le mépris du riche orgueilleux ,
Fait qu'il me dedaigne encor mieux.
Il n'eft pas ,jufqu'à mon nom même ,
OCTOBRE. 1771 67
Qui, pris dans un fens différent ,
N'offre un objet très - dégoûtant
Qu'abrutit un défaut extrême.
Par M. le Clerc de la Motte , capitaine
au régim, d'Orléans infanterie.
LOGO GRYPH E.
Je dois obtenir des faveurs ,
Carje fuis formé pour les graces ;
Chez les grands , & chez les feigneurs,
On peut voir maintes de mes traces :
D'abord , j'ai fix pieds bien comptés z
Lecteur , font-ils décapités ?
Je t'offre net certaine chofe ,
Que je crains de trop décéler ,
L'aimable Iris , la jeune Rofe ,
Sçauroient bientôt me dévoiler :
Pourras -tu long-tems te méprendre,
Et ne dois - tu pas mé comprendre ?
Dois-je ajouter que chaque jour
Je leur fais de très - près ma cour ?
Je fers alors à la toilete ,
Et de Thémire , & de Lifete ,
Ah ! qui pourroit être alarmé
Du fer dont je me trouve armé?
63 MERCURE DE FRANCE.
Les pointes n'en font pas mortelles ,
Elles font plaifir à nos belles ;
Je ferois un très - beau bouquet ,
Non de jafmin , non de muguet ,
Mais d'oeillets ... Si ceux que j'enferre
Etoient produits dans un parterre ;
Faut-il t'aider d'un trait nouveau ?
En moi , cherche un grand amas d'eau :
Je vais t'en dire plus encore ,
L'une des races de nos Rois ,
Dont nous chériffons tant les loix.
Par M. M... de Savigny:
EN
AUTRE,
‚N naiſſant , de la nature
J'ai reçu maint trait vengeur
Qui, par fanglante bleſſure
Repouffe le raviffeur :
Sous ma défenſe une Reine
Semblefans cefle avertir
Qu'il faut paffer par la peine
Pour arriver au plaifir.
Si tu prends la patience ,
Lecteur , de me défunir ,
A tes yeux quelle abondance
OCTOBRE . 1771. 69
Ne vais-je pas découvrir !
Trois de mes pieds à la France
Donnent de quoi la nourrir :
En quatrel'on trouve enfemble
Tout ce qui fert à vêtir,
Crɔis - moi , bornant ton defir
A ces biens que je raſſemble ,
Songe à me fuir ; fur- tout tremble
De connoître , de ſentir
Ce que mon corps va t'offrir
Et qui mérite ta haine :
Un mal phyfique & moral
Qui , par un deftin fatal ,
Afflige la race humaine.
Par M. L. B. av. à Metz.
AUTRE.
VOILA quel eft mon portrait ,
Tantôt fenfé , tantôt bête ;
Je ne fuis au cabaret
Que quand j'ai perdu la tête.
Par M. Gar.., le jeune , d'Auxerre,
70 MERCURE DE FRANCE .
DANS
AUTRE
ANS mon enclos le plus fouvent
Logeroit une armée entiere ;
Mais fi l'on met mon cou par terre
On ne tiendra plus que du vent.
Par le mêmé
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Thérèfe Danet à Euphémie , héroïde par
M. Imbert ; in- 8 ° . A Paris , chez Delalain
, libraire , rue de la Comédie
Françoife.
1
L'AUTEUR de cette héroïde , pour mieux
nous en faire connoître le fujet , nous
donne le précis de l'hiftoire de François
Monbailli qui vient d'être condamné
comme parricide par le Confeil d'Arras.
François Monbailli & Thérefe Danet ,
natifs de St Omer , étoient unis par l'amour
le plus tendre ; cet amour ne fit que
OCTOBRE . 1771. 71
s'accroître par le mariage. Mais la jeune
Danet n'avoit reçu du Ciel que des attraits
, & n'apporta en dot à fon mari que
des vertus ; crime impardonnable aux
yeux de fa belle mère , femme intéreffée
& vindicative qui , n'ayant pu empêcher
leur union , réfolut de la rendre funefte ,
s'il étoit poffible , à l'un & à l'autre , par
les plus injuftes perfécutions . La jeune
épouſe n'oublia tien pour captiver fa rendreffe
mais tous fes efforts ne fervoient
qu'à aigrir cette femme inflexible qui ,
n'ayant pu réuffir à les brouiller , s'abandonna
, fans réferve , à toute fon averſion .
Elle leur fit fignifier un ordre de fortir de
chez elle dans vingt - quatre heures . Monbailli
, inconfolable , court chez les parens
de Thérefe Danet fon époufe : « Venez ,
» mes amis , s'écria - t il , venez vous jeter
» avec moi aux pieds de ma mere ; for-
» çons la , s'il fe peut , à révoquer un of-
» dre fi cruel & fi injufte. » On rentre ,
l'heure de fon reveil étoit paffée ; elle
n'avoit point encore paru . Impatient, on
pénétre dans fon appartement . Quel fpectacle
! à leurs yeux s'offre un cadavre hideux
étendu fur un coffre , la tête penchée
vers la terre. A cet afpect , Monbailli
pouffe un cri , tombé auprès de la
12
72
MERCURE DE FRANCE.
mere, & y demeure auffi glacé qu'elle .
L'art des chirurgiens l'ayant avec peine
rappelé à la vie , on le tranfpotte dans un
autre appartement , où , dans les bras de
fon époufe, il pleure la mort de fa malheureufe
mère. Tout- à coup fe répand
un bruit fourd qui s'accrédite en circulant.
On l'accufe hautement de parricide. Leur
longue méfintelligence , l'ordre fignifié la
veille à Monbailli , préte de la vraifemblance
à cette horrible accufation ; & le
rapport des chirurgiens qui , trompés par
quelques meurtriffures , ont attribué cette
mort à l'action d'un inftrument contundant
, femble mettre le crime en évidence.
Le malheureux Monbailli , chargé de
fers , eft traîné ignominieufement en pri
fon & condamné à périr avec fon épouſe.
Il fubit fon arrêt avec la fermeté la plus
conftante , au milieu de fes concitoyens
qui , par leurs cris & leurs fanglots , le
proclamoient innocent. Le fupplice de fa
femme a été fufpendu à cauſe de fa grolfeffe.
L'auteur ne prononce point ici fur les
preuves de leur innocence . Il renvoie le
lecteur au mémoire éloquent de M. Hue
du Taillis. Il fe borne à dire que du rapport
des chirurgiens même , vérifié par
M.
OCTOBRE . 1771 . 73
Monfieur Louis , il réfulte que la mère
de Monbailli eft morte d'apoplexie.
« C'eſt bien ici , ajoute - t- il que le fage
» feroit quelquefois tenté de murmurer
» contre la Providence ; car ces événe-
» mens défaftreux ne font point particu-
» liers à notre nation . » Le fage répandra
des larmes amères fur la précipitation
avec laquelle la plupart des homines jugent
leurs femblables , fur les erreurs &
les préjugés qui accompagnent fouvent
leurs jugemens ; mais il ne murmurera
point contre la Providence pour des maux
paffagers qui affligent l'homme de bien ,
ou que la mort doit néceffairement terminer?
Ne fait-il pas que ces maux font
néceffaires au maintien des loix de la nature
, que les années que nous paffons icibas
ne font que quelques inftans de notre
exiftence , puifque notre ame eft immortelle
? Or , que font tous ces inftans même
paffés dans la douleur en comparaifon
de l'Eternité de bonheur réservé par
un Dieu jufte & puiffant à l'homme vertueux
?
La veuve de Monbailli eft fuppofée ici
écrire du fond de fa prifon à Euphémie
fon amie. Son épître a cette éloquence
qui naît de la fituation pathétique où, ſe
I. Vol. D
74
MERCURE
DE FRANCE
.
trouve cette infortunée. Elle adreffe a
la Divinité cette prière qui termine l'héroïde.
Dieu jufte , avec mon fils , tu me vois à tes pieds,
Son père ne vit plus ; on lui ravit fa mère :
Mais il n'a rien perdu fitu lui fers de père.
Appui des innocens , toi qui combats pour eux ,
Venge mon infortune en le rendant heureux.
Je goûtois le bonheur , je l'ai perdų fans crime ,
Tu le fais , ô mon Dieu , l'injuſtice m'opprime
Et du lit nuptial me traîne à l'échafaud ;
Mais fij'espère en toi , du fond de mon cachot ,
Et fi tu dois encore un prix à mon courage ,
Ce prix eft à mon fils , qu'il foit fon héritage ;
Et que ce fils , du moins , par le malheur Aétri ,
Ne maudiffe jamais le flanc qui l'a nourri.
>
Systême nouveau & complet de l'art des
Accouchemens tant théorique que
pratique , avec la defcription des maladies
particulieres aux femmes enceintes
, aux femmes en couche , & aux
enfans nouveaux-nés. Traduit de l'anglois
de J. Burton ; par M. Lemoine ,
docteur-régent de la faculté de Médecine
en l'Univerfité de Paris ; ouvrage
OCTOBRE . 1771 : 75
enrichi de notes , avec dix-huit figures
; vol . in 8°. A Paris , rue St Jacques
, chez J. Th. Hériffant , père ,
imprimeur du cabinet du Roi , & Maifon
de Sa Majesté .
Quoique les écrits fur l'art des accouchemens
foient multipliés , cependant on
ne peut manquer d'accueillir cet ouvrage
de M. Burton . Nous obferverons ici avec
l'auteur que la plupart des hommes ſe
trompent en confidérant les accouchemens
plutôt comme un art que comme
une fcience. Les accouchemens font un
art , quant à l'opération manuelle ; ils font
une fcience , quant aux différens maux
qui affligent les mères , & qui accompagnent
fréquemment leur groffeffe & leurs
couches ; maux qui requièrent plus de
connoiffances médicinales que d'habileté
à opérer: c'eft pour cela que le favoir &
la dextérité font néceffaires à l'accoucheur
; & lorfque ces qualités s'y trouvent
en effet réunies, les femmes s'en
trouvent beaucoup mieux , fur tout celles
qui , vivant loin des grandes villes , ne
peuvent avoir auffi promptement le fecours
du médecin.
M. Burton expofe dans fon traité les
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
nouveaux moyens qu'il a imaginés pour
délivrer les femmes dans les cas les plus
fâcheux , non-feulement avec plus de fûreté
pour elles & pour leurs enfans , mais
encore avec plus de facilité & de promptitude
que par les méthodes ordinaires.
Son traité contient d'ailleurs plufieurs
pratiques & plufieurs remarques importantes
, la plupart nouvelles & appuyées
fur le raifonnement & l'expérience , les
plus fûrs guides dans toutes les parties de
la médecine. Lorfque M. Burton s'eft vu
obligé de rapporter des faits fur la foi des
autres pour confirmer fon fentiment ou
le rendre plus intelligible , il a eu foin de
citer exactement fes garans . Auffi ce traité
a eu le plus grand fuccès en Angleterre.
Les notes & les obfervations de M.
Lemoine , le foin que ce traducteur éclai
ré a pris d'appuyer ou d'éclaircir par de
nouvelles autorités les fentimens de l'auteur
Anglois , de fuppléer à plufieurs articles
qu'il avoit paffés fous filence ,
combattre même quelques opinions qui
ne paroilloient point affez conftatées ou
qui fouffroient quelques exceptions , rendront
la lecture de ce traité plus inftructive
& d'une utilité encore plus générale,
plus certaine pour tous ceux qui font leur
de
OCTOBRE . 1771. 77
étude de l'art des accouchemens . M. Lemoine
a fait hommage de fa traduction à
M.Petit, docteur régent de la faculté de médecine
en l'Univerfité de Paris , membre
des académies royales des fciences de Paris
& de Stockolm , de la fociété d'agriculture
, ancien profeffeur public d'anatomie
& de chirurgie & de l'art des accouchemens
, & infpecteur des hôpitaux.
militaires du royaume. Cet hommage eft
une nouvelle recommandation pour l'ouvrage.
Manière de bien juger des ouvrages de
Peinture , par feu M. l'Abbé Laugier ;
miſe au jour & augmentée de plufieurs
notes intéreffantes par M. *** ; vol .
in- 12 . A Paris , chez Claude- Antoine
Jombert , fils aîné , libraire , rue Dauphine.
Feu l'Abbé Laugier étoit un amateur
zélé , un homme de goût , un écrivain
qui favoit préſenter fes idées avec agrément
comme on peut le voir par les obfervations
que nous avons de lui fur l'ar
chitecture , & même par cette manière de
bien juger des ouvrages de peinture . Cer
écrit qu'il fe propofoit de publier ne don-
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
nera pas vraisemblablement le fentiment
du beau à ceux qui en font dépourvus , &
fans lequel cependant on ne portera jamais
un jugement fain fur les chefs - d'oeuvre des
beaux arts. Cette manière de bien juger ſera
néanmoins utile en ce qu'elle pourra contribuer
à reveiller parmi nous le goût pour
la peinture . Cet écrit d'ailleurs , en faifant
connoître toutes les qualités que l'on
a droit d'exiger de celui qui veut fe porter
juge des artiftes , mettra le Public en
garde contre la charlatanerie des demiconnoiffeurs
; cet écrit contribuera da
moins à réprimer cette démangeaifon de
prononcer i ordinaire à ceux qui ignorent
toute l'étendue de l'art dont ils font
T'objet d'une critique , capable fouvent
de décourager l'artifte. Mais que l'on ne
s'y trompe point , le nom d'artiste n'eſt ici
accordé qu'à celui qui , animé du beau
feu qui échauffa Homère , Virgile & tous
les grands poëtes , cherche , à leur exemple
, à nous donner un fentiment plus
profond de notre excellence par des
pofitions nobles , vives & animées .
com-
L'Abbé Laugier a divifé cette manière
de bien juger en trois parties. Il expofe
dans la première les qualités qu'il faut
avoir pour être juge en peinture ; dans la
OCTOBRĒ. 1771. 79
feconde , les connoiffances qu'il faut acquérir
, & dans la troifieme la méthode
que l'on doit fuivre.
Les qualités néceffaires pour être en
état de prononcer fur les perfections &
les défauts des ouvrages de peinture font
un grand amour de l'art ; un efprit fin &
pénétrant ; un raifonnement folide ; une
ame pleine de fenfibilité ; une équité impartiale.
Si l'on n'eft pas naturellement
amateur , on ne fera jamais en état de
bien juger des ouvrages de peinture. Ici ,
comme en tout le refte , l'inclination attefte
le talent , le développe & le met en
oeuvre. « L'amour des beaux arts , s'écrie
» ici l'Abbé Laugier , riche préfent de la
» la nature , multiplie au tour de nous les
» plaifirs ; il nous prépare , pour tous les
» lieux & pour tous les tems des délices
toujours nouvelles. Quiconque reffent
l'aiguillon de cet amour n'a point à
» craindre l'ennui , ce tyran univerfel de
» la félicité des hommes : il eft fûr de ne
»jamais manquer d'amufement , & de
"
"
goûter fans dépendance les fatisfactions
» les plus pures. Livré aux illufions d'un
» art aimable , qui fe prête à tous fes de-
» firs , il trouve dans la contemplation
» d'une foule de prodiges qui fe fuccé-
Div
MERCURE DE FRANCE.
"
dent , une étude pleine d'attraits . Que
» l'on eft àplaindre , quand on n'éprouve
e pas cet amour enchanteur de combien
» de voluptés innocentes n'eft - on pas
35
privé ! quel vuide ne laiffe pas dans le
» coeur cette trifte indifférence qui lui
» dérobe l'efpèce la plus délicate & la
partie la plus nombreufe de fes plaifirs !
» Heureux amateurs que votre vie eft
» fortunée ! à la joie de mille goûts fatis-
» faits , vous joignez inceffamment l'at-
» tente de mille autres goûts à fatisfai
» re. »
Un efprit fin & pénétrant eft la feconde
qualité que l'Abbé Laugier exige dans
celui qui prétend juger les ouvrages des
artiftes. Cette fineffe d'efprit eft peut être
des dons du Ciel le plus rare . Delà les
difputes qui partagent les plus habiles
eux- mêmes , tous voyant les mêmes chofes
, mais chacun apportant dans fes obfervations
particulieres un degré de fagacité
plus ou moins approchant du but ; &
comme ce qui appartient à la fineffe d'efprit
n'eft pas fufceptible de démonſtration
géométrique , chacun perfifte dans
fon opinion ; l'orgueil tient lieu de raifon
, & triomphe feul dans la réſiſtance
& le choc des opinions contraires. Delà
OCTOBRE . 1771 .
les plaintes fréquentés des auteurs qui
réclament contre la décifion de leurs juges
, prétendant qu'on leur fait dire &
penfer des chofes , ou fort étrangeres , ou
entierement oppofées à leur intention.
De bonnés gens confidéroient un jour la
ftatue de la place des Victoires : Voisdifoit
l'un , cet Ange qui lui met la
couronné fur la tête , cela fignifie que
Louis XIV eft un faint . Oh oui , dit l'autre
, fi c'étoit un faint , on l'auroit mis dans
une églife , & non pas au milieu d'une
place . Ces gens- là n'avoient pas l'efprit
bien fin. Il nous repréfentent une infinité
de perfonnes qui , fans être tout - à-fait fi
groffieres , ont une maniere de voir qui
ne diffère pas beaucoup de la leur.
L'Abbé Laugier difcute les autres qualités
néceffaires à un juge en peinture . On
feroit quelquefois tenté , après avoir vu
toutes les connoiffances qu'il exige de ce
juge , de demander à l'auteur ce qu'il
faut de plus pour être peintre. Il répondroit
fans doute , l'opération de la main .
Il ne regarde cependant pas la partie de
l'exécution comme la plus effentielle d'un
ouvrage de peinture. « Un tableau , dit-
» il , parfaitement bien inventé , quand
même il feroit médiocrement peint ,
Dv
82 MERCURE DE FRANCE :
» réuffira beaucoup mieux que s'il étoit
» du pinceau le plus excellent , avec une
» invention médiocre . » Qui doate néanmoins
que c'eft la correction & la grace
du deffin , la beauté du coloris , une exécution
parfaite enfin qui vivifie les penfées
du peintre & répand fur toutes les
parties de fa compofition les différens
fentimens dont le fpectateur doit être affecté.
L'harmonie des vers de Racine ,
fa diction pure , élégante , animée feront
toujours préférer fes tragédies à celles de
Pradon . C'eft également la partie de l'exécution
qui fera diftinguer le tableau d'un
grand maître de celui d'un copifte ou
d'un artiste médiocre . Mais , comme l'ob
ferve l'éditeur éclairé de cette manière de
bien juger , ( artifte connu & qui a fouvent
rectifié par des notes intéreffantes
les obfervations de l'Abbé Laugier ) ce
qui engage tant de perfonnes à attacher
un fi grand mérite à concevoir l'idée d'un
tableau , c'eſt une petite illufion de l'amour
propre. Chacun fe flatte d'avoir de
l'invention ; on fe figure aifément qu'on
eft rempli d'idées qui feroient excellentes
, fublimes , fi on pouvoit les faire
exécuter d'une manière qui répondit à
notre imagination ; mais qu'on ne s'y
OCTOBRE . 1771
83
trompe pas , on conçoit également cette
bonne opinion de foi - même fur des idées
vagues & fans confiftance , comme fur
des idées nettes & diftinctes. La grande
& très-grande difficulté , c'eft de réalifer
ces idées générales , qui ne font qu'en
méditation ; c'eft de les expofer d'une
manière noble , élégante & animée ; c'eft
de conferver dans l'exécution ce prétendu
feu d'imagination .
"
" La bienféance , obferve l'Abbé Laugier
dans un autre endroit de fon ou-
» vrage , ne permet pas de rendre toutes
fortes de figures volantes . S'il eft quef-
» tion d'un fujet fabuleux , on ne doit
» faire voltiger dans les airs que les mi-
>> niftres inférieurs des divinités princi-
» pales , ou ces fortes de génies auxquels
» l'ufage & la convention ont attribué
» des aîles. Les divinités ne doivent pa-
» roître que fur des chars de nuées , feule
» attitude qui convienne à leur majeſté.
Dans le beau tableau du facrifice d'Iphigenie
, je ne fçaurois goûter l'atti-
» tude de Diane , qui fond du haut des
» cieux . Ce mouvement ne convient qu'à
» un meffager de la divinité , & non
point à la divinité elle - même . S'il s'agit
d'un fujet d'hiftoire fainte , la Re-
"
و و
»
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
"
>>
39
ligion ne nous préfente que les Anges
qu'il foit poffible de faire voltiger dans
» les airs ; Dieu & fes Saints ne peuvent
remplir cette fonction , qui n'est don-
» née qu'à ceux à qui l'habitude accorde
» des aîles. Dieu doit toujours paroître
» avec la majeſté la plus éclatante , placé
» au haut des cieux dans un état de
repos,
» & regardant les chofes d'ici bas de l'oeil
» d'un maître infiniment fupérieur à fon
» ouvrage. Les Saints ne doivent paroî-
» tre dans les airs , ou que dans un état
» de contemplation & d'extafe en pré-
» fence du Dieu , centre de leur bonheur
; ou portés par les Anges vers la
région célefte , & en attitude de gens
» qui courent à la fuprême félicité . Les
Anges feuls doivent être mis au rang
» des figures volantes , & il faut toujours
» que leurs mouvemens libres & faciles
» foient pleins de légereté. Il eft abfurde
" & indécent , dans un affomption de la
"
"
"
99
Vierge , ou dans l'apothéofe de quel-
» que Saint , de repréſenter des Anges
qui font des efforts violens , qui fuc-
» combent fous la péfanteur de leur char-
» ge , & qui , au lieu de s'annoncer pour
» de purs efprits , agiffent en lourds &
» gros porte- faix. » L'éditeur obſerve ici
OCTOBRE. 1771. 85
judicieufement que la critique de l'Abbé
Laugier , jufte dans quelques points , ne
l'eft pas dans tout. Diane venant au fecours
de la victime , fur laquelle le cou
teau eft levé , doit paroître venir avec ra.
pidité , fans quoi l'intérêt du danger preffant
s'évanouiroit. Il eft fans doute contre
la bienféance de faire voler Dieu & fes
Saints lorfque le fujet exige de n'envifager
la Divinité que comme jouiffante de
fon inaltérable béatitude ; mais il eft des
cas où on la fuppofe agiffante, & perfonne
n'a blâme Raphaël d'avoir repréſenté
l'Eternel volant à travers l'efpace pour
créer le foleil & la lune. Il en eft de même
de Dieu appatoiffant à Moïfe dans le
buiffon ardent. Il n'eft pas exactement
vrai pon plus , qu'on ne puiffe faire voler
que les figures à qui l'habitude donne des
aîles . Jefus Chrift , fortant du tombeau ,
s'élève dans les airs par la feale vertu de
fa divinité. Il y a même beaucoup plus
de dignité à faire voler une figure par la
feule action de fa volonté , qu'à lui ajouter
les fecours phyfiques des aîles. C'eſt
lui fuppofer une pefanteur matérielle &
capable de contrarier fa volonté . Elles ne
conviennent donc qu'à des êtres fubordonnés
, comme les Anges , ou à des di86
MERCURE DE FRANCE.
vinités fubalternes , comme la Victoire ,
la Renommée ; mais Junon , Vénus
Minerve , peuvent voler fans aîles , ni
fi on le veut.
nuages ,
« Il eſt étonnant , obferve encore l'Ab-
» bé Laugier , que la plupart des peintres
» n'aient pas fenti combien il eft ridicule
» de faire paroître dans des plafonds des
» tourelles , des montagnes , des fabri-
» ques d'architecture , avec nombre de
» figures à terre. Ne voudra- t-on jamais
"
comprendre qu'on ne doit peindre en
» l'air que des fujets anciens ? La fable,
» peut en fournir plus d'une espèce ; l'hif-
" toire fainte , moins féconde en ce gen-
» re , en fournit pourtant un affez grand
» nombre. Mais , en général , on doit
"
prendre pour règle que tout fujet dont
» l'action ne peut fe paffer , ou dans les
» airs ou dans les cieux , n'eft point un
fujet propre à un plafond . Ainfi quand
» je verrai à la voute d'une églife un cru-
» cifiement , une réfurrection , une def-
» cente du St Efprit , je ferai toujours
choqué de voir au - deffus de ma tête
des actions qui fe font paffées fur le
globe que je foule aux pieds . » 11 eft
vrai , ajoute l'éditeur , qu'on hafarde quelquefois
dans les plafonds des chofes qui
bleffent le jugement naturel . Cependant
>>
و
OCTOBRE. 1771 : 87
on ne peut pas blâmer que fur les bords
d'un plafond il y ait quelques figures pofées
fur des terreins , pourvu que ces terreins
foient bien traités , comme vus du
point où l'on fuppofe le fpectateur placé.
C'eft alors comme fi on étoit au fond d'un
temple fouterrein , ou autre lieu enfoncé
dont les terres adjacentes fuffent retenues
par la réfiſtance des murs ou d'une partie
de la voute : & cela n'eft nullement contraire
à la poffibilité . Il est vrai que ce
n'eft que fur ces bords que l'on peut hafarder
de l'architecture
, ou autres corps
pefans , & que plus on approche du milieu
du plafond , plus la fuppofition devient
abfurde & impoffible à mettre dans
une perſpective vraisemblable.
Parmi les obfervations de l'Abbé Laugier
fur l'architecture il s'en est trouvé
plufieurs qui étoient hafardées ou fufceptibles
de quelque modification . C'eft le
jugement que l'on portera également de
celles qu'il fe propofoit de publier fur la
peinture. L'éditeur s'eft chargé lui- même
de relever les opinions de l'auteur contraires
aux principes reçus parmi les artiftes
inftruits & éclairés , & il a rendu
ce moyen l'ouvrage de l'Abbé Langier
d'une utilité plus générale , plus sûre
par
88 MERCURE DE FRANCE.
plus agréable même pour les amateurs &
ceux qui font leur étude de la peinture .
Cet écrit eft terminé par une espèce
d'appendice où l'auteur expofe quelques
vues propres à favorifer les progrès de la
peinture. Il s'élève fur tout contre ce goût
des plus gothiques & des plus mefquins
qui a fubftitué dans la plupart des maiſons,
aux beaux & grands tableaux , la décoration
des vernis de mauvaiſe odeur & l'infipide
tranfparent des glaces . Le plaifir de trou
ver aifément de quoi contempler fa figure
a donné auprès des femmes & des petitsmaîtres
un grand mérite aux glaces. Cer
intérêt les a multipliés jufqu'au degré de
la plus abfurde bizarrerie. L'objection
que l'on fait ordinairement que les tableaux
rendent un appartement trop férieux
& prefque trifte , ne peut être dictée
que par la plus aveugle frivolité. Rien
n'eft moins trifte que ce qui eft beaucoup
diverfifié , ce qui occupe l'efprit , ce qui
parle au coeur. Du damas , des vernis &
des glaces ont une vraie trifteffe , parce
que tout cela ne dit rien à l'ame . Mais
des traits d'histoire qui font fous les yeux ,
où le fpectateur voit des fituations pleines
d'intérêt , & le langage des paffions
exprimé avec force , banniffent loin de
OCTOBRE . 1771 . 89
lui toute impreffion de mélancolie &
d'ennui .
Elémens de Chirurgie pratique , faiſant
partie des oeuvres de feu M. Ferrein ,
docteur des Univerfités de Paris & de
Montpellier , profeffeur d'anatomie &
chirurgie au jardin du Roi , lecteur &
profeffeur au collège royal , de l'académie
des fciences , &c. rédigés & mis en
ordre fur les propres manufcrits de l'au
teur ; par M. Hugues Gauthier , médecin
du Rei , docteur régent de la faculté
de médecine en l'Univerfité de
Paris , docteur en médecine & chirurgie
de celle de Montpellier ; in- 12. ,
tome I '. A Paris , chez Butard , imprimeur-
libraire , rue St Jacques , à la Vérité
; & Jombert , fils aîné , libraire, rue
Dauphine .
C'eſt un élève de M. Ferrein , c'eſt un
difciple zélé pour la gloire de fon maître
qui , dans la vue de répondre à l'empreffement
du Public pour les écrits du célè
bre Profeffeur , publie aujourd'hui le premier
volume de fes élémens de chirurgie.
Le fecond volume , comme on nous en
prévient dans un avertiffement , eſt ſous
preffe. Si le Public goûte cet effai , M.
ود MERCURE DE FRANCE.
Gauthier fe propofe de donner enfuite
les maladies des yeux ; la médecine analytique
, avec la thérapeutique ou matière
médicale ; les oeuvres anatomiques , &
enfin quelques morceaux détachés du mê
me auteur pour preuve de fon génie réellement
créateur , & il aura foin que chaque
volume ne fe falle point attendre plus
de fix mois.
La chirurgie , fuivant la définition
qu'on nous en donne ici , eft cette partie
de la médecine qui s'applique à guérir les
maladies extérieures du corps par l'opération
de la main , aidée des inftrumens ou
des topiques , ou même de certaines machines
, quand il ne s'agit que de quelques
défauts de conformation , ou de contenir
une partie qui a été remife en fituation
après avoir été déplacée. Les élémens
de cette partie de la médecine font expofés
dans cet ouvrage avec méthode , clarté
& précision. Le célèbre Ferrein les avoit
adoptés dans fes leçons publiques , & fon
difciple , en les redigeant, a cherché à former
un corps de doctrine qui pût éclairer
les jeunes chirurgiens , & contribuer à la
gloire de fon maître qui n'enfeignoit rien
qui ne fût fondé fur l'obſervation la plus
conftante , la critique la plus faine , & la
OCTOBRE. 1771
connoiffance de l'anatòmie & de l'écono
mie animale la mieux approfondie .
Hiftoire civile & naturelle du royaume de
Siam , & des révolutions qui ont bouleverfé
cet empire jufqu'en 1770; publiée
par M. Turpin , fur des manufcrits
qui lui ont été communiqués par
M. l'Evêque de Tabraca , vicaire apoftolique
de Siam , & autres Miffionnaires
de ce royaume ; 2 vol. in - 12 . A
Paris , chez Coftard , libraire , rue St
Jean- de- Beauvais .
Si l'hiftoire eft une leçon utile pour le
fage , c'eft fur-tout lorfqu'il jette les yeux
fur la diverfité de moeurs & de caractères
qui diftinguent les nations. Plus il y a de
diſtance entre deux peuples , plus auffi
cette oppofition de moeurs & de caractères
eft frappante & fenfible . « La comparai-
» fon qu'on peut en faire contribue , fui-
» vant la réflexion de l'hiftorien , à détruire
les préjugés nationaux . C'eft le
» moyen de ne plus attacher trop d'im-
» portance à des ufages bizarres accrédités
par leur antiquité , & fouvent an-
> noblis par d'illuftres exemples. Le fpe-
» ctacle de ce déluge d'erreurs qui capti
ود
2 MERCURE DE FRANCE .
"
» vent la raifon de tous les peuples, nous
difpofe à les fupporter : & en voyant
» que chacun a fa lèpre , on apprend à
plaindre ceux qu'on croyoit avoir droit
» de hair.
Les productions variées de l'Inde
font devenues des befoins réels pour
» l'Europe , qui n'eftime que ce qu'elle
» n'a pas. Il faut donc connoître la fource
» de ces richeffes d'opinion , & étudier
» les moyens de nous les approprier ,
"
puifque nous n'avons pu réfifter à la
» tentation d'en jouir. » C'eſt dans cette
vue que l'on joint ici à l'hiftoire des
moeurs , ufages & révolutions de Siam ,
la defcription de fes productions naturelles
.
L'origine du nom de Siam eft inconnu
à fes propres habitans. Ceux qui s'appuyent
du fecours des étimologies le dérivent
de la langue Pégouane , où le mot
Siam fignifie libre : auffi ces peuples fe
glorifient de porter le même nom que les
François.
M. T. n'entreprend point de déchirer
le voile qui couvre le berceau de cet empire.
Les Siamois n'ont jamais connu
l'art de l'imprimerie qui , feul , peut confacrer
les vertus & les foibleffes de ceux
OCTOBRE. 1771 . 93
qui préfident aux deftinées publiques.
Leurs monumens hiftoriques ne font fondés
que fur des fables groffières & des traditions
accréditées par l'impofture des
Talapoins ou Prêtres Siamois , habiles à
fubftituer le merveilleux à la vérité. Ce
peuple ne peut donc nous être connu que
depuis la découverte des Indes par les
Portugais ; c'eft auffi à cette époque que
M. T. fixe l'hiftoire qu'il nous en donne.
Tout femble d'ailleurs indiquer la jeuneffe
de ce royaume , les terres y font fi
baffes que les inondations s'y renouvellent
tous les ans . Il eft donc à préfumer
que les premiers hommes qui fe déterminèrent
à l'habiter y vinrent des contrées
voisines à mesure que la mer , laiffant
les campagnes découvertes , les rendit
fufceptibles de culture.
Les Géographes ne s'accordent point
fur la fituation de ce royaume . On fçait
qu'il eft placé dans la prefqu'ifle de l'Inde
fur une étendue de cent vingt lieues de
longueur , & un peu plus de cent dans fa
plus grande largeur . Il ne paroît pas que
le pays foit extrêmement peuplé , puifque
dans le dernier dénombrement on ne
compra que dix - neuf cens mille ames
dans tout le royaume , où chaque année
94 MERCURE DE FRANCE:
on tient un regiſtre exact des hommes ,
des femmes & des enfans.
Les Siamois appelent la ville royale
Sigathia , ou fimplement Crumg , c'eſt - àdire
la cour. Cette ville eft non feulement
une ifle , mais elle fe trouve encore placée
entre plufieurs autres qui en rendent
la fituation très -finguliere . Trois grandes
rivieres , dont la fource fe trouve dans les
terres fupérieures , l'entourrent de toutes
parts , & la traverfent par trois grands canaux
qui la divifent en différens quartiers
; enforte qu'on n'y peut entrer qu'en
bateau . Quoiqu'il pleuve rarement dans
la ville royale , il eft certaines faifons de
l'année où les eaux qui tombent des montagnes
enflent tellement les grandes rivieres
, que l'eau ne pouvant s'écouler
par les canaux trop étroits , fe répand dans
les campagnes qu'elle couvre , pendant
fix mois de l'année . L'inondation commence
à la fin de Juillet ; & l'eau croiffant
chaque jour de deux pouces parvient
quelquefoisjufqu'à 13 & 14 pieds de hauteur.
Cette inondation conftante & reglée
porte la fertilité dans les campagnes . C'eft
un fpectacle agréable qu'une étendue
de dix lieues qui offre en même tems l'image
d'une mer & d'une campagne couOCTOBRE.
1771. 95
ronnées d'épis. On ne voit de terrein
fecs que quelques terraffes de diftance en
diftance , fur lefquelles font bâtis de
grands temples d'idoles . Les épis qui s'élevent
fur la fuperficie des eaux , s'abaiffent
avec docilité fous les barques , & fe
relevent enfuite fans avoir été endommagés.
L'eau monte jufqu'au premier étage;
c'est pourquoi toutes les maifons font
élevées fur des pilliers ; & Siam au tems
de l'inondation , femble avoir été formée
fur le modèle de Venife. Les poiffons fe
répandent dans les champs , où ils s'engraiffent
& fe multiplient.
Les maifons des particuliers font com❤
modes & aifées à bâtir , n'étant faites que
de bois , & feulement couvertes de feuilles
: les murailles font de canne de Bambouk.
Les meubles ne confiftent qu'en
quelques tapis & des couffins. Il n'ont ni
lits , ni chaiſes , ni tables , ni cabinets , ni
peintures. Ils fe couchent fur de fimples
nattes , avec une toile qui les couvre ;
mais malgré cette fimplicité , on voit regner
dans tous les appartemens une propreté
élégante. Le palais du Roi reffemble
à une ville dont l'enceinte eft entourée
de trois rangs de murailles de briques
: l'on n'y voit aucunes fenêtres. Cet
96 MERCURE DE FRANCE:
édifice n'a d'intéreffant que la grandeur
des falles où le Roi donne fes audiences :
les murs font nuds & fans décoration
mais les planchers font couverts de magnifiques
tapis de Perfe. Le monarque y
paroît aflis fur une eftrade un peu élevée
& couverte d'un tapis fi vieux , qu'on ne
peut diftinguer quelle étoit fa couleur
primitive. Dans les jours extraordinaires,
le Roi donne fes audiences du haut d'un
balcon. On voit dans l'intérieur trois édi
fices de briques , dont celui du milieu
eft un temple d'idoles. Un côté du palais
eſt deſtiné pour les hommes & l'autre
pour les femmes . Les façades font toutes
dorées & les toits font couverts d'étain
fonnant , & dorés par cordons . Ce palais
infpire le même refpect que les temples
de la Divinité ; aucun bruit n'en trouble
le filence. L'officier qui a des devoirs à
remplir , ne peut y entrer quand il a bu
de l'arack ou quelque liqueur qui peut
égarer la raifon & caufer l'oubli des devoirs
. Le Monarque , pour éviter la fati
gue de parler , donne fes ordres par des
fignes . Sa garde eft nombreufe ; & il ne
confie le foin de fa perfonne qu'à une
milice étrangere , & fur tout à une compagnie
de Tartares éprouvés par leur cou
rage.
OCTOBRE. 1771 : 97
rage. Il a encore un corps d'Indiens qui
fe vantent d'être iflus du fang des Rois.
Leur courage s'éleve au - deffus de tous
les périls ; mais il faut qu'il foit excité par
l'opium , qui , les rendant ftupides , leur
infpire une intrépidité qui naît de l'ignorance
du danger: Le refpect que l'on rend
aux Rois s'étend jufques fur les animaux
confacrés à leur.fervice ; c'eft fur - tout
pour les éléphans qu'on témoigne le plus
de vénération : des officiers font deſtinés
à les fervir avec des formalités qui hu
milient la condition humaine , & dont
l'omiffion attireroit des châtimens rigoureux.
Quand les qualités de ces animaux
vigoureux & dociles répondent aux peines
de leurs inftituteurs , le Monarque
leur confére le titre de comte , de marquis
, enfuite de duc , & enfin de pair.
C'eft ainfi que ce peuple fingulier proftitue
à des animaux des titres honorifiques
ambitionnés chez les nations policées.
L'enceinte du palais eft remplie de foldats
défarmés , pour prévenir la tentation
d'attenter à la vie du Monarque . Il n'y a
que les femmes qui aient le privilége
d'entrer dans la chambre du Roi pour en
tretenir la propreté , & pour préparer les
mets. Ce dieu terreftre ne fe croit jamais
Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
plus en fûreté que lorfqu'il fe voit entouré
d'un fexe foible & timide .
Tout Siamois doit fix mois de fervice
chaque année au Monarque ; & tandis
qu'on l'emploie à des travaux pénibles il
eft encore obligé de vivre à fes dépens..
L'efclave , plus privilégié que l'homme :
libre , ne travaille que pour un maître
qui le nourrit. Le citoyen fe difpenfe de
fes corvées en payant une fomme; mais:
il n'eft jamais véritablement poffeffeur
d'un champ ou d'un jardin , parce que fi
les productions en font eftimées , des foldats
viennent les retenir pour le Roi ou
pour quelque miniftre favori. Les fujets:
de ce Monarque ne s'apperçoivent qu'ils
ont un maître que par la terreur qu'il leur
infpire , ou par les vexations qu'il commande.
Ce feroit profaner la majeſté de
ce tyran , que de prononcer fon nom ou
de s'informer de l'état de fa fanté, « Le
» foin qu'on prend d'entretenir le ref-
» pect , détruit l'attachement ; & l'amour
» des Siamois pour leur Roi eft un fenti-
» ment flétri & defféché : auffi lorfqu'il
» s'élève un rebelle , ils attendent avec
» indifférence l'événement. Tour peuple.
» destiné à porter des fers n'eft jamais
difpofé à courir aux dangers pour celui:
OCTOBRE . 1771 99
» qui l'en accable. Une armée de citoyens
» eft invincible : un troupeau d'esclaves
» fe donne à celui qui le paye & le nourrit.
"
Par un renversement de l'ordre, les Siamois
condamnent leurs femmes à tous les
ouvrages qui demandent de la force &
donnent de la fatigue. Tandis que ce peuple
indolent fommeille dans l'inertie ,
les femmes laborieufes cultivent la terre
& coupent le bois & les moiffons . « Ce
» vice , fuivant la remarque de l'hifto-
» rien , a fa fource dans le defpotifme :
>> chacun fe venge dans fon empire domeftique
de la fervitude honteuſe où
» il eft condamné en public ; & celui qui
>> rampe depuis l'enfance fous le joug, de-
» vient toujours un maître impérieux
plus jaloux d'être obéi que d'être aimé. "
La couche nuptiale eft rarement fouil-
» lée par l'adultere, Le droit qu'ont les
maris de tuer leurs femmes furpriſes
» dans le crime , n'eft pas le feul frein qui
» reprime l'incontinence. Les femmes ,
» toujours occupées de détails domefti-
» ques , n'ont point le tems d'entretenir
» des intrigues. Jamais elles n'affiftent à
» ces jeux & à ces fpectacles où l'on refpire
le fouffle impur & brûlant des pa
E ij
100 MERCURE DE FRANCE:
fions . Retirées dans l'intérieur de leurs
» maifons , elles n'y reçoivent point les
» vifites de ces féducteurs dangereux qui
» trahiffent fans pudeur leurs hôtes ou
» leurs amis. C'eft encore l'époufe qui
» laboure la terre ; elle s'éveille dès l'au-
» be du jour , & prépare à fon fouverain
» indolent un déjeuner de riz & de poif-
» fon falé qu'il prend , & après ce pre-
93 mier repas il s'endort jufqu'à l'heure du
» dîner ; & quant il a fatisfait fon appe-
» tit , il ſe livre encore au fommeil qu'il
» n'interrompt que pour jouer ou prendre
quelque divertiffement , en attendant
> l'heure du fouper . L'époufe , humble
» & ſoumife , n'a ni le privilége de s'af-
» feoir , ni de manger avec fon mari ;
elle eft vigilante & foigneufe à préparer
les mets ; & quand on a deffervi ,
» elle fe retire pour manger à fon tour.
» Jamais elle ne ſe promene dans le mê-
» me balcon ; & lorfqu'elle eft admiſe
» dans la couche nuptiale , on lui donne
» un oreiller plus bas , pour lui faire ſen-
» tir fon infériorité. »
Il n'y a point de peuple qui ait une auffi
grande idée de fa légiflation que les Siamois
; & quand ils caractérisent les natians
d'Europe , ils ont coutume de dire ;
OCTOBRE. 1771 for
"
» pour
Le François eft bon pour la guerre ,
» l'Anglois pour la mer l'Hollandois
le commerce ; mais tous nous font
» inférieurs dans le grand art de gouver
» ner. » L'idée avantageufe qu'ils ont de
leur police , n'eft qu'un préjugé d'éducation.
Ce royaume , comme on peut le voir
dans cette hiftoire , a plufieurs vices inhérens
à fa conftitution . Nous citerons
feulement une loi de leur police qui peut
avoir fes abus , mais qui a auffi fes avantages.
Quand on trouve un cadavre , on
étend des cordes de cent toifes en cent
toifes dans les lieux où l'affaffinat a été
commis. Tous les habitans renfermés
dans cette enceinte payent une amende
proportionnée à la proximité du lieu du
délit. Les citoyens fe trouvent obligés nat
ce moyen de veiller à leur défenfe réciproque
, & les routes font plus sûres.
L'hiftorien nous entretient des autres
ufages & coutumes des Siamois , de leur
gouvernement civil , de leurs fciences &
arts , de leurs fpectacles , des productions
de leurs pays , de leur commerce & de leur
Religion dont le principe fondamental eft
la métempfycofe , fyftême qui a féduit
prefque tous les peuples de l'Orient.
Les révolutions du trône font fréquen-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
tes à Siam , & cela doit être chez une na
tion où l'on ne connoît ni les bornes du
pouvoir , ni l'étendue de l'obéiffance , où
le defpote regarde fes intérêts comme ſé.
parés de ceux de fon peuple , où ce peuple
enfin toujours malheureux n'a d'efpoir
que dans une prochaine révolution qui
l'affervit à un nouveau tyran .
Le regne de Chaou- Naraye eft un morceau
intéreflant de cette hiftoire . Ce Monarque
rechercha l'amitié de Louis XIV ,
& il y fut principalement porté par les
confeils de Conftantin Faulcon. Cet hom
me fingulier , grec d'origine , qui avoit
paffé des détails d'un comptoir au rang de
premier miniftre du Roi de Siam , eft un
exemple mémorable de l'inconftance de
la fortune. Après avoir affuré les profpérités
de l'état , il fe vit , à l'âge de quarante &
un ans , la victime d'une cabale jaloufe &
puiffante qui renverfa le Monarque & fit
périr fon premier miniftre par la main du
boureau. Sa dextérité dans les affaires ,
» dit l'hiftorien , juftifia le choix de fon
» maître . Si les événemens tromperent
» fa prudence , c'eft qu'incertain dans ſa
» marche , il craignoit que fa qualité d'é-
» tranger ne rendît fufpectes fes intentions
les plus pures ; & timide à force
"
OCTOBRE. 1771 : 103
93
d'être circonfpect , il vit mal les objets
» parce qu'il voyoit trop loin . Ses vertus
» furent ternies par quelques défauts .
» Colère & violent , il perdoit en un
jour le fruit des bienfaits répandus pen-
» dant plufieurs années. Paffionné pour la
» gloire , il avoit toutes les petiteffes de
» la vanité. La magnificence de fes équi-
» pages étoit une espèce d'infulte faite à
» la nation indigente , dont il fembloit
» avoir ravi les dépouilles. Le luxe de fa
» table offroit les productions de chaque
province ; & quatre cens efclaves em-
» preffés à fervir , prévenoient les defirs
» des convives , & annonçoient la gran-
» deur du maître . Libéral jufqu'à la pro-
»
fufion , il dépenfa plus de cent mille
» écus en trois ans pour faire des préfens .
Sa politique trahie par fes penchans ne
» lui permit pas de prévoir que fes largeffes
pouvoient faire foupçonner qu'au
» lieu de vouloir faire des heureux , il
» n'achetoit que des complices pour s'éle-
» ver fur les débris de fon maître . »
Sa femme , détenue dans les prifons ,
oublia fes propres fouffrances pour déplo
rer la perte de fon époux . « Eh quoi , s'é-
» cria - t- elle , pourquoi eft- il mort ? Quel
» étoit fon attentat , pour être traité en
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
» criminel. » Un Mandarin , parent de
l'ufurpateur , qui étoit alors auprès d'elle,
lui dit à l'oreille que fon crime étoit fa
faveur & fes talens . Au bout de quelque
tems elle fut condamnée avec un fils qui
lui reftoit , à l'humiliation de l'efclavage .
L'hiftorien nous donne des inftructions
intéreffantes fur l'établiffement du Chriftianifme
dans ce royaume , & fur les avantages
qu'on peut tirer du commerce de
Siam & des royaumes voifins. Prefque
toutes les nations de l'Inde ont des établiffemens
à Siam . Plufieurs peuples de
l'Europe y ont auffi des colonies , & ce
furent les Portugais qui en donnerent le
premier exemple ; & comme ils y font
les plus anciens de tous les étrangers , ils
y font auffi les plus indigens. Plufieurs
villages habités par leurs familles y offrent
le fpectacle de la plus affreufe pauvreté.
Leur pareffe naturelle,fomentée par
la chaleur du climat, les empêche de profiter
des avantages d'un pays où ils ont porté
leurs vices fans en prendre les vertus .
L'Angleterre y jetta les fondemens d'un
établiflement ; mais la fierté des Anglois
jaloux de leur indépendance ne put plier
fous le joug d'un defpote qui ne met point
de bornes dans fa puiffance . Leur indoOCTOBRE.
1771. IOS
cilité leur attira des difgraces , & ils furent
contraints d'abandonner un pays où
ils auroient voulu élever un trône à la liberté.
Quelques uns plus lians & plus
fouples y font reftés fans former un corps
de nation.
·
Les François , dont le début eft roujours
brillant , y éprouverent une profpérité
paffagere ; mais incapables de fe conduire
eux mêmes , ils fuccomberent à la
vanité de vouloit gouverner ; & cenfeurs
enjoués des ufages étrangers , ils eurent
le ridicule de fe propofer pour autant de
modèles . Ce vice national humilioit la
fierté des Siamois attachés , jufqu'à l'opiniâtreté
, à toutes leurs coutumes ; & la
fortune des François fut auffi inconftante
que leur caractère .
Les Hollandois , flexibles & toujours
préparés à recevoir les impreffions de ceux
qui peuvent les enrichir , font les feuls
Européens qui aient élevé des établiſſemens
fur des fondemens folides . Tout
leur convient , lorfque tout leur eft utile .
La fimplicité des moeurs leur attire la confiance
d'une nation qui croit avoir droit
de fe défier de tous ceux qui vivent plongés
dans le luxe. Ce n'eft pas qu'on n'y
voie quelquefois abonder d'autres étran
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
gers , fur - tout des François aventuriers
qui vont exalter leurs talens & leur courage
dans cer oyaume. Ils y font accueillis
tant qu'ils y font utiles ; mais auffi-tôt
qu'ils demandent le falaire de leurs fervices
, ils éprouvent des difgraces , & on
s'en débaraffe comme d'un fardeau importun.
Cette hiftoire , qui eſt dédiée à M. de
Boine , fecrétaire d'état & miniftre de la
marine , confirme la réputation que M.
Turpin s'eft déjà acquife dans le genre
hiftorique par une diction pure & élégante
, par des defcriptions vives & animées
, par des réflexions judicieufes , par
des touches fermes & précifes qui don
nent de l'énergie & du mouvement à fon
ſtyle .
Hiftoire de la rivalité de la France & de
l'Angleterre , par M. Gaillard , de l'académie
françoife & de l'académie des
infcriptions & belles lettres . A Paris ,
chez Saillant & Nyon , rue St Jean -de-
Beauvais.
L'écrivain fécond & ingénieux qui a
déjà confacré à la gloire de François Premier
un monument auffi honorable pour
l'hiftorien que pour le héros , a raffemblé
OCTOBRE . 1771. 107
dans un même ordre tous les traits de
cette ancienne & célèbre rivalité fubfiftante
encore aujourd'hui entre les Anglois
& nous , & qui ne paroît pas devoir jamais
s'éteindre. Il en développe l'origine
dans une introduction très -bien faire qui
comprend l'hiftoire refpective de la France
& de l'Angleterre depuis l'Heptarchie
Saxonne jufqu'à Guillaume le Conqué-
#ant , Duc de Normandie par le droit de
fa naiffance , & Roi d'Angleterre par le
droit de conquête. Le vaffelage de ce
prince comme duc de Normandie , &
l'hommage qu'il devoir au Roi de France
eft une époque où commence à fe
fignaler davantage l'inimitié réciproque
entre les Monarques Anglois & ceux de
France. Le portrait de ce fameux Guillaume
qui foumit l'Angleterre à la domination
normande eft un des morceaux les
mieux écrits de cette hiftoire , & en général
tous les réfumés de chaque regne
font très fagement conçus & tracés avec
force. Nous en mettrons quelques - uns
fous les yeux des lecteurs , ce qui pourra
leur être plus agréable que de rappeler
des faits déjà connus & confignés dans
tant de livres.
« Guillaume mourut le 9 Septembre
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
» 1087. En choififfant les momens de fa
» vie on trouvera un grand Prince ; en les
» choififfant auffi , & même fans trop les
choifir , on trouvera un barbare . Ses
panégiriftes & fes cenfeurs pourroient
» avoir prefque également raifon . Actif,
infatigable , prêt à tout , préfent à tout,
» brave foldat , grand capitaine , politi-
» que habile , prince jufticier, il fut vain-
» cre , il fut gouverner ; il aima mieux
"
" opprimer. Il connut tous les refforts
» qui peuvent faire mouvoir les hom-
» mes ; mais il fe trompa dans le choix
» de ces refforts , & ce fut une erreur de
» fon coeur plus que de fon efprit. Après
» avoir infpiré l'enthoufiafme , l'amour
» & le refpect , il préféra d'infpirer la
» crainte ; fon caractere dur le força de
» fe borner à ce trifte hommage . Son
impétuofité naturelle ne lui ôta point
» le talent finiftre de la diffimulation . Ca
» pable de générofité , mais peu fufcep-
» tible des douces impreffions de la pi-
» tié , il mit de l'oftentation & dans la
» clémence & dans la févérité . Il dut fes
» fuccès à fon génie , fes revers à fa barbarie
; il effaça tous les Souverains de
» fon tems , & Philippe fon rival lui fur
trop inférieur. On ne peut refufer à
»
"
OCTOBRE. 1771 109
*
Guillaume des talens rares , des vues
» étendues , une ame élevée & forte, une
majeſté impoſante , une énergie faite
» pour entraîner ; mais l'humanité défend
» à l'hiftoire de donner le nom de Grand
» à un prince qui a fait tant de malheu-
""
» reux
» Il fut enterré dans l'égliſe de St Etien
ne de Caën , qu'il avoit bâtie ; mais ce
» n'eft point en dépouillant les hommes
» qu'il faut bâtir des temples à Dieu . Au
» milieu de la cérémonie de l'enterre-
» ment , un gentilhomme nommé Afce-
» lin fe préfenta devant les prélats . Je
» vous défends au nom de Dieu , leur
» dit- il à haute voix d'enterrer ce corps
» ici . Cet emplacement eſt à moi , c'eſt
» celui de la maiſon de mon père enva-
» hie par ce tyran. Dieu qui m'entend &
93
qui vient de le juger m'a vengé fans
» doute de fes injuftices. Les prélats eu-
» rent égard à cette violente requête , &
» on enterra le corps un peu plus loin .
Guillaume le Roux remplaça le Conquérant
fur le trône d'Angleterre. Voici
le jugement qu'en porte l'hiftorien.
Guillaume le Roux outragea tant le
clergé qu'on pourroit attribuer au ref-
» fentiment de ce corps la diffamation
» de ce prince , ou foupçonner du moins
110 MERCURE DE FRANCE .
95
les Eccléfiaftiques d'avoir un peu char
gé la peinture de fes vices. Mais de
» l'aveu des écrivains les moins favora-
» bles à l'Eglife , la conduite de Guillau-
» me ne dément point l'idée que les Eccléfiaftiques
en ont donnée. Il paroît
» qu'avec les défauts de fon père poullés
jufqu'à l'excès , il eut feulement quel-
» ques- unes de les qualités vigoureufes
» fans aucune vertu . Le trait qui femble
» l'avoir diftingué plus particulierement
» des princes de fon tems , c'eft l'irréli-
"
> gion. Il avoit l'efprit tourné à l'épigram .
» me comme le coeur à la violence . Il
» n'épargnoit pas plus les plaifanteries
» que les extorfions aux prêtres & aux
» moines. On dit que fes plaifanteries ne
» fe bornoient point aux miniftres de
l'Eglife . On prétend qu'un jour il prit
» plaifir à faire difputer devant lui à tou-
» te outrance des théologiens & des ra-
» bins , & qu'il tint la balance très égale
» entr'eux par le ridicule qu'il donna aux
» deux partis. On dit qu'un Juif , dont le
» fils avoit abjuré , lui offrir de l'argent
» pour qu'il employât fon autorité à ra-
» mener ce fils au judaïfme ; que Guil-
» laume fe chargea de la commiffion , &
» pour mériter cet argent s'en acquitta de
» très bonne foi ; qu'enfin n'ayant pû
OCTOBRE . 1771 : HIF
il » réuffit ni par prieres ni par menaces ,
» voulut avoir la moitié de l'argent , par
» ce que , difoit- il , il l'avoit bien gagné.
» Ce qu'il y a de certain , c'eft que les
» revenus des bénéfices avoient pour lui
beaucoup d'attraits ; qu'à la mort du
primat Lanfranc, il garda pendant quatre
ans les fruits de l'archevêché de Cantorbery
; qu'il les auroit vraisemblable.
» ment gardés plus long- tems , fans une
» maladie qui le détermina enfin à nom-
» mer St Anfelme à cet archevêché. Re-
39
"
"
venu en fanté , il fe remit à piller les
» Eglifes avec plus d'ardeur & à vendre
» les bénéfices plus chers. Sa réputation
» étoit fi bien établie fur ce point , qu'on
» marchandoit ouvertement avec lui , ce
» qui lui fit faire une fois par hafard une af-
» fez bonne action . Deux moines s'étoient
» enrichis , & avoient mis une ſomme
» en fociété pour acheter l'abbaye où ils
» demeuroient. Ils devoient , felon leur
» marché , en partager les fruits . Ils vien-
» nent faire leurs offres au Roi qui les
» écoute . Il apperçoit à l'écart un autre
» moine qu'ils avoient amené avec eux ;
» & vous , lui dit - il , combien offrez-
» vous pour avoir l'abbaye . Rien , Sire ,
» je fuis un religieux , je n'ai rien ; mais
» quand j'aurois vos richeffes , je n'offri
112 MERCURE DE FRANCE:
» rois rien encore pour un bénéfice . Vous
» ferez donc abbé , dit le Roi , qui fentit
dans ce moment le prix de la vertu ;
» ceux-ci font indignes de l'être par le
defir qu'ils en ont & par les moyens
» qu'ils employent.
»
15
Paflons au caractere de Henri Premier,
Roi d'Angleterre .
« Ce Prince , inftruit par le malheur ,
» auroit été affez grand s'il eût été bon .
" Il prit la férocité des deux Guillaumes
» en ufurpant comme eux la puiffance.
» Le malheur revint l'avertir d'être hu-
» main , & il négligea encore cet avis . Il
» ajouta peut- être aux talens qui avoient
illuftré les princes de fa maiſon ; mais
il ajouta auffi à la tyrannie qui les avoit
» fait hair. I augmenta le nombre des
forêts royales , c'eft-à dire des déferts
» abandonnés aux bêtes fauves . Il découragea
tellement l'agriculture qu'un jour
qu'il arrivoit de Normandie en Angle-
» terre , des laboureurs vinrent lui remet
" tre les focs de leurs charrues comme
» des inftrumens qu'il avoit rendus inu-
» tiles ; enfin nons fommes prefque fâ-
» chés d'être contraints d'avouer qu'un
» tel prince aima les lettres , & eut l'efprit
affez cultivé pour mériter le titre
» de beau Clerc. Il eut auffi quelque amour
99
OCTOBRE. 17717 113
pour la juftice ; mais pour cette juftice
» févère qui traite les hommes en efcla-
» ves , & qui n'eft qu'un glaive dans la
» main du defpotifme . On l'appella le
"
plus riche des Rois , parce qu'à force
» d'extorfions & d'avarice il avoit amaffé .
» beaucoup d'argent ; il eût été plus riche
» avec l'amour de fes fujets . Il avoit l'injuf-
» tice de méprifer les Anglois , parce qu'il
» avoit la dureté de les opprimer , & il
» avoit le malheur de les craindre . Cet
» homme , intrépide dans les combats ,
» redoutoit tout dans fa maifon ; il faifoit
trembler fes ennemis & trembloit
» à l'arrivée d'un domestique ; il ne voyoit
n
"
39
jamais que des conjurés au tour de lui ,
>> & mouroit mille fois par jour de la peur
» de mourir . Toutes les précautions que
» les plus lâches tyrans ont pû imaginer
» pour dérober à la haine publique quel-
» ques miférables jours , Henri les épuifoit
; on ne fçavoit jamais dans quelle
chambre il couchoit ; il changeoit cinq
» ou fix fois de lit & de gardes chaque
» nuit . Né extrêmement gai , l'impreffion
» de douleur qu'il reçut de la mort fu-
» neſte de fes enfans ne put s'effacer de
» fon ame ni de fon vifage dans les mo-
» mens même les plus heureux . C'étoit
» bien la peine d'ufurper un royaume &
"
39
114 MERCURE DE FRANCE.
» un duché , en ôtant la vie & la liberté à
" fon frere , en pourfuivant fon neveu
jufqu'à la mort , pour partager fa vie
» entre la haine , la crainte & la dou-
» leur . »
Nous citerons encore deux morceaux
fupérieurs à ceux que nous venons de
tranfcrire ; l'un regarde Henri Second ,
d'Angleterre , & l'autre , Louis IX , Roi
de France , nommé St Louis par l'Eglife,
& mis par l'hiftoire au rang des bons
princes , quoiqu'il ait fait de grandes
fautes.
Cs
L'Angleterre comprera toujours Henri
Second parmi fes plus grands Rois.
» Prince admirable dans fes vertus, excu-
» fable dans fes défauts , intéreffant dans
» ſes malheurs ; fenfible , premiere qua-
» lité des hommes ; jufte , premiere qua-
» lité des Rois , aimable , qualité rare &
» néceffaire . Sa vie eft un tiflu de contra-
» riétés inexplicables , & un des plus finguliers
exemples de ce qu'on appele la
» fatalité. Au dehors le plus brillant des
» Rois , au dedans le plus affligé des
» hommes. Né pour la tendreffe & pour
» l'indigence , il fut forcé d'être ingrat
» envers fa femme & févère envers des
» enfans qu'il idolâtroit , qui l'affaffine-
» rent & le firent mourir de douleur. Gé-
»
·
OCTOBRE . 1771 . 115
"
néreux & clément , il parut implacable
» & fourbe envers Becket ; prince religieux
, il parut le bourreau d'un mar-
» tyr ; ami de la paix , il fit toujours la
» guerre ; jufte & humain , il fut conqué-
» rant. Il eft vrai que cet amour de la paix
» dont il eſt loué
eft loué par les auteurs Anglois
» étoit prefque toujours fubordonné au
» principe d'exercer fes droits dans toute
» leur étendue , principe auffi funefte que
l'efprit ambitieux . S'il parut s'en écar-
» ter pour le refus généreux qu'il fit , dit-
» on , du trône de Jérufalem , ce facrifice ,
» s'il eft réel , fut l'ouvrage de la politi-
» que plus que de la modération . Les
"
"9
99
François l'accufent d'une ambition ex-
» ceffive & lui attribuent ce mot qui pa-
» roît répété d'après Alexandre , que le
» monde eft trop petit pour le coeur d'un
» Roi. Mais faifons attention au témoi-
» gnage que l'hiftoire lui rend , qu'il ne
» vit jamais fans émotion couler le fang
» d'un foldat. Songeons qu'il donnoit aux
» pauvres le dixième du revenu deſtiné à
» l'entretien de fa maiſon. Publions que
pendant une famine qui défola l'Anjou
» & le Maine , il nourrit à fes dépens dix
» mille citoyens indigens . On a dit de lui
» qu'il avoit toujours pardonné fes inju-
» res perfonnelles, jamais celles de l'état.
"
116 MERCURE DE FRANCE.
""
» Il aimoit les lettres & il les connoifloit;
» il protégeoit les talens ; il n'eft point de
grand Roi qui n'ait mérité cette louan-
" ge. Plein d'efprit & d'agrément dans la
» vie privée , comme d'éloquence & de
» lumieres dans le confeil ; on vante fa
prodigieufe mémoire , on dit qu'il n'a
» jamais oublié ni un fait ni un homme.
» Il eſt plus important de vanter ſa jufti-
» ce , de dire que toutes fes lois eurent
» pour objet le bien public , & qu'il fut
» les faire exécuter fans diftinction de ri-
» che ni de pauvre , de puiffant ni de foible.
Il plaignoit & puniffoit les coupables
, quels qu'ils fuifent. Il eut des défauts
qui tiennent à la fenfibilité , l'impatience
, la colere , l'amour des fem-
» mes , & toutes fes fautes partirent de
» ce principe ; mais toujours tempérant ,
" toujours occupé , il s'étudioit à retran-
» cher aux paffions l'aliment & l'activité.
» La frugalité de fa table condamnoit
» hautement la fomptuofité de celle du
"
chancelier Becket ; elle eut pû fervir
» de modele même à des religieux . On
» raconte que des moines de Vincheſter
» vinrent un jour fe plaindre à lui de ce
» que leur abbé ne leur donnoit que dix
» plats au lieu de treize qu'on avoit cou-
» tume de leur fervir. On ne m'en fert
OCTOBRE . 1771 . 117
que trois , leur répondit froidement
» Henri. Ce prince enfin eut avec les ver-
» tus d'un particulier , la valeur d'un fol-
» dat , les talens d'un général , l'autotité
» d'un maître , l'habileté d'un politique ,
» les vues d'un légiflateur , la magnani-
» mité d'un héros. C'eut été un grand
fpectacle dans l'hiftoire que Henri dans
fon midi oppofé à Philippe Augufte
dans le fien ; & le plus beau titre de
gloire de celui - ci eft d'avoir prefque
» pour fon coup d'ellai , vaincu Henri &
" abaiffé cette grande puiffance , »
93
39.
n
Le précis du regne de St Louis étoit
d'autant plus difficile à tracer qu'il fembloit
que tout fut dit fur ce fujet qui occupe
tous les ans les orateurs de l'Acadé-..
mie Françoife . Mais la fenfibilité de M.
Gaillard a faifi de nouveaux traits auffi
intérellans que tous ceux qu'on avoit déjà
raffemblés .
»
Quant à l'article des Croiſades , il eft
» jugé depuis long - tems. Des auteurs ont
fait autrefois , contre leur propre fen-
» timent , des efforts fuperflus pour juſti-
» fier foit le croifades en général , foit les
» croifades de St Louis en particulier . St
» Louis n'eft-il donc pas affez grand pour
qu'on n'ofe avouer en lui quelque foi118
MERCURE DE FRANCE.
ןכ
» bleffe ? Ne s'eft - il pas affez élevé au-
» deffus des erreurs politiques de fon fié-
» cle , pour qu'on ne puiffe convenir qu'il
» paya un tribut aux erreurs religieufes ?
Pourquoi vouloir que tout foit faint
» dans les Saints , & que tout foit grand
» dans les grands Rois ? Pourquoi faire
» des portraits vagues & maladroitement
» embellis quand l'original eft fi beau ?
» Sachons reconnoître que Blanche qui ,
malgré fon goût pour la domination ,
» vit partir fon fils avec tant de regret &
» le rappeloit fans ceffe avec tant d'inf
» tance , fe montroit plus inftruite que
» lui des devoirs de la royauté ; fachons
» reconnoître qu'après le mauvais fuccèst
» de fa premiere croifade , il eft inexcu
» fable d'avoir entrepris la feconde. Plai-
99
gnons ce pacificateur de l'Europe d'avoir
» été chercher en Afrique des ennemis &
» des fers ; plaignons - le d'avoir été mou-
» rir filoin des peuples qu'il rendoit heu-
» reux. Malgré quelques légers défauts
» ou plutôt malgré des fautes ou des er-
» reurs dont le principe même étoit ver-
» tueux , quel Roi peut - on lui comparer ?
» Quel nom plus refpectable la Religion
peut-elle oppofer à ceux qui voudroient
» la croire peu compatible , foit avec la
OCTOBRE. 1771. 119
»
grandeur royale , foit avec la grandeur
perfonnelle? Quels droits ou quels foins.
» du trône , les foins de la piété lui ont-
» ils fait négliger ? Où trouve - t - on ail-
» leurs ce mélange de juftice & de clé-
» mence , ddee tteennddrreeffffee && ddee vertu , d'in-
» dulgence & de fermeté , cet amour pour
» la paix & ces talens pour la guerre , ce
» défintéreffement politique , cette fenfi-
» bilité courageufe , cette bienfaifance
» éclairée , cette majesté fi douce & fi pa-
» ternelle , ces grandes vues de bien pu-
» blic & ces détails de charité particuliè-
» re , ce calme de la raifon & cette cha-
» leur du fentiment?Sage , heureux , quoi-
» que fenfible , fon ame fut exercée &
remplie par des attachemens toujours
légitimes , & tous fes penchans furent
» des devoirs. Quel fils ! quel frere ! quel
» mari ! quel pere ! quel Roi ! combien il
» aime ! combien il fut aimé ! Pere du
"
"
93
peuple , ami des hommes , il remplic
» dans toute leur étendue ces deux grands
» caracteres ; il fatisfit pleinement à la
» nature & à la gloire . Sa vie publique
» nous offre d'illuftres victoires rempor-
» tées malgré lui far des ennemis qu'il
plaignoit ; la paix donnée aux nations,
» de grandes haines affoupies , de gran-
"
120 MERCURE DE FRANCE.
» des rivalités fufpendues , des établiffe-
» mens qui font époque dans l'hiftoire
» de la légiflation . Sa vie privée est plei-
» ne de détails aimables & attendriflans.
Son mariage avec Marguerite de Pro-
» vence fut l'union de deux ames céleſ,
tes ; mêmes inclinations , mêmes ver-
» tus , tendreffe égale , épanchemens ré
ciproques ; elle le fuivit au delà des
» mers & chez les Infidèles ; elle fut fa
» confolation dans la captivité ; il la con-
» fultoit fur les affaires les plus impor-
» tantes , fans qu'elle prétendit à cet hon-
» neur ; Je le dois , dit- il à des gens aſſez
» injuſtes pour s'en étonner , elle eft ma
» Dame & ma compagne. »
Ces morceaux & tout l'ouvrage , écrits
du même ſtyle , confirment de plus en
plus l'idée que les premieres productions
de l'auteur avoient donnée de fes talens .
On y remarque beaucoup d'ordre & de
méthode dans la diftribution , de clarté
dans les détails , d'impartialité dans la
difcuffion. Tout y refpire l'honnêteté &
la vertu . M. Gaillard a mêlé aux études
graves & férieufes de l'hiftoire , des com
pofitions littéraires d'un genre plus agréa
ble & qui tiennent de plus près à l'imagi
nation , telles que des panégyriques &
des
10
OCTOBRE. 1771, 121
des poëfies . Les éloges de Deſcartes , de
Corneille , de Henri IV ont paru mériter
les couronnes qu'ils ont obtenues . M.
Gaillard , l'un des coopérateurs du Journal
des Sçavans , y a inféré de très - bons
morceaux de critique écrits de ce ton décent
& honnête qui diftingue les véritables
gens de lettres , & qui , heureuſement
pour eux , n'eft jamais celui de leurs
ennemis. Il a fait des vers qu'on a rete
nus, témoins ceux - ci , tirés d'une piéce fur
le befoin d'aimer.
Ah ! périfle à jamais ce mot affreux d'un fage ,
Ce mot , l'effroi du coeur & l'effroi de l'amour ;
Songez que votre ami peut vous trahir un jour.
Qu'il me trahifle , hélas ! fans que mon coeur l'offenle
,
Sans qu'une douloureufe & coupable prudence ,
Dans l'obſcur avenir cherche un crime douteux ;
S'il ceffe un jour d'aimer , qu'il fera malheureux !
S'il trahit mes fecrets , je dois encor le plaindre.
Mon amitié fut pure & je n'ai rien à craindre.
Qu'il montre à tous les yeux les fecrets de mon
coeur.
Ces fecrets font l'amour , l'amitié , la douleur ,
La douleur de le voir infidèle & parjure ,
Oublier les fermens comme moi mon injure.
I. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Quand on fçait exprimer auffi - bien
des fentimens auffi nobles , on mérite de
trouver , parmi fes confrères , des fuffrages
& des amis , & M. Gaillard eſt bien
fûr d'avoir obtenu l'un & l'autre .
Eloge de François de Salignac de la Motte
de Fénelon , Archevêque Duc de Cambray
, Précepteur des Enfans de France.
Difcours qui a remporté le prix de l'Académie
Françoife en 1771 ; par M. de
la Harpe : Non illum Pallas , non illum
carpere livorpoffit . OVID . A Paris , chez
Regnard & Demonville , imprimeurs
de l'Académie , rue Baffe des Urfins.
De tous les fujets que l'Académie a
propofés jufqu'ici , le plus délicat à traiter
& le plus beau à remplir , étoit peutêtre
l'éloge de Fénelon . Plus le héros eft
aimé , plus on devoit attendre du panégyrifte.
Il eft dangereux dans une pareille
circonftance de tromper l'attente des juges
, d'autant plus févères alors qu'ils font
plus fenfibles & qu'ils veulent retrouver
dans l'orateur tout ce qu'ils éprouvent
dans leur ame. Il paroît que M. de la
Harpe s'eft tiré très - heureufement d'une
épreuve auffi difficile . On ne peut le louer
mieux qu'en difant qu'il n'eft pas au- defOCTOBRE
. 1771. 123
fous de fon fujet , & cette louange qui
nous eft dictée par la voix publique , ne
fera démentie que par ceux qui fe font
arrangés depuis long - tems pour ne lui en
donner jamais ; ce qui même eft encore
une eſpèce de louange qui n'eft peut - être
pas la moins flatteufe de toutes celles
qu'il peut recevoir.
Tous les genres d'éloquence fe trouvent
réunis dans l'éloge de Fénelon , &
nous ne le prouverons qu'en citant ;
preuve que n'ofent jamais employer ceux
qui font de mauvaife foi dans leurs éloges
ou dans leurs cenfures. Voici comme
débute l'orateur. Parmi les noms célèbres
qui ont des droits aux éloges pu-
» blics & aux hommages des peuples , il
» en eft que l'admiration a confacrés ,
qu'il faut honorer fous peine d'être injuftes
& qui fe préfentent devant la
postérité , environnés d'une pompe im-
» pofante & des attributs de la grandeur;
» il en eft de plus heureux qui reveillent
» dans les coeurs un fentiment plus flat-
» teur & plus cher , celui de l'amour ;
» qu'on ne prononce point fans attendrif-
» fement , qu'on n'oublieroit pas fans ingratitude
; que l'on exalte à l'envi non
pas tant pour remplir le devoir de l'én
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
"
"
quité que pour fe livrer au plaifir de la
» reconnoiffance , & qui , loin de rien
perdre en paffant à travers les âges , recueillent
fur leur route de nouveaux
» honneurs , & arriveront à la derniere
postérité précédés des acclamations de
» tous les peuples & chargés des tributs de
» tous les fiécles. »
"
Voilà la période françoife dans toute
fa beauté. Voilà le ſtyle des grands maîtres
; un choix de mots toujours nobles &
de métaphores toujours naturelles , de
l'imagination dans l'expreffion , fans recherche
& fans enflure ; des repos heureufement
ménagés pour l'oreille & un
fentiment exquis de l'harmonie dans toutes
les formes que prend la phraſe ; voilà
ce que tous les difciples éclairés du fiécle
de Louis XIV reconnoîtront au premier
coup-d'oeil, & ce que nous n'avons voulu
détailler que dans un feul morceau , en
l'appliquant à l'ouvrage entier.
Le tableau de la cour de Louis XIV ,
qui commence la première partie , eft
plein de grace & de richelle. « Le trône
» s'élevoit fur des trophées & ne fouloit
point les peuples. Le Monarque , en-
» touré de tous les arts , étoit digne de
» leurs hommages & leur offroit fon rè
22
OCTOBRE . 1771. 125
"
» gne pour objet de leurs travaux . L'acti
» vité inquiéte & bouillante du caractère
françois long- tems nourrie de troubles
» & de difcordes fembloit n'avoir plus
» pour aliment que le defir de plaire au
» héros couronné qui daignoit encore
» être aimable . L'ivreffe de fes fuccès &
» les agrémens de fa cour avoient fubjugué
cette nation fenfible qui ne réfifte
» ni aux graces ni à la gloire. Les fenti-
» mens qu'il infpiroit étoient portés juſ-
» qu'à un excès d'idolâtrie , dont l'Europe
» même donnoit l'excufe & l'exemple .
» Tout étoit foumis & fe glorifioit de
l'être . Il n'y avoit plus de grandeur
qu'aux pieds du trône , & l'adulation
» même avoit pris l'air dè la vérité & le
» langage du génie . »
ود
L'auteur retrace les commencemens de
Fénelon , fes premiers exercices qui le
firent connoître à la Cour , fes miffions
qui le firent adorer des peuples. Il paffe à
l'éducation du Duc de Bourgogne & fon
ton s'éleve avec fon fujet. Combien
» Fénelon fe croit heureux ! fes penſées
» ne feront point vaines & fes voeux ne
» feront point ftériles. Tout ce qu'il a
» conçu & defiré en faveur du genre hu-
» main va germer dans le fein de ſon au-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
"3
و د
و د
gufte éleve pour porter un jour des
fruits de gloire & de profpérité. Il va
» fe faire entendre à cette ame noble &
» flexible ; il la nourrira de vérités & de
» vertus. Il y imprimera les traits de fa
reffemblance . Voilà le bonheur dont il
jouit. Telle étoit , s'il eft permis de
» s'exprimer ainfi , telle étoit la penſée
» du Créateur, quand il dit : faifons l'hom-
» me à notre image. Plein de fes grandes
efpérances , il embraffe avec tranfport
» les laborieufes fonctions qui vont occu
» per fa vie. Ceffer d'être à foi , & n'être
» plus qu'à fon éleve , ne plus fe permet-
» tre une parole qui ne foit une leçon
» une démarche qui ne foit un exemple ;
» concilier le refpect dû à l'enfant qui
" ferà Roi avec le joug qu'il doit porter
» pour apprendre à l'être ; l'avertir de fa
"
و و
grandeur pour en tracer les devoirs &
» pour en détruire l'orgueil ; combattre
» des penchans que la flatterie encoura-
» ge ; des vices que la féduction fortifie ,
» en impofer par la fermeté & par les
» moeurs au fentiment de l'indépendance.
» fi naturel dans un Prince , diriger fa
» fenfibilité & l'éloigner de la foibleſſe ;
» le blâmer fouvent fans perdre fa con-
» fiance ; le punir quelquefois fans perdre .
C
"
OCTOBRE . 1771 . 127
» fon amitié ; ajouter fans ceffe à l'idée
» de ce qu'il doit & reftreindre l'idée de
» ce qu'il peut ; enfin ne tromper ja-
» mais ni fon difciple , ni l'état , ni fa
» confcience ; tels font les devoirs que
s'impofe un homme à qui le Monarque
» a dit , je vous donne mon fils ; & à qui
les peuples difent , donnez - nous un
» Père . ».
Tout ce qui regarde l'éducation du
Duc de Bourgogne eft rempli de l'intérêt
le plus touchant. Nous n'en citerons que
ce paffage. « Lorfque le Prince tomboit
» dans ces emportemens dont il n'étoit
» que trop fufceptible , on laifoit pafſſer
» ce moment d'orage où la raifon n'au-
» roit pas été entendue . Mais dès ce mo-
» ment tout ce qui l'approchoit avoit or-
» dre de le fervir en filence & de lui
» montrer un vifage morne . Ses exerci-
» ces même étoient fufpendus ; il fem-
» bloit que perfonne n'osât plus commu
niquer avec lui & qu'on ne le crût plus
digne d'une occupation raifonnable.
» Bientôt le jeune homme , épouvanté
» de fa folitude , troublé de l'effroi qu'il
infpiroit, ne pouvant plus vivre ni avec
» lui ni avec les autres , venoit demander
grace & prier qu'on le reconciliât avec
""
39
33
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» lui- même. C'eft alors que l'habile maî-
» tre profitant de fes avantages , faifoit
» fentir au Prince toute la honte de fes
» fureurs , lui montroit combien il eſt
» trifte de fe faire craindre & de s'entou
» rer de la confternation . Sa voix pater-
» nelle pénétroit dans un coeur ouvertà
» la vérité & au repentir , & les larmes de
» fon éleve atrofoient les mains .
S'entourer de la confternation est une
de ces expreffions qu'on appele trouvées ;
mais il n'y a que le fentiment qui les
trouve. Que d'énergie & d'élévation dans
le détail des principes que l'auteur du Télémaque
infpiroit au Duc de Bourgogne !
Quel tiffa ferré de grandes & utiles vérités
! c'est l'amour de l'humanité infpiré
par le génie de l'éloquence . Celle de Fénelon
pouvoit - elle être mieux caractérifée
que dans ce morceau fur le Télémaque
? Jamais on n'a fait un plus bel uſa-
» ge des richeffes de l'antiquité & des
» tréfors de l'imagination. Jamais la ver-
» tu n'emprunta pour parler aux hommes
» un langage plus enchanteur & n'eut plus
» de droits à notre amour. Là fe fait fentir
davantage ce gente d'éloquence qui eft
» propre à Fénelon ; cette onction péné-
» trante , cette élocution perfuafive , cette
"
OCTOBRE. 1771. 129
>> abondance de fentiment qui fe répand
» de l'ame de l'auteur & qui palle dans la
» nôtre ; cette aménité de ſtyle qui flatte
"
"
toujours l'oreille & ne la fatigue ja-
» mais ; ces tournures nombreuſes où fe
développent tous les fecrets de l'harmo-
» nie périodique & qui , pourtant , ne fem-
» blent être que les mouvemens naturels
» de fa phrafe & les accens de fa penſée ;
» cette diction toujours élégante & pure
qui s'éleve fans effort, qui fe paffionne
» fans affectation & fans recherche ; ces
» formes antiques qui fembleroient ne
» pas appartenir à notre langue & qui
» l'enrichiffent fans la dénaturer ; enfin
» cette facilité charmante , l'un des plus
» beaux caractères du génie , qui produit
» de grandes chofes fans travail & qui
s'épanche fans s'épuifer. »
>>
>>
Les traits dont l'auteur peint la véritable
fenfibilité doivent plaire à ceux qui
la connoiflent & font la meilleure critique
de tant d'écrivains froids qui , depuis
quelques années , ont amené la mode de
parler de fenfibilité d'autant plus qu'on
en a moins. La fenfibilité dont je parle
réfulte à la fois d'une ame prompte à
» s'affecter & d'un efprit prompt à apper-
»> cevoir ; c'eft celle qui ne réfiftant point
و د
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
"
» à l'impreffion des objets , les rend comme
» elle les a reçus , fans fonger à leur ajou
» ter rien , mais auffi fans leur rien ôter ;
qui , gardant des traces fidèles de ce
qu'elle a éprouvé , fe trouve toujours
» d'accord avec ce qu'ont éprouvé les au-
» tres & leur raconte leurs fenfations ;
» c'eft elle qui laiffe tomber une larme au
» moindre cri , au moindre accent de la
» nature , mais qui demeure l'oeil fec à
"
و د
toutes les contorfions de l'art ; qui , dans
» ce qu'elle compofe , donne aux lecteurs
plus de plaifir qu'ils ne lui fuppofſent
» de mérite , leur infpire plus d'intérêt
» que d'admiration , & fe rapprochant
» toujours d'eux , les attache toujours da
» vantage ; c'est elle qui faifoit les vers
» de Racine , qui prête tant de charmes
» aux tendreffes de Tibulle & même à la
négligence de Chaulieu ; c'eft elle enfin
» qui répandit fur les écrits de Fénelon
» des couleurs fi douces & fi aimables , &
» qui nous y rappele fans ceffe comme
» nous fommes rappelés vers une fociété
qui nous charme ou vers l'ami qui nous
» confole, "
"
"
L'orateur qui , par une divifion trèsfimple
, uniquement fondée fur l'ordre
des faits effentiels , confidére dans fa preOCTOBRE
. 1771. 131
mière partie le grand écrivain & le digne
inftituteur d'un Prince , & dans la feconde
, le théologien docile & le prélat bienfaifant
; après avoir mis en contraſte la
patience & la douceur de Fénelon avec
l'animofité de fes ennemis , paffe au
parallèle de ce grand homme avec fon
rival Boffuet . Boffuet , après la victoi-
» re , paffa pour le plus favant & le plus
» orthodoxe des Evêques ; Fénelon , après
» fa défaite , pour le plus modefte & le
» plus aimable des hommes. Boffuet con-
» tinua de fe faire admirer à la cour ; Fé-
» nelon fe fit adorer à Cambray & dans
» l'Europe. Peut - être feroit- ce ici le lieu
» de comparer les talens & la réputation
» de ces deux hommes également célè-
» bres , également immortels ; on pour-
>> roit dire que tous deux eurent un génie
35-
fupérieur ; mais que l'un avoit plus de
» cette grandeur qui nous éleve , de cette
" force qui nous terraffe ; l'autre , plus de
>> cette douceur qui nous pénétre & de ce
>> charme qui nous attache . L'un fut l'o-
>> racle du dogme , l'autre celui de la mo-
» rale ; mais il paroît que Boffuet , en fai-
» fant des conquêtes pour la foi , en fou-
» droyant l'héréfie , n'étoit pas moins oc-
» cupé de fes propres triomphes que de
F
vj
132 MERCURE DE FRANCE.
» ceux du chriftianifme ; il femble au
» contraire que Fénelon parloit de la
» vertu comme on parle de ce qu'on ai-
» me , en l'embelliffant fans le vouloir ,
» & s'oubliant toujours fans croire même
» faire un facrifice. Leurs travaux furent
» auffi différens que leurs caractères. Bof-
» fuet , né pour les luttes de l'efprit & les
"
victoires du raifonnement , garda même
» dans les écrits , étrangers à ce genre, cet-
» te tournure mâle & nerveuſe , cette vi-
» gueur de raiſon , cette rapidité d'idées ,
» ces figures hardies & preflantes qui font
» les armes de la parole . Fénelon , fait
» pour aimer la paix & pour l'infpirer
» conferva fa douceur même dans la dif-
>> pute , mit de l'onction jufques dans la
» controverfe & parut avoir raflemblé
» dans fon ftyle tous les fecrets de la per-
» fuafion. Les titres de Boffuet dans la
» poftérité font fur- tout fes oraifons fu-
» nèbres & fon difcours fur l'hiſtoire ;
» mais Boffuet , hiftorien & orateur, peut
» rencontrer des rivaux. Le Télémaque
» eft un ouvrage unique dont nous ne
»pouvons rien rapprocher . Au livre des
» variations , aux combats contre les hérétiques
, on peut oppofer le livre fur
l'Exiftence de Dieu , & les combats conOCTOBRE
1771. 133
"
"
tre l'athéifme , doctrine funefte & def-
» tructive qui defléche l'ame & l'endur-
» cit , qui tarit une des fources de la fen-
»fibilité & brife le plus grand appui de
» la morale , arrache au malheur fa con-
» folation , à la vertu fon immortalité ,
glace le coeur du juſte en lui ôtant un
» témoin & un ami , & ne rend juftice
qu'au méchant qu'elle anéantit . Cet
» ouvrage fur l'Exiſtence de Dieu en réu-
» nit toutes les preuves ; mais la meil-
» leure , c'étoit l'auteur lui - même . Une
» ame telle que la fienne prouve qu'il
» eft quelque chofe digne d'exifter éter-
» nellement . »
"
"
Cette dernière phrafe & les idées fur
l'athéifme font encore des traits fublimes.
Nous finirons par tranfcrire la belle
prière qui forme la péroraiſon . « Grand
Dieu ! car il femble que l'hommage
» que je viens de rendre à l'un de tes plus
dignes adorateurs foit un tître pour
t'implorer , confirme nos voeux & nos
» eſpérances , fais que les vertus de tes
» miniftres impofent filence aux détrac-
» teurs de leur foi ; que les maximes de
» Fénelon , qu'un grand Roi trouva chi-
" mériques , foient réalifées par de bons.
» princes qui feront plus grands que lui ;
134 MERCURE DE FRANCE.
» qu'au lieu de ces prétendus fecrets de
» la politique , qui ne font que l'art fa-
» cile & méprifable de l'intrigue & du
» menfonge , on apprenne de Fénelon
» qu'il n'eſt qu'un feul fecret vraiment
» rare , vraiment beau , celui de rendre
» les peuples heureux ; que tous les hom-
» mes foient convaincus que leur vraie
gloire eft d'être bons , parce que leur
nature eft d'être foibles ; que cette gloi-
» re foit la feule qu'ambitionnent les
» Souverains , la feule dont les fujets leur
» tiennent compte ; que l'on fonge que
» dix années du regne d'Henri IV font
>>
و ر
"
difparoître devant lui comme la pouf-
» fière toute cette foule de héros imagi-
» naires qui n'ont fu que détruire ou trom-
» per ; qu'enfin toutes les puiffances de la
» terre , qui fe glorifient d'être émanées
» de toi , ne s'en fouviennent que pour
" fonger à te reflembler !
On nous a reproché plus d'une fois de
garder fur tous les ouvrages de M. de la
Harpe un filence qui reffemble à l'indifférence
& même à l'injuftice . Nous avons
craint , il eſt vrai , d'être fufpects de quelque
prédilection en faveur d'un homme
de lettres qui a joint fes efforts aux nôtres
pour donner à ce Journal plus de vaOCTOBRE
. 1771. 135-
riété & d'intérêt. Nous nous fommes refufés
par cette raifon aux juftes éloges que
nous aurions voulu donner avec le Public
au difcours préliminaire de Suétone ,
regardé généralement comme un des plus
précieux morceaux de notre littérature ,
& rempli d'idées , de gout & d'éloquence.
Nous n'avons fait aucune mention de
Mélanie , affez louée d'ailleurs par les
applaudiffemens de l'Europe , l'un des
ouvrages les plus touchans qu'on ait faits
dans le genre dramatique , & du très- petit
nombre d'ouvrages de génie qu'on ait
faits dans ce fiècle. L'auteur n'a pas même
voulu qu'on le défendît contre les cenfures
injuftes & paffionnées , dictées par
la haine & l'ignorance. Mais nous croions
devoir aujourd'hui partager la reconnoiffance
que tous les honnêtes gens témoignent
au digne panégyrifte de Fénelon .
Nous dirons avec eux que cet éloge eft
l'ouvrage d'un coeur très- fenfible & d'un
efprit très élevé. Nous obferverons avec
l'Académie qu'il n'étoit pas poffible
d'embraffer un fujet avec plus d'intérêt
& de force , ni d'écrire avec un goût plus
fûr ; que tous les charmes du ftyle de Fénelon
femblent s'être répandus fur celui
de l'orateur qui lui préſente les homma136
MERCURE DE FRANCE .
*
ges de la poftérité. Nous dirons avec M.
de Voltaire ; C'eft le génie du grand fiécle
paffé , fondu dans la philofophie du fiécle
préfent. Enfin nous remarquerons que
tous les écrits de M. de la Harpe portent
l'empreinte de la plus belle ame ainfi que
d'un talent fupérieur , & nous le dirons
d'autant plus haut que l'un & l'autre ont
été indignement calomniés . Il eſt bien
jufte que celui qui a pris fi fouvent la défenfe
des vrais talens contre les clameurs
de l'envie , entende à fon tour la voix de
la vérité & de l'amitié.
Des Talens dans leurs rapports avec la
fociété & le bonheur ; piéce qui a remporté
le prix de l'Académie Françoife
en 1771 , par M. de la Harpe : Otium
gemmis neque purpurá venale nec auro .
HOR. A Paris , chez Regnard & Demonville
, rue baffe des Urfins.
Ce titre paroît offrir un fens trop étendu.
L'auteur n'a traité que les talens agréa
bles , & le mot de talens peut avoir d'autres
acceptions. C'eft en ce fens que pourroit
être fondé le reproche qu'on a fait à
* Termes d'une lettre de M. de Voltaire fur
l'éloge de Fénelon,
OCTOBRE. 1771. 137
l'auteur de n'avoir pas rempli fon titre.
Sa piéce devoit s'appeler l'éloge des beaux
arts . C'eſt là vraiment fon fujet . 11 eft
très- clairement annoncé dans les premiers
vers & traité dans le reste de l'ouvrage
autant que peuvent le permettre les bornes
marquées pour une piéce académi
que. Voici le début .
Vous , après la vertu , le plus beau don des Cieux,
Que le monde naiflant compta parmi fes dieux ,
Talens , que votre empire eft noble & légitime !
Befoins d'une ame pure & d'un efprit fublime ,
Vous promettez la gloire & créez les plaifirs.
L'homme doit à vous feuls les plus heureux loifirs.
Vous occupez les fens , fon coeur & les orga
nes.
Dans l'antique Elifée on nous a peint les mânes ,
De vos attraits encore , ainfi que nous , épris ,
S'amufant à desjeux & difputant des prix , &c.
Il n'eft pas poffible de fe méprendre à
cet exorde qui annonce évidemment l'éloge
des beaux arts Cet éloge eft partagé
en deux parties très - diftinctes ; dans la
première le poëte retrace les agrémens
dont la fociété leur eft redevable , & dans
la feconde , le bonheur intérieur qu'ils
139 MERCURE DE FRANCE .
procurent à ceux qui les cultivent. Le
morceau qui concerne la mufique a paru
charmant. Il forme un tableau à part ,
une espèce d'action d'un effet très agréa
ble.
Auprès d'un clavecin voyez la jeune Hortenſe ,
Echappée au couvent , au fortir de l'enfance ,
Sous les yeux d'une mère eflayer les talens ,
Que l'on doit ajouter à les attraits naiſſans .
Voyez la préluder ; voyez les mains agiles
Courir légerement fur les touches mobiles.
Lindor à fes côtés , enchanté de la voir ,
Lindor , qu'elle a choiſi ſans même le ſavoir ;
Tout troublé du plaifir de chanter avec elle ,
Soutient d'une voix tendre une voix qui chan-
-celle
,
S'anime au mot d'amour que d'un regard baiffé ,
Hortenfe encor timide à peine a prononcé .
Leurs yeux brillans d'un feu qu'en fecret ils éprou
vent ,
N'ofant trop fe chercher cependant ſe retrouvent.
Au tour d'elle on foûrit de ce tendre embarras .
Son trouble , les accens augmentent les appas.
Son coeur s'ouvre au pouvoir de la douce har
monie.
L'art de plaire s'accroît des dons de Polymnie .
Ainfi formant nos goûts , épurant nos defirs ,
La fenfibilité préside à nos plaifirs.
OCTOBRE . 1771 139
Echappée au couvent , peut fignifier
également qu'Hortenfe n'y a pas été ou
qu'elle en eft fortie. C'eft une petite amphibologie.
Au couvent , au fortir , eft une ,
autre incorrection . Il falloit changer ce
vers qui n'eft pas digne de ceux qui le
fuivent.
Le poëte oppofe aux fpectacles des
Romains , à leur efcrime barbare , à leur
pantomime deshonnête , nos fêtes mo-:
dernes où préfident le goût , la décence &
le génie. C'eft-là qu'il paffe en revue tous
les arts, & qu'il les met encore en action ,
en les appliquant aux auguftes mariages.
que la France vient de célébrer. La peinture
des fpectacles de Rome eft pleine
d'énergie & d'élévation .
Rome avide de fang , cruelle fans remord ,
Fit du crime un fpectacle & du meurtre une fête ,
Dans ces jeux qui , du monde étaloient la conquête
,
On s'efforçoit , au gré de ce peuple tyran ,
D'expirer avec grace & de plaire en mourant .
Sur des tréteaux impurs outrageant la décence,
La pantomime obſcène appelloit la licence.
Il falloit que Caton , s'éloignant de ces jeux
Difpensât les Romains de rougir fous les yeux.
2
Tyran & mourant ne riment pas en ri140
MERCURE DE FRANCE.
gueur ; mais riment très-bien à l'oreille
qui eft le plus fuperbe des juges .
Ce bonheur de l'ame que doivent à la
culture des lettres ceux qui font vraiment
dignes de les cultiver , eft peint avec une
fenfibilité vraie , & le ton de ce morceau
eft de la plus grande nobleſſe .
Le génie eft heureux de fa propre richeſſe.
Emporté vers la gloire & plein de fon ivreffe ,
Le jeune homme s'eft dit dans le fond de fon coeur
J'entrerai dans la lice & je ferai vainqueur.
Il femble , devant lui renverfant la barrière ,
De fon premier regard dévorer la carrière .
Les écueils font en foule au - devant de ſes pas.
Il lutte ; il voit enfin après de longs combats
Qu'on ne parvient au but où tend fon eſpérance ,
Qu'appuyé fur le tems & fur l'expérience .
Plus fage , plus heureux , il tourne les regards
De l'amour des fuccès à l'amour des beaux arts.
Il dépend moins d'autrui , trouve plus en lui -même.
Beaux arts , ah ! c'eft
vous aime.
pour vous qu'aujourd'hui je
De mon coeur , de mes jours vous êtes les foutiens
,
Je jouis des travaux qui furpaffent les miens.
Malheur à qui , s'armant d'un orgueil inflexi
ble,
OCTOBRE . 1771 . 141
Ferme aux talens d'autrui fon oreille infenfible ,
Et n'admire jamais dans fon aveugle choix
Que fes propres accords & le fon de ſa voix.
Le fage , retiré dans fon enclos champêtre ,
Peut refpirer les fleurs que les foins ont fait naî
tre
Mais il goûte des fruits plantés d'une autre main ;
Il ne fe flatte pas que les pleurs du matin ,
Les bienfaits des faifons , les dons de la nature ,
N'appartiennent qu'aux champs foumis à ſa culture
.
L'envie , foit qu'on ait le malheur d'y
être en butte , foit qu'on ait le malheur
bien plus grand de la reffentir , peut troubler
ce bonheur que le poëte vient de
peindre. Mais il foutient que le génie eſt
au- deffus de ce double danger . L'exemple
qu'il cite eft frappant.
J'ai vû , (Puiffent mes vers aux fiécles à venir
D'un exemple fi beau tracer le fouvenir ! )
J'ai vu le chantre heureux que Melpomène inf
pire ,
Qu'ont immortalifé les larmes de Zaïre ,
Au feul nom de Racine , attendri , tranſporté ,
De fon rare génie adorer la beauté ,
L'adorer en pleurant , peindre avec complaiſance
Sa facile richelle & fa douce élégance ,
142 MERCURE DE FRANCE .
Lui- même en répéter les vers les plus touchans
Et des tons du poëte animer fes accens.
Je croyois voir Linus chantant les vers d'Orphée .
Mais aux fons de la voix par degrés étouffée ,
Succédoit un filence immobile & rêveur.
Rappelé tout-à - coup à fa propre grandeur ,
Interrogeant fon ame & pefant les fuffrages ,
Il fembloit affifter au jugement des âges .
Tout entier à lui - même il ſembloit revenir ,
Pour entendre de loin l'arrêr de l'avenir ;
Et foudain loin d'en croire un orgueil légitime ,
Emporté malgré lui par un élan ſublime,
Oubliant tous fes droits pour ceux de fon tival ,
Grand homme , difoit - il , non , tu n'as point
d'égal.
Ce morceau , abfolument neuf, contient
une anecdote intéreffante dans l'hiftoire
de l'efprit humain . Le ftyle eft d'un
digne éléve de Racine & de M. de Voltaire
. Des traits tels que ceux- ci ,
Je croyois voir Linus chantant les vers d'Orphée.
Il fembloit affifter au jugement des âges.
Pour entendre de loin la voix de l'avenir , &c.
fe gravent dans la mémoire dès qu'on les
entend , & dans tout le refte de la piéce
l'oreille & le goût ne font jamais bleffés.
OCTOBRE. 1771. 143
Ce font par- tout des fentimens vrais &
nobles exprimés avec élégance & précifion.
C'est aux connoiffeurs à apprécier
ce mérite qui devient plus rare tous les
jours , & qui eft encore plus remarquable
, lorfqu'on y joint le talent d'écrire
fupérieurement en profe.
On trouve chez l'imprimeur de l'Académie
, les deux Victimes de l'opinion &
les Inconvéniens du luxe par M. le Prieur;
l'Etude de la Nature par M. ***; les
Voeux forcés par M. Willemain d'Abancourt;
on trouve chez Lejai l'Epître aux
Gens de lettres ; chez Delalain , l'Epître à
Racine , par M. Blin de Sainmore . Toutes
ces pièces ont concouru pour le prix.
Difcours philofophiques tirés des livres
faints , avec des odes chrétiennes &
philofophiques ; in 12. petit format
relié , 2 liv . A Paris , chez Saillant &
Nyon , libraires , rue St Jean - de- Beauvais
, 1771 .
Les difcours dont on donne une édition
particulière forment le 5. livre des poë-
Les facrées & philofophiques imprimées
in- 4° . en 1763. Ces difcours font la fubftance
du livre des Proverbes & de l'Ecclé144
MERCURE DE FRANCE.
fiafte. On y a joint de nouvelles odes facrées
, où le poëte , animé du feu divin ,
chante les triomphes de la Religion . Quel
plus beau fujet pour infpirer un Poëte
Chrétien que celui qu'il célèbre dans fon
ode VIII . adreffée aux Carmelites de St
Denis !
Quelle eft cette illuftre mortelle
Qu'environne tant de grandeur ?
Les lis de nos Rois au tour d'elle .
L'embelliffent de leur fplendeur.
La terre admire , le Ciel s'ouvre ,
Toute fa gloire fe découvre
Aux yeux des mortels éblouis ;
Les voix des Anges fe confondent
Et du haut des airs nous répondent :
C'eſt la fille de Saint Louis,
Ce volume offre les grandes vérités de
la Religion & les oracles de la piéré revêtus
des richeffes de la poëfie ; il est très - propre
à former l'efprit & le coeur des jeunes fidèles.
On trouve chez les mêmes libraires ,
Alphabetica feries rubricarum omnium ju
ris utriufque civilis & canonici in duas tabulas
OCTOBRE . 1771. 145
bulas diftributa editio nova ; vol . in- 12 .
Prix, 1 liv. 4 f. broché.
pour
Ce petit ouvrage est un manuel
les Juriftes , deftiné à leur rappeler les
principaux objets du droit civil & canonique
& à leur indiquer les fources où ils
doivent recourir.
VOYAGE au Mont Ethna ; & obfervations
par M. HAMILTON, ambaſſadeur
d'Angleterre à Naples , traduits par
M. de VILLEBOIS , chevalier de St
Louis , lieutenant - colonel du régiment
du Roi-Dragons.
Le 24 Juin 1769 , ✶ je quittai Catane , ville
fituée au pied du Mont Ethna , je traverfai le diftrict
inférieur de la montagne appelée Région Piémontoife
; il est bien arrofé , très - fertile & abonde
en vin & fruits . La circonférence de cette région
qui forme la bafe du grand volcan , a plus de cent
mille d'Italic. Malgré les dangers de fa fituation ,
cette partie eft très - peuplée ; elle eft couverte de
villes , villages & monaftères. Catane , fi louvent
Avec le Lord Fortrofe & le Chanoine Rem
pro , homme d'efprit , & le feul de cette ville qui
ait des connoiffances fur l'Ethna , dont il écrit à
préfent l'hiſtoire naturelle.
1. Vol, G
146 MERCURE DE FRANCE.

détruite par les éruptions de l'Ethna , totalement
renversée par un tremblement de terre , vers la fin
du dernier fiécle , a été rebâtie & eft à préfent une
ville confidérable , dans laquelle on compte au
moins trente - cinq mille habitans : fans doute
c'eft la grande fertilité des lieux voiſins des volcans
qui l'a fait habiter.
Après avoir monté pendant quatre heures, nous
arrivâmes au petit couvent de Bénédictins de St
Nicolas de l'Aréna , environ à treize milles de Catane
& à un mille du volcan d'où fortit la trèsgrande
éruption de 16693 nous paflâmes la nuit
dans ce couvent : les explofions de pierres & cendres
de 1669 ont formé auprès une montagne qui
a un mille de hauteur & trois de circonférence à
fa bafe. La lave qui fortit , & fur laquelle il n'y a
encore aucun figne de végétation , a quatorze
milles de longueur, & dans plufieurs endroits fix de
largeur; elle vint jufqu'à Catane , détruifit une
partie de les murs , enfevelit un amphithéâtre &
plufieurs autres monumens de fon ancienne grandeur
; elle fit dans la mer un trajet aflez confidérable
, pour y former un port fûr,& beau , mais
bientôt après il fut comblé par un nouveau torrent
de la même matière enflammée , circonſtance
qui afflige encore aujourd'hui les habitans de Catane
qui n'ont point de port. Il n'y a pas eu depuis
d'eruptions auffi confidérable ; l'on voit des fignes
certains de plufieurs antérieurs qui ont été plus
terribles.
A deux ou trois milles à la ronde de la montagne
élevée par cette éruption , tout eft inculte &
Couvert de cendre . Avec le tems cette montagne
fera auffi fertile que celles de fon voifinage , qui ,
de méme , ont été formées par des explosions . Si
les dates de ces explofions pouvoient être affu
OCTOBRE . 1771. 147
rées , on en tireroit des conféquences pour décider
le tems néceffaire au retour de la végétation fur
les matières d'éruption . Les montagnes qu'elles
ont élevées font dans un état différent ; celles que je
préfume être les plus nouvelles font couvertes de
cendre feulement ; d'autres , d'une date précédente
, de petites plantes & d'herbes , & les plus
anciennes des arbres les plus grands que j'aie vus.
Je crois que la formation de ces dernières eft bien
antérieure aux premières hiftoires qui nous ont
parlé de ce volcan. Au pied de la montagne élevée
par l'éruption de l'année 1669 , il y a un trou , par
lequel , au moyen d'une corde , nous defcendîmes
dans différentes cavernes ; elles s'étendoient trèsloin
, nous ne hafardâmes pas d'avancer ; le froid
y étoit exceffif, & un vent violent éteignoit fréquemment
quelqu'un de nos flambeaux . Il y a
apparence que ces cavernes contenoient la lave
qui fe fit jour & s'étendit , comme je viens de le
dire , jufqu'à Catane ; on connoît plufieurs de ces
cavités fouterreines dans l'autre partie de l'Etna ;
quelques- unes fervent de magafins pour la neige ,
dont on fait ufage en Sicile & à Malte. Je crois
qu'on en découvriroit encore d'autres fi on cherchoit
, particulièrement près & fous le Crater ,
d'où les grandes laves font forties ; car l'immenfe
quantité de matière que l'on voit au - deſſus du fol
fuppofe néceflairement de très - grands vuides audeflous.
Après avoir paflé , le matin du 25 , dans ces ob
fervations , nous marchâmes à travers la feconde
région de l'Ethna , appelée Selvofa ; rien ne peut
la furpafler en beauté ; de chaque côté font des
montagnes ou fragmens de montagnes jetés pär
différentes exploſions anciennes ; il y en a quel-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ques-unes prefqu'aufli hautes que le Véfuve ; uno
fur-tout ( comme l'affura notre guide le Chanoine
qui l'avoit mefurée ) a près d'un mille de hauteur
& cinq de circonférence à fa bafe ; elles font tou
tes ( ainsi que les riches vallées qui les féparent )
plus ou moins couvertes , même dans leurs craters,
de chênes , de chataigners , & fapins plus grands
que ceux que j'ai vueailleurs. Cette partie de l'Ethna
étoit déjà célèbre pour les bois du tems des
tyrans de Syracufe , & c'eft delà principalement
que le Roi de Naples tire ce qui eft néceflaire pour
fes chantiers. Par ce que j'ai déjà dit du tems qui
doit néceflairement s'écouler entre l'éruption & le
moment où la lave peut être propre à la végétation
, nous pouvons nous faire une idée du grand
âge de ce refpectable volcan. Les chataigniers
étoient l'efpéce d'arbre la plus commune dans les
endroits que nous traverfâmes , & quoique trèshauts
, ils ne peuvent entrer en comparaiſon avec
quelques- uns d'une partie de la région Selvofa
appelée Carpinetto , j'ai entendu dire par plufieurs
perfonnes , & particulièrement par notre Chanoine
, qui a mefuré le plus grand de ce canton , ap
pelé le chataignier de cent chevaux , qu'il a plus
de vingt- huit cannes napolitaines de circonférence.
* Il est creux , mais à côté il y en a un qui eft
fain & prefqu'auffi gros ; je n'allai point voir ces
arbres , il auroit fallu employer deux jours à ce
voyage, & le tems étoit trop chaud . Dans cette
partie de la montagne font les plus beaux troupeaux
de bêtes à cornes de la Sicile ; les cornes des
animaux de cette ifle nous parurent être une fois
auffi grandes que celles des beftiaux que l'on voit
La canne napolitaine a 64 pouces de France,
OCTOBRE. 149 1771 .
ailleurs ; les animaux font de la taille ordinaire.
Nous paflâmes auprès de la dernière éruption en
l'an 1766 , qui détruifit plus de quatre milles en
quarré du beau bois dont j'ai parié . La montagne,
élevée par cette éruption , abonde en fouffre &
fels , exactement femblables à ceux du Véluve.
Environ quatre heures après que nous eûmes
quitté le couvent de St Nicolas de Larena , nous
arrivâmes aux confins de la troifiéme région , appelée
Laneta ou Scoperta. L'air y étoit exceffive
ment froid. A mefure que nous nous étions approchés
de cet endroit nous avions remarqué la
végétation diminuer par degrés , depuis les plus
grands arbres jufqu'aux plus petits arbrifleaux &
aux plantes des climats féptentrionaux. J'obſervai
quantité de geniévre & de tamarin ; notre
guide nous dit que lorfque la faifon eft plus avancée
, on y voit un nombre infini de plantes curieufes
, & que , dans quelques endroits , on trouve
de la rhubarbe & du fafran en abondance ; dans
T'hiſtoire de Catane par Carrera , il y a une liſte
de toutes les plantes de l'Ethna.
La nuit approchant , nous tendîmes une tente
& fines un grand feu ; le froid fut fi confidérable
que , fans le feu & des habits très- chauds , nous
cuffions infailliblement péris. Le 26 , à une heure
nous pourfuivimes notre voyage vers le grand
Crater. Nous paflâmes fur des neiges qui remplif
fent des vallées profondes ; elles ne fondent jamais
, à moins qu'il ne coule deffus quelques laves
de la bouche du grand Crater,, ce qui arrive ra
rement , les grandes éruptions venant ordinairement
de la moyenne région ; la matière enflammée
trouve ( comme je le fuppofe ) à le
faire jour dans quelques parties foibles , long-
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tems avant qu'elle puiffe s'élever à la hauteur exceffive
de la région fupérieure ; la grande bouche
fur le fommet femble fervir feulement de cheminée
au volcan. Dans plufieurs endroits la neige
eft couverte d'un lit de cendres , jetés du Crater ;
le foleil la fondant dans quelques parties en rend
la furface dangereufe ; mais comme nous avions
avec nous , outre notre guide , un payfan bien au
fait de ces vallées, nous arrivâmes , fans accident,
au pied de la petite montagne de cendres qui couronne
l'Ethna , une heure avant le lever du ſoleil
; cette montagne eft affife fur une plaine doucement
inclinée , d'environ neuf milles de circonférence
; elle a un mille de hauteur perpendiculaire
, & très- escarpée , mais cependant pas autant
que le Véfuve ; elle a été formée dans ces derniè
res trente années : plufieurs perfonnes de Catane
m'ont dit qu'elles fe fouvenoient de n'avoir vu
qu'un large crater dans le milieu de cette plaine.
Jufqu'à préfent la montée avoit été aflez douce
pour n'être pas fatigué ; car le fommet de l'Ethna
eft à trente milles de Catane ( d'où l'on commence
à monter ) & fans la neige nous aurions pu aller ,
fur nos mulets , jufqu'au pied de la petite monta
gne , plus haut que le Chanoine notre guide n'étoit
jamais allé. Comme je vis que cette petite
montagne étoit femblable à la cime du Véluve ,
qui eft folide & ferme , quoique la fumée forte de
tous les pores , je ne fis aucune difficulté d'aller
au haut du crater , & mes compagnons me fuivirent.
La roideur du chemin , la vivacité de l'air,
les vapeurs du foufre & la violence du vent , qui
nous obligea plufieurs fois de nous jeter le vifage
contre terre , crainte d'en être renversé , rendirent
cette derniere partie de notre expédition incommode
& défagréable. Notre guide nous affura
OCTOBRE. 1771. 1st
qu'il y avoit ordinairement beaucoup plus de vent
dans la haute région qu'il n'en faifoit pour lors.
Bientôt après que nous nous fumes affis fur la plus
haute pointe de l'Ethna , le foleil fe leva & nous
eûmes devant les yeux une fcène brillante audeffus
de toute defcription . L'horifon s'éclairant
par degrés , nous découvrîmes la plus grande partie
de la Calabre & la mer au- delà , le phare de
Meffine , les ifles de l'Iparic . Stromboli , avec fon
fommet fumant ( quoiqu'éloigné de plus de foixante
& dix mille ) fembloit être précisément fous
nos pieds ; nous vîmes l'ifle entière de la Sicile ,
fes rivieres , fes villes , fes havres , & c . & c . comme
fi nous avions regardé une carte de géographie.
L'ifle de Malthe eft une terre baſle ; il y avoit une
brume dans cette partie de l'horifon , de forte que
nous ne pûmes pas la bien voir ; notre guide nous
aflura qu'il l'avoit vue d'autres fois très - diftinctement
, ce que je crois , parce que dans d'autres
parties de l'horifon , qui n'étoient pas embrumées,
nous vîmes à une plus grande diſtance ; d'ailleurs
quelques femaines auparavant , en entrant dans
le havre de Malthe nous avions eu de notre
vaifleau une vue très - diftincte du fommet de
l'Ethna ; enfin , comme je l'ai mefuré depuis fur
une bonne carte , nous pouvions voir au même
tems une circonférence de plus de neuf cens
milles, L'ombre pyramidale de la montagne traverfoit
toute l'ifle & atteignoit la mer. Je comptois
delà quarante - quatre petites montagnes dans
la moyenne région , fur le côté de Catane & plufieurs
autres fur le côté oppofé , toutes d'une forme
conique , chacune ayant fon crater , dont plufieurs
étoient couverts de grands arbres en-dedans
& en-dehors ; j'ai appelé ces montagnes petites,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
en comparaifon de leur mère l'Ethna ; par- tout
ailleurs elles paroîtroient grandes . Les pointes de
celles de ces montagnes , que j'eftime être les plus
anciennes , font émouflées , & les craters , par
conféquent , plus étendus & moins profonds que
ceux des montagnes formées par des exploſions
plus récentes , qui confervent en entier leur forme
pyramidale ; quelques-unes ont été fi changées par
le tems , qu'elles n'ont point d'autre apparence
d'un crater qu'une forte de creux dans leur fommet
arrondi ; d'autres ont feulement une deuzième
ou troisième partie de leur cône fubfiftante , les
parties qui manquent ayant peut - être été détachées
par les tremblemens de terre , très- fréquens
dans cette contrée : toutes cependant ont été évidemment
élevées par des exploſions, & je crois ,
qu'après un examen , plufieurs formes fingulières
de montagnes , dans d'autres parties du monde ,
1eroient jugées être dûes à de femblables opérations
de la nature : j'obfervois que ces montagnes
étoient généralement rangées par lignes ou par
chaînes ; elles ont ordinairement une fracture fur
un côté , de même que les petites montagnes élevées
par explofion auprès du Véluve , où l'on en
voit huit ou neuf : cette fracture eft occafionnée
par les laves qui s'ouvrent de force un paffage.
Toutes les fois que l'on verra une montagne avec
une forme régulièrement conique , avec un crater
fur le fommet & un côté rompu , l'on peut décider
qu'elle a été formée par une éruption , parce que ,
fur l'Ethna & le Véfuve , les montagnes formées
par explofions font , fans exception , conformes
à cette defcription.
Après avoir raflafié nos yeux du fpectacle admirable
dont je viens de parler , nous regardâmes
OCTOBRE. 1771. 153
dans le grand crater : autant que je puis juger , il
avoit deux milles & demi de circonférence ; nous
ne crûmes pas qu'il y eut lûreté à le tourner & à le
melurer , parce que dans quelques parties , la furface
nous parut très - foible. L'intérieur du crater
dont la croute eft de fel & de foufre , comme celui
du Véluve , a la forme d'un cône creux renversé ;
& fa profondeur répond à -peu - près à la hauteur
de la petite montagne qui couronne le grand volcan
; la fumée qui fortoit abondamment des côtés
& du fond nous empêcha de voir jufqu'en bas ,
mais le vent l'écartant de tems en tems , je vis ce
cône renverfé s'étrecir prefque jufqu'à n'être plus
qu'un point ; d'après des obfervations répétées ,
jofe dire que , dans tous les volcans , la profon-
-deur des craters fera trouvée correfpondre de trèsprès
à la hauteur de la montagne conique de cendres
dont ils font ordinairement couronnés ; je
regarde tous les craters comme une forte d'entonnoirs
fufpendus , fous lefquels font de vaftes cavernes
& abîmes . On peut aifément rendre compte
de la formation de ces montagnes côniques avec
leurs craters par la chûte des pierres & des cendres
jettées au tems d'une éruption. La fumée de l'Ethna
, quoique fulfureufe , ne me parut pas fi fétide
& fi défagréable que celle du Véfuve ; mais notre
guide me dic que les qualités varioient felon la
qualité de la matiere du dedans , qui fe trouve
alors en mouvement ; la même chofe faremarque
au Véluve. L'air étoit fi pur & fi vifdans la haute
région de l'Ethna , & particulièrement dans les
parties les plus élevées , que nous avions de la difficulté
à refpiret , & cela indépendamment de la
Vapeur fulfureufe. O
2
Le 24 , au pied de l'Ethna le vif argent étoivà
·G v
154 MERCURE DE FRANCE,
27 degrés 4 lignes . Le 26 , à la partie la plus élevée
du volcan , il étoit à 18 degrés 10 lignes. Le
thermomètre , au pied de la montagne , étoit à 24
degrés , & fur le crater , à 56. Le tems n'avoit
point du tout changé , il fut également beau &
clair le 24 & le 26. Le chanoine m'aflura que la
hauteur perpendiculaire de l'Ethna eft de trois
milles d'Italic.
Après avoir paffé trois heures fur le crater, nous
en defcendîmes & allâmes fur un terrein élevé ,
éloigné d'environ un mille de la montagne que
nous venions de quitter ; nous y trouvâmes quelques
ruines ; cet endroit eft appelé la Tour des
Philofophes ; l'on dit qu'Empedocle l'a habitée :
allant enfuite un peu plus loin , fur la plaine inclinée
que j'ai citée , nous vîmes les traces d'un tor-
-rent épouvantable d'eau chaude qui fortit du
grand crater , avec une éruption de lave , en 1555 :
heureuſement ce torrent ne prit pas fa route
vers les parties habitées de la montagne. L'opinion
commune eft que ces éruptions d'eau procédent
d'une communication du volcan avec la
mer ; je les crois plutôt occafionnées fimplement
par des dépôts d'eau de pluie dans quelquesunes
de leur concavités intérieures. Nous vîmes ,
de cet endroit , le cours entier d'une ancienne lave
, la plus confidérable par fon étendue de toutes
celles que l'on connoît ; elle entra dans la mer
près de Faormina , qui eft à trente milles du crater
dont elle fortit . Cette lave a , dans quelques
parties , quinze milles de largeur , les laves de
' Ethna ont communément quinze & vingt milles
de longueur , fix ou fept de largeur & cinquante
pieds ou plus de profondeur ; ainfi l'on peut juger
de la quantité prodigieule de matière fortie de
cette montagne dans les éruptions , & des vaftes
OCTOBRE. 1771. Iss
cavités qu'il doit y avoir au - dedans. La lave la
plus étendue du Véluve n'excéde pas fept milles
en longueur ; les opérations de la nature , fur l'une
& l'autre montagne , font femblables ; mais celles
du Mont Ethna font fur une plus grande échelle .
La nature & la quantité de leurs laves font les
mêmes ; je crois celles de l'Ethna plus noires & en
général plus poreufes que celles du Véfuve. Dans
les parties de l'Ethna que nous traversâmes , je ne
vis aucun de ces lits de pierres - ponces qui font
fréquens près du Véfuve , & qui couvrent l'ancienne
ville de Pompeia ; mais notre guide nous
dit qu'il y en a de femblables dans d'autres parties
de la montagne. Je vis quelques couches de ce
qu'à Naples on appele tuf, qui couvre Herculanum
, & qui compofe une grande partie des terres
élevées auprès de Naples. C'eſt ( après l'avoir examiné
) un mélange de petites pierres - ponces , de
cendres & de fragmens de laves , qui s'eft durci ,
avec le tems au point de former une forte de
pierre ; en un mot je ne trouvai ( par rapport à la
matière des éruptions ) rien fur le Mont Ethna
que le Vélove ne produile , & certainement il y a
une plus grande variété dans les matières d'éruptions
& les laves de cette dernière montagne .
Toutes les deux abondent en pyrites & en criſtallifations
, ou plutôt vitrifications . A préfent il y en
a une bien plus grande quantité de foufre & de
fels fur le fommet du Véluve que fur celui de
l'Ethna ; mais cette circonftance varie fuivant le
degré de fermentation au- dedans , & notre guide
m'aflura que , dans d'autres tems , il en avoit vu
davantage fur l'Ethna . Dans notre retour à Catane
, le Chanoine nous fit voir un monticule convert
de vignes qui fut miné par la lave en 1669 ,
& tranfporté à un demi- mille du lieu où elle étoit
و
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
précédemment fans que les vignes en fuflent endommagées.
Dans les fortes éruptions de l'Ethna on a fouvent
vu fortir de la fumée que vomifloit le grand
crater , des éclairs & des zig- zag de feu. Les
Anciens avoient remarqué le même phénomène ;
j'en obfervai autant pendant l'éruption du Véſuve
en 1767.
Jufqu'à l'année 1252 , l'hiftoire chronologique
de l'Ethna eft très - imparfaite ; mais depuis ce
tems ayant oppofé le voile de Ste Agathe , a la
violence des torrens de lave dans le tems des grandes
éruptions , les iniracles qu'on a attribués à fon
influence ont été foigneufement enregistrés , &
nous ont donné la date des exploſions . Les reliques
de St Janvier à Naples ont rendu le même
fervice aux amateurs de l'hiftoire naturelle . Je
trouve , par les dates des éruptions de l'Ethna ,
qu'il eft auffi irrégulier & incertain dans les opé
rations que le Véluve ; la dernière éruption fut en
1766.
En retournant à Naples nous eûmes un calme
de trois jours au milieu des ifles de Lipari , j'eus .
par là , occafion de reconnoître évidemment qu'el
les ont toutes été formées par exploſion ; une
d'elics , appelée Volcano , eft dans le même état
que la Solfatare ; Stromboli cft un volcan exiftant
dans toute fa force , & par conféquent dans la
forme la plus pyramidale de toutes ces ifles ; nous
vîmes fréquemment des pierres , tout en feu , lancées
par fon crater , & quelques laves fortant du
côté de la montagne , fe tendre àla mer. Ce vol-
Yoy. Séneque , livre II , queftion naturelle.
OCTOBRE. 1771. 157
can différe de l'Ethna & du Véfuve en ce qu'il jette
continuellement du feu & très peu fouvent de la
lave , malgré ces continuelles exploſions , cette
ifle eft habitée , d'un côté , par environ cent familles.
ACADÉMIE S.
I.
Académie Françoife.
IL feroit difficile de trouver dans les
faſtes de l'Académie une féance publique
plus intéreffante que celle du 25 Août
dernier , jour de St Louis , dans laquelle
on devoit diftribuer deux prix , l'an de
poëfie & l'autre d'éloquence . L'éloge d'un
homme dont la mémoirè eft fi fingulierement
chérie de la nation & de l'Europe
& dont le nom doit être à jamais facré
pour tous ceux qui aiment la vertu , la
famille de ce grand homme préfente à
l'affemblée où l'on alloit entendre fon
panégyrique , le portrait de Fénelon expofé
aux regards du Public , les larmes
qui fe mêloient aux applaudiffemens , le
mérite même de l'ouvrage couronné que
l'on peut regarder d'après le fuffrage de
l'Académie & celui du Public , comme
158 MERCURE DE FRANCE.
un des plus beaux monumens de l'éloquence
françoife ; enfin la réunion des
: deux couronnes fur la tête du même
athlète , toutes ces circonftances affez rares
formoient un fpectacle touchant , fait
pour honorer les lettres & plaire aux ames
honnêtes & fenfibles .
M. d'Alembert a ouvert la féance par
la lecture de quelques réflexions rélatives
aux ouvrages de concours. Il a annoncé
que le prix de l'éloge de Fénelon avoit
été décerné unanimement à M. de la Har
pe , qui avoit déjà remporté trois prix ,
deux d'éloquence & un de poëfie ; que le
difcours de M. l'Abbé Maury avoit obtenu
l'acceffit ; qu'un troifiéme difcours
dont l'auteur ne s'eft pas fait connoître ,
avoit mérité que l'Académie en fît une
mention honorable .
Il a fait enfuite la lecture de l'ouvrage
couronné qui a été reçu avec des accla
mations multipliées & avec une fenfibilité
marquée . M. Thomas a lû quelques
morceaux de l'acceffit qui ont été applaudis
. M. Duclos a lû le programme que
nous tranferirons à la fin de cet article .
Avant de paffer au prix de poëfie , décerné
auffi à M. de la Harpe , M. d'Alem
bert a lû , au nom de l'Académie , d'auOCTOBRE
. 1771. 159
tres réflexions fur les piéces de vers envoyées
au concours ; il a déclaré que toures
les piéces remifes à l'imprimeur de
l'Académie avoient été lues par les juges,
quoiqu'on eut imprimé le contraire. Il a
déploré , la décadence de la poëfie dans nos
jours . Il s'eft élevé contre ces ermemis des
lettres, intéreffés par état & par caractère
à louer le mauvais goût & la médiocrité ,
& à décrier les talens & le génie , dont les
éloges & les fatyres ( pour nous fervir de
fes termes ) font également eftimables ;
toujours reconnus à ces traits & par le
Public & par leur confcience qui leur
rendent une égale juftice. Il a obfervé
très judicieufement que tel homme plus
loué par cette efpéce de gens que ne l'a
jamais été l'auteur de la Henriade attendoit
en vain la renommée , tandis que tel
autre en butte à un cours réglé d'injures
n'y répondoit que par des fucéès réitérés .
Ces réflexions très -piquantes , pleines de
jufteffe , de fel & de précifion , comme
tout ce qu'écrit M. d'Alembert , ont été
très goûtées. Il a lû enfuite la piéce couronnée
, intitulée , des talens dans leurs
rapports avec la fociété & le bonheur , dont
nous avons rendu compte , & dont plu-
'fieurs morceaux ont été vivement applaudis.
60 MERCURE DE FRANCE.
Prix de Poëfie pour l'année 1772 .
*
Le vingt -cinquieme jour du mois d'Août
1772 , fête de St Louis , l'Académie Françoife
donnera un prix de poëfie , qui
fera une médaille d'or de la valeur de cinq
cens livres. Le fujer , le genre du poëme
& la meſure des vers , font au choix des
auteurs. La piéce fera de cent vers au
moins , & de deux cens au plus .
Toutes perfonnes , excepté les Quaran
te de l'Académie , feront reçues à compofer
pour ce prix.
Les auteurs mettront leur nom dans un
billet cacheté attaché à la piéce , fur lequel
fera écrite la fentence qu'ils auront
mife à la tête de leur ouvrage.
tis
Ceux qui prétendent au prix font averque
s'ils fe font connoître avant le
jugement , ou s'ils font connus , foit par
l'indifcrétion de leurs amis , foit par des
lectures faites dans des maifons particulieres
, leurs piéces ne feront point admifes
au concours .
Les ouvrages feront envoyés avant le
Le prix de l'Académie eft formé des fondations
réunies de MM. de Balzac : de Clermont-Tong
merre; Evêque de Noyon , & Gaudron.
OCTOBRE. 1771 . 161
premier jour du mois de Juillet prochain ,
& ne pourront être remis qu'à la V. Regnard
, imprimeur de l'Académie Françoife
, rue baffe des Urfins , ou grand'-
falle du palais , à la Providence : & fi le
le port n'en eft point affranchi , ils ne feront
point retirés .
L'Académie voulant donner aux auteurs
le tems de faire des recherches pour
les fujets d'éloges , propofe d'avance pour
l'année 1773 , celui de Jean Baptifte
Colbert , miniftre d'étar.
I I.
Marfeilée.
-
L'Académie des belles-lettres, fciences
& arts de Marfeille aura , l'année prochaine
1772 , deux prix à diftribuer le 15
Août , jour de St Louis .
Sujet du prix de poëfie : Une Epitre d'un
Vieillard àfon dernier ami.
Sujet du prix d'éloquence : l'Eloge de
Racine,
Ces prix feront chacun une médaille
d'or de la valeur de 300 liv . Les ouvrages
feront adreffés , francs de port , à M.
Mourraille , fecrétaire perpétuel de l'A162
MERCURE DE FRANCE.
cadémie , à Marſeille , & ils ne feront
reçus que jufqu'au 15 de Mai.
I I I.
Ecole Vétérinaire .
Le 2 Août & 4 Septembre 1771 il y
eut à l'Ecole Royale Vétérinaire de Lyon
deux féances publiques . La première avoit
pour objet la connnoiſſance raisonnée de
la beauté du cheval , &c ; & la feconde
embraffoit la démonſtration des effets des
médicamens à employer dans le traitement
des maladies des animaux .
Les Elèves qui furent entendus dans la
première de ces Séances font les fieurs
Guftin , entretenu par Mgr le Prince
Charles de Lorraine ; Froideveau & Bérbier
, par Mgr l'Evêque & Prince ' de
Bafle; Dietrich , par la ville d'Haguenau ;
Coche , de la Savoie à fes frais ; Hypolite ,
Perche & Arnaud , par M. I'Intendant
de Lyon ; Guérin , par M. l'Intendant de
Dijon ; Bonnet , par le Diocèfe d'Alby ;
Noyés , par le Diocèfe de Mirepoix ;
Antille , par M. Dormeffon , Intendant
des Finances ; Cholet , par M. le Seurre ,
premier Commis de M. Bertin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat ; Delerue , par M.
OCTOBRE. 1771 . 163
l'Intendant de Rouen & par M. Le Marquis
de Sommery , Capitaine aux Gardes;
Appé , par M. l'Intendant du Berry. Le
fort déféra le Prix à ce dernier.
Ceux qui furent admis dans la feconde
Séance font les fieurs Arnauld , Varrenard
, le Pas & Vial , entretenus par M.
l'Intendant de Lyon ; Roy , Mougin &
d'Haimy , par la province de Champagne;
Dompuier , par celle de Dauphiné ; Laurent
, par celle de Franche - Comté ;
Mayeur , par celle de Lorraine ; Fournier,
par M. de Brige.
Le prix fut adjugé aux Srs Vial , Varrenard
, Lepas , Roy , Laurent & Dompuier
que le fort favorifa . Le Sr Arnaud eut le
premier acceffit.
C'eft , du reste , aux foins du Sieur Laborde
, chef de brigade , que ces Elèves
doivent l'avantage qu'ils ont eu de fatisfaire
le Public.
164 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
OPÉRA.
DEPUIS
EPUIS le 13 du mois d'Août , l'Opéra
continue les repréfentations de la Cinquantaine
, dont nous avons donné un
léger extrait dans le Mercure précédent.
L'incertitude du fuccès , à la première repréſentation
, ne nous avoit pas permis
d'entrer dans des détails qui font autant
d'honneur à l'auteur des paroles , qu'à ce-
Jui de la mufique , & nous nous empreffons
de joindre nos éloges aux applaudif
femens du Public. Nous avons cité quelques
morceaux du premier acte dont l'expofition
eft claire & mêlée de couplets.
très -heureux . On entend , tous les jours ,
avec un nouveau plaifir le début du fecond
: ce font les deux jeunes amans qui
fupplient Germain de fléchir le Bailli en
leur faveur. Germain leur repréfente que
l'on fent mieux le prix du bonheur lorfqu'on
a foupiré quelque tems après lui .
Du dieu dont vous portez les chaînes
Il faut connoître les rigueurs ;
Nous ne pouvons que par nos peines
OCTOBRE . 1771 . 169
Juger du prix de ſes faveurs :
Un bonheur qui n'a point d'orages
N'offie que des biens imparfaits ;
Si l'hiver étoit fans nuages ,
Le printems auroit moins d'attraits .
La ſcène ſuivante , qui fe paffe entre
Thérefe & Germain , eft généralement &
juftement applaudie . M. Desfontaines y
a répandu toute la chaleur dont elle étoit
fufceptible , & la mufique y prête un nouveau
charme à des paroles qui font pleines
de fentiment & de naturel.
Après deux couplets qui peignent l'amour
& la vertu des deux époux , Germain
fe rappele fon printems qu'il ne peut
s'empêcher de regretter, & rien n'eft mieux
fenti que la réponſe de Thérefe.
L'hiver a fes douceurs , partageons- les enfemble,
Et rendons grace au Ciel du noeud qui nous raf
femble ;
Vivons pour l'en bénir , & lorfque le trépas
Viendra fonner ma dernière heure ,
Je mourrai fans regret fi je meurs dans tes bras...
Tu pleures Germain ! ..
GERMA I N.
Oui , je pleure.
Quand d'un himen fi cher le cours eft terminé ,
165 MERCURE DE FRANCE,
Mon coeur , des deux époux , plaint celui qui demeure
,
Celui qui perd le jour eft moins infortuné.
THERES E.
Eloigne , mon ami , cette cruelle image ,
Et n'arrofe point de tes pleurs
Le peu de fleurs
Que l'inftant qui nous luit féme fur ton paffage.
Le duo qui termine cette fcène intéref
fante eft applaudi avec tranfport ; la fitua.
tion , le chant , les paroles , tout y contribue
, & nous connoiffons au théâtre peu
de morceaux auffi heureux que celui-là .
Nous rendons la même juftice à celui que
Germain chante dans le divertiſement.
Ainfi qu'au village ,
Aimez fans
partage ,
Aimez comme nous ,
Chaque jour pour vous
Sera le préfage
Des biens les plus doux :
Fuïez le parjure ,
Suivez la nature ,
Goutez le vrai bonheur ,
Vous le croiez bien loin , il eſt dans votre coeur.
Jamais de contrainte , &c.
OCTOBRE. 1771 . 167
L'ariette de Thérefe ne produit pas
moins d'effet , & l'attention du fpectateur,
tandis qu'on la chante , fuffit pour en faire
l'éloge.
Colette ouvre le 3. acte par un monologue
, Colin paroît & lui fait eſpérer un
bonheur prochain : ces jeunes amans ,
dont le coeur fe développe peu à peu ,
font étonnés du fentiment qu'ils éprouvent
lorfqu'ils fe trouvent enfemble , &
l'expriment d'une manière très - naïve .
COLIN.
Lorsque j'étois dans l'enfance
Je t'aimois plus tranquillement ;
COLETTE .
J'avois moins d'impatience -
Quand tu me quittois un moment.
COLIN.
Le long du jour , fous la coudrette ,
Tout me fervoit d'amusement ,
Une fleur , une chanſonnette
Me rendoient joyeux & content :
Mais aujourd'hui c'eft autre chofe ,
Je foupire & ne fais pourquoi...
L'amour en eft - il donc la cauſe ?
Si tu le fais apprends - le moi ,
165 MERCURE DE FRANCE.
COLETT E.
Tu me pourfuivois fur l'herbette ,
Je m'amufois avec ton chien ,
J'ornois ton chapeau , ta houlette ,
Et je ne defirois plus rien ;
Mais aujourd'hui c'eft autre chofe ,
Je foupire , &c.
Germain & Thérefe arrivent accom
pagnés de tous les habitans du village qui
viennent célébrer le renouvellement de
leur mariage : le Bailli céde à l'amour des
deux jeunes gens , & chante à Colette les
vers fuivans , tandis que Thérefe lui préfente
la couronne que la Dame du village
lui avoit donnée dans le fecond acte .
La
LE BAILLI , à Colette ,
Vous defiriez cette couronne ,
Vous l'obtenez à votre tour :
L'objet chéri qui vous la donne
reçut des mains de l'Amour:
Au bout de cinquante ans encore
Puiffe l'époux qui vous adore ,
Vour rappeler un ſi beau jour !
Le même fouhait venoit d'être fait à
Thérefe , & fe retrouve adroitement placé
dans cet endroit- ci . Les ariettes du divertiffement
OCTOBRE . 1771 169
vertiffement font écrites avec le plus grand
foin.
C
Nos plaifirs font l'image
De la fleur qui naît aux champs :
Sachons en faire uſage ,
Fleurs & plaifirs n'ont qu'un tems:
Amans heureux , femez dans la jeuneffe ,
Si dans l'hiver vous voulez recueillir ,
Suivez l'Amour , cédez à la tendreffe ,
Mais gardez - vous d'émoufler le defir .
Il nous foutient....
Celle de Germain ne mérite pas moins
d'être citée .
Vieillefle cruelle
Flétrit nos beaux jours ,
Amitié fidèle
Prolonge leur cours :
L'amour , l'amour paffe,
Mais de fon plaifir
Jamais ne s'efface
Le doux fouvenir :
Un rien le rappele ,
Et dans tous les tems ,
1. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE,
Amitié fidèle ,
Souvenirs préfens ,
Sont , mes chers enfans ,
Volupté nouvelle
Pour les vieux amans.
La cinquantaine ne préfentoit d'abord
que l'idée d'une fcène , & cependant M.
des Fontaines en a fçu tirer trois actes ,
fans s'écarter de la fimplicité qu'exigeoit
fon fujet , mais nous fommes perfuadés
que cette paftorale produiroit plus d'effet ,
fi elle étoit refferrée en deux actes , ce
qui eft très-aifé. Quelques perfonnes ont
prétendu que le Théâtre de l'Opéra demande
des perfonnages plus nobles ; mais
n'y joue-t- on pas le Devin du Village ,
la Provençale , Ragonde, &c . Le fuccès de
ces ouvrages prouve qu'il ne faut profcrire
aucun genre , & qu'il n'en eft point
que le Public n'adopte , quand il eft bien
traité ? La nature offre à une ame fenfible
les tableaux les plus intéreffans , &
il paroît que M. Desfontaines l'a étudiée
. Ses idées font abondantes fes
vers faciles , & nous l'exhortons à fe
livrer au genre Lyrique , pour lequel il
annonce un talent marqué.
>
OCTOBRE. 1771. 171
Mademoiſelle Châteauneuf a chanté
& joué d'une manière intéreffante le Rôle
de Colin , elle a fait, depuis le peu
de
tems qu'elle eft au théâtre , des progrès
qui prouvent qu'elle travaille beaucoup
& qui méritent d'être encouragés .
On admire fur-tout les talens de M. &
Madame l'Arrivée pour le chant & pour
la fcène. Le goût exquis , la foupleffe &
la légereté d'organe , les fons brillans
le jeu fenti de Madame l'Arrivée ; l'art
aimable , l'aiſance & la fenfibileté que
M. l'Arrivée met dans fon chant & dans
fon jeu ; tant d'avantages réunis donneront
toujours de l'éclat aux rôles confiés à
ces excellens Acteurs. Auffi Thérefe &
Germain ont - ils principalement inté
reffé dans cette Paftorale .
Nous avons rendu dans le dernier volume
le tribut d'éloges dû aux talens
diftingués qui ont mérité les applaudiffemens
du public, foit dans le chant, ſoit
dans la danfe.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
COMEDIE FRANÇOISE.
M. PONTEUIL éleve de M. Préville a
débuté le famedi 7 Septembre 1771. dans
la Tragédie par le rôle de Rhadamifte ;
enfuite il a joué Achille dans Iphigénie ,
Vendôme dans Adélaide du Guefclin
Ninias dans Sémiramis. Cet Acteur âgé
d'environ dix-neuf ans donne les plus
grandes espérances d'un talent diftingué
. Il a une figure théâtrale , il eſt
bien fait , il met beaucoup de feu , d'a-
& de fenfibilité dans fon jeu.
Son organe fe formera & plaira lorfque
plus maître de fon action il ne précipitera
point les fons , ou qu'il ne forcera
pas la voix . Il rend avec douceur les
expreffions du fentiment & avec éner
gie les paffions. On doit d'autant plus
attendre de cet Acteur que d'une repréſentation
à une autre , il fait des progrès
étonnans ; & que jouant d'après lui - même
il n'eft point affervi à un jeu de
tradition ni d'imitation .
me ,

OCTOBRE . 1771. 173
COMÉDIE ITALIENNE.
Le lundi 19 Septembre les Comédiens
Italiens ont donné un repréfentation de
la Coquette du Village ou le Baifer pris &
rendu , Comédie nouvelle en deux actes ,
mêlée d'Ariettes. Les paroles font de M.
Anfaulme & la Mufique eft de M. Saint
Aman.
Un vieux foldat fumant fa pipe ſe félicite
de fon fort , & n'envie pas celui
du Seigneur de fon village qui étoit autre.
fois l'Intendant du château . Ce Seigneur
fait accueil au vieux foldat dont il aime
la petite fille Colette ; mais Colette
doit être mariée le jour même à Colin
fon amant. Une jeune fille coquette perfuade
à Colette que Colin lui eft infidéle
, & l'engage à écouter l'amour du Seigneur
qui a beaucoup de richeffes ; Colette
fe laiffe perfuader d'abord
une converfation avec fon amant lui fait
bientôt changer de deffein . Cependant
le Seigneur fous prétexte d'honorer la
nôce de fa préfence vient avec tous fes
domestiques , prend un baifer à fa maî❤
treffe & l'emmene.Colette fe laiffe éblouir
, mais
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
par l'éclat de l'opulence , & paroît cé
der. Colin vient lui faire des reproches
& triomphe encore de fon coeur. Cet
amant fûr d'être aimé , excite le Bailli
& les autres principaux du village à feconder
fon projet. Ils viennent pour
féliciter en apparence le Seigneur fur fon
mariage. Colin demande la permiffion
d'embraffer Colette pour la derniere fois;
ce que le Seigneur lui accorde , & auffitôt
qu'il a repris le baifer , il reprend
auffi Colette qui fe rend à fes voeux . Le
Seigneur eft alors forcé de confentir au
mariage de Colette avec Colin.
Cette Comédie a été retirée après la
premiere repréfentation .
ARTS.
I.
Expofition des peintures , ſculptures , gravures
de MM. de l'Académie royale.
CETTE expofition qui fe renouvelle tous
les deux ans eft peut - être la meilleure
école pour l'artiſte : fon oeil inquiet &
OCTOBRE . 1771. 175
perçant lui découvre mille objets d'inftruction
dans la comparaifon qu'il fait de
fes ouvrages avec ceux de fes rivaux .
Cette expofition d'ailleurs forme le goût
du Public , épure celui des connoiffeurs &
acquiert de nouveaux partifans à la peinture
& à la fculpture. Mais parmi ceux
qui fe rendent au falon , combien de fpectateurs
qui n'examinent un tableau ou
un bas- relief que pour lui trouver un côté
qui prête au ridicule. Lorfque , contens de
leurs remarques , ils ne cherchent point à
les publier , on n'a fans doute aucun reproche
à leur faire ; mais fouvent ils les
dépofent dans de petites feuilles critiques
que , pour rendre apparernment plus
plaifantes , ils font paroître fous des titres
burlefques. Ces obfervateurs cauftiques
fe difent amateurs ; non , ils ne le
font point. S'ils aimoient les beaux arts ,
chercheroient - ils à défoler ces enfans du
goût & du génie , fi délicats & fi fenfibles,
par des obfervations boufones ? par des
parodies indécentes , par des plaifanteries
Guillaume Vadé auroit défavouées ? que
Ils feroient perfuadés au contraire que de
pareilles remarques toujours inutiles , parce
qu'elles font faites avec précipitation
& fans un examen éclairé & réfléchi , ſont
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
encore injuftes & cruelles en ce qu'elles
attaquent fouvent un attifte eftimable &
ordinairement dans l'impuillance de fe
juftifier. En effet , fon tableau reste - enfermé,
au lieu que le farcafme lancé contre
lui & la prévention qui en réfulte volent
de toutes parts. Ces réflexions peuvent
fervir de réponſe à deux brochures ( 1 )
publiées lors de l'expofition dont nous
allons rendre un compte fommaire en
faveur de ceux qui n'ont pu fe trouver à
Paris pendant l'ouverture du falon .
Les fujets d'hiftoire réuniffant à l'intérêt
dramatique la nobleffe & la grandeur
( 1 ) La première de ces critiques eft intitulée :
'Lettre de M. Raphael Le jeune , élève des Ecoles
gratuites de deffin , neveu de M. Raphaël , peintre
de l'Académie de St Luc , à un defes amis , architecte
à Rome fur les peintures , fculptures &
gravures qui font exposées cette année au Louvre.
La feconde a pour titre : L'Ombre de Raphaël ,
ci- devant peintre de l'académie de St Luc , à fon
neveu Raphaël , élève des Ecoles gratuites de def
fin , en réponse à fa lettrefur les peintures , gravu
res &fculptures expofées cette année au Louvre.
Ces deux critiques enjouées & aflaifonnées de
bonnes obfervations nous paroiffent venir de la
même main que celle qui a paru il y a deux ans fous
le titre de Lettre de M. Raphaël à M. Jérôme,
OCTOBRE . 1771. 177
de la pentée , font auffi ceux qui , dans une
collection de tableaux , attirent les premiers
regards de l'amateur inftruit &
éclairé. La préfentation de J. C. au temple
par M. Reftou , tableau de 25 pieds
de large fur 13 pieds de haut , peut être
comparée pour la beauté & la richeffe de
l'ordonnance à celui que feu Reftou , père
de cet artiſte , expofa au falon il y a plu
fieurs années , & qui repréfentoit la dédicace
du temple de Salomon . La fcène
de cette préfentation fe paffe fous un des
veftibules extérieurs du temple . L'artiſte
a choifi le moment que Siméon , faifi d'un
faint raviffement à la vue du Sauveur du
Monde que laVierge porte dans fes bras,
adreffe au Ciel fon cantique d'action de
grace. Le beau caractère de tête du vieillard
, la nobleſſe de fon attitude , la douce
joie qui brille fur fon front & dans fes
yeux font la fidèle expreffion des fentimens
contenus dans le cantique Nunc dimittis
, &c. Plufieurs femmes fe font rendues
dans le temple pour fe faite purifier.
On y peut auffi remarquer des Scribes ,
des Pharifiens , & c. Ces différens perfonnages
épifodiques ajoutent à la grandeur
& à la majefté de la fcène principale , &
nous donnent l'idée que nous devons
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
avoir du temple des Juifs qui , étant le
feul dans Jérufalem , étoit néceffairement
très - fréquenté. Une colonne chargée
d'infcriptions , eſpèce de monument hiftorique
, le fait remarquer fur l'un des
côtés du temple dont la perfpective bien
entendue ne produit cependant pas tout
J'effet defiré par le peu de vigueur du coloris
. L'expreffion raviffante que M. Ref.
tou a donnée au vieillard Siméon femble
encore nous autorifer à exiger de cet artifte
un meilleur choix dans fes perfonna
ges de femmes.
Le tableau de Philemon & Baucis , mor
ceau de réception de M. Reftou à l'acadé
mie , nous prouve encore que cet artiſte
eft moins heureux pour les perfonnages
de femmes que pour ceux d'hommes.
Baucis a des traits fort communs , mais le
bon homme Philémon intéreffe par fon
caractère de tête , & Jupiter a de la nobleffe.
L'action qui fe paffe dans ce tableau
eft exprimée nettement . On voit
que le Dieu prend fous fa protection la
volatille qui fe refugie auprès de lui &
dont Baucis voudroit lui faire un mers.
Mercure ufant de fa fineffe ordinaire cache
fon caducée pour n'être pas reconnu
de ces bonnes gens.
OCTOBRE. 1771. 179
L'adoration des Bergers par M. Hallé
eft fuffisamment connue par l'eftampe que
cet artiſte en a lui -même gravée à l'eauforte
& qui a été annoncée dans le Mercure.
On voit au falon l'efquiffe de ce
même tableau. Elle eft en paftel & d'un
effet très heureux & très piquant. Cette
penfée de faire partir la lumière du tableau
de la tête du Verbe naiffant qui ,
tel qu'un nouveau foleil , femble s'élever
pour éclairer le monde , eft très noble &
avoit déjà été employée avec fuccès par
le Corrège & d'autres grands maîtres .
Le Silêne barbouillé de mûres par Eglé ,
du même auteur , eft la copie fidèle de la
peinture que Virgile nous a donnée dans
la fixième églogue de cette fcène paftorale
,
vive & enjouée. Les couleurs
franches , les tons brillans , les détails
agréables de ce tableau peuvent être trèsfavorables
à l'exécution qui en fera faite
en tapiferie à la manufacture royale des
Gobelins.
I a plûpart de ceux qui font des obfervations
fur les productions de notre académie
& fur les tableaux en général ne
veulent jamais fuppofer que l'artifte eſt
quelquefois obligé de fe prêter aux vues
de ceux qui l'emploient . Ils le jugent ri
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
goureufement d'après des lois qu'il n'a
pas été le maître de fuivre. Ils ne pardonneront
point , par exemple , à M. Belle
d'avoir traité dans le coftume du théâtre .
le fujet de Pfyché qui , à la lueur d'une
lampe , regarde l'Amour endormi . Mais
cet artifte n'a fuivi ce coftume qu'afin que
fa compofition fit fuite aux tentures exécutées
dans le même fiyle d'après les tableaux
de Coypel.
On voit un combat de St Michel du
même artifte. L'Archange eft revêtu d'un
bouclier & tient la foudre. Cet attribut
qui le fait reffembler au Jupiter de la fable
lui a été donné dans plufieurs compofitions
pareilles & nous n'y trouvons point
à redire. Mais n'y auroit il pas plus de
grandeur , plus de nobleffe , plus de convenance
même , puifque St Michel eft le
miniftre de l'Etre Suprême , de le repréfenter
mettant les Anges rebelles en fuite
par le feul afpect de fon attitude & de fon
regard menaçant ? La Fage , qui s'élevoit
quelquefois aux penfées les plus fublimes ,
a , dans une compofition à la plume que
nous avons fous les yeux , repréfenté l'Archange
terraffant les Anges rebelles par la
feule preffion de l'air qui fe trouve entre
fa main qu'il étend & les puiflances infernales
qui fe précipitent.
OCTOBRE. 1771. 181
Vénus & l'Amour couronnés par les
Graces , grand tableau allégorique par M.
Amedee Vanloo . Un doux fentiment de
volupté répandu fur la déeffe de la beauté
lui affure fon triomphe . L'Amour eft placé
à côté d'elle . Il a cette fraîcheur de coloris
qui caractériſe la fleur de la jeuneffe,
& nous rappelle bien agréablement le
pinceau flatteur de Carle Vanloe.
On s'eft encore arrêté avec complaifance
devant un tableau de chevalet du même
artifte repréfentant l'expérience d'un oifeau
privé d'air dans l'ancienne machine
pneumatique. La fcène de ce tableau eft
traitée dans le coftume espagnol . Une
jeune Femme & un grave Efpagnol paroiffent
écouter la leçon du démonftrateur.
Mais cette leçon n'eft pas ce qui occupe le
plus un jeune homme placé debout à côté
de l'aimable Efpagnole & pour laquelle
il oublieroit volontiers toutes les expériences
de phyfique , à en juger du moins
par les regards qu'il arrête fur elle avec
complaifance. Cette derniere penſée eſt
très- naïve & ajoute à l'agrément de la
compofition.
M. Lépicié s'eft fait honneur par
fon tableau repréfentant la fculpture
occupée du buſte de Henri IV , par celui
182 MERCURE DE FRANCE.
de Ste Elifabeth & de St Jean , par fon
martyre de St Denis , par celui de St André
, &c . Il a répandu de l'agrément dans
fon tableau de Narciffe changé en la fleur
qui porte fon nom , de la poëfie dans celui
de la colère de Neptune , une vérité de
nature bien étudiée dans fon déjeuner frugal
, &c. On a pu remarquer que cet ar
tifte s'eft beaucoup corrigé de ce ton violâtre
qui lui a été quelquefois reproché.
Les deux grands tableaux de M. Cafanove
repréſentant l'un le combat de
Fribourg en 1644 & l'autre celui de
Lens en 1648 nous font en quelque forte
affifter à ces deux actions mémorables .
Nous y voyons le Prince de Condé environné
de toute fa gloire. Ici il eſt repréfenté
à pied & jettant fon bâton de
Commandant dans les retranchemens
des ennemis afin d'exciter par cet héroïque
tratagême fes troupes à enfoncer
ces retranchemens. Dans l'autre tableau
le Prince eft à cheval & du même bras
qui mettoit en faire les ennemis il
prend fous fa protection l'infanterie des
Bavarois qui s'eft jettée à fes genoux , &
le Héros lui fauve la vie. Le teu dont
une imagination ardente s'embrafe à la
vue des combats s'eft communiqué à
l'Artiste . M. Cafanove n'a cependant ob
>
OCTOBRE . 1771 . 183
mis aucune des circonstances qui pouvoient
inftruire le fpectateur & ajouter à
l'intérêt de l'action principale. Ces deux
grands tableaux comme païfages font
encore remarquables par la variété & la
richelle du fite. L'un préfente une vaſte
plaine dont l'oeil découvre à peine l'étendue
; l'autre offre un pays montatagneux
& fauvage , mais dipofé heureufement.
On a vû du même artifte deux magnifiques
païfages d'un ton un peu rembruni
, mais d'un grand effet . Les arbres
& les animaux y font traités dans le ftyle
des meilleurs peintres Flamands .
Le génie aimable de M. Lagrenée nous
a fait jouir de plufieurs fcènes douces &
tranquiles que la volupté feule femble
animer. Où trouver un pinceau plus Aatteur
& plus agréable que le fien ? Ici c'eft
la Nymphe Echo qui foupire pou Narciffe ;
là Leda à laquelle le cigne amoureux
femble vouloir arracher la draperie bleue
qui la couvre ; plus loin on apperçoit
Eglé qui jette une pomme à fon Berger
endormi. Le petit tableau que l'artiſte
nomme l'Infomnie préfente une idée heureufe
, mais foiblement rendue . Une
jeune fille demi nue , vue par le dos
le genou gauche fur un lit , le pied droit
184 MERCURE DE FRANCE.
à rerre & tirant de la main droite un
rideau rouge , ne préfente qu'une figure
académique pofée agréablement. C'eft le
reproche que l'on pourroit faire à quelques
autres perfonnages de femme du même
Artiſte dont l'action , ou le fentiment
n'eft pas toujours affez nettement exprimé.
Dans cette derniere compofition
M. Lagrenée a cherché à caractérifer fon
fujet par un petit amour , qui caché fous
le lit regarde la jeune fille d'un air mafin.
L'art avec lequel le corps éclairé de
certe fille eft oppofé au fond vigoureux
& un peu fombie d'un lit ctamoifi produit
un effet très piquant.
L'allégorie fur la paix repréfentant
Mars & Vénus couchés dans le même lit
eft encore une de ces penfées qui par la
maniere dont l'Artifte l'a rendue laiffe
le fpectateur indifférent. Vénus eft endormie
, & Mars déjà éveillé porte fon
regard d'un autre côté. Si l'Artiſte avoit
repréſenté la Déeffe de la Beauté au moment
qu'éveillée par le foupir de l'aelle
fourit à fon amant qui la
regarde d'un air tendre & paffionné ; ces
différentes expreffions de fentiment auroient
animé la compofition , & l'auroient
rendu fans doute plus intéreſfante.
mour ,
OCTOBRE. 1771 .
185
Une fainte Famille , petit tableau où
faint Jean préfente un pigeon à l'Enfant
Jefus , placé fur les genoux de la Vierge
, peut être cité comme un des morceaux
les plus précieux de cet Artiſte
pour la fineffe des tons , la fuavité du
pinceau & la douceur des caractéres de
rêtes .
M. Lagrenée a peint , avec raifon ,
d'un pinceau beaucoup plus ferme , fon
grand tableau repréfentant S. Germain
qui donne à fainte Geneviève une médaille
où eft empreinte mage de la
"Croix. Ce tableau eft deftiné à la décoration
d'une des chapelles de l'Eglife de
T'Oratoire . Saint Germain eft affis & revétu
de fes habits pontificaux . La tête du
Prélat a la dignité convénable à fon carac
tére . La jeune Vierge à genoux devant le
Prélat , exprime fur fon vifage , l'aimable
ingénuité de fon âge , expreffion qui eſt
encore relevée par les fentimens d'humilité
& de vénération de la mere de Geneviève
. L'exécution de ce tableau eft
facile & de bon goût,
Le Vieillard Thermofiris inftruifant
Télemaque , tableau du même Artiſte ,
a de la nobleffe . Il étoit plus difficile de
s'élever au caractére héroïque de cette
186 MERCURE DE FRANCE.
femme Spartiate qui armant fon fils d'un
bouclier lui tint ce difcours laconique
mais fublime , au hoc aut in illo : rapporte
ce bouclier ou que ce bouclier te
rapporte. On doit néanmoins fçavoir gré
à M. Lagrenée d'avoir ofé traiter ce
fujet.
M. le Prince fçait toujours flatter la
curiofité du public par des compofitions
dans le coftume Ruffe . On a fur- tout remarqué
cette fcène où il a repréfenté une
bonne mere qui confulte un Empirique
fur l'état de fa fille . La malade eft dans
fon lit avec un vifage affez vermeil .
Un jeune homme enveloppé dans les
rideaux lui baife la main & paroît
mieux connoître la maladie de cette jeune
perfonne que tous les Empiriques en
femble. Les étoffes & les autres détails
de ce tableau font rendus avec beaucoup ,
de foin.
Un Géométre du même Artifte lui
fait d'autant plus d'honneur que la tête
de ce fçavant qui eft très - étudiée & peinte
d'après nature a un beau caractére.
On pourra trouver que l'étoffe dont ce
fçavant eft véru & qui est très chargée
d'ouvrage nuit un peu au repos néceffaire
pour faire valoir cette tête.
OCTOBRE . 1771. 187
On a été particuliérement affecté de
l'énergie avec laquelle M. Beaufort a
repréſenté cette fcène où Brutus , Lucrétius
pere de Lucrèce & Collatinus fon
mari , jurent fur le poignard dont elle
s'eft tuée , de venger fa mort & de chaffer
les Tarquins de Rome . Cet évenement
fait époque dans l'hiftoire Romaine
& le tableau qui nous le rappelle eſt
par cette raifon- là même très- intéreffant ,
il l'eft encore par l'art , nous pourrions
même dire par la chaleur réfléchie
avec laquelle le Peintre , devenu dans
ce moment acteur & hiftorien , a exprimé
fur la phifionomie & dans l'attitude
des trois conjurés , relativement à
leurs différens caractères , les fentimens
qui les animent.C'eft aux dieux infernaux
que ces fiers Romains femblent adreffer
les fermens qui doivent changer les deftins
de Rome . Ce tableau très- bien com
pofé eft encore recommandable par
xactitude du deffein & la bonté du coloris.
C'eſt le morceau de réception de
l'Auteur.
l'e-
On s'eft arrêté devant le tableau de
M. Favray qui nous repréfente l'audience
donnée par le Grand - Seigneur à M. le
Chevalier de S. Prieft Ambaffadeur à la
Porte. Le fpectateur affiſte à cette au188
MERCURE DE FRANCE.
dience par la fidélité avec laquelle tous
les détails y font exprimés. Mais cette
exactitude à fuivre les moindres particularités
du coftume ayant empéché l'Arrifte
de varier fes formes ou d'employer
la magie des oppofitions , pour mieux
faire valoir certaines parties , il n'a pu
rendre fon tableau recommandable que
par la vérité naïve de la fcène repréfentée.
9 que
M. Lagrenée le jeune nous a donné une
préfentation au Temple , mais dont l'action
eft différente de celle que M. Reftou
a tepréfentée & dont nous avons
parlé plus haut . M. Lagrenée a choiſi le
moment que la Vierge fe préfente au
grand Prêtre. Le vieillard Siméon eft
à fes côtés & debout. Il y a dans ce tableau
ainfi dans celui qui repré
fente S. Paul prêchant devant les Aréopagiftes
du même Artifte des beautés
d'expreffion , d'attitude , de deffein qui
doivent rendre le fpectateur plus indulgent
pour des draperies qui pourroient
être plus étudiées , pour un coloris fufceptible
de plus d'effet , & pour quel
ques défauts qu'une étude plus férieufe
ou plus réfléchie fera difparoître . Nous
remarquerons ici , pour faire voir le peu
de confiance que l'on doit avoir aux perites
feuilles critiques publiées pendant
OCTOBRE. 1771. 189
l'ouverture du falon , que l'on a répandu
dans une de ces feuilles (a) , comme
une obfervation très- plaifante , que faint.
Paul avoit un gros Dictionnaire de l'Encyclopédie
fous le bras ; il eft de fait cependant
que l'Apôtre n'a rien fous le bras,
qu'il tient fa main doite élevée , & que
de la gauche il foutient une partie de la
draperie qui le couvre.
On a vu au falon plufieurs autres com
pofitions eftimables , telles qu'une Affomption
par M. Parrocel ; une defcente de
Croix par M. Martin ; une entrée de Jérufalem
, par M. Jollain ; Jupiter & Ca
lifto , tableau de Chevalet du même ;
agréablement difpofé & d'un coloris
chaux ; un S. Sébastien par M. Brenet.
La pâleur de la mort et heureuſement
exprimée fur la tête du faint , & un doux
fentiment de pitié que l'on partage avec
cette femme qui tire une fléche du corps
du faint ne laiffe point le fpectateur in
différent. Ce tableau d'un coloris en général
un peu blanc , & d'une touche peu
ferme , n'eft cependant point fans effet.
La mort de Cléopatre , grand tableau
par M. Ollivier , a été trouvée d'un co-
(a ) Lettre de M. Raphaël le jeune , &c. p. 33
190 MERCURE DE FRANCE .
loris très-vigoureux . On auroit pu défi
rer plus de noblefle dans le deffein . Les
petits tableaux de Cabinet où cet Artiſte
nous rappelle les compofitions aimables
de Wateau font connus des amateurs par
le fini de l'exécution , & par une propreté
finguliére dans le rendu des étoffes
M. Carefme ne nous a point donné de
tableaux d'hiſtoire , mais des vues de jardin ,
&des païfages ornés dejolies compofitions.
La touche légere & facile de M. Robert
, la touche plus finie , plus précieufe
de M. de Machy nous ont procuré
plufieurs tableaux d'architecture qui
ont flatté les connoiffeurs par l'intelligence
des plans & le bon effet de la perfpective.
On a auffi accordé un jufte tribut
de louanges aux talens de M. Wally
Architecte du Roi , dont les productions
ont paru cette année pour la premiere
fois au falon . Cet Artifte a beaucoup de
fécondité , une pratique fûre , une grande
facilité pour manier la plume & le crayon.
Son plafond de l'Eglife de Jefus à Rome,
deffiné au biftre , eft un morceau confidérable
& d'un très - bon effet . Les figures
y font d'ailleurs rendues d'une touche
ferme & précife . Son deffin du temple
de Salomon paroît un peu contredire , le
plan que Villalpande nous en a donné ;
OCTOBRE . 1771. 191
mais M. Wally a eu fans doute de bonnes
raifons pour s'éloigner du fentiment
de cet Auteur. On a auffi applaudi à un
deffein d'escalier par le même Artiſte &
qui eft un de ceux que l'on a projettéspour
la nouvelle falle de la nouvelle Comédie.
Françoife. Son modéle d'un efcalier qui
doit être excécuté à Montmufart préfente
une espèce de rotonde dont le deffous
forme un portique noble & bien éclairé.
Un obfervateur attentif qui a fouvent
étudié les aſpects divers du ciel & de la
mer agitée , le jeu de la lumiere dans
l'eau , les teintes variées & adoucies que
les vapeurs répandent fur les objets , enfin
les beautés de la nature tranquille ou
en mouvement, fe plait encore néanmoins
à les confidérer dans les tableaux de M.
Vernet , parce que ces beautés s'y trou
vent plus raffemblées , parce qu'auffi cet
artifte fait par la magie d'un pinceau léger
, fçavant & fpirituel, rendre ces beautés
plus fenfibles à nos yeux . Auffi a - t- on
vu de cet artiſte avec la plus grande fatisfaction
une tempête avec le naufrage
d'un vaiffeau , une marine au coucher du
foleil , tableaux qui appartiennent à l'Electeur
Palatin ; une autre marine au clair
de la lune ; plufieurs petits tableaux de
païfage où l'on diftingue en quelque forte
191 MERCURE
DE FRANCE.
l'heure du jour. Des figures touchées de
goût animent ces compofitions & ajoutent
à l'intérêt ou à l'agrément du tableau
.
La vue fe repofe moins agréablement
fur les marines & fur les payfages de
M. Loutherbourg , parce que les couleurs
vierges , les ochres jaunes & rouges
fur-tour qui y dominent , en rendent
le coloris très - ardent . Mais n'est- il pas à
craindre que ce coloris n'éloigne de la
nature les artistes qui s'en laifferoient
éblouir , qu'il ne les accoutume infenfiblement
à regarder l'art d'employer les
couleurs comme une efpèce de clavecin
oculaire dont il fuffit de hauffer le ton
pour obtenir un effet encore plus brillant
que celui qu'ils ont devant les yeux .
Une cuifine peinte par M. Desportes
neveu ; une corbeille & un vaſe de fleurs
de M. Bellengé ; une Laitiere & une Ravaudeufe
par M. Bounieu
M. Bounieu ; une Dame
faifant faire fon portrait par le même ;
un tableau d'inftrumens de musique ; un
autre repréfentant une figure de bronze
de la Flore antique par M. de la Porte ,
ont ptocuré ce plaifir que donne la nature
imitée avec tous les détails qui contribuent
le plus à l'illuſion . Ce.
OCTOBRE . 1771. 193
Ce talent eft aufli celui de Mademoifelle
Vallayer dont nous voyons pour la
premiere fois au falon des tableaux repréfentant
divers morceaux d'hiſtoire naturelle
, les attributs des arts , différens
inftrumens de guerre , & c. L'heureufe
difpofition de ces objets , leur couleur
tranfparente , la fermeté & la précifon
de la touche , des coups de lumiere placés
artiſtement , des réflets bien fentis
tout contribue dans ces tableaux magiques
à tromper l'oeil le plus exercé & le plus
délicat. Une jeune Arabe en pied ,
peinte avec un égal fuccès par cette artite
annonce fon talent dans un autre
genre & le prouve.
Parmi les portraits toujours en grand
nombre dans le falon , nous ne cicerons
que ceux qui ont fixé le plus particuliérement
le concours des fpectateurs , tel
que celui du Roi de Suéde , repréfenté
dans fon cabinet d'étude , s'entretenant
avec les Princes Charles & Adolphe fes
freres. Ces trois Princes ont chacun les
yeux tournés vers le fpectateur , attitude
néanmoins qui ne paroît convenir qu'à
des perfonnes que l'on fuppoferoit oifives
& fans aucune intention . Les étoffes
font rendues dans ce tableau capital
I. Vol.


I
194 MERCURE DE FRANCE.
de M. Roflin avec la plus grande vérité
& le plus grand éclat , fans nuire cependant
aux têtes qui font très - bien peintes !
Le portrait de M. Pigal peint au paftel
par Madame Rollin ; plufieurs autres
paſtels de cette artifte , bien deffinés
, d'un bon ton de couleur & touchés
favamment , fe foutiendront à côté des
meilleurs portraits à l'huile .
Le portrait de Madame la Comteffe
de Provence par M. Drouais. Celui du
feu Comte de Clermont par le même
artifte ont été vus avec la plus grande
fatisfaction . Ce dernier portrait qui eſt
en pied eft particuliérement remarquable
par la nobleffe de l'attitude , par la
vérité des carnations , par cette belle
dégradation de tons qui fait tourner la
figure & lui donne le plus grand relief.
2
Le tableau de M. Monnet repréfentant
feu Monſeigneur le Dauphin & feue
Madame la Dauphine , occupés de l'éducation
de trois Princes leurs enfans ,
enfeigne aux peres de famille leur pre
mier devoir & nous rappelle des noms
bien chers à la nation .
Trois têtes d'études en pastel par M.
Chardin & trois portraits d'hommes
peints auffi en paftel par M. de la Tour ,
OCTOBRE 1771. 195
paroiffoient être modelés. Il y a dans ces
portraits de M. de la Tour une chaleur de
tons & une vérité de nature qui , avec
l'heureux choix des attitudes , contribuent
à rendre l'illufion parfaite.
On a auffi applaudi à l'art avec lequel
ont été traités plufieurs portraits à l'huile
par MM. Dupleffis & Aubry.
Les portraits en miniature de M. Hall
bien deffinés & d'un coloris très agréable
fe font principalement diftinguer par la
franchife de la touche.
On a vu de M. Courtois plufieurs têtes
en émail & en miniature d'après différens
maîtres , & plufieurs portraits d'après nature
d'un coloris très fin.
Le portrait de M. de Voltaire, peint en
miniature par M. Pafquier , fait honneur
à cet artifte. La draperie & les autres acceffoires
de ce portrait font traités de
goût. M. Pafquier nous a , de plus , fait
voir le portrait en miniature du Roi &
celui en émail de Mde la Dauphine .
Ce dernier portrait a été auffi exécuté
en marbre & vu au falon . Ce beau bufte
qui eft de M. le Moyne eft une fidèle
image des graces nobles & majeftueufes
de la Princeffe .
Une jeune Fille repréfentant la Crain-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
te ; joli modèle en terre cuite du même
artifte. Cette jeune fille qui tient une colombe
, oiſeau craintif , exprime avec
une aimable fimplicité , fur fon vifage
fon mouvement balancé le fenti-
&
par
ment
qui
l'agite
.
On n'a point vu fans émotion le projet
du maufolée de Staniflas le Bienfaiſant ,
tel qu'il s'exécute aujourd'hui en marbre
dans l'attelier de M. Vaffé. Le Monarque
revêtu de l'habillement polonois , eft placé
ſur un piédeſtal engagé dans une pyramide
, fymbole de l'Immortalité. On lit
au haut cette infcription : Salvavit me
Dominus à contradictionibus populi mei.
Ce piédeſtal eft porté fur trois focles.
Sur celui du milieu eft pofé le globe de
la terre couvert d'un grand drap mortuai
re . A la droite du monument on voit la
Lorraine , & à la gauche une Charité. Ces
figures aurout fept pieds de proportion .
Le Monarque jette fes regards fur un mé.
daillon placé hors du monument & dont
on a vu le modèle en plâtre au falon . Ce
monument offre le portrait de la Reine
de France , dont le coeur eft dépofé , ſuivant
les intentions de cette augufte Princeffe
, à côté du tombeau du Roi fon pèré.
Ce médaillon eft foutenu par deux AnOCTOBRE.
1771 . 197
ges. Un d'eux femble faire hommage du
coeur de la Princeffe au Roi fon père , ce
qui jete un intérêt touchant dans ces deux
monumens & en lie la compofition . La
Lorraine , fous la figure d'une femme qui
a fur la tête une couronne ducale , témoigne
la fatisfaction qu'elle éprouve à la
vue de fon bienfaiteur. Elle tient des tables
d'airain fur lefquelles font gravés les
principaux faits de la vie de ce Monarque.
La figure , qui repréfente la Charitě,
paroît accablée fous le poids de la douleur.
Le trouble qu'elle éprouve femble
fe communiquer à l'enfant même attaché
à fon fein.
Un autre modèle par le même artiſte
d'un tombeau qui doit être érigé à la mémoire
de M. de Brou , garde des fceaux ,
nous offre encore une image de la douleur
, mais différente de celle que nous
venons de décrire , dans une figure appuyée
fur un cube qui fert de bafe à une urne
funéraire. L'attitude de cette figure & les
traits de fon vifage expriment cette douleur
douce & mélancolique qu'exhale un
coeur fenfible & reconnoiffant.
Le portrait de Madame la comteffe du
Barry , bufte en terre cuite , par M. Pajou ,
rappelle à tous les regards les charmes de
beauté, aux éleves des beaux artsles traits
de leur protectrice. I iij
199 MERCURE DE FRANCE.
Trois jolies efquiffes en terre du même
artifte , répréfentant la premiere Vénus ,
ou la beauté qui enchaîne l'Amour ; la fe
conde Venus recevant de l'Amour le prix
de la beauté ; la troifiéme , Hébé déeffe de
la jeuneffe , offrent des penſées agréables ,
d'un tour heureux & qui ne peuvent
manquer d'être applaudies dans l'exécution
qui en fera faite en marbre , de grandeur
naturelle , pour Madame la comteffe
du Barry.
>
M. Caffiéry a auffi modelé avec goût une
Nayade repréfenrant l'eau , l'un des quatre
élémens , & l'air , fon pendant , tenant un
caméléon , figures qui doivent être exécurées
en pierre pour la décoration dẹ
l'hôtel des monnoies .
Cet artiſte a fait voir fa facilité à faifir
les belles formes dans une tête de jeune
fille exécutée en marbre.
Les buftes de Quitfault , Lully , Rameau
exécutés en marbre par le même artiſte ,
& deſtinés à être placés dans le foyer de
l'opéra , ont été jugés très reffemblans ;
mais le cifeau n'a pû remédier aux inconvéniens
de cette énorme chevelure qu'exigeoit
le coftume , & qui écrafe la figure
& déforme lå tête ..
Les autres morceaux intéreffans qu'ofOCTOBRE
. 1771 1.99
froit la fculpture , étoient le modèle d'un
fronton pour l'école militaire , par M.,
Dhuès , un modéle desarmes du roi pour
un fronton de la même école , par M. de
Mouchy , deux figures en plâtre , repréfentant
l'une l'amour de la patrie , l'autre
la nobleffe , par le même . Tous ces mor
ceaux font de très -bon goût.
Le projet de maufolée de feu M. le
comte d'Harcourt , par M. Berruer , a été
conçu avec chaleur , & fera vû avec intérêt,
parce qu'on en trouve toujours à confidérer
une tendre époufe qui fe jette audevant
de la mort pour fauver à fon époux
le coup qui va lui être porté.
fe
Les fept facremens par M. le Comte
quelques autres efquiffes repréfentant un
Bacchanal d'enfans , & le triomphe de
Thepficore , font les productions d'un génie
facile , abondant , & qui fait varier
fon ftyle conformément au caractère du
fujet qu'il traite.
Le morceau de reception de cet artiſte a
été vu au falon ; il repréfente Edipe détaché
par un berger de l'arbre où il avoit
été expofé : ce berger s'éleve fur la pointe
des piés , & fait effort pour détacher l'enfant
, qui eft renverfé , & a fa bouche
collée contre la mamelle de fon bienfai
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
teur ; heureux contrafte qui eft rendu avec
toutes les fineffes du cileau. Ce grouppe
peut d'ailleurs nous donner une preuve de
l'habileté de l'artiſte à traiter le jeu des
muſcles.
MM. Gois , Monor & Houdon ont expofé
plufieurs portraits & différens morceaux
qu'il feroit trop long de détailler ;
nous ferons cependant encore mention du
Morphée de M. Houdon , modèle en
plâtre de grandeur naturelle ; ce Dieu du
fommeil eft repréfenté couché , & offre
dans cette pofition une imitation fidèle de
la nature annoblie par toutes les beautés
qui peuvent lui appartenir.
Les gravûres expofées au fallon font an
noncées fucceffivement dans les journaux;
mais on en a vu quelques- unes qui ne
feront point rendues publiques , parce
qu'elles font definées pour l'Empereur
de la Chine. Ces eftampes font d'autant
plus curieufes , qu'elles nous offrent des
moeurs & des ufages abfolument étrangers.
On ne doit point s'attendre à y trou
ver ce qu'on appelle des chofes de goût ;
les deffinateurs Chinois ont copié les
chofes comme ils les ont vues , fans s'occuper
beaucoup de la magie du clair obfcur
& de l'intelligence des grouppes . Ces
OCTOBRE. 1771. 201
eftampes repréfentent des fiéges de villes ,
des combats , des plans de batailles , des
évolutions . Il y a une de ces évolutions
affez remarquable , c'eft celle où le deffinateur
chinois a repréfenté tout un régiment
de cavalerie en l'air & tirant de
Parc. Ces eftampes ont été gravées par
MM. le Bas & de Saint- Aubin .
4.
ARCHITECTURE.
Académie Royale d'Architecture.
ONNa vû cette année dans l'Académie
royale d'Architecture , depuis le 18 Août
jufqu'au 25 inclufivement , les grands prix
que les Elèves ont expofés,fur le programme
que l'Académie leur avoit donné. Ce
programme demandoit , fur un terrein
d'environ 9000 toifes ༡༠༠༠ fuperficielles , le
projet d'un Hôtel- Dieu qui comprît tous
·les départemens de fon reffort , qui étoient
expliqués dans le programme.
Les Srs Herbelot , Panferon , Chevalier,
Marquis , Renard , de la Roue, Gerardin ,
le Mil & Defprez , dont les efquiffes
avoient été reçues , font les Elèves dont
on a vu l'expofition au Louvre. Sept de ces
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
*

prix ont été vus avec plaifir de la part du
Public ; l'Académie même en a été fatisfaite
; mais le plus grand nombre étant
forti confidérablement des mefures prefcrites
par le programme , elle n'a pu en
Couronner aucun , enforte que l'année
prochaine , la médaille d'or & les médailles
d'argent feront diftribuées doubles .
On avu auffi avec fatisfaction , dans la
piéce qui précéde celle de l'académie, les
prix d'émulation que l'académie a cou-
Tonnes pendant les mois de cette année.
Ces prix confiftoient dans les développemens
d'un falon à l'italienne du Sr Viel ,
deux projets de fontaine faits fut le
même programine & couronnés doubles
en faveur des Srs Gerardin & Chevalier;
en une porte d'atfenal , du Sr Viel ; une
porte de marché , du Sr Coutouly ; un
projet d'un petit hôtel , fur le terrein de
celui de la Vaupaliere fauxbourg St Honoré
, par le Sr Courouly ; la décoration
d'une chapelle des fonts pour une grande
églife paroiffiale , par le Sr Gerardin , &
dans douze projets faits fur le même programme
pour le concours du préfent mois
qui avoit pour objer un belvedere , avec
tous les acceffoires qui peuvent l'accompagner.
Plufieurs de ceux- ci font honneur
OCTOBRE. 1771 . 203
aux Elèves & feront jugés à la premierę
féance de l'Académie , qui paroît difpofée
à en couronner , deux , la plupart étant
conftruits d'une maniere fatisfaifante.
L'Académie s'étant affocié pour correl
pondant M. le Comte de Cronstedt , intendant
de la cour & des bâtimens du Roi
de Suéde , il a pris féance à l'Académie le
19 Août de la préfente année .
MATHÉMATIQUE.
Ecole de Mathématiques & de Deffin.
M.• DE LONGPRÉ , profeffeur de mathé
matiques , continue de prendre en penfion
chez lui , rue Neuve Saint Etienne ,
quartier St Victor , de jeunes gentilshommes
qui fe deftinent au fervice.
L'arithmétique , l'algébré , la géométrie
, les élémens du calcul différentiel &
intégral , la méchanique ſtatique , la dinamique
& l'hydrodinamique font les
parties principales des mathématiques
que M. de Longpré enfeigne lui - même
à fes penfionnaires.
3
Ses talens dans l'art d'enfeigner font
I'vj
204 MERCURE DE FRANCE.
connus du Public & confirmés par le fuc
cès de fes élèves : depuis deux ans , dix
d'entr'eux ont été reçus ingénieurs du
Roi , fur quatorze préfentés au concours.
La figure , le payfage , l'art de lever les
plans & de les laver , l'architecture civile
& militaire font les objets fur lesquels
M. Girard , dont le feul nom fait l'éloge ,
exerce les jeunes gens qui demeurent chez
M. de Longpré.
Le prix de la penfion , en y comprenant
le bois & la chandelle qu'on brûle
en commun , & une chambre particulière
proprement meublée , eft de 1500 livres
payable par quartier , toujours un quartier
d'avance .
Il en coûte , de plus , deux louis par an
pour un valet de - chambre - perruquier qui
accomode tous les jours en fe fourniflant
de poudre & de pommade.
Chaque penfionnaire doit apporter
avec lui des ferviettes & des draps pour
fon ufage , & un couvert d'argent , &
donne en entrant un petit écu à chaque
domeftique , ils font quatre.
M. de Longpré eftime qu'un jeunehomme
qui demeure chez lui peut coûter
par an à fa famille , en y comprenant
tour , jufqu'à l'entretien , la fomme de
2000 liv.
OCTOBRE.- 1771.1
205
Quoique M. de Longpré ne vive avec
fes élèves que comme avec fes amis , il ne
leur accorde que la liberté dont il plaî
aux parens les laiffer jouir.
PROJET dédicatoire à Etienne Eonno ,
payfan de la paroiffe d'Augan , évéché
de St Malo en Bretagne .
Comme vous ne favez ni lire ni écrire , mon
cher Etienne , je ſuis tenté de vous dédier le fruit
de mes petites études & de mes grands loisirs . C'eft
un chétif recueil de ce qu'on appele , peut - être
improprement , philofophie en vers & en profe;
vous ne vous connoiflez guère à tout cela , & il
n'y a pas grand mal . Mais vous ne vous mocquerez
pas de moi , & vous ne ferez fûrement pas
fâché d'apprendre que vous vivez encore dans la
mémoire de votre ancien maître.
J'aurois bien préfenté cette bagatelle à ungrand
feigneur, car j'en connois plus d'un qui paroît
avoir de l'amitié pour moi ; mais j'aurois été obligé
de fortir de mon caractere & de louer un courtifan
; j'y aurois été bien embaraflé . Pour vous ,
mon cher Etienne , qui avez été mon eftimable
valet ,je ne crains point de vous regarder comme
le plus honnête homme que j'aie rencontré dans le
cours de ma vie. En me fervant, vous n'avez point
eula baffeffe d'encenfer mes défauts, ni d'approuver
mes fottifes; puis - je jamais oublier que j'ai trouvé
dans l'honnêteté de vos fentimens un cenfeus
206 MERCURE DE FRANCE.
4
rigide de ma conduite , lors même que vous obéilfiez
à mes ordres ? J'avois alors douze ou treize
ans; j'étois amoureux comme un écolier , c'est- àdire
le plus fincerement & le plus honnêtement
du monde ; vous portiez adroitement mes lettres,
en combattant mes chimères. Malgré votre naiffance
& votre éducation villageoile , vous étiez
plus fage que moi. Quand je retournois fi douloureufement
à mon collége , vous me difiez avec
intérêt & franchife ; a Pourquoi , pleutez - vous,
mon jeune maître , en quittant Mlle de L. ? elle
vous aime , je le fçais bien ; car l'autre jour elle
me difoit : Etienne , quand partìra - t- il ? Ayez
bien foin de lui pendant la route : il fera bien
affligé , mais pas tant que moi encore ; fon mouchoir
& fa fuite m'en difoient bien davantage.
» Cela eft touchant ; mais , entre nous , que pear
elle faire de mieux ? Une cadette .... L'amour
feroit une belle chofe s'il duroit toujours ; mais
fouvent le repentir prend fa place , & puis adieu
» le bonheur. Ne vaut-il pas mieux être à Rennes
dans une belle ville où vous apprenez le droit
& la coutume chez les bons Pères Jéfuites , que
d'être au village à foupirer pour une belle &
jeune perfonne à la vérité, mais que M.votre cher
»père ne vous permettra jamais d'époufer . Dans
ce cas là , vous vous donnez une peine inutile ,
on peut être ferez vous tort à une fille noble ;
& un bon gentilhomme ne doit faire tort à per-
»fonne , ou bien ce n'eft pas la peine de l'être. »
Ce raifonnement , que je me rappele avec plaifir
, m'ébranloit un peu , mais ne pouvoit brifer
mes liens ; les premieres bleflures de l'amour font
les plus difficiles à guérir.
Dans la douce faifon de mes vacances, toujours
OCTOBRE. 1771 . 207
occupé de ma jolie maîtrefle , je vous lifois quelquefois
les amours de Télémaque , que mon Eucaris
aimoit tant à lire , vous vouliez être mon
Mentor, & mejetter , difiez vous , dans l'étang
la têre la premiere. Mais comme ma pauvre
bonne femme de mere liſoit auff , tous les foirs à
fes domeftiques , le nouveau teftament , cela vous
brouilloit un peu la têre ; & prenant Calipfo pour
un Père de l'Eglife , vous vous écriez : «Ah ! mon
cher maître , que j'aime ce grand Calipfo ! il´a
plus d'efprit que le prédicateur de notre paroisfe.
Je riois de bon coeur de ces ingénuités familieres
; car de quoi ne rit pas l'adoleſcence ?
ב כ
55
C'eft ainfi que je paffois avec vous mes jours de
récréation , dans les tendres agitations de l'amour
& dans les doux menfonges du bel âge . Ce tems
de ma vie qui en a fans doute été le plus heureux ,
méritera toujours mon ſouvenir & mes regrets.
Le hasard , qui paroît le mêler de tout , m'a fixé
dans la capitale , où je n'ai jamais perdu de vue
ma première médiocrité, ni les vertus de mon pauvre
Etienne , qui a été mon premier & peut - être
mon unique ami. On aime à fe rappeler les plaifirs
paflés & à rendre juftice aux bonnes gens . C'eſt delà
que m'eft venue l'idée de vous adrefler cette lettre
par le moyen du Mèrcure , mon cher Etienne.
M. le Comte du B. votre Seigneur & mon ancien
camarade vous en fera la lecture. Vous ferez bien
aife de voir votre nom dans un livre , le mien dûtil
n'être jamais lû , & plus aife encore de voir votre
vieux maître revenir du bout de fa carriere
pour vous rappeler fon amitié & la reconnoiffance.
Vous devez être vieux , mon cher Etienne ;
car je ne fuis plus jeune , fur- tout depuis que j'ai
fait mon entrée dans le pays des infirmités. Je
208 MERCURE DE FRANCE .
vous offre , avant de mourir , tous les fecours de
mon coeur conftant & de ma petite fortune. En
cherchant à dédier un livre à un véritablement
honnête homme ; fi j'en avois connu un plus honnête
que vous dans le monde , vous ne méritefiez
pas la préférence que je vous donne.
Je fuis , avec tous les fentimens d'amitié , &
même de vénération qu'on doit au mérite d'un
Yertueux citoyen de village , mon cher Etienne.
V. D. L. T. hôtel de Condé.
Ce 15 Août 1771,
ANECDOTES.
I.
UN Corfe , foldat de fortune , nommé
San Pietro , né à la Baftie , & attaché au
fervice de France fous François II , avoit
fucé avec le lait une haine héréditaire
contre les Génois , qu'on lui peignit de
bonne heure comme les oppreffeurs de
fa patrie . Dès l'enfance , il porta les armes
contre eux & devint par fa bravoure & fa
fcience militaire un homme redoutable à
la République . Ses exploits le rendirent
célèbre & lui gagnerent le coeur de Vannina
Ornano , fille du vice- roi de Corſe ,
très belle & très- riche , qui l'époufa quoi.
OCTOBRE. 1771. 209
qu'il fût d'une famille obfcure. Pierre ,
perfuadé que les Génois ne lui pardonne
toient jamais leurs défaites & plein de
nouveaux projets contre eux , fe retira en
France avec la femme & fes enfans . 11 y
fervit heureufement la Cour pendant les
guerres ; mais toujours tourmenté par le
defir d'affranchir fa patrie , il alla jufqu'à
Conftantinople , pour folliciter le Grand
Seigneur d'envoyer une flotte contre eux.
Pendant ce voyage , les Génois , attentifs
aux démarches de Pierre , envoyerent au
près de fa femme , reſtée à Marſeille , des
agens fecrets , qui l'exhorterent à revenir
dans fa patrie , fous la promeffe qu'on lui
rendroit fes biens & que cette confiance
lui feroit obtenir la grace de fon mari.
La crédule Vannina fe laiffe perfuader.
Elle envoie devant elle fes meubles & fes
bijoux , & part pour Génes avec les enfans
. Un ami de San - Piétro , averti à tems ,
arme un vaiffeau , pourfuit la fugitive &
l'atteint ; il la ramene en France & la remet
entre les mains du parlement d'Aix ,
qui lui donne des gardes . Pierre apprend
cerre aventure en arrivant de Conftantinople.
Un de fes domeftiques qui avoit
eu quelque connoiffance du complot &
qui n'avoit ofé s'y oppofer , eft poignardé
210 MERCURE DE FRANCE.
de fa main. Il fe rend à Aix & redemande
fa femme. Le parlement , craignant pour
elle , ne vouloit pas la lui rendre ; mais,
quoique certaine de quelque événement
funefte , Vannina fupérieure à la crainte ,
fait elle- même inftance pour être réunie
à fon mari ; on ne peut la refufer , & ils
partent enſemble pour Marſeille . Arrivé
à fa maifon , Pierre la trouva vuide ; cette
vue lui rend toute fa fureur . Sans s'écarter
du respect qu'il confervoit toujours
pour fa femme , il lui reproche fa faure
& lui déclare qu'elle ne peut s'expier que
par la mort. Il ordonne en même tems à
deux efclaves d'exécuter cette horrible
fentence. « Je ne fuis pas le châtiment ,
» répond la tendre Vannina , mais puif-
» qu'il faut mourir , je vous demande
» pour derniere grace que ce ne foit point
» par les mains de ces hommes mépriſa→
bles , mais par celles du plus courageux
» des hommes , que fa valeur m'a fait
» prendre pour mon mari . » Le barbare
fait retirer les bourreaux , fe jette aux
pieds de fon époufe , lui demande pardon
en termes humbles & fonmis , & fait ve
nir devant elle fes enfans qu'elle embraf
fe. Il pleure avec l'infortunée fur les trif
tes gages de leur tendreffe , paffe à fon col
OCTOBRE 1771 211
le fatal cordon & l'étrangle de fes propres
mains. San- Piétro part aufh- tôt pour la
Cour. La nouvelle de fon crime l'avoit
précédé ; on le fait avertir de ne point pároître
; il s'avance néanmoins & fe préfente
au Roi . Son audace étonne ; on l'écoute
; it parle de fes fervices , en récla
me le prix , & découvrant fa poitrine ci
catrifée par les bleffures : « Qu'importe
» au Roi , dit - il , qu'importe à la France
» la bonne ou la mauvaife intelligence de
» Pierre avec fa femme ? Tout le monde
frémit d'une atrocité foutenue avec
autant de hardieffe ; mais on lui accorda
La grace . fa
19

D'Aubigné raconté qu'Alfonfe d'Ornano
, fils de San - Piétro , exécutoit avec
la même froideur les fentences de mort
qu'il portoit contre les foldats. Un de fes
neveux ayant manqué à quelque partie de
commandement , veut fe préfenter à fa
table , Alfonſe ſe jette fur lui , le poignar
de , demande à fe laver les mains & fe
remet tranquillement à table .
I I.
Un Gafcon , fort mal partagé des biens
de la fortune , emmena avec lui , en partant
pour l'armée , un feul valet qu'il
212 MERCURE DE FRANCE.
avoit nommé la Grillade ; ils faifoient
tous deux fort mauvaiſe chère . Un jour
ce valet qui n'avoit pour tout fon dîner
qu'un morceau de pain de munition fort
dur , le trempa dans de l'eau. Son maître
l'ayant apperçu , lui dit : Cadedis , la Grillade
, il me paroît qu'il te faut des ragouis.
II I.
Un Gafcon , qui avoit perdu fon argent
aux dez , difoit quejefuis un grand fat
mais que diable cela mefait - il que cet hom
mepaffe dix ou ne les paffe pas ?
I V.
Toute une famille affemblée pour un
enterrement , comme le convoi fortoit ,
un laquais de la maifonint dire d'un
air très-affligé : Meffieurs , voilà Monfieur
qui fort.
V.
Pendant que Louis XIV affiégeoit Lille
, le Comte de Brouai , gouverneur de
la place , envoyoit de la glace au Roi tous
les matins un jour le Roi demanda à
l'Espagnol qui l'apportoit , pourquoi M.
OCTOBRE. 1771. 213
de Brouai n'en envoyoit pas davantage :
Sire , répondit l'Eſpagnol , il croit que le
fiégefera long , il craint qu'elle ne lui manque.
Il fit en même- tems une révérence &
fe retira.
AVIS.
1
I.
Maiſon d'Education en bon air avec jardin
, pour les jeunes Demoifelles , tenue
par Mile Ecambourt , rue des Poftes ,
près les Dames Saint- Michel,
ELLE y enfeigne , outre les devoirs de religion ,
les talens propres à l'utilité & à l'agrément de la
fociété , comme tous ouvrages d'aiguille & au
fufeau ; écriture , arithmétique , grammaire françoile
, géographie , hiftoire , mufique vocale &
inftrumentale , du clavecin , de la harpe , de la
guittare & de la vielle.
I I.
Créme de Beauté.
Le fieur Ray , a inventé une compofition cof
métique , nommée crême de beauté , laquelle
donne à la peau tout l'éclat , la fraîcheur & la
blancheur poffibles ; elle eſt douce & fans odeur ;
214 MERCURE DE FRANCE .
elle ne produit aucuns inconvéniens fur aucune
partie du vifage , foit les yeux , foit les dents : il
avertit que l'éclat de fa blancheur ne doit point
affecter, par la crainte qu'il puifle entrer dans la
Crême du mercure , qui de fa nature eft fort
blanc. La preuve la plus complette , la plus fimple
qu'il donne , pour s'aflurer qu'il n'y en entre
point , c'eft de voir fi les linges avec lesquels on
s'eft frotté le vifage après qu'on en a mis , noircit
à la leffive , tel que le feroit celui auquel il y en
auroit . Cette Crême fait difparoître , aufli - tôt
l'application , le brun , le livide de la peau ; elle
répare même le défordre qu'auroient pû caufer fur
le reint les drogues les plus hétérogenes & les plus
nuifibles ; elle conferve en outre tout le poli de la
peau , & détruit ou empêche les rides . Enfin le
fieur Ray garantit de toute l'efficacité des fufdites
qualités , fans qu'il en résulte jamais la moindre
fuite dangereufe ni défagréable , quelque long
ufage qu'on en puiffe faire.
La maniere de s'en fervir eft fimple : on fe lave
bien le vifage & on l'effuie parfaitement ; on agite
enfuite la bouteille , on en verfe dans un vafe , on
y trempe un linge fin , & on l'étend également .
par-tout. Si les perfonnes ont la peau très - brune ,
on peut en mettre une fecende fois après que la
premiere eft féche ; il faut avoir la précaution
d'étuver , avec un linge fec , après en avoir
appliqué. Les Dames qui font en habitude de
mettre du rouge , peuvent s'en fervir après l'application
de la Crême .
Elle n'eft point fufceptible de corruption ; elle
peut fe transporter par tout pays fans que cela
puifle altérer la qualité. Les perfonnes demeurantes
en province qui en défireront , font préve
OCTOBRE. 1771 .
215
aues de vouloir bien affranchir le port de l'argent
& des lettres; on leur en fera parvenir en toute
fûreté .
La bouteille de demi-feptier eft de 14 liv."
Stomachique liquide.
Le fieur Ray , toujours attentif à l'intérêt du
public , croit devoir de tems en tems lui rappeller
lufage qu'il doit faire de fon Stomachique,
dont le débit a le plus heureux fuccès depuis
huit ans dans toute l'Europe & les Ifles de l'Amérique.
Il garantit que par le fecours de fon Stomachique
, toute la mafle du fang & des humeurs
eft renouvellée dans une parfaite bonté , que tous
les maux d'eftomac quelconques y trouvent leur
guérifon , même ceux qui proviennent d'un long
uſage des remèdes , fur-tout des antivénériens.
Les foibleffes de la poitrine , les affections de
poulmon , les rhumes négligés & toux invétérées
, y rencontrent le même avantage , & les
vieillards en font fortifiés d'une maniere remarquable
.
Il avertit que toutes fes bouteilles feront étiquetées
Stomachique Liquide du fieur Ray , ainfi
que fon adrefle , à Paris ; fon nom fera de fa
main fur les étiquettes : on le trouverá aufli gravé
fur fon cacher , qui coëffera la bouteille , en trèspetit
caractere ; c'eft une règle que le fieur Ray a
établie pour la fûreté. Elle eft exécutée chez lui ,
ainfi que dans tous fes Bureaux établis dans diffé
rentes villes du Royaume.
L'on donnera un imprimé , avec chaque bouteille
, pour indiquer la maniere d'en faire ufage ;
ledit imprimé fera figné du fieur Ray ; & dans les
216 MERCURE DE FRANCE .
différens Bureaux où on en fera la diftribution ,
ils feront auffi contrefignés par les chefs defdits
bureaux.
Le prix de la bouteille de poiffon , qui contient
huit à neuf prifes , eft de trois livres .
Le fieur Ray demeure rue Chapon , au Marais,
la première porte cochere à gauche en entrant par
la rue Tranfnonain . On le trouve tous les matins
jufqu'à midi , il y a toujours du monde pour en
faire la diftribution.
Ilprieceuxqui lui feront l'honneur de lui écrire
daffranchir les lettres ainfi que l'argent qu'on lui
feratenir, pour faire les envois qu'on exigera de
lui.
Le fieur Ray continue toujours avec le plus
grand fuccès fon topique pour les entorfes &
foulures , de quelque nature qu'elles foient.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Danzick , le 19 Août 1771 .
SUIVANT des lettres particulières écrites de cette
capitale , le baron de Saldern a reçu ordre de fe
réconcilier avec le Prince Primat , & d'avoir plus
de ménagemens pour tous les Polonois avec qui il
peut être dans le cas de négocier. Ces lettres ajoutent
que les Sieurs Branicki & Drewitz ont eu ordre
de fe rendre à Warfovie , & qu'en conféquence
ils ont déjà quitté Cracovie avec une partie de
leurs troupes . On préfume qu'il feront chargés de
quelqu'entrepriſe en Lithuanie , où le nombre des
Confédérés augmente de jour enjour. Le St Kof-
Lakowski
OCTOBRE . 1771. 217
fakowski en commande deux mille & cherche partour
les Rufles pour les combattre . Ayant été informé
dernierement qu'il leur arrivoit cent cinquante
hommes de recrue , efcortés par un détachement
de cavalerie , il fit une marche forcée .
les atteignit vers la Samogitie , en tailla en piéces
une grande partie , difperfa le refte , & prit beaucoup
d'armes & de munitions . Ce commandant le
difpofe à pafler en Courlande où les habitans de
cette province , indignés de l'enlevement du Sr de
Howen , député de la Noblefle , l'ont appelé à
leur fecours & font difpofés à le porter aux dernieres
extrêmités . On affure que le Duc Régnant
de Courlande & fon pere fe font refugiés à Riga.
De Coppenhague , le 3 Septembre 1771 .
Il paroît une ordonnance du Roi , qui permet à
chaque père de famille de faire baptifer les enfans
dans fa maifon & en tout tems.
De Vienne , le 4 Septembre 1771 .
Il paroît un édit de l'Impératrice- Reine , portant
création de coupons pour douze millions de
florins. L'objet de cette opération eft de faciliter
les remifes d'argent , de place en place , dans les
Etats Héréditaires & de donner aux particuliers
qui ne veulent pas garder leur argent chez eux
la commodité de le dépofer dans un lieu fûr , fans
payer aucus frais de provifion , avec le droit de le
retirer à leur volonté. Ces coupons auront le dou
ble avantage d'être payables à vue & d'être pris
pour argent comptant dans toutes les cailles du Sa
Majefté Impériale & Royale .
1. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
De Cadix , le 28 Aoû 1771 .
Une lettre écrite de Magador ( au royaume de
Maroc ) le 9 Juin 1771 , contient les détails fuivans
: un homme prétendu infpiré eft entré dans
la ville de Maroc , à la tête d'environ fix mille
fanatiques armés de mallues , qui maflacroient &
pilloient les maifons des Juifs & des Maures les
plus riches . La populace commençoit à fe joindre
aux forcenés qui commettoient ces défordres au
nom du prophéte ; mais les principaux habitans ,
pour le foultraire à leur fureur & à leurs rapines
fe font rendus en foule au palais de l'Empereur
pour lui demander du fecours . Ce prince n'a pas
ofé d'abord , par prudence , s'opposer au torrent
en employant la force , crainte d'une révolte générale
; mais lorfque la premiere ivrefle a été paffée
, il s'eft montré a fon peuple , & lui a perfuadé
que cet homme he pouvoit être infpiré du Ciel ,
puifqu'il ne faifoit que du mal. En même tems il
a fait environner ces malheureux par des troupes
qu'il avoit difpofées . On a gagné les uns , diffipé
les autres , & une partie des fanatiques font reftés
fur la place. L'auteur de ce défordre a été pris &
puni de mort , & l'on a envoyé quelques troupes
dans les provinces pour calmer la fédition qu'il y
avoit.cxcitée.
De Bergame , le 17 Août 1770.
On a reflenti´, le 15 de ce mois , vers les deax
heures du matin , une feconfle de tremblement de
terre , dans la Vallée de Magna . Cette fecoufle ,
qui a été très - vive , a détaché une partie de la
montagne , dont la chûte a fait un dégât confidérable
dans les villages voifins. Il s'eft formé, dans
Con
OCTOBRE. 1771 : 219
le même lieu , une ouverture très - profonde , d'où
il eft forti une grande quantité d'eau . Le même
jour & à la même heure , la montague de Brianza
a auffi éprouvé une fecoufle qui n'a pas eu de fuites
fâcheufes .
De Londres , le 10 Septembre 1771 .
Un vaifleau nouvellement arrivé du Détroit de
Darvis s'eft approché fi près du pole , que fa bouffole
n'avoit plus de direction ; il s'eft enfuite trouvé
dans une mer très étendue & très - calme où il
n'a apperçu aucune terre .
Les habitans des Colonies paroiflent toujours
déterminés à s'oppoler avec force au projet d'éta
blir des Evêques dans ces provinces , & il fera fort
difficile de les foumettre à la jurifdiction épifcopale.
Dans une aflemblée générale de la Virginie ,
tenue à Williamsbourg , le 12 Juillet dernier , on
a réfolu de faire des remercimens aux Pafteurs
Henley Gwatkin , Hervet & Bland pour le courage
avec lequel ils ont réfifté à ce projet.
On a reffenti , le 24 Août , fur les quatre heures
du matin , à Aftbury , dans le comté de Cheſter ,
un léger tremblement de terre qui a duré environ
trois fecondes .
NOMINATION .
Le Roi a accordé le grade de lieutenant- général
des armées navales , au vicomte de Morogues,
chef d'efcadre , inſpecteur-général du Corps Royal
d'Artillerie & d'Infanterie de la Marine , & le grade
de chefd'efcadre au Sr Villars de la Broffe , de
la Touche & Dabon , au chevalier Fouquet , aq
comte de Grimaldi , au vicomte de Roquefeuil &
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
aux Srs Jonquiere- Taffanel & Voutron , capitaines
de vaiffeau ; le Sr de Broves , qui en a obtenu
ci- devant les proviſions , prendra lon rang après
ceux qu'on vient de nommer.
Sa Majesté vient de nommer commandant - général
des Ifles de France & de Bourbon le Chevalier
de Ternay , capitaine de vaifleau , qui a eu
l'honneur d'être préfenté en cette qualité , à S. M.
le 20 Août.
Sa Majefté à nommé le comte de Périgord au
commandement du Languedoc.
Le Roi a nommé la duchefle de Coflé Dame
d'Atour de Madame la Dauphine à la place de la
duchelle de Villars qui vient de mourir.
PRESENTATION S.
Le comte de Guines , ambaſladeur du Roi , auprès
de fa Majefté Britannique , eft arrivé ici , le
31 Août. Il a eu l'honneur d'être préſenté au Roi ,
ce même jour , ainfi que le comte de Boisgelia ,
miniftre-plénipotentiaire du Roi auprès de l'Infant
duc de Parme , par le duc d'Aiguillon , minif
tre & fécretaire d'état , ayant le département des
affaires étrangères : ils ont eu l'honneur d'être
préfentés enfuite à la famille royale.
Le marquis de Cavriani , gentilhomme de la
chambre de l'Infant duc de Parme , eft arrivé en
cerre cour , le premier Septembre , il a eu l'honneur
d'être préfenté par le duc d'Aiguillon , à fa
Majefté , à qui il a remis des lettres dont il étoit
chargé par l'Infant.
La ducheffe de Viilequier a eu l'honneur d'être
préfentée , ce même jour , au Roi , par la duchelle
de Mazarin , ainfi que la duchefle de
OCTOBRE . 1771. 221
Caylus , par la duchefle d'Uzès , & la comtefle de
Chavagnac par la comefle de Teflé . La duchefle
de Villequier & la ducheffe de Caylus , ont pris
le tabouret le mêmejour.
Le Corps de Ville de Paris fe rendit ici , le pre
mier de Septembre . il eut audience du Roi , à qui
il fut préfenté par le duc de la Viillière , miniftre
& fééretaire d'état , il fut conduit par le marquis
de Dreux , grand maître . & par le fieur de Vatronville
, aide des cérémonies . Les fieurs de Bellet
& Viel , nouveaux Echevins , prêtèrent le ferment
dont le duc de la Vrillière fit la lecture ,
ainsi que du fcrutin qui fut préſenté par le fieur
Souchet , premier avocat du Roi au Châtelet. Le
Corps de Ville eut auffi l'honneur de rendre fes
refpects à la Famille Royale .
>
Le baron de Zuchmantel , ci- devant miniftreplénipotentiaire
auprès de l'électeur de Saxe
amballadeur du Roi , auprès de la république de
Venife , a pris congé de la Majefté & de la Famille
Royale , le 8 Septembre , pour fe rendre à
fa deftination. Il a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi par le duc d'aiguillon , miniftre & fécretaire
d'état , ayant le département des affaires
étrangères
La comtefle de Coffé a eu l'honneur d'être
préfentée , le même jour à fa Majefté , ainſi qu'à
la Famille Royale , par la ducheffe de Coffe ; la
comreffe d'Erlach , par la marquife de Saint Chamans
; la marquife de Lambert , par la marquife
d'Harcourt ; la comtefle de Montaut , par la com
telle de Beaumont.
L'évêque d'Angers & les Députés du clergé
d'Anjou , ont eu , le 8 de ce mois , l'honneur
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
d'être préfentés à monfeigneur le comte de Provence
& à madame la comteffe de Provence , de
les complimenter , & de leur offrir les hommages
du Clergé de la province. L'évêque d'Angers 2
porté la parole. La députation a été préſentée par
le fieur Mefnard de Chouzy , fécretaire des commandemens
de monfeigneur le comte de Provence.
Elle étoit coupofée des fieurs d'Alichoux , grand
archidiacre & vicaire général ; Louer , chanoine
& chancelier de l'Univerfité d'Angers ; Mezeray ,
chanoine & fyndic du diocèfe , & de Mougon ,
doyen du chapitre royal de S. Laud & vicaire
général .
Le marquis d'Entraignes , miniftre plénipotentiaire
du Roi auprès de l'Electeur de Mayence ,
ayant obtenu un congé de la Cour , eft arrivé ici
le 14 de Septembre. Il a eu l'honneur d'être préfenté
, le même jour , à ſa Majeſté , par le duc
d'Aiguillon , miniftre & fécretaire d'état , ayant
le département des affaires étrangères. Il a eu enfuitel'honneur
d'être préfenté à la Famille Royale.
La marquife Dulau de Chambon , a été préfentée
, le 15 Septembre , à ſa Majefté , ainſi qu'à
la Famille Royale , par la comtefle de Noailles .
MARIAGES.
Le Roi & la Famille Royale fignèrent le 18
Août , le contrat de mariage du comte de Coffé,
colonel d'infanterie , menin de monſeigneur le
Dauphin , avec demoiſelle de Wignacourt , &
celui du comte de Montaut , brigadier des Armées
de fa Majefté , premier veneur de monſeigneur le
comte de Provence , avec demoiſelle de Colommiers.
OCTOBRE. 1771. 223
La célébration du mariage du duc de Villequier
, avee demoifelle de Mazade s'eft faite , le
19 Août , en l'églife de la Magdeleine : la bénédiction
nuptiale leur a été donnée par l'Archevêque
de Narbonne.
Le Roi & la Famille Royale fignèrent le 8 Août,
le contrat de mariage du fieur de Meflay , Préfident
de la chambre des comptes , avec demoiſelle
Magon , fille du fieur Magon de la Ballue.
NAISSANCE.
On mande de Florence que la grande Ducheffe
eft accouchée heureufement le 5 Septembre , d'un
Prince , qui a été baptifé au nom du prince des
Afturies , repréfenté par le marquis Viviani , miniftre
de fa Majefté catholique .
Monfeigneur le comte de Provence & madame
la comteffe de Provence , tinrent le 17 de ce
mois , fur les fonds de baptême , le fils du marquis
de Caumont de la Force , premier gentilhomme
de la chambre de monfeigneur le comte de Provence,
en exercice, & le nommèrent Louis Jofeph.
La cérémonie du baptême lui fut fupplée par l'ancien
évêque de Limoges , premier aumonier de
monfeigneur le comte de Provence , dans la Chapelle
du Château , en préſence du fieur Allart ,
curé de l'églife royale & paroiffiale de Notre-
Dame.
224 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Jean- Daniel Schoepflin , confeiller - hiftoriographe
du Roi , affocié libre de l'académie royale
des infcriptions & belles- lettres , de la fociété
royale de Londres & des académies de Cortone , de
Petersbourg & de Manheim , eft mort à Strasbourg
, le 7 Août , âgé de foixante- dix - fept ans .
Jean Bourcet de la Saigne , brigadier des
armées du Roi , directeur du génie en Corfe , y
eft mort , âgé d'environ cinquante- cinq ans.
Louife -Pauline de Gand de Merode de Montmorenci-
d'Ifenghien , née princefle de Mamines,
époufe de Louis - Alexandre duc de la Rochefou
cauld & de la Rocheguion , pair de France , colo
nel du régiment de la Sarre , fille de feue Alexan
dre-Maximilien - Balthafar de Gand de Merodes
de Montmorenci , comte de Middelbourg , prince
de Mamines , maréchal des camps & armées du
Roi , gouverneur de Bouchain , & de Louife-
Marguerite de Roye de la Rochefoucauld , eft
morte, le 9 Septembre , au château de Liancourt,
dans la vinge quatrième année de fon âge .
Thibault- François- Henti de Poilvillain de Crenay,
marquis de Montaigu , maréchal des camps
& armés du Roi , aide - major général des gardes
du corps de fa Majefté , maître de la garderobe de
monfeigneur le comie de Provence , en furvivance
du comte de Crenay , fon neveu , eft mort
à Compiegne le 15 de Septembre, dans la cinquan
te- deuxième année de fon âge.
Amable - Gabrielle de Noailles , ducheffe de
OCTOBRE. 1771. 225
Villars , dame d'atour de la feue Reine, & attachée
à madame la Dauphine , en la même qualité , eft
morte à Verſailles le 16 Septembre , âgée de foixante
quatre ans & demi . Elle étoit veuve de
Honoré-Armand de Villars , duc & pair de France,
grand d'Efpagne , chevalier de l'ordre de la
Toilon d'Or , brigadier de Cavalerie , gouverneur
des pays & comté de Provence.
Un nommé Fleming , facteur à Liverpool , yeft
mort âgé de cent-vingt- huit ans. Il laifle plus
de foixante & dix petits enfans & arrière petits
enfans , & un fils & une fille qui ont chacun plus
de cent ans.
LOTERIES.
Le cent vingt - huitième tirage de la Loterie de
l'hôtel de ville s'eft fait , le 26 Août , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eft échu au No. 11652. Celui de vingt
mille livres au Nº . 8924 , & les deux de dix mille
aux numéros 3619 & 7999 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait le 5 Septembre . Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 89 , 32 , 5 , 34 , 26. Le pro.
chain tirage fe fera le s Octobre.
226 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
PIECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
L'Eté , chant fecond du poëme des Saiſons
de Tompson ,
Epître à M. D... qui refufoit de m'en adreffer
une , fous le prétexte que j'étois fon maître
,
Le Serin, fable imitée de l'allemand ,
Epître d'Alcibiade à Théano , prêtrefle de Vénus
à Athènes ,
L'Autruche & l'Oileau- mouche , fable ,
Le Vieillard & l'Hirondelle , fable ,
L'Ingénue , anecdote hiftorique ,
Hymne à Diane ; imitation libre du Carmen
feculare ,
Allufion à la fable de Daphné ,
Sur un Vieillard aimable ,
Hommage à une perfonne de quatorze ans ,
Akmon & Solina , conte moral ,
Epître à Mlle Dubocage ,
Epître à M. de Chamblage par M. R...,
docteur en droit , fur des fruits qu'il lui
avoir envoyés ,
Vers fur les avantages de la Folie ,
ibid.
A deux jeunes Epoux , le jour de l'anniverfaire
de leur mariage ,
ΤΟ
II
12
+8
19
20
36°
39
40
41
42
53
56
58
62
OCTOBRE , 1771 . 227
Explication des Enigmes' & Logogryphes ,
ibid.
Racommodement ,
63
64
67
70
ibid.
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Thérefe Danet à Euphémie , héroïde ,
Systême nouveau & complet de l'Art des
Accouchemens , traduit de l'anglois par +
M. Lemoine,
Manière de bien juger des ouvrages de peinture
,
Elémens de chirurgie pratique par M. Ferrein
,
74
77
89
royaume de
Siam par M. Turpin , 91
Hiftoire de la Rivalité de la France & de
106
Hiftoire civile & naturelle du
l'Angleterre par M. Gaillard ,
Eloge de François de Salignac de la Motte de
Fénelon , par M. la Harpe ,
Des Talens dans leur rapport avec la fociété
& le bonheur , par le même ,
Difcours philofophiques tirés des livres faints
avec des Odes chrétiennes & philofoph.
Alphabetica feries rubricarum juris utriufque
civilis & canonici , & c .
Voyage du Mont Ethna ,
ACADÉMIES ,
Françoiſe ,
122
136
143
144
145
157
ibid.
228 MERCURE DE FRANCE.
Prix de poëfie pour 1772 , 160
Marſeille,
161
Ecole vétérinaire , 162
SPECTACLES ,
164
Opéra ,
Comédie françoiſe ,
Comédie italienne ,
ibid.
172
173
ARTS , Gravure , 174
Architecture , 201
Mathématiques , 203
Projet dédicatoire à Etienne Eonno , 205
Anecdotes , 208
Avis , 213
Nouvelles politiques , 216
Nominations , 219
Préfentations , 220
Mariages,
Naiflance ,
222
223
Morts ,
224
Loteries, 225
APPROBATION.
J''AAII lluu ,, par ordre de Mgr le Chancelier , le
premier vol. du Mercure du mois d'Octobre 1771 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 30 Septembre 1771 .
LOUVEL.'
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe .
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
OCTOBRE , 1771 .
SECOND VOLUME.
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A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire
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Avec Approbation & Privilége du Roi.
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les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
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, eftampes & piéces de mufique.
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Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
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cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
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préférence pour obtenir des récompenfes fur le
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Syflême du Monde ,
Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in- 8°. rel.
Dict . de Morale , 2 in- 8°. rel.
GRAVURES.
301.
71.
و ا
Sept Eftampes de St Gregoire , d'après Vanloo
,
241.
Deuxgrands Paysages , d'après Diétrici , 121.
Le Roi de la Féve , d'après Jordans , 41.
Le Jugement de Pâris , d'après le Trevifain
,
I1.116
.
Deux
grands
Payfages
, d'après
M. Vernet,
12 1.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE , 1771 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
DISCOURS de Germanicus mourant
imité de Tacite , par M. l'Abbé Crozat .
Si fato concederem , juftus mihi ...
TA C. lib . 2.
Si la mort vers leur fin précipitant mes jours ,
Par un coup naturel en abrégeoit le cours ;
Je pourrois , de mon fort déplorant l'injuſtice,
Reprocher au deftin fon aveugle caprice.
A la fleur de mes ans obligé de périr ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Aux Romains enlevé , quand je veux les fervir ,
J'accuferois les dieux de m'ôter une vie
Utile à mes enfans , au Prince ( 1 ) , à ma patrie ;
Mais puifque la noirceur vient d'épuifer fes traits,
Et combler de Pifon ( 2 ) les horribles forfaits :
Puiſque enfin ! je fuccombe aux fureurs de Plancine
, ( 3 )
Je ne dois point au Ciel imputer ma ruine.
Vous , que l'amour retient à ces triftes momens ,
Vous devez recueillir mes derniers fentimens.
Témoins du coup fatal qui finit mes journées ,
Allez à mes parens tracer mes deſtinées ;
Rapportez à Drufus quelle funefte mort
De fon malheureux fils a terminé le fort.
Ceux que m'avoient unis les biens & la naiflance ;
(1 ) Tibère , troifième empereur & oncle maternel
de Germanicus ( Céfar. ) Les fervices que fon
neveu rendoit à l'empire & à lui - même , au lieu
d'exciter la reconnoiflance , cauferent fa jaloufie.
Le jeune héros fut immolé à cette vile & miférable
paffion .
(2 ) Cnéïus Pifon , gouverneur de Syrie, où Germanicus
avoit été envoyé pour appaifer les troubles
élevés en Orient , l'empoifonna à Antioche ,
par ordre de l'Empereur.
( 3 ) Plancine , femme de Pifon , participa autant
, ou plus que fon mari à la mort de Germanicus.
Elle lui préfenta le breuvage mortel', qu'elle
avoit préparé de fes mains.
OCTOBRE . 1771 . 7%
Ceux qui fondoient en moi leur plus fûre eſpérance
,
Ceux- mêmes , dont les coeurs de ma gloire envieux
Me lançoient chaque jour des traits injurieux ;
Tout pleurera dans Rome (1 ) un guerrier magnanime
,
D'un horrible attentat , innocente victime .
N'oubliez pas alors , fidèles à ma voix ,
Dimplorer le fecours du fénat & des loix.
Mon coeur n'exige pas que par des foins ſtériles ,
Vous veniez m'arrofer de larmes inutiles :
Des mânes d'un ami fatisfaire les voeux ,
Eft le premier devoir des amis généreux.
Les pleurs des étrangers couleront fur ma cendre
;
Ma gloire & mes vertus ont le droit d'y prétendre.
Pour vous , lorfque le Ciel éclairoit mes beaux
jours ,
Si du vil intérêt ignoraut les détours ,
( 1 ) Germanicus n'avoir pas alors de vains preffentimens
Jamais Prince ne fut auffi vivement
regretté. Les Romains s'en voyant privés , s'abandonnèrent
à une affreufe défolation ; & dans l'excès
du défelpoir, ils s'en prirent aux dieux-mêmes,
dont les ftatues furent brifées & les autels renver-
Lés. A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Par des noeuds plus facrés , votre ame peu commune
S'eft unie à Céfar & non à fa fortune;
Si vous m'avez aimé , vous devez me venger :
L'auteur de mon trépas a dû vous outrager.
Que fa mort foit le prix de celle que j'endure !
Mais fur- tout , en mourant Céfar vous en conjure
,
Prêtez à mon épouſe un utile ſecours ;
Protégez tous les fruits ( 1 ) de nos chaftes amours .
Préfentez aux Romains ma famille épérdue ,
Sous le poids des douleurs Agrippine abattue :
Montrez le fang d'Augufte (2 ) à ce peuple vainqueur
3
Le fang dans le ſénat ſera mon défenſeur .
Allez , de votre ami la caufe eft favorable :
Accufez l'aflaffin que ma mort rend coupable. ( 3 )
Si pour juftifier fa noire trahison ,
Le menfonge s'élève en faveur de Pifon ;
(1 ) Germanicus avoit alors fix enfans , trois
garçons & trois filles ; Néron , Drufus & Caligula ;
Agrippine , Drufille & Livie .
(2 ) Agrippine , femme de Germanicus , étoit
petite-fille d'Auguſte.
(3 ) Pifon fut en effet accufé devant le fénat.
S'il ne fut point condamné , c'est parce que Tibère
appréhendant qu'il ne le juſtifiât en découvrant
les ordres fecrets qu'il lui avoit donnés , le fit alfaffiner
dans fon lit.
OCTOBRE. 1771 .
Le droit & la pitié , pour venger l'innocence ,
Des perfides témoins puniront l'infolence.
Par M. l'Abbé Crozat.
LE PRINTEM S. Imitation de Pope ;
Egiogue première , à M. de *** .
LI
DAPHNIS , STRÉPHON.
E premier, dans ces champs , près de ce bois
antique ,
J'ofe eflayer des airs fur un haut-bois ruftique .
Ma mufe folâtrant aux plaines de Windfor,
Ofe fe réveiller , & prendre fon effor.
Tamile , dans ta marche & noble & révérée ,
Coule plus lentement de ta fource facrée ;
Tandis que fur tes bords toujours frais & fleuris
Les mufes chanteront des concerts à Cypris.
Que les tendres zéphirs , abandonnant les plaines
,
Agitent les rofeaux de leurs douces haleines ;
Vous , côteaux d'Albion , répétez les accords
Dont ma mufe aujourd'hui fait retentir vos bords.
* O toi ! de la vertu rare & parfait exemple ;
* M. de ***.
AV
10 MERCURE DE FRANCE.
Toi , que d'un oeil furpris tout l'Univers contem
ple;
Permets que dans ces lieux où tu reçus le jour ,
Mes frêles chalumeaux annoncent mon amour ,
Jufqu'au tems où joignant ta lyre à nos muſettes,
Tu viennes avec nous chanter dans ces retraites.
Tel le pinfon revient à fes premiers côteaux ,
Lorfque le roffignol va chercher le repos ,
Tels les autres oifeaux applaudiffent de l'aîle
Aux airs doux & plaintifs que chante philomète:
La nuit fuyoit : l'autore ouvrant un Ciel ver
meil ,
Annonçoit aux bergers le retour du foleil ;
La brillante rofée enveloppoit les plaines :
De légères vapeurs s'élévoient des fontaines ,
Quand deux jeunes bergers qu'amour avoit domptés
,
Couvroient de leurs troupeaux les vallons argen
rés ;
Egayant tour- à -tour leurs mufes paftorales ,
Ils chantèrent ces vers en cadences égales.
DAPHNI S.
Berger , écoutez ces oiſeaux
Voltiger en fautant fur ces branches fleuries.
Ils femblent par leurs airs nouveaux ,
Appeler le foleil fur nos plaines chéries .
Comment , berger , nous taiſons-nous,
Quand le jeune Linot chante dans ce bocage ?
OCTOBRE . 1771 .
II.
Quand par fes chants plaintifs & doux ,
Philomèle au printems vient offrir fon hommage
?
Pourquoi nous livrer au chagrin ,
Quand Phoſphore éclairant la riante nature ,
Annonce unjour pur & ferein ,
Des jours que nous coulons, naturelle peinture ?
STRÉPHON.
Chantons , & qu'affis entre nous ,
Damon prête à nos airs une oreille attentive,
Je veux difputer avec vous
L'honneur du chalumeau fur cette illuftre tive ,
Tandis que le boeufdans nos champs ,
D'un pas tardif & lent trace un fillon pénible
,
Et que la fille du printems ,
Aux faveurs du zéphir s'ouvre fraîche & fenfible.
Je gage ce nouvel agneau
Que vous voyez bondir près de cette fontaine ;
C'est l'ornement de mon troupeau ;
Si vous êtes vainqueur , je le céde fans peine.
DAPHNI S.
Moi , berger , je gage à mon tour
Cette coupe charmante avec art travaillée .
Le dehors préfente à l'entour
Une vigne encor jeune & de raifin enfiée .
Voy ez cette chaîne de fleurs
A vj
I 2 MERCURE DE FRANCE.
Ces portraits en relief , ces figures gravées ,
La nuance de ces couleurs ,
Les faifons avec ordre y régler les années ;
Ce cercle qui contient les Cieux ,
Où douze aftres brillans font rangés en couronne
;
Enfin tout Y flatte les yeux :
C'eft , fi je fuis vaincu , le prix que je vous donne.
DAMON.
Chantez , jeunes bergers , à l'honneur du printems
;
Ces combats font chéris des mufes de nos champs.
Les arbres rajeunis fe couvrent de feuillages ,
Nos tilleuls plus touffus nous donnent leurs ombrages
;
Les épines déjà font fleurir nos buiffons ,
On voit déjà des fleurs fur les naiffans gazons .
Commencez : de vos chants fidèles interprètes ,
Les échos vont répondre au fon de vos mufettes.
STRÉPHON.
Toi , qui reglas toujours les amoureux concerts
Phoebus ! daigne m'être propice ,
De Waller , de Granville infpire - moi les airs ,
Pour chanter Faimable Clarice.
Je garde avec grand foin un jeune & blanc tanreau
,
L'ornement de ma bergerie.
OCTOBRE . 1771 . 13
Je te l'immolerai , fifur le chalumeau
J'emporte la palme chérie.
DAPHNI S.
Amour ! infpire-moi , fois facile à mes voeux ,
Rends-moi vainqueur pour ma Lifette .
Donne àma foible voix les attraits de les yeux ,
Ma victoire fera complette.
Je ne t'offrirai point le fang de mes brebis ,
Tu m'en ferois toi-même un crime ;
Mais , amour , aujourd'hui fi j'emporte le prix ,
Mon coeur feul fera ta victime.
STRÉ PH O N.
La charmante Clarice eft déjà dans les bois ,
Elle m'appele de la plaine.
Inquiet , je la cherche & réponds à fa voix :
Je l'entends rire de ma peine.
Mais ce ris affecté découvre clairement
Que plus Clarice eſt réservée ,
Plus auffi la friponne en cet heureux moment
Eft bien aile d'être trouvée.
DAPHNI S.
La folâtre Lifette , auprès de ces lilas ,
Se promène fur la verdure.
Elle court & s'enfuit : elle n'ignore pas
Que fa fuite eft d'un bon augure.
Elle lance un coup- d'oeil au berger qui la fuit :
14
MERCURE DE FRANCE.
Elle rougit de fa foibleffe :
Elle hâte le pas ; mais elle fe trahit ,
Ses yeux démentent fa vitelle.
STRÉ PH O N.
Que le riche Pactole orgueilleux en fon cours ,
Sur des fables dorés roule fes ondes claires :
Que l'ambre aux bords du Pô pour les jeunes bergères
,
Diſtille des ormeaux , & coule tous les jours;
Tes bords plus fortunés , agréable Tamife ,
Produisent à mes yeux de plus rares beautés.
Paiffez-là , mes moutons ; dormez fous ce citife ,
Et goutez le bonheur dans ces lieux enchantés.
DAPHNI S.
Vénus quitte le ciel pour les bois d'Idalie ;
Diane aime Cynthus , & Cérès aime Hybla ;
Pan chérit les vergers & les bois d'Arcadie ,
Il apprit aux échos les feux dont il brûla.
Si les bois de Windfor plaiſent à ma bergère ,
Ils emportent le prix fur Hybla , fur Cynthus ;
Windfor eft pour mon coeur la plus belle Cythe
re ,
Et Lifette à mes yeux eft la ſeule Vénus.
STRÉPHON.
Si quelquefois Clarice éprouve la triſteſſe ,
La nature gémit , le Ciel répand des pleurs ,
OCTOBRE . 1771 . 15
Les oiſeaux font muets , & , tombant de foibleffe ,
Les fleurs de nos jardins partagent les douleurs.
Si Clarice fourit , la nature plus belle
Préſente aux yeux furpris un nouvel univers ;
Il femble que les fleurs ne naiffent que pour elle ,
Et les oifeaux charmés reprennent leurs concerts.
DAPHNI S.
Tout s'anime & renaît . La nature eft riante ,
Les grottes des côteaux renferment la fraîcheur ,
Le Ciel eft clair & pur , la campagne eft brillante
Et le foleil répand une douce chaleur.
Si Lifette fourit , la campagne plus belle
S'efforce de briller & de charmer les yeux ;
La nature vaincue envain fe renouvelle ,
Elle céde à Lifette , & Daphnis eft heureux.
STRÉPHON.
Au printems j'aime les campagnes ,
Les plaines le matin , à midi les buiffons.
En été j'aime les montagnes ;
Mais Clarice à mon coeur eft toutes les faifons.
Eloigné des yeux de Clarice ,
Les plaines , le matin , n'ont plus pour moi d'artraits
,
Mon bonheur fe change en fupplice ,
Cequi fit mon plaifir cauſe tous mes regress.
16 MERCURE
DE FRANCE.
DAPHNI S.
Lifette plus belle que Flore ,
A les fruits de l'automne & les fleurs du printems ;
Elle a la fraîcheur de l'autore ,
Et l'éclat du midi brille moins dans nos champs.
Si ma Liſette en eft abſente ,
Tout languit , tout déplaît , le printems n'eft plus
beau ;
Mais Lorfque Lifette eft préfente ,
Chaquejour de l'année eft un printems nouveau.
STRÉPHON.
J'accorde la victoire aux attraits de Lifette ,
Berger , fi vous favez quel arbre ( 1 ) merveilleux
Cache en fon fein des Rois , en quels tems ,
⚫ quels lieux ;
Si vous me l'expliquez , votre gloire eft parfaite.
DAPHNI S.
Je vous céde mes droits fur Lifette & le prix ,
Si vous favez , berger , quelle contrée heureuſe
Fait naître des chardons auffi blancs que les lys ;
La victoire pour vous ne fera plus douteuse.
DAMON.
en
Ceffez , dignes rivaux , ces combats & ces chants ;
( 1 ) Allufion au chêne dans lequel le cacha
Charles II après la bataille de Worceſter.
OCTOBRE. 1771 . 17
L'un & l'autre goûtez le bonheur des amans .
Stréphon , reçois la coupe avec cette couronne.
Daphnis , reçois l'agneau , ton amour te le don
ne :
Et quand vous chanterez des concerts à Cypris ,
Quel'amour , de vos chants foit lui- même le prix.
O fortunés amans , dont les tendres bergeres
Poffédent les attraits des nymphes bocageres !
Et vous, dont les amans ont chanté les attraits ,
Bergeres , de l'amour éprouvez les bienfaits.
Mais levons-nous : fuïons , retournons au vil
lage ,
J'apperçois dans les airs fe former un orage.
Les troupeaux raffemblés recherchent les buiffons
,
Renouvellez fouvent vos vers & vos chanfons.
Par M. de Belami.
Traduction libre ou imitation de l'Ode
d'Horace.
Beatus ille qui procul negotiis
Ut prifca gens mortalium , & c .
HEVEUREUX qui loin du monde & de ſes faux at
traits
18 MERCURE DE FRANCE.
Cultive en paix les champs que cultivoient fes
pères !
Exempt de noirs chagrins , fans defirs inquiets ,
Il déplore de loin les humaines miféres ;
Ni les faveurs de Mars , ni les ris de Neptune
Ne fauroient l'arracher de fes heureux føyers.
Tranquille & fatisfait de fon humble fortune ,
Il évite les grands & leurs dedains altiers.
Echapé pour jamais d'un gouffre dangereux ,
Nul avide defir ne l'expoſe à l'orage ,
Et d'un plus doux loifir connoiflant l'avantage ,
Les ruftiques travaux favent combler ſes voeux .
Par les foins affidus la vigne chancellante
Orne de fes raifins le haut des peupliers ;
Son travail fait la rendre encor plus abondante
En taillant avec art les rejettons groffiers .
Sur des prés émaillés des plus vives couleurs
Ilfuit de fes beftiaux la troupe mugiflante ,
Tond de fa propre main la brebis innocente
Ou recueille avec foin le pur efprit des fleurs
Que diftille pour lui l'abeille diligente.
A l'or des plus beaux fruits dont s'eft paré l'automne
Il joint dans fes celliers la pourpre des raifins .
A cet heureux mortel , Flore , ainfi que Pomone ,
Ouvre tous les trésors , les verſe à pleines mains .
Protecteur des forêts , & toi dieu des jardins
Quel bien peut égaler les biens que tu nous donnes
?
OCTOBRE. 1771 . 19
Les plaifirs innocens que pour nous tu moiſonnes
Peuvent feuls confoler les malheureux humains.
Quel bonheur en effet plus pur & plus durable
Que celui que l'on goûte à l'ombre des ormeaux ?
Que cette folitude , ôDieux ! eft préférable
Aux vains plaifirs des cours qu'environnent les
maux !
Le fage en elle-feule a mis fon bien fuprême.
Sur un gafon naiffant , parure des côteaux ,
Il chante la nature & jouit de lui -même.
Si le dieu du fommeil lui verſe ſes pavots ,
Les chants de Philomele & le bruit des ruiffeaux
Apportent dans les fens cette langueur extrême
Qui l'invite à goûter les douceurs du repos.
Mais quand du fond du Nord la neige & les frimats
Ramenent la triftefle en nos riants climats,
Que le froid engourdit la nature impuiſſante ,
Pour lui l'affreux hiver a de nouveaux attraits :
Détachant de ſes chiens la meute impatiente ,
Il déclare la guerre aux hôtes des forêts,
Et le fort favorable au gré de fon attente
Couronnant les travaux du plus heureux fuccès ,
Il rapporte chez lui la dépouille fanglante
D'un fanglier affreux , terreur de fes guérets.
20 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION libre de l'Ode d'Horace :
Solvitur acris hiems , &c.
Las vents & les frimats n'affligent plus la terre,
Nos vaifleaux font lancés , ils fendent l'onde
amère ,
Déjà l'écho répond aux chanfons des bergers ,
Et Flore de les dons embélit nos vergers .
L'utile laboureur quitte fon toit ruftique ;
Les Graces & Vénus , fous un ombrage antique ,
Careffent les Amours . Dans la forge , Vulcain ,'
Qui dédaigne leurs jeux , fait retentir l'airain.
De mirthe avec des fleurs décorons notre tête,
Et du dieu des forêrs célébrons tous la fête.
Profite , cher Damon , profite des beaux jours ;
Que les ris , les plaifirs , que les jeux , les amours
D'accord avec Bacchus nous occupent fans ceffe.
L'éclair brille & n'eft plus ; telle eft notre jeuneffe.
A la porte du Pauvie , aux portiques des Rois,
La mort vient , frape , ouvre , entre , & tout ſubit
fes loix.
Saifis l'inftant qui fuit , combine fa vitefle ;
Sur les aîles du tems s'avance la vieilleſſe ,
Incrédule ou dévot il faut toujours mourir ,
Et pour lors il n'eft plus ni bonheur , ni plaifir.
Par M. A. P. Verdan , Contrôleur
des haras du Roi.
OCTOBRE . 1771 . 21
LE DÉSA BUS E. Conte .
NERVAC , d'une humeur vive & ſenſi
fible , avoit apporté dans le monde les
plus grandes difpofitions pour y devenir
une bonne dupe , & très peu de celles
qui en font. Son extrême defir d'y plaire
avoit fermé les yeux fur tous les défauts
& les inconvéniens de la fociété . Il y
croyoit franchement au roman de l'amour
, à celui de l'amitié , au plaifir d'être
utile gratuitement , à la réalité des
offres obligeantes , à la gaîté naturelle ,
au défintéreffement , ce qui prouve qu'il
eût crû à la médecine univerfelle & à la
tranfmutation des métaux , s'il fe fût un
peu plus appliqué à l'étude de la nature .
Les charlatans de fociété , les gens à
mafques & conféquemment les denx tiers
de ce bas monde recherchoient Nervac &
fe trouvoient à merveille du parti qu'il
avoit pris de ne rien voir qui contredît
fa confiance & fes befoins d'aimer & même
d'estimer.
Agité long-tems par quelques plaifirs
dont fon imagination groffiffoit les char22
MERCURE DE FRANCE.
mes , & par mille fauffes efpérances dont
tous les amis l'avoient bercé , Nervac fe
trouva près de l'automne de fa vie auffi
peu avancé du côté de la fortune qu'il
l'avoit été de tout tems , & fans avoir
encore fait de réflexions bien amères fur
le féjour trompeur des villes , il s'apperçut
que la campagne avoit des attraits qu'il
ne lui avoit pas encore foupçonnés .
Il s'étonna de cette découverte au moment
qu'entraîné ( à ce qu'il croioit ) par
la facilité de fon caractere il alloit paffer
un acte qui devoit le rendre propriétaire
d'un petit bien de campagne. Il demanda
même un quart- d'heure pour fe décider ,
mais il figna , quoiqué perfuadé qu'il ſe
plaifoit encore au milieu du tourbillon de
Paris.
Dès qu'on eut appris chez fes connoiffances
l'acquifition qu'il avoit faite , on
l'accabla de mauvaiſes plaifanteries. Il en
rougit ; il s'embarraffa , & n'eut pas encore
le courage de convenir avec fes amis
que fon illufion s'évanouiffoit comme un
brouillard qui tombe fous les rayons du
foleil.
Pour fuir des reproches auxquels il
étoit fenfible , il fe fauva dans fa retraite,
il s'y trouva bien. Une feconde fois il s'y
OCTOBRE. 1771. 23
trouva mieux , & bientôt ce qui l'attachoit
le plus dans fon appartement de
ville , fes oifeaux , fes livres , fes tableaux
furent tranfportés à la campagne.
-
Nervac fuivit des ouvriers , partagea
même quelques uns de leurs travaux ,
fur tout ceux du jardinage qui lui firent
paffer des jours délicieux , & qui lui firent.
appercevoir avec bien de la fatisfaction
que le bonheur de la vie ne confiftoit pas
à faire tous les jours de jolis foupers fpirituellement
égaïés par de petits prover
bes.
Déjà trois mois s'étoient écoulés fans
qu'il eût tourné les yeux vers la ville ,
malgré tout ce que lui écrivoient quelques
femmes qui , depuis fon départ , ne
trouvoient plus de ces bonnes gens dont
on fait ce qu'on veut , qui vont & viennent
au premier ordre , & qui conftatent
fi bien la fouveraineté du ſexe. C'est pour
elles une espèce de propriété qu'un vieux
garçon , & communément elles jettent les
hauts cris lorfque quelque fantaisie vient
mal à- propos troubler cette poffeffion .
C'est ce qui étoit arrivé au départ imprévu
de Nervac . On l'avoit dit imbécile
ou fou puifqu'il alloit s'enterrer vivant
dans une miférable maiſonette , dont les
J
24 MERCURE DE FRANCE.
plaifirs devoient être les plus plats du mon`
de & tout auffi bêtes qu'innocens.
Cependant il s'applaudiffoit chaque
jour de n'être plus un efclave de bonne
compagnie , & de vivre avec lui - même.
Il eft vrai que c'étoit un bonheur fingulier
qu'il fut encore digne de ce dernier
honneur , & tous les gens qui blâmoient
fi fort fa conduite auroient été fort embarraffés
de fe retrouver par-tout & à toutes
les heures comme lui.
Combien Nervac avoit ennobli fes dif
pofitions à la fervitude ! il n'obéiifoit plus
qu'à la nature qui l'invitoit à garantir des
ardeurs du foleil le jeune arbuste qu'il
venoit de planter dans fon jardin , à tenic
fes racines dans la fraîcheur jufqu'à ce que
leur chevelure imbibée des fucs du nouveau
fol portât la fermentation à la tige.
Un tapis de fleurs charmantes devoit être
la récompenfe des différens foins qu'il
prenoit , & fon ame fe dilatoit par les
charmes d'une efpérance auffi douce.
Un jour qu'il attachoit avec complaifance
des oeillets qu'il venoit d'émonder,
il apperçut près de lui un de fes anciens
amis qui , fouriant & levant les épaules ,
lui dit qu'il avoit voulu s'affûrer par luimême
de fa nouvelle folie.
Mon
OCTOBRE. 1771 . 25
Mon cher Cléon , lui dit Nervac en le
faluant , ne prodiguez point ici votre pitié
; mon jardinier & moi n'en avons aucun
befoin . Il chante , comme vous l'entendez
; & fouvent l'écho répéte ici les
airs que je me rappele , & qui ajoutent
au charme de mes occupations . Un moment
plutôt vous auriez pu m'entendre
frédonner les plus jolis morceaux d'Iffe .
Eh ! fi , mon cher , interrompit Cléon ,
en quel équipage vous trouve je ? le teint
brûlé , les mains chargées de terre , quel.
le humeur avez - vous prife ? quels chagrins
avez-vous effuiés ? A quelle mifanthropie
vous êtes- vous livré , vous l'ami
des hommes & de leurs tendres moitiés ?
Parlez , que faut- il que j'apprenne à des
femmes à qui vous manquez & qui vous
réclament ?
Je vais vous mettre au fait , dit Nervac ,
affeions - nous fur ce gaſon , en attendant
qu'on nous ferve un dîner frugal & fain
dont vous aurez la bonté de vous contenter
aujourd'hui .
Premierement , raïez ce mot de mifanthropie
dont vous venez de vous fervir,
je ne la connois pas . Un mifanthrope
eft l'ennemi de fes femblables , & je ne
né pour haïr. Je n'en eus jamais
fuis
pas
ni le goût
ni la force
.
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
-
Faites vous l'image , Cléon , de car
aveugle né auquel un oculifte habile fait
voir le jour. Ebloüi de fon éclat dont il
n'avoit pas l'idée , il ne le foutient que
par degrés ; mais bientôt il calcule les
diſtances , donne aux corps leur véritable
couleur : voilà l'abrégé de mon hiftoire.
Mon oculiſte eſt le tems , & la lumiere
eft la raifon que je n'avois pas même entrevue
. Radotage philofophique , mon
pauvre Nervac. -Doucement , s'il vous
plaît , ne me prêtez pas au moins une
philofophie qui differte & qui n'agit
point , qui parle de fageffe , de fobriété
& de haine pour le luxe en s'affeiant tous
les jours avec complaifance aux meilleu
res tables & chez les coquettes les plus
connues. Un fiécle de fureur dans les
opinions & dans les difputes n'a parlé
que de tolérance & d'humanité , je le
fçais; mais je n'entrevois pas le bur . Pour
l'honneur de l'indiquer aux autres , j'afpire
à l'atteindre moi - même. Je pourrai
bien, en vivant long- tems comme je fais
aujourd'hui devenir un peu philofophe ,
mais il n'y a rien à craindre de ceux de
mon efpèce. Ce ne fera jamais la plus
nombreuſe, parce qu'il n'y a rien à
que la fageffe même.
gagner
Un valet fait pour tenir à fon premier
OCTOBRE. 1771 : 27
état d'homme de la campagne , annonça
dans ce moment à Nervac qu'il étoit fervi
, & les deux amis allerent fe mettre
table.
Cléon ne trouva que ce qu'on lui avoit
annoncé ; mais le grand air lui avoit don
né de l'appétit , & il convint que fans
hors-d'oeuvres & fans entremets il avoit
fait un affez bon dîner.
Si j'avois encote cette vanité puérile
qu'on a dans le monde contre toute forte
d'intérêts , je vous en demanderois le fecret
, dit Nervac , mais grace à la chûte de
la cataracte , je vois très - diftinctement
aujourd'hui que tout ce qui eft fain , naturel
& fimple eft le meilleur dans le phyfique
comme dans le moral.
Mon ami , reprit Cléon , voilà bien de
petits axiomes généraux qui ne m'apprennent
rien finon que vous devenez férieufement
un homme à maximes . Revenons
à ce changemenr inattendu de conduite
qui vous féqueftre de la fociété & qui fait
trembler vos amis pour votré pauvre cervelle.
-Bon. Vous voilà dans la fituation
d'efprit où se trouva jadis la célèbre Ninon
lorfqu'elle s'allarma de ne plus voir
fon ami Défyvetaux , auquel elle avoir
donné le nom de Bonhomme. Nous
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
allons encore battre la campagne . -Point
du tout , le fait que je vous rappelle reffemble
à quelques égards . Ecoutez-moi .
Ninon , inquiette , alla donc chercher
fon Bonhomme de philofophe , & fes
craintes ne firent que redoubler lorfqu'elle
le trouva dans fes jardins habillé comme
un berger de l'Aftrée , la houlette à fa
main , la pannetiere au côté , le chapeau
de paille doublé de taffetas couleur de roſe
fur la tête.
Sa vie n'étoit plus qu'une éclogue continuée
; mais croiez - vous que Ninon ,
après l'avoir examiné, le trouva fou ? Non ,
mon cher Cléon , elle fut forcée de convenir
que Défyveteaux , dans fa fingularité
même , étoit plus heureux qu'elle ; &
depuis elle vint de tems à autre jouir du
fpectacle que fes inquiétudes pour fon
ami venoient de lui procurer. Voilà ce
qui , de votre côté , n'arrivera pas fans
doute ; mais le rapport de cette histoire à
la mienne , c'eft que , comme moi , Défyveteaux
avoit beaucoup vù , & que pour
avoir vécu dans ce qu'on appele la bonne
compagnie , & même avec les Grands *
Il avoit été gouverneur de M. de Vendôme &
inftituteur de Louis XIII,
OCTOBRE. 1771. 29
la retraite ne lui en fut pas moins chere.
Je ne l'imiterai pas cependant jufques
dans fon traveftiffement ; le Bonhomme
avoit une bergere , & je n'ai point ici de
petite Dupuis. ** C'est ce qu'on ne
croit pas trop. Oh ! fans doute . Si le
hafard a fait difparoître quelque fille bien
méprifable dans mon quartier , j'ai dû
l'enlever , elle eft ici . C'eft la maniere de
juger de fes amis. Mais à quoi voulezvous
qu'on attribue votre exil volontaire ?
-A ma raiſon . Voici le mot , mon cher
Cléon , je ne fuis ni fou , ni chagrin , ni
mifanthrope , je fuis défabufé. Comraent
défabufé ? Et de quoi ? -De tout à
peu - près.
-
Né tendre , je fis dans ma jeuneffe tous
les facrifices qu'on doit à l'amour quand
l'objet en eft digne. Il ne le fut pas fouvent
, Cléon , & mes grandes illufions fur
mon bonheur furent plus d'une fois forcées
de céder à la certitude du caprice , de
l'inconftance & de la trahifon . Je me formai
un goût dominant ; je me fis un coeur
à la mode , & comme tous vous autres je
parlai d'amour fans le reffentir . Je fus
** Elle étoit d'Etampes & habile joueuse de
harpe.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
trompé , je trompai moi - même ; mais
comme j'avois toujours confervé quelque
goût pour la vérité & une certaine habitude
de compter avec moi , je m'effraiai
un beau matin du commerce de faufleté
dans lequel je m'étois initié. Ce matin
n'eft pas fort éloigné de Nous , Cléon , &
Vous voyez ce que je penfe actuellement
de ce que vous appelez amour. Voilà déjà
de.ce
un des grands liens de cette fociété qui
vous eft fi précieufe détaché de moi fans
effort , & par une fimple obfervation fur
l'estime que je pouvois encore faire de
mon coeur. !
N'y a-t- il pas trop de vanité, dit Cléon,
à vouloir s'eftimer plus que les autres ?
Oh ! certainement , reprit Nervac , il n'y
en eut jamais moins qu'aujourd'hui . Vous
en conviendrez , la prétention n'eſt pas
exagérée , puifque la tâche eft fi facile.
Je vous attends , interrompit Cléon ,
au chapitre de vos amis ; car je me fouviens
qu'on étoit impatientant par les
éloges qu'on faifoit perpétuellement de
votre attachement pour eux .
Je n'ai pas traité l'amitié , dit Nervac ,
tout à fait auffi féchement que l'amour.
Je conferverai toujours l'idée de ceux que
j'ai appelé de ce nom d'amis qui plaît à
OCTOBRE . 1771. zr
mon ame ; mais je les verrai moins parce
que je me fauve du tourbillon où ils reftent
, & dans lequel ils m'auroient enve
loppé , fi quelqu'une des efpérances dont
ils m'ont nourri s'étoit réalisée . Je ne me
rappele point , Cléon , quel eft l'auteur
qui a comparé l'efpérance à du lait qui
s'aigrit fur quelques eftomacs , mais ce
devoit être quelqu'un défabufé comme
moi des douceurs de l'efpoir. J'ai digéré
long- tems cet aliment ; mais enfin l'eftomac
s'eft affoibli , & j'y ai renoncé . Je
vous dirai plus , j'ai vu des gens fi mépri
fables auxquels on trouvoit tant de
moyens d'être utiles , & j'en ai vu fi peu
d'honnêtes qu'on ne parvint à rebuter par
des longueurs & des refus , qu'il ne me
reftoit de parti raifonnable que celui de
me contenter de l'or de ma médiocrité.
J'en jouis ici , Cléon , & la modération
de mes goûts eft une véritable richeffe . Je
ne pafferai plus le refte de mes jours à
m'épuifer d'avance en reconnoiffance bien
inutile , & tout en ira mieux . Mes amis
eux - mêmes y gagneront de n'avoir plus
fous leurs yeux un éternel reproche & de
leur légéreté à promettre & de leur lenteur
à fervir.
Allons , voilà qui eft clair , dit Cléon ;
B iv
32 MERCURE
DE FRANCE
.
vous boudez vos amis. Je ne boude perfonne
, répondit Nervac. Mes amis font
des hommes , & les hommes font faits
ainfi . Ce n'eft pas celui qu'on aime ou
qu'on eftime le plus qu'on fert ordinairement
, c'est l'intriguant habile qui nous
tourmente. L'homme vil & bas fait nous
prendre par tant d'endroits, qu'il faut bien
qu'il obtienne ce que d'abord on n'avoit
pas deffein de lui donner. Et voilà le
malheur des grands qui tombent dans la
difgrace , c'eft que la plupart de ceux
qu'ils ont obligé font les premiers à flatter
la main qui les a frappés . Mais pour
revenir à moi , Cléon , je fais aujourd'hui
G peu de cas de la fortune , elle m'eft fi
peu néceffaire dans ma nouvelle façon de
vivre , qu'il feroit bien injufte d'en vouloir
à ceux qui m'ont fait inutilement ef
pérer fes faveurs - Non , vous avez beau
dire , on ne méprife pas de fang froid la
fortune. On ne méprife que le vice , je
le fçais , quand on eft fans paffion ; mais
je vous l'ai dit , on ſe défabuſe . J'ai cru
d'abord comme vous , qu'elle affuroit le
bonheur ; mais quand on a vu mille &
mille fois qu'elle conduit bien plus fûrement
à la perte de la fanté , aux extravagances
du luxe , à la fottife & aux ridicules
OCTOBRE . 1771. 33
de l'orgueil , à la féchereffe de l'ame & à
l'inhumanité , on fait quelque cas d'un
petit patrimoine qu'on ne doit à perfonne
, qui n'a coûté ni importunités ni baffelfes
, & qui vous fauve des écueils dont
je viens de parler. -Eh bien foit , vous
ne voulez plus être riche ; mais cette ardeur
que vous aviez pour la gloire , & ces
talens que vous cultiviez , que deviendront
ils ici ? -Oh ! c'étoit bien- là
Cléon , ce qui épaiffiffoit cette taie qui
couvroit mes yeux il y a quelque tems.
De la gloire , mon cher Cléon .. que ce
mot eft fenore & vide ! Je fuis quelquefois
entré dans ces Lycées où les favoris
de la déeffe daignent fe communiquer
certains jours , & j'ai conftamment vu la
moitié des curieux qui y étoient attirés
comme moi , demander à quel titre une
partie de ces mortels privilégiés s'y montroit.
C'est bien la peine de fe donner
tant de mouvemens pour le voir inferit
fur une lifte fi fujette à être défavouée .
Je ne vous parle point des dégoûts fans
nombre qu'éprouve l'infortuné qui court
la carriere des lettres , de ce genre odieux
d'efcrime dans lequel il faut s'exercer
pour fe défendre contre la cabale & l'envie.
Par exemple , vous le favez, les gens.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
indifférens & juftes font convenus que le
jeune Cythare faifoit concevoir les plus
heureufes efpérances ; & bien c'eft ce jeune
athlète qu'on cherche à fatiguer en
l'attirant fans ceffe au combat ; c'est lui
qui , toujours couronné & toujours envié ,
fe voit tous les jours en but aux plus groffieres
injures ; c'eft de lui dont on parle
comme d'un ignorant & d'un for , & vous
voulez qu'on tienne à cela ?
Vous me parlez , dit Cléon , de quelques
-uns des défagrémens de l'état que
vous fembliez préférer à tous les autres ;
mais il a fes avantages ... Celui de vous
approcher des Grands , par exemple ... Arrêtez
, Cléon , reprit Nervac , quels talens
frivoles ne font pas parvenir plus sûremint
encore à cet honneur prétendu ! ...
Vous n'avez point fenti ma difcrétion fur
ce point. Un Grand qui nous force à l'eftimer
eft bien grand à mes yeux , & j'en
connois ; mais vous en nommerois - je
beaucoup de cette efpèce ? Cependant hélas
! quels qu'ils foient aujourd'hui , ma
patrie a peut - être moins à redoutér d'eux
que de leurs fucceffeurs. J'ai frémi cent
fois pour la génération fuivante : quelle
jeuneffe ! quelles moeurs ! -Déclamation ,
mon pauvre Nervac , lieux communs !
OCTOBRE . 1771. 35
D'accord , voilà le nom qu'on donne aux.
vérités les plus utiles comme on donne
celui de préjugés aux vieux principes qui
nous incommodent ; mais je fuis de l'avis
de Cicéron , c'eft la feule philofophie po
pulaire , c'eft cette philofophie fimple qui
difcute moins nos premiers devoirs qu'el
le ne les fait aimer , dont la fociété aura
toujours le plus grand befoin . C'eſt à célle-
là que je me tiendrai malgré nos penfeurs
fubtils , profonds , & fort inutiles au
moins,lorfqu'ils ne font pas dangereux.
A préfent , Cléon , vous me connoiffez
, allez me peindre à ceux qui vous ont
chargé de me fonder . Et de vous ramener,
interrompit Cléon ; ma voiture doit être
prête , y montez - vous avec moi ? Cela
feroit beau de votre part , & ce triomphe
me couvriroit de gloire. - Adieu, Cléon ,
j'entends en effet votre équipage ; pour
moi je vais refpirer le parfum de mes rézédas
, en attendant le moment de jouit
du brillant fpectacle que nous préparent
ces nuages qui fe grouppent au tour du
foleil , prêts à fe précipiter fous un autre
hémisphère.
Cléon fourit encore de pitié & partit
feul . Quelques jours après on détacha a
Nervac une jeune étourdie qu'il avoit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
prefque aimée , & qui ne doutoit pas d'un
meilleur fuccès . Tout ce que l'art de l'agacerie
peut employer fut mis en ufage ,
mais fort inutilement : & de ce moment
il paffa dans fa fociété pour un malade
incurable, & dans fon village pour le plus
honnête , le plus doux & le plus humain
de ceux qui l'avoient habité depuis longtems.
On a dit que la retraite étoit une bonne
chofe ; mais qu'il falloit avoir quelqu'un
à qui l'on pût dire que la retraite
eft une bonne chofe . Nervac le fentit ;
cependant il n'efpéroit plus trouver de
femmes dignes d'un véritable & folide
attachement. Nervac fut encore défabufé
fur ce point.
Il y avoit dans fon veifinage une veuve
à qui la plus grande perte de fes biens
n'avoit point abbatu le courage. C'étoit
annoncer du caractère & de la réflexion ,
& Mélite en avoit effectivement . Nervac
crut avec raifon que cette dot peu facile
à trouver & qu'on cherche fi rarement
valoit bien celle qui a fait imaginer les
contrats de mariage.
Il fe fit connoître de Mélite , lui plût
l'époufa , la rendit heureufe & le fat luimême
, parce qu'à la place des chimères
OCTOBRE . 1771. 37
de l'amour- propre , des miféres de la coquetterie
& des rêves de l'ambition , il
n'eut plus que des goûts vrais à fatisfaire.
Par M. B **
VERS imités de l'Anglois .
La nuit en te gliffant dans les yeux de Clélie ,
Sommeil , peintre charmant , de tes traits le plus
doux
Daigne employer pour moi la flateule magie;
Peins - moi tendre , foumis , mourant à fes genoux
;
Mais fide mon amour l'image trop naïve
Alarmoit de fon coeur l'innocence craintive ,
Ecarte tes pavots , fage & difcret fømmeil ,
Qu'avectoi dans l'oubli ce portrait fe replonge ;
Laiſſe ouvrirſes beaux yeux; permets qu'un prompt
reveil
La calme en l'affûrant que ce n'étoit qu'un longe.
Par M. ***.
38 MERCURE DE FRANCE.
REGULUS dans le Sénat ; piéce qui a
concouru pour le prix de l'Académie de
Marseille en 1769 .
Numquam noftra falus pretium mercesque nëfanda
Proditionis erit.
LUCAN. lib. vii.
QUOI
UOI ! j'ofe vous revoir , & cefle d'être libre ,
O patrie , ô fénat ! ô rivages du Tibre !
Puiflant peuple d'égaux qui commandez aux Rois,
Un efclave aujourd'hui vient défendre vos droits !
Le fort céde aux vertus ; vainement les tempêtes
Ont foulevé les mers & grondé fur nos têtes ;
De fes foldats vaincus apprenant nos fuccès ,
Carthage à fon captif a demandé la paix :
Organe de les voeux , Regulus fe voit maître
De mourir vertueux ou de fauver un traitre ,
Et fi la paix féduit vos efprits abuſés ,
Je m'arrache au fupplice & mes fers font brifés ;
Moi ! difputer mes jours au bien de ma patrie !
Que mon ombre aux enfers emporte l'infamie ,
La mémoire d'un lâche , & le reproche affreux
D'avoir perdu l'état & trahi mes aïeux !
A mes derniers neveux qu'en moi Rome contemple
,
OCTOBRE. 1771 . 39
Je tranfmettrois du crime & l'opprobre & l'exem
ple !
Périfle le Romain qui peut vivre à ce prix !
Mais , Dieux ! vous balancez ; à vos yeux éblouis
L'or paroît le lien d'un traité légitime !
Ainfi que le danger connoiflez - en le crime ;
Romains , ces étendards à l'Epire enlevés
Pour vieillir dans nos murs feroient - ils réfervés ?
Regardez les foutiens de l'Afrique épuiſée ,
Ses navires détruits , fa grandeur éclipfée ;
Craignez -vous ces guerriers , vils elclaves de l'or ,
Perfides qu'en payant Carthage craint encor ; *
Ces Numides errans qui , morts à leur patrie
Mercenaires foldats , vont immoler leur vie ,
Servir , non l'amitié , mais l'argent du vainqueur,
Trafiquer du courage & flétrir la valeur.
Sous un climat brûlant irritant leur adreffe ,
La nature féconde enfante ( 1 ) la richeſſe ,
L'esclavage du pauvre & le luxe des grands ,
Des malheurs de l'état illuftres artifans ;
On le rappele la guerre terrible des Mercénaires
qui , n'étant point payés , fe fouleverent &
qui furent une des occafions de la feconde guerre
punique.
(1 ) Dutems de Polybe il y avoit 40000 hommes
travaillans aux mines d'or de Carthagène ; il
eft douloureux de fe rappeler le nombre infini
d'eſclaves à qui ces travaux coûtoient la vie.
40
MERCURE DE FRANCE .
Par des milliers de bras ce poifon le prépare ;
C'eft du
germe
des moeurs dont la terre eft avare,
En y fouillant de l'or, on y trouve les maux ,
Et la vertu s'y péfe au feul poids des métaux s
Là , de riches égaux l'orgueilleufe jeuneſſe
Rit des moeurs ſous la pourpre & vante la molleffe
,
Tandis que , déferteurs de leurs droits profanés ,
D'indigens citoyens à fervir façonnés ,
Des mains de leurs égaux arrachent l'exiſtence ,
Vendent leurs libertés , leurs voix à l'opulence ,
Augmentent leurs malheurs , voulant les foulager,
Et chériffent l'opprobre au lieu de le venger..
Reftes des Appius ! voilà donc cette idole
Qui peut faire un moment trembler le capitole :
Voilà ce qu'on oppoſe aux vainqueurs de Pyrrhus
!
Ce qu'au fond des cachots n'a pas craint Regulus
:
Ah ! Romains , je le vois , j'alarme votre gloire ,
Je me dois à mes fers , & vous à la victoire ;
Négligez des fuccès & d'indignes moyens ,
Carthage a des tréfors , Rome a des citoyens.
Carthage en factions , dès long-tems fe confume ,
Dans les murs défolés la difcorde s'allume ;
D'un conſeil d'ennemis les chefs ambitieux ,
OCTOBRE . 1771 .
Couverts de notre fang le difputent entr'eux ;
Et le peuple foulé (emble crier au Tibre ,
Rome , raffure - toi , Carthage n'eft plus libre.
Mais , quel nouveau fpectacle étonne l'Univers!
Ce fénat d'un conful vient foutenir les fers ,
L'admire dans (a chûte & pleure fa diſgrace ;
Cependant mon vainqueur ( 1 ) abaiſlant ſon audace
,
Réduit à demander fa vie à des ingrats ,
Sous fes lauriers Aétris a trouvé le trépas ;
Du dernier des foldats nous payons les fervices ;
Carthage à fes vengeurs apprête les fupplices ;
O murs ! teints de leur fang , qu'ils n'ont fçu que
pleurer ,
Survos débris fumans il falloit expirer !
Romains , m'en croirez - vous ? laiffons à l'efcla
vage
Ces obfcurs prifonniers qui , pour Rome un ou
trage ,
Et du bruit de leurs fers long - tems épouvantés,
Ont perdu le courage avec leurs libertés ;
De captifs fans.valeur , d'un vieillard inutile ,
Par les ans accablé Rome n'eft pas l'aſyle ,
Etjadis fon fujet Regulus ne l'eft plus.
Songez à l'avenir , rappelez - vous Brennus ;
Tremblez qu'au fein des maux que le Ciel lui deftine
,
(1 ) Xantippe noyé en retournant à Sparte,
42
MERCURE
DE FRANCE.
Carthage dans ces lieux n'apporte la ruine ;
Qu'au moment de fa chûte , à fon dernier effort ,
Dans vos rangs ébranlés fémant par- tout la mort,
Un vainqueur plus hardi , plas heureux ou plus
fage ,
Ne porte dans nos champs la flâme & le carnage ;.
Al'état délivré qu'importent mes revers ?
C'eft fur vous , fur vos fils qu'il a les yeux ouverts
:
Liés à vos fermens , tremblans de les enfreindre ,
Qu'ils fachent qu'aujourd'hui ce confeil n'a pu
craindre :
Je pars, ômes amis ! fouvenez-vous des miens
Formez- les au grand art des héros citoyens ;
Cachez-les à cet oeil qui doit veiller fur Rome ;
Citoyens fous le fer , ici peut-être un homme.
La nature a fes droits ... Elle va fupplier...
Son cri fe fait entendre & je dois l'oublier.
Que puniflant fur moi ce refus magnanime ,
Carthage en frémiflant ſe venge par un crime ;
Qu'elle immole à la honte un vieillard dans les
fers ,
La vengeance d'un lâche eft un premiers revers ! -
Je mérite vos pleurs , verfez-les fur ma tombe ,
J'attends de vos regrets que Carthage fuccombe ,
Mais captifs défarmés , refpectez ces héros , ( 1 )
Servez Rome en foldats & non pas en bourreaux.
(1 ) Il montre les chefs - Carthaginois priſonmiers.
OCTOBRE. 1771. 43
VERS à M. Lekain , qui ajoué fur le
théâtre de Bordeaux.
DEE nos coeurs , cher Lekain , reçois lepur hom
mage ,
Par ton talent fublime , il eft bien mérité s
Sur la scène à ton gré , nous retraçant l'image¿
Des fentimens divers dont l'homme eſt agité ,
La fiction par toi ſe change en vérité .
Par Mlle Rofalie.
SOPHIE , ou les avantages de
l'Adverfité.
Il y a long -tems que je te promets l'hiftoire
de ma vie ; mais tu connois ma
pareffe , tu fçais combien je fuis ennemie
de toute occupation tant foit peu affujetiffante
; & ce n'eft pas un petit ouvrage
que le détail de mes aventures. Je n'ai
pas toujours été heureuſe , adorée du plus
aimable des hommes ; je n'ai pas toujours
trouvé des amies tendres & fenfibles dans
le fein de qui je pouvois m'épancher fans
44 MERCURE DE FRANCE.
réſerve. Mes premieres années ont été
remplies par une multitude d'événemens
qui pourroient me rendre une héroïne
de douze volumes ... Ne t'effraie pas cependant
; tu mériterois à la vérité que je
t'accablafle du poids énorme de mes
aventures , mais en te puniffant je m'épargnerois
peu moi - même ; l'application
qu'exigeroit une entreprife de cette na
ture eft trop oppofée au caractère de folie
& de légéreté que tu me connois
dont ton amitié m'a fi fouvent reproché
l'excès , mais que tu me pardonneras lorf
que tu fauras que je lui dois mon bonheur.
Hélas ! fans cette prétendue extravagance
qui m'étourdiffoit fur mes maux,
comment aurois- je pu fupporter les coups
accablans & redoublés de la fortune ? Tu
n'auras qu'un précis & un précis fuccint
de mes aventures , je les tracerai fans autre
ordre que celui qu'elles préfentent
actuellement à ma mémoire. Quant auftyle
, l'amitié n'en connoît point . Mes
différentes affections conduiront ma plu .
me; je n'extravague pas encore au pointde
penfer faire un livre . Je fuis avec la
meilleure de mes amies , je m'entretiens
avec elle & voilà tout.
Quelqu'obfcurité qu'on ait voulu jeter
fur ma naiſſance , il n'en eft pas moins
OCTOBRE. 1771. 45
vrai que je fuis légitime ; tu ne doutes pas
de la fincérité de cet aveu , tu fçais avec
quelle indifférence je braverois un préjugé
qui ne fait le tourment que des ames
foibles. Notre nailfance eft trop indépendante
de nous , pour que nous en puiffions
tirer de la honte ou de la gloire , &
fi j'ai quelques bonnes qualités , je veux
qu'elles m'appartiennent. Mon pere &
ma mere qui comptoient parmi leurs
ayeux de grands capitaines , même des
fouverains , habitoient triftement une,
vieille mafure affez mai couverte de
chaume; cet incommode réduit fous lequel
ils n'étoient pas même à l'abri des
injures de l'air , portoit cependant le titre
pompeux de château. Les malheureux
auteurs de mes jours y végétoient dans la
fainéantife & le befoin , ils fe laifoient
noblement confumer par la mifére la
plus affreufe , & ce qu'on trouvera étrange
, cette mifére flattoit leur orgueil : l'idée
de facrifier à l'éclat de leurs Ancêtres
les befoins les plus preffans , leur tenoit
lieu de tout & les raffafioit pour ain
dire . C'eft dans cette miférable chau→
miere que je vins au monde. L'état déplorable
de la fortune de mes parens leur
permit peu de fe livrer à la joie que
de46
MERCURE
DE FRANCE
.
voit leur infpirer ma naiffance . J'étois
héritiere d'un nom illuftre , feul bien que
je ne pouvois pofféder qu'en renonçant
éternellement à le partager avec d'autres.
Mon pere , que la groffeffe de ma mere
avoit tranfporté de joie , fut défagréablement
trompé , & reprit fitôt qu'il m'eût
vue fon humeur farouche & la morgue
campagnarde. Juge quelle dût être ma
fituation ou plutôt notre fituation commune
; mes infortunés parens , à demimorts
de mifére , voyoient naître en moi
un furcroît de peines qui n'étoient point
tempérées par l'efpérance de relever leur
famille. Je fus très négligée : je ne fçai
comment s'écoulerent mes premieres an
nées , j'ignore par quel miracle je paſſai
fans accident cet âge fragile où notre vie
toujours chancellante ne fe foutient que
par la vigilance afferviffante & les foins
multipliés de la tendreffe maternelle . Je
fus totalement privée de ce fecours , &
cependant je franchis fort gaiement ce pas
fi dangereux. Je dis fort gaiement ; car
mon humeur folâtre fe manifefta dès l'inf
tant de ma naiffance . Je pleurois peu , &
file malaiſe me faifoit jeter quelquefois
des cris , c'étoient des cris- d'impatience
qui laiffoient bientôt place à cette phyfio
·
OCTOBRE . 1771. 47
nomie enjouée & fans fouci qui ne m'a jamais
abandonnée . Je croiffois à vue d'oeil;
quoique très - mal nourrie , j'étois devenue
fort graffe ; j'avouerai pourtant que je
devois la plus grande partie de cet embonpoint
aux foins d'un riche fermier du
voifinage. Ce bon - homme s'étoit pris
d'affection pour moi ; une figure qu'une
extrême vivacité n'empêchoit pas d'être
très - intéreffante lui avoit gagné l'ame ; il
ne pouvoit fe laffer de m'admirer ; il con
cevoit peu comment j'avois pû prendre
au fein de l'indigence , cet air épanoui ,
cette gaîté folle qui caractérisent la vraie
fatisfaction . Il déploroit fincerement l'affreux
état où ma famille étoit réduite ,
non pour mes parens , car leur humeur
altiere & fauvage les faifoit peu aimer de
leurs voisins ; mais pour moi à qui , comme
je te l'ai dit , il s'intéreffoit très- vivement.
La négligence de mes parens &
leur peu d'attention à tous mes mouve➡
mens me donnoient la liberté la plus gran.
de , j'allois très-fouvent chez le pere Dupont
, ( c'étoit le nom du fermier) . Là , délivrée
de toute gêne , ma pétulante gaîté
jouilloit de tout fon reffort.
Tu t'étonneras peu que mon goût m'ait
fait préférer la maifon de Dupont à la
48 MERCURE DE FRANCE.
maifon paternelle ; l'aifance , la liberté ,
la commodité même que j'y rencontrois
auroient feulés fuffisamment juftifié certe
préférence. Elle me préfentoit d'ailleurs
un tableau bien différent. L'ordre , l'arrangement
& une parfaite intelligence y
avoient établi une heureufe abondance.
Tout y refpiroit la joie & le contentement.
Bientôt je m'attachai tellement à
la maifon de Dupont que je n'en fortois
prefque plus ; j'y prénois mes repas & je
ne me retirois chez mon pere qu'à la
nuit.
Dupont , de fon côté , s'étoit infenfi
blement accoutumé à me voir ; mon enjouement
, mes faillies étoient fon feul
délaffement ; enfin je lui étois devenue
abfolument néceffaire. Sa femme avoit
pour moi une vraie tendrelle maternelle ,
dépourvue de tour jufqu'alors , fes foins
ne me laifferent plus manquer de rien.
Les pauvres gens ! que ne dois- je pas à
leur généreufe pitié ? Tandis que je ne
trouvois chez mes orgueilleux parens que
vide , mifére , dureté , mauvais traitemens
; j'étois humainement accueillie
par des étrangers qui ne connoiffoient
d'autres titres que celui d'amis de leurs
femblables , d'autre nobleffe que celle de
leurs
OCTOBRE, 1771 . 49
leurs fentimens . Je ne puis penfer à ce
refpectable couple fans m'attendrir jaf
qu'aux larmes. Ils étoient heureux & tranquilles.
Ma funefte étoile a été porter chez
eux le trouble & la défolation . Pardonnemoi
cette trifte exclamation , ma Julie ,
ma premiere qualité eft d'être fenfible ; fi
ma joie eft vive & franche , le peu de lar
mes que je répans font vraies & ameres .
Ton amie a été alternativement la plus
heureuſe & la plus à plaindre des créatures.
Mais , finiffons ; je viens à l'aventure
qui m'a fait quitter Dupont . Je ne t'ai
parlé que de ce bon homme & de fa femme;
jufqu'à l'âge de douze ans je n'ai connu
qu'eux. Ils m'avoient appris cependant
qu'il leur reftoit un fils ; ce fils dont ils ne
cefloient de me vanter le favoir & les
heureufes difpofitions étoit depuis huit à
dix ans dans un collége . Ils le deftinoient
à l'état eccléfiaftique , c'étoit ce qui les
avoit déterminé à lui faire faire fes études.
Leurgrande ambition étoit de le voirCuré
de leur village.
Ce jeune homme qui achevoit fes cours
de philofophie , prit en fantaisie d'honorer
fon pere de fa vifite pendant les vacances.
Depuis plufieurs années il réfiftoit aux
II. Vol. C
30 MERCURE DE FRANCE.
tendres invitations de cet affectueux vieillard
. Ce
trop foible pere avoit nourri par
une complaifance fans bornes la fotte fatuité
de fon fils ; il s'aveugloit fur des défauts
qui lui préparoient les chagrins les
plus vifs ; enivré des qualités de fon fils ,
il s'étoit accoutumé à le regarder commeun
homme extraordinaire & à ne trou
ver dans les impertinences qu'il fe permettoit
de lui écrire que la jufte appréciation
de fon mérite ou le fublime langage
d'un érudit : il m'avoit communiqué
toutes fes lettres ; toute jeune que j'étois
je faififfois parfaitement leur ridicule ; je
le diffimulois cependant par un rafinement
d'amour-propre. J'aimois beaucoup que
l'on me trouvât de l'efprit , & j'étois fûre
de faire revenir pour morcompte les applaudiffemens
que je donnois à ces lettres
.
Enfin nous vîmes arriver le perfonnage
fi vanté qui devoit illuftrer un jour le
nom de Dupont. Figure - toi , ma chere
Julie , un grand garçon fec , haut-monté ,
dont la longue tête perchée fur un plus
long cou , ne fe permettoit aucuns mouvemens
propres ; joins à cela un menton
épais , un front étroit & des yeux hébétés
; voilà quel étoit l'Abbé Dupont, Ce
OCTOBRE . 1771. ST
garçon ne démentit point l'idée que m'avoient
donnée fes lettres ; il raſſembloit
en lui tout ce que le pédantifme ade plus
fot & tout ce que la fatuité a de plus extravagant
. Je fus extrêmement choquée
du ton altier que je lui vis prendre & de
la froide gravité avec laquelle il reçut les
tendres empreffemens de fes refpectables
parens. Peu fenfible aux careffes les plus
affectueuses , fourd à la voix de la nature ,
il feignit une délicateffe extrême pour
quelques termes impropres qui heurtoient
fon oreille ; tantôt il les relevoit avec hauteur
, tantôt il fe contentoit de fourire dédaigneufement
; il tournoit alors vers moi
un regard ftupide , & qui fembloit devoir
rencontrer un applaudiffement ; mais ne
trouvant rien fur ma phyfionomie qui pût
contenter fon amour- propre , il le ramenoit
fur lui - même , & fe regardant d'un
air de complaifance , il trouvoit chez lui
ce qu'il avoit cherché infructueufement
chez les autres.
Quoiqu'aveuglé fur le compte de
fon fils , ce père ne laiffa pas de fentir
vivement la dureté de fes procédés ;
les humiliations fréquentes qu'il lui fai
foit ſubir , lui navroient le coeur ; mais la
même foibleffe qui l'avoit empêché de
Cij
5.2 MERCURE
DE FRANCE
.
prévenir ce mal lui ôtoit auffi les moyens
de l'arrêter dans fon cours. L'Abbé Dupont
devenoit tous les jours de plus en
plus infupportable ; fon ame dure ne con
noifloit aucune forte d'attendriffement ,
jamais fentiment ne fut auffi obtus . Une
douleur morne fut bientôt à la place de cette
joie vive qui avoit animés Dupont &
fa femme. Cette mere , digne d'un meil
leur fils , difoit fouvent avec larmes :
« Nous avons voulu faire de notre fils un
» fçavant & il l'eft devenu ; nous l'avons
éloigné de nous & il a appris à nous
» méconnoître ; nous ne l'avons point ac-
» coutumé au doux langage de la nature ,
» & il n'eft plus en état de l'entendre.
» Hélas ! mon ami , s'écrioit - elle en s’a-
» dreffant à fon mari , s'il fut refté auprès
» de nous , il fçauroit cultiver les hérita-
» ges de fes peres , nous aimer , nous ref
pecter. N'est- ce pas la vraie fcience, la
feule digne de l'homme , la feule сара-
» ble de le rendre heureux ? Nous n'en
» avons jamais connu d'autres . >>
"

L'Abbé Dupont n'avoit , comme je t'ai
dit , que des qualités d'emprunt , il ne
refpiroit que le collége ; fon ton ,
fes mainieres
, fes termes étoient entierement
claffiques. Il étoit devot fans être pieux ,
OCTOBRE. 1771. 53
libertin fans être voluptueux ; il avoit des
apperits fans fenfibilité. Quoique trèsjeune
, je ne laiffois pas d'être formée.
L'embonpoint avoir dévancé les effets de
l'âge , j'avois des appas naiffaus qui me
rendoient extrêmement tentante . Mon
grand écolier ne fut pas long tems faus
s'y laiffer prendre , & quoique fans expérience
je m'apperçus bientôt de l'effet
que mes charmes avoient produit . Je le
haïffois à merveille ; fa figure gigantefque
& fes allures gauches me déplaifoient
fouverainement ; il avoit de plus un cer
tain air de malpropreté affez ordinaire à
un échappé de collège qui me foulevoit
le coeur. Ajoute à cela l'horreur que m'avoit
infpiré fon défaut de fentiment , &
tu m'avoueras que jamais haine n'a été
plus jufte ni mieux conditionnée , néanmoins
je prenois un fecret plaifir à l'hom
mage qu'il rendoit à mes charmes , tant
il est vrai que la coquetterie eft la plus
vive & la plus prompte de nos affections.
Je ne tardai pas à recevoir une déclaration
d'amour dont je ne compris pas
plus les expreffions françoifes que les
phrafes grecques & latines , dont l'Abbé
Dupont l'avoit bifarrement ornée ; mais
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
le feu infolent de fes yeux m'expliqua
clairement ce qu'il fe feroit efforcé vainement
de me faire entendre . Je ne lui
répondis que par un grand éclat de rire ,
& je le quittai brufquement d'un air infultant
& mocqueur qui le rendit muet
& le couvrit de confufion.
Depuis ce jour je reftai plus tranquille.
J'avois été jufqu'alors excédée de billets
doux & de vers amoureux ; il avoit traduit
pour moi tout ce qu'Ovide a dit de
plus tendre , tout ce qu'Horace a chanté
de plus galant . J'étois tour-à - tour Corinne
, Lydie , &c. Tout d'un coup fes
empreffemens cefferent , je me crus délivrée
de fes défefpérantes poutfuites , mais
je me trompois. La fureur & la rage s'étoient
emparées du coeur de ce fcélerat ,
il ne put réfifter à l'attrait de fe venger de
mes mépris qu'en affouviffant fa paffion
.
J'avois coutume de me retirer tous
les foirs dans la maifon de mon pere ; je
me mettois quelquefois en marche fort
tard , & comme elle étoit éloignée de
près d'un quart de lieue de la maifon du
fermier , j'arrivois fouvent à la nuit cloſe.
J'allois prefque toujours feule , & je refufai
conftamment les offres empreffées
OCTOBRE. 1771 55
que me fit l'Abbé Dupont de me reconduire
. Je m'en retournois un foir fort
tranquillement , j'entendis le bruit d'une
perfonne qui marchoit très - près de moi
& avec précaution , & fur le champ je fus
faifie par derriere . Deux grands bras entourerent
mon corps & je fentis une figure
froide & tremblante qui fe colla fur
la mienne. Je jettai un grand cri . L'effroi
qui me fit faire un mouvement violent me
dégagea auffi-tôt des bras de l'inconnu ; &
j'allai tomber à quelques pas delà. Mon
perfécuteur , ne lâchant point prife , vint
tomber à mes côtés ; je m'apperçus qu'il
n'employoit contre moi qu'une main , de
T'autre il tâchoit d'arrêter le fang qui fortoit
avec abondance de fon nez & de fa
bouche ; je redoublai de cris & d'efforts.
Nous étions affez près de la maiſon de
mon pere ; il entendit mes cris . Un mouvement
d'humanité le fit accourir , d'une
main il tenoit un flambeau , de l'autre il
tenoit une épée nue. Quelle fut fa furpriſe
de me voir fanglante , renverſée &
me débattant entre les bras du luxurieux
Abbé Dupont ! Sa fureur devint extrême.
Mon adverfaire tomba à mes pieds percé
de mille coups , & ce ne fut que par une
fuite prompte que je me dérobai à un
Civ
$6 MERCURE DE FRANCE.
femblable fort. Je connoiffois mon pere.
& fes idées chimériques d'honneur. Quelqu'innocente
que je fuffe il n'auroit pas
manqué de me punir comme coupable ,
& fuivant les inconféquens principes mon
malheur étoit un crime qui n'auroit pû fe
laver que dans mon fang.
La nuit étoit obfcure . Je m'étois facilement
fouftraite à la vue de mon pere.
Je le laiffai affouvir fa rage fur le cadavre
du malheureux Dupont & je m'enfonçai
dans un petit bois voifin. La crainte de
la mort avoit feule fixé mon imagination ,
elle m'avoit foutenue dans ma fuite.
Mais lorsque je me vis éloignée du danger
, mes idées changerent d'objet , je me
repréfentai Dupont expirant dans mes
bras ; je voiois fon fang couler à grands
flots autour de moi , je femblois fentir fa
bouche exhaler fur la mienne fon dernier
foupit. Je m'agitois avec horreur comme
pour repouffer fon cadavre dégoûtant . Je
fecouois mes habits avec frémiffement
comme pour ôter les taches de fang dont
ils étoient couverts . Je me laiffai tomber
de fatigue & d'épuifement . Un fommeil
agité qui vint fuccéder à cet état violent
répara quelque peu mes forces fans raffu
rer mon efprit.
OCTOBRE. 1771 .
57
Le lendemain matin je m'entretins
d'idées finon plus terribles au moins plus
défefpérantes . Je réfléchis à l'abandon
univerfel dans lequel je me trouvois ;
fans efpoir , fans reffources ; tout ne me
préfentoit qu'un vide accablant . Je me
reflouvins pourtant d'une vieille tante qui
demeuroit dans une petite ville voifine ;
je l'avois vue quelquefois chez mon pere;
je ne l'aimois point alors & j'évitois foigneufement
fa rencontre , parce qu'il me
falloit toujours efluier quelque morale
févère , quelque dure maxime contre cet
air libre & gai que je promenois par tout.
Dans mon défaftre , je réfolus d'avoir recours
à elle ; je n'étois pas cependant abfolument
réconciliée avec fa froide & auftere
figure ; mais mon malheur ne me
laifloit pas de choix .
Je me rendis auprès de ma tante , je
l'abordai avec toutes les marques de l'af-
Aiction la plus touchante ; je me jettai à
fes pieds ; mes larmes, mes fanglots érouffoient
ma voix , l'arrêtoient au paffage .
Ma tante ne parut point émue , fa phifionomie
ne changea point , fa gravité në
fut aucunement dérangée . Cette exceflive
´froideur me glaça d'effroi ; je la crus un
sûr pronoftic de ma perte ; point da tout.
C1
$ 8 MERCURE
DE FRANCE.
Madame d'Armancé étoit un de ces caractères
qui ne s'imaginent point. Deux
mots fuffiront pour la peindre ; elle n'avoit
ni vices ni vertus qui lui appartinffent.
Son tempéramment lui ayant peu
permis de connoître le pouvoir des paffions
, devenue prefque feptuagenaire
elle étoit d'une infenfibilité parfaite . Mettant
tout fon mérite dans quantité de pra
tiques extérieures de devotion qui ne faifoient
que charmer fon loifir ; elle ne
fçavoit ni s'intéreffer pour les malheureux
& les plaindre , ni s'indigner contre les
méchans & les hair. Elle écouta le récit
de mes malheurs avec tranquillité , & me
dit enfuite avec beaucoup de fang froid :
» voilà ce que c'eft ; je vous l'avois bien
» dit que vous étiez une écervelée dont
les étourderies auroient de mauvaifes
»fuites. Vous êtes pourtant caufe de la
» mort d'un homme , & peut-être qui
pis eft , de fa damnation éternelle . Vous
» n'avez jamais voulu fuivre mes fages
"
avis , & vous voyez ce qui vous en ar-
» rive. Je veux bien vous recevoir fi vous
» me promettez d'étre plus prudente &
plus réfléchie. Cette leçon a dû vous cor
riger. Puiffe le nouveau genre de vie
que vous allez embraffer , vous mériter
و ر
OCTOBRE. 1771. 59
» le pardon de vos fautes ! » Elle me quita
fur le champ pour m'apporter un gros livre
dans lequel elle me fit lire à voix
haute , lente & pofée pendant une grande
demie- heure . Cela fait nous nous mîmes
en oraifon , qui fut fuivie d'une méditation.
Ce fut dans le cours uniforme de ces
exercices que s'écoula notre journée , à la
referve du court intervalle des repas.
Dans les premiers temps je fupportai
affez patiemment une gêne fi peu conforme
à mon caractère. La trifte fçène dont
j'avois été témoin , fe préfentoit fans ceffe
à mon efprit , & m'avoit rendu un peu
mélancolique ; mais peu à - peu ces noires
images fe diffiperent , mon ame pour qui
la trifteffe eft un état violent , reprit infenfiblemet
fa fituation naturelle . Ce fur
alors que je fentis plus que jamais les
amertumes de la repugnauce. Madame
d'Armancé m'étoit devenue abfolument
infupportable ; je mourois d'ennui , je
mis toute mon attention à chercher des
moyens de me diftraire ; mais ces moyens,
n'étoient pas faciles . Madame d'Armancé
vivoit feule & retirée ; elle ne recevoir
de vifites que celles de quelques vieillards
ou de quelques femmes de fon âge & de
fon humeur ; elle avoit foin de me rete-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
nir toujours auprès d'elle , voulant , difoite
elle , que je profitaffe de leur pieufe converfation
, qui ordinairement rouloit fur
la conduite fcandaleufe de quelque femme
du monde que la fainte affemblée ne manquoit
jamais de damner charitablement .
Mes peines cependant ne furent pas continuelles
. Mde d'Armancé affez douce à
elle- même , fe levoit très - tard , de façon
que je pouvois difpofer à mon gré de la
matinée toute entiere . Il ne s'agiffoit plus
que de me gagner la confiance d'une vieille
domeftique je croyois cette entrepriſe
difficile , tant fa mine revêche m'avoit intimidée
, je m'apperçus bientôt que cet
obftacle étoit des plus legers ; avec quelqu'argent
j'endormis aifément ce vigilant
Argus , je ne lui trouvai plus que douceur
& que complaifance.
Je ne tardai pas à me produire dans le
voilinage. Ma gaieté furprit tout le monde
& me fit goûter dans plufieurs fociétés : je
meliai fur-tout d'une maniere fort intime
avec la jeune veuve d'un Confeiller ; fon
humeur vive & enjouée étoit très- fimpathique
avec la mienne . Je lui détaillai le
genre de vie de vie que je menois ; je lui confiai
mes peines , elle reçut cette ouverture de
coeur avec tranfport ; elle partageoit mes
OCTOBRE. 1771 . 61
chagrins , les exagéroit , & paroiffoit en
être plus vivement pénétrée que moimême.
Lucinde étoit une de ces femmes
qui ne refpirent que le plaifir ; il étoit
devenu effentiel à fon être ; fon unique
occupation étoit de varier fes fêtes . Înconftante
, capricieufe , elle fe permettoit
tout ce qui pouvoit l'amufer. Elle avoit
contracté une humeur enjouée , folâtre
pour échapper à l'ennui , le plus cruel de
tous tous les ennemis. Lucinde étoit née
fenfible ; mais une profpérité fans mêlange
avoit étouffé fa fenfibilité ; le mal- ,
heureux , au lieu de lui infpirer de la pitié
, ne lui infpiroit que de l'horreur ; cependant
comme il faut avoir une ame ,
elle avoit fçu s'en faire une d'emprun ;
le récit de la plus petite disgrace lui faifoir
jetter des exclamations de douleur ;
elle modèloit fa phifionomię fur la vôtre ,
elle pleuroit avec vous ; mais cela n'étoit
pas de durée ; elle fçavoit adroitemeut
changer la converſation , & fe débarraffez
d'une lamentation importune .
Je ne pouvois manquer de me laiffer
entraîner par des dehors aufli féduifans ;
mon attrait pour le plaifir n'étoit pas
moins vif que celui de Lucinde ; l'infortune
a fçu depuis le regler ; elle a rap6z
MERCURE DE FRANCE.
pellé dans mon ame les précieux fentimens
de l'humanité , elle m'a fait connoître
une espèce de bonheur hors de la
portée de nos heureux du fiécle , celui de
foulager le malheureux , & de mêler mes
larmes aux fiennes ... Je me livrai fans
réferve à ma nouvelle amie , je fuivis
aveuglément fes imprudens confeils , je
courus me plonger dans de nouveaux
malheurs.
Lucinde avoit écarté par fes caprices
toute eſpèce de bonne compagnie ; le peu
de choix qu'elle mettoit dans fes connoiffances
, avoir éloigné d'elle tous ceux qui
avoient quelque foin de leur réputation .
On ne voyoit dans les fociétés qu'elle
s'étoit formées , qu'un tas de jeunes étourdis
, dont plufieurs couvroient la fcélérateffe
de leur coeur par les agrémens de la
politeffe & les charmes d'un efprit brillant
& orné. Je ne pus être long - temps expofé
au danger fans fuccomber. Un de
ces agréables fous me fit tourner la tête :
l'élégant Dorval me plut ; je m'apperçus
qu'il m'avoit diftinguée , & je ne lui difputai
pas long - temps la conquête de mon
coeur. Ce monftre mit à profit mon ingénuité
& mon peu d'expérience ; il avoit
fçu lire jufqu'au plus profond de mon
OCTOBRE . 1771. 63
ame. Je crus qu'il m'aimoit , fans fçavoir
d'abord s'il étoit capable de connoître l'amour.
Que te dirai - je enfin ma chere
amie ? m'étendrai - je fur le plus cruel &
le plus humiliant de tous mes maux ?
Victime malheureufe de ma paffion , je
me vis bientôt trahie , méprifée par un
fcélérat que j'adorois , abandonnée de ma
meilleure amie , honteufement chaffée
de chez madame d'Armancé. Je me
trouvai plus que jamais dénuée d'efpoir
& de reffources ; mon pere & ma mere
étoient morts depuis long- temps , il ne
me refta plus que le défefpoir & la confufion
.
Je fentis tout le poids de mon malheur,
je m'en laiffai accabler en défefpérée :
j'errai fans fçavoir où je portois mes pas ,
je me tordois les mains , je me frappois
le vifage avec fureur : mes mouvemens
convullifs avoient attroupé autour de
moi une populace nombreuſe , je me retirai
dans la plus prochaine hôtellerie
pour me fouftraire aux regards avides de
ce peuple cruellement imbécille , qui
fembloient fe repaître de ma douleur. Je
demandai une chambre dans laquelle je
m'enfermai : là je me livrai toute entiere
à mes chagrins , je tombai dans une ef64
MERCURE DE FRANCE.
pèce d'anéantiffement ; mes foibles organes
étoient émouffés , je ne fentois plus
rien , je me fouvenois à peine de ce qui
venoit de m'arriver. Cette apathie fut
fuivie d'uue abondance de larmes qui me
furprit ; elles couloient comme d'une
fource & prefque malgré moi . Ces larmes
me foulagerent beaucoup , je me laiffai
infenfiblement aller au fommeil , il fut
long & profond ; enfin tel qu'il le falloit
pour réparer mes forces.
Lorfque je m'éveillai le lendemain , je
me crus transformée en une nouvelle perfonne
: mon ame fembloit s'élever audeffus
d'elle- même & braver la fortune :
je me levai avec affûrance , j'enviſageai
avec fang froid mon défaftre , j'en mefurai
toute l'étendue avec fermeté je rentrai
en moi - même ; mon courage & la
vertu vinrent à mon fecours , ' y trouvai
des reffources toujours prêtes , & une confolation
affûrée ; tous ces états me paturent
indifférens , pourvu que j'y puffe
conferver ces feuls biens , & je me fentois
déterminée à embraffer celui qui
s'offriroit le premier.
J'étois dans ces difpofitions ; lorfque
l'hôteffe monta dans ma chambre , elle
OCTOBRE . 1771 . 65
m'apporta un paquet de hardes avec une
fomme d'argent affez confidérable que
madame d'Armancé lui avoit fait remettre
pour moi en me réïterant de fa
part la défenfe de paroître devant elle .
Je regardai ce fecours comme s'il me fût
venu du ciel. » Tu ne ferviras point ,
» trop foible Sophie , m'écriai - je alors
» avec rranfport ; tu peux te paffer du fe-
» cours des hommes , tu peux vivre fans
» qu'ils te faffent acheter tes jours par les
» fervices les plus humilians. Ton fort ne
dépendra ni du caprice de l'orgueil , ni
» de la brutalité de l'opulence. » Mon
hôteffe cependant fe tuoit à me faire des
excufes de l'oubli où l'on m'avoit laiffé
la veille , & à m'affûrer que l'on auroit
déformais pour moi les foins & les égards
que méritoit une perfonne de ma forte.
33
Je ne reftai pas long- temps dans une
ville dont le fejour m'étoit devenu odieux ,
je vins avec ma petite fortune à Paris , où
je me fuis foutenue long- temps par un
travail que mes avances avoient rendu
affez lucratif : ce fut alors que je connus
M. D .... Quoique plus âgé que moi , je
ne laiffai pas de le trouver aimable ; je lui
plus de mon côté ; il s'offrit généreufe66
MERCURE DE FRANCE.
ment de partager avec moi fa fortune . Tu
fçais le refte , ma chere Julie ; je coule
des jours heureux avec un de ces hommes
faits pour le bonheur de leurs femblables ;
je ne me fouviens de mes maux paffés que
pour charmer les ennuis d'une profpérité
trop conftante. La voix du pauvre & de
l'infortuné pénétre aifément jufqu'à mon
coeur , & je ne le lepr ferme point avec
dureté ; je me rappelle que j'ai été comme
eux, malheureuſe & indigente : j'évite avec
un égal foin la trifte auftérité des d'Armancé
, & la folle évaporation des Lu
cinde . L'expérience m'a fait connoître les
hommes. Je fçai qu'il y en a qui font
dignes de cultiver l'amitié ; j'ai acheté par
mes malheurs l'avantage inappréciable de
les diftinguer ; pourrois- je le payer trop
cher , cet avantage ? O ma Julie ! ô ma
vraie , mon unique amie ! tu me l'as fait
connoître cette incomparable amitié , le
plus précieux préfent que la divinité ait
fait aux hommes ; tu m'en as découvert
tous les tréfors. Quel fond inépuifable de
richeffes quelle fource intariffable de
vraie félicité ! ... Je m'arrête ... le coeur
de ta Sophie ne peut plus fe contenir :
il te connoît auffi modefte que vertueuse ,
& il craint de choquer ta délicatefle ...
OCTOBRE. 1771. 67
Adieu , ma chere Julie ; l'intimité de notre
union fait notre plus bel éloge.
Par Mlle Raigner de Malfontaine.
LE PLATAN E. Conte oriental.
PRIVÉ de cet éclat que produit la faveur ,
Victime des traits de l'envie ,
Le fage Zuliman traînoit avec douleur
Les restes de fa trifte vie.
Emplois , honneurs brillans , biens , fortune ,
fplendeur ,
Tout a paffé comme un nuage !
Il les regrette envain; de fon ancien bonheur
Il ne trouve plus que l'image.
Pour combler fes ennuis ; il ferme de fa main
Les yeux d'une épouſe chérie :
Lui-même il voit tomber cette fleur du matin
Que l'infortune avoit flétrie .
Il lui refte un feul fils , le plus cher de les biens ;
Il eut pû foulager les peines ,
68 MERCURE DE FRANCE .
Aux foupirs de fon pere , il eut mêlé les fiens ;
Ce fils , ce fils eft dans les chaînes .
Zuliman chaque jour , du tribut de ſes pleurs ,
Arrofe les pieds d'un platane ;
Chaque jour, à cet arbre il conte les malheurs
Où l'injuftice le condamne .
Il lui dit les regrets , fon fort infortuné ,
Il lui vante fon innocence.
Un courtisan le voit , & d'un air étonné
Ecoute , regarde & s'avance.
Quoi ! dit- il , ce platane entend - il tes chagrins ?
Zuliman , ta douleur te trompe :
Le fage répondit : moins durs que les humains ,
Je ne crains pas qu'il m'interrompe.
DANS
·Par M. Panneau , fils , d'Auxerre.
THE MIRE . Ídylle.
ANS les plaines des cieux , l'altre brillant des
jours
Avoit prefque fourni la moitié de fon cours.
OCTOBRE. 1771 . 69
Ses feux immodérés , fur nos brûlantes rives ,
Commençoient à lancer leurs ardeurs les plus vives
;
Thémire avoit , auprès des ondes d'un ruiſſeau ,
Sous des chênes touffus raſſemblé fon troupeau.
Là , fous l'afyle obfcur de leur ombre chérie ,
Son amant occupoit la tendre revêrie.
Dès les plus jeunes ans , fière de les attraits ,
Thémire , de l'amour avoit brayé les traits .
Mirtile avoit enfin touché cette bergere.
Ce volage pafteur ne s'attachoit qu'à plaire.
Il étoit du hameau le plus charmant berger ;
Mais auffi des amans c'étoit le plus léger.
Şon inconftante humeur défefpétoit Thémire.
Mais fur fon coeur Mirtile avoit un tel empire ,
Que perfide ou fincere , infidèle ou conftant,
Thémire ne pouvoit le haïr un inftant.
Un jeune papillon vint d'une aîle légere ,
Tout-à-coup voltiger au tour de la bergere.
Il étoit nuancé des plus vives couleurs .
Son éclat eut terni les plus belles des fleurs .
Mille yeux étincélans ,de leurs flammes nouvelles,
Décoroient le duvet de ſes tremblantes aîles .
Eprife des beautés de cet infecte errant ,
Thémire le pourfuit , le fatigue & le prend.
«Te voilà donc captif, foudain s'écria - t elle ,
» De mon volage amant , toi , le parfait modèle ,
70 MERCURE DE FRANCE.
Viens , je veux aujourd'hui démêler fur ces
» bords ,
»Combien le fort a mis entre vous de rapports.
»Tous deux libres de foins , exempts d'inquié-
>> tude ,
» Du choix de vos plaiſirs vous faites votre étude :
>> La nature a fur toi fignalé fes travaux.
»Mon amant à ſes mains doit les dons les plus
» beaux.
> En perfides retours ton inſtinct eft fertile,
» Cent infidélités ont illuftré mirtile.
»Tu fçais par tes appas affervir chaque coeur.
>>Chaque bergere en lui retrouve fon vainqueur :
» Point de fleurs dont l'éclat ait paré nos rivages ,
»Qui n'ait reçu de toi quelques tributs d'homma
» ges.
» Point de jeunes beautés que Mirtile à ſon tour
» N'ait vainement flatté des feux de fon amour.
30
Incapable d'aimer , tu ne vis que pour plaire.
»Voler fans te fixer , voilà ton caractere.
בכ
Plus infenfible encor que tu ne fus jamais ,
» Mirtile de l'amour foule aux pieds tous les
>> traits.
»De conquête en conquête il paffe fes journées ,
»Etre aimé fans aimer , voià les deſtinées...
Inconftant papillon ton fort eft dans ma main .
» Tuvoudrois vainement t'échapper de mon fein
Je faurai te priver de ce duvet perfide ,
OCTOBRE . 1771 . 71
Qui , de la roſe au thin , te promene & te
>> guide.
30Ainfi pour s'affurer d'an amant impofteur ,
30
Que ne peut- on couper les aîles de fon coeur?
» Pourquoi d'un fol amour fans efpoir éperdue...
Mirtile , à ces accens , frappa foudain ſa vue,
Il s'étoit derriere elle adroitement rendu ,
Et de tous fes difcours il n'avoit rien perdu.
Je mérite , dit- il , ce jufte paralelle.
»Mirtile jufqu'ici nefut qu'un infidèle.
» Sl d'en être chérie eft pour vous un bonheur ,
Goutez-le , & pour jamais triomphez de mon
>coeur.
» C'en est fait : je reviens de men erreur profonde ,
Je retrouve dans vous tous les objets du mon-
>> de. >>
Par M. Gafpard de Pagès.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure du mois d'Octobre ,
premier volume , et Violon ; celui de la
feconde eft Pêche ; celui de la troisième
eft Sou ( piéce de monnoie. ) Le mot du
premier logogryphe eft Placet , dont en
retranchant le P , il refte lacet , & où l'on
trouve lac , placet ; celui du fecond eft
72 MERCURE DE FRANCE.
Epine , dans lequel on trouve épi , nipe ,
peine ; celui du troifiéme eft Livre , ôtant
L , refte ivre ; celui du quatrième eft Cou
vent.
JE
ÉNIGME
Jx fuis pour avoir ceflé d'être :
Par le préfent je fuis dans le paflé ,
Par le futur qui me fera renaître ,
Dans le préfent on me verra placé.
Par M. Defmarais de Chambon .
AUTRE.
Mon fort eft bien bizare . Il le faut avouer ON
On ne veut me fouffrir en place !
Celui qui ne m'a pas veut cependant m'avoir ,
Et dès qu'il m'apperçoit , auffi- tôt il m'efface.
Les héros paroîtroient moins bien ornés fans moi,
Etant à l'air-guerrier, annexe.
Mais quoiqu'aux ennemis j'aide à caufer l'effroi ,
Je ne fais pas peur au beau fexe.
Par M, D. LP A. F.
AUTRE.
OCTOBRE. 1771. 73
AUTR E.
TRÔNE des amours &des ris¸
Aimable bergere , à tes lys
J'ai fouvent ajouté des roles.
Des fleurs nouvellement éclofes
Je releve le coloris .
Mais , Dieux ! quelles métamorphoſes !
Je fuis au milieu des feftins .
J'y répands l'aifance & la joie ;
Gaîté libre , couplers badins .
Sur les fronts l'amour ſe déploie ;
Il anime tous les propos ;
Déjà la bergere volage ,
Livrée à mes charmes nouveaux ,
Regrette mon ancien uſage.
Par le même.
Vo
A U TRE.
ous que l'Amour amene aux pieds des belles ,'
Et qui ne foupirez près d'elles
Qué pour mieux aflurer vos coupables projets ,
Convenez que mon fort eft bien digne d'envie ;
II. Vol, D
74 MERCURE DE FRANCE.
Je baife tous les jours le beau fein de Sylvie ,
Et parcours fes charmes fecrets .
Mais admirez fa bifarre conduite ,
Ou le caprice du deſtin ;
Souvent le foir elle me quitte
Pour me reprendre le matin.
7
Par M. Lubert
LOGOGRYPH E.
LECTEUR , j'ai pu te faire envie ,
Car mon fort doit êrre charmant ;
Ce que j'unis , c'eft pour la vie ;
Heureux qui s'en trouve content !
Sept lettres me donnent maiſlance ,
Dont quatre ont formé tes ayeux ,
Avec le refte.. jeune ou vieux ,
Tupeux nombrer ton exiſtence.
Par M. Martin de Savigny.
OCTOBRE . 1771 75
E
AUTRE.
SEPT lettres par leur affemblage ;
Lecteur , forment mon nom ; vous pouvez y
trouver
Un métal aux humains fort cher ,
Et qui le mêle aux caux du Pactole & du Tage ;
Un foldat bon piéton & brave cavalier ;
La région de l'hiver meurtrier;
Un arbrifleau d'odeur très - agréable ,
Dont les anciens faifoient un parfum excellent ;
Puis , une forte de ferpent
Qui fut jadis à Cadmus redoutable ;
Un farceur dont le nom ne doit pas s'oublier ,
Célèbre aux boulevarts , & célèbre à la Foire
Remettez chaque lettre en fon ordre premier ,
Vos yeux reconnoîtront une matiere noire
Forte en odeur , vifqueufe , & qui ſouvent
Sert à fortifier la nacelle
Contre la tempête & le vent ;
Et par furcroît enfin vous apprendrez comment
L'auteur de ces vers- ci s'appele.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'Obfervateur François à Londres , No. 24
& dernier de la feconde année . A Paris
, chez Lacombe , libraire , rue Chriſtine
, & Didot , libraire & imprimeur,
rue Pavée,
L'OBSERVATEUR rapporte dans ce cahier
, d'après le London- chronicle , quelques
traits concernant le docteur Mifaubin
, médecin de Londres. Ce docteur
étoit un de ces originaux que la comédie
a droit d'expofer à la rifée publique. Il
avoit le fecret d'un remède qui , tout efficace
qu'il étoit , contribua cependant
moins à fa réputation que la fingularité
de fes manières & de fon caractère . Le
Duc de Montague , qui s'en amuſoit beaucoup
, parla de lui au feu Roi d'Angleterre
comme d'un original fort divertiffant
, lui donna un très- grand defir de le
connoître , & le Duc fut chargé de l'amener
à la Cour. Le médecin , fort vain &
fort argueilleux , ne demanda pas mieux ,
que d'y être préfenté. Au jour indiqué ,
le Duc lui dit de venir le trouver au paOCTOBRE.
1771 . 77
lais Saint- James , & lui promit de l'introduire
dans le cabinet de Sa Majesté . Mifaubin
, exact au rendez- vous , y vint vêtu
d'un habit de velours noir , tout neuf, &
le Duc avoit pris une énorme perruque ,
fur laquelle il avoit fait jeter au moins
une livre de poudre . Dès qu'il vit fon
protégé , il courut l'embraffer avec tant
de vivacité qu'il rendit l'habit du docteur
peu différent de celui d'un meunier. Le
Roi qui parut dans le moment , ne lui
donna pas le tems de fe nettoyer & fe divertit
beaucoup de l'embarras & de la
mine de ce nouveau courtisan. On raconte
que , tout fier d'aller , quand il vouloit
, au palais du Roi , il fe croyoit un
homme fi important , que perfonne , fuivant
lui , ne pouvoit ignorer ni fon nom
ni fa demeure. Un jour qu'un pauvre malade
, le rencontrant à Windfor , lui demanda
comment il falloit faire pour aller
le confulter : je m'appele Mifaubin , répondit-
il , mon nom doit fuffire ; je ne
fuis inconnu dans aucun lieu du monde .
Ce fut pour le punir de fa fatuité que le
Duc de Montague , un jour qu'il dînoit
chez lui , fit peindre fur le carroffe du
médecin un écuffon , dans lequel Miſaubin
étoit rendu au naturel donnant un
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
clyſtère à un malade ; & fans ſe douter du
tour qu'on lui avoit joué , il ne pouvoit
comprendre pourquoi tous les paffans
s'attroupoient pour le confidérer & lui
rire en face. A fa mort il légua à fa femme
26000 livres fterlins ; mais lors de
l'inventaire , il fe trouva que c'étoit deux
mille pilules , qu'il eftimoit chacune une
livre fterling & dont il fallut qu'elle fe
contentât , puifque l'on ne trouva pas chez
lui un denier d'argent comptant .
Il y a cet autre trait d'un médecin de
Londres. Une Dame étoit venue le confulter
fur une indifpofition de fa fille qui
lui caufoit beaucoup d'inquiétude . Qu'at
-elle , lui dit- il ? Hélas ! Monfieur, je
ne faurois vous l'expliquer bien nettement
; mais elle a perdu fa bonne humeur
, fa beauté & fon appetit ; d'ailleurs
fes forces diminuent fenfiblement , & au
point de nous faire craindre pour fes
jours. Pourquoi ne la mariez vous pas ?
-Nous le voudrions bien ; mais elle a
refufé les partis les plus avantageux.-
Cela me femble affez extraordinaire ! mais
ne foupçonnez - vous pas que votre fille
puiffe avoir quelque inclination fecrette ?
-Oh ! Monfieur , vous êtes au fait , &
c'eſt précisément ce qui nous met au déOCTOBRE
. 1771 : 72
fefpoir ; elle aime un jeune gentilhomme
que fon père ni moi nous ne voulons
pour gendre. Eh bien ! Madame , lui
dit gravement le médecin , après avoir
feint de confulter fes auteurs , voici à
quoi l'affaire fe réduit : votre fille veut
époufer un tel , & vous voulez qu'elle en
épouſe un autre .... J'ai beau feuilleter
tous mes livres , je n'y trouve point de
remède contre cette efpèce de maladie.
Dans ce même cahier , l'Obfervateur ,
après avoir parlé de différens objets de
fçiences , d'arts & de littérature angloife,
nous entretient fur la guerre que fe font
les Ruffes & les Turcs ; il fait voir que
cette guerre intéreffe toutes les Puiffances
de l'Europe , & il expofe les motifs que
chacune d'elles a de ne pas fouffrir la ruine
des Turcs. Ce morceau de politique a
droit d'occuper les lecteurs inftruits , &
tous ceux qui veulent fuivre avec plus
d'intérêt dans les différentes gazettes les
événemens de cette querelle qui met aux
prifes deux grands empires & enfanglante
la Pologne.
L'auteur promet de communiquer également
fes obſervations & fes réflexions
fur toutes les autres parties de l'Europe
qui ont quelque rélation avec l'Angleter
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
re , dont il continuera toujours de nous
entretenir, L'article des arts utiles de ce
royaume fera traité par la fuite avec beaucoup
plus d'étendue & de foin . L'auteur
s'eft pour cet effet procuré nombre de
plans , de deffins & d'inftrumens utiles
dont il fe propofe d'enrichir ſon ouvrage;
& pour lui donner plus de variété , chaque
numéro fere compofé de façon qu'il
renfermera des obfervations politiques ,
littéraires , morales & philofophiques.
Les premier numéros de la troisième
année fe diftribuent actuellement. Plufieurs
des Soufcripteurs ayant defiré que
la foufcription commençât au mois de
Janvier , comme celle de tous les Journaux
, on a pris le parti , pour fe conformer
à leur defir , de ne compofer cette
troiſième année de l'Obfervateur , que de
quatre volumes , au lieu de huit qui font
l'année entiere. Ces quatre volumes de
douze numéros feront diftribués d'ici au
premier Janvier prochain que commencera
la quatrième année , qui fera de huit
volumes , comme par le paffé ; la diftribution
de chaque numéro fe fera tous les
dix jours , & le prix de la foufcription
pour cette demi - année fera de IS livres
pour Paris , & de 18 liv. pour la proving
OCTOBRE. 1771 . 8i
ce , où chaque numéro fera envoyé , franc
de port , aux foufcripteurs .
On foufcrira à l'avenir pour l'Obfervateur
chez Gueffier , libraire , rue de la
Harpe.
On trouvera chez ce libraire & imprimeur
, des fuites complettes des huit volumes
de la première & de la feconde
année de l'Obfervateur. Ces deux
premières
années font d'autant plus intéreffantes
qu'elles font parfaitement connoître
la conftitution du gouvernement Britannique
& les colonies des Anglois.
Traité de l'éducation économique des Abeilles
, où fe trouve auffi leur hiftoire naturelle
; avec figures ; par M. Ducarne
de Blangy ; 2 parties in - 12 . Prix , 3 liv.
broché , & 3 liv . 12 f. relié. A Paris ,
chez P. Fr. Gueffier , au bas de la rue de
la Harpe.
On pourroit former une bibliothèque
de tous les écrits qui ont été publiés fur
cet infecte laborieux qui nous fournit le
miel & la cire. L'auteur de ce nouveau
traité a eu connoiffance de la plupart de
ces écrits , & il en a profité pour rendre le
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
fien plus curieux , plus utile & plus com
plet. Cet ouvrage eft divifé en forme
d'entretiens. Cette méthode d'inftruire
peut avoir les avantages ; mais elle a auffi
fes inconvéniens , comme on peut le voir
dans cet ouvrage où il faut quelquefois
effuyer les balourdifes d'un payfan qui ne
font rien moins que plaifantes.
M. de Blangy s'eft principalement attaché
dans fes entretiens à la partie économique
; & c'eft cette partie , qu'il a
traité avec foin & d'après fes propres obfervations
, qui fera principalement rechercher
fon ouvrage & le diftinguera de
ceux qui l'ont précédé.
Dictionnaire portatif de médecine , d'anatomie
, de chirurgie , de pharmacie , de
chymie , d'hiftoire naturelle , de botanique
& de phyfique , qui contient les termes
de chaque art , leur étymologie ,
leur définition & leur explication , tirés
des meilleurs auteurs ; avec un vocabulaire
grec & latin , à l'ufage de
ceux qui lifent les auteurs anciens ;
ouvrage utile à ceux qui pratiquent ces
arts , & néceffaire aux étudians ; feconde
édition corrigée & augmentée par
OCTOBRE . 1771 . ;
Jean-Fr. Lavoisien , ancien chirurgien
des hôpitaux des armées du Roi & maître
en chirurgie à Eu ; 2 vol . in- 8 ° . petit
format. A Paris , chez Didot le jeune ,
libraire , quai des Auguftins.
On ne poffédera jamais parfaitement
la langue d'une fcience , fi on n'eft inftruit
non-feulement des définitions & des explications
de fes termes , mais encore de
leurs étymologies . Lorfque l'on connoît
l'origine d'un mot , on eft moins indéterminé
fur fa vraie fignification ; cette connoiffance
d'ailleurs facilite les recherches
& donne plus de préciſion aux idées. L'accueil
que le Public a fait à la premiere
édition de ce traité en prouve d'ailleurs
affez l'utilité. Celle- ci fera encore plus
recherchée par les foins qu'a pris l'auteur
de l'augmenter de plus de cinq cens articles
nouveaux & de rectifier plus de fix
cens articles anciens. C'eft par ce travail
qu'il a cru devoir témoigner au Public fa
reconnoiffance .
Hiftoire du royaume de France , depuis
l'établissement de la Monarchie jufqu'au
regne de Louis XV , contenant les
moeurs , ufages & coutumes des Fran-
D vj
84
MERCURE
DE
FRANCE
.
çois , les fujets & les fuites des guerres,
l'influence des paffions de chaque Monarque
fur celles de fon peuple , confidérée
ſous un nouveau point de vue ,
& plus propre à fixer dans la mémoire
les faits , les événemens & les révolutions
; ouvrage fpécialement deſtiné à
l'inftruction des jeunes gens de qualité;
2 vol. in- 8°. grand format , reliés en
veau , 10 liv . A Paris , chez J. P. Coftard
, rue St Jean- de- Beauvais .
Dans cette hiftoire , principalement
deſtinée à l'éducation de la jeuneffe , on a
fuivi la forme du dialogue , mais les demandes
font très courtes ; elles fervent
principalement à couper la narration , à
la diftribuer par leçons & à faciliter à
-
l'élève les recherches.
Manuel du jeune Chirurgien , contenant
toutes les vérités anatomiques , phyfiologiques
& pratiques dont la connoiffance
conftitue le véritable chirurgien ,
& un Précis de pharmacie chirurgicale
avec quelques formules des plus communes
de remèdes internes , & les dofes
des médicamens fimples & compofés
; nouvelle édition augmentée d'une
OCTOBRE. 1771 . &S
Pharmacopée chirurgicale théorique &
pratique , avec des notes & des éclairciffemens
fur chaque compofition ; une
introduction dans laquelle on examine
les indications curatives particulières
qui demandent l'ufage des médicamens
, & où l'on fait connoître la nature
& l'efficacité des différens fimples
dont on fe fert ; 2 vol . in- 8°. petit format
, chez le même libraire.
Le difpenfataire portatif dont la nou
velle édition de ce manuel eft augmentée
eft traduit de l'anglois . Le traducteur y a
fait quelques additions . C'eft encore pour
rendre la nouvelle édition de ce manuel
d'une utilité plus générale que l'on a placé
à la fin du fecond volume la traduction
de la differtation fur les eaux minérales
de M. le Roi , profeffeur de Montpellier;
un expofé des principales fources des
eaux minérales de France ; & un effai fur
les cautères , les fonticules & les ventoufes
, remèdes qui ont beaucoup perdu de
leur ancienne célébrité & que cependant
un médecin habile & prudent peut employer
avec fuccès .
86 MERCURE DE FRANCE .
Le Spectateur François pour fervir de
fuite à celui de M. Marivaux . A Paris,
chez la V. Duchefne , rue St Jacques ,
au Temple du Goût ; & Lacombe , rue
Chriſtine.
Cet ouvrage , commencé par M. de
Marivaux , eft continué aujourd'hui par
une fociété de gens de lettres . Les deux
premiers volumes qui viennent de paroî
tre prouvent que les auteurs ne font point
au- deffous de leur entreprife , & qu'ils
peuvent donner à leurs obfervations ce
ton de vérité & d'agrément qui fait le
charme du Spectateur Anglois.
On foufcrit , pour le Spectateur François
, à Paris , chez Lacombe , au bureau
du Mercure ; il délivrera les deux premiers
volumes avec la foufcription qui
eft de 9 liv. pour Paris & de 121. pour
province.
la
Les Abonnés recevront 15 cahiers par
an francs de port.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, précédés d'un tableau du
progrès des arts & des fciences fous ce
regne , ainfi que d'une defcription des
honneurs & des monumens de gloire ac
OCTOBRE . 1771. 87
cordés aux grands hommes , tant chez
les Anciens que chez les Modernes ; &
fuivis d'un choix des principaux projets
qui ont été propofés pour placer la Statue
du Roi dans les différens quartiers
de Paris. Par M. Patte , architecte de
S. A. S. Mgr le Duc des Deux- Ponts ;
ouvrage en un volume in folio , grand
papier , enrichi de foixante & une planches
en taille- douce : Præfenti tibi maturos
largimur honores. HoR . lib. 11 ,
Prix vingt-quatre livres broché A Paris,
chez Lacombe , libraire , rue Chriftine.
Par les monumens érigés à la gloire de
Louis XV , on entend , non- feulement
les Statues élevées au Roi , tant à Paris que
dans les provinces , mais encore tout ce
qui peut ajouter quelque éclat à la fplendeur
de fon regne. Sous ce double point.
de vue , quel ouvrage peut intéreffer plus
vivement la Nation ? Ce font les merveilles
d'un regne floriflant dont on lit
l'hiftoire ; c'est le tableau de tous les talens
: celui de notre véritable gloire peint
fidèlement & mis dans tout fon jour.
Cet ouvrage eft en deux parties. A la
tête de la première eft une expofition des
accroiffemens que les fciences , la littéra88
MERCURE DE FRANCE.
ture & les arts ont acquis fous le préfent
regne . Leur progrès forme la bafe de tous
les monumens que la reconnoiffance des
peuples a décerné à leur bienfaiteur , &
ce font autant de rayons réfléchis fur le
Souverain .
Cette expofition, précédée d'un portrait
du Roi reffemblant & très- bien gravé , eft
compofée de quatre chapitres. Il s'agit
dans le premier des beaux arts , ou des
progrès de l'architecture civile & navale,
de la peinture , de la fculpture , de la gravure
, de la mufique & de la danfe . On y
a joint les détails des divers établiſſemens
que la France a formés fous ce regne , des
chefs -d'oeuvres produits par nos plus célèbres
artiſtes , des récompenfes accordées
pour encourager les talens , & des nouveaux
établiſſemens qui tendent au même
but.
Dans le fecond chapitre , on voit les
accroiffemens des principaux arts nommés
mécaniques , tels que l'agriculture ,
l'horlogerie , l'orfévrerie , &c. les progrès
de nos manufactures & les nouvelles inventions
qui ont de la célébrité y font décrits
dans un grand détail.
Le 3. chapitre roule fur les fciences :
on y a compris toutes les découvertes faites
dans la géométrie , l'aftronomie , la
OCTOBRE. 1771. 89
géographie , l'hiftoire naturelle , la phyfique
, la médecine , la chymie , la botanique
& la chirurgie . On y indique auffi
les ouvrages les plus généralement eftimés
qui ont paru fur chaque matière , &
les diftinctions honorables que nos fçavans
ont reçus des étrangers mêmes.
Le 4. chapitre eft rempli des progrès
de la littérature . On y fait connoître les
meilleures productio.'s , foit en pocfie.
foit en profe , qui ont paru depuis 40 ans :
parmi ces productions , la connoiffance
de l'antiquité , la fcience des médailles ,
l'hiftoire , &c. tiennent un rang diftingué.
Suivent en forme d'introduction à l'hif
toire des monumens élevés au Roi , de
curieufes recherches fur les honneurs rendus
aux grands hommes , tant chez les
Anciens que chez les Modernes , avec une
defcription des trophées érigés pour eux
dans tous les tems . On peut confidérer
ce morceau comme un Panthéon hiftorique
où l'on trouve tous les héros qui ont
honoré l'humanité , avec les tributs de
reconnoiffance qu'ils ont obtenus du genre
humain.
Après vient le corps d'hiftoire , c'est - àdire
la defcription des monumens érigés
à la gloire du Roi à Paris , à Bordeaux ,
90 MERCURE DE FRANCE.
à Valenciennes , à Rennes , à Nancy , à
Reims & à Rouen , accompagnée de tous
les détails qui peuvent intéreffer l'artiſte,
l'homme de lettres & le citoyen . Chacun
de ces monumens occupe un chapitre , &
tous font compofés d'après des mémoires
envoyés par les Intendans des provinces
où font élevées les Statues. Chaque chapitre
a pour frontifpice une Statue du Roi
gravée par Lemire avec la plus grande
précifion ; & on y trouve joint des planches
en taille-douce repréfentant les différentes
vues des places où font érigées
les Statues.
A la defcription des Statues fuccédent
l'hiftoire des médailles frappées fous ce
regne , monumens d'un autre genre non
moins durables , où font confignées les
époques des principaux événemens de nos
jours.
La feconde partie de l'ouvrage eft compofée
des plus curieux projets qui ont été
préfentés pour placer la Statue du Roi
dans différens quartiers de Paris. Il importoit
à la gloire des arts & de l'architecture
françoife , que les grandes & belles
idées que l'émulation a fait naître dans
le fameux concours de nos artiſtes , ne
fuffent pas ignorées ou perdues pour le Public.
On voit donc ici d'abord un plan
OCTOBRE. 1771. 91
de la ville où font tracés en petit tous ces
projets différens , afin que l'on puifſe juger
de leur étendue refpective & des embelliffemens
particuliers que chacun auroit
procurés à cette Capitale. La defcription
de ces places , dont les plans & les
élévations font exactement développés ,
rempliffent dix -fept chapitres .
Cette partie eft terminée par
diverfes
obfervations fur les embelliffemens dont

Paris eft fufceptible , ainfi que fur plufieurs
moyens d'affez facile exécution ,
qui pourroient rendre avec le tems cette
grande ville & toute autre capitale auffi
commode qu'agréable , & lui procurer
tous les avantages qui lui manquent.
Mémoiresfur les objets les plus importans
de l'Architecture ; par M. Patte , architecte
de S. A. S. Mgr le Duc regnant
des Deux- Ponts , vol . in- 4°. grand papier
, enrichi de nombre de planches
gravées en taille- douce. Prix , 12 liv.
br. A Paris , chez Lacombe , libraire ,
rue Chriftine .
Malgré le grand nombre d'ouvrages
qui ont paru fur l'architecture , on peut
dire que l'on n'a encore publié que des
fyftêmes , des opinions particulières &
92 MERCURE DE FRANCE.
des routines ; fi on la confidére dans le
grand , on s'apperçoit que prefque tout y
eft à raifonner, & qu'on a vu fans ceffe les
objets en maçon ou en deffinateur , tandis
qu'il eût fallu fouvent les envifager en
philofophe. La partie la plus utile de cet
art , c'eſt-à - dire , la conſtruction n'a pas
été mieux traitée ; nous n'avons eu jufqu'ici
aucun ouvrage approfondi fur cette
matière , où l'on fe foit attaché à tranſmettre
les découvertes qui y ont été faites
fucceffivement , où l'on enfeigne comment
on eft parvenu à applanir les difficultés
, à fimplifier & à économifer dans
les occafions importantes ; en un mot où
- l'on fe foit appliqué à établir des principes
capables d'éclairer les pratiques des
conftructeurs , & de les mettre en état de
ne plus opérer au hafard . Tels font les
objets intéreffans que M. Patte embraſſe
dans ce livre qui eſt diviſé en plufieurs
chapitres très-étendus.
.
Dans le premier chapitre , il eft queftion
de la diftribution vicieufe des villes
& des moyens de rectifier les inconvé
niens auxquels elles font fujettes . « En
» examinant une grande ville , ce qui
frappe d'abord , c'eft de voir couler de
» toutes parts les immondices à découvert
22 dans les ruiffeaux , avant de fe rendre dans

OCTOBRE 1771. 931
les égouts , & exhaler dans leurs paffa-
» ges toutes fortes d'odeurs malfaifantes :
» enfuite c'eſt le fang des boucheries ruif-
» felant au milieu des rues , & offrant à
""
"
chaque pas des fpectacles horribles &
» révoltans. Ici c'eft tout un quartier em-
» pefté par les vidanges des latrines ; là
c'eft une quantité de tomberaux crot-
» tés qui s'emparent journellement des
» rues pour enlever les ordures , lefquels,
indépendamment de leurs rues falles &
dégoûtantes , occafionnent toutes fortes
» d'embaras : plus loin vous obferverez
» au centre des lieux les plus fréquentés
» les hôpitaux & les cimétieres perpétuant
» les épidémies , & exhalanr dans les
» maifons le germe des maladies & de la
» mort : ailleurs vous remarquerez que
» les rivieres qui traverfent les villes , &
» dont les eaux fervent de boiffon aux
» habitans , font continuellement le re-
» ceptacle de tous les cloaques & de tou-
» tes les immondices : tantôt à caufe du.
» peu de largeur des rues ou de leur dif
pofition vicieufe , ce feront des citoyens
expofés à être foulés aux pieds des che-
» vaux , ou àêtre écrafés par des voitures
qui attireront votre attention : enfin ,
lorſqu'il pleut , vous appercevrez tout
"
39
"
94
MERCURE
DE FRANCE.
» un peuple inondé d'une eau fale & mal
» propre provenant de la lavure des toits
» qui , par leur difpofition , centuplent
» l'eau du Ciel , ou bien couvert d'un déluge
de boue par le piétinement des
» chevaux ou le roulement des voitures
» dans les ruiffeaux : en un mot , les vil-
» les vous préfenteront de toutes parts
» le féjour de la malpropreté , de l'infec
» tion & du mal - être.
"
» Si , de ces objets particuliers , on étend
» fes regards plus loin , on verra des fléaux
» encore plus grands : des villes en proie
» aux flammes qui dévorent en un inftant
"
tout un quartier , & minent fans efpoir
» les fortunes des citoyens : des fleuves
» furmontant quelquefois leurs bords ,
» inonder les cités , entrer dans les maifons
, les dégrader , les entraîner dans
» leur cours , ou bien fubmerger dans les
» campagnes l'efpérance des moiſſons :
» des tremblemens de terre renverser les
» villes les mieux bâties jufques dans
» leurs fondemens , & enfevelir par leur
» chûte une partie de leurs habitans , & c.
» & c. » Notre auteur difcute féparément
avec beaucoup de fagacité ces matieres fi
intéreffantes pour le genre humain : il
met en paralelle les divers procédés exéOCTOBRE.
1771 : 95
cutés avec plus ou moins de fuccès dans
différentes villes ; il place fans ceffe des
remedes fimples à côté des inconvéniens,
& parvient à faire voir , par l'application
des principes qu'il a établi , que quelques
défectueules que foient la plupart de nos
capitales par leurs conftitutions phyfiques,
elles peuvent , à bien des égards , être
rectifiées fuivant fes vues.
Le chapitre II offre une differtation fur
les proportions des ordres d'architecture,
où l'on fait voir jufqu'à quel point il eft
poffible de les déterminer , matiere de la
plus grande importance & fur laquelle on
raifonne depuis la renaiffance des arts
fans avoir pû juſqu'ici s'accorder. M. P.
prouve que pour rappeler l'architecture à
fa pureté antique , il faudroit n'y admettre
que les trois ordres grecs ; que ce font
les deux ordres latins qu'on y a ajouté qui
ont été cauſe de toutes les licences qui s'y
font introduites ; qu'en confidérant chacun
des trois ordres grecs fous deux dénominations
, l'une fimple & l'autre plus
riche , on auroit tout ce qui eft néceffaire
pour varier les productions de cet art , &
qu'enfin en adaptant à chacun de ces ordres
avec difcernement , les profils généralement
reconnus pour produire un bon
96 MERCURE DE FRANCE .
effet dans les édifices anciens & moder
nes , alors les proportions ceffcroient
d'être livrées à la bifarerie des opinions ,
& deviendroient un affemblage exquis de
ce qui a obtenu féparément le fuffrage
univerfel.
Le chapitre III a pour titre , Inftructions
pour unjeune Architectefur la conftruction
des bâtimens. On y examine la conftitution
phyfique des matieres premieres qui
fervent à l'exécution des édifices ; le choix
qu'on en doit faire , leur durée & leur emploi.
On prend un jeune deffinateur com .
me par la main , pour l'inftruire des abus
qui fe fontintroduits dans la conſtruction
des bâtimens , des tromperies des ouvriers
, de la coupe des pierres , des attentions
qu'il faut apporter dans les toifés
, dans la vérification des mémoires ,
&c.
Le chapitre IV traite particuliérement
de la maniere de fonder les édifices , &
des précautions qu'il faut prendre pour
affurer leur durée. On y développe les
principes de ftatique , d'où dérivent les
procédés ufités pour fonder les bâtimens,
& pour appuyer ces principes, on rapporte
divers exemples de monumens tant anciens
que modernes , parmi leſquels on
remarque
OCTOBRE. 1771. 97
remarque entr'autres les détails de toutes
les fondations de la nouvelle Eglife de
Ste Geneviève , avec tous fes plans , coupes
& élévations . Enfin , de ces paralelles,
l'auteur déduit une théorie lumineuſe , à
l'aide de laquelle on peut efpérer d'affurer
folidement les fondations des bâtimens
fuivant les diverfes circonstances.
Le V. chapitre a pour objet la conftruction
des Quais : on y voit fur- tout le
développement de l'appareil du quai Pelletier
à Paris , dont le trottoir eft porté
en encorbellement fur la riviere avec un
art admirable , & dont l'exécution a fait
tant d'honneur à l'architecte Bullet le fiécle
dernier...
Dans le VI . chapitre , on fait paffer en
revue toutes les conftructions qui s'opèrent
dans l'eau, & quels font les divers procédés
qui ont été employés dans les plus .
grands travaux en ce genre ancien &
moderne : M. Patte entre , fur - tout dans
un fort grand détail fur la nouvelle méthode
de bâtir fans bâtardeaux ni épuiſemens
, employée avec le plus grand fuccès
en dernier lieu au pont de Saumur.fur
la Loire ; laquelle fait une économie dé
moitié dans la dépenfe de ces fortes d'ouvrages
fans nuire aucunement à leur foli
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
dité. Toutes ces opérations font détaillées
par des figures qui ne laiffent rien à defirer
pour pouvoir répéter , fans autre fecours
, cette belle conftruction dans l'occafion
.
Dans le chapitre VII . il eft queftion
de la conftruction des plafonds & des plate
-bandes des colonades ; c'eſt une matière
toute neuve fur laquelle on n'avoit enco
re rien écrit. L'exécution des platebandes
des Anciens étoit fort fimple , attendu
qu'elles ne confiftoient qu'en des espéces
de poutres de marbre , que l'on plaçoit
d'une colonne à l'autre , les Modernes
n'ayant pû imiter leurs procédés à caufe
de la différence des matériaux , ont pris
le parti de les faire par claveaux , ce qui
offre beaucoup de difficultés pour être
conftruit folidement. L'auteur met en paralelle
, fuivant fa maniere de voir , les
conftructions des platebandes & plafonds
du périftile du loavre , du porche de St
Sulpice , de la place de Louis XV , du
palais royal , & c . Il rapporte auffi comment
on exécute les plate-bandes en Ruſſie,
où il eft d'ufage de les évider comme
des coffres , & de ne les faire foutenir qu'à
force de prodiguer le fer ; abus qui occa
fonne de les recommencer fouvent,
OCTOBRE. 1771. 99
D'après ces comparaifons, M. Patte éta .
blit des principes pour parvenir à folider
les plate- bandes fans multiplier les fers
comme de coutume : il examine les fecours
que l'on peut efpérer des tirans ; il
rapporte toutes les expériences qui ont
été faites fur leur réfiftance : il expofe les
inconvéniens auxquels le fer eft fujet ,
comme d'être au bout d'un tems altéré par
la rouille , malgré tous les effais que l'on
a fait pour l'en garantir , de renfler & de
faire éclatter la pierre où il fe trouve renfermé
, de fe refferrer & de s'allonger fuivant
le chaud & le froid , d'où il conclud
qu'un architecte qui ne fait dépendre la
folidité d'une conftruction que de la force
du fer n'eft qu'une efpéce de ferrurier qui
ne bâtit que pour le moment , que le fer
ne doit jamais être employé comme agent
principal pour fuppléer à des épaiffeurs
de mur & à des contreforts ; mais comme
un moyen précaire ou artificiel fur lequel
il ne faut compter que pour un tems , &
qu'en un mot , à l'exemple de toutes les
conftructions eftimées , c'eft la perfection
de l'appareil des pierres , l'excellence du
mortier , la bonne relation des fupports
avec la pouffée qui doit toujours conftituer
la force d'un édifice dont on veut af
furer la durée .
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Le VIII . chapitre offre des détails de
la conftruction de l'admirable colonnade
du louvre & des difficultés qu'elle éprouva
dans fon exécution . On y trouve la defcription
du voyage du cavalier Bernin en
France , & des honneurs qu'on lui fit lorfqu'il
fut appelé pour batir cet important
ouvrage ; & enfin on y voit les raifons
qui firent donner la préférence aux pro .
jets de Perrault. Tout cela eft accompagué
de deffins cotés & développés avec
la plus grande exactitude , qui repréfentent
, outre la conftruction , la proportion,
les profils & les ornemens de cet édifice
.
Cet ouvrage eft terminé par un projet
que l'auteur préfenta après la mort de
Servandoni pour couronner le portail de
St Sulpice : couronnement que l'on doit
beaucoup regretter qui n'ait pas eu lieu ,
en comparant la grace qu'il auroit pû don
ner à ce morceau, avec le mauvais effet de
celui qui eft exécuté.
En général nous croyons que ce livre eft
un des plus utiles & des plus intéreffans
qui ait été produit fur l'architecture . Il eſt
accompagné de beaucoup de figures qui.
offrent en paralelle les détails des plus
belles conftructions en chaque genre ;
comme il eft à croire que cet ouvrage aura
&
OCTOBRE. 1771. 101
une fuite , vu qu'il s'en faut bien que l'auteur
ait épuifé cette importante matiere ,
le Public doit la defirer fans doute avec
empreffement.
Dictionnaire pour l'intelligence des auteurs
claffiques , Grecs & Latins , tant
facrés que profanes , contenant la géographie
, l'hiftoire , la fable & les antiquités
; dédiée à M. le Duc de Choifeul
, par M. Sabbathier , profeffeur au
collége de Châlons - fur - Marne & fecrétaire
perpétuel de l'académie de la
même ville ; in- 8 ° . tom. X. A Paris ,
chez Delalain , libraire , rue de la Comédie
Françoiſe.
A mefure que M. Sabbathier avance
dans fa carriere , il nous rend fon ouvrage
plus intéreffant parce que tous les articles
s'éclairciffent les uns par les autres ,
qu'ils fe répondent & forment des traités
complets. Nous penfons même que l'on
n'entendra jamais bien non- feulement les
fineffes de la langue grecque & latine ,
mais même leurs expreffions les plus ordinaires
fi on ne fe rend familieres les
inftructions que M. Sabbathier a répandues
dans fon dictionnaire . Les Romains,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
à
par exemple , fe fervoient de ces expreffions
, difcinctus , altè cinctus pour
défigner un homme indolent ou alerte .
Comme leurs habits étoient fort larges
ils étoient obligés de faire ufage de ceintures.
Les Dames Romaines en portoient,
foit pour relever leurs robes , foit pour
en fixer les plis. Il y avoit de la grace
foutenir , à la hauteur de la main , le lais
du côté droit , ce qui laiffoit le bas de la
jambe à découvert , & une négligence outrée
à n'avoir point de ceinture & à laiffer
tomber fa tunique ; c'eſt l'origine des expreffions
que nous avons rapportées plus
haut . Mecène ayant témoigné peu d'inquiétude
fur les derniers devoirs de la
vie , perfuadé que la nature prend foin
elle-même de notre fépulture , Séneque
dit de lui , altè cinctum dixiffe putes ;
« Vous croitiez que celui qui a dit ce mot
» portoit fa ceinture bien haut . »
Il y avoit chez les Celtes une ceinture
qui fervoit , pour ainfi dire , de mefure
publique de la taille, parmi les hommes.
Comme l'état veilloit à ce qu'ils fuffent
alertes, il punifloit ceux qui ne pouvoient
pas la porter.
L'ufage des ceintures a été fort commun
dans nos contrées ; mais les hommes ayant
OCTOBRE . 1771. 103
ceſſé de s'habiller en long , & ayant pris
le jufte-au-corps , l'ufage s'en eft restreint
aux premiers magiftrats ,aux gens d'églife ,
aux religieux & aux femmes. Encore les
femmes du moins en France n'en portent
elles prefque plus aujourd'hui . Elles ont,
adopté les robes lâches , quoique les prédicateurs
fe foient recrié beaucoup contre
cette mode qui , laiffant aux femmes , à
ce qu'ils croyoient , la liberté de cacher
les fuites de leurs fautes , annonçoit un
accroiffement de diffolution .
La diftinction des étoffes & des habits
fubfifta en France jufqu'au commencement
du quinzième fiècle. Il y a un
arrêt du parlement de Paris de 1420 , qui
défend aux femmes proftituées la robe à
coller renverfé , la queue , les boutonnieres
& la ceinture dorée ; mais les femmes.
galantes ne fe foumirent point long tems
à cette défenfe. L'uniformité de leur habillement
les confondit bientôt avec les
femmes fages ; & la privation ou l'ufage
de la ceinture n'étant plus une marque de
diſtinction , on fit le proverbe : Bonne renommée
vaut mieux que ceinture dorée.
Ily a dans ce volume des articles trèsétendus
& très - fatisfaifans . Celui qui regarde
le célibat eft extrait du mémoire de
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE .
*
M. Morin fur cet objet inféré dans les
mémoirés de l'académie des infcriptions
& belles- lettres. M. Sabbathier fait également
ufage des recherches des autres favans
pour en enrichir fon dictionnaire &
le rendre plus complet , plus inftructif. Il
fe contente de puifer dans les bonnes.
fources conformément au devoir d'un
lexycographe.
Ce tome continue la lettre C , & finit
à l'article Chevrier ; ce qui femble annoncer
encore plufieurs volumes fur cette
lettre C , qui eft toujours la plus étendue
dans les dictionnaires .
Nouveau recueil de piéces publiées pour
l'inftruction du procès que le traitement
des vapeurs a fait naître parmi les mé
décins ; dans lequel on trouve la réponfe
à toutes les objections que l'on
a faites contre la méthode humectante
, & de nouvelles obfervations pratiques
qui en démontrent la fûreté; par
M. Pomme , docteur en médecine de
T'univerfité de Montpellier , médecin
confultant du Roi & de la grande Fauconnerie
; vol . in- 8 ° . Prix , 4 liv. br.
A Paris , rue St Jacques , de l'imprimerie
de J.Th. Hériffant père , imprimeur
OCTOBRE. 1771 . 105
du Cabinet du Roi & Maifon de Sa
Majesté.
Lorfqu'une vérité physique nous eft
préſentée & que nous héfitons de l'adopter
parce que nous n'en appercevons point
d'abord tous les rapports & que nous igno.
rons les principaux faits qui peuvent fervir
à l'appuyer , c'eft en quelque forte reconnoître
l'utilité de cette vérité que de
chercher à l'éclaircir par des objections.
C'eft fous ce point de vue que M. Pomme
auroit dû toujours regarder ceux qui
ont combattu fa méthode humectante
dans le traitement des vapeurs. Quoiqu'il
en foit , l'auteur prouve & démontre par
une théorie faine & par plufieurs nouvelles
expériences ici raffemblées que la tenfion
des nerfs eft la feule caufe à combattre
dans les affections vaporeufes ; & que
le relâchement que l'on voudroit admettre
n'a point lieu . Mais pour donner un
ordre à ce recueil , l'auteur publie d'abord
les objections qu'on lui a faites & joint à
chacune fa réponſe . Le volume eft terminé
par des obfervations fur toutes les maladies
analogues aux vapeurs.
E
106 MERCURE DE FRANCE:
Eloge de François de Salignac de la Motte
Fénelon , Archevêque - Duc de Cambrai
, Précepteur des Enfans de France
. Difcours qui a obtenu l'acceffit au
jugement de l'Académie Françoife en
1771 ; par M. l'Abbé Maury. A Paris ,
chez la V. Regnard , imprimeur de
l'Académie Françoife , grand'falle du
palais , & rue baffe de l'Hôtel des UKfins.
Ce difcours eft divifé en deux parties ;
dans la premiere , l'auteur montre le génie
, & dans la feconde il peint l'ame de
Fénélon . Nous rapporterons à nos lecteurs
les morceaux de cet ouvrage que
M. Thomas lût à la féance publique.
M. l'Abbé Maury donne d'abord une idée
générale de la France au moment de la
naiffance de fon héros ; il te fuit dans fes
premieres études , dans fes miffions & à
la cour où le choix de Louis XIV, guidé
par Beauvillers , l'appele à l'âge de trentehuit
ans pour être précepteur des petitsfils
du Monarque. « Il n'appartient qu'à
» un fage digne d'occuper un trône d'élever
l'enfant qui doit y monter . Faire
» d'un homme un Roi ou plutôt d'un Roi
>> up homme ;, enfeigner les droits des
09
OCTOBRE. 1771 . 107
"
"
n
» peuples à un Prince trop tôt infruit des
» prérogatives de la royauté pour en étu-
» dier les devoirs ou en fentir le fardeau ;
» lui préfenter dans fon palais le tableau
» des miferes publiques ; l'inftruire des
grands principes de l'adminiftration
» fans jamais féparer la politique de la
morale ; lui montrer dans les lois le
» fondement & le frein de fon autorité :
» fous le defpotifme l'aviliffement de
» l'humanité & l'inftabilité du trône ; le
» forcer de lire fes devoirs fur les murs
» des chaumieres ; lui faire voir fes atmées
, fes tréfors , fon peuple , non dans
» la pompe des cités , mais au milieu des
champs fertiles ; lui donner les yeux
» d'un particulier & l'ame d'un Roi ; fe
placer entre lui & l'éclat du trône , &
» croire n'avoir rien fait jufqu'à ce qu'il
» ait befoin qu'on le confole du malheur
» d'être condamné à regner. C'eſt fous
$9
»
ces traits que je me répréfente les inf
» tituteurs des Rois , & que je contemple
» Fénélon leur éternel modèle . » Fénélom "
n'obtient aucune grace à la cour ; il ns
s'y occupe que de fes devoirs . Ici l'aureur
fait parler Homère , & le prince des poêtes
confeille à Fénélon de compofer le
Télémaque. Ce poëme eft enfuire analy
E
vj
108 MERCURE DE FRANCE.
fé , & l'on voit fortir de l'examen des
principaux faits la philofophie morale &
politique de l'archevêque de Cambrai.
Nous cirerons les réflexions de M. l' . M.
fur le ftyle de M. de Fénélon . « Simple
fans baffeffe , & fublime fans enflure ,
» il préfère des maffes éloquentes à de
» brillans phofphores. Il dédaigne ces
» fallies déplacées qui interrompent la
» marche du génie , & l'on croiroit qu'il
» a produit le Télémaque d'un feul jer.
» J'ofe défier l'homme de lettres le plus
» exercé dans l'art d'écrire de diftinguer
» les momens où Fénélon a quitté & re-
" pris la plume , tant fes tranfitions font
» naturelles , foit qu'il entraîne douce-
» ment par la pente de fes idées , foit
» qu'il faffe franchir avec lui les abîmes ,
» & dans ce même poëme , où il a vain-
» cu tant de difficultés pour foumettre
» une langue rebelle , ou pour affimiler
» des objets difparates , on n'apperçoit
jamais un effort. Maître de fa penſée ,
il la voit fans nuages , il ne l'exprime
» pas , il la peint : il fent , il penfe , & le
mot fuit avec la grâce , la nobleffe ou
» l'onction qui lui convient . Toujours
» coulant , toujours lié , toujours nombreux
, toujours périodique , il connoît
و د
»
OCTOBRE . 1771 . 109
"
99
»
» l'utilité de ces liaifons grammaticales
» que nous laiffons perdre , qui faifoient
» la richeffe des Grecs , & fans lefquelles
» il n'y aura jamais de ftyle. On ne le
» voit pas recommencer à penfer de li-
" gne en ligne , traîner péniblement des
phrafes trop préciſes tantôt diffuſes, où
» l'efprit fautillant par tems inégaux ,
peint fon embarras à chaque inftant , &
» ne fe releve que pour retomber ; fon
» élocution pleine & harmonieufe , enri-
» chie des métaphores les mieux fuivies,
des allégories les plus fublimes , des ima-
" ges les plus pittorefques , ne préfente au
lecteur
que clarté , facilité , élégance &
» rapidité ; en un mot , Fénélon donne
» une ame à la parole , & fon ftyle vrai ,
» enchanteur , inimitable , trop abondant
» peut- être , reffemble à fa vertu . »
ود
و د
M. I'. M indique enfuite les autres
ouvrages de l'archevêque de Cambrai ,
fes preuves de l'existence de Dieu , fa let
tre & fes dialogues fur l'éloquence , fes
dialogues des morts , fes directions pour
la confcience d'un Roi , & il paffe à fa feconde
partie . Fénélon eft nommé au fiége
de Cambrai , il fe démet d'une abbaye
qu'il avoit obtenue l'année précédente .
Egaré par une fenfibilité trop vive , cet
aimable écrivain s'honore jufques dans
110 MERCURE DE FRANCE.
"
ןכ
fes écarts , & devient partifan du quiérif
me. Nous citerons une partie de ce que
M. l'. M. dit fur la querelle de Boffuet
avec Fénélon . « Au nom de l'Evêque de
» Meaux l'admiration fe reveille & le
» proclame comme le feul rival digne de
l'Archevêque de Cambrai . Orateur en
» écrivant l'hiſtoire , Boffuet réunit dans
» un degré éminent les talens les plus op
pofés ; il avoit appris tout ce qu'il eft
» permis à un mortel de favoir , & l'on
» auroit cra que penfant à part il inven-
» toit la langue dont il daignoit fe fervir.
» Eloquent dialecticien , il mit fon génie
» en contrepoids avec toutes les erreurs
» de fon fiècle , & les fit difparoître. Si
»> nous confidérons l'homme , on lui reproche
fes emportemens contre un ami ,
» un confrère , un difciple , dont il devoit
refpecter les talens & les vertus. Mais
» fi je venois louer un grand homme au
» détriment d'un grand homme , l'ame
» de Fénélon repoufferoit mon hommage.
Méfie - toi , me diroit- elle , d'une
» fenfibilité qui t'égare. Ne t'ai - je pas
» donné l'exemple de la modération ?
» Sois jufte , fois même généreux ; que
» crains- tu pour ma gloise ? elle eſt en
dépôt dans tous les coeurs vertueux , &
»la victoire eft fi peu digne d'envie que
"
33
23
23
OCTOBRE . 1771. FIF
ma défaite affure à jamais ma préémi
» nence fur mon rival .
Après une apologie raifonnée de la com
duite de Boffuet , l'auteur paffe à la rétractation
de Fénélon . « O jour à jamais
» mémorable , où Cambrai vit fon Archevêque
percer les flots d'une multi-
» tude innombrable dont il étoit adoré ;
39
monter en chaire , fon livre d'une main,
» de l'autre fon jugement ; faire fondre
» en larmes toute l'affemblée au moment
» où il lut d'une voix ferme fa propre
» condamnation ; s'y foumettant fans ref-
» triction , fans réſerve , joignant fon au-
» torité à celle du Pontife pour dire ana
» thême à fon ouvrage , & prononçant à
genoux une rétractation interrompue
» cent fois par les fanglots de tout un
peuple. C'eft ainſi Fénélon fe
que
» nit de la plus excufable des erreurs ,
» trouve dans fa défaite le plus beau mo-
» ment de fa vie , met à fes pieds le Pa-
» pe dont il obtient les éloges , Boffuer
» dont il mérite l'envie , & l'auteur du
Télémaque lui - même dont il éclipfe la
39
» gloire .
>>
pu-
Malgré l'admiration de l'Europe & la
» rétractation de l'archevêque de Cambrai
, le bandeau de la prévention eft
encore fur les yeux du Monarque , &
112 MERCURE DE FRANCE.
» ce même poëme qui devoit être le ma
» nuel des Souverains , eft configné aux
» frontieres du royaume où il ne peut
≫ entrer qu'en éludant les défenfes . Mais
les princes ont beau exercer leur ref-
» fentiment au gré de leurs flatteurs : un
» bon ouvrage eft un mur d'airain contre
lequel toute l'autorité des Rois va fe
» brifer , & un fage perfécuté cite les injuftices
qu'il a effuyées avec la fierté
» d'un général qui montre fes bleffures !»>
"
"
Après avoir peint les vertus de Fénélon,
M. I'. M. préfente le tableau de fes malheurs.
«Je me repréfente quelquefois
» Fénélon dans fon exil , dans un de ces
» momens de vérité où l'ame ifolée fe
replie fur elle- même , & fonde toute
» la profondeur de fes infortunes ; il par-
» court fa vie entiere , & il voit ſes ver-
» tus méconnues , fes talens fufpects, fes
» fervices oubliés ; fa fenfibilité lui rend
» perfonnels tous les malheurs publics
» dont il eft témoin. Le royaume eft at-
"9
taqué par tous les fléaux . Le génie de
» la victoire s'eft éloigné de nos drapeaux
» avec les Turennes , les Condés , les
Luxembourgs , pour s'attacher aux ar-
» d'Eugène . Qui pourroit peindre la
» trifteffe amere de l'auteur du Télémaque
, lorfqu'il vit la perte de Lille attri
nes
OCTOBRE. 1771 113
» buée au Duc de Bourgogne ; ce Prince
» méconnu par un peuple qu'il devoit
» gouverner , forcé de répondre des opé-
» rations militaires dont il n'étoit pas
» l'arbitre , arrofant de fes pleurs les
» mains de Louis XIV , armées contre
» fon inftituteur , & en recevant pour
»toute réponſe la défenfe de lui écrire &
» de lui parler ; condamné à fe taire devant
un ami qui lui étoit fi cher , &
ofant à peine le confoler en Flandre par
un regard? l'ingrare patrie de Fénélon
l'accufe publiquement d'avoir élevé
» dans de faux principes ce jeune Prince
trop tard connu & fi amèrement re-
» gretté. Ce vertueux écrivain eft attaqué
» dans une multitude de libelles par ces
» vils & impuiffans détracteurs qui , dans
» tous les fiécles , échangent leur honneur
» contre du pain , & dont le nom ne fouil-
» lera point ici ma plume . Il perd fa pla-
» ce , fa penfion , l'accès du trône. Perfé-
» cuté dans fes écrits , condamné à Ro-
» me , calomnié fur la fincérité de fa rétractation
, accufé d'ingratitude par un
» Roi trompé , il fçait que toute corref
» pondance avec lui eft défendue comme
» un crime d'état . Tous fes parens font
privés de leurs emplois , tous fes amis
» font chaffés de la cour. Fagon & Felix

114 MERCURE DE FRANCE.
"
ofent feuls le défendre . Leur zèle n'eft
point puni :voilà tout leur fuccès. Beau-
» villiers voit le moment où il va expier
» par une difgrace éclatante , l'honorable
» fidélité qu'il lui voue dans l'infortune.
» En eft ce affez ? Non , regardé comme
» un rebelle pour avoir compolé le Té-
» lémaque , comme un impie pour avoir
» été miſtique , l'archevêque de Cambrai
» n'avoit plus qu'un malheur à redouter;
» je me trompe , il ne le redoutoit pas ,
» & il est déjà condamné à le pleurer . Il
» voit defcendre au tombeau ce Duc de
Bourgogne auquel il avoit tranfmis rou
» tes fes vertus . Il fe furvit alors à lui-
» même . De quel côté portera- t - il fes regards
? Vers fa famille ? elle eft comme
» lui dans l'exil , elle y eft pour lui . Vers
fon diocèfe ? Il eft ravagé par une armée
ennemie . Vers la Cour ? Ah ! la
» vue de fon difciple au cercueil rouvri-
ود
"
roit toutes fes plaîes. Au milieu de
» tous les défaftres , Fénélon ne trouve
» point de coeur qui entende le fien ; on
épie fa douleur pour lui en faire un cri-
» me , & il eft obligé de cacher fes lar
» mes comme s'il eût caché des remords .»
Toutes les vertus publiques & privées
de l'Archevêque de Cambrai font enfuite
célébrées par des faits ou plutôt par des
OCTOBRE . 1771. 115
"
"
prodiges ; elles émanent toutes de fa fenfibilité.
L'auteur rappele le bel hommage
que Malborough & le Prince Eugène rendirent
à Fénélon , & il termine fon difcours
par cette apoftophe. « O Fénélon !
» je voudrois honorer ma jeuneſſe en ob-
» tenant quelques larmes des coeurs fen-
» fibles que j'entretiens de tes vertus.
Lorfque mes cheveux , blanchis par le
» travail ou par les années , m'annonce-
» ront que ma courſe va finir , j'affem-
» blerai au tour de ma tombe la nouvelle
génération d'admirateurs que ton génie
» t'aura faits fur la terre , &je ranimerai
» ma voix éteinte pour dire à mes der-
» niers neveux : Puiffe naître parmi vous
» un Télémaque ! Fémélon veille fur les
» marches du trône , & n'attend qu'un
difciple. Il n'eft point d'homme de
génie qui ne s'honorât d'avoir fait fes
» ouvrages , il n'eſt point d'homme ver-
» tueux qui ne défirât de l'avoir eu pour
"
"
33
» ami? »
Ce difcours eft fuivi de quelques notes
littéraires & hiftoriques . Cet effai de
M. l'Abbé Maury annonce du talent pour
différens genres d'écrire . En général il
penfe fagement , s'exprime avec efprit ,
quelquefois avec force , & fon goûr fera
plus für lorfque le tems & le travail au116
MERCURE DE FRANCE.
ront ajouté des connoiffances réfléchies à
fes difpofitions naturelles .
Hiftoire naturelle de Pline , traduite en
françois avec le texte latin rétabli d'après
les meilleures leçons manufcrites ;
accompagnée de notes critiques pour
l'éclaircillement du texte , & d'obfervations
fur les connoiffances des Anciens
comparées avec les découvertes
des Modernes ; tome III . in -4°. A
Paris , chez la V. Defaint , libraire , rue
du Foin , près la rue St Jacques , 1771 .
Nous ne pouvons mieux faire connoître
le mérite de ce grand ouvrage , & le
travail du traducteur qu'en tranſcrivant
ce qu'il dit lui- même au commencement
de ce troisième volume .
« Ici commence le grand intérêt de
l'ouvrage. Dans fa rapide hiſtoire du Ciel,
l'auteur s'élevant à la hauteur d'un tel
fujet , ne s'eft guère montré que fublime;
moins occupé du lecteur , & du ſoin de
lui plaire , que tranſporté lui - même dans
le Ciel qu'il décrivoit , fon génie s'eft rarement
abaiffé jufqu'aux idées du moyen
ordre, les feules cependant qui nous foient
conftamment analogues , & qui n'exigent
point de nous une méditation pénible.
OCTOBRE. 1771. 117
Dans fa defcription de la Terre , il s'eft
borné à être inſtructif , abondant , correct
& plus exact que tous ceux qui l'avoient
précédé. Il faut en convenir , ce veſtibule
immenſe , hardi , qui , chez Pline , ouvre
le temple de la Nature , ne nous a fait voir
jufqu'à préfent que des objets plus curieux
qu'agréables , plus refpectables qu'attrayans
pour la plupart des fpectateurs :
objets inanimés pour nous, ou qui ne doivent
la vie que Pline imprime à tout ce
qu'il peint , qu'à la magie de fon ſtyle ,
qu'à la chaleur de fon expreffion . Nous
Voici maintenant dans l'intérieur du fanctuaire
où il nous tardoit d'entrer . Des détails
plus féduifans , des rapports plus
prochains vont captiver notre attention .
Pline va nous intéreffer par nous mêmes;
il va déployer à nos yeux l'hiftoire de
l'homme & celle de tous les êtres vivans
dont la Nature a peuplé notre domaine.
Nous fommes , en un mot , parvenus à la
partie de l'hiftoire de Pline où commence
celle de M. de Buffon , en n'y comprenant
point fon fyftême fur la formation
de la terre ; ainfi c'eft de ce moment que
le lecteur , empreffé fans doute de comparer
entre eux ces deux grands hommes,
nés à dix- fept fiécles l'un de l'autre , va
goûter cette fatisfaction ,
118 MERCURE DE FRANCE.
Quand nous parlons de comparer ces
deux écrivains , nous n'entendons point
les rapprocher l'un de l'autre , pour difcu
ter ce qu'ils ont de commun enfemble, &
ce que le naturalifte moderne peut avoir
emprunté de l'ancien . Tous deux riches
de leur propre fonds, tous deux originaux,
même en imitant , & créateurs de leur
maniere , de leur expreffion , de leur coloris
, de leur façon de voir & de fentir ,
ils n'offrent point une reffemblance froide
& monotone , mais , bien plutôt , le plus
curieux contraſte .
La vue de M. de Buffon eft la vue de
l'aigle : c'est comme du haut de l'empyrée
qu'il contemple la race humaine. Tous
les êtres , dans chaque claffe , n'en font
plus qu'un à fes yeux : tous les individus
difparoiffent : il ne voit plus que l'efpéce .
Vient - il à parler de l'homme , c'eft fur
l'efpéce humaine perfonnifiée , fur l'homme
identique & collectif , qu'il arrête
uniquement fes regards ; c'eft là qu'il di
rige & qu'il fixe le foyer de toutes les lumieres
; c'eft fur ce fujet unique qu'il
verfe les charmes féduifans du plus vif
intérêt , & les graces de la diction la plus
noble. Cette maniere étoit celle de Platon
; c'est auffi , de tous les Anciens , le
feul qu'on puiffe lui comparer à cet égard,
OCTOBRE. 1771. 119
toutefois l'on peut dire que le Naturalifte
François ait formé fon ftyle fur celui
de Philofophe Grec ; car il paroît démontré
que l'éloquence de M. de Buffon n'eſt
dûe qu'à la Nature , & ne peut être miſe
au nombre des talens qui s'acquièrent.
Au furplus , rien de plus périlleux qu'un
tel genre d'écrire , fi l'on n'eft foutenu par
le génie. Quoi de plus difficile , en effet ,
que de nous intéreffer , comme il y parvient
, pour un être artificiel , pour un
perfonnage idéal , repréſentatif de l'efpéce
entiere , avec abftraction de tout individu
? Comment ne pas tomber à chaque
pas dans le froid glacial des contemplations
métaphysiques ? N'eft - ce pas là ce
qu'ont éprouvé , fans exception , tous les
écrivains qui ont entrepris d'envifager
l'homme fous ce point de vue platonique
? Montagne a bien fenti cette difficulté
, lui qui , pour attacher fes lecteurs ,
aime mieux les entretenir de lui - même
& de les propres imperfections , que
ne leur parler d'aucun perfonnage connu.
C'étoit donc un coup de génie d'ofer
comme M. de Buffon , nous attacher , nous
intéreffer pour chaque être idéal qu'il
nous préfente , fans préfque jamais recou
rir à l'hiftoire des individus.
de
120 MERCURE DE FRANCE.
La maniere de Pline eft entierement
oppofée à celle- là . Il commence , à la vérité
, par des vues générales ; il forme d'abord
à grands traits le deffin de l'homme
& de chaque efpéce d'animaux ; mais
bientôt , abandonnant l'homme abſtrait ,
il rabaiffe fon vol , fe rapproche de nous,
& ne dédaigne point d'entrer dans une
foule de détails curieux , inftructifs & rélatifs
aux différens êtres , pris féparement
dans chaque efpéce. L'hiſtoire de l'homme
, par exemple , n'eſt pas , chez lui , feulement
l'hiftoire du premier des animaux,
mais celle de plufieurs perfonnages défignés
par leur nom , par leur patrie , par
leur fiécle , par leurs actions , &c. Il femble
ainfi ne nous préfenter qu'une fuite
de portraits différens , qui foutiennent &
varient l'intérêt ; mais c'eft toutefois fans
ceffer de nous occuper du même être ,
puifqu'enfin c'eft l'hiftoire de l'homme
qu'il préfente fous différens cadres . Même
contrafte des deux parts dans l'hiftoire
des animaux fubordonnés à l'homme . Le
Naturalifte François les rappele tous à un
prototype qui figure pour toute l'efpéce ,
& ne peint qu'en grand : Pline décrit les
individus , & peint en détail , quelquefois
même en miniature. En un mot, chez
M.
OCTOBRE . 1771 . 121
M. de Buffon , la connoiffance des individus
réfulte de celle de l'efpéce : chez
Pline , au contraire , c'eft la connoiffance
de l'efpéce qui réfulte de celle des individus.
L'une & l'autre maniere ont , fans
doute , leur mérite ; & fi celle de M. de
Buffon eft plus noble & plus impofante ,
je ne fais ficelle de Pline n'a pas quelque
chofe de plus attrayant. J'aime qu'en me
parlant de l'homme, il m'apprenne quantité
de traits , tant moraux qu'hiftoriques,
de tels & tels perfonnages . Je lui fais gré
même de ce qu'en parlant des animaux ,
il a recueilli jufqu'à certaines actions , &
jufqu'aux noms de tels d'entre eux . Son
dauphin Simon , fes éléphans Patrocle &
Ajax, le courfier Bucéphale , les chiens
nommés Pirrhus & Hircan , fixent mon
imagination fur des êtres réels , & femblent
augmenter mon intérêt pour l'efpéce.
Rien ne prouve mieux, peut être, qu'il
ne faut donner à aucune maniere d'écrire
ou de concevoir les chofes , une approbation
exclufive , puifqu'entre les mains des
hommes de génie toutes offrent à - peuprès
les mêmes avantages, & ont le même
droit à notre eftime . Toujours eft- il certain
que Pline nous eût privés d'une mul
II. Vol. F
122 MERCURE
DE FRANCE.
titude de traits non moins utiles qu'agréables
, fi , pour tout généralifer , il eût retranché
de fon ouvrage la plupart de ces
détails & de ces hors - d'oeuvre apparens
que M. de Buffon paroît s'être interdits.
Pline femble avoir prévû qu'il écrivoit
pour la postérité la plus réculée , & qu'elle
lui tiendroit bon compte d'avoir accumulé
dans fon ouvrage nombre de faits
auffi curieux qu'inftructifs , que lui feul
auroit le privilége de dérober aux outrages
du tems. S'il s'agiffoit donc de déterminer
quel eft celui des deux écrivains
en qui fe remarquent les plus grandes
vues , on feroit peut- être fort embarraffé
de favoir à qui donner la palme.
La liberté que je prends de tracer ici
les premiers traits d'un parallele entre
ces deux Naturalistes , parallele que j'abandonne
à qui voudra l'achever , ne doit
nullement paroître fufpecte de l'envie de
louer l'un pour déprimer l'autre , ou d'exalter
, par efprit de fyftême , les Anciens
aux dépens des Modernes. Loin de moi
une pareille idée ! Je me croirois indigne
de traduire & de commenter Pline , fi je
n'étois un des plus finceres admirateurs
de M. de Buffon. Mais plus mon eftime
eft réfléchie , fenţie, épurée par l'examen,
OCTOBRE . 1771 123
plus je me fens pénétré d'une forte de
culte pour le feul de tous les Anciens qui
nous ait peint la Nature telle qu'on la
connoifloit de fon tems , & telle même ,
à beaucoup d'égards , que nous la connoiffons
encore. Mon admiration pour Pline ,
que je crois jufte & bien fondée , ne prend
rien fur celle que je dois auffi légitimement
à fon rival. En mille endroits de
cet ouvrage , & notamment page 416 de
ce volume , on verra que je ne néglige
aucune occafion de militer pour la gloire
du Naturaliſte François , & de le défendre
, au befoin , contre les critiques injuſtes.
Après cette proteftation , on peut être
affuré que quand il m'arrive de contredire
un écrivain dont perfonne ne refpecte
plus que moi les lumieres , on peut , disje
, être bien certain que c'eft uniquement
l'amour de la vérité qui m'y force ; &
c eft ici le cas , ou jamais , de dire : Amicus
Plato , fed magis amica veritas . Il y a
plus : ce ne font pas les erreurs des écrivains
vulgaires , mais celles des génies du
premier ordre , qu'il eft utile de relever.
Si , par exemple , je trouvois chez quelque
compilateur obfcur , que le Guadalquivir
difparoît & s'abforbe quelque tems
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
fous terre , je ne fçais fi je croirois bien
effentiel de relever cette faute , & de faire
obferver que ce n'eft point le Guadalquivir
, mais la Guadiana , qui s'abforbe
ainfi , felon Mercator , Hondius , Fournier
, &c. Mais on conviendra que cette
même méprife eft indifpenfable à relever
chez M. de Buffon , lorſqu'il y tombe * ,
parce que la célébrité de fon nom fuffiroit
pour accréditer l'erreur.
Je me fuis auffi permis de ne point
toujours adopter l'application exclufive
que M. de Buffon fait de certains noms à
certaines efpéces en un mot , je n'ai
point rejetté ou négligé , comme il fait
fouvent , la plupart des nomenclatures
étrangeres ; car ces nomenclatures , même
en les fuppofant fautives , appartiennent
à l'hiſtoire , ne fût ce qu'en qualité d'erreurs
accréditées , & plus ou moins générales
. Seulement j'ai prefque toujours indiqué
, comme douteufes ou comme vicieuſes
, celle que j'ai ſoupçonnées telles .
J'ai eu auffi l'attention d'expliquer trèsfouvent
l'exacte fignification de la plupart
de ces dénominations étrangeres ; ce qui
peut fervir de guide pour juger fi elles
* Hiftoire Naturelle , tom. 2 , pag. 90.
OCTOBRE . 125 1771 .
ont été bien ou mal appliquées à telle ou
telle efpéce , & faire connoître l'analogie
de telle dénomination ufitée parmi nous,
avec telle autre dénomination en ufage
ailleurs. En un mot , j'ai raffemblé une
nomenclature polyglotte des animaux ,
infiniment plus étendue , plus difcutée &
plus complette qu'il n'en avoit encore
paru dans aucun ouvrage ancien ou moderne
.
Pour revenir à l'hiftoire naturelle de
l'homme , il me paroît qu'on ne peut trop
favoir gré à Pline de s'être figuré qu'il
manqueroit au tableau des traits effentiels
, s'il n'y joignoit l'hiſtoire des découvertes
humaines en tout genre ; &
d'avoir compris le génie des arts , l'efprit
inventeur , parmi les caractères diftinctifs
qui mettent une intervalle immenfe entre
l'homme & les autres animaux . En
effet , quel riche tableau réfulte de cette
feule idée ! Quel fpectacle intéreffant que
cette énumération rapide de tous les arts
créés par l'homme ! Quelle immenfe collection
des traditions hiftoriques, recueillies
par les différens peuples , fur l'origine
des premieres connoiffances ! Combien
de lectures accumulées dans un petit
nombre de lignes ! Mais , d'autre part ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
combien d'étude & de recherches pénibles
exigeoit un commentaire raifonné ,
où toutes ces traditions fuflent difcutées
par le plus rigoureux examen , & chaque
affertion pefée au poids de la plus févere
critique ! C'eft dans cette partie qu'on
verra que je n'ai épargné ni tems ni veil .
les , & fur - tout que je ne me fuis point
contenté de compiler ce qui avoit été dit
avant moi . Dans tout ce précieux morceau
de Pline , j'ofe dire qu'il n'y a point
de phrafe qui ne m'ait coûté un travail
tout neuf , ayant examiné avec le plus
grand foin ce qu'on doit penfer des auteurs
& des dates que Pline affigne à chaque
invention. »>
Révolutions d'Italie , traduites de l'Italien
de M. Denina ; par M. l'Abbé
Jardin : tomes III & IV. in- 11. A Paris
, chez Lejay , libraire , rue St Jacques
, au-deffus de celle des Mathurins ,
au grand Corneille.
Les deux premiers volumes de la traduction
de cette hiftoire furent publiées
l'année derniere & annoncées dans le
Mercure du mois de Décembre 1770.On
applaudit dès lors au fpectacle rapide ,
inftructif & varié des révolutions que
OCTOBRE. 1771 . 127
nous offroit M. Denina , à la fageffe des
réflexions de l'hiftorien , à fon ftyle vif,
éloquent & concis que M. l'Abbé Jardin
a fçu faire paffer dans fa traduction , du
moins autant que le génie de fa langue le
lui permettoit. Les deux nouveaux volu
mes qui viennent de paroître contiennent
l'hiftoire d'Italie jufqu'au treiziéme fiécle .
La conquête d'Italie par Othon le Grand ;
les exploits des Normands conduits par
les enfans de Tancréde de Hauteville dans
les royaumes de Naples & de Sicile , les
démêlés de Grégoire VII avec l'Empereur
Henri IV au fujet des inveftitures ,
& les deux fameufes factions des Guelfes
& des Gibelins qui durerent pendant plus
de deux fiécles & firent couler tant de
fang fo les principaux événemens que
ces de aies volumes préfentent au lecteur.
En parcourant les différens périodes
que les villes d'Italie de la plus haute an
tiquité , & celles du moyen âge ou des fiécles
barbares ont éprouvés , on avouera
avec l'hiftorien que la tyrannie produit
d'ordinaire la liberté , & que l'abus de
celle- ci ramene à fon tour le defpotifme
& la tyrannie. C'eft en quelque forte la
loi néceffaire & invariable felon laquelle
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
les différentes formes de gouvernement
fe fuccédent chez les peuples agreftes ,
ainfi que chez les nations les plus éclairées
; car il ne faut pas s'imaginer que les
fciences & les arts exaltent fi fort les qualités
effentielles & conftitutives de l'homme
focial ; les principes naturels lui dé
couvrent , fans les fecours de l'étude & des
livres , tout ce qui convient à fa fûreté &
à fon bonheur ; & s'il n'atteint pas toujours
le but , c'eft uniquement faute de
moyens & d'occafions .
M. Denina , en nous parlant du gouvernement
des Républiques d'Italie vers
la fin du XIII . fiécle , nous expofe le
principe de leur décadence & nous donne
l'origine du podeftat . Lorfque les villes
d'Italie commencerent à prendre forme
de tépublique , la premiere idée fut d'y
créer des confuls , magiftrature dont les
titres & les fonctions n'avoient pu s'effacer
entierement de la mémoire des hommes
, malgré la profonde ignorance dans
laquelle ils croupiffoient depuis tant de
fiécles , fur- tout en matiere de gouverne
ment. Mais , dans les troubles qu'occafionna
la diverfité des opinions ou la
choquante partialité que montroient les
confuls nationnaux toutes les fois qu'il
OCTOBRE . 1771. 129
s'agiffoit de leurs proches , on crut que le
meilleur parti étoit encore de confier le
gouvernement de la cité à quelque fage
étranger ; & c'est ce qu'on appella Podef
tat. M. Denina ne calcule point ici les
avantages réels ou poffibles de cette magiftrature
fuprême inconnue aux anciennes
républiques de Gréce & d'Italie. Il
obferve feulement que chez les républiques
italiennes du moyen âge qui l'introduifirent
ou l'adopterent , elle dût y former
un nouvel obftacle aux conquêtes ,
attendu que ces recteurs étrangers & annuels
étoient bien moins intéreflés à reculer
les frontieres d'un état auquels ils
ne préfidoient qu'en paffant , que ne l'auroient
été des citoyens , à qui l'efpoir de
jouir , perfonnellement ou dans leurs enfans
, des fruits de leurs travaux , devoit
faire affronter tous les périls de la guerre.
L'hiftoire des Podeftats en eft la preuve.
On en voit très- peu qui fe foient diftingués
par des expéditions avantageufes , &
qui aient fait refpecter au- dehors le gouvernement
qui leur étoit confié. La plûpart
s'en retournoient dans leur patrie ,
contens de laiffer les chofes au même
point qu'ils les avoient trouvées . Conferver
& maintenir étoit la feule gloire à
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
laquelle ils afpiroient. D'ailleurs , parmi
ces recteurs appelés & très- fouvent envoyés
au gouvernement des cités , combien
qui pouvoient avoir de fecrets motifs
pour en empêcher l'agrandiffement !
Quant à l'ordre intérieur , on ne vit que
trop par la fuite combien cet expédient
étoit peu propre à le rétablir. Les difcor
des continuoient & devenoient même
plus violentes de jour en jour. Les Nobles
, dont on fe propofoit fur tout de réprimer
les excès en appelant un Recteur ou
Podeftat étranger , bien loin d'être contenus
, l'infultoient journellement & avec
impunité , le maltraitoient même & le
chaffoient honteufement. Les factions
d'ailleurs étant profondément enracinées,
& routes les délibérations publiques dirigées
par le parti dominant , il falloit que
fe Podeftat fit fa charge au gré de ceux qui
la lui avoient procuré. On lui eut fait un
crime de l'impartialité ; au lieu de travailler
à la félicité commune il devoit
s'occuper uniquement des moyens de fervir
le parti qui l'avoit appelé & de terraf.
fer la faction oppofée . Delà , le difcrédit
dans lequel tomberent les Podeftats : ils
fe trouverent infenfiblement réduits à
l'emploi de juger les affaires particulieres,
OCTOBRE. 1771. Izr
le
minutieufes & de nulle conféquence pour
gouvernement. Chacun fentit l'infuffifance
d'un tel remede contre les grandes
maladies de l'état , & l'on tâcha d'en découvrir
quelqu'autre qui fut plas propre à
le fortifier contre les attaques du dehors
& à corriger cet efprit de diffention qui
le minoit au dedans . Ce fût alors que les
con.munes prirent le parti de donner plein
pouvoir , c'est à dire , un empire fuprême
fur leur diftrict , à quelque prince puiffant,
qui , au moyen de l'union de fes propres
forces avec celles de la cité , put enfin
réprimer les ennemis étrangers & domef
riques , & écarter les inconvéniens réfultans
de la lenteur & du conflit des opinions
, inconvéniens très - dangereux , capables
de détruire l'état le mieux conftitué
d'ailleurs & cependant inévitables dans
tout gouvernement où la fouveraineté réfide
fur plufieurs têtes. « Rien ne prouve
» mieux , ajoute M. Denina , que le gou-
» vernement monarchique eft le meil
leur & le plus folide de tous. La mo-
» narchie fe forme , croît , s'éleve & s'étend
» comme d'elle - même : c'eft une plante
» conftituée pour durer long- tems , pour
durer toujours . Il femble , au contraire,
» que les républiques foient des produc
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
"
» tions artificielles : il faut toujours qu'el-
» les commencent par être monarchies ,
» & qu'elles finiffent par- là ou par quel-
» que chofe d'approchant. Il eft même
impoffible que l'ordre & l'harmonie
perfévérent dans une république , à
» moins que l'effence de la monarchie ne
foit le principe & la bafe de fon gou-
» vernement. Je dirai plus encore les
républiques ne peuvent corriger les défordres
& les vices de leur conftitution ,
qu'en paffant fous le pouvoir monarchique.
La multitude qui voit à peine
» le préfent & n'agit pour ainfi dire
» par inftinct , fera bien peut - être , ou
adoptera pour un tems de bonnes lois ;
» mais , fi elle n'eft enfuite contenue par
» une force fupérieure , le dégoût ne tar-
" de pas à la faifir ; & au plus léger inci-
» dent , elle renverfe tout ce qui fut ſage-
» gement établi, »
"
"
"
"
que
On trouvera beaucoup de ces fortes de
réflexions dans cette hiftoire ; l'hiftorien
fe preffe en quelque forte de raifonner &
de faire penfer. Mais comme il entraîne
fouvent fon lecteur à travers la foule des
événemens fans lui laiffer le tems de les
entrevoir ou de fe les rappeler , fon traducteur
s'eft perfuadé avec raifon qu'il
OCTOBRE . 1771 . 133
rendroit cette hiftoire plus curieufe , plus
utile , plus intéreffante même fi, dans des
notes hiftoriques , il joignoit quelques
détails ou quelques circonftances aux
principaux événemens . M. l'Abbé Jardin
n'obmet pas même ces petits faits , anecdotes
que l'on peut regarder comme des
traits particuliers qui contribuent à faire
diftinguer le caractère , nous pourrions
même dire la phyfionomie du perfonnage
dont parle l'hiftorien ou qui fixent plus
patticulierement dans la mémoire l'évément
rapporté. L'Empereur Fréderic
maître de Vicenze , étoit fur le point de
quitter cette ville qu'il avoit emportée
d'affaut quelques jours auparavant , il défia
les plus fameux de fes aftrologues de
deviner par quelle porte il fortiroit le
lendemain. L'impofteur répondit au défi
par un tour de fon métier. Il remit à Fréderic
un billet cacheté , lui recommandant
, fur toutes chofes , de ne l'ouvrir
qu'après qu'il feroit forti . L'Empereur fit
abbatre , pendant la nuit , quelques toifes
de la muraille & fortit par la brèche . Il
ouvrit enfuite le billet ; & ne fut pas peu
furpris d'y lire ces propres paroles : le Roi
fortira par la porte neuve. C'en fut affez
pour que l'aftrologue & l'aftrologie lui
paruffent infiniment reſpectables.
134 MERCURE DE FRANCE .
Environ dix ans après la mort de Fré
deric II , Encelin avoit entierement affervi
Vérone , Trente , Vicenze & Padoue.
Cette derniere ville , fatiguée de fon defpotifme
, venoit enfin de le bannir . La
révolution fe fit en fon abfence . Comme
il accouroit au fecours d'Andefife , fon
neveu , auquel il avoit laiffé le comman
dement de la ville , un homme éperdu &
courant à toutes jambes , fe préfente à lui .
Quelles nouvelles , lui demande Encelin ?
mauvaiſes , répond le fuïard ; Padoue eft
perdue. Auffi- tôt Encelin le fait pendre.
A quelques pas delà il rencontre un autre
coureur & lui fait la même queſtion . Celui-
ci mieux avifé demande à l'entretenir
en particulier , & cette difcrétion lui
fauve la vie.
Albert Scotte , qui avoit dépouillé Mafféo
Visconti de la feigneurie de Milan ,
fe voyant affermi dans cette feigneurie ,
fut curieux de fçavoir comment Mafféo ,
caché dans une retraite ignorée , fuppor
toit fa difgrace. Il chargea quelqu'un d'a
droit & d'intelligent de le découvrir , &
Jui promit le plus beau cheval de fon écu
rie , s'il lui rapportoit la réponſe de Vifconti
à ces deux queftions. La premiere :
Comment ilfe trouvoit de l'état obfcur où il
étoit réduit ? La feconde : Quand il comp
OCTOBRE. 1771. 135
toit revenir à Milan ? « Je fuis content
» dans mon état , répondit Mafféo , parce
» que je fçais m'accommoder aux tems ;
» du refte , dis à ton maître qu'il me re-
» verra dans Milan , lorfque fes iniquités
furpafferont les miennes . » "
Ces deux nouveaux volumes de révo
lutions d'Italie juftifient l'accueil que le
Public a fait aux premiers & en font déftrer
la fuite.
Leçons de Clavecin & principes d'harmo
nie ; par M. Bémetzrieder. A Paris ,
chez Bleuet , pont Saint- Michel .
On demande ce que M. Bemetzrieder montre à
Jes Eléves & ce qu'on peut apprendre dansfon ouvrage
, intitulé , Leçons de Clavecin & principes
d'harmonie. L'analyfe de cet ouvrage eft la réponfe
la plus naturelle qu'on puiffe faire à ces
queftions , & nous allons donner.
Son ouvrage eft divifé en deux parties & en
douze dialogues . La derniere partie eft un abrégé
fuccinct de la théorie ; il expofe très au long ſa
pratique dans la premiere .
Dans les trois premiers dialogues , il apprend à
fon élève les noms des douze touches de l'inftrument
; il lui fait remarquer les treize fons de l'oc
tave & les douze intervalles qui les féparent.
De ces treize fons , il en néglige pour le moment
cinq , afin de former des huit fons reftans
l'octave du genre diatonique.
Il fait obferver la nature & l'inégalité des fept
136 MERCURE DE FRANCE .
intervalles formés par ces huit fons. Delà naît la
diftinction des deux modes , l'un majeur & l'autre
mineur.
Il montre la marche des huit fons de l'octave ,
en montant & en defcendant , tant en majeur
qu'en mineur.
Il obferve l'ordre des fept notes, naturelles , diè-
Les ou bémols .
Il prend chacun des douze fons de l'octave
chromatique pour tonique d'une nouvelle octave
où les huit fons de l'octave diatonique fe fuccédent
fuivant les modèles connus du majeur & du
mineur.
Delà il forme à fon élève une idée nette des
ving- quatre tons , dont douze majeurs & douze
mineurs.
Il examine les rapports qui regnent entre ces
tons & qui les rapprochent ; ce qui donne à fon
élève la facilité d'affigner le nombre de dièfes , de
bémols & de notes naturelles dans chaque ton .
Cela fait, il l'exerce dans ces vingt - quatre tons;
& pour les lui rendre également familiers , il lui
en fait jouer les games avec les deux mains ; &
par des enchaînemens de games dans les tons relatifs
ou par des portions de ces games ,
il le promene
dans tous lestons.
Si fon élève le propofe de lire ou d'écrire , il lui
fait connoître les clefs , les notes , leur valeur , les
méfures & les paufes , étude qui lui eft inutile s'il
ne veut qu'être purement & fimplement harmonifte.
Parmi fes élèves il y en a qui ne favent pas en-
'core ce que c'est qu'une blanche , une noire , une
croche , & qui favent préluder dans tous les tons ,
à leurfantaisie ou à la dictée d'un komme de l'art. ”
OCTOBRE. 1771. 137
L'objet du quatrième & du cinquième dialogues
eft de montrer à l'élève bien exercé , bien familia.
rifé avec les games dans tous les tons , qu'on peut
former dans chacun de la mélodie & de l'harmonie.
1
Il laifle la mélodie parce que c'eft une affaire
de génie qui ne s'enfeigne point , & il apprend à
fon élève à produire l'harmonie principale du corps
fonore , & cela dans tous les tons.
Enfuite il lui fait enchaîner les tons par quinte,
par quarte ; dans les leçons précédentes , chaque
ton étoit repréfenté par fa game ou par une portion
de fa game , ici il eft repréfenté par fon corps
fonore.
Il accoutume fon élève à pratiquer l'harmonie
principale du corps fonore de chaque ton avec les
deux mains. Il ne l'aflujettit point à frapper toujours
enſemble & dans un ordre uniforme, les fons
qui compofent cette harmonie ; au contraire , il
Jui démontre par des exemples, qu'on n'altere point
l'harmonie en faisant entendre alternativement
les fons , non plus qu'en fe fervant de différentes
pofitions.
Il l'arrête dans chaque ton , lui faifant prati
quer différentes batteries fuivant les trois pofitions
; d'où il réfulte une telle familiarité avec le
corps fonore de chaque ton , que le ton , la game
& fon corps fonore le préfentent à la fois &
fans effort à l'oreille & aux doigts. a
La fucceffion des tons & de leur harmonie naturelle
& principale prépare infenfiblement au
changement de ton .
Chaque corps fonore de chaque ton devient une,
harmonie fixe dans l'organe , & l'élève eft tellement
habitué aux vingt- quatre corps fonores & à
138 MERCURE DE FRANCE.
leur harmonie naturelle que, s'il écoute quand on
les enchaîne , & qu'on s'arrête dans le cours de lá
marche , il dit à celui qui joue : vous êtes en tel
ton; que,fi on lui nomme un ton au haſard , il en
exécute fur le champ la game , parcourant toute
l'étendue du clavier ou par une fucceffion de games,
ou par la feule fucceffion des fons naturels
du corps fonore.
que le
Dans le fixième dialogue , il obferve à fon élève
corps fonore ou l'harmonie naturelle eft la
mêne choſe; & à l'imitation de cette conſonnance
principale , il forme dans chaque ton cinq autres
harmonies confonnantes , celles de la feconde, de la
tierce , de la quarte , de la quinte & de la fixième
notes de la game.
Des harmonies confonnantes de la tonique,de la
quatrième , de la cinquiéme & de la fixiéme notes,
il compoſe une phrafe harmonique qu'il fait pratiquer
à fon élève dans tous les tons.
Il a noté & varié pour la main droite les harmonies
par des formes différentes de batteries ; &
il a donné toutefois à la main gauche un , deux ,
ou trois fons de l'harmonie exécutée par la maia
droite.
Ces préléminaires rendent fon élève maître des
harmonies confonnantes dans tous les tons; & la
répétition fréquente de la même phrafe fournit à
T'oreille une comparaifon qui fixe pour elle les
différens caractères des vingt- quatre tons.
Au feptiéme dialogue , il introduit dans chaque
ton deux harmonies diffonantes , celles de la feconde
& de la cinquième notes. Il combine ces
deux diffonances avec les harmonies confonnantes
de la tonique , de la quatrième , de la cinquième
& de la fixiéme notes ; il réſulte de cette combiOCTOBRE
. 1771 139
naifon une nouvelle phrafe harmonique à exécuter
par fon élève , & toujours dans tous lestons.
Lorfque rien n'embarrafle l'élève dans la pratique
des quatre harmonies confonnantes & des
deux harmonies diffonantes dans chaque ton ,
c'eft alors que le maître lui parle des accords produits
par les harmonies , felon les baſles qu'elles
peuvent accompagner ; & c'eſt ainſi qu'il entre
dans fon huitième dialogue.
Il donne pour baffe à chaque harmonie les notes
qui la compofent ; il attache l'attention de fon
élève fur les rapports de ces harmonies avec leurs
bafles , & lui fait déterminer à lui -même , les noms
de ces rapports , d'après leur propre nature.
L'élève voit que chaque harmonie confonnante
donne trois accords , & que chaque harmonic diffonante
en donne quatre.
A ces accords le maître en ajoute trois autres
qui naiffent de l'harmonie diffonante de la dominante
, accompagnant la tonique & les tierces majeures
& mineures.
Il ne manque pas de faire remarquer à ſon élève
la place occupée dans la gamme par la bafle de
chaque accord. Il le tient là - deffus jufqu'à ce qu'il
puifle dire de chaque accord ainfi que de la faufle
quinte , par exemple , la bafle de cet accord eft
fenfible de l'octave , & l'harmonie qui le produit
eft la diffonante de la dominante : en ut dièfe fi la
baffe eft fi dièfe & le chant principal fa dièſe ,"
l'accord eft une faufle quinte.
Après ce travail, l'élève eft occupé à accompagner
chaque note de la gamme par toutes les harmonies
qui renferment cette bafle , à affigner à chaque
note de la gamme les accords qui lui font propres;
enfin à donner un feul accord à chaque note
140 MERCURE DE FRANCE .
pour accompagner lagamme: & avec la faufle quinte,
le triton, l'accord parfait de la tonique, l'accord
de fixte fur la tierce , il traverse tous les tous
majeurs .
Il apprend enfuite les fignes qu'on place fur les
notes de la bafle pour défigner les accords , fuppolé
qu'il veuille lire & écrire ; s'il ne veut être
que purement & fimplement harmoniſte , c'eſt encore
une étude fuperflue .
Dans le neuvième dialogue , l'élève s'occupe à
parcourir la gamme avec les feuls accords confonnans
, à exécuter l'octave chromatiquement de la
main gauche & à l'accompagner de la droite de
plufieurs manieres.
C'eft ici qu'on lui parle des accords de fufpenfion
. Ces accords & tous ceux qui font connus
de l'élève font employés pour accompagner des
progreffions de baffe qui conduifent dans tous les
tons.
L'auteur prévient la claffe des virtuofes de ne
pas prendre fes exemples pour de beaux morceaux;
il fuffit qu'ils fatisfaffent au deffein qu'il avoit de
montrer à fon élève , en employant tous les accords
& en parcourant tous les tons , comment on pouvoit
enchaîner les tons & les accords . Un morceau
de génie n'exige fouvent que peu d'accords & peu
de changement de tons : on les preffe , on les entaffe
dans un exemple où il s'agit des principes de l'art
& non des règles du goût.
Dans le dixième dialogue , il préfente à (on élève
différentes manieres de quitter un ton & de paffer
dans un autre.
Le onzième dialogue traite de l'harmonie d'emprunt
, de l'harmonie fuperflue , des accords qui
en émanent & de leurs fignes.
OCTOBRE.
1771. 141

Lorique fon élève eft rompu avec ces deux nouvellesharmonies
& avec leurs accords , il le ramene
aux gammes , lui en faifant accompagner chaque
notede toutes les harmonies qui la renferment ,
& affignant de rechef à chaque note de la gamme
tous les accords qu'elle peut porter.
L'octave parcourue chromatiquement à l'aide
de quelques accords d'emprunt & fuperflus , il
l'exerce fur quelques nouveaux paffages d'un ton
à un autre , fournis par
l'harmonie d'emprunt ;
puis il lui fait traverſer toutes les modulations à
l'aide de deux nouvelles progreffions de baffle.
C'eſt dans le même dialogue qu'il dicte à fon
élève une progreffion de bafle qu'il lui laifle le
foin d'acheverdans l'intervalle de la onzième leçon
à la douzième.
Le douzième dialogue commence par l'examen
du travail de l'élève ; & ce travail fe trouve bien
fait. Alors l'élève commence à fentir les forces.
On l'exerce à forme: beaucoup d'accords fur la
même baſle , & cela fans la changer. On reprend
les fix harmonies confonnantes , & l'on en forme
deux nouvelles phraſes harmoniques , l'une pour
les tons majeurs , l'autre pour les tons mineurs.
On introduit enfuite dans chaque ton cinq nouvelles
harmonies diffonantes , lefquelles jointes
aux fix harmonies confonnantes & aux deux premieres
harmonies diffonantes produisent une nouvelle
phrafe pour les tons majeurs & une nouvelle
phrafe pour les tons mineurs.
Il s'agit , après cela , d'examiner les accords
produits par ces nouvelles harmonies ; & c'eft à
quoi l'élève eft occupé .
Au fortir de cette étude il accompagne chaque
note de la gamme en majeur avec tous les accords
142 MERCURE DE FRANCE .
réfultans des fix harmonies confonnantes & des
fept harmonies diffonantes.
Il accompagne chaque note de la gamme en mineur
avec tous les accords réfultans des fix barmonies
confonnantes & des neuf harmonies diffopantes.
Il s'exerce fur deux exemples rélatifs à l'uſage
des accords de feptiéme ; & fur quelques paffages
d'un ton à un autre à l'aide de trois , quatre ,'
cinq , fix , fept diffonances.
Son cours d'harmonie fe termine par une
récapitulation où il rend compte des dières & des
bémols appartenans à chaque ton ; de quelques
rapports fubfiftans entre les différens tons ; des fix
harmonies confonnantes qu'il pratique en chaque
ton ; des fept harmonies diffonantes qui lui font
familieres en chaque ton majeur , & des neuf harmonies
diffonantes qui ne le lui font pas moins en
chaque ton mineur.
Il montre jufqu'où il eft maître des accords produits
les harmonies tant confonnantes que
par
diffonantes ; il en fçait faire ufage ; les accords
d'emprunt ne font pas ftériles lous fes doigts ; il
frappe un accord quelconque dans un ton donné ;
il en accompagne une baffe donnée ; il parcourt
tous les tons , & l'on voit qu'il n'eft aucun changement
de ton qui lui foit étranger.
Et l'auteur s'offre à produire plufieurs de fes
élèves , ne fachant pas jouer un pont neuf, ne con
noiffant pas même une note de musique , qui ont
poffedé toutes ces chofes en moins d'une année de
leçons affidues, & quifont prêts à les exécuterfous
la diftée d'un virtuofe quel qu'ilfoit.
M. Bemetzrieder prouve donc & par fon ouvra
ge &par l'expérience qu'il a affujetti l'harmonie,
OCTOBRE . 1771 .
143
Fcience jufqu'à préfent de pratique & de routine , &
une méthode fixe , invariable , ayant fes principes,
fa marche , fon commencement , fon milieu & fa
fin.
Si l'on ne peut citer ni un auteur , ni un maître,
ni un virtuofe qui ait fait la même chofe ;fi les artiftes
, capables de produire des chefs- d'oeuvre de
mélodie & d'harmonie , ne font pas en état de ren-.
dre raifon de leurs productions comme le feroit un
defes bons écoliers ; fi d'après fa méthode , l'harmonie
laplus profonde n'exige pas la moindre con
noiffance des notes & ne fuppofe pas plus de huit à
neuf mois d'étude facile , mais ininterrompue , &
fi l'harmonie devient par ce moyen un petit travail
d'éducation commune , & l'accompagnement ,
une affaire de lecture qui demande à peine un maî
tre, on nepeut doncfans ingratitude ou fans quel
qu'autrefentiment vil , lui refufer le titre d'inven
teur en cette partie.
Son douziéme dialogue finit par un prélude qui
eft vraiment d'une de fes élèves , ainſi que le compte
qu'elle rend & de la marche de fes tons & de
Les accords.
Quel que foit le fyftême théorique de mufique
qu'on ait adopté , la méthode-pratique de M. Be
metzrieder refte la même.
Mais fifa pratique eft à lui , fa théorie lui appartient
bien plus incontestablement encore. Iln'y
a pas jufqu'à la langue dont il fe fert pour l'expofer
, qu'il n'ait inventée. C'est la fecondepartie
defon ouvrage.
Ses principes fpéculatifs s'appliquent également
au chant & à l'harmonie.
La nature n'a donné que trois fons ; les autres
fons de la gamme y ont été intercallés par l'art. I
144 MERCURE DE FRANCE .
diftingue ceux-ci par la dénomination d'appels ,
& les premiers par la dénomination d'appelés.
Il montre 1°. Que les appels étant autant d'écarts
de la nature ou de chocs donnés au corps
fonore , nous y fommes forcément ramenés ,
Lous
peine de faire des phraſes vides de fens .
2°. Que le fon appelé ne fe préfente pas toujours
à la voix de l'appel .
3°. Qu'il le fait quelquefois folliciter par qua
tre ou cinq appels confécutifs .
4°. Que ces appels ou voix ont chacune leur
énergie plus ou moins forte.
5. Il détermine l'ordre & l'énergie des appels
dans la phrafe harmonique .

6. Il fait voir que ces principes s'appliquent
fans exception à tous les phénomenes , ce qu'on ne
fçauroit dire de la bafle fondamentale.
7°. Que chaque fon d'un appel a fon repos fur
un fon déterminé du corps fonore appelé .
8°. Que la théorie étend la carriere de l'art & affranchit
totalement le génie.
9°. Que l'harmonie n'admet pas indiftinctement
toutes fortes d'appels .
10°. Que tant qu'on ne trouvera pas le
moyen
d'augmenter la douceur de l'harmonie naturelle
du corps fonore , il y aura des appels fi durs qu'ils
ne pourront être employés , parce qu'ils égareront
l'organe ou produiront ce qu'on appeleroit fort
bien du galimathias dans le ftyle , & parce que
l'harmonie ne dédommagera pas fuffifainment de
leur rudefle .
11° . Que cette loi eft la feule règle d'admiffion
ou d'exclufion d'un appel harmonique quelconque.
12 ° . Ses principes lui indiquent l'origine du
mode mineur, ( qu'il regarde comme l'écart le
plus léger de la nature , où le plus foible choc fait
par
OCTOBRE. 1771 145
par l'art , à l'harmonie produite par la nature ;)
l'origine des différentes mefures , & la durée des
fons dans la melure. L'auteur a jetté rapidement
& fuccinctement fes idées. On s'apperçoit ailément
qu'il s'eft moins propofé de les étendre que
de s'en aflurer la propriété.
On lui a demandé s'il pouvoit déduire de la
théorie des appels , la formation de la gamme , &
il a montré qu'elle s'en déduifoit très - naturellement
& très-ĥimplement .
Il prétend dans le même dialogue qu'il n'y a
nulle différence fenfible entre un fon dièze ou le
fon bémol d'au - deffus , ce qu'il appuie fur l'expérience
& la facture des inftrumens.
D'où nous concluerons que s'il y a dans ce gen
re un ouvrage original & utile , c'est celui-là, &
que tant que les adverfaires de l'auteur n'auront
pas trouvé le moyen d'arrêter le progrès deJes élèves,
ce qui n'eft pasfacile , ils feroient tout auffi
fagement de garder le filence.
M. Bemetzrieder compte parmi les élèves des
hommes & des femmes du premier rang , des muficiens
par état , des hommes de lettres , des philofophes
, de jeunes perfonnes , des perfonnes
âgées , ( car l'âge & l'ignorance de la pratique de
la mufique n'y font rien ) des gens qui ont pris
leçons pendant des années entieres d'autres compofiteurs
& qui n'en ont rien appris ; & tous conviennent
unanimement que la méthode conduit
au but ; un des premiers maîtres d'accompagnement
l'a adoptée , s'y conforme dans fes leçons ,
& a même eu la franchiſe de dire que s'il en eût
été l'inventeur , il fe feroit bien gardé de la publier.
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE:
Mais les nouvelles doctrines ne s'établiſſent ja
mais fans quelqu'oppofition de la part de la va
nité , de l'ignorance & de l'intérêt . L'intérêt & la
vanité craignent qu'on ne les dépouille. L'ignorance
ne veut rien apprendre , ou parce qu'elle
croit tout fçavoir ou parce qu'elle eft parelleufe . A
cette occafion , Vous me permettrez , Monfieur
de vous raconter un fait de la plus grande certitude.
Dans une univerfité étrangere , mais qui n'eſt pas
éloignée de Paris , un jeune profefleur , plein d'amour
& de zèle pour les fciences , propofa de compofer
& d'imprimer un cours à l'ufage de tous les
colléges , & fon motif, très- folide & très -louable ,
étoit d'épargner un tems précieux qu'on perdoit à
dicter des cahiers ; il laifloit à chaque profefleur
la liberté de contredire le cours imprimé , lorf
qu'il auroit des opinions qui lui paroîtroient plus
vraisemblables. Il confie fon idée à quelques amis;
on l'approuve ; il cherche à fe faire des partifans ;
il vifite fes confreres , parmi lesquels il le trouva
un vieux Cartéfien qui lui tint ce difcours dont il
faut au moins approuver la fincérité. « Mon cher
» confrere , tu es jeune & je fuis vieux. Le tems
de travailler eft paffé pour moi. Je n'entends
» rien à votre nouvelle doctrine ; jamais je ne la
pofléderois aflez bien pour n'être pas
» ment embarraflé par mes écoliers. Cela eft dé-
» plaifant ; au lieu que je me tire toujours d'affaire
avec le diftinguo ; » & puis voilà mon vieillard
qui prend la robe de profeffeur , par les deux coins
& fe met à danfer , en chantant : Ily a trente ans
que mon cotillon traîne ; il y a trente ans que mon
Cotillon pend. Son jeune confrere fe mit à rire ,
s'en alla , & abandonna un projet excellent qui n'a
point eu lieu.
à tout me,
Les exemples font imprimés dans l'ouvrage de
OCTOBRE. 1771 . 147
M. Bemetzrieder , le premier de quelqu'impor
tance en ce genre de typographie ; c'est un volume
in-4°. de 360 pages.
ACADÉMIE S.
I.
Bordeaux.
Le jour de la St Louis , 25 Août 1771 ;
l'Académie des belles lettres , fciences
& arts de Bordeaux , tint fa feconde féance
ordinaire .
M. de Lamontaigne , fecrétaire perpé➡
tuel de l'Académie , lut d'abord le programme
fuivant.
2
M. l'Abbé Borin donna lecture d'un
projet de topographie pour le diocèfe de-
Bordeaux.
M. de la Fargue lut enfuite un poëme
intitulé , les Moeurs champêtres.
Enfuite on fit lecture d'un mémoire de
M. Imbert , affocié de l'Académie , fur .
l'effet de l'extrait de Ciguë.
On lut après un mémoire de M. de
Borda , lieutenant- général du préſidial à
Dax, fur les plantations .
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
M. Dupatty finit la féance par la lec
ture de différens morceaux de poëfies.
L'Académie de Bordeaux avoit , cette
année , un prix à diftribuer : prix double,
compofé d'une médaille d'or de la valeur de
300 liv. & de 300 1. en argent . Elle l'avoit
deftiné à celui qui donneroit un procédéplus
fimple & moins difpendieux que ceux quifont
connus , & qui d'ailleurs fût le plus fain ,
pour obtenir, par le raffinage , le fucre de
la plus belle qualité , & dans la plus grande
quantité poffible.
En propofant ce fujet en 1769 , elle ne
s'étoit point diffimulé que les recherches
néceffaires pour parvenir à l'objet intéreffant
qu'elle avoit en vue , demandoient
peut être plus de tems qu'elle n'en
préfentoit alors pour le concours ; que la
nature fe plaît quelquefois à cacher longtems
fes fecrets au génie qui l'interroge;
& que la plupart des découvertes ne font
dues qu'à des hafards heureux , que l'expérience
ne préfente pas toujours au moment
defire : obligée de réferver ce prix ,
elle repropofe le même fujet pour l'année
1774.
Cette compagnie avertit , par fon programme
du 25 Août 1769 , qu'elle avoit
réfervé, pour 1773 , le prix double qu'elle
OCTOBRE . 1771 149
a destiné à la queftion de favoir : Quels
font les principes qui conftituent l'argile ,
& les différens changemens qu'elle éprouve;
& principalement quels feroient les moyens
de la fertilifer?
Pour le prix courant qu'elle aura à diftribuer
, cette même année , elle propofé
aujourd'hui ; que l'on donne des notions
claires &précifes des propriétés médicinales
du regne animal ; que l'on indique les efpèces
vraiment médicamenteufes : & qu'en
particulier on étende fes recherches fur les
vipères , les écreviffes , les tortues & le blanc
de baleine : qu'on donne l'analyfe chymique
de chacune de ces fubftances , & qu'on
l'appuye d'obfervations exactes & faites
avec foin dans les maladies pour lesquelles
on les aura employées .
Elle annonce de nouveau que , l'année
prochaine , elle aura à difpofer de trois
prix. L'un ( double ) réſervé de 1770 ,
pour lequel elle a demandé :
Quelle eft la meilleure maniere de mefurerfur
mer la vireffe ou le fillage des vaiffeaux
, indépendamment des obfervations
aftronomiques , & de l'impulfion ou de la
force du vent ; & fi à défaut de quelque
méthode nouvelle , & meilleure que celle du
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
lock ordinaire , il n'y auroit point quelque
moyen de perfectionner cet inftrument , au
point de pouvoir en faire ufage lorfque la
mer eft agitée , & d'empêcher la ficelle de
s'allonger ou defe racourcir , du moinsfen
fiblement ; & fi enfin il ne feroit pas poffible
de mefurer par quelque inftrument , égale
mentfimple & peu coûteux , le tems de zo30
fecondes que dure ordinairement l'obſervation
, plus exactement que l'on ne fait avec
les fabliers dont on a coutume de fefervir.
Le fecond ( Gimple , prix courant ) pour
fujet duquel elle a demandé : Quels font
les alimens les plus analogues à l'espèce
humaine ?
Et le troifième (prix extraordinaire )
qu'elle a destiné au meilleur Eloge de Michel
de Montagne.
Pour ce dernier prix , elle a demandé ·
que les ouvrages lui fuffent envoyés avans
le premier Janvier 1772 ; s'étant propofé
de le diftribuer dans une affemblée qu'elle
tiendra extraordinairement pour cet objet
dans la femaine de Pâques. Pour tous les
autres, elle recevra les mémoires jufqu'au
premier Avril exclufivement..
Les auteurs auront toujours attention
de ne point fe faire connoître , & de mete
OCTOBRE. 1771.
tre feulement leurs noms & leurs qualités
dans un billet cacheté , joint à leurs ouvrages
. Les paquets feront affranchis de
port , & adreffés à M. de Lamontaigne ,
fils , fecrétaire perpétuel de l'académie.
1 1.
Montauban.
L'Académie des belles - lettre de Mona
tauban , pour célébrer , fuivant fon ufage ,
la fête de de St Louis , a affiſté le 25 Août,
dans l'églife de la paroiffe St Jacques , à
une meffe qui a été fuivie de l'Exaudiat
pour le Roi , & du panégyrique du Saint
prononcé par le R. P. Benjamin , grand
Carme de la province de Toulouſe , doc
teur de Sorbonne.
L'après-midi , l'Académie a tenu une
affemblée publique dans la falle de l'hô
tel- de- ville , où elle a été reçue conformément
au réglement donné par le Roi.
M. de Saint- Hubert , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , faifant
la fonction de directeur , a ouvert la féance;
& après en avoir expofé le fujet , il a
recité une fable allégorique fous ce titre :
Giv
452 MERCURE DE FRANCE .
les Zéphirs &les Fleurs , dont le ſtyle étoit
heureufement afforti au fujet.
M. l'Abbé de la Tour , doyen de l'églife
de Montauban , a lu une diſſertation
fur l'Honnêteté & fur les différentes acceptions
d'un mot en apparence fi connu ,
mais d'une fi grande étendue dans les divers
fens dont il eft fufceptible.
M. Teulieres a lu une fable allégorique
fur la caufe des maux qui affligent l'hu
manité , de la compofition de M. Dupuy
Montbrun , capitaine de dragons , dans la
Légion Corfe , affocié correfpondant de
l'Académie .
Cette lecture a été fuivie de celle d'un
Effai fur l'Education des Perfonnes dufexe,
par M. l'Abbé Bellet qui , après avoir obfervé
qu'on ne s'occupe pas affez férieufement
d'un objet fi important , a montré
que cette omiffion eft également injufte
& meurtrièrefous quelque rapport qu'on
l'envifage.
M. Teulieres a fait part à la compagnie
d'une feconde piéce de vers allégoriques,
de la compofition de M. Dupuy Montbrun
, & l'on a reconnu que l'auteur a
cette fineffe de goût & cette heureufe facilité
qui font néceffaires pour réuffir dans
ce genre .
OCTOBRE. 1771. 753
M. de St Hubert a récité des vers où
l'on a vu que , fous fon pinceau , la mo
rale même fçait fe revêtir de couleurs
agréables.
On a lu le poëme auquel le prix a été
adjugé , & dont M. Revel , avocat au parlement
de Toulouſe , s'eft depuis déclaré
l'auteur.
La féance a été terminée par la diftribution
du programme ſuivant :
L'Académie des belles-lettre de Montauban
diftribue tous les ans , le 25 Août,
fête de St Louis , un prix d'éloquence ,
fondé par M. de la Tour , doyen du
chapitre , l'un des trente de la même Académie.
Ce prix eft une médaille d'or de
la valeur de deux cens cinquante livres ,
portant d'un côté les armes de l'Acadé
mie , avec ces paroles dans l'exergue :
Academia Montalbanenfis fundata aufpice
LUDOVICO XV. P. P. P. F. A. Imperii
anno XXIX : Et fur le revers ces
mots renfermés dans une couronne de
laurier : Ex munificentiâ viri Academici
D. D. Bertrandi de Latour Decani Eccl.
Montalb. M. DCC. LXIII.
L'Académie a regretté de n'avoir pû
adjuger le prix de cette année ; & comme
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
le fujet qu'elle avoit donné lui a paru me.
riter d'être traité d'une manière plus directe
& plus précife , elle s'eft déterminée
à le propofer de nouveau aux auteurs.
Ainfi le fujet du prix d'éloquence pour
l'année 1772 , fera : le Défintéreſſement
eft la marque la moins équivoque d'une
grande ame : conformément à ces paroles
de l'Ecriture : Divitias nihil effe duxi.
Le prix de 1771 ayant été réſervé ;
l'Académie le deftine à une ode ou à un
poëme dont le fujet fera : les Progrès du
Chriftianifme dans le Nouveau Monde.
Le prix de poësie qu'elle a diftribué a
été adjugé à un poëme qui a pour fentence
: la molleffe oppreffée....foupire, étend
les bras , ferme l'ail & s'endort. Boileau ,
Lutr. chant. 2 .
Les auteurs font avertis de s'attacher à
bien prendre le fens du fujet qui leur eſt
propofé , d'éviter le ton de déclamateur ,
de ne point s'écarter de leur plan , & d'en
remplir toutes les parties avec jufteffe &
avec préciſion .
Les difcours ne feront tout au plus que
'de demi - heure de lecture , & finiront par
une courte prière à Jefus - Chrift .
On n'en recevra aucun qui n'ait une
OCTOBRE . 1771. ISS
approbation fignée de deux docteurs en
théologie.
Les auteurs ne mettront point leur
nom à leurs ouvrages , mais feulement
une marque ou parafe , avec un paffage
de l'Ecriture Sainte , ou d'un Père de l'Eglife
, qu'on écrira auffi fur le régiftre du
fecrétaire de l'Académie.
Ils feront remettre leurs ouvrages par
tout le mois de Mai prochain , entre les
mains de M. l'Abbé Bellet , fecrétaire
perpétuel de l'Académie , en fa maiſon ,
rue Cour- de- Toulouſe .
Le prix ne fera délivré à aucun qu'il
ne le nomme , & qu'il ne fe préſente en
perfonne , ou par procureur , pour le recevoir
& figner le difcours.
Les auteurs font priés d'adreffer à M. le
fecrétaire trois copies bien lifibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte.
Ils font enfin invités de relire & de cor.
riger exactement les copies de leurs ouvrages
, & d'obferver toutes les conditions
prefcrites par l'Académie,
156. MERCURE DE FRANCE.
I I.
Prix proposés par l'Académie Royale des
Sciences , Infcriptions & Belles Lettres
de Toulouse , pour les années 1772 ,
3773 & 1774.
Le fujet proposé pour le prix de 1771 ,
étoit d'affigner les loix du retardement
qu'éprouvent les fluides dans les conduites
de toute efpéce. Parmi les piéces envoyées
à l'Académie , aucune ne lui ayant
páru digne du prix , elle a cru ne pouvoir
en faire un meilleur ufage que de l'adju
ger au Traité élémentaire d'Hydrodinamique
, par M. l'Abbé Boffut , imprimé en
1771 , dont l'auteur a fait hommage à la
Compagnie. Cet ouvrage où l'expérience
fupplée au défaut de la théorie , a paru
remplir le fujet propofé , relativement
aux canaux ouverts ; mais n'ayant pas affez
éclairci les loix du retardement qu'éprouvent
les fluides dans les conduites dont
les tuyaux font fermés , fur tout dans ceux
quifont des contours & des angles , l'Aca
démie a cru devoir propofer pour le prix
de 1774 cette derniere branche de fon
fujet.
On fut informé en 1779 , que le ſujet
OCTOBRE . 1771 .
197
du prix de 1772 , étoit de déterminer les
avantages & la meilleure méthode d'inoculer
la petite vérole .
Quant au prix de 1773 , qui fera double
, l'Académie annonçà , l'année derniere
, qu'elle propofoit de déterminer
1º. Les révolutions qu'éprouverent les Tec- `
tofages , la forme que prit leur gouvernement
& l'état de leur pays fous la dominationfucceffive
des Romains & des Vifigots.
2° . Leurs loix & leur caractere fous la puif
fance des Romains .
Le prix que l'Académie diftribue eft de
la valeur de 500 liv.
Les fçavans font invités à travailler fur
les fujets propofés. Les membres de l'Académie
font exclus de prétendre au prix ,
à la réferve des affociés étrangers .
Ceux qui compoferont font priés d'écrire
en françois ou en latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui foir
bien lifible , fur tout quand il y aura des
calculs algébriques.
Les auteurs écriront au bas de leurs
Ouvrages une fentence ou dévife ; mais
ils pourront néanmoins y joindre un billet
féparé & cacheté qui contienne la même
fentence ou dévife , avec leur nom ,
leurs qualités & leurs adreffes ; l'Acadé158
MERCURE DE FRANCE.
mie exige même qu'ils prennent cette précaution
, lorfqu'ils adrefferont leurs écrits
au fecrétaire. Ce billet ne fera point ouvert
, fi la piéce n'a remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour le prix
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'Abbé de Rey , fecrétaire perpétuel de
l'Académie , ou les lui faire remettre par
quelque perfonne domiciliée à Touloufe.
Dans ce dernier cas ,il en donnera fon résépiffe
, fus lequel fera écrite la fentence
de l'ouvrage , avec fon numéro, felon l'or
dre dans lequel il aura été reçu .
Les paquets adreffés au fecrétaire doi
vent être affranchis de port.
Les ouvrages ne feront reçus que juf
qu'au dernier jour de Janvier des années
pour le prix defquelles ils auront été com
pofés.
L'Académie proclamera dans fon affemblée
publique du 25 du mois d'Août
de chaque année , la piéce qu'elle aura
couronnée .
Si l'ouvrage , qui aura remporté le prix,
a été envoyé au fecrétaire à droiture , le
tréforier de l'Académie pe délivrera le
prix qu'à l'auteur même qui fe fera con
noître , ou au porteur d'une procuration
de fa part,
OCTOBRE. 1771. 159
S'il y a un récépiffé du fecrétaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréſentera.
L'Académie , qui ne prefcrit aucun fyftême
, déclare auffi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronne ..
SPECTACLE S.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE Toyale de Muſique a donné,
pour la premiere fois , le vendredi , 4 Octobre
, les fragmens compofés d'Ixion ou
de l'acte de l'Air du Ballet des Elémens ;.
dont le Poëme eft de Roy , & la mufique
de Deftouches de celui de la Sibille ,
du Ballet des Fêtes d'Euterpe , les paroles
de M. de Moncrif, la mufique de M.
d'Auvergne , Surintendant de la mufique
du Roi , & Directeur de l'Académie
Royale ; & du prix de la Valeur , nouveau
ballet héroïque en un acte , compofé
, pour le poëme , par . liveau , de
l'académie royale de Mufique, & pour la
mufique , par M. d'Auvergne
Les acteurs de l'acte de l'Air , ſque
160 MERCURE DE FRANCE.
Ixion, repréfenté par M. Durand ; Junon;
par Mlle du Plant ; Mercure , par M. le
Gros , & Jupiter par M. Callaignade.
Ixion ofe élever fes defirs jufqu'à Junon
; Mercure veut en vain découvrir le
fecret de fon coeur. Junon paroît fur fon
trône , le tems eft à fes pieds , les heures
à côté d'elle , avec les aquilons & les
zéphirs. Elle donne fes ordres aux miniftres
de fes volontés. Ils fe retirent
elle fait confidence à Ixion de fes ttanf
ports jaloux , elle lui dit :
Allez , cher Ixion , defcendez fur la terre,
Mes aquilons n'obéiront qu'à vous ;
Sachez quelle beauté plaît au dieu du tonnerre ,
Et livrez la victime à mes tranſports jaloux.
IXION lui répond :
Avec bien moins de courroux
La vengeance fe fignale ,
Ne puniffez que l'époux
Sans fonger à la rivale.
JUNON.
Et qui peut remplacer Jupiter dans mon coeur ?
IXION.
Un amant moins fuperbe & plus rempli d'ar
deur.
;
Ixion lui déclare fa paffion. Junon en
OCTOBRE. 1771. 168
eft indignée ; un nuage la dérobe aux
pourfuites de cet Amant téméraire , &
Jupiter le punit en le précipitant au fond
du Tartare. Le balier de cet acte eft de la
compofition de M. d'Auberval . Mlle Heinel
y danfe deux entrées.
Dans l'acte de la Sibille , Mlle du Plant repréfente
le rôle de Zoraïde , M. Larrivée
celui de Zimès , Mlle Beaumefnil le rôle
d'Eglé , & Mile Rofalie le rôle de la
Sibille .
"
Zimès fe plaint des rigueurs de Zoraïde
& Zoraïde de l'infidélité de fon
Amant , la Sibille vient entourée d'amans
& amantes ; elle leur chante :
De ce tant heureux jour
Profitez tous , je vous prie :
Car j'enfeigne d'amour
La douce fantaiſie.
N'avoir l'amour ſuivie ,
Dès fon printems c'eft vieillir ;
Mais anner c'eft cueillir
Les roles de la vie.
Zimès dit à la Sibille :
Daignez m'entendre & m'éclairer
Au tems où l'amour fidèle
Infpiroit du moins la pitié ,
Si , dans le coeur d'une belle
1
162 MERCURE DE FRANCE.
La douceur , la feinte amitié
Eût caché la haine mortelle ;
Comment cût- elle expié
Cette trahilon cruelle ,
Au tems où l'amour fidèle
Infpiroit du moins la pitié ?
ZORAÏDE à la Sibille.
S'il eft eft vrai qu'au tems jadis
Deux amans faits pour être unis ,
Lifoient dans le coeur l'un de l'autre ,
Ah ! que ces tems fi chéris
Etoient différens du nôtre!
On eft fan's celle allarmé ,
Quand un tendre amour nous enchaîne
On prend le dépit pour la haine
Dans un coeur qui ne fçait qu'aimer.
LA SIBILLE , aux Amans.
Expliquez-vous , n'ayez de crainte ;
Tous deux avez raiſon :
Le filence & la feinte
Aux amours eft mortel poiſon.
Le regard , le parler , la plainte
Sont le chemin de guérifon.
Zoraïde & Zimès reconnoiffent leur
erreur , & fe jurent de s'aimer toujours
OCTOBRE. 1771 : 163
Le ballet de cet acte eft de la compofition
de M. Gardel . On y remarque furtout
la contredanfe , fes entrées , celles
de Mlle Guimard , & le pas de trois des
petits amours.
Les rôles de l'acte du prix de la valeur
font remplis , favoir , Vénus par Madame
Larrivée , Mars par M. Larrivée ,
Elife , Nymphe favorite de Vénus , par
Mlle Beaumenil , Amintor > amant
d'Elife , par M. le Gros.
Elife, inquiéte de fon amour & de celui
defon amant , chante :
Tyran des coeurs , devoir impérieux ,
Tu caufes tous les maux qui déchirent mon ame
Toi feul m'as d'Amintor fait rejetter les voeux ,
Lorfqu'en fecret je partageois la flame.
Pour chercher les.combats il a fui de ces lieux ,
Peut- être on a tranché des jours fi précieux !
Vénus lui annonce la préfence de
Mars , & le retour d'Amintor triomphant
. Elle avoue l'intérêt qu'elle prend
à ce Guerrier , mais elle veut diffimuler
fon amour. Vénus ordonne les préparatifs
de la fête , où le plus illuftre Guer
rier doit être couronné.
164 MERCURE DE FRANCE .
Mars vient dépofer aux pieds de Vénus
les trophées de la victoire. Les Graces
défarment le Dieu des Héros , Mars invite
fes Guerriers à pafler du fein de la
victoire dans le fein des plaifirs.
VENUS , à Mars.
Pour rendre encor ce jour plus mémorable
Au prix qu'attend de vous le plus digne guerrier ,
Je veux joindre un bien préférable
A l'éclat du plus beau laurier.
Je veux qu'une nymphe charmante ,
A fon fort s'unifle en ce jour.
La couronne la plus touchante
Eft celle qu'on doit à l'amour,
Amintor célèbre le bonheur du guer
rier qui
Sans doute aux pieds d'Elife apportera l'homë
mage
De fon triomphe & deles voeux.
Elife vante encore les charmes de l'indifférence
; mais fon amour ne tarde pas
à éclater aux yeux de fon amant . Le choeur
des Guerriers nomme Amintor pour le
plus digne du prix de la valeur ; Vénus
OCTOBRE . 1771: 165
& Mars lui donnent la couronne , Amintor
en fait auffi-tôt l'hommage à Élife ;
on chante fa gloire & fon bonheur.
Les deux divertiffemens de ce dernier
acte font de M. Veftris . Celui de la fin
étoit d'abord terminé par une contredanfe
où devoient danfer M. d'Auberval &
Mlle Allard ; mais leur indifpofition
ayant privé le fpectacle de leurs talens ,
on a fubftitué à la contredanſe une chaconne
dans laquelle M. Veftris a danfé.
Ces fragmens font bien remis , acccompagnés
de la pompe du fpectacle & foutenus
par les premiers talens , ils font plaifir.
Le 10 de ce mois , on a pofé dans le
foyer de l'opéra les beaux buftes en marbre
de Quinault poëte ; de Lully , & de Rameau
, muficiens ; fupérieurement exécutés
par M. Caffieri , fculpteur du Roi. Les
foyers des fpectacles vont devenir les ly
cées des hommes de génie qui s'y font dif
tingués.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont donné le
Jeudi 26 Septembre la première repréfentation
du Fils Naturel, ou les Epreu
166 MERCURE DE FRANCE.
ves de la Vertu , Drame en cinq actes
en profe , par M. Diderot . Cette pièce
a été retirée , ou du moins interrompue
apiès la première repréſentation . Elle eſt
trop connue par l'impreffion , & trop
répandue pour que l'on en faffe ici l'analyfe.
Le public l'a déjà vraisemblablement
jugée .
On prépare plufieurs nouveautés à ce
théâtre,
COMÉDIE ITALIENNE.
Le Samedi , 24 Aoû ?, les Comédiens
Italiens ont donné la première tepréfentation
des deux Miliciens , Comédie
nouvelle en un acte , mêlée d'ariettes.
On doit tirer la milice dans le village.
Un jeune homme , qui aime paffionnément
une orpheline , & qui , par amour
autant que par humanité , eft l'appui &
la refource , par fon travail , de la famille
de fa maîtreffe , craint d'en être
féparé . Tous les habitans s'intéreſſent
pour cet amant généreux ; le Subdélégué
lui- même , prévenu par fa maîtreffe
ne peut s'empêcher de defirer que le fort
ne l'enleve pas à l'objet de fa tendreffe
OCTOBRE. 1771. 167
mais il ne doit point faire une injuftice
pour le favorifer. Le moment fatal arrive :
un riche fermier fait préfent au Syndic
du village d'un cochon de lait pour le
faire exempter de la milice. Il fe croit
sûr d'être difpenfé , & il eft engagé, à lon
grand étonnement. Un payfan , qui contrefait
l'eftropié , tire un billet blanc , &
auffi tôt il eft guéri . Enfin vient le tour
du jeune homine , & left Milicien. II
fe défole , & avec lui fa maîtreffe , &
tous ceux qui font témoins de cerre
fcène attendrillante. Mais cet amant a un
ami généreux , qui a échappé au fort , &
qui s'offre de le remplacer. Cet acte d'amitié
cendre & généreux attendrit
tous les fpectarears ; il rend un amant à
fa maîtreffe , & un bon ouvrier à fa famille,
Cette pièce a eu du fuccès. Elie eft
bien écrite par un officier qui connoît le
coeur humain , & qui fait qu'une action
généreuse est toujours intéreffanre. La
mufique eft agréable , & annonce beaucoup
de talent dans M. Frizieri , aveu
gle depuis l'âge d'un an .
Les rôles ont été parfaitement rendus
par Madame Trial , Madame Berard
MM. Nainville , Julien & Veronéſe,
168 MERCURE DE FRANCE:
LE DOMIN O.
Nouveau Canevas italien , en deux actes.
ACTE PREMIER.
Argentine époufe d'Arlequin eft une
véritable Madame Honefta qui refufe
conftamment de prêter l'oreille aux douceurs
de Scapin , & qui défefpere fon
benet de mari par fon humeur impérieufe.
L'amant rebuté projette de fe venger.
Il perfuade à l'époux qu'il a gâté fa femme
par trop de complaifances ; il lui
confeille de fe mettre à la mode , de
s'attacher à une autre femme pour corri
ger la fienne ; il lui enfeigne l'art de
faire bien vîte une conquête. Il lui apprend
à foupirer , à faifir leftement une
main , à la baifer amoureufement, Arlequin
répéte les leçons qu'on lui donne,
elles font interrompues par Celio nou
vellement marié à Rofaura. Son amour
lui fait craindre qu'elle ne fuive l'exem
ple de fa tante Leonora , qu'elle ne fe
livre trop au plaifir du bal , de la danſe ,
du jeu ; qu'elle n'écoute les fleurertes des
galants que ces fêtes attirent . Pour s'en
affûrer
OCTOBRE . 1771. 169
affûrer il ordonne à fon valet Arlequin
d'aller porter un domino fuperbe à Ro-
Saura , de lui cacher le nom de celui qui
T'envoie , & de lui dire feulement que
la perfonne en aura un pareil le foir même
au bal . Arlequin feul fait des réflexions.
Il trouve que le tems eft trop mauvais
pour aller foupirer hors de la maifon
, & penfe pouvoir le faire plus commodément
auprès de Rofaura . Il efpére
que la philonomie de caprice dont la
nature la pourvu , lui fervira beaucoup ;
il exécute réellement fon projet , malgré
la préfence de fa femme. Il laiffe
croire à Rofaura qu'il s'eft mis en frais
pour la régaler d'un domino ; il foupire
burleſquement auprès d'elle ; il lui prend
la main , la frotte rudement contre fa
poitrine ; on croit qu'il eft devenu fou ;
fa femme le met à la porte à grands coups
de poings ; il rentre à plufieurs reprifes
pour foupirer.
Cette fcène auroit amufé Roſaura , fi
elle n'étoit allarmée par la crainte de perdre
le coeur de fon époux , qu'elle trouve
indifférent depuis quelques jours. Eleonora
fa tante , fuivie du galant Silvio
vient lui reprocher fon air trifte u
milieu des divertiffemens qu'on s'em-
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
preffe de lui donner ; elle s'excufe du
mieux qu'elle peut & fort. La tante qui
eft une vieille folle auffi éprife du monde
& de tous fes plaifirs que Rofaura y eft
peu fenfible , déploie fon caractère & fes
grands airs vis- à vis de Silvio , fon complaifant.
Pantalon fon mari arrive en
enrageant de ne jamais trouver fa femme
fans Silvio : il le prie de permettre
qu'il dife un mot en particulier à fon
époufe. Silvio fe retire en difant qu'il ne
manquera pas de revenir à l'heure du
dîner : Pantalon profite vîte du moment
qu'on lui laiffe , pour faire des plaintes
à fa femme fur fa façon de fe conduire ,
fur fes bals , fes fêtes continuelles . Elle
répond que c'eft pour amufer fa nièce.
Pantalon lui demande fi c'eft auffi pour
amufer fa nièce qu'elle fe pare , qu'elle
fe coëffe comme une jeune perfonne ,
elle qui eft vieille . Ce mot choque Leonora
, elle fait fon poffible pour changer
de converfation , elle flatte fon mari, lui
demande des nouvelles de fa fanté , lui
trouve le teint frais : Pantalon la remercie
, & revient toujours à l'âge . Leonora
lui offre du tabac , l'opiniatre Pantalon
parle toujours d'âge . Leonora plus impatientée
tire de fa poche un papier de
OCTOBRE. 1771. 171
mufique , fredonne un air , & dit à fon
époux en feignant de chanter un air ,
qu'elle eft ennuyée de fes impertinens
fermons Pantalon ne fe rebute pas &
met toujours l'âge de fa femme fur le
tapis ; mais en gefticulant il touche mal
heureuſement à fes cheveux , la voilà furieufe
! elle confulte fon miroir de poche
, fe trouve affreufe , on vient annon.
cer qu'une compagnie nombreuſe arrive
de Paris , elle envoie fon mari recevoir
le monde , & va à fa toilette avec Silvio
qui eft accouru à fes cris.
ACTE I I.
Argentine foupçonne que fon mari
la folie de foupirer pour Rofaura . Loin
de lui rendre le domino comme le lui
a commandé fa maîtreffe , elle l'a mis
pour éprouver Arlequin. Si fes foupçons
font fondés , elle fçaura le punir.
Elle montre un flacon plein d'un purgatif
qu'elle a préparé exprès. Elle fait appeller
fon mari il vient , il la prend
pour Rofaura , il ſe félicite d'avoirfuivi
les confeils de Scapin : Argentine lui
fait fous le mafque mille agaceries , elle
encourage fa timidité en lui difant que
"
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
l'amour rapproche tous les états , elle lui
demande , s'il n'aime plus fa femme , il
répond qu'il y a déjà long - tems ; il compare
les charmes d'Argentine avec ceux
de fa prétendue conquête , met les premiers
bien au - deffous . Argentine , la
rage dans le coeur , ferre la gorge d'Arlequin
en feignant de le carefler , & d'être
tranfportée d'amour. Celui- ci fe recrie
fur des transports auffi exceffivement tendres
, alors fa femme feint une agitation
graduée , fe laiffe aller fur fon fauteuil
, dit que fes vapeurs la prennent ,
& prie Arlequin de lui donner le flacon
qui eft fur la table . Arlequin , troublé ,
lui apporte le purgatif. Elle fait femblant
d'en boire ; Arlequin en goûte par complaifance
, le trouve bon , & l'acheve
par goût. Argentine remife de fes vapeurs
, dit à fon mari les chofes les plus
tendres , il veut y répondre quand il eft
interrompu par des petites tranchées qui
augmentent peu -à - peu , lui font prendre
diverfes poftures toutes plus comiques ,
& finiffent par le faire rouler à terre. Il
a beau dire qu'une petite affaire l'appelle
ailleurs , Argentine a la malice de le retenir
jufqu'à ce que n'en pouvant plus ,
il fuit en emportant ſa chaife,
OCTOBRE. 1771 . 173
Argentine rit aux éclats , quand Celio
paré d'un domino femblable au fien , paroît
, la prend pour fa femme , lui reproche
fa coqueterie : Argentine fe démasque
, & pour s'excufer raconte le fol
amour d'Arlequin pour Rofaura . Celio le
fait appeller on vient dire qu'il s'eft
enfermé dans fa chambre , qu'il y eft ,
dit- il , en affaire , mais qu'il va defcendre.
Il paroît en effet , en paffant la main
fur fon ventre. Il n'eft pas peu furpris
lorfqu'il voit Argentine à vifage découvert
. Celio le met à la porte pour avoir
eu l'audace de lever les yeux fur Rofaura;
Argentine triomphe ; mais Celio la challe
auffi pour la punir d'avoir révelé la faure
de fon époux . Le malhear reconcilie les
deux époux.Ils accablent de reproches Scapin
, qui en voulant les mettre tous les
deux à la mode , a caufé leur infortune .
Scapin fe pique d'honneur veut leur
prouver qu'il les aime , & prie fon maître
Silvio de s'intéreffer pour eux auprès
de Leonora dont il gouverne l'efprit . Ar
lequin déguifé burlefquement, s'introduit
dans le bal avec Argentine ; ils tombent
aux pieds de Leonora , vantent fes charmes
, fes graces , fa belle taille , & furtout
fa jeuneffe ; la vieille folle enchan
>
Hiij
$ 74 MERCURE DE FRANCE.
tée les fait rentrer en grace , & la pièce
finit par un bal général.
Ce canevas eft plein de comique de
fituation ; les caractères y font foutenus ;
il offre même une efquiffe de nos moeurs,
les fcènes y font bien enchaînées l'une à
l'autre , & les unités du tems & du lien
n'y font pas bleffées comme dans pref
que toutes les pièces Italiennes . Il eft de
la compofition de Madame Baccelly qui
a fupérieurement rendu le rolle de la
tante. Sa pièce , & la façon dont elle file
les fcènes qu'elle joue en impromptu
font voir qu'elle connoît bien la machine
théâtrale , qu'elle fçait en manier les différens
refforts , & qu'elle eft digne de la
réputation dont elle jouiffoit en Italie
lorfqu'elle fut appellée en France par
ordre du Roi. La Demoiſelle Zaneriny
fa fille a joué avec fineffe le rolle d'Argentine
; M. Carlin avec beaucoup de
naturel & de gaîté le rôle d'Arlequin .
On a donné à la Comédie Italienne le
Vendredi 27 Septembre les cinq ages
d'Arlequin, en cinq actes , de M. Goldini.
Cette pièce offre le tableau affez naturel
de la vie humaine dans les différen .
OCTOBRE. 1771 . 175
tes paffions & fentimens qui affectent
Arleqnin enfant , adolefcent , homme ,
vieillard & décrépit. Il paroît fous ces
différens états dans le cours de cette pièce .
Le moyen de lui faire parcourir fi rapidement
la carrière eft le don qu'un Magicien
donne à Argentine de rendre plus
vieux de 20 ans celui qu'elle embraffe , &
par jaloufie contre la femme d'Arlequin ,
que ne veut pas lui confier fon fils ; elle
l'embraffe , & d'enfant il eft adolefcent ;
elle fe marie avec lui , & autant d'embraffemens
qu'elle lui fait le conduifent
à l'extrême vieilleffe ; enfin le Magicien
lui rend la jeuneffe . C'eſt la fable de Titon
avec l'aurore , mife heureufement
en action . Le jeu de M. Carlin rend le
rôle d'Arlequin très- agréable & trèsdivertiffant.
Il a été bien fecondé
gentine & par Pantalon .
par
Ar-
H
176 MERCURE DE FRANCE.
ARTS.
GRAVURE.
I.
La Douleur & la Gatte , deux eftampes en
pendant d'environ 14 pouces de haut
fur 10 de large , gravées la première
d'après le Brun , la feconde d'après Carles
Vanloo par P. C. Levefque. A Paris
, chez l'auteur , rue St Dominique,
au coin de la rue d'Enfer. Prix , 1 liv.
10f. chaque eftampe.
LAA douleur eft ici caractériſée par Por
cie qui avale des charbons ardens pour ne
pas furvivre à Brutus fon époux . Dans
l'autre eftampe Erigone , d'un air enjoué ,
porte les mains à la grappe de raifins
fous laquelle Bacchus s'eft caché pour la
furprendre. Elle exprime la gaîté par
fon attitude & par fa phyfionomie. M.
Levefque a donné de la couleur , de la
netteté & de l'expreffion à fon burin ; fes
eftampes font dignes d'entrer dans les
porte-feuilles des amateurs.
OCTOBRE . 1771 . 177
I I.
Premier & fecond cahier des Cris de Paris ,
deffinés d'après nature par Poiffon . A
Paris , chez Mlle Daniel , rue des Prouvaires
en face de celle des deux Ecus.
Quoique ces fortes de charges aient été
fouvent deffinées , on pourra cependant
s'amufer encore de celles que M. Poiffon
nous donne aujourd'hui . Les cahiers
de format iz 12. font de fix feuilles chacun.
III.
La Jardiniere fleurifte , eftampe d'environ
12 pouces de haut fut 8 de large , gravée
par Bonnet d'après le deffin de feu
M. Boucher , premier peintre du Roi ;
prix 15 fols. A Paris , chez l'auteur, rue
Galande , place Maubert .
Cette Jardiniere eft de bout & dans une
attitude de mouvement. L'eftampe eft
gravée dans la maniere du deffin au
crayon noir , rehauffé de blanc fur papier
bleu .
Le même artiſte diftribue chez lui la
fixiéme figure académique de Femme ,
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
gravée dans la maniere du deffin au crayon
rouge , d'après M. Lagrenée , peintre du
Roi; prix , 15
ſ.
Un recueil de vafes & un autre recueil
d'ornemens gravés dans le même genre
d'après les deffins de M. Panier ; prix ,
15 f. chaque recueil .
I V.
Portrait de François de Boyer de Forefia,
chevalier feigneur de Bandol , confeiller
du Roi en tous fes confeils , fecond
Préſident du parlement de Provence ,
peint par M. Vanloo & gravé par L.
Lempereur . A Paris , chez Bulder , rue
de Gêvre ; prix , 3 liv .
L'eftampe eft de format in 8°. & le
portrait qui eft vu de face eft renfermé
dans un médaillon . Il a été gravé avec
foin. Il peut faire fuite à ceux des hommes
illuftres de ce fiècle. Le préfident de
Bandol mérita l'eftime de Louis XIV par
fes vertus & fes talens ; & Sa Majeſté
Louis XV , dès les premiers momens de
fa majorité , l'honnora des graces les plus
flatteufes. Mde de Sevigné l'annonçoit
dans fes lettres comme un homme fupérieur
en tous les genres & faifant les dé
lices de la fociété.
OCTOBRE. 1771. 179
V.
Suite de fix portraits d'Acteurs & d'Adrices
des trois Théâtres ; prix , 9 liv. A
Paris , chez Elluin , graveur , rue St
Jacques , vis - à - vis celle des Mathurins.
Cette fuite de portraits nous offre ceux
des Srs Legros , Lekain & Laruette , &
des Dlles Duplan , Dumefnil & Laruette .
Ils ont été deffinés par différens artiſtes
dans le coftume du théâtre & gravés avec
foin par le Sr Elluin. Chaque eftampe
peut avoir 9 pouces de haut fur 7 de large.
On a mis au bas des vers qui font
connoître le rôle ou le perfonnage fous
lequel l'acteur eft repréfenté . Des attributs
rélatifs aux différens théâtres fervent
d'ornement aux ovales dans lefquels ces
portraits font renfermés.
L
GEOGRAPHIE.
Es plans , coupes & élévations du magnifique
Colifée , avec une deſcription
détaillée , de vingt quatre pages in 12 ,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
chez le Rouge , Ingénieur Géographe du
Roi , rue des Auguftins. Prix , 30 f.blanc,
3 liv . lavé.
PHYSIQUE.
M. Sigaud de la Fond , Démonſtrateur
de Phyfique expérimentale en l'Univerſité
des Académies de Montpellier , de Ba
viere , d'Angers , de Valladolid , &c.
commencera le Lundi 18 Novembre , à
onze heures du matin , dans fon cabinet,
rue S. Jacques près S. Yves , maifon de
l'Univerfité , un cours d'expériences fur
l'électricité , qu'il continuera les Lundi ,
Mercredi & Vendredi de chaque femaine
; il traitera de toutes les découvertes
qu'on a faites jufqu'à ce jour fur cette importante
matière . Il y parlera des avanta
ges qu'on peut attendre de l'application
de l'électricité au corps humain , des précautions
qu'il convient de prendre , des
cures qu'il a opérées fon
pat moyen.
Il fe propofe de faire connoître par la
voie de notre Journal deux nouvelles
cures , fur lesquelles il a les plus grandes
efpérances , & qu'il voit actuellement
fous les yeux d'un Médecin fort connu.
OCTOBRE. 1771. 181
ARCHITECTURE.
PLAN d'Etude de Deffin , dirigé par
C. DUPUIS , Architecte , Maître de
Deffin de MM . les Pages de Mgr le
Comte de Provence , rélativement aux
connoiffances effentielles dans ce genre
, que doivent avoir les jeunes Gentilshommes,
deftinés à l'Etat militaire.
LA
OBSERVATION .
A premiere étude doit être fondée fur les premiers
principes de l'architecture civile , applicable
à la diftribution & décoration d'une porte de ville,
extérieurement & intérieurement , ainfi qu'aux
corps de cafernes. L'ordre tofcan qui eſt le premier
des cinq ordres d'architecture & le plus
fimple fuffit à cet égard ; on ne fçauroit trop s'af
fujettir à le connoître à fond & à le deffiner proprement
, foit au lavis ou à la plume , & même
Jans les deux gentes ; cette étude reguliere conduit
infailliblement , à traiter avec moins de difficulté
tous les autres genres de deffins qui conviennent
à leur état.
La feconde , celle de la perfpective , fans laquelle
on ne peut juger fainement des effets &
productions de la nature dans les différents
points de vue , d'où elle eft apperçue , n'y deffi→
mer le payfage avec fuccès.
182 MERCURE DE FRANCE.
La troifiéme , celle du paylage deffinée à la
plume & lavée à l'encre de la chine ou avec des
couleurs à la gomme pour diftinguer les différents
objets telon leur nature ; après avoir copié le payfage
d'après les deffins ou gravures , on le tranf
porte à la campagne pour le deffiner d'après nature
reguliérement & par principe.
La quatrième , celle de la figure , mais il eſt
effentiel , lorfqu'on deffine bien la tête & qu'on
connoît les proportions de la figure entiere , de
s'exercer à la deffiner en petit & habillée , car l'académie
eft trop difficile pour de jeunes militaires
qui ontplufieurs exercices à faire & qui ne peuvent
employer tout le tems qu'il faudroit pour y parvenir
, l'habitude de deffiner la figure en petit
leur procurera l'avantage de raffembler facilement
un certain nombre de figures qui représenteroient
une bataille , un camp , ou le tableau hiftorique
des évenemens remarquables pour tous bons
militaires.
La cinquième, celle du cheval , qui jointe à
la connoiflance du cheval qui leur eft communiquée
par un maître particulier chargé de cette
partie fi utile aux écuyers , leur devient ellentielle.
• La fixiéme celle de l'ornement jufqu'à ce
qu'ils foient en état de deffiner un ou plufieurs cartels
, fur un plan dans lequel on place les échel
les , l'énoncé du plan , & c.
La feptiéme , s'ils ont affez de tems , celle de la
gravure à l'eau forte pour être dans le cas de gra
ver foi-même l'aflemblage des connoiffances acquiles
dans la fortification & le deffin , appli
quées aux différens cas où il feroit de la plus grande
importance pour leur avancement , de diftri
OCTOBRE . 1771 : 183
buer le fruit de leur application , tant à leur fou
verain , qu'aux officiers généraux , après une ba
taille ou autres circonftances.
'Inftruction fur différens genres de Deffin.
ARCHITECTURe. 1 ' . genre d'étude.
Les jeunes gentils hommes qui aprennent la
fortification ne peuvent fe difpenfer de joindre à
cet art qui leur eft fi néceflaire , les connoiffan
ces fuffifantes dans l'architecture civile pour y
appliquer avec fuccès les portes de ville avec
ponts levis & ponts dormans , ainfi qu'aux corps
de cafernes , qui en font partie ; cette étude particuliere
donne non-feulement des idées juftes fur
la diftribution , & la décoration des édifices militaires
, mais encore l'intelligence de la diftri
bution & la décoration des bâtimens en général
qui convient à leur utilité particuliere.
PERSPECTIVE. 2 ° . genre d'étude.
La perspective eft l'art de rendre les objets tels
qu'ils le préfentent à nos yeux , lefquels font dits
vas en perfpective , lorfqu'ils font repréſentés
conformément à l'impreffion qu'ils font fur les
yeux.
Cette fcience eft une des plus belles productions
de la Géometrie , elle nous conduit par l'évidence
à imiter & placer dans leurs juftes proportions
tous les objets que l'auteur de la nature expole à
nos yeux dans un bel horifon ; c'eft la perfpec
Live reduite en art , pour compofer le tableau f
184 MERCURE DE FRANCE.
dèle des plus brillantes beautés qui , dans fon exécution
artiftement dirigée , femble même préfenter
quelque chofe de plus piquant que la nature,
parce qu'une ingénieule imitation éveille l'efprit
qui fe plait à en découvrir tous les rapports.
La perspective eft encore une partie de l'optique
, qui donne des regles pour préfenter les objets
dans l'afpect naturel où ils doivent être , à
raifon de leur diſtance & de la poſition de l'oeil ;
on s'en fert avec fuccès dans le paysage , elle
démontre fenfiblement pourquoi les objets paroiflent
diminuer lorfqu'on s'en éloigne , & augmenter
à mesure qu'on s'en approche.
Il eft à propos d'étudier de bonne heure cette
fcience & de le rappeler fouvent ces effets , cela
tend à fe mettre à portée de deffiner tous les ab
jets à vue fur les lieux mêmes avec affez de juf
reffe fans regles , ni compas , pour que le tout enfuite
produife l'effet defiré , il faut pour cela beaucoup
de mémoire & de pratique ; mais l'appli
cation fans laquelle on ne peut acquérir aucunes
fciences , tient lieu de l'une & de l'autre .
PAYSAGE. 3. genre d'étude.
L'étude du paysage conduit à rendre la narure
telle qu'elle le préfente à nos yeux ; le choix
des différens points de vue depend du deflinateur,
on peut juger de fon intelligence par fes productions
, s'il n'eft pas contraint par événemens
de repréfenter des objets qui pourroient étre fans
intérêt , mais qui auroient leur utilité particuliere.
On ne peut deffiner le paysage avec fuccès ſoir
d'après l'eftampe ou d'après nature , fans être
OCTOBRE. 1771. 185:
fondé des principes de perfpective qui détermi
nent la vraiſemblance dans tout ce qu'on fait.
Lorsqu'on eft parvenu à deffiner paffablement
bien le paysage d'après l'eftampe , il eft à propos
d'aller à la campagne muni des inftrumens de
mathématique propres à affûrer géometriquement
les diftances & hauteurs des objets qui compolent
un paysage ; il eft des cas où fes connoiflances deviennent
indifpenfables furtout lorsqu'on a intention
de préférer les proportions exactes & diftantes
des objets , à la repréſentation figurée au
hafard , d'un tout qui ait pour but l'effet d'un
deffin agréable.
Lorfqu'on deffine le payfage d'après nature ,
il faut y mettre toute l'exactitude poffible nonfeulement
par rapport aux formes qui caractéri
fent les différentes efpèces d'arbres , de mailons ,
de rochers , de montagnes , de terraffes , & c,
Mais encore aux effets d'ombres & de lumieres
que ces différens objets reçoivent particuliérement
& enſemble , & qui s'affoiblifſent à mefure
que les objets s'éloignent , ce qui fait illufion
à la réalité .
FIGURE. 4. genre d'étude.
Ce genre de deffin eft l'art de représenter la
nature humaine telle qu'elle eft , il luffit de s'exercer
fur la plus accomplie , patce qu'il faudroit
un tems confidérable pour étudier les différentes
productions qui varient à l'infini .
Le corps humain , qui eft l'ouvrage le plus
parfait de la nature , eft auffi le plus difficile à
imiter fidellement , il faut de longues études , &
beaucoup d'application pour y parvenir.
186 MERCURE DE FRANCE.
On doit commencer par copier les différentes
parties comme des yeux , des nez , des bouches
& des oreilles qui , étant raflemblées & placées
où elles doivent être , compoſeroient l'enſemble
d'une tête de femme ou d'homme , felon le rapport
direct des études applicables à l'un ou à l'autre
fexe.
On peut enfuite copier des têtes en crayon
rouge ou noir , ou en deux & même trois crayons ,
fur du papier gris , ou autre teint de couleur
pâle , pour aider à détacher les clairs qui ſe deſſi,
nent avec du crayon blanc .
Après cette étude , l'on peut apprendre à deffiner
les autres parties du corps , comme , mains ,
pieds , &c. Pour le mettre en état de deffiner le
corps entier , qui feroit un modèle de proportions
fur lefquelles on fonderoit celles qui convien
droient à toutes les figures qu'on pourroit faire ,
foit daps le paylage ou ailleurs , dans telles atti
tudes qu'elles puiflent être & habillées , l'habitude
de les deffiner dans ce genre , exerce le génie
& conduit infailliblement à les deffiner fans
originaux , voilà la conduite que les jeunes militaires
doivent tenir dans le deffin de figure ,
pour être dans le cas de copier facilement de bons
originaux dans ce genre , & produire des choles
intéreffantes de leur propre imagination.
CHEVAL. . genre d'étude.
L'art de deffiner le cheval , s'acquiert par dégré
ainfi qu'on l'a obfervé dans la figure humaine;
ces deux différens genres d'études ont une fuite
fi relative , qu'il eft inutile d'entrer à cet égard
dans un plus longdétail.
OCTOBRE 1771. 187
ORNEMENT. 6º . genre d'étude.
L'étude de l'ornement eft la plus facile , parce
qu'elle n'eft aflujettie à aucunes regles , c'eſt un
genre de deffin qui fe prête à toutes les formes &
qui s'acquiert en peu de tems , il fuffit de lavoir
deffiner quelques rinceaux ou feuille d'ornement ,
les raflembler en forme de cartels , pour les placer
avantageufement fur un plan de fortification
ou autre , ils fervent à deffiner le titre d'un plan
ou à contenir les échelles , &c .
GRAVURE. 7. genre d'étude.
La Gravure , eft l'art de multiplier les produc
tions dans tous les genres de deffins , elle procure
de très -grands avanrages à ceux qui la poflédent
, parce qu'on ne deffine qu'une fois les dif
ferens objets qu'on veut repréſenter , pour avoir
des calques précis , qui fervent à tracer fur le
cuivre ce qu'on a deffein de graver , & qui fe
reproduisent à l'infini lorfqu'ils font gravés.
Il y a peu de différence de la maniere de deffiner
à la plume à celle de graver à l'eau forte ;
car lorfqu'on connoît l'ufage des différentes
pointes avec lesquelles on peut exprimer tous les
traits & les effets d'un deffin , & qu'on a l'habitude
de s'en fervir , ce qui s'acquiert en peu
de tems , il eft auffi facile de deffiner fur le cui
vre avec des pointes , que fur le papier avec des
plumes.
188 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Le même jour qu'on mena dans la
tour de Londres la Reine Anne de Boulen
, pour y avoir la tête tranchée , elle
appela un des Gentilhommes de la chambre
, auquel elle tint ce langage : « Re-
» commandez moi au Roi , & dites lui
» qu'il s'eft montré grandement conftant
» en l'avancement de ma fortune , où il
a procédé par degrés , car de fimple
» Demoiſelle il m'a fait Marquile , &
de Marquife Reine , de manière que ,
maintenant qu'il n'y a point de qua-
» lité plus éminente que cette dernière ,
en ce qui touche l'honneur du monde,
il veut que je fois Martyre
n
I I.
Trois Abbés montés fur des ânes , rencontrerent
trois Cavaliers. Un d'eux leur
demanda , comment vont les ânes , Mrs
les Abbés : Monfieur , tépondit un des Abbés
, ils vont à cheval.
OCTOBRE 1771 . 189
4
I I I.
Le Comte de Grancé étant bleffé au
genou , les Chirurgiens lui firent beaucoup
d'incifions , qu'il fouffrit d'abord
affez patiemment ; mais s'impatientant
à la fin par la douleur , il leur demanda
pourquoi ils le charpentoient fi cruellement
: «Nous cherchons la balle , repondirent-
ils. Eh ! jarnidiable , que ne par-
» lez- vous , dit le Comte de Grancé , je
» l'ai dans ma poche ? »
رد
I V.
Un homme , abandonné des médecins ,
fit venir un juré- crieur pour difpofer fon
enterrement , après avoir examiné combien
il falloit pour la cire , combien pour
la tenture : tenez , lui dit- il , je vous don
nerai cinquanté écus &je ne me mêlerai de
rien .
V.
Un mari fe défefpéroit de la mort de
fa femme. Un ami qui le confoloit , lui
difoit , quel dommage! Elle avoit tous les
agrémens poffibles , de l'efprit comme un
190 MERCURE DE FRANCE.
ange; le mari lui répondit en pleurant toujours
, pas le fens commun , Monfieur , pas
lefens commun .
V I.
Un écolier voulant entrer en fixième ,
fut trouver le préfet pour être examiné.
Le père , en fe promenant avec le petit
bonhomme , lui demanda de dire en latin
, je fuis un âne , l'enfant répondit ,
fequor afinum.
LETTRE de M. l'Abbé de la Porte.
A Betfort , le 31 Août 1771 .
Ia J'interromps , Monfieur , pour un moment ,
rédaction du Voyageur françois , pour vous faire
part d'une cérémonie militaire , à laquelle j'ai affifté
dans un voyage que je fais en Alface .
Vous connoiffez l'Ordonnance du 16.Avril der
nier ; vous fçavez que pour affûrer aux anciens
foldats la récompenfe de leurs fervices , & leur
infpirer une nouvelle eftime pour leur état , Sa
Majefté vient de leur accorder , avec une augmentation
de paie , qui leur procure plus d'aifance ,
des diftinctions honorables , qui les attachent de
plus en plus à leur Corps.
OCTOBRE. 1771 197
Cette double faveur qui décéle à la fois la bienfaifauce
attentive & éclairée du Monarque , &
les loins empretlés du Miniftre à la feconder , va
déformais exciter dans l'ame du ſoldat , la même
émulation , la même ardeur militaire , que la Croix
de S. Louis dans le coeur de l'Officier , & le porter
aux mêines actions de zèle , de fidélité & de brayoure
.
Ce fut , Monfieur , le 28 de ce mois , après une
Mefle accompagnée d'une mufique guerriere , &
à laquelle affifterent tous les Officiers de la Gar
nifon de Betfort , que parut rangée en bataille , fur
la place d'armes de cette Ville , le Régiment Royal
Lorraine cavalerie , pour y faire exécuter cette
Ordonnance Elle fut lue à haute voix , & écou
tée avec cette attention qu'on ne manque jamais
d'apporter, lorfqu'il s'agit d'un établiflement utile,
glorieux , intéreflant , & durable. On y dit en
Iubſtance que le Roi s'étant fait rendre compte ,
des moyens d'attacher les anciens foldats , Cavaliers
, Huffards & Dragons à fon (ervice , Sa Majefté
augmente d'un fol chaque jour la paie de ceux
qui , après un engagement de huit ans , en contrac
tent un nouveau ; de deux fols au bout de feize
ans; & de quatre fols lorfque l'on eft parvenu à la
vétérance , c'est-à - dire après vingt - quatre ans .
La même gradation eft oblervée dans les diftinctions
que Sa Majefté leur accorde . Les premiers
portent fur le bras gauche un chevron de
laine blanche , les feconds un double chevron ,
& les vétérans un médaillon de deux épées en
fautoir fur le côté gauche de l'habit.
Après la lecture de l'Ordonnance, quatorze cavaliers
vétérans , defcendus de cheval & rangés
fur la même ligne , dans un grand emplacement
192 MERCURE DE FRANCE.
33
au milieu de l'elcadron , fe préfenterent à M.
le comte d'Andlau , leur colonel , qui leur adreffa
ces paroles , « le Roi voulant vous donner
» une marque de la fatisfaction qu'il a de vos
fervices , vous accorde le droit de porter toute
5 votre vie ce médaillon ; jurés & promettés de
» ne fervir aucune puiflance étrangere fans la
» permiffion de Sa Majeſté , & de ne jamais vous
écarter de la fidélité que vous devez au Roi &
» à l'état . »
Ce ferment fait & reçu , le colonel defcendit
de cheval , leur attacha à la hauteur de la troifiéme
boutonniere le médaillon des deux épées ,
& leur remit à chacun un brevet en parchemin ,
figné de M. de Monteynard , où on lit le nom
bre des années qu'ils ont fervi au régiment , &
l'eftime que le Roi fait de leur fervice.
La joie qui , en ce moment , éclatoit dans les
yeux de ces braves militaires , paflant tout-àcoup
dans l'ame des affiftants , excita un cri général
de vive le Roi , qui mille fois répété par la
troupe , les bourgeois & le peuple affemblés pour
cet intéreflant fpectacle , fe fit entendre par toute
la ville. A l'inftant tous les yeux furent mouillés
de larmes ; & les coeurs émus de tendrefle , d'attachement
, de refpect & de zèle pour le meilleur
de tous les maîtres , fe livrerent fans ménagement
& fans feinte à cette vive & douce impreffion
; car je dois dire à la gloire de la ville de
Betfort , ma patrie , que la province d'Alface n'a
point d'habitants plus attachés à fon Prince , ni
le Roi , de fujets plus fidèles.
Ces cris de joie firent place à un moment de
filence ; & c'eft le temps que prit M. le comte
d Andlau
OCTOBRE . 1771. 193
d'Andlau , pour inviter les quatorze vétérans à di
ner avec les chefs du corps & à boire tous enfemble
à la fanté du maître Augufte , à la bonté duquel
ils devoient ces bienfaits .
Que ne puis- je , Monfieur , vous rendre l'impreffion
que fit fur moi ce repas militaire , auquel
on voulut bien me permettre d'affifter comme
fpectateur ! Dans une table d'environ 30 couverts,
un cavalier étoit affis entre deux officiers , qui
dans ce moment paroifloient ne vouloit être que
fes égaux , j'ofe prefque dire les inférieurs , par
leur empreflement à le fervir.
De leur côté , fans le prévaloir d'une familiarité
qui ne leur rendoit leurs chefs que plus chers &
plus eftimables , flattés de fe trouver à la même
table , animés de la même joie , admis aux mêmes
entretiens & honorés , pour ainfi dire , du titre de
leurs camarades , les cavaliers ne parurent ni embaraflés
ni timides : un maintien aifé , mais décent
, une gaieté libre , mais modefte , une af
furance noble , mais refervée , une grande confiance
& beaucoup d'honnêteté, tout annonçoit
dans ces braves convives , que leur refpect pour
leurs chefs ne le cedoit point au plaifir de manger
avec eux. On but à la fanté du Roi ; & ce fut avec
une joie générale & attendriflante , qui fit couler
de nouvelles larmes ; on but à la fanté de M.
Monteynard ; & l'on célébra par des chants d'al
légrefle , cette glorieufe époque de fon ministère ;
on but à la fanté de M. le comte d'Andlau , & de
tous les anciens commandans du corps , depuis
fa création .
La musique du régiment , placée fous les fenêtres
, repondoit par les fanfares au bruit de ces
acclamations. Une foule de monde , & fur tout
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
de cavaliers , pour qui l'efpérance des mêmes ré
compenfes rendoit cette fête plus intéreflante ,
formoit un cercle au tour des muficiens. On li
foit dans leurs yeux , leurs années de ſervice : aux
uns il ne manquoit que trois ans , aux autres fix ,
aux autres neuf , aux autres douze , pour parvenir
aux mêmes honneurs ; vingt- fix cavaliers ,
dont l'engagement étoit expiré , ne voulant plus
quitter le corps , fe rengagèrent de nouveau ,
pour gagner la vétérance . Chacun fe promettoit d'y
arriver ; & tous regardoient ce jour heureux
comme le plus glorieux de leur vie.
AVIS.
I.
Penfionnat.
M. le Royer , Prêtre , nommé en 1768 par
Mgr l'Evêque d'Angers , par Meffieurs les Maire,
Echevins & Curé de la Fleche , pour remplacer
feu M. Henriquet , principal du petit Collège de
ladite Ville , donne avis au public qu'il fe trouve
en état de loger un plus grand nombre de penfionnaires
que fon prédéceffeur.
Il ne croit pas néceffaire d'annoncer comment
fon penfionnat eft tenu & réglé , le moindre
foupçon d'intérêt dans une perfonne qui loue ,
rend ce qu'elle dit fufpect , il aime mieux laiffer
aux parens qui jugeront à propos de lui confier
leurs enfans , le foin de s'affurer par eux- mêmes
du bon ordre qui regne chez lui,
OCTOBRE. 1771 . 195
Sa maiſon eft fituée en face du College Royal ;
la célébrité de cet établiffement , monument
immortel de la bienfaiſance de Louis le bienaimé
, & le mérite de Meffieurs les Profeffeurs
qui fait croître chaque année le nombre des
Étudians , doivent engager les parens à faire
jouir leurs enfans de l'excellente éducation qu'y
recoit la jeuneffe.
Ce Collége eft affilié à l'Univerfité de Paris
& participe à fes priviléges ; M. le Royer a foin
d'y faire conduire tous ceux de fes Penfionnaires
qui font en état d'aller en claffe , afin qu'ils puiffent
profiter des inftructions qui font abfolument
les mêmes pour les écoliers externes , que pour
les éléves que la bonté du Roi y raſſemble.
Il offre de s'arranger avec les parens pour
l'habillement & l'entretien des enfans , pourle
payement des maîtres particuliers , &c . à l'exception
feulement des frais de maladie , dont il ne
ſe chargera jamais , dans la crainte que des parens
éloignés ne le foupçonnaffent d'avoir
épargné quelques foins ou quelques dépenfes.
fe
Le prix de la penfion pour la nourriture eft de
365 liv. Pour préfet d'étude , garçon de chambre
, accommodage deux fois la femaine , peigneufes
, feu & lumiere , racommodage d'habits,
linge , &c. 75 liv. ces 75 liv. fe payent en entrant
ou dans le courant des deux premiers
quartiers.
Le prix de la penfion pour ceux à qui on
donne des leçons de Mathématiques , eft de
600 liv.
On entretient les enfans de tout habillement,
de livres claffiques , papier , plume & encre pour
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
200 liv. au-delà des fommes ci - deflus énoncées ,
cy 200 liv.
On donne les jours de congé des leçons de
Géographie & d'Hiftoire, & à la fin de l'année
il y a fur ces fciences un exercice public , pour
les frais duquel , ainfi que pour les cartes , fpheres,
&c. Chaque penfionnaire paye feulement
10 liv . Ceux pour qui les parens jugent ces connoiffances
plus néceffaires , payent 3 liv. par
mois pour leçons journalieres.
Il donne encore chambre particuliere , gouverneur
, précepteur ou domeftique particulier ,
aux enfans pour qui les parens le demandent.
Chaque penfionnaire apporte pour fon ufage
quatre draps , 6 ferviettes , un couvert & un
gobelet d'argent .
On a pris pour les penfionnaires une commode
& jolie maifon de campagne , à un demi quart
de lieue de la Ville . M. le Royer prie Meffieurs
les parens qui voudroient quelques éclairciffemens
, de lui faire l'honneur de lui écrire en
affranchiffant les lettres .
Nota. Les claffes ouvrent à la S. Remi. Il y a
dans la Ville de très-bons maîtres d'écriture
d'armes , de danfe , de violon & de muſique ; il
en feroit befoin d'un de deffin ; il pourroit ſe
faire beaucoup d'écoliers ,
.I. I
Defféchement des Marais .
Le defféchement des marais eft une opération
fi néceflaire , que non - feulement les propriétaires
en tirent à peu de frais des revenus imOCTOBRE.
1771. 197
menfes , mais encore l'Etat en général y trouve
un avantage réel , par l'abondance que procurent
ces marais après le defféchement.
Le fieur Laporte qui , depuis plufieurs années ,
travaille dans cette partie avec tout le fuccès
poffible , a l'honneur d'aflurer ceux qui font
propriétaires de ces eſpèces de terrein ſubmergé,
que fes opérations ne font ni longues , ni coûteufes.
Le Geur Laporte réfide à Pontorfon , en baffe-
Normandie , il vient même d'y deffécher un
marais très - confidérable , appartenant à M.
Leclerc , premier commis des finances ; ceux qui
pourroient être dans le cas d'avoir befoin de lui,
auront la bonté de lui écrire à Pontorſon , ou à
Paris , chez M. Lamy . maître Vitrier , rue d'Argenteuil
, butte S. Roch.
I I I
Ginet , arpenteur en la maîtriſe des eaux &
forets de Paris , auteur de différens ouvrages
concernant le bâtiment & du manuel de l'Arpenteur
, enfeigne le calcul analogue à l'arpentage ,
les fractions décimales & les proportions. La
planimétrie pratique , la trigonométrie & la
géodéfie. La maniere de lever fur le terrein &
fur le plan vifuel. La ftéréométrie , le jaugeage
& le nivellement. La rédaction de l'Atlas topographique
, annexé à la confection des Terriers.
La réduction des plans de grand en petit , à
l'effet de fervir aux vérifications fur le local des
fiefs , dans le cas de conteſtations , & conſerver
les originaux qui deviennent des titres authenti-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE:
ques pour les feigneurs propriétaires , vaſſaux &
cenfitaires .
Ginet , demeure rue S. Jacques , maiſon de M.
Briaffon , libraire , à la Science.
I V.
:
Le fieur Edme , libraire , rue des Carmes , près
la place Maubert , au collège de Prefle , s'étant
attaché à la partie des Journaux , l'une des branches
les plus effentielles de la littérature , travaille
depuis près de 20 années à les raffembler,
& à s'en faire un fonds unique il peut dire
actuellement qu'il y eft parvenu , ayant acquis
depuis peu tout ce qui exifte des Journaux fuivans
; fçavoir : du Journal des Sçavans in-4°. &
in- 12 , jufqu'en 1770 ; du Mercure de France ,
idem. de l'Avant - Coureur , idem . du Journal-
Chrétien , idem . & de l'Année- Littéraire , jufqu'en
1769 inclufivement . Les amateurs de ces
Ouvrages utiles , trouveront chez lui non- feulement
des collections complettes de chaque journal
, mais encore des années de cahiers féparés ,
& il les invite à fe hâter de lui envoyer la note
de ce qu'ils fouhaitent acquérir ou completter .
de ces Journaux ou autres , leur promettant une
modération fur le prix , d'ici au dernier Mars
prochain , après lequel 'tems ils ne pourront plus
en efpérer , & même il y aura quelques années
qui augmenteront d'un tiers au- deffus du prix
ordinaire , à caufe de la dépense qu'occafionnera
la réimpreffion de plufieurs mois pour les completter.
L'on trouvera auffi chez le fieur Edme ,
l'Horace de Valart , 1 vol. in - 8 ° . de 7 liv. relié ,
qu'il donnera às liv. relié & à 4 liv. broché ,
OCTOBRE . 1771 . 199
I
aux perfonnes qui le prendront d'ici au premier
Mai 1772 ; plufieurs ouvrages de M. Duguet ,
compofant 36 vol. qui font : Explication des
Rois, 7 vol. d'Ifaïe , 7 vol. de la Paffion , 14
vol. de Job , 4 vol . Pfautier , 1 vol. Manuel de
Piété , 1 vol. Maximes & Avis , 1 vol . Epitres
de S. Paul , 1 vol . lefquels fe vendent 70 liv. en
feuilles , & qu'il donnera tous enfemble pout 24
liv. & féparément à 1 liv . le vol . Le fieur Edme
tient également toutes fortes de livres , & achete
des bibliothéques . Il avertit qu'il ne répondra
qu'aux lettres qui auront été affranchies.
I
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg, le 23 Août 1771 .
LE Kan de Crimée a difparu tout-à -coup , & fa
fuite a obligé le Prince Dolgorouki de procéder à
l'élection d'un nouveau Kan , pour achever , avec
lui & avec les principaux du pays , la négociation
commencée.
De Warfovie, le 10 Septembre 1771 ;
Suivant des lettres de la Podolie & de la Volhinie
, ces provinces font entierement délivrées de
la pefte , par les fages mefures qui ont été prifes
pour empêcher ce fléau de fe répandre dans les villages.
Un des principaux moyens qu'on avoit employés
, avoit été d'enterrer les effets des perfonnes
mortes de la contagion. Cette fage précaution
avoit été long tems inutile , parce que l'avidité des
payfans les portoit à déterrer ces effets .
I iv
200, MERCURE DE FRANCE.
On écrit de Gramno , que le fieur Grabowski
ayant paflé le Bug à la nage , à la tête de trois cens
confédérés , s'eft avancé vers Ciechow. Les Raffes
, informés de fa marche , font fortis de Siematycz
, pour le mettre à fa pourfuite ; mais ayane
appris , à Ciechow , que les Conféderés étoient en
plus grand nombre qu'eux , ils le font retirés à
Siematicz.
De Dantzick, le 12 Septembre 1771.
L'Evêque de Wilna doit arriver inceflamment
ici. Il s'eft fauvé précipitamment de Wilna où un
détachement Ruffe venoit pour l'enlever. C'eſt le
commandant même de ce détachement qui l'a fait
avertir. L'Evêque de Samogitie devoit avoir le
même fort , & il a eu le même bonheur. Ces deux
prélats font actuellement à Kretinka , fur la frontiere
de Prufle.
De Stockolm , le 6 Septembre 1771 .
Avant- hier , le Roi , accompagné des Princes
Charles & Frederic , fe rendit , au bruit de plufieurs
décharges d'artillerie , à bord d'un vaiſleau
qu'on fit manoeuvrer dans le port de cette capitale,
Sa Majesté en parut très - fatisfaite. Ce vaifleau ,
d'une nouvelle conftruction , eft de l'invention du
général Baron Erenfwerd , qui n'a point donné la
démiffion de fes emplois , comme on l'avoit annoncé.
Il va à voiles & à rames , & il eſt deſtiné
pour
la Finlande.
Du 13 Septembre.
Le Roi a rendu une ordonnance , qui a été
communiquée au collège de finance & à celui de
commerce, portant exemption de droits pour les
OCTOBRE. 1771
201
grains venant de l'étranger fur les vaifleaux Suédois
, ainfi que pour ceux qui arriveront par la
fuite dans les villes maritimes du royaume. Cette
exemption , qui a commencé au mois d'Août , aura
lieu jufqu'à la fin de l'année.
De Coppenhague , le 10 Septembre 1771.
La Commiffion chargée de rechercher les moyens
de pourvoir à la fubfiftance des Pauvres , a préfenté
au Roi un projet qui a été approuvé de Sa
Majefté. Il entre dans ce projet de fonder une
école des arts & d'élever plufieurs manufactures.
Le Roi a nommé , pour diriger cet établiſſement,
les trois députés de cette commiffion , ainfi que
le Sr Berger , fon médecin , & leur a accordé à
chacun une penfion de cinq cens rixdales , fur fa
caffette .
"
Sa Majefté , pour affurer un état tranquille aux
foldats qui ont bien fervi dans fes troupes , a ordonné
que dorénavant on leur donneroit , de préférence
, les emplois de commis aux douanes
ainfi que les places fubalternes des divers dépar
temens de finances & de juftice. Le collège de la
Généralité , à qui cet ordre du Roi a été adreffé,
cherchera parmi les foldats les fujets propres à
remplir ces fonctions, fans avoir égard aux pays
dont ils feront originaires ; il fuffira qu'ils ayent
fervi fans reproche , pendant un certain nombre
d'années.
D'Ausbourg, le 9 Septembre 177 F
Le 11 du mois dernier , il y a eu , dans les en
virons de cette ville , un tremblement de terre qui
s'eft fait fentir dans une étendue de pays de foixan-
Le lieues de longueur fur quarante de largeur , &
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
même fur les bords du Rhin . Ces fecoufles le font
répétées deux jours après au - delà des Alpes ,
Caftiglione , dans le Mantouan , le Ferrarois , le
Modenois , avec cette différence qu'en Italie elles
ont été fuivies d'un violent orage.
כ כ
50
De Malte, le 9 Septembre 1771 .
«Les entrepriſes d'Ali-Bey ont répondu à fox
attente. Mehmet Bey Aboudaab , général de
fon armée en Syrie , a battu quatre Pachas qui
» défendoient Damas : cette ville s'eft foumife le
6 , & l'on y a fait peu de dégât. Mais , au grand
» étonnement de tout le monde , ce général a levé
fon camp le 24 & il eft parti pour le Caire ,
» abandonnant toutes les conquêtes . On ignore
içi le viai motif de cette démarche ; on y a répandu
le bruit de la mort d'Ali - Bey , fur tout
depuis l'arrivée de fon premier miniftre à Saint-
Jean d'Acre. Les quatre Pachas font rentrés à
Danas ils n'y ont trouvé aucune réſiſtance ,
& ils y font des levées d'argent fur le peuple,
> La Porte n'a fait encore aucune difpofition relativement
à la Syrie . Nous fommes aflez tranquilles
dans Seyde. Cette ville a été prise par le
Cheïk Daher & reprife par les Drufes , qui y
so tiennent garnifon. »
»
50
:
De Londres , le 20 Septembre 1771 .
On a appris les particularités fuivantes du
voyage fait autour du monde par les fieurs Banks
& Solander.
Etant entrés dans la mer du fud par le détroit
de le Maire , ils ont remonté vers une ifle appelée
Otahitée, que le capitaine Wallis a nommée
OCTOBRE . 1771. 203
ifle de George , & ils y ont féjourné trois mois.
Un habitant qu'ils ont pris avec eux les a conduits
dans les ifles adjacentes , & dans d'autres qui en
font éloignées les unes de cent & les autres de
deux cens lieues. Les Sauvages de ces dernieres
ifles parlent la même langue que ceux d'Otahitée
, & vivent comme eux , fous une eſpèce de
gouvernement Féodal. Les voyageurs Anglois
ont enfuite pénétré dans la nouvelle Zélande
qu'on avoit toujours regardée comme un continent
; mais ils ont vérifié que l'Anſe , connue
jufqu'a ce jour fous le nom de baye des Affaffins ,
eft un véritable détroit qui fépare cette ifle en
deux parties. Après en avoir fait le tour , ils ont
trouvé que ces deux parties ont enſemble plus
d'étendue que la Grande- Bretagne . Ils ont débarqué
en plufieurs endroits , malgré la réfiftance
des habitans qui font antropophages & fort cruels..
Pendant le féjour qu'ils ont fait dans ces deux
ifles , ils ont remarqué que ces fauvages , quoique
fouvent divifés & en guerre , obfervent fidélement
les traités qu'ils font entr'eux . Leur langue
, quoique différente , pour la prononciation
de celle des autres ifles qu'ils ont parcourues , eft
cependant la même , puifque l'homme amené
d'Otahitée entendoit les nouveaux Zélandois , &
s'en faifoit entendre. Les fieurs Banks & Solander
ayant quitté ces ifles , en remontant à la
nouvelle - Guinée , ont tourné la nouvelle - Hollande
par le côté oppofé à celui qui eft connu fous
le nom de terres de Leuwin & de Wit . Ils ont
fuivi cette côte pendant fix mois , fur une hauteur
d'environ 30 dégrés de latitude , & étant
revenus au point d'où ils étoient partis , ils ont
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
reconnu que la nouvelle - Hollande , qu'on avoit
également regardée comme faifant partie du
continent auftral , étoit véritablement une ifle
plus confidérable , fuivant le rapport de ces Navigateurs
, que l'Europe entiere. Ses habitans
reffemblent à la plupart des peuples que la nature
femble avoir abandonnés vers les climats glacés
des terres antarctiques. Ils font foibles , timides ,
lâches , fans reffort , fans induftrie. Leur taille
eft au- deffous de la nôtre. Ils ne portent aucune
eſpèce de vêtemens. Ils ont confidéré avec étonnement
ceux qu'on leur a offerts , mais ils ont
refufé de s'en fervir.
Les fieurs Wilkes & Bull , Sherifs de Londres ,
viennent d'adrefler à la Bourgeoifie de cette Ville
un écrit par lequel ils annoncent que le jour mar
qué par les Réglemens de la Cité pour l'élection
d'un Lord- Maire tombant le Dimanche , cette
élection fera devancée d'un jour & commencera
le Samedi 28. Ils déclarent en même tems qu'ils
ne feront aucun ufage des troupes dans toutes les
occafions où ils feroient obligés d'ufer de rigueur
pour foutenir l'exécution des Loix. » Nous n'avons
pu voir , difent - ils , fans une peine extrême
qu'une adminiftration , qui ne connoît aucun
principe , fe foit ingérée depuis peu d'employer
la force militaire , fous prétexte de donner au
pouvoir civil les feçours néceflaires pour faire:
exécuter les jugemens, Les Sherifs actuels le font
diftingués par leur patriotifme lors de l'exécution
qui s'eft faite de deux malheureux , au mois
3 de Juillet dernier. Nous fommes déterminés à
Cuivre un exemple filouable & , comme dans peu
de jours nous ferons dans la nécefité de remplir
cette ifte fonction de notre Miniſtere , nous
a
35
30
32
30
OCTOBRE . 1771. 205.
כ כ
>>
la
annonçons ici que nous voyant revêtus , par
Conftitution , de tout le pouvoir du comté de
Middlefex , nous fommes réfolus de ne point
fouffrir , tant que nous ferons Sherifs , qu'aucun
5 corps de troupes , ainfi que nous l'avons vu , en
diverfes circonftances , fuive ou accompagne le
Magiftrat civil , fous prétexte de faire refpecter
»fon autorité . Nous informons le public de cette
»réfolution , & nous la faifons connoître au Gou-
»vernement , afin qu'il s'abftienne , pendant la
» durée de notre Magiftrature , d'envoyer aucun
détachement de troupes réglées pour un pareil
fervice. Le Gouvernement ne connoît pas appa
remment de plus sûr moyen d'arrêter les conteftations
& de prévenir tous fujets d'alarines.
Pour nous nous fommes très- perfuadés que le
pouvoir civil de l'Angleterre eft en état de fe
foutenir par lui même & nous avons par expé
rience que le Magiftrat , aidé des officiers de fa
Jurifdiction , eft affez puiffant pour faire exécu
ter la Loi , fans le fecours des armes. Il eft une
autre gloire que nous laiflons à ceux de nos bra
ves compatriotes qui ont embraflé la profeffion
» militaire , c'eft de triompher des ennemis étran
gers . Nous répondons au public de l'exactitude
& de la fidélité avec lefquelles nous remplirons
nos devoirs dans toutes les circonstances poffibles
& fans l'affiftance des troupes. Nous defirons
de leur épargner un fervice humiliant pour
elles , & nous nous impolons le pénible embarras
de fupporter nous- mêmes ces fcènes défa-
»gréables auxquelles nous nous trouvons expofés
» par les devoirs de la police qui nous appartient
en vertu de notre charge. Quels que foient less
événemens qui fe présenteront durant notre Ma-
23
53
ככ
23

206 MERCURE DE FRANCE.
giftrature , l'autorité & la fermeté du magiftrat
civil fuffiront pour faire refpecter les Lois natio
20
» nales. »
On mande d'Irwin , en Ecofle , que le nommé
Donaldfon, qui avoit été fourd pendant vingrans,
ayant été frappé du tonnerre , en travaillant dans
la campagne , refta pendant quelque tems fans
connoillance & que reprenant les efprits , il s'apperçut
que la grande commotion qu'il avoit reçue
lui avoit rendu le fens de l'ouie dont il étoit privé
depuis fi long-tems.
De Marfeille , le 30 Septembre 1771 .
L'orage du 16 Septembre dernier a fait un dégât
confidérable au village d'Eguile , dans le voifinage
d'Aix. Un beau pavillon que le marquis
d'Argens avoit fait bâtir après fon retour de
Prufle a été entierement détruit par les torrens .
On regrette fur-tout une riche collection d'eftampes
qu'il avoit formée avec autant de goût que de
dépenfe. A peine fa veuve a- t-elle pu fe fauver
avec fa femme de chambre , fur les épaules des
payfans qui étoient accourus à fon fecours. Les
eaux ont creufé les rues de ce village jufqu'à la
profondeur de douze à quinze pieds . Les confuls
d'Aix , procureurs du pays , s'y font tranfportés ,
le 19 , pour examiner , par euxx
- mêmes , le dommage
, afin d'en rendre compte à l'aflemblée de la
province , & de la porter à fecourir cette malheu
reufe communauté.
De Verfailles , le 9 Octobre 1771 .
Les du mois dernier , le Roi étant à Choify ,
le fieur de Bernicres , l'un des quatre contrôleurs
généraux des ponts & chauffées de France , cur
OCTOBRE. 1771. 207
l'honneur de préfenter à Sa Majefté un batelet de
fon invention , conftruit par les ordres du marquis
de Marigny. Ce batelet a l'avantage de ne
pouvoir aller à fond & de ne pouvoir être renverfé.
Le fieur de Bernieres fit plufieurs épreuves
de ce batelet , en préſence du Roi qui parut en être
fatisfait . Monfeigneur le Dauphin & Mgr le Com
te de Provence étoient préfens , & le fieur de Bernieres
eut l'honneur de leur remettre le mémoire
de les épreuves.
Le fieur de Lifle de Moncel , ancien capitaine
de cavalerie , chevalier de l'Ordre royal & militaire
de Saint Louis , premier lieutenant de la
grande louveterie de France , & capitaine de celle
de Mgr le Comte de Provence & du Prince de Condé
dans le Clermontois , a eu l'honneur de préfenter
au Roi , ainfi qu'à Monfeigneur le Dauphin ,
à Mgr le Comte de Provence & à Mgr le Comte
d'Artois , deux volumes intitulés Méthodes &
Expériences les plus efficaces & les moins onéreufes
au Peuple pour détruire les bêtes voraces dans
le royaume.
:
De Paris , le 7 Octobre 1771 .
Le ir de ce mois , jour fixé pour la cérémonie
folemnelle de la prife de voile de profeffion de
Midane Louife de France , l'Archevêque de
Damas , nonce du Pape , qui devoit en faire la
fonction , au nom de fa Sainteté , fe rendit en
grand cortege , vers les huit heures du matin ,
au couvent des Carmelites de faint Denis. Il
célebra la meffe & donna la communion à cette
princefle , ainfi qu'à toutes les religieufes . A
onze heures , l'évêque de Cydon , nommé à l'évéché
de Glandeve , célébra également la mefle ,
208 MERCURE DE FRANCE.
pendant laquelle la mufique du roi exécuta un
motet de la compofition & fous la direction du
fieur Matthieu , maître de mufique de fa majefté,
Madame la comteffe de Provence , qui devoit
donner , dans le choeur , le voile à Madame
Louife , arriva vers les trois heures à faint Denis ;
elle fut complimentée par les maire & échevins
qui lui furent préfentés par le comte d'Anès ,
lieutenant- général du gouvernement de Paris ,
& gouverneur de faint Denis ; cette princefle
s'avança vers le couvent, & fut reçue par le nonce
du pape , fupérieur général des Carmélites . en
France , par l'abbé Rigaud & l'abbé de la Neufville
, vifiteurs généraux , & par l'abbé Bertin ,
fupérieur ordinaire du couvent. Lorfque madame
la comteffe de Provence fut entrée dans l'inté
rieur , on chanta le veni creator. L'évêque de
Senlis pronença le fermon après lequel le nonce
du pape accomplit , dans les formes ordinaires ,
cette cérémonie , dans laquelle on a vu une princeffe
, qui auroit fait le bonheur des peuples par
fa bienfaifance , les délices de la cour par les éminentes
qualités , l'édification du monde par fa
piété éclairée , embraffer le genre de vie le plus
auftere & facrifier au triomphe de la religion
les dignités , les honneurs , le rang auxquels fa
naiffance l'appeloit , fa tendreffe pour le meilleur
des peres & le meilleur des rois & fon attachement
pour fon augufte famille , qui pleure fa
perte , en admirant fon courage & fes vertus.
Cinq archevêques & quinze évêques ont affifté
à cette cérémonie , où il a regné la plus grande
tranquillité , malgré le concours de perfonnes de
tout état qui s'y étoient rendues..
OCTOBRE. 1771. 209
Madame Adelaide , mefdames Victoire & Sophie
ont été le 3 à faint-Denis pour y voir Ma
dame Louife.
PRESENTATION S.
Le Comte de Choifeul a eu l'honneur d'être préfenté
à Sa Majesté , ainfi qu'à la Famille royale ,
le 21 Septembre.

La Duchefle de Coffé , Dame d'Atours de Madame
la Dauphine , a eu , le 21 Septembre, l'honneur
de faire fes remercîmens à Sa Majefté , à qui
elle a été préfentée , en cette qualité , ainfi qu'à la
Famille royale.
Le premier Octobre , l'Abbé de Voiſenon eut
l'honneur d'être préfenté au Roi & à la Famille
Royale , en qualité de Miniftre du Prince Evêque
de Spire .
NOMINATIONS.
Le Bailli de Champignelles , Lieutenant des
Gardes- du -Corps du Roi , compagnie de Villeroy,
ayant obtenu la retraite , Sa Majefté a difpoté
de fa brigade en faveur du Chevalier Defquelbeck
, exempt dans la même compagnie.
Le Roi a donné les deux places d'aide - majors
généraux des quatre compagnies des Gardes - du-
Corps de Sa Majefté , l'une au Sieur de Prilye ,.
aide- major de la compagnie Ecofloife , & l'autre.
au Chevalier d'Arros , exempt en la compagnie
de Beauvau.
La Ducheffe de Boufflers , Dame de Madame la
Dauphine , ayant demandé au Roi fa retraite , Sa
Majesté a nommé , pour la remplacer , la Duchefle
de Luxembourg , qui a eu l'honneur d'être préfen210
MERCURE DE FRANCE.
tée , en cette qualité , le 20 Septembre , par Mađa
me la Dauphine.
Le Roi a donné le commandement de Bretagne
au Duc de Fitz-James , qui a eu l'honneur de faire ,
à cette occafion , fes remercîmens à Sa Majefté ,
le 29 Septembre.
NAISSANCES.
Monfeigneur le Dauphin & Madame Adélaïde
nommerent , le 23 Septembre , fur les Fonts de
Baptême , l'enfant du feu Sieur de Rocquemont ,
chevalier de l'Ordre royal & militaire de St Louis ,
commandant la garde de Paris . La cérémonie du
baptême lui fut fuppléée par l'Abbé de Radonvil-
-hers , aumônier ordinaire du Roi , en préfence du
Sr Allart , Curé de l'Eglife royale & paroiffiale de
Nôtre-Dame.
On a appris par un courier , expédié de Madrid
, le 19 Septembre , que , le même jour , la
Princefle des Afturies étoit heureufement accouchée
d'un Prince.
MARIAGES.
Le Roi & la Famille Royale ont figné , le 22
Septembre , le contrat de mariage du Comte de
Choifeul - Beaupré , capitaine de Cuiraffiers , avec
Dlle de Gouffier , fille du marquis de Gouffier, maréchal
des camps & armées du Roi.
MORT S.
Marie- Elifabeth de Nicolay , veuve du marquis
de la Châtre , brigadier des armées du Roi , colonel
du régiment de Béard , tué à la bataille de
OCTOBRE . 1771 . 211
Farme , eft morte à Paris , le 18 Septembre , âgée
de foixante-cinq ans.
Marie-Marguerite- Françoife Bazin de Befons ,
époufe du comte de Pondeux , maréchal des camps
& armées du Roi , eft morte , le 13 du mois de
Septembre , au château de Caftillon , dans la quarante-
fixième année de fon âge.
Marie Charles - Louis d'Albert , Duc de Luynes
& de Chevreuse , Pair de France , Prince de Neufchâtel
, Walengen en Suifle & d'Orange , marquis
de Saiflac & de Dangeau , comte de Tours, de
Dunois , de Noyers , de Monfort - l'Amaury , & c.
chevalier des Ordres du Roi , lieutenant- général
de les armées , colonel général des Dragons de
France , gouverneur & lieutenant- général pour Sa
Majefté de la ville prévôté & vicomté de Paris ,
chef du nom & des armes de la maiſon d'Albert, eft
mort en cette ville , le 8 Octobre , dans la cinquan
te- cinquième année de fon âge .
.
Jacques - Charles Marquis de Créquy , Comte
de Genfay , lieutenant- général des armées du Roi ,
grand'croix de l'Ordre militaire de St Louis , ancien
colonel d'une brigade de carabiniers , gouverneur
des ville & château de Domes en Périgord ,
& chambellan de S. A S. Mgr le Duc d'Orléans
premier Prince du Sang , fils d'Henri - Jacques mar-,
quisde Créquy , feigneur châtelain de Souverain-
Moulin , Pittefaut , Wimille & autres lieux , baron
de Baincqthun , & de Dame Marie - Antoinette de
Mufniere , baron Delpinefort , eft décédé le 11 de
ce mois en fon château de Genfay en Poitou , âgé
de 71 ans 8 mois & 11 jours étant né le premier
Janvier 1700. Il étoit chef du nom & des armes
212 MERCURE DE FRANCE .
de fa Maiſon ; comme il ne laifle de fon mariage
avec Dame Marie-Louife de Monceaux d'Auxy
de la Bruyere , que deux filles , l'une mariée au
comte d'Aubry , & l'autre épouſe du comte de
Mefmes , l'aîneffe de cette maifon attachée à la
branche des anciens barons de Bernieulles fitué en
Boulonnois , pafle à Charles-Marie , marquis de
Crequy - Helmont fon coufin , iflu de Germain ,
chevalier de Malte & de S. Louis , brigadier des
armées du Roi & colonel de fon régiment de dragons
, gendre de M. le marquis du May ; la
maifon de Crequy remonte par titres à Ramelin
de Crequy qui fonda l'abbaye de Ruiffeauville
en Artois dans l'année 1099 , lequel defcendoir
d'Arnoul Sire de Crequy , mort en 897 dans un
combat qu'il foutint pour les intérêts du Roi
Charles le Simple.
Charles- Francois de Riencourt Marquis d'Ori
val , ancien meftre de camp du régiment de la
Reine- Dragons , brigadier des armées du Roi ,
chevalier de l'Ordre royal & militaire de St Louis ,
eft mort en fon château d'Otival , le 24 Mai dernier,
dans la 86 année de fon âge. Il avoit épousé.
en 1716 Marie Adélaïde d'Angennes. , foeur du
feu Marquis de ce nom , dont il n'a eu qu'une fille
Marie Catherine - Adélaïde de Riencourt mariée
en 1742 à François Olivier de Saint - Georges
marquis de Clerac , lieutenant -général de la province
de Poitou morte en 1745 , ne laiflant de ce
mariage qu'un fils , Charles Olivier de S. Georges ,
marquis de Clerac , lieutenant- général de la province
du Poitou , meftre de camp du régiment
Royal Dragons , né en 1743 , marié en 1760 à
Marie-Charlotte - Sabine-Jofephine de Croï d'HaOCTOBRE
.
1771.
213
vré. Le marquis d'Orival étoit chef du nom &
armes de la maison de Riencourt , une des plus
illuftres de Picardie, connue en Cambraifis dès l'an
1150 , & alliée aux maifons de Lamet , de Tiercelin
, de Rouhault , de Mailloc , d'Ailly , de
Monfures & de
Montmorency. Il fubfifte encore
plufieurs branches de la maifon de Riencourt ,
entr'autres celles d'Andechi & de Tinoloi , & il
ne refte de celle d'Orival qu'Alphonfe - Théodoric
de Riencourt , comte d'Orival , brigadier des ar
mées du Roi , frere du feu marquis d'Orival.
Meffire Jean- Louis- Etienne d'Huteau , cheva
lier, feigneur Damours , Fenayrols & autres lieux,
lieutenant pour le Roi en la province de Languedoc
, eft mort à Gaillac en Albigeois le 10 du
mois d'Août dernier , âgé de 48 ans.
LOTERIES.
Le cent vingt-neuvième tirage de la Loterie de
l'hôtel - de - ville s'eft fait , le 25 Septembre , en la
maniere
accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres et échu au No. 22436. Celui de vingt
mille livres au Nº . 36539 , & les deux de dix mille
aux numéros 22391 & 25414.
214 MERCURE
DE FRANCE
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Difcours de Germanicus mourant , imité de
Tacite par M. l'Abbé Crozat ,
Le Printems , imitation de Pope ; Eglogue
premiere ,
Traduction libre de l'Ode d'Horace Beatus
ille qui procul negotiis , &c.
Autre , de l'Ode Solvitur acris hiems , &c.
Le Défabufé , conte ,
Vers imités de l'Anglois par M. ***.
Régulus , dans le Sénat ;
Vers à M. Lekain , par Mlle Roſalie ;
Sophie , ou les avantages de l'Adverfité ,
Le Platane , conte oriental ,
Thémire , idylle ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
ibida
17
20
21
37
38
43
ibid.
67
68
71
72
74
76
L'Obfervateur François à Londres , No. 24 , ibid.
Traité de l'Education économique des Abeilles
,
Dictionnaire portatif de Médecine , d'Anato-
81
mie, & c,
82
OCTOBRE . 1771
215
Hiſtoire du royaume de France depuis l'établiffement
de la Monarchiejufqu'au regne
de Louis XV.
Manuel du jeune Chirurgien ,
Pharmacopée chirurgicale ,
Le Spectateur François ,
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV.
Mémoires fur les objets les plus importans
de l'architecture ,
84
85
ibida
91
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs
claffiques Grecs & latins , in - 8 ° . tom. X. 101
Nouveau Recueil de piéces publiées pour
l'inftruction du procès que le traitement
des Vapeurs a fait naître parmi les Médecins
,
Eloge de François de Salignac de la Motte
Fénélon , par M. l'Abbé Maury ,
Hiftoire nat . de Pline , in -4° . tom . III ,
Révolutions d'Italie , tom. III . & IV.
Leçons de Clavecin & principes d'harmo
104
106
nie ,
ACADÉMIES ,
Bordeaux,
Montauban ,
Prix de l'Académie de Toulouſe pour les
années 1772 , 73 & 74♣
SPECTACLES ,
IIG
126
138
147
ibid.
151
159
164
216 MERCURE DE FRANCE.
Opéra ,
Comédie françoiſe ,
Comédie italienne ,
ARTS , Gravure ,
Géographie ,
Phyfique
Architecture,
>
Anecdotes ,
Lettre de M. l'Abbé de la Porté , fur une
cérémonie militaire ,
Avis ,
Nouvelles politiques ,
Préfentations ,
Nominations ,
Mariages ,
Naiflance ,
Morts ,
Loteries,
ibid.
165
167
176
179
180
181
188
190
194
199
209
ibid.
220
223
ibid.
213
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le AI
fecond vol . du Mercure du mois d'Octobre 1771 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 14 Octobre 1771 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le