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1771, 04, vol. 1-2
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201.
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in-8°. br. 21.10f.
Confidérations jur les causes physiques ,
in-8°. rel. : 51.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in-8°. rel. 71.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in 4° . 4 vol- rel . 481.
Dict. Italiend'Antonini, 2 vol. in- 4°. rel. 301.
Méditationsfur les Tombeaux , 8 br . 11.101.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in- 8 °.
broch. 11. 44.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1771 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
2
LA JASONADE.
Chant fecond.
POUDREUX Enfant de l'orgueilleuse école ,
•Pour ne faillir à citer un bouquin ,
Vous engagez des querelles ſans fin ,
Prenez exemple au petit- fils d'Eole.
Laiſſez le mot qui vous embarqueroit
Car ne feriez comme cet Argonaute
De qui l'eſprit au ſavoir ſuppléoit ,
Et qui fans art fut devenir pilote.
:
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Mais revenons. Al'ordre il faut céder ;
Conſtruire nefde la plus grande eſpèce
Pour contenir les braves de la Gréce
Qu'élut Jaſon pour ſe bien eſcorter.
Dans les forêts ne ſe trouvoit de chêne
Enorme allez pour former le grandmat ,
Fors qu'enDodone , où point nes'en abbat ,
Permiſſion de Minerve on n'obtienne.
Onf'eut : tant pis pour quiconque voguoit ;
Car avec nous le bois facré partage
Dediſcourir le douteux avantage :
Soir&matin le grand mât péroroit;
Mais, en parlant, ces blocs n'avoient point d'ames,
Et ne tenoient qu'extravagans propos :
Delà provient que l'on nomma fagots
Lesfotsbabils des hommes &des femmes.
Braver les vents en un château de bois ;
Quitter le ſol , marcher ſur le liquide ,
Ce fut prodige à la tourbe ſtupide
Qui vit ce fait pour la premiere fois .
Bienque nosGrecs n'euſſent la connoiflanee
De l'art fubtil de navigation ,
H font aller la rame & l'aviron ,
Tant la valeur donne d'intelligence !
Entr'autre illuſtre & noble aventurier ,
On y voyait Hercule , fils d'Alcmène ,
Très-peului chault en quels lieux on le mene
AVRIL. 1771 . 7
Pourvu qu'il fût certain d'y féraillier .
Soncorps étoit d'un ſi peſant calibre
Que dans la nef, s'il prétend ſe mouvoir ,
Tout auſſi - tôt elle perd l'équilibre
Et dans la mer chacun tremble de cheoir .
1
Mais qui pis eſt, telle faim le travaille
Que chaquejour , qu'il foit ou maigre ou gras ,
Il mange un boeufou deux à ſes repas ,
Et d'un ſeul trait vous vuide ſa futaille.
De telles moeurs les font enrager tous ,
Si qu'on réſout tout bas de l'éconduire;
Avec Hercule il falloit filer doux ;
Ainſi Jaſon humblement vint lui dire :
De quoi fert-il , en mer , furdes vaiſſeaux
De la valeur du courage intrépide ?
Avecque nous, que fais-tu, cher Alcide ?
Sécher nos brocs , dévorer nos taureaux ,
Tu t'amollis entre quatre ais ſur l'onde ;
Car après tout tu n'as vocation
De t'enquerir d'une peaude mouton ,
Mais de Géans d'aller purgeant le monde:
Cebeau difcours lui parut concluant ,
Quoiqu'à bien prendre il fut très-ſophistique ;
Mais lehéros n'a cure de logique ,
Et ſamaſlueeſt ſon grand argument ,
Très-volontiers , dit- il , de bonne grace
Devotre nefje conſens déguerpir ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Pourvu qu'aux lieux où me ferez ſurgir ,
De quelque monfttre ondécouvre la trace :
Hercule fort . A la voile on remet.
Périls affreux arrivent par douzaines :
Le chant aigu des nombreuſes ſyrenes
Oblige Orphée à prendre le foffet ;
L'oeil de Lincus , le prince de Scythie ,
Perçant les flots découvre écueils & bancs!
Depuis en linx fa forme convertie
Servit d'emblême aux eſprits pénétrans.
Pour faire bref, les vaillans Argonautes
Viennent ſurgir dans le port de Colchos.
Jaſon commande , on proclame à voix hautes
Qu'auRoid'icelle il veut dire deux mots.
Il eſt admis , & , ſans l'ordre en attendre ,
Jeviens ,dit- il , ſoit de force ou degré ,
Lemouton d'or que vous avez volé
Dansvotre parc incontinent reprendre.
Le viex Aëte étoit un goguenard :
Quandil oüit chanter ſi fiere gamme ,
Il réſolut perſifier le gaillard ;
Pour ce feignitgrande frayeur en l'ame.
De vrai , dit- il , je m'acquis la toifon
Par un larcin , mais de ſainte origine
Commis érant par une main divine :
De plus pourmoi j'ai la preſcription.
?
AVRIL. 1771 . 2
Mais du plus fort le droit ſacré , fans doute,
Vous appartient. Allez donc fans tarder ,
Er , de mon parc ayant trouvé la route ,
Vous tâcherez les dragons d'appaiſer.
Le Jouvencel , par ſes tons deGaronne,
Tout bonnement avoit cru s'exempter
De charpenter ſur la race dragone ,
Alors il vit qu'il lui faut déguainer.
Quand , du ſomet de ſon obfervatoire,
Medée avile &lorgne le galant;
Plus promptement qu'on ne le fauroit ctoire
Elle en reçut le trait le plus poignant.
Puifiant Phébus ! dit-elle , ah ! quel dommage ,
Si jeune encor ! fi bien fait ! fi mignon !
Qu'il ſe livrât à la cruelle rage
Des deux taureaux & de l'affreux dragon !
Par le ſoleil , fon radieux ancêtre ,
Cette beauté jure ordinairement ;
Inſtruite étoit par cet habile maître
En tour myſtore&tout enchantement
Le monde entier eftcon laboratoire ,
Les aquilons lui fervent de ſoufflets
De la nature elle fait ſon grimoire
Et des Volcans , les fourneaux , les creuſets.
Donc auffi- tôt la royale forciere,
Racine&drogue & fimples va cherchant
V
10 MERCURE DE FRANCE.
Et lesbrouillantdans une ample chaudiere ,
Elleencompoſe un merveilleux onguent...
Puis elle ordonne à la gente ſoubrette ,
De lui mener céans lebel ami
Qui , nuitamment admis à la toilette ,
De tant d'attraits ſoudain fut ébloui.
Taillede nymphe& port de ſouveraine ,
L
Un maintien fier , un parler orgueilleux
Dictent l'hommage exigé par des yeux
Quecouronnoient deux arcs d'un noir d'ébene.
Atant d'appas comment ne ſuccomber ?
Mais , quand il ſut que la belle veut l'oindre
Pour de méchef ſa blanche peau garder ,
Au ſentiment la parole il ſut joindre.
Charmant objet , pourquoi me prémunir
Contre undragon dont je n'ai nulle crainte.
Ah ! bien plutôt daignez , daignez guérir
Le coup mortel dont je reſſens l'atteinte.
Pour endormir le dragon de l'honneur
En ſentinelle , &toujours ſous les armes;
Ne ſauriez-vous me compoſer des charmes ?
Qu'eſt latoilon ? j'en veux à votre coeur.
Pour vaincre un coeur je n'ai pointde recette,
Dit- elle ,&jette un regard languiſſant ;
C'eſt chez l'Amour qu'il en faut faire emplette.
Vous poflédez ce ſuprême talent.
:
AVRIL. 1771 . "
Allez , héros , allez faire la nique
Au vain dragon , aux impotens taureaux ;
Vous les verrez plus doux que des agneaux
Par la vertudu baume narcotique.
Dans les détails de l'opération
Etant inſtruit par ſa maîtreſle habile ,
Devant le Roi , les amateurs , la ville ,
Jaſon découpe & pourfend le dragon ;.
Puis , enbravant les flammes ſulphurées,
Dedans ſa gueule il enfonce les doigts ;
Cent quinzedents noires & calcinées
Fort dextrement il tire àpluſieurs fois .
Ainſi l'on voit au royaume lyrique ,
Les frédonans émules du héros
Par de vains coups , proueffe phantaſtique ,
En furieux ébranler les traiteaux.
CommeJaſon l'imitateur fait rage ,
D'eſtoc de taille& de maint horion ,
Criblant , crévant les monſtres de carton:
L'impunité produit ce grand courage.
Pour attraper le couple fulminant ,
NotreArgonaute accourt à toute jambe ,
Voyant au loin leur narine qui flambe
Lemenacer d'un long embraſement;
Mais , auſſi- tôt que l'herbe ſomnifere
Eut approché de leur mufle hideux ,
/
A vj
12 MERCURE DE FRANCE..
On apperçut qu'ils clignoient la paupiere
Et ne ruoient que d'un air langoureux.
Jaſon leslie aurjoug d'une charrue ,
Laboure un champ , & dans chaque fillon
Séme les dents comme graine menue
Dont il avintune étrange moiſſon.
D'épics de fer la plaine eſt hériſſée ;
Lances , cimiers , armures de germer,
Soldats enfin. Cette improviſte armée
Touteà la fois commence à l'attaquer..
1
Du fier héros les vertus ébranlées
Font qu'il oublie & le baume & l'onguent ;
Bruſquer la troupe il ne fait trop comment
Mais il croyoit aux notions innées .
« Oui , l'intérêt ou la cupidité
>> Percent chez nous , dit- il , dès notre enfance
> Partant y font avant notre naiſlance. >>>
Il est très bon de s'être endoctriné.
Ainſi leur jette un compoſé magique
Que , dans ce but , Médée avoit formé ;
Mais dont Jafon dans ſa terreur panique
Le propre uſage a du tout oublié.
Or , pour l'avoir , la bande s'entrechoque ,
Chacun l'arrache à fon frere expirant ,
Descartes vive ! & meure à jamais Locke !
Crioit Jaſon qui de loin va lorgnant .
AVRIL. 1771 . 13
Comme un eſſaim d'inſectes éphémères
Que, dès la coque , on voit déjà pourvus
De ſentimens , d'organes néceſſaires
Pour travailler aux plans qu'ils ont reçus
Le ſeul inſtinct les conduit& les plie ,
Quelques momens rempliffent leur deſtin ,
Mourant le ſoir ſans regretter la vie,.
Ni ſoupçonner qu'il eſt un lendemain.
ود
Ainfiparut le bataillon précaire
Plus promptement s'éteindre & s'anuller,
Qu'on ne le vit ſe façonner n'aguerre ,..
Etdans le ſein des abymes rentrer.
Lors le vainqueur de ſon arbre décroche
Latoiſon d'or qui la branche courboit ,....
Puis va fongeant dans ſa docte caboche
Comment ſa fuite il accélereroir.
4
Comme iln'étoit pas grand Uranographe
Très-peu fachant d'ourſes ni d'orions ,
N'appercevoit qu'Argo par ſon agraphe
Tenoit au rang des conſtellations.
Par ſon crédit dans les conſeils célestes,
Minerve aux cieux cette neffit ancrer ;
Car notre orgueil ſe plaît à conſacrer
Cequi rappele& nos faits & nos geftes.
Ignorant donc que le nombre d'étoiles
Eût augmenté. Jaſon crut tout d'abord,
14 MERCURE DE FRANCE .
Trouver ſa nef& fuir à pleines voiles ;
Mais la princeſſe , inſtruite de ſon ſort ,
Très-promptement fait ſa male & s'atife
Pour le départ ; prend maint & maint ballot ,
Légèrement étrille l'hipogryphe
Qui doit traîner ſon brillant charriot.
LE MALHEUR D'OPINION.
Conte.
CADET étoit fils d'un Artiſan , dont
l'induſtrie , le bonheur & l'économie
avoient fait la fortune. Elevé juſqu'à 25
ans dans l'art de ſon père , il ignoroit ce
qu'il devoit en attendre un jour , & tous
ſes goûts & fes deſirs ne paſſoient pas la
ſphère dans laquelle l'ordre général de la
ſociétél'avoit renferméjuſques-là. D'une
humeur douce , égale& paiſible , il étoit
fait pour lebonheurde ſon état.
Goton ſa coufine , ouvrière pour femmes
, l'avoit fait appercevoir qu'il avoit
un coeur , &Goton s'en étoit doutée avant
qu'elle fût en âge de ſentir qu'elle en
avoit un elle - même ; car chez les femmes
, très-ſouvent , le deſir ou la fantaiſie
de plaire en devancentlebeſoin .
Cependant elle n'étoit pas coquette ni
AVRIL. 1771 . 15
deſtinée à le devenir ; mais Cadet , jeune
& frais , avoit de ſi beanx & de ſi grands
cheveux les jours de fête , qu'on l'eût pris
pour unjoli homme de robe ; & ce n'étoit
pas peu que l'avantage de faire concevoir
dans ſon quartier une ſi douce erreur.
Devenue plus grande & déjà fûre d'être
aimée , Goton , avec beaucoup d'eſprit
naturel, mais ingénue & franche , n'avoit
pas fait la plus petite difficulté de ſe laiffer
dire qu'on l'aimoit , & de répondre
qu'elle n'étoit point ingrate .
Il y avoit donc entre le coufin & la
coufine une bonne petite paſſion bien établie
, bien intéreſſante & bien pure , un
bonheur bien décidé lorſque le père de
Cadet mourut .
Quel fut l'étonnement de ce fils , encore
tout en larmes , lorſqu'un ancien notaire
, ami particulier de ſon père , vient
lui apprendre qu'il étoit riche de près de
500000 livres , en différens effets déposés
chez lui , & dont il donna à Cadet la reconnoiſſance
& le bordereau .
Ce notaire , honnête homme & fage ,
lui conſeilla de jouir prudemment de ſa
fortune , mais fans en donner connoiſſance
à qui que ce fût ; de peur de devenir
l'objet de l'envie , & cette idée fit plaifir
16 MERCURE DE FRANCE.
àCadet qui ne ſongeoit encore à humilier
perfonne.
Il commença cependant par louer la
boutique de ſon père , &s'éloigna un peu
du quartier , pour être moins apperçu de
ſes anciens voiſins , dans ſa nouvelle manière
de vivre.
Gotonelle-même ignora que ſon coufin
pouvoit faire d'elle une femme heureuſe ,
dans la façon ordinaire de penfer , & fi ce
fecret trop bien gardé de la part deCadet
ne bleſla pas ſon amour dans les commencemens
, il alarma la tendre Goton qui
ne concevoit rien au dégoût fubit qu'avoit
pris Cadet pour l'état dans lequel fon père
s'étoit faithonorer de tout le monde , à ce
qu'elle croyoit.
Elle s'en expliqua fans détour avec fon
couſin qui calma toutes fes craintes par
ces mots : Croyez , ma chere coufine , que
nousfaurons vous & moi nous paſſer de
cette refſource. C'étoit dire affez ce qu'elle
vouloit entendre ,Cadet la regardoit toujours
comme ſa femme future , & il ne
falloit que laiſſer paſſer le tems du denil
pour voir arriver le jour de fa felicité ;
c'eſt ainſi que raiſonnoit intérieurement
Goton,
Ce tems s'étoit à-peu près écoulé fans
AVRIL. 1771 . 17
qu'elle ſe fût apperçue d'aucun changement
chez fon coufin , dont l'amour lui
ſembloit s'augmenter tous les jours.
Ce fut au milieude cette confiance que
Cadet oublia , pour la premiere fois,d'apporter
un bouquet àà fa couſine le jour de
ſa fête & de venir dîner avec toute la famille
, comme cela ſe pratiquoit tous les
ans . Le repas fut triſte pour Goton qui ,
depuis ce jour malheureux, ne vit plus fon
amant.
On avoit d'abord été inquiet de ſa ſanté,
mais on avoit appris qu'il fortoit exactement
chaque jour& même qu'il ne ren
troitque fort tard .
Goton en fut troublée , mais elle repouſſa
ſes alarmes par l'eſtime qu'elle
faifoit de fon parent. Elle ſavoit que le
père de Cadet avoit laiſſe beaucoup de
créances exigibles,&elle ſuppoſa qu'ils'occupoit
à s'en procurer le paiement ; mais
pourquoi ſe retirer ſi tard chez lui ? la réponſe
à cet article étoit difficile , & ledefir
de la lui demander devenoit chaque
jourplus preffant.
Dans la maiſon qu'il avoit choiſie en
s'éloignant de ſon quartier , il avoit fait
connoiſſance de deux jeunes gens d'une
naiſſance bien au-deſſus de la ſienne. Le
jeu , les chevaux , les bijoux , les chiens
18 MERCURE DE FRANCE.
&les courtiſannes étoient les objets de
leurs converſations &de leurs deſirs; enfin
c'étoient deux fats tout-à-fait jolis ,
tout-à-faitdubon ton ,&tels que les forment
affez généralement la frivolité &
l'indécence du 18. fiécle . Cadet , en ſe
liant malheureuſement avec eux , avoit
preſque machinalement rougi de luimême
, & n'avoit ofé ſe donner pour ce
qu'il étoit : premiere impoſture qui gâta
fon eſprit&qui altéra la paix anciennede
"ſon coeur.
Il avoit uſébien vîtedu moyen fürd'arrêter
la curioſité ſotte de ſes nouveaux
amis fur fon compre , en payant par-tout
où ces aimables mentors vouloient bien
le conduire pour en faire , difoient ils ,
un homme charmant comme eux. Dès les
-premiers jours de cette fatale union , ils
étoientdevenus fes débiteurs pour d'aſſez
groffes fommes.&ils ne le quittèrentplus
pourle devenir encore.
Son nom , qu'il n'avoit pu leurcacher,
avoit embarraffé leur vanité ; le moyen
d'annoncer cadet? Ils lui propoſerentdonc
de chercher au plus vite les raiſons d'en
porter un autre , en acquérant quelque
terre , & même de déguiſer un peu celui
qu'il avoit reçude ſes parens en attendant
E
لو AVRIL. 1771. 19
&
ets de
; en.
olis,
foré
&
n fe
voit
ui .
ce
ta
de
-.
l'acquiſition à laquelle ils le condamnoient.
Un ſecond changementde quartier leur
parut néceſſaire : voilà le nouveau chevalier
de Tédac , (car c'eſt le nom qu'ils
lui donnerent ) encore plus éloigné de la
pauvreGoton .
Elle fut inſtruite qu'il avoit diſparude
la maiſon qu'il avoit d'abord priſe , &
elle entendoit chaque jour conter à ſes
voiſines qu'on l'avoit vu dans un équipage
brillant avec de jeunes ſeigneurs, &
mis auſſi richement qu'eux. Elle frémiſfoit
à tous ces recits,&ſon infidèle couſin
continuant à ne plus reparoître chez fa
mère , elle fuccomba bientôt à la vive
douleur qu'elle en reſſentit .
Une fièvre horrible que l'infomnie
avoit allumée dans ſon ſang fit bientôt
tout craindre pour ſa vie ; & ce que fon
imagination embraſée lui fitdire dans les
divers tranſports des accès , ne laiſſa douter
perſonne de la cauſe de ſa maladie.
Un frère qu'elle avoit , & dont nous
n'avons point encore parlé , quoiqu'il
ſouffrît preſque autant qu'elle de ne plus
voir fon coufin qu'il aimoit auſſi , réſolutde
découvrir où vivoit cet ingrat & de
le ramener , s'il étoit poſſible , àſa mourante
ſoeur.
20 MERCURE DE FRANCE.
Prêt à renoncer à des recherches fans
nombre que le changement de nom avoit
rendu inutiles , il apperçoit une voiture
dans laquelle étoit Cadet, qu'il nereconnutqu'àpeine&
qui tourna la tête dès
qu'il s'en vit regardé. ヤ
Jaquin (c'étoit le frère de Goton ) ne
foupçonnoit pas fon coufin de le méprifer
,&s'élançant à une des portieres au
rifque de ſe faire écrafer , il s'écrie : Oh!
mon cousin , Goton, peut - être en cet inftant,
ne vit plus. Mais ne pouvant ſe
foutenir , parce qu'une des perſonnes qui
étoient dans la voiture l'avoit repouffé,
il tombe & le char de Cadet roule rapidement.
Les cris du frere de Goton &ceux de
la populace ne durent que trop faire appréhender
au chevalier Tedac ce qui pouvoit
être arrivé à fon parent ; mais la
honte de le reconnoître publiquement
l'empêcha de donner aucun ordre pour
arrêter le carroffe ; &le cocher, effraïédes
crisdupeuple, pouffa ſes chevaux de maniere
àn'en être bientôt plus apperçu.
Cependant Tedac rentré chez lui , &
perfécuté cruellement par la double idée
de la maladie dangereuſe deGoton &de
l'accident qui avoit dû faire paffer fon
couſin ſous les roues de fa voiture, ne put
AVRIL. 1771. 21 .
sfans
avoit
oiculere.
edès
ne
orialu
h!
fe
i
fermer l'oeil . Il ſe leve dès l'aube dujour,
s'habille à- peu près comme il l'étoit dans
ſes jours de bonheur & court à l'endroit
où demeuroit Jaquin .
La tranquillité profonde qu'il apperçut
danstoute la maiſon le raſfura d'abord , &
il crut devoir aller ſur le champ chez la
mère de Goton .
Il s'en falloit bien que tout y fut auſſi
paiſible ; Tedac arriva au moment où le
miniſtre des autels, qui venoit d'apporter
àGoton les ſecours ſpirituels, ſe retiroit ;
un froid mortel le ſaiſit , il chancelle , il
s'appuie ſur une borne en s'écriant : ah
malheureux!
Il fut entendu , on vint à lui ; on le
trouva pâle & fans force , & fur un ſigne
qu'il fit,on le porta chez la triſte mère de
Goron qui, toute à ſa douleur ne s'apperçut
pas, dans le premier inſtant,du dépôt
qu'on venoit de faire chez elle .
Tedac revient un peude ſa foibleſſe; it
s'examine; il conſidère d'une vue incertaine
le lieu où il ſetrouve ; il entend des
gémiſſemens , c'étoient ceux de la mère
de fon amante ; il reconnoît ſa voix ; il
eſſaie de ſe ſoutenir & ſe précipite aux
pieds de cette mère renversée ſur ceux de
La fille. Ah Cadet ! s'écria-t- elle , ah me
2.2 MERCURE DE FRANCE.
chant ! venez- vous jouir des maux que
vous nous avez faits ?
Etrange effet de l'orgueil humain ! le
mot de Cadet prononcé par la mère de
Goton avoit humilié ſon neveu qui fut
un inſtant ſans répondre ; mais la malade
ayant fait un mouvement , & ayant ellemême
prononcé ce nom qui la troubloit ,
il s'élance ſur une de ſes mainsqu'elle tiroit
de fon lit , il la couvre de baiſers &
de pleurs , & ne ſent plus ſa vanité ridicule
murmurer de ſa tendreſſe.
Goton , preſque ſans vie , répéte encore
ce nom deCadet à pluſieurs repriſes,
& chaque fois ſon coufin la rappelle au
jour& lui proteſte un amour éternel.
La malade tout- à- coup paroît avoir reconnu
ſa voix ; ſes yeux appéſantis s'élèvent
ſur ſon couſin , elle fait plus; incapable
de tout mouvement qui demandoit
quelque force , elle s'affied ſur ſon lit ſans
aucun ſecours , panche la tête vers lui, &
dans une ſituation ſtatique , le confidère
attentivement ſans ouvrir la bouche , &
d'une façon preſque effraïante.
**Cadet n'ofe foutenir ce regard morne
& fixe ; cependant il s'excite au courage
de la voir , mais elle retombe péſamment
fur fon oreiller dans un défordre dont la
AVRIL. 1771 . 23
mère ni cadet même ne s'apperçoivent
pas, tant la pudeur eſt étrangère aux grands
mouvemens de l'ame.
Le médecin , qui ſurvintdans cet inftant
, fut étonné de trouver au poulx de
la malade l'agitation qu'il n'y ſoupçonnoit
pas ; il en conçoit qu'elque eſpérance
& la fait partager à la pauvre mère &
au jeune homme qui n'avoit point quitté
une des mains de ſa couſine & qui l'arroſoit
toujours de larmes .
Monfieur , lai dit le médecin auſſi bon
naturaliſte qu'Erafiftrate , il ſe pourroit
que vous fufliez dans cette affaire - ci un
plus grand docteur que moi , & je vous
prie , ſi Madame le permet , d'aſſiſter à
toutes les viſites que j'aurai à faire à Mademoiselle.
Ah Monfieur ! lui répondit Cadet , en
ſe relevant& en l'embraſſant , ayez pitié
de moi , je ſuis un malheureux , un barbare
; c'eſt peut - être moi qui ai porté la
mort dans le ſein de Goton ... C'eſt ma
couſine ... Oui , Monfieur , c'eſt ma coufine...
Je l'aimois , j'en étois aimé ; je
pouvois être heureux en faifant fa félicité
, & je ſuis devenu le mortel le plus
à plaindre ... J'ai rougi de fon état... Je
l'ai abandonnée, vous en voyez les ſuites. "
Monfieur , reprit le Docteur , votre
24 MERCURE DE FRANCE.
franchiſe eſt honnête ; mais , ſi vous êtes
vain , renoncez au bonheur : vous vous
préparez des maux plus cruels que ceux
contre leſquels on emploie notre art . Raffurez
- vous , Madame, & vous auſſi , Monſieur
; la criſe où vous me paroiſſez avoir
mis votre orgueil, en a procuré une falu -
taire à votre parente... Toujours de
mieux en mieux , dit-il en tâtant le poulx
de la malade ; tenez , la voilà qui vous
regarde , elle vous parlera bientôt; mais
il faut la ménager en cet inſtant , rappeler
ſes forces par quelque nourriture , &
tout attendre du Ciel &de vous , Monſieur
, ajouta- t il en ſe retirant.
Cadet, après avoir dit à la mère qu'il
alloit revenir , court ſur les pas du Docteur
, monte dans ſa voiture& le conduit
chez Jaquin dont il étoit extrêmement
inquier.
Son étonnement égala ſa joie lorſqu'il
le vit debout dans ſa chambre . Jamais
accident de cette eſpèce n'avoit eu des
fuites moins fâcheuſes , & Jaquin qui en
avoit étéquitte la veille pour une ſaignée,
ſe préparoit , lorſqu'ils entrerent , à aller
voir ſa foeur . Cadet , dit-il à ſon couſin ,
je crus hier perdre la vie en tombant fous
votre maudite voiture; mais,comme vous
voyez , il n'en ſera rien... Vous ne m'aviez
AVRIL. 1771 . 25
-
viez donc pas reconnu , puiſque vous n'avez
pas fait arrêter les chevaux ? ... Aly
avoit avec vous un vilain petit homme
qui m'a pouffé rudement; il n'auroit pas
beau jeu avec moi ſi je le tencontrois...
Oublions cela , lui dit Cadet qui baiſſoit
les yeux , & courons chez votre ſoeur.
Oh ! volontiers , elle a dû paſſer une mauvaiſe
nuit , M. le Docteur , comment la
trouvez - vous ?-Beaucoup mieux , mon
ami , ne perdez point de tems ; allez la
voir , j'y repaſſerai aujourd'hui ſur les
cinq heures. Et vous , Monfieur , ajoutat-
il à Cadet , en s'approchantde ſon oreille
, il me ſemble que ceci étoit encore
une ſuitede cette petite vanité dont nous
avons parlé ; elle vous fait jouer gros jeu ,
prenez ygarde : à ce foir, à cinq heures.
Cadet & Jaquin montoient chez Goton
au moment où elle avoit commencé
à reprendre la parole. Ils s'arrêterent à
l'entrée de ſa chambre pour ſavoir ce
qu'elle diſoit d'une voix bien foible à la
vérité. C'étoit à ſa bonne mère qu'elle
parloit. Il étoit là , maman , diſoit- elle ,
oui je crois l'avoir vu là. -Tu ne te
trompes point , c'étoit lui-même.-Luimême
? Et comment ? Il me tenoit la
main & je la lui ai laiſſée. -Tu n'avois
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
pas la force de la retirer.-Ah ! cela eſt
vrai ; mais quel plaiſir trouvoit-il à la tenir
? lui qui m'a ſi cruellement abandonnée.
-Tu le revetras , ma chere Goton .
-Ah ! peut être , ma mère. -Je te dis
qu'il me l'a promis. -Eh ! que ne m'avoit-
t-il pas promis à moi , l'infidèle! alors
Gothon fit un cri perçant , parce qu'elle
avoir tourné la tête du côté de la porte&
qu'elle avoit vu ſon frère&Cadet qui l'écoutoient
en s'embraſlant .
Grace , grace , ma chere Goton , s'écria
Cadet, en ſe jetant à genoux aux pieds de
fon lit. Et en effet la grace ne fur paslongue
a obtenir; on lui retendit cette main
qu'on ſe reprochoit de lui avoir laiſſée ,
&il la baifa tant qu'il voulut en préſence
dela bonne mère &de Jaquin.
Deux ou trois jours paſſes ainſi ſans
qu'il voulut quitter la maiſonde ſa tante
rétablirent Goton à vue d'oeil ; mais il
avoit revu ſes premiers inſtituteurs dans
ce qu'ils appeloient la ſcience du monde,
& il prétexta des affaires qui ne devoient
lui permettre de voir ſa coufine qu'au
commencement de la nuit,& fort peu de
tems..
Vous trompez tout le monde excepté
moi , lui dit un foir le ſage médecin avec
AVRIL . 1771 . 27
lequel il fortuis. Je crois que la mère , le
frère& la pauvre innocente croient aux
affaires que vous avez ſuppoſées , mais ,
moi , Monfieur ,, je ſoupçonne fort quelque
nouvelle attaque de ce mal que vous
m'avez confeffé ,& qui dans un jour vous
a expoſé à perdre pour jamais une fille
charmante que vous aimez , à écraſer votre
couſin&à devenir le plus malheureux
des hommes. L'aveu que vous m'avez
fait m'a intéreſlé à vous , ſans cela je ne
vous parlerois pas comme je fais. Je vois
ordinairement beaucoup , maisje dis peu
&ne m'explique fur rien; croyez m'en,
faites votre profit de la leçon qu'un hom.
me de mon âge eſt toujours en droit de
faire à quelqu'un du vôtre .
Tedac , trop bien deviné , avoit été ſ
confus qu'il n'avoit pu répondre que par
un long foupir , & fon filence avoit fortifié
les ſoupçons du Docteur qui , malheureuſement
, ceſſa de venir chez Goron.
dont la ſanté ainſi que la fraîcheur ſe rétablirent
avec une viteſſe incroyable .
La diffipation dans laquelle ſe replongea
Tedac ne put lui ôter ſon amour qui
le pourſuivoit par tout & qui empoifonnoit
ſes plaifirs ; mais elle rendit infenfi-.
blement ſes viſites encore moins longues
& moins fréquentes .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Goton s'en alarma; la décoration fone
laquelle poruitfoit quelquefois fon coufin
l'intimidoit , & lui fit appréhender de ne
plus lui paroître digne du bonheur auquel
ill'avoit nouvellement engagée d'aſpirer,
Un foir qu'elle vit ſes yeux plus tendrement
attachés ſur elle ,Goton oſa lui ferrer
la main & verſa des larmes aufli- tôt.
Qu'avez -vous , lui dit Tedac ? Oh ! mon
ami , lui répondit- elle , vous m'abandon .
nerez encore ; vous êtes ſans doute plus
riche que nous n'avons pensé , & mon état
yous humilie . O Goton ! Ô ma chere coufine
, que dites-vous ?-Ce qui est vrai ,
ce que je ſens , & ce qui me coûtera la
vie... Hélas ! pourquoi me l'avoir rendue
? Ecoutez moi, dit Tedac après avoir
rêvé profondement : je ne puis ni vous
tromper ni me trahir , il eſt trop vrai...
Etant ce que vous êtes , & fur- tout tandis
que votre frère eſt encore un ſimple ouvrier...
Je ne puis m'unir à vous dans ce
pays où il n'y a point de conſidération
pour les gens de votre eſpèce. -De la
confidération , mon cousin , eſt - ce que
nous avons mérité le mépris par quelque
endroit ? -Non pas un mépris réel,
non, cela eſt impoffible ; mais croyezvous
que les gens riches de cette ville
faflent quelque cas de ceux qui ne le font
AVRIL. 1771. 29
J
1
pas , ou qu'ils ne voient que comme des
mercenaires employés à leur ſervice ? -
Et peuvent - ils nous empêcher de faire
quelque cas de nous-mêmes lorſque nous
n'avons manqué ni à l'honneur ni à la vertu
? -Oh ! Goton , c'eſt bien là de quoi
on s'embaraſſe dans le monde . Croiezm'en
, ſi vous m'aimez , allons , vous &
moi , ſeuls , chercher quelque lieu où
nous ne ſoions pas connus , & qui nous
mette à l'abri des opinions &des jugemens
des autres. -Cadet , je ſerois bien
avec vous par-tout , un déſert ou un palais
tout m'eſt égal; mais il ne me l'eſt
pas que vous me ſépariez de ma pauvre
mère , & que mon frère vous falle rougir.
-Goton , Goton, ils ſeroient reconnus
par-tout pour ce qu'ils font , & je ſerois
malheureux . -Malheureux ? Mon coufin
, mais vous êtes fou; nous ne valons
pas mieux qu'eux. -Ah ! vous avez une
figure , vous , qui ſe montera à tous les
tons, qui fera tout ce qu'elle voudra être.
-C'eſt à-dire que vous ne me préférez :
-Que parce que je vous aime. -Non ,
c'eſt parce que vous me croyez meilleure
comédienne que ma mère. Mon coufin ,
je n'ai ni plus d'envie ni plus de beſoin
qu'elle de tromper perſonne ; mais c'en
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
eſt aſſez, vous m'avez dévoilé votre coeur,
il n'eſt plus à l'amour, il eſt tout à la fortune;
mon trouble étoit juſte , vous ne
favez plus aimer , & je ne veux de vous
que votre ancienne tendreſſe .
Goton auffi - tôt ſe leva & ne voulut
plus ſe rapprocher de fon couſin qui , de
ſon côté , prit de l'humeur & fortir . Miférable
coeur humain ! Tedac s'applaudit
preſque du refus que venoit de faireGoton
de le ſuivre dans la retraite que fon
orgueil lui faifoit juger néceſſaire. Il ſe
trouvoit dans le cas de ceux qui , chargés
du poids de quelque reconnoiſſance , ſe
croient acquités par un premier refus de
leurs bienfaiteurs. Est- ce ma faute , ſe
diſoit il , fi elle ne veut pas être heureuſe
, & ne m'est- il pas permis de fonger à
l'être ?
Dans ces belles diſpoſitions il ſe livra
plus que jamais aux conſeils des dangereux
amis que fadépenſe peu méſurée &
ſa facilité de prêter lui avoient faits. Il
leur conta fon hiſtoire , & ils frémirent
pour lui & pour eux du danger auquel il
s'étoit expoſé de voir ſa propofition acceptée
par la petite perſonne. Elle est jolie
, dit l'un d'eux , eh ! bien il faut l'avoir
; mais pourquoi l'épouſer ? L'avoir ,
AVRIL. 1771 . 31
dit Tedac , vous ne la connoiſſez pas ;
c'eſt l'honneur même. -Oui pour vous
qu'elle a intérêtde tromper...Goton, une
ouvriere, une jolie enfant,l'honneur même
? Tout cela implique contradiction ,
vous ne vous formez pas , mon pauvre
Tedac; vous croiez encore l'impoſſible .
-Laiſſons là cette converſation , Mefſieurs
, en l'outrageant , vous me rendriez
à elle .
Un rire général fut la réponſe qu'on fit
à Tedac , auquel cependant on ne parla
plus de Goton, mais qu'on ſe promit bien
d'occuper affez pour qu'il ne pût la revoir
de fitôt. Le projet d'acheter une terre fut
remis ſur le tapis , & le vieux marquifat
de Létand fut l'objet ſur lequel on lui fit
malheureuſement jeter les yeux.
Le poffeffeur de cette terre étoit un
ancien débauché , de la connoiſſance des
amis de Tedac , homme intriguant , fans
moeurs & fans principes , méſeſtimé de
fon voiſinage & dont les affaires étoient
dans le plus mauvais ordre . Dès qu'il eut
vu l'acquéreur que lui préſentoient fes
amis , il conçut que c'étoit trop peu pour
lui de vendre ſa terre, parce que ſes créan
ciers dévoreroient plus des trois quarts
du prix de la vente. Ce gentilhomme
peu digne de l'être ,avoit une fille à pour-
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
voir ; &, dès la ſeconde fois qu'il vitTedac,
il la lui offrit pour femme à des conditions
qui auroient mis ſon gendre abſolument
ſous ſa tutelle.
Acette propoſition inattendue le coeur
de Tedac , qui ſe taiſoit depuis quelque
tems pour Goton , ſembla ſe ranimer
pour elle ; il ſoupira , baiſſa les yeux &
refufa.
Ce n'étoit pas le compte du marquis de
Létand qui , toujours occupé des moyens
de titer quelque parti des gens qu'il connoiſſoit
, imagina ou de forcer Tedac à
épcuſer ſa fille ou de lui faire payer ſes infolens
refus un peu cher.
Un jour que Tedac étoit revenu à ſa
terre pour tâcher d'en traiter avec lui ; &
au moment qu'il le vit prêt à partir , il
entre dans la chambre de fa fille , créature
très- bornée & d'une timidité d'enfant
, il lui fait une querelle ſans motif ,
la frappe fans raiſon & finit par la pourſuivre
, un piſtolet à la main, en jurant
qu'il la tueroit ſi elle ne prenoit ſon parti
d'aller vivre ailleurs que chez lui.
Ce fut dans les bras de Tedac que la
jeune perſonne alla ſe refugier & demander
un aſyle , & le marquis de Létand
joua fibien fon rôle de furieux qu'il parut
de toute néceſſité à Tedac d'emmener
AVRIL. 1771. 33
avec lui la pauvre victime pour la jeter
dans quelque couvent.
C'étoit où l'attendoit notre gentilhomme
qui s'étoit retiré à - propos dans un
petit bois de fon parc , & qui bientôt
partit de ſon côté pour aller folliciter un
ordre contre le raviſleurde fa fille & contre
ſa fille même .
Unpère, en ſemblable cas, eſt toujours
écouté& fervi promptement; &, quoique
Tedac , en dépoſant la jeune perſonne
chez fon hôteſſe , eût pris toutes les précautions
que l'honnêteté ſuggére , il ſe vir -
le lendemain arrêté par des gens qui le
traînerent dans un cachot & qui lui firent
un myſtere du ſujet de ſa détention .
La fille du marquis de Létand fut auſſi
enlevée le même jour , & conduite dans
un couvent où il lui fut défendu de parler
àperſonne.
Au bout de quelques jours de la capa
tivité la plus dure , Tedac interrogé apprit
enfin le crime qu'on lui imputoit .
Tout étoit contre lui , ſon changement
de nom , la dépoſition formelle de deux
valets qui le chargedient d'avoir enlevé ,
à l'entrée de la nuit, la fille de leur maftre
, le fait de la jeune perſonne trouvée
dans ſon auberge ; enfin on ne lui dili
By
34 MERCURE DE FRANCE.
mula point que cette affaire pouvoit avoir
les fuites les plus fâcheuſes , fi bientôt il
n'arrêtoit l'activité des pourſuites du marquis
de Létand.
Plus libre depuis fon interrogatoire ,
Tedac inſtruifit ſes amis de fon malheur,
demanda des conſeils dans la ſituation où
il ſe trouvoit , & fur - tout des fecours
dont il avoit beſoin : on ne lui fit ni réponſe
ni viſite ; il récrivit , même filence;
il réclama plus hautement ce qui lui
étoit dû , & on lui fit dire par un valet
que le paiement des billets qu'on avoit
faits au chevalier de Tedac ne pouvoit
être demandé juridiquement par Cadet
qui avoit grand tort d'enlever des filles
dans un pays où ily en avoit tant qui ſe
jetoient à la tête des gens..
Déſeſpéré de l'infidélité de ſes faux
amis qui avoient abuſé fi cruellement de
fa bienfaifance naturelle , quel fut fon
éronnement lorſqu'il vit venir à lui l'honnête
médecin de ſa couſine. Ah ! Monfieur
, s'écria-t-il en courant à lui , quelle
nouvelle inforane venez - vous m'annoncer
? Suis-je encore plus malheureux que
je ne croyois ? Ecartons- nous un peu , lui
dit le Docteur , & écoutez- moi. Que me
parlez vous d'infortunes & de malheur ?
AVRIL.
1771 . 35
-
Eſt - ce à vous , jeune imprudent , à vous
fervir de ces mots impofans & qui follicitent
la pitié ? -Eh ! quoi , Monfieur ,
connoiſſez vous quelqu'un ſur la terre
qui éprouve de plus grands revers ?
Oui , tous ceux qui n'ont point mérité les
peines qui les affligent. Mais vous , Cadet,
vous ? .. Afféions nous & écoutezmoi
, vous dis-je , j'ai pris fur mes affaires
une heure dont je puis diſpoſer , je
vais vous parler aujourd'hui pour la dernière
fois , fi mes conſeils ne vous fervent
à rien . -Ah ! Monfieur , il faut que
je vous interrompe encore , que fait ma
couſine ? -Elle renonce à vous pour jamais.
-Que dites vous ? O Ciel ! -Ce
que je fais d'elle même . -Rien de toutes
vos extravagances ne lui eſt inconnu ,
&la derniere a brisé ſon coeur. Médecin
d'une maiſon que la charité & la pitié
ont élevée pour le foulagement des pauvres
, c'eſt à ce titre qu'elle vient de s'adreſſer
à moi pour être reçue parmi les
filles qui conſacrent leur vie au ſervice
des vrais infortunés. -Goton ? ma chere
couſine ? Non , Monfieur , non , il ne faut
pas l'en croire , il faut lui refuſer votre
•protection & vos ſoins. -Jeune homme!
ne me dictez point ma conduite , je fau
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
rai dans peu celle que je dois tenir. Revenons
à vous, Monfieur , vous ofez vous
plaindre du fort ? Vous , qu'il avoit placé
dans la plus heureuſe ſituation ; vous ,
inftruit à travailler ; vous , fils d'un honnête
homme ; vous, affezriche pour être
bienfaisant ſi vous aviez voula l'être ;
vous , qui égniez ſur un coeur vertueux
& tendre ; vous , Cadet , qui avez fait
tous ces facrifices à la ridicule vanité de
paroître un autre que ce que vous étiez ,
detromper ,parun faſte infolent, les yeux
de ceux qui ne vous connoiſſoient pasencore
; vous , dis - je , qui avez préféré la
chimère & l'illuſionde la ſociété à ce qui
en fait le bonheur réel.
Je me fuis informé de tout ce qui vous
regarde ,je fais l'ingratitude &l'infidélité
des miférablesque vous aviez choiſis pour
vos amis. Je n'ignore point le roman affreux
qui vous a conduit ici ; ne m'interrompez
pas , oui j'ai pénétré dansl'abyme
du complot qu'on a fait pour accélérer
votre ruine ; vous n'êtes point coupable
du crime dont on vous accuſe , mais vous
le paroîtrez , & il faut vous conduire aujourd'hui
comme ſi vous l'étiez... Parlez,
quevous reſte-t-il encore des 500000 liv.
de votre père ? -Hélas ! Monfieur , j'en.
AVRIL. 177г.
37
US
cé
e
faifois ce matin le compte , oferai je vous
le dire ? il eſt effrayant. -C'eſt la vérité
que je vous demande , gardez- vous de me
tromper. -Eh bien , s'il faut perdre ce
que j'ai eu la foibleſſe de prêter , à peine
me reſterat il 200000 liv. -Qui ne
vous reſteront point. -Comment ! ne
faut- il pas arrêter les pourſuites du marquis
de Létand ? -Il eſt vrai , mais comment
s'y prendre ? -Voulez - vous me
charger de terminer pour vous cette affaire
odieuſe ? -Ah ; Monfieur , quelle
obligation je vous aurois !-Votre confiance
en ce cas ſera récompensée , & je
vous promets d'empêcher Goton de vous
fuir & de vous déteſter. Adieu , je ſais que
leMarquis fait des demandes très- confidérables.
Je vous en félicite , il eſt des
gensqu'il faut ruiner pour les rendre heureux
& fages , adieu encore un coup , ne
vous refuſez rien ici du néceſſaire , je
vais répondre de tout pour vous , & dans
peu vous aurez de mes nouvelles .
Livré à lui - même pendant quelques
jours , Cadet commença à ſoupçonner
qu'en effet il ne pouvoit légitimement ſe
plaindre qu'à lui ſeul de tous les maux
qui le déchiroient ; il entrevit même des
jours plus heureux qu'il feroit maître de
Le procurer , s'il pouvoit recouvrer fa
38 MERCURE DE FRANCE.
liberté & obtenir une ſeconde fois ſa gracedeGoton.
Ce fut au milieu de ces réflexions ſenſées
qu'une lueur de bon eſprit lui repréſentoit
par intervalles, qu'il reçut la viſite
de Jaquin , les cheveux affez mal arrangés
, un tablier devant lui ; enfin dans
Pattirail d'un ouvrier qui quitte ſon travail
pour le reprendre enfuite. La réception
qu'il lui fit d'abord fut un peu froide
; mais le couſin lui ayant dit qu'il venoit
ainſi vêtu par ordre du Docteur , il
ſe ſoumità cette nouvelle leçon , ouvrit
fes bras à Jaquin & verſa des pleurs auxquels
fon orgueil terraſſé eut peut - être
autant de part que ſa ſituation affligeante.
On fe doute bien qu'il fut queſtion de
Goton de la part de Cadet , & de la Demoiſelle
enlevée de la part de Jaquin ;
mais ce dernier ne put rien concevoir à
la juſtification de fon coufin , parce qu'un
enlevement lui paroiſſoit plus naturel à
croire que la ſuppoſition de ce rapt faite,
difoit- il , par un homme comme il faut.
Cadet , après l'avoir perfuadé par degrés
de fon innocence , eut beaucoup de
peine enfuite à l'empêcher d'aller trouver
le vieux gentilhomme , pour lui dire
qu'il étoit un impoſteur infigne , au haſard
de ſa vie ou du moins de fa liberté;
AVRIL. 1771 . 39
cependant la crainte de rendre l'affaire de
fon parent plus dangereuſe vint à bout de
le retenir.
Il rendit depuis des viſites aſſez fréquentes
à fon couſin qui ne ceſſoit de lui
demanderſi Goton étoit toujours chez ſa
mère , & qui ſe trouvoit tous les jours
moins humilié par la décoration de Jaquin
. C'eſt la proſpérité qui nuit ſouvent
à la raiſon en aveuglant ſes favoris ;
l'adverſité replace les objets dans leur véritable
point de vue ; & Cadet , en reportant
les yeux ſur les extravagances que lui
avoit fait faire fa ridicule vanité , rougiffoit
& s'indignoit de lui-même .
Inſtruit de ce changement heureux ,
P'honnête médecin qui avoit pris des peines
incroyables& qui avoit employé tout
fon crédit à fervir le pauvre Cadet, vint
enfin lui ouvrir les portes de ſa prifon ,
en lui diſant qu'il ne lui reſtoit de ſa fortune
que cinquante mille francs .
A peine Cadet prit il garde à cette
étonnante diminution; ſes tranſports de
joie, en apprenant qu'il étoit maître d'aller
ſe préſenter chez Goton , qui ne penfoit
plus aux Hoſpitalieres , firent préſumer
au Docteur quele remède avoit opéré,
&qu'il venoit de travailler au bonheurde
40 MERCURE DE FRANCE.
deux créatures pour leſquelles le hafard
P'avoitintéreſſé vivement .
Rien ne fut plus tendre que la réunion
de nos deux amans. Dès que Cadet apperçut
ſa couſine il ſe précipita à ſes pieds,
&Goton l'y laiſſa plus qu'elle n'auroit
voulu parce que le ſaiſiſſement où elle
étoit ne lui avoit permis ni de faire
geſte , ni de proférer un ſeul mor. Cependant
un peu revenue à elle - même
elle ſelaiſſa tomber ſur les bras de Cadet
qui , lui - même étouffé par ſes larmes ,
n'avoit encore pu romprele ſilence .
un
Témoin de cette ſcène touchante , le
libérateur de Cadet exigea , pour préliminaire
d'un mariage qu'il vouloir ſe hater
de conclure , que l'amant de Goton ſe
remît avant tout en boutique , & qu'il reprît
le commerce de ſon père; Cadet, plein
d'amour , y confentit , & bientôt il fatisfit
gaîment à tout ce qu'on avoit exigé de
lui.
Le ſage ami de cet époux , pour abattre
tout-à- fait fon miférable orgueil , avoit
voulu qu'il invitât à ſa nôce ceux- même
de ſes parens,dont la fortune &l'extérieur
l'auroienta coup für fait rougir trois mois
auparavant ; mais le ſentiment du vrai
bonheur étoit entré dans ſon ame , & fa
félicité ne fut dérangée par aucune. des
AVRIL. 1771 . 41
épreuves&par aucun des détails auxquels
on voulut le foumettre.
Le Ciel bénit cette union qui avoit
eſſuié de ſi grandes difficultés. Au bonheur
d'être un citoyen vertueux & confidéré
de ſes égaux , un époux aimé & toujours
amoureux , Cadet réunit celui d'être
père. Ce fut alors que le Docteur , bien
convaincu de ſa ſageſſe, lui remit deux
cent mille livres qu'il avoit ſauvées du
naufrage , à force de crédit & de ſoins.
Mon ami ,lui dit- il , j'ai tiré des parens
de vos lâches amis preſque tout ce qu'ils
vous doivent ; j'ai forcé le marquis de
Létand à ſe contenter de peu de choſe
parce que la découverte que j'avois faite
de fa fille m'avoit mis en état de le perdre;
ces 200000 liv . vous appartiennent
enfin ; vous étiez heureux avant la reſtitution
que je vous en fais , foiez le encore
davantage , puiſque vous vous trouvez
en état d'être bienfaiſant ; ne rougiffez
plus de vos parens pauvres , mais aidezles
à ceſſer de l'être , & gardez - vous des
malheurs d'opinion , plus nombreux &
plus cruels que ceux auxquels nous a foumis
lanature.
Pour fuivre les conſeils du Docteur ,
Cadet ſentit au fond de ſon ame un motif
plus preſſant, c'étoit celui de plaire
د
42 MERCURE DE FRANCE.
encore davantage à Goton , & ce fut à ce
deſir qu'il dut & la vertu qu'il pratiqua
toute fa vie& le bonheur conſtant qui en
fut la récompente.
Par M. B...
LETTRE de Watson * , dans sa retraite ,
QUAI - JE
àfon fils.
lu ? .. quoi ! mon fils , tu prétends
m'arracher
De la ſombre retraite où je dois me cacher !
Tu veux que , renonçant à ma douleur profonde ,
J'aille encor me livrer au tourbillon du monde !
Tu veux ... Si tu liſois dans le fond de mon coeur,
Si tume connoiſſois , tu frémirois d'horreur .
Aſlaſſin d'un ami , meurtrier d'une épouſe ,
Objets ſacrifiés à ma fureur jalouſe ,
Sans cefle mes forfaits ſont préſens à mes yeux ,
Et je vois à regret la lumiere des cieux !
Quand de l'Etre infini la Sageſſe ſuprême
Abandonne un mortel & le livre à lui- même,
De ce mortel , hélas ! que le ſort eſt affreux ,
* Leſujet de cette lettre est tiré d'un conte moral
intitulé : les funeftes effets de la Vengeance. :
AVRIL. 1771 . 43
Etqu'on peut avec droit le croire malheureux !
Apeine de ſon Dieu la main s'eſt retirée ,
Que ſon coeur eft coupable & fon ame égarée :
Le crime par degrés s'empare de ſes ſens ,
Et ſon être eſt en proie aux remords dévorans,
En vain de la vertu la voix ſe fait entendre ;
L'erreur , qui le ſéduit , l'empêche de ſe rendre :
Ennemi de lui-même , inſenſible à l'honneur ,
Il neménage rien& court à fon malheur.
1
Tel fut , mon fils , tel fut ton infortuné père,
Quand , ſuivant les tranſports d'une ardente cos
lère ,
Sa main oſa ... Je vais te dévoiler mon coeur
Et tracer à tes yeux mon crime & mon malheur !
Tremble , en lifant ces traits , tremble. tu vas
connoître
..
Les forfaits inouis de l'auteur de ton être.
Après ce triſte aveu , mais pourtant qui t'eſt dû ,
Peut-être, êmon cher fils , me déreſteras-tu ?
Peut- être... Que m'importe ? .. Avouer tous mes
-crimes ,
C'eſt me punirdu moins & venger mes victimes .
Adoré d'une épouſe , objet de tous mes voeux ,
Chéri de mes vaſlaux , je pouvois être heureux :
La fortune , le rang , l'amour & l'hymenée
Filoient demes beauxjours la trame fortunée ,
Deux fils , gages chéris de la plus tendre ardeur ,
44 MERCURE DE FRANCE.
S'élevant ſous mes yeux , cimentoient monbon
heur...
Mon bonheur ! .. Qu'ai - je dit ? .. Il n'a fait que
paroître :
Au calmede mes ſens j'abandonnai mon être ;
J'oſai me croire , hélas ! au-deſſus du malheur :
Quelle étoit , ô mon fils , quelle étcit mon er
reur !
Worceſtre , cet ami que je croyois ſincère
Qui de tous mes ſecrets étoit dépoſitaire ,
Ce perfide , au mépris des noeuds de l'amitié
Voulut à ſes deſirs ſoumettre ma moitié;
Déchu de tout eſpoir , il oſa davantage ;
Il ſouffla dans mon coeur une jalouſe rage ,
Et , pour venger ſur moi l'opprobre de ſes feux,
Il m'inſpira... pourquoi l'écouter? .. malheureux!
Devois-je... ç'en eſt fait ! jouet de l'impoſture ,
J'ai tout trahi , les lois , l'amour & la nature.
Ce monſtre un jour m'aborde & , m'adreſſant
ces mots ,
Par un avis fatal vient troubler mon repos :
<<Watſon , un vil mortel trahit ta confiance :
On te fait , m'a- t il dit , une ſanglante offenſe ,
Et ta honte... -Ma honte ! ô Ciel ! explique
toi.-
>>Ton épouſe t'abuſe & viole ſa foi. -
*Mon épouse ! .. il ſe peut ! .. non ; c'eſt une
>> impoſture ;
AVRIL. 17718 45
On t'a trompé , Worcestre , & fon ame eſt trop
> pure
Pour..non ... mais , cher ami , quel mortel a le
>>front
دج D'infulter...-Richemont.-Mon ami !
>>>Richemont :
>> Lui-même... viens; fuis-moi : tes yeux verront
>>l>ecrime.
Sous mes pas , ô mon fils , il creuſoit un abyme.
Jele ſuivis , letraître ! il faſcina mes yeux :
Je crus être témoin d'un excès odieux ,
J'enjurai la vengeance: à l'aveugle colère
J'abandonnai dès-lors mon ame toute entiere:
Je cherchai Richemont... Richemont innocent !
Etd'un coup de poignard je lui perçai le flanc.
Je fus peu fatisfait de ce crime exécrable ;
Il me reſtoit encore une épouſe coupable ,
J'oſai , dans ma fureur , attenter ſur ſes jours ;
Ma main déſeſpérée en arrêta le cours :
Le poiſon... tu frémis de ce nouvel outrage !
Tonpère compoſa le funeſte breuvage ,
Et lui-même porta , d'un front calme & ferein,
Mais le coeur déchiré , le trépas dans ſon ſein.
•A mes reſſentimens j'immolai ces victimes ;
Mais auſſi - tôt après , fatisfait de mes crimes ,
Worceſtre diſparut , & ſon départ ſoudain
Me fit , hélas trop tard , ſoupçonner fon deficin
:
45 MERCURE DE FRANCE.
Depuis le jour fatal ou mes mains ſanguinaires
Ont terminé le ſort de deux têtes ſi cheres ,
Quels tourmens inouis n'ai-je point enduré ?
Que de maux j'ai ſoufferts ! Dans mon coeur ulcéré
La terreur & la mort fixèrent leur demeure :
La vengeance du Ciel me ſuivoit à toute heure ;
Pourl'éloigner , en vain j'épuiſois mes efforts ,
Il n'eſt point, ô mon fils , de crimes ſans remords.
La douleur dans mon ſein verſoit ſa coupe amère ,
Et le ſommeil fuyoit ma débile paupière.
La nuit... Le ſouvenir me glace encor d'effroi !
Mon épouſe la nuit ſe préſentoit à moi :
Couverte d'un linceul , pâle , défigurée ,
Le regard menaçant , de ſpectres entourée
Ettenant dans la main un fer étincelant ,
Elle offroità mes yeux un cadavre ſanglant...
Juge à ce triſte aſpect de l'état de ton père ! ..
Eh ! que n'étois -je alors à mon heure derniere !
Que j'aurois , ômon fils , évité de malheurs !
Ils n'étoient point encore à leur comble... Les
pleurs
A cet affreux récit inondent mon viſage :
Poursuivons..... Je ne pais... ah ! faiſons leur
paflage .
•
Mais de mon infortune achevons letableau :
J'éprouvois chaque jour un fupplice nouveau :
Lefeul ſoulagement de ma triſte mifére
:
AVRIL. 1771 . 47
Etoitdans l'entretien de mon fils , de ton frere :
II ignoroit , hélas ! ma criminelle erreur ...
Eh!qui de tant d'excès eût pu me croire auteur !
Sans ceſſe je pleurois l'odifuſe vengeance
Donl j'avois , dans ma rage, opprimé l'innocence..
Je reçois un billet , je l'ouvre & vois ces traits ,
De la main de Worceſtre , auteur de mes forfaits:
«Enfin je luis vengé , m'crivoit- il le traître ;
>>M>a rage eſt ſatisfaite&tu vas meconnoître :
>> Ton ami , ton épouſe... ils étoient innocens... >>
Je ne pus achever ; l'horreur troubla mes ſens .
Je fais venir mon fils ;je lui peins ma ſouffrance;
Je lui découvre tout , ma fureur , ma vengeance
Mes crimes... Il m'embraſſe , éloigne cet écrit ,
Diflipe mes terreurs & calme mon eſprit ;
Mais , cédant aux tranſports d'une ardeur vengereffe
,
Il fuit & m'abandonne à ma ſombre triſteſſe .
د
De mon fils cependantj'ignorois le deſlein ,
Et ſa fatale abſence augmentoit mon chagrin :
Je le cherchoisen vain ; dans ma douleur extrême
De ſon éloignement je m'accuſois moi-même...
J'apprends qu'à Waringthon il eſtun malheureux
Détenu dans les fers pour un crime odieux :
Je reſſens auſſi - tôt une frayeur ſecrette;
Je ne peux retenir ma tendreſſe inquiette ,
Je pars , j'obtiens de voir le coupable, &mes yeux
:
:
48 MERCURE DE FRANCE.
Reconnoiflent mon fils : " C'eſt donctoi , malheu
>> reux!
>Qu'as-tu fait , m'écriai-je ? -Ah ! calmez-vous,
>>monpère ; 1
Mon coeur eft innocent : j'ai ſçu venger ma
mère ,
Worcestre eſt mort : le traître est tombé ſous
mes coups...
>>Dans ce fatal inſtantje n'ai d'eſpoir qu'en vous ;
>>V>ous voyez quelle horreur&quelle ignominie
>>D'un fils, qui vous eſt cher, vont accabler la vie !
>>De ma triſte famille il faut ſauver l'honneur :
>>Le poiſon... Vous pleurez ; réparez monmal
>>heur:
Jebrave le trépas ; mais la honte , la honte...
>>Ne perdez point de tems; ma mort doit être
>>p>r>ompte,
35Mon crime eſt avéré ; dès demain je péris...
35 Mon père... àl'échaffaut arrachez votre fils ! >>
Je ſortis ,j'apportai le breuvage funeſte : -
Je veux avec mon fils , ( ſeul eſpoir qui me reſte! )
Partagerle poiſon... Il prévient mon deffein ,
S'enſaiſit&le fait paſſer tout en ſon ſein ,
Puis m'adreſſe ces mots : " Fuyez , fuyez', mon
>> père :
Votre préſence ici ne m'eſt plus néceſſaire;
Epargnez à vos yeux un ſpectacle effrayant;
Vivez, conſolez-vous &je mourrai content.
B B
C
Ve
To
JOL
Cra
OR
CE.
49
AVRIL
. 1771 . :
, walker
nez-vous
nger ma
>> On ne ſoupçonne pointl'excès de votre zèle ,
>> Fuïez , ma mort pourra paſſer pour 'naturelle...
Puiffiez-vous oublier mes
malheurs inouis ...
>> Mon Père... adieu... mon père... embraſſez
>> votre fils ! >
Triſte & cruel adieu ! ſouvenir qui
m'accable !
béfou
J'abandonnai men fils dans ce lieu
formidable ;
Et vins
m'enſevelir au fond de ces déſerts ,
VOUS
mint
laviel
mal
e
Oùje cache mon crime aux yeux de l'Univers .
Tel eſt, mon fils , tel eſt le deſtin de tonpère !
Sur l'état de mon coeur quand c'eſt moi qui t'éclaire,
07
Puis-je.. dois -je me rendre à tes deſirs preſſans ?
Non... la mort eſt le bien , le ſeul bien que j'at
tends. 1
Mesmains dans ma retraite ont creulé mon aſyle;
Bientôt il recevra ma
dépouille fragile ,
Bientôt je touche au terme où
tendent tous mes
voeux;
Ce n'eſt que dans la tombe oùje puis être
heureux.
Mais toi , qui ſous les loix du plus tendre hymenée
Verras couler dans peuta douce
deſtinée ,
Toi , qui fuis les
travers d'un ſiécle
corrompu ,
Jouis du
bonheur pur que promet la vertu !
Crains des jaloux
tranſports la fureur
inflexible :
I.
Vol. C
of MERCURE DE FRANCE.
Je te laiſſe un exemple... un exemple terrible..
Sers ton Dieu , ſers ton Prince & fois ſoumis aux
lois...
Adieu , mon fils ... adieu pour la derniere fois.
ParM. Willemain d'Abancourt.
VERS a Madame de *** , fur sa
convalescence.
CHACUN vous fait un compliment d'uſage ;
Dont vous connoiſlez la valeur :
L'amitié vient auſſi'; modeſte en ſon langage ,
Elle dit peu de mots , mais ils partent du coeur,
Et vous comblerez ſon bonheur ,
Si vous diſtinguez ſon hommage.
Par le méme.
DISTIQUE pour mettre au bas du
portrait de Molière .
Lavérité guida ſes ſublimes pinceaux ,
Es fans corriger l'homme,il a peint ſes défauts,
Parle méme.
AVRIL. 1771. SI
LE CHEVAL. Fable imitée de
U
l'allemand .
NChevaldegrand prix , qui , ſous un officier,
Avoit maintes fois fait campagne ,
Son maître mort , fut mis au ratelier
D'un gentilhomme de campagne :
Ce dernier n'en faiſoit grand cas ,
Et lui préféroit même un bidet miférable ;
Notre cheval regrettoit les combats
Et s'ennuyoit de vivre en une étable.
Enfin ſon ſecond maître étant mort à ſon tour ,
Il repaſſa dans l'écurie
D'un riche ſeigneur de la Cour
Sous lequel il brilla le reſte de ſa vie.
Par le vulgaire êtes-vous mépriſé ?
Que votre humeur ne s'en irrite :
Conſolez - vous ; le vrai mérite
Eſt tôt ou tard récompenfé .
Par le même.
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE
Entre UN BRAMINE & IXILIA ,
Veftale Romaine.
J'AI
LE BRAMINE.
i
Ar bien du regret de m'être tant meurtri
, maceré , fuſtigé , tailladé .
IXILIA.
Tout cela eſt bien peu de choſe auprès
da ſupplice d'être enterrée toute vive .
LE BRAMINE.
Enterrée toute vive; j'ai cru qu'on n'enterroit
, tout au plus , que les morts. Eh !
qui donc fut enterrée ainſi ?
Moi, :
IXILIA.
LE BRAMINE.
Quelle barbarie extravagante !
IXILIA.
Ce fur , toutefois , par ordre d'un ſénat
AVRIL. 1771 . 53
qui ſe croyoit ſage ,&d'un peuple qui ſe
croyoit humain.
LE BRAMINE,
Eſt-il poſſible ? ... J'ai dans l'idée que
vous ne me dites pas tour.
IXILIA.
C'eſt qu'il eſt quelquefois embaraſſant
de tout dire.
LE BRAMINE..
Parlez , parlez ! je ſuis indulgent.
IXILIA.
::
Vousſavez, fans doute , qu'il y eut au-.
trefois une ville célèbre qu'on appeloit
Rome?
LE BRAMINE.
Je n'en fais pas un mot.
IXILIA .
:
Elle fe crut deſtinée à conquérir le
monde & elle y parvint.
LE BRAMINE.
Voilà qui eſt fâcheux pour elle& pour
le monde.
Ciij
54. MERCURE DE FRANCE.
IXILIA.
Commentpour elle ?
LE BRAMINE.
C'eſt que plus on a d'eſclaves , plus on
ad'ennemis.
IXILIA.
Cette ville attachoit ſa conſervation d
celle d'un bouclier tombé des nues , &
d'un feu qu'on diſoit venir encore de plus
haut.
LE BRAMINE.
Hé bien ! elle auroit dû borner ſes projets
à conſerver l'un & l'autre.
IXILIA.
Le bouclier avoit ſes gardiens , & je
fus gardienne du feu ſacré.
LE BRAMINE.
Ah !j'entends. Ily a , dans un coin des
Indes,quelquesGuèbres qui s'occupent du
même ſoin.
IXILIA.
Le mien , & celuide mes compagnes ,
conſiſtoit à empêcher ce feu de s'éteindre,
AVRIL. 1771.
¬re vie répondoit de notre exacti
tude.
LE BRAMINE.
C'eſt trop .
ILIA.
Cen'eſt pas tour. Il nous étoit preſcrit
de reſter auſſi pures que le feu dont nous
étions les gardiennes.
LE BRAMINE.
Jecommence à entrevoir quelque choſe
de votre avanture : certain feu s'alluma&
l'autre s'éteignit ?
IXILIA.
Vous devinez la moitié de mes malheurs
; mais le feu facré ne s'éteignit
point.
LE BRAMINE.
Et , ſans doute , que l'autre voulut s'a
limenter?
IXILIA.
Hélas ! qui peut toujours maîtriſer les
mouvemensde ſon coeur ? Je fus dévouée,
fans vocation , aux autels de Veſta . On
me preſcrivit des devoirs ſans confulter
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
:
ma volonté . On me crut ſeulement faite
pour obéir ; mais trop ſouvent les paſſions
nous commandent. La loi crut pouvoir
tromper la nature; ce fut la nature qui
trompa la loi .
LE BRAMINE.
C'eſt ce qui arrivera ſouvent. On peut
bien condamner un homme à mourir de
faim; mais non à n'avoir jamais d'appétit.
A propos , vous expliqua - ton pourquoi
on vous impoſa le double ſoin d'empêcher
le feu facré de s'éteindre , & d'éteindre
un autre feu toujours prêt à ſe ralumer
?
IXILIA.
Ce fut , ſans doute , pour prévenir les
diſtractions ; mais ce double ſoin contribuoit
à les faire naître. Une défenſe contraire
aux penchans du coeur n'eſt écoutée
que quand le coeur daigne ſe taire .
LE BRAMINE .
Croiriez- vous que nous autres Bramines
, nous nous impoſons volontairement
la loi que l'on vous impoſa ſans votre
aveu ?
AVRIL. 1771. 57
IXILIA.
Cette loi peut être alors bien obſervée.
LE BRAMINI.
Oui , grace à certaine précaution qui
nous eſt particuliere. Nous employons ,
pourarriver à certaine perfection ſublime ,
un moyen qui , dans tout autre homme ,
feroit une grande imperfection ; celle de
ne pouvoir produire ſon ſemblable.
:
IXILIA.
Je conçois qu'un tel moyen doit être
efficace;mais bien des gens le regarderont
comme un abus.
LE BRAMINE.
1
:Ily aura des abus , tant qu'ily aura des
hommes.
IXILIA.
Le comble du malheur c'eſt quand ces
abus font érigés er lois , & que ces lois
ont pour appui des ſatellites& des bourreaux
. L'uſage condamnoit mon coeur à
être inſenſible ; mais mon coeur lutroit
fans ceffe contre l'uſage. Rien , dans les
murs du temple de Veſta , n'étoit propre
1
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
à le fixer. Il gémiſſoit des devoirs gênants
dont j'étois plusfatiguée qu'occupée.Mon
imagination perçoit les murs de ce temple
impénétrable aux regards. Leur triſte
enceinte ne pouvoit borner mes defirs ;
ils cherchoient un objet plus propre à les
fatisfaire. Il parut , je vis Valerius. Il me
ſembla qu'un trait de flamme venoitde
paſſer dans mon coeur. L'aſtre du jour ne
lance pas plus rapidement les traits de ſa
lumière. Je crus avoir reçu une nouvelle
existence . Mes idées ſe fixerent. Mon
coeur anticipoit ſur ce que mon eſprit ne
pénétroit pas encore ; un nouveau jour
ſembla briller à mes yeux. Je crus qu'un
nouveau foleil venoit d'éclore pour moi.
Mais bientôt il ne ſervit qu'à mieux me
faire voir les liens qui m'enchaînoient ,
les murs qui m'entouroient , le tombeau
où j'étois defcendue. Je ne fentis que j'a-..
vois une ame que pour être en proie à ſes
tranſports , à ſes craintes , à ſon déſeſpoir.
Quoi ! m'écriais-je , ces murs affreux feront
donc un éternel obſtacle à mon bonheur
! tous mes voeux iront ſe briſer contre
leur maſſe impénétrable ? J'aime , &
je n'aurai point la douceur d'en in ruire
celui que j'aime ! les feux qu'il alluma
dans mon ame la confumeront loin de
AVRIL. 1791 . 59
...
lui. Il ignorera éternellement ſon triomphe...
Il l'ignorera ! Eh fais-je moimême
s'il cherche à le connoître ? Qui
me l'a dit ? Qui me l'apprendra ? Peutêtre
ma vue a-t elle gliſſe ſur lui comme
une foible lueur effacée bientôt par une
autre... Par une autre ! ... Voilà encore
un degré de douleur que j'ignorois. Je ne
commence à mieux ſentir que pour fouffrir
davantage. Oui , je m'apperçois qu'après
le malheur d'aimer ſans eſpoir , le
plus grand fupplice eſt d'ignorer ſi l'on eft
aimée.
LE BRAMINE.
Oui , je conçois que pour une femme.
IXILIA.
1
Je ne pus tenir contre cette accablante
réflexion ; je volai vers le lieu où j'avois
apperçu Valerius. Il y étoit... Il m'attendoit!
nous treſſaillîmes en nous appercevant.
Nos regards ſe rencontrèrent , ſe
confondirent. La joie brilloit dans ſes
yeux &dans les miens; mais bientôt fes
yeux ſe couvriren, de larmes & les miens
de ténèbres. Il se tendoit les bras; if
portoit la main fo fon coeur ; fa bouche
articuloit des mots Confus & entrecoupés.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
4
Il vouloit franchir l'élévation qui nous
ſéparoit : je lui criai d'un ton ferme de ſe
modérer. Il tomba ſur ſes genoux , les bras
de nouveau tendus vers moi , & l'inſtant
d'après il fut obligé de s'appuier la tête &
les mains fur les débris d'une colonne .
Mon coeur étoit déchiré. J'allois lui adreſffer
quelques mots de confolation , lorfqu'une
voix cruelle ſe fit entendre : elle
m'appeloit à mes fonctions de Veſtale. II
fallut quitter rapidement ce lieu qui m'étoit
ſi cher , pour un lieu qui m'étoit en
horreur.
LE BRAMINE.
Valerius ne dut pas être moins affligé
que vous.
IXILIA.
J'étois deſtinée à paſſer ſeule cette nuit
dans le temple. Elle commençoit à ſe répandre
, & l'horreur de ſes ténèbres ajoutoit
encore à celle de ma ſituation. Mes
foupirs & mes ſanglots perçoient les voûtes
de ce lieu redouté. J'implorois le ſecours
de Veſta contre le dieu qu'elle profcrivoit.
J'embraſſois la ſtatue de la déeſſe.
OVeſta ! lui diſois je , fais que toutes les
glaces de ce marbre paſſent dans mon
AVRIL. 1771 . 61
ame ; ou fais que ce feu ſacré conſume un
coeur déjà trop embraſé d'un feu profane !
Veſta! daigne ſecourir une de tes prêtrefſes
que l'amour arrache à tes autels ! ...
Eh! fuis-je encore digne d'en approcher?
Mon ſoufle impur n'éteindra- til point la
flamme céleste qui brille à mes yeux ?
Fuyons ! à ces mots je m'éloigne ; j'erre
dans les vaſtes détours de cette folitude ,
& bientôt je tombe dans un anéantiſſement
qui m'ôte l'idée & des lieux où je
fuis , & de ma propre exiſtence . Etat affreux
! réveil plus affreux encore ! les ténèbres
m'environnent de toutes parts : elles
couvrent toute l'étendue du temple ; le
feu facré s'eſt éteint. Tout eſt fini pour
moi, &je dois ne m'éloigner de l'autel que
pour marcher au fupplice.
LE BRAMINE.
Vous me faites frémir , vous m'attendriſſez
, tout Bramine queje fus.
IXILIA .
Déjà je croyois entendre les cris d'un
peuple furieux qui demandoit ma mort :
déjà je croyois voir un cruel pontife en
ordonner les apprêts : l'urne & la lampe
funèbres me précéder , le funeſte caveau
s'ouvrir : .. J'implore Veſta , j'implore
62 MERCURE DE FRANCE.
l'Amour. Je ne fais qui des deux me fecourut
; mais tout-à- coup le feu facré ſe
ralume & ſemble renaître de ſa cendre.
LLEE BRΑΜΙΝΕ
Voilà qui tient du prodige.
IXILIA.
Ce fut ainſi que je l'enviſageai !
LE BRAMINE.
Aqui en fêtes-vous les honneurs ?
IXILIA.
Le cas étoit embaraſſant : j'avois imploré
l'Amour comme Veſta .
LE BRAMINE.
Je devine que l'Amour eut la préfé
rence.
IXILIA.
Pouvoit - il manquer de l'avoir ? mon
eſprit étoit partagé; mon coeur ne l'étoit
pas. J'aurois voulu inſtruire Valerius du
danger où je m'étois trouvée : il me fembloit
qu'un tel récit me rendroit encore
plus intéreſſante à ſes yeux. Le croiriezvous
?Ce danger même le rendoit encore
イ
AVRIL. 1771 . 63
plus cheràmon coeur. Tel eſt l'Amour&
telle eſt notre foibleſſe. Je reparus , &
Valerius étoit déjà aux pieds de la fatale
terraſſe. Nouveaux tranſports de ſa part ;
nouveau ſaiſiſſement de la mienne. Il
parla vivement de ſon amour , & je lui
répondis aurrement que par mes regards.
Nos entrevues ſe multiplièrent ; elles
étoient toujours plus tendres , toujours
plus animées. Il voulut de nouveau franchir
la terraſſe &je m'y oppoſai. Il inſiſta
les jours ſuivans & je ceſſai de m'y oppofer...
Bientôt même ,je renonçai à toute
eſpècede réſiſtance.
LE BRAMINE.
Veſtadutêtrebien piquée , ſi le prodige
venoitde ſa part.
: IXILIA.
• Elle fut vengee ; ma foibleſſe fut découverte.
Je ne puis vous peindre l'horreur
de cet affreux moment ; la fureur des
prêtres , l'abattement de mes compagnes ,
les cris d'un peuple aveugle & féroce. On
eûtdit que Rome touchoit à fa ruine , &
que les Gauloisy portoient encore la flâme&
le ravage. Bientôt on me ſaiſit : on
m'inſtruit de mon fort ,&l'arrêt s'exécute
auſſi-tôt qu'il eſt prononcé. Je me vois
64 MERCURE DE FRANCE.
conduire au bord d'un fouterrein qui doit
bientôt me ſéparer de l'Univers . C'eſt là
mon tombeau , & je dois y deſcendre
avant que d'expirer. Il faut que la faim
m'y dévore ; que j'y éprouve mille fois
letrépas avant que de l'obtenir. Le grand
Pontife commençoit à me reprendre & à
m'exhorter. Je lui impoſai ſilence & à
toute cette multitude. « Barbares ! leur
>> dis - je , votre fureur ſera bientôt affou-
» vie ; je vais , pour jamais , difparoître à
>>vos yeux. La terre va m'engloutir, tan-
>>>dis qu'elle vous ſupporte avec tous vos
>>forfaits. Ofez-vous ! cruels ! ofez vous
>> me punir d'une foibleſfe plus excufable
>>que le moindre de vos crimes ? Vous
>> révoltez la nature ,&je n'ai fait que lui
» obéir. Oui , j'adore Valerius : oui , j'ai
>> trangreſſéles lois;mais on me les impoſa
>> plutôt que je ne m'y afſujettis . Je ne fis
-> qu'étendre une chaîne funeſté , & la
>> mort eſt le fruit d'un effort légirime ! ..
» Vile race de brigands ! tu n'as point
» dégénéré. Il te fautdes meurtres au dé-
> faut de rapine. Tu crains qu'on ne t'ar-
>>rache à ton infâme repaire : tu crains
>> que vingt peuples , juſtement ligués,
>>contre toi , ne te rendent parjure pour
>>parjure , maſſacre pour maſſacre>. >
AVRIL. 1771 .. 65
Après cette prédiction , qui s'eſt vérifiée,
on me plongea dans le tombeau qui
m'attendoit&qui fut refermé ſubitement.
Ce qui me reſte à vous dire ne peut s'exprimer
: vous - même ne pourriez vous
réſoudre à l'entendre. Que ma mort fut
lente&douloureuſe ! combien de fois je
crus la faifir , & combiende fois elle m'échappa
! que detourmens !qued'horreurs!
que de cris inutilement jetés ! que d'efforts
multipliés & perdus ! Je paſſois de la rage
à l'anéantiſſement , de l'anéantiſſement à
la rage. Enfin , je ceſſai d'être , & ce ne
fut qu'à ce moment queje ceſſai de ſouffrir.
LE BRAMINE .
Avouez qu'ici tout eſt effacé ? Vous
venez de me raconter un fonge funeſte ;
je ne pourrois vous en rapporter que de
bizarres. Tout eſt ſonge parmi les humains.
IXILIA .
Oui ; mais être enterrée toute vive ! ..
LE BRAMINE .
Mais vivre comme ſi l'on étoit enterré
! ... Peut - être ai-je plus ſouffert vo--
lontairement que vous par ordre de vos
66 MERCURE DE FRANCE.
juges. Vous eûtes quelques momensheu
reux , & tous les miens furent pénibles.
Par M. de la Dixmerie.
EPITRE à M. Foix , médecin de Chaume
en Brie, qui m'a guèri d'un rhumatisme
gouteux , dont j'ai été tourmenté une
grande partie de l'automne.
AUJOURD'HUI qu'on chante & qu'on fête
Tous les colifichets du jour ;
Des héros ſans coeur & ſans tête ,
Etdes maîtreſſes ſans amour.
Amon docteur , je crois honnête
De témoigner quelque retour.
Il m'a guéri ; c'eſt un grand homme
En dépit de tous ſes rivaux ,
Ames yeux , d'Athène & de Rome,
Il efface tous les héros .
Plus de deux mois je fus podagre
Depuis le col juſqu'aux talons :
Bientôtj'allois être chiragre ,
Mais ſes admirables boiſſons
Ont rallumé dans mes tendons
Lefeu vitalde Méléagre. *
*Méléagre , fils d'Oenée , Roi d'Etolie & d'AlAVRIL.
1771. 67
C'eneftfait : abjurons l'erreur
D'une ame trop long- tems mutine
Je le confefle avec douleur ,
Je fus impie en médecine ,*
Faiſant la nique à tout docteur,
Déployant ma rage aflafſine
Sur la perruque&ſur ſamine,
Le traitant , malgré ſon hermine
Et d'ignorant & d'impoſteur...
OFoix ! ta ſcience divine تم
Vient enfin d'éclairer mon coeur.
Qu'à préſent une troupe ingrate
D'eſprits forts , bouffis de ſanté,
Ofe , dans ſa malignité ,
Déchirer legrand Hypocrates
Etſa ſavante faculté.
Mon reſpect pour ſes aphorifmes
Ne ſera pointdéconcerté
ここ
4
thée. Auſſi - tốt qu'il fut né ſa mère apperçut les
Parques qui , étant auprès du feu & tenant untifon,
diſoient ces paroles : Il vivra autant que ce
tiſon durera. Elle retira promptement ce tiſon fatal
, & le garda juſqu'à ce qu'étant irritée contre
fon fils , elle le jeta au feu. Le tiſon confumé ,
Méléagre mourut ſur le champ.
* Je fus impie en médecine. Mot de Molière,
dans le rôle de Dom Juan.
8 MERCURE DE FRANCE .
Par les brocards & les ſophifmes
D'un peuple auſſi vain qu'entêté.
Je ſuisbon croyant: c'eſt tout dire.
Inébranlable dans ma foi ,
Des médecins on peut médire ,
Contre eux épuifer la fatyre ,
Leur doctrine fera ma loi.
Avecelle, & ce mot unique ,
Pointde raiſons , mot ſans replique ,
J'entendrai tout , l'entendrai bien ,
Je verțai tout , le verrai bien ,
Cependant je n'en croirai rien.
Oui je verrai , de cebas monde,
Déloger mes plus chers amis ,
Grace à la ſcience profonde
Des médecins , pareux choiſis.
Je verrai , par une ſaignée ,
Mon père étendu roide mort ,
Ma pauvre mère empoisonnée
Par un émétique trop fort ;
Je verrai mes foeurs & mes frères
Expirer au ſeindes douleurs ,
Et , par les drogues falutaires
Denos plus célèbres docteurs ,
Deſcendre au tombeau de leur pères...
Je verrai tout , le verrai bien ;
Cependantjen'en dirai rien.
J'entendrai , dans chaque famille,
20
*
AVRIL. 1771. 69
L
ec
D'un bout à l'autre de Paris :
«Tel docteur a tué mon fils ,
→ L'autre vient d'égorger ma fille ;
>> Je perds le meilleur des maris ,
>> Moi , l'épouſe la plus chérie ;
>>Tel ou tel leur Otent la vie .
Enfin , de cent autres côtés ,
Ainſi qu'après une bataille ,
J'entendrai les cris répétés
Demainte & mainte funéraille ;
Et les médecins , mes héros ,
Par les grands & par la canaille
Accuſés d'être les bourreaux
De ces morts giflans ſur la paille...
J'entendrai tout, l'entendrai bien
১
Cependantjen'en croirai rien .
C'eſt ici , d'une foi robuſte ,
Sans doute le ſuprême effort ;
Mais je crois raisonnable & juſte
D'y perſiſter juſqu'à la mort.
Je ne ſaurois , du grand Moliere,
Me rappeler la triſte fin ,
Sans que mon ame toute entiere
D'effroi ne trefſſaille foudain.
On fait que la verve comique ,
Sur toute la gent Galenique ,
Agrands flots lança ſon venin 3
Mais auffi , quel fut ſon deſtin ?
fo
70
MERCURE DE FRANCE.
Il mourut ſeul : nul de la clique
Ne voulut lui prêter la main ,
Pour rendre fa mort canonique...
Moi, je veux mourir comme un Saint;
Et non pas comme un hérétique ,
Sans lefecours d'un Médecin.
Par M. l'Abbé du Roux...
LE CHAMPIGNON & LA VIOLETTE.
Fable.
Un Champignon fraîchement né
Inſultoit fièrement une humble Violette ;
Reſpecte-moi , dit-il , à la pauvrette
Etre futile à ramper deſtiné ;
Regarde ma ſuperbe tête
S'arrondir , ſe fortifier ,
Dans peu j'égalerai le faîte
De ce haut coudrier ;
Que tout , aux environs , me cède &m'obéifle ;
e
Quetout. Comme il hauſſoit le ton ,... • •
On vit ce fot , ce fanfaron
Qu'avoit produit la nuit par ſa fraîcheur propice,
Sepencher , ſe flétrir,
AVRIL. 1771 . 71.
Se ſécher & s'évanouir.
Que de gens inconnus la veille
Champignons de Plutus , en un inſtant pouſſés,
Douffis d'une fierté pareille ,
Le lendemain ſont renverſés !
Orgueil ! tu fis tomber notre coupable père ,
Toujours , de ſes enfans , tu croîtras la misère.
Par M. Br... Auditeur des Comptes.
* Le mot du Proverbe inféré dans le Mercure
du volume de Mars 1771 , eſt , Il faut qu'un
Barbier raſe l'autre.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Mars 1771 , eft
Ecrivain ; la ſeconde , l'Ombre ; la troi-
Géme , Plume d'oie à écrire. Le premier
logogryphe eſt Hautbois , où l'on trouve
haut& bois ; le ſecond , Rocher , où l'on
trouve roche & roc ; le troiſieme , Ange ,
dans lequel on trouve ane.
ÉNIGME
L'ARABIE eſt le lieu dans lequel je ſuis né ,
Nous ſommes dix enfans; on me fit , par idée
72 MERCURE DE FRANCE.
Le plus jeune de tous & le moins fortuné ;
Mais j'éloigne de moi cette triſte pentée.
Je ſuis beaucoup ,je ne ſuis rien ,
Accompagné , je fais du bien ;
Mais je plains qui m'a ſeul , il eſt un pauvre fire ,
Et , s'il m'eſt permis de le dire ,
Il a toujours un ſot maintien.
J'ai pourtant du pouvoir; dans plus d'une contrée
Je ſuis connu , chactin chez ſoi me donne entrée.
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , & mon ſecours implore
,
En cela bien penfant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore.
Je pourrois ajouter
• Que , malgré ma vieilleſle ,
L'abbé , le financier , le marquis la ducheſſe
Me font auffi leur cour ; mais pourquoi m'en
vanter ?
Rien ne peut m'émouvoir , je ſuis toujours le
même
Petit individu
Amine ronde & blême ,
Denoir , en général , preſque toujours vêtu.
Par M. de Laville de Baugé.
4
AUTRE .
AVRIL. 1771 . 73
AUTRE.
Je ſuis un gentil animal ,
Que ſon inſtinct entraîne au mal.
Faut- il s'en étonner ? A l'homme je reſſemble.
Oui , plus on me voit , plus il ſemble
Quedu même limon nature nous paîtrit.
Pour la figure , pour l'eſprit
Elle mit entre nous ſi peu de différence
Quejepouvois paller pour un être qui penſe.
De l'homme , preſqu'en tout , imitantles façons,
Je me ſers de mes mains avec beaucoup d'adreſſe :
Comme lui je m'aſſieds : ſur deux pieds je me
drefle:
Je marche , ſaute ,danſe; enfin à ſes leçons
Il me trouve docile ; ( autant que je puis l'être )
Carj'en conviens de bonne foi ,
Rien n'eſt plus obſtiné que moi.
Lecteur , vous croiez reconnoître,
Aces traits à peine ébauchés ,
Ou le finge , ou la femme : oui, vous en approchez.
De l'un j'ai toute la malice :
Pour le caquet , pour le caprice
A l'autre je ne céde point.
De ces deux animaux , jediffére en un point :
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Une chaîne importune , en est- il de plus forte
Que celle de l'hymen ? gêne leur liberté ;
Etmalgré le colier que quelquefois je porte ,
Je jouis de la liberté.
AUTRE.
CINQfrères fans cefle affidus
Ala toilette d'une belle ,
Ses chevaliers , troupe aimable & fidelle ,
Apprens- le moi , te ſeroient- ils connus ?
Deux ſont polis comme elle a le viſage ;
Undoux coton ne les voile jamais.
Le ſecond couple avec des traits ,
Qu'un duvet délicat ombrage ,
D'un jeune homme à vingt ans nous retrace l'i
mage.
Le cinquieme , vu d'un côté ,
Ales deux premiers pour modele ;
Vu d'un autre , il paroît des derniers imité.
Simon énigme t'eſt nouvelle ,
Que verras-tu dans cette obſcurité ? *
* On donnera l'explication en vers de cette
énigme dans le prochain Mercure.
AVRIL. 1771. 75
AUTRE.
ENFANT du luxe & de la vanité ,
Chez les François ſansdoute j'ai dû naître.
Mes droits , pour plaire au peuple petit-maître,
Sont l'élégance & l'inutilité.
Jamais ma forme ne varie ;
C'eſt par les ornemens , l'étoffe & les couleurs
Que le goût mediverſifie :
Ici la ſoie a nuancé des fleurs ,
Et là c'eſt l'or qu'à l'argent on marie.
Je ſuis des gens de tout état ,
Sans changer pour eux mon allure ;
Près d'un ſeigneur , près d'un pied plat ,
Je me trouve en même poſture .
Mon uſage eſt d'ailleurs ſicommun aujourd'hui,
Qu'il n'eſt perſonne ici qui ne ſe le permette.
Un robin même , en changeant de toilette ,
Acquiert le droit de me porter ſur lui ;
Car avec le rabat je ſuis incompatible ,
Et vos jolis abbés , tout recherchés qu'ils font ,
N'ont pas encor jugé que je fuſle admiſſible
Aumilieu des graces qu'ils ont.
Un amant me reçoit des mains de ſa maîtreſſe,
Et c'eſt alors que je ſuis d'ungrand prix .
Comme un gage de la tendreſſe ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
La maman me donne à ſon fils ;
Mais le plus ſouvent on m'achete
Dans ces beaux atteliers de la frivolité ,
Où , du matin au ſoir , une nymphe coquette ,
Travaillant ſur des riens avec dextérité ,
Par d'aimables propos fait faire bourſe nette
Aux amis de la nouveauté.
ParM. Gelhay.
LOGOGRYPH Ε.
Je préſente avec netteté
Ce qu'eſſuie un mortel qui paſſe
Dubonheur à l'adverſité :
Mais quel que ſoit cette diſgrase ,
En m'alongeant un tant ſoit peu ,
Vous trouvez que ce n'eſt qu'unjeu.
Parle même.
AUTRE.
QuoIQUE poreuſe &très-légère ,
Je ſuis un être libéral ;
Le feumeprépara dans un volcan fatal ,
Où Pline imprudemment termina la carriere.
On dit de moi , figurement ,
AVRIL. 1771 . 77
:
Qu'unécrivain ſage &prudent
Me fait par fois paſſer ſur ſon ouvrage:
Zoïle obſcur ! ſur chaque page
De ton ennuyeux perfifflage ,
Pourquoi n'en fais-je pas autant ?
Devinez-vous , lecteur ? Faut-il , ſuivant l'uſage,
Exercer votre eſprit , en medécompoſant ?
Très-volontiers , prenez courage
Je marche ſur cinq pieds , en en ſupprimant un
J'offre , engéométrie , un terme affez commun ;
D'un poids fort uſité la ſeizieme partie ,
Et ce joyeux feſtin lorſque l'on ſe marie.
Neprenant que ma tête on trouvera d'abord
Unfleuve d'Italie en approchantdu Nord ,
Combinez de nouveau ; cherchez ce patriarche;
Préſervé du déluge , en s'enfermantdans l'arche ;
Et chez le peuple Juif le nomd'un gouverneur
Qu'à la meſſe on entend prononcer par le prêtre...
Oh! pour le coup , mon cher lecteur
J'en dis aſlez pour me faire connoître.
Par un Abonné au Mercure.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
'Abregé chronologique de l'Histoire Eccléfiaftique
, civile & littéraire de Bourgogne;
depuis l'établiſſement des Bourguignons
dans les Gaules juſqu'à pré-
Tent. Par M. Mille ; tome I' , vol. in-
8°. avec cette épigraphe : Etpius eft
patriæ facta referre labor. Ovid. triftium.
lib . 2. verf. 321. A Paris , chez
Delalain , libraire , rue & à côté de la
Comédie Françoiſe ; & à Dijon , chez
Cauſſe , imprimeur du parlement & de
l'académiedes ſciences , place St Etienne.
Prix , 5 liv. broché avec la carte .
CET abregé formera une hiſtoire trèsſuivie
& très- complette , de laBourgogne
ancienne & moderne . C'eſt , du moins ,
ce qu'on entrevoit à la lecture de ce premier
volume. Il eſt précédé d'une introduction
, bien écrite , où l'on trouve divers
éclairciſſemens ſur l'origine , les
moeurs & les uſages des anciens Bourguignons.
M. Mille cite à ce ſujet les opinions
d'un grand nombre d'auteurs , plus
ou moins connus. " On diroit , pourſuit
AVRIL. 1771. 79
il , on diroit , en conſidérant le portrait
» qu'Ammien - Marcellin & Sidonius-
•Apollinaris nous ont tracé des Bourguignons
, que c'eſt celui des Germains
« mêmes , tracé par Strabon & par Taci-
» te, tant on ytrouve de reſſemblance &
>> de conformité dans la religion , la
>>taille , le langage , les coutumes , les
>> préjugés , les vices& les vertus. »
La guerre & la chaſſe étoient les principales
occupations de ce peuple , tant
qu'il habita la Germanie. Ses troupeaux,
& les eſclaves qui en avoient ſoin , formoient
toutes ſes richeſſes. Il n'avoit pour
lors que des coutumes groffieres confervées
par tradition . Ce peuple errant ne
redoutoit que la ſervitude,&dans toutes
ſes expéditions il avoit ſoin de repréſenter
ſur ſes drapeaux un chat , ſymbole de
laliberté.
Les Bourguignons avoient cependant
un chef , appelé Hendin. Il ne devoit cette
place qu'à fon courage , fon expérience&
ſes ſervices ; mais fon pouvoir étoit
limité. Un mauvais ſuccès , une année
ſtérile ſuffifoient pour le faire dépoſer.
Souvent même il payoit de ſa vie une
entrepriſe malheureuſe ou mal combinée.
Le pouvoir du Sinist , ou grand Prétre ,
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
étoit beaucoup plus étendu , &d'ailleurs
étoit perpétuel. Le reſpect pour lui alloit
ſi loin qu'on le regardoit toujours comme
inſpiré des dieux & comme exempt de
toutes paffions. C'étoit à lui ſeul qu'appartenoit
le droit de reprendre , d'arrêter
&de punir lescoupables .
•Chaque famille , dit l'auteur , for-
>> moit une eſpèce de république qui avoit
>> ſes intérêts particuliers. Si l'un de ſes
» membres recevoit quelque injure , ou
>> avoit ſouffert quelque dommage , cer
» événement donnoit lieu à des querelles
>> domeſtiques , dont le fort des armes
>> décidoit : les parens mêmes de l'offen-
» ſé ſe réuniſſoient pour le venger , & le
>>plus foible ne pouvoit ſe ſouſtraire aux
>> reſſentimens de ſon ennemi qu'en lui
>> donnant , felon la nature de l'offenſe ,
>> une certaine quantité de boeufs ou de
>> moutons . C'eſt ce que la loi Gombette
>> appelle compoſition:police finguliere ,
>>qui peint encore mieux que tout le reſte
>>les moeurs & le caractère de ce peuple
>> ſauvage & ignorant. >>>
Les Bourguignons firent d'abord pluſieurs
tentatives inutiles pour s'établir
dans les Gaules. Dans cet intervalle , ils
ſe fixerent fur les bords de la riviere de
AVRIL. 1771. 8г
Sala , dont les eaux propres à faire du ſel
renouvellerent bientôt leurs anciennes
querelles avec les Germains. C'eſt même
de-là que Paſquier fait dériver l'ancienne
apostrophe de Bourguignonsfalés.
,
Ce fur, felon l'opinion commune, vers
l'an 407 que les Bourguignons , ſous la
conduite de Gundahaire ou Gondicaire
leur chef , paſſerent le Rhin pour
s'établir dans les Gaules. Leurs ſuccès
furent rapides. Ils s'emparerent d'abord
de cette partie voiſine du Rhin &
des Voges , qu'on nomme aujourd'hui
laHaute Alface &le Canton de Bafle.
Cette poſſeſſion fut de beaucoup accrue
par le traité de paix & d'alliance qu'ils
firent avec l'Empereur Honorius , & peu
de tems après Gondicaire prit le tître de
Roi.
Alafin de cette introductionM. Mille
trace un tableau précis de l'état desGaules
lors de l'invaſion des Barbares . On
fera furtout frappé de la maniere dont il
décrit les progrès & la décadence de la
littérature gauloife. « La littérature , dit
>> cet hiſtorien , honorée , floriffante, fous
>>Auguſte , flétrie par Caracalla , l'enne-
» mi déclaré des talens , relevée & pro-
>> tegée par ſes ſucceſſeurs , ne pouvoit
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
>> manquer de ſe reſſentir de ces viciffitu-
» des malheureuſes qui avoient contrarié
>> les efforts du génîe. Envain l'établiſſe-
>> ment du chriſtianiſme dans les Gaules
>> lui avoit- il donné une impulfion nou-
>> velle ; envain la vérité avoit - elle im-
>>primé aux Orateurs Chrétiens ce carac-
>> tère de fublimité que le menſonge n'i
>>mite qu'imparfaitement; les ſciences
>>profanes ne ſe ſoutinrent plus avec le
>> même avantage qu'elles avoient eu
>> pendant les beaux jours du regne d'Au-
>> guſte. Telle eſt leur deſtinée chez pref-
>> que toutes les nations qui ont une hif-
>> toire littéraire à produire. Le concours
>> des cauſes qui étendent l'empire des
> lettres en accélère ſouvent la chûte , en
>> y portant une fertilité trop ſouvent nui-
>> ſible au bon goût. »
Ce premier volume , diviſé en deux
Livres , renferme deux époques . Celle de
la fondation de l'ancien royaume de
Bourgogne depuis Gondicaire , premier
Roi , juſqu'à ſa réunion à la monarchie
françoiſe ſous les enfans de Clovis ; &
celle de ſa ſeconde réunion à la France ,
parClotaire , après le ſupplice de Brunéhaut.
M. Mille n'eſt pointd'accord avec
quelques écrivains anciens & modernes
AVRIL. 1771. 8;
qui prétendentjuſtifier entierement cette
Princeſſe des crimes que d'autres auteurs
luiimputent. Voici comment il la peint,
après avoirdécrit ſa morttragique. « Ainſi
> périt , à l'âge de quatre-vingts ans , par
>>un fupplice auſſi cruel qu'ignominieux,
>> cette Reine Brunéhaut, la fille , l'épou-
>> ſe , la mère & l'ayeule de tant de Rois;
>> rivale de Frédégonde , auſſi ambitieuſe,
>> moins coupable , plus infortunée qu'el-
» le , & également célèbre dans les faſtes
>> de l'hiſtoire par ſes crimes &fes mal-
>>heurs , & par les éloges que lui prodi-
>> guent ceux qui la justifient. "
Rien de ce qui intéreſſe les premiers
tems de l'hiſtoire de Bourgogne n'eſt oublié
dans ce volume. Les faits s'ypréſentent
ſans embarras & font toujours éclairés
par les réflexions de l'auteur. Il y développe
les changemens qui ſe ſont faits
plusoumoinsrapidementdans les moeurs,
dans les uſages, dans les lois que les Bourguignons
avoient apportés de la Germanie
. Ce qu'il a fait juſqu'à préſent doit
prévenir d'une maniere favorable fur- ce
qui lui reſte à faire , & nous l'exhortons
à ne point ſe ralentir dans fa marche.
On découvre dans tout ce qu'il dit
fur les lois , l'homme qui en a fait une
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE.
étude capitale ; dans tout ce qui concerne
les moeurs , l'écrivain , ami de l'ordre&
de la ſaine morale ; dans la notice des
hommes illuſtres le critique ſage & le
profond littérateur. Cette hiſtoire eſt dédiée
à S. A. S. M. le Prince de Condé , à
qui la France entiere ,& en particulier la
Bourgogne , doivent les hommages les
plus finceres& les mieux mérités .
Nota. Le ſecond volume de cette hifroire
doit paroître ſous deux mois , & les
autres ſe ſuccéderont très- rapidement.
Traité de la Jurisdiction eccléſiaſtique contentieuſe
, ou théorie & pratique des
officialités ; 2 vol . in 4º. A Paris, chez
Lacombe , libraire , rue Chriſtine .
UnDocteur de Sorbonne vient de publier
un traité de la Jurifdiction eccléſiaſtique
contentieuſe à l'uſage des officialités
, en deux gros volumes in - 4º.
d'environ mille pages chacun. Cet ouvrage
, plein d'érudition &de recherches
curieuſes , qui a été revu par d'habiles
jurifconfultes & de bons praticiens , eſt
exécuté fur un plan très - méthodique ,
après des obſervations ſur l'origine de la
jurisdiction eccléſiaſtique en général &
AVRIL. 1771. 85
fes eſpèces , la nature & les caractères de
la jurisdiction contentieuſe.
L'auteur diviſe ſon ouvrage en quatre
parties:
La premiere a pour objet les perſonnes
qui ont droit d'exercer la jurisdiction eccléſiaſtique
contentieuſe , ou comme ordinaire
, ou comme juges délégués. On y
traite de la jurifdiction contentieuſe exercée
ouprétendue en France par les divers
ſupérieurs de la hiérarchie eccléſiaſtique ,
le Pape , les Primats , les Métropolitains
& les évêques ; ainſi que de l'origine, de
l'inſtitution & des qualités des officiaux
primatiaux , métropolitains& diocèſains
ordinaires ou forains. On parle à cette
occaſion de la jurisdiction contentieuſe
qui appartient à pluſieurs corps féculiers
ou reguliers , ou à des prélats qui ontune
jurifdiction épifcopale. La jurisdiction
des chambres eccléſiaſtiques diocéſaines
ou ſouveraines eft expliquée à la fin de cette
partie, comme auſſi celle de pluſieurs
autres jurisdictions particulieres dont la
nature n'eſt pas bien déterminée. On y
trouve un détail intéreſſant fur les primaties
de France , & en particulier fur
celles de Lyon & de Bourges .
La ſeconde partie traite du pouvoir ou
de la compétence des juges d'Egliſe fur
86 MERCURE DE FRANCE.
les matieres& fur les perſonnes eccléſiaftiques
& laïques. La matière y eſt plus
approfondie que dans aucun autre ouvrage
connu. On y expoſe & on y téſoud
d'après les monumens de la diſcipline de
l'Egliſe Gallicane , les mémoires duClergé
, les recueils des ordonnancess & les
déciſions des cours ſouveraines du royaume
, les différentes queſtions relatives à
cet objet important.
La troiſième partie explique dans un
ordre nouveau le détail& la ſuite des règles
&des principes de la procédure com.
mune aux tribunaux ſéculiers & aux eс-
cléſiaſtiques , d'après l'ordonnance dont
on cite les articles & les diſpoſitions dont
on rapporte enfuite le texte entier à la fin
du ſecond volume. On a préféré cette
marche à la méthode ordinaire & conftante
des auteurs qui , juſqu'ici , ont publié
des notes &des commentaires ſur le
texte de l'ordonnance. Le lecteur est continuellement
obligé d'interrompre la lecture
par des renvois perpétuels aux notes,
ce qui rend ſon travail rebutant & fort
fatiguant.
La quatrième partie expoſe dans le
même ordre la ſuite des procédures propres
&particulieres aux tribunaux eccléſiaſtiques
; cette partie,la plus importanAVRIL
. 1771. 87
te , renferme pluſieurs differtations ſçavantes
ſur les grandes queſtions concernant
les empêchemens de mariage qu'on
réſoud d'après les maximes des tribunaux
du royaume.
La cinquieme enfin , qui rend cet ouvrage
d'une utilité finguliere pour la pratique
, renferme le recueil le plus complet
qu'on connoiſſe des formules des
actes de la procédure des tribunaux féculiers
&des tribunaux eccléſiaſtiques , difpoſées
dans leur ordre naturel .
Cet ouvrage important étoit attendu
depuis long- tems du Public , & doit remplir
ſes voeux, étant par l'étendue de fon
plan également utile aux membres des
tribunaux ſéculiers , & aux officiers des
cours eccléſiaſtiques ainſi qu'àtous le clergé
féculier & régulier.
Compendium inftitutionum philofophiæ in
quo de rhetoricâ & philofophia tractatur
ad ufum candidatorum baccalaureatús
artiumue magiſterii , auctore D. Caron ,
in artibus magiftro , chirurgi majoris in
ædibus regiis invalidorum vices gerente;
2 vol . in 8 °. petit format. A Paris ,
chez N. M. Tilliard , libraire , quai des
Auguſtins.
88 MERCURE DE FRANCE.
L'ordre , la clarté & la préciſion qui
regnent dans cet abregé de philoſophie ,
le rendront un guide fûr & commode
pour tous les afpirans à la maîtriſe des
arts. Les leçons ſur tous les objets qui
doivent faire la matiere des examens ſont
diſpoſées par demandes & par réponſes.
Cet ouvrage contient d'ailleurs les principes
de la ſaine philoſophie telle qu'elle
eſt adoptée & enſeignée dans l'Univerfité.
Dictionnaire historique & critique , ou recherches
ſur la vie , le caractère , les
moeurs &les opinionsde pluſieurs hommes
célèbres ; tirées des dictionnaires
de MM. Bayle & Chaufepié : ouvrage
dans lequel on a recueilli les morceaux
les plus agréables& les plus utiles de
ces deux auteurs : avec un grand nombre
d'articles nouveaux & de remarques
d'hiſtoire , de critique & de littérature;
pour fervir de ſupplément
aux différens dictionnaires hiſtoriques.
Par M. de Bonnegarde ; 4 vol. in-8 .
ALyon , chez Barret , imprimeur - libraire
, quai de Retz ; & ſe trouve à
Paris , chez Delalain , libraire , rue de
la Comédie Françoiſe .
AVRI L. 1771 . 89
Cedictionnaire , qui n'eſt qu'une compilation
faite d'après d'autres compilations
, peut néanmoins avoir ſon utilité.
L'auteur s'eſt principalement appliqué à
raſſembler dans les notices qu'il donne
des hommes illuftres ces menus faits ;
ces traits perſonnels ou domeſtiques qui
peignent l'homme & font ſouvent plus
intéreſfans pour le coeur humain que les
mémoires d'un général ou d'un miniftre.
Lorſque l'auteur puiſe dans le dictionnaire
de Bayle , il a ſoin d'en écarter les
réflexions ou les remarques qui tendent
à favoriſer le déiſme ou le pyrroniſme.
M. de B. en a auſſi corrigé le ſtyle , & lui
a peut- être fait perdre un peu de cet air
libre , facile & dégagé qui plaît dans les
Effais de Montagne , & que l'on aime à
retrouver dans les écrits du Philoſophe
de Roterdam . On louera plus volontiers
l'auteur d'avoir ſupprimé les déclamations
que Chaufepié s'eſt permiſes contre
les Catholiques. Cette aigreur de parti
n'eſt plus aujourd'hui du goût du Public.
M. de B. , pour rendre ſa compilation
plus riche , a mis à contribution les écrits
de pluſieurs biographes. Il n'a pas même
fait difficulté d'admettre,dans ſon recueil,
des bouffons lorſqu'il a cru que leurs
bons mots pourroient plaire à fon lecteur.
90 MERCURE DE FRANCE.
Triboulet étoit un fou affez malin& qui
ſavoit amufer François I par ſes plaiſanteries.
Ce fou avoit des tablettes où il
écrivoit en forme dejournal, rout ce qu'il
croyoit digne de ſes notes. LeRoi ayant
une dépêche à envoyer à Rome dans un
eſpace de temas très- court, &pendant le
quel il étoit impoffible de faire le voyage,
fit chercher un courier qui ſe chargeât du
paquet & s'engageât de le remettre. Il
s'en préſenta un auquel on donna deux
mille écus de récompenfe , avant qu'il
montat à cheval ; Triboulet ne manqua
pas d'employer le fait ſur ſes tablettes.
Le Roi qui le vit écrire lui en demanda
la raiſon : « Parce qu'il eſt impoffible, dit
» Tribouler , d'aller à Rome en ſi peu
detems ,&parce qquue, quandcela ſe-
>> roit poſſible , c'étoit toujours une folie
dedonner deux mille écus dans une oc
>> caſion où le quart ſuffiroir. Mais ,
» dit le Roi , ſi le courier ne peut venit
» à bout d'exécuter ſa promefle , & me
>> rend mon argent , qu'auras- tu à dire ; il
>> faudra que tu effaces ta remarque.
>> Non , répondit Triboulet , elle fubfif-
>>tera d'une façon ou d'une aurre , parce
>que ſi le courier eſt aſſez fot pour vous
>>rapporter votre argent , j'effacerai le
nom de Votre Majesté , &je laiſſerai
ود
-
-
ANCE
وا AVRIL. 1771.
malink:
fes phila
lettes
Tource
Roian
ne dans.
endant
Le voya
argent!
Dettre.
na de
le fien , & s'il ne revient pas je laiſſerai
» le vôtre.
Ce fut encore Triboulet qui dit que ſi
Charles Quint étoit aſſez fou pour venir
en France & fe fier à un ennemi qu'il avoit
ſi maltraité , il lui donneroit ſon bonnet .
Le Roi lui ayant demandé ce qu'il feroit,
ſi l'Empereur paſſoit comme s'il eût marché
dans ſes propres états , il répondit :
« Sire , en ce cas je lui reprends mon
>> bonnet , & vous en fait préſent. » Centqui
pendant Charles. Quint pouvoit ſe fier à
unprince qui , après la bataille de Pavie ,
mandoit à la ducheſſe d'Angoulême : Tout
eft perdu fors l'honneur.
blette
การแก่น
le,
10
pa
Triboulet étoit à la fuite de la cour, à
l'entrée du Roi à Rouen. Fier d'être monté
ſur un cheval magnifiquement caparaçonné
, il couroit le galop. Celui qui étoit
chargé de ſa conduite , lui diſoit d'aller
plus doucement , ſinon qu'il feroit fefſfé.
<< Eh! mon cher maître , répondit Tri-
>> boulet , en ſerrant la botte & donnant
>>de l'éperon , que voulez - vous que je
>>faſſe ? J'ai beau piquer tant que je peux
>> mon cheval , il ne veut pas s'arrêter . >>>
Il paſſoit avec un ſeigneur ſur un pont
où il n'y avoit point de parapet ni d'accoudoir
; le ſeigneur en colere demanda
pourquoi on avoit conſtruit ce pont ſans
92
MERCURE DE FRANCE.
y mettre de garde - fous. " C'eſt , lui ré-
>>pondit Triboulet , qu'on ne ſavoit pas
>> que nous y paſſerions. »
L'auteur du dictionnaire rapporte encore
que ce même Triboulet fut menacé
par un grand ſeigneur , de périr ſous le
bâton, pour avoir parlé de lui avec trop de
liberté. Il alla s'en plaindre à François I ,
qui lui dit de ne rien craindre ; que fi
quelqu'un étoit affez hardi pour le tuer ,
il le feroit pendre un quart-d'heure après .
" Ah ! Sire , dit Triboulet , s'il plaiſoit à
>> Votre Majesté de le faire pendre un
>> quart- d'heure avant. >>>
Hiſtoire générales des Provinces - Unies ,
dites de Hollande , en huit volumes
in-4°. ornée de cartes , portraits , eftampes
, vignettes , &c . chez Simon ,
imprimeur du parlement, rue Mignon .
Le prix eſt de 160 liv. en grand papier;
de 120 liv. en papier ordinaire ; celui
de la ſouſcription eſt de 120 liv. en
grand papier & de 80 liv. en papier ordinaire.
Les huit volumes qui complettent
cet ouvrage font en état d'être
délivrés actuellement. La ſouſcription
en eft encore ouverte pendant un tems
fur les demandes qui en ont été faites
à Paris& en province.
AVRIL. 1771 . 93
Les foibles commencemens d'un peuple
devenu ſi riche dans un pays ſi pauvre
préſentent un bel exemple de ce que peuvent
l'amour du travail , la ſimplicité des
moeurs & la bonne conduite. Les Hollandois
, reſſerrés dans l'état le plus bornéde
notre continent , preſque ſubmergé par
un élément contre lequel ils ſont toujours
en garde& ſouvent obligés de ſe défendre
, manquant des choſes les plus nécefſaires
par l'ingratitude du fol& la rigueur
du Ciel , ont rendu leur pays un des plus
abondans & des mieux peuplés de l'Europe.
Leur commerce s'étend dans les
deux hémisphères , & leurs villes font
devenus les magaſins du monde. Les premiers
habitans , ces anciens Bataves , trop
heureux de ſuivre les Aigles Romaines &
d'être reçus dans les gardes des Empereurs
, mériterent par leur valeur le titre
de frères & d'amis des vainqueurs de la
terre. Les Francs qui s'emparerentde leurs
domaines ne ſeroient que de miférables
corſaires ſi leurs capitaines n'avoient fondé
par leur courage&leur conduite une
puiſſante monarchie ſur les débrisde l'Empire
d'Occident. Les Comtes de Hollande
, foibles vaſſaux de ces fiers conquérans
preſque confondus avec la nobleſſe
dont ils avoient beſoin pour maintenir
94
MERCURE DE FRANCE .
une autorité ufurpée , feroient encore inconnus
fi leur politique & les alliances
étrangeres ne les euſſent rendus redoutables
à leurs voiſins. Leur ambition croifſant
avec leur pouvoir fouleva les ſujets
contre la tyrannie. L'inquiſition acheva
de les mettre au déſeſpoir & l'amour de
la liberté donna naiſſance à une république
, chancelante dans ſon debut , mais
bientôt raffermie par la valeur & la fageffe
de fon chef , & forçant enfin l'Efpagnol
à reconnoître ſon indépendance &
même à partager avec elle les tréſors du
Nouveau Monde. Une politique ſévère
&bien entendue la met aujourd'hui en
état de balancer la puiſſance de ſes voifins
& l'équilibre de l'Europe. Un théâtre
varié de tant de ſcènes éclatantes étoit
bien digne de l'attention du Public , &
tel eſt le ſpectacle que lui donnent les
auteurs dans cette hiſtoire ſi intéreſſante
& fi différente des annales des autres nations.
Vies des Architectes anciens & modernes ,
qui ſe ſont rendus célèbres chez les
différentes nations ; traduites de l'italien
& enrichies de notes hiſtoriques
& critiques ; par M. Pingeron , capitaine
d'artillerie & ingénieur au ferAVRIL.
1771 . 95
vice de Pologne ; 2 vol. in- 12. A Paris
, chez Claude . Antoine Jombert ,
fils aîné , libraire , rue Dauphine .
Cet ouvrage eſt dédié à M. le Comte
Mockronowski , Staroſte d'lanow , lieutenant-
général des armées polonoiſes &
premier inſpecteur de cavalerie. Le premier
volume eſt précédé d'une préface
qui contient un précis de l'hiſtoire de
P'architecture , précis d'autant plus intéreffant
qu'il peut contribuer à former le
goût des artiſtes & de tous ceux qui veulent
juger par eux mêmes des beaux mor.
ceaux d'architecture . M. Pingeron y donne
l'origine des ordres toſcans , dorique ,
ionique , corinthien & compoſite. Ces
cinq ordres font tirés des monumens
grecs & romains. Louis XIV , dont le
règne fut celui des beaux arts & des lettres
, avoit promis une récompenfe conſidérable
à celui qui inventeroit un ſixième
ordre . Cette promelle échaufa l'imagination
de tous les artiſtes. Sebaſtien le
Clerc , deffinateur & graveur , ſe diſtingua
dans cette eſpèce de lutte ; mais fon
ordre n'étoit point affez caractérisé pour
former un ordre ſéparé. On trouve dans
l'eſſai fur l'architecture de Goldman un or.
dre allemand inventé par Storm . L'Abbé
96 MERCURE DE FRANCE.
Laugier avoit auſſi propoſé un ordre françois.
Un Architecte Genévois, établi à
» Londres , ajoute M. Pingeron, vient
>> d'imaginer un ordre britannique, dont
>>le chapiteau refſſemble beaucoup dans
» ce qu'il a de beau au chapiteau corin-
>> thien. M. Piraneſi , architecte , qui a
» gravé tous les monumens de Rome, a
>> encore imaginé un nouvel ordre dont
> il s'eſt ſervi dans l'égliſe du grand
>> prieuré de Malte , à Rome. Son cha-
» piteau eſt ſymbolique , & fes propor-
>> tions différent de celles des autres or-
>> dres. Le tout enſemble ne fert qu'à
>> faire regretter les ordres dont cet ar-
- tiſte a évitéde faire uſage. Un célèbre
» architecte Italien ne liſoit jamais de
>> livre d'architecture où il étoit queſtion
>> d'un ſixieme ordre ; il le regardoit
>> comme le délire de l'artiſte. » Parmi
même les cinq ordres d'architecture que
toutes les nations ont admis , il n'y en a
que trois qui ont réellement un caractère
marqué & bien distinct ; ſavoir , l'ordre
dorique, l'ionique& le corinthien. L'otdre
toſcan , ainſi appelé parce qu'il a pris
naiſſance en Toscane , n'eſt que l'ordre
dorique réduit à une proportion plus
ſimple &plus mâle. L'ordre compofite
eft
AVRIL.177 97
1
eft formé de l'ordre ionique & corinthien.
Lorſque ce nouvel ordre fut mis
à la mode , le goût de la belle & de la
noble architecture commença à dégénérer;
on ſacrifia les proportions à la parure
& à la multiplicité mal entendue des
ornemens .
M. Pingeron , dans cette même préfa
ce , expoſe l'état actuel de l'architecture
en France , & traite des connoillances néceſſaires
à celui qui veut embraſſer l'art
de la conſtruction. Philibert de Lorme ,
mort en 1577 , eſt celui qui a le plus con.
tribué en France à bannir de l'architec
ture le goût gothique & barbare , pour y
fubftituer celui de l'ancienne Grèce. Il
fut chargé par Catherine de Médicis ,
Reine de France , de conſtruire le palais
des Thuileries. L'architecte y déploya
toutes les reſſources de ſon génie. Le raizde-
chauffée eſt orné de colonnes doriques
qui , au lieu d'être liſſes ou cannelées
, ſont environnées de cinq bandes ,
chargées d'ornemens en reliefs. Le piédeſtal
ſur lequel poſent ces colonnes eſt
continu , & l'ordre entier paſſe pour un
chef- d'oeuvre . De Lorme vit fon mérite
récompensé par pluſieurs riches abbayes ,
&quoiqu'il ne fût que fimple tonſuré il
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
fut nommé aumônier & conſeiller du
Roi. Le poëte Ronſard en conçut de la
jaloufie , & compoſa contre de nouvel
abbé une ſatyre piquante intitulée , la
truelle croffée. De Lorme n'eut pas la fageſſe
de la mépriſer : un jour que Ronſard
vouloit entrer dans le jardin des
Thuileries , l'architecte , qui en étoit le
gouverneur , le fit repduffer rudement.
Ronſard , piqué à fon tour , crayouna les
trois mots fuivans ſur la porte qu'ơn lùi
avoit fermée .
Fort. reverent, habe.
De Lorme , qui ne ſavoit pas le latin,
ſoupçonna que ces mots étoient une inſulte;
il crut que Ronſard l'appeloit par
ironie , fort révérend Abbé ; il s'en plaignit
à la Reine. Le poëte ſe juſtifia en difant
que c'étoit le commencement d'un
diſtique d'Aufone , qui avertiſſoit les
hommes nouveaux de ne point s'oublier.
Fortunam reverenter habe.
2
Parmi les architectes dont on nous
donne ici les vies , il s'en trouve des plus
illuftres maisons . Ferdinand de St Felix ,
architecte Napolitain , dont la mémoire
AVRIL. 1771 . 99
eſt encore récente à Naples , deſcendoit
des princes Normands qui regnèrent autrefois
dans ces contrées. Cet artiſte s'eſt
fur- tout diftingué par la fingularité de ſes
deſſins & par la hardieſſe de ſon exécution
. On cite volontiers à Naples le bon
mot du ſatyrique Capaſſo qui , voyant un
palais bâti par St Felix , diſoit qu'il méritoit
cette inſcription : Scoftati , che caf.
ca; éloigne toi , il tombe. Le traducteur
obſerve à ce ſujet qu'il eſt d'uſage depuis
un tems immémorial de mettre des infcriptions
ſur les palais de Naples & de
différentes villes d'Italie. C'eſt une mépriſe
dans ce genre qui a donné lieu au
proverbe latin , Uno pro puncto Martinus
caruit Afello , pour un point Martin perdit
ſon ane. Ce Martin avoit l'abbaye
d'Afello , fur la porte de laquelle il avoit
mis cette inſcription latine :Porta patens
efto nulli , claudaris honefto , avec la virgule
avant claudaris , ce qui ſignifioit que
la porte ne devoit être ouverte à perfonne
, & fur- tout aux honnêtes gens. L'évêque
, faiſant ſa tournée , lut par hafard
cette infcription. Il en fut fi indigné, qu'il
priva l'Abbé de ſon bénéfice. Comme
Afellus veut dire un petit âne , en latin
& en italien , les François ont traduit lit. J
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
téralement le proverbe , en diſant pour
un point Martin perdit ſon âne. Il y a
toute apparence que le bon Abbé Martin
n'avoit fait qu'une faute de ponctuation;
la virgule étant avant nulli , l'infcription
fignifioit alors que la porte ne devoit être
ouverte qu'aux perſonnes honnêtes.
M. Pingeron a non ſeulement enrichi
le texte italien de notes hiſtoriques &
critiques; mais il a encore ſuppléé aux
articles de quelques architectes dont le
biographe italien n'avoit point fait
mention. Enfin il n'a rien négligé de ce
qui pouvoit rendre fon ouvrage plus utile&
plus complet. Ses deux volumes
font terminés par une table chronologique
des architectes &par une autre table
alphabétique des matieres.
L'Honneur François , ou hiſtoire des vertus
& des exploits de notre nation ,
depuis l'établiſſementde la monarchie
juſqu'à nos jours ; in- 12. tome III . &
tome IV. A Paris , chez J. P. Coſtard,
libraire , rue St Jean de Beauvais.
'L'honneur parle; ilſuffit : cefont- là nos oracles.
Ce vers de Racine fert d'épigraphe à
l'ouvrage ; il eſt en quelque forte le cri
AVRIL. 1771. 101
de tout François. Ce mot honneur frappe
même ſes oreilles avec une eſpèce d'enchantement.
Un ſoldat qui fervoit ſous
le maréchal de Saxe , interrogé un jour
de quelle nation il étoit : J'ai l'honneur ,
répondit- il , d'étre François. L'auteur de
cette nouvelle hiſtoire paroît être ſaiſi du
même enthouſiaſme. Il eſt , en effet, bien
difficile de s'en défendre lorſqu'on eft
François & que l'on décrit les vertus de
ſes ancètres. Cet hiſtorien , dans la vue de
rendre ſon ouvrage plus intéreſſant , n'a
pas négligé de rapporter ces petits faits
qui font d'autant plus d'honneur à l'humanité
qu'ils font ordinairement ignorés.
C'eſt ainſi qu'après avoir décrit la bataille
de Pavie , où François I s'acquit tant de
gloire , il nous peint la générosité de deux
rivaux en gloire & en amour. Lors de
>>cette campagne de Pavie en 1515 ,l'in
>>fatigable Pontdormi veilloit à la fu-
>> reté des frontieres de France; il triom-
>>phoit preſque ſeul , tandis que l'armée
>> françoiſe ſe laiſſoit vaincre en Italie.
» Il défit près de Caffel un gros de cava.
» lerie qui devoit écrafer ſa petite trou-
» pe. Dans ce combat le ſeigneur de Li-
>> ques , lieutenant du duc d'Arſcot , fur
>>fait prisonnier par d'Eſtrées , guidonde
Eiij
104 MERCURE DE FRANCE.
-
la plupart de ceux de l'Europe. On voit
par ces lettres que M. de Mairan avoit eu
touchant cette derniere nation , une idée
tout à fait ſemblable à celle de M. de
Guignes; ſavoir , que la plupart des lois
&des uſages , le genre d'écriture, les arts
&les ſciences des Chinois étoient dus à
une colonie d'Egypte qui arriva chez eux,
felon fon calcul , quinze ou feize cens ans
avant l'Ere Chrétienne . M. de Mairan
apperçoit chez l'une & chez l'autre nation
une écriture purement hiéroglyphique ,
en ce qu'elle eſt deſtinée à rappeler l'idée
des chofes , & nullement celle des fons
&du ſigne verbal dont on ſe ſert dans
l'uſage ordinaire ,&dans tout le reſte du
monde pour les indiquer. Une telle conformité
entre les Chinois & les Egyptiens
eſt d'autant plus digne de remarque
qu'il n'y a pas d'autre peuple fur la terre
qui leur reſſemble en ce point , fi ce n'eft
peut- être ceux qui ont pris viſiblement
leur écriture , & toutes leurs ſciences de
la Chine , tels que les Japonois , les Coréens
, les Tonquinois & autres. Une couzume
nouvelle étoit un prodige en Egypte
, ainſi qu'on l'apprend dans Diodore
de Sicile & dans le Timée de Platon ; &
il n'y a jamais eu de peuple qui ait con
AVRIL. 1771. 1ος
ſervé ſi long- tems ſes lois &ſes uſages, fi
ce n'eſt les Chinois , dont le vrai caractère
distinctif , & peut être le plus grand mérite&
la fource de toute leur grandeur
n'eſt que cet attachement aux anciennes
coutumes&aux lois du pays. Le reſpect
extrême pour les pères , pour les Rois &
pour les vieillards , qui ſe perpétue envers
leurs corps inanimés , ſe trouve encore
également recommandé & pratiqué
chez l'une & chez l'autre nation. L'amour
des ſciences , & fur- tout de l'aſtronomie,
fans en excepter l'aſtrologie , quoique
fous d'autres faces , où brille-t- il davantage,
dans l'antiquité la plus reculée,qu'en
Egypte ? L'Egypte a été accuſée de n'être
pas guerriere ; elle a pourtant donné naiffance
à quelques guerriers : on en dit autantde
la Chine. Et en effet , la rigoureuſe
obſervation des lois & des anciens
uſages , l'amour de l'ordre & la culture
des ſciences&des arts, ne fauroient guère
fe foutenir qu'avec la paix. Les Egypriens
, felon Diodore de Sicile , croyoient
àlamétempſycoſe : c'eſt là que Pythagore
l'avoit puiſée . La même croyance eſt
auſſi répandue dans pluſieurs endroits de
Ia Chine. Il y avoit en Egypte une fère
très-folemnelle , nommée des lampes ou
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
des lumières , qui , comme nous l'apprend
Hérodote , ſe célébroit à Saïs . Ceux qui
ne s'y trouvoient pas étoient obligés,dans
toute l'étendue de l'Egypte , de tenir des
lampes allumées aux fenêtres de leurs
maiſons. N'eſt ce point là la fête des lanternes
de la Chine ? il eſt vrai que le P.
Lecomte donne à cette fêre , d'après quelques
Docteurs Chinois , une origine plus
galante & tout à fait romaneſque : mais
qui ne voit que tout cela doit s'être refondudans
les têtes Chinoiſes , &que les
petites différences qui en réſultent ne ſauroient
, ajoute le ſavant académicien , infirmer
ma conjecture ? Quelques figures
antiques de l'Egypte ont auſſi rappelé à
M. de Mairan les phyſionomies Chinoiſes
, ces yeux fendus & un peu convergensdu
haut enbas vers le nez .
L'Académicien de Paris avoitdemandé
au P. Parrenin ſi on voyoit à la Chine des
aurores boréales , & croit en trouver dans
les phénomènes dont les lettres édifiantes
&curieuses font mention ; dans ces grandes
croix lumineuſes que l'on vit auCiel
pendant la nuit en diverſes provinces de
la Chine , dans ces traînées de feu ou ces
couronnes étoilées qui les environnoient.
« On vit auſſi , ajoute M. de Mairan , des
AVRIL. 1771, 107.
-
>>croix ici à l'apparition,du phénomène
» de 1726 , quoique de toutes les figures
» que j'y apperçus , ce fut celle qui s'y
>> trouvoit le moins. Dans quelques vil-
>>lages autour de Breuillepont où je l'ob-
>>ſervois , c'étoit la croix de la paroiſſe ,
» & à Fontainebleau où étoit la cour , &
» où il s'agiſſoit d'une promotion de cor-
>> dons bleus , c'étoit la croix du St Eſprir.
>> Il y a deux cens ans qu'on ne manquoit
>>jamais d'y voir des armées qui s'y li-
>> vroient un ſanglant combat , & même
>>d'y entendre le bruit des armes & le fon
>> des trompettes; de forte que nous n'a-
>>vons rien à reprocher de ce côté là aux
>>Chinois , ni , comme je le conjecture ,
» à vos Néophites. "
Ceslettres contiennent d'autres remarques
relatives aux Chinois ; elles font
ſuivies de pluſieurs opufcules qui ne ſe
trouvent que dans les ſuites nombreuſes
des volumes de l'académie royale des
ſciences , de celle des inſcriptions&belles
lettres , &du journal des Savans , d'où
ils ont été tranſcrits. Parmi ces opufcules
on verra des explications de mythologie,
d'inſcriptions , de médailles , &c. relatives
au traité phyſique & hiſtorique du
même auteur. M. de Mairan , dans ſes
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
remarques fur la balance des peintres de
M. de Pile , & que l'on trouve auffi inférées
dans ce volume , emploie le calcul.
Mais le ſavant académicien ne confidère
toutes les applications de calcul aux
choſes morales ou de goût que comme
autant d'eſſais, de juſteſſe & de préciſion,
propres à nous guider dans nos conjectures
&dans nos jugemens , à l'exemple des
géometres.
Le même libraire chez lequel fe diſtribue
la nouvelle édition de ces lettres au
P. Parrenin , s'eſt rendu ſeul propriétaire
de la Collection académique , &c. compofée
des mémoires de toutes les académies
de l'Europe , des traités particuliers des
meilleurs auteurs ,&des piéces fugitives
les plus rares contenues dans les ouvrages
périodiques ou ailleurs. Cette collection
académique , actuellement en 13 vol. in.
4°. eſt diviſée en deux parties , l'une
françoise qui renferme l'extrait des mémoires
de l'académie des ſciences de Paris
&des autres académies des ſciences
établies en France , l'autre étrangere, qui
comprend l'extrait des mémoiresdes académies
étrangeres. Le Sr Panckoucke n'a
fait l'acquifition de cette importante collection
que dans la vue de propoſer cet
1
AVRIL. 1771. 109
ouvrage à une diminution très- confidéra.
ble , afin d'en faciliter l'achat aux gens de
lettres , d'affurer le debit des nouveaux
volumes qu'il ſe propoſe de publier &de
conduire plus promptement la collection
à ſa fin . Voici les conditions de la diminution
actuelle.
Les dix premiers volumes de cet ou
vrage qui compoſent le fond de l'acquifition
du Sr Panckoucke feront du prix de
So livres au lieu de 120.
Ceux qui ont négligé de ſe completter
pourront profiter de cette diminution qui
aura lieu juſqu'au mois d'Août 1771 .
Les volumes féparés feront du prix de
3 liv. au lieu de 12 .
Les trois nouveaux volumes formant
les tomes XI , XII & XIII. de l'ouvrage
qu'on publie aujourd'hui ; ſavoir , un de
la partie françoiſe , &deux de la partie
étrangere reſteront à l'ancien prix ; favoir
, 12 liv. chaque volume.
Le libraire , dans la vue de rendre l'ac
quiſition des dix premiers volumes encore
plus facile , propoſe de les livrer en
une ou pluſieurs fois au choix des acqué
reurs.
On aauſſi mis en vente , à l'hôtel de
Thou , les mémoires de l'académie des
ſciences , 1767 ; in-4°. prix , 12 liv.
FIO MERCURE DE FRANCE .
Les tables de toutes les chartres du
royaume , in fol. imp. royale ; prix , 211.
Lesnotices des chartres & diplômes ,
in-fol. prix , 21 liv. Ces deux volumes
fervent de ſuite à la collection des ordon.
nances.
Oraiſon funèbre de Très - Haut , Très-Puif-
Sant Seigneur Jean Baptistede Durfort,
Duc de Duras , Pair & Maréchal de
France, &c. prononcéedansl'égliſedes
Cordeliers de Besançon; par M. Talbert
, chanoine de l'égliſe métropolitaine
, membre, de l'académie de la
même ville , prédicateur du Roi.
« Il appartient à une nation vertueuſe
„ d'élever des monumens aux vertus. Il
» appartient àdes hommes voués au pa-
» triotiſme , de célébrer ceux qui ont
» défendu la patrie. Leurs éloges font
» l'hommage de la reconnoiſſance & l'a-
» liment de l'émulation . L'intérêt de la
ſociété demande qu'on les honore , &
» la Religion l'autoriſe. Rien de ce qui
» eſt avantageux à celle- là , n'eſt étranger
ود à celle- ci ; &l'on peut dire que l'éloge
» des hommes utiles eſt un acte de reli-
» gion. »
AVRIL. 1771. III
10
5,
Il y a dans ce début de la nobleſſe &
de la vérité.
La premiere partie préſente M. deDaras
dans la carriere des armes , & montre
i de quelle maniere il y a foutenu la gloire
de ſa maiſon. Le tableau de ſa vie privée,
les vertus de l'homme & du citoyen forment
l'objet de la ſeconde.
C'eſt dans la maiſon des Comtes de
Foix que l'orateur cherche le berceau de
celle de Durfort. Elle a eu la gloire de
s'allier à celle de Bouillon. Unde Lorges,
neveu de Turenne , ſervoit en qualité de
lieutenant-général fous ce grand homme ,
lorſque la France eut le malheur de le
perdre. Quel eſt ce déſaſtre ſubit ? s'é-
>> crie ici M. l'Abbé Talbert ; quel eſt ce
>> deuil univerſel ? Nos bataillons font-
>> ils anéantis ? Un malheur plus grand
» encore eft arrivé à la France : Turenne
>>eſt foudroyé. La victoire prête à nous
>>couronner jette un cri de terreur &
>> s'envole. Un ſeul homme n'eſt plus &
>> tout a changé de face. L'ennemi tou-
» choît àſa défaite , & ce ſera un grand
>> ſuccès de lui échapper. Un feul coup a
> briſé tous les coeurs François , celui mê-
> med'un Monarque inébranlable . Louis,
>>qui paroît grand même en verfant des
>> larmes , répond par ſes ſoupirs aux gé112
MERCURE DE FRANCE.
>> miſſemens de la France &de l'armée.
>> Mais ſi tout gémit , quelle eſt la douleur
>>de de Lorges , &c. »
&
M. de Duras eut pour les armes le
même goût que les héros de ſa race ,
de bonne heure il ſacrifia tout à cette paffion
; la peinture qu'en fait M. l'Abbé T.
eſt d'autant plus intéreſſante , qu'il a ſçu
en faire un tableau national. " Et de quoi
>> le François n'eſt- il point capable, lorf-
>> que l'émulation allume fes feux dans
> fon ame ? Que de qualités incompati-
>>bles ſe réuniſſent en lui , fi les circonf-
>> tances l'exigent ? L'humanité & le goût
>> des armes dominent dans ſon caractère .
>> Il eſt enjoué & fublime , léger & capa-
>> ble d'efforts , porté au luxe , à la mol-
>> leffe , & fouffrant fans peine les priva-
>> tions & les fatigues , jouiſſant avec fu-
>> reur de tout ce qui peut attacher à la vie
>> au moment même où il va la mépriſer,
>> ardent à s'occuper de petits objets &
> propre à s'élever aux plus grands , paf-
>> ſionnédans fes vices , enthouſiaſte dans
>> fes vertus , plein d'amenité dans ſes
» moeurs & de fierté dans ſes ſentimens,
>> poſſédant l'art d'allier l'homme aima-
>> ble & l'homme utile , idolâtre des plai-
>> fits mais toujours prêt à les facrifier à
AVRIL. 1771. 113
» l'honneur , & ſe croyant payé de fon
>> fang par la gloire de le répandre. »
:
Jamais peut-être on ne vit mieux qu'au
fiége de Philiſbourg , de quoi le foldat
>> François eſt capable. " Un grand nom- .
>> bre d'entre vous , dit M. l'Abbé Talbert
en s'adreſſant à l'aſſemblée , qui étoit
compoſée d'une multitude d'officiers à la
rête deſquels étoit M. le Maréchal Duc
de Lorges , «un grand nombre d'entre
>> vous ſe le rappellent ce fiége fameux ,
>> où l'attaque & la défenſe ſervirent mu-
» tuellement àse faire admirer. Là , vous
>>le favez , il fallut oppoſer le courage au
>> courage , l'habileté à l'habileté, la pa-
>> tience à l'opiniâtreté & aux obſtacles.
>> Il fallut combattre des ennemis plus
>> redoutables que les Impériaux. Les élé-
>> mens foulevés prennent leur défenſe ;
>> le Rhin débordé veut devenir le tom-
» beau de ceux à qui il n'a pu ſervir de
>>barriere ; le camp inondé , les tranchées
>> remplies , les torrens du fleuve joints à
>> ceux des orages.... Quelle épreuve
>> pour la vivacité du François qui préfé-
>> reroit dix combats à dix jours de len-
>> teur ! La patience eſt l'eſpèce de cou-
>> rage qui lui coûte le plus ; mais l'exem-
>>ple des chefs lui rend tout ſupportable.
>>Que ne puis-je vous repréſenter M. de
:
114 MERCURE DE FRANCE.
» Duras partageant les incommodités du
>> fiége comme les périls , préſidant aux
>> travaux comme aux attaques , donnant
> à propos des eſpérances &des éloges ?
» &c. »
La ſeconde partie ouvre par ces réflexions
qui honorent autant l'ame que le
génie de l'orateur : « Il eſt un laurier plus
>> intéreſſant &plus flatteur que tous ceux
>> de la victoire , parce qu'on ne le parta-
- ge ni avec le général ni avec le foldar ;
>> c'eſt celui qui couronne la ſageſſe. L'hu-
>> manité n'a pour le vainqueur qu'une
>> admiration mêlée d'effroi ; ſi elle lui
>> donne des éloges , elles les interrompt
>> par des foupirs; mais,à la vue d'un ſage,
>> fon front ſe deride & la ſérénité s'y dé-
>>ploie. L'exercice des qualités militai-
>> res n'eſt attaché qu'à des circonstances
> paſſagères; mais le règne des vertus eſt
>> de toutes les circonstances , de tous les
>> états , de tous les momens... Oui , la
>>ſociété a plus beſoin de trouver dans
>> ſes chefs de grandes vertus que de gran-
>> des lumieres. Lorſqu'ils manquent de
>>talens , ils peuvent employer ceux des
>> autres ; mais s'ils manquent de vertus ,
> ils n'emploieront pas celles d'autrui.
L'orateur peint très heureuſement la
franchiſe de M. le Maréchal de Duras&
AVRIL. 1771. τις
cette façon de s'exprimer qui lui étoit
propre. On le diftinguoit fur-tout à cet-
>> te noble franchiſe , par laquelle il s'a-
>> vouoit & s'annonçoit notre concitoyen.
>>>Oui le Comtois est né vrai , comme il
>> eít né brave ; il eſt naïf parce qu'il a le
>> coeur droit & que la franchiſe n'eſt au-
>> tre choſe que l'expreſſion & l'effuſion
→→→de la droiture de l'ame. Trop élevé ,
>> trop fier pour être diſſimulé , s'il penfe
>> hautement c'eſt qu'il n'a point à rougir
>> de ſes penſées ; s'il eſt énergique dans
>> la liberté de ſes diſcours , c'eſt qu'il fert
>> avec force ... Malheur à qui blâmera
>> cette franchiſe. M. de Duras en fit l'é-
>> loge toute ſa vie , en la conſervant. Il
>> la regardoit comme le langage des hé-
>> ros , & il ne crut pas fe dégrader en
>> parlant comme Cliffon & Dugueſclin.
>>Ne croyez pas que ce fut en lui humeur,
>> férocité ou miſanthropie ; c'étoit le ton
>> de la nature &de la vérité , c'étoit cette
>> candeur qui tient à la ſimplicité des
» moeurs & à la nobleſſe de l'ame ... A
>> l'armée , elle enchantoit le ſoldat qui
>>aime la vérité , & qui achete au prixde
> ſon ſang le droit de la dire. Elle plûtà
>> la cour où elle eut le mérite de la nou-
>> veauté , & où elle fut remarquée com-
>> me on admire les productions dequel126
MERCURE DE FRANCE.
>> ques-uns de ces arts anciens dont on a
>perdu le ſecret. Dans la ſociété elle ré-
>> pandoit la familiarité , la ſûreté & la
>> confiance. Que l'homme vrai eſt prés
>> cieux dans le commerce de ſes ſembla.
> bles ! Avec lui on peut regler ſes juge-
>> mens , ſes ſentimens , ſes démarches ;
>> ſon amitié n'eſt point équivoque & fa
>> haine n'eſt point perfide , &c. »
Cette oraiſon funèbre eſt imprimée à
Beſançon & s'y vend chez Fanter. Peutêtre
en trouvera-t- on des exemplaires chez
Lottin le jeune , libraire , rue St Jacques,
qui diſtribue l'éloge hiſtorique du Ch.
Bayard fait par le même auteur. Si l'en
peur reprocher quelque défaut à M. l'Abbé
T. c'eſt celui dont Pline accuſoit un
orateur de fon tems : In hoc peccat , quod
nonpeccat.
Traité élémentaire d'hydrodynamique , ou
vrage dans lequel la théorie & l'expérience
s'éclairent ou ſe ſuppléent mutuellement,
avecdes notes ſur plufieuis
endroits qui ont paru mériter d'être
approfondis ; par M. l'Abbé Boffut ,
de l'académie royale des ſciences , & c.
2 vol. in - 8°. A Paris , chez Jombert,
libraire , rue Dauphine.
AVRIL. 1771. 117
Les ſeuls Géometres font juges d'un
ouvragede géométrie. Pour donner à nos
lecteurs une idée de celui-ci , nous tranfcrirons
une partie du diſcours préliminaire
qui nous a paru ſagement écrit ,
qui expoſe le plan &les vues de l'auteur,
&contient une excellente hiſtoire de
l'hydraulique.
«Lesconnoiſſances des anciens dans la
>>théorie de la méchanique des corps ſo-
>> lides ou fluides n'étoient pas auſſi bor-
>>>nées qu'on le croitordinairement.Archi-
>> mede,qui vivoit 250 ansavantJ.C.trou-
>>va la propriété du centre de gravité , &
>>la loi fondamentale de l'équilibre du
>> levier ; ce qui compoſe tout le fonds de
» la ſtatique élémentaire. » On lui doit
encore les principes généraux de l'hydroftatique.
Dans fon livre de humido infidentibus
, il établit qu'un point quelconque
d'une maſſe fluide en équilibre eſt
également preſſé en toutes fortes de ſens ;
&il examine en conféquence les conditions
qui doivent avoir lieu pour qu'un
corps ſolide flottant ſur un fluide prenne
&conſerve la ſituation d'équilibre. Ilapplique
à des exemples compliqués pour
la géométrie de ce tems- là, cette theorie
générale qu'on doit regarder comme un
précieux monumentde ſongénie.
T
118 MERCURE DE FRANCE .
Environ cent trente ans après lui, deux
mathématiciens d'Alexandrie , Créſitius
&Héron, inventerent pluſieurs machines
hydrauliques très ingénieuſes , parmi lefquelles
il faut compter la fontaine de
compreffion& le ſiphon recourbé qui fert
à vider facilement la liqueur d'un tonneau.
Sans connoître distinctement le
reffort &le poids de l'air, ils employerent
ces deux agens avec ſuccès; mais ils n'ajouterent
rien dans le fonds aux découvertes
hydroſtatiques d'Archimède . La
ſcience du mouvement des fluides étoit
toujours à naître . Sextus Julius Frontinus,
plus connu ſous le nom de Frontin , paroît
être le premier qui en ait donné quelques
idées. Inſpecteur des fontaines pu-
• bliques à Rome ſous les Empereurs Nerva
&Trajan , il a laiſſé à ce ſujet un ouvrage
intitulé de aquæ ductibus urbis Roma commentarius
. Il y confidère le mouvement
des eaux qui coulent dans des canaux ou
qui s'échappent par des ouvertures des
vafes où elles ſont contenues. Il décrit
d'abord les aqueducs de Rome , cite les
noms de ceux qui les ont fait conſtruire ,
&les époques de leurs conſtructions. Enfuire
il fixe & compare enſemble les mefures
ou modules dont on ſe ſervoit alors
à Rome pour déterminer les dépenſes des
AVRILL. 1771. 119
ajutages. De- là il paſſe aux moyens de
diſtribuer les eaux d'un aqueduc ou d'une
fontaine . Il fait des obſervations vraies
ſur différens objets ; par exemple , il a vu
que le produit d'un ajutage ne doit pas
feulement s'évaluer par la grandeurde cet
ajurage , & qu'il faut encore tenir compte
de la hauteur du réſervoir , conſidération
très - fimple & cependant négligée par
quelques fontainiers modernes. Ila fenti
pareillement qu'un tuyau deſtiné à dériver
en partie l'eau d'un aqueduc doit
avoir , felon les circonstances , une pofition
plus ou moins oblique par rapport au
cours du fluide , &c. Mais on ne trouve
d'ailleurs aucune préciſion géométrique
dans ſes réfulrats. Il n'a point connu la
vraie loi des viteſſes , relativement aux
hauteurs des réſervoirs.
Les lettres & les arts étoient déjà dans
ladécadence au tems de Frontin; &bientôt
l'Europe fut plongée dans la plus affreuſe
barbarie . Cette nuit profonde dura
près de 1300 ans. La poëfie & l'éloquence
y jetterent par intervalles quelques
éclairs trop foibles pour en diſſiper l'obfcurité.
L'eſprit humain ne fortit de cet
engourdiffement qu'au fiècle des Médicis.
On vit alors la foule des arts agréables
, encouragés & protégés par de fim
120 MERCURE DE FRANCE.
ples particuliers renaître en Italie , &y
briller avec le même éclat qu'ils avoient
eu autrefois dans les beaux jours de la
Gréce& de Rome. Peu- à- peu ils pénétrerent
chez les peuples voiſins. La philofophie
eut une marche plus tardive. Je
parle fur-tout de cette branche qui , à l'aide
du calcul &de la géométrie , ſe propoſe
d'expliquer avec certitude & avec
évidence les phénomenes de la nature.
Ennemie des ornemens , cherchant le
vrai dans toute ſa ſimplicité , elle avoit
peu d'attraits pour des eſprits trop ſenſibles
peut être aux charmes de la poësie ,&
accoutumés à ne cueillir , pour ainſi dire,
que les fleurs de l'imagination . L'Italie
en fut encore le berceau. Galilée , qui flo
riſſoit il y a 160 ans , mérita d'en être appelé
le père parmi les modernes. Il dut
également ce titre à ſes découvertes aſtronomiques
& à ſa théorie de l'accélération
des graves. Il ne trouva pas les lois du
mouvement des fluides ; mais il falicita
cette recherche aux philoſophes qui le
fuivirent.
Caſtelli , plein de ſa doctrine & l'un de
ſespremiers difciples , publia en 1628 un
petit traité où il explique très bien quelques
phénomenes du mouvement des
eaux courantes. Mais il ſe trompe dans la
meſure
AVRIL. 1771. 121
meſure des viteſſes qu'il fait proportionnelles
aux hauteurs des réſervoirs .
Torricelli , autre difciple de Galilée ,
conſidérant que l'eau d'un jet qui fort par
un petit ajutage s'élance verticalement
preſque à la hauteur du réſervoir , penſa
qu'elle devoit avoir la même viteſſe que
ſi elle étoit tombée par ſa gravité de cette
hauteur. D'où il conclut , conformément
à la théorie de ſon maître , qu'abſtraction
faite de la réſiſtance des obſtacles , les
viteſſes des écoulemens ſuivoient la raiſon
fousdoublée des preſſions. Cette idée
fut confirmée par des expériences que
Raphaël Magiotti fit dans ce tems- là fur
les produits de différents ajutages ſous
différentes charges d'eau. Torricelli publia
ſa découverte en 1643 , à la fuite
d'un petit traité intitulé , De motu gravium
naturaliter accelerato. Elle fit de
J'hydraulique une ſcience toute nouvelle.
Néanmoins elle n'a lieu en rigueur que
pour les fluides qui s'écoulent ordinairement
, par de petits orifices. Lorſque l'orifice
eſt fort grand , le mouvement du
fluide ſuit une autre loi beaucoup plus
compofée.
Parmi la foule d'écrivains en ce genre
qui fuccédèrent à Torricelli&qui mirent
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
ſon théorême en uſage , M. Mariotte mérite
d'être cité avec diſtinction . Né avec
un talent rare pour imaginer & exécuter
les expériences , ayant eu l'occaſion d'en
faire un grand nombre ſur le mouvement
des eaux à Verſailles , à Chantilli , & dans
pluſieurs autres endroits , il compola fur
cette matiere un traité qui ne fut imprimé
qu'après ſa mort , arrivée en 1686. 11
s'y eſt trompé en quelques endroits ; il
n'a fait qu'effleurer pluſieurs queſtions ;
il n'a pas connu le déchet occaſionné dans
le produit d'un ajutage par la contraction
àlaquelle la veine fluide eſt ſujette , lorfque
cet ajutage eſt percé dans un mince
paroi . Malgré ſes défauts , ſon ouvage a
été fort utile & il a beaucoup ſervi aux
progrès de l'hydraulique pratique. En
1687 , Newton publia ſes Principes mathématiques
, & y traita, entr'autres objets,
le problême du mouvement des fluides
parune méthode nouvelle. Pour nous en
faire quelque idée , repréſentons - nous ,
avec l'auteur , un vaſe cylindrique vertical
, percé à ſon fond d'une ouverture par
laquelle l'eau s'échappe ; concevons que
ce vaſe reçoit par en haut autant d'eau
qu'il en dépenſe , & que par conféquent
il demeure toujours plein à la même hau
AVRIL. 1771 . 123
teur. Cela poſé, Newton partage la maſſe
entiere de l'eau en deux parties. L'une a
la figure d'un ſolide produit par la révolution
d'une hyperbole du cinquieme degré
autour de la droite verticale qui paffe
par le centre du trou , & ce ſolide a pour
deux de ſes élémens le trou même & la
furface ſupérieure du fluide : l'autre partie
eſt le reſte de l'eau contenue dans le
cylindre. L'auteur imagine enfuite que
les trancheshorisontales del'hiperboloïde
ſont ſeules en mouvement, &que le reſte
dela maſſe demeure en repos. Il y a donc
ainſi au milieu du fluide une eſpèce de
cataracte qui ſe renouvelle ſans ceſſe
tandis que l'eaulatérale reſte en repos. En
comparant le réſultat de cette théorie avec
la quantité de mouvement déterminée
par l'expérience , Newton conclud que la
vitefle , au fortir de l'orifice , n'étoit due
qu'à la moitié de la hauteur de l'eau dans.
le réſervoir. Mais il ſentit lui-même dans
la ſuite que cette conféquence ne pouvoit
pas ſe concilier avec la hauteur à laquelle
les jets d'eau s'élevent naturellement.
Il n'avoit pas vû d'abord l'effet de
la contraction ; il le vit dans ſa ſeconde
édition qui parut en 1714. Sans abandonner
le fonds de ſa théorie , il egarda la
9.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
fection de la veine contractée comme le
vrai orifice par lequel l'écoulement doit
être cenſé ſe faire ,& la viteſſe en cet endroit
comme dûe à la hauteur correſpondante
de l'eau dans le réſervoir; par ce
moyen la théorie devint plus conforme à
l'expérience. Mais elle ne parut pas pour
cela établie aſſez ſolidement. Elle porte
en effet ſur des principes arbitraires &
nullement démontrés . La formation de
la cataracte eſt contraire aux lois de l'hydroſtatique
& à l'expérience qui concourent
à faire voir que lorſqu'un vaſedonne
de l'eau par une ouverture , toutes les
particules ſe dirigent vers cette cuverture.
Dans cette hiſtoire abrégée des inventeurs
, je ne compte pas ici M. Varignon ,
qui n'adéterminé que d'une maniere trèsimparfaite
la vitelle des écoulemens , ni
M. Guillelmini qui , dans ſa mesure des
eaux courantes , & dans ſon traitéfur la
nature desfleuves , excellent quant à la partie
phyſique & pratique , n'a employé
d'autre méthode que celle de Torricelli .
Je n'ai pas parlé non plus du traité de l'équilibre
des liqueurs , par M. Paſcal , parceque
cet ouvrage , parfait dans ſon efpèce,
ne contient au fond que des preuves
AVRIL. 1771 . 125
expérimentales de la preſſion égale des
Auides en toutes fortes de ſens.
Tel étoit à-peu- près l'état de l'hydrau
lique , lorſque le célèbre Daniel Bernoulli
, après avoir donné fur ce ſujet
quelques effſais imprimés parmi les mémoires
de l'Académie de Pétersbourg ,
mitaujour ſonhydrodynamique en 1738 .
Comme on ne connoît ni le nombre ni
la figure des molécules fluides , & qu'il
n'eſt par conféquent pas poſſible de déterminer
rigoureuſement le mouvement de
chacune d'elles en particulier , M. Bernoulli
partage le fluide par maſſes qui ſe
meuvent ſuivant la même loi. Il faitdeux
ſuppoſitions qui lui paroiſſent conformes
à l'expérience , & propres à fonder ane
théorie générale , & fuffifaminent exacte
du mouvement des fluides ; la premiere,
quelaſurfaced'un fluide contenu dans un
vaſequi ſe vuide par une ouverture , demeure
toujours horisontale; la ſeconde ,
qu'enimaginant toute la maffe fluide partagée
en une infinité de tranches horiſontales
de même volume , ces tranches demeurent
contigues les unes aux autres , &
que tous leurs points s'abaiſſent verticalement
avec des viteſſes qui ſuivent la
raiſon inverſe de leurs largeurs ou des
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fections horisontales du réſervoir. Enfuite
pour déterminer le mouvement
d'une tranche quelconque , il emploie le
principe de la conſervation des forces vi
ves , ce qui eſt permis ; car les tranches
fluides agiſſent les unes fur les autres ſans
ſe choquer & par degrés inſenſibles , àpeu
- près comme des corps ſolides formant
un même ſyſteme &agiſſant les uns
fur les autres par des fils ou des léviers ,
ſe partagent une quantité déterminée de
mouvement. Or, on fait , quoiqu'on n'en
ait pas cependant la démonstration générale
, que le principe en queſtion a lieu
dans ces fortes de cas. M. Bernoulli parvient
ainſi à des ſolutions très - élégantes
par la marche du calcul & par la fimplicité
des réſultats. Il applique les théorêmes
généraux à des exemples choiſis ;
par- tout une profonde ſcience de l'analyſe
; une phyſique fûre puiſée dans la
nature des chofes , employant le calcul
au beſoin & jamais pour la pompe ; en
un mot cet ouvrage eſt une des plusbelles&
des plus ſages productions du génie
mathématique .
M. Maclaurin & M. Jean Bernoulli
trouvant que le principe de la confervation
des forces vives n'étoit pas aſſez di
AVRIL. 1771. 127
rect pour ſervir de baſe à la théorie du
mouvement des fluides , réfolurent le
problème par d'autres méthodes qu'ils
crurent dériver plus naturellement des
premieres lois de la méchanique. Ils parvinrent
d'ailleurs au même réſultat que
M. Daniel Bernoulli . Peut- être même
leurs méthodes ſont- elles ſujetes à des
difficultés affez graves ; mais cette difcuffion
nous meneroit trop loin. Les recherches
de M. Maclaurin fur ce ſujet
parurent en 1741 , dans ſon traité des
Huxions, & l'hydraulique de M. Jean Bernoulli
parut en 1743 dans un recueil de
fes ouvrages.
Il étoit réſervé à M. d'Alembert de
porter dans la théorie de l'hydrodynami
que la înême lumière dont il avoit éclairé
la méchanique des corps ſolides . Le
principegénéral qu'il venoit de découvrir
pour trouver le mouvement des corps fo.
lides qui agiſſent les uns fur les autres ,
lui ſervit auſſi en 1744 dans ſon traité
des fluides . L'auteur fait les mêmes ſuppoſitions
que M. Daniel Bernoulli . A
cela près , il établit ſon calcul tout autrement.
Il confidère à chaque inſtant le
mouvement actuel d'une tranche , compoſé
du mouvement qu'elle avoit dans
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
l'inſtant précédent & du mouvement
qu'elle a perdu. Les lois de l'équilibre
entre les mouvemens perdus lui donnent
les équations qui repréſentent le mouvement
du fluide. M. d'Alembert réſoud
par- là avec facilité non - feulement les
problêmes des auteurs qui l'ont précédé ,
mais il en donne un grand nombre d'autres
qui font entierement nouveaux &
très-difficiles. Son ouvrage eſt donc original
, à pluſieurs égards, par
le fonds des
choſes mêmes;iill'eſtdu moinsd'unbout
à l'autre par la méthode que l'auteur a
employée , méthode qui fera à jamais
époque dans la ſcience du mouvement ,
dont elle réduit toutes les lois à celles de
l'équilibre .
Quoique l'hydrodynamique eut ainſi
acquis un haut degré de perfection , elle
étoit néanmoins aſtreinte à l'hypothèſe
que les tranches du fluide conſervent leur
parallélifme , ou que tous les points d'une
même tranche ſe meuvent ſuivant une
ſeule & même direction . Il étoit à deſirer
qu'on pût exprimer par des équations
lemouvement d'un point du fluide dans
un ſens quelconque. M. d'Alembert
trouva ces équations d'après ces deux
principes ; qu'un canal rectangulaire pris
AVRIL. 1771 . 129
dans une maſſe Auide en équilibre eft luimême
en équilibre , & qu'une portion
du fluide,en paſſant d'un endroit à l'autre
, conſerve le même volume lorſque
le fluide eſt incompreſſible; ou ſe dilate
ſuivant une loi donnée lorſque le fluide
eſt élastique. Il publia cette méthode trèsprofonde
& très- ingénieuſe dans ſon Effaifur
la réſiſtance desfluides , imprimé
en 1752. Il l'a encore perfectionnée depuis
dans ſes opufcules mathématiques .
Elle a été adoptée , à peu de choſe près ,
par M. Euler. Ces deux illuſtres géomètres
ſemblent avoir épuiſé toutes les refſources
qu'on peut tirerde l'analyſe pour
déterminer le mouvement des fluides.
Malheureuſement leurs formules ſont ſi
compoſées par la nature des choſes , qu'on
ne peur les regarder que comme des vérités
géométriques très - précieuſes en
elles-mêmes , &non comme des ſymboles
propres à peindre l'image ſenſible du
mouvement actuel & phyſique d'un
fluide.
(Le refte au Mercure prochain.)
Pensées de Milord Bolingbroke , fur différens
ſujets d'hiſtoire, de philofophie ,
de morale , &c. vol. in-12. A Amf-
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
terdam ; & ſe trouve à Paris , chez
Prault fils , quai des Auguſtins, à l'Immortalité.
Milord Bolingbroke , ſecrétaire d'état
fous la Reine Anne , joua un grand rôle
dans les dernieres années du regne de
cette Princeſſe. Après la mortde laReine,
Bolingbroke fut diſgracié de la cour , &
chercha à ſe faire un grand nom parmi
les écrivains de ſa patrie ; c'étoit la ſeule
reſſource qu'il eut pour ſe venger de fes
ennemis & adoucir l'ennui de ſa retraite ..
Mais on n'apperçoit que trop ſouvent
dans ſes écrits la paſſion ou l'envie de ſe
diftinguer par des paradoxes , des penſées
hardies , des ſentimens républicains. Ses
partiſans , ſes lecteurs même étrangers
aux querelles qui lui avoient été fufcirées
, mais échauffés par une forte d'enthouſiaſme
qui regne dans ſes écrits polémiques,
n'ont point balancé à le regarder
comme un des plus grands écrivains de
l'Angleterre. Aujourd'hui que le charme
eſt diſſipé , on peut appliquer à Bolingbroke
ce qu'il diſoit lui - même du chevalier
Walpole ſon ennemi , que c'étoit
un eſprit du ſecond ordre , au - deſſus du
vulgaire& au-deſſous du génie.
Dans l'avertiſſement de l'ouvrage que
AVRIL. 1771. 131
nous annonçons , l'éditeur met Bolingbroke
au rang des plus beaux génies que
l'Angleterre ait produits ; mais on ne l'en
croira pas volontiers ſur ſa parole , on le
croira encore moins lorſqu'on aura lu les
penſées qu'il a extraites des écrits de fon
auteur , parce que ces pensées ou fragmens
ne préſentent rien de bien neuf,&
que la plupart ſont exprimées dans un
ftyle obfcur & embarraffé. Il fuffit , pour
en citer des exemples , de copier la premiere
page qui ſe préſente .
" Lorſqu'un Prince paſſe la nuit entiere
>> à jouer , il fe condamne lui- même &
>> ſon état à un malheur inévitable. Le
>> foleil baiſſe auſſi - tôt qu'il eſt entré
>> dansle ſigne de la Balance , parce qu'il
>> fort de celui de la Vierge , & qu'il a
>> ſéjourné dans la maiſon des jeux & de
>> ladanſe.
€ « Dieu reſſerre les hommes quand il
>>>les renferme dans la connoiſſance d'eux-
» même , & il les élargit lorſque du fond
→de cette connoiffance il les élève jul-
» qu'à celle de la divinité.
>>>Tues , ô homme ! le miroir des deux
>> mondes : il faut que tu t'y confidères
>> attentivement , afin qu'au travers de ce
» qui paroît , tu découvres ce qui eft ca-
» ché.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
>>Quand l'amour & la haine combat-
>> tent enſemble dans un coeur , malheur
>> au verre qui choque la pierre , c'est-à-
>>dire que la haine l'emporte toujours fur
» l'amour. » Ce , c'est - à - dire , étoit ici
bien néceſſaire .
,
Dans un autre endroit Bolingbroke
compare ce monde à une grande foire
dans laquelle tout ſe paffe ordinairement
comme dans une fère de village , où il
n'y a pour tout inſtrument de muſique
qu'une cornemuſe.
Tractatus de vera Religione , Theologiæ
alumnorum ufui accommodatus , &c.
Traité de la vraie Religion, à l'uſage
des élèves des écoles de théologie ; par
M. Louis Bailly , bachelier de la faculté
de Paris , & profeſſeur de théologie
dans le collége de Dijon ; 2 vol.
in- 12 . A Dijon , chez Edme Bidault ,
libraire ; & à Paris , chez Saugrain jeune
, libraire , quai des Augustins ; J.
Barbou , imprimeur- libraire , rue des
Mathurins .
Ce nouvel ouvrage , écrit entierement
en latin , eſt un abrégé méthodique des
différens traités ſcholaſtiques connus principalement
dans les colleges & dans les
AVRIL. 1771 . 133
:
féminaires. Cet abrégé eſt diviſé endeux
parties , dont la premiere a pour objet la
Religion naturelle; &la feconde , la Religion
révélée. L'auteur traite , au commencement
de ſon ouvrage , de la ſpiritualité
de l'ame , de ſa liberté & de fon
immortalité , afin de ſuivre plus rapidement
le cours des démonstrations qui établiſſent
la vérité de la Religion Chrétienne.
Les Mille & une Folies , contes françois ,
par M. N******; 4 vol. in- 12. A Amfterdam;
&fe trouve à Paris , chez la
Veuve Ducheſne , libraire , rue St Jacques
, au Temple du Goût.
Les hiſtoriettes du tems , les contes, les
romans , les avantures de ville , tout a été
mis à contribution pour compoſer ce recueil
de mille & une folies. L'auteur
pour répandre une forte d'action dans cet
ouvrage , met en jeu trois perſonnages
quediverſes circonstances jetent dans bien
des avantures & auxquels on en raconte
pluſieurs. La 925º folie eſt intitulée , les
terreurs paniques. Un officier , logé dans
une hôtellerie , ſur le point de joindre
l'armée , étant ſeul dans ſon lit , livré à
mille réflexions , faute de ne pouvoir dor
134 MERCURE DE FRANCE.
mir , ſe met à fonger qu'il a eu tort de
laiſſer ſa clef à la porte de ſa chambre
attendu qu'il feroit facile d'entrer pour le
voler. Tandis que de pareilles idées lui
rouloient dans la tête, un menuifier monroit
lentement , chargé d'un cercueil deftiné
pour un pauvre diable qui venoit de
mourir dans la chambre prochaine. Le
menuifier croyant entrer chez le mort ,
ouvre la porte de l'officier , & dit en pofant
la charge à terre : voilà une bonne redingote
pour l'hiver. L'officier , que ſes
craintes rendent attentif au moindre bruit,
ne doute point qu'on ne vienne le voler,
& qu'on n'ait deſſeinde commencer pat
prendre ſa redingote , qu'il avoit laiffée
fur une chaiſe; ilfaute promptement hors
du lit , & fe met à courir tout en chemiſe
après le prétendu voleur. Le menuifier ,
entendant du bruit , & voyant paroîrre
quelque choſe de blanc , laiſſe bien vite
fon cercueil , & ſe ſauve à toutes jambes,
ne doutant point qu'il n'ait le mort à fes
trouffes.
On trouve dans ce même recueil des
ruſes de racoleurs & divers tours d'eſpiégleries.
Un jeune apprenti avoit remarqué
qu'une fruitiere du voiſinage comptoit
tous les foirs ſon argent , qu'elle éta-
Loit ſa monnoie , & qu'elle étoit fort ocAVRIL.
1771 .
135
1
و
cupée à faire ſes calculs. Cette obfervation,
repétée pluſieurs fois , non fans deffein
, lui fit imaginer un fingulier ſtratagême
, afin de s'approprier quelques unes
des pièces de monnoie qu'il devoroit des
yeux. Il s'aviſa de frotter de glue le deſfous
d'une affiette,&la poſa bruſquement
au milieu du tréſor de la bonne femme
&lui diſant de ſe dépêcher à lui vendre
ce qu'il lui demandoit. En relevant l'affiette
, il ne manquoit pas d'emporter
pluſieurs ſous marqués. Cette petite friponnerie
lui réuſſit pendant affez longtems;
mais un ſoir la fortune ceſſa de le
favorifer. Une pièce de douze ſols ſe détacha
& découvrit tout le manege à la
fruitiere. Aufſſi-tôt elle ſe ſaiſit au collet
du petit fripon & ſe met à crier , au voleur
detoute fa force .Les voiſins s'aſſemblent,
& le maître de l'apprenti vient groſſir la
foule des curieux. Il indemnifa la bonne
femme des vols qui lui avoient été faits;
&n'étant nullement flatté de poſſféder un.
apprenti qui imaginoit ces fortes de tours,
il le chafla de chez lui.
: Le trait d'avarice qui fait le ſujet de la
936º folie , eſt pris dans les anecdotes de.
médecine , & a été attribué par l'auteur de
ces anecdotes àun célèbre médecin. de
136 MERCURE DE FRANCE.
Paris , mort actuellement. L'hiſtoriendes
mille& une folies raconte ce trait à ſa
maniere. On avoit dit au comte deCroud,
dont l'avarice augmentoit chaque jour ,
qu'il y avoit un homme très riche , relegué
dans un des fauxbourgs de Paris , &
logé au fixieme étage d'une maiſon obfcure
, qui pourroit lui donner des leçons
d'avarice. Curieux de voir un homme
qui le ſurpaſſoit dans la lézinerie, le comte
de Croud courut auſſi - tôt lui rendre
viſite , afin de profiterde ſes conſeils. Il
ſe mit en chemin un jout d'hiver , enveloppé
de fon manteau. Il n'arriva qu'à la
nuit à la porte du fameux avare ; il frappa
long-tems avant qu'on lui ouvrît. Le
moderne Harpagon l'introduiſit enfin
dans ſa demeure , dans laquelle il n'y
avoit ni feu, ni lumiere , quoique l'obſcurité
fût très - grande & le froid très - piquant.
A l'aide d'un briquet , il aluma
bientôt une petite lampe. Cette opération
étant faite , il demanda au comte ce qu'il
y avoit pour ſon ſervice."Monfieur , je
> viens vous prier de m'enſeigner l'éco-
>>nomie. -Aſſeyez - vous , repliqua le
>> vieil avare ; mais puiſque vous ne ve
>> nez que pour parler , nous n'avons pas
>>beſoin de voir clair. » A ces mots , it
í
AVRIL. 1771 . 137
éteignit la foible lumière qui brûloit. « II
>> ſuffit , s'écria le comte , tranſporté des
>> marques d'une telle avarice , j'en vois
>> affez pour m'inſtruire. Quelles obliga-
>> tions ne vous ai-je pas ! j'avoue que je
>> ne me ſerois jamais aviſé d'une épargne
>> auſſi ſage. » Il ſe retira auſſi - tôt à tâ
tons.
Ce recueil contient beaucoup d'avantures
galantes , beaucoup d'hiſtoriettes
bonnes pour ceux qui ne cherchent dans
la lecture qu'un moyen de tuer le tems qui
paſſe ſi vîte.
Les Lamentations de Jérémie en vers françois
; par M. Deſmarais , chanoine regulierde
la Ste Trinité , dit Mathurin,
docteur de Sorbonne ; vol. in- 8 °. orné
de gravures. A Paris , chez Guillaume
Deſprez , rue St Jacques .
Après que le peuple d'Iſraël eut été mené
en captivité à Babylone par Nabuchodonofor
, & que Jérufalem fut demeurée
déſerte , le prophéte Jérémie s'aſſit ſur les
débris & s'écria dans l'amertume de ſon
coeur : Quomodò ſedet ſola civitas plena
populo : facta est quafi vidua domina gen.
tium : princeps provinciarumfacta estsub
tributo , &c .
133 MERCURE DE FRANCE.
Le Ciel eſt donc vengé. Ton antique ſplendeur
N'offre plus , ô Sion , qu'un ſpectacle d'horreur .
Hélas ! qui l'auroit cru que , Reine de la terre ,
Quand fur les nations tu lançois ton tonnerre ;
Quand ton bras triomphant leur envoyoit la
mort ,
Tu fubirois unjour un ſi malheureux fort ?
Tes ennemis , témoins de ta magnificence,
Envioient ton éclat & craignoient ta puiſſance..
Tu voyois tous les Grands , tu voyois tous les
Rois,
Soumis à ton empire , obéir à tes lois .
On te payoit tribut , on te rendoit hommage ;
Il ſembloit que la terre étoit dans l'eſclavage.
Tu regnois ſeule enfin ; mais quel affreux revers !
Tes mains n'ont plus de ſceptre , & tes pieds ont
desfers.
Toi , qui donnois des lois à la terre opprimée ,
Tu n'es plus qu'un amas de cendre &de fumée.
Combien de pleurs , hélas ! ne vas - tu pas verſer ?
La nuit ne verra point leur ſource s'épuifer.
Crois- tu que tes amis , ſenſibles à ta plainte,
Calmeront la douleur dont ton ame eſt atteinte ?
Non : les ingrats , joignant la noirceur au mépris
,
Sontdevenus pour toi d'éternels ennemis . .
Bourreaux de tes enfans , avec quelle infâmic
Neles chaſſoient- ils pas de leur chere patrie ?
Je les vis qui fuyoient de climats en climats ,
I
1
C
P
M
AVRIL. 1771: 139
Et qui tentoient envain d'échapper au trépas.
L'ennemi les ſurprend au plus étroit paſſage ,
Et leur laiſſe pour choix la mort ou l'eſclavage.
Quel ſpectacle , ô Sion , quel objet douloureux !
Quand tes ſentiers déſerts s'offriront à tes yeux !
Tu les arroſeras d'un déluge de larmes ,
Ces ſentiers où jadis , fans crainte & fans alarmes,
Ton oeil charmé voyoit les enfans d'Iſraël
Accourir tous en foule encenſer ton autel .
:
Ce tems heureux n'eſt plus: ils déteſtent tes fêtes;
Ils couronnent de fleurs leurs orgueilleuſes têtes;
Et de l'idolâtrie arborant l'étendard ,
Ilsjetent fur ton temple un dédaigneux regard ,
&c.
Ces lamentations forment un poëme
en quatre chants. Ce poëme eſt ſuivi
d'une prière de Jérémie & d'une épître
du même prophéte aux captifs Juifs prêts
àpartir pour Babylone. Le poëte François,
rempli en quelque forte de l'eſprit de Jérémie
, a fait paſler dans ſa paraphrafe les
images fortes& fublimes , les ſentimens
douloureux & pathétiques du faint Prophéte.
Mémoires fur la culture du Murier blanc ,
& la manière d'élever les vers àfoie , lus
140 MERCURE DE FRANCE.
à la ſociété royale d'agriculture de
Lyon , par M. Thomé , de la même
ſociété ; in - 8°. 2 vol. de 25 feuilles
chacun; premiere partie,dans laquelle
on trouvera les inſtructions néceflaires
aux jardiniers pour la culture de cet
arbre , depuis le ſemis juſqu'à la cueil
lette de ſes feuilles ; ſeconde partie ,
dans laquelle on trouvera tout ce qui
eſt néceſſaire pour parvenir à la meilleure
éducation des vers à foie ; &des
remarques ſur le tirage , le moulinage,
la teinture ,& la préparationdes ſoies.
AAmſterdam; & ſe trouve à Lyon ,
chez Aimé de la Roche , aux Halles de
laGrenette.
M. Thomé , de la ſociété d'agriculture
de Lyon , donna en 1763 deux mémoires
, l'un ſur la culture du murier blanc ,
où , en repondant à cinquante - ſept queftions
qu'il ſe fait à lui-même , il donne
les inſtructions néceſſaires pour la culture
de ces arbres; l'autre , ſur la manière
d'élever les vers à ſoie , où , dans les réponſes
qu'il fait à cent quinze queſtions
fur l'éducation de cet inſecte , il donne les
procédés les plus lumineux pour en tirer
leplus grand avantage. Ces deux mémoiAVRIL.
1771. 141
res ont été réimprimés pluſieurs fois &
traduits en différentes langues.
L'éditeur de cette nouvelle édition y a
ajouté un précis de tout ce qu'il y a eu
d'écrit fur l'un & fur l'autre objet , dont
il a formé deux volumes in - 8°. qu'on
pourroit appeler le Manuel des Cultivateurs
de muriers & d'Educateurs de vers à
foie. Il ſe trouve à Paris , chez Durand ,
neveu , libraire , rue St Jacques , à la Vertu
, & à Lyon , chez Aimé de la Roche ,
aux Halles de la Grenette .
Cours d'Histoire univerſelle , petits élémens;
par M. Luneau de Boijermain ; tom . I.
II . & III. in 8 °.A Paris , chez Delalain ,
libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoife.
Comme le but principal que M. L * *
de B. s'eſt propoſe eſt l'inſtruction de la
jeuneſſe , il a cru devoir s'écarter des
méthodes ordinaires , & en inventer
une nouvelle qui pût faciliter davantage
une étude auſſi importante que celle de
l'hiſtoire univerſelle. Il a ſenti qu'il falloit
ſe mettre à la portée d'un âge qu'une
application trop forte ou trop ſuivie rebute
ordinairement , & s'accommoder à
ſa foibleſſe , autant qu'il feroit poſſible ,
142 MERCURE DE FRANCE.
1
pour lui faire parcourir ſans dégoût la
carrière utile où il a entrepris de le conduire.
Le plan que M. Luneau s'eſt formé
aapplani toutes les difficultés qui pouvoient
décourager ſes lecteurs. Dans la
route qu'il leur trace , & qu'il a ſuréduire
à une juſte étendue , il leur ménage des
repos pour leur laiſſer reprendre haleine ;
it les conduit , comme par la main , d'époques
en époques , de fiécles en ſiécles
inſenſiblement& fans fatigue . Il a évité ,
comme il le devoit , les diſcuſſions chronologiques
qui n'éclairciſſentrien ,& fans
adopter aucun ſyſteme , il s'en est tenu
aux dates les plus connues & les mieux
prouvées .
Ce cours d'hiſtoire univerſelle eſt diviſé
en deux parties, le petits &les grands
élémens. Les petits élémens qui viennent
de paroître ſont compris dans trois volumes.
Le premier , que nous annonçons ,
contient vingt& un fiécles , leſquels font
partagés en trois âges ou trois époques ;
le tout eſt ſubdivisé en 56 leçons.
Ce volume eſt précédé d'une introduction
néceſſaire pour faciliter l'intelligence
de pluſieurs expreſſions qui pourroient
arrêter les lecteurs dans le corps de l'ouvrage.
Il contient les deux premieres époAVRIL.
1771 . 143
ques & le commencement de la troiſième .
La première commence à la création
du monde , &s'étend juſqu'au déluge : ce
qui comprend 17 fiécles. Elle renferme
l'hiſtoire d'Adam , le bonheur dont il
jouiſſoit dans le paradis terreſtre , ſa défobéiſſance
, ſa condamnation, le meurtre
d'Abel , la fuite de Caïn , & le mêlange
fatal de la poſtérité de ce dernier avec les
deſcendans de Seth , ce qui altéra beaucoup
leur innocence & répandit dans le
monde le déſordre & la corruption .
On fent bien qu'en écrivant l'hiſtoire
de ces premiers tems , l'auteur n'a pu le
faire que d'après celle de Moyfe, la ſeule
connue par rapport aux ſujets dont elle
traite , & la plus ancienne de toutes ,
Comme l'ouvrage n'eſt pas ſuſceptible
d'un extraitbien détaillé , nous nous contenterons
d'en rapporter quelques morceaux
qui feront juger de la manière &
du ſtyle de l'auteur ,
Voici comment il s'exprime ſur la
création de l'homme : " Après avoir créé
>> tous les animaux terreſtres , les bêtes
» de toutes les eſpèces & les reptiles ,
>> Dieu forma le plus parfait de tous les
>> animaux , le ſeul qui pût rendre à fon
>> auteur un hommage digne de lui ,
>> l'homme.
144 MERCURE DE FRANCE.
» Dieu lui donna, outre le privilege de
>> la conformation la plus propre à lui
» faire ſentir l'excellence de ſon être ,
>> une existence ſupérieure à toutes les
>>créatures , une ame.
>>L'ame que le ſouffle de Dieu répandit
>> ſur le viſage de l'homme , continue
l'auteur , eft faite à l'image & à la ref-
» ſemblance de la nature divine , pour
» être unie à celui qui l'a formée ; mais
>>elle n'eſt point une portion de cette
■ fublime pature : c'eſt une ſubſtance im-
>>matérielle par laquelle Thomme con-
» çoir , veut & agit librement. Elle eſt le
>>principe de ſes opérations , de ſes ſentimens
, de ſes mouvemens & de fes
>actions.
"
» Adam reçut de Dieu , outre lesavan-
>> tages attachés à la création , l'habitude
» farnaturelle de toutes les vertus , un
>> empire abſolu ſur la terre & fur les ani.
» maux , des connoiſſances infuſes , & une
>> exemption des miféres de la vie , de
> l'importunité des paſſions , des combats
>>de la cupidité , des infirmités de la vieil-
» leſle &de la mort. »
En terminant la premiere époque de
l'hiſtoire univerſelle , l'auteur expoſe les
conjectures les plus vraiſemblables fur la
religion ,
AVRIL. 1771 . 145
religion , le gouvernement, les lois , les
ſciences & les arts des Antidiluviens ,
pour fuppléer , autant qu'il eſt poſſible ,
au filence de l'hiſtorien ſacré fur ces différens
objets.
En parlant de l'origine des grandes nations
, M. L. dit qu'elles ſe formerent.
de la poſtérité de Caïn. " Des hommes ſi
>>pervers ne pouvoient demeurer long-
» tems voiſins , ſans qu'il s'élevât parmi
>> eux des ſujets de diviſion . Les lumières
> de is droite raiſon qu'ils avoient perdue
» de vue , ne pouvoient terminer leurs
>>querelles ſans celle renaiſſantes. Qui
pouvoit les accorder entre eux ? la for-
» ce. La violence décidoit de tour. La loi
ود du plus fort fut la premiere loides mé-
>> chans. Le foible , contraint de céder ,
» s'unit avec le foible , pour réſiſter au
>>puiſſant. La défenſe commune devint
» le fondement de la fociété. Le nombre
>> des aſſociations s'augmenta. Il ſurvint
>> bientôt entre elles les mêmes ſujets de
>> conteſtation ; il fallut meſurer ſes for-
>>ces , & la ſociété la plus puiſſante affer-
» vit les autres , ou les contraignit à des
» réunions nouvelles. Ainſi pardegrés ſe
>>formerent les grandes nations . »
L'auteur paſſe enfuite à l'origine des
arts.
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
La ſeconde époque commence au déluge,
& ſe termine aux promeſſes faites à
Abraham au 21º fiécle.
Elle contient tout ce qui arriva à Noé
après le déluge , l'hiſtoire de ſes trois enfans
, Sem , Cham & Japhet , la prodigieuſe
multiplication de leurs deſcendans,
le projet inſenſé de la tour de Babel , la
confuſion des langues , la diſperſion des
hommes&leurs nouveaux établiſſemens,
la fondation des royaumes de Babylone ,
d'Affyrie & d'Egypte , l'origine de l'idolâtrie
&des différens cultes ſuperſtitieux,
&c.
M. L. en rapportant les cauſes du déluge
univerſel , combat l'opinion de ceux
qui, voulant rendre raifon des dépôts des
coquillages que l'on trouve dans les entrailles
de la terre , prétendent qu'elle a
été entierement bouleversée dans l'inondation
générale. Mais,les poiſſons ayant
été conſervés , ( il n'eſt point dit dans l'écriture
que Noé eut ordre de prendre aucune
précaution pour en renouveller l'efpèce;)
lesplantes ayant ſubſiſtéde même ,
puiſque la colombe que le patriarche envoya
à la découverte , quand les eaux
furent baiſſées , rapporta une branche
d'olivier , M. L. en conclut avec raiſon
AVRIL .
147 1771 .
que l'opinion de la diffolution du globe
dans le déluge univerſel n'eſt nullement
fondée ; il étoit impoſſible que les poif-
**fons & les végétaux n'euſſent pas été détruits
entierement dans cette fubverſion
totale ſi elle fût véritablement arrivée.
L'auteur , à l'occaſion de ce terrible
événement , remarqu , d'après les Pères
de l'Eglife , que parmi cette multitude
innombrable d'hommes criminels qui furent
ſubmergés , il s'en trouva qui mirent
à profit ce juſte châtiment , & que tous
ne moururent pas dans l'impénitence.
Les eaux du déluge furent pour eux un
batême ſalutaire qui les purifia de toutes
leurs fouillures .
Les conjectures de M. L. fur ce qui
donna lieu à l'eſprit de conquête , & fur
la cauſe des premieres guerres paroiſſent
bien fondées. Il penſe que la chaſſe fut le
premier pas vers l'autorité; les hommes
ſevoyant forcés de s'armer pour leur com.
mune défenſe contre les bêtes féroces
⚫ qui , depuis le déluge , s'étoient multi .
pliés prodigieuſement, choiſirent les plus
expérimentés parmi eux , & les plus intrépides
pour les conduire dans cet exercice
dangereux. Nemrod , arriere- petitfils
de Noé , ſe trouvant à la tête de plu-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
fieurs troupes de chaſſeurs qui l'avoient
élu pour chef , profita de ce commandement
pour fonder la premiere monarchie
de l'Univers , qui fut l'empire de Babylone.
Quant à la cauſe des premieres guerres,
• Quelques familles , dit M. L. furent
>> forcées d'abandonner des terroirs in-
>> grats , pour aller chercher ailleurs des
>> demeures plus favorisées de la nature,
>>>Lorſqu'elles rencontrerent des nations
>>déjà établies dans des contrées plus fer-
>> tiles , elles voulurent ou s'établir au-
>>près d'elles , ou partager le terrein dont
>> elles jouiffoient. Ily eut fans doute , à
» ce ſujet , des conteſtations entre les
>> nouveaux venus & les anciens poffef-
>> feurs . La force décida bientôt du droit
» de propriété , & contraignit les plus foi-
»bles à la retraite. »
La fondation du royaume d'Egypte
n'eſt pas un des articles les moins curieux,
non plus que l'origine de l'idolatrie , ſes
progrès , les cultes divers qu'on imagina ,
les cérémonies , les offrandes & les facrifices
qui furent en uſage ,& le fanatiſme
barbare qui porta les peuples à immoler
des victimes humaines . On n'épargna pas
le fang le plus précieux , lorſque l'offran
AVRIL. 1771. 149
de qu'il falloit en faire entroit en concurrence
avec les graces qu'on attendoit des
dieux. Un père avare immoloit aux divinités
cruelles qu'il invoquoit , ſes propres
enfans. « Il attiſoit lui -même les
» feux qui devoient les confumer. Les
>> mères non moins dénaturées que leurs
» époux , imitoient ces criminels exem-
>> ples , & n'avoient pas de meilleures
>> raiſons pour ſe porter à cet excès de
>>férocité. Celles qui étoient pauvres ,
>> vendoientàprix d'argent leurs malheureux
enfans à ceux qui n'en avoient
>> point , ou qui n'étoient pas capables
>> d'un auſſi grand effort que celui de fa-
>> crifier les leurs propres. Elles s'enga-
>> geoient pour ce prix à voir de fang
>> froid ces foibles enfans périr dans le
>> ſein de la douleur & des tourmens.
>> C'étoit au ſon des tambours &des inf-
>> trumens les plus bruïans que l'on con-
>>>ſommoit ces horribles cérémonies
>> comme ſi l'on avoit craint que les cris
>> de ces tendres victimes ne réveillaſſent
>> dans le coeur de leurs mères les ſenti-
» mens de tendreſſe que la fordidité y
» avoit étouffés ... Une larme , un fou-
>> pir qui auroit démenti la fermeté
>>avec laquelle elles devoient foutenir
/
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
>> cet iufâme ſpectacle , leur auroit fait
>> perdre le prix convenu. >>
Outre l'hiſtoire des Patriarches qui fait,
la- principale partie de ce premier volume
, l'auteur y a inféré , dans l'ordre qu'il
convenoit , des réflexions utiles ſur l'état
des arts & des fciences après le déluge ,
fur leur interruption & leur naiſſance , &
en y mêlant l'hiſtoire profane , ſuivant
fes différens rapports avec l'hiſtoire facrée
, il n'a rien avancé qui ne foit trèsprobable
, malgré l'incertitude& les ténèbres
de ce cahos ſi difficile à débrouiller.
Sidney & Volfan , anecdote angloiſe par
M. d'Arnaud , chez Lejay , libraire , au
grand Corneille , rue St Jacques près
celle des Mathurins .
On a réimprimé Sidney &Volfan , publié
in- 12. en 1766 , & l'on a employé
dans cette nouvelle édition le format in-
8°. avec des eſtampes très bien gravées ,
afin de fatisfaire au defir des perſonnes
qui raſſemblent les oeuvres de M. d'Arnaud
& qui veulent les recueillir ſous le
même format. Cette anecdote morale
paroît avec des corrections & augmentations
qui ajoutent à l'intérêt. C'eſt l'huAVRIL.
1771. 1I51
manité montrée ſous différens aſpects
dans la miſantropie de Volfan , &dans la
bienfaiſance de Sidney. :
--Cette anecdote fait la troiſième partie
du ſecond volume des Epreuves du Sentiment
qui fera completé par deux autres
petites hiſtoires que l'auteur doit publier
inceſſamment. C'eſt un plan très-philofophique
que de préſenter ainſi la morale
en action , &de rendre les hommes meilleurs
en exerçant leur ſenſibilité.
Avis au sujet de la nouvelle édition du
Dictionnaire de Trevoux .
Ganeau & Compagnie , libraires à Paris
, ayant propofé au Public , dans un
Profpectus, une nouvelle édition du dictionnaire
univerſel françois&latin , vulgairement
appelé Dictionnaire de Trevoux,
enhuit volumes in folio , n'avoient
donné à ceux qui voudroient ſouſcrire
pour cet ouvrage que juſqu'au premier
Avril de cette année ; mais , ayant appris
que l'annonce de ce dictionnaire étoit à
peine parvenuedans lesdifférentes provincesdu
royaume , d'ailleurs étant follicités
de prolonger le tems de la ſouſcription,&
defirant favoriferles perſonnes qui
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
1
voudroient en retenir des exemplaires :
ils ſe ſont déterminés ſans rien changer
à l'avis qu'ils ont donné de continuer à
recevoir des ſouſcriptions juſqu'au premier
Juin prochain , paſſé lequel tems ,
nul ne ſera admis à jouir du bénéfice de
ladite ſouſcription , lequel eft de 168 liv.
pour un exemplaire en feuilles ; ſçavoir ,
84 liv. en ſouſcrivant & 84 liv. en retirant
l'exemplaire complet , qui doit paroître
dans le courant du mois d'Août
prochain. Ceux qui n'auront pas ſouſcrit
paieront la ſomme de 208 liv. pour un
exemplaire en feuilles.
ACADÉMIE.S.
Académie Françoise.
M. DE ROQUELAURE , Evêque de
Senlis , ayant été élu à la place de M. de
Moncrif par Meſſieurs de l'Académie
Françoiſe , y vint prendre ſéance le lundi
4Mars 1771 , & prononça un difcours
dans lequel l'éloquent orateur trace ainſi
le portrait de l'académicien auquel il ſuccède.
C'eſt au commerce des muſes qu'il dei
AVRIL.. 1771 . 153.
voit cette fleur d'eſprit , ces graces fimples
& naïves , cette douce aménité qui
le rendoit ſi cher à ceux qu'il approchoit.
Recherché d'un monde poli, dont il faifoit
les délices , il parvint à remplir une
place diftinguée auprès de la Reine , &
en reçut bientôt les marques de bonté les
plus flatteuſes. Pour exceller dans cet art
fi difficile de plaire , fans doute il devoit
beaucoup à la nature ; mais , en faiſant
part au Public des réflexions les plus fenſées
& les plus délicates en ce genre ,
c'étoit prouver combien il avoit ajouté à
fes diſpoſitions naturelles . On peut dire
que, ſous le titre modeſte d'Elfais ſur la
néceſſité & les moyens de plaire , il a fu
donner en même tems la meilleure idée
de ſon eſprit & de la bonté de ſon coeur.
C'eſt le propre d'une ame généreuse d'aimer
à répandre un ſecret dont on s'eſt utilement
fervi pour foi-même.
Soit jalonfie , foit préjugé , le commun
des hommes ſe perfuade que la ſenſibilité
de l'ame n'eſt point la compagne du
génie. On veut que la nature , économe
dans ſes dons , compenſe les préſens de
l'eſprit qu'elle accorde , par la privation
d'un bien plus précieux qu'elle refuſe.
Qu'il eſt honorable à M. de Moncrif
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
d'avoir travaillé conftamment à détruire
un préjugé ſi injufte ! Pluſieurs de ſes écrits
portent l'empreinte de cette vertueuſe
ſenſibilité ; ſes actions l'ont fait paroître
dans tout fon jour. Quoique la fortune
eût différé long - tems de répandre
fur lui ſes faveurs , il fentit d'abord
que leur uſage le plus doux étoit de les
partager. Heureux de pouvoir juftifier
que les ſentimens de bienfaiſance , jufques-
là cachés dans ſon coeur , n'attendoient
que le moment d'éclater ! Sa famille
trouva en lui un parent plus charmé
de répandre fur elle ſes largeffes ,
qu'elle n'étoit elle même fatisfaite de
les recueillir. Docile à la voix de la nature
, pouvoit- il manquer à la reconnoiffance
, dans des occafions délicates où
tant d'hommes penſent moins à remplir
qu'à éluder les devoirs ſacrés qu'elle impoſe?
Onl'avu folliciter &obtenir enfin,
après les plus vives inftances, la grace
d'aller tous les ans dans une province
éloignée , offrir à fon bienfaiteur le tribut
de fon attachement & de fa reconnoiffance.
Puiffent tous les gens de lettres ,
en ſuivant un ſi bel exemple , forcer
l'ignorance à abjurer fon erreur , & à reconnoître
qu'il eſt moins rare qu'on ne
AVRIL. 17718 155
penſe ,de joindre à l'eſprit le plus éclairé,
le coeur le plus ſenſible !
M. l'Abbé de Voiſenon a répondu au
diſcours de M. l'Evêque de Senlis .
Vous connoiſſez , lui dit cet ingénieux
Académicien , tout le prix de la littérature.
Dès votre plus tendre jeuneſſe ,
vous vous êtes nourri de la lecture de
nos meilleurs auteurs ; vous avez étudié
les fources dans leſquelles ils ont puiſé ;
vous rendez hommage aux beautés de
Virgile ; vous poſſédez Horace , & vous
admirez notre Poëte François qui eut l'art
de l'embellir en le prenant pour fon modèle.
Vous ne vous êtes pas borné à la
langue latine , vous avez voulu connoître
les richeſles de la langue italienne & de
la langue angloiſe ; vous vous êtes mis à
portée de découvrir tous les larcins , &
vous êtes auſſi inſtruit que des Princes
étrangers qui voyagent,
Vous avez l'éloquence de tous vosem
plois. En qualité d'Evêque , vous inſtruifez
, vous conſolez , vous ſecourez ; en
qualité de Magiſtrat que le Roi a jugé
néceſſaire d'admettre en fon confeil
vous répandez des lumières ſur les cauſes
les plus compliquées; votre entretien ne
2
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
ſe fent pas de la ſéchereſſe des affaires ;
vous plaifez & vous impofez.
Vous habitez (la cour) ce ſéjour orageux
, ce pays de manoeuvres cachées ,
de haine fourde & careflante ; & vous y
avez introduit l'amitié , cette paſſion ſi
douce , dont les courtiſans prennent l'accent
, afin de la mieux trahit : vorre ame
fut toujours ouverte à ſes charmes , vous
en goûtez les délices , vous courez audevant
des ſervices qu'elle exige , des
devoirs qu'elle impoſe; vous êtes fidèle
à vos engagemens ; vous faites mieux
vous obligez avant d'en prendre. Vous
êtes effentiel & franc au milieu de ceux
qui font tout le contraire , & vous refſemblezaux
médecins qui ſemblent avoir
la prérogative de vivre dans le mauvais
air fansgagner la maladie.
L'académicien auquel vous fuccédez ,
Monfieur , le reſpira long- tems ſans en
être attaqué . M. de Moncrif eut le ſecret
de ſe faire dubien fans faire du mal à
perfonne. Il nous fit éprouver que la douceur
des moeurs , l'égalité du caractère
le lien de l'eſprit , ne font pas moins
néceſſaires dans une compagnie que les
talens. Il poffédoit tous ceux qui tiennent
à l'agrément. La poësie naïve , jadis fi flo
AVRIL. 1771 . 157
riſſante , a perdu en lui ſon dernier modèle
; & , dans l'inſtant de ſa mort , les
graces décentes & négligées ont détaché
les fleurs que cet auteur aimable leur offroit
en hommage ; & , de cette parure
champêtre , elles ont formé des guirlandes
pour orner le tombeau de celui qui
les avoit cueillies. Où trouver à préſent
cette fimplicité gauloiſe ? Elle n'eſt plus
dans nos écrits , parce qu'elle n'eſt plus
dans nos coeurs. La poëfie est devenue
une coquette; elle a changé ſon ingénuité
contre des minauderies ; elle n'a plus que
de l'eſprit , & l'efprit tout ſeul n'eſt que
la faufte monnoie du talent.
M. de Moncrif s'étoit préſervé de cette
contagion , & dans ſes vers & dans ſa
proſe ; on en voit la preuve dans ſes Effais
ſur les moyens de plaire. Il a mis en
préceptes , Monfieur , ce que vous mertez
tous les jours en action. Il étendit fur
tous les objets fon amour pour l'humanité.
On a de lui une lettre fur ce genre
d'ufure odieux & décrié , qui rend ſi vils
& fi mépriſables ceux qui l'exercent. M.
de Moncrif propoſe des expédiens pour
en conſerver les avantages , ſans être a
charge aux malheureux que l'indigence
oblige d'emprunter. Je me rappelle en
I118 MERCURE DE FRANCE.
core une autre lettre ſur la prédication;
ily recommande aux prédicateurs de ne
pas faire des fermons trop longs. Jecrois
que cet avis regarde tous ceux qui ont
l'honneur de parler en public. Je me hate
d'en profiter , afin que ceux qui m'écou
rent peut- être depuis trop long tems , lui
aient obligation même après ſa mort.
<
*
*Ces Discours se trouvent à Paris chez la Veuve
Regnard &Demonville , imprimeur de l'Acadé
miefrançoise , aupalais &rue baſſe des Urfins.
I I.
MÉMOIRE historique fur la Société
économique de St Pétersbourg , &fus
•Son état actuel en 1770 .
r 2
La Société Economique de St Pétersbourg
ſe forma dans l'année 1765. Le
conſeiller privé M. d'Alluſiers , ſeigneur
très-diftingué par festalens &fon mérite
perſonnel , en fut le premier préſident ,
&contribua le plus àſa fondation. Quelques
ſeigneurs du premier ordrey concoururentd'abord,&
furent fecondés dans
la ſuite par une foule de perſonnes que
leurs charges & leur naiſſance plaçoient
dans un rang éminent ; l'Impératrice ,
AVRIL. 1771 . 159
I
attentive à tout ce qui peut intéreſſfer la
nation , s'empreſſa d'accorder ſa protection
à la ſociété naiſſante ,& la gratifia
d'une ſomme de fix mille roubles .
Le but que cette ſociété ſe propoſa ,
comme on le voit par les écrits qu'elle a
publiés , fut de réveiller l'attention des
propriétaires de terres fur tout ce qui concerne
l'agriculture , de répandre parmi
eux les connoiſſances utiles à cet objet ,
de les engager à faire des eſſais convenables
aux qualités diverſes du terroir & du
climat ; enfin , d'encourager l'économie
rurale dans toutes lesprovinces de ce vaſte
Empire.
Après l'élection du nouveau préſident,
qui ſe fait tous les quatre mois , la ſociété
préſente au Public un nouveau tome de
ſes mémoires , composés par ſes membres
ou tirés des obſervations que les gentilshommes
cultivateurs veulent bien
communiquer à la fociété. Le nombre de
ces recueils s'eſt auſfi accrû déjà juſqu'à
quatorze tomes , ce qui fait voir que le
goût de ce genre d'etude ſe répand de plus
en plus, que beaucoup de poſſeſſeurs s'occupent
de l'amélioration des terres , &
que l'agriculture perfectionnée eſtun des
fruits de la fondation de cette ſociété. ?
160 MERCURE DE FRANCE.
Cependant elle ne borne pas là ſes travaux
& ſes vues. Elle propoſe des prix
annuelsfur des objets de ſcience & d'induſtrie.
Les uns font de mille roubles ;
d'autres de cent ducats; les moindres,des
médailles de la valeur de vingt- cinq jufqu'à
trente- cinq ducats , tous proportionnés
à l'importance du ſujet.
Tous les mémoires ſont écrits en lan-.
gue ruffe &imprimés aux dépens de l'Impératrice.
Mais l'Europe attentive aux
progrès des ſciences dans la Ruſſie defire
roit une traduction de ces mémoires, dont
on n'a encore traduit que le premier tome
en allemand , à Mittau & àRiga , dans la
librairie de Harfſinoch 1767. On trouve
dans ce premier volume l'expoſition da
plande la fociété & fon établiſſement.
Ondistingue , parmi les autres pièces qu'il
contient , un mémoire ſur l'utilité de la
culture du froment en Ruffie , compoſé
par un membre de la ſociété, nomméM.
de Llingſſedt, conſeiller d'état.On n'a pas
rardé à voir les fruits d'une idée auſſi juſte
& auſſi utile. Le gouvernement ayant accordé
l'exportation du froment, libre &
affranchie de tout impôt pour cinq années
confécutives , à compter depuis l'année
1766, on en a exporté depuis ce tems
AVRIL. 1771. 161
pour la valeur de trois à quatre cent mille
roubles , accroiſſement conſidérable dans
les richeffes de l'état .
Ce même membre de la ſociété a propoſéd'autres
queſtions ſur les détails de
l'économie dans les différentes provinces
conſidérées ſous leurs rapports reſpectifs.
C'eſt par les ſoins du Prince Waffemfirs,
procureur - général du fénat , qu'on a recueilli
des réponſes &des informations
exactes dont la ſociété ſe propoſede faire
une collection qui doit être d'un avantage
incontestable.
Voilà tout ce que nous ſommes en état
de fournir au Public ſur une ſociété qui
mérite d'être connue. Nous pouvons ajouter
que le nombre de ſes membres s'eſt
accrû au-delà de quarante , la plupart de
la premiere distinction. Nouvellement
même un archevêque , le célèbre Platon ,
poſſeſſeur du riche bénéfice du monaftere
de la Trinité près de Moſcou , a dearé
s'y être reçu. Les principaux membres
viennent encore de fignaler leur zèle
& leur généroſité en s'impofantune contribution
volontaire pour cinq années de
ſuite qui affure à la ſociété un fonds annuel
de deux mille roubles. C'eſt par une
pareille ſouſcription qu'on amaſſa , il n'y
a pas long- tems , une fomme de huit cent
1
162 MERCURE DE FRANCE .
roubles deſtinée à l'achat d'une biblio
thèque économique. Le comte Grégoire
Orlow , frère du héros de la Ruffie , d'A.
lexis Orlow , celui qui a rendu fon nom
immortel par la défaite des Turcs & la
deſtruction de leur flotte dans l'Archipel,
a été un des plus zélés bienfaiteurs de la
ſociété , & s'eſt taxé lui- même à cinq cens
roubles par an.
On est convenu en dernier lieu de célébrer
l'anniverſaire du jour où il a plû à
l'Impératrice de confirmer l'établiſſement
de la ſociété. Ce fut le général comte
Zachar Zernichef, connu dans l'Europe
par ſes exploits&ſes ſervices quia donné
lapremière fêtede ce genre le 29 Octobre
de l'année 1770 .
III.
Ecole Vétérinaire.
Le Sr Brade , élève de l'Ecole royale
vétérinaire de Paris , bréveté par Sa Majeſté
, & établi dans la ville de Châlonsfur-
Saône , tant en qualité d'artiſte vétérinaire
que de garde haras dans ce département
, par MM. les Elus des Etats de
Bourgogne , ayant reçu des ordres du directeur-
général des écoles vétérinaires
de porter des ſecours contre la maladie
AVRIL. 1771. 163
,
épiſootique qui affligeoit une quantité
conſidérable de beſtiaux dans les élections
d'Avalon &de Tonnerre ; il paroît
par les certificats que cet élève a envoyés
& qui ont été mis ſous les yeux de M.
l'Intendant de Paris , que fes opérations
ont été telles dans les paroiſſes de Poilly,
de Chichée, de Laignes , élection de Tonnerre
, & de Précy-le-Mouls , Domocyfur-
Cure & Cure , élection d'Avallon
que 168 bêtes étoient mortes avant fon
arrivée , 18 font mortes entre ſes mains,
170 ont été guéries , & 617 ont été préſervées.
Ces certificats ſont ſignés par
M. Préjeu , fubdélégué du département
d'Avallon ; par MM. Boullier , curé de
Poilly ; Tridon , curé de Laignes ; Camus
, curé de Chichée ; par les Srs de Lavals
& Vougenos , ſyndics ; par MM. Parizot
& Bonnet , avocats de Lavals , Blin ,
Phillippon , Dauphin , le Normand, Faffecot
, Pion , Bonnet , Eeſte , Coquilles ,
Droüin , Beau , Parre & Huffon , procureur
fiſcal .
,
Nous voyons encore par d'autres certificats
, rapportés par le Sr Wolſtein
élève , entretenu à l'école de Paris aux
frais de S. M. l'Empereur Roi des Romains
, & envoyé dans les élections de
Tonnerre & de St Florentin, les moisde
164 MERCURE DE FRANCE.
Novembre & Décembre derniers , 1 .
Qu'il a arrêté le cours de la maladie épi.
footique , & qu'il a guéri nombre de bêtes
dans la paroiſſe de Flogny , ce qui eſt
atteſté par M. Oudelin , curé ; par M. le
Marquis de Flogny , ſeigneur , & par M.
Moreau du Fourneau , fubdélégué : 2 .
Que dans la paroiſſe de la Chapelle de
Vaupetaine près Chably en Bourgogne ,
avant ſon arrivée , il étoit mort II bêtes
à cornes , qu'on n'en a perdu aucune pendant
le traitement qu'il a fait ; qu'il en a
guéri so &préſervé 80 , & qu'en un met
il eſt parvenu àdétruire le préjugé de preſ.
que tous les habitans contre l'adminiftraon
des médicamens des bêtes à cornes ,
& fur - tout contre la ſaignée qu'ils ont
toujours regardée comme mortelle ; ce
qui eſt atteſté par M. Mueſon , curé ,
Louis Hardy , ſyndic , & par M. Moreau
du Fourneau , ſubdélégué. 3 °. Que dans
la paroiſſe de Vergigny il étoit mort ,
avant que cet élève y arrivât , plus de 120
têtes de beſtiaux ; qu'il n'en eſt mort que
cinq entre ſes mains , & cinq ou fix autres
dont il avoit pronoſtiqué la perte ;
qu'il en a guéri 36 & préſervé 160 : ce
qui eſt atteſté par M. Moreau du Fourneau,
lieutenant , & par le St Hugot, fyndic.
4°. Enfin, que dans la ville de Sainttion
AVRIL. 1771 .
165
Florentin en Champage , il étoit mort 61
bêtes avant fon arrivée ; que de 31 qu'il
a traitées , il n'en eſt que trois qui font
mortes entre ſes mains , les 28 autres
ayant été radicalement guéries , & qu'il
en a préſervé 117. Qu'au furplus , ce n'eſt
que par ſon zèle , par ſa douceur , ſon intelligence
& fa patience qu'il a triomphé
de tous les obſtacles que le préjugé , l'ignorance
& la groffiereté pourroient oppofer
à ſa méthode ; ce qui eſt atteſté par
le même ſubdélégué , & par MM. Frénoir
, curé , & Sallor .
I V.
ECOLE gratuite de Deſſin.
Lettre , Rouen , 12 Février 1771 .
Monfieur , Nous avons vu avec la plus
grande admiration , dans le volume du
Mercure du mois de Février dernier
qu'une Dame a envoyé , pour la ſeconde
fois , une ſomme de fix cens livres à la
caiſſe de l'Ecole gratuite de Deſſin pour
contribuer à l'éducation de quinze cens
citoyens , & fervir à encourager leurs étudespar
des récompenfes, avec une recommandation
expreſſe de cacher fon nom.
Un tel procédé eſt d'autant plus généreux
166 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eſt dégagé de tous les motifs qui
déterminent ordinairement les actions
des hommes. Qu'il eſt noble , Monfieur,
d'offrir des ſecours à l'humanité ; & qu'il
eſt difficile de ſe refuſer à ſa reconnoifſance
! Souffrez que nous vous obſervions
que le terme de bienfaiſance , en ce cas,
nous paroît trop foible ; il peut ſuffire
pour peindre les ſentimens de celui qui
accorde à la demande , mais jamais il ne
peindra la grandeur d'ame de la perſonne
que vous nous donnez envie de connoître.
Qu'il eſt honteux pour les hommes
que de pareils actes ſoient ſi rares ! Publiez
les belles actions ; ces tableaux touchans
feront peut- être copiés ; quel bonheur
ſi la vertu devenoit à la mode , &
qu'il fût humiliant de n'avoir pas fait un
heureux !
Nous avons auſſi vû la liſte des Elèves
qui ont remporté leur maîtriſe ou leur
apprentiſſage dans la diſtribution qui en
fut faite aux Tuileries le 28 Décembre
dernier ; nous ne pouvons qu'applaudir
au zèle du magiſtrat qui veille à la police
de la capitale; ſes ſoins infatigables
doivent vous le rendre bien précieux ; cet
établiſſement ſeul lui mériteroit l'immortalité
, ſi elle ne lui étoit déjà acquiſe par
tant d'autres bienfaits .
AVRIL. 1771 . 167
Nous vous prions de nous expliquer
.. • ceque veut dire fondé par M. le
&c. La curiofité n'eſt pas le motifqui nous
anime ; d'ailleurs , il eſt bon quele Public
ſache le bien qu'il peut faire.
Nous ſommes , &c.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de muſique a conti
nué juſqu'à ſa clôture des ſpectacles , les
repréſentations de Pyrame &Thisbé ; &
le Public n'a ceſſé d'y applaudir & d'être
latté de la muſique qui a plû à l'amateur
&au connoiffeur malgré le tems où elle
a été composée , & les révolutions en
quelque forte , arrivées dans cet art. Tant
il eſt vrai que ce qui eſt eſſentiellement
beau ne peut pafſſer de mode , & eſt toujours
admiré. On ſe reſſouviendra auſſi
de la ſupériorité de talent , de la nobleſſe
, des graces & de l'intérêt que
Mademoiselle Arnoult a mis dans le
rôle de Thisbé. Cette actrice , ſi belle
fur la ſcène , & qui rend avec tant d'avantage
le différent caractère de ſes rôles ,
168 MERCURE DE FRANCE.
, au
fait faire pafler dans ſon jeu& dans ſon
chant , juſqu'aux moindres nuances du
ſentiment : elle poffède , ſur-tout
plus grand degré , ce pathétique , préfent
de la nature , que l'art ne peut
imiter , qui ſe communique à l'ame la
plus indifférente , & qui l'émeut délicieuſement.
Qu'on ſe rappelle le charme
que Mademoiselle Arnoult répand dans
la mapière dont elle chante &joue tout
le rôle de Thisbé , & principalement le
monologue du cinquième acte , où elle
exprime avec tant de vérité la vive impatience
,latendre inquiétude , la crainte,
l'eſpérance , & les autres affections d'une
amante qui ſoupire après ſon amant ,
&tremble pour ſon fort. Il eſt à ſouhaiter
que ſa ſanté lui permette de reproduire
plus fréquemment les plaiſirs que donne
ſapréſence.
Nous devons auſſi un juſte éloge à
M. Rault , première flûte de l'Opéra ,
qui a accompagné ce monologue avec
tant de juſteſſe& de préciſion , qu'il laiſſe
douter , par une fidelle imitation , ſi
c'eſt la voix ou l'inſtrument que l'on entend.
Nous ne pourrions que répéter ici
les louanges que nous avons données à
la compofition des ballets , à la brillante
exécution
AVRIL. 1771. 169
exécution des danſeurs &danſeuſes ,& aux
autres talens qui ont concouru au ſuccès
de çet Opéra.
On a donné pour les acteurs quelques
repréſentations de Thésée. On fent que
les premiers ſujets ſe ſont réunis pour
marquer leur zèle & leur reconnoiſſance
à un public nombreux & empreſſé de les
voir & de les applaudir.
COMÉDIE FRANÇOISE,
Les Comédiens François ont remis fur
leur théâtre le 12 Février dernier , Dom
Japhet d'Arménie , comédie de Scarron ,
qui eſt en poſleſſion d'exciter la gaîté
vive & franche , & de faire éclater le
rire. Le rôle de Dom Japhet a été joué
par M. Feulie , excellent comédien , qui
faiſit à merveille la caricature& le ridicule
de fon perſonnage , & qui le rend
avec une vérité ſigulière. Les rôles de
Harangueur & de Courier ont été joués
dans cette comédie par M. Préville ;
c'eſt dire tout le plaiſir que ce charmant
Prothée fait par ſon jeu toujours
original.
I. Vol.
;
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le jeudi 21 Février , M. Fleury a débuté
dans le rôle de l'Avare & dans celui
de Delorme des Trois Cousines ; il a
joué ſucceſſivement le rôle de Franc-Alea
dans la Métromanie , & le Payſan dans
V'Esprit de Contradiction. Cet acteur a
montré de l'intelligence & des diſpoſitions
naturelles pour les rôles qu'il a
choiſis . Il a rendu fur- tout l'Avare avec
force & avec vérité ; il a la figure théâtrale.
La vue des bons modèles , & une
étude réfléchie de ſon art , pourront le
rendre utile à ce théâtre.
Le jeudi 7 Mars , les Comédiens ont
donné la première repréſentation de l'Heu
reuse Rencontre , comédie nouvelle en
un acte en proſe , par Meſdames Rofet
&Chaumont.
Valentin , fils d'un riche fermier ,
eſt l'amant de Laurence , fille d'un payfan
, & s'eſt mis garçon laboureur pour
être à portée de voir ſa maîtreffe. Le
Pere défend à ſa fille d'écouter fon
amant , & excite davantage ſes deſirs. Il
ne veut pas qu'elle déroge tandis qu'elle
a un frere au ſervice qui peut devenir
général , caporal : que fait-on ? & qui eſt
déjà anſpeçade. La mère de Laurence ,
plus indulgente , veut adoucir l'humeur
de fon mari ; mais elle ne trouve plus
AVRIL. 1771. 171
en lui les mêmes complaiſances. Le mari
a le caractèere de ſon âge ; il ſe plaint
de ſon état , de ſes fatigues , de ſes
enfans ; mais ſajoie renaît à la nouvelle
de l'arrivée de fon fils foldat. Il eſpère
qu'il l'aidera à écarter Valentin; ce foldat
eſt , en effet , un grivois qui fait le
brave & l'important. Il a amené ſon fergent
avec lui , & vante beaucoup fa
ſcience & ſon eſprit. Le ſergent vent
foutenir ſa réputation par un étalage bifarre
de traits d'hiſtoire & de proverbes
qu'ilrapporte ſans ſuite. Le foldat propofe
à fon père comme une affaire excellente
de donner ſa ſoeur en mariage à fon
ſergent. Le père adopte cette idée , quand
ce ne ſeroit que pour ſe venger de Valentin
, qui dans un moment de déſeſpoir
s'eſt emporté contre lui & l'a preſque
menacé. Laurence & Valentin ſont pénétrés
de douleur , & Valentin perdant
toute eſpérance , veut s'engager& s'aller
faire tuer à la guerre. Il preſſe ſon engagement.
Le fergeur vient pour l'engager ,
il lui demande fon nom , le lieu de ſa
naiſſance , & reconnoît ſon frère , qu'il
n'avoit pas vu depuis long-tems : charmé
de le retrouver , il lui cède ſa maîtrefſe
, & engage le père à faire ſon bon
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
heur. Cette Comédie eſt gaie , les caractères
en font naïfs , & le ſtyle eſt d'un
naturel charmant. Le rôle du vieux Payſan
eſt deſſiné d'après nature , & joué avec
tant de vérité par M. Préville , qu'il fait
oublier l'acteur , pour ne laiſſer voir que
la ſimplicité ruſtique & aimable d'un bon
laboureur. M. Mollé a mis dans le petit
rôle de Valentin , l'intérêt , la vivacité
dont il anime toujours ſon jeu. Mademoiſelle
Doligny a fait le plus grand
plaiſir dans le rôle de Laurence , en lui
prêtant ſes graces naturelles. M. Feulie
a rempli avec gaîté le rôle de Soldat grivois
; M. Auge , celui de Sergent beleſprit;
Mademoiselle Biglioni a joué le
rôle de Mère.
Le ſamedi 16 Mars , Mlle Luzy ,
dont l'emploi à la comédie eſt principalement
pour les rôles de Soubrette ,
& les autres rôles de gaîté & de chant ,
a débuté dans la tragédie par le rôle
d'Aménaïde de Tancrède . Cette actrice a
fait prévenir le public , que le zèle ſeul
& le deſir de ſe rendre utile ont pu l'engager
à jouer dans la tragédie ; & , après
avoir justifié ſes ſentimens , elle a fait
connoître ſes talens pour le nouveau
genre qu'elle a eſſayé. Sa figure qui eft
AVRIL. 1771. 173
tréâtrale , & qui a de l'éclat, ſe prête
très- bien aux formes tragiques ; elle a mis
dans ſon jeu de l'aifance &de l'intelligen-
се; elle a même rendu avec force & avec
ſenſibilité les expreſſions du ſentiment &
des paſſions. Si elle n'a pu ſe défendre
de quelques accens &de quelques habitudes
qu'une longue pratique de la comédie
lui ont rendu familières , elle ſe
corrigera facilement de ces légers défauts
&deces ſouvenirs , en quelque forte involontaires
, lorſqu'elle ſera plus exercée
dans la tragédie. En effet , ſon eſſai a eu
affez de ſuccès , & elle donne trop d'efpérance
de ſe diftinguer dans cette nouvelle
carrière , pour ne pas être encouragée
à faire de nouveaux efforts , & à
briller alternativement dans les deux genres
oppofés du rire &de la douleur .
Le même jour , M. D'alinval a prononcé
le compliment dontnous ne pouvons
mieux faire l'éloge qu'en le rapportant.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
COMPLIMENT prononcé par
M. Dalainval.
MESSIEURS ,
Si vous avez paru applaudir à l'éloge
des grands hommes qui ont illuftré la
ſcène françoiſe , nous n'en avons pas
moins fenti combien il ſeroit néceffaire
d'avoir plus de talens pour les louer devant
vous , d'une maniere digne des ſiécles
qu'ils ont éclairés , & de la poſtérité
qui rendra juſtice à leurs chef- d'oeuvres ;
peut - être même a t-on regardé comme
une témérité de notre part ce qui n'étoit
que l'effet de notre reſpect & de notre
zèle.
Plus éclairés , Meſſieurs , que nos ancêtres
ſur la difficulté de réuſſir dans une
profeſſion utile& agréable , qui exige des
talens allez ſupérieurs pour ſe rendre les
organes des plus beaux génies , vous ſentez
tout ce qu'il doit en coûter de travail,
d'études & de recherches pour arriver à
cet inſtant heureux où le comédien , digne
de vos fuffrages , partage avec ces
ames vraiment privilégiées , la gloire de
célébrer les actions éclatantes des héros ,
d'exciter à la vertu , d'inſpirer l'horreur
AVRIL. 1771. 17
du vice , & de contribuer à la correction
des moeurs.
1
Quels maîtres , Meſſieurs , que ces
hommes rares qui ont créé , formé , embelli
la ſcène françoiſe!Quel est l'homme
de goût , quel eſt , Meſſieurs , parmi vous
celui qui ne les regarde pas comme un de
ces bienfaits auſſi rares que précieux,que
la nature ſe plaît àrépandre ſur une nation
faite pour en connoître tout le prix?
Qu'il eſt beau de venir chaque jour
fortifier fon ame , orner ſon eſprit , exercer
ſa ſenſibilité avec les vrais législateurs
du génie& du goût ! qu'il eſt flatteur pour
nous de pouvoir en déployer les richefſes
! que cette carrière nous paroît vaſte !
combien nous defirons qu'on en puiffe
encore reculer les limites,en vous offrant
des productions d'un genre qui réuniſſe
Tintérêt national aux trefors que nous
avons empruntés de l'antiquité.
: nous atten-
Déjà vous avez rendu juſtice aux eſſais
qui vous ont été préfentés
dons la même indulgence lorſque vous
verrez paroître fur notre théâtre ce Chevalier
fans reproche , dont le nom célèbre
décore les faſtes de notre monarchie ,
dont les vertus font préſentes à votre mé.
moire , & dont le caractere fublime fera
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
ſaiſi par un acteur que vous chériſſez , que
nous étions ménaces de perdre & dont
les talens vous font bien mieux connus
que je ne pourrois les louer. Heureux ,
Meſſieurs , ceuxde mes camarades qui lui
reſſemblent ! Ils font dignes des bontés
dont vousdaignez les honorer ; & je ſens
que je n'ai de commun avec eux que le
deſir de vous plaire & la reconnoiffance
dont ils feront toujours pénétrés.
COMÉDIE ITALIENNE.
M. CHAUBERT a debuté , le 10 Mars
dernier,par le rôle de Lubin dans Annette
& Lubin ; & le 14 , par le rôle de Guillot
dans les Chaſſeurs & la Laitiere. Cet acteur
a de la voix & peut perfectionner ſes
talens.
LeCompliment de clôture eſt en action,
&forme un petit drame qui a plû par ſa
gaîté & par l'art avec lequel les Comédiens
s'acquittent de leurs ſentimens envers
le Public. C'eſt le neuviéme que M.
Anſéaume compoſe en ce genre avec cette
gaîté qu'il a répandue dans ſes opéracomiques&
danspluſieurs drames que l'on
AVRIL. 1771. 177
revoit toujours avec plaiſir à la Comédie
Italienne .
Le Compliment de cette année eſt
Arlequin marchand de Proverbes. * Les
acteurs font :
M. CARLINſous leperſonnaged'Arlequin .
M. TRIAL ſous le perſonnage du coufin
Bertrand , & c.
SCÈNE PREMIERE.
ARLEQUIN , LE COUSIN BERTRAND .
Arlequin eft vêtu en voyageur , avec un
manteau , un chapeau de paille , un Jérôme
àla main ; il porte du côté gauche
une boëte à plusieurs tiroirs attachée à
un ruban qui lui paſſeſur l'épaule droite .
Le Cousin Bertrand eſt auſſi en Voyageur ,
enguêtres, chapeau rabattu , & un bâton
blanc à la main.
Arlequin marche devant , Bertrand le fuit.
Ils font tous deux quelques tours fur
le Théâtre fans rien dire. Enfuite ;
*Certe petite piéce ſe trouve chez Vente , libraire
, rue & montagne Ste Geneviève.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
BERTRAND.
MONSIEUR Arlequin... Monfieur Arlequin...
ARLEQUIN. Eh bien ?
BERTRAND . Allons nous bien loin
comme ça ?
ARLEQUIN. Nous allons à Bergame .
BERTRAND. Eh... c'eſt- il bien loin
Bergame ?
ARLEQUIN. Pas mal . Mais à force de
marcher , nousy arriverons.
BERTRAND. Et quand nous y ferons ,
qu'est-ce que nousy ferons ?
ARLEQUIN. Etje te l'ai dit. J'ai là tous
mes parens , qu'il y a long-temps que je
n'ai vus , & je ſuis bien aiſe de profiter
de mes vacances pour les aller voir.
BERTRAND . Et moi ?
ARLEQUIN. Et toi , je te préſenterai d
euxcomme un couſin que j'ai trouvé ici,
& que je ſuisbien aiſe de leur faire connoître.
BERTRAND. Vous leur direz donc que
je ſuis votre couſin , & par ainſi que je
fuis leur coufin auſſi , n'eſt ce pas ?.
AVRIL 1771: 179
ARLEQUIN. Sans doute.
BERTRAND. Vous leur direz auſſi que
jeſuis le grand couſin , parce que , voyez
vous , c'eſt comme ça qu'on m'appelle
pour me diftinguer .
ARLEQUIN. Oui , oui.
BERTRAND. Mais , est - ce que nous
ferons tout ce chemin-là àpied?
ARLEQUIN. Il le faut bien.
BERTRAND. Mais ſi nous avions pris
le coche , ça n'auroit-il pas été plus
commode ?
ARLEQUIN. Oui , mais pour prendre
lecoche , il faut de l'argent,& nous n'en
avons pas.
BERTRAND. Comment , vous n'avez
pas d'argent ?
ARLEQUIN. Non , pas le fou.
BERTRAND . Pardi nous voila bien ,
&dequoi vivrons-nous fur la route ?
ARLEQUIN. Ah ! ne t'inquiète pas ,
fi nousn'avons par d'argent , nous avons
des effers.
BERTRAND. Ah ! bon.
ARLEQUIN , montrantſa boëte. Tiens
vois-tu cela
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
BERTRAND. Oui.
ARLEQUIN. Sais- tu ce qu'il y a là-dedans?
BERTRAND . Non vraiment.
ARLEQUIN. Ce ſontdes Proverbes pour
vendre ſur la route. Quand nous entrerons
dans une auberge , vois tu , nous
choiſirons les plus fameuſes , celles où
il y a toujours beaucoup de monde.......
Nous demanderons la table d'Hôte , parce
qu'on y fait toujours meilleure chére .....
BERTRAND. Ah ! ça fera bon , ça .
Bertrand goûte beaucoup le projet des
Proverbes , & se montre connoiffeur dans
cette marchandise. Arlequin trouve en effet
le debit defes Proverbes .
Mile BEAUPRÉ recite ce Proverbe au
Public.
Meſſieurs , fi j'en croyois mon zèle ,
Je ſensbiendans mon coeur ce que je vous dirois.
Qu'avec plaifir je vous remercierois !
Quand chaque jour ici le devoir nous appelle ,
Chaquejour à nos voeux votre bonté fidelle
Daigne encourager nos eſſais.
C'eſt aujourd'hui le jour de la reconnoiſſance ,
Elleadroît d'éclater par les plus doux tranſports ,
Et nous devons... oui , mais lorſque j'y penfe,
Jecrainsdehafarder d'inutiles efforts ,
AVRIL .
181 1771 .
Etje crois qu'il vaut mieux. (L'aveu me coûte à
faire,)
Oui , je crois qu'il vaut mieux me taire.
Avec plus de ſuccès d'autres exprimeront
Un ſentiment qu'avec eux je partage ,
Mais , par grace , Meſſieurs , dans ce qu'ils vous
diront ,
Daignez entrevoir mon hommage.
Si ma timidité l'arrête & le contraint ,
Il n'en eſt pas moins vif, fincère& légitime ;
Et l'on m'a répeté ſouvent cette maxime.
Qui trop embraffe mal étreint.
Mde LARUETTE , cet autre.
La critique en ces lieux exerce ſon empire ,
Muſique & vers ſubiſſent l'examen ,
Tout ce qu'elle trouve à redire
Eſt proſcrit ſans retour & rayé de ſa main.
Eſt- ce un mal, est- ce un bien ? Quijugera la choſe?
Eſt- ce l'auteur à grand bruit applaudi
Eſt- ce l'auteur de ſa chute étourdi ?
Nous les recuſerons s'il vous plaît & pour cauſe.
Celui que le malheur pourſuit
Accuſe la cabale , & crie à l'injustice ;.
<
Celui qui vous trouve propice ,
De fon mérite ſeul croit recueillir le fruit.
Pour décider cette affaire ,
Interrogeons le Parterre ,
182 MERCURE DE FRANCE.
Cet oracle du goût , ce juge louverain
Qui , de tous les talens , aſſure le deſtin .
Il nous diraqu'une critique ſage ,
Pour legénie eſt un flambeau
Qui le dirige & l'encourage ,
Que ceux pour qui c'eſt un fléau ,
1
Peuvent encore en tirer avantage ,
Mal ſenti dans l'inftant , mais cet inſtant paflé,
Par de nouveaux efforts l'affront eſt effacé.
Uſez donc de vos droits, fans craindre qu'on en
gloſe ,
Pour le progrès des arts , pour venger laraiſon ,
Et fi quelqu'un prend mal une telle leçon ,
Il apprendra qu'à quelque choſe
Malheur est bon.
Mde TRIAL. ( Au Public. )
S'il eſt permis d'être fincere ,
Je vais vous dire ſans myſtère
Une importante vérité.
C'eſt un proverbe , mais digne d'être cité.
Vous critiquez , c'eſt à merveille ,
Vous applaudiflez , encor mieux;
Et ſelonque l'on flatte , ou choque votre oreille,
Le ſpectacle vous plaît, ou vous ſemble ennuyeux.
Juſques-là toutva bien ; mais ce qui metracafle ,
C'eſt quà l'inſtant que l'ennui vous menace ,
A l'inſtant vous quittez ces lieux ,
Yous nous abandonnez , voilà le plus fâcheuzi
AVRIL. 1771. 18
BERTRAND .
Oh !celui- là je le devine ,
C'eſt , on fait ce qu'on peut,
Etnon pas ce qu'on veut.
La piècefinit par un vaudeville , & le
vaudeville par ce coupler.
Mde BERARD .
Nousavons pris le plus long détour ,
Pour vous préſenter notre hommage ,
Plus nous vous retenons en ce jour ,
Plus nos coeurs y trouvent d'avantage
Mais en vain on veut éviter
Cette trifte cérémonie,
Il n'eſtſi bonne Compagnie
Qu'il ne faille enfin quitter.
CHEUR .
Il n'estfi bonne Compagnie
Qu'il nefaille enfin quitter.
ARTS.
GRAVURE.
-I.
Récréation de la Table , eſtampe d'envison
18 pouces de large fur 14 dehaut,
184 MERCURE DE FRANCE.
gravée d'après le tableau de.Jacques
Jordans ; par F. A. Moitte le fils ; prix ,
6 liv . A Paris , chez Moitte , graveur
du Roi , à l'entrée de la rue St Victor,
la troiſieme porte cochere à gauche en
entrant par la place Maubert.
UNE famille en gaîté forme un con.
cert autour d'une table ſur laquelle on a
ſervi une collation.On compte huit figures
qui , par leur différentes attitudes &
leurs expreſſions vives & animées , rendent
cette eſpèce de ſcène très amusante.
On ſe rappellera en la voyant celle que
Bolſvert a gravée d'après le même maître
; mais la compoſition de la nouvelle
eſtampe eſt plus riche , plus pittoreſque.
M. Moitte le fils , en la gravant , annonce
avantageuſement ſes talens. Son burin a
de la netteté , de la couleur,& les travaux
en font variésavec affez d'intelligence .
Le même artiſte a gravé , d'après les
deſſins de M. Greuze , quatre jolies eftampes
qui ſe diſtribuent par pendans.
Les deux premieres ſont intitulées la
Mufique & la Poësie , les deux autres la
Fleuriste & la Fileuse ; prix , 1 liv. 4 ſols
chaque morceau. On les trouve à la même
adreffe ci-deſſus.
AVRIL. 1771 . 185
I I.
Différentes compofitions , gravées par Ph .
L. Parizeau d'après les deſſins de L. F.
Latue , ſculpteur & ancien penſionnaire
du Roi ; prix , 3 div. 12 f. A Paris ,
chez Parizeau , deſſinateur & graveur ,
rue des Foflés de M. le Prince , maifon
du riche laboureur.
Il y a beaucoup de variété dans ces
compoſitions qui repréſentent des tombeaux
, des ſacrifices & différens ſujets
tirés de la fable &de l'hiſtoire . M. Parizeau
, qui a ſouvent gravé d'après ſes
defims , a ſçu néanmoins aſſujettir ſa poinze
à la plume du deſſinateur qu'il copioit.
Il ena ſaiſi avec intelligence l'eſprit & le
goût. :
III.
Portrait de Madame la Comteſſe du Barry,
gravé dans la maniere de la Peinture.
Ce portrait , gravé par M. Gautier
d'Agoty fils , peintre & graveur du Roi ,
fait illuſion par l'heureux mêlange des
couleurs , & offre un tableau agréable.
C'eſt un très - grand effort de l'art de la
1
186 MERCURE DE FRANCE.
gravure d'avoir porté à ce point l'imita
tion de la peinture dans la repréſentation
de la beauté. La compoſition de ce tableau
eſt en même - tems ſimple & ingénieuſe.
On trouve ce portrait chez M.
Gautier d'Agoty , rue Ste Barbe , & chez
M. Vernet , marchand d'eſtampes , quai
des Auguſtins ; le prix eſt de 12 liv .
I V.
L'AdorationdesBergers ; gravée à l'eau
forte , par M. Hallé , & d'après ſon tableau
qui eſt dans l'Egliſe du Chapitre
Royal de Roye en Picardie. Cette compoſition
offre les différentes expreffions
très-bien rendues , de reſpect , d'amour,
d'adoration , des perſonnages qui font autour
de laCrêche ; prix 2 livres, chez l'Au
teur , Cloître S. Benoît.
MUSIQUE.
I.
TROIS fonates enTrio pour le Clavecin
, ou le forte piano , avec accompagnement
d'un violon & violoncelle ad libi
AVRIL. 1771. 187
tum , dédiées à M. de Fontenet , Conſeiller
de Régence , Secrétaire du Cabinet
& des Commandemens , & Surintendant
de la Muſique de S. A. S. Mgr
le Duc régnant de Deux- Ponts , par Ereneſto
Eichner , maître de Concert de Mgr
le Duc de Deux-Ponts ; OEuvre II ; prix
71. 4 f. gravées par Madame Berault ; aux
adreſſes ci-deſſus.
SeiSonate àflauto traverſiere ſolo &baſſo,
di vari autori ; prix , 6 liv. A Paris ,
chez Taillart l'aîné , rue de la Monnoie
, la premiere porte cochere à gauche
en deſcendant du pont neuf , maifon
de M. Fabre , & aux adreſſes ordinaires
de muſique .
Comme ces Sonates font de différens
auteurs, le ſtyle en eſt auſſi varié qu'agréable.
Elles offrent de beaux traits de chant
&différens morceaux d'exécution trèspropres
à faire valoir l'inſtrument. M.
Taillart l'aîné , qui en eſt l'éditeur , doit
d'ailleurs inſpirer toute confiance aux
amateurs qui ont eu occaſion d'applaudir
plus d'une fois au goût ſupérieur de ce
virtuoſe & à fon exécution nette , précife
&brillante.
188 MERCURE DE FRANCE .
Premier recueil d'ariettes choiſies tiré
des opéra - comiques avec accompagnement
de harpe ; par M. F. Petrini ; prix ,
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'auteur , rue
Mauconſeil , vis-à vis la rue Françoiſe .
Confineau , luthier & marchand de
muſique , rue des Poulies .
Salomon , luthier & marchand de muſique
, place de l'Ecole & aux adreſſes ordinaires.
ANECDOTES.
I.
ON venoit de racheter quelques eſclavesChrétiens
captifs àAlger.Au moment
où ils alloient partir , un Corſaire arriva
dans le port avec une priſe Suédoiſe ;
parmi le nombre des priſonniers , il ſe
trouva le pere d'un des captifs rachetés ;
ils ſe reconnurent , & volèrent dans les
bras l'un de l'autre , très-affligés de ſe
voir ſur un rivage étranger & barbare.
Le jeune homme , après avoir gémi ſur
le malheur de ſon père , réfléchiſſant fur
ſa vieilleſſe , ſongea avec douleur que
AVRIL. 1771. 189
l'eſclavage auroit bientôt abrégé ſes jours ;
ilprit ſur le champ ſon parti , & fupplia
les Algériens de lui permettre de prendre
la place de ſon père; il étoit plus
robuſte & plus propre aux travaux :
on confentit à ſa demande ; mais , lotfque
le Dey eut entendu parler de cette
aventure , il en fut ſi touché , qu'il ne
voulut pas permettre que ce fils généreux
reſtât dans les fers ; il ordonna qu'on
lui rendît la liberté , & qu'on le renvoyât
avec ſon père , en récompenſe de
ſa piété filiale .
I I.
Il y a quelques années que Sir James
Gréenfield a remarqué à Maryland , une
fingulière liaiſon entre une chate & un
rat. La chate venoit de mettre bas ; elle
apportoit à ſes petits tout ce qu'elle trouvoit.
Parmi les différens animaux dont
elle avoit fait ſa proie , il ſe trouva un
jeune rat ; les petits chats jouerent avec
lui fans lui faire aucun mal ; & , lorſque
leur mère vint les allaiter , le rat prit
auſſi le pis. Quelques domeſtiques obſervérent
ce fait , & en firent part à leur
maître qui vint auſſi le voir. Il fit changer
de place aux chats & aurat ; la mére
190 MERCURE DE FRANCE.
les remit dans le premier endroit , & on
remarqua qu'elle tranſportoit le rat avec
autant de foin que ſes petits , en prenant
bien garde de ne pas le bleſſer ; on répéta
cette expérience toutes les fois qu'il
y eut chez M. James des perſonnes qui
furent bien aiſes d'en être les témoins. Il
ſeroit à ſouhaiter qu'on l'eût pouſſée plus
loin.
III.
En 1685 , lorſque le Roi Jacques II.
fut monté ſur le trône , on délibéra dans
le Parlement , ſi l'on permettroit au Roi
d'employer des officiers Catholiquesdans
ſes armées. Cette queſtion' excita de longs
débats ; les fanatiques imaginèrent que
cette permiffion mettroit la religion dominante
en danger ; & le defir que le
Roi témoignoit d'avoir cette libérté , engageoit
un grand nombre de Proteftans à
la refuſer. Lejour que le Parlement vota
àce ſujet , un courtiſan du Roi s'attacha
à tous les membres du Parlement qui
avoient quelques places dépendantes du
Roi , & leur fit ſentir qu'ils couroient
riſque de les perdre en votant contre
ſes deſirs: le nombre des voix étoit égal ;
il n'y en avoit plus qu'une. Le courtiſan
AVRIL. 1771. 197
s'avança vers celui qui l'alloit donner ,
&lui rappela qu'il avoit un emploi , &
de prendre garde de s'en priver : Mon
frère , répondit celui- ci , eft mort la nuit
dernière , il m'a laiſſé 700 liv . Sterling de
rente ; je suis affez riche pour n'avoir pas
beſoin des bienfaits du Roi. Il donna fur
le champ ſa yoix , & elle fit refuſer à
Jacques II . la permiſſion qu'il demandoir.
IV.
Le vieux Comte de Bedford , qui fut
enfuite créé Duc , ſe trouvant un jour à
la cour , fut obligé de ſe retirer chez lui
pour des affaires particulières très-prefſées
, promit au Roi de revenir avant
midi. Le tems s'écoula ſans qu'il revînt.
Le Roi le demanda pluſieurs fois , &
parut fâché de ſa lenteur. Le Comte arriva
enfin , au moment que la pendule
ſonna une heure ; &, s'appercevant que
le Roi étoit en colère , il courut à la
pendule , & la briſa d'un coup de canne .
Quefaites- vous , lui dit le Roi , que vous
afait cette pendule ? Ce qu'elle m'a fait ,
reprit le Comte ! Votre Majesté en est témoin
; elle vient defrapper la première. Le
192 MERCURE DE FRANCE.
Roi fourir , & oublia qu'il s'étoit fait attendre.
V.
Il y a quelques années qu'un pêcheur
ayant jetté ſes filets entre Lambeth &
Vaux-hall les retira avec beaucoup de dif.
ficultés; il s'attendoit à une pêche abondante
, & il n'y trouva qu'une machine
qui lui parut très- lourde & qu'il emporta
chez lui pour l'examiner ; ne pouvant découvrir
ce que c'étoit , il la montra à plu
ſieurs perfonnes qui la reconnurent pour
le grand ſceau de l'Angleterre ; on fit
diverſes conjectures à ce ſujet , & on s'arrêta
enfin à celle- ci. On penſa que le Roi
Jacques , la veille de ſa fuite , fit venir le
lord Jefferies ſon chancelier , & lui demanda
le ſceau dont il vouloit faire un
uſage ſecret pour des graces particulieres ;
on croit qu'il l'emporta avec lui , mais
qu'incommodé de fon poids& prévoyant
d'ailleurs qu'il ne pourroit plus s'en ſervir,
il lejetta dans la Tamiſe. Le pêcheur , en
entendant ces conjectures , n'eut rien de
plus preſſé que de le porter à la cour; or
lui donna une récompenſe conſidérable ,
mais on n'a fait aucun uſagede ce ſceau .
NOUVEAU
AVRIL. 1771 . 193
NOUVEAU CAFÉ.
AuFort Louis du Rhin , 14 Mars 1771 .
Vouspouvez comme moi , Monfieur , avoir vû
dans les Feuilles Périodiques des pays étrangers
l'établiſſement d'une nouvelle manufacture de
café ; l'expérience ſeule en peut confirmer la
folidité , l'uſage & la bonté. J'ai fait arracher
des racines de chicorée ſauvage ; après les
avoir bien nettoyées & partagées en quatre dans
leur longueur , elles ont été dépoſées ſur des feuilles
de papier ſous un poële pendant trois jours
pour y être ſéchées ; cette opération faite , on a
coupé ces racines en petites portions de la groſſeur
de la féve du café , enſuite on a moulu les parties ,
&on a fait le café ; il faut qu'il prenne deux ou
trois bouillons & le tirer au clair.
Je vous prie, Monfieur , d'inférer ma lettre dans
votre Mercure ; tout ce qui eſt économie eſt utile
au Public. Le café de chicorée a la même couleur
&lamême ſaveur , tant en poudre qu'en liquide,
&j'oſe affurer que le goût en eſt plus agréable;
il fautyinettreun peu moins de ſucre : les médecinsdecetteprovince
n'en déſaprouvent pas l'uſa.
ge; fi ceux deParis penſent différemment , l'axiome
, Hypocrate dit oui , Galien dit non , ſera vrai .
D
Je ſuis perfuadé que cette nouvelle expérience
fera baiſſer le commerce du café. Le terrein qui le
produit peut produire d'autres denrées ; toutes les
perſonnes qui font,dans cette ville, ufagedu café,
ont ſuivi mon expérience avec le même ſuccès&
I. Vol. 1
۱
194 MERCURE DE FRANCE.
le même avantage; il y en auroit un bien plus
grand ſi l'application des Botaniſtes pouvoit découvrir
quelque racine qui pût ſuppléer a la difette
&à la cherté desgrains pour le foulagement& la
nourriture des pauvres.
Sourds & Muets de naiſſance.
Levendredi 15 Mars , M. Pereire ,penſionnaire
&interpréte du Roi , de la ſociété royale de Londres,
a eu l'honneur d'être préſenté au Roi de Suède
par M. le comte de Scheffer ſon miniſtre , ainſi
que trois de ſes élèves fourds & muets de naiflance;
M. de la Voûte , gentilhomme du Berri ; Mlle
Je Rat , de Rouen , & Madelaine Marois , native
de la Vrilliere . Cette derniere portant la parole ,
ils ontharangué S. M. Suédoiſe en ces termes :
<<Site , l'art qui a délié nos langues nous con-
>> ſoloit faiblement des rigueurs de la nature; maiş
> notre ſort eſt aujourd'hui digne d'envie : l'hon-
>> neur qu'il nous procure de paroître devant Vo-
>> tre Majesté remplit nos deſirs &paſſe nos eſpérances.
30Nous joignons nos voeux , Sire , à ceux de
>>tous vos ſujets pour que le Ciel prolonge votre
>> regne , & le comble de proſpérités. »כ ১
Après ce compliment , que la jeune Marois a
prononcé très - distinctement , ils ont tous trois
ſucceſſivement&à pluſieurs repriſes repondu verbalement
, àdifférentes queſtions que la jeuneMarois
comprenoit le plus ſouvent au fimple mouvement
des lèvres , & que le maître tranſmettoit
aux deux autres par le ſigne d'un alphabet manuel
rès -expéditif, de fon invention. Tous trois ont
AVRIL. 1771.6 195
loàhaute voix dans un livre pris & ouvert au
halard; & chacun d'eux a eu l'honneur de préſenter
à ce Prince le même compliment , écrit & figné
de la main. S. M. S. s'eſt arrêtée à ce ſpectacle
philoſophique près d'une demi - heure , & en a rémoigné
ſa fatisfaction. Informée que la jeune
Marois étoit la ſeule fans fortune & orpheline
elle lui a donné des marques d'une générolité vraimentroyale.
PROGRAMME.
Société d'Agriculture de Rouen.
: Un Citoyen illuſtre , ayant connu par
une longue expérience le grand préjudice
que les Mans cauſent à l'agriculture , a
propoſé un prix de trois cens livres pour
un mémoire où l'on indiquera les moyens
les plus fürs & les plus faciles de détruire
ces Mans ou vers de hanneton .
La Société Royale d'Agriculture de
Rouen eſtime devoir communiquer aux
auteurs quelques réflexions qui puiſſent
les mettre en état de remplir les intentions
de fon bienfaiteur .
Elle deſire que la méthode qui ſera in
diquée ſoit appuyée d'expériences bien
conſtatées , qu'elle foit praticable en
grand , & que la dépenſe n'excède pas les
facultés du commundes cultivateurs. "
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
L'hiſtoire naturelle de cet inſecte ' eſt
affez connue ; preſque perſonne n'ignore
qu'après avoir dévoré les feuilles & même
les fleurs des arbres , les hannetons
s'accouplent : les femelles fécondées pondent
dans les terreaux & terres légeres ,
une grande quantité d'oeufs , que la chaleur
du ſoleil fait éclore . Il en réſulte des
vers que leur petiteſſe dérobe d'abord aux
yeux & qui ne cauſent preſqu'aucun dom.
mage pendant le premier été. Ils s'enfon.
cent en terre pour réſiſter à l'hiver , &
remontent à la furface dès le mois d'Avril
füivant ; c'eſt alors & juſqu'à la fin d'Août
qu'ils exercent leurs ravages. Ils regagnent
le fondjuſqu'au deuxieme printems , qu'ils
deviennent d'autant plus dangereux qu'a
lors ils ont acquis toutes leurs forces , &
qu'ils en uſent encore pendant tout l'éré.
Le tems de la métamorphoſe arrive enfin
aumois de Mai de la troisième année . Si
cemoiseſt beau & chaud , le ſcarabée fort
de terre pour dépouiller les arbres & préparerune
nouvelle génération d'ennemis
à l'agriculture.
Les auteurs font priés d'indiquer poſitivement
à quelle époque ils attaquent
cet inſecte , &de détailler les manipulations
& l'application du poiſon ou des
préſervatifs. :
AVRIL. 1771. 197
Pour fuppléer àl'infuffiſance des moyens
dont on aufé juſqu'à préſent , & faciliter
la découverte d'un remède plus efficace ,
la ſociété croit devoir prévenir de tout ce
dont elle a connoiſſance ſur ce ſujet.
1º. Les renards , les corneilles, les pies,
les poules même en dévorent beaucoup
dans l'état deſcarabée ou de hanneton. Il
s'en noie auſſi une grande quantité dans
les rivieres&dans les grands étangs .
2°. Les corneilles&les chiens en mangent
conſidérablement dans l'état de vers
oude mans , lors des labours du printems
&de l'été.
3°. Tous les cultivateurs de haricots
font ſuivre , au mois de Mai , la charrue
pardes femmes &des enfans qui ramafſent
ces vers& les dépoſent au bout du
champ , dans les chemins ou fur quelque
terrein dur ; l'impreſſion immédiate du
ſoleil les y fait périr en peude tems. Un
acre de terre en fournit ſouvent un boifſeau
à chaque labour. On en tue encore
dans les deux fouitures à bras , qu'on eſt
obligé de donner à ces légumes ; mais *
les individus périſſent &la race fubfifte .
4°. L'horreur de cet inſecte pour l'air
libre & le foleil eſt telle que ſi l'on ne
* Buffon , hiſt . nat.
I iii
198 MERCURE DE FRANCE.
s'apperçoit de leur dégât que dans une
portion d'une pièce de terre , il ſuffit de
circonfcrire d'un foffé la partie attaquée
pour préſerver le reſte. Les mans ne hafarderont
point de traverſer cette exca.
-vation ; mais rarement en eſt . on quitte
pour le ſacrifice d'une portion de ſa culture."
5º. On a propoſé dans une Généralité
dedonner un prix par chaque boiſſeau de
hannetons qu'on apporteroit dans un feu
entretenu ſur la place principale de chaque
village. La récompenſe auroit été dif.
tribuée par le ſyndic à mesure de la livraiſon
; mais comme cet inſecte vole
aſſez loin , que le vent peut même le
tranfporter à une grande diſtance , il a
paru que ce moyen ne feroit praticable
que dans une ifle iſolée par de très - larges
bras de riviere ou par la mer : par- tout
ailleurs le Aéau gagneroit de proche en
proche ,&tout le fruitde la dépenſe conſidérable
ſeroit d'en diminuer un peu les
effets pendant quelques années.
16°. On a reconnu qu'une diſſolution
de chaux ou toute autre leſcive alkaline
faifoit incontinent périr les mans ; mais
parce que leur réſidence ,même en été ,
eſtàdeux & trois pouces fous- terre , il ne
ſemble point praticable d'arroſer tout un
AVRIL. 1771 . 199
champ à cette profondeur , tant à cauſe
de la dépense que du danger d'altérer les
racines des jeunes plantes. Peut- être cet
arrofement auroit- il quelque bon effet en
faiſant ſuivre immédiatement la charrue
dans les labours de l'été ; mais on ne
laboure en été que les terres en jacheres;
on ne fait de jacheres que ſur les terres
fortes , & les terres douces , meubles &
légeres qui font toujours chargées , font
particulierement préférées par les hannetons
femelles pour y dépoſer leurs oeufs .
Tel eſt le détailde ce qui ne ſuffit pas
ou de ce qu'on ne peut point effectuer en
grand; c'eſt donc des lumieres & de la
fagacité des bons citoyens que la fociété
attend des moyens praticables pour délivrer
l'agriculture d'un de ſes plus funeſtes
Aéaux.
Les mémoires écrits liſiblement en
françois , en latin , en italien ou en anglois,
feront adreſſés , francsde port, avant
Ja St Martin 1771 , à M. Louis - Alexandre
d'Ambourney , négociant à Rouen ,
fecrétaire perpétuel. Les ſeuls membres
titulaires de la ſociété ſont exclus du concours.
Les auteurs ne ſe feront point con.
noître , & mettront ſeulement une deviſe
qui ſera répétée dans un billet cacheté ,
lequel billet contiendra leur nom & leur
adreſſe. I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Le prix ſera adjugé dans la premiere
féance après la fête des Rois 1772 .
NOTE.
M. le Roi de Brée, officier au régimentdeMetz
duCorps Royal de l'artillerie , ſous le nom duquel
on a inféré des vers dans le Mercure du mois de
Décembre dernier , avertit que ces vers ne font
point de lui , &que c'eſt une plaiſanterie que lui
ont faitedes officiers de ſon régiment.
מ
AVIS.
I.
L SR DELAG, rue de Bourbon , à laVilleneuve
, chez le Sr Quinſon , perruquier , peint les
cheveux , ſourcils & paupieres de la couleur qu'on
defire ; il arrête leur chûte en 24 heures , indique
les moyens de les conſerver , en fait venir à ceux
quienmanquent , & donne la façon de le faire à
ceux qui veulent eux- mêmes en faire l'expérience.
Le prix des bouteilles , ſoit pour la peinture des
cheveux , foit pour arrêter leur chûte , eft de7 1.
41. Ilguérit les corps aux pieds& le malde dents,
&diftribue une eau qui prévient ce dernier mal ,
&une poudre qui facilite aux perſonnes le moyen
de s'arracher leurs dents elles-mêmes.
11.
Baume huileux.
Le Sr Brafleur vend & adminiſtre un Baume
huileux immanquable pour la guériſon radicale
AVRIL. 1771 . 201
de toutes fortesde playes , comme ulcères les plus
invéterés , chancreux & fiſtuleux , même des
playes gangreneuſes dans telle partie du corps
qu'il s'en trouve ; il guérit en peu de tems les panaris
les plus déſefpérés ; il fait mûrir & aboutir
les abſcès & autres tumeurs , &en termine la
guériſon.
Il eſt un puiſſant remède pour les bleſſures, fi
profondes qu'elles puiflent être, parce qu'il déterge
& attire le fang extravafé; il eſt également
bonpour les entorfes , foulures , meurtriflures &
différentes douleurs de rhumatifme. Il en envoie
aux perſonnes de province , la quantité convenable
à la nature de leurs maux , avec la maniere
d'en faire ufage, qui varie ſuivant les différens car.
Sademeure eſt rue Feydeau , la troiſieme porte
cochère à gauche par la rue de Richelieu ; on le
trouve tous les matins juſqu'à neuf heures , & depuis
midi juſqu'àdeux .
III .
Esprit de vinaigre anti - peftilentiel , bon
pour toutes les maladies contagieuses .
Le Sr d'Albert , botaniſte , originaire de l'Allemagne
, compoſe le véritable efprit de Vinaigre
anti-peftilentiel , dont ſes ancêtres , qui exerçoient
avec ſuccès l'artde la médecine en Allemagne,lui
ontlaiffé le ſecret; cet eſprit de vinaigre opéra des
prodiges & devint très- célèbre en 1635 , lorſque
Ja peſte ravagea le duché de Luxembourg. Ce
fléau cefla tout- à- coup dans la paroifle où ce fpécifique
ſouverain parut pour la premiere fois ; fa
réputation&ſes heureux effets s'étendirent dela
danstoutes les contrées de l'Empire; & le peuple,
d'une voix unanime, le nomma par excellence ,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Vinaigre du St Efprit , pour donner une idée de
Los vertus preſque divines , ſi l'on oſe parler ainfi .
Après avoir foumis à l'examen des maîtres de
l'art la compoſition de ce vinaigre , & les avoir
mis en état dejuger eux - mêmes de ſon efficacité ,
leSrd'Albert , muni de leur approbation , croiroit
manquer à ſes concitoyens , à l'humanité entiere,
s'il ne communiquoit pas un antidote auſſi für &
auffi néceſſaire en tant de circonſtances de la vie.
Deux raiſons l'engagent à faire ce préſent au Public.
1º . De garantir ceux qui s'en ſerviront de
toutesmaladies contagieuſes quelconques. 2º. De
préferver les perſonnes qui , par état ou par devoir
font obligées d'approcher des malades attaqués
de fiévres malignes , de fiévres pourpreuſes ,
de la petite vérole , enfin de toutes les maladies
épidémiques.
L'uſage en eſt facile; ilne s'agit que des'en laver
labouche&les mains tous les matins , de s'en
frotter les narines & les tempes dans le courant de
la journée ; par l'attention de s'en ſervir de cette
maniere , on n'a jamais à craindre le mauvais air.
Les bouteilles de poiſton ne font que de 30 ſols,
afin que tout le monde puifle en profiter.
Il compoſe également un vinaigre ſpécifique
contre les maladies contagieuſes des animaux domeſtiques
, approuvé parl'Ecole royale vétérinaires
l'uſage eſt de leur en frotter la langue & les gencıves
tous les matins .
Le dépôt eſt aux Quinze - Vingts , àcôté de la
portede la rue St Nicaiſe , dans la petite cour à
droite. On trouvera du monde tous les jours& à
route heure,excepté les dimanches&les fêtes.
1
AVRIL. 1771 . 203
I V.
On trouvera chez le Sr Breffon de Maillard , de
l'académie de St Luc , graveur & marchand d'eftampes
, rue St Jacques près celle des Mathurins ,
à Paris , un aſſortimens de vaſes , de paniers , de
guirlandes de fleurs , écrans à pieds, & autres
deſleins d'ornemens propres à des deſſus de portes,
pourdécorer des maiſons de campagne & de ville,
&dedifférentes grandeurs. Prix , furgrand aigle
d'Hollande , 3 liv.; grandeurs au- deſſous , 2 liv .
& 1 liv, 10 fols ; & des eſlais de fleurs d'une nonvellemanierede
peindre ſur glace.
Les perſonnes qui defireroient s'occuper ellesmêmes
& ſe procurer un amuſement utile , trouveront
un affortiment d'autres deſſins en cuivre
évidé , à l'aide deſquels on peut exécuter & peindre
ſur ſoie ou autrement nombre de jolis ouvrages
pour meubles & vêtemens ; même peindre ſur
les murs , ce qui eſt plus économique & préférable
à tous papiers , principalement aux endroits expolés
à l'humidité ; on enſeignera & fournira tout
ce qui est relatifà cette maniere de deſſiner.
Le St Breffon de Maillard vend auſſi toute forte
decaracteres & emblêmes en velin, & autres ſujers
de fleurs peintes.
V.
Le Sr Lebrun , marchand épicier-droguifte, rue
Dauphine , aux armes d'Angleterre , magafin de
Provence& de Montpellier , hôtel de Mouy , continue
de debiter avec ſuccès différens remèdes approuvés
qu'il tire des Chymiſtes Anglois & autres.
I vj
104 MERCURE DE FRANCE.
SÇAVOIR ;
1º. Les tablettes pectorales d'Archbald pour la
toux , les rhumes opiniâtres & l'enrouement. La
boëteeſt de 24 Г.
2º. Les vraies emplâtres écoſloiſes pour la guérifondes
corps des pieds. La boëte eſt de 30 f.
3°. Le vérirable taffetas d'Angleterre noir &
blanc, pour les coupures , brûlures & crevaſles.
La piécede ſept pouces ſe vend 20 f.
4°. Les teintures du Sieur Greenough , fameux
chymiſte de Londres , l'une pour nettoyer ,blan -
chir&conſerver les dents , l'autre guérit lesmaux
dedents; chaque flaconſe vend 30 f.
5°. Le ruban de ſanté pour purifier le mauvais
air des appartemens renfermés &des chambresde
malades , 36 f. la boëte.
6°. Les tablettes pectorales de baume de Tolu ,
pour remédier à la phtyſie commençante , calmer
latoux & conſolider les vaiſſeaux du poumon. La
boëte eſt de 361.
7°. Le véritable élixir deGarrus fi connu pour
ſes rares vertus. Les bouteilles ſont de 3 ,
12liv.
6&
8°. L'eflencede perle & la perle dentifrice pour
lesdents, inventée & préparée par M. Hemet, dentiſte
de S. M. la Reine d'Angleterre &de la Princefle
Amélie. L'eflence de perle &la perle dentifrice
ſe vendent 3 liv. chaque.
AVRIL. 1771. 205
NOUVELLES POLITIQUES.
( De Constantinople , le 4 Février 1771 .
SULTAN Bayezid , frere de Sa Hautefle , mort le
28 du mois dernier , eſt généralement regretté.
Son corps a été inhumé , le jour même de ſa mort,
avec la pompe accoutumée. Le caïmacan , les
principaux officiers de la Porte & tous les gens de
loi ont aſſiſté aux funérailles.
Pendant la nuit dn 28 au 29 , une troupe de
Janiſlaires , qui devoient partir pour l'armée , forcerentlespriſons&
en retirerent ceux qui y étoient
détenus , ſans que le lieutenantde leur aga , ni le
caïmacan puſlent les en empêcher. Dans la crainte
que le retardement de la triple folde qui leur eft
due ne les portât à ſe révolter , on leur a donné ,
dès le lendemain, leur fimple paie , avec l'aflurance
que le Grand Viſir leur feroit délivrer le
reſte dès qu'ils feroient arrivés à l'armée. Les gens
demer ſe portent auſſi aux plusgrands excès , à la
faveur de l'impunité dont ils jouiflent en tems de
guerre; ils attaquent , dépouillent & maffacrent
tout ce qu'ils rencontrent de Grecs & d'Arméniens.
De la Haye , le 14 Mars 1771 .
On fit , le 9 de ce mois , à Schevening , village
fitué à une demi-lieue d'ici , en préſence du Stathouder
& de pluſieurs perſonnes de diſtinction ,
l'épreuve d'une charrette ſur laquelle eſt attachée
une chaloupe avec tout fon attirail. Cette charrette,
inventée par Agge Roskem Kool , habitant
)
206 MERCURE DE FRANCE.
deBeverwyk , fut traînée du village juſqu'au bord
de la mer , par trois chevaux qu'on détela ; enfuite
on délia la corde qui ſoutenoit la chaloupe ,
laquelle , au moyen de rouleaux diſpoſés ſur la
charrette , coula avec beaucoup de rapidité & ſe
trouva auſſi - tôt à flot à une diſtance converable .
Le vent étoit nord- nord- eſt . On s'eſt convaincu
par cet eſſai qu'il feroit aifé de fauver les équipages
des vaiſleaux qui échouent fur les côtes. Le
Stathouder parut très - fatisfait de cette invention
&donna une récompenſe en argent aux gens de la
chaloupe.
De Vienne , le 6 Mars 1771 .
Il eſt arrivé dernierement de. Petersbourg un
courier chargé de dépêches ſi importantes , que les
audiences publiques qui devoient avoir lieu ce
jour-là , ont été remiſes , & que l'Empereur a
rompu un voyage qu'il avoit deſſein de faire à
Presbourg avec le comte de Laſcy. On dit quele
Prince Joſepn de Lobkowitz partira , la ſemaine
prochaine , pour Petersbourg.
Quoique les troupes Impériales foient actuellement
complettes , on prétend que l'on y fera encore
une augmentation dehuit mille hommes.
De Nice , le 3 Mars 1771 .
Les perſonnes qui ont été nommées pour accompagner,
juſqu'aux frontieres des états du Roi,
S. A. Royale la Princefle de Savoie , épouſe future
de Mgr le Comte de Provence , ſont le maréchal
comtede la Roque , grand maréchal ; le marquis
d'Aigle-Blanche , chevalier d'honneur ; le chevalier
de Chiuſano , premier écuyer , le chevalier
Vacca-de- Piozzo , maître des cérémonies ; l'abbé
Carretto ,aumonier ; l'abbé Valle ,chapelain ;le
AVRIL. 1771 . 207
marquisde Saint -Alban, majordome ; le marquis
de Bianze & le chevalier de Bergera , écuyers ordinaires
; les chevaliers de Greſy & de Rinco , gentilshommes
de bouche ; la comtefle d'Oglianico ,
Dame d'honneur; la comtefle de Favria , Dame
d'Atours ; la marquiſe de la Marmora , la comteſſe
de Saubuy , la marquiſe de Coudré & la marquife
deChabo de Saint- Maurice , Dames du palais.
De Londres , le 15 Mars 1771 .
Ona annoncéque les Srs Wheble &Thompson ,
imprimeurs d'un article de gazette où la chambre
desCommunesavoit cru voir ſes droits&ſa dignité
bleſlés , avoient éré , en conféquence , foinmés de
comparoître à la Barre de la Chambre; que n'ayant
point comparu , l'huiſſier de la chambre avoit eu
ordre de les arrêter , mais que ſes recherches
avoient été inutiles ; que la chambre avoit prié le
Roi d'expédier des ordres pour faire arrêter ces
deux imprimeurs, & qu'en conféquence Sa Majesté
avoit publié une proclamation , avec promeffe
d'unerécompenſe pour quiconque les dénonceroit.
Juſqu'à ce jour on a fait de vains efforts pour découvrir
ces deux imprimeurs : hier , le Sr Wheble
adreſſa à l'orateur des communes une lettre , par
laquelle il lui marquoit qu'il n'étoit tenn d'obéir
qu'aux loix du royaume ; qu'il avoit expoſé ſon
cas à ſon confeil, le Sr Robert Morris , &que ce
juriſconſulte avoit déclaré , par une confultation
en forme , qu'il ne falloit avoir aucun égard , ni
aux ſommations de la chambre des communes , ni
à ſes décrets de priſe de corps , ni à aucune proclamation
, & que cette réſiſtance étoit autorilée pan
lagrande charte & par les nombreux ſtatuts qui
confirment le droit de tout citoyen. Aujourd'hui
208 MERCURE DE FRANCE.
àmidi , le Sr Wheble a été arrêté par un particulier
& conduit ſur le champ par- devant le Sieur
Wilkes , qui préſidoit , en qualité d'alderman , au
tribunal de l'hôtel-de-ville. Le Sr Wilkes a interrogé
celui qui avoit arrêté le Sr Wheble & lui a
demandé s'il avoit quelque accuſation à former
contre cet imprimeur ; ce particulier a répondu
que non , mais qu'il s'étoit ſaiſi de ſa perſonne en
vertu de la proclamation du Roi qu'il tenoit à la
main ; le Sr Wheble déclara en même - tems que
ce même homme avoit uſé de violence pour l'arrêter
&pour le conduire àl'hôtel de- ville. Sur ces
déclarations , le Sr Wilkes a mis , ſur le champ ,
en liberté le Sr Wheble & lui a fait promettre de
pourſuivre fon délateur ; il a donné enmême tems
àcelui- ciun certificat pour l'autoriſer à réclamer
larécompenſe promiſe par la proclamation. Cette
affaire a excité une ſenſation très - vive parmi le
peuple& peut avoir des ſuites férieuſes.
PRESENTATIONS .
Du 27 Février 1771 .
LeRoi ayant accordé un brevet de colonel à la
ſuite d'un régiment d'infanterie allemande au
Prince Frédericde Salm- Kyrbourg , ci-devant au
fervice de Leurs Majeſtés Impériale & Royale ; ce
Prince a eu l'honneur d'être préſenté en cette qualité
à Sa Majesté & à la Famille Royale le 23 & le
24deFévrier.
Le Sr Brivois, premier préſident du conſeil ſupérieur
d'Arras , le St de Saint-Michel , premier préfident
de celui de Blois , leSrRouillllée d'Orfeuil ,
premier préſident de celui de Châlons , & le Sr de
Heflelles , premier préſident de celui de Lyon, ont
AVRIL. 1771 . 209
eul'honneur d'être préſentés au Roi , en cette qualité
le 24 de Février , après avoir prêté ferment
entre les mains du Chancelier.
Le Sr de Montarcher , conſeiller au parlement
deDijon , a été nommé par le Roi à l'intendance
deSt Domingue , & a eu l'honneur de remercier à
cette occafion Sa Majesté , à qui il a été préſenté
par l'Abbé Terray , miniſtre d'état contrôleurgénéraldes
finances .
Le Sr de Chazerat , premier préſident du conſeil
fupérieur de Clermont , a eu l'honneur d'être préſenté
au Roi en cette qualité le premier deMars ,
après avoir prêté ſerment entre les mains du Chancelier.
Le 2 Mars , l'Evêque de Sagone en Corſe a prêté
fermententre les mains du Roi.
Le Marquis de Noailles , ambaladeur du Roi
auprès des Etats-Généraux des Provinces-Unies, a
pris congé de Sa Majesté le 4de Mars pour le rendre
àſa deſtination. Il a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi par le Ducde la Vrilliere, miniſtre
&ſecrétaire d'état. Le même jour la Marquiſe de
Noailles a pris congé de SaMajesté&de la Famille
Royale.
Le même jour la Vicomteſle de Broglie a cu
P'honneur d'être préſentée au Roi & à la Famille
Royale par la Marquiſe de Broglie.
Le Marquis de Gayon ayant obtenu une place
decoloneldans le corps des Grenadiers de France,
a eu l'honneur d'être préſenté en cette qualitéau
Roi & à la Famille Royale le 23 du mois de Février.
Le Marquis de Turpin a eu l'honneur d'être
préſenté au Roi & à la Famille Royale les de
Mars.
Le Comte de Lons, colonel -lieutenant du ré
210 MERCURE DE FRANCE .
giment de Royal-Marine , a eu l'honneur de preter
ferment entre les mains de Sa Majeſté , le rode
Mars , pour la charge de lieutenant de Roi de la
province de Navarre de Béarn.
La Comteſſe de Coulaincourt a eu l'honneur
d'être préſentée le même jour au Roi ainſi qu'à
la Famille Royale par la Duchefle de Bethune.
Le Chevalier de Chaſtenay , officier dans le
corps des Grenadiers de France , a cu l'honneur
d'être préſenté au Roi , à Mgrle Dauphin & àMadame
la Dauphine .
Les Députés de l'Iſſe de Corſe eurent audience
du Roi le 17 Mars. Ils eurent l'honneur d'être préſentés
à Sa Majesté par le Marquis de Monteynard,
lieutenant - général des armées du Roi , ſecrétaire
d'état ayant le départementde la guerre ,
& furent conduits à cette audience par le Marquis
de Dreux , grand maître ; le Sr Delgranges , maî
tre , & le Sr de Watronville , aide des cérémonies.
La députation étoit compolée pour le Clergé de
l'évêque de Sagone , qui porta la parole; pour la
nobleſle , du Sr de Mallé ,ancien capitaine au régiment
de Royal-Corſe; pour le tiers état , du Sr
de Jubéga. Ils eurent enfuite une audience de la
FamilleRoyale.
La Comtefle de Durtal de la Roche Foucault;
laMarquiſe de Montbel & la Marquiſe deBaſchy
ont eu le même jour l'honneur d'être préſentées au
Roi ainſi qu'à la Famille Royale ; la premiere ,
parla Duchefle d'Eſtiſſac ; la ſeconde , par la comreffe
de Montbel , & la troiſieme par la Comteffe
deBaſchy.
Le Chevalier de Vergennes , ci- devant ambaffadeur
du Roi à la Porte , vient d'être nommé
pour aller réſider avec le même titre auprès du
Roi de Suède. Il a eu l'honneur d'être préſenté aSa
AVRIL. 1771. 211
Majeſté en cette qualité, le 23 de Mars par le duc
de la Vrilliere .
NOMINATIONS .
Le Roi a donné , le 23 Février dernier , au Maréchal
Duc de Broglie , le gouvernement de Metz
&du pays Meſſin , vacant par la mort du Maréchal
d'Eſtrées .
Sa Majesté a diſpoſé du régiment Royal decavalerie
, vacant par la démiſſion du Marquis de
Serent , en faveur du Comte d'Ecquevilly , capitaine
dans le même régiment ; & de la place de
commandeur dans l'ordre de St Louis , vacante par
la mort du Sr Godde de Varennes , en faveur du
chevalier de Montazet , maréchal de camp , infpecteur
-général d'infanterie.
Le Roi vient de nommer guidons de la gendarmerie
le comte de Gamaches , capitaine au régimentDauphin-
Dragons ; le comte Louis deDurfort
, capitaine au régiment de Conti , Cavalerie ,
&le comte de Balby , capitaine au régiment du
Commiflaire-Général .
MARIAGES.
V
Le 12 Février , Armand- François de la Tourdu
- Pin de Gouvernet - Montauban , marquis de
Soyans , officier dans le régiment du Roi , Infanterie
, fils de feu René- Louis - Henri de laTourdu
- Pin de Gouvernet , marquis de Soyans , a
épousé Louiſe Françoiſe - Alexandrine de Guerin
de Terrier , fille de feu Antoine de Tencin , gouverneur
de Dye & maréchal de bataille de la province
de Dauphiné , & de Jeanne- Maric de Monseynard
, foeur du marquis de Monteynard, ſecré212
MERCURE DE FRANCE.
zaire d'état , ayant le département de la guerre.
La bénédiction nuptiale leur a été donnée dans la
chapelle de l'évêché de Grenoble , par l'évêque de
cette ville.
MORTS.
Jean- Jacques d'Ortous de Mairan , l'un des
Quarante de l'Académie Françoiſe , penſionnaire
&ancien ſecrétaire de l'académie royale des ſciences
, de la ſociété royale de Londres , de celles
d'Edimbourg & d'Upſal , des académies dePéterfbourg&
de Stockholm , & de l'Institut de Bolo-.
gne , eſt mort à Paris le 20 Février , dans la 93
année de ſon âge. Il a laiflé pluſieurs ouvrages
très- eſtimés , entr'autres fon Traité de la Glace &
celui de l'Aurore boréale.
Théodore Chavignard de Chavigny , comtede
Toulonjon , gouverneur des ville & château de
Beaune , ancien ambaſſadeur du Roi en différenres
cours de l'Europe , eſt mort à Paris le 26 Février
dans la 84 année de ſon âge.
Denis Clément , ancien aumônier du feu Roi
de Pologne , prédicateur du Roi , & confeffeur de
Meſdames , abbé commendataire de l'abbaye
royale de Marcheroux , ordre de Prémontré , diocèſe
de Rouen , eſt mort en cette ville le 7 de
Mars , dans la 64e année de ſon âge.
Henriette- Flore Feydeau de Brou , fille de feu
Paul - Eſprit Feydeau de Brou , garde des ſceaux
& épouſe de François - Bernard de Saffenay préfident
au parlement de Dijon , eſt morte à Dijon le
4Mars , âgée de 34 ans .
Claude-Auguste de Tifſſart de Rouvre , prêtre ,
AVRIL . 1771 . 213
bé commendataire de l'abbaye royale de Celles
, ordre de St Auguſtin , diocèſe de Poitiers , vicaire
général du diocèſe de Sens , doyen & chanoine
de St Quiriace de Provins , eſt mort en cette
derniere ville le 9 de ce mois , âgé de 71 ans.
Jacques de Raymond , marquis de Lesbordes ,
ancien colonel d'infanterie , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , eſt mort à Caſtelnaudary
, dans la 8se année de ſon âge.
L. Michel Vanloo, chevalier de l'ordre duRoi,
premier peintre du Roi d'Eſpagne , ancien recteur
de l'académie royale de peinture & fculpture , &
directear des élèves protégés par Sa Majesté , eſt
mort à Paris le 20 Mars , âgé de 64 ans.
LOTERIES.
Tirages de Remboursement , &c .
Lepremier tiragede rembourſement des billets
des fermes , ordonné par arrêt du conſeil du 13
Novembre 1770 , s'eſt fait le 18 du mois dernier
àl'hôtel de la compagnie des Indes , en préſence
du lieutenant généralde police.
Le 26 du même mois on a fait, à l'hôtel de Mefmes
, en préſence du même magiſtrat , le tirage de
rembourſementdes reſcriptions & aflignations fulpendues
, ordonné par l'arrêt du conſeil du 2Décembre
1770.
Le cent vingt-deuxième tirage de la Loteriede
P'hôtel-de- ville s'est fait , les du mois d'Avril ,
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 90702. Celui devingt
1
214 MERCURE DE FRANCE.
mille livres au No. 80004 , & lesdeuxdedix mille
aux numéros 88854 & 93137 .
Le tiragede la loterie de l'école royale militaire
s'est fait les de Mars. Les numéros ſortis de la
rouede fortune ſont , 27 , 31,83 , 7 , 48. Le pro
chaintirage ſe fera le s d'Avril.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers&en proſe , pages
Le Malheur d'opinion , conte ,
Lettre de Wallon , dans ſa retraite , à ſon
fils,
14
42
Vers à Mde de *** , ſur ſa convalefcence , so
Diftique pour mettre au bas du portrait de
Moliere ,
Le Cheval , fable imitée de l'allemand ,
Dialogue entre un Eramine & Ixilia ,
Epître à M. Foix , médecin ,
Le Champignon & la Violette , fable ,
ibid.
SI
52
66
70
Explication des Enigmes & Logogryphes , 71
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
Abrégé chronologique de l'hiſtoire ecclefiaf
ibid.
76
78
AVRIL 1771 . 215
tique , &c. de Bourgogne , ibid.
Traité de la Jurisdiction ecclésiastique contentieule
, 84
Compendium inſtitutionum philofophiæ ,
&c. 87
Dictionnaire hiſtorique & critique de la vie ,
du caractere , &c. de pluſieurs hommes
célèbres ,
88
Hiſtoire générale des Provinces-Unies ,
Vies des Architectes anciens & modernes ,
L'Honneur François ,
Lettres au R. P. Miſſionnaire à Pékin ,
Oraiſon funèbre de Jean- Baptiste de Durfort, 110
92
94
ICO
102
Traité élémentaire d'hydrodynamique ,
126
Penſées de Milord Bolingbroke , 129
Tractatus de vera Religione , 132
Les mille & une Folies , 133
Les Lamentations de Jérémie en vers françois
,
137.
Mémoires ſur le murier blanc & les vers à
foie , 139
Cours d'hiſtoire univerſelle ,petits élémens , 144
Sidney & Volfan , anecdote angloiſe , 150
Avis ſur la nouvelle éditiondu Trévους ,
216 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES , 152
SPECTACLES ,
167
Opéra,
ibid.
Comédie françoiſe 169
Comédie italienne , 176
Arts , Gravure , 183
Mufique , 186
Anecdotes , 188
Nouveau café , 193
Programme , 193
Avis , 200
Nouvelles politiques , 205
Préſentations , 208
Nominations , 211
Mariages , ibid.
Morts ,
Loteries,
212
213
APPROBATION.
:
AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
Mercuredu premier volume du mois d'Avril 1771,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
AParis ,le 30 Mars 17716
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
AVRIL , 1971 .
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
Peugre
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'eSsTt au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets&lettres , ainfi que les livres , leseltampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique .
,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 ſols pour
ceux qui font abonnés .
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
libraire, àParis , rue Chriſtine.
T.
Paris, rue
s de port,
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On trouve auſſi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in-12 , 14 vol.
par an à Paris .
Franc de port en Province ,
16 liv.
201.4f.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
des nouveautés des Sciences , des Arts , &c .
L'abonnement , ſoit à Paris , ſoit pour la Province
, port franc par la poſte , eſt de 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Di
nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv . 16 f.
En Province , port franc par la poſte , 14liv.
GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; il en
mera quand
rs travaux,
e un titred
paroît deux feuilles par ſemaine , port franç
par la poſte; aux DEUX- PONTS ; ou à PARIS ,
chez Lacombe , libraire , & aux BUREAUX DE
enfes furle
CORRESPONDANCE. Prix , 18liv.
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GAZETTE POLITIQUE des DEUX- PONTS , dont il
paroît deux feuilles par ſemaine; on ſouſcrit
àPARIS , au bureau général des gazettes étrande32livis
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L'OBSERVATEUR FRANÇOIS A LONDRES , compoſé
de 24 parties ou cahiers de 6 feuilles chacun;
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LACOMBE, En Province ,
ſonnée des Sciences morales & politiques.in- 12.
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24liv.
1
A ij
MERCURE DE FRANCE .
< Jaſon ſe place au char de ſon amie ,
En un clin d'oeil Colchos ne le vit plus:
Bientôt ce char s'abbat en Phéacie
Sur le palais du bon Alcinois.
Le Roi , ſurpris de ſi bruſque arrivée ,
En rechignant leur fait minces regaux ,
Et toujours va pfalmodiant Orphée ,
L'épithalame & vingt plats madrigaux.
Fort ennuyé de l'éternelle antienne ,
Pour s'étourdir ,Jaſon rêve aux moyens
Dedéthrônet le tyran de Meſſéne
Et de ravoir ſa couronne & ſes biens .
Oui , dit ſa femme , où donc eſt ton armée ?
Cinquante Grecs& toi mon bel époux ,
Penferiez - vous d'envahir la contrée ?
Bienque héros, vous paſſerez pour foux.
C'eſtpar moi ſeule & fans autres prologues
Que tu verras ton fot oncle éconduit ,
Aller apprendre en l'éternelle nuit
Quels ont été jadis mes pédagogues.
Juſqu'à ce jour je n'ai mis ſous tes yeux ,
Qu'échantillons de mes talens ſublimes;
Quand il meplaît j'évoque des abymes
Tous les démons & l'enfer avec eux.
Au ſeul proposde la fière Medée ,
Legrandhéros ſent heurter ſes genoux.
AVRIL. 1771. 7
Plutôt , dit- il , qu'un ſemblable hymenée ,
Dragons , taureaux , que ne m'occifiez - vous ?
Avantla noce on applaudit au vice ,
Qu'après l'on blâme & voit avec horreur ;
C'eſt là le train de tout adulateur ,
Et qui s'en plaint eſt traité de novice .
Sans écouter ce que ſon doux confort ,
Va gromelant , la belle s'achemine
Vers un manoir où diſtillant d'abord
Un élixir pour déguiſer ſa mine ,
Elle s'en frotte , & dans peu de momens
Sa peau le criſpe & ſa taille eſt voutée ;
Son oeil découle& fupprimant ſes dents ,
La voilà miſe en Sybille Cumée.
Puis elle emplit de drogues & poiſons
Lebuſte creux d'une antique Diane ,
Et la plaçant dans ſon char diaphane
A les côtés , fit partir les dragons.
Bientôt planant deſſus la grande plaec ,
Où Pelias a bâti ſon logis;
Contorfions , voltigee & laſis
Font accourir la vile populace.
«Meſſéniens des grands Dieux trop cheris',
>>>Or , de Diane oyez une prétreſſe :
>>>Je donne à tous , aux plus foux la ſageſle,
>> Et la vigueur à tous les décrepis.
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'ai certaine eau de vertu diffolvante ,
-Dite regale à diſſoudre un tyran:
>> Ne demandez preuve plus convainquante
De la vertu de mon orvietan .
>> Pour Pélias j'ai de l'eau de Jouvence ,
>>De cinquante anselle allége en un trait:
> Cela ſuffit. D'une troiſieme enfance
>>>N'auroit defir , au moins on le croiroit.>>
Puisen laiſſant entrevoir une épée,
Aux Mécréans : « S'il ne peut rajeunir ,
>>> Je tiens ici la recette affurée.
>Qui ſaura bien l'empêcherde vieillir.
Le Roi Chenu ſortit de fa taniere ,
Voulant favoir ce qu'étoit ee grand bruit,
Par la canaille il fut bientôt inftruit;
Mais ſi pouvez , dit- ilà la forciere ,
Faire marcher le tems à reculon ,
D'où vient , Madame , êtes - vous chaſſicuſe,
Toute ridée&tant ſoit peu baveuſe ?
Sur cegrandart il me vient du foupçon .
Ho! ditMedée, apprenez que prêtrefles
Ont l'air hideux par inſtitution ,
Faites ainſi les veulent les décſles ,
Et vous ſavez qu'elles ont leur raifon.
Le Pelias ſe ſent chatouiller l'ame
Audoux penſer de ſe voir rajeunir;
AVRIL. و . 1771
Dans fon palais il ébergea la Dame ,
De ſes vieux ans ſe flatant de guérir.
Le premier point eſſentiel à la cure
Etoit celui de ſe faire égorger.
Cecoup horrible& revoltant nature ,
Par ſes enfans devoit s'exécuter.
Pour leur prouver qu'il étoit falutaire
Un vieux bélier tombe ſous ſon couteau
Et le faiſant bouillir une heure entiere ,
De la marmite il reſortit agneau.
Tout ſyllogiſmeactifnous perfuade :
Chaque princeſſe avec un grand poignard ,
Vers le minuit vient au lit du malade ,
Etde cent coups occiſent le vieillard.
La noire Fée ordonne aux Idiotes
D'aller au toict , d'y mouvoir maint fanal ;
Or , pour l'affaut c'étoit là le ſignal
Qu'avoient reçu les vaillans Argonautes.
Ils ont bientôt forcé la garnifon.
La mortdu Roi les peuples en apprirent ,
Au fils d'Elon d'abord ils ſe ſoumirent.
Bref, de ſon thrône il prend poffeffion .
Toujours au toict branlant leurs luminaires ,
Princeſſes vont pour guérir Pelias ,
Ne produira leur ſéjour aux goutieres
Nul autre bien que d'éclairer les chats.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais des revers Jaſon craignant l'atteinte,
En ſi haut grade où l'on a vu ſouvent
Pour régenter les frères s'occiſant.
Il réſolut d'aller vivre à Corinthe ;
Lors , en faveur d'Acaſte ſon couſin ,
Manteau royal &couronne il dépoſe ,
Et de ſes ſoeurs honnêtement diſpoſe
En leur donnant chacune un Roi voiſin .
Avant partir , fuyant l'ingratitude ,
Jalon fétoie en l'honneur de ſes dieux .
Le vieil Eſon , dans ſa décrépitude
Trop afaiflé , n'aſſiſte point aux jeux.
Son pieux fils en a l'ame mârie .
Ah! ſi pouvez ma femme ſur Elon ,
De mes beaux ans gréfer une partie ,
Je vais , dit-il , en faire ceſſion .
Oh! oh ! répart des lutins l'Emperiere ,
J'aimerois mieux , que racourcir tes jours ,
Guérir Eſon dans le goût de ſon frère ;
Mais par mon art j'aurai d'autres ſecours.
Je t'avouerai que l'oeuvre en eſt péneuſe ;
Quand je prétends un mort reſluſciter ,
Du vieux Pluton , de la femme hargneuſe ,
La rebufade il me faut eſſuyer.
Ces noirs conjoints ſentent doubler leur rage,
Sides enfers je leur fais dégorger
Quelque captif; car la lugubre plage ,
AVRIL. 1771. II
Eſon doit voir s'il veut ſe reſtaurer.
Jaſon n'auroit , à cette boucherie ,
Voulu d'Eſon les vieux ans expoſer ,
S'il n'eut appris qu'étant à l'agonie ,
Lebon vieillard n'avoit rien à riſquer.
1
L'ABEILLE & LE FRELON. Conte.
UNE Abeille , dans la prairie ,
Sepromenoit ſur mille fleurs ,
Elle reſpiroit leurs odeurs ,
De toutes elle étoit chérie
Et recevoitquelques faveurs.
Un Frêlon l'obſervoit , &ſa jalouſe rage
Ne put long- tems ſe contenir ;
Il s'approche , il fait grand tapage
Et ſe prépare à la punir.
Ah! Frêlon , quelle jalouſie ,
Ouplutôt quelle cruauté ,
Dit l'Abeille en tremblant , calmez votre furic;
Mon travail appartient à la ſociété ,
Et le peude ces fleurs dontje me ſuis nourrie ,
Je le rends à l'humanité.
J'en compoſe le miel ;je n'ai pointd'autre cavie,
Et fi je ſuisde quelque utilité ,
C'eſt tout le bonheur de ma vie ,
Et c'eſt ma ſeule vanité.
12 MERCURE DE FRANCE.
Ace difcours , le Frêlon en colere
Menace , il veut l'anéantir ;
Et ſous la rage meurtriere
L'Abeille étoit prête à périr ,
Lorſqu'un oiſeau , témoin de la querelle,
Vint la ſouſtraire au barbare Frêlon .
Ovous , dont la fureur toujours le renouvelle,
Retenez bien cette leçon ;
Dans les tréſors dugoût laiſſés puiſer l'Abeille :
Zoïles inſenſés , vous bourdonnez en vain !
Le Public ſeul eſt juge ſouverain ;
Arbitre des talens , il eſt l'oiſeau qui veille ,
Et pour vous écrafer il a le foudre en main .
ParM.Dufaufoir.
MORTON & SUSANN
Histoire angloise , par M. d'Arnaud.
QUE le malheur est accablant , qu'il ſe
fait fentir dans toute fon horreur lorſqu'il
force la vertu même à fléchir ſous le joug
de la néceſſité , & à ſe dégrader jufqu'a
cet aviliſſement qui ne doit flétrir que le
vice!Tous les ſecours de la ſageſſe humaine
ne fauroient nous armer contre ces
difgraces terribles; elles ne permettent
aucun genre deconfolation ; elles ne nous
AVRIL. 1771 . 13
laiſſent de ſoulagement à eſpérer qu'une
prompte mort. Il n'y a que la religion ,
la ſeule religion qui puiſſe en faire fupporter
le poids& nous retenir encore à la
vie.
Morton avoit reçu une éducation cultivée
qui , ſans doute , le rendit plus infortuné
en le rendant plus ſenſible. Les
lumieres de l'eſprit dans une ame vertueuſe
ne ſervent qu'à développer & à
fortifier le fentiment , qui devient le premier
ennemi de l'homme malheureux .
Les parens de Morton étoient au nombre
des riches négocians de l'Angleterre ; il
pouvoit concevoir de hautes eſpérances
d'établiſſement & de conſidération . Des
banqueroutes fucceſſives ruinerent fa famille.
Ce jeune homme , privé de toutes
reſſources , ſans amis , rejetté de la ſociété
, ſoumis à toutes les épreuves cruelles
qu'entraîne le changement de ſituation
, réfolut de s'exiler de fa patrie &de
fe retirer à la nouvelle Yorck . L'adverſité
mortifie toujours l'amour propre;
nous attachons une eſpèce de honte à
nous montrer dans l'abbaiflement aux
mêmes yeux qui nous ont vu favoriſés
de la fortune. On ne veut pas ſe perfuader
que cette adverſité ſi humiliante pour
la plupart des hommes eſt dans la claffe
14 MERCURE DE FRANCE.
1
des maladies qui affligent la nature hu
maine. Combien d'infortunés ſoutiendroient
les extrêmités de l'indigence &
même du beſoin , plus patiemment que
la préſence des perſonnes qui ont été témoins
de leur proſpérité ! c'eſt peut- être
là ce qu'on peut appeller le malheur véritable
. Morton avoit donc voulu s'épargner
cette mortification . Arrivé à la nouvelle
Yorck , il s'étoit aſſujetti aux emplois
les plus pénibles , les plus bas ; il
penſoit avec raiſon qu'il n'y a point de
moyens de ſubſiſter qui deshonorent ,
lorſque la mifére n'ufurpe point ſur la
dignité de l'homme; à force de travaux ,
de fatigues & d'honnête induſtrie , & en
ſe retranchant même de ſon néceſſaire ,
il parvint à ſe former une petite ſomme
qui lui fuffit pour louer un café : le malheur
prépare l'ame à ce ſentiment dont
le charme adoucit les amertumes empoifonnées
de la vie. L'amour ſemble prendre
plaiſir à s'attacher au coeur des infortunes.
Morton devint épris d'une jeune
perſonne qu'on nommoit Susanne : elle
appartenoit à des parens pauvres , mais
vertueux ; elle avoit été inſtruite par leurs
exemples autant que par leurs leçons : fes
agrémens égaloient ſa ſageſſe ; dans le
ſein de l'indigence elle s'étoit montrée
AVRIL. 1771 . 15
inſenſible à ces brillans avantages, à toutes
ces perſpectives éblouiſſantes que préſente
l'inſolence de la fortune pour humilier
la beauté malheureuſe . Un rapportde
ſentiment &de ſituation avoit lié
Morton & Susanne : ils ſe marierent , &
une tendreſſe réciproque ſuivit cette
union ſi touchante ; trois enfans en furent
les fruits . Le mari & la femme réuniffoient
leurs efforts pour s'arracher à l'indigence
: ils n'avoient pu s'empêcher de
contracter quelques dettes ; ilsſouffroient,
mais ils ſouftroient enſemble. Que les
travaux , que les chagrins s'adouciſſent
lorſqu'ils font partagés avec un objet qui
nous eſt cher ; & que les larmes qu'il mêle
aux nôtres ont une volupté peu connue
des gensheureux !
Morton depuis quelque tems paroiſſfoit
plus triſte qu'à l'ordinaire ; il regardoit fa
femme avec un attendriſſement douloureux
; il prenoit ſes enfans dans ſes bras ,
les ferroit contre ſon ſein,jettoit de profonds
foupirs & laiſſoit même couler
quelques pleurs qui ſembloient s'échapper
d'un coeur trop plein pour pouvoir les
retenir; Suſanne en fut allarmée : tu pleures
, lui dit- elle , mon cher ami ! -Aurois-
tu des chagrins que tu refuſerois de
me faire partager ? Tu fais combien je
16 MERCURE DE FRANCE.
reſſens tout ce qui t'afflige ; m'enviroistu
la fatisfaction de te confoler? Il faut
eſpérer que le Ciel prendra pitié de nous
&qu'il bénira nos foins. Notre indigence
auroit - elle diminué ton amour ? Pour
moi , je t'aime tous les jours davantage...
Ne plus t'aimer , s'écrie Morton en courant
à Suſanne & en la preffant contre fon
coeur ? Eh ! n'es-tu pas tout ce que j'adore
, tout ce qui me fait ſupporter la vie ?
Suſanne ! ... ſitu ſavois quel fort nous
attend! .. Il m'effraie . -Tu m'aimeras
toujours , répond Suſanne ? Mais pourquoi
cette profonde douleur , ce défefpoir?-
Ne vois - tu pas nos créanciers
qui nous tourmentent? Nous travaillons
jour & nuit , & nous ne pouvons nous
garantir de la miſére... Nous ne nous
acquitterons jamais . -Je redoublerai
mes efforts , cher époux ; nous nous débarraſſerons
denos dettes. Morton réplique
d'un ton touchant , & en fixant fur
elledes yeux couverts de larmes , tu ne
fais pas tout ce que nous devons ?-J'en
ai le compte exact. -Susanne , pourſuit
fon mari avec une fureur concentrée , tu
m'aimes ? .. tu vois en moi le bourreau ,
le bourreau de tes enfans.-Que dis-tu?
-Ne me demande tien; j'ai fait une
faute , & je n'en ſuis que trop puni. O
AVRIL. 1771 . 17
mon Dieu! permettras tu que ma femme
&mes enfans en foient les victimes ? ..
Je n'ai plus qu'à mourir. Susanne alors
tombe daus les bras de Morton en fondant
en pleurs. -Tu parles de mourir ?
Eh , que veux-tu que devienne ta famille
? .. Non , Morton , je ne te ſuis pas
chere ! fi tu m'aimois ... On n'a pointde
fecrets pour ce qu'on aime... Et quels
font donc les maux que la tendreſſe ne
peut conſoler ? Puiſque l'amour ne ſcauroit
t'émouvoir , au nom de l'humanité
apprends moi quelle nouvelle peine t'ac.
cable? Tous les malheurs enſemble , repart
Morton , en levant les yeux au Ciel;
oui tu vas tout favoir , tu vas ſavoir...
Que la mort eſt mon unique recours ...
Susanne , tu connois mon coeur , tu fais
combien il eſt ſenſible !un perfide que tu
as vu ſouvent ici & qui fe diſoit de mes
amis , en a abuſé. Il devoit une fomme
conſidérable ; on le pourſuivoit; fon fort
m'a touché ; enfin j'ai eu la foibleſſe de
le cautionner. O Ciel ! s'écrie Suſanne.
-Le ſcélerat a quitté ce pays au moment
de l'échéance , & nous ſommes obligés
de payer ou la juſtice va s'emparer du peu
que nous avons , & pour le reſte de la
ſomme nous priver de la liberté ... & de
1
18 MERCURE DE FRANCE .
la vie. J'ai vu le barbare créancier ; j'ai
demandé des délais ; il eſt inflexible :
voilà , continue Morton , où m'a réduit
ma ſenſibilité , à te percer le coeur à toi
&à nos enfans. Nous ſommes perdus ſans
refſource : ah ! Suſanne , que j'ai de reproches
à me faire !-Mon ami , tu as été
trompé ; c'eſt la ſcélérateſſe des hommes
qu'il faut accufer. Notre ſituation eſt
cruelle , je ne le ſens que trop : ne cédons
cependant point à la douleur , ſongeons
plutôt à réparer le mal. Ne déſeſpère
point ; j'irai trouver ce créancier. Seroitil
auſſi impitoyable que tu le repréſentes!
Nous tenterons l'impoſſible pour acquitter
cette dette. J'entreprendrai avec joie
les travaux les plus pénibles , trop heureuſe
ſi à ce prix je puis t'être de quelque
utilité ! Obtenons ſeulement du tems ;&
ſi nous nous aimons , nous viendrons à
boutde jouir d'un fort plus heureux.
Suſanne nourrifſſoit un de ſes enfans :
elle le prend dans ſes bras &ſe rend chez
le créancier. Cet homme oppoſe un coeur
de ferà ſes ſupplications & à ſes larmes;
il ne répondoit à tout ce qu'elle lui diſoit
que ces deux mots : Mon argent ou la prifon
: enfin il conſent à recevoir à compte
&n'accorde qu'un mois de délai pour le
AVRIL. 1771. 19
paiement total. Susanne le prie , le conjure
encore d'avoir égard à leur fituation ;
il ne l'écoute point& la force de ſe retirer.
Morton l'attendoit avec impatience ;
elle lui apprend le peu de ſuccès de ſa viſite
; ils vendent tous leurs effets , ſe hâtentd'en
envoyer le produit à l'impitoyable
créancier , & ne ſe réſerventque leur
café pour tâcher de continuer leur commerce
. Ils comptoient les jours , les heures
; ils avoient ce terme fatal fans ceffe
devant les yeux ; cette malheureuſe femme
ſuccomboit ſous la fatigue; elle travailloit
des nuits entieres à l'aiguille tandis
que ſon mari ſe livroit encore à des
occupations dont il retiroit quelque profit.
Suſanne étoit entourée de gens qui afpiroient
à la ſeduire ; comment n'eut- elle
pas réſiſté à leurs attaques ? Elle ignoroit
qu'elle étoit belle ; elle étoit vertueuſe ,
&elle aimoit ſon mari. Parmi ces corrupteurs
de profeſſion , il y en avoit un
qui les ſurpaſſoit en audace &en ſcélérateſſe.
Jonathan , c'eſt ainſi qu'on le nommoit,
étoit un de ces hommes qui ne
croient point à la vertu & qui ne rejettent
aucun moyen , pourvu qu'ils conduiſent
à la fin qu'ils ſe ſont propoſée. Il avoit
20 MERCURE DE FRANCE.
été officier dans les colonies ; des ſoupçons
déſagréables pour un militaire qui
auroit aimé l'honneur, l'avoient contraint
de renoncer au ſervice; il ne vivoit que
d'intrigues & ſavoit les couvrir avec beaucoup
d'intelligence. Il n'avoit pu voir
Sufanne fans concevoir une violente paffion
; il s'itritoit contre la ſageſfede cette
femme malheureuſe ,&depuis long-tems
il épioit avec une ardeur ſuivie les occaſions
d'en triompher , ſemblable à ces bêtes
féroces qui ont les yeux toujours attachés
ſur leur proie. Sufanne, malgré ſes
veilles &fes efforts , ne pouvoit fe cacher
que le jour funeſte approchoit , & qu'il
leur feroit impoſſible de ſatisfaire au reſte
du paiement ; elle voyoit déjà la prifon
s'ouvrir , & fon mari s'y confumer de
douleur. Jonathan s'étoit apperçu de fon
trouble ; il avoit même ſurpris des larmes
prêtes à tomber & qu'elle s'étoit obſtinée
à repouffer ; il profite d'un moment où ils
étoient ſeuls ; il s'avance vers Sufanne,&
prenant un ton de compaffion honnête :
je vois bien , Madame , que vous avez du
chagrin &que vous voudriez le dérober
aux yeux du public : on s'intéreſſe trop à
vous pour n'être pas empreſſé d'en ſavoir
le ſujet , & peut-être ſeroit- on affez heureux
d'y remédier ; c'eſt une eſpérance
AVRIL. 1771 . 21
dont vous permetez du moins que l'on
oſe ſe flatter. Sufanne fit peu d'attention
à ces paroles de Jonathan , qu'elle regarda
comme un de ces complimens dictés par
la politefle ; elle le remercia cependant
avec reconnoiſſance & chercha à détourner
la converſation ; l'adroit Jonathan
perſiſte ; enſin , après un long entretien de
part&d'autre, il amene Susanne au point
de ne pouvoir plus contenit la douleur
qui la preſſoit. Elle éclate en ſanglots; le
perfide feint de mêler ſes pleurs aux fiennes;
Suſanne luidécouvre leurétat déplora.
ble; le ſcélérat lui répond qu'on peut l'obliger;
cette femme , dont l'ame étoit ſi
pure , qui ne ſavoit pas juſqu'à quel point
peut ſe déguiſer l'atrocité d'un coeur corrompu
, croit voir dans l'officier un ange
deſcendu exprès du Ciel pour les ſecoarir
, elle entre avec lui dans ces détails
qui partent d'une ame confiante : cet
épanchementde ſenſibilité lui prêtoit de
nouveaux charmes qui enflammoient Jonathan
; il lui répéte qu'il eſt prêt à leur
rendre ſervice ; Sufanne ne ceſſe de l'affurer
de ſa reconnoiſſance , de le nommer
leur bienfaiteur, le ſoutien d'une famille
défolée qui adreſſera au Ciel ſes prieres
pour la conſervationd'un homme ſi géné
22 MERCURE DE FRANCE .
..
reux ; oui , ajoute-t'elle , en verſant de ces
larmes touchantes qui font l'expreſſion
des coeurs ſenſibles ; je me plais , Monſieur
, à vous montrer toute l'étendue de
votre bienfait ; vous racheterez la vie à
un père , à une mère , à trois enfans .
Nous vous bénirons ſans ceſſe aptès l'Etre
Suprême ; Toyez perfuadé que nous répondrons
à la nobleſſe de vos procédés ;
il n'y a rien , non , il n'y a rien que je ne
falle pour nous acquitter envers vous. Je
vous en diſpenſe , belle Susanne , repart
vivement Jonathan ; cette bourſe contient
cent guinées qui , dès ce moment ,
deviendront votre bien; permettez - moi
cependant d'y mettre une condition.
Une condition , interrompt Suſanne ! elle
n'en ditpas davantage ; la rougeur monte
fur fon front , elle craint enfuite d'avoir
écouté trop légérement des ſoupçons in
jurieux ; elle s'efforce de les diſſiper , &
de ſe raffurer. -Vous vous troublez ,
femme charmante ? j'avoue que toutes les
fortunes du monde ne ſauroient... Que
voulez vous dire , Monfieur ? Que je vous
adore , reprend Jonathan en ſes précipitant
à ſes genoux. Il veut lui baifer la
main: Sufanne la retire avec effroi , & en
pleurant amèrement : ah ! Monfieur, étoit
..
AVRIL. 1771 . 23
ce là votre bienfaiſance ? Vous m'inſpiriez
des ſentimens de reconnoiffance , de
vénération ; & vous ofez croire... Laiſſez
périr une famille infortunée..OCiel! je
vous eſtimois... Il n'eſt donc point de
coeur allez généreux . -Non , adorable
Suſanne , il n'en eſt point d'aſſez ennemi
de fon bonheur pour ſurmonter l'amour
que vous faites naître ; vous me parlez de
votre ſituation , la mienne eſt affreuſe ; je
meurs de mille morts ſi je ne puis vous
plaire ; je voudrois avoir en ma diſpoſition
plus que ces ces cent guinées , mais
je vous offre tout ce queje poſſéde; je vous
donne ma parole que perſonne ne faura...
Perſonne ne faura , interrompt Sufanne
avec un noble emportement , que j'aurai
outragé l'honneur , mon mari , le Ciel...
& ne le ſaurai-je pas moi ? Allez , Monſieur
, épargnez - moi votre préſence...
vous me faites horreur; allez vous applaudird'avoir
infulté à la miſére d'une honnête
famille... qui eſt bien malheureuſe
(il veut s'approcher ) retirez- vous , homme
déteſtable ... Où eſt donc la vertu ?
L'intrépide Jonathan ne ſe dément point.
-Vous appellez inſulte l'hommage que
l'on rend à vos charmes ? Songez qu'on
ne trouve pas tous les jours une bourſede
24 MERCURE DE FRANCE.
cent guinées . Confultez vous bien ; je
vous laiſſe le tems d'y penſer , & il fort
du café.
Sufanne s'écrie dans l'abondance des.
ſanglots : ô inon Dieu ! .. n'étois - je pas
aſſez à plaindre ? Falloit-il encore me foumettreà
cette humiliation ? N'ya-t il plus
d'humanité ? hélas ! ma joie a été de peu
de durée! je croyois avoir trouvé un bienfaiteur
pour foulager mon mari , mes enfans...
Quel plaiſir j'aurois goûté à leur
porter du ſecours ! & c'étoit le prix de
mondeshonneur ?
Cette femme vertueuſe ne révéla point
àMorton les propoſitions outrageantesde
Jonathan : elle auroit craint d'augmenter
le déſeſpoir d'un époux que le malheur
lai rendoit plus cher ; pluſieurs autres
créanciers s'étoient joints au tygre impitoyable
qui avoit juré la perte de ces deux
infortunés : on touchoit à l'expiration du
délai . Morton étoit plongé dans un accablement
qui différoit peu de la mort:
deux enfans faifoient retentir ſans ceſſe à
ſon oreille leurs cris fi déchirans pour un
coeur paternel : la nourriture commençoit
à leur manquer ; &le troifiéme ſuçoit un
ſein où il n'y avoit plus de lait. Susanne
&Morton expiroient eux-mêmes de befoin
VRIL. 1771 . 25
ſoin; ils avoient follicité envain la froide
compaſſion des plus riches habitans de
laColonie : ceux qui avoient une eſpèce
de honte à inontrer leur inhumanité ſe
contentoient de les plaindre ſans leur accorder
du ſecours : une image de déſolation
étoit tout ce qu'ils voyoient.
Jonathan reparoiſſoit au café avec toute
l'audace dont s'arme le crime qui ne
connoît plus de remords ; il étudioit le
viſage de Suſanne ; il calculoit ſes degrés
d'eſpérance par les mouvemens de douleur
qu'ily faififfoit : on eut dit qu'il s'enivroit
à plaifir de ſes larmes , parce qu'il
l'attendoit à ce comble de misère qui la
forceroit à immoler ſa vertu . O Dieu !
permettez vous qu'il exiſte des hommes
auſſi criminels ? Suſanne , entraînée par la
néceſſité , fait des efforts ſur elle même ,
attend que tout le monde foit forti du
café , excepté le ſcélerat Jonathan , qui
avoit la vue toujours fixée ſur elle comme
un tygre rugiffant qui aſpire à tenir ſa
proie entre ſes griffes déchiranres ; elle
va tombertoute en pleurs aux pieds de ce
monſtre qui vouloit la faire relever.
Non , Monfieur, je ne quitterai point vos
genoux; je les embraſſe comme ceux de
Dieu même : oui , c'eſt comme à Dieu
II. Vol.
B
-
26 MERCURE DE FRANCE.
même que j'oſe vous demander quelques
foibles fecours , le plus foible ſecours ; il
eſt inutile de vous le cacher; notre misère
eſt au plus haut point ; mon mari , mes
enfans expirent... A cet aveu qui autoit
porté la mort dans l'aime la moins ſenſible
, on voyoit une joie cruelle monter &
s'épanouir ſur le front de l'arroce Jonathan.
Je mourrois fans peine , pourfuitelle
; mais qui prendroit ſoin de mon
époux , de ces innocentes créatures ; Mon.
ſieur, au nom de l'humanité , daignez être
notre bienfaiteur ; voyez ces larmes dont
j'inonde la terre; ſentez tout le plaiſir
d'obliger , de ſecourir une miférable famille
qui s'élevera pour vous chérir, pour
vous adorer comme ſon ſecond père; exigez
de moi tous les ſentimens, tous les
facrifices , tout , hors mon deshonneur ;
hélas ! nous n'avons que la vertu ; c'eſt
tout notre bien ! voudriez - vous couvrir
d'opprobre une infortunée qui eſt mère de
trois enfans , qui eſt l'épouſe du plus honnête
homme... Le malheureux ! il n'a
d'autre confolateur , d'autre ami que moi,
&pourrois- je lui manquer ? Je fais tout
pour lui ... Monfieur , je vous en conjure..
jettez un regard de pitié ſur l'état où nous
ſommes , il eſt terrible. Madame د
reAVRIL.
1771. 27
prend-il , en paroiffant ému & en l'obligeant
de s'affeoir , je ſens toute votre douleur
, elle me déchire l'ame ! mais je vous
aime éperdumert,& je vois, avec fureur ,
que le tems , les bons procédés , les ſervices
les plus eſſentiels , rien ne pourroit
obtenir de vous cette reconnoiſſance qu'il
m'eſt impoſſible de ne pas exiger. Je
m'apperçois que vous avez une aveugle
tendreſſe pour votre mari ; je profite donc
malgré moi , oui , malgré moi d'une circonſtance
qui m'eſt favorable.Mon amour
m'impoſe cette loi... Si vous connoiſſez
l'amour...--Homme abominable , s'écrie
Suſanne , eſt- ce à toi de le connoître?Dis
que la haine , que l'enfer eſt dans ton
coeur... Ah ! que ne me plongez - vous
votre épée dans le ſein! .. Il y auroit
moins de cruauté à m'arracher la vie qu'à
outrager une malheureuſe femme qui implore
la plus foible marque de compaffion...
Dieu nous vengera. J'ai pris mon
parti . Voilà encore les cent guinées ;
vous ſavez à quel prix vous pouvez en
diſpoſer , je ne dirai plus qu'un mot ; je
quitte ce pays dans vingt -quatre heures.
-Ah , tygre! ah , barbare ! .. Monfieur!..
elle retombe à genoux & lui tend les bras .
-Songez que dans vingt -quatre heures
Bij
28 MERCURE DE FRANCE,
je ne fuis plus ici , je viendrai demain ſavoir
votre déciſion ; ſi elle m'eſt contraire
n'eſpérez pas ſeulement un ſcheling de
moi ; & il la laiſſe preſque anéantie par
l'excès du déſeſpoir.
Suſanne éplorée retourne auprès de
Morton ; il expiroit dans les ſanglots; il
étoit penché ſur le corps d'un de ſes enfans
malade de néceflité,&qui tendoit
ſes mains défaillantes , en demandant du
pain à ſon père. Quel objet pour les yeux
d'une mère ! Sufanne accourt : ô mon fils!
ômon cher Morton ! elle les embraffe
tous deux. Son coeur étoit trop plein , il
ſe déborde au milieu des larmes & des
cris , elle découvre à fon mari la fcélérateſſe
de Jonathan, Grand Dieu , dit cet
infortuné en couvrant de pleurs le viſage
de ſa femme & en la ferrant avec tranfport;
tu me fais goûter toutes les douceurs
de l'amour dans les horreurs de la plus
effroyable adverſité ? .. Ofemme adotable
! tu m'aimes affez. Que tu es à plain.
dred'être aſſocié au fortd'un homme auffi
malheureux queje le ſuis !..-Mon ami,
je n'ai fait que mon devoir ; mais je n'avois
pas beſoin de la vertu&des préceptes
de la religion pour repouſſer les féduc
tions de Jenathan . Morton , tu m'es trop
AVRIL. 1771. 29
cher pour que je puiſſe jamais trahir...
Mon amour ſeul t'aſſureroit de ma fidélité
; elle embraſſe encore ſon mari ; il
regarde long- tems ſes enfans ,&tournant
enfuite les yeux fur ſa femme, il prononce
cesmotsd'un tơnténébreux :quelle infâme
reſſource ! Sçais-tu que c'eſt demain qu'il
faut payer... ou mourir tous , ajoute-t- il
en frémiſſant... Susanne .. nos enfans ...
Il ſe leve avec vivacité : non , nous ne
racheterons point leurs jours par le defhonneur...
je cours trouver le ſage M.
Varſtorff; c'eſt unde nos paſteurs les plus
reſpectables ; je lui expoſerai notre affligeante
poſition ; il faura tout, il faura que
ſi nous étions affez lâches , affez coupables
pour manquer à la religion&à l'honnêteté
, nous faurions nous fauver de ces
extrêmités fi cruelles ... Il ne reſſemblera
point aux autres hommes , il aura des ſentimens
de compaſſion , il nous foulagera...
Ma femme , la religion eſt ſi bienfaiſante!
: Morton ſe hâte de ſe rendre chez le
modèle des miniſtres de la Colonie. C'étoit
un de ces moraliſtes févères qui parlent
ſans ceſſe des vengeances de Dieu &
de la néceſſité où nous ſommes de remplir
nos devoirs , qui recommandent la
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
prière& l'abſtinence, qui vous diſent que
les malheurs ne font rien en comparaiſon
de l'éternité , qu'au reſte les ſouffrances
d'eſprit &de corps font des bienfaits du
Ciel qui fervent à épurer les prédeſtinés,
que cette terre n'est qu'un lieu de paſſage,
qu'il faut être peu ſenſible aux tribulations
qu'on y éprouve , & avoir les yeux
toujours levés vers la Jérusalem céleste
qui eſt notre véritable patrie ; quoique ce
digne évangeliſte prêchât ainſi l'abnégation
de tout ce qui attache au monde , il
nourriſſoit fous un extérieur auſtere une
ambition démeſurée; il cherchoit à ſupplanter
lesautres miniſtres, fouffroitqu'on
endît beaucoup de mal , en feignant de
les couvrir du manteau de la charité ,
pourſuivoit ſes animoſités particulieres
avec le zèle ardent du Seigneur , prétendoit
toujours que c'étoit la cauſe de Dieu
qu'il vouloit venger ; d'ailleurs il ne ſe
refuſoit rien de tout ce qui pouvoit flatter
ſes goûts , il prétendoit que c'étoit par
pure obéiſſance à ſes ſupérieurs qu'il ſe
couvroit d'habits décens & commodes
&qu'ilſe nourriſſoit avec délicateſſe ; on
lui avoit dit qu'il étoit un des membres
les plus néceſſaires du clergé de la Colonie,&
que ſur la conſervation de ſes jours
د
AVRIL. 1771. 31
étoit appuyée la pierre fondamentale de
lareligion.
Morton eft introduit dans ſa maiſon ,
où tout annonçoit une modeſte ſimplicité
, il lui préfenta le tableau de ſon indigence
, ſa ruine prochaine , il lui montre
enquelque forte ſes enfans à leur dernier
foupir , &lui parle enfin des propofitions
du méprifable Jonathan; le faint homme
pouffe une exclamation , joint fes deux
mains, lesleve vers le Ciel , en ſe recriant
ſur l'excès de la perverfité humaine ; il
loue beaucoup la ſageſſe de Susanne , exhorte
le mari à l'engager de vivre toujours
dans cette retenue , qui eſt la premiere
vettu du sexe ,& finit fon fermon
pathérique en lui prodiguant de ſtériles
demonstrationsde pitié far fon fon état ,
&en lui promettant qu'il ſe ſouviendroit
de lui dans ſes prieres ; Morton infifte ,
lui demande des ſecours ; le miniſtre
l'embraſſe avec une affection onctueuse ,
lui répéte que ſa ſituation l'afflige; mais,
pourſuit-il , le nombre de nos pauvres eſt
confidérable ; peut- être que dans quelque
tems les charités ferontplus abondantes ,
&alors je pourrai vous donner du foulagement.
Morton revient déſolé auprès de ſa
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
femme ; il ne voit plus qu'un vaſte préci
pice qui va l'engloutir. Eh bien, lui ditelle
, impatiente de ſavoir ce qu'a produit
ſa viſite chez le miniſtre ? Il n'y a plus,
d'hommes fur la terre,répond Morton,en
ſe laiſſant tomber ſur un ſiége. Suſanne...
nous vivons au milieu des lions , des
ours ! hélas ! nous ne vivrons pas longtems
! le cruel ! il ne m'a rien accordé! ...
-Quoi ? Je n'en ai pu obtenir qu'une
humiliante compaffion ; il prétend que le
peu d'aumônes qu'il a aujourd'hui entue
les mains , le met hors d'état de nous fecourir....
Et ce malheureux enfant?-II
meurt. Il ſe meurt ! O Dieu ! tu n'as
point revû ce monſtre de Jonathan ?-II
eſt encore revenu ; & il a eu la cruautéde
me tenir le même langage ; il part demain.-
Il part demain ? Motton s'approche
de cet enfant , il le prend dans ſes
bras , le ferre avec tendreſſe , le contemple
avec une douleur fombre. -Pauvre
infortuné, ilfaut donc que tu expires !&je
n'ai pas un morceau de pain à te donner ?
OCiel! & je ſuis père ! il ſuccombe ſous
le déſeſpoir; il eſt étendu ſur la terre au
milieu de ces trois victimes de ſon indigence
, promene autour d'elles des regards
égarés de douleurs ; ces touchantes
:
AVRIL. 1771. 33
-!
créatures lui adreſſent leurs gémiſſemens
& le nomment leur père ; Suſanne veut
le relever.-Susanne , laiſſe moi mourir..
laille-moi mourir ... Eh , chers enfans ! ..
je ne puis vous donner que mes larmes ...
Une fureur ſubite le tranſporte , ilſe précipite
ſur ſa femme , la preſſe contre fon
coeur avec un frémiſſement terrible.
La terre, le ciel,tout eſt ſourd ànos pleurs,
à nos cris ! tout nous abandonne , nous
accable ... Cédons au malheur... Qu'ai je
dit? tendre épouſe , je t'adore... j'adore
mes enfans ... Ah ! par pitié arrache-moi
la vie... Il marchoit à grands pas , il s'arrêtoit
, regardoit tantôt ſa femme, tantôt
ſes enfans ; puis levoit ſes yeux au Ciel ,
ſe frappoit le ſein , tomboit enſuite dans
un affreux anéantiſſement.
Suſanne, déchirée par ce ſpectacle, emportée
par la douleur , fort dans le deſſein
de ſe jeter aux genoux de la premiere perfonne
qu'elle rencontrera , & d'implorer
ſa charité. Elle traverſoit un petit bois
qui étoit à quelque diſtance de ſa maiſon;
Jonathan qui la pourſuivoit ſans celle des
yeux , s'offre à ſa vue : tous ſes membres
ſont agités d'un tremblement mortel ;
l'aſpect de l'enfer ne lui eut pas inſpiré
plus d'épouvante , elle tombe évanouie.
By
34
MERCURE DE FRANCE.
L'infernal Jonathan s'apperçoit qu'ils
étoient ſeuls ; inſenſible àl'humanité , il
profite de cet évanouiſſement. Le crime
eſt conſommé. Le ſcélerat laille à ſes côtés
la bourſe & diſparoît.
Suſanne r'ouvre les yeux pour rentrer
dans le ſeinde la mort : ſon premier mou.
vement eſt de repouſſer loin d'elle la
bourſe avec indignation ; elle a réſolude
mourir ; mais avant que d'expirer , elle
veut encore revoir ſon mari & ſes enfans;
elle ſe détermine enfin à leur porter un
ſecours qui lui a coûté ſi cher : elle prend
cette bourſe er . verſant un torrent de larmes
; elle ſe traîne affaiſſée ſous un fardeau
de douleur : à peine a-t- elle entrevu
ſa maiſon d'où elle étoit fortie innocente
, & où elle retournoit deshonnorée à
ſes regards; car pouvoit - elle l'être aux
yeux duCiel ? Un cri lugubre lui échappe
, elle va s'aſſeoir quelques inſtans ſur
une pierre , ſe releve & ſe trouve enfin à
ſa porte; c'eſt alors que ſon ame eſt boulverſée
; elle monte à ſa chambre , & fans
rien voir , elle jette la bourſe , en diſant
d'une voix mourante : voilà le fruit du
crime ! .. Morton ne m'approche pas...
Morton ! .. je ne ſuis plus digne de toi ;
elle cherchoit à ſe cacher dans un des
AVRIL. 1771 . 35
coins de l'appartement; le jour commençoit
à baiffer; elle trouve ſous ſes pieds
un papier qu'elle s'empreſſe de lire. Voici
ce qu'il contenoit. "Notre enfant eſtex-
» piré , les autres ne tarderont pas à le
>> ſuivre ; il n'y a que l'infâmie ſeule qui
>>pourroit nous racheter la vie , &je n'ai
>>pu me réſoudre à voir mourir ſous mes
> yeux ma chere Sufanne & les deux au-
>>tres infortunés. Tu fais combienje t'aimois
, juge de tout ce que j'ai foufferr.
» Dieu me feroit- il un crime d'avoit
>>hâté la fin de jours auſſi malheureux ?
» Adieu , rendre épouſe... O Ciel ! que
vas - tu devenir ? .. » Susanne laiſſe
tomber la lettre , s'élance ſur le corps de
fon ami qui étoit au milieu de la chambre
baignée dans ſon ſang & qui tenoir
fon enfant mort entre ſes bras , elle le
couvre de baifers, de pleurs; elle crie ,
s'efforce de le ranimer,lui bande ſa plaie,
l'embraſſe encore , lui adreſſe les regrets
des plus touchans; le hafard avoit voulu
que le coup qu'il s'étoit donnéne fût point
dangereux ; il ne lui avoit caufé d'autre
mal que de lui faire perdre beaucoup de
fang; il r'ouvre les yeux , leve la têre ainſi
qu'un homme qui ſortiroit de l'agitation
d'un fonge finiftre.-Qui m'a fait revi-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
-
vre ? .. Quelles mains ont arrêté mon
fang ? .. ( Il apperçoit Suſanne ) C'eſt toi,
ma femme qui m'as rendu ce funeſte fervice
! .. ( Ses regards viennent à tomber
fur la bourſe. ) Que vois - je ? .. Ah ! je
fuis deshonoré ! Il veut ſe brifer le front
contre la terre , il s'arrache avec fureur
l'appareil qui étoit ſur ſa bleſſure, le fang
jaillit avec impétuoſité; il ſuccombe ſous
une nouvelle foibleſſe; Susanne veut le
fecourir. Non , lui dit- il d'une voix qui
s'éteignoit, tout mon ſang ne fauroitaſſez
tôt ſe répandre , laiſſe moi... tu m'es
odieuſe ! .. laiſſe- moi... -Morton !
Tes pleurs !. - Qui , j'ai mérité votre
haine... Ah , cher époux ! .. m'eſt - il encore
permis de prononcer ce nom ? daignez
ſeulement accepter mes foins ... Vi
vez pour conſerver la viede nos enfans...
pour me plaindre... vous ne me refuſerez
pas votre pitié : en diſant ces mots
elle lui remet l'appareil, baiſe ſa bleſſure
&détourne la tête. Morton , revenu à lui,
ramaſſe la bourſe avec un ſombregémif.
ſement : c'eſt donc là où nous a conduits
le malheur ! Ces enfans nous demandent
du pain... allons ... ils nous devront plus
que la vie . Il eſſaie de ſe ſoutenir , & fait
quelques pas vers Suſanne : -C'eſt notre
AVRIL. 1771. 37
infortune qu'il faut accufer : je connois
tout mon crime , replique- telle ; je pourrois
vous paroître moins coupable fi je
vous diſois que l'infâme Jonathan a ſaiſi
le moment où j'étois dans le ſein de la
mort même ; mais il me ſuffitde ne pouvoir
plus porter avec honneur le nom de
votre femme ; tout eſt perdu pour moi;..
mon fort eſt décidé. Elle prononce ces
derniers mots d'un ton lugubre... La
ſeule grace que je vous demande , c'eſt
de ne me point hair. -Te hair !. Ah ,
Suſanne ! Morton lui tend les bras en
pleurant. -N'avancez point... Je voudrois
que la terre s'ouvrit pour m'engloutir...
O Ciel ! vous connoiſſez mon innocence
... Morton ſe traîne hors de ſa
chambre , va payer ce barbare créancier ,
acquitte d'autres dettes , & revient apporter
des alimens à ſa famille. Vivez , leur
dit il, mes enfans; pour moi , je fuccombe
à mes maux. Suſanne , la tête penchée
dans ſon ſein & pénétrée d'une douleur
qui faifoit frémir, gardoit un morne filence
: de tems en tems il lui échappoit de
ces foupirs concentrés , indices d'une agitation
mortelle; elle étoit occupée à enfevelir
cet enfant qui venoit d'expirer ;
cet affreux ſpectacle l'attachoit toute entiere
, tandis que ſon mari étoit abſorbé
38 MERCURE DE FRANCE.
dans l'effrayante contemplation de ſes
malheurs. Il n'avoit pas éprouvé tous les
traits de l'infortune. Ce génie du mal qui
ſemble goûter du plaiſir à tourmenter
l'homme & à s'enivrer de ſes larmes ,
n'étoit point raſlaſié des peines qu'avoit
eſſuyées Morton; des fatellites de lajuftice
rempliffent tout-à-coup leur chambre
, chargent de fers le mari&la fem .
me , & les plongent ſéparément dans un
cachot. Les enfans avoient ſuivi leur mè.
re dans la prifon. Tous ces coups de foudre
s'étoient ſuccédés rapidement ; Sufanne,
que l'on avoitportée évanouie dans cet
effroyable ſéjour , reprend connoiffance.
Quelle image la frappe ! un gouffre fouterrein
éclairé d'une lampe , ſes enfans
couchés à ſes côtés fur de la paille , les
pieds&les mains appéſantis ſous le poids
des chaînes . Eh , mon Dieu! s'écrie t elle,
de quoi ſommes - nous coupables ? d'être
les plus malheureux des humains. Mes
enfans ! Morton! où font-ils?. où fontils?
.. Voici mes enfans ! .. elle les embraffe,&
l'on m'a ſéparée de mon époux !
Quel est notre crime ? .. hélas ! .. puis je
le demander ? .. mais , Morton ? .. Ah ,
Seigneur ! .. quelle est donc votre juftice...
Morton n'avoit pas l'ame moins boul-
1
AVRIL. 1771 . 39
verſée , il regardoit ſes fers & ne diſoit
que ces mots : Je n'étois pas affez malheureux!
.. On vient ouvrir la porte de
fon cachot ; il eſt traîné , eſcorté de foldats
dans la ſalle du conſeil de la Colonie
; il y retrouve ſa femme & ſes enfans
entre les mains d'autres géoliers ; il voit
auſſi ſon barbare créancier & tous ceux à
qui il venoit de porter de l'argent , ſon
étonnement est égal à ſa douleur. Les juges
font avancer Morton &Sufanue : ces
deux miférables victimes ſe regardoient
ſans avoir la force de ſe parler. On leur
préſente des guinées ; on leur demande
s'ils les connoiſſent , ils n'héſitent pointà
déclarer que c'étoient en effet celles qu'ils
avoient données en paiement. Vous les
reconnoiſſez donc , dit un des juges : eh
bien ! vous avez prononcé votre condamnation;
il s'agit préſentement de ſavoir
quels font vos complices... Nos complices!
.. interrompent - ils tous deux à la
fois... que voulez - vous dire ? .. Que
vous devez , pourſuit un magiſtrat , dénoncer
avec la même ſincérité ceux qui
ont part à votre crime.. Combien êtesvous
de faux monnoyeurs ? De faux monnoyeurs
s'écrient le mari & la femme ! ..
Ah , le malheureux ! continue le premier
en ſecouant ſes chaînes avec un mouve40
MERCURE DE FRANCE.
ment d'indignation... Il n'avoit pas affez
percé mon coeur ! Susanne avoit perdu
l'uſage des ſens : l'excès du déſeſpoir la
rappelle à la vie. Cette femme , tout-àcoup
s'arme d'un courage furnaturel. On
eut dit que fa taille même s'élevoit audeſſus
de l'humain , tant la contenance
d'une noble fermeté paroiſſoit dans toute
ſa perſonne. Elle demande aux juges à
parler la premiere : il ſe fait un profond
filence : tous les yeux , tous les coeurs font
attachés fur Suſanne : elle commence
ainſi :
« Il fautdonc quele malheur m'abbaiffe
>>juſqu'à révéler des ſecrets que j'aurois
>> voulu me cacher à moi - même . Vous
>> voyez devant vous les deux créatures
>> les plus miférables qui aient encore
>> exiſté : vous allez frémir. Une tendreſſe
>> véritable , ainſi qu'une infortune ſans
>> exemple nous unit. Cependant le Ciel
>> fait que nous n'avons rien négligé pour
>> nous procurer de quoi vivre & élever
>> nos enfans : le ciel & la terre , tout s'eſt
» plû à nous repouſſer , à nous perfécuter,
>> à nous enfoncer dans la miſére . Mon
>>mari , qui ſentoit combien l'adverſité
>> eſt terrible , ſe laiſſa ſurprendre d'un
>> mouvement de pitié pour un homme
>>qui le méritoit peu ; il le cautionna , &
AVRIL. 1771. 41
>> fut obligé d'acquitter la dette qui ſe
>> montoit à beaucoup plus que nous ne
>>poſſédions . Le tygre que voilà , elle
>>montre ce créancier impitoyable , ne
>>nous a pas donné le tems d'amafler la
>> ſomine dont nous avions répondu; il a
>> vu nos larmes , il a entendu nos gémif-
> ſemens & rien n'a pu le toucher : un
>> ſcélerat , un monſtre , le plus abomina-
>>ble des hommes paroît s'intéreſſer à no-
>> tre fort : l'infâme Jonathan , c'eſt ſon
>>>nom, m'offre une bourſe de cent gui-
>>nées ; ily met une condition... Jen'eus
>> pas de peine à rejetter de ſemblables
>> bienfaits ... J'aimois l'honneur , la ver-
>> tu ; mon mari m'étoit cher ; il avoit
>> tous mes ſentimens , toute ma tendreſſfe.
>>Notre miſére augmente. Sans doute
» qu'il y en a parmi vous qui ont des en-
>> fans; c'eſt à ceux - là à ſe pénétrer de
>> l'horreur de notre ſituation. Nos mal-
>>heureux enfans gémiſſoient à nos oreil-
>> les , ſe ſéchoient de beſoin ſous nos
>> yeux , il falloit foutenir le poids de la
>>vie pour conſerver celle de ces infortu-
>>>nés ; nous avons imploré la charité, tout
>>nous a été refuſé. J'étois épouſe , j'étois
>> mère; je ſuis tombée pluſieurs fois aux
>>pieds du ſcélerat ; qui ne reſpiroit que
42 MERCURE DE FRANCE.
>> mon deshonneur. Il s'eſt trouvé ſeul
>> dans un lieu écarté : l'effroi , la mort ſe
>> ſont ſaiſis de moname; il a mis le com-
» ble à ſon inhumanité ; il a outragé à la
>> fois l'honneur , la religion , la nature;
>> &j'ai trouvé à mes côtés le prix de mon
>> opprobre & de ſa ſcélérateſle. J'aurois
>> pu mourir. J'ai oſé ſurvivre à ma honte
>>pour ſecourir mon mari&mes enfans ..
>& c'eſt en vain que je ſuis deshono-
>>réel ce n'étoit pas aſſez que cette hor-
>>rible image s'élevat dans mon coeur! ...
>>Il falloit que ce lieu fût rempli de mon
>>humiliation , que Jonathan me rendît
>>la victime de tous ſes attentats ; c'eſt
>>de lui , ajoute - t-elle que viennent ces
>>fauffesguinées .. Moname juſqu'ici s'eſt
>> arrêtée pour vous inſtruire de tout, pour
>> faire tomber les fers d'un infortuné
>> qui, en ce moment , m'eſt plascher que
>> jamais... Mes malheurs font au com-
>>ble... je n'ai plus qu'à mourir... per-
» mettez ſeulement que j'expire dans les
>> bras de mon mati ; oui , Morton... je
>> ſens la mort... peut être me pardonne.
>> rez- vous ... »
Les juges ordonnent en pleurant qu'on
détache leurs fers. Susanne , pâle & mourante,
eſt dans le ſeindefon mari qui n'a
AVRIL.. 1771 . 43
que le tems de recevoir ſes derniers ſoupirs
, & en expirant , elle lui parle encore
deſes enfans&de fa tendreſſe .
Morton eſt retenu dans la chambre da
concierge ; on vouloit le confronter avec
Jonathan ; les ordres avoient été déjà donnés
de ſe ſaiſir de ce miſérable par - tout
où on le trouveroit. Le conſeil aſſemblé
reçoit le lendemain ce billet. « J'étois au
>>plus haut degré d'infortune , j'ai voulu
>> m'en délivrer , &je l'ai dû. Un tel en-
>> chaînementde malheurs étoit pour moi
>> une loi expreſſe duCiel , de rompre les
>>liens de la vie : je me ſuis hâté de les
>>brifer pour rejoindre ma femme dans
>>le tombeau : j'attends de votre compaf-
>> ſion que vous me faſſiez enſévelir dans
» le même linceuil & inhumer dans la
>> même foſſe ; je recommande à votre
>>humanité nos chers enfans : puiſſent- ils
>> être plus heureux que nous ! Je meurs
>>en vous répétant que ni ma femme , ni
> moi ne ſommes coupables du crime qui
>> a comblé nos maux; vous faurez la vé-
>> rité , ſi Jonathan n'échappe pas au ſup-
>>plice qu'il mérite , » MORTON.
On apprit dans la ſuite que Morton
avoit ſu ſe procurer du poifon. Jonathan
fut arrêté au moment qu'il paſſoiten Europe.
C'étoit lui qui avoit fabriqué les
44 MERCURE DE FRANCE.
fauſſes guinées : ſa vie n'étoit qu'un tiſſu
de forfaits . On le condamna au dernier
fupplice ; il rendit hommage à la vertu en
avouant que depuis ſon crime il n'avoit
pujouir d'un inſtant de repos ; il revoyoit
par- tout l'ombre de Susanne qui venoit
fans ceſſe lui reprocher ſa perte & celle
de fon mari ; il parut content de perdre
la vie , eſpérant qu'il ſeroit délivré des
horreurs d'une exiſtence qui lui étoit devenue
inſupportable ,&que l'excès de fes
remords lui feroit trouver grace devant le
Juge Suprême .
LA MORT DE VIRGINIE.
Laſcène est dans le palais d'Appius.
APPIUS decemvir ; CLODIUS ;
LICTEURS ,
CLODIUS.
SEIGNEUR, je fors du temple où , plein d'impa
tience ,
Icile alloit former ſon heureuſe alliance :
Je l'ai vu s'avancer aux marches del'autel ,
Et prêt à prononcer le ferment folemnel ,
Offrir à Virginie une main triomphante.
۱
AVRIL. 1771 . 45
Aleurs côtés , Pauline impétueuſe , ardente ,
Laiſſoit voir dans ſes yeux les tranſports de fon
coeur ,
Et ſembloit du Pontife accuſer la lenteur.
Suivi de vos ſoldats , j'accours ; je fens la preſſe :
Le peuple eſt étonné ; le ſacrifice cefle.
Je ſaiſis Virginie ; Icile furieux ,
Icile voit ravir ſon amante à ſes yeux ;
Il vole : on le déſarme & le nombre l'accable.
.. Pauline ah ! qu'une mère alors eſt redoutable !
Pauline ... elle s'élance à travers les ſoldats .
C'eſt ma fille , arrêtez . Où portez - vous ſes pas ?
Aſes cris redoublés le peuple ſe raſlemble.
Il nous ſuit ; je vous nomme : on ſe tait : chacun
tremble.
La foule ſe diſperſe , & Pauline en fureur
Detous nos citoyens court rallumer l'ardeur.
Icile qu'on retient frémit de cet outrage ,
Etperd en vains efforts ſon impuiſſante rage.
Virginie éperdue & la mort dans les yeux ,
Garde un triſte ſilence & marche vers ces lieux.
Je vous l'avois promis , & ce recit fidèle
Vient de vous confirmer le ſuccès de mon zèle.
On amene l'objet dont vous êtes épris :
Je vais , par une fable , appaiſer les eſprits ,
Et bientôt nous verrons la beauté qui vous brave ,
De fon rang , defcendue au vil rang d'une eſclave ,
Oublier , dans les fers , ſon faſtueux orgueil ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Et près de vous , Seigneur , s'honorer d'un coup
d'oeil.
Le fond du théâtre s'ouvre : on voit entrer
Virginie chargée de chaînes & entouré
de gardes ; Pauline ; troupe de Ro
mains.
PAULINE , à Appius.
Protecteur de nos loix ! écoutez ma prière
Et rendezVirginie aux larmesde ſa mère...
Hélas! je vois encor de barbares foldats ,
Conduits par Clodius , l'arracherde mes bras :
J'entens encor les cris de cette infortunée ,
Par leur troupe féroce en eſclave enchaînée.
Par quel ordre , à mes yeux , l'a-t- on oſé ravir?
Quels crimes , dans les fers , peuventla retenir?
CLODIUS .
Cettefille eſt à moi: vous n'êtes point ſa mère;
Ona , de ſa naiſſance , éclairci lemyſtère;
Madame , d'une eſclave elle nâquit chez moi :
De mes droits aujourd'hui des témoins ont fait
foi.
L'eſclave , qui convient de cerecit étrange,
La plaça près de vous par un ſecret échange.
PAULINE .
Ciel! quel eft cediſcours queje neconçoispas ?
Onpourra donc former les plus noirs attentats,
AVRI L. 1771 .. 47
En les autorifant pa: de frivoles fables! ..
Il faut une autre preuve& des faits plus croyables .
Une eſclave eut porté ma fille dans ſes flancs!
Va! j'en crois mon amour , ſes inquiets élans ,
Cespleurs qu'il fait couler, ce cri plaintif & tendre
Que du fond de mon coeur il vient de faire entendre.
Mépriſable impoſteur ! penſes-tu m'abuſer ?
Eh ! quels ſont ſes témoins ? qu'oſe- t- il m'oppofer?
Uneeſclave qui dit tout ce qu'on lui fait dire ,
Et qu'à fon gré , ſans doute , il a pris ſoin d'inftruire;
Etſous un faux prétexte , a- t'il droit , l'inhumain,
De porter fur ma fille une odieuſe main ? ..
Non ! tout mon fang s'émeut à cette horrible
image...
Non , ce n'eſt point à lui que je dois mon ouvrage.
Vainement le menſonge oſe élever ſa voix :
Rome eſt intéreſlée à ſoutenir mes droits.
Les pères vont s'armer pour la cauſe commune :
Tous n'ont - ils pas à craindre une même infortune?
Quels citoyens , grands Dieux ! ſeront en ſûreté ,
Si le premier brigand , fier de l'impunité ,
Porte le deshonneur au ſein d'une famille ,
Etdesbras de la mère oſe arracher ſa fille ?
Mais que dis-je ? Seigneur , je me flatre &je croi,
48 MERCURE DE FRANCE.
Que la ſimple équité doit vous parler pour moi ,
Et ſans avoir beſoin d'employer d'autres armes
Pour appuyer ma voix , il ſuffit de mes larmes.
APPIUs .
J'ai prévu vos tranſports : ils ne m'ont point furpris
,
Du bien que vous perdez je connois tout le prix.
L'habitude en nos coeurs égale la nature
Et l'amour aisément ſe trompe à leur murmure.
Je voudrois vous ſervir : dans le rang où je ſuis,
Vous écouter , vous plaindre , eſt tout ce que je
puis.
PAULINE.
Je m'étonnerois moins que cette ame parjure
Aux droits ſacrés du ſang , prêtât ſon impoſture :
Se peut- il qu'Appius lui donnant ſon appui ,
Deſcende à des ſoupçons ſi peu dignes de lui ! ..
M'auriez- vous pu tromper, Dieux qui m'avez fait
mère ,
En imprimanten moi ce vivant caractère ?
AClodius .
Mais parle , réponds-moi , lâche & vil ravifleur ,
Puiſqu'il faut m'abaiſſer à confondre l'erreur :
Tu prétends qu'une eſclave a ſu dans ma famille,
Par un échange adroit , fubftituer ſa fille ?
Dans quels lieux ? en quels tems ? ou font- ils ces
témoins ?
Qu
AVRIL. 1771. 49
Quedu fort dema fille on m'inſtruiſe du moins.
CLODIUS.
J'ai dit , fur ces objets , ce que j'avois à dire :
C'étoitAppius ſeul qu'il m'importoit d'inſtruire .
Les témoinsont parlé.
PAULINE.
Ils ont parlé , dis- tu ?
Mon coeur , par leur aveu, ſera mieux convaincu.
S'il en eſt un , qu'il vienne... & je vais lui répondre.
Qu'il vienne ! .. d'un ſeul mot je ſaurai le confondre...
AAppius.
Seigneur , il faut trancher d'inutiles diſcours.
Je vois que j'ai fans fruit compté ſur vos ſecours.
Je vois quel eſt le bras dont le poids nous acca
ble ,
Et Clodius ici n'eſt pas le plus coupable...
Au Peuple.
Oui , Romains , ma douleur me force à dévoiler
Un myſtère odieux qui vous fera trembler...
APPIUS , l'interrompani.
Je ſuis las d'écouter un diſcours qui me brave.
Licteurs! à Clodius , remettez ſon eſclave .
II. Vol. C
1
50 MERCURE DE FRANCE.
PAULINE , repouſſant les Licteurs.
Arrétez un moment ; arrêtez ... Ah ! Seigneur ,
Pardonnez ce langage au trouble de mon coeur.
C'en eſt fait ; ma fierté ſuccombe à ma diſgrace.
Elle tombe aux genoux d'Appius.
J'ole vous conjurer par vos pieds que j'embraffe ,
Par vos ayeux , par vous , par vos voeux les plus
chers ,
D'arracher Virginie à l'opprobre des fers.
VIRGINIE.
Ma mère ! levez-vous : quelle indigne foiblefle
Vous fait de votre ſang oublier la noblefle ?
Quand toute autre que vous m'auroit donné le
jour,
Mon coeur n'est point fléri par ce honteux retour:
Votre vertu m'anime & je ferai connoître
Queje ſuis votre fille ou digne au moins de l'être.
AuxGardes.
Eh bien ! puiſqu'Appius a fixé mes deſtins ,
Qu'attend-on pour remplir ſes ordres inhumains ?
PAULINE , prenantfafille dansſes bras .
Barbares! qui de vous oſera l'entreprendre ?
Juſqu'audernier foupir je ſaurai la défendre.
AVRIL. 1771 . 51
La présentant au Peuple.
C'est mon ſang ; c'eſt ma fille ... O ! mes concitoyens
!
Me verrez vous ravir le plus cherde mes biens ?
Devez - vous à l'opprobre abandonner ma fille,
Tandis que vous laiſſant le ſoin de ſa famille ,
Mon malheureux époux au milieu des combats ,
Pour vous , dans ce moment , va chercher le tré
pas ?
Le Peuple s'aſſemble en tumulte au tour de
Virginie.
APPIUS .
Qu'on écarte la foule. Une prompte vengeance
De tout ſéditieux punira l'inſolence.
Licteurs ! obéiflez .
PAULINE ,se jettant entre les Licteurs
&fa fille.
Romains ! défendez-moi.
CLODIUS , portant la mainfur Virginie.
Aux ordres d'Appius , eſclave ! ſoumets-toi.
PAULINE , d'un ton égaré.
Ma fille! .. ton eſclave! .. apprends à la connoître...
Cij
52
MERCURE DE FRANCE .
Elle tire un poignard & la frappe.
Va! .. quand on peut mourir , on eſt toujours fon
maître.
ParM. Léonard.
EPIGRAMME.
Le Mouvement prime -Sautier.
Un Ruſtre , aux pieds d'un confeſſeur,
Contoit que d'un bâton de ſaule
Son bras avoit , du collecteur ,
Très- rudement frotté l'épaule...
Le prêtre oyant parler de gaule
Distingua ſavamment les cas
Qui pouvoient excuſer l'uſage
Qu'on fait par fois de l'échalas :
Si , par exemple , votre bras ,
Sur le dos dudit perfonnage ,
Eût été bruſquement conduit
Par certain mouvementfubit
Queprime fautier l'on appelle ,
Votre action , fans contredit ,
Neferoit que peu criminelle.
Le manant , entendant ces mots
Qui ſembloient venir à propos
AVRIL. 1771 . 53
Pour le calmer ſur ſes fredaines ,
Dit : mon très-cher Monfieur Gautier ,
Un mouvement prime- ſautier
Peut- il bien durer trois ſemaines ?
Par M. B...
A
AUTRE.
L'Année climatérique.
ſoixante - trois ans un larron fut pendu.
Ce que Blaiſe ayant entendu ,
Diſoit d'un air mélancolique :
Juſte Ciel ! voilà donc encore un homme mort
Tout juſte à cet âge critique!
Qu'on diſe à préſent que j'ai tort
De craindre ma climatérique.
Par le même.
DIALOGUE
Entre EsOPE & PLATON.
SOPE .
Our , je fus efclave , errant , pauvre ,
& qui pis eſt boſſu : vous eûtes ſur moi
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
l'avantage de la taille , des richeſſes , de
la naiſlance , & de ce qu'on nomme un
rang parmi les hommes ; ces hommes
vous édifierent ; quelques- uns me profcrivirent
. On vous éleva des autels ; on
me précipita du haut d'une roche : cependant
ma réputation égale aujourd'hui
lavôtre.
PLATON.
C'eſt de quoi je murmure depuis bien
des ſiécles dans cet aſyle fortune. N'ai-je
donc pris un effor ſi élevé que pour me
trouver de niveau avec la fourmi & la
cigale?
ESOPE.
Chacun moraliſe à ſa maniere . Vous
empruntâtes le langage des dieux pour
inſtruire les hommes. Je le fis à moins
de frais ; je n'eus recours qu'à celui des
animaux.
PLATO Ν.
Le ton que je pris convenoit à l'importance
de mes leçons. Ce fut moi qui ,
après Socrate , enſeignai aux hommes à
connoître la dignité de leur eſpèce. J'élevai
leur ame en l'inſtruiſant de fon origine.
Ils ne ſe regarderent plus comme
AVRIL. 1771 . 55
des êtres deſtinés à périr; comme un flambeau
qui s'éteint lorſque l'aliment de ſa
flame eſt confumé. Je leur appris que
cette flame ſurvivoit au flambeau même ;
qu'émanée du ſein des dieux , elle retournoit
à fon premier ſéjour. J'excitai
l'homme à chercher le bien , à trouver le
mieux. J'eſſayai de l'élever au - deffus de
lui même , & je mis dans mes diſcours
tout le ſublime que je voulois qu'il mît
dans ſes actions .
ESOPE .
Ce fublime n'eſt - il pas trop ſouvent
inintelligible ? Vous n'écrivîtes que pour
ceux qui pouvoient vous entendre , & ce
n'étoit point ceux - là qu'il falloit inftruire.
On n'inſtruit point ceux qui
croyent tout ſavoir.
PLATO N.
J'acquis , du moins, ledroitde me faire
écouter. Les leçons de Socrate , mon
premier maître , ne fuffirent point au
defir que j'avois de m'inſtruire. J'allai
chercher la ſcience dans tous les climats
où elle s'étoit refugiée. L'Italie me vit
accourir aux leçons de Pytagore ; l'Egypte
à celles de ſes prêtres ; j'allois même pé
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
nétrer juſques dans l'Inde , ſi la guerre >
toujours ſi fatale aux progrès des connoifſances
, n'eut mis un obſtacle à mes defſeins.
Je revins dans ma patrie où je trouvai
tout ce qu'il faut pour exciter le génie;
des émules , des rivaux , des critiques &
des admirateurs .
ESOPE .
Vous ne me parlez pas de Syracuſe ?
PLATON.
J'avois cru y trouver un Roi philofophe
; je n'y trouvai qu'un tyran .
ESOPE .
Sij'en crois certains rapports , Platon
le Philoſophe eut quelque enviede devenir
Platon Courtiſan .
PLATON .
Ma prifon vous prouve le contraire.
ESOPE.
Elle ne prouve rien , puiſqu'ayant éré
maltraité par le premier Denis , vous ne
craignîtes pas de vous expoſer encore aux
caprices du ſecond.
AVRIL. 177F. 57
LATON.
Je me rendis à fes prieres. J'eſpérois ,
d'ailleurs , lui faire goûter mes principes
de gouvernement , & réaliſer dans Syracuſe
ce que j'avois médité dans Athènes.
ESOPE.
On m'a parlé de ce fameux ſyſteme
d'adminiſtration. Il m'a paru que ſi le divin
Homère dort quelque fois , le divin
Platon rêve encore plus ſouvent.
PLATON.
C'eſt qu'un gouvernement parfait dans
tous ſes points n'eſt autre choſe qu'une
illuſion. Les hommes qui veulent jouir
des avantages de la ſociété doivent en
fupporter les inconvéniens. Il eſt prouvé
que le grand nombre eſt hors d'état de ſe
gouverner lui - même , & qu'en multipliant
ſes chefs, il ne fait ſouvent que
multiplier les abus.
EsorE.
Il n'étoit pasbeſoin de tant écrire pour
leprouver. La petite fable des membres
qui ſe révoltent contre l'eſtomac en dit
plus que tous vos longs dialogues fur la
république & fur les loix.
y
58 MERCURE DE FRANCE.
PLATON .
Si vous euffiez fait comme moi deux
mille lieues pour prendre quelques notions
de muſique , de mathématiques, de
phyſique & de métahyſique , votre morale
ſeroit moins fimple qu'elle ne l'eſt , vos
écrits plus volumineux qu'ils ne le font .
ESOPE.
Je rends grace aux dieux de n'avoir été
qu'un ignorant. Je ne voyageai que parce
que j'étois eſclave , & Platon ne devint
eſclave que pour avoir voyagé.
LATON.
L'eſclaveEſope voyageoit ſouventdans
les cours.
ESOPE .
Le philoſophe Platon ne les fuyoit pas.
PLATON.
Vous ne vous refuſâtes ni à la faveur
de Créſus , roi de Lydie , ni à celle de
Licerus , roi de Babylone , ni aux bienfaits
de Necténabo , roi d'Egypte. Parlerai -je
de la fameuſe Rhodhopé ?
AVRIL. 1771. 59
ESOPE.
J'en parlerai moi - même ſi vous n'en
dites rien. La fortune me fit naître dans
l'indigence & l'obſcurité ; la nature me
refuſa tous les dons extérieurs & même
celui de la parole . Je parvins , toutefois ,
aux honneurs d'une cour & aux faveurs
d'une belle femme. Peut- être euſſai -je
dédaigné les unes & les autres , ſi comme
vous j'euſſe été modèlé ſur la ſtatue d'Apollon
, & fi j'avois eu pour ayeux des légiflateurs
& des Rois. J'étois né pauvré
& contrefait ; je pris plaiſir à me jouer
ainſi de la nature&de la fortune.
PLATON.
Vous avouerez , du moins , que ma retraite
fut toutephiloſophique. J'abdiquai
la plus grande partie de ma fortune ; je ne
me réſervai que l'honnête néceſſaire , &
une maiſon commode ; mais champêtre ,
où je recevois en même tems le délicat
Ariſtippe &le cynique Diogène.
ESOPE.
Vous ne me parlez point de ces Dames
Athéniennes qui ſe traveſtiſſoient pour
aller apprendre la philoſophie ſous un
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
maître qui avoit la figure d'Apollon Pythyen
?
PLATON.
Qu'importe ? mes principes n'interdifent
point aux femmes l'étude de la philofophie.
D'ailleurs, on fait à quels termesje
réduifois l'amour, & ce que fignifie
encore aujourd'hui l'amour platonique.
ESOPE..
Je doute que des femmes priſſent la
peine de vifiter ſi fouvent un homme qui
ne leur parleroit que de cetamour.
PLATON.
Mes envieux en doutoient de même.
ESOPE.
Vos envieux ont dit quelque choſede
plus ; mais revenons à votre morale. Si je
les en crois , elle est trop romanefque&
fur- tout trop enveloppée. Votre ſtyle eſt
hiéroglyphique , diffus , trop poétique ,
malgré la jalouſie que vous affichez contre
les poëtes. Vous ne connûtes jamais
dans vos écrits l'ordre que vous voulûtes
établir dans la ſociété.
AVRIL. 1771 .
1
PLATON.
J'eus mes raiſons . Socrate venoit de
boire la cigüe pour s'être expliqué trop
ouvertement. Je publiois fa morale & je
pouvois rencontrer de nouveaux Anitus
&Melitus. J'eus done ſouvent recours
aux nombres de Pythagore & aux paraboles
des Prêtres Egyptiens : je n'enſeignai
riendirectement. Il falloit, pour entendre
mes leçons, avoir une pénétration preſque
égale à la mienne. Dès lors une telle morale
, fut - elle même fauſſe dans tous ſes
points , ne pouvoit jamais ſe répandre
aſſez pour devenirdangereuſe.
ESOPE.
Une morale qui ne peut ſe répandre eſt
pour le moins inutile.
PLATON.
Je n'employai pas toujours l'allégorie
pour m'expliquer. Ily eut dans la morale
que je débitois moins d'obſcurité que d'élévation
. Elle s'éloignoit moins de l'hom.
me que l'homme ne cherchoit à s'éloigner
d'elle ; & l'ame vertueuſe pouvoit l'entendre
, comme les yeux de l'aigle peuvent
fixer l'aſtre du jour.
62 MERCURE DE FRANCÉ.
ESOPE .
Il falloit vous ſouvenir qu'il y a bien
peu d'aigles parmi les hommes ; que le
père commun de tous les Etres partage
entre eux ſes préſens , & qu'il met à la
portée de chacun d'eux la nourriture qu'il
deſtine à leur conſervation .
PLATON.
Quoi ! le ton ſublime n'eſt pas le plus
propre à exprimer des vérités ſublimes ?
Je ne puis forcer votre eſprit à s'élever
ſans que le mien ſoit réduit àdeſcendre ?
Eh! qu'ai - je dit aux hommes ? le voici :
votre origine eſt ſurnaturelle : ce ne fut
point la nature qui vous doua de l'entendement;
elle ne fit que donner à votre
ame une envelope momentanée. Cette
ame tient ſes idées de ſon auteur ,
de cet être dont l'Intelligence avoit
tout prévu , tout préparé. Le modèle de
tout ce qui exiſte ſur la terre exiſtoit auparavant
dans les cieux. Ce fut d'après cet
exemplaire que l'Eternel ouvrier forma
cette copie dans laquelle vous figurez tout
plus ou moins avantageuſement. Aimez
vous; aimez la vettu. Elle reglera vos
1
AVRIL. 1771. 63
devoirs à l'égard de cet Etre à qui vous
devez tout , & à l'égard de ces Etres auxquels
il daigna vous aſſocier. Souvenezvous
qu'il n'eſt point de félicité ſans la
justice , ni d'infortune avec elle. C'eſt
par cette route que vous arriverez au fuprême
bonheur. Vous en jouirez dans ce
monde ; vous en jouirez mieux encore
dans celui dont il n'est qu'une image
imparfaite. Rendez grace à l'Etre qui
vous créa d'avoir daigné vous faire homme.
Ce fut un pur bienfait de ſa part .
ESOPE .
Votre ton me paroît avoir perdu quelque
choſe de ſa ſublimité; mais cet effor
ſeroit encore trop élevé pour tant d'hommes
qui ont la vue foible. J'en connus
mieux la portée , ou , peut- être , celle de
mon eſprit ne s'étendoit- elle pas plus
loin. Souffrez cependant que pour finir
cettediſcuſſion , je reprenne mon langage
ordinaire.
>> Deux arbres s'élevoient ſur les bords
>> du grand chemin de Babylone. L'un ,
>>d'une hauteur giganteſque ; étaloit aux
>>regards la beauté de ſes préſens , mais
>>le bras du Voyageur ne pouvoit y at-
>> teindre. L'autre arbre , preſque nain ,
64 MERCURE DE FRANCE.
>>courboit encore , en faveur des pallans,
fes rameaux chargés de fruits : on les
>> cueilloit fans effort& fans peine. Qu'en
>> arriva- t - il ? On délaiſſa l'arbre ſuperbe ,
>& l'on fè raſſembla autour de l'arbre
nodeſte. Le premier , difoit-on , n'ex-
>> cite que nos regrets; l'autre fatisfait à
>>beſoins ».
Par M. de la Dixmerie.
PARAPHRASE du pſeaume : Domine ,
Dominus noſter , & c .
A
ODE.
UTEUR de l'Univers , que ta magnificence,
Que ta grandeur brille en tous lieux !
Que de ton nom la gloire immenfe
D'un vif éclat frappe mes yeux !
Toujours à toi- même ſemblable ,
Toujours fublime , inimitable ,
Je reconnois ta main à mile traits divers
Dans tous les êtres de la rerre ,
Dans les merveilles qu'elle enferre ,
Jedécouvre par-tout le Dieu de l'Univers
AVRIL. 1771 . 65
Mais quandj'oſe , élevé de la terre à ton trône ,
Porter juſqu'à toi mes regards ;
Quand la gloire qui t'environne
Vient m'inveſtir de toutes parts ;
Alors l'éclat de la nature ,
Les cieux , dans leur riche parure,
Ceſſent de captiver & mon coeur & mes yeux ;
Ils ne ſont plus qu'une étincelle
Decette ſplendeur immortelle
Que je vois rejaillir de ton front radieux.
Soyez donc à jamais couverts d'ignominie ,
Vous , dont le téméraire orgueil
Conteſte la gloire infinie
Du Dieu qui voit tout d'un coup-d'oeil ;
Des humbles la ſage démence
Paſſe votre folle prudence ;
Er cet enfant naïf ,dont la timide voix
Bégaye à peine fa penfée ,
Confond la raifon inſenſée
Du favant orgueilleux qui blafpheme ſes loix.
Contemplez avec eux , de la voute azurée
Les étincelantes beautés .
Quelle main a de l'Empyrée
Formé les fublimes clartés ?
Exact à fournir fa carriere ,
Des traits brillans de ſa lumiere
Le ſoleil chaque jour éclaire l'horiſon.
66 MERCURE DE FRANCE.
Dans ſa courſe fiere & rapide ,
Quel est donc le bras qui le guide ? ..
Je vois ſe perdre ici votre foible raiſon.
Mais une ſombre nuit vient-elle , de ſes voiles
Etendre l'épaifle noirceur ;
Bientôt d'innombrables étoiles
Viennent en diffiper l'horreur.
Secondant notre heureuſe attente
Un nouvel Aſtre * efface , augmente
La clarté des flambeaux qui brilloient à nos yeux;
Répondez- nous , prétendus ſages :
Qui forma tous ces grands ouvrages ?
Quellemain ajetté tant d'éclat dans les cieux ?
Quedis-je ? tous ces dons ,de la bonté ſuprême ,
Ne ſont que les plus foibles traits";
GrandDieu! c'eſt ſur-tout, dans moi-même,
Queje retrouve tes bienfaits.
Hélas! frêles enfans des hommes ,
Foibles inſectes que nous ſommes ,
Comment méritons -nous d'être apperçus de toi ?
Entourés d'innombrables mondes ,
Echapés de tes mains fécondes ,
Comment peut tagrandeur s'abaiſſer juſqu'àmoi?
Des plus rares bienfaits ta bonté nous couronne;
*La Lune.
AVRIL. 1771 . 67
Tu nous accables de tes dons ;
De la gloire qui t'environne ,
Tu répands ſur nous les rayons.
En nous formantà ton image ,
Tu voulus rendre notrehommage
Plusdigne d'attirer tes regards éternels ;
Ton ſouffle ennoblit notre fange ,
Et l'homme , preſque égal à l'Ange ,
Nelecédeengrandeur qu'aux eſprits immortels.
Cene fut rien encore ; & ta rare clémence
Vouloit de l'homme faire un Roi ,
Et que de lui , de ſa puiſſance ,
Lemonde entier reçut ſa loi.
Aujoug de ſon paiſible empire
Tu ſoumis tout ce qui reſpire
Sur le ſeinde la terre&dans le ſein des mers;
Les troupeaux des ſombres bocages ,
Les animaux les plus ſauvages ,
Les habitans des eaux , le peuple aîlédes airs.
Auteur de l'Univers , &c.
Par M. l'Abbé Aleaume, Conseiller
auparlement de Rouen..
68 MERCURE DE FRANCE.
FABLE traduite de l'anglois.
par M. Sim...
Dans le tems ANS que les animaux pouvoient_
encore lire , écrire & parler &
qu'ils étoient agítés par les mêmes pafſionsque
les hommes , on trouva un ancienpoëmedans
lequel on avoitéloquemment
décrit le mal que l'on reſſentoit par
l'impreſſion des dents & des griffes dans
la chair vivante. On y avoit peint avec
les couleurs les plus fortes toutes les nuances
de la douleur que fouffroit le malheureux
qui y étoit expoſé ; la foibleſſe
occaſionnée par la perte de ſon ſang , &
enfin les tourmens cruels qu'il éprouvoit
juſqu'à ce que la mort vint l'en délivrer.
Le nom de l'auteur n'étoit pas à ce
poëme ; mais fur la première page on
voyoit diſtinctement la lettre initiale L.
Les critiques les plus inſtruits examinerent
la choſe avec une exactitude ſcrupuleuſe
& déterminés par cette lettre ils demeurerent
d'accord qu'il falloit que ce
fut l'ouvrage du lion, du lynx , du leopard
ou de l'agneau . *
*En anglois , lamb.
AVRIL. 1771. 6
Ce dernier fut rejeté d'un conſentement
général , comme ne connoiſlant
rien au ſujet traité dans ce poëme. On difputa
long-temps pour lelion , le léopard
ou le lynx ; On prouva de la force du
premier , de la ſoupleſſe du ſecond & de
la cruauté du troiſieme , que l'un d'eux
devoit être l'auteur de cet ouvrage ; mais
un cheval prenant la parole obſerva que
le poëme dont il s'agiſſoit ne pouvoit
appartenir à aucun d'eux ; car , il eſt impoſſible
, dit- il , » qu'un animal quia le
>> ſentiment que cet auteur montre pour
>> les tourmens cruels qui font occafion-
>>nés par le déchirement des dents & des
>>griffes faſſe encore les ravages que nous
>>voyons faire journellement par ces trois
>> fiers competiteurs ; l'auteur de ce роё-
> me,ajouta-t - il , doit donc être l'agneau ;
>> car c'eſt à celui qui ſouffre à donner une
>>idée véritable des tourmens & des pei-
> nes & non à celui qui les occaſionne » .
70 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure du premier volume
d'Avril 1771 , eſt Zero ; celui de la ſeconde
, eſt Fille ; de la troiléme , le calice
de la Rofe compoſé de cinq feuilles ; de la
quatrième , Noeud d'épée. Le premier logogryphe
eſt revers , qui , en ajoutant un
i , fait reverfi ; le ſecond , Ponce , pierre
ſpongieuſe , où ſe trouvent cone , once ,
noce , Pó fleuve , Noé & Ponce Pilate.
RÉPONSE à l'Auteur de l'Enigme
CINQ FRERES , & c .
Au gentil & charmant lutin
Qui ſe plaît à troubler le repos de ma vie ,
Et dont la muſe , au ſourire malin ,
S'armant de fleurs , au combat me défie ,
•Et ſe promet un triomphe certain ,
Salut , honneur & jours dignes d'envie.
Flore jadis eut cinq enfans
Des amours du tendre Zéphire :
Des plus riches couleurs parés de tous les tems ,
Toujours vermeils , toujours brillans ,
Ils étoient l'ornement de fon aimable empire.
Ils le feroient encor... mais ils furent amans.
Titon fut jeune , il fut aimé d'Aurore .
AVRIL. 1771. 71
Combien de fois leur tendre amour
Afaitdire aux humains , en l'abfence dujour !
Déeſle , dans ton char ne viens-tu point encore ?
Mais le plaiſir ſuſpendoit ſon retour.
Ces deux amans donnoient au monde
Une beauté qui devoit l'embellir ;
Etdont l'éclat feroit rougir
L'autre Vénus qu'on vit fortir de l'onde.
Roſe eſt le nom qu'on lui donne en ces lieux ;
Elle cut été déeſſedans les cieux ;
Aurore en fit un préſentà la terre ,
Et de Flore ſa ſoeur en orna le parterre .
Lejour qu'elle étala ſes merveilleux appas
Fut célébré comme une fête :
Tous lescoeurs voloient ſur ſes pas ;
Des cinq enfans de Flore elle fit la conquête.
Ces aimables rivaux dont amour eſt vainqueur
Ne quittent plus l'objet qui les enchante ;
Le voir & le ſervir eſt leur commun bonheur.
Roſe eſt leur reine & leur amante.
A la déeſſe enfin qui leur donna le jour
Ils adreflent leurs voeux , d'une voix unanime :
Odéeſſe ! foyez propice à notre amour :
A vos yeux , difent - ils, l'amour n'eſt point un
crime.
Contre les attentats de l'aquilonjaloux ,
Rofe implore votre aſſiſtance.
Que notre ſort ſeroit charmant & doux ,
Si nous étions nous-mêmes fa défenſe!
72
MERCURE DE FRANCE.
Que par votre immortel pouvoir ,
ARoſe nous offrant ſous des formes nouvelles ,
Nous puiſſions , devenus ſes chevaliers fidelles ,
Entre nos bras la recevoir.
Flore ne put les ouir ſans triſteſſe;
Elle voyoit en eux mille charmes naiſſans ;
Mais d'une mère elle avoit la tendreſſe ,
Elle exauça les voeux de ſes enfans.
Auſſi -tôt on vit ſes amans ,
Dont la ſplendeur & la jeuneſſe ,
Etoit l'honneur , la parure des champs ,
Devenir feuille , embraſſer Roses
La couvrir de baiſers brûlans ;
La dérober , la nuit , aux zéphirs infolens ,
Et, lejour , lorſqu'elle eſt écloſe ,
Armés de traits , punir les mortels impudens.
Cette avanture arriva dans un tems
Où l'amour fit mainte métamorphofe.
S'il eſt beſoin de citer mes garans ,
Plus d'un poëte atteſtera la choſe.
Par M. d'Arnol , de Lyoni
ÉNIGME
Je ſuis un composé d'une étrange figure,
Une perle , un rubis font ſouventma parure:
Maint Damoiſeau me tapifle au-dehors
D'un
AVRIL. 1771 . 73
D'un couffin trempé dans l'eau roſe ;
Mais ſi l'on diſſéque mon corps ,
Quelle étrange métamorphofe ,
Etquel arrangement nouveau !
A vos yeux je ferai paroître
Un étrier , un enclume , un marteau ,
Tous membres cachés de mon être.
Delàvous conclurez peut-être
Que le bruit eft mon élément.
Hélas ! c'eſt bien peu me connoître ;
Carilfaitmonplus grand tourment.
ParM. Pasqueau fils , d'Auxerre.
PAR
AUTRE.
AR moi tout finit , tout commence :
Par moi la terre a pris naiflance ,
Si je n'exiſtois pas enfio ,
Un momentn'auroit point de fin.
Je ne luis pas dans une licuë ,
Etje fais moi tout ſeul la moitié de l'état,
Je ne ſuispourtant que la queue
Dún rát .
τωςότος Rakle même.
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Je parle bienen vain ſi l'on nem'enviſage.
Mon ſilence eſt ma voix , ma forme eſt mon langage.
Cequ'on m'a dit , lecteur , c'eſt moi qui re ledis ;
Tu dis ce que je dis , dis-moi donc qui je ſuis.
ParM. François Chemilly.
LOGOGRYPH Ε.
JEne ſuis point, lecteur , une oeuvre denature,
Pour dire un mot de mon utilité
१
Jedoismon être à la néceffité.
Six pieds font toute ma ſtructure.
Ne les combine point : coupe moi ſans pitié,
Etdans ma premiere moitié
Tu trouveras le tems où Flore
Renaît dans les pleurs de l'aurore ;
L'autre fait l'ame des concerts ,
Sonregneeſt au milieudes airs .
ParM. Bordier, àBonnevals
AVRIL. 1771. 75 ..
AUTRE .
JE fuis , lecteur , une innocente bête
Qui te fournit un ſalubre aliment .
Mais , je t'en avertis , ſi tu manges ma tête ,
Je ne ſuis plus qu'un élément.
Parleméme.
J
AUTRE.
fuis fidèle au pauvre comme au riche.
Si vous cherchez , lecteur , par la combinaiſon ,
Vous trouverez d'abord ma niche
Dans les cinq lettres de mon nom ;
Il en peut naître encore un fort puiflant empire ;
Mais n'est- ce point trop vous en dire ?
Par le même.
L
AUTRE.
Je tuis un petit meuble,un vaſe précieux ,
Quelque vil qu'il puiſſe être aux yeux ,
Cequ'il contient eſt la voluptémême ,
3
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Cequ'il contient féduit la plupart des mortels;
Aucun n'en eſt exclu de ce plaiſir ſuprême.
Je l'offre à l'indigence extrême ;
Je la conſole ainſi des jours les plus cruels.
De neufs pieds monnom ſe compoſe;
Pour peu qu'on les mêle & tranſpoſe
Me voilà Grec , Occidental ,
Ultramontain , Oriental ;
Une piéce de four , une pâtiſſerie ,
Qu'on fert dans un baptême & lorſqu'on le marie;
Le reflux de la mer; le cri d'un éléphant
Ou du rhinoceros ; le ſecond ton du chant ;
Une langue féconde; un peuple très-avare ,
Médecin , géomètre , éloquent mais barbare ;
Un coup qu'à certain jeu l'on joue en revenant ;
Du clergé , de fa robe un petit ornement;
La vertu , qui ne fut celle de Démosthene ,
Moins encore du ſexe ; une ligne qui mene
Etdirige les coups du mouſquet , du canon ;
Une ville, un outrage , un vice , une boiffon;
Ce qui ſouvent corrige , embellit la nature;
Un certain logement dont on vous prend meſure;
Une civiere à porter du moilon;
Unbarbeau figurant dans un champ de blafon ;
Ce petit animal que mit en dialogue
L'artiſte ingénieux de plus d'un apologue ;
Un mailler propre àbattre& gravois & ciment;
Un humainreveré du ſage & du méchant ;
Cette éponge dechair , ſelon l'anatomic ,
AVRIL. 1771 . 77
Le ſiége, le vrai lieu de la mélancolie;
Cequ'appaiſa Ninive , en écoutant Jonas ;
Vous voilà maître enfin de tout mon canevas.
Par M. de Bouffanelle , Brigadier des armées
du Roi , ancien Capitaine au régiment du
Commiſſaire -Général de la Cavalerie .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Continuation de l'histoire générale des
Voyages , &c. tome dix - neuvieme ,
formant le dernier volume des voyages
de mer. A Paris , chez Panckoucke ,
libraire , rue des Poitevins.
L'Hiſtoire du Groënland , celle de Kamfchatka,
un extrait du voyage de M. l'Abbé
Chappe en Sybérie &de la rélation
des découvertes des Ruſſes dans la Mer
Glaciale , une deſcription de la Laponie
Suédoiſe & un voyage dans la Nortlande
Occidentale , voilà ce qui compoſe ce
nouveau volume qui fert de ſuite à l'utile
& important ouvrage commencé par feu
M. l'Abbé Prévôt , ſous le titre d'Histoire
des Voyages. Nous nous arrêterons quel-
D'iij
78 MERCURE DE FRANCE.
!
ques momens fur les traces du continua
teur dans les différens pays qu'il parcourt
en ſuivant les meilleurs guides , & où fes
lecteurs aimeront à le ſuivre pour leur
amuſement autant que pour leur inſtruction.
M. Egéde , miſſionnaire Danois , &
M. David Crantz qui a écrit après lui ,
fourniffent au Continuateur de M. l'Abbé
Prévôt les matériaux néceſſaires pour l'hiſ.
toire duGroenland. Mais ils font mis en
oeuvre par une main habile , & l'éloquence
du nouvel écrivain anime & embellit
les relations des voyageurs. Le debut du
ſecond livre eſt d'un ton noble &élevé qui
ne ſe dément point dans le reſte de l'ouvrage.
« Le Groënland , cette terre mara-
>> tre , a mis tous ſes habitans en guerre ,
>> lorſqu'il n'a donné à l'homme pour ſe
>> nourrir & ſe vêtir que la chair & la peau
>> des animaux. C'eſt donc là qu'il naît
>> carnaffier & meurtrier par une fatale
>> néceffité. C'eſt dans ces fortes de cli-
>> mats les plus inhabitables qu'a dû com
>> mencer la ſociété entre des chaffeursou
>> des pêcheurs que des dangers & des be-
>> foins communs , mais fur- tout des ren-
>> contres fréquentes en des lieux refferrés
»& coupés par les glaces& les eaux anAVRIL.
1771. 79
ront fans doute bientôt réunis & fait
>> paſſer d'un état d'hoſtilités paſſageres à
>> la ſtabilité d'une paix que ſemble com-
» mander & maintenir un genre de vie
>> laborieux , pénible & miférable. Les
>> Groënlandois , quoique toujoursarmés,
>> ne ſont pas cependant inhumains & fan-
>>guinaires; ce caractère odieux n'appar-
>> tient qu'à nos fociétés policées où l'on
>> verſe le ſang des hommes ſans aucune
>> de ces extrêmités preſſantes & de ces
>> haſards imprévus & inévitables où nous
>> jette malgré nous la nature. LeGroën-
>>landois eſt pêcheur , parce que la terre
>> lui refuſe des grains &des fruits; il eſt
>> chaffeur parce que la faim le met aux
>>priſes avec l'ours qui l'attaque ſouvent
» ou lui diſpute les rennes ; car ce font à-
>> peu-près les animaux qu'on trouve le
>> plus fréquemment dans les pays gla-
» cés.»
L'auteur ſemble ſuppoſer dans ce pafſage
que l'homme a dû devenir plus facilement
fociable dans les climats où la
nature a déployé ſes rigueurs , que dans
ceux où elle a répandu ſes bienfaits. Peurêtre
cette réflexion n'eſt-elle pas fondée.
Elle eſt du moins contraire à l'opinion
commune qui fait naître les premieres
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
ſociétés dans les plus belles contrées du
monde& ſous la température la plus dou.
ce. L'auteur s'appuye de cet argument
qui , en effer , eſt ſpécieux , que des hommes
alliégés par les beſoins n'ont dû ſe
rencontrer que pour les combattre & fe
réunir contre la nature qui ſembloit leur
ennemi commun ; que du ſpectacle de
leur mifére , du ſentiment de leur impuiſſance
& de l'eſpérance des ſecours a
dûſe former un attrait réciproque qui les
appeloit les uns vers les autres ; cependant
en y réfléchiſſant davantage , on peut
arriver à des inductions fort différentes.
En effet , il paroît démontré par l'expérience
, que l'homme ſauvage , redevable
à l'état où il ſe trouve du progrès néceffaire
de ſes forces phyſiques , comme
l'homme civil l'eſt à la ſociété du progrès
deſes forces morales , ſe trouve dans tous
les climats en proportion avec la nature.
Par-tout où elle eſt avare & cruelle , il a
le courage de l'induſtrie ou de la patience,
& n'est qu'exercé ſans être abattu. Alors
loin d'être diſpoſé à ce découragement
qui invoque la pitié , loin d'avoir de la
foibleſſe ou de la douceur , il s'endurcit
comme la terre qui le tourmente& comme
le ciel qui le menace ; il devient om-
V
AVRIL. 1771 . 81
r
brageux & féroce ; accoutumé à faire la
guerre à tout ce qui l'entoure , il la fera à
ſes ſemblables, s'ils ſe préſentent à ſa vue,
&dans un pays tel qu'on dépeint le Groën .
land. La premiere fois qu'un homme a
rencontré un homme , chacun d'eux a cru
voir un ennemi. Plus la chaſſe&la pêche
font difficiles & laborieuſes , plus il eſt
-natureldecroire qu'un habitant du Groën.
land n'a dû voir d'abord dans un compatriote
qu'un adverſaire prêt à lui enlever
le renne qu'ilpourſuivoit oul'akpa * qu'il
attendoit fur le rivage. Ce n'est qu'avec
le tems qu'ils ont dû comprendre qu'en
ſe réuniſlant ils pourroient faite de plus
belles priſes & porter leur ambition jufqu'à
défier la baleine &le veau marin.
On a toujours obſervé que l'homme du
Nord , l'enfant des montagnes , tout ce
qui eſt élevé durementpar la nature , eſt
plus guerrier , plus fanguinaire que celui
qui en a reçu une éducation plus molle ,
tel que les peuples du Midi & les habitans,
des plaines. On objectera que les
plus anciennes nations conquérantes qui
ayent formé de grands empires font for-
* Eſpèce de poule de mer , très bonne à manger.
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
ties de l'Aſie , de la Grèce , de l'Italie;
oui , cela prouve ſeulement que ce font
les premieres qui ayent été policées ,
comme nous le diſions tout - à-l'heure ;
mais elles n'ont jamais pû foumettre les
peuples du Nord& ont fini par en être la
proie. Le Nord , théâtre de la barbarie, a
été long- tems la barriere où ſe ſont briſées
les puiſſances formées par la difci--
pline &par le génie ,& quand il s'eſt répandu
au- dehors , il a tout écrafé, & obfcurci
l'Univers de douze ſfiécles de ténébres
& d'oppreffion. D'où venoit cet afcendant?
fi ce n'eſt de cette lutte continuelle
contre un climat rigoureux qui ,
leur apprenant à ſupporter la vie ſans les
engager à la chérir , ajoutoit ſans ceſſe au
fentiment de leurs forces , & éloignoit
d'eux le ſentiment de la crainte. Et d'où
venoit leur férocité ? de ce que des hommes
qui ne s'accordent rien à eux - mêmes
accordent encore moins aux autres , ne
reffentent point la pitié parce qu'ils n'en
ont pas beſoin, &mépriſent également &
leur vie&celle d'autrui .
Au contraire ( pour en revenir au point
d'où nous étions partis ) dans des contrées
heureuſes & fous un ciel bienfaiſant
T'homme a dû être plus naturellement
diſpoſé à la ſociabilité.Accoutumé à trou
AVRIL 17711 83
ver autour de lui en abondance tout ce
qu'il pouvoit deſirer, il n'a pas pu craindre
que la nature fût jamais trop pauvre
ou ſes compagnons trop avides.Diſpenſé
du travail , il a dû ſentir ſouvent le mal
d'être ſeul , que ne connoît preſque pas
celui qui n'échappe à la fatigue & à la mifére
qu'à la faveur du ſommeil ; & delà
fur-tout a dû réſulter dans les peuples du
Midi une plus grande facilité à ſe raffembler.
L'habitude du bonheur phyſique
prépare aux jouiſſances de l'ame &de l'imagination
que n'a pas le tems d'entrevoir
celui qui défend contre le befoin une
exiſtence frêle & pénible. Dansles plaines
de Sennaar & de l'Yemen , l'homme
en reconnoiſſant un autre homme a dû ſe
féliciter de trouver un être qui alloit
jouir avec lui , & s'eſt empreſlé de lui of
frir tout ce qui étoit en ſa puiſſance ; &
c'eſt ainſi que les peuples du Pérou & du
Mexique , déjà civilifés , mais pleins de
la confiance qu'inſpire le bonheur , reçu
rent d'abord les Eſpagnols , avant de favoir&
de comprendre qu'il fût poffible
que ſous le plus beau ciel de la nature on
ne vînt pas chercher les campagnes qu'il
féconde& les fruits qu'il murit , mais les
gouffres fouterreins ou ſes rayons ne pé
nétrent jamais.
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Au reſte l'opinion de l'écrivain philoſophe
dont nous annonçons l'ouvrage , &
la nôtre qui lui eſt oppoſée , ne peuvent
s'appuyer que ſur des probabilités. Il eſt
impoflible de déſigner avec certitude l'endroit
de la terre qui a été le premier peuplé
par des hommes réunis en ſociété ; fi
c'eſt aux bords du Gange & de l'Euphrate
que l'on s'eſt d'abord raſſemblé pour adorer
le ſoleil levant, ou ſi , avant cette époque,
les familles du Kamtschatka s'étoient
creufé des demeures fouterraines
pour ſe dérober à une atmosphèreglacée.
La queſtion n'eſt pas réſolue en citant les
premiers peuples civiliſés dont l'histoire
faſſe mention , parce qu'il est très-naturel
que les arts ayent été cultivés d'abord dans
les ſociétés que le climat favorifoit , &
qu'ils foient encore à naître dans d'autres
qui , à toute force , pourroient être
auſſi anciennes , mais trop maltraitées de
la nature pour avoir pû jamais élever des
monumens qui atteſtent leur antiquité.
Les Chinois & les Indiens font les peuples
qui offrent au monde les titres les
plusanciens; mais tousn'ont pas été comme
eux à portée de rédiger les preuves de
leur nobleffe , & peut - être après tout
qu'une famille groenlandoiſe ſavoit ar
AVRIL. 1771 . 85
mer un canal pour la pêche du veau marin
long tems avant que Confutzée éut
des diſciples & Brama des adorateurs .
Les lecteurs nous pardonneront peutêtre
cette digreſſion occafionnée par l'hiſtorien
des voyages dont l'eſprit philofophique
ſe communique à ceux qui le liſent.
Le ton de ſes réflexions eſt toujours
celui d'un obſervateur ſenſible qui tourne
au profit de ſa raiſon les impreſſions qu'il
a reçues des objets, « C'eſt ſur - tout au
>>Nord ( dit- il ) qu'on peut admirer dans
>> la ſage compenfation que la nature a
> faite de ſes richeſſes, combien leshom-
>> mes font dédommagés de la ſtérilité de
>> la terre par la fécondité de la mer.
>>C'eſt là qu'un naturaliſte doit aller étu-
>>dier l'ichtiologie. La meilleure école
>> de cette ſcience eſt dansles mers gla-
➤ciales. Quel vaſte champ pour un eſprit
>> curieux de connoître non ſeulement
>>>>les formes & les eſpéces qui diftinguent
>> les poiffons en troupeaux innombra-
« bles , mais auſſi le caractère , les pro-
› priétés , l'induſtrie & l'inſtinct de ces
>> animaux ſtupides & muers ! quel ſujet
>> de profondes méditations que le pro-
>> grès inſenſible d'organiſation & de vie
>>qui s'étend& ſe développe dans les ha
86 MERCURE DE FRANCE.
>> bitans du vaſte Océan , depuis l'inſecte
>> imperceptible aux yeux juſqu'à l'énor-
>> me & prodigieufe baleine ! & fi l'on
>> veut defcendre l'échelle des êtres
>> quelle chaîne à parcourir depuis le kra-
» ven , ce monftre preſque fabuleux par
>> l'immenſité de l'eſpace que ſon volume
>> occupe juſqu'à l'inconcevable zoophite,
>> cette production animale & végétale de
« la mer ! رو
Mal
Après la deſcription des funérailles des
Groenlandois , l'auteur rapporteune chanfon
funèbre prononcée par un père qui
pleuroit la mort de fon fils. On y trouvera
du naturel & de la ſenſibilité .
>> heur à moi qui vois ta place accoutu-
>>mée & qui la trouve vuide ! elles font
>> donc perdues les peines de ta mère pour
>> fécher tes vêtemens ! hélas ! ma joie eſt
>> tombéeentriſteſſe; elle est tombéedans
» les cavernes des montagnes. Autrefois
>> lorſque je revenois le foir , je rentrois
>> content , j'ouvrois mes foibles yeux
>> pour te voir , j'attendois ton retour.Ah!
>> quand tu partois , tu voguois , tu ramois
>> avec une vigueur qui défioir les jeunes
» & les vieux . Jamais tu ne revenois de
>> la mer les mains vuides , & ton kaiac
> rapportoit toujours ſa charge de poules
,
AVRI L. 1771 . 87
» ou de veaux. Ta mère allumoit le feu ,
>>>dreſſoit la chaudiere & faifoit bouillir
>> la pêche de tes mains. Ta mère étaloit
>> ton butin à tous les conviés du voiſi-
>> nage , & j'en prenois aufli ma portion.
>> Tu voyois de loin le pavillon d'écarlate
>>de la chaloupe * & tu criois de joie ,
>> voilà le marchand qui vient. Tu fau-
>> tois auffi à ſon bord , & ta main s'em-
>>paroit du gouvernail de la chaloupe.
>> Tu montrois ta pêche & ta mère en fé-
→ paroit la graiſſe. Tu recevois des che-
>> miſes de lin &des lames de fer pour le
>> prix du fruit de tes harpons&de tès
>> fléches. Mais à préſent , hélas ! tout
>> eſt perdu. Ah ! quand je penſe à toi ,
>>>mes entrailles s'émeuvent au dedans de
>>moi . O! Si je pouvois pleurer comme
» les autres , dumoins je foulagerois ma
>> peine ? Eh ! Qu'ai- je à ſouhaiter déformais
en ce monde ? La mort eft ce
» qu'il y a de plus déſirable pour moi.
>> Mais ſi je mourrois qui prendroit foin
» de ma femme &de mes autres enfans ?
>> je vivrai donc encore un peu de tems ,
>> mais privé de tout ce qui réjouit &
>> confole l'homme ſur la terre ».
*DesFacteurs Danois,
88 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur décrit les travaux des Mifſionnaires
Danois dans le Groenland &
les obſtacles qu'ils eurent à ſurmonter.
C'eſt une choſe curieuſe d'entendre les
raifonnemens que ces peuples groſſiers
oppofoientà la prédication de l'Evangile?
>> Montrez nous le Dieu que vous pre-
> chés & nousy croirons. Vous le repré-
>> ſentés comme un Etre trop fublime ;
>> comment ſe peut- il que nous allions à
>>lui ou qu'il deſcende juſqu'à nous ? II
>>n'en prend aucun fouci. Nous l'avons
>>invoqué quand nous n'avions rien à
>> manger , ou que nous étions malades ;
>> mais c'eſt comme s'il ne nous avoit pas
>>entendus. Nous croyons que tout ce que
>> vous dites de lui n'eſt pas vrai. Si vous
>> le connoiſles mieux que nous , obtenés
>> de lui , par vos prières qu'il nous don-
>> ne de quoi vivre , un corps ſain , un
tems ferein & tout ce qui nous man-
» que. Notre ame n'eſt point malade.
» Vous êtes bien autrement inſenſés &
>>corrompus que nous. Dans votre pays
>>il peut y avoir desames gâtées & nous
>> le voyons affez par les Européens qui
>>viennentparmi nous ; fansdoute ils ont
>> beſoin d'un Sauveur & d'un Médecin
>>pour l'ame. Votre paradis & vos joies
AVRIL. 1771. 89
>> celeſtes ne nous touchent point, &n'ont
>> rien que d'ennuyeux á notre gre . Il ne
>>>nous faut que du poiſſon &des oiſeaux!
>> Sans ce ſoutien notre ame ne fauroit
>> pas plus ſubſiſter que notre corps. Il n'y
>> a point de veau marin dans votre para-
>> dis ; ainſi nous vous l'abandonnons à
>> vous & à tout ce qu'il y a de pis parmi
>>les Groëlandois ; mais pour nous qui
>> devons aller dans le palais de Torngar-
>> fuck , nous y trouverons en abondance
» & fans peine tout ce qui manque ànos
>> beſoins » .
On paſſe enſuite à l'hiſtoire du Kamfchatka
, & dans la foule des fingularités
les plus bifarres, on doit remarquer la
manière très-extraordinaire dont les mariages
ſe contractent. » Le pouvoir d'un
>> pere & d'une mere fur leur fille ſe ré-
>> duit àdire à fon amant , touche là , fi
>> tu peux. Ces mots font une eſpèce de
>> défi qui ſuppoſe ou donne de la bra-
>>voure. La fille recherchée est défendue
>>commeuneplace forte avec des cami-
>> folles , des caleçons , des filets , des
>> courroyes , des vêtemens ſi multipliés
» qu'à peine peut- elle ſe remuer. Elle eſt
• gardée par des femmes qui ne ſuppléent
>> que trop bienà l'uſage qu'elle voudroit
१० MERCURE DE FRANCE .
J
し
>> ou ne voudroit pas faire de ſes forces.
>> ſi l'amant la rencontre ſeule ou peuen.
» vironnée , il ſe jette ſur elle avec fu-
» reur , arrache & déchire les habits ,les
>>toiles& les liens dont elle eſt envelop-
>> pée , & fe fait jour s'il ſe peut, juſqu'a
>> l'endroit où on lui a permis de la tou-
>>cher. S'il y a porté la main , ſa conquêre
>> eſt à lui , dès le ſoir même il vientjouir
>> de ſon triomphe , & le lendemain il
>> amène ſa femme avec lui dans ſon ha-
>> bitation : mais ſouvent ce n'eſt qu'après
>> une ſuite d'affauts très meurtriers ; &
>>telle place coûteſeptansde ſiége fansêtre
>> emportée. Les filles&les femmes qui la
>> défendent , tombent fur l'aſſaillant à
>>grandscris&àgrands coups,luiarrachent
>>les cheveux , lui égratignent le viſage &
>>quelquefois lejettentdu haut desbalaga-
>> nes. Le malheureux eſtropié , meurtri ,
>> couvert de ſang & de contufions , va
>>ſe faire guérir par le temps& feremetétatde
recommencer ſes affauts.
>> Mais quand il eſt aſſez heureux pour ar-
»riverau terme de ſes deſirs , ſamaîtreffe
ala bonne foi de l'avertir de fa victoire
, en criant d'un ton de voix ten-
„ dre & plaintif , ni , ni. C'eſt le ſignal
>> d'une défaite dont l'aveu coûte toujours
" tre en
1
1
AVRIL. 1771: 91
>>moins à celle qui le fait qu'à celui qui
>>l'obtient. Car, outre les combats qu'il lui
>>faut riſquer , il doit acheter la permif-
>>ſion de les livrer , au prix de travaux
>>longs & pénibles. Pour toucher le coeur
>> avant le reſte , il va dans l'habitation
>>de celle qu'il recherche , fervir quelque
>> temps la famille. Si les ſervices ne
>>plaiſent pas , ils font entièrement per-
>> dus ou foiblement recompenfés. S'il
>> plaît aux parens de ſa maîtreſſe qu'il a
gagnée , il demande ,& on lui accorde ,
>>la permiſſion de la toucher ».
L'Amourfaitdes poëtes au Kamſchatka
comme dans le Groenland. Voici une
chanfon Kamſchadale que l'on peut comparer
avec la chanson Groëlandoiſe que
nous venons de rapporter. » j'ai perdu ma
>> femme & ma vie. Accablé de triſteſſe
» & de douleurs , j'irai dans les bois ,
>> j'arracherai l'écorce des arbres & je la
>> mangerai. Je me leverai de grand matin
>>je chaſſerai le canard dantguiche pour
>> le faire aller dans la mer ; je jetterai
>>les yeux de tous côtés pour voir ſi je ne
>> trouverai pascelle qui fait l'objet de ma .
>> tendreſſe & de més regrets » .
Dans la relation des découvertes des
Ruffes, l'auteur donne un détail très-cir02
MERCURE DE FRANCE.
conſtancié des efforts que l'on a faits pour
s'ouvrir un paſſage par les mers du Nord
au continent de l'Amérique ſeptentrio .
nale ; efforts qui ont produit des decouvertes
curieuſes ſans parvenir au but que
l'on defiroit; mais qui ſemblent annoncer
la poſſibilité d'y réuffir. L'auteur en rendant
compte enſuite du voyage de M.
l'Abbé Chappe en Sibérie , paye un juſte
tribut d'éloges& de regrets à la mémoire
de ce jeune Académicien que l'on peut
appeller le martyr de la ſcience , & que
la mort a trop tôt enlevéà la philoſophie
dontfes travaux auroient foutenu les progrès.
Finiffons cet extrait par l'éloquente
apostrophe que M. Arridephrenmalm ,
auteur d'un voyage dans la Nortlande ,
adreſſe à ſes compatriotes les Suédois plus
curieux de voyager dans l'Europeque de
connoître le fol & les reſſources de leur
patrie. Le véritable nerfdes puiſlances
>> du Nord manque à nos voeux. Queleſt-
>> il ? La population. Ce n'eſt que par
>>l'agriculture que la Suéde peut eſpérer
>> de rétablir ce teffort de ſa valeur , ce
>> ſoutien de fa renommée. Les cendres
>> de nos peres repoſent dans les champs
.>> de bataille dont l'Allemagne eſt cou
AVRILa. 1771 . 93
1
>> verte. Allons leur chercher des fuccef-
>> feurs , des enfans dignes d'eux dans la
>> Nordlande & la Botnie . Remuons cette
>> terre & les hommes naîtront. Peuple.
>> guerrier , peuple libre , ſouviens toide
>>toi même , & s'il ne sied pas à ta vertu
>>de conquérir & de ſubjuguer , qu'il foit
>> toujours de ta grandeur de brifer les
>> chaînes que tes ennemis voudroient
>>donner à l'Europe.
Suite du Discours du Traité d'Hidrodynamique
par M. l'Abbé Boffut.
Il y a des ſciences qui , par leur objer ,
ne font deſtinées qu'à ſervir d'aliment à
la curiofité ou à l'inquiétude de l'eſprir
humain. Il en eſt d'autres qui doivent
fortir de cet ordre purement intellectuel
pour s'appliquer aux besoins de la ſociété.
Telle eft en particulier l'Hydrodynamique,
La détermination de la quantité
de liqueur , qui s'écoule par une ouverture
propoſée , la recherche du mouvement
des eaux dans des canaux creuſés
par l'art ou par la nature , la connoiſſancedes
forces que les fluides exercent par.
leur poids ou par leur choc , &c. fontdes
objets d'une utilité continuelle dans la
94 MERCURE DE FRANCE.
pratique. Il eſt donc indiſpenſable de
perfectionner la ſcience dont il s'agit; &
s'il y a des queſtions où la géométrie
n'offre pour cela que des ſecours trop
pénibles ou même impuiſſfans , il fautta.
cher de ſuppléer à ſon défaut parla voie
de l'expérience. La choſe n'eſt pas impoſſible.
Des faits multipliés , analyſés
avec attention , & ramenés autant qu'il
eſt poſſible à des loix générales , peuvent
compoſerune eſpèce de théorie dépourvue
, à la vérité , de la rigueur géométri
que , mais fimple , lumineuſe &uſuelle.
C'eſt dans cette vue que j'ai entrepris le
traité qu'on va lire. J'en avois formé le
projet depuis pluſieurs années. La place
que j'occupois alors à l'école du Génie
m'impoſoit le devoir d'enſeigner aux jeunes
ingénieurs la méchaniquedes fluides,
qui eſt eſſentielle à leur état. Je leur dictois
quelques eſſais qui n'étoientpasdeftinés
à devenir publics ; je ſentois l'inſuffiſancede
la théorie en pluſieurs points;
&je voulois confulter l'expérience avant
quede commencer un corps d'ouvrage.
Mes idées ſur cet important objet furent
goûtées par les hommes éclairés & zélés
pour le bien, qui ont l'adminiſtrationde
l'école du génie. M. le Duc de Choiſeul
acco
rier
de
&1
dre
pri
&
da
lec
no
fie
fo
qa
a
i
AVRIL. 1771 . 95
accorda des fonds pour faire des expériences.
J'en fis , je méditai ; voici le fruit
de ce travail .
Mon ouvrage embraſſe l'hydroſtatique
& l'hydraulique . J'ai cru devoir repren--
dre ainſi toute la matiere par les premiers
principes , afin de donner plus de clarté
&de méthode à ce traité , & afin de l'adapter
plus ſpécialement aux beſoins des
lecteurs que je cherche à inſtruire. Les
notes qu'on trouvera à la ſuite de pluſieurs
chapitres , ſont deſtinées à approfondir
certaines théories.J'en dirai quelque
choſe de plus ci - deſſous. Commençons
par rendre compte du texte .
Les loix primordiales de l'hydroſtatique
, étant fort ſimples , fort connues ,&
ayant été confirmées d'ailleurs par une
infinité d'expériences , il ne me reſtoit
qu'à les développer nettement , & avec
undétail ſuffiſant pour en faciliter l'uſage.
C'eſt à quoi je me ſuis attaché. La
théorie que j'établis eſt fondée toute entiere
ſur ce principe , qu'une particule
quelconque d'un fluide en équilibre eſt
également preffée dans tous les ſens . Je
conſidère d'abord l'équilibre des fluides
incompreſſibles . J'examine la poſition
quedoit prendre la ſurface de ces fluides
96 MERCURE DE FRANCE.
dans des vaſes ſolides ou flexibles , & la
preſſion qu'ils exercent contre les fonds
&les parois des mêmes vaſes. J'expoſe
la méthode générale pour trouver la figure
que forme un vaſe flexible rempli
d'une liqueur peſante, lorſque cette liquent
eſt parvenue à l'état d'équilibre.
La même méthode , ſimplifiée par la nature
du problême , me fert à déterminer
les épaiſſents qu'il convient de donner
aux tuyaux de conduite , pour qu'ils puiſ.
ſent réſiſter à la preſſion des fluides ſtagnans.
De- là je paſſe à l'équilibre des
fluides élastiques. Après en avoir expoſé
les propriétés générales , je confidère celui
de l'air en particulier . Je démontre la
peſanteur & l'élaſticité de ce fluide ; je
cherche la loi fuivant laquelleil ſe comprime
ou ſe dilate à raiſon des poids dont
il eſtchargé. Viennent enſuite différentes.
applications de la théorie à la machine.
pneumatique , au baromètre , au thermomètre
, à l'aſcenſion de l'eau dans les
pompes , à la machine à feu , &c. Je
traite avec le même ſoin une autre théorie
qui a pour objet l'équilibre des corps.
flottans , & qui appartient tout à la fois
à là Ratique des corps folides , & à celle
des fluides . L'équilibre dont il s'agit a
lieu ,
AVRIL. 1778. 97
lieu , lorſque le corps flottant&le fluide
déplacé ont même poids , & que leurs
centres de gravité ſont ſitués dans une
même ligne verticale. Mais il peut avoir
plus ou moins de conſiſtance, c'eſt- à dire,
être plus ou moins ſtable dans ſon état ,
ſelon la poſition reſpective que les deux
centres de gravité propoſés occupent fur
la verticale. J'analyſe donc les cas où un
corps dérangé de cette ſituation d'équilibre
y retournera de lui - même , ou continuera
à s'en éloigner. Les principes généraux
ſont éclaircis par pluſieurs exemples.
J'en fais l'application aux mouvemens
de roulis &de tangage des vaiffeaux.
L'hydraulique ſe partage en différentes
branches que je parcours ſucceſſivement ,
comme j'ai fait pour l'hydroſtatique. Ici
l'expérience marche preſque par tout à la
ſuite de la théorie ; elle la confirme , l'éclaire
, ou même la ſupplée en certains
cas où le mouvement du fluide , par ſes
irrégularités , ne donne aucune priſe à la
géométrie.
Je commence par examiner le mouvement
de l'eau qui fort d'un vaſe par une
ouverture. Ce problême pris dans toute
ſa généralité eſt très-difficile. Mais dans
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
la pratique il eſt aſſez ordinaire que l'ouverture
foit fort petite en comparaiſon
de la largeur du réſervoir. Alors je prouve
par le ſeul fecours de la théorie , que la
vîteſſe au fortir de l'orifice eſt dûe à la
hauteur du Auide dans le réſervoir audeſſus
du trou . D'après ce principe , je
donne pour un vaſe entretenu conftamment
plein , &pour un petit orifice horifontal
, une équation ou formule généralequi
contient la relation entre la quantité
d'eau écoulée , le tems de l'écoulement
, l'aire de l'orifice & la hauteur du
réſervoir ; de maniere que trois de ces
choſes étant données , il eſt facile d'en
conclure la quatrième . On trouve des réſultats
analogues pour les écoulemens des
vaſes qui ſe vuident ſans recevoir de nouvelle
eau. Souvent le fluide fort par une
ouverture latérale , comme par une vanne
de moulin , une porte d'écluſe , &c.
En ce cas , toutes les molécules au fortir
de l'orifice , n'ont pas la même vîteſſe ;
&le mouvement général du fluide eſt
comme indéterminable à la rigueur. Mais
ſi le trou n'eſt pas fort grand , on peut
ſuppoſer , ſans craindre d'erreur ſenſible,
que la viteſſe de chaque particule eſt dûe
a la hauteur du réſervoir , qui lui répond,
コ
1
AVRIL. 1771 . 99
:
J'adopte cette hypothèſe comme ſuffiſante
dans la plupart des problêmes de
pratique. Elle me ſert à réſoudre pluſieurs
queſtions concernant le mouvement des
eaux qui fortent par des ouvertures latérales.
Voilà pour les écoulemens qui ſe
font avec une entiere liberté ,& ſans que
le mouvement du fluide dans l'intérieur
du vaſe éprouve aucun obſtacle. Mais
quelquefois les réſervoirs ſont étranglés
encertains endroits de la hauteur , ou
bien ils font traverſés de diaphragmes
percés de petits trous par leſquels le fluide
eſt obligé de paffer. Le mouvement
du fluide eſt alors gêné , rallenti , & ne
ſuit plus les loix que nous venons d'expoſer.
Jedonneencore des formules pour
déterminer ces fortes d'écoulemens . Elles
font voir combien il eſt eſſentiel d'éviter
les étranglemens dans les pompes
&dans les tuyaux de conduite. Je termine
ces différentes recherches par la ſolution
de quelques problêmes ſur le mouvement
des eaux qui s'échappent par de
petites ouvertures de vaſes mobiles entretenus
conſtamment pleins ; problêmes
qui peuvent avoir leur utilité , & propres
d'ailleurs à exercer les commençans.
A la théorie des écoulemens , je fais
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fuccéder celle des oſcillations d'un Auide
qui febalance dans un ſyphon quelconque.
Je démontre que le ſyphon étant
ſuppoſé cylindrique , ces oſcillations font
ifochrones entr'elles ; & j'aſſigne la longueurdu
pendule ſimple qui fait ſes battemensdans
le même tems.
Il reſte maintement à ſavoir i les fluides
ſe meuvent réellement d'une maniere
conforme à la théorie. Le premier objet
qui ſe préſente à examiner eſt le mouvement
que les particules d'un fluide qui
fort d'un vaſe par une ouverture , prennent
dans l'intérieur même du vaſe. Par
le moyen d'un cylindre de verre , au fond
duquel j'adaptois différens ajutages , j'ai
vu que toutes les particules deſcendent
d'abord verticalement, mais qu'à une certaine
diſtance du trou , elles ſe détournent
de leur premiere direction pour rendre
vers lui de tous côtés. Elles ont donc
néceſſairement vers ſes bords des mouvemens
obliques qui ſubſiſtent pendant
quelque tems. En conféquence de ces
mouvemens , la veine fluide doit s'amincir&
former une eſpècede conoïde tronqué,
dont la plus grande baſe eſt l'orifice
même , & la plus petite en eſt diſtante
extérieurement d'une certaine quantité.
AVRIL. 1771 . 101
J'ai meſuré les dimenſions de ce conoïde
avec le plus d'exactitude qu'il m'a été
poſſible ; il m'a paru que ſa hauteur eſt
égale environ au rayon de l'orifice , &
que ſes baſes ſont entr'elles environ dans
le rapport de 3 à 2. En-delà du point de
contraction , la veine prend la forme cylindrique
ou priſmatique , &la conſerveroit
fi la peſanteur &la réſiſtance de l'air
netendoient pas à la dénaturer. Je croyois
d'abord , avec quelques auteurs , que la
meſure immédiate de la contraction pouvoit
ſervir àdéterminer avec une préciſion
ſuffiſante la quantité de l'écoulement.
Mais l'expérience m'a convaincu du cóntraire.
On ſent en effet qu'une telle mefure
eft néceſſairement incertaine. Car
outrequ''oonnnepeutjamaisrépondrequ'on
ait pris bien juſte le diamètre de la veine,
comments'aſſurer qu'on l'a pris préciſément
à l'endroit où la veine ceſſe de ſe
refferrer pour devenir cylindrique ? Cet
endroit eſt - il toujours fixe pour toutes
fortes dehauteurs de réſervoir &de grandeurs
d'orifice ? Le diamètre de la veine
ne varie-t il pas lui -même par ces deux
cauſes ? La contraction n'a-t elle lieu que
pour des orifices percés dans de minces
parois, & n'affecte - r- elle pas du moins
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
avec quelques modifications , les écoulemens
qui ſe fonr par des tuyaux ? Enfin
les effets des contractions ne doivent- ils
pas être altérés par le frottement , qui eſt
plus ſenſible vers les bords que vers le
centre de l'orifice ? Ces conſidérations
m'ont déterminé à chercher directement
par l'expérience les quantités d'eaux écoulées
par des orifices quelconques.
M. Mariotte a fait en ce genre pluſieurs
expériences rapportées dans ſon traitédu
mouvement des eaux , auquel j'ai déjà
payé le tribut d'éloges qu'il mérite. Mais
je ne les ai point employées. Pour mettre
de l'uniformité dans mon travail , & pour
me délivrer de tout fcrupule ſur l'exactitude
des réſultats, j'ai vouluopérer moimême
& voir par mes yeux. J'ai déterminé
les écoulemens par des orifices percés
dans de minces parois , & par des
tuyaux additionnels. Lathéorie avoit appris
que les dépenſes d'un vaſe entretenu
constamment plein , ſont comme le produit
du tems par l'orifice & par la racine
quarrée de la hauteur du réſervoir. L'expérience
m'a fait voir que cette loi eſt
ſenſiblement vraie , & qu'on peut l'employer
fans reſtriction dans la pratique
ordinaire. Lorſque l'écoulement ſe fait
4 AVRIL. 1771.. 103
par un orifice percé dans un mince paroi ,
la contraction diminue la dépenſe naturelle
& théorique , à peu près dans le
rapport de 16à r1ơ0 ,, ou de 8 as;&lotfque
le fluide fort par un tuyau additionnel
de 2 ou 3 pouces de longueur,& fuit
les parois de ce tuyau , la dépenſe eſt diminuéedans
le rapport de 16 à 13 environ.
Les formules de la théorie s'appli
queront donc à la pratique , en y faifant
les corrections relatives à ces rapports . Si
on veut mettre dans ces recherches toute
T'exactitude poſſible , il faudra faire at .
tention à deux phénomènes que j'ai obfervés.
En analyſant les effets du frottement
& de la contraction , j'ai trouvé ,
1º. qu'à caufe du frottement les petits
orifices donnent moins d'eau à proportion
que les grands ; 2°. Que la hauteur du
refervoir augmentant , la contraction augmente
, ce qui diminue la dépenſe ; tandis
qu'au contraire , ſuivant la théorie la
plus naturelle qu'on puiſſe ſe faire fur
l'action du frottement , le déchet occafionné
dans la dépense par cette réſitande
devroit Te fentir de moins en moins
meſure'que la hauteur du réſervoir augmente.
Ces deux loix combinées enfemble
me donnent le moyen de déter
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
miner les écoulemens avec toute la préciſion
qu'on peut deſirer , ſoit pour des
vaſes entretenus conftamment pleins, ſoit
pour des vafes qui ſe vuident ſans recevoir
de nouvelle eau.
De- là je paſſe au mouvement des eaux
jailliſſantes. J'établis la meilleure figure
des ajutages , & la meilleure proportion
entre le diamètre de l'ajutage & celui du
tuyau qui doit fournir à ſa dépenſe. Il eft
aifé , avec ces principes ,de former unjer
d'eau qui s'élève à toute la hauteur qu'on
peut eſpérer. L'utilité de cette matiere
pour ladécoration des jardins & des édifices
, eſt ſuffisamment connue.
Il arrive ſouvent qu'on abeſoinde conduire
de l'eau d'un pont à un autre qui en
eſt très éloigné , &qui en eft quelquefois
ſéparé par des montagnes & des vallées.
Alors on fait cheminer l'eau dans des
tuyaux de fer , de bois , de grès ou de
plomb. On commettroit des erreurs fouvent
énormes ſi , après s'être aſſuré par le
nivellement que le point de départ eft
plus élevé que celui d'arrivée , on détermineroit
le diamètre du tuyau par les
principes qui fervent à déterminer l'écoulement
d'un Auide qui fort d'un vaſe par
ane ouverture ordinaire ,& qu'on négli
AVRIL. 1771. 11005
gear la réſiſtance du frottement. Cette
réſiſtance répandue fur un long eſpace ,
rallentit d'une manière très- ſenſible le
mouvement de l'eau . Le déchet qu'elle
occationne dans la dépenſe peut excéder
20 ou 30 fois la dépenſe même , quand
la conduite eſt fort longue & qu'elle a
pluſieurs ſinuoſités. J'ai fait fur cette matiere
un grand nombre d'expériences qui
paroîtront intéreſſantes , a je ne me trompe
, & dont j'eſpère que la pratique retirera
pluſieurs avantages. Elles montrent
que toutes choſes d'ailleurs égales , plus
la hauteurdu réſervoir eſt grande , moins
ledéchet occaſionné dans ladépenſe d'une
longue conduite eſt ſenſible ; ce qui eſt
conforme à la ſaine théorie ſur la nature
du frottement. Elles font connoître , du
moins à peu près , la loi ſuivant laquelle
les dépenſes diminuent à mesure qu'un
tuyau devient plus longou plus tortueux,
ou l'un & l'autre tout-à- la-tois. On peut
fe faire , par leur moyen , une idée de la
pente qu'il convient de donner à un tuyau
rectiligne , pour que cette pente répare la
perte de vîteſſe occafionnée par le frottement.
Elles fourniſſent la réponſe à cette
queſtion , ſi lorſqu'on ade l'eau à conduire
d'un point à un autre qui en eſt ſéparé pat
Ev
106. MERCURE DE FRANCE.
des montagnes & des vallées , il faut ou
franchir directement les montagnes& les
vallées ou les contourner , en ſuppoſant
que le développement de l'eſpace parcouru
par l'eau ſoit le même dans les
deux cas , &c. Je ne puis qu'indiquer ici
en gros tous ces objets qui demandent à
être ſuivis dans l'ouvrage même.
Le mouvement des eaux dans des canaux
offre un nouveau champ de recherches
curieuſes par elle-mêmes , & utiles
dans la pratique. Je conſidere d'abord le
mouvement de l'eau dans un canal rectangulaire.
J'examine la loi ſuivant laquelle
le frottement diminue la vîtefle
du courant. Il y a une différence ſenſible
entre le mouvement de l'eau dans un
tuyau fermé de tous côtés & celui de
l'eau dans un canal. Sous une même hauteur
de réſervoir , il paſſe toujours la même
quantité d'ean dans un canal , quelles
que foient ſa pente & ſa longueur , au
lieu que dans un tuyau la pente& la longueur
font varier la dépenfe. Mes expériences
prouvent que les viteſſes ne ſuivent
point la raiſon des racines des pentes,
commequelques auteurs l'ontavance.
Elles réfurent auſſi l'opinion de ceux qui
penſent qu'à égale pente& à égale lonAVRIL.
1771 . 107
gueur de canal , les vîteſſes ſont entr'elles
comme les quantités d'eaux écoulées.
J'expoſe à la ſuite de ces recherches les
moyens que divers auteurs ont imaginés
pour déterminer la viteſſe des eaux dans
des canaux de figure quelconque, comme
des rivieres , desruiſſeaux , &c.
L'enchaînement & l'analogie des chofes
me conduiſent ici naturellement à
ſuivre en particulier & avec quelque détaille
coursdes fleuves. Je donne d'abord
toute la théorie élémentaire dont le ſujet
eſt ſuſceptible. On fait que quand on retrecit
le lit d'une riviere par les arches
d'un pont , par des murs de quai , ou de
toute autre maniere qu'on voudra imaginer
, la profondeur de l'eau augmente
néceſſairement. Je détermine cette nouvelle
profondeur. La même méthode me
fert à réfoudre un autre problême qui eſt
en quelque forte l'inverſe du précédent ,
&qui confifte àtrouver la quantité dont
le niveau d'une riviere baiſſe , lorſqu'on
y fait une ſaignée par un canal de dérivation.
J'entre dans pluſieurs détails phy.
fiques & géométriques fur la maniere
dont les rivieres creuſent & établiſſent
leurs lits . Cela me donne lieu de dire un
mot fur la formation des barres & fur les
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
moyens d'empêcher qu'elles ne deviennenttrop
nuiſibles à la navigation, Jedifcure
enquel cas il eſt avantageux ou non
de faire des ſaignées à une riviere , pour
diminuer les inondations dans les campagnes
voiſines lorſqu'elle vient à augmenter
, ou par les pluies, ou par la fonte
des neiges , ou par l'affluence de quelque
torrent. Des auteurs modernes ſont tombésà
ce ſujetdans des erreurs que je releve.
Après avoir conſidéré le mouvement
des eaux en lui-même , je cherche la force
dont il peut être capable quand un fluide
va choquer quelque corps , quelqu'obſtaele
oppofé à ſon courant. Cette matiere
eft heriffée de difficultés. J'explique d'abord
la théorie ordinaire qu'on employe
pour la traiter , & j'en fais l'application à
des exemples variés. Suivant cette théorie
, la percuffion perpendiculaire d'un
fluide contre un plan eft, comme le produitde
la furface choquée , par le quarré
de la vîteſſe du fluide;& la percuffion
oblique est comme le produitde la furface
choquée par le quarré de la vitelle du
fluide & par le quarré du ſinus de l'incidence.
L'expérience m'a appris que la
premiere propoſition eſt ſenſiblement
AVRIL. 1774. 109
vraie ; mais que la ſeconde s'éloigne de
plus en plus de la vérité à meſure que la
percuffion devient plus oblique. J'expoſe
les réfultats des expériences faites fur ce
fujet , par de ſavans géomètres , & leurs
tentatives pour foumettre le problême à
une théorie plus rigoureuſe &plus exacte
que la précédente.
On doit regarder comme une partie
eſſentiellede la ſcience qui nous occupe,
la recherche des meilleurs moyensd'employer
l'action d'un fluide pour mouvoir
une machine. Ces moyens confiftent à
tranſmettre la force de l'eau à la machine
, avec des rones qui font mues par le
choc ou par le poids de l'eau , quelquefois
par ces deux agens réunis. Je traite
donc, en premier lieu, des roues mues par
le choc de l'eau. Je cherche le nombre
d'aîles qu'il convient de donner à une
roue relativement à fon diamètre , à la
quantité dont elle trempe dans l'eau & à
Ja viteſſe du courant. Plufieurs auteurs ſe
font trompés fur cette matiere. Les uns
négligeant dans leur calcul des élémens
effentiels à la queſtion , ont trop limité le
nombre des ailes; les autres, envoulant
réfuter cette détermination , &meſurant
mal eux- mêmes l'impulfion du fluide ,
font rombés dans l'extrémité oppofée.
112 MERCURE DE FRANCE.
T
ralité que le problême admet , &dont je
fais l'application aux mouvemens de roulis&
de tangage des vaiſſeaux , ſoit que
ces meuvemens exiſtent ſéparément , foit
qu'ils ſe combinent entr'eux & avec un
mouvement de rotation horisontale. Dans
les notes fur l'hydraulique , je donne la
théorie du mouvement des fluides avec
le même degré de préciſion auquel les
géomètres ont pu atteindre juſqu'ici ; &
je n'oublie rien pour mettre de la ſimplieité
& de l'uniformité dans mes calculs.
Je crois que cette branche de mon livre
paroîtra nouvelle à quelques égards. On
y trouvera , par exemple , la détermination
générale de l'effet des roues à aîles ;
problème épineux qui n'avoit encore été
réſolu quedans un cas très-particulier.
Il ne m'appartient pas d'apprécier moimême
mon travail. Le Public me jugera .
Quelque foit fon arrêt ,il verra du moins
qu'en préſentant mes propres recherches,
jen'ai laiſſé échapper aucune occafionde
rendre juſtice aux découvertes des auteurs
qui m'ont précédé dans la même
carriere.
NB. C'eſt mal- à- propos que l'on a mis
des guillemets au commencement de ce
difcours dans le dernier volume duMer
AVRIL. 1771. 113
cure, cediſcours étant tout entier de M.
Abbé Boffut.
Le nouveau Don Quichotte , imité de
l'allemand de M. Wieland ; par Mde
d'Offieux ; in- 8 °. A Paris , chez Fetil,
libraire , rue des Cordeliers près celle
de Condé , au Parnaffe italien .
Ceroman a déjà été publié au commencement
de l'année derniere ſous le titre
d'Aventures merveilleuses de Don Sylvio
deRofalva , nous l'annonçâmes dans le
Mercure du mois de Mars de la même année.
Quoiques les aventures de Don Sylvio
ou du nouveau Don Quichotte préſentent
plufieurs ſituations plaiſantes&
même donnent lieu à quelques ſaillies ingénieuſes
, on a cependant peu goûté à
Paris cette production germanique ;
on ne l'a regardée que comme une copie
foible & chargée du naïf & ingenieux
roman de Michel Cervantes . Le
nouveau traducteur , pour rechauffer en
quelque forte cette production , a élagué,
ajouré , changé ce qu'il a jugé à - propos .
Il a eſſayé enfin d'habiller à la françoiſe
leDonQuichotte Allemand. Cette nonvelle
traduction ſe fera lire fans doute
avec plus d'agrément que la premiere ,
114 MERCURE DE FRANCE.
mais aufli avec moins d'utilité pour celui
qui veut connoître le génie allemand,fon
caractère & en quelque forte ſa phyfionomie.
Le Dépit & le Voyage , poëme en fix
chants avec des notes , ſuivi des lettres
vénitiennes; vol. in - 8°. avec figures .
A Londres ; & ſe trouve à Paris chez
J. P. Coſtard , libraire , rue St JeandeBeauvais.
Eglé , l'héroïnede ce poëme , Eglé, née
avec un coeur ſenſible , aimoit le vertueux
Lindor. Chaque inſtant lui rettaçoit l'i.
mage de cet heureux amant. Mais cette
belle, coquette par air , & victime de l'uſage
qui veut qu'une femme ne puifle
s'honorer d'un amant qui n'eſt point fat
ou ne feint pas de l'être , cache ſes premiers
ſentimens & enchaîne à fon char un
certainDamis.
Monfieur Damis étoit unpetit homme > ... :
Très peu pourvu de mérite & de biengon
Dame Nature avoit réduit en ſomme
Acet égard, ſon lot à preſque rien.comcis
Pour la figure ,hélas ! c'étoit tout comme
Ces ſapajous vantés par leur laideur;
Pour la naiflance , & même pour l'honneur
:
AVRIL. 1771. 115
Son apanage étoit encor plus mince ;
Mais de l'audace , &des airs de bonheur ,
Il en avoit autant&plus qu'un prince.
Eglé , pour rendre ſon triomphe plus
éclatant, conduit cet amant de parade
dans les cercles les plus brillans. Mais ,
Du tendre amour telle eſt la loi puiſſante
Tel eſt le droit dont il jouit le mieux ,
Quemalgré nous notre ame eſt mécontente
Lorſqu'un moment elle trahit ſes feux:
Quelque plaiſir que l'eſprit lui préſente ,
Joignez-y même un ſéduisant éclat ,
Elle repouſſe une chaîne brillante ,
Plus on l'excire &plus elle combat:
Malgré nos moeurs , être tendre &conftante ,
Sera toujours ſon véritable état.
T
T
Eglé l'éprouve , elle s'ennuie à côté de
Damis, & malgré les plaintes de cet amant
outragé , elle n'eſt occupée que de celui
qu'elle vient de trahir. Lindor , foumis
aux ordres d'un père , s'étoit vu obligé de
s'éloigner pour un tems de ſa maîtreffe .
Eglé apprend ſon retour. Délicieux moment
! ſon coeur n'eſt plus le maître de
cacher ſes tranſports .
Au pointdujour , plus belle que la rafe ,
116 MERCURE DE FRANCE.
Belledes feuxdont brille le deſir ,
Elle ſe leve , &tandis qu'on repoſe ,
Elle ſe livre au ſoin de s'embellir :
Deſesbeaux yeux elle paroît contente ,
Dans ſon miroir elle voit le plaiſir ;
Lindor , bientôt ſur ſa bouche brillante ,
Verra l'éclat d'une fleur ſéduisante ,
Par un baiſer il la voudra cueillir.
Tandis qu'amour ſubjugué par les charmes ,
Pour la ſervir avance les momens ,
Le ſort , hélas ! lui prépare des larmes ;
L'orage ainſi ſuccéde au plus beau tems.
Lindor écrit... Quelle lettre effroyable!
Quel noir chagrin! quel ſtyle épouvantable!
La jalouſie&la ſombre douleur ,
Dans chaque ligne ont tracé leur fureur.
*Je nevivois que pour être fidelle ,
>> Je vous croyois auſſi tendre que belle ,
A mon retour je ſuis déſabuſé :
>>L'illuſion pouvoit être éternelle ;
>>Heureuſement vous n'avez pas ofé ,
20 En me cachant un feu mal déguisé ,
2
Me faire encore une injure nouvelle :
> De notre amant confirmez le bonheur ,
>>Pour premier gage offrez- lui mon erreur ;
>>Elle fut douce , elle devient cruelle ;
>>Vous I apprendrez an jour par mon malheur. >>>
AVRIL. 1771 . 117
Les aquilons déchaînés dans la plaine ,
Enun moment , par leur cruel effort ,
Peuvent brifer le chêne le plus fort :
La triſteEglé céde avec moins de peine
Aucoup affreux que fui porte le ſort.
Envain l'amour par ſon effervescence ,
De ſajeuneſſe anime la vigueur ;
Envain ſon ſang qu'enflame ſon ardeur
Dans les canaux coule avec véhémence ;
Le ſentiment expire dans ſon coeur ;
Dans fon fauteuil elle perd connoiſlance.
Deprompts ſecours la rappellent bientôt
Acette vie , hélas ! trop miſérable ,
Qui lui prépare un remords trop durable;
De ſa conduite elle voit ledéfaut ;
Elleſeplaint, nond'un ſort déplorable ,
Mais d'unpenchant qui la rendit coupable.
Lindor lui-même arrêteroit ſes pleurs
S'il écoutoit ſon diſcours lamentable;
Mais le dépit & toures ſes horreurs
Ont emportécet amant eſtimable
Au fond des bois , alyle des douleurs.
:
A l'aſpect d'un paquetque Lindor lui
renvoie&qui renferme quelques billets
où Eglé avoit tracé des voeux dictés par
le ſentiment , cette amante affligée reconnoît
encore mieux fon crime & fon
113 MERCURE DE FRANCE.
erreur. Elle ſe flatte que Lindor , malgré
ſes reſſentimens , conſerve ſon premier
penchant , & que ſi elle parvient à s'en
faire écouter elle obtiendra ſon pardon .
Le repentir marche avec l'eſpérance ,
Et pour les coeurs faits pour ſe corriger
Le regret même eſt une jouiſſance ;
Mais pour les coeurs qui ne ſauroient changer ,
Tout eſt perdujuſqu'à la confiance.
Il faut chercher cet amant regretté ,
Il faut aller d'un & d'autre côté ;
C'eſt un effort dont la raiſon murmure ,
Mais la raiſon , contraire à la nature ,
Doit lui céder en cette extrêmité .
Quoi ! tantd'appas vont courir l'avanture !
Tant de dangers ne la retiendront pas !
Eh! ſonge- t-on qu'on ait une figure
Lorſqu'on touche aux portes du trépas ,
Et qu'à l'amour on a fait une injure ?
Ce voyage eſt ſemé de quelques incidens
qui le rendent plus piquant & répandentune
forte de gaîté qui ſe communique
au lecteur. Ce puëme eſt en généra
écrit avec agrément & même avec intérêt
, & le poëte y a peint pluſieurs originaux
d'une touche légere & facile . L'héroïne
du poëme , conduite par l'amour ,
parvient enfin àdécouvrir la retraite de
AVRIL. 1771. 119
Lindor. Cet anant , touché du repentir
fincere de ſa maîtreſſe , oublie aifément
fes erreurs& conſent à ſe rendre heureux
avec elle.
OmonEglé ! doux charme de ma vie !
Je te retrouve&tu préviens mes pas ,
Je te revois plus tendre&plusjolie ,
Ta faute même a pour moi des appas;
Sans tes regrets , qui prouvent ta tendreſſe ,
J'ignorerois combien tu m'as aimé;
Sans mes douleurs qui parleront ſans ceſſe
Tu ne sçaurois combien tu m'as charmé.
:
Cepoëme eſt ſuividelettres écrites par
Flora , jeune Venitienne , à Pompeia fon.
amie. Elle lui fait part de tous les ſenti..
mens qu'elle éprouve pour Auguſtino ,
l'amant le plus tendre des amans. CeVenitien
, dans un voyage qu'il fit en France,
avoit fait connoillance avec une jeu
ne Demoiselle , nommée Julie. Il l'enleva
à ſes parens , lui fit mille fermens de
ne jamais l'abandonner & l'amena à Veniſe.
Mais ayant vu l'aimable Flora , il
fut fi frappé de ſes charmes qu'il ne pur
en combattre l'empire. Il ſe flattoit que
l'amour que lui inſpiroit cette nouvelle
maîtreſſe ſeroit aſſez fort pour le détacher
de Julie. Il alloit oublier ſes ſermens&
120 MERCURE DE FRANCE.
éloigner de lui pour toujours l'infortunée
Julie lorſqu'il s'apperçut qu'elle étoit enceinte.
Il étoit alorstrop tard pour renonceràFlora
ou à Julie . La nature & l'amour
lui preſcrivoient de les conferver toutes
deux : il en avoit pris la réſolution ; mais
Flora qui ignoroit les liens qui attachoient
le jeune Venitien à Julie , regarde cette
fille comme ſa rivale & exige d'Auguftino
qu'il ſe décide ou pour l'une ou pour l'autre.
Il a de la peine à prendre ſon parti ;
mais la nature eſt ſa loi , il fait dire à
Flora qu'il ſe flatte de ſon eſtime en renonçant
à elle. Renoncer à moi, s'écrie
> cette amante infortunée , renoncer à
> moi ? .. Il peut le penſer ? il a pu ledi-
» re? .. Miférable mortel ! .. Fille infortunée
! ..tant de ſermens ? tantde ſoins
> pour me ſéduire ?.. » Elle ne pourſuivit
pas; elle fentit ſon eſprit s'égarer ; il s'égare
en effet au point que cette victime
d'un amour malheureux ſe donne ellemême
la mort pour finir ſes tourmens &
fon ennui.
Les moeurs , coutumes & uſages des anciens
Peuples, pour ſervir à l'éducation de
la jeuneſſe de l'un &de l'autre ſexe, par
M. Sabbathier , profeſſeur au Collége
deChâlons- fur-Marne , & Sécretaire
perpétue
AVRIL. 1771. 21
perpétuel de l'Académie de la même
ville. 3 vol. in- 12. A Chalons- fur -
Marne , chez Bouchard , Imprimeut
du Roi , de la ville &du collége , & à
Paris chez Delalain , libraire , rue de
la Comédie françoiſe.
Les moeurs , coutumes & uſages des
anciens peuples peuvent être regardés ,
ſuivant l'expreſſion de l'eſtimable auteur
de l'hiſtoire ancienne , comme l'ame de
P'hiſtoire : les faits n'en font que le corps.
Cette penſée fait affez connoître l'importance
& l'utilité du nouvel ouvrage de
M. Sabbathier. Ce laborieux écrivain ,
ayant en vue l'inſtruction de la jeuneſſe ,
a donné à ſon travail la formela plusſimple&
la moins compliquée. Des articles
ſéparés& préſentés avec ordre, avec clarté
& netteté font beaucoup plus à la portée
des jeunes gens qu'un traité raiſonné
qui demanderoit une attention ſuivie
pour en ſaiſir l'enſemble. M. Sabbathier
s'est fait un devoir d'écarrer de fon ouvrage
tout ce qui pourroitporter la moindre
atteinte à la pureté des moeurs. La
deſcription de quelques uſages de certains
peuples , particulierement dans la célébrationde
leurs mariages, pourroit paroî-
II. Vol. F
12G2
MERCURE DE FRANCE.
tre indifférente pour des perſonnes formées
, mais ne le feroit pas pour de jeunes
gens qui prennent comme une cire
molle les impreſſions du vice.
Les moeurs& coutumes des Romains ,
de ce peuple qui a joué un ſi grand rôle
dans l'hiſtoire ancienne , & dont nous
avons adopté pluſieurs uſages , demandent
à être développées , c'eſt pourquoi
M. Sabbathier ſe propoſe d'en faire un
ouvrage à part. Parmi les peuples dont il
eft fait mention dans celui que nous annonçons
, les lecteurs françois porteront
leurs premiers regards ſur les Francs. On
nous les peints ayant la taille haute , les
cheveux blonds , les yeux bleus. Leurs
veſtes leur ferroient tellement le corps ,
qu'on en diftinguoit toute la forme , &
ces veſtes ne paſſoient pas le genouil.On
les formoir au métier de la guerre dès
leur plus tendre jeuneſſe. Ils devenoient
ſi adroits , qu'ils frappoient toujours où
ils viſoient , & ils étoient en même tems
ti agiles qu'ils arrivoient , pour ainſi dire ,
plutôt ſur leurs ennemis que les javelots
mêmes qu'ils avoient lancés contre eux :
au reſte ils étoient ſi braves & fi détermi.
nés dans le peril , que le nombre pou.
yoit leur oter la vie , ſans leur ôter , pour
AVRIL. 1771.
123
ainfi dire , le courage. Les Francs n'avoient
qu'une ſeule femme , & on puniſſoit rigoureuſement
ceux qui la quitoient pour
en épouſer une autre. Les noeuds qui formoient
leur union étoient indiſſolubles .
&les femmes étoientmême inséparables
de leurs maris ;elles les ſuivoient à la
guerre ; le camp leur tenoit lieu de patrie;
l'armée tiroit mêmede-là ſes recrues.
Les enfans , nourris dans le bruit des armes
, accoutumés au peril , & devenus
ſoldats avant l'âge , remplaçoient les
morts & les vieillards. Ilsſe marioient à
leur tour. Sidonius Appollinaire décrivant
les réjouiſſances qui ſe firent , dans
le camp de Clodion , au ſujet d'un mariage,
rapporte qu'un jeune homme blond,
pour dire un Franc, épouſa une filleblonde
, & que les foldats folemnifèrent leur
union par des danſes ſcytiques & guerrieres.
Le mari faisoit ſubſiſter ſa famille
de ſes courſes &de la part qu'il avoit dans
le pillage fait en pays ennemi. La femme
à fon retour le foulageoit parde chaftes
careſſes , de ſes travaux guerriers .
Une main chère & affectionnée panſoit
les playes , qu'il avoit reçues dans les
combats , & la douceur & la foumiſſion
mettoient dans leur fociétéuncharme qui
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
duroit autant que leur vie. Cette union
étoit fondée ſur une fubordination parfaite.
Les Francs de ces tems éloignés
avoient un pouvoir ſans bornes dans leur
domeſtiques. Les loix les rendoient maîtres
de la vie de leurs femmes , quand
elles s'écarroient de leur devoir. Cette
autorité abfolue retenoit dans la plus
grande dépendance des femmes accoutumées
à regarder leurs maris comme leur
maîtres . Une femme dans les formules
de Marculphe , adreſſant la parole à fon
mari , ſe ſert de termes auſſi ſoumis que
pourroit faire une eſclave : Monseigneur
& mon époux , moi votre très humblefervante
, &c. L'uſage de prendre des femmes
fans dot , contribuoit à cette dépendance
, & peut- être que nos ancêtres ,
plus habiles & plus intéreſſés que ceux
qui les traitent aujourd'hui de barbares ,
regarderent ſagement cette privation de
dotdans leurs femme , comme un contrepoids
néceſſaire à leur orgueil. Ils préférerent
une eſclave pauvre & docile à
une maîtreſſe riche & impérieuſe , &
ſouvent à un tiran domeſtique. Il eſt toujours
conſtant que lorſque les Francs vouloient
ſe marier , ils achetoient , pour
ainſi dire , leurs femmes , tant par les
AVRIL. 1771. 125
biens qu'ils étoient obligés de leur donner
en propriété , & dont la familleheritoir
, que par les préſens qu'ils leurs faifoient
&à leurs plus proches parens ; enforte
que c'étoit moins le pere que le
mari qui dotoit la femme qu'il époufoit.
L'autorité des Rois avoit des bornes
parmi les Francs & ces Princes étoient
Youmis à certaines loix militaires qu'ils
n'oſoient violer. Ils donnoient à leurs
foldats leur part du butin,qui étoit comme
un bien commun , acquis par l'armée
, & les Rois n'entroient eux-mêmes
dans ce partage que ſelon que le fort en
décidoit.Clovis après ſa victoire ſur SiagriusGénéral
des Romains , voulantrendreà
un Evêque un vaſe ſacré , qui avoit
étépris dans unpillage général , demanda,
comme par grace àſes ſoldats qu'il
ne fut point compris dans le partage qui
s'en devoit faire. Mais un Franc feroce ,
&qui regardoit cette libéralité du Prince
comme une entrepriſe ſur les droits de
l'armée , donna un coupde ſa hache d'armes
ſur ce vaſe , & lui dit fièrement , qu'il
ne diſpoſeroit que de ce que le fort lui
donneroit dans le partage du butin. Clovis
, quoique naturellement fier&terrible
, fut contraint de diſſimuler une in-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
jure qu'il ne ſe crut pas alors en pouvoit
de venger ; aufli ne s'en fit- il pas raifon
par l'autorité royale. Il eut recours à celle
de général , & il prit ſon tems dans une
revue des troupes , pour tuer le Franc de
ſa main, ſous pretexre que ſes armesn'étoient
pas enbon état.
Ces remarques ſur les Francs font ti
rées de pluſieurs auteurs contemporains
& des mémoires de l'Académie des Infcriptions
&Belles lettres. M. Sabbathier
a toujours attention de citer les ſources
où il a puiſé ce qui doit inſpirer de la
confiance an lecteur & faciliter l'étude de
ceux qui voudroient recouriraux écrivains
originaux.
On publie du même auteur& chez les
mêmes libraires le tome neuvieme in 80
du Dictionnaire pour l'intelligence des
auteurs claſſiques , grecs & larins , tant
ſacrés que prophanes , contenant la géographie
, l'hiſtoire , la fable & les antiquités.
Ce nouveau volume continue la
lettre C. Il eſt , ainſi que les précédents ,
rempli de bons articles , qui , par leur
juſte étendue , inſtruiſent fuffisamment
le lecteur & lui évitent bien des recherches.
AVRIL. 1771. 127
:
Les Militaires au delà du Gange ;par M.
Lo-Looz , Chevalier de l'Ordre Royal
&Militaire de S. Louis. 2 vol. in 8°.
AParis chez Bailly , quai des Auguftins.
,
Cet ouvrage de tactique , dédiéà Monſeigneur
leleDauphin eſt celui d'un Officier
qui a penſé avecraiſon que le meilleur
genre d'inſtruction & le plus propre
au commundes hommes , eft celui où
les faits & les principes s'éclairent mutuellement.
L'auteur nous décrit pour cet
effet les opérations d'une guerre dont il
tranſporte le théâtre en Afie afin de peindre
avec plus de liberté les excès de l'ambition
& l'abus de la victoire , & auffi
afin de détourner toutes les applications
que la haine , la jalousie oules inimitiés
particulières pourroient faire. Les campagnes
de ces armées asiatiques ſont ſi fécondes
en événemens que le lecteur pour
ra y reconnoître toutes les maximes de
la tactique miſes en action ou en délibération.
Si les faits ſont ſuppoſés , ces
faits n'ont rien que de vraiſemblable &
que l'on nepuiffe juſtifier par d'autres faits
pareils qu'on lit dans les hiſtoriens. On
ne peut donc justement reprocher à M.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
de Lo- Looz de n'avoir donné ici qu'un
roman. Xénophon , que cet Officier a eu
fans doute en vue , en compoſanı fon
ouvrage , a également prêté les gracesde
la fiction à la tactique & àla morale.
M. de Lo Looz , pour avoir occafion
de rendre hommage à un fexe dont les
vertus ont ſouvent fervi de modèles aux
hommes , nous donne l'hiſtoire de la fidèle&
courageuſe épouſe d'Aſtof , nom.
mée Mirza, Cette généreuſe Cochinchinoiſe
furmontantles foibleſſes de ſon ſèxe,
la moleſſe& les préjugés de fon éducation
prend l'habillement d'un Officier volontaire
& fe rend auprès de ſon mari à
l'armée. Le merveilleux que l'auteur amis
danscetépiſode pourra en diminuer l'impreffion.
Onauradelapeine às'imaginer
qu'une jeune perſonne élevée au milieu
d'un ferail connoiſſe l'artde la guerre &
lesrufes qu'on y met en pratique. On ſe
perfuadera encore plus difficilement que
cette vertueuſe épouse , qui avoitpris le
nom de Roliekan & s'étoit contenté de
changer la couleur de ſes fourcils , ait ,
fous ce ſimpledéguifement, combattuàcô.
téde ſonépoux, mangé à ſatable, converſé
avec lui dans la plus grande intimité fans
en être reconnue. Aftof ne découvre que
AVRIL. 1771. 129
ſon jeune ami , ( c'eſt ainſi qu'il appeloit
Roliekan, ) eſt auſſi ſa femme qu'au moment
que cette femmecourageuſe , frappée
par le fer ennemi , tombe évanouie
entre ſes bras. Mirza avoit perdu connoiffance
, mais ranimée par les carelles &
par les pleurs d'Aſtof, elle ouvre enfin
lesyeux :fon ame entière avoit pallé dans
fes regards tendres&languiſſans , que ne
dirent- ils pas à ſon époux ? Ah !Mirza,
>> cruelle Mirza , que vais-je devenir ?
>>Ta bleffure eſt pour moi le coupde la
>> mort ! .. » L'excès de la douleur lui
coupe la parole ; il eſt tout hors de luimême
, leſang qu'il voit coulerglace le
ſiendans ſes veines. La tendre Mirza le
preffantdans ſes bras eſt la première à le
confoler. Cher Aſtof , lui dit - elle
>mon cher Aſtof , ma bleſſure ne ſera
>>pas dangereuſe ;diſſipe tes craintes , je
>> t'en conjure : ſi je devois en mourir ,
* crois que je regretterois peu des jours
>> qui n'ont été expoſés que pour te prou-
» ver l'excès de ma tendreſſe. Je ſouffrois
>> loin de toi mille fois plus qu'à préfent,
>>>mes allarmes , au milieu de mes eſcla-
» ves , étoient bien au-deſſus des dan-
>> gers que j'ai courus dans cette journée ,
*la mortn'arrive qu'une fois , aulien que
)
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
>>>j'en éprouvoisles horreurs à chaque inf
>>tant que je penſois que je ne te rever-
>> rois peut- être plus. Voilà mon excuſe ,
>>pourrois tu ne point pardonner à un
>> amour tremblant pour tes jours, l'inno-
>>cent ſtratagême de mon traveſtiſſement?
La bleſſure de Mirza n'eut point de ſuite
& les deux époux continuèrent à jouir
de leur gloire&deleur amour.
L'auteur annonce une ſeconde partie
de cet ouvrage. Il a développé dans la
première les branches variées de la tactique
, il détaillera dans la ſeconde tour
cequi regarde la fortification. Pluſieurs
notes éclairciffent le texte. Les lecteurs y
trouveront quelques détails qui n'ont pu
entrer dans le corps de l'ouvrage & qui
cependant font eſſentiels pour l'intelligence
des ſciences & des arts relatifsà la
guerre.
Les bêtes mieux connues. Entretiens par
M. l'Abbé Joannet , de la Société
royale des ſciences&belles lettres de
Nancy. 2 vol. in 12. A Paris chez J. P.
Coſtard,libraire , rue StJean deBeauvais.
Il ne paroît pas que les anciens Philo
ſophes ſe foient beaucoup inquiété du
AVRIL. 1771. 131
y
principe du mouvement dans les bêtes.
Cette queſtion étoit réſervée àDeſcartes.
Ce célèbre Philofophe d'un génie vaſte ,
pénétrant , mais trop prévenu en faveur
des Mathématiques,nous rappelle ceMufaciende
l'antiquité , qui , pour faire honneur
à fon art , foutenoit que l'ame humaine
n'étoit qu'une eſpèce d'harmonie.
Deſcartes voulant tout expliquer avec le
fecours des mathématiques , oſa le premier
avancer que les bêtes étoient des
machines organiſés qui ne peuvent fe
mouvoir que fuivant qu'elles font déterminées
par les différens corps qui les
environnent. Ce ſentiment est foutenu &
fortement appuyé dans ces Entretiens par
un Abbé Cartéſien. Les autres interlocuteurs
de ces dialogues appuient les ſenti
mens contraires & préſentent toutes les
objections que l'on peut former au fyf.
rême des automates. Le lecteur pourra
donc décider en connoiffancede caufe,ou
du moins s'amuſer de cette diſcuſſion
Quoique l'auteur de ces entretiens fe foit
mis en garde pour ne faire paroître aucuneſpritdeparti
, ou aucune prévention
dans cette,queſtion , l'on s'apperçevra
néanmoins qu'il penche beaucoup en faveur
de l'hypothèſe cartéſienne , &il faut
Fvj
32 MERCURE DE FRANCE.
avouer que l'art avec laquelle elle eſt ici
préſentée pourroit hai concilier bien des
partifans , fi l'idée d'un principe fenfitif
que nous avons en nous-même & les témoignagnes
les plus victorieux des ſens
ne s'élevoient continuellement contre
cettehypothèſe. Les cartéſiens expliquent
très-bien par les lois du mécanisme certains
mouvemens des bêtes ; mais quels
font les reſſorts qui préſident à la prévoyance
, à l'adreſſe , à la fineſſe & aux
ruſes fur lesquelles pluſieurs animaux
pourroient donner des leçons aux hommes?
Un particulier paſſant dansune campagne
,apperçut un loup, qui fembloit
guetter un troupeau de moutons. Il en
avertit le berger , & lui confeilla de le
faire pourſuivre par ſes chiens. Je m'en
garderai bien , répondit le berger : ce
loup que vous voyez , n'eſt là que pour
détourner mon attention;&un autre loup
qui eſt cachéde l'autre côté , n'attend que
le moment où je lacherai mes chiens fur,
celui-ci , pour m'enlever une brebis , &
la choſe arriva comme le berger l'avois
prévu.
Le père Bourgeantrapporre, dans fes
Amusemens philofophiques un autre fait
qu'il feroit également difficile d'expli
AVRIL. 1771. 玉子玩
quer par les fimplesloix du mouvement,
Un moineau trouvantà ſa bienſéance un
nid qu'une hirondelle venoit de conftruire
, s'en empara. L'hirondelle voyant
chez elle l'ufurpateur , appela du fecours
pour le chaffer. Mille hirondelles arrivent
à tire d'aîle , & attaquent le moineau ;
mais celui-ci couvert de tous côtés , &
ne préſentant que ſon gros bec par la perite
entrée du nid , étoit invulnerable ,
& ſaiſoit repentir les plus habiles qui
ofoient s'en approcher. Après un quartd'heurede
combat , toutes les hirondelles
diſparurent. Le moineau ſe croyoit vainqueur
, & les ſpectateurs jugeoient qu'el
les abandonnoient l'entrepriſe. Point du
tout.Un momentaprès on les voitrevenit
à la charge ; & chacune s'étant pourvue
d'un peu de terre détrempée dont elles
fontleur nid , elles fondirent toutes enſemble
ſur le moineau , & le claquemurerent
dans le nid , afin qu'il y périt
puiſqu'elles n'avoient pû l'en chaffer
Il ſeroit facile d'accumuler d'autres
fairs pareils & même de plus ſuprenants
du chien , du ſinge , de l'Eléphant ; & fi
on ne regarde ces faitsque comme unjeu
des refforts , qui pourra empêcher d'en
conclure que Dieu a formé d'autres ma134
MERCURE DE FRANCE.
chines ſemblables à nous & qui imitent
parfaitement toutes les actions des hommes.
ll n'y aura à ſuppoſerdans ce dernier
casqu'une plus grande dépenſe d'art , plus
decombinaiſon&plus de perfectiondans
les refforts misen jeu.Mais un grand inconvenient
de l'hypothèſe des automates,
fi jamais elle pouvoit être reçue , feroir
de rendre les hommes plus cruels & de
lesaccoutumer à n'être pas plus émus des
expreffions de douleur que donnent les
bêtes , qu'on ne l'eſt à la vue d'un arbre
battu par les vents , ou qui tombe ſous la
coignée du bucheron. L'auteurde ces entretiens
a prévu cet inconvénient&pour
nous donner en quelque forte desmoeurs
àl'égard de ces prétendus automates , il
veurque nous reſpections en elles l'induſtrie
des refforts qui dirigent leurs mouvemens&
les tableaux qu'elles nous offrent
ſouvent des vertus les plus précieuſes
à la ſociété ; de l'amitié , de l'attahement
, de la fidélité , de la foumiffion
, de l'endurciſſement au travail , &c.
>> Par là notre ſenſibilité , dont elles fe-
>> ront l'objet , aura toujours un motif
>> fuffifant , &le caractère de férocité &&
de barbarie , qui n'en réſultera pas
>>moins des outrages que nous leur fe
AVRIL. 1771 . 135
>>>rions volontairement,entretiendra tou-
>>jours parmi les hommes l'exercice des
>>>ſentimens ſi reverſiblesdes brutes à nos
>> ſemblables. Ainſi prendre plaiſir à voir
>> en elles les expreſſions du contente-
>> ment & du bonheur , & à rendre ces
>> expreffions plus vives& plus durables ;
>> être peniblement affecté des expreſſions
>>de la douleur qu'elles caractériſent avec
>>tant d'énergie ,& mettre ſa fatisfaction
>> àles diminuer & à les faire ceſſer , ſe-
>> ront toujours des ſentimens qui feront
>> honneur àl'humanité ; comme la con-
>> duite oppoſée ſera toujours à la honte
>>>des hommes. »
La forme du dialogue que M. l'Abbé
Joannet a donnée à ſon ouvrage l'a mis
à portée d'éclaicir l'hypothèſe en queſtion
dans toute fon étendue. Il n'a pas laillé
ſans reſponſes les objections , même les
plus victorieuses ;qui ont été faites contre
le ſyſtême des automates. Mais que
conclure de tout ceci ? Qu'une opinion ,
quelque chimériquequelle ſoit , peut être
foutenue affez bien pour embarraſfer des
perſonnes d'eſprit , mais non pour les perfuader.
Il n'y a que la vérité , dit M. de
• Fontenelle , qui perfuade , même ſans
avoir beſoin de paroître avec toutes fes
preuves , elle entre ſi naturellementdans
136 MERCURE DE FRANCE .
l'eſprit que quand on l'entend pour la
première fois , il ſemble qu'on ne faſſe
que s'en reſſouvenir.
On trouve à Paris chez la veuveDefaint
libraire , rue du foin, & Delalain
libraire , rue de la comédie françoiſe les
ouvrages fuivants.
Tableau Chronologique de l'hiſtoire
de francedepuisPharamondjuſqu'à Louis
quinze , gravéen taille-douce , contenant
dans 14 colonnes paralleles , un abrégé
hiſtorique de la vie de chaque Roi & des
marques hiérogliphiques qui déſignent
danschaque ſiècle les événemens lesplus
remarquables.
Epoques les plus intéreſſantes del'hiſtoire
de france , volume in 12 , qui fert
d'explication à ce tableau. 1771 .
Piéces détachées ou recueil de jolis
contes par M. l'abbé *** 1771 .
Maison de Santé.
Le projet d'une maiſon de ſanté n'eft
point un établiſſement nouveau. Ilya
pluſieurs années que des Médecins &
Chirurgiens l'avoient conçu , par la comparaiſon
qu'ils étoient dans le cas de faire
AVRIL. 1771 . 137
d'un pareil établiſſement d'avec celui de
gardes-malades; mais leurs occupations
ne leur ont pas permis dans le tems d'y
donner toute l'attention néceſſaire.
Toute cette entrepriſe conſiſte à pren .
dre desmalades de toute eſpèce ; à fournir
deslits propres , des gardes , hommes
& femmes; un garçon -Chirurgien qui
réſidera dans ladite maiſon ; une Pharma
cie , compoſée de médicamens ſimples ,
&pris chez un des meilleurs apoticaires
deParis.
Unmédecin & un Chirurgien y feront
tous les jours les viſites& panfemens néceſſaires.
Si les malades , ou les parens ,
ou maîtres des malades , avoient confiance
dans un autre médecin ou chirur
gienque ceux de la maiſon, ils les feront
appeler : nous les afſurons même que dans
les cas de maladies graves& d'opérations
critiques , nous ferons les premiers àconſulter
les plus célèbres praticiens. Nous
nous flattons auſſi que ceux qui voudront
bien s'y tranſporter peur décider & agir ,
ne pourront qu'augmenter la ſécurité& la
confiancedans le traitement des malades.
La ſomme de 4 livres par jour paroît
ſuffifante par chaque malade ; on n'y
payera ni le médecin , ni le chirurgien ,
138 MERCURE DE FRANCE.
ni lesmédicamens. Nous devons avertis
que la maiſon ne ſe chargera point des
honoraires des médecins & chirurgiens
étrangers ; elle ſe chargera ſeulement de
faire exécuter leurs ordonnances , & de
fournir tous les remèdes avec l'exactitude
la plus fcrupuleuſe. Les malades y tronveront
des bouillons proportionnés à leut
état,& les convalefcens , desconfommés
&alimensqui leur feront permis.
On tâcheta de conſerver quelques
chambres pour des particuliers qui voudroient
être feuls , ils donneroient 2 liv.
de plus par jour.
Seroit il néceſſaire de faire obferver
que les femmes auront des appartemens
féparés ,& que les maladies contagieuſes
feronttraitéesdansdes chambres qui n'auront
aucune communication avec les autres.
1
Onveillera fans ceſſe aux fecours ſpirituels
des malades: le prêtre de la paroiffe,
de femaine , ſera ſupplié d'y paffer
tous les jours.
Notre intencion eſt encore de faire par
ticiper les pauvres à l'utilité de cet établiffement.
On donnera dans la ſemaine
deux jours, à une heure indiquée,pourdes
confultations gratuites , & on fera chaque
jour les panfemens .
AVRIL. 1771 . 139
Un établiſſement aufli conſidérable ne
peut avoirune exécution prompte , quoi.
que facile. En attendant , nous proposons
une maiſon , telle que nous l'avons détaillée
, dans la rue des Brodeuts , du côté
de la rue de Sêves . Elle n'eſt intérieurement
bornée par aucune maiſon ; la vue
s'étend ſur un jardin qui endépend& fur
des jardins du voisinage .
Abhandlungen und Erfahrungen der ober
Lauſuziſchen Bienen. Gesellschafft ; 30
Samenlung. C'est- à dire , Expériences
&obfervationsde la Société phyſicoéconomique
des abeilles , établie dans
la Haute Luſace , 3. recueil. Leipzig
& Zittau , chez Adam Spikermann ,
in- 8°. :
Nous avons déjà fait connoître dans un volume
de notre Journal les deux premieres parties
de ce recueil , également intéreſlant pour
les naturaliſtes & pour ceux qui s'appliquent
à l'économie rurale. Il feroit bien peu
philoſophique , diſoit l'illuftre M. B..... , de
s'étonner de voir fe former dans un coin de l'Allemagne
une fociété qui ait fait de l'abeille l'unique
objet de ſes foins & de ſes recherches. Les
ſuccès qui les ont couronnés feroient en effet une
réponſe ſans replique à ceux à qui cette réflexion
pourroit paroître étrange. C'eſt àà la réuſſite de les
travaux,à des découvertes intéreſſantes ,à l'uti-
1
140 MERCURE DE FRANCE.
lité d'une aſſociation deſtinée à guider les opérationsde
la pratique , comme à éclairer la théorie
d'un art trop négligé parmi nous ; que cette lociété
aujourd'hui autoritée par Son A. Mgr l'Electeur
de Saxe , a dû , tout à la fois , da ſatisfaction
de ſervir de modèle à pluſieurs aſſociationsde
cette eſpèce formées en Allemagne , & l'honneur
de s'attirer les regards de quelques Souverains
étrangers ; S. M. l'Impératrice de toutes les Ruf-.
fies,leRoidePologne actuellement régnant , ons
bien voulu lui adreſſer des queſtions rélatives à
l'avancement de cette partiede l'économie ruftique
dans leurs états. C'eſt auſſi par les foins de
cette ſociété que s'eſt formé , en exécutiondes ordres
ſupérieurs qu'elle a reçu le plan d'un code
apiaire pour laSare , dont la diſpoſition pourroit
ſansdoute, a bien des égards , s'adapter àd'autres
contrées.
Le volume que nous allons analyſer contient :
1º. Eſſais& expériences tendantes à éclairer la
théorie chymique du blanchimentde la cire , traduitdu
françois de M. B....... de Lyon , parM.
le Paſteur J. G. Wilhelmi .
La cire , au premier coup - d'oeil , préſente une
analogie très-grande avec les huiles graffes tirées
des végétauxpar expreſſion , mème avec quelques
ſubſtances animales du même genretelles que la
graifle , &c. fufceptible comme elles de l'état de
coagulation&de fluidité , ſuivant les divers degrés
de chaleur qu'elle éprouve ; elle ne reçoit aucune
altération de l'eau & de l'eſprit de vin ; elle
s'enflamme comme les graifles & les huiles dont
nous parlons ; elle a leur infipidité , peut - être
même la couleur brune& la rancidité qu'acquièrent
les huiles & les graiſſes expoléesà l'air aAVRIL.
1771. 141
t'elle beaucoup d'analogie avec le jaune que les
cires , même celles qui ont été blanchies , contractent
par la vétuſté.
L'analyſe chymique de cette ſubſtance confirmeces
premieres vues & met au rang des huiles
graſſes tirées des végétaux , celle qui entre dans
la compoſition de la cire ; elle ne s'élève point
dans ladiſtillation au degré de l'eau bouillante
comme leshuiles eſſentielles ; elle n'eſt point difſoluble
comme elles dans l'eſprit de vin : ces caractères
qui diſtinguent généralement les huiles
eſſentiellesd'avec les huiles graſſes conſtatent fuffilamment
une différence marquée entre la cire&
les réſines, parmi leſquelles elle a néanmoins longtems
été confondue. On peut donc regarder cette
ſubſtance comme une matière huileuse du genredes
huiles douces tirées des végétaux par expreffion , &
rendue concrète par la présence d'une quantitéd'acideplus
grande que dans ces huiles.
On pourroit conjecturer que ceſt à la préſence
du phlogiſtique , l'un des principes de toutes les
huiles , qu'eſt dû lejaune de la cire. C'eſt lui que
les chymiſtes regardent comme le principe des
couleurs ; en effet , augmenté ou mis en action
par le contact des corps enflammés , il altère les
couleurs de ceux qu'il pénètre ou dans lesquels il
ſe développe , & nous voyons les cendres ,réſidu
descorps qui ontpaflé parl'état de la combuftion
&qu'elle a dépouillés de leur phlogiſtique , s'approcher
plus ou moins de la blancheur , ſelon
qu'elles ſontplus ou moins pures ; mais ces vues
trop générales pour ne pas êêttre vagues ne nous
fourniroient que des inductions très -éloignées ,
11 l'examen particulier des faits ne venoit à leur
appui ; la diſtillation de la cire jaune & cellede la
142 MERCURE DE FRANCE.
cire blanche offre des différences : la premiere
Jaifle dans la cornue un réſidu charbonneux formé
par l'union intime du principe inflammable de
Thuile avec ſa partie terreuſe&fixe: la cire blanche
n'en laſſe preſque aucun.
Onpourroit également , d'après cette expérience,
penfer avec quelque fondement que le principe
colorantde la cire exiſte dans la ſubſtance
mielleuſe ou mucilagineuſe qui ſemble reſter
combinée, ou du moins parfaitement mélangée
avec la cire ; on ſçait que les ſubſtances mucilagineuſes
fourniffent beaucoup de charbon & que
les huileux en donnent très- peu ; on fait auſſi que
les mucilages unis aux huiles les mettentdans un
état demi lavoneux mou , & la molefle de la cire
jaunecomparée
dureté de celle qui a été blanchieſembleindiquer
afſez poſitivement que lacire
blanche contient moins de mucilage.
àla
Telles font les conjectures que peuvent fournir
les faits principaux &un petit nombre que préſente
l'hiſtoire de la cire , ſubſtance trop peu obſervée
juſqu'à préſent. C'eſt dans la vue d'en
chercher de nouveaux qu'ont été faites les expériences
dont nous allons rendre compte; l'auteur
de ces mémoires ne les croiroit utiles que dans le
cas où cet eſſai engageroit des chymiſtes exercés
à approfondir un ſujet qu'iln'a fait qu'effleurer .
L'art du blanchiment des foies , l'analogie que
cette derniere ſubſtance , moitié animale & moitié
végétale, ſemble avoir à cet égard avec la cire,
luggerèrentla première expérience. La foie a,dans
fon état naturel , un vernis dont on ignore la nature
, mais qu'on parvient à lui enlever par le
moyen d'une leſlive de ſavon ou d'alkali ſeul &
de la vapeur du ſouffre. M. B... ſoumit à l'ace
AVRIL. 1771 . 143
tion de cedernier agent une poignée ou deux de
cire jaune ratiffée , étendue fur un tiflu de gaze
claire placéà environ deux pleds de diſtance d'un
rechaudde cendres chaudes ſur lequel on avoit allumé
du ſouffre en canon groſſiérement concaffé .
Lejaune de la cire devint plus brun , elle avoit
contracté une odeur de miel plus forte & combinée
avec celle de la vapeur du fouffre.
Après cet eflai , M. B. voulut tenter d'employer
au lieude la vapeur du ſouffre , l'acide fulfureux
volatil en liqueur , ou eſprit de ſouffre , il en verſa
demi-once dans un petit bocal de verre & y mit
macérer une ou deux pincées de cire ratiſlée extrêmement
mince ; au bout de trois jours elle avoit
déjà ſenſiblement blanchi , il s'étoit formé , au
fondduvaſe un dépôt de couleurjaune tirant ſur
ungris pâle. Cette cire ne fut retirée du vaſe que
vingt jours après avoir été ſomiſe à l'action de l'acide
fulfureux ; juſques-là elle avoit toujours augmenté
de blancheur ; quoiqu'à un degré bien
éloignédu point où peuvent la porter les travaux
de lablanchiſflerie , elle éroit devenue plus dure&
plus caſſante. La liqueur où elle avoit été mile en
imacération n'annonçoit aucun changement d'état
; avant & après l'expérience elle teignoit le
papierbleud'un rouge également vif. Le ſédiment
qui s'etoit formé au fond du vaſe étoit ſous la
forme d'une poutliere blanche extrêmement ténue;
M. B. eſſaya vainement de la faire fondre , elle ne
fubit aux approches du feu d'altération que dans
ſa couleur.
M. B. voulant aggréger en maſle la petite quantité
de cire employée dans cette expérience , procéda
à la faire fondre; une imprudence qui fit
éprouver trop vivement à la cire l'impreffion du
144 MERCURE DE FRANCE.
feu , obſcurcit ſa couleur & fournit l'occaſion
d'une nouvelle expérience : cette cire , ainſi brunie,
fur ſoumiſe de nouveau à l'action de l'acide fulfureux;
un mois de ſéjour dans la liqueur n'apporta
pas le plus léger changement,
Dans la vue d'eſſayer ſi la chaleur aideroit à
l'action de l'acide , il plaça ſur des cendres chaudesun
petit bocal rempli au quart d'acide fulfureux
en liqueur & de cire nouvelle; la liqueur ſe
troubla, la cire ſe liquéfia en partie , devint plus
caflante& plus brune. Au bout de huitjours la
cire reſtée à froid dans l'acide ſulfureux paroifioit
blanchir en quelques endroits , il s'étoit formé un
dépôt moins conſidérable que dans l'avant dernière
expérience; la liqueur étoit d'un jaune léger
tirant ſur l'or , ſans paroître avoir ſubi aucune
altération , elle donnoit ſur le papier bleu les mêmes
marques d'acidité qu'auparavant.
L'acide nitreux donna, mais plus promptement,
les mêmes réſultats que l'acide ſulfureux. Après
les expériences que nous venons de citer , M. B.
verſa ſur une ou deux pincées de cire placées avec
de l'eau au fonds d'un petit bocal de verre , quelques
goutes d'eau ſeconde; la couleurjaunede la
pâlit fur le champ. Au bout de quelques jours
il le forma un dépôt plus conſidérable que dans
l'acide fulfureux. Après un mois la cire étoit devenue
preſque tranſparente& d'un gris ſale ; vifitée
après une abſence d'une année , elle avoit acquis
un degré de blancheur très - conſidérable
qu'elle a couſervé après avoir été miſe en fuſion
dans de l'eau chaude.
L'eſprit de vin ayant la propriété de ſe charger
de l'acide des huiles rancies , M. B. mit infuſer
dans cette liqueur une petite quantité de cire, ſans
qu'elle
AVRIL. 1771. 145
qu'elle éprouvât dans un eſpace de quinze jours
lemoindre changement. Un léjour de cinq ſemaines
dans de l'eau chargée de chaux rembrunit la
cire à la longue , mais légérement.
La même ſubſtance fut foumiſe à l'action des
matieres végétales miſes en fermentation , on la
fit ſéjourner l'efpace de trois ſemaines dans de
l'eau de riviere mêlée au quart de farine de froment.
Le vaſe qui contenoit ce mêlange fut tout
ce tems enterré juſqu'à ſes bords dans le fumier ,
il n'en réſulta pas la plus légere altération dans la
couleurde la cire .
Cemémoire ſe termine par l'eſſai de l'action
fur la cire d'une leſſive chargée d'alkali. M. B. fit
diſloudre, dans environ le quart d'une pinte d'eau,
une petite quantité de cendres gravelées , l'alkali
le plus vrai que l'on emploie dans les arts , il verſa
dans cette leſſive bouillante quelques poignées de
cire rapée ; cette opération donna en peu de tems
un ſavon d'un jaune clair , infiniment plus pâle
que celui de la cire en malle ; mais , expolé à l'air,
ſa ſurface ſe teignit d'un brun noir , un monceau
du même ſavon confervé dans une enveloppe de
papier , avoit , au bout d'un mois , contracté ,
loitextérieurement , ſoit intérieurement, une couleur
de gris cendré très- foncé.
On décompoſa quelques morceauxde ce ſavon
récemment fait, au moyen d'une once & demie d'efpritde
fouffre uni à parcil volume d'eau. Riende
plus flatteur au premier coup-d'oeil que le réſultat
de cette décompofition ; la cire extrêmement diviſée
ſurnageoit la liqueur en s'élevant graduellement
, ſa blancheur égaloit celle de la crême
fouettée , mais en s'affaiſlant & en ſéjournant dans
-
H.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
les bocaux , elle prit un oeil grilâtre qui augmenta
lorſqu'elle fut retirée de la liqueur.
2°. Recherches phyſiques fur cette queſtion: la
mère abeille a-t-elle beſoin des approches des faux
bourdons pour être fécondée par M. Jean HartorfdeWernigerod.
En analyſant les deux premiers volumes dece
recueil , nous avons exposé les doutes qu'avoit
déjà élevé M. Lehmann de Meiſſen ſur la prérogative
attribuée juſqu'à préſent aux faux bourdons
de féconder la mère abeille. Nous avions ciré une
expérience de M. Hornbostel qui ſembloit devoir
détruire l'opinion où l'on étoit à cet égard.
Perſonne , dit Pline , n'a vu l'abeille s'accoupler,
apum coïtus vifus eft numquam. M. de Réaumur
, dont les ſuccès immortels devoient accrédizer
les erreurs , & dont l'autorité devoit bien l'emporter
fur celle de Pline , crut voir dansquelques
faits douteux l'accouplement qu'il defiroit d'obſerver.
L'appareil des organes prétendus générateurs
dans les faux - bourdons acheva de décider
cet illuftre obſervateur à leur aſſigner le rang de
mâles. Les expériences que rapporte M. Hattorf,
envenant à l'appui de celle de M. Homboſtel , paroiſlent
décider la queſtion en faveür de l'inutilité
des faux-bourdons pour la fécondation de la reine.
M. Hattorf prit , au mois de Juiller , un petit
eſſaind'environ fix cens abeilles , il en enleva les
mères , &après s'être aſſuré par un ſoigneux examen
qu'il n'y avoit parmi elles aucun faux-bourdon
, il les enferma dans une petite ruche dont un
des côtés étoit garni d'un verre qui en laiſſoitvoir
l'intérieur. Aux mères de l'eſſain, il en ſubſtitua
une qu'il prit dans une ancienne ruche , encore
enfermée dans la cellule qui lui avoit ſervi deber
AVRIL. 1771 . 147
ceau , il ouvrit ſa priſon & l'introduiſit dans fa
demeure. Sept jours après,les gâteaux n'offroient
encore que quelques cellules remplies de miel&
de cirebrute; la reine ayant péri , M. Hattorf en
introduiſt une nouvelle auſſi récemment écloſe
que la premiere ; le 21 Juillet , quinze jours après
cette opération , M. Hattorf ayant viſité les gåteaux
, y trouva quelques oeufs qui paroiſloient
pondus depuis environ deux jours , par cettereine
intacte qu'aucun faux-bourdon n'avoit approché.
Il enleva la portion du gâteau qui les contenoit
pour la tranſporter dans une ancienne ruche , les
abeilles qui l'habitoient négligerent cette poſtérité
étrangere qu'on vouloit les forcer d'adopter ; les
oeufs abandonnés ſe ſécherent , trois jours après
leur déplacement ils avoient totalement péri. La
reine de la petite ruche avoit cependant continué
à pondre ; dès le 28 Juillet M. Hattorf apperçut
des nymphes d'inégale groſſeur qui , ſucceſſivement
, devinrent abeilles.
>
Qelque décisif que puiſſe paroître oître le fait qu'annonce
M. Hattorf, il voulut néanmoins répéter
l'expérience que M. de Réaumur avoit faite pour
s'aſſurer de l'accouplement de la reine , il en prit
deux ſortans de la cellule où elles étoient nées
les enferma ſéparément ſous un verre chacune
avec deux faux- bourdons , & n'apperçut rien qui
pût reſſembler à la jonction ſexuelle de deux individus.
Chacune des deux reines tua un des prétendus
mâles; les ſeconds furent trouvés morts ſans
qu'on ait ſu les circonstances de leur fort .
Mais quel ſeroit donc l'uſage des faux-bourdons
dans une ruche ? On penſoit , avant M. de
Réaumur , que leur préſence ne ſervoit qu'à
échauffer le couvain dans la ruche , lorſqu'après
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
l'émigration d'un eſſain les ouvrieres allõient chercher
au-dehors le miel & la cire deſtinée à appro
viſionner leurs magaſins.
5
M. H. paroît décidé à adopter cette opinion que
Pilluſtre Réaumur a entierement rejettée , par un
fait qui tend en effet à la favoriler.
On avoit enlevé à une ruche qui avoit donné
trois eflains toute la portion de couvain qui devõit
produire des faux- bourdons; les abeilles cefferent
de fortir à leur ordinaire , elles abandonnerent
la reine pour ſe placer ſur les gâteaux de
couvain , elles remplifſoient peut - être alors les
fonctions qu'euſſent rempli les faux - bourdons
dont on avoit enlevé les oeufs. Pluſieurs autres
raiſons appuyent cette conjecture ; on a remarqué
que quelquefois les abeilles détruilent les fauxbourdons
avant même qu'ils ſoient éclos : les
ruches où cela est arrivé ne donnent pas d'eflains ;
ne feroit- on point en droit d'en conclurre que dès .
lors les faux bourdons n'étoient plus néceſſaires ?
Pourquoi d'ailleurs ne voit-on fortir des eftains
qu'au tems où les cellules deſtinées à la naiſlance
des faux- bourdons ſont entierement remplies ?
Ces faits peuvent aſſurément fournir quelques inductions
ſur les cauſes juſqu'à préſent inconnues
de la deſtruction des faux-bourdons par les abeilles.
CHANSON fur le mariage attribuée au
Poëte Arabe Sathim mun Gabner (1 ) ,
(1 ) Sathim mun Gabner eſt , ſuivant l'auteur
i
AVRIL. 1771. 149
traduite en françois par M. Pingeron
capitaine d'artillerie & ingenieur au fervice
de Polognefur la verſion qui en a
étéfaite littéralement par l'auteur de la
Frufla letteraria , page 5 du nº 1 de
l'année 1763 , édition de Roveredo .
O toi que la trompette de l'ange de la
pureté à qui l'on ne resiſte point , n'a
de la fruſta letteraria , un de ces fameux poëtes
Arabes dont les ouvrages ſont ſuſpendus depuis
pluſieurs fiécles dans la moſquée de la Mecque
avec ceux des médecins les plus célèbres de l'Orient.
Il paroît par pluſieurs couplets de cette
chanſon , que cer Arabe devoit être de la ſecte
CiupMeſlaite qui reprouve la bygamie chez lés
fectateurs d'Omar &la polygamie reçue chez les
autres ſectes mahometane , quoiqu'elle ſoit trèsindulgente
ſur le choix des femmes. Je n'oſerois
garantir que la chanſon que je viens de traduire
ſe trouvât dans le poëte Arabe , quoique le ſtyle
figuré des Orientaux s'y fafle remarquer à chaque
inſtant. Le premier traducteur Italien taxe même
d'indifcrétion * , à lapage 60 della frufta letterariaceuxqui
lui ont fait cettedemande.
*A quello che vorrebbe ſapere ſe l'oda di Sathim
mun Gabner è dimia invenzione, o realmente
tradotta dall arabo ,dico che laſua curiofita è indifcreta
, pag. 60 , colonne ſeconde de la Frufta
Letteraria , nº. 4, année 1763 .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
pas encore appellé pour brûler de l'encens
fur l'autel de la chaſteté , tourne à ta
droite & cherche une compagne ! Occupe
toi de ce ſoin , tandis que tes brasont
affez de vigueur pour dompter un cheval
fougueux , & lorſque tes jambes peuvent
encore te ſouſtraire , par une prompte
fuite . aux dents & aux griffes du tigre.
C'eſt dans ſa jeuneſſe , avant que l'âge
ait blanchi fes cheveux , que l'homme
fixe fur lui les yeux des belles deſcendantes
d'Iſmaël. C'eſt dans cet âge qu'il ſe
ménage une retraite voluptueuſe dans
leurs coeurs amoureux .
N'oublie pas cependant que l'éclat
éblouiſſant des pierreriesdu Royaumede
Golconde ne fauroit égarer ni ſéduire auſſi
facilement ta raifon , que l'idée flatteuſe
de pouvoir toujours vivre avec une belle
defcendante d'Iſmaël . Hélas que cette
penſée eſt ſéduiſante!Prends garde qu'elle
nete précipitedans le golfede l'erreur ;
c'eſt ſur cette mer que l'on voit errer de
vains ſonges qui te promettent un bonheur
éternel & les phantômes legers,d'un
plaiſir fans bornes.
Les charmes & les agrémens du mariage
reſſemblent aux racines du cèdre qui
s'enfoncent chaque jour & ſe perdentenfin
ſous la terre .
AVRIL. 1771. rst
L'amant inſenſé dit dans ſon coeur ,
fi je pouvois polſléder la brune Fatime
je n'ambitionnerois plus ces douces extaſes
où ſont ravies les ames très-pures qui
goutent des plaiſirs ſans fin dans les jar
dins toujours verts d'Eden. Cet inſenſé ne
tient ce langage que parce qu'il oublie
que la brune Fatime eſt une fragile mortelle
, & parce qu'il la prend pour undes
ſéraphins éternels & reſplendiſſans de
gloire.
:
Tourne à ta droite &cherche une com
pagne parmi les belles deſcendantes d'lfmaël
, mais ſouviens- toi que le mariage
&la fatisfaction du coeur font fouvent
auſſi oppoſés que les deux bouts d'un arc ,
d'un Cangiar , (1 ) ou d'une zagaye ( 2) .
Deux amans invités par le génie qui
préſide au mariage à gravir enſemble la
montagne de la vie , ne fauroient trop
s'aider mutuellement , & jetter l'un fur
l'autre des regards enflammés pour excis
(1 ) Cangiar , eſpèce de Poignard que lesTurcs
&tous les Levantins portent à leur ceinture. Ce
n'est qu'en rems de guerre& dans les armées qu'ils
ontdes piſtolets&des ſabtes.
(2) La zagaye eſt une autre eſpècede poignard
très-connu dans l'Afrique &dans les grandes Indes.
Giv
I152 MERCURE DE FRANCE.
ter leur courage. Semblables à d'innocentes
& tendres colombes , ils doivent fe
prodiguer fans ceſſe des careſſes réciproques.
C'eſt alors que les douceurs & les
agrémens de la vie ne s'éloigneront jamais
d'eux , fur-tout s'ils leur afſocient
ſouvent la complaiſance , la modération
&la décence.
Lorſque tu auras entrepris le pénible
voyage de cette montagne ſi eſcarpée &
fi difficile , ne te fais point accompagner
par la familiarité qui eſt toujours l'ennemie
déclarée de l'amour conjugal : méne
au contraire avec toi la politeffe , l'affabilité
avec le reſpect & tu ne trouveras plus
d'obstacles.
Si tu rencontres quelquefois des défilés
oudes pas gardés par les chagrins & par
l'ennui , fonge que tu dois les forcer. Tu
trouveras dans ce voyage beaucoup de
ronces & d'épines , des fleurs fletries &
fannées , mais plus ſouvent encore des
buiffons piquants. Des précipices affreux,
des rochers eſcarpés & des pierres tranchantes
ſe préſenteront encore fous tes
pas. Hélas! quel eſt le fils d'Agar qui n'ait
jamaisrencontré des peines &l'ennui avec
des fleurs fannées , des buiſſons hériſſés
d'épines , enfin toutes fortes de maux en
AVRIL. 1771. 153
graviſſant la montagne difficilede lavie.
Recommande toi au courage & à la patience
, qui te feront , à leur tour , rencontrer
quelquefois fur cette montagne
les petites plantesdu nard ( 1) & du thim
dons l'odeur eſt ſi ſuave. Tu trouveras encore
par leur moyen l'arbre du baume (2)
dont l'ombre ſalutaire pourra te donner
de tems en tems de nouvelles forces de
même qu'à ta belledefcendante d'Iſmaël ...
Ne t'abandonne pas aux pleurs & au
déſeſpoir comme un nouvel eſclave , fi
les plaiſirs font en ſi petit nombre & les
chagrins fi multipliés. Apprends que les
agrémens de la viene pleuvent qu'en trèspetite
quantité du firmament ſemé d'étoiles
; apprends encore que les plaiſirs
que l'Ange bienfaiſant répand ſur les
hommes , comme une légère rofée , ref.
ſemblent à cette plante quidonne la ſanté,
mais qui ne ſe trouve que très rarement
: (1) Nard , plante dont toutes les parties ſont
aromatiques & qui croît dans le Levant & fur
quelques montagnes de la Styrie & de la Carinthie.
Onen fait uſage dans la médecine .
(2) Refine liquide d'un blanc jaunâtre d'une
grande utilitédans la médecine. Elle coule par inciſion
d'un arbrifleau qui croît dans l'Yemen ou
l'ArabieHeureufer
Gy
3
1
154 MERCURE DE FRANCE.
"
dans les defertsde l'Arabie. Les maux, au
contraire,qui ſont ſemés ſur les mortels ,
à pleines mains , par l'Ange malfaifant
germent enfuite & ſe reproduiſent d'euxmêmes
avec autant de facilité que l'ortie,
&la bardane dans le terrein fertile de l'E
gypte..
Qu'il te foit indifférent de faire levoyage
de la montagne avec telle ou telle
compagnequele haſard te procurera ( 1 ) ,
fitu délire que l'amour ſoit ton guide &
qu'il marque tes pas. Suis ce ſage conſeil
fistune veux pas reſter ſeul & en proie
aux chagrins , lorſque tu ſeras parvenufur
les premières roches de la montagne.
N'oublie point , au lever de chaque
ſoleil de prier le génie de la miféricorde
qu'il te faſſe toujours accompagner,dans
ce voyage ſi difficile , par la gaieté , l'intrépidité
, & par une mâle prudence .
Cette eſcorte te devient néceſſaire ſi tu
deſire que la modeſtie qui ajoute aux char
mes des femmes , & les autres vertus qui
leur font propres , arrivent avec toi fure
les bordsde la glorieuſe fontaine qui eſt
au ſommet de la montagne. C'eſt dans
ſes eaux qui couleront ſans ceffe ques
(1)Telle eſt l'opinion de la ſecte Ciup-Meſlaïtes
AVRIL. 1771. 155
peuvent ſeules ſe rafraîchir les lèvres de
ces fidellesdont le turban eſt enveloppé
de la force , & la premiére robe ( 1 )
doublée de l'honneur & de la vertu .
Chantez doux enfans d'Agar la chanſon
de Sathim mun Gabner & paffez vos
jours dans une joie ſans fin & fans altésation
avec vosbelles deſcendantes d'If
maël .
ACADÉMIES .
T.
Séance publique de l'Académie Françoise.
Le Jeudi 21 Mars , M. le Prince de
Beauveau , élu à la place de M. le Préſident
Hénaut , & M. Gaillard , à la place
de M. l'Abbé Alary , prirent féance pour
La première fois àl'Académie Françoiſe.
Lediſcoursde M. le Prince de Beauveau
eſt plein de la nobleſſe & de la dignité
convenables. Les éloges qu'il donne à fon
Prédéceſſeur font exprimés avec autant
(1) LesTurcs portent deux robes dont celle de
deſſous s'appelle Cafetani , & dont il s'agit dans
cettechanson.
Gvj
756 MERCURE DE FRANCE.
de grace que de juſteſſe. « M. le Préſident
>>Hénaut parut dans la ſociété un des
>> hommes les plus aimables que les let-
>>tres & l'uſage du monde euffent ja-
>> mais formé ; il y apporta fur-tout le
>>don ſi rare d'accorder à chacun de ceux
>> dont il s'occupoit tour-a- tour , une pré-
>> férence qui ne déſobligeoit jamais les
>>autres ... Lorſque ſon amour propre fe
>> montroit le plus, celui des autres ne
>> perdoit jamais rien à ce qu'il prenoit
>> pour lui ; & quand il étoit leplus ani-
>>médans la diſpute , on ne le trouvoit
>> encore que piquant , & en même tems
>> modéré. Toutes ſes qualités étoient
>> tellement tournées à l'avantage de la
» ſociété , qu'il ſe fit des amis dans tou-
>>tes les claſſes qui la compoſent. Egale-
> ment recherché des gens de lettres, des
>>>gens de la Cour & des étrangers , ſa
>>maiſon ſembloit être le rendez - vous
>> des gens de mérite de tous les états &
>>de tous les pays. Chacun y jouiſſoit de
>> ſa célébrité , de ſa confidération per-
>> fonnelle , &de tous les agrémens que
>>>les ſciences , les arts , les lettres& la
>>meilleure compagnie peuvent procurer
>> chez une nation à laquelle toutes les
>>autres cédent l'avantage de ſavoir mieux
AVRIL. 1771 . 157
>>>goûter , & de faire mieux connoître
>> tous les charmes de la ſocieté ».
2.
L'éloge du Roi , fait en peu de mots ,
a ce caractère de vérité , que devoit faifir
un homme qui a l'honneur de lui être
attaché par les places qu'il occupe à la
Cour. Le dernier trait ſur tout eſt précieux.
« Le Roi , ſimple autant qu'il eſt
>> grand , donne àtous ceux qui l'entou
>> rent le plaiſir ſi peu commun de trou-
>> ver l'homme qu'on aime dans le Sou-
>>verain qu'on reſpecte. Jamais il n'a
>> fait ſouvenir de ſon rang ,& il eft en
>>même tems ſans exemple qu'on l'ait
>> oublié un moment » .
M. le Prince de Beauveau rappelle les
derniers événemens qui ont honoré le
règne de Louis XV , & dont la France
ſe reſſouvient avec tant de reconnoiſſance.
« Une Province de France , ſoumiſe
>> pourun tems à une Puiſſance étrangè
>> re , rentre ſous les loix du maître que
>>>>lui donnent la nature & la justice ;
>> une ifle importante eſt conquiſe ; un
>>de nos ports les plus précieux & les plus
>>expoſés eſt misdans un état de défenſe
>>le plus reſpectable ; une forme nouvelle
eſt donnée à notre conftitution
>> militaire ; toutes les parties qui la ren-
>> dent plus propre à la guerre ſe perfec
158 MERCURE DE FRANCE.
>> tionnent , & les troupes Françoiſes ne
>>>ſe diftinguent pas moins aujourd'hui
>>par la difcipline & l'inſtruction , que
>>par le courage brillant qui avoit tou-
>>jours fait le caractère propre de la na-
» tion » .
La réponſe de M. l'Abbé de Voifenon
eſt d'une tournure piquante & originale.
Il ſemble qu'il ſe foit propoſé de
rompre par la faillie , la gravité , fouvent
uniforme des diſcours Académiques.
Il faudroit être de bien mauvaiſe
humeur pour le trouver mauvais , & les
Frondeurs , qui ſe ſont fait une loi de fe
plaindre toujours qu'on les endort à l'Académie
, dormiront bien fort fi M. l'Abbé
de Voiſenon ne les réveille pas. Il
fait pourtant être ſérieuxquand i'llefaut,
témoin cet endroit de ſon difcours , où
en rendant à M. le Prince de Beauveau
la juſtice qui lui eſt dûe , il eſt l'interprétedes
ſentimens des gens de lettres&
du public. " Tout ce qui concerne l'hon-
>> neur eſt dans votre ame l'ouvrage inné
>>du ſentiment. Ce qui n'eſt qu'un mérite
>>pour un autre,eſt un plaiſirde plus pour
»vous , & votre extrême exactitude ne
>> vous rend impoſant qu'en vousrendant
>> irréprochable».
Lesavantages de la bonne compagnie
AVRIL. 1771. 159
&de la ſociété des femmes devoient néceſſairement
entrer dans l'éloge de M. le
Préſident Hénaut ; auffi M. l'Abbé de
Voiſfenon les expoſe-t- il très- à-propos ,
& il ajoute : « Je ne prétends pas dire que
>> la bonne compagnie ſoit exempte de
>>ridicules : c'eſt là qu'un auteur fait ſes
>>meilleures récoltes ; par conféquent
>>c'eſt là qu'il doit paſſer ſa vie. Un
>>Peintre à portraits ne doit pas perdrede
»vue ſes originaux; les ridicules-des
>> gens du monde ſont une eſpèce à part :
>>pour les bien critiquer , il faut ſavoir
>> leur langue ; il n'y a que les modèles
mêmes qui puiffent fournir des armes
>>pour lescombattre.Un auteur doir pof-
>> ſéder leur dictionnaire ; cela ne charge
>> pas fa mémoire ; mais quand on fait
>>l'étudier , on peut entirer parti , pour
>>plaifanter légérement ceux qui l'ont
> compoſé.C'eſtfautede le connoître que
>>> nous sommes réduits à la triſte indi-
>> gence de ces pièces amphibies qu'on
>>s'imagine distinguer par le titre de
>> Drame , genre bizarre & dépravé ,
>>qui n'offre autre choſe à l'eſprit qu'un
>> Roman en fquelette , écrit le plus fou-
>>vent en proſe traînante& bourſoufflée,
*avec des caractères manqués. Toutes
>>les fois que j'aſſiſte à la repréſentations
160 MERCURE DE FRANCE.
>>>d'un Drame , je crois voir les valets
>> de Melpomene qui s'amuſent à contre-
>>faire leur maîtreſſe, en attendant qu'elle
>> revienne ».
Le mal eſt peut-être plus grand que
ne le penſe l'ingénieux Académicien.
Peut- être les valets ſe ſont-ils emparés
de la maiſon , prêts à fondre tous enfemble
fur celui qui voudroity ramener la
maîtreffe.
Le diſcours de M. Gaillard paroît animé
de l'eſprit d'un Hiſtorien & d'un
"Orateur. Il releve la dignité des lettres ,
& palle en revue tous les Monarques
François qui en ont été les bienfaiteurs .
Par-tout il écrit avec élégance & penſe
avec élevation . On a vivement applaudi
pluſieurs traits fort heureux de fon difcours
,& fur-tout le morceau qui concerne
le Cardinal de Richelieu. « Au nom
>>de Richelieu , la reconnoiſſance ſeule
>> doit ici ſe faire entendre . Détournons
>>nos regards de cette adminiſtration ſé-
>> vere , qui excite encore un étonne-
>> nement mêléd'effroi , & qui plia pour
>>un tems le caractère national au carac
>> tère d'un ſeul homme. N'examinons
>>point ſi le calme ne pouvoir être réta
>>bli que par des tempêtes ; s'il falloit
>> que le ſang coulât fur des échafauds
AVRIL. 1771 .. 161
>> pour ne plus couler dans les guerres ci-
• viles; s'il eſt des tems où l'on ne
>> puiſſe conduire que par la terreur ce
>> peuple qu'on mene ſi loin par l'amour .
>>Laiſſons la politique admirer dans Ri-
>>chelieu les projets vaſtes & les grands
>> coups d'autorité ; ne voyons en lui que
>>le reſtaurateur des lettres , & le fon-
>>dateur de l'Académie Françoiſe. Ri-
>>>chelieu voulut que les titres& lesta-
>>lens réunis concouruſſent à la gloire
>>des lettres ; il ſentit que quand la li-
>>berté feroit détruite dans l'Erat , elle
>>>d>evroit être l'ame d'une ſociété litté-
>> raire, comme un grand Roi a dit que
>>> fila foi& la vérité étoient bannies du
>> reſte du monde , elles devroient ſe re-
>>trouver dans la bouche des Rois » .
M. Gaillardfinit par payer à la mémoire
de M. l'Abbé Alary le tribut accoutumé
d'éloges Académiques. Mais
peut-être n'est- il pas inuiile de remarquer
dans le beau morceau que nous venons
de tranfcrire qu'aulieu de plier le
caractère national au caractère d'un seul
homme , il eût été plus juſte de mettre
fous le caractère; car plier un caractère
au ſien , c'eſt amener le caractère d'autrui
àla reſſemblance du nôtre. Ainsi l'on
pouvoit dire du grand Montesquieu ,
162 MERCURE DE FRANCE.
qu'il a plié le caractère François à celuide
ſon génie , en attachant une nation naturellement
légere à la contemplation
d'objets ſérieux&graves. Mais Richelieu
a plié le caractère des François ſous la hauteur
du fien , c'eſt à-dire , qu'il a fait
taire la fierté du coeur François & l'amour
de la liberté à l'aſpect de ſon pouvoir &
des vengeances miniſtériales.
M. l'Abbé de Voiſenon chargé de répondre
aux deux récipiendaires , a rappelé
les titres littéraires de M. Gaillard.
<Votre morceau du Concordat ſera tou-
>>jours cité comme un modèle. Cepen-
> dant , Monfieur , ſi vous vous étiez
>>borné à nous préſenter ce Roi dans ſa
> conférence à Bologne avec Léon X ,
>> nous aurions accordé difficilement no-
>> tre admiration à un Monarque qui peut-
>> être fit un peu trop au Pape les hon-
>> neurs de la royauté. Mais vous l'avez
>> peint redonnant une nouvelle exiſten-
>> ce aux lettres , chériſſant , reſpectant
> ſon adorable fooeur Marguerite de Va-
>> lois , qui les aimoit & les cultivoit.
>Dès-lors nous oublions Pavie , Madrid,
>>Bologne ;les malheurs & les fautes dif
>>paroiffent , nous nenous ſouvenons que
>>du reſtaurateur éclairé , & fon règne
AVRIL. 1771. 163
>>devient une époque mémorable dans la
>>M>onarchie».
M. Duclos termina la ſéance par la lectured'un
précis hiſtorique ſur l'état de l'Académie
Françoiſe , & ce morceau , écrit
avec vivacité& préciſion , a été entendu
avecintérêt.
Ces diſcours ſe vendent chez la veuve
Regnard& Demonville , au Palais , à la
Providence , & rue baſſe des Urſins.
Article deM. de la Harpe,ainſi qua
l'extrait des Voyages.
11.
Académie des Infcriptions.
MARDI , avril l'académie des infcriptions
atenu ſa ſeance publique. Le
prixdont le ſujet étoit d'examiner Quelles
ont été depuis les temps les plus reculésjusqu'au
IVefiècle de l'ere chrétienne
les tentatives des différens peuples pour ouvrir
des canaux de communication , foit
entre diverſes rivières , foit entre deux
mers , foit entre des rivières &des mers , &
quels en ont été les ſuccès , ce prix , qui
étoit double , a été remporté par M. l'abbé
le Blond fous bibliothécaire de Sorbonne.
164 MERCURE DE FRANCE.
Ona propoſé pour le ſujet de la ſaint
Martin de l'année 1772 , quels furentles
noms & les attributs divers d'Apollon &
Diane , chez les différens peuples de la
Grèce & de l'Italie : quellesfurent l'origine
&les raiſons de ces attributs. L'académie
invite les auteurs à rechercher , quels ont
été lesftatues ou tableaux célèbres de ces
deux divinités , & les artistes qui fe font
illustrés par ces ouvrages.
Le prix fera une médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres .
Toutes perſonnes , de quelque pays &
condition qu'elles ſoient , excepté celles
qui compoſent l'académie , feront admifes
à concourir pour le prix , & leurs mé
moires pourront être écrits en latin ou
en françois , à leur choix.
Les auteurs mettront fimplement une
deviſe à leurs ouvrages ; mais , pour fe
faire connoître , ils y joindront , dans un
billet cacheré , & écrit de leur propre
main , la même deviſe , avec leurs nom ,
demeure &qualités , & ce papier ne fera
ouvert qu'après l'adjudication du prix .
Les pièces , affranchies de tout port ,
feront remiſes entre les mains du ſecrétaire
perpétuel de l'Académie , avant le
premier juillet 1772 .
J
AVRIL. 1771 . 165
M. Le Beau a lu l'eloge deM. le préſident
Henaut. M. de Sigrais un mémoire
fur l'eſprit militaire des Gaulois. M. de
Guignes un eſſai hitorique ſur l'étude de
la philoſophie chez les anciens Chinois .
M. Gaillard l'examen d'une bulle du
Pape Boniface VIII , du 27 juillet 1298 ,
contre laquelle les hiſtoriens ont beaucoup
déclamé , & que cet académicien
prouve qu'ils n'ont jamais connue.
III.
Académie des Sciences.
Le mercredi 10 avril l'académie des
fciences atenu ſa ſéance publique.
M. de Fouchi ſecrétaire de l'académie
a annoncé deux prix remis tous les deux ,
l'un ſur la meilleure manière de meſurer
letems à la mer , qui ſera de 4000 liv.;
&l'autre fur la compoſition du criſtal
propre aux lunettes achromatiques, qui
ſera de 1200 liv . Les programmes de ces
prix feront publiés incellamment , avec
les conditions propoſées par l'académie.
: Il nomma enfuite & donna une courte
notice des arts qué l'académie a publiés
cette année , ſavoir: la 24 partie de l'art
du facteur d'orgues , par Dom Bedos re1.66
MERCURE DE FRANCE.
:
ligieux bénédictin ; la 2ª partie de l'art
du ménuifier par M. Roubaut ; l'art de
faire l'indigo par M. Beauvais Razoux ;
l'art du brodeur par M. de Saint Aubin
deſſinateur du Roi ; l'art de faire les colles
fortes & autres par M. Duhamel .
Ces exercices furent fuivis de l'éloge
de M. Rouelie démonstrateur célébre en
chimie.
De la lecture d'un mémoire dans lequel
M. deVaucanſon fait connoître une
machinede ſon invention propre à la filature
de la foie .
M. Caffini le fils donna la relation
abrégée du voyage de feu M. l'abbé Chap
à la Californie pour l'obſervation du dernier
paſſage de Venus ſur le ſoleil .
M. Meffier lut un mémoire ſur une
nouvelle comère qu'il a découverte &
commencé à obſerver dans le voiſinage
des Pleyades allant ſelon l'ordre des fignes
&vers le nord.
La ſéance fut terminée par la lecture
que fit M. Cadet de l'hiſtoire d'une maladie
fingulière obſervée par M. Lorry ,
médecin de la Faculté de Paris , dans la
perſonne d'une jeune fille d'onze ans qui
rend par la mammelle gauche une quanAVRIL.
1771 . 167
( tité conſidérable d'une liqueur infipide ,
inodore & fans couleur .
IV.
Extrait desséances publiques de l'Académie
royale des belles - lettres de Caën ,
des 6 Décembre 1770 & 10 Janvier
1771 .
M. le Page avocat , & directeur pour
l'année 1770 , préſidant à la ſéance du
6 de Décembre en l'absence de M. de
Fontette , intendant , qui venoit d'être
pourvu de la dignité de chancelier de
Mgr le Comte de Provence , lut deux
réflexions intéreſſantes ſur les moyens de
prévenir les crimes&les forfaits. Il penſe
avec quelque raiſon que les bûchers & les
échaffauds font inſuffifans , qu'ils révoltent
la nature , & qu'ils privent la ſociété
des ſervices qu'elle retireroit des ſcélerats
qu'on ſe borneroit de condamner à
des travaux infamans. L'oiſiveté & l'indigence
d'une part , le défaut d'éducation
&les mauvais exemples font , ſelon lui ,
les ſourcesdes vices; &il ſeroit facile de
tarir ces ſources.
M. l'Abbé le Moigne , nouvellement
reçu, l'un des trente de cette académie ,
168 MERCURE DE FRANCE.
lut undifcours philoſophique ſur les inconvéniens
de la littérature qui , preſque
toujours , expoſe ceux qui la cultivent
aux perfécutions les plus révoltantes . Le
ſçavant tente-t- il de faire aimer la Religion
en l'épurant des abus qui la défigurent
, & des excès du fanatiſme qui la
font méconnoître , l'intérêt & l'hypocrifie
crient au ſcandale , à l'impiété ... On calomnie
, on égorge au nom d'un Dieu de
paix dont l'effence eſt la juſtice & la bonté
, les hommes les plus juſtes & les plus
utiles ... Gerbert , traité de magicien pour
avoir fait quelques progrès en géométrie...
Bacon , chargé de fers parce qu'il
apprend à ſubſtituer des idées àdes mots...
Galilée , perfécuté par l'inquifition pour
préférer le ſyſtême du méchaniſme de
l'Univers le plus probable ,& ne fortant
des cachots de ce tribunal qu'en ſacrifiant
l'intérêt de la vérité à la tyrannie des erreurs
... Ramus , traité de criminel d'état
parce qu'il exhorte de préférer l'étude de
la nature au ſentiment d'Ariftote , flétri
par le fanatiſme qui fait ruiſſeler ſon ſang
avec celui de tant d'autres victimes , &
tant d'autres exemples qui revoltent la
nature & font frémir la raiſon , certifient
àquels périls on s'expoſe lorſque ce
qu'on
AVRIL. 1771 . 169
qu'on traite peut appartenir à la Religton.
Ceux qui s'occupentd'autres ſujets ont
les mêmes inconvéniens à redouter. Politique
, jurisprudence , hiſtoire , poësie ,
tout enfin aſes écueils. Celui que l'amour
de l'humanité porte à analiſer les reſſorts
dugouvernement, à chercher les moyens
de garantir des ravagesde la guerre & de
l'ambition , à procurer à la ſociété la plus
grande ſomme de bonheur poſſible , fera
regardé comme un novateur pernicieux ,
un ennemi du bon ordre qui s'efforce de
ſubſtituer l'indépendance & l'anarchie à
l'autorité tutelaire &à la fubordination...
La ſcience économique , par exemple ,
cette ame de l'agriculture &du commerce
qui , par la liberté de l'échange des
biens&des commodités de la vie qu'elle
fait voler à la voix du beſoin &du plaifir
, tend à multiplier les richeſſes , & à
procurer à la nation le plus grand bonheur
poſſible , garantit - elle de tout reproche
les ſçavans qui aiment aſſez leurs pareils
pour leur manifeſter les avantages de cette
ſcience? .. N'a-t'on pas accuſe l'immortel
Montefquieu de vouloir corrompre
la morale , parce qu'il balance les inconvéniens
du luxe par les biens qu'il procure
à l'induſtrie?
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Si l'hiſtorien découvre les refforts qui
font agir ceux dont il parle , & s'il peint
l'homme non tel qu'il devroit être , mais
tel qu'il eſt , on lui reproche de multiplier
le nombre des criminels , pour affoiblir
l'indignation que mérite le vice ...
S'il paſſe ſous filence les traits qu'il feroit
dangereux de citer , c'eſt un flatteur qui
t ahit les intérêts de la vérité.
La poësie même , ce langage des dieux,
fait pour adoucir nos moeurs & fufpendre
nos peines , a ſes inconvéniens.... Le
génie créateur du théâtre françois fut facrifié
par la ſociété de l'Europe la plus
éclairée à l'autorité jalouſe d'un grand
miniſtre... Tous les genres de littérature
enfin ont leurs inconvéniens .
Ne dira - ton pas , Meſſieurs , qu'avec
de tels ſentimens je devois me refuſer à
Ihonneur que vous me feriez ? Mais l'émulation
qui regne parmi vous , la libre
communication des talens qui s'y développent
ſous les auſpices de votre illuftre
protecteur , les charmes des vertus ſociales
enfin que vous embéliſſez par les agrémens
de l'eſprit , ont diſſipé les frayeuts
de ma raiſon , & vos exemples ſuffiſent
pour me faire braver tous les périls.
M. le Directeur répondit au compliment
de M. le Moigne : enſuite M. de
AVRIL. 17716 171
Liſle , avocat du Roi , lut les difcours
de l'ouvrage de M. le Trofne , avocat du
Roi àOrléans & aſſocié de cette académie.
On fait combien ce magiſtrat eſt attaché
aux vérités de la ſcience économique :
auſſi ſon ouvrage n'eſt - il qu'un tableau
des avantages de cette ſcience. Il contient
cinq difcours. Quoique le premier n'annonce
qu'un remercîment à l'académie ,
l'auteur y démontre combien il ſeroit important
que tous ceux qui compoſent les
ſociétés littéraires préféraſſent l'étude de
la ſcience la plus utile au bonheur des
hommes, à toutes celles qui les occupent.
Par le ſecond , il établit qu'elle n'eſt que
l'ordre eſſentiel que l'auteur de la nature
a inſtitué pour être la baſe conſtitutive
des gouvernemens les plus propres à rendre
les hommes heureux. Le troiſieme
diſcours réunit les obſtacles que la conſtitution
des gouvernemens factices oppoſe
aux lois de l'ordre. Lequatrieme indique
les différens motifs qui ont porté les peuples
à oublier & tranfgreffer les loix de
l'ordre. M. le T... juſtifie la néceſſité de
revenir à ces loix , par ſon cinquieme
diſcours ; & il en développe les moyens .
Malgré l'empire des préjugés , ce dernier
diſcours obtint les plus grands applaudiſ
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ſemens d'une nombreuſe aſſemblée. La
ſéance futterminée par quelques fables de
M. Bruéis d'Aiguilliers , capitaine aidemajor
du régiment de Forêt , de la ſociété
des Arcades de Rome , & aſſocié de cette
académie . M. le Directeur termina cette
ſéance en inſtruiſant le Public que l'académie
ne donnoit pas le prix de l'an
1770; & qu'elle annonceroit lejour de la
ſéance du 10 de Janvier ſuivant, le ſujet
qu'ellepropoſeroit pour le prix de 1771 .
Cettederniere fut ouverte parM. Def.
moüeux , docteur & profeſſeur royal en
médecine&botaniquede l'univerſité , &
nommédirecteur de l'académie pour l'an .
née 1771 , qui fit à ce ſujet ſondifcours
de remercîment. M. Deſchamps, docteur
aggrégé&profeſſeur royal en chymie de
la même univerſité , reçu l'un des trente
de l'académie pour remplacer M. Porée
, mort depuis fix mois , fit la lecture
de ſes premieres obſervations ſur l'économie
animale , auſſi intéreſſante à la fanté
de l'homme que l'économie politique
l'eſt àfon bonheur. Habitué dès fon enfance
, & fous les yeux d'un père , chirurgien
eſtimé , à voir dans l'homme le
premier& le plus noble des êtres déſignés
par les naturaliſtes ſous le titred'animaux,
AVRIL. 1771. 175
M. D... s'attache à tout ce qui peut intéreſſer
ſa vie & ſa ſanté ... Il regarde le
mouvement comme la vraie cauſe productive
des formes qui différentient les
êtres... En convenant que l'homme eſt
compoſé de deux ſubſtances eſſentiellement
distinctes , dont la premiere n'offre
aucun attribut qui puiſſe tomber ſous nos
fens , il prévient que ſes recherches n'ont
pour objetque la ſeconde de ſes ſubſtances,
qu'il nomme corps. L'idée qu'il donnede
ſa formation & de ſon accroiflement
le conduitau détail des ſignes qui
distinguent les minéraux des végétaux,&
ceux- ci des animaux : il les croit originairement
un ſeul & même corps , différentiés
entre eux par la maniere avec laquelle
le mouvement qui les vivifie, leur
eft communiqué... L'homme , dans le
fommeil d'une paix profonde , jouit d'abord
d'une vie qui n'eſt que végétative ,
juſques à ce que muni d'organes capables
d'entretenir le mouvement du centre aux
différens points de la circonférence , &
de ceux - ci au centre , il commence à
jouir de la vie animale... Il le définit un
aggregé de tiſſus que deux ſubſtances ſans
ceſſe en action ſur elles-mêmes entretiennentdans
un mouvement perpétuel : il
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
nomme ces ſubſtances ſolides & fluides :
de l'existence de leur mouvement réfulrent
la vie & l'animalité comme la ſanté
réſulte de fon uniformité,les maladies de
ſes dérangemens,&la mort de ſaj ceſſation...
De l'état de mort , M. D.. voit
s'élever un nouveau mouvement dans le
ſang... duquel réſulte la diſſolution &
la putréfaction ... De ce mouvement if
déduit des inſtructions utiles fur les affections
purulentes&putrides , fur les mortifications
, ſur la gangraine , maux dont,
juſqu'à ce jour , on n'a aſſigné ni les cauſes
productives ni les moyens qui pourroient
les ſuſpendre ou les détruire...
Cette premiere diſſertation traite particulierement
des fluides , M. D.. prétendant
que les ſolides n'en font qu'une
fimple modification. Il fait eſpérer autant
dediffertations ſur ces fluides qu'il trouvera
d'objets oubliés par ceux qui ont
précédemment diſſerté ſur les ſubſtances
animales. La nature des globules fanguins&
la cauſe de leur couleur eſt le ſujet
de ce premier diſcours. Ala vue de tout
ce qui a été dit fur ces globules , on pouvoit
croire que la matiere étoit épuiſée. Ce
premierdifcours cependant annonce beaucoup
de faits nouveaux. 1º. Le ſang eſt ,
:
AVRIL. 1771. 175
ſelon M. D.. le premier des fluides , &
celui dont les caractères distinctifs dépendent
de l'action des forces animales . Il le
définit un liquide animal , compoſé de
corps de différens ordres , mêlés par l'action
d'organes animés & ayant une couleur
plus ou moins purpurine... 2 °. II
réfute ceux qui placent le laboratoire de
ce liquide dans le poumon ou le foie ; &
il établit que toutes les parties du corps
concourent à ſa formation. 3°. Il attribue
ſes degrés de fluidité aux différens degrés
de force des parties qui le contiennent ;
d'où il ſuit que les uns ne peuvent varier
qu'il n'en arrive autant aux autres , ce qui
le conduit à quelques préceptes réſultans
de l'inſpection du ſang tiré de ſes vaifſeaux&
qui manifeſtent les abus du charlataniſme.
4°. En décrivant l'analogie de
ce fluide , tiré de ſes vaiſſeaux , il le voit
ſediviſer en deux ſubſtances , l'une qu'on
nommeféreuse , & l'autre le coagulé , coagulum
: quand il a placé cette derniere à
part , & dans un endroit modérément
chaud , il ſurvient un mouvement fermentatif
, qui diviſe ce coagulé en trois
eſpèces de corps : les premiers , de couleur
jaunâtre & de forme lenticulaire ,
nagent à la furface : les ſeconds , rougeâ-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
tresàleur cemre&environnésd'un petit
cercle plus ou moins blaffard, approchent
de la forme ſphérique , & paroiffent être
d'une peſanteur égale à celle du fluide
qui les contient: les troifiémes , plus ou
moins ſphériques ,&d'un rouge plus ou
moins foncé , ſe précipitent au fond du
fluide... 4°. Quand il aretiré ces trois
corps du fluide , ce dernier demeuré ſans
couleur , lui fait juger que la vraie cauſe
matérielle du fang réſide dans ces corps.
6°. Il foumet ces corps àdifférentes expériences
chymiques , deſquelles il conclud
que les uns & les autres font des
ſubſtances de la nature des huiles émulfives,
avec cette différence que les premiers
font chargés de beaucoup de corps
muqueux&d'une eauqui ſurabonde celle
qui conſtitue leur eſſence: les ſeconds font
dégagés de tout corps muqueux &de toute
eau furabondante: les derniers , également
dégagés de ces corps&d'eau, le font
également de celle qui contribue à leur
effence. Cette privation change leur nature
, & elle les rapproche d'un autre ordre
de corps qu'on nomme métaux ou
ſubſtance métallique , & qui n'admettent
pour principe qu'une terre& le phlogiftique
; ce qui lui fait donner à ces troi
AVRIL. 177 . 177
ſfiémes globules le nom de ſubſtances oléométalliques.
Pluſieurs expériences lui fervent
à démontrer cette déperdition de
leureau principe,entre autres , ils ne brûlent
point par inflammation comme tous
les corps qui contiennent des parties
aqueuſes , mais par ſcintillation, comme
les métaux , le charbon parfait , &c....
De l'altération de ces derniers globules ,
M. D. rend raiſon de pluſieurs phénomè
nes. Il déſigne la matière dont la nature
ſe ſert pour former ſes couleurs , &la maniere
dont elle l'emploie pour varier ſes
nuances ſur tous les corps : ſourcede préceptes
excellens pour les peintres , les
teinturiers , &c... Il développe les rai -
fons qui font varier la couleur des hommes
, foit qu'elles réfultent ou du climar,
ou de l'état de ſanté & de maladie. Ilexplique
pourquoi il eſt des hommes noirs,
qui naiſſent tels dans le cours ordinaire
de la nature ſous la Zone Torride ;
par quelles raiſons étant malades ils
deviennent jaunes , & pourquoi ceux qui
naiſſent blancs parmi eux font incapables
de pluſieurs fonctions , telles que cellede
ſe reproduire... Il déraille les raiſons qui
rendent ces corpufcules attirables par l'aimant
, après leur combustion , qu'il attri-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
A
bue principalement au phlogiſtique dont
alors ils ſont ſurchargés ,& non à la préfence
d'un fer qui n'exifte point dans nos
humeurs... It promet d'indiquer comment
la nature peur produire des fubftances
dont les qualités approchent des
métaux , commentſans être un vrai fer ,
elles font attirables par l'aimant , & pourquoi
le fer l'eſt lui - même. Ce diſcours ,
terminé par ſon remercîment à l'académie,
fut réſumé par M. Deſmoüeux , directeur
, très en état d'étudier &d'appercevoir
les fecrets de la nature , par le fecours
de la chymie qu'on peut dire être ,
àl'égard des vérités phyſiques , ce que le
calcul eſt à l'égard des vérités géométriques.
Cette lecture fut ſuiviede celle du Roi
Lapon , conte politique de M. Vialer ,
ingénieur en chefde la généralité. Ce badinage
, écrit fans conféquence , parur
rendre à démontrer qu'il n'eſt point de
vérité phyſique abfolue. D'autres le crurent
unecritiquedelaſcience économique,
annoncée par l'ouvrage de M. le Trofne,
qui , le fix décembre précédent , avoit été
fi univerfellement applaud.i On ne penfe
pas que M. Viallet ait eu aucun de ces
objets en vue
7 .
r
AVRIL. 1771. 179
Après la lecture d'une épître en vers de
M. Brueis d'Aiguilliers,M. Defmoiieux ,
directeur , annonça qu'aucun des auteurs
qui avoient concouru pour le prix de
1770 , n'étant entré dans les vues de l'académie
, elle propoſoit pour le prix de
1771 , le même ſujet , à ſavoir , quelle eft
la différence du caractère national de la
Franceſous les règnes de Louis XIV& de
Louis XV, & quelles en font les conféquences.
Ce prix , qui ſera diſtribué le s
deDécembre prochain , eſt une médaille
d'or de valeur de 300 liv. que donne M.
deFontette , intendant & vice-protecteur
de l'académie. Les ouvrages feront remis
francs de port , avant le premier de Novembre
, à M. Rouxelin , ſecrétaire de
l'académie , ou à M. le Roi ſon imprimeur
V.
Ecole Vétérinaire..
Mardi 9º Avril 1771 , il y eut à
l'Ecole Royale Vétérinaire de Paris un
ſecond concours , qui eut pour objet ,
comme le précédent , la démonstration
des muſcles du cheval. Le nombre des
Elevesqui ſe ſont mis en état cet hiver
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE ..
de ſatisfaire le public ſur cette matiere
étant trop conſidérable , pour les admertre
tous dans une ſeule & même ſéance ,
Les Eleves qui concoururent font les
ſieurs ,
DUTRONE, delaprovince de Normandie, entretenu
parMrdeMeulan.
LEBEL, de la Picardie , par M. le Marquis de
Voyer.
MARANGER, de la Champagne , par M. l'Intendant.
PERRINET, 2deParis , par leurs pères , maîtres
GELY, 3 maréchaux.
BERGERE, de Franche - Comté , par M. l'Intendant.
CANTE , du Poitou , par la Province.
L'EGOULON , de Metz , par M. l'Intendant.
MARECHAL,de la province de Champagne , par
M. de Villiers .
QUEDEVILLE ,de la Normandie , par M. l'Intendant
de Caën .
PRIEUR, de la Bourgogne , par les Etats de la
Province.
MAYEU , de l'Artois , par les Etatsde la Province.
PERTAT, de laChampagne, parla ville de Saint-
Dizier.
LESCRIERE ,de la Normandie , par M. l'Intendant
d'Alençon.
L'aſſemblée applaudit aux efforts de
AVRIL. 1771. 181
tous ces Eleves ; elle déféra le prix aux
fieurs Dutroné , Maranger , Cante , Quedeville&
Prieur. Le ſort le mit dans les
mains de ce dernier.
Quant aux acceffit , le premier fut accordé
aux ſieurs l'Egoulon & Maréchal ,
&le ſecond aux ſieurs Mayen , le Bel &
Perrinet.
SPECTACLES.
CONCERT CERT SPIRITUEL .
CE Concert composé des plus rares
talens pour les inſtrumens & les voix ,
raſſemble les ainateurs de la Muſique &
de la belle exécution pendant la vacance
des autres ſpectacles .
On a fait entendre dans ces différens
Concerts les beaux motets Omnes Gentes,
De profundis , Miferere , Regina Cali ,
TeDeum de M. d'Auvergne , Sur-intendant
de la Muſique du Roi . Sa Muſique ,
pleine de grands effets d'harmonie & de
traits de chant , eſt toujours reçue avec
plaiſir & admiration. M. l'Abbé Girouft,
Maître de Muſique des SS. Innocens ,
compofiteur ſavant & fécond , a donné
182 MERCURE DE FRANCE.
auſſi pluſieurs motets eſtimés. Le Lauda
Jerufalem de M. Philidor répond à la réputation
de ce Muſicien célebre. M.
Louet , amateur , peut ſe mettre à côté
des habiles maîtres : il a donné des preuves
de ſon génie dans le Dies ira , &
dans l'ExultateJuſti. Les deux petits motetsde
M. le Grand ,Adorate Dominum ,
&pfallite , ont fait les délices des amateurs
& des connoiffeurs , par le beau
choixdes motifs , par l'ingénieuſe diſtributiondes
parties , par la coupe heureuſedes
phrafes muſicales , & par le goût
délicat qui préſide à l'enſemble de ſa
muſique. L'inimitable Stabat du célebre
Pergoleze a été exécuté pluſieurs fois , &
toujours avecun nouveau fuccès.
M. Bezozzi , qui a un jeu fini& parfait,
a exécuté pluſieurs concertos fur le
hautbois ;M. Duport le jeune ajoué des
fonates fur le violoncelle qu'il maîtriſe
àfon gré ; M. Caperon , premier violon
de l'orchestre , M. Moria , M. Paiſible ,
M. le Duc le jeune , ont tour-à- tour
étonné , enchanté par une exécution auffi
brillante que hardie ſur le violon. M.
Aldaye fils , âgé d'environ dix ans ,
joué fur la mandoline avec autant de rapidité
que de préciſion. M. Darcy , du
a
1
AVRIL. 1771 . 184
même âge , a été ſon digne émule fur le
forte-piano & fur l'orgue. M. Balbatre &
M. Sejan ; habiles Organiſtes , ont exécuté
pluſieurs ſavans concertos.
6 Meffieurs Gelin , le Gros , Richer
Muguet , Levaſſeur ,Platel & Feray , ont
chanté avec applaudiſſement les récits
dans ces concerts , ainſi que Mesdames
Philidor , Duplant , Charpentier , la
Madeleine , Devantois , Chateauvieux
&Girardin. Il fuffit d'indiquer les mor--
ceaux de muſique&de rappeler les noms
des virtuoſes & des muſiciens pour rappeller
au Public le plaiſir qu'il a eude les
entendre.
OPERA :
LAcadémie Royale de Muſique a fair
l'ouverture de ſon théâtre par les fragmens
compofés de l'acte d'Anacreon
dont la muſique eſt de M. Rameau ; de
celui d'Hilas & Zelis , dont M. de Buri
a fait la mufique ; & de l'acte de la danſe
des talens lyriques de M. Rameau. M.
Durand , Mile Rofalie & M. Thiérot
chantent les principaux rôles dans le pre
184 MERCURE DE FRANCE.
mier acte ; M. Durand & Madame LarrivéejouentHilas
& Zelis. Madame Larrivée
, que la maladie avoit retenu depuis
long-tems , a reparu avec applaudiſſement
dans le rôle de Zelis. Elle n'a rien
perdu de l'éclat , de la légéreté & du
brillant de ſa voix . MlleGuimard par fa
danſe , & M. leGros par ſon chant ,
font le plus grand plaiſir dans l'acte de
ladanſe. Ces fragmens ſont très-bien remis;
les ballets en ſont charmans. On les
amême embellis par de nouveaux airs &
par de nouveaux pas. Les plus rares talensdans
le chant& la danſe concourent
à rendre ce ſpectacle très- agréable.
COMÉDIE FRANÇOISE.
On prépare à ce théâtre la tragédie de
Baïard de M. duBelloy .
}
A
:
>
AVRIL. 1771 . 185
COMPLIMENT d'ouverture de la Comédie
Françoise, prononcéparM. Dalainval,
le9Avril 1771.
LES Beaux - Arts font néceſſaires à
l'homme; ils le conſolentdans ſes chagrins
, ils adouciſſent l'amertume de ſes
péines, ils le délaſſent de ſes fatigues ,
&lui rendent plus précieux le plaiſir
qu'il éprouve en paſſant du travail au repos;
ils font enfin fa reſſource la plus
fure contre cette pénible fituation de
l'ame , qui , en la privant de la faculté
de ſe replier ſur elle-même , lui raviroit
encore le bonheur d'être ſenſible aux
charmes de la nature , ſi ces Arts confacrés
àenpeindre toutes les richeſſes ne
tiroient l'hominede ſa langueur&de ſon
apathie.
L'ArtDramatique néchez les Grecs ,
cultivé par lesRomains , embelli , ofons
le dire , par les François , eſt peut-être ,
detous les Arts , celui qui a le plusde
droits à la reconnoiſſancedes nations policées.
Il fut long-tems dans ſon enfance
parmi nous , parce que le goût , ce don
fi rare & fi précieux , étoit alors lui- même
à ſon aurore. C'eſt au fiecle qui a
186 MERCURE DE FRANCE.
4
précédé le nôtre , à ce ſiecle en tout com
parable aux beaux jours d'Athènes & de
Rome , à qui nous ſommes redevables
des progrès de cet art charmant dont
vous faites vos délices , objet de nos travaux
, &fur lequel vous nous donnez
chaque jour de nouvelles leçons ; heureux
, Meſſieurs , lorſqu'en en profitant ,
nous parvenons à vous intéreſſer & à
multiplier vos plaiſirs. C'eſt à nous rendre
dignes de vos fuffrages que nous
devons travailler fans ceſſe. Il n'eſt aucun
de mesCamarades qui ne vous doive
ſes ſuccès dans une carriere auſſi vaſte que
dangereuſe : eh ! Qui oſeroit en meſurer
l'immenſité ſans effroi , ſivos bontés ne
nous étoient toujours préſentes. :
Si les grands talens que vous avez vu
naître ,& qui ſe ſont développés ſous
vos yeux méritent aujourd'hui la juſtice
que vous aimez à leur rendre , daignez ,
Meſſieurs , vous rappeler tout ce qu'ils
ont dû à votre indulgence : que ceux qui ,
comme moi, en ont le même beſoin ,
trouvent en vous les mêmes bontés , &
puiſſent eſpérer d'arriver un jour au plus
beau moment de leur vie , celui de mériter
les éloges de la nation la plus éclairée
, la plus polie& la plus faite pour
inſtruire les fiecles à venir.
AVRIL. 1771. 187
COMÉDIE ITALIENNE.
Le compliment pour l'ouverture de ce
ſpectacle a été joué & chanté par Mlles
Zanorini & Bellioni . On doit donner inceſſamment
une pièce en trois actes de
M. Lanjeon.
ARTS.
Coursde Cosmographie.
I.
SECOND Cours de Coſmographie théorique
& pratique , ſelon le ſyſtème Copernicien
, dont les leçons , au nombre
de vingt-quatre , ſont données , à raiſon
de trois par ſemaine , par M. Maclot ,
aſſocié de l'Académie Royale des Sciences
, Belles Lettres & Arts de Rouen ,
& Profeffeur de Cofmographie , en fa
demeure rue Saint André-des- Arcs ,
vis-à- vis la rue Macon . L'ouverture s'en
fera le Mercredi to Avril à onze heures
dumatin.
1
188 MERCURE DE FRANCE.
On commencera par une explication
très - dévéloppée du ſyſtème Copernicien,
touchant les mouvemens céleſtes ;
tant réels qu'apparens , & les variétés
qu'on éprouve à la ſurface de laterre ,
par rapport aux ſaiſons&à ladurée des
jours&des nuits. Les moyens qu'emploie
l'Aſtronomie pour déterminer la figure&
les dimenſionsde la terre, ainſi que les
diſtances de la terre aux planètes & les
dimenſions de ces dernieres , ſeront expliquées
avec le plus de clarté qu'il fera
poſſible. Enſuite de quoi , on mettra ſous
les yeux les uſages les plus intéreſſans du
globe céleste, de la ſphère armillaire , du
globe terreſtre & des cartes géographiques
, tant terreſtres que marines.
MUSIQUE.
I.
Maniere de graduer un violon.
LApoſition des doigts que les maîtres
de violon font obſerver à leurs écoliers
n'eſt ordinairement qu'une routine qui
demande par conféquent un long usage
AVRIL. 1778. 189
&un tems confidérable. >>On metle pre-
>mier doigt à un bon pouce du bout du
>> manche , le ſecond à la même diſtan-
» cedu premier , & le troiſieme tout au-
>>>près du ſecond.>> Voila ce qu'ils appellent
enſeigner par principes. L'écolier
avectoute la docilité poſſible& les meilleures
diſpoſitions , n'ayant pas de règles
certaines, fait à-peu-près ce qu'on lui dit;
maiscet à- peu-près eſt un ton faux auquel
inſenſiblement l'oreille & la main saccoutument
& qu'on nerectifie jamais ou
avecles plus grandes difficultés. La perte
du tems & l'inexactitude des fons font
deux défauts que les commençants ne
peuventéviter en ſuivant la manière ordinaire.
Pour y remedier , voici ce que
l'on propoſe.
L'expérience enſeigne que la moitié
d'une corde quelconque rend un ſon qui
eſt l'octave duton que rendroit la corde
entière , parce que les vibrations de deux
cordes font reciproques à leur longueur ;
donctoute corde peut fe diviferen deux
octaves : or , dans chaque octave il y a fix
tons ou douze demi tons , donc route
corde peut ſe diviſer en vingt- quatre demi-
tons , ou , ce qui eſt la même choſe ,
la vingt- quatrieme partie d'une corde
190 MERCURE DE FRANCE.
formera undemi-ton& deux vingt quatrième
parties formeront un ton plein.
par conféquent ſi vous êtez la vingt-quatrieme
partie d'une corde ( ce qui ſe fait
en appuiant un doigt ſur la corde à l'endroit
deſigné ) le ſon qu'elle rendra ſera
d'undemi-ton plus aigu que celui qu'elle
rendoit étant en ſon entier : pareillement
ſi vous en ôtez deux vingt-quatrième parties
le ſon ſera de deux demi-tons ou
d'un ton plus aigu , &c. &c.
D'après ces principes pour donner aux
élèves une poſition fixe ſur un violon déterminé
, il faut 1º tracer ſur un morceau
de papier à côté les unes des autres , quatre
lignes un peu divergentes qui repréſenteront
les quatre cordes du violon &
leur diſtance relative.
2º. Il faut meſurer exactement la longueur
de chaque corde ( 1 ) depuis le chevalet
juſqu'à l'endroit où elle touche le
manche , &diviſer cette longueur en 24.
3º. Il faut couper les lignes tracées ſur
( 1 ) Le chevalet étant perpendiculaire à la longueur
du violon , & les cordes étant divergentes ,
elles font néceſlairement inégales , c'est - à- dire ,
celles qui occupent les côtés ſont égales entre elles
&celles du milieu ſont de même égales entre
elles.
AVRIL. 1771 . 191
le papier par fix lignes ( 1) perpendiculaires
à chaque corde qui marqueront fix
vingt quatrième de cette corde.
On peut placer ce papier ainſi tracé ſous
les cordes & l'attacher ſous le manche
avec de la cire d'Eſpagne , en obſervant
que le commencement de la première
diviſion doit être à l'endroit où les cordes
touchentle manche du violon .
De cette manière la plus groſſe corde
donnant ordinairement fol naturel , en
mettant le doigt ſur la première diviſion
de cette corde vous aurezfol dieze , fur la
ſeconde la , ſur la troiſièmeſi b mol , fur
la quatrièmefi naturel , ſur la cinquième
ut naturel& fur la ſixième utdieze.
La corde quifuit donnant re lorſqu'elle
eſt entiere , en mettant le doigt ſur ſa
première diviſion , donnera mi b mol , fur
la ſeconde mi naturel , ſur la troiſieme
fa naturel , ſur la quatrieme fa dieze , fur
(1) Nousdiſons fix lignes , parceque les cordes
du violon étant montées par quintes , & toute
quinte étant compoſée de ſept demi tons , les fix
diviſions en formeront fix & la corde ſuivante
donnera le ſondu ſeptieme , excepté la derniere
fur laquelle on formera non-ſeulement la quinte
entiere, mais beaucoup d'autres tons en remontantjuſqu'au
chevalet,
192 MERCURE DE FRANCE.
la cinquiemefol & fur la fixieme ſoldieze
Ainfides autres.
M. prof. de philos. à Beauvais.
II.
Charles Liénard originaire de Meaux
en Brie , organiſte de l'abbaye de S. Faron
, fait , fans en avoir reçu les principes
de perſonne , des clavecins à grand
ravalement de cinq octaves , dont il en
aun chez lui de mi en bas bien ſonore ,
&faen haut; ils ſont admirés des connoiffeurs
, notamment du célebre Bibaut
organiſte de l'égliſe de ladite ville ; il
donne une grande aiſance à ſes claviers ;
il a ledonde les animer de la plus belle
harmonie.
III.
2º Recueil d'airs choiſis dans les plus
beaux opéras- comiques , avec un accompagnement
de flûte , ou violon , ou pardeſſusde
viole , par M. Bordet. Prix 61.
enblanc , ſe vend àParis chez ledit ſieur
Bordet auteur & marchandde muſique
dont il tient magaſin généralement afforti
rue Saint Honoré vis à vis le PalaisAVRIL.
1771 . 193
lais-Royal , à la muſique moderne & aux
adreſſes ordinaires. A Rouen & à Lyon
chez les marchands de muſique.
I V.
Sei trioper due violini e violoncello ,
dedicatti a S. A. R. Don Carlo principe
di Asturias . Da Luigi Boccherini di Lucca
opera IX ; novamente ſtampata a ſpeſe
di G. B. Venier. Prix 9 liv . A Paris chez
M. Venier éditeur de pluſieurs ouvrages
de muſique , rue S. Thomas-du-Louvre
vis-à-vis le château d'eau & aux adreſſes
ordinaires.
V.
Sei duetti per violino e violoncello
compoſti da F. Schwindl opera VII. Prix
7 liv. 4f. ſe trouveaux mêmes adreſſes .
Tablettes Economiques ou dépoſitaire ſecret
, compofé d'un papier nouveau
auſſi beau, blanc & fin quecelui d'Hollande.
On peut l'employer pour écrire
&deſſiner en tel genre que ce ſoit ,
avec ou ſans plume ni encre ni crayon,
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
en ſe ſervant de telle pointe que l'on
voudra, même d'une épingle : maison
donnera un ſtylet d'un métal particulier
, qui fera adapté au livret ; enforte
qu'une page noircie par la couleur du
ſtylet peut être rétabli dans ſa premiere
blancheur & fouffrir juſqu'd huit , dix
lavages & plus , choſe extraordinaire ,
&recevoir tout autant de fois les caractères
qu'on deſirera y tracer ſans la
moindre altération du papier, Vol .
in 24relié en maroquin , avec le ſtylet
à têtede diamant 6 liv . , en veau 4 liv .
16 fols , & à l'ordinaire , 3 livres.
Ce papier nouveau unique par ſa qualité
, devient indiſpenſable àtous états.
On l'offre au littérateur , à l'ingénieur
civil & militaire , à l'arpenteur , aux maîtres
de mathématique & de géographie ,
à l'architecte , au maître maçon , au peintre
, au deſſinateur , au graveur. Il n'eſt pas
moins utile dans les colléges & les claſſes,
aux écoles de génie , d'artillerie&de fortification
pour dreſſer & lever les plans;
aux négocians , aux voyageurs , aux praticiens
, financiers , intendans , gens d'affaire
, régifleurs , contrôleurs &généralementà
tous ceux qui , par état , font obli.
AVRIL. 1771.
مور
gés de faire uſage à chaque inſtant de la
plume oudu crayon .
On trouvera des livres reliés de ce papier
&dans les grandeurs ordinaires , chez
le Sieur Deſnos , ingénieur géographe &
libraire de S. M. Danoiſe , rue St Jacques ,
auGlobe. Ils feront en maroquin, en veau,
en bazanne & brochés. :
ANECDOTES,
I.
SIR Cl dyM-cd-1 , Baronet , Ecoflois ,
& Député an Parlement par un des
Bourgs de ce Royaume , vint un matin ,
ſelon la coutume , au lever de fir Robert;
il y avoit beaucoup de monde ; il prit le
Miniſtre par fon cordon , & l'attira cavalierement
vers la fenêtre , en lui diſant
qu'il avoit à lui parler. De quois'agit- il ,
lui demanda Şir Robert ? Il s'agit , dit
le membre du Parlement , que je dois
1500 liv. fterl. & que , ſi vous ne me
les donnez pas , j'irai demain au Parlement
, & je voterai ſelon ma confcience.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Il ya toute apparence que cette demande
dont le miniſtre rit beaucoup en public ,
fut accordée en particulier.
こ、
८
II,
Le Lord Oxford , dans le cours de
fes voyages , garda l'incognito dans pluſieurs
endroits ; il ne voulut paroître à
Rome que comme un ſimple particulier.
Malgré ſes précautions , il ne put cacher
long-tems ſa qualité. Le Pape Benoît
XIV. apprit qu'il étoit dans la ville;
Sa Sainteré l'envoya prier ſur le champde
ne pas partir ſans venir voir les curioſités
de fon Palais , l'avertiſſant en même
tems qu'il ne feroir pas fâché d'y voir
pluſieurs raretés qu'on ne montroit pas
communément: Le Lord répondit à cette
invitation ſi polie , & fupplia Sa Sainteté
de l'excuſer , s'il ne lui faisoit pas
une viſite en forme. Le lendemain , il ſe
rendit au Palais , accompagné de deux
amis , qui voyageoient comme lui. Le
Pape les reçut avec tous les honneurs
imaginables , & les conduiſit lui-même
par tout fon Palais , où il leur montra
biendes chofes qu'on ne montre que rarement
aux étrangers , & fur-tout aux
AVRIL. 1771 . 197
Proteftans . Au moment où ils alloient
prendre congé , il les accompagna , &
leur dit d'un air plein d'ouverture & de
bonté : Meffieurs , je fais que vous n'attendezde
moi ni indulgences , ni abfolutions
; mais vous ne pouvez refufer les bén
nédictions d'un bon vieillard. Alors il leva
les mains fur leurs têtes , & leur dit avec
ane ſenſibilité qui partoit du coeur : Dien
vous béniffe , Dieu vous béniſſe , Dieu vous
béniffe.
III.
Il y a une tradition Juive ſur Moyfe
qui mérite d'être rapportée. Ce grand
Prophete , dit- on , entendit un jour une
voix qui deſcendoit du Ciel , & qui lui
ordonnoitde monter ſur le ſommetd'une
montagne. Il obéit , & y eut une converſation
particuliere avec l'Etre Suprême ,
qui lui permit de lui faire quelques
queſtions ſur la maniere dont il gouvernoit
l'univers . Au milieu de cedivin cofloque
, Dieu lui commanda de regarder
dans la plaine. Au pied de la montagne
étoit une ſource d'eau vive , où il vit
un cavalier deſcendu de cheval , ſe défaltérer.
Il ne ſe fut pas plutôt éloigné
qu'un enfant prit ſa place : après avoir
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
bu à ſon tour , il trouva une bourſe d'or,
que le cavalier avoit laiſſe tomber auprès
de la ſource : il la prit , & ſe retira
fur le champ. Immédiatement après vint
un vieillard foible & pefant qui étancha
ſa ſoif , & s'aſſit pour ſe repoſer. Le
guerrier qui avoit perdu ſa bourſe revint
la chercher dans ce lieu , & demanda
au vieillard s'il ne l'avoit point vue ;
celui- ci jura que non , &en prit le Ciel
à témoin ; mais le ſoldat ne la trouvant
pas , l'accuſa de l'avoir volée , &
ſe moquant de ſes proteſtations , entra
en fureur, & le tua. Moyſe effrayé dece
ſpectacle , ſe proſterna ſur la terre. Il alloit
parler , la voix le prévint , &lui
dit ces mots : « diſſipe ta crainte & ta
>> ſurpriſe ; ne demande pas à celui qui
>>gouverne la terre entiere pourquoi il
>>a permis que ce que tu as vu ſoit ar-
>> rivé ; l'enfant eſt la cauſe de la mort du
» vieillard ; mais apprends que ce vieil-
>> lard eſt le meurtrier du pere de cer
>> enfant ».
4
AVRIL. 9 اوو . 1771
Suite des Confeils d'un Pere àfon Fils.
De l'estime de soi- même.
ESTIMER ſes talens au - deſſus de ce
qu'ils font eſt un ſentiment très ordinaire
chez les petits Artiſtes. Il en eſt peu qui
n'ayent goûté ce venin qui empoiſonne
le génie. L'Auteur le plus médiocre en
favoure toujours la doſe la plus forte.
Ennivré de ſes productions , il penſe
qu'aucun genre ne peut lui réſiſter. Pénétré
de ce ſentiment & ignorant ſes forces
, il oſe tout entreprendre . Soutenu
ordinairement par des perſonnes dont les
connoiffances font bornées , il produit
fon ouvrage , on le loue. Il le fait répéter
, on l'admire. On le repréſente , il
tombe. Alors , ceux qui le trouvent mauvais
font déclarés fans goût , ſans délicateſſe
, ſans connoiſſances. Les amis ſoutiennent
hardiment qu'il y a les plus
belles chofes , que c'eſt une cabale que
le mérite ſurmontera . On conſole l'Auteur
par de fades complimens qui agravent
fes défauts , & qui achevent de lui
tourner la tête. Le voilà perdu ſans ref
:
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
fource. Plus il fait mal, & plus il croie
bien faire. Il déſaprouve tout ce qu'il entend
, il mépriſe les conſeils des plus
habiles gens , & ſe perfuade que tous
ceux qui ne le louent pas , ou qui
en louent d'autres ſont ſes ennemis. Il
finit enfin par être ſeul de ſon parti .
Que ce portrait eſt different des Auteurs
qui ont un vrai mérite ! ſe méfiant.
toujours d'eux-même , à peine ofent- ils
mettre au jour leurs productions. Ce
n'eſt ſouvent que par des demandes réitérées
, ou par des ordres reſpectables
qu'ils ſe déterminent à donner leurs ouvrages.
Jaloux de la réputation qu'ils ont
acquife , ils craignent toujours de la perdre
ou de l'altérer. Ceux qui compoſent
ce petit nombre ſont preſque toujours
fédentaires. Occupés ſans ceſſe de leur
talent , ils n'ont pas le loiſir d'aller perdre
leur tems dans l'antichambre d'un
Seigneur. Auffi font- ils mal leur cour
pour mieux faire leurs ouvrages , cequi
leur ſuſcite beaucoupd'ennemis. On devroit
bien leur pardonner ce petit défaut
en faveur de leurs productions , & penſer
qu'il n'eſt pas poſſible d'atteindre à la
perfection quand on eſt trop diſſipé. Que
ce n'est qu'à force de peines , de travaux
AVRIL. 1771. 201
&de réflexions qu'on vient à bout de
perfectionner ſes ouvrages. Que ces fatigues
continuelles en occupant l'efprit
épuiſent le corps , leur cauſent desmaladies
, & même les empêchent ſouvent de
jouir du plaifir de voir leurs meilleurs
amis.
Dufon des voix.
Chaque voix a une qualité de fon
qu'il faut ſavoir diftinguer., Il y en a de
quatre fortes. Le ſon flûté clair , le fon
Aûté brun , le fon mordant clair , le fon
mordant brunn .
Les premiers inſtrumens que l'art a in.
ventésfont ceux qui parleurſtructure,& la
façon de les emboucher , font pour ainfi
dire l'écho de ces différens fons. La Aûre
Allemande pour le fon fûté clair. Le
chalumeau ou fe cors de- chaffe pour le
fon fûté brun. Le baſſon pour le mordant
clair , & le cromorne pour le mordant
brun. Le plus parfait de tous ces
fonseſtſanscontredit,le ſon flûté clair.
Les voix de cette qualité font toujours
douces , moëleuſes & fonores. Le volume
en eſt rond , plein& nourri . Le fon
quoiqu'on le force en eſt pur , net argentin
& ne bleſſe jamais l'oreille. 11
porte plus loin que les autres dans tous
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
)
les lieux vaſtes. Il eſt vrai que ces voix
ont-peu de bas : mais elles s'en dédomagent
par le medium & le haut qui font
admirables . Les voix Aûtées brunes ont
le volume rond & plein : mais le fon
en eſt triſte & un peu voilé. Deſtituées
du timbre clair , elles ſont ſemblables
aux fleurs qui ont perdu leur émail. Ces
voix peuvent avoir quelques fons éclatans
par l'effort de la poitrine : mais ils
ne ſont jamais brillans. Les voix mordantes
claires ſont très belles lorſque le
le volume en eſt gros , ce qui eſt rate ,
attendu que le mordant en maigrit toujours
le fon. Ellesont l'avantage en adouciſſant
d'imiter les voix flûtées & celui
d'avoir beaucoup plus d'étendue , furtout
dans le bas que le mordant favoriſe.
Les voix fortes de cette qualité ont quelque
fois des fons ſi perçans qu'ils ébranlent
de près le timpan de l'oreille. Comme
elles ſont ſujettes à chanter de la gorge
, elles font plus agréables à entendre
de loin , parce que le mordant eſt moins
fenfible à une certaine diſtance. Ces voix
ont beſoin de beaucoup d'art pour rectifier
ce défaut.
Les voix mordantes brunes ont prefque
toujours le volume plus gros que les
autres. Elles ont ordinairement beauAVRIL.
1771 . 203
i
coup de bas & très peu de haut. Elles
ſont quelquefois formidables de près &
ne font nul effet de loin. Le ſon en eſt
triſte & fombre , elles n'ont point d'éclat .
De toutes les voix c'eſt la moins agréable
, & par conféquent la moins eſtimée.
Quoique ces quatre qualités de fons
comprennent toutes les voix des deux
ſexes , l'oreille diſtingue mieux le fon
Aûté dans les hommes que dans les femmes
, de même que les voix mordantes
font moins ſenſibles dans les femmes
que dans les hommes : mais la qualité
n'en exiſte pas moins. La nature eſt ſi
variée , que dans les différens fons , il y
a des voix qui ont du haut &du bas fans
medium , d'autres qui ont du medium
fans bas ni haut. Enfin d'autres , par un
effet plus bizarre réuniſſent pluſieurs qualités
de fons. Ces derniers qu'on peut
appeller voix bâtardes ne font jamais
agréables. L'avantage des voix claires
c'eſt qu'en groſſiſſant leurs fons , elles
peuvent les brunir, au lieu que les voix
brunes n'ont aucun moyen de les éclaircir.
Le mieux eſt toujours de laiſſer agir
la nature , puiſqu'on ne sçauroit l'alterer
ſans diminuer le prix de ſa valeur. Ce
n'est qu'en formant des fons à l'aiſe ,
د
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
fans groflir ni forcer l'organe , qu'on
plaît aux véritables connoiffeurs.
Quoique ce chapitre n'inſtruiſe point
dans l'art de compoſer , je le crois néceflaire
pour choisir les voix dont les
fons conviennent le mieux au caractère
des différens rôles dont chaque ouvrage
eſt ſuſceptible.
AVIS.
I.
Huile d'olive.
M. Maurice , rue Saint-Sauveur à Paris , mai
fon de M. Macquer , médecin , vis-à- vis le vitrier
, eſt chargé de la diſtribution des huiles ex- ,
traites des chairs des olives par M. Sieuve de
Marſeille , &donne avis que ce ne ſera que jufqu'à
la fin du mois de Juin , au plus tard , que les
perſonnes qui voudront avoir de ces huiles à la
prochaine récolte , pourront ſe faire infcrire chez
lui pour la quantité qu'elles deſireront , paflé lequel
tems elles ne pourront plus en recevoir que
de la récolte de l'année ſuivante .
Ceshuiles feront délivrées dans le mois de Janvier
aux perſonnes qui ſe ſont fait infcrire , ce
qui eſt le plutôt où elles peuvent être rendues à
Paris . Ity aura , pour la commodité des perſonnes
infcrites , des barils contenant cent livres nee
AVRI L. 1771 .
205
poids de marc , d'autresde cinquante livres , &
des canavettes de 24grandes bouteilles.
On ne peut fixer exactement le prix de ces huiles
qu'au tems de la fabrication , puiſque c'eſt l'abondance
ou la modicité de la récolte des olives qui
le détermine. En ſtatuant ſur le prix de l'année
dernière , où les olives ont été chères , le baril
de 100 livres net , poids de marc , revient rendu
à Paris , à 1 so liv.; & le baril de so liv. à 78 liv .
&les canavettes de 24grandes bouteilles à 48 liv.
Les perfonnes de Province qui voudront avoir
de ces huiles , donneront ordre à leur correſpondant
à Marseille , de s'adreſſer directement à M.
Sieuve pour ſe faire inſcrire avant la fin du mois
de Juin , afin de ſe les faire délivrer à la fin de Décembre.
Ces huiles ſont purement extraites des chairs
des olives , & ſe conſervent long-tems , n'étant
point mêlangées avec les olives cauſtiques & fétides
qui procèdent des noyaux & de l'ainande , &
qui portent avec elles les principes de ranciſſure
qui altèrent l'huile ordinaire.
Toutes les huiles qui arriveront par la voiedu
Bureau de M. Maurice à Paris , & qui fe diſtribueront
à Marseille , ſeront cachetées & fignées
parM. Sieuve.
I I.
Avis aux Amateurs de deſſins & estampes.
Le ſieurGlomy , connu depuis plus de vingtcinq
ans des amateurs & des artiſtes , par ſon talent
de coller& ajuster les deſſins & eſtampes avec
foin& propreté , ayant appris que pluſieurs de ſes.
imitateurs faifoient courir le bruit qu'il avoit
abandonné ce genre de travail, a cru devoir
206 MERCURE DE FRANCE.
avertir qu'il n'a jamais ceſſé de s'en occuper; ileſt
vrai que depuis quelques années , pour être plus
tranquille , il s'eſt rétiré dans une petite maiſon
près duran part de la Porte St Denis , où il con
tinue de fatisfaire ceux qui veulent bien s'adreſſer
à lui. Il est bon d'avertir les amateurs qu'il eſt
eſſentielde nepas faire faire ce travail indifférem.
ment à toutes fortes de perſonnes, parce qu'il
y a beaucoup d'e deſſins , principalement ceux où
il ya du paſtel , ou qui font lavés au biſtre , qui
veulent erre collés avec une certaine précaution
que l'expérience ſeule peut apprendre , fans quoi
ils riſquent d'être gâtés. Comine le ſieur Glomy
alapratiquedudeſſin , il eft en état de reftaurer
les deffins anciens où il ſe trouve des défectuoſités:
&lorſqu'onveur mettreau bas quelques infcriptions,
il les écrit avec propreté en caractères Ro
mains; il ſe feraun plaifir de marquer beaucoup
de déſintéreſſement dans le prix de ſes façons ,
fur-tout vis- à-vis des artiſtes. Comme l'éloigne.
ment de ſa demeure , pourroit faire quelques
peines à pluſieurs amateurs, ils n'auront qu'à avoir
labontéd'écrire par la petite pofte au fieurGlomy
qui ſe tranſportera chez eux pour y prendre les
deffins & eftampes qu'ils voudront bien lui confier&
les leur fera remettre avec ſoin.
Sa demeure eſt rue Bafle-Villeneuve , Porte St
Denis dans le cul-de-fac St Laurent , la ſeconde
porteàgauche.
III.
Grandmagasin d'esprit de vin &de véritable
eau- de-vie de Coignac , engros &
en détail , rue Platriere , vis-à-vis la
grandepofte ; maiſon ci devant occupée
AVRIL. 1771. 207
:
parM. de St Gilles , cirier ordinaire du
Roi enfa chancellerie , à Paris .
On ne trouvera dans ce magazin que des
eaux- de- vie de Cognac de qualités ſuperieures ; le
public ſera d'autant plus fatisfait du prix & de
leur bonté , qu'elles ſont faites avec ſoin , &
appartiennent à un particulier riche qui les tire
de ſes terres.
On ne vendra point dans ce magazin d'eaude-
vie des pays Etrangers.
On a fait faire , pour l'utilité du public , des
petits barils depuis 10juſqu'à 15 pintes . Ilyaura
• auſſi des bouteilles cachetées , ſur lesquelles fera
marqué le prix. Cette eau-de- vie eſt ſalutaire
pour la ſanté , propre pour les plaies & les médicamens;
eile eſt recherchée pour la diſtillation.
Ontrouvera auffi dans ce magazin de l'eaude-
vie en bouteille de 1760.
Les perſonnes de diſtinction qui voudront s'en
procurer à leur maiſon de campagne ou pour les
provinces , ſont priées d'affranchir leurs lettres ,
&de s'adreſſer à M. Raty. La pinte à l'ordinaire ,
I liv. 4 f. La double nouvelle , 2 liv. La double
de 1760 , à 2 liv. 6 f. L'eſprit de vin ,à 2 liv. 15 f.
I V.
Topique pour les maladies de l'urèthre.
M. Forget , chirurgien à Paris , rue des Tournelles,
près la Baſtille , ayant inventé un nou
veau topique pour les maladies de l'urèthre , qui
eft en même tems antivénérien , l'a ſoumis au
jugement de la Faculté de Médecine ; la Faculté
caconféquence a nommé MM. Dionis & Gars
208 MERCURE DE FRANCE.
nier pour en examiner la compoſition , & voici
l'extrait du rapport qu'en ont fait les trois commiflaires.
« Nous ſouſſignés , &c. nous nous
> ſommes tranfportés chez le Sicur Forget le
>> 14 Février 1769 , où nous avons examiné
* ſcrupuleuſement toutes le drogues qui entrent
>>dans la compoſition de ſes remèdes , & après lui
> en a voir vu faire ſous nos yeux toutes les diffé-
>> rentes manipulations avec la dernière exacti-
>>>tude , nous avons reconnu ce remède curarif ,
>> ſupérieur & différent d'ailleurs de ceux qui ont
>paru juſqu'à ce jour , d'autant plus qu'il n'y
>>entre aucuns cauftiques ni aucunes drogues
inflammatoires. Ce remède eſt doux & benin ;
>> lemaladepeutlui-mêmes'en faire l'application ,
>> fans craindre aucun accident en ſuivant l'avis
>> de l'inventeur ou celui du medecin qui l'indi-
>> que. Nous en avons dreflé notre rapport , que
30 nous avons fait à la Faculté aflemblée le pre-
>> mier Avril dernier , en lui proteſtant qu'elle
20 ne ſe commettra pas en approuvant un remède
>> auſſi néceflaire qu'utile au public , & d'autant
>>>plus avantageux aux médecins qui font dans
>> le cas de l'ordonner , que nous en connoiflons
>> la compofition. Sur notre rapport , la Facultéa
>> approuvé ce remède , & a rendu un décret à ce
>> ſujet : ce que nous certifions. A Paris , ce pre-
25 mier Mai 1769. Signé Dionis , docteur-régent
>>& ancien profefleur de la Faculté de Médecine ;
>> Garnier , docteur , inédecin , premier médecin
>> du Roi en chef, & inſpecteur aux Iſtes du Vents
>&Garnier , docteur-régent & profefleur d'ana
>>>tomie& de l'art des accouchemens. « Et dont
> l'original elt déposé chez M Poulctier , notaire
, qui en a donné acte pour preuve d'aut
senticité. MM baa.es
AVRIL. 1771. 209
Les perſonnes qui voudront lui écrire ſont
priées d'affranchir leurs lettres.
Son adreſſe eſt rue des Tournelles , première
porte cochère à gauche , en entrant par la place
de laBaſtille , entre un notaire& un charcutier.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 18 Février 1771.
POUR Our mettre fin , d'une maniere plus efficace,
aux déſordres que les gens de guerre commettent
dans cette capitale , on preſſe leur départ pour l'armée.
On fit embarquer , le7 de ce mois , cent Janiſlaires
qui ſe rendront au camp , par la Mer
Noire ; il en partira quinze cens , la ſemaine prochaine.
Hallil Pacha, ci -devant Grand Viſir , eſt actuellement
à Philippopoli , où il attend les ordres de
laPorte , pour aller réſider à Belgrade ou à Banialuch
, en qualité de pacha.
De Warsovie , le 18 Mars 1771 .
Les Confédérés deviennent plus entreprenans
dejour enjour ; ils ont eu des deſſeins juſques ſur
cetteville; un nommé Zakrewski, perfuadé qu'en
ſe rendant maître de la capitale , on porteroit le
dernier coup au parti contraire , avoit entrepris
deformer une confédération qui devroit s'occuper
uniquement des moyens de ſurprendre Warſovie.
Soixante- dix nobles Polonois avoient ſigné
•l'acte, & le nouveau parti avoit des intelligences
dans la ville; mais ces projets ont été découverts
& arrêtésdans leur naiſſance.
210 MERCURE DE FRANCE.
De Vienne , le 30 Mars 1771 .
Des lettres de Hongrie avoient annoncé . ilya
quelque tems , que la peſte s'étoit manifeſtée à
Raad, Szenyer & Szboina , villages fitués dans le
Comtéde Zompline; mais ces avis ont été contredits
par le rapport que différens médecins ont fait
d'après les recherches les plus rigoureuſes.
Suivant les nouvelles les plus récentes , ce fléau
s'eſt manifeſté dans les villages de Kakaſd & de
Marus Valarhelly , mais on a pris fur le champ les
meſures les plus efficaces pour en arrêter les progrès
, & principalement pour garantirde la contagionles
frontieres deHongrie.
L'arméede Hongrie ſera , dit - on , aux ordres
du duc de Saxe-Teſchen , qui aura ſous lui legénéral
Laudon.
De Berlin , le 29 Mars 1771.
L'accident arrivé au prince Ferdinand n'aura;
ſelon les apparences , aucune ſuite , & l'on eſpère
que SonAlteſſeRoyale ne tardera pas à être entierement
rétablie .
On parle de quelqu'avantage remporté par les
Turcs , du côté de l'Ukraine , fur les Rufles , mais
on n'a point encore de détailsde cette nouvelle ,
qui , cependant, eſt confirmée par pluſieurs lettres
authentiques.
De Londres , le 2 Avril 1771.
-Le Lord- Maire & le Sieur Oliver ont refuſé
d'accepter les offres que leur a faites la bourgeoiſiede
Londres , de fournir à la dépente de leur table.
Le miniftere , de fon côté , a tenté lecrétement
de les engager , par l'eſpérance de leur élargiſſeAVRIL.
1771. 211
ment, àconvenir qu'ils ſe ſonttrompés dans leur
opinion , relativement à l'affaire qui cauſe leur
detention; mais ils ont rejetté hautement toutes
les propoſitions qu'on leur a faites , & ont déclaré
qu'ils ne le départiroient jamais de leurs principes;
qu'ils réclameroient l'acte d'habeas corpus , pour
obtenir leur liberté& un jugement; qu'enfuite ils
intenteroient procès à l'orateur de la chambre des
communes , pour les avoir fait illégalementconduireenprifon.
Il s'eſt tenu aujourd'hui , à Saint - James, un
grand conſeil auquel tous les membres ont été
Lommésd'aſſiſter. L'objet de ce conſeil eſt , dit-on,
d'aviſer au parti que l'on doit prendre relativement
aux démêlés ſurvenus entre le parlement&
les magiſtrats de Londres; pluſieurs perſonnes
voudroient que l'on usât de rigueur envers les
derniers; mais le Roi inſiſte , dit-on , pour le parti
de ladouceur ,&ſouhaite qu'on prenne un milieu
qui , en foutenant la dignité du parlement , ter
mine cette affaire ſans éclat.
De Versailles , le 3 Avril 1771 .
Sa Majeſté a accordé les entrées de ſa chambre
au comte de Béarn , au chevalier de Talleyrand&
*au comted'Heſſenſtein.
Du 10 Avril.
1
Le Roi a chargé de la feuille des bénéfices
l'archevêque duc de Reims , grand-aumônier de
France , qui a fait , à cette occafion , le 9 de ce
mois, ſes remercîmens à Sa Majesté.
SaMajesté vient de nommer le Sr de Boynes ,
conſeiller d'état , à la charge de fecrétaire d'état
audépartementde la marine.
La Princeſſe Chriſtine de Saxe , qui étoit ici de
212 MERCURE DE FRANCE.
puis quelque tems , ſous le nom de comteflede
Henneberg , a pris congé du Roi &de la Famille
Royale , les de ce mois. Cette Princefle s'en retourne
à Remiremont.
PRESENTATIONS .
A Versailles du 27 Mars 1771,
La vicomteſſe de Jumilhac a eu l'honneur
d'être préſentée le 27 Mars , au Roi ainh qu'a
la Famille Royale par la comreſle de Jumilhac.
Le marquis Delpinay-St- Luc , capitaine ré
formé du régiment de Penthievre cavalerie , a
eu l'honneur d'étre préſenté au Roi le 25 Mars ,
en qualité de mestre de camp deDragons.
Le marquis de Bombelles , fils du feu comte
deBombelles , lieutenant- général des armées du
Roi , a eu l'honneur d'être préſenté au Roi .
Le 3 Avril , le comte de Virieu , ſous lieurenant
au régiment de Monſeigneur le Comte
de Provence , a eu l'honneur d'être préſenté au
Roi.
Le comte de Nozieres , maréchal des camps &
armées du Roi , vient d'être nommé gouver.
neur général de laGuadeloupe: il a eu l'honneur
de faire , à cette occaſion, ſes remercîmens à Sa
Majesté , à qui il a été préſenté par l'abbé Terray ,
contrôleur-général des finances.
M. de Muntarcher , intendant de StDomingue,
a pris congé du Roi & de la Famille Royale , à
qui il a eu l'honneur d'être préſenté.
MARIAGES.
De Versailles , le 10 Avril 1771.
Sa Majesté , ainſi que la Famille Royale , ſigna
le 6d'Avril , le contrat de mariage du Duc de
AVRIL. 1771.. 213
Luxembourg , brigadier des armées du Roi , colonel
du régiment de Hainaut , avec Demoiſelle
dePaulmy.
NAISSANCE.
De Versailles , le 10 Avril. 1771 .
La Duchefle de Durfort eſt accouchée d'un garçon,
cesjours derniers.
MORTS.
Jeanne-Marie-Joſephe Guyon , veuve d'Anne:
Gabriel marquis de Cugnac de Dampierre , eſt
morte à Paris le 17 Mars dans la 68 année de
deſonâge.
Magdeleine-Angelique Poiſſon , veuve de Dom
Gabiel de Gomez , gentilhomme Eſpagnol , eſt
morte à St Germain-en- Laye , âgée de 85 ans.
Elle est connue par différens ouvrages , entr'autres,
les journées amuſantes , les cent nouvelles-
*nouvelles , &c.
La cour a pris les deuil le dimanche 7 Avril
pour fix jours , à l'occaſion de la mort du prince
Frederic-Guillaume , Margrave de Brandebourg-
Schwedt.
Du 5 Avril 1771 .
-Antoine-Joſephe-Amat de Volx , évêque de
Senez & abbé commendatairede l'abbaye de Bofcandon
, diocèſe d'Embrun , eſt mort dans ſon
diocèle , âgé d'environ 57 ans.
Catherine-Jacqueline Guyard de Bauay , veuve
de Jean-Marie Damblard , chevalier , ſeigneur
de Laſmartres , lieutenant - commandant de la
Vénerie du Roi , eſt morte à Verſailles le 2 d'Avril
, âgéed'environ 68 ans .
214 MERCURE DE FRANCE.
Marie-Antoinette d'Estaing , veuve de Philippe-
Emmanuel de Cruſſol d'Uzès , marquis de St
Suplice , eſt morte à Paris le 3 Avril dans la
77° année de ſon âge.
Jean-Henri de Preiſlac de Mareſtang , marquis
d'Eſclignac & de Fimarcon , eſt mort en ſon
château de Castillon en Guienne , le 20 du mois
de Mars , âgé de 85 ans.
1
La marquiſe de Durfort eſt morte à Toulouſe
le 25 Mars dans un âge fort avancé.
Pierre de Teſtard , chevalier , comte de la
Guette , maréchal des camps & armées du Roi ,
ancien directeur du Corps-Royal d'Artillerie , eſt
mort le 21 du mois de Mai à ſa terre de Montblain
, âgé de 85 ans .
LOTERIES.
Le cent vingt-troiſième tirage de la Loterie de
l'hôtel-de -ville s'eſt fait , le 25 du mois de Mars ,
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 19483. Celui devingt
mille livres au No. 15663 , & les deux de dix mille
aux numéros 10520& 15083.
Letiragede la loterie de l'école royale militaire
s'est fait les d'Avril. Les numéros ſortis de la
rouedefortune font , 75 , 30 , 62 , 6, 10. Leprochaintirage
ſe fera les deMai.
AVRIL. 1771.215
TABLE.
PIEICECEESS FUGITIVES en vers&enprofe, page
S
La Jaſonade , ibid.
L'Abeille& le Frêlon , conte, II
Marton & Susanne , 12
La Mort de Virginie , 44
Epigrammes , 52
Dialogue entre Eſope & Platon , 53
Paraphraſe du pſeaume DomineDeus nofter , 64
Fable traduite de l'anglois par M. Sim , 68
Explication des Enigmes & Logogrypkes , 69
ENIGMES , 70
LOGOGRYPHES , 74
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
77
Continuation de l'hiſtoire générale des Voyages
, tom . 19 , ibid.
Suite du diſcours du traité d'hydrodynamique
,
93
Le nouveau Don Quichotte imité de l'alle
mand ,
Coutumes & ulagesdes anciens peuples ,
Les Militaires au-delà duGange ,
Les Bêtes les mieux connues ,
Maiſon de ſanté ,
Expériences de la Société phyſico-économi- i
que des abeilles ,
113
IZO
127
130
136
139
216 MERCURE DE FRANCE.
:
Chanſon ſur le mariage attribuée au poëte
Arabe Satim munGabner , 148
ACADÉMIES , 155
SPECTACLES , Concert ſpirituel , 181
Opéra , 183
Comédie françoiſe , 184
Comédie italienne , 187
Arts ,
ibid.
Muſique , 188
Anecdotes , 195
Suitedes Conſeils d'un père à ſon fils,
Avis,
199
204
Nouvelles politiques, 209
Préſentations, 212
Mariages , ibid.
Naiſlances , 213
Morts ,
Loteries
ibid.
214
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
Mercuredu ſecond volume du mois d'Avril 1771 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreſſion.
AParis , le Is Avril 1771.J
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
C'E'eSsTt au Sieur LACOMBE libraire, à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſler , francs de port,
les paquets&lettres , ainſi que les livres , leseltampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paierad'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour laprovince eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
Ons'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux qui n'ont pas ſouſcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
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de chaque ſemaine , & qui donne la notice
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par la poſte; aux DEUX - PONTS ; ou à PARIS ,
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paroît deux feuilles par ſemaine ; on ſouſcrit
àPARIS , au bureau général des gazettes étran .
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de 24 parties ou cahiers de 6 feuilles cha.
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le r' , & le 15 de chaque mois. Franc de
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Les douze Céfars de Suétene , traduits par
M. de la Harpe , 2 vol . in- 8 °. brochés 81.
L'Ecole Dramatique de l'Homme , in - 8 ° .
broch . 31. 101.
Histoire des Philofophes anciens , avec leurs
Portraits , 2 vol. in - 12 . br. liv
Dift. Lyrique , 2 vol br. Isl.
Supplément du Dict. Lyrique , 2 vol. br. 15 1.
121.
Calendrier intéreſſant pour l'année 1771 ,
in- 18.
Tomes III & IVe. du Recueil philofophique
de Bouillon , in- 12 . br. 31.12 1,
201.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4vol . in 8 ° . gr. format rel.
LeDroit commun de la France & la Coutume
deParis; par M. Bourjon, n. éd. inf. br. 241.
'Eſſai ſur les erreurs &fuperftitions anciennes
& modernes , 2 vol. in 8 °. br.
Le Mendiant boîteux , 2 part . en un volume
41.
in-8°. br. 21.10f.
Confidérations jur les causes physiques ,
in-8°. rel. : 51.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in-8°. rel. 71.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in 4° . 4 vol- rel . 481.
Dict. Italiend'Antonini, 2 vol. in- 4°. rel. 301.
Méditationsfur les Tombeaux , 8 br . 11.101.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in- 8 °.
broch. 11. 44.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL , 1771 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
2
LA JASONADE.
Chant fecond.
POUDREUX Enfant de l'orgueilleuse école ,
•Pour ne faillir à citer un bouquin ,
Vous engagez des querelles ſans fin ,
Prenez exemple au petit- fils d'Eole.
Laiſſez le mot qui vous embarqueroit
Car ne feriez comme cet Argonaute
De qui l'eſprit au ſavoir ſuppléoit ,
Et qui fans art fut devenir pilote.
:
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Mais revenons. Al'ordre il faut céder ;
Conſtruire nefde la plus grande eſpèce
Pour contenir les braves de la Gréce
Qu'élut Jaſon pour ſe bien eſcorter.
Dans les forêts ne ſe trouvoit de chêne
Enorme allez pour former le grandmat ,
Fors qu'enDodone , où point nes'en abbat ,
Permiſſion de Minerve on n'obtienne.
Onf'eut : tant pis pour quiconque voguoit ;
Car avec nous le bois facré partage
Dediſcourir le douteux avantage :
Soir&matin le grand mât péroroit;
Mais, en parlant, ces blocs n'avoient point d'ames,
Et ne tenoient qu'extravagans propos :
Delà provient que l'on nomma fagots
Lesfotsbabils des hommes &des femmes.
Braver les vents en un château de bois ;
Quitter le ſol , marcher ſur le liquide ,
Ce fut prodige à la tourbe ſtupide
Qui vit ce fait pour la premiere fois .
Bienque nosGrecs n'euſſent la connoiflanee
De l'art fubtil de navigation ,
H font aller la rame & l'aviron ,
Tant la valeur donne d'intelligence !
Entr'autre illuſtre & noble aventurier ,
On y voyait Hercule , fils d'Alcmène ,
Très-peului chault en quels lieux on le mene
AVRIL. 1771 . 7
Pourvu qu'il fût certain d'y féraillier .
Soncorps étoit d'un ſi peſant calibre
Que dans la nef, s'il prétend ſe mouvoir ,
Tout auſſi - tôt elle perd l'équilibre
Et dans la mer chacun tremble de cheoir .
1
Mais qui pis eſt, telle faim le travaille
Que chaquejour , qu'il foit ou maigre ou gras ,
Il mange un boeufou deux à ſes repas ,
Et d'un ſeul trait vous vuide ſa futaille.
De telles moeurs les font enrager tous ,
Si qu'on réſout tout bas de l'éconduire;
Avec Hercule il falloit filer doux ;
Ainſi Jaſon humblement vint lui dire :
De quoi fert-il , en mer , furdes vaiſſeaux
De la valeur du courage intrépide ?
Avecque nous, que fais-tu, cher Alcide ?
Sécher nos brocs , dévorer nos taureaux ,
Tu t'amollis entre quatre ais ſur l'onde ;
Car après tout tu n'as vocation
De t'enquerir d'une peaude mouton ,
Mais de Géans d'aller purgeant le monde:
Cebeau difcours lui parut concluant ,
Quoiqu'à bien prendre il fut très-ſophistique ;
Mais lehéros n'a cure de logique ,
Et ſamaſlueeſt ſon grand argument ,
Très-volontiers , dit- il , de bonne grace
Devotre nefje conſens déguerpir ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Pourvu qu'aux lieux où me ferez ſurgir ,
De quelque monfttre ondécouvre la trace :
Hercule fort . A la voile on remet.
Périls affreux arrivent par douzaines :
Le chant aigu des nombreuſes ſyrenes
Oblige Orphée à prendre le foffet ;
L'oeil de Lincus , le prince de Scythie ,
Perçant les flots découvre écueils & bancs!
Depuis en linx fa forme convertie
Servit d'emblême aux eſprits pénétrans.
Pour faire bref, les vaillans Argonautes
Viennent ſurgir dans le port de Colchos.
Jaſon commande , on proclame à voix hautes
Qu'auRoid'icelle il veut dire deux mots.
Il eſt admis , & , ſans l'ordre en attendre ,
Jeviens ,dit- il , ſoit de force ou degré ,
Lemouton d'or que vous avez volé
Dansvotre parc incontinent reprendre.
Le viex Aëte étoit un goguenard :
Quandil oüit chanter ſi fiere gamme ,
Il réſolut perſifier le gaillard ;
Pour ce feignitgrande frayeur en l'ame.
De vrai , dit- il , je m'acquis la toifon
Par un larcin , mais de ſainte origine
Commis érant par une main divine :
De plus pourmoi j'ai la preſcription.
?
AVRIL. 1771 . 2
Mais du plus fort le droit ſacré , fans doute,
Vous appartient. Allez donc fans tarder ,
Er , de mon parc ayant trouvé la route ,
Vous tâcherez les dragons d'appaiſer.
Le Jouvencel , par ſes tons deGaronne,
Tout bonnement avoit cru s'exempter
De charpenter ſur la race dragone ,
Alors il vit qu'il lui faut déguainer.
Quand , du ſomet de ſon obfervatoire,
Medée avile &lorgne le galant;
Plus promptement qu'on ne le fauroit ctoire
Elle en reçut le trait le plus poignant.
Puifiant Phébus ! dit-elle , ah ! quel dommage ,
Si jeune encor ! fi bien fait ! fi mignon !
Qu'il ſe livrât à la cruelle rage
Des deux taureaux & de l'affreux dragon !
Par le ſoleil , fon radieux ancêtre ,
Cette beauté jure ordinairement ;
Inſtruite étoit par cet habile maître
En tour myſtore&tout enchantement
Le monde entier eftcon laboratoire ,
Les aquilons lui fervent de ſoufflets
De la nature elle fait ſon grimoire
Et des Volcans , les fourneaux , les creuſets.
Donc auffi- tôt la royale forciere,
Racine&drogue & fimples va cherchant
V
10 MERCURE DE FRANCE.
Et lesbrouillantdans une ample chaudiere ,
Elleencompoſe un merveilleux onguent...
Puis elle ordonne à la gente ſoubrette ,
De lui mener céans lebel ami
Qui , nuitamment admis à la toilette ,
De tant d'attraits ſoudain fut ébloui.
Taillede nymphe& port de ſouveraine ,
L
Un maintien fier , un parler orgueilleux
Dictent l'hommage exigé par des yeux
Quecouronnoient deux arcs d'un noir d'ébene.
Atant d'appas comment ne ſuccomber ?
Mais , quand il ſut que la belle veut l'oindre
Pour de méchef ſa blanche peau garder ,
Au ſentiment la parole il ſut joindre.
Charmant objet , pourquoi me prémunir
Contre undragon dont je n'ai nulle crainte.
Ah ! bien plutôt daignez , daignez guérir
Le coup mortel dont je reſſens l'atteinte.
Pour endormir le dragon de l'honneur
En ſentinelle , &toujours ſous les armes;
Ne ſauriez-vous me compoſer des charmes ?
Qu'eſt latoilon ? j'en veux à votre coeur.
Pour vaincre un coeur je n'ai pointde recette,
Dit- elle ,&jette un regard languiſſant ;
C'eſt chez l'Amour qu'il en faut faire emplette.
Vous poflédez ce ſuprême talent.
:
AVRIL. 1771 . "
Allez , héros , allez faire la nique
Au vain dragon , aux impotens taureaux ;
Vous les verrez plus doux que des agneaux
Par la vertudu baume narcotique.
Dans les détails de l'opération
Etant inſtruit par ſa maîtreſle habile ,
Devant le Roi , les amateurs , la ville ,
Jaſon découpe & pourfend le dragon ;.
Puis , enbravant les flammes ſulphurées,
Dedans ſa gueule il enfonce les doigts ;
Cent quinzedents noires & calcinées
Fort dextrement il tire àpluſieurs fois .
Ainſi l'on voit au royaume lyrique ,
Les frédonans émules du héros
Par de vains coups , proueffe phantaſtique ,
En furieux ébranler les traiteaux.
CommeJaſon l'imitateur fait rage ,
D'eſtoc de taille& de maint horion ,
Criblant , crévant les monſtres de carton:
L'impunité produit ce grand courage.
Pour attraper le couple fulminant ,
NotreArgonaute accourt à toute jambe ,
Voyant au loin leur narine qui flambe
Lemenacer d'un long embraſement;
Mais , auſſi- tôt que l'herbe ſomnifere
Eut approché de leur mufle hideux ,
/
A vj
12 MERCURE DE FRANCE..
On apperçut qu'ils clignoient la paupiere
Et ne ruoient que d'un air langoureux.
Jaſon leslie aurjoug d'une charrue ,
Laboure un champ , & dans chaque fillon
Séme les dents comme graine menue
Dont il avintune étrange moiſſon.
D'épics de fer la plaine eſt hériſſée ;
Lances , cimiers , armures de germer,
Soldats enfin. Cette improviſte armée
Touteà la fois commence à l'attaquer..
1
Du fier héros les vertus ébranlées
Font qu'il oublie & le baume & l'onguent ;
Bruſquer la troupe il ne fait trop comment
Mais il croyoit aux notions innées .
« Oui , l'intérêt ou la cupidité
>> Percent chez nous , dit- il , dès notre enfance
> Partant y font avant notre naiſlance. >>>
Il est très bon de s'être endoctriné.
Ainſi leur jette un compoſé magique
Que , dans ce but , Médée avoit formé ;
Mais dont Jafon dans ſa terreur panique
Le propre uſage a du tout oublié.
Or , pour l'avoir , la bande s'entrechoque ,
Chacun l'arrache à fon frere expirant ,
Descartes vive ! & meure à jamais Locke !
Crioit Jaſon qui de loin va lorgnant .
AVRIL. 1771 . 13
Comme un eſſaim d'inſectes éphémères
Que, dès la coque , on voit déjà pourvus
De ſentimens , d'organes néceſſaires
Pour travailler aux plans qu'ils ont reçus
Le ſeul inſtinct les conduit& les plie ,
Quelques momens rempliffent leur deſtin ,
Mourant le ſoir ſans regretter la vie,.
Ni ſoupçonner qu'il eſt un lendemain.
ود
Ainfiparut le bataillon précaire
Plus promptement s'éteindre & s'anuller,
Qu'on ne le vit ſe façonner n'aguerre ,..
Etdans le ſein des abymes rentrer.
Lors le vainqueur de ſon arbre décroche
Latoiſon d'or qui la branche courboit ,....
Puis va fongeant dans ſa docte caboche
Comment ſa fuite il accélereroir.
4
Comme iln'étoit pas grand Uranographe
Très-peu fachant d'ourſes ni d'orions ,
N'appercevoit qu'Argo par ſon agraphe
Tenoit au rang des conſtellations.
Par ſon crédit dans les conſeils célestes,
Minerve aux cieux cette neffit ancrer ;
Car notre orgueil ſe plaît à conſacrer
Cequi rappele& nos faits & nos geftes.
Ignorant donc que le nombre d'étoiles
Eût augmenté. Jaſon crut tout d'abord,
14 MERCURE DE FRANCE .
Trouver ſa nef& fuir à pleines voiles ;
Mais la princeſſe , inſtruite de ſon ſort ,
Très-promptement fait ſa male & s'atife
Pour le départ ; prend maint & maint ballot ,
Légèrement étrille l'hipogryphe
Qui doit traîner ſon brillant charriot.
LE MALHEUR D'OPINION.
Conte.
CADET étoit fils d'un Artiſan , dont
l'induſtrie , le bonheur & l'économie
avoient fait la fortune. Elevé juſqu'à 25
ans dans l'art de ſon père , il ignoroit ce
qu'il devoit en attendre un jour , & tous
ſes goûts & fes deſirs ne paſſoient pas la
ſphère dans laquelle l'ordre général de la
ſociétél'avoit renferméjuſques-là. D'une
humeur douce , égale& paiſible , il étoit
fait pour lebonheurde ſon état.
Goton ſa coufine , ouvrière pour femmes
, l'avoit fait appercevoir qu'il avoit
un coeur , &Goton s'en étoit doutée avant
qu'elle fût en âge de ſentir qu'elle en
avoit un elle - même ; car chez les femmes
, très-ſouvent , le deſir ou la fantaiſie
de plaire en devancentlebeſoin .
Cependant elle n'étoit pas coquette ni
AVRIL. 1771 . 15
deſtinée à le devenir ; mais Cadet , jeune
& frais , avoit de ſi beanx & de ſi grands
cheveux les jours de fête , qu'on l'eût pris
pour unjoli homme de robe ; & ce n'étoit
pas peu que l'avantage de faire concevoir
dans ſon quartier une ſi douce erreur.
Devenue plus grande & déjà fûre d'être
aimée , Goton , avec beaucoup d'eſprit
naturel, mais ingénue & franche , n'avoit
pas fait la plus petite difficulté de ſe laiffer
dire qu'on l'aimoit , & de répondre
qu'elle n'étoit point ingrate .
Il y avoit donc entre le coufin & la
coufine une bonne petite paſſion bien établie
, bien intéreſſante & bien pure , un
bonheur bien décidé lorſque le père de
Cadet mourut .
Quel fut l'étonnement de ce fils , encore
tout en larmes , lorſqu'un ancien notaire
, ami particulier de ſon père , vient
lui apprendre qu'il étoit riche de près de
500000 livres , en différens effets déposés
chez lui , & dont il donna à Cadet la reconnoiſſance
& le bordereau .
Ce notaire , honnête homme & fage ,
lui conſeilla de jouir prudemment de ſa
fortune , mais fans en donner connoiſſance
à qui que ce fût ; de peur de devenir
l'objet de l'envie , & cette idée fit plaifir
16 MERCURE DE FRANCE.
àCadet qui ne ſongeoit encore à humilier
perfonne.
Il commença cependant par louer la
boutique de ſon père , &s'éloigna un peu
du quartier , pour être moins apperçu de
ſes anciens voiſins , dans ſa nouvelle manière
de vivre.
Gotonelle-même ignora que ſon coufin
pouvoit faire d'elle une femme heureuſe ,
dans la façon ordinaire de penfer , & fi ce
fecret trop bien gardé de la part deCadet
ne bleſla pas ſon amour dans les commencemens
, il alarma la tendre Goton qui
ne concevoit rien au dégoût fubit qu'avoit
pris Cadet pour l'état dans lequel fon père
s'étoit faithonorer de tout le monde , à ce
qu'elle croyoit.
Elle s'en expliqua fans détour avec fon
couſin qui calma toutes fes craintes par
ces mots : Croyez , ma chere coufine , que
nousfaurons vous & moi nous paſſer de
cette refſource. C'étoit dire affez ce qu'elle
vouloit entendre ,Cadet la regardoit toujours
comme ſa femme future , & il ne
falloit que laiſſer paſſer le tems du denil
pour voir arriver le jour de fa felicité ;
c'eſt ainſi que raiſonnoit intérieurement
Goton,
Ce tems s'étoit à-peu près écoulé fans
AVRIL. 1771 . 17
qu'elle ſe fût apperçue d'aucun changement
chez fon coufin , dont l'amour lui
ſembloit s'augmenter tous les jours.
Ce fut au milieude cette confiance que
Cadet oublia , pour la premiere fois,d'apporter
un bouquet àà fa couſine le jour de
ſa fête & de venir dîner avec toute la famille
, comme cela ſe pratiquoit tous les
ans . Le repas fut triſte pour Goton qui ,
depuis ce jour malheureux, ne vit plus fon
amant.
On avoit d'abord été inquiet de ſa ſanté,
mais on avoit appris qu'il fortoit exactement
chaque jour& même qu'il ne ren
troitque fort tard .
Goton en fut troublée , mais elle repouſſa
ſes alarmes par l'eſtime qu'elle
faifoit de fon parent. Elle ſavoit que le
père de Cadet avoit laiſſe beaucoup de
créances exigibles,&elle ſuppoſa qu'ils'occupoit
à s'en procurer le paiement ; mais
pourquoi ſe retirer ſi tard chez lui ? la réponſe
à cet article étoit difficile , & ledefir
de la lui demander devenoit chaque
jourplus preffant.
Dans la maiſon qu'il avoit choiſie en
s'éloignant de ſon quartier , il avoit fait
connoiſſance de deux jeunes gens d'une
naiſſance bien au-deſſus de la ſienne. Le
jeu , les chevaux , les bijoux , les chiens
18 MERCURE DE FRANCE.
&les courtiſannes étoient les objets de
leurs converſations &de leurs deſirs; enfin
c'étoient deux fats tout-à-fait jolis ,
tout-à-faitdubon ton ,&tels que les forment
affez généralement la frivolité &
l'indécence du 18. fiécle . Cadet , en ſe
liant malheureuſement avec eux , avoit
preſque machinalement rougi de luimême
, & n'avoit ofé ſe donner pour ce
qu'il étoit : premiere impoſture qui gâta
fon eſprit&qui altéra la paix anciennede
"ſon coeur.
Il avoit uſébien vîtedu moyen fürd'arrêter
la curioſité ſotte de ſes nouveaux
amis fur fon compre , en payant par-tout
où ces aimables mentors vouloient bien
le conduire pour en faire , difoient ils ,
un homme charmant comme eux. Dès les
-premiers jours de cette fatale union , ils
étoientdevenus fes débiteurs pour d'aſſez
groffes fommes.&ils ne le quittèrentplus
pourle devenir encore.
Son nom , qu'il n'avoit pu leurcacher,
avoit embarraffé leur vanité ; le moyen
d'annoncer cadet? Ils lui propoſerentdonc
de chercher au plus vite les raiſons d'en
porter un autre , en acquérant quelque
terre , & même de déguiſer un peu celui
qu'il avoit reçude ſes parens en attendant
E
لو AVRIL. 1771. 19
&
ets de
; en.
olis,
foré
&
n fe
voit
ui .
ce
ta
de
-.
l'acquiſition à laquelle ils le condamnoient.
Un ſecond changementde quartier leur
parut néceſſaire : voilà le nouveau chevalier
de Tédac , (car c'eſt le nom qu'ils
lui donnerent ) encore plus éloigné de la
pauvreGoton .
Elle fut inſtruite qu'il avoit diſparude
la maiſon qu'il avoit d'abord priſe , &
elle entendoit chaque jour conter à ſes
voiſines qu'on l'avoit vu dans un équipage
brillant avec de jeunes ſeigneurs, &
mis auſſi richement qu'eux. Elle frémiſfoit
à tous ces recits,&ſon infidèle couſin
continuant à ne plus reparoître chez fa
mère , elle fuccomba bientôt à la vive
douleur qu'elle en reſſentit .
Une fièvre horrible que l'infomnie
avoit allumée dans ſon ſang fit bientôt
tout craindre pour ſa vie ; & ce que fon
imagination embraſée lui fitdire dans les
divers tranſports des accès , ne laiſſa douter
perſonne de la cauſe de ſa maladie.
Un frère qu'elle avoit , & dont nous
n'avons point encore parlé , quoiqu'il
ſouffrît preſque autant qu'elle de ne plus
voir fon coufin qu'il aimoit auſſi , réſolutde
découvrir où vivoit cet ingrat & de
le ramener , s'il étoit poſſible , àſa mourante
ſoeur.
20 MERCURE DE FRANCE.
Prêt à renoncer à des recherches fans
nombre que le changement de nom avoit
rendu inutiles , il apperçoit une voiture
dans laquelle étoit Cadet, qu'il nereconnutqu'àpeine&
qui tourna la tête dès
qu'il s'en vit regardé. ヤ
Jaquin (c'étoit le frère de Goton ) ne
foupçonnoit pas fon coufin de le méprifer
,&s'élançant à une des portieres au
rifque de ſe faire écrafer , il s'écrie : Oh!
mon cousin , Goton, peut - être en cet inftant,
ne vit plus. Mais ne pouvant ſe
foutenir , parce qu'une des perſonnes qui
étoient dans la voiture l'avoit repouffé,
il tombe & le char de Cadet roule rapidement.
Les cris du frere de Goton &ceux de
la populace ne durent que trop faire appréhender
au chevalier Tedac ce qui pouvoit
être arrivé à fon parent ; mais la
honte de le reconnoître publiquement
l'empêcha de donner aucun ordre pour
arrêter le carroffe ; &le cocher, effraïédes
crisdupeuple, pouffa ſes chevaux de maniere
àn'en être bientôt plus apperçu.
Cependant Tedac rentré chez lui , &
perfécuté cruellement par la double idée
de la maladie dangereuſe deGoton &de
l'accident qui avoit dû faire paffer fon
couſin ſous les roues de fa voiture, ne put
AVRIL. 1771. 21 .
sfans
avoit
oiculere.
edès
ne
orialu
h!
fe
i
fermer l'oeil . Il ſe leve dès l'aube dujour,
s'habille à- peu près comme il l'étoit dans
ſes jours de bonheur & court à l'endroit
où demeuroit Jaquin .
La tranquillité profonde qu'il apperçut
danstoute la maiſon le raſfura d'abord , &
il crut devoir aller ſur le champ chez la
mère de Goton .
Il s'en falloit bien que tout y fut auſſi
paiſible ; Tedac arriva au moment où le
miniſtre des autels, qui venoit d'apporter
àGoton les ſecours ſpirituels, ſe retiroit ;
un froid mortel le ſaiſit , il chancelle , il
s'appuie ſur une borne en s'écriant : ah
malheureux!
Il fut entendu , on vint à lui ; on le
trouva pâle & fans force , & fur un ſigne
qu'il fit,on le porta chez la triſte mère de
Goron qui, toute à ſa douleur ne s'apperçut
pas, dans le premier inſtant,du dépôt
qu'on venoit de faire chez elle .
Tedac revient un peude ſa foibleſſe; it
s'examine; il conſidère d'une vue incertaine
le lieu où il ſetrouve ; il entend des
gémiſſemens , c'étoient ceux de la mère
de fon amante ; il reconnoît ſa voix ; il
eſſaie de ſe ſoutenir & ſe précipite aux
pieds de cette mère renversée ſur ceux de
La fille. Ah Cadet ! s'écria-t- elle , ah me
2.2 MERCURE DE FRANCE.
chant ! venez- vous jouir des maux que
vous nous avez faits ?
Etrange effet de l'orgueil humain ! le
mot de Cadet prononcé par la mère de
Goton avoit humilié ſon neveu qui fut
un inſtant ſans répondre ; mais la malade
ayant fait un mouvement , & ayant ellemême
prononcé ce nom qui la troubloit ,
il s'élance ſur une de ſes mainsqu'elle tiroit
de fon lit , il la couvre de baiſers &
de pleurs , & ne ſent plus ſa vanité ridicule
murmurer de ſa tendreſſe.
Goton , preſque ſans vie , répéte encore
ce nom deCadet à pluſieurs repriſes,
& chaque fois ſon coufin la rappelle au
jour& lui proteſte un amour éternel.
La malade tout- à- coup paroît avoir reconnu
ſa voix ; ſes yeux appéſantis s'élèvent
ſur ſon couſin , elle fait plus; incapable
de tout mouvement qui demandoit
quelque force , elle s'affied ſur ſon lit ſans
aucun ſecours , panche la tête vers lui, &
dans une ſituation ſtatique , le confidère
attentivement ſans ouvrir la bouche , &
d'une façon preſque effraïante.
**Cadet n'ofe foutenir ce regard morne
& fixe ; cependant il s'excite au courage
de la voir , mais elle retombe péſamment
fur fon oreiller dans un défordre dont la
AVRIL. 1771 . 23
mère ni cadet même ne s'apperçoivent
pas, tant la pudeur eſt étrangère aux grands
mouvemens de l'ame.
Le médecin , qui ſurvintdans cet inftant
, fut étonné de trouver au poulx de
la malade l'agitation qu'il n'y ſoupçonnoit
pas ; il en conçoit qu'elque eſpérance
& la fait partager à la pauvre mère &
au jeune homme qui n'avoit point quitté
une des mains de ſa couſine & qui l'arroſoit
toujours de larmes .
Monfieur , lai dit le médecin auſſi bon
naturaliſte qu'Erafiftrate , il ſe pourroit
que vous fufliez dans cette affaire - ci un
plus grand docteur que moi , & je vous
prie , ſi Madame le permet , d'aſſiſter à
toutes les viſites que j'aurai à faire à Mademoiselle.
Ah Monfieur ! lui répondit Cadet , en
ſe relevant& en l'embraſſant , ayez pitié
de moi , je ſuis un malheureux , un barbare
; c'eſt peut - être moi qui ai porté la
mort dans le ſein de Goton ... C'eſt ma
couſine ... Oui , Monfieur , c'eſt ma coufine...
Je l'aimois , j'en étois aimé ; je
pouvois être heureux en faifant fa félicité
, & je ſuis devenu le mortel le plus
à plaindre ... J'ai rougi de fon état... Je
l'ai abandonnée, vous en voyez les ſuites. "
Monfieur , reprit le Docteur , votre
24 MERCURE DE FRANCE.
franchiſe eſt honnête ; mais , ſi vous êtes
vain , renoncez au bonheur : vous vous
préparez des maux plus cruels que ceux
contre leſquels on emploie notre art . Raffurez
- vous , Madame, & vous auſſi , Monſieur
; la criſe où vous me paroiſſez avoir
mis votre orgueil, en a procuré une falu -
taire à votre parente... Toujours de
mieux en mieux , dit-il en tâtant le poulx
de la malade ; tenez , la voilà qui vous
regarde , elle vous parlera bientôt; mais
il faut la ménager en cet inſtant , rappeler
ſes forces par quelque nourriture , &
tout attendre du Ciel &de vous , Monſieur
, ajouta- t il en ſe retirant.
Cadet, après avoir dit à la mère qu'il
alloit revenir , court ſur les pas du Docteur
, monte dans ſa voiture& le conduit
chez Jaquin dont il étoit extrêmement
inquier.
Son étonnement égala ſa joie lorſqu'il
le vit debout dans ſa chambre . Jamais
accident de cette eſpèce n'avoit eu des
fuites moins fâcheuſes , & Jaquin qui en
avoit étéquitte la veille pour une ſaignée,
ſe préparoit , lorſqu'ils entrerent , à aller
voir ſa foeur . Cadet , dit-il à ſon couſin ,
je crus hier perdre la vie en tombant fous
votre maudite voiture; mais,comme vous
voyez , il n'en ſera rien... Vous ne m'aviez
AVRIL. 1771 . 25
-
viez donc pas reconnu , puiſque vous n'avez
pas fait arrêter les chevaux ? ... Aly
avoit avec vous un vilain petit homme
qui m'a pouffé rudement; il n'auroit pas
beau jeu avec moi ſi je le tencontrois...
Oublions cela , lui dit Cadet qui baiſſoit
les yeux , & courons chez votre ſoeur.
Oh ! volontiers , elle a dû paſſer une mauvaiſe
nuit , M. le Docteur , comment la
trouvez - vous ?-Beaucoup mieux , mon
ami , ne perdez point de tems ; allez la
voir , j'y repaſſerai aujourd'hui ſur les
cinq heures. Et vous , Monfieur , ajoutat-
il à Cadet , en s'approchantde ſon oreille
, il me ſemble que ceci étoit encore
une ſuitede cette petite vanité dont nous
avons parlé ; elle vous fait jouer gros jeu ,
prenez ygarde : à ce foir, à cinq heures.
Cadet & Jaquin montoient chez Goton
au moment où elle avoit commencé
à reprendre la parole. Ils s'arrêterent à
l'entrée de ſa chambre pour ſavoir ce
qu'elle diſoit d'une voix bien foible à la
vérité. C'étoit à ſa bonne mère qu'elle
parloit. Il étoit là , maman , diſoit- elle ,
oui je crois l'avoir vu là. -Tu ne te
trompes point , c'étoit lui-même.-Luimême
? Et comment ? Il me tenoit la
main & je la lui ai laiſſée. -Tu n'avois
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
pas la force de la retirer.-Ah ! cela eſt
vrai ; mais quel plaiſir trouvoit-il à la tenir
? lui qui m'a ſi cruellement abandonnée.
-Tu le revetras , ma chere Goton .
-Ah ! peut être , ma mère. -Je te dis
qu'il me l'a promis. -Eh ! que ne m'avoit-
t-il pas promis à moi , l'infidèle! alors
Gothon fit un cri perçant , parce qu'elle
avoir tourné la tête du côté de la porte&
qu'elle avoit vu ſon frère&Cadet qui l'écoutoient
en s'embraſlant .
Grace , grace , ma chere Goton , s'écria
Cadet, en ſe jetant à genoux aux pieds de
fon lit. Et en effet la grace ne fur paslongue
a obtenir; on lui retendit cette main
qu'on ſe reprochoit de lui avoir laiſſée ,
&il la baifa tant qu'il voulut en préſence
dela bonne mère &de Jaquin.
Deux ou trois jours paſſes ainſi ſans
qu'il voulut quitter la maiſonde ſa tante
rétablirent Goton à vue d'oeil ; mais il
avoit revu ſes premiers inſtituteurs dans
ce qu'ils appeloient la ſcience du monde,
& il prétexta des affaires qui ne devoient
lui permettre de voir ſa coufine qu'au
commencement de la nuit,& fort peu de
tems..
Vous trompez tout le monde excepté
moi , lui dit un foir le ſage médecin avec
AVRIL . 1771 . 27
lequel il fortuis. Je crois que la mère , le
frère& la pauvre innocente croient aux
affaires que vous avez ſuppoſées , mais ,
moi , Monfieur ,, je ſoupçonne fort quelque
nouvelle attaque de ce mal que vous
m'avez confeffé ,& qui dans un jour vous
a expoſé à perdre pour jamais une fille
charmante que vous aimez , à écraſer votre
couſin&à devenir le plus malheureux
des hommes. L'aveu que vous m'avez
fait m'a intéreſlé à vous , ſans cela je ne
vous parlerois pas comme je fais. Je vois
ordinairement beaucoup , maisje dis peu
&ne m'explique fur rien; croyez m'en,
faites votre profit de la leçon qu'un hom.
me de mon âge eſt toujours en droit de
faire à quelqu'un du vôtre .
Tedac , trop bien deviné , avoit été ſ
confus qu'il n'avoit pu répondre que par
un long foupir , & fon filence avoit fortifié
les ſoupçons du Docteur qui , malheureuſement
, ceſſa de venir chez Goron.
dont la ſanté ainſi que la fraîcheur ſe rétablirent
avec une viteſſe incroyable .
La diffipation dans laquelle ſe replongea
Tedac ne put lui ôter ſon amour qui
le pourſuivoit par tout & qui empoifonnoit
ſes plaifirs ; mais elle rendit infenfi-.
blement ſes viſites encore moins longues
& moins fréquentes .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Goton s'en alarma; la décoration fone
laquelle poruitfoit quelquefois fon coufin
l'intimidoit , & lui fit appréhender de ne
plus lui paroître digne du bonheur auquel
ill'avoit nouvellement engagée d'aſpirer,
Un foir qu'elle vit ſes yeux plus tendrement
attachés ſur elle ,Goton oſa lui ferrer
la main & verſa des larmes aufli- tôt.
Qu'avez -vous , lui dit Tedac ? Oh ! mon
ami , lui répondit- elle , vous m'abandon .
nerez encore ; vous êtes ſans doute plus
riche que nous n'avons pensé , & mon état
yous humilie . O Goton ! Ô ma chere coufine
, que dites-vous ?-Ce qui est vrai ,
ce que je ſens , & ce qui me coûtera la
vie... Hélas ! pourquoi me l'avoir rendue
? Ecoutez moi, dit Tedac après avoir
rêvé profondement : je ne puis ni vous
tromper ni me trahir , il eſt trop vrai...
Etant ce que vous êtes , & fur- tout tandis
que votre frère eſt encore un ſimple ouvrier...
Je ne puis m'unir à vous dans ce
pays où il n'y a point de conſidération
pour les gens de votre eſpèce. -De la
confidération , mon cousin , eſt - ce que
nous avons mérité le mépris par quelque
endroit ? -Non pas un mépris réel,
non, cela eſt impoffible ; mais croyezvous
que les gens riches de cette ville
faflent quelque cas de ceux qui ne le font
AVRIL. 1771. 29
J
1
pas , ou qu'ils ne voient que comme des
mercenaires employés à leur ſervice ? -
Et peuvent - ils nous empêcher de faire
quelque cas de nous-mêmes lorſque nous
n'avons manqué ni à l'honneur ni à la vertu
? -Oh ! Goton , c'eſt bien là de quoi
on s'embaraſſe dans le monde . Croiezm'en
, ſi vous m'aimez , allons , vous &
moi , ſeuls , chercher quelque lieu où
nous ne ſoions pas connus , & qui nous
mette à l'abri des opinions &des jugemens
des autres. -Cadet , je ſerois bien
avec vous par-tout , un déſert ou un palais
tout m'eſt égal; mais il ne me l'eſt
pas que vous me ſépariez de ma pauvre
mère , & que mon frère vous falle rougir.
-Goton , Goton, ils ſeroient reconnus
par-tout pour ce qu'ils font , & je ſerois
malheureux . -Malheureux ? Mon coufin
, mais vous êtes fou; nous ne valons
pas mieux qu'eux. -Ah ! vous avez une
figure , vous , qui ſe montera à tous les
tons, qui fera tout ce qu'elle voudra être.
-C'eſt à-dire que vous ne me préférez :
-Que parce que je vous aime. -Non ,
c'eſt parce que vous me croyez meilleure
comédienne que ma mère. Mon coufin ,
je n'ai ni plus d'envie ni plus de beſoin
qu'elle de tromper perſonne ; mais c'en
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
eſt aſſez, vous m'avez dévoilé votre coeur,
il n'eſt plus à l'amour, il eſt tout à la fortune;
mon trouble étoit juſte , vous ne
favez plus aimer , & je ne veux de vous
que votre ancienne tendreſſe .
Goton auffi - tôt ſe leva & ne voulut
plus ſe rapprocher de fon couſin qui , de
ſon côté , prit de l'humeur & fortir . Miférable
coeur humain ! Tedac s'applaudit
preſque du refus que venoit de faireGoton
de le ſuivre dans la retraite que fon
orgueil lui faifoit juger néceſſaire. Il ſe
trouvoit dans le cas de ceux qui , chargés
du poids de quelque reconnoiſſance , ſe
croient acquités par un premier refus de
leurs bienfaiteurs. Est- ce ma faute , ſe
diſoit il , fi elle ne veut pas être heureuſe
, & ne m'est- il pas permis de fonger à
l'être ?
Dans ces belles diſpoſitions il ſe livra
plus que jamais aux conſeils des dangereux
amis que fadépenſe peu méſurée &
ſa facilité de prêter lui avoient faits. Il
leur conta fon hiſtoire , & ils frémirent
pour lui & pour eux du danger auquel il
s'étoit expoſé de voir ſa propofition acceptée
par la petite perſonne. Elle est jolie
, dit l'un d'eux , eh ! bien il faut l'avoir
; mais pourquoi l'épouſer ? L'avoir ,
AVRIL. 1771 . 31
dit Tedac , vous ne la connoiſſez pas ;
c'eſt l'honneur même. -Oui pour vous
qu'elle a intérêtde tromper...Goton, une
ouvriere, une jolie enfant,l'honneur même
? Tout cela implique contradiction ,
vous ne vous formez pas , mon pauvre
Tedac; vous croiez encore l'impoſſible .
-Laiſſons là cette converſation , Mefſieurs
, en l'outrageant , vous me rendriez
à elle .
Un rire général fut la réponſe qu'on fit
à Tedac , auquel cependant on ne parla
plus de Goton, mais qu'on ſe promit bien
d'occuper affez pour qu'il ne pût la revoir
de fitôt. Le projet d'acheter une terre fut
remis ſur le tapis , & le vieux marquifat
de Létand fut l'objet ſur lequel on lui fit
malheureuſement jeter les yeux.
Le poffeffeur de cette terre étoit un
ancien débauché , de la connoiſſance des
amis de Tedac , homme intriguant , fans
moeurs & fans principes , méſeſtimé de
fon voiſinage & dont les affaires étoient
dans le plus mauvais ordre . Dès qu'il eut
vu l'acquéreur que lui préſentoient fes
amis , il conçut que c'étoit trop peu pour
lui de vendre ſa terre, parce que ſes créan
ciers dévoreroient plus des trois quarts
du prix de la vente. Ce gentilhomme
peu digne de l'être ,avoit une fille à pour-
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
voir ; &, dès la ſeconde fois qu'il vitTedac,
il la lui offrit pour femme à des conditions
qui auroient mis ſon gendre abſolument
ſous ſa tutelle.
Acette propoſition inattendue le coeur
de Tedac , qui ſe taiſoit depuis quelque
tems pour Goton , ſembla ſe ranimer
pour elle ; il ſoupira , baiſſa les yeux &
refufa.
Ce n'étoit pas le compte du marquis de
Létand qui , toujours occupé des moyens
de titer quelque parti des gens qu'il connoiſſoit
, imagina ou de forcer Tedac à
épcuſer ſa fille ou de lui faire payer ſes infolens
refus un peu cher.
Un jour que Tedac étoit revenu à ſa
terre pour tâcher d'en traiter avec lui ; &
au moment qu'il le vit prêt à partir , il
entre dans la chambre de fa fille , créature
très- bornée & d'une timidité d'enfant
, il lui fait une querelle ſans motif ,
la frappe fans raiſon & finit par la pourſuivre
, un piſtolet à la main, en jurant
qu'il la tueroit ſi elle ne prenoit ſon parti
d'aller vivre ailleurs que chez lui.
Ce fut dans les bras de Tedac que la
jeune perſonne alla ſe refugier & demander
un aſyle , & le marquis de Létand
joua fibien fon rôle de furieux qu'il parut
de toute néceſſité à Tedac d'emmener
AVRIL. 1771. 33
avec lui la pauvre victime pour la jeter
dans quelque couvent.
C'étoit où l'attendoit notre gentilhomme
qui s'étoit retiré à - propos dans un
petit bois de fon parc , & qui bientôt
partit de ſon côté pour aller folliciter un
ordre contre le raviſleurde fa fille & contre
ſa fille même .
Unpère, en ſemblable cas, eſt toujours
écouté& fervi promptement; &, quoique
Tedac , en dépoſant la jeune perſonne
chez fon hôteſſe , eût pris toutes les précautions
que l'honnêteté ſuggére , il ſe vir -
le lendemain arrêté par des gens qui le
traînerent dans un cachot & qui lui firent
un myſtere du ſujet de ſa détention .
La fille du marquis de Létand fut auſſi
enlevée le même jour , & conduite dans
un couvent où il lui fut défendu de parler
àperſonne.
Au bout de quelques jours de la capa
tivité la plus dure , Tedac interrogé apprit
enfin le crime qu'on lui imputoit .
Tout étoit contre lui , ſon changement
de nom , la dépoſition formelle de deux
valets qui le chargedient d'avoir enlevé ,
à l'entrée de la nuit, la fille de leur maftre
, le fait de la jeune perſonne trouvée
dans ſon auberge ; enfin on ne lui dili
By
34 MERCURE DE FRANCE.
mula point que cette affaire pouvoit avoir
les fuites les plus fâcheuſes , fi bientôt il
n'arrêtoit l'activité des pourſuites du marquis
de Létand.
Plus libre depuis fon interrogatoire ,
Tedac inſtruifit ſes amis de fon malheur,
demanda des conſeils dans la ſituation où
il ſe trouvoit , & fur - tout des fecours
dont il avoit beſoin : on ne lui fit ni réponſe
ni viſite ; il récrivit , même filence;
il réclama plus hautement ce qui lui
étoit dû , & on lui fit dire par un valet
que le paiement des billets qu'on avoit
faits au chevalier de Tedac ne pouvoit
être demandé juridiquement par Cadet
qui avoit grand tort d'enlever des filles
dans un pays où ily en avoit tant qui ſe
jetoient à la tête des gens..
Déſeſpéré de l'infidélité de ſes faux
amis qui avoient abuſé fi cruellement de
fa bienfaifance naturelle , quel fut fon
éronnement lorſqu'il vit venir à lui l'honnête
médecin de ſa couſine. Ah ! Monfieur
, s'écria-t-il en courant à lui , quelle
nouvelle inforane venez - vous m'annoncer
? Suis-je encore plus malheureux que
je ne croyois ? Ecartons- nous un peu , lui
dit le Docteur , & écoutez- moi. Que me
parlez vous d'infortunes & de malheur ?
AVRIL.
1771 . 35
-
Eſt - ce à vous , jeune imprudent , à vous
fervir de ces mots impofans & qui follicitent
la pitié ? -Eh ! quoi , Monfieur ,
connoiſſez vous quelqu'un ſur la terre
qui éprouve de plus grands revers ?
Oui , tous ceux qui n'ont point mérité les
peines qui les affligent. Mais vous , Cadet,
vous ? .. Afféions nous & écoutezmoi
, vous dis-je , j'ai pris fur mes affaires
une heure dont je puis diſpoſer , je
vais vous parler aujourd'hui pour la dernière
fois , fi mes conſeils ne vous fervent
à rien . -Ah ! Monfieur , il faut que
je vous interrompe encore , que fait ma
couſine ? -Elle renonce à vous pour jamais.
-Que dites vous ? O Ciel ! -Ce
que je fais d'elle même . -Rien de toutes
vos extravagances ne lui eſt inconnu ,
&la derniere a brisé ſon coeur. Médecin
d'une maiſon que la charité & la pitié
ont élevée pour le foulagement des pauvres
, c'eſt à ce titre qu'elle vient de s'adreſſer
à moi pour être reçue parmi les
filles qui conſacrent leur vie au ſervice
des vrais infortunés. -Goton ? ma chere
couſine ? Non , Monfieur , non , il ne faut
pas l'en croire , il faut lui refuſer votre
•protection & vos ſoins. -Jeune homme!
ne me dictez point ma conduite , je fau
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
rai dans peu celle que je dois tenir. Revenons
à vous, Monfieur , vous ofez vous
plaindre du fort ? Vous , qu'il avoit placé
dans la plus heureuſe ſituation ; vous ,
inftruit à travailler ; vous , fils d'un honnête
homme ; vous, affezriche pour être
bienfaisant ſi vous aviez voula l'être ;
vous , qui égniez ſur un coeur vertueux
& tendre ; vous , Cadet , qui avez fait
tous ces facrifices à la ridicule vanité de
paroître un autre que ce que vous étiez ,
detromper ,parun faſte infolent, les yeux
de ceux qui ne vous connoiſſoient pasencore
; vous , dis - je , qui avez préféré la
chimère & l'illuſionde la ſociété à ce qui
en fait le bonheur réel.
Je me fuis informé de tout ce qui vous
regarde ,je fais l'ingratitude &l'infidélité
des miférablesque vous aviez choiſis pour
vos amis. Je n'ignore point le roman affreux
qui vous a conduit ici ; ne m'interrompez
pas , oui j'ai pénétré dansl'abyme
du complot qu'on a fait pour accélérer
votre ruine ; vous n'êtes point coupable
du crime dont on vous accuſe , mais vous
le paroîtrez , & il faut vous conduire aujourd'hui
comme ſi vous l'étiez... Parlez,
quevous reſte-t-il encore des 500000 liv.
de votre père ? -Hélas ! Monfieur , j'en.
AVRIL. 177г.
37
US
cé
e
faifois ce matin le compte , oferai je vous
le dire ? il eſt effrayant. -C'eſt la vérité
que je vous demande , gardez- vous de me
tromper. -Eh bien , s'il faut perdre ce
que j'ai eu la foibleſſe de prêter , à peine
me reſterat il 200000 liv. -Qui ne
vous reſteront point. -Comment ! ne
faut- il pas arrêter les pourſuites du marquis
de Létand ? -Il eſt vrai , mais comment
s'y prendre ? -Voulez - vous me
charger de terminer pour vous cette affaire
odieuſe ? -Ah ; Monfieur , quelle
obligation je vous aurois !-Votre confiance
en ce cas ſera récompensée , & je
vous promets d'empêcher Goton de vous
fuir & de vous déteſter. Adieu , je ſais que
leMarquis fait des demandes très- confidérables.
Je vous en félicite , il eſt des
gensqu'il faut ruiner pour les rendre heureux
& fages , adieu encore un coup , ne
vous refuſez rien ici du néceſſaire , je
vais répondre de tout pour vous , & dans
peu vous aurez de mes nouvelles .
Livré à lui - même pendant quelques
jours , Cadet commença à ſoupçonner
qu'en effet il ne pouvoit légitimement ſe
plaindre qu'à lui ſeul de tous les maux
qui le déchiroient ; il entrevit même des
jours plus heureux qu'il feroit maître de
Le procurer , s'il pouvoit recouvrer fa
38 MERCURE DE FRANCE.
liberté & obtenir une ſeconde fois ſa gracedeGoton.
Ce fut au milieu de ces réflexions ſenſées
qu'une lueur de bon eſprit lui repréſentoit
par intervalles, qu'il reçut la viſite
de Jaquin , les cheveux affez mal arrangés
, un tablier devant lui ; enfin dans
Pattirail d'un ouvrier qui quitte ſon travail
pour le reprendre enfuite. La réception
qu'il lui fit d'abord fut un peu froide
; mais le couſin lui ayant dit qu'il venoit
ainſi vêtu par ordre du Docteur , il
ſe ſoumità cette nouvelle leçon , ouvrit
fes bras à Jaquin & verſa des pleurs auxquels
fon orgueil terraſſé eut peut - être
autant de part que ſa ſituation affligeante.
On fe doute bien qu'il fut queſtion de
Goton de la part de Cadet , & de la Demoiſelle
enlevée de la part de Jaquin ;
mais ce dernier ne put rien concevoir à
la juſtification de fon coufin , parce qu'un
enlevement lui paroiſſoit plus naturel à
croire que la ſuppoſition de ce rapt faite,
difoit- il , par un homme comme il faut.
Cadet , après l'avoir perfuadé par degrés
de fon innocence , eut beaucoup de
peine enfuite à l'empêcher d'aller trouver
le vieux gentilhomme , pour lui dire
qu'il étoit un impoſteur infigne , au haſard
de ſa vie ou du moins de fa liberté;
AVRIL. 1771 . 39
cependant la crainte de rendre l'affaire de
fon parent plus dangereuſe vint à bout de
le retenir.
Il rendit depuis des viſites aſſez fréquentes
à fon couſin qui ne ceſſoit de lui
demanderſi Goton étoit toujours chez ſa
mère , & qui ſe trouvoit tous les jours
moins humilié par la décoration de Jaquin
. C'eſt la proſpérité qui nuit ſouvent
à la raiſon en aveuglant ſes favoris ;
l'adverſité replace les objets dans leur véritable
point de vue ; & Cadet , en reportant
les yeux ſur les extravagances que lui
avoit fait faire fa ridicule vanité , rougiffoit
& s'indignoit de lui-même .
Inſtruit de ce changement heureux ,
P'honnête médecin qui avoit pris des peines
incroyables& qui avoit employé tout
fon crédit à fervir le pauvre Cadet, vint
enfin lui ouvrir les portes de ſa prifon ,
en lui diſant qu'il ne lui reſtoit de ſa fortune
que cinquante mille francs .
A peine Cadet prit il garde à cette
étonnante diminution; ſes tranſports de
joie, en apprenant qu'il étoit maître d'aller
ſe préſenter chez Goton , qui ne penfoit
plus aux Hoſpitalieres , firent préſumer
au Docteur quele remède avoit opéré,
&qu'il venoit de travailler au bonheurde
40 MERCURE DE FRANCE.
deux créatures pour leſquelles le hafard
P'avoitintéreſſé vivement .
Rien ne fut plus tendre que la réunion
de nos deux amans. Dès que Cadet apperçut
ſa couſine il ſe précipita à ſes pieds,
&Goton l'y laiſſa plus qu'elle n'auroit
voulu parce que le ſaiſiſſement où elle
étoit ne lui avoit permis ni de faire
geſte , ni de proférer un ſeul mor. Cependant
un peu revenue à elle - même
elle ſelaiſſa tomber ſur les bras de Cadet
qui , lui - même étouffé par ſes larmes ,
n'avoit encore pu romprele ſilence .
un
Témoin de cette ſcène touchante , le
libérateur de Cadet exigea , pour préliminaire
d'un mariage qu'il vouloir ſe hater
de conclure , que l'amant de Goton ſe
remît avant tout en boutique , & qu'il reprît
le commerce de ſon père; Cadet, plein
d'amour , y confentit , & bientôt il fatisfit
gaîment à tout ce qu'on avoit exigé de
lui.
Le ſage ami de cet époux , pour abattre
tout-à- fait fon miférable orgueil , avoit
voulu qu'il invitât à ſa nôce ceux- même
de ſes parens,dont la fortune &l'extérieur
l'auroienta coup für fait rougir trois mois
auparavant ; mais le ſentiment du vrai
bonheur étoit entré dans ſon ame , & fa
félicité ne fut dérangée par aucune. des
AVRIL. 1771 . 41
épreuves&par aucun des détails auxquels
on voulut le foumettre.
Le Ciel bénit cette union qui avoit
eſſuié de ſi grandes difficultés. Au bonheur
d'être un citoyen vertueux & confidéré
de ſes égaux , un époux aimé & toujours
amoureux , Cadet réunit celui d'être
père. Ce fut alors que le Docteur , bien
convaincu de ſa ſageſſe, lui remit deux
cent mille livres qu'il avoit ſauvées du
naufrage , à force de crédit & de ſoins.
Mon ami ,lui dit- il , j'ai tiré des parens
de vos lâches amis preſque tout ce qu'ils
vous doivent ; j'ai forcé le marquis de
Létand à ſe contenter de peu de choſe
parce que la découverte que j'avois faite
de fa fille m'avoit mis en état de le perdre;
ces 200000 liv . vous appartiennent
enfin ; vous étiez heureux avant la reſtitution
que je vous en fais , foiez le encore
davantage , puiſque vous vous trouvez
en état d'être bienfaiſant ; ne rougiffez
plus de vos parens pauvres , mais aidezles
à ceſſer de l'être , & gardez - vous des
malheurs d'opinion , plus nombreux &
plus cruels que ceux auxquels nous a foumis
lanature.
Pour fuivre les conſeils du Docteur ,
Cadet ſentit au fond de ſon ame un motif
plus preſſant, c'étoit celui de plaire
د
42 MERCURE DE FRANCE.
encore davantage à Goton , & ce fut à ce
deſir qu'il dut & la vertu qu'il pratiqua
toute fa vie& le bonheur conſtant qui en
fut la récompente.
Par M. B...
LETTRE de Watson * , dans sa retraite ,
QUAI - JE
àfon fils.
lu ? .. quoi ! mon fils , tu prétends
m'arracher
De la ſombre retraite où je dois me cacher !
Tu veux que , renonçant à ma douleur profonde ,
J'aille encor me livrer au tourbillon du monde !
Tu veux ... Si tu liſois dans le fond de mon coeur,
Si tume connoiſſois , tu frémirois d'horreur .
Aſlaſſin d'un ami , meurtrier d'une épouſe ,
Objets ſacrifiés à ma fureur jalouſe ,
Sans cefle mes forfaits ſont préſens à mes yeux ,
Et je vois à regret la lumiere des cieux !
Quand de l'Etre infini la Sageſſe ſuprême
Abandonne un mortel & le livre à lui- même,
De ce mortel , hélas ! que le ſort eſt affreux ,
* Leſujet de cette lettre est tiré d'un conte moral
intitulé : les funeftes effets de la Vengeance. :
AVRIL. 1771 . 43
Etqu'on peut avec droit le croire malheureux !
Apeine de ſon Dieu la main s'eſt retirée ,
Que ſon coeur eft coupable & fon ame égarée :
Le crime par degrés s'empare de ſes ſens ,
Et ſon être eſt en proie aux remords dévorans,
En vain de la vertu la voix ſe fait entendre ;
L'erreur , qui le ſéduit , l'empêche de ſe rendre :
Ennemi de lui-même , inſenſible à l'honneur ,
Il neménage rien& court à fon malheur.
1
Tel fut , mon fils , tel fut ton infortuné père,
Quand , ſuivant les tranſports d'une ardente cos
lère ,
Sa main oſa ... Je vais te dévoiler mon coeur
Et tracer à tes yeux mon crime & mon malheur !
Tremble , en lifant ces traits , tremble. tu vas
connoître
..
Les forfaits inouis de l'auteur de ton être.
Après ce triſte aveu , mais pourtant qui t'eſt dû ,
Peut-être, êmon cher fils , me déreſteras-tu ?
Peut- être... Que m'importe ? .. Avouer tous mes
-crimes ,
C'eſt me punirdu moins & venger mes victimes .
Adoré d'une épouſe , objet de tous mes voeux ,
Chéri de mes vaſlaux , je pouvois être heureux :
La fortune , le rang , l'amour & l'hymenée
Filoient demes beauxjours la trame fortunée ,
Deux fils , gages chéris de la plus tendre ardeur ,
44 MERCURE DE FRANCE.
S'élevant ſous mes yeux , cimentoient monbon
heur...
Mon bonheur ! .. Qu'ai - je dit ? .. Il n'a fait que
paroître :
Au calmede mes ſens j'abandonnai mon être ;
J'oſai me croire , hélas ! au-deſſus du malheur :
Quelle étoit , ô mon fils , quelle étcit mon er
reur !
Worceſtre , cet ami que je croyois ſincère
Qui de tous mes ſecrets étoit dépoſitaire ,
Ce perfide , au mépris des noeuds de l'amitié
Voulut à ſes deſirs ſoumettre ma moitié;
Déchu de tout eſpoir , il oſa davantage ;
Il ſouffla dans mon coeur une jalouſe rage ,
Et , pour venger ſur moi l'opprobre de ſes feux,
Il m'inſpira... pourquoi l'écouter? .. malheureux!
Devois-je... ç'en eſt fait ! jouet de l'impoſture ,
J'ai tout trahi , les lois , l'amour & la nature.
Ce monſtre un jour m'aborde & , m'adreſſant
ces mots ,
Par un avis fatal vient troubler mon repos :
<<Watſon , un vil mortel trahit ta confiance :
On te fait , m'a- t il dit , une ſanglante offenſe ,
Et ta honte... -Ma honte ! ô Ciel ! explique
toi.-
>>Ton épouſe t'abuſe & viole ſa foi. -
*Mon épouse ! .. il ſe peut ! .. non ; c'eſt une
>> impoſture ;
AVRIL. 17718 45
On t'a trompé , Worcestre , & fon ame eſt trop
> pure
Pour..non ... mais , cher ami , quel mortel a le
>>front
دج D'infulter...-Richemont.-Mon ami !
>>>Richemont :
>> Lui-même... viens; fuis-moi : tes yeux verront
>>l>ecrime.
Sous mes pas , ô mon fils , il creuſoit un abyme.
Jele ſuivis , letraître ! il faſcina mes yeux :
Je crus être témoin d'un excès odieux ,
J'enjurai la vengeance: à l'aveugle colère
J'abandonnai dès-lors mon ame toute entiere:
Je cherchai Richemont... Richemont innocent !
Etd'un coup de poignard je lui perçai le flanc.
Je fus peu fatisfait de ce crime exécrable ;
Il me reſtoit encore une épouſe coupable ,
J'oſai , dans ma fureur , attenter ſur ſes jours ;
Ma main déſeſpérée en arrêta le cours :
Le poiſon... tu frémis de ce nouvel outrage !
Tonpère compoſa le funeſte breuvage ,
Et lui-même porta , d'un front calme & ferein,
Mais le coeur déchiré , le trépas dans ſon ſein.
•A mes reſſentimens j'immolai ces victimes ;
Mais auſſi - tôt après , fatisfait de mes crimes ,
Worceſtre diſparut , & ſon départ ſoudain
Me fit , hélas trop tard , ſoupçonner fon deficin
:
45 MERCURE DE FRANCE.
Depuis le jour fatal ou mes mains ſanguinaires
Ont terminé le ſort de deux têtes ſi cheres ,
Quels tourmens inouis n'ai-je point enduré ?
Que de maux j'ai ſoufferts ! Dans mon coeur ulcéré
La terreur & la mort fixèrent leur demeure :
La vengeance du Ciel me ſuivoit à toute heure ;
Pourl'éloigner , en vain j'épuiſois mes efforts ,
Il n'eſt point, ô mon fils , de crimes ſans remords.
La douleur dans mon ſein verſoit ſa coupe amère ,
Et le ſommeil fuyoit ma débile paupière.
La nuit... Le ſouvenir me glace encor d'effroi !
Mon épouſe la nuit ſe préſentoit à moi :
Couverte d'un linceul , pâle , défigurée ,
Le regard menaçant , de ſpectres entourée
Ettenant dans la main un fer étincelant ,
Elle offroità mes yeux un cadavre ſanglant...
Juge à ce triſte aſpect de l'état de ton père ! ..
Eh ! que n'étois -je alors à mon heure derniere !
Que j'aurois , ômon fils , évité de malheurs !
Ils n'étoient point encore à leur comble... Les
pleurs
A cet affreux récit inondent mon viſage :
Poursuivons..... Je ne pais... ah ! faiſons leur
paflage .
•
Mais de mon infortune achevons letableau :
J'éprouvois chaque jour un fupplice nouveau :
Lefeul ſoulagement de ma triſte mifére
:
AVRIL. 1771 . 47
Etoitdans l'entretien de mon fils , de ton frere :
II ignoroit , hélas ! ma criminelle erreur ...
Eh!qui de tant d'excès eût pu me croire auteur !
Sans ceſſe je pleurois l'odifuſe vengeance
Donl j'avois , dans ma rage, opprimé l'innocence..
Je reçois un billet , je l'ouvre & vois ces traits ,
De la main de Worceſtre , auteur de mes forfaits:
«Enfin je luis vengé , m'crivoit- il le traître ;
>>M>a rage eſt ſatisfaite&tu vas meconnoître :
>> Ton ami , ton épouſe... ils étoient innocens... >>
Je ne pus achever ; l'horreur troubla mes ſens .
Je fais venir mon fils ;je lui peins ma ſouffrance;
Je lui découvre tout , ma fureur , ma vengeance
Mes crimes... Il m'embraſſe , éloigne cet écrit ,
Diflipe mes terreurs & calme mon eſprit ;
Mais , cédant aux tranſports d'une ardeur vengereffe
,
Il fuit & m'abandonne à ma ſombre triſteſſe .
د
De mon fils cependantj'ignorois le deſlein ,
Et ſa fatale abſence augmentoit mon chagrin :
Je le cherchoisen vain ; dans ma douleur extrême
De ſon éloignement je m'accuſois moi-même...
J'apprends qu'à Waringthon il eſtun malheureux
Détenu dans les fers pour un crime odieux :
Je reſſens auſſi - tôt une frayeur ſecrette;
Je ne peux retenir ma tendreſſe inquiette ,
Je pars , j'obtiens de voir le coupable, &mes yeux
:
:
48 MERCURE DE FRANCE.
Reconnoiflent mon fils : " C'eſt donctoi , malheu
>> reux!
>Qu'as-tu fait , m'écriai-je ? -Ah ! calmez-vous,
>>monpère ; 1
Mon coeur eft innocent : j'ai ſçu venger ma
mère ,
Worcestre eſt mort : le traître est tombé ſous
mes coups...
>>Dans ce fatal inſtantje n'ai d'eſpoir qu'en vous ;
>>V>ous voyez quelle horreur&quelle ignominie
>>D'un fils, qui vous eſt cher, vont accabler la vie !
>>De ma triſte famille il faut ſauver l'honneur :
>>Le poiſon... Vous pleurez ; réparez monmal
>>heur:
Jebrave le trépas ; mais la honte , la honte...
>>Ne perdez point de tems; ma mort doit être
>>p>r>ompte,
35Mon crime eſt avéré ; dès demain je péris...
35 Mon père... àl'échaffaut arrachez votre fils ! >>
Je ſortis ,j'apportai le breuvage funeſte : -
Je veux avec mon fils , ( ſeul eſpoir qui me reſte! )
Partagerle poiſon... Il prévient mon deffein ,
S'enſaiſit&le fait paſſer tout en ſon ſein ,
Puis m'adreſſe ces mots : " Fuyez , fuyez', mon
>> père :
Votre préſence ici ne m'eſt plus néceſſaire;
Epargnez à vos yeux un ſpectacle effrayant;
Vivez, conſolez-vous &je mourrai content.
B B
C
Ve
To
JOL
Cra
OR
CE.
49
AVRIL
. 1771 . :
, walker
nez-vous
nger ma
>> On ne ſoupçonne pointl'excès de votre zèle ,
>> Fuïez , ma mort pourra paſſer pour 'naturelle...
Puiffiez-vous oublier mes
malheurs inouis ...
>> Mon Père... adieu... mon père... embraſſez
>> votre fils ! >
Triſte & cruel adieu ! ſouvenir qui
m'accable !
béfou
J'abandonnai men fils dans ce lieu
formidable ;
Et vins
m'enſevelir au fond de ces déſerts ,
VOUS
mint
laviel
mal
e
Oùje cache mon crime aux yeux de l'Univers .
Tel eſt, mon fils , tel eſt le deſtin de tonpère !
Sur l'état de mon coeur quand c'eſt moi qui t'éclaire,
07
Puis-je.. dois -je me rendre à tes deſirs preſſans ?
Non... la mort eſt le bien , le ſeul bien que j'at
tends. 1
Mesmains dans ma retraite ont creulé mon aſyle;
Bientôt il recevra ma
dépouille fragile ,
Bientôt je touche au terme où
tendent tous mes
voeux;
Ce n'eſt que dans la tombe oùje puis être
heureux.
Mais toi , qui ſous les loix du plus tendre hymenée
Verras couler dans peuta douce
deſtinée ,
Toi , qui fuis les
travers d'un ſiécle
corrompu ,
Jouis du
bonheur pur que promet la vertu !
Crains des jaloux
tranſports la fureur
inflexible :
I.
Vol. C
of MERCURE DE FRANCE.
Je te laiſſe un exemple... un exemple terrible..
Sers ton Dieu , ſers ton Prince & fois ſoumis aux
lois...
Adieu , mon fils ... adieu pour la derniere fois.
ParM. Willemain d'Abancourt.
VERS a Madame de *** , fur sa
convalescence.
CHACUN vous fait un compliment d'uſage ;
Dont vous connoiſlez la valeur :
L'amitié vient auſſi'; modeſte en ſon langage ,
Elle dit peu de mots , mais ils partent du coeur,
Et vous comblerez ſon bonheur ,
Si vous diſtinguez ſon hommage.
Par le méme.
DISTIQUE pour mettre au bas du
portrait de Molière .
Lavérité guida ſes ſublimes pinceaux ,
Es fans corriger l'homme,il a peint ſes défauts,
Parle méme.
AVRIL. 1771. SI
LE CHEVAL. Fable imitée de
U
l'allemand .
NChevaldegrand prix , qui , ſous un officier,
Avoit maintes fois fait campagne ,
Son maître mort , fut mis au ratelier
D'un gentilhomme de campagne :
Ce dernier n'en faiſoit grand cas ,
Et lui préféroit même un bidet miférable ;
Notre cheval regrettoit les combats
Et s'ennuyoit de vivre en une étable.
Enfin ſon ſecond maître étant mort à ſon tour ,
Il repaſſa dans l'écurie
D'un riche ſeigneur de la Cour
Sous lequel il brilla le reſte de ſa vie.
Par le vulgaire êtes-vous mépriſé ?
Que votre humeur ne s'en irrite :
Conſolez - vous ; le vrai mérite
Eſt tôt ou tard récompenfé .
Par le même.
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE
Entre UN BRAMINE & IXILIA ,
Veftale Romaine.
J'AI
LE BRAMINE.
i
Ar bien du regret de m'être tant meurtri
, maceré , fuſtigé , tailladé .
IXILIA.
Tout cela eſt bien peu de choſe auprès
da ſupplice d'être enterrée toute vive .
LE BRAMINE.
Enterrée toute vive; j'ai cru qu'on n'enterroit
, tout au plus , que les morts. Eh !
qui donc fut enterrée ainſi ?
Moi, :
IXILIA.
LE BRAMINE.
Quelle barbarie extravagante !
IXILIA.
Ce fur , toutefois , par ordre d'un ſénat
AVRIL. 1771 . 53
qui ſe croyoit ſage ,&d'un peuple qui ſe
croyoit humain.
LE BRAMINE,
Eſt-il poſſible ? ... J'ai dans l'idée que
vous ne me dites pas tour.
IXILIA.
C'eſt qu'il eſt quelquefois embaraſſant
de tout dire.
LE BRAMINE..
Parlez , parlez ! je ſuis indulgent.
IXILIA.
::
Vousſavez, fans doute , qu'il y eut au-.
trefois une ville célèbre qu'on appeloit
Rome?
LE BRAMINE.
Je n'en fais pas un mot.
IXILIA .
:
Elle fe crut deſtinée à conquérir le
monde & elle y parvint.
LE BRAMINE.
Voilà qui eſt fâcheux pour elle& pour
le monde.
Ciij
54. MERCURE DE FRANCE.
IXILIA.
Commentpour elle ?
LE BRAMINE.
C'eſt que plus on a d'eſclaves , plus on
ad'ennemis.
IXILIA.
Cette ville attachoit ſa conſervation d
celle d'un bouclier tombé des nues , &
d'un feu qu'on diſoit venir encore de plus
haut.
LE BRAMINE.
Hé bien ! elle auroit dû borner ſes projets
à conſerver l'un & l'autre.
IXILIA.
Le bouclier avoit ſes gardiens , & je
fus gardienne du feu ſacré.
LE BRAMINE.
Ah !j'entends. Ily a , dans un coin des
Indes,quelquesGuèbres qui s'occupent du
même ſoin.
IXILIA.
Le mien , & celuide mes compagnes ,
conſiſtoit à empêcher ce feu de s'éteindre,
AVRIL. 1771.
¬re vie répondoit de notre exacti
tude.
LE BRAMINE.
C'eſt trop .
ILIA.
Cen'eſt pas tour. Il nous étoit preſcrit
de reſter auſſi pures que le feu dont nous
étions les gardiennes.
LE BRAMINE.
Jecommence à entrevoir quelque choſe
de votre avanture : certain feu s'alluma&
l'autre s'éteignit ?
IXILIA.
Vous devinez la moitié de mes malheurs
; mais le feu facré ne s'éteignit
point.
LE BRAMINE.
Et , ſans doute , que l'autre voulut s'a
limenter?
IXILIA.
Hélas ! qui peut toujours maîtriſer les
mouvemensde ſon coeur ? Je fus dévouée,
fans vocation , aux autels de Veſta . On
me preſcrivit des devoirs ſans confulter
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
:
ma volonté . On me crut ſeulement faite
pour obéir ; mais trop ſouvent les paſſions
nous commandent. La loi crut pouvoir
tromper la nature; ce fut la nature qui
trompa la loi .
LE BRAMINE.
C'eſt ce qui arrivera ſouvent. On peut
bien condamner un homme à mourir de
faim; mais non à n'avoir jamais d'appétit.
A propos , vous expliqua - ton pourquoi
on vous impoſa le double ſoin d'empêcher
le feu facré de s'éteindre , & d'éteindre
un autre feu toujours prêt à ſe ralumer
?
IXILIA.
Ce fut , ſans doute , pour prévenir les
diſtractions ; mais ce double ſoin contribuoit
à les faire naître. Une défenſe contraire
aux penchans du coeur n'eſt écoutée
que quand le coeur daigne ſe taire .
LE BRAMINE .
Croiriez- vous que nous autres Bramines
, nous nous impoſons volontairement
la loi que l'on vous impoſa ſans votre
aveu ?
AVRIL. 1771. 57
IXILIA.
Cette loi peut être alors bien obſervée.
LE BRAMINI.
Oui , grace à certaine précaution qui
nous eſt particuliere. Nous employons ,
pourarriver à certaine perfection ſublime ,
un moyen qui , dans tout autre homme ,
feroit une grande imperfection ; celle de
ne pouvoir produire ſon ſemblable.
:
IXILIA.
Je conçois qu'un tel moyen doit être
efficace;mais bien des gens le regarderont
comme un abus.
LE BRAMINE.
1
:Ily aura des abus , tant qu'ily aura des
hommes.
IXILIA.
Le comble du malheur c'eſt quand ces
abus font érigés er lois , & que ces lois
ont pour appui des ſatellites& des bourreaux
. L'uſage condamnoit mon coeur à
être inſenſible ; mais mon coeur lutroit
fans ceffe contre l'uſage. Rien , dans les
murs du temple de Veſta , n'étoit propre
1
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
à le fixer. Il gémiſſoit des devoirs gênants
dont j'étois plusfatiguée qu'occupée.Mon
imagination perçoit les murs de ce temple
impénétrable aux regards. Leur triſte
enceinte ne pouvoit borner mes defirs ;
ils cherchoient un objet plus propre à les
fatisfaire. Il parut , je vis Valerius. Il me
ſembla qu'un trait de flamme venoitde
paſſer dans mon coeur. L'aſtre du jour ne
lance pas plus rapidement les traits de ſa
lumière. Je crus avoir reçu une nouvelle
existence . Mes idées ſe fixerent. Mon
coeur anticipoit ſur ce que mon eſprit ne
pénétroit pas encore ; un nouveau jour
ſembla briller à mes yeux. Je crus qu'un
nouveau foleil venoit d'éclore pour moi.
Mais bientôt il ne ſervit qu'à mieux me
faire voir les liens qui m'enchaînoient ,
les murs qui m'entouroient , le tombeau
où j'étois defcendue. Je ne fentis que j'a-..
vois une ame que pour être en proie à ſes
tranſports , à ſes craintes , à ſon déſeſpoir.
Quoi ! m'écriais-je , ces murs affreux feront
donc un éternel obſtacle à mon bonheur
! tous mes voeux iront ſe briſer contre
leur maſſe impénétrable ? J'aime , &
je n'aurai point la douceur d'en in ruire
celui que j'aime ! les feux qu'il alluma
dans mon ame la confumeront loin de
AVRIL. 1791 . 59
...
lui. Il ignorera éternellement ſon triomphe...
Il l'ignorera ! Eh fais-je moimême
s'il cherche à le connoître ? Qui
me l'a dit ? Qui me l'apprendra ? Peutêtre
ma vue a-t elle gliſſe ſur lui comme
une foible lueur effacée bientôt par une
autre... Par une autre ! ... Voilà encore
un degré de douleur que j'ignorois. Je ne
commence à mieux ſentir que pour fouffrir
davantage. Oui , je m'apperçois qu'après
le malheur d'aimer ſans eſpoir , le
plus grand fupplice eſt d'ignorer ſi l'on eft
aimée.
LE BRAMINE.
Oui , je conçois que pour une femme.
IXILIA.
1
Je ne pus tenir contre cette accablante
réflexion ; je volai vers le lieu où j'avois
apperçu Valerius. Il y étoit... Il m'attendoit!
nous treſſaillîmes en nous appercevant.
Nos regards ſe rencontrèrent , ſe
confondirent. La joie brilloit dans ſes
yeux &dans les miens; mais bientôt fes
yeux ſe couvriren, de larmes & les miens
de ténèbres. Il se tendoit les bras; if
portoit la main fo fon coeur ; fa bouche
articuloit des mots Confus & entrecoupés.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
4
Il vouloit franchir l'élévation qui nous
ſéparoit : je lui criai d'un ton ferme de ſe
modérer. Il tomba ſur ſes genoux , les bras
de nouveau tendus vers moi , & l'inſtant
d'après il fut obligé de s'appuier la tête &
les mains fur les débris d'une colonne .
Mon coeur étoit déchiré. J'allois lui adreſffer
quelques mots de confolation , lorfqu'une
voix cruelle ſe fit entendre : elle
m'appeloit à mes fonctions de Veſtale. II
fallut quitter rapidement ce lieu qui m'étoit
ſi cher , pour un lieu qui m'étoit en
horreur.
LE BRAMINE.
Valerius ne dut pas être moins affligé
que vous.
IXILIA.
J'étois deſtinée à paſſer ſeule cette nuit
dans le temple. Elle commençoit à ſe répandre
, & l'horreur de ſes ténèbres ajoutoit
encore à celle de ma ſituation. Mes
foupirs & mes ſanglots perçoient les voûtes
de ce lieu redouté. J'implorois le ſecours
de Veſta contre le dieu qu'elle profcrivoit.
J'embraſſois la ſtatue de la déeſſe.
OVeſta ! lui diſois je , fais que toutes les
glaces de ce marbre paſſent dans mon
AVRIL. 1771 . 61
ame ; ou fais que ce feu ſacré conſume un
coeur déjà trop embraſé d'un feu profane !
Veſta! daigne ſecourir une de tes prêtrefſes
que l'amour arrache à tes autels ! ...
Eh! fuis-je encore digne d'en approcher?
Mon ſoufle impur n'éteindra- til point la
flamme céleste qui brille à mes yeux ?
Fuyons ! à ces mots je m'éloigne ; j'erre
dans les vaſtes détours de cette folitude ,
& bientôt je tombe dans un anéantiſſement
qui m'ôte l'idée & des lieux où je
fuis , & de ma propre exiſtence . Etat affreux
! réveil plus affreux encore ! les ténèbres
m'environnent de toutes parts : elles
couvrent toute l'étendue du temple ; le
feu facré s'eſt éteint. Tout eſt fini pour
moi, &je dois ne m'éloigner de l'autel que
pour marcher au fupplice.
LE BRAMINE.
Vous me faites frémir , vous m'attendriſſez
, tout Bramine queje fus.
IXILIA .
Déjà je croyois entendre les cris d'un
peuple furieux qui demandoit ma mort :
déjà je croyois voir un cruel pontife en
ordonner les apprêts : l'urne & la lampe
funèbres me précéder , le funeſte caveau
s'ouvrir : .. J'implore Veſta , j'implore
62 MERCURE DE FRANCE.
l'Amour. Je ne fais qui des deux me fecourut
; mais tout-à- coup le feu facré ſe
ralume & ſemble renaître de ſa cendre.
LLEE BRΑΜΙΝΕ
Voilà qui tient du prodige.
IXILIA.
Ce fut ainſi que je l'enviſageai !
LE BRAMINE.
Aqui en fêtes-vous les honneurs ?
IXILIA.
Le cas étoit embaraſſant : j'avois imploré
l'Amour comme Veſta .
LE BRAMINE.
Je devine que l'Amour eut la préfé
rence.
IXILIA.
Pouvoit - il manquer de l'avoir ? mon
eſprit étoit partagé; mon coeur ne l'étoit
pas. J'aurois voulu inſtruire Valerius du
danger où je m'étois trouvée : il me fembloit
qu'un tel récit me rendroit encore
plus intéreſſante à ſes yeux. Le croiriezvous
?Ce danger même le rendoit encore
イ
AVRIL. 1771 . 63
plus cheràmon coeur. Tel eſt l'Amour&
telle eſt notre foibleſſe. Je reparus , &
Valerius étoit déjà aux pieds de la fatale
terraſſe. Nouveaux tranſports de ſa part ;
nouveau ſaiſiſſement de la mienne. Il
parla vivement de ſon amour , & je lui
répondis aurrement que par mes regards.
Nos entrevues ſe multiplièrent ; elles
étoient toujours plus tendres , toujours
plus animées. Il voulut de nouveau franchir
la terraſſe &je m'y oppoſai. Il inſiſta
les jours ſuivans & je ceſſai de m'y oppofer...
Bientôt même ,je renonçai à toute
eſpècede réſiſtance.
LE BRAMINE.
Veſtadutêtrebien piquée , ſi le prodige
venoitde ſa part.
: IXILIA.
• Elle fut vengee ; ma foibleſſe fut découverte.
Je ne puis vous peindre l'horreur
de cet affreux moment ; la fureur des
prêtres , l'abattement de mes compagnes ,
les cris d'un peuple aveugle & féroce. On
eûtdit que Rome touchoit à fa ruine , &
que les Gauloisy portoient encore la flâme&
le ravage. Bientôt on me ſaiſit : on
m'inſtruit de mon fort ,&l'arrêt s'exécute
auſſi-tôt qu'il eſt prononcé. Je me vois
64 MERCURE DE FRANCE.
conduire au bord d'un fouterrein qui doit
bientôt me ſéparer de l'Univers . C'eſt là
mon tombeau , & je dois y deſcendre
avant que d'expirer. Il faut que la faim
m'y dévore ; que j'y éprouve mille fois
letrépas avant que de l'obtenir. Le grand
Pontife commençoit à me reprendre & à
m'exhorter. Je lui impoſai ſilence & à
toute cette multitude. « Barbares ! leur
>> dis - je , votre fureur ſera bientôt affou-
» vie ; je vais , pour jamais , difparoître à
>>vos yeux. La terre va m'engloutir, tan-
>>>dis qu'elle vous ſupporte avec tous vos
>>forfaits. Ofez-vous ! cruels ! ofez vous
>> me punir d'une foibleſfe plus excufable
>>que le moindre de vos crimes ? Vous
>> révoltez la nature ,&je n'ai fait que lui
» obéir. Oui , j'adore Valerius : oui , j'ai
>> trangreſſéles lois;mais on me les impoſa
>> plutôt que je ne m'y afſujettis . Je ne fis
-> qu'étendre une chaîne funeſté , & la
>> mort eſt le fruit d'un effort légirime ! ..
» Vile race de brigands ! tu n'as point
» dégénéré. Il te fautdes meurtres au dé-
> faut de rapine. Tu crains qu'on ne t'ar-
>>rache à ton infâme repaire : tu crains
>> que vingt peuples , juſtement ligués,
>>contre toi , ne te rendent parjure pour
>>parjure , maſſacre pour maſſacre>. >
AVRIL. 1771 .. 65
Après cette prédiction , qui s'eſt vérifiée,
on me plongea dans le tombeau qui
m'attendoit&qui fut refermé ſubitement.
Ce qui me reſte à vous dire ne peut s'exprimer
: vous - même ne pourriez vous
réſoudre à l'entendre. Que ma mort fut
lente&douloureuſe ! combien de fois je
crus la faifir , & combiende fois elle m'échappa
! que detourmens !qued'horreurs!
que de cris inutilement jetés ! que d'efforts
multipliés & perdus ! Je paſſois de la rage
à l'anéantiſſement , de l'anéantiſſement à
la rage. Enfin , je ceſſai d'être , & ce ne
fut qu'à ce moment queje ceſſai de ſouffrir.
LE BRAMINE .
Avouez qu'ici tout eſt effacé ? Vous
venez de me raconter un fonge funeſte ;
je ne pourrois vous en rapporter que de
bizarres. Tout eſt ſonge parmi les humains.
IXILIA .
Oui ; mais être enterrée toute vive ! ..
LE BRAMINE .
Mais vivre comme ſi l'on étoit enterré
! ... Peut - être ai-je plus ſouffert vo--
lontairement que vous par ordre de vos
66 MERCURE DE FRANCE.
juges. Vous eûtes quelques momensheu
reux , & tous les miens furent pénibles.
Par M. de la Dixmerie.
EPITRE à M. Foix , médecin de Chaume
en Brie, qui m'a guèri d'un rhumatisme
gouteux , dont j'ai été tourmenté une
grande partie de l'automne.
AUJOURD'HUI qu'on chante & qu'on fête
Tous les colifichets du jour ;
Des héros ſans coeur & ſans tête ,
Etdes maîtreſſes ſans amour.
Amon docteur , je crois honnête
De témoigner quelque retour.
Il m'a guéri ; c'eſt un grand homme
En dépit de tous ſes rivaux ,
Ames yeux , d'Athène & de Rome,
Il efface tous les héros .
Plus de deux mois je fus podagre
Depuis le col juſqu'aux talons :
Bientôtj'allois être chiragre ,
Mais ſes admirables boiſſons
Ont rallumé dans mes tendons
Lefeu vitalde Méléagre. *
*Méléagre , fils d'Oenée , Roi d'Etolie & d'AlAVRIL.
1771. 67
C'eneftfait : abjurons l'erreur
D'une ame trop long- tems mutine
Je le confefle avec douleur ,
Je fus impie en médecine ,*
Faiſant la nique à tout docteur,
Déployant ma rage aflafſine
Sur la perruque&ſur ſamine,
Le traitant , malgré ſon hermine
Et d'ignorant & d'impoſteur...
OFoix ! ta ſcience divine تم
Vient enfin d'éclairer mon coeur.
Qu'à préſent une troupe ingrate
D'eſprits forts , bouffis de ſanté,
Ofe , dans ſa malignité ,
Déchirer legrand Hypocrates
Etſa ſavante faculté.
Mon reſpect pour ſes aphorifmes
Ne ſera pointdéconcerté
ここ
4
thée. Auſſi - tốt qu'il fut né ſa mère apperçut les
Parques qui , étant auprès du feu & tenant untifon,
diſoient ces paroles : Il vivra autant que ce
tiſon durera. Elle retira promptement ce tiſon fatal
, & le garda juſqu'à ce qu'étant irritée contre
fon fils , elle le jeta au feu. Le tiſon confumé ,
Méléagre mourut ſur le champ.
* Je fus impie en médecine. Mot de Molière,
dans le rôle de Dom Juan.
8 MERCURE DE FRANCE .
Par les brocards & les ſophifmes
D'un peuple auſſi vain qu'entêté.
Je ſuisbon croyant: c'eſt tout dire.
Inébranlable dans ma foi ,
Des médecins on peut médire ,
Contre eux épuifer la fatyre ,
Leur doctrine fera ma loi.
Avecelle, & ce mot unique ,
Pointde raiſons , mot ſans replique ,
J'entendrai tout , l'entendrai bien ,
Je verțai tout , le verrai bien ,
Cependant je n'en croirai rien.
Oui je verrai , de cebas monde,
Déloger mes plus chers amis ,
Grace à la ſcience profonde
Des médecins , pareux choiſis.
Je verrai , par une ſaignée ,
Mon père étendu roide mort ,
Ma pauvre mère empoisonnée
Par un émétique trop fort ;
Je verrai mes foeurs & mes frères
Expirer au ſeindes douleurs ,
Et , par les drogues falutaires
Denos plus célèbres docteurs ,
Deſcendre au tombeau de leur pères...
Je verrai tout , le verrai bien ;
Cependantjen'en dirai rien.
J'entendrai , dans chaque famille,
20
*
AVRIL. 1771. 69
L
ec
D'un bout à l'autre de Paris :
«Tel docteur a tué mon fils ,
→ L'autre vient d'égorger ma fille ;
>> Je perds le meilleur des maris ,
>> Moi , l'épouſe la plus chérie ;
>>Tel ou tel leur Otent la vie .
Enfin , de cent autres côtés ,
Ainſi qu'après une bataille ,
J'entendrai les cris répétés
Demainte & mainte funéraille ;
Et les médecins , mes héros ,
Par les grands & par la canaille
Accuſés d'être les bourreaux
De ces morts giflans ſur la paille...
J'entendrai tout, l'entendrai bien
১
Cependantjen'en croirai rien .
C'eſt ici , d'une foi robuſte ,
Sans doute le ſuprême effort ;
Mais je crois raisonnable & juſte
D'y perſiſter juſqu'à la mort.
Je ne ſaurois , du grand Moliere,
Me rappeler la triſte fin ,
Sans que mon ame toute entiere
D'effroi ne trefſſaille foudain.
On fait que la verve comique ,
Sur toute la gent Galenique ,
Agrands flots lança ſon venin 3
Mais auffi , quel fut ſon deſtin ?
fo
70
MERCURE DE FRANCE.
Il mourut ſeul : nul de la clique
Ne voulut lui prêter la main ,
Pour rendre fa mort canonique...
Moi, je veux mourir comme un Saint;
Et non pas comme un hérétique ,
Sans lefecours d'un Médecin.
Par M. l'Abbé du Roux...
LE CHAMPIGNON & LA VIOLETTE.
Fable.
Un Champignon fraîchement né
Inſultoit fièrement une humble Violette ;
Reſpecte-moi , dit-il , à la pauvrette
Etre futile à ramper deſtiné ;
Regarde ma ſuperbe tête
S'arrondir , ſe fortifier ,
Dans peu j'égalerai le faîte
De ce haut coudrier ;
Que tout , aux environs , me cède &m'obéifle ;
e
Quetout. Comme il hauſſoit le ton ,... • •
On vit ce fot , ce fanfaron
Qu'avoit produit la nuit par ſa fraîcheur propice,
Sepencher , ſe flétrir,
AVRIL. 1771 . 71.
Se ſécher & s'évanouir.
Que de gens inconnus la veille
Champignons de Plutus , en un inſtant pouſſés,
Douffis d'une fierté pareille ,
Le lendemain ſont renverſés !
Orgueil ! tu fis tomber notre coupable père ,
Toujours , de ſes enfans , tu croîtras la misère.
Par M. Br... Auditeur des Comptes.
* Le mot du Proverbe inféré dans le Mercure
du volume de Mars 1771 , eſt , Il faut qu'un
Barbier raſe l'autre.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Mars 1771 , eft
Ecrivain ; la ſeconde , l'Ombre ; la troi-
Géme , Plume d'oie à écrire. Le premier
logogryphe eſt Hautbois , où l'on trouve
haut& bois ; le ſecond , Rocher , où l'on
trouve roche & roc ; le troiſieme , Ange ,
dans lequel on trouve ane.
ÉNIGME
L'ARABIE eſt le lieu dans lequel je ſuis né ,
Nous ſommes dix enfans; on me fit , par idée
72 MERCURE DE FRANCE.
Le plus jeune de tous & le moins fortuné ;
Mais j'éloigne de moi cette triſte pentée.
Je ſuis beaucoup ,je ne ſuis rien ,
Accompagné , je fais du bien ;
Mais je plains qui m'a ſeul , il eſt un pauvre fire ,
Et , s'il m'eſt permis de le dire ,
Il a toujours un ſot maintien.
J'ai pourtant du pouvoir; dans plus d'une contrée
Je ſuis connu , chactin chez ſoi me donne entrée.
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , & mon ſecours implore
,
En cela bien penfant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore.
Je pourrois ajouter
• Que , malgré ma vieilleſle ,
L'abbé , le financier , le marquis la ducheſſe
Me font auffi leur cour ; mais pourquoi m'en
vanter ?
Rien ne peut m'émouvoir , je ſuis toujours le
même
Petit individu
Amine ronde & blême ,
Denoir , en général , preſque toujours vêtu.
Par M. de Laville de Baugé.
4
AUTRE .
AVRIL. 1771 . 73
AUTRE.
Je ſuis un gentil animal ,
Que ſon inſtinct entraîne au mal.
Faut- il s'en étonner ? A l'homme je reſſemble.
Oui , plus on me voit , plus il ſemble
Quedu même limon nature nous paîtrit.
Pour la figure , pour l'eſprit
Elle mit entre nous ſi peu de différence
Quejepouvois paller pour un être qui penſe.
De l'homme , preſqu'en tout , imitantles façons,
Je me ſers de mes mains avec beaucoup d'adreſſe :
Comme lui je m'aſſieds : ſur deux pieds je me
drefle:
Je marche , ſaute ,danſe; enfin à ſes leçons
Il me trouve docile ; ( autant que je puis l'être )
Carj'en conviens de bonne foi ,
Rien n'eſt plus obſtiné que moi.
Lecteur , vous croiez reconnoître,
Aces traits à peine ébauchés ,
Ou le finge , ou la femme : oui, vous en approchez.
De l'un j'ai toute la malice :
Pour le caquet , pour le caprice
A l'autre je ne céde point.
De ces deux animaux , jediffére en un point :
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Une chaîne importune , en est- il de plus forte
Que celle de l'hymen ? gêne leur liberté ;
Etmalgré le colier que quelquefois je porte ,
Je jouis de la liberté.
AUTRE.
CINQfrères fans cefle affidus
Ala toilette d'une belle ,
Ses chevaliers , troupe aimable & fidelle ,
Apprens- le moi , te ſeroient- ils connus ?
Deux ſont polis comme elle a le viſage ;
Undoux coton ne les voile jamais.
Le ſecond couple avec des traits ,
Qu'un duvet délicat ombrage ,
D'un jeune homme à vingt ans nous retrace l'i
mage.
Le cinquieme , vu d'un côté ,
Ales deux premiers pour modele ;
Vu d'un autre , il paroît des derniers imité.
Simon énigme t'eſt nouvelle ,
Que verras-tu dans cette obſcurité ? *
* On donnera l'explication en vers de cette
énigme dans le prochain Mercure.
AVRIL. 1771. 75
AUTRE.
ENFANT du luxe & de la vanité ,
Chez les François ſansdoute j'ai dû naître.
Mes droits , pour plaire au peuple petit-maître,
Sont l'élégance & l'inutilité.
Jamais ma forme ne varie ;
C'eſt par les ornemens , l'étoffe & les couleurs
Que le goût mediverſifie :
Ici la ſoie a nuancé des fleurs ,
Et là c'eſt l'or qu'à l'argent on marie.
Je ſuis des gens de tout état ,
Sans changer pour eux mon allure ;
Près d'un ſeigneur , près d'un pied plat ,
Je me trouve en même poſture .
Mon uſage eſt d'ailleurs ſicommun aujourd'hui,
Qu'il n'eſt perſonne ici qui ne ſe le permette.
Un robin même , en changeant de toilette ,
Acquiert le droit de me porter ſur lui ;
Car avec le rabat je ſuis incompatible ,
Et vos jolis abbés , tout recherchés qu'ils font ,
N'ont pas encor jugé que je fuſle admiſſible
Aumilieu des graces qu'ils ont.
Un amant me reçoit des mains de ſa maîtreſſe,
Et c'eſt alors que je ſuis d'ungrand prix .
Comme un gage de la tendreſſe ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
La maman me donne à ſon fils ;
Mais le plus ſouvent on m'achete
Dans ces beaux atteliers de la frivolité ,
Où , du matin au ſoir , une nymphe coquette ,
Travaillant ſur des riens avec dextérité ,
Par d'aimables propos fait faire bourſe nette
Aux amis de la nouveauté.
ParM. Gelhay.
LOGOGRYPH Ε.
Je préſente avec netteté
Ce qu'eſſuie un mortel qui paſſe
Dubonheur à l'adverſité :
Mais quel que ſoit cette diſgrase ,
En m'alongeant un tant ſoit peu ,
Vous trouvez que ce n'eſt qu'unjeu.
Parle même.
AUTRE.
QuoIQUE poreuſe &très-légère ,
Je ſuis un être libéral ;
Le feumeprépara dans un volcan fatal ,
Où Pline imprudemment termina la carriere.
On dit de moi , figurement ,
AVRIL. 1771 . 77
:
Qu'unécrivain ſage &prudent
Me fait par fois paſſer ſur ſon ouvrage:
Zoïle obſcur ! ſur chaque page
De ton ennuyeux perfifflage ,
Pourquoi n'en fais-je pas autant ?
Devinez-vous , lecteur ? Faut-il , ſuivant l'uſage,
Exercer votre eſprit , en medécompoſant ?
Très-volontiers , prenez courage
Je marche ſur cinq pieds , en en ſupprimant un
J'offre , engéométrie , un terme affez commun ;
D'un poids fort uſité la ſeizieme partie ,
Et ce joyeux feſtin lorſque l'on ſe marie.
Neprenant que ma tête on trouvera d'abord
Unfleuve d'Italie en approchantdu Nord ,
Combinez de nouveau ; cherchez ce patriarche;
Préſervé du déluge , en s'enfermantdans l'arche ;
Et chez le peuple Juif le nomd'un gouverneur
Qu'à la meſſe on entend prononcer par le prêtre...
Oh! pour le coup , mon cher lecteur
J'en dis aſlez pour me faire connoître.
Par un Abonné au Mercure.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
'Abregé chronologique de l'Histoire Eccléfiaftique
, civile & littéraire de Bourgogne;
depuis l'établiſſement des Bourguignons
dans les Gaules juſqu'à pré-
Tent. Par M. Mille ; tome I' , vol. in-
8°. avec cette épigraphe : Etpius eft
patriæ facta referre labor. Ovid. triftium.
lib . 2. verf. 321. A Paris , chez
Delalain , libraire , rue & à côté de la
Comédie Françoiſe ; & à Dijon , chez
Cauſſe , imprimeur du parlement & de
l'académiedes ſciences , place St Etienne.
Prix , 5 liv. broché avec la carte .
CET abregé formera une hiſtoire trèsſuivie
& très- complette , de laBourgogne
ancienne & moderne . C'eſt , du moins ,
ce qu'on entrevoit à la lecture de ce premier
volume. Il eſt précédé d'une introduction
, bien écrite , où l'on trouve divers
éclairciſſemens ſur l'origine , les
moeurs & les uſages des anciens Bourguignons.
M. Mille cite à ce ſujet les opinions
d'un grand nombre d'auteurs , plus
ou moins connus. " On diroit , pourſuit
AVRIL. 1771. 79
il , on diroit , en conſidérant le portrait
» qu'Ammien - Marcellin & Sidonius-
•Apollinaris nous ont tracé des Bourguignons
, que c'eſt celui des Germains
« mêmes , tracé par Strabon & par Taci-
» te, tant on ytrouve de reſſemblance &
>> de conformité dans la religion , la
>>taille , le langage , les coutumes , les
>> préjugés , les vices& les vertus. »
La guerre & la chaſſe étoient les principales
occupations de ce peuple , tant
qu'il habita la Germanie. Ses troupeaux,
& les eſclaves qui en avoient ſoin , formoient
toutes ſes richeſſes. Il n'avoit pour
lors que des coutumes groffieres confervées
par tradition . Ce peuple errant ne
redoutoit que la ſervitude,&dans toutes
ſes expéditions il avoit ſoin de repréſenter
ſur ſes drapeaux un chat , ſymbole de
laliberté.
Les Bourguignons avoient cependant
un chef , appelé Hendin. Il ne devoit cette
place qu'à fon courage , fon expérience&
ſes ſervices ; mais fon pouvoir étoit
limité. Un mauvais ſuccès , une année
ſtérile ſuffifoient pour le faire dépoſer.
Souvent même il payoit de ſa vie une
entrepriſe malheureuſe ou mal combinée.
Le pouvoir du Sinist , ou grand Prétre ,
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
étoit beaucoup plus étendu , &d'ailleurs
étoit perpétuel. Le reſpect pour lui alloit
ſi loin qu'on le regardoit toujours comme
inſpiré des dieux & comme exempt de
toutes paffions. C'étoit à lui ſeul qu'appartenoit
le droit de reprendre , d'arrêter
&de punir lescoupables .
•Chaque famille , dit l'auteur , for-
>> moit une eſpèce de république qui avoit
>> ſes intérêts particuliers. Si l'un de ſes
» membres recevoit quelque injure , ou
>> avoit ſouffert quelque dommage , cer
» événement donnoit lieu à des querelles
>> domeſtiques , dont le fort des armes
>> décidoit : les parens mêmes de l'offen-
» ſé ſe réuniſſoient pour le venger , & le
>>plus foible ne pouvoit ſe ſouſtraire aux
>> reſſentimens de ſon ennemi qu'en lui
>> donnant , felon la nature de l'offenſe ,
>> une certaine quantité de boeufs ou de
>> moutons . C'eſt ce que la loi Gombette
>> appelle compoſition:police finguliere ,
>>qui peint encore mieux que tout le reſte
>>les moeurs & le caractère de ce peuple
>> ſauvage & ignorant. >>>
Les Bourguignons firent d'abord pluſieurs
tentatives inutiles pour s'établir
dans les Gaules. Dans cet intervalle , ils
ſe fixerent fur les bords de la riviere de
AVRIL. 1771. 8г
Sala , dont les eaux propres à faire du ſel
renouvellerent bientôt leurs anciennes
querelles avec les Germains. C'eſt même
de-là que Paſquier fait dériver l'ancienne
apostrophe de Bourguignonsfalés.
,
Ce fur, felon l'opinion commune, vers
l'an 407 que les Bourguignons , ſous la
conduite de Gundahaire ou Gondicaire
leur chef , paſſerent le Rhin pour
s'établir dans les Gaules. Leurs ſuccès
furent rapides. Ils s'emparerent d'abord
de cette partie voiſine du Rhin &
des Voges , qu'on nomme aujourd'hui
laHaute Alface &le Canton de Bafle.
Cette poſſeſſion fut de beaucoup accrue
par le traité de paix & d'alliance qu'ils
firent avec l'Empereur Honorius , & peu
de tems après Gondicaire prit le tître de
Roi.
Alafin de cette introductionM. Mille
trace un tableau précis de l'état desGaules
lors de l'invaſion des Barbares . On
fera furtout frappé de la maniere dont il
décrit les progrès & la décadence de la
littérature gauloife. « La littérature , dit
>> cet hiſtorien , honorée , floriffante, fous
>>Auguſte , flétrie par Caracalla , l'enne-
» mi déclaré des talens , relevée & pro-
>> tegée par ſes ſucceſſeurs , ne pouvoit
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
>> manquer de ſe reſſentir de ces viciffitu-
» des malheureuſes qui avoient contrarié
>> les efforts du génîe. Envain l'établiſſe-
>> ment du chriſtianiſme dans les Gaules
>> lui avoit- il donné une impulfion nou-
>> velle ; envain la vérité avoit - elle im-
>>primé aux Orateurs Chrétiens ce carac-
>> tère de fublimité que le menſonge n'i
>>mite qu'imparfaitement; les ſciences
>>profanes ne ſe ſoutinrent plus avec le
>> même avantage qu'elles avoient eu
>> pendant les beaux jours du regne d'Au-
>> guſte. Telle eſt leur deſtinée chez pref-
>> que toutes les nations qui ont une hif-
>> toire littéraire à produire. Le concours
>> des cauſes qui étendent l'empire des
> lettres en accélère ſouvent la chûte , en
>> y portant une fertilité trop ſouvent nui-
>> ſible au bon goût. »
Ce premier volume , diviſé en deux
Livres , renferme deux époques . Celle de
la fondation de l'ancien royaume de
Bourgogne depuis Gondicaire , premier
Roi , juſqu'à ſa réunion à la monarchie
françoiſe ſous les enfans de Clovis ; &
celle de ſa ſeconde réunion à la France ,
parClotaire , après le ſupplice de Brunéhaut.
M. Mille n'eſt pointd'accord avec
quelques écrivains anciens & modernes
AVRIL. 1771. 8;
qui prétendentjuſtifier entierement cette
Princeſſe des crimes que d'autres auteurs
luiimputent. Voici comment il la peint,
après avoirdécrit ſa morttragique. « Ainſi
> périt , à l'âge de quatre-vingts ans , par
>>un fupplice auſſi cruel qu'ignominieux,
>> cette Reine Brunéhaut, la fille , l'épou-
>> ſe , la mère & l'ayeule de tant de Rois;
>> rivale de Frédégonde , auſſi ambitieuſe,
>> moins coupable , plus infortunée qu'el-
» le , & également célèbre dans les faſtes
>> de l'hiſtoire par ſes crimes &fes mal-
>>heurs , & par les éloges que lui prodi-
>> guent ceux qui la justifient. "
Rien de ce qui intéreſſe les premiers
tems de l'hiſtoire de Bourgogne n'eſt oublié
dans ce volume. Les faits s'ypréſentent
ſans embarras & font toujours éclairés
par les réflexions de l'auteur. Il y développe
les changemens qui ſe ſont faits
plusoumoinsrapidementdans les moeurs,
dans les uſages, dans les lois que les Bourguignons
avoient apportés de la Germanie
. Ce qu'il a fait juſqu'à préſent doit
prévenir d'une maniere favorable fur- ce
qui lui reſte à faire , & nous l'exhortons
à ne point ſe ralentir dans fa marche.
On découvre dans tout ce qu'il dit
fur les lois , l'homme qui en a fait une
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE.
étude capitale ; dans tout ce qui concerne
les moeurs , l'écrivain , ami de l'ordre&
de la ſaine morale ; dans la notice des
hommes illuſtres le critique ſage & le
profond littérateur. Cette hiſtoire eſt dédiée
à S. A. S. M. le Prince de Condé , à
qui la France entiere ,& en particulier la
Bourgogne , doivent les hommages les
plus finceres& les mieux mérités .
Nota. Le ſecond volume de cette hifroire
doit paroître ſous deux mois , & les
autres ſe ſuccéderont très- rapidement.
Traité de la Jurisdiction eccléſiaſtique contentieuſe
, ou théorie & pratique des
officialités ; 2 vol . in 4º. A Paris, chez
Lacombe , libraire , rue Chriſtine .
UnDocteur de Sorbonne vient de publier
un traité de la Jurifdiction eccléſiaſtique
contentieuſe à l'uſage des officialités
, en deux gros volumes in - 4º.
d'environ mille pages chacun. Cet ouvrage
, plein d'érudition &de recherches
curieuſes , qui a été revu par d'habiles
jurifconfultes & de bons praticiens , eſt
exécuté fur un plan très - méthodique ,
après des obſervations ſur l'origine de la
jurisdiction eccléſiaſtique en général &
AVRIL. 1771. 85
fes eſpèces , la nature & les caractères de
la jurisdiction contentieuſe.
L'auteur diviſe ſon ouvrage en quatre
parties:
La premiere a pour objet les perſonnes
qui ont droit d'exercer la jurisdiction eccléſiaſtique
contentieuſe , ou comme ordinaire
, ou comme juges délégués. On y
traite de la jurifdiction contentieuſe exercée
ouprétendue en France par les divers
ſupérieurs de la hiérarchie eccléſiaſtique ,
le Pape , les Primats , les Métropolitains
& les évêques ; ainſi que de l'origine, de
l'inſtitution & des qualités des officiaux
primatiaux , métropolitains& diocèſains
ordinaires ou forains. On parle à cette
occaſion de la jurisdiction contentieuſe
qui appartient à pluſieurs corps féculiers
ou reguliers , ou à des prélats qui ontune
jurifdiction épifcopale. La jurisdiction
des chambres eccléſiaſtiques diocéſaines
ou ſouveraines eft expliquée à la fin de cette
partie, comme auſſi celle de pluſieurs
autres jurisdictions particulieres dont la
nature n'eſt pas bien déterminée. On y
trouve un détail intéreſſant fur les primaties
de France , & en particulier fur
celles de Lyon & de Bourges .
La ſeconde partie traite du pouvoir ou
de la compétence des juges d'Egliſe fur
86 MERCURE DE FRANCE.
les matieres& fur les perſonnes eccléſiaftiques
& laïques. La matière y eſt plus
approfondie que dans aucun autre ouvrage
connu. On y expoſe & on y téſoud
d'après les monumens de la diſcipline de
l'Egliſe Gallicane , les mémoires duClergé
, les recueils des ordonnancess & les
déciſions des cours ſouveraines du royaume
, les différentes queſtions relatives à
cet objet important.
La troiſième partie explique dans un
ordre nouveau le détail& la ſuite des règles
&des principes de la procédure com.
mune aux tribunaux ſéculiers & aux eс-
cléſiaſtiques , d'après l'ordonnance dont
on cite les articles & les diſpoſitions dont
on rapporte enfuite le texte entier à la fin
du ſecond volume. On a préféré cette
marche à la méthode ordinaire & conftante
des auteurs qui , juſqu'ici , ont publié
des notes &des commentaires ſur le
texte de l'ordonnance. Le lecteur est continuellement
obligé d'interrompre la lecture
par des renvois perpétuels aux notes,
ce qui rend ſon travail rebutant & fort
fatiguant.
La quatrième partie expoſe dans le
même ordre la ſuite des procédures propres
&particulieres aux tribunaux eccléſiaſtiques
; cette partie,la plus importanAVRIL
. 1771. 87
te , renferme pluſieurs differtations ſçavantes
ſur les grandes queſtions concernant
les empêchemens de mariage qu'on
réſoud d'après les maximes des tribunaux
du royaume.
La cinquieme enfin , qui rend cet ouvrage
d'une utilité finguliere pour la pratique
, renferme le recueil le plus complet
qu'on connoiſſe des formules des
actes de la procédure des tribunaux féculiers
&des tribunaux eccléſiaſtiques , difpoſées
dans leur ordre naturel .
Cet ouvrage important étoit attendu
depuis long- tems du Public , & doit remplir
ſes voeux, étant par l'étendue de fon
plan également utile aux membres des
tribunaux ſéculiers , & aux officiers des
cours eccléſiaſtiques ainſi qu'àtous le clergé
féculier & régulier.
Compendium inftitutionum philofophiæ in
quo de rhetoricâ & philofophia tractatur
ad ufum candidatorum baccalaureatús
artiumue magiſterii , auctore D. Caron ,
in artibus magiftro , chirurgi majoris in
ædibus regiis invalidorum vices gerente;
2 vol . in 8 °. petit format. A Paris ,
chez N. M. Tilliard , libraire , quai des
Auguſtins.
88 MERCURE DE FRANCE.
L'ordre , la clarté & la préciſion qui
regnent dans cet abregé de philoſophie ,
le rendront un guide fûr & commode
pour tous les afpirans à la maîtriſe des
arts. Les leçons ſur tous les objets qui
doivent faire la matiere des examens ſont
diſpoſées par demandes & par réponſes.
Cet ouvrage contient d'ailleurs les principes
de la ſaine philoſophie telle qu'elle
eſt adoptée & enſeignée dans l'Univerfité.
Dictionnaire historique & critique , ou recherches
ſur la vie , le caractère , les
moeurs &les opinionsde pluſieurs hommes
célèbres ; tirées des dictionnaires
de MM. Bayle & Chaufepié : ouvrage
dans lequel on a recueilli les morceaux
les plus agréables& les plus utiles de
ces deux auteurs : avec un grand nombre
d'articles nouveaux & de remarques
d'hiſtoire , de critique & de littérature;
pour fervir de ſupplément
aux différens dictionnaires hiſtoriques.
Par M. de Bonnegarde ; 4 vol. in-8 .
ALyon , chez Barret , imprimeur - libraire
, quai de Retz ; & ſe trouve à
Paris , chez Delalain , libraire , rue de
la Comédie Françoiſe .
AVRI L. 1771 . 89
Cedictionnaire , qui n'eſt qu'une compilation
faite d'après d'autres compilations
, peut néanmoins avoir ſon utilité.
L'auteur s'eſt principalement appliqué à
raſſembler dans les notices qu'il donne
des hommes illuftres ces menus faits ;
ces traits perſonnels ou domeſtiques qui
peignent l'homme & font ſouvent plus
intéreſfans pour le coeur humain que les
mémoires d'un général ou d'un miniftre.
Lorſque l'auteur puiſe dans le dictionnaire
de Bayle , il a ſoin d'en écarter les
réflexions ou les remarques qui tendent
à favoriſer le déiſme ou le pyrroniſme.
M. de B. en a auſſi corrigé le ſtyle , & lui
a peut- être fait perdre un peu de cet air
libre , facile & dégagé qui plaît dans les
Effais de Montagne , & que l'on aime à
retrouver dans les écrits du Philoſophe
de Roterdam . On louera plus volontiers
l'auteur d'avoir ſupprimé les déclamations
que Chaufepié s'eſt permiſes contre
les Catholiques. Cette aigreur de parti
n'eſt plus aujourd'hui du goût du Public.
M. de B. , pour rendre ſa compilation
plus riche , a mis à contribution les écrits
de pluſieurs biographes. Il n'a pas même
fait difficulté d'admettre,dans ſon recueil,
des bouffons lorſqu'il a cru que leurs
bons mots pourroient plaire à fon lecteur.
90 MERCURE DE FRANCE.
Triboulet étoit un fou affez malin& qui
ſavoit amufer François I par ſes plaiſanteries.
Ce fou avoit des tablettes où il
écrivoit en forme dejournal, rout ce qu'il
croyoit digne de ſes notes. LeRoi ayant
une dépêche à envoyer à Rome dans un
eſpace de temas très- court, &pendant le
quel il étoit impoffible de faire le voyage,
fit chercher un courier qui ſe chargeât du
paquet & s'engageât de le remettre. Il
s'en préſenta un auquel on donna deux
mille écus de récompenfe , avant qu'il
montat à cheval ; Triboulet ne manqua
pas d'employer le fait ſur ſes tablettes.
Le Roi qui le vit écrire lui en demanda
la raiſon : « Parce qu'il eſt impoffible, dit
» Tribouler , d'aller à Rome en ſi peu
detems ,&parce qquue, quandcela ſe-
>> roit poſſible , c'étoit toujours une folie
dedonner deux mille écus dans une oc
>> caſion où le quart ſuffiroir. Mais ,
» dit le Roi , ſi le courier ne peut venit
» à bout d'exécuter ſa promefle , & me
>> rend mon argent , qu'auras- tu à dire ; il
>> faudra que tu effaces ta remarque.
>> Non , répondit Triboulet , elle fubfif-
>>tera d'une façon ou d'une aurre , parce
>que ſi le courier eſt aſſez fot pour vous
>>rapporter votre argent , j'effacerai le
nom de Votre Majesté , &je laiſſerai
ود
-
-
ANCE
وا AVRIL. 1771.
malink:
fes phila
lettes
Tource
Roian
ne dans.
endant
Le voya
argent!
Dettre.
na de
le fien , & s'il ne revient pas je laiſſerai
» le vôtre.
Ce fut encore Triboulet qui dit que ſi
Charles Quint étoit aſſez fou pour venir
en France & fe fier à un ennemi qu'il avoit
ſi maltraité , il lui donneroit ſon bonnet .
Le Roi lui ayant demandé ce qu'il feroit,
ſi l'Empereur paſſoit comme s'il eût marché
dans ſes propres états , il répondit :
« Sire , en ce cas je lui reprends mon
>> bonnet , & vous en fait préſent. » Centqui
pendant Charles. Quint pouvoit ſe fier à
unprince qui , après la bataille de Pavie ,
mandoit à la ducheſſe d'Angoulême : Tout
eft perdu fors l'honneur.
blette
การแก่น
le,
10
pa
Triboulet étoit à la fuite de la cour, à
l'entrée du Roi à Rouen. Fier d'être monté
ſur un cheval magnifiquement caparaçonné
, il couroit le galop. Celui qui étoit
chargé de ſa conduite , lui diſoit d'aller
plus doucement , ſinon qu'il feroit fefſfé.
<< Eh! mon cher maître , répondit Tri-
>> boulet , en ſerrant la botte & donnant
>>de l'éperon , que voulez - vous que je
>>faſſe ? J'ai beau piquer tant que je peux
>> mon cheval , il ne veut pas s'arrêter . >>>
Il paſſoit avec un ſeigneur ſur un pont
où il n'y avoit point de parapet ni d'accoudoir
; le ſeigneur en colere demanda
pourquoi on avoit conſtruit ce pont ſans
92
MERCURE DE FRANCE.
y mettre de garde - fous. " C'eſt , lui ré-
>>pondit Triboulet , qu'on ne ſavoit pas
>> que nous y paſſerions. »
L'auteur du dictionnaire rapporte encore
que ce même Triboulet fut menacé
par un grand ſeigneur , de périr ſous le
bâton, pour avoir parlé de lui avec trop de
liberté. Il alla s'en plaindre à François I ,
qui lui dit de ne rien craindre ; que fi
quelqu'un étoit affez hardi pour le tuer ,
il le feroit pendre un quart-d'heure après .
" Ah ! Sire , dit Triboulet , s'il plaiſoit à
>> Votre Majesté de le faire pendre un
>> quart- d'heure avant. >>>
Hiſtoire générales des Provinces - Unies ,
dites de Hollande , en huit volumes
in-4°. ornée de cartes , portraits , eftampes
, vignettes , &c . chez Simon ,
imprimeur du parlement, rue Mignon .
Le prix eſt de 160 liv. en grand papier;
de 120 liv. en papier ordinaire ; celui
de la ſouſcription eſt de 120 liv. en
grand papier & de 80 liv. en papier ordinaire.
Les huit volumes qui complettent
cet ouvrage font en état d'être
délivrés actuellement. La ſouſcription
en eft encore ouverte pendant un tems
fur les demandes qui en ont été faites
à Paris& en province.
AVRIL. 1771 . 93
Les foibles commencemens d'un peuple
devenu ſi riche dans un pays ſi pauvre
préſentent un bel exemple de ce que peuvent
l'amour du travail , la ſimplicité des
moeurs & la bonne conduite. Les Hollandois
, reſſerrés dans l'état le plus bornéde
notre continent , preſque ſubmergé par
un élément contre lequel ils ſont toujours
en garde& ſouvent obligés de ſe défendre
, manquant des choſes les plus nécefſaires
par l'ingratitude du fol& la rigueur
du Ciel , ont rendu leur pays un des plus
abondans & des mieux peuplés de l'Europe.
Leur commerce s'étend dans les
deux hémisphères , & leurs villes font
devenus les magaſins du monde. Les premiers
habitans , ces anciens Bataves , trop
heureux de ſuivre les Aigles Romaines &
d'être reçus dans les gardes des Empereurs
, mériterent par leur valeur le titre
de frères & d'amis des vainqueurs de la
terre. Les Francs qui s'emparerentde leurs
domaines ne ſeroient que de miférables
corſaires ſi leurs capitaines n'avoient fondé
par leur courage&leur conduite une
puiſſante monarchie ſur les débrisde l'Empire
d'Occident. Les Comtes de Hollande
, foibles vaſſaux de ces fiers conquérans
preſque confondus avec la nobleſſe
dont ils avoient beſoin pour maintenir
94
MERCURE DE FRANCE .
une autorité ufurpée , feroient encore inconnus
fi leur politique & les alliances
étrangeres ne les euſſent rendus redoutables
à leurs voiſins. Leur ambition croifſant
avec leur pouvoir fouleva les ſujets
contre la tyrannie. L'inquiſition acheva
de les mettre au déſeſpoir & l'amour de
la liberté donna naiſſance à une république
, chancelante dans ſon debut , mais
bientôt raffermie par la valeur & la fageffe
de fon chef , & forçant enfin l'Efpagnol
à reconnoître ſon indépendance &
même à partager avec elle les tréſors du
Nouveau Monde. Une politique ſévère
&bien entendue la met aujourd'hui en
état de balancer la puiſſance de ſes voifins
& l'équilibre de l'Europe. Un théâtre
varié de tant de ſcènes éclatantes étoit
bien digne de l'attention du Public , &
tel eſt le ſpectacle que lui donnent les
auteurs dans cette hiſtoire ſi intéreſſante
& fi différente des annales des autres nations.
Vies des Architectes anciens & modernes ,
qui ſe ſont rendus célèbres chez les
différentes nations ; traduites de l'italien
& enrichies de notes hiſtoriques
& critiques ; par M. Pingeron , capitaine
d'artillerie & ingénieur au ferAVRIL.
1771 . 95
vice de Pologne ; 2 vol. in- 12. A Paris
, chez Claude . Antoine Jombert ,
fils aîné , libraire , rue Dauphine .
Cet ouvrage eſt dédié à M. le Comte
Mockronowski , Staroſte d'lanow , lieutenant-
général des armées polonoiſes &
premier inſpecteur de cavalerie. Le premier
volume eſt précédé d'une préface
qui contient un précis de l'hiſtoire de
P'architecture , précis d'autant plus intéreffant
qu'il peut contribuer à former le
goût des artiſtes & de tous ceux qui veulent
juger par eux mêmes des beaux mor.
ceaux d'architecture . M. Pingeron y donne
l'origine des ordres toſcans , dorique ,
ionique , corinthien & compoſite. Ces
cinq ordres font tirés des monumens
grecs & romains. Louis XIV , dont le
règne fut celui des beaux arts & des lettres
, avoit promis une récompenfe conſidérable
à celui qui inventeroit un ſixième
ordre . Cette promelle échaufa l'imagination
de tous les artiſtes. Sebaſtien le
Clerc , deffinateur & graveur , ſe diſtingua
dans cette eſpèce de lutte ; mais fon
ordre n'étoit point affez caractérisé pour
former un ordre ſéparé. On trouve dans
l'eſſai fur l'architecture de Goldman un or.
dre allemand inventé par Storm . L'Abbé
96 MERCURE DE FRANCE.
Laugier avoit auſſi propoſé un ordre françois.
Un Architecte Genévois, établi à
» Londres , ajoute M. Pingeron, vient
>> d'imaginer un ordre britannique, dont
>>le chapiteau refſſemble beaucoup dans
» ce qu'il a de beau au chapiteau corin-
>> thien. M. Piraneſi , architecte , qui a
» gravé tous les monumens de Rome, a
>> encore imaginé un nouvel ordre dont
> il s'eſt ſervi dans l'égliſe du grand
>> prieuré de Malte , à Rome. Son cha-
» piteau eſt ſymbolique , & fes propor-
>> tions différent de celles des autres or-
>> dres. Le tout enſemble ne fert qu'à
>> faire regretter les ordres dont cet ar-
- tiſte a évitéde faire uſage. Un célèbre
» architecte Italien ne liſoit jamais de
>> livre d'architecture où il étoit queſtion
>> d'un ſixieme ordre ; il le regardoit
>> comme le délire de l'artiſte. » Parmi
même les cinq ordres d'architecture que
toutes les nations ont admis , il n'y en a
que trois qui ont réellement un caractère
marqué & bien distinct ; ſavoir , l'ordre
dorique, l'ionique& le corinthien. L'otdre
toſcan , ainſi appelé parce qu'il a pris
naiſſance en Toscane , n'eſt que l'ordre
dorique réduit à une proportion plus
ſimple &plus mâle. L'ordre compofite
eft
AVRIL.177 97
1
eft formé de l'ordre ionique & corinthien.
Lorſque ce nouvel ordre fut mis
à la mode , le goût de la belle & de la
noble architecture commença à dégénérer;
on ſacrifia les proportions à la parure
& à la multiplicité mal entendue des
ornemens .
M. Pingeron , dans cette même préfa
ce , expoſe l'état actuel de l'architecture
en France , & traite des connoillances néceſſaires
à celui qui veut embraſſer l'art
de la conſtruction. Philibert de Lorme ,
mort en 1577 , eſt celui qui a le plus con.
tribué en France à bannir de l'architec
ture le goût gothique & barbare , pour y
fubftituer celui de l'ancienne Grèce. Il
fut chargé par Catherine de Médicis ,
Reine de France , de conſtruire le palais
des Thuileries. L'architecte y déploya
toutes les reſſources de ſon génie. Le raizde-
chauffée eſt orné de colonnes doriques
qui , au lieu d'être liſſes ou cannelées
, ſont environnées de cinq bandes ,
chargées d'ornemens en reliefs. Le piédeſtal
ſur lequel poſent ces colonnes eſt
continu , & l'ordre entier paſſe pour un
chef- d'oeuvre . De Lorme vit fon mérite
récompensé par pluſieurs riches abbayes ,
&quoiqu'il ne fût que fimple tonſuré il
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
fut nommé aumônier & conſeiller du
Roi. Le poëte Ronſard en conçut de la
jaloufie , & compoſa contre de nouvel
abbé une ſatyre piquante intitulée , la
truelle croffée. De Lorme n'eut pas la fageſſe
de la mépriſer : un jour que Ronſard
vouloit entrer dans le jardin des
Thuileries , l'architecte , qui en étoit le
gouverneur , le fit repduffer rudement.
Ronſard , piqué à fon tour , crayouna les
trois mots fuivans ſur la porte qu'ơn lùi
avoit fermée .
Fort. reverent, habe.
De Lorme , qui ne ſavoit pas le latin,
ſoupçonna que ces mots étoient une inſulte;
il crut que Ronſard l'appeloit par
ironie , fort révérend Abbé ; il s'en plaignit
à la Reine. Le poëte ſe juſtifia en difant
que c'étoit le commencement d'un
diſtique d'Aufone , qui avertiſſoit les
hommes nouveaux de ne point s'oublier.
Fortunam reverenter habe.
2
Parmi les architectes dont on nous
donne ici les vies , il s'en trouve des plus
illuftres maisons . Ferdinand de St Felix ,
architecte Napolitain , dont la mémoire
AVRIL. 1771 . 99
eſt encore récente à Naples , deſcendoit
des princes Normands qui regnèrent autrefois
dans ces contrées. Cet artiſte s'eſt
fur- tout diftingué par la fingularité de ſes
deſſins & par la hardieſſe de ſon exécution
. On cite volontiers à Naples le bon
mot du ſatyrique Capaſſo qui , voyant un
palais bâti par St Felix , diſoit qu'il méritoit
cette inſcription : Scoftati , che caf.
ca; éloigne toi , il tombe. Le traducteur
obſerve à ce ſujet qu'il eſt d'uſage depuis
un tems immémorial de mettre des infcriptions
ſur les palais de Naples & de
différentes villes d'Italie. C'eſt une mépriſe
dans ce genre qui a donné lieu au
proverbe latin , Uno pro puncto Martinus
caruit Afello , pour un point Martin perdit
ſon ane. Ce Martin avoit l'abbaye
d'Afello , fur la porte de laquelle il avoit
mis cette inſcription latine :Porta patens
efto nulli , claudaris honefto , avec la virgule
avant claudaris , ce qui ſignifioit que
la porte ne devoit être ouverte à perfonne
, & fur- tout aux honnêtes gens. L'évêque
, faiſant ſa tournée , lut par hafard
cette infcription. Il en fut fi indigné, qu'il
priva l'Abbé de ſon bénéfice. Comme
Afellus veut dire un petit âne , en latin
& en italien , les François ont traduit lit. J
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
téralement le proverbe , en diſant pour
un point Martin perdit ſon âne. Il y a
toute apparence que le bon Abbé Martin
n'avoit fait qu'une faute de ponctuation;
la virgule étant avant nulli , l'infcription
fignifioit alors que la porte ne devoit être
ouverte qu'aux perſonnes honnêtes.
M. Pingeron a non ſeulement enrichi
le texte italien de notes hiſtoriques &
critiques; mais il a encore ſuppléé aux
articles de quelques architectes dont le
biographe italien n'avoit point fait
mention. Enfin il n'a rien négligé de ce
qui pouvoit rendre fon ouvrage plus utile&
plus complet. Ses deux volumes
font terminés par une table chronologique
des architectes &par une autre table
alphabétique des matieres.
L'Honneur François , ou hiſtoire des vertus
& des exploits de notre nation ,
depuis l'établiſſementde la monarchie
juſqu'à nos jours ; in- 12. tome III . &
tome IV. A Paris , chez J. P. Coſtard,
libraire , rue St Jean de Beauvais.
'L'honneur parle; ilſuffit : cefont- là nos oracles.
Ce vers de Racine fert d'épigraphe à
l'ouvrage ; il eſt en quelque forte le cri
AVRIL. 1771. 101
de tout François. Ce mot honneur frappe
même ſes oreilles avec une eſpèce d'enchantement.
Un ſoldat qui fervoit ſous
le maréchal de Saxe , interrogé un jour
de quelle nation il étoit : J'ai l'honneur ,
répondit- il , d'étre François. L'auteur de
cette nouvelle hiſtoire paroît être ſaiſi du
même enthouſiaſme. Il eſt , en effet, bien
difficile de s'en défendre lorſqu'on eft
François & que l'on décrit les vertus de
ſes ancètres. Cet hiſtorien , dans la vue de
rendre ſon ouvrage plus intéreſſant , n'a
pas négligé de rapporter ces petits faits
qui font d'autant plus d'honneur à l'humanité
qu'ils font ordinairement ignorés.
C'eſt ainſi qu'après avoir décrit la bataille
de Pavie , où François I s'acquit tant de
gloire , il nous peint la générosité de deux
rivaux en gloire & en amour. Lors de
>>cette campagne de Pavie en 1515 ,l'in
>>fatigable Pontdormi veilloit à la fu-
>> reté des frontieres de France; il triom-
>>phoit preſque ſeul , tandis que l'armée
>> françoiſe ſe laiſſoit vaincre en Italie.
» Il défit près de Caffel un gros de cava.
» lerie qui devoit écrafer ſa petite trou-
» pe. Dans ce combat le ſeigneur de Li-
>> ques , lieutenant du duc d'Arſcot , fur
>>fait prisonnier par d'Eſtrées , guidonde
Eiij
104 MERCURE DE FRANCE.
-
la plupart de ceux de l'Europe. On voit
par ces lettres que M. de Mairan avoit eu
touchant cette derniere nation , une idée
tout à fait ſemblable à celle de M. de
Guignes; ſavoir , que la plupart des lois
&des uſages , le genre d'écriture, les arts
&les ſciences des Chinois étoient dus à
une colonie d'Egypte qui arriva chez eux,
felon fon calcul , quinze ou feize cens ans
avant l'Ere Chrétienne . M. de Mairan
apperçoit chez l'une & chez l'autre nation
une écriture purement hiéroglyphique ,
en ce qu'elle eſt deſtinée à rappeler l'idée
des chofes , & nullement celle des fons
&du ſigne verbal dont on ſe ſert dans
l'uſage ordinaire ,&dans tout le reſte du
monde pour les indiquer. Une telle conformité
entre les Chinois & les Egyptiens
eſt d'autant plus digne de remarque
qu'il n'y a pas d'autre peuple fur la terre
qui leur reſſemble en ce point , fi ce n'eft
peut- être ceux qui ont pris viſiblement
leur écriture , & toutes leurs ſciences de
la Chine , tels que les Japonois , les Coréens
, les Tonquinois & autres. Une couzume
nouvelle étoit un prodige en Egypte
, ainſi qu'on l'apprend dans Diodore
de Sicile & dans le Timée de Platon ; &
il n'y a jamais eu de peuple qui ait con
AVRIL. 1771. 1ος
ſervé ſi long- tems ſes lois &ſes uſages, fi
ce n'eſt les Chinois , dont le vrai caractère
distinctif , & peut être le plus grand mérite&
la fource de toute leur grandeur
n'eſt que cet attachement aux anciennes
coutumes&aux lois du pays. Le reſpect
extrême pour les pères , pour les Rois &
pour les vieillards , qui ſe perpétue envers
leurs corps inanimés , ſe trouve encore
également recommandé & pratiqué
chez l'une & chez l'autre nation. L'amour
des ſciences , & fur- tout de l'aſtronomie,
fans en excepter l'aſtrologie , quoique
fous d'autres faces , où brille-t- il davantage,
dans l'antiquité la plus reculée,qu'en
Egypte ? L'Egypte a été accuſée de n'être
pas guerriere ; elle a pourtant donné naiffance
à quelques guerriers : on en dit autantde
la Chine. Et en effet , la rigoureuſe
obſervation des lois & des anciens
uſages , l'amour de l'ordre & la culture
des ſciences&des arts, ne fauroient guère
fe foutenir qu'avec la paix. Les Egypriens
, felon Diodore de Sicile , croyoient
àlamétempſycoſe : c'eſt là que Pythagore
l'avoit puiſée . La même croyance eſt
auſſi répandue dans pluſieurs endroits de
Ia Chine. Il y avoit en Egypte une fère
très-folemnelle , nommée des lampes ou
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
des lumières , qui , comme nous l'apprend
Hérodote , ſe célébroit à Saïs . Ceux qui
ne s'y trouvoient pas étoient obligés,dans
toute l'étendue de l'Egypte , de tenir des
lampes allumées aux fenêtres de leurs
maiſons. N'eſt ce point là la fête des lanternes
de la Chine ? il eſt vrai que le P.
Lecomte donne à cette fêre , d'après quelques
Docteurs Chinois , une origine plus
galante & tout à fait romaneſque : mais
qui ne voit que tout cela doit s'être refondudans
les têtes Chinoiſes , &que les
petites différences qui en réſultent ne ſauroient
, ajoute le ſavant académicien , infirmer
ma conjecture ? Quelques figures
antiques de l'Egypte ont auſſi rappelé à
M. de Mairan les phyſionomies Chinoiſes
, ces yeux fendus & un peu convergensdu
haut enbas vers le nez .
L'Académicien de Paris avoitdemandé
au P. Parrenin ſi on voyoit à la Chine des
aurores boréales , & croit en trouver dans
les phénomènes dont les lettres édifiantes
&curieuses font mention ; dans ces grandes
croix lumineuſes que l'on vit auCiel
pendant la nuit en diverſes provinces de
la Chine , dans ces traînées de feu ou ces
couronnes étoilées qui les environnoient.
« On vit auſſi , ajoute M. de Mairan , des
AVRIL. 1771, 107.
-
>>croix ici à l'apparition,du phénomène
» de 1726 , quoique de toutes les figures
» que j'y apperçus , ce fut celle qui s'y
>> trouvoit le moins. Dans quelques vil-
>>lages autour de Breuillepont où je l'ob-
>>ſervois , c'étoit la croix de la paroiſſe ,
» & à Fontainebleau où étoit la cour , &
» où il s'agiſſoit d'une promotion de cor-
>> dons bleus , c'étoit la croix du St Eſprir.
>> Il y a deux cens ans qu'on ne manquoit
>>jamais d'y voir des armées qui s'y li-
>> vroient un ſanglant combat , & même
>>d'y entendre le bruit des armes & le fon
>> des trompettes; de forte que nous n'a-
>>vons rien à reprocher de ce côté là aux
>>Chinois , ni , comme je le conjecture ,
» à vos Néophites. "
Ceslettres contiennent d'autres remarques
relatives aux Chinois ; elles font
ſuivies de pluſieurs opufcules qui ne ſe
trouvent que dans les ſuites nombreuſes
des volumes de l'académie royale des
ſciences , de celle des inſcriptions&belles
lettres , &du journal des Savans , d'où
ils ont été tranſcrits. Parmi ces opufcules
on verra des explications de mythologie,
d'inſcriptions , de médailles , &c. relatives
au traité phyſique & hiſtorique du
même auteur. M. de Mairan , dans ſes
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
remarques fur la balance des peintres de
M. de Pile , & que l'on trouve auffi inférées
dans ce volume , emploie le calcul.
Mais le ſavant académicien ne confidère
toutes les applications de calcul aux
choſes morales ou de goût que comme
autant d'eſſais, de juſteſſe & de préciſion,
propres à nous guider dans nos conjectures
&dans nos jugemens , à l'exemple des
géometres.
Le même libraire chez lequel fe diſtribue
la nouvelle édition de ces lettres au
P. Parrenin , s'eſt rendu ſeul propriétaire
de la Collection académique , &c. compofée
des mémoires de toutes les académies
de l'Europe , des traités particuliers des
meilleurs auteurs ,&des piéces fugitives
les plus rares contenues dans les ouvrages
périodiques ou ailleurs. Cette collection
académique , actuellement en 13 vol. in.
4°. eſt diviſée en deux parties , l'une
françoise qui renferme l'extrait des mémoires
de l'académie des ſciences de Paris
&des autres académies des ſciences
établies en France , l'autre étrangere, qui
comprend l'extrait des mémoiresdes académies
étrangeres. Le Sr Panckoucke n'a
fait l'acquifition de cette importante collection
que dans la vue de propoſer cet
1
AVRIL. 1771. 109
ouvrage à une diminution très- confidéra.
ble , afin d'en faciliter l'achat aux gens de
lettres , d'affurer le debit des nouveaux
volumes qu'il ſe propoſe de publier &de
conduire plus promptement la collection
à ſa fin . Voici les conditions de la diminution
actuelle.
Les dix premiers volumes de cet ou
vrage qui compoſent le fond de l'acquifition
du Sr Panckoucke feront du prix de
So livres au lieu de 120.
Ceux qui ont négligé de ſe completter
pourront profiter de cette diminution qui
aura lieu juſqu'au mois d'Août 1771 .
Les volumes féparés feront du prix de
3 liv. au lieu de 12 .
Les trois nouveaux volumes formant
les tomes XI , XII & XIII. de l'ouvrage
qu'on publie aujourd'hui ; ſavoir , un de
la partie françoiſe , &deux de la partie
étrangere reſteront à l'ancien prix ; favoir
, 12 liv. chaque volume.
Le libraire , dans la vue de rendre l'ac
quiſition des dix premiers volumes encore
plus facile , propoſe de les livrer en
une ou pluſieurs fois au choix des acqué
reurs.
On aauſſi mis en vente , à l'hôtel de
Thou , les mémoires de l'académie des
ſciences , 1767 ; in-4°. prix , 12 liv.
FIO MERCURE DE FRANCE .
Les tables de toutes les chartres du
royaume , in fol. imp. royale ; prix , 211.
Lesnotices des chartres & diplômes ,
in-fol. prix , 21 liv. Ces deux volumes
fervent de ſuite à la collection des ordon.
nances.
Oraiſon funèbre de Très - Haut , Très-Puif-
Sant Seigneur Jean Baptistede Durfort,
Duc de Duras , Pair & Maréchal de
France, &c. prononcéedansl'égliſedes
Cordeliers de Besançon; par M. Talbert
, chanoine de l'égliſe métropolitaine
, membre, de l'académie de la
même ville , prédicateur du Roi.
« Il appartient à une nation vertueuſe
„ d'élever des monumens aux vertus. Il
» appartient àdes hommes voués au pa-
» triotiſme , de célébrer ceux qui ont
» défendu la patrie. Leurs éloges font
» l'hommage de la reconnoiſſance & l'a-
» liment de l'émulation . L'intérêt de la
ſociété demande qu'on les honore , &
» la Religion l'autoriſe. Rien de ce qui
» eſt avantageux à celle- là , n'eſt étranger
ود à celle- ci ; &l'on peut dire que l'éloge
» des hommes utiles eſt un acte de reli-
» gion. »
AVRIL. 1771. III
10
5,
Il y a dans ce début de la nobleſſe &
de la vérité.
La premiere partie préſente M. deDaras
dans la carriere des armes , & montre
i de quelle maniere il y a foutenu la gloire
de ſa maiſon. Le tableau de ſa vie privée,
les vertus de l'homme & du citoyen forment
l'objet de la ſeconde.
C'eſt dans la maiſon des Comtes de
Foix que l'orateur cherche le berceau de
celle de Durfort. Elle a eu la gloire de
s'allier à celle de Bouillon. Unde Lorges,
neveu de Turenne , ſervoit en qualité de
lieutenant-général fous ce grand homme ,
lorſque la France eut le malheur de le
perdre. Quel eſt ce déſaſtre ſubit ? s'é-
>> crie ici M. l'Abbé Talbert ; quel eſt ce
>> deuil univerſel ? Nos bataillons font-
>> ils anéantis ? Un malheur plus grand
» encore eft arrivé à la France : Turenne
>>eſt foudroyé. La victoire prête à nous
>>couronner jette un cri de terreur &
>> s'envole. Un ſeul homme n'eſt plus &
>> tout a changé de face. L'ennemi tou-
» choît àſa défaite , & ce ſera un grand
>> ſuccès de lui échapper. Un feul coup a
> briſé tous les coeurs François , celui mê-
> med'un Monarque inébranlable . Louis,
>>qui paroît grand même en verfant des
>> larmes , répond par ſes ſoupirs aux gé112
MERCURE DE FRANCE.
>> miſſemens de la France &de l'armée.
>> Mais ſi tout gémit , quelle eſt la douleur
>>de de Lorges , &c. »
&
M. de Duras eut pour les armes le
même goût que les héros de ſa race ,
de bonne heure il ſacrifia tout à cette paffion
; la peinture qu'en fait M. l'Abbé T.
eſt d'autant plus intéreſſante , qu'il a ſçu
en faire un tableau national. " Et de quoi
>> le François n'eſt- il point capable, lorf-
>> que l'émulation allume fes feux dans
> fon ame ? Que de qualités incompati-
>>bles ſe réuniſſent en lui , fi les circonf-
>> tances l'exigent ? L'humanité & le goût
>> des armes dominent dans ſon caractère .
>> Il eſt enjoué & fublime , léger & capa-
>> ble d'efforts , porté au luxe , à la mol-
>> leffe , & fouffrant fans peine les priva-
>> tions & les fatigues , jouiſſant avec fu-
>> reur de tout ce qui peut attacher à la vie
>> au moment même où il va la mépriſer,
>> ardent à s'occuper de petits objets &
> propre à s'élever aux plus grands , paf-
>> ſionnédans fes vices , enthouſiaſte dans
>> fes vertus , plein d'amenité dans ſes
» moeurs & de fierté dans ſes ſentimens,
>> poſſédant l'art d'allier l'homme aima-
>> ble & l'homme utile , idolâtre des plai-
>> fits mais toujours prêt à les facrifier à
AVRIL. 1771. 113
» l'honneur , & ſe croyant payé de fon
>> fang par la gloire de le répandre. »
:
Jamais peut-être on ne vit mieux qu'au
fiége de Philiſbourg , de quoi le foldat
>> François eſt capable. " Un grand nom- .
>> bre d'entre vous , dit M. l'Abbé Talbert
en s'adreſſant à l'aſſemblée , qui étoit
compoſée d'une multitude d'officiers à la
rête deſquels étoit M. le Maréchal Duc
de Lorges , «un grand nombre d'entre
>> vous ſe le rappellent ce fiége fameux ,
>> où l'attaque & la défenſe ſervirent mu-
» tuellement àse faire admirer. Là , vous
>>le favez , il fallut oppoſer le courage au
>> courage , l'habileté à l'habileté, la pa-
>> tience à l'opiniâtreté & aux obſtacles.
>> Il fallut combattre des ennemis plus
>> redoutables que les Impériaux. Les élé-
>> mens foulevés prennent leur défenſe ;
>> le Rhin débordé veut devenir le tom-
» beau de ceux à qui il n'a pu ſervir de
>>barriere ; le camp inondé , les tranchées
>> remplies , les torrens du fleuve joints à
>> ceux des orages.... Quelle épreuve
>> pour la vivacité du François qui préfé-
>> reroit dix combats à dix jours de len-
>> teur ! La patience eſt l'eſpèce de cou-
>> rage qui lui coûte le plus ; mais l'exem-
>>ple des chefs lui rend tout ſupportable.
>>Que ne puis-je vous repréſenter M. de
:
114 MERCURE DE FRANCE.
» Duras partageant les incommodités du
>> fiége comme les périls , préſidant aux
>> travaux comme aux attaques , donnant
> à propos des eſpérances &des éloges ?
» &c. »
La ſeconde partie ouvre par ces réflexions
qui honorent autant l'ame que le
génie de l'orateur : « Il eſt un laurier plus
>> intéreſſant &plus flatteur que tous ceux
>> de la victoire , parce qu'on ne le parta-
- ge ni avec le général ni avec le foldar ;
>> c'eſt celui qui couronne la ſageſſe. L'hu-
>> manité n'a pour le vainqueur qu'une
>> admiration mêlée d'effroi ; ſi elle lui
>> donne des éloges , elles les interrompt
>> par des foupirs; mais,à la vue d'un ſage,
>> fon front ſe deride & la ſérénité s'y dé-
>>ploie. L'exercice des qualités militai-
>> res n'eſt attaché qu'à des circonstances
> paſſagères; mais le règne des vertus eſt
>> de toutes les circonstances , de tous les
>> états , de tous les momens... Oui , la
>>ſociété a plus beſoin de trouver dans
>> ſes chefs de grandes vertus que de gran-
>> des lumieres. Lorſqu'ils manquent de
>>talens , ils peuvent employer ceux des
>> autres ; mais s'ils manquent de vertus ,
> ils n'emploieront pas celles d'autrui.
L'orateur peint très heureuſement la
franchiſe de M. le Maréchal de Duras&
AVRIL. 1771. τις
cette façon de s'exprimer qui lui étoit
propre. On le diftinguoit fur-tout à cet-
>> te noble franchiſe , par laquelle il s'a-
>> vouoit & s'annonçoit notre concitoyen.
>>>Oui le Comtois est né vrai , comme il
>> eít né brave ; il eſt naïf parce qu'il a le
>> coeur droit & que la franchiſe n'eſt au-
>> tre choſe que l'expreſſion & l'effuſion
→→→de la droiture de l'ame. Trop élevé ,
>> trop fier pour être diſſimulé , s'il penfe
>> hautement c'eſt qu'il n'a point à rougir
>> de ſes penſées ; s'il eſt énergique dans
>> la liberté de ſes diſcours , c'eſt qu'il fert
>> avec force ... Malheur à qui blâmera
>> cette franchiſe. M. de Duras en fit l'é-
>> loge toute ſa vie , en la conſervant. Il
>> la regardoit comme le langage des hé-
>> ros , & il ne crut pas fe dégrader en
>> parlant comme Cliffon & Dugueſclin.
>>Ne croyez pas que ce fut en lui humeur,
>> férocité ou miſanthropie ; c'étoit le ton
>> de la nature &de la vérité , c'étoit cette
>> candeur qui tient à la ſimplicité des
» moeurs & à la nobleſſe de l'ame ... A
>> l'armée , elle enchantoit le ſoldat qui
>>aime la vérité , & qui achete au prixde
> ſon ſang le droit de la dire. Elle plûtà
>> la cour où elle eut le mérite de la nou-
>> veauté , & où elle fut remarquée com-
>> me on admire les productions dequel126
MERCURE DE FRANCE.
>> ques-uns de ces arts anciens dont on a
>perdu le ſecret. Dans la ſociété elle ré-
>> pandoit la familiarité , la ſûreté & la
>> confiance. Que l'homme vrai eſt prés
>> cieux dans le commerce de ſes ſembla.
> bles ! Avec lui on peut regler ſes juge-
>> mens , ſes ſentimens , ſes démarches ;
>> ſon amitié n'eſt point équivoque & fa
>> haine n'eſt point perfide , &c. »
Cette oraiſon funèbre eſt imprimée à
Beſançon & s'y vend chez Fanter. Peutêtre
en trouvera-t- on des exemplaires chez
Lottin le jeune , libraire , rue St Jacques,
qui diſtribue l'éloge hiſtorique du Ch.
Bayard fait par le même auteur. Si l'en
peur reprocher quelque défaut à M. l'Abbé
T. c'eſt celui dont Pline accuſoit un
orateur de fon tems : In hoc peccat , quod
nonpeccat.
Traité élémentaire d'hydrodynamique , ou
vrage dans lequel la théorie & l'expérience
s'éclairent ou ſe ſuppléent mutuellement,
avecdes notes ſur plufieuis
endroits qui ont paru mériter d'être
approfondis ; par M. l'Abbé Boffut ,
de l'académie royale des ſciences , & c.
2 vol. in - 8°. A Paris , chez Jombert,
libraire , rue Dauphine.
AVRIL. 1771. 117
Les ſeuls Géometres font juges d'un
ouvragede géométrie. Pour donner à nos
lecteurs une idée de celui-ci , nous tranfcrirons
une partie du diſcours préliminaire
qui nous a paru ſagement écrit ,
qui expoſe le plan &les vues de l'auteur,
&contient une excellente hiſtoire de
l'hydraulique.
«Lesconnoiſſances des anciens dans la
>>théorie de la méchanique des corps ſo-
>> lides ou fluides n'étoient pas auſſi bor-
>>>nées qu'on le croitordinairement.Archi-
>> mede,qui vivoit 250 ansavantJ.C.trou-
>>va la propriété du centre de gravité , &
>>la loi fondamentale de l'équilibre du
>> levier ; ce qui compoſe tout le fonds de
» la ſtatique élémentaire. » On lui doit
encore les principes généraux de l'hydroftatique.
Dans fon livre de humido infidentibus
, il établit qu'un point quelconque
d'une maſſe fluide en équilibre eſt
également preſſé en toutes fortes de ſens ;
&il examine en conféquence les conditions
qui doivent avoir lieu pour qu'un
corps ſolide flottant ſur un fluide prenne
&conſerve la ſituation d'équilibre. Ilapplique
à des exemples compliqués pour
la géométrie de ce tems- là, cette theorie
générale qu'on doit regarder comme un
précieux monumentde ſongénie.
T
118 MERCURE DE FRANCE .
Environ cent trente ans après lui, deux
mathématiciens d'Alexandrie , Créſitius
&Héron, inventerent pluſieurs machines
hydrauliques très ingénieuſes , parmi lefquelles
il faut compter la fontaine de
compreffion& le ſiphon recourbé qui fert
à vider facilement la liqueur d'un tonneau.
Sans connoître distinctement le
reffort &le poids de l'air, ils employerent
ces deux agens avec ſuccès; mais ils n'ajouterent
rien dans le fonds aux découvertes
hydroſtatiques d'Archimède . La
ſcience du mouvement des fluides étoit
toujours à naître . Sextus Julius Frontinus,
plus connu ſous le nom de Frontin , paroît
être le premier qui en ait donné quelques
idées. Inſpecteur des fontaines pu-
• bliques à Rome ſous les Empereurs Nerva
&Trajan , il a laiſſé à ce ſujet un ouvrage
intitulé de aquæ ductibus urbis Roma commentarius
. Il y confidère le mouvement
des eaux qui coulent dans des canaux ou
qui s'échappent par des ouvertures des
vafes où elles ſont contenues. Il décrit
d'abord les aqueducs de Rome , cite les
noms de ceux qui les ont fait conſtruire ,
&les époques de leurs conſtructions. Enfuire
il fixe & compare enſemble les mefures
ou modules dont on ſe ſervoit alors
à Rome pour déterminer les dépenſes des
AVRILL. 1771. 119
ajutages. De- là il paſſe aux moyens de
diſtribuer les eaux d'un aqueduc ou d'une
fontaine . Il fait des obſervations vraies
ſur différens objets ; par exemple , il a vu
que le produit d'un ajutage ne doit pas
feulement s'évaluer par la grandeurde cet
ajurage , & qu'il faut encore tenir compte
de la hauteur du réſervoir , conſidération
très - fimple & cependant négligée par
quelques fontainiers modernes. Ila fenti
pareillement qu'un tuyau deſtiné à dériver
en partie l'eau d'un aqueduc doit
avoir , felon les circonstances , une pofition
plus ou moins oblique par rapport au
cours du fluide , &c. Mais on ne trouve
d'ailleurs aucune préciſion géométrique
dans ſes réfulrats. Il n'a point connu la
vraie loi des viteſſes , relativement aux
hauteurs des réſervoirs.
Les lettres & les arts étoient déjà dans
ladécadence au tems de Frontin; &bientôt
l'Europe fut plongée dans la plus affreuſe
barbarie . Cette nuit profonde dura
près de 1300 ans. La poëfie & l'éloquence
y jetterent par intervalles quelques
éclairs trop foibles pour en diſſiper l'obfcurité.
L'eſprit humain ne fortit de cet
engourdiffement qu'au fiècle des Médicis.
On vit alors la foule des arts agréables
, encouragés & protégés par de fim
120 MERCURE DE FRANCE.
ples particuliers renaître en Italie , &y
briller avec le même éclat qu'ils avoient
eu autrefois dans les beaux jours de la
Gréce& de Rome. Peu- à- peu ils pénétrerent
chez les peuples voiſins. La philofophie
eut une marche plus tardive. Je
parle fur-tout de cette branche qui , à l'aide
du calcul &de la géométrie , ſe propoſe
d'expliquer avec certitude & avec
évidence les phénomenes de la nature.
Ennemie des ornemens , cherchant le
vrai dans toute ſa ſimplicité , elle avoit
peu d'attraits pour des eſprits trop ſenſibles
peut être aux charmes de la poësie ,&
accoutumés à ne cueillir , pour ainſi dire,
que les fleurs de l'imagination . L'Italie
en fut encore le berceau. Galilée , qui flo
riſſoit il y a 160 ans , mérita d'en être appelé
le père parmi les modernes. Il dut
également ce titre à ſes découvertes aſtronomiques
& à ſa théorie de l'accélération
des graves. Il ne trouva pas les lois du
mouvement des fluides ; mais il falicita
cette recherche aux philoſophes qui le
fuivirent.
Caſtelli , plein de ſa doctrine & l'un de
ſespremiers difciples , publia en 1628 un
petit traité où il explique très bien quelques
phénomenes du mouvement des
eaux courantes. Mais il ſe trompe dans la
meſure
AVRIL. 1771. 121
meſure des viteſſes qu'il fait proportionnelles
aux hauteurs des réſervoirs .
Torricelli , autre difciple de Galilée ,
conſidérant que l'eau d'un jet qui fort par
un petit ajutage s'élance verticalement
preſque à la hauteur du réſervoir , penſa
qu'elle devoit avoir la même viteſſe que
ſi elle étoit tombée par ſa gravité de cette
hauteur. D'où il conclut , conformément
à la théorie de ſon maître , qu'abſtraction
faite de la réſiſtance des obſtacles , les
viteſſes des écoulemens ſuivoient la raiſon
fousdoublée des preſſions. Cette idée
fut confirmée par des expériences que
Raphaël Magiotti fit dans ce tems- là fur
les produits de différents ajutages ſous
différentes charges d'eau. Torricelli publia
ſa découverte en 1643 , à la fuite
d'un petit traité intitulé , De motu gravium
naturaliter accelerato. Elle fit de
J'hydraulique une ſcience toute nouvelle.
Néanmoins elle n'a lieu en rigueur que
pour les fluides qui s'écoulent ordinairement
, par de petits orifices. Lorſque l'orifice
eſt fort grand , le mouvement du
fluide ſuit une autre loi beaucoup plus
compofée.
Parmi la foule d'écrivains en ce genre
qui fuccédèrent à Torricelli&qui mirent
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
ſon théorême en uſage , M. Mariotte mérite
d'être cité avec diſtinction . Né avec
un talent rare pour imaginer & exécuter
les expériences , ayant eu l'occaſion d'en
faire un grand nombre ſur le mouvement
des eaux à Verſailles , à Chantilli , & dans
pluſieurs autres endroits , il compola fur
cette matiere un traité qui ne fut imprimé
qu'après ſa mort , arrivée en 1686. 11
s'y eſt trompé en quelques endroits ; il
n'a fait qu'effleurer pluſieurs queſtions ;
il n'a pas connu le déchet occaſionné dans
le produit d'un ajutage par la contraction
àlaquelle la veine fluide eſt ſujette , lorfque
cet ajutage eſt percé dans un mince
paroi . Malgré ſes défauts , ſon ouvage a
été fort utile & il a beaucoup ſervi aux
progrès de l'hydraulique pratique. En
1687 , Newton publia ſes Principes mathématiques
, & y traita, entr'autres objets,
le problême du mouvement des fluides
parune méthode nouvelle. Pour nous en
faire quelque idée , repréſentons - nous ,
avec l'auteur , un vaſe cylindrique vertical
, percé à ſon fond d'une ouverture par
laquelle l'eau s'échappe ; concevons que
ce vaſe reçoit par en haut autant d'eau
qu'il en dépenſe , & que par conféquent
il demeure toujours plein à la même hau
AVRIL. 1771 . 123
teur. Cela poſé, Newton partage la maſſe
entiere de l'eau en deux parties. L'une a
la figure d'un ſolide produit par la révolution
d'une hyperbole du cinquieme degré
autour de la droite verticale qui paffe
par le centre du trou , & ce ſolide a pour
deux de ſes élémens le trou même & la
furface ſupérieure du fluide : l'autre partie
eſt le reſte de l'eau contenue dans le
cylindre. L'auteur imagine enfuite que
les trancheshorisontales del'hiperboloïde
ſont ſeules en mouvement, &que le reſte
dela maſſe demeure en repos. Il y a donc
ainſi au milieu du fluide une eſpèce de
cataracte qui ſe renouvelle ſans ceſſe
tandis que l'eaulatérale reſte en repos. En
comparant le réſultat de cette théorie avec
la quantité de mouvement déterminée
par l'expérience , Newton conclud que la
vitefle , au fortir de l'orifice , n'étoit due
qu'à la moitié de la hauteur de l'eau dans.
le réſervoir. Mais il ſentit lui-même dans
la ſuite que cette conféquence ne pouvoit
pas ſe concilier avec la hauteur à laquelle
les jets d'eau s'élevent naturellement.
Il n'avoit pas vû d'abord l'effet de
la contraction ; il le vit dans ſa ſeconde
édition qui parut en 1714. Sans abandonner
le fonds de ſa théorie , il egarda la
9.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
fection de la veine contractée comme le
vrai orifice par lequel l'écoulement doit
être cenſé ſe faire ,& la viteſſe en cet endroit
comme dûe à la hauteur correſpondante
de l'eau dans le réſervoir; par ce
moyen la théorie devint plus conforme à
l'expérience. Mais elle ne parut pas pour
cela établie aſſez ſolidement. Elle porte
en effet ſur des principes arbitraires &
nullement démontrés . La formation de
la cataracte eſt contraire aux lois de l'hydroſtatique
& à l'expérience qui concourent
à faire voir que lorſqu'un vaſedonne
de l'eau par une ouverture , toutes les
particules ſe dirigent vers cette cuverture.
Dans cette hiſtoire abrégée des inventeurs
, je ne compte pas ici M. Varignon ,
qui n'adéterminé que d'une maniere trèsimparfaite
la vitelle des écoulemens , ni
M. Guillelmini qui , dans ſa mesure des
eaux courantes , & dans ſon traitéfur la
nature desfleuves , excellent quant à la partie
phyſique & pratique , n'a employé
d'autre méthode que celle de Torricelli .
Je n'ai pas parlé non plus du traité de l'équilibre
des liqueurs , par M. Paſcal , parceque
cet ouvrage , parfait dans ſon efpèce,
ne contient au fond que des preuves
AVRIL. 1771 . 125
expérimentales de la preſſion égale des
Auides en toutes fortes de ſens.
Tel étoit à-peu- près l'état de l'hydrau
lique , lorſque le célèbre Daniel Bernoulli
, après avoir donné fur ce ſujet
quelques effſais imprimés parmi les mémoires
de l'Académie de Pétersbourg ,
mitaujour ſonhydrodynamique en 1738 .
Comme on ne connoît ni le nombre ni
la figure des molécules fluides , & qu'il
n'eſt par conféquent pas poſſible de déterminer
rigoureuſement le mouvement de
chacune d'elles en particulier , M. Bernoulli
partage le fluide par maſſes qui ſe
meuvent ſuivant la même loi. Il faitdeux
ſuppoſitions qui lui paroiſſent conformes
à l'expérience , & propres à fonder ane
théorie générale , & fuffifaminent exacte
du mouvement des fluides ; la premiere,
quelaſurfaced'un fluide contenu dans un
vaſequi ſe vuide par une ouverture , demeure
toujours horisontale; la ſeconde ,
qu'enimaginant toute la maffe fluide partagée
en une infinité de tranches horiſontales
de même volume , ces tranches demeurent
contigues les unes aux autres , &
que tous leurs points s'abaiſſent verticalement
avec des viteſſes qui ſuivent la
raiſon inverſe de leurs largeurs ou des
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fections horisontales du réſervoir. Enfuite
pour déterminer le mouvement
d'une tranche quelconque , il emploie le
principe de la conſervation des forces vi
ves , ce qui eſt permis ; car les tranches
fluides agiſſent les unes fur les autres ſans
ſe choquer & par degrés inſenſibles , àpeu
- près comme des corps ſolides formant
un même ſyſteme &agiſſant les uns
fur les autres par des fils ou des léviers ,
ſe partagent une quantité déterminée de
mouvement. Or, on fait , quoiqu'on n'en
ait pas cependant la démonstration générale
, que le principe en queſtion a lieu
dans ces fortes de cas. M. Bernoulli parvient
ainſi à des ſolutions très - élégantes
par la marche du calcul & par la fimplicité
des réſultats. Il applique les théorêmes
généraux à des exemples choiſis ;
par- tout une profonde ſcience de l'analyſe
; une phyſique fûre puiſée dans la
nature des chofes , employant le calcul
au beſoin & jamais pour la pompe ; en
un mot cet ouvrage eſt une des plusbelles&
des plus ſages productions du génie
mathématique .
M. Maclaurin & M. Jean Bernoulli
trouvant que le principe de la confervation
des forces vives n'étoit pas aſſez di
AVRIL. 1771. 127
rect pour ſervir de baſe à la théorie du
mouvement des fluides , réfolurent le
problème par d'autres méthodes qu'ils
crurent dériver plus naturellement des
premieres lois de la méchanique. Ils parvinrent
d'ailleurs au même réſultat que
M. Daniel Bernoulli . Peut- être même
leurs méthodes ſont- elles ſujetes à des
difficultés affez graves ; mais cette difcuffion
nous meneroit trop loin. Les recherches
de M. Maclaurin fur ce ſujet
parurent en 1741 , dans ſon traité des
Huxions, & l'hydraulique de M. Jean Bernoulli
parut en 1743 dans un recueil de
fes ouvrages.
Il étoit réſervé à M. d'Alembert de
porter dans la théorie de l'hydrodynami
que la înême lumière dont il avoit éclairé
la méchanique des corps ſolides . Le
principegénéral qu'il venoit de découvrir
pour trouver le mouvement des corps fo.
lides qui agiſſent les uns fur les autres ,
lui ſervit auſſi en 1744 dans ſon traité
des fluides . L'auteur fait les mêmes ſuppoſitions
que M. Daniel Bernoulli . A
cela près , il établit ſon calcul tout autrement.
Il confidère à chaque inſtant le
mouvement actuel d'une tranche , compoſé
du mouvement qu'elle avoit dans
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
l'inſtant précédent & du mouvement
qu'elle a perdu. Les lois de l'équilibre
entre les mouvemens perdus lui donnent
les équations qui repréſentent le mouvement
du fluide. M. d'Alembert réſoud
par- là avec facilité non - feulement les
problêmes des auteurs qui l'ont précédé ,
mais il en donne un grand nombre d'autres
qui font entierement nouveaux &
très-difficiles. Son ouvrage eſt donc original
, à pluſieurs égards, par
le fonds des
choſes mêmes;iill'eſtdu moinsd'unbout
à l'autre par la méthode que l'auteur a
employée , méthode qui fera à jamais
époque dans la ſcience du mouvement ,
dont elle réduit toutes les lois à celles de
l'équilibre .
Quoique l'hydrodynamique eut ainſi
acquis un haut degré de perfection , elle
étoit néanmoins aſtreinte à l'hypothèſe
que les tranches du fluide conſervent leur
parallélifme , ou que tous les points d'une
même tranche ſe meuvent ſuivant une
ſeule & même direction . Il étoit à deſirer
qu'on pût exprimer par des équations
lemouvement d'un point du fluide dans
un ſens quelconque. M. d'Alembert
trouva ces équations d'après ces deux
principes ; qu'un canal rectangulaire pris
AVRIL. 1771 . 129
dans une maſſe Auide en équilibre eft luimême
en équilibre , & qu'une portion
du fluide,en paſſant d'un endroit à l'autre
, conſerve le même volume lorſque
le fluide eſt incompreſſible; ou ſe dilate
ſuivant une loi donnée lorſque le fluide
eſt élastique. Il publia cette méthode trèsprofonde
& très- ingénieuſe dans ſon Effaifur
la réſiſtance desfluides , imprimé
en 1752. Il l'a encore perfectionnée depuis
dans ſes opufcules mathématiques .
Elle a été adoptée , à peu de choſe près ,
par M. Euler. Ces deux illuſtres géomètres
ſemblent avoir épuiſé toutes les refſources
qu'on peut tirerde l'analyſe pour
déterminer le mouvement des fluides.
Malheureuſement leurs formules ſont ſi
compoſées par la nature des choſes , qu'on
ne peur les regarder que comme des vérités
géométriques très - précieuſes en
elles-mêmes , &non comme des ſymboles
propres à peindre l'image ſenſible du
mouvement actuel & phyſique d'un
fluide.
(Le refte au Mercure prochain.)
Pensées de Milord Bolingbroke , fur différens
ſujets d'hiſtoire, de philofophie ,
de morale , &c. vol. in-12. A Amf-
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
terdam ; & ſe trouve à Paris , chez
Prault fils , quai des Auguſtins, à l'Immortalité.
Milord Bolingbroke , ſecrétaire d'état
fous la Reine Anne , joua un grand rôle
dans les dernieres années du regne de
cette Princeſſe. Après la mortde laReine,
Bolingbroke fut diſgracié de la cour , &
chercha à ſe faire un grand nom parmi
les écrivains de ſa patrie ; c'étoit la ſeule
reſſource qu'il eut pour ſe venger de fes
ennemis & adoucir l'ennui de ſa retraite ..
Mais on n'apperçoit que trop ſouvent
dans ſes écrits la paſſion ou l'envie de ſe
diftinguer par des paradoxes , des penſées
hardies , des ſentimens républicains. Ses
partiſans , ſes lecteurs même étrangers
aux querelles qui lui avoient été fufcirées
, mais échauffés par une forte d'enthouſiaſme
qui regne dans ſes écrits polémiques,
n'ont point balancé à le regarder
comme un des plus grands écrivains de
l'Angleterre. Aujourd'hui que le charme
eſt diſſipé , on peut appliquer à Bolingbroke
ce qu'il diſoit lui - même du chevalier
Walpole ſon ennemi , que c'étoit
un eſprit du ſecond ordre , au - deſſus du
vulgaire& au-deſſous du génie.
Dans l'avertiſſement de l'ouvrage que
AVRIL. 1771. 131
nous annonçons , l'éditeur met Bolingbroke
au rang des plus beaux génies que
l'Angleterre ait produits ; mais on ne l'en
croira pas volontiers ſur ſa parole , on le
croira encore moins lorſqu'on aura lu les
penſées qu'il a extraites des écrits de fon
auteur , parce que ces pensées ou fragmens
ne préſentent rien de bien neuf,&
que la plupart ſont exprimées dans un
ftyle obfcur & embarraffé. Il fuffit , pour
en citer des exemples , de copier la premiere
page qui ſe préſente .
" Lorſqu'un Prince paſſe la nuit entiere
>> à jouer , il fe condamne lui- même &
>> ſon état à un malheur inévitable. Le
>> foleil baiſſe auſſi - tôt qu'il eſt entré
>> dansle ſigne de la Balance , parce qu'il
>> fort de celui de la Vierge , & qu'il a
>> ſéjourné dans la maiſon des jeux & de
>> ladanſe.
€ « Dieu reſſerre les hommes quand il
>>>les renferme dans la connoiſſance d'eux-
» même , & il les élargit lorſque du fond
→de cette connoiffance il les élève jul-
» qu'à celle de la divinité.
>>>Tues , ô homme ! le miroir des deux
>> mondes : il faut que tu t'y confidères
>> attentivement , afin qu'au travers de ce
» qui paroît , tu découvres ce qui eft ca-
» ché.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
>>Quand l'amour & la haine combat-
>> tent enſemble dans un coeur , malheur
>> au verre qui choque la pierre , c'est-à-
>>dire que la haine l'emporte toujours fur
» l'amour. » Ce , c'est - à - dire , étoit ici
bien néceſſaire .
,
Dans un autre endroit Bolingbroke
compare ce monde à une grande foire
dans laquelle tout ſe paffe ordinairement
comme dans une fère de village , où il
n'y a pour tout inſtrument de muſique
qu'une cornemuſe.
Tractatus de vera Religione , Theologiæ
alumnorum ufui accommodatus , &c.
Traité de la vraie Religion, à l'uſage
des élèves des écoles de théologie ; par
M. Louis Bailly , bachelier de la faculté
de Paris , & profeſſeur de théologie
dans le collége de Dijon ; 2 vol.
in- 12 . A Dijon , chez Edme Bidault ,
libraire ; & à Paris , chez Saugrain jeune
, libraire , quai des Augustins ; J.
Barbou , imprimeur- libraire , rue des
Mathurins .
Ce nouvel ouvrage , écrit entierement
en latin , eſt un abrégé méthodique des
différens traités ſcholaſtiques connus principalement
dans les colleges & dans les
AVRIL. 1771 . 133
:
féminaires. Cet abrégé eſt diviſé endeux
parties , dont la premiere a pour objet la
Religion naturelle; &la feconde , la Religion
révélée. L'auteur traite , au commencement
de ſon ouvrage , de la ſpiritualité
de l'ame , de ſa liberté & de fon
immortalité , afin de ſuivre plus rapidement
le cours des démonstrations qui établiſſent
la vérité de la Religion Chrétienne.
Les Mille & une Folies , contes françois ,
par M. N******; 4 vol. in- 12. A Amfterdam;
&fe trouve à Paris , chez la
Veuve Ducheſne , libraire , rue St Jacques
, au Temple du Goût.
Les hiſtoriettes du tems , les contes, les
romans , les avantures de ville , tout a été
mis à contribution pour compoſer ce recueil
de mille & une folies. L'auteur
pour répandre une forte d'action dans cet
ouvrage , met en jeu trois perſonnages
quediverſes circonstances jetent dans bien
des avantures & auxquels on en raconte
pluſieurs. La 925º folie eſt intitulée , les
terreurs paniques. Un officier , logé dans
une hôtellerie , ſur le point de joindre
l'armée , étant ſeul dans ſon lit , livré à
mille réflexions , faute de ne pouvoir dor
134 MERCURE DE FRANCE.
mir , ſe met à fonger qu'il a eu tort de
laiſſer ſa clef à la porte de ſa chambre
attendu qu'il feroit facile d'entrer pour le
voler. Tandis que de pareilles idées lui
rouloient dans la tête, un menuifier monroit
lentement , chargé d'un cercueil deftiné
pour un pauvre diable qui venoit de
mourir dans la chambre prochaine. Le
menuifier croyant entrer chez le mort ,
ouvre la porte de l'officier , & dit en pofant
la charge à terre : voilà une bonne redingote
pour l'hiver. L'officier , que ſes
craintes rendent attentif au moindre bruit,
ne doute point qu'on ne vienne le voler,
& qu'on n'ait deſſeinde commencer pat
prendre ſa redingote , qu'il avoit laiffée
fur une chaiſe; ilfaute promptement hors
du lit , & fe met à courir tout en chemiſe
après le prétendu voleur. Le menuifier ,
entendant du bruit , & voyant paroîrre
quelque choſe de blanc , laiſſe bien vite
fon cercueil , & ſe ſauve à toutes jambes,
ne doutant point qu'il n'ait le mort à fes
trouffes.
On trouve dans ce même recueil des
ruſes de racoleurs & divers tours d'eſpiégleries.
Un jeune apprenti avoit remarqué
qu'une fruitiere du voiſinage comptoit
tous les foirs ſon argent , qu'elle éta-
Loit ſa monnoie , & qu'elle étoit fort ocAVRIL.
1771 .
135
1
و
cupée à faire ſes calculs. Cette obfervation,
repétée pluſieurs fois , non fans deffein
, lui fit imaginer un fingulier ſtratagême
, afin de s'approprier quelques unes
des pièces de monnoie qu'il devoroit des
yeux. Il s'aviſa de frotter de glue le deſfous
d'une affiette,&la poſa bruſquement
au milieu du tréſor de la bonne femme
&lui diſant de ſe dépêcher à lui vendre
ce qu'il lui demandoit. En relevant l'affiette
, il ne manquoit pas d'emporter
pluſieurs ſous marqués. Cette petite friponnerie
lui réuſſit pendant affez longtems;
mais un ſoir la fortune ceſſa de le
favorifer. Une pièce de douze ſols ſe détacha
& découvrit tout le manege à la
fruitiere. Aufſſi-tôt elle ſe ſaiſit au collet
du petit fripon & ſe met à crier , au voleur
detoute fa force .Les voiſins s'aſſemblent,
& le maître de l'apprenti vient groſſir la
foule des curieux. Il indemnifa la bonne
femme des vols qui lui avoient été faits;
&n'étant nullement flatté de poſſféder un.
apprenti qui imaginoit ces fortes de tours,
il le chafla de chez lui.
: Le trait d'avarice qui fait le ſujet de la
936º folie , eſt pris dans les anecdotes de.
médecine , & a été attribué par l'auteur de
ces anecdotes àun célèbre médecin. de
136 MERCURE DE FRANCE.
Paris , mort actuellement. L'hiſtoriendes
mille& une folies raconte ce trait à ſa
maniere. On avoit dit au comte deCroud,
dont l'avarice augmentoit chaque jour ,
qu'il y avoit un homme très riche , relegué
dans un des fauxbourgs de Paris , &
logé au fixieme étage d'une maiſon obfcure
, qui pourroit lui donner des leçons
d'avarice. Curieux de voir un homme
qui le ſurpaſſoit dans la lézinerie, le comte
de Croud courut auſſi - tôt lui rendre
viſite , afin de profiterde ſes conſeils. Il
ſe mit en chemin un jout d'hiver , enveloppé
de fon manteau. Il n'arriva qu'à la
nuit à la porte du fameux avare ; il frappa
long-tems avant qu'on lui ouvrît. Le
moderne Harpagon l'introduiſit enfin
dans ſa demeure , dans laquelle il n'y
avoit ni feu, ni lumiere , quoique l'obſcurité
fût très - grande & le froid très - piquant.
A l'aide d'un briquet , il aluma
bientôt une petite lampe. Cette opération
étant faite , il demanda au comte ce qu'il
y avoit pour ſon ſervice."Monfieur , je
> viens vous prier de m'enſeigner l'éco-
>>nomie. -Aſſeyez - vous , repliqua le
>> vieil avare ; mais puiſque vous ne ve
>> nez que pour parler , nous n'avons pas
>>beſoin de voir clair. » A ces mots , it
í
AVRIL. 1771 . 137
éteignit la foible lumière qui brûloit. « II
>> ſuffit , s'écria le comte , tranſporté des
>> marques d'une telle avarice , j'en vois
>> affez pour m'inſtruire. Quelles obliga-
>> tions ne vous ai-je pas ! j'avoue que je
>> ne me ſerois jamais aviſé d'une épargne
>> auſſi ſage. » Il ſe retira auſſi - tôt à tâ
tons.
Ce recueil contient beaucoup d'avantures
galantes , beaucoup d'hiſtoriettes
bonnes pour ceux qui ne cherchent dans
la lecture qu'un moyen de tuer le tems qui
paſſe ſi vîte.
Les Lamentations de Jérémie en vers françois
; par M. Deſmarais , chanoine regulierde
la Ste Trinité , dit Mathurin,
docteur de Sorbonne ; vol. in- 8 °. orné
de gravures. A Paris , chez Guillaume
Deſprez , rue St Jacques .
Après que le peuple d'Iſraël eut été mené
en captivité à Babylone par Nabuchodonofor
, & que Jérufalem fut demeurée
déſerte , le prophéte Jérémie s'aſſit ſur les
débris & s'écria dans l'amertume de ſon
coeur : Quomodò ſedet ſola civitas plena
populo : facta est quafi vidua domina gen.
tium : princeps provinciarumfacta estsub
tributo , &c .
133 MERCURE DE FRANCE.
Le Ciel eſt donc vengé. Ton antique ſplendeur
N'offre plus , ô Sion , qu'un ſpectacle d'horreur .
Hélas ! qui l'auroit cru que , Reine de la terre ,
Quand fur les nations tu lançois ton tonnerre ;
Quand ton bras triomphant leur envoyoit la
mort ,
Tu fubirois unjour un ſi malheureux fort ?
Tes ennemis , témoins de ta magnificence,
Envioient ton éclat & craignoient ta puiſſance..
Tu voyois tous les Grands , tu voyois tous les
Rois,
Soumis à ton empire , obéir à tes lois .
On te payoit tribut , on te rendoit hommage ;
Il ſembloit que la terre étoit dans l'eſclavage.
Tu regnois ſeule enfin ; mais quel affreux revers !
Tes mains n'ont plus de ſceptre , & tes pieds ont
desfers.
Toi , qui donnois des lois à la terre opprimée ,
Tu n'es plus qu'un amas de cendre &de fumée.
Combien de pleurs , hélas ! ne vas - tu pas verſer ?
La nuit ne verra point leur ſource s'épuifer.
Crois- tu que tes amis , ſenſibles à ta plainte,
Calmeront la douleur dont ton ame eſt atteinte ?
Non : les ingrats , joignant la noirceur au mépris
,
Sontdevenus pour toi d'éternels ennemis . .
Bourreaux de tes enfans , avec quelle infâmic
Neles chaſſoient- ils pas de leur chere patrie ?
Je les vis qui fuyoient de climats en climats ,
I
1
C
P
M
AVRIL. 1771: 139
Et qui tentoient envain d'échapper au trépas.
L'ennemi les ſurprend au plus étroit paſſage ,
Et leur laiſſe pour choix la mort ou l'eſclavage.
Quel ſpectacle , ô Sion , quel objet douloureux !
Quand tes ſentiers déſerts s'offriront à tes yeux !
Tu les arroſeras d'un déluge de larmes ,
Ces ſentiers où jadis , fans crainte & fans alarmes,
Ton oeil charmé voyoit les enfans d'Iſraël
Accourir tous en foule encenſer ton autel .
:
Ce tems heureux n'eſt plus: ils déteſtent tes fêtes;
Ils couronnent de fleurs leurs orgueilleuſes têtes;
Et de l'idolâtrie arborant l'étendard ,
Ilsjetent fur ton temple un dédaigneux regard ,
&c.
Ces lamentations forment un poëme
en quatre chants. Ce poëme eſt ſuivi
d'une prière de Jérémie & d'une épître
du même prophéte aux captifs Juifs prêts
àpartir pour Babylone. Le poëte François,
rempli en quelque forte de l'eſprit de Jérémie
, a fait paſler dans ſa paraphrafe les
images fortes& fublimes , les ſentimens
douloureux & pathétiques du faint Prophéte.
Mémoires fur la culture du Murier blanc ,
& la manière d'élever les vers àfoie , lus
140 MERCURE DE FRANCE.
à la ſociété royale d'agriculture de
Lyon , par M. Thomé , de la même
ſociété ; in - 8°. 2 vol. de 25 feuilles
chacun; premiere partie,dans laquelle
on trouvera les inſtructions néceflaires
aux jardiniers pour la culture de cet
arbre , depuis le ſemis juſqu'à la cueil
lette de ſes feuilles ; ſeconde partie ,
dans laquelle on trouvera tout ce qui
eſt néceſſaire pour parvenir à la meilleure
éducation des vers à foie ; &des
remarques ſur le tirage , le moulinage,
la teinture ,& la préparationdes ſoies.
AAmſterdam; & ſe trouve à Lyon ,
chez Aimé de la Roche , aux Halles de
laGrenette.
M. Thomé , de la ſociété d'agriculture
de Lyon , donna en 1763 deux mémoires
, l'un ſur la culture du murier blanc ,
où , en repondant à cinquante - ſept queftions
qu'il ſe fait à lui-même , il donne
les inſtructions néceſſaires pour la culture
de ces arbres; l'autre , ſur la manière
d'élever les vers à ſoie , où , dans les réponſes
qu'il fait à cent quinze queſtions
fur l'éducation de cet inſecte , il donne les
procédés les plus lumineux pour en tirer
leplus grand avantage. Ces deux mémoiAVRIL.
1771. 141
res ont été réimprimés pluſieurs fois &
traduits en différentes langues.
L'éditeur de cette nouvelle édition y a
ajouté un précis de tout ce qu'il y a eu
d'écrit fur l'un & fur l'autre objet , dont
il a formé deux volumes in - 8°. qu'on
pourroit appeler le Manuel des Cultivateurs
de muriers & d'Educateurs de vers à
foie. Il ſe trouve à Paris , chez Durand ,
neveu , libraire , rue St Jacques , à la Vertu
, & à Lyon , chez Aimé de la Roche ,
aux Halles de la Grenette .
Cours d'Histoire univerſelle , petits élémens;
par M. Luneau de Boijermain ; tom . I.
II . & III. in 8 °.A Paris , chez Delalain ,
libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoife.
Comme le but principal que M. L * *
de B. s'eſt propoſe eſt l'inſtruction de la
jeuneſſe , il a cru devoir s'écarter des
méthodes ordinaires , & en inventer
une nouvelle qui pût faciliter davantage
une étude auſſi importante que celle de
l'hiſtoire univerſelle. Il a ſenti qu'il falloit
ſe mettre à la portée d'un âge qu'une
application trop forte ou trop ſuivie rebute
ordinairement , & s'accommoder à
ſa foibleſſe , autant qu'il feroit poſſible ,
142 MERCURE DE FRANCE.
1
pour lui faire parcourir ſans dégoût la
carrière utile où il a entrepris de le conduire.
Le plan que M. Luneau s'eſt formé
aapplani toutes les difficultés qui pouvoient
décourager ſes lecteurs. Dans la
route qu'il leur trace , & qu'il a ſuréduire
à une juſte étendue , il leur ménage des
repos pour leur laiſſer reprendre haleine ;
it les conduit , comme par la main , d'époques
en époques , de fiécles en ſiécles
inſenſiblement& fans fatigue . Il a évité ,
comme il le devoit , les diſcuſſions chronologiques
qui n'éclairciſſentrien ,& fans
adopter aucun ſyſteme , il s'en est tenu
aux dates les plus connues & les mieux
prouvées .
Ce cours d'hiſtoire univerſelle eſt diviſé
en deux parties, le petits &les grands
élémens. Les petits élémens qui viennent
de paroître ſont compris dans trois volumes.
Le premier , que nous annonçons ,
contient vingt& un fiécles , leſquels font
partagés en trois âges ou trois époques ;
le tout eſt ſubdivisé en 56 leçons.
Ce volume eſt précédé d'une introduction
néceſſaire pour faciliter l'intelligence
de pluſieurs expreſſions qui pourroient
arrêter les lecteurs dans le corps de l'ouvrage.
Il contient les deux premieres époAVRIL.
1771 . 143
ques & le commencement de la troiſième .
La première commence à la création
du monde , &s'étend juſqu'au déluge : ce
qui comprend 17 fiécles. Elle renferme
l'hiſtoire d'Adam , le bonheur dont il
jouiſſoit dans le paradis terreſtre , ſa défobéiſſance
, ſa condamnation, le meurtre
d'Abel , la fuite de Caïn , & le mêlange
fatal de la poſtérité de ce dernier avec les
deſcendans de Seth , ce qui altéra beaucoup
leur innocence & répandit dans le
monde le déſordre & la corruption .
On fent bien qu'en écrivant l'hiſtoire
de ces premiers tems , l'auteur n'a pu le
faire que d'après celle de Moyfe, la ſeule
connue par rapport aux ſujets dont elle
traite , & la plus ancienne de toutes ,
Comme l'ouvrage n'eſt pas ſuſceptible
d'un extraitbien détaillé , nous nous contenterons
d'en rapporter quelques morceaux
qui feront juger de la manière &
du ſtyle de l'auteur ,
Voici comment il s'exprime ſur la
création de l'homme : " Après avoir créé
>> tous les animaux terreſtres , les bêtes
» de toutes les eſpèces & les reptiles ,
>> Dieu forma le plus parfait de tous les
>> animaux , le ſeul qui pût rendre à fon
>> auteur un hommage digne de lui ,
>> l'homme.
144 MERCURE DE FRANCE.
» Dieu lui donna, outre le privilege de
>> la conformation la plus propre à lui
» faire ſentir l'excellence de ſon être ,
>> une existence ſupérieure à toutes les
>>créatures , une ame.
>>L'ame que le ſouffle de Dieu répandit
>> ſur le viſage de l'homme , continue
l'auteur , eft faite à l'image & à la ref-
» ſemblance de la nature divine , pour
» être unie à celui qui l'a formée ; mais
>>elle n'eſt point une portion de cette
■ fublime pature : c'eſt une ſubſtance im-
>>matérielle par laquelle Thomme con-
» çoir , veut & agit librement. Elle eſt le
>>principe de ſes opérations , de ſes ſentimens
, de ſes mouvemens & de fes
>actions.
"
» Adam reçut de Dieu , outre lesavan-
>> tages attachés à la création , l'habitude
» farnaturelle de toutes les vertus , un
>> empire abſolu ſur la terre & fur les ani.
» maux , des connoiſſances infuſes , & une
>> exemption des miféres de la vie , de
> l'importunité des paſſions , des combats
>>de la cupidité , des infirmités de la vieil-
» leſle &de la mort. »
En terminant la premiere époque de
l'hiſtoire univerſelle , l'auteur expoſe les
conjectures les plus vraiſemblables fur la
religion ,
AVRIL. 1771 . 145
religion , le gouvernement, les lois , les
ſciences & les arts des Antidiluviens ,
pour fuppléer , autant qu'il eſt poſſible ,
au filence de l'hiſtorien ſacré fur ces différens
objets.
En parlant de l'origine des grandes nations
, M. L. dit qu'elles ſe formerent.
de la poſtérité de Caïn. " Des hommes ſi
>>pervers ne pouvoient demeurer long-
» tems voiſins , ſans qu'il s'élevât parmi
>> eux des ſujets de diviſion . Les lumières
> de is droite raiſon qu'ils avoient perdue
» de vue , ne pouvoient terminer leurs
>>querelles ſans celle renaiſſantes. Qui
pouvoit les accorder entre eux ? la for-
» ce. La violence décidoit de tour. La loi
ود du plus fort fut la premiere loides mé-
>> chans. Le foible , contraint de céder ,
» s'unit avec le foible , pour réſiſter au
>>puiſſant. La défenſe commune devint
» le fondement de la fociété. Le nombre
>> des aſſociations s'augmenta. Il ſurvint
>> bientôt entre elles les mêmes ſujets de
>> conteſtation ; il fallut meſurer ſes for-
>>ces , & la ſociété la plus puiſſante affer-
» vit les autres , ou les contraignit à des
» réunions nouvelles. Ainſi pardegrés ſe
>>formerent les grandes nations . »
L'auteur paſſe enfuite à l'origine des
arts.
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
La ſeconde époque commence au déluge,
& ſe termine aux promeſſes faites à
Abraham au 21º fiécle.
Elle contient tout ce qui arriva à Noé
après le déluge , l'hiſtoire de ſes trois enfans
, Sem , Cham & Japhet , la prodigieuſe
multiplication de leurs deſcendans,
le projet inſenſé de la tour de Babel , la
confuſion des langues , la diſperſion des
hommes&leurs nouveaux établiſſemens,
la fondation des royaumes de Babylone ,
d'Affyrie & d'Egypte , l'origine de l'idolâtrie
&des différens cultes ſuperſtitieux,
&c.
M. L. en rapportant les cauſes du déluge
univerſel , combat l'opinion de ceux
qui, voulant rendre raifon des dépôts des
coquillages que l'on trouve dans les entrailles
de la terre , prétendent qu'elle a
été entierement bouleversée dans l'inondation
générale. Mais,les poiſſons ayant
été conſervés , ( il n'eſt point dit dans l'écriture
que Noé eut ordre de prendre aucune
précaution pour en renouveller l'efpèce;)
lesplantes ayant ſubſiſtéde même ,
puiſque la colombe que le patriarche envoya
à la découverte , quand les eaux
furent baiſſées , rapporta une branche
d'olivier , M. L. en conclut avec raiſon
AVRIL .
147 1771 .
que l'opinion de la diffolution du globe
dans le déluge univerſel n'eſt nullement
fondée ; il étoit impoſſible que les poif-
**fons & les végétaux n'euſſent pas été détruits
entierement dans cette fubverſion
totale ſi elle fût véritablement arrivée.
L'auteur , à l'occaſion de ce terrible
événement , remarqu , d'après les Pères
de l'Eglife , que parmi cette multitude
innombrable d'hommes criminels qui furent
ſubmergés , il s'en trouva qui mirent
à profit ce juſte châtiment , & que tous
ne moururent pas dans l'impénitence.
Les eaux du déluge furent pour eux un
batême ſalutaire qui les purifia de toutes
leurs fouillures .
Les conjectures de M. L. fur ce qui
donna lieu à l'eſprit de conquête , & fur
la cauſe des premieres guerres paroiſſent
bien fondées. Il penſe que la chaſſe fut le
premier pas vers l'autorité; les hommes
ſevoyant forcés de s'armer pour leur com.
mune défenſe contre les bêtes féroces
⚫ qui , depuis le déluge , s'étoient multi .
pliés prodigieuſement, choiſirent les plus
expérimentés parmi eux , & les plus intrépides
pour les conduire dans cet exercice
dangereux. Nemrod , arriere- petitfils
de Noé , ſe trouvant à la tête de plu-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
fieurs troupes de chaſſeurs qui l'avoient
élu pour chef , profita de ce commandement
pour fonder la premiere monarchie
de l'Univers , qui fut l'empire de Babylone.
Quant à la cauſe des premieres guerres,
• Quelques familles , dit M. L. furent
>> forcées d'abandonner des terroirs in-
>> grats , pour aller chercher ailleurs des
>> demeures plus favorisées de la nature,
>>>Lorſqu'elles rencontrerent des nations
>>déjà établies dans des contrées plus fer-
>> tiles , elles voulurent ou s'établir au-
>>près d'elles , ou partager le terrein dont
>> elles jouiffoient. Ily eut fans doute , à
» ce ſujet , des conteſtations entre les
>> nouveaux venus & les anciens poffef-
>> feurs . La force décida bientôt du droit
» de propriété , & contraignit les plus foi-
»bles à la retraite. »
La fondation du royaume d'Egypte
n'eſt pas un des articles les moins curieux,
non plus que l'origine de l'idolatrie , ſes
progrès , les cultes divers qu'on imagina ,
les cérémonies , les offrandes & les facrifices
qui furent en uſage ,& le fanatiſme
barbare qui porta les peuples à immoler
des victimes humaines . On n'épargna pas
le fang le plus précieux , lorſque l'offran
AVRIL. 1771. 149
de qu'il falloit en faire entroit en concurrence
avec les graces qu'on attendoit des
dieux. Un père avare immoloit aux divinités
cruelles qu'il invoquoit , ſes propres
enfans. « Il attiſoit lui -même les
» feux qui devoient les confumer. Les
>> mères non moins dénaturées que leurs
» époux , imitoient ces criminels exem-
>> ples , & n'avoient pas de meilleures
>> raiſons pour ſe porter à cet excès de
>>férocité. Celles qui étoient pauvres ,
>> vendoientàprix d'argent leurs malheureux
enfans à ceux qui n'en avoient
>> point , ou qui n'étoient pas capables
>> d'un auſſi grand effort que celui de fa-
>> crifier les leurs propres. Elles s'enga-
>> geoient pour ce prix à voir de fang
>> froid ces foibles enfans périr dans le
>> ſein de la douleur & des tourmens.
>> C'étoit au ſon des tambours &des inf-
>> trumens les plus bruïans que l'on con-
>>>ſommoit ces horribles cérémonies
>> comme ſi l'on avoit craint que les cris
>> de ces tendres victimes ne réveillaſſent
>> dans le coeur de leurs mères les ſenti-
» mens de tendreſſe que la fordidité y
» avoit étouffés ... Une larme , un fou-
>> pir qui auroit démenti la fermeté
>>avec laquelle elles devoient foutenir
/
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
>> cet iufâme ſpectacle , leur auroit fait
>> perdre le prix convenu. >>
Outre l'hiſtoire des Patriarches qui fait,
la- principale partie de ce premier volume
, l'auteur y a inféré , dans l'ordre qu'il
convenoit , des réflexions utiles ſur l'état
des arts & des fciences après le déluge ,
fur leur interruption & leur naiſſance , &
en y mêlant l'hiſtoire profane , ſuivant
fes différens rapports avec l'hiſtoire facrée
, il n'a rien avancé qui ne foit trèsprobable
, malgré l'incertitude& les ténèbres
de ce cahos ſi difficile à débrouiller.
Sidney & Volfan , anecdote angloiſe par
M. d'Arnaud , chez Lejay , libraire , au
grand Corneille , rue St Jacques près
celle des Mathurins .
On a réimprimé Sidney &Volfan , publié
in- 12. en 1766 , & l'on a employé
dans cette nouvelle édition le format in-
8°. avec des eſtampes très bien gravées ,
afin de fatisfaire au defir des perſonnes
qui raſſemblent les oeuvres de M. d'Arnaud
& qui veulent les recueillir ſous le
même format. Cette anecdote morale
paroît avec des corrections & augmentations
qui ajoutent à l'intérêt. C'eſt l'huAVRIL.
1771. 1I51
manité montrée ſous différens aſpects
dans la miſantropie de Volfan , &dans la
bienfaiſance de Sidney. :
--Cette anecdote fait la troiſième partie
du ſecond volume des Epreuves du Sentiment
qui fera completé par deux autres
petites hiſtoires que l'auteur doit publier
inceſſamment. C'eſt un plan très-philofophique
que de préſenter ainſi la morale
en action , &de rendre les hommes meilleurs
en exerçant leur ſenſibilité.
Avis au sujet de la nouvelle édition du
Dictionnaire de Trevoux .
Ganeau & Compagnie , libraires à Paris
, ayant propofé au Public , dans un
Profpectus, une nouvelle édition du dictionnaire
univerſel françois&latin , vulgairement
appelé Dictionnaire de Trevoux,
enhuit volumes in folio , n'avoient
donné à ceux qui voudroient ſouſcrire
pour cet ouvrage que juſqu'au premier
Avril de cette année ; mais , ayant appris
que l'annonce de ce dictionnaire étoit à
peine parvenuedans lesdifférentes provincesdu
royaume , d'ailleurs étant follicités
de prolonger le tems de la ſouſcription,&
defirant favoriferles perſonnes qui
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
1
voudroient en retenir des exemplaires :
ils ſe ſont déterminés ſans rien changer
à l'avis qu'ils ont donné de continuer à
recevoir des ſouſcriptions juſqu'au premier
Juin prochain , paſſé lequel tems ,
nul ne ſera admis à jouir du bénéfice de
ladite ſouſcription , lequel eft de 168 liv.
pour un exemplaire en feuilles ; ſçavoir ,
84 liv. en ſouſcrivant & 84 liv. en retirant
l'exemplaire complet , qui doit paroître
dans le courant du mois d'Août
prochain. Ceux qui n'auront pas ſouſcrit
paieront la ſomme de 208 liv. pour un
exemplaire en feuilles.
ACADÉMIE.S.
Académie Françoise.
M. DE ROQUELAURE , Evêque de
Senlis , ayant été élu à la place de M. de
Moncrif par Meſſieurs de l'Académie
Françoiſe , y vint prendre ſéance le lundi
4Mars 1771 , & prononça un difcours
dans lequel l'éloquent orateur trace ainſi
le portrait de l'académicien auquel il ſuccède.
C'eſt au commerce des muſes qu'il dei
AVRIL.. 1771 . 153.
voit cette fleur d'eſprit , ces graces fimples
& naïves , cette douce aménité qui
le rendoit ſi cher à ceux qu'il approchoit.
Recherché d'un monde poli, dont il faifoit
les délices , il parvint à remplir une
place diftinguée auprès de la Reine , &
en reçut bientôt les marques de bonté les
plus flatteuſes. Pour exceller dans cet art
fi difficile de plaire , fans doute il devoit
beaucoup à la nature ; mais , en faiſant
part au Public des réflexions les plus fenſées
& les plus délicates en ce genre ,
c'étoit prouver combien il avoit ajouté à
fes diſpoſitions naturelles . On peut dire
que, ſous le titre modeſte d'Elfais ſur la
néceſſité & les moyens de plaire , il a fu
donner en même tems la meilleure idée
de ſon eſprit & de la bonté de ſon coeur.
C'eſt le propre d'une ame généreuse d'aimer
à répandre un ſecret dont on s'eſt utilement
fervi pour foi-même.
Soit jalonfie , foit préjugé , le commun
des hommes ſe perfuade que la ſenſibilité
de l'ame n'eſt point la compagne du
génie. On veut que la nature , économe
dans ſes dons , compenſe les préſens de
l'eſprit qu'elle accorde , par la privation
d'un bien plus précieux qu'elle refuſe.
Qu'il eſt honorable à M. de Moncrif
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
d'avoir travaillé conftamment à détruire
un préjugé ſi injufte ! Pluſieurs de ſes écrits
portent l'empreinte de cette vertueuſe
ſenſibilité ; ſes actions l'ont fait paroître
dans tout fon jour. Quoique la fortune
eût différé long - tems de répandre
fur lui ſes faveurs , il fentit d'abord
que leur uſage le plus doux étoit de les
partager. Heureux de pouvoir juftifier
que les ſentimens de bienfaiſance , jufques-
là cachés dans ſon coeur , n'attendoient
que le moment d'éclater ! Sa famille
trouva en lui un parent plus charmé
de répandre fur elle ſes largeffes ,
qu'elle n'étoit elle même fatisfaite de
les recueillir. Docile à la voix de la nature
, pouvoit- il manquer à la reconnoiffance
, dans des occafions délicates où
tant d'hommes penſent moins à remplir
qu'à éluder les devoirs ſacrés qu'elle impoſe?
Onl'avu folliciter &obtenir enfin,
après les plus vives inftances, la grace
d'aller tous les ans dans une province
éloignée , offrir à fon bienfaiteur le tribut
de fon attachement & de fa reconnoiffance.
Puiffent tous les gens de lettres ,
en ſuivant un ſi bel exemple , forcer
l'ignorance à abjurer fon erreur , & à reconnoître
qu'il eſt moins rare qu'on ne
AVRIL. 17718 155
penſe ,de joindre à l'eſprit le plus éclairé,
le coeur le plus ſenſible !
M. l'Abbé de Voiſenon a répondu au
diſcours de M. l'Evêque de Senlis .
Vous connoiſſez , lui dit cet ingénieux
Académicien , tout le prix de la littérature.
Dès votre plus tendre jeuneſſe ,
vous vous êtes nourri de la lecture de
nos meilleurs auteurs ; vous avez étudié
les fources dans leſquelles ils ont puiſé ;
vous rendez hommage aux beautés de
Virgile ; vous poſſédez Horace , & vous
admirez notre Poëte François qui eut l'art
de l'embellir en le prenant pour fon modèle.
Vous ne vous êtes pas borné à la
langue latine , vous avez voulu connoître
les richeſles de la langue italienne & de
la langue angloiſe ; vous vous êtes mis à
portée de découvrir tous les larcins , &
vous êtes auſſi inſtruit que des Princes
étrangers qui voyagent,
Vous avez l'éloquence de tous vosem
plois. En qualité d'Evêque , vous inſtruifez
, vous conſolez , vous ſecourez ; en
qualité de Magiſtrat que le Roi a jugé
néceſſaire d'admettre en fon confeil
vous répandez des lumières ſur les cauſes
les plus compliquées; votre entretien ne
2
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
ſe fent pas de la ſéchereſſe des affaires ;
vous plaifez & vous impofez.
Vous habitez (la cour) ce ſéjour orageux
, ce pays de manoeuvres cachées ,
de haine fourde & careflante ; & vous y
avez introduit l'amitié , cette paſſion ſi
douce , dont les courtiſans prennent l'accent
, afin de la mieux trahit : vorre ame
fut toujours ouverte à ſes charmes , vous
en goûtez les délices , vous courez audevant
des ſervices qu'elle exige , des
devoirs qu'elle impoſe; vous êtes fidèle
à vos engagemens ; vous faites mieux
vous obligez avant d'en prendre. Vous
êtes effentiel & franc au milieu de ceux
qui font tout le contraire , & vous refſemblezaux
médecins qui ſemblent avoir
la prérogative de vivre dans le mauvais
air fansgagner la maladie.
L'académicien auquel vous fuccédez ,
Monfieur , le reſpira long- tems ſans en
être attaqué . M. de Moncrif eut le ſecret
de ſe faire dubien fans faire du mal à
perfonne. Il nous fit éprouver que la douceur
des moeurs , l'égalité du caractère
le lien de l'eſprit , ne font pas moins
néceſſaires dans une compagnie que les
talens. Il poffédoit tous ceux qui tiennent
à l'agrément. La poësie naïve , jadis fi flo
AVRIL. 1771 . 157
riſſante , a perdu en lui ſon dernier modèle
; & , dans l'inſtant de ſa mort , les
graces décentes & négligées ont détaché
les fleurs que cet auteur aimable leur offroit
en hommage ; & , de cette parure
champêtre , elles ont formé des guirlandes
pour orner le tombeau de celui qui
les avoit cueillies. Où trouver à préſent
cette fimplicité gauloiſe ? Elle n'eſt plus
dans nos écrits , parce qu'elle n'eſt plus
dans nos coeurs. La poëfie est devenue
une coquette; elle a changé ſon ingénuité
contre des minauderies ; elle n'a plus que
de l'eſprit , & l'efprit tout ſeul n'eſt que
la faufte monnoie du talent.
M. de Moncrif s'étoit préſervé de cette
contagion , & dans ſes vers & dans ſa
proſe ; on en voit la preuve dans ſes Effais
ſur les moyens de plaire. Il a mis en
préceptes , Monfieur , ce que vous mertez
tous les jours en action. Il étendit fur
tous les objets fon amour pour l'humanité.
On a de lui une lettre fur ce genre
d'ufure odieux & décrié , qui rend ſi vils
& fi mépriſables ceux qui l'exercent. M.
de Moncrif propoſe des expédiens pour
en conſerver les avantages , ſans être a
charge aux malheureux que l'indigence
oblige d'emprunter. Je me rappelle en
I118 MERCURE DE FRANCE.
core une autre lettre ſur la prédication;
ily recommande aux prédicateurs de ne
pas faire des fermons trop longs. Jecrois
que cet avis regarde tous ceux qui ont
l'honneur de parler en public. Je me hate
d'en profiter , afin que ceux qui m'écou
rent peut- être depuis trop long tems , lui
aient obligation même après ſa mort.
<
*
*Ces Discours se trouvent à Paris chez la Veuve
Regnard &Demonville , imprimeur de l'Acadé
miefrançoise , aupalais &rue baſſe des Urfins.
I I.
MÉMOIRE historique fur la Société
économique de St Pétersbourg , &fus
•Son état actuel en 1770 .
r 2
La Société Economique de St Pétersbourg
ſe forma dans l'année 1765. Le
conſeiller privé M. d'Alluſiers , ſeigneur
très-diftingué par festalens &fon mérite
perſonnel , en fut le premier préſident ,
&contribua le plus àſa fondation. Quelques
ſeigneurs du premier ordrey concoururentd'abord,&
furent fecondés dans
la ſuite par une foule de perſonnes que
leurs charges & leur naiſſance plaçoient
dans un rang éminent ; l'Impératrice ,
AVRIL. 1771 . 159
I
attentive à tout ce qui peut intéreſſfer la
nation , s'empreſſa d'accorder ſa protection
à la ſociété naiſſante ,& la gratifia
d'une ſomme de fix mille roubles .
Le but que cette ſociété ſe propoſa ,
comme on le voit par les écrits qu'elle a
publiés , fut de réveiller l'attention des
propriétaires de terres fur tout ce qui concerne
l'agriculture , de répandre parmi
eux les connoiſſances utiles à cet objet ,
de les engager à faire des eſſais convenables
aux qualités diverſes du terroir & du
climat ; enfin , d'encourager l'économie
rurale dans toutes lesprovinces de ce vaſte
Empire.
Après l'élection du nouveau préſident,
qui ſe fait tous les quatre mois , la ſociété
préſente au Public un nouveau tome de
ſes mémoires , composés par ſes membres
ou tirés des obſervations que les gentilshommes
cultivateurs veulent bien
communiquer à la fociété. Le nombre de
ces recueils s'eſt auſfi accrû déjà juſqu'à
quatorze tomes , ce qui fait voir que le
goût de ce genre d'etude ſe répand de plus
en plus, que beaucoup de poſſeſſeurs s'occupent
de l'amélioration des terres , &
que l'agriculture perfectionnée eſtun des
fruits de la fondation de cette ſociété. ?
160 MERCURE DE FRANCE.
Cependant elle ne borne pas là ſes travaux
& ſes vues. Elle propoſe des prix
annuelsfur des objets de ſcience & d'induſtrie.
Les uns font de mille roubles ;
d'autres de cent ducats; les moindres,des
médailles de la valeur de vingt- cinq jufqu'à
trente- cinq ducats , tous proportionnés
à l'importance du ſujet.
Tous les mémoires ſont écrits en lan-.
gue ruffe &imprimés aux dépens de l'Impératrice.
Mais l'Europe attentive aux
progrès des ſciences dans la Ruſſie defire
roit une traduction de ces mémoires, dont
on n'a encore traduit que le premier tome
en allemand , à Mittau & àRiga , dans la
librairie de Harfſinoch 1767. On trouve
dans ce premier volume l'expoſition da
plande la fociété & fon établiſſement.
Ondistingue , parmi les autres pièces qu'il
contient , un mémoire ſur l'utilité de la
culture du froment en Ruffie , compoſé
par un membre de la ſociété, nomméM.
de Llingſſedt, conſeiller d'état.On n'a pas
rardé à voir les fruits d'une idée auſſi juſte
& auſſi utile. Le gouvernement ayant accordé
l'exportation du froment, libre &
affranchie de tout impôt pour cinq années
confécutives , à compter depuis l'année
1766, on en a exporté depuis ce tems
AVRIL. 1771. 161
pour la valeur de trois à quatre cent mille
roubles , accroiſſement conſidérable dans
les richeffes de l'état .
Ce même membre de la ſociété a propoſéd'autres
queſtions ſur les détails de
l'économie dans les différentes provinces
conſidérées ſous leurs rapports reſpectifs.
C'eſt par les ſoins du Prince Waffemfirs,
procureur - général du fénat , qu'on a recueilli
des réponſes &des informations
exactes dont la ſociété ſe propoſede faire
une collection qui doit être d'un avantage
incontestable.
Voilà tout ce que nous ſommes en état
de fournir au Public ſur une ſociété qui
mérite d'être connue. Nous pouvons ajouter
que le nombre de ſes membres s'eſt
accrû au-delà de quarante , la plupart de
la premiere distinction. Nouvellement
même un archevêque , le célèbre Platon ,
poſſeſſeur du riche bénéfice du monaftere
de la Trinité près de Moſcou , a dearé
s'y être reçu. Les principaux membres
viennent encore de fignaler leur zèle
& leur généroſité en s'impofantune contribution
volontaire pour cinq années de
ſuite qui affure à la ſociété un fonds annuel
de deux mille roubles. C'eſt par une
pareille ſouſcription qu'on amaſſa , il n'y
a pas long- tems , une fomme de huit cent
1
162 MERCURE DE FRANCE .
roubles deſtinée à l'achat d'une biblio
thèque économique. Le comte Grégoire
Orlow , frère du héros de la Ruffie , d'A.
lexis Orlow , celui qui a rendu fon nom
immortel par la défaite des Turcs & la
deſtruction de leur flotte dans l'Archipel,
a été un des plus zélés bienfaiteurs de la
ſociété , & s'eſt taxé lui- même à cinq cens
roubles par an.
On est convenu en dernier lieu de célébrer
l'anniverſaire du jour où il a plû à
l'Impératrice de confirmer l'établiſſement
de la ſociété. Ce fut le général comte
Zachar Zernichef, connu dans l'Europe
par ſes exploits&ſes ſervices quia donné
lapremière fêtede ce genre le 29 Octobre
de l'année 1770 .
III.
Ecole Vétérinaire.
Le Sr Brade , élève de l'Ecole royale
vétérinaire de Paris , bréveté par Sa Majeſté
, & établi dans la ville de Châlonsfur-
Saône , tant en qualité d'artiſte vétérinaire
que de garde haras dans ce département
, par MM. les Elus des Etats de
Bourgogne , ayant reçu des ordres du directeur-
général des écoles vétérinaires
de porter des ſecours contre la maladie
AVRIL. 1771. 163
,
épiſootique qui affligeoit une quantité
conſidérable de beſtiaux dans les élections
d'Avalon &de Tonnerre ; il paroît
par les certificats que cet élève a envoyés
& qui ont été mis ſous les yeux de M.
l'Intendant de Paris , que fes opérations
ont été telles dans les paroiſſes de Poilly,
de Chichée, de Laignes , élection de Tonnerre
, & de Précy-le-Mouls , Domocyfur-
Cure & Cure , élection d'Avallon
que 168 bêtes étoient mortes avant fon
arrivée , 18 font mortes entre ſes mains,
170 ont été guéries , & 617 ont été préſervées.
Ces certificats ſont ſignés par
M. Préjeu , fubdélégué du département
d'Avallon ; par MM. Boullier , curé de
Poilly ; Tridon , curé de Laignes ; Camus
, curé de Chichée ; par les Srs de Lavals
& Vougenos , ſyndics ; par MM. Parizot
& Bonnet , avocats de Lavals , Blin ,
Phillippon , Dauphin , le Normand, Faffecot
, Pion , Bonnet , Eeſte , Coquilles ,
Droüin , Beau , Parre & Huffon , procureur
fiſcal .
,
Nous voyons encore par d'autres certificats
, rapportés par le Sr Wolſtein
élève , entretenu à l'école de Paris aux
frais de S. M. l'Empereur Roi des Romains
, & envoyé dans les élections de
Tonnerre & de St Florentin, les moisde
164 MERCURE DE FRANCE.
Novembre & Décembre derniers , 1 .
Qu'il a arrêté le cours de la maladie épi.
footique , & qu'il a guéri nombre de bêtes
dans la paroiſſe de Flogny , ce qui eſt
atteſté par M. Oudelin , curé ; par M. le
Marquis de Flogny , ſeigneur , & par M.
Moreau du Fourneau , fubdélégué : 2 .
Que dans la paroiſſe de la Chapelle de
Vaupetaine près Chably en Bourgogne ,
avant ſon arrivée , il étoit mort II bêtes
à cornes , qu'on n'en a perdu aucune pendant
le traitement qu'il a fait ; qu'il en a
guéri so &préſervé 80 , & qu'en un met
il eſt parvenu àdétruire le préjugé de preſ.
que tous les habitans contre l'adminiftraon
des médicamens des bêtes à cornes ,
& fur - tout contre la ſaignée qu'ils ont
toujours regardée comme mortelle ; ce
qui eſt atteſté par M. Mueſon , curé ,
Louis Hardy , ſyndic , & par M. Moreau
du Fourneau , ſubdélégué. 3 °. Que dans
la paroiſſe de Vergigny il étoit mort ,
avant que cet élève y arrivât , plus de 120
têtes de beſtiaux ; qu'il n'en eſt mort que
cinq entre ſes mains , & cinq ou fix autres
dont il avoit pronoſtiqué la perte ;
qu'il en a guéri 36 & préſervé 160 : ce
qui eſt atteſté par M. Moreau du Fourneau,
lieutenant , & par le St Hugot, fyndic.
4°. Enfin, que dans la ville de Sainttion
AVRIL. 1771 .
165
Florentin en Champage , il étoit mort 61
bêtes avant fon arrivée ; que de 31 qu'il
a traitées , il n'en eſt que trois qui font
mortes entre ſes mains , les 28 autres
ayant été radicalement guéries , & qu'il
en a préſervé 117. Qu'au furplus , ce n'eſt
que par ſon zèle , par ſa douceur , ſon intelligence
& fa patience qu'il a triomphé
de tous les obſtacles que le préjugé , l'ignorance
& la groffiereté pourroient oppofer
à ſa méthode ; ce qui eſt atteſté par
le même ſubdélégué , & par MM. Frénoir
, curé , & Sallor .
I V.
ECOLE gratuite de Deſſin.
Lettre , Rouen , 12 Février 1771 .
Monfieur , Nous avons vu avec la plus
grande admiration , dans le volume du
Mercure du mois de Février dernier
qu'une Dame a envoyé , pour la ſeconde
fois , une ſomme de fix cens livres à la
caiſſe de l'Ecole gratuite de Deſſin pour
contribuer à l'éducation de quinze cens
citoyens , & fervir à encourager leurs étudespar
des récompenfes, avec une recommandation
expreſſe de cacher fon nom.
Un tel procédé eſt d'autant plus généreux
166 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eſt dégagé de tous les motifs qui
déterminent ordinairement les actions
des hommes. Qu'il eſt noble , Monfieur,
d'offrir des ſecours à l'humanité ; & qu'il
eſt difficile de ſe refuſer à ſa reconnoifſance
! Souffrez que nous vous obſervions
que le terme de bienfaiſance , en ce cas,
nous paroît trop foible ; il peut ſuffire
pour peindre les ſentimens de celui qui
accorde à la demande , mais jamais il ne
peindra la grandeur d'ame de la perſonne
que vous nous donnez envie de connoître.
Qu'il eſt honteux pour les hommes
que de pareils actes ſoient ſi rares ! Publiez
les belles actions ; ces tableaux touchans
feront peut- être copiés ; quel bonheur
ſi la vertu devenoit à la mode , &
qu'il fût humiliant de n'avoir pas fait un
heureux !
Nous avons auſſi vû la liſte des Elèves
qui ont remporté leur maîtriſe ou leur
apprentiſſage dans la diſtribution qui en
fut faite aux Tuileries le 28 Décembre
dernier ; nous ne pouvons qu'applaudir
au zèle du magiſtrat qui veille à la police
de la capitale; ſes ſoins infatigables
doivent vous le rendre bien précieux ; cet
établiſſement ſeul lui mériteroit l'immortalité
, ſi elle ne lui étoit déjà acquiſe par
tant d'autres bienfaits .
AVRIL. 1771 . 167
Nous vous prions de nous expliquer
.. • ceque veut dire fondé par M. le
&c. La curiofité n'eſt pas le motifqui nous
anime ; d'ailleurs , il eſt bon quele Public
ſache le bien qu'il peut faire.
Nous ſommes , &c.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de muſique a conti
nué juſqu'à ſa clôture des ſpectacles , les
repréſentations de Pyrame &Thisbé ; &
le Public n'a ceſſé d'y applaudir & d'être
latté de la muſique qui a plû à l'amateur
&au connoiffeur malgré le tems où elle
a été composée , & les révolutions en
quelque forte , arrivées dans cet art. Tant
il eſt vrai que ce qui eſt eſſentiellement
beau ne peut pafſſer de mode , & eſt toujours
admiré. On ſe reſſouviendra auſſi
de la ſupériorité de talent , de la nobleſſe
, des graces & de l'intérêt que
Mademoiselle Arnoult a mis dans le
rôle de Thisbé. Cette actrice , ſi belle
fur la ſcène , & qui rend avec tant d'avantage
le différent caractère de ſes rôles ,
168 MERCURE DE FRANCE.
, au
fait faire pafler dans ſon jeu& dans ſon
chant , juſqu'aux moindres nuances du
ſentiment : elle poffède , ſur-tout
plus grand degré , ce pathétique , préfent
de la nature , que l'art ne peut
imiter , qui ſe communique à l'ame la
plus indifférente , & qui l'émeut délicieuſement.
Qu'on ſe rappelle le charme
que Mademoiselle Arnoult répand dans
la mapière dont elle chante &joue tout
le rôle de Thisbé , & principalement le
monologue du cinquième acte , où elle
exprime avec tant de vérité la vive impatience
,latendre inquiétude , la crainte,
l'eſpérance , & les autres affections d'une
amante qui ſoupire après ſon amant ,
&tremble pour ſon fort. Il eſt à ſouhaiter
que ſa ſanté lui permette de reproduire
plus fréquemment les plaiſirs que donne
ſapréſence.
Nous devons auſſi un juſte éloge à
M. Rault , première flûte de l'Opéra ,
qui a accompagné ce monologue avec
tant de juſteſſe& de préciſion , qu'il laiſſe
douter , par une fidelle imitation , ſi
c'eſt la voix ou l'inſtrument que l'on entend.
Nous ne pourrions que répéter ici
les louanges que nous avons données à
la compofition des ballets , à la brillante
exécution
AVRIL. 1771. 169
exécution des danſeurs &danſeuſes ,& aux
autres talens qui ont concouru au ſuccès
de çet Opéra.
On a donné pour les acteurs quelques
repréſentations de Thésée. On fent que
les premiers ſujets ſe ſont réunis pour
marquer leur zèle & leur reconnoiſſance
à un public nombreux & empreſſé de les
voir & de les applaudir.
COMÉDIE FRANÇOISE,
Les Comédiens François ont remis fur
leur théâtre le 12 Février dernier , Dom
Japhet d'Arménie , comédie de Scarron ,
qui eſt en poſleſſion d'exciter la gaîté
vive & franche , & de faire éclater le
rire. Le rôle de Dom Japhet a été joué
par M. Feulie , excellent comédien , qui
faiſit à merveille la caricature& le ridicule
de fon perſonnage , & qui le rend
avec une vérité ſigulière. Les rôles de
Harangueur & de Courier ont été joués
dans cette comédie par M. Préville ;
c'eſt dire tout le plaiſir que ce charmant
Prothée fait par ſon jeu toujours
original.
I. Vol.
;
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le jeudi 21 Février , M. Fleury a débuté
dans le rôle de l'Avare & dans celui
de Delorme des Trois Cousines ; il a
joué ſucceſſivement le rôle de Franc-Alea
dans la Métromanie , & le Payſan dans
V'Esprit de Contradiction. Cet acteur a
montré de l'intelligence & des diſpoſitions
naturelles pour les rôles qu'il a
choiſis . Il a rendu fur- tout l'Avare avec
force & avec vérité ; il a la figure théâtrale.
La vue des bons modèles , & une
étude réfléchie de ſon art , pourront le
rendre utile à ce théâtre.
Le jeudi 7 Mars , les Comédiens ont
donné la première repréſentation de l'Heu
reuse Rencontre , comédie nouvelle en
un acte en proſe , par Meſdames Rofet
&Chaumont.
Valentin , fils d'un riche fermier ,
eſt l'amant de Laurence , fille d'un payfan
, & s'eſt mis garçon laboureur pour
être à portée de voir ſa maîtreffe. Le
Pere défend à ſa fille d'écouter fon
amant , & excite davantage ſes deſirs. Il
ne veut pas qu'elle déroge tandis qu'elle
a un frere au ſervice qui peut devenir
général , caporal : que fait-on ? & qui eſt
déjà anſpeçade. La mère de Laurence ,
plus indulgente , veut adoucir l'humeur
de fon mari ; mais elle ne trouve plus
AVRIL. 1771. 171
en lui les mêmes complaiſances. Le mari
a le caractèere de ſon âge ; il ſe plaint
de ſon état , de ſes fatigues , de ſes
enfans ; mais ſajoie renaît à la nouvelle
de l'arrivée de fon fils foldat. Il eſpère
qu'il l'aidera à écarter Valentin; ce foldat
eſt , en effet , un grivois qui fait le
brave & l'important. Il a amené ſon fergent
avec lui , & vante beaucoup fa
ſcience & ſon eſprit. Le ſergent vent
foutenir ſa réputation par un étalage bifarre
de traits d'hiſtoire & de proverbes
qu'ilrapporte ſans ſuite. Le foldat propofe
à fon père comme une affaire excellente
de donner ſa ſoeur en mariage à fon
ſergent. Le père adopte cette idée , quand
ce ne ſeroit que pour ſe venger de Valentin
, qui dans un moment de déſeſpoir
s'eſt emporté contre lui & l'a preſque
menacé. Laurence & Valentin ſont pénétrés
de douleur , & Valentin perdant
toute eſpérance , veut s'engager& s'aller
faire tuer à la guerre. Il preſſe ſon engagement.
Le fergeur vient pour l'engager ,
il lui demande fon nom , le lieu de ſa
naiſſance , & reconnoît ſon frère , qu'il
n'avoit pas vu depuis long-tems : charmé
de le retrouver , il lui cède ſa maîtrefſe
, & engage le père à faire ſon bon
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
heur. Cette Comédie eſt gaie , les caractères
en font naïfs , & le ſtyle eſt d'un
naturel charmant. Le rôle du vieux Payſan
eſt deſſiné d'après nature , & joué avec
tant de vérité par M. Préville , qu'il fait
oublier l'acteur , pour ne laiſſer voir que
la ſimplicité ruſtique & aimable d'un bon
laboureur. M. Mollé a mis dans le petit
rôle de Valentin , l'intérêt , la vivacité
dont il anime toujours ſon jeu. Mademoiſelle
Doligny a fait le plus grand
plaiſir dans le rôle de Laurence , en lui
prêtant ſes graces naturelles. M. Feulie
a rempli avec gaîté le rôle de Soldat grivois
; M. Auge , celui de Sergent beleſprit;
Mademoiselle Biglioni a joué le
rôle de Mère.
Le ſamedi 16 Mars , Mlle Luzy ,
dont l'emploi à la comédie eſt principalement
pour les rôles de Soubrette ,
& les autres rôles de gaîté & de chant ,
a débuté dans la tragédie par le rôle
d'Aménaïde de Tancrède . Cette actrice a
fait prévenir le public , que le zèle ſeul
& le deſir de ſe rendre utile ont pu l'engager
à jouer dans la tragédie ; & , après
avoir justifié ſes ſentimens , elle a fait
connoître ſes talens pour le nouveau
genre qu'elle a eſſayé. Sa figure qui eft
AVRIL. 1771. 173
tréâtrale , & qui a de l'éclat, ſe prête
très- bien aux formes tragiques ; elle a mis
dans ſon jeu de l'aifance &de l'intelligen-
се; elle a même rendu avec force & avec
ſenſibilité les expreſſions du ſentiment &
des paſſions. Si elle n'a pu ſe défendre
de quelques accens &de quelques habitudes
qu'une longue pratique de la comédie
lui ont rendu familières , elle ſe
corrigera facilement de ces légers défauts
&deces ſouvenirs , en quelque forte involontaires
, lorſqu'elle ſera plus exercée
dans la tragédie. En effet , ſon eſſai a eu
affez de ſuccès , & elle donne trop d'efpérance
de ſe diftinguer dans cette nouvelle
carrière , pour ne pas être encouragée
à faire de nouveaux efforts , & à
briller alternativement dans les deux genres
oppofés du rire &de la douleur .
Le même jour , M. D'alinval a prononcé
le compliment dontnous ne pouvons
mieux faire l'éloge qu'en le rapportant.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
COMPLIMENT prononcé par
M. Dalainval.
MESSIEURS ,
Si vous avez paru applaudir à l'éloge
des grands hommes qui ont illuftré la
ſcène françoiſe , nous n'en avons pas
moins fenti combien il ſeroit néceffaire
d'avoir plus de talens pour les louer devant
vous , d'une maniere digne des ſiécles
qu'ils ont éclairés , & de la poſtérité
qui rendra juſtice à leurs chef- d'oeuvres ;
peut - être même a t-on regardé comme
une témérité de notre part ce qui n'étoit
que l'effet de notre reſpect & de notre
zèle.
Plus éclairés , Meſſieurs , que nos ancêtres
ſur la difficulté de réuſſir dans une
profeſſion utile& agréable , qui exige des
talens allez ſupérieurs pour ſe rendre les
organes des plus beaux génies , vous ſentez
tout ce qu'il doit en coûter de travail,
d'études & de recherches pour arriver à
cet inſtant heureux où le comédien , digne
de vos fuffrages , partage avec ces
ames vraiment privilégiées , la gloire de
célébrer les actions éclatantes des héros ,
d'exciter à la vertu , d'inſpirer l'horreur
AVRIL. 1771. 17
du vice , & de contribuer à la correction
des moeurs.
1
Quels maîtres , Meſſieurs , que ces
hommes rares qui ont créé , formé , embelli
la ſcène françoiſe!Quel est l'homme
de goût , quel eſt , Meſſieurs , parmi vous
celui qui ne les regarde pas comme un de
ces bienfaits auſſi rares que précieux,que
la nature ſe plaît àrépandre ſur une nation
faite pour en connoître tout le prix?
Qu'il eſt beau de venir chaque jour
fortifier fon ame , orner ſon eſprit , exercer
ſa ſenſibilité avec les vrais législateurs
du génie& du goût ! qu'il eſt flatteur pour
nous de pouvoir en déployer les richefſes
! que cette carrière nous paroît vaſte !
combien nous defirons qu'on en puiffe
encore reculer les limites,en vous offrant
des productions d'un genre qui réuniſſe
Tintérêt national aux trefors que nous
avons empruntés de l'antiquité.
: nous atten-
Déjà vous avez rendu juſtice aux eſſais
qui vous ont été préfentés
dons la même indulgence lorſque vous
verrez paroître fur notre théâtre ce Chevalier
fans reproche , dont le nom célèbre
décore les faſtes de notre monarchie ,
dont les vertus font préſentes à votre mé.
moire , & dont le caractere fublime fera
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
ſaiſi par un acteur que vous chériſſez , que
nous étions ménaces de perdre & dont
les talens vous font bien mieux connus
que je ne pourrois les louer. Heureux ,
Meſſieurs , ceuxde mes camarades qui lui
reſſemblent ! Ils font dignes des bontés
dont vousdaignez les honorer ; & je ſens
que je n'ai de commun avec eux que le
deſir de vous plaire & la reconnoiffance
dont ils feront toujours pénétrés.
COMÉDIE ITALIENNE.
M. CHAUBERT a debuté , le 10 Mars
dernier,par le rôle de Lubin dans Annette
& Lubin ; & le 14 , par le rôle de Guillot
dans les Chaſſeurs & la Laitiere. Cet acteur
a de la voix & peut perfectionner ſes
talens.
LeCompliment de clôture eſt en action,
&forme un petit drame qui a plû par ſa
gaîté & par l'art avec lequel les Comédiens
s'acquittent de leurs ſentimens envers
le Public. C'eſt le neuviéme que M.
Anſéaume compoſe en ce genre avec cette
gaîté qu'il a répandue dans ſes opéracomiques&
danspluſieurs drames que l'on
AVRIL. 1771. 177
revoit toujours avec plaiſir à la Comédie
Italienne .
Le Compliment de cette année eſt
Arlequin marchand de Proverbes. * Les
acteurs font :
M. CARLINſous leperſonnaged'Arlequin .
M. TRIAL ſous le perſonnage du coufin
Bertrand , & c.
SCÈNE PREMIERE.
ARLEQUIN , LE COUSIN BERTRAND .
Arlequin eft vêtu en voyageur , avec un
manteau , un chapeau de paille , un Jérôme
àla main ; il porte du côté gauche
une boëte à plusieurs tiroirs attachée à
un ruban qui lui paſſeſur l'épaule droite .
Le Cousin Bertrand eſt auſſi en Voyageur ,
enguêtres, chapeau rabattu , & un bâton
blanc à la main.
Arlequin marche devant , Bertrand le fuit.
Ils font tous deux quelques tours fur
le Théâtre fans rien dire. Enfuite ;
*Certe petite piéce ſe trouve chez Vente , libraire
, rue & montagne Ste Geneviève.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
BERTRAND.
MONSIEUR Arlequin... Monfieur Arlequin...
ARLEQUIN. Eh bien ?
BERTRAND . Allons nous bien loin
comme ça ?
ARLEQUIN. Nous allons à Bergame .
BERTRAND. Eh... c'eſt- il bien loin
Bergame ?
ARLEQUIN. Pas mal . Mais à force de
marcher , nousy arriverons.
BERTRAND. Et quand nous y ferons ,
qu'est-ce que nousy ferons ?
ARLEQUIN. Etje te l'ai dit. J'ai là tous
mes parens , qu'il y a long-temps que je
n'ai vus , & je ſuis bien aiſe de profiter
de mes vacances pour les aller voir.
BERTRAND . Et moi ?
ARLEQUIN. Et toi , je te préſenterai d
euxcomme un couſin que j'ai trouvé ici,
& que je ſuisbien aiſe de leur faire connoître.
BERTRAND. Vous leur direz donc que
je ſuis votre couſin , & par ainſi que je
fuis leur coufin auſſi , n'eſt ce pas ?.
AVRIL 1771: 179
ARLEQUIN. Sans doute.
BERTRAND. Vous leur direz auſſi que
jeſuis le grand couſin , parce que , voyez
vous , c'eſt comme ça qu'on m'appelle
pour me diftinguer .
ARLEQUIN. Oui , oui.
BERTRAND. Mais , est - ce que nous
ferons tout ce chemin-là àpied?
ARLEQUIN. Il le faut bien.
BERTRAND. Mais ſi nous avions pris
le coche , ça n'auroit-il pas été plus
commode ?
ARLEQUIN. Oui , mais pour prendre
lecoche , il faut de l'argent,& nous n'en
avons pas.
BERTRAND. Comment , vous n'avez
pas d'argent ?
ARLEQUIN. Non , pas le fou.
BERTRAND . Pardi nous voila bien ,
&dequoi vivrons-nous fur la route ?
ARLEQUIN. Ah ! ne t'inquiète pas ,
fi nousn'avons par d'argent , nous avons
des effers.
BERTRAND. Ah ! bon.
ARLEQUIN , montrantſa boëte. Tiens
vois-tu cela
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
BERTRAND. Oui.
ARLEQUIN. Sais- tu ce qu'il y a là-dedans?
BERTRAND . Non vraiment.
ARLEQUIN. Ce ſontdes Proverbes pour
vendre ſur la route. Quand nous entrerons
dans une auberge , vois tu , nous
choiſirons les plus fameuſes , celles où
il y a toujours beaucoup de monde.......
Nous demanderons la table d'Hôte , parce
qu'on y fait toujours meilleure chére .....
BERTRAND. Ah ! ça fera bon , ça .
Bertrand goûte beaucoup le projet des
Proverbes , & se montre connoiffeur dans
cette marchandise. Arlequin trouve en effet
le debit defes Proverbes .
Mile BEAUPRÉ recite ce Proverbe au
Public.
Meſſieurs , fi j'en croyois mon zèle ,
Je ſensbiendans mon coeur ce que je vous dirois.
Qu'avec plaifir je vous remercierois !
Quand chaque jour ici le devoir nous appelle ,
Chaquejour à nos voeux votre bonté fidelle
Daigne encourager nos eſſais.
C'eſt aujourd'hui le jour de la reconnoiſſance ,
Elleadroît d'éclater par les plus doux tranſports ,
Et nous devons... oui , mais lorſque j'y penfe,
Jecrainsdehafarder d'inutiles efforts ,
AVRIL .
181 1771 .
Etje crois qu'il vaut mieux. (L'aveu me coûte à
faire,)
Oui , je crois qu'il vaut mieux me taire.
Avec plus de ſuccès d'autres exprimeront
Un ſentiment qu'avec eux je partage ,
Mais , par grace , Meſſieurs , dans ce qu'ils vous
diront ,
Daignez entrevoir mon hommage.
Si ma timidité l'arrête & le contraint ,
Il n'en eſt pas moins vif, fincère& légitime ;
Et l'on m'a répeté ſouvent cette maxime.
Qui trop embraffe mal étreint.
Mde LARUETTE , cet autre.
La critique en ces lieux exerce ſon empire ,
Muſique & vers ſubiſſent l'examen ,
Tout ce qu'elle trouve à redire
Eſt proſcrit ſans retour & rayé de ſa main.
Eſt- ce un mal, est- ce un bien ? Quijugera la choſe?
Eſt- ce l'auteur à grand bruit applaudi
Eſt- ce l'auteur de ſa chute étourdi ?
Nous les recuſerons s'il vous plaît & pour cauſe.
Celui que le malheur pourſuit
Accuſe la cabale , & crie à l'injustice ;.
<
Celui qui vous trouve propice ,
De fon mérite ſeul croit recueillir le fruit.
Pour décider cette affaire ,
Interrogeons le Parterre ,
182 MERCURE DE FRANCE.
Cet oracle du goût , ce juge louverain
Qui , de tous les talens , aſſure le deſtin .
Il nous diraqu'une critique ſage ,
Pour legénie eſt un flambeau
Qui le dirige & l'encourage ,
Que ceux pour qui c'eſt un fléau ,
1
Peuvent encore en tirer avantage ,
Mal ſenti dans l'inftant , mais cet inſtant paflé,
Par de nouveaux efforts l'affront eſt effacé.
Uſez donc de vos droits, fans craindre qu'on en
gloſe ,
Pour le progrès des arts , pour venger laraiſon ,
Et fi quelqu'un prend mal une telle leçon ,
Il apprendra qu'à quelque choſe
Malheur est bon.
Mde TRIAL. ( Au Public. )
S'il eſt permis d'être fincere ,
Je vais vous dire ſans myſtère
Une importante vérité.
C'eſt un proverbe , mais digne d'être cité.
Vous critiquez , c'eſt à merveille ,
Vous applaudiflez , encor mieux;
Et ſelonque l'on flatte , ou choque votre oreille,
Le ſpectacle vous plaît, ou vous ſemble ennuyeux.
Juſques-là toutva bien ; mais ce qui metracafle ,
C'eſt quà l'inſtant que l'ennui vous menace ,
A l'inſtant vous quittez ces lieux ,
Yous nous abandonnez , voilà le plus fâcheuzi
AVRIL. 1771. 18
BERTRAND .
Oh !celui- là je le devine ,
C'eſt , on fait ce qu'on peut,
Etnon pas ce qu'on veut.
La piècefinit par un vaudeville , & le
vaudeville par ce coupler.
Mde BERARD .
Nousavons pris le plus long détour ,
Pour vous préſenter notre hommage ,
Plus nous vous retenons en ce jour ,
Plus nos coeurs y trouvent d'avantage
Mais en vain on veut éviter
Cette trifte cérémonie,
Il n'eſtſi bonne Compagnie
Qu'il ne faille enfin quitter.
CHEUR .
Il n'estfi bonne Compagnie
Qu'il nefaille enfin quitter.
ARTS.
GRAVURE.
-I.
Récréation de la Table , eſtampe d'envison
18 pouces de large fur 14 dehaut,
184 MERCURE DE FRANCE.
gravée d'après le tableau de.Jacques
Jordans ; par F. A. Moitte le fils ; prix ,
6 liv . A Paris , chez Moitte , graveur
du Roi , à l'entrée de la rue St Victor,
la troiſieme porte cochere à gauche en
entrant par la place Maubert.
UNE famille en gaîté forme un con.
cert autour d'une table ſur laquelle on a
ſervi une collation.On compte huit figures
qui , par leur différentes attitudes &
leurs expreſſions vives & animées , rendent
cette eſpèce de ſcène très amusante.
On ſe rappellera en la voyant celle que
Bolſvert a gravée d'après le même maître
; mais la compoſition de la nouvelle
eſtampe eſt plus riche , plus pittoreſque.
M. Moitte le fils , en la gravant , annonce
avantageuſement ſes talens. Son burin a
de la netteté , de la couleur,& les travaux
en font variésavec affez d'intelligence .
Le même artiſte a gravé , d'après les
deſſins de M. Greuze , quatre jolies eftampes
qui ſe diſtribuent par pendans.
Les deux premieres ſont intitulées la
Mufique & la Poësie , les deux autres la
Fleuriste & la Fileuse ; prix , 1 liv. 4 ſols
chaque morceau. On les trouve à la même
adreffe ci-deſſus.
AVRIL. 1771 . 185
I I.
Différentes compofitions , gravées par Ph .
L. Parizeau d'après les deſſins de L. F.
Latue , ſculpteur & ancien penſionnaire
du Roi ; prix , 3 div. 12 f. A Paris ,
chez Parizeau , deſſinateur & graveur ,
rue des Foflés de M. le Prince , maifon
du riche laboureur.
Il y a beaucoup de variété dans ces
compoſitions qui repréſentent des tombeaux
, des ſacrifices & différens ſujets
tirés de la fable &de l'hiſtoire . M. Parizeau
, qui a ſouvent gravé d'après ſes
defims , a ſçu néanmoins aſſujettir ſa poinze
à la plume du deſſinateur qu'il copioit.
Il ena ſaiſi avec intelligence l'eſprit & le
goût. :
III.
Portrait de Madame la Comteſſe du Barry,
gravé dans la maniere de la Peinture.
Ce portrait , gravé par M. Gautier
d'Agoty fils , peintre & graveur du Roi ,
fait illuſion par l'heureux mêlange des
couleurs , & offre un tableau agréable.
C'eſt un très - grand effort de l'art de la
1
186 MERCURE DE FRANCE.
gravure d'avoir porté à ce point l'imita
tion de la peinture dans la repréſentation
de la beauté. La compoſition de ce tableau
eſt en même - tems ſimple & ingénieuſe.
On trouve ce portrait chez M.
Gautier d'Agoty , rue Ste Barbe , & chez
M. Vernet , marchand d'eſtampes , quai
des Auguſtins ; le prix eſt de 12 liv .
I V.
L'AdorationdesBergers ; gravée à l'eau
forte , par M. Hallé , & d'après ſon tableau
qui eſt dans l'Egliſe du Chapitre
Royal de Roye en Picardie. Cette compoſition
offre les différentes expreffions
très-bien rendues , de reſpect , d'amour,
d'adoration , des perſonnages qui font autour
de laCrêche ; prix 2 livres, chez l'Au
teur , Cloître S. Benoît.
MUSIQUE.
I.
TROIS fonates enTrio pour le Clavecin
, ou le forte piano , avec accompagnement
d'un violon & violoncelle ad libi
AVRIL. 1771. 187
tum , dédiées à M. de Fontenet , Conſeiller
de Régence , Secrétaire du Cabinet
& des Commandemens , & Surintendant
de la Muſique de S. A. S. Mgr
le Duc régnant de Deux- Ponts , par Ereneſto
Eichner , maître de Concert de Mgr
le Duc de Deux-Ponts ; OEuvre II ; prix
71. 4 f. gravées par Madame Berault ; aux
adreſſes ci-deſſus.
SeiSonate àflauto traverſiere ſolo &baſſo,
di vari autori ; prix , 6 liv. A Paris ,
chez Taillart l'aîné , rue de la Monnoie
, la premiere porte cochere à gauche
en deſcendant du pont neuf , maifon
de M. Fabre , & aux adreſſes ordinaires
de muſique .
Comme ces Sonates font de différens
auteurs, le ſtyle en eſt auſſi varié qu'agréable.
Elles offrent de beaux traits de chant
&différens morceaux d'exécution trèspropres
à faire valoir l'inſtrument. M.
Taillart l'aîné , qui en eſt l'éditeur , doit
d'ailleurs inſpirer toute confiance aux
amateurs qui ont eu occaſion d'applaudir
plus d'une fois au goût ſupérieur de ce
virtuoſe & à fon exécution nette , précife
&brillante.
188 MERCURE DE FRANCE .
Premier recueil d'ariettes choiſies tiré
des opéra - comiques avec accompagnement
de harpe ; par M. F. Petrini ; prix ,
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'auteur , rue
Mauconſeil , vis-à vis la rue Françoiſe .
Confineau , luthier & marchand de
muſique , rue des Poulies .
Salomon , luthier & marchand de muſique
, place de l'Ecole & aux adreſſes ordinaires.
ANECDOTES.
I.
ON venoit de racheter quelques eſclavesChrétiens
captifs àAlger.Au moment
où ils alloient partir , un Corſaire arriva
dans le port avec une priſe Suédoiſe ;
parmi le nombre des priſonniers , il ſe
trouva le pere d'un des captifs rachetés ;
ils ſe reconnurent , & volèrent dans les
bras l'un de l'autre , très-affligés de ſe
voir ſur un rivage étranger & barbare.
Le jeune homme , après avoir gémi ſur
le malheur de ſon père , réfléchiſſant fur
ſa vieilleſſe , ſongea avec douleur que
AVRIL. 1771. 189
l'eſclavage auroit bientôt abrégé ſes jours ;
ilprit ſur le champ ſon parti , & fupplia
les Algériens de lui permettre de prendre
la place de ſon père; il étoit plus
robuſte & plus propre aux travaux :
on confentit à ſa demande ; mais , lotfque
le Dey eut entendu parler de cette
aventure , il en fut ſi touché , qu'il ne
voulut pas permettre que ce fils généreux
reſtât dans les fers ; il ordonna qu'on
lui rendît la liberté , & qu'on le renvoyât
avec ſon père , en récompenſe de
ſa piété filiale .
I I.
Il y a quelques années que Sir James
Gréenfield a remarqué à Maryland , une
fingulière liaiſon entre une chate & un
rat. La chate venoit de mettre bas ; elle
apportoit à ſes petits tout ce qu'elle trouvoit.
Parmi les différens animaux dont
elle avoit fait ſa proie , il ſe trouva un
jeune rat ; les petits chats jouerent avec
lui fans lui faire aucun mal ; & , lorſque
leur mère vint les allaiter , le rat prit
auſſi le pis. Quelques domeſtiques obſervérent
ce fait , & en firent part à leur
maître qui vint auſſi le voir. Il fit changer
de place aux chats & aurat ; la mére
190 MERCURE DE FRANCE.
les remit dans le premier endroit , & on
remarqua qu'elle tranſportoit le rat avec
autant de foin que ſes petits , en prenant
bien garde de ne pas le bleſſer ; on répéta
cette expérience toutes les fois qu'il
y eut chez M. James des perſonnes qui
furent bien aiſes d'en être les témoins. Il
ſeroit à ſouhaiter qu'on l'eût pouſſée plus
loin.
III.
En 1685 , lorſque le Roi Jacques II.
fut monté ſur le trône , on délibéra dans
le Parlement , ſi l'on permettroit au Roi
d'employer des officiers Catholiquesdans
ſes armées. Cette queſtion' excita de longs
débats ; les fanatiques imaginèrent que
cette permiffion mettroit la religion dominante
en danger ; & le defir que le
Roi témoignoit d'avoir cette libérté , engageoit
un grand nombre de Proteftans à
la refuſer. Lejour que le Parlement vota
àce ſujet , un courtiſan du Roi s'attacha
à tous les membres du Parlement qui
avoient quelques places dépendantes du
Roi , & leur fit ſentir qu'ils couroient
riſque de les perdre en votant contre
ſes deſirs: le nombre des voix étoit égal ;
il n'y en avoit plus qu'une. Le courtiſan
AVRIL. 1771. 197
s'avança vers celui qui l'alloit donner ,
&lui rappela qu'il avoit un emploi , &
de prendre garde de s'en priver : Mon
frère , répondit celui- ci , eft mort la nuit
dernière , il m'a laiſſé 700 liv . Sterling de
rente ; je suis affez riche pour n'avoir pas
beſoin des bienfaits du Roi. Il donna fur
le champ ſa yoix , & elle fit refuſer à
Jacques II . la permiſſion qu'il demandoir.
IV.
Le vieux Comte de Bedford , qui fut
enfuite créé Duc , ſe trouvant un jour à
la cour , fut obligé de ſe retirer chez lui
pour des affaires particulières très-prefſées
, promit au Roi de revenir avant
midi. Le tems s'écoula ſans qu'il revînt.
Le Roi le demanda pluſieurs fois , &
parut fâché de ſa lenteur. Le Comte arriva
enfin , au moment que la pendule
ſonna une heure ; &, s'appercevant que
le Roi étoit en colère , il courut à la
pendule , & la briſa d'un coup de canne .
Quefaites- vous , lui dit le Roi , que vous
afait cette pendule ? Ce qu'elle m'a fait ,
reprit le Comte ! Votre Majesté en est témoin
; elle vient defrapper la première. Le
192 MERCURE DE FRANCE.
Roi fourir , & oublia qu'il s'étoit fait attendre.
V.
Il y a quelques années qu'un pêcheur
ayant jetté ſes filets entre Lambeth &
Vaux-hall les retira avec beaucoup de dif.
ficultés; il s'attendoit à une pêche abondante
, & il n'y trouva qu'une machine
qui lui parut très- lourde & qu'il emporta
chez lui pour l'examiner ; ne pouvant découvrir
ce que c'étoit , il la montra à plu
ſieurs perfonnes qui la reconnurent pour
le grand ſceau de l'Angleterre ; on fit
diverſes conjectures à ce ſujet , & on s'arrêta
enfin à celle- ci. On penſa que le Roi
Jacques , la veille de ſa fuite , fit venir le
lord Jefferies ſon chancelier , & lui demanda
le ſceau dont il vouloit faire un
uſage ſecret pour des graces particulieres ;
on croit qu'il l'emporta avec lui , mais
qu'incommodé de fon poids& prévoyant
d'ailleurs qu'il ne pourroit plus s'en ſervir,
il lejetta dans la Tamiſe. Le pêcheur , en
entendant ces conjectures , n'eut rien de
plus preſſé que de le porter à la cour; or
lui donna une récompenſe conſidérable ,
mais on n'a fait aucun uſagede ce ſceau .
NOUVEAU
AVRIL. 1771 . 193
NOUVEAU CAFÉ.
AuFort Louis du Rhin , 14 Mars 1771 .
Vouspouvez comme moi , Monfieur , avoir vû
dans les Feuilles Périodiques des pays étrangers
l'établiſſement d'une nouvelle manufacture de
café ; l'expérience ſeule en peut confirmer la
folidité , l'uſage & la bonté. J'ai fait arracher
des racines de chicorée ſauvage ; après les
avoir bien nettoyées & partagées en quatre dans
leur longueur , elles ont été dépoſées ſur des feuilles
de papier ſous un poële pendant trois jours
pour y être ſéchées ; cette opération faite , on a
coupé ces racines en petites portions de la groſſeur
de la féve du café , enſuite on a moulu les parties ,
&on a fait le café ; il faut qu'il prenne deux ou
trois bouillons & le tirer au clair.
Je vous prie, Monfieur , d'inférer ma lettre dans
votre Mercure ; tout ce qui eſt économie eſt utile
au Public. Le café de chicorée a la même couleur
&lamême ſaveur , tant en poudre qu'en liquide,
&j'oſe affurer que le goût en eſt plus agréable;
il fautyinettreun peu moins de ſucre : les médecinsdecetteprovince
n'en déſaprouvent pas l'uſa.
ge; fi ceux deParis penſent différemment , l'axiome
, Hypocrate dit oui , Galien dit non , ſera vrai .
D
Je ſuis perfuadé que cette nouvelle expérience
fera baiſſer le commerce du café. Le terrein qui le
produit peut produire d'autres denrées ; toutes les
perſonnes qui font,dans cette ville, ufagedu café,
ont ſuivi mon expérience avec le même ſuccès&
I. Vol. 1
۱
194 MERCURE DE FRANCE.
le même avantage; il y en auroit un bien plus
grand ſi l'application des Botaniſtes pouvoit découvrir
quelque racine qui pût ſuppléer a la difette
&à la cherté desgrains pour le foulagement& la
nourriture des pauvres.
Sourds & Muets de naiſſance.
Levendredi 15 Mars , M. Pereire ,penſionnaire
&interpréte du Roi , de la ſociété royale de Londres,
a eu l'honneur d'être préſenté au Roi de Suède
par M. le comte de Scheffer ſon miniſtre , ainſi
que trois de ſes élèves fourds & muets de naiflance;
M. de la Voûte , gentilhomme du Berri ; Mlle
Je Rat , de Rouen , & Madelaine Marois , native
de la Vrilliere . Cette derniere portant la parole ,
ils ontharangué S. M. Suédoiſe en ces termes :
<<Site , l'art qui a délié nos langues nous con-
>> ſoloit faiblement des rigueurs de la nature; maiş
> notre ſort eſt aujourd'hui digne d'envie : l'hon-
>> neur qu'il nous procure de paroître devant Vo-
>> tre Majesté remplit nos deſirs &paſſe nos eſpérances.
30Nous joignons nos voeux , Sire , à ceux de
>>tous vos ſujets pour que le Ciel prolonge votre
>> regne , & le comble de proſpérités. »כ ১
Après ce compliment , que la jeune Marois a
prononcé très - distinctement , ils ont tous trois
ſucceſſivement&à pluſieurs repriſes repondu verbalement
, àdifférentes queſtions que la jeuneMarois
comprenoit le plus ſouvent au fimple mouvement
des lèvres , & que le maître tranſmettoit
aux deux autres par le ſigne d'un alphabet manuel
rès -expéditif, de fon invention. Tous trois ont
AVRIL. 1771.6 195
loàhaute voix dans un livre pris & ouvert au
halard; & chacun d'eux a eu l'honneur de préſenter
à ce Prince le même compliment , écrit & figné
de la main. S. M. S. s'eſt arrêtée à ce ſpectacle
philoſophique près d'une demi - heure , & en a rémoigné
ſa fatisfaction. Informée que la jeune
Marois étoit la ſeule fans fortune & orpheline
elle lui a donné des marques d'une générolité vraimentroyale.
PROGRAMME.
Société d'Agriculture de Rouen.
: Un Citoyen illuſtre , ayant connu par
une longue expérience le grand préjudice
que les Mans cauſent à l'agriculture , a
propoſé un prix de trois cens livres pour
un mémoire où l'on indiquera les moyens
les plus fürs & les plus faciles de détruire
ces Mans ou vers de hanneton .
La Société Royale d'Agriculture de
Rouen eſtime devoir communiquer aux
auteurs quelques réflexions qui puiſſent
les mettre en état de remplir les intentions
de fon bienfaiteur .
Elle deſire que la méthode qui ſera in
diquée ſoit appuyée d'expériences bien
conſtatées , qu'elle foit praticable en
grand , & que la dépenſe n'excède pas les
facultés du commundes cultivateurs. "
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
L'hiſtoire naturelle de cet inſecte ' eſt
affez connue ; preſque perſonne n'ignore
qu'après avoir dévoré les feuilles & même
les fleurs des arbres , les hannetons
s'accouplent : les femelles fécondées pondent
dans les terreaux & terres légeres ,
une grande quantité d'oeufs , que la chaleur
du ſoleil fait éclore . Il en réſulte des
vers que leur petiteſſe dérobe d'abord aux
yeux & qui ne cauſent preſqu'aucun dom.
mage pendant le premier été. Ils s'enfon.
cent en terre pour réſiſter à l'hiver , &
remontent à la furface dès le mois d'Avril
füivant ; c'eſt alors & juſqu'à la fin d'Août
qu'ils exercent leurs ravages. Ils regagnent
le fondjuſqu'au deuxieme printems , qu'ils
deviennent d'autant plus dangereux qu'a
lors ils ont acquis toutes leurs forces , &
qu'ils en uſent encore pendant tout l'éré.
Le tems de la métamorphoſe arrive enfin
aumois de Mai de la troisième année . Si
cemoiseſt beau & chaud , le ſcarabée fort
de terre pour dépouiller les arbres & préparerune
nouvelle génération d'ennemis
à l'agriculture.
Les auteurs font priés d'indiquer poſitivement
à quelle époque ils attaquent
cet inſecte , &de détailler les manipulations
& l'application du poiſon ou des
préſervatifs. :
AVRIL. 1771. 197
Pour fuppléer àl'infuffiſance des moyens
dont on aufé juſqu'à préſent , & faciliter
la découverte d'un remède plus efficace ,
la ſociété croit devoir prévenir de tout ce
dont elle a connoiſſance ſur ce ſujet.
1º. Les renards , les corneilles, les pies,
les poules même en dévorent beaucoup
dans l'état deſcarabée ou de hanneton. Il
s'en noie auſſi une grande quantité dans
les rivieres&dans les grands étangs .
2°. Les corneilles&les chiens en mangent
conſidérablement dans l'état de vers
oude mans , lors des labours du printems
&de l'été.
3°. Tous les cultivateurs de haricots
font ſuivre , au mois de Mai , la charrue
pardes femmes &des enfans qui ramafſent
ces vers& les dépoſent au bout du
champ , dans les chemins ou fur quelque
terrein dur ; l'impreſſion immédiate du
ſoleil les y fait périr en peude tems. Un
acre de terre en fournit ſouvent un boifſeau
à chaque labour. On en tue encore
dans les deux fouitures à bras , qu'on eſt
obligé de donner à ces légumes ; mais *
les individus périſſent &la race fubfifte .
4°. L'horreur de cet inſecte pour l'air
libre & le foleil eſt telle que ſi l'on ne
* Buffon , hiſt . nat.
I iii
198 MERCURE DE FRANCE.
s'apperçoit de leur dégât que dans une
portion d'une pièce de terre , il ſuffit de
circonfcrire d'un foffé la partie attaquée
pour préſerver le reſte. Les mans ne hafarderont
point de traverſer cette exca.
-vation ; mais rarement en eſt . on quitte
pour le ſacrifice d'une portion de ſa culture."
5º. On a propoſé dans une Généralité
dedonner un prix par chaque boiſſeau de
hannetons qu'on apporteroit dans un feu
entretenu ſur la place principale de chaque
village. La récompenſe auroit été dif.
tribuée par le ſyndic à mesure de la livraiſon
; mais comme cet inſecte vole
aſſez loin , que le vent peut même le
tranfporter à une grande diſtance , il a
paru que ce moyen ne feroit praticable
que dans une ifle iſolée par de très - larges
bras de riviere ou par la mer : par- tout
ailleurs le Aéau gagneroit de proche en
proche ,&tout le fruitde la dépenſe conſidérable
ſeroit d'en diminuer un peu les
effets pendant quelques années.
16°. On a reconnu qu'une diſſolution
de chaux ou toute autre leſcive alkaline
faifoit incontinent périr les mans ; mais
parce que leur réſidence ,même en été ,
eſtàdeux & trois pouces fous- terre , il ne
ſemble point praticable d'arroſer tout un
AVRIL. 1771 . 199
champ à cette profondeur , tant à cauſe
de la dépense que du danger d'altérer les
racines des jeunes plantes. Peut- être cet
arrofement auroit- il quelque bon effet en
faiſant ſuivre immédiatement la charrue
dans les labours de l'été ; mais on ne
laboure en été que les terres en jacheres;
on ne fait de jacheres que ſur les terres
fortes , & les terres douces , meubles &
légeres qui font toujours chargées , font
particulierement préférées par les hannetons
femelles pour y dépoſer leurs oeufs .
Tel eſt le détailde ce qui ne ſuffit pas
ou de ce qu'on ne peut point effectuer en
grand; c'eſt donc des lumieres & de la
fagacité des bons citoyens que la fociété
attend des moyens praticables pour délivrer
l'agriculture d'un de ſes plus funeſtes
Aéaux.
Les mémoires écrits liſiblement en
françois , en latin , en italien ou en anglois,
feront adreſſés , francsde port, avant
Ja St Martin 1771 , à M. Louis - Alexandre
d'Ambourney , négociant à Rouen ,
fecrétaire perpétuel. Les ſeuls membres
titulaires de la ſociété ſont exclus du concours.
Les auteurs ne ſe feront point con.
noître , & mettront ſeulement une deviſe
qui ſera répétée dans un billet cacheté ,
lequel billet contiendra leur nom & leur
adreſſe. I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Le prix ſera adjugé dans la premiere
féance après la fête des Rois 1772 .
NOTE.
M. le Roi de Brée, officier au régimentdeMetz
duCorps Royal de l'artillerie , ſous le nom duquel
on a inféré des vers dans le Mercure du mois de
Décembre dernier , avertit que ces vers ne font
point de lui , &que c'eſt une plaiſanterie que lui
ont faitedes officiers de ſon régiment.
מ
AVIS.
I.
L SR DELAG, rue de Bourbon , à laVilleneuve
, chez le Sr Quinſon , perruquier , peint les
cheveux , ſourcils & paupieres de la couleur qu'on
defire ; il arrête leur chûte en 24 heures , indique
les moyens de les conſerver , en fait venir à ceux
quienmanquent , & donne la façon de le faire à
ceux qui veulent eux- mêmes en faire l'expérience.
Le prix des bouteilles , ſoit pour la peinture des
cheveux , foit pour arrêter leur chûte , eft de7 1.
41. Ilguérit les corps aux pieds& le malde dents,
&diftribue une eau qui prévient ce dernier mal ,
&une poudre qui facilite aux perſonnes le moyen
de s'arracher leurs dents elles-mêmes.
11.
Baume huileux.
Le Sr Brafleur vend & adminiſtre un Baume
huileux immanquable pour la guériſon radicale
AVRIL. 1771 . 201
de toutes fortesde playes , comme ulcères les plus
invéterés , chancreux & fiſtuleux , même des
playes gangreneuſes dans telle partie du corps
qu'il s'en trouve ; il guérit en peu de tems les panaris
les plus déſefpérés ; il fait mûrir & aboutir
les abſcès & autres tumeurs , &en termine la
guériſon.
Il eſt un puiſſant remède pour les bleſſures, fi
profondes qu'elles puiflent être, parce qu'il déterge
& attire le fang extravafé; il eſt également
bonpour les entorfes , foulures , meurtriflures &
différentes douleurs de rhumatifme. Il en envoie
aux perſonnes de province , la quantité convenable
à la nature de leurs maux , avec la maniere
d'en faire ufage, qui varie ſuivant les différens car.
Sademeure eſt rue Feydeau , la troiſieme porte
cochère à gauche par la rue de Richelieu ; on le
trouve tous les matins juſqu'à neuf heures , & depuis
midi juſqu'àdeux .
III .
Esprit de vinaigre anti - peftilentiel , bon
pour toutes les maladies contagieuses .
Le Sr d'Albert , botaniſte , originaire de l'Allemagne
, compoſe le véritable efprit de Vinaigre
anti-peftilentiel , dont ſes ancêtres , qui exerçoient
avec ſuccès l'artde la médecine en Allemagne,lui
ontlaiffé le ſecret; cet eſprit de vinaigre opéra des
prodiges & devint très- célèbre en 1635 , lorſque
Ja peſte ravagea le duché de Luxembourg. Ce
fléau cefla tout- à- coup dans la paroifle où ce fpécifique
ſouverain parut pour la premiere fois ; fa
réputation&ſes heureux effets s'étendirent dela
danstoutes les contrées de l'Empire; & le peuple,
d'une voix unanime, le nomma par excellence ,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Vinaigre du St Efprit , pour donner une idée de
Los vertus preſque divines , ſi l'on oſe parler ainfi .
Après avoir foumis à l'examen des maîtres de
l'art la compoſition de ce vinaigre , & les avoir
mis en état dejuger eux - mêmes de ſon efficacité ,
leSrd'Albert , muni de leur approbation , croiroit
manquer à ſes concitoyens , à l'humanité entiere,
s'il ne communiquoit pas un antidote auſſi für &
auffi néceſſaire en tant de circonſtances de la vie.
Deux raiſons l'engagent à faire ce préſent au Public.
1º . De garantir ceux qui s'en ſerviront de
toutesmaladies contagieuſes quelconques. 2º. De
préferver les perſonnes qui , par état ou par devoir
font obligées d'approcher des malades attaqués
de fiévres malignes , de fiévres pourpreuſes ,
de la petite vérole , enfin de toutes les maladies
épidémiques.
L'uſage en eſt facile; ilne s'agit que des'en laver
labouche&les mains tous les matins , de s'en
frotter les narines & les tempes dans le courant de
la journée ; par l'attention de s'en ſervir de cette
maniere , on n'a jamais à craindre le mauvais air.
Les bouteilles de poiſton ne font que de 30 ſols,
afin que tout le monde puifle en profiter.
Il compoſe également un vinaigre ſpécifique
contre les maladies contagieuſes des animaux domeſtiques
, approuvé parl'Ecole royale vétérinaires
l'uſage eſt de leur en frotter la langue & les gencıves
tous les matins .
Le dépôt eſt aux Quinze - Vingts , àcôté de la
portede la rue St Nicaiſe , dans la petite cour à
droite. On trouvera du monde tous les jours& à
route heure,excepté les dimanches&les fêtes.
1
AVRIL. 1771 . 203
I V.
On trouvera chez le Sr Breffon de Maillard , de
l'académie de St Luc , graveur & marchand d'eftampes
, rue St Jacques près celle des Mathurins ,
à Paris , un aſſortimens de vaſes , de paniers , de
guirlandes de fleurs , écrans à pieds, & autres
deſleins d'ornemens propres à des deſſus de portes,
pourdécorer des maiſons de campagne & de ville,
&dedifférentes grandeurs. Prix , furgrand aigle
d'Hollande , 3 liv.; grandeurs au- deſſous , 2 liv .
& 1 liv, 10 fols ; & des eſlais de fleurs d'une nonvellemanierede
peindre ſur glace.
Les perſonnes qui defireroient s'occuper ellesmêmes
& ſe procurer un amuſement utile , trouveront
un affortiment d'autres deſſins en cuivre
évidé , à l'aide deſquels on peut exécuter & peindre
ſur ſoie ou autrement nombre de jolis ouvrages
pour meubles & vêtemens ; même peindre ſur
les murs , ce qui eſt plus économique & préférable
à tous papiers , principalement aux endroits expolés
à l'humidité ; on enſeignera & fournira tout
ce qui est relatifà cette maniere de deſſiner.
Le St Breffon de Maillard vend auſſi toute forte
decaracteres & emblêmes en velin, & autres ſujers
de fleurs peintes.
V.
Le Sr Lebrun , marchand épicier-droguifte, rue
Dauphine , aux armes d'Angleterre , magafin de
Provence& de Montpellier , hôtel de Mouy , continue
de debiter avec ſuccès différens remèdes approuvés
qu'il tire des Chymiſtes Anglois & autres.
I vj
104 MERCURE DE FRANCE.
SÇAVOIR ;
1º. Les tablettes pectorales d'Archbald pour la
toux , les rhumes opiniâtres & l'enrouement. La
boëteeſt de 24 Г.
2º. Les vraies emplâtres écoſloiſes pour la guérifondes
corps des pieds. La boëte eſt de 30 f.
3°. Le vérirable taffetas d'Angleterre noir &
blanc, pour les coupures , brûlures & crevaſles.
La piécede ſept pouces ſe vend 20 f.
4°. Les teintures du Sieur Greenough , fameux
chymiſte de Londres , l'une pour nettoyer ,blan -
chir&conſerver les dents , l'autre guérit lesmaux
dedents; chaque flaconſe vend 30 f.
5°. Le ruban de ſanté pour purifier le mauvais
air des appartemens renfermés &des chambresde
malades , 36 f. la boëte.
6°. Les tablettes pectorales de baume de Tolu ,
pour remédier à la phtyſie commençante , calmer
latoux & conſolider les vaiſſeaux du poumon. La
boëte eſt de 361.
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ſes rares vertus. Les bouteilles ſont de 3 ,
12liv.
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8°. L'eflencede perle & la perle dentifrice pour
lesdents, inventée & préparée par M. Hemet, dentiſte
de S. M. la Reine d'Angleterre &de la Princefle
Amélie. L'eflence de perle &la perle dentifrice
ſe vendent 3 liv. chaque.
AVRIL. 1771. 205
NOUVELLES POLITIQUES.
( De Constantinople , le 4 Février 1771 .
SULTAN Bayezid , frere de Sa Hautefle , mort le
28 du mois dernier , eſt généralement regretté.
Son corps a été inhumé , le jour même de ſa mort,
avec la pompe accoutumée. Le caïmacan , les
principaux officiers de la Porte & tous les gens de
loi ont aſſiſté aux funérailles.
Pendant la nuit dn 28 au 29 , une troupe de
Janiſlaires , qui devoient partir pour l'armée , forcerentlespriſons&
en retirerent ceux qui y étoient
détenus , ſans que le lieutenantde leur aga , ni le
caïmacan puſlent les en empêcher. Dans la crainte
que le retardement de la triple folde qui leur eft
due ne les portât à ſe révolter , on leur a donné ,
dès le lendemain, leur fimple paie , avec l'aflurance
que le Grand Viſir leur feroit délivrer le
reſte dès qu'ils feroient arrivés à l'armée. Les gens
demer ſe portent auſſi aux plusgrands excès , à la
faveur de l'impunité dont ils jouiflent en tems de
guerre; ils attaquent , dépouillent & maffacrent
tout ce qu'ils rencontrent de Grecs & d'Arméniens.
De la Haye , le 14 Mars 1771 .
On fit , le 9 de ce mois , à Schevening , village
fitué à une demi-lieue d'ici , en préſence du Stathouder
& de pluſieurs perſonnes de diſtinction ,
l'épreuve d'une charrette ſur laquelle eſt attachée
une chaloupe avec tout fon attirail. Cette charrette,
inventée par Agge Roskem Kool , habitant
)
206 MERCURE DE FRANCE.
deBeverwyk , fut traînée du village juſqu'au bord
de la mer , par trois chevaux qu'on détela ; enfuite
on délia la corde qui ſoutenoit la chaloupe ,
laquelle , au moyen de rouleaux diſpoſés ſur la
charrette , coula avec beaucoup de rapidité & ſe
trouva auſſi - tôt à flot à une diſtance converable .
Le vent étoit nord- nord- eſt . On s'eſt convaincu
par cet eſſai qu'il feroit aifé de fauver les équipages
des vaiſleaux qui échouent fur les côtes. Le
Stathouder parut très - fatisfait de cette invention
&donna une récompenſe en argent aux gens de la
chaloupe.
De Vienne , le 6 Mars 1771 .
Il eſt arrivé dernierement de. Petersbourg un
courier chargé de dépêches ſi importantes , que les
audiences publiques qui devoient avoir lieu ce
jour-là , ont été remiſes , & que l'Empereur a
rompu un voyage qu'il avoit deſſein de faire à
Presbourg avec le comte de Laſcy. On dit quele
Prince Joſepn de Lobkowitz partira , la ſemaine
prochaine , pour Petersbourg.
Quoique les troupes Impériales foient actuellement
complettes , on prétend que l'on y fera encore
une augmentation dehuit mille hommes.
De Nice , le 3 Mars 1771 .
Les perſonnes qui ont été nommées pour accompagner,
juſqu'aux frontieres des états du Roi,
S. A. Royale la Princefle de Savoie , épouſe future
de Mgr le Comte de Provence , ſont le maréchal
comtede la Roque , grand maréchal ; le marquis
d'Aigle-Blanche , chevalier d'honneur ; le chevalier
de Chiuſano , premier écuyer , le chevalier
Vacca-de- Piozzo , maître des cérémonies ; l'abbé
Carretto ,aumonier ; l'abbé Valle ,chapelain ;le
AVRIL. 1771 . 207
marquisde Saint -Alban, majordome ; le marquis
de Bianze & le chevalier de Bergera , écuyers ordinaires
; les chevaliers de Greſy & de Rinco , gentilshommes
de bouche ; la comtefle d'Oglianico ,
Dame d'honneur; la comtefle de Favria , Dame
d'Atours ; la marquiſe de la Marmora , la comteſſe
de Saubuy , la marquiſe de Coudré & la marquife
deChabo de Saint- Maurice , Dames du palais.
De Londres , le 15 Mars 1771 .
Ona annoncéque les Srs Wheble &Thompson ,
imprimeurs d'un article de gazette où la chambre
desCommunesavoit cru voir ſes droits&ſa dignité
bleſlés , avoient éré , en conféquence , foinmés de
comparoître à la Barre de la Chambre; que n'ayant
point comparu , l'huiſſier de la chambre avoit eu
ordre de les arrêter , mais que ſes recherches
avoient été inutiles ; que la chambre avoit prié le
Roi d'expédier des ordres pour faire arrêter ces
deux imprimeurs, & qu'en conféquence Sa Majesté
avoit publié une proclamation , avec promeffe
d'unerécompenſe pour quiconque les dénonceroit.
Juſqu'à ce jour on a fait de vains efforts pour découvrir
ces deux imprimeurs : hier , le Sr Wheble
adreſſa à l'orateur des communes une lettre , par
laquelle il lui marquoit qu'il n'étoit tenn d'obéir
qu'aux loix du royaume ; qu'il avoit expoſé ſon
cas à ſon confeil, le Sr Robert Morris , &que ce
juriſconſulte avoit déclaré , par une confultation
en forme , qu'il ne falloit avoir aucun égard , ni
aux ſommations de la chambre des communes , ni
à ſes décrets de priſe de corps , ni à aucune proclamation
, & que cette réſiſtance étoit autorilée pan
lagrande charte & par les nombreux ſtatuts qui
confirment le droit de tout citoyen. Aujourd'hui
208 MERCURE DE FRANCE.
àmidi , le Sr Wheble a été arrêté par un particulier
& conduit ſur le champ par- devant le Sieur
Wilkes , qui préſidoit , en qualité d'alderman , au
tribunal de l'hôtel-de-ville. Le Sr Wilkes a interrogé
celui qui avoit arrêté le Sr Wheble & lui a
demandé s'il avoit quelque accuſation à former
contre cet imprimeur ; ce particulier a répondu
que non , mais qu'il s'étoit ſaiſi de ſa perſonne en
vertu de la proclamation du Roi qu'il tenoit à la
main ; le Sr Wheble déclara en même - tems que
ce même homme avoit uſé de violence pour l'arrêter
&pour le conduire àl'hôtel de- ville. Sur ces
déclarations , le Sr Wilkes a mis , ſur le champ ,
en liberté le Sr Wheble & lui a fait promettre de
pourſuivre fon délateur ; il a donné enmême tems
àcelui- ciun certificat pour l'autoriſer à réclamer
larécompenſe promiſe par la proclamation. Cette
affaire a excité une ſenſation très - vive parmi le
peuple& peut avoir des ſuites férieuſes.
PRESENTATIONS .
Du 27 Février 1771 .
LeRoi ayant accordé un brevet de colonel à la
ſuite d'un régiment d'infanterie allemande au
Prince Frédericde Salm- Kyrbourg , ci-devant au
fervice de Leurs Majeſtés Impériale & Royale ; ce
Prince a eu l'honneur d'être préſenté en cette qualité
à Sa Majesté & à la Famille Royale le 23 & le
24deFévrier.
Le Sr Brivois, premier préſident du conſeil ſupérieur
d'Arras , le St de Saint-Michel , premier préfident
de celui de Blois , leSrRouillllée d'Orfeuil ,
premier préſident de celui de Châlons , & le Sr de
Heflelles , premier préſident de celui de Lyon, ont
AVRIL. 1771 . 209
eul'honneur d'être préſentés au Roi , en cette qualité
le 24 de Février , après avoir prêté ferment
entre les mains du Chancelier.
Le Sr de Montarcher , conſeiller au parlement
deDijon , a été nommé par le Roi à l'intendance
deSt Domingue , & a eu l'honneur de remercier à
cette occafion Sa Majesté , à qui il a été préſenté
par l'Abbé Terray , miniſtre d'état contrôleurgénéraldes
finances .
Le Sr de Chazerat , premier préſident du conſeil
fupérieur de Clermont , a eu l'honneur d'être préſenté
au Roi en cette qualité le premier deMars ,
après avoir prêté ſerment entre les mains du Chancelier.
Le 2 Mars , l'Evêque de Sagone en Corſe a prêté
fermententre les mains du Roi.
Le Marquis de Noailles , ambaladeur du Roi
auprès des Etats-Généraux des Provinces-Unies, a
pris congé de Sa Majesté le 4de Mars pour le rendre
àſa deſtination. Il a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi par le Ducde la Vrilliere, miniſtre
&ſecrétaire d'état. Le même jour la Marquiſe de
Noailles a pris congé de SaMajesté&de la Famille
Royale.
Le même jour la Vicomteſle de Broglie a cu
P'honneur d'être préſentée au Roi & à la Famille
Royale par la Marquiſe de Broglie.
Le Marquis de Gayon ayant obtenu une place
decoloneldans le corps des Grenadiers de France,
a eu l'honneur d'être préſenté en cette qualitéau
Roi & à la Famille Royale le 23 du mois de Février.
Le Marquis de Turpin a eu l'honneur d'être
préſenté au Roi & à la Famille Royale les de
Mars.
Le Comte de Lons, colonel -lieutenant du ré
210 MERCURE DE FRANCE .
giment de Royal-Marine , a eu l'honneur de preter
ferment entre les mains de Sa Majeſté , le rode
Mars , pour la charge de lieutenant de Roi de la
province de Navarre de Béarn.
La Comteſſe de Coulaincourt a eu l'honneur
d'être préſentée le même jour au Roi ainſi qu'à
la Famille Royale par la Duchefle de Bethune.
Le Chevalier de Chaſtenay , officier dans le
corps des Grenadiers de France , a cu l'honneur
d'être préſenté au Roi , à Mgrle Dauphin & àMadame
la Dauphine .
Les Députés de l'Iſſe de Corſe eurent audience
du Roi le 17 Mars. Ils eurent l'honneur d'être préſentés
à Sa Majesté par le Marquis de Monteynard,
lieutenant - général des armées du Roi , ſecrétaire
d'état ayant le départementde la guerre ,
& furent conduits à cette audience par le Marquis
de Dreux , grand maître ; le Sr Delgranges , maî
tre , & le Sr de Watronville , aide des cérémonies.
La députation étoit compolée pour le Clergé de
l'évêque de Sagone , qui porta la parole; pour la
nobleſle , du Sr de Mallé ,ancien capitaine au régiment
de Royal-Corſe; pour le tiers état , du Sr
de Jubéga. Ils eurent enfuite une audience de la
FamilleRoyale.
La Comtefle de Durtal de la Roche Foucault;
laMarquiſe de Montbel & la Marquiſe deBaſchy
ont eu le même jour l'honneur d'être préſentées au
Roi ainſi qu'à la Famille Royale ; la premiere ,
parla Duchefle d'Eſtiſſac ; la ſeconde , par la comreffe
de Montbel , & la troiſieme par la Comteffe
deBaſchy.
Le Chevalier de Vergennes , ci- devant ambaffadeur
du Roi à la Porte , vient d'être nommé
pour aller réſider avec le même titre auprès du
Roi de Suède. Il a eu l'honneur d'être préſenté aSa
AVRIL. 1771. 211
Majeſté en cette qualité, le 23 de Mars par le duc
de la Vrilliere .
NOMINATIONS .
Le Roi a donné , le 23 Février dernier , au Maréchal
Duc de Broglie , le gouvernement de Metz
&du pays Meſſin , vacant par la mort du Maréchal
d'Eſtrées .
Sa Majesté a diſpoſé du régiment Royal decavalerie
, vacant par la démiſſion du Marquis de
Serent , en faveur du Comte d'Ecquevilly , capitaine
dans le même régiment ; & de la place de
commandeur dans l'ordre de St Louis , vacante par
la mort du Sr Godde de Varennes , en faveur du
chevalier de Montazet , maréchal de camp , infpecteur
-général d'infanterie.
Le Roi vient de nommer guidons de la gendarmerie
le comte de Gamaches , capitaine au régimentDauphin-
Dragons ; le comte Louis deDurfort
, capitaine au régiment de Conti , Cavalerie ,
&le comte de Balby , capitaine au régiment du
Commiflaire-Général .
MARIAGES.
V
Le 12 Février , Armand- François de la Tourdu
- Pin de Gouvernet - Montauban , marquis de
Soyans , officier dans le régiment du Roi , Infanterie
, fils de feu René- Louis - Henri de laTourdu
- Pin de Gouvernet , marquis de Soyans , a
épousé Louiſe Françoiſe - Alexandrine de Guerin
de Terrier , fille de feu Antoine de Tencin , gouverneur
de Dye & maréchal de bataille de la province
de Dauphiné , & de Jeanne- Maric de Monseynard
, foeur du marquis de Monteynard, ſecré212
MERCURE DE FRANCE.
zaire d'état , ayant le département de la guerre.
La bénédiction nuptiale leur a été donnée dans la
chapelle de l'évêché de Grenoble , par l'évêque de
cette ville.
MORTS.
Jean- Jacques d'Ortous de Mairan , l'un des
Quarante de l'Académie Françoiſe , penſionnaire
&ancien ſecrétaire de l'académie royale des ſciences
, de la ſociété royale de Londres , de celles
d'Edimbourg & d'Upſal , des académies dePéterfbourg&
de Stockholm , & de l'Institut de Bolo-.
gne , eſt mort à Paris le 20 Février , dans la 93
année de ſon âge. Il a laiflé pluſieurs ouvrages
très- eſtimés , entr'autres fon Traité de la Glace &
celui de l'Aurore boréale.
Théodore Chavignard de Chavigny , comtede
Toulonjon , gouverneur des ville & château de
Beaune , ancien ambaſſadeur du Roi en différenres
cours de l'Europe , eſt mort à Paris le 26 Février
dans la 84 année de ſon âge.
Denis Clément , ancien aumônier du feu Roi
de Pologne , prédicateur du Roi , & confeffeur de
Meſdames , abbé commendataire de l'abbaye
royale de Marcheroux , ordre de Prémontré , diocèſe
de Rouen , eſt mort en cette ville le 7 de
Mars , dans la 64e année de ſon âge.
Henriette- Flore Feydeau de Brou , fille de feu
Paul - Eſprit Feydeau de Brou , garde des ſceaux
& épouſe de François - Bernard de Saffenay préfident
au parlement de Dijon , eſt morte à Dijon le
4Mars , âgée de 34 ans .
Claude-Auguste de Tifſſart de Rouvre , prêtre ,
AVRIL . 1771 . 213
bé commendataire de l'abbaye royale de Celles
, ordre de St Auguſtin , diocèſe de Poitiers , vicaire
général du diocèſe de Sens , doyen & chanoine
de St Quiriace de Provins , eſt mort en cette
derniere ville le 9 de ce mois , âgé de 71 ans.
Jacques de Raymond , marquis de Lesbordes ,
ancien colonel d'infanterie , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , eſt mort à Caſtelnaudary
, dans la 8se année de ſon âge.
L. Michel Vanloo, chevalier de l'ordre duRoi,
premier peintre du Roi d'Eſpagne , ancien recteur
de l'académie royale de peinture & fculpture , &
directear des élèves protégés par Sa Majesté , eſt
mort à Paris le 20 Mars , âgé de 64 ans.
LOTERIES.
Tirages de Remboursement , &c .
Lepremier tiragede rembourſement des billets
des fermes , ordonné par arrêt du conſeil du 13
Novembre 1770 , s'eſt fait le 18 du mois dernier
àl'hôtel de la compagnie des Indes , en préſence
du lieutenant généralde police.
Le 26 du même mois on a fait, à l'hôtel de Mefmes
, en préſence du même magiſtrat , le tirage de
rembourſementdes reſcriptions & aflignations fulpendues
, ordonné par l'arrêt du conſeil du 2Décembre
1770.
Le cent vingt-deuxième tirage de la Loteriede
P'hôtel-de- ville s'est fait , les du mois d'Avril ,
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 90702. Celui devingt
1
214 MERCURE DE FRANCE.
mille livres au No. 80004 , & lesdeuxdedix mille
aux numéros 88854 & 93137 .
Le tiragede la loterie de l'école royale militaire
s'est fait les de Mars. Les numéros ſortis de la
rouede fortune ſont , 27 , 31,83 , 7 , 48. Le pro
chaintirage ſe fera le s d'Avril.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers&en proſe , pages
Le Malheur d'opinion , conte ,
Lettre de Wallon , dans ſa retraite , à ſon
fils,
14
42
Vers à Mde de *** , ſur ſa convalefcence , so
Diftique pour mettre au bas du portrait de
Moliere ,
Le Cheval , fable imitée de l'allemand ,
Dialogue entre un Eramine & Ixilia ,
Epître à M. Foix , médecin ,
Le Champignon & la Violette , fable ,
ibid.
SI
52
66
70
Explication des Enigmes & Logogryphes , 71
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
Abrégé chronologique de l'hiſtoire ecclefiaf
ibid.
76
78
AVRIL 1771 . 215
tique , &c. de Bourgogne , ibid.
Traité de la Jurisdiction ecclésiastique contentieule
, 84
Compendium inſtitutionum philofophiæ ,
&c. 87
Dictionnaire hiſtorique & critique de la vie ,
du caractere , &c. de pluſieurs hommes
célèbres ,
88
Hiſtoire générale des Provinces-Unies ,
Vies des Architectes anciens & modernes ,
L'Honneur François ,
Lettres au R. P. Miſſionnaire à Pékin ,
Oraiſon funèbre de Jean- Baptiste de Durfort, 110
92
94
ICO
102
Traité élémentaire d'hydrodynamique ,
126
Penſées de Milord Bolingbroke , 129
Tractatus de vera Religione , 132
Les mille & une Folies , 133
Les Lamentations de Jérémie en vers françois
,
137.
Mémoires ſur le murier blanc & les vers à
foie , 139
Cours d'hiſtoire univerſelle ,petits élémens , 144
Sidney & Volfan , anecdote angloiſe , 150
Avis ſur la nouvelle éditiondu Trévους ,
216 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES , 152
SPECTACLES ,
167
Opéra,
ibid.
Comédie françoiſe 169
Comédie italienne , 176
Arts , Gravure , 183
Mufique , 186
Anecdotes , 188
Nouveau café , 193
Programme , 193
Avis , 200
Nouvelles politiques , 205
Préſentations , 208
Nominations , 211
Mariages , ibid.
Morts ,
Loteries,
212
213
APPROBATION.
:
AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
Mercuredu premier volume du mois d'Avril 1771,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
AParis ,le 30 Mars 17716
RÉMOND DE STE ALBINE.
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AVRIL , 1971 .
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les paquets&lettres , ainfi que les livres , leseltampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique .
,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
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préférence pour obtenir des récompenfes ſur le
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que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
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1
A ij
MERCURE DE FRANCE .
< Jaſon ſe place au char de ſon amie ,
En un clin d'oeil Colchos ne le vit plus:
Bientôt ce char s'abbat en Phéacie
Sur le palais du bon Alcinois.
Le Roi , ſurpris de ſi bruſque arrivée ,
En rechignant leur fait minces regaux ,
Et toujours va pfalmodiant Orphée ,
L'épithalame & vingt plats madrigaux.
Fort ennuyé de l'éternelle antienne ,
Pour s'étourdir ,Jaſon rêve aux moyens
Dedéthrônet le tyran de Meſſéne
Et de ravoir ſa couronne & ſes biens .
Oui , dit ſa femme , où donc eſt ton armée ?
Cinquante Grecs& toi mon bel époux ,
Penferiez - vous d'envahir la contrée ?
Bienque héros, vous paſſerez pour foux.
C'eſtpar moi ſeule & fans autres prologues
Que tu verras ton fot oncle éconduit ,
Aller apprendre en l'éternelle nuit
Quels ont été jadis mes pédagogues.
Juſqu'à ce jour je n'ai mis ſous tes yeux ,
Qu'échantillons de mes talens ſublimes;
Quand il meplaît j'évoque des abymes
Tous les démons & l'enfer avec eux.
Au ſeul proposde la fière Medée ,
Legrandhéros ſent heurter ſes genoux.
AVRIL. 1771. 7
Plutôt , dit- il , qu'un ſemblable hymenée ,
Dragons , taureaux , que ne m'occifiez - vous ?
Avantla noce on applaudit au vice ,
Qu'après l'on blâme & voit avec horreur ;
C'eſt là le train de tout adulateur ,
Et qui s'en plaint eſt traité de novice .
Sans écouter ce que ſon doux confort ,
Va gromelant , la belle s'achemine
Vers un manoir où diſtillant d'abord
Un élixir pour déguiſer ſa mine ,
Elle s'en frotte , & dans peu de momens
Sa peau le criſpe & ſa taille eſt voutée ;
Son oeil découle& fupprimant ſes dents ,
La voilà miſe en Sybille Cumée.
Puis elle emplit de drogues & poiſons
Lebuſte creux d'une antique Diane ,
Et la plaçant dans ſon char diaphane
A les côtés , fit partir les dragons.
Bientôt planant deſſus la grande plaec ,
Où Pelias a bâti ſon logis;
Contorfions , voltigee & laſis
Font accourir la vile populace.
«Meſſéniens des grands Dieux trop cheris',
>>>Or , de Diane oyez une prétreſſe :
>>>Je donne à tous , aux plus foux la ſageſle,
>> Et la vigueur à tous les décrepis.
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'ai certaine eau de vertu diffolvante ,
-Dite regale à diſſoudre un tyran:
>> Ne demandez preuve plus convainquante
De la vertu de mon orvietan .
>> Pour Pélias j'ai de l'eau de Jouvence ,
>>De cinquante anselle allége en un trait:
> Cela ſuffit. D'une troiſieme enfance
>>>N'auroit defir , au moins on le croiroit.>>
Puisen laiſſant entrevoir une épée,
Aux Mécréans : « S'il ne peut rajeunir ,
>>> Je tiens ici la recette affurée.
>Qui ſaura bien l'empêcherde vieillir.
Le Roi Chenu ſortit de fa taniere ,
Voulant favoir ce qu'étoit ee grand bruit,
Par la canaille il fut bientôt inftruit;
Mais ſi pouvez , dit- ilà la forciere ,
Faire marcher le tems à reculon ,
D'où vient , Madame , êtes - vous chaſſicuſe,
Toute ridée&tant ſoit peu baveuſe ?
Sur cegrandart il me vient du foupçon .
Ho! ditMedée, apprenez que prêtrefles
Ont l'air hideux par inſtitution ,
Faites ainſi les veulent les décſles ,
Et vous ſavez qu'elles ont leur raifon.
Le Pelias ſe ſent chatouiller l'ame
Audoux penſer de ſe voir rajeunir;
AVRIL. و . 1771
Dans fon palais il ébergea la Dame ,
De ſes vieux ans ſe flatant de guérir.
Le premier point eſſentiel à la cure
Etoit celui de ſe faire égorger.
Cecoup horrible& revoltant nature ,
Par ſes enfans devoit s'exécuter.
Pour leur prouver qu'il étoit falutaire
Un vieux bélier tombe ſous ſon couteau
Et le faiſant bouillir une heure entiere ,
De la marmite il reſortit agneau.
Tout ſyllogiſmeactifnous perfuade :
Chaque princeſſe avec un grand poignard ,
Vers le minuit vient au lit du malade ,
Etde cent coups occiſent le vieillard.
La noire Fée ordonne aux Idiotes
D'aller au toict , d'y mouvoir maint fanal ;
Or , pour l'affaut c'étoit là le ſignal
Qu'avoient reçu les vaillans Argonautes.
Ils ont bientôt forcé la garnifon.
La mortdu Roi les peuples en apprirent ,
Au fils d'Elon d'abord ils ſe ſoumirent.
Bref, de ſon thrône il prend poffeffion .
Toujours au toict branlant leurs luminaires ,
Princeſſes vont pour guérir Pelias ,
Ne produira leur ſéjour aux goutieres
Nul autre bien que d'éclairer les chats.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Mais des revers Jaſon craignant l'atteinte,
En ſi haut grade où l'on a vu ſouvent
Pour régenter les frères s'occiſant.
Il réſolut d'aller vivre à Corinthe ;
Lors , en faveur d'Acaſte ſon couſin ,
Manteau royal &couronne il dépoſe ,
Et de ſes ſoeurs honnêtement diſpoſe
En leur donnant chacune un Roi voiſin .
Avant partir , fuyant l'ingratitude ,
Jalon fétoie en l'honneur de ſes dieux .
Le vieil Eſon , dans ſa décrépitude
Trop afaiflé , n'aſſiſte point aux jeux.
Son pieux fils en a l'ame mârie .
Ah! ſi pouvez ma femme ſur Elon ,
De mes beaux ans gréfer une partie ,
Je vais , dit-il , en faire ceſſion .
Oh! oh ! répart des lutins l'Emperiere ,
J'aimerois mieux , que racourcir tes jours ,
Guérir Eſon dans le goût de ſon frère ;
Mais par mon art j'aurai d'autres ſecours.
Je t'avouerai que l'oeuvre en eſt péneuſe ;
Quand je prétends un mort reſluſciter ,
Du vieux Pluton , de la femme hargneuſe ,
La rebufade il me faut eſſuyer.
Ces noirs conjoints ſentent doubler leur rage,
Sides enfers je leur fais dégorger
Quelque captif; car la lugubre plage ,
AVRIL. 1771. II
Eſon doit voir s'il veut ſe reſtaurer.
Jaſon n'auroit , à cette boucherie ,
Voulu d'Eſon les vieux ans expoſer ,
S'il n'eut appris qu'étant à l'agonie ,
Lebon vieillard n'avoit rien à riſquer.
1
L'ABEILLE & LE FRELON. Conte.
UNE Abeille , dans la prairie ,
Sepromenoit ſur mille fleurs ,
Elle reſpiroit leurs odeurs ,
De toutes elle étoit chérie
Et recevoitquelques faveurs.
Un Frêlon l'obſervoit , &ſa jalouſe rage
Ne put long- tems ſe contenir ;
Il s'approche , il fait grand tapage
Et ſe prépare à la punir.
Ah! Frêlon , quelle jalouſie ,
Ouplutôt quelle cruauté ,
Dit l'Abeille en tremblant , calmez votre furic;
Mon travail appartient à la ſociété ,
Et le peude ces fleurs dontje me ſuis nourrie ,
Je le rends à l'humanité.
J'en compoſe le miel ;je n'ai pointd'autre cavie,
Et fi je ſuisde quelque utilité ,
C'eſt tout le bonheur de ma vie ,
Et c'eſt ma ſeule vanité.
12 MERCURE DE FRANCE.
Ace difcours , le Frêlon en colere
Menace , il veut l'anéantir ;
Et ſous la rage meurtriere
L'Abeille étoit prête à périr ,
Lorſqu'un oiſeau , témoin de la querelle,
Vint la ſouſtraire au barbare Frêlon .
Ovous , dont la fureur toujours le renouvelle,
Retenez bien cette leçon ;
Dans les tréſors dugoût laiſſés puiſer l'Abeille :
Zoïles inſenſés , vous bourdonnez en vain !
Le Public ſeul eſt juge ſouverain ;
Arbitre des talens , il eſt l'oiſeau qui veille ,
Et pour vous écrafer il a le foudre en main .
ParM.Dufaufoir.
MORTON & SUSANN
Histoire angloise , par M. d'Arnaud.
QUE le malheur est accablant , qu'il ſe
fait fentir dans toute fon horreur lorſqu'il
force la vertu même à fléchir ſous le joug
de la néceſſité , & à ſe dégrader jufqu'a
cet aviliſſement qui ne doit flétrir que le
vice!Tous les ſecours de la ſageſſe humaine
ne fauroient nous armer contre ces
difgraces terribles; elles ne permettent
aucun genre deconfolation ; elles ne nous
AVRIL. 1771 . 13
laiſſent de ſoulagement à eſpérer qu'une
prompte mort. Il n'y a que la religion ,
la ſeule religion qui puiſſe en faire fupporter
le poids& nous retenir encore à la
vie.
Morton avoit reçu une éducation cultivée
qui , ſans doute , le rendit plus infortuné
en le rendant plus ſenſible. Les
lumieres de l'eſprit dans une ame vertueuſe
ne ſervent qu'à développer & à
fortifier le fentiment , qui devient le premier
ennemi de l'homme malheureux .
Les parens de Morton étoient au nombre
des riches négocians de l'Angleterre ; il
pouvoit concevoir de hautes eſpérances
d'établiſſement & de conſidération . Des
banqueroutes fucceſſives ruinerent fa famille.
Ce jeune homme , privé de toutes
reſſources , ſans amis , rejetté de la ſociété
, ſoumis à toutes les épreuves cruelles
qu'entraîne le changement de ſituation
, réfolut de s'exiler de fa patrie &de
fe retirer à la nouvelle Yorck . L'adverſité
mortifie toujours l'amour propre;
nous attachons une eſpèce de honte à
nous montrer dans l'abbaiflement aux
mêmes yeux qui nous ont vu favoriſés
de la fortune. On ne veut pas ſe perfuader
que cette adverſité ſi humiliante pour
la plupart des hommes eſt dans la claffe
14 MERCURE DE FRANCE.
1
des maladies qui affligent la nature hu
maine. Combien d'infortunés ſoutiendroient
les extrêmités de l'indigence &
même du beſoin , plus patiemment que
la préſence des perſonnes qui ont été témoins
de leur proſpérité ! c'eſt peut- être
là ce qu'on peut appeller le malheur véritable
. Morton avoit donc voulu s'épargner
cette mortification . Arrivé à la nouvelle
Yorck , il s'étoit aſſujetti aux emplois
les plus pénibles , les plus bas ; il
penſoit avec raiſon qu'il n'y a point de
moyens de ſubſiſter qui deshonorent ,
lorſque la mifére n'ufurpe point ſur la
dignité de l'homme; à force de travaux ,
de fatigues & d'honnête induſtrie , & en
ſe retranchant même de ſon néceſſaire ,
il parvint à ſe former une petite ſomme
qui lui fuffit pour louer un café : le malheur
prépare l'ame à ce ſentiment dont
le charme adoucit les amertumes empoifonnées
de la vie. L'amour ſemble prendre
plaiſir à s'attacher au coeur des infortunes.
Morton devint épris d'une jeune
perſonne qu'on nommoit Susanne : elle
appartenoit à des parens pauvres , mais
vertueux ; elle avoit été inſtruite par leurs
exemples autant que par leurs leçons : fes
agrémens égaloient ſa ſageſſe ; dans le
ſein de l'indigence elle s'étoit montrée
AVRIL. 1771 . 15
inſenſible à ces brillans avantages, à toutes
ces perſpectives éblouiſſantes que préſente
l'inſolence de la fortune pour humilier
la beauté malheureuſe . Un rapportde
ſentiment &de ſituation avoit lié
Morton & Susanne : ils ſe marierent , &
une tendreſſe réciproque ſuivit cette
union ſi touchante ; trois enfans en furent
les fruits . Le mari & la femme réuniffoient
leurs efforts pour s'arracher à l'indigence
: ils n'avoient pu s'empêcher de
contracter quelques dettes ; ilsſouffroient,
mais ils ſouftroient enſemble. Que les
travaux , que les chagrins s'adouciſſent
lorſqu'ils font partagés avec un objet qui
nous eſt cher ; & que les larmes qu'il mêle
aux nôtres ont une volupté peu connue
des gensheureux !
Morton depuis quelque tems paroiſſfoit
plus triſte qu'à l'ordinaire ; il regardoit fa
femme avec un attendriſſement douloureux
; il prenoit ſes enfans dans ſes bras ,
les ferroit contre ſon ſein,jettoit de profonds
foupirs & laiſſoit même couler
quelques pleurs qui ſembloient s'échapper
d'un coeur trop plein pour pouvoir les
retenir; Suſanne en fut allarmée : tu pleures
, lui dit- elle , mon cher ami ! -Aurois-
tu des chagrins que tu refuſerois de
me faire partager ? Tu fais combien je
16 MERCURE DE FRANCE.
reſſens tout ce qui t'afflige ; m'enviroistu
la fatisfaction de te confoler? Il faut
eſpérer que le Ciel prendra pitié de nous
&qu'il bénira nos foins. Notre indigence
auroit - elle diminué ton amour ? Pour
moi , je t'aime tous les jours davantage...
Ne plus t'aimer , s'écrie Morton en courant
à Suſanne & en la preffant contre fon
coeur ? Eh ! n'es-tu pas tout ce que j'adore
, tout ce qui me fait ſupporter la vie ?
Suſanne ! ... ſitu ſavois quel fort nous
attend! .. Il m'effraie . -Tu m'aimeras
toujours , répond Suſanne ? Mais pourquoi
cette profonde douleur , ce défefpoir?-
Ne vois - tu pas nos créanciers
qui nous tourmentent? Nous travaillons
jour & nuit , & nous ne pouvons nous
garantir de la miſére... Nous ne nous
acquitterons jamais . -Je redoublerai
mes efforts , cher époux ; nous nous débarraſſerons
denos dettes. Morton réplique
d'un ton touchant , & en fixant fur
elledes yeux couverts de larmes , tu ne
fais pas tout ce que nous devons ?-J'en
ai le compte exact. -Susanne , pourſuit
fon mari avec une fureur concentrée , tu
m'aimes ? .. tu vois en moi le bourreau ,
le bourreau de tes enfans.-Que dis-tu?
-Ne me demande tien; j'ai fait une
faute , & je n'en ſuis que trop puni. O
AVRIL. 1771 . 17
mon Dieu! permettras tu que ma femme
&mes enfans en foient les victimes ? ..
Je n'ai plus qu'à mourir. Susanne alors
tombe daus les bras de Morton en fondant
en pleurs. -Tu parles de mourir ?
Eh , que veux-tu que devienne ta famille
? .. Non , Morton , je ne te ſuis pas
chere ! fi tu m'aimois ... On n'a pointde
fecrets pour ce qu'on aime... Et quels
font donc les maux que la tendreſſe ne
peut conſoler ? Puiſque l'amour ne ſcauroit
t'émouvoir , au nom de l'humanité
apprends moi quelle nouvelle peine t'ac.
cable? Tous les malheurs enſemble , repart
Morton , en levant les yeux au Ciel;
oui tu vas tout favoir , tu vas ſavoir...
Que la mort eſt mon unique recours ...
Susanne , tu connois mon coeur , tu fais
combien il eſt ſenſible !un perfide que tu
as vu ſouvent ici & qui fe diſoit de mes
amis , en a abuſé. Il devoit une fomme
conſidérable ; on le pourſuivoit; fon fort
m'a touché ; enfin j'ai eu la foibleſſe de
le cautionner. O Ciel ! s'écrie Suſanne.
-Le ſcélerat a quitté ce pays au moment
de l'échéance , & nous ſommes obligés
de payer ou la juſtice va s'emparer du peu
que nous avons , & pour le reſte de la
ſomme nous priver de la liberté ... & de
1
18 MERCURE DE FRANCE .
la vie. J'ai vu le barbare créancier ; j'ai
demandé des délais ; il eſt inflexible :
voilà , continue Morton , où m'a réduit
ma ſenſibilité , à te percer le coeur à toi
&à nos enfans. Nous ſommes perdus ſans
refſource : ah ! Suſanne , que j'ai de reproches
à me faire !-Mon ami , tu as été
trompé ; c'eſt la ſcélérateſſe des hommes
qu'il faut accufer. Notre ſituation eſt
cruelle , je ne le ſens que trop : ne cédons
cependant point à la douleur , ſongeons
plutôt à réparer le mal. Ne déſeſpère
point ; j'irai trouver ce créancier. Seroitil
auſſi impitoyable que tu le repréſentes!
Nous tenterons l'impoſſible pour acquitter
cette dette. J'entreprendrai avec joie
les travaux les plus pénibles , trop heureuſe
ſi à ce prix je puis t'être de quelque
utilité ! Obtenons ſeulement du tems ;&
ſi nous nous aimons , nous viendrons à
boutde jouir d'un fort plus heureux.
Suſanne nourrifſſoit un de ſes enfans :
elle le prend dans ſes bras &ſe rend chez
le créancier. Cet homme oppoſe un coeur
de ferà ſes ſupplications & à ſes larmes;
il ne répondoit à tout ce qu'elle lui diſoit
que ces deux mots : Mon argent ou la prifon
: enfin il conſent à recevoir à compte
&n'accorde qu'un mois de délai pour le
AVRIL. 1771. 19
paiement total. Susanne le prie , le conjure
encore d'avoir égard à leur fituation ;
il ne l'écoute point& la force de ſe retirer.
Morton l'attendoit avec impatience ;
elle lui apprend le peu de ſuccès de ſa viſite
; ils vendent tous leurs effets , ſe hâtentd'en
envoyer le produit à l'impitoyable
créancier , & ne ſe réſerventque leur
café pour tâcher de continuer leur commerce
. Ils comptoient les jours , les heures
; ils avoient ce terme fatal fans ceffe
devant les yeux ; cette malheureuſe femme
ſuccomboit ſous la fatigue; elle travailloit
des nuits entieres à l'aiguille tandis
que ſon mari ſe livroit encore à des
occupations dont il retiroit quelque profit.
Suſanne étoit entourée de gens qui afpiroient
à la ſeduire ; comment n'eut- elle
pas réſiſté à leurs attaques ? Elle ignoroit
qu'elle étoit belle ; elle étoit vertueuſe ,
&elle aimoit ſon mari. Parmi ces corrupteurs
de profeſſion , il y en avoit un
qui les ſurpaſſoit en audace &en ſcélérateſſe.
Jonathan , c'eſt ainſi qu'on le nommoit,
étoit un de ces hommes qui ne
croient point à la vertu & qui ne rejettent
aucun moyen , pourvu qu'ils conduiſent
à la fin qu'ils ſe ſont propoſée. Il avoit
20 MERCURE DE FRANCE.
été officier dans les colonies ; des ſoupçons
déſagréables pour un militaire qui
auroit aimé l'honneur, l'avoient contraint
de renoncer au ſervice; il ne vivoit que
d'intrigues & ſavoit les couvrir avec beaucoup
d'intelligence. Il n'avoit pu voir
Sufanne fans concevoir une violente paffion
; il s'itritoit contre la ſageſfede cette
femme malheureuſe ,&depuis long-tems
il épioit avec une ardeur ſuivie les occaſions
d'en triompher , ſemblable à ces bêtes
féroces qui ont les yeux toujours attachés
ſur leur proie. Sufanne, malgré ſes
veilles &fes efforts , ne pouvoit fe cacher
que le jour funeſte approchoit , & qu'il
leur feroit impoſſible de ſatisfaire au reſte
du paiement ; elle voyoit déjà la prifon
s'ouvrir , & fon mari s'y confumer de
douleur. Jonathan s'étoit apperçu de fon
trouble ; il avoit même ſurpris des larmes
prêtes à tomber & qu'elle s'étoit obſtinée
à repouffer ; il profite d'un moment où ils
étoient ſeuls ; il s'avance vers Sufanne,&
prenant un ton de compaffion honnête :
je vois bien , Madame , que vous avez du
chagrin &que vous voudriez le dérober
aux yeux du public : on s'intéreſſe trop à
vous pour n'être pas empreſſé d'en ſavoir
le ſujet , & peut-être ſeroit- on affez heureux
d'y remédier ; c'eſt une eſpérance
AVRIL. 1771 . 21
dont vous permetez du moins que l'on
oſe ſe flatter. Sufanne fit peu d'attention
à ces paroles de Jonathan , qu'elle regarda
comme un de ces complimens dictés par
la politefle ; elle le remercia cependant
avec reconnoiſſance & chercha à détourner
la converſation ; l'adroit Jonathan
perſiſte ; enſin , après un long entretien de
part&d'autre, il amene Susanne au point
de ne pouvoir plus contenit la douleur
qui la preſſoit. Elle éclate en ſanglots; le
perfide feint de mêler ſes pleurs aux fiennes;
Suſanne luidécouvre leurétat déplora.
ble; le ſcélérat lui répond qu'on peut l'obliger;
cette femme , dont l'ame étoit ſi
pure , qui ne ſavoit pas juſqu'à quel point
peut ſe déguiſer l'atrocité d'un coeur corrompu
, croit voir dans l'officier un ange
deſcendu exprès du Ciel pour les ſecoarir
, elle entre avec lui dans ces détails
qui partent d'une ame confiante : cet
épanchementde ſenſibilité lui prêtoit de
nouveaux charmes qui enflammoient Jonathan
; il lui répéte qu'il eſt prêt à leur
rendre ſervice ; Sufanne ne ceſſe de l'affurer
de ſa reconnoiſſance , de le nommer
leur bienfaiteur, le ſoutien d'une famille
défolée qui adreſſera au Ciel ſes prieres
pour la conſervationd'un homme ſi géné
22 MERCURE DE FRANCE .
..
reux ; oui , ajoute-t'elle , en verſant de ces
larmes touchantes qui font l'expreſſion
des coeurs ſenſibles ; je me plais , Monſieur
, à vous montrer toute l'étendue de
votre bienfait ; vous racheterez la vie à
un père , à une mère , à trois enfans .
Nous vous bénirons ſans ceſſe aptès l'Etre
Suprême ; Toyez perfuadé que nous répondrons
à la nobleſſe de vos procédés ;
il n'y a rien , non , il n'y a rien que je ne
falle pour nous acquitter envers vous. Je
vous en diſpenſe , belle Susanne , repart
vivement Jonathan ; cette bourſe contient
cent guinées qui , dès ce moment ,
deviendront votre bien; permettez - moi
cependant d'y mettre une condition.
Une condition , interrompt Suſanne ! elle
n'en ditpas davantage ; la rougeur monte
fur fon front , elle craint enfuite d'avoir
écouté trop légérement des ſoupçons in
jurieux ; elle s'efforce de les diſſiper , &
de ſe raffurer. -Vous vous troublez ,
femme charmante ? j'avoue que toutes les
fortunes du monde ne ſauroient... Que
voulez vous dire , Monfieur ? Que je vous
adore , reprend Jonathan en ſes précipitant
à ſes genoux. Il veut lui baifer la
main: Sufanne la retire avec effroi , & en
pleurant amèrement : ah ! Monfieur, étoit
..
AVRIL. 1771 . 23
ce là votre bienfaiſance ? Vous m'inſpiriez
des ſentimens de reconnoiffance , de
vénération ; & vous ofez croire... Laiſſez
périr une famille infortunée..OCiel! je
vous eſtimois... Il n'eſt donc point de
coeur allez généreux . -Non , adorable
Suſanne , il n'en eſt point d'aſſez ennemi
de fon bonheur pour ſurmonter l'amour
que vous faites naître ; vous me parlez de
votre ſituation , la mienne eſt affreuſe ; je
meurs de mille morts ſi je ne puis vous
plaire ; je voudrois avoir en ma diſpoſition
plus que ces ces cent guinées , mais
je vous offre tout ce queje poſſéde; je vous
donne ma parole que perſonne ne faura...
Perſonne ne faura , interrompt Sufanne
avec un noble emportement , que j'aurai
outragé l'honneur , mon mari , le Ciel...
& ne le ſaurai-je pas moi ? Allez , Monſieur
, épargnez - moi votre préſence...
vous me faites horreur; allez vous applaudird'avoir
infulté à la miſére d'une honnête
famille... qui eſt bien malheureuſe
(il veut s'approcher ) retirez- vous , homme
déteſtable ... Où eſt donc la vertu ?
L'intrépide Jonathan ne ſe dément point.
-Vous appellez inſulte l'hommage que
l'on rend à vos charmes ? Songez qu'on
ne trouve pas tous les jours une bourſede
24 MERCURE DE FRANCE.
cent guinées . Confultez vous bien ; je
vous laiſſe le tems d'y penſer , & il fort
du café.
Sufanne s'écrie dans l'abondance des.
ſanglots : ô inon Dieu ! .. n'étois - je pas
aſſez à plaindre ? Falloit-il encore me foumettreà
cette humiliation ? N'ya-t il plus
d'humanité ? hélas ! ma joie a été de peu
de durée! je croyois avoir trouvé un bienfaiteur
pour foulager mon mari , mes enfans...
Quel plaiſir j'aurois goûté à leur
porter du ſecours ! & c'étoit le prix de
mondeshonneur ?
Cette femme vertueuſe ne révéla point
àMorton les propoſitions outrageantesde
Jonathan : elle auroit craint d'augmenter
le déſeſpoir d'un époux que le malheur
lai rendoit plus cher ; pluſieurs autres
créanciers s'étoient joints au tygre impitoyable
qui avoit juré la perte de ces deux
infortunés : on touchoit à l'expiration du
délai . Morton étoit plongé dans un accablement
qui différoit peu de la mort:
deux enfans faifoient retentir ſans ceſſe à
ſon oreille leurs cris fi déchirans pour un
coeur paternel : la nourriture commençoit
à leur manquer ; &le troifiéme ſuçoit un
ſein où il n'y avoit plus de lait. Susanne
&Morton expiroient eux-mêmes de befoin
VRIL. 1771 . 25
ſoin; ils avoient follicité envain la froide
compaſſion des plus riches habitans de
laColonie : ceux qui avoient une eſpèce
de honte à inontrer leur inhumanité ſe
contentoient de les plaindre ſans leur accorder
du ſecours : une image de déſolation
étoit tout ce qu'ils voyoient.
Jonathan reparoiſſoit au café avec toute
l'audace dont s'arme le crime qui ne
connoît plus de remords ; il étudioit le
viſage de Suſanne ; il calculoit ſes degrés
d'eſpérance par les mouvemens de douleur
qu'ily faififfoit : on eut dit qu'il s'enivroit
à plaifir de ſes larmes , parce qu'il
l'attendoit à ce comble de misère qui la
forceroit à immoler ſa vertu . O Dieu !
permettez vous qu'il exiſte des hommes
auſſi criminels ? Suſanne , entraînée par la
néceſſité , fait des efforts ſur elle même ,
attend que tout le monde foit forti du
café , excepté le ſcélerat Jonathan , qui
avoit la vue toujours fixée ſur elle comme
un tygre rugiffant qui aſpire à tenir ſa
proie entre ſes griffes déchiranres ; elle
va tombertoute en pleurs aux pieds de ce
monſtre qui vouloit la faire relever.
Non , Monfieur, je ne quitterai point vos
genoux; je les embraſſe comme ceux de
Dieu même : oui , c'eſt comme à Dieu
II. Vol.
B
-
26 MERCURE DE FRANCE.
même que j'oſe vous demander quelques
foibles fecours , le plus foible ſecours ; il
eſt inutile de vous le cacher; notre misère
eſt au plus haut point ; mon mari , mes
enfans expirent... A cet aveu qui autoit
porté la mort dans l'aime la moins ſenſible
, on voyoit une joie cruelle monter &
s'épanouir ſur le front de l'arroce Jonathan.
Je mourrois fans peine , pourfuitelle
; mais qui prendroit ſoin de mon
époux , de ces innocentes créatures ; Mon.
ſieur, au nom de l'humanité , daignez être
notre bienfaiteur ; voyez ces larmes dont
j'inonde la terre; ſentez tout le plaiſir
d'obliger , de ſecourir une miférable famille
qui s'élevera pour vous chérir, pour
vous adorer comme ſon ſecond père; exigez
de moi tous les ſentimens, tous les
facrifices , tout , hors mon deshonneur ;
hélas ! nous n'avons que la vertu ; c'eſt
tout notre bien ! voudriez - vous couvrir
d'opprobre une infortunée qui eſt mère de
trois enfans , qui eſt l'épouſe du plus honnête
homme... Le malheureux ! il n'a
d'autre confolateur , d'autre ami que moi,
&pourrois- je lui manquer ? Je fais tout
pour lui ... Monfieur , je vous en conjure..
jettez un regard de pitié ſur l'état où nous
ſommes , il eſt terrible. Madame د
reAVRIL.
1771. 27
prend-il , en paroiffant ému & en l'obligeant
de s'affeoir , je ſens toute votre douleur
, elle me déchire l'ame ! mais je vous
aime éperdumert,& je vois, avec fureur ,
que le tems , les bons procédés , les ſervices
les plus eſſentiels , rien ne pourroit
obtenir de vous cette reconnoiſſance qu'il
m'eſt impoſſible de ne pas exiger. Je
m'apperçois que vous avez une aveugle
tendreſſe pour votre mari ; je profite donc
malgré moi , oui , malgré moi d'une circonſtance
qui m'eſt favorable.Mon amour
m'impoſe cette loi... Si vous connoiſſez
l'amour...--Homme abominable , s'écrie
Suſanne , eſt- ce à toi de le connoître?Dis
que la haine , que l'enfer eſt dans ton
coeur... Ah ! que ne me plongez - vous
votre épée dans le ſein! .. Il y auroit
moins de cruauté à m'arracher la vie qu'à
outrager une malheureuſe femme qui implore
la plus foible marque de compaffion...
Dieu nous vengera. J'ai pris mon
parti . Voilà encore les cent guinées ;
vous ſavez à quel prix vous pouvez en
diſpoſer , je ne dirai plus qu'un mot ; je
quitte ce pays dans vingt -quatre heures.
-Ah , tygre! ah , barbare ! .. Monfieur!..
elle retombe à genoux & lui tend les bras .
-Songez que dans vingt -quatre heures
Bij
28 MERCURE DE FRANCE,
je ne fuis plus ici , je viendrai demain ſavoir
votre déciſion ; ſi elle m'eſt contraire
n'eſpérez pas ſeulement un ſcheling de
moi ; & il la laiſſe preſque anéantie par
l'excès du déſeſpoir.
Suſanne éplorée retourne auprès de
Morton ; il expiroit dans les ſanglots; il
étoit penché ſur le corps d'un de ſes enfans
malade de néceflité,&qui tendoit
ſes mains défaillantes , en demandant du
pain à ſon père. Quel objet pour les yeux
d'une mère ! Sufanne accourt : ô mon fils!
ômon cher Morton ! elle les embraffe
tous deux. Son coeur étoit trop plein , il
ſe déborde au milieu des larmes & des
cris , elle découvre à fon mari la fcélérateſſe
de Jonathan, Grand Dieu , dit cet
infortuné en couvrant de pleurs le viſage
de ſa femme & en la ferrant avec tranfport;
tu me fais goûter toutes les douceurs
de l'amour dans les horreurs de la plus
effroyable adverſité ? .. Ofemme adotable
! tu m'aimes affez. Que tu es à plain.
dred'être aſſocié au fortd'un homme auffi
malheureux queje le ſuis !..-Mon ami,
je n'ai fait que mon devoir ; mais je n'avois
pas beſoin de la vertu&des préceptes
de la religion pour repouſſer les féduc
tions de Jenathan . Morton , tu m'es trop
AVRIL. 1771. 29
cher pour que je puiſſe jamais trahir...
Mon amour ſeul t'aſſureroit de ma fidélité
; elle embraſſe encore ſon mari ; il
regarde long- tems ſes enfans ,&tournant
enfuite les yeux fur ſa femme, il prononce
cesmotsd'un tơnténébreux :quelle infâme
reſſource ! Sçais-tu que c'eſt demain qu'il
faut payer... ou mourir tous , ajoute-t- il
en frémiſſant... Susanne .. nos enfans ...
Il ſe leve avec vivacité : non , nous ne
racheterons point leurs jours par le defhonneur...
je cours trouver le ſage M.
Varſtorff; c'eſt unde nos paſteurs les plus
reſpectables ; je lui expoſerai notre affligeante
poſition ; il faura tout, il faura que
ſi nous étions affez lâches , affez coupables
pour manquer à la religion&à l'honnêteté
, nous faurions nous fauver de ces
extrêmités fi cruelles ... Il ne reſſemblera
point aux autres hommes , il aura des ſentimens
de compaſſion , il nous foulagera...
Ma femme , la religion eſt ſi bienfaiſante!
: Morton ſe hâte de ſe rendre chez le
modèle des miniſtres de la Colonie. C'étoit
un de ces moraliſtes févères qui parlent
ſans ceſſe des vengeances de Dieu &
de la néceſſité où nous ſommes de remplir
nos devoirs , qui recommandent la
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
prière& l'abſtinence, qui vous diſent que
les malheurs ne font rien en comparaiſon
de l'éternité , qu'au reſte les ſouffrances
d'eſprit &de corps font des bienfaits du
Ciel qui fervent à épurer les prédeſtinés,
que cette terre n'est qu'un lieu de paſſage,
qu'il faut être peu ſenſible aux tribulations
qu'on y éprouve , & avoir les yeux
toujours levés vers la Jérusalem céleste
qui eſt notre véritable patrie ; quoique ce
digne évangeliſte prêchât ainſi l'abnégation
de tout ce qui attache au monde , il
nourriſſoit fous un extérieur auſtere une
ambition démeſurée; il cherchoit à ſupplanter
lesautres miniſtres, fouffroitqu'on
endît beaucoup de mal , en feignant de
les couvrir du manteau de la charité ,
pourſuivoit ſes animoſités particulieres
avec le zèle ardent du Seigneur , prétendoit
toujours que c'étoit la cauſe de Dieu
qu'il vouloit venger ; d'ailleurs il ne ſe
refuſoit rien de tout ce qui pouvoit flatter
ſes goûts , il prétendoit que c'étoit par
pure obéiſſance à ſes ſupérieurs qu'il ſe
couvroit d'habits décens & commodes
&qu'ilſe nourriſſoit avec délicateſſe ; on
lui avoit dit qu'il étoit un des membres
les plus néceſſaires du clergé de la Colonie,&
que ſur la conſervation de ſes jours
د
AVRIL. 1771. 31
étoit appuyée la pierre fondamentale de
lareligion.
Morton eft introduit dans ſa maiſon ,
où tout annonçoit une modeſte ſimplicité
, il lui préfenta le tableau de ſon indigence
, ſa ruine prochaine , il lui montre
enquelque forte ſes enfans à leur dernier
foupir , &lui parle enfin des propofitions
du méprifable Jonathan; le faint homme
pouffe une exclamation , joint fes deux
mains, lesleve vers le Ciel , en ſe recriant
ſur l'excès de la perverfité humaine ; il
loue beaucoup la ſageſſe de Susanne , exhorte
le mari à l'engager de vivre toujours
dans cette retenue , qui eſt la premiere
vettu du sexe ,& finit fon fermon
pathérique en lui prodiguant de ſtériles
demonstrationsde pitié far fon fon état ,
&en lui promettant qu'il ſe ſouviendroit
de lui dans ſes prieres ; Morton infifte ,
lui demande des ſecours ; le miniſtre
l'embraſſe avec une affection onctueuse ,
lui répéte que ſa ſituation l'afflige; mais,
pourſuit-il , le nombre de nos pauvres eſt
confidérable ; peut- être que dans quelque
tems les charités ferontplus abondantes ,
&alors je pourrai vous donner du foulagement.
Morton revient déſolé auprès de ſa
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
femme ; il ne voit plus qu'un vaſte préci
pice qui va l'engloutir. Eh bien, lui ditelle
, impatiente de ſavoir ce qu'a produit
ſa viſite chez le miniſtre ? Il n'y a plus,
d'hommes fur la terre,répond Morton,en
ſe laiſſant tomber ſur un ſiége. Suſanne...
nous vivons au milieu des lions , des
ours ! hélas ! nous ne vivrons pas longtems
! le cruel ! il ne m'a rien accordé! ...
-Quoi ? Je n'en ai pu obtenir qu'une
humiliante compaffion ; il prétend que le
peu d'aumônes qu'il a aujourd'hui entue
les mains , le met hors d'état de nous fecourir....
Et ce malheureux enfant?-II
meurt. Il ſe meurt ! O Dieu ! tu n'as
point revû ce monſtre de Jonathan ?-II
eſt encore revenu ; & il a eu la cruautéde
me tenir le même langage ; il part demain.-
Il part demain ? Motton s'approche
de cet enfant , il le prend dans ſes
bras , le ferre avec tendreſſe , le contemple
avec une douleur fombre. -Pauvre
infortuné, ilfaut donc que tu expires !&je
n'ai pas un morceau de pain à te donner ?
OCiel! & je ſuis père ! il ſuccombe ſous
le déſeſpoir; il eſt étendu ſur la terre au
milieu de ces trois victimes de ſon indigence
, promene autour d'elles des regards
égarés de douleurs ; ces touchantes
:
AVRIL. 1771. 33
-!
créatures lui adreſſent leurs gémiſſemens
& le nomment leur père ; Suſanne veut
le relever.-Susanne , laiſſe moi mourir..
laille-moi mourir ... Eh , chers enfans ! ..
je ne puis vous donner que mes larmes ...
Une fureur ſubite le tranſporte , ilſe précipite
ſur ſa femme , la preſſe contre fon
coeur avec un frémiſſement terrible.
La terre, le ciel,tout eſt ſourd ànos pleurs,
à nos cris ! tout nous abandonne , nous
accable ... Cédons au malheur... Qu'ai je
dit? tendre épouſe , je t'adore... j'adore
mes enfans ... Ah ! par pitié arrache-moi
la vie... Il marchoit à grands pas , il s'arrêtoit
, regardoit tantôt ſa femme, tantôt
ſes enfans ; puis levoit ſes yeux au Ciel ,
ſe frappoit le ſein , tomboit enſuite dans
un affreux anéantiſſement.
Suſanne, déchirée par ce ſpectacle, emportée
par la douleur , fort dans le deſſein
de ſe jeter aux genoux de la premiere perfonne
qu'elle rencontrera , & d'implorer
ſa charité. Elle traverſoit un petit bois
qui étoit à quelque diſtance de ſa maiſon;
Jonathan qui la pourſuivoit ſans celle des
yeux , s'offre à ſa vue : tous ſes membres
ſont agités d'un tremblement mortel ;
l'aſpect de l'enfer ne lui eut pas inſpiré
plus d'épouvante , elle tombe évanouie.
By
34
MERCURE DE FRANCE.
L'infernal Jonathan s'apperçoit qu'ils
étoient ſeuls ; inſenſible àl'humanité , il
profite de cet évanouiſſement. Le crime
eſt conſommé. Le ſcélerat laille à ſes côtés
la bourſe & diſparoît.
Suſanne r'ouvre les yeux pour rentrer
dans le ſeinde la mort : ſon premier mou.
vement eſt de repouſſer loin d'elle la
bourſe avec indignation ; elle a réſolude
mourir ; mais avant que d'expirer , elle
veut encore revoir ſon mari & ſes enfans;
elle ſe détermine enfin à leur porter un
ſecours qui lui a coûté ſi cher : elle prend
cette bourſe er . verſant un torrent de larmes
; elle ſe traîne affaiſſée ſous un fardeau
de douleur : à peine a-t- elle entrevu
ſa maiſon d'où elle étoit fortie innocente
, & où elle retournoit deshonnorée à
ſes regards; car pouvoit - elle l'être aux
yeux duCiel ? Un cri lugubre lui échappe
, elle va s'aſſeoir quelques inſtans ſur
une pierre , ſe releve & ſe trouve enfin à
ſa porte; c'eſt alors que ſon ame eſt boulverſée
; elle monte à ſa chambre , & fans
rien voir , elle jette la bourſe , en diſant
d'une voix mourante : voilà le fruit du
crime ! .. Morton ne m'approche pas...
Morton ! .. je ne ſuis plus digne de toi ;
elle cherchoit à ſe cacher dans un des
AVRIL. 1771 . 35
coins de l'appartement; le jour commençoit
à baiffer; elle trouve ſous ſes pieds
un papier qu'elle s'empreſſe de lire. Voici
ce qu'il contenoit. "Notre enfant eſtex-
» piré , les autres ne tarderont pas à le
>> ſuivre ; il n'y a que l'infâmie ſeule qui
>>pourroit nous racheter la vie , &je n'ai
>>pu me réſoudre à voir mourir ſous mes
> yeux ma chere Sufanne & les deux au-
>>tres infortunés. Tu fais combienje t'aimois
, juge de tout ce que j'ai foufferr.
» Dieu me feroit- il un crime d'avoit
>>hâté la fin de jours auſſi malheureux ?
» Adieu , rendre épouſe... O Ciel ! que
vas - tu devenir ? .. » Susanne laiſſe
tomber la lettre , s'élance ſur le corps de
fon ami qui étoit au milieu de la chambre
baignée dans ſon ſang & qui tenoir
fon enfant mort entre ſes bras , elle le
couvre de baifers, de pleurs; elle crie ,
s'efforce de le ranimer,lui bande ſa plaie,
l'embraſſe encore , lui adreſſe les regrets
des plus touchans; le hafard avoit voulu
que le coup qu'il s'étoit donnéne fût point
dangereux ; il ne lui avoit caufé d'autre
mal que de lui faire perdre beaucoup de
fang; il r'ouvre les yeux , leve la têre ainſi
qu'un homme qui ſortiroit de l'agitation
d'un fonge finiftre.-Qui m'a fait revi-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
-
vre ? .. Quelles mains ont arrêté mon
fang ? .. ( Il apperçoit Suſanne ) C'eſt toi,
ma femme qui m'as rendu ce funeſte fervice
! .. ( Ses regards viennent à tomber
fur la bourſe. ) Que vois - je ? .. Ah ! je
fuis deshonoré ! Il veut ſe brifer le front
contre la terre , il s'arrache avec fureur
l'appareil qui étoit ſur ſa bleſſure, le fang
jaillit avec impétuoſité; il ſuccombe ſous
une nouvelle foibleſſe; Susanne veut le
fecourir. Non , lui dit- il d'une voix qui
s'éteignoit, tout mon ſang ne fauroitaſſez
tôt ſe répandre , laiſſe moi... tu m'es
odieuſe ! .. laiſſe- moi... -Morton !
Tes pleurs !. - Qui , j'ai mérité votre
haine... Ah , cher époux ! .. m'eſt - il encore
permis de prononcer ce nom ? daignez
ſeulement accepter mes foins ... Vi
vez pour conſerver la viede nos enfans...
pour me plaindre... vous ne me refuſerez
pas votre pitié : en diſant ces mots
elle lui remet l'appareil, baiſe ſa bleſſure
&détourne la tête. Morton , revenu à lui,
ramaſſe la bourſe avec un ſombregémif.
ſement : c'eſt donc là où nous a conduits
le malheur ! Ces enfans nous demandent
du pain... allons ... ils nous devront plus
que la vie . Il eſſaie de ſe ſoutenir , & fait
quelques pas vers Suſanne : -C'eſt notre
AVRIL. 1771. 37
infortune qu'il faut accufer : je connois
tout mon crime , replique- telle ; je pourrois
vous paroître moins coupable fi je
vous diſois que l'infâme Jonathan a ſaiſi
le moment où j'étois dans le ſein de la
mort même ; mais il me ſuffitde ne pouvoir
plus porter avec honneur le nom de
votre femme ; tout eſt perdu pour moi;..
mon fort eſt décidé. Elle prononce ces
derniers mots d'un ton lugubre... La
ſeule grace que je vous demande , c'eſt
de ne me point hair. -Te hair !. Ah ,
Suſanne ! Morton lui tend les bras en
pleurant. -N'avancez point... Je voudrois
que la terre s'ouvrit pour m'engloutir...
O Ciel ! vous connoiſſez mon innocence
... Morton ſe traîne hors de ſa
chambre , va payer ce barbare créancier ,
acquitte d'autres dettes , & revient apporter
des alimens à ſa famille. Vivez , leur
dit il, mes enfans; pour moi , je fuccombe
à mes maux. Suſanne , la tête penchée
dans ſon ſein & pénétrée d'une douleur
qui faifoit frémir, gardoit un morne filence
: de tems en tems il lui échappoit de
ces foupirs concentrés , indices d'une agitation
mortelle; elle étoit occupée à enfevelir
cet enfant qui venoit d'expirer ;
cet affreux ſpectacle l'attachoit toute entiere
, tandis que ſon mari étoit abſorbé
38 MERCURE DE FRANCE.
dans l'effrayante contemplation de ſes
malheurs. Il n'avoit pas éprouvé tous les
traits de l'infortune. Ce génie du mal qui
ſemble goûter du plaiſir à tourmenter
l'homme & à s'enivrer de ſes larmes ,
n'étoit point raſlaſié des peines qu'avoit
eſſuyées Morton; des fatellites de lajuftice
rempliffent tout-à-coup leur chambre
, chargent de fers le mari&la fem .
me , & les plongent ſéparément dans un
cachot. Les enfans avoient ſuivi leur mè.
re dans la prifon. Tous ces coups de foudre
s'étoient ſuccédés rapidement ; Sufanne,
que l'on avoitportée évanouie dans cet
effroyable ſéjour , reprend connoiffance.
Quelle image la frappe ! un gouffre fouterrein
éclairé d'une lampe , ſes enfans
couchés à ſes côtés fur de la paille , les
pieds&les mains appéſantis ſous le poids
des chaînes . Eh , mon Dieu! s'écrie t elle,
de quoi ſommes - nous coupables ? d'être
les plus malheureux des humains. Mes
enfans ! Morton! où font-ils?. où fontils?
.. Voici mes enfans ! .. elle les embraffe,&
l'on m'a ſéparée de mon époux !
Quel est notre crime ? .. hélas ! .. puis je
le demander ? .. mais , Morton ? .. Ah ,
Seigneur ! .. quelle est donc votre juftice...
Morton n'avoit pas l'ame moins boul-
1
AVRIL. 1771 . 39
verſée , il regardoit ſes fers & ne diſoit
que ces mots : Je n'étois pas affez malheureux!
.. On vient ouvrir la porte de
fon cachot ; il eſt traîné , eſcorté de foldats
dans la ſalle du conſeil de la Colonie
; il y retrouve ſa femme & ſes enfans
entre les mains d'autres géoliers ; il voit
auſſi ſon barbare créancier & tous ceux à
qui il venoit de porter de l'argent , ſon
étonnement est égal à ſa douleur. Les juges
font avancer Morton &Sufanue : ces
deux miférables victimes ſe regardoient
ſans avoir la force de ſe parler. On leur
préſente des guinées ; on leur demande
s'ils les connoiſſent , ils n'héſitent pointà
déclarer que c'étoient en effet celles qu'ils
avoient données en paiement. Vous les
reconnoiſſez donc , dit un des juges : eh
bien ! vous avez prononcé votre condamnation;
il s'agit préſentement de ſavoir
quels font vos complices... Nos complices!
.. interrompent - ils tous deux à la
fois... que voulez - vous dire ? .. Que
vous devez , pourſuit un magiſtrat , dénoncer
avec la même ſincérité ceux qui
ont part à votre crime.. Combien êtesvous
de faux monnoyeurs ? De faux monnoyeurs
s'écrient le mari & la femme ! ..
Ah , le malheureux ! continue le premier
en ſecouant ſes chaînes avec un mouve40
MERCURE DE FRANCE.
ment d'indignation... Il n'avoit pas affez
percé mon coeur ! Susanne avoit perdu
l'uſage des ſens : l'excès du déſeſpoir la
rappelle à la vie. Cette femme , tout-àcoup
s'arme d'un courage furnaturel. On
eut dit que fa taille même s'élevoit audeſſus
de l'humain , tant la contenance
d'une noble fermeté paroiſſoit dans toute
ſa perſonne. Elle demande aux juges à
parler la premiere : il ſe fait un profond
filence : tous les yeux , tous les coeurs font
attachés fur Suſanne : elle commence
ainſi :
« Il fautdonc quele malheur m'abbaiffe
>>juſqu'à révéler des ſecrets que j'aurois
>> voulu me cacher à moi - même . Vous
>> voyez devant vous les deux créatures
>> les plus miférables qui aient encore
>> exiſté : vous allez frémir. Une tendreſſe
>> véritable , ainſi qu'une infortune ſans
>> exemple nous unit. Cependant le Ciel
>> fait que nous n'avons rien négligé pour
>> nous procurer de quoi vivre & élever
>> nos enfans : le ciel & la terre , tout s'eſt
» plû à nous repouſſer , à nous perfécuter,
>> à nous enfoncer dans la miſére . Mon
>>mari , qui ſentoit combien l'adverſité
>> eſt terrible , ſe laiſſa ſurprendre d'un
>> mouvement de pitié pour un homme
>>qui le méritoit peu ; il le cautionna , &
AVRIL. 1771. 41
>> fut obligé d'acquitter la dette qui ſe
>> montoit à beaucoup plus que nous ne
>>poſſédions . Le tygre que voilà , elle
>>montre ce créancier impitoyable , ne
>>nous a pas donné le tems d'amafler la
>> ſomine dont nous avions répondu; il a
>> vu nos larmes , il a entendu nos gémif-
> ſemens & rien n'a pu le toucher : un
>> ſcélerat , un monſtre , le plus abomina-
>>ble des hommes paroît s'intéreſſer à no-
>> tre fort : l'infâme Jonathan , c'eſt ſon
>>>nom, m'offre une bourſe de cent gui-
>>nées ; ily met une condition... Jen'eus
>> pas de peine à rejetter de ſemblables
>> bienfaits ... J'aimois l'honneur , la ver-
>> tu ; mon mari m'étoit cher ; il avoit
>> tous mes ſentimens , toute ma tendreſſfe.
>>Notre miſére augmente. Sans doute
» qu'il y en a parmi vous qui ont des en-
>> fans; c'eſt à ceux - là à ſe pénétrer de
>> l'horreur de notre ſituation. Nos mal-
>>heureux enfans gémiſſoient à nos oreil-
>> les , ſe ſéchoient de beſoin ſous nos
>> yeux , il falloit foutenir le poids de la
>>vie pour conſerver celle de ces infortu-
>>>nés ; nous avons imploré la charité, tout
>>nous a été refuſé. J'étois épouſe , j'étois
>> mère; je ſuis tombée pluſieurs fois aux
>>pieds du ſcélerat ; qui ne reſpiroit que
42 MERCURE DE FRANCE.
>> mon deshonneur. Il s'eſt trouvé ſeul
>> dans un lieu écarté : l'effroi , la mort ſe
>> ſont ſaiſis de moname; il a mis le com-
» ble à ſon inhumanité ; il a outragé à la
>> fois l'honneur , la religion , la nature;
>> &j'ai trouvé à mes côtés le prix de mon
>> opprobre & de ſa ſcélérateſle. J'aurois
>> pu mourir. J'ai oſé ſurvivre à ma honte
>>pour ſecourir mon mari&mes enfans ..
>& c'eſt en vain que je ſuis deshono-
>>réel ce n'étoit pas aſſez que cette hor-
>>rible image s'élevat dans mon coeur! ...
>>Il falloit que ce lieu fût rempli de mon
>>humiliation , que Jonathan me rendît
>>la victime de tous ſes attentats ; c'eſt
>>de lui , ajoute - t-elle que viennent ces
>>fauffesguinées .. Moname juſqu'ici s'eſt
>> arrêtée pour vous inſtruire de tout, pour
>> faire tomber les fers d'un infortuné
>> qui, en ce moment , m'eſt plascher que
>> jamais... Mes malheurs font au com-
>>ble... je n'ai plus qu'à mourir... per-
» mettez ſeulement que j'expire dans les
>> bras de mon mati ; oui , Morton... je
>> ſens la mort... peut être me pardonne.
>> rez- vous ... »
Les juges ordonnent en pleurant qu'on
détache leurs fers. Susanne , pâle & mourante,
eſt dans le ſeindefon mari qui n'a
AVRIL.. 1771 . 43
que le tems de recevoir ſes derniers ſoupirs
, & en expirant , elle lui parle encore
deſes enfans&de fa tendreſſe .
Morton eſt retenu dans la chambre da
concierge ; on vouloit le confronter avec
Jonathan ; les ordres avoient été déjà donnés
de ſe ſaiſir de ce miſérable par - tout
où on le trouveroit. Le conſeil aſſemblé
reçoit le lendemain ce billet. « J'étois au
>>plus haut degré d'infortune , j'ai voulu
>> m'en délivrer , &je l'ai dû. Un tel en-
>> chaînementde malheurs étoit pour moi
>> une loi expreſſe duCiel , de rompre les
>>liens de la vie : je me ſuis hâté de les
>>brifer pour rejoindre ma femme dans
>>le tombeau : j'attends de votre compaf-
>> ſion que vous me faſſiez enſévelir dans
» le même linceuil & inhumer dans la
>> même foſſe ; je recommande à votre
>>humanité nos chers enfans : puiſſent- ils
>> être plus heureux que nous ! Je meurs
>>en vous répétant que ni ma femme , ni
> moi ne ſommes coupables du crime qui
>> a comblé nos maux; vous faurez la vé-
>> rité , ſi Jonathan n'échappe pas au ſup-
>>plice qu'il mérite , » MORTON.
On apprit dans la ſuite que Morton
avoit ſu ſe procurer du poifon. Jonathan
fut arrêté au moment qu'il paſſoiten Europe.
C'étoit lui qui avoit fabriqué les
44 MERCURE DE FRANCE.
fauſſes guinées : ſa vie n'étoit qu'un tiſſu
de forfaits . On le condamna au dernier
fupplice ; il rendit hommage à la vertu en
avouant que depuis ſon crime il n'avoit
pujouir d'un inſtant de repos ; il revoyoit
par- tout l'ombre de Susanne qui venoit
fans ceſſe lui reprocher ſa perte & celle
de fon mari ; il parut content de perdre
la vie , eſpérant qu'il ſeroit délivré des
horreurs d'une exiſtence qui lui étoit devenue
inſupportable ,&que l'excès de fes
remords lui feroit trouver grace devant le
Juge Suprême .
LA MORT DE VIRGINIE.
Laſcène est dans le palais d'Appius.
APPIUS decemvir ; CLODIUS ;
LICTEURS ,
CLODIUS.
SEIGNEUR, je fors du temple où , plein d'impa
tience ,
Icile alloit former ſon heureuſe alliance :
Je l'ai vu s'avancer aux marches del'autel ,
Et prêt à prononcer le ferment folemnel ,
Offrir à Virginie une main triomphante.
۱
AVRIL. 1771 . 45
Aleurs côtés , Pauline impétueuſe , ardente ,
Laiſſoit voir dans ſes yeux les tranſports de fon
coeur ,
Et ſembloit du Pontife accuſer la lenteur.
Suivi de vos ſoldats , j'accours ; je fens la preſſe :
Le peuple eſt étonné ; le ſacrifice cefle.
Je ſaiſis Virginie ; Icile furieux ,
Icile voit ravir ſon amante à ſes yeux ;
Il vole : on le déſarme & le nombre l'accable.
.. Pauline ah ! qu'une mère alors eſt redoutable !
Pauline ... elle s'élance à travers les ſoldats .
C'eſt ma fille , arrêtez . Où portez - vous ſes pas ?
Aſes cris redoublés le peuple ſe raſlemble.
Il nous ſuit ; je vous nomme : on ſe tait : chacun
tremble.
La foule ſe diſperſe , & Pauline en fureur
Detous nos citoyens court rallumer l'ardeur.
Icile qu'on retient frémit de cet outrage ,
Etperd en vains efforts ſon impuiſſante rage.
Virginie éperdue & la mort dans les yeux ,
Garde un triſte ſilence & marche vers ces lieux.
Je vous l'avois promis , & ce recit fidèle
Vient de vous confirmer le ſuccès de mon zèle.
On amene l'objet dont vous êtes épris :
Je vais , par une fable , appaiſer les eſprits ,
Et bientôt nous verrons la beauté qui vous brave ,
De fon rang , defcendue au vil rang d'une eſclave ,
Oublier , dans les fers , ſon faſtueux orgueil ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Et près de vous , Seigneur , s'honorer d'un coup
d'oeil.
Le fond du théâtre s'ouvre : on voit entrer
Virginie chargée de chaînes & entouré
de gardes ; Pauline ; troupe de Ro
mains.
PAULINE , à Appius.
Protecteur de nos loix ! écoutez ma prière
Et rendezVirginie aux larmesde ſa mère...
Hélas! je vois encor de barbares foldats ,
Conduits par Clodius , l'arracherde mes bras :
J'entens encor les cris de cette infortunée ,
Par leur troupe féroce en eſclave enchaînée.
Par quel ordre , à mes yeux , l'a-t- on oſé ravir?
Quels crimes , dans les fers , peuventla retenir?
CLODIUS .
Cettefille eſt à moi: vous n'êtes point ſa mère;
Ona , de ſa naiſſance , éclairci lemyſtère;
Madame , d'une eſclave elle nâquit chez moi :
De mes droits aujourd'hui des témoins ont fait
foi.
L'eſclave , qui convient de cerecit étrange,
La plaça près de vous par un ſecret échange.
PAULINE .
Ciel! quel eft cediſcours queje neconçoispas ?
Onpourra donc former les plus noirs attentats,
AVRI L. 1771 .. 47
En les autorifant pa: de frivoles fables! ..
Il faut une autre preuve& des faits plus croyables .
Une eſclave eut porté ma fille dans ſes flancs!
Va! j'en crois mon amour , ſes inquiets élans ,
Cespleurs qu'il fait couler, ce cri plaintif & tendre
Que du fond de mon coeur il vient de faire entendre.
Mépriſable impoſteur ! penſes-tu m'abuſer ?
Eh ! quels ſont ſes témoins ? qu'oſe- t- il m'oppofer?
Uneeſclave qui dit tout ce qu'on lui fait dire ,
Et qu'à fon gré , ſans doute , il a pris ſoin d'inftruire;
Etſous un faux prétexte , a- t'il droit , l'inhumain,
De porter fur ma fille une odieuſe main ? ..
Non ! tout mon fang s'émeut à cette horrible
image...
Non , ce n'eſt point à lui que je dois mon ouvrage.
Vainement le menſonge oſe élever ſa voix :
Rome eſt intéreſlée à ſoutenir mes droits.
Les pères vont s'armer pour la cauſe commune :
Tous n'ont - ils pas à craindre une même infortune?
Quels citoyens , grands Dieux ! ſeront en ſûreté ,
Si le premier brigand , fier de l'impunité ,
Porte le deshonneur au ſein d'une famille ,
Etdesbras de la mère oſe arracher ſa fille ?
Mais que dis-je ? Seigneur , je me flatre &je croi,
48 MERCURE DE FRANCE.
Que la ſimple équité doit vous parler pour moi ,
Et ſans avoir beſoin d'employer d'autres armes
Pour appuyer ma voix , il ſuffit de mes larmes.
APPIUs .
J'ai prévu vos tranſports : ils ne m'ont point furpris
,
Du bien que vous perdez je connois tout le prix.
L'habitude en nos coeurs égale la nature
Et l'amour aisément ſe trompe à leur murmure.
Je voudrois vous ſervir : dans le rang où je ſuis,
Vous écouter , vous plaindre , eſt tout ce que je
puis.
PAULINE.
Je m'étonnerois moins que cette ame parjure
Aux droits ſacrés du ſang , prêtât ſon impoſture :
Se peut- il qu'Appius lui donnant ſon appui ,
Deſcende à des ſoupçons ſi peu dignes de lui ! ..
M'auriez- vous pu tromper, Dieux qui m'avez fait
mère ,
En imprimanten moi ce vivant caractère ?
AClodius .
Mais parle , réponds-moi , lâche & vil ravifleur ,
Puiſqu'il faut m'abaiſſer à confondre l'erreur :
Tu prétends qu'une eſclave a ſu dans ma famille,
Par un échange adroit , fubftituer ſa fille ?
Dans quels lieux ? en quels tems ? ou font- ils ces
témoins ?
Qu
AVRIL. 1771. 49
Quedu fort dema fille on m'inſtruiſe du moins.
CLODIUS.
J'ai dit , fur ces objets , ce que j'avois à dire :
C'étoitAppius ſeul qu'il m'importoit d'inſtruire .
Les témoinsont parlé.
PAULINE.
Ils ont parlé , dis- tu ?
Mon coeur , par leur aveu, ſera mieux convaincu.
S'il en eſt un , qu'il vienne... & je vais lui répondre.
Qu'il vienne ! .. d'un ſeul mot je ſaurai le confondre...
AAppius.
Seigneur , il faut trancher d'inutiles diſcours.
Je vois que j'ai fans fruit compté ſur vos ſecours.
Je vois quel eſt le bras dont le poids nous acca
ble ,
Et Clodius ici n'eſt pas le plus coupable...
Au Peuple.
Oui , Romains , ma douleur me force à dévoiler
Un myſtère odieux qui vous fera trembler...
APPIUS , l'interrompani.
Je ſuis las d'écouter un diſcours qui me brave.
Licteurs! à Clodius , remettez ſon eſclave .
II. Vol. C
1
50 MERCURE DE FRANCE.
PAULINE , repouſſant les Licteurs.
Arrétez un moment ; arrêtez ... Ah ! Seigneur ,
Pardonnez ce langage au trouble de mon coeur.
C'en eſt fait ; ma fierté ſuccombe à ma diſgrace.
Elle tombe aux genoux d'Appius.
J'ole vous conjurer par vos pieds que j'embraffe ,
Par vos ayeux , par vous , par vos voeux les plus
chers ,
D'arracher Virginie à l'opprobre des fers.
VIRGINIE.
Ma mère ! levez-vous : quelle indigne foiblefle
Vous fait de votre ſang oublier la noblefle ?
Quand toute autre que vous m'auroit donné le
jour,
Mon coeur n'est point fléri par ce honteux retour:
Votre vertu m'anime & je ferai connoître
Queje ſuis votre fille ou digne au moins de l'être.
AuxGardes.
Eh bien ! puiſqu'Appius a fixé mes deſtins ,
Qu'attend-on pour remplir ſes ordres inhumains ?
PAULINE , prenantfafille dansſes bras .
Barbares! qui de vous oſera l'entreprendre ?
Juſqu'audernier foupir je ſaurai la défendre.
AVRIL. 1771 . 51
La présentant au Peuple.
C'est mon ſang ; c'eſt ma fille ... O ! mes concitoyens
!
Me verrez vous ravir le plus cherde mes biens ?
Devez - vous à l'opprobre abandonner ma fille,
Tandis que vous laiſſant le ſoin de ſa famille ,
Mon malheureux époux au milieu des combats ,
Pour vous , dans ce moment , va chercher le tré
pas ?
Le Peuple s'aſſemble en tumulte au tour de
Virginie.
APPIUS .
Qu'on écarte la foule. Une prompte vengeance
De tout ſéditieux punira l'inſolence.
Licteurs ! obéiflez .
PAULINE ,se jettant entre les Licteurs
&fa fille.
Romains ! défendez-moi.
CLODIUS , portant la mainfur Virginie.
Aux ordres d'Appius , eſclave ! ſoumets-toi.
PAULINE , d'un ton égaré.
Ma fille! .. ton eſclave! .. apprends à la connoître...
Cij
52
MERCURE DE FRANCE .
Elle tire un poignard & la frappe.
Va! .. quand on peut mourir , on eſt toujours fon
maître.
ParM. Léonard.
EPIGRAMME.
Le Mouvement prime -Sautier.
Un Ruſtre , aux pieds d'un confeſſeur,
Contoit que d'un bâton de ſaule
Son bras avoit , du collecteur ,
Très- rudement frotté l'épaule...
Le prêtre oyant parler de gaule
Distingua ſavamment les cas
Qui pouvoient excuſer l'uſage
Qu'on fait par fois de l'échalas :
Si , par exemple , votre bras ,
Sur le dos dudit perfonnage ,
Eût été bruſquement conduit
Par certain mouvementfubit
Queprime fautier l'on appelle ,
Votre action , fans contredit ,
Neferoit que peu criminelle.
Le manant , entendant ces mots
Qui ſembloient venir à propos
AVRIL. 1771 . 53
Pour le calmer ſur ſes fredaines ,
Dit : mon très-cher Monfieur Gautier ,
Un mouvement prime- ſautier
Peut- il bien durer trois ſemaines ?
Par M. B...
A
AUTRE.
L'Année climatérique.
ſoixante - trois ans un larron fut pendu.
Ce que Blaiſe ayant entendu ,
Diſoit d'un air mélancolique :
Juſte Ciel ! voilà donc encore un homme mort
Tout juſte à cet âge critique!
Qu'on diſe à préſent que j'ai tort
De craindre ma climatérique.
Par le même.
DIALOGUE
Entre EsOPE & PLATON.
SOPE .
Our , je fus efclave , errant , pauvre ,
& qui pis eſt boſſu : vous eûtes ſur moi
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
l'avantage de la taille , des richeſſes , de
la naiſlance , & de ce qu'on nomme un
rang parmi les hommes ; ces hommes
vous édifierent ; quelques- uns me profcrivirent
. On vous éleva des autels ; on
me précipita du haut d'une roche : cependant
ma réputation égale aujourd'hui
lavôtre.
PLATON.
C'eſt de quoi je murmure depuis bien
des ſiécles dans cet aſyle fortune. N'ai-je
donc pris un effor ſi élevé que pour me
trouver de niveau avec la fourmi & la
cigale?
ESOPE.
Chacun moraliſe à ſa maniere . Vous
empruntâtes le langage des dieux pour
inſtruire les hommes. Je le fis à moins
de frais ; je n'eus recours qu'à celui des
animaux.
PLATO Ν.
Le ton que je pris convenoit à l'importance
de mes leçons. Ce fut moi qui ,
après Socrate , enſeignai aux hommes à
connoître la dignité de leur eſpèce. J'élevai
leur ame en l'inſtruiſant de fon origine.
Ils ne ſe regarderent plus comme
AVRIL. 1771 . 55
des êtres deſtinés à périr; comme un flambeau
qui s'éteint lorſque l'aliment de ſa
flame eſt confumé. Je leur appris que
cette flame ſurvivoit au flambeau même ;
qu'émanée du ſein des dieux , elle retournoit
à fon premier ſéjour. J'excitai
l'homme à chercher le bien , à trouver le
mieux. J'eſſayai de l'élever au - deffus de
lui même , & je mis dans mes diſcours
tout le ſublime que je voulois qu'il mît
dans ſes actions .
ESOPE .
Ce fublime n'eſt - il pas trop ſouvent
inintelligible ? Vous n'écrivîtes que pour
ceux qui pouvoient vous entendre , & ce
n'étoit point ceux - là qu'il falloit inftruire.
On n'inſtruit point ceux qui
croyent tout ſavoir.
PLATO N.
J'acquis , du moins, ledroitde me faire
écouter. Les leçons de Socrate , mon
premier maître , ne fuffirent point au
defir que j'avois de m'inſtruire. J'allai
chercher la ſcience dans tous les climats
où elle s'étoit refugiée. L'Italie me vit
accourir aux leçons de Pytagore ; l'Egypte
à celles de ſes prêtres ; j'allois même pé
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
nétrer juſques dans l'Inde , ſi la guerre >
toujours ſi fatale aux progrès des connoifſances
, n'eut mis un obſtacle à mes defſeins.
Je revins dans ma patrie où je trouvai
tout ce qu'il faut pour exciter le génie;
des émules , des rivaux , des critiques &
des admirateurs .
ESOPE .
Vous ne me parlez pas de Syracuſe ?
PLATON.
J'avois cru y trouver un Roi philofophe
; je n'y trouvai qu'un tyran .
ESOPE .
Sij'en crois certains rapports , Platon
le Philoſophe eut quelque enviede devenir
Platon Courtiſan .
PLATON .
Ma prifon vous prouve le contraire.
ESOPE.
Elle ne prouve rien , puiſqu'ayant éré
maltraité par le premier Denis , vous ne
craignîtes pas de vous expoſer encore aux
caprices du ſecond.
AVRIL. 177F. 57
LATON.
Je me rendis à fes prieres. J'eſpérois ,
d'ailleurs , lui faire goûter mes principes
de gouvernement , & réaliſer dans Syracuſe
ce que j'avois médité dans Athènes.
ESOPE.
On m'a parlé de ce fameux ſyſteme
d'adminiſtration. Il m'a paru que ſi le divin
Homère dort quelque fois , le divin
Platon rêve encore plus ſouvent.
PLATON.
C'eſt qu'un gouvernement parfait dans
tous ſes points n'eſt autre choſe qu'une
illuſion. Les hommes qui veulent jouir
des avantages de la ſociété doivent en
fupporter les inconvéniens. Il eſt prouvé
que le grand nombre eſt hors d'état de ſe
gouverner lui - même , & qu'en multipliant
ſes chefs, il ne fait ſouvent que
multiplier les abus.
EsorE.
Il n'étoit pasbeſoin de tant écrire pour
leprouver. La petite fable des membres
qui ſe révoltent contre l'eſtomac en dit
plus que tous vos longs dialogues fur la
république & fur les loix.
y
58 MERCURE DE FRANCE.
PLATON .
Si vous euffiez fait comme moi deux
mille lieues pour prendre quelques notions
de muſique , de mathématiques, de
phyſique & de métahyſique , votre morale
ſeroit moins fimple qu'elle ne l'eſt , vos
écrits plus volumineux qu'ils ne le font .
ESOPE.
Je rends grace aux dieux de n'avoir été
qu'un ignorant. Je ne voyageai que parce
que j'étois eſclave , & Platon ne devint
eſclave que pour avoir voyagé.
LATON.
L'eſclaveEſope voyageoit ſouventdans
les cours.
ESOPE .
Le philoſophe Platon ne les fuyoit pas.
PLATON.
Vous ne vous refuſâtes ni à la faveur
de Créſus , roi de Lydie , ni à celle de
Licerus , roi de Babylone , ni aux bienfaits
de Necténabo , roi d'Egypte. Parlerai -je
de la fameuſe Rhodhopé ?
AVRIL. 1771. 59
ESOPE.
J'en parlerai moi - même ſi vous n'en
dites rien. La fortune me fit naître dans
l'indigence & l'obſcurité ; la nature me
refuſa tous les dons extérieurs & même
celui de la parole . Je parvins , toutefois ,
aux honneurs d'une cour & aux faveurs
d'une belle femme. Peut- être euſſai -je
dédaigné les unes & les autres , ſi comme
vous j'euſſe été modèlé ſur la ſtatue d'Apollon
, & fi j'avois eu pour ayeux des légiflateurs
& des Rois. J'étois né pauvré
& contrefait ; je pris plaiſir à me jouer
ainſi de la nature&de la fortune.
PLATON.
Vous avouerez , du moins , que ma retraite
fut toutephiloſophique. J'abdiquai
la plus grande partie de ma fortune ; je ne
me réſervai que l'honnête néceſſaire , &
une maiſon commode ; mais champêtre ,
où je recevois en même tems le délicat
Ariſtippe &le cynique Diogène.
ESOPE.
Vous ne me parlez point de ces Dames
Athéniennes qui ſe traveſtiſſoient pour
aller apprendre la philoſophie ſous un
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
maître qui avoit la figure d'Apollon Pythyen
?
PLATON.
Qu'importe ? mes principes n'interdifent
point aux femmes l'étude de la philofophie.
D'ailleurs, on fait à quels termesje
réduifois l'amour, & ce que fignifie
encore aujourd'hui l'amour platonique.
ESOPE..
Je doute que des femmes priſſent la
peine de vifiter ſi fouvent un homme qui
ne leur parleroit que de cetamour.
PLATON.
Mes envieux en doutoient de même.
ESOPE.
Vos envieux ont dit quelque choſede
plus ; mais revenons à votre morale. Si je
les en crois , elle est trop romanefque&
fur- tout trop enveloppée. Votre ſtyle eſt
hiéroglyphique , diffus , trop poétique ,
malgré la jalouſie que vous affichez contre
les poëtes. Vous ne connûtes jamais
dans vos écrits l'ordre que vous voulûtes
établir dans la ſociété.
AVRIL. 1771 .
1
PLATON.
J'eus mes raiſons . Socrate venoit de
boire la cigüe pour s'être expliqué trop
ouvertement. Je publiois fa morale & je
pouvois rencontrer de nouveaux Anitus
&Melitus. J'eus done ſouvent recours
aux nombres de Pythagore & aux paraboles
des Prêtres Egyptiens : je n'enſeignai
riendirectement. Il falloit, pour entendre
mes leçons, avoir une pénétration preſque
égale à la mienne. Dès lors une telle morale
, fut - elle même fauſſe dans tous ſes
points , ne pouvoit jamais ſe répandre
aſſez pour devenirdangereuſe.
ESOPE.
Une morale qui ne peut ſe répandre eſt
pour le moins inutile.
PLATON.
Je n'employai pas toujours l'allégorie
pour m'expliquer. Ily eut dans la morale
que je débitois moins d'obſcurité que d'élévation
. Elle s'éloignoit moins de l'hom.
me que l'homme ne cherchoit à s'éloigner
d'elle ; & l'ame vertueuſe pouvoit l'entendre
, comme les yeux de l'aigle peuvent
fixer l'aſtre du jour.
62 MERCURE DE FRANCÉ.
ESOPE .
Il falloit vous ſouvenir qu'il y a bien
peu d'aigles parmi les hommes ; que le
père commun de tous les Etres partage
entre eux ſes préſens , & qu'il met à la
portée de chacun d'eux la nourriture qu'il
deſtine à leur conſervation .
PLATON.
Quoi ! le ton ſublime n'eſt pas le plus
propre à exprimer des vérités ſublimes ?
Je ne puis forcer votre eſprit à s'élever
ſans que le mien ſoit réduit àdeſcendre ?
Eh! qu'ai - je dit aux hommes ? le voici :
votre origine eſt ſurnaturelle : ce ne fut
point la nature qui vous doua de l'entendement;
elle ne fit que donner à votre
ame une envelope momentanée. Cette
ame tient ſes idées de ſon auteur ,
de cet être dont l'Intelligence avoit
tout prévu , tout préparé. Le modèle de
tout ce qui exiſte ſur la terre exiſtoit auparavant
dans les cieux. Ce fut d'après cet
exemplaire que l'Eternel ouvrier forma
cette copie dans laquelle vous figurez tout
plus ou moins avantageuſement. Aimez
vous; aimez la vettu. Elle reglera vos
1
AVRIL. 1771. 63
devoirs à l'égard de cet Etre à qui vous
devez tout , & à l'égard de ces Etres auxquels
il daigna vous aſſocier. Souvenezvous
qu'il n'eſt point de félicité ſans la
justice , ni d'infortune avec elle. C'eſt
par cette route que vous arriverez au fuprême
bonheur. Vous en jouirez dans ce
monde ; vous en jouirez mieux encore
dans celui dont il n'est qu'une image
imparfaite. Rendez grace à l'Etre qui
vous créa d'avoir daigné vous faire homme.
Ce fut un pur bienfait de ſa part .
ESOPE .
Votre ton me paroît avoir perdu quelque
choſe de ſa ſublimité; mais cet effor
ſeroit encore trop élevé pour tant d'hommes
qui ont la vue foible. J'en connus
mieux la portée , ou , peut- être , celle de
mon eſprit ne s'étendoit- elle pas plus
loin. Souffrez cependant que pour finir
cettediſcuſſion , je reprenne mon langage
ordinaire.
>> Deux arbres s'élevoient ſur les bords
>> du grand chemin de Babylone. L'un ,
>>d'une hauteur giganteſque ; étaloit aux
>>regards la beauté de ſes préſens , mais
>>le bras du Voyageur ne pouvoit y at-
>> teindre. L'autre arbre , preſque nain ,
64 MERCURE DE FRANCE.
>>courboit encore , en faveur des pallans,
fes rameaux chargés de fruits : on les
>> cueilloit fans effort& fans peine. Qu'en
>> arriva- t - il ? On délaiſſa l'arbre ſuperbe ,
>& l'on fè raſſembla autour de l'arbre
nodeſte. Le premier , difoit-on , n'ex-
>> cite que nos regrets; l'autre fatisfait à
>>beſoins ».
Par M. de la Dixmerie.
PARAPHRASE du pſeaume : Domine ,
Dominus noſter , & c .
A
ODE.
UTEUR de l'Univers , que ta magnificence,
Que ta grandeur brille en tous lieux !
Que de ton nom la gloire immenfe
D'un vif éclat frappe mes yeux !
Toujours à toi- même ſemblable ,
Toujours fublime , inimitable ,
Je reconnois ta main à mile traits divers
Dans tous les êtres de la rerre ,
Dans les merveilles qu'elle enferre ,
Jedécouvre par-tout le Dieu de l'Univers
AVRIL. 1771 . 65
Mais quandj'oſe , élevé de la terre à ton trône ,
Porter juſqu'à toi mes regards ;
Quand la gloire qui t'environne
Vient m'inveſtir de toutes parts ;
Alors l'éclat de la nature ,
Les cieux , dans leur riche parure,
Ceſſent de captiver & mon coeur & mes yeux ;
Ils ne ſont plus qu'une étincelle
Decette ſplendeur immortelle
Que je vois rejaillir de ton front radieux.
Soyez donc à jamais couverts d'ignominie ,
Vous , dont le téméraire orgueil
Conteſte la gloire infinie
Du Dieu qui voit tout d'un coup-d'oeil ;
Des humbles la ſage démence
Paſſe votre folle prudence ;
Er cet enfant naïf ,dont la timide voix
Bégaye à peine fa penfée ,
Confond la raifon inſenſée
Du favant orgueilleux qui blafpheme ſes loix.
Contemplez avec eux , de la voute azurée
Les étincelantes beautés .
Quelle main a de l'Empyrée
Formé les fublimes clartés ?
Exact à fournir fa carriere ,
Des traits brillans de ſa lumiere
Le ſoleil chaque jour éclaire l'horiſon.
66 MERCURE DE FRANCE.
Dans ſa courſe fiere & rapide ,
Quel est donc le bras qui le guide ? ..
Je vois ſe perdre ici votre foible raiſon.
Mais une ſombre nuit vient-elle , de ſes voiles
Etendre l'épaifle noirceur ;
Bientôt d'innombrables étoiles
Viennent en diffiper l'horreur.
Secondant notre heureuſe attente
Un nouvel Aſtre * efface , augmente
La clarté des flambeaux qui brilloient à nos yeux;
Répondez- nous , prétendus ſages :
Qui forma tous ces grands ouvrages ?
Quellemain ajetté tant d'éclat dans les cieux ?
Quedis-je ? tous ces dons ,de la bonté ſuprême ,
Ne ſont que les plus foibles traits";
GrandDieu! c'eſt ſur-tout, dans moi-même,
Queje retrouve tes bienfaits.
Hélas! frêles enfans des hommes ,
Foibles inſectes que nous ſommes ,
Comment méritons -nous d'être apperçus de toi ?
Entourés d'innombrables mondes ,
Echapés de tes mains fécondes ,
Comment peut tagrandeur s'abaiſſer juſqu'àmoi?
Des plus rares bienfaits ta bonté nous couronne;
*La Lune.
AVRIL. 1771 . 67
Tu nous accables de tes dons ;
De la gloire qui t'environne ,
Tu répands ſur nous les rayons.
En nous formantà ton image ,
Tu voulus rendre notrehommage
Plusdigne d'attirer tes regards éternels ;
Ton ſouffle ennoblit notre fange ,
Et l'homme , preſque égal à l'Ange ,
Nelecédeengrandeur qu'aux eſprits immortels.
Cene fut rien encore ; & ta rare clémence
Vouloit de l'homme faire un Roi ,
Et que de lui , de ſa puiſſance ,
Lemonde entier reçut ſa loi.
Aujoug de ſon paiſible empire
Tu ſoumis tout ce qui reſpire
Sur le ſeinde la terre&dans le ſein des mers;
Les troupeaux des ſombres bocages ,
Les animaux les plus ſauvages ,
Les habitans des eaux , le peuple aîlédes airs.
Auteur de l'Univers , &c.
Par M. l'Abbé Aleaume, Conseiller
auparlement de Rouen..
68 MERCURE DE FRANCE.
FABLE traduite de l'anglois.
par M. Sim...
Dans le tems ANS que les animaux pouvoient_
encore lire , écrire & parler &
qu'ils étoient agítés par les mêmes pafſionsque
les hommes , on trouva un ancienpoëmedans
lequel on avoitéloquemment
décrit le mal que l'on reſſentoit par
l'impreſſion des dents & des griffes dans
la chair vivante. On y avoit peint avec
les couleurs les plus fortes toutes les nuances
de la douleur que fouffroit le malheureux
qui y étoit expoſé ; la foibleſſe
occaſionnée par la perte de ſon ſang , &
enfin les tourmens cruels qu'il éprouvoit
juſqu'à ce que la mort vint l'en délivrer.
Le nom de l'auteur n'étoit pas à ce
poëme ; mais fur la première page on
voyoit diſtinctement la lettre initiale L.
Les critiques les plus inſtruits examinerent
la choſe avec une exactitude ſcrupuleuſe
& déterminés par cette lettre ils demeurerent
d'accord qu'il falloit que ce
fut l'ouvrage du lion, du lynx , du leopard
ou de l'agneau . *
*En anglois , lamb.
AVRIL. 1771. 6
Ce dernier fut rejeté d'un conſentement
général , comme ne connoiſlant
rien au ſujet traité dans ce poëme. On difputa
long-temps pour lelion , le léopard
ou le lynx ; On prouva de la force du
premier , de la ſoupleſſe du ſecond & de
la cruauté du troiſieme , que l'un d'eux
devoit être l'auteur de cet ouvrage ; mais
un cheval prenant la parole obſerva que
le poëme dont il s'agiſſoit ne pouvoit
appartenir à aucun d'eux ; car , il eſt impoſſible
, dit- il , » qu'un animal quia le
>> ſentiment que cet auteur montre pour
>> les tourmens cruels qui font occafion-
>>nés par le déchirement des dents & des
>>griffes faſſe encore les ravages que nous
>>voyons faire journellement par ces trois
>> fiers competiteurs ; l'auteur de ce роё-
> me,ajouta-t - il , doit donc être l'agneau ;
>> car c'eſt à celui qui ſouffre à donner une
>>idée véritable des tourmens & des pei-
> nes & non à celui qui les occaſionne » .
70 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure du premier volume
d'Avril 1771 , eſt Zero ; celui de la ſeconde
, eſt Fille ; de la troiléme , le calice
de la Rofe compoſé de cinq feuilles ; de la
quatrième , Noeud d'épée. Le premier logogryphe
eſt revers , qui , en ajoutant un
i , fait reverfi ; le ſecond , Ponce , pierre
ſpongieuſe , où ſe trouvent cone , once ,
noce , Pó fleuve , Noé & Ponce Pilate.
RÉPONSE à l'Auteur de l'Enigme
CINQ FRERES , & c .
Au gentil & charmant lutin
Qui ſe plaît à troubler le repos de ma vie ,
Et dont la muſe , au ſourire malin ,
S'armant de fleurs , au combat me défie ,
•Et ſe promet un triomphe certain ,
Salut , honneur & jours dignes d'envie.
Flore jadis eut cinq enfans
Des amours du tendre Zéphire :
Des plus riches couleurs parés de tous les tems ,
Toujours vermeils , toujours brillans ,
Ils étoient l'ornement de fon aimable empire.
Ils le feroient encor... mais ils furent amans.
Titon fut jeune , il fut aimé d'Aurore .
AVRIL. 1771. 71
Combien de fois leur tendre amour
Afaitdire aux humains , en l'abfence dujour !
Déeſle , dans ton char ne viens-tu point encore ?
Mais le plaiſir ſuſpendoit ſon retour.
Ces deux amans donnoient au monde
Une beauté qui devoit l'embellir ;
Etdont l'éclat feroit rougir
L'autre Vénus qu'on vit fortir de l'onde.
Roſe eſt le nom qu'on lui donne en ces lieux ;
Elle cut été déeſſedans les cieux ;
Aurore en fit un préſentà la terre ,
Et de Flore ſa ſoeur en orna le parterre .
Lejour qu'elle étala ſes merveilleux appas
Fut célébré comme une fête :
Tous lescoeurs voloient ſur ſes pas ;
Des cinq enfans de Flore elle fit la conquête.
Ces aimables rivaux dont amour eſt vainqueur
Ne quittent plus l'objet qui les enchante ;
Le voir & le ſervir eſt leur commun bonheur.
Roſe eſt leur reine & leur amante.
A la déeſſe enfin qui leur donna le jour
Ils adreflent leurs voeux , d'une voix unanime :
Odéeſſe ! foyez propice à notre amour :
A vos yeux , difent - ils, l'amour n'eſt point un
crime.
Contre les attentats de l'aquilonjaloux ,
Rofe implore votre aſſiſtance.
Que notre ſort ſeroit charmant & doux ,
Si nous étions nous-mêmes fa défenſe!
72
MERCURE DE FRANCE.
Que par votre immortel pouvoir ,
ARoſe nous offrant ſous des formes nouvelles ,
Nous puiſſions , devenus ſes chevaliers fidelles ,
Entre nos bras la recevoir.
Flore ne put les ouir ſans triſteſſe;
Elle voyoit en eux mille charmes naiſſans ;
Mais d'une mère elle avoit la tendreſſe ,
Elle exauça les voeux de ſes enfans.
Auſſi -tôt on vit ſes amans ,
Dont la ſplendeur & la jeuneſſe ,
Etoit l'honneur , la parure des champs ,
Devenir feuille , embraſſer Roses
La couvrir de baiſers brûlans ;
La dérober , la nuit , aux zéphirs infolens ,
Et, lejour , lorſqu'elle eſt écloſe ,
Armés de traits , punir les mortels impudens.
Cette avanture arriva dans un tems
Où l'amour fit mainte métamorphofe.
S'il eſt beſoin de citer mes garans ,
Plus d'un poëte atteſtera la choſe.
Par M. d'Arnol , de Lyoni
ÉNIGME
Je ſuis un composé d'une étrange figure,
Une perle , un rubis font ſouventma parure:
Maint Damoiſeau me tapifle au-dehors
D'un
AVRIL. 1771 . 73
D'un couffin trempé dans l'eau roſe ;
Mais ſi l'on diſſéque mon corps ,
Quelle étrange métamorphofe ,
Etquel arrangement nouveau !
A vos yeux je ferai paroître
Un étrier , un enclume , un marteau ,
Tous membres cachés de mon être.
Delàvous conclurez peut-être
Que le bruit eft mon élément.
Hélas ! c'eſt bien peu me connoître ;
Carilfaitmonplus grand tourment.
ParM. Pasqueau fils , d'Auxerre.
PAR
AUTRE.
AR moi tout finit , tout commence :
Par moi la terre a pris naiflance ,
Si je n'exiſtois pas enfio ,
Un momentn'auroit point de fin.
Je ne luis pas dans une licuë ,
Etje fais moi tout ſeul la moitié de l'état,
Je ne ſuispourtant que la queue
Dún rát .
τωςότος Rakle même.
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Je parle bienen vain ſi l'on nem'enviſage.
Mon ſilence eſt ma voix , ma forme eſt mon langage.
Cequ'on m'a dit , lecteur , c'eſt moi qui re ledis ;
Tu dis ce que je dis , dis-moi donc qui je ſuis.
ParM. François Chemilly.
LOGOGRYPH Ε.
JEne ſuis point, lecteur , une oeuvre denature,
Pour dire un mot de mon utilité
१
Jedoismon être à la néceffité.
Six pieds font toute ma ſtructure.
Ne les combine point : coupe moi ſans pitié,
Etdans ma premiere moitié
Tu trouveras le tems où Flore
Renaît dans les pleurs de l'aurore ;
L'autre fait l'ame des concerts ,
Sonregneeſt au milieudes airs .
ParM. Bordier, àBonnevals
AVRIL. 1771. 75 ..
AUTRE .
JE fuis , lecteur , une innocente bête
Qui te fournit un ſalubre aliment .
Mais , je t'en avertis , ſi tu manges ma tête ,
Je ne ſuis plus qu'un élément.
Parleméme.
J
AUTRE.
fuis fidèle au pauvre comme au riche.
Si vous cherchez , lecteur , par la combinaiſon ,
Vous trouverez d'abord ma niche
Dans les cinq lettres de mon nom ;
Il en peut naître encore un fort puiflant empire ;
Mais n'est- ce point trop vous en dire ?
Par le même.
L
AUTRE.
Je tuis un petit meuble,un vaſe précieux ,
Quelque vil qu'il puiſſe être aux yeux ,
Cequ'il contient eſt la voluptémême ,
3
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Cequ'il contient féduit la plupart des mortels;
Aucun n'en eſt exclu de ce plaiſir ſuprême.
Je l'offre à l'indigence extrême ;
Je la conſole ainſi des jours les plus cruels.
De neufs pieds monnom ſe compoſe;
Pour peu qu'on les mêle & tranſpoſe
Me voilà Grec , Occidental ,
Ultramontain , Oriental ;
Une piéce de four , une pâtiſſerie ,
Qu'on fert dans un baptême & lorſqu'on le marie;
Le reflux de la mer; le cri d'un éléphant
Ou du rhinoceros ; le ſecond ton du chant ;
Une langue féconde; un peuple très-avare ,
Médecin , géomètre , éloquent mais barbare ;
Un coup qu'à certain jeu l'on joue en revenant ;
Du clergé , de fa robe un petit ornement;
La vertu , qui ne fut celle de Démosthene ,
Moins encore du ſexe ; une ligne qui mene
Etdirige les coups du mouſquet , du canon ;
Une ville, un outrage , un vice , une boiffon;
Ce qui ſouvent corrige , embellit la nature;
Un certain logement dont on vous prend meſure;
Une civiere à porter du moilon;
Unbarbeau figurant dans un champ de blafon ;
Ce petit animal que mit en dialogue
L'artiſte ingénieux de plus d'un apologue ;
Un mailler propre àbattre& gravois & ciment;
Un humainreveré du ſage & du méchant ;
Cette éponge dechair , ſelon l'anatomic ,
AVRIL. 1771 . 77
Le ſiége, le vrai lieu de la mélancolie;
Cequ'appaiſa Ninive , en écoutant Jonas ;
Vous voilà maître enfin de tout mon canevas.
Par M. de Bouffanelle , Brigadier des armées
du Roi , ancien Capitaine au régiment du
Commiſſaire -Général de la Cavalerie .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Continuation de l'histoire générale des
Voyages , &c. tome dix - neuvieme ,
formant le dernier volume des voyages
de mer. A Paris , chez Panckoucke ,
libraire , rue des Poitevins.
L'Hiſtoire du Groënland , celle de Kamfchatka,
un extrait du voyage de M. l'Abbé
Chappe en Sybérie &de la rélation
des découvertes des Ruſſes dans la Mer
Glaciale , une deſcription de la Laponie
Suédoiſe & un voyage dans la Nortlande
Occidentale , voilà ce qui compoſe ce
nouveau volume qui fert de ſuite à l'utile
& important ouvrage commencé par feu
M. l'Abbé Prévôt , ſous le titre d'Histoire
des Voyages. Nous nous arrêterons quel-
D'iij
78 MERCURE DE FRANCE.
!
ques momens fur les traces du continua
teur dans les différens pays qu'il parcourt
en ſuivant les meilleurs guides , & où fes
lecteurs aimeront à le ſuivre pour leur
amuſement autant que pour leur inſtruction.
M. Egéde , miſſionnaire Danois , &
M. David Crantz qui a écrit après lui ,
fourniffent au Continuateur de M. l'Abbé
Prévôt les matériaux néceſſaires pour l'hiſ.
toire duGroenland. Mais ils font mis en
oeuvre par une main habile , & l'éloquence
du nouvel écrivain anime & embellit
les relations des voyageurs. Le debut du
ſecond livre eſt d'un ton noble &élevé qui
ne ſe dément point dans le reſte de l'ouvrage.
« Le Groënland , cette terre mara-
>> tre , a mis tous ſes habitans en guerre ,
>> lorſqu'il n'a donné à l'homme pour ſe
>> nourrir & ſe vêtir que la chair & la peau
>> des animaux. C'eſt donc là qu'il naît
>> carnaffier & meurtrier par une fatale
>> néceffité. C'eſt dans ces fortes de cli-
>> mats les plus inhabitables qu'a dû com
>> mencer la ſociété entre des chaffeursou
>> des pêcheurs que des dangers & des be-
>> foins communs , mais fur- tout des ren-
>> contres fréquentes en des lieux refferrés
»& coupés par les glaces& les eaux anAVRIL.
1771. 79
ront fans doute bientôt réunis & fait
>> paſſer d'un état d'hoſtilités paſſageres à
>> la ſtabilité d'une paix que ſemble com-
» mander & maintenir un genre de vie
>> laborieux , pénible & miférable. Les
>> Groënlandois , quoique toujoursarmés,
>> ne ſont pas cependant inhumains & fan-
>>guinaires; ce caractère odieux n'appar-
>> tient qu'à nos fociétés policées où l'on
>> verſe le ſang des hommes ſans aucune
>> de ces extrêmités preſſantes & de ces
>> haſards imprévus & inévitables où nous
>> jette malgré nous la nature. LeGroën-
>>landois eſt pêcheur , parce que la terre
>> lui refuſe des grains &des fruits; il eſt
>> chaffeur parce que la faim le met aux
>>priſes avec l'ours qui l'attaque ſouvent
» ou lui diſpute les rennes ; car ce font à-
>> peu-près les animaux qu'on trouve le
>> plus fréquemment dans les pays gla-
» cés.»
L'auteur ſemble ſuppoſer dans ce pafſage
que l'homme a dû devenir plus facilement
fociable dans les climats où la
nature a déployé ſes rigueurs , que dans
ceux où elle a répandu ſes bienfaits. Peurêtre
cette réflexion n'eſt-elle pas fondée.
Elle eſt du moins contraire à l'opinion
commune qui fait naître les premieres
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
ſociétés dans les plus belles contrées du
monde& ſous la température la plus dou.
ce. L'auteur s'appuye de cet argument
qui , en effer , eſt ſpécieux , que des hommes
alliégés par les beſoins n'ont dû ſe
rencontrer que pour les combattre & fe
réunir contre la nature qui ſembloit leur
ennemi commun ; que du ſpectacle de
leur mifére , du ſentiment de leur impuiſſance
& de l'eſpérance des ſecours a
dûſe former un attrait réciproque qui les
appeloit les uns vers les autres ; cependant
en y réfléchiſſant davantage , on peut
arriver à des inductions fort différentes.
En effet , il paroît démontré par l'expérience
, que l'homme ſauvage , redevable
à l'état où il ſe trouve du progrès néceffaire
de ſes forces phyſiques , comme
l'homme civil l'eſt à la ſociété du progrès
deſes forces morales , ſe trouve dans tous
les climats en proportion avec la nature.
Par-tout où elle eſt avare & cruelle , il a
le courage de l'induſtrie ou de la patience,
& n'est qu'exercé ſans être abattu. Alors
loin d'être diſpoſé à ce découragement
qui invoque la pitié , loin d'avoir de la
foibleſſe ou de la douceur , il s'endurcit
comme la terre qui le tourmente& comme
le ciel qui le menace ; il devient om-
V
AVRIL. 1771 . 81
r
brageux & féroce ; accoutumé à faire la
guerre à tout ce qui l'entoure , il la fera à
ſes ſemblables, s'ils ſe préſentent à ſa vue,
&dans un pays tel qu'on dépeint le Groën .
land. La premiere fois qu'un homme a
rencontré un homme , chacun d'eux a cru
voir un ennemi. Plus la chaſſe&la pêche
font difficiles & laborieuſes , plus il eſt
-natureldecroire qu'un habitant du Groën.
land n'a dû voir d'abord dans un compatriote
qu'un adverſaire prêt à lui enlever
le renne qu'ilpourſuivoit oul'akpa * qu'il
attendoit fur le rivage. Ce n'est qu'avec
le tems qu'ils ont dû comprendre qu'en
ſe réuniſlant ils pourroient faite de plus
belles priſes & porter leur ambition jufqu'à
défier la baleine &le veau marin.
On a toujours obſervé que l'homme du
Nord , l'enfant des montagnes , tout ce
qui eſt élevé durementpar la nature , eſt
plus guerrier , plus fanguinaire que celui
qui en a reçu une éducation plus molle ,
tel que les peuples du Midi & les habitans,
des plaines. On objectera que les
plus anciennes nations conquérantes qui
ayent formé de grands empires font for-
* Eſpèce de poule de mer , très bonne à manger.
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
ties de l'Aſie , de la Grèce , de l'Italie;
oui , cela prouve ſeulement que ce font
les premieres qui ayent été policées ,
comme nous le diſions tout - à-l'heure ;
mais elles n'ont jamais pû foumettre les
peuples du Nord& ont fini par en être la
proie. Le Nord , théâtre de la barbarie, a
été long- tems la barriere où ſe ſont briſées
les puiſſances formées par la difci--
pline &par le génie ,& quand il s'eſt répandu
au- dehors , il a tout écrafé, & obfcurci
l'Univers de douze ſfiécles de ténébres
& d'oppreffion. D'où venoit cet afcendant?
fi ce n'eſt de cette lutte continuelle
contre un climat rigoureux qui ,
leur apprenant à ſupporter la vie ſans les
engager à la chérir , ajoutoit ſans ceſſe au
fentiment de leurs forces , & éloignoit
d'eux le ſentiment de la crainte. Et d'où
venoit leur férocité ? de ce que des hommes
qui ne s'accordent rien à eux - mêmes
accordent encore moins aux autres , ne
reffentent point la pitié parce qu'ils n'en
ont pas beſoin, &mépriſent également &
leur vie&celle d'autrui .
Au contraire ( pour en revenir au point
d'où nous étions partis ) dans des contrées
heureuſes & fous un ciel bienfaiſant
T'homme a dû être plus naturellement
diſpoſé à la ſociabilité.Accoutumé à trou
AVRIL 17711 83
ver autour de lui en abondance tout ce
qu'il pouvoit deſirer, il n'a pas pu craindre
que la nature fût jamais trop pauvre
ou ſes compagnons trop avides.Diſpenſé
du travail , il a dû ſentir ſouvent le mal
d'être ſeul , que ne connoît preſque pas
celui qui n'échappe à la fatigue & à la mifére
qu'à la faveur du ſommeil ; & delà
fur-tout a dû réſulter dans les peuples du
Midi une plus grande facilité à ſe raffembler.
L'habitude du bonheur phyſique
prépare aux jouiſſances de l'ame &de l'imagination
que n'a pas le tems d'entrevoir
celui qui défend contre le befoin une
exiſtence frêle & pénible. Dansles plaines
de Sennaar & de l'Yemen , l'homme
en reconnoiſſant un autre homme a dû ſe
féliciter de trouver un être qui alloit
jouir avec lui , & s'eſt empreſlé de lui of
frir tout ce qui étoit en ſa puiſſance ; &
c'eſt ainſi que les peuples du Pérou & du
Mexique , déjà civilifés , mais pleins de
la confiance qu'inſpire le bonheur , reçu
rent d'abord les Eſpagnols , avant de favoir&
de comprendre qu'il fût poffible
que ſous le plus beau ciel de la nature on
ne vînt pas chercher les campagnes qu'il
féconde& les fruits qu'il murit , mais les
gouffres fouterreins ou ſes rayons ne pé
nétrent jamais.
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Au reſte l'opinion de l'écrivain philoſophe
dont nous annonçons l'ouvrage , &
la nôtre qui lui eſt oppoſée , ne peuvent
s'appuyer que ſur des probabilités. Il eſt
impoflible de déſigner avec certitude l'endroit
de la terre qui a été le premier peuplé
par des hommes réunis en ſociété ; fi
c'eſt aux bords du Gange & de l'Euphrate
que l'on s'eſt d'abord raſſemblé pour adorer
le ſoleil levant, ou ſi , avant cette époque,
les familles du Kamtschatka s'étoient
creufé des demeures fouterraines
pour ſe dérober à une atmosphèreglacée.
La queſtion n'eſt pas réſolue en citant les
premiers peuples civiliſés dont l'histoire
faſſe mention , parce qu'il est très-naturel
que les arts ayent été cultivés d'abord dans
les ſociétés que le climat favorifoit , &
qu'ils foient encore à naître dans d'autres
qui , à toute force , pourroient être
auſſi anciennes , mais trop maltraitées de
la nature pour avoir pû jamais élever des
monumens qui atteſtent leur antiquité.
Les Chinois & les Indiens font les peuples
qui offrent au monde les titres les
plusanciens; mais tousn'ont pas été comme
eux à portée de rédiger les preuves de
leur nobleffe , & peut - être après tout
qu'une famille groenlandoiſe ſavoit ar
AVRIL. 1771 . 85
mer un canal pour la pêche du veau marin
long tems avant que Confutzée éut
des diſciples & Brama des adorateurs .
Les lecteurs nous pardonneront peutêtre
cette digreſſion occafionnée par l'hiſtorien
des voyages dont l'eſprit philofophique
ſe communique à ceux qui le liſent.
Le ton de ſes réflexions eſt toujours
celui d'un obſervateur ſenſible qui tourne
au profit de ſa raiſon les impreſſions qu'il
a reçues des objets, « C'eſt ſur - tout au
>>Nord ( dit- il ) qu'on peut admirer dans
>> la ſage compenfation que la nature a
> faite de ſes richeſſes, combien leshom-
>> mes font dédommagés de la ſtérilité de
>> la terre par la fécondité de la mer.
>>C'eſt là qu'un naturaliſte doit aller étu-
>>dier l'ichtiologie. La meilleure école
>> de cette ſcience eſt dansles mers gla-
➤ciales. Quel vaſte champ pour un eſprit
>> curieux de connoître non ſeulement
>>>>les formes & les eſpéces qui diftinguent
>> les poiffons en troupeaux innombra-
« bles , mais auſſi le caractère , les pro-
› priétés , l'induſtrie & l'inſtinct de ces
>> animaux ſtupides & muers ! quel ſujet
>> de profondes méditations que le pro-
>> grès inſenſible d'organiſation & de vie
>>qui s'étend& ſe développe dans les ha
86 MERCURE DE FRANCE.
>> bitans du vaſte Océan , depuis l'inſecte
>> imperceptible aux yeux juſqu'à l'énor-
>> me & prodigieufe baleine ! & fi l'on
>> veut defcendre l'échelle des êtres
>> quelle chaîne à parcourir depuis le kra-
» ven , ce monftre preſque fabuleux par
>> l'immenſité de l'eſpace que ſon volume
>> occupe juſqu'à l'inconcevable zoophite,
>> cette production animale & végétale de
« la mer ! رو
Mal
Après la deſcription des funérailles des
Groenlandois , l'auteur rapporteune chanfon
funèbre prononcée par un père qui
pleuroit la mort de fon fils. On y trouvera
du naturel & de la ſenſibilité .
>> heur à moi qui vois ta place accoutu-
>>mée & qui la trouve vuide ! elles font
>> donc perdues les peines de ta mère pour
>> fécher tes vêtemens ! hélas ! ma joie eſt
>> tombéeentriſteſſe; elle est tombéedans
» les cavernes des montagnes. Autrefois
>> lorſque je revenois le foir , je rentrois
>> content , j'ouvrois mes foibles yeux
>> pour te voir , j'attendois ton retour.Ah!
>> quand tu partois , tu voguois , tu ramois
>> avec une vigueur qui défioir les jeunes
» & les vieux . Jamais tu ne revenois de
>> la mer les mains vuides , & ton kaiac
> rapportoit toujours ſa charge de poules
,
AVRI L. 1771 . 87
» ou de veaux. Ta mère allumoit le feu ,
>>>dreſſoit la chaudiere & faifoit bouillir
>> la pêche de tes mains. Ta mère étaloit
>> ton butin à tous les conviés du voiſi-
>> nage , & j'en prenois aufli ma portion.
>> Tu voyois de loin le pavillon d'écarlate
>>de la chaloupe * & tu criois de joie ,
>> voilà le marchand qui vient. Tu fau-
>> tois auffi à ſon bord , & ta main s'em-
>>paroit du gouvernail de la chaloupe.
>> Tu montrois ta pêche & ta mère en fé-
→ paroit la graiſſe. Tu recevois des che-
>> miſes de lin &des lames de fer pour le
>> prix du fruit de tes harpons&de tès
>> fléches. Mais à préſent , hélas ! tout
>> eſt perdu. Ah ! quand je penſe à toi ,
>>>mes entrailles s'émeuvent au dedans de
>>moi . O! Si je pouvois pleurer comme
» les autres , dumoins je foulagerois ma
>> peine ? Eh ! Qu'ai- je à ſouhaiter déformais
en ce monde ? La mort eft ce
» qu'il y a de plus déſirable pour moi.
>> Mais ſi je mourrois qui prendroit foin
» de ma femme &de mes autres enfans ?
>> je vivrai donc encore un peu de tems ,
>> mais privé de tout ce qui réjouit &
>> confole l'homme ſur la terre ».
*DesFacteurs Danois,
88 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur décrit les travaux des Mifſionnaires
Danois dans le Groenland &
les obſtacles qu'ils eurent à ſurmonter.
C'eſt une choſe curieuſe d'entendre les
raifonnemens que ces peuples groſſiers
oppofoientà la prédication de l'Evangile?
>> Montrez nous le Dieu que vous pre-
> chés & nousy croirons. Vous le repré-
>> ſentés comme un Etre trop fublime ;
>> comment ſe peut- il que nous allions à
>>lui ou qu'il deſcende juſqu'à nous ? II
>>n'en prend aucun fouci. Nous l'avons
>>invoqué quand nous n'avions rien à
>> manger , ou que nous étions malades ;
>> mais c'eſt comme s'il ne nous avoit pas
>>entendus. Nous croyons que tout ce que
>> vous dites de lui n'eſt pas vrai. Si vous
>> le connoiſles mieux que nous , obtenés
>> de lui , par vos prières qu'il nous don-
>> ne de quoi vivre , un corps ſain , un
tems ferein & tout ce qui nous man-
» que. Notre ame n'eſt point malade.
» Vous êtes bien autrement inſenſés &
>>corrompus que nous. Dans votre pays
>>il peut y avoir desames gâtées & nous
>> le voyons affez par les Européens qui
>>viennentparmi nous ; fansdoute ils ont
>> beſoin d'un Sauveur & d'un Médecin
>>pour l'ame. Votre paradis & vos joies
AVRIL. 1771. 89
>> celeſtes ne nous touchent point, &n'ont
>> rien que d'ennuyeux á notre gre . Il ne
>>>nous faut que du poiſſon &des oiſeaux!
>> Sans ce ſoutien notre ame ne fauroit
>> pas plus ſubſiſter que notre corps. Il n'y
>> a point de veau marin dans votre para-
>> dis ; ainſi nous vous l'abandonnons à
>> vous & à tout ce qu'il y a de pis parmi
>>les Groëlandois ; mais pour nous qui
>> devons aller dans le palais de Torngar-
>> fuck , nous y trouverons en abondance
» & fans peine tout ce qui manque ànos
>> beſoins » .
On paſſe enſuite à l'hiſtoire du Kamfchatka
, & dans la foule des fingularités
les plus bifarres, on doit remarquer la
manière très-extraordinaire dont les mariages
ſe contractent. » Le pouvoir d'un
>> pere & d'une mere fur leur fille ſe ré-
>> duit àdire à fon amant , touche là , fi
>> tu peux. Ces mots font une eſpèce de
>> défi qui ſuppoſe ou donne de la bra-
>>voure. La fille recherchée est défendue
>>commeuneplace forte avec des cami-
>> folles , des caleçons , des filets , des
>> courroyes , des vêtemens ſi multipliés
» qu'à peine peut- elle ſe remuer. Elle eſt
• gardée par des femmes qui ne ſuppléent
>> que trop bienà l'uſage qu'elle voudroit
१० MERCURE DE FRANCE .
J
し
>> ou ne voudroit pas faire de ſes forces.
>> ſi l'amant la rencontre ſeule ou peuen.
» vironnée , il ſe jette ſur elle avec fu-
» reur , arrache & déchire les habits ,les
>>toiles& les liens dont elle eſt envelop-
>> pée , & fe fait jour s'il ſe peut, juſqu'a
>> l'endroit où on lui a permis de la tou-
>>cher. S'il y a porté la main , ſa conquêre
>> eſt à lui , dès le ſoir même il vientjouir
>> de ſon triomphe , & le lendemain il
>> amène ſa femme avec lui dans ſon ha-
>> bitation : mais ſouvent ce n'eſt qu'après
>> une ſuite d'affauts très meurtriers ; &
>>telle place coûteſeptansde ſiége fansêtre
>> emportée. Les filles&les femmes qui la
>> défendent , tombent fur l'aſſaillant à
>>grandscris&àgrands coups,luiarrachent
>>les cheveux , lui égratignent le viſage &
>>quelquefois lejettentdu haut desbalaga-
>> nes. Le malheureux eſtropié , meurtri ,
>> couvert de ſang & de contufions , va
>>ſe faire guérir par le temps& feremetétatde
recommencer ſes affauts.
>> Mais quand il eſt aſſez heureux pour ar-
»riverau terme de ſes deſirs , ſamaîtreffe
ala bonne foi de l'avertir de fa victoire
, en criant d'un ton de voix ten-
„ dre & plaintif , ni , ni. C'eſt le ſignal
>> d'une défaite dont l'aveu coûte toujours
" tre en
1
1
AVRIL. 1771: 91
>>moins à celle qui le fait qu'à celui qui
>>l'obtient. Car, outre les combats qu'il lui
>>faut riſquer , il doit acheter la permif-
>>ſion de les livrer , au prix de travaux
>>longs & pénibles. Pour toucher le coeur
>> avant le reſte , il va dans l'habitation
>>de celle qu'il recherche , fervir quelque
>> temps la famille. Si les ſervices ne
>>plaiſent pas , ils font entièrement per-
>> dus ou foiblement recompenfés. S'il
>> plaît aux parens de ſa maîtreſſe qu'il a
gagnée , il demande ,& on lui accorde ,
>>la permiſſion de la toucher ».
L'Amourfaitdes poëtes au Kamſchatka
comme dans le Groenland. Voici une
chanfon Kamſchadale que l'on peut comparer
avec la chanson Groëlandoiſe que
nous venons de rapporter. » j'ai perdu ma
>> femme & ma vie. Accablé de triſteſſe
» & de douleurs , j'irai dans les bois ,
>> j'arracherai l'écorce des arbres & je la
>> mangerai. Je me leverai de grand matin
>>je chaſſerai le canard dantguiche pour
>> le faire aller dans la mer ; je jetterai
>>les yeux de tous côtés pour voir ſi je ne
>> trouverai pascelle qui fait l'objet de ma .
>> tendreſſe & de més regrets » .
Dans la relation des découvertes des
Ruffes, l'auteur donne un détail très-cir02
MERCURE DE FRANCE.
conſtancié des efforts que l'on a faits pour
s'ouvrir un paſſage par les mers du Nord
au continent de l'Amérique ſeptentrio .
nale ; efforts qui ont produit des decouvertes
curieuſes ſans parvenir au but que
l'on defiroit; mais qui ſemblent annoncer
la poſſibilité d'y réuffir. L'auteur en rendant
compte enſuite du voyage de M.
l'Abbé Chappe en Sibérie , paye un juſte
tribut d'éloges& de regrets à la mémoire
de ce jeune Académicien que l'on peut
appeller le martyr de la ſcience , & que
la mort a trop tôt enlevéà la philoſophie
dontfes travaux auroient foutenu les progrès.
Finiffons cet extrait par l'éloquente
apostrophe que M. Arridephrenmalm ,
auteur d'un voyage dans la Nortlande ,
adreſſe à ſes compatriotes les Suédois plus
curieux de voyager dans l'Europeque de
connoître le fol & les reſſources de leur
patrie. Le véritable nerfdes puiſlances
>> du Nord manque à nos voeux. Queleſt-
>> il ? La population. Ce n'eſt que par
>>l'agriculture que la Suéde peut eſpérer
>> de rétablir ce teffort de ſa valeur , ce
>> ſoutien de fa renommée. Les cendres
>> de nos peres repoſent dans les champs
.>> de bataille dont l'Allemagne eſt cou
AVRILa. 1771 . 93
1
>> verte. Allons leur chercher des fuccef-
>> feurs , des enfans dignes d'eux dans la
>> Nordlande & la Botnie . Remuons cette
>> terre & les hommes naîtront. Peuple.
>> guerrier , peuple libre , ſouviens toide
>>toi même , & s'il ne sied pas à ta vertu
>>de conquérir & de ſubjuguer , qu'il foit
>> toujours de ta grandeur de brifer les
>> chaînes que tes ennemis voudroient
>>donner à l'Europe.
Suite du Discours du Traité d'Hidrodynamique
par M. l'Abbé Boffut.
Il y a des ſciences qui , par leur objer ,
ne font deſtinées qu'à ſervir d'aliment à
la curiofité ou à l'inquiétude de l'eſprir
humain. Il en eſt d'autres qui doivent
fortir de cet ordre purement intellectuel
pour s'appliquer aux besoins de la ſociété.
Telle eft en particulier l'Hydrodynamique,
La détermination de la quantité
de liqueur , qui s'écoule par une ouverture
propoſée , la recherche du mouvement
des eaux dans des canaux creuſés
par l'art ou par la nature , la connoiſſancedes
forces que les fluides exercent par.
leur poids ou par leur choc , &c. fontdes
objets d'une utilité continuelle dans la
94 MERCURE DE FRANCE.
pratique. Il eſt donc indiſpenſable de
perfectionner la ſcience dont il s'agit; &
s'il y a des queſtions où la géométrie
n'offre pour cela que des ſecours trop
pénibles ou même impuiſſfans , il fautta.
cher de ſuppléer à ſon défaut parla voie
de l'expérience. La choſe n'eſt pas impoſſible.
Des faits multipliés , analyſés
avec attention , & ramenés autant qu'il
eſt poſſible à des loix générales , peuvent
compoſerune eſpèce de théorie dépourvue
, à la vérité , de la rigueur géométri
que , mais fimple , lumineuſe &uſuelle.
C'eſt dans cette vue que j'ai entrepris le
traité qu'on va lire. J'en avois formé le
projet depuis pluſieurs années. La place
que j'occupois alors à l'école du Génie
m'impoſoit le devoir d'enſeigner aux jeunes
ingénieurs la méchaniquedes fluides,
qui eſt eſſentielle à leur état. Je leur dictois
quelques eſſais qui n'étoientpasdeftinés
à devenir publics ; je ſentois l'inſuffiſancede
la théorie en pluſieurs points;
&je voulois confulter l'expérience avant
quede commencer un corps d'ouvrage.
Mes idées ſur cet important objet furent
goûtées par les hommes éclairés & zélés
pour le bien, qui ont l'adminiſtrationde
l'école du génie. M. le Duc de Choiſeul
acco
rier
de
&1
dre
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&
da
lec
no
fie
fo
qa
a
i
AVRIL. 1771 . 95
accorda des fonds pour faire des expériences.
J'en fis , je méditai ; voici le fruit
de ce travail .
Mon ouvrage embraſſe l'hydroſtatique
& l'hydraulique . J'ai cru devoir repren--
dre ainſi toute la matiere par les premiers
principes , afin de donner plus de clarté
&de méthode à ce traité , & afin de l'adapter
plus ſpécialement aux beſoins des
lecteurs que je cherche à inſtruire. Les
notes qu'on trouvera à la ſuite de pluſieurs
chapitres , ſont deſtinées à approfondir
certaines théories.J'en dirai quelque
choſe de plus ci - deſſous. Commençons
par rendre compte du texte .
Les loix primordiales de l'hydroſtatique
, étant fort ſimples , fort connues ,&
ayant été confirmées d'ailleurs par une
infinité d'expériences , il ne me reſtoit
qu'à les développer nettement , & avec
undétail ſuffiſant pour en faciliter l'uſage.
C'eſt à quoi je me ſuis attaché. La
théorie que j'établis eſt fondée toute entiere
ſur ce principe , qu'une particule
quelconque d'un fluide en équilibre eſt
également preffée dans tous les ſens . Je
conſidère d'abord l'équilibre des fluides
incompreſſibles . J'examine la poſition
quedoit prendre la ſurface de ces fluides
96 MERCURE DE FRANCE.
dans des vaſes ſolides ou flexibles , & la
preſſion qu'ils exercent contre les fonds
&les parois des mêmes vaſes. J'expoſe
la méthode générale pour trouver la figure
que forme un vaſe flexible rempli
d'une liqueur peſante, lorſque cette liquent
eſt parvenue à l'état d'équilibre.
La même méthode , ſimplifiée par la nature
du problême , me fert à déterminer
les épaiſſents qu'il convient de donner
aux tuyaux de conduite , pour qu'ils puiſ.
ſent réſiſter à la preſſion des fluides ſtagnans.
De- là je paſſe à l'équilibre des
fluides élastiques. Après en avoir expoſé
les propriétés générales , je confidère celui
de l'air en particulier . Je démontre la
peſanteur & l'élaſticité de ce fluide ; je
cherche la loi fuivant laquelleil ſe comprime
ou ſe dilate à raiſon des poids dont
il eſtchargé. Viennent enſuite différentes.
applications de la théorie à la machine.
pneumatique , au baromètre , au thermomètre
, à l'aſcenſion de l'eau dans les
pompes , à la machine à feu , &c. Je
traite avec le même ſoin une autre théorie
qui a pour objet l'équilibre des corps.
flottans , & qui appartient tout à la fois
à là Ratique des corps folides , & à celle
des fluides . L'équilibre dont il s'agit a
lieu ,
AVRIL. 1778. 97
lieu , lorſque le corps flottant&le fluide
déplacé ont même poids , & que leurs
centres de gravité ſont ſitués dans une
même ligne verticale. Mais il peut avoir
plus ou moins de conſiſtance, c'eſt- à dire,
être plus ou moins ſtable dans ſon état ,
ſelon la poſition reſpective que les deux
centres de gravité propoſés occupent fur
la verticale. J'analyſe donc les cas où un
corps dérangé de cette ſituation d'équilibre
y retournera de lui - même , ou continuera
à s'en éloigner. Les principes généraux
ſont éclaircis par pluſieurs exemples.
J'en fais l'application aux mouvemens
de roulis &de tangage des vaiffeaux.
L'hydraulique ſe partage en différentes
branches que je parcours ſucceſſivement ,
comme j'ai fait pour l'hydroſtatique. Ici
l'expérience marche preſque par tout à la
ſuite de la théorie ; elle la confirme , l'éclaire
, ou même la ſupplée en certains
cas où le mouvement du fluide , par ſes
irrégularités , ne donne aucune priſe à la
géométrie.
Je commence par examiner le mouvement
de l'eau qui fort d'un vaſe par une
ouverture. Ce problême pris dans toute
ſa généralité eſt très-difficile. Mais dans
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
la pratique il eſt aſſez ordinaire que l'ouverture
foit fort petite en comparaiſon
de la largeur du réſervoir. Alors je prouve
par le ſeul fecours de la théorie , que la
vîteſſe au fortir de l'orifice eſt dûe à la
hauteur du Auide dans le réſervoir audeſſus
du trou . D'après ce principe , je
donne pour un vaſe entretenu conftamment
plein , &pour un petit orifice horifontal
, une équation ou formule généralequi
contient la relation entre la quantité
d'eau écoulée , le tems de l'écoulement
, l'aire de l'orifice & la hauteur du
réſervoir ; de maniere que trois de ces
choſes étant données , il eſt facile d'en
conclure la quatrième . On trouve des réſultats
analogues pour les écoulemens des
vaſes qui ſe vuident ſans recevoir de nouvelle
eau. Souvent le fluide fort par une
ouverture latérale , comme par une vanne
de moulin , une porte d'écluſe , &c.
En ce cas , toutes les molécules au fortir
de l'orifice , n'ont pas la même vîteſſe ;
&le mouvement général du fluide eſt
comme indéterminable à la rigueur. Mais
ſi le trou n'eſt pas fort grand , on peut
ſuppoſer , ſans craindre d'erreur ſenſible,
que la viteſſe de chaque particule eſt dûe
a la hauteur du réſervoir , qui lui répond,
コ
1
AVRIL. 1771 . 99
:
J'adopte cette hypothèſe comme ſuffiſante
dans la plupart des problêmes de
pratique. Elle me ſert à réſoudre pluſieurs
queſtions concernant le mouvement des
eaux qui fortent par des ouvertures latérales.
Voilà pour les écoulemens qui ſe
font avec une entiere liberté ,& ſans que
le mouvement du fluide dans l'intérieur
du vaſe éprouve aucun obſtacle. Mais
quelquefois les réſervoirs ſont étranglés
encertains endroits de la hauteur , ou
bien ils font traverſés de diaphragmes
percés de petits trous par leſquels le fluide
eſt obligé de paffer. Le mouvement
du fluide eſt alors gêné , rallenti , & ne
ſuit plus les loix que nous venons d'expoſer.
Jedonneencore des formules pour
déterminer ces fortes d'écoulemens . Elles
font voir combien il eſt eſſentiel d'éviter
les étranglemens dans les pompes
&dans les tuyaux de conduite. Je termine
ces différentes recherches par la ſolution
de quelques problêmes ſur le mouvement
des eaux qui s'échappent par de
petites ouvertures de vaſes mobiles entretenus
conſtamment pleins ; problêmes
qui peuvent avoir leur utilité , & propres
d'ailleurs à exercer les commençans.
A la théorie des écoulemens , je fais
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fuccéder celle des oſcillations d'un Auide
qui febalance dans un ſyphon quelconque.
Je démontre que le ſyphon étant
ſuppoſé cylindrique , ces oſcillations font
ifochrones entr'elles ; & j'aſſigne la longueurdu
pendule ſimple qui fait ſes battemensdans
le même tems.
Il reſte maintement à ſavoir i les fluides
ſe meuvent réellement d'une maniere
conforme à la théorie. Le premier objet
qui ſe préſente à examiner eſt le mouvement
que les particules d'un fluide qui
fort d'un vaſe par une ouverture , prennent
dans l'intérieur même du vaſe. Par
le moyen d'un cylindre de verre , au fond
duquel j'adaptois différens ajutages , j'ai
vu que toutes les particules deſcendent
d'abord verticalement, mais qu'à une certaine
diſtance du trou , elles ſe détournent
de leur premiere direction pour rendre
vers lui de tous côtés. Elles ont donc
néceſſairement vers ſes bords des mouvemens
obliques qui ſubſiſtent pendant
quelque tems. En conféquence de ces
mouvemens , la veine fluide doit s'amincir&
former une eſpècede conoïde tronqué,
dont la plus grande baſe eſt l'orifice
même , & la plus petite en eſt diſtante
extérieurement d'une certaine quantité.
AVRIL. 1771 . 101
J'ai meſuré les dimenſions de ce conoïde
avec le plus d'exactitude qu'il m'a été
poſſible ; il m'a paru que ſa hauteur eſt
égale environ au rayon de l'orifice , &
que ſes baſes ſont entr'elles environ dans
le rapport de 3 à 2. En-delà du point de
contraction , la veine prend la forme cylindrique
ou priſmatique , &la conſerveroit
fi la peſanteur &la réſiſtance de l'air
netendoient pas à la dénaturer. Je croyois
d'abord , avec quelques auteurs , que la
meſure immédiate de la contraction pouvoit
ſervir àdéterminer avec une préciſion
ſuffiſante la quantité de l'écoulement.
Mais l'expérience m'a convaincu du cóntraire.
On ſent en effet qu'une telle mefure
eft néceſſairement incertaine. Car
outrequ''oonnnepeutjamaisrépondrequ'on
ait pris bien juſte le diamètre de la veine,
comments'aſſurer qu'on l'a pris préciſément
à l'endroit où la veine ceſſe de ſe
refferrer pour devenir cylindrique ? Cet
endroit eſt - il toujours fixe pour toutes
fortes dehauteurs de réſervoir &de grandeurs
d'orifice ? Le diamètre de la veine
ne varie-t il pas lui -même par ces deux
cauſes ? La contraction n'a-t elle lieu que
pour des orifices percés dans de minces
parois, & n'affecte - r- elle pas du moins
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
avec quelques modifications , les écoulemens
qui ſe fonr par des tuyaux ? Enfin
les effets des contractions ne doivent- ils
pas être altérés par le frottement , qui eſt
plus ſenſible vers les bords que vers le
centre de l'orifice ? Ces conſidérations
m'ont déterminé à chercher directement
par l'expérience les quantités d'eaux écoulées
par des orifices quelconques.
M. Mariotte a fait en ce genre pluſieurs
expériences rapportées dans ſon traitédu
mouvement des eaux , auquel j'ai déjà
payé le tribut d'éloges qu'il mérite. Mais
je ne les ai point employées. Pour mettre
de l'uniformité dans mon travail , & pour
me délivrer de tout fcrupule ſur l'exactitude
des réſultats, j'ai vouluopérer moimême
& voir par mes yeux. J'ai déterminé
les écoulemens par des orifices percés
dans de minces parois , & par des
tuyaux additionnels. Lathéorie avoit appris
que les dépenſes d'un vaſe entretenu
constamment plein , ſont comme le produit
du tems par l'orifice & par la racine
quarrée de la hauteur du réſervoir. L'expérience
m'a fait voir que cette loi eſt
ſenſiblement vraie , & qu'on peut l'employer
fans reſtriction dans la pratique
ordinaire. Lorſque l'écoulement ſe fait
4 AVRIL. 1771.. 103
par un orifice percé dans un mince paroi ,
la contraction diminue la dépenſe naturelle
& théorique , à peu près dans le
rapport de 16à r1ơ0 ,, ou de 8 as;&lotfque
le fluide fort par un tuyau additionnel
de 2 ou 3 pouces de longueur,& fuit
les parois de ce tuyau , la dépenſe eſt diminuéedans
le rapport de 16 à 13 environ.
Les formules de la théorie s'appli
queront donc à la pratique , en y faifant
les corrections relatives à ces rapports . Si
on veut mettre dans ces recherches toute
T'exactitude poſſible , il faudra faire at .
tention à deux phénomènes que j'ai obfervés.
En analyſant les effets du frottement
& de la contraction , j'ai trouvé ,
1º. qu'à caufe du frottement les petits
orifices donnent moins d'eau à proportion
que les grands ; 2°. Que la hauteur du
refervoir augmentant , la contraction augmente
, ce qui diminue la dépenſe ; tandis
qu'au contraire , ſuivant la théorie la
plus naturelle qu'on puiſſe ſe faire fur
l'action du frottement , le déchet occafionné
dans la dépense par cette réſitande
devroit Te fentir de moins en moins
meſure'que la hauteur du réſervoir augmente.
Ces deux loix combinées enfemble
me donnent le moyen de déter
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
miner les écoulemens avec toute la préciſion
qu'on peut deſirer , ſoit pour des
vaſes entretenus conftamment pleins, ſoit
pour des vafes qui ſe vuident ſans recevoir
de nouvelle eau.
De- là je paſſe au mouvement des eaux
jailliſſantes. J'établis la meilleure figure
des ajutages , & la meilleure proportion
entre le diamètre de l'ajutage & celui du
tuyau qui doit fournir à ſa dépenſe. Il eft
aifé , avec ces principes ,de former unjer
d'eau qui s'élève à toute la hauteur qu'on
peut eſpérer. L'utilité de cette matiere
pour ladécoration des jardins & des édifices
, eſt ſuffisamment connue.
Il arrive ſouvent qu'on abeſoinde conduire
de l'eau d'un pont à un autre qui en
eſt très éloigné , &qui en eft quelquefois
ſéparé par des montagnes & des vallées.
Alors on fait cheminer l'eau dans des
tuyaux de fer , de bois , de grès ou de
plomb. On commettroit des erreurs fouvent
énormes ſi , après s'être aſſuré par le
nivellement que le point de départ eft
plus élevé que celui d'arrivée , on détermineroit
le diamètre du tuyau par les
principes qui fervent à déterminer l'écoulement
d'un Auide qui fort d'un vaſe par
ane ouverture ordinaire ,& qu'on négli
AVRIL. 1771. 11005
gear la réſiſtance du frottement. Cette
réſiſtance répandue fur un long eſpace ,
rallentit d'une manière très- ſenſible le
mouvement de l'eau . Le déchet qu'elle
occationne dans la dépenſe peut excéder
20 ou 30 fois la dépenſe même , quand
la conduite eſt fort longue & qu'elle a
pluſieurs ſinuoſités. J'ai fait fur cette matiere
un grand nombre d'expériences qui
paroîtront intéreſſantes , a je ne me trompe
, & dont j'eſpère que la pratique retirera
pluſieurs avantages. Elles montrent
que toutes choſes d'ailleurs égales , plus
la hauteurdu réſervoir eſt grande , moins
ledéchet occaſionné dans ladépenſe d'une
longue conduite eſt ſenſible ; ce qui eſt
conforme à la ſaine théorie ſur la nature
du frottement. Elles font connoître , du
moins à peu près , la loi ſuivant laquelle
les dépenſes diminuent à mesure qu'un
tuyau devient plus longou plus tortueux,
ou l'un & l'autre tout-à- la-tois. On peut
fe faire , par leur moyen , une idée de la
pente qu'il convient de donner à un tuyau
rectiligne , pour que cette pente répare la
perte de vîteſſe occafionnée par le frottement.
Elles fourniſſent la réponſe à cette
queſtion , ſi lorſqu'on ade l'eau à conduire
d'un point à un autre qui en eſt ſéparé pat
Ev
106. MERCURE DE FRANCE.
des montagnes & des vallées , il faut ou
franchir directement les montagnes& les
vallées ou les contourner , en ſuppoſant
que le développement de l'eſpace parcouru
par l'eau ſoit le même dans les
deux cas , &c. Je ne puis qu'indiquer ici
en gros tous ces objets qui demandent à
être ſuivis dans l'ouvrage même.
Le mouvement des eaux dans des canaux
offre un nouveau champ de recherches
curieuſes par elle-mêmes , & utiles
dans la pratique. Je conſidere d'abord le
mouvement de l'eau dans un canal rectangulaire.
J'examine la loi ſuivant laquelle
le frottement diminue la vîtefle
du courant. Il y a une différence ſenſible
entre le mouvement de l'eau dans un
tuyau fermé de tous côtés & celui de
l'eau dans un canal. Sous une même hauteur
de réſervoir , il paſſe toujours la même
quantité d'ean dans un canal , quelles
que foient ſa pente & ſa longueur , au
lieu que dans un tuyau la pente& la longueur
font varier la dépenfe. Mes expériences
prouvent que les viteſſes ne ſuivent
point la raiſon des racines des pentes,
commequelques auteurs l'ontavance.
Elles réfurent auſſi l'opinion de ceux qui
penſent qu'à égale pente& à égale lonAVRIL.
1771 . 107
gueur de canal , les vîteſſes ſont entr'elles
comme les quantités d'eaux écoulées.
J'expoſe à la ſuite de ces recherches les
moyens que divers auteurs ont imaginés
pour déterminer la viteſſe des eaux dans
des canaux de figure quelconque, comme
des rivieres , desruiſſeaux , &c.
L'enchaînement & l'analogie des chofes
me conduiſent ici naturellement à
ſuivre en particulier & avec quelque détaille
coursdes fleuves. Je donne d'abord
toute la théorie élémentaire dont le ſujet
eſt ſuſceptible. On fait que quand on retrecit
le lit d'une riviere par les arches
d'un pont , par des murs de quai , ou de
toute autre maniere qu'on voudra imaginer
, la profondeur de l'eau augmente
néceſſairement. Je détermine cette nouvelle
profondeur. La même méthode me
fert à réfoudre un autre problême qui eſt
en quelque forte l'inverſe du précédent ,
&qui confifte àtrouver la quantité dont
le niveau d'une riviere baiſſe , lorſqu'on
y fait une ſaignée par un canal de dérivation.
J'entre dans pluſieurs détails phy.
fiques & géométriques fur la maniere
dont les rivieres creuſent & établiſſent
leurs lits . Cela me donne lieu de dire un
mot fur la formation des barres & fur les
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
moyens d'empêcher qu'elles ne deviennenttrop
nuiſibles à la navigation, Jedifcure
enquel cas il eſt avantageux ou non
de faire des ſaignées à une riviere , pour
diminuer les inondations dans les campagnes
voiſines lorſqu'elle vient à augmenter
, ou par les pluies, ou par la fonte
des neiges , ou par l'affluence de quelque
torrent. Des auteurs modernes ſont tombésà
ce ſujetdans des erreurs que je releve.
Après avoir conſidéré le mouvement
des eaux en lui-même , je cherche la force
dont il peut être capable quand un fluide
va choquer quelque corps , quelqu'obſtaele
oppofé à ſon courant. Cette matiere
eft heriffée de difficultés. J'explique d'abord
la théorie ordinaire qu'on employe
pour la traiter , & j'en fais l'application à
des exemples variés. Suivant cette théorie
, la percuffion perpendiculaire d'un
fluide contre un plan eft, comme le produitde
la furface choquée , par le quarré
de la vîteſſe du fluide;& la percuffion
oblique est comme le produitde la furface
choquée par le quarré de la vitelle du
fluide & par le quarré du ſinus de l'incidence.
L'expérience m'a appris que la
premiere propoſition eſt ſenſiblement
AVRIL. 1774. 109
vraie ; mais que la ſeconde s'éloigne de
plus en plus de la vérité à meſure que la
percuffion devient plus oblique. J'expoſe
les réfultats des expériences faites fur ce
fujet , par de ſavans géomètres , & leurs
tentatives pour foumettre le problême à
une théorie plus rigoureuſe &plus exacte
que la précédente.
On doit regarder comme une partie
eſſentiellede la ſcience qui nous occupe,
la recherche des meilleurs moyensd'employer
l'action d'un fluide pour mouvoir
une machine. Ces moyens confiftent à
tranſmettre la force de l'eau à la machine
, avec des rones qui font mues par le
choc ou par le poids de l'eau , quelquefois
par ces deux agens réunis. Je traite
donc, en premier lieu, des roues mues par
le choc de l'eau. Je cherche le nombre
d'aîles qu'il convient de donner à une
roue relativement à fon diamètre , à la
quantité dont elle trempe dans l'eau & à
Ja viteſſe du courant. Plufieurs auteurs ſe
font trompés fur cette matiere. Les uns
négligeant dans leur calcul des élémens
effentiels à la queſtion , ont trop limité le
nombre des ailes; les autres, envoulant
réfuter cette détermination , &meſurant
mal eux- mêmes l'impulfion du fluide ,
font rombés dans l'extrémité oppofée.
112 MERCURE DE FRANCE.
T
ralité que le problême admet , &dont je
fais l'application aux mouvemens de roulis&
de tangage des vaiſſeaux , ſoit que
ces meuvemens exiſtent ſéparément , foit
qu'ils ſe combinent entr'eux & avec un
mouvement de rotation horisontale. Dans
les notes fur l'hydraulique , je donne la
théorie du mouvement des fluides avec
le même degré de préciſion auquel les
géomètres ont pu atteindre juſqu'ici ; &
je n'oublie rien pour mettre de la ſimplieité
& de l'uniformité dans mes calculs.
Je crois que cette branche de mon livre
paroîtra nouvelle à quelques égards. On
y trouvera , par exemple , la détermination
générale de l'effet des roues à aîles ;
problème épineux qui n'avoit encore été
réſolu quedans un cas très-particulier.
Il ne m'appartient pas d'apprécier moimême
mon travail. Le Public me jugera .
Quelque foit fon arrêt ,il verra du moins
qu'en préſentant mes propres recherches,
jen'ai laiſſé échapper aucune occafionde
rendre juſtice aux découvertes des auteurs
qui m'ont précédé dans la même
carriere.
NB. C'eſt mal- à- propos que l'on a mis
des guillemets au commencement de ce
difcours dans le dernier volume duMer
AVRIL. 1771. 113
cure, cediſcours étant tout entier de M.
Abbé Boffut.
Le nouveau Don Quichotte , imité de
l'allemand de M. Wieland ; par Mde
d'Offieux ; in- 8 °. A Paris , chez Fetil,
libraire , rue des Cordeliers près celle
de Condé , au Parnaffe italien .
Ceroman a déjà été publié au commencement
de l'année derniere ſous le titre
d'Aventures merveilleuses de Don Sylvio
deRofalva , nous l'annonçâmes dans le
Mercure du mois de Mars de la même année.
Quoiques les aventures de Don Sylvio
ou du nouveau Don Quichotte préſentent
plufieurs ſituations plaiſantes&
même donnent lieu à quelques ſaillies ingénieuſes
, on a cependant peu goûté à
Paris cette production germanique ;
on ne l'a regardée que comme une copie
foible & chargée du naïf & ingenieux
roman de Michel Cervantes . Le
nouveau traducteur , pour rechauffer en
quelque forte cette production , a élagué,
ajouré , changé ce qu'il a jugé à - propos .
Il a eſſayé enfin d'habiller à la françoiſe
leDonQuichotte Allemand. Cette nonvelle
traduction ſe fera lire fans doute
avec plus d'agrément que la premiere ,
114 MERCURE DE FRANCE.
mais aufli avec moins d'utilité pour celui
qui veut connoître le génie allemand,fon
caractère & en quelque forte ſa phyfionomie.
Le Dépit & le Voyage , poëme en fix
chants avec des notes , ſuivi des lettres
vénitiennes; vol. in - 8°. avec figures .
A Londres ; & ſe trouve à Paris chez
J. P. Coſtard , libraire , rue St JeandeBeauvais.
Eglé , l'héroïnede ce poëme , Eglé, née
avec un coeur ſenſible , aimoit le vertueux
Lindor. Chaque inſtant lui rettaçoit l'i.
mage de cet heureux amant. Mais cette
belle, coquette par air , & victime de l'uſage
qui veut qu'une femme ne puifle
s'honorer d'un amant qui n'eſt point fat
ou ne feint pas de l'être , cache ſes premiers
ſentimens & enchaîne à fon char un
certainDamis.
Monfieur Damis étoit unpetit homme > ... :
Très peu pourvu de mérite & de biengon
Dame Nature avoit réduit en ſomme
Acet égard, ſon lot à preſque rien.comcis
Pour la figure ,hélas ! c'étoit tout comme
Ces ſapajous vantés par leur laideur;
Pour la naiflance , & même pour l'honneur
:
AVRIL. 1771. 115
Son apanage étoit encor plus mince ;
Mais de l'audace , &des airs de bonheur ,
Il en avoit autant&plus qu'un prince.
Eglé , pour rendre ſon triomphe plus
éclatant, conduit cet amant de parade
dans les cercles les plus brillans. Mais ,
Du tendre amour telle eſt la loi puiſſante
Tel eſt le droit dont il jouit le mieux ,
Quemalgré nous notre ame eſt mécontente
Lorſqu'un moment elle trahit ſes feux:
Quelque plaiſir que l'eſprit lui préſente ,
Joignez-y même un ſéduisant éclat ,
Elle repouſſe une chaîne brillante ,
Plus on l'excire &plus elle combat:
Malgré nos moeurs , être tendre &conftante ,
Sera toujours ſon véritable état.
T
T
Eglé l'éprouve , elle s'ennuie à côté de
Damis, & malgré les plaintes de cet amant
outragé , elle n'eſt occupée que de celui
qu'elle vient de trahir. Lindor , foumis
aux ordres d'un père , s'étoit vu obligé de
s'éloigner pour un tems de ſa maîtreffe .
Eglé apprend ſon retour. Délicieux moment
! ſon coeur n'eſt plus le maître de
cacher ſes tranſports .
Au pointdujour , plus belle que la rafe ,
116 MERCURE DE FRANCE.
Belledes feuxdont brille le deſir ,
Elle ſe leve , &tandis qu'on repoſe ,
Elle ſe livre au ſoin de s'embellir :
Deſesbeaux yeux elle paroît contente ,
Dans ſon miroir elle voit le plaiſir ;
Lindor , bientôt ſur ſa bouche brillante ,
Verra l'éclat d'une fleur ſéduisante ,
Par un baiſer il la voudra cueillir.
Tandis qu'amour ſubjugué par les charmes ,
Pour la ſervir avance les momens ,
Le ſort , hélas ! lui prépare des larmes ;
L'orage ainſi ſuccéde au plus beau tems.
Lindor écrit... Quelle lettre effroyable!
Quel noir chagrin! quel ſtyle épouvantable!
La jalouſie&la ſombre douleur ,
Dans chaque ligne ont tracé leur fureur.
*Je nevivois que pour être fidelle ,
>> Je vous croyois auſſi tendre que belle ,
A mon retour je ſuis déſabuſé :
>>L'illuſion pouvoit être éternelle ;
>>Heureuſement vous n'avez pas ofé ,
20 En me cachant un feu mal déguisé ,
2
Me faire encore une injure nouvelle :
> De notre amant confirmez le bonheur ,
>>Pour premier gage offrez- lui mon erreur ;
>>Elle fut douce , elle devient cruelle ;
>>Vous I apprendrez an jour par mon malheur. >>>
AVRIL. 1771 . 117
Les aquilons déchaînés dans la plaine ,
Enun moment , par leur cruel effort ,
Peuvent brifer le chêne le plus fort :
La triſteEglé céde avec moins de peine
Aucoup affreux que fui porte le ſort.
Envain l'amour par ſon effervescence ,
De ſajeuneſſe anime la vigueur ;
Envain ſon ſang qu'enflame ſon ardeur
Dans les canaux coule avec véhémence ;
Le ſentiment expire dans ſon coeur ;
Dans fon fauteuil elle perd connoiſlance.
Deprompts ſecours la rappellent bientôt
Acette vie , hélas ! trop miſérable ,
Qui lui prépare un remords trop durable;
De ſa conduite elle voit ledéfaut ;
Elleſeplaint, nond'un ſort déplorable ,
Mais d'unpenchant qui la rendit coupable.
Lindor lui-même arrêteroit ſes pleurs
S'il écoutoit ſon diſcours lamentable;
Mais le dépit & toures ſes horreurs
Ont emportécet amant eſtimable
Au fond des bois , alyle des douleurs.
:
A l'aſpect d'un paquetque Lindor lui
renvoie&qui renferme quelques billets
où Eglé avoit tracé des voeux dictés par
le ſentiment , cette amante affligée reconnoît
encore mieux fon crime & fon
113 MERCURE DE FRANCE.
erreur. Elle ſe flatte que Lindor , malgré
ſes reſſentimens , conſerve ſon premier
penchant , & que ſi elle parvient à s'en
faire écouter elle obtiendra ſon pardon .
Le repentir marche avec l'eſpérance ,
Et pour les coeurs faits pour ſe corriger
Le regret même eſt une jouiſſance ;
Mais pour les coeurs qui ne ſauroient changer ,
Tout eſt perdujuſqu'à la confiance.
Il faut chercher cet amant regretté ,
Il faut aller d'un & d'autre côté ;
C'eſt un effort dont la raiſon murmure ,
Mais la raiſon , contraire à la nature ,
Doit lui céder en cette extrêmité .
Quoi ! tantd'appas vont courir l'avanture !
Tant de dangers ne la retiendront pas !
Eh! ſonge- t-on qu'on ait une figure
Lorſqu'on touche aux portes du trépas ,
Et qu'à l'amour on a fait une injure ?
Ce voyage eſt ſemé de quelques incidens
qui le rendent plus piquant & répandentune
forte de gaîté qui ſe communique
au lecteur. Ce puëme eſt en généra
écrit avec agrément & même avec intérêt
, & le poëte y a peint pluſieurs originaux
d'une touche légere & facile . L'héroïne
du poëme , conduite par l'amour ,
parvient enfin àdécouvrir la retraite de
AVRIL. 1771. 119
Lindor. Cet anant , touché du repentir
fincere de ſa maîtreſſe , oublie aifément
fes erreurs& conſent à ſe rendre heureux
avec elle.
OmonEglé ! doux charme de ma vie !
Je te retrouve&tu préviens mes pas ,
Je te revois plus tendre&plusjolie ,
Ta faute même a pour moi des appas;
Sans tes regrets , qui prouvent ta tendreſſe ,
J'ignorerois combien tu m'as aimé;
Sans mes douleurs qui parleront ſans ceſſe
Tu ne sçaurois combien tu m'as charmé.
:
Cepoëme eſt ſuividelettres écrites par
Flora , jeune Venitienne , à Pompeia fon.
amie. Elle lui fait part de tous les ſenti..
mens qu'elle éprouve pour Auguſtino ,
l'amant le plus tendre des amans. CeVenitien
, dans un voyage qu'il fit en France,
avoit fait connoillance avec une jeu
ne Demoiselle , nommée Julie. Il l'enleva
à ſes parens , lui fit mille fermens de
ne jamais l'abandonner & l'amena à Veniſe.
Mais ayant vu l'aimable Flora , il
fut fi frappé de ſes charmes qu'il ne pur
en combattre l'empire. Il ſe flattoit que
l'amour que lui inſpiroit cette nouvelle
maîtreſſe ſeroit aſſez fort pour le détacher
de Julie. Il alloit oublier ſes ſermens&
120 MERCURE DE FRANCE.
éloigner de lui pour toujours l'infortunée
Julie lorſqu'il s'apperçut qu'elle étoit enceinte.
Il étoit alorstrop tard pour renonceràFlora
ou à Julie . La nature & l'amour
lui preſcrivoient de les conferver toutes
deux : il en avoit pris la réſolution ; mais
Flora qui ignoroit les liens qui attachoient
le jeune Venitien à Julie , regarde cette
fille comme ſa rivale & exige d'Auguftino
qu'il ſe décide ou pour l'une ou pour l'autre.
Il a de la peine à prendre ſon parti ;
mais la nature eſt ſa loi , il fait dire à
Flora qu'il ſe flatte de ſon eſtime en renonçant
à elle. Renoncer à moi, s'écrie
> cette amante infortunée , renoncer à
> moi ? .. Il peut le penſer ? il a pu ledi-
» re? .. Miférable mortel ! .. Fille infortunée
! ..tant de ſermens ? tantde ſoins
> pour me ſéduire ?.. » Elle ne pourſuivit
pas; elle fentit ſon eſprit s'égarer ; il s'égare
en effet au point que cette victime
d'un amour malheureux ſe donne ellemême
la mort pour finir ſes tourmens &
fon ennui.
Les moeurs , coutumes & uſages des anciens
Peuples, pour ſervir à l'éducation de
la jeuneſſe de l'un &de l'autre ſexe, par
M. Sabbathier , profeſſeur au Collége
deChâlons- fur-Marne , & Sécretaire
perpétue
AVRIL. 1771. 21
perpétuel de l'Académie de la même
ville. 3 vol. in- 12. A Chalons- fur -
Marne , chez Bouchard , Imprimeut
du Roi , de la ville &du collége , & à
Paris chez Delalain , libraire , rue de
la Comédie françoiſe.
Les moeurs , coutumes & uſages des
anciens peuples peuvent être regardés ,
ſuivant l'expreſſion de l'eſtimable auteur
de l'hiſtoire ancienne , comme l'ame de
P'hiſtoire : les faits n'en font que le corps.
Cette penſée fait affez connoître l'importance
& l'utilité du nouvel ouvrage de
M. Sabbathier. Ce laborieux écrivain ,
ayant en vue l'inſtruction de la jeuneſſe ,
a donné à ſon travail la formela plusſimple&
la moins compliquée. Des articles
ſéparés& préſentés avec ordre, avec clarté
& netteté font beaucoup plus à la portée
des jeunes gens qu'un traité raiſonné
qui demanderoit une attention ſuivie
pour en ſaiſir l'enſemble. M. Sabbathier
s'est fait un devoir d'écarrer de fon ouvrage
tout ce qui pourroitporter la moindre
atteinte à la pureté des moeurs. La
deſcription de quelques uſages de certains
peuples , particulierement dans la célébrationde
leurs mariages, pourroit paroî-
II. Vol. F
12G2
MERCURE DE FRANCE.
tre indifférente pour des perſonnes formées
, mais ne le feroit pas pour de jeunes
gens qui prennent comme une cire
molle les impreſſions du vice.
Les moeurs& coutumes des Romains ,
de ce peuple qui a joué un ſi grand rôle
dans l'hiſtoire ancienne , & dont nous
avons adopté pluſieurs uſages , demandent
à être développées , c'eſt pourquoi
M. Sabbathier ſe propoſe d'en faire un
ouvrage à part. Parmi les peuples dont il
eft fait mention dans celui que nous annonçons
, les lecteurs françois porteront
leurs premiers regards ſur les Francs. On
nous les peints ayant la taille haute , les
cheveux blonds , les yeux bleus. Leurs
veſtes leur ferroient tellement le corps ,
qu'on en diftinguoit toute la forme , &
ces veſtes ne paſſoient pas le genouil.On
les formoir au métier de la guerre dès
leur plus tendre jeuneſſe. Ils devenoient
ſi adroits , qu'ils frappoient toujours où
ils viſoient , & ils étoient en même tems
ti agiles qu'ils arrivoient , pour ainſi dire ,
plutôt ſur leurs ennemis que les javelots
mêmes qu'ils avoient lancés contre eux :
au reſte ils étoient ſi braves & fi détermi.
nés dans le peril , que le nombre pou.
yoit leur oter la vie , ſans leur ôter , pour
AVRIL. 1771.
123
ainfi dire , le courage. Les Francs n'avoient
qu'une ſeule femme , & on puniſſoit rigoureuſement
ceux qui la quitoient pour
en épouſer une autre. Les noeuds qui formoient
leur union étoient indiſſolubles .
&les femmes étoientmême inséparables
de leurs maris ;elles les ſuivoient à la
guerre ; le camp leur tenoit lieu de patrie;
l'armée tiroit mêmede-là ſes recrues.
Les enfans , nourris dans le bruit des armes
, accoutumés au peril , & devenus
ſoldats avant l'âge , remplaçoient les
morts & les vieillards. Ilsſe marioient à
leur tour. Sidonius Appollinaire décrivant
les réjouiſſances qui ſe firent , dans
le camp de Clodion , au ſujet d'un mariage,
rapporte qu'un jeune homme blond,
pour dire un Franc, épouſa une filleblonde
, & que les foldats folemnifèrent leur
union par des danſes ſcytiques & guerrieres.
Le mari faisoit ſubſiſter ſa famille
de ſes courſes &de la part qu'il avoit dans
le pillage fait en pays ennemi. La femme
à fon retour le foulageoit parde chaftes
careſſes , de ſes travaux guerriers .
Une main chère & affectionnée panſoit
les playes , qu'il avoit reçues dans les
combats , & la douceur & la foumiſſion
mettoient dans leur fociétéuncharme qui
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
duroit autant que leur vie. Cette union
étoit fondée ſur une fubordination parfaite.
Les Francs de ces tems éloignés
avoient un pouvoir ſans bornes dans leur
domeſtiques. Les loix les rendoient maîtres
de la vie de leurs femmes , quand
elles s'écarroient de leur devoir. Cette
autorité abfolue retenoit dans la plus
grande dépendance des femmes accoutumées
à regarder leurs maris comme leur
maîtres . Une femme dans les formules
de Marculphe , adreſſant la parole à fon
mari , ſe ſert de termes auſſi ſoumis que
pourroit faire une eſclave : Monseigneur
& mon époux , moi votre très humblefervante
, &c. L'uſage de prendre des femmes
fans dot , contribuoit à cette dépendance
, & peut- être que nos ancêtres ,
plus habiles & plus intéreſſés que ceux
qui les traitent aujourd'hui de barbares ,
regarderent ſagement cette privation de
dotdans leurs femme , comme un contrepoids
néceſſaire à leur orgueil. Ils préférerent
une eſclave pauvre & docile à
une maîtreſſe riche & impérieuſe , &
ſouvent à un tiran domeſtique. Il eſt toujours
conſtant que lorſque les Francs vouloient
ſe marier , ils achetoient , pour
ainſi dire , leurs femmes , tant par les
AVRIL. 1771. 125
biens qu'ils étoient obligés de leur donner
en propriété , & dont la familleheritoir
, que par les préſens qu'ils leurs faifoient
&à leurs plus proches parens ; enforte
que c'étoit moins le pere que le
mari qui dotoit la femme qu'il époufoit.
L'autorité des Rois avoit des bornes
parmi les Francs & ces Princes étoient
Youmis à certaines loix militaires qu'ils
n'oſoient violer. Ils donnoient à leurs
foldats leur part du butin,qui étoit comme
un bien commun , acquis par l'armée
, & les Rois n'entroient eux-mêmes
dans ce partage que ſelon que le fort en
décidoit.Clovis après ſa victoire ſur SiagriusGénéral
des Romains , voulantrendreà
un Evêque un vaſe ſacré , qui avoit
étépris dans unpillage général , demanda,
comme par grace àſes ſoldats qu'il
ne fut point compris dans le partage qui
s'en devoit faire. Mais un Franc feroce ,
&qui regardoit cette libéralité du Prince
comme une entrepriſe ſur les droits de
l'armée , donna un coupde ſa hache d'armes
ſur ce vaſe , & lui dit fièrement , qu'il
ne diſpoſeroit que de ce que le fort lui
donneroit dans le partage du butin. Clovis
, quoique naturellement fier&terrible
, fut contraint de diſſimuler une in-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
jure qu'il ne ſe crut pas alors en pouvoit
de venger ; aufli ne s'en fit- il pas raifon
par l'autorité royale. Il eut recours à celle
de général , & il prit ſon tems dans une
revue des troupes , pour tuer le Franc de
ſa main, ſous pretexre que ſes armesn'étoient
pas enbon état.
Ces remarques ſur les Francs font ti
rées de pluſieurs auteurs contemporains
& des mémoires de l'Académie des Infcriptions
&Belles lettres. M. Sabbathier
a toujours attention de citer les ſources
où il a puiſé ce qui doit inſpirer de la
confiance an lecteur & faciliter l'étude de
ceux qui voudroient recouriraux écrivains
originaux.
On publie du même auteur& chez les
mêmes libraires le tome neuvieme in 80
du Dictionnaire pour l'intelligence des
auteurs claſſiques , grecs & larins , tant
ſacrés que prophanes , contenant la géographie
, l'hiſtoire , la fable & les antiquités.
Ce nouveau volume continue la
lettre C. Il eſt , ainſi que les précédents ,
rempli de bons articles , qui , par leur
juſte étendue , inſtruiſent fuffisamment
le lecteur & lui évitent bien des recherches.
AVRIL. 1771. 127
:
Les Militaires au delà du Gange ;par M.
Lo-Looz , Chevalier de l'Ordre Royal
&Militaire de S. Louis. 2 vol. in 8°.
AParis chez Bailly , quai des Auguftins.
,
Cet ouvrage de tactique , dédiéà Monſeigneur
leleDauphin eſt celui d'un Officier
qui a penſé avecraiſon que le meilleur
genre d'inſtruction & le plus propre
au commundes hommes , eft celui où
les faits & les principes s'éclairent mutuellement.
L'auteur nous décrit pour cet
effet les opérations d'une guerre dont il
tranſporte le théâtre en Afie afin de peindre
avec plus de liberté les excès de l'ambition
& l'abus de la victoire , & auffi
afin de détourner toutes les applications
que la haine , la jalousie oules inimitiés
particulières pourroient faire. Les campagnes
de ces armées asiatiques ſont ſi fécondes
en événemens que le lecteur pour
ra y reconnoître toutes les maximes de
la tactique miſes en action ou en délibération.
Si les faits ſont ſuppoſés , ces
faits n'ont rien que de vraiſemblable &
que l'on nepuiffe juſtifier par d'autres faits
pareils qu'on lit dans les hiſtoriens. On
ne peut donc justement reprocher à M.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
de Lo- Looz de n'avoir donné ici qu'un
roman. Xénophon , que cet Officier a eu
fans doute en vue , en compoſanı fon
ouvrage , a également prêté les gracesde
la fiction à la tactique & àla morale.
M. de Lo Looz , pour avoir occafion
de rendre hommage à un fexe dont les
vertus ont ſouvent fervi de modèles aux
hommes , nous donne l'hiſtoire de la fidèle&
courageuſe épouſe d'Aſtof , nom.
mée Mirza, Cette généreuſe Cochinchinoiſe
furmontantles foibleſſes de ſon ſèxe,
la moleſſe& les préjugés de fon éducation
prend l'habillement d'un Officier volontaire
& fe rend auprès de ſon mari à
l'armée. Le merveilleux que l'auteur amis
danscetépiſode pourra en diminuer l'impreffion.
Onauradelapeine às'imaginer
qu'une jeune perſonne élevée au milieu
d'un ferail connoiſſe l'artde la guerre &
lesrufes qu'on y met en pratique. On ſe
perfuadera encore plus difficilement que
cette vertueuſe épouse , qui avoitpris le
nom de Roliekan & s'étoit contenté de
changer la couleur de ſes fourcils , ait ,
fous ce ſimpledéguifement, combattuàcô.
téde ſonépoux, mangé à ſatable, converſé
avec lui dans la plus grande intimité fans
en être reconnue. Aftof ne découvre que
AVRIL. 1771. 129
ſon jeune ami , ( c'eſt ainſi qu'il appeloit
Roliekan, ) eſt auſſi ſa femme qu'au moment
que cette femmecourageuſe , frappée
par le fer ennemi , tombe évanouie
entre ſes bras. Mirza avoit perdu connoiffance
, mais ranimée par les carelles &
par les pleurs d'Aſtof, elle ouvre enfin
lesyeux :fon ame entière avoit pallé dans
fes regards tendres&languiſſans , que ne
dirent- ils pas à ſon époux ? Ah !Mirza,
>> cruelle Mirza , que vais-je devenir ?
>>Ta bleffure eſt pour moi le coupde la
>> mort ! .. » L'excès de la douleur lui
coupe la parole ; il eſt tout hors de luimême
, leſang qu'il voit coulerglace le
ſiendans ſes veines. La tendre Mirza le
preffantdans ſes bras eſt la première à le
confoler. Cher Aſtof , lui dit - elle
>mon cher Aſtof , ma bleſſure ne ſera
>>pas dangereuſe ;diſſipe tes craintes , je
>> t'en conjure : ſi je devois en mourir ,
* crois que je regretterois peu des jours
>> qui n'ont été expoſés que pour te prou-
» ver l'excès de ma tendreſſe. Je ſouffrois
>> loin de toi mille fois plus qu'à préfent,
>>>mes allarmes , au milieu de mes eſcla-
» ves , étoient bien au-deſſus des dan-
>> gers que j'ai courus dans cette journée ,
*la mortn'arrive qu'une fois , aulien que
)
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
>>>j'en éprouvoisles horreurs à chaque inf
>>tant que je penſois que je ne te rever-
>> rois peut- être plus. Voilà mon excuſe ,
>>pourrois tu ne point pardonner à un
>> amour tremblant pour tes jours, l'inno-
>>cent ſtratagême de mon traveſtiſſement?
La bleſſure de Mirza n'eut point de ſuite
& les deux époux continuèrent à jouir
de leur gloire&deleur amour.
L'auteur annonce une ſeconde partie
de cet ouvrage. Il a développé dans la
première les branches variées de la tactique
, il détaillera dans la ſeconde tour
cequi regarde la fortification. Pluſieurs
notes éclairciffent le texte. Les lecteurs y
trouveront quelques détails qui n'ont pu
entrer dans le corps de l'ouvrage & qui
cependant font eſſentiels pour l'intelligence
des ſciences & des arts relatifsà la
guerre.
Les bêtes mieux connues. Entretiens par
M. l'Abbé Joannet , de la Société
royale des ſciences&belles lettres de
Nancy. 2 vol. in 12. A Paris chez J. P.
Coſtard,libraire , rue StJean deBeauvais.
Il ne paroît pas que les anciens Philo
ſophes ſe foient beaucoup inquiété du
AVRIL. 1771. 131
y
principe du mouvement dans les bêtes.
Cette queſtion étoit réſervée àDeſcartes.
Ce célèbre Philofophe d'un génie vaſte ,
pénétrant , mais trop prévenu en faveur
des Mathématiques,nous rappelle ceMufaciende
l'antiquité , qui , pour faire honneur
à fon art , foutenoit que l'ame humaine
n'étoit qu'une eſpèce d'harmonie.
Deſcartes voulant tout expliquer avec le
fecours des mathématiques , oſa le premier
avancer que les bêtes étoient des
machines organiſés qui ne peuvent fe
mouvoir que fuivant qu'elles font déterminées
par les différens corps qui les
environnent. Ce ſentiment est foutenu &
fortement appuyé dans ces Entretiens par
un Abbé Cartéſien. Les autres interlocuteurs
de ces dialogues appuient les ſenti
mens contraires & préſentent toutes les
objections que l'on peut former au fyf.
rême des automates. Le lecteur pourra
donc décider en connoiffancede caufe,ou
du moins s'amuſer de cette diſcuſſion
Quoique l'auteur de ces entretiens fe foit
mis en garde pour ne faire paroître aucuneſpritdeparti
, ou aucune prévention
dans cette,queſtion , l'on s'apperçevra
néanmoins qu'il penche beaucoup en faveur
de l'hypothèſe cartéſienne , &il faut
Fvj
32 MERCURE DE FRANCE.
avouer que l'art avec laquelle elle eſt ici
préſentée pourroit hai concilier bien des
partifans , fi l'idée d'un principe fenfitif
que nous avons en nous-même & les témoignagnes
les plus victorieux des ſens
ne s'élevoient continuellement contre
cettehypothèſe. Les cartéſiens expliquent
très-bien par les lois du mécanisme certains
mouvemens des bêtes ; mais quels
font les reſſorts qui préſident à la prévoyance
, à l'adreſſe , à la fineſſe & aux
ruſes fur lesquelles pluſieurs animaux
pourroient donner des leçons aux hommes?
Un particulier paſſant dansune campagne
,apperçut un loup, qui fembloit
guetter un troupeau de moutons. Il en
avertit le berger , & lui confeilla de le
faire pourſuivre par ſes chiens. Je m'en
garderai bien , répondit le berger : ce
loup que vous voyez , n'eſt là que pour
détourner mon attention;&un autre loup
qui eſt cachéde l'autre côté , n'attend que
le moment où je lacherai mes chiens fur,
celui-ci , pour m'enlever une brebis , &
la choſe arriva comme le berger l'avois
prévu.
Le père Bourgeantrapporre, dans fes
Amusemens philofophiques un autre fait
qu'il feroit également difficile d'expli
AVRIL. 1771. 玉子玩
quer par les fimplesloix du mouvement,
Un moineau trouvantà ſa bienſéance un
nid qu'une hirondelle venoit de conftruire
, s'en empara. L'hirondelle voyant
chez elle l'ufurpateur , appela du fecours
pour le chaffer. Mille hirondelles arrivent
à tire d'aîle , & attaquent le moineau ;
mais celui-ci couvert de tous côtés , &
ne préſentant que ſon gros bec par la perite
entrée du nid , étoit invulnerable ,
& ſaiſoit repentir les plus habiles qui
ofoient s'en approcher. Après un quartd'heurede
combat , toutes les hirondelles
diſparurent. Le moineau ſe croyoit vainqueur
, & les ſpectateurs jugeoient qu'el
les abandonnoient l'entrepriſe. Point du
tout.Un momentaprès on les voitrevenit
à la charge ; & chacune s'étant pourvue
d'un peu de terre détrempée dont elles
fontleur nid , elles fondirent toutes enſemble
ſur le moineau , & le claquemurerent
dans le nid , afin qu'il y périt
puiſqu'elles n'avoient pû l'en chaffer
Il ſeroit facile d'accumuler d'autres
fairs pareils & même de plus ſuprenants
du chien , du ſinge , de l'Eléphant ; & fi
on ne regarde ces faitsque comme unjeu
des refforts , qui pourra empêcher d'en
conclure que Dieu a formé d'autres ma134
MERCURE DE FRANCE.
chines ſemblables à nous & qui imitent
parfaitement toutes les actions des hommes.
ll n'y aura à ſuppoſerdans ce dernier
casqu'une plus grande dépenſe d'art , plus
decombinaiſon&plus de perfectiondans
les refforts misen jeu.Mais un grand inconvenient
de l'hypothèſe des automates,
fi jamais elle pouvoit être reçue , feroir
de rendre les hommes plus cruels & de
lesaccoutumer à n'être pas plus émus des
expreffions de douleur que donnent les
bêtes , qu'on ne l'eſt à la vue d'un arbre
battu par les vents , ou qui tombe ſous la
coignée du bucheron. L'auteurde ces entretiens
a prévu cet inconvénient&pour
nous donner en quelque forte desmoeurs
àl'égard de ces prétendus automates , il
veurque nous reſpections en elles l'induſtrie
des refforts qui dirigent leurs mouvemens&
les tableaux qu'elles nous offrent
ſouvent des vertus les plus précieuſes
à la ſociété ; de l'amitié , de l'attahement
, de la fidélité , de la foumiffion
, de l'endurciſſement au travail , &c.
>> Par là notre ſenſibilité , dont elles fe-
>> ront l'objet , aura toujours un motif
>> fuffifant , &le caractère de férocité &&
de barbarie , qui n'en réſultera pas
>>moins des outrages que nous leur fe
AVRIL. 1771 . 135
>>>rions volontairement,entretiendra tou-
>>jours parmi les hommes l'exercice des
>>>ſentimens ſi reverſiblesdes brutes à nos
>> ſemblables. Ainſi prendre plaiſir à voir
>> en elles les expreſſions du contente-
>> ment & du bonheur , & à rendre ces
>> expreffions plus vives& plus durables ;
>> être peniblement affecté des expreſſions
>>de la douleur qu'elles caractériſent avec
>>tant d'énergie ,& mettre ſa fatisfaction
>> àles diminuer & à les faire ceſſer , ſe-
>> ront toujours des ſentimens qui feront
>> honneur àl'humanité ; comme la con-
>> duite oppoſée ſera toujours à la honte
>>>des hommes. »
La forme du dialogue que M. l'Abbé
Joannet a donnée à ſon ouvrage l'a mis
à portée d'éclaicir l'hypothèſe en queſtion
dans toute fon étendue. Il n'a pas laillé
ſans reſponſes les objections , même les
plus victorieuses ;qui ont été faites contre
le ſyſtême des automates. Mais que
conclure de tout ceci ? Qu'une opinion ,
quelque chimériquequelle ſoit , peut être
foutenue affez bien pour embarraſfer des
perſonnes d'eſprit , mais non pour les perfuader.
Il n'y a que la vérité , dit M. de
• Fontenelle , qui perfuade , même ſans
avoir beſoin de paroître avec toutes fes
preuves , elle entre ſi naturellementdans
136 MERCURE DE FRANCE .
l'eſprit que quand on l'entend pour la
première fois , il ſemble qu'on ne faſſe
que s'en reſſouvenir.
On trouve à Paris chez la veuveDefaint
libraire , rue du foin, & Delalain
libraire , rue de la comédie françoiſe les
ouvrages fuivants.
Tableau Chronologique de l'hiſtoire
de francedepuisPharamondjuſqu'à Louis
quinze , gravéen taille-douce , contenant
dans 14 colonnes paralleles , un abrégé
hiſtorique de la vie de chaque Roi & des
marques hiérogliphiques qui déſignent
danschaque ſiècle les événemens lesplus
remarquables.
Epoques les plus intéreſſantes del'hiſtoire
de france , volume in 12 , qui fert
d'explication à ce tableau. 1771 .
Piéces détachées ou recueil de jolis
contes par M. l'abbé *** 1771 .
Maison de Santé.
Le projet d'une maiſon de ſanté n'eft
point un établiſſement nouveau. Ilya
pluſieurs années que des Médecins &
Chirurgiens l'avoient conçu , par la comparaiſon
qu'ils étoient dans le cas de faire
AVRIL. 1771 . 137
d'un pareil établiſſement d'avec celui de
gardes-malades; mais leurs occupations
ne leur ont pas permis dans le tems d'y
donner toute l'attention néceſſaire.
Toute cette entrepriſe conſiſte à pren .
dre desmalades de toute eſpèce ; à fournir
deslits propres , des gardes , hommes
& femmes; un garçon -Chirurgien qui
réſidera dans ladite maiſon ; une Pharma
cie , compoſée de médicamens ſimples ,
&pris chez un des meilleurs apoticaires
deParis.
Unmédecin & un Chirurgien y feront
tous les jours les viſites& panfemens néceſſaires.
Si les malades , ou les parens ,
ou maîtres des malades , avoient confiance
dans un autre médecin ou chirur
gienque ceux de la maiſon, ils les feront
appeler : nous les afſurons même que dans
les cas de maladies graves& d'opérations
critiques , nous ferons les premiers àconſulter
les plus célèbres praticiens. Nous
nous flattons auſſi que ceux qui voudront
bien s'y tranſporter peur décider & agir ,
ne pourront qu'augmenter la ſécurité& la
confiancedans le traitement des malades.
La ſomme de 4 livres par jour paroît
ſuffifante par chaque malade ; on n'y
payera ni le médecin , ni le chirurgien ,
138 MERCURE DE FRANCE.
ni lesmédicamens. Nous devons avertis
que la maiſon ne ſe chargera point des
honoraires des médecins & chirurgiens
étrangers ; elle ſe chargera ſeulement de
faire exécuter leurs ordonnances , & de
fournir tous les remèdes avec l'exactitude
la plus fcrupuleuſe. Les malades y tronveront
des bouillons proportionnés à leut
état,& les convalefcens , desconfommés
&alimensqui leur feront permis.
On tâcheta de conſerver quelques
chambres pour des particuliers qui voudroient
être feuls , ils donneroient 2 liv.
de plus par jour.
Seroit il néceſſaire de faire obferver
que les femmes auront des appartemens
féparés ,& que les maladies contagieuſes
feronttraitéesdansdes chambres qui n'auront
aucune communication avec les autres.
1
Onveillera fans ceſſe aux fecours ſpirituels
des malades: le prêtre de la paroiffe,
de femaine , ſera ſupplié d'y paffer
tous les jours.
Notre intencion eſt encore de faire par
ticiper les pauvres à l'utilité de cet établiffement.
On donnera dans la ſemaine
deux jours, à une heure indiquée,pourdes
confultations gratuites , & on fera chaque
jour les panfemens .
AVRIL. 1771 . 139
Un établiſſement aufli conſidérable ne
peut avoirune exécution prompte , quoi.
que facile. En attendant , nous proposons
une maiſon , telle que nous l'avons détaillée
, dans la rue des Brodeuts , du côté
de la rue de Sêves . Elle n'eſt intérieurement
bornée par aucune maiſon ; la vue
s'étend ſur un jardin qui endépend& fur
des jardins du voisinage .
Abhandlungen und Erfahrungen der ober
Lauſuziſchen Bienen. Gesellschafft ; 30
Samenlung. C'est- à dire , Expériences
&obfervationsde la Société phyſicoéconomique
des abeilles , établie dans
la Haute Luſace , 3. recueil. Leipzig
& Zittau , chez Adam Spikermann ,
in- 8°. :
Nous avons déjà fait connoître dans un volume
de notre Journal les deux premieres parties
de ce recueil , également intéreſlant pour
les naturaliſtes & pour ceux qui s'appliquent
à l'économie rurale. Il feroit bien peu
philoſophique , diſoit l'illuftre M. B..... , de
s'étonner de voir fe former dans un coin de l'Allemagne
une fociété qui ait fait de l'abeille l'unique
objet de ſes foins & de ſes recherches. Les
ſuccès qui les ont couronnés feroient en effet une
réponſe ſans replique à ceux à qui cette réflexion
pourroit paroître étrange. C'eſt àà la réuſſite de les
travaux,à des découvertes intéreſſantes ,à l'uti-
1
140 MERCURE DE FRANCE.
lité d'une aſſociation deſtinée à guider les opérationsde
la pratique , comme à éclairer la théorie
d'un art trop négligé parmi nous ; que cette lociété
aujourd'hui autoritée par Son A. Mgr l'Electeur
de Saxe , a dû , tout à la fois , da ſatisfaction
de ſervir de modèle à pluſieurs aſſociationsde
cette eſpèce formées en Allemagne , & l'honneur
de s'attirer les regards de quelques Souverains
étrangers ; S. M. l'Impératrice de toutes les Ruf-.
fies,leRoidePologne actuellement régnant , ons
bien voulu lui adreſſer des queſtions rélatives à
l'avancement de cette partiede l'économie ruftique
dans leurs états. C'eſt auſſi par les foins de
cette ſociété que s'eſt formé , en exécutiondes ordres
ſupérieurs qu'elle a reçu le plan d'un code
apiaire pour laSare , dont la diſpoſition pourroit
ſansdoute, a bien des égards , s'adapter àd'autres
contrées.
Le volume que nous allons analyſer contient :
1º. Eſſais& expériences tendantes à éclairer la
théorie chymique du blanchimentde la cire , traduitdu
françois de M. B....... de Lyon , parM.
le Paſteur J. G. Wilhelmi .
La cire , au premier coup - d'oeil , préſente une
analogie très-grande avec les huiles graffes tirées
des végétauxpar expreſſion , mème avec quelques
ſubſtances animales du même genretelles que la
graifle , &c. fufceptible comme elles de l'état de
coagulation&de fluidité , ſuivant les divers degrés
de chaleur qu'elle éprouve ; elle ne reçoit aucune
altération de l'eau & de l'eſprit de vin ; elle
s'enflamme comme les graifles & les huiles dont
nous parlons ; elle a leur infipidité , peut - être
même la couleur brune& la rancidité qu'acquièrent
les huiles & les graiſſes expoléesà l'air aAVRIL.
1771. 141
t'elle beaucoup d'analogie avec le jaune que les
cires , même celles qui ont été blanchies , contractent
par la vétuſté.
L'analyſe chymique de cette ſubſtance confirmeces
premieres vues & met au rang des huiles
graſſes tirées des végétaux , celle qui entre dans
la compoſition de la cire ; elle ne s'élève point
dans ladiſtillation au degré de l'eau bouillante
comme leshuiles eſſentielles ; elle n'eſt point difſoluble
comme elles dans l'eſprit de vin : ces caractères
qui diſtinguent généralement les huiles
eſſentiellesd'avec les huiles graſſes conſtatent fuffilamment
une différence marquée entre la cire&
les réſines, parmi leſquelles elle a néanmoins longtems
été confondue. On peut donc regarder cette
ſubſtance comme une matière huileuse du genredes
huiles douces tirées des végétaux par expreffion , &
rendue concrète par la présence d'une quantitéd'acideplus
grande que dans ces huiles.
On pourroit conjecturer que ceſt à la préſence
du phlogiſtique , l'un des principes de toutes les
huiles , qu'eſt dû lejaune de la cire. C'eſt lui que
les chymiſtes regardent comme le principe des
couleurs ; en effet , augmenté ou mis en action
par le contact des corps enflammés , il altère les
couleurs de ceux qu'il pénètre ou dans lesquels il
ſe développe , & nous voyons les cendres ,réſidu
descorps qui ontpaflé parl'état de la combuftion
&qu'elle a dépouillés de leur phlogiſtique , s'approcher
plus ou moins de la blancheur , ſelon
qu'elles ſontplus ou moins pures ; mais ces vues
trop générales pour ne pas êêttre vagues ne nous
fourniroient que des inductions très -éloignées ,
11 l'examen particulier des faits ne venoit à leur
appui ; la diſtillation de la cire jaune & cellede la
142 MERCURE DE FRANCE.
cire blanche offre des différences : la premiere
Jaifle dans la cornue un réſidu charbonneux formé
par l'union intime du principe inflammable de
Thuile avec ſa partie terreuſe&fixe: la cire blanche
n'en laſſe preſque aucun.
Onpourroit également , d'après cette expérience,
penfer avec quelque fondement que le principe
colorantde la cire exiſte dans la ſubſtance
mielleuſe ou mucilagineuſe qui ſemble reſter
combinée, ou du moins parfaitement mélangée
avec la cire ; on ſçait que les ſubſtances mucilagineuſes
fourniffent beaucoup de charbon & que
les huileux en donnent très- peu ; on fait auſſi que
les mucilages unis aux huiles les mettentdans un
état demi lavoneux mou , & la molefle de la cire
jaunecomparée
dureté de celle qui a été blanchieſembleindiquer
afſez poſitivement que lacire
blanche contient moins de mucilage.
àla
Telles font les conjectures que peuvent fournir
les faits principaux &un petit nombre que préſente
l'hiſtoire de la cire , ſubſtance trop peu obſervée
juſqu'à préſent. C'eſt dans la vue d'en
chercher de nouveaux qu'ont été faites les expériences
dont nous allons rendre compte; l'auteur
de ces mémoires ne les croiroit utiles que dans le
cas où cet eſſai engageroit des chymiſtes exercés
à approfondir un ſujet qu'iln'a fait qu'effleurer .
L'art du blanchiment des foies , l'analogie que
cette derniere ſubſtance , moitié animale & moitié
végétale, ſemble avoir à cet égard avec la cire,
luggerèrentla première expérience. La foie a,dans
fon état naturel , un vernis dont on ignore la nature
, mais qu'on parvient à lui enlever par le
moyen d'une leſlive de ſavon ou d'alkali ſeul &
de la vapeur du ſouffre. M. B... ſoumit à l'ace
AVRIL. 1771 . 143
tion de cedernier agent une poignée ou deux de
cire jaune ratiffée , étendue fur un tiflu de gaze
claire placéà environ deux pleds de diſtance d'un
rechaudde cendres chaudes ſur lequel on avoit allumé
du ſouffre en canon groſſiérement concaffé .
Lejaune de la cire devint plus brun , elle avoit
contracté une odeur de miel plus forte & combinée
avec celle de la vapeur du fouffre.
Après cet eflai , M. B. voulut tenter d'employer
au lieude la vapeur du ſouffre , l'acide fulfureux
volatil en liqueur , ou eſprit de ſouffre , il en verſa
demi-once dans un petit bocal de verre & y mit
macérer une ou deux pincées de cire ratiſlée extrêmement
mince ; au bout de trois jours elle avoit
déjà ſenſiblement blanchi , il s'étoit formé , au
fondduvaſe un dépôt de couleurjaune tirant ſur
ungris pâle. Cette cire ne fut retirée du vaſe que
vingt jours après avoir été ſomiſe à l'action de l'acide
fulfureux ; juſques-là elle avoit toujours augmenté
de blancheur ; quoiqu'à un degré bien
éloignédu point où peuvent la porter les travaux
de lablanchiſflerie , elle éroit devenue plus dure&
plus caſſante. La liqueur où elle avoit été mile en
imacération n'annonçoit aucun changement d'état
; avant & après l'expérience elle teignoit le
papierbleud'un rouge également vif. Le ſédiment
qui s'etoit formé au fond du vaſe étoit ſous la
forme d'une poutliere blanche extrêmement ténue;
M. B. eſſaya vainement de la faire fondre , elle ne
fubit aux approches du feu d'altération que dans
ſa couleur.
M. B. voulant aggréger en maſle la petite quantité
de cire employée dans cette expérience , procéda
à la faire fondre; une imprudence qui fit
éprouver trop vivement à la cire l'impreffion du
144 MERCURE DE FRANCE.
feu , obſcurcit ſa couleur & fournit l'occaſion
d'une nouvelle expérience : cette cire , ainſi brunie,
fur ſoumiſe de nouveau à l'action de l'acide fulfureux;
un mois de ſéjour dans la liqueur n'apporta
pas le plus léger changement,
Dans la vue d'eſſayer ſi la chaleur aideroit à
l'action de l'acide , il plaça ſur des cendres chaudesun
petit bocal rempli au quart d'acide fulfureux
en liqueur & de cire nouvelle; la liqueur ſe
troubla, la cire ſe liquéfia en partie , devint plus
caflante& plus brune. Au bout de huitjours la
cire reſtée à froid dans l'acide ſulfureux paroifioit
blanchir en quelques endroits , il s'étoit formé un
dépôt moins conſidérable que dans l'avant dernière
expérience; la liqueur étoit d'un jaune léger
tirant ſur l'or , ſans paroître avoir ſubi aucune
altération , elle donnoit ſur le papier bleu les mêmes
marques d'acidité qu'auparavant.
L'acide nitreux donna, mais plus promptement,
les mêmes réſultats que l'acide ſulfureux. Après
les expériences que nous venons de citer , M. B.
verſa ſur une ou deux pincées de cire placées avec
de l'eau au fonds d'un petit bocal de verre , quelques
goutes d'eau ſeconde; la couleurjaunede la
pâlit fur le champ. Au bout de quelques jours
il le forma un dépôt plus conſidérable que dans
l'acide fulfureux. Après un mois la cire étoit devenue
preſque tranſparente& d'un gris ſale ; vifitée
après une abſence d'une année , elle avoit acquis
un degré de blancheur très - conſidérable
qu'elle a couſervé après avoir été miſe en fuſion
dans de l'eau chaude.
L'eſprit de vin ayant la propriété de ſe charger
de l'acide des huiles rancies , M. B. mit infuſer
dans cette liqueur une petite quantité de cire, ſans
qu'elle
AVRIL. 1771. 145
qu'elle éprouvât dans un eſpace de quinze jours
lemoindre changement. Un léjour de cinq ſemaines
dans de l'eau chargée de chaux rembrunit la
cire à la longue , mais légérement.
La même ſubſtance fut foumiſe à l'action des
matieres végétales miſes en fermentation , on la
fit ſéjourner l'efpace de trois ſemaines dans de
l'eau de riviere mêlée au quart de farine de froment.
Le vaſe qui contenoit ce mêlange fut tout
ce tems enterré juſqu'à ſes bords dans le fumier ,
il n'en réſulta pas la plus légere altération dans la
couleurde la cire .
Cemémoire ſe termine par l'eſſai de l'action
fur la cire d'une leſſive chargée d'alkali. M. B. fit
diſloudre, dans environ le quart d'une pinte d'eau,
une petite quantité de cendres gravelées , l'alkali
le plus vrai que l'on emploie dans les arts , il verſa
dans cette leſſive bouillante quelques poignées de
cire rapée ; cette opération donna en peu de tems
un ſavon d'un jaune clair , infiniment plus pâle
que celui de la cire en malle ; mais , expolé à l'air,
ſa ſurface ſe teignit d'un brun noir , un monceau
du même ſavon confervé dans une enveloppe de
papier , avoit , au bout d'un mois , contracté ,
loitextérieurement , ſoit intérieurement, une couleur
de gris cendré très- foncé.
On décompoſa quelques morceauxde ce ſavon
récemment fait, au moyen d'une once & demie d'efpritde
fouffre uni à parcil volume d'eau. Riende
plus flatteur au premier coup-d'oeil que le réſultat
de cette décompofition ; la cire extrêmement diviſée
ſurnageoit la liqueur en s'élevant graduellement
, ſa blancheur égaloit celle de la crême
fouettée , mais en s'affaiſlant & en ſéjournant dans
-
H.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
les bocaux , elle prit un oeil grilâtre qui augmenta
lorſqu'elle fut retirée de la liqueur.
2°. Recherches phyſiques fur cette queſtion: la
mère abeille a-t-elle beſoin des approches des faux
bourdons pour être fécondée par M. Jean HartorfdeWernigerod.
En analyſant les deux premiers volumes dece
recueil , nous avons exposé les doutes qu'avoit
déjà élevé M. Lehmann de Meiſſen ſur la prérogative
attribuée juſqu'à préſent aux faux bourdons
de féconder la mère abeille. Nous avions ciré une
expérience de M. Hornbostel qui ſembloit devoir
détruire l'opinion où l'on étoit à cet égard.
Perſonne , dit Pline , n'a vu l'abeille s'accoupler,
apum coïtus vifus eft numquam. M. de Réaumur
, dont les ſuccès immortels devoient accrédizer
les erreurs , & dont l'autorité devoit bien l'emporter
fur celle de Pline , crut voir dansquelques
faits douteux l'accouplement qu'il defiroit d'obſerver.
L'appareil des organes prétendus générateurs
dans les faux - bourdons acheva de décider
cet illuftre obſervateur à leur aſſigner le rang de
mâles. Les expériences que rapporte M. Hattorf,
envenant à l'appui de celle de M. Homboſtel , paroiſlent
décider la queſtion en faveür de l'inutilité
des faux-bourdons pour la fécondation de la reine.
M. Hattorf prit , au mois de Juiller , un petit
eſſaind'environ fix cens abeilles , il en enleva les
mères , &après s'être aſſuré par un ſoigneux examen
qu'il n'y avoit parmi elles aucun faux-bourdon
, il les enferma dans une petite ruche dont un
des côtés étoit garni d'un verre qui en laiſſoitvoir
l'intérieur. Aux mères de l'eſſain, il en ſubſtitua
une qu'il prit dans une ancienne ruche , encore
enfermée dans la cellule qui lui avoit ſervi deber
AVRIL. 1771 . 147
ceau , il ouvrit ſa priſon & l'introduiſit dans fa
demeure. Sept jours après,les gâteaux n'offroient
encore que quelques cellules remplies de miel&
de cirebrute; la reine ayant péri , M. Hattorf en
introduiſt une nouvelle auſſi récemment écloſe
que la premiere ; le 21 Juillet , quinze jours après
cette opération , M. Hattorf ayant viſité les gåteaux
, y trouva quelques oeufs qui paroiſloient
pondus depuis environ deux jours , par cettereine
intacte qu'aucun faux-bourdon n'avoit approché.
Il enleva la portion du gâteau qui les contenoit
pour la tranſporter dans une ancienne ruche , les
abeilles qui l'habitoient négligerent cette poſtérité
étrangere qu'on vouloit les forcer d'adopter ; les
oeufs abandonnés ſe ſécherent , trois jours après
leur déplacement ils avoient totalement péri. La
reine de la petite ruche avoit cependant continué
à pondre ; dès le 28 Juillet M. Hattorf apperçut
des nymphes d'inégale groſſeur qui , ſucceſſivement
, devinrent abeilles.
>
Qelque décisif que puiſſe paroître oître le fait qu'annonce
M. Hattorf, il voulut néanmoins répéter
l'expérience que M. de Réaumur avoit faite pour
s'aſſurer de l'accouplement de la reine , il en prit
deux ſortans de la cellule où elles étoient nées
les enferma ſéparément ſous un verre chacune
avec deux faux- bourdons , & n'apperçut rien qui
pût reſſembler à la jonction ſexuelle de deux individus.
Chacune des deux reines tua un des prétendus
mâles; les ſeconds furent trouvés morts ſans
qu'on ait ſu les circonstances de leur fort .
Mais quel ſeroit donc l'uſage des faux-bourdons
dans une ruche ? On penſoit , avant M. de
Réaumur , que leur préſence ne ſervoit qu'à
échauffer le couvain dans la ruche , lorſqu'après
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
l'émigration d'un eſſain les ouvrieres allõient chercher
au-dehors le miel & la cire deſtinée à appro
viſionner leurs magaſins.
5
M. H. paroît décidé à adopter cette opinion que
Pilluſtre Réaumur a entierement rejettée , par un
fait qui tend en effet à la favoriler.
On avoit enlevé à une ruche qui avoit donné
trois eflains toute la portion de couvain qui devõit
produire des faux- bourdons; les abeilles cefferent
de fortir à leur ordinaire , elles abandonnerent
la reine pour ſe placer ſur les gâteaux de
couvain , elles remplifſoient peut - être alors les
fonctions qu'euſſent rempli les faux - bourdons
dont on avoit enlevé les oeufs. Pluſieurs autres
raiſons appuyent cette conjecture ; on a remarqué
que quelquefois les abeilles détruilent les fauxbourdons
avant même qu'ils ſoient éclos : les
ruches où cela est arrivé ne donnent pas d'eflains ;
ne feroit- on point en droit d'en conclurre que dès .
lors les faux bourdons n'étoient plus néceſſaires ?
Pourquoi d'ailleurs ne voit-on fortir des eftains
qu'au tems où les cellules deſtinées à la naiſlance
des faux- bourdons ſont entierement remplies ?
Ces faits peuvent aſſurément fournir quelques inductions
ſur les cauſes juſqu'à préſent inconnues
de la deſtruction des faux-bourdons par les abeilles.
CHANSON fur le mariage attribuée au
Poëte Arabe Sathim mun Gabner (1 ) ,
(1 ) Sathim mun Gabner eſt , ſuivant l'auteur
i
AVRIL. 1771. 149
traduite en françois par M. Pingeron
capitaine d'artillerie & ingenieur au fervice
de Polognefur la verſion qui en a
étéfaite littéralement par l'auteur de la
Frufla letteraria , page 5 du nº 1 de
l'année 1763 , édition de Roveredo .
O toi que la trompette de l'ange de la
pureté à qui l'on ne resiſte point , n'a
de la fruſta letteraria , un de ces fameux poëtes
Arabes dont les ouvrages ſont ſuſpendus depuis
pluſieurs fiécles dans la moſquée de la Mecque
avec ceux des médecins les plus célèbres de l'Orient.
Il paroît par pluſieurs couplets de cette
chanſon , que cer Arabe devoit être de la ſecte
CiupMeſlaite qui reprouve la bygamie chez lés
fectateurs d'Omar &la polygamie reçue chez les
autres ſectes mahometane , quoiqu'elle ſoit trèsindulgente
ſur le choix des femmes. Je n'oſerois
garantir que la chanſon que je viens de traduire
ſe trouvât dans le poëte Arabe , quoique le ſtyle
figuré des Orientaux s'y fafle remarquer à chaque
inſtant. Le premier traducteur Italien taxe même
d'indifcrétion * , à lapage 60 della frufta letterariaceuxqui
lui ont fait cettedemande.
*A quello che vorrebbe ſapere ſe l'oda di Sathim
mun Gabner è dimia invenzione, o realmente
tradotta dall arabo ,dico che laſua curiofita è indifcreta
, pag. 60 , colonne ſeconde de la Frufta
Letteraria , nº. 4, année 1763 .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
pas encore appellé pour brûler de l'encens
fur l'autel de la chaſteté , tourne à ta
droite & cherche une compagne ! Occupe
toi de ce ſoin , tandis que tes brasont
affez de vigueur pour dompter un cheval
fougueux , & lorſque tes jambes peuvent
encore te ſouſtraire , par une prompte
fuite . aux dents & aux griffes du tigre.
C'eſt dans ſa jeuneſſe , avant que l'âge
ait blanchi fes cheveux , que l'homme
fixe fur lui les yeux des belles deſcendantes
d'Iſmaël. C'eſt dans cet âge qu'il ſe
ménage une retraite voluptueuſe dans
leurs coeurs amoureux .
N'oublie pas cependant que l'éclat
éblouiſſant des pierreriesdu Royaumede
Golconde ne fauroit égarer ni ſéduire auſſi
facilement ta raifon , que l'idée flatteuſe
de pouvoir toujours vivre avec une belle
defcendante d'Iſmaël . Hélas que cette
penſée eſt ſéduiſante!Prends garde qu'elle
nete précipitedans le golfede l'erreur ;
c'eſt ſur cette mer que l'on voit errer de
vains ſonges qui te promettent un bonheur
éternel & les phantômes legers,d'un
plaiſir fans bornes.
Les charmes & les agrémens du mariage
reſſemblent aux racines du cèdre qui
s'enfoncent chaque jour & ſe perdentenfin
ſous la terre .
AVRIL. 1771. rst
L'amant inſenſé dit dans ſon coeur ,
fi je pouvois polſléder la brune Fatime
je n'ambitionnerois plus ces douces extaſes
où ſont ravies les ames très-pures qui
goutent des plaiſirs ſans fin dans les jar
dins toujours verts d'Eden. Cet inſenſé ne
tient ce langage que parce qu'il oublie
que la brune Fatime eſt une fragile mortelle
, & parce qu'il la prend pour undes
ſéraphins éternels & reſplendiſſans de
gloire.
:
Tourne à ta droite &cherche une com
pagne parmi les belles deſcendantes d'lfmaël
, mais ſouviens- toi que le mariage
&la fatisfaction du coeur font fouvent
auſſi oppoſés que les deux bouts d'un arc ,
d'un Cangiar , (1 ) ou d'une zagaye ( 2) .
Deux amans invités par le génie qui
préſide au mariage à gravir enſemble la
montagne de la vie , ne fauroient trop
s'aider mutuellement , & jetter l'un fur
l'autre des regards enflammés pour excis
(1 ) Cangiar , eſpèce de Poignard que lesTurcs
&tous les Levantins portent à leur ceinture. Ce
n'est qu'en rems de guerre& dans les armées qu'ils
ontdes piſtolets&des ſabtes.
(2) La zagaye eſt une autre eſpècede poignard
très-connu dans l'Afrique &dans les grandes Indes.
Giv
I152 MERCURE DE FRANCE.
ter leur courage. Semblables à d'innocentes
& tendres colombes , ils doivent fe
prodiguer fans ceſſe des careſſes réciproques.
C'eſt alors que les douceurs & les
agrémens de la vie ne s'éloigneront jamais
d'eux , fur-tout s'ils leur afſocient
ſouvent la complaiſance , la modération
&la décence.
Lorſque tu auras entrepris le pénible
voyage de cette montagne ſi eſcarpée &
fi difficile , ne te fais point accompagner
par la familiarité qui eſt toujours l'ennemie
déclarée de l'amour conjugal : méne
au contraire avec toi la politeffe , l'affabilité
avec le reſpect & tu ne trouveras plus
d'obstacles.
Si tu rencontres quelquefois des défilés
oudes pas gardés par les chagrins & par
l'ennui , fonge que tu dois les forcer. Tu
trouveras dans ce voyage beaucoup de
ronces & d'épines , des fleurs fletries &
fannées , mais plus ſouvent encore des
buiffons piquants. Des précipices affreux,
des rochers eſcarpés & des pierres tranchantes
ſe préſenteront encore fous tes
pas. Hélas! quel eſt le fils d'Agar qui n'ait
jamaisrencontré des peines &l'ennui avec
des fleurs fannées , des buiſſons hériſſés
d'épines , enfin toutes fortes de maux en
AVRIL. 1771. 153
graviſſant la montagne difficilede lavie.
Recommande toi au courage & à la patience
, qui te feront , à leur tour , rencontrer
quelquefois fur cette montagne
les petites plantesdu nard ( 1) & du thim
dons l'odeur eſt ſi ſuave. Tu trouveras encore
par leur moyen l'arbre du baume (2)
dont l'ombre ſalutaire pourra te donner
de tems en tems de nouvelles forces de
même qu'à ta belledefcendante d'Iſmaël ...
Ne t'abandonne pas aux pleurs & au
déſeſpoir comme un nouvel eſclave , fi
les plaiſirs font en ſi petit nombre & les
chagrins fi multipliés. Apprends que les
agrémens de la viene pleuvent qu'en trèspetite
quantité du firmament ſemé d'étoiles
; apprends encore que les plaiſirs
que l'Ange bienfaiſant répand ſur les
hommes , comme une légère rofée , ref.
ſemblent à cette plante quidonne la ſanté,
mais qui ne ſe trouve que très rarement
: (1) Nard , plante dont toutes les parties ſont
aromatiques & qui croît dans le Levant & fur
quelques montagnes de la Styrie & de la Carinthie.
Onen fait uſage dans la médecine .
(2) Refine liquide d'un blanc jaunâtre d'une
grande utilitédans la médecine. Elle coule par inciſion
d'un arbrifleau qui croît dans l'Yemen ou
l'ArabieHeureufer
Gy
3
1
154 MERCURE DE FRANCE.
"
dans les defertsde l'Arabie. Les maux, au
contraire,qui ſont ſemés ſur les mortels ,
à pleines mains , par l'Ange malfaifant
germent enfuite & ſe reproduiſent d'euxmêmes
avec autant de facilité que l'ortie,
&la bardane dans le terrein fertile de l'E
gypte..
Qu'il te foit indifférent de faire levoyage
de la montagne avec telle ou telle
compagnequele haſard te procurera ( 1 ) ,
fitu délire que l'amour ſoit ton guide &
qu'il marque tes pas. Suis ce ſage conſeil
fistune veux pas reſter ſeul & en proie
aux chagrins , lorſque tu ſeras parvenufur
les premières roches de la montagne.
N'oublie point , au lever de chaque
ſoleil de prier le génie de la miféricorde
qu'il te faſſe toujours accompagner,dans
ce voyage ſi difficile , par la gaieté , l'intrépidité
, & par une mâle prudence .
Cette eſcorte te devient néceſſaire ſi tu
deſire que la modeſtie qui ajoute aux char
mes des femmes , & les autres vertus qui
leur font propres , arrivent avec toi fure
les bordsde la glorieuſe fontaine qui eſt
au ſommet de la montagne. C'eſt dans
ſes eaux qui couleront ſans ceffe ques
(1)Telle eſt l'opinion de la ſecte Ciup-Meſlaïtes
AVRIL. 1771. 155
peuvent ſeules ſe rafraîchir les lèvres de
ces fidellesdont le turban eſt enveloppé
de la force , & la premiére robe ( 1 )
doublée de l'honneur & de la vertu .
Chantez doux enfans d'Agar la chanſon
de Sathim mun Gabner & paffez vos
jours dans une joie ſans fin & fans altésation
avec vosbelles deſcendantes d'If
maël .
ACADÉMIES .
T.
Séance publique de l'Académie Françoise.
Le Jeudi 21 Mars , M. le Prince de
Beauveau , élu à la place de M. le Préſident
Hénaut , & M. Gaillard , à la place
de M. l'Abbé Alary , prirent féance pour
La première fois àl'Académie Françoiſe.
Lediſcoursde M. le Prince de Beauveau
eſt plein de la nobleſſe & de la dignité
convenables. Les éloges qu'il donne à fon
Prédéceſſeur font exprimés avec autant
(1) LesTurcs portent deux robes dont celle de
deſſous s'appelle Cafetani , & dont il s'agit dans
cettechanson.
Gvj
756 MERCURE DE FRANCE.
de grace que de juſteſſe. « M. le Préſident
>>Hénaut parut dans la ſociété un des
>> hommes les plus aimables que les let-
>>tres & l'uſage du monde euffent ja-
>> mais formé ; il y apporta fur-tout le
>>don ſi rare d'accorder à chacun de ceux
>> dont il s'occupoit tour-a- tour , une pré-
>> férence qui ne déſobligeoit jamais les
>>autres ... Lorſque ſon amour propre fe
>> montroit le plus, celui des autres ne
>> perdoit jamais rien à ce qu'il prenoit
>> pour lui ; & quand il étoit leplus ani-
>>médans la diſpute , on ne le trouvoit
>> encore que piquant , & en même tems
>> modéré. Toutes ſes qualités étoient
>> tellement tournées à l'avantage de la
» ſociété , qu'il ſe fit des amis dans tou-
>>tes les claſſes qui la compoſent. Egale-
> ment recherché des gens de lettres, des
>>>gens de la Cour & des étrangers , ſa
>>maiſon ſembloit être le rendez - vous
>> des gens de mérite de tous les états &
>>de tous les pays. Chacun y jouiſſoit de
>> ſa célébrité , de ſa confidération per-
>> fonnelle , &de tous les agrémens que
>>>les ſciences , les arts , les lettres& la
>>meilleure compagnie peuvent procurer
>> chez une nation à laquelle toutes les
>>autres cédent l'avantage de ſavoir mieux
AVRIL. 1771 . 157
>>>goûter , & de faire mieux connoître
>> tous les charmes de la ſocieté ».
2.
L'éloge du Roi , fait en peu de mots ,
a ce caractère de vérité , que devoit faifir
un homme qui a l'honneur de lui être
attaché par les places qu'il occupe à la
Cour. Le dernier trait ſur tout eſt précieux.
« Le Roi , ſimple autant qu'il eſt
>> grand , donne àtous ceux qui l'entou
>> rent le plaiſir ſi peu commun de trou-
>> ver l'homme qu'on aime dans le Sou-
>>verain qu'on reſpecte. Jamais il n'a
>> fait ſouvenir de ſon rang ,& il eft en
>>même tems ſans exemple qu'on l'ait
>> oublié un moment » .
M. le Prince de Beauveau rappelle les
derniers événemens qui ont honoré le
règne de Louis XV , & dont la France
ſe reſſouvient avec tant de reconnoiſſance.
« Une Province de France , ſoumiſe
>> pourun tems à une Puiſſance étrangè
>> re , rentre ſous les loix du maître que
>>>>lui donnent la nature & la justice ;
>> une ifle importante eſt conquiſe ; un
>>de nos ports les plus précieux & les plus
>>expoſés eſt misdans un état de défenſe
>>le plus reſpectable ; une forme nouvelle
eſt donnée à notre conftitution
>> militaire ; toutes les parties qui la ren-
>> dent plus propre à la guerre ſe perfec
158 MERCURE DE FRANCE.
>> tionnent , & les troupes Françoiſes ne
>>>ſe diftinguent pas moins aujourd'hui
>>par la difcipline & l'inſtruction , que
>>par le courage brillant qui avoit tou-
>>jours fait le caractère propre de la na-
» tion » .
La réponſe de M. l'Abbé de Voifenon
eſt d'une tournure piquante & originale.
Il ſemble qu'il ſe foit propoſé de
rompre par la faillie , la gravité , fouvent
uniforme des diſcours Académiques.
Il faudroit être de bien mauvaiſe
humeur pour le trouver mauvais , & les
Frondeurs , qui ſe ſont fait une loi de fe
plaindre toujours qu'on les endort à l'Académie
, dormiront bien fort fi M. l'Abbé
de Voiſenon ne les réveille pas. Il
fait pourtant être ſérieuxquand i'llefaut,
témoin cet endroit de ſon difcours , où
en rendant à M. le Prince de Beauveau
la juſtice qui lui eſt dûe , il eſt l'interprétedes
ſentimens des gens de lettres&
du public. " Tout ce qui concerne l'hon-
>> neur eſt dans votre ame l'ouvrage inné
>>du ſentiment. Ce qui n'eſt qu'un mérite
>>pour un autre,eſt un plaiſirde plus pour
»vous , & votre extrême exactitude ne
>> vous rend impoſant qu'en vousrendant
>> irréprochable».
Lesavantages de la bonne compagnie
AVRIL. 1771. 159
&de la ſociété des femmes devoient néceſſairement
entrer dans l'éloge de M. le
Préſident Hénaut ; auffi M. l'Abbé de
Voiſfenon les expoſe-t- il très- à-propos ,
& il ajoute : « Je ne prétends pas dire que
>> la bonne compagnie ſoit exempte de
>>ridicules : c'eſt là qu'un auteur fait ſes
>>meilleures récoltes ; par conféquent
>>c'eſt là qu'il doit paſſer ſa vie. Un
>>Peintre à portraits ne doit pas perdrede
»vue ſes originaux; les ridicules-des
>> gens du monde ſont une eſpèce à part :
>>pour les bien critiquer , il faut ſavoir
>> leur langue ; il n'y a que les modèles
mêmes qui puiffent fournir des armes
>>pour lescombattre.Un auteur doir pof-
>> ſéder leur dictionnaire ; cela ne charge
>> pas fa mémoire ; mais quand on fait
>>l'étudier , on peut entirer parti , pour
>>plaifanter légérement ceux qui l'ont
> compoſé.C'eſtfautede le connoître que
>>> nous sommes réduits à la triſte indi-
>> gence de ces pièces amphibies qu'on
>>s'imagine distinguer par le titre de
>> Drame , genre bizarre & dépravé ,
>>qui n'offre autre choſe à l'eſprit qu'un
>> Roman en fquelette , écrit le plus fou-
>>vent en proſe traînante& bourſoufflée,
*avec des caractères manqués. Toutes
>>les fois que j'aſſiſte à la repréſentations
160 MERCURE DE FRANCE.
>>>d'un Drame , je crois voir les valets
>> de Melpomene qui s'amuſent à contre-
>>faire leur maîtreſſe, en attendant qu'elle
>> revienne ».
Le mal eſt peut-être plus grand que
ne le penſe l'ingénieux Académicien.
Peut- être les valets ſe ſont-ils emparés
de la maiſon , prêts à fondre tous enfemble
fur celui qui voudroity ramener la
maîtreffe.
Le diſcours de M. Gaillard paroît animé
de l'eſprit d'un Hiſtorien & d'un
"Orateur. Il releve la dignité des lettres ,
& palle en revue tous les Monarques
François qui en ont été les bienfaiteurs .
Par-tout il écrit avec élégance & penſe
avec élevation . On a vivement applaudi
pluſieurs traits fort heureux de fon difcours
,& fur-tout le morceau qui concerne
le Cardinal de Richelieu. « Au nom
>>de Richelieu , la reconnoiſſance ſeule
>> doit ici ſe faire entendre . Détournons
>>nos regards de cette adminiſtration ſé-
>> vere , qui excite encore un étonne-
>> nement mêléd'effroi , & qui plia pour
>>un tems le caractère national au carac
>> tère d'un ſeul homme. N'examinons
>>point ſi le calme ne pouvoir être réta
>>bli que par des tempêtes ; s'il falloit
>> que le ſang coulât fur des échafauds
AVRIL. 1771 .. 161
>> pour ne plus couler dans les guerres ci-
• viles; s'il eſt des tems où l'on ne
>> puiſſe conduire que par la terreur ce
>> peuple qu'on mene ſi loin par l'amour .
>>Laiſſons la politique admirer dans Ri-
>>chelieu les projets vaſtes & les grands
>> coups d'autorité ; ne voyons en lui que
>>le reſtaurateur des lettres , & le fon-
>>dateur de l'Académie Françoiſe. Ri-
>>>chelieu voulut que les titres& lesta-
>>lens réunis concouruſſent à la gloire
>>des lettres ; il ſentit que quand la li-
>>berté feroit détruite dans l'Erat , elle
>>>d>evroit être l'ame d'une ſociété litté-
>> raire, comme un grand Roi a dit que
>>> fila foi& la vérité étoient bannies du
>> reſte du monde , elles devroient ſe re-
>>trouver dans la bouche des Rois » .
M. Gaillardfinit par payer à la mémoire
de M. l'Abbé Alary le tribut accoutumé
d'éloges Académiques. Mais
peut-être n'est- il pas inuiile de remarquer
dans le beau morceau que nous venons
de tranfcrire qu'aulieu de plier le
caractère national au caractère d'un seul
homme , il eût été plus juſte de mettre
fous le caractère; car plier un caractère
au ſien , c'eſt amener le caractère d'autrui
àla reſſemblance du nôtre. Ainsi l'on
pouvoit dire du grand Montesquieu ,
162 MERCURE DE FRANCE.
qu'il a plié le caractère François à celuide
ſon génie , en attachant une nation naturellement
légere à la contemplation
d'objets ſérieux&graves. Mais Richelieu
a plié le caractère des François ſous la hauteur
du fien , c'eſt à-dire , qu'il a fait
taire la fierté du coeur François & l'amour
de la liberté à l'aſpect de ſon pouvoir &
des vengeances miniſtériales.
M. l'Abbé de Voiſenon chargé de répondre
aux deux récipiendaires , a rappelé
les titres littéraires de M. Gaillard.
<Votre morceau du Concordat ſera tou-
>>jours cité comme un modèle. Cepen-
> dant , Monfieur , ſi vous vous étiez
>>borné à nous préſenter ce Roi dans ſa
> conférence à Bologne avec Léon X ,
>> nous aurions accordé difficilement no-
>> tre admiration à un Monarque qui peut-
>> être fit un peu trop au Pape les hon-
>> neurs de la royauté. Mais vous l'avez
>> peint redonnant une nouvelle exiſten-
>> ce aux lettres , chériſſant , reſpectant
> ſon adorable fooeur Marguerite de Va-
>> lois , qui les aimoit & les cultivoit.
>Dès-lors nous oublions Pavie , Madrid,
>>Bologne ;les malheurs & les fautes dif
>>paroiffent , nous nenous ſouvenons que
>>du reſtaurateur éclairé , & fon règne
AVRIL. 1771. 163
>>devient une époque mémorable dans la
>>M>onarchie».
M. Duclos termina la ſéance par la lectured'un
précis hiſtorique ſur l'état de l'Académie
Françoiſe , & ce morceau , écrit
avec vivacité& préciſion , a été entendu
avecintérêt.
Ces diſcours ſe vendent chez la veuve
Regnard& Demonville , au Palais , à la
Providence , & rue baſſe des Urſins.
Article deM. de la Harpe,ainſi qua
l'extrait des Voyages.
11.
Académie des Infcriptions.
MARDI , avril l'académie des infcriptions
atenu ſa ſeance publique. Le
prixdont le ſujet étoit d'examiner Quelles
ont été depuis les temps les plus reculésjusqu'au
IVefiècle de l'ere chrétienne
les tentatives des différens peuples pour ouvrir
des canaux de communication , foit
entre diverſes rivières , foit entre deux
mers , foit entre des rivières &des mers , &
quels en ont été les ſuccès , ce prix , qui
étoit double , a été remporté par M. l'abbé
le Blond fous bibliothécaire de Sorbonne.
164 MERCURE DE FRANCE.
Ona propoſé pour le ſujet de la ſaint
Martin de l'année 1772 , quels furentles
noms & les attributs divers d'Apollon &
Diane , chez les différens peuples de la
Grèce & de l'Italie : quellesfurent l'origine
&les raiſons de ces attributs. L'académie
invite les auteurs à rechercher , quels ont
été lesftatues ou tableaux célèbres de ces
deux divinités , & les artistes qui fe font
illustrés par ces ouvrages.
Le prix fera une médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres .
Toutes perſonnes , de quelque pays &
condition qu'elles ſoient , excepté celles
qui compoſent l'académie , feront admifes
à concourir pour le prix , & leurs mé
moires pourront être écrits en latin ou
en françois , à leur choix.
Les auteurs mettront fimplement une
deviſe à leurs ouvrages ; mais , pour fe
faire connoître , ils y joindront , dans un
billet cacheré , & écrit de leur propre
main , la même deviſe , avec leurs nom ,
demeure &qualités , & ce papier ne fera
ouvert qu'après l'adjudication du prix .
Les pièces , affranchies de tout port ,
feront remiſes entre les mains du ſecrétaire
perpétuel de l'Académie , avant le
premier juillet 1772 .
J
AVRIL. 1771 . 165
M. Le Beau a lu l'eloge deM. le préſident
Henaut. M. de Sigrais un mémoire
fur l'eſprit militaire des Gaulois. M. de
Guignes un eſſai hitorique ſur l'étude de
la philoſophie chez les anciens Chinois .
M. Gaillard l'examen d'une bulle du
Pape Boniface VIII , du 27 juillet 1298 ,
contre laquelle les hiſtoriens ont beaucoup
déclamé , & que cet académicien
prouve qu'ils n'ont jamais connue.
III.
Académie des Sciences.
Le mercredi 10 avril l'académie des
fciences atenu ſa ſéance publique.
M. de Fouchi ſecrétaire de l'académie
a annoncé deux prix remis tous les deux ,
l'un ſur la meilleure manière de meſurer
letems à la mer , qui ſera de 4000 liv.;
&l'autre fur la compoſition du criſtal
propre aux lunettes achromatiques, qui
ſera de 1200 liv . Les programmes de ces
prix feront publiés incellamment , avec
les conditions propoſées par l'académie.
: Il nomma enfuite & donna une courte
notice des arts qué l'académie a publiés
cette année , ſavoir: la 24 partie de l'art
du facteur d'orgues , par Dom Bedos re1.66
MERCURE DE FRANCE.
:
ligieux bénédictin ; la 2ª partie de l'art
du ménuifier par M. Roubaut ; l'art de
faire l'indigo par M. Beauvais Razoux ;
l'art du brodeur par M. de Saint Aubin
deſſinateur du Roi ; l'art de faire les colles
fortes & autres par M. Duhamel .
Ces exercices furent fuivis de l'éloge
de M. Rouelie démonstrateur célébre en
chimie.
De la lecture d'un mémoire dans lequel
M. deVaucanſon fait connoître une
machinede ſon invention propre à la filature
de la foie .
M. Caffini le fils donna la relation
abrégée du voyage de feu M. l'abbé Chap
à la Californie pour l'obſervation du dernier
paſſage de Venus ſur le ſoleil .
M. Meffier lut un mémoire ſur une
nouvelle comère qu'il a découverte &
commencé à obſerver dans le voiſinage
des Pleyades allant ſelon l'ordre des fignes
&vers le nord.
La ſéance fut terminée par la lecture
que fit M. Cadet de l'hiſtoire d'une maladie
fingulière obſervée par M. Lorry ,
médecin de la Faculté de Paris , dans la
perſonne d'une jeune fille d'onze ans qui
rend par la mammelle gauche une quanAVRIL.
1771 . 167
( tité conſidérable d'une liqueur infipide ,
inodore & fans couleur .
IV.
Extrait desséances publiques de l'Académie
royale des belles - lettres de Caën ,
des 6 Décembre 1770 & 10 Janvier
1771 .
M. le Page avocat , & directeur pour
l'année 1770 , préſidant à la ſéance du
6 de Décembre en l'absence de M. de
Fontette , intendant , qui venoit d'être
pourvu de la dignité de chancelier de
Mgr le Comte de Provence , lut deux
réflexions intéreſſantes ſur les moyens de
prévenir les crimes&les forfaits. Il penſe
avec quelque raiſon que les bûchers & les
échaffauds font inſuffifans , qu'ils révoltent
la nature , & qu'ils privent la ſociété
des ſervices qu'elle retireroit des ſcélerats
qu'on ſe borneroit de condamner à
des travaux infamans. L'oiſiveté & l'indigence
d'une part , le défaut d'éducation
&les mauvais exemples font , ſelon lui ,
les ſourcesdes vices; &il ſeroit facile de
tarir ces ſources.
M. l'Abbé le Moigne , nouvellement
reçu, l'un des trente de cette académie ,
168 MERCURE DE FRANCE.
lut undifcours philoſophique ſur les inconvéniens
de la littérature qui , preſque
toujours , expoſe ceux qui la cultivent
aux perfécutions les plus révoltantes . Le
ſçavant tente-t- il de faire aimer la Religion
en l'épurant des abus qui la défigurent
, & des excès du fanatiſme qui la
font méconnoître , l'intérêt & l'hypocrifie
crient au ſcandale , à l'impiété ... On calomnie
, on égorge au nom d'un Dieu de
paix dont l'effence eſt la juſtice & la bonté
, les hommes les plus juſtes & les plus
utiles ... Gerbert , traité de magicien pour
avoir fait quelques progrès en géométrie...
Bacon , chargé de fers parce qu'il
apprend à ſubſtituer des idées àdes mots...
Galilée , perfécuté par l'inquifition pour
préférer le ſyſtême du méchaniſme de
l'Univers le plus probable ,& ne fortant
des cachots de ce tribunal qu'en ſacrifiant
l'intérêt de la vérité à la tyrannie des erreurs
... Ramus , traité de criminel d'état
parce qu'il exhorte de préférer l'étude de
la nature au ſentiment d'Ariftote , flétri
par le fanatiſme qui fait ruiſſeler ſon ſang
avec celui de tant d'autres victimes , &
tant d'autres exemples qui revoltent la
nature & font frémir la raiſon , certifient
àquels périls on s'expoſe lorſque ce
qu'on
AVRIL. 1771 . 169
qu'on traite peut appartenir à la Religton.
Ceux qui s'occupentd'autres ſujets ont
les mêmes inconvéniens à redouter. Politique
, jurisprudence , hiſtoire , poësie ,
tout enfin aſes écueils. Celui que l'amour
de l'humanité porte à analiſer les reſſorts
dugouvernement, à chercher les moyens
de garantir des ravagesde la guerre & de
l'ambition , à procurer à la ſociété la plus
grande ſomme de bonheur poſſible , fera
regardé comme un novateur pernicieux ,
un ennemi du bon ordre qui s'efforce de
ſubſtituer l'indépendance & l'anarchie à
l'autorité tutelaire &à la fubordination...
La ſcience économique , par exemple ,
cette ame de l'agriculture &du commerce
qui , par la liberté de l'échange des
biens&des commodités de la vie qu'elle
fait voler à la voix du beſoin &du plaifir
, tend à multiplier les richeſſes , & à
procurer à la nation le plus grand bonheur
poſſible , garantit - elle de tout reproche
les ſçavans qui aiment aſſez leurs pareils
pour leur manifeſter les avantages de cette
ſcience? .. N'a-t'on pas accuſe l'immortel
Montefquieu de vouloir corrompre
la morale , parce qu'il balance les inconvéniens
du luxe par les biens qu'il procure
à l'induſtrie?
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Si l'hiſtorien découvre les refforts qui
font agir ceux dont il parle , & s'il peint
l'homme non tel qu'il devroit être , mais
tel qu'il eſt , on lui reproche de multiplier
le nombre des criminels , pour affoiblir
l'indignation que mérite le vice ...
S'il paſſe ſous filence les traits qu'il feroit
dangereux de citer , c'eſt un flatteur qui
t ahit les intérêts de la vérité.
La poësie même , ce langage des dieux,
fait pour adoucir nos moeurs & fufpendre
nos peines , a ſes inconvéniens.... Le
génie créateur du théâtre françois fut facrifié
par la ſociété de l'Europe la plus
éclairée à l'autorité jalouſe d'un grand
miniſtre... Tous les genres de littérature
enfin ont leurs inconvéniens .
Ne dira - ton pas , Meſſieurs , qu'avec
de tels ſentimens je devois me refuſer à
Ihonneur que vous me feriez ? Mais l'émulation
qui regne parmi vous , la libre
communication des talens qui s'y développent
ſous les auſpices de votre illuftre
protecteur , les charmes des vertus ſociales
enfin que vous embéliſſez par les agrémens
de l'eſprit , ont diſſipé les frayeuts
de ma raiſon , & vos exemples ſuffiſent
pour me faire braver tous les périls.
M. le Directeur répondit au compliment
de M. le Moigne : enſuite M. de
AVRIL. 17716 171
Liſle , avocat du Roi , lut les difcours
de l'ouvrage de M. le Trofne , avocat du
Roi àOrléans & aſſocié de cette académie.
On fait combien ce magiſtrat eſt attaché
aux vérités de la ſcience économique :
auſſi ſon ouvrage n'eſt - il qu'un tableau
des avantages de cette ſcience. Il contient
cinq difcours. Quoique le premier n'annonce
qu'un remercîment à l'académie ,
l'auteur y démontre combien il ſeroit important
que tous ceux qui compoſent les
ſociétés littéraires préféraſſent l'étude de
la ſcience la plus utile au bonheur des
hommes, à toutes celles qui les occupent.
Par le ſecond , il établit qu'elle n'eſt que
l'ordre eſſentiel que l'auteur de la nature
a inſtitué pour être la baſe conſtitutive
des gouvernemens les plus propres à rendre
les hommes heureux. Le troiſieme
diſcours réunit les obſtacles que la conſtitution
des gouvernemens factices oppoſe
aux lois de l'ordre. Lequatrieme indique
les différens motifs qui ont porté les peuples
à oublier & tranfgreffer les loix de
l'ordre. M. le T... juſtifie la néceſſité de
revenir à ces loix , par ſon cinquieme
diſcours ; & il en développe les moyens .
Malgré l'empire des préjugés , ce dernier
diſcours obtint les plus grands applaudiſ
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ſemens d'une nombreuſe aſſemblée. La
ſéance futterminée par quelques fables de
M. Bruéis d'Aiguilliers , capitaine aidemajor
du régiment de Forêt , de la ſociété
des Arcades de Rome , & aſſocié de cette
académie . M. le Directeur termina cette
ſéance en inſtruiſant le Public que l'académie
ne donnoit pas le prix de l'an
1770; & qu'elle annonceroit lejour de la
ſéance du 10 de Janvier ſuivant, le ſujet
qu'ellepropoſeroit pour le prix de 1771 .
Cettederniere fut ouverte parM. Def.
moüeux , docteur & profeſſeur royal en
médecine&botaniquede l'univerſité , &
nommédirecteur de l'académie pour l'an .
née 1771 , qui fit à ce ſujet ſondifcours
de remercîment. M. Deſchamps, docteur
aggrégé&profeſſeur royal en chymie de
la même univerſité , reçu l'un des trente
de l'académie pour remplacer M. Porée
, mort depuis fix mois , fit la lecture
de ſes premieres obſervations ſur l'économie
animale , auſſi intéreſſante à la fanté
de l'homme que l'économie politique
l'eſt àfon bonheur. Habitué dès fon enfance
, & fous les yeux d'un père , chirurgien
eſtimé , à voir dans l'homme le
premier& le plus noble des êtres déſignés
par les naturaliſtes ſous le titred'animaux,
AVRIL. 1771. 175
M. D... s'attache à tout ce qui peut intéreſſer
ſa vie & ſa ſanté ... Il regarde le
mouvement comme la vraie cauſe productive
des formes qui différentient les
êtres... En convenant que l'homme eſt
compoſé de deux ſubſtances eſſentiellement
distinctes , dont la premiere n'offre
aucun attribut qui puiſſe tomber ſous nos
fens , il prévient que ſes recherches n'ont
pour objetque la ſeconde de ſes ſubſtances,
qu'il nomme corps. L'idée qu'il donnede
ſa formation & de ſon accroiflement
le conduitau détail des ſignes qui
distinguent les minéraux des végétaux,&
ceux- ci des animaux : il les croit originairement
un ſeul & même corps , différentiés
entre eux par la maniere avec laquelle
le mouvement qui les vivifie, leur
eft communiqué... L'homme , dans le
fommeil d'une paix profonde , jouit d'abord
d'une vie qui n'eſt que végétative ,
juſques à ce que muni d'organes capables
d'entretenir le mouvement du centre aux
différens points de la circonférence , &
de ceux - ci au centre , il commence à
jouir de la vie animale... Il le définit un
aggregé de tiſſus que deux ſubſtances ſans
ceſſe en action ſur elles-mêmes entretiennentdans
un mouvement perpétuel : il
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
nomme ces ſubſtances ſolides & fluides :
de l'existence de leur mouvement réfulrent
la vie & l'animalité comme la ſanté
réſulte de fon uniformité,les maladies de
ſes dérangemens,&la mort de ſaj ceſſation...
De l'état de mort , M. D.. voit
s'élever un nouveau mouvement dans le
ſang... duquel réſulte la diſſolution &
la putréfaction ... De ce mouvement if
déduit des inſtructions utiles fur les affections
purulentes&putrides , fur les mortifications
, ſur la gangraine , maux dont,
juſqu'à ce jour , on n'a aſſigné ni les cauſes
productives ni les moyens qui pourroient
les ſuſpendre ou les détruire...
Cette premiere diſſertation traite particulierement
des fluides , M. D.. prétendant
que les ſolides n'en font qu'une
fimple modification. Il fait eſpérer autant
dediffertations ſur ces fluides qu'il trouvera
d'objets oubliés par ceux qui ont
précédemment diſſerté ſur les ſubſtances
animales. La nature des globules fanguins&
la cauſe de leur couleur eſt le ſujet
de ce premier diſcours. Ala vue de tout
ce qui a été dit fur ces globules , on pouvoit
croire que la matiere étoit épuiſée. Ce
premierdifcours cependant annonce beaucoup
de faits nouveaux. 1º. Le ſang eſt ,
:
AVRIL. 1771. 175
ſelon M. D.. le premier des fluides , &
celui dont les caractères distinctifs dépendent
de l'action des forces animales . Il le
définit un liquide animal , compoſé de
corps de différens ordres , mêlés par l'action
d'organes animés & ayant une couleur
plus ou moins purpurine... 2 °. II
réfute ceux qui placent le laboratoire de
ce liquide dans le poumon ou le foie ; &
il établit que toutes les parties du corps
concourent à ſa formation. 3°. Il attribue
ſes degrés de fluidité aux différens degrés
de force des parties qui le contiennent ;
d'où il ſuit que les uns ne peuvent varier
qu'il n'en arrive autant aux autres , ce qui
le conduit à quelques préceptes réſultans
de l'inſpection du ſang tiré de ſes vaifſeaux&
qui manifeſtent les abus du charlataniſme.
4°. En décrivant l'analogie de
ce fluide , tiré de ſes vaiſſeaux , il le voit
ſediviſer en deux ſubſtances , l'une qu'on
nommeféreuse , & l'autre le coagulé , coagulum
: quand il a placé cette derniere à
part , & dans un endroit modérément
chaud , il ſurvient un mouvement fermentatif
, qui diviſe ce coagulé en trois
eſpèces de corps : les premiers , de couleur
jaunâtre & de forme lenticulaire ,
nagent à la furface : les ſeconds , rougeâ-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
tresàleur cemre&environnésd'un petit
cercle plus ou moins blaffard, approchent
de la forme ſphérique , & paroiffent être
d'une peſanteur égale à celle du fluide
qui les contient: les troifiémes , plus ou
moins ſphériques ,&d'un rouge plus ou
moins foncé , ſe précipitent au fond du
fluide... 4°. Quand il aretiré ces trois
corps du fluide , ce dernier demeuré ſans
couleur , lui fait juger que la vraie cauſe
matérielle du fang réſide dans ces corps.
6°. Il foumet ces corps àdifférentes expériences
chymiques , deſquelles il conclud
que les uns & les autres font des
ſubſtances de la nature des huiles émulfives,
avec cette différence que les premiers
font chargés de beaucoup de corps
muqueux&d'une eauqui ſurabonde celle
qui conſtitue leur eſſence: les ſeconds font
dégagés de tout corps muqueux &de toute
eau furabondante: les derniers , également
dégagés de ces corps&d'eau, le font
également de celle qui contribue à leur
effence. Cette privation change leur nature
, & elle les rapproche d'un autre ordre
de corps qu'on nomme métaux ou
ſubſtance métallique , & qui n'admettent
pour principe qu'une terre& le phlogiftique
; ce qui lui fait donner à ces troi
AVRIL. 177 . 177
ſfiémes globules le nom de ſubſtances oléométalliques.
Pluſieurs expériences lui fervent
à démontrer cette déperdition de
leureau principe,entre autres , ils ne brûlent
point par inflammation comme tous
les corps qui contiennent des parties
aqueuſes , mais par ſcintillation, comme
les métaux , le charbon parfait , &c....
De l'altération de ces derniers globules ,
M. D. rend raiſon de pluſieurs phénomè
nes. Il déſigne la matière dont la nature
ſe ſert pour former ſes couleurs , &la maniere
dont elle l'emploie pour varier ſes
nuances ſur tous les corps : ſourcede préceptes
excellens pour les peintres , les
teinturiers , &c... Il développe les rai -
fons qui font varier la couleur des hommes
, foit qu'elles réfultent ou du climar,
ou de l'état de ſanté & de maladie. Ilexplique
pourquoi il eſt des hommes noirs,
qui naiſſent tels dans le cours ordinaire
de la nature ſous la Zone Torride ;
par quelles raiſons étant malades ils
deviennent jaunes , & pourquoi ceux qui
naiſſent blancs parmi eux font incapables
de pluſieurs fonctions , telles que cellede
ſe reproduire... Il déraille les raiſons qui
rendent ces corpufcules attirables par l'aimant
, après leur combustion , qu'il attri-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
A
bue principalement au phlogiſtique dont
alors ils ſont ſurchargés ,& non à la préfence
d'un fer qui n'exifte point dans nos
humeurs... It promet d'indiquer comment
la nature peur produire des fubftances
dont les qualités approchent des
métaux , commentſans être un vrai fer ,
elles font attirables par l'aimant , & pourquoi
le fer l'eſt lui - même. Ce diſcours ,
terminé par ſon remercîment à l'académie,
fut réſumé par M. Deſmoüeux , directeur
, très en état d'étudier &d'appercevoir
les fecrets de la nature , par le fecours
de la chymie qu'on peut dire être ,
àl'égard des vérités phyſiques , ce que le
calcul eſt à l'égard des vérités géométriques.
Cette lecture fut ſuiviede celle du Roi
Lapon , conte politique de M. Vialer ,
ingénieur en chefde la généralité. Ce badinage
, écrit fans conféquence , parur
rendre à démontrer qu'il n'eſt point de
vérité phyſique abfolue. D'autres le crurent
unecritiquedelaſcience économique,
annoncée par l'ouvrage de M. le Trofne,
qui , le fix décembre précédent , avoit été
fi univerfellement applaud.i On ne penfe
pas que M. Viallet ait eu aucun de ces
objets en vue
7 .
r
AVRIL. 1771. 179
Après la lecture d'une épître en vers de
M. Brueis d'Aiguilliers,M. Defmoiieux ,
directeur , annonça qu'aucun des auteurs
qui avoient concouru pour le prix de
1770 , n'étant entré dans les vues de l'académie
, elle propoſoit pour le prix de
1771 , le même ſujet , à ſavoir , quelle eft
la différence du caractère national de la
Franceſous les règnes de Louis XIV& de
Louis XV, & quelles en font les conféquences.
Ce prix , qui ſera diſtribué le s
deDécembre prochain , eſt une médaille
d'or de valeur de 300 liv. que donne M.
deFontette , intendant & vice-protecteur
de l'académie. Les ouvrages feront remis
francs de port , avant le premier de Novembre
, à M. Rouxelin , ſecrétaire de
l'académie , ou à M. le Roi ſon imprimeur
V.
Ecole Vétérinaire..
Mardi 9º Avril 1771 , il y eut à
l'Ecole Royale Vétérinaire de Paris un
ſecond concours , qui eut pour objet ,
comme le précédent , la démonstration
des muſcles du cheval. Le nombre des
Elevesqui ſe ſont mis en état cet hiver
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE ..
de ſatisfaire le public ſur cette matiere
étant trop conſidérable , pour les admertre
tous dans une ſeule & même ſéance ,
Les Eleves qui concoururent font les
ſieurs ,
DUTRONE, delaprovince de Normandie, entretenu
parMrdeMeulan.
LEBEL, de la Picardie , par M. le Marquis de
Voyer.
MARANGER, de la Champagne , par M. l'Intendant.
PERRINET, 2deParis , par leurs pères , maîtres
GELY, 3 maréchaux.
BERGERE, de Franche - Comté , par M. l'Intendant.
CANTE , du Poitou , par la Province.
L'EGOULON , de Metz , par M. l'Intendant.
MARECHAL,de la province de Champagne , par
M. de Villiers .
QUEDEVILLE ,de la Normandie , par M. l'Intendant
de Caën .
PRIEUR, de la Bourgogne , par les Etats de la
Province.
MAYEU , de l'Artois , par les Etatsde la Province.
PERTAT, de laChampagne, parla ville de Saint-
Dizier.
LESCRIERE ,de la Normandie , par M. l'Intendant
d'Alençon.
L'aſſemblée applaudit aux efforts de
AVRIL. 1771. 181
tous ces Eleves ; elle déféra le prix aux
fieurs Dutroné , Maranger , Cante , Quedeville&
Prieur. Le ſort le mit dans les
mains de ce dernier.
Quant aux acceffit , le premier fut accordé
aux ſieurs l'Egoulon & Maréchal ,
&le ſecond aux ſieurs Mayen , le Bel &
Perrinet.
SPECTACLES.
CONCERT CERT SPIRITUEL .
CE Concert composé des plus rares
talens pour les inſtrumens & les voix ,
raſſemble les ainateurs de la Muſique &
de la belle exécution pendant la vacance
des autres ſpectacles .
On a fait entendre dans ces différens
Concerts les beaux motets Omnes Gentes,
De profundis , Miferere , Regina Cali ,
TeDeum de M. d'Auvergne , Sur-intendant
de la Muſique du Roi . Sa Muſique ,
pleine de grands effets d'harmonie & de
traits de chant , eſt toujours reçue avec
plaiſir & admiration. M. l'Abbé Girouft,
Maître de Muſique des SS. Innocens ,
compofiteur ſavant & fécond , a donné
182 MERCURE DE FRANCE.
auſſi pluſieurs motets eſtimés. Le Lauda
Jerufalem de M. Philidor répond à la réputation
de ce Muſicien célebre. M.
Louet , amateur , peut ſe mettre à côté
des habiles maîtres : il a donné des preuves
de ſon génie dans le Dies ira , &
dans l'ExultateJuſti. Les deux petits motetsde
M. le Grand ,Adorate Dominum ,
&pfallite , ont fait les délices des amateurs
& des connoiffeurs , par le beau
choixdes motifs , par l'ingénieuſe diſtributiondes
parties , par la coupe heureuſedes
phrafes muſicales , & par le goût
délicat qui préſide à l'enſemble de ſa
muſique. L'inimitable Stabat du célebre
Pergoleze a été exécuté pluſieurs fois , &
toujours avecun nouveau fuccès.
M. Bezozzi , qui a un jeu fini& parfait,
a exécuté pluſieurs concertos fur le
hautbois ;M. Duport le jeune ajoué des
fonates fur le violoncelle qu'il maîtriſe
àfon gré ; M. Caperon , premier violon
de l'orchestre , M. Moria , M. Paiſible ,
M. le Duc le jeune , ont tour-à- tour
étonné , enchanté par une exécution auffi
brillante que hardie ſur le violon. M.
Aldaye fils , âgé d'environ dix ans ,
joué fur la mandoline avec autant de rapidité
que de préciſion. M. Darcy , du
a
1
AVRIL. 1771 . 184
même âge , a été ſon digne émule fur le
forte-piano & fur l'orgue. M. Balbatre &
M. Sejan ; habiles Organiſtes , ont exécuté
pluſieurs ſavans concertos.
6 Meffieurs Gelin , le Gros , Richer
Muguet , Levaſſeur ,Platel & Feray , ont
chanté avec applaudiſſement les récits
dans ces concerts , ainſi que Mesdames
Philidor , Duplant , Charpentier , la
Madeleine , Devantois , Chateauvieux
&Girardin. Il fuffit d'indiquer les mor--
ceaux de muſique&de rappeler les noms
des virtuoſes & des muſiciens pour rappeller
au Public le plaiſir qu'il a eude les
entendre.
OPERA :
LAcadémie Royale de Muſique a fair
l'ouverture de ſon théâtre par les fragmens
compofés de l'acte d'Anacreon
dont la muſique eſt de M. Rameau ; de
celui d'Hilas & Zelis , dont M. de Buri
a fait la mufique ; & de l'acte de la danſe
des talens lyriques de M. Rameau. M.
Durand , Mile Rofalie & M. Thiérot
chantent les principaux rôles dans le pre
184 MERCURE DE FRANCE.
mier acte ; M. Durand & Madame LarrivéejouentHilas
& Zelis. Madame Larrivée
, que la maladie avoit retenu depuis
long-tems , a reparu avec applaudiſſement
dans le rôle de Zelis. Elle n'a rien
perdu de l'éclat , de la légéreté & du
brillant de ſa voix . MlleGuimard par fa
danſe , & M. leGros par ſon chant ,
font le plus grand plaiſir dans l'acte de
ladanſe. Ces fragmens ſont très-bien remis;
les ballets en ſont charmans. On les
amême embellis par de nouveaux airs &
par de nouveaux pas. Les plus rares talensdans
le chant& la danſe concourent
à rendre ce ſpectacle très- agréable.
COMÉDIE FRANÇOISE.
On prépare à ce théâtre la tragédie de
Baïard de M. duBelloy .
}
A
:
>
AVRIL. 1771 . 185
COMPLIMENT d'ouverture de la Comédie
Françoise, prononcéparM. Dalainval,
le9Avril 1771.
LES Beaux - Arts font néceſſaires à
l'homme; ils le conſolentdans ſes chagrins
, ils adouciſſent l'amertume de ſes
péines, ils le délaſſent de ſes fatigues ,
&lui rendent plus précieux le plaiſir
qu'il éprouve en paſſant du travail au repos;
ils font enfin fa reſſource la plus
fure contre cette pénible fituation de
l'ame , qui , en la privant de la faculté
de ſe replier ſur elle-même , lui raviroit
encore le bonheur d'être ſenſible aux
charmes de la nature , ſi ces Arts confacrés
àenpeindre toutes les richeſſes ne
tiroient l'hominede ſa langueur&de ſon
apathie.
L'ArtDramatique néchez les Grecs ,
cultivé par lesRomains , embelli , ofons
le dire , par les François , eſt peut-être ,
detous les Arts , celui qui a le plusde
droits à la reconnoiſſancedes nations policées.
Il fut long-tems dans ſon enfance
parmi nous , parce que le goût , ce don
fi rare & fi précieux , étoit alors lui- même
à ſon aurore. C'eſt au fiecle qui a
186 MERCURE DE FRANCE.
4
précédé le nôtre , à ce ſiecle en tout com
parable aux beaux jours d'Athènes & de
Rome , à qui nous ſommes redevables
des progrès de cet art charmant dont
vous faites vos délices , objet de nos travaux
, &fur lequel vous nous donnez
chaque jour de nouvelles leçons ; heureux
, Meſſieurs , lorſqu'en en profitant ,
nous parvenons à vous intéreſſer & à
multiplier vos plaiſirs. C'eſt à nous rendre
dignes de vos fuffrages que nous
devons travailler fans ceſſe. Il n'eſt aucun
de mesCamarades qui ne vous doive
ſes ſuccès dans une carriere auſſi vaſte que
dangereuſe : eh ! Qui oſeroit en meſurer
l'immenſité ſans effroi , ſivos bontés ne
nous étoient toujours préſentes. :
Si les grands talens que vous avez vu
naître ,& qui ſe ſont développés ſous
vos yeux méritent aujourd'hui la juſtice
que vous aimez à leur rendre , daignez ,
Meſſieurs , vous rappeler tout ce qu'ils
ont dû à votre indulgence : que ceux qui ,
comme moi, en ont le même beſoin ,
trouvent en vous les mêmes bontés , &
puiſſent eſpérer d'arriver un jour au plus
beau moment de leur vie , celui de mériter
les éloges de la nation la plus éclairée
, la plus polie& la plus faite pour
inſtruire les fiecles à venir.
AVRIL. 1771. 187
COMÉDIE ITALIENNE.
Le compliment pour l'ouverture de ce
ſpectacle a été joué & chanté par Mlles
Zanorini & Bellioni . On doit donner inceſſamment
une pièce en trois actes de
M. Lanjeon.
ARTS.
Coursde Cosmographie.
I.
SECOND Cours de Coſmographie théorique
& pratique , ſelon le ſyſtème Copernicien
, dont les leçons , au nombre
de vingt-quatre , ſont données , à raiſon
de trois par ſemaine , par M. Maclot ,
aſſocié de l'Académie Royale des Sciences
, Belles Lettres & Arts de Rouen ,
& Profeffeur de Cofmographie , en fa
demeure rue Saint André-des- Arcs ,
vis-à- vis la rue Macon . L'ouverture s'en
fera le Mercredi to Avril à onze heures
dumatin.
1
188 MERCURE DE FRANCE.
On commencera par une explication
très - dévéloppée du ſyſtème Copernicien,
touchant les mouvemens céleſtes ;
tant réels qu'apparens , & les variétés
qu'on éprouve à la ſurface de laterre ,
par rapport aux ſaiſons&à ladurée des
jours&des nuits. Les moyens qu'emploie
l'Aſtronomie pour déterminer la figure&
les dimenſionsde la terre, ainſi que les
diſtances de la terre aux planètes & les
dimenſions de ces dernieres , ſeront expliquées
avec le plus de clarté qu'il fera
poſſible. Enſuite de quoi , on mettra ſous
les yeux les uſages les plus intéreſſans du
globe céleste, de la ſphère armillaire , du
globe terreſtre & des cartes géographiques
, tant terreſtres que marines.
MUSIQUE.
I.
Maniere de graduer un violon.
LApoſition des doigts que les maîtres
de violon font obſerver à leurs écoliers
n'eſt ordinairement qu'une routine qui
demande par conféquent un long usage
AVRIL. 1778. 189
&un tems confidérable. >>On metle pre-
>mier doigt à un bon pouce du bout du
>> manche , le ſecond à la même diſtan-
» cedu premier , & le troiſieme tout au-
>>>près du ſecond.>> Voila ce qu'ils appellent
enſeigner par principes. L'écolier
avectoute la docilité poſſible& les meilleures
diſpoſitions , n'ayant pas de règles
certaines, fait à-peu-près ce qu'on lui dit;
maiscet à- peu-près eſt un ton faux auquel
inſenſiblement l'oreille & la main saccoutument
& qu'on nerectifie jamais ou
avecles plus grandes difficultés. La perte
du tems & l'inexactitude des fons font
deux défauts que les commençants ne
peuventéviter en ſuivant la manière ordinaire.
Pour y remedier , voici ce que
l'on propoſe.
L'expérience enſeigne que la moitié
d'une corde quelconque rend un ſon qui
eſt l'octave duton que rendroit la corde
entière , parce que les vibrations de deux
cordes font reciproques à leur longueur ;
donctoute corde peut fe diviferen deux
octaves : or , dans chaque octave il y a fix
tons ou douze demi tons , donc route
corde peut ſe diviſer en vingt- quatre demi-
tons , ou , ce qui eſt la même choſe ,
la vingt- quatrieme partie d'une corde
190 MERCURE DE FRANCE.
formera undemi-ton& deux vingt quatrième
parties formeront un ton plein.
par conféquent ſi vous êtez la vingt-quatrieme
partie d'une corde ( ce qui ſe fait
en appuiant un doigt ſur la corde à l'endroit
deſigné ) le ſon qu'elle rendra ſera
d'undemi-ton plus aigu que celui qu'elle
rendoit étant en ſon entier : pareillement
ſi vous en ôtez deux vingt-quatrième parties
le ſon ſera de deux demi-tons ou
d'un ton plus aigu , &c. &c.
D'après ces principes pour donner aux
élèves une poſition fixe ſur un violon déterminé
, il faut 1º tracer ſur un morceau
de papier à côté les unes des autres , quatre
lignes un peu divergentes qui repréſenteront
les quatre cordes du violon &
leur diſtance relative.
2º. Il faut meſurer exactement la longueur
de chaque corde ( 1 ) depuis le chevalet
juſqu'à l'endroit où elle touche le
manche , &diviſer cette longueur en 24.
3º. Il faut couper les lignes tracées ſur
( 1 ) Le chevalet étant perpendiculaire à la longueur
du violon , & les cordes étant divergentes ,
elles font néceſlairement inégales , c'est - à- dire ,
celles qui occupent les côtés ſont égales entre elles
&celles du milieu ſont de même égales entre
elles.
AVRIL. 1771 . 191
le papier par fix lignes ( 1) perpendiculaires
à chaque corde qui marqueront fix
vingt quatrième de cette corde.
On peut placer ce papier ainſi tracé ſous
les cordes & l'attacher ſous le manche
avec de la cire d'Eſpagne , en obſervant
que le commencement de la première
diviſion doit être à l'endroit où les cordes
touchentle manche du violon .
De cette manière la plus groſſe corde
donnant ordinairement fol naturel , en
mettant le doigt ſur la première diviſion
de cette corde vous aurezfol dieze , fur la
ſeconde la , ſur la troiſièmeſi b mol , fur
la quatrièmefi naturel , ſur la cinquième
ut naturel& fur la ſixième utdieze.
La corde quifuit donnant re lorſqu'elle
eſt entiere , en mettant le doigt ſur ſa
première diviſion , donnera mi b mol , fur
la ſeconde mi naturel , ſur la troiſieme
fa naturel , ſur la quatrieme fa dieze , fur
(1) Nousdiſons fix lignes , parceque les cordes
du violon étant montées par quintes , & toute
quinte étant compoſée de ſept demi tons , les fix
diviſions en formeront fix & la corde ſuivante
donnera le ſondu ſeptieme , excepté la derniere
fur laquelle on formera non-ſeulement la quinte
entiere, mais beaucoup d'autres tons en remontantjuſqu'au
chevalet,
192 MERCURE DE FRANCE.
la cinquiemefol & fur la fixieme ſoldieze
Ainfides autres.
M. prof. de philos. à Beauvais.
II.
Charles Liénard originaire de Meaux
en Brie , organiſte de l'abbaye de S. Faron
, fait , fans en avoir reçu les principes
de perſonne , des clavecins à grand
ravalement de cinq octaves , dont il en
aun chez lui de mi en bas bien ſonore ,
&faen haut; ils ſont admirés des connoiffeurs
, notamment du célebre Bibaut
organiſte de l'égliſe de ladite ville ; il
donne une grande aiſance à ſes claviers ;
il a ledonde les animer de la plus belle
harmonie.
III.
2º Recueil d'airs choiſis dans les plus
beaux opéras- comiques , avec un accompagnement
de flûte , ou violon , ou pardeſſusde
viole , par M. Bordet. Prix 61.
enblanc , ſe vend àParis chez ledit ſieur
Bordet auteur & marchandde muſique
dont il tient magaſin généralement afforti
rue Saint Honoré vis à vis le PalaisAVRIL.
1771 . 193
lais-Royal , à la muſique moderne & aux
adreſſes ordinaires. A Rouen & à Lyon
chez les marchands de muſique.
I V.
Sei trioper due violini e violoncello ,
dedicatti a S. A. R. Don Carlo principe
di Asturias . Da Luigi Boccherini di Lucca
opera IX ; novamente ſtampata a ſpeſe
di G. B. Venier. Prix 9 liv . A Paris chez
M. Venier éditeur de pluſieurs ouvrages
de muſique , rue S. Thomas-du-Louvre
vis-à-vis le château d'eau & aux adreſſes
ordinaires.
V.
Sei duetti per violino e violoncello
compoſti da F. Schwindl opera VII. Prix
7 liv. 4f. ſe trouveaux mêmes adreſſes .
Tablettes Economiques ou dépoſitaire ſecret
, compofé d'un papier nouveau
auſſi beau, blanc & fin quecelui d'Hollande.
On peut l'employer pour écrire
&deſſiner en tel genre que ce ſoit ,
avec ou ſans plume ni encre ni crayon,
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
en ſe ſervant de telle pointe que l'on
voudra, même d'une épingle : maison
donnera un ſtylet d'un métal particulier
, qui fera adapté au livret ; enforte
qu'une page noircie par la couleur du
ſtylet peut être rétabli dans ſa premiere
blancheur & fouffrir juſqu'd huit , dix
lavages & plus , choſe extraordinaire ,
&recevoir tout autant de fois les caractères
qu'on deſirera y tracer ſans la
moindre altération du papier, Vol .
in 24relié en maroquin , avec le ſtylet
à têtede diamant 6 liv . , en veau 4 liv .
16 fols , & à l'ordinaire , 3 livres.
Ce papier nouveau unique par ſa qualité
, devient indiſpenſable àtous états.
On l'offre au littérateur , à l'ingénieur
civil & militaire , à l'arpenteur , aux maîtres
de mathématique & de géographie ,
à l'architecte , au maître maçon , au peintre
, au deſſinateur , au graveur. Il n'eſt pas
moins utile dans les colléges & les claſſes,
aux écoles de génie , d'artillerie&de fortification
pour dreſſer & lever les plans;
aux négocians , aux voyageurs , aux praticiens
, financiers , intendans , gens d'affaire
, régifleurs , contrôleurs &généralementà
tous ceux qui , par état , font obli.
AVRIL. 1771.
مور
gés de faire uſage à chaque inſtant de la
plume oudu crayon .
On trouvera des livres reliés de ce papier
&dans les grandeurs ordinaires , chez
le Sieur Deſnos , ingénieur géographe &
libraire de S. M. Danoiſe , rue St Jacques ,
auGlobe. Ils feront en maroquin, en veau,
en bazanne & brochés. :
ANECDOTES,
I.
SIR Cl dyM-cd-1 , Baronet , Ecoflois ,
& Député an Parlement par un des
Bourgs de ce Royaume , vint un matin ,
ſelon la coutume , au lever de fir Robert;
il y avoit beaucoup de monde ; il prit le
Miniſtre par fon cordon , & l'attira cavalierement
vers la fenêtre , en lui diſant
qu'il avoit à lui parler. De quois'agit- il ,
lui demanda Şir Robert ? Il s'agit , dit
le membre du Parlement , que je dois
1500 liv. fterl. & que , ſi vous ne me
les donnez pas , j'irai demain au Parlement
, & je voterai ſelon ma confcience.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Il ya toute apparence que cette demande
dont le miniſtre rit beaucoup en public ,
fut accordée en particulier.
こ、
८
II,
Le Lord Oxford , dans le cours de
fes voyages , garda l'incognito dans pluſieurs
endroits ; il ne voulut paroître à
Rome que comme un ſimple particulier.
Malgré ſes précautions , il ne put cacher
long-tems ſa qualité. Le Pape Benoît
XIV. apprit qu'il étoit dans la ville;
Sa Sainteré l'envoya prier ſur le champde
ne pas partir ſans venir voir les curioſités
de fon Palais , l'avertiſſant en même
tems qu'il ne feroir pas fâché d'y voir
pluſieurs raretés qu'on ne montroit pas
communément: Le Lord répondit à cette
invitation ſi polie , & fupplia Sa Sainteté
de l'excuſer , s'il ne lui faisoit pas
une viſite en forme. Le lendemain , il ſe
rendit au Palais , accompagné de deux
amis , qui voyageoient comme lui. Le
Pape les reçut avec tous les honneurs
imaginables , & les conduiſit lui-même
par tout fon Palais , où il leur montra
biendes chofes qu'on ne montre que rarement
aux étrangers , & fur-tout aux
AVRIL. 1771 . 197
Proteftans . Au moment où ils alloient
prendre congé , il les accompagna , &
leur dit d'un air plein d'ouverture & de
bonté : Meffieurs , je fais que vous n'attendezde
moi ni indulgences , ni abfolutions
; mais vous ne pouvez refufer les bén
nédictions d'un bon vieillard. Alors il leva
les mains fur leurs têtes , & leur dit avec
ane ſenſibilité qui partoit du coeur : Dien
vous béniffe , Dieu vous béniſſe , Dieu vous
béniffe.
III.
Il y a une tradition Juive ſur Moyfe
qui mérite d'être rapportée. Ce grand
Prophete , dit- on , entendit un jour une
voix qui deſcendoit du Ciel , & qui lui
ordonnoitde monter ſur le ſommetd'une
montagne. Il obéit , & y eut une converſation
particuliere avec l'Etre Suprême ,
qui lui permit de lui faire quelques
queſtions ſur la maniere dont il gouvernoit
l'univers . Au milieu de cedivin cofloque
, Dieu lui commanda de regarder
dans la plaine. Au pied de la montagne
étoit une ſource d'eau vive , où il vit
un cavalier deſcendu de cheval , ſe défaltérer.
Il ne ſe fut pas plutôt éloigné
qu'un enfant prit ſa place : après avoir
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
bu à ſon tour , il trouva une bourſe d'or,
que le cavalier avoit laiſſe tomber auprès
de la ſource : il la prit , & ſe retira
fur le champ. Immédiatement après vint
un vieillard foible & pefant qui étancha
ſa ſoif , & s'aſſit pour ſe repoſer. Le
guerrier qui avoit perdu ſa bourſe revint
la chercher dans ce lieu , & demanda
au vieillard s'il ne l'avoit point vue ;
celui- ci jura que non , &en prit le Ciel
à témoin ; mais le ſoldat ne la trouvant
pas , l'accuſa de l'avoir volée , &
ſe moquant de ſes proteſtations , entra
en fureur, & le tua. Moyſe effrayé dece
ſpectacle , ſe proſterna ſur la terre. Il alloit
parler , la voix le prévint , &lui
dit ces mots : « diſſipe ta crainte & ta
>> ſurpriſe ; ne demande pas à celui qui
>>gouverne la terre entiere pourquoi il
>>a permis que ce que tu as vu ſoit ar-
>> rivé ; l'enfant eſt la cauſe de la mort du
» vieillard ; mais apprends que ce vieil-
>> lard eſt le meurtrier du pere de cer
>> enfant ».
4
AVRIL. 9 اوو . 1771
Suite des Confeils d'un Pere àfon Fils.
De l'estime de soi- même.
ESTIMER ſes talens au - deſſus de ce
qu'ils font eſt un ſentiment très ordinaire
chez les petits Artiſtes. Il en eſt peu qui
n'ayent goûté ce venin qui empoiſonne
le génie. L'Auteur le plus médiocre en
favoure toujours la doſe la plus forte.
Ennivré de ſes productions , il penſe
qu'aucun genre ne peut lui réſiſter. Pénétré
de ce ſentiment & ignorant ſes forces
, il oſe tout entreprendre . Soutenu
ordinairement par des perſonnes dont les
connoiffances font bornées , il produit
fon ouvrage , on le loue. Il le fait répéter
, on l'admire. On le repréſente , il
tombe. Alors , ceux qui le trouvent mauvais
font déclarés fans goût , ſans délicateſſe
, ſans connoiſſances. Les amis ſoutiennent
hardiment qu'il y a les plus
belles chofes , que c'eſt une cabale que
le mérite ſurmontera . On conſole l'Auteur
par de fades complimens qui agravent
fes défauts , & qui achevent de lui
tourner la tête. Le voilà perdu ſans ref
:
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
fource. Plus il fait mal, & plus il croie
bien faire. Il déſaprouve tout ce qu'il entend
, il mépriſe les conſeils des plus
habiles gens , & ſe perfuade que tous
ceux qui ne le louent pas , ou qui
en louent d'autres ſont ſes ennemis. Il
finit enfin par être ſeul de ſon parti .
Que ce portrait eſt different des Auteurs
qui ont un vrai mérite ! ſe méfiant.
toujours d'eux-même , à peine ofent- ils
mettre au jour leurs productions. Ce
n'eſt ſouvent que par des demandes réitérées
, ou par des ordres reſpectables
qu'ils ſe déterminent à donner leurs ouvrages.
Jaloux de la réputation qu'ils ont
acquife , ils craignent toujours de la perdre
ou de l'altérer. Ceux qui compoſent
ce petit nombre ſont preſque toujours
fédentaires. Occupés ſans ceſſe de leur
talent , ils n'ont pas le loiſir d'aller perdre
leur tems dans l'antichambre d'un
Seigneur. Auffi font- ils mal leur cour
pour mieux faire leurs ouvrages , cequi
leur ſuſcite beaucoupd'ennemis. On devroit
bien leur pardonner ce petit défaut
en faveur de leurs productions , & penſer
qu'il n'eſt pas poſſible d'atteindre à la
perfection quand on eſt trop diſſipé. Que
ce n'est qu'à force de peines , de travaux
AVRIL. 1771. 201
&de réflexions qu'on vient à bout de
perfectionner ſes ouvrages. Que ces fatigues
continuelles en occupant l'efprit
épuiſent le corps , leur cauſent desmaladies
, & même les empêchent ſouvent de
jouir du plaifir de voir leurs meilleurs
amis.
Dufon des voix.
Chaque voix a une qualité de fon
qu'il faut ſavoir diftinguer., Il y en a de
quatre fortes. Le ſon flûté clair , le fon
Aûté brun , le fon mordant clair , le fon
mordant brunn .
Les premiers inſtrumens que l'art a in.
ventésfont ceux qui parleurſtructure,& la
façon de les emboucher , font pour ainfi
dire l'écho de ces différens fons. La Aûre
Allemande pour le fon fûté clair. Le
chalumeau ou fe cors de- chaffe pour le
fon fûté brun. Le baſſon pour le mordant
clair , & le cromorne pour le mordant
brun. Le plus parfait de tous ces
fonseſtſanscontredit,le ſon flûté clair.
Les voix de cette qualité font toujours
douces , moëleuſes & fonores. Le volume
en eſt rond , plein& nourri . Le fon
quoiqu'on le force en eſt pur , net argentin
& ne bleſſe jamais l'oreille. 11
porte plus loin que les autres dans tous
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
)
les lieux vaſtes. Il eſt vrai que ces voix
ont-peu de bas : mais elles s'en dédomagent
par le medium & le haut qui font
admirables . Les voix Aûtées brunes ont
le volume rond & plein : mais le fon
en eſt triſte & un peu voilé. Deſtituées
du timbre clair , elles ſont ſemblables
aux fleurs qui ont perdu leur émail. Ces
voix peuvent avoir quelques fons éclatans
par l'effort de la poitrine : mais ils
ne ſont jamais brillans. Les voix mordantes
claires ſont très belles lorſque le
le volume en eſt gros , ce qui eſt rate ,
attendu que le mordant en maigrit toujours
le fon. Ellesont l'avantage en adouciſſant
d'imiter les voix flûtées & celui
d'avoir beaucoup plus d'étendue , furtout
dans le bas que le mordant favoriſe.
Les voix fortes de cette qualité ont quelque
fois des fons ſi perçans qu'ils ébranlent
de près le timpan de l'oreille. Comme
elles ſont ſujettes à chanter de la gorge
, elles font plus agréables à entendre
de loin , parce que le mordant eſt moins
fenfible à une certaine diſtance. Ces voix
ont beſoin de beaucoup d'art pour rectifier
ce défaut.
Les voix mordantes brunes ont prefque
toujours le volume plus gros que les
autres. Elles ont ordinairement beauAVRIL.
1771 . 203
i
coup de bas & très peu de haut. Elles
ſont quelquefois formidables de près &
ne font nul effet de loin. Le ſon en eſt
triſte & fombre , elles n'ont point d'éclat .
De toutes les voix c'eſt la moins agréable
, & par conféquent la moins eſtimée.
Quoique ces quatre qualités de fons
comprennent toutes les voix des deux
ſexes , l'oreille diſtingue mieux le fon
Aûté dans les hommes que dans les femmes
, de même que les voix mordantes
font moins ſenſibles dans les femmes
que dans les hommes : mais la qualité
n'en exiſte pas moins. La nature eſt ſi
variée , que dans les différens fons , il y
a des voix qui ont du haut &du bas fans
medium , d'autres qui ont du medium
fans bas ni haut. Enfin d'autres , par un
effet plus bizarre réuniſſent pluſieurs qualités
de fons. Ces derniers qu'on peut
appeller voix bâtardes ne font jamais
agréables. L'avantage des voix claires
c'eſt qu'en groſſiſſant leurs fons , elles
peuvent les brunir, au lieu que les voix
brunes n'ont aucun moyen de les éclaircir.
Le mieux eſt toujours de laiſſer agir
la nature , puiſqu'on ne sçauroit l'alterer
ſans diminuer le prix de ſa valeur. Ce
n'est qu'en formant des fons à l'aiſe ,
د
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
fans groflir ni forcer l'organe , qu'on
plaît aux véritables connoiffeurs.
Quoique ce chapitre n'inſtruiſe point
dans l'art de compoſer , je le crois néceflaire
pour choisir les voix dont les
fons conviennent le mieux au caractère
des différens rôles dont chaque ouvrage
eſt ſuſceptible.
AVIS.
I.
Huile d'olive.
M. Maurice , rue Saint-Sauveur à Paris , mai
fon de M. Macquer , médecin , vis-à- vis le vitrier
, eſt chargé de la diſtribution des huiles ex- ,
traites des chairs des olives par M. Sieuve de
Marſeille , &donne avis que ce ne ſera que jufqu'à
la fin du mois de Juin , au plus tard , que les
perſonnes qui voudront avoir de ces huiles à la
prochaine récolte , pourront ſe faire infcrire chez
lui pour la quantité qu'elles deſireront , paflé lequel
tems elles ne pourront plus en recevoir que
de la récolte de l'année ſuivante .
Ceshuiles feront délivrées dans le mois de Janvier
aux perſonnes qui ſe ſont fait infcrire , ce
qui eſt le plutôt où elles peuvent être rendues à
Paris . Ity aura , pour la commodité des perſonnes
infcrites , des barils contenant cent livres nee
AVRI L. 1771 .
205
poids de marc , d'autresde cinquante livres , &
des canavettes de 24grandes bouteilles.
On ne peut fixer exactement le prix de ces huiles
qu'au tems de la fabrication , puiſque c'eſt l'abondance
ou la modicité de la récolte des olives qui
le détermine. En ſtatuant ſur le prix de l'année
dernière , où les olives ont été chères , le baril
de 100 livres net , poids de marc , revient rendu
à Paris , à 1 so liv.; & le baril de so liv. à 78 liv .
&les canavettes de 24grandes bouteilles à 48 liv.
Les perfonnes de Province qui voudront avoir
de ces huiles , donneront ordre à leur correſpondant
à Marseille , de s'adreſſer directement à M.
Sieuve pour ſe faire inſcrire avant la fin du mois
de Juin , afin de ſe les faire délivrer à la fin de Décembre.
Ces huiles ſont purement extraites des chairs
des olives , & ſe conſervent long-tems , n'étant
point mêlangées avec les olives cauſtiques & fétides
qui procèdent des noyaux & de l'ainande , &
qui portent avec elles les principes de ranciſſure
qui altèrent l'huile ordinaire.
Toutes les huiles qui arriveront par la voiedu
Bureau de M. Maurice à Paris , & qui fe diſtribueront
à Marseille , ſeront cachetées & fignées
parM. Sieuve.
I I.
Avis aux Amateurs de deſſins & estampes.
Le ſieurGlomy , connu depuis plus de vingtcinq
ans des amateurs & des artiſtes , par ſon talent
de coller& ajuster les deſſins & eſtampes avec
foin& propreté , ayant appris que pluſieurs de ſes.
imitateurs faifoient courir le bruit qu'il avoit
abandonné ce genre de travail, a cru devoir
206 MERCURE DE FRANCE.
avertir qu'il n'a jamais ceſſé de s'en occuper; ileſt
vrai que depuis quelques années , pour être plus
tranquille , il s'eſt rétiré dans une petite maiſon
près duran part de la Porte St Denis , où il con
tinue de fatisfaire ceux qui veulent bien s'adreſſer
à lui. Il est bon d'avertir les amateurs qu'il eſt
eſſentielde nepas faire faire ce travail indifférem.
ment à toutes fortes de perſonnes, parce qu'il
y a beaucoup d'e deſſins , principalement ceux où
il ya du paſtel , ou qui font lavés au biſtre , qui
veulent erre collés avec une certaine précaution
que l'expérience ſeule peut apprendre , fans quoi
ils riſquent d'être gâtés. Comine le ſieur Glomy
alapratiquedudeſſin , il eft en état de reftaurer
les deffins anciens où il ſe trouve des défectuoſités:
&lorſqu'onveur mettreau bas quelques infcriptions,
il les écrit avec propreté en caractères Ro
mains; il ſe feraun plaifir de marquer beaucoup
de déſintéreſſement dans le prix de ſes façons ,
fur-tout vis- à-vis des artiſtes. Comme l'éloigne.
ment de ſa demeure , pourroit faire quelques
peines à pluſieurs amateurs, ils n'auront qu'à avoir
labontéd'écrire par la petite pofte au fieurGlomy
qui ſe tranſportera chez eux pour y prendre les
deffins & eftampes qu'ils voudront bien lui confier&
les leur fera remettre avec ſoin.
Sa demeure eſt rue Bafle-Villeneuve , Porte St
Denis dans le cul-de-fac St Laurent , la ſeconde
porteàgauche.
III.
Grandmagasin d'esprit de vin &de véritable
eau- de-vie de Coignac , engros &
en détail , rue Platriere , vis-à-vis la
grandepofte ; maiſon ci devant occupée
AVRIL. 1771. 207
:
parM. de St Gilles , cirier ordinaire du
Roi enfa chancellerie , à Paris .
On ne trouvera dans ce magazin que des
eaux- de- vie de Cognac de qualités ſuperieures ; le
public ſera d'autant plus fatisfait du prix & de
leur bonté , qu'elles ſont faites avec ſoin , &
appartiennent à un particulier riche qui les tire
de ſes terres.
On ne vendra point dans ce magazin d'eaude-
vie des pays Etrangers.
On a fait faire , pour l'utilité du public , des
petits barils depuis 10juſqu'à 15 pintes . Ilyaura
• auſſi des bouteilles cachetées , ſur lesquelles fera
marqué le prix. Cette eau-de- vie eſt ſalutaire
pour la ſanté , propre pour les plaies & les médicamens;
eile eſt recherchée pour la diſtillation.
Ontrouvera auffi dans ce magazin de l'eaude-
vie en bouteille de 1760.
Les perſonnes de diſtinction qui voudront s'en
procurer à leur maiſon de campagne ou pour les
provinces , ſont priées d'affranchir leurs lettres ,
&de s'adreſſer à M. Raty. La pinte à l'ordinaire ,
I liv. 4 f. La double nouvelle , 2 liv. La double
de 1760 , à 2 liv. 6 f. L'eſprit de vin ,à 2 liv. 15 f.
I V.
Topique pour les maladies de l'urèthre.
M. Forget , chirurgien à Paris , rue des Tournelles,
près la Baſtille , ayant inventé un nou
veau topique pour les maladies de l'urèthre , qui
eft en même tems antivénérien , l'a ſoumis au
jugement de la Faculté de Médecine ; la Faculté
caconféquence a nommé MM. Dionis & Gars
208 MERCURE DE FRANCE.
nier pour en examiner la compoſition , & voici
l'extrait du rapport qu'en ont fait les trois commiflaires.
« Nous ſouſſignés , &c. nous nous
> ſommes tranfportés chez le Sicur Forget le
>> 14 Février 1769 , où nous avons examiné
* ſcrupuleuſement toutes le drogues qui entrent
>>dans la compoſition de ſes remèdes , & après lui
> en a voir vu faire ſous nos yeux toutes les diffé-
>> rentes manipulations avec la dernière exacti-
>>>tude , nous avons reconnu ce remède curarif ,
>> ſupérieur & différent d'ailleurs de ceux qui ont
>paru juſqu'à ce jour , d'autant plus qu'il n'y
>>entre aucuns cauftiques ni aucunes drogues
inflammatoires. Ce remède eſt doux & benin ;
>> lemaladepeutlui-mêmes'en faire l'application ,
>> fans craindre aucun accident en ſuivant l'avis
>> de l'inventeur ou celui du medecin qui l'indi-
>> que. Nous en avons dreflé notre rapport , que
30 nous avons fait à la Faculté aflemblée le pre-
>> mier Avril dernier , en lui proteſtant qu'elle
20 ne ſe commettra pas en approuvant un remède
>> auſſi néceflaire qu'utile au public , & d'autant
>>>plus avantageux aux médecins qui font dans
>> le cas de l'ordonner , que nous en connoiflons
>> la compofition. Sur notre rapport , la Facultéa
>> approuvé ce remède , & a rendu un décret à ce
>> ſujet : ce que nous certifions. A Paris , ce pre-
25 mier Mai 1769. Signé Dionis , docteur-régent
>>& ancien profefleur de la Faculté de Médecine ;
>> Garnier , docteur , inédecin , premier médecin
>> du Roi en chef, & inſpecteur aux Iſtes du Vents
>&Garnier , docteur-régent & profefleur d'ana
>>>tomie& de l'art des accouchemens. « Et dont
> l'original elt déposé chez M Poulctier , notaire
, qui en a donné acte pour preuve d'aut
senticité. MM baa.es
AVRIL. 1771. 209
Les perſonnes qui voudront lui écrire ſont
priées d'affranchir leurs lettres.
Son adreſſe eſt rue des Tournelles , première
porte cochère à gauche , en entrant par la place
de laBaſtille , entre un notaire& un charcutier.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 18 Février 1771.
POUR Our mettre fin , d'une maniere plus efficace,
aux déſordres que les gens de guerre commettent
dans cette capitale , on preſſe leur départ pour l'armée.
On fit embarquer , le7 de ce mois , cent Janiſlaires
qui ſe rendront au camp , par la Mer
Noire ; il en partira quinze cens , la ſemaine prochaine.
Hallil Pacha, ci -devant Grand Viſir , eſt actuellement
à Philippopoli , où il attend les ordres de
laPorte , pour aller réſider à Belgrade ou à Banialuch
, en qualité de pacha.
De Warsovie , le 18 Mars 1771 .
Les Confédérés deviennent plus entreprenans
dejour enjour ; ils ont eu des deſſeins juſques ſur
cetteville; un nommé Zakrewski, perfuadé qu'en
ſe rendant maître de la capitale , on porteroit le
dernier coup au parti contraire , avoit entrepris
deformer une confédération qui devroit s'occuper
uniquement des moyens de ſurprendre Warſovie.
Soixante- dix nobles Polonois avoient ſigné
•l'acte, & le nouveau parti avoit des intelligences
dans la ville; mais ces projets ont été découverts
& arrêtésdans leur naiſſance.
210 MERCURE DE FRANCE.
De Vienne , le 30 Mars 1771 .
Des lettres de Hongrie avoient annoncé . ilya
quelque tems , que la peſte s'étoit manifeſtée à
Raad, Szenyer & Szboina , villages fitués dans le
Comtéde Zompline; mais ces avis ont été contredits
par le rapport que différens médecins ont fait
d'après les recherches les plus rigoureuſes.
Suivant les nouvelles les plus récentes , ce fléau
s'eſt manifeſté dans les villages de Kakaſd & de
Marus Valarhelly , mais on a pris fur le champ les
meſures les plus efficaces pour en arrêter les progrès
, & principalement pour garantirde la contagionles
frontieres deHongrie.
L'arméede Hongrie ſera , dit - on , aux ordres
du duc de Saxe-Teſchen , qui aura ſous lui legénéral
Laudon.
De Berlin , le 29 Mars 1771.
L'accident arrivé au prince Ferdinand n'aura;
ſelon les apparences , aucune ſuite , & l'on eſpère
que SonAlteſſeRoyale ne tardera pas à être entierement
rétablie .
On parle de quelqu'avantage remporté par les
Turcs , du côté de l'Ukraine , fur les Rufles , mais
on n'a point encore de détailsde cette nouvelle ,
qui , cependant, eſt confirmée par pluſieurs lettres
authentiques.
De Londres , le 2 Avril 1771.
-Le Lord- Maire & le Sieur Oliver ont refuſé
d'accepter les offres que leur a faites la bourgeoiſiede
Londres , de fournir à la dépente de leur table.
Le miniftere , de fon côté , a tenté lecrétement
de les engager , par l'eſpérance de leur élargiſſeAVRIL.
1771. 211
ment, àconvenir qu'ils ſe ſonttrompés dans leur
opinion , relativement à l'affaire qui cauſe leur
detention; mais ils ont rejetté hautement toutes
les propoſitions qu'on leur a faites , & ont déclaré
qu'ils ne le départiroient jamais de leurs principes;
qu'ils réclameroient l'acte d'habeas corpus , pour
obtenir leur liberté& un jugement; qu'enfuite ils
intenteroient procès à l'orateur de la chambre des
communes , pour les avoir fait illégalementconduireenprifon.
Il s'eſt tenu aujourd'hui , à Saint - James, un
grand conſeil auquel tous les membres ont été
Lommésd'aſſiſter. L'objet de ce conſeil eſt , dit-on,
d'aviſer au parti que l'on doit prendre relativement
aux démêlés ſurvenus entre le parlement&
les magiſtrats de Londres; pluſieurs perſonnes
voudroient que l'on usât de rigueur envers les
derniers; mais le Roi inſiſte , dit-on , pour le parti
de ladouceur ,&ſouhaite qu'on prenne un milieu
qui , en foutenant la dignité du parlement , ter
mine cette affaire ſans éclat.
De Versailles , le 3 Avril 1771 .
Sa Majeſté a accordé les entrées de ſa chambre
au comte de Béarn , au chevalier de Talleyrand&
*au comted'Heſſenſtein.
Du 10 Avril.
1
Le Roi a chargé de la feuille des bénéfices
l'archevêque duc de Reims , grand-aumônier de
France , qui a fait , à cette occafion , le 9 de ce
mois, ſes remercîmens à Sa Majesté.
SaMajesté vient de nommer le Sr de Boynes ,
conſeiller d'état , à la charge de fecrétaire d'état
audépartementde la marine.
La Princeſſe Chriſtine de Saxe , qui étoit ici de
212 MERCURE DE FRANCE.
puis quelque tems , ſous le nom de comteflede
Henneberg , a pris congé du Roi &de la Famille
Royale , les de ce mois. Cette Princefle s'en retourne
à Remiremont.
PRESENTATIONS .
A Versailles du 27 Mars 1771,
La vicomteſſe de Jumilhac a eu l'honneur
d'être préſentée le 27 Mars , au Roi ainh qu'a
la Famille Royale par la comreſle de Jumilhac.
Le marquis Delpinay-St- Luc , capitaine ré
formé du régiment de Penthievre cavalerie , a
eu l'honneur d'étre préſenté au Roi le 25 Mars ,
en qualité de mestre de camp deDragons.
Le marquis de Bombelles , fils du feu comte
deBombelles , lieutenant- général des armées du
Roi , a eu l'honneur d'être préſenté au Roi .
Le 3 Avril , le comte de Virieu , ſous lieurenant
au régiment de Monſeigneur le Comte
de Provence , a eu l'honneur d'être préſenté au
Roi.
Le comte de Nozieres , maréchal des camps &
armées du Roi , vient d'être nommé gouver.
neur général de laGuadeloupe: il a eu l'honneur
de faire , à cette occaſion, ſes remercîmens à Sa
Majesté , à qui il a été préſenté par l'abbé Terray ,
contrôleur-général des finances.
M. de Muntarcher , intendant de StDomingue,
a pris congé du Roi & de la Famille Royale , à
qui il a eu l'honneur d'être préſenté.
MARIAGES.
De Versailles , le 10 Avril 1771.
Sa Majesté , ainſi que la Famille Royale , ſigna
le 6d'Avril , le contrat de mariage du Duc de
AVRIL. 1771.. 213
Luxembourg , brigadier des armées du Roi , colonel
du régiment de Hainaut , avec Demoiſelle
dePaulmy.
NAISSANCE.
De Versailles , le 10 Avril. 1771 .
La Duchefle de Durfort eſt accouchée d'un garçon,
cesjours derniers.
MORTS.
Jeanne-Marie-Joſephe Guyon , veuve d'Anne:
Gabriel marquis de Cugnac de Dampierre , eſt
morte à Paris le 17 Mars dans la 68 année de
deſonâge.
Magdeleine-Angelique Poiſſon , veuve de Dom
Gabiel de Gomez , gentilhomme Eſpagnol , eſt
morte à St Germain-en- Laye , âgée de 85 ans.
Elle est connue par différens ouvrages , entr'autres,
les journées amuſantes , les cent nouvelles-
*nouvelles , &c.
La cour a pris les deuil le dimanche 7 Avril
pour fix jours , à l'occaſion de la mort du prince
Frederic-Guillaume , Margrave de Brandebourg-
Schwedt.
Du 5 Avril 1771 .
-Antoine-Joſephe-Amat de Volx , évêque de
Senez & abbé commendatairede l'abbaye de Bofcandon
, diocèſe d'Embrun , eſt mort dans ſon
diocèle , âgé d'environ 57 ans.
Catherine-Jacqueline Guyard de Bauay , veuve
de Jean-Marie Damblard , chevalier , ſeigneur
de Laſmartres , lieutenant - commandant de la
Vénerie du Roi , eſt morte à Verſailles le 2 d'Avril
, âgéed'environ 68 ans .
214 MERCURE DE FRANCE.
Marie-Antoinette d'Estaing , veuve de Philippe-
Emmanuel de Cruſſol d'Uzès , marquis de St
Suplice , eſt morte à Paris le 3 Avril dans la
77° année de ſon âge.
Jean-Henri de Preiſlac de Mareſtang , marquis
d'Eſclignac & de Fimarcon , eſt mort en ſon
château de Castillon en Guienne , le 20 du mois
de Mars , âgé de 85 ans.
1
La marquiſe de Durfort eſt morte à Toulouſe
le 25 Mars dans un âge fort avancé.
Pierre de Teſtard , chevalier , comte de la
Guette , maréchal des camps & armées du Roi ,
ancien directeur du Corps-Royal d'Artillerie , eſt
mort le 21 du mois de Mai à ſa terre de Montblain
, âgé de 85 ans .
LOTERIES.
Le cent vingt-troiſième tirage de la Loterie de
l'hôtel-de -ville s'eſt fait , le 25 du mois de Mars ,
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 19483. Celui devingt
mille livres au No. 15663 , & les deux de dix mille
aux numéros 10520& 15083.
Letiragede la loterie de l'école royale militaire
s'est fait les d'Avril. Les numéros ſortis de la
rouedefortune font , 75 , 30 , 62 , 6, 10. Leprochaintirage
ſe fera les deMai.
AVRIL. 1771.215
TABLE.
PIEICECEESS FUGITIVES en vers&enprofe, page
S
La Jaſonade , ibid.
L'Abeille& le Frêlon , conte, II
Marton & Susanne , 12
La Mort de Virginie , 44
Epigrammes , 52
Dialogue entre Eſope & Platon , 53
Paraphraſe du pſeaume DomineDeus nofter , 64
Fable traduite de l'anglois par M. Sim , 68
Explication des Enigmes & Logogrypkes , 69
ENIGMES , 70
LOGOGRYPHES , 74
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
77
Continuation de l'hiſtoire générale des Voyages
, tom . 19 , ibid.
Suite du diſcours du traité d'hydrodynamique
,
93
Le nouveau Don Quichotte imité de l'alle
mand ,
Coutumes & ulagesdes anciens peuples ,
Les Militaires au-delà duGange ,
Les Bêtes les mieux connues ,
Maiſon de ſanté ,
Expériences de la Société phyſico-économi- i
que des abeilles ,
113
IZO
127
130
136
139
216 MERCURE DE FRANCE.
:
Chanſon ſur le mariage attribuée au poëte
Arabe Satim munGabner , 148
ACADÉMIES , 155
SPECTACLES , Concert ſpirituel , 181
Opéra , 183
Comédie françoiſe , 184
Comédie italienne , 187
Arts ,
ibid.
Muſique , 188
Anecdotes , 195
Suitedes Conſeils d'un père à ſon fils,
Avis,
199
204
Nouvelles politiques, 209
Préſentations, 212
Mariages , ibid.
Naiſlances , 213
Morts ,
Loteries
ibid.
214
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
Mercuredu ſecond volume du mois d'Avril 1771 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreſſion.
AParis , le Is Avril 1771.J
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères