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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
NOVEMBRE. 1770 .
Mobilitate viget . VIRG
FOUE
DU
RY
NEWS
PALAIS
ROYAL
A PARIS
Chez LACOMBE , Libraire
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
QUATAL
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
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; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
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Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in- 8 °. rel. 71.
Recréations économiques , vol . in- 8 . br . 2 1. 10 f.
Nouvelles recréations phyfiques & mathématiques
, 4 vol . in-8°.
24l..
48 1.
Le Dictionnaire de Jurifprudence canonique ,
in- 4°. 4 vol. rel .
Dict . Italien d'Antonini, 2 vol . in- 4 ° . rel . 30l.:
Meditations fur les Tombeaux , 8 br. 11. 10 f.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in- 8° .
broch. 11. 46
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE . 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ELÉGIE fur un cimetière de campagne ,
imitée de l'anglois de M. Cray.
DiÉJA l'aftre du jour terminant fa carrière ,
Dérobe à mes regards l'éclat de fa lumière ;
Le berger vigilant ramène les troupeaux ,
Pour goûter les douceurs d'un paifible repos ;
Le laboureur actif a quitté la campagne ,
Et vient avec effort rejoindre fa compagne .
Un filence profond règne fur l'Univers.
A iij
હૈં MERCURE DE FRANCE .
Des infectes aîlés , dans le vague des airs ,
Par leur bourdonnement & leur triſte murmure ,
Semblent jeter l'effroi dans toute la nature.
Mais ! d'où partent ces fons & ces gémiflemens ?
La crainte , la frayeur s'emparent de mes lens...
Sur d'anciens monumens que couvre le lierre ,
La chouette a fixé ſon ſéjour ordinaire ;
J'ai troublé fon repos en venant dans ces lieux ,
Et fes lugubres cris font portés jufqu'aux cieux.
Sous ces arbres touffus , fous ces ormeaux fauvages
,
Dont les fronts orgueilleux affrontent les orages ,
Sous ces triftes cyprès , on voit les vieux tombeaux
De nos anciens bergers , l'honneur de ces hameaux
;
La moufle que le tems à reduit en pouffière ,
Les dérobe à nos yeux ,
a
à la nature entière :
Infenfibles aux fons d'un champêtre inſtrument ,
Ils ne fortiront point de leur lit effrayant ;
Les parfums que Zéphire aura reçu de Flore
Ne feront point pour eux apportés dès l'aurore.
Combien de fois , hélas ! pour prix de leurs
travaux
་
Les préfens de Cérès font tombés fous leur faulx ,
Et d'un courfier fougueux modérant le courage ,
Ils menoient en triomphe un groffier attelage.
L'ornement des forêts , ce chêne audacieux
NOVEMBRE . 1770. 7
Qui , fier de fes rameaux , fembloit toucher aux
cieux ,
A gémi fous les coups de leur hache pefante ;
La terre envain pour eux devient plus indulgente
,
Et forcée à céder , ingrate jufqu'alors ,
Elle leur ouvre envain fon fein & fes tréfors.
Mais du fatal deftin l'arrêt irrévocable
Nous marque également le tems inévitable :
Les rangs font confondus , le fceptre , le rateau ;
Le chemin de la gloire aboutit au tombeau.
Altière ambition , fimulacre frivole ,
Ils déteftent ton culte & briſent ton idole ;
Et , foulant à leurs pieds tes biens & ta faveur ,
Dans des coupes de frêne ils goûtent le bonheur :
Et , ne defirant point le fafte & l'opulence ,
Ils n'ont d'autre tréfor que leur feuie innocence ;
Guidés par la raifon , ils fuivent fon flambeau ;
Le plus jufte d'entr'eux eft le roi du hameau.
Des éloges pompeux prononcés dans nos temples
,
De leur rare vertu n'offriront point d'exemples ,
Et n'ayant point acquis l'éclat d'un nom fameux ,
Ils feront oubliés ainfi que leurs aïeux.
Inutiles honneurs , pompe vaine & frivole ,
Rien ne rappellera ce fouffle qui s'envole ;
Envain pour eux l'encens fume fur nos autels ,
La mort eft infenfible aux regrets des mortels.
A iv
MERCURE DE FRANCE .
Celui qui dort ici , dans une paix profonde ,
Peut-être étoit-il fait pour commander au monde
,
Et d'un rayon céleste étoit - il animé ,
Qui , n'ayant point d'efforeft refté renfermé :
Des dépouilles du tems la fcience enrichie ,
N'a point ouvert fon livre , éclairé fon génie ;
Et la pâle indigence a glacé dans fon coeur
Tous les germes heureux d'un efprit créateur :
Ainfi , dans les déferts où rampent les reptiles ,
La fleur répand au loin fes parfums inutiles .
Là repofe un héros qui , défenfeur des lois ,
Contre la tyrannie cût élevé la voix :
Ici c'eſt un Milton , ignoré dans l'hiſtoire ,
Qui vécut fans écrire & qui mourut fans gloire ;
Là peut-être un Cromwel ; dans d'indignes liens ,
Il n'a point fait mourir de juftes citoyens .
Si leur vertu groffière eft reftée enchaînée ,
Leur ame ne fut point au crime abandonnée :
Aux pleurs des malheureux ne fermant point leur
coeur ,
On voyoit fur leur front les traits de la candeur ;
On ne les a point vus fur les degrés du thrône
Aleut Roi légitime enlever la couronne.
J'apperçois au milieu de ces vieux monumens ,
Un tombeau garanti des outrages du tems ,
Et l'on voit que , parmi la mouffe & le lierre ,
Quelques vers font gravés à peine fur la pierre.
NOVEMBRE. 1770 . 9
* Comment abandonner les enceintes du jour ,
Quand tout finit pour nous fans eſpoir de re-
» tour ;
"Et pour être à jamais victime du filence ,
Qui quittât fans regrets fa flatteufe exiftence ?
»Cette ame qui s'envole emporte des foupirs ,
»Et forme pour la vie encor de vains defirs :
Nos yeux , en fe fermant , follicitent des larmes
;
» La nature combat contre les propres armes ,
»Et du fond des tombeaux jette des cris affreux :
»De nos cendres on voit éclorre encor des feux. »
Un jour, fi quelque ami de cet endroit champêtre,
J
Les louant dans mes vers , defire me connoître ,
Si fon coeur eft fenfible aux cris de la pitié ,
S'il connoît tout le prix de la douce amitié ;
Peut-être qu'un berger , fous le poids des années ,
Dont les peines bientôt vont être terminées ,
Lui dira : je l'ai vu , dès la pointe du jour ,
Qui , du foleil trop lent , attendoit le retour.
Je l'ai vu dans ces champs , au lever de l'aurore ,
Fouler aux pieds les fleurs qui s'empreffoient d'éclorre
;
Là , fous ce chêne antique , au bas de ces côteaux ,
Affis , il écoutoit le murmure des eaux.
Il fuivoit , attentif, l'onde pure & tranquille ,
Dans fon cours arrofant une plaine fertile :
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Tantôt dans la forêt , d'un air trifte & rêveur ,
Il promenoit fes pas , déplorant fon malheur ;
Et proférant des mots qu'on entendoit à peine ,
De fa fombre trifteffe image trop certaine ,
Ilfe plaignoit au Ciel de la rigueur du fort ,
Il déteftoit la vie & demandoit la mort :
S'enfonçant dans le bois , il fuyoit la lumière ,
Voulant le dérober à la nature entière.
Deftin , s'écrioit - il , dans ces momens affreux ,
»Avec les élémens confonds un malheureux ;
»Le fommeil n'eft pour moi qu'un changement
» de peines ;
» Et la plus fombre nuit ne peut rompre mes
>> chaînes ;
Mais bien-tôt oubliant fon ancienne vertu ,
Dans un morne filence il gémit abattu .
Un jour , hélas ! Faut-il s'en fouvenir encore ?
On ne l'apperçut point , au lever de l'aurore ,
Et le foleil envain parut fur l'horifon ,
On ne l'entendit plus fur le tendre gaſon ,
Couché négligemment , à l'ombre de ce hêtre ,
Eflayer quelques airs fur un hautbois champêtre.
Un funèbre appareil & de lugubres chants
Me dirent : il n'eft plus ; & bien - tôt à pas lents
Je l'ai vu transporter dans fa fombre demeure ,
Son fils défefpéré le regrette , le pleure ;
Flein de reconnoiffance il faifit le cifeau ,
Et lui- même il grava ces vers fur fon tombeau.
NOVEMBRE . 1770. II
"Reçois- le dans ton fein , ô terre bienfaiſante ,
»Il ne brigua jamais les biens & les honneurs ;
» Des grands toujours dédaignant les faveurs ,
"Aux pauvres il tendoit une main indulgente ;
»Il aimoit à verfer des larmes avec eux .
>> Paffant , fi la fagefle éclaira fon enfance ,
» Dans le cours de ſa vie il reſta vertueux ,
»Réuni par ſon fils au ſein de ſes aïeux ,
IL REPOSE DANS L'ESPÉRANCE .
Par M. Couret de Villeneuve , d'Orléans .
0
EPITRE à mes Parens .
MES tendres parens ! ô mes meilleurs amis
Mon bon père ! ma bonne mère !
Lifez ces vers ; ils font de votre fils ,
L'amour les a dictés ; ils ont droit de vous plaire .
Ce font les premiers fruits de ma mufe timide
Qu'elle ofe expofer au grand jour :
Cenfeur , je ne crains rien de ton efprit rigide ,
Si ton coeur a connu l'amour.
Et qu'importe après tout à ma vive tendreffe ,
Que le poëte en moi foit en bute aux mépris ?
Ah ! je veux être un tendre fils ,
Et non un favori des nymphes du Permefle .
Amitié , ſentiment divin ,
Inftinct délicieux qu'on appelle nature !
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Je me fens embrafé de cette flamme pure
Que vous allumez dans mon fein.
C'en eft affez pour mon deffein.
Le feu de mon amour , fans art & fans ſcience ;
Doit communiquer fa chaleur ,
Et les règles de l'éloquence
Ne fe puifent que dans le coeur.
Oh que j'aime à me croire encore ,
Sous les yeux attendris des auteurs de mes jours ,
Quand , des jeux de l'enfance interrompant le
cours ,
La raifon m'éclaira de fa naiffante aurore.
Quand je goûtai pour la première fois
La douceur de fentir tout ce que je vous dois ,
O vous qui m'avez donné l'être ,
Et de qui j'aurois voulu naître ,
Quand fur le globe entier j'aurois pu faire un
choix
Des plus tendres parens que j'aurois pu connoître.
Je dis bien plus , mon père , & c'eft la vérité ,
Quand la trompeufe Antiquité
De les dieux impuiffans épouvantoit la terre ,
Et qu'un foible mortel au maître du tonnerre
Pouvoit devoir le jour & la divinité ;
Tu l'aurois emporté fur Jupiter lui même ,
Si j'avois pu du fort déterminer la loi.
Ah ! de quelque façon qu'il aime ,.
Un Dieu n'aime pas mieux que toi .
Et toi , ma mère , & toi dont l'ame fimple & pure ;
NOVEMBRE. 1770. 13
A l'inſtant où je vis le jour
Du premier fruit de ton amour ,
Rendit graces à la nature ;
Toi , dont je fis couler ces pleurs délicieux ,
Qu'au milieu des douleurs le plaifir fait répandre
Quand le fein d'une mère tendre
Pour la première fois offre un fils à fes yeux ;
Toi... Mais quel fouvenir horrible
Vient glacer tout - à - coup les tranfports de mon
coeur ?
O ma mère ! eft-il vrai qu'à ton ame fenfible
J'ai fait éprouver la douleur ?
Eft-il vrai que pour moi tu connus les alarmes ,
Que ton coeur s'effraya de mes vices naiffans ,
Et que fouvent , hélas ! la fource de tes larmes
S'épuifa vainement fur le feu de mes fens.
Qui ? Moi !. je pus un jour.. ô paffions brutales ,
O de mes fens trompés illufions fatales ,
Vous qui , loin du fentier où j'étois retenu ,
M'avez leuré long- tems de vos promefles vaines ,
Ceflez vos chants trompeurs , féduifantes lyrènes
,
J'entends la voix de la vertu
Dont les accens brifent mes chaînes ;
J'échappe au piége affreux que vous m'aviez
tendu ,
Et déformais à ma mère rendu ,
Par d'éternels plaifir j'effacerai fes peines.
14 MERCURE DE FRANCE.
Viens , maman , viens me voir , viens goûter mon
bonheur ;
Ne crains plus de mes fens l'impétueufe ivreſſe ;
Al'inflexible joug de l'auftère fagefle
Pour jamais j'ai foumis mon coeur.
De tes fages confeils trop long-tems fuperflus ,
A peine en mevoyant tu concevras l'ouvrage ,
Et , ne mereconnoiffant plus ,
Tu m'en aimeras davantage.
Ah ! fi tu favois tout , fi ton ſenſible coeur ,
Pendant une trop longue abſence ,
Avoit de mes deftins partagé la rigueur
En déplorant mon imprudence ;
Si tu m'avois pu voir , au défeſpoir livré ,
De mes jours malheureux prêt à couper la trame ,
Eteignant , rallumant une coupable flamme
Dont mon coeur étoit dévoré...
Barbare Théléma ! je benirois ta rage ,
Si j'euffe été moi feul en butte àfon tranfport ,
Puifqu'elle fouleva l'orage
Qui m'a fait entrer dans le port ;
Mais pourquoi tes mains criminelles ? ..
Hélas ! qu'allois-je dire , & quel égarement ,
Quand mes mains ont éteint ce grand embrafement
,
Me porte à rechercher de foibles étincelles
Queje vois à travers leurs cendres infidèles
M'épouvanter encor de leur éclat mourant.
NOVEMBRE. 1770 .
Chers auteurs de mes jours , louffrez qu'un voile
fombre ,
De ce fatal fecret vous cachant les horreurs ,
L'enveloppe à jamais de la nuit de fon ombre.
Ce fouvenir cruel , réveillant mes douleurs ,
Exciteroit en vous des fentimens femblables ,
Et le recit de mes malheurs
Nous rendroit encor miſérables.
Ah ! foyons tous heureux , puifqu'enfin je fuis
fage ;
Et lorfque du foleil le difque radieux
A diffipé l'affreux nuage
Qui le déroboit à nos yeux ,
N'allons pas de nouveau nous obfcurcir les cieux
Par le fouvenir de l'orage.
Comme tout eft tranquille au- dedans de mon
coeur !
Comme je fuis content ! fur-tout lorsque je penfe
Que mon contentement fera votre bonheur !
Chers parens ! chers amis ! . Ah ! faut - il que l'abfence
Eloigne ces objets de mes tranfports ardens ?
Mais l'ame fait franchir & les lieux & les tems ,
Pour elle il n'eft point de diftance ,
Son pouvoir en un point confond tous les inftans
;
Jejouis de votre préfence ,
Je vous vois , je vous parle au gré de mon defir ;
16 MERCURE DE FRANCE .
Mais non . Je m'abufois , toujours je vous regrette
,
Et mon illufion n'eft pas encor complette
Puifqueje ne meurs pas d'un excès de plaifir.
Pal M. A. Jullien
L'EN LEVEMENT.
Anecdote.
DANS un petit port de mer en Normandie
, Eléonore étoit de retour du
couvent , à quinze ans , chez fon père &
fa mère , qui vivoient d'un emploi , &
qui voyoient le monde. Si le titre de fille
unique ne lui étoit pas fort avantageux ,
la nature lui foumettoit la fortune. Le
front d'Hébé , les yeux de l'Amour , le
teint de Flore ; voilà Eléonore à peu près.
Elle excelloit dans la mufique & dans la
danfe ; & le quinton , entre fes belles
mains , étoit le roi des inftrumens . Sa
cour devint auffi brillante qu'elle pouvoit
l'être fur une côte maritime . Elle
enchaînoit auffi les étrangers : au bout de
deux jours qu'ils l'avoient vue , ils oublioient
fi bien leurs affaires , qu'ils fembloient
n'être venus que pour l'aimer.
NOVEMBRE. 1770 . 17
Cependant les femmes la difoient ftupi-
& toutes ne la vifitoient que par l'affurance
de trouver chez elle leurs plus
fidèles cavaliers.
de ;
Ceux qu'on croyoit le plus en faveur
auprès d'Eléonore , étoient le fils du commandant
, jeune homme aimable & généreux
; le fils d'un vicomte, garçon parlant
peu & mal, & un officier des claffes , qu'on
n'a jamais trop bien défini : tous trois
de figure paffable. Ils avoient pour ami
commun en apparence Orgon , jeune
homme laid , mais affez bien tourné ,
qui avoit tenu un enfant avec Eléonore
avant qu'elle allât au couvent , & qui ,
malgré cela , n'en étoit pas mieux auprès
d'elle . On n'en voyoit pourtant pas de plus
propre que lui à devenir fon époux , étant
riche & d'une famille fans tache & fans
luftre ; car le cominandant n'auroit pas
donné fon fils ; le vicomte étoit fier , &
l'on ne connoiffoit à l'officier des claffes
que très - peu de bien , encore moins d'économie
, & un grand appétit. Orgon affectoit
par orgueil de rendre indifférence
pour indifférence à Eléonore. Il croyoit
le prouver parfaitement par fa liaiſon
avec fes rivaux ; & fous ce déguifement
il alloit comme eux chez elle , d'où, pen18
MERCURE DE FRANCE .
dare un an , les ris & les jeux ne s'abfentèrent
pas d'un jour. Les chagrins n'étoient
que pour les amans , qu'une préfé
rence partagée ne pouvoit rendre heureux .
L'officier des claffes fut une fois ſi piqué
de ne point régner , qu'il alla s'enfoncer
dans une forêt voifine pour y injurier en
liberté la fortune , qu'il croyoit être la
feule caufe de fon défavantage. Impi
toyable déeffe , lui crioit il , que n'as - tu ,
par tes dons , effacé mes défauts comme
à tant d'autres . J'affurerois le bonheur
d'Eléonore. Cruelle fortune ! la juftice
eft- elle un crime à tes yeux ? Va , je méprife
à préfent ta main avare & prodigue ;
on est toujours affez riche pour mourir.
En finiffant ces fages réflexions il fe trouva
au pied d'un vieux chêne , qu'il confulta
long - tems fur fon martyre ; mais
par malheur cet oracle étoit fourd &
muet. Cependant la fortune étoit indignée
; ayant apparemment prié les dieux
de la venger des blafphêmes de cet amant,
il fut changé en poëte fur le champ , &
livré pour fa vie aux tourmens de la rime.
Il ne les fentit pas plutôt qu'il fe
fouilla pour trouver un crayon & du papier
; mais ne trouvant rien , fa rage augmenta
à tel point qu'il tira fon épée , &
NOVEMBRE. 1770. 19
( appuyant le fort de la lame fur fon épau
le ) fe mit à graver les vers fuivans fur
une écorce.
Que de maux n'ai - je pas foufferts !
Adieu , ma chere Eléonore.
Pourquoi vous reverrois - je encore ?
L'amour n'a pour moi qne des fers.
Il n'auroit pas eu affez d'écorce pour
finir ; mais il fut interrompu par un de
fes amis . Celui- ci étoit un autre fou , un
muficien , qui venoit auffi fatiguer les
échos du recit de fes peines pour un autre
objet. Nos amans étoient confidens l'un
de l'autre , & , bien loin de faire les gens
à bonne fortune , ainfi qu'il eft d'ufage
entre amis , c'étoit à qui fe diroit le plus
malheureux des deux. Ils fe difputèrent
jufqu'à leur retour à la ville , où l'amitié
reprit enfin fes droits fur eux . Perfonne
ne leur étant analogue , ils voulurent fouper
feuls enfemble ; mais leur tête- à -tête
dura vingt-quatre heures à table , en s'entretenant
du dégoût de la vie , & ils finirent
par ce couplet fi connu : Bachus , c'e
toi que je chante , & c. Il étoit réſervé à ce
dieu joyeux de remporter ce jour- là une
victoire complette fur l'amour.
Si Eléonore fit une perte on ne s'en ap20
MERCURE DE FRANCE.
perçut pas , & fa cour étoit roujours nom
breufe. Famur ( c'eſt le nom du père d'Eléonore
) & fa femme commençoient
pourtant à defirer qu'il s'offrît un parti ,
& penfoient que les filles les plus fêtées
n'étoient pas les plus faciles à pourvoir.
Il n'y avoit point à compter, comme on
a dit , fur le fils du commandant ni fur le
fils du vicomte , & le refte des adorateurs
de leur fille n'en étoit pas digne . Le jeune
compère Orgon n'avoit donc qu'à parler
: il parla , & fut écouté , même de fa
charmante commère qui , depuis quelque
tems , l'envifageoit d'un meilleur
ail. Il en avoit toujours été éperdument
amoureux , & il étoit enchanté de le voir
débaraffé du poids de fa diffimulation ;
mais , né jaloux , il ne fut pas plutôt aſfuré
de pofféder Eléonore qu'il devint fa
fentinelle. Il faifoit faction la nuit fous
fes fenêtres , craignant que , dans le nombre
de fes rivaux , il ne s'en trouvât qui
vouluffent profiter des derniers momens.
Il femble qu'un démon prenne plaifir
à perfuader les jaloux dans leurs foupçons
. Orgon ne fit pas trois fois fa faction
de nuit autour de la maifon de fa
prétendue qu'il entendit marcher . Il fe
NOVEMBRE . 1770. 21
retire en écoutant. Un peu de gravier
jeté à une fenêtre la fait ouvrir doucement,
& l'on dit tout bas : point de bruit,
je defcends . Orgon , fans crier qui va- là,
tombe fur l'heureux mortel qui attendoit,
& lui délivre vingt coups de canne qui le
font fuir à toutes jambes , ne reconnoiffant
pas là les bras de fa maîtreffe, Le
vainqueur refte à la porte qu'il croyoit
qu'on alloit ouvrir ; mais , comme on
avoit entendu ce petit choc , on ne l'ouvrit
point. Il fe retire, en attendant le jour
avec impatience pour couvrir d'ignominie
la perfide qui le trahiffoit fi - tôt , &
dès le matin il va chez Famur pour rompre
avec lui & tout ce qui a l'honneur de
lui appartenir.
C'étoit beaucoup pour Famur que de
perdre un gendre ; mais la perte de la réputation
de fa fille lui fembloit moins
réparable. Après tout ce que lui eut dit
Orgon , il lui répondit avec douceur : Ne
vous êtes vous point trompé , Monfieur ?
Non , non , répliqua l'autre , adieu ; je l'ai
échapé belle. On peut juger de l'accablement
de ce pauvre père, Il monte à la
chambre de fa fille , qui dormoit encore.
Que mon reveil et heureux , dit - elle en
avançant les plus beaux bras du monde :
je vois mon père en ouvrant les yeux...
22 MERCURE DE FRANCE.
Toi , m'embraffer , traîtreffe ! Il lui reproche
tout ce qu'il vient d'apprendre ; elle
fe défend envain ; il la condamne au couvent
pour le reste de fes jours , & la laiffe
fondre en larmes.
Mais elle n'eut pas pleuré deux heures
qu'Orgon revint pour fe jeter aux genoux
de Famur , & lui demander pardon
de la cruelle erreur où il l'avoit plongé ,
& dans laquelle il avoit été lui- même. Il
venoit de favoir au jufte que l'homme
qu'il avoit battu fous les fenêtres d'Eléonore
, étoit un matelot qui n'en vouloit
qu'à la fervante du logis. La fervante
queftionnée & confondue fut chaffée à
l'heure-même pour éviter de pareils quiproquo.
Quel changement pour Eléonore !
quels remords pour Orgon ! Il ne l'avoit
jamais vue fi vertueufe ni fi belle . Elle ne
lui pardonnoit qu'à demi ; mais elle croyoit
au furplus que cet exemple ne pouvoit
que le corriger , & qu'il ne s'en rapporteroit
plus aux apparences. Pour lui , charmé
d'avoir réparé ſa faute & d'être rentré
en grace , il preffa fi fort l'hymenée qu'il
fut conclu en moins de trois femaines.
Que d'envieux ! Orgon étoit un raviffeur
aux yeux de fes rivaux que , de foncôté,
il regardoit comme des loups ; & cet afyNOVEMBRE
. 1770. 23
le des ris & des jeux n'étoit plus qu'une
folitude de famille.
Peu de tems après , un meilleur emploi
obligea Famur d'aller demeurer à cinq
lieues de là. Orgon fut d'autant moins fâché
du départ de fon beau- père que c'étoit
un excellent prétexte pour arracher
entièrement Eléonore à la fociété . Il la
mena à une maiſon qu'il avoit à un quart
de lieue de la ville . Quelque défagréable
que vous paroiffe cette demeure , lui ditil
d'un ton de mari , vous devez vous y
plaire avec moi . Je ne fuis pas maître de
mes inquiétudes. M'aimez- vous ? ... Oui
je vous aime... Jurez - le moi : ... Je vous
le jure... hé bien , je n'en crois rien . Il
feignoit peut- être d'en douter pour avoir
droit de la gêner , & l'on meubla la prifon.
Deux ans s'écoulèrent fans qu'il s'y
paffât rien de ces querelles qui finiffent
toujours bien entre une jolie femme &
un mari jaloux . Mais un jour qu'il voulur
l'éprouver par une fauffe abfence ,tour
ufé dont on ne devroit plus fe fervir , un
petit maître qui le vit fortir & qui s'imaginoit
être aimé d'Eléonore , puifqu'elle
l'avoit vu paffer quelquefois , voulut profiter
d'une fi belle occafion pour entrer
chez cette adorable captive.
24
MERCURE DE FRANCE.
O Ciel ! s'écria- t elle , à quoi m'expofez
- vous , Monfieur ! Par grace fortez.
Quelle enfance , ma belle Dame , lui répondit
- il un galant homme vous fait
peur ? Je viens gémir avec vous des horreurs
de votre esclavage ; je fais votre état;
pardonnez fi j'ai tant tardé... On frape ...
C'eſt mon mari ! .. Hé bien , Madame,
fi votre mari eft à la porte , je fuis ici , &
chacun eſt à fa place. Toutefois les coups
furent fi redoublés que pour mettre fes
jours en fûreté , le galant homme ſe ſauva
dans un grenier en maudiffant de bon
coeur fon entrepriſe .
Eléonore ouvrit. Il n'eût fallu que fon
embarras & fa pâleur pour l'accufer . La
rage empêchoit le jaloux de parler , &
tandis qu'il décroche un piftolet , fa victime
s'échappe & va fe réfugier chez fa
nourrice.
Ne pouvant plus exercer fa fureur que
fur le galant homme , Orgon vole au grenier
, où il l'avoit entendu monter lorfqu'il
frappoit , & trouve un héros l'épée à
la main & à demi - mort. Il l'ajuſte : le
piftolet rate heureuſement. Cet époux
furieux fe voyant un arme inutile , mouroit
de peur à fon tour , croyant périr par
le fer de fon adverfaire ; mais celui ci
ne
NOVEMBRE . 1770 . 25
ne voulant pas être manqué deux fois ,
partit comme un éclair .
Orgon , défolé de n'être point vengé ,
fe feroir tué lui-même fi la crainte d'obliger
fa femme ne l'eût arrêté , & il voulut
vivre fans favoir pourquoi. L'infortunée
étoit en chemin pour aller demander un
afyle à fon père. Le pauvre Famur la crut
facilement innocente , & fe repentit bien
de l'avoir donnée à un frénétique qui n'en
favoit pas jouir. Orgon de fon côté déteftoit
le jour de fon hymenée , & , voulant
faire divorce ; il alla prendre un logement
dans la ville où réfidoit fon beaupère
, à qui il fit favoir fes intentions.
Perfonne de la famille d'Eléonore ne
s'y oppofa , non plus qu'elle ; & le jour
fut pris de part & d'autre pour paffer
l'acte de féparation. Les premiers adorateurs
d'Eléonore ne l'ayant qu'entrevue
depuis qu'elle fubiffoit un joug fi rigou
reux , furent charmés d'apprendre qu'elle
alloit en être affranchie ; & ceux qu'elle
avoit le plus aimés firent le voyage pour
la revoir à leur aife chez fon père , où ils
furent bien reçus .
Pendant que leur préfence rappeloit à
Eléonore le règne heureux qu'elle avoit
perdu , Orgon penfoit tout feul à ce qu'il
alloit perdre ; & la veille de la fépara-
B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
tion , fon ame éprouvoit les plus terribles
combats. Quoi ! s'écrioit - il , me féparer
d'elle pour toujours ! elle n'a encore que
dix-huit ans. Ce n'eft pas elle que je facrifie
, c'est moi - même. D'ailleurs fi elle
étoit innocente ... Mais que dis - je ? la
perfide m'a trahi & me trahira toujours ;
& ne fais je pas l'accueil qu'elle fait àpréfent
à mes anciens rivaux ? O monftre
adorable ! oui j'y renonce pour ma vie .
Dans cette agitation qui le tourmenta
jufqu'au milieu de la nuit , il ne penſa
point à fe coucher , & fe jetant feulement
dans un fauteuil , il s'affoupit.
Le père & la mère d'Eléonore , voyang
avec plaifir naître le jour qui devoit affurer
fon repos & le leur , voulurent euxmêmes
la réveiller. Mais de quel étonnement
ne font - ils pas failis en entrant
dans fa chambre ? Ils ne l'y trouvent point,
non plus qu'au lit ; la fenêtre eft toute
grande ouverte , & une échelle ne leur
laiffe plus douter que leur fille ne fe foit
fait enlever. La mère s'évanouit ; elle
n'a que la force de fonner pour avoir du
fecours , & le feu aux quatre coins de la
maifon ne l'auroit pas mife plus en défordre.
Famur fait ferment que fa tille
périra de fa main ; fa femme , après avoir
repris fes efprits , difoit amèrement : qui
NOVEMBRE . 1770 . 27
né ,
l'auroit cru capable de cela ? Elle aura fûrement
pris la fuite avec quelqu'un des jeunes
gens que nous avons reçus. Je me fuis
toujours méfié d'elle , crioit auffi Famur :
ce n'eft que mon malheureux gendre que
je plains aujourd'hui . Il n'avoit pas tort.
Elle nous a conté fon aventure à fon avantage
; je veux l'apprendre de lui . Je vais
le trouver pour unir ma colère à la fien-
& nous faurons nous venger... Il
fort. Mais ôprodige , ô merveille ! qu'apperçoit-
il en entrant chez Orgon ? Éléonore
fur fes genoux folâtroit avec lui . Orgon
fe jetant au cou de fon beau- père ,
lui dit avec tranfport : me pardonnerezvous
, Monfieur , tous les mauvais traitemens
que votre fille a reçus de moi ?
L'amour plus fort que mon reffentiment
m'a forcé cette nuit d'efcalader votre maifon
pour la revoir. Son coeur docile à ma
voix ne l'a point fait héfiter pour rentrer
dans des bras que la cruauté avoit armés
contre elle. Cette confiance eft la plus
fenfible marque qu'elle pouvoit me donner
de fa tendreffe ; & puifqu'elle a fi bien
fait fon devoir dans cette occafion , elle
eft incapable d'y avoir jamais manqué.
La jaloufie ne m'aveugle plus. Oui , j'adore
Eléonore ; & fouffrez que fes jours
& les miens ne foient plus filés que par
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
l'amour & la paix. Famur embraffa tendrement
ces époux reconciliés , & ainh
finit l'hiftoire.
Par M. V*** , S. D. M. L. C. D. N.
à Versailles.
LES REVERIES DU BOUIL,
Ode à M.le Comte de la Tour- Dupin ,
maréchal de camp , au fujet des beautés
defon château du Bouil,près Bordeaux ,
enrichi d'une machine hydraulique trèspuiffante
, qu'il vient d'y faire conftruire
par le Sr Gallonde , horloger du Roi,
SEJOUR antique de Sylvie ,
Douce retraite du bonheur ,
Dans ton fein , ma tranquille vie
Coule fans trouble & fans langueur.
Loin des erreurs dont je fus ivre ,
De fages propos , un bon livre
Maintenant comblent mes defirs.
Tout à mes yeux ſemble renaître.
Je traîne ailleurs le poids de l'être
J'en favoure ici les plaifirs.
Ta magnifique architecture
N'éblouit pas les yeux furpris ;
NOVEMBRE. 1779. 29
Mais la probité la plus purc
Habite fous tes vieux lambris .
La tendre amitié , jointe aux graces ,
D'un couple aimable y fuit les traces ,
Et fous tes toits loge avec eux.
Ainfi les antres les plus fombres ,
Sous l'épais voile de leurs ombres ,
Cachent des nymphes & des dieux .
Qu'avec plaifir mon ceil s'égare
Sur tes champs vaftes & féconds !
De les tréfors Cérès les pare ;"
Bacchus y prodigue fes dons.
Des plaines , des côteaux fertiles ,
Des forêts , des châteaux , dés villes
S'offrent à moi de toutes parts ;
Et deux orgueilleuſes rivières ,
Dont les magnifiques barrières
Fixent d'ici tous les regards.
Tantôt leur criſtal immobile ,
Qu'à peine rident les zéphirs ,
Me peint l'état d'un coeur tranquillé ,
Et le filence des defirs :
Mais bientôt leur onde irritée ,
Contre la barque épouvantée ,
M'offre les funeftes tableaux
De ces paffions orageufes ,
Dont les fougues tumultueufes
Troublèrent long- tems mon repos.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Quelquefois la mufe d'Horace
Suit dans tes bois mes pas errans ;
Apollon chante fur ſa trace ,
Mon coeur s'émeut à ſes accens .
Tout me ravit , tout m'intéreffe ;
Et je crois , dans ma douce ivreffe ,
Voir , de l'écorce des fapins ,
Sortir la Dryade légère ,
Qui vient danfer fur la fougère
Avec les amoureux Sylvains.
Quand fur nos campagnes brûlantes
Phébus épuiſe ſes rigueurs ,
Sous cent arcades verdoyantes
Je brave ſes vaines fureurs.
En un inftant leurs doux ombrages
Ont , dans ces lieux long - tems fauvages ,
Raflemblé Flore & les Zéphirs .
Tel jadis , à la voix d'Armide ;
L'affreux fommet d'un mont.aride
Devint l'afyle des plaifirs .
Mais par quel art , jadis captive
Dans la fange de fes rofeaux ,
L'onde aujourd'hui , loin de fa rive
Vient-elle arrofer ces côteaux ?
Cibèle ouvre fon fein avide ,
Et des fables d'un fol aride ,
Long-tems dédaigné par Cérès ,
Mon oeil étonné voit éclorre
NOVEMBRE. 1770. 31
Les dons de Pomone & de Flore ,
Et les richeffes de Palès .
De tes travaux , favant Gallonde ,
Tant de prodiges font le fruit.
O terre , déformais féconde ,
Bénis la main qui t'enrichit !
Newton , Hughens , illuftres ombres ,
Accourez des royaumes fombres !
Que vos fuffrages éclatans
Faffent triompher le génie ,
Et vengent des traits de l'Envie
L'Archimède de notre tems.
Gallonde , aux accens de ma lyre
Rarement Apollon fourit.
Qu'importe que ce Dieu m'inſpire ,
Quand la vérité m'applaudit ?
De la nature, ta fcience
Brave la vaine réſiſtance ;
Sa loi cède à ta volonté ,
Et, ce qui comble ton mérite ,
En la domptant ton art imite
Sa féconde fimplicité.
Que ne peut l'homme ? A fon génic
Tout eft foumis dans l'Univers :
On le vit , d'une aîle hardie ,
S'ouvrir un chemin dans les airs :
Il trace aux aftres leur carrière ,
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
Régit la foudre & la lumière ,
Maîtriſe les flots & les vents ;
Et fon bonheur feroit extrême
S'il favoit fe dompter lui - même
Comme il dompte les élémens .
Ces connoiffances orgueilleufes
Long- tems éblouirent mes yeux .
Dans mes recherches curieufes ,
J'embraffois la terre & les cieux ;
Oui , de tes fecrets , ô nature !
Je pénétrois la nuit obfcure ,
Et moi- même je m'ignorois :
Mais tout tient à l'art de bien vivre.
Mon coeur , tu feras le feul livre
Que j'étudierai déformais .
Et toi , dont l'amitié fidèle
Fera fans ceffe mon bonheur ,
Comte , de qui l'utile zéle
Forme mon efprit & mon coeur ,
Puiflé - je , au fein de l'innocence ,
Dans ces lieux qu'orne ta préfence ,
Fixer un jour mes pas errans !
Heureux château , féjour tranquille ,
Ton maître t'a rendu l'aſyle
Et des vertus & des talens !
NOVEMBRE . 1770. 33
LETTRE D'UN OFFICIER.
M. ayant été témoin oculaire de plufieurs cures
que le Sr Agironi , très - célébré botanifte , connu
par fon anti- vénérien végétal , a faites en faveur
de trois foldats de ma compagnie fans employer le
mercure , & fans intérêt, je vous prie a'inférer
dans votre Journal ces vers que m'a dictés l'amour,
patriotique.
A
D. R. Officier du régiment de C **.
HOMMAGE A LA VÉRITÉ.
ENNEMI NNEMI du mercure ,
Agironi , dont l'oeil curieux
Trouve dans la nature
Des fucs fi précieux .
Malgré notre défiance
Des loix de la faculté ,
Nous croyons à l'eſpérance
Quand tu promets la fanté.
Par ton heureuſe induſtrie ,
Coupant l'afle des deſtins' ;
Ce fonge , appelé la vie ,
Eft un fiècle dans tes mains.
Dai , ton baume aromatique
A des effets merveilleux ;
Mais crains que ton art magique
Ne rende jaloux les dieux.
By
34
MERCURE DE FRANCE.
Si de ta main bienfaisante
Tu conferves les mortels ,
La France reconnoiffante ,
Doit t'élever des autels.
A une Demoiselle , qui avoit renverse
un cadran folaire.
JEUNE FLORE , quelle humeur fombre
Contre l'aftre du jour tourne votre attentat 2
Ne vous fuffit- il pas d'effacer fon éclat ?
Laiffez du moins régner fon ombre.
Craignez que ce flambeau divin
Qui peut embrafer la nature ,
Ne venge fa cruelle injure
Sur la blancheur de votre tein.
Vos voeux accufent- ils la lenteur des journées ?
En attaquant leur cours croyez-vous le changer a
L'Amour, qui les rend fortunées ,
Pourra feul vous les abréger,
Par M. de la Louptiere
A une Dame qui difoit que l'on fe brouille
avec les convives à qui on préſente la
falière.
ENN dépit du grimoire antique ,
A la table des dieux que nepuis-je toujours
NOVEMBRE . 1770. 35
Vous offrir quelque grain de ce bon fel attique
Qui pétille dans vos difcours .
Des
propos de vous autres belles ,
Henriette , il faut fe garder ,
Votre enjoument permet d'élever des querelles ,
Votre vertu défend de les racommoder.
Par le même
LE BON PÈRE.
Proverbe. *
PERSONNAGES ;
M. MONDOR , riche négociant.
M. MONDOR DE FERVAL père , fous le
nom d'ANTOINE .
M. DE FERVAL fils .
JULIEN , domeftique .
La Scène eft chez M. Mondor.
SCÈNE PREMIERE.
Mr DE FERVAL , père , fous le nom
d'ANTOINE.
* Ce Proverbe eft imité d'une nouvelle de
M. B ** , inférée dans le Mercure.
B`vj
35 MERCURE DE FRANCE.
Ileft feul , affis devant une petite table ;
occupé à plier une lettre.
QUEL rôle je joue ! ... Combien il me
-
coute !.... fans compter la fatigue continuelle
de me contraindre , de m'obferver
à chaque inftant devant une troupe de
gens , qui , parce que je fuis nouveau
venu , ont les yeux ouverts fur toutes
mes démarches , épient toutes mes actions
, pèfent toutes mes paroles ... Mon
extérieur équivoque , les égards & la
politeffe de mon frère , qui n'a jamais fa
en avoir pour perfonne , à plus forte
raifon pour fés domestiques.... Tout cela
les dépayfe , & fixe d'autant plus leur
attention. Mais , que ces peines me
paroîtront légères ; que je me croirai.
heureux , fi elles peuvent me conduire
fûrement à mon but ! .... Enfans , enfans
! Si vous faviez combien vos défordres
, vos imprudences mêmes déchirent
cruellement l'ame d'un père ſenfible
, pourriez - vous vous y livrer auffi
légérement , fans être des monftres , dont
l'existence déshonore l'humanité .......
C'eft aujourd'hui , que nous allons frapper
le grand coup.... Je veux que ce foir
le fentiment qui ramène mon fils... Ah !
NOVEMBRE. 1770. 37
fi j'avois pu préfider à fon éducation ! ...
Ce fontles manières rudes de fon oncle ,
qui ont occafionné fa perte ; des leçons
auffi groffiérement données l'ont étourdi ,
plutôt que de le faire réfléchir.... Mais ,
le fonds de fon caractère eft excellent ;
c'eft là deffus que je fonde mes efpéranrances....(
Il appelle ) Julien .... Julien .
JULIEN , du dedans .
Plaît- il ? Eft ce vous , M. Antoine.
ANTOINE. Oui , c'eft moi ; allons , dé
pêchez- vous .
JULIEN , fans paroître.
Tout- à- l'heure , je fuis à vous ; un peu
de patience .
ANTOINE. Il faut effectivement que je
m'en muniffe d'une bonne provifion ;
mais , taifons -nous : mon extérieur ne
lui fait voir en moi qu'un égal ; le moindre
mot pourroit me décéler. Voici pour
tant mon homme.
SCÈNE II.
ANTOINE , JULIEN..
JULIEN. Quel diable vous tourmente
donc fi matin , M. Antoine ?
ANTOINE . Comment , fi matin ? Il eft
38 MERCURE DE FRANCE .
à l'inftant neuf heures ; n'êtes vous pas
honteux d'être encore au lit.
JULIEN. Ga vous eſt bien aifé à dire ;
fi vous vous êties couché , comme moi
au jour pour attendre mon fou de Maître
, qui n'eft pas feulement encore rentré...
( Il baille ) Pefte de maiſon , on ne
peut pas dormir ici fon faoul . Er bien ,
voyons qu'eft- ce que vous me voulez ?
ANTOINE. M. Mondor , eft - il levé ?
JULIEN. (Se frottant les yeux) Je crois
bien qu'oui ; mais il eft fûrement enfermé
dans fon cabinet , comme à fon ordinaire
.
ANTOINE. Portez lui cette lettre : dites
- lui de jeter les yeux deffus , &
que ,
lorfqu'il fera débarraffé , je l'entretiendrai
fur ce qu'elle contient.
> JULIEN . Etes- vous fou Maître An
toine ; mais , tenez , me faire lever pour
cela vous ne pouviez pas
faire votre
commiffion vous même.
ANTOINE. Il ne faut pas vous échauffer :
laiffez- là cette lettre , j'inftruirai M.
Mondor de vos refas.
JULIEN. (Prenant la lettre avec humeur.)
C'est que c'est vrai ça : vous vous faites
mieux fervir que les Maîtres , voyezvous
, & cela me déplaît à moi .
NOVEMBRE. 1770 . 39
SCENE III.
M. MONDOR , ANTOINE , JULien.
M. MONDOR . Bonjour , papa Antoine,
comment vous en va ? Mais , qu'est- ce ?
Vous parliez un pen haut à ce coquin- là :
eft-ce qu'il vous auroit manqué en quel .
que chofe ?
ANTOINE . Non pas , Monfieur ; mais ,
comme j'attends ici l'arrivée de M. de
Ferval , je le priois de vous porter cette
lettre , & il y étoit peu difpofé , parce
que je n'ai point d'ordres à lui donner :
cependant , lorfque j'ai dit que c'étoit
de convention avec vous....
M. MONDOR . De convention , ounon ,
morbleu , j'entends que l'on vous obéiſſe,
comme à moi - même qu'on vous
reſpecte.
ANTOINE. Oh ! voilà qui eft trop fort ,
par exemple , Monfieur : vos bontés vous
font oublier en quelle qualité je fuis
ici.
M. MONDOR . Si fait , fi fait , je m'en
fouviens à merveille; mais j'entends qu'on
vous diftingue , encore une fois , qu'on
vous obéiffe ; je le prérends : je fuis le
Maître chez moi , morbleu ; je fais ee
40 MERCURE DE FRANCE.
qu'il me plaît , & perfonne n'en doir
tirer des conféquences.
ANTOINE. Bas à M. Mondor, Taifezvous
donc , & renvoyez ce domestique.
M. MONDOR , à demi- bas à Antoine.
Laiffez , il eft bon de lui faite fa leçon .
(haut à Julien ) Va- t- en , & fouviens toi
bien de ce que je t'ai dit ; fi tu manques
à M. Antoine , vingt coups de bâton &
ton congé ne te manqueront pas. Entenstu
bien ?
JULIEN. Oui , Monfieur. (apart) Quel
homme que ce M. Antoine ; il y a quel
que chofe- là qui n'eft pas naturel .
SCÈNE I V.
M. MONDOR , ANTOINE .
ANTOINE. Vous êtes , en vérité , bien
inconfidéré ; il ne tient pas à vous que ce
domeftique ne foit abſolument dans votre
fecret : il est heureuſement un peu borné ,
car j'en connois mille , que vos brufques
imprudences auroient mis depuis longtems
au fait.
M. MONDOR. Comment , je fouffrirois
qu'un coquin de domeftique vous
manquât impunément à vous , mon frère;
non morbleu !
NOVEMBRE . 1770. 41
ANTOINE. Eh , mon Dieu , que vous
êtes vif ! J'aimerois mieux qu'ils me
manquaffent mille fois , que de fe douter
de ma véritable qualité. Mais venons
à quelque chofe de plus important ; la
lettre eft prête , je l'ai écrite moi même ,
pout tromper d'autant mieux de Ferval ;
il ne pourra méconnoître l'écriture , il a
fi fouvent reçu de mes lettres de l'Amérique.
Voici comme elle eft concue :
: (Illit. )
Mon cher Frère , c'eft du lit de la.
mort , que je vous écris ; quand vous
recevrez la préfente , je ne ferai plus :
tous les malheurs de l'humanité font
venus fondre enfemble fur ma tête . Une
fortune confidérable que j'apportois
avec moi dans ma patrie , vient d'être
enfevelie fous les eaux : on m'a fanvé ,
lorfque je périffois avec elle ; mais ce
n'eft que pour mourir plus cruellement .
La quantité d'eau que j'ai bue , une plaie
confidérable qu'on m'a faite en me tirant
du fonds de la mer , le défaut de foin ,
la mauvaiſe nourriture , fuite néceffaire
de mon indigence , & plus encore mes
inquièrudes fur le fort de ma famille &
le violent chagrin que me caufent le
dérangement & les débauches d'un fils ;
42 MERCURE
DE FRANCE.
toat cela , mon cher frère , ne me permet
pas d'efpèrer encore deux heures de
vie : je les emploie , ces derniers inftans ,
à vous manifefter des volontés que votre
amitié pour moi vous feront regarder
comme facrées ; je donne ma malédiction
à un fils indigne , qui s'eft fait une
rifée de mes remontrances un jeu de
mes peines , & qui n'a payé vos bienfaits
, que de la plus noire ingratitude ;
abandonnez- le à fon mauvais fort : qu'il
y trouve la peine de fon déréglement &
de la dépravation de fon coeur. C'eſt pour
ma fille feule que j'implote vos bontés ,
ou , pour mieux dire , votre amour franel
: vous la retirerez du couvent , vous
la recevrez chez vous , vous lui donne →
rez dans votre coeur la place dont mon
malheureux fils s'eft rendu fi indigne .
C'eſt la dernière faveur qu'attend de vous
un frère , qui fait beaucoup de fonds fur
votre tendreffe ; c'eft l'efpérance de l'obtenir
, cette faveur , qui peut feule mêler
quelques tempéramens à l'horreur de ma
fitustion .
Je fuis , & c. :
Votre frère DE FERVAL.
De l'Hôpital de Nantes,
ce 12 Septembre 1770 .
NOVEMBRE. 1770. 43
M. MONDOR . C'eſt bien , morbleu ,
c'eſt bien : mais , à votre place , j'autois
ma foi , pris un parti plus court & moins
gênant ; car , entre nous , vous jouez
un fatigant perfonnage.
ANTOINE . Je vous en réponds... Mais ,
Tailfons cela.
M. MONDOR . Défagréable , affommant...
Où donc avez-vous été chercher
cette idée-là ?
ANTOINE. C'est un parti pris & exécuté
; nous fommes convenus que vous
ne m'en parleriez plus.
M. MONDOR . C'eft vrai , pardon :
mais , je ne fais , fi , à votre place , je
n'aurois pas fait enfermer mon drôle à St
Lazare .
ANTOINE. Vous voilà avec vos partis
violens. Malheur aux hommes qu'on ne
peut ramener que par de pareils moyens !
On ne leur apprend qu'à mafquer les vices
; vous voulez des honnêtes gens ,
vous ne faites que des hypocrites.
&
M. MONDOR. Enfin , vous êtes le
maître ; mais au vrai , quel eft votre but ;
quelle fin attendez - vous de cette lettre.
ANTOINE . Je vous l'ai dit cent fois ,
ramener mon fils par le fentiment , le
44
MERCURE DE FRANCE.
faire rentrer en lui - même , examiner
comment il fupportera fa mauvaiſe fortune
, de quel oeil il verra le déſaſtre de
fon père , fa fin malheureufe , comment
il foutiendra l'idée d'avoir été lui-même
l'auteur de tous les maux , de lui avoir
porté le coup de la mort , comment il fera
affecté de l'expreffion d'une indignation
auffi juftement méritée ; fonder là- deffus
le plus intime de fon coeur. Si des fécouffes
auffi terribles ne l'emeuvent pas ,
c'eft le dernier des hommes , un malheureux
, que je renonce pour mon fils ;
je me fauve au fond de l'Amérique avec
ma fille , & mes richedes , vous priant
très fort de ne le point détromper , &
de ne me jamais parler de lui ... (fesyeux
fe couvtent de larmes ) que ..... pour me
faire favoir fa mort ... qui fera pour lors...
la feule intéreffante , la feule bonne
nouvelle que vous puiffiez m'apprendre .
( Il pleure. )
M. MONDOR , attendri. Et , finiffez !
vous m'attendriffez auffi moi ; fi donc :
à nos âges , pleurer comme des enfans ,
on fe moqueroit de nous . Allez , allez :
ayez bonne efpérance , vous ne ferez pas
réduit à cette extrêmité là.
ANTOINE. Je l'efpère bien auffi . Mais ,
NOVEMBRE. 1770. 45
mon fils va rentrer , modérez- vous avec
lui , je vous en prie : vous lui parlez
d'un ton , qui , bien loin de le ramener ,
ne fait que l'aigrir : vous l'avez toujours
traité très- durement ; il n'a vu en vous ,
depuis fon enfance , qu'un maître inflexible
, un tyran impérieux , chez qui les
plus petites fautes étoient puuies avec
une rigueur qui ne pouvoit augmenter
pour les plus grandes ; il s'eft accoutumé
à vous craindre & à vous détefter : devenu
plus grand , il a fécoué cette timidité
, & , de jour en jour , il vous hair
plus , & vous rédoute moins... franchechement
, je crois que cela n'a pas peu
contribué à le plonger dans le défordre,
M. MONDOR. Ah parbleu , vous m'entreprenez
actuellement moi ; ceci n'eſt
pas mauvais ..... Mais , j'entends du bruit ,
je gage que c'eft votre coquin de fils , il
rentre à une jolie heure.
ANTOINE . Au nom de Dieu , contraignez-
vous vous me l'avez promis.
M. MONDOR. Soyez tranquille.
SCÈNE V.
M. MONDOR , ANTOINE , M. DE FERVAL,
fils , JULIEN.
M. de Ferval entre brusquement , il eft cn
46 MERCURE DE FRANCE.
défordre , comme un homme qui a paffe
la nuit au bal ; Julien le fuit , portant
un domino.
M. de Ferval recule de furprise en appercevant
fon oncle. Oh , mon oncle!
(bas à Julien ) Bourreau ! pourquoi ne
m'as tu pas dit que mon oncle étoit ici ?
JULIEN ,hésitant . Monfieur ... c'eft que...
M. MONDOR. D'où venez - vous , Monfieur
, où avez - vous paffé la nuit ?
M. DE FERVAL , légèrement. Ma foi ,
mon cher oncle , c'eft un de mes amis qui
m'a donné le foupé le plus élégant : nous
avions grande chère , de bon vin , de
jolies femmes ne fuis- je pas excufable
de m'être un peu oublié ?
M. MONDOR , avec colère. Comment
Monfieur le libertin , ( Antoine le tirepar
fon habit ) je vous ai déja averti que ce
train de vie ne me plaifoit point ; je
mène une vie réglée , & j'entends que
tout le foit chez moi.
( Pendant tout le tems que M. Mondor
gronde , M. de Ferval eft diftrait &parle
par intervalles à Julien à l'oreille.)
M. DEFERVAL. Oui , mon oncle.
M. MONDOR , s'échauffant par degrés.
NOVEMBRE 1770 . 47
Oui ,Monfieur mon neveu , oui , j'entens
que cela foit; vous ne ferez , parbleu , pas
la loi dans ma maiſon .
M. DE FERVAL. Ce n'eft pas non plus
mon intention , mon oncle .
M. MONDOR . Qui ne le croiroit , pourtant
, à la manière dont vous vous comportez
: dans une auberge , corbleu , dans
une auberge , on auroit plus d'égards....
( avec emportement. ) mais m'écouterezvous
? (Antoine le tire encore. )
( Il reprend un ton modéré. ) Il faudra
nous féparer Monfieur mon neveu , il
faudra nous féparer ; j'attends pour cela .
des nouvelles de votre père.
M. DE FERVAL. Quand il vous plaira ,
mon oncle .
M. MONDOR , à demi- voix. Trop tôt
peut-être pour toi.
M. DE FERVAL. Dès aujourd'hui , fi
vous le voulez.
M. MONDOR . Nous... nous verrons..
( à part. ) je fuffoque , fortons . ( Il fort. )
SCÈNE V I.
M. DE FERVAL , ANTOINE , JULIEN.
M. DE FERVAL , avec humeur à Julien.
48
MERCURE
DE FRANCE
.
Comment tu n'a pas encore ferré ce domino
! voilà la troisième fois que je te
le dis .
Eh , Monfieur , eft - ce que je pouvois
entendre ? M. votre oncle fait un tel vacarme
! ..
M. DE FERVAL. Et bien ; vas y donc .
(Julien fort . )
SCENE VII.
M. DE FERVAL , ANTOINE .
M. DE FERVAL , fe jetant & s'étendant
fur un canapé. Avouez donc , mon pauvre
Antoine , que je fuis à plaindre d'avoir
affaire à un homme auffi brufque que
cet oncle .
ANTOINE. Mais , Monfieur , à mon
avis il ne vous dit rien que de jufte , vous
devez fentit vous-même...
M. DE FERVAL. Non , en vérité , je
ne fens rien ; quand il me parle , il m'étourdit
& puis c'est tout.
ANTOINE . Il eft vrai qu'il a le ton un
peu haut.
M. DE FERVAL. Que dis - tu ? haut ! Il
l'a brutal , infoutenable .
ANTOINE .
NOVEMBRE . 1770. 49
ANTOINE . C'est un oncle qui vous aime
, il eſt au défeſpoir de voir que vous
vous perdez .
M. DE FERVAL , riant. Je me perds !
Tu parles comme lui , veux - tu faire fa
parodie ?
ANTOINE , vivement. Oui , vous vous
perdez ; car enfin la vie que vous menez
n'eft elle pas condamnable ?
M. DE FERVAL. Mais , c'eſt la vie de
tous les jeunes gens d'aujourd'hui .
ANTOINE , plus vivement. Dites de tous
les libertins , de cette efpèce d'hommes
la plus méprifable de toutes . Si vous vouliez
jeter un coup d'oeil fur vous-même ,
vous en fentiriez la honte...
M. DE FERVAL. Sais- tu bien que tu es
le feul qui puiffe me dire de ces chofeslà.
( Il s'affied fur le canapé ) Tiens , je
veux bien t'ouvrir mon coeur : la vie que
je mène ne laiffe pas de m'être à charge ,
ce n'eft pas d'aujourd'hui que je fens combien
une vie douce & tranquille lui eft
préférable ; mais que veux- tu , mon cher,
il faut fuivre le torrent : irai - je à mon
âge , afficher la fageffe & le ridicule ? car
ils vont de pair. D'ailleurs , riche comme
je le fuis & avec les plus grandes efpéran-
C
so MERCURE
DE
FRANCE
.
ces , ne me trouvé- je pas dans la néceffité
de me faire honneur de mon bien ?
ANTOINE. Ah , Monfieur , qu'il vous
eft poffible de vous faire honneur de vos
richeffes , d'une autre manière ! & au
fonds vous penfez - vous bien honoré en
vous ruinant pour un tas de jeunes débauchés
qui fe moquent de vous & vous
grugent impitoyablement fans vous en
avoir la moindre obligation.
M. DE FERVAL. Je m'embarraffe peu de
leur reconnoiffance . Crois -tu que ce foit
pour eux que je m'épuife en dépenſes ?
Non , mon cher , défabufe - toi ; c'est pour
moi feul que j'agis ainfi ; j'en tire feul le
véritable profit. Ils font très- contens de
foutenir à mes frais une nobleffe indigente
; & moi , fils d'un fimple négociant,
très- fatisfait à ce prix , de marcher leur
égal. J'ai le bonheur de jouir en leur compagnie
d'une confidération qu'on n'accorde
qu'au fang le plus illuftre... Ah !
mon cher Antoine , un honneur auffi précieux
peut-il fe payer? non toute ma fortune...
ANTOINE , l'interrompant avec grande
vivacité. Bon Dieu ! quelle folie ! quelles
chimères ! comment pouvez- vous pouffer
l'extravagance ...
NOVEMBRE . 1770 .
M. DE FERVAL , avec fierté. M. Antoine
, M. Antoine , doucement , s'il vous
plaît ; vous abufez un peu de mes égards
pour vous.
-ANTOINE . Non , Monfieur ; c'eft par
affection que je vous fers , je ne fouffrirai
jamais que vous couriez ainfi à votre
perte .
M. DE FERVAL. Mais , M. Antoine..
ANTOINE , très - vivement. Vous pouvez
me renvoyer , Monfieur ; payer par un
trait de reconnoiffance fi digne de vous ,
le zèle qui m'anime ; mais vous ne pourrez
jamais me faire trahir mon devoir ,
approuver lâchement vos extravagances ,
ni encenfer vos défauts.
M. DE FERVAL. Antoine , je refpecte
votre âge , je pardonne à votre zèle ,
mais...
t
ANTOINE , d'un ton pénétré & s'approchant
affectueufement de M. de Ferval.
Mon cher maître , rentrez en vous- même
, vous avez une ame honnête & faite
pour le bien : eft il poffible que l'orgueil
vous aveugle affez pour empêcher de voir
toute l'indignité & la baffeffe... Oui ,
baſſeſſe du perſonnage que vous jouez ;
avec de l'efprit & du bon fens , il vous
ia
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
.
rend la dupe d'une troupe de jeunes infenfés.
Penfez à un père qui vous aime ,
qui vous idolâtre ; fongez quel feroit fon
chagrin s'il apprenoit que vous menez
une vie aufli méprifable. Ah ! je le connois
, il en mourroit .
M. DE FERVAL , vivement. Ah , mon
cher Antoine ! tu connois mon père , où
l'as- tu vu? Y a-t il long- tems ? Penfe- t- il
à...fa famille ?
ANTOINE , froidement. Je l'ai vu à la
Guadeloupe , où j'ai demeuré plus de
quinze ans il n'eft occupé que de vous.
SCÈNE VIII.
M. DE FERVAL , ANTOINE , JULIEN ,
JULIEN. M. Mondor , Monfieur, vous
demande ; il a quelque chofe de preffé à
vous dire ?
ANTOINE. Eft- ce à moi ?
JULIEN . A vous ? parbleu non ; on a dit
à Monfieur?
M. DE FERVAL. Sais tu ce qu'il mẹ
veut.
?
JULIEN. Non , Monfieur .
M. DE FERVAL . Quel homme il va
encore m'affommer de nouveaux reproNOVEMBRE.
1770 . 53
ches ; j'ai envie de n'y point aller ; ( à
Julien ) dis - lui que je fuis forti .
ANTOINE . Ne vous avifez pas de cela ,
ce font peut-être des nouvelles importantes...
de votre père ;. que fais - je moi ?
M. DE FERVAL. Vous avez raiſon , allons.
( Ilfort avec Julien . )
SCÈNE I X.
ANTOINE , feul. Il fe promène à grands
pas & d'un air penfif.
-
Il dit ceci par intervalles & très- lentement,
Voilà le coup de partie. Je vais voir
un homme bien confterné . N'y a - t - il
pas de la barbarie à le déchirer auffi impitoyablement...
car enfin je fuis für de
l'excellence de fon coeur ... de fa tendreffe
pour moi. Non ... il ne faut rien moins
que des coups auffi violens pour le tirer
de fon déréglement.... Il y eft accoutumé...
Son petit amour - propre en eft tant
fatisfait. L'état cruel où il faura que fa
mauvaiſe conduite a réduit un père qui
l'aime fi tendrement , peut feul lui ouvrir
les yeux ... J'entends du bruit ; le
voici fûrement. ( Il va s'affeoir d'un air
rêveur. )
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE X.
M. DE FERVAL , ANTOINE , JULIen.
M. DE FERVAL entre d'un air fombre ;
il paroît plongé dans le chagrin le plus
profond. Prépare nos chevaux , Julien ,
dans un quart-d'heure je décampe .
ANTOINE . Peut- on vous demander où
vous allez , Monfieur ?
( Julien fort . )
SCÈNE XI . & DERNIERE .
M. DE FERVAL , ANTOINE .
M. DE FERVAL jette un coup- d'oeil pour
voir fi Julien eft parti ; il embraffe enfuite
tendrement Antoine. Ah , mon cher Antoine
! mon vrai , mon unique ami , je
perds le meilleur de tous les pères ....
Que dis-je malheureux , c'eft moi qui lui
ai porté le poignard dans le fein ! Il fe
renverfe fur un fauteuil dans l'attitude
d'un homme défolé.
ANTOINE . Remettez vous , Monfieur ;
pour vous confoler , allons , racontez- moi
la caufe de vos chagrins .
M. DE FERVAL , lui ferrant la main.
Que je te les raconte ! j'expirerois avant
NOVEMBRE. 1770. 55
que d'avoir fini ce trifte recir. Ah mon
pauvre père ! monftre que je fuis ! ...
adieu , mon cher Antoine , adieu homme
digne & vraiment refpectable ; fouvenez-
vous quelquefois
d'un ami qui fut
plus imprudent que criminel .
ANTOINE . Mais je ne vous quitte pas ,
où voulez - vous aller ; quel eft votre deffein
?
M. DE FERVAL . Non , Antoine , vous
ne me fuivrez point . Abandonnez à fon
mauvais fort , un malheureux qui l'eft du
ciel & de la terre , qui a mérité la malédiction
de fon père , qui lui a porté le
coup de la mort... Ah , quel pays , quel
défert pourra cacher mes remords & mon
ignominie ! ( à Antoine qui veut parler )
Ceffez de me preffer ; tous les malheurs
font à ma fuite; ma fortune s'eft évanouie ,
à peine me refte- t-il le plus étroit néceffaire
.
ANTOINE . Et bien , Monfieur , j'ai un
petit bien fort honnête , fuffifant pour
nous faire vivre l'un & l'autre très à l'aife,
nous le partagerons.
M. DE FERVAL. Que ce trait - là eſt
admirable ! mais il ne me furprend point.
(Affectueufement ) Oui , mon digne ami ,
j'accepte vos offres ; que deviendrais - je
Civ
56 MERCURE DE FRANCE:
fans vous ? J'ai perdu le meilleur des pères
, vous m'en tiendrez lieu ; vous le
remplacerez auprès de moi , qu'il me fera
doux de vous donner ce titre !
ANTOINE . Monſieur , vous oubliez ce
que je fuis.
M DE FERVAL. Je me fouviens de votre
vertu. Non , fi mon malheureux père
vivoit , il ne penferoit , il n'agiroit pas autrement
; je ne fentirois pas pour lui plus
d'attachement , de vénération .
ANTOINE , fe jetant au col de M. de
Ferval. Mon fils , mon cher fils , embraffez
moi. Vos fentimens répondent à
mes espérances , je m'apperçois que la
féduction des mauvaifes compagnies ,
l'étourderie de votre âge & peut - être la
dureté de votre oncle ont été les feules
caufes d'un dérangement qui vous eft
fûrement actuellement en horreur. Ne
pleurez plus un père qui vit encore & qui
ne vit que pour vous aimer.
M. DE FERVAL fe jetant aux pieds de
Son père. Ah ! vous êtes mon père ! …..
Comment ai- je pu vous méconnoître ! ..
Mais dans quel état ... Ah ! mon père !.
M. DE FERVAL , père. Pardonnez - moi
cette fupercherie , mon fils , il m'importoit
trop de fonder votre coeur ; fi le déNOVEMBRE
. 1770. 57
règlement de votre conduite l'eût gâté ,
ah , mon fils ! quel chagrin pour moi , je
n'y aurois pas furvécu. Vous pardonnerez
auffi à votre oncle d'avoir donné les
mains à mon projet . La lettre , le naufrage
, le congé ; tout cela étoit concerté
entre nous. Tout a réuffi heureuſement
au gré de nos defirs. Entrons auprès de
votre oncle , vous y trouverez une foeur
digne de vous : je coulerai dans les embraffemens
d'enfans auffi bien nés , des
jours que pourroient envier les plus heureux
mortels . Votre oncle fentira combien
la manière dure & impérieufe avec
laquelle il vous a toujours traités eft dangereufe
; elle eft capable de vicier les plus
heureux caractères , il reconnoîtra la vérité
du proverbe qui dit que...
Par M. Garnier , avecat.
Le mot du Proverbe inféré dans le dernier Mercure
d'Octobre eft l'hommepropofe & Dieu difpofe.
INSCRIPTION pour le Bufte de
Mgr l'Evêque d'Orléans.
DeEz lui - même il tire fon luftre,
Et pourroit le paffer de titres & d'aïeux :
Cv
58 MERCURE
DE
FRANCE
.
Il n'aime de fon rang illuftre
Que le pouvoir charmant de faire des heureux.
REMERCIMENT
du Peuple de Nevers à
M. le Marquis de Tourny , brigadier
des armées du Roi , colonel du régiment
de la Reine , cavalerie , fur le fervice
important qu'il a rendu pendant la derniere
difette , à cette ville , où ce régiment
eft en garnifon.
TOURNY
OURNY , ce que pour nous votre amour vient
de faire
Suffit pour vous conduire à l'immortalité.
Vous aveztrouvé l'art , au fein de la misère ,
De faire des heureux par votre activité.
Cet art eft au- deffus du talent militaire ,
Le parfait héroïfme eſt dans l'humanité.
A Mde la Marquife de Tourny , fur la
grace qu'elle a apportée à Nevers à un
déferteur, au moment qu'il alloit fubir
fonfupplice.
COMPAGNE d'un époux , l'idole de nos coeurs ,
Rappelez-nous fans celle avec des traits de flamme
NOVEMBRE . 1770 . 59
Ce précieux inftant qui fit couler nos pleurs ,
Et les tranfports charmans dont jouifloit votre
ame ,
Quand votre zèle ardent arrachoit au trépas
L'infortuné mortel qui vous tendoit les bras.
Vous foumîtes nos coeurs au pouvoir de vos charmes
,
En vous voyant paroître on vous rendit les armes.
Quelque foit la beauté dont brilloient tous vos
traits ,
La douce humanité vous donna plus d'attraits.
Couple chéri ; des dieux la bienfaisance
A mis en vous notre félicité :
Si nous perdons aujourd'hui l'eſpérance
De vous dépeindre à la poſtérité ,
Dans tous nos coeurs on vous élève un temple
Où vos bienfaits qui ferviront d'exemple ,
Et vos deux noms , confacrés par nos voeux
Seront tranfmis à nos derniers neveux .
VERS écrits au bas du Portrait de
M. Boucher.
CET heureux & brillant génie
Eut pour maitre l'Amour & le dien des beaux arts.
Nobic ou voluptueux , toujours plein d'énergie ,
Par une a.mable & favante magie
C vj
Go DE FRANCE : MERCURE ERCURE
Ilfut parler aux coeurs & charmer les regards.
D'une main bienfaifante & füre
Il guida les efforts naiflans ;
Et fans s'armer du fiel de la cenfure ,
De les rivaux il voyoit les talens.
Comme il deffinoit la nature.
VERS à Mlle Valayer , reçue à l'acadé
mie royale de peinture , quelques jours.
avant la mort defon père qu'elle chérif
foit tendrement & dont elle étoit tendrement
chérie.
ORNEMENT RNEMENT de ton sèxe , ö toi , dont le favoir
Au rang de nos Zeuxis vient de te faire afleoir ,
Permets que fur ton front , où le trépas d'un père
Grave de la douleur le noble caractère ,
Mêlant à tes lauriers des guirlandes de fleurs ,
Je couvre de leurs ombres.
La trace de tes pleurs.
Mais ta main me repouffe ; & fous des voiles fom
bres
Cachant à mes regards tes modeftes attraits ,
Tu fuis : mais , en fuïant , tes paupières humides
Ont laiffé fur mes fleurs quelques perles liqui
des :
Cette douce rofée en rend l'éclat plus frais
NOVEMBRE. 1770. 61
Admire le pouvoir des larmes d'une belle.
Mais laiflons à l'amour à louer tes appas :
Si je les connoiflois , je ne répondrois pas
Qu'un fentiment plus vif n'eût fait parler mon
zèle :
Mais de l'amour le charme ou le poiſon
Ne trouble point pour toi mes fens & ma raiſon:
La raison , de l'amour , n'a point l'ardente verve ;
Son éloge eft plus froid , en eft- il moins flatteur ?
Pour chanter ton triomphe au temple de Minerve ,
Je ne prends que le ton d'un jufte admirateur ;
Homme par ton mérite , en homme je te loue.
Nature, en nous formant , aveuglément fe joue 3
Oui , fa main au hafard a , pour toi , de Vénus
Dénoué la ceinture.
Au plus brillant degré tes attraits parvenus.
Sans foins & fans culture ,
Charment fans ton aveu ;
Mais ,
2 2
la peinture
Le Ciela , dans ton fem , mis un ame de feu ,
Ses dons étoient perdus , fi ton ferme courage
De la nature en toi n'eût achevé l'ouvrage.
Comment , fi jeune encor , aux orages du coeur
Par miracle échappée ,
Des rayons de la gloire uniquement frappée ,
As- tu pu , de ton art , fonder la profondeur ?
Comment as- tu faifi l'étonnante magic
Be ces tons argentins , vrais & mystérieux ,
Dont l'illuftre Chardin furprend toujours nes
yeux
62 MERCURE
DE FRANCE
.
Au ſein de tes ſuccès par lui - même applaudie
Tu lus dans les regards étonnés & contens
Le plaifir d'un grand homme à prôner les talens.
Mais que dis je ? de tous enlevant les fuffrages ,
Tu vis en un moment dépoſer tes ouvrages
Et confacrer ton nom dans le temple des arts .
Affis à tes côtés s'offrent de toutes parts
Ces artiſtes fameux , dont la vive lumière
A guidé jufqu'ici tes pas dans la carrière.
Du peintre de Paphos , * le digne fuccefleur
Pierre , dont l'art fublime a tracé la fureur ,
Les charmes & l'amour de la fuperbe Armide ;
Vien , ton maître & le mien , dont le pinceau rigide
,
Conduit par le favoir & des yeux toujours fûrs ,
Donne à tous les objets des contours grands &
purs ;
L'époufe , à qui le fort unit fa deftinée ;
L'impétueux Doyen , l'ain a Grenée ,
Hallé , Vernet , le Moine , & Pigalle & Couſtou ,
Greuze , Latour , Cochin , & Roffin & Pajou ,
Vanloo , de qui le nom cher à la renommée
Toujours à l'Univers annonça les talens
Et tant d'autres enfin fidignes de mes chants.
Quand ta vertu par la gloire animée
Fuit l'amour & s'échappe aux plaifirs léduiſans
* M. Boucher.
NOVEMBRE. 1770 . 63
Dont , au printems des jours la foule enchanterefle
Environne une belle & l'affiège fans ceffe ;
Dans les bras de Minerve un doux confolateur
Répand , dans tous tes fens , une céleste flamme ;
Le travail t'a valu l'eftime de ton coeur
Et le calme de l'ame.
DIALOGUE
Entre PENELOPE & NINON L'ENCLOS
NINON.
EST - IL bien vrai que vous reſtates
fidelle à Ulyffe qui fut vingt ans éloigné
de vous ?
PENELOPE.
Eft-il bien vrai que vous ne pûtes refter
fidelle à ceux mêmes qui ne vous quittoient
pas ?
NINON.
Une queftion n'eft pas une réponse.
PENELOPE.
Il feroit fâcheux pour l'honneur da
beau fexe qu'on pût renouveller fouvent
la mienne.
64 MERCURE DE FRANCE.
NINON.
Seriez-vous auffi célèbre fi l'on vous eût
fouvent imitée ?
PENELOPE.
Eft- ce que je fuis célèbre ?
NINON.
Oui , graces aux vers d'un poëte qui vivoit
quelques fiècles après vous , & qui
avoit chanté l'inconftance d'Hélène . Il
vous peignit conftante ; peut - être pour
ne point fe répéter.
PÉNÉLOP E.
piquent
" IIll est vraiment fort honnête ce poetelà...
On dit que fes pareils ne fe
pas toujours d'être auffi équitables ?
NINON.
Malheureuſement , il eft plus facile
d'admirer celui- ci que de le croire . Mais
quoi ? Homère ne vous eft-il pas connu ?
N'a-t- il jamais cherché à voir l'héroïne
qu'il a chantée ?
PENÉLOPE
Je ne m'en fuis point apperçue
NOVEMBRE . 1770. 65
NINON.
Vous verrez qu'il doute lui- même de
votre exiſtence , & vous regarde comme
un enfant de fon imagination .
PENÉLOP E.
Il auroit tort . Je ne connois rien de ce
qu'il a écrit : eft - ce une preuve qu'il n'a
point écrit ?
NINON.
Au moins , doit - on lui faire honneur
du stratagême que vous employâtes pour
tromper l'impatience de vos amans.
PENELOPE.
De quel ftratagême parlez- vous ?
NINON.
De cette broderie que vous compofiez
le jour & que vous décompofiez la nuit ;-
en promettant aux afpirans de choisir entr'eux
, quand votre ouvrage feroit achevé.
PENÉLO PE.
Eh mais ! cette invention ne me paroît
pas fi mauvaiſe.
NINON.
Comme il vous plaira. Pour moi , je
66 MERCURE DE FRANCE.
réponds qu'elle paroîtroit infuffifante à un
Poëte François , encore plus à des Amans
François.
PENELOPE.
Une Françoiſe eût donc été bien embarraffée
à ma place ?
NINON.
Point du tout. Elle auroit feulement
mieux combiné fes moyens ; employé àpropos
la réferve & la coquetterie ; dif
tribué à celui - ci un coup - d'oeil ; à cet autre
un fourire ; confolé un troisième par
quelques mots échappés . Elle eût femé
entre eux la divifion , la jaloufie , quelquefois
même la confiance , & les auroit ou
confervés ou éloignés tous l'un par l'autre
.
PENELOPE .
C'est un art que je n'ai point connu.
On diffimuloit peu de mon tems. Je réfiftai
à des amans que je n'aimois pas : Hélène
fuivit un amant qu'elle aimoit.
Ν Ι Ν Ο Ν .
A propos , quel âge aviez - vous quand
on vous preffoit ainſi ?
PENELOPE.
Un peu plus que mes quarante ans.
NOVEMBRE 1770. 67
NINON.
Vous étiez bien jeune ! Hélène en avoit
plus de cinquante lorfque toute la Gréce
s'arma pour elle ; & moi , j'en avois quatre-
vingts , lorfque je rendis fou un homme
qui avoit fait voeu d'être toujours
fage.
PENELOPE.
Plaire encore à quatre- vingts ans !
NIN ON.
Dites plus , dites être aimée.
PE'N E'LOPE .
Vous aviez là un beau fecret. Je doute
que l'antiquité l'ait connu .
·
NINO N.
J'eus au moins l'honneur de le perfectionner.
Auffi n'eft ce qu'en France que
tout fe perfectionne. L'art de plaire eft
celui que l'on y cultive le plus , & où l'on
réuffit le mieux. Il eft utile , même aux
hommes ; il eft abſolument néceffaire aux
femmes. C'eſt auffi à quoi fe réduit parmi
nous leur ambition . Je puis répondre
qu'elles y ont fait de nombreufes découvertes
. Vos Grecques , du moins celles
68 MERCURE DE FRANCE.
de votre tems , attendoient tout de la nature
, & n'ajoutoient rien à fes dons . C'eſt
trop compter far eux . On a beau économifer
; un tel tréfor n'eft point inépuifable.
Il perd toujours de fa valeur quand
l'énumération en eft faite.
PENELOPE.
Hé bien ! comment prévenir un tel
malheur ?
NINON.
C'eft en quoi nous excellons . Notre art
confifte moins à cacher nos richefſes qu'à
paroître les multiplier . Nous fommes rarement
ce que nous femblons être , &
plus rarement encore le lendemain ce que
nous étions la veille . On nout voit tourà
tour, capricieufes fans caprice ; boudeufes
fans humeur ; folâtres fans gaîté ;
étourdies avec connoiffance de caufe
;
froides lorfque nous brûlons , enjouées
quand nous mourons d'ennui : nous entremêlons
, à propos , l'indulgence à la rigueur
, les égards à la diftraction , la fineffe
à l'ingénuité : enfin , nous prenons autant
de formes différentes pour plaire aux
hommes , que le Protée de votre tems en
prenoit pour leur échapper.
NOVEMBRE. 1770 . 69
PENELOPE.
Il faut convenir que votre emploi eft
bien pénible .
NINON.
Il a fes dédommagemens . Il nous affure
un empire durable fur des efclaves qui ne
demandent qu'à s'ériger en maîtres,
PENELOPE.
Mais , fi j'en crois certains rapports ;
vous abrégiez vous - même leur efclava-
Votre inconftance brifoit affez fubitement
les fers de vos captifs,
ge.
NINON,
Elle ne les en affranchiffoit pas tou
jours ; mais je ne faifois plus rien pour
les y retenir. J'aimois fincèrement forfque
je paroiffois aimer. Je l'avouois fans
détour , & j'en ufois de même quand cet
amour n'exiftoit plus. Ainfi , je n'abuſai
jamais perfonne. Bien différente de ces
femmes qui n'avouent leur penchant qu'à
l'extrêmité , qui changent comme je changeois
, & qui voudroient encore enchaî
ner ceux qu'elles facrifient.
PENELOPE.
Acquîtes -vous beaucoup d'eftime en
fuivant cette marche ?
70
MERCURE
DE FRANCE.
NINON.
Je ne réponds point de la multitude ;
mais j'eus l'eftime de beaucoup de perfonnes
que la multitude refpectoit .
PENÉLOP E.
Les tems font bien changés .
NINON.
Point du tout. Ce fut , dans tous les
tems , la force ou la foibleffe d'un caractère
qui déterminèrent , pour ou contre
lui , les fuffrages . On oublioit des diftractions
, portées un peu trop loin , en faveur
de bien des vertus portées auffi loin qu'elles.
On prifoit en moi l'amitié conftante ,
le défintéreffement prouvé ; la franchiſe
fans aigreur , la fierté fans dédain , l'efprit
fans prétentions . Homère ne m'eût peutêtre
pas chantée ; mais il eût pris mes confeils
pour en chanter d'autres.
PÉN ÉLO PE.
Homère me chanta fans prendre de
confeils .
NINON.
N'en tirez point trop avantage. Il chanNOVEMBRE.
1770. 71
ta Hélène avant vous . L'amour que vous
confervâtes pour Ulyffe n'eft point un
phénomène ; il étoit abfent & à peine
aviez - vous joui de fa préſence. Les amans
que je quittai ne me perdoient pas de vue ,
& cette épreuve eft infiniment plus forte.
Je m'en rapporte à mon fexe. Vingt ans
d'abfence me paroiffent un moindre tort
qu'une éternelle affiduité .
Par M. de la Dixmerie.
VERS SUR L'ESPÉRANCE.
UI , la douce efpérance eft l'ame de la vie :
Elle opère ici bas cent prodiges divers.
Par les illufions le criminel oublie
Et le fort qui l'attend & le poids de fes fers.
C'est elle qui , des flots voilant la perfidie ,
A l'avide Nocher fait affronter la mort ;
C'est elle qui nourrit la paſſion chérie
Qu'éprouve un tendre amant incertain de fon
fort.
Par elle , le guerrier s'immole à fa patrie ;
Elle flate les voeux d'un coeur ambitieux ;
Elle anime les arts , excite l'induftrie ;
72 MERCURE DE FRANCE.
Et même en nous trompant elle nous rend heud
reux.
Quand le tems a lappé notre foible exiſtence ,
Quand , la faulx à la main , la Parque qui le
fuit ,
S'apprête à nous plonger dans l'éternelle nuit ,
Tout meurt en notre coeur , hors la ſeule eſpé¿
rance.
Par M. d'Azemar , lieutenans an
régiment de Touraine.
A ma Tante , en lui envoyant un bouquet
pour fa fête , le jour de la St Denis.
QUE Que l'amour à fon gré gouverne l'Univers ↓
Qu'il impofedes loix à tout ce qui reſpire ,
Peu m'importe , ce dieu fur moi n'a plus d'empire
Je ne crains plus ni fes traits , ni fes fers ;
Il ne préfide plus aux accords de ma lyre.
A la tendre amitié je confacre mes vers.
Vous , qui m'avez appris à parler le langage
De la divinité que j'encenſe à- préſent ;
Yous
NOVEMBRE. 1770 . 73
Vous , dont l'ame fenfible & le coeur bienfaifant ,
Des plus nobles vertus font le fiége & l'image.
Chere tante , dans ce beau jour ,
Daignez fourire à mon hommage ,
Et par cette faveur embelliffez l'ouvrage
D'un fentiment plus pur & plus doux que l'amour.
Si les vers & les fleurs que ma main vous préfente
N'ont qu'un foible mérite , un éclat paſſager ;
Si ma main reconnoiffante
Rougit de vous offrir un tribut fi léger ,
Du moins mes fentimens , pour mon aimable
tante ,
Sont comme les vertus , trop parfaits pour chan
ger.
Par M. le François , ancien officier
de cavalerie.
L'EM PRUNTE U R.
DAANS un tripot rien n'eft plus néceffaire ,
Mais rien n'eft moins commun qu'un facile prêteur
;
Emprunter eft affreux pour un homme d'honneur
A qui le fort fulcite une mauvaiſe affaire :
Un joueur , quel qu'il foit , emprunte fans pudeur,
Et par fois l'argent manque au plus riche joueur.
Un jour un jeune militaire
D
74
MERCURE DE FRANCE .
Ayant , dans un grand jeu , la fortune profpère,
Ouvroit , à les amis , fa bourfe de bon coeur.
Les joueurs font pour l'ordinaire
Sans conduite dans le malheur :
Plus l'aveugle déeſſe à leurs voeux eft contraire
Et plus l'espoir de ſe refaire
De leur fatal penchant irrite la fureur.
Partant , c'est une chofe claire
Que notre fortuné joueur
Dans tout perdant connu vit un humble emprun
teur.
Tandis qu'il le rendoit à leurs prières folles ,
Et d'un refus cruel leur fauvoit l'embarras ,
Un de ces gens peu délicats ,
A qui les faux fermens , les démarches frivoles
Ne coûtent rien en pareil cas ,
Voyant que fans fuccès on ne l'imploroit pas ,
Lui demanda trente piſtoles.
«Volontiers , répondit le guerrier obligeant ,
→ Secourir fes amis dans un befoin urgent
» Eft un devoir bien doux aux yeux
"
» homme ;
» Je vais vous prêter cet argent ,
d'un galant
Et même avec plaifir je doublerai la fomme.
Si vous pouvez auparavant
» Me dire comment je me nomme. »
Chacun fe prit à rire , & l'emprunteur capot
Rougit , baifa la vue & quitta le tripot.
Par le même.
75
emiere
jercure
s fous
nt , du
périotroifiè
.
e. Le
inchet,
anche
,
du fefaifon.
où l'on
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74
Ayant
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bras du someilJer
Je croyois le voir
a mon re: vel Je
il Je
l'apeldisois
d'un ton si
>> Secoι
» Eft u n cher Léandre
သ
» Et mi
כ כ
ככ
Chacun
Rougit
ir Veurtu donc
uchette, au PanierFleuri
NOVEMBRE. 1776.
75
•
"
L'E'EXXPPLLIICCATION du mot de la premiere
énigme du fecond volume du Mercure
d'Octobre 1770 eft Mercure , pris fous
fes trois dénominations de vif
argent , du
Meffager des Dieux & d'ouvrage périodique.
La feconde , le Miroir ; la troifè.
me, Verre ; la quatrième , Rivière . Le
mor du premier logogryphe eft Tranchet,
où l'on trouve chantre , archet , tanche ,
char , chat , âne , rat , cane. Celui du feeond
eft Tête , où l'on trouve été , faifon.
Celui du troisième eft chou -fleur , où l'on
trouve , le feu , or , roch , cor , fleur ; ce
dernier mot retranché , il refte chou .
ÉNIGME
D'ENFANTER 'ENFANTER le bien & le mal
Je fais mon objet principal.
Sans le fecours d'une main étrangère
Je conftruis dans l'inftant des villes , des châteaux
,
Des villages & des hameaux ;
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE,
De même je fçais les défaire .
Plus vite que l'éclair je traverfe les mers ;
Je monte au ciel , je deſcends aux enfers ,
Et fans jamais quitter ma place
Je vole d'efpace en efpace ;
Enfin je fuis quand je veux en tout lieu ;
Cependant je ne fuis pas Dieu."
Quelle étrange métamorphofe !
Je deviens une fleur qui rampe fous la rofe .
A St Maurice , par M. Metairie.
AUTRE.
Nous fommes deux frères jumeaux
En tout parfaitement égaux .
Le même inſtant nous a donné la vie ,
On voit en nous l'aimable ſympathie .
C'eſt le même aliment qui nous fait fubfifter ,
Et tous deux feulement nous pouvons en uſer.
Le cerfaux pieds légers & le lièvre timide
Ne peuvent égaler notre courfe rapide.
On fait cas de notre beauté ;
Le petit - maître & la coquette
Remportent victoire complette ,
Après nous avoir exercé.
NOVEMBRE. 1770.
77
En un mot , cher lecteur , c'eft vous en dire affez ;
L'un de nous deux fuffit , cherchex , examinez .
Par M. Chemilly , à Auxerre.
AUTRE.
Je ne fuis pas un corps , pas même une ſubſtan-
E
ce ;
Tous les jours je renais , tous les jours je péris.
Je fuis & jeune & vieux , je reviens , je m'enfuis ,
Je ne fuis déjà plus & mon fils prend naiſſance ,
Si l'on parle de moi je fuis toujours abfent ,
Et je change de nom lorfque je fuis préfent.
Si l'on vouloit m'atteindre , on perdroit bien fes
peines ,
Envain pour me fixer emploiroit -on des chaînes .
C'est bien vous dire tout , écoutez , cher lecteur ,
Je fuis plus vieux d'un jour que n'eſt mon ſucceſfeur...
Par le même.
L2
AUTRE .
E luxe , les talens , la parure champêtre ,
Les modes & les arts m'occupent chaque jour :
Plufieurs métaux peuvent ine donner l'être ,
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
;
Et les deux fexes , tour - à- tour ,
M'exercent au befoin ; le bout du doigt me guide.
Je fuis oifif fije fuis vuide ;
Mais plein , tel qu'un bon combattant ,
Je poufle & pare au même inſtant .
Par M. Cabanis , de Salaignac près Brive.
LOGO GRYPHE.
DANS fix lettres , lecteur , mon nom t'offre un
oiſeau ,
Prend 2 , 3 , 4 & j'offre une franche pecore ;
Prend 1 , 4 , 5 , 6 , & je le fuis e core.
Diflèque moi tout de nouveau .
Par I , 2 3 , je fuis un inftrument ,
Par 4, 5
>
& 6 , je fuis un élément .
Par le même.
AUTRE.
A M. de St Brice , Seigneur de Saires ,
QUAN
à Mayenne.
UAND Pomone & Cerès m'ornent de leurs
préfens ,
Sans aucun intérêt , ami , je te les rends.
NOVEMBRE. 1770. 79
Admire ma bonté , reconnois mes largeffes ;
Le bon & le méchant partagent mes richeſſes.
Je marche fur huit piés qui , fans beaucoup d'efforts
,
Portent folidement la maſſe de mon corps.
J'expole fous tes yeux une illuftre fervante ,
Et celle qui pour toi fut toujours complaifante :
Ce qui , de Perpignan , décore l'arfenal ;
Ce qui fouvent propice eft quelquefois fatal :
Un homme qui , fâché , n'entend pas raillerie :
Deux élémens , auffi deux mots d'artillerie :
Certain morceau caché proche le coeur humain ;
Un petit animal pas plus long que la main :
Le defir d'un abbé , le defir d'une fille ;
La fin d'un vers , le chef de plus d'une famille.
Je te découvre encor , ( ce n'eſt point un haſard )
Ce qui fuit lâchement s'apprend toujours trop
tard :
Le point fixe & conftant où le fage s'arrête
Malgré les vains efforts qui roulent dans fa tête :
Plufieurs Saints , une loi , généralement tout.
Devine , fi tu peux ; pour moi je fuis au bout.
ASt Maurice , par M. Metairie.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
La Comteffe de Fayel , tragédie de fociété.
A Lyon , chez les frères Périffe ,
Libraires.
›
L'Editeur annonce que cette tragédie a
été faite en douze jours , & qu'il l'a fait
imprimer fans l'aveu de l'auteur , qui lui
avoit confié fon manufcrit. L'auteur lui,
même , dans une lettre à l'éditeur
condamne le fujet de Gabrielle , quoiqu'il
l'ait traité. « Je penfe encore que
ce fujet n'eft pas propre à la tragédie ,
» telle que l'ont entendue les Romains ,
les Grecs & les François , jufqu'à pré-
» fent. Le fond nullement fufceptible
d'Epiſode , fans intrigue & fans pa-
» triotifine , deux paffions ordinaires d'un
» ménage bourgeois , fans alentour qui
» donne de la variété au fentiment , une
» monotonie forcée d'expreffions & de
» rmes ; voilà les écueils contre lefquels
» il faut néceffairement lutter. «
>>
On pourroit condamner ce fujet par
de meilleures raifons . Il n'eft pas néceffaire
qu'une tragédie foit fufceptible
NOVEMBRE. 1770. 81
d'épifode. Au contraire , prefque tous les
fujets vraiment intéreffans font néceffairement
fimples , parce qu'ils offrent
à l'ame un grand objet qui la remplit ,
& dont il ne faut pas la diftraire. A l'égard
de l'intrigue , elle dépend abfolument
de l'art que l'auteur y fait mettre .
Elle doit être fon ouvrage . Pour la monotonie
d'expreffions & de rimes , l'homme
qui fait écrire , l'évitera dans quelque
fujet que foit. Mais , l'homme qui fait
écrire , eft beaucoup plus rare qu'un bean
fujet de tragédie. Quant à celui de
Gabrielle , tous les gens de goût s'accordent
à penfer aujourd'hui , qu'il n'eft
ni heureux ni théâtral . D'abord , à la
cataftrophe près , c'eft abfolument celui
d'Hérode , dont un grand homme qui
l'a remanié quatre fois , n'a jamais pu
faire qu'une ouvrage rempli de beautés ,
un modèle de ftyle tragique , & non
pas une bonne tragédie. Marianne eft
I'Efther du Racine de notre fiècle . On
regrette dans l'une & dans l'autre pièce ,
que tant de génie ait été prodigué fur un
fonds auffi ingrat. Le rôle d'Hérode devoit
faire tomber la plume des mains de
quiconque avoit à tracer le caractère de
Fayel. Ce Fayel raffemble for lui tout-
D v
22 MERCURE DE FRANCE.
l'intérêt de la pièce , parce que c'eft le
fi perfonnage agiffant , & qu'il eft
pationné & malheureux. Gabrielle eft
ronjours dans la même fituation , & nécofairement
monotone & inactive ; & ,
d'ailleurs , il ne faut jamais mettre fut
la fène un perfonnage , qui , fait pour
exciter de l'intérêt , eft placé dans une
telle fituation , qu'on ne peut rien efpérer
pour lui. Or , il n'y a rien à espérer
pour Gabrielle. C'eft une victime” qui
gémit & qui gémira , jufqu'à ce qu'en
la frappe. Alzire eft mariée commɛ Gibrielle
; mais , elle ne l'eft que du joue
même où revient Zamore , & elle riclame
hautement contre fon mariaze.
Voilà un noeud formé. D'ailleurs , 1-
rae eft na perfonnage bien autrement
pailonné que Couci , qui n'eft qu'un.aoge
reux fort ordinaire , qui fe cache pour
trouver le moment de voir fa maîtree..
Tout l'intérêt fe réunit donc fur Favelg
& cet intérêt , qui ne peut pas tue
bian grand , fe change en horreur au
cinquième acte . C'eft ce cinquième acto ,
fur -tout , qui a égaré ceux qui ont voula
traiter ce fujet . Ils ont cru cette catcftrophe
tragique ; ce n'est qu'une atrocité ,
qui dégoûte & qui révolte . Ce n'eft pas .
même une cataſtrophe , c'eft-d- dire , une
NOVEMBRE. 1770 . 83
révolution , qui , comme a dit Boileau ,
Change tout , donne à tout une face imprévue.
Tels font les dénouemens de Zaïre ,
d'Alzire , d'Adélaïde , &c . C'eſt une
barbarie recherchée , qui , demandant du
tems & de la réflexion pour être exécutée ,
eft néceffairement froide. En général , les
vengeances , pour être intérellantes au théâtre
, doivent être promptes , fubites ,
violentes. Il faut toujours frapper de
grands coups fur la fcène. Les horreurs
détaillées ne font que rebutantes . Un
coeur coupé en morceaux , apprêté , mis
ee fauce ou en jus , comme on voudra ,
non - feulement n'eft pas tragique , mais
même , eft l'oppofé de la tragédie.
Nec pueros coram populo Medea trucider
Neve humana palàm coquat exta nefarius Atreus
C'est ainsi que parloit Horace . M. de
Crébillon a , malgré ce précepte , rifqué
la coupe d'Atrée . Mais la coupe d'Atrée
n'a pas réuffi , à beaucoup près , généralement;
quoiqu'elle fût beaucoup moins révoltante
que la coupe de Fayel . Quelques
efprits faux , quelques jeunes têtes qui
n'ont pas réfféchi , croient que les atrocités
font le plus grand effort de l'efprit hu-
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
main , & que l'horreur eft ce qu'il y a
de plus tragique . Elles fe trompent beaucoup:
C'est tout ce qu'il y a de plus facile
à trouver. Nous avons des romans
inconnus & fort au - deffous du médiocre ,
où l'on a raffemblé affez d'horreurs pour
faire cinquante tragédies déteftables. La
grande difficulté , le grand mérite eft
de trouver le degré d'émotion où l'ame
aime à s'arrêter , & de n'exciter la pitié
ou la terreur , que jufqu'au point où elle
eft un plaifir . Si , dans tous les arts , il ne
s'agifloit que ddee ppaaffffeerr llee bbuutt , rien ne
feroit fi commun que les grands artiftes ;
mais il s'agit de l'atteindre.
Pauci quos æquus amavit Jupiter.
La Comteffe de Fayel diffère des deux
autres , en ce que Couci n'y paroît point ,
& que le coeur eft fondu en breuvage.
D'ailleurs , ce font les mêmes détails de
douleur dans le rôle de Gabrielle , & de
jalousie dans celui de fon mari . Le peu
de tems que l'auteur a mis à compofer
fon ouvrage , marque une étonnante facilité
; & , plufieurs endroits , écrits avec
intérêt , marquent du talent. Voici les
premiers vers de la pièce . Gabrielle eft
fuppofée s'éveiller , après un fonge funefte
.
NOVEMBRE . 1770. 85
Où fuis-je ? Quel objet dans mon amé éperdue
A porté la terreur & frappe encor ma vue ?
Mon trouble a -t- il produit ce ſpectre enfanglanté
?
N'étoit - ce qu'un vain ſonge ? Eſt ce une vérité ?
Est- ce toi , cher amant , & c.
Si tu n'es plus , ah ! loin de vouloir te furvivre ,
Chere ombre , reparois , je fuis prête à te fuivre.
Viens de mes triftes jours éteindre le flambeau.
Hélas ! depuis fix mois j'habite le tombeau.
C'est ici que Fayel enivré de vengeance ,
Opprime la vertu , fait gémir l'innocence ,
Que morte pour les miens , n'exiſtant que pour
toi ,
Libre encor dans les fers , je te garde ma foi , &c.
Le défaveu de la Nature. Nouvelles lettres.
en vers , avec gravures. A Londres ,
& fe trouve à Paris , chez Fétil , libraire
, rue des Cordeliers , au Parnafle
Italien .
La premiere de ces lettres , eft celle
d'un père à fa femme , fur la mort d'un
fils qu'il avoit fait inoculer à Londres .
Le fait est tiré d'un mémoire en rapport
contre l'inoculation , par M. de l'Epine
médecin de la faculté de Paris . Voici
quelques morceaux de cette épître. Le
père repréfente fon fils au lit de la mort.
86 MERCURE DE FRANCE.
Il entr'ouvroit encor -fa mourante paupière .
Il me voit à travers un refte de lumière .
Je l'entends qui m'appelle , & me tendant la main,
Il renverse auffi-tôt la tête fur mon ſein .
« Je fuccombe , dit-il ; quel jour encor m'éclaire ?
»O , mon père ! eſt - ce vous que je vois fans ma
>> mère ?
Oubliez , s'il fe peut , que vous aviez un fils .
» Mes jours étoient à vous , vous les avez repris.
Non , je vous dois encore , & vous êtes mon 33
ל כ »père,
» Mais je ne vous vois plus , & déjà la lumière..»
Sa bouche à cet effort ne peut plus fe r'ouvrir ,
Je l'ai vu me chercher , m'embrafler & mourir.
Il prend le parti de fe retirer dans un
cloître , & invite fa femme à fuivre fon
exemple.
Bientôt , par un écrit arrofé de tes larmes ,
J'apprendrai qu'un tel fort aura pour toi des char
mes.
Ainfi , fans abjurer nos fermens mutuels ,
Nous les convertirons en des vaux folennels.
Il faut qu'en ces lieux faints où la douleur fuccombe
,
Nos mains qui , chaque jour creuferont notre
tombe ,
Y tracent nos malheurs à la postérité ;
Que l'avenir les life & ſoit épouvanté.
NOVEMBRE. 1770. 87
Laiſſons-lui , par des traits qui puiffent nous furvivre
,
Notre crime en horreur & notre exemple à fuivrea
Cette expreffion de crime eft excufée par
le défefpoir du père. Il y a tant de probabilités
pour le fuccès de la petite vérole
inoculée , que lorfqu'on tombe dans
le cas , très- rare , de l'exception , c'eſt
un malheur , & non pas un crime. Nous
devons , d'ailleurs , remarquer que l'auteur
ne dit pas ce qu'il veut dire en parlant
de vaux folennels , pour exprimer
des voeux monaftiques. Les voeux du
mariage font auffi très-folennels. Ainfi la
propriété des termes manque , & c'eſt
ce qu'il ne faut jamais négliger . Nous ne
donnons cet avis au jeune auteur , que
parce qu'il annonce dans cette lettre &
dans les autres morceaux qu'il y a joints,
du talent & de la fenfibilité.
Religion Chrétienne prouvée à un Deifle ,
parM. l'Abbé Pey , chanoine de l'Eglife:
cathédrale de Toulon , ancien vicairegénéral
& official de feu M. de Choin
2 vol. in-12. A Paris , chez Humblot ,
rue St. Jacques , 1771 , avec approba
tion & privilége du Roi,
$$ MERCURE DE FRANCE.
La préface n'eft qu'un fimple expofé de
ce qui a donné occafion à l'ouvrage, de
l'ordre des matières , & de la manière
dont l'auteur fe propofe de les traiter.
Il prélude dans le premier chapitre ,
contre les incrédules en général ; en faifant
voir qu'ils ne peuvent être , dans
leurs fyftêmes ni raifonnables , ni vertueux
, ni heureux .
La lumière qui naît du fond des chofes
& de l'évidence des faits , éclaire l'éfprit
, intérelle le coeur , & doit abattre ,
au moins , ceux qu'elle ne convertit pas.
Enfuite vient la religion des Juifs.
L'auteur en trace d'abord le tableau ; il
montre la vérité & l'autenticité des livres
de l'Ancien Teftament , & fur- tout du
Pentateuque , & amène à l'appui de
toutes les raifons qu'alléguent les Apologistes
de la religion , l'autorité des
anciens hiftoriens profanes. On eft furpris
de voir , dans la tradition des premiers
peuples , les monumens des faits
Tes plus extraordinares que Moïfe avoit
rapportés. Les prophéties ajoutées aux
miracles opérés en faveur de la nation
Juive , forment une nouvelle preuve de
la divinité de la Loi Mofaïque. L'auteur
les expofe d'abord d'une manière concife ;
il en fait voir la chaîne & l'accompliſ
NOVEMBRE . 1770. 89
fement avant J. C. & fe contente de
choific celles qui ont rapport aux principaux
événemens pour les développer
avec quelque étendue ; il le fait avec
un choix , un ordre & une érudition qui
intéreffe le lecteur.
L'auteur , paffant de-là à la Religion
Chrétienne , pofe le fondement de fes
preuves , en commençant par établir la
vérité des livres du nouveau Teftament ,
& fur- tout des quatre Evangéliftes , &
la fidélité de la tradition qui nous les a
tranfmis . L'auteur , qui femble avoir devant
les yeux l'églife naiffante , faifit la
chaîne de cette tradition qui tient , dès
fon origine , à une multitude d'églifes
particulières répandues dans la moitié
monde , y montre par- tout un témoignage
unanime rendu aux écrits facrés
des Apôtres & de leurs difciples ; il approfondit
tout ; il confulte les fources
mêmes que l'héréfie ou la fuperftition
ont empoisonnées , & en forme la preuve
la plus complette & la plus fenfible. Ce
morceau feul vaut un ouvrage .
Après cela , l'auteur parle des vertus
de J. C. , de fa doctrine , de fes miracles ,
appuyé fur le témoignage des auteurs facrés
;
enfuite il traite de fa mort , de
90 MERCURE DE FRANCE.
fa réfurrection , de l'établiſſement de
l'églife , de fes progrès , des moeurs &
des miracles des premiers Chrétiens. Tous
ces articles forment autant de preuves ,
& font exposés fous de nouveaux , points
de vue , avec beaucoup d'énergie & d'élévation
dans les idées.
Pour faire encore mieux fentir le miracle
de la protection divine en faveur
de l'églife de J. C. par un contraſte
frappant , M. Pey fait à la fuite l'expofition
des malheurs des Juifs , & de leur
aveuglement , depuis qu'ils ont crucifié
le fils de Dieu ; il montre , par la natyre
des fléaux dont ils ont été frappés
& par les prédictions qui en avoient
été faites , la main vifible d'un Dieu
vengeur qui punit la nation . Dans le
parallèle qu'il fait enfuite des deux lois ,
il montre la rélation néceffaire qui eft
entre elles , & la conformité des traits
qui les caractérisent ; & il montre , en
même-temps , la fupériorité de la loi
nouvelle fur l'ancienne , pour faire voir
qu'elles ont l'une & l'autre une même
origine , & que celle - ci étoit le complement
& la perfection de la première.
Le chapitre fuivant regarde les proNOVEMBRE.
1770. 91
phéties ; c'étoit - là comme le dernier
trait qui réuniffoit les différens objets ,
qui avoient fait la matière des chapitres
précédens , & il devoit naturellement
terminer les preuves. M Pey , maître , de
fon fujet entre en matière , pofe les grands
principes , abrége les difcuffions , renvoie
aux notes la plupart des autorités , dégage
le ftyle , en retranchant tout ce qui
pourroit le faire languir ou interrompre
le fil qui forme la liaiſon & le plan des
prophéties ; & , par l'ordre , la préciſion
l'enchaînement des idées , par les nouveaux
points de vue , fous lefquels il enviſage
les oracles facrés , par la doctrine de
l'ancienne fynagogue , la conformité de
cette doctrine avec les nouvelles prédictions
de J. C. & les événémens poftérieurs
, il fait voir l'accord & le dévéloppement
des deffeins de Dieu annoncés
dès le commencement , tracés dans
les livres facrés & accomplis dans le
tems.
L'auteur met dans fes preuves un intérêt
particulier , non feulement par la
manière dont il les expofe , mais encore
par le foin qu'il a de placer à la fin de
chaque chapitre les objections pricipales
avec les réponſes ; les objections pré92
MERCURE DE FRANCE.
fentées fans déguifément , arrêtent d'a
bord le lecteur par une eſpèce de nuage
répandu fur les vérités qu'on a traitées ;
mais il voit bientôt l'illufion fe diffiper
par une force de
raifonnement , qui , en
dévéloppant les idées , donne aux preuves
mêmes qu'on a établies encore plus
de profondeur & d'évidence .
Cela fe manifefte d'une manière encore
plus fenfible dans le dixième
chapitre , qui vient à la fuite des prophéties
, & où l'on montre la différence
qu'il y a entre la Religion Chrétienne ,
& les fauffes Religions , dans les carac
téres mêmes par lefquels elle paroît
d'abord leur reflembler. On y apperçoit
la diftance infinie qui fe trouve toujours
entre les ouvrages de Dieu & ceux des
hommes.
Le onzième chapitre traite des myftères
, foit en général , foit en particulier
. Les mystères , confidérés en général ,
fe tournent eux mêmes en preuve de la
Religion ; mais en defcendant aux myftères
en particulier , l'auteur refpecte les
bornes que
la foi a prefcrites à la raifon;
il fe contente , par une fimple analyſe
des
objections des idées nettes
une logique claire & exacte , de mon-
• par
>
NOVEMBRE. 1770. 93
trer que ces objections ne portent fur
aucun fondement folide .
Le douzième & dernier chapitre eft
employé à combattre la prétendue bonne
foi des incrédules . L'auteur les juge par les
faits & par les difpofitions de leur coeur ,
fur lefquelles il interroge leur confcience :
cela lui donne une occafion de récapituler
les preuves de la Religion par la
réunion des différens objets , qui , rapprochés
fous un même point de vue ,
portent la conviction au fond de l'ame
& qui , s'ils ne rappellent pas le Déïfte
à la Religion , fufcitent au moins fa
confcience contre lui - même.
Ce traité est écrit avec beaucoup
d'ordre. Une grande connoiffance de
l'hiftoire , tant facrée , que profane , de
l'écriture-fainte ; & , s'il m'eft permis
de le dire , de la théologie , un enchaînement
naturel d'idées , une force victorieufe
de raifonnement , un ftyle clair ,
noble , animé & précis , femblent avoir
rempli le deffein que M. Pafcal avoit
tracé , & que M. Pey paroît s'être propofé
dans fa préface , d'intéreffer le coeur
& d'éclairer l'efprit.
Inviter ceux qui ont des talens pour
défendre la Religion , à former une fo94
MERCURE
DE FRANCE.
ciété contre les incrédules . Cet objet
feroit digne des foins des plus grands
Prélats du Royaume.
Lettre de l'auteur des Confidérations fur
les caufes phyfiques & morales du génie ,
des moeurs & du gouvernement des nations
; & fur les plaintes de l'auteur de
l'Esprit des nations , inférées dans l'année
littéraire.
On finiſſoit , Monfieur , d'imprimer
fous mes yeux , la feconde édition de
mes Confidérations , &c. lorfque j'ai appris
que l'auteur du livre intitulé , l'Eſprit
des nations , fe plaignoit fort amérement
de la liberté que j'avois prife d'employer
plufieurs matériaux dont il avoit fait
ufage. Par tout ce que j'avois dit à ce
fujet dans ma préface , je penfois avoir
prévenu toute efpèce de plainte de la
part de cet écrivain . Je déclarois alors ,
& j'aime à le répéter encore , que j'ai
trouvé d'excellentes chofes & de trèsfages
obfervations dans l'Esprit des nations
; mais je dirai en même tems ,
& la vérité eft , qu'à l'âpreté du ftyle de
cet ouvrage , fort fouvent inintelligible ,
j'avois cru , de bonne foi , l'auteur étranNOVEMBRE.
1770 .
95
ger , & fur- tout , fort peu familiarifé
avec la Langue Françoiſe : je difois auffi
que je n'avois ufé que très-fobrement de
fes obfervations , ce qu'il m'eût été facile
de cacher extrêmement . Mes Confidérations
ont été publiées , il y a environ
un an , elles ont eu quelque fuccès ,
& l'auteur de l'Esprit des nations a
gardé le filence , quoique , d'après ma
déclaration , il ne pût ignorer que j'ayouois
ingénument m'être fervi de fon
ouvrage , comme de bien d'autres écrits.
Ce n'est qu'aujourd'hui feulement qu'il
lui prend envie de fe plaindre , & qu'à
propos de ce que j'ai dit au fujet de fa
manière il imagine de me faire un
crime d'une obfervation , que tout François
eût faite en ma place , ainfi que la
fera quiconque voudra prendre la peine
de lire quelques pages de cet Efprit des
nations. Il trouve mauvais que , lorfque
j'ai puifé chez lui , je me fois occupé à
le rendre intelligible. Ce font là des reproches
d'une bien fingulière efpèce , &
auxquels il me femble qu'il eft bien facile
de répondre. Ce ne font pas communément
les mauvais ouvrages qu'on
traduit ; ce font , au contraire , les écrits
les plus utiles que l'on cherche à faire
96, MERCURE
DE FRANCE.
connoître il y avoit , fans doute , de
très bonnes obfervations qui méritoient
d'être connues dans l'Efprit des nations ,
& ce font celles - là que j'ai confervées
en les préfentant , il eft vrai , comme j'ai
cru qu'elles devoient être préfentées . A
l'égard des autres , je les ai laiffées où
elles étoient , & j'ai écrit d'après moimême
, & non d'après cet auteur , foit
que je n'aie pu l'entendre , foit que je
n'aie point jugé à propos de le fuivre.
Au lieu de fe plaindre , pourquoi ne
m'a-t-il pas fu quelque gré de mon travail
, & de mon attention à dire ce qu'il
m'était fi facile de taire ? Je lui reftitue
très - volontiers tout ce qui eft de lui dans
cet ouvrage , & tout ce qu'il pourra reconnaître
dans cette feconde édition : je
lui dois prefqu'entiers les deux premiers
chapitres du premier livre , à quelques
changemens près ; je lui fuis redevable
da titre de la plupart des chapitres , parce
que j'ai confidéré les mêmes objets ,
quoique mes Confidérations foient trèsdifférentes
des fiennes : je lui rends enfin
toutes les réflexions qu'il m'a fournies ;
on ne les litoit pas , on les lit maintenant
, & je fuis trop fenfible à ce
fuccès , pour ne pas l'en remercier.
Mais ,
NOVEMBRE. 1770. 97
Mais , que lui importe que j'aie joint
beaucoup de mes Confidérations au petit
nombre des Gennes ? On m'affure que cet
auteur s'étoit plaint , ou qu'il vouloit fe
plaindre fort vivement dans quelqu'une
des feuilles périodiques . Si cette feuille a
paru , je ne l'ai point lue , & fi elle patoît
dans la fuite , il eft très - vraifemblable
que je ne la lirai pas ; mais , d'après
tout ce que l'on m'apprend des intentions
de cet auteur , je crois devoir
encore répéter ici le même aveu que j'ai
fait dans ma préface ; je veux dire , que
ce n'eſt ni un larcin littéraire , ni un plagiat
que j'ai voulu commettre ; je n'ai prérendu
autre chofe qu'ajouter à plufieurs réflexions
qui m'avoient frappé dans l'Efpric
des nations , une infinité d'autres que
j'avois faites fur le même fujet . J'y en
ai ajoutées en bien plus grande quantité
dans cette feconde édition , dans laquelle
j'ai fait des changemens confidérables au
plan même de l'ouvrage . Si c'eft encorelà
un nouveau fujet de plainte , j'en ferai
véritablement fâché pour lui ; mais ,
très- affurement , je ne lui répondrai pas.
L'Esprit des nations exifte , & je laiffe
au public le foin du parallèle entre cet
ouvrage & mes Confidérations , qu'on
"
E
98 MERCURE DE FRANCE !
vetra ne lui reflembler que de très - loin
par intervalles . J'ai encore une réponse
bien plus fatisfaifante à donner ; c'eſt
de travailler à un nouvel ouvrage qui
puiffe mériter les bontés que le public a
daigné , jufqu'à préfent , avoir pour ceux
queje me fuis permis de lui offrir.
J'ai l'honneur d'être , & c.
L. CASTILHON.
Bouillon , 28 Août 1770 .
Mémoires & obfervations de chirurgie , pat
M. Trecourt , docteur en médecine ,
chirurgien-major de l'hôpital- militaire
de Rocroy, échevin de la même ville &
correfpondant de l'académie royale de
chirurgie de Paris ; vol. in 12. A Bouil
lon , aux dépens de la fociété typographique
; & fe trouve à Paris , chez La
combe , libraire , rue Chriſtine.
Le premier mémoire de ce recueil eft
fur les abcès , le fecond traite des maladies
de la peau ; le troifième , du régime
qu'il faut obferver dans les maladies chirurgicales
; le quatrième nous entretient
des inconvéniens dont l'ufage du feton eſt
fufceptible ; il eft queftion dans le méNOVEMBRE.
1770.
فو
moire fuivant des coliques hépatiques &
autres maladies du foie , caufées par des
concrétions calculeufes ou pierres biliaires
. Le volume eft terminé par des réflexions
fur l'hydrophobie & par des obfervations
fur une maladie fingulière qui ,
dans le commencement de l'année 1746 ,
régna parmi les foldats qui compofoient
la garnifon de Rocroy .
Ce recueil eft dédié à MM. de l'Académie
royale de chirurgie qui ont eu
fouvent occafion d'applaudir aux travaux
de l'habile chirurgien & aux obfervations
du correfpondant inftruit & éclairé.
Jugement impartial fur des Lettres de la
Cour de Rome , en forme de Bref
tendantes à déroger à certains Edits
du Séréniffime Duc de Parme , & à
lui difputer , fous ce prétexte , la fouveraineté
temporelle , traduit de l'Efpagnol.
2 vol . in- 12. A Madrid , &
fe trouve à Paris , rue St Jacques ,
chez Hériffant , fils .
L'Auteur difcute dans cet ouvrage plufieurs
principes du droit des Souverains ,
& enfait l'application aux diverfes queftions
auxquelles les prétentions de la
Cour de Rome ont donné lieu dans ces
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
derniers tems . Il fait voir les abus des
cenfures eccléfiaftiques , quand elles troublent
les régales des Princes & l'obéiffance
due de droit divin par les Sujets à
leurs Souverains. Tout ceci eft appuyé
far des maximes inconteftables & fur des
faits qui ne laiffent aucune reflource à la
réplique.
Hiftoire des Evêques d'Amiens , par M.
J. M. B. D. S. vol . in- 12. A Abbeville ,
chez la Veuve de Vérité , & fe trouve
à Paris , chez Bailly , libraire , Quai
des Auguftins.
L'Evêché d'Amiens eft fuffragant de
l'Archevêché de Rheims , & renferme
l'Amiennois , une partie du Santerre , le
Vimeu , le Marquenterre , la partie du
Bailliage de Hedin , qui eft au midi de
la Canche & le Ponthieu propre. L'Evêque
a droit d'affifter au facte de nos Rois ,
ainfi que les autres Evêques fuffragans de
Rheims . Pendant un très - long- tems
lorfque les Evêques d'Amiens venoient
en perfonne prendre poffeffion de leur
églife cathédrale , ils faifoient , ainfi que
les autres Evêques & Archevêques , une
entrée folennelle dans la ville , & dans
l'églife où étoit leur fiège épifcopal .
>
NOVEMBRE . 1770 . 1.01
Comme cette cérémonie peut contribuer
à faire connoître nos anciens ufages ,
nous rappelerons ici le cérémonial obfervé
à la dernière entrée , qui eft celle
de M. le Febvre de Caumartin , mort
Evêque d'Amiens en 1652. Ce cérémomonial
eſt le même qui avoit été pratiqué
pas fes prédécefeurs . M. de Caumartin
ayant reçu fes bulles & ayant été
facré , on informa le corps de ville d'Amiens
& les avoués de l'évêché , & on
leur indiqua le jour & le lieu , qui eſt
le village de Montier , dont l'Evêque
d'Amiens eft Seigneur . Ce village n'eft
qu'à trois quarts de lieues de la ville . M.
de Caumartin fe rendit en ce lieu fur les
fept heures du matin du jour indiqué ,
qui étoit le premier de Juillet 1618. De
leur côté , les Echevins d'Amiens , en
habits de cérémonie , à cheval , & accompagnés
des confeillers & officiers de
ville & des fergens à maſſe , auſſi à cheval
& en robe , dont deux de cès fergens
portoient les deux bannières de la
ville ; des fergens de nuit , avec leurs
hallebardes , & des huiffiers à cheval , ſe
rendirent à Montier. Les Echevins & leur
cortège étant defcendus de cheval, entiè
rent dans l'églife , & de- là dans le choeur ,
E iij
tez MERCURE DE FRANCE.
où ils trouvèrent le Seigneur Evêque .
Le premier Echevin lui fit une harangue
latine , à laquelle l'Evêque répondit
en la même langue . Ces difcours
finis , les Echevins fortirent de l'églife ,
& temonièrent à cheval pour conduire
le Seigneur Evêque jufqu'à fon églife
cathédrale. L'Evêque fortit enfuite , accompagné
des Seigneurs Vidames d'Amiens
, de Rambures , de Rivery , de
Coify de Montmorency , & autres avoués
& Seigneurs de la Province , qui étoient
venus au devant du Seigneur Evêque . Le
Prélat étant en rochet violet & en bonnet
carré , monta fur une mule , & , accompagné
de tout ce cortège , dirigea fa
marche vers la ville & vers l'Eglife
d'Amiens ; il rencontra le préfidial qui
l'atrendoit entre les deux ponts de la porte
de Beauvais , où le Préfident le harangua
en latin , & la réponſe de l'Evêque fur
auffi en cette langue. Les Religieux- mandians
, les curés & les prêtres des paroiffes,
avec la croix & l'eau bénite , le conduifirent
proceffionnellement à la porte de l'églife
cathédrale , où le Prélat defcendit de
fa mule , à l'aide du Seigneur de Rivery
, qui lui tenoit l'étrier & la bride . Ce
Seigneur s'empara de la monture , en
NOVEMBRE. 1770. 16 ;
qualité de poffeffeur du fief de la Mulel'Evêque
, fitué à Pernois ; à cette même
porte de l'églife cathédrale étoient les
doyen , chanoines & chapitre de l'églife
qui , ayant fait faire à l'Evêque le ferment
accoutumé , lui mirent la chape
& la mitre , & le conduifirent au grand
autel , où il célébra la grand'Meſſe . Il
montra enfuite , du haut de la tribune ,
le chef de St Jean- Baptifte , puis fe rendit
en fon hôtel épiſcopal , & il retint à
dîner Meffieurs de ville , toute la nobleffe
& le préfidial. Les Seigneurs avoués
de l'Evêque affiftent à ce feftin . L'anneau
d'or que l'Evêque a pour lors au
doigt appartient au Vidame d'Amiens ;
la vaiffelle de ce feftin folennel eft donnée
au Seigneur de Rivery , & la taffe dans.
laquelle l'Evêque a bu , au Seigneur de
Coify de Montmorency .
Cette hiftoire des Evêques d'Amiens
eft une espèce de nécrologe qui contient
peu de faits intéreffans . Mais elle rappelera
à la ville d'Amiens les noms d'une
nobleffe qui la décore , & les vertus des
pafteurs qui l'ont édifiée . Cette hiftoire
commence à St. Firmin , martyr du
troisième fiècle , & premier Evêque d'Amiens.
Elle fait connoître quatre- vingts
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Evêques qui ont été élevés fucceffivement
fur le fiège épifcopal de cetre ville . Vers
le milieu du dix - feptième fiècle , les
prédicateurs ne fe faifoient point encore
de difficulté de citer en chaire différens.
paffages de l'Antiquité . Le père Faure ,
qui avoit été cordelier avant d'être nommé
Evêque d'Amiens en 1653 , prêchoit
la paffion en l'églife de St Germainl'Auxerrois.
La Reine qui vouloit l'entendre
, arriva lorque le fermon étoit
commencé. Le prédicateur lui adreffa
pour complainte ces paroles du quatrième
livre de l'énéïde de Virgile , que dit
Enée à la Reine de Carthage , lorfque
cette Princeffe l'engage à rapporter fes
funeftes aventures : Infandum Regina
jubes renovare dolorem , & l'ayant faluée ,
recommença fon difcours . Cette faillie
fut alors fort goûtée.
-L'Art d'inftruire & de toucher les ames
dans le tribunal de la pénitence , ouvrage
utile aux prêtres qui commencent
à exercer le ministère de la confeflion
, & à tous les fidèles , pour
tirer de dignes fruits de ce devoir de
religion . deux volumes in douze.
A Paris , chez Bailly , libraire , à
·
NOVEMBRE. 1770. 10.5
l'entrée du Quai des Auguftins , à
l'Occafion .
Ce bon ouvrage contient : 1º, Les
queftions que les confeffeurs doivent
faire pour connoître l'état des confciences
, tant fur les commandemens de
Dieu , que fur les obligations de l'état
de chacun : 2°. Des remontrances & des
inftructions , pour faire fentir la gravité
des péchés & les raiſons de s'en abstenir ;
le tout prouvé par les autorités de l'écriture
fainte , & le fentiment des faints
Pères : 3º . Des modèles d'exhortations ,
pour acquérir le don de toucher les ames ;
les unes , pour ébranler les pécheurs &
les exciter à fe convertir ; les autres ,
pour exciter les juftes à la pratique des
vertus chrétiennes.
Nova juris ac judiciaria , tàm civiles
quàm criminales , inftitutiones , &c . Inftituts
de droit nouveaux & judiciaires ,
tant civils , que criminels , difpofés
fuivant l'ordre & la méthode de Juftinien
, & auffi par traités particuliers.
Ouvrage utile , non- feulement aux
jeunes étudians & aux jeunes avocats ,
mais encore aux jurifconfultes les plus
expérimentés; par M. François - Xavier
E v
06 MERCURE DE FRANCE.
Tixedor de la Sola , docteur en droit
canon & civil , juge royal , faiſant les
foctions de fénéchal en la viguerie de
Conflans , dans la province de Rouffillon
à Carcaffonne 1770 , chez R.
Heiriffon , imprimeur du Roi. Tom . I.
in-4°.
La méthode & la clarté qu'a mis M.
Tixedor dans la rédaction de ces inftituts ,
le foin qu'il a pris de réunir aux principaux
textes du droit romain les meilleures
interprétations anciennes & modernes
, peuvent faire regarder , à juſte titre ,
ces inftituts comme un ouvrage neuf &
un livre élémentaire pour tous les étudians
en droit . L'auteur n'en publie encore
que le premier volume , & a fait
hommage de fon travail à M. le duc de
Noailles , gouverneur du Rouffillon .
Abrégé de la vie & dufyftême de Gaffendi ,
par M. de Camburat : à Bouillon , aux
dépens de la fociété typographique ,
& fe trouve à Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriftine , vol . in - 12.
Pierre Gaffendi , prévôt de la cathé
drale de Dignes , & profeffeur royal de
mathématiques à Paris , mort en 1656 ,
à 64 ans , a été parmi nous un des plus
NOVEMBRE . 1770. 107
illuftres pères de la philofophie moderne ,
& le reftaurateur de la phyfique corpufculaire
. Toute fon étude ne tendoit qu'à
devenir plus favant & meilleur. Auffi
avoit il mis fur fes livres ces paroles
Sapere aude. Gaffendi avoit affez de mérite
pour être modefte , & l'auteur de
cet abrégé a foin de rapporter cette anecdote
qui fait honneur au caractère de ce
philofophe. Gaffendi étoit parti de Paris.
pour fe rendre en Provence. Il avoit pour
compagnon de voyage , un confeiller au
-grand- confeil , nommé Maridat . Ils logèrent
& mangèrent enfemble pendant
toute la route , fans que le confeiller
connût autrement notre philofophe , que
par la qualité de prévôt de Dignes , dont
il venoit d'être revêtu . Un jour Maridat
étant à Grenoble , rencontra dans la rue
un de les amis , qui lui dit qu'il alloit
rendre vifite au célèbre Gaflendi . Maridat
lui demanda la permiffion de l'accompagner
, ne voulant pas laiffer échapper
l'occafion de faire connoiffance avec
cet homme illuftre. Mais quelle fur fa
furprife , lorsque cet ami lui fit reprendre
le chemin de fon auberge , & qu'il
le conduisit à l'appartement du prévôt de
Dignes. Maridat ne pouvoit revenir de
E vj
IOS MERCURE DE FRANCE.
fon étonnement , ni fe laffer d'admirer
la modeftie de ce philofophe , qui , pendant
tout le dit un voyage , n'avoit pas
mot qui eût pu le faire connoître.
Un défaut que l'on pourroit reprocher
à Gaffendi , ou plutôt à fon fiècle , eft
d'avoir voulu tout expliquer en phyfique ,
& fouvent fans s'aflurer auparavant de
l'existence du fait foumis à l'examen . Le
comte & la comteffe d'Alais , qui demeuroient
à Marseille , avoient confulté
Gaffendi au fujet d'un fpectre vu plufieurs
fois pendant la nuit . Le philofophe ,
après avoir profondement raifonné , conclut
que ce fpectre avoit été formé par
des vapeurs enflammées qu'avoient produites
le foufle du comte & de la comteffe
. Cependant, qu'étoit ce que ce fpectre
? une femme de chambre cachée fous
le lit , qui faifoit de tems en tems paroître
un phoſphore . La comteffe faifoit
jouer cette parade , pour engager fon
mari , efprit foible , à quitter Marſeille
qu'elle n'aimoit pas.
Gaffendi préféra toujours un état libre
& médiocre , aux richeffes qu'il auroit
pu tenir de la libéralité des grands . II
mettoit la liberté d'un philofophe à un
trop haut prix , pour que les Souverains
NOVEMBRE. 1773.
109
puiffent jamais l'acquérir. Il étoit trèsverfé
, non -feulement dans la philofophie
ancienne & moderne , mais encore dans
l'aftronomie , la métaphyfique , les langues
,, l'hiftoire , l'antiquité. Ses écrits ne
font point fans agrément. Auffi a t on dit
de lui , que jamais philofophe n'avoit été
meilleur humaniste , ni humanifte fi bon
philofophe. Il mourut avec toute la tranquillité
d'un fage .
Il forma des élèves qui lui ont fait un
honneur infimi , tels que Bernier , Molières
, Bachaumont & Chapelle . Ce dernier
étoit un des plus aimables efprits de
fon tems. Gaffendi , fon maître , difoit que
la morale d'Epicure portoit à la frugalité
& à la tempérance ; mais l'épicuriſme de
Chapelle n'étoit
pas tout à fait dans cette
claffe . Ce poëte , recherché dans les meilleures
tables , avoit coutume de s'enivrer
tous les foirs. Dans fes momens
d'ivreffe , il entroit dans l'enthouſiaſme ,
& faifoit le commentaire du lyftême de
Gaffendi ; & , quand les convives étoient
levés de table , il continuoit , le verre à
la main , d'expliquer le fyftême au maître
d'hôtel & aux laquais.
Le grand Newton fe plaifoit beaucoup
à la lecture des ouvrages de Gaffendi . Il
110 MERCURE DE FRANCE.
le regardoit comme un efprit très juſte &
très fage , & il fe faifoit gloire d'être
entièrement de fon avis dans ce qui concernoit
l'efpace , la durée , les atomes.
Un extrait raisonné des écrits de Gaffendi,
peut donc être regardé comme une introduction
à la phyfique Newtonienne.
C'eft ce qui a engagé M. de Camburat
à développer le fonds & à parcourir
les branches effentielles du fyltême de
Gaffendi . Cet abrégé raifonné & trèsbien
fait , fera de la plus grande utilité
pour ceux qui défirent de prendre quelque
teinture de la philofophie angloife ,
fi fort en vogue aujourd'hui .
Differtation fur les parties fenfibles du
corps animal , fuivie d'un mémoire
fur les avantages que procurent les frictions
mercurielles dans le traitement
de quelques épilepfies idiopatiques ,
avec les confultations & lettres qui y
ont rapport ; terminé par deux obfervations
fur l'ufage du mercure pour la
guérifon du fcorbut & des dartres. Par
M. Houffet , docteur en médecine &
correfpondant de la fociété royale des
fciences de Montpellier médecin
des hôpitaux , bibliothécaire , & an
NOVEMBRE. 1770. 11
cicn directeur de la fociété des fcien- .
ces & belles- lettres d'Auxerre . A Laufanne
, chez François Graffet ; & à
Paris , chez P. F. Didot le jeune , libraire
, Quai des Auguftins.
M. Houffet prétend s'être affuré , par
expérience , que le mercure eft un remède
propre à guérir l'épilepfie idiopatique
. Cependant , comme les médecins
font perfuadés que cette horrible maladie
n'a d'autre caufe qu'un vice organique
dans le cerveau , il ne faudroit pas
s'étonner fi la plupart d'entr'eux , après
avoir lu la differtation de l'auteur , confervoient
quelque doute fur la prétendue
efficacité du mercure dans cette occafion.
Ces médecins héfiteront encore de croire
que le mercure attaque avec avantage le
fcorbut. Cette dernière maladie n'a été ,
jufqu'à préfent , combattue efficacement
que par les anti - fcorbutiques. Mais ,
n'auroit- il pas pu arriver que M. Houffer
fe fût trompé fur la nature du fcorbut ,
ainsi que fur celle de l'épilepfie qu'il a
guérie par le mercure ? Le virus vénérien
eft une espèce de protée , qui prend
tant de formes , que les plus grands praticiens
y font fouvent trompés , & il
pourroit très -bien fe faire , que les fymp
112 MERCURE DE FRANCE .
tomes qui paroiffoient annoncer à M.
Houffet , la préfence du fcorbut ou de
l'épilepfie , fuffent ceux du virus vénérien
pour lors , rien d'extraordinaire
dans la guérifon de cette maladie par le
mercure. Le tems & des expériences répétées
, décideront cetre queftion ſi intéreffante
pour l'humanité fouffrante.
Hiftoire des différens Peuples du monde
contenant les cérémonies religieufes
& civiles , l'origine des religions ,
leurs fectes & fuperftitions , & les
moeurs & ufages de chaque nation . Par
M. Contant Dorville , vol . in 8 ° .
tome premier. A Paris , chez Heriffant ,
fils , libraire , rue St Jacques , & J. P.
Coftard , libraire , rue St Jean- de-
Beauvais.
L'auteur nous entretient dans ce premier
volume , des Chinois , des Japonois
, des Peguans , des Siamois , des
Formofans , & de quelques autres nations
de l'Afie. Dans le portrait qu'il nous
fait du caractère des Japonois , il obferve
que le point d'honneur eft la chaîne
qui lie toutes les conditions de l'Empire.
La grandeur d'ame , la force de l'efprit ,
NOVEMBRE . 1770. 113
la nobleffe des fentimens , le zèle pour
la patrie , l'audace & le mépris de la vie ,
font les acceffoires qui en refferrent les
noeuds . Ce que l'hiftorien juftifie par
quelques exemples . Un gentilhomme de
Fingo avoit une femme d'une rare beauté
; l'Empereur la vit , en devint amoureux
; & , pour obtenir les faveurs avec
plus de liberté , il le fit affaffiner. Queljours
après , il donna ordre que la veuve
lui fûr aménée , & eut grand foin de lui
faire préparer un magnifique apparte
ment dans fon palais . La veuve feignit
d'être pénétrée de reconnoiffance
flattée de l'honneur que lui faifoit fon
Souverain ; mais elle recula l'inftant
qu'il vouloit preffer , en le fuppliant de
lui accorder au moins trente jours pour
pleurer fon époux , & la liberté de régaler
les parens , avant de fe rendre. L'Empereur
devenu plus amoureux par ce long
retardement , confentit à tout ce qu'elle
voulut , & fe pria du feftin qui devoit
terminer fon impatience. Les parens
s'affemblent , on ſe met a table , tout y
refpire la gaîté , on en fort bien - tôt , la
veuve s'approche d'un balcon , & , fous
prétexte de s'y appuyer , elle fe précipite
; & par cette action réfléchie & le
114 MERCURE DE FRANCE.
dernier recours du défefpoir , elle s'arrache
à la honte qui lui étoit préparée.
Un feigneur devint éperduement
amoureux d'une fille qu'il avoit enlevée
à la veuve d un foldat : la mère fur longtems
inconfolable de la perte de fa fille ;
mais enfin , ayant appris fon existence &
fafortune , elle lui écrivit pour en obtenir
quelques fecours. Lorfqu'on lui apporta
cette lettre , fon amant étoit préfent ; ſoit
jaloufie , foit fimple curiofité , il prétendit
la lire. La fille s'y oppofa de toutes
fes forces , pour ne pas mettre à découvert
la honte de fa mère ; & , craignant
de fuccomber , elle roula le papier,
& l'avala avec tant de précipitation ,
qu'elle en mourut fur le champ. Cet accident
irrita la jaloufie du feigneur , qui
auffi tôt fit ouvrir le gofier de cette
malheureufe fille , on en tira le billet ,
dont la lecture redoubla fon défefpoir.
Il ne trouva d'autre foulagement à fa
douleur , que de faire venir la mère auprès
de lui , & de la combler de biens.
Un précepte de religion défend aux
femmes Formofanes d'être mère avant
l'âge de trente - cinq ans. Lorfqu'elles
tombent dans ce cas , il faut qu'elles fe
NOVEMBRE. 1770. 115
faffent avorter. Pout cet effet , elles font
venir leurs prêtrelles ; & , ſe couchant
devant elles , elles fe font fouler le ventre
d'une certaine maniere , qui procure
l'avortement. Il faut avouer , ajoute l'hif
torien , que cette coutume eft unique ,
fi elle eft véritablement obfervée . Il auroit
pu remarquer que cette coutume
barbare a cependant quelque rapport
ce qui fe pratique à la Chine. On y permet
aux pères de vendre leurs filles &
d'expofer leurs enfans . La propagation
de l'efpèce par la nature du climat devient
quelquefois fi abondante dans ces
pays , qu'elle occafionne la famine , &
l'on eft obligé d'arrêter cette propagation
par des ufages qui nous paroiffent cruels ,
& qui le font en effet.
Les Talapoins , qui font les prêtres du
Pegu , vont tous les lundis dans les rues
frapper vivement fur des baffins de fer
blanc , pour affembler le peuple & l'inviter
à fe rendre au fermon . Leurs difcours
roulent fur des points de morale ,
& jamais fur les dogmes . Cette morale
enfeigne qu'il faut s'abftenir du meurtre ,
du larcin , de la fornication , de l'adultère
, & ne jamais faire à autrui , ce que
nous ne voudrions pas qu'il nous fit . Les
Peguans penfent qu'en fuivant ces maxi116
MERCURE DE FRANCE.
mes , on fe fauve dans quelque religion
que ce foit. Auffi ce peuple , quoique
très orgueilleux & très pauvre , a beaucoup
de douceur & de compaffion pour
les malheureux . Il y a des nations fauvages
, auxquelles il feroit difficile de
donner une idée de la royauté ; il ne feroit
pas plus aifé de faire comprendre à
un Peguan qu'un Etat peut fubfifter fans
Monarque . Balbi , Vénitien , étant au
Pegu , fur admis à l'audience du Roi,
Ce Prince lui demanda des nouvelles du
Monarque Vénitien . Lorfque Balbi répondit
qu'il n'y en avoit point à Vénife ,
le Roitit un fi grand éclat de rire , qu'une
toux le prit , & qu'il eut beaucoup de
peine à parler à fes courti fans . Cette
anecdote , que l'hiftorien n'auroit pas
du
omettre , eft rapportée dans le recueil
des voyages qui ont fervi à l'établiſſe →
ment de la Compagnie des indes .
M. C. D. moins curieux d'inftruire le
lecteur , que de le récréer par le fpectacle
varié qu'il lui préfente des moeurs &
ufages des différentes nations de l'univers
, ne s'eft permis aucune difcuffion
épineufe , aucune nouvelle obfervation
philofophique , qu'il abandonne à des
écrivains plus jaloux que lui de faire un
ouvrage neuf. Auffi fon ouvrage ne forNOVEMBRE.
1770. 117
tira point de la claffe des compilations
ordinaires. Le grand recueil des cérémonies
religieufes , l'hiftoire générale des
voyages , les dictionnaires géographiques
& quelques autres recueils de cette eſpèce,
font les principales fources où l'auteur a
puifé. Il ne paroît encore que le premier
volume de fon ouvrage , qui fera fuivi
vraisemblablement d'un grand nombre
de volumes , à moins que le public ne
fe contente des compilations qu'il a déjà
dans ce genre,
Efais fur les moyens de perfectioner l'art
de la teinture & obfervations fur quelques
matières qui y font propres , par
M. le Pileur d'Apligny. Brochure in-
12 de 166 pages . A Paris chez Laurent
Prault , Libraire , Quai des Auguftins ,
à la Source des Sciences.
4· Ces Elfais font adreffés non-feulement
aux teinturiers , mais encore aux
phyficiens. L'Auteur voudroit les engager
à faire revivre , dans la peinture , l'ufage
de plufieurs productions indigènes que
nous avons négligées , ou par inconftance
ou par cet efprit de prévention qui nous
fait préférer les productions des climats
118 MERCURE DE FRANCE..
les plus éloignés à celles que la nature a
repandues autour de nous.
Dégradation de l'espèce humaine par l'u
fage des corps à baleine , Ouvrage
dans lequel on démontre que c'eft aller
contre les loix de la nature , augmenter
la dépopulation , & abatardic
pour ainfi dire , l'homme , que de le
mettre à la torture , dès les premiers
inftans de fon exiſtence , fous prétexte
de le former , par M. Bonnaud . Brochure
in -12. A Paris chez Heriffant , le
fils , Libraire , rue S. Jacques .
Il y a plus de deux mille ans qu'il a
pris fantaisie aux femmes européennes de
fe ferrer la taille , & que les Médecins
fe font élevés contre cette pratique , fans
pouvoir profcrire un abus auffi pernicieux
à l'efpèce humaine . Il eft , fans doute ,
defagréable à une femme de trente ans ,
qui veut encore paffer pour jeune , que
l'on s'apperçoive que fon fein tombe ,
que fon ventre groffit ; mais il eft encore
plus trifte pour elle de s'oppofer aux loix
de la nature ; il en résulte une infinité de
maladies qui lui font palfer une vieilleffe
très-douloureufe. C'eſt ce dont les femmes
feront pleinement convaincues en
NOVEMBRE 1770 .
4
119
lifant l'écrit de M. Bonnaud. L'Anteur a
raffemblé dans un volume portatif tout
ce que les Phyficiens les plus éclairés ont
dit du mauvais effet de ces efpèces de cuiraffes
adoptées par la mode & la frivo
lité. Il a joint aux obfervations de ces
Ecrivains les fiennes propres , & a commencé
par donner une idée fuccincte des
parties du corps que les corfets de baleine
compriment , afin de mieux faire comprendre
les dérangemens que cette pref
fion doit occafionner,
Cours d'Hiftoire naturelle ou Tableau de
la nature confiderée dans l'homme ;
les quadrupèdes , les oifeaux , les poiffons
& les infectes . Ouvrage propre à
infpirer aux gens du monde le defir de
connoître les merveilles de la nature
7 vol. in 12 , ornés de figures en taille-
douce. A Paris chez Defaint , Libraire
; rue du Foin : avec approbation
& privilège du Roi. Prix 18 liv . bro
chés & 21 liv . reliés.
Le fpectacle de la nature de M. Plu
che a pu donner l'idée de ce cours d'hif
toire naturelle ; mais ce dernier ouvrage
eft plus riche , plus méthodique , plus
fatisfaisant à tous égards , que le pre120
MERCURE DE FRANCE,
·
mier. I faur avouer auffi que l'Auteur
avoit des fecours qui manquoient
à fon prédéceffeur , tels que la collection
académique de Dijon , l'Hiftoire
générale des voyages , les écrits de M,
de Buffon . Ce font auffi les principales
fources où l'Auteur du Cours a puifé.
Il a très bien fait de rejeter la
forme du dialogue qu'avoit adoptée M.
Pluche. Cette forme jette l'écrivain dans
des répétitions & dans des longueurs
inévitables. L'Auteur après avoir , dans
un'difcours placé à la tête de fon premier
volume , confidéré la nature dans
fon enfemble & developpé fes principes
généraux , fait paroître fur la fcène , l'homme
, ce Roi des animaux , qu'il confidère
dans les divers états phyfiques par
lefquels il doit paffer depuis fa formation
jufqu'à fa mort. On ne fe contente point
ici d'obferver l'homme tel que nous le
connoillons , on oppofe fouvent l'homme
fauvage à l'homme civil . Les quadrupèdes
font la matière du fecond volume.
Viennent enfuite les oifeaux , les
poiffons & les infectes . Cette dernière
partie de l'hiftoire des animaux eft la plus
étendue. Il ne manque plus que d'y joindre
les reptiles ou les coquillages pour
terminer
NOVEMBRE. 1770. 121
terminer la Zoologie , ou la connoiffance
de la nature vivante , la première &
la principale partie de l'Hiftoire Naturelle.
L'Auteur, pour rendre la lecture de
fon cours plus agréable , a joint des defcriptions
quelquefois un peu feches ,
plufieurs traits de Lucrèce , de Virgile ,
de Vanière & des morceaux choifis des
fables de la Fontaine . Ses réflexions annoncent
un coeur , un efprit fimple & ingenu.
Elles tendent toutes , pour la plupart
à nous faire aimer le féjour de la
campagne comme le plus favorable aux
moeurs , à la fanté & au bonheur.
Difcours critiques fur l'hiftoire & le gouvernement
de l'ancienne Rome , traduit
de l'Anglois . Vol . in 12. A Paris
chez de Hanfy le jeune , Libraire
rue Saint- Jacques , près les Mathurins.
Ces Difcours ou differtations doivent
intéreffer les gens de lettres , ceux far tout
qui font leur étude de l'hiftoire romaine .
font extraits , pour la plus grande partie
, de l'hiftoire Romaine de feu M.
Hook , ouvrage publié en Angleterre
depuis plufieurs années , mais peu connu
en France . Il eft queftion dans le premier
F
122 MERCURE DE FRANCE .
difcours de la croyance que merite l'hiftoire
des cinq premiers livres de la République
Romaine. Le fecond difcours
nous entretient du gouvernement de l'anciene
Rome , & de fes revolutions depuis
Romulus jufqu'à l'affaffinat des Gracques.
Le troifieme parle de la voie commune
& regulière de remplir les places vacantes
du fenat de Rome . Ces difcours font
fuivis de réflexions fur la comparaiſon
que fait M. Rollin d'Annibal & de Scipion.
Le volume eft terminé par d'autres
réflexions fur les inconveniens qu'il y a
de tracer le caractère des perfonnages célèbres
dès le commencement de l'hiftoire
de leurs actions .
Lettres fur la vérification des écritures arguées
de faux , pour fervir de réponſe
à celles de M. B *** ; par M. d'Autrepe,
expert- écrivain - juré , ancien bisfyndic
des experts écrivains-jurés ; vol.
in- 12 . A Paris , chez Lottin l'aîné , libraire-
imprimeur , rue St Jacques.
Il eft prefque impoffible , dit l'auteur
de ces lettres , que les fauffaires échappent
à l'oeil attentif d'un expert inftruit
dans fon art. Cette propofition bien étaNOVEMBRE.
1770. 123
blie détruira peut être cette pefte de la.
fociété qui la trouble & la deshonore.
Etat de la Pologne , avec un abregé de fon
droit public & les nouvelles conftitutions
; vol . in- 12. A Amfterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Hériffant fils , libraire
, rue St Jacques .
Cet état de la Pologne fut publié il y
a quelques années en Allemagne . Dans
cette nouvelle édition l'auteur a ajouté le
pacta conventa du Monarque régnant ; &
l'ouvrage eft terminé par une collection
fommaire de ce qui s'eft paflé au fujet des
Diffidens dans la diète extraordinaire tenue
à Warfovie en 1767 & 1768. Ce
morceau politique n'intéreffera pas moins
que l'idée exacte que l'auteur nous donne
d'un état qui attire aujourd'hui les regards
de l'Europe par les diffentions domeftiques
& par les guerres furvenues à fon occafion
entre deux empires puidan
ой
L'Obfervateur françois à Londres ,
Lettres fur l'état préfent de l'Angleterre
, relativement à fes forces , à fon
commerce & à fes moeurs , avec des
notes fur les papiers Anglois & des
remarques hiftoriques , critiques & po.
Fi
124 MERCURE DE FRANCE.
litiques de l'éditeur. A Londres & fe
trouve à Paris , chez Lacombe , rue
Chriſtine , près la rue Dauphine ; Didot
l'aîné , Libraire & Imprimeur , rue
pavée , au coin du quai des Auguf
ting.
Nous avons rendu compte dans le dernier
Mercure du numero premier de cet
ouvrage périodique. Les numeros 2 , 3
& 4 viennent de paroître , & prefentent
le même agrément , le même intérêt , la
même variété. Les Anglois prétendent
que nous n'avons pas de Mufique. Ils
croient en trouver la caufe principale dans
le génie de notre langue & dans la frivolité
de notre goût : cependant , fuivant le
témoignage d'un voyageur Anglois , qui
a vu exécuter à Lyon l'acte de Pygmalion
de M. Rouffeau , on peut faire de
bonne mufique fur des paroles françoiſes .
Selon lui les paroles & la mufique de ce
drame , qui font du même Auteur , font
également fublimes. Ce qui l'a frappé le
plus , eft l'expreffion du premier fentiment
qu'éprouve la ftatue c'eft celui de
fon existence . Dès qu'elle fe touche , elle
s'écrie : c'est moi ! Elle touche fon piedeftal
& dit ce n'eft pas moi ! Pygmalion la
preffe dans fes bras & elle s'écrie : c'eft
NOVEMBRE . 1776. 125
encore moi ! Cette manière naïve de peindre
eft fimple & néanmoins neuve & fublime
.
Un Gentilhomme a offert , pendant la
dernière courfe de chevaux de la Province
d'lorck , trois mille guinées d'un
cheval nommé l'Eclipfe & fa propofition
a été rejetée.
Rameau difoit , ( fans doute en plaifantant
) , qu'il mettroit en mufique , &
avec fuccès , la gazette d'Hollande . Des
membres de la fociété du Bill des droits
fe propofent de faire aujourd'hui la
même chofe en Angleterre . Leur projet
eft de mettre d'abord en vers une lettre
que leur a écrit un des membres les plus
celèbres de cettes fociété ; d'en faire enfuite
une chanfon fur un air très connu ,
afin que l'on puiffe chanter cette fublime
production du patriotifme dans toutes les
occafions intéreffantes .
Trois filous , qui avoient l'air d'honnêtes
gens , arrivèrent il y a quelques jours
dans une hôtellerie à Putney. Toutes les
chambres étoient occupées à l'exception
d'une feule qu'on leur donna . Ils demandèrent
un bol de punch , & pour qu'on
les fervit plus promptement , l'un d'eux
sefta fur l'efcalier & jura qu'aucun do-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE
meftique de la maifon n'y pafferoit que
lorfqu'on leur auroit apporté le punch :
tandis qu'on le préparoit , les deux autres
ouvrirent la porte de la chambre où
ils favoient que l'hôteffe ferroit fon argent,
crochetèrent l'armoire où il étoit enfermé
, y prirent environ 300 liv. fterlings
( 6750 liv. tournois ) , burent leur
punch, le payèrent & fortirent de la maifon
, fans qu'on pût fe douter de leur
larcin.
AWorkington , dans le Cumberland,
une mine de charbon ; s'eft tout-à - coup
enflammée & fon explofion à été fi forte
qu'elle s'eft fait entendre à fix lieues . Six
perfonnes y ont perdu la vie , quelquesunes
la vue , & plufieurs ont été bleffées.
Près de Rofneath , belle maifon de
campagne , à l'oueft d'un lac d'eau falée ,
qui fe perd dans la rivière de Clyde , à .
dix - fept milles au- deffous de Glafcow
il y a un écho très fingulier. Ce lac eft
environné de collines , dont quelques
unes font des rochers arides : les autres
font couvertes de bois . Quelques perfonnes
curieufes d'entendre l'écho célèbre
qui fe trouve dans ce lieu fauvage , y ont
mené unhomme qui fonnoit parfaitement
de la trompette il s'eft placé fur une poinNOVEMBRE.
1770. 127
te de terre , que l'eau laiffe à découvert ,
& s'étant retourné du coté du nord , il a
fonné un air & s'eft arrêté :auffitôt un écho
a repris l'air qu'il a répété très - diftin &tement
& très-fidélement , mais d'un ton
plus bas que la trompette. Quand cet écho
a ceffé , un autre écho ,d'un ton encore plus
bas , a répété le même air avec la même
exactitude : ce fecond a été fuivi d'un troifième
qui a été auffi fidèle que les deux autres
, à l'exception du ton qui étoit , à
l'égard du fecond , ce que celui- ci étoit
à l'égard du premier ; & l'on n'a plus rien
entendu . On a répété plufieursfois la même
expérience qui a toujours été également
heureuſe .
L'Obfervateur continue de nous faire
connoître les moeurs des Anglois , leurs
loix , leurs ufages , leur caractère , leurs
forces , leur génie , leurs finances , leur
littérature , leur commerce enfin ce
qui conftitue la Nation Angloife dans le
moral , le physique & le politique ; mais
il faut voir tout ceci dans l'ouvrage même
auffi inftructif qu'amufant.
Effaifur leJeu de Dames à la Polonoife ,
par le fieur Manoury , marchand limonadier
, au coin du Quai de l'Ecole ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
brochure in - 12. prix 1 liv . 4 fols.
A Paris , chez Knapen & Delaguette ,
imprimeurs -libraires , au bas du pont
St Michel , & au Palais .
Savoir la marche eft chofe très- unie ,
Jouer le jeu , c'eft le fruit du génie.
Ces deux vers de Rouffeau fervent
d'épigraphe à l'ouvrage. Le poëte les avoit
appliqués au jeu d'échecs , le premier
des jeux où l'habileté feule eft victorieufe
. Le jeu de Dames à la Polonoife ,
fupérieur à celui des Dames à la Françoife,
par
la multitude & la variété de fes combinaiſons
, tient le fecond rang dans
cette claffe. Comme il eft difficile de le
bien jouer & qu'il demande beaucoup
d'application , vraisemblablement il ne
trouveroit pas plus de grâce devant le
philofophe Montagne , qu'en avoit trouvé
le jeu d'échecs . « Je le hais & fuis , di-
» foit -il , de ce qu'il n'eft pas affez jeu ,
» & qu'il nous esbat trop férieufement ,
» ayant honte d'y fournir l'attention qui
» fuffiroit à quelque bonne chofe. « Ün
favant théologien , qui ne raifonnoit pas.
mieux fur cet objet , mettoit le jeu d'échecs
au nombre des jeux défendus
NOVEMBRE. 1770. 129
parce qu'il appliquoit trop. Ce jeu a eu
fes champions dont on a recueilli différentes
manières de jouer. L'effai de M.
Manoury fur le jeu de Dames , donne
également , jufqu'à un certain point , la
fcience pratique de ce jeu . L'auteur commence
par établir la marche & les règles
de ce jeu. Il parle enfuite de la remife &
des autres avantages qu'un joueur habile
peut faire à fon adverfaire. Cer effai eft
terminé par un recueil de coups brillans
& de fins de parties intéreffantes . Ce recueil
, qu'il fera facile d'augmenter , eft
l'article le plus intérellant de ce petit
traité qui manquoit à l'Académie des
Jeux , dont il s'eft fait plufieurs éditions.
Les douze Céfars , traduits du latin de
Suetone avec des notes & des réflexions
, par M. de la Harpe. 2 vol .
grand in- 8 . prix 10 liv . A Paris ,
chez Didot aîné , imprimeur-libraire ,
rue Pavée , au coin du Quai des Auguftins
, & Lacombe , libraire , rue
Chriftine , avec approbation & privilége
du Roi.
Cet ouvrage paroîtra après la St. Martin.
On peut affurer qu'il a été très - foigné ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE .
tant pour la pureté du texte , qui eſt le réfultat
de cinq éditions comparées , que
pour l'exactitude de la traduction . Les notes
, hiftoriques ou critiques , font courtes
& fuffifantes pour l'intelligence de
l'auteur. Les réflexions fur chaque règne
font plus étendues , & fervent à développer
le caractère des douze premiers
Empereurs . A l'égard du difcours préliminaire
, qui eft un morceau de littérature
affez confidérable , on peut en
juger par les fragmens fur Juftin , Florus ,
& Patercule , fur Tite - Live , Salufte &
Tacite , qui font patie de ce difcours , &
qui ont paru dans le Mercure de Mai ,
& dans le premier de Juillet de cette
année .
Les libraires nommés ci- deffus mettront
en même tems en vente l'école
dramatique de l'homme , fuite des jeux
de la petite Thalie , par M. Moiffy
volume in- 8 ° . relié 6 liv . Le premier &
fecond volumes de l'hiftoire des philofophes
anciens , par M. Saverien , in- 12.
avec figures , prix relié 6. liv. Le fupplément
au dictionnaire lyrique , ou choix
des plus jolies ariettes de tous les gentes ,
NOVEMBRE . 1770. 131
2 volumes in- 8°. brochés en carton. 15
livres .
Hiftoire générale de l'Afie , de l'Afrique
& de l'Amérique , en 15 vol . in- 12 .
ou s vol. in 4°. propofée par foufcription
. A Paris , chez Defventes de
la Doué , libraire , rue St. Jacques
vis - à - vis le Collège de Louis- le-
Grand.
Le fpectacle varié & intéreffant que
nous offre l'Hiftoire des nations de l'Afie
, de l'Afrique & de l'Amérique ; les
avantages que notre police , nos fciences
& nos arts peuvent retirer de la connoiffance
de leur gouvernement , des productions
de leurs climats , des fruits de
leur induftrie , ont porté jufqu'ici beancoup
d'écrivains , plus laborieux qu'éclairés
, à nous donner fous le titre de mémoi
res , de voyages & même d'hiftoire , des
inftructions fur ces différens objets de
notre curiofité . Mais plufieurs de ces
écrivains ou ne nous ont préfenté qu'une
partie de ces objets , ou fe font contentés
de les raffembler , fans y mettre aucun
ordre , aucune liaifon , aucune fuite dans
les faits. Un écrivain eftimable , doué
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de toutes les qualités qui font les bons
hiftoriens , ayant beaucoup de lumières
dans l'efprit & beaucoup de philofophie
dans le coeur , fubftitue aujourd'hui aux
compilations informes que nous avions
fur l'Ale , l'Afrique & l'Amérique , un
corps complet d'hiftoires de ces trois
grandes parties du monde. Chacune de
ces parties a fon hiftoire féparée . L'hiftorien
commence par nous donner fes
recherches favantes fur l'origine de la
nation dont il entreprend de tracer les
événemens . Sa plume rapide , comme
les révolutions qu'elle décrit , ne s'arrête
que fur les traits qui font tableaux , ou
qui peuvent intérefer le lecteur par les
réflexions qu'ils font naître. La bouffole
nous a ouvert toutes les contrées du
monde ; & , comme le commerce lie ,
en quelque forte , les Européens avec
toutes les nations des régions loingtaines ,.
il feroit difficile de bien connoître l'hif
toire de l'Europe , fans s'être mis au fait
des établiffemens que les Européens ont
formés en Afie , en Afrique & en Amérique
, & fans être inftruit des guerres.
qu'ils ont eu à foutenir dans ces climats
éloignés ; auffi l'auteur n'a point négligé
certe partie importante de fon ouvrage.
Dans l'hiftoire de chaque peuple , l'hifNOVEMBRE.
1770. 133
torien a toujours foin d'approfondit fon
gouvernement , fes religions , fes fciences
, fes arrs , fes loix , l'hiftoire natu
relle de fon pays , fon commerce , fes
coutumes , fes ufages , fes moeurs , &
fon caractère diftinctif. On vetra , fur ce
qui regarde les gouvernemens & la légiflation
, un mêlange de lumière &
d'ignorance , de raifon & de folie , d'amour
pour les peuples & d'intérêt perfonnel
. On a tâché de fixer l'origine &
l'efprit de ces deux grands objets. On
confidère les religions dans les temps
primitifs , & après la naiffance du Chrif
tianifme . Dans la première époque , la
connoiffance d'un Dieu eft commune aux
premiers peuples , & la loi naturelle s'élève
toujours au - deffus des fuperftitions
du Polithéifme ; dans la feconde , qui
offre la religion moderne de l'Orient ,
on s'apperçoit des traces fenfibles du
Chriftianifme . Ces caractères divins font
défigarés par les pratiques monftrueufes
de l'idolâtrie ; mais n'ont pu être entièrement
détruits. A la fuite de l'hiftoire ,
on a placé la defcription des pays ; on
y trouve non-feulement une notice des
royaumes , de leurs limites , de leurs riwières
, de leurs montagnes , de leurs
134 MERCURE DE FRANCE.
principales villes ; mais encore des provinces
& des peuplades qui les compofent
, des démémbremens qu'ils ont foufferts
, & des conquêtes qu'ils ont faites.
Par là , le lecteur apperçoit , d'un coup
d'oeil , le théâtre des événemens , les
productions de la nature , & fes merveilles,
auffi variées que les climats ; l'imagination
embraffe & conçoit , avec ordre ,
les faits qu'on lui préfente . Cette deſcription
topographique , fera encore enrichie
de cartes géographiques des plus fidèles ,
& qui rendront cet ouvrage plus précieux,
Le manufcrit de ce grand ouvrage eft
entièrement achevé , & le libraire en
offre , dès- à- préfent , la moitié qui eft
imprimée ; l'autre eft fous preffe , & on
en continue l'impreffion avec célérité :
ainfi , le public ne doit craindre aucun
délai dans l'engagement que le libraire
contracte avec lui.
La foufcription pour le format in- 1 2.
en 16 vol . eft de 30 liv. On en paie 18
en foufcrivant , & on reçoit les fix premiers
volumes. La foufcription pour
l'in 4°. eft de 45 liv. dont 27 liv. payables
auffi actuellement ; en recevant les
deux premiers volumes. Ceux qui n'auront
pas foufcrit d'ici au mois de JanNOVEMBRE.
1770. 135
vier , paieront l'in- 12 . à raifon de 2 liv.
10 fols , en feuilles ; & l'in- 4°. 12 liv.
également en feuilles .
Du mot Amour dans fes différentes ,
acceptions.
Amour ( morale ) terme abftrait , qui ,
confidéré génériquement , fignifie une
affection de l'ame portée vers un objet ,
par le fentiment de rapports agréables .
Je dis terme abftrait , parce que , pour
repouffer les chimères métaphyfiques ,
on ne fauroit trop rappeler qu'il n'y a
point d'Etre qui s'appelle amour. L'amour
de Dieu pour les créatures , n'eft autre
chofe que Dieu confidéré comme aimant
fes créatures. Les fcholaftiques ont
ouvert une fource intariffable de vaines
querelles , en donnant le nom d'êtres à
des qualités morales & phyfiques , détachées
des êtres par une opération de
l'entendement.
L'amour , prisainfi dans fon fens le plus
univerfel , eft dans le coeur de tous les
hommes , & c'eft la feule chofe qui les
attache à la vie . Celui qui n'aime rien ,
n'a nulle raifon pour exifter ; & cette
maladie trop réelle que l'on nomme
confomption , n'eft autre choſe qu'un af135
MERCURE DE FRANCE.
faillement de l'ame & des organes , qui
ne peuvent plus ni défirer ni fentit . Cette
maladie finit ordinairement parle fuïcide.
Pour peindre le fupplice des efprits rebelles
à Dieu , nous n'avons rien trouvé
de plus affreux , que de les repréſenter
comme forcés de hair éternellement
Dieu , les créatures & eux mêmes . Ca
malheureux qui n'aimera jamais ! difoit
Ste Thérèfe , en parlant du diable.
Amour des fexes. C'eft la paffion la
plus naturelle dans fon principe , & la
plus variée dans fes effets , la plus douce
& la plus furieuſe . On n'en fauroit dite
ni trop de bien ni trop de mal , lorfqu'on
en parle dans l'ivreffe du plaifir , ou dans
la crife du défefpoir . Mais , il est trèsdifficile
, même au philofophe > d'en
parler avec indifférence , parce que , s'il
ne l'a pas fenti , il ne le connoît pas
affez ; & , s'il a aimé , il faut qu'il combatte
les fouvenirs. Un écrivain célèbre
a dit de l'amour , que le phyfique en
étoit bon , & le moral n'en valoit rien .
C'eft rayer d'un feul trait l'hiftoire des
plaifirs de l'ame .
>
Je fuis très éloigné de penfer que l'amour
puiffe être abfolument indépendant
des fens. Ce platonifme eft l'ouvrage
d'une imagination exaltée. C'eft fure
NOVEMBRE. 1770. 137
tout
une illufion de la jeuneffe. La
première femme que l'on aime , eft à
nos yeux un être fort au- deffus de l'humanité
; & , tout homme qui n'a pas
vu dans fa maîtreffe beaucoup plus qu'une
femme , étoit à coup für un amant
froid. Mais dans ce délire de la paffion ,
on ne fe rend point compte d'une foule
de fentimens fecrets qui s'y perdent &
s'y confondent , & ces fentimens font
des defirs. Je fais bien qu'on leur commande
, que le facrifice que l'on en fait
eft un effort de générofité , dont on eft
bien fier & bien fatisfait ; mais on fent
en même-tems , quoiqu'on ne fe l'avoue
pas , que ce facrifice n'eft que momentané
, que c'est même un moyen de plus
pour obtenir ce qu'on a l'air de ne pas
demander. Jamais l'amour n'eft plus intéreffé
, que quand il paroît généreux.
Jamais il n'eft plus près d'être un maître
impérieux , que quand il eft l'efclave let
plus rampant. Il ne facrifie le préfent ,
que parce qu'il vit dans l'avenir . Ce n'eſt
pas qu'il veuille tromper , non ; c'eft que ,
par une force involontaire , il marche
toujours à fon but . La route fera auffi
longue qu'on voudra. Les avenues ne font
agréables , que parce que la jouiffance
138 MERCURE DE FRANCE.
eft au bout de la perfpective . Le malheur
eft qu'il n'y ait rien au delà .
les
Mais , faudra- t -il en conclure qu'il n'y
a que du phyſique dans l'amour , on
que le phyfique feul en eft bon ? Cette
dernière affertion paroît être d'un homme
qui a fenti plus qu'un autre le moral de
l'amour , qui a oublié les plaifīrs , &
confervé le fouvenir des peines . Perfonne
ne déclame plus contre la ſenſibilité que
gens très - fenfibles , comme perfonne
ne dit plus de mal de la gloire , que
ceux qui en font idolâtres . Mais , s'il
étoit poffible de les prendre au mot , on
verroit bientôt ce qu'il faut penfer de
ees plaintes. On a beau dire , le plus
grand befoin du coeur eft celui d'être
ému. L'homme qui eft le mieux avec
lui- même , fe plaît encore à être fouvent
hors de foi ; & , quelle paffion produit
des émotions plus puiffantes & plus chères
que l'amour ? Je ne parle pas feulement
des impreffions tendres ou voluptueufes
. Peut-on , fans ingratitude , n'en
pas rendre graces à la nature ? Je parle
même des impreffions triftes & douloureufes.
Elles font pour les ames actives
& aimantes , un aliment amer , mais
néceffaire & fait pour elles . Exceptez- en
NOVEMBRE. 1770. 139
le moment où l'on voit mourir ce qu'on
aime , le moment plus affreux où l'on
eft trahi ; exceptez- en ces déchiremens
infupportables ; fi , dans les autres chagrins
que l'amour produit , vous propofiez
à l'amant qui fe plaint , de lui ôter
à-la-fois fa douleur & fon amour , il
rejeteroit votre offre. On aime mieux la
fièvre que la paralifie. Les larmes de l'amour
font rarement cruelles. Quand il eft
véritablement malheureux , il n'en verſe
plus .
Laiffons lui donc tout ce que l'activité
de notre ame a pu y ajouter. Ne tariffons
point la fource des fentimens &
des illufions. Si l'attrait réciproque qui entraîne
unfexe vers l'autre étoit réduit à n'être
qu'un befoin purement animal , tous les
deux y perdroient trop. Ce befoin feroit
trifte & humiliant . Bornés par nos fens ,
pourquoi bornerions nous auffi notre
imagination , la feule chofe qui nous
étende au- delà de nous mêmes Et , qui
n'a pas éprouvé que ce fentiment de préférence
qui nous attache à un feul objet ;
ces charmes dont nous l'environnons &
qu'il ne doit qu'à nos regards , font des
rêves délicieux , que l'on regrete , même
long- tems après le réveil de la raifon ?
Car en effet il vient un moment où
140 MERCURE DE FRANCE .
cette décoration fantatique s'évanouie ý
& où nous reftons triftement avec la vérité
. Mais il faut bien que l'amour finiffe
par l'indifférence , comme la vie
finit par la mort.
On fent bien que je n'ai parlé ici que
de l'amour pris dans fon plus haut degré
d'énergie , & tel que les ames honnêtes
& fenfibles l'ont connu au moins une
fois . A l'égard de ce commerce de corruption
, qui amufe l'oifiveté des villes ,
& que la licence des moeurs , le goût des
plaifirs , la mauvaife éducation , les mauvais
mariages ont rendu fi commun &
fi irrémèdiables , voyez les articles GA
LANTERIE , ADULTERE , COURTISANE ,
& c .
Amour Conjugal. C'eft le plus doux
de tous les fentimens , quand il reffemble
à la véritable amitié . C'est être uni
à ce qu'on aime par tous les liens poffibles.
Mais , c'eft une erreur de penfer
que l'amour conjugal puiffe être l'amour
proprement dit. C'est vouloir que l'on
puiffe à la fois jouir & défirer ; bonheur
que l'on ne nous promet , que
dans un autre ordre de chofes . Deux
époux qui s'aiment , font les plus heureux
de tous les amis.
Amour paternel , maternel , filial &
NOVEMBRE. 1770. 141
fraternel. On dit , proverbialement
que
l'amour va en defcendant , pout
dire que les pères & mères aiment mieux
leurs enfans , qu'ils n'en font aimés . Cela
eft vrai généralement , les exceptions
mifes à part. On aime plus pour le bien
qu'on fait , que pour le bien qu'on reçoit.
D'ailleurs , un père s'aime luimême
dans fes enfans . Ses enfans ne
peuvent l'aimer que pour lui . Auffi
leur amour eft il fon plus grand éloge.
9
L'amour d'une mère , eft- il plus tendre
que celui d'un père ? Je le crois . Ses enfans
font plus à elle , ils lui coûtent davantage.
Elle les a nourris de fon lait &
de fa fubftance . Elle fe fouvient , en les
voyant , de ce qu'elle a fouffert pour eux ,
& les en aime plus tendrement . Les anciens
avoient le plus grand refpet pour
la maternité ; & , de nos jours , une
femme entendant un jeune étourdi qui
dénigroit tout le fexe , en général , dit à
ceux qui l'entouroient : << ce jeune
» homme ne fe fouvient- il pas qu'il a
» une mère ?
Rara eft concordia fratrum , a dit un
ancien. Malheureufement il avoit raifon.
Les rapport d'intérêt & de rivalité font
des fources de divifions entre les frères.
Les préférences trop communes de la
142 MERCURE DE FRANCE .
part des parens , font injurieufes & affligeantes
; & , quand une fois la difcorde
a féparé ceux que la nature avoit unis ,
ils doivent fe hair d'autant plus , qu'ils
ont dû faire un plus grand effort pour
ceffer de fe chérir.
Amour de la gloire , Amour propre.
On les a confondus trop fouvent. L'amour
propre
eft de tous les hommes . L'amour
de la gloire n'appartient qu'aux grandes
ames . L'un eft petit dans fes moyens ,
injufte dans les principes ; l'autre eft fublime
dans fes vues , généreux dans fes
procédés . L'un s'eftime plus que les autres
hommes ; l'autre veut en être eftimé .
Il fe peut , à tout prendre , que celui
qui a de l'amour propre & celui qui aime
la gloire , au fond , fe rapprochent tous
les deux en s'aimant eux mêmes plus que
tous les autres ; mais le premier ne fera
jamais rien que pour lui. Le fecond fera
tout pour les hommes , & ne fe réſervera
que la gloire de l'avoir fait . Mécéne avoit
de l'amour propre . Octave avoit de l'ambition
. Cicéron aimoit la gloire .
Amour des Lettres. C'eft un befoin
des efprits bien faits . Dans les Princes
dans les grands , c'eft un reffort de plus
qu'ils ont entre les mains pour exalter
les talens & les ames , & pour conduire
NOVEMBRE. 1770. 143
le vulgaire. C'est le préfage d'un règne
heureux. Les méchans Princes font rarement
lettrés , & les mauvais vers que
faifoit Néron , ne font pas une exception
à ce principe.
Dans un Grand , fans goût & fans efprit
, l'amour des lettres eft un travers
qu'on lui fuggère , & qui lui donne un
ridicule de plus. Il a des livres , comme
quelques perfonnes qui ne favent pas un
mot de Botanique , ont des jardins de
plantes ; & il raffemble chez lui de mauvais
écrivains , comme de prétendus naturaliftes
raffemblent dans un cabinet
des papillons & des infectes .
Dans le commnun des hommes , l'amour
des lettres , le defir d'écrire , eft
ou une aptitude naturelle , ou une aveugle
manie. L'aptitude naturelle eft le talent.
Portée à un degré fupérieur , c'eſt le
génie. Ceux qui aiment les lettres & lest
cultivent avec fuccès , ont ordinairement
peu d'ambition & peu d'avarice. Ils ont
befoin d'aifance & d'amis ; & c'eft à eux
de fe procurer l'un & l'autre . S'ils prétendent
beaucoup , & s'ils réuffiffent ,
ils font perfécutés ; mais il faut que la
gloire confole de tout , ceux qui lui font
dévoués . S'ils font doux & médiocres ,
144 MERCURE DE FRANCE.
ils vivent plus paifibles. Les gens de
lettres vivent plus dans le monde qu'autrefois.
Il y font plus confidérés , parce
qu'on a fenti leur influence , & qu'ils
favent demander moins & acquérir davantage.
L'amour des lettres , dénué de talent ,
a fouvent des fuites funeftes . On eft
inepte à tout , & fur-tout à ce qu'on
voudroit faire. On fe trompe fans ceffe
foi même fur le mépris dont on eft couvert
. Mais on ne peut fe tromper fur les
chagrins que produifent des efpérances
fruftrées , fur l'ennui & les dégoûts qu'on
éprouve & qu'on fait éprouver aux autres
, fur la vie que l'on mène , toujours
agitée & toujours vuide. Vous arrivez
au déclin de l'âge , fans avoir rien produit
qui puiffe vous juftifier aux yeux
d'autrui & aux vôtres , & un repentir
tardif accable votre vieilleffe .
Amour de la Patrie. Tout honnêtehomme
doit aimer fa patrie . Elle a travaillé
pour lui avant fa naiffance , & il
vit fous fa fauve - garde. Si on en effuie
des injuftices , il n'eft jamais permis de
s'en venger ceux qui ont cherché cette
vengeance coupable , l'ont tous expiée
par leurs larmes & par leurs malheurs.
C'eſt
NOVEMBRE. 1770 . 145
C'eft fur - tout dans les républiques
que l'amour de la patrie a plus de force &
fe fignale par plus d'efforts & de prodiges.
Chaque citoyen tient de plus près au
gouvernement . Le mot de patrie eſt le
premier qu'un républicain bégaie dans
fon enfance , & le dernier qui erre fur
fes lèvres mourantes . C'eft pour l'intérêt
de la patrie , que Regulus alla chercher
à Carthage la mort & les tourmens ; & ,
ne pouvant plus fauver fa patrie , Caton
fe déchira les entrailles.
ACADÉMIE S.
I.
Befançon.
L'ACADEMIE des Sciences & Belles-Lettres
de Befançon , affiſta le 24 de ce mois
à une Mefle en mufique , de la compofition
de M. Ethis , Commiffaire Provincial
des guerres , l'un des l'un des quarante de
l'Académie : elle fut exécutée par les
amateurs , & les meilleurs Muficiens de
la Ville & de la Province . M. l'Abbé
Pochard , ci- devant Jéfuite , y prononça
le Panégyrique de S. Louis .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
·
L'après midi , il fe tint au Palais de
Grandvelle , une féance publique pour
la diftribution des prix . M. le Comte de
Rouffillon ouvrit la téance par des réflexions
très judicieufes fur les trois
genres d'éloges . Il plaça dans le premier ,
fOraifon funèbre & le Panégyrique ;
dans le fecond , l'Eloge hiftorique ; dans
le troifiéme , l'Eloge oratoire , trois genres
dans lesquels il cite pour modèles ,
Fléchier , Fontenelle & Thomas. Cette
diftinction le conduifit à apprécier le mérite
des éloges de Jean de Vienne , qui
avoient été préfentés au concours d'éloquence
; & il annonça que l'Académie
avoir décerné le prix au difcours cotté 6 ,
dont M. Huot de Charmoille , Moufquetaire
, demeurant à Vefoul , fut reconnu
l'Auteur , & les acceffit aux n°.
3 , 8 & 9 , dont le Pere de Fums , Carme
de Franche- Comté , Profeffeur à Sémur
, Dom Sornet de Salins , Bénédictin
de la Congrégation de Saint Vanne ,
& M. l'Abbé Pelier , Chapelain de faint
Pierre à Besançon , font les Auteurs.
Le prix d'Hiftoire fut adjagé à une
hiftoire très - étendue de la Ville & Abbaye
de Luxeul , qui avoit balancé les
fuffrages avec l'hiftoire de la Ville & Ab- 1
NOVEMBRE. 1770. 147
baye de Faverney , auquel on décerna
l'acceffit. On ne fut plus étonné de la difficulté
qu'il y avoit à fe décider , lorſque
l'on reconnut que les deux grands ouvrages
, qui ont coûté plufieurs années de
travail , étoient les deux de Dom Grappin
, Sous - prieur de l'Abbaye de Favetney
, & qu'il n'avoit pu ſe trouver inférieur
à lui- même , que par la différence
des fujets.
Le prix des Arts fut adjugé à un Mémoire
fur la navigation du Doubz , dont
le fieur Puricelli Négociant , eft l'Auteur ;
l'acceffit à un Mémoire qui combat la
navigation du Doubs , pour perfectionner
celle de la Sãone .
L'Auteur avoit craint que fon fyftême
ne fût pas accueilli à Befançon , & il n'avoit
mis dans fon billet cacheté , que
cette devife : Vox clamantis in deferto.
Il contient de bonnes vues d'un citoyen ;
mais la poffibilité & les avantages de la
jonction du Doubz au Rhin par la rivière
d'lll , ont été indiqués fuffifamment pour
donner la préférence au fieur Puricelli.Des
curages & barages dans le Doubz & dans
J'Ill , une nouvelle forme à donner aux por
tières des éclufes du Doubz , un canal de
huit lieues à creufer , dès Montbéliard à
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Illfurth , lequel fera abreuvé par vingtdeux
étangs , placés avantageufement à
cet effet du côté d'Altenach , en un mot
une dépenfe d'un million fuffiroit pour
rendre Befançon l'entrepôt de France &
d'Allemagne.
L'Académie des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Befançon , diftribuera le
24 Août 1771 , trois Prix différens .
Le premiet , fondé par feu M. le Duc
de Tallard . pour l'Eloquence , confifte
en une Médaille d'or de la valeur de
35 liv. Le fujet du difcours fera : Quelle
a étéfur notre fiècle l'influence de la Philofophie
?
Le Difcours doit être d'environ une
demi -heure de lecture .
Le fecond Prix , également fondé par
M. le Duc de Tallard , eft deſtiné à une
Differtation littéraire ; il confifte en une
Médaille d'or de la valeur de 250 liv.
L'Académie propofe pour fujet : Quelle
fut l'étendue de la Province Séquanoife
dans les différentes divifions que les Romains
firent des Gaules ; en quel temps
l'appela- t - on MAXIMA SEQUANORUM ?
Quoique deux Auteurs célèbres aient
déjà traité ces queftions , on peut encore
defirer des détails ; & c'eft ce que l'AcaNOVEMBRE
. 1770. 149
démie propofe particulièrement à la difcuffion
des Concurrens .
La Differtation fera de trois quarts
d'heure de lecture , fans y comprendre
les preuves.
Le troisième Prix , fondé pour les Arts
par la Ville de Befançon , confifte en une
Medaille d'or de la valeur de 200 liv.
Le faier du Mémoire,fera : Le meilleur
aménagement des Forêts dans la Province
de Franche- Comté,
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une devife ou fentence , à leur choix :
ils la répéteront dans un billet cacheté ,
qui contiendra leur nom & leur adreffe ;
ceux qui fe feront connoître , feront exclus
du concours .
Les ouvrages feront adreffés , francs
de port , à M. DROZ , Confeiller au Partement
, Secrétaire perpétuel de l'Académie
, avant le premier Mai 1771 .
I I.
Flefingue.
La Société des Sciences de la province
de Zéelan le a adjugé , le 25 da mois de
Septembre , le premier prix de cette an-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
née au fieur de Cruiffelbergen , recteur de
l'école latine de cette ville. Le fujet étoit
l'examen de cette queſtion : Quels ont été
les habitans de Zéelande jufqu'au quinziè
me fiècle? Quels ont été leurs moeurs &
leur culte , ainfi que les commencemens &
les progrès des belles- lettres , des arts & des
Sciences parmi eux ? Les deux autres prix
ont été adjugés , l'un au Sr Jean Macquer,
docteur en médecine & confeiller de ville
de Ziérickzée , qui a donné un mémoire
fur ce qu'on peut appeler , en matière de
médecine , les forces de la nature ? & l'autre
au Sr Liefting , ingénieur à Groningue
, qui a remis à ladite fociété un mémoire
fur la fortification d'un exagone régulier
& fur les courtines . La même fociété
propofe pour le prix de 1772 cette
question : Un Naturalifte peut il tirer ,
d'obfervations & d'expériences déjà faites ,
des conféquences ultérieures qui fervent à
découvrir les caufes encore inconnues des
phénomènes ? S'il le peut , jufqu'où le peutil
& quelles règles doit- il obferver en ce
cas?
-
NOVEMBRE. 1770. 151
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE Loyale de muſique a remis
au théâtre , le dimanche 14 Octob. 1770,
Ajax , tragédie , repréfentée pour la première
fois le 20 Avril 1716 , repriſe le
16 Juin 1726 , le 2 Août 1742 , & le
13 Mai 1755. Le poëme eft de Menneffon
, auteur des opéras de Mento la
Fée ; & des Plaifirs de la Paix ; la mufique
eft de Bertin , qui étoit maître de
claveffin des Princeffes d'Orléans , & qui
a fait la mufique des opéras de Caffandre ,
de Diomède , du Jugement de Pâris , des
Plaifirs de la Campagne .
Ajax a fait conduire dans l'Ile de
Ténédos , Caffandre dont il - eft épris ,
pour la dérober aux pourfuites des Princes
de la Grèce. Caffandre rejette avec horreur
les voeux du deftructeur de Troie
du tyran de fa famille & du vainqueur
de Corebe , Prince de Thrace , qu'elle
aime.
Corebe et jeté par l'orage dans l'e
de Ténédos ; il y revoit , avec furpriſe ,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Caffandre . Ces amans ont à redouter la
fureur jaloufe d'Ajax ; mais Pallas les
raffure : elle veut fe venger du guerrier
qui a ofé arracher Caflandre à fes autels.
Elle évoque la Difcorde. Ajax livre aux
fers Corebe , qui ofe le défier au combat.
Caffandre entre en fureur prophétique ,
& prédit à Ajax les malheurs qui l'attendent.
Ajax pénétre dans le Temple
de l'Amour où Caffandre a cherché un
afyle.
Il force Corebe à s'embarquer. L'Amour
vient confoler Caſſandre . Ajax eſt
obligé de repouffer les Grecs qui veulent
enlever la Princeffe ; il la contraint
de s'éloigner ; mais bien - tôt Corebe &
Caffandre font réunis , tandis qu'Ajax
eft en proie à la fureur des vents & des
flots.
Il fe fauve fur un rocher ; Pallas
armée du tonnerre lance fur lui la
foudre , & punit fon audace facrilége .
,
Les directeurs , privés de la plupart des
premiers fujets à caufe du fervice de la
cour , & defirant que les plaifirs du Public
ne fuffent pas interrompus , ont fait
choix de cet ouvrage dont ils ont tiré le
meilleur parti poffible dans les circonftances.
NOVEMBRE. 1770. 153
=
›
Le rôle d'Ajax a été bien rendu par M.
Gelin ; Corebe a été joué par M. Pillot ;
Arbas , par M. Cavalier. Mlle . Duplant
a repréfenté Caffandre avec beaucoup
de nobleffe & d'expreffion dans fon jeu,
avec beaucoup d'éclat & d'énergie dans
fon chant. Mlle Châteauneuf a repréfenté
Pallas ; Mlle Pezé , âgée d'environ
quatorze ans , a debuté par le rôle de l'Amour;
on lui a trouvé la voix agréable &propre
pour les airs légers. M. de la Suze a joué
la Difcorde. Mlle Châteauvieu , nouvelle
débutante , a chanté avec une très - belle
voix , la grande Prêtreffe de l'Amour .
M. Tirot , Mlle Vincent , Mlle le Bourgeois
, ont été applaudis dans pluſieurs
airs des ballets .
La mufique des paroles a été retouchée
par M. Francoeur , neveu ; il a refait en
partie celle des danfes , dont plufieurs aits
ont été très goutés . Les ballets font de la
compofition de M. Veftris , & d'un deffin
ingénieux.
Plufieurs des talens principaux dans
la danfe retenus à Fontainebleau , ont été
heureuſement remplacés. On a été bien
dédommagé par Mlle . Heinel , que l'on
revoit toujours avec un nouvel étonne-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
ment , & avec un nouveau plaifir . Elle a
danfé dans la chaconne du quatrième acte
avec les graces , la précifion , en mêmetems
la force & la nobleffe qui caracté
rifent la danfe de cette Terpficore.
M. Veftris & Mlle Affelin ont auffi
danfé dans les premières repréfentations
avec les fuccès dont leurs ralens font affurés.
M. Dupré a été applandi dans le
ballet de la Difcorde , où il a exécuté
plufieurs entrées. Mlle Louifon Rey a
rempli d'une manière agréable le pas que
devoit danfer Mlle Guimard au 3. acte.
MM. Malter & Delaiftre , fucceffivement
avec Mde Pietrot , ont été très - accueillis
dans le pas des Matelots, au 5º.
acte.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ordinaires du
Roi ont remis fur leur théârre , le lundi
22 Octobre 1770 , Sidney , drame de M.
Greffet , en vers & en trois actes , donné
en 1745 , & qui n'avoit pas été joué
depuis.
Cette repriſe a eu du fuccès , auNOVEMBRE.
1770. 155
tant que l'on peut s'intéreffer au malheureux
caractère d'un homme ennuyé
dont l'ame Aétrie ne peut plus fupporter
le poids de fon exiftence . Sidney
eft pourtant encore fenfible à l'amitié &
à l'amour; & ces fentimens raniment en
lui le defir de la vie . Un valet fidèle lui
a fauvé le poifon qu'il a cru prendre ; il
renaît au plaifir de revoir fon ami &
fa maîtreffe . Le caractère de l'Ennuyé
eft fupérieurement deffiné par l'auteur ;
mais ce rôle eft néceffairement long &
difcoureur fur la fcène , quoique parfaitement
écrit , & rempli de traits de
force & de penfées. Il a été joué avec tout
l'art poffible par M. Bellecour . M. Dauberval
a renduavec intérêt le rôle d'Amilton
l'ami de Sidney. M. Preville a été applaudi
dans le rôle de Dumont , valer.
Mile Hus , repréfentant Rofalie ; Mlle
Luzy , jouant Mathurine , ont auffi obteau
les fuffrages du public
"
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
Fête donnée par Madame la Ducheffe de
Mazarin , en fon château de Chilly , à
l'occafion du mariage de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine ,
qui ont honoré ce Spectacle de leur préfence.
A L'entrée d'une allée du jardin , on
voit un fort à l'antique flanqué de tours ,
& défendu par des paliffades : l'enchanteur
Merlin y tient enfermée & endormie
depuis 150 ans la charmante Lucie ,
que le comte de Carmagnole lui avoit
refufée en mariage . Féridon , à la tête de
fes chevaliers , armés de toutes pièces ,
vient pour la délivrer ; comme ils font
prêts à donner l'affaut , un nain paroît
fur une des tours , fonnant du cors ; à ce
bruit , les portes du fort s'ouvrent , les gens
de Merlin , à pied & à cheval , fortent &
engagent le combat avec les chevaliers
de Feridon ; Merlin , pour l'abréger , découvre
le bouclier magique dont le pouvoir
étoit de rendre fes ennemis immobiles
; mais il le voit fans effet & fans
NOVEMBRE. 1770. 157
vertu : Feridon lui déclare qu'une puiffance
fupérieure va détruire fes enchan
temens. Mais Merlin eft raffuré par la
promeffe de l'oracle , qui lui a dit qu'on
ne peut le vaincre qu'aux conditions
fuivantes .
AIR : Des pourquoi.
Quand on verra par un heureux prodige ,
Aigle & Dauphin fous loix d'amour unis ,
Quand on verra , ne formant qu'une tige ,
Fleurir enfemble & la role & le lys ,
Au chant du cocq ceffera tout preftige
Et dans ces lieux renaîtront jeux & ris.
Second couplet.
>
Quand on verra prudence avec jeuneſſe ,
Grandeur fuprême avec fimplicité ;
Quand on verra les fruits de la ſageſle
Naître au printems dans leur maturité ,
Merlin perdra fa force enchantereffe
Et nos captifs feront en liberté.
Ces tems font arrivés , l'oracle eft accompli
, à l'inftant les portes fe brifent ,
les remparts s'écroulent , & Merlin terraffé
par Féridon , lui demande grâce ;
le vainqueur la lui accorde , à condition
qu'il confeffera tous les traits de fa fé158
MERCURE DE FRANCE .
lonie. Merlin convient que depuis 150
ans il tient endormis le père de Lucie ,
cette belle , & le jeune Azor , fon époux ,
ainfi que tous les gens de la nôce , che
valiers , écuyers , domeftiques , villageois
, animaux , bouffons , jongleurs ,
chanteurs , tous dormoient , jufqu'à la
mufique françoife . Ce dernier article ne
paroît pas un grand crime à Feridon ;
mais Merlin eft encore coupable d'avoir
endormi la fimplicité des villageois , la
franchiſe des courtifans , la confcience
des gens d'affaires , la timidité des pages
, & c. & il fe juftifie , en difant que
c'eft un fervice qu'il a rendu à tous ceux
qu'il a livrés au fommeil , puifqu'ils vont
revoir la lumière du jour fous les plus beaux
aufpices : Feridon lui pardonne en faveur
de cette réflexion , mais à condition qu'il
contribuera aux amuſemens de la fête ,
& qu'au lieu de Merlin il fera Arlequin
: Merlin , au lieu d'être puni , fe
trouve récompenfé , & fort avec fon cheval
qu'il emmène en boitant . A meſure
que les Princes & les Princeffes s'avan
cent , on voit différens grouppes s'animer
fucceffivement ; ici font des bergers
& bergères qui chantent leur bonheur ;
là , des laboureurs fe préparent à la moif
9
NOVEMBRE . 1770. 159
fon , & s'excitent au travail par la protection
dont le Dauphin les honore. Un
laboureur chante fur l'air , On ne s'avife
jamais de tout :
Depuis qu'un Prince a mené ma charue ,
Je me crois autant qu'un feigneur.
Quand je fongeons qu'il m'a fait cet honneur ,
De plaifir tout mon coeur fe remue.
Avant ce tems je manquois d'ardeur:
Pour ma terre
En jacherre
J'avois du dégoût ;
( avec le Chaur. )
Mais quand un Prince encourage ,
"
De fon ouvrage
L'on vient à bout ,
De fon ouvrage
L'on vient à bout.
Pendant ce couplet & quelques antres
la compagnie qui eft arrivée au
bout de l'allée , découvre le château du
vicomte Carmagnole , qui eft environné
d'arbres & de différentes maifons champêrres
: Moron , bouffon de ce Seigneur
, l'appelle ; le vicomte paroît tout
160 MERCURE DE FRANCE.
endormi , rêvant encore qu'il chaffe le
cerf: pendant ce tems -là , Moron imite
comiquement le reveil de tous ceux qui
étoient endormis par le chant du coq ;
celui d'une poule qui pond , le gloucement
des dindons , l'aboi des chiens ,
un enfant qui crie , une vieille qui le fait
taire , &c. Azor & Lucie paroiffent ,
Moron obferve qu'ils font encore affez
frais pour de jeunes mariés de 160 ans .
Le Seigneur Carmagnole les trouve auffi
fort éveillés , en voyant la vivacité avec
laquelle ils fe careffent , & la volubilité
des paroles avec laquelle ils fe félicitent
de leur bonheur : ni l'un ni l'autre ne
veut l'écouter , & Lucie trouve fon papa
bien injufte de vouloir l'empêcher de parler
, après un filence de 150 ans . Cette
fcène ett très comique . Le premier foin
d'Azor & de Lucie eft de remercier leurs
bienfaiteurs , après quoi les bouquetières
apportent des bouquets en chantant des
couplets , auffi agréables & auffi frais
que les fleurs qu'elles offrent.
Dans une autre allée , qui conduit à la
grande Karmefe , on voit deux montagnards
qui font danfer un ours , &´lui
font faire plufieurs tours ; à l'entrée de
cette allée , eft la boutique d'un patiffier ,
NOVEMBRE. 1770. 161
au fond de laquelle il y a un four tout
allumé cette fcène très plaifante
mérite d'être tranferite prefque toute
- entiére .
Le Patiffier & le petit Arlequin fon apprentif.
LE PATISSIER. Eh bien , petit drole ,
as-tu fini l'ouvrage que je t'ai commandé
?
LE PETIT ARLEQUIN. Oui , notre
Maître .
LE PATISSIER . Où font les bifcuits ?
LE PETIT ARLEQUIN. Les bifcuits ?
oh je vous avouerai franchement que je
les ai mangés , parce que l'envie que
j'avois de me dépêcher , m'a fait faire
une méprife ; j'ai pris la boîte au fel
pour la boîte au fucre,
LE PATISSIER . Et tu les as mangés ?
LE PETIT ARLEQUIN . Oui , tous , afin
qu'on ne s'apperçût pas de ma faute.
LE PATISSIER . Et cette tourte de con .
fiture ?
LE PETIT ARLEQUIN. J'y avois mis
trop de poivre , je l'ai mangée , par la
même raiſon .
LE PATISSIER. Ah petit coquin ! je n'ai
>
162 MERCURE DE FRANCE.
pas le tems de te corriger à préfent ; mais
tu mele paieras : du moins , les petits pâtés
font-ils faits ?
LE PETIL ARLEQUIN. Oui notre
Maître.
LE PATISSIER . Eh ! bon , où font- ils ?
LE PETIT ARLEQUIN, Ils font ferrés.
LE PATISSIER Où ? montres- les moi ,
tout-à-l'heure.
LE PETIT ARLEQUIN (fe jette aux pieds
de fon Matre. ) Ah ! pardon , pardon !
LE PATISSIER . Tu les as encore mangés
?
LE PETIT ARLEQUIN, Helas ! oui , j'en
ai fait plufieurs effais ; & , comme je ne
réuffiffois pas à ma fantaiſie , je les ai
mangés , & j'achevois la feconde fournée ,
quand vous êtes arrivé.
LE PATISSIER . Je n'y tiens plus , il
faut que je t'allomme.
Le petit Arlequin veut fe fauver , fait
plufieurs lazis , renverfe dans fa courfe
un vaiffellier garni d'affieties de fayance
& de poterie ; il s'élance dans le four.
Le Mattre en retire promptement le petit
Arlequin , qui a unpâté dans fa bouche,
& qui crie de toutes fes forces.
NOVEMBRE. 1770. 163
Fripon ! ne crois pas m'échapper , je
vais te livrer à la Juftice : un Commiffaire
! un Commiſſaire !
Merlin arrive en Commiffaire . Le Pátiffier
lui porte fa plainte lui -même . Le petit
Arlequin , qui s'étoit caché ,fejette aux
pieds du Commiffaire. Il fefait ici une
belle reconn oiffance.
MERLIN , tragiquement.
Quel fon de voix !
Mes lens émus ! .. troublés.. dis-moi quel est tou
père?
LE PETIT ARLEQUIN.
On ne l'a pû favoir.
MERLIN.
Du moins quelle eft ta mère ?
LE PETIT ARLEQUIN.
On la nommoit...
MERLIN.
Pourfuis...
LE PETIT ARLEQUIN.
Merluche.
164 MERCURE DE FRANCE.
MERLIN .
Merluche !
Juftes Dieux !
LE PETIT ARLEQUIN.
Elle n'eft plus , ma main ferma fes yeux,
MERLIN.
Ainfi donc tout fubit l'arrêt des deſtinées .
LE PATISSIER.
Monfieur , il m'a mangé plus de quatre fournées.
MERLIN , vivement.
A ce noble appétit , je reconnois mon ſang ,
Et Merlin à ta place en auroit fait autant.
Mon fils...
LE PETIT ARLEQUIN .
Mon père...
LE
PATISSIER , à Merlin.
Vous !
MERLIN .
Le cri de la nature
Me dit que ce gourmand eft ma progéniture.
Mes pleurs.. viens dans mes bras.. va , je ſuis ton
appui .
NOVEMBRE . 1770. 165
Pendant ce tems le Pâtifier s'effuie les yeux
avec fon tablier.
LE PATISSIER .
Si vous êtes fon père il faut payer pour lui.
MERLIN , au Pâtifier.
Ami , rien n'eft plus jufte , & d'un coup de baguette
,
Le pouvoir de Merlin acquitte ainfi la dette .
Il paroît une table garnie de touteforte de
pâtiſſerie.
LE PETIT ARLEQUIN.
Je reconnois mon père à de fi nobles traits ,
Et je vais recueillir le fruit de fes bienfaits .
Il veut prendre les petits pâtés.
Mais Merlin l'en empêche , en lui difant
qu'il l'a réfervé pour les offrir , & le petit
Arlequin préfente fa marchandiſe à la
compagnie. A cette fcène , fuccède celle
qui fe paffe dans un caffé , où l'on voit
endormis des nouvelliftes habillés à l'antique
. Un comédien , nommé Floridor ,
demande au garçon du caffé , du chocolat ,
une bavarroife , du caffé , du tabac ;
mais celui- ci qui exerçoit fa profeffion
en 1995 , ne comprend pas un mot de
166 MERCURE DE FRANCE.
ce qu'on lui demande , ce qui fournit une
réflexion fur les befoins fuperflus que
nous nous fommes faits , & qui étoient
ignorés de nos bons aïeux . Floridor interroge
les nouvelliftes , qui lui répondent
fur ce qui fe paffoit lors de la paix
faite entre l'Efpagne & la France du
tems de Philippe III . Ces nouvelles ,
qui ne font pas de fraîche date , font
place à des réflexions très - convenables
dans une fête donnée en l'honneur des
maifons de Bourbon & d'Autriche . Les
fpectacles font auffi mis fur le tapis , &
on y trouve la critique des drames d'à préfent
& de la manière de les jouer. #
Un Chanfonnier vient interrompre
Floridor & Jodelet , qui étoient montés
fur le ton du plus haut tragique . Un Chinois
, qui lui fuccède , fait voir au fond
d'une tente obfcure des tableaux changeans
, éclairés par eux - mêmes. Cette idée
ingénieufe fournit des moyens d'offrir
aux fpectateurs des allégories qui ne le
font pas moins , mais dont le détail feroit
beaucoup trop long à tranfcrire.
Une Allemande & un Allemand portant
un enfant fur une canne , & précédés
d'une jeune fille , jouant de la mandoline,
viennent occuper la fcène . Ils arrivent
NOVEMBRE . 1770. 167
de Strasbourg fur les pas de la jeune Princeffe
, qui entraîne tous les coeurs après
elle. Leurs difcours peignent le fentiment
& la naïveté ; plufieurs perfonnes ,
de différentes nations , partagent leur
joie , & s'uniffent à leurs chants . D'un autre
côté , Comus , élève de Merlin , fait
fes différens tours , & dans la place où
eft la grande Karmeffe , on voit réunis des
jeux de bagues , des bafcules , efcarpolettes
, un papegai , & autres efpèces de
jeux , des fauteurs qui font leurs tours ,
des danfes villageoifes , &c.
Un officier du régiment Dauphin ,
fuivi de fes foldats , leur commande un
exercice galant , qui finit par une contredanfe
qu'ils exécutent avec leurs maîtreffes
; un jeune enfant , neveu de cet
officier , vient tout bouillant de zèle ,
demander qu'on l'engage . Son ardeur
peint très- bien le zèle prématuré des
François pour leur maître , & contraſte
avec l'indolence de Nicaife , qui ne leur
eft pas moins dévoué , mais d'une manière
plus tranquille & conforme à ſon
caractère. Il récite une fable en différens
couplets , qui juftifient l'auteur , de la témérité
qu'il a eue d'ofer chanter des perfonnages
fi illuftres , mais fon efpoir eft
168 MERCURE DE FRANCE.
dans leur indulgence ; il pouvoit auffi le
placer dans la jufteffe de leur goût , car
jamais fête n'a été plus ingénieufement
imaginée des fituations toujours nouvelles
offrent aux fpectateurs des amufemens
, aufli variés , qu'intéreffans ; une
marche guerrière , un fpectacle pompeux
eft remplacé par une fête villageoife ; ici
des danfes agréables vous arrêtent ; là ,
des jeux tous oppofés , piquent votre curiofité
; une fcène bouffonne vient d'exciter
les ris ; une fcène , auffi naïve que
touchante , humecte la paupière fans diminuer
le plaifir ; un dialogue naturel
des couplets charmans une gaïté franche
fatisfait également le goût , l'efprit
& le coeur. Perfonne mieux
Favart , n'a jamais exprimé les fentimens
dont un coeur françois eft rempli pour fes
maîtres . La fête qu'il a dirigée étoit digne
de l'occafion folennelle qui lui a donné
lieu , des Princes & Princeffes auguftes
qui l'ont honorée de leur préfence , & de
la magnificence de celle qui l'avoit ordonnée.
>
› que
M.
A.C
ARTS .
NOVEMBRE . 1770. 169
ART S.
GRAVURE.
I.
Le Studieux & la Fainéante , deux eftampes
en pendant , d'environ 11 pouces.
de haut , fur 8 de large . A Paris , chez
Pafquier , rue St. Jacques , vis-à- vis
le Collège de Louis-le - Grand . Prix
12 fols chacune.
CEs Estampes ont été gravées à l'eauforte
, par Ch . Letellier , d'après les
tableaux de M. Dumenil Junior , Elles
font compofées chacune d'une feule figure,
I I.
Premier & fecond Cahier de Charges à
l'eau -forte , par Jean Alexandre Chevalier
; & nouveau Cahier de Soldats
par le même. A Paris , chez Niquet ,
Place Maubert , près la rue des Lavandières.
•
Ces Cahiers , compofés chacun de fix
feuilles , font d'un très- petit format. On
H
170 MERCURE DE FRANCE.
s'amufera un moment des figures bur
lefques qu'a deffinées M. Chevalier , &
dont il lui fera facile d'augmenter le
nombre,
I I I.
Gravure dans la manière du deffin aux
trois crayons.
Le fieur Bonnet , bien connu par fes
gravures dans la manière du paftel ,
vient de faire paroître deux eftampes
qui imitent le deffin au crayon rouge &
noir réhauffé du blanc , fur papier gris.
Ces deux eftampes font pendant , & ont
environ 15 pouces de large , fur 13 de
haut . Elles ont été gravées d'après les
deffins de François Boucher , premier
peintre du Roi : l'une repréfente le reveil
de Vénus ; l'autre , l'Amour qui prie
Vénus de lui rendre fes armes. On les
diftribue à Paris , chez l'auteur , rue
Gallande , près la Place Maubert . Prix
1 liv . 4 fols chacune.
V I.
Nous avons annoncé dans le Mercure
de Juillet , la foufcription de la belle
édition du Temple de Gnide , dont lẹ
NOVEMBRE. 1770 171
Texte fera gravé & orné de dix eftampes ,
y compris le frontispice, deffinées par M.
Eifen , & gravées par M. Lemire . Cette
édition ne devoit fe faire que fur papier
in- 8 ° . Comme plufieurs foufcripteurs ont
paru defirer des exemplaires fur papier
in-4 . pour les mettre à la fuite de l'édition
du même format des oeuvres de M.
de Montesquieu , M. Lemire en fera
tirer quelques exemplaires de ce format ;
mais le nombre en fera fixé , & M. Lemire
prie les foufcripteurs qui defireront
de s'en procurer , de l'en prévenir en
foufcrivant. La foufcription fera ouverte
jufqu'à la fin du mois de Février 1771 ,
pour Paris , & jufqu'à la fin du mois
d'Avril fuivant pour la Province . A Paris
, chez l'auteur , rue & vis-à- vis l'Eglife
St. Etienne- des -Grès.
V.
Nouveau portrait de M. Diderot
chez Bligny , cour du manège. Au bas on
lit ces vers :
Les arts &la raifon lui doivent leurs hommages ;
D'étendre leur empire il fut le plus jaloux ;
On les retrouveroit dans les nombreux ouvrages
S'ils difparoiffoient d'entre nous.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
Ce portrait d'après le deffin de M.
Greuze , eft vu de profil , & il eft du même
format que celui qui a été gravé par
M. Auguftin de St Aubin . La gravure de
celui que nous annonçons eft de M. Duhamel.
Les méplats y font bien fentis , le
burin en eft agréable , & l'Artifte a fu y
faire paffer l'énergie qui caractériſe l'homme
célèbre qu'il repréfente. Ce portrait
eft vu de face & il eft de format in- 12.
V I.
Portrait deJofeph Caillot , comédien du
Rói , gravé d'après le tableau de M. Voiriot
, Peintre du Roi , par M. Miger , avec
ces vers qui font également honneur au
Peintre & à celui qu'il a fi bien repréfenté ,
Lorfqu'on nous traça ſon image
Pour y faire pafler fa gaîté , fa candeur ,
On n'a pas confulté fealement fon vifage ,
On a fçu lire dans fon coeur.
VII.
M. Miger vient auffi de mettre au jour
une belle tête , d'après Rigaut ; neus
NOVEMBRE. 1770 . 173
penfons que c'eft à tort qu'on la préfente
comme le portrait d'un Ambaffadeut
Turc à la Cour de France ; le temps , la
reffemblance , le coftume , tout dément
cette annonce ; mais quand cette tête feroit
de pure fantaisie, elle n'en auroit pas
moins de mérite ; elle a beaucoup de no
bleffe & de caractère , & quoiqu'elle foit
prefque toute exécutée à l'eau forte , elle
a beaucoup d'effet , & le Graveur a fçu y
faire paffer la belle couleur de fon original
; elle fe vend ainfique le portrait annoncé
ci-deffus 1 liv. chez l'Auteur , rue
Ste Anne au coin de la rue Neuve des
Petits Champs.
>
I
VIII.
Parmi les beaux ouvrages de Raphaël
d'Urbin , que renferme le Palais du
Vatican à Rome , les peintures des loges
font regardées comme des chefs- d'oeu
vres dans le genre d'ornemens & d'arabefques
exécutés par Jean d'Udine ,
fur les deffins de Raphaël . Ces rares morceaux
ont été trop expofés aux injures de
l'air , pour pouvoir eſpérer qu'ils fe conferveront
encore long - tems dans leur entier
, puifque , malgré les foins qu'on
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
en a toujours eu , ils n'ont déja que trop
fouffert.
Pour conferver , en quelque façon ,
ces chefs d'oeuvres & en faciliter la connoiffance
aux amateurs & aux artiſtes ,
MM. Gaëtan Savorelly , peintre , Pierre
Comporeli , architecte , & Jean Octaviani
, graveur , ont entrepris de donner
au public , par la voie des eftampes , la
collection de ces ornemens , compofée
de dix - huit planches , en trente- fix feuilles
fur papier royal. On fe flatte d'avoir obfervé
dans ces eftampes la fidélité du
deffio des originaux , ainfi que le bon
goût de la gravure .
Ces dix -huit planches en trente - fix
feuilles , contiennent les pilaftres , contrepilaftres
, portes , plans & élévations ,
ainfi que tous les ornemens , figures ,
oifeaux , feuillages , fleurs , fruits , &
bas reliefs , imités par Raphaël , d'après
l'Antique.
On ofe affurer que cette collection
eft très-utile aux peintres , fculpteurs ,
architectes , orfévres , cifeleurs , ferruriers
, brodeurs même , & à tous ceux
qui , dans leurs travaux , ont les décorations
pour objet. Elle vient d'être miſe
au jour tout récemment . On la trouve à
NOVEMBRE. 1770. 175
Paris , chez Vernet le jeune , peintre,
Quai des Auguftins , au coin de la rue
Gît- le-Coeur.
1
SOUSCRIPTION & defcription des fept
Eftampes compofant la vie de St Grégoire
le Grand ; gravées par les meillenrs
artiftes d'après les tableaux de
Carle Vanloo , écuyer , chevalier de l'ordre
de St Michel , premier peintre du
Roi , directeur - recteur de l'Académie
royale de peinture & fculpture , & directeur
des élèves protégés par le Roi.
•
CES fept Tableaux on Efquifles , toutes
finies d'après nature , ont été expofées
au falon du Louvre en 1763. On
applaudit alors à la fageffe qui règne dans
leur compofition , à la pureté & aux gra
'ces du deffin , au choix heureux des attitudes
& à la nobleffe des expreffions.
On admira fur- tout l'art avec lequel ce
célèbre Artifte profitoit des moindres incidens
pour donner aux tons variés de
fon coloris la plus belle harmonie poffible.
Ces tableaux étoient deſtinés à orner
la coupole d'une chapelle de l'hôtel royak
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
des Invalides ; mais la mort a empêché
ce grand Artiſte de couronner fa réputation
par ces nouveaux chefs - d'oeuvre. Sa
palette & fes pinceaux ont été remis par
le génie del'hiftoire entre les mains de
M. Doyen , bien capable par fes talens
de nous confoler de la perte d'un Artiſte
qui fut pendant longtems un des premiers
ornemens de l'académie royale de peinture
& de fculpture. Les fept tableaux de
Carle Vanloo appartiennent aujourd'hui
à S. M. l'Impératrice de Ruffie , qui les
deftine aux progrès de fon académie de
peinture. On fe flatte d'avoir prévenu
les regrets des Artiftes & des vrais Amateurs
en faifant graver ces cartons avant
qu'ils qu'ils fuffent enlevés à la France .
M. le Prince Gallitzin a bien voulu les
confier pour la gravure .
On reproche fouvent aux Graveurs
de laiffer ignorer le fujet qu'ils ont gravé ;
mais ici , indépendament de l'infcription
mife au bas de l'eftampe , le fujet qu'elles
repréſentent eft encore expliqué par deux
vers latins traduits
par deux vers françois .
Nous donnerons la defcription de ces
fept tableaux fuivant l'ordre hiftorique
qu'avoit choifi M. Carle Vanloo , & qu'il
fe propofoit d'obferver dans la chapelle
de St Grégoire.
NOVEMBRE . 1779. 177
PREMIERE ESTAMPE.
St Grégoire diftribue fes biens aux pauvres.
Ex teneris annis tantùm coeleftia curans ,
Quidquid opum dederat fibi fors , largitur egenis.
Des feuls biens éternels épris dès fon enfance;
İl verſe ſa fortune au fein de l'indigence.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Alexandre
- Ange de Talleyrand-Perigord , Archevêque
de Trajanople , Coadjuteur de
Rheims.
L'élévation du fite , & mieux encore
le fouris careflant de la bienfaisance que
l'on remarque fur la phyfionomie de Grégoire
, le fait aifément diftinguer. Ce
Saint , debout fur la rampe d'un périftile
& accompagné d'un fimple domestique
qui lui préfente l'argent & les provifions
dont il eft chargé , paroît occupé à foulager
une pauvre famille, La reconnoiffan
ce de la mère , l'empreffement avec lequel
une jeune fille tend fesmains , l'avidité
d'un petit garçon à manger le morceau
de pain qui lui a été donné , tout annonce
le befoin prefant où fe trouvoient
ces infortunés. Une foule de pauvres
placés derrière ce premier grouppe , ajou-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
te encore par la vivacité de leurs geftes
au doux fentiment de commifération que
cette fcène fait naître dans l'ame du fpectateur.
On peut remarquer ici l'art avec
lequel le peintre s'eft fervi de la rampe
d'un périftille pour lier les différens group-.
pes de fa compofition . Un coup de foleil ,
heureufement placé fur la partie intérieu
re du montant d'une arcade percée à jour,
donne de l'enfoncement au champ de
cette compofition & la rend d'un effet
très- piquant & très- pittorefque. Cet effet
a été très bien faifi par le graveur M..
Romanet , dont le bùrin fouple , moëlleux
& varié avec intelligence eft trèspropre
à multiplier les productions de
T'habile maître qu'il copioit.
II . ESTAMPE.
St Grégoire retiré dans une cavernei.
Summi Pontificis fugiens infignia , ab antro.
Romanum ad folium , populo plaudente , vocatură.
Sors de cet antre obſcur , entends la voix de Romes,
Et viens remplir un thrône où la vertu te nomme..
Cette eftampe et dédiée à Mgr Louis-
Sextius de Jarente de la Bruyere , évêque
d'Orléans , &
NOVEMBRE . 1770. 179
St Grégoire fe croyant , par un excès
d'humilité , incapable de foutenir un fardeau
dont tout le monde le jugeoit digne,
fe cacha , mais envain. Le Clergé & le
Préfet de Rome viennent le chercher pour
l'élever fur le thrône de. l'Eglife : le
Saint , retiré dans le fond d'une caverne ,
étoit occupé à la lecture des divines éoritures
, lorfqu'il reçut la vifite du Préfet.
Sa tête baillée , le gefte avec lequel il fem
ble vouloir éloigner celui qui lui parle ,
toute fon attitude enfin exprime fa modeftie
& le refus édifiant de la propofition
qui lui eft faite par le Préfet . Celuici
lui adreffe la parole avec une douce
émotion & lui montre de la main les
principaux citoyens de Rome placés au
bas de fa caverne . Dans le lointain on
apperçoit un dome qui peut fervir à défigner
l'Eglife métropole de Rome . Un
accident de lumière ménagé par une nuée
claire , & rendu encore plus piquant par
fobfcurité de la caverne , répand fur
cette eftampe un ton brillant & vigoureux.
Elle a été gravée par M. Molès ,
penfionnaire de l'affemblée du commerce
de Barcelonne , de l'académie d'Espagne,.
& c. Ce graveur s'eft propofé pour mo
dèle les artiftes qui ont le mieux conna
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
le méchanifme du burin. Le fien a de la
douceur , de la netteté , & cette variété
néceflaire pour donner de l'harmonie à
l'ouvrage & pour en ménager avec avan
tage les repos
III . ESTAMPE.
St Grégoire fait des Prières publiques.
Mors Peftisque foror donec bacchantur in urbe,
Ecce chorusfupplex , divo duce , monftra repellit.
Quand la pefte & la mort exercent leur fureur ,
Ce jufte par fes voeux fléchit le Ciel vengeur.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Léopold-
Charles de Choifeul , Archevêque
de Cambray , & c.
La troisième eftampe eft fur-tout remarquable
par l'art avec lequel Carle
Vanloo a fu faire paroître un grand nombre
de figures , une proceffion enfin , dans
un très - petit efpace. St Grégoire , n'étant
encore que diacre avoit demandé cette
proceffion générale pour faire ceffer la
peſte qui ravageoit alors la ville de Rome,
& l'on croit que cette proceffion a
donné naiffance à celle de St Marc appelée
encore aujourd'hui la grande Litanie.
Le St Sacrement eft porté fous un dais
NOVEMBRE. 1770 . 131
qu'accompagnent plufieurs évêques : un
grouppe d'acolytes environne ce dais .
Grégoire & fon compagnon , vêtus en
diacre & tenant chacun un flambeau à la
main , terminent la marche. Le Saint ,
que la nobleſſe de fon attitude & la piété
de fon expreffion caractériſent , élève les
regards vers le Ciel : il implore fa clémence
en étendantla main vers un peſtiféré
agonifant. Ce malade , accablé par
le poids de la douleur , a la tête poſée
fur les genoux d'une femme. La douce
efpérance brille fur le front ferein de cette
femme qui femble exhorter le malade à
prendre confiance dans les prières de
celui que les Romains appeloient l'ami
de Dieu. Un ciel orageux qui commence
à s'éclaircir , femble déjà annoncer la
ceffarion prochaine du fléau. Ce fujet
intéreffant , gravé par M. Voyez l'aîné ,
n'a rien perdu des beautés que M. Vanloo
avoit données à fon efquiffe . Sa gra
vure a de la couleur & de l'harmonie.
I V. ESTAMPE.
St Grégoire , élu Pape , reçoit l'adoration
des Cardinaux.
Incubat altari thronus , &fuprema poteftas
182 MERCURE DE FRANCE.
*
Thuribulum fceptrumque manu fuftentat eâdem
CAUX DE CAPPEVAL.
Son thrône eft fur l'autel , & l'abfolu pouvoir
Met dans les mêmes mains le fceptre & l'encenfoir.
VOLTAIRE.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Emmanuel
- François de Beauffet de Rocque
fort , Evêque de Fréjus.
Le peintre s'eft ici étudié à nous intéreffer
par le fpectacle noble & majestueux
d'un fouverain Pontife recevant l'adoration
des Cardinaux & du Clergé . Ce chef
de l'Eglife , revêtu des habits pontificaux
& couronné de la thiare eft élevé fur
un magnifique thrône ; il tient d'une
main la triple croix & étend l'autre fur
le Clergé profterné à fes pieds. Un Cardinal
affiftant eft placé au bas du thrône à
la gauche du Pape . Plufieurs autres Prélats
font profternés à la droite. Celui qui
eft le plus proche du thrône baife , dans
Pattitude la plus refpectueufe , les pieds
du St Père , tandis que les autres témoignent
par des expreffions variées les fentimens
de vénération dont ils font péné
trés. Une riche architecture fert de fond
à cette compofition qui , par fa belle
NOVEMBRE. 1770. 183
forme pyramidale , fixe particulièrement
les regards. La gravure de cette dernière
eftampe eft très - harmonieufe ; elle eft de
M. Migé. Cet artifte , par les travaux d'un
burin artiftement conduit , eft parvenu à
développer les beaux caractères de tête.
que l'on admire dans le tableau origi
nal.
.V . ES TAM PE
St Grégoire dicte fes Homélies.
Sollicitis votis lumen coelefte precatus ,
Sacro fermones afflatus numine dictat..
Il revèle à la terre , Interprète facré ,
Les loix de l'Esprit Saint dont il eft pénétré.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr l'Evêque
d'Orléans .
La compofition de cette cinquième
ef- tampe eft fimple , mais fublime. Le
faint Pontife retiré dans fon cabinet &
n'ayant d'autre diftinction dans les habillemens
que la barrette papale , une école
& un rochet , eft aflis dans un fauteuil.
Quelques volumes font placés à fes pieds.
11 dicte à fon fecrétaire des homélies que
le-St Efprit , fous la forme d'une colombe
enveloppée mystérieufement dans un nuage
, femble lui infpirer. Cette dernière
184 MERCURE DE FRANCE.
penſée , conforme à la plus faine théologie
, eft en même tems poëtique & pittorefque
; elle produit dans cette compofition
un accident de lumière doux ,
agréable , ami de l'oeil & qui a été rendu
avec toute l'intelligence poffible par le
burin de Mde Dupuis , ainfi que toutes
les autres parties de ce tableau.
V I. ES TAM PE .
Le Miracle de la Meffe.
Hærefeos mulier jamdudum infecta veneno ,
Præfentem agnofcit panis fub imagine Chriftum .
Elle abjure l'erreur de fes fens confondus ,
Et reconnoît un Dieu fous un pain qui n'eft plus. *
Ce miracle , rapporté par Jean & Paul
diacres , dans la vie de St Grégoire , eft
ici repréſenté très artiftement par le peintre
. Un foyer de lumière , au milieu duquel
paroît l'hoftie confacrée , offrant
l'image de J. C. crucifié , attire les premiers
regards du fpectateur. St Grégoire
vêtu en fimple Prêtre & élevé fur les marches
de l'autel , tient d'une main cette
hoftie miraculeufe & la montre de l'autre
à une femme hérétique. Cette fem-
* Ce vers eft de M. de Voltaire.
NOVEMBRE. 1770. 185
me , par une attitude expreffive , marque
la grandeur de fon étonnement . La révo
lution qui fe fait dans fon maintien ,
femble annoncer celle qui s'opère dans
fon ame . Deux Diacres , vêtus de dalmatiques
& un flambeau à la main , fe
tiennent profternés dans le refpect le plus
profond. Le refte des affiftans témoignent
également , par leurs différens mouve
mens , les fentimens de la furpriſe & de
l'admiration . Les beaux effets de lumière
que produit cette hoftie rayonnante étoient
difficiles à bien rendre. Cette difficulté a
été uneraiſon de plus pour M. Voyez le
jeune qui a gravé l'eftampe , de redoubler
fes efforts , & l'on avouera que fon burin,
par le feul fecours du clair obfcur , fait fentir
toute la magie de la couleur.
VII . ESTAMPE.
St Grégoire dans la gloire.
Cæleftes inter catus , affurgit ad arces
Ethereas , repetitque,Deo hofpite , præmia divus.
Triomphant il s'élève à la gloire immortelle
Dans le fein de Dieu même , où la vertu l'appele.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Henri-
Jofeph - Claude de Bourdeilles , évêque
de Soiffons.
186 MERCURE DE FRANCE.
Une gloire éclatante nous annonce ici
un ciel ouvert : des Chérubins précédent le
Saint , d'autres le ( outiennent par l'effort
de leurs ailes & portent les attributs de fa »
dignité. Il n'y a qu'un feul grouppe , mais
les différens accidens de lumière quiéclai
rent ce grouppe offrent une agréable variété
& donnent à l'enfemble une légereté
admirable. La beauté douce & tranquille
des Anges forme un contrafte heureux
avec le caractère d'amour & de charité
répandu fur la phyfionomie du Saint. Cette
apothéofe qui n'a pu être conçue que
dans un moment d'enthoufiafine , offroit
bien des difficultés dans la gravure . Il falloit
fur-tout que ces figures faites pour le
plafond paruffent s'élever perpendiculaizement
, quoique placées fur un plan horifontal.
M. de Lorraine eft parvenu à
furmonter cet obſtacle par des travaux
variés avec intelligence & par une favante
diftribution de lumière & d'ombre.
En fuivant l'ordre que nous venons de
donner aux eftampes de cette fuite , on
peut facilement les diftribuer par pendans
, fi on les fait monter fous verre.
L'apothéofe du Saint fera très- bien placée
au milieu. Chaque eftampe avec l'infcription
a environ 20 pouces de haut fur 14
NOVEMBRE
. 1770. 187
de large ; mais l'apothéofe
, qui eft une
eftampe en rond , a 20 pouces de haut fur
18. Cette fuite , non moins intéreſſante
par les talens des Artiftes qui fe font réunis
pour la graver , que par l'hiftoire
qu'elle nous préfente d'un Père de l'Eglife
& d'un faint Pontife , celui de tous
Les Papes dont il nous refte le plus d'écrits, ne peut manquer d'être accueillie du Pu
blic inftruit , éclairé & amateur.
Comme plufieurs perfonnes font curieufes
des premières épreuves , il y a une
foufcription
ouverte en leur faveur chez
Lacombe , libraire , rue Chriftine , près
larue Dauphine Didot l'aîné , rue Pavée
& chez les principaux
marchands
d'eftampes.
Le prix de cette foufcription
eft de 24
liv. dont on paiera 1 2 liv . en recevant les
numéros I & II. 6 liv. en recevant les
deux numéros fuivans , un mois après la
première livraiſon ; & pareillement
6 liv.
en recevant les trois derniers , un mois
après la feconde livraiſon.
foufcrit paieront Ceux qui n'auront pas
chaque eftampe à raifon de 6 liv.
La gravure
de cette fuite d'eftampes étant entierement
terminée
, il fera libre
188 MERCURE DE FRANCE.
d'acquitter la foufcription en un feul paie
ment.
Le même libraire a mis en vente le
Jugement de Paris , hauteur 16 pouces ,
largeur 19 pouces ; fajet agréable , trèsbien
gravé. Prix , a liv. S fols .
On diftribuera inceffamment deux magnifiques
Paysages , d'après Diétrici , fupérieurement
exécutés par M. Benazech ,
largeur 23 pouces , hauteur 18 pouces.
Le Roi de la Fève , fujet plaifant , d'après
Jordans & rendu avec un burin brila
lant , largeur 22 pouces , hauteur 17 pouces
; & beaucoup d'autres eftampes en différens
genres.
MUSIQUE.
VIIe. Recueil de pièces Françoifes &
Italiennnes , petits airs , brunettes ,
menuets , & c . avec des doubles & variations
, accommodés pour deux Alûtes
traverfières violons , pardeffus de
viole , &c. Par M. Taillart l'aîné. Le
tout recueilli & mis en ordre par M *** .
Prix 6 liv. A Paris , chez M. Taillart
>
NOVEMBRE. 1770. 189
l'aîné , rue de la Monnoie , la première
porte cochère à gauche en def
cendant du Pont Neuf , & aux adreffes
ordinaires de musique .
CE
E feptième Recueil étoit demandé
avec empreffement , parce que les amateurs
favent , par expérience , que le
goût & la variété préfident toujours aux
Recueils que donne M. Taillart l'aîné.
Ce muficien a choifi , parmi les airs qui
ont été les plus applaudis fur le théâtre
& dans les concerts , ceux qui font le
meilleur effet fur l'inftrument. Il a mis
des doubles & des variations à quelques-
uns , pour faire briller le violon
ou la flûte traversière , fon inſtrument fa
yori , & qu'il a porté au plus haut degré
de perfection.
Recueil d'airs choifis de l'ambigu
comique , mis en duo pour deux violons
or mandolines , & compofés par M. Papavoine.
Prix 7 liv. 4 fols. A Paris , chez
l'auteur feulement , rue Baillif , à côté
d'un vitrier , au coin de la rue des bons
Enfans.
190 MERCURE DE FRANCE:
Concerto àpiu ftromenti concertanti du
violini , obboe , violoncello , alto & baſſo
obligati , due violini , fagotti e corni di
ripieno compoftoper la corte di Madrid da
Luigi Boccherini . Opera VIII . prix 6 liv.
A Paris , chez Venier , éditeur de plufieurs
ouvrages de mufique rue St
Thomas- du -Louvre , vis -à- à- vis le Châ
reau- d'eau , & aux adreffes ordinaires.
Airs connus avec variations › pour la
Harpe , par M. Petrini , oeuvre 2º, prix
liv.
Six fonates pour la Harpe , avec ac
compagnement de violon par le même ,
euvre 3. Prix 9 liv. A Paris , chez l'auteur
, rue Mauconfeil , à côté de l'Hôtel
d'Aquitaine , Coufineau - luthier & mar
chand de mufique , rue des Poulies , &
aux adreffes ordinaires,
GEOGRAPHIE,
TReizième feuille de la Carte de Nor
mandie , où se trouvent Jobourg , Beaut
NOVEMBRE. 1770. 191
Aumont
, Naqueville , Saint- Ouen
derville , le Cap de la Hagne , le Port
de Longy , & c. A Paris , chez Denis &
Patour , rue St Jacques , vis-à- vis le Col
lége de Louis-le- Grand . Prix 1 liy,
I I.
I
Cours d'Hiftoire Naturelle , concernant
les minéraux , les végétaux , les animaux
& les différens phénomènes de la nature ,
Par M, Valmont de Bomare , cenfeut
royal , maître en pharmacie , démonftrateur
d'hiftoire naturelle avoué du gouvernement
, membre de plufieurs académies
des fciences , belles lettres
beaux arts , directeur des cabinets de
S. A. S. Monfeigneur le Prince de Condé,
maître d'hiftoire naturelle de S. A. S,
Monfeigneur le Duc de Bourbon.
En fon cabinet , rue de la Verrerie ;
près la rue du Coq , le lundi 3 Décembre
1770 , à dix heures & demie très - prè
cifes du matin ; & fera continué les mer
credi , vendredi , & le lundi de chaque
femaine , à la même heure.
N. B. On ouvrira un fecond Cours
d'Hiftoire Naturelle le jeudi 6 Décembre
1770 , à onze heures & demie très pré192
MERCURE DE FRANCE.
cifes du matin . Ce cours particulier fera
continué les famedi , mardi , & jeudi de
chaque femaine , à la même heure . Ceux
qui voudront y prendre part , font avertis
d'entendre le difcours fur le fpectacle
& l'étude de la nature , qu'on fera le
rrois Décembre , à l'heure indiquée .
M. l'Abbé de Perravel de S. Beron
recommencera le 27 du courant , depuis
fix heures du foir jufqu'à huit , l'ouverture
de fes deux cours de langue Italienne
& de langue Françoife ; le premier ,
par une méthode de fon invention , &
qui n'eft propre qu'à lui feul , méthode
auffi courte que lumineufe , claire &
facile l'autre , par la méthode philofophique
de l'Abbé Girard , dans laquelle
on ne s'attache qu'à fuivre le fil de la
nature , & les lumières de la raifon , &
qu'à confulter le fyftême de l'ufage,
Le 28 , à la même heure , il fera l'ouverture
de fes deux autres cours d'Hiftoire
Univerfelle , & de Géographie Naturelle
, Aftronomique & Politique.
+
Son prix eft de 18 liv . chez lui par
mois de douze leçons , & de trente - fix
livres en ville.
Il eft logé dans l'intérieur de la nouvelle
NOVEMBRE . 1770. 193
velle Halle , près la rue Mercier au numero
54 , à deux entrefols fur la devant.
On le trouve tous les matins chez lui ,
jufqu'à onze heures au plus tard.
AVIS pour le XXIVe Cours public annuel
& gratuit de géographie & d'hif
toire.
Pour peu que l'on tienne à la fociété ,
le befoin d'avoir une connoiffance raifonnable
de la Géographie & de l'Hiftoire
, fe fait fentir dans bien des inftans
de la vie. Aujourd'hui l'étude de ces
deux fciences eft regardée comme une
partie effentielle de l'éducation , & ceux
qui en ignorent les élémens , font , en
quelque façon , étrangers au milieu du
monde. On a d'ailleurs à Paris mille reffources
pour s'inftruire des connoiffances
qui étendent la fphère de l'efprit humain
; & l'Hiftoire , confidérée comme
un cours excellent de morale , ne peut
contribuer qu'à former les coeurs à la
vertu .
M. Philippe , des Académie d'Angers
& de Rouen , Cenfeur Royal , eſt
dans l'uſage , après le court intervalle des
vacances , de reprendre fes conférences
I
194 MERCURE DE FRANCE .
annuelles & gratuites , en faveur de fes
concitoyens , & des étrangers , que le
loifir , le goût , & fur- tout le defir de
fçavoir , déterminent à s'adrefler à lui .
Depuis un grand nombre d'années , le
plan de ces leçons périodiques eft connu
d'une foule d'auditeurs , & de quantité
de perfonnes du fexe , dont le témoignage
ne peut être foupçonné d'adulation
; & quand la fortune fe feroit chargée
elle - même de reconnoître les fervices
de notre habile Profeffeur , il ne
pourroit pas s'y livrer avec plus de zèle.
Pour être admis à ce vingt - quatrième
cours , qui fera le dernier que M. Phi
lippe donnera , & dont l'ouverture eft
fixée au Dimanche matin , 18 de ce mois
de Novembre , il ne faut qu'avoir l'attention
indifpenfable de venir fe faire
infcrire chez lui , rue de la Harpe , vis àvis
la rue des deux Portes , Toutes les féan
ces commenceront , Fêtes & Dimanches ,
au plus tard à 10 heures précifes du matin
, à l'exception des grandes folennités :
elles continueront jufqu'à la fête de l'AG
fomption 1771. Il feroit impoflible dans
le cercle d'environ une foixantaine de leçons
publiques , de développer rous les
détails d'Hiftoire Univerfelle , facrée &
NOVEMBRE. 1770. 195
profaue , ancienne & moderne , eccléfiaftique
& civile. L'objet que M. Philippe
fe propofe de fuivre cette année , eſt de
commencer d'abord par les élémens de
la Géographie , & tout de fuite de les appliquer
à la marche des 58 fiècles écoulés
bientôt , depuis la création du monde ,
jufqu'au temps où nous vivons. Les divifions
géographiques des parties du globe
terreftre , iront exactement en proportion
de ce qui fera néceffaire pour l'intel
ligence de chaque matière hiftorique . En
un mot , tout ce cours fera une converfation
& une pratique continuelle des
yeux fur les Cartes ; les moyens les plus
faciles , la méthode la plus fimple ; &
peut-être la plus fûre par cet avantage ,
pour diftinguer les lieux & les fcènes des
événemens
, pour fixer les temps , & apprécier
le mérite réel ou apparent des
hommes quels qu'ils aient été , feront l'ob
jer, par préférence , de l'attention du Profeffeur
qui a toujours cherché à augmenter
, dans les élèves , leur penchant pour
les études folides & agréables , & à les
mettre à portée de s'appliquer avec fruit ,
& d'y faire des progrès plus rapides , s'ils
veulent les approfondir dans la fuite de
leur vie.
I ij
*
196 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE de M ** , au Père Peronier ,
Minime de Lyon , fur fa réclamation
contre lejugement que l'Académie royale
des fciences a donné de fon moulin à
Joie,
E fuis fâché , mon R. P. de vous voir prendre
de fi mauvais moyens pour accréditer votre nouvelle
méthode de tirer la foie & de l'apprêter en
organcin. C'eft par la voie feule de l'expérience
que vous pourrez venir à bout de perfuader les
artiftes , & non par des écrits polémiques qui nuifent
d'autant plus à la bonté de votre caufe , que
vos preuves n'y font point du tout concluantes
& que vous y laiflez appercevoir des contradictions
& des erreurs qui n'annoncent pas des con
noiffances bien étendues dans l'art que vous voulez
perfectionner.
J'ai lu les dernières lettres que vous avez fait
imprimer , dans la vue d'infirmer le jugement que
l'Académie des fciences de Paris a porté fur votre
découverte. Je les envoyai fur le champ , accom
pagnées de quelques remarques , à M. Vaucanfon
qui a été un de vos commiflaires , dans l'efpérance
qu'il y feroit une replique. Mais voici quelle
a été fa réponſe. « L'Académie , Monfieur , ne répond
point aux récriminations que l'on fait de
les jugemens. Je ne vois d'ailleurs dans toutes
ces lettres que beaucoup d'injures , & pas une
objection digne d'être férieufement refutée . Je
» n'ai pas aſſez de tems à perdre , &c. »
و د
сс
NOVEMBRE. 1770. 197
Les invectives , mon R. P. , font les armes or
dinaires de l'infériorité . Elles décèlent toujours la
foiblefle de celui qui les emploie. Vous accufez
vos juges de prévarication & d'infidélité ! Vous
les taxez d'avoir trabi la vérité dans l'expofition
de vos moyens , l'un par un fentiment de jaloufie
ou d'intérêt , l'autre par une bafle complaiſance
pour fon confrère ! Vous accufez le corps entier
d'avoirjugé fans examen & fans réflexion ! Comment
un homme de votre état , à qui l'on doit
fuppofer des vertus chrétiennes , a-t-il pu fe porter
à des imputations , qu'un homme du monde
qui n'auroit eu que des vertus lociales ne fe feroit
pas permises ?
Vous criez à l'injuftice de ce que M. de Vaucaitfon
ayant travaillé fur le même objet , vous a été
donné pour commiflaire avec M. de Montigny.
Euffiez- vous trouvé , mon R. P. l'Académie plus
jufte & plus raisonnable de nommer des aftronomes
ou des chymiftes pour examiner votre mécanique
? Croyez -vous , par exemple , que M. Duperron
, que vous avez pris pour votre apologifte
, foit plus capable que ces deux académiciens
, d'en connoître les avantages ou les inconveniens
? Avez-vous pû raiſonnablement eſpérer
que fon témoignage paroîtroit moins fufpect &
prévaudroit moins dans le Public fur celui de ces
deux hommes célèbres ? Si vous n'étiez pas en
de conduire ni d'éclairer la plume de votre dé
fenfeur , il falloit du moins faire choix de quelqu'un
qui fût plus modéré & plus inftruit . Son
ftyle licentieux vous a féduit ; vous avez cru
qu'une critique amère , farcie de beaucoup d'injutes
& de fophifmes , tiendroit lieu de bonnes raifons
aux yeux du plus grand nombre. Mais ce
érat
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE .
n'eft pas le gros du monde , à qui cela eft étranger
, qu'il s'agit de perfuader ; ce font les gens de
T'art qu'il faut convaincre & toutes les belles
phrafes de votre écrivain ne tendent au contraire
qu'à les éloigner de votre méthode , parce qu'elles
font toutes appuyées ou fur de fauffes allégations
ou furdes fuppofitions totalement gratuites. En
voici la preuve.
Vous prétendez que vos commiffaires ontfauffement
comparé le pourtour de vos bobines qui
font circulaires , avec le pourtour d'un guindre or
dinaire qui eft quarré. Vous les renvoyez aux élémens
de géométrie pour apprendre que le parallèle
ne feroit jufte qu'autant que le guindre feroit
circulaire comme la bobine , ou la bobine quarrée
comme le guindre.
20
53
Comment_ofez - vous prêter cette affertion à
vos commiflaires & citer vous - même , dans la
page à côté , l'énoncé de leur rapport qui dit précilément
tout le contraire ? Voici comme ils s'expriment.
«Au lieu de tirer la foie fur des guindres
qui ont 24 pouces de diamètre , le Père Peronier
propofe de la tirer immédiatement fur des bobines
; mais comme les bobines que le Père Peronier
employe dans fon moulin , n'ont qu'un
→ pouce de diamètre & qu'elles ne fauroient tourner
24 fois plus vite que le guindre pour devui-
> der autant de foie dans le même tems , il faudroit
néceffairement prolonger de beaucoup
cette première opération.
ל כ
établir une
Appelez -vous cela , mon R. P.
même proportion entre un cercle & un quarré ?
Quand on parle de diamètre , on fous - entend
toujours un cercle ; on ne dit point le diamètre
d'un quarré. Vos commiflaires ont converti le
NOVEMBRE . 1770. 199
pourtour d'un guindre en un cercle dont ils ont
trouvé le diamètre être de 24 pouces , & cette dimenfion
n'eft point fauffe , comme vous le prétendez.
Les guindres qui font en ulage ont 26 ,
28 & 30 pouces de jauge ou de diagonale , (ceux
de 24 pouces ne font employés que pour des foies
fuperfines de 20 à 25 deniers. ) Si on prend néanmoins
une dimenfion moyenne , on trouvera que
les quatre côtés d'un guindre dont la diagonale
eft de 27 pouces , font égaux à un cercle de 76
pouces 4 lignes , dont le diamètre eft plus grand
que 24 pouces. Il paroît que les académiciens ont
calculé leur diamètre d'après un guindre de 26
pouces de diagonale , qui eft celui dont l'ufage
eft le plus général ; leur calcul n'eft donc point
faux ni exageré , mais c'est le vôtre , mon R. P. ,
qui l'eft à tous égards.
Vous dites , les quatre côtés d'un guindre de 24 .
pouces de diagonale étant égaux à 62 pouces ,
font une longueur defoie de 744 lignes . Ceux que
Vous renvoyez aux deiniers des géomètres pour
roient à leur tour, & avec bien plus de raifon , vous
renvoyer au dernier des artifans qui manient la
règle & le compas ; il vous apprendroit que les
quatre côtés d'un quarré de 24 pouces de diagonale
font égaux à 67 pouces 10 lignes , qui font
814 lignes & non pas 744 lignes . Vous voyez,
mon R. P. , que pour entrer en lice avec des fçavans
d'un certain ordre , il faut avoir au moins
les premiers élémens de leur doctrine , & qu'on a
mauvaile grace de prétendre relever leurs erreurs, '
quand on en fait foi- même d'auffi groffières.
Lorsqu'ils obfervent que la foie fe collera fur
vos bobines au fortir de la baffine , vous croyez
répondre d'une manière victorieufe , en repli-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
quant que vous la ferez paſſer fur une plaque de
fer échauffe par le fourneau , avant qu'elle parvienne
à la bobine . Mais l'expérience eſt totale.
ment ici contre vous. M. Vial , entrepreneur d'une
fabrique de foie , a eu la curiofité d'éprouver votre
métho le avec le plus grand foin. Il a effayé de
tirer de la loie fur des bobines & de la faire paffer
fur une plaque de tole échauffée , comme vous le
propofez . La foie n'en a pas moins été collée ſur
la bobine au point d'avoir été obligé de la mouiller
plufieurs fois pour pouvoir la devider. Il a
trouvé que , pendant le tems qu'on faifoit la battue
, les croifures fe collient fi fort qu'il falloit
les caller prefque à chaque fois & en refaire d'autres
. Vous pouvez lire le détail de les épreuves ,
dans la lettre qu'il écrit à M. Duperron votre apologifte
, inférée dans le Journal d'Agriculture du
mois d'Avril 1769. Vous verrez que toutes vos
belles opérations , repétées par un homme du
métier , n'ont point eu ce brillant fuccès qui avoit
fait l'étonnement & l'admiration d'un grand nombre
de fpectateurs à Lyon .
La réclamation que vous faites du témoignage
de M. de Montigny , qui prit l'extrêmité d'un fil
de foie qui venoit d'être tirée en fa prélence fur
unebobine , & qu'il développa fans rupture , n'eft
qu'un pur fophifme aux yeux d'un homme inftuit.
Il falloit faire tirer cette foie avec la même
vitelle que vous déterminez dans vos écrits , ne lui
donner le fil à devider que 24 heures après , lorfque
la foie auroit été parfaitement féche , & vous
auriez vu , comme lui , que ce fil ne le feroit pas
développéni fi facilement ni fans rupture,
Eft- ce répondre folidement à une objection que
d'y oppofer unc.expérience qui n'a eu aucun fuc
NOVEMBRE. 1770. 201
cès ? On vous fait appercevoir que le moyen de
gagner du tems , en faifant filer quatre fils à la
fois , eft illufoire , parce qu'une fileufe peut à peine
entretenir l'égalité des brins à deux fils , & vous
donnez en preuve de cette poffibilité un effai fait
à Montpellier par un particulier ( foldat dans je
ne fçais quel régiment ) qui préfenta un tour fur
lequel une tireufe filoit quatre fils à la fois , mais
dont la méthode fut défaprouvée & rejettée par
tous les gens de l'art ! fur quoi votre zélé défenfeur
s'épuife en regrets de la perte d'une fi précieufe
découverte pour la perfection des arts & des manufactures
; demande des protecteurs pour écrafer
Tenvie toujours prête à déprimer les plus beaux ouvrages
; compare votre malheureux fort à celui de
cet infortuné; & implore le miniftre qui préfide
aux arts & au commerce , de n'être pasfourd à fa
voix , afin que la France n'ait pas la douleur de
voir l'étranger adopter avant elle ce que le génie a
enfanté dans fon fein. Il faut convenir , mon R.
P. , qu'un difcours fi pathétique eft un moyen de
défenfe bien triomphant contre vos injuftes commilaires
, & que ce tableau de comparaison eft un
garant bien fûr de la bonté de votre méthode.
A la bonne heure , mon R. P. que vous cherchiez
tous les moyens poffibles de vous défendre;
perfonne ne vous fera un crime de vous être
trompé ni dans vos comparaifons , ni dans vos
calculs , ni dans vos fuppofitions , ni dans votre
logiqne ; mais aucun de vos lecteurs ne vous pardoanera
de lui avoir préfenté de faufles allégations.
Sur ce que vos commillaires condamnentla
préférence que vous avez donnée à des cones pour
faire tourner vos fufeaux par frottement , à la
place des roues tentées, vous jetez les hauts cris .
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Ah! Monfieur , où eft donc la bonne foi ? demande
votre écrivain. M. Vaucanfon a- t- il pu fuppofer
le Père Peronier affez peu méchanicien pour
ignorer l'avantage d'un bon rouage , fur tout autre
moyen d'imprimer un mouvement de rotation ?
N'a- til pas dû voir & faire entendre que l'auteur
n'avoit employé ces leçons que par interim , &c. II
fait là- deflus une forcie des plus indécentes à cer
académicien .
Il faut , mon R. P. , mettre le Public à portée
de juger lui - même de quel côté eft la bonne foi
que vous reclamez , en expoſant à fes yeux les
propres termes de votre mémoire envoyé à l'académie
de Paris , paraphé du fecrétaire de celle de
Lyon & figné de deux de les membres.
Y
Après avoir donné l'explication des trois figures
concernant le mouvement de vos fuſeaux , on
lit : «Le mouvement par engrenage des roues
x , y, z , feroit le plus für de tous ; mais parce
qu'il exige une grande précifion dans la taille de
» la denture & dans la pofition des roues en en-
" grenage , & que la moindre imperfection fai-
> fant heurter une dent contre une autre , occa-
»fionne des fecoufles dans tout le fufeau qui tendent
à faire cafler les brins de foie ; pour ces rai-
»fons de difficulté & de dépénfe j'ai abandonné
ce mouvement d'engrenage pour en chercher un
plus fimple & moins difpendieux.
כ כ
2
» 2 ° . Le mouvement par cordage z , x , z , en
vérité , eft le plus fimple qui fe puiffe ; mais l'inconvénient
du relâchement des cordes & la néceffité
de les changer fouvent de canelure , &
d'en mettre d'autres de tems en tems , m'a einpêché
à m'en tenir là ; c'eft pourquoi j'ai encore
» cherché une autre forte de mouvement.
20
NOVEMBRE . 1770. 203
»3 ° . Le moovement par frottement des cones
»tenverfées y , fur les cones droitsz , x , z , tel
» qu'il eft expliqué ci- deflus , eft celui qui m'a
sparu le plus propre à produire l'effet defiré ,
כ כ
&
c'eft celui que j'ai employé en dernier lieu avec
» plus de fuccès qu'aucun des précédens , dans le
> nouveau moulin à foie dont les plans & éléva-
»tion font ci-joints. לכ
C'eft après vous être expliqué fi clairement &
fi formellement fur les motifs du choix que vous
avez fait des cones , & fur les inconvéniens qui
vous ont fait abandonner les rouages , que vous
infultez vos commiffaires de vous avoir cru &
montré capable de faire un pareil choix ? Ah !
mon R. P. ne demandez plus où est la bonne
foi?
Ա
Après avoir attaqué la droiture de vos juges
, votre apologifte croit - il affoiblir
fever leur objection , en s'écriant ! Mais que
diroit M. Vaucanfon , fije lui annonçois que le
Fère Peronier a beaucoup fimplifié cefufeau , qu'il
regardoit comme un mal incurable ? Que devien
droient fes objections , fi , par un calcul exact de
comparaifon , je lui prouvois que ce fufeau perfectionné
équivaut à deux cent pièces de fa méthode
, les remplace & opère les mêmes effets ? Sans
doute que s'il voyoit l'accompliflement de cerre
modelte promefle , il y applaudiroit ; mais les objections
n'en refteroient pas moins dans toute
leur force à l'égard du fuſeau qui a été examiné .
Les corrections que vous avouez y avoir faires
ne prouvent- elles pas qu'il étoit défectueux , &
que les commiflaires ont eu raifon de les déſaprouver
?
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
Cette manière d'éluder l'objection eft , on ne
peut pas plus, familière à votre écrivain . A chaque
difficulté qu'on vous oppofe , il prend vos juges à
partie de ne vous avoir pas cru affezfertile en inventions
pour lever un iel obftacle ou corriger un
tel défaut. D'autres fois il répond plus poliment
qu'il eft poffible de mieux faire , & que les com·
miffaires applaudiront eux - mêmes aux moyens.
ingénieux dont vous vous fervirez pour produire
tel effet ; ailleurs , c'est une pièce que vous aver
changée & qui opérera des prodiges ; ici c'eft une
nouvelle production du génie qui vient d'éclore ,
mais que vous vous garderez bien de faire connoître
à vos perfides commiffaires , dans la crainte
que vous ne foyez encore une fois leur dupe , en
abufant comme ci - devant de votre confiance ;
enfin c'est toujours en promettant que vous
remédierez à tout qu'il s'imagine prouver la
bonté de ce que vous avez fait. Voilà une
manière de répliquer qui eft aflurément bien honnête
& bien folide ! donner des espérances pour
des démonftrations , eft-ce là ce qu'il appele détruire
jufqu'à la fource les erreurs répandues avec
trop de profufion dans leur rapport ?
Eh ! de grace , mon R. P. , renoncez à l'eſpoir
chimérique que vous avez de pouvoir faire connoître
par des brochures l'excellence & les avantages
de votre méthode. C'eſt aux yeux des artif
tes qu'il faut parler & non pas à leur efprit . Vous
ne les perfuaderez point par de belles phrafes ,
qu'on puifle filer dans le même tems autant de
foie fur quatre petites bobines que fur un guindre
qui eft cinq ou fix fois plus grand ; qu'une
fileule entretiendra la même égalité de brins dans
quatre fils de foie comme dans deux. Vous ne les
perfuaderez point que cette foie pourra être ailéNOVEMBRE
. 1770. 205
ment & fuffisamment purgée au tirage avec des
pinces appliquées aux guides du va & vient. Vous
ne leur ferez pas entendre comment ces quatre
fils pourtont fécher dans leur prompt trajet de la
bobine , au moyen d'une tole échauffée par le
fourneau ; que ces fils ne fe brûleront jamais
quand ils refteront immobiles , foit pendant la
battue des cocons , foit lorsqu'il faudra en renouer
quelqu'un de caffé. Toute l'éloquence de
votre écrivain ne viendra jamais à bout de leur
faire comprendre ces vérités ; il n'y a que des
exemples en grand & de quelque durée qui puilfent
les leur rendre fenfibles .
Avec les plus beaux raifonnemens , vous ne
perfuaderez jamais ceux qui font de la foie qu'il y
aura moitié à gagner de prolonger leur tirage
pendant toute l'année ; qu'ils conferveront facilement
tous leurs cocons , en les enfermant dans
des facs pendus au plancher , avec un cornet de
fer blanc par- deflus. Jamais ils ne comprendront
que plufieurs de vos moulins ifolés puiffent donner
plus de bénéfice qu'un pareil nombre des au
tres réunis dans ce même lieu ; que la maind'oeuvre
fera moins confidérable dans les vôtres:
mus à bras , que dans ceux qui tournent à l'eau ;
qu'on y fera plus d'ouvrage pendant le jour que
dans les autres qui vont jour & nuit , &c. Tous
ces fabricateurs de foie , mon R. P. , ont l'efprit
trop bouché pour concevoir ces chofes poffibles ;
vous ne les leur ferez point eutrer dans la tête
avec les phrafes de M. Duperron ; ce n'est que
lorfqu'ils les verront s'exécuter & fe répéter devant
eux qu'ils les croiront ; l'avantage qu'ils y
reconnoîtront , déterminera feul leur confiance .
Vous devez voir l'inutilité de toutes ces louan
206 MERCURE DE FRANCE.
ges prématurées dont vous avez rempli les papiers
publics pour faire goûter votre méthode .
On n'a jamais pu concilier certe grande fenfation
qu'a fait , à Lyon , votre moulin , avec l'inaction
dans laquelle font reftés vos admirateurs . Si l'on
en croit votre apologiſte , tous les fçavans , tous
les fabricans & tous les artiftes expérimentés qui
ont vu votre chef - d'oeuvre ont été furpris &
émerveillés de la fimplicité de vos moyens , de la
perfection de l'ouvrage , des avantages immenfes
qui en réfulteroient pour leur fabrique , & cependant
perfonne n'a été tenté de profiter d'une fi
précieule découverte qui lui étoit offerte .
Comment eft -il poffible que dans le nombre de
ces riches négocians qui font le commerce de la
foie à Lyon , à qui appartiennent les moulins qui
font dans nos provinces , & pour le compte de qui
fe font toutes nos filatures , il ne s'en foit pas
trouvé un feul qui vous ait procuré les fonds nécellaires
pour l'exécution d'un moulin avec lequel
il fe feroit afluré d'accroître fi confidérablement
fes bénéfices ? Cela n'eft point du tout aifé à comprendre.
Si l'on confidère encore que c'eft à Turin que
vous avez mis au jour votre mécanique ; que c'est
à des Piémontois , nos maîtres dans l'art de fabriquer
la foie , que vous en avez fait le premier
hommage , & que vous n'avez obtenu d'eux que
des regards ftériles & indifférens , tout ce que dit
M. Duperron devient de plus en plus incompréhenfible.
Enfin , pour dernière reflource , vous avez fai
transporter votre moulin à Montpellier ; vous
l'avez préfenté à MM . des Etats , toujours difpofés
à recevoir favorablement ce qui peut contriNOVEMBRE.
1770. 207
buer au bien & à l'aggrandiffement de leurs fabriques
; ils l'ont fait examiner par les premiers mouliniers
de la province ; ils ont offert de le donner
en pur don à ceux qui voudroient & qui croiroient
en faire un ufage utile , il n'y en a pas eu un feul
qui ait voulu l'accepter.
Votre défenfeur dira- t- il que vous avez trouvé ,
dans tous ces différens lieux , des jaloux comme
dans l'Académie ? que vous avez été par- tout en
butte à l'envie prête à étouffer le feu du génie & des
belles inventions ? Ah ! mon R. P. , croyez que
l'intérêt eft une paffion encore plus forte & plus
générale ; ne doutez pas un moment que fi quelqu'un
de ceux à qui vous avez montré votre moulin
, y eût reconnu une partie feulement des avantages
que vous promettez , il ne vous eût offert
les moyens néceflaires pour fe les procurer , &
qu'il ne vous eût prié inftamment de lui donner
la préférence .
C'eft cependant après avoir effuyé tous ces refus
que vous prenez le ton avantageux , & que
vous vous répandez en invectives contre les commiflaires
de l'académie , de ne vous avoir pas
donné leur approbation ? C'eft avec des préfomptions
fi défavorables pour votre découverte que
vous ofez faire un crime à l'un d'eux qui , par état,
eft commillaire du Roi en cette partie , d'avoir
confeillé au miniftre de faire examiner vos machines
à Lyon , par les gens de l'art , plutôt que
de les faire transporter & établir , aux frais du
gouvernement , à Paris , où il n'y a point de cocons
, point de fileufes , point de mouliniers pour
en faire l'épreuve , & pas un objet pour fervir de
comparaifon. N'étoit - ce pas fe recufer lui - même
pour juge que de donner cet avis ? A qui perfua208
MERCURE DE FRANCE.
derez vous qu'un confeil fifage & fi prudent n'a
été dicté que par la jaloufie & par des vues d'intérêt?
Tous ceux qui ont vû vcs machines , & qui
connoiffent celles de cet académicien , pourrontils
le foupçonner d'avoir pu , un moment , en être
jaloux ? Non , mon R. P. , cette fage précaution
fera généralement approuvée. Tout le monde lui
fçaura gré d'avoir épargné à l'Etat une dépense
qui eût été inutile . Le Roi ne feroit pas affez riche
s'il falloit qu'on éprouvât inconfidérement , à fes
frais , toutes les idées qui paffent par la tête des
particuliers.
Croyez- moi , mon R. P. , au lieu de faire travailler
la prefle des imprimeurs , employez vos
facultés à perfectionner votre moulin & à répéter
vos expériences . Lorfque nous pourrons y appercevoir
le plus léger avantage fur ceux dont
nous faifons ufage , vous ne trouverez plus ni
rivaux ni jaloux ; vous obtiendrez bien vîte &
notre confiance & le fuffrage de vos prétendus
adverfaires. Des fuccès bien connus & bien confirmés
feront mieux votre apologie que tous les
écrits de M. Duperron . L'intérêt , ce grand mobile
des actions humaines , deviendra votre appui
& fera le meilleur protecteur que vous puiffiez
trouver pour écrafer l'envie toujours prête à
déprimer lesplus beaux ouvrages.
Je luis , &c.
NOVEMBRE. 1770. 209
ANECDOTES.
I.
BASASSSOONMPIERRE s'oppofa à la fantaisie
qu'eût Henri IV de gliffer fur un baffin
dont l'eau étoit glacée ; qu'y a t- il à crain
die , lui dit le Roi , en voilà tant d'autres
qui ont gliffé avant moi ? Sire , lai
répondit Balompierre , c'eft que vous êtes
bien d'un autre poids que tous ces gens - là .
I I.
Le vieux comte de Derby qui vécut
fous les règnes de Jacques & de Charles
I , n'étoit point recherché dans ſa
parure ; fes habits étoient femblables à
ceux que porte un bon fermier. Un jour
étant venu à la cour , un Ecoffois élégant
lui refufa l'entrée de la chambre du Roi ,
en lui difant que perfonne ne pouvoit
s'y préfenter fans être gentilhomme , ou
du moins vêtu comme un gentilhomme.
Le Comte infifta ; la difpute devint vive :
le Roi , qui entendit du bruit , vint s'informer
lui -même du fujet qui le caufoit.
210 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'est rien , Sire , dit le Comte , vos
compatriotes ont laiffé derrière eux en Ecoffe
, leurs manières & leurs guenilles , ils ne
Se connoiffent plus ici , & infultent ceux
qui valent mieux qu'eux. Le Roi parut
irrité de l'affront qu'on avoit fait à un ſi
grand feigneur : Je ſuis au défeſpoir , lui
dit il , mon cher Derby , de l'infolence de
mon domestique ; mais vous en ferez vengé
; &fi vous le defirez , il fera pendu fur
le champ. Pendu , s'écria le Comte , c'est
une fatisfaction trop foible pour l'infulte
qu'il m'a faite , & j'espère qu'il fera puni
plusfévèrement. -Vous n'avez qu'à parler
, &je vous jure que vous ferez obéi.
Eh bien , je demande à Votre Majefté de
le renvoyer promptement en Ecoffe.
III.
--
Le Roi Jean , père de Henri III , Roi
d'Angleterre , demanda une fonime de
10000 marcs d'argent à un Juif de Briftol
, & fur fon refus , ordonna de lui arracher
chaque jour une dent, jufqu'à ce qu'il
confentît à payer cette fomme : le Juif
perdit fept dents , & paya .
NOVEMBRE. 1770. 21I
I V.
pro-
Deux freres , l'un Poëte , l'autre Muficien
, parloient avec éloge de leurs ta➡
lens . Defpréaux , ennuyé de leurs
pos , demanda qui faifoit des vers Le
Muficien répondit , c'est mon frere ,
& moi je les chante ; ... & moi , ajouta
Defpréaux , je les fifle.
V.
Un homme prétendoit être ' né aveugle
, & avoir recouvré la vue par l'attouchement
de la Châffe de S. Alban . Le
Duc de Glocefter paffa dans le lieu
où étoit cet homme , le queftionna ,
& paroiffant douter de fa guérifon , lui
demanda de quelles couleurs étoient les
habits des gens de fa fuite. Le prétendu
aveugle - né répondit très- jufte à cette
queftion . " Vous êtes un coquin ! s'é-
» cria le Duc ! Si vous étiez né aveugle
, vous ne connoîtriez pas les cou-
» leurs , & dans l'inftant il le fit mettre
au carcan , comme un impofteur.
">
212 MERCURE DE FRANCE.
V I.
Un Charretier avoit été trois fois à
Windfor avec fa charrette , pour voiturer
quelques parties de la garderobe
d'Elifabeth , Reine d'Angleterre . Lorfqu'il
fe fut préfenté une fois , deux fois ,
trois fois , les gens de la garderobe lui
dirent à la troisième , que le changement
qu'on avoit voulu faire n'auroit pas lieu .
Le Charretier impatienté de la corvée
s'écria , en frappant de fa main fur la
cuille : Je vois à prefent que la Reine
» eſt une femme comme la mienne . »
Elifabeth qui étoit alors à la fenêtre entendit
ces mots , & demanda : « qui eft
» cet infolent ? Elle lui envoya auſfitôt
trois angels ( dix fchellings ) pour
lui fermet la bouche.
VII.
Du balcon d'un gros Bourvalais
On admiroit une ſuperbe vue ,
L'azur des cieux par fes reflets
Colorioit le mont qui bornoit l'étendue :
Coupant la plaine en plufieurs fens ,
NOVEMBRE. 1770. 213
Une rivière offroit en vingt lieux différens
Le miroir de fon cau fuïante ;
On s'écrioit , quel fpectacle voilà !
Cocher , mets les chevaux , dit la bêre opulente , 1
Nous irons voirde plus près tout cela .
Par M. B.
AVIS.
I.
Elixir Spécifique de la Dame Parifeau
pour la guérifon des dartres,
MADAM
ADAME Parifeau , autorifée par la com
miffion royale de médecine , continue , avec le
plus grand fuccès , le débit de fon Elixir pour
la guérifon des humeurs dartreuſes . Ce remède
tité entièremens du règne végétal , purifie le fang
en le débarraflant des humeurs qui nuifent à fa
circulation . Son efficacité eft fuffisamment conftatée
par des expériences fans nombre , certifiéés
par des perfonnes de l'art. Le régime que ce remède
exigne , n'a rien de gênant : on peut le
prendre en tout tems , & le tranfporter par- tout ,
même par mer , fans craindre qu'il dégénère.
Le prix des bouteilles eft de 12 liv. elles tien
nent environ demi - ſeptier.
Madame Pariſeau demeure rue des Foffés de M.
le Prince , maifon du Riche-Laboureur . Elle pric
Les perfonnes qui lui écriront pour avoir de fon rej
1
214 MERCURE DE FRANCE .
mède , de lui en faire remettre le prix , & d'affranchir
leurs lettres.
1 I.
LETTRE à M. Cambon , chirurgien du
Corps de S. A. R. Madame la Princeffe
Charlotte de Lorraine à Mons.
le Je connois trop , Mofieur , votre zèle pour
bien de l'humanité affligée par différentes maladies
, & conféquemment pour les progrès de l'art
que vous pratiquez , avec autant de charité pour
les indigens , que de fuccès diftingués en tous
genres pour tous ceux qui vous donnent leur confiance.
Hé ! qui pourroit vous la refufer cete confiance
, d'après le choix dont vous a honoré , en
vous attachant à elle - même , l'illuftre Princeffe ,
que les vertus & fes connoiffances diftinguent autant
du commun de la fociété , & même des
grands , que la haute naiflance !
Je me flatte donc , que vous recevrez avec
autant de fatisfaction que j'en reffens moi-même.
à vous l'apprendre , les progrès de l'art dans une
partie très effentielle , dont je fuis témoin oculaire.
Je crois que vous n'avez pas ignoré le bruit,
que fit l'arrivée du ficur Daran à Paris , par la
découverte d'un traitement nouveau dans les maladies
de l'urètre , traitement décifif , prefque
inconnu jufqu'alors. Le bruit de fes fuccès s'étendit
bien - tôt de la capitale dans les provinces ;
je fus l'agent d'un fait dont le malade étoit fi
fouffrant & défefpéré , que de la ville de Saumur ,
où il réfidoit , il fut obligé de fe voiturer par la
NOVEMBRE . 1770. 215
"
Loire , jufqu'à Orléans , & de cette ville à Paris
fur des brancards . Il avoit plufieurs fiftules à l'urètre
& à l'efcrotum avec une grofleur calleufe au
périné qui lui faifoient jeter les hauts cris dans
le paflage de quelques goutes d'urine qui fe répétoit
jour & nuit à tous inftans. M. Daran le
logea chez lui
& le guérit parfaitement Ce
fait , quoiqu'il fût poffible d'en citer fans nombre
de femblables & peut - être de pires , en vaut
un millier tout feul pour moi ., La réputation
dudit fieur , par cette affluence , devint fi grande
& fi générale , que fa fortune en fit de même ,
quoiqu'il fe foit impofé , dans tous les tems
de traiter les pauvres comme les ailés , que cette
fortune le difputa rapidement à la plus fublime
renommée dans la chirurgie.
L'abondance de cette fortune , fi rare dans les
plus habiles gens à talens , avec un caractère
affable & liant , fut pour lui un piège ; divers
inventeurs de projets , dont Paris ne manque
jamais , lui propofèrent des entreprifes étrangères
à fon fujet & à fes connoiflances , pour
y faire valoir fon argent : il les écouta , car
l'appas du gain fut toujours l'enchanteur de tous
les états ; des compagnies fe formèrent ,
les
fonds y occupèrent la principale place ; les fuites
n'en furent pas heureuſes ; il fe trouva le plus
folvable , & il en fut dérangé ; il fut forcé de
s'abſenter ; de bafles jaloufies en profitèrent pour
dénigrer fes talens , comme les enchanteurs de
la fortune l'avoient fait pour dégrader fa fienne.
Enfin ces tems d'orages s'étant calmés , il a repris
l'exercice de cette partie de chirurgie , à laquelle
il s'eft borné ; mais voici un fait qui ma frappé ,
& que j'ai admiré pour l'avantage du public de216
MERCURE DE FRANCE.
•
puis ce retour , c'eft de voir que pendant les ab
fences de Paris , dont il en a pallé une des plus
confidérables à Londres , où il a traité & guéri
quantité de malades * il a fi bien médité &
perfectionné fon fecret & fon traitement , qu'il
furmonte des obftacles en moins d'un mois , qui
lui auroient réfifté autrefois plus de trois , & que
ce même remède , dont l'objet n'étoit d'abord
que pour les débris du libertinage , réuffit également
pour des obftacles que toute autre maladie
peut produire dans le canal Un payfan de
la campagne à douze lieues de Paris , qui ne s'étoit
jamais expofé dans aucun cas douteux , fe
préfenta au frère Cofme , croyant être attaqué
de la pierre : ce frère ayant reconnu que l'obſtacle
dont le malade fe plaignoit réfidoit dans le canal
, que ce même canal étoit percé en trois dif
férens endroits de fon trajet , par des fiftules , il
l'adrefla au fieur Daran , rue des bons Enfans
près le Palais-Royal alors , préfentement dans le
cul de fac de St Thomas- du- Louvre , ainfi qu'il
en ufe pour tous les malheureux qui fe préfentent
à lui pour femblables cas d'embarras dans
le canal ; ce payfan a été parfaitement guéri en
moins de vingt jours , quoique l'obſtacle parût
très - confidérable ; ce fait tout récent eft connu
du fameux M. Tronchin , auquel le fieur Daran
l'a fait voir avant & après le traitement. D'où
Sa poitrine délicate fe trouvoit fi fatiguée
du bitume du charbon de terre qui conftitue le
principal chauffage de Londres , qu'il fut forcé
de repafler à l'air de France , malgré les inftan
ces des Anglois , qui défiroient de le fixer avec
Cux.
js
NOVEMBRE. 1770. 217
je conclus que , fi quelqu'un doute que le fieur
Daran ne foit pas le plus habile pour guérir fürement
ce genre de mal , il l'eft & le fera toujours
felon moi , quoique je fois certain que
plufieurs ont voulu l'imiter ou le contrefaire ,
fans y avoir réuffi ; au refte , s'il eft encore des
incrédoles attaqués de ce mal , il ne tiendra qu'à
eux de vérifier mon rapport ; je fuis d'ailleurs
fi certain de ce que je vous marque , que je vous
permets d'en communiquer avec qui vous voudrez
, fans craindre le démenti.
I I I.
FENOHC.
Lettres - patentes du Roi , enregistrées
parlement , en faveur du Sr Agironi ,
botanifte , portant privilège exclufifpour
la diftribution dans tout le royaume de
fon remède anti- vénérien composé uniquement
de fucs des plantes.
Ce remède reconnu (ouverain dans les maladies
vénériennes les plus invéterées , ue doit pas être
moins efficace dans toutes celles qui proviennent
de l'âereté du fang ou de quelqu'engorgement
d'humeurs corrofives ; auffi en ufe- t- on avec fuccès
pour les fleurs blanches , pour les laits répandus
, pout le fcorbut , pour les dartres ; & ce qu'il
ya de plus commode , c'efl qu'on peut s'en fervis
en tout tems , fans diftinction de faifons & de cli-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
mats. Il ne cauſe aucune gêne ; il n'empêche pas
de vacquer à fes affaires ; il eft auffi agréable au
goût que falutaire dans les effets : comme il eſt
balfamique & ftomachique , plufieurs perfonnes
de l'un & de l'autre sèxe , fans être attaquées du
mal vénérien , en font uſage dans la feule vue de
fe maintenir en bonne fanté.
La demeure du Sr Agironi eft rue Pavée Saint-
Sauveur , la dernière porte cochere avant d'entrer
dans la rue Françoife.
Il enverra aux malades de province la quantité
de fon remède convenable à leur état , la manière
de s'en fervir & le régime qu'ils auront à obſerver.
Le prix fera plus ou moins haut , felon la
quantité dont on en aura befoin . Ceux qui lui
écriront auront foin d'affranchir le port s'ils veulent
avoir réponſe .
Ceux qui voudront confulter le Sr Agironi à
Paris le trouveront chez lui tous les matins julqu'à
une heure après midi , & depuis cinq heures
du foirjufqu'à neuf.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg , le 25 Septembre 1770.
ONN avoit annoncé que le général Panin devoit
donner , le 6 ou le 7 de ce mois , un affaut
général à la ville de Bender ; mais comme on
n'a rien appris de nouveau fur les progrès du fiége,
il y a apparence que cette tentative n'a pas eu lieu
ou qu'elle n'a pas réuffi .
NOVEMBRE. 1770. 119
De Warfovie, le 3 Octobre 1770.
Il vient d'être enfin réfolu que les troupes de la
Couronne, commandées par le général Branicki ,
formeront avec les Rufles un cordon pour arrêter
les progrès de la pefte. On a donné des ordres
pour faire exécuter dans les villes de la Prufle Poionoile
les mêmes réglemens qu'on obferve dans
la Pruffe Royale pour prévenir les progrès de la
contagion. Quelques perfonnes ayant voulu ,
malgré les défenfes , fe glifler à travers le cordon
formé à Willembourg , ont été tuées par les fentinelles
, poftées en avant.
On trouva dernièrement , en différens quartiers
de cette ville , des matières combustibles que
des incendiaires avoient placées de manière à mettre
le feu à la ville. Le premier de ce mois , à dix
heures du foir , on découvrit auffi une méche allumée
dont le feu n'avoit plus qu'un très - petit
efpace à parcourir pour fe communiquer à un pa-
-quet de poudre & à d'autres matières, combuftibles
placées dans un certain endroit du palais du
-Roi. Ces découvertes ont engagé le général Weymarn
à faire marcher la nuit , dans les rues , de
fortes patrouilles, & à pofter , dans toutes les places
& daas tous les carrefours , des piquets avec
quelques piéces de canons .
De Coppenhague , le 9 Octobre 1770 .
Il paroît une déclaration , par laquelle Sa Majefté
, voulant engager les matelots & autres gens
de mer , fes fujets , qui font actuellement au fervice
des puiffances étrangères , à retourner dans
fes états , non- feulement leur accorde la jouif-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
fance de l'amniftie qui a été publiée , dès le 14 du
mois dernier , & dont ils n'ont pas voulu profiter ,
mais leur promet encore une récompenfe & un
avancement proportionné à la capacité de chacun
d'eux.
De Vienne , le 23 Octobre 1770 .
Le double cordon de troupes qu'on a tiré pour
garder les paffages de la Tranfilvanie ne permet
à qui que ce foit de franchir les lignes . Suivant les
derniers avis reçus de cette province , la pefte continue
de faire des ravages dans le Kalibafchen &
s'eft manifeftée à Neutohan , village fitué dans le
diftrict de Cronstadt ; mais on ajoute que les dilpofitions
faites par la commiffion de Santé , font
efpérer que ce fléau ne pénétrera pas plus avant
dans cette principauté. D'autres avis reçus de Siléfie
portent que la contagion fait chaque jour de
nouveaux progrès en Pologne .
Il arriva à la cour , le 27 du mois dernier , un
courier dépêché de Berlin qui n'a été que quarantehuit
heures en route , Le lendemain , il eft parti
avec la réponse aux dépêches qu'il avoit apportées.
2
De Venife , le premier Octobre 1770.
Des lettres de Gênes portent que le gouverne
ment a fait fignifier à tous les religieux étrangers
des Mineurs Ŏbfervantins de St François , un ordre
par lequel il leur eft enjoint d'évacuer cet état
& de retourner dans leur patrie.
De Londres , le 16 Octobre 1770 .
Le 12 de ce mois , le Roi rendit , en fon confeil
, une nouvelle ordonnance par laquelle i
NOVEMBRE . 1770. 221
enjoint à tous les Matelots Anglois , attachés au
fervice étranger , de quitter ce fervice fous peine
d'être poursuivis felon les loix & de ne pas être
réclamés par Sa Majesté comme Sujets de la Grande-
Bretagne , dans le cas où , fervant chez l'étranger
, ils feroient enlevés par les Turcs , les Algériens
ou autres. La même ordonnance a pour but
d'encourager l'enrôlement des Matelots & , pour
cet effet , Sa Majesté porte à loixante chelins la
gratification de 30 , allignée à chacun des Matelots
ordinaires qui s'enrôleront avant le 30 da
mois prochain , & affigné une récompenfe plus
forte que celle qui avoit été arrêtée jufqu'ici pour
ceux qui dénonceront des Matelots cachés .
Les vaiffeaux de la Compagnie des Indes le Renard
& l'Anfon font arrivés dernièrement , le
premier de Bombay , & le fecond de Bengale & de
Madraſs. Suivant le rapport de ces bâtimens , la
guerre continue encore entre Hider Ali Kan & les
Marates , & ceux - ci ayant remporté fur lui queiques
avantages , il a demandé au préfident du confeil
de Madrafs les fecours qu'on s'eft obligé de
lui fournir par le dernier traité de paix de l'année
dernière ; mais on n'avoit pas encore acquiefcé à
fa demande au départ des vaifleaux qui ont ap
porté cette nouvelle.
On a reçu dernièrement des lettres de Madrafs ,
du 13 Février dernier , par lefquelles on apprend
que Coffim Ali Kan , Nabab dépoſé , a raſſemblé
un gros corps de troupes fans qu'on fçache quel
peut être fon deffein . On croit cependant qu'il a
pour objet d'offrir fon affiftance au Mogol pour le
mettre en état de rentrer à Delhi . Cet Empereur
follicite , depuis plufieurs années , le fecours des
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Anglois pour l'exécution de ce projet ; mais ils
ont conftamment refufé d'entrer dans fes vues.
De Fontainebleau , le 20 Octobre 1770 .
Le régiment du Roi , infanterie , qui s'étoit rendu
à Sens , eft arrivé , le 11 de ce mois , au camp
formé près de cette ville , avec foixante dix hommes
du Corps Royal de l'Artillerie & huit pièces
de canon. Sa Majefté , accompagnée de Mgr le
Dauphin , de Madame la Dauphine , de Mgr le
Comte de Provence , de Mgr le Comte d'Artois &
de Mefdames , s'eft rendue , le 14 , à la plaine occupée
par ce régiment , pour en faire la revue ; &,
après avoir paflé dans les rangs , Elle l'a vu défiler.
Le Roi s'eft tranfporté de nouveau à la même
plaine , le 17 , pour y voir exécuter les différentes
manoeuvres prefcrites par les ordonnances , lef
quelles ont été commandées par le comte du Châtele
-Lomont , maréchal de camp , colonel - lieutenant
de ce régiment . Sa Majefté a paru très - fatisfaite
de l'inftruction & du travail des Officiers,
de la précision & de la célérité des différentes
évolutions qui fe font faites en fa préfence
ainfi que de la vivacité & de l'exécution des
feux de l'Infanterie & du canon : ces différentes
manoeuvres ont duté une heure & demie. Après
que le Régiment eut défilé devant le Roi , Sa
Majefté fe rendit au Village de Samoreau ,
fit l'honneur au Comte du Châtelet de fouper
chez lui avec Monfeigneur le Dauphin . Pendant
toute la durée du camp , les Officiers de ce Régiment
ont eu l'honneur de faire , chaque jour ,
leur cour au Roi , qui a daigné leur donner
des marques particulières de fes bontés , fur -tout
à ceux qui avoient déjà paru devant Sa Ma-
&
NOVEMBRE. 1770. 223
jefté aux précédentes revues ; Sa Majesté a
permis auffi que tous les Soldats vinffent ici
pendant la chafle , vifiter les appartemens . Ce
Régiment eft parti hier pour fe rendre à Befançon
, Ville qui lui a été deſtinée pour Garnifon.
De Grenoble , le 15 Octobre 1770 .
>
Il s'eft élevé ici & dans nos environs , la nuit
du 13 au 14 de ce mois , un furieux ouragan accompagné
de tonnerie & de pluie . La foudre eft
tombée ſur le clocher de la paroifle des côtes de
Saffenage , village fitué à deux leues de cette
ville ; elle en a brûlé le toit , a fait tomber deux
angles du mur , a mis le feu au béfroi , & delà ſe
gliffant par le trou qui fert au paffage de la corde
de la cloche , elle a coupé cette corde en deux
eft entrée dans la facriftie , en a renverfé & briſé
les armoires & a fonda la patene du calice dont
elle a coupé le pied près de la coupe : elle a paffé
enfuite dans l'églife , a renverfé & mis en pièces
le confeffionnal , a caflé toutes le vitres & fondu
les barreaux de fer d'une fenêtre par laquelle elle
eſt ſortie , a détaché de cette même fenêtre une
groffe pierre de taille & a laiflé d'autres traces de
fon paflage. La pluie abondante & les prompts
fecours qui ont été apportés ont préfervé de l'incendie
l'églife & la maifon curiale qui y eft adoffée .
PRESENTATIONS.
Le Sieur de Vandeuil s'étant démis de la charge
de premier Préfident du Parlement de Tou-
Joufe Majefté a nommé à cette charge le
Sieur Niquet , Préfident du même Parlement ,
224 MERCURE DE FRANCE .
lequel a prêté ferment entre les mains du Roi le
II d'Octobre.
Le même jour , le Chevalier d'Ecquevilly ,
Sous-Lieutenant au Régiment Royal , Cavalerie
, a eu l'honneur d être préſenté à Sa Majeſté &
à la Famille Royale.
Le Sieur de Pirot , aucien Capitaine au Régiment
de Lyonnois , prêta ferment le 14 Octobre
entre les mains du Roi pour la Lieutenance de
Roi de la Guienne , laquelle eft affignée
toute l'étendue de l'élection des Landes & des
pays de Labour & de Soule.
Le même jour , l'Abbé Expilly , Chanoine-
Tréforier en dignité du Chapitre Royal de Tarafcon
, Membre de plufieurs Académies , eut
l'honneur de préfenter à Sa Majesté le fixième
Volume de lon Ditionnaire Géographique ,
Hiftorique & Politique des Gaules & de la
France.
NAISSANCES.
La Ducheffe de Holftein - Sondenbourg - Auguftbourg
, née de Holftein -Ploen , eft accouchée
le 4 Octobre d'un Prince qui a été nommé Charles
-Guillaume .
MORT S.
Le Père Le Seur , Minime François , célèbre
Mathématicien eft mort à Rome le 22 Septembre
, âgé de 78 ans.
›
Maximilien - Antoine Vander - Noot , quinzième
Evêque de Gand , Comte d'Everghen
NOVEMBRE. 1770. 225
eft mort en fon Palais Epifcopal le 27 Septembre
dans la 95e année de fon âge.
Hélène - Angélique - Rofalie de l'Aubefpine de
Verderonne Veuve de Jerôme Phelypeaux
Comte de Pontchartrain , Miniftre & Secrétaire
d'Etat au département de la Marine , Commandeur
des ordres du Roi , & c . eft morte à Paris le
10 Octobre dans la 84e année de fon âge .
Le 19 Octobre , Monfeigneur le Dauphin prit
le deuil pour huit jours à l'occafion de la mort du
Prince Guillaume - Adolphe de Brunswick de
Wolffenbutel Général - Major , & Chef d'un
Régiment au Service de Pruffe , & Chevalier de
l'Ordre de l'Aigle-Noir , mort dernièrement à
l'Armée Impériale de Ruffie , âgé de 25 ans...
Meffire Philippe Durand , Chevalier , Comte
d'Auny mort en fon Château de Baby , près
Nogent -fur- Seine , le 13 Octobre , âgé de
87 ans.
>
Adelaïde - Elifabeth d'Hallencourt de Dromenil
,
Dame pour accompagner Madame
époufe du Marquis de Belfance , Grand- Sénéchal
des Provinces d'Agenois & de Condomois &
Meftre-de- Camp d'un Régiment de Dragons de
le 4
fon nom , eft morte à Bagneres de Luchon ,
Octobre , dans la vingt- quatrième année de fon
âge.
Henri -François le Dran , Doyen des Maîtres en
Chirurgie , ancien Directeur de leur Académie ,
ancien Chirurgien -Major de la Charité , & Chirurgien
Confultant des Camps & Armées du Roi ,
de la Société Royale de Londres
différens Ouvrages , eft mort ici le 17 Octobre
, âgé de 85 ans.
par
›
& c. connu
226 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Elégie fur un cimetière de campagne ,
Epître à mes Parens ,
L'Enlevement , anecdote ,
Les Rêveries du Boul , ode ,
Hommage à la Vérité ,
Vers à une Demoiſelle ,
Vers à une Dame ,
Le bon Père. Proverbe ,
ibid.
II
16
28
33
34
ibid.
35
$7
Infcription pour le bufte de Mgr l'Evêque
d'Orléans ,
Remercîment du Peuple de Nevers à M. le
Marquis de Tourny ,
Vers à Madame la Marquife de Tourny ,
Vers pour le portrait de M. Boucher ,
Vers à Mlle Valeyer ,
59
59
ibid.
60
Dialogue entre Pénélope & Ninon - l'Enclos , 63
Vers fur l'Espérance ,
Vers à ma Tante ,
L'Emprunteur ,
71
72
73
22
NOVEMBRE. 1770. 227
Explication des Enigmes & Logogriphes , 75
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
La Comtefle de Fayel , tragédie ,
Mémoires & obfervations de chirurgie , par
M. Trecourt,
Jugement impartial fur les lettres de la cour
de Rome ,
Hiftoire des Evêques d'Amiens ,
Abrégé de la vie & du ſyſtême de Gaſſendi ,
Diflertation fur les parties fenfibles du corps
animal ,
Hiftoire des différens Peuples du monde ,
Eflais fur les moyens de perfectionner la teinture
,
ibid.
78
80
ibid.
Dégradation de l'eſpèce humaine par l'uſage
des Corps à baleine ,
Cours d'Hiftoire Naturelle ;
Difcours critiques fur le Gouv . de l'ancienne
Rome ,
98.
99
100
106
IIO
112
111
118
119
121
Lettres fur la vérification des écritures , 122
Etat de la Pologne ,
123
Les douze Céfars ,
129
228 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire générale de l'Afie , l'Afrique & l'Amérique
,
ACADEMIES. Befançon ,
Fleffingue ,
SPECTACLES , Opera ,
Comédie françoile ,
131
145
149
ISI
153
Fête donnée par Me la Duchefle de Mazarin , 155
ARTS , Gravure ,
Mufique ,
Géographie ,
Lettre de M. *** , au Père Peronier , fur la
réclamation contre le jugement que l'Aca-
169
188
190
démie royale des ſciences a donné de fon
moulin à foie , 196
Epigrammes, ANECDOTES ,
209
213
Avis ,
Nouvelles Politiques ,
218
Naiffances , morts , 224
APPROBATIO N.
'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Novembre 1770 , & je n'y ai
rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher
l'impreffion . A Paris , le 30 Octobre , 1770 .
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
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DÉCEMBRE . 1770 .
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Chriſtine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes fur le
produit du Mercure.
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L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour feize volumes rendus
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Portraits , 2 vol. in- 12 . br. s live
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de Paris; par M. Bourjon, n. éd. in f. br. 24l.
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& modernes , 2 vol . in 8 °. br.
Le Diogène moderne , ou le Défaprobateur ,
2 vol. in- 8° . br.
Le Mendiant boîteux , 2 part. en un volume
in-8°. br.
Confidérations fur les caufes phyfiques,
in- 8°. rel.
Mémoire fur la musique des Anciens ,
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Satyres de Juvenal ; par M. Dufaulx ,
in-8°. rel.
4L.
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91.
71.
Recréations économiques , vol. in-8 . br. 2 1. 10 f
Le Dictionnaire de Jurifprudence canonique ,
in-4° . 4 vol . rel .
48.1.
'Dict. Italiend'Antonini, 2 vol . in -4°. sel . 30l.
Méditations fur les Tombeaux , 8 br.
Mémoire pour les Natifs de Genève , in-8°.
broch.
11. ref
Aho ha
MERCURE
DE FRANCE.
DÉCEMBRE. 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE & fin du Printems , chant premier
du poême des Saifons . Effai d'imitation
libre de Thompson.
Effets du Printems fur l'homme.
POURSUIS , & Mufe , & fur l'homme en tes
chants
Peins le pouvoir & l'effet du Printems :
Quand tout concourt au bonheur de fon être,
Peut- il , rebelle à l'attrait des plaifirs ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Se refufer aux innocens defirs
Que la faifon dans fon ame fait naître !
Coeurs dépravés , efprits ambitieux ,
Fuyez ! fuyez , ames impénétrables !
Est- ce pour vous que le flambeau des cieux
Verle au printems des rayons favorables ;
Que dans l'été la féconde Cérès
De les moiſſons enrichit les guérêts ;
Et que Palès & Bacchus & Pomone
De leurs bienfaits embelliffent l'automne ?
Non , venez , vous dont les coeurs bienfaiſans
Cherchent le pauvre au fond de fa retraite :
Votre bonté prévoyante , inquiette ,
Ne voit jamais fes befoins accablans
Sans le tirer de l'affreufe difette :
Vos foins ardens , pour efluyer les pleurs,
Des noirs réduits pénètrent les horreurs :
Soyez comblés des biens de la nature !
Qui mieux que vous mérite fes préfens ?
Toi , dont Dieu même orna l'argile pure ,
Sage Doris , tels font tes fentimens !
Epoufe tendre & vertueufe mère ,
Quej'aime à voir la beauté de ton coeur ,
Adévoiler ton ame toute entière ,
Pour admirer fa fublime candeur !
O de ton sèxe inimitable exemple ,
Chez toi les arts ont établi leur cour :
De la vertu ton coeur eft le féjour ,
Et l'amitié l'a choifi pour fon temple !
DECEMBRE. 1770.
Tout du Printems éprouve le pouvoir 3
Sur l'homme même il agit , il opère :
Un éclat vif anime la bergère ,
Et fur fon front peint l'amour & l'eſpoir
Son teint fleuri refpire la jeuneffe ;
Déjà fes yeux font plus étincelans :
Son fein palpite & s'élève & s'abaiffe ;
Un trouble doux s'empare de fes fens ,
Et tout fon coeur s'enivre de tendrefle .
Le trait s'échappe & va percer l'amant :
Le coeur épris de l'objet qui le blefle ,
Rien ne lui plait que fonpropre tourment.
Jeunes beautés , gardez vos coeurs fragiles ;
Méfiez - vous de ces tendres foupirs ,
Dont la douceur , enflammant les defirs ,
Cherche à tromper les ames trop faciles.
N'écoutez point le ferment impofteur ,
Qui met fouvent une beauté timide
A la merci d'un lâche corrupteur.
Craignez fur- tout que l'Amour ne vous guide ,
Il eſt trompeur ; redoutez fes détours :
Et , quand la nuit développant ſes voiles ,
Au firmament attache les étoiles ,
De vos amans évitez les difcours.
Vous , jeunes gens , avant qu'il foit le maître ,
Fuyez l'Amour & fon poifon brûlant :
Vous pouvez bien vous livrer au penchant
Qu'en votre coeur la beauté fera naître ;
A iv
MERCURE DE FRANCE.
Mais loin de vous tout vil attachement
Qui peut corrompre & dégrader votre être.
Ce regard vif, ce langage affecté ,
Ce doux maintien , ces graces féduiſantes
Que la beauté rend encor plus touchantes ,
Ne font fouvent que rufe & cruauté :
Toujours , toujours cette voix de fyrène
Charme l'oreille , enchante , attache , entraîne
Et mène au crime avec fécurité .
Le fier remords , du fein de la molleffe,
Lève bientôt la tête de ferpent ;
Et l'ail furpris voit l'abyme effrayant
Où l'a plongé fa malheureufe ivrefle .
Le repentir pénètre au fond du coeur ,
De fes plaifirs le rendant la victime ;
Par intervalle il réveille l'honneur ,
Et fans relâche il affiège le crime.
Tourmens de l'abfence.
Pendant l'abſence , en proie à tous les maux
Dont l'affaillit une funefte flamme ,
Jamais l'amant ne goûte le repos :
Un trouble affreux s'empare de fon ame ,
Et tout fon être eft un fombre cahos.
Rien ne l'arrache à ſa douleur amère ;
Il fuit le jour , le tumulte & le bruit :
Pour lui des cieux la voûte ſe reflerre ,
Flore eft fans fleurs , le foleil fans lumière ,
DECEMBRE . 1770.
Même au printems la nature languit .
L'amante feule , occupant ſa penſée ,
Commande en reine à fon ame infenlée ;
Tout autre foin & l'agite & l'aigrit.
L'amitié même à cette ame engourdie
Ne fauroit plus offrir aucun attrait :
Au fein du monde inquiet & diftrait
Il s'abandonne à fa mélancolie.
Sort-il enfin de cette léthargie ,
Il va chercher un endroit écarté
Où , libre & feul , il rêve à la beauté
Qui , dans les fers , tient fon ame allervie.
Il trouble l'air du bruit de fes foupirs :
Ses yeux éteints font deux fources de larmes :
Ses jours ainfi coulent dans les alarmes ,
Et fon amour l'éloigne des plaifirs .
Infortuné ! s'il quitte fa retraite ,
C'eſt quand la lune , aux bords de l'Orient
Fait éclater fon difque vacillant :
Il fort , rempli du foin qui l'inquiette ;
Marche , éclairé de fes foibles rayons ,
Et mêle aux cris de la triſte chouette
L'accent plaintif des tendres paffions .
Quand les mortels , enfevelis dans l'ombre ;
Du doux fommeil éprouvent les faveurs ,
A la lueur d'une lumière fombre
Dans une lettre il trace fes douleurs ,
Ecrit fatal , langoureuſe élégie ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE..
Où chaque mot brûle de frénéfie.
Il cherche envain , dans fon épuifement ,
A tempérer l'excès de fon tourment ;
Le repos fuit ; fes forces affaiflées ,
Il cède enfin au pouvoir du fommeil ,
Sommeil troublé par d'affreufes penfées ,
Et qui piéfage un funefte réveil .
Il croit , parlant à fon enchantereffe ,
En obtenir le prix de la tendreffe ,
Et tout- à- coup il voit fuir fon bonheur :
Le jour le rend à la morne trifteſſe ,
Et chaque objet entretient la douleur.
Pendant la nuit , à fes defleins propice ,
Des bois , des monts parcourant les hauteurs ,
Il fuit , troublé, des bords d'un précipice ;.
Et pour l'objet , qui cauſe fon fupplice ,
De la tempête il brave les fureurs.
Telle eft d'amour la cruelle agonie ;
Teleft fon fort ; mais fila jaloutie
Livre fon ame à de fombres terreurs
Son fiel amer empoiſonne ſa vie.
Fuyez , fuyez , voluptueux plaifirs !
Lits compofés de jafmins & de rofes ,.
Bolquers rians qu'habitent les zéphirs ,
Berceaux de fleurs nouvellement éclofes ;.
Difparoillez , vous n'avez plus d'attraits !
D'erreurs fans ceffe un eflaim l'environne ;
Le défeſpoir fur lui lance ſes traits ,
DECEMBRE. 1770. II
Et fans retour ſa raiſon l'abandonne .
La paffion , bouleverfant fon coeur ,
De tous côtés y fouffle fa fureur :
Elle dévore , elle embrafe fes veines ,
Roidit fes nerfs , bouillonne avec ſon ſang :
Le doute affreux , fon vautour déchirant ,
Toujours l'affiège & redouble fes peines.
Ainfi languit le jeune & tendre amant ,
Qu'en des fentiers , fleuris en apparence ,
L'amour parut attirer doucement :
De la fortune il voit fuir l'efpérance ,
Et vers la perte il court rapidement.
Bonheur de l'Hymen.
Heureux , heureux ceux qu'un tendre hymenée
Unit en paix fous la loi fortunée !
D'un fort égal ils goûtent la douceur :
Loin d'eux le noeud de l'avarice humaine ,
Noeud qui révolte & l'efprit & le coeur :
C'est l'amitié qui reflerre leur chaîne ;
Et l'union qui forme leur bonheur.
Ils n'ont jamais qu'une même penfée ;
La volonté prévient la volonté :
Entre l'amour & la fécurité
Leur confiance eft (ans cefle placée.
Fuyez , ô vous qui cherchez le bonheur
En marchandant ( tant vous êtes avides )
Une compagne à des parens fordides :
A vj
12 MERCURE DE FRANCE :
Vous méritez d'éprouver le malheur !
Qu'un peuple altier , féroce , impitoyable ,
> Et dont l'amour n'eft qu'un brutal deſir
S'abandonnant au plus groffier plaifir ,
Pour la beauté foit un maître intraitable !
Que dans leur cour les rois orientaux ,
Tyrannifant leurs épouſes captives ,
Donnent des loix à cent beautés craintives ,
Sûrs de régner fans avoir de rivaux :
Ceux que l'hymen d'une foi fainte lie ,
Toujours livrés à des tranſports nouveaux
Voyent de fleurs leur carrière fournie ;
Et les chagrins qui confument la vie
N'altèrent point leur innocent repos.
D'un monde vain les pompes , les folies ,
Les plaifirs faux ne flattent point leurs fens :
Sans volontés , libres de fantaisies ,
Ils trouvent tout dans leurs embraffemens.
Une famille & nombreuſe & riante ,
De leur hymen fruit doux & précieux ,
S'orne en croiffant d'une grace touchante
Et leur préfage un avenir heureux .
Quel foin flatteur , quelle tâche charmante
D'élever l'ame aux defirs vertueux ,
De réprimer la fougue impatiente
Et d'exciter des élans généreux !
Vous , qui verfez des larmes de rendreſſe ,
Expliquez nous ce plaifir enchanteur
Dont vous enivre une pure alégreffe
DECEMBRE 1770 .
C'eft avec vous qu'habite le bonheur ;
Et la nature , en charmant votre coeur ,
Bannit au loIn le trouble & la triftefle.
Tel eft le fort des époux vertueux :
Sages , bornés & conftamment heureux ,
Le tems ne fait qu'augmenter leur ivreffe.
Dans leur vieilleffe , au déclin de leurs jours ,
De fleurs encor le printems les couronne ;
Et , quand la force enfin les abandonne ,
Plus amoureux & plus tendres toujours ,
Ils ont fourni la plus longue carrière ,
Et fans remors ils ferment leur paupière. '
Libres des noeuds du terreftre féjour ,
D'un vol hardi leurs ames fatisfaites
Vont fe rejoindre aux pailibles retraites
Où le bonheur accompagne l'amour.
Par M. Willemain d'Abancourt.
VERS à M. le M. de B, .. venant à
M***
Tu viens donc , ô mortel aimable ,
Par ta présence embellir ce féjour !
Courtifan fans baffefle & fincère à la cour ,
Tes fublimes exploits & ton coeur reſpectable
T'ont rendu des François le heros & l'amous
14 MERCURE DE FRANCE .
Sage Neftor , tu combats comme Achille ;
Ta gloire eft pure , il n'eft rien au- deffus ;
Mais fij'étois ou Voltaire ou Virgile ,
Jene voudrois que chanter tes vertus.
Par le même.
L'ESPÉRANCE & LA CRAINTE,
Fable imitée de l'allemand.
L'ESPÉRANCE & la Crainte entreprirent un jour
De voyager de féjour en féjour :
Facilement l'une trouvoit retraite ;
L'autre, pour fe loger , s'en alloit chez l'Amour
Ou chez l'Avarice inquiette .
Les voyoit-on Indigence foudain-
Prenoit un front calme & ferein ,
Et la terreur accabloit l'opulence.
Pourquoi cet effet fingulier
Qu'en même tems produifoit leur préfence ?
Chez un pauvre chymifte arrivoit l'Eſpérance ,
Et la Crainte legeoit chez un riche ufurier.
Par le même.
DECEMBRE. 1770. 1.5
EFFETS DE LA JALOUSIE.
LE Pacha Achmet- Boulée Bey , gouver
neur de l'Egypte , étoit né avec un coeur
fenfible . Les plaifirs que lui permettoit fa
loi ne le fatisfaifoient point ; il vouloit
être aimé ; il avoit raflemblé à grands frais
le ferrail le plus nombreux & le mieux
choifi , dans l'efpérance de rencontrer
enfin une beauté capable d'infpirer l'amour
& de le fentir. Il ne la trouvoit
point parmi 1200 Circaffiennes , Georgiennes
& Greques qu'il avoit achetées
en divers tems. Cela n'eft pas extraordinaire
; l'amour eft le fils de la confiance ,
& la confiance eft rarement où se trouve
l'inégalité. Au moment où il défefpéroit
de réuffir , on lui préfenta une jeune Circaffienne
; le coeur du pacha s'émut à la
vue de Fathmé ; il fe flatta qu'elle l'aimeroit
; il le defiroit trop pour ne pas s'en
eroire affuré. Il l'achette , Fathmé s'étoit
apperçue de l'impreflion qu'elle faifoit
fur lui ; elle ne s'occupa que du foin de
l'augmenter ; en entrant dans le ferrail:
où elle vit un fi grand nombre de rivales,
toutes dignes des préférences du pa
16 MERCURE DE FRANCE.
cha , elle s'énorgueillit de la paflion qu'elle
lui avoit infpirée ; fa fierté lui fit fouhaiter
qu'elle fut durable ; elle mit tout
en ufage pour la rendre telle ; Achmet ſe
crut aimé ; cette illufion fit fon bonheur.
Quelques mois s'écoulèrent , & il ne fut
point détrompé; Fathmé prit foin d'entretenir
fon erreur ; elle lui dut une autorité
abfolue dans le ferrail , & fon amant fa
félicité; on eft toujours heureux quand on
croit l'être . Une nouvelle efclave dont le
pacha fit encore l'emplette diffipa le preftige
qui l'aveugloit. Irène , c'étoit fon
nom , étoit d'un caractère très tendre ;
elle aima Achmet de bonne foi ; fa candeur
& fa tendreffe naturelle lui parurent
bien différentes de la manière d'aimer de
Fathmé ; elles l'éclairèrent fur fes artifices
; il la quitta ; cette femme vaine perdit
fon empire & fe trouva confondue
dans la foule des autres efclaves ; elle ne
put fupporter fa chûte ; fon orgueil humilié
lui fit éprouver des tourmens plus af
freux que ne l'eût fait l'amour jaloux ;
l'ardeur de la vengeance embrafa fon
ame ; fa honte , le triomphe de fa rivale,
le bonheur même d'Achmet déchiroient
fon coeur ; vingt fois elle fongea à fe fervir
du poifon ou du fer ; mais ces moyens
DECEMBRE . 1770 . 17
lui parurent trop lents & trop peu terribles
; elle conçut un projet affreux dont
elle pouvoit être auffi la victime , mais
elle s'en confola par l'idée que fa rivale
& fon volage amant la faivroient au
tombeau. Ce projet étoit de mettre le feu
au ferrail ; elle attendit pour l'exécuter
un moment où elle feroit fûre que les
flammes pourroient fe communiquer partout.
Un ouragan qui s'éleva la nuit du 2
Décembre 1756 , parut favorable à fa ra
ge ; elle prend un flambeau & court ellemême
porter le feu à l'appartement où le
pacha étoit avec Irene. Peu contente de
ce commencement elle le mit à différens
endroits du ferrail afin de rendre l'embrafement
plus général & plus prompt.
L'incendie devint affreux ; le pacha prévenu
à tems échappa aux flammes en emportant
Irene dans fes bras. Fathmé qui
épioit elle même fes victimes , les vit
paffer avec douleur & défefpérée de
les voir échapper , alla fe précipiter
dans l'endroit où les flammes étoient
plus épaiffes & plus ardentes ; elle péric
avec le plus grand nombre de fes compagnes
. Telle fut l'origine de cet incendie
du Caire dont on a tant parlé dans le
tems , & qui confuma plus de fix mille
maifons. La violence du vent avoit porté
-
18 MERCURE DE FRANCE.
le feu du ferrail à tous les bâtimens voifins
, & on évalua ia perte à 36 millions .
Les Muſulmans regrettèrent fur - tout une
tente qui avoit fervi à leur prophète , &
qu'on confervoit dans la grande moſquée
qui fut aufli brûlée dans ce défaitre.
1
LA SAGESSE. Ode
DESCEND'S de la célefte voûte ,
TT..
Minerve , éclaire mon erreur ;
Enfeigne à l'homme quelle route
Conduit au fouverain bonheur.
Quelque terme qu'il ſe propoſe
Vi funefte penchant s'eppola
Au choix qu'il avoit embraffe.
Aveugle , il s'égare lui même ,
Il cherche le bonheur fuprême
Où les dieux ne l'ont point placé .
D'où revient ce marchand avide
Qui fend le vafte fein des eaux
Il couvre la plaine liquide
Des richeffes de fes vaiffeaux .
Chargé du précieux mêlange
Des tréfors de l'Inde & du Gange ,
Il découvre déjà le port.
Eft-il heureux ? la foudre gronde,
DECEMBRE. 1770. 19
Ses vaifleaux s'abyment fous l'onde ;
Il échappe à peine à la mort.
Vous qui rampiez dans la pouffière ,
Quel dieu vous tire du néant?
Plutus vous voit dans la carrière
Avancer à pas de géant.
Vous moiffonnez dans les alarmes .
Chaque jour le fang & les larmes
Enflent vos criminels tréfors.
Leur éclat n'a rien qui m'étonne ,
Et le crime qui vous les donne
Vous en punit par les remords.
Tu peux reprendre tes largeffes ,
Ceffe de nous en amufer.
Pauvres , au milieu des richeſſes
Nous ne favons pas en ufer.
A tes dons , volage fortune ,
Les foucis , la crainte importune
Mêlent un funefte poiſon.
L'homme devroit- il y prétendre ,
Lui qui n'a jamais fçu les rendre
Tributaires de fa raiſon.
Mais qui font ces mortels qu'adore
L'Univers tremblant à leur voix ,
Le peuple à genoux les implore
Et leurs volontés font nos loix.
20 MERCURE DE FRANCE.
Thémis leur remet la balance ;
Jupiter , la foudre qu'il lance ;
Mars , pour eux , feme la terreur.
Ces rois que notre hommage encenfe,
Portraits des dieux par leur puiſſance,
Le feroient-ils par leur bonheur ?
Venge Céfar , pourſuis Antoine ,
Triomphe , Octave , de Sextus ;
Rougis les champs de Macédoine
Du fang du malheureux Brutus.
où Néron commence.
Finis
par
Ote
à Rome
, par
ta
clémence
,
Le
fouvenir
de tes
forfaits
.
Flatte
- toi
d'en
être
l'idole
,
Cinna t'attend au capitole
Pour te punir de tes bienfaits.
Quel éclat dont tant de monarques
Se font un rempart à nos yeux !
Otons leur ces auguftes marques
Qui les rendent égaux aux dieux.
Leur coeur eft une énigme étrange ;
J'y découvre un affreux mêlange
Et de crimes & de vertus ,
Et Porus , qui vient de fe rendre ,
Pourroit
méconnoître
Alexandre
Dans le meurtrier de Clitus,
DECEMBRE. 1770. 21
Quel est donc l'heureux ? c'eft le fage,
Maître des plus légers tranſports,
Pour qui le Pactole & le Tage
Roulent d'inutiles tréfors ;
Qui voit comme un amas de boue
Ce cercle d'honneurs où le joue
L'ambition des vains mortels ,
Digne enfin de l'encens des hommes
'Si , dans l'ingrat fiècle où nous fommes ,
La vertu trouvoit des autels .
Qu'au trône fon deftin l'attende,
C'eftun monarque généreux ;
Qu'il y monte , qu'il en defcende
Toujours égal il est heureux.
C'eft lui que Rome ſecourue
Voit retourner à la charrue
Après de glorieux combats.
Plus charmé des champs qu'il façonne
Que de ceux où fon bras moiflonne
Des lauriers qu'il n'envioit pas .
A l'innocence , à la droiture
Il confacra fes premiers ans ;
Il ne détruit pas la nature ,
Il en règle les mouvemens.
L'intérêt , l'amour , la vengeance
Sont des monftres qu'à leur nailance
On lui vit d'abord étouffer.
22 MERCURE DE FRANCE.
S'il fent les foiblefles humaines ,
Nos vains defits , nos craintes vaines ,
Il les fent pour en triompher.
Par M. le Chev. de L *** St J. au Havre.
VERS à l'occafion de la revue du régiment
du Roi , que Sa Majesté a paſſe
mercredi 17 d'Octobre dans les plaines
de Valvins.
MARS , Louis , l'Amour & la Gloire
Marchoient d'un pas égal aux rives de Valvins ,
Les Graces y tendoient les mains
Aux fiers enfans de la victoire :
Parmi leurs bataillons brillans ,
Parmi l'éclat du bruit des armes ,
On voyoit briller mille charmes ,
L'amour mêloit les traits aux foudres , aux ca
nons.
De Bellone fouvent il partage l'empire ,
Et les plus dignes favoris
Sont les vrais défenfeurs des lis.
En ce beau jour Flore enchaînoit Zéphire ,
Lesjeux & les plaifirs y régnoient auprès d'eux ;
Mulc , confacrez- en l'hiftoire ,
DECEMBRE. 1770. 23
De Louis , célébrez tous les faits glorieux ,
Chaque coeur eft pour lui le temple de mémoire.
Par M. Mouret , ancien officier
d adminiftration de la Marine.
LE JEU DE L'OYE,
Proverbe.
PERSONNAGES :
Mde MONVAL .
Le Père THOMAS , vieillard , père de
-
Mde Monval. -
4
LUCETTE , fille de Mde Monval , âgée
de huit ans.
Le petit MONVAL , frère de Lucette , âgé
de fix ans.
COLETTE , gouvernantes des enfans de
ALISON , Mde Monval.
BOURGUIGNON , laquais du voifinage .
La fcène eft dans une ville de province,
chez Mde Monval.
Le théâtre repréſente un fallon à manger ;
les deux enfans font au fond autour
d'une perite table,& achevent leurfoupés
Colette eft de bout auprès d'eux.
14
4 MERCURE
DE FRANCE
.
SCÈNE PREMIERE.
COLETTE , LUCETTE , le petit MONVAL ;
BOURGUIGNON.
BOURGUIGNON entre doucement fur la
pointe dupied & furprend un baifer à Colette.
BONON foir , Mlle Colette .
COLETTE . Comment , c'eft toi ? mais
voyez cet étourdi , fi Madame alloit paroître.
BOURGUIGNON. Ek- ce qu'elle n'eſt pas
fortie.
COLETTE. Eh mais , vraiment non :
elle s'y difpofe pourtant , car elle eft à ſa
toilette.
BOURGUIGNON. Crois-tu qu'elle y foit
long- tems ?
COLETTE. Oh ! ce n'eft pas un petit ouvrage
que la toilette de Mde Monval :
cependant je crois qu'elle va fortir à l'inftant
: va-t-en , qu'elle ne te rencontre pas
ici , car tout feroit perdu.
BOURGUIGNON. Je venois te dire que
l'on t'attend : tout notre monde eft ar
rivé.
COLETTE.
DECEMBRE . 1770. 25
COLETTE. Que veux - tu que j'y falle ?
je ne peux pas y aller qu'elle ne foit partie.
BOURGUIGNON. Pefte foit de ta maîtreffe
& de fa toilette. Sa bonne femme
de mère n'y faifoit pas tant de façons .
COLETTE. Oh mon Dieu ! ne m'en parle
donc pas. La pauvre femme ! Dieu veuille
avoir fon ame ; mais elle nous pefoit furieufement
fur les épaules .
BOURGUIGNON. Elle étoit donc un peu
difficile ?
COLETTE. Bon , n'auroit - elle pas voula
nous faire mener la vie qu'elle menoit
dans fon village ?
BOURGUIGNON , riant. Ah , ah , ah , ah .
Et cela n'étoit guères du goût de Mde
Monval , n'est- ce pas ?
COLETTE . Je t'en répons. ( le pouffant
dehors) Mais , va - t en donc, je crains qu'on
ne nous furprenne .
BOURGUIGNON , revenant. Et le bon
papa Thomas , qu'en faites vous ?
COLETTE . Mais nous ne ferions pas fâchés
qu'il lui prît envie de fuivre fa chere
époule.
BOURGUIGNON . Il eft pourtant affez bon
diable , lui .
COLETTE. Oui : mais c'eft qu'il vous a
B
26 MERCURE DE FRANCE.
des manières fi gothiques , un air fi villageois
.
BOURGUIGNON . Il eft vrai qu'il eft bonhomme
dans toute la fignification du
terme.
( Les enfans pendant ce tems caufent &
rient en regardant Colette & Bourguignon .)
COLETTE ,jetantfur eux un regard cour
roucé. Est- ce fini ?
Le petit MONVAL. Oui , ma bonne.
COLETTE . Allons , qu'on fe lève &
qu'on dife fes graces.
Le petit MONVAL. Oui , ma bonne
(Il fe lève ainfi quefa foeur.)
BOURGUIGNON . Tu fais donc ici la
mère de famille ?
COLETTE. Il le faut bien.
BOURGUIGNON . Tu ne ferois pas la pre
mière qui auroit joué ce rôle avant que
d'être mariée .
COLETTE . Le fou ! ... ( on entend du
bruit. ) Sauve toi vîte , j'entens ma maî¬
treffe .
BOURGUIGNON, en fortant. Je t'attends
au moins.
COLETTE. Oui , oui .
3
DECEMBRE . 1770 : 27
SCÈNE I I.
COLETTE , LUCETTE , le petit MONVAL
le père THOMAS.
COLETTE , à part. C'eft le père Thomas.
La pefte foit de l'homme . ( Elle
s'occupe pendant cettefcène à débarraffer la
table.)
LUCETTE & le petit MONVAL fautent
au cou du père Thomas. Bon jour , mon
bon papa Thomas.
Le père THOMAS . Bon foir , mes enfans
, bon foir . (Il s'affied & les prend l'un·
après l'autre fur fes genoux . ) Et bien ,
comment va la joie , nous amufons nous
bien ? Montre - moi donc ta poupée , Lucette
, il y a long- tems que je ne l'ai vue.
LUCETTE baiffe les yeux d'un air trifte.
Je ne l'ai plus , mon bon papa.
Le père THOMAS . Tu ne l'as plus , ma
bonne amie , & qui eft - ce qui te l'a prife ?
( Lucette fait des fignes en montrant Colette.
) On vous fait donc toujours des chagrins,
mes pauvres enfans. ( bas à Lucette }
Ne te chagrine pas , va , demain , je t'en
acheterai une autre.
LUCETTE , l'embraffant. Grand- merci ,
mon bon papa.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Le petit MONVAL. Et moi , mon bon
papa , on m'a fait auffi du chagrin , oui.
Le père THOMAS . Comment donc ,
mon cher enfant ?
Le petit MONVAL , montrant auffi Colette.
On a jetté dans le puits ma toupie &
mon arbalêtre.
Le père THOMAS . Oh , cela eft bien
méchant.
COLETTE , quittant brufquement fon ou
vrage. Allons , il y a long- tems que vous
avez foupé , il faut fe coucher , partons.
Le père THOMAS . Laiffez les moi ce
foir , Mlle Colette ; je n'ai de plaiſir qu'avec
ces chers enfans.
COLETTE . Oui , pour les gâter : non ,
Monfieur , je ne le peux pas ; ma maîtreffe
m'a recommandé expreffément de
les envoyer coucher auffi - tôt après leur
foupé.
Le père THOMAS . Dites- lui que je vous
ai priée de me les laiffer.
COLETTE. Dieu m'en garde . J'y ferois
bien reçue .
DECEMBRE. 1770. 29
SCÈNE III.
Mde MONVAL , COLETTE , LUCETTE ,
le petit MONVAL , le père THOMAS .
Mde MONVAL entre fans regarderperfonne
; elle eft extrêmement parée. Mile
Colette ?
COLETTE. Madame.
Mde MONVAL. Mon mantelet .
COLETTE. Le voilà , Madame .
Mde MONVAL. Je vous avois dit de
me débarraffer de ces enfans.
COLETTE. Madame , c'eft M. Thomas
qui veut les retenir .
Le père THOMAS . Je ferois charmé
que l'on me les laiffât pour ce foir.
Mde MONVAL. Cela ne fe peut pas ,
mon père . Vous ne feriez pas mal vousmême
d'aller vous coucher ; à votre âge
on a befoin de repos : d'ailleurs il viendra
peut -être ici du monde ,, & vous n'êtes
pas en état de paroître. Mlle Colette ,
conduifez mon père dans fa chambre .
Le père THOMAS. Mais ...
Mde MONVAL. Mlle Colette , entendez
vous ce que je vous dis ?
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
COLETTE . Oui , Madame . ( au père
Thomas , en le prenant par le bras ) Allons
, Monfieur.
Le père THOMAS . J'irai bien feul...
J'enrage. (Ilfort ainfi que Mde Monval ,
mais du côté oppofé. )
SCÈNE I V.
COLETTE , LUCETTE , le petit MONVAL.
COLETTE. Lucette , vous êtes la plus
âgée , vous devez être la plus raiſonnable
, ayez foin d'aller vous coucher tout
de fuite & de faire coucher votre frère.
LUCETTE. Oui , ma bonne .
COLETTE . Que je ne vous voie plus
jouer comme vous le faites avec votre
bon papa , il vous gâte & puis c'eft tout.
LUCETTE . Qui , ma bonne.
( Elle fort . )
SCÈNE V.
LUCETTE , le petit MoNVAL.
LUCETTE. Allons , Monval , il fautaller
nous coucher.
Bon , aller nous coucher . Et qu'eft- ce
que nous ferons dans Los lits jufqu'à de
main neuf heures ?
DECEMBRE. 1770. 31
LUCETTE. Dame , que veux- tu ? fi maman
revenoit & fi elle nous trouvoit de
bout , nous ferions fouettés jufqu'au fang .
Le petit MONVAL . Oh , nous pouvons
encore refter quelque tems , elle ne reviendra
pas fi tôt.
LUCETTE. Et bien , qu'eft- ce que nous
ferons?
Le petit MONVAL. Si mon bon papa
étoit ici , nous nous amuferions bien ; il
fçait tout plein de petits jeux , vas voir s'il
dort , Lucette.
LUCETTE . Vas y toi.
Le petit MoNVAL , allant doucement
jufqu'à la porte. J'entens du bruit. ( avec
joie ) Ah , c'eft mon bon papa .
SCÈNE V I.
LUCETTE , le petit MONVAL,
le père ТиомAS.
Le père THOMAS . Et bien , mes enfans
, vous n'avez donc pas envie de
dormir ?
Le petit MONVAL. Mafi , non , mon
bon papa.
Le père THOMAS . Où eft donc Mlle,
Colette , eft ce qu'elle eft fortie ?
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
LUCETTE,d'un petit air myftérieux. Chut,
elle est allée avec fon galant.
Le père THOMAS . Comment , petite
commère , eft-ce que tu fçais ce que c'eft
qu'un galant ?
LUCETTE. Ah qu'oui . On croit que je
ne fuis qu'un enfant ; on dit devant moi
bien des chofes qu'on s'imagine que je
n'entens pas , mais que j'entens bien , allez.
Tenez , à- propos de Mlle Colette ,
Maman la regarde comme une dévote ,
une fainte ; mais fi elle fçavoit tout ce
que lui dit le grand laquais de M. le préfident
& ce qu'elle y répond , elle la mettroit
bien vîte à la porte.
Le père THOMAS. La petite peſte !
Vous voulez jouer , mes pauvres enfans ,
n'eft ce pas ? Je vois cela d'ici . Allons ,
je fuis des vôtres , je m'en vais mettre au
jeu pour tous ; mais je vous avertis que je
ne prétens rien au gain .
Le petit MONVAL embraffe le père Thomas.
Vous êtes bien bon , mon bon papa
; je vous aime de tout mon coeur.
LUCETTE . Et moi auffi je vous affure.
Le père THOMAS , les embraffant tous
deux. C'eft bien , mes enfans , je vous
protefte que je vous aime bien auffi . C'eft
DECEMBRE. 1770. 33
à l'Oye que nous allons jouer ; ce jeu - là
eft innocent ; plût à Dieu que vous n'en
connuffiez jamais d'autres !
LUCETTE. Oh , mon bon papa , tout ce
qui vous fait plaifir , nous en fait auflì à
nous. (Elle étend lejeu d'oyefur la table ,
ils fe placent tous autour . )
Le père THOMAS. Tu m'aimes donc
bien , Lucette ? Allons vos marques.
LUCETTE . Si je vous aime , mon bon
papa ! oh tant , tant... cela ne fe peut pas
dire. Moi , je prens mon dez.
Le petit MONVAL , d'un air chagrin.
Et moi donc , man bon papa , dame , c'eſt
que je vous aime autant que ma foeur ,
oui .
Le père THOMAS , attendri. Les charmans
enfans ! Ah pères , mères , qui ne
vous trouvez bien que lein de votre famille
vous ne connoiffez pas les
vrais plaifirs ! confervez toujours ces fentimens-
là , mes enfans , aimez bien vos
père & mère.
(Pendant ce tems le jeu continue. )
Le petit MONVAL. Pour maman , je
l'aime bien auffi ; mais c'eft d'une autre
efpèce d'amitié. Huit .
B v
34
MERCURE DE FRANCE .
LUCETTE . Te voilà au puits . Refte
tranquille à cette heure.
Le petit MONVAL. Tant mieux . Je
cauferai plus à mon aiſe .
Le père THOMAS. Et quelle eft donc
cette efpèce d'amitié que tu as pour ta ma-
Monval? man ,
Le petit MONVAL. Dame , tenez , je
ne peux pas dire cela , moi ; j'aime maman
, parce qu'il faut l'aimer ; quand je
Ja vois fâchée , je le fuis auffi , parce qu'elle
me gronde & me bat plus fort qu'à
l'ordinaire .
LUCETTE . Mon bon papa , c'eſt à vous
à jouer .
Le père THOMAS . C'eft vrai , c'eft que
j'écoute avec plaifir ton frère.
SCÈNE V I I.
Mde MONVAL , ALISON , le père THOMAS,
LUCETTE , le petit MONVAL .
Mde MONVAL. Je n'ai pas mal fait
de revenir fur mes pas. Pourquoi n'êtesvous
donc pas couchée , Mademoiſelle ,
ainfi que votre frère ?
LUCETTE. Maman , nous attendions
Mlle Colette .
DECEMBRE . 1770. 35
Mde MONVAL . Mlle Colette eſt un
mauvais fujet qui ne remettra jamais les
piés dans ma maifon . ( montrant Alifon)
Voici celle qui la remplace. ( à Aliſon )
Vous entendez pourquoi je chaſſe Colette
, faites en votre profit.
ALISON. Madame n'aura pas à fe plaindre
de moi.
Mde MONVAL. Tant mieux . Conduifez
ces enfans dans leur chambre & ne les
quittez point qu'ils ne foient au lit.
ALISON. Cela fuffit , Madame. ( Elle
fort avec les deux enfans. )
SCÈNE VIII . & DERNIERE .
Mde MONVAL , le père THOMAS .
Mde MONVAL. Mon père , je vous ai
dit que j'attendois ce foir du monde , en
conféquence je vous avois prié d'aller
vous coucher.
Le père THOMAS . Vous attendez du
monde. Puis-je vous faire déshonneur ?
Mde MONVAL. Vous prenez la choſe
de travers , mais cela eft pardonnable à un
homme de votre âge . On pourroit vous
dire,fans que vous duffiez vous en fâcher,
que vous n'êtes pas en état de paroître de-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
vant un certain monde , cependant , on
ne le fait point , on ne s'occupe que de
votre fanté.
Le père THOMAS. Ma fille , vos façons
d'agir font bien indignes ! Dieu vous en
punira . L'éloignement que vous avez
pour vos enfans , & celui qu'ils ne manqueront
pas d'avoir pour vous , vous préparent
un jour bien des peines. Dieu
veuille qu'elles ne foient pas plus grandes
que les miennes . Ah ma fille ! au village ,
tu penfois bien autrement . Mais , comme
dit le Proverbe...
Par M. Garnier , avocat.
*Le mot du Proverbe inféré dans le Mercure
de Novembre eft plus fait douceur que violence .
LES SOUHAIT S.
JALAI fouhaité plus d'une fois
De pofféder le plus brillant empire ;
Non que j'aimafle à preferire des loix ,
Mais feulement pour couronner Zelmire.
Souvent encor , j'ai ſouhaité
Qu'Apollon m'eût remis la lyre ;
Non que pour mes chanfons je veuille être cité ,
-Mais feulement pour célébrer Zelmire.
DECEMBRE
. 1770 .
37
J'ai fouhaité les tréfors de Plutus ,
Et tous les biens qu'ici-bas on defire ;
Non queje porte envie au bonheur d'un Crélus :
Mais pour en faire hommage à ma Zelmire.
Hélas ! de mes deftins l'inflexible
rigueur
A ces grands biens ne veut pas que j'alpire.
Je ne puis offrir que mon coeur :
Suffira-t- il à ma Zelmire ?
Si ce bien- là peut lui fuffire ,
Je fuis plus heureux que les rois :
Il eft plus doux de vivre fous les lois ,
Que de gouverner un empire.
Par M. L. D. PA. C. D. C.
A Madame de C ** , qui peignoie
des Papillons.
SOUS
Ous votre pinceau vrai je vois tout s'animer ,
Vos papillons font ceux de la nature ,
Et vous avez trop bien le fecret de charmer
Pour en faire jamais autrement qu'en peinture.
Par M. Guichard,
33 MERCURE DE FRANCE .
A Mlle Olympe. Petit air en rondeau.
UAND je fuis près d'Olympe ,
Quand je vois les beaux yeux ,
Le dieu qui tonne dans l'Olympe
Eft cent fois moins heureux .
C'eſt l'Amour, de la main badine
Qui d'Olympe forma les traits ;
C'eſt une rofe fans épine ,
Dont une pudeur enfantine
Relève encor les innocens attraits.
Quandje fuis , &c.
Le feul regard de cette blonde
Porte en mon coeur la volupté :
Amour , puiffant maître du monde ,
Fais qu'à mes feux elle réponde ,
Et je mourrai de ma félicité.
Quand je fuis , &c.
Par M. Boutellier
La mufique de ce rondeau eft de M. Poteau ,
Organifte de S. Jacqu es de la Boucherie.
DECEMBRE . 1770. 39
VERS à M. Allegrain , fur fa Vénus
qui doit être placée à côté de l'Amour
de Bouchardon.
EMBLE de Pujet , Praxitèle nouveau ,
Quelle eft cette beauté touchante
Que vient d'animer ton ciſeau ,.
Qui nous ravit , qui nous enchante ?
Quelle expreffion , quels contours !
Les Graces préfidoient à ce charmant ouvrage :
C'eſt de Vénus la plus parfaite image
Mife à côté du plus beau des Amours.
Par M. L. J.
VERS à ma Maîtreffe , qui avoit fait
deux difcours fur le befoin d'aimer &
fur lajouiffance de la vie qu'elle appeloit
fes fermons.
Si les prédicateurs nous tenoient ton langage ,
S'ils joignoient , comme toi , pour mieux toucher
les fens ,
Deux yeux vifs & fripons aux charmes du bel
âge ,
Qu'on verroit augmenter le nombre des Croyans!
40 MERCURE DE FRANCE
Tes fermons fout fi doux , leur morale eſt ſi ſage ,
Qu'il ne s'élèvera contre eux -aucun parti .
Dès qu'on voit ma Zélis chacun eſt converti :
Sitôt qu'on te connoît on l'eft bien davantage.
Tu permettras , pourtant , qu'on te reproche un
point ,
Un point dont le défaut me paroît affez ample :
De vains difcours , Zélis , ne perfuadent point :
Pour convaincre en effet , il faut précher d'exemple.
Par M. d'Azemar , lieutenant au
régiment de Touraine.
VERS à Mde V *** , qu'on vouloit engager
à aimer & qui répondit que l'amour
n'étoit plus de fon âge.
-DEE la trifte & froide raiſon ,
Eglé , n'écoutez pas le févère langage ;
L'amour & le plaifir font de toute faiſon ;
Et quand on aime on n'a point d'âge.
Par le même.
EME
DECEMBRE . 1770. 41
Е
REFLEXION S.
JE connois un pays où l'on ne dit pas ce
qu'on penfe , l'on ne penfe pas ce qu'on
dit , l'on ne fait ce qu'on veut , ni bien
fouvent ce qu'on fait , l'on ne tient pas
ce qu'on promet , l'on ne paie pas ce
qu'on doit , l'on ne pratique pas ce qu'on
croit , & l'on ne croit pas ce qu'on profelle
.
Je regarde la vie humaine comme une
tragi - comédie que je partage en quatre
actes.
Jufqu'à dix ans , inaction & plaifir.
Depuis dix jufqu'à trente , plaiſir &
action prefque fans peine .
Depuis trente jufqu'à cinquante , peine
& action prefque fans plaifir.
Et depuis cinquante jufqu'à foixante &
dix , peine & inaction .
J'ai dit quelquefois : qu'eft ce que j'ai
fait à Dieu pour n'avoir point de femme?
Plus fouvent j'ai dit : qu'ont fait à Dieu
ces gens- ci pour en avoir une ?
Les malheurs ne font pas fouvent auffi
grands par eux- mêmes que par le tems &
par les circonstances dans lefquels ils
nous arrivent.
42 MERCURE DE FRANCE.
Je n'ai pas encore pu décider lequel eft
le plus aifé de porter un fecret ou de fupporter
une injure.
Quel eft le falaire de la valeur ? une
vie un peu plus longue dans I hiſtoire , &
un peu plus courte fur la terre.
La jalousie eft une paffion à laquelle
tout fert d'occafion , & prefque rien de
remède .
On combat l'amour par la fuite & la
colère par le filence.
Une belle voix eft le plus beau de tous
les concerts ; mais la voix de ce qu'on aime
eft encore au - deffus des voix les plus
parfaites.
De grandes paffions avec un grand pouvoir
! voilà une grande occation pour commettre
de grands crimes & de grandes
fautes . Si cette vérité eft incontestable ,
comme je le crois , que d'ingrats fur la
terre à qui il n'eft jamais venu feulement
dans la penfée de remercier la Providence
de la médiocrité de leur condition!
C'est une gran le & pénible entrepriſe
que de fe donner à la vertu ; s'abandonner
au vice & à fes paffions en eft une plus
grande & plus laborieufe encore.
Par M. Cabour , à Peronne.
DECEMBRE. 1770 . 43
EPIGRAMME .
Traduction de l'Epigramme latine , Cortice
quid levius , & c.
LE liège est très- léger , tout buveur le fait bien;
Plus que le liège encore une plume eft légère ;
Plusque la plume l'air , plus que l'air ma bergère ,
Et plus que ma bergère , rien.
Par M. Cabour.
AUTR E.
UN habitant de Vire ou de Falaiſe
(Lieux confacrés à la fidélité )
Par un ferment s'étoit mis à fon aife
Sur un argent jadis à lui prêté ;
Dont par après le prêteur tranſporté ,
Le rencontrant lui fit plaintes amères...
Ah ! faux luron , vrai doyen de fauſſaires ,
Peux- tu nier qu'on ait chez toi porté
Ces cenr écus en efpèces bien claires ?
De vous à moi c'eſt bien la vérité ,
Dit le parjure , & n'en fais plus myſtères z
Mais hors de-là quelle néceflité
D'aller à tous divulguer nos affaires ?
Par le même
44 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
NARCISSE, ARCISSE , ce garçon fi beau ,
Sous la loi du tendre hyménée ,
Avec la coquette Habeau
Voulut unir fa deſtinée.
Patés tous deux mignardement ,
La jeune amante & fon amaut
Etant arrivés dans le temple ,
Le miniftre qui les contemple
Demanda d'un ton férieux :
• Lequel eft l'époux de vous deux ?
Par le même.
MADRING A U X.
A Mile F.
Jusqu'ici j'ignorois la cauſe & le mýſtère ,
Pourquoi l'Amour étoit fans yeux :
Le rulé ! qui l'eût cru que pour m'embraſer mieux
Il prétât tous les jours les fiens à ma bergère ?
Par le même.
DECEMBRE. 1770. 45
A Mile M.
La jeune & charmante Sylvie ;
Hier à fon moineau rendit la liberté ,
Ce moineau qui faifoit le charme de ſa vie ;
Mon coeur à fon départ ne porte point envie ,
Car j'en portois à fa captivité.
Par le même.
IMPROMPTU.
Le plus puiffant de tous les dieux , E
Le plus aimable , le plus fage ,
D ...... c'eſt l'amour dans vos yeux.
De tous les dieux le moins volage ,
Le plus tendre , le moins trompeur ,
D ...... c'eſt l'amour dans mon coeur.
Par M. le Roy de Brée , lieutenant des
Bombardiers au régiment de Mets du
corps royal de l'artillerie.
46 MERCURE DE FRANCE:
EPIGRAMME.
Contre un petit Maître.
Cotyle , bellus homo es . Liv . 111 , Epig. 63 .
Corys eft un aimable , au moins chacun le dit ,
J'entens ; mais dites - moi ce qui rend l'homme
aimable ?
Eft-ce de le frifer d'un goût inimitable
Ou d'exhaler d'odeurs le plus fubtil efprit ?
Doit- on fiffler quelque air françois ou d'Italie ,
Ou , comme un homme attaqué de folie ,
De tous côtés démener fes deux bras ;
Couché dans un fauteuil , s'étaler près des belles ,
Et leur faire la cour en leur parlant tout bas ;
Rajuſter ſes habits , fon chapeau , fes dentelles ;
Envoyer , recevoir beaucoup de billets doux ,
Connoître les amans qui vont en rendez vous
Déchiffrer les degrés de toute la nobleffe ;
S'introduire où l'on traite avec délicatefle ?
Quoi ! c'eft ainfi , Corys , qu'un homme aimable
eft fait ?
Ah !rien n'eft plus conftant : vous l'êtes tout- àfait.
ParM.Ganau.
DECEMBRE . 1770 .
47
AUTRE.
Infequeris fugio , v . 83 .
Me fuis- tu ? je te fuis ; me fuis - tu ? je te ſuis. E
Je fais ce que tu veux : je veux ce que tu fuis.
Par le même.
AUTR E.
Lx feu divin qu'aux cieux déroba Promethée ,
Cette étincelle fi vantée
Ne fut , Iris , que la raiſon ;
Flambeau qui par fois nous éclaire ,
Mais qui fouvent nous laiſſe faire
Mille chofes hors de faifon.
Bien volé ne profite guère .
Par le même
VELFORT. Nouvelle anglaife.
MILORD ILORD VELFORT dégoûté de la vie ,
columé depuis long - tems par cette maladie
affreufe qui anéantit nos fenfations,
48 MERCURE DE FRAN CE.
trouble nos idées & brife les refforts de
l'ame , avoit jetté un coup d'oeil fur fa
vie déjà à moitié paffée ; enfermé dans
fon cabinet , l'efprit agité & égaré , il
flottoit incertain fur le parti qu'il devoit
prendre . J'ai voyagé , diſoit- il , dans toute
I'Europe ; mais quel avantage en ai- je tiré
? aucun . Par-tout j'ai vu des hommes
fourbes livrés à leurs paffions , conduits
par l'intérêt perfonnel , j'ai trouvé des
ufages qui paroiffent ridicules hors des
pays qui les ont adoptés : parmi des millions
d'individus , à peine compte - t- on
quelques fages ; j'ai fuivi mes paffions ,
mais le court inftant de plaifir qu'elles
m'ont procuré a été fuivi de larmes & de
regrets ; j'ai été trahi par ceux que je
croyois mes amis ; j'ai cherché une femme
qui m'aimât pour moi - même ; j'ai
éprouvé que toutes n'aimoient que mes
richeffes & leurs plaifirs : ma jeuneſſe s'eſt
éclipfée comme un fonge.
Velfort n'ayant plus l'ame affez forte
pour fupporter fon ennui & fes prétendus
malheurs , fortit dans l'intention de finir
dans la Tamife une vie qui lui étoit à
charge ; infenfible à la voix de la nature ,
plein de haine pour le genre humain , il
couroit exécuter fon projet lorfqu'il fut
arrêté par des cris perçans. Il porte fes regards
DECEMBRE. 1770. 49
gards du côté où il vient de les entendre ,
il apperçoit une voiture renversée & une
jeune perfonne éplorée qui fe jette dans
fes bras , implore fon fecours , & le prie,
malgré fon égarement , de fauver l'innocence
& la vertu opprimée & trahie.
Velfort agiffant plutôt machinalement
que par réflexion , fuit , fans s'en appercevoir
, ce premier mouvement de la nature
, ce principe inné dans tous les
êtres , que les paffions étouffent fi fouvent
, le defir de fecourir fon femblable.
Il conduit cette jeune perfonne dans fon
hôtel ; il écarte fes gens ; fes efprits fe
tranquillifent, il a prefque oublié fes deſfeins.
L'objet préfent fait diverſion &
l'occupe ; il croit que la Providence a employé
ce moyen pour le dérober à luimême.
Il voit une jeune inconnue , de la
figure la plus féduifante , & baignée de
larmes , embraffer fes genoux ; il la relève
, la fait affeoir & attend avec une fe
crete agitation qu'elle rompe le filence.
Plaignez , Milord , lui dir elle , la plus
infortunée des créatures ; j'implore votre
protection & la bonté de votre coeur . J'ai
eu le malheur de perdre mon père au
moment de ma naiffance ; une mère livrée
à la diffipation & aux plaifirs a ruiné
ma fortune. Réduite à la misère ,
·
C
elle
fo MERCURE DE FRANCE.
fondé fon efpoir fur ma jeuneffe & fur le
peude charmes dont la nature m'a pourvue;
il feroit trop long de vous raconter tout
ce qu'elle a fait pour me féduire ; eſt- ce à
moi de dévoiler la honte de ma mère ?
Que ne puis - je l'oublier moi- même.
Voyant ma réſiſtance à rejeter les propofitions
d'un homme riche , je ne puis
douter qu'elle ne fe foit prêtée à mon enlevement.
A une petite diftance de chez
elle , la voiture où l'on m'avoit mife par
force s'eft rompue ; j'étois trop peu à moi
pour vous dire par quel accident ; je me
fais trouvée renverfée ; dans mon trouble,
j'ai couru fans favoir où j'allois , lorfque
je fuis tombée entre vos bras : ayez pitiéde
moi , milord , informez vous de la vérité
, & fi j'abufe de votre bonté , livrez
moi au fort le plus infâme & le plus dur.
Mifs Fanni Selton s'étoit emparée des
mains du lord , elle les arrofoit de fes
pleurs , flottant entre la crainte & l'efpérance
, elle ofoit peut - être dans le fond
de fon coeur foupçonner la probité de
Velfort ; elle le voyoit plus égaré qu'ellemême
; elle fe voyoit feule & livrée à un
homme d'une figure noble & intéreffante,
dont l'âge pouvoit alarmer la vertu . Velfort
, plus agité encore , immobile & les
yeux fixés fur Fanni , avoit l'ame ravie :
DECEMBRE . 1770. SI
fon innocence & fa jeuneffe fembloient
l'affurer de la vérité de fon aveu ; mais
fon expérience lui donnoit des doutes.
Velfort l'affura qu'elle étoit en fûreté dans
fa maifon & la laifa livrée à elle même .
Le lord n'avoit pu voir les charmes de
Fanni fans émotion , il avoit fenti combien
les malheurs redoublent l'intérêt
qu'infpire la beauté ; fes efprits calmés
avoient rappelé dans fon coeur ce fentiment
d'humanité qui caractériſe une ame
belle & pure ; il éprouvoit une affection
tendre & douloureufe , mais plus féduifante
que la vivacité & la fougue du plaifir.
Ses fenfations étoient trop fortes pour
réfléchir ; le motif qui fait agir n'eſt jamais
foupçonné dans le premier moment
; cet inſtinct émane de notre nature,
& lorfqu'il fe montre à notre foible
raifon , il eft déjà maître de nous : femblable
à un feu caché dont l'explofion
n'éclate que par des effets terribles . L'amour
ne s'empare d'un coeur qu'en fe déguifant
, il trouve dans notre foibleffe un
aliment qui le nourrit , l'échauffe & l'anime
; le coup eft porté fûrement lorfque
nous l'appercevons ; il ne paroît que
vainqueur.
Velfort croyoit n'être conduit que par
Cij
52 MERCURE DE FRANCE :
l'envie d'être utile ; fecourir les malheu
reux eft le de voir des grands & des riches ;
la philofophie & la morale viennent à
l'appui de la religion pour dicter ce précepte
, le premier de la loi de nature. En
protégeant Fanni , je ne fais que ce que
je dois ; ma récompenfe eft dans la fatisfaction
de mon ame. Velfort agit , mais
il ignore la caufe qui le détermine : il
s'informe des parens , de la naiffance &
de la vie de Fanni ; & après plufieurs démarches
il reconnoît la vérité de ce que
Mifs Selton lui avoit juré.
Fanni , obligée de fe fouftraire aux recherches
que fa fuite devoit occafionner ,
paffoit la plus grande partie du tems avec
Velfort , qui avoit pour elle tous les
égards & toutes les attentions qu'elle
pouvoit defirer ; Velfort fortoit moins ;
la confiance naît du befoin , Fanni découvroit
fon coeur à fon protecteur ; elle
craignoit fa mère , fi elle étoit découverte
; cependant elle étoit affectée de l'état
miférable où elle devoit être ; elle auroit
defiré pouvoir la fecourir par fon travail
calmer fes craintes fur les dangers
qu'elle avoit courus & fur ceux qu'elle
alloit éprouver fi elle retournoit avec elle.
Velfort les augmentoit encore par
Lon
DECEMBRE. 1770. 53
imagination ; il trouvoit dans la converfation
de cette infortunée un contentement
qu'il n'avoit jamais goûté ; il admi
roit fon efprit , il étoit furpris de fes talens
. Si fes attraits portoient le trouble
& l'agitation dans fon coeur , s'il fentoit
des defirs , il fe rappeloit auffi- tôt fa vertu
, fes malheurs & la parole qu'il lui
avoit donné en lui offrant un afyle ; il la
refpectoit , & il éprouvoit en même tems
que la préfence de Mifs étoit néceffaire à
fon bonheur. Fanni étoit pénétrée des
fentimens les plus tendres , elle attribuoit
à la reconnoiffance fon amitié , fes fenfations
; elle voyoit dans Velfort un protecteur
honnête , refpectueux , un ami
fincère ; elle croyoit ne pouvoir lui exprimer
trop vivement ce qu'elle fentoit
pour lui ; elle n'avoit jamais connu l'amour
, elle ignoroit l'art de diffimuler &
de déguiſer fa penfée . Simple dans fes
moeurs , fon ingénuité brilloit dans fes
difcours , fà naïveté dans fes expreflions
rendoit fes careffes plus douces , plus féduifantes.
Elle commençoit à redouter le
moment qui devoit la féparer du lord.
Velfort fit remettre à fa mère une fomme
confidérable , fans en avertir Fanni à
qui il avoit caché ſes démarches ; & afin
de la fouftraire à toutes recherches , il lui
C iij
54
MERCURE DE FRANCE .
propofa de fe retirer dans une de fes terres
, en lui offrant de l'en laiffer maîtreffe
fi fa préfence la gênoit. Fanni accepta la
propofition avec joie : j'y ferai , Milord ,
lui dit - elle , dans une tranquillité plus
convenable à mon état ; vous ne devez
pas douter du plaifir que j'aurai à y voir
un ami à qui je dois un fort heureux ;
mais je ferois fâchée de vous gêner ; vous
avez un rang qui exige que vous paroiffiez
dans le monde. Lorfque vous voudrez
goûter la douceur d'une vie tranquile
& donner quelques momens à la
folitude , foyez affuré d'y trouver une ame
pénétrée de vos bontés. Vous êtes pour
moi un fecond père , je n'oublierai jamais
... Arrêtez , Mifs , vous ne me devez
rien , c'est moi qui vous ai l'obligation
la plus grande ; regardez vous comme
chez vous , je fuis trop heureux de
pouvoir obliger & fecourir l'innocence
& la vertu.
..
Velfort fentoit qu'il devoir à Fanni fon
exiſtence , il vouloit vivre pour lui fervir
d'appui ; il avoit formé le projet de lui
avouer , lorfqu'il la connoîtroit mieux
l'état dont elle l'avoit tiré ; il cherchoit à
mériter toute fa confiance ; il defiroit de
faire paffer dans fon coeur les fentimens
dont il étoit pénétré , il trembloit de ſonDECEMBRE.
1770.
der fon ame ; elle feule pouvoit l'attacher
à la vie , lui faire paffer d'heureux jours
s'il parvenoit à s'en faire aimer.
La folitude & la retraite augmentent
les fentimens qui naiffent du coeur . Velfort
paffoit les jours entiers auprès de Fanni.
S'il s'en éloigne , c'eft pour y penfer ; Fanni
, fans s'en douter & fans y refléchir ,
éprouvoit les mêmes defirs : moins on fe
doute de fa paffion & plus on s'y livre :
Velfort avoit réfléchi fur les fentimens
il ne peut fe diffimuler qu'il adore Fanni ;
il a plus d'une fois formé le projet de fe
déclarer , mais il craint de ne pas trouver
toute la tendreffe qu'il defire' pour unit
fon fort au fien ; il voudroit devoir à l'amour
ce que la reconnoiffance lui fait
efpérer ; il cherche à fonder le coeur de
Fanni , il met en ufage tout ce que la paffion
la plus vive , l'attachement le plus
fincère , peuvent lui fuggérer ; il cherche
un moment où les yeux de Mifs , moins
animés , lui annoncent la tendreffe & l'agitation
d'un coeur touché , il épie l'inf
tant de furprendre la nature , affuré de la
franchiſe & de la confiance deMifs Selton.
Enfin l'heureux lord étoit parvenu à
s'affurer des fentimens de Fanni ; il goûtoit
le plaifir d'être aimé : elle avoit tremblé
au recit du lord , en apprenant fon
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
défefpoir & fon détachement de la vie ;
elle remercioit le Ciel de s'être fervi d'elle
pour remettre le calme & la tranquillité
dans l'ame d'un homme qui poffédoit
toutes les qualités du coeur ; elle avoit dévoilé
le principe de fes propres fentimens,
la tendreffe égaloit au moins chez elle la
reconnoiffance , elle defiroit autant que
Velfort le moment de ferrer les noeuds
qui devoient affurer leur bonheur ; elle
oublioit l'Univers pour ne voir que fon
amant ; fes attentions , fes careЛes , fa
vertu promettent à Velfort le fort le plus
doux & l'avenir le plus heureux . Sa mère
rappelée auprès d'elle , arrachée à la misère
& à l'opprobre , chercha à lui faire
oublier fes fautes par fa tendreffe.
Velfort devint l'époux de Fanni fans
ceffer d'en être l'amant ; Fanni , tranfportée
d'amour & de reconnoiffance , fit fon
bonheur en faifant celui d'un époux qui
l'adoroit Velfort ne fe rappela jamais
fon égarement fans rendre grace à la beauté
dont l'empire l'avoit fauvé du précipice
où il couroit , fans admirer la grandeur
des moyens dont la Providence fe
fert pour conduire notre foible nature ,
& fans avouer combien ils font au- deffus
de nos vues , de nos projets & de nos
réflexions.
DECEMBRE. 1770. 57
DIALOGUE
Entre ELISABETH & HENRI IV.
ELISABETH .
J'ÉPROUVE encore plus de ſatisfaction à
vous parler que je n'en eus autrefois à
parler de vous.
HENRI I V.
Vous fûtes mon Héroïne dans l'autre
monde , & vous l'êtes encore dans celuici
,
ELISABET H.
Nous eûmes pourtant bien des foibleffes
l'un & l'autre .
HENRI.
Nous avions affez de vertus pour les
faire excufer.
ELISABET H.
Puifqu'on parle net chez les morts ,
j'avouerai que je crois avoir eu toutes les
foibleffes & toutes les vertus de mon
fexe.
C v
18 MERCURE DE FRANCE.
HENRI.
J'eus , à peu près , toutes celles du
mien. Mais vous oubliez de révendiquerbien
des vertus du nôtre.
ELISABE T H.
Je fuis furprife que le Grand Henri
donne dans une pareille erreur . Les verrus
font de tous les fexes , & appartiennent
à ceux qui fe les approprient . Je dus
peut- être les miennes à quinze ans d'adverfité
; peut-être euffé- je imité les fureurs
de Marie , fi je n'en euffe pas été
long- tems l'objet. Rien ne garantit mieux
du penchant à perfécuter , que d'avoir
été en butte à la perfécution .
HENRI..
J'admire le rapport & même le contrafte
de nos deftinées . Tout fembloit
nous éloigner du trône , & nous y arrivâmes
. Vous étiez prifonniere dans votre
patrie ; j'étois errant dans la mienne .
Vos jours étoient menacés , les miens
étoient proferits . La mort de votre ennemie
vous mit à fa place ; la mort de
mon prédéceffeur parut m'éloigner de la
fienne . Je combattois pour ma couronne,
DECEMBRE. 1770.
59
& vous jouiffiez pailiblement de la vôtre.
Un peuple , naturellement fidèle à ſes.
Rois , dérogea envers moi à cette fidélité
: un peuple , naturellement jaloux de
fa liberté , vous fervit prefqu'en efclave .
On vous offrit le trône, & je fus obligé de
le conquérir Vous voyez que la fortune
vous dédommagea promptement de fes
caprices , tandis qu'elle ne ceffa jamais
de me faire acheter fes faveurs..
ELISABETH .
Seriez-vous un Héros , fi vous n'euf
fiez rien eu à furmonter ? Croyez - moi ,
cette fortune ; qu'on nous peint aveugle ,,
fait fouvent tout pour le mieux . Combien
de Souverains , à qni il ne manqua , pour
être grands , que l'occafion de le deve
nir ? Le trône eft un berceau bien affo
pillant pour quiconque y eft né. Le réveil !
eft prefque toujours tardif , & n'eft fou
vent que l'effet des plus violentes fecouffes
.
HENRI.
Il eſt trifte d'avoir à combattre deux
que l'on voudroit gouverner en paix. Ill
eft affreux de fe voir contraint de verfer
un fang , qu'on voudroit pouvoir confer
ver aux dépens du fien même.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
ELISABET H.
Tels font les fruits des factions & du
fanatifme. On difpute aux Souverains le
droit de gêner la confcience de lenrs fujets
, & l'on ofe accorder aux fujets celui
de gêner la confcience de leurs Souverains.
Tout eft contradiction parmi les
hommes. La même raifon qui vous éloignoit
du trône m'y affermiffoit . Je n'allumai
jamais de buchers dans mes Etats ,
& les flambeaux de la difcorde s'y éteigni
rent d'eux-mêmes.
HENRI.
J'étois moi-même très - éloigné de faire
jamais brûler perfonne , & vous favez ce
qui en arriva...Je fus haï des trois
quarts de mes fujets , pour les avoir
chéris également. On me rend juftice aujourd'hui
; c'étoit environ deux fiecles
auparavant qu'il falloit me la rendre.
ELISABET H.
Quel eft le Souvetain à qui on la rendit
jamais complétement avant fa mort?
C'est vous.
HENRI.
DECEMBRE . 1770. 6r
ELISABETH.
Deux ou trois confpirations prouverent
trop le contraire. Mais n'y en eutil
pas contre Titus & Marc- Aurèle ? II
faut prefque toujours faire le bien des
hommes , en dépit d'eux- mêmes . Le fort
de ceux qui obéiffent eft de murmurer
contre ceux qui commandent ; le fort de
ces derniers eft d'avoir fouvent à fe plaindre
du hafard qui dérange les meilleures
vues , ou de l'injuftice humaine qui les
empoisonne.
HENRI.
J'avoue qu'un fceptre eft bien pefant
pour les mains les plus robuftes . Je crois
l'avoir foutenu avec autant de gloire que
je l'avois acquis . Il ne manqua au bonheur
de mes peuples que de me conferver
plus long- tems . Je n'eus guère que
le loif de projeter. J'effaçai jufqu'aux tra
ces dan fiecle de malheurs. Mes fujets
cefferent d'être infortunés . Une main
perfide m'ôta le pouvoir de les rendre
heureux .
ELISABET H.
Je fis le bonheur des miens , parce
que j'eus celui d'échapper plus d'une
confpiration , & que les vents combatti62
MERCURE DE FRANCE.
rent pour moi contre Philippe II . Ce fur
de ce double hafard que dépendit le
bonheur des Anglois & ma gloire.
HENRI.
Je fais que le chapitre des événemens
eft auffi étendu qu'inintelligible ; on peut
préparer , & non prévoir . Maisnous fommes
refponfables de tout ce qui peut être
prévu , & quel eft l'homme qui ne peut
pas fe méprendre ?
ELISABETH.
Cet homme feroit bien dangereux ; il
n'entreprendroit rien..
HENRI
Ecoutez nous regnâmes tous deux
avec gloire dites - moi votre fecret , je
vous apprendrai le mien .
ELISABET H.
Je confultai la fituation de l'Angleterre
& la pofition de mes peuples. Je vis ce
qui étoit fait , ce qui reftoit à faire . Le
fol Anglois ne peut fuffire au bien - être
de fes habitans ; je protégeai le commerce
qui fupplée à l'infuffifance du fol;
je rechetchai la paix qui favorife les
DECEMBRE. 1770. 63
guerre
progrès du commerce. Je n'eus de
que pour ma défenfe , & en pareil cas les
guerres ne peuvent être que rares parmi
nous . Mes fucceffeurs ne m'ont pas imité.
L'orgueil national a prévalu fur les
intérêts de la nation . Ils ont pris part à
des difputes qu'ils n'auroient dû ni allumer
, ni éteindre. Ils ont augmenté au
loin leurs poffeffions & affoibli le centre
, pour fortifier les extrémités . Ce font
des branches fuperflues qui deffèchent le
corps de l'arbre..
HENRI
Je ne ferai pas le même reproche à mes
fucceffeurs. La France a prefque doublé
fes poffeffions depuis mon règne ; mais
elle forme un vafte corps, dont toutes les
parties fe tiennent & fe prêtent un appui
mutuel. C'eſt un Géant nerveux , qu'il
ferolt inutile & dangereux d'attaquer..
Que la France étoit différente ,, lorfque
ma naiſſance & mes exploits me la foumirent
Ménacée au- dehors , dévaftéeau
- dedans ; quelques troupes , & point.
de finances ; nul commerce , & peu
d'agriculture ; c'étoit un vaiffeau brifé en
partie par la tempête , & qu'il falloit reprendre
en fous- ceuvre. Je fentis qu'une.
telle entrepriſe exigeoit des foins , du
64 MERCURE DE FRANCE.
tems & de la tranquillité. J'aimois la
guere , & je recherchai la paix . J'eus même
l'ambition de la rendre perpétuelle.
Je cherchai fur- tout à la maintenir parmi
mes peuples , à bannir d'entr'eux ces di
vifions inteftines , cenr fois plus cruelles
que toutes les guerres extérieures . Je protégeai
la religion que j'avois embraffée ,
& ne perfécutai point ceux que mon
exemple n'avoit pu convertir. J'oubliai
la croyance de mon premier Miniftre ,
en faveur de fon zèle , de fes talens & de
fes fervices. Je regardois tous mes fujets
comme mes enfans ; j'aurois voulu
qu'ils vêcuffent en freres ; mais ce fut là
le moins heureux de mes projets, Du
refte , la France étoit cultivée ; les tribunaux
furent occupés de leurs fonctions ,
les troupes de la difcipline . Il y eut de
l'ordre dans les Finances , & des tréfors
dans mon épargne. Enfin j'allois peutêtre
porter la France au la au point de grandeur
où elle s'eft vu depuis , lorfque je fus
fabitement arrêté dans ma carrière .
ELI A BETH .
Ce fut un coup bien déplorable pour
vos fujets. Peut être le fut-il moins pour
vous. Il vous laiffa toute votre gloire ,
que d'autres événemens pouvoient altérer;
DECEMBRE . 1770. 65
>
il fit plus que toutes vos vertus n'avoient
pu faire ; il réunit en votre faveur les
fuffrages de toute la nation . Ses regrets
furent univerfels , & auparavant fes élo
ges ne l'étoient pas . Les Proteftans , que
vous abandonnâtes ne vous pardonnoient
point ce changement ; certains
Catholiques ne le croyoient pas fincere ;
d'autres détournoient leurs regards des
qualités du grand Roi , pour ne voir en
vous que des foibleffes trop inféparables
de l'homme.
HENRI.
J'aurois dû en furmonter quelquesunes.
ELISABETH.
Eh ! quelle créature humaine peut ré
pondre de n'être jamais foible , ou de
l'avoir jamais été ?
HENRI.
Celles dont l'ame ne prend jamais af
fez l'effor , pour avoir befoin de fe délaffer
quelquefois , ou dont la carriere eft
fi étroite , qu'il leur eft impoffible de
prendre une fauffe route . Mais j'avouerai
que je me repofai quelquefois mal - àpropos
, & qu'il y eut de ma part quel
ques méprifes volontaires.
66 MERCURE DE FRANCE.
ELISABETH.
J'aime entendre un héros faire cet
aveu .
HENRI.
Je le ferois à la face du genre humain
pour l'utilité de mes femblables. J'avouerai
, dis je , qu'après la bataille de Coutras
j'aurois du voler au fecours de mes
alliés , & non porter à ma Maîtreffe les
trophées de má Victoire ; j'aurois dû
après celle d'Ivry pourfuivre les vaincus ,
au lieu de me rendre auprès de Gabrielle .
Céfar n'eût point fait toutes ces fautes ;
mais Céfar n'eût peut être livré ni le
combat d'Arques , ni celui de Fontaine-
Françoife.
ELISABET H.
Il eft moins rare de tenter ce qui pa
roît impoffible , que d'effectuer toujours
ce qui ne l'eft pas. Ceux que le fort place
à la tête des humains , devroient être
exempts de toutes les foibleffes humaines.
Mais alors qui voudroit régner ? Il
eft vrai qu'on vous reproche certains dé
fauts qu'il faudroit bannir de toutes les
conditions.
HENRI.
J'eus la premiere des qualités d'un
bon roi , j'aimois mes peuples .
DECEMBRE . 1770 .
67
ELISABET H.
N'aimâtes- vous point trop auffi à ruiner
les Grands ?
HENRI.
Ce ne fut jamais qu'au jeu : j'efpérois
par- là les rendre plus foumis.
ELISABETH .
Le jeu ne vous coûta- t - il jamais à
vous-même trop de tems & trop d'argent .
HENRI.
C'étoit un délaffement de mes anciens
travaux & de mes occupations nouvelles.
ELISABETH.
On m'a auffi parlé de certaines promeffes
de mariage un peu trop multipliées
.
HENRE.
Alte- là , ma chère coufine ; ou craignez
de voir accourir les ombres de tous.
ceux que vous avez flattés de la même
eſpérance.
ELISABET H.
Ce fut de ma part autant de traits de
65 MERCURE DE FRANCE.
politique ; mais je n'en vois aucune dans
tous vos engagemens fecrets .
HENRI.
C'eft que votre fexe eft plus exigeant
que le mien . Courtenai , Arondel , Leyceftre
& Effex n'aſpirerent jamais au titre
de votre époux.
ELISABETH.
Je crois que j'euffe réfifté à toutes leurs
prières . Vous favez même qu'en certaine
occafion je fis quelque chofe de plus,
HENRI.
On ne me reprochera point de pareilles
rigueurs envers mes maîtreffes , qui ,
dit on , me tromperent plus d'une fois.
ELISABETH .
On vous reproche tacitement d'avoir
été trop rigoureux envers un ami .
HENRI .
Je ne lui refufai point ſa grace. Il refufa
de me la demander .
ELISABETH.
Je mourois de regret de ne l'avoir
DECEMBRE. 1770 .
69.
point accordé à Effex , qui s'obſtina au
même refus.
HENRI.
Il me femble qu'à votre place j'aurois
pardonné.
ELISABET H.
J'aurois pardonné , fi j'eus été à la
vôtre .
HENRI.
Et Marie Stuart ?
ELISABET H.
Il y eut double rivalité entre nous ;
d'ailleurs je la fis juger felon les loix,
HENRI.
Les loix vous autotifoient- elles à la
faire juger ?
ELISABETH.
Voilà une question qui m'embarraſſe
Nous jouiffons de l'eftime publique ;
cependant le calcul de nos fautes pourroit
s'étendre fort loin ,
HENRI,
La postérité s'occupera de celui de
nos vertus. Elle ne peut me reprocher
70 MERCURE DE FRANCE.
que des foibleffes , & elle pardonne toujours
aux Rois ce qu'ils n'euffent pas
dû faire , en faveur du bien qu'ils ont
fait. On paffe à un courfier vigoureux
quelques écarts, lorfqu'il fournit toujours
à tems fa carriere.
ELISABETH.
Voilà donc auffi votre fecret ?
HENRI. A
Je n'en connus jamais d'autre. Il eſt
moins effentiel aux Souverains d'éviter
certaines fautes , que de remplir conftamment
certains devoirs. Je voudrois
qu'on gravât cette maxime à côté du
trône : « Peuples , n'attendez rien d'un
» Roi qui fe refuferoit tout à lui - même :
" Rois , aimez fincerement vos Peuples
, vous les gouvernerez toujours
bien
"
"
Par M. de la Dixmerie,
J.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois de Novembre
eft la Penfée. La feconde les Yeux ;
70.
AIR
lle
Par M. le R
Decembre .
1770.
Cessez cessez, Charmante Iris ,De
+
calculer votre age Toujours les Graces et les
Ris Sont sur votre visage .Vous êtes toujours
du Printems Une image nouvelle,Vous ê -tes
toujours du Printems Une image nouvel::
le. C'est sçavoir arrêter le tems Que d'être
AN AN
toujours belle, C'est sçavoir arrêter le tems
Que d'être toujours bel = le
e l'Imprimerie de Récoquilliée,Rue de la Huchette,au Panierfleuri.
COD
な
DECEMBRE. 1770 . 71
la troisième Hier ; la quatrième , le Dé
à coudre. Le mot du premier logogryphe
eft Vaneau , où l'on trouve dne , veau ,
van & eau. Celui du fecond eſt Métairie ,
où l'on trouve Marie , mère , arme , rame
, maître , mer , air , mire , tire , rate
rat , mitre , mari , rime , maire , trame
terme , remi & Meri , rit , être , & à la
fin le nom de l'auteur qui eſt le mot du
logogryphe,
U
ÉNIGME
NE Reine un palais habite
Tendu d'un fatin cramoifi ;
Autour d'elle maint Satellite ,
Vêtu d'un blanc propre & choifi,
Défend l'enceinte & la limite ,
Et n'a d'autre arme qu'un couteau ;
Mais comme ici bas toute chofe
Porte l'épine avec la rofe ,
Le malheur eft qu'un corps fi beau
Fait la garde le pié dans l'eau.
Par M. Cabour à Péronne.
72 MERCURE DE FRANCE.
A U TRE.
FILs prudent d'un pere ruſé ,
Je ne puis , par état , dévoiler ma naiſſance.
Me voir ami du fexe , eft toujours mal - aifé ;
Sinon dans quelque inconftance.
On me livre fouvent à de cruels brocards ,
Quand j'ai des protecteurs , plus que moi , ba
billards.
Pour un couple amoureux , je fais avec adreſſe ;
En dépit de fes furveillans ,
Ménager les inftans marqués à fa tendrefle :
Je partage la peine & les foins bienveillans
Du Dieu des coeurs , fi - tôt qu'il me reclame.
Ne crois pas ce métier infâme ,
Quand toi- même , peut-être , imploras ma vertu.
Mais, fi, dans le moment où j'éclaire une intrigue,'
Un regard importun me trouve... on me prodigue,'
Et c'en eft fait , tout eft perdu .
JA
Par M. de la Vente , Peintre de Vire.
AUTRE,
ADIS je fervois Bellone ;
Mais mon nom , comme en dédain ;
Fut par l'amant de Pomone
Rélégué dans un jardin,
Quelle
DECEMBRE . 1770. 71
Quelle deſtinée étrange !
On me déchire en lambeaux ;
On me noie , & mes Bourreaux
Sont ravis que l'on me mange.
Par le même.
AUTRE.
ONN me fait jouer plus d'un rôle :
J'introduis au plaifir , je foulage du mal .
Si tu ne connois pas un acteur auſſi drôle ,
Ma copie , entes mains , offre l'original.
Parle même.
AUTRE.
Jz fuis reine fans couronne E >
Et foeur de tous mes fujets .
Souvent fur un même trône ,
Avec moi ferrés de près ,
Sans égard pour ma perfonne ,
Ils étalent leurs attraits.
L'amant qui veut de la belle
Prévoir les moindres defirs ,
Ofe , d'une main cruelle ,
M'immoler à ſes plaifirs.
74 MERCURE DE FRANCE
Quoiqu'infenfible à l'injure ,
Quelquefois une bleffure
De fon audace eft le prix ;
Mais , en m'arrachant mes armes ,
Il me rend digne d'Iris ,
Et bientôt , près de fes charmes ,
Que rien ne peut effacer ,
Je vois les miens s'éclipſer.
LOGO GRYPH E.
IRIS , utile àta
parure ,
J'orne ta tête…….& , changeant de figure ;
A tes pieds je fuis à l'inſtant.
Par une autre métamorphofe ,
Je fais ton plus bel ornement.
Enfin ,fi l'on me décompoſe ,
Dans mes fix pieds bien combinés ,
On trouvera la figure du monde ,
Un animal puant , une matiere immonde ,-
Un...j'en ai dit affez , je me tais , dévinez.
AUTRE.
LORSQU'UN danfeur léger , élégant & facile,
Fait briller fon talent , en graces fi ferti
DECEMBRE. 1770 .
75
Ses pas avec art combinés ,
L'un à l'autre font enchaînés ;
Ses élans font hardis , fa noblefle eft touchante.
Commelui , cher lecteur , je ravis , & j'enchante
Par ma vive facilité ,
Et ma folâtre agilité.
Ainfi que lui , je vais , je reviens , je vacille ,
Mais je n'ai pour appui qu'une corde fragile ;
Et tantôt léger , fautillant ,
Doux ,fort , animé , grave , ou lent ,
Ma marche dans fes pas , foumiſe à la cadence ,
Se fufpend quelquefois , & caufe le filence.
Six piés divers forment mon tout :
Retranchez-en le dernier bout ,
f
Alors je deviendraj terme d'architecture.
Mais, pour me préfenter de façon moins obſcure,
Je vais en détail te nommer ,
Ce que mes piés peuvent former.
L'empreinte de tes pas , une arme très - antique ,
Qui dénote aux Savans un mot mathématique ,
En Europe un pays fameux ,
Du fort un inftrument douteux,
Ce quifur tes habits te déplaît . & les gâte ,
Deux animaux , dont l'un de l'autre craint la patte,
De la nature le rival ,
Le prix d'un crime capital ,
Un des tons de la gamme , une voiture lefte..
Mais j'en ai dit affez , bien aflez , & de refte.
ParM. le Chev. de Defezgaulx,
Lieutenant au Régiment de Beaujolais.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Jz fuis mystérieux , ceci fait mon image.
Lecteur , pour me trouver , Dieu fait comme on
voyage !
J'oblige à parcourir fouvent tout l'univers ;
Je fais monter aux Cieux & deſcendre aux enfers!
Mais , fans aller fi loin , tu pourras me connoître ;
Combine les dix piés qui compofent mon être .
Je préfente d'abord la fille d'Inachus ,
Qui fut commife aux foins du malheureux Argus
Une interjection qui marque la furpriſe ;
Ce qui nous compte l'heure ; un grand Saint dans
l'Eglife ;
Ce qui plaît au troupeau ; l'organe féducteur ,
Dont les traits dans Iris pénétrent juſqu'au coeur ;
Des fuppôts de Bacchus le chagrin & la peine ;
Ce que fait un acteur , lorfqu'il eft fur la scène ;
Un oifeau , grand nageur , dont le bruit autrefois
Fut propice aux Romains & funefte aux Gaulois ;
Celui fur qui Jofué remporta la victoire ;
Un Pontife Romain , très- digne de mémoire ;
Ce qu'employa Jupin , pour entrer dans la tour
Qui cachoit Danaé , l'objet de fon amour ;
Un fleuve d'Italie ; une riviere en France ;
Un mot très- ufité , qui nous peint l'abondance ;
Je fais l'appui des bons , & des méchants le frein ;
Un meuble de cuifine , un bon poiffon , un grain
DECEMBRE . 1770 . 77
Quinous fert d'aliment en un tems de difette ;
Ce que ne cache guère une fille coquette ;
La friſure du poil qu'on veut dans un cheval ,
Le but des vrais héros ; un péché capital ;
D'un grain très -précieux l'heureux dépoſitaire ;
Une place au ſpectacle ; un des bouts de la terre ;
Enfin j'offre celui que nos coeurs ont nommé
Avec jufte raiſon , Louis le bien aimé.
Par M. Bouvet de Gifors.
AUTRE.
Jz fuis muet : cependant , cher lecteur
Je produis des merveilles .
J'orne l'efprit , & je touche le coeur.
Mon milieu fupprimé , je charme les oreilles .
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Amuſemens Dramatiques , par M. D. C.
in-8°. à Londres , & fe trouve à Paris ,
chez Delalain , Libraire , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe .
CES
Amuſemens
Dramatiques font
compofés de deux Contes Moraux , auxquels
l'auteur a donné la forme & l'action
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
du Drame. Le premier eft intitulé Zélide.
Cette jeune perfonne , fille d'Orphife
reftée veuve fans fortune , fe voit à la
veille d'être mariée à Riberval , jeune
homme de naiflance , riche , & d'une
figure avantageufe. Cependant elle paroît
trifte , rêveufe , & femble fe refufer
au rang
éclatant qui l'attend . Elle n'ignore
point que les richeffes & les dignités
contribuent moins à notre bonheur
dans le mariage , qu'un rapport heureux
de caractere & de fentimens , que la vertu
autorife, & que l'eftime augmente. Elle
fupplie fa mere de vouloir bien ne rien
précipiter , afin de mieux connoître le
caractere de celui qui lui eſt deſtiné . « Les
» hommes aujourd'hui , lui dit Orphife ,
» ne fe piquent guère de conftance. Par-
» ler de différer à Riberval , qui , entraîné
» par les plaisirs de fon âge , chercheroit
bientôt à fe dédommager ailleurs ,
rifquer de perdre un établiffement ſeul
capable de répondre à l'amitié qui m'u-
» nit fi intimement à toi . » Et que perdrai
-je , répond Zélide , dans un homme
» dont l'humeur m'eſt entièrement in-
» connue ? Comptes - tu pour rien le
plaifir d'être élevée à un rang qui peut
conduire à tout ? N'eft ce donc que
» là où réfide le bonheur ? je ne l'aurois
"
99
39
"
39
-
-
c'eft
DECEMBRE. 1770. 79
» pas cru ». Cependant Orphife , qui ne
defire rien tant que de procurer un fort
heureux à fa fille , & qui penfe , ainfi que
la plupart des meres , qu'il fuffit pour
cela de lui faire époufer un jeune homme
de naiffance , & qui a de la fortune , engage
Dalincour , l'ami de la maiſon , à
prêter fes bons offices , pour déterminet
Zélide à accepter le parti qui fe préfente.
Dalincour paroît d'autant plus propre à
cet emploi , qu'ayant contribué à l'éducation
de la jeune Zélide , il a obtenu ſa
confiance . Mais il n'a pu lui même ſe
défendre des charmes naiffans de cette ai
mable perfonne , & n'afpire en fectet
qu'au bonheur d'anir fon fort au fien.
Cependant il eft affez vertueux pour tél
pondre à la confiance qu'on a en lui . Dans
l'entretien qu'il a avec Zélide , cette
jeune perfonne lui donne le titre d'ami
mais il eft aifé de s'appercevoir que fous
ce nom elle cache des fentimens plusten
dres . Dalincour vient de recevoir pour
quatre cens mille francs d'effets au por
teur , qui lui ont été légués par un Né
gociant de Bordeaux , fon ami ; il ne
tient qu'à lui de difpofer de ces effets
pour favorifer fon union avec Zélide ;
mais il apprend que le défunt a laiffé une
i
Div
MERCURE DE FRANCE.
foeur , qu'il avoit ceflé de voir depuis
vingt ans ; il n'héfite point à lui faire remettre
ces effets ; il defire qu'elle en difpofe
comme d'un bien , dont il fe feroit
fcrupule de dépouiller l'héritière légitime
; il pouffe même la générofité fi
loin , qu'il veut lui laiffer ignorer fon
nom. Il fe trouve que cette foeur eft Orphife
, mere de Zélide. Cette veuve n'a
rien de plus à coeur que de découvrir
l'homme généreux qui lui a fait parvenir
ces effets. Elle l'aprend par Riberval même
, qui , dans la vue d'éloigner de la
maifon d'Orphife Dalincour , qu'il regarde
comme fon rival , fait confidence
à cette veuve que Dalincour , après avoir
captivé la bienveillance du frere qu'elle
avoit à Bordeaux , a trouvé le moyen de
s'approprier fa fucceffion , au préjudice
de l'amitié. Ce prétendu fage , ajoute- til
, qui borne fes prétentions à devenir
meilleur , a fi bien employé les momens
que votre confiance lui a permis de paffer
auprès de Zélide , qu'il eft devenu mon
rival , & rival d'autant plus à craindre ,
qu'il a eu le talent de fe faire aimer.
Orphife profite de ces éclairciffemens
pour couronner l'amour du généreux Da
lincour , en préfence même de celui qui,
DECEMBRE. 1770 . 81
cherchant à lui nuire , n'a fait que contribuer
à mettre la vertu dans tout fon jour.
Le fecond Drame eft intitulé Lucelle,
Cette jeune perfonne eft fous l'autorité
d'un oncle qui a confenti de ne la point
contraindre. Lucelle , ufant de cette liberté
, déclare qu'elle a renoncé pour jamais
au mariage , & qu'elle s'eft fait un
plan de vie , dont elle attend le bonheur
le plus complet. « Refter libre au milieu
» de toutes les chimeres de convention
» dont les hommes fe rendent eſclaves ;
» me renfermer dans les devoirs impofés
» par l'humanité , & , fans fortir des bor-
» nes de la plus exacte bienféance , avoir
»pour délaffement une fociété d'amis
choifis ; c'eft pour moi la fituation la
plus délicieufe ..... Cette averfion
pour le mariage dans une jeune perſon.´
ne , que , fuivant nos moeurs , l'on ne
peut conduire aux plaifirs & à la liberté
qué par le mariage , paroîtra fans doute
extraordinaire. Cette averfion feroit plus
naturelle dans un jeune homme. Quoi
qu'il en foit , Lucelle , à la fin de cette
pièce , doit au tendre & eftimable Mérival
des fentimens différens. Elle confent
de prouver avec lui qu'un mariage
"
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
bien afforti eft l'état le plus defirable , &
la plus grande faveur que le Ciel accorde
à l'humanité.
Révolutions d'Italie , traduites de l'Italien
de M. Denina , par M. l'Abbé
Jardin , 2 vol . in- 12 . A Paris , chez
Heriffant le Fils , rue S. Jacques.
Le titre de Révolutions , que M. Denina
a donné à cette hiftoire d'Italie
n'exprime ici que la rapidité avec laquelle
l'hiftorien fait paffer fous les yeux de fon
lecteur tout ce qui peut l'intéreffer. Les
historiens des révolutions d'Angleterre
d'Efpagne , de Portugal , n'avoient
décrire que les viciffitudes du trône , arrivées
dans le même royaume . Quelque
multipliés que foient ces événemens ,
l'ordre naturel des faits fert toujours de
filà celui qui les raconte , & l'unité du
fujet fimplifie fon plan & fa marche. Rien
de femblable dans les révolutions d'Iralie.
Lorfque des débris du fecond Empire
d'Occident , il fe fut formé différens
états dans cette contrée , les révolutions
du royaume de Naples n'eurent
aucun rapport avec le gouvernement de
Venife ; les difcordes des Florentins &
des Siénois, les révoltes des Barons de la
DECEMBRE . 1770.
Romagne & de la Marche ne produifirent
pas la moindre fecouffe dans les
Etats de Milan , de Montferrat & du
Piedmont. Les Vifcontis , les Marquis
de Montferrat , les Comtes & les Ducs
de Savoie y régnoient paifiblement , tandis
que les factions populaires embra
foient la Toscane , & que le Pape , fugi
tif dans fes propres Etats , n'y étoit en
fureté nulle part . Ce coup d'eil fuffit pour
faire fentir que M. Denina a dû choifir
une marche toute différente de celle des !
hiſtoriens que nous venons de citer. Ine
paroît encore que les huit premiers livres
des révolutions d'Italie qui forment deux
volumes in- 12 , dont le dernier eft rerminé
par un état de l'Italie fous les Carlovingiens.
L'hiftorien nous entretient
auparavant de la grandeur & de la décadence
des anciens Tofcans . Il nous fait
connoître les changemens caufés en Italie
par l'invafion des Gaulois , l'an 350 de
Rome. Il nous inftruit de la religion des
anciennes nations de cette contrée , de
leurs moeurs , coutumes ufages , de
leurs loix , de leurs arts , de leur commerce
, &c. Ces révolutions peuvent
donc être regardées comme une trèsbonne
introduction à l'étude de l'Hiftoi
re- d'Italie. Elles feront également utiles":
>
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
à ceux qui , connoiffant cette hiftoire ,
veulent s'en rappeler les faits , accompagnés
de quelques réflexions utiles . Les
annales de Muratori & le précieux recueil
d'hiftoriens Latins , formé par le favant
Bibliothécaire de Modène , ont fervi de
baſe à l'ouvrage hiftorique de M. Denina.
Cet ouvrage est écrit d'un ftyle vif , concis
, animé , & le traducteur a cru avec
raifon devoir quelquefois facrifier l'élégance
de fa langue , pour mieux fe rapprocher
des formes variées & énergiques
employées par l'écrivain original.
23
Code de la religion & des moeurs ; ou recueil
des principales Ordonnances
depuis l'établiffement de la Monarchie
Françoiſe , concernant la religion
& les moeurs , par M. l'Abbé Meufy
Prêtre du Diocèfe de Befançon , 2 vol .
in 8. petit format , reliés , 6 liv . A
Paris , chez Humblot , Libraire , rue
S. Jacques , près S. Yves.
Le corps de l'ouvrage eft divifé en
deux parties. Dans la premiere l'auteur a
raffemblé les loix qui concernent la religion
& les différens objets qui peuvent
y avoir un rapport immmédiat ou
indirect , Il a recueilli dans la feconde
DECEMBRE. 1770. 85
les loix qui regardent les moeurs. Le texte
de la loi eft précédé d'une définition néceffaire
, ou de quelques remarques &
obfervations qui en font connoître l'im
portance & la néceffité . Des exemples
frappans , cirés à la fuite de la loi , prouvent
d'une maniere inconteftable fon
exécution. Cependant , dans le chapitre
du crime de lèze Majefté , l'auteur rapporte
l'action fuivante , qui ne prouve
rien , puifque ceux qui la commirent
ignoroient qu'ils s'adreffoient à la perfonne
du Roi ; mais ce fait pourra amufer
un moment par fa fingularité . François
I. s'étant égaré à la chaffe , entra
dans la maifon aux Breviaires , proche
Rambouillet. Il y trouva quatre hommes
qui faifoient femblant de dormir. Le premier
fe leva , & dit au Roi qu'il avoit
un bon feutre , & il le lui prit. Le fecond
dit au Roi qu'il avoit fongé que
fa calaque l'accommoderoit , & en même
tems il la lui ôta . Le troifieme le dépouilla
de fon furcat , qui étoit une efpèce
de cotte blanche , à l'ufage des Chevaliers
de l'Etoile , ïnftituée par le Roi
Jean. Le quatrieme , appercevant une
chaîne d'or , à laquelle étoit attaché un
cor de chaffe , il le voulut ôter au Roi ,
86 MERCURE DE FRANCE.
qui lui dit : « Permettez que je vous
» montre quelle vertu a ce cor » ; & en
ayant donné , fes Officiers qui le cherchoient
vinrent . Le Roi leur dit : « voici
» des gens qui ont fongé tout ce qu'ils
» ont voulu ; j'ai fongé à mon tour qu'il
» faut les envoyer au Prévôt de Mont-
» fort- l'Amaury , pour les punir » ; &
ce Prévôt en fit bonne & briéve juſtice.
Ce code de la religion & des moeurs
feroit devenu un repertoire plus utile , fi
l'auteur eût mis dans fes recherches plus
de critique , s'il nous eût fait connoître
plus particulièrement l'efprit du légifla
teur , & les circonstances qui l'ont obligé
à promulguer telles & telles lois , dont
quelques -unes font tombées aujourd'hui
en défuétude .
Hiftoire de l'Eglife de Lyon , depuis fon
établiffement par S. Pothin , dans le
fecond fiècle de l'Eglife , jufqu'à nos
jours , par M. Poullin de Lumina . A
Lyon , chez Jofeph Louis Berthoud ,
Libraire ; & à Paris , chez Saillant &
Nyon , vol. in 4° . prix , 12 liv . relié.
Entre toutes les Eglifes des Gaules
selle de Lyoneft la ſeule qui , fans avoir
DECEMBRE . 1770. 87
recours à des traditions apocryphes & in
certaines , puiffe fe glorifier d'une origine
Apoftolique. Eufebe , Evêque de
Céfarée , auteur du quatrieme fiecle , &
dont le témoignage eft inconteſtable ,
nous apprend que dans la perfécution de
Marc- Aurele , l'an 177 de Jefus Chrift ,
Pothin , alors âgé de quatre- vingt - dix
ans , Evêque de Lyon , & difciple de S.
Polycarpe , Evêque de Smyrne , qui
l'étoit lui-même des Apôtres avec lefquels
il a long-tems vêcu, fouffritle mattyre
avec une partie de fon troupeau .
Cette antiquité refpectable a fait regarder
dans tous les tems l'Eglife de Lyon
comme la mere & l'oracle des autres
Eglifes des Gaules , & plufieurs d'entre
elles fe glorifient encore aujourd'hui d'en
avoir reçu les premieres lumieres de la
foi. Tel eft le principe de la primatie
dont elle a joui dans tous les toms , &
qui la rend l'Eglife la plus éminente de
tout l'Occident après celle de Rome.
L'hiftoire de cette Eglife eft divifée en
fix époques ; la premiere renferme ce
qu'on peut appeler les beaux fiecles de
l'Eglife , ou fon âge d'or ; elle s'étend
depuis l'établiffement du Chriftianiſme
jufqu'à la deftruction de cette Ville par
les Sarrafins dans le huitieme fiecle , ce
88 MERCURE De france.
qui comprend un intervalle de près de
fept cens ans. L'hiftorien a donné au
commencement de cette époque la traduction
de la belle lettre des Chrétiens
de Lyon aux Eglifes d'Afie , fur le martyre
de S. Pothin , leur Evêque , & de
fes Compagnons , le monument Eccléfiaftique
le plus précieux & le plus authentique
qu'il y ait dans les Gaules. La
feconde époque commence au rétabliſfement
de la Ville & de l'Eglife par
Charlemagne , fous l'Archevêque Leydrade
, qui y donna tous fes foins , juſqu'au
tems de la domination temporelle ,
des Archevêques. Cette époque renferme
un intervalle d'un peu plus de deux
fecles , & elle offre quelques événemens
intéreffans. La troifieme époque s'étend
depuis le tems que les Archevêques eurent
acquis le domaine temporel de cette
Ville , jufqu'à celui où l'Empereur Frédéric
1. le leur confirma par une bulle.
L'événement le plus confidérable de cette
époque, qui comprend cent quatre vingts
ans , eft la confirmation de la primatie
par Grégoire VII , & par le Concile de
Clermont , où préfidoit Urbain II . La
quatrie me époque , qui va jufqu'à la fin
de la domination des Archevêques
comprend l'espace de cent foixaure neuf
DECEMBRE. 1770.
ans , eft toute remplie de guerres , de né-`
gociations & de tranfactions pour le domaine
de la Ville , foit avec les Comtes
de Forez , foit avec le peuple , foit avec
le Roi de France , qui aboutirent enfin à
faire rentrer cette Ville fous la domination
de nos Rois . C'eft pendant cet intervalle
que l'héréfie des Albigeois prit
naiffance à Lyon . La cinquieme époque
renferme les événemens furvenus depuis
la réunion de la Ville à la Couronne
, jufqu'à la fin des troubles occafion
nés par les Calviniftes & la Ligue . La
fixieme & derniere époque conduit jufqu'à
nos jours. Cet intervalle , qui eſt
allez confidérable , offre des objets qui
regardent particulièrement la primatie :
le premier eft le famenx procès que Colbert
, Archevêque de Rouen , intenta au
Confeil contre Claude de S. Georges
Archevêque de Lyon , pour y
faire prononcer
fur l'indépendance de fa Provin
ce ; le fecond eft l'exercice de la Primatie
fur la Province de Paris par l'Evêque
d'Autun , à qui elle eft dévolue , lorfque
le fiége eft vacant.
Les Chanoines de l'Eglife de Lyon
ontété décorés du titre de Comtes dès le
douzieme fiecle . En 1745 , le Roi , par
fes Lettres - Patentes , datées de Verſailles
90 MERCURE
DE FRANCE.
au mois de Mars , permit aux Doyen ,
Chanoines & Chapitre de l'Eglife, Comtes
de Lyon , de porter une croix d'or
figurée ,, pour marque de leur dignité .
Cette croix d'or , émaillée en huit pointes
, eft terminée par quatre couronnes
de Comtes , avec quatre fleurs- de- lys
dans les angles. Sur l'un des côtés de
cette croix eft repréſenté S. Etienne, l'un
des Patrons de l'Eglife de Lyon ; & fur
l'autre côté S. Jean , autre Patron de la
même Eglife. Les Chanoines la portent
fufpendue au col par un ruban couleur
de feu , liferé de bleu.
Cette hiftoire de l'Eglife de Lyon eft
terminée par la belle inftruction du Pafteur
, actuellement fiégeant , fur l'hiftoire
du Peuple de Dieu , du Jéfuite Berruyer .
Voyage Pittorefque de Paris , ou defcription
de tout ce qu'il y a de plus beau
dans cette grande Ville , en Peinture
Sculpture & Architecture › par M.
D *** , cinquieme Edition , vol. in-
12. avec des gravures , Prix , 4 liv .
10 f. A Paris , chez de Bure pere ,
Libraire , Quai des Auguftins , à l'Image
S. Paul.
Les fréquentes Editions que l'on a
DECEMBRE. 1770. 91
faites de ce voyage en prouvent affez
l'utilité. C'eft un guide fidelle & commode
pour tous ceux qui veulent promener
leurs regards fur les différens motceaux
de Peinture , de Sculpture & d'Ar
chitecture que renferme la Capitale. Les
planches de ce livre font au nombre de
huit, dont cinq préfentent des monumens
qui n'avoient point encore été gravés.
Celle qui donne le point de vue de la
Place de Louis XV offre de jolis détails ,
& qui ont été rendus d'une maniere pittorefque
, par J. B. Tilliard , d'après le
deffein de M. Moreau le jeune.
tres ,
Hiftoire Littéraire de la Congrégation de
S. Maur , Ordre de S. Benoît , où l'on
trouve la vie & les travaux des auteurs
qu'elle a produits , depuis fon origine
en 1618 , jufqu'à préfent , avec les til'énumération
, l'analyfe , les
différentes éditions des livres qu'ils
ont données au public , & le jugement
que les Savans en ont porté; enfemble
la notice de beaucoup d'ouvrages
manufcrits , compofés par des Bénédictins
du même Corps. A Bruxelles ,
& fe trouve à Paris chez Humblot
Libraire , rue S. Jacques , près S. Yves ,
92 MERCURE DE FRANCE.
I vol. in 4. de 8co pag. Prix , Is liv .
relié en veau .
Cette Hiftoire Littéraire d'une Société
auffi laborieufe , auffi attachée que l'a
éré la Congrégation de S. Maur aux recherches
profondes & à l'étude de l'antiquité
, ne peut manquer d'être accueillie
des Savans , des Littérateurs & de
tous ceux qui veulent connoître les progrès
de la littérature en France . L'article
de chaque auteur et ordinairement
divifé en deux parties ; l'un contient
l'hiftoire de fa vie , l'autre celle de fes
écrits. Tout ceci eft expofé avec beaucoup
de méthode , de clarté & de fimplicité .
Quelques faits particuliers , quelques
anecdotes choifies auroient pu rendre
cette hiftoire plus agréable & plus piquante.
Le pere de Montfaucon eft regardé , à
jufte titre , comme un des plus laborieux
écrivains de la Congrégation de S. Maur.
Il mourut en 1741 prefque fubitement ,
âgé de quatre- vingt-fept ans. Depuis
plus de cinquante ans , ce favant n'avoit
jamais été malade. Dans fes dernieres.
années il employoit encore huit heures
par jour à l'étude. La furveille de fa mort,
DECEMBRE. 1770. 93
il communiqua à l'Académie des Infcriptions
& Belles- Lettres , dont il étoit ,
membre , le plan d'une fuite de Monumens
de la Monarchie Françoiſe , qu'il .
alloit publier en trois volumes . Nous citons
avec plaisir ces faits , qui prouvent
que les fatigues littéraires , lorfqu'elles
font foutenues par une vie réglée & frugale
, n'abrégent point les jours.
Elémens de l'Hiftoire de France , depuis
Clovis jufqu'à Louis XV , par M. l'Ab
bé Millot , ancien Grand Vicaire de
Lyon , Prédicateur ordinaire du Roi ,
des Académies de Lyon & de Nancy ,
nouvelle Edition confidérablement
augmentée , vol. in- 12 , A Paris
chez Durand Neveu , Libraire , rue
S. Jacques , à la Sageffe.
3
>
La premiere Edition de ces Elémens
a paru en 1767 , en 2 vol, in- 12. Elle
fut d'autant plus accueillie , que l'auteur
fut éviter la féchereffe trop ordinaire aux
abrégés. Les additions qu'il a inférées
dans cette nouvelle édition , contribue.
ront encore à faire regarder ces Elémens
comme une des meilleures introductions
à l'étude plus étendue de l'Hiftoire de
France. La narration de l'hiftorien eft
94 MERCURE DE FRANCE.
fuivié courte , rapide , & fémée de
traits qu'on fe plaît à retenir.
Hiftoire des maladies de St Domingue ,
par M. Pouppé des Portes , Médecin
du Roi , & Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris
3 vol. in 12. A Paris , chez le Jay ,
Libraire , rue S. Jacques , au deffus de
celle des Mathurins , au grand Corneille.
L'auteur de cet Ouvrage , M. Pouppé
des Portes , fut choifi en 1732 par le
gouvernement , pour remplir les fonctions
de Médecin du Roi dans l'Ile de
St Domingue. Il réunit à cette qualité
celle de corefpondant de l'Académie
Royale des Sciences . Il mourut dans cette
Ifle en 1748 , âgé de quarante-trois ans.
Ce bon citoyen , dont la deviſe étoit : non
nobis , fed rei publica nati fumus , ne
cefla d'employer fes talens & fes connoiffances
pour le bien de la fociété .
L'ouvrage que nous annonçons eft le ré
fultat des obfervations qu'il a eu occafion
de faire pendant un féjour de quatorze
ans dans l'Ile St Domingue ‚ fur
les maladies qui la défolent . Cette production
d'un obfervateur exact & confDECEMBRE.
1770. 95
.
tant ne peut manquer d'être utile aux
Médecins & aux Naturaliftes qui voudront
étudier les maladies des autres
Ifles de l'Amérique . L'ouvrage de M. des
Portes leur offrira un objet de comparaifon
& de difcuffion qui répandra la lumiere
fur leurs nouvelles recherches.
Cette hiftoire des maladies de St Domingue
eft fuivie d'un traité de plantes
ufuelles de l'Amérique . On y a joint une
pharmacopée , ou recueil de formules de
tous les médicamens fimples du pays ,
avec la maniere dont on a cru , fuivant
les occafions , devoir les affocier à ceux
de l'Europe ; enfin un catalogue de toutes
les plantes que l'auteur a découvertes
à St Domingue , ou qui lui ont paru mal
décrites par le pere Plumier , avec leurs
noms François , Karaïbes & Latins .
L'Arithmétique démontrée , opérée & expliquée.
Cet ouvrage contenant la maniere
d'epprendre l'arithmétique par
entiers & fractions , auffi utile que
néceffaire à gens de tous états , eft &
clairement expliqué pour ce qui concerne
ladite arithmétique , depuis les
premiers principes jufqu'aux derniers,
par toutes les régles qui y font opérées
, qu'on pourra faire plufieurs au96
MERCURE
DE FRANCE
.
"
tres opérations , à l'imitation de celles
portées fur ce traité , fans le fecours
d'aucuns maîtres . Il y a auffi dans cet
ouvrage , pour feconde partie , un petit
queſtionnaire fur toutes les règles
opérées dans la premiere partie , ainfi
que divers problèmes également utiles
& récréatifs , par M. C. F. Gaignat de
l'Aulnois , Bourgeois à Seaux du- Maine
, ci- devant Profeffeur de la grande
école du commerce à Paris , & ancien
Négociant à Nantes.
Le titre de ce livre en fait affez connoître
l'utilité & la maniere dont il eſt
écrit , c'est l'ouvrage d'un négociant qui
a mis en pratique tout ce qu'il enfeigne.
«Tout iroit beaucoup mieux , dit - il
dans l'avertisement de fon livre , fi cha-
» cun reftoit dans fa fphère ». Cependant
il nous promet dans ce même avertiſſement
un Roman de fa compofition , en
deux volumes , fous ce titre : l'abandonné
parvenu par le fruit défendu.
Poëfies tirées des Saintes Ecritures , dédiées
à Madame la Dauphine , par
M. de Reyrac , Chanoine - Régulier de
la Congrégation de Chancelade , premier
Curé de S. Sulpice & S. Maclou
d'Orléans ;
DECEMBRE. 1770.. 37.
d'Orléans ; des Académies des Sciences
de Toulouſe & de Bordeaux , vol .
in 8 ° . A Paris , chez Delalain , Libraire
, rue & à côté de la Comédie
Françoiſe .
Ce recueil de poëfies eft le premier
tribut que les mufes chrétiennes offrent
fur les bords de la Seine à notre augufte
Dauphine . Parmi les odes de ce recueil ,
les unes , & c'eſt le plus grand nombre ,
font tirées du livre des pfeaumes ; les
autres font prifes des prophètes. Rarement
le Poëte s'eft - il aftreint à traduire
le texte entier d'un pfeaume ; quelquefois
il en réunit trois dans une feule
ode ; fouvent auffi , pour jeter plus de
chaleur dans fes tableaux , & donner
plus de fuite & d'étendue à des morceaux
de fentiment , il a recueilli différens endroits
de l'Ecriture , & joint enſemble plu
fieurs verfets relatifs aux divers objets qu'il
vouloit exprimer , & il en a compofé une
ode . Ces poëfies font bien propres à nourrir
la piété, & à infpirer à la jeuneffe le goût
de la vertu , & l'amour fi confolant des
vérités de la religion.
Journal de la Cour de Louis XIV, də
E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
puis 1684 , jufqu'à 1715 , avec des
notes intéreffanres , &c. vol . in 8°.
Prix , 2 liv. 8 f. A Londres , & fe
trouve à Paris chez Coſtard , rue S.
Jean de Beauvais .
L'auteur de ce Journal , ébloui fans
'doute par l'éclat du beau règne de
Louis XIV , a penfé que tout ce qui
avoit le moindre rapport à la perfon
ne de ce Prince méritoit d'être recueilli .
Il n'obmet pas de nous entretenir des
promenades de Louis XIV . Il ne manque
plus à ce digne courtifan que d'ajouter le
difcours de ce Provincial : Je l'ai vu , il
Je promenoit lui-même. C'est la remarque
de l'éditeur , qui a pris le parti de rire
tout le premier de fon Journaliſte ou de
fon Tacite comme il l'appelle par
dérifion. Parmi les anecdotes recueillies
par cet écrivain , on fe rappelera ce
que difoit Colbert , que pendant vingtcinq
ans qu'il avoir eu l'honneur d'être
au fervice de Louis XIV , & de l'approcher
de fort près , il n'avoit jamais entendu
dire à ce Prince qu'une feule parole
de vivacité , & jamais aucune qui
reffentît la médifance . Cette modération
eft un bel exemple pour les Souverains
qui tuent quelquefois par leurs paroles.
>
DECEMBRE. 1770.
La Murio- Métrie. Inſtruction nouvelle fur
le ver-à-foie , fur les plantations des
mûriers blancs , les filatures & le moulinage
des foies , ouvrage mêlé de ré-
Alexions neuves , & qui paroiffent dignes
de l'adminiftrateur du bien public
, du phyficien , du cultivateur &
du negociant , par M. A. Dubet ,
Ecuyer ; de la ville de Château -Roux
en Berry , vol . in- 8 ° . Prix , 3 liv. 12
fols , broché . A Grenoble , chez J.
Cuchet , & à Paris , chez Saillant &
Nyon , rue de S. Jean de Beauvais.
Ce bon mémoire eft divifé en trois
parties. La premiere offre fur le ver-àfoie
une fuite d'obſervations qui méritenr
l'attention des phyficiens. L'auteur
combat l'ufage trop accrédité de la greffe
des mûriers. Il difcute la poffibilité de
multiplier le produit de nos foies nationnales
, examine les qualités & les défauts
de nos filatures. Il infifte fur les
moyens d'y établir le bon ordre , & fur
la néceffité indifpenfable de faire des réglemens
à ce fujet . La feconde partie ,
& la plus étendue de ce mémoire eft uniquement
deftinée à l'inftruction des cultivateurs
; elle comprend tous les foins
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
de la culture des mûriers ; le régime du
ver à- foie dans toutes les révolutions de
fa vie ; fes maladies les plus à craindre ,
& les remédes les plus connus ; l'art de
filer la foie , & tous les détails qui en
dépendent. La troifieme partie intéreffe
particuliérement le fabriquant ; elle développe
le méchanifme qui donne les
préparations aux foies employées dans
nos fabriques , les bonnes & les mauvaifes
qualités qui en peuvent réfulter , &
principalement les vices de nos fabriques
de bas. On trouvera dans cette derniere
partie des obfervations générales pour
ne pas fe méprendré fur les qualités extérieures
des foies . Tout ceci annonce un
bon phyficien , un obfervateur exact &
un citoyen zèlé pour les progrès du commerce
national.
Précis de la matiere médicale , contenant
les connoiffances les plus utiles fur
l'hiftoire , la nature , les vertus & les
dofes des médicamens , tant fimples
qu'officinaux , ufités dans la pratique
actuelle de la médecine avec un
grand nombre de formules éprouvées .
Traduction de la feconde partie du
précis de la médecine -pratique , publiée
en Latin par M. Lieutaud
DECEMBRE. 1770. 101
Médecin de Monfeigneur le Dauphin ;
des Enfans de France ; de l'Académie
Royale des Sciences , & de la Société
Royale de Londres. Nouvelle Edition,
corrigée , augmentée , & à laquelle
on a ajouté un traité des alimens &
des boiflons , 2 vol . in 8 ° . grand format.
A Paris , chez Didot jeune , libr .
Quai des Auguftins.
Ce livre élémentaire eft connu de
tous ceux qui pratiquent la médecine .
Les phyficiens , les naturaliftes , & même
les gens du monde le liront avec fruit
& avec agrément , parce qu'il eft rempli
de connoiffances utiles & curieufes . Ils
fe convaincront aifément , en lifant ce
précis de matiere médicale , que fi les
hommes font fujets à un grand nombre
de maladies , la providence a auffi pourvu
à leur guérifon , avec abondance ; on
pourroit même dire avec profufion .
M. L. a choifi dans la multitude prefque
infinie des médicamens fimples , officinaux
& magiftraux , ceux qui font les
plus propres aux différens cas que l'on
rencontre. Lorfqu'il a expofé les plus
actifs , il n'a pas obmis ceux qui , ayant
une action moins vive , deviennent quel-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
quefois néceffaires par l'état du mal & la
nature du fujet , ou pour les vues du médecin.
Les temédes fimples ou compofés
qu'il a rapportés , préférablement aux
autres , font les plus ufités parmi les praticiens
modernes, qui , en général , n'emploient
point des remédes fans vertu .
Pour l'ordinaire , les vertus attribuées
aux remédes par ce traité , ont été confirmées
par des fuccès répétés & non
équivoques. Le favant médecin a joint
aux médicamens officinaux les plus connus
, & que l'on prefcrit journellement,
ceux qui font épars dans d'autres ouvrages
que des pharmacopées , mais que
l'ufage a confacrés infenfiblement , ou
parce qu'ils font efficaces , ou parce qu'ils
ont para réuflir plufieurs fois , ou enfin
parce que le public s'en fert , & veut
qu'on les lui ordonne . Il y a quelques
autres remédes , que l'auteur n'a défignés
que pour avoir occafion de parler de leurs
mauvais effets , & des moyens de remédier
aux maux qu'ils peuvent occafionner.
Perfonne avant M. L. n'avoit
donné une auffi jufte eftimation des dofes
des médicamens fimples & officinaux
ufités . Ainfi fon Précis de matiere médicinale
, en mettant les connoiffances- praDECEMBRE.
1770. 103
tiques à la portée du plus grand nombre ,
fera fur tout utile aux miniftres inférieurs
de la fanté du peuple , quine peuvent
confacrer plufieurs années & beaucoup
d'argent à acquérir les connoiſſances
immenfes qui font le médecin.
Un article important & particulier
à ce précis de matiere médicale , eft
celui des eaux minérales , dont on fait
ufage aujourd'hui , l'auteur expofe avec
autant d'exactitude que de préciſion les
qualités & les vertus de ces eaux ; il parle
aufli des bains , il indique la maniere
enfeignée par la pratique moderne pour
les prendre , & les maladies dans lefquel
les elle a coutume de les prefcrire .
Ce bon livre ufuel eft terminé par un
traité des alimens qui , indépendamment
de leur vertu nutritive , poffédent encore
des propriétés médecinales.
Tableau Hiftorique des gens de lettres , ou
abrégé chronologique & critique de
la Littérature Françoife , confidérée
dans fes diverfes révolutions , depuis
fon origine jufqu'au dix- huitieme fiecle
, par M. l'Abbé de Lonchamps.
A Paris , 1770 , chez Saillant & Nyon ,
Libraires , rue S. Jean de Beauvais ,
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
vis à vis le College. Tomes V. & VI .
in- 12.
Les lettres ont fur la deftinée des empires
une influence fi néceffaire par les lumieres
qu'elles répandent , les préjugés
qu'elles détruifent & l'urbanité qu'elles
infpirent , qu'il feroit bien difficile d'étudier
avec fruit l'hiftoire d'un peuple ,
fans connoître les progrès fucceffifs , qu'il
a faits dans la littérature. L'ouvrage de
M. l'Abbé de Longchamps ne peut donc
manquer de repandre un plus grand
jour fur l'hiftoire de France . Cet hiftorien
nous fait parcourir aujourd'hui le
douzieme & treizieme fiecle. L'auteur ,
après avoir, dans les difcours préliminaires
qui précédent chaque fiecle , envisagé
fous un point de vue général , mais phi
lofophique , les différens traits de fon
tableau , nous en détaille dans la fuite de
fon hiftoire les traits particuliers . Nos
anciens poëtes , connus fous les dénominations
de Troubadours , de Chanteurs
ou Cantadours , & de Conteurs , templiffent
la plus grande partie des volumes
que nous annonçons. Les Troubadours
étoient les hommes de leur fiecle , qui
avoient le mieux étudié le coeur humain;
DECEMBRE . 1770. 105
ils connoiffoient trop bien l'origine de
ces degoûts , qui rendent tant d'amans
parjures ; ils favoient trop bien ce que
l'on perd à ne plus aimer , pour s'expofer
aux rifques de l'indifférence . D'ailleurs
la vertu des femmes n'étoit pas moins
en récommandation que leur beauté ; &
le refpect étoit encore une des épreuves
auxquelles elles foumettoient l'amour de
leurs favoris ; ce mot n'avoit point alors
toute l'extention qu'il a eue depuis , &
celui de faveurs n'exprimoit que l'aveu
d'une flamme toujours refferrée dans les
bornes de l'honnêteté. On ne doit cependant
pas conclure de cet expofé qu'il y
eût moins de corruption dans le treizieme
fiecle que dans les fuivans ; la barbarie
qui régnoit encore , encourageoit tous
les défordres , que l'on a mis fur le
compte de l'amour dans des tems plus
policés . Il faut voir dans l'ouvrage même
l'hiftoire du malheureux Guillaume
de Cabeftan , ainfi que celle de l'infortunée
Gabrielle de Vergy.
Lorfque l'article d'un homme de lettres
ne fournit aucune obfervation intéreffante
, ou ne préfente aucun fait piquant ;
l'hiftorien a foin de recréer fon lecteur
par quelque extrait choifi. Il rapporte de
Courte Babe , pcëte , mort en 1274 , le
E v
186 MERCURE DE FRANCE.
conte des trois aveugles de Compiègne ,
qui pourra amufer un moment. Un écolier
fort efpiegle ayant rencontré hors de
la ville trois aveugles qui lui demanderent
l'aumône ; tenez , leur dit- il , priez
Dieu pour moi , voici un befant que je
vous donne . Chacun des aveugles penfe
qu'un de fes compagnons a reçu la piece
d'or , & ils continuent leur chemin
après avoir remercié l'écolier. Cependant
un d'entr'eux propofe à fes camarades de
retourner à Compiègne , & de s'y bien
régaler. Tous trois font de cet avis , &
ils s'acheminent vers la meilleure auberge
de la Ville , où ils fe font traiter
en gens qui ne craignent point la dépenſe.
Après avoir bien foupé, ils fe mettent au
lit , & dorment jufqu'au lendemain que
l'hôte vient les éveiller pour compter.
Les aveugles qui fe croyoient en poffelfion
d'un befant , lui difent qu'il n'a qu'à
fe payer fur cette piece; mais aucun d'eux
ne fe trouve en état de la préfenter ; &
l'aubergifte imaginant qu'ils s'étoient
mocqués de lui , commençoit à les tanfer
de bonne forte , quand l'écolier , qui
avoit couché dans la méme hôtellerie ,
appelle l'hôte , & lui dit de laiffer fortir
ces pauvres aveugles , dont il prend
l'écot fur fon compte. L'aubergifte le reDECEMBRE.
1770. 107
mercie de fa libéralité , & congédie les
trois mendians. Cependant le jeune
homme , qui n'étoit pas en fonds , inventa
un autre efpiéglerie , pour fe tirer
d'affaire ; ce fut de propofer le Curé de
Compiègne pour fa caution , & de mener
l'aubergifte à l'Eglife , au moment
que le Prêtre alloit dire la Meſſe . Ils
s'avancenr enfemble jufqu'à l'autel , &
tirant de fa poche douze deniers , l'écolier
les donne au Curé , en lui difant à
l'oreille que l'homme qu'il lui préfente
eft fujet à des accès de frénéfie , & qu'il
le prie de dire un évangile fur fa tête . Le
Curé fe tourne auffi- tôt vers l'hôte , & lui
fait figne d'attendre que la meſſe ſoit
dite. L'écolier , ainfi débarraffé , prend
congé de l'aubergiſte , monte à cheval
& pique des deux. Cependant la Meffe
s'acheve , & l'hôte s'approche pour rece
voir fon argent. Le Prêtre lui dit de s'agenouiller
, l'aubergifte demande la
Tomme qu'on eft convenu de lui payer au
nom de l'Ecolier. Le Curé veut lui mettre
l'étole fur la tête , l'hôte fe refufe à
cette cérémonie , & dit qu'il lui faut de
l'argent , & non des évangiles . Le Paſteur
ne doutant pas que cet homme ne foit
dans un nouvel accès de démence , appelle
du monde , ordonne qu'on le lie ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
& l'oraifon achevée , il le renvoie comme
un infenfé. Cette hiftoire eft bientôt
fçue de toute la Ville , & le pauvre aubergifte
en devient la fable .
Ön nous cite à l'article de Dalbertet
un poëte nommé Fabre d'Uzès , qui ,
ayant été dénoncé comme plagiaire ,
fut pris & condamné juridiquement à
une fuftigation honteufe. On regrette ,
ajoute l'hiftorien , que llaa loi qui infligeoit
cette peine aux auteurs d'un pareil
délit fe foit relâchée de fon ancienne févérité.
Mémoires Hiftoriques , par M. de Belloy,
Citoyen de Calais , 1 °. fur la maifon
de Coucy , encore exiftante ; 2º. für
Euſtache de St Pierre ; 3 °. fur la dame
de Faïel & le Châtelain de Coucy.
Le premier de ces Mémoires inréreffe
une maifon illuftre , qui a toujours été
chère à la nation , & qui a toujours droit
de l'être ; le fecond intéreffe la nation
même , puifqu'on y défend la gloire du
brave Euftache de S. Pierre , attaquée
par des imputations férriffantes ; le troifième
intereffe tous les amateurs de l'hiftoire
: il conftare , par les recherches les
plus curieufes , la véritable aventure de
DECEMBRE. 1770. 109
la dame de Faïel , & la vengeance atroce
exercée par fon mari fur le coeur du Chârelain
de Coucy .
Gazette univerfelle de Littérature.
Cette Gazette littéraire eft fur le point
de recommencer la feconde année de fon
cours . Elle eft devenue autant par fon
univerfalité que par fon impartialité la
Gazette Littéraire de l'Europe . Ses notices
font abondantes & multipliées , mais
vraies , précifes , & affaifonnées d'une
légère critique. Tous les ouvrages , que
le génie ou l'amour des Sciences & des
Arts , quelquefois même la rivalité , la
frivolité ou les paffions font fortir des
preffes Françoifes , Britanniques , Allemandes
, Italiennes , Danoifes , Ruffes ,
& c . n'échapent point à l'oeil attentif de
l'homme de lettres qui préfide à cette gazette
. Ses correfpondances font bien établies
, & comme fon coeur eft auffi pur que
fon efprit eft éclairé , on pourroit juger ,
d'après fes notices annuelles , en faveur
de quelle nation panche la balance du
goût & de la philofophie . La liberté de
la preffe accordée au Dannemark eft une
époque mémorable dans l'hiſtoire littéraire
de cette année , & dont la gazette
110 MERCURE DE FRANCE .
univerfelle de littérature ne manquera
pas d'annoncer les heureux fruits .
Les gens de lettres , & tous ceux qui
n'ont que le tems de jeter un coup -d'oeil
fur les papiers publics , ont beaucoup
applaudi à l'exactitude & à la célérité de
cette gazette , & aux divifions qui y font
adoptées. Ces divifions font les mêmes
que celles des grandes Bibliothèques
comme Théologie , Philofophie , Hiftoire
, Sciences , Belles - Lettres , Poëfie
, & c.
Les Auteurs , les Imprimeurs , les
Libraires , les amateurs qui defireront
qu'on annonce dans cete feuille quelque
nouveauté , font priés de faire leurs envois
, francs de port , aux Deux - Ponts
à M. Fontanelle , à l'Imprimerie Ducale ;
ou à Paris , chez le fieur Lacombe , Confeiller
de Commerce , & Libraire de
S. A. S. Mgr. le Duc régnant des Deux-
Ponts.
L'abonnement pour une année , port
franc par la pofte , eft de 18 liv . On
s'abonne en tout tems aux Deux - Ponts
à l'Imprimerie Ducale ; & pour la France
, à Paris , chez le fieur Lacombe , Libraire
, rue Chriftine , chez les Direc
teurs des Poftes & les principaux Libraires
des Villes de France & des autres
DECEMBRE. 1770 . III
-
Etats. Les abonnés font priés d'affranchir
le port de l'argent & les lettres d'avis , &
d'indiquer leurs noms & leurs adreffes
écrits lifiblement.
avec
L'Obfervateur François à Londres , ou
Lettres fur l'état préfent de l'Angleterre
, relativement à fes forces , à
fon commerce & à fes moeurs
des notes fur les papiers Anglois , &
des remarques hiftoriques, critiques &
politiques de l'éditeur , feconde année
, Tome fecond . A Londres . L'abonnement
de vingt - quatre cahiers
rendus en Province , francs de port ,
par la pofte , eft de 36 liv. & à Paris ,
de 30 liv. On foufcrit chez Lacombe ,
Libraire à Paris , rue Chriftine , près
la rue Dauphine , & Didot l'aîné , libraire
Imprimeur , rue Pavée , au
coin du quai des Auguftins.
·
Quand un mari & une femme ont vêcu
pendant quelques années , fans avoir eu
entr'eux la moindre altercation , la Ville
de Dunmow leur fait préfent d'un jambon
. Il y a quelque tems qu'on a mis dans
les papiers publics de Londres , que le
Roi & la Reine , dans un voyage qu'ils
devoient faire , pafferoient par cette
112 MERCURE DE FRANCE.
Ville , & que certainement on leur ac
corderoit le jambon . Le Roi ayant lu cet
article , le fit voir à la Reine , qui lui
dit , en rendant le papier : la moitié de
ce jambon me fera adjugée. Un courtifan
, un de ces agréables qui traitent de
moeurs bourgeoifes l'union conjugale ,
dit alors au Roi que cet article étoit une
bêtife. Bêtife , tant qu'il vous plaira , lui
répondit ce Prince : je ne fais qui en eſt
l'auteur ; mais depuis que je régne , on
n'a encore rien dit de moi qui me foit
auffi agréable .
Ces lettres fur l'état préfent d'Angleterre
font particulièrement intéreffantes
par les beaux exemples d'encouragement
pour les fciences & les arts qui y font
rapportés. Le docteur Hill s'eft mis à la
tête d'une fociété protégée par le Roi ,
& qui doit entretenir une correfpondance
générale avec tous les favans & les
grands artiftes du monde entier. Le nombre
de fes correfpondans eft déjà de
107. Ce docteur Hill eft un homme
étonnant ; il a été fucceffivement apothicaire
, comédien , auteur , médecin ,
botanifte . Il a commencé en 1762 une
hiftoire de toutes les plantes , fous ce tire
: The vegetable fyftem. Il en a fait paoître
un volume in fol. tous les fix
·
DECEMBRE. 1770. 113
mois . Le feizième volume eft imprimé.
Le Roi d'Angleterre a destiné un
fonds , pour envoyer à Rome tous les
ans fix jeunes Peintres Anglois étudier
leur art on donne à chacun d'eux 30 liv.
fterlings à leur départ , autant à leur retour,
& 60 liv . fterlings par an pendant
leur féjour en Italie .
Les Anglois fe glorifient de voir en
Dannemarck s'élever un théâtre de leur
nation , ainfi que des courfes de chevaux
à l'inftar des leurs , encouragées par deux
prix qui feront tous les ans donnés par le
Roi. L'un de ces prix , qui eft de 600
rixdales , fera adjugé à celui qui aura
le plus promptement parcouru un mille
de Dannemark fur un cheval Danois
Norvégien ou Holfteinois ; le fecond de
400 rixdales , à celui qui parcourera le
même terrein fur un cheval Anglois ou
Danois . Ces courfes fe feront deux fois
par an , l'une le 22 Mai , l'autre le 20
Septembre.
L'extrait que l'Obfervateur donne
dans fon n°. 6. le petite comédie de
l'amant boiteux de M. Foot , préfente des
portraits fortement prononcés , & d'un
comique burlefque , qui plaira aux fpectateurs
à groffe jote.
Les politiques trouveront également
114 MERCURE DE FRANCE.
dans ces derniers cahiers de l'obfervateur
des morceaux capables de les occuper
utilement.
·
Nouvelle Méthode Géographique , précédée
d'un traité de la fphère & des
élémens de Géométrie , & terminée
par une Géographie Sacrée , dédiée à
Madame , par M. l'Abbé Compan
Avocat en Parlement . A Paris , chez
Merigot jeune , Libraire , Quai des
Auguftins , près la rue Pavée , 1770 ,
avec approbation & privilége du Roi ,
I vol. in- 12 . Prix , 6 liv.
L'auteur établit d'abord dans fon difcours
préliminaire l'utilité de la Géographie.
Cette fcience , dit- il , eft conve-
» nable aux perſonnes de tout âge , de
» tout fexe & de toute condition . Elle
"
apprend au militaire à difpofer les atra-
" ques & la défenfe des places , & à régler
la marche des armées . Elle inftruit
» le commerçant des pays où il veut éten-
» dre fon commerce , des diverfes pro-
» ductions qu'il y peut trouver : par elle ,
il triomphe des plus grands obftacles ,
» & quand le tranfport des marchandifes
» par terre lui devient trop pénible ou
»trop difpendieux , elle lui fraye un che-
19
DECEMBRE . 1770. VIS
"
» min plus facile , en réuniffant par le
»moyen des canaux & des rivières les
» mers les plus oppofées . Elle enfeigne à
» l'homme d'état , au négociateur les in-
» térêts ou les prétentions de fon pays ,
» par la pofition de certaines Villes ou
» de certaines Provinces des Etats voi-
»fins , les divers degrés d'alliance qu'on
» peut contracter avec les Princes qui
» nous environnent . Enfin l'homme d'E.
glife apperçoit avec une douce fatisfaction
que cette fcience fert à éclairer
» l'hiſtoire de la religion : elle lui décou-
» vre les lieux de la tenue des Conciles ,
» l'étendue des grands fièges , la naiffan-
» ce des héréfies en un royaume , leur
»progrès & leur extinction en d'autres :
» elle étend en quelque forte , elle en-
» noblit fes idées fur la divinité
"
"
de la Religion Chrétienne , en lui
» montrant la morale fainte de l'Evangile
, auffi purement pratiquée aux ex-
» trémités de l'Amérique que dans le
» fein de l'Afie , qui a été fon berceau ;
» & ce concert unanime lui fait recon-
» noître & avouer qu'une religion , qui
unit dans la même croyance des ef-
» prits fi différens , & des coeurs dont les
>> inclinations font fi oppofées , a nécef-
"
116 MERCURE DE FRANCE:
"
"
» fairement une fource divine , & un
» principe furnaturel ».
»
33
Il ne croit pas qu'il foit néceffaire de
s'étendre fur l'utilité que les femmes
même peuvent retirer de l'étude de la
Géographie. « Et quelle fcience , dit - il ,
» leur convient davantage ? En avouant
» que l'éducation qu'elles reçoivent ne
» leur permet pas de s'élever à ces fcien-
» ces abftraites , où le vol feul du génie
peut conduire , ne leur faifons pas l'injuftice
de croire qu'elles ne puiffent
s'appliquer à rien de folide. Deftinées
» à une vie fédentaite & retirée , pri-
» vées par conféquent de la reffource des
» voyages pénibles & continus , qui ,
» dans les hommes , peuvent fuppléer à
» l'étude de la Géographie , cette fcien-
» ce feule peut les inftruire fur les parti-
' cularités du globe qu'elles habitent. Et
quels détails amufans ne s'offrent point
» à leurs recherches ? Quelle abondante
» moiffon n'en peuvent - elles pas re-
"
33
33
» cueillir ! » "
Mais quand la Géographie feroit bien
moins importante que l'auteur ne tâche
de le perfuader , ce qu'elle offre d'agréable
& d'amufant fembleroit fuffire pour
engager les hommes , même les plus inDECEMBRE.
1770. 117
"
différens , à s'y appliquer. » La carte fous
les yeux , & le compas à la main , je
» voyage fans peines & fans dépenfes :
» je ne fuis arrêté ni par les mers glacées
» du Nord , ni par les fables brûlans du
» Midi. Je féjourne plus ou moins dans
"
chaque climat , fuivant les nouveautés
"que m'offre le pays ; j'obferve les
» moeurs des peuples , l'indigence ou la
» richeffe des Etats , la fertilité de cha-
» que terroir ; je vois avec admiration les
» différens Empires gouvernés par autant
» de coutumes diverfes . Ici des Souve-
» rains à qui tout eft foumis , mais qui
» font eux- mêmes foumis aux lois : là des
defpotes fuperbes , qui n'ont
pour ré-
"gle que leur volonté. D'un coté , le
» peuple fe faifant écouter , & dictant
lui même la forme de gouvernement
qui convient à fon humeur & à fon ca-
» ractère ; de l'autre , l'autorité confiée
» aux plus illuftres de la nation , qui
» rentrant à leur tour dans la fubordination
, font remplacés en des tems marqués
par d'autres Sénateurs , dont le
"pouvoir n'eft pas de plus longue durée.
" C'eft en fe livrant à une telle occu-
»pation , qu'on agrandit , en quelque
» forte , fon être , & qu'on fe trouve ,
» non l'habitant obfcur d'une petite
118 MERCURE DE FRANCE.
» Ville dans un petit Royame , mais
» l'ami de tous les peuples & le citoyen
» de tous les Etats ». Mais c'eft principalement
lorfqu'on s'applique à l'hiftoire
qu'on fent plus vivement l'utilité
de la Géographie. «Avant que cette fcien-
» ce vînt m'éclairer , je lifois l'histoire
» fans plaifir & fans fruit : les faits les
» plus intéreffans ne faifoient que gliffer
» dans ma mémoire , & s'y placer fans
» ordre ; mais guidé par ce flambeau
» lumineux , je parcours , fans m'égarer,
» les plus fombres détours de l'hiſtoire.
» Je fais d'un regard attentif la marche
ود
93
و ر
des plus floriffans Etats ; je les vois naî
" tre , s'accroître , chanceler , tomber
» enfin , & fur leurs ruines fumantes j'ap
perçois s'élever de nouveaux Empires ,
» qui deviendront bientôt la proie d'un
" nouveau Conquérant , réfervé lui - mê-
» me à décorer le triomphe d'un vainqueur
plus puiflant ou plus expérimenté
» que lui . Je n'attends pas toujours l'évé-
» nement pour juger du fuccès d'une ba-
» raille ; la fituation des deux armées , le
» choix du terrein , m'apprennent avant
» le combat de quel côté doit être la
» victoire » .
Après avoir paffé en revue les différentes
méthodes Géographiques qui ont
DECEMBRE. 1770. 119
précédé la fienne , & relevé les erreurs
qui fe trouvent dans la plupart , & furtout
dans celle de Nicole de la Croix ,
qui jufqu'ici a paffé pour la moins défectueufe
, M. l'Abbé Compan obferve judicieufement
que le dégoût qu'un grand
nombre de perfonnes font paroître pour
la Géographie eft dû à la féchereffe qui
règne dans prefque tous les ouvrages qui
en donnent des principes . On fe laffe
à marcher dans des routes efcarpées &
arides , mais on aime à parcourir des
fentiers riants & Aleuris. Une méthode
donc , qui s'éloignant également d'une
ftérile abondance & d'une feche briéveté ,
fixeroit l'attention du lecteur , fans la
laffer ; qui ne difant ni trop ,
ni trop
peu , amuferoit , en inftruifant , & qui
évitant cette monoronie , qui rend la
lecture infipide , & rebute dès les premiers
pas ceux qui feroient portés à
s'inftruire , n'offriroit aucun lieu , qui ne
fût caractérisé par quelque trait remarquable
, comme par la naiffance d'un
grand homme , ou par un fiége , une baraille
, ou par la nature du territoire ;
une telle méthode pourroit réconcilier
avec la Géographie un grand nombre
d'efprits prévenus contre elle. !
En difant ce qu'il faudroit faire
120 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Abbé Compan nous dit ce qu'il a
fait. Le plan de fon ouvrage nous a paru
bien conçu , & fagement exécuté. Dans
les détails, l'utile y eft toujours accompa
gné de l'agréable . Un fujet auffi rebattu
eft devenu neuf entre fes mains. S'il a
été fouvent obligé de fuivre la route
commune dans les divifions des Etats ,
les pofitions des Villes , & autres chofes
femblables , qu'on ne change point à
fon gré , il a fu fe frayer un autre chemin
par les remarques curieufes & inftructives
qui s'offrent au lecteur. Sa méthode
eft ornée de traits d'hiftoire naturelle
& politique ; elle offre les moeurs
des différens peuples , elle s'étend fans
prolixité fur les productions de chaque
pays , le commerce principal , les arts ,
les manufactures , les marchandiſes , les
denrées , & c. Par fon attention à ne rien
mettre d'inutile , il a réuffi à placer tout
ce qu'il y a d'intéreffant , fans fortir des
bornes qu'il s'eft preſcrites .
Rapport du Cenfeur fur la conteftation
élevée au fujet de la géographie de M
l'Abbé de la Croix.
Ayant examiné par ordre de Mgr le Chancelier
un nouveau traité de géographie , en deux volumes.
DECEMBRE. 1770. 121
mes , par M. l'Abbé Compan , j'ai donné mon
approbation.
Sur la demande qui m'a été faite depuis , j'ai
comparé cet ouvrage avec celui de M. l'Abbé de
la Croix ; je n'ai pas trouvé que l'un fut la copie
de l'autre , la marche & la difpofition font différentes
, & quoique celle de M. l'Abbé Compan ne
foit pas tout- à -fait auffi étendue , il a corrigé cependant
des erreurs qui s'étoient gliflées dans celle
de la Croix .
A l'égard de quelques reffemblances qui fe
trouvent entre ces deux méthodes , il eft impoffible
que cela foit autrement ; les tables de latitude
& de longitude , les divifions des états , les
pofitions des villes font néceflairement les mêmes,
à quelques changemens près ; les élémens
de la fphère , &c. On ne peut pas
dire pour
que l'ouvrage de M. Compan foit la copie de celui
de M. de la Croix qui , lui - même , a copié ceux
qui l'ont précédé en ce genre.
cela
Si cela étoit , aucun auteur ne pourroit plus
écrire & rien publier fur la géographie. Tel eft
mon fentiment. A Paris , ce 24 Octobre 1770.
Sigué , BELLIN , ingénieur de la marine ,
cenfeur royal , de l'académie royale de
marine & de la fociété royale de Lone
dres.
Q. Horatii Flacci Opera adfidem LXXVI
codicum. Accedunt : 1 ° . Synopfis Chronologica
rerum Romanarum , vivente
Horatio ; 2°. Tractatulus de metris Horatianis
; 3°. Varia LXXVI codicum
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Lectiones ; 4°. Phrafium fubdificilium
ènucleatio ; 5 ° . Lexicon mythologicum,
hiftoricum & geographicum ; 6 ° . Dic
tionarium latino - gallicum vocum Horationarum
quæ lectorem morari poffunt;
curante Jof. Valart , acad. Amb. Parifiis.
Typis Michaëlis Lambert , viá
cithared , 1770 ; prix , broch. 6 liv.
Cette nouvelle édition d'Horace eft une
des plus belles pour l'exécution typographique
, & la plus précieufe pour l'exactitude
& la correction du texte par les
foins de l'homme favant qui y a préſidé.
Les douze Céfars , traduits du latin de Suétone
, avec des nores & des réflexions ,
par M. de la Harpe , dédiés à Mgr le
duc de Choifeul , miniftre & fecrétaire
d'état, &c. 2 vol . in- 8° . br. 8 1. A Paris ,
chez Lacombe , libraire , rue Chriftine ;
& Didot l'aîné , libraire & imprimeur,
rue Pavée , près du quai des Auguftins.
Cette traduction qui manquoit à la littérature
françoife eft précédée d'un difcours
préliminaire affez étendu , dont
nous ne citerons que ce qui regarde Suétone.
On fait peu de chofes dela vie de
DECEMBRE 1770 . 123
» Suétone . Son père étoit tribun légion-
» naire & fervit dans la guerre d'Othon
» & de Vitellius . Le fils fut fecrétaire de
» l'empereur Adrien , & perdit fa place
» pour s'être permis avec l'impératrice
"
"9
Sabine des libertés peu refpectueuses .
» Il étoit lié avec Pline le jeune qui l'ex-
» horte dans une de fes lettres à mettre
» au jour quelques ouvrages qu'il dit être
» des morceaux achevés. Suétone en a
compofé plufieurs que nous n'avons
plus , fur les différens habillemens des
peuples , fur l'hiftoire des fpectacles , fur
» les défauts corporels , fur les fonctions
» des Préreurs , &c. Il ne nous refte de
» lui qu'un abregé très concis de la vie
» des Grammairiens & l'hiftoire des douze
premiers Céfars. C'eft ce dernier ou
» vrage dont j'offre la traduction au Pu-
» blic . »
"
"
« Suétone n'eſt point un auteur fans
» mérite. Je ne crois pas qu'on me ſoup-
» çonne de l'idolatrie ordinaire aux tra-
» ducteurs qui femblent toujours profter-
» nés devant leurs originaux ? C'eſt une
» grace d'état , & je n'ai pas droit d'y
prétendre. On verra dans mes notes que
» je n'approuve point tout ce qu'écrit
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
39
"
» Suétone . Je voudrois y voir moins d'i
» nutilités & de détails minutieux ; mais ,
» en général , fi ce n'eft pas un écrivain
éloquent , c'eft du moins un hiftorien
» curieux. Il eft exact jufqu'au fcrupule
» & rigoureuſement méthodique. Il n'o-
» met rien de ce qui concerne l'homme
» dont il écrit la vie & fe croit obligé de
» rapporter non- feulement tout ce qu'il
» a fait , mais tout ce qu'on a dit de lui.
» On rit de cette attention dont il ſe pi-
» que dans les plus petites chofes ; mais
on n'eft pas fâché de les trouver , &
c'eft apparemment pour cette raiſon
qur l'auteur d'Emile regrette quelque
›› part qu'il n'y ait plus de Suétone . S'il
abonde en détails , il eft fort fobre fur
les réflexions. Il raconte fans s'arrêter ,
» fans paroître prendre intérêt à rien ,
» fans donner aucun témoignage d'appro
» bation ou de blâme , d'attendriffement
» ou d'indignation . Sa fonction unique
» eft celle de narrateur. »
و ر
Cependant M. de la Harpe remarque
dans la vie d'Augufte une phrafe qui reffemble
à la flatterie , & qui eft en effet ou
d'un adulateur ou d'un homme bien crédule
; c'est l'endroit où Suétone prétend
qu'Augufte , dans toute fa conduite , n'eut
d'autre principe & d'autre but que de venDECEMBRE
. 1770. 125
ger la mort de Céfar. Si Suétone le croyoit,
c'étoit un bien bon- homme , & il paroît
l'èrre en général . S'il ne le croyoit pas ,
il y a un peu de complaifance pour Augufte
que pourtant il ne ménage pas dans
tout le refte. Quoiqu'il en foit la remarque
du traducteur fur l'impartialité de
Suétone eft généralement vraie. Nous
nous bornerons à difcuter quelques endroits
où le traducteur paroît avoir penfé
autrement que les commentateurs de Suétone
, & nous rapporterons les raifons
qu'il en donne.
Exanimis , diffugienribus cunctis , aliquamdiu
jacuit , donec lectica impofitum
dependente brachio tres fervuli domum retulerunt.
Plufieurs critiques rapportent ces
mots , dependente brachio , un bras pendant
, à un des bâtons de la litière. Le
traducteur le rapporte au cadavre de Céfar
, parce qu'il a cru que ce dernier fens
étoit plus beau & plus pittorefque, & qu'il
étoit naturel que l'auteur peignît la fituation
de Céfar plutôt que d'obferver qu'un
des bâtons de la litière n'étoit point foutenu
. Voici la phrafe entière en françois .
«Il refta quelque tems étendu par ter-
» re ; tout le monde avoit pris la fuite
» enfin trois efclaves le rapportèrent dans
Fiij
116 MERCURE DE FRANCE.
39 fa maiſon fur une litière d'où pendoit
» un de fes bras . »
Cette circonftance n'eſt pas indifférente.
On fait combien ces fortes d'objets
frappent les fens , & que le degré de pitié
que peut exciter un cadavre depend beaucoup
de la manière de le préfenter. Enfin
ce mots , dependente brachio , font placés
de façon à pouvoir fe rapporter également
ou à la litière ou au corps de Céfar . Ainfi
la traducteur a été le maître de choisir.
On peut obferver d'ailleurs qu'il faudroit
trouver d'autres exemples du mot brachium
pour fignifier le bâton d'une litière.
Alios patrem &filium pro vitá rogantes
fortiri vel dimicare juffiffe , (fertur) ut alterutri
concederetur , ac fpectaffe utrumque
morientem , cum patre , qui fe obtulerat ,
occifo ,filius quoque voluntariâ occubuiffet
nece.
" Un père & un fils lui demandoient la
» vie ( à Augufte. ) Il ordonna qu'ils ti-
» raffent au fort ou qu'ils combattiſſent
» enfemble , promettant la grace au vain-
» queur. Le père alla au- devant de l'épée
» de fon fils , & le fils fe perça de la fien-
» ne. Augufte les vit expirer. »
D'autres traduifent : Le père confentit à
DECEMBRE . 1770. 127
mourir & le fils fe tua lui- même . Toute la
difficulté confifte dans les mots qui ſe obtulerat
, qui fignifient fimplemenr que le
père s'offrit , fans dire à quoi . On peut
fuppofer que c'eft à la mort ; le traducteur
fuppofe que c'eft à l'épée de fon fils , parce
que ce fens eft plus énergique , & qu'alors
ces mots Spectaffe utrumque morientem
, Augufte les vit expirer , deviennent
bien plus terribles .
Il y a quelques autres endroits où M.
de la Harpe n'a pas fuivi le fentiment du
plus grand nombre de fcholiaftes . C'eſt
aux fçavans à en juger. Il eft prêt à fe rendre
à leur avis .
Nous ne dirons rien du mérite de cette
traduction , ni des réflexion ni des notes .
L'auteur qui insère quelque fois dans ce
Journal des morceaux de critique & de
littérature nous interdit des louanges qui
feroient fufpectes . Il fait qu'aujourd'hui
fur tout il eft bien plus facile d'en obtenir
que d'en mériter , & il defire feulement
qu'on lui montre fes défauts , &
chérit la faine critique autant qu'il méprife
les fatyres .
Dans les réflexions fur les Céfars il ré- ,
fute fouvent M. Linguer . C'eft à M. Linguet
à fe défendre , comme il fied à un
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
homme de lettres & au Public à
juger.
Nous finirons par tranfcrire un morceau
de la vie de Néron pour donner unè
idée de la manière dont Suétone raconte
& dont M. de la Harpe traduit.
" Bientôt il apprit que toutes les ar-
" mées entroient dans la révolte de Vin-
» dex. A cette nouvelle il déchira la let
و د
و د
tre qu'on lui avoit apportée pendant fon
» dîner , renverfa la table , brifa contre
» terre deux vaſes dont il faifoit grand
» cas & qu'il appelloit homériques , parce
qu'on y avoit fculpté des fujets tirés
d'Homère , fe fit donner du poifon par
Loćufte , le mit dans une boëte d'or &
paffa dans les jardins de Servilius . Tandis
que les plus fidèles de fes affranchis
» alloient par fon ordre à Oftie faire pré-
» parer des vaiffeaux , il voulut engager
» les Tribuns & les Centurions des
gar-
» des prétoriennes à accompagner fa fui-
» te ; mais les uns s'en excusèrent , les
» autres refusèrent ouvertement ; l'un
» d'eux même s'écria , eft- il doncfi diffi-
» cile de mourir ? Alors il délibéra s'il fe
» retireroit chez les Parthes ; s'il iroit fe
» jeter aux pieds de Galba , ou s'il paroî-
» troit en deuil dans la tribune aux haranDECEMBRE.
1770. 12.6
ود
» gues , demandant pardon du paffé avec
» les plus humbles prières , & le reftrei-
≫gnant , fi on ne vouloit pas lui laiffer
l'empire , à obtenir le gouvernement
d'Egypte on trouva même dans fes
» papiers un difcours fur ce fujet ; mais
» on le détourna , dit- on , de ce'deflein ,
» en lui faifant entendre qu'il pourroit .
» bien être mis en pièces avant que d'ar-
» river à la place publique. Il remit donc
» au lendemain à prendre un parti , &
s'étant reveillé au milieu de la nuit , il
apprit que fes gardes l'avoient quitté.
»Il fauta de fon lit & envoya chez tous
» fes amis ; mais n'en recevant aucune
» réponse ; lui- même , avec peu de fuite ,
» alla en vifiter plufieurs ; il trouva tou-
» tes les portes fermées & perfonne ne
lui répondit. Il revint dans fa chambre,
» les fentinelles avoient pris la fuite
après avoir pillé jufqu'à fes couvertu-
» res & la boëte d'or où étoit le poifon .
Il demanda le gladiateur Spicillus ou
» quelqu'autre qui voulut l'égorger ; mais
» ne trouvant perfonne , il s'écria ,je n'ai
» donc ni amis ni ennemis ! & il courut
pour fe précipiter dans le Tibre , &c . »
On voit que la narration du Suétone
eft nette & rapide , & les dérails font:
99:
"
»
Ev
130 MERCURE DE FRANCE .
d'autant plus curieux que la plûpart në fe
chez lui . trouvent que
La Nimphomanie ou Traité de la fureur ,
uterine , par M. de Bienville Medecin
à Rotterdam .
M. de Bienville donne dans un avant
propos , les raifons qui l'ont engagé à
publier fon ouvrage . Ses voyages lui
ayant fourni des occafions d'obferver dans
la jeuneffe des deux fexes un grand nombre
d'accidens , il n'a pu fe refufer la
fatisfaction d'éclairer le public fur les
effets cruels de la fureur uterine . Il fait
voir que cette maladie eft devenue plus
commune , & plus générale qu'on ne
penfe ; & il en conclud qu'il eft effentiel
d'en inftruire les parens , & tous ceux &
celles qui font faits pour veiller à l'édu
cation des perfonnes du sèxe.
Dans un premier chapitre il expoſe
quelles font les parties organiques de la
femme , qui font le fiége des accidens de
la fureur utérine. Cet expofé eft court ,
mais fuffifant.
Le fecond chapitre eft une defcription
générale de la fureur utérine , de fa naiffance
, de fes caufes de fes progrès , &
de fa contagion. Les expreffions infpirent
DECEMBRE . 1770. 131
d'autant plus de crainte , que ce ne font
point de vaines déclamations , mais des
vérités bien fenfibles. L'auteur finit ce
chapitre par un avis aux jeunes gens . Il
leur parle en homme qui connoît tous
leurs excès & leurs inconftances , & qui
s'applique fpécialement aux moyens qui
peuvent les ramener à la fanté & à l'amour
de l'honnêteté .
Les trois chapitres fuivants font confacrés
à l'examen des caufes phyfiques &
morales des acccidens qu'on voit naître
dans la fureur utérine. Le rapport des fibres
, leurs ofcillations , leurs dérangemens,
leurs fympathies , leurs diffonance ,
le renversement de celles du cerveau ,
les divers phenoménes qu'on obferve dans
toutes ces variations , font exposés avec
méthode , & fintérêt. Toutes ces matières
fi abftraites par elle-mêmes deviennent
trés - intelligibles par l'ordre qu'on y
obferve on vient enfuite aux moyens de
diftinguer celles qui font attaquées de
cette maladie , de manière qu'après ces
notions il n'eft plus guères poffible aux
perfonnes intelligentes de s'y méprendre ,
ni même d'ignorer à quel degré eft la
maladie. Dans le fixième & dernier chapitre
M. de Bienville ne fe contente point
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
d'indiquer les remedes qu'on doit employer
dans les différens états de la maladie.
il appuie fingulièrement fur les
moyens moraux , fur la difcretion & la
douceur avec laquelle on doit les mettre
en ufage. Il ne craint point d'entrer dans
les plus petits détails . Il n'approuve point
l'ufage dans lequei on eft d'ordonner indifféremment
des faignées amples & fréquentes
à ces fortes de malades . Il veut
qu'on examine auparavant les caufes de
leurs dérangemens : ces caufes font phyfiques
ou morales ; les premières font
quelquefois exceflives , alors il eft intéreffant
de ménager le fang de la malade ,
& de faire attention à l'ufage des purgatifs
.
Cet ouvrage eft terminé par nombre
de refléxions fur le pouvoir de l'imagination
relativement à la Nimphomanie
Il prouve combien la connoiffance de
cette partie eft effentielle au Médecin qui
veut traiter cette maladie qu'on peut guérir
quelquefois en travaillant uniquement
fur l'imagination , aulieu qu'il n'y
a point de cas où on puiffe efpérer la guérifon
des feuls remèdes phyfiques.
On trouverra des obfervations qui
font autant d'hiftoires fideles des événeDÉCEMBRE.
1770. 133
mens qui arrivent dans les familles ,
foit par la trop grande douceur des
rens , foir par leur trop grande févérité.
pa-
L'auteur donne aux uns & aux autresdes
regles de conduite capables d'infpirer &
de fixer même la prudence qu'on doit.
avoir dans des cas aufli épineux.
Il fait des reproches aux parens qui livrent
d'abord leurs enfans aux foing
barbares de celles qui préfident aux maifons
de force . Il defire qu'on n'ait recours
à ces moyens violens qu'après avoir inu
tilement fait effayer fous leurs yeux tous
les fecours de l'art..
Enfin tout cet ouvrage annonce dans
l'auteur un Médecin très inftruit des paffions
du fexe , & autant capable d'y remedier
par la douceur & la difcrétion ,
que par l'expérience qu'il paroît avoir
acquife dans ces fortes de maladies .
IDÉES SUR MOLIÈRE.
Cette efquifle fut préfentée à l'académie:
lorfqu'onypropofa l'éloge de ce grand hom
me. L'auteur ( M. de la Harpe trop occupé
alors de travaux d'une autre eſpèce ,
ne put s'engager à traiter cet important
fujet dans la forme & avec l'étendue con
134 MERCURE DE FRANCE.
venables. Mais, pour payer fon tribut comme
un autre àla mémoire de Molière , il
jeta fur le papier quelques idées qu'il n'auroit
pas envoyées à l'académie s'il n'avoit
cru que tout ce qui regardoit Molière appartenoit
dans ce moment au corps illuftre
qui lui rendoit unfi jufte hommage. Cette
ébauche fut traitée beaucoup plus favorablement
que l'auteur ne l'efpéroit , & obtint
la première place après le beau difcours
de M. de Champfort , quifut couronné par
l'Académie &par le Public.
L'éloge d'un écrivain eft dans les ouvrages.
Celui de Molière eft dans les ouvrages de les fuccefleurs
autant que dans les fiens . Des hommes
de beaucoup d'efprit & de talent ont travaillé
après lui , fans pouvoir ni lui reflembler ni l'atteindre.
Quelques- uns ont eu de la gaîté ; d'au
tres ont fait de beanx vers ; plufieurs même ont
peint des murs. Mais la peinture du coeur humain
a été l'art de Molière. C'eft la carrière qu'il
a ouverte & qu'il a fermée. Il n'y a rien en ce genre
, ni avant lui ni après.
Molière eft certainement le premier des philofophes
moraliftes. Je ne fais pas pourquoi Horace
, qui avoit tant de goût , veut auffi donner ce
titre à Homère. Avec tout le refpect que j'ai pour
Horace , en quoi donc Homère eft - il fi philofophe
? Je le crois grand poëte parce que j'apprends
qu'on recitoit fes vers après la mort & qu'on l'avoit
laidé mourir de faim pendant ſa vie. Mais je
creis auffi qu'en fait de vérités il y a peu à gagner
DECEMBRE. 1770. 135
avec lui . Horace conclud , de fon poëme de l'Iliade
, que les peuples payent toujours les fottifes des
Rois : c'eft la conclufion de la plupart des hiftoires.
Mais Molière eft , de tous ceux qui ont jamais
écrit , celui qui a le mieux obfervé l'homme fans
annoncer qu'il l'obfervoit ; & même il a plus l'air
de lefavoir par coeur que de l'avoir étudié. Quand
on lit fes pièces avec réflexion , ce n'eſt pas de
l'auteur qu'on eft étonné , c'eſt de foi-même .
Molière n'est jamais fin ; il eft profond , c'eſt - àdire
que lorsqu'il a donné fon coup de pinceau , il
eft impoffible d'aller au-delà . Ses comédies bien
lues pourroient fuppléer à l'expérience , non pas
parce qu'il a peint des ridicules qui paflent , mais
parce qu'il a peint l'homme qui ne change point.
C'eft une fuite de traits dont aucun n'eft perdu ;
celui- ci eft pour moi , celui-là pour mon voifin';
& ce qui prouve le plaifir que procure une imitation
parfaite , c'eft que mon voifin & moi nous
rions du meilleur coeur du monde de nous voir ou
fots , ou foibles ou impertinens , & que nous ferions
furieux fi on nous difoit d'une autre façon la
moitié de ce que nous dit Molière.
Eh ! qui t'avoit appris cet art , divin Molière ?
avois-tu lû quelque poëtique ? les vers d'Horace
& la prole d'Ariftote ont- ils pû t'infpirer une
fcène ? T'es- tu fervi de Térence & d'Ariftophane
comme Racine fe fervoit d'Euripide ; Corneille ',
de Guillen de Caſtro , de Calderon & de Lucain ';
Boileau , de Juvénal , de Perfe & d'Horace ? Les
anciens & les modernes t'ont- ils fourni beaucoup?
Il eft vrai que dans ton excellente farce de Scapin,
tu as pris à ce bon Cirano la feule idée vraiment
plaifante qu'il ait jamais eue ; que dans le
Milantrope tu as imité une douzaine de vers de
136 MERCURE DE FRANCE.
Lucréce ; que les Cannevas Italiens & les Romans
Efpagnols t'ont guidé dans tes premiers ouvrages
; mais n'eft- ce pas toi qui as inventé ce ſublime
Milantrope , le Tartuffe , les Femmes Savantes
& même l'Avare , malgré quelques traits de
Plaute que tu as tant furpallé ? Quel chef-d'oeuvre
que cette dernière pièce ! chaque fcène est une
fituation , & l'on a entendu dire à un avare de
bonne foi qu'il y avoit beaucoup à profiter dans
cet ouvrage , & qu'on en pouvoit tirer d'excellens
principes d'économie.
Et les Femmes Savantes ? quelle prodigieufe
création ! quelle richeffe d'idées fur un fonds qui
paroifloit fi ftérile ? Quelle variété de caractères !
qu'eft- ce qu'on mettra au- deffus du bonhomme
Chrifalde qui prêche toujours pour fon pôt , &
qui ne permet à Plutarque d'être chez lui que pour
garder les rabats & cette charmante Martine
qui ne dit pas un mot dans fon patois qui ne foit
plein de fens & de raifon ? Quant à la lecture de
Triflotin , elle eft bien éloignée de pouvoir perdre
aujourd'hui de fon mérite. Les lectures de fociété
retracent fouvent la fcène de Molière , avec cette
différence que les auteurs ne s'y difent pas d'injures
& ne fe donnent pas des rendez vous chez
Barbin ; ils font aujourd'hui plus fins & plus polis
, & en lavent beaucoup davantage.
❤
Oublierons- nous dans les Femmes Savantes un
de ces traits qui confondent ? C'eſt le mot de Vadius
qui , après avoir parlé comme Caton fur la
manie de lire fes ouvrages , met gravement la
main à la poche , en tire le cahier qui probablement
ne le quitte jamais : voici de petits vers. C'eft
un de ces endroits où l'acclamation eſt univerſelle.
DECEMBRE. 1770. 137
Combienj'ai vu de fpectateurs faifis d'une furpriſe
très - réelle ! ils avoient pris Vadius pour le fage de
la pièce.
Ces fortes de méprifes font ordinairement des
triomphes pour l'auteur comique. Ce fut pourtant
une méprife femblable qui fit tomber le Mifantrope.
Il eft dangereux en tout genre d'être trop
au- deffus de fes juges , & Racine s'en apperçut
dans Britannicus . On n'en favoit pas encore aflez
pour trouver le fonnet d'Oronte mauvais . Ce fonnet
d'ailleurs eft fait avec tant d'art , il reffemble
fi fort à ce qu'on appelle de l'efprit , il réuffiroit
tant aujourd'hui dans des foupers qu'on appelle
charmans , que je trouve le parterre excufable de
s'y être trompé. Mais , s'il avoit été aflez raiſonnable
pour en favoir gré à l'auteur , je l'admirerois
prefque autant que
Molière.
Après tout , cette injuftice du parterre nous a
valu le Médecin malgré lui . Molière , tu riois
bien , je crois , au fond de ton ame d'être obligé
de faire une bonne farce pour faire pafler un chefd'oeuvre.
Te ferois - tu attendu à trouver de nos
jours un cenfeur rigoureux qui reproche amèremenr
àton Milantrope de faire rire ? Il ne voit
pas que le prodige de ton art eſt d'avoir montré le
Milantrope de manière qu'il n'y a perfonne , excepté
le Méchant , qui ne voulut être Alcefte avec
fes ridicules . Tu honorois la vertu en lui donnant
une leçon , & Montaufier a répondu il y a longtems
à l'orateur Genévois .
Eft- il vrai qu'il a fallu que tu fiffes l'apologie
du Tartuffe Quoi ! dans le moment où tu t'élevois
au- deſſus de ton art & de toi - même , au lieu
de trouver des récompenfes , tu as rencontré la
138 MERCURE DE FRANCE.
perfécution ! A - t-on bien compris même de nós
jours ce qu'il t'a fallu de courage & de génie pour
concevoir le plan de cet ouvrage & l'exécuter dans
un tems où l'hypocrffie , tenoit fouvent lieu de
mérite C'est dans ce tems que tu as entrepris de
porter un coup mortel à l'hypocrifie qui , en effet,
ne s'en eft pas relevée. C'eſt un vice qui n'eft plus
de mode , & c'est beaucoup ; le meilleur fermon
fur l'hypocrifie , fût - il de Tartuffe lui - même ,
n'en auroit pas fait autant.
Qu'est- ce qui a égalé Racine dans l'art de peindre
l'amour c'eft Molière. Voyez les fcènes des
amans dans le Dépit amoureux , premier élan de
fon génie. Dans le Tartuffe , entendés Alcefte s'écrier,
ah ! traitreffe ! quand il ne croit pas un mot
de toutes les proteftations d'amour que lui fait
Céliméne , & que pourtant il eft enchanté qu'elle
les lui faffe ; relifez toute cette admirable ſcène
où deux amans viennent de fe raccommoder , &
où l'un des deux , après la paix faite & fcéllée ,
dit pour première parole ,
Ah! çà , n'ai -je pas lieu de me plaindre de vous ?
Revoyez cent traits de cette force , & fi vous avez
aimé , vous tomberez aux genoux de Moliere , &
vous direz avec Sadi , voilà celui qui fçait comme
On aime.
Qu'est-ce qui a égalé Racine dans l'art des vers ?
Qu'est- ce qui a un auffi grand nombre de ces vers
pleins , de ces vers nés , qui n'ont pas pû être autrement
qu'ils ne font , qu'on retient dès qu'on
les entend , & que le lecteur croit avoir faits ? C'eſt
encore Moliere. Quelle foule de vers charmans !
DECEMBRE . 1770 . 339
quelle facilité ! qu'elle énergie ! fur- tout quel naturel
! ne ceffons de le redire ; le naturel eft le
charme le plus fûr & le plus durable ; c'eft lui qui
fait vivre les ouvrages , parce que c'eft lui qui les
fait aimer ; c'eſt le naturel qui rend les écrits des
anciens fi précieux , parce que, maniant un idiome
plus heureux que le nôtre , ils fentoient moins le
befoin de l'efprit ; c'eft le naturel qui diftingue le
plus les grands écrivains , parce qu'un des caractères
du génie eft de produire fans effort ; c'eft le
naturel qui a mis la Fontaine qui n'inventa rien à
côté des genies inventeurs ; enfin c'eſt le naturel
qui fait que les lettres d'une mère à fa fille ſont
quelque chofe , & que celles de Balzac , de Voiture
, & la déclamation & l'affectation en tout
genre font , comme dit Sofie , rien ou peu de
chofe.
Les Crifpins de Regnard , les Païfans de Dancourt
font rire au théâtre. Dufréni étincelle d'efprit
& a une tournure originale ; le Joueur & le
Légataire font de beaux ouvrages ; le Glorieux ,
la Métromanie & le Méchant ont des beautés d'un
autre ordre. Mais rien de tout cela n'eft Moliere .
Il a un trait de phyfionomie qu'on n'attrape point
& que même on ne définit guères . On le retrouve
jufques dans fes moindres farces qui ont toujours
un fond de vérité & de morale. Il plaît autant à
la lecture qu'à la repréfentation , ce qui n'eft arrivé
qu'à Racine & à lui ; & même de toutes les
comédies , celles de Moliere font à peu près les
feules que l'on aime à relire. Plus on connoît Moliere
, plus on l'aime. Plus on étudie Moliere ,
plus on l'admire. Après l'avoir blâmé fur quelques
articles , on finit par être de fon avis ; c'eft
140 MERCURE DE FRANCE .
qu'alors on en fait davantage. Les jeunes gens
penfent communément qu'il charge trop. J'ai entendu
blâmer le pauvre homme répétés ſi ſouvent ;
j'ai vu depuis précisément la même ſcène & plus
forte encore , & j'ai compris qu'on ne pouvoit
guères charger ni les ridicules ni les paffions.
Moliere eft l'auteur des hommes mûrs & des
vieillards . Leur expérience fe rencontre avec les
obfervations , & leur mémoire avec fon génie. Il
obfervoit beaucoup ; il y étoit porté par fon caractère
, & c'eft fans doute le fecret de fon art. Il
étoit trifte & mélancolique cet homme qui a écrit
fi gaiment ; que le génie eft entouré deprivations
& defardeaux ! Ceux dont il confidéroit les travers
& les foibleffes étoient fouvent bien plus
heureux que lui. J'en excepterois les jaloux , s'il
ne l'avoit pas été lui- même.
Moliere jaloux lui qui s'eft tant mocqué de
la jalousie ! Eh ! oui , comme les médecins qui recommandent
la fobriété & qui ont des indigef
tions ; comme les hommes fenfibles qui préchent
Findifférence. Chapelle préchoit auffi Molière ; il
lui reprochoit fa jaloufie . Vous n'avez donc pas
aime , lui dit l'homme infortuné qui aimoit.
Il aima fa femme toute la vie , & toute fa vie
elle fit fon malheur. Il eft vrai que lorsqu'il fut
mort elle parvint à lui obtenir la fépulture . Elle
demandoit même pour lui des autels . Cela fait
fouvenir des Romains qui mettoient leurs empereurs
au rang des dieux , quand ils les avoient
égorgés.
Il fit trente & une pièces de théâtre dans l'efpace
d'environ vingt ans , & pas une d'elles ne
keflemble à l'autre. Il étoit cependant à la fois auDECEMBRE.
1770. 141
teur , acteur & chef de troupe. Il fut toujours
bien venu du Roi & confidéré des honnêtes gens .
Ce n'eft pas ici le lieu de difcuter l'opinion qui
flétrit la profeffion de Moliere , parce qu'il n'y a
point de profeffion que fon génie ne puiffe ennoblir,
que cette opinion tient à des queſtions délicates
, que les grands talens & les bonnes moeurs fee
ront toujours au -deffus de toute condition & que
ce n'eft pas trop la peine de parler du refte.
On lui a reproché de trop négliger fa langue ,
& on a eu raifon. Il auroit fûrement corrigé fes
ouvrages , s'il avoit eu plus de loifir , & fi fa laborieufe
carrière n'avoit pas été bornée à cinquante-
trois ans. On lui a reproché encore fes
mauvais dénoumens. Mais quand le plaifir du
fpectateur n'eft pas fondé fur l'intérêt , qu'importe
le dénoument ? Divertiffez pendant cinq actes &
amenez un mariage comme il vous plaira , je garantis
le fuccès.
Il eut des ennemis acharnés. Ils firent des pièces
contre lui , & il en fit contre eux . Je ne connois
guères que les gens de lettres à qui l'on recommande
expreflément de ne point fentir les injures.
Dans tout autre état la vengeance eft prefque
un devoir , & l'on feroit un crime de l'infene
abilité. Il faut abfolument qu'on regarde les gens
de lettres comme les premiers des hommes ou
comme les derniers .
On le plaint qu'on ne travaille plus dans le genre
de Moliere. Je pense qu'on a bien fait d'en eflayer
d'autres. Le champ où il a moiflonné eft
moins vafte qu'on ne l'imagine , & quand il refteroit
quelque coin où il n'auroit pas porté la
main , on craindroit encore de fe trouver dans
fon voifinage. La difpofition des efprits eft autre
142 MERCURE DE FRANCE.
que dans le fiécle paffé. Nous fommes au moment
de la fatiété , & nous voulons des émotions forres.
Nos moeurs font plus corrompues & nous
aimons qu'on nous parle de vertu . Nos moeurs
font plus raffinées & la fatyre eft exercée avec tant
d'art dans la fociété qu'elle paroîtroit froide fur
la fcène. Les contes font aujourd'hui ce que nous
aimons le mieux . La Chauflée nous en a faits qui
font intéreffans & bien écrits . Tout le monde alloit
pleurer à fes pièces , & tout le monde diſoit ,
pourquoi ne nous fait -il pas rite ? Et perfonne ne
le difoit plus haut que ceux qui ne favoient ni
faire rire ni faire pleurer. Du tems de Moliere
beaucoup de philofophes faifoient des contes.
Moliere feul faifoit de la philofophie fur le théâtre.
Aujourd'hui que les philofophes nous difent
quelques vérités , il faut que les contes revien
nent fur la fcène. C'eft le genre le plus fécond qui
nous refte , & fi Moliere avoit vu l'Ecole des Mères
& Mélanide , il auroit crié : Courage , la Chauf
fée.
Il étoit d'un caractère doux & de meurs
pures.
On raconte de lui des traits de bonté . Il étoit
adoré de fes camarades , quoiqu'il leur fît du bien,
& il mourut prefque fur le théâtre pour n'avoir
pas voulu leur faire perdre le profit d'une repréfentation.
Il écoutoit volontiers les avis , quoique
probablement il ne fit pas grand cas de ceux
de fa fervante. Il encourageoit les talens naiflans.
Le grand Racine alors à fon aurore lui lût une
tragédie . Moliere ne la trouva pas bonne , & elle
ne l'étoit pas ; mais il l'exhorta à en faire une autre
& lui fit un préfent. C'étoit voir mieux que
Corneille qui exhorta Racine à faire des comédies
& à quitter le tragique .
DECEMBRE . 1770. 143
Moliere n'étoit point envieux . De grands hommes
l'ont été. Ce fut lui qui ramena la cour & la
ville aux Plaideurs qui étoient tombés . Il étoit
alors brouillé avec Racine , avec qui on ſe brouilloit
facilement.. Ce moment dût être bien doux à
Moliere .
Cet homme qui fut un grand poëte , un grand
philofophe , & le premier des comiques de tous
les fiécles , mourut avant le tems & obtint à peine
la fépulture. Il ne fut point membre de la compa
gnie littéraire qui lui décerne aujourd'hui un éloge
, & fon nom ne mourrajamais..
S'il s'élevoit parmi nous dans la fuite un auteur
comique qu'on pût lui oppofer , c'eft que nos
moeurs feroient devenues plus fortes , & que cet
auteur auroit encore plus de génie que lui .
Avis au Public fur les ouvrages du
P. Avrillon .
Defpilly , libraire , rue St Jacques , à la
croix d'or , donne avis qu'il vient d'acquérir
tous les ouvrages du P. Avrillon ,
minime, qui fe vendoient précédemment
chez la Veuve Pierres , rue Saint-Jacques ,
fçavoir ;
Méditations fur la fainte Communion ,
in- 12.
Conduite pour paffer faintement le Carême
, in 12.
Conduite pour paffer faintement les octa144
MERCURE DE FRANCE .
ves de la Pentecôte , du St Sacrement
& de l'Affomption , in - 12.
Conduite pour paffer faintement l'Avent ,
in-12 . &c.
Il a acquis de M. le Mercier,
Le Combat Spirituel , dans lequel on
trouve les moyens les plus fürs pour
vaincre fes paffions , &c.
Le même libraire ayant pareillement
acquis nombre d'exemplaires des Sermons
du P. Chapelain , 6 vol . in- 12 , offre de
les donner au Public , de ce jour juſqu'au
15 Janvier de l'année prochaine 1771 ,
pour la fomme de 6 l . 12 f. en feuilles .
7 4 brochés.. Et de
Paffé lequel tems il les vendra 15 liv.
en feuilles.
LETTRE de M. de Rozoi , fur le Journal
Helvétique .
Comme plufieurs perfonnes étoient inftruites
que je travaillois à l'article des Nouvelles Littéraires
de la France , inféré chaque mois dans le
Journal Helvétique , c'eft une raiſon pour moi
de vous prier de rendre publique cette lettre . J'ay
ceflé d'y travailler , & j'rnnonce qu'à comiǹencer
DECEMBRE. 1770. 145
cer du Journal du mois de Septembre dernier , je
n'y ai aucune part. Cette réclamation a pour
objet de prévenir fur mes fentimens les perionnes
nommées dans le volume de ce mois en
fuppofant qu'elles cruffent avoir à fe plaindre
de ce qu'il contient.
Je fuis , &c.
DE ROZOT.
>
Lacombe , Libraire à Paris , eft pareillement
étonné que fon nom ait été mis , fans fon aveu ,
à ce Journal , & déclare qu'il ne fe charge point
des foufcriptions annoncées dans le Profpectus ,
ni du débit , malgré l'adreſſe indiquée chez lui .
LETTRE de M. Grofley , à Troyes , fur
M. Garrick , auteur de Londres.
J'eufle été moi - même , Monfieur , le Champion
de M. Garrick , contre tout homme qui auroit été
capable de lui impofer quelque fait attentatoire à
fon honneur : mes fentimens pour lui vous font
connus par l'affection avec laquelle j'ai parlé ( 1 )
du monument qu'il a confacré à Sackhefpéar , par
le détail où je fuis entré à ce fujet , fur les qualités
perfonnelles , enfin par la vivacité de mes regrets
de ne l'avoir point vû au théâtre , & de n'avoir pû
mêler mes applaudiflemens à ceux dont le comble
( 1) Londres , tom. 1 , p. 346 & ſuiv.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
une nation qui l'eftime autant qu'elle le chérit. (1)
Avec ces fentimens pour lui , je me trouve
coupable de lui avoir , fur un faux rapport , impofé
un fait qui compromet fon honneur dontil
doit être d'autant plus jaloux , que fon état en
Angleterre n'eft point regardé de même oeil qu'en
d'autres pays. J'ai dit qu'à la fuite d'une émeute à
outrance, au théâtre de Drury - lane, on avoitexigé
de lui qu'il demandât pardon à genoux & qu'il
l'avoitfait (2 ).
J'avois fenti tout l'excès ou plutôt toute l'atrocité
de cette exaction ; j'aurois dû fentir l'impoffibilité
du fait & ſon incohérence avec l'état de
M. Garrick , & rejeter le témoignage d'après lequel
je l'ai rapporté. Mais il entroit dans les motifs
de patience & de courage dont j'avois befoin
contre les injures , les grimaces & les geſtes menaçans
que j'avois à effuyer à chaque inftant de la
part du peuple de Londres : raflemblant tous les
exemples que j'ai rapportés de l'infolence de cette
canaille. Si , difois - je , elle eft en poffeffion d'en
uler ainfi avec fon Roi , avec un maréchal de
Saxe , avec un M. de la Condamine , avec un
» M. Garrick , je dois remercier le Ciel de ce
» qu'elle veut bien en ufer auffi béniguement avec
moi.
ל כ
сс
Je ne puis maintenant douter de l'illufion où'
m'a jeté ma fituation , en me faifant adopter un
rapport dont la faufleté infinuée par la lettre anonyme
publiée dans votre dernier Mercure fe
trouve autentiquement confirmée par des lettres
( 1 ) Ibid. tom. 3 , p. 95 & tom. 1, p. 89 .
(2) Londres , tom. 1 , p. 91 .
"
DECEMBRE. 1770. 147
que j'ai reçues d'Angleterre , & par une lettre dont
M. Garrick lui-même vient de m'honorer fous la
datte du 24 Septembre dernier.
Il m'y fait part de la furpriſe où l'a jeté cet article
de Londres ; il entre enfuite dans le détail du
fait qui ſe réduit , à fon égard , à s'être retiré, dès
que l'émeute eut interrompu le fpectacle , & à
avoir abandonné la place aux aflaillans . Il ajoute
que la fufpenfion du moitié prix qui avoit donné
lieu à l'émeute , n'étoit point propolée comme loi
générale pour l'avenir , mais feulement comme
un moyen d'indemnité des frais faits par les directeurs
& entrepreneurs pour remettre une ancienne
pièce ; que les fupports de l'écuffon de la loge du
Roi n'avoient été lancés fur le théâtre qu'après
que la toile fut baiffée ; enfin , que l'émeute au
théâtre de Heï- Marquet dont je parle au même
article fut occafionnée , non par un Italien , mais
par une perfonne de la première diftinction qui fe
plaît à de pareilles plaifanteries & qui avoit pouffé
celle-là jufqu'où elle pouvoit aller.
Et ces fautes & d'autres que je puis & dois avoir
commifes fur des rapports ou mal faits par les
Anglois que je queftionnois , ou mal faifis par
moi , trouveront leur correction dans les obfervations
que j'attens de M. de Nugent. En remerciant
ce lavant de l'honneur qu'il a fait à nos
Gentilshommes Suédois , en donnant de leur courfe
en Italie , une traduction de main de maître , à
ce que l'on m'a afluré , & quant à ce que je fuis
en état d'y voir , magnifiquement imprimée , je
l'ai prié de foumettre le Londres à l'examen d'un
comité formé entre lui & fes amis , lequel prendra
en confidération toutes les erreurs de fait qui
m'ont été fuggérées par des informations on mal
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
données ou trop légerement faifies ; & point dy
tout par le projet que me fuppofe la lettre anony
me inférée au Mercure , de ne rien laifler à dire
fur l'Angleterre à ceux qui viendroient parla fuite
: Suppofer à un écrivain borné à trois petits vo-
James un projet de cette espèce , c'eft homines ex
ftultis infanos facere.
L'ufage que je me promets de faire des obfer
vations de M. de Nugent & de toutes celles qui
me feront données à bonne intention , procurera
à M. Garrick la réparation que je lui dois & que
je lui ferois auffi à genoux , fi cela ne reflembloit
pas un peu trop à une des fcènes les plus fameufes
de notre théâtre françois , fcène dont les perfonnages
ne font faits ni pour M. Garrick ni pour
moi.
La manière dont M. de la Condamine en a uſé
avec moi , fur ma réponſe à la lettre inférée au
Mercure du mois de Juillet dernier , m'eft un au
gure , un préfage & un garant de la faveur que
trouvera cetre explication auprès de M. Garrick
Au moyen de celle que j'ai eue avec M.de la Con
damine que je n'avois point l'honneur de connoî
tre , je puis dire avec le Chérés de Térence :
Sæpè ex iftius modi re quápiam & ex malg
principio , magnafamiliaritas conflata eft.
DECEMBRE. 1770. 149
QUESTION.
Sçavoir fi jamais il y a eu un peuple qui ſe
foit nourri de chair humaine & quel étoit
ce peuple ? ... Les hiftoriens anciens &
modernes , parlent toujours d'Antropo
phages , & l'on defireroit fçavoir fi cette
antropophagie eft naturelle ou accidentel
le ; en un mot , s'il eft certain que la
nourriture de quelques peuples ait été la
chair humaine ?
MONTRE A CARILLON.
LE Sr Ranfonet , horloger à Nanci , a eu l'honneur
de préfenter à S. A. R. le Prince Charles de
Lorraine , au château de Marimont , une montre
de poche de la forme & de la grofleur ordinaires .
dans laquelle il a placé un inftrument de fon invention
, qui joue à volonté un air en duo avec
toute la jufteffe & la précifion qu'on peut defirer.
Le fon en eft très - agréable , très - diftinct , & peut
être entendu de l'extrêmité d'une chambre à l'autre.
L'harmonie en eft accélérée ou ralentie par un
régulateur , & toutes les pièces de ce petit inftru
ment font diftribuées avec tant d'art , qu'elles ne
gênent en aucune manière le mouvement de la
montre qui eft à cylindre . L'accord une fois fixé
me peut s'altérer par aucune influence du froid , du
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
chaud, de la fécherefle ni de l'humidité ; & cet inftrument
eft à l'abri de tous les inconvéniens de la
tenfion des cordes & de l'action des corps qui les
frappent ou les ébranlent.
Cette invention ingénieuſe a mérité au Sr Ran
fonet les éloges & l'approbation de l'académie
royale des fciences de Nanci , qui l'a fait examiner
par deux de fes membres, & Son Altefle Royale
qui fait apprécier les talens & les arts qu'Elle cultive
Elle inêine avec tant de goût , a reçu & recompenté
d'une manière digne d'Elle l'hommage
que cet artifte eft venu lui faire d'une production
auffi nouvelle que fingulière , qui peut fournir des
lumières pour la confection de pendules auxquelles
on pourroit adapter de femblables inftrumens,
bien préférables aux carillons , & même pour la
conftruction des clavecins d'un volume portatif
exemts des inconvéniens fans nombre auxquels
font fujets les clavecins ordinaires.
S. A. R. le Prince Charles de Lorraine a fait préfent
de cette montre à Madame la Dauphine fon
augufte nièce.
SPECTACLES.
CONCERT
E
SPIRITUEL.
Le jeudi , premier Novembre 1770 , il
y a eu concert fpirituel , dans lequel on a
Zonné d'abord une fymphonie ; enfuite
Requiem æternam tiré de la meffe de GilDECEMBRE
. 1770 . 151
C
les. On a fort applaudi à l'exécution de
Mlle de Villeneuve qui a joué avec légé-
-reté & préciſion fur la mandoline un concerto
de M. Stritzeri . Cette virtuofe fe
propofoit de jouer un concerto fur le claveffin
, mais les arrangemens du concert
ne le lui ont pas permis . M. Strizzeri
habile compofiteur , a joué avec beaucoup
d'applaudiffemens un concerto de violon.
M. l'Abbé Platel a chanté avec goût un
motet agréable à voix feule de la compofition
de M. l'Abbé Girouft . M. de
Châteauvieu,, que la beauté & l'étendne
de fon organe a fait admirer fur le théâtre
de l'opéra , a reçu de nouveaux fuffrages
, au concert fpirituel , dans le motet
Ufquequò de Mouret . Le concert a fini
par le beau De profundis de M. d'Auvergne
, furintendant de la mufique du Roi .
t
OPĚRA.
L'ACADÉMIE royale de mufique continue
les repréſentations d'Ajax . Mlle Durancy
a remplacé Mlle Duplant dans le
rôle de Caffandre , & a été fort applaudie
pour l'intelligence & l'expreffion de fon
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
jeu . Mlle d'Hauterive a chanté le rôle de
la Prêtreffe , dans lequel elle n'a pas eu
moins de fuccès que Mile de Châteauvieux
.
Mlle Niel a danfé l'entrée de Mile
Heinel , & a paru avec tout l'éclat d'un
talent diftingué que des progrès rapides
placent déjà au premier rang.
On a remis Zaïre au théâtre pour les
repréſentations des jeudis . Cet opéra eft
remis conformément au compte que nous
en avons donné dans le tems , à l'exception
du pas de deux au fecond acte , exécuté
à cette reprife par M. Simonin & par
Mile Duperay qui y font fort applaudis,
On répéte Ifmène & Ifmenias , tragédie
en trois actes. Nous en parlerons dans le
Mercure prochain.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le famedi , 10 Novembre , les Comïédiens
François ont donné une repréſentation
de Florinde , tragédie nouvelle de
M. le Fevre , auteur de Cofroès .
Le comte Julien s'eft retiré chez les
Maures pour les foulever contre l'Eſpa
DECEMBRE. 1770. 353
gne, fa patrie , & fe venger de l'affront
que le Roi Rodrigue a fait à fa fille . Les
Maures , conduits par un tel chef , portent
la défolation dans l'Efpagne ; ils font
prifonnière la fille de Julien fans la connoître.
Florinde , depuis long- tems féparée
de fon père , eft dans les fers , &
lui laiffe ignorer fon nom . Cette fille
brule d'amour pour fon raviffeur & craint
de lailer pénétrer le fecret de fa paffion
au plus cruel ennemi de fon amant, Cependant
Julien fent une tendre pitié pour
fa prifonnière ; il veut foulager fes ennuis
; tant de bontés font naître dans le
coeur de fa fille des fentimens de tendreffe
que l'intérêt de fon amour la force encore
de cacher. Rodrigue , fon roi & fon
samant , vient fous le titre d'un député
propofer aux chefs des Maures l'échange
de leur prifonnière avec cent captives de
leur nation . Julien eft chargé de répondre
au député. Il retrouve en lui fon roi,
dont il reçoit & repouffe les reproches.
Ce père eft prêt à oublier fon offenſe &
fa vengeance , fi Rodrigue confent à lui
rendre fa fille & à l'obtenir enfuite de
lui - même. Rodrigue foupçonnant un
piége dans cette demande , & affuré qu'il
n'a point reconnu fa fille dans fa prifon-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
nière , forme le projet de l'enlever ou de
périr. Cette amante veut envain combattre
la réfolution de fon époux & céde enfin
à fes voeax. Leur complot eft découvert.
Julien déclare la trahifon de cette pri
fonnière & la perfidie du député au confeil
des Maures ; il eft chargé de leur
fort. La prifonnière dévoile alors le myftère
de fa naiffance , & ce père attendri
ne fonge plus qu'aux moyens de tromper
les Maures pour leur dérober ces victimes
de leur vengeance ; il veut faire à
la fois le bonheur de fa fille dont il connoît
l'amour , & fatisfaire fon Roi dont
le repentir l'a fatisfait. Mais il a promis
fa fille au chef des Maures pour le prix
de fes fervices , & il ne peut fans danger
trahir ouvertement fes promeffes. Il diffimule
même avec fa fille & fon Roi pour
mieux les fervir ; il feint de mener les
Maures au combat , ayant foin de fe faire
accompagner principalement par les
Efpagnols qui l'ont fuivi. Rodrigue , trahi
par fes troupes , fe voyant hors d'état de
réfifter , & craignant de tomber dans les
mains de Julien qu'il regarde toujours
comme le plus cruel de fes ennemis ,
poignarde fon amante dans le tems même
où Julien vient l'offrir à fon Roi
DECEMBRE. 1770. 355
comme le
gage
de fa foumiffion. Rodri
gue ne peut foutenir l'horreur de fon crime.
Il entre en fureur à la vue du bonheur
dont il s'eft privé au moment d'en
jouir , & fe tue.
Cette tragédie a été retirée après la
première repréfentation , & n'a pas même
été achevée .
M. Molé a joué le rôle de Rodrigue.
M. Brizard , celui de Julien. Mde Veftris
a repréſenté Florinde ; Mde Molé , le
rôle de confidente .
Les Comédiens François ont repris le
mercredi , 21 Novembre , Beverley ou le
Joueur Anglois , pièce en cinq actes & en
vers par M. Saurin . Ce fpectacle a attiré
beaucoup de monde ; il offre le tableau
terrible de la paffion effrenée du jeu , &
des malheurs qui en font les fuites faneftes.
M. Molé rend le rôle de Beverley &
fes fureurs avec cette énergie , & ce feu
d'expreffion qui caractériſe fi fapérieurement
fon talent .
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné le
31 Octobre la première repréfentation de
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
la
l'Indienne. , pièce en un acte mêlée d'a
rietres ; paroles de M. Eamery ; muſique
de M. Cifanelli , qui , par ce coup d'effai ,
annonce qu'il eft en état de donner par
fuite des airs agréables & chantans. L'auteur
du poëme a tiré fon fujet de l'uſageodieux
qui force , dans plufieurs contrées
de l'Inde , les veuves à mêler leurs cendres
à celles de l'époux qu'elles viennent de
perdre ; mais il fuppofe que les hommes
fans y être également contraints , fe dévouent
quelquefois auffi volontairement
, furtout les prêtres qui font ce facrifice
, & qui ont intérêt de foutenir cette
cérémonie. L'auteur, fuppofe encore
qu'un Grand Prêtre, qui fe dévoue ,
foit par orgueil , foit par politique , à cette:
coutume barbare , peut fauver la vie à
une veuve deſtinée au bucher , en s'unif
fant à elle par un nouveau mariage. C'eſt
fur cette fable que porre la pièce dont
l'heroïne eft une jeune indienne qui préfere
de donner la main à un vieux Bonze
plutôt que de donner fa vie pour un époux.
quin'eft plus.Lesagaceries qu'elle emploiepour
fe faire époufer, ou plutôt pour échapper
au bucher, ont paru choquer le public
qui n'a voulu juger cette demarche que
d'après la bienséance de nos moeurs qui ne
permet pas à une femme de fe jetter àla
DECEMBRE. 1770. IST
tête d'un homme , fans vouloir entendre
que le voeu de la nature permet encore
moins de fe jeter dans le feu , pour fatisfaire
à la bienféance des meurs d'un autre
pays ; c'eft en général notre défaut de vouloir
tout comparer à nos ufages ;, tout af
treindre à notre routine , tout méfurer à
notre patron ; ce qui a encore contribué
au peu de fuccès de l'Indienne , c'eſt que
La plupart des fpectateurs avaient , fans
doute , efperé trouver une critique de la
tragédie que le théâtre françois a donnée
fur le même fujet , mais la véritable caufe:
du peu de réuffite de l'un & de l'autre
drame eft le fond fur lequel ils ont été
traités , trop éloigné de nos idées . Ce fait
tout hiftorique qu'il eft ne nous a préfenté
qu'un ufage en même temps atroce & ri
dicule , également incapable d'exciter nos
larmes & nos ris.
On a donné fur le même théâtre , le
lundi 26 Novembre la première repréfentation
de Thémire paftorale en un acte
mêlée d'ariettes . Les paroles font de M.
Sedaine & la mufique de M. Duni ..
Themire craint l'amour, mais elle eſt très--
fenfible à l'amitié de Timanthe. Palemon:
pète de Themire favorife les voeux du
berger. Il lui confeille de feindre d'aimer
158 MERCURE DE FRANCE.
Doris , & de vouloir l'époufer. La jaloufie
découvre bientôt l'amour dans le coeur
de Themire, & malgrè les fermens qu'elle
a fait jurer au berger de n'être fenfible
qu'à l'amitié , elle lui permet aufli d'avoir
de l'amour , à condition qu'il n'aimera
pas Doris. Cette paftorale eft imitée
d'une églogue de M. de Fontenelle . Il
y a de la fineffe de fentimens & d'expreffions
; mais le jeu eft peu favorable à l'action
du théâtre & à la mufique : cependant
M. Duni a compofé des chantsagréa
bles & variés autant que les fentimens
qu'il avoit à exprimer ont pu
le permettre.
Il n'y a que trois rôles dans cette paſtorale
, parfaitement rendus par Mde
la Ruette , par Meffieurs Caillot & Clairval.
ACADÉMIES.
I.
Rentrée de l'Académie des Infcriptions.
L'ACADÉMIE Royale des Infcriptions
& Belles- Lettres a tenu fa féance publique
le Mardi 13 du préfent mois. Le
DECEMBRE . 1770. 149
prix , dont le fujet étoit » Quels font les
» noms & les attributs de Jupiter » ? a
été remporté par M. l'Abbé la Blond .
M. le Beau a lu l'éloge de M. Bonami
: enfuite M. du Theil a lu un mémoire
fur une ode de Callimaque , en
l'honneur d'Apollon Carnéen .
J
M. de Sigrais a lu une diſſertation fur
le génie militaire des Gaulois .
La féance a été terminée par des obfervations
de M. l'Abbé Belley fur l'hiſtoire
& fur quelques médailles de Drufus Céfar
, fils de l'Empereur Tibère.
L'Académie avoit propofé , pour le
prix qui devoit être donné dans l'affemblée
de Pâque de la préfente année 1770,
l'Examen critique des anciens Hiftoriens
d'Alexandre le Grand ; elle a jugé à propos
de remettre le prix , & propofe le
même fujet pour l'affemblée de Pâques
1772.
Le prix fera double , confiftant en deux
Médailles d'or , chacune de la valeur de
quatre cents livre.
Toutes perfonnes , de quelque pays &
condition qu'elles foient , excepté celles
qui compofent l'Académie , feront admifes
à concourir pour ce prix , & leurs
ouvrages pourront être écrits en François
ou en Latin , à leur choix .
166 MERCURE DE FRANCE.
1
Les Auteurs mettront fimplement
ane Devife à leuts ouvrages ; mais , pour
fe faire connoître , ils y joindront dans
an papier cacheté , & écrit de leur propre
main , leurs nom , demeure & qualités
, & ce papier ne fera ouvert qu'après
Fadjudication du prix .
Les pièces , affranchies de tout port ,
feront remifes entre les mains du Secré
raire de l'Académie , avant le premier
Décembre 1771.
Rentrée de l'Académie royale des Sciences.
Le Mercredi 14 Novembre l'Académie
Royale des Sciences a tenu fon affemblée
publique , dans laquelle on a
fait les lectures fuivantes :
Eloge de M. l'Abbé Chappe , Altronome
, décédé dans fon voyage en Californie
au cap S. Lucar , où il étoit allé
faire fon obfervation du dernier paffage
de Vénus fur le diſque du ſoleil , par M.
de Fouchi.
On a été inquiet de favoir G M. l'Abbé
Chappe avoit pu faire fes obfervations ,
& les rédiger. Mais M. Baudouin , Maître
des Requêtes , a remis à M. de
Fouchi , Secrétaire de l'Académie , un
Mémoire qu'il avoit reçu d'Espagne ,
DECEMBRE . 1770. 161
contenant le détail des obfervations de
M. l'Abbé Chappe , & il en a été fait
lecture dans cette féance.
M. Cadet à lu une analyfe qu'il a
faite conjointement avec M. Laffonne
d'une eau minérale de Roye en Picardie.
Le réſultat de cette analyſe eft que
cette eau contient une petite quantité de
fer , de terre calcaire , de terre alkaline de
la nature de la baſe du fel d'epfom , & un
peu de fel commun . Elle a cela de particulier
qu'elle ne contient point le fer dans
l'état de vitriol martial , & qu'elle ne contient
point d'acide vitriolique.
M. de Fouchi a lu l'éloge de M. l'abbé
Nollet , fameux phyficien , fi célèbre par
fes travaux académiques , par fes leçons
publiques , par fes ouvrages
& par
couvertes dans plufreurs parties de la phy .
fique.
fes dé-
Cet éloge a été fuivi de la lecture faite
par M. Lavoisier d'un mémoire contenant
l'analyse de l'eau avec des expériences
pour déterminer fi elle peut fe convertir
en terre. Il réfulte de ce mémoire que la
petite portion de matière terreufe que
f'on fépare de l'eau à chaque diftillation ,
quelque réitérées qu'elles foient , vient
des vaiffeaux mêmes dans lefquels on
162 MERCURE DE FRANCE.
fait la diftillation , & non de l'eau , comme
l'avoient penfé quelques phyficiens &
chymiftes.
! M. Portal a lu un mémoire fur les
moyens de reconnoître par le tact le fiège
de plufieurs maladies des vifcères du bas
ventre .
I I.
Ecole Vétérinaire.
Dans le cours du mois d'Octobre 1770 ,
les habitans des villages de Bolozon &
de Lantenay , province de Bugey , ont
été fortement alarmés d'une maladie qui
commençoit à attaquer les bêtes d- cornes ;
le Geur Brachet , artifte vétérinaire , bré .
veté par Sa Majefté , & établi dans cette
partie de la généralité de Bourgogne , eft
accouru fur le champ à leur fecours , & a
arrêté bien-tôt les progrès de ce fléau
d'autant plus effrayants , que fes ravages
dans des Provinces où l'on abandonne les
animaux aux foins des propriétaires ignorans
, font énormes ; vingt - deux bêtes à
cornes étoient mortes avant fon arrivée à
Lantenay ; il en a préfervé deux cens
quatre vingt ; il n'en eft mort aucune entre
fes mains , & il en a guéri fept dans
DECEMBRE. 1770. 163
la paroiffe de Bolozon ; deux étoient
mortes avant fon arrivée ; il en a guéri
douze , aucune n'eft morte entre fes
mains , & il en a préfervé cent treize.
C'est ce qui eft attefté dans cette paroiffe
par les certificats du fieur Ant.
Chambard , prêtre , des nommés Vinot ,
Faray , Charnod & Gouquet , habitans ;
& dans la première , par les certificats
des fleurs Peyrat , curé ; du fieur Revoue
& des nommés Peliffon & Jacques Ver
nay , fyndics.
I I I.
Académie étrangère.
La Société des fciences de Copenhague
a tenu fa féance publique le premier
Août 1769. On examina d'abord les differtations
envoyées au concours pour les
prix propofés en 1769 fur des fujets de
phyfique , mathématique & d'hiftoire.
il fut jugé que malgré le foin & le génie
avec lefquels deux differtations fur le
fujet de Phyfique : invenire optimam´anthliarum
incendiis compefcendis aptarum.
ftructuram , & c , étoient écrites , perfonne
cependant n'avoit rempli tout ce
qui étoit exigé pour atteindre le but propofé.
164 MERCURE DE FRANCE.
La folution du problème hiftorique ?
Profpicuè & nervosè ex monumentis médii
Evi , &c. n'a point paru plus fatisfai
fante.
Mais la queftion de mathématique :
num planetarum motus & c , a été traitée
fi folidement & fi amplement par M.
Frifius profeffeur de Milan que le prix
lui a été adjugé .
Comme aucun prix ne fut diftribué
pour les problèmes hiftoriques & phyfi
ques , il fut conclu dans une affemblée
du 11 feptembre , que les queftions fuivantes
feroient propofées , fçavoir pour
le prix de phyfique : Trouver la meilleure
manière de conftruire les pompes à in-
» cendie , deforte que la machine ait non-
» feulement dans toutes les parties une
" force fuffifante , mais encore qu'elle
»foit dans un jufte rapport avec les loix
» de l'hydraulique , & que les leviers
fur leurs foutiens s'adaptent de telle
façon aux poids & puffances , qu'elle
foit fimple , le moins fujette qu'il eft
poffible a des réparations , commode à
» être tranfportée & mife en action dans
les lieux les plus étroits , & enfin la
plus propre à éteindre le plus prompte-
» ment toutes fortes d'incendies , & c.
Invenire optimam antliarum incendiis com
"
"
พ
"
DECEMBRE. 1779, 165
pefcendis aptarum ftructuram , ita quidem
nt cylindri , emboli , communicantes tubi
, valvula , vafa , fi qua adfuerint
comprimendo aëri deflinata , epiftomia
conjuti è corioferpentes , iisdemque annexa
cochleæ & tubi ejectitii , &c. non juftum
tantum robur , fed & proportionem
Legibus hydraulicis convenientiffimam for
tiantur ; ut vectes fuis fulciti hypomo
cliis & fuftentaculis ita aptentur ponderibus
& potentiis ut integra machina aquis
hauriendis ejiciendisque inventa fimplex
fit & reparationis minus indiga , ut commodè
moveri poffit , per anguftiores pla
teas facilè transferri , & ad incendia quæ
vis felicius extinguenda cumfucceffu poffit
adhiberi.
Le même fujet avoit été propoſé l'année
dernière . Cette focièté demande
ceux qui voudront concourir pour le
fecond prix de phyfique : Si la direction
» du cours des fleuves ne doit s'attribuer
qu'au hazard & à la fituation des terres,
c'est - à- dire , à leur élévation ou à leur
pente , ou fi quelque caufe générale
les détetmine à couler vers un tel point
cardinal du monde plutôt que vers les
»
autres.
Num foli cafui & ficui , elevationifor
166 MERCURE DE FRANCE.
licet vel depreffioni terrarum per quas
fluunt adfcribenda fit directio fluviorum ;
aut verò detur quædam caufa generalis quæ
efficit ut potius verfùs plagam quamdam,
mundi Cardinalem , quàm verfus cæteras
mundi plagas curfu fuo tendant.
Sujets des prix d'hiftoire.
Première queſtion hiftorique déjà propofée
l'année dernière : » Demontrer par
les monumens du moyen âge & par
» les faits les changemens caufés par les
" croifades dans le commerce , les arts ,
» l'art militaire , les inftitutions & les
» moeurs de l'Europe , & furtout de l'Eu-
» rope feptentrionale.
Profpicuè & nervosè ex monumentis me-
'dii avi & reipsa oftendere quam mutationem
commerciis , fcientia bellica , artibus,
inftitutis , moribus Europa feptentrionalis
potiffimùm attulerint expeditiones cruciata
, recuperanda Paleſtine gratiâ , ſufcepta.
Seconde queftion hiſtorique : » déter-
» miner en quel temps & dans quelles occafions
& circonftances la fervitude a
» été abolie en Europe , fpecialement
» en Dannemark & en Norvège.
DECEMBRE .
1770.
167
Quo tempore , quibus
occafionibus &
cafibus fervitus
diminuta eft &
antiquata
in Europa ,
Specialiter in Daniâ & Norvegia.
Sujet du prix
unique de
mathématique .
» Il s'agit de
déterminer la nature des
» taches du foleil &
d'établir
furtout ,
» par des
obfervations
exactes & nou-
»
velles , fi elles font fixes &
parmanen-
» tes , ou fi elles fe
forment & ſe diffipent
fur la furface du foleil .
Determinare quid fint
macula
folares
imprimis verò ex
accuratis & novis obfervationibus
nùm fine
conftantes , an verd
in
fuperficie folis
generentur
atque intereant.
Les
Sçavans foit
étrangers , foit nationaux
, excepté ceux qui font
membres
de la
Société ,
pourront
envoyer au concours
des
Mémoires écrits en
Danois ,
Latin , François ou
Allemand , & non dans
d'autres
langues. Ils
ajouteront à leurs
Mémoires une dévife ou
fentence , & ils
joindront un billet cacheté qui contiendra
la
même devife avec leur nom &
leur adreffe. Les
ouvrages écrits très lifiblement
, doivent être remis , francs de
168 MERCURE DE FRANCE.
port , avant le mois de Novembre 1771
à M. Hielmftierne , Confeiller des conférences
du Roi & Sécretaire de la Société.
Le prix confifte en une médaille
d'or de la valeur de cent écus argent de
Dannemarck. Ils feront adjugés vers la
fin du mois de Janvier 1772. Les auteurs
qui fouhaiteront retirer les Traités
qu'ils ont envoyés au dernier concours ,
font priés de s'adrefler , pour cet effet ,
à M. Hielmftierne , ayant la fin de l'année
courante.
ARTS,
GRAVURE.
I.
Monarchie Françoife ou recueil Chronologique
des portraits de tous les
Rois & des chefs des premières famil
les , avec des notes hiftoriques fur
leurs vies & le coftume de leur temps ,
depuis Pharamond jufqu'à Louis XV
regnant. Par M. Gautier Dagoty le fils,
Peintre & Graveur du Roi . Dedié à la
Patrie , vol, in 4° . A Paris chez Gaurier
DECEMBRE. 1770. 169
vier Dagoty le fils , rue Ste Barbe ,
près de Bonnes - Nouvelles ; Quillau
libraire , rue Chriſtine.
LESEs amateurs qui ont accueilli les premiers
cahiers de la Galerie Françoise de
M. Gautier verront avec plaifir les nouveaux
efforts qu'à faits cet artifte pour mé
iter de plus en plus leur eftime. Le nou
vel ouvrage dont il fe promet de publier
fucceffivement les cahiers , contiendra
les portraits des Rois de France & ceux
des illuftres François dont les noms & les
a tions font chers à la patrie. Chaque gravure
fera fuivie d'un précis hiftorique
quirappellera les principaux faits de l'hiſ
toire de France . Comme l'objet de l'Auteur
eft auffi de nous inftruire du coftume
du temps , il gravera tous les portraits.
en pied , avec leurs habillemens ordinaires
; il y joindra quelques portraits des
Princeffes les plus proches de la Couronne
, tant pour nous faire connoître les
modes de leur temps , qu'à caufe de la
part qu'elles pourront avoir aux événemens
rapportés dans la partie hiſtorique
de l'ouvrage. Le premier cahier fe diftri
bue actuellement. Il eft compofé des portraits
de Pharamond , Clodion , Merovée ,
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Childeric I , Clovis I , Childebert I. On
publiera un autre cahier tous les deux
mois , qui fera également compofé de fix
fujets & de plufieurs feuilles d'impreffion
felon l'étendue des matières . Il coû
tera 9 liv , broché pour les foufcripteurs
& 12 liv. pour ceux qui n'auront pas
foufcrit . On peu s'abonner pour fix mois
ou pour l'année entiere . Tous ces por
ttaits font hiftoriés , la gravure en eft
dans la manière du deffin au crayon noir
eftampé & réhauffé de blanc fur papier
teinté.
I I.
Le Satyre & le Villageois , eftampe d'environ
16 pouces de large fur 13 de
haut , gravée par P. Maleuvre , d'aprés
le tableau original deDietricy. A Paris
chez l'Auteur , rue St Hyacinthe , la
porte cochère vis - à- vis le foureur . Prix
4 liv.
Un Satyre reçoit un pauvre Villageois
dans fa grotte , & l'invite à dîner chez
lui ; mais , parce qu'il le voit tour- à - tour
fouffler dans fes doigts pour les réchauf
fer & fur fa foupe pour la refroidir , il
le renvoie en lui difant ;
DECEMBRE. 1770. 17
Arrière ceux dont la bouche
Souffle le chaud & le froid.
DE LA FONTAINE , liv. 5 , fable 7 .7 :
Ce fujet eft compofé de fix perfonnay
compris deux enfans du Satyre dont
l'un montre au doigt le payfan . Toutes
ces figures font animées. La compofition
eft trairée dans le ftyle Flamand , Dietricy
lui a donné un ton de lumière très- brillant
& qui a été rendu avec intelligence
par le graveur.
II L
La Sageffe & la Juftice , eftampe allégorique
gravée par Bonnet d'après le deffin
de M. Boucher premier Peintre du
Roi . A Paris chez l'Auteur , rue Gallande
, vis à- vis la rue du Fouare . Prix
1 liv.4 f,
Cette eftampe qui a 14 pouces de haut
fur dix de large eft gravée dans la manière
du deſſin au crayon noir & blanc
fur papier bleu .
On diftribue à la même adreffe & dans
le même genre de gravure , quatre petites
vues des environs de Paris. Ces vues
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ont été gravées par Marie Louiſe le Grand .
Prix 12 f.
On peut encore fe procurer chez le
feur Bonnet le portrait , grand comme
nature , de Paul Petrowitz , Duc regnant
de Holftein Gottorp , Grand Duc de
Ruffie , né à Petersbourg le premier Octobre
1754. Ce portrait a environ 18
pouces de haut fur 14 de large. Il est vu
de face , & il eft gravé dans la manière
du deflin au crayon rouge . Prix 1 liv.
I V.
Portrait de M. de la Martiniere premier
Chirurgien du Roi , gravé par Gaillard
, d'après le tableau de Latenville .
>
Cette eftampe a environ 17 pouces de
haut fur 14 de large . Elle repréfente M.
de la Martiniere en pied , vu jufqu'aux
genoux. A fa droite on apperçoit , dans
l'éloignement un fiége de place avec un
choc de Cavalerie , & au devant des Chirurgiens
occupés à panfer , fur le champ
de bataille des bleffés qui font enfuite
transportés dans des chariots couverts.
C'eft ainfi qu'on a défigné les campagnes
faites par M. D.L. M. en Italie , en Bohême,
enAllemagne , & c. Les divers établiſ
DECEMBRE . 1770. 173
femens qu'il a faits fous les aufpices du
Roi depuis qu'il eft premier Chirurgien ,
tels que les écoles publiques des principales
villes du Royaume , & l'Ecole pratique
de Paris , font indiqués par un médaillon
du Roi , appuyé fur le foubaffement
d'une pyramide & par deux Génies
dont l'un préfente à la France le plan du
nouveau Collège de chirurgie , l'autre
les édits , déclarations & lettres - patentes
qui confirment ces établiffemens . On
lit au bas de l'eftampe cette dédicace en
forme d'infcription ; » D. D. Germano
»Pichault dela Martinière , &c. A M. de
» la Martiniere , Confeiller d'Etat , Che-
» valier de l'Ordre du Roi , premier Chirurgien
de S. M. Préfident de l'Acadé
» mie royale , & chef de toute la chirurgie
du Royaume , pour le bien qu'il a
fait foit à la guerre , par fes travaux
qui ont confervé tant de citoyens , foit
» pendant la paix , en avançant par fes
foins , fous les aufpices du Roi , Louis
» le Bien- Aimé , les progrès de la Chirurgie
. Préfenté par Remi L. B. d'Ol-
» blen , comme un gage de fon attaché-
» ment& de fon refpect.
و د
">
33
"
»
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
V.
Portrait de François- Etienne de Nieuport
deffiné par Montperin , & gravé par
P. Chenu A Paris chez l'Auteur , rue
de la Harpe, vis-à- vis le caffé de Condé .
Prix 1 liv. 10 f.
L'eftampe a r2 pouces de haut , fur 8
& demi de large. On lit au bas que M.
de Nieuport eft né à Paris , paroiffe S.
Severin , le 15 Septembre 1717 , qu'étant
infirme de paralifie , d'attaque des
nerfs , d'uue obftruction au foie avec
tumeur fur l'eftomac depuis fix ans & de
mi,aprés avoir paffé fous leS.Sacrement, il
fur guéri auffitôt le 25 Mai 1769 , jour
de la Fête Dieu , à la proceffion de la
paroiffe S. Côme.
V I.
La barque mife à flot : eftampe nouvelle
, gravée par Madame Bertaud d'après
M. Vernet ; & dediée à M. de
Montúllé , Confeiller d'Etat & Secretaire
des commandemens de Madame
la Dauphine. Cette eftampe forme un
ovale d'environ 21 pouces de hauteur ,
Hiv
DECEMBRE. 1770. 175
für 18 de largeur. Elle eft enrichie de
figures d'une compofition très agréable &
rendue avec beaucoup d'art & d'intelligence
par l'artifte qui a très - bien ſaiſi
l'efptit & le pitorefque du tableau . Cette
eftampe ſe vend à Paris , chez Madame
Bertaud , rue S. Germain l'Auxerrois
la première allée à droite en entrant par
la Place des trois Maries , & chez Joullain
, quai de la Mégiſſerie.
Qu
GÉOGRAPHIE.
I.
UATRIEME feuille topographique de
la carte générale de Normandie , contenant
les villes de Caen , Coutances , S.
Lo , Vire , Ville Dieu , Condé , Villers ,
Caumont , Marigny , Lalande , & c . Et
quinzième feuille , contenant les Illes
de Gerzey . A Paris , chez Denis & Patour
, rue S. Jacques , au- deffus du Collége
du Pleffis.
I I.
Supplément des troubles de l'Eft : ſavoir
, la Moldavie en deux feuilles ; la
176 MERCURE.DE FRANCE.
Grèce & l'Archipel , une feuille ; la Morée
, une demi feuille. Prix 3 liv. les 4
feuilles. 6 livres lavées . Le recueil complet
de 14 feuilles , 8 liv . en blanc. 12
liv. lavé, chez le Rouge , rue des Auguftins.
MUSIQUE.
I.
PREMIER REMIER & deuxième recueils de menuets
, allemandes , & c. avec des variations
entremêlées d'airs agréables à chanter
, avec leurs accompagnemens ; dont
les fujets font tirés des meilleurs auteurs ,
arrangés pour le cithre ou la guitarre Allemande
, qui peuvent néanmoins s'exécuter
fur la mandore & fur la guitarre
Efpagnole , par M. Carpentier , chanoine
de S. Louis du Louvre , amateur ; prix
7 liv . 4 f. A Paris , chez Lemarchand ,
cloître S. Nicolas du Louvre ; Hugard de
Saint- Guy , place du vieux Louvre ; &
aux adreffes ordinaires .
4
Amuſement de campagne ; prix 1 liv.
f. & recréations des Dames , quatre par
ties de 24 f. Par le même , & chez les
mêmes marchands de mufique .
DECEMBRE. 1770. 177
I I.
Quatrième recueil de petits airs de
chants de la comédie Italienne , avec accompagnemens
de la mandoline , & le
menuet d'Exaudet, varié fur différens tons;
dédié à Madame la Marquife de Choifeul-
Meufe , par M. Pietro Denis ; prix
liv. 12 f. gravé par Gérardin . A Paris ,
chez l'auteur , rue Montmartre , la porte
cochère en face de la rue Notre Dame
des Victoires , à côté d'un perruquier
& aux adreffes ordinaires de musique.
III.
Quatuor & ariettes de Lucile , & du
Tableau Parlant , pour le clavecin ou le
fortepiano , dédié à Madame de Laage
par M. Tapray ; gravée par Mademoifelle
Desjardin. Prix 3 liv. A Paris , chez
l'auteur , rue Poiffonniere , dans la maifon
du chandelier , & aux adreffes ordinaires.
A Lyon , chez M, Caftaud , place
de la Comédie .
I V.
Sonates pour le clavecin , avec accom
pagnement de violon ad libitum , dédiée
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
à Madame la Princeffe de Liſtenois , par
M. Tapray , maître de clavecin , gravées
par Mademoiſelle Desjardin oeuvre II .
Prix 4 liv. 4 f. A Paris , chez l'auteur ,
rue Poiffonniere , dans la maifon du chandelier
, & aux adreffes ordinaires . A Lyon,
chez M. Caftaud , place de la Comédie.
V.
Noël de Boifmortier , à 4 parties pour
les mufette vielle , violon , baffe ,
flute & hautbois . A Paris , aux adreffes
ordinaires de musique.
V I.
Nouvelle manière de graduer les inftrumens
à corde.
Le fieur Turpin , organifte de la cathédrale
de Reims , & le fieur Goffet , facteur
d'inftrumens dans la même ville ,
font les auteurs de cette nouvelle méthode.
Ils l'ont foumife à l'examen & au
jugement de Meffieurs de l'académie
royale des fciences de Paris. Leur découverte
a été non feulement approuvée ,
mais même applaudie comme un moyen
fûr de procurer à la plupart de uos inf
·
DECEMBRE . 1770. 176
trumens de mufique une jufteffe qui leur
a manqué jufqu'à préfent , & de jeter
dans les accords harmoniques une beauté
& une perfection qu'on y cherchoit en
vain.
Ce n'eft que d'après une approbation
d'un auffi grand poids , & d'aprés les
fuffrages de plufieurs habiles maîtres de
l'art , que le fieur Goffet s'eft cru autorifé
à annoncer fa méthode au public.
›
Ells confifte donc à placer & à couper
différemment les petits travers ou fillets
qui divifent les manches des guittares
des Mandoles , des mandolines , des
violes , des quintons , & de les fixer fur le
manche , de manière que la corde qui pofe
deffus , rende dans la jufteffe la plus géométrique
, le fon que le doigt ou l'archet
lui demande. M. de Fouchy , fecrétaire
perpétuel de l'académie royale des fciences
, a fait graduer fa guitarre d'après cette
nouvelle règle , & en eft parfaitement
content ; le fieur Melchy , fi connu par
fon talent fupérieur pour le même inftrument
, s'eft fervi de la même méthode ,
& regrette tous les jours qu'elle n'ait pas
été connue plutôt. Plufieurs autres perfonnes
qui ont déja fait uſage du même
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fyftême , ne ceffent de s'en louer & d'en
féliciter les auteurs.
Le fieur Goffet appliquera , fi l'on veut ,
la même règle de graduation aux baſſes ,
aux contre- balles , & aux violons , & on
ne peut douter qu'il n'en réfultât une
grande facilité pour apprendre à jouer de
ces inftrumens- là. Les maîtres s'épargneroient
bien des peines & bien des dégoûts ,
puifque leurs élèves , en fe conformant
fimplement aux petits travers , qui leur
indiquent l'endroit où ils doivent placer
leurs doigts , feroient affurés de toucher
parfaitement jufte à la première leçon.
Plufieurs maîtres en ont déja fait l'expé
rince avec fuccés.
Les perfonnes qui voudront faire gra
duer quelqu'un des inftrumens mentionnés
ci- deffus , ou s'en procurer de tour
faits , pourront s'adreffer aufieur Goffet,
à Reims , rue des Fufiliers. Il fe fera un
devoir de répondre au defir du public
amateur de mufique..
DECEMBRE. 1770. 181
.
LETTRE de M. Rigoley de Juvigny
confeiller honoraire au parlement de
Metz, au fujet de l'Autoinate qui joue
aux échecs , annoncé par la Lettre de
M. du Tens , inférée dans le fecond vol.
du Mercure du mois d'Octobre dernier
pag. 186 .
Le prodige de méchanique , Monfieur , que
vient de nous annoncer M. du Tens , reffemble
à une de ces merveilles fabuleufes de l'antiquité ,
auxquelles l'ignorante fimplicité peut ajouter
foi ; mais que les efpriis éclairés rejettent depuis
long-tems . La tête d'Albert le Grand qui
parloit , le pigeon volant d'Architas , tout incompréhenfibles
qu'ils font , me paroiffent moins
furprenans , que l'automate jouant aux échecs:
contre les plus habiles joueurs , que M du Tens
a vu à Presbourg chez M. de Kempel. Si tout
autre que M. du Tens , nous eût raconté cette
merveille , elle n'eût pas fait grande fenfation..
Mais , quand on confidère que c'eft un favant ,
célèbre dans la république des lettres , que c'eft
l'auteur de plufieurs ouvrages excellens , entr'autres
, des recherches fur l'origine des découvertes
attribuées aux modernes , qui nous affure
avoir vu & examiné tous les refforts intérieurs
de la machine , & n'y avoir rien trouvé qui
puiffe faire foupçonner quelque communication ,
ou la moindre fupercherie , qui nous dit avoir
joué lui- même une partie d'échecs avec l'auto182
MERCURE DE FRANCE.
mate , comme il l'auroit jouée avec toute autre
perfonne ; un pareil témoignage mérite la plus
grande confidération , & s'il , ne forme pas une
autorité complette , il doit du moins fufpendre
notre jugement , jufqu'à ce que de nouveaux
éclairciffemens déterminent notre croyance
à cet égard. C'eſt donc de M. du Tens que
nous devons attendre ces éclairciffemens. Il a
inftruit le public d'un fait qu'il regarde comme
auffi important à l'honneur des fciences , que
glorieux pour Presbourg , qui l'a produit. Ce
font- là deux motifs bien capables de l'engager
à revoir cet ouvrage de la plus incroyable méchanique,
& à forcer fon auteur de nous convaincre
de la réalité du fait .
Un automate eft une machine de figure humaine
ou d'animal quelconqne , qui renferme
en elle- même le principe de fes mouvemens ,
& qui , après être montée , n'agit plus que par
le fecours immédiat de ſes refforts , fans aucun
fecours étranger. Toutes les machines de cette
efpèce , connues jufqu'à ce jour , ont leurs
mouvemens déterminés , foit dans la forme ,
foit dans la durée. Le fûteur automate du célèbre
M. de Vaucanfon , qui a étonné toute
l'Europe , avoit bien des mouvemens variés ,
puifqu'il jouoit plufieurs airs de flûte ; mais
tous ces mouvemens étoient déterminés , & arrivoient
dans des périodes de tems réglés . On
admira la précifion avec laquelle ils s'exécutoient
& l'imitation parfaite qu'ils avoient avec
ceux du plus habile joueur , ( 1 ) de cet inftru-
( 1 ) Feu M. Blavet , le père .
DECEMBRE . 1770 . 183
ment, Mais dans le joueur d'échecs de M. dc
Kempel , il faut fuppofer des mouvemens ,
non - feulement indéterminés , mais indépendans
de la volonté & de la variété des mouvemens
de la perfonne avec laquelle il joue
ce qui eft incroyable.
Si M. de Kempel , ou quelque autre perfonne
influe fur chaque coup que joue l'automate ,
cette multitude prodigieufe de combinaiſons
différentes n'a plus rien de furprenant ; fa machine
ne mérite plus le nom d'automate ; ce
n'eft qu'un pantographe compofé , ou une marionnette
que l'on fait agir à volonté , & dont
tout le mérite confifte à avoir fu cacher les fils
qui la font mouvoir.
Il y a quelques années qu'on fit voir à Verfailles
un automare qui parloit. C'étoir une figure
de Bacchus affis fur un tonneau , qui prononçoit
à haute & intelligible voix , tous les
jours de la femaine , & fouhaitoit le bon jour
à la compagnie. Beaucoup de gens y furent
trompés , parce que le maître de la machine
laiffoit voir l'intérieur de la figure & du tonneau
, où l'on n'appercevoit que des tuyaux
d'orgue , des foufflets , des fommiers > des
roues , des cylindres , &c. mais l'illufion ne dura
pas long-tems : quelqu'un , plus clairvoyant , découvrit
un faux fommier , dans lequel étoit renfermé
un petit nain qui articuloit les mots
dont le fon feul parvenoit , à l'aide d'un tuyau ,
jufqu'à la bouche de la figure , d'où ils paroiffoient
fortir.
"
Nous fommes bien loin de croire M. de
Kempel capable d'une fupercherie aufli grof
184 MERCURE DE FRANCE.
fière. Elle n'auroit point échappée à l'examen
attentifque M. du Tens dit avoir fait de toutes
les parties intérieures de la table & de la figure
automate Mais fi M. de Kempel veut partager
la gloire des hommes de génie qu'il a prétendu
imiter , il doit le montrer au grand jour. Il faut
qu'il découvre l'intérieur de fa méchanique , &
qu'il fafle voir à tous les yeux l'origine & la
fuite des mouvemens de fon automate , comme
l'a fait M. de Vaucanfon , lorſqu'il a expofé les
fiens à nos regards .
Dans les premiers jours que fon flûteur parut
, je me rappelle que beaucoup de gens ne
vouloient pas croire que ce fût la flûte que
tenoit l'automate , qui rendît les fons. On
s'imagina que ce n'étoit qu'une ferinette ou
une orgue d'Allemagne enfermée dans le corps
de la figure , dont les fons fortoient par la
bouche de l'automate . Les plus incrédules furent
bientôt convaincus que l'automate em
bouchoit réellement la flûte ; que le vent , au
fortir de fes lèvres , la faifoit raifonner , & que
le mouvement de fes doigts en formoit les différens
tons. La machine fut foumiſe à l'examen
le plus fcrupuleux & aux épreuves les plus décifives
: il fut permis à tous les fpectateurs de
voir les refforts les plus cachés , & d'en fuivre
le jeu en un mot , chacun eut la liberté de
s'affarer par lui-même que l'automate jouoit
effectivement de fa flûte , avec autant de précifion
& d'agrément , qu'auroit pu faire M.
Blavet lui- même.
Le méchaniſme de fon canard automate fut
également expafé aux yeux & à la critique de
DECEMBRE. 1770. 185
tous les curieux : dans le tems qu'on voyoit cét
animal artificiel , manger dans la main le grain
qu'on lui préfentoit , boire & barboter dans
l'eau qu'on lui apportoit dans un vaſe , rendre
fes excrémens , s'éplucher les aîles & les étendre
, imiter tous les mouvemens d'un canard
vivant , il étoit permis à toute perfonne de regarder
dans l'intérieur du pied d'eftal , ou
étoient toutes les roues , tous les leviers & tous
les fils qui communiquoient par les jambes de
l'animal à toutes les différentes parties de fon
corps , qui étoit auffi à découvert . On y voyoit
les premiers & les derniers mobiles : un poids ,
comme dans le flûteur, étoit la feule & unique
puiffance qui mettoit & entretenoit le tout
en mouvement.
Son joueur de tambourin , étoit encore un
automate qui portoit en lui - même le principe
de fes mouvemens. On le montoit comme une
horloge , & il jouoit des menuets , des rigaudons
& des contre-danfes , avec la plus grande
jufteffe , pendant une demie heure que le poids
étoit à defcendre.
Enfin , Monfieur , l'automate fabricant de M.
de Vaucanfon n'étoit pas moins fuprenant ,
quoique le premier moteur en fût différent.
C'étoit un ane , qui , attelé à un cabeſtan ',
tournoit , & fabriquoit , fans le favoir , une
pièce d'étoffe de foie en fatin , ou en taffetas
de la meilleure qualité & de la plus grande perfection
. Toute la méchanique y étoit à découvert
; on voyoit le jeu des liffes qui ouvroient
la chaîne , le mouvement alternatif de la navette
qui couchoit la trame , celui du peigne
186 MERCURE DE FRANCE:
qui frappoit l'étoffe , le mouvement du rouleau
, fur lequel fe plioit l'étoffe , à meſure
qu'elle fe fabriquoit ; enfin , tous les leviers ,
toutes les courbes , toutes les cordes qui produifoient
les mouvemens étoient mis en jeu
par la feule marche de l'âne il n'y avoit qu'une
femme pour renouer les fils ; elle arrêtoit le
métier en pouffant un bouton , lorfqu'il ſe rompoit
quelques fils ; & , après les avoir raccommodés
, elle retiroit le bouton , & le métier
reprenoit fon jeu .
M. de Vaucanfon rendit fon âne plus habile
encore , l'année fuivante : il parvint à lui faire
fabriquer des étoffes façonnées . Le moyen qu'il
a employé pour faire exécuter des fleurs fur
fon étoffe a paru la chofe du monde la plus
ingénieufe , & l'eft en effet. Le métier alloit
fans fecours étranger ; l'âne , en marchant , faifoit
feul toute la befogne , & chaque fpectateur
pouvoit voir les refforts de la machine ,
miner la combinaifon des différentes pièces , &
en confidérer le jeu , depuis le premier , jufqu'aux
derniers mobiles .
exa-
Vous avouerez , Monfieur , que fi l'on favoit
ainfi tirer parti de tous les ânes , ils pourroient
être encore plus employés qu'ils ne le font. On
voit d'ailleurs tant d'automates groffièrement
animés faire fortune , briguer des places , être
protégés & préférés aux êtres intelligens , que
dans le cas où ces machines viendroient à fe
détraquer , on pourroit aifément les remplacer
par des ânes , le principe moteur étant , du moins
en apparence , à- peu- prés le même dans les uns
comme dans les autres
DECEMBRE. 1770 187
Quoiqu'il en foit , Monfieur , je ne fais fi
M. du Tens trouvera facilement dans l'antiquité
l'origine des découvertes de notre méchanicien
moderne ; mais au moins , doit -il convenir que ,
fi elle lui a fourni des modèles , ces modèles
n'ont pu lui frayer aucune route , & qu'on doit ,
à jufte titre , le regarder comme le créateur , ou
le premier inventeur de ce genre. Au refte , tous
ces chefs -d'oeuvres de méchanique n'avoient que
des mouvemens conftans & déterminés. Si M.
de Kempel a pu donner à fon automate des
mouvemens indéterminés , & dépendans d'une
volonté quelconque & étrangère , il fandra
regarder fon auteur comme un homme furnaturel.
I importe donc à la gloire perfonnelle
de Monfieur de Kempel & à celle de
fa nation , de mettre fa découverte dans le
plus grand jour , & de convaincre tous les favans
, que fon automate renferme en lui - même
les principes de tous fes mouvemens , que ces
mouvemens ne font dirigés que par des moteurs
imaginés , & fans le fecours d'aucune intelligence
; nous lui prodiguerons alors tous les
fentimens de notre admiration . Mais , s'il refufoit
de donner cette conviction , M, du Tens
feroit forcé de convenir que les louanges qu'il a
données au méchanicien de Presbourg , font hafardées
, & que la gloire de l'invention demeure
jufqu'à préfent , fans partage , au méchanicien
François.
Je nefuis point enthoufiafte , Monfieur , vous
le favez. J'aime les arts & les lettres , ils
font toute la douceur de ma vie , & je les culsive
, fans prétention , comme fans cavic & ja188
MERCURE DE FRANCE.
loufie , n'étant attaché qu'au parti de la vérité.
Si je fuis donc entré dans un fi grand détail fur
les machines de M. de Vaucanfon , c'eft que je
les ai vues cent fois , que je les ai examinées avec
la plus fcrupuleufe attention , & que mon admiration
pour leur auteur a toujours été en augmentant.
Il n'a pas beſoin de mon foible éloge.
La poftérité a déja marqué fa place parmi le petit
nombre d'hommes de génie , d'inventeurs
d'arts utiles , & de bons citoyens , dont les travaux
& les veilles ne tendent qu'à bien méritér
de leur patrie. Pauci quos aquus amavit Jupiteṛ.
Vous avez voulu favoir , Monfieur , mon
fentiment fur l'automate de M. de Kempel. J'ai
hafardé de vous dire librement ce que j'en penfois.
La lettre de M. du Tens eft trop férieufe
pour n'être pas d'un homme perfuadé ; mais cela
ne fuffit pas pour perfuader les autres. Il faut
des preuves , & je les demande à M. de Kempel
& à M. du Tens. Cependant , fi cette lettre de
M. du Tens n'étoit qu'un badinage , comme je
le crois , je ne devine pas quel peut être fon but :
fur quoi tomberoit alors la plaifanterie ?
J'ai l'honneur d'être avec un fincère attachement,
Monfieur ,
Votre très- humble
& très- obéiſſant ferviteur.
RIGOLEY DE JUVIGNI
A Paris , le 9 Octobre 1770.
DECEMBRE. 1770. 189
De la nature des Loix en général.
LA Loi , dans le fens le plus général & le plus
étendu qu'on puifle donner à ce mot , eft une règle
des actions . On l'applique indifféremment à
l'action de tout ce qui eft animé ou inanimé , raifonnable
ou irraifonnable ; & c'est delà que l'on
dit que le mouvement , la gravitation , l'optique
& la méchanique ont leurs loix auffi- bien que la
nature & les nations , C'est toujours une puiflance
fupérieure qui preferit cette règle , & l'inférieure
eft forcée d'y céder.
-
Ainfi , lorfque l'Etre Suprême , en formant l'Univers
, créa de rien la matière , il lui imprima
certains principes dont elle ne peut jamais fe départir
; elle cefleroit d'exifter s'ils n'exiftoient
plus eux - mêmes. El lui donna de la mobilité :
mais il établit en même tems certaines loix de
mouvement auxquelles tout corps mobile doit fe
conformer ; & , fi l'on defcend de la plus grande
des opérations à une des plus petites , un artiſte
qui veut faire une pendule l'affujettit à ſon gré à
certaines loix arbitraires qui la dirigent. Il lui fait
fonner les heures , il force l'aiguille à décrire un
elpace donné dans un tems fixe , & tant qu'elle
ne s'écarte point de cette loi , elle reſte parfaite ,'
elle remplit l'objet qu'il en avoit conçu .
Détournons- nous les yeux de la matière purement
inerte pour les jeter fur la vie végétale &
fur la vie animale , nous les voions l'une & l'autre
également gouvernées par des loix ; elles fon
190 MERCURE DE FRANCE .
plus nombreuses à la vérité , mais elles n'en font
pas
moins fixes & invariables. Les différens accroiffemens
des plantes depuis le germe jufqu'aux
fleurs qui donnent une nouvelle fémence , le méchanifme
de la nutrition animale, de la digeftion ,
de la fécrétion & de toutes les autres parties de
l'économie vitale ne font pas abandonnés au hafard
ni à la volonté de la créature ; ils font combinés
d'une manière auffi merveilleufe qu'abſolue
, ils font guidés par les règles fûres & infaillibles
que le Créateur leur a impofés.
La fignification la plus générale de la loi cft
donc une règle de l'action qui émane de quelque
être fupérieur , & tout être créé qui n'a ni penſée
ni volonté , eft invariablement foumis à cette loi.
Son exiſtence même dépend de fon afſujettiſlement,
Mais ce n'eft pas lous ce point de vue univer
fel que nous nous propofons de confidérer les
loix. Elles indiquent à l'homme , le plus noble
des êtres fublunaires , des règles de les actions &
de fa conduite , elles lui prefcrivent des préceptes
pour faire ufage & de la raifon & de la volonté libre
dont il eft doué ; c'eft feulement fous cet afpect
plus limité que nous les examinerons .
L'homme , confidéré comme créature , eſt un
être abfolument dépendant , & doit néceflairement
être affujetti aux loix de ſon Créateur. Un
êrre indépendant de tout autre n'a d'autres règles
à fuivre que celles qu'il fe prefcrit à lui - même ;
mais un état de dépendance oblige indifpenfablement
l'inférieur à fe conformer à la volonté de
celui dont il dépend pour la règle de fa conduite ,
&, fi ce n'eft pas dans tous les points, c'eſt au moins
dans tous ceux qui conftituent fa dépendance,
DECEMBRE. 1770 . 191
Ainfi ce principe a plus ou moins d'étendue &
d'effet à proportion que la fupériorité de l'un & la
dépendance de l'autre font plus ou moins grandes,
abfolues ou limitées . L'homme dépend abfolument
en tout de fon Créateur ; il eft donc abfo
lument néceflaire qu'il fe conforme en tout à fa
volonté.
La volonté du Créateur eft ce qu'on appelle la
loi de la nature. Dieu , en donnant à la matière un
principe de mobilité , en lui fixant des règles pour
la direction perpétuelle de ce mouvement , en agit
de même par rapport à l'homme. Il le doua , en
le créant , d'une volonté libre pour le conduire :
mais il forma en même tems pour la nature hu
maine certaines loix immuables qui mettent , en
quelque forte , un frein à cette volonté arbitraire.
Il lui donna auffi la faculté de la raison pour dé
couvrir , pour apprécier le but de ces loix.
En ne confidérant Dieu que dans fon pouvoir
infini , il eft indubitable qu'il pouvoit preferire à
l'honne les loix qu'il auroit voulu , quelqu'injuftes
, quelque févères qu'elles euffent été ; mais
comme il eft auffi d'une fagefle infinie , il ne lui
impola que des loix fondées fur des principes de
justice qui exiftoient dans la nature des chofes
avant qu'il y eût aucun précepte pofitif. Ce font
les loix éternelles & immuables du bien & du
mal , & qu'il nous fit connoître par le fecours de
la raifon humaine autant que cela étoit néceſſaire
pour diriger nos actions. Vivre honnêtement , ne
faire de tort àperfonne , rendre à chacun ce qui lui
eft dú ; tels font les grands principes qu'il impri
ma dans le coeur de l'homme , & c'eft à ces trois
préceptes que Juftinien a réduit toute la doctring
de la loi
192 MERCURE DE FRANCE.
Mais, fi la découverte de ces premiers principes
de la loi naturelle avoit abfolument dépendu de
l'exercice de la raifon , fi elle eût été aflujettie à un
enchaînement de recherches métaphyfiques , fi le
genre humain n'eût pas eu un motif qui l'excitât
à en faire , la plupart des hommes fe feroient contentés
de refter dans une indolence mentale dont
l'ignorance auroit été le fruit. Dieu , dont la bonté
eft auffi infinie que fa puiffance & fa fagefle ,
ne voulut pas qu'ils reftaflent dans cet état d'inertie:
il arrangea la conftitution humaine de manière
que nous n'aurions befoin d'autre aiguillon
pour chercher & poutfuivre la règle du bien que
notre feul amour- propre , ce principe univerfelde
nos actions ; & il a tellement lié les loix de la juftice
éternelle avec le bonheur de chaque individu,
qu'on ne peut l'obtenir fans les obferver & que
leur obfervation l'aflure néceffairement. Aufi ,
dans ce rapport mutuel de la juftice éternelle &
de la félicité humaine , n'a-t-il pas chargé la loi
naturelle d'une multitude de règles & de préceptes
abstraits fur ce qui convient & ce qui ne convient
pas , ainfi que quelques auteurs l'ont imaginé. Il
a daigné réduire toutes les règles de l'obéiffance à
ce feul précepte paternel : Connoiſſez & faites
votre bonheur. C'eft- là le fondement de ce
que nous appelons la morale de la loi naturelle.
Que les moraliftes la divifent à leur gré dans leurs
différens fyftêmes , ils n'en reviennent pas moins
à ce principe. Tout ce qu'ils difent ne fert toujours
qu'à démontrer que telle action tend au yrai
bonheur de l'homme , & que telle autre nuit à fa
félicité d'où ils concluent que la loi naturelle or
donne l'une & défend l'autre.
Cette loi , aufli ancienne que le genre humain
&
DECEMBRE. 1770. 195
& dictée par Dieu même , eft par conféquent fupérieure
à toute autre loi , Elle règne fur tout ce
globe & dans tous les tems . Toute loi humaine
qui lui eft contraire n'a point de validité , & celles
qui en ont ne tirent médiatement ou immédiatement
leur force & leur autorité que de cette
fource.
Mais , pour appliquer cette loi aux befoins de
chaque individu , il eſt toujours néceflaire de recourir
à la raiſon . Ce n'eft que par fon fecours
qu'on peut découvrir ce que la loi de la nature
preferit dans les différentes circonftances de la vie .
& qu'on peut trouver les moyens qui affurent le
mieux notre bonheur ; & , fi cette loi étoit auffi pure
, auffi parfaite qu'elle le fut du tens du premier
homme avant fa chûte , fi elle n'étoit pas troublée
par les paffions , obfcurcie par les préjugés , affoiblie
par les maladies ou l'intempérance , cette recherche
feroit facile & agréable, & nous n'aurions
pas befoin d'autre guide . Mais l'expérience de
chaque homme lui apprend , au contraire , que fa
railon eft corrompue , que fon efprit eft fubjugcé
par l'ignorance & par l'erreur. Delà font venus les
fecoursbienfaifans de la providence divine qui ,par
compaffion pour la foibleffe , l'imperfection &
1 aveuglement de la raifon humaine, a daigné, en
différens tems & de plufieurs manières , faire connoître
& obferver les loix par une révélation im
médiate & directe. Les doctrines qui nous ont é é
ainfi tranfmiles font ce qu'on appelle la loi révélée
ou la loi divine. Elles ne fe trouvent que dans
l'Ecriture Sainte.
Les loix naturelles & révélées font les deux
fondemens de toutes les loix humaines . Elles
I
194 MERCURE DE FRANCË:
n'ont point d'autre bafe & doivent toujours y être
conformes.
-
Cependant il y a un grand nombre de points
indifférens en eux - mêmes que les lois divines &
humaines laiffent à la liberté entière de l'homme ;
mais le bien de la fociété a exigé qu'on y mît des
bornes , & c'eft principalement en quoi confifte &
la force & l'efficacité des lois humaines ; car , à
l'égard des points qui ne font pas indifférens , elles
ne font rien par elles mêmes , elles ne font que
promulguer les lois divines & naturelles auxquelles
elles font fubordonnées . Le meurtre , par
exemple , eft défendu expreflément par la loi divine
& démonftrativement par la loi naturelle
c'eft de ces prohibitions que provient la véritable
illégitimité du crime ; les loix humaines n'ajoutent
rien à la faute morale en y attachant une
punition , & n'impofent aucune obligation nouvelle
au for intérieur. Quand ce crime nous feroit
permis ou même enjoint par une loi humaine
, nous ferions obligé de la tranfgreffer pour ne
pas délobéir aux loix naturelles & divines. Mais
l'égard des chofes qui font indifférentes par elles-
mêmes , & qui ne font ni ordonnées ni défendues
par ces lois fupérieures , telles , par exemple
, que l'exportation des laines chez l'étranger
la légiflation inférieure a la liberté d'interpofer
fon authorité & de rendre illégale une action qui
autrement ne l'étoit pas.
"Si l'homme ne devoit vivre que dans l'état de
nature , fans liaifon avec d'autres individus , il
n'auroit pas befoin d'autres loix que de celles de
la nature & de Dieu . Il n'eft même pas poffible
qu'il exiftât d'autres lois que celles- là , car une loi
DECEMBRE. 1770.
1.95
fuppofe toujours un fupérieur de qui elle émane ;
& , dans l'état de nature , nous fommes tous égaux
& n'avons d'autre fupérieur que l'auteur de notre
exiftence. Mais l'homme a été formé pour la fociété
, & n'a , comme l'ont obfervé quelques écrivains
fur cette matière , ni l'induftrie , ni le courage
de vivre feul . Il étoit cependant impoffible
que
toute la race humaine fût unie dans une grande
fociété ; elle fe partagea néceffairement en
plufieurs communautés qui forment aujourd'hui
aurant d'états , de, républiques & de nations féparées
, entierement indépendantes les unes des
autres , mais fufceptibles cependant d'une communication
mutuelle . De-là naît une troiſième efpèce
de loi pour régler cette correfpondance , qui
eft appelée la Loi des Nations ou le Droit des
Gens: & parce qu'aucun de ces etats n'en veut
reconnoître un autre pour fupérieur , elle peut
être dictée ni par les uns ni par les autres . Elle ne
peut donc dépendre uniquement que des règles de
la loi naturelle , des contrats , traités , alliances
& accords mutuels faits par les différentes communautés
entr'elles. Nous ne pouvons auffi , dans
l'établiffement de ces contrats , avoir recours à
d'autre règle que la loi de la nature , qui eft la
feule à laquelle toutes les communautés font également
affujettjes . C'eft pourquoi la loi civile obferve
, avec raifon , que quod naturalis ratio in
ter homines conftituit , vocatur jus gentium.
ne
Après avoir dit ce que j'ai cru néceffaire fur les
lois naturelles & révélées & fur celle des nations ,
je vais traiter plus amplement du fujet principal
de cette fection , fçavoir ; la loi municipale ou
civile , qui eſt une règle par laquelle les diftricts
particuliers , les communautés & les nationsfont
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
gouvernées , & qui eft ainfi définie par Juftinien :
Jus civile eft quod quifquefibi populus conftituit.
Je l'appelle loi municipale pour me fervir de l'expreffion
ufitée ; & , quoique ces mots dénotent parziculièrement
les ulages d'un feul municipium ou
ville libre , on peut cependant les appliquer avec
allez de juſtelle à un état ou une nation qui fe
gouverne par les mêmes loix & ufages.
Dans ce fens , la loi municipale peut être définie
une règle de la conduite civile ordonnée par
la puiflance fuprême de l'état , qui preferit les .
droits & qui défend les torts. Cherchons à expliquer
les différentes parties de cette loi d'après cette
définition.
Premièrement , c'eft une règle : ce n'eft pas un
ordre foudain & paffager donné par un fupérieur
à un particulier , mais un ordre permanent , uniforme
& univerfel. Ainfi un acte de la législation
fait pour confifquer le bien de Titius ou pour le
punir de haute trahifon n'entre point dans l'idée
de la loi municipale ; car l'effet de cet acte s'épuife
fur Titius feul & n'a aucun rapport avec la
communauté en général ; c'eft une fentence plurôt
qu'une loi . Mais, fi un acte déclare que le crime
dont Titius eft accufé fera regardé comme
haute trahison, alors la permanence , l'uniformité
& l'univerfalité le rendent une Règle. On l'appelle
encore ainfi pour la diftinguer d'un Avis ou d'un
Confeil que nous fommes les maîtres de fuivre ou
d'abandonner fuivant que ce qu'on nous conſeille
nous paroît plus ou moins raiſonnable ; car notre
obéiflance à la loi ne dépend pas de notre appro
bation , mais de la volonté de celui qui l'a faite.
Le confeil opère par la perfuafion , la loi par l'injonction
; le confeil n'agit que fur ceux qui font
DECEMBRE. 1770. 197
portés à le fuivre , la loi fur ceux même qui ne le
font pas.
On l'appelle encore une Règle pour la diftinguer
d'un contrat ou d'un accord . Un contrat eft
une promefle que nous faifons , & la loi eſt un
ordre qu'on nous donne. L'expreffion d'un contrat
eft , je veux ouje ne veux pas le faire ; celle d'une
loi eft , tu le feras ou tu ne le feras pas. Il eſt
vrai que le contrat porte avec lui une obligation
qui eft égale pour la confcience à celle d'une loi ;
mais l'origine de cette obligation eft différente.
Dans les contrats nous déterminons & nous promettons
l'exécution de telle ou telle chofe , avant
que nous foions obligés de la faire ; dans les lois
nous fommes obligés d'agir fans avoir rien déterminé
ou promis. C'eft par ces raifons que la loi eft
définie une règle .
La loi municipale eft auffi une règle de la conduite
civile. C'eft en quoi elle eft diftinguée des
lois naturelles & révélées , dont la première eft la
règle de la conduite morale , & la dernière de la
conduite morale & auffi de la foi. Elles regardent
l'homme comme une créature & lui indiquent fon
devoir envers Dieu , envers lui - même & envers
fon prochain , en l'envisageant comme un individu
ifolé . Mais la loi municipale & civile le regarde
auffi comme citoyen & lui impole envers
fon prochain d'autres devoirs que ceux de la puie
nature & de la religion , des devoirs qu'il s'eft
engagé de remplir en jouillant des avantages de
l'union commune , & qui demandent qu'il contribue
feulement pour fa part à la fubfiftance & à la
paix de la fociété .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
N
ANECDOTES.
I.
Un homme vicieux & hypocrite , fatiguoit
une affemblée par fes leçons de morale;
quelqu'un impatienté , lui demanda :
mais , Monfieur , faites vous tout ce que
vous dites ? Oui , répondit- il : en ce cas ,
vous ne dites donc pas tout ce que vous
faites.
I I.
que
Pic de la Mirande n'ayant pas encore
neuf ans , étoit déja fort célèbre par fon
efprit ; un docteur âgé , dir devant lui
les enfans qui avoient autant d'efprit que
lui dans leur jeuneffe , devenoient fouvent
ftupides avec l'âge ; l'enfant lui répartit
vivement : vous avez donc montré bien de
l'efprit dans votre enfance .
I I I.
Le poëte Théophile & le favant Pitard
eurent difpute enſemble : le favant , ennuyé
des équivoques & des méprifes du
DECEMBRE. 1770. 199
poëte , lui dit : M. Théophile , avec tout
votre esprit , c'est dommage que vous ne
fachiez rien, M. Pitard , tépartit le poëte
avec toute votre fcience , c'est dommage que
vous n'ayez point d'efprit.
I V.
Le docteur Swift pofféda en mêmetems
deux bénéfices , celui de Larcor &
de Rathbeggan ; tous deux l'obligeoient à
un fervice reglé ; il établit fa réfidence à
Larcor , & annonça à fes paroiffiens qu'il
leur liroit les prières le mercredi & le
vendredi. Le jour où il devoit officier
pour la première fois , la cloche fonna
avec grand bruit , le docteur fe rendit à
l'églife accompagné de fon clerc Roger ,
alla prendre fa place au pupitre , s'y affic
& attendit tranquillement que le monde
fe fûr affemblé. Après une demie heure ,
voyant qu'il n'y avoit que Roger avez
lui dans l'églife , il lui dit : Mon cher
ami , nous avons bien l'air de prier fouvent
dans le défert ; il commença les prières
& les continua jufqu'à la fin , au lieu
de dire , je te préfente ó Dieu , mes prières
& celles des fidèles raffemblés dans ton temple,
il difoit :je te préfente , ó Dieu , mes
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
prières & celles de Roger , &c. & il faifoit
les mêmes changemens par - tout où il
étoit queſtion d'une affemblée qui prioir.
Ses paroiffiens en furent inftruits ; quelques-
uns trouvèrent mauvais qu'il les eût
oubliés , & le lui témoignèrent : Venez ,
Meffieurs , leur répondit- il , quand je vous
verrai , je penſerai à vous.
V.
Le célèbre évêque Burnet dînoit un
jour avec le comte d'Uxbridge ; ce feigneur
étoit fort inftruit , mais il avoit une
imagination vive & romanefque qui nuifoit
fouvent à la vérité de fes récits ; il
avoit toujours mille faits à raconter ; les
plus vraisemblables paroiffoient incroyables
dans fa bouche. Le prélat , dans le
cours de la converfation , trouva l'occafion
d'obferver que tous les hommes ont
leur paffion dominante ; l'un aime le vin ,
l'autre , le jeu , un troiſième , les femmes,
un quatrième , l'argent , &c. Pour moi ,
ajouta til , je ne cache point que mon penchant
eft celui de mentir . Auffi , répondit
vivement le Comte qui fentit l'application
, étiez vous l'homme du monde le plus
propre à écrire l'hiftoire de votre tems .
DECEMBRE . 1770 . 201
LE
POUR
SCRUPUL E.
fe farder encore un peu .
La demi-devote Climène
Deniandoit humblement l'aveu
De fon cher directeur Arfène.
J'en mettrai peu , fi peu , qu'à peine...
J'entends , lui dit l'homme de Dieu ;
Entre la fainte & la mondaine
Vous voulez garder le milieu :
Or , comme en un pareil partage
Je crains quelque inégalité ,
Du fard je vous permets l'ufage ;
Mais n'en mettez que d'un côté.
Par M. de M- S.
LE BASSON .
JUSQU'AUX genoux trois puriflans villageois
Tenoient Lucas enfoncé dans la glace ;
Qui , reniflant & foufflant dans fes doigts ,
1 v
202 MERCURE DE FRANCE .
Faifoit très -laide & piteufe grimace.
Eh ! mes amis , pour Dieu faites- lui grace,
Dit un paflant qui plaignoit le pitaud .
Frère , répond le facriftain Thibaud ,
De notre bourg c'eft demain la grand'fête :
J'y chanterons l'office en faux bourdon ;
Et ce gros gars qui crie à pleine tête ,
Je l'enrhumons pour faire le baſſon.
M. DE MONCRIF.
François-Auguftin Paradis de Monctif,
Parifien , lecteur de la feue Reine & de
Madame la Dauphine , de l'académie
françoife & de celle de Nancy , eft mort
au palais de Thuilleries , où il avoit un
logement , le 13 Novembre 1770.
Il étoit un homme de lettres très eftimable
par les qualités du coeur & de
l'efprit , & par l'aménité de fes moeurs .
C'étoit le fentiment qui l'infpiroit dans
fes vers , & c'eft à fa fenfibilité qu'il doit
principalement fa réputation . Il a donné
un Effai fur la néceffité de plaire ; & , pour
compofer cet ouvrage , il n'a eu befoin
que de fe confulter lui- même. Les avanDECEMBRE
. 1770. 203
les
tures de Zeléïde ; les Ames rivales ;
Obfervations fur les Gens de Lettres ; le
Rajeuniffement inutile , rendent témoi
gnage de fes connoiffances & de fon imagination.
Ses romances fi naïves ; fes
chanfons fi naturelles ; cette douceur &
cette fimplicité d'expreffion qu'il mettoit
dans ces heureuſes bagatelles font voir
que ce poëte aimable étoit près de la
nature , & que l'art ne l'en écartoit point,
Il a célébré le bonheur d'aimer dans Zelindor
, Ifmene , Almafis , Erofine , &
dans beaucoup de poemes lyriques , genre
dans lequel fa muſe ſe plaifoit à exprimer
ce qu'il fentoit lui -même. Sa vie a été
douce & tranquille , & s'est écoulée fans
ennui. Il en a joui jufqu'au dernier moment
, au milieu de fes amis.
Approche- t-il du but , quitte -t-il ce féjour ,
Rien ne trouble la fin , c'eſt le foir d'un beau jour.
Voici les vers que M. de la Place , ſon
ancien ami , a écrits fur fa tombe.
«Des moeurs dignes de l'âge d'or ,
Ami fûr , auteur agréable ,
1:30
Ci gît qui , vieux comme Neftor ,
» Fut moins bavard & plus aimable.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
M. le Préfident HENAULT.
Charles -Jean - François Hénault , préfident
honoraire au Parlement , furinten .
dant de la maifon de Madame la Dauphine
, l'un des quarante de l'académie
françoife & de celle des infcriptions &
belles-lettres , eft mort à Paris le 24 Novembre
, dans la quatre-vingt -fixième
année de fon âge.
Vous , qui de la chronologie
Avez reformé les erreurs ;
Vous , dont la main cueillit les fleurs
De la plus belle poëfie ;
Vous , qui de la philofophie
Avez fondé les profondeurs ,
Malgré les plaifirs léducteurs
Qui partagerent votre vie ,
Henault , dites - moi je vous prie
Par quel art , par quelle magie ,
Parmi tant de fuccès flateurs
Vous avez défarmé l'envie.
Voilà l'hiftoire & l'éloge de cet homme
illuftre . Sa maiſon étoit une académie où
fe
raffembloient les talens en tout genre;
T
"
DECEMBRE. 1770. 205
il les honoroit & en étoit honoré. Un
goût fûr & délicat l'éclairoit fur la protection
& les éloges qu'il donnoit aux
effors du génie & du fentiment. Il compofa
lui-même des poëfies fort agréables ;
& il eut l'art de rapprocher dans fon
Abrégé Chronologique de l'Hiftoire de
France , tous les traits les plus intéreflans
qui caractérisent la nation ; fon pinceau
rapide & énergique a peint les hommes
célèbres . M. de Voltaire dit que nous
devons à cet homme , d'un géniefupérieur ,
la plus courte & la meilleure Hiftoire de
France , & peut - être la feule manière
dont il faudra déformais écrire toutes les
grandes hiftoires. Mais , ajoute t- il , il
fera difficile d'imiter l'auteur de l'Abrégé
Chronologique d'approfondir tant de
chofes en paroiffant les effleurer.
C'eft pour lui que M. de Voltaire a
adreffé ces vers charmans à la Santé.
O déeffé de la fanté ,
Fille de la fobriété
Et mère des plaifirs du fage ,
Qui , fur le matin de notre âge ,
Fais briller ta vive clarté ,
Et répand la férénité
Sur le foir d'un jour plein d'orage.
206 MERCURE DE FRANCE.
O déeffe , exauce mes voeux ;
Que ton étoile favorable
Conduife ce mortel aimable :
Il eft fi digne d'être heureux !
Sur Hénault tous les autres dieux
Verfent la fource inépuisable
De leurs dons les plus précieux.
Toi , qui feule tiendrois lieu d'eux ,
Serois tu feule inexorable ?
Ramène à fes amis charmans
Ramène à fes belles demeures
Ce bel efprit de tous les tems ,
Cet homme de toutes les heures.
Orne pour lui , pour lui fufpens
La courfe rapide du tems ,
Il en fait un fi bel uſage :
Les devoirs & les agrémens
En font chez lui l'heureux partage.
Les femmes l'ont pris fort fouvent
Pour un ignorant agréable ;
Les gens en us pour un favant ,
Et le dieu joufflu de la table
Pour un connoifleur fi gourmand.
Qu'il vive autant que fon ouvrage ;
Qu'il vive autant que tous les rois
Bont il nous décrit les exploits ,
Et la foibleffé & le courage ,
Les moeurs , les paffions , les loix ,
DECEMBRE. 1770. 207
Sans erreur & fans verbiage.
Qu'un bon eftomac foit le prix
De fon coeur , de fon caractère ,
De fes chanfons , de fes écrits.
Il a tout , il a l'art de plaire ,
L'art de nous donner du plaifir ,
L'art fi peu connu de jour
Mais il n'a rien s'il ne digère .
M. de la Place a jeté auffi quelques
fleurs fur la tombe de M. le Préfident
Henault fon parent & fon ami.
« Ainfique les vertus les talens n'ont point d'âge ,
Dans les écrits jamais on n'entrevit le fien ;
59 Il lut l'hiftoire en philofophe , en fage ,
Il l'écrivit en citoyen. »
ARRÊTS , DÉCLARATIONS , &c.
ARRÊT
I.
RRÊT du confeil d'état du Roi , du 28 Mai
1770 ; concernant les ouvrages d'orfévrerie deftinés
pour les pays étrangers & pour les colonies,
I I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 20 Juin
770, & Lettres - patentes fur icelui , regiſtrées
268 MERCURE DE FRANCE.
en la chambre des Comptes le 31 Juillet 1770 ;
concernant les payemens & folde des officiers &
cavaliers de maréchauffée .
III.
Déclaration du Roi , donnée à Marli le z Juillet
1770 , regiſtrée à la chambre des Comptes le
13 Septembre fuivant ; portant continuation du
Prêt & Annuel pendant fix années , qui commenceront
au premier Janvier 1771 , & finiront au
dernier Décembre 1776 , aux officiers de judicature
, de maîtrife & de finance de Lorraine & Barrois.
I V.
Lettres -patentes du Roi , données à Marli le s
Juillet, regiftrées en la chambre des Comptes le 17
fuivant, qui ordonnent la converfion des Rentes de
Tontines , en Rentes purement viagères , à compter
du premier Janvier 1770.
V.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le r
Juillet 1770 ; portant confirmation des privilèges
des Tréforiers de France.
VI.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 8 Septem
tembre 1770 ; qui ordonne que par le fieur Intendant
& Commiflaire départi en Bourgogne
Brefle , Bugey , Valromey & Gex , il fera inceffamment
procédé , pour & au nom de Sa Majeſté ,
à l'acquifition des terreins & emplacemens compris
dans l'enceinte de la ville de Verfoix.
DECEMBRE. 1770. 209
VII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 16 Septem
bre 177 ; portant augmentation des droits fur
les peaux & poils de lapins & lièvres , à la fortie
du royaume.
VIII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 13 Datebre
1770 ; qui accorde , jufqu'au premier Janvier
1771 , aux officiers des chancelleries , pour payer
l'augmentation de Finance qu'ils doivent en exécution
de l'édit du mois de Février dernier , & qui
ordonne que ce délai expiré , ceux qui feront en
retard demeureront déchus de leurs privilèges .
I X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 3 Novembre
1770 ; qui fixe à quatre - vingts le nombre des
bureaux de la loterie de l'école royale militaire ,
dans l'étendue de la ville & faubourgs de Paris ,
&c.
X.
Déclaration du Roi , da 4 Novembre 1770 ;
donnée à Fontainebleau le 4 Novembre 1770;
qui fixe le tems pendant lequel les officiers comptables
demeureront dépofitaires des parties non
réclamées.
X I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 18 Novem
210 MERCURE DE FRANCE.
bre 1770 ; qui ordonne que le remboursement des
principaux de l'emprunt fait par la compagnie des
Receveurs généraux des finances , fera fait par
ordre de numéros des contrats de conftitution &
des promeffes de pafler contrat.
AVIS.
1 .
Cours de Mathématiques.
M. DUPONT Profeffeur de Mathématiques ,
commencera le 18 Novembre 1770. dans fon
Ecole , rue neuve S. Méderic , pour fon cours
gratuit des Dimanches , l'Algèbre de M. Bezoul.
Les leçons commencent depuis fept heures
du matin jufqu'à dix . Il donne préfentement la
Géométrie , l'Algèbre ( qui a été précédé de l'Arithmétique
) & la Méchanique.
Il ne reçoit perfonne qui ne fe foit fait inf
crire auparavant chez lui.
Dans fon cours public il donne , fans aucun
congé ni vacance toutes les après-midi depuis
trois heures jufqu'à fept heures du foir' ; l'Arithmétique
, la Géomètrie & la Mécanique ; il fuit
alternativement , fur ces trois parties , les OEuvres
de Meffieurs Camus & Bezoul.
Il donne auffi trois fois par ſemaine l'Algébre
de M. Bezoul & la Dynamique de M. l'Abbé le
Boffu. Les trois autres jours , le matin , font emDECEMBRE
. 1770. 211
ployés au deffein pour la Carte , le Paysage & la
figure , dont il a un excellent Maître ; lefquels
mêmes jours depuis onze jufqu'à une heure , il
donne un Cours fur la Navigation , ` fuivant
Meffieurs Bouguer , Bezoul , &c.
2
>
où toutes
Il fait un examen public à ceux de fes Elèves
Ics plus avancés une fois mois ,
par
perfonnes font invitées & peuvent leur faire
des queftions relatives aux leçons qu'ils ont luivies
.
C'eft la feizième année de fes Cours.
Monfieur Briffon , de l'Académie Royale des
Sciences , Maître de Phyfique & d'Hiftoire Naturelle
des Enfans de France , & Profeffeur Royal
de Physique Expérimentale , commencera dans
les premiers jours de Décembre , un Cours particulier
de Phyfique Expérimentale , dans fon
Cabinet , rue du Jardinet , Fauxbourg S. Germain.
Ceux qui voudront fuivre ce Cours , fa
feront infcrire chez lui avant l'ouverture ,
I I.
६.
On a mal-à-propos annoncé dans une Gazette
étrangère que M. Pomme médecin confultant du
Roi s'étoit retiré de Paris ; il eft vrai que des
affaires & la raifon de fa fanté l'ont appelé
pendant quelque tems dans la Provence fa Patrie
; mais il eft préfentement revenu dans la
capitale où il continue de vacquer aux foins des
malades qui appellent fou fecours ; & ce qu'un
Gazetier a allégué contre lui eft faux dans tous
fes points , comme il eft facile de s'en afſurer.
211 MERCURE DE FRANCE.
I I I.
Manufacture royale de vaiffelle de cuivre
doublée d'argent fin , par le Sr Degour
nay , ci devant ingénieur du Roi , &
inventeur de cette nouvelle fabrication
en France ; établie à Paris , quartier du
Pont aux Choux , rue de Popincourt
au bout de la rue S. Sébastien , près la
barrière. Son magafin au palais marchand
, à côté de M. de la Freney, Mde
de porcelaine , fera ouvert le 20 de
Décembre.
Conditions auxquelles le Sr Degournay ,
entrepreneur de cette manufacture, s'en
gage :
1. L'Entrepreneur eft tenu à faire la doublure
de fes uftenfiles avec l'argent le plus fin &
le poids toujours relatif à l'un des trois titres
fuivans fçavoir , le fixiéme , le cinquième &
quatrième du poids total qui lui font enjoints ,
ce qui doit être marqué de l'un de fes poinçons ,
lefquels , pour la fûreté du public , font infculpés
au Greffe de la cour des Monnoies ; & afin qu'on
ne puiffe être trompé , leur caractère eft un I
placé au deffus de trois chiffres 6 , § , 4 , latéra
lement font les lettres AG , le tout furmonté
d'une couronne ; mais le fixiéme du poids d'argent
étant le titre qui paroît mieux convenir à
DECEMBRE. 1770. 213
,
roeconomie & à la nature d'une bonne cafferole,
dont les qualités requierent du poids , fera préférable
, pour éviter que l'on ne brûle les mets
qu'on y préparera ; ce qui arriveroit infailliblement
dans une cafferole mince : ce titre convient
d'autant mieux encore , que dans trois marcs
il s'y rencontre quatre onces d'argent , & qu'enfemble
les trois marcs , argent , cuivre & façon
ne reviennent qu'à quarante- huit livres ; le marc
au titre du fixiéme du poids étant fixé à ſeize
livres , celui du cinquiéme à dix - neuf livres , &
celui du quart à vingt-une livres , pour tout ce
qui eft de batterie de cuifine & de vaiffelle
plate.
2º . Si , dans le cas de récurage avec une matière
non graveleufe ou une compofition qu'on
fournit à la manufacture , qui enlève dans l'inf
tant & avec la plus légère impreffion du doigt
le noir & le gratin que la préparation de certains
mets occafionne à la fuperficie de l'argent ,
les pièces de cuifine venoient à s'ufer , de manière
dans le cours de trois ou quatre années
, l'argent fe trouve percé ; l'Entrepreneur
s'engage à les reprendre à moitié prix de leur
acquifition.
que ,
3. L'entrepreneur s'engage de plus à repren
dre fes vieux uftenfiles après l'ufage de neuf-àdix
années , au prix de fix livres le marc.
On fabrique dans cette manufacture tous les
vaiffeaux & uftenfiles qui compofent la batterie
de cuifine , ainfi que ceux de table , comme
affiettes contournées , plats , terrines , foupières,
pots à oil , pots à bouillon , pots à l'eau , néceffaires
, cafetières , chocolatières , &c. fimples &
214 MERCURE DE FRANCE.
ornées , & le cuivre recouvert de toute couleur
vernis imitant l'émail. Le tout à juſte prix.
On avertit le public qu'il fe peutfaire de mauvaifes
contrefactions qui feroient très - dangereufes
la foudure qu'elles contiennent , &qu'il n'y
a aucun danger avec les uftenfiles duſieur Degournay,
qui ont été feuls approuvés par l'Académie
des Sciences , & la Faculté de Médecine .
I V.
Eau vulnéraire fpiritueufe d'une nouvelle
compofition pour fortifier les gencives ,
& entretenir la propreté des dents.
Cette préparation eft due à M. BEAUPREAU ,
maître en Chirurgie & dentiſte de Paris qui en
a donné la defcription dans un petit ouvrage
intitulé : Differtation fur la proprété & confervation
des dents , imprimée à Paris en 1764. Depuis
ce tems , l'auteur l'a employée avec beaucoup
de fuccès dans les cas fuivans ; 1º. lorfque
les gencives font fanguinolentes , c'eſt-à - dire
qu'elles faignent facilement à la moindre fuccion
, pourvu que cet accident ne dépende pas
de la préfence du tartre , dans ce cas il faudroit
le faire enlever pour que ce remède produisît fon
effet ; 2. dans les gencives molles , fanieufes &
légèrement purulentes ; il eft dit légèrement purulentes
, car fi la fuppuration avoit détaché les
gencives de deffus la racine des dents , il faudroit .
feconder fon action d'un léger cauftique.3 ° . Elle
DECEMBRE. 1770. 215
produit de très-bons effets dans les aphtes & chaleurs
des gencives ou de l'intérieur de la bouche.
4°. Dans les affections fcorbutiques & appauvriffement
des liqueurs , fecondée des moyens intérieurs.
5º. Dans l'ufage des préparations mercurielles
. 6. Dans les affections des gencives pendant
la groffeffe & après l'accouchement , &c.
79. Elle enlève la matière vifqueufe qui fe trouve
fur les dents , qui eft le principe du tartre ( &
non le tartre , ce qui feroit un moyen très- dangereux
) dans ce dernier cas.
On peut aider fon action de quelques poudres
ou opiats dentifrices.
Cette liqueur contient une matière éthérée qui
rend fon odeur & fa faveur très - agréables ; elle
s'emploie pure en imbibant une éponge ou un
peu de coton dont on fe frotte les dents & les
gencives. Il n'eft pas néceffaire de rincer fa bouche
après , on peut le faire avant & ratifler fa
langue. Si elle excitoit une légère cuiffon fur les
gencives & fur les lévres , il faudroit humecter
l'éponge ou le coton avec de l'eau commune.
On trouve de cette eau vulnéraire chez le
fieur Riffoan , marchand épicier-droguifte , carrefour
de Buffy , à Paris.
v.
Le fieur Pierre Bocquillon , marchand Gan→
tier-parfumeur , rue S. Antoine , à Paris , entre
l'églife S. Louis des meffieurs de fainte Catherine
& la rue Percée , vis- à - vis celle des Ballets , à la
Providence à Paris , continue de débiter avec un
216 MERCURE DE FRANCE.
heureux fuccès par permiffion de M. le Lieute
nant-général de police & de Meffieurs de la Faculté
de médecine de Paris , le véritable tréfor
de la bouche , dont il eft le feul poſſeſſeur , &
guérit les maux de dents , & ôte toutes corruptions
qui pourroient furvenir dans la bouche ,
raffermit les gencives , rend l'haleine douce &
agréable , & c. Les bouteilles font à 10 liv. 3 liv.
& 24 fols. Le public eft prié de fe tenir en garde
contre ceux qui contrefont cette liqueur. L'auteur
a la précaution de mettre fur les bouchons
de la bouteille , ainfi que fur les imprimés qu'il
donne pour enfeigner la façon de s'en fervir ;
fon nom de baptême & de famille figné & paraphé
de fa main , il a ſon tableau à ſa porte.
Le fieur Boquillon tient auffi magafin de la
véritable cau de Cologne à trente fols la bouteille.
V I.
Le Sr Roger marchand Orfévre , Jouaillier- Bijoutier,
ci-devant au chapelet d'or, fur le pont au
Change, demeure actuellement à l'hôtel des Amériquains,
rue S. Honoré, entre la rue des Poulies
& l'Oratoire , ou fous le veftibule de l'Opéra pendant
le fpectacle. Il fait vend & raccomode toutes
fortes de bijoux : on trouve chez lui les vraies
pierres de Cayenne , montées dans le goût le
plus nouveau il donne à ces pierres l'éclat du
diamant , rend les nuances & couleurs de celles
qui lui font préfentées ; il fait des bagues qui
imitent parfaitement le fin ; il fait envoi dans
le royaume & le pays étranger.
>
VIL
DECEMBRE . 1770. 217
VII.
La dame Beaufort donne avis qu'elle feule
poffède un fecret de compofer une pommade
pour le teint. Sa propriété eft de rendre la peau
belle & fraîche. Elle éteint promptement les
marques de la petite vérole & ôte les boutons
& mafques ; comme auffi de réparer le dommage
qu'auroient pû caufer d'autres pommades. II
faut s'en fervir matin & foir , & s'effuier avec
un linge fin , fans craindre que cela ne tache.
Le prix des pots eft de deux livres . On les
délivrera rue de Grenelle S. Honoré chez mademoiſelle
Carron , marchande de Modes , à la
Bergère des Alpès .
On la trouvera tous les jours , excepté les
fêtes & dimanches . Ceux qui voudront lui écrire
auront la bonté d'affranchir leurs lettres.
VIII.
Le Conte , au mortier d'argent , carrefour de
la Croix Rouge , au coin de la rue du Four , marchand
épicier droguifte & diftillateur , breveté du
Roi , tient magafin de toutes fortes d'épiceries ,
liqueurs & vins de liqueurs , tant de Marafquin ,
diftillateur à Gênes , que des Ifles & de Paris ; fyrop
& confitures ; fabrique le chocolat de toute
Гресе.
Les liqueurs de Marafquin, diftillateur à Gênes,
& des ifles , à 6 liv la bouteille de pinte ; & celles
faites par le Sr le Conte , imitant celles du Sr Marafquin
, &des ifles , à 4 liv . la bouteille.
K
218 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , le 17 Octobre 1770.
ON
N mande que Haflan Bey s'eft mis , le 9 de
ce mois , à la tête d'un corps de troupes de trois
mille quatre cens hommes , & qu'il eft parti des
Dardanelles pour aller délivrer le château de Lemnos
; le tranfport s'eft fait heureuſement , ainfi
que le débarquement dans l'ifle. Il a marché aux
afliégeans , tant Grecs que Rufles , les a taillés en
piéces , s'elt emparé du canon qui fervoit au fiége
& a délivré le château . La garnifon avoit donné ,
ce jour- là même , des otages & devoit évacuer la
place le lendemain . Haflan Bey a brûlé un petit
brigantin ruffe qui mouilloit dans une calanque .
Cette affaire a coûté aux Ruffes deux mille cinq
cens Grecs qu'ils avoient à Lemnos & environ
quatre cens hommes de leurs troupes.
Les dernières nouvelles d'Ifacktcha portent que
le Grand Vifir faifoit des difpofitions pour pren
dre en flanc les Rufles , du côté de la Valachie , où
il fe trouve deux Pachas avec vingt mille hommes
& un corps de vingt mille Tartares : elles ajoutent
qu'on formoit auffi un détachement de dix
mille hommes que commande Dagueſtan Ali Pacha
& qui doit opérer fur la droite,
Extrait d'une Lettre écrite du Caire , le 11
Septembre 1770.
Le Gouvernement promet fa protection aux
Etrangers qui voudiont s'établir à Gedda ou ailDECEMBRE
. 1770 . 219
leurs , & cette promeffe donne déja licu à différens
projets de commerce que forment les Européens
qui fe trouvent ici . En attendant qu'on en
voie l'exécution , le Gouvernement fe propoſe
de faire embarquer le caffé & les autres productions
de l'Arabie Heureufe pour le Suez , d'où ils
feront tranfportés en cetteVille ,où l'on prétend en
établir l'entrepôt général , afin d'y attirer, par ce
moyen , le commerce de l'Inde.
De Dantzick , le 22 Novembre 1770.
Le fieur Kozukowski , qui , comme on l'a déja
annoncé , á dépofé , il y a quelques mois , au
Grod d'Olwieczim , un acte par lequel il annonce
la vacance du trône de Pologne , eft déclaré ,
ainsi que les membres de ce Grod , criminel de
leze- majefté par le manifefte que le fieur Krajewski
, grand inftituteur de la couronne , a fait
inferire dernierement dans les regiſtres du Grod
de Warfovie.
De Warfovie , le 2 Novembre 1770.
>
On a appris ici , par un courier dépêché de l'armée
du Feld marechal Comte de Romanzow
.que le Brigadier Igelftroom s'eft emparé , par capitulation
, de la fortetefle de Bielgorod & qu'il
y a trouvé environ foixante - dix pièces de canon.
Cette forterefle , qui porte auffi le nom d'Akerman
ou Ville Blanche , eft fituée à peu de diftance
de Kilia -Nova , à l'endroit où le Niefter fe
décharge dans la mer noire. Les mêmes avis ajoutent
que ce Général avoit fait défiler fes troupes
vers la Valachie pour y prendre des quartiers d'hiver
.
Il y a , chez le Grand-Maréchal de la Couron-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
ne , de fréquentes conférences qui ont , à ce qu'on
dit , pour principal objet le rétabliſſement de la
tranquillité publique. On parle du projet d'une
diete de pacification , à laquelle les Confédérés de
Bar eux mêmes feront invités à affifter , & l'on
ajoute qu'elle se tiendra fous la protection de la
Ruffie .
·
On aflure que tous les Juifs établis dans l'empire
de Ruffie ont ordre d'en fortir , & que ceux
qui étoient à Riga en font déjà partis. Le bruit
court qu'ils feront auffi expulfés de la Courlande.
De Vienne , le 10 Novembre 1770 .
Suivant des nouvelles de Bucharest , en Valachie
, la nuit du 15 au 16 du mois dernier , Soliman
Pacha qui commande dans Braïlow a fait fur
les Rufles une fortie vigoureufe , & a battu fi complétement
les affiégeans , qu'ils ont été obligés de
lever le fiége & de fe retirer .
De Coppenhague , le 20 Octobre 1770.
Le Roi , jugeant que la liberté de la preffe eft
un des moyens les plus efficaces pour accélérer les
progrès des fciences , vient de l'introduire dans
tous les pays de fa domination . En conféquence ,
Sa Majesté a fait publier un refcript , daté du château
de Hirscholm , le 14 du mois dernier , par
lequel Elle exempte de toute elpèce de cenfure
tous les livres qui s'imprimeront dans fes états .
De Dunkerque , le 13 Novembre 1770.
On a pris ici toutes les précautions poffibles
pour préferver le pays de la communication de
la pefte. Dès les premiers jours du mois dernier ,
les magiftrats ont fait monter à bord de la CorDECEMBRE
. 1770. 221
à
vette des pilotes- côtiers une capitaine de navire ,
avec ordre de ne permettre l'entrée du port
aucun navire venant de la Baltique , fans être
affuré par des certificats authentiques & des lettres
de fanté , que non -feulement il ne venoit
pas des lieux infectés de la contagion , & qu'il
n'avoit ni relâché ni communiqué avec aucun
navire fufpect , mais encore que fa cargaifon
étoit du crû ou des fabriques du pays ou d'autres
endroits fains . On a établi enfuite une chaîne
fur le Chenal , pour fermer l'entrée du port , dans
le cas où quelque navire voudroit entrer fans
permiffion : la garde a ordre de faire feu en cas
de réfiftance. Les magiftrats ont pris auffi des
précautions pour prévenir les défaftres & échouemens
le long de la côte ; ils y ont pofté des gardes
, pour obferver ce qui s'y paffe le jour & la
nuit . Ces gardes ont ordre , dans l'un ou l'autre
cas , de fe rendre fur les lieux , de s'affurer des
perfonnes , de s'informer des circonftances , de
les conduire au Lazaret établi pour cet effet fur
la côte , & de les y garder jufqu'à ce que , d'après
le rapport & l'examen des papiers , les
magiftrats en aient autrement ordonné : enfin
il leur eft enjoint d'enterrer les cadavres que
la mer jetera fur la côte . Ces précautions ont
été approuvées par le miniftère , qui a chargé
le fieur de Caumartin , intendant de la Province ,
de donner les ordres qu'il jugera néceffaires ,
& que les magiftrats feront exécuter ponctuellement.
De Paris , le 23 Novembre 1770.
Le 19 de ce mois , le marquis de Paulmy ,
protecteur de l'académie de Saint Luc , y a fait
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
la diftribution des prix aux élèves qui les ont
mérités. Le premier prix , qui confifte en une
médaille d'or , a été adjugé au fieur Sauvage
peintre ; le fecond , au fieur Cafin , peintre , &
le troisième , au fieur de Vauge , ſculpteur.
De Marfeille , le 16 Novembre 1770 .
>
Le fieur Lemaire , conful de France dans la
Morée , eft arrivé ici , depuis quelques jours ,
avec fa famille , de la ville de Coron , où il
faifoit fa réfidence , & qu'il a été obligé d'abandonner
, lorfque l'efcadre Ruffe , aux ordres du
comte Orlow , en entreprit le fiége . Il a été accompagné
dans fa retraite par les négocians
François qui étoient établis fur cette échelle ;
ceux ci ont perdu , dans cette circonftance , la
plupart de leurs effets , dont une partie leur a été
enlevée par les Maïnotes qui s'étoient joints aux
Ruffes , & une autre partie a été perdue par le
naufrage d'un des bâtimens fur lefquels ils s'étoient
embarqués avec ce qu'ils avoient de plus
précieux. Les négocians François établis à Modon
, Navarino , Patras , & dans les autres
villes de la Morée ont éprouvé le même fort ,
par des événemens à - peu-piès femblables .
On mande du Caire , que le retardement de
la crue du Nil n'a permis , cette année , de
couper ce fleuve , c'eft- à- dire , d'en introduire
les eaux dans les canaux qui les diftribuent dans
toute la Baffe- Egypte , que le 17 Août. Comme
cette opération doit être faite dès les premiers
jours du même mois pour procurer une bonne
récolte , ce retardement a fait doubler le prix
DECEMBRE. 1770 . 223
"
du bled ; le Gouvernement , voulant prévenir
une difette , a ordonné un achat confidérable
de cette denrée à Saint -Jean - d'Acre , port de la
côte de Syrie , d'où l'on apprend que plufieurs
bâtimens font déja partis pour Alexandrie avec
des cargaifons de grains .
PRESENTATIONS .
Le 28 Octobre , le Prince de Marfan , chevalier
des ordres du Roi , lieutenant - général de
fes armées , cut l'honneur de prêter ferment
entre les mains de Sa Majefté , pour le gouvernement
de la Provence. Le chevalier de Viry ,
moufquetaire noir de la garde ordinaire du Roi ,
eut auffi l'honneur de prêter ferment' pour la
lieutenance de Roi de la Province du Bourbonnois.
Le fieur Perrache , de l'académie des fciences ,
belles - lettres & arts de Lyon , auteur d'un projet
, approuvé au Confeil , pour la conftruction
d'un nouveau quartier , qui fera établi dans les
lits du Rhône & de la Saône , au confluent de
ces deux rivières , a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi , le 26 Octobre par le ficur Bertin ,
miniftre & fecrétaire d'état .
Le comte de Guines , maréchal de camp ,
ambaffadeur du Roi auprès de Sa Majefté Britannique
, & ci -devant miniftre plénipotentiaire
auprès du Roi de Pruffe , a pris congé de Sa
Majefté ce même jour , pour fe rendre à Londres
. Il a eu l'honneur d'être préfenté au Roi
par le duc de Choifeul , miniftre & fecrétaire
224 MERCURE DE FRANCE.
d'état , ayant le département de la guerre &
des affaires étrangères .
Le fieur de Clugny , maître des requêtes , cidevant
intendant de la marine de Breft , qui
vient d'être nommé par le Roi , intendant général
de la marine & des Colonies , a eu l'honneur
de faire , le 25 Octobre , à cette occafion ,
fes très - humbles remercimens à Sa Majeſté , à
qui il a été préfenté par le duc de Praflin , miniftre
& fecrétaire d'état , ayant le département
de la marine.
NAISSANCES.
On mande d'Anjou , que la femme d'un nommé
le Roux , habitant de Verné , paroiffe de cette
Province , eft accouchée au mois d'Août dernier
, de trois enfans , qu'elle allaite elle- même
, & qui fe portent très bien. La même
femme étoit accouchée de deux enfans , neuf
mois auparavant.
MORT S.
, Charlotte - Amélie ducheffe de Holftein-
Sonderbourg , née Princeffe de Holftein -Ploen ,
eft morte à Auguftbourg , des fuites d'une couche
, dans la vingt- feptième année de fon
âge.
François Mazurier , laboureur , né au bourg
de Bubertray , Bailliage & Election de Mortagne
DECEMBRE. 1770. 225
en Perche , eft mort dans ce bourg le 8 Octobre
, âgé de 102 ans . Il n'avoit jamais eu d'autre
maladie que celle dont il eft mort. Il étoit
veuf depuis trois ans , & fa femme eft morte
âgée de 96 ans.
La comteffe de Durfort , mère du comte de
Durfort , maréchal de camp , eft morte dernièrement
, âgée de 70 ans.
Charles -Yves le Vicomte , comte du Rumain ,'
maréchal des camps & armées du Roi , gouver
neur pour Sa Majefté de la ville & château de
Morlaix , eft mort ici le 15 Octobre , âgé de
86 ans.
LOTERIES.
Le cent dix - huitième tirage de la Loterie de
l'hôtel - de - ville s'eft fait , le 25 du mois dernier ,
en la maniere accoutumée . Le lot de cinquante
mille livres eft échu au No. 16109. Celui de vingt
mille livres au Nº . 17110 , & les deux de dix mille
aux numéros 14010 & 17969 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait le s du mois dernier. Les numéros fortis
de la roue de fortune font , 14 , 63 , 31 , 18 , 78. Le
prochain tirage fe fera les Décembre.
226 MERCURE DE FRANCE .
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Suite du Printeins ,
L'Efpérance & la Crainte , fable ,
Vers à M. le M. de B. ,
Effets de la jaloufie ,
La Sagefle , Ode ,
Vers fur la revue du régiment du Roi ,
Le Jeu de l'Oye , Proverbe ,
Les Souhaits ,
Vers à Mde de C. ,
A Mile Olympe ,
ibid.
13
14
is
18
22
23
36
37
38
A m . Allégrain ,
A ma Maîtrefle ,
A Mde V *** ,
Réflexions ,
Epigramme ,
Autre ,
Autre ,
Madrigal
,
Autre ,
39
ibid.
40
41
43
ibid
44
ibid.
45
ibid.
Impromptu ,
Epigramme ,
Autres ,
Velfort. Nouvelle angloife ,
Dialogue entre Elifabeth & Henri IV ,
46
47
ibid.
$7
DECEMBRE . 1770 .
Explication des Enigmes & Logogriphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Amuſemens dramatiques,
Révolutions d'Italie ,
Code de la Religion & des Moeurs ,
Hiftoire de l'Eglife de Lyon ,
Voyage pittoresque de Paris ,
Hiftoire littéraire de la Congrégation de St
Maur ,
Elémens de l'hiftoire de France ,
Hiftoire des maladies de St Domingue ,
L'Arithmétique démontrée , opérée & expliquée
,
Poëfies tirées des faintes Ecritures ,
Journal de la cour de Louis XIV ,
La Murio - Métrie ,
Précis de la matière médicale ,
Tableau hiftorique des gens de lettres ,
Mémoires hiftoriques par M. du Belloy ,
L'Obfervateur François à Londres ,
Gazette univerfelle de littérature ,
Nouvelle méthode géographique ,
Rapport au fujet de la géographie de M.
l'Abbé de la Croix ,
Quinti Horatii Flacci Opera ,
Les douze Céfars traduits par M. de la
Harpe ,
70
71
74
77
ibid.
82
84
86
90
91
འམ་
93
94
95
96
97
୨୨
100
103
108
169
IIL
114
120
121
122
128 MERCURE DE FRANCE.
La Nimphomanie ,
130
Idées fur Molière , 133
Avis au Public , 143
Lettre de M. Groſley ,
145
Queftion ,
149
Montre à carillon ,
ibid.
SPECTACLES , Concert fpirituel ,
150
Opera ,
ISI
Comédie françoile , 152
Coménie italienne , 155
ACADÉMIES . 158
ARTS , Gravure , 168
Géographie ,
175
Mufique , 176
ANECDOTES ,
Lettre de M. Rigoley , fur un automate ,
De la nature des loix en général ,
Epigrammes ,
Eloge de MM. de Moncrif & le Préfident
Hénault ,
181
189
198
201
Arrêts , déclarations , & c .
AVIS ,
Nouvelles l'olitiques ,
Naiffances , morts ,
Loteries,
202
207
210
217
224
225
APPROBATIO N.
J'At lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Decembre 1770 , & je n'y ai
rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher
l'impreffion, A Paris , le 29 Novembre , 1770.
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
NOVEMBRE. 1770 .
Mobilitate viget . VIRG
FOUE
DU
RY
NEWS
PALAIS
ROYAL
A PARIS
Chez LACOMBE , Libraire
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
QUATAL
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités àconcourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenfes fur le
produit du Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour feize volumes readus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps. *
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas fouferit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés .
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
Libraire , à Paris , rue Chriftinė.
On trouve auffi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
16 liv.
20 1.4 f.
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par an à Paris.
Franc de port en Province ,
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque femaine , & qui donne la notice
des nouveautés des Sciences , des Arts , &c.
L'abonnement , foit à Paris , foit pour la Province
, port franc par la poſté , eft de 12 liv.
JOURNAL ECCLESIASTIQUE , par M. l'Abbé Dio
nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv . 16 f.
En Province , port franc par la pofte , 14 liv.
GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; il en
paroît deux feuilles par femaine , port franc.
parla pofte ; aux DEUX - PONTS ; ou à PARIS ,
chez Lacombe , libraire , & aux BUREAUX DE
CORRESPONDANCE . Prix , 18 liv.
GAZETTE POLITIQUE des DEUX- PONTS , dont il
paroît deux feuilles par femaine ; on foulcrit
à PARIS , au bureau général des gazettes étrangeres
, rue de la Jullienne. 36 liv.
L'OBSERVATEUR FRANÇOIS A LONDRES , compofé
de 24 parties ou cahiers de feuilles cha
cun; ou huit vol. par an. Il en paroît un cahier
le r ' , & le is de chaque mois. Franc de
port à Paris ,
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Et franc de port par la pofte en province , 36 liv.
EPHEMERIDES DU CITOYEN Ou Bibliothèque raifonnée
des Sciences morales & politiques.in- 12 .
72 vol. par an port franc , à Paris ,
En Province ,
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24 liv.
A ij
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DICTIONNAIRE portatif de commerce ,
1770 , 4 vol. in- 8 ° . gr. format rel . 201.
Le Droit commun de la France & la Coutume
de Paris; par M. Bourjon, n . éd . in -f. br. 241.
Traité de lajurifdiction eccléfiaftique contentieufe
, 2 vol. in-4 ° . br. 211.
Effai fur les erreurs &fuperftitions anciennes
& modernes , 2 vol. in- 8° . bt.
Le Diogène moderne , ou le Défaprobateur ,
2 vol. in- 8 °. br.
Le Mendiant boîteux , 2 part. en un volume
in- 8°. br.
Confidérations fur les caufes phyfiques ,
in-8°. rel.
Mémoire fur la mufique des Anciens ,
in-4°. br.
41.
s liv.
2 1.10 f
sl.
91.
Mémoire fur la conftration de la Coupole
projetée pour couronner la nouvelle
Eglife de Ste Genevieve , in - 4° . 1 1. raf.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in- 8 °. rel. 71.
Recréations économiques , vol . in- 8 . br . 2 1. 10 f.
Nouvelles recréations phyfiques & mathématiques
, 4 vol . in-8°.
24l..
48 1.
Le Dictionnaire de Jurifprudence canonique ,
in- 4°. 4 vol. rel .
Dict . Italien d'Antonini, 2 vol . in- 4 ° . rel . 30l.:
Meditations fur les Tombeaux , 8 br. 11. 10 f.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in- 8° .
broch. 11. 46
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE . 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ELÉGIE fur un cimetière de campagne ,
imitée de l'anglois de M. Cray.
DiÉJA l'aftre du jour terminant fa carrière ,
Dérobe à mes regards l'éclat de fa lumière ;
Le berger vigilant ramène les troupeaux ,
Pour goûter les douceurs d'un paifible repos ;
Le laboureur actif a quitté la campagne ,
Et vient avec effort rejoindre fa compagne .
Un filence profond règne fur l'Univers.
A iij
હૈં MERCURE DE FRANCE .
Des infectes aîlés , dans le vague des airs ,
Par leur bourdonnement & leur triſte murmure ,
Semblent jeter l'effroi dans toute la nature.
Mais ! d'où partent ces fons & ces gémiflemens ?
La crainte , la frayeur s'emparent de mes lens...
Sur d'anciens monumens que couvre le lierre ,
La chouette a fixé ſon ſéjour ordinaire ;
J'ai troublé fon repos en venant dans ces lieux ,
Et fes lugubres cris font portés jufqu'aux cieux.
Sous ces arbres touffus , fous ces ormeaux fauvages
,
Dont les fronts orgueilleux affrontent les orages ,
Sous ces triftes cyprès , on voit les vieux tombeaux
De nos anciens bergers , l'honneur de ces hameaux
;
La moufle que le tems à reduit en pouffière ,
Les dérobe à nos yeux ,
a
à la nature entière :
Infenfibles aux fons d'un champêtre inſtrument ,
Ils ne fortiront point de leur lit effrayant ;
Les parfums que Zéphire aura reçu de Flore
Ne feront point pour eux apportés dès l'aurore.
Combien de fois , hélas ! pour prix de leurs
travaux
་
Les préfens de Cérès font tombés fous leur faulx ,
Et d'un courfier fougueux modérant le courage ,
Ils menoient en triomphe un groffier attelage.
L'ornement des forêts , ce chêne audacieux
NOVEMBRE . 1770. 7
Qui , fier de fes rameaux , fembloit toucher aux
cieux ,
A gémi fous les coups de leur hache pefante ;
La terre envain pour eux devient plus indulgente
,
Et forcée à céder , ingrate jufqu'alors ,
Elle leur ouvre envain fon fein & fes tréfors.
Mais du fatal deftin l'arrêt irrévocable
Nous marque également le tems inévitable :
Les rangs font confondus , le fceptre , le rateau ;
Le chemin de la gloire aboutit au tombeau.
Altière ambition , fimulacre frivole ,
Ils déteftent ton culte & briſent ton idole ;
Et , foulant à leurs pieds tes biens & ta faveur ,
Dans des coupes de frêne ils goûtent le bonheur :
Et , ne defirant point le fafte & l'opulence ,
Ils n'ont d'autre tréfor que leur feuie innocence ;
Guidés par la raifon , ils fuivent fon flambeau ;
Le plus jufte d'entr'eux eft le roi du hameau.
Des éloges pompeux prononcés dans nos temples
,
De leur rare vertu n'offriront point d'exemples ,
Et n'ayant point acquis l'éclat d'un nom fameux ,
Ils feront oubliés ainfi que leurs aïeux.
Inutiles honneurs , pompe vaine & frivole ,
Rien ne rappellera ce fouffle qui s'envole ;
Envain pour eux l'encens fume fur nos autels ,
La mort eft infenfible aux regrets des mortels.
A iv
MERCURE DE FRANCE .
Celui qui dort ici , dans une paix profonde ,
Peut-être étoit-il fait pour commander au monde
,
Et d'un rayon céleste étoit - il animé ,
Qui , n'ayant point d'efforeft refté renfermé :
Des dépouilles du tems la fcience enrichie ,
N'a point ouvert fon livre , éclairé fon génie ;
Et la pâle indigence a glacé dans fon coeur
Tous les germes heureux d'un efprit créateur :
Ainfi , dans les déferts où rampent les reptiles ,
La fleur répand au loin fes parfums inutiles .
Là repofe un héros qui , défenfeur des lois ,
Contre la tyrannie cût élevé la voix :
Ici c'eſt un Milton , ignoré dans l'hiſtoire ,
Qui vécut fans écrire & qui mourut fans gloire ;
Là peut-être un Cromwel ; dans d'indignes liens ,
Il n'a point fait mourir de juftes citoyens .
Si leur vertu groffière eft reftée enchaînée ,
Leur ame ne fut point au crime abandonnée :
Aux pleurs des malheureux ne fermant point leur
coeur ,
On voyoit fur leur front les traits de la candeur ;
On ne les a point vus fur les degrés du thrône
Aleut Roi légitime enlever la couronne.
J'apperçois au milieu de ces vieux monumens ,
Un tombeau garanti des outrages du tems ,
Et l'on voit que , parmi la mouffe & le lierre ,
Quelques vers font gravés à peine fur la pierre.
NOVEMBRE. 1770 . 9
* Comment abandonner les enceintes du jour ,
Quand tout finit pour nous fans eſpoir de re-
» tour ;
"Et pour être à jamais victime du filence ,
Qui quittât fans regrets fa flatteufe exiftence ?
»Cette ame qui s'envole emporte des foupirs ,
»Et forme pour la vie encor de vains defirs :
Nos yeux , en fe fermant , follicitent des larmes
;
» La nature combat contre les propres armes ,
»Et du fond des tombeaux jette des cris affreux :
»De nos cendres on voit éclorre encor des feux. »
Un jour, fi quelque ami de cet endroit champêtre,
J
Les louant dans mes vers , defire me connoître ,
Si fon coeur eft fenfible aux cris de la pitié ,
S'il connoît tout le prix de la douce amitié ;
Peut-être qu'un berger , fous le poids des années ,
Dont les peines bientôt vont être terminées ,
Lui dira : je l'ai vu , dès la pointe du jour ,
Qui , du foleil trop lent , attendoit le retour.
Je l'ai vu dans ces champs , au lever de l'aurore ,
Fouler aux pieds les fleurs qui s'empreffoient d'éclorre
;
Là , fous ce chêne antique , au bas de ces côteaux ,
Affis , il écoutoit le murmure des eaux.
Il fuivoit , attentif, l'onde pure & tranquille ,
Dans fon cours arrofant une plaine fertile :
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Tantôt dans la forêt , d'un air trifte & rêveur ,
Il promenoit fes pas , déplorant fon malheur ;
Et proférant des mots qu'on entendoit à peine ,
De fa fombre trifteffe image trop certaine ,
Ilfe plaignoit au Ciel de la rigueur du fort ,
Il déteftoit la vie & demandoit la mort :
S'enfonçant dans le bois , il fuyoit la lumière ,
Voulant le dérober à la nature entière.
Deftin , s'écrioit - il , dans ces momens affreux ,
»Avec les élémens confonds un malheureux ;
»Le fommeil n'eft pour moi qu'un changement
» de peines ;
» Et la plus fombre nuit ne peut rompre mes
>> chaînes ;
Mais bien-tôt oubliant fon ancienne vertu ,
Dans un morne filence il gémit abattu .
Un jour , hélas ! Faut-il s'en fouvenir encore ?
On ne l'apperçut point , au lever de l'aurore ,
Et le foleil envain parut fur l'horifon ,
On ne l'entendit plus fur le tendre gaſon ,
Couché négligemment , à l'ombre de ce hêtre ,
Eflayer quelques airs fur un hautbois champêtre.
Un funèbre appareil & de lugubres chants
Me dirent : il n'eft plus ; & bien - tôt à pas lents
Je l'ai vu transporter dans fa fombre demeure ,
Son fils défefpéré le regrette , le pleure ;
Flein de reconnoiffance il faifit le cifeau ,
Et lui- même il grava ces vers fur fon tombeau.
NOVEMBRE . 1770. II
"Reçois- le dans ton fein , ô terre bienfaiſante ,
»Il ne brigua jamais les biens & les honneurs ;
» Des grands toujours dédaignant les faveurs ,
"Aux pauvres il tendoit une main indulgente ;
»Il aimoit à verfer des larmes avec eux .
>> Paffant , fi la fagefle éclaira fon enfance ,
» Dans le cours de ſa vie il reſta vertueux ,
»Réuni par ſon fils au ſein de ſes aïeux ,
IL REPOSE DANS L'ESPÉRANCE .
Par M. Couret de Villeneuve , d'Orléans .
0
EPITRE à mes Parens .
MES tendres parens ! ô mes meilleurs amis
Mon bon père ! ma bonne mère !
Lifez ces vers ; ils font de votre fils ,
L'amour les a dictés ; ils ont droit de vous plaire .
Ce font les premiers fruits de ma mufe timide
Qu'elle ofe expofer au grand jour :
Cenfeur , je ne crains rien de ton efprit rigide ,
Si ton coeur a connu l'amour.
Et qu'importe après tout à ma vive tendreffe ,
Que le poëte en moi foit en bute aux mépris ?
Ah ! je veux être un tendre fils ,
Et non un favori des nymphes du Permefle .
Amitié , ſentiment divin ,
Inftinct délicieux qu'on appelle nature !
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Je me fens embrafé de cette flamme pure
Que vous allumez dans mon fein.
C'en eft affez pour mon deffein.
Le feu de mon amour , fans art & fans ſcience ;
Doit communiquer fa chaleur ,
Et les règles de l'éloquence
Ne fe puifent que dans le coeur.
Oh que j'aime à me croire encore ,
Sous les yeux attendris des auteurs de mes jours ,
Quand , des jeux de l'enfance interrompant le
cours ,
La raifon m'éclaira de fa naiffante aurore.
Quand je goûtai pour la première fois
La douceur de fentir tout ce que je vous dois ,
O vous qui m'avez donné l'être ,
Et de qui j'aurois voulu naître ,
Quand fur le globe entier j'aurois pu faire un
choix
Des plus tendres parens que j'aurois pu connoître.
Je dis bien plus , mon père , & c'eft la vérité ,
Quand la trompeufe Antiquité
De les dieux impuiffans épouvantoit la terre ,
Et qu'un foible mortel au maître du tonnerre
Pouvoit devoir le jour & la divinité ;
Tu l'aurois emporté fur Jupiter lui même ,
Si j'avois pu du fort déterminer la loi.
Ah ! de quelque façon qu'il aime ,.
Un Dieu n'aime pas mieux que toi .
Et toi , ma mère , & toi dont l'ame fimple & pure ;
NOVEMBRE. 1770. 13
A l'inſtant où je vis le jour
Du premier fruit de ton amour ,
Rendit graces à la nature ;
Toi , dont je fis couler ces pleurs délicieux ,
Qu'au milieu des douleurs le plaifir fait répandre
Quand le fein d'une mère tendre
Pour la première fois offre un fils à fes yeux ;
Toi... Mais quel fouvenir horrible
Vient glacer tout - à - coup les tranfports de mon
coeur ?
O ma mère ! eft-il vrai qu'à ton ame fenfible
J'ai fait éprouver la douleur ?
Eft-il vrai que pour moi tu connus les alarmes ,
Que ton coeur s'effraya de mes vices naiffans ,
Et que fouvent , hélas ! la fource de tes larmes
S'épuifa vainement fur le feu de mes fens.
Qui ? Moi !. je pus un jour.. ô paffions brutales ,
O de mes fens trompés illufions fatales ,
Vous qui , loin du fentier où j'étois retenu ,
M'avez leuré long- tems de vos promefles vaines ,
Ceflez vos chants trompeurs , féduifantes lyrènes
,
J'entends la voix de la vertu
Dont les accens brifent mes chaînes ;
J'échappe au piége affreux que vous m'aviez
tendu ,
Et déformais à ma mère rendu ,
Par d'éternels plaifir j'effacerai fes peines.
14 MERCURE DE FRANCE.
Viens , maman , viens me voir , viens goûter mon
bonheur ;
Ne crains plus de mes fens l'impétueufe ivreſſe ;
Al'inflexible joug de l'auftère fagefle
Pour jamais j'ai foumis mon coeur.
De tes fages confeils trop long-tems fuperflus ,
A peine en mevoyant tu concevras l'ouvrage ,
Et , ne mereconnoiffant plus ,
Tu m'en aimeras davantage.
Ah ! fi tu favois tout , fi ton ſenſible coeur ,
Pendant une trop longue abſence ,
Avoit de mes deftins partagé la rigueur
En déplorant mon imprudence ;
Si tu m'avois pu voir , au défeſpoir livré ,
De mes jours malheureux prêt à couper la trame ,
Eteignant , rallumant une coupable flamme
Dont mon coeur étoit dévoré...
Barbare Théléma ! je benirois ta rage ,
Si j'euffe été moi feul en butte àfon tranfport ,
Puifqu'elle fouleva l'orage
Qui m'a fait entrer dans le port ;
Mais pourquoi tes mains criminelles ? ..
Hélas ! qu'allois-je dire , & quel égarement ,
Quand mes mains ont éteint ce grand embrafement
,
Me porte à rechercher de foibles étincelles
Queje vois à travers leurs cendres infidèles
M'épouvanter encor de leur éclat mourant.
NOVEMBRE. 1770 .
Chers auteurs de mes jours , louffrez qu'un voile
fombre ,
De ce fatal fecret vous cachant les horreurs ,
L'enveloppe à jamais de la nuit de fon ombre.
Ce fouvenir cruel , réveillant mes douleurs ,
Exciteroit en vous des fentimens femblables ,
Et le recit de mes malheurs
Nous rendroit encor miſérables.
Ah ! foyons tous heureux , puifqu'enfin je fuis
fage ;
Et lorfque du foleil le difque radieux
A diffipé l'affreux nuage
Qui le déroboit à nos yeux ,
N'allons pas de nouveau nous obfcurcir les cieux
Par le fouvenir de l'orage.
Comme tout eft tranquille au- dedans de mon
coeur !
Comme je fuis content ! fur-tout lorsque je penfe
Que mon contentement fera votre bonheur !
Chers parens ! chers amis ! . Ah ! faut - il que l'abfence
Eloigne ces objets de mes tranfports ardens ?
Mais l'ame fait franchir & les lieux & les tems ,
Pour elle il n'eft point de diftance ,
Son pouvoir en un point confond tous les inftans
;
Jejouis de votre préfence ,
Je vous vois , je vous parle au gré de mon defir ;
16 MERCURE DE FRANCE .
Mais non . Je m'abufois , toujours je vous regrette
,
Et mon illufion n'eft pas encor complette
Puifqueje ne meurs pas d'un excès de plaifir.
Pal M. A. Jullien
L'EN LEVEMENT.
Anecdote.
DANS un petit port de mer en Normandie
, Eléonore étoit de retour du
couvent , à quinze ans , chez fon père &
fa mère , qui vivoient d'un emploi , &
qui voyoient le monde. Si le titre de fille
unique ne lui étoit pas fort avantageux ,
la nature lui foumettoit la fortune. Le
front d'Hébé , les yeux de l'Amour , le
teint de Flore ; voilà Eléonore à peu près.
Elle excelloit dans la mufique & dans la
danfe ; & le quinton , entre fes belles
mains , étoit le roi des inftrumens . Sa
cour devint auffi brillante qu'elle pouvoit
l'être fur une côte maritime . Elle
enchaînoit auffi les étrangers : au bout de
deux jours qu'ils l'avoient vue , ils oublioient
fi bien leurs affaires , qu'ils fembloient
n'être venus que pour l'aimer.
NOVEMBRE. 1770 . 17
Cependant les femmes la difoient ftupi-
& toutes ne la vifitoient que par l'affurance
de trouver chez elle leurs plus
fidèles cavaliers.
de ;
Ceux qu'on croyoit le plus en faveur
auprès d'Eléonore , étoient le fils du commandant
, jeune homme aimable & généreux
; le fils d'un vicomte, garçon parlant
peu & mal, & un officier des claffes , qu'on
n'a jamais trop bien défini : tous trois
de figure paffable. Ils avoient pour ami
commun en apparence Orgon , jeune
homme laid , mais affez bien tourné ,
qui avoit tenu un enfant avec Eléonore
avant qu'elle allât au couvent , & qui ,
malgré cela , n'en étoit pas mieux auprès
d'elle . On n'en voyoit pourtant pas de plus
propre que lui à devenir fon époux , étant
riche & d'une famille fans tache & fans
luftre ; car le cominandant n'auroit pas
donné fon fils ; le vicomte étoit fier , &
l'on ne connoiffoit à l'officier des claffes
que très - peu de bien , encore moins d'économie
, & un grand appétit. Orgon affectoit
par orgueil de rendre indifférence
pour indifférence à Eléonore. Il croyoit
le prouver parfaitement par fa liaiſon
avec fes rivaux ; & fous ce déguifement
il alloit comme eux chez elle , d'où, pen18
MERCURE DE FRANCE .
dare un an , les ris & les jeux ne s'abfentèrent
pas d'un jour. Les chagrins n'étoient
que pour les amans , qu'une préfé
rence partagée ne pouvoit rendre heureux .
L'officier des claffes fut une fois ſi piqué
de ne point régner , qu'il alla s'enfoncer
dans une forêt voifine pour y injurier en
liberté la fortune , qu'il croyoit être la
feule caufe de fon défavantage. Impi
toyable déeffe , lui crioit il , que n'as - tu ,
par tes dons , effacé mes défauts comme
à tant d'autres . J'affurerois le bonheur
d'Eléonore. Cruelle fortune ! la juftice
eft- elle un crime à tes yeux ? Va , je méprife
à préfent ta main avare & prodigue ;
on est toujours affez riche pour mourir.
En finiffant ces fages réflexions il fe trouva
au pied d'un vieux chêne , qu'il confulta
long - tems fur fon martyre ; mais
par malheur cet oracle étoit fourd &
muet. Cependant la fortune étoit indignée
; ayant apparemment prié les dieux
de la venger des blafphêmes de cet amant,
il fut changé en poëte fur le champ , &
livré pour fa vie aux tourmens de la rime.
Il ne les fentit pas plutôt qu'il fe
fouilla pour trouver un crayon & du papier
; mais ne trouvant rien , fa rage augmenta
à tel point qu'il tira fon épée , &
NOVEMBRE. 1770. 19
( appuyant le fort de la lame fur fon épau
le ) fe mit à graver les vers fuivans fur
une écorce.
Que de maux n'ai - je pas foufferts !
Adieu , ma chere Eléonore.
Pourquoi vous reverrois - je encore ?
L'amour n'a pour moi qne des fers.
Il n'auroit pas eu affez d'écorce pour
finir ; mais il fut interrompu par un de
fes amis . Celui- ci étoit un autre fou , un
muficien , qui venoit auffi fatiguer les
échos du recit de fes peines pour un autre
objet. Nos amans étoient confidens l'un
de l'autre , & , bien loin de faire les gens
à bonne fortune , ainfi qu'il eft d'ufage
entre amis , c'étoit à qui fe diroit le plus
malheureux des deux. Ils fe difputèrent
jufqu'à leur retour à la ville , où l'amitié
reprit enfin fes droits fur eux . Perfonne
ne leur étant analogue , ils voulurent fouper
feuls enfemble ; mais leur tête- à -tête
dura vingt-quatre heures à table , en s'entretenant
du dégoût de la vie , & ils finirent
par ce couplet fi connu : Bachus , c'e
toi que je chante , & c. Il étoit réſervé à ce
dieu joyeux de remporter ce jour- là une
victoire complette fur l'amour.
Si Eléonore fit une perte on ne s'en ap20
MERCURE DE FRANCE.
perçut pas , & fa cour étoit roujours nom
breufe. Famur ( c'eſt le nom du père d'Eléonore
) & fa femme commençoient
pourtant à defirer qu'il s'offrît un parti ,
& penfoient que les filles les plus fêtées
n'étoient pas les plus faciles à pourvoir.
Il n'y avoit point à compter, comme on
a dit , fur le fils du commandant ni fur le
fils du vicomte , & le refte des adorateurs
de leur fille n'en étoit pas digne . Le jeune
compère Orgon n'avoit donc qu'à parler
: il parla , & fut écouté , même de fa
charmante commère qui , depuis quelque
tems , l'envifageoit d'un meilleur
ail. Il en avoit toujours été éperdument
amoureux , & il étoit enchanté de le voir
débaraffé du poids de fa diffimulation ;
mais , né jaloux , il ne fut pas plutôt aſfuré
de pofféder Eléonore qu'il devint fa
fentinelle. Il faifoit faction la nuit fous
fes fenêtres , craignant que , dans le nombre
de fes rivaux , il ne s'en trouvât qui
vouluffent profiter des derniers momens.
Il femble qu'un démon prenne plaifir
à perfuader les jaloux dans leurs foupçons
. Orgon ne fit pas trois fois fa faction
de nuit autour de la maifon de fa
prétendue qu'il entendit marcher . Il fe
NOVEMBRE . 1770. 21
retire en écoutant. Un peu de gravier
jeté à une fenêtre la fait ouvrir doucement,
& l'on dit tout bas : point de bruit,
je defcends . Orgon , fans crier qui va- là,
tombe fur l'heureux mortel qui attendoit,
& lui délivre vingt coups de canne qui le
font fuir à toutes jambes , ne reconnoiffant
pas là les bras de fa maîtreffe, Le
vainqueur refte à la porte qu'il croyoit
qu'on alloit ouvrir ; mais , comme on
avoit entendu ce petit choc , on ne l'ouvrit
point. Il fe retire, en attendant le jour
avec impatience pour couvrir d'ignominie
la perfide qui le trahiffoit fi - tôt , &
dès le matin il va chez Famur pour rompre
avec lui & tout ce qui a l'honneur de
lui appartenir.
C'étoit beaucoup pour Famur que de
perdre un gendre ; mais la perte de la réputation
de fa fille lui fembloit moins
réparable. Après tout ce que lui eut dit
Orgon , il lui répondit avec douceur : Ne
vous êtes vous point trompé , Monfieur ?
Non , non , répliqua l'autre , adieu ; je l'ai
échapé belle. On peut juger de l'accablement
de ce pauvre père, Il monte à la
chambre de fa fille , qui dormoit encore.
Que mon reveil et heureux , dit - elle en
avançant les plus beaux bras du monde :
je vois mon père en ouvrant les yeux...
22 MERCURE DE FRANCE.
Toi , m'embraffer , traîtreffe ! Il lui reproche
tout ce qu'il vient d'apprendre ; elle
fe défend envain ; il la condamne au couvent
pour le reste de fes jours , & la laiffe
fondre en larmes.
Mais elle n'eut pas pleuré deux heures
qu'Orgon revint pour fe jeter aux genoux
de Famur , & lui demander pardon
de la cruelle erreur où il l'avoit plongé ,
& dans laquelle il avoit été lui- même. Il
venoit de favoir au jufte que l'homme
qu'il avoit battu fous les fenêtres d'Eléonore
, étoit un matelot qui n'en vouloit
qu'à la fervante du logis. La fervante
queftionnée & confondue fut chaffée à
l'heure-même pour éviter de pareils quiproquo.
Quel changement pour Eléonore !
quels remords pour Orgon ! Il ne l'avoit
jamais vue fi vertueufe ni fi belle . Elle ne
lui pardonnoit qu'à demi ; mais elle croyoit
au furplus que cet exemple ne pouvoit
que le corriger , & qu'il ne s'en rapporteroit
plus aux apparences. Pour lui , charmé
d'avoir réparé ſa faute & d'être rentré
en grace , il preffa fi fort l'hymenée qu'il
fut conclu en moins de trois femaines.
Que d'envieux ! Orgon étoit un raviffeur
aux yeux de fes rivaux que , de foncôté,
il regardoit comme des loups ; & cet afyNOVEMBRE
. 1770. 23
le des ris & des jeux n'étoit plus qu'une
folitude de famille.
Peu de tems après , un meilleur emploi
obligea Famur d'aller demeurer à cinq
lieues de là. Orgon fut d'autant moins fâché
du départ de fon beau- père que c'étoit
un excellent prétexte pour arracher
entièrement Eléonore à la fociété . Il la
mena à une maiſon qu'il avoit à un quart
de lieue de la ville . Quelque défagréable
que vous paroiffe cette demeure , lui ditil
d'un ton de mari , vous devez vous y
plaire avec moi . Je ne fuis pas maître de
mes inquiétudes. M'aimez- vous ? ... Oui
je vous aime... Jurez - le moi : ... Je vous
le jure... hé bien , je n'en crois rien . Il
feignoit peut- être d'en douter pour avoir
droit de la gêner , & l'on meubla la prifon.
Deux ans s'écoulèrent fans qu'il s'y
paffât rien de ces querelles qui finiffent
toujours bien entre une jolie femme &
un mari jaloux . Mais un jour qu'il voulur
l'éprouver par une fauffe abfence ,tour
ufé dont on ne devroit plus fe fervir , un
petit maître qui le vit fortir & qui s'imaginoit
être aimé d'Eléonore , puifqu'elle
l'avoit vu paffer quelquefois , voulut profiter
d'une fi belle occafion pour entrer
chez cette adorable captive.
24
MERCURE DE FRANCE.
O Ciel ! s'écria- t elle , à quoi m'expofez
- vous , Monfieur ! Par grace fortez.
Quelle enfance , ma belle Dame , lui répondit
- il un galant homme vous fait
peur ? Je viens gémir avec vous des horreurs
de votre esclavage ; je fais votre état;
pardonnez fi j'ai tant tardé... On frape ...
C'eſt mon mari ! .. Hé bien , Madame,
fi votre mari eft à la porte , je fuis ici , &
chacun eſt à fa place. Toutefois les coups
furent fi redoublés que pour mettre fes
jours en fûreté , le galant homme ſe ſauva
dans un grenier en maudiffant de bon
coeur fon entrepriſe .
Eléonore ouvrit. Il n'eût fallu que fon
embarras & fa pâleur pour l'accufer . La
rage empêchoit le jaloux de parler , &
tandis qu'il décroche un piftolet , fa victime
s'échappe & va fe réfugier chez fa
nourrice.
Ne pouvant plus exercer fa fureur que
fur le galant homme , Orgon vole au grenier
, où il l'avoit entendu monter lorfqu'il
frappoit , & trouve un héros l'épée à
la main & à demi - mort. Il l'ajuſte : le
piftolet rate heureuſement. Cet époux
furieux fe voyant un arme inutile , mouroit
de peur à fon tour , croyant périr par
le fer de fon adverfaire ; mais celui ci
ne
NOVEMBRE . 1770 . 25
ne voulant pas être manqué deux fois ,
partit comme un éclair .
Orgon , défolé de n'être point vengé ,
fe feroir tué lui-même fi la crainte d'obliger
fa femme ne l'eût arrêté , & il voulut
vivre fans favoir pourquoi. L'infortunée
étoit en chemin pour aller demander un
afyle à fon père. Le pauvre Famur la crut
facilement innocente , & fe repentit bien
de l'avoir donnée à un frénétique qui n'en
favoit pas jouir. Orgon de fon côté déteftoit
le jour de fon hymenée , & , voulant
faire divorce ; il alla prendre un logement
dans la ville où réfidoit fon beaupère
, à qui il fit favoir fes intentions.
Perfonne de la famille d'Eléonore ne
s'y oppofa , non plus qu'elle ; & le jour
fut pris de part & d'autre pour paffer
l'acte de féparation. Les premiers adorateurs
d'Eléonore ne l'ayant qu'entrevue
depuis qu'elle fubiffoit un joug fi rigou
reux , furent charmés d'apprendre qu'elle
alloit en être affranchie ; & ceux qu'elle
avoit le plus aimés firent le voyage pour
la revoir à leur aife chez fon père , où ils
furent bien reçus .
Pendant que leur préfence rappeloit à
Eléonore le règne heureux qu'elle avoit
perdu , Orgon penfoit tout feul à ce qu'il
alloit perdre ; & la veille de la fépara-
B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
tion , fon ame éprouvoit les plus terribles
combats. Quoi ! s'écrioit - il , me féparer
d'elle pour toujours ! elle n'a encore que
dix-huit ans. Ce n'eft pas elle que je facrifie
, c'est moi - même. D'ailleurs fi elle
étoit innocente ... Mais que dis - je ? la
perfide m'a trahi & me trahira toujours ;
& ne fais je pas l'accueil qu'elle fait àpréfent
à mes anciens rivaux ? O monftre
adorable ! oui j'y renonce pour ma vie .
Dans cette agitation qui le tourmenta
jufqu'au milieu de la nuit , il ne penſa
point à fe coucher , & fe jetant feulement
dans un fauteuil , il s'affoupit.
Le père & la mère d'Eléonore , voyang
avec plaifir naître le jour qui devoit affurer
fon repos & le leur , voulurent euxmêmes
la réveiller. Mais de quel étonnement
ne font - ils pas failis en entrant
dans fa chambre ? Ils ne l'y trouvent point,
non plus qu'au lit ; la fenêtre eft toute
grande ouverte , & une échelle ne leur
laiffe plus douter que leur fille ne fe foit
fait enlever. La mère s'évanouit ; elle
n'a que la force de fonner pour avoir du
fecours , & le feu aux quatre coins de la
maifon ne l'auroit pas mife plus en défordre.
Famur fait ferment que fa tille
périra de fa main ; fa femme , après avoir
repris fes efprits , difoit amèrement : qui
NOVEMBRE . 1770 . 27
né ,
l'auroit cru capable de cela ? Elle aura fûrement
pris la fuite avec quelqu'un des jeunes
gens que nous avons reçus. Je me fuis
toujours méfié d'elle , crioit auffi Famur :
ce n'eft que mon malheureux gendre que
je plains aujourd'hui . Il n'avoit pas tort.
Elle nous a conté fon aventure à fon avantage
; je veux l'apprendre de lui . Je vais
le trouver pour unir ma colère à la fien-
& nous faurons nous venger... Il
fort. Mais ôprodige , ô merveille ! qu'apperçoit-
il en entrant chez Orgon ? Éléonore
fur fes genoux folâtroit avec lui . Orgon
fe jetant au cou de fon beau- père ,
lui dit avec tranfport : me pardonnerezvous
, Monfieur , tous les mauvais traitemens
que votre fille a reçus de moi ?
L'amour plus fort que mon reffentiment
m'a forcé cette nuit d'efcalader votre maifon
pour la revoir. Son coeur docile à ma
voix ne l'a point fait héfiter pour rentrer
dans des bras que la cruauté avoit armés
contre elle. Cette confiance eft la plus
fenfible marque qu'elle pouvoit me donner
de fa tendreffe ; & puifqu'elle a fi bien
fait fon devoir dans cette occafion , elle
eft incapable d'y avoir jamais manqué.
La jaloufie ne m'aveugle plus. Oui , j'adore
Eléonore ; & fouffrez que fes jours
& les miens ne foient plus filés que par
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
l'amour & la paix. Famur embraffa tendrement
ces époux reconciliés , & ainh
finit l'hiftoire.
Par M. V*** , S. D. M. L. C. D. N.
à Versailles.
LES REVERIES DU BOUIL,
Ode à M.le Comte de la Tour- Dupin ,
maréchal de camp , au fujet des beautés
defon château du Bouil,près Bordeaux ,
enrichi d'une machine hydraulique trèspuiffante
, qu'il vient d'y faire conftruire
par le Sr Gallonde , horloger du Roi,
SEJOUR antique de Sylvie ,
Douce retraite du bonheur ,
Dans ton fein , ma tranquille vie
Coule fans trouble & fans langueur.
Loin des erreurs dont je fus ivre ,
De fages propos , un bon livre
Maintenant comblent mes defirs.
Tout à mes yeux ſemble renaître.
Je traîne ailleurs le poids de l'être
J'en favoure ici les plaifirs.
Ta magnifique architecture
N'éblouit pas les yeux furpris ;
NOVEMBRE. 1779. 29
Mais la probité la plus purc
Habite fous tes vieux lambris .
La tendre amitié , jointe aux graces ,
D'un couple aimable y fuit les traces ,
Et fous tes toits loge avec eux.
Ainfi les antres les plus fombres ,
Sous l'épais voile de leurs ombres ,
Cachent des nymphes & des dieux .
Qu'avec plaifir mon ceil s'égare
Sur tes champs vaftes & féconds !
De les tréfors Cérès les pare ;"
Bacchus y prodigue fes dons.
Des plaines , des côteaux fertiles ,
Des forêts , des châteaux , dés villes
S'offrent à moi de toutes parts ;
Et deux orgueilleuſes rivières ,
Dont les magnifiques barrières
Fixent d'ici tous les regards.
Tantôt leur criſtal immobile ,
Qu'à peine rident les zéphirs ,
Me peint l'état d'un coeur tranquillé ,
Et le filence des defirs :
Mais bientôt leur onde irritée ,
Contre la barque épouvantée ,
M'offre les funeftes tableaux
De ces paffions orageufes ,
Dont les fougues tumultueufes
Troublèrent long- tems mon repos.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Quelquefois la mufe d'Horace
Suit dans tes bois mes pas errans ;
Apollon chante fur ſa trace ,
Mon coeur s'émeut à ſes accens .
Tout me ravit , tout m'intéreffe ;
Et je crois , dans ma douce ivreffe ,
Voir , de l'écorce des fapins ,
Sortir la Dryade légère ,
Qui vient danfer fur la fougère
Avec les amoureux Sylvains.
Quand fur nos campagnes brûlantes
Phébus épuiſe ſes rigueurs ,
Sous cent arcades verdoyantes
Je brave ſes vaines fureurs.
En un inftant leurs doux ombrages
Ont , dans ces lieux long - tems fauvages ,
Raflemblé Flore & les Zéphirs .
Tel jadis , à la voix d'Armide ;
L'affreux fommet d'un mont.aride
Devint l'afyle des plaifirs .
Mais par quel art , jadis captive
Dans la fange de fes rofeaux ,
L'onde aujourd'hui , loin de fa rive
Vient-elle arrofer ces côteaux ?
Cibèle ouvre fon fein avide ,
Et des fables d'un fol aride ,
Long-tems dédaigné par Cérès ,
Mon oeil étonné voit éclorre
NOVEMBRE. 1770. 31
Les dons de Pomone & de Flore ,
Et les richeffes de Palès .
De tes travaux , favant Gallonde ,
Tant de prodiges font le fruit.
O terre , déformais féconde ,
Bénis la main qui t'enrichit !
Newton , Hughens , illuftres ombres ,
Accourez des royaumes fombres !
Que vos fuffrages éclatans
Faffent triompher le génie ,
Et vengent des traits de l'Envie
L'Archimède de notre tems.
Gallonde , aux accens de ma lyre
Rarement Apollon fourit.
Qu'importe que ce Dieu m'inſpire ,
Quand la vérité m'applaudit ?
De la nature, ta fcience
Brave la vaine réſiſtance ;
Sa loi cède à ta volonté ,
Et, ce qui comble ton mérite ,
En la domptant ton art imite
Sa féconde fimplicité.
Que ne peut l'homme ? A fon génic
Tout eft foumis dans l'Univers :
On le vit , d'une aîle hardie ,
S'ouvrir un chemin dans les airs :
Il trace aux aftres leur carrière ,
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
Régit la foudre & la lumière ,
Maîtriſe les flots & les vents ;
Et fon bonheur feroit extrême
S'il favoit fe dompter lui - même
Comme il dompte les élémens .
Ces connoiffances orgueilleufes
Long- tems éblouirent mes yeux .
Dans mes recherches curieufes ,
J'embraffois la terre & les cieux ;
Oui , de tes fecrets , ô nature !
Je pénétrois la nuit obfcure ,
Et moi- même je m'ignorois :
Mais tout tient à l'art de bien vivre.
Mon coeur , tu feras le feul livre
Que j'étudierai déformais .
Et toi , dont l'amitié fidèle
Fera fans ceffe mon bonheur ,
Comte , de qui l'utile zéle
Forme mon efprit & mon coeur ,
Puiflé - je , au fein de l'innocence ,
Dans ces lieux qu'orne ta préfence ,
Fixer un jour mes pas errans !
Heureux château , féjour tranquille ,
Ton maître t'a rendu l'aſyle
Et des vertus & des talens !
NOVEMBRE . 1770. 33
LETTRE D'UN OFFICIER.
M. ayant été témoin oculaire de plufieurs cures
que le Sr Agironi , très - célébré botanifte , connu
par fon anti- vénérien végétal , a faites en faveur
de trois foldats de ma compagnie fans employer le
mercure , & fans intérêt, je vous prie a'inférer
dans votre Journal ces vers que m'a dictés l'amour,
patriotique.
A
D. R. Officier du régiment de C **.
HOMMAGE A LA VÉRITÉ.
ENNEMI NNEMI du mercure ,
Agironi , dont l'oeil curieux
Trouve dans la nature
Des fucs fi précieux .
Malgré notre défiance
Des loix de la faculté ,
Nous croyons à l'eſpérance
Quand tu promets la fanté.
Par ton heureuſe induſtrie ,
Coupant l'afle des deſtins' ;
Ce fonge , appelé la vie ,
Eft un fiècle dans tes mains.
Dai , ton baume aromatique
A des effets merveilleux ;
Mais crains que ton art magique
Ne rende jaloux les dieux.
By
34
MERCURE DE FRANCE.
Si de ta main bienfaisante
Tu conferves les mortels ,
La France reconnoiffante ,
Doit t'élever des autels.
A une Demoiselle , qui avoit renverse
un cadran folaire.
JEUNE FLORE , quelle humeur fombre
Contre l'aftre du jour tourne votre attentat 2
Ne vous fuffit- il pas d'effacer fon éclat ?
Laiffez du moins régner fon ombre.
Craignez que ce flambeau divin
Qui peut embrafer la nature ,
Ne venge fa cruelle injure
Sur la blancheur de votre tein.
Vos voeux accufent- ils la lenteur des journées ?
En attaquant leur cours croyez-vous le changer a
L'Amour, qui les rend fortunées ,
Pourra feul vous les abréger,
Par M. de la Louptiere
A une Dame qui difoit que l'on fe brouille
avec les convives à qui on préſente la
falière.
ENN dépit du grimoire antique ,
A la table des dieux que nepuis-je toujours
NOVEMBRE . 1770. 35
Vous offrir quelque grain de ce bon fel attique
Qui pétille dans vos difcours .
Des
propos de vous autres belles ,
Henriette , il faut fe garder ,
Votre enjoument permet d'élever des querelles ,
Votre vertu défend de les racommoder.
Par le même
LE BON PÈRE.
Proverbe. *
PERSONNAGES ;
M. MONDOR , riche négociant.
M. MONDOR DE FERVAL père , fous le
nom d'ANTOINE .
M. DE FERVAL fils .
JULIEN , domeftique .
La Scène eft chez M. Mondor.
SCÈNE PREMIERE.
Mr DE FERVAL , père , fous le nom
d'ANTOINE.
* Ce Proverbe eft imité d'une nouvelle de
M. B ** , inférée dans le Mercure.
B`vj
35 MERCURE DE FRANCE.
Ileft feul , affis devant une petite table ;
occupé à plier une lettre.
QUEL rôle je joue ! ... Combien il me
-
coute !.... fans compter la fatigue continuelle
de me contraindre , de m'obferver
à chaque inftant devant une troupe de
gens , qui , parce que je fuis nouveau
venu , ont les yeux ouverts fur toutes
mes démarches , épient toutes mes actions
, pèfent toutes mes paroles ... Mon
extérieur équivoque , les égards & la
politeffe de mon frère , qui n'a jamais fa
en avoir pour perfonne , à plus forte
raifon pour fés domestiques.... Tout cela
les dépayfe , & fixe d'autant plus leur
attention. Mais , que ces peines me
paroîtront légères ; que je me croirai.
heureux , fi elles peuvent me conduire
fûrement à mon but ! .... Enfans , enfans
! Si vous faviez combien vos défordres
, vos imprudences mêmes déchirent
cruellement l'ame d'un père ſenfible
, pourriez - vous vous y livrer auffi
légérement , fans être des monftres , dont
l'existence déshonore l'humanité .......
C'eft aujourd'hui , que nous allons frapper
le grand coup.... Je veux que ce foir
le fentiment qui ramène mon fils... Ah !
NOVEMBRE. 1770. 37
fi j'avois pu préfider à fon éducation ! ...
Ce fontles manières rudes de fon oncle ,
qui ont occafionné fa perte ; des leçons
auffi groffiérement données l'ont étourdi ,
plutôt que de le faire réfléchir.... Mais ,
le fonds de fon caractère eft excellent ;
c'eft là deffus que je fonde mes efpéranrances....(
Il appelle ) Julien .... Julien .
JULIEN , du dedans .
Plaît- il ? Eft ce vous , M. Antoine.
ANTOINE. Oui , c'eft moi ; allons , dé
pêchez- vous .
JULIEN , fans paroître.
Tout- à- l'heure , je fuis à vous ; un peu
de patience .
ANTOINE. Il faut effectivement que je
m'en muniffe d'une bonne provifion ;
mais , taifons -nous : mon extérieur ne
lui fait voir en moi qu'un égal ; le moindre
mot pourroit me décéler. Voici pour
tant mon homme.
SCÈNE II.
ANTOINE , JULIEN..
JULIEN. Quel diable vous tourmente
donc fi matin , M. Antoine ?
ANTOINE . Comment , fi matin ? Il eft
38 MERCURE DE FRANCE .
à l'inftant neuf heures ; n'êtes vous pas
honteux d'être encore au lit.
JULIEN. Ga vous eſt bien aifé à dire ;
fi vous vous êties couché , comme moi
au jour pour attendre mon fou de Maître
, qui n'eft pas feulement encore rentré...
( Il baille ) Pefte de maiſon , on ne
peut pas dormir ici fon faoul . Er bien ,
voyons qu'eft- ce que vous me voulez ?
ANTOINE. M. Mondor , eft - il levé ?
JULIEN. (Se frottant les yeux) Je crois
bien qu'oui ; mais il eft fûrement enfermé
dans fon cabinet , comme à fon ordinaire
.
ANTOINE. Portez lui cette lettre : dites
- lui de jeter les yeux deffus , &
que ,
lorfqu'il fera débarraffé , je l'entretiendrai
fur ce qu'elle contient.
> JULIEN . Etes- vous fou Maître An
toine ; mais , tenez , me faire lever pour
cela vous ne pouviez pas
faire votre
commiffion vous même.
ANTOINE. Il ne faut pas vous échauffer :
laiffez- là cette lettre , j'inftruirai M.
Mondor de vos refas.
JULIEN. (Prenant la lettre avec humeur.)
C'est que c'est vrai ça : vous vous faites
mieux fervir que les Maîtres , voyezvous
, & cela me déplaît à moi .
NOVEMBRE. 1770 . 39
SCENE III.
M. MONDOR , ANTOINE , JULien.
M. MONDOR . Bonjour , papa Antoine,
comment vous en va ? Mais , qu'est- ce ?
Vous parliez un pen haut à ce coquin- là :
eft-ce qu'il vous auroit manqué en quel .
que chofe ?
ANTOINE . Non pas , Monfieur ; mais ,
comme j'attends ici l'arrivée de M. de
Ferval , je le priois de vous porter cette
lettre , & il y étoit peu difpofé , parce
que je n'ai point d'ordres à lui donner :
cependant , lorfque j'ai dit que c'étoit
de convention avec vous....
M. MONDOR . De convention , ounon ,
morbleu , j'entends que l'on vous obéiſſe,
comme à moi - même qu'on vous
reſpecte.
ANTOINE. Oh ! voilà qui eft trop fort ,
par exemple , Monfieur : vos bontés vous
font oublier en quelle qualité je fuis
ici.
M. MONDOR . Si fait , fi fait , je m'en
fouviens à merveille; mais j'entends qu'on
vous diftingue , encore une fois , qu'on
vous obéiffe ; je le prérends : je fuis le
Maître chez moi , morbleu ; je fais ee
40 MERCURE DE FRANCE.
qu'il me plaît , & perfonne n'en doir
tirer des conféquences.
ANTOINE. Bas à M. Mondor, Taifezvous
donc , & renvoyez ce domestique.
M. MONDOR , à demi- bas à Antoine.
Laiffez , il eft bon de lui faite fa leçon .
(haut à Julien ) Va- t- en , & fouviens toi
bien de ce que je t'ai dit ; fi tu manques
à M. Antoine , vingt coups de bâton &
ton congé ne te manqueront pas. Entenstu
bien ?
JULIEN. Oui , Monfieur. (apart) Quel
homme que ce M. Antoine ; il y a quel
que chofe- là qui n'eft pas naturel .
SCÈNE I V.
M. MONDOR , ANTOINE .
ANTOINE. Vous êtes , en vérité , bien
inconfidéré ; il ne tient pas à vous que ce
domeftique ne foit abſolument dans votre
fecret : il est heureuſement un peu borné ,
car j'en connois mille , que vos brufques
imprudences auroient mis depuis longtems
au fait.
M. MONDOR. Comment , je fouffrirois
qu'un coquin de domeftique vous
manquât impunément à vous , mon frère;
non morbleu !
NOVEMBRE . 1770. 41
ANTOINE. Eh , mon Dieu , que vous
êtes vif ! J'aimerois mieux qu'ils me
manquaffent mille fois , que de fe douter
de ma véritable qualité. Mais venons
à quelque chofe de plus important ; la
lettre eft prête , je l'ai écrite moi même ,
pout tromper d'autant mieux de Ferval ;
il ne pourra méconnoître l'écriture , il a
fi fouvent reçu de mes lettres de l'Amérique.
Voici comme elle eft concue :
: (Illit. )
Mon cher Frère , c'eft du lit de la.
mort , que je vous écris ; quand vous
recevrez la préfente , je ne ferai plus :
tous les malheurs de l'humanité font
venus fondre enfemble fur ma tête . Une
fortune confidérable que j'apportois
avec moi dans ma patrie , vient d'être
enfevelie fous les eaux : on m'a fanvé ,
lorfque je périffois avec elle ; mais ce
n'eft que pour mourir plus cruellement .
La quantité d'eau que j'ai bue , une plaie
confidérable qu'on m'a faite en me tirant
du fonds de la mer , le défaut de foin ,
la mauvaiſe nourriture , fuite néceffaire
de mon indigence , & plus encore mes
inquièrudes fur le fort de ma famille &
le violent chagrin que me caufent le
dérangement & les débauches d'un fils ;
42 MERCURE
DE FRANCE.
toat cela , mon cher frère , ne me permet
pas d'efpèrer encore deux heures de
vie : je les emploie , ces derniers inftans ,
à vous manifefter des volontés que votre
amitié pour moi vous feront regarder
comme facrées ; je donne ma malédiction
à un fils indigne , qui s'eft fait une
rifée de mes remontrances un jeu de
mes peines , & qui n'a payé vos bienfaits
, que de la plus noire ingratitude ;
abandonnez- le à fon mauvais fort : qu'il
y trouve la peine de fon déréglement &
de la dépravation de fon coeur. C'eſt pour
ma fille feule que j'implote vos bontés ,
ou , pour mieux dire , votre amour franel
: vous la retirerez du couvent , vous
la recevrez chez vous , vous lui donne →
rez dans votre coeur la place dont mon
malheureux fils s'eft rendu fi indigne .
C'eſt la dernière faveur qu'attend de vous
un frère , qui fait beaucoup de fonds fur
votre tendreffe ; c'eft l'efpérance de l'obtenir
, cette faveur , qui peut feule mêler
quelques tempéramens à l'horreur de ma
fitustion .
Je fuis , & c. :
Votre frère DE FERVAL.
De l'Hôpital de Nantes,
ce 12 Septembre 1770 .
NOVEMBRE. 1770. 43
M. MONDOR . C'eſt bien , morbleu ,
c'eſt bien : mais , à votre place , j'autois
ma foi , pris un parti plus court & moins
gênant ; car , entre nous , vous jouez
un fatigant perfonnage.
ANTOINE . Je vous en réponds... Mais ,
Tailfons cela.
M. MONDOR . Défagréable , affommant...
Où donc avez-vous été chercher
cette idée-là ?
ANTOINE. C'est un parti pris & exécuté
; nous fommes convenus que vous
ne m'en parleriez plus.
M. MONDOR . C'eft vrai , pardon :
mais , je ne fais , fi , à votre place , je
n'aurois pas fait enfermer mon drôle à St
Lazare .
ANTOINE. Vous voilà avec vos partis
violens. Malheur aux hommes qu'on ne
peut ramener que par de pareils moyens !
On ne leur apprend qu'à mafquer les vices
; vous voulez des honnêtes gens ,
vous ne faites que des hypocrites.
&
M. MONDOR. Enfin , vous êtes le
maître ; mais au vrai , quel eft votre but ;
quelle fin attendez - vous de cette lettre.
ANTOINE . Je vous l'ai dit cent fois ,
ramener mon fils par le fentiment , le
44
MERCURE DE FRANCE.
faire rentrer en lui - même , examiner
comment il fupportera fa mauvaiſe fortune
, de quel oeil il verra le déſaſtre de
fon père , fa fin malheureufe , comment
il foutiendra l'idée d'avoir été lui-même
l'auteur de tous les maux , de lui avoir
porté le coup de la mort , comment il fera
affecté de l'expreffion d'une indignation
auffi juftement méritée ; fonder là- deffus
le plus intime de fon coeur. Si des fécouffes
auffi terribles ne l'emeuvent pas ,
c'eft le dernier des hommes , un malheureux
, que je renonce pour mon fils ;
je me fauve au fond de l'Amérique avec
ma fille , & mes richedes , vous priant
très fort de ne le point détromper , &
de ne me jamais parler de lui ... (fesyeux
fe couvtent de larmes ) que ..... pour me
faire favoir fa mort ... qui fera pour lors...
la feule intéreffante , la feule bonne
nouvelle que vous puiffiez m'apprendre .
( Il pleure. )
M. MONDOR , attendri. Et , finiffez !
vous m'attendriffez auffi moi ; fi donc :
à nos âges , pleurer comme des enfans ,
on fe moqueroit de nous . Allez , allez :
ayez bonne efpérance , vous ne ferez pas
réduit à cette extrêmité là.
ANTOINE. Je l'efpère bien auffi . Mais ,
NOVEMBRE. 1770. 45
mon fils va rentrer , modérez- vous avec
lui , je vous en prie : vous lui parlez
d'un ton , qui , bien loin de le ramener ,
ne fait que l'aigrir : vous l'avez toujours
traité très- durement ; il n'a vu en vous ,
depuis fon enfance , qu'un maître inflexible
, un tyran impérieux , chez qui les
plus petites fautes étoient puuies avec
une rigueur qui ne pouvoit augmenter
pour les plus grandes ; il s'eft accoutumé
à vous craindre & à vous détefter : devenu
plus grand , il a fécoué cette timidité
, & , de jour en jour , il vous hair
plus , & vous rédoute moins... franchechement
, je crois que cela n'a pas peu
contribué à le plonger dans le défordre,
M. MONDOR. Ah parbleu , vous m'entreprenez
actuellement moi ; ceci n'eſt
pas mauvais ..... Mais , j'entends du bruit ,
je gage que c'eft votre coquin de fils , il
rentre à une jolie heure.
ANTOINE . Au nom de Dieu , contraignez-
vous vous me l'avez promis.
M. MONDOR. Soyez tranquille.
SCÈNE V.
M. MONDOR , ANTOINE , M. DE FERVAL,
fils , JULIEN.
M. de Ferval entre brusquement , il eft cn
46 MERCURE DE FRANCE.
défordre , comme un homme qui a paffe
la nuit au bal ; Julien le fuit , portant
un domino.
M. de Ferval recule de furprise en appercevant
fon oncle. Oh , mon oncle!
(bas à Julien ) Bourreau ! pourquoi ne
m'as tu pas dit que mon oncle étoit ici ?
JULIEN ,hésitant . Monfieur ... c'eft que...
M. MONDOR. D'où venez - vous , Monfieur
, où avez - vous paffé la nuit ?
M. DE FERVAL , légèrement. Ma foi ,
mon cher oncle , c'eft un de mes amis qui
m'a donné le foupé le plus élégant : nous
avions grande chère , de bon vin , de
jolies femmes ne fuis- je pas excufable
de m'être un peu oublié ?
M. MONDOR , avec colère. Comment
Monfieur le libertin , ( Antoine le tirepar
fon habit ) je vous ai déja averti que ce
train de vie ne me plaifoit point ; je
mène une vie réglée , & j'entends que
tout le foit chez moi.
( Pendant tout le tems que M. Mondor
gronde , M. de Ferval eft diftrait &parle
par intervalles à Julien à l'oreille.)
M. DEFERVAL. Oui , mon oncle.
M. MONDOR , s'échauffant par degrés.
NOVEMBRE 1770 . 47
Oui ,Monfieur mon neveu , oui , j'entens
que cela foit; vous ne ferez , parbleu , pas
la loi dans ma maiſon .
M. DE FERVAL. Ce n'eft pas non plus
mon intention , mon oncle .
M. MONDOR . Qui ne le croiroit , pourtant
, à la manière dont vous vous comportez
: dans une auberge , corbleu , dans
une auberge , on auroit plus d'égards....
( avec emportement. ) mais m'écouterezvous
? (Antoine le tire encore. )
( Il reprend un ton modéré. ) Il faudra
nous féparer Monfieur mon neveu , il
faudra nous féparer ; j'attends pour cela .
des nouvelles de votre père.
M. DE FERVAL. Quand il vous plaira ,
mon oncle .
M. MONDOR , à demi- voix. Trop tôt
peut-être pour toi.
M. DE FERVAL. Dès aujourd'hui , fi
vous le voulez.
M. MONDOR . Nous... nous verrons..
( à part. ) je fuffoque , fortons . ( Il fort. )
SCÈNE V I.
M. DE FERVAL , ANTOINE , JULIEN.
M. DE FERVAL , avec humeur à Julien.
48
MERCURE
DE FRANCE
.
Comment tu n'a pas encore ferré ce domino
! voilà la troisième fois que je te
le dis .
Eh , Monfieur , eft - ce que je pouvois
entendre ? M. votre oncle fait un tel vacarme
! ..
M. DE FERVAL. Et bien ; vas y donc .
(Julien fort . )
SCENE VII.
M. DE FERVAL , ANTOINE .
M. DE FERVAL , fe jetant & s'étendant
fur un canapé. Avouez donc , mon pauvre
Antoine , que je fuis à plaindre d'avoir
affaire à un homme auffi brufque que
cet oncle .
ANTOINE. Mais , Monfieur , à mon
avis il ne vous dit rien que de jufte , vous
devez fentit vous-même...
M. DE FERVAL. Non , en vérité , je
ne fens rien ; quand il me parle , il m'étourdit
& puis c'est tout.
ANTOINE . Il eft vrai qu'il a le ton un
peu haut.
M. DE FERVAL. Que dis - tu ? haut ! Il
l'a brutal , infoutenable .
ANTOINE .
NOVEMBRE . 1770. 49
ANTOINE . C'est un oncle qui vous aime
, il eſt au défeſpoir de voir que vous
vous perdez .
M. DE FERVAL , riant. Je me perds !
Tu parles comme lui , veux - tu faire fa
parodie ?
ANTOINE , vivement. Oui , vous vous
perdez ; car enfin la vie que vous menez
n'eft elle pas condamnable ?
M. DE FERVAL. Mais , c'eſt la vie de
tous les jeunes gens d'aujourd'hui .
ANTOINE , plus vivement. Dites de tous
les libertins , de cette efpèce d'hommes
la plus méprifable de toutes . Si vous vouliez
jeter un coup d'oeil fur vous-même ,
vous en fentiriez la honte...
M. DE FERVAL. Sais- tu bien que tu es
le feul qui puiffe me dire de ces chofeslà.
( Il s'affied fur le canapé ) Tiens , je
veux bien t'ouvrir mon coeur : la vie que
je mène ne laiffe pas de m'être à charge ,
ce n'eft pas d'aujourd'hui que je fens combien
une vie douce & tranquille lui eft
préférable ; mais que veux- tu , mon cher,
il faut fuivre le torrent : irai - je à mon
âge , afficher la fageffe & le ridicule ? car
ils vont de pair. D'ailleurs , riche comme
je le fuis & avec les plus grandes efpéran-
C
so MERCURE
DE
FRANCE
.
ces , ne me trouvé- je pas dans la néceffité
de me faire honneur de mon bien ?
ANTOINE. Ah , Monfieur , qu'il vous
eft poffible de vous faire honneur de vos
richeffes , d'une autre manière ! & au
fonds vous penfez - vous bien honoré en
vous ruinant pour un tas de jeunes débauchés
qui fe moquent de vous & vous
grugent impitoyablement fans vous en
avoir la moindre obligation.
M. DE FERVAL. Je m'embarraffe peu de
leur reconnoiffance . Crois -tu que ce foit
pour eux que je m'épuife en dépenſes ?
Non , mon cher , défabufe - toi ; c'est pour
moi feul que j'agis ainfi ; j'en tire feul le
véritable profit. Ils font très- contens de
foutenir à mes frais une nobleffe indigente
; & moi , fils d'un fimple négociant,
très- fatisfait à ce prix , de marcher leur
égal. J'ai le bonheur de jouir en leur compagnie
d'une confidération qu'on n'accorde
qu'au fang le plus illuftre... Ah !
mon cher Antoine , un honneur auffi précieux
peut-il fe payer? non toute ma fortune...
ANTOINE , l'interrompant avec grande
vivacité. Bon Dieu ! quelle folie ! quelles
chimères ! comment pouvez- vous pouffer
l'extravagance ...
NOVEMBRE . 1770 .
M. DE FERVAL , avec fierté. M. Antoine
, M. Antoine , doucement , s'il vous
plaît ; vous abufez un peu de mes égards
pour vous.
-ANTOINE . Non , Monfieur ; c'eft par
affection que je vous fers , je ne fouffrirai
jamais que vous couriez ainfi à votre
perte .
M. DE FERVAL. Mais , M. Antoine..
ANTOINE , très - vivement. Vous pouvez
me renvoyer , Monfieur ; payer par un
trait de reconnoiffance fi digne de vous ,
le zèle qui m'anime ; mais vous ne pourrez
jamais me faire trahir mon devoir ,
approuver lâchement vos extravagances ,
ni encenfer vos défauts.
M. DE FERVAL. Antoine , je refpecte
votre âge , je pardonne à votre zèle ,
mais...
t
ANTOINE , d'un ton pénétré & s'approchant
affectueufement de M. de Ferval.
Mon cher maître , rentrez en vous- même
, vous avez une ame honnête & faite
pour le bien : eft il poffible que l'orgueil
vous aveugle affez pour empêcher de voir
toute l'indignité & la baffeffe... Oui ,
baſſeſſe du perſonnage que vous jouez ;
avec de l'efprit & du bon fens , il vous
ia
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
.
rend la dupe d'une troupe de jeunes infenfés.
Penfez à un père qui vous aime ,
qui vous idolâtre ; fongez quel feroit fon
chagrin s'il apprenoit que vous menez
une vie aufli méprifable. Ah ! je le connois
, il en mourroit .
M. DE FERVAL , vivement. Ah , mon
cher Antoine ! tu connois mon père , où
l'as- tu vu? Y a-t il long- tems ? Penfe- t- il
à...fa famille ?
ANTOINE , froidement. Je l'ai vu à la
Guadeloupe , où j'ai demeuré plus de
quinze ans il n'eft occupé que de vous.
SCÈNE VIII.
M. DE FERVAL , ANTOINE , JULIEN ,
JULIEN. M. Mondor , Monfieur, vous
demande ; il a quelque chofe de preffé à
vous dire ?
ANTOINE. Eft- ce à moi ?
JULIEN . A vous ? parbleu non ; on a dit
à Monfieur?
M. DE FERVAL. Sais tu ce qu'il mẹ
veut.
?
JULIEN. Non , Monfieur .
M. DE FERVAL . Quel homme il va
encore m'affommer de nouveaux reproNOVEMBRE.
1770 . 53
ches ; j'ai envie de n'y point aller ; ( à
Julien ) dis - lui que je fuis forti .
ANTOINE . Ne vous avifez pas de cela ,
ce font peut-être des nouvelles importantes...
de votre père ;. que fais - je moi ?
M. DE FERVAL. Vous avez raiſon , allons.
( Ilfort avec Julien . )
SCÈNE I X.
ANTOINE , feul. Il fe promène à grands
pas & d'un air penfif.
-
Il dit ceci par intervalles & très- lentement,
Voilà le coup de partie. Je vais voir
un homme bien confterné . N'y a - t - il
pas de la barbarie à le déchirer auffi impitoyablement...
car enfin je fuis für de
l'excellence de fon coeur ... de fa tendreffe
pour moi. Non ... il ne faut rien moins
que des coups auffi violens pour le tirer
de fon déréglement.... Il y eft accoutumé...
Son petit amour - propre en eft tant
fatisfait. L'état cruel où il faura que fa
mauvaiſe conduite a réduit un père qui
l'aime fi tendrement , peut feul lui ouvrir
les yeux ... J'entends du bruit ; le
voici fûrement. ( Il va s'affeoir d'un air
rêveur. )
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE X.
M. DE FERVAL , ANTOINE , JULIen.
M. DE FERVAL entre d'un air fombre ;
il paroît plongé dans le chagrin le plus
profond. Prépare nos chevaux , Julien ,
dans un quart-d'heure je décampe .
ANTOINE . Peut- on vous demander où
vous allez , Monfieur ?
( Julien fort . )
SCÈNE XI . & DERNIERE .
M. DE FERVAL , ANTOINE .
M. DE FERVAL jette un coup- d'oeil pour
voir fi Julien eft parti ; il embraffe enfuite
tendrement Antoine. Ah , mon cher Antoine
! mon vrai , mon unique ami , je
perds le meilleur de tous les pères ....
Que dis-je malheureux , c'eft moi qui lui
ai porté le poignard dans le fein ! Il fe
renverfe fur un fauteuil dans l'attitude
d'un homme défolé.
ANTOINE . Remettez vous , Monfieur ;
pour vous confoler , allons , racontez- moi
la caufe de vos chagrins .
M. DE FERVAL , lui ferrant la main.
Que je te les raconte ! j'expirerois avant
NOVEMBRE. 1770. 55
que d'avoir fini ce trifte recir. Ah mon
pauvre père ! monftre que je fuis ! ...
adieu , mon cher Antoine , adieu homme
digne & vraiment refpectable ; fouvenez-
vous quelquefois
d'un ami qui fut
plus imprudent que criminel .
ANTOINE . Mais je ne vous quitte pas ,
où voulez - vous aller ; quel eft votre deffein
?
M. DE FERVAL . Non , Antoine , vous
ne me fuivrez point . Abandonnez à fon
mauvais fort , un malheureux qui l'eft du
ciel & de la terre , qui a mérité la malédiction
de fon père , qui lui a porté le
coup de la mort... Ah , quel pays , quel
défert pourra cacher mes remords & mon
ignominie ! ( à Antoine qui veut parler )
Ceffez de me preffer ; tous les malheurs
font à ma fuite; ma fortune s'eft évanouie ,
à peine me refte- t-il le plus étroit néceffaire
.
ANTOINE . Et bien , Monfieur , j'ai un
petit bien fort honnête , fuffifant pour
nous faire vivre l'un & l'autre très à l'aife,
nous le partagerons.
M. DE FERVAL. Que ce trait - là eſt
admirable ! mais il ne me furprend point.
(Affectueufement ) Oui , mon digne ami ,
j'accepte vos offres ; que deviendrais - je
Civ
56 MERCURE DE FRANCE:
fans vous ? J'ai perdu le meilleur des pères
, vous m'en tiendrez lieu ; vous le
remplacerez auprès de moi , qu'il me fera
doux de vous donner ce titre !
ANTOINE . Monſieur , vous oubliez ce
que je fuis.
M DE FERVAL. Je me fouviens de votre
vertu. Non , fi mon malheureux père
vivoit , il ne penferoit , il n'agiroit pas autrement
; je ne fentirois pas pour lui plus
d'attachement , de vénération .
ANTOINE , fe jetant au col de M. de
Ferval. Mon fils , mon cher fils , embraffez
moi. Vos fentimens répondent à
mes espérances , je m'apperçois que la
féduction des mauvaifes compagnies ,
l'étourderie de votre âge & peut - être la
dureté de votre oncle ont été les feules
caufes d'un dérangement qui vous eft
fûrement actuellement en horreur. Ne
pleurez plus un père qui vit encore & qui
ne vit que pour vous aimer.
M. DE FERVAL fe jetant aux pieds de
Son père. Ah ! vous êtes mon père ! …..
Comment ai- je pu vous méconnoître ! ..
Mais dans quel état ... Ah ! mon père !.
M. DE FERVAL , père. Pardonnez - moi
cette fupercherie , mon fils , il m'importoit
trop de fonder votre coeur ; fi le déNOVEMBRE
. 1770. 57
règlement de votre conduite l'eût gâté ,
ah , mon fils ! quel chagrin pour moi , je
n'y aurois pas furvécu. Vous pardonnerez
auffi à votre oncle d'avoir donné les
mains à mon projet . La lettre , le naufrage
, le congé ; tout cela étoit concerté
entre nous. Tout a réuffi heureuſement
au gré de nos defirs. Entrons auprès de
votre oncle , vous y trouverez une foeur
digne de vous : je coulerai dans les embraffemens
d'enfans auffi bien nés , des
jours que pourroient envier les plus heureux
mortels . Votre oncle fentira combien
la manière dure & impérieufe avec
laquelle il vous a toujours traités eft dangereufe
; elle eft capable de vicier les plus
heureux caractères , il reconnoîtra la vérité
du proverbe qui dit que...
Par M. Garnier , avecat.
Le mot du Proverbe inféré dans le dernier Mercure
d'Octobre eft l'hommepropofe & Dieu difpofe.
INSCRIPTION pour le Bufte de
Mgr l'Evêque d'Orléans.
DeEz lui - même il tire fon luftre,
Et pourroit le paffer de titres & d'aïeux :
Cv
58 MERCURE
DE
FRANCE
.
Il n'aime de fon rang illuftre
Que le pouvoir charmant de faire des heureux.
REMERCIMENT
du Peuple de Nevers à
M. le Marquis de Tourny , brigadier
des armées du Roi , colonel du régiment
de la Reine , cavalerie , fur le fervice
important qu'il a rendu pendant la derniere
difette , à cette ville , où ce régiment
eft en garnifon.
TOURNY
OURNY , ce que pour nous votre amour vient
de faire
Suffit pour vous conduire à l'immortalité.
Vous aveztrouvé l'art , au fein de la misère ,
De faire des heureux par votre activité.
Cet art eft au- deffus du talent militaire ,
Le parfait héroïfme eſt dans l'humanité.
A Mde la Marquife de Tourny , fur la
grace qu'elle a apportée à Nevers à un
déferteur, au moment qu'il alloit fubir
fonfupplice.
COMPAGNE d'un époux , l'idole de nos coeurs ,
Rappelez-nous fans celle avec des traits de flamme
NOVEMBRE . 1770 . 59
Ce précieux inftant qui fit couler nos pleurs ,
Et les tranfports charmans dont jouifloit votre
ame ,
Quand votre zèle ardent arrachoit au trépas
L'infortuné mortel qui vous tendoit les bras.
Vous foumîtes nos coeurs au pouvoir de vos charmes
,
En vous voyant paroître on vous rendit les armes.
Quelque foit la beauté dont brilloient tous vos
traits ,
La douce humanité vous donna plus d'attraits.
Couple chéri ; des dieux la bienfaisance
A mis en vous notre félicité :
Si nous perdons aujourd'hui l'eſpérance
De vous dépeindre à la poſtérité ,
Dans tous nos coeurs on vous élève un temple
Où vos bienfaits qui ferviront d'exemple ,
Et vos deux noms , confacrés par nos voeux
Seront tranfmis à nos derniers neveux .
VERS écrits au bas du Portrait de
M. Boucher.
CET heureux & brillant génie
Eut pour maitre l'Amour & le dien des beaux arts.
Nobic ou voluptueux , toujours plein d'énergie ,
Par une a.mable & favante magie
C vj
Go DE FRANCE : MERCURE ERCURE
Ilfut parler aux coeurs & charmer les regards.
D'une main bienfaifante & füre
Il guida les efforts naiflans ;
Et fans s'armer du fiel de la cenfure ,
De les rivaux il voyoit les talens.
Comme il deffinoit la nature.
VERS à Mlle Valayer , reçue à l'acadé
mie royale de peinture , quelques jours.
avant la mort defon père qu'elle chérif
foit tendrement & dont elle étoit tendrement
chérie.
ORNEMENT RNEMENT de ton sèxe , ö toi , dont le favoir
Au rang de nos Zeuxis vient de te faire afleoir ,
Permets que fur ton front , où le trépas d'un père
Grave de la douleur le noble caractère ,
Mêlant à tes lauriers des guirlandes de fleurs ,
Je couvre de leurs ombres.
La trace de tes pleurs.
Mais ta main me repouffe ; & fous des voiles fom
bres
Cachant à mes regards tes modeftes attraits ,
Tu fuis : mais , en fuïant , tes paupières humides
Ont laiffé fur mes fleurs quelques perles liqui
des :
Cette douce rofée en rend l'éclat plus frais
NOVEMBRE. 1770. 61
Admire le pouvoir des larmes d'une belle.
Mais laiflons à l'amour à louer tes appas :
Si je les connoiflois , je ne répondrois pas
Qu'un fentiment plus vif n'eût fait parler mon
zèle :
Mais de l'amour le charme ou le poiſon
Ne trouble point pour toi mes fens & ma raiſon:
La raison , de l'amour , n'a point l'ardente verve ;
Son éloge eft plus froid , en eft- il moins flatteur ?
Pour chanter ton triomphe au temple de Minerve ,
Je ne prends que le ton d'un jufte admirateur ;
Homme par ton mérite , en homme je te loue.
Nature, en nous formant , aveuglément fe joue 3
Oui , fa main au hafard a , pour toi , de Vénus
Dénoué la ceinture.
Au plus brillant degré tes attraits parvenus.
Sans foins & fans culture ,
Charment fans ton aveu ;
Mais ,
2 2
la peinture
Le Ciela , dans ton fem , mis un ame de feu ,
Ses dons étoient perdus , fi ton ferme courage
De la nature en toi n'eût achevé l'ouvrage.
Comment , fi jeune encor , aux orages du coeur
Par miracle échappée ,
Des rayons de la gloire uniquement frappée ,
As- tu pu , de ton art , fonder la profondeur ?
Comment as- tu faifi l'étonnante magic
Be ces tons argentins , vrais & mystérieux ,
Dont l'illuftre Chardin furprend toujours nes
yeux
62 MERCURE
DE FRANCE
.
Au ſein de tes ſuccès par lui - même applaudie
Tu lus dans les regards étonnés & contens
Le plaifir d'un grand homme à prôner les talens.
Mais que dis je ? de tous enlevant les fuffrages ,
Tu vis en un moment dépoſer tes ouvrages
Et confacrer ton nom dans le temple des arts .
Affis à tes côtés s'offrent de toutes parts
Ces artiſtes fameux , dont la vive lumière
A guidé jufqu'ici tes pas dans la carrière.
Du peintre de Paphos , * le digne fuccefleur
Pierre , dont l'art fublime a tracé la fureur ,
Les charmes & l'amour de la fuperbe Armide ;
Vien , ton maître & le mien , dont le pinceau rigide
,
Conduit par le favoir & des yeux toujours fûrs ,
Donne à tous les objets des contours grands &
purs ;
L'époufe , à qui le fort unit fa deftinée ;
L'impétueux Doyen , l'ain a Grenée ,
Hallé , Vernet , le Moine , & Pigalle & Couſtou ,
Greuze , Latour , Cochin , & Roffin & Pajou ,
Vanloo , de qui le nom cher à la renommée
Toujours à l'Univers annonça les talens
Et tant d'autres enfin fidignes de mes chants.
Quand ta vertu par la gloire animée
Fuit l'amour & s'échappe aux plaifirs léduiſans
* M. Boucher.
NOVEMBRE. 1770 . 63
Dont , au printems des jours la foule enchanterefle
Environne une belle & l'affiège fans ceffe ;
Dans les bras de Minerve un doux confolateur
Répand , dans tous tes fens , une céleste flamme ;
Le travail t'a valu l'eftime de ton coeur
Et le calme de l'ame.
DIALOGUE
Entre PENELOPE & NINON L'ENCLOS
NINON.
EST - IL bien vrai que vous reſtates
fidelle à Ulyffe qui fut vingt ans éloigné
de vous ?
PENELOPE.
Eft-il bien vrai que vous ne pûtes refter
fidelle à ceux mêmes qui ne vous quittoient
pas ?
NINON.
Une queftion n'eft pas une réponse.
PENELOPE.
Il feroit fâcheux pour l'honneur da
beau fexe qu'on pût renouveller fouvent
la mienne.
64 MERCURE DE FRANCE.
NINON.
Seriez-vous auffi célèbre fi l'on vous eût
fouvent imitée ?
PENELOPE.
Eft- ce que je fuis célèbre ?
NINON.
Oui , graces aux vers d'un poëte qui vivoit
quelques fiècles après vous , & qui
avoit chanté l'inconftance d'Hélène . Il
vous peignit conftante ; peut - être pour
ne point fe répéter.
PÉNÉLOP E.
piquent
" IIll est vraiment fort honnête ce poetelà...
On dit que fes pareils ne fe
pas toujours d'être auffi équitables ?
NINON.
Malheureuſement , il eft plus facile
d'admirer celui- ci que de le croire . Mais
quoi ? Homère ne vous eft-il pas connu ?
N'a-t- il jamais cherché à voir l'héroïne
qu'il a chantée ?
PENÉLOPE
Je ne m'en fuis point apperçue
NOVEMBRE . 1770. 65
NINON.
Vous verrez qu'il doute lui- même de
votre exiſtence , & vous regarde comme
un enfant de fon imagination .
PENÉLOP E.
Il auroit tort . Je ne connois rien de ce
qu'il a écrit : eft - ce une preuve qu'il n'a
point écrit ?
NINON.
Au moins , doit - on lui faire honneur
du stratagême que vous employâtes pour
tromper l'impatience de vos amans.
PENELOPE.
De quel ftratagême parlez- vous ?
NINON.
De cette broderie que vous compofiez
le jour & que vous décompofiez la nuit ;-
en promettant aux afpirans de choisir entr'eux
, quand votre ouvrage feroit achevé.
PENÉLO PE.
Eh mais ! cette invention ne me paroît
pas fi mauvaiſe.
NINON.
Comme il vous plaira. Pour moi , je
66 MERCURE DE FRANCE.
réponds qu'elle paroîtroit infuffifante à un
Poëte François , encore plus à des Amans
François.
PENELOPE.
Une Françoiſe eût donc été bien embarraffée
à ma place ?
NINON.
Point du tout. Elle auroit feulement
mieux combiné fes moyens ; employé àpropos
la réferve & la coquetterie ; dif
tribué à celui - ci un coup - d'oeil ; à cet autre
un fourire ; confolé un troisième par
quelques mots échappés . Elle eût femé
entre eux la divifion , la jaloufie , quelquefois
même la confiance , & les auroit ou
confervés ou éloignés tous l'un par l'autre
.
PENELOPE .
C'est un art que je n'ai point connu.
On diffimuloit peu de mon tems. Je réfiftai
à des amans que je n'aimois pas : Hélène
fuivit un amant qu'elle aimoit.
Ν Ι Ν Ο Ν .
A propos , quel âge aviez - vous quand
on vous preffoit ainſi ?
PENELOPE.
Un peu plus que mes quarante ans.
NOVEMBRE 1770. 67
NINON.
Vous étiez bien jeune ! Hélène en avoit
plus de cinquante lorfque toute la Gréce
s'arma pour elle ; & moi , j'en avois quatre-
vingts , lorfque je rendis fou un homme
qui avoit fait voeu d'être toujours
fage.
PENELOPE.
Plaire encore à quatre- vingts ans !
NIN ON.
Dites plus , dites être aimée.
PE'N E'LOPE .
Vous aviez là un beau fecret. Je doute
que l'antiquité l'ait connu .
·
NINO N.
J'eus au moins l'honneur de le perfectionner.
Auffi n'eft ce qu'en France que
tout fe perfectionne. L'art de plaire eft
celui que l'on y cultive le plus , & où l'on
réuffit le mieux. Il eft utile , même aux
hommes ; il eft abſolument néceffaire aux
femmes. C'eſt auffi à quoi fe réduit parmi
nous leur ambition . Je puis répondre
qu'elles y ont fait de nombreufes découvertes
. Vos Grecques , du moins celles
68 MERCURE DE FRANCE.
de votre tems , attendoient tout de la nature
, & n'ajoutoient rien à fes dons . C'eſt
trop compter far eux . On a beau économifer
; un tel tréfor n'eft point inépuifable.
Il perd toujours de fa valeur quand
l'énumération en eft faite.
PENELOPE.
Hé bien ! comment prévenir un tel
malheur ?
NINON.
C'eft en quoi nous excellons . Notre art
confifte moins à cacher nos richefſes qu'à
paroître les multiplier . Nous fommes rarement
ce que nous femblons être , &
plus rarement encore le lendemain ce que
nous étions la veille . On nout voit tourà
tour, capricieufes fans caprice ; boudeufes
fans humeur ; folâtres fans gaîté ;
étourdies avec connoiffance de caufe
;
froides lorfque nous brûlons , enjouées
quand nous mourons d'ennui : nous entremêlons
, à propos , l'indulgence à la rigueur
, les égards à la diftraction , la fineffe
à l'ingénuité : enfin , nous prenons autant
de formes différentes pour plaire aux
hommes , que le Protée de votre tems en
prenoit pour leur échapper.
NOVEMBRE. 1770 . 69
PENELOPE.
Il faut convenir que votre emploi eft
bien pénible .
NINON.
Il a fes dédommagemens . Il nous affure
un empire durable fur des efclaves qui ne
demandent qu'à s'ériger en maîtres,
PENELOPE.
Mais , fi j'en crois certains rapports ;
vous abrégiez vous - même leur efclava-
Votre inconftance brifoit affez fubitement
les fers de vos captifs,
ge.
NINON,
Elle ne les en affranchiffoit pas tou
jours ; mais je ne faifois plus rien pour
les y retenir. J'aimois fincèrement forfque
je paroiffois aimer. Je l'avouois fans
détour , & j'en ufois de même quand cet
amour n'exiftoit plus. Ainfi , je n'abuſai
jamais perfonne. Bien différente de ces
femmes qui n'avouent leur penchant qu'à
l'extrêmité , qui changent comme je changeois
, & qui voudroient encore enchaî
ner ceux qu'elles facrifient.
PENELOPE.
Acquîtes -vous beaucoup d'eftime en
fuivant cette marche ?
70
MERCURE
DE FRANCE.
NINON.
Je ne réponds point de la multitude ;
mais j'eus l'eftime de beaucoup de perfonnes
que la multitude refpectoit .
PENÉLOP E.
Les tems font bien changés .
NINON.
Point du tout. Ce fut , dans tous les
tems , la force ou la foibleffe d'un caractère
qui déterminèrent , pour ou contre
lui , les fuffrages . On oublioit des diftractions
, portées un peu trop loin , en faveur
de bien des vertus portées auffi loin qu'elles.
On prifoit en moi l'amitié conftante ,
le défintéreffement prouvé ; la franchiſe
fans aigreur , la fierté fans dédain , l'efprit
fans prétentions . Homère ne m'eût peutêtre
pas chantée ; mais il eût pris mes confeils
pour en chanter d'autres.
PÉN ÉLO PE.
Homère me chanta fans prendre de
confeils .
NINON.
N'en tirez point trop avantage. Il chanNOVEMBRE.
1770. 71
ta Hélène avant vous . L'amour que vous
confervâtes pour Ulyffe n'eft point un
phénomène ; il étoit abfent & à peine
aviez - vous joui de fa préſence. Les amans
que je quittai ne me perdoient pas de vue ,
& cette épreuve eft infiniment plus forte.
Je m'en rapporte à mon fexe. Vingt ans
d'abfence me paroiffent un moindre tort
qu'une éternelle affiduité .
Par M. de la Dixmerie.
VERS SUR L'ESPÉRANCE.
UI , la douce efpérance eft l'ame de la vie :
Elle opère ici bas cent prodiges divers.
Par les illufions le criminel oublie
Et le fort qui l'attend & le poids de fes fers.
C'est elle qui , des flots voilant la perfidie ,
A l'avide Nocher fait affronter la mort ;
C'est elle qui nourrit la paſſion chérie
Qu'éprouve un tendre amant incertain de fon
fort.
Par elle , le guerrier s'immole à fa patrie ;
Elle flate les voeux d'un coeur ambitieux ;
Elle anime les arts , excite l'induftrie ;
72 MERCURE DE FRANCE.
Et même en nous trompant elle nous rend heud
reux.
Quand le tems a lappé notre foible exiſtence ,
Quand , la faulx à la main , la Parque qui le
fuit ,
S'apprête à nous plonger dans l'éternelle nuit ,
Tout meurt en notre coeur , hors la ſeule eſpé¿
rance.
Par M. d'Azemar , lieutenans an
régiment de Touraine.
A ma Tante , en lui envoyant un bouquet
pour fa fête , le jour de la St Denis.
QUE Que l'amour à fon gré gouverne l'Univers ↓
Qu'il impofedes loix à tout ce qui reſpire ,
Peu m'importe , ce dieu fur moi n'a plus d'empire
Je ne crains plus ni fes traits , ni fes fers ;
Il ne préfide plus aux accords de ma lyre.
A la tendre amitié je confacre mes vers.
Vous , qui m'avez appris à parler le langage
De la divinité que j'encenſe à- préſent ;
Yous
NOVEMBRE. 1770 . 73
Vous , dont l'ame fenfible & le coeur bienfaifant ,
Des plus nobles vertus font le fiége & l'image.
Chere tante , dans ce beau jour ,
Daignez fourire à mon hommage ,
Et par cette faveur embelliffez l'ouvrage
D'un fentiment plus pur & plus doux que l'amour.
Si les vers & les fleurs que ma main vous préfente
N'ont qu'un foible mérite , un éclat paſſager ;
Si ma main reconnoiffante
Rougit de vous offrir un tribut fi léger ,
Du moins mes fentimens , pour mon aimable
tante ,
Sont comme les vertus , trop parfaits pour chan
ger.
Par M. le François , ancien officier
de cavalerie.
L'EM PRUNTE U R.
DAANS un tripot rien n'eft plus néceffaire ,
Mais rien n'eft moins commun qu'un facile prêteur
;
Emprunter eft affreux pour un homme d'honneur
A qui le fort fulcite une mauvaiſe affaire :
Un joueur , quel qu'il foit , emprunte fans pudeur,
Et par fois l'argent manque au plus riche joueur.
Un jour un jeune militaire
D
74
MERCURE DE FRANCE .
Ayant , dans un grand jeu , la fortune profpère,
Ouvroit , à les amis , fa bourfe de bon coeur.
Les joueurs font pour l'ordinaire
Sans conduite dans le malheur :
Plus l'aveugle déeſſe à leurs voeux eft contraire
Et plus l'espoir de ſe refaire
De leur fatal penchant irrite la fureur.
Partant , c'est une chofe claire
Que notre fortuné joueur
Dans tout perdant connu vit un humble emprun
teur.
Tandis qu'il le rendoit à leurs prières folles ,
Et d'un refus cruel leur fauvoit l'embarras ,
Un de ces gens peu délicats ,
A qui les faux fermens , les démarches frivoles
Ne coûtent rien en pareil cas ,
Voyant que fans fuccès on ne l'imploroit pas ,
Lui demanda trente piſtoles.
«Volontiers , répondit le guerrier obligeant ,
→ Secourir fes amis dans un befoin urgent
» Eft un devoir bien doux aux yeux
"
» homme ;
» Je vais vous prêter cet argent ,
d'un galant
Et même avec plaifir je doublerai la fomme.
Si vous pouvez auparavant
» Me dire comment je me nomme. »
Chacun fe prit à rire , & l'emprunteur capot
Rougit , baifa la vue & quitta le tripot.
Par le même.
75
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» Eft u n cher Léandre
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Chacun
Rougit
ir Veurtu donc
uchette, au PanierFleuri
NOVEMBRE. 1776.
75
•
"
L'E'EXXPPLLIICCATION du mot de la premiere
énigme du fecond volume du Mercure
d'Octobre 1770 eft Mercure , pris fous
fes trois dénominations de vif
argent , du
Meffager des Dieux & d'ouvrage périodique.
La feconde , le Miroir ; la troifè.
me, Verre ; la quatrième , Rivière . Le
mor du premier logogryphe eft Tranchet,
où l'on trouve chantre , archet , tanche ,
char , chat , âne , rat , cane. Celui du feeond
eft Tête , où l'on trouve été , faifon.
Celui du troisième eft chou -fleur , où l'on
trouve , le feu , or , roch , cor , fleur ; ce
dernier mot retranché , il refte chou .
ÉNIGME
D'ENFANTER 'ENFANTER le bien & le mal
Je fais mon objet principal.
Sans le fecours d'une main étrangère
Je conftruis dans l'inftant des villes , des châteaux
,
Des villages & des hameaux ;
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE,
De même je fçais les défaire .
Plus vite que l'éclair je traverfe les mers ;
Je monte au ciel , je deſcends aux enfers ,
Et fans jamais quitter ma place
Je vole d'efpace en efpace ;
Enfin je fuis quand je veux en tout lieu ;
Cependant je ne fuis pas Dieu."
Quelle étrange métamorphofe !
Je deviens une fleur qui rampe fous la rofe .
A St Maurice , par M. Metairie.
AUTRE.
Nous fommes deux frères jumeaux
En tout parfaitement égaux .
Le même inſtant nous a donné la vie ,
On voit en nous l'aimable ſympathie .
C'eſt le même aliment qui nous fait fubfifter ,
Et tous deux feulement nous pouvons en uſer.
Le cerfaux pieds légers & le lièvre timide
Ne peuvent égaler notre courfe rapide.
On fait cas de notre beauté ;
Le petit - maître & la coquette
Remportent victoire complette ,
Après nous avoir exercé.
NOVEMBRE. 1770.
77
En un mot , cher lecteur , c'eft vous en dire affez ;
L'un de nous deux fuffit , cherchex , examinez .
Par M. Chemilly , à Auxerre.
AUTRE.
Je ne fuis pas un corps , pas même une ſubſtan-
E
ce ;
Tous les jours je renais , tous les jours je péris.
Je fuis & jeune & vieux , je reviens , je m'enfuis ,
Je ne fuis déjà plus & mon fils prend naiſſance ,
Si l'on parle de moi je fuis toujours abfent ,
Et je change de nom lorfque je fuis préfent.
Si l'on vouloit m'atteindre , on perdroit bien fes
peines ,
Envain pour me fixer emploiroit -on des chaînes .
C'est bien vous dire tout , écoutez , cher lecteur ,
Je fuis plus vieux d'un jour que n'eſt mon ſucceſfeur...
Par le même.
L2
AUTRE .
E luxe , les talens , la parure champêtre ,
Les modes & les arts m'occupent chaque jour :
Plufieurs métaux peuvent ine donner l'être ,
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
;
Et les deux fexes , tour - à- tour ,
M'exercent au befoin ; le bout du doigt me guide.
Je fuis oifif fije fuis vuide ;
Mais plein , tel qu'un bon combattant ,
Je poufle & pare au même inſtant .
Par M. Cabanis , de Salaignac près Brive.
LOGO GRYPHE.
DANS fix lettres , lecteur , mon nom t'offre un
oiſeau ,
Prend 2 , 3 , 4 & j'offre une franche pecore ;
Prend 1 , 4 , 5 , 6 , & je le fuis e core.
Diflèque moi tout de nouveau .
Par I , 2 3 , je fuis un inftrument ,
Par 4, 5
>
& 6 , je fuis un élément .
Par le même.
AUTRE.
A M. de St Brice , Seigneur de Saires ,
QUAN
à Mayenne.
UAND Pomone & Cerès m'ornent de leurs
préfens ,
Sans aucun intérêt , ami , je te les rends.
NOVEMBRE. 1770. 79
Admire ma bonté , reconnois mes largeffes ;
Le bon & le méchant partagent mes richeſſes.
Je marche fur huit piés qui , fans beaucoup d'efforts
,
Portent folidement la maſſe de mon corps.
J'expole fous tes yeux une illuftre fervante ,
Et celle qui pour toi fut toujours complaifante :
Ce qui , de Perpignan , décore l'arfenal ;
Ce qui fouvent propice eft quelquefois fatal :
Un homme qui , fâché , n'entend pas raillerie :
Deux élémens , auffi deux mots d'artillerie :
Certain morceau caché proche le coeur humain ;
Un petit animal pas plus long que la main :
Le defir d'un abbé , le defir d'une fille ;
La fin d'un vers , le chef de plus d'une famille.
Je te découvre encor , ( ce n'eſt point un haſard )
Ce qui fuit lâchement s'apprend toujours trop
tard :
Le point fixe & conftant où le fage s'arrête
Malgré les vains efforts qui roulent dans fa tête :
Plufieurs Saints , une loi , généralement tout.
Devine , fi tu peux ; pour moi je fuis au bout.
ASt Maurice , par M. Metairie.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
La Comteffe de Fayel , tragédie de fociété.
A Lyon , chez les frères Périffe ,
Libraires.
›
L'Editeur annonce que cette tragédie a
été faite en douze jours , & qu'il l'a fait
imprimer fans l'aveu de l'auteur , qui lui
avoit confié fon manufcrit. L'auteur lui,
même , dans une lettre à l'éditeur
condamne le fujet de Gabrielle , quoiqu'il
l'ait traité. « Je penfe encore que
ce fujet n'eft pas propre à la tragédie ,
» telle que l'ont entendue les Romains ,
les Grecs & les François , jufqu'à pré-
» fent. Le fond nullement fufceptible
d'Epiſode , fans intrigue & fans pa-
» triotifine , deux paffions ordinaires d'un
» ménage bourgeois , fans alentour qui
» donne de la variété au fentiment , une
» monotonie forcée d'expreffions & de
» rmes ; voilà les écueils contre lefquels
» il faut néceffairement lutter. «
>>
On pourroit condamner ce fujet par
de meilleures raifons . Il n'eft pas néceffaire
qu'une tragédie foit fufceptible
NOVEMBRE. 1770. 81
d'épifode. Au contraire , prefque tous les
fujets vraiment intéreffans font néceffairement
fimples , parce qu'ils offrent
à l'ame un grand objet qui la remplit ,
& dont il ne faut pas la diftraire. A l'égard
de l'intrigue , elle dépend abfolument
de l'art que l'auteur y fait mettre .
Elle doit être fon ouvrage . Pour la monotonie
d'expreffions & de rimes , l'homme
qui fait écrire , l'évitera dans quelque
fujet que foit. Mais , l'homme qui fait
écrire , eft beaucoup plus rare qu'un bean
fujet de tragédie. Quant à celui de
Gabrielle , tous les gens de goût s'accordent
à penfer aujourd'hui , qu'il n'eft
ni heureux ni théâtral . D'abord , à la
cataftrophe près , c'eft abfolument celui
d'Hérode , dont un grand homme qui
l'a remanié quatre fois , n'a jamais pu
faire qu'une ouvrage rempli de beautés ,
un modèle de ftyle tragique , & non
pas une bonne tragédie. Marianne eft
I'Efther du Racine de notre fiècle . On
regrette dans l'une & dans l'autre pièce ,
que tant de génie ait été prodigué fur un
fonds auffi ingrat. Le rôle d'Hérode devoit
faire tomber la plume des mains de
quiconque avoit à tracer le caractère de
Fayel. Ce Fayel raffemble for lui tout-
D v
22 MERCURE DE FRANCE.
l'intérêt de la pièce , parce que c'eft le
fi perfonnage agiffant , & qu'il eft
pationné & malheureux. Gabrielle eft
ronjours dans la même fituation , & nécofairement
monotone & inactive ; & ,
d'ailleurs , il ne faut jamais mettre fut
la fène un perfonnage , qui , fait pour
exciter de l'intérêt , eft placé dans une
telle fituation , qu'on ne peut rien efpérer
pour lui. Or , il n'y a rien à espérer
pour Gabrielle. C'eft une victime” qui
gémit & qui gémira , jufqu'à ce qu'en
la frappe. Alzire eft mariée commɛ Gibrielle
; mais , elle ne l'eft que du joue
même où revient Zamore , & elle riclame
hautement contre fon mariaze.
Voilà un noeud formé. D'ailleurs , 1-
rae eft na perfonnage bien autrement
pailonné que Couci , qui n'eft qu'un.aoge
reux fort ordinaire , qui fe cache pour
trouver le moment de voir fa maîtree..
Tout l'intérêt fe réunit donc fur Favelg
& cet intérêt , qui ne peut pas tue
bian grand , fe change en horreur au
cinquième acte . C'eft ce cinquième acto ,
fur -tout , qui a égaré ceux qui ont voula
traiter ce fujet . Ils ont cru cette catcftrophe
tragique ; ce n'est qu'une atrocité ,
qui dégoûte & qui révolte . Ce n'eft pas .
même une cataſtrophe , c'eft-d- dire , une
NOVEMBRE. 1770 . 83
révolution , qui , comme a dit Boileau ,
Change tout , donne à tout une face imprévue.
Tels font les dénouemens de Zaïre ,
d'Alzire , d'Adélaïde , &c . C'eſt une
barbarie recherchée , qui , demandant du
tems & de la réflexion pour être exécutée ,
eft néceffairement froide. En général , les
vengeances , pour être intérellantes au théâtre
, doivent être promptes , fubites ,
violentes. Il faut toujours frapper de
grands coups fur la fcène. Les horreurs
détaillées ne font que rebutantes . Un
coeur coupé en morceaux , apprêté , mis
ee fauce ou en jus , comme on voudra ,
non - feulement n'eft pas tragique , mais
même , eft l'oppofé de la tragédie.
Nec pueros coram populo Medea trucider
Neve humana palàm coquat exta nefarius Atreus
C'est ainsi que parloit Horace . M. de
Crébillon a , malgré ce précepte , rifqué
la coupe d'Atrée . Mais la coupe d'Atrée
n'a pas réuffi , à beaucoup près , généralement;
quoiqu'elle fût beaucoup moins révoltante
que la coupe de Fayel . Quelques
efprits faux , quelques jeunes têtes qui
n'ont pas réfféchi , croient que les atrocités
font le plus grand effort de l'efprit hu-
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
main , & que l'horreur eft ce qu'il y a
de plus tragique . Elles fe trompent beaucoup:
C'est tout ce qu'il y a de plus facile
à trouver. Nous avons des romans
inconnus & fort au - deffous du médiocre ,
où l'on a raffemblé affez d'horreurs pour
faire cinquante tragédies déteftables. La
grande difficulté , le grand mérite eft
de trouver le degré d'émotion où l'ame
aime à s'arrêter , & de n'exciter la pitié
ou la terreur , que jufqu'au point où elle
eft un plaifir . Si , dans tous les arts , il ne
s'agifloit que ddee ppaaffffeerr llee bbuutt , rien ne
feroit fi commun que les grands artiftes ;
mais il s'agit de l'atteindre.
Pauci quos æquus amavit Jupiter.
La Comteffe de Fayel diffère des deux
autres , en ce que Couci n'y paroît point ,
& que le coeur eft fondu en breuvage.
D'ailleurs , ce font les mêmes détails de
douleur dans le rôle de Gabrielle , & de
jalousie dans celui de fon mari . Le peu
de tems que l'auteur a mis à compofer
fon ouvrage , marque une étonnante facilité
; & , plufieurs endroits , écrits avec
intérêt , marquent du talent. Voici les
premiers vers de la pièce . Gabrielle eft
fuppofée s'éveiller , après un fonge funefte
.
NOVEMBRE . 1770. 85
Où fuis-je ? Quel objet dans mon amé éperdue
A porté la terreur & frappe encor ma vue ?
Mon trouble a -t- il produit ce ſpectre enfanglanté
?
N'étoit - ce qu'un vain ſonge ? Eſt ce une vérité ?
Est- ce toi , cher amant , & c.
Si tu n'es plus , ah ! loin de vouloir te furvivre ,
Chere ombre , reparois , je fuis prête à te fuivre.
Viens de mes triftes jours éteindre le flambeau.
Hélas ! depuis fix mois j'habite le tombeau.
C'est ici que Fayel enivré de vengeance ,
Opprime la vertu , fait gémir l'innocence ,
Que morte pour les miens , n'exiſtant que pour
toi ,
Libre encor dans les fers , je te garde ma foi , &c.
Le défaveu de la Nature. Nouvelles lettres.
en vers , avec gravures. A Londres ,
& fe trouve à Paris , chez Fétil , libraire
, rue des Cordeliers , au Parnafle
Italien .
La premiere de ces lettres , eft celle
d'un père à fa femme , fur la mort d'un
fils qu'il avoit fait inoculer à Londres .
Le fait est tiré d'un mémoire en rapport
contre l'inoculation , par M. de l'Epine
médecin de la faculté de Paris . Voici
quelques morceaux de cette épître. Le
père repréfente fon fils au lit de la mort.
86 MERCURE DE FRANCE.
Il entr'ouvroit encor -fa mourante paupière .
Il me voit à travers un refte de lumière .
Je l'entends qui m'appelle , & me tendant la main,
Il renverse auffi-tôt la tête fur mon ſein .
« Je fuccombe , dit-il ; quel jour encor m'éclaire ?
»O , mon père ! eſt - ce vous que je vois fans ma
>> mère ?
Oubliez , s'il fe peut , que vous aviez un fils .
» Mes jours étoient à vous , vous les avez repris.
Non , je vous dois encore , & vous êtes mon 33
ל כ »père,
» Mais je ne vous vois plus , & déjà la lumière..»
Sa bouche à cet effort ne peut plus fe r'ouvrir ,
Je l'ai vu me chercher , m'embrafler & mourir.
Il prend le parti de fe retirer dans un
cloître , & invite fa femme à fuivre fon
exemple.
Bientôt , par un écrit arrofé de tes larmes ,
J'apprendrai qu'un tel fort aura pour toi des char
mes.
Ainfi , fans abjurer nos fermens mutuels ,
Nous les convertirons en des vaux folennels.
Il faut qu'en ces lieux faints où la douleur fuccombe
,
Nos mains qui , chaque jour creuferont notre
tombe ,
Y tracent nos malheurs à la postérité ;
Que l'avenir les life & ſoit épouvanté.
NOVEMBRE. 1770. 87
Laiſſons-lui , par des traits qui puiffent nous furvivre
,
Notre crime en horreur & notre exemple à fuivrea
Cette expreffion de crime eft excufée par
le défefpoir du père. Il y a tant de probabilités
pour le fuccès de la petite vérole
inoculée , que lorfqu'on tombe dans
le cas , très- rare , de l'exception , c'eſt
un malheur , & non pas un crime. Nous
devons , d'ailleurs , remarquer que l'auteur
ne dit pas ce qu'il veut dire en parlant
de vaux folennels , pour exprimer
des voeux monaftiques. Les voeux du
mariage font auffi très-folennels. Ainfi la
propriété des termes manque , & c'eſt
ce qu'il ne faut jamais négliger . Nous ne
donnons cet avis au jeune auteur , que
parce qu'il annonce dans cette lettre &
dans les autres morceaux qu'il y a joints,
du talent & de la fenfibilité.
Religion Chrétienne prouvée à un Deifle ,
parM. l'Abbé Pey , chanoine de l'Eglife:
cathédrale de Toulon , ancien vicairegénéral
& official de feu M. de Choin
2 vol. in-12. A Paris , chez Humblot ,
rue St. Jacques , 1771 , avec approba
tion & privilége du Roi,
$$ MERCURE DE FRANCE.
La préface n'eft qu'un fimple expofé de
ce qui a donné occafion à l'ouvrage, de
l'ordre des matières , & de la manière
dont l'auteur fe propofe de les traiter.
Il prélude dans le premier chapitre ,
contre les incrédules en général ; en faifant
voir qu'ils ne peuvent être , dans
leurs fyftêmes ni raifonnables , ni vertueux
, ni heureux .
La lumière qui naît du fond des chofes
& de l'évidence des faits , éclaire l'éfprit
, intérelle le coeur , & doit abattre ,
au moins , ceux qu'elle ne convertit pas.
Enfuite vient la religion des Juifs.
L'auteur en trace d'abord le tableau ; il
montre la vérité & l'autenticité des livres
de l'Ancien Teftament , & fur- tout du
Pentateuque , & amène à l'appui de
toutes les raifons qu'alléguent les Apologistes
de la religion , l'autorité des
anciens hiftoriens profanes. On eft furpris
de voir , dans la tradition des premiers
peuples , les monumens des faits
Tes plus extraordinares que Moïfe avoit
rapportés. Les prophéties ajoutées aux
miracles opérés en faveur de la nation
Juive , forment une nouvelle preuve de
la divinité de la Loi Mofaïque. L'auteur
les expofe d'abord d'une manière concife ;
il en fait voir la chaîne & l'accompliſ
NOVEMBRE . 1770. 89
fement avant J. C. & fe contente de
choific celles qui ont rapport aux principaux
événemens pour les développer
avec quelque étendue ; il le fait avec
un choix , un ordre & une érudition qui
intéreffe le lecteur.
L'auteur , paffant de-là à la Religion
Chrétienne , pofe le fondement de fes
preuves , en commençant par établir la
vérité des livres du nouveau Teftament ,
& fur- tout des quatre Evangéliftes , &
la fidélité de la tradition qui nous les a
tranfmis . L'auteur , qui femble avoir devant
les yeux l'églife naiffante , faifit la
chaîne de cette tradition qui tient , dès
fon origine , à une multitude d'églifes
particulières répandues dans la moitié
monde , y montre par- tout un témoignage
unanime rendu aux écrits facrés
des Apôtres & de leurs difciples ; il approfondit
tout ; il confulte les fources
mêmes que l'héréfie ou la fuperftition
ont empoisonnées , & en forme la preuve
la plus complette & la plus fenfible. Ce
morceau feul vaut un ouvrage .
Après cela , l'auteur parle des vertus
de J. C. , de fa doctrine , de fes miracles ,
appuyé fur le témoignage des auteurs facrés
;
enfuite il traite de fa mort , de
90 MERCURE DE FRANCE.
fa réfurrection , de l'établiſſement de
l'églife , de fes progrès , des moeurs &
des miracles des premiers Chrétiens. Tous
ces articles forment autant de preuves ,
& font exposés fous de nouveaux , points
de vue , avec beaucoup d'énergie & d'élévation
dans les idées.
Pour faire encore mieux fentir le miracle
de la protection divine en faveur
de l'églife de J. C. par un contraſte
frappant , M. Pey fait à la fuite l'expofition
des malheurs des Juifs , & de leur
aveuglement , depuis qu'ils ont crucifié
le fils de Dieu ; il montre , par la natyre
des fléaux dont ils ont été frappés
& par les prédictions qui en avoient
été faites , la main vifible d'un Dieu
vengeur qui punit la nation . Dans le
parallèle qu'il fait enfuite des deux lois ,
il montre la rélation néceffaire qui eft
entre elles , & la conformité des traits
qui les caractérisent ; & il montre , en
même-temps , la fupériorité de la loi
nouvelle fur l'ancienne , pour faire voir
qu'elles ont l'une & l'autre une même
origine , & que celle - ci étoit le complement
& la perfection de la première.
Le chapitre fuivant regarde les proNOVEMBRE.
1770. 91
phéties ; c'étoit - là comme le dernier
trait qui réuniffoit les différens objets ,
qui avoient fait la matière des chapitres
précédens , & il devoit naturellement
terminer les preuves. M Pey , maître , de
fon fujet entre en matière , pofe les grands
principes , abrége les difcuffions , renvoie
aux notes la plupart des autorités , dégage
le ftyle , en retranchant tout ce qui
pourroit le faire languir ou interrompre
le fil qui forme la liaiſon & le plan des
prophéties ; & , par l'ordre , la préciſion
l'enchaînement des idées , par les nouveaux
points de vue , fous lefquels il enviſage
les oracles facrés , par la doctrine de
l'ancienne fynagogue , la conformité de
cette doctrine avec les nouvelles prédictions
de J. C. & les événémens poftérieurs
, il fait voir l'accord & le dévéloppement
des deffeins de Dieu annoncés
dès le commencement , tracés dans
les livres facrés & accomplis dans le
tems.
L'auteur met dans fes preuves un intérêt
particulier , non feulement par la
manière dont il les expofe , mais encore
par le foin qu'il a de placer à la fin de
chaque chapitre les objections pricipales
avec les réponſes ; les objections pré92
MERCURE DE FRANCE.
fentées fans déguifément , arrêtent d'a
bord le lecteur par une eſpèce de nuage
répandu fur les vérités qu'on a traitées ;
mais il voit bientôt l'illufion fe diffiper
par une force de
raifonnement , qui , en
dévéloppant les idées , donne aux preuves
mêmes qu'on a établies encore plus
de profondeur & d'évidence .
Cela fe manifefte d'une manière encore
plus fenfible dans le dixième
chapitre , qui vient à la fuite des prophéties
, & où l'on montre la différence
qu'il y a entre la Religion Chrétienne ,
& les fauffes Religions , dans les carac
téres mêmes par lefquels elle paroît
d'abord leur reflembler. On y apperçoit
la diftance infinie qui fe trouve toujours
entre les ouvrages de Dieu & ceux des
hommes.
Le onzième chapitre traite des myftères
, foit en général , foit en particulier
. Les mystères , confidérés en général ,
fe tournent eux mêmes en preuve de la
Religion ; mais en defcendant aux myftères
en particulier , l'auteur refpecte les
bornes que
la foi a prefcrites à la raifon;
il fe contente , par une fimple analyſe
des
objections des idées nettes
une logique claire & exacte , de mon-
• par
>
NOVEMBRE. 1770. 93
trer que ces objections ne portent fur
aucun fondement folide .
Le douzième & dernier chapitre eft
employé à combattre la prétendue bonne
foi des incrédules . L'auteur les juge par les
faits & par les difpofitions de leur coeur ,
fur lefquelles il interroge leur confcience :
cela lui donne une occafion de récapituler
les preuves de la Religion par la
réunion des différens objets , qui , rapprochés
fous un même point de vue ,
portent la conviction au fond de l'ame
& qui , s'ils ne rappellent pas le Déïfte
à la Religion , fufcitent au moins fa
confcience contre lui - même.
Ce traité est écrit avec beaucoup
d'ordre. Une grande connoiffance de
l'hiftoire , tant facrée , que profane , de
l'écriture-fainte ; & , s'il m'eft permis
de le dire , de la théologie , un enchaînement
naturel d'idées , une force victorieufe
de raifonnement , un ftyle clair ,
noble , animé & précis , femblent avoir
rempli le deffein que M. Pafcal avoit
tracé , & que M. Pey paroît s'être propofé
dans fa préface , d'intéreffer le coeur
& d'éclairer l'efprit.
Inviter ceux qui ont des talens pour
défendre la Religion , à former une fo94
MERCURE
DE FRANCE.
ciété contre les incrédules . Cet objet
feroit digne des foins des plus grands
Prélats du Royaume.
Lettre de l'auteur des Confidérations fur
les caufes phyfiques & morales du génie ,
des moeurs & du gouvernement des nations
; & fur les plaintes de l'auteur de
l'Esprit des nations , inférées dans l'année
littéraire.
On finiſſoit , Monfieur , d'imprimer
fous mes yeux , la feconde édition de
mes Confidérations , &c. lorfque j'ai appris
que l'auteur du livre intitulé , l'Eſprit
des nations , fe plaignoit fort amérement
de la liberté que j'avois prife d'employer
plufieurs matériaux dont il avoit fait
ufage. Par tout ce que j'avois dit à ce
fujet dans ma préface , je penfois avoir
prévenu toute efpèce de plainte de la
part de cet écrivain . Je déclarois alors ,
& j'aime à le répéter encore , que j'ai
trouvé d'excellentes chofes & de trèsfages
obfervations dans l'Esprit des nations
; mais je dirai en même tems ,
& la vérité eft , qu'à l'âpreté du ftyle de
cet ouvrage , fort fouvent inintelligible ,
j'avois cru , de bonne foi , l'auteur étranNOVEMBRE.
1770 .
95
ger , & fur- tout , fort peu familiarifé
avec la Langue Françoiſe : je difois auffi
que je n'avois ufé que très-fobrement de
fes obfervations , ce qu'il m'eût été facile
de cacher extrêmement . Mes Confidérations
ont été publiées , il y a environ
un an , elles ont eu quelque fuccès ,
& l'auteur de l'Esprit des nations a
gardé le filence , quoique , d'après ma
déclaration , il ne pût ignorer que j'ayouois
ingénument m'être fervi de fon
ouvrage , comme de bien d'autres écrits.
Ce n'est qu'aujourd'hui feulement qu'il
lui prend envie de fe plaindre , & qu'à
propos de ce que j'ai dit au fujet de fa
manière il imagine de me faire un
crime d'une obfervation , que tout François
eût faite en ma place , ainfi que la
fera quiconque voudra prendre la peine
de lire quelques pages de cet Efprit des
nations. Il trouve mauvais que , lorfque
j'ai puifé chez lui , je me fois occupé à
le rendre intelligible. Ce font là des reproches
d'une bien fingulière efpèce , &
auxquels il me femble qu'il eft bien facile
de répondre. Ce ne font pas communément
les mauvais ouvrages qu'on
traduit ; ce font , au contraire , les écrits
les plus utiles que l'on cherche à faire
96, MERCURE
DE FRANCE.
connoître il y avoit , fans doute , de
très bonnes obfervations qui méritoient
d'être connues dans l'Efprit des nations ,
& ce font celles - là que j'ai confervées
en les préfentant , il eft vrai , comme j'ai
cru qu'elles devoient être préfentées . A
l'égard des autres , je les ai laiffées où
elles étoient , & j'ai écrit d'après moimême
, & non d'après cet auteur , foit
que je n'aie pu l'entendre , foit que je
n'aie point jugé à propos de le fuivre.
Au lieu de fe plaindre , pourquoi ne
m'a-t-il pas fu quelque gré de mon travail
, & de mon attention à dire ce qu'il
m'était fi facile de taire ? Je lui reftitue
très - volontiers tout ce qui eft de lui dans
cet ouvrage , & tout ce qu'il pourra reconnaître
dans cette feconde édition : je
lui dois prefqu'entiers les deux premiers
chapitres du premier livre , à quelques
changemens près ; je lui fuis redevable
da titre de la plupart des chapitres , parce
que j'ai confidéré les mêmes objets ,
quoique mes Confidérations foient trèsdifférentes
des fiennes : je lui rends enfin
toutes les réflexions qu'il m'a fournies ;
on ne les litoit pas , on les lit maintenant
, & je fuis trop fenfible à ce
fuccès , pour ne pas l'en remercier.
Mais ,
NOVEMBRE. 1770. 97
Mais , que lui importe que j'aie joint
beaucoup de mes Confidérations au petit
nombre des Gennes ? On m'affure que cet
auteur s'étoit plaint , ou qu'il vouloit fe
plaindre fort vivement dans quelqu'une
des feuilles périodiques . Si cette feuille a
paru , je ne l'ai point lue , & fi elle patoît
dans la fuite , il eft très - vraifemblable
que je ne la lirai pas ; mais , d'après
tout ce que l'on m'apprend des intentions
de cet auteur , je crois devoir
encore répéter ici le même aveu que j'ai
fait dans ma préface ; je veux dire , que
ce n'eſt ni un larcin littéraire , ni un plagiat
que j'ai voulu commettre ; je n'ai prérendu
autre chofe qu'ajouter à plufieurs réflexions
qui m'avoient frappé dans l'Efpric
des nations , une infinité d'autres que
j'avois faites fur le même fujet . J'y en
ai ajoutées en bien plus grande quantité
dans cette feconde édition , dans laquelle
j'ai fait des changemens confidérables au
plan même de l'ouvrage . Si c'eft encorelà
un nouveau fujet de plainte , j'en ferai
véritablement fâché pour lui ; mais ,
très- affurement , je ne lui répondrai pas.
L'Esprit des nations exifte , & je laiffe
au public le foin du parallèle entre cet
ouvrage & mes Confidérations , qu'on
"
E
98 MERCURE DE FRANCE !
vetra ne lui reflembler que de très - loin
par intervalles . J'ai encore une réponse
bien plus fatisfaifante à donner ; c'eſt
de travailler à un nouvel ouvrage qui
puiffe mériter les bontés que le public a
daigné , jufqu'à préfent , avoir pour ceux
queje me fuis permis de lui offrir.
J'ai l'honneur d'être , & c.
L. CASTILHON.
Bouillon , 28 Août 1770 .
Mémoires & obfervations de chirurgie , pat
M. Trecourt , docteur en médecine ,
chirurgien-major de l'hôpital- militaire
de Rocroy, échevin de la même ville &
correfpondant de l'académie royale de
chirurgie de Paris ; vol. in 12. A Bouil
lon , aux dépens de la fociété typographique
; & fe trouve à Paris , chez La
combe , libraire , rue Chriſtine.
Le premier mémoire de ce recueil eft
fur les abcès , le fecond traite des maladies
de la peau ; le troifième , du régime
qu'il faut obferver dans les maladies chirurgicales
; le quatrième nous entretient
des inconvéniens dont l'ufage du feton eſt
fufceptible ; il eft queftion dans le méNOVEMBRE.
1770.
فو
moire fuivant des coliques hépatiques &
autres maladies du foie , caufées par des
concrétions calculeufes ou pierres biliaires
. Le volume eft terminé par des réflexions
fur l'hydrophobie & par des obfervations
fur une maladie fingulière qui ,
dans le commencement de l'année 1746 ,
régna parmi les foldats qui compofoient
la garnifon de Rocroy .
Ce recueil eft dédié à MM. de l'Académie
royale de chirurgie qui ont eu
fouvent occafion d'applaudir aux travaux
de l'habile chirurgien & aux obfervations
du correfpondant inftruit & éclairé.
Jugement impartial fur des Lettres de la
Cour de Rome , en forme de Bref
tendantes à déroger à certains Edits
du Séréniffime Duc de Parme , & à
lui difputer , fous ce prétexte , la fouveraineté
temporelle , traduit de l'Efpagnol.
2 vol . in- 12. A Madrid , &
fe trouve à Paris , rue St Jacques ,
chez Hériffant , fils .
L'Auteur difcute dans cet ouvrage plufieurs
principes du droit des Souverains ,
& enfait l'application aux diverfes queftions
auxquelles les prétentions de la
Cour de Rome ont donné lieu dans ces
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
derniers tems . Il fait voir les abus des
cenfures eccléfiaftiques , quand elles troublent
les régales des Princes & l'obéiffance
due de droit divin par les Sujets à
leurs Souverains. Tout ceci eft appuyé
far des maximes inconteftables & fur des
faits qui ne laiffent aucune reflource à la
réplique.
Hiftoire des Evêques d'Amiens , par M.
J. M. B. D. S. vol . in- 12. A Abbeville ,
chez la Veuve de Vérité , & fe trouve
à Paris , chez Bailly , libraire , Quai
des Auguftins.
L'Evêché d'Amiens eft fuffragant de
l'Archevêché de Rheims , & renferme
l'Amiennois , une partie du Santerre , le
Vimeu , le Marquenterre , la partie du
Bailliage de Hedin , qui eft au midi de
la Canche & le Ponthieu propre. L'Evêque
a droit d'affifter au facte de nos Rois ,
ainfi que les autres Evêques fuffragans de
Rheims . Pendant un très - long- tems
lorfque les Evêques d'Amiens venoient
en perfonne prendre poffeffion de leur
églife cathédrale , ils faifoient , ainfi que
les autres Evêques & Archevêques , une
entrée folennelle dans la ville , & dans
l'églife où étoit leur fiège épifcopal .
>
NOVEMBRE . 1770 . 1.01
Comme cette cérémonie peut contribuer
à faire connoître nos anciens ufages ,
nous rappelerons ici le cérémonial obfervé
à la dernière entrée , qui eft celle
de M. le Febvre de Caumartin , mort
Evêque d'Amiens en 1652. Ce cérémomonial
eſt le même qui avoit été pratiqué
pas fes prédécefeurs . M. de Caumartin
ayant reçu fes bulles & ayant été
facré , on informa le corps de ville d'Amiens
& les avoués de l'évêché , & on
leur indiqua le jour & le lieu , qui eſt
le village de Montier , dont l'Evêque
d'Amiens eft Seigneur . Ce village n'eft
qu'à trois quarts de lieues de la ville . M.
de Caumartin fe rendit en ce lieu fur les
fept heures du matin du jour indiqué ,
qui étoit le premier de Juillet 1618. De
leur côté , les Echevins d'Amiens , en
habits de cérémonie , à cheval , & accompagnés
des confeillers & officiers de
ville & des fergens à maſſe , auſſi à cheval
& en robe , dont deux de cès fergens
portoient les deux bannières de la
ville ; des fergens de nuit , avec leurs
hallebardes , & des huiffiers à cheval , ſe
rendirent à Montier. Les Echevins & leur
cortège étant defcendus de cheval, entiè
rent dans l'églife , & de- là dans le choeur ,
E iij
tez MERCURE DE FRANCE.
où ils trouvèrent le Seigneur Evêque .
Le premier Echevin lui fit une harangue
latine , à laquelle l'Evêque répondit
en la même langue . Ces difcours
finis , les Echevins fortirent de l'églife ,
& temonièrent à cheval pour conduire
le Seigneur Evêque jufqu'à fon églife
cathédrale. L'Evêque fortit enfuite , accompagné
des Seigneurs Vidames d'Amiens
, de Rambures , de Rivery , de
Coify de Montmorency , & autres avoués
& Seigneurs de la Province , qui étoient
venus au devant du Seigneur Evêque . Le
Prélat étant en rochet violet & en bonnet
carré , monta fur une mule , & , accompagné
de tout ce cortège , dirigea fa
marche vers la ville & vers l'Eglife
d'Amiens ; il rencontra le préfidial qui
l'atrendoit entre les deux ponts de la porte
de Beauvais , où le Préfident le harangua
en latin , & la réponſe de l'Evêque fur
auffi en cette langue. Les Religieux- mandians
, les curés & les prêtres des paroiffes,
avec la croix & l'eau bénite , le conduifirent
proceffionnellement à la porte de l'églife
cathédrale , où le Prélat defcendit de
fa mule , à l'aide du Seigneur de Rivery
, qui lui tenoit l'étrier & la bride . Ce
Seigneur s'empara de la monture , en
NOVEMBRE. 1770. 16 ;
qualité de poffeffeur du fief de la Mulel'Evêque
, fitué à Pernois ; à cette même
porte de l'églife cathédrale étoient les
doyen , chanoines & chapitre de l'églife
qui , ayant fait faire à l'Evêque le ferment
accoutumé , lui mirent la chape
& la mitre , & le conduifirent au grand
autel , où il célébra la grand'Meſſe . Il
montra enfuite , du haut de la tribune ,
le chef de St Jean- Baptifte , puis fe rendit
en fon hôtel épiſcopal , & il retint à
dîner Meffieurs de ville , toute la nobleffe
& le préfidial. Les Seigneurs avoués
de l'Evêque affiftent à ce feftin . L'anneau
d'or que l'Evêque a pour lors au
doigt appartient au Vidame d'Amiens ;
la vaiffelle de ce feftin folennel eft donnée
au Seigneur de Rivery , & la taffe dans.
laquelle l'Evêque a bu , au Seigneur de
Coify de Montmorency .
Cette hiftoire des Evêques d'Amiens
eft une espèce de nécrologe qui contient
peu de faits intéreffans . Mais elle rappelera
à la ville d'Amiens les noms d'une
nobleffe qui la décore , & les vertus des
pafteurs qui l'ont édifiée . Cette hiftoire
commence à St. Firmin , martyr du
troisième fiècle , & premier Evêque d'Amiens.
Elle fait connoître quatre- vingts
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Evêques qui ont été élevés fucceffivement
fur le fiège épifcopal de cetre ville . Vers
le milieu du dix - feptième fiècle , les
prédicateurs ne fe faifoient point encore
de difficulté de citer en chaire différens.
paffages de l'Antiquité . Le père Faure ,
qui avoit été cordelier avant d'être nommé
Evêque d'Amiens en 1653 , prêchoit
la paffion en l'églife de St Germainl'Auxerrois.
La Reine qui vouloit l'entendre
, arriva lorque le fermon étoit
commencé. Le prédicateur lui adreffa
pour complainte ces paroles du quatrième
livre de l'énéïde de Virgile , que dit
Enée à la Reine de Carthage , lorfque
cette Princeffe l'engage à rapporter fes
funeftes aventures : Infandum Regina
jubes renovare dolorem , & l'ayant faluée ,
recommença fon difcours . Cette faillie
fut alors fort goûtée.
-L'Art d'inftruire & de toucher les ames
dans le tribunal de la pénitence , ouvrage
utile aux prêtres qui commencent
à exercer le ministère de la confeflion
, & à tous les fidèles , pour
tirer de dignes fruits de ce devoir de
religion . deux volumes in douze.
A Paris , chez Bailly , libraire , à
·
NOVEMBRE. 1770. 10.5
l'entrée du Quai des Auguftins , à
l'Occafion .
Ce bon ouvrage contient : 1º, Les
queftions que les confeffeurs doivent
faire pour connoître l'état des confciences
, tant fur les commandemens de
Dieu , que fur les obligations de l'état
de chacun : 2°. Des remontrances & des
inftructions , pour faire fentir la gravité
des péchés & les raiſons de s'en abstenir ;
le tout prouvé par les autorités de l'écriture
fainte , & le fentiment des faints
Pères : 3º . Des modèles d'exhortations ,
pour acquérir le don de toucher les ames ;
les unes , pour ébranler les pécheurs &
les exciter à fe convertir ; les autres ,
pour exciter les juftes à la pratique des
vertus chrétiennes.
Nova juris ac judiciaria , tàm civiles
quàm criminales , inftitutiones , &c . Inftituts
de droit nouveaux & judiciaires ,
tant civils , que criminels , difpofés
fuivant l'ordre & la méthode de Juftinien
, & auffi par traités particuliers.
Ouvrage utile , non- feulement aux
jeunes étudians & aux jeunes avocats ,
mais encore aux jurifconfultes les plus
expérimentés; par M. François - Xavier
E v
06 MERCURE DE FRANCE.
Tixedor de la Sola , docteur en droit
canon & civil , juge royal , faiſant les
foctions de fénéchal en la viguerie de
Conflans , dans la province de Rouffillon
à Carcaffonne 1770 , chez R.
Heiriffon , imprimeur du Roi. Tom . I.
in-4°.
La méthode & la clarté qu'a mis M.
Tixedor dans la rédaction de ces inftituts ,
le foin qu'il a pris de réunir aux principaux
textes du droit romain les meilleures
interprétations anciennes & modernes
, peuvent faire regarder , à juſte titre ,
ces inftituts comme un ouvrage neuf &
un livre élémentaire pour tous les étudians
en droit . L'auteur n'en publie encore
que le premier volume , & a fait
hommage de fon travail à M. le duc de
Noailles , gouverneur du Rouffillon .
Abrégé de la vie & dufyftême de Gaffendi ,
par M. de Camburat : à Bouillon , aux
dépens de la fociété typographique ,
& fe trouve à Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriftine , vol . in - 12.
Pierre Gaffendi , prévôt de la cathé
drale de Dignes , & profeffeur royal de
mathématiques à Paris , mort en 1656 ,
à 64 ans , a été parmi nous un des plus
NOVEMBRE . 1770. 107
illuftres pères de la philofophie moderne ,
& le reftaurateur de la phyfique corpufculaire
. Toute fon étude ne tendoit qu'à
devenir plus favant & meilleur. Auffi
avoit il mis fur fes livres ces paroles
Sapere aude. Gaffendi avoit affez de mérite
pour être modefte , & l'auteur de
cet abrégé a foin de rapporter cette anecdote
qui fait honneur au caractère de ce
philofophe. Gaffendi étoit parti de Paris.
pour fe rendre en Provence. Il avoit pour
compagnon de voyage , un confeiller au
-grand- confeil , nommé Maridat . Ils logèrent
& mangèrent enfemble pendant
toute la route , fans que le confeiller
connût autrement notre philofophe , que
par la qualité de prévôt de Dignes , dont
il venoit d'être revêtu . Un jour Maridat
étant à Grenoble , rencontra dans la rue
un de les amis , qui lui dit qu'il alloit
rendre vifite au célèbre Gaflendi . Maridat
lui demanda la permiffion de l'accompagner
, ne voulant pas laiffer échapper
l'occafion de faire connoiffance avec
cet homme illuftre. Mais quelle fur fa
furprife , lorsque cet ami lui fit reprendre
le chemin de fon auberge , & qu'il
le conduisit à l'appartement du prévôt de
Dignes. Maridat ne pouvoit revenir de
E vj
IOS MERCURE DE FRANCE.
fon étonnement , ni fe laffer d'admirer
la modeftie de ce philofophe , qui , pendant
tout le dit un voyage , n'avoit pas
mot qui eût pu le faire connoître.
Un défaut que l'on pourroit reprocher
à Gaffendi , ou plutôt à fon fiècle , eft
d'avoir voulu tout expliquer en phyfique ,
& fouvent fans s'aflurer auparavant de
l'existence du fait foumis à l'examen . Le
comte & la comteffe d'Alais , qui demeuroient
à Marseille , avoient confulté
Gaffendi au fujet d'un fpectre vu plufieurs
fois pendant la nuit . Le philofophe ,
après avoir profondement raifonné , conclut
que ce fpectre avoit été formé par
des vapeurs enflammées qu'avoient produites
le foufle du comte & de la comteffe
. Cependant, qu'étoit ce que ce fpectre
? une femme de chambre cachée fous
le lit , qui faifoit de tems en tems paroître
un phoſphore . La comteffe faifoit
jouer cette parade , pour engager fon
mari , efprit foible , à quitter Marſeille
qu'elle n'aimoit pas.
Gaffendi préféra toujours un état libre
& médiocre , aux richeffes qu'il auroit
pu tenir de la libéralité des grands . II
mettoit la liberté d'un philofophe à un
trop haut prix , pour que les Souverains
NOVEMBRE. 1773.
109
puiffent jamais l'acquérir. Il étoit trèsverfé
, non -feulement dans la philofophie
ancienne & moderne , mais encore dans
l'aftronomie , la métaphyfique , les langues
,, l'hiftoire , l'antiquité. Ses écrits ne
font point fans agrément. Auffi a t on dit
de lui , que jamais philofophe n'avoit été
meilleur humaniste , ni humanifte fi bon
philofophe. Il mourut avec toute la tranquillité
d'un fage .
Il forma des élèves qui lui ont fait un
honneur infimi , tels que Bernier , Molières
, Bachaumont & Chapelle . Ce dernier
étoit un des plus aimables efprits de
fon tems. Gaffendi , fon maître , difoit que
la morale d'Epicure portoit à la frugalité
& à la tempérance ; mais l'épicuriſme de
Chapelle n'étoit
pas tout à fait dans cette
claffe . Ce poëte , recherché dans les meilleures
tables , avoit coutume de s'enivrer
tous les foirs. Dans fes momens
d'ivreffe , il entroit dans l'enthouſiaſme ,
& faifoit le commentaire du lyftême de
Gaffendi ; & , quand les convives étoient
levés de table , il continuoit , le verre à
la main , d'expliquer le fyftême au maître
d'hôtel & aux laquais.
Le grand Newton fe plaifoit beaucoup
à la lecture des ouvrages de Gaffendi . Il
110 MERCURE DE FRANCE.
le regardoit comme un efprit très juſte &
très fage , & il fe faifoit gloire d'être
entièrement de fon avis dans ce qui concernoit
l'efpace , la durée , les atomes.
Un extrait raisonné des écrits de Gaffendi,
peut donc être regardé comme une introduction
à la phyfique Newtonienne.
C'eft ce qui a engagé M. de Camburat
à développer le fonds & à parcourir
les branches effentielles du fyltême de
Gaffendi . Cet abrégé raifonné & trèsbien
fait , fera de la plus grande utilité
pour ceux qui défirent de prendre quelque
teinture de la philofophie angloife ,
fi fort en vogue aujourd'hui .
Differtation fur les parties fenfibles du
corps animal , fuivie d'un mémoire
fur les avantages que procurent les frictions
mercurielles dans le traitement
de quelques épilepfies idiopatiques ,
avec les confultations & lettres qui y
ont rapport ; terminé par deux obfervations
fur l'ufage du mercure pour la
guérifon du fcorbut & des dartres. Par
M. Houffet , docteur en médecine &
correfpondant de la fociété royale des
fciences de Montpellier médecin
des hôpitaux , bibliothécaire , & an
NOVEMBRE. 1770. 11
cicn directeur de la fociété des fcien- .
ces & belles- lettres d'Auxerre . A Laufanne
, chez François Graffet ; & à
Paris , chez P. F. Didot le jeune , libraire
, Quai des Auguftins.
M. Houffet prétend s'être affuré , par
expérience , que le mercure eft un remède
propre à guérir l'épilepfie idiopatique
. Cependant , comme les médecins
font perfuadés que cette horrible maladie
n'a d'autre caufe qu'un vice organique
dans le cerveau , il ne faudroit pas
s'étonner fi la plupart d'entr'eux , après
avoir lu la differtation de l'auteur , confervoient
quelque doute fur la prétendue
efficacité du mercure dans cette occafion.
Ces médecins héfiteront encore de croire
que le mercure attaque avec avantage le
fcorbut. Cette dernière maladie n'a été ,
jufqu'à préfent , combattue efficacement
que par les anti - fcorbutiques. Mais ,
n'auroit- il pas pu arriver que M. Houffer
fe fût trompé fur la nature du fcorbut ,
ainsi que fur celle de l'épilepfie qu'il a
guérie par le mercure ? Le virus vénérien
eft une espèce de protée , qui prend
tant de formes , que les plus grands praticiens
y font fouvent trompés , & il
pourroit très -bien fe faire , que les fymp
112 MERCURE DE FRANCE .
tomes qui paroiffoient annoncer à M.
Houffet , la préfence du fcorbut ou de
l'épilepfie , fuffent ceux du virus vénérien
pour lors , rien d'extraordinaire
dans la guérifon de cette maladie par le
mercure. Le tems & des expériences répétées
, décideront cetre queftion ſi intéreffante
pour l'humanité fouffrante.
Hiftoire des différens Peuples du monde
contenant les cérémonies religieufes
& civiles , l'origine des religions ,
leurs fectes & fuperftitions , & les
moeurs & ufages de chaque nation . Par
M. Contant Dorville , vol . in 8 ° .
tome premier. A Paris , chez Heriffant ,
fils , libraire , rue St Jacques , & J. P.
Coftard , libraire , rue St Jean- de-
Beauvais.
L'auteur nous entretient dans ce premier
volume , des Chinois , des Japonois
, des Peguans , des Siamois , des
Formofans , & de quelques autres nations
de l'Afie. Dans le portrait qu'il nous
fait du caractère des Japonois , il obferve
que le point d'honneur eft la chaîne
qui lie toutes les conditions de l'Empire.
La grandeur d'ame , la force de l'efprit ,
NOVEMBRE . 1770. 113
la nobleffe des fentimens , le zèle pour
la patrie , l'audace & le mépris de la vie ,
font les acceffoires qui en refferrent les
noeuds . Ce que l'hiftorien juftifie par
quelques exemples . Un gentilhomme de
Fingo avoit une femme d'une rare beauté
; l'Empereur la vit , en devint amoureux
; & , pour obtenir les faveurs avec
plus de liberté , il le fit affaffiner. Queljours
après , il donna ordre que la veuve
lui fûr aménée , & eut grand foin de lui
faire préparer un magnifique apparte
ment dans fon palais . La veuve feignit
d'être pénétrée de reconnoiffance
flattée de l'honneur que lui faifoit fon
Souverain ; mais elle recula l'inftant
qu'il vouloit preffer , en le fuppliant de
lui accorder au moins trente jours pour
pleurer fon époux , & la liberté de régaler
les parens , avant de fe rendre. L'Empereur
devenu plus amoureux par ce long
retardement , confentit à tout ce qu'elle
voulut , & fe pria du feftin qui devoit
terminer fon impatience. Les parens
s'affemblent , on ſe met a table , tout y
refpire la gaîté , on en fort bien - tôt , la
veuve s'approche d'un balcon , & , fous
prétexte de s'y appuyer , elle fe précipite
; & par cette action réfléchie & le
114 MERCURE DE FRANCE.
dernier recours du défefpoir , elle s'arrache
à la honte qui lui étoit préparée.
Un feigneur devint éperduement
amoureux d'une fille qu'il avoit enlevée
à la veuve d un foldat : la mère fur longtems
inconfolable de la perte de fa fille ;
mais enfin , ayant appris fon existence &
fafortune , elle lui écrivit pour en obtenir
quelques fecours. Lorfqu'on lui apporta
cette lettre , fon amant étoit préfent ; ſoit
jaloufie , foit fimple curiofité , il prétendit
la lire. La fille s'y oppofa de toutes
fes forces , pour ne pas mettre à découvert
la honte de fa mère ; & , craignant
de fuccomber , elle roula le papier,
& l'avala avec tant de précipitation ,
qu'elle en mourut fur le champ. Cet accident
irrita la jaloufie du feigneur , qui
auffi tôt fit ouvrir le gofier de cette
malheureufe fille , on en tira le billet ,
dont la lecture redoubla fon défefpoir.
Il ne trouva d'autre foulagement à fa
douleur , que de faire venir la mère auprès
de lui , & de la combler de biens.
Un précepte de religion défend aux
femmes Formofanes d'être mère avant
l'âge de trente - cinq ans. Lorfqu'elles
tombent dans ce cas , il faut qu'elles fe
NOVEMBRE. 1770. 115
faffent avorter. Pout cet effet , elles font
venir leurs prêtrelles ; & , ſe couchant
devant elles , elles fe font fouler le ventre
d'une certaine maniere , qui procure
l'avortement. Il faut avouer , ajoute l'hif
torien , que cette coutume eft unique ,
fi elle eft véritablement obfervée . Il auroit
pu remarquer que cette coutume
barbare a cependant quelque rapport
ce qui fe pratique à la Chine. On y permet
aux pères de vendre leurs filles &
d'expofer leurs enfans . La propagation
de l'efpèce par la nature du climat devient
quelquefois fi abondante dans ces
pays , qu'elle occafionne la famine , &
l'on eft obligé d'arrêter cette propagation
par des ufages qui nous paroiffent cruels ,
& qui le font en effet.
Les Talapoins , qui font les prêtres du
Pegu , vont tous les lundis dans les rues
frapper vivement fur des baffins de fer
blanc , pour affembler le peuple & l'inviter
à fe rendre au fermon . Leurs difcours
roulent fur des points de morale ,
& jamais fur les dogmes . Cette morale
enfeigne qu'il faut s'abftenir du meurtre ,
du larcin , de la fornication , de l'adultère
, & ne jamais faire à autrui , ce que
nous ne voudrions pas qu'il nous fit . Les
Peguans penfent qu'en fuivant ces maxi116
MERCURE DE FRANCE.
mes , on fe fauve dans quelque religion
que ce foit. Auffi ce peuple , quoique
très orgueilleux & très pauvre , a beaucoup
de douceur & de compaffion pour
les malheureux . Il y a des nations fauvages
, auxquelles il feroit difficile de
donner une idée de la royauté ; il ne feroit
pas plus aifé de faire comprendre à
un Peguan qu'un Etat peut fubfifter fans
Monarque . Balbi , Vénitien , étant au
Pegu , fur admis à l'audience du Roi,
Ce Prince lui demanda des nouvelles du
Monarque Vénitien . Lorfque Balbi répondit
qu'il n'y en avoit point à Vénife ,
le Roitit un fi grand éclat de rire , qu'une
toux le prit , & qu'il eut beaucoup de
peine à parler à fes courti fans . Cette
anecdote , que l'hiftorien n'auroit pas
du
omettre , eft rapportée dans le recueil
des voyages qui ont fervi à l'établiſſe →
ment de la Compagnie des indes .
M. C. D. moins curieux d'inftruire le
lecteur , que de le récréer par le fpectacle
varié qu'il lui préfente des moeurs &
ufages des différentes nations de l'univers
, ne s'eft permis aucune difcuffion
épineufe , aucune nouvelle obfervation
philofophique , qu'il abandonne à des
écrivains plus jaloux que lui de faire un
ouvrage neuf. Auffi fon ouvrage ne forNOVEMBRE.
1770. 117
tira point de la claffe des compilations
ordinaires. Le grand recueil des cérémonies
religieufes , l'hiftoire générale des
voyages , les dictionnaires géographiques
& quelques autres recueils de cette eſpèce,
font les principales fources où l'auteur a
puifé. Il ne paroît encore que le premier
volume de fon ouvrage , qui fera fuivi
vraisemblablement d'un grand nombre
de volumes , à moins que le public ne
fe contente des compilations qu'il a déjà
dans ce genre,
Efais fur les moyens de perfectioner l'art
de la teinture & obfervations fur quelques
matières qui y font propres , par
M. le Pileur d'Apligny. Brochure in-
12 de 166 pages . A Paris chez Laurent
Prault , Libraire , Quai des Auguftins ,
à la Source des Sciences.
4· Ces Elfais font adreffés non-feulement
aux teinturiers , mais encore aux
phyficiens. L'Auteur voudroit les engager
à faire revivre , dans la peinture , l'ufage
de plufieurs productions indigènes que
nous avons négligées , ou par inconftance
ou par cet efprit de prévention qui nous
fait préférer les productions des climats
118 MERCURE DE FRANCE..
les plus éloignés à celles que la nature a
repandues autour de nous.
Dégradation de l'espèce humaine par l'u
fage des corps à baleine , Ouvrage
dans lequel on démontre que c'eft aller
contre les loix de la nature , augmenter
la dépopulation , & abatardic
pour ainfi dire , l'homme , que de le
mettre à la torture , dès les premiers
inftans de fon exiſtence , fous prétexte
de le former , par M. Bonnaud . Brochure
in -12. A Paris chez Heriffant , le
fils , Libraire , rue S. Jacques .
Il y a plus de deux mille ans qu'il a
pris fantaisie aux femmes européennes de
fe ferrer la taille , & que les Médecins
fe font élevés contre cette pratique , fans
pouvoir profcrire un abus auffi pernicieux
à l'efpèce humaine . Il eft , fans doute ,
defagréable à une femme de trente ans ,
qui veut encore paffer pour jeune , que
l'on s'apperçoive que fon fein tombe ,
que fon ventre groffit ; mais il eft encore
plus trifte pour elle de s'oppofer aux loix
de la nature ; il en résulte une infinité de
maladies qui lui font palfer une vieilleffe
très-douloureufe. C'eſt ce dont les femmes
feront pleinement convaincues en
NOVEMBRE 1770 .
4
119
lifant l'écrit de M. Bonnaud. L'Anteur a
raffemblé dans un volume portatif tout
ce que les Phyficiens les plus éclairés ont
dit du mauvais effet de ces efpèces de cuiraffes
adoptées par la mode & la frivo
lité. Il a joint aux obfervations de ces
Ecrivains les fiennes propres , & a commencé
par donner une idée fuccincte des
parties du corps que les corfets de baleine
compriment , afin de mieux faire comprendre
les dérangemens que cette pref
fion doit occafionner,
Cours d'Hiftoire naturelle ou Tableau de
la nature confiderée dans l'homme ;
les quadrupèdes , les oifeaux , les poiffons
& les infectes . Ouvrage propre à
infpirer aux gens du monde le defir de
connoître les merveilles de la nature
7 vol. in 12 , ornés de figures en taille-
douce. A Paris chez Defaint , Libraire
; rue du Foin : avec approbation
& privilège du Roi. Prix 18 liv . bro
chés & 21 liv . reliés.
Le fpectacle de la nature de M. Plu
che a pu donner l'idée de ce cours d'hif
toire naturelle ; mais ce dernier ouvrage
eft plus riche , plus méthodique , plus
fatisfaisant à tous égards , que le pre120
MERCURE DE FRANCE,
·
mier. I faur avouer auffi que l'Auteur
avoit des fecours qui manquoient
à fon prédéceffeur , tels que la collection
académique de Dijon , l'Hiftoire
générale des voyages , les écrits de M,
de Buffon . Ce font auffi les principales
fources où l'Auteur du Cours a puifé.
Il a très bien fait de rejeter la
forme du dialogue qu'avoit adoptée M.
Pluche. Cette forme jette l'écrivain dans
des répétitions & dans des longueurs
inévitables. L'Auteur après avoir , dans
un'difcours placé à la tête de fon premier
volume , confidéré la nature dans
fon enfemble & developpé fes principes
généraux , fait paroître fur la fcène , l'homme
, ce Roi des animaux , qu'il confidère
dans les divers états phyfiques par
lefquels il doit paffer depuis fa formation
jufqu'à fa mort. On ne fe contente point
ici d'obferver l'homme tel que nous le
connoillons , on oppofe fouvent l'homme
fauvage à l'homme civil . Les quadrupèdes
font la matière du fecond volume.
Viennent enfuite les oifeaux , les
poiffons & les infectes . Cette dernière
partie de l'hiftoire des animaux eft la plus
étendue. Il ne manque plus que d'y joindre
les reptiles ou les coquillages pour
terminer
NOVEMBRE. 1770. 121
terminer la Zoologie , ou la connoiffance
de la nature vivante , la première &
la principale partie de l'Hiftoire Naturelle.
L'Auteur, pour rendre la lecture de
fon cours plus agréable , a joint des defcriptions
quelquefois un peu feches ,
plufieurs traits de Lucrèce , de Virgile ,
de Vanière & des morceaux choifis des
fables de la Fontaine . Ses réflexions annoncent
un coeur , un efprit fimple & ingenu.
Elles tendent toutes , pour la plupart
à nous faire aimer le féjour de la
campagne comme le plus favorable aux
moeurs , à la fanté & au bonheur.
Difcours critiques fur l'hiftoire & le gouvernement
de l'ancienne Rome , traduit
de l'Anglois . Vol . in 12. A Paris
chez de Hanfy le jeune , Libraire
rue Saint- Jacques , près les Mathurins.
Ces Difcours ou differtations doivent
intéreffer les gens de lettres , ceux far tout
qui font leur étude de l'hiftoire romaine .
font extraits , pour la plus grande partie
, de l'hiftoire Romaine de feu M.
Hook , ouvrage publié en Angleterre
depuis plufieurs années , mais peu connu
en France . Il eft queftion dans le premier
F
122 MERCURE DE FRANCE .
difcours de la croyance que merite l'hiftoire
des cinq premiers livres de la République
Romaine. Le fecond difcours
nous entretient du gouvernement de l'anciene
Rome , & de fes revolutions depuis
Romulus jufqu'à l'affaffinat des Gracques.
Le troifieme parle de la voie commune
& regulière de remplir les places vacantes
du fenat de Rome . Ces difcours font
fuivis de réflexions fur la comparaiſon
que fait M. Rollin d'Annibal & de Scipion.
Le volume eft terminé par d'autres
réflexions fur les inconveniens qu'il y a
de tracer le caractère des perfonnages célèbres
dès le commencement de l'hiftoire
de leurs actions .
Lettres fur la vérification des écritures arguées
de faux , pour fervir de réponſe
à celles de M. B *** ; par M. d'Autrepe,
expert- écrivain - juré , ancien bisfyndic
des experts écrivains-jurés ; vol.
in- 12 . A Paris , chez Lottin l'aîné , libraire-
imprimeur , rue St Jacques.
Il eft prefque impoffible , dit l'auteur
de ces lettres , que les fauffaires échappent
à l'oeil attentif d'un expert inftruit
dans fon art. Cette propofition bien étaNOVEMBRE.
1770. 123
blie détruira peut être cette pefte de la.
fociété qui la trouble & la deshonore.
Etat de la Pologne , avec un abregé de fon
droit public & les nouvelles conftitutions
; vol . in- 12. A Amfterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Hériffant fils , libraire
, rue St Jacques .
Cet état de la Pologne fut publié il y
a quelques années en Allemagne . Dans
cette nouvelle édition l'auteur a ajouté le
pacta conventa du Monarque régnant ; &
l'ouvrage eft terminé par une collection
fommaire de ce qui s'eft paflé au fujet des
Diffidens dans la diète extraordinaire tenue
à Warfovie en 1767 & 1768. Ce
morceau politique n'intéreffera pas moins
que l'idée exacte que l'auteur nous donne
d'un état qui attire aujourd'hui les regards
de l'Europe par les diffentions domeftiques
& par les guerres furvenues à fon occafion
entre deux empires puidan
ой
L'Obfervateur françois à Londres ,
Lettres fur l'état préfent de l'Angleterre
, relativement à fes forces , à fon
commerce & à fes moeurs , avec des
notes fur les papiers Anglois & des
remarques hiftoriques , critiques & po.
Fi
124 MERCURE DE FRANCE.
litiques de l'éditeur. A Londres & fe
trouve à Paris , chez Lacombe , rue
Chriſtine , près la rue Dauphine ; Didot
l'aîné , Libraire & Imprimeur , rue
pavée , au coin du quai des Auguf
ting.
Nous avons rendu compte dans le dernier
Mercure du numero premier de cet
ouvrage périodique. Les numeros 2 , 3
& 4 viennent de paroître , & prefentent
le même agrément , le même intérêt , la
même variété. Les Anglois prétendent
que nous n'avons pas de Mufique. Ils
croient en trouver la caufe principale dans
le génie de notre langue & dans la frivolité
de notre goût : cependant , fuivant le
témoignage d'un voyageur Anglois , qui
a vu exécuter à Lyon l'acte de Pygmalion
de M. Rouffeau , on peut faire de
bonne mufique fur des paroles françoiſes .
Selon lui les paroles & la mufique de ce
drame , qui font du même Auteur , font
également fublimes. Ce qui l'a frappé le
plus , eft l'expreffion du premier fentiment
qu'éprouve la ftatue c'eft celui de
fon existence . Dès qu'elle fe touche , elle
s'écrie : c'est moi ! Elle touche fon piedeftal
& dit ce n'eft pas moi ! Pygmalion la
preffe dans fes bras & elle s'écrie : c'eft
NOVEMBRE . 1776. 125
encore moi ! Cette manière naïve de peindre
eft fimple & néanmoins neuve & fublime
.
Un Gentilhomme a offert , pendant la
dernière courfe de chevaux de la Province
d'lorck , trois mille guinées d'un
cheval nommé l'Eclipfe & fa propofition
a été rejetée.
Rameau difoit , ( fans doute en plaifantant
) , qu'il mettroit en mufique , &
avec fuccès , la gazette d'Hollande . Des
membres de la fociété du Bill des droits
fe propofent de faire aujourd'hui la
même chofe en Angleterre . Leur projet
eft de mettre d'abord en vers une lettre
que leur a écrit un des membres les plus
celèbres de cettes fociété ; d'en faire enfuite
une chanfon fur un air très connu ,
afin que l'on puiffe chanter cette fublime
production du patriotifme dans toutes les
occafions intéreffantes .
Trois filous , qui avoient l'air d'honnêtes
gens , arrivèrent il y a quelques jours
dans une hôtellerie à Putney. Toutes les
chambres étoient occupées à l'exception
d'une feule qu'on leur donna . Ils demandèrent
un bol de punch , & pour qu'on
les fervit plus promptement , l'un d'eux
sefta fur l'efcalier & jura qu'aucun do-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE
meftique de la maifon n'y pafferoit que
lorfqu'on leur auroit apporté le punch :
tandis qu'on le préparoit , les deux autres
ouvrirent la porte de la chambre où
ils favoient que l'hôteffe ferroit fon argent,
crochetèrent l'armoire où il étoit enfermé
, y prirent environ 300 liv. fterlings
( 6750 liv. tournois ) , burent leur
punch, le payèrent & fortirent de la maifon
, fans qu'on pût fe douter de leur
larcin.
AWorkington , dans le Cumberland,
une mine de charbon ; s'eft tout-à - coup
enflammée & fon explofion à été fi forte
qu'elle s'eft fait entendre à fix lieues . Six
perfonnes y ont perdu la vie , quelquesunes
la vue , & plufieurs ont été bleffées.
Près de Rofneath , belle maifon de
campagne , à l'oueft d'un lac d'eau falée ,
qui fe perd dans la rivière de Clyde , à .
dix - fept milles au- deffous de Glafcow
il y a un écho très fingulier. Ce lac eft
environné de collines , dont quelques
unes font des rochers arides : les autres
font couvertes de bois . Quelques perfonnes
curieufes d'entendre l'écho célèbre
qui fe trouve dans ce lieu fauvage , y ont
mené unhomme qui fonnoit parfaitement
de la trompette il s'eft placé fur une poinNOVEMBRE.
1770. 127
te de terre , que l'eau laiffe à découvert ,
& s'étant retourné du coté du nord , il a
fonné un air & s'eft arrêté :auffitôt un écho
a repris l'air qu'il a répété très - diftin &tement
& très-fidélement , mais d'un ton
plus bas que la trompette. Quand cet écho
a ceffé , un autre écho ,d'un ton encore plus
bas , a répété le même air avec la même
exactitude : ce fecond a été fuivi d'un troifième
qui a été auffi fidèle que les deux autres
, à l'exception du ton qui étoit , à
l'égard du fecond , ce que celui- ci étoit
à l'égard du premier ; & l'on n'a plus rien
entendu . On a répété plufieursfois la même
expérience qui a toujours été également
heureuſe .
L'Obfervateur continue de nous faire
connoître les moeurs des Anglois , leurs
loix , leurs ufages , leur caractère , leurs
forces , leur génie , leurs finances , leur
littérature , leur commerce enfin ce
qui conftitue la Nation Angloife dans le
moral , le physique & le politique ; mais
il faut voir tout ceci dans l'ouvrage même
auffi inftructif qu'amufant.
Effaifur leJeu de Dames à la Polonoife ,
par le fieur Manoury , marchand limonadier
, au coin du Quai de l'Ecole ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
brochure in - 12. prix 1 liv . 4 fols.
A Paris , chez Knapen & Delaguette ,
imprimeurs -libraires , au bas du pont
St Michel , & au Palais .
Savoir la marche eft chofe très- unie ,
Jouer le jeu , c'eft le fruit du génie.
Ces deux vers de Rouffeau fervent
d'épigraphe à l'ouvrage. Le poëte les avoit
appliqués au jeu d'échecs , le premier
des jeux où l'habileté feule eft victorieufe
. Le jeu de Dames à la Polonoife ,
fupérieur à celui des Dames à la Françoife,
par
la multitude & la variété de fes combinaiſons
, tient le fecond rang dans
cette claffe. Comme il eft difficile de le
bien jouer & qu'il demande beaucoup
d'application , vraisemblablement il ne
trouveroit pas plus de grâce devant le
philofophe Montagne , qu'en avoit trouvé
le jeu d'échecs . « Je le hais & fuis , di-
» foit -il , de ce qu'il n'eft pas affez jeu ,
» & qu'il nous esbat trop férieufement ,
» ayant honte d'y fournir l'attention qui
» fuffiroit à quelque bonne chofe. « Ün
favant théologien , qui ne raifonnoit pas.
mieux fur cet objet , mettoit le jeu d'échecs
au nombre des jeux défendus
NOVEMBRE. 1770. 129
parce qu'il appliquoit trop. Ce jeu a eu
fes champions dont on a recueilli différentes
manières de jouer. L'effai de M.
Manoury fur le jeu de Dames , donne
également , jufqu'à un certain point , la
fcience pratique de ce jeu . L'auteur commence
par établir la marche & les règles
de ce jeu. Il parle enfuite de la remife &
des autres avantages qu'un joueur habile
peut faire à fon adverfaire. Cer effai eft
terminé par un recueil de coups brillans
& de fins de parties intéreffantes . Ce recueil
, qu'il fera facile d'augmenter , eft
l'article le plus intérellant de ce petit
traité qui manquoit à l'Académie des
Jeux , dont il s'eft fait plufieurs éditions.
Les douze Céfars , traduits du latin de
Suetone avec des notes & des réflexions
, par M. de la Harpe. 2 vol .
grand in- 8 . prix 10 liv . A Paris ,
chez Didot aîné , imprimeur-libraire ,
rue Pavée , au coin du Quai des Auguftins
, & Lacombe , libraire , rue
Chriftine , avec approbation & privilége
du Roi.
Cet ouvrage paroîtra après la St. Martin.
On peut affurer qu'il a été très - foigné ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE .
tant pour la pureté du texte , qui eſt le réfultat
de cinq éditions comparées , que
pour l'exactitude de la traduction . Les notes
, hiftoriques ou critiques , font courtes
& fuffifantes pour l'intelligence de
l'auteur. Les réflexions fur chaque règne
font plus étendues , & fervent à développer
le caractère des douze premiers
Empereurs . A l'égard du difcours préliminaire
, qui eft un morceau de littérature
affez confidérable , on peut en
juger par les fragmens fur Juftin , Florus ,
& Patercule , fur Tite - Live , Salufte &
Tacite , qui font patie de ce difcours , &
qui ont paru dans le Mercure de Mai ,
& dans le premier de Juillet de cette
année .
Les libraires nommés ci- deffus mettront
en même tems en vente l'école
dramatique de l'homme , fuite des jeux
de la petite Thalie , par M. Moiffy
volume in- 8 ° . relié 6 liv . Le premier &
fecond volumes de l'hiftoire des philofophes
anciens , par M. Saverien , in- 12.
avec figures , prix relié 6. liv. Le fupplément
au dictionnaire lyrique , ou choix
des plus jolies ariettes de tous les gentes ,
NOVEMBRE . 1770. 131
2 volumes in- 8°. brochés en carton. 15
livres .
Hiftoire générale de l'Afie , de l'Afrique
& de l'Amérique , en 15 vol . in- 12 .
ou s vol. in 4°. propofée par foufcription
. A Paris , chez Defventes de
la Doué , libraire , rue St. Jacques
vis - à - vis le Collège de Louis- le-
Grand.
Le fpectacle varié & intéreffant que
nous offre l'Hiftoire des nations de l'Afie
, de l'Afrique & de l'Amérique ; les
avantages que notre police , nos fciences
& nos arts peuvent retirer de la connoiffance
de leur gouvernement , des productions
de leurs climats , des fruits de
leur induftrie , ont porté jufqu'ici beancoup
d'écrivains , plus laborieux qu'éclairés
, à nous donner fous le titre de mémoi
res , de voyages & même d'hiftoire , des
inftructions fur ces différens objets de
notre curiofité . Mais plufieurs de ces
écrivains ou ne nous ont préfenté qu'une
partie de ces objets , ou fe font contentés
de les raffembler , fans y mettre aucun
ordre , aucune liaifon , aucune fuite dans
les faits. Un écrivain eftimable , doué
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de toutes les qualités qui font les bons
hiftoriens , ayant beaucoup de lumières
dans l'efprit & beaucoup de philofophie
dans le coeur , fubftitue aujourd'hui aux
compilations informes que nous avions
fur l'Ale , l'Afrique & l'Amérique , un
corps complet d'hiftoires de ces trois
grandes parties du monde. Chacune de
ces parties a fon hiftoire féparée . L'hiftorien
commence par nous donner fes
recherches favantes fur l'origine de la
nation dont il entreprend de tracer les
événemens . Sa plume rapide , comme
les révolutions qu'elle décrit , ne s'arrête
que fur les traits qui font tableaux , ou
qui peuvent intérefer le lecteur par les
réflexions qu'ils font naître. La bouffole
nous a ouvert toutes les contrées du
monde ; & , comme le commerce lie ,
en quelque forte , les Européens avec
toutes les nations des régions loingtaines ,.
il feroit difficile de bien connoître l'hif
toire de l'Europe , fans s'être mis au fait
des établiffemens que les Européens ont
formés en Afie , en Afrique & en Amérique
, & fans être inftruit des guerres.
qu'ils ont eu à foutenir dans ces climats
éloignés ; auffi l'auteur n'a point négligé
certe partie importante de fon ouvrage.
Dans l'hiftoire de chaque peuple , l'hifNOVEMBRE.
1770. 133
torien a toujours foin d'approfondit fon
gouvernement , fes religions , fes fciences
, fes arrs , fes loix , l'hiftoire natu
relle de fon pays , fon commerce , fes
coutumes , fes ufages , fes moeurs , &
fon caractère diftinctif. On vetra , fur ce
qui regarde les gouvernemens & la légiflation
, un mêlange de lumière &
d'ignorance , de raifon & de folie , d'amour
pour les peuples & d'intérêt perfonnel
. On a tâché de fixer l'origine &
l'efprit de ces deux grands objets. On
confidère les religions dans les temps
primitifs , & après la naiffance du Chrif
tianifme . Dans la première époque , la
connoiffance d'un Dieu eft commune aux
premiers peuples , & la loi naturelle s'élève
toujours au - deffus des fuperftitions
du Polithéifme ; dans la feconde , qui
offre la religion moderne de l'Orient ,
on s'apperçoit des traces fenfibles du
Chriftianifme . Ces caractères divins font
défigarés par les pratiques monftrueufes
de l'idolâtrie ; mais n'ont pu être entièrement
détruits. A la fuite de l'hiftoire ,
on a placé la defcription des pays ; on
y trouve non-feulement une notice des
royaumes , de leurs limites , de leurs riwières
, de leurs montagnes , de leurs
134 MERCURE DE FRANCE.
principales villes ; mais encore des provinces
& des peuplades qui les compofent
, des démémbremens qu'ils ont foufferts
, & des conquêtes qu'ils ont faites.
Par là , le lecteur apperçoit , d'un coup
d'oeil , le théâtre des événemens , les
productions de la nature , & fes merveilles,
auffi variées que les climats ; l'imagination
embraffe & conçoit , avec ordre ,
les faits qu'on lui préfente . Cette deſcription
topographique , fera encore enrichie
de cartes géographiques des plus fidèles ,
& qui rendront cet ouvrage plus précieux,
Le manufcrit de ce grand ouvrage eft
entièrement achevé , & le libraire en
offre , dès- à- préfent , la moitié qui eft
imprimée ; l'autre eft fous preffe , & on
en continue l'impreffion avec célérité :
ainfi , le public ne doit craindre aucun
délai dans l'engagement que le libraire
contracte avec lui.
La foufcription pour le format in- 1 2.
en 16 vol . eft de 30 liv. On en paie 18
en foufcrivant , & on reçoit les fix premiers
volumes. La foufcription pour
l'in 4°. eft de 45 liv. dont 27 liv. payables
auffi actuellement ; en recevant les
deux premiers volumes. Ceux qui n'auront
pas foufcrit d'ici au mois de JanNOVEMBRE.
1770. 135
vier , paieront l'in- 12 . à raifon de 2 liv.
10 fols , en feuilles ; & l'in- 4°. 12 liv.
également en feuilles .
Du mot Amour dans fes différentes ,
acceptions.
Amour ( morale ) terme abftrait , qui ,
confidéré génériquement , fignifie une
affection de l'ame portée vers un objet ,
par le fentiment de rapports agréables .
Je dis terme abftrait , parce que , pour
repouffer les chimères métaphyfiques ,
on ne fauroit trop rappeler qu'il n'y a
point d'Etre qui s'appelle amour. L'amour
de Dieu pour les créatures , n'eft autre
chofe que Dieu confidéré comme aimant
fes créatures. Les fcholaftiques ont
ouvert une fource intariffable de vaines
querelles , en donnant le nom d'êtres à
des qualités morales & phyfiques , détachées
des êtres par une opération de
l'entendement.
L'amour , prisainfi dans fon fens le plus
univerfel , eft dans le coeur de tous les
hommes , & c'eft la feule chofe qui les
attache à la vie . Celui qui n'aime rien ,
n'a nulle raifon pour exifter ; & cette
maladie trop réelle que l'on nomme
confomption , n'eft autre choſe qu'un af135
MERCURE DE FRANCE.
faillement de l'ame & des organes , qui
ne peuvent plus ni défirer ni fentit . Cette
maladie finit ordinairement parle fuïcide.
Pour peindre le fupplice des efprits rebelles
à Dieu , nous n'avons rien trouvé
de plus affreux , que de les repréſenter
comme forcés de hair éternellement
Dieu , les créatures & eux mêmes . Ca
malheureux qui n'aimera jamais ! difoit
Ste Thérèfe , en parlant du diable.
Amour des fexes. C'eft la paffion la
plus naturelle dans fon principe , & la
plus variée dans fes effets , la plus douce
& la plus furieuſe . On n'en fauroit dite
ni trop de bien ni trop de mal , lorfqu'on
en parle dans l'ivreffe du plaifir , ou dans
la crife du défefpoir . Mais , il est trèsdifficile
, même au philofophe > d'en
parler avec indifférence , parce que , s'il
ne l'a pas fenti , il ne le connoît pas
affez ; & , s'il a aimé , il faut qu'il combatte
les fouvenirs. Un écrivain célèbre
a dit de l'amour , que le phyfique en
étoit bon , & le moral n'en valoit rien .
C'eft rayer d'un feul trait l'hiftoire des
plaifirs de l'ame .
>
Je fuis très éloigné de penfer que l'amour
puiffe être abfolument indépendant
des fens. Ce platonifme eft l'ouvrage
d'une imagination exaltée. C'eft fure
NOVEMBRE. 1770. 137
tout
une illufion de la jeuneffe. La
première femme que l'on aime , eft à
nos yeux un être fort au- deffus de l'humanité
; & , tout homme qui n'a pas
vu dans fa maîtreffe beaucoup plus qu'une
femme , étoit à coup für un amant
froid. Mais dans ce délire de la paffion ,
on ne fe rend point compte d'une foule
de fentimens fecrets qui s'y perdent &
s'y confondent , & ces fentimens font
des defirs. Je fais bien qu'on leur commande
, que le facrifice que l'on en fait
eft un effort de générofité , dont on eft
bien fier & bien fatisfait ; mais on fent
en même-tems , quoiqu'on ne fe l'avoue
pas , que ce facrifice n'eft que momentané
, que c'est même un moyen de plus
pour obtenir ce qu'on a l'air de ne pas
demander. Jamais l'amour n'eft plus intéreffé
, que quand il paroît généreux.
Jamais il n'eft plus près d'être un maître
impérieux , que quand il eft l'efclave let
plus rampant. Il ne facrifie le préfent ,
que parce qu'il vit dans l'avenir . Ce n'eſt
pas qu'il veuille tromper , non ; c'eft que ,
par une force involontaire , il marche
toujours à fon but . La route fera auffi
longue qu'on voudra. Les avenues ne font
agréables , que parce que la jouiffance
138 MERCURE DE FRANCE.
eft au bout de la perfpective . Le malheur
eft qu'il n'y ait rien au delà .
les
Mais , faudra- t -il en conclure qu'il n'y
a que du phyſique dans l'amour , on
que le phyfique feul en eft bon ? Cette
dernière affertion paroît être d'un homme
qui a fenti plus qu'un autre le moral de
l'amour , qui a oublié les plaifīrs , &
confervé le fouvenir des peines . Perfonne
ne déclame plus contre la ſenſibilité que
gens très - fenfibles , comme perfonne
ne dit plus de mal de la gloire , que
ceux qui en font idolâtres . Mais , s'il
étoit poffible de les prendre au mot , on
verroit bientôt ce qu'il faut penfer de
ees plaintes. On a beau dire , le plus
grand befoin du coeur eft celui d'être
ému. L'homme qui eft le mieux avec
lui- même , fe plaît encore à être fouvent
hors de foi ; & , quelle paffion produit
des émotions plus puiffantes & plus chères
que l'amour ? Je ne parle pas feulement
des impreffions tendres ou voluptueufes
. Peut-on , fans ingratitude , n'en
pas rendre graces à la nature ? Je parle
même des impreffions triftes & douloureufes.
Elles font pour les ames actives
& aimantes , un aliment amer , mais
néceffaire & fait pour elles . Exceptez- en
NOVEMBRE. 1770. 139
le moment où l'on voit mourir ce qu'on
aime , le moment plus affreux où l'on
eft trahi ; exceptez- en ces déchiremens
infupportables ; fi , dans les autres chagrins
que l'amour produit , vous propofiez
à l'amant qui fe plaint , de lui ôter
à-la-fois fa douleur & fon amour , il
rejeteroit votre offre. On aime mieux la
fièvre que la paralifie. Les larmes de l'amour
font rarement cruelles. Quand il eft
véritablement malheureux , il n'en verſe
plus .
Laiffons lui donc tout ce que l'activité
de notre ame a pu y ajouter. Ne tariffons
point la fource des fentimens &
des illufions. Si l'attrait réciproque qui entraîne
unfexe vers l'autre étoit réduit à n'être
qu'un befoin purement animal , tous les
deux y perdroient trop. Ce befoin feroit
trifte & humiliant . Bornés par nos fens ,
pourquoi bornerions nous auffi notre
imagination , la feule chofe qui nous
étende au- delà de nous mêmes Et , qui
n'a pas éprouvé que ce fentiment de préférence
qui nous attache à un feul objet ;
ces charmes dont nous l'environnons &
qu'il ne doit qu'à nos regards , font des
rêves délicieux , que l'on regrete , même
long- tems après le réveil de la raifon ?
Car en effet il vient un moment où
140 MERCURE DE FRANCE .
cette décoration fantatique s'évanouie ý
& où nous reftons triftement avec la vérité
. Mais il faut bien que l'amour finiffe
par l'indifférence , comme la vie
finit par la mort.
On fent bien que je n'ai parlé ici que
de l'amour pris dans fon plus haut degré
d'énergie , & tel que les ames honnêtes
& fenfibles l'ont connu au moins une
fois . A l'égard de ce commerce de corruption
, qui amufe l'oifiveté des villes ,
& que la licence des moeurs , le goût des
plaifirs , la mauvaife éducation , les mauvais
mariages ont rendu fi commun &
fi irrémèdiables , voyez les articles GA
LANTERIE , ADULTERE , COURTISANE ,
& c .
Amour Conjugal. C'eft le plus doux
de tous les fentimens , quand il reffemble
à la véritable amitié . C'est être uni
à ce qu'on aime par tous les liens poffibles.
Mais , c'eft une erreur de penfer
que l'amour conjugal puiffe être l'amour
proprement dit. C'est vouloir que l'on
puiffe à la fois jouir & défirer ; bonheur
que l'on ne nous promet , que
dans un autre ordre de chofes . Deux
époux qui s'aiment , font les plus heureux
de tous les amis.
Amour paternel , maternel , filial &
NOVEMBRE. 1770. 141
fraternel. On dit , proverbialement
que
l'amour va en defcendant , pout
dire que les pères & mères aiment mieux
leurs enfans , qu'ils n'en font aimés . Cela
eft vrai généralement , les exceptions
mifes à part. On aime plus pour le bien
qu'on fait , que pour le bien qu'on reçoit.
D'ailleurs , un père s'aime luimême
dans fes enfans . Ses enfans ne
peuvent l'aimer que pour lui . Auffi
leur amour eft il fon plus grand éloge.
9
L'amour d'une mère , eft- il plus tendre
que celui d'un père ? Je le crois . Ses enfans
font plus à elle , ils lui coûtent davantage.
Elle les a nourris de fon lait &
de fa fubftance . Elle fe fouvient , en les
voyant , de ce qu'elle a fouffert pour eux ,
& les en aime plus tendrement . Les anciens
avoient le plus grand refpet pour
la maternité ; & , de nos jours , une
femme entendant un jeune étourdi qui
dénigroit tout le fexe , en général , dit à
ceux qui l'entouroient : << ce jeune
» homme ne fe fouvient- il pas qu'il a
» une mère ?
Rara eft concordia fratrum , a dit un
ancien. Malheureufement il avoit raifon.
Les rapport d'intérêt & de rivalité font
des fources de divifions entre les frères.
Les préférences trop communes de la
142 MERCURE DE FRANCE .
part des parens , font injurieufes & affligeantes
; & , quand une fois la difcorde
a féparé ceux que la nature avoit unis ,
ils doivent fe hair d'autant plus , qu'ils
ont dû faire un plus grand effort pour
ceffer de fe chérir.
Amour de la gloire , Amour propre.
On les a confondus trop fouvent. L'amour
propre
eft de tous les hommes . L'amour
de la gloire n'appartient qu'aux grandes
ames . L'un eft petit dans fes moyens ,
injufte dans les principes ; l'autre eft fublime
dans fes vues , généreux dans fes
procédés . L'un s'eftime plus que les autres
hommes ; l'autre veut en être eftimé .
Il fe peut , à tout prendre , que celui
qui a de l'amour propre & celui qui aime
la gloire , au fond , fe rapprochent tous
les deux en s'aimant eux mêmes plus que
tous les autres ; mais le premier ne fera
jamais rien que pour lui. Le fecond fera
tout pour les hommes , & ne fe réſervera
que la gloire de l'avoir fait . Mécéne avoit
de l'amour propre . Octave avoit de l'ambition
. Cicéron aimoit la gloire .
Amour des Lettres. C'eft un befoin
des efprits bien faits . Dans les Princes
dans les grands , c'eft un reffort de plus
qu'ils ont entre les mains pour exalter
les talens & les ames , & pour conduire
NOVEMBRE. 1770. 143
le vulgaire. C'est le préfage d'un règne
heureux. Les méchans Princes font rarement
lettrés , & les mauvais vers que
faifoit Néron , ne font pas une exception
à ce principe.
Dans un Grand , fans goût & fans efprit
, l'amour des lettres eft un travers
qu'on lui fuggère , & qui lui donne un
ridicule de plus. Il a des livres , comme
quelques perfonnes qui ne favent pas un
mot de Botanique , ont des jardins de
plantes ; & il raffemble chez lui de mauvais
écrivains , comme de prétendus naturaliftes
raffemblent dans un cabinet
des papillons & des infectes .
Dans le commnun des hommes , l'amour
des lettres , le defir d'écrire , eft
ou une aptitude naturelle , ou une aveugle
manie. L'aptitude naturelle eft le talent.
Portée à un degré fupérieur , c'eſt le
génie. Ceux qui aiment les lettres & lest
cultivent avec fuccès , ont ordinairement
peu d'ambition & peu d'avarice. Ils ont
befoin d'aifance & d'amis ; & c'eft à eux
de fe procurer l'un & l'autre . S'ils prétendent
beaucoup , & s'ils réuffiffent ,
ils font perfécutés ; mais il faut que la
gloire confole de tout , ceux qui lui font
dévoués . S'ils font doux & médiocres ,
144 MERCURE DE FRANCE.
ils vivent plus paifibles. Les gens de
lettres vivent plus dans le monde qu'autrefois.
Il y font plus confidérés , parce
qu'on a fenti leur influence , & qu'ils
favent demander moins & acquérir davantage.
L'amour des lettres , dénué de talent ,
a fouvent des fuites funeftes . On eft
inepte à tout , & fur-tout à ce qu'on
voudroit faire. On fe trompe fans ceffe
foi même fur le mépris dont on eft couvert
. Mais on ne peut fe tromper fur les
chagrins que produifent des efpérances
fruftrées , fur l'ennui & les dégoûts qu'on
éprouve & qu'on fait éprouver aux autres
, fur la vie que l'on mène , toujours
agitée & toujours vuide. Vous arrivez
au déclin de l'âge , fans avoir rien produit
qui puiffe vous juftifier aux yeux
d'autrui & aux vôtres , & un repentir
tardif accable votre vieilleffe .
Amour de la Patrie. Tout honnêtehomme
doit aimer fa patrie . Elle a travaillé
pour lui avant fa naiffance , & il
vit fous fa fauve - garde. Si on en effuie
des injuftices , il n'eft jamais permis de
s'en venger ceux qui ont cherché cette
vengeance coupable , l'ont tous expiée
par leurs larmes & par leurs malheurs.
C'eſt
NOVEMBRE. 1770 . 145
C'eft fur - tout dans les républiques
que l'amour de la patrie a plus de force &
fe fignale par plus d'efforts & de prodiges.
Chaque citoyen tient de plus près au
gouvernement . Le mot de patrie eſt le
premier qu'un républicain bégaie dans
fon enfance , & le dernier qui erre fur
fes lèvres mourantes . C'eft pour l'intérêt
de la patrie , que Regulus alla chercher
à Carthage la mort & les tourmens ; & ,
ne pouvant plus fauver fa patrie , Caton
fe déchira les entrailles.
ACADÉMIE S.
I.
Befançon.
L'ACADEMIE des Sciences & Belles-Lettres
de Befançon , affiſta le 24 de ce mois
à une Mefle en mufique , de la compofition
de M. Ethis , Commiffaire Provincial
des guerres , l'un des l'un des quarante de
l'Académie : elle fut exécutée par les
amateurs , & les meilleurs Muficiens de
la Ville & de la Province . M. l'Abbé
Pochard , ci- devant Jéfuite , y prononça
le Panégyrique de S. Louis .
G
146 MERCURE DE FRANCE.
·
L'après midi , il fe tint au Palais de
Grandvelle , une féance publique pour
la diftribution des prix . M. le Comte de
Rouffillon ouvrit la téance par des réflexions
très judicieufes fur les trois
genres d'éloges . Il plaça dans le premier ,
fOraifon funèbre & le Panégyrique ;
dans le fecond , l'Eloge hiftorique ; dans
le troifiéme , l'Eloge oratoire , trois genres
dans lesquels il cite pour modèles ,
Fléchier , Fontenelle & Thomas. Cette
diftinction le conduifit à apprécier le mérite
des éloges de Jean de Vienne , qui
avoient été préfentés au concours d'éloquence
; & il annonça que l'Académie
avoir décerné le prix au difcours cotté 6 ,
dont M. Huot de Charmoille , Moufquetaire
, demeurant à Vefoul , fut reconnu
l'Auteur , & les acceffit aux n°.
3 , 8 & 9 , dont le Pere de Fums , Carme
de Franche- Comté , Profeffeur à Sémur
, Dom Sornet de Salins , Bénédictin
de la Congrégation de Saint Vanne ,
& M. l'Abbé Pelier , Chapelain de faint
Pierre à Besançon , font les Auteurs.
Le prix d'Hiftoire fut adjagé à une
hiftoire très - étendue de la Ville & Abbaye
de Luxeul , qui avoit balancé les
fuffrages avec l'hiftoire de la Ville & Ab- 1
NOVEMBRE. 1770. 147
baye de Faverney , auquel on décerna
l'acceffit. On ne fut plus étonné de la difficulté
qu'il y avoit à fe décider , lorſque
l'on reconnut que les deux grands ouvrages
, qui ont coûté plufieurs années de
travail , étoient les deux de Dom Grappin
, Sous - prieur de l'Abbaye de Favetney
, & qu'il n'avoit pu ſe trouver inférieur
à lui- même , que par la différence
des fujets.
Le prix des Arts fut adjugé à un Mémoire
fur la navigation du Doubz , dont
le fieur Puricelli Négociant , eft l'Auteur ;
l'acceffit à un Mémoire qui combat la
navigation du Doubs , pour perfectionner
celle de la Sãone .
L'Auteur avoit craint que fon fyftême
ne fût pas accueilli à Befançon , & il n'avoit
mis dans fon billet cacheté , que
cette devife : Vox clamantis in deferto.
Il contient de bonnes vues d'un citoyen ;
mais la poffibilité & les avantages de la
jonction du Doubz au Rhin par la rivière
d'lll , ont été indiqués fuffifamment pour
donner la préférence au fieur Puricelli.Des
curages & barages dans le Doubz & dans
J'Ill , une nouvelle forme à donner aux por
tières des éclufes du Doubz , un canal de
huit lieues à creufer , dès Montbéliard à
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Illfurth , lequel fera abreuvé par vingtdeux
étangs , placés avantageufement à
cet effet du côté d'Altenach , en un mot
une dépenfe d'un million fuffiroit pour
rendre Befançon l'entrepôt de France &
d'Allemagne.
L'Académie des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Befançon , diftribuera le
24 Août 1771 , trois Prix différens .
Le premiet , fondé par feu M. le Duc
de Tallard . pour l'Eloquence , confifte
en une Médaille d'or de la valeur de
35 liv. Le fujet du difcours fera : Quelle
a étéfur notre fiècle l'influence de la Philofophie
?
Le Difcours doit être d'environ une
demi -heure de lecture .
Le fecond Prix , également fondé par
M. le Duc de Tallard , eft deſtiné à une
Differtation littéraire ; il confifte en une
Médaille d'or de la valeur de 250 liv.
L'Académie propofe pour fujet : Quelle
fut l'étendue de la Province Séquanoife
dans les différentes divifions que les Romains
firent des Gaules ; en quel temps
l'appela- t - on MAXIMA SEQUANORUM ?
Quoique deux Auteurs célèbres aient
déjà traité ces queftions , on peut encore
defirer des détails ; & c'eft ce que l'AcaNOVEMBRE
. 1770. 149
démie propofe particulièrement à la difcuffion
des Concurrens .
La Differtation fera de trois quarts
d'heure de lecture , fans y comprendre
les preuves.
Le troisième Prix , fondé pour les Arts
par la Ville de Befançon , confifte en une
Medaille d'or de la valeur de 200 liv.
Le faier du Mémoire,fera : Le meilleur
aménagement des Forêts dans la Province
de Franche- Comté,
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une devife ou fentence , à leur choix :
ils la répéteront dans un billet cacheté ,
qui contiendra leur nom & leur adreffe ;
ceux qui fe feront connoître , feront exclus
du concours .
Les ouvrages feront adreffés , francs
de port , à M. DROZ , Confeiller au Partement
, Secrétaire perpétuel de l'Académie
, avant le premier Mai 1771 .
I I.
Flefingue.
La Société des Sciences de la province
de Zéelan le a adjugé , le 25 da mois de
Septembre , le premier prix de cette an-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
née au fieur de Cruiffelbergen , recteur de
l'école latine de cette ville. Le fujet étoit
l'examen de cette queſtion : Quels ont été
les habitans de Zéelande jufqu'au quinziè
me fiècle? Quels ont été leurs moeurs &
leur culte , ainfi que les commencemens &
les progrès des belles- lettres , des arts & des
Sciences parmi eux ? Les deux autres prix
ont été adjugés , l'un au Sr Jean Macquer,
docteur en médecine & confeiller de ville
de Ziérickzée , qui a donné un mémoire
fur ce qu'on peut appeler , en matière de
médecine , les forces de la nature ? & l'autre
au Sr Liefting , ingénieur à Groningue
, qui a remis à ladite fociété un mémoire
fur la fortification d'un exagone régulier
& fur les courtines . La même fociété
propofe pour le prix de 1772 cette
question : Un Naturalifte peut il tirer ,
d'obfervations & d'expériences déjà faites ,
des conféquences ultérieures qui fervent à
découvrir les caufes encore inconnues des
phénomènes ? S'il le peut , jufqu'où le peutil
& quelles règles doit- il obferver en ce
cas?
-
NOVEMBRE. 1770. 151
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE Loyale de muſique a remis
au théâtre , le dimanche 14 Octob. 1770,
Ajax , tragédie , repréfentée pour la première
fois le 20 Avril 1716 , repriſe le
16 Juin 1726 , le 2 Août 1742 , & le
13 Mai 1755. Le poëme eft de Menneffon
, auteur des opéras de Mento la
Fée ; & des Plaifirs de la Paix ; la mufique
eft de Bertin , qui étoit maître de
claveffin des Princeffes d'Orléans , & qui
a fait la mufique des opéras de Caffandre ,
de Diomède , du Jugement de Pâris , des
Plaifirs de la Campagne .
Ajax a fait conduire dans l'Ile de
Ténédos , Caffandre dont il - eft épris ,
pour la dérober aux pourfuites des Princes
de la Grèce. Caffandre rejette avec horreur
les voeux du deftructeur de Troie
du tyran de fa famille & du vainqueur
de Corebe , Prince de Thrace , qu'elle
aime.
Corebe et jeté par l'orage dans l'e
de Ténédos ; il y revoit , avec furpriſe ,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Caffandre . Ces amans ont à redouter la
fureur jaloufe d'Ajax ; mais Pallas les
raffure : elle veut fe venger du guerrier
qui a ofé arracher Caflandre à fes autels.
Elle évoque la Difcorde. Ajax livre aux
fers Corebe , qui ofe le défier au combat.
Caffandre entre en fureur prophétique ,
& prédit à Ajax les malheurs qui l'attendent.
Ajax pénétre dans le Temple
de l'Amour où Caffandre a cherché un
afyle.
Il force Corebe à s'embarquer. L'Amour
vient confoler Caſſandre . Ajax eſt
obligé de repouffer les Grecs qui veulent
enlever la Princeffe ; il la contraint
de s'éloigner ; mais bien - tôt Corebe &
Caffandre font réunis , tandis qu'Ajax
eft en proie à la fureur des vents & des
flots.
Il fe fauve fur un rocher ; Pallas
armée du tonnerre lance fur lui la
foudre , & punit fon audace facrilége .
,
Les directeurs , privés de la plupart des
premiers fujets à caufe du fervice de la
cour , & defirant que les plaifirs du Public
ne fuffent pas interrompus , ont fait
choix de cet ouvrage dont ils ont tiré le
meilleur parti poffible dans les circonftances.
NOVEMBRE. 1770. 153
=
›
Le rôle d'Ajax a été bien rendu par M.
Gelin ; Corebe a été joué par M. Pillot ;
Arbas , par M. Cavalier. Mlle . Duplant
a repréfenté Caffandre avec beaucoup
de nobleffe & d'expreffion dans fon jeu,
avec beaucoup d'éclat & d'énergie dans
fon chant. Mlle Châteauneuf a repréfenté
Pallas ; Mlle Pezé , âgée d'environ
quatorze ans , a debuté par le rôle de l'Amour;
on lui a trouvé la voix agréable &propre
pour les airs légers. M. de la Suze a joué
la Difcorde. Mlle Châteauvieu , nouvelle
débutante , a chanté avec une très - belle
voix , la grande Prêtreffe de l'Amour .
M. Tirot , Mlle Vincent , Mlle le Bourgeois
, ont été applaudis dans pluſieurs
airs des ballets .
La mufique des paroles a été retouchée
par M. Francoeur , neveu ; il a refait en
partie celle des danfes , dont plufieurs aits
ont été très goutés . Les ballets font de la
compofition de M. Veftris , & d'un deffin
ingénieux.
Plufieurs des talens principaux dans
la danfe retenus à Fontainebleau , ont été
heureuſement remplacés. On a été bien
dédommagé par Mlle . Heinel , que l'on
revoit toujours avec un nouvel étonne-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
ment , & avec un nouveau plaifir . Elle a
danfé dans la chaconne du quatrième acte
avec les graces , la précifion , en mêmetems
la force & la nobleffe qui caracté
rifent la danfe de cette Terpficore.
M. Veftris & Mlle Affelin ont auffi
danfé dans les premières repréfentations
avec les fuccès dont leurs ralens font affurés.
M. Dupré a été applandi dans le
ballet de la Difcorde , où il a exécuté
plufieurs entrées. Mlle Louifon Rey a
rempli d'une manière agréable le pas que
devoit danfer Mlle Guimard au 3. acte.
MM. Malter & Delaiftre , fucceffivement
avec Mde Pietrot , ont été très - accueillis
dans le pas des Matelots, au 5º.
acte.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ordinaires du
Roi ont remis fur leur théârre , le lundi
22 Octobre 1770 , Sidney , drame de M.
Greffet , en vers & en trois actes , donné
en 1745 , & qui n'avoit pas été joué
depuis.
Cette repriſe a eu du fuccès , auNOVEMBRE.
1770. 155
tant que l'on peut s'intéreffer au malheureux
caractère d'un homme ennuyé
dont l'ame Aétrie ne peut plus fupporter
le poids de fon exiftence . Sidney
eft pourtant encore fenfible à l'amitié &
à l'amour; & ces fentimens raniment en
lui le defir de la vie . Un valet fidèle lui
a fauvé le poifon qu'il a cru prendre ; il
renaît au plaifir de revoir fon ami &
fa maîtreffe . Le caractère de l'Ennuyé
eft fupérieurement deffiné par l'auteur ;
mais ce rôle eft néceffairement long &
difcoureur fur la fcène , quoique parfaitement
écrit , & rempli de traits de
force & de penfées. Il a été joué avec tout
l'art poffible par M. Bellecour . M. Dauberval
a renduavec intérêt le rôle d'Amilton
l'ami de Sidney. M. Preville a été applaudi
dans le rôle de Dumont , valer.
Mile Hus , repréfentant Rofalie ; Mlle
Luzy , jouant Mathurine , ont auffi obteau
les fuffrages du public
"
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
Fête donnée par Madame la Ducheffe de
Mazarin , en fon château de Chilly , à
l'occafion du mariage de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine ,
qui ont honoré ce Spectacle de leur préfence.
A L'entrée d'une allée du jardin , on
voit un fort à l'antique flanqué de tours ,
& défendu par des paliffades : l'enchanteur
Merlin y tient enfermée & endormie
depuis 150 ans la charmante Lucie ,
que le comte de Carmagnole lui avoit
refufée en mariage . Féridon , à la tête de
fes chevaliers , armés de toutes pièces ,
vient pour la délivrer ; comme ils font
prêts à donner l'affaut , un nain paroît
fur une des tours , fonnant du cors ; à ce
bruit , les portes du fort s'ouvrent , les gens
de Merlin , à pied & à cheval , fortent &
engagent le combat avec les chevaliers
de Feridon ; Merlin , pour l'abréger , découvre
le bouclier magique dont le pouvoir
étoit de rendre fes ennemis immobiles
; mais il le voit fans effet & fans
NOVEMBRE. 1770. 157
vertu : Feridon lui déclare qu'une puiffance
fupérieure va détruire fes enchan
temens. Mais Merlin eft raffuré par la
promeffe de l'oracle , qui lui a dit qu'on
ne peut le vaincre qu'aux conditions
fuivantes .
AIR : Des pourquoi.
Quand on verra par un heureux prodige ,
Aigle & Dauphin fous loix d'amour unis ,
Quand on verra , ne formant qu'une tige ,
Fleurir enfemble & la role & le lys ,
Au chant du cocq ceffera tout preftige
Et dans ces lieux renaîtront jeux & ris.
Second couplet.
>
Quand on verra prudence avec jeuneſſe ,
Grandeur fuprême avec fimplicité ;
Quand on verra les fruits de la ſageſle
Naître au printems dans leur maturité ,
Merlin perdra fa force enchantereffe
Et nos captifs feront en liberté.
Ces tems font arrivés , l'oracle eft accompli
, à l'inftant les portes fe brifent ,
les remparts s'écroulent , & Merlin terraffé
par Féridon , lui demande grâce ;
le vainqueur la lui accorde , à condition
qu'il confeffera tous les traits de fa fé158
MERCURE DE FRANCE .
lonie. Merlin convient que depuis 150
ans il tient endormis le père de Lucie ,
cette belle , & le jeune Azor , fon époux ,
ainfi que tous les gens de la nôce , che
valiers , écuyers , domeftiques , villageois
, animaux , bouffons , jongleurs ,
chanteurs , tous dormoient , jufqu'à la
mufique françoife . Ce dernier article ne
paroît pas un grand crime à Feridon ;
mais Merlin eft encore coupable d'avoir
endormi la fimplicité des villageois , la
franchiſe des courtifans , la confcience
des gens d'affaires , la timidité des pages
, & c. & il fe juftifie , en difant que
c'eft un fervice qu'il a rendu à tous ceux
qu'il a livrés au fommeil , puifqu'ils vont
revoir la lumière du jour fous les plus beaux
aufpices : Feridon lui pardonne en faveur
de cette réflexion , mais à condition qu'il
contribuera aux amuſemens de la fête ,
& qu'au lieu de Merlin il fera Arlequin
: Merlin , au lieu d'être puni , fe
trouve récompenfé , & fort avec fon cheval
qu'il emmène en boitant . A meſure
que les Princes & les Princeffes s'avan
cent , on voit différens grouppes s'animer
fucceffivement ; ici font des bergers
& bergères qui chantent leur bonheur ;
là , des laboureurs fe préparent à la moif
9
NOVEMBRE . 1770. 159
fon , & s'excitent au travail par la protection
dont le Dauphin les honore. Un
laboureur chante fur l'air , On ne s'avife
jamais de tout :
Depuis qu'un Prince a mené ma charue ,
Je me crois autant qu'un feigneur.
Quand je fongeons qu'il m'a fait cet honneur ,
De plaifir tout mon coeur fe remue.
Avant ce tems je manquois d'ardeur:
Pour ma terre
En jacherre
J'avois du dégoût ;
( avec le Chaur. )
Mais quand un Prince encourage ,
"
De fon ouvrage
L'on vient à bout ,
De fon ouvrage
L'on vient à bout.
Pendant ce couplet & quelques antres
la compagnie qui eft arrivée au
bout de l'allée , découvre le château du
vicomte Carmagnole , qui eft environné
d'arbres & de différentes maifons champêrres
: Moron , bouffon de ce Seigneur
, l'appelle ; le vicomte paroît tout
160 MERCURE DE FRANCE.
endormi , rêvant encore qu'il chaffe le
cerf: pendant ce tems -là , Moron imite
comiquement le reveil de tous ceux qui
étoient endormis par le chant du coq ;
celui d'une poule qui pond , le gloucement
des dindons , l'aboi des chiens ,
un enfant qui crie , une vieille qui le fait
taire , &c. Azor & Lucie paroiffent ,
Moron obferve qu'ils font encore affez
frais pour de jeunes mariés de 160 ans .
Le Seigneur Carmagnole les trouve auffi
fort éveillés , en voyant la vivacité avec
laquelle ils fe careffent , & la volubilité
des paroles avec laquelle ils fe félicitent
de leur bonheur : ni l'un ni l'autre ne
veut l'écouter , & Lucie trouve fon papa
bien injufte de vouloir l'empêcher de parler
, après un filence de 150 ans . Cette
fcène ett très comique . Le premier foin
d'Azor & de Lucie eft de remercier leurs
bienfaiteurs , après quoi les bouquetières
apportent des bouquets en chantant des
couplets , auffi agréables & auffi frais
que les fleurs qu'elles offrent.
Dans une autre allée , qui conduit à la
grande Karmefe , on voit deux montagnards
qui font danfer un ours , &´lui
font faire plufieurs tours ; à l'entrée de
cette allée , eft la boutique d'un patiffier ,
NOVEMBRE. 1770. 161
au fond de laquelle il y a un four tout
allumé cette fcène très plaifante
mérite d'être tranferite prefque toute
- entiére .
Le Patiffier & le petit Arlequin fon apprentif.
LE PATISSIER. Eh bien , petit drole ,
as-tu fini l'ouvrage que je t'ai commandé
?
LE PETIT ARLEQUIN. Oui , notre
Maître .
LE PATISSIER . Où font les bifcuits ?
LE PETIT ARLEQUIN. Les bifcuits ?
oh je vous avouerai franchement que je
les ai mangés , parce que l'envie que
j'avois de me dépêcher , m'a fait faire
une méprife ; j'ai pris la boîte au fel
pour la boîte au fucre,
LE PATISSIER . Et tu les as mangés ?
LE PETIT ARLEQUIN . Oui , tous , afin
qu'on ne s'apperçût pas de ma faute.
LE PATISSIER . Et cette tourte de con .
fiture ?
LE PETIT ARLEQUIN. J'y avois mis
trop de poivre , je l'ai mangée , par la
même raiſon .
LE PATISSIER. Ah petit coquin ! je n'ai
>
162 MERCURE DE FRANCE.
pas le tems de te corriger à préfent ; mais
tu mele paieras : du moins , les petits pâtés
font-ils faits ?
LE PETIL ARLEQUIN. Oui notre
Maître.
LE PATISSIER . Eh ! bon , où font- ils ?
LE PETIT ARLEQUIN, Ils font ferrés.
LE PATISSIER Où ? montres- les moi ,
tout-à-l'heure.
LE PETIT ARLEQUIN (fe jette aux pieds
de fon Matre. ) Ah ! pardon , pardon !
LE PATISSIER . Tu les as encore mangés
?
LE PETIT ARLEQUIN, Helas ! oui , j'en
ai fait plufieurs effais ; & , comme je ne
réuffiffois pas à ma fantaiſie , je les ai
mangés , & j'achevois la feconde fournée ,
quand vous êtes arrivé.
LE PATISSIER . Je n'y tiens plus , il
faut que je t'allomme.
Le petit Arlequin veut fe fauver , fait
plufieurs lazis , renverfe dans fa courfe
un vaiffellier garni d'affieties de fayance
& de poterie ; il s'élance dans le four.
Le Mattre en retire promptement le petit
Arlequin , qui a unpâté dans fa bouche,
& qui crie de toutes fes forces.
NOVEMBRE. 1770. 163
Fripon ! ne crois pas m'échapper , je
vais te livrer à la Juftice : un Commiffaire
! un Commiſſaire !
Merlin arrive en Commiffaire . Le Pátiffier
lui porte fa plainte lui -même . Le petit
Arlequin , qui s'étoit caché ,fejette aux
pieds du Commiffaire. Il fefait ici une
belle reconn oiffance.
MERLIN , tragiquement.
Quel fon de voix !
Mes lens émus ! .. troublés.. dis-moi quel est tou
père?
LE PETIT ARLEQUIN.
On ne l'a pû favoir.
MERLIN.
Du moins quelle eft ta mère ?
LE PETIT ARLEQUIN.
On la nommoit...
MERLIN.
Pourfuis...
LE PETIT ARLEQUIN.
Merluche.
164 MERCURE DE FRANCE.
MERLIN .
Merluche !
Juftes Dieux !
LE PETIT ARLEQUIN.
Elle n'eft plus , ma main ferma fes yeux,
MERLIN.
Ainfi donc tout fubit l'arrêt des deſtinées .
LE PATISSIER.
Monfieur , il m'a mangé plus de quatre fournées.
MERLIN , vivement.
A ce noble appétit , je reconnois mon ſang ,
Et Merlin à ta place en auroit fait autant.
Mon fils...
LE PETIT ARLEQUIN .
Mon père...
LE
PATISSIER , à Merlin.
Vous !
MERLIN .
Le cri de la nature
Me dit que ce gourmand eft ma progéniture.
Mes pleurs.. viens dans mes bras.. va , je ſuis ton
appui .
NOVEMBRE . 1770. 165
Pendant ce tems le Pâtifier s'effuie les yeux
avec fon tablier.
LE PATISSIER .
Si vous êtes fon père il faut payer pour lui.
MERLIN , au Pâtifier.
Ami , rien n'eft plus jufte , & d'un coup de baguette
,
Le pouvoir de Merlin acquitte ainfi la dette .
Il paroît une table garnie de touteforte de
pâtiſſerie.
LE PETIT ARLEQUIN.
Je reconnois mon père à de fi nobles traits ,
Et je vais recueillir le fruit de fes bienfaits .
Il veut prendre les petits pâtés.
Mais Merlin l'en empêche , en lui difant
qu'il l'a réfervé pour les offrir , & le petit
Arlequin préfente fa marchandiſe à la
compagnie. A cette fcène , fuccède celle
qui fe paffe dans un caffé , où l'on voit
endormis des nouvelliftes habillés à l'antique
. Un comédien , nommé Floridor ,
demande au garçon du caffé , du chocolat ,
une bavarroife , du caffé , du tabac ;
mais celui- ci qui exerçoit fa profeffion
en 1995 , ne comprend pas un mot de
166 MERCURE DE FRANCE.
ce qu'on lui demande , ce qui fournit une
réflexion fur les befoins fuperflus que
nous nous fommes faits , & qui étoient
ignorés de nos bons aïeux . Floridor interroge
les nouvelliftes , qui lui répondent
fur ce qui fe paffoit lors de la paix
faite entre l'Efpagne & la France du
tems de Philippe III . Ces nouvelles ,
qui ne font pas de fraîche date , font
place à des réflexions très - convenables
dans une fête donnée en l'honneur des
maifons de Bourbon & d'Autriche . Les
fpectacles font auffi mis fur le tapis , &
on y trouve la critique des drames d'à préfent
& de la manière de les jouer. #
Un Chanfonnier vient interrompre
Floridor & Jodelet , qui étoient montés
fur le ton du plus haut tragique . Un Chinois
, qui lui fuccède , fait voir au fond
d'une tente obfcure des tableaux changeans
, éclairés par eux - mêmes. Cette idée
ingénieufe fournit des moyens d'offrir
aux fpectateurs des allégories qui ne le
font pas moins , mais dont le détail feroit
beaucoup trop long à tranfcrire.
Une Allemande & un Allemand portant
un enfant fur une canne , & précédés
d'une jeune fille , jouant de la mandoline,
viennent occuper la fcène . Ils arrivent
NOVEMBRE . 1770. 167
de Strasbourg fur les pas de la jeune Princeffe
, qui entraîne tous les coeurs après
elle. Leurs difcours peignent le fentiment
& la naïveté ; plufieurs perfonnes ,
de différentes nations , partagent leur
joie , & s'uniffent à leurs chants . D'un autre
côté , Comus , élève de Merlin , fait
fes différens tours , & dans la place où
eft la grande Karmeffe , on voit réunis des
jeux de bagues , des bafcules , efcarpolettes
, un papegai , & autres efpèces de
jeux , des fauteurs qui font leurs tours ,
des danfes villageoifes , &c.
Un officier du régiment Dauphin ,
fuivi de fes foldats , leur commande un
exercice galant , qui finit par une contredanfe
qu'ils exécutent avec leurs maîtreffes
; un jeune enfant , neveu de cet
officier , vient tout bouillant de zèle ,
demander qu'on l'engage . Son ardeur
peint très- bien le zèle prématuré des
François pour leur maître , & contraſte
avec l'indolence de Nicaife , qui ne leur
eft pas moins dévoué , mais d'une manière
plus tranquille & conforme à ſon
caractère. Il récite une fable en différens
couplets , qui juftifient l'auteur , de la témérité
qu'il a eue d'ofer chanter des perfonnages
fi illuftres , mais fon efpoir eft
168 MERCURE DE FRANCE.
dans leur indulgence ; il pouvoit auffi le
placer dans la jufteffe de leur goût , car
jamais fête n'a été plus ingénieufement
imaginée des fituations toujours nouvelles
offrent aux fpectateurs des amufemens
, aufli variés , qu'intéreffans ; une
marche guerrière , un fpectacle pompeux
eft remplacé par une fête villageoife ; ici
des danfes agréables vous arrêtent ; là ,
des jeux tous oppofés , piquent votre curiofité
; une fcène bouffonne vient d'exciter
les ris ; une fcène , auffi naïve que
touchante , humecte la paupière fans diminuer
le plaifir ; un dialogue naturel
des couplets charmans une gaïté franche
fatisfait également le goût , l'efprit
& le coeur. Perfonne mieux
Favart , n'a jamais exprimé les fentimens
dont un coeur françois eft rempli pour fes
maîtres . La fête qu'il a dirigée étoit digne
de l'occafion folennelle qui lui a donné
lieu , des Princes & Princeffes auguftes
qui l'ont honorée de leur préfence , & de
la magnificence de celle qui l'avoit ordonnée.
>
› que
M.
A.C
ARTS .
NOVEMBRE . 1770. 169
ART S.
GRAVURE.
I.
Le Studieux & la Fainéante , deux eftampes
en pendant , d'environ 11 pouces.
de haut , fur 8 de large . A Paris , chez
Pafquier , rue St. Jacques , vis-à- vis
le Collège de Louis-le - Grand . Prix
12 fols chacune.
CEs Estampes ont été gravées à l'eauforte
, par Ch . Letellier , d'après les
tableaux de M. Dumenil Junior , Elles
font compofées chacune d'une feule figure,
I I.
Premier & fecond Cahier de Charges à
l'eau -forte , par Jean Alexandre Chevalier
; & nouveau Cahier de Soldats
par le même. A Paris , chez Niquet ,
Place Maubert , près la rue des Lavandières.
•
Ces Cahiers , compofés chacun de fix
feuilles , font d'un très- petit format. On
H
170 MERCURE DE FRANCE.
s'amufera un moment des figures bur
lefques qu'a deffinées M. Chevalier , &
dont il lui fera facile d'augmenter le
nombre,
I I I.
Gravure dans la manière du deffin aux
trois crayons.
Le fieur Bonnet , bien connu par fes
gravures dans la manière du paftel ,
vient de faire paroître deux eftampes
qui imitent le deffin au crayon rouge &
noir réhauffé du blanc , fur papier gris.
Ces deux eftampes font pendant , & ont
environ 15 pouces de large , fur 13 de
haut . Elles ont été gravées d'après les
deffins de François Boucher , premier
peintre du Roi : l'une repréfente le reveil
de Vénus ; l'autre , l'Amour qui prie
Vénus de lui rendre fes armes. On les
diftribue à Paris , chez l'auteur , rue
Gallande , près la Place Maubert . Prix
1 liv . 4 fols chacune.
V I.
Nous avons annoncé dans le Mercure
de Juillet , la foufcription de la belle
édition du Temple de Gnide , dont lẹ
NOVEMBRE. 1770 171
Texte fera gravé & orné de dix eftampes ,
y compris le frontispice, deffinées par M.
Eifen , & gravées par M. Lemire . Cette
édition ne devoit fe faire que fur papier
in- 8 ° . Comme plufieurs foufcripteurs ont
paru defirer des exemplaires fur papier
in-4 . pour les mettre à la fuite de l'édition
du même format des oeuvres de M.
de Montesquieu , M. Lemire en fera
tirer quelques exemplaires de ce format ;
mais le nombre en fera fixé , & M. Lemire
prie les foufcripteurs qui defireront
de s'en procurer , de l'en prévenir en
foufcrivant. La foufcription fera ouverte
jufqu'à la fin du mois de Février 1771 ,
pour Paris , & jufqu'à la fin du mois
d'Avril fuivant pour la Province . A Paris
, chez l'auteur , rue & vis-à- vis l'Eglife
St. Etienne- des -Grès.
V.
Nouveau portrait de M. Diderot
chez Bligny , cour du manège. Au bas on
lit ces vers :
Les arts &la raifon lui doivent leurs hommages ;
D'étendre leur empire il fut le plus jaloux ;
On les retrouveroit dans les nombreux ouvrages
S'ils difparoiffoient d'entre nous.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
Ce portrait d'après le deffin de M.
Greuze , eft vu de profil , & il eft du même
format que celui qui a été gravé par
M. Auguftin de St Aubin . La gravure de
celui que nous annonçons eft de M. Duhamel.
Les méplats y font bien fentis , le
burin en eft agréable , & l'Artifte a fu y
faire paffer l'énergie qui caractériſe l'homme
célèbre qu'il repréfente. Ce portrait
eft vu de face & il eft de format in- 12.
V I.
Portrait deJofeph Caillot , comédien du
Rói , gravé d'après le tableau de M. Voiriot
, Peintre du Roi , par M. Miger , avec
ces vers qui font également honneur au
Peintre & à celui qu'il a fi bien repréfenté ,
Lorfqu'on nous traça ſon image
Pour y faire pafler fa gaîté , fa candeur ,
On n'a pas confulté fealement fon vifage ,
On a fçu lire dans fon coeur.
VII.
M. Miger vient auffi de mettre au jour
une belle tête , d'après Rigaut ; neus
NOVEMBRE. 1770 . 173
penfons que c'eft à tort qu'on la préfente
comme le portrait d'un Ambaffadeut
Turc à la Cour de France ; le temps , la
reffemblance , le coftume , tout dément
cette annonce ; mais quand cette tête feroit
de pure fantaisie, elle n'en auroit pas
moins de mérite ; elle a beaucoup de no
bleffe & de caractère , & quoiqu'elle foit
prefque toute exécutée à l'eau forte , elle
a beaucoup d'effet , & le Graveur a fçu y
faire paffer la belle couleur de fon original
; elle fe vend ainfique le portrait annoncé
ci-deffus 1 liv. chez l'Auteur , rue
Ste Anne au coin de la rue Neuve des
Petits Champs.
>
I
VIII.
Parmi les beaux ouvrages de Raphaël
d'Urbin , que renferme le Palais du
Vatican à Rome , les peintures des loges
font regardées comme des chefs- d'oeu
vres dans le genre d'ornemens & d'arabefques
exécutés par Jean d'Udine ,
fur les deffins de Raphaël . Ces rares morceaux
ont été trop expofés aux injures de
l'air , pour pouvoir eſpérer qu'ils fe conferveront
encore long - tems dans leur entier
, puifque , malgré les foins qu'on
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
en a toujours eu , ils n'ont déja que trop
fouffert.
Pour conferver , en quelque façon ,
ces chefs d'oeuvres & en faciliter la connoiffance
aux amateurs & aux artiſtes ,
MM. Gaëtan Savorelly , peintre , Pierre
Comporeli , architecte , & Jean Octaviani
, graveur , ont entrepris de donner
au public , par la voie des eftampes , la
collection de ces ornemens , compofée
de dix - huit planches , en trente- fix feuilles
fur papier royal. On fe flatte d'avoir obfervé
dans ces eftampes la fidélité du
deffio des originaux , ainfi que le bon
goût de la gravure .
Ces dix -huit planches en trente - fix
feuilles , contiennent les pilaftres , contrepilaftres
, portes , plans & élévations ,
ainfi que tous les ornemens , figures ,
oifeaux , feuillages , fleurs , fruits , &
bas reliefs , imités par Raphaël , d'après
l'Antique.
On ofe affurer que cette collection
eft très-utile aux peintres , fculpteurs ,
architectes , orfévres , cifeleurs , ferruriers
, brodeurs même , & à tous ceux
qui , dans leurs travaux , ont les décorations
pour objet. Elle vient d'être miſe
au jour tout récemment . On la trouve à
NOVEMBRE. 1770. 175
Paris , chez Vernet le jeune , peintre,
Quai des Auguftins , au coin de la rue
Gît- le-Coeur.
1
SOUSCRIPTION & defcription des fept
Eftampes compofant la vie de St Grégoire
le Grand ; gravées par les meillenrs
artiftes d'après les tableaux de
Carle Vanloo , écuyer , chevalier de l'ordre
de St Michel , premier peintre du
Roi , directeur - recteur de l'Académie
royale de peinture & fculpture , & directeur
des élèves protégés par le Roi.
•
CES fept Tableaux on Efquifles , toutes
finies d'après nature , ont été expofées
au falon du Louvre en 1763. On
applaudit alors à la fageffe qui règne dans
leur compofition , à la pureté & aux gra
'ces du deffin , au choix heureux des attitudes
& à la nobleffe des expreffions.
On admira fur- tout l'art avec lequel ce
célèbre Artifte profitoit des moindres incidens
pour donner aux tons variés de
fon coloris la plus belle harmonie poffible.
Ces tableaux étoient deſtinés à orner
la coupole d'une chapelle de l'hôtel royak
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
des Invalides ; mais la mort a empêché
ce grand Artiſte de couronner fa réputation
par ces nouveaux chefs - d'oeuvre. Sa
palette & fes pinceaux ont été remis par
le génie del'hiftoire entre les mains de
M. Doyen , bien capable par fes talens
de nous confoler de la perte d'un Artiſte
qui fut pendant longtems un des premiers
ornemens de l'académie royale de peinture
& de fculpture. Les fept tableaux de
Carle Vanloo appartiennent aujourd'hui
à S. M. l'Impératrice de Ruffie , qui les
deftine aux progrès de fon académie de
peinture. On fe flatte d'avoir prévenu
les regrets des Artiftes & des vrais Amateurs
en faifant graver ces cartons avant
qu'ils qu'ils fuffent enlevés à la France .
M. le Prince Gallitzin a bien voulu les
confier pour la gravure .
On reproche fouvent aux Graveurs
de laiffer ignorer le fujet qu'ils ont gravé ;
mais ici , indépendament de l'infcription
mife au bas de l'eftampe , le fujet qu'elles
repréſentent eft encore expliqué par deux
vers latins traduits
par deux vers françois .
Nous donnerons la defcription de ces
fept tableaux fuivant l'ordre hiftorique
qu'avoit choifi M. Carle Vanloo , & qu'il
fe propofoit d'obferver dans la chapelle
de St Grégoire.
NOVEMBRE . 1779. 177
PREMIERE ESTAMPE.
St Grégoire diftribue fes biens aux pauvres.
Ex teneris annis tantùm coeleftia curans ,
Quidquid opum dederat fibi fors , largitur egenis.
Des feuls biens éternels épris dès fon enfance;
İl verſe ſa fortune au fein de l'indigence.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Alexandre
- Ange de Talleyrand-Perigord , Archevêque
de Trajanople , Coadjuteur de
Rheims.
L'élévation du fite , & mieux encore
le fouris careflant de la bienfaisance que
l'on remarque fur la phyfionomie de Grégoire
, le fait aifément diftinguer. Ce
Saint , debout fur la rampe d'un périftile
& accompagné d'un fimple domestique
qui lui préfente l'argent & les provifions
dont il eft chargé , paroît occupé à foulager
une pauvre famille, La reconnoiffan
ce de la mère , l'empreffement avec lequel
une jeune fille tend fesmains , l'avidité
d'un petit garçon à manger le morceau
de pain qui lui a été donné , tout annonce
le befoin prefant où fe trouvoient
ces infortunés. Une foule de pauvres
placés derrière ce premier grouppe , ajou-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
te encore par la vivacité de leurs geftes
au doux fentiment de commifération que
cette fcène fait naître dans l'ame du fpectateur.
On peut remarquer ici l'art avec
lequel le peintre s'eft fervi de la rampe
d'un périftille pour lier les différens group-.
pes de fa compofition . Un coup de foleil ,
heureufement placé fur la partie intérieu
re du montant d'une arcade percée à jour,
donne de l'enfoncement au champ de
cette compofition & la rend d'un effet
très- piquant & très- pittorefque. Cet effet
a été très bien faifi par le graveur M..
Romanet , dont le bùrin fouple , moëlleux
& varié avec intelligence eft trèspropre
à multiplier les productions de
T'habile maître qu'il copioit.
II . ESTAMPE.
St Grégoire retiré dans une cavernei.
Summi Pontificis fugiens infignia , ab antro.
Romanum ad folium , populo plaudente , vocatură.
Sors de cet antre obſcur , entends la voix de Romes,
Et viens remplir un thrône où la vertu te nomme..
Cette eftampe et dédiée à Mgr Louis-
Sextius de Jarente de la Bruyere , évêque
d'Orléans , &
NOVEMBRE . 1770. 179
St Grégoire fe croyant , par un excès
d'humilité , incapable de foutenir un fardeau
dont tout le monde le jugeoit digne,
fe cacha , mais envain. Le Clergé & le
Préfet de Rome viennent le chercher pour
l'élever fur le thrône de. l'Eglife : le
Saint , retiré dans le fond d'une caverne ,
étoit occupé à la lecture des divines éoritures
, lorfqu'il reçut la vifite du Préfet.
Sa tête baillée , le gefte avec lequel il fem
ble vouloir éloigner celui qui lui parle ,
toute fon attitude enfin exprime fa modeftie
& le refus édifiant de la propofition
qui lui eft faite par le Préfet . Celuici
lui adreffe la parole avec une douce
émotion & lui montre de la main les
principaux citoyens de Rome placés au
bas de fa caverne . Dans le lointain on
apperçoit un dome qui peut fervir à défigner
l'Eglife métropole de Rome . Un
accident de lumière ménagé par une nuée
claire , & rendu encore plus piquant par
fobfcurité de la caverne , répand fur
cette eftampe un ton brillant & vigoureux.
Elle a été gravée par M. Molès ,
penfionnaire de l'affemblée du commerce
de Barcelonne , de l'académie d'Espagne,.
& c. Ce graveur s'eft propofé pour mo
dèle les artiftes qui ont le mieux conna
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
le méchanifme du burin. Le fien a de la
douceur , de la netteté , & cette variété
néceflaire pour donner de l'harmonie à
l'ouvrage & pour en ménager avec avan
tage les repos
III . ESTAMPE.
St Grégoire fait des Prières publiques.
Mors Peftisque foror donec bacchantur in urbe,
Ecce chorusfupplex , divo duce , monftra repellit.
Quand la pefte & la mort exercent leur fureur ,
Ce jufte par fes voeux fléchit le Ciel vengeur.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Léopold-
Charles de Choifeul , Archevêque
de Cambray , & c.
La troisième eftampe eft fur-tout remarquable
par l'art avec lequel Carle
Vanloo a fu faire paroître un grand nombre
de figures , une proceffion enfin , dans
un très - petit efpace. St Grégoire , n'étant
encore que diacre avoit demandé cette
proceffion générale pour faire ceffer la
peſte qui ravageoit alors la ville de Rome,
& l'on croit que cette proceffion a
donné naiffance à celle de St Marc appelée
encore aujourd'hui la grande Litanie.
Le St Sacrement eft porté fous un dais
NOVEMBRE. 1770 . 131
qu'accompagnent plufieurs évêques : un
grouppe d'acolytes environne ce dais .
Grégoire & fon compagnon , vêtus en
diacre & tenant chacun un flambeau à la
main , terminent la marche. Le Saint ,
que la nobleſſe de fon attitude & la piété
de fon expreffion caractériſent , élève les
regards vers le Ciel : il implore fa clémence
en étendantla main vers un peſtiféré
agonifant. Ce malade , accablé par
le poids de la douleur , a la tête poſée
fur les genoux d'une femme. La douce
efpérance brille fur le front ferein de cette
femme qui femble exhorter le malade à
prendre confiance dans les prières de
celui que les Romains appeloient l'ami
de Dieu. Un ciel orageux qui commence
à s'éclaircir , femble déjà annoncer la
ceffarion prochaine du fléau. Ce fujet
intéreffant , gravé par M. Voyez l'aîné ,
n'a rien perdu des beautés que M. Vanloo
avoit données à fon efquiffe . Sa gra
vure a de la couleur & de l'harmonie.
I V. ESTAMPE.
St Grégoire , élu Pape , reçoit l'adoration
des Cardinaux.
Incubat altari thronus , &fuprema poteftas
182 MERCURE DE FRANCE.
*
Thuribulum fceptrumque manu fuftentat eâdem
CAUX DE CAPPEVAL.
Son thrône eft fur l'autel , & l'abfolu pouvoir
Met dans les mêmes mains le fceptre & l'encenfoir.
VOLTAIRE.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Emmanuel
- François de Beauffet de Rocque
fort , Evêque de Fréjus.
Le peintre s'eft ici étudié à nous intéreffer
par le fpectacle noble & majestueux
d'un fouverain Pontife recevant l'adoration
des Cardinaux & du Clergé . Ce chef
de l'Eglife , revêtu des habits pontificaux
& couronné de la thiare eft élevé fur
un magnifique thrône ; il tient d'une
main la triple croix & étend l'autre fur
le Clergé profterné à fes pieds. Un Cardinal
affiftant eft placé au bas du thrône à
la gauche du Pape . Plufieurs autres Prélats
font profternés à la droite. Celui qui
eft le plus proche du thrône baife , dans
Pattitude la plus refpectueufe , les pieds
du St Père , tandis que les autres témoignent
par des expreffions variées les fentimens
de vénération dont ils font péné
trés. Une riche architecture fert de fond
à cette compofition qui , par fa belle
NOVEMBRE. 1770. 183
forme pyramidale , fixe particulièrement
les regards. La gravure de cette dernière
eftampe eft très - harmonieufe ; elle eft de
M. Migé. Cet artifte , par les travaux d'un
burin artiftement conduit , eft parvenu à
développer les beaux caractères de tête.
que l'on admire dans le tableau origi
nal.
.V . ES TAM PE
St Grégoire dicte fes Homélies.
Sollicitis votis lumen coelefte precatus ,
Sacro fermones afflatus numine dictat..
Il revèle à la terre , Interprète facré ,
Les loix de l'Esprit Saint dont il eft pénétré.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr l'Evêque
d'Orléans .
La compofition de cette cinquième
ef- tampe eft fimple , mais fublime. Le
faint Pontife retiré dans fon cabinet &
n'ayant d'autre diftinction dans les habillemens
que la barrette papale , une école
& un rochet , eft aflis dans un fauteuil.
Quelques volumes font placés à fes pieds.
11 dicte à fon fecrétaire des homélies que
le-St Efprit , fous la forme d'une colombe
enveloppée mystérieufement dans un nuage
, femble lui infpirer. Cette dernière
184 MERCURE DE FRANCE.
penſée , conforme à la plus faine théologie
, eft en même tems poëtique & pittorefque
; elle produit dans cette compofition
un accident de lumière doux ,
agréable , ami de l'oeil & qui a été rendu
avec toute l'intelligence poffible par le
burin de Mde Dupuis , ainfi que toutes
les autres parties de ce tableau.
V I. ES TAM PE .
Le Miracle de la Meffe.
Hærefeos mulier jamdudum infecta veneno ,
Præfentem agnofcit panis fub imagine Chriftum .
Elle abjure l'erreur de fes fens confondus ,
Et reconnoît un Dieu fous un pain qui n'eft plus. *
Ce miracle , rapporté par Jean & Paul
diacres , dans la vie de St Grégoire , eft
ici repréſenté très artiftement par le peintre
. Un foyer de lumière , au milieu duquel
paroît l'hoftie confacrée , offrant
l'image de J. C. crucifié , attire les premiers
regards du fpectateur. St Grégoire
vêtu en fimple Prêtre & élevé fur les marches
de l'autel , tient d'une main cette
hoftie miraculeufe & la montre de l'autre
à une femme hérétique. Cette fem-
* Ce vers eft de M. de Voltaire.
NOVEMBRE. 1770. 185
me , par une attitude expreffive , marque
la grandeur de fon étonnement . La révo
lution qui fe fait dans fon maintien ,
femble annoncer celle qui s'opère dans
fon ame . Deux Diacres , vêtus de dalmatiques
& un flambeau à la main , fe
tiennent profternés dans le refpect le plus
profond. Le refte des affiftans témoignent
également , par leurs différens mouve
mens , les fentimens de la furpriſe & de
l'admiration . Les beaux effets de lumière
que produit cette hoftie rayonnante étoient
difficiles à bien rendre. Cette difficulté a
été uneraiſon de plus pour M. Voyez le
jeune qui a gravé l'eftampe , de redoubler
fes efforts , & l'on avouera que fon burin,
par le feul fecours du clair obfcur , fait fentir
toute la magie de la couleur.
VII . ESTAMPE.
St Grégoire dans la gloire.
Cæleftes inter catus , affurgit ad arces
Ethereas , repetitque,Deo hofpite , præmia divus.
Triomphant il s'élève à la gloire immortelle
Dans le fein de Dieu même , où la vertu l'appele.
Cette eftampe eft dédiée à Mgr Henri-
Jofeph - Claude de Bourdeilles , évêque
de Soiffons.
186 MERCURE DE FRANCE.
Une gloire éclatante nous annonce ici
un ciel ouvert : des Chérubins précédent le
Saint , d'autres le ( outiennent par l'effort
de leurs ailes & portent les attributs de fa »
dignité. Il n'y a qu'un feul grouppe , mais
les différens accidens de lumière quiéclai
rent ce grouppe offrent une agréable variété
& donnent à l'enfemble une légereté
admirable. La beauté douce & tranquille
des Anges forme un contrafte heureux
avec le caractère d'amour & de charité
répandu fur la phyfionomie du Saint. Cette
apothéofe qui n'a pu être conçue que
dans un moment d'enthoufiafine , offroit
bien des difficultés dans la gravure . Il falloit
fur-tout que ces figures faites pour le
plafond paruffent s'élever perpendiculaizement
, quoique placées fur un plan horifontal.
M. de Lorraine eft parvenu à
furmonter cet obſtacle par des travaux
variés avec intelligence & par une favante
diftribution de lumière & d'ombre.
En fuivant l'ordre que nous venons de
donner aux eftampes de cette fuite , on
peut facilement les diftribuer par pendans
, fi on les fait monter fous verre.
L'apothéofe du Saint fera très- bien placée
au milieu. Chaque eftampe avec l'infcription
a environ 20 pouces de haut fur 14
NOVEMBRE
. 1770. 187
de large ; mais l'apothéofe
, qui eft une
eftampe en rond , a 20 pouces de haut fur
18. Cette fuite , non moins intéreſſante
par les talens des Artiftes qui fe font réunis
pour la graver , que par l'hiftoire
qu'elle nous préfente d'un Père de l'Eglife
& d'un faint Pontife , celui de tous
Les Papes dont il nous refte le plus d'écrits, ne peut manquer d'être accueillie du Pu
blic inftruit , éclairé & amateur.
Comme plufieurs perfonnes font curieufes
des premières épreuves , il y a une
foufcription
ouverte en leur faveur chez
Lacombe , libraire , rue Chriftine , près
larue Dauphine Didot l'aîné , rue Pavée
& chez les principaux
marchands
d'eftampes.
Le prix de cette foufcription
eft de 24
liv. dont on paiera 1 2 liv . en recevant les
numéros I & II. 6 liv. en recevant les
deux numéros fuivans , un mois après la
première livraiſon ; & pareillement
6 liv.
en recevant les trois derniers , un mois
après la feconde livraiſon.
foufcrit paieront Ceux qui n'auront pas
chaque eftampe à raifon de 6 liv.
La gravure
de cette fuite d'eftampes étant entierement
terminée
, il fera libre
188 MERCURE DE FRANCE.
d'acquitter la foufcription en un feul paie
ment.
Le même libraire a mis en vente le
Jugement de Paris , hauteur 16 pouces ,
largeur 19 pouces ; fajet agréable , trèsbien
gravé. Prix , a liv. S fols .
On diftribuera inceffamment deux magnifiques
Paysages , d'après Diétrici , fupérieurement
exécutés par M. Benazech ,
largeur 23 pouces , hauteur 18 pouces.
Le Roi de la Fève , fujet plaifant , d'après
Jordans & rendu avec un burin brila
lant , largeur 22 pouces , hauteur 17 pouces
; & beaucoup d'autres eftampes en différens
genres.
MUSIQUE.
VIIe. Recueil de pièces Françoifes &
Italiennnes , petits airs , brunettes ,
menuets , & c . avec des doubles & variations
, accommodés pour deux Alûtes
traverfières violons , pardeffus de
viole , &c. Par M. Taillart l'aîné. Le
tout recueilli & mis en ordre par M *** .
Prix 6 liv. A Paris , chez M. Taillart
>
NOVEMBRE. 1770. 189
l'aîné , rue de la Monnoie , la première
porte cochère à gauche en def
cendant du Pont Neuf , & aux adreffes
ordinaires de musique .
CE
E feptième Recueil étoit demandé
avec empreffement , parce que les amateurs
favent , par expérience , que le
goût & la variété préfident toujours aux
Recueils que donne M. Taillart l'aîné.
Ce muficien a choifi , parmi les airs qui
ont été les plus applaudis fur le théâtre
& dans les concerts , ceux qui font le
meilleur effet fur l'inftrument. Il a mis
des doubles & des variations à quelques-
uns , pour faire briller le violon
ou la flûte traversière , fon inſtrument fa
yori , & qu'il a porté au plus haut degré
de perfection.
Recueil d'airs choifis de l'ambigu
comique , mis en duo pour deux violons
or mandolines , & compofés par M. Papavoine.
Prix 7 liv. 4 fols. A Paris , chez
l'auteur feulement , rue Baillif , à côté
d'un vitrier , au coin de la rue des bons
Enfans.
190 MERCURE DE FRANCE:
Concerto àpiu ftromenti concertanti du
violini , obboe , violoncello , alto & baſſo
obligati , due violini , fagotti e corni di
ripieno compoftoper la corte di Madrid da
Luigi Boccherini . Opera VIII . prix 6 liv.
A Paris , chez Venier , éditeur de plufieurs
ouvrages de mufique rue St
Thomas- du -Louvre , vis -à- à- vis le Châ
reau- d'eau , & aux adreffes ordinaires.
Airs connus avec variations › pour la
Harpe , par M. Petrini , oeuvre 2º, prix
liv.
Six fonates pour la Harpe , avec ac
compagnement de violon par le même ,
euvre 3. Prix 9 liv. A Paris , chez l'auteur
, rue Mauconfeil , à côté de l'Hôtel
d'Aquitaine , Coufineau - luthier & mar
chand de mufique , rue des Poulies , &
aux adreffes ordinaires,
GEOGRAPHIE,
TReizième feuille de la Carte de Nor
mandie , où se trouvent Jobourg , Beaut
NOVEMBRE. 1770. 191
Aumont
, Naqueville , Saint- Ouen
derville , le Cap de la Hagne , le Port
de Longy , & c. A Paris , chez Denis &
Patour , rue St Jacques , vis-à- vis le Col
lége de Louis-le- Grand . Prix 1 liy,
I I.
I
Cours d'Hiftoire Naturelle , concernant
les minéraux , les végétaux , les animaux
& les différens phénomènes de la nature ,
Par M, Valmont de Bomare , cenfeut
royal , maître en pharmacie , démonftrateur
d'hiftoire naturelle avoué du gouvernement
, membre de plufieurs académies
des fciences , belles lettres
beaux arts , directeur des cabinets de
S. A. S. Monfeigneur le Prince de Condé,
maître d'hiftoire naturelle de S. A. S,
Monfeigneur le Duc de Bourbon.
En fon cabinet , rue de la Verrerie ;
près la rue du Coq , le lundi 3 Décembre
1770 , à dix heures & demie très - prè
cifes du matin ; & fera continué les mer
credi , vendredi , & le lundi de chaque
femaine , à la même heure.
N. B. On ouvrira un fecond Cours
d'Hiftoire Naturelle le jeudi 6 Décembre
1770 , à onze heures & demie très pré192
MERCURE DE FRANCE.
cifes du matin . Ce cours particulier fera
continué les famedi , mardi , & jeudi de
chaque femaine , à la même heure . Ceux
qui voudront y prendre part , font avertis
d'entendre le difcours fur le fpectacle
& l'étude de la nature , qu'on fera le
rrois Décembre , à l'heure indiquée .
M. l'Abbé de Perravel de S. Beron
recommencera le 27 du courant , depuis
fix heures du foir jufqu'à huit , l'ouverture
de fes deux cours de langue Italienne
& de langue Françoife ; le premier ,
par une méthode de fon invention , &
qui n'eft propre qu'à lui feul , méthode
auffi courte que lumineufe , claire &
facile l'autre , par la méthode philofophique
de l'Abbé Girard , dans laquelle
on ne s'attache qu'à fuivre le fil de la
nature , & les lumières de la raifon , &
qu'à confulter le fyftême de l'ufage,
Le 28 , à la même heure , il fera l'ouverture
de fes deux autres cours d'Hiftoire
Univerfelle , & de Géographie Naturelle
, Aftronomique & Politique.
+
Son prix eft de 18 liv . chez lui par
mois de douze leçons , & de trente - fix
livres en ville.
Il eft logé dans l'intérieur de la nouvelle
NOVEMBRE . 1770. 193
velle Halle , près la rue Mercier au numero
54 , à deux entrefols fur la devant.
On le trouve tous les matins chez lui ,
jufqu'à onze heures au plus tard.
AVIS pour le XXIVe Cours public annuel
& gratuit de géographie & d'hif
toire.
Pour peu que l'on tienne à la fociété ,
le befoin d'avoir une connoiffance raifonnable
de la Géographie & de l'Hiftoire
, fe fait fentir dans bien des inftans
de la vie. Aujourd'hui l'étude de ces
deux fciences eft regardée comme une
partie effentielle de l'éducation , & ceux
qui en ignorent les élémens , font , en
quelque façon , étrangers au milieu du
monde. On a d'ailleurs à Paris mille reffources
pour s'inftruire des connoiffances
qui étendent la fphère de l'efprit humain
; & l'Hiftoire , confidérée comme
un cours excellent de morale , ne peut
contribuer qu'à former les coeurs à la
vertu .
M. Philippe , des Académie d'Angers
& de Rouen , Cenfeur Royal , eſt
dans l'uſage , après le court intervalle des
vacances , de reprendre fes conférences
I
194 MERCURE DE FRANCE .
annuelles & gratuites , en faveur de fes
concitoyens , & des étrangers , que le
loifir , le goût , & fur- tout le defir de
fçavoir , déterminent à s'adrefler à lui .
Depuis un grand nombre d'années , le
plan de ces leçons périodiques eft connu
d'une foule d'auditeurs , & de quantité
de perfonnes du fexe , dont le témoignage
ne peut être foupçonné d'adulation
; & quand la fortune fe feroit chargée
elle - même de reconnoître les fervices
de notre habile Profeffeur , il ne
pourroit pas s'y livrer avec plus de zèle.
Pour être admis à ce vingt - quatrième
cours , qui fera le dernier que M. Phi
lippe donnera , & dont l'ouverture eft
fixée au Dimanche matin , 18 de ce mois
de Novembre , il ne faut qu'avoir l'attention
indifpenfable de venir fe faire
infcrire chez lui , rue de la Harpe , vis àvis
la rue des deux Portes , Toutes les féan
ces commenceront , Fêtes & Dimanches ,
au plus tard à 10 heures précifes du matin
, à l'exception des grandes folennités :
elles continueront jufqu'à la fête de l'AG
fomption 1771. Il feroit impoflible dans
le cercle d'environ une foixantaine de leçons
publiques , de développer rous les
détails d'Hiftoire Univerfelle , facrée &
NOVEMBRE. 1770. 195
profaue , ancienne & moderne , eccléfiaftique
& civile. L'objet que M. Philippe
fe propofe de fuivre cette année , eſt de
commencer d'abord par les élémens de
la Géographie , & tout de fuite de les appliquer
à la marche des 58 fiècles écoulés
bientôt , depuis la création du monde ,
jufqu'au temps où nous vivons. Les divifions
géographiques des parties du globe
terreftre , iront exactement en proportion
de ce qui fera néceffaire pour l'intel
ligence de chaque matière hiftorique . En
un mot , tout ce cours fera une converfation
& une pratique continuelle des
yeux fur les Cartes ; les moyens les plus
faciles , la méthode la plus fimple ; &
peut-être la plus fûre par cet avantage ,
pour diftinguer les lieux & les fcènes des
événemens
, pour fixer les temps , & apprécier
le mérite réel ou apparent des
hommes quels qu'ils aient été , feront l'ob
jer, par préférence , de l'attention du Profeffeur
qui a toujours cherché à augmenter
, dans les élèves , leur penchant pour
les études folides & agréables , & à les
mettre à portée de s'appliquer avec fruit ,
& d'y faire des progrès plus rapides , s'ils
veulent les approfondir dans la fuite de
leur vie.
I ij
*
196 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE de M ** , au Père Peronier ,
Minime de Lyon , fur fa réclamation
contre lejugement que l'Académie royale
des fciences a donné de fon moulin à
Joie,
E fuis fâché , mon R. P. de vous voir prendre
de fi mauvais moyens pour accréditer votre nouvelle
méthode de tirer la foie & de l'apprêter en
organcin. C'eft par la voie feule de l'expérience
que vous pourrez venir à bout de perfuader les
artiftes , & non par des écrits polémiques qui nuifent
d'autant plus à la bonté de votre caufe , que
vos preuves n'y font point du tout concluantes
& que vous y laiflez appercevoir des contradictions
& des erreurs qui n'annoncent pas des con
noiffances bien étendues dans l'art que vous voulez
perfectionner.
J'ai lu les dernières lettres que vous avez fait
imprimer , dans la vue d'infirmer le jugement que
l'Académie des fciences de Paris a porté fur votre
découverte. Je les envoyai fur le champ , accom
pagnées de quelques remarques , à M. Vaucanfon
qui a été un de vos commiflaires , dans l'efpérance
qu'il y feroit une replique. Mais voici quelle
a été fa réponſe. « L'Académie , Monfieur , ne répond
point aux récriminations que l'on fait de
les jugemens. Je ne vois d'ailleurs dans toutes
ces lettres que beaucoup d'injures , & pas une
objection digne d'être férieufement refutée . Je
» n'ai pas aſſez de tems à perdre , &c. »
و د
сс
NOVEMBRE. 1770. 197
Les invectives , mon R. P. , font les armes or
dinaires de l'infériorité . Elles décèlent toujours la
foiblefle de celui qui les emploie. Vous accufez
vos juges de prévarication & d'infidélité ! Vous
les taxez d'avoir trabi la vérité dans l'expofition
de vos moyens , l'un par un fentiment de jaloufie
ou d'intérêt , l'autre par une bafle complaiſance
pour fon confrère ! Vous accufez le corps entier
d'avoirjugé fans examen & fans réflexion ! Comment
un homme de votre état , à qui l'on doit
fuppofer des vertus chrétiennes , a-t-il pu fe porter
à des imputations , qu'un homme du monde
qui n'auroit eu que des vertus lociales ne fe feroit
pas permises ?
Vous criez à l'injuftice de ce que M. de Vaucaitfon
ayant travaillé fur le même objet , vous a été
donné pour commiflaire avec M. de Montigny.
Euffiez- vous trouvé , mon R. P. l'Académie plus
jufte & plus raisonnable de nommer des aftronomes
ou des chymiftes pour examiner votre mécanique
? Croyez -vous , par exemple , que M. Duperron
, que vous avez pris pour votre apologifte
, foit plus capable que ces deux académiciens
, d'en connoître les avantages ou les inconveniens
? Avez-vous pû raiſonnablement eſpérer
que fon témoignage paroîtroit moins fufpect &
prévaudroit moins dans le Public fur celui de ces
deux hommes célèbres ? Si vous n'étiez pas en
de conduire ni d'éclairer la plume de votre dé
fenfeur , il falloit du moins faire choix de quelqu'un
qui fût plus modéré & plus inftruit . Son
ftyle licentieux vous a féduit ; vous avez cru
qu'une critique amère , farcie de beaucoup d'injutes
& de fophifmes , tiendroit lieu de bonnes raifons
aux yeux du plus grand nombre. Mais ce
érat
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE .
n'eft pas le gros du monde , à qui cela eft étranger
, qu'il s'agit de perfuader ; ce font les gens de
T'art qu'il faut convaincre & toutes les belles
phrafes de votre écrivain ne tendent au contraire
qu'à les éloigner de votre méthode , parce qu'elles
font toutes appuyées ou fur de fauffes allégations
ou furdes fuppofitions totalement gratuites. En
voici la preuve.
Vous prétendez que vos commiffaires ontfauffement
comparé le pourtour de vos bobines qui
font circulaires , avec le pourtour d'un guindre or
dinaire qui eft quarré. Vous les renvoyez aux élémens
de géométrie pour apprendre que le parallèle
ne feroit jufte qu'autant que le guindre feroit
circulaire comme la bobine , ou la bobine quarrée
comme le guindre.
20
53
Comment_ofez - vous prêter cette affertion à
vos commiflaires & citer vous - même , dans la
page à côté , l'énoncé de leur rapport qui dit précilément
tout le contraire ? Voici comme ils s'expriment.
«Au lieu de tirer la foie fur des guindres
qui ont 24 pouces de diamètre , le Père Peronier
propofe de la tirer immédiatement fur des bobines
; mais comme les bobines que le Père Peronier
employe dans fon moulin , n'ont qu'un
→ pouce de diamètre & qu'elles ne fauroient tourner
24 fois plus vite que le guindre pour devui-
> der autant de foie dans le même tems , il faudroit
néceffairement prolonger de beaucoup
cette première opération.
ל כ
établir une
Appelez -vous cela , mon R. P.
même proportion entre un cercle & un quarré ?
Quand on parle de diamètre , on fous - entend
toujours un cercle ; on ne dit point le diamètre
d'un quarré. Vos commiflaires ont converti le
NOVEMBRE . 1770. 199
pourtour d'un guindre en un cercle dont ils ont
trouvé le diamètre être de 24 pouces , & cette dimenfion
n'eft point fauffe , comme vous le prétendez.
Les guindres qui font en ulage ont 26 ,
28 & 30 pouces de jauge ou de diagonale , (ceux
de 24 pouces ne font employés que pour des foies
fuperfines de 20 à 25 deniers. ) Si on prend néanmoins
une dimenfion moyenne , on trouvera que
les quatre côtés d'un guindre dont la diagonale
eft de 27 pouces , font égaux à un cercle de 76
pouces 4 lignes , dont le diamètre eft plus grand
que 24 pouces. Il paroît que les académiciens ont
calculé leur diamètre d'après un guindre de 26
pouces de diagonale , qui eft celui dont l'ufage
eft le plus général ; leur calcul n'eft donc point
faux ni exageré , mais c'est le vôtre , mon R. P. ,
qui l'eft à tous égards.
Vous dites , les quatre côtés d'un guindre de 24 .
pouces de diagonale étant égaux à 62 pouces ,
font une longueur defoie de 744 lignes . Ceux que
Vous renvoyez aux deiniers des géomètres pour
roient à leur tour, & avec bien plus de raifon , vous
renvoyer au dernier des artifans qui manient la
règle & le compas ; il vous apprendroit que les
quatre côtés d'un quarré de 24 pouces de diagonale
font égaux à 67 pouces 10 lignes , qui font
814 lignes & non pas 744 lignes . Vous voyez,
mon R. P. , que pour entrer en lice avec des fçavans
d'un certain ordre , il faut avoir au moins
les premiers élémens de leur doctrine , & qu'on a
mauvaile grace de prétendre relever leurs erreurs, '
quand on en fait foi- même d'auffi groffières.
Lorsqu'ils obfervent que la foie fe collera fur
vos bobines au fortir de la baffine , vous croyez
répondre d'une manière victorieufe , en repli-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
quant que vous la ferez paſſer fur une plaque de
fer échauffe par le fourneau , avant qu'elle parvienne
à la bobine . Mais l'expérience eſt totale.
ment ici contre vous. M. Vial , entrepreneur d'une
fabrique de foie , a eu la curiofité d'éprouver votre
métho le avec le plus grand foin. Il a effayé de
tirer de la loie fur des bobines & de la faire paffer
fur une plaque de tole échauffée , comme vous le
propofez . La foie n'en a pas moins été collée ſur
la bobine au point d'avoir été obligé de la mouiller
plufieurs fois pour pouvoir la devider. Il a
trouvé que , pendant le tems qu'on faifoit la battue
, les croifures fe collient fi fort qu'il falloit
les caller prefque à chaque fois & en refaire d'autres
. Vous pouvez lire le détail de les épreuves ,
dans la lettre qu'il écrit à M. Duperron votre apologifte
, inférée dans le Journal d'Agriculture du
mois d'Avril 1769. Vous verrez que toutes vos
belles opérations , repétées par un homme du
métier , n'ont point eu ce brillant fuccès qui avoit
fait l'étonnement & l'admiration d'un grand nombre
de fpectateurs à Lyon .
La réclamation que vous faites du témoignage
de M. de Montigny , qui prit l'extrêmité d'un fil
de foie qui venoit d'être tirée en fa prélence fur
unebobine , & qu'il développa fans rupture , n'eft
qu'un pur fophifme aux yeux d'un homme inftuit.
Il falloit faire tirer cette foie avec la même
vitelle que vous déterminez dans vos écrits , ne lui
donner le fil à devider que 24 heures après , lorfque
la foie auroit été parfaitement féche , & vous
auriez vu , comme lui , que ce fil ne le feroit pas
développéni fi facilement ni fans rupture,
Eft- ce répondre folidement à une objection que
d'y oppofer unc.expérience qui n'a eu aucun fuc
NOVEMBRE. 1770. 201
cès ? On vous fait appercevoir que le moyen de
gagner du tems , en faifant filer quatre fils à la
fois , eft illufoire , parce qu'une fileufe peut à peine
entretenir l'égalité des brins à deux fils , & vous
donnez en preuve de cette poffibilité un effai fait
à Montpellier par un particulier ( foldat dans je
ne fçais quel régiment ) qui préfenta un tour fur
lequel une tireufe filoit quatre fils à la fois , mais
dont la méthode fut défaprouvée & rejettée par
tous les gens de l'art ! fur quoi votre zélé défenfeur
s'épuife en regrets de la perte d'une fi précieufe
découverte pour la perfection des arts & des manufactures
; demande des protecteurs pour écrafer
Tenvie toujours prête à déprimer les plus beaux ouvrages
; compare votre malheureux fort à celui de
cet infortuné; & implore le miniftre qui préfide
aux arts & au commerce , de n'être pasfourd à fa
voix , afin que la France n'ait pas la douleur de
voir l'étranger adopter avant elle ce que le génie a
enfanté dans fon fein. Il faut convenir , mon R.
P. , qu'un difcours fi pathétique eft un moyen de
défenfe bien triomphant contre vos injuftes commilaires
, & que ce tableau de comparaison eft un
garant bien fûr de la bonté de votre méthode.
A la bonne heure , mon R. P. que vous cherchiez
tous les moyens poffibles de vous défendre;
perfonne ne vous fera un crime de vous être
trompé ni dans vos comparaifons , ni dans vos
calculs , ni dans vos fuppofitions , ni dans votre
logiqne ; mais aucun de vos lecteurs ne vous pardoanera
de lui avoir préfenté de faufles allégations.
Sur ce que vos commillaires condamnentla
préférence que vous avez donnée à des cones pour
faire tourner vos fufeaux par frottement , à la
place des roues tentées, vous jetez les hauts cris .
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Ah! Monfieur , où eft donc la bonne foi ? demande
votre écrivain. M. Vaucanfon a- t- il pu fuppofer
le Père Peronier affez peu méchanicien pour
ignorer l'avantage d'un bon rouage , fur tout autre
moyen d'imprimer un mouvement de rotation ?
N'a- til pas dû voir & faire entendre que l'auteur
n'avoit employé ces leçons que par interim , &c. II
fait là- deflus une forcie des plus indécentes à cer
académicien .
Il faut , mon R. P. , mettre le Public à portée
de juger lui - même de quel côté eft la bonne foi
que vous reclamez , en expoſant à fes yeux les
propres termes de votre mémoire envoyé à l'académie
de Paris , paraphé du fecrétaire de celle de
Lyon & figné de deux de les membres.
Y
Après avoir donné l'explication des trois figures
concernant le mouvement de vos fuſeaux , on
lit : «Le mouvement par engrenage des roues
x , y, z , feroit le plus für de tous ; mais parce
qu'il exige une grande précifion dans la taille de
» la denture & dans la pofition des roues en en-
" grenage , & que la moindre imperfection fai-
> fant heurter une dent contre une autre , occa-
»fionne des fecoufles dans tout le fufeau qui tendent
à faire cafler les brins de foie ; pour ces rai-
»fons de difficulté & de dépénfe j'ai abandonné
ce mouvement d'engrenage pour en chercher un
plus fimple & moins difpendieux.
כ כ
2
» 2 ° . Le mouvement par cordage z , x , z , en
vérité , eft le plus fimple qui fe puiffe ; mais l'inconvénient
du relâchement des cordes & la néceffité
de les changer fouvent de canelure , &
d'en mettre d'autres de tems en tems , m'a einpêché
à m'en tenir là ; c'eft pourquoi j'ai encore
» cherché une autre forte de mouvement.
20
NOVEMBRE . 1770. 203
»3 ° . Le moovement par frottement des cones
»tenverfées y , fur les cones droitsz , x , z , tel
» qu'il eft expliqué ci- deflus , eft celui qui m'a
sparu le plus propre à produire l'effet defiré ,
כ כ
&
c'eft celui que j'ai employé en dernier lieu avec
» plus de fuccès qu'aucun des précédens , dans le
> nouveau moulin à foie dont les plans & éléva-
»tion font ci-joints. לכ
C'eft après vous être expliqué fi clairement &
fi formellement fur les motifs du choix que vous
avez fait des cones , & fur les inconvéniens qui
vous ont fait abandonner les rouages , que vous
infultez vos commiffaires de vous avoir cru &
montré capable de faire un pareil choix ? Ah !
mon R. P. ne demandez plus où est la bonne
foi?
Ա
Après avoir attaqué la droiture de vos juges
, votre apologifte croit - il affoiblir
fever leur objection , en s'écriant ! Mais que
diroit M. Vaucanfon , fije lui annonçois que le
Fère Peronier a beaucoup fimplifié cefufeau , qu'il
regardoit comme un mal incurable ? Que devien
droient fes objections , fi , par un calcul exact de
comparaifon , je lui prouvois que ce fufeau perfectionné
équivaut à deux cent pièces de fa méthode
, les remplace & opère les mêmes effets ? Sans
doute que s'il voyoit l'accompliflement de cerre
modelte promefle , il y applaudiroit ; mais les objections
n'en refteroient pas moins dans toute
leur force à l'égard du fuſeau qui a été examiné .
Les corrections que vous avouez y avoir faires
ne prouvent- elles pas qu'il étoit défectueux , &
que les commiflaires ont eu raifon de les déſaprouver
?
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
Cette manière d'éluder l'objection eft , on ne
peut pas plus, familière à votre écrivain . A chaque
difficulté qu'on vous oppofe , il prend vos juges à
partie de ne vous avoir pas cru affezfertile en inventions
pour lever un iel obftacle ou corriger un
tel défaut. D'autres fois il répond plus poliment
qu'il eft poffible de mieux faire , & que les com·
miffaires applaudiront eux - mêmes aux moyens.
ingénieux dont vous vous fervirez pour produire
tel effet ; ailleurs , c'est une pièce que vous aver
changée & qui opérera des prodiges ; ici c'eft une
nouvelle production du génie qui vient d'éclore ,
mais que vous vous garderez bien de faire connoître
à vos perfides commiffaires , dans la crainte
que vous ne foyez encore une fois leur dupe , en
abufant comme ci - devant de votre confiance ;
enfin c'est toujours en promettant que vous
remédierez à tout qu'il s'imagine prouver la
bonté de ce que vous avez fait. Voilà une
manière de répliquer qui eft aflurément bien honnête
& bien folide ! donner des espérances pour
des démonftrations , eft-ce là ce qu'il appele détruire
jufqu'à la fource les erreurs répandues avec
trop de profufion dans leur rapport ?
Eh ! de grace , mon R. P. , renoncez à l'eſpoir
chimérique que vous avez de pouvoir faire connoître
par des brochures l'excellence & les avantages
de votre méthode. C'eſt aux yeux des artif
tes qu'il faut parler & non pas à leur efprit . Vous
ne les perfuaderez point par de belles phrafes ,
qu'on puifle filer dans le même tems autant de
foie fur quatre petites bobines que fur un guindre
qui eft cinq ou fix fois plus grand ; qu'une
fileule entretiendra la même égalité de brins dans
quatre fils de foie comme dans deux. Vous ne les
perfuaderez point que cette foie pourra être ailéNOVEMBRE
. 1770. 205
ment & fuffisamment purgée au tirage avec des
pinces appliquées aux guides du va & vient. Vous
ne leur ferez pas entendre comment ces quatre
fils pourtont fécher dans leur prompt trajet de la
bobine , au moyen d'une tole échauffée par le
fourneau ; que ces fils ne fe brûleront jamais
quand ils refteront immobiles , foit pendant la
battue des cocons , foit lorsqu'il faudra en renouer
quelqu'un de caffé. Toute l'éloquence de
votre écrivain ne viendra jamais à bout de leur
faire comprendre ces vérités ; il n'y a que des
exemples en grand & de quelque durée qui puilfent
les leur rendre fenfibles .
Avec les plus beaux raifonnemens , vous ne
perfuaderez jamais ceux qui font de la foie qu'il y
aura moitié à gagner de prolonger leur tirage
pendant toute l'année ; qu'ils conferveront facilement
tous leurs cocons , en les enfermant dans
des facs pendus au plancher , avec un cornet de
fer blanc par- deflus. Jamais ils ne comprendront
que plufieurs de vos moulins ifolés puiffent donner
plus de bénéfice qu'un pareil nombre des au
tres réunis dans ce même lieu ; que la maind'oeuvre
fera moins confidérable dans les vôtres:
mus à bras , que dans ceux qui tournent à l'eau ;
qu'on y fera plus d'ouvrage pendant le jour que
dans les autres qui vont jour & nuit , &c. Tous
ces fabricateurs de foie , mon R. P. , ont l'efprit
trop bouché pour concevoir ces chofes poffibles ;
vous ne les leur ferez point eutrer dans la tête
avec les phrafes de M. Duperron ; ce n'est que
lorfqu'ils les verront s'exécuter & fe répéter devant
eux qu'ils les croiront ; l'avantage qu'ils y
reconnoîtront , déterminera feul leur confiance .
Vous devez voir l'inutilité de toutes ces louan
206 MERCURE DE FRANCE.
ges prématurées dont vous avez rempli les papiers
publics pour faire goûter votre méthode .
On n'a jamais pu concilier certe grande fenfation
qu'a fait , à Lyon , votre moulin , avec l'inaction
dans laquelle font reftés vos admirateurs . Si l'on
en croit votre apologiſte , tous les fçavans , tous
les fabricans & tous les artiftes expérimentés qui
ont vu votre chef - d'oeuvre ont été furpris &
émerveillés de la fimplicité de vos moyens , de la
perfection de l'ouvrage , des avantages immenfes
qui en réfulteroient pour leur fabrique , & cependant
perfonne n'a été tenté de profiter d'une fi
précieule découverte qui lui étoit offerte .
Comment eft -il poffible que dans le nombre de
ces riches négocians qui font le commerce de la
foie à Lyon , à qui appartiennent les moulins qui
font dans nos provinces , & pour le compte de qui
fe font toutes nos filatures , il ne s'en foit pas
trouvé un feul qui vous ait procuré les fonds nécellaires
pour l'exécution d'un moulin avec lequel
il fe feroit afluré d'accroître fi confidérablement
fes bénéfices ? Cela n'eft point du tout aifé à comprendre.
Si l'on confidère encore que c'eft à Turin que
vous avez mis au jour votre mécanique ; que c'est
à des Piémontois , nos maîtres dans l'art de fabriquer
la foie , que vous en avez fait le premier
hommage , & que vous n'avez obtenu d'eux que
des regards ftériles & indifférens , tout ce que dit
M. Duperron devient de plus en plus incompréhenfible.
Enfin , pour dernière reflource , vous avez fai
transporter votre moulin à Montpellier ; vous
l'avez préfenté à MM . des Etats , toujours difpofés
à recevoir favorablement ce qui peut contriNOVEMBRE.
1770. 207
buer au bien & à l'aggrandiffement de leurs fabriques
; ils l'ont fait examiner par les premiers mouliniers
de la province ; ils ont offert de le donner
en pur don à ceux qui voudroient & qui croiroient
en faire un ufage utile , il n'y en a pas eu un feul
qui ait voulu l'accepter.
Votre défenfeur dira- t- il que vous avez trouvé ,
dans tous ces différens lieux , des jaloux comme
dans l'Académie ? que vous avez été par- tout en
butte à l'envie prête à étouffer le feu du génie & des
belles inventions ? Ah ! mon R. P. , croyez que
l'intérêt eft une paffion encore plus forte & plus
générale ; ne doutez pas un moment que fi quelqu'un
de ceux à qui vous avez montré votre moulin
, y eût reconnu une partie feulement des avantages
que vous promettez , il ne vous eût offert
les moyens néceflaires pour fe les procurer , &
qu'il ne vous eût prié inftamment de lui donner
la préférence .
C'eft cependant après avoir effuyé tous ces refus
que vous prenez le ton avantageux , & que
vous vous répandez en invectives contre les commiflaires
de l'académie , de ne vous avoir pas
donné leur approbation ? C'eft avec des préfomptions
fi défavorables pour votre découverte que
vous ofez faire un crime à l'un d'eux qui , par état,
eft commillaire du Roi en cette partie , d'avoir
confeillé au miniftre de faire examiner vos machines
à Lyon , par les gens de l'art , plutôt que
de les faire transporter & établir , aux frais du
gouvernement , à Paris , où il n'y a point de cocons
, point de fileufes , point de mouliniers pour
en faire l'épreuve , & pas un objet pour fervir de
comparaifon. N'étoit - ce pas fe recufer lui - même
pour juge que de donner cet avis ? A qui perfua208
MERCURE DE FRANCE.
derez vous qu'un confeil fifage & fi prudent n'a
été dicté que par la jaloufie & par des vues d'intérêt?
Tous ceux qui ont vû vcs machines , & qui
connoiffent celles de cet académicien , pourrontils
le foupçonner d'avoir pu , un moment , en être
jaloux ? Non , mon R. P. , cette fage précaution
fera généralement approuvée. Tout le monde lui
fçaura gré d'avoir épargné à l'Etat une dépense
qui eût été inutile . Le Roi ne feroit pas affez riche
s'il falloit qu'on éprouvât inconfidérement , à fes
frais , toutes les idées qui paffent par la tête des
particuliers.
Croyez- moi , mon R. P. , au lieu de faire travailler
la prefle des imprimeurs , employez vos
facultés à perfectionner votre moulin & à répéter
vos expériences . Lorfque nous pourrons y appercevoir
le plus léger avantage fur ceux dont
nous faifons ufage , vous ne trouverez plus ni
rivaux ni jaloux ; vous obtiendrez bien vîte &
notre confiance & le fuffrage de vos prétendus
adverfaires. Des fuccès bien connus & bien confirmés
feront mieux votre apologie que tous les
écrits de M. Duperron . L'intérêt , ce grand mobile
des actions humaines , deviendra votre appui
& fera le meilleur protecteur que vous puiffiez
trouver pour écrafer l'envie toujours prête à
déprimer lesplus beaux ouvrages.
Je luis , &c.
NOVEMBRE. 1770. 209
ANECDOTES.
I.
BASASSSOONMPIERRE s'oppofa à la fantaisie
qu'eût Henri IV de gliffer fur un baffin
dont l'eau étoit glacée ; qu'y a t- il à crain
die , lui dit le Roi , en voilà tant d'autres
qui ont gliffé avant moi ? Sire , lai
répondit Balompierre , c'eft que vous êtes
bien d'un autre poids que tous ces gens - là .
I I.
Le vieux comte de Derby qui vécut
fous les règnes de Jacques & de Charles
I , n'étoit point recherché dans ſa
parure ; fes habits étoient femblables à
ceux que porte un bon fermier. Un jour
étant venu à la cour , un Ecoffois élégant
lui refufa l'entrée de la chambre du Roi ,
en lui difant que perfonne ne pouvoit
s'y préfenter fans être gentilhomme , ou
du moins vêtu comme un gentilhomme.
Le Comte infifta ; la difpute devint vive :
le Roi , qui entendit du bruit , vint s'informer
lui -même du fujet qui le caufoit.
210 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'est rien , Sire , dit le Comte , vos
compatriotes ont laiffé derrière eux en Ecoffe
, leurs manières & leurs guenilles , ils ne
Se connoiffent plus ici , & infultent ceux
qui valent mieux qu'eux. Le Roi parut
irrité de l'affront qu'on avoit fait à un ſi
grand feigneur : Je ſuis au défeſpoir , lui
dit il , mon cher Derby , de l'infolence de
mon domestique ; mais vous en ferez vengé
; &fi vous le defirez , il fera pendu fur
le champ. Pendu , s'écria le Comte , c'est
une fatisfaction trop foible pour l'infulte
qu'il m'a faite , & j'espère qu'il fera puni
plusfévèrement. -Vous n'avez qu'à parler
, &je vous jure que vous ferez obéi.
Eh bien , je demande à Votre Majefté de
le renvoyer promptement en Ecoffe.
III.
--
Le Roi Jean , père de Henri III , Roi
d'Angleterre , demanda une fonime de
10000 marcs d'argent à un Juif de Briftol
, & fur fon refus , ordonna de lui arracher
chaque jour une dent, jufqu'à ce qu'il
confentît à payer cette fomme : le Juif
perdit fept dents , & paya .
NOVEMBRE. 1770. 21I
I V.
pro-
Deux freres , l'un Poëte , l'autre Muficien
, parloient avec éloge de leurs ta➡
lens . Defpréaux , ennuyé de leurs
pos , demanda qui faifoit des vers Le
Muficien répondit , c'est mon frere ,
& moi je les chante ; ... & moi , ajouta
Defpréaux , je les fifle.
V.
Un homme prétendoit être ' né aveugle
, & avoir recouvré la vue par l'attouchement
de la Châffe de S. Alban . Le
Duc de Glocefter paffa dans le lieu
où étoit cet homme , le queftionna ,
& paroiffant douter de fa guérifon , lui
demanda de quelles couleurs étoient les
habits des gens de fa fuite. Le prétendu
aveugle - né répondit très- jufte à cette
queftion . " Vous êtes un coquin ! s'é-
» cria le Duc ! Si vous étiez né aveugle
, vous ne connoîtriez pas les cou-
» leurs , & dans l'inftant il le fit mettre
au carcan , comme un impofteur.
">
212 MERCURE DE FRANCE.
V I.
Un Charretier avoit été trois fois à
Windfor avec fa charrette , pour voiturer
quelques parties de la garderobe
d'Elifabeth , Reine d'Angleterre . Lorfqu'il
fe fut préfenté une fois , deux fois ,
trois fois , les gens de la garderobe lui
dirent à la troisième , que le changement
qu'on avoit voulu faire n'auroit pas lieu .
Le Charretier impatienté de la corvée
s'écria , en frappant de fa main fur la
cuille : Je vois à prefent que la Reine
» eſt une femme comme la mienne . »
Elifabeth qui étoit alors à la fenêtre entendit
ces mots , & demanda : « qui eft
» cet infolent ? Elle lui envoya auſfitôt
trois angels ( dix fchellings ) pour
lui fermet la bouche.
VII.
Du balcon d'un gros Bourvalais
On admiroit une ſuperbe vue ,
L'azur des cieux par fes reflets
Colorioit le mont qui bornoit l'étendue :
Coupant la plaine en plufieurs fens ,
NOVEMBRE. 1770. 213
Une rivière offroit en vingt lieux différens
Le miroir de fon cau fuïante ;
On s'écrioit , quel fpectacle voilà !
Cocher , mets les chevaux , dit la bêre opulente , 1
Nous irons voirde plus près tout cela .
Par M. B.
AVIS.
I.
Elixir Spécifique de la Dame Parifeau
pour la guérifon des dartres,
MADAM
ADAME Parifeau , autorifée par la com
miffion royale de médecine , continue , avec le
plus grand fuccès , le débit de fon Elixir pour
la guérifon des humeurs dartreuſes . Ce remède
tité entièremens du règne végétal , purifie le fang
en le débarraflant des humeurs qui nuifent à fa
circulation . Son efficacité eft fuffisamment conftatée
par des expériences fans nombre , certifiéés
par des perfonnes de l'art. Le régime que ce remède
exigne , n'a rien de gênant : on peut le
prendre en tout tems , & le tranfporter par- tout ,
même par mer , fans craindre qu'il dégénère.
Le prix des bouteilles eft de 12 liv. elles tien
nent environ demi - ſeptier.
Madame Pariſeau demeure rue des Foffés de M.
le Prince , maifon du Riche-Laboureur . Elle pric
Les perfonnes qui lui écriront pour avoir de fon rej
1
214 MERCURE DE FRANCE .
mède , de lui en faire remettre le prix , & d'affranchir
leurs lettres.
1 I.
LETTRE à M. Cambon , chirurgien du
Corps de S. A. R. Madame la Princeffe
Charlotte de Lorraine à Mons.
le Je connois trop , Mofieur , votre zèle pour
bien de l'humanité affligée par différentes maladies
, & conféquemment pour les progrès de l'art
que vous pratiquez , avec autant de charité pour
les indigens , que de fuccès diftingués en tous
genres pour tous ceux qui vous donnent leur confiance.
Hé ! qui pourroit vous la refufer cete confiance
, d'après le choix dont vous a honoré , en
vous attachant à elle - même , l'illuftre Princeffe ,
que les vertus & fes connoiffances diftinguent autant
du commun de la fociété , & même des
grands , que la haute naiflance !
Je me flatte donc , que vous recevrez avec
autant de fatisfaction que j'en reffens moi-même.
à vous l'apprendre , les progrès de l'art dans une
partie très effentielle , dont je fuis témoin oculaire.
Je crois que vous n'avez pas ignoré le bruit,
que fit l'arrivée du ficur Daran à Paris , par la
découverte d'un traitement nouveau dans les maladies
de l'urètre , traitement décifif , prefque
inconnu jufqu'alors. Le bruit de fes fuccès s'étendit
bien - tôt de la capitale dans les provinces ;
je fus l'agent d'un fait dont le malade étoit fi
fouffrant & défefpéré , que de la ville de Saumur ,
où il réfidoit , il fut obligé de fe voiturer par la
NOVEMBRE . 1770. 215
"
Loire , jufqu'à Orléans , & de cette ville à Paris
fur des brancards . Il avoit plufieurs fiftules à l'urètre
& à l'efcrotum avec une grofleur calleufe au
périné qui lui faifoient jeter les hauts cris dans
le paflage de quelques goutes d'urine qui fe répétoit
jour & nuit à tous inftans. M. Daran le
logea chez lui
& le guérit parfaitement Ce
fait , quoiqu'il fût poffible d'en citer fans nombre
de femblables & peut - être de pires , en vaut
un millier tout feul pour moi ., La réputation
dudit fieur , par cette affluence , devint fi grande
& fi générale , que fa fortune en fit de même ,
quoiqu'il fe foit impofé , dans tous les tems
de traiter les pauvres comme les ailés , que cette
fortune le difputa rapidement à la plus fublime
renommée dans la chirurgie.
L'abondance de cette fortune , fi rare dans les
plus habiles gens à talens , avec un caractère
affable & liant , fut pour lui un piège ; divers
inventeurs de projets , dont Paris ne manque
jamais , lui propofèrent des entreprifes étrangères
à fon fujet & à fes connoiflances , pour
y faire valoir fon argent : il les écouta , car
l'appas du gain fut toujours l'enchanteur de tous
les états ; des compagnies fe formèrent ,
les
fonds y occupèrent la principale place ; les fuites
n'en furent pas heureuſes ; il fe trouva le plus
folvable , & il en fut dérangé ; il fut forcé de
s'abſenter ; de bafles jaloufies en profitèrent pour
dénigrer fes talens , comme les enchanteurs de
la fortune l'avoient fait pour dégrader fa fienne.
Enfin ces tems d'orages s'étant calmés , il a repris
l'exercice de cette partie de chirurgie , à laquelle
il s'eft borné ; mais voici un fait qui ma frappé ,
& que j'ai admiré pour l'avantage du public de216
MERCURE DE FRANCE.
•
puis ce retour , c'eft de voir que pendant les ab
fences de Paris , dont il en a pallé une des plus
confidérables à Londres , où il a traité & guéri
quantité de malades * il a fi bien médité &
perfectionné fon fecret & fon traitement , qu'il
furmonte des obftacles en moins d'un mois , qui
lui auroient réfifté autrefois plus de trois , & que
ce même remède , dont l'objet n'étoit d'abord
que pour les débris du libertinage , réuffit également
pour des obftacles que toute autre maladie
peut produire dans le canal Un payfan de
la campagne à douze lieues de Paris , qui ne s'étoit
jamais expofé dans aucun cas douteux , fe
préfenta au frère Cofme , croyant être attaqué
de la pierre : ce frère ayant reconnu que l'obſtacle
dont le malade fe plaignoit réfidoit dans le canal
, que ce même canal étoit percé en trois dif
férens endroits de fon trajet , par des fiftules , il
l'adrefla au fieur Daran , rue des bons Enfans
près le Palais-Royal alors , préfentement dans le
cul de fac de St Thomas- du- Louvre , ainfi qu'il
en ufe pour tous les malheureux qui fe préfentent
à lui pour femblables cas d'embarras dans
le canal ; ce payfan a été parfaitement guéri en
moins de vingt jours , quoique l'obſtacle parût
très - confidérable ; ce fait tout récent eft connu
du fameux M. Tronchin , auquel le fieur Daran
l'a fait voir avant & après le traitement. D'où
Sa poitrine délicate fe trouvoit fi fatiguée
du bitume du charbon de terre qui conftitue le
principal chauffage de Londres , qu'il fut forcé
de repafler à l'air de France , malgré les inftan
ces des Anglois , qui défiroient de le fixer avec
Cux.
js
NOVEMBRE. 1770. 217
je conclus que , fi quelqu'un doute que le fieur
Daran ne foit pas le plus habile pour guérir fürement
ce genre de mal , il l'eft & le fera toujours
felon moi , quoique je fois certain que
plufieurs ont voulu l'imiter ou le contrefaire ,
fans y avoir réuffi ; au refte , s'il eft encore des
incrédoles attaqués de ce mal , il ne tiendra qu'à
eux de vérifier mon rapport ; je fuis d'ailleurs
fi certain de ce que je vous marque , que je vous
permets d'en communiquer avec qui vous voudrez
, fans craindre le démenti.
I I I.
FENOHC.
Lettres - patentes du Roi , enregistrées
parlement , en faveur du Sr Agironi ,
botanifte , portant privilège exclufifpour
la diftribution dans tout le royaume de
fon remède anti- vénérien composé uniquement
de fucs des plantes.
Ce remède reconnu (ouverain dans les maladies
vénériennes les plus invéterées , ue doit pas être
moins efficace dans toutes celles qui proviennent
de l'âereté du fang ou de quelqu'engorgement
d'humeurs corrofives ; auffi en ufe- t- on avec fuccès
pour les fleurs blanches , pour les laits répandus
, pout le fcorbut , pour les dartres ; & ce qu'il
ya de plus commode , c'efl qu'on peut s'en fervis
en tout tems , fans diftinction de faifons & de cli-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
mats. Il ne cauſe aucune gêne ; il n'empêche pas
de vacquer à fes affaires ; il eft auffi agréable au
goût que falutaire dans les effets : comme il eſt
balfamique & ftomachique , plufieurs perfonnes
de l'un & de l'autre sèxe , fans être attaquées du
mal vénérien , en font uſage dans la feule vue de
fe maintenir en bonne fanté.
La demeure du Sr Agironi eft rue Pavée Saint-
Sauveur , la dernière porte cochere avant d'entrer
dans la rue Françoife.
Il enverra aux malades de province la quantité
de fon remède convenable à leur état , la manière
de s'en fervir & le régime qu'ils auront à obſerver.
Le prix fera plus ou moins haut , felon la
quantité dont on en aura befoin . Ceux qui lui
écriront auront foin d'affranchir le port s'ils veulent
avoir réponſe .
Ceux qui voudront confulter le Sr Agironi à
Paris le trouveront chez lui tous les matins julqu'à
une heure après midi , & depuis cinq heures
du foirjufqu'à neuf.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg , le 25 Septembre 1770.
ONN avoit annoncé que le général Panin devoit
donner , le 6 ou le 7 de ce mois , un affaut
général à la ville de Bender ; mais comme on
n'a rien appris de nouveau fur les progrès du fiége,
il y a apparence que cette tentative n'a pas eu lieu
ou qu'elle n'a pas réuffi .
NOVEMBRE. 1770. 119
De Warfovie, le 3 Octobre 1770.
Il vient d'être enfin réfolu que les troupes de la
Couronne, commandées par le général Branicki ,
formeront avec les Rufles un cordon pour arrêter
les progrès de la pefte. On a donné des ordres
pour faire exécuter dans les villes de la Prufle Poionoile
les mêmes réglemens qu'on obferve dans
la Pruffe Royale pour prévenir les progrès de la
contagion. Quelques perfonnes ayant voulu ,
malgré les défenfes , fe glifler à travers le cordon
formé à Willembourg , ont été tuées par les fentinelles
, poftées en avant.
On trouva dernièrement , en différens quartiers
de cette ville , des matières combustibles que
des incendiaires avoient placées de manière à mettre
le feu à la ville. Le premier de ce mois , à dix
heures du foir , on découvrit auffi une méche allumée
dont le feu n'avoit plus qu'un très - petit
efpace à parcourir pour fe communiquer à un pa-
-quet de poudre & à d'autres matières, combuftibles
placées dans un certain endroit du palais du
-Roi. Ces découvertes ont engagé le général Weymarn
à faire marcher la nuit , dans les rues , de
fortes patrouilles, & à pofter , dans toutes les places
& daas tous les carrefours , des piquets avec
quelques piéces de canons .
De Coppenhague , le 9 Octobre 1770 .
Il paroît une déclaration , par laquelle Sa Majefté
, voulant engager les matelots & autres gens
de mer , fes fujets , qui font actuellement au fervice
des puiffances étrangères , à retourner dans
fes états , non- feulement leur accorde la jouif-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
fance de l'amniftie qui a été publiée , dès le 14 du
mois dernier , & dont ils n'ont pas voulu profiter ,
mais leur promet encore une récompenfe & un
avancement proportionné à la capacité de chacun
d'eux.
De Vienne , le 23 Octobre 1770 .
Le double cordon de troupes qu'on a tiré pour
garder les paffages de la Tranfilvanie ne permet
à qui que ce foit de franchir les lignes . Suivant les
derniers avis reçus de cette province , la pefte continue
de faire des ravages dans le Kalibafchen &
s'eft manifeftée à Neutohan , village fitué dans le
diftrict de Cronstadt ; mais on ajoute que les dilpofitions
faites par la commiffion de Santé , font
efpérer que ce fléau ne pénétrera pas plus avant
dans cette principauté. D'autres avis reçus de Siléfie
portent que la contagion fait chaque jour de
nouveaux progrès en Pologne .
Il arriva à la cour , le 27 du mois dernier , un
courier dépêché de Berlin qui n'a été que quarantehuit
heures en route , Le lendemain , il eft parti
avec la réponse aux dépêches qu'il avoit apportées.
2
De Venife , le premier Octobre 1770.
Des lettres de Gênes portent que le gouverne
ment a fait fignifier à tous les religieux étrangers
des Mineurs Ŏbfervantins de St François , un ordre
par lequel il leur eft enjoint d'évacuer cet état
& de retourner dans leur patrie.
De Londres , le 16 Octobre 1770 .
Le 12 de ce mois , le Roi rendit , en fon confeil
, une nouvelle ordonnance par laquelle i
NOVEMBRE . 1770. 221
enjoint à tous les Matelots Anglois , attachés au
fervice étranger , de quitter ce fervice fous peine
d'être poursuivis felon les loix & de ne pas être
réclamés par Sa Majesté comme Sujets de la Grande-
Bretagne , dans le cas où , fervant chez l'étranger
, ils feroient enlevés par les Turcs , les Algériens
ou autres. La même ordonnance a pour but
d'encourager l'enrôlement des Matelots & , pour
cet effet , Sa Majesté porte à loixante chelins la
gratification de 30 , allignée à chacun des Matelots
ordinaires qui s'enrôleront avant le 30 da
mois prochain , & affigné une récompenfe plus
forte que celle qui avoit été arrêtée jufqu'ici pour
ceux qui dénonceront des Matelots cachés .
Les vaiffeaux de la Compagnie des Indes le Renard
& l'Anfon font arrivés dernièrement , le
premier de Bombay , & le fecond de Bengale & de
Madraſs. Suivant le rapport de ces bâtimens , la
guerre continue encore entre Hider Ali Kan & les
Marates , & ceux - ci ayant remporté fur lui queiques
avantages , il a demandé au préfident du confeil
de Madrafs les fecours qu'on s'eft obligé de
lui fournir par le dernier traité de paix de l'année
dernière ; mais on n'avoit pas encore acquiefcé à
fa demande au départ des vaifleaux qui ont ap
porté cette nouvelle.
On a reçu dernièrement des lettres de Madrafs ,
du 13 Février dernier , par lefquelles on apprend
que Coffim Ali Kan , Nabab dépoſé , a raſſemblé
un gros corps de troupes fans qu'on fçache quel
peut être fon deffein . On croit cependant qu'il a
pour objet d'offrir fon affiftance au Mogol pour le
mettre en état de rentrer à Delhi . Cet Empereur
follicite , depuis plufieurs années , le fecours des
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Anglois pour l'exécution de ce projet ; mais ils
ont conftamment refufé d'entrer dans fes vues.
De Fontainebleau , le 20 Octobre 1770 .
Le régiment du Roi , infanterie , qui s'étoit rendu
à Sens , eft arrivé , le 11 de ce mois , au camp
formé près de cette ville , avec foixante dix hommes
du Corps Royal de l'Artillerie & huit pièces
de canon. Sa Majefté , accompagnée de Mgr le
Dauphin , de Madame la Dauphine , de Mgr le
Comte de Provence , de Mgr le Comte d'Artois &
de Mefdames , s'eft rendue , le 14 , à la plaine occupée
par ce régiment , pour en faire la revue ; &,
après avoir paflé dans les rangs , Elle l'a vu défiler.
Le Roi s'eft tranfporté de nouveau à la même
plaine , le 17 , pour y voir exécuter les différentes
manoeuvres prefcrites par les ordonnances , lef
quelles ont été commandées par le comte du Châtele
-Lomont , maréchal de camp , colonel - lieutenant
de ce régiment . Sa Majefté a paru très - fatisfaite
de l'inftruction & du travail des Officiers,
de la précision & de la célérité des différentes
évolutions qui fe font faites en fa préfence
ainfi que de la vivacité & de l'exécution des
feux de l'Infanterie & du canon : ces différentes
manoeuvres ont duté une heure & demie. Après
que le Régiment eut défilé devant le Roi , Sa
Majefté fe rendit au Village de Samoreau ,
fit l'honneur au Comte du Châtelet de fouper
chez lui avec Monfeigneur le Dauphin . Pendant
toute la durée du camp , les Officiers de ce Régiment
ont eu l'honneur de faire , chaque jour ,
leur cour au Roi , qui a daigné leur donner
des marques particulières de fes bontés , fur -tout
à ceux qui avoient déjà paru devant Sa Ma-
&
NOVEMBRE. 1770. 223
jefté aux précédentes revues ; Sa Majesté a
permis auffi que tous les Soldats vinffent ici
pendant la chafle , vifiter les appartemens . Ce
Régiment eft parti hier pour fe rendre à Befançon
, Ville qui lui a été deſtinée pour Garnifon.
De Grenoble , le 15 Octobre 1770 .
>
Il s'eft élevé ici & dans nos environs , la nuit
du 13 au 14 de ce mois , un furieux ouragan accompagné
de tonnerie & de pluie . La foudre eft
tombée ſur le clocher de la paroifle des côtes de
Saffenage , village fitué à deux leues de cette
ville ; elle en a brûlé le toit , a fait tomber deux
angles du mur , a mis le feu au béfroi , & delà ſe
gliffant par le trou qui fert au paffage de la corde
de la cloche , elle a coupé cette corde en deux
eft entrée dans la facriftie , en a renverfé & briſé
les armoires & a fonda la patene du calice dont
elle a coupé le pied près de la coupe : elle a paffé
enfuite dans l'églife , a renverfé & mis en pièces
le confeffionnal , a caflé toutes le vitres & fondu
les barreaux de fer d'une fenêtre par laquelle elle
eſt ſortie , a détaché de cette même fenêtre une
groffe pierre de taille & a laiflé d'autres traces de
fon paflage. La pluie abondante & les prompts
fecours qui ont été apportés ont préfervé de l'incendie
l'églife & la maifon curiale qui y eft adoffée .
PRESENTATIONS.
Le Sieur de Vandeuil s'étant démis de la charge
de premier Préfident du Parlement de Tou-
Joufe Majefté a nommé à cette charge le
Sieur Niquet , Préfident du même Parlement ,
224 MERCURE DE FRANCE .
lequel a prêté ferment entre les mains du Roi le
II d'Octobre.
Le même jour , le Chevalier d'Ecquevilly ,
Sous-Lieutenant au Régiment Royal , Cavalerie
, a eu l'honneur d être préſenté à Sa Majeſté &
à la Famille Royale.
Le Sieur de Pirot , aucien Capitaine au Régiment
de Lyonnois , prêta ferment le 14 Octobre
entre les mains du Roi pour la Lieutenance de
Roi de la Guienne , laquelle eft affignée
toute l'étendue de l'élection des Landes & des
pays de Labour & de Soule.
Le même jour , l'Abbé Expilly , Chanoine-
Tréforier en dignité du Chapitre Royal de Tarafcon
, Membre de plufieurs Académies , eut
l'honneur de préfenter à Sa Majesté le fixième
Volume de lon Ditionnaire Géographique ,
Hiftorique & Politique des Gaules & de la
France.
NAISSANCES.
La Ducheffe de Holftein - Sondenbourg - Auguftbourg
, née de Holftein -Ploen , eft accouchée
le 4 Octobre d'un Prince qui a été nommé Charles
-Guillaume .
MORT S.
Le Père Le Seur , Minime François , célèbre
Mathématicien eft mort à Rome le 22 Septembre
, âgé de 78 ans.
›
Maximilien - Antoine Vander - Noot , quinzième
Evêque de Gand , Comte d'Everghen
NOVEMBRE. 1770. 225
eft mort en fon Palais Epifcopal le 27 Septembre
dans la 95e année de fon âge.
Hélène - Angélique - Rofalie de l'Aubefpine de
Verderonne Veuve de Jerôme Phelypeaux
Comte de Pontchartrain , Miniftre & Secrétaire
d'Etat au département de la Marine , Commandeur
des ordres du Roi , & c . eft morte à Paris le
10 Octobre dans la 84e année de fon âge .
Le 19 Octobre , Monfeigneur le Dauphin prit
le deuil pour huit jours à l'occafion de la mort du
Prince Guillaume - Adolphe de Brunswick de
Wolffenbutel Général - Major , & Chef d'un
Régiment au Service de Pruffe , & Chevalier de
l'Ordre de l'Aigle-Noir , mort dernièrement à
l'Armée Impériale de Ruffie , âgé de 25 ans...
Meffire Philippe Durand , Chevalier , Comte
d'Auny mort en fon Château de Baby , près
Nogent -fur- Seine , le 13 Octobre , âgé de
87 ans.
>
Adelaïde - Elifabeth d'Hallencourt de Dromenil
,
Dame pour accompagner Madame
époufe du Marquis de Belfance , Grand- Sénéchal
des Provinces d'Agenois & de Condomois &
Meftre-de- Camp d'un Régiment de Dragons de
le 4
fon nom , eft morte à Bagneres de Luchon ,
Octobre , dans la vingt- quatrième année de fon
âge.
Henri -François le Dran , Doyen des Maîtres en
Chirurgie , ancien Directeur de leur Académie ,
ancien Chirurgien -Major de la Charité , & Chirurgien
Confultant des Camps & Armées du Roi ,
de la Société Royale de Londres
différens Ouvrages , eft mort ici le 17 Octobre
, âgé de 85 ans.
par
›
& c. connu
226 MERCURE DE FRANCE.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , pages
Elégie fur un cimetière de campagne ,
Epître à mes Parens ,
L'Enlevement , anecdote ,
Les Rêveries du Boul , ode ,
Hommage à la Vérité ,
Vers à une Demoiſelle ,
Vers à une Dame ,
Le bon Père. Proverbe ,
ibid.
II
16
28
33
34
ibid.
35
$7
Infcription pour le bufte de Mgr l'Evêque
d'Orléans ,
Remercîment du Peuple de Nevers à M. le
Marquis de Tourny ,
Vers à Madame la Marquife de Tourny ,
Vers pour le portrait de M. Boucher ,
Vers à Mlle Valeyer ,
59
59
ibid.
60
Dialogue entre Pénélope & Ninon - l'Enclos , 63
Vers fur l'Espérance ,
Vers à ma Tante ,
L'Emprunteur ,
71
72
73
22
NOVEMBRE. 1770. 227
Explication des Enigmes & Logogriphes , 75
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
La Comtefle de Fayel , tragédie ,
Mémoires & obfervations de chirurgie , par
M. Trecourt,
Jugement impartial fur les lettres de la cour
de Rome ,
Hiftoire des Evêques d'Amiens ,
Abrégé de la vie & du ſyſtême de Gaſſendi ,
Diflertation fur les parties fenfibles du corps
animal ,
Hiftoire des différens Peuples du monde ,
Eflais fur les moyens de perfectionner la teinture
,
ibid.
78
80
ibid.
Dégradation de l'eſpèce humaine par l'uſage
des Corps à baleine ,
Cours d'Hiftoire Naturelle ;
Difcours critiques fur le Gouv . de l'ancienne
Rome ,
98.
99
100
106
IIO
112
111
118
119
121
Lettres fur la vérification des écritures , 122
Etat de la Pologne ,
123
Les douze Céfars ,
129
228 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire générale de l'Afie , l'Afrique & l'Amérique
,
ACADEMIES. Befançon ,
Fleffingue ,
SPECTACLES , Opera ,
Comédie françoile ,
131
145
149
ISI
153
Fête donnée par Me la Duchefle de Mazarin , 155
ARTS , Gravure ,
Mufique ,
Géographie ,
Lettre de M. *** , au Père Peronier , fur la
réclamation contre le jugement que l'Aca-
169
188
190
démie royale des ſciences a donné de fon
moulin à foie , 196
Epigrammes, ANECDOTES ,
209
213
Avis ,
Nouvelles Politiques ,
218
Naiffances , morts , 224
APPROBATIO N.
'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Novembre 1770 , & je n'y ai
rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher
l'impreffion . A Paris , le 30 Octobre , 1770 .
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
BAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
DÉCEMBRE . 1770 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
Reugnet
A
PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
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Le Dictionnaire de Jurifprudence canonique ,
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48.1.
'Dict. Italiend'Antonini, 2 vol . in -4°. sel . 30l.
Méditations fur les Tombeaux , 8 br.
Mémoire pour les Natifs de Genève , in-8°.
broch.
11. ref
Aho ha
MERCURE
DE FRANCE.
DÉCEMBRE. 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE & fin du Printems , chant premier
du poême des Saifons . Effai d'imitation
libre de Thompson.
Effets du Printems fur l'homme.
POURSUIS , & Mufe , & fur l'homme en tes
chants
Peins le pouvoir & l'effet du Printems :
Quand tout concourt au bonheur de fon être,
Peut- il , rebelle à l'attrait des plaifirs ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Se refufer aux innocens defirs
Que la faifon dans fon ame fait naître !
Coeurs dépravés , efprits ambitieux ,
Fuyez ! fuyez , ames impénétrables !
Est- ce pour vous que le flambeau des cieux
Verle au printems des rayons favorables ;
Que dans l'été la féconde Cérès
De les moiſſons enrichit les guérêts ;
Et que Palès & Bacchus & Pomone
De leurs bienfaits embelliffent l'automne ?
Non , venez , vous dont les coeurs bienfaiſans
Cherchent le pauvre au fond de fa retraite :
Votre bonté prévoyante , inquiette ,
Ne voit jamais fes befoins accablans
Sans le tirer de l'affreufe difette :
Vos foins ardens , pour efluyer les pleurs,
Des noirs réduits pénètrent les horreurs :
Soyez comblés des biens de la nature !
Qui mieux que vous mérite fes préfens ?
Toi , dont Dieu même orna l'argile pure ,
Sage Doris , tels font tes fentimens !
Epoufe tendre & vertueufe mère ,
Quej'aime à voir la beauté de ton coeur ,
Adévoiler ton ame toute entière ,
Pour admirer fa fublime candeur !
O de ton sèxe inimitable exemple ,
Chez toi les arts ont établi leur cour :
De la vertu ton coeur eft le féjour ,
Et l'amitié l'a choifi pour fon temple !
DECEMBRE. 1770.
Tout du Printems éprouve le pouvoir 3
Sur l'homme même il agit , il opère :
Un éclat vif anime la bergère ,
Et fur fon front peint l'amour & l'eſpoir
Son teint fleuri refpire la jeuneffe ;
Déjà fes yeux font plus étincelans :
Son fein palpite & s'élève & s'abaiffe ;
Un trouble doux s'empare de fes fens ,
Et tout fon coeur s'enivre de tendrefle .
Le trait s'échappe & va percer l'amant :
Le coeur épris de l'objet qui le blefle ,
Rien ne lui plait que fonpropre tourment.
Jeunes beautés , gardez vos coeurs fragiles ;
Méfiez - vous de ces tendres foupirs ,
Dont la douceur , enflammant les defirs ,
Cherche à tromper les ames trop faciles.
N'écoutez point le ferment impofteur ,
Qui met fouvent une beauté timide
A la merci d'un lâche corrupteur.
Craignez fur- tout que l'Amour ne vous guide ,
Il eſt trompeur ; redoutez fes détours :
Et , quand la nuit développant ſes voiles ,
Au firmament attache les étoiles ,
De vos amans évitez les difcours.
Vous , jeunes gens , avant qu'il foit le maître ,
Fuyez l'Amour & fon poifon brûlant :
Vous pouvez bien vous livrer au penchant
Qu'en votre coeur la beauté fera naître ;
A iv
MERCURE DE FRANCE.
Mais loin de vous tout vil attachement
Qui peut corrompre & dégrader votre être.
Ce regard vif, ce langage affecté ,
Ce doux maintien , ces graces féduiſantes
Que la beauté rend encor plus touchantes ,
Ne font fouvent que rufe & cruauté :
Toujours , toujours cette voix de fyrène
Charme l'oreille , enchante , attache , entraîne
Et mène au crime avec fécurité .
Le fier remords , du fein de la molleffe,
Lève bientôt la tête de ferpent ;
Et l'ail furpris voit l'abyme effrayant
Où l'a plongé fa malheureufe ivrefle .
Le repentir pénètre au fond du coeur ,
De fes plaifirs le rendant la victime ;
Par intervalle il réveille l'honneur ,
Et fans relâche il affiège le crime.
Tourmens de l'abfence.
Pendant l'abſence , en proie à tous les maux
Dont l'affaillit une funefte flamme ,
Jamais l'amant ne goûte le repos :
Un trouble affreux s'empare de fon ame ,
Et tout fon être eft un fombre cahos.
Rien ne l'arrache à ſa douleur amère ;
Il fuit le jour , le tumulte & le bruit :
Pour lui des cieux la voûte ſe reflerre ,
Flore eft fans fleurs , le foleil fans lumière ,
DECEMBRE . 1770.
Même au printems la nature languit .
L'amante feule , occupant ſa penſée ,
Commande en reine à fon ame infenlée ;
Tout autre foin & l'agite & l'aigrit.
L'amitié même à cette ame engourdie
Ne fauroit plus offrir aucun attrait :
Au fein du monde inquiet & diftrait
Il s'abandonne à fa mélancolie.
Sort-il enfin de cette léthargie ,
Il va chercher un endroit écarté
Où , libre & feul , il rêve à la beauté
Qui , dans les fers , tient fon ame allervie.
Il trouble l'air du bruit de fes foupirs :
Ses yeux éteints font deux fources de larmes :
Ses jours ainfi coulent dans les alarmes ,
Et fon amour l'éloigne des plaifirs .
Infortuné ! s'il quitte fa retraite ,
C'eſt quand la lune , aux bords de l'Orient
Fait éclater fon difque vacillant :
Il fort , rempli du foin qui l'inquiette ;
Marche , éclairé de fes foibles rayons ,
Et mêle aux cris de la triſte chouette
L'accent plaintif des tendres paffions .
Quand les mortels , enfevelis dans l'ombre ;
Du doux fommeil éprouvent les faveurs ,
A la lueur d'une lumière fombre
Dans une lettre il trace fes douleurs ,
Ecrit fatal , langoureuſe élégie ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE..
Où chaque mot brûle de frénéfie.
Il cherche envain , dans fon épuifement ,
A tempérer l'excès de fon tourment ;
Le repos fuit ; fes forces affaiflées ,
Il cède enfin au pouvoir du fommeil ,
Sommeil troublé par d'affreufes penfées ,
Et qui piéfage un funefte réveil .
Il croit , parlant à fon enchantereffe ,
En obtenir le prix de la tendreffe ,
Et tout- à- coup il voit fuir fon bonheur :
Le jour le rend à la morne trifteſſe ,
Et chaque objet entretient la douleur.
Pendant la nuit , à fes defleins propice ,
Des bois , des monts parcourant les hauteurs ,
Il fuit , troublé, des bords d'un précipice ;.
Et pour l'objet , qui cauſe fon fupplice ,
De la tempête il brave les fureurs.
Telle eft d'amour la cruelle agonie ;
Teleft fon fort ; mais fila jaloutie
Livre fon ame à de fombres terreurs
Son fiel amer empoiſonne ſa vie.
Fuyez , fuyez , voluptueux plaifirs !
Lits compofés de jafmins & de rofes ,.
Bolquers rians qu'habitent les zéphirs ,
Berceaux de fleurs nouvellement éclofes ;.
Difparoillez , vous n'avez plus d'attraits !
D'erreurs fans ceffe un eflaim l'environne ;
Le défeſpoir fur lui lance ſes traits ,
DECEMBRE. 1770. II
Et fans retour ſa raiſon l'abandonne .
La paffion , bouleverfant fon coeur ,
De tous côtés y fouffle fa fureur :
Elle dévore , elle embrafe fes veines ,
Roidit fes nerfs , bouillonne avec ſon ſang :
Le doute affreux , fon vautour déchirant ,
Toujours l'affiège & redouble fes peines.
Ainfi languit le jeune & tendre amant ,
Qu'en des fentiers , fleuris en apparence ,
L'amour parut attirer doucement :
De la fortune il voit fuir l'efpérance ,
Et vers la perte il court rapidement.
Bonheur de l'Hymen.
Heureux , heureux ceux qu'un tendre hymenée
Unit en paix fous la loi fortunée !
D'un fort égal ils goûtent la douceur :
Loin d'eux le noeud de l'avarice humaine ,
Noeud qui révolte & l'efprit & le coeur :
C'est l'amitié qui reflerre leur chaîne ;
Et l'union qui forme leur bonheur.
Ils n'ont jamais qu'une même penfée ;
La volonté prévient la volonté :
Entre l'amour & la fécurité
Leur confiance eft (ans cefle placée.
Fuyez , ô vous qui cherchez le bonheur
En marchandant ( tant vous êtes avides )
Une compagne à des parens fordides :
A vj
12 MERCURE DE FRANCE :
Vous méritez d'éprouver le malheur !
Qu'un peuple altier , féroce , impitoyable ,
> Et dont l'amour n'eft qu'un brutal deſir
S'abandonnant au plus groffier plaifir ,
Pour la beauté foit un maître intraitable !
Que dans leur cour les rois orientaux ,
Tyrannifant leurs épouſes captives ,
Donnent des loix à cent beautés craintives ,
Sûrs de régner fans avoir de rivaux :
Ceux que l'hymen d'une foi fainte lie ,
Toujours livrés à des tranſports nouveaux
Voyent de fleurs leur carrière fournie ;
Et les chagrins qui confument la vie
N'altèrent point leur innocent repos.
D'un monde vain les pompes , les folies ,
Les plaifirs faux ne flattent point leurs fens :
Sans volontés , libres de fantaisies ,
Ils trouvent tout dans leurs embraffemens.
Une famille & nombreuſe & riante ,
De leur hymen fruit doux & précieux ,
S'orne en croiffant d'une grace touchante
Et leur préfage un avenir heureux .
Quel foin flatteur , quelle tâche charmante
D'élever l'ame aux defirs vertueux ,
De réprimer la fougue impatiente
Et d'exciter des élans généreux !
Vous , qui verfez des larmes de rendreſſe ,
Expliquez nous ce plaifir enchanteur
Dont vous enivre une pure alégreffe
DECEMBRE 1770 .
C'eft avec vous qu'habite le bonheur ;
Et la nature , en charmant votre coeur ,
Bannit au loIn le trouble & la triftefle.
Tel eft le fort des époux vertueux :
Sages , bornés & conftamment heureux ,
Le tems ne fait qu'augmenter leur ivreffe.
Dans leur vieilleffe , au déclin de leurs jours ,
De fleurs encor le printems les couronne ;
Et , quand la force enfin les abandonne ,
Plus amoureux & plus tendres toujours ,
Ils ont fourni la plus longue carrière ,
Et fans remors ils ferment leur paupière. '
Libres des noeuds du terreftre féjour ,
D'un vol hardi leurs ames fatisfaites
Vont fe rejoindre aux pailibles retraites
Où le bonheur accompagne l'amour.
Par M. Willemain d'Abancourt.
VERS à M. le M. de B, .. venant à
M***
Tu viens donc , ô mortel aimable ,
Par ta présence embellir ce féjour !
Courtifan fans baffefle & fincère à la cour ,
Tes fublimes exploits & ton coeur reſpectable
T'ont rendu des François le heros & l'amous
14 MERCURE DE FRANCE .
Sage Neftor , tu combats comme Achille ;
Ta gloire eft pure , il n'eft rien au- deffus ;
Mais fij'étois ou Voltaire ou Virgile ,
Jene voudrois que chanter tes vertus.
Par le même.
L'ESPÉRANCE & LA CRAINTE,
Fable imitée de l'allemand.
L'ESPÉRANCE & la Crainte entreprirent un jour
De voyager de féjour en féjour :
Facilement l'une trouvoit retraite ;
L'autre, pour fe loger , s'en alloit chez l'Amour
Ou chez l'Avarice inquiette .
Les voyoit-on Indigence foudain-
Prenoit un front calme & ferein ,
Et la terreur accabloit l'opulence.
Pourquoi cet effet fingulier
Qu'en même tems produifoit leur préfence ?
Chez un pauvre chymifte arrivoit l'Eſpérance ,
Et la Crainte legeoit chez un riche ufurier.
Par le même.
DECEMBRE. 1770. 1.5
EFFETS DE LA JALOUSIE.
LE Pacha Achmet- Boulée Bey , gouver
neur de l'Egypte , étoit né avec un coeur
fenfible . Les plaifirs que lui permettoit fa
loi ne le fatisfaifoient point ; il vouloit
être aimé ; il avoit raflemblé à grands frais
le ferrail le plus nombreux & le mieux
choifi , dans l'efpérance de rencontrer
enfin une beauté capable d'infpirer l'amour
& de le fentir. Il ne la trouvoit
point parmi 1200 Circaffiennes , Georgiennes
& Greques qu'il avoit achetées
en divers tems. Cela n'eft pas extraordinaire
; l'amour eft le fils de la confiance ,
& la confiance eft rarement où se trouve
l'inégalité. Au moment où il défefpéroit
de réuffir , on lui préfenta une jeune Circaffienne
; le coeur du pacha s'émut à la
vue de Fathmé ; il fe flatta qu'elle l'aimeroit
; il le defiroit trop pour ne pas s'en
eroire affuré. Il l'achette , Fathmé s'étoit
apperçue de l'impreflion qu'elle faifoit
fur lui ; elle ne s'occupa que du foin de
l'augmenter ; en entrant dans le ferrail:
où elle vit un fi grand nombre de rivales,
toutes dignes des préférences du pa
16 MERCURE DE FRANCE.
cha , elle s'énorgueillit de la paflion qu'elle
lui avoit infpirée ; fa fierté lui fit fouhaiter
qu'elle fut durable ; elle mit tout
en ufage pour la rendre telle ; Achmet ſe
crut aimé ; cette illufion fit fon bonheur.
Quelques mois s'écoulèrent , & il ne fut
point détrompé; Fathmé prit foin d'entretenir
fon erreur ; elle lui dut une autorité
abfolue dans le ferrail , & fon amant fa
félicité; on eft toujours heureux quand on
croit l'être . Une nouvelle efclave dont le
pacha fit encore l'emplette diffipa le preftige
qui l'aveugloit. Irène , c'étoit fon
nom , étoit d'un caractère très tendre ;
elle aima Achmet de bonne foi ; fa candeur
& fa tendreffe naturelle lui parurent
bien différentes de la manière d'aimer de
Fathmé ; elles l'éclairèrent fur fes artifices
; il la quitta ; cette femme vaine perdit
fon empire & fe trouva confondue
dans la foule des autres efclaves ; elle ne
put fupporter fa chûte ; fon orgueil humilié
lui fit éprouver des tourmens plus af
freux que ne l'eût fait l'amour jaloux ;
l'ardeur de la vengeance embrafa fon
ame ; fa honte , le triomphe de fa rivale,
le bonheur même d'Achmet déchiroient
fon coeur ; vingt fois elle fongea à fe fervir
du poifon ou du fer ; mais ces moyens
DECEMBRE . 1770 . 17
lui parurent trop lents & trop peu terribles
; elle conçut un projet affreux dont
elle pouvoit être auffi la victime , mais
elle s'en confola par l'idée que fa rivale
& fon volage amant la faivroient au
tombeau. Ce projet étoit de mettre le feu
au ferrail ; elle attendit pour l'exécuter
un moment où elle feroit fûre que les
flammes pourroient fe communiquer partout.
Un ouragan qui s'éleva la nuit du 2
Décembre 1756 , parut favorable à fa ra
ge ; elle prend un flambeau & court ellemême
porter le feu à l'appartement où le
pacha étoit avec Irene. Peu contente de
ce commencement elle le mit à différens
endroits du ferrail afin de rendre l'embrafement
plus général & plus prompt.
L'incendie devint affreux ; le pacha prévenu
à tems échappa aux flammes en emportant
Irene dans fes bras. Fathmé qui
épioit elle même fes victimes , les vit
paffer avec douleur & défefpérée de
les voir échapper , alla fe précipiter
dans l'endroit où les flammes étoient
plus épaiffes & plus ardentes ; elle péric
avec le plus grand nombre de fes compagnes
. Telle fut l'origine de cet incendie
du Caire dont on a tant parlé dans le
tems , & qui confuma plus de fix mille
maifons. La violence du vent avoit porté
-
18 MERCURE DE FRANCE.
le feu du ferrail à tous les bâtimens voifins
, & on évalua ia perte à 36 millions .
Les Muſulmans regrettèrent fur - tout une
tente qui avoit fervi à leur prophète , &
qu'on confervoit dans la grande moſquée
qui fut aufli brûlée dans ce défaitre.
1
LA SAGESSE. Ode
DESCEND'S de la célefte voûte ,
TT..
Minerve , éclaire mon erreur ;
Enfeigne à l'homme quelle route
Conduit au fouverain bonheur.
Quelque terme qu'il ſe propoſe
Vi funefte penchant s'eppola
Au choix qu'il avoit embraffe.
Aveugle , il s'égare lui même ,
Il cherche le bonheur fuprême
Où les dieux ne l'ont point placé .
D'où revient ce marchand avide
Qui fend le vafte fein des eaux
Il couvre la plaine liquide
Des richeffes de fes vaiffeaux .
Chargé du précieux mêlange
Des tréfors de l'Inde & du Gange ,
Il découvre déjà le port.
Eft-il heureux ? la foudre gronde,
DECEMBRE. 1770. 19
Ses vaifleaux s'abyment fous l'onde ;
Il échappe à peine à la mort.
Vous qui rampiez dans la pouffière ,
Quel dieu vous tire du néant?
Plutus vous voit dans la carrière
Avancer à pas de géant.
Vous moiffonnez dans les alarmes .
Chaque jour le fang & les larmes
Enflent vos criminels tréfors.
Leur éclat n'a rien qui m'étonne ,
Et le crime qui vous les donne
Vous en punit par les remords.
Tu peux reprendre tes largeffes ,
Ceffe de nous en amufer.
Pauvres , au milieu des richeſſes
Nous ne favons pas en ufer.
A tes dons , volage fortune ,
Les foucis , la crainte importune
Mêlent un funefte poiſon.
L'homme devroit- il y prétendre ,
Lui qui n'a jamais fçu les rendre
Tributaires de fa raiſon.
Mais qui font ces mortels qu'adore
L'Univers tremblant à leur voix ,
Le peuple à genoux les implore
Et leurs volontés font nos loix.
20 MERCURE DE FRANCE.
Thémis leur remet la balance ;
Jupiter , la foudre qu'il lance ;
Mars , pour eux , feme la terreur.
Ces rois que notre hommage encenfe,
Portraits des dieux par leur puiſſance,
Le feroient-ils par leur bonheur ?
Venge Céfar , pourſuis Antoine ,
Triomphe , Octave , de Sextus ;
Rougis les champs de Macédoine
Du fang du malheureux Brutus.
où Néron commence.
Finis
par
Ote
à Rome
, par
ta
clémence
,
Le
fouvenir
de tes
forfaits
.
Flatte
- toi
d'en
être
l'idole
,
Cinna t'attend au capitole
Pour te punir de tes bienfaits.
Quel éclat dont tant de monarques
Se font un rempart à nos yeux !
Otons leur ces auguftes marques
Qui les rendent égaux aux dieux.
Leur coeur eft une énigme étrange ;
J'y découvre un affreux mêlange
Et de crimes & de vertus ,
Et Porus , qui vient de fe rendre ,
Pourroit
méconnoître
Alexandre
Dans le meurtrier de Clitus,
DECEMBRE. 1770. 21
Quel est donc l'heureux ? c'eft le fage,
Maître des plus légers tranſports,
Pour qui le Pactole & le Tage
Roulent d'inutiles tréfors ;
Qui voit comme un amas de boue
Ce cercle d'honneurs où le joue
L'ambition des vains mortels ,
Digne enfin de l'encens des hommes
'Si , dans l'ingrat fiècle où nous fommes ,
La vertu trouvoit des autels .
Qu'au trône fon deftin l'attende,
C'eftun monarque généreux ;
Qu'il y monte , qu'il en defcende
Toujours égal il est heureux.
C'eft lui que Rome ſecourue
Voit retourner à la charrue
Après de glorieux combats.
Plus charmé des champs qu'il façonne
Que de ceux où fon bras moiflonne
Des lauriers qu'il n'envioit pas .
A l'innocence , à la droiture
Il confacra fes premiers ans ;
Il ne détruit pas la nature ,
Il en règle les mouvemens.
L'intérêt , l'amour , la vengeance
Sont des monftres qu'à leur nailance
On lui vit d'abord étouffer.
22 MERCURE DE FRANCE.
S'il fent les foiblefles humaines ,
Nos vains defits , nos craintes vaines ,
Il les fent pour en triompher.
Par M. le Chev. de L *** St J. au Havre.
VERS à l'occafion de la revue du régiment
du Roi , que Sa Majesté a paſſe
mercredi 17 d'Octobre dans les plaines
de Valvins.
MARS , Louis , l'Amour & la Gloire
Marchoient d'un pas égal aux rives de Valvins ,
Les Graces y tendoient les mains
Aux fiers enfans de la victoire :
Parmi leurs bataillons brillans ,
Parmi l'éclat du bruit des armes ,
On voyoit briller mille charmes ,
L'amour mêloit les traits aux foudres , aux ca
nons.
De Bellone fouvent il partage l'empire ,
Et les plus dignes favoris
Sont les vrais défenfeurs des lis.
En ce beau jour Flore enchaînoit Zéphire ,
Lesjeux & les plaifirs y régnoient auprès d'eux ;
Mulc , confacrez- en l'hiftoire ,
DECEMBRE. 1770. 23
De Louis , célébrez tous les faits glorieux ,
Chaque coeur eft pour lui le temple de mémoire.
Par M. Mouret , ancien officier
d adminiftration de la Marine.
LE JEU DE L'OYE,
Proverbe.
PERSONNAGES :
Mde MONVAL .
Le Père THOMAS , vieillard , père de
-
Mde Monval. -
4
LUCETTE , fille de Mde Monval , âgée
de huit ans.
Le petit MONVAL , frère de Lucette , âgé
de fix ans.
COLETTE , gouvernantes des enfans de
ALISON , Mde Monval.
BOURGUIGNON , laquais du voifinage .
La fcène eft dans une ville de province,
chez Mde Monval.
Le théâtre repréſente un fallon à manger ;
les deux enfans font au fond autour
d'une perite table,& achevent leurfoupés
Colette eft de bout auprès d'eux.
14
4 MERCURE
DE FRANCE
.
SCÈNE PREMIERE.
COLETTE , LUCETTE , le petit MONVAL ;
BOURGUIGNON.
BOURGUIGNON entre doucement fur la
pointe dupied & furprend un baifer à Colette.
BONON foir , Mlle Colette .
COLETTE . Comment , c'eft toi ? mais
voyez cet étourdi , fi Madame alloit paroître.
BOURGUIGNON. Ek- ce qu'elle n'eſt pas
fortie.
COLETTE. Eh mais , vraiment non :
elle s'y difpofe pourtant , car elle eft à ſa
toilette.
BOURGUIGNON. Crois-tu qu'elle y foit
long- tems ?
COLETTE. Oh ! ce n'eft pas un petit ouvrage
que la toilette de Mde Monval :
cependant je crois qu'elle va fortir à l'inftant
: va-t-en , qu'elle ne te rencontre pas
ici , car tout feroit perdu.
BOURGUIGNON. Je venois te dire que
l'on t'attend : tout notre monde eft ar
rivé.
COLETTE.
DECEMBRE . 1770. 25
COLETTE. Que veux - tu que j'y falle ?
je ne peux pas y aller qu'elle ne foit partie.
BOURGUIGNON. Pefte foit de ta maîtreffe
& de fa toilette. Sa bonne femme
de mère n'y faifoit pas tant de façons .
COLETTE. Oh mon Dieu ! ne m'en parle
donc pas. La pauvre femme ! Dieu veuille
avoir fon ame ; mais elle nous pefoit furieufement
fur les épaules .
BOURGUIGNON. Elle étoit donc un peu
difficile ?
COLETTE. Bon , n'auroit - elle pas voula
nous faire mener la vie qu'elle menoit
dans fon village ?
BOURGUIGNON , riant. Ah , ah , ah , ah .
Et cela n'étoit guères du goût de Mde
Monval , n'est- ce pas ?
COLETTE . Je t'en répons. ( le pouffant
dehors) Mais , va - t en donc, je crains qu'on
ne nous furprenne .
BOURGUIGNON , revenant. Et le bon
papa Thomas , qu'en faites vous ?
COLETTE . Mais nous ne ferions pas fâchés
qu'il lui prît envie de fuivre fa chere
époule.
BOURGUIGNON . Il eft pourtant affez bon
diable , lui .
COLETTE. Oui : mais c'eft qu'il vous a
B
26 MERCURE DE FRANCE.
des manières fi gothiques , un air fi villageois
.
BOURGUIGNON . Il eft vrai qu'il eft bonhomme
dans toute la fignification du
terme.
( Les enfans pendant ce tems caufent &
rient en regardant Colette & Bourguignon .)
COLETTE ,jetantfur eux un regard cour
roucé. Est- ce fini ?
Le petit MONVAL. Oui , ma bonne.
COLETTE . Allons , qu'on fe lève &
qu'on dife fes graces.
Le petit MONVAL. Oui , ma bonne
(Il fe lève ainfi quefa foeur.)
BOURGUIGNON . Tu fais donc ici la
mère de famille ?
COLETTE. Il le faut bien.
BOURGUIGNON . Tu ne ferois pas la pre
mière qui auroit joué ce rôle avant que
d'être mariée .
COLETTE . Le fou ! ... ( on entend du
bruit. ) Sauve toi vîte , j'entens ma maî¬
treffe .
BOURGUIGNON, en fortant. Je t'attends
au moins.
COLETTE. Oui , oui .
3
DECEMBRE . 1770 : 27
SCÈNE I I.
COLETTE , LUCETTE , le petit MONVAL
le père THOMAS.
COLETTE , à part. C'eft le père Thomas.
La pefte foit de l'homme . ( Elle
s'occupe pendant cettefcène à débarraffer la
table.)
LUCETTE & le petit MONVAL fautent
au cou du père Thomas. Bon jour , mon
bon papa Thomas.
Le père THOMAS . Bon foir , mes enfans
, bon foir . (Il s'affied & les prend l'un·
après l'autre fur fes genoux . ) Et bien ,
comment va la joie , nous amufons nous
bien ? Montre - moi donc ta poupée , Lucette
, il y a long- tems que je ne l'ai vue.
LUCETTE baiffe les yeux d'un air trifte.
Je ne l'ai plus , mon bon papa.
Le père THOMAS . Tu ne l'as plus , ma
bonne amie , & qui eft - ce qui te l'a prife ?
( Lucette fait des fignes en montrant Colette.
) On vous fait donc toujours des chagrins,
mes pauvres enfans. ( bas à Lucette }
Ne te chagrine pas , va , demain , je t'en
acheterai une autre.
LUCETTE , l'embraffant. Grand- merci ,
mon bon papa.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Le petit MONVAL. Et moi , mon bon
papa , on m'a fait auffi du chagrin , oui.
Le père THOMAS . Comment donc ,
mon cher enfant ?
Le petit MONVAL , montrant auffi Colette.
On a jetté dans le puits ma toupie &
mon arbalêtre.
Le père THOMAS . Oh , cela eft bien
méchant.
COLETTE , quittant brufquement fon ou
vrage. Allons , il y a long- tems que vous
avez foupé , il faut fe coucher , partons.
Le père THOMAS . Laiffez les moi ce
foir , Mlle Colette ; je n'ai de plaiſir qu'avec
ces chers enfans.
COLETTE . Oui , pour les gâter : non ,
Monfieur , je ne le peux pas ; ma maîtreffe
m'a recommandé expreffément de
les envoyer coucher auffi - tôt après leur
foupé.
Le père THOMAS . Dites- lui que je vous
ai priée de me les laiffer.
COLETTE. Dieu m'en garde . J'y ferois
bien reçue .
DECEMBRE. 1770. 29
SCÈNE III.
Mde MONVAL , COLETTE , LUCETTE ,
le petit MONVAL , le père THOMAS .
Mde MONVAL entre fans regarderperfonne
; elle eft extrêmement parée. Mile
Colette ?
COLETTE. Madame.
Mde MONVAL. Mon mantelet .
COLETTE. Le voilà , Madame .
Mde MONVAL. Je vous avois dit de
me débarraffer de ces enfans.
COLETTE. Madame , c'eft M. Thomas
qui veut les retenir .
Le père THOMAS . Je ferois charmé
que l'on me les laiffât pour ce foir.
Mde MONVAL. Cela ne fe peut pas ,
mon père . Vous ne feriez pas mal vousmême
d'aller vous coucher ; à votre âge
on a befoin de repos : d'ailleurs il viendra
peut -être ici du monde ,, & vous n'êtes
pas en état de paroître. Mlle Colette ,
conduifez mon père dans fa chambre .
Le père THOMAS. Mais ...
Mde MONVAL. Mlle Colette , entendez
vous ce que je vous dis ?
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
COLETTE . Oui , Madame . ( au père
Thomas , en le prenant par le bras ) Allons
, Monfieur.
Le père THOMAS . J'irai bien feul...
J'enrage. (Ilfort ainfi que Mde Monval ,
mais du côté oppofé. )
SCÈNE I V.
COLETTE , LUCETTE , le petit MONVAL.
COLETTE. Lucette , vous êtes la plus
âgée , vous devez être la plus raiſonnable
, ayez foin d'aller vous coucher tout
de fuite & de faire coucher votre frère.
LUCETTE. Oui , ma bonne .
COLETTE . Que je ne vous voie plus
jouer comme vous le faites avec votre
bon papa , il vous gâte & puis c'eft tout.
LUCETTE . Qui , ma bonne.
( Elle fort . )
SCÈNE V.
LUCETTE , le petit MoNVAL.
LUCETTE. Allons , Monval , il fautaller
nous coucher.
Bon , aller nous coucher . Et qu'eft- ce
que nous ferons dans Los lits jufqu'à de
main neuf heures ?
DECEMBRE. 1770. 31
LUCETTE. Dame , que veux- tu ? fi maman
revenoit & fi elle nous trouvoit de
bout , nous ferions fouettés jufqu'au fang .
Le petit MONVAL . Oh , nous pouvons
encore refter quelque tems , elle ne reviendra
pas fi tôt.
LUCETTE. Et bien , qu'eft- ce que nous
ferons?
Le petit MONVAL. Si mon bon papa
étoit ici , nous nous amuferions bien ; il
fçait tout plein de petits jeux , vas voir s'il
dort , Lucette.
LUCETTE . Vas y toi.
Le petit MoNVAL , allant doucement
jufqu'à la porte. J'entens du bruit. ( avec
joie ) Ah , c'eft mon bon papa .
SCÈNE V I.
LUCETTE , le petit MONVAL,
le père ТиомAS.
Le père THOMAS . Et bien , mes enfans
, vous n'avez donc pas envie de
dormir ?
Le petit MONVAL. Mafi , non , mon
bon papa.
Le père THOMAS . Où eft donc Mlle,
Colette , eft ce qu'elle eft fortie ?
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
LUCETTE,d'un petit air myftérieux. Chut,
elle est allée avec fon galant.
Le père THOMAS . Comment , petite
commère , eft-ce que tu fçais ce que c'eft
qu'un galant ?
LUCETTE. Ah qu'oui . On croit que je
ne fuis qu'un enfant ; on dit devant moi
bien des chofes qu'on s'imagine que je
n'entens pas , mais que j'entens bien , allez.
Tenez , à- propos de Mlle Colette ,
Maman la regarde comme une dévote ,
une fainte ; mais fi elle fçavoit tout ce
que lui dit le grand laquais de M. le préfident
& ce qu'elle y répond , elle la mettroit
bien vîte à la porte.
Le père THOMAS. La petite peſte !
Vous voulez jouer , mes pauvres enfans ,
n'eft ce pas ? Je vois cela d'ici . Allons ,
je fuis des vôtres , je m'en vais mettre au
jeu pour tous ; mais je vous avertis que je
ne prétens rien au gain .
Le petit MONVAL embraffe le père Thomas.
Vous êtes bien bon , mon bon papa
; je vous aime de tout mon coeur.
LUCETTE . Et moi auffi je vous affure.
Le père THOMAS , les embraffant tous
deux. C'eft bien , mes enfans , je vous
protefte que je vous aime bien auffi . C'eft
DECEMBRE. 1770. 33
à l'Oye que nous allons jouer ; ce jeu - là
eft innocent ; plût à Dieu que vous n'en
connuffiez jamais d'autres !
LUCETTE. Oh , mon bon papa , tout ce
qui vous fait plaifir , nous en fait auflì à
nous. (Elle étend lejeu d'oyefur la table ,
ils fe placent tous autour . )
Le père THOMAS. Tu m'aimes donc
bien , Lucette ? Allons vos marques.
LUCETTE . Si je vous aime , mon bon
papa ! oh tant , tant... cela ne fe peut pas
dire. Moi , je prens mon dez.
Le petit MONVAL , d'un air chagrin.
Et moi donc , man bon papa , dame , c'eſt
que je vous aime autant que ma foeur ,
oui .
Le père THOMAS , attendri. Les charmans
enfans ! Ah pères , mères , qui ne
vous trouvez bien que lein de votre famille
vous ne connoiffez pas les
vrais plaifirs ! confervez toujours ces fentimens-
là , mes enfans , aimez bien vos
père & mère.
(Pendant ce tems le jeu continue. )
Le petit MONVAL. Pour maman , je
l'aime bien auffi ; mais c'eft d'une autre
efpèce d'amitié. Huit .
B v
34
MERCURE DE FRANCE .
LUCETTE . Te voilà au puits . Refte
tranquille à cette heure.
Le petit MONVAL. Tant mieux . Je
cauferai plus à mon aiſe .
Le père THOMAS. Et quelle eft donc
cette efpèce d'amitié que tu as pour ta ma-
Monval? man ,
Le petit MONVAL. Dame , tenez , je
ne peux pas dire cela , moi ; j'aime maman
, parce qu'il faut l'aimer ; quand je
Ja vois fâchée , je le fuis auffi , parce qu'elle
me gronde & me bat plus fort qu'à
l'ordinaire .
LUCETTE . Mon bon papa , c'eſt à vous
à jouer .
Le père THOMAS . C'eft vrai , c'eft que
j'écoute avec plaifir ton frère.
SCÈNE V I I.
Mde MONVAL , ALISON , le père THOMAS,
LUCETTE , le petit MONVAL .
Mde MONVAL. Je n'ai pas mal fait
de revenir fur mes pas. Pourquoi n'êtesvous
donc pas couchée , Mademoiſelle ,
ainfi que votre frère ?
LUCETTE. Maman , nous attendions
Mlle Colette .
DECEMBRE . 1770. 35
Mde MONVAL . Mlle Colette eſt un
mauvais fujet qui ne remettra jamais les
piés dans ma maifon . ( montrant Alifon)
Voici celle qui la remplace. ( à Aliſon )
Vous entendez pourquoi je chaſſe Colette
, faites en votre profit.
ALISON. Madame n'aura pas à fe plaindre
de moi.
Mde MONVAL. Tant mieux . Conduifez
ces enfans dans leur chambre & ne les
quittez point qu'ils ne foient au lit.
ALISON. Cela fuffit , Madame. ( Elle
fort avec les deux enfans. )
SCÈNE VIII . & DERNIERE .
Mde MONVAL , le père THOMAS .
Mde MONVAL. Mon père , je vous ai
dit que j'attendois ce foir du monde , en
conféquence je vous avois prié d'aller
vous coucher.
Le père THOMAS . Vous attendez du
monde. Puis-je vous faire déshonneur ?
Mde MONVAL. Vous prenez la choſe
de travers , mais cela eft pardonnable à un
homme de votre âge . On pourroit vous
dire,fans que vous duffiez vous en fâcher,
que vous n'êtes pas en état de paroître de-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
vant un certain monde , cependant , on
ne le fait point , on ne s'occupe que de
votre fanté.
Le père THOMAS. Ma fille , vos façons
d'agir font bien indignes ! Dieu vous en
punira . L'éloignement que vous avez
pour vos enfans , & celui qu'ils ne manqueront
pas d'avoir pour vous , vous préparent
un jour bien des peines. Dieu
veuille qu'elles ne foient pas plus grandes
que les miennes . Ah ma fille ! au village ,
tu penfois bien autrement . Mais , comme
dit le Proverbe...
Par M. Garnier , avocat.
*Le mot du Proverbe inféré dans le Mercure
de Novembre eft plus fait douceur que violence .
LES SOUHAIT S.
JALAI fouhaité plus d'une fois
De pofféder le plus brillant empire ;
Non que j'aimafle à preferire des loix ,
Mais feulement pour couronner Zelmire.
Souvent encor , j'ai ſouhaité
Qu'Apollon m'eût remis la lyre ;
Non que pour mes chanfons je veuille être cité ,
-Mais feulement pour célébrer Zelmire.
DECEMBRE
. 1770 .
37
J'ai fouhaité les tréfors de Plutus ,
Et tous les biens qu'ici-bas on defire ;
Non queje porte envie au bonheur d'un Crélus :
Mais pour en faire hommage à ma Zelmire.
Hélas ! de mes deftins l'inflexible
rigueur
A ces grands biens ne veut pas que j'alpire.
Je ne puis offrir que mon coeur :
Suffira-t- il à ma Zelmire ?
Si ce bien- là peut lui fuffire ,
Je fuis plus heureux que les rois :
Il eft plus doux de vivre fous les lois ,
Que de gouverner un empire.
Par M. L. D. PA. C. D. C.
A Madame de C ** , qui peignoie
des Papillons.
SOUS
Ous votre pinceau vrai je vois tout s'animer ,
Vos papillons font ceux de la nature ,
Et vous avez trop bien le fecret de charmer
Pour en faire jamais autrement qu'en peinture.
Par M. Guichard,
33 MERCURE DE FRANCE .
A Mlle Olympe. Petit air en rondeau.
UAND je fuis près d'Olympe ,
Quand je vois les beaux yeux ,
Le dieu qui tonne dans l'Olympe
Eft cent fois moins heureux .
C'eſt l'Amour, de la main badine
Qui d'Olympe forma les traits ;
C'eſt une rofe fans épine ,
Dont une pudeur enfantine
Relève encor les innocens attraits.
Quandje fuis , &c.
Le feul regard de cette blonde
Porte en mon coeur la volupté :
Amour , puiffant maître du monde ,
Fais qu'à mes feux elle réponde ,
Et je mourrai de ma félicité.
Quand je fuis , &c.
Par M. Boutellier
La mufique de ce rondeau eft de M. Poteau ,
Organifte de S. Jacqu es de la Boucherie.
DECEMBRE . 1770. 39
VERS à M. Allegrain , fur fa Vénus
qui doit être placée à côté de l'Amour
de Bouchardon.
EMBLE de Pujet , Praxitèle nouveau ,
Quelle eft cette beauté touchante
Que vient d'animer ton ciſeau ,.
Qui nous ravit , qui nous enchante ?
Quelle expreffion , quels contours !
Les Graces préfidoient à ce charmant ouvrage :
C'eſt de Vénus la plus parfaite image
Mife à côté du plus beau des Amours.
Par M. L. J.
VERS à ma Maîtreffe , qui avoit fait
deux difcours fur le befoin d'aimer &
fur lajouiffance de la vie qu'elle appeloit
fes fermons.
Si les prédicateurs nous tenoient ton langage ,
S'ils joignoient , comme toi , pour mieux toucher
les fens ,
Deux yeux vifs & fripons aux charmes du bel
âge ,
Qu'on verroit augmenter le nombre des Croyans!
40 MERCURE DE FRANCE
Tes fermons fout fi doux , leur morale eſt ſi ſage ,
Qu'il ne s'élèvera contre eux -aucun parti .
Dès qu'on voit ma Zélis chacun eſt converti :
Sitôt qu'on te connoît on l'eft bien davantage.
Tu permettras , pourtant , qu'on te reproche un
point ,
Un point dont le défaut me paroît affez ample :
De vains difcours , Zélis , ne perfuadent point :
Pour convaincre en effet , il faut précher d'exemple.
Par M. d'Azemar , lieutenant au
régiment de Touraine.
VERS à Mde V *** , qu'on vouloit engager
à aimer & qui répondit que l'amour
n'étoit plus de fon âge.
-DEE la trifte & froide raiſon ,
Eglé , n'écoutez pas le févère langage ;
L'amour & le plaifir font de toute faiſon ;
Et quand on aime on n'a point d'âge.
Par le même.
EME
DECEMBRE . 1770. 41
Е
REFLEXION S.
JE connois un pays où l'on ne dit pas ce
qu'on penfe , l'on ne penfe pas ce qu'on
dit , l'on ne fait ce qu'on veut , ni bien
fouvent ce qu'on fait , l'on ne tient pas
ce qu'on promet , l'on ne paie pas ce
qu'on doit , l'on ne pratique pas ce qu'on
croit , & l'on ne croit pas ce qu'on profelle
.
Je regarde la vie humaine comme une
tragi - comédie que je partage en quatre
actes.
Jufqu'à dix ans , inaction & plaifir.
Depuis dix jufqu'à trente , plaiſir &
action prefque fans peine .
Depuis trente jufqu'à cinquante , peine
& action prefque fans plaifir.
Et depuis cinquante jufqu'à foixante &
dix , peine & inaction .
J'ai dit quelquefois : qu'eft ce que j'ai
fait à Dieu pour n'avoir point de femme?
Plus fouvent j'ai dit : qu'ont fait à Dieu
ces gens- ci pour en avoir une ?
Les malheurs ne font pas fouvent auffi
grands par eux- mêmes que par le tems &
par les circonstances dans lefquels ils
nous arrivent.
42 MERCURE DE FRANCE.
Je n'ai pas encore pu décider lequel eft
le plus aifé de porter un fecret ou de fupporter
une injure.
Quel eft le falaire de la valeur ? une
vie un peu plus longue dans I hiſtoire , &
un peu plus courte fur la terre.
La jalousie eft une paffion à laquelle
tout fert d'occafion , & prefque rien de
remède .
On combat l'amour par la fuite & la
colère par le filence.
Une belle voix eft le plus beau de tous
les concerts ; mais la voix de ce qu'on aime
eft encore au - deffus des voix les plus
parfaites.
De grandes paffions avec un grand pouvoir
! voilà une grande occation pour commettre
de grands crimes & de grandes
fautes . Si cette vérité eft incontestable ,
comme je le crois , que d'ingrats fur la
terre à qui il n'eft jamais venu feulement
dans la penfée de remercier la Providence
de la médiocrité de leur condition!
C'est une gran le & pénible entrepriſe
que de fe donner à la vertu ; s'abandonner
au vice & à fes paffions en eft une plus
grande & plus laborieufe encore.
Par M. Cabour , à Peronne.
DECEMBRE. 1770 . 43
EPIGRAMME .
Traduction de l'Epigramme latine , Cortice
quid levius , & c.
LE liège est très- léger , tout buveur le fait bien;
Plus que le liège encore une plume eft légère ;
Plusque la plume l'air , plus que l'air ma bergère ,
Et plus que ma bergère , rien.
Par M. Cabour.
AUTR E.
UN habitant de Vire ou de Falaiſe
(Lieux confacrés à la fidélité )
Par un ferment s'étoit mis à fon aife
Sur un argent jadis à lui prêté ;
Dont par après le prêteur tranſporté ,
Le rencontrant lui fit plaintes amères...
Ah ! faux luron , vrai doyen de fauſſaires ,
Peux- tu nier qu'on ait chez toi porté
Ces cenr écus en efpèces bien claires ?
De vous à moi c'eſt bien la vérité ,
Dit le parjure , & n'en fais plus myſtères z
Mais hors de-là quelle néceflité
D'aller à tous divulguer nos affaires ?
Par le même
44 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
NARCISSE, ARCISSE , ce garçon fi beau ,
Sous la loi du tendre hyménée ,
Avec la coquette Habeau
Voulut unir fa deſtinée.
Patés tous deux mignardement ,
La jeune amante & fon amaut
Etant arrivés dans le temple ,
Le miniftre qui les contemple
Demanda d'un ton férieux :
• Lequel eft l'époux de vous deux ?
Par le même.
MADRING A U X.
A Mile F.
Jusqu'ici j'ignorois la cauſe & le mýſtère ,
Pourquoi l'Amour étoit fans yeux :
Le rulé ! qui l'eût cru que pour m'embraſer mieux
Il prétât tous les jours les fiens à ma bergère ?
Par le même.
DECEMBRE. 1770. 45
A Mile M.
La jeune & charmante Sylvie ;
Hier à fon moineau rendit la liberté ,
Ce moineau qui faifoit le charme de ſa vie ;
Mon coeur à fon départ ne porte point envie ,
Car j'en portois à fa captivité.
Par le même.
IMPROMPTU.
Le plus puiffant de tous les dieux , E
Le plus aimable , le plus fage ,
D ...... c'eſt l'amour dans vos yeux.
De tous les dieux le moins volage ,
Le plus tendre , le moins trompeur ,
D ...... c'eſt l'amour dans mon coeur.
Par M. le Roy de Brée , lieutenant des
Bombardiers au régiment de Mets du
corps royal de l'artillerie.
46 MERCURE DE FRANCE:
EPIGRAMME.
Contre un petit Maître.
Cotyle , bellus homo es . Liv . 111 , Epig. 63 .
Corys eft un aimable , au moins chacun le dit ,
J'entens ; mais dites - moi ce qui rend l'homme
aimable ?
Eft-ce de le frifer d'un goût inimitable
Ou d'exhaler d'odeurs le plus fubtil efprit ?
Doit- on fiffler quelque air françois ou d'Italie ,
Ou , comme un homme attaqué de folie ,
De tous côtés démener fes deux bras ;
Couché dans un fauteuil , s'étaler près des belles ,
Et leur faire la cour en leur parlant tout bas ;
Rajuſter ſes habits , fon chapeau , fes dentelles ;
Envoyer , recevoir beaucoup de billets doux ,
Connoître les amans qui vont en rendez vous
Déchiffrer les degrés de toute la nobleffe ;
S'introduire où l'on traite avec délicatefle ?
Quoi ! c'eft ainfi , Corys , qu'un homme aimable
eft fait ?
Ah !rien n'eft plus conftant : vous l'êtes tout- àfait.
ParM.Ganau.
DECEMBRE . 1770 .
47
AUTRE.
Infequeris fugio , v . 83 .
Me fuis- tu ? je te fuis ; me fuis - tu ? je te ſuis. E
Je fais ce que tu veux : je veux ce que tu fuis.
Par le même.
AUTR E.
Lx feu divin qu'aux cieux déroba Promethée ,
Cette étincelle fi vantée
Ne fut , Iris , que la raiſon ;
Flambeau qui par fois nous éclaire ,
Mais qui fouvent nous laiſſe faire
Mille chofes hors de faifon.
Bien volé ne profite guère .
Par le même
VELFORT. Nouvelle anglaife.
MILORD ILORD VELFORT dégoûté de la vie ,
columé depuis long - tems par cette maladie
affreufe qui anéantit nos fenfations,
48 MERCURE DE FRAN CE.
trouble nos idées & brife les refforts de
l'ame , avoit jetté un coup d'oeil fur fa
vie déjà à moitié paffée ; enfermé dans
fon cabinet , l'efprit agité & égaré , il
flottoit incertain fur le parti qu'il devoit
prendre . J'ai voyagé , diſoit- il , dans toute
I'Europe ; mais quel avantage en ai- je tiré
? aucun . Par-tout j'ai vu des hommes
fourbes livrés à leurs paffions , conduits
par l'intérêt perfonnel , j'ai trouvé des
ufages qui paroiffent ridicules hors des
pays qui les ont adoptés : parmi des millions
d'individus , à peine compte - t- on
quelques fages ; j'ai fuivi mes paffions ,
mais le court inftant de plaifir qu'elles
m'ont procuré a été fuivi de larmes & de
regrets ; j'ai été trahi par ceux que je
croyois mes amis ; j'ai cherché une femme
qui m'aimât pour moi - même ; j'ai
éprouvé que toutes n'aimoient que mes
richeffes & leurs plaifirs : ma jeuneſſe s'eſt
éclipfée comme un fonge.
Velfort n'ayant plus l'ame affez forte
pour fupporter fon ennui & fes prétendus
malheurs , fortit dans l'intention de finir
dans la Tamife une vie qui lui étoit à
charge ; infenfible à la voix de la nature ,
plein de haine pour le genre humain , il
couroit exécuter fon projet lorfqu'il fut
arrêté par des cris perçans. Il porte fes regards
DECEMBRE. 1770. 49
gards du côté où il vient de les entendre ,
il apperçoit une voiture renversée & une
jeune perfonne éplorée qui fe jette dans
fes bras , implore fon fecours , & le prie,
malgré fon égarement , de fauver l'innocence
& la vertu opprimée & trahie.
Velfort agiffant plutôt machinalement
que par réflexion , fuit , fans s'en appercevoir
, ce premier mouvement de la nature
, ce principe inné dans tous les
êtres , que les paffions étouffent fi fouvent
, le defir de fecourir fon femblable.
Il conduit cette jeune perfonne dans fon
hôtel ; il écarte fes gens ; fes efprits fe
tranquillifent, il a prefque oublié fes deſfeins.
L'objet préfent fait diverſion &
l'occupe ; il croit que la Providence a employé
ce moyen pour le dérober à luimême.
Il voit une jeune inconnue , de la
figure la plus féduifante , & baignée de
larmes , embraffer fes genoux ; il la relève
, la fait affeoir & attend avec une fe
crete agitation qu'elle rompe le filence.
Plaignez , Milord , lui dir elle , la plus
infortunée des créatures ; j'implore votre
protection & la bonté de votre coeur . J'ai
eu le malheur de perdre mon père au
moment de ma naiffance ; une mère livrée
à la diffipation & aux plaifirs a ruiné
ma fortune. Réduite à la misère ,
·
C
elle
fo MERCURE DE FRANCE.
fondé fon efpoir fur ma jeuneffe & fur le
peude charmes dont la nature m'a pourvue;
il feroit trop long de vous raconter tout
ce qu'elle a fait pour me féduire ; eſt- ce à
moi de dévoiler la honte de ma mère ?
Que ne puis - je l'oublier moi- même.
Voyant ma réſiſtance à rejeter les propofitions
d'un homme riche , je ne puis
douter qu'elle ne fe foit prêtée à mon enlevement.
A une petite diftance de chez
elle , la voiture où l'on m'avoit mife par
force s'eft rompue ; j'étois trop peu à moi
pour vous dire par quel accident ; je me
fais trouvée renverfée ; dans mon trouble,
j'ai couru fans favoir où j'allois , lorfque
je fuis tombée entre vos bras : ayez pitiéde
moi , milord , informez vous de la vérité
, & fi j'abufe de votre bonté , livrez
moi au fort le plus infâme & le plus dur.
Mifs Fanni Selton s'étoit emparée des
mains du lord , elle les arrofoit de fes
pleurs , flottant entre la crainte & l'efpérance
, elle ofoit peut - être dans le fond
de fon coeur foupçonner la probité de
Velfort ; elle le voyoit plus égaré qu'ellemême
; elle fe voyoit feule & livrée à un
homme d'une figure noble & intéreffante,
dont l'âge pouvoit alarmer la vertu . Velfort
, plus agité encore , immobile & les
yeux fixés fur Fanni , avoit l'ame ravie :
DECEMBRE . 1770. SI
fon innocence & fa jeuneffe fembloient
l'affurer de la vérité de fon aveu ; mais
fon expérience lui donnoit des doutes.
Velfort l'affura qu'elle étoit en fûreté dans
fa maifon & la laifa livrée à elle même .
Le lord n'avoit pu voir les charmes de
Fanni fans émotion , il avoit fenti combien
les malheurs redoublent l'intérêt
qu'infpire la beauté ; fes efprits calmés
avoient rappelé dans fon coeur ce fentiment
d'humanité qui caractériſe une ame
belle & pure ; il éprouvoit une affection
tendre & douloureufe , mais plus féduifante
que la vivacité & la fougue du plaifir.
Ses fenfations étoient trop fortes pour
réfléchir ; le motif qui fait agir n'eſt jamais
foupçonné dans le premier moment
; cet inſtinct émane de notre nature,
& lorfqu'il fe montre à notre foible
raifon , il eft déjà maître de nous : femblable
à un feu caché dont l'explofion
n'éclate que par des effets terribles . L'amour
ne s'empare d'un coeur qu'en fe déguifant
, il trouve dans notre foibleffe un
aliment qui le nourrit , l'échauffe & l'anime
; le coup eft porté fûrement lorfque
nous l'appercevons ; il ne paroît que
vainqueur.
Velfort croyoit n'être conduit que par
Cij
52 MERCURE DE FRANCE :
l'envie d'être utile ; fecourir les malheu
reux eft le de voir des grands & des riches ;
la philofophie & la morale viennent à
l'appui de la religion pour dicter ce précepte
, le premier de la loi de nature. En
protégeant Fanni , je ne fais que ce que
je dois ; ma récompenfe eft dans la fatisfaction
de mon ame. Velfort agit , mais
il ignore la caufe qui le détermine : il
s'informe des parens , de la naiffance &
de la vie de Fanni ; & après plufieurs démarches
il reconnoît la vérité de ce que
Mifs Selton lui avoit juré.
Fanni , obligée de fe fouftraire aux recherches
que fa fuite devoit occafionner ,
paffoit la plus grande partie du tems avec
Velfort , qui avoit pour elle tous les
égards & toutes les attentions qu'elle
pouvoit defirer ; Velfort fortoit moins ;
la confiance naît du befoin , Fanni découvroit
fon coeur à fon protecteur ; elle
craignoit fa mère , fi elle étoit découverte
; cependant elle étoit affectée de l'état
miférable où elle devoit être ; elle auroit
defiré pouvoir la fecourir par fon travail
calmer fes craintes fur les dangers
qu'elle avoit courus & fur ceux qu'elle
alloit éprouver fi elle retournoit avec elle.
Velfort les augmentoit encore par
Lon
DECEMBRE. 1770. 53
imagination ; il trouvoit dans la converfation
de cette infortunée un contentement
qu'il n'avoit jamais goûté ; il admi
roit fon efprit , il étoit furpris de fes talens
. Si fes attraits portoient le trouble
& l'agitation dans fon coeur , s'il fentoit
des defirs , il fe rappeloit auffi- tôt fa vertu
, fes malheurs & la parole qu'il lui
avoit donné en lui offrant un afyle ; il la
refpectoit , & il éprouvoit en même tems
que la préfence de Mifs étoit néceffaire à
fon bonheur. Fanni étoit pénétrée des
fentimens les plus tendres , elle attribuoit
à la reconnoiffance fon amitié , fes fenfations
; elle voyoit dans Velfort un protecteur
honnête , refpectueux , un ami
fincère ; elle croyoit ne pouvoir lui exprimer
trop vivement ce qu'elle fentoit
pour lui ; elle n'avoit jamais connu l'amour
, elle ignoroit l'art de diffimuler &
de déguiſer fa penfée . Simple dans fes
moeurs , fon ingénuité brilloit dans fes
difcours , fà naïveté dans fes expreflions
rendoit fes careffes plus douces , plus féduifantes.
Elle commençoit à redouter le
moment qui devoit la féparer du lord.
Velfort fit remettre à fa mère une fomme
confidérable , fans en avertir Fanni à
qui il avoit caché ſes démarches ; & afin
de la fouftraire à toutes recherches , il lui
C iij
54
MERCURE DE FRANCE .
propofa de fe retirer dans une de fes terres
, en lui offrant de l'en laiffer maîtreffe
fi fa préfence la gênoit. Fanni accepta la
propofition avec joie : j'y ferai , Milord ,
lui dit - elle , dans une tranquillité plus
convenable à mon état ; vous ne devez
pas douter du plaifir que j'aurai à y voir
un ami à qui je dois un fort heureux ;
mais je ferois fâchée de vous gêner ; vous
avez un rang qui exige que vous paroiffiez
dans le monde. Lorfque vous voudrez
goûter la douceur d'une vie tranquile
& donner quelques momens à la
folitude , foyez affuré d'y trouver une ame
pénétrée de vos bontés. Vous êtes pour
moi un fecond père , je n'oublierai jamais
... Arrêtez , Mifs , vous ne me devez
rien , c'est moi qui vous ai l'obligation
la plus grande ; regardez vous comme
chez vous , je fuis trop heureux de
pouvoir obliger & fecourir l'innocence
& la vertu.
..
Velfort fentoit qu'il devoir à Fanni fon
exiſtence , il vouloit vivre pour lui fervir
d'appui ; il avoit formé le projet de lui
avouer , lorfqu'il la connoîtroit mieux
l'état dont elle l'avoit tiré ; il cherchoit à
mériter toute fa confiance ; il defiroit de
faire paffer dans fon coeur les fentimens
dont il étoit pénétré , il trembloit de ſonDECEMBRE.
1770.
der fon ame ; elle feule pouvoit l'attacher
à la vie , lui faire paffer d'heureux jours
s'il parvenoit à s'en faire aimer.
La folitude & la retraite augmentent
les fentimens qui naiffent du coeur . Velfort
paffoit les jours entiers auprès de Fanni.
S'il s'en éloigne , c'eft pour y penfer ; Fanni
, fans s'en douter & fans y refléchir ,
éprouvoit les mêmes defirs : moins on fe
doute de fa paffion & plus on s'y livre :
Velfort avoit réfléchi fur les fentimens
il ne peut fe diffimuler qu'il adore Fanni ;
il a plus d'une fois formé le projet de fe
déclarer , mais il craint de ne pas trouver
toute la tendreffe qu'il defire' pour unit
fon fort au fien ; il voudroit devoir à l'amour
ce que la reconnoiffance lui fait
efpérer ; il cherche à fonder le coeur de
Fanni , il met en ufage tout ce que la paffion
la plus vive , l'attachement le plus
fincère , peuvent lui fuggérer ; il cherche
un moment où les yeux de Mifs , moins
animés , lui annoncent la tendreffe & l'agitation
d'un coeur touché , il épie l'inf
tant de furprendre la nature , affuré de la
franchiſe & de la confiance deMifs Selton.
Enfin l'heureux lord étoit parvenu à
s'affurer des fentimens de Fanni ; il goûtoit
le plaifir d'être aimé : elle avoit tremblé
au recit du lord , en apprenant fon
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
défefpoir & fon détachement de la vie ;
elle remercioit le Ciel de s'être fervi d'elle
pour remettre le calme & la tranquillité
dans l'ame d'un homme qui poffédoit
toutes les qualités du coeur ; elle avoit dévoilé
le principe de fes propres fentimens,
la tendreffe égaloit au moins chez elle la
reconnoiffance , elle defiroit autant que
Velfort le moment de ferrer les noeuds
qui devoient affurer leur bonheur ; elle
oublioit l'Univers pour ne voir que fon
amant ; fes attentions , fes careЛes , fa
vertu promettent à Velfort le fort le plus
doux & l'avenir le plus heureux . Sa mère
rappelée auprès d'elle , arrachée à la misère
& à l'opprobre , chercha à lui faire
oublier fes fautes par fa tendreffe.
Velfort devint l'époux de Fanni fans
ceffer d'en être l'amant ; Fanni , tranfportée
d'amour & de reconnoiffance , fit fon
bonheur en faifant celui d'un époux qui
l'adoroit Velfort ne fe rappela jamais
fon égarement fans rendre grace à la beauté
dont l'empire l'avoit fauvé du précipice
où il couroit , fans admirer la grandeur
des moyens dont la Providence fe
fert pour conduire notre foible nature ,
& fans avouer combien ils font au- deffus
de nos vues , de nos projets & de nos
réflexions.
DECEMBRE. 1770. 57
DIALOGUE
Entre ELISABETH & HENRI IV.
ELISABETH .
J'ÉPROUVE encore plus de ſatisfaction à
vous parler que je n'en eus autrefois à
parler de vous.
HENRI I V.
Vous fûtes mon Héroïne dans l'autre
monde , & vous l'êtes encore dans celuici
,
ELISABET H.
Nous eûmes pourtant bien des foibleffes
l'un & l'autre .
HENRI.
Nous avions affez de vertus pour les
faire excufer.
ELISABET H.
Puifqu'on parle net chez les morts ,
j'avouerai que je crois avoir eu toutes les
foibleffes & toutes les vertus de mon
fexe.
C v
18 MERCURE DE FRANCE.
HENRI.
J'eus , à peu près , toutes celles du
mien. Mais vous oubliez de révendiquerbien
des vertus du nôtre.
ELISABE T H.
Je fuis furprife que le Grand Henri
donne dans une pareille erreur . Les verrus
font de tous les fexes , & appartiennent
à ceux qui fe les approprient . Je dus
peut- être les miennes à quinze ans d'adverfité
; peut-être euffé- je imité les fureurs
de Marie , fi je n'en euffe pas été
long- tems l'objet. Rien ne garantit mieux
du penchant à perfécuter , que d'avoir
été en butte à la perfécution .
HENRI..
J'admire le rapport & même le contrafte
de nos deftinées . Tout fembloit
nous éloigner du trône , & nous y arrivâmes
. Vous étiez prifonniere dans votre
patrie ; j'étois errant dans la mienne .
Vos jours étoient menacés , les miens
étoient proferits . La mort de votre ennemie
vous mit à fa place ; la mort de
mon prédéceffeur parut m'éloigner de la
fienne . Je combattois pour ma couronne,
DECEMBRE. 1770.
59
& vous jouiffiez pailiblement de la vôtre.
Un peuple , naturellement fidèle à ſes.
Rois , dérogea envers moi à cette fidélité
: un peuple , naturellement jaloux de
fa liberté , vous fervit prefqu'en efclave .
On vous offrit le trône, & je fus obligé de
le conquérir Vous voyez que la fortune
vous dédommagea promptement de fes
caprices , tandis qu'elle ne ceffa jamais
de me faire acheter fes faveurs..
ELISABETH .
Seriez-vous un Héros , fi vous n'euf
fiez rien eu à furmonter ? Croyez - moi ,
cette fortune ; qu'on nous peint aveugle ,,
fait fouvent tout pour le mieux . Combien
de Souverains , à qni il ne manqua , pour
être grands , que l'occafion de le deve
nir ? Le trône eft un berceau bien affo
pillant pour quiconque y eft né. Le réveil !
eft prefque toujours tardif , & n'eft fou
vent que l'effet des plus violentes fecouffes
.
HENRI.
Il eſt trifte d'avoir à combattre deux
que l'on voudroit gouverner en paix. Ill
eft affreux de fe voir contraint de verfer
un fang , qu'on voudroit pouvoir confer
ver aux dépens du fien même.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
ELISABET H.
Tels font les fruits des factions & du
fanatifme. On difpute aux Souverains le
droit de gêner la confcience de lenrs fujets
, & l'on ofe accorder aux fujets celui
de gêner la confcience de leurs Souverains.
Tout eft contradiction parmi les
hommes. La même raifon qui vous éloignoit
du trône m'y affermiffoit . Je n'allumai
jamais de buchers dans mes Etats ,
& les flambeaux de la difcorde s'y éteigni
rent d'eux-mêmes.
HENRI.
J'étois moi-même très - éloigné de faire
jamais brûler perfonne , & vous favez ce
qui en arriva...Je fus haï des trois
quarts de mes fujets , pour les avoir
chéris également. On me rend juftice aujourd'hui
; c'étoit environ deux fiecles
auparavant qu'il falloit me la rendre.
ELISABET H.
Quel eft le Souvetain à qui on la rendit
jamais complétement avant fa mort?
C'est vous.
HENRI.
DECEMBRE . 1770. 6r
ELISABETH.
Deux ou trois confpirations prouverent
trop le contraire. Mais n'y en eutil
pas contre Titus & Marc- Aurèle ? II
faut prefque toujours faire le bien des
hommes , en dépit d'eux- mêmes . Le fort
de ceux qui obéiffent eft de murmurer
contre ceux qui commandent ; le fort de
ces derniers eft d'avoir fouvent à fe plaindre
du hafard qui dérange les meilleures
vues , ou de l'injuftice humaine qui les
empoisonne.
HENRI.
J'avoue qu'un fceptre eft bien pefant
pour les mains les plus robuftes . Je crois
l'avoir foutenu avec autant de gloire que
je l'avois acquis . Il ne manqua au bonheur
de mes peuples que de me conferver
plus long- tems . Je n'eus guère que
le loif de projeter. J'effaçai jufqu'aux tra
ces dan fiecle de malheurs. Mes fujets
cefferent d'être infortunés . Une main
perfide m'ôta le pouvoir de les rendre
heureux .
ELISABET H.
Je fis le bonheur des miens , parce
que j'eus celui d'échapper plus d'une
confpiration , & que les vents combatti62
MERCURE DE FRANCE.
rent pour moi contre Philippe II . Ce fur
de ce double hafard que dépendit le
bonheur des Anglois & ma gloire.
HENRI.
Je fais que le chapitre des événemens
eft auffi étendu qu'inintelligible ; on peut
préparer , & non prévoir . Maisnous fommes
refponfables de tout ce qui peut être
prévu , & quel eft l'homme qui ne peut
pas fe méprendre ?
ELISABETH.
Cet homme feroit bien dangereux ; il
n'entreprendroit rien..
HENRI
Ecoutez nous regnâmes tous deux
avec gloire dites - moi votre fecret , je
vous apprendrai le mien .
ELISABET H.
Je confultai la fituation de l'Angleterre
& la pofition de mes peuples. Je vis ce
qui étoit fait , ce qui reftoit à faire . Le
fol Anglois ne peut fuffire au bien - être
de fes habitans ; je protégeai le commerce
qui fupplée à l'infuffifance du fol;
je rechetchai la paix qui favorife les
DECEMBRE. 1770. 63
guerre
progrès du commerce. Je n'eus de
que pour ma défenfe , & en pareil cas les
guerres ne peuvent être que rares parmi
nous . Mes fucceffeurs ne m'ont pas imité.
L'orgueil national a prévalu fur les
intérêts de la nation . Ils ont pris part à
des difputes qu'ils n'auroient dû ni allumer
, ni éteindre. Ils ont augmenté au
loin leurs poffeffions & affoibli le centre
, pour fortifier les extrémités . Ce font
des branches fuperflues qui deffèchent le
corps de l'arbre..
HENRI
Je ne ferai pas le même reproche à mes
fucceffeurs. La France a prefque doublé
fes poffeffions depuis mon règne ; mais
elle forme un vafte corps, dont toutes les
parties fe tiennent & fe prêtent un appui
mutuel. C'eſt un Géant nerveux , qu'il
ferolt inutile & dangereux d'attaquer..
Que la France étoit différente ,, lorfque
ma naiſſance & mes exploits me la foumirent
Ménacée au- dehors , dévaftéeau
- dedans ; quelques troupes , & point.
de finances ; nul commerce , & peu
d'agriculture ; c'étoit un vaiffeau brifé en
partie par la tempête , & qu'il falloit reprendre
en fous- ceuvre. Je fentis qu'une.
telle entrepriſe exigeoit des foins , du
64 MERCURE DE FRANCE.
tems & de la tranquillité. J'aimois la
guere , & je recherchai la paix . J'eus même
l'ambition de la rendre perpétuelle.
Je cherchai fur- tout à la maintenir parmi
mes peuples , à bannir d'entr'eux ces di
vifions inteftines , cenr fois plus cruelles
que toutes les guerres extérieures . Je protégeai
la religion que j'avois embraffée ,
& ne perfécutai point ceux que mon
exemple n'avoit pu convertir. J'oubliai
la croyance de mon premier Miniftre ,
en faveur de fon zèle , de fes talens & de
fes fervices. Je regardois tous mes fujets
comme mes enfans ; j'aurois voulu
qu'ils vêcuffent en freres ; mais ce fut là
le moins heureux de mes projets, Du
refte , la France étoit cultivée ; les tribunaux
furent occupés de leurs fonctions ,
les troupes de la difcipline . Il y eut de
l'ordre dans les Finances , & des tréfors
dans mon épargne. Enfin j'allois peutêtre
porter la France au la au point de grandeur
où elle s'eft vu depuis , lorfque je fus
fabitement arrêté dans ma carrière .
ELI A BETH .
Ce fut un coup bien déplorable pour
vos fujets. Peut être le fut-il moins pour
vous. Il vous laiffa toute votre gloire ,
que d'autres événemens pouvoient altérer;
DECEMBRE . 1770. 65
>
il fit plus que toutes vos vertus n'avoient
pu faire ; il réunit en votre faveur les
fuffrages de toute la nation . Ses regrets
furent univerfels , & auparavant fes élo
ges ne l'étoient pas . Les Proteftans , que
vous abandonnâtes ne vous pardonnoient
point ce changement ; certains
Catholiques ne le croyoient pas fincere ;
d'autres détournoient leurs regards des
qualités du grand Roi , pour ne voir en
vous que des foibleffes trop inféparables
de l'homme.
HENRI.
J'aurois dû en furmonter quelquesunes.
ELISABETH.
Eh ! quelle créature humaine peut ré
pondre de n'être jamais foible , ou de
l'avoir jamais été ?
HENRI.
Celles dont l'ame ne prend jamais af
fez l'effor , pour avoir befoin de fe délaffer
quelquefois , ou dont la carriere eft
fi étroite , qu'il leur eft impoffible de
prendre une fauffe route . Mais j'avouerai
que je me repofai quelquefois mal - àpropos
, & qu'il y eut de ma part quel
ques méprifes volontaires.
66 MERCURE DE FRANCE.
ELISABETH.
J'aime entendre un héros faire cet
aveu .
HENRI.
Je le ferois à la face du genre humain
pour l'utilité de mes femblables. J'avouerai
, dis je , qu'après la bataille de Coutras
j'aurois du voler au fecours de mes
alliés , & non porter à ma Maîtreffe les
trophées de má Victoire ; j'aurois dû
après celle d'Ivry pourfuivre les vaincus ,
au lieu de me rendre auprès de Gabrielle .
Céfar n'eût point fait toutes ces fautes ;
mais Céfar n'eût peut être livré ni le
combat d'Arques , ni celui de Fontaine-
Françoife.
ELISABET H.
Il eft moins rare de tenter ce qui pa
roît impoffible , que d'effectuer toujours
ce qui ne l'eft pas. Ceux que le fort place
à la tête des humains , devroient être
exempts de toutes les foibleffes humaines.
Mais alors qui voudroit régner ? Il
eft vrai qu'on vous reproche certains dé
fauts qu'il faudroit bannir de toutes les
conditions.
HENRI.
J'eus la premiere des qualités d'un
bon roi , j'aimois mes peuples .
DECEMBRE . 1770 .
67
ELISABET H.
N'aimâtes- vous point trop auffi à ruiner
les Grands ?
HENRI.
Ce ne fut jamais qu'au jeu : j'efpérois
par- là les rendre plus foumis.
ELISABETH .
Le jeu ne vous coûta- t - il jamais à
vous-même trop de tems & trop d'argent .
HENRI.
C'étoit un délaffement de mes anciens
travaux & de mes occupations nouvelles.
ELISABETH.
On m'a auffi parlé de certaines promeffes
de mariage un peu trop multipliées
.
HENRE.
Alte- là , ma chère coufine ; ou craignez
de voir accourir les ombres de tous.
ceux que vous avez flattés de la même
eſpérance.
ELISABET H.
Ce fut de ma part autant de traits de
65 MERCURE DE FRANCE.
politique ; mais je n'en vois aucune dans
tous vos engagemens fecrets .
HENRI.
C'eft que votre fexe eft plus exigeant
que le mien . Courtenai , Arondel , Leyceftre
& Effex n'aſpirerent jamais au titre
de votre époux.
ELISABETH.
Je crois que j'euffe réfifté à toutes leurs
prières . Vous favez même qu'en certaine
occafion je fis quelque chofe de plus,
HENRI.
On ne me reprochera point de pareilles
rigueurs envers mes maîtreffes , qui ,
dit on , me tromperent plus d'une fois.
ELISABETH .
On vous reproche tacitement d'avoir
été trop rigoureux envers un ami .
HENRI .
Je ne lui refufai point ſa grace. Il refufa
de me la demander .
ELISABETH.
Je mourois de regret de ne l'avoir
DECEMBRE. 1770 .
69.
point accordé à Effex , qui s'obſtina au
même refus.
HENRI.
Il me femble qu'à votre place j'aurois
pardonné.
ELISABET H.
J'aurois pardonné , fi j'eus été à la
vôtre .
HENRI.
Et Marie Stuart ?
ELISABET H.
Il y eut double rivalité entre nous ;
d'ailleurs je la fis juger felon les loix,
HENRI.
Les loix vous autotifoient- elles à la
faire juger ?
ELISABETH.
Voilà une question qui m'embarraſſe
Nous jouiffons de l'eftime publique ;
cependant le calcul de nos fautes pourroit
s'étendre fort loin ,
HENRI,
La postérité s'occupera de celui de
nos vertus. Elle ne peut me reprocher
70 MERCURE DE FRANCE.
que des foibleffes , & elle pardonne toujours
aux Rois ce qu'ils n'euffent pas
dû faire , en faveur du bien qu'ils ont
fait. On paffe à un courfier vigoureux
quelques écarts, lorfqu'il fournit toujours
à tems fa carriere.
ELISABETH.
Voilà donc auffi votre fecret ?
HENRI. A
Je n'en connus jamais d'autre. Il eſt
moins effentiel aux Souverains d'éviter
certaines fautes , que de remplir conftamment
certains devoirs. Je voudrois
qu'on gravât cette maxime à côté du
trône : « Peuples , n'attendez rien d'un
» Roi qui fe refuferoit tout à lui - même :
" Rois , aimez fincerement vos Peuples
, vous les gouvernerez toujours
bien
"
"
Par M. de la Dixmerie,
J.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois de Novembre
eft la Penfée. La feconde les Yeux ;
70.
AIR
lle
Par M. le R
Decembre .
1770.
Cessez cessez, Charmante Iris ,De
+
calculer votre age Toujours les Graces et les
Ris Sont sur votre visage .Vous êtes toujours
du Printems Une image nouvelle,Vous ê -tes
toujours du Printems Une image nouvel::
le. C'est sçavoir arrêter le tems Que d'être
AN AN
toujours belle, C'est sçavoir arrêter le tems
Que d'être toujours bel = le
e l'Imprimerie de Récoquilliée,Rue de la Huchette,au Panierfleuri.
COD
な
DECEMBRE. 1770 . 71
la troisième Hier ; la quatrième , le Dé
à coudre. Le mot du premier logogryphe
eft Vaneau , où l'on trouve dne , veau ,
van & eau. Celui du fecond eſt Métairie ,
où l'on trouve Marie , mère , arme , rame
, maître , mer , air , mire , tire , rate
rat , mitre , mari , rime , maire , trame
terme , remi & Meri , rit , être , & à la
fin le nom de l'auteur qui eſt le mot du
logogryphe,
U
ÉNIGME
NE Reine un palais habite
Tendu d'un fatin cramoifi ;
Autour d'elle maint Satellite ,
Vêtu d'un blanc propre & choifi,
Défend l'enceinte & la limite ,
Et n'a d'autre arme qu'un couteau ;
Mais comme ici bas toute chofe
Porte l'épine avec la rofe ,
Le malheur eft qu'un corps fi beau
Fait la garde le pié dans l'eau.
Par M. Cabour à Péronne.
72 MERCURE DE FRANCE.
A U TRE.
FILs prudent d'un pere ruſé ,
Je ne puis , par état , dévoiler ma naiſſance.
Me voir ami du fexe , eft toujours mal - aifé ;
Sinon dans quelque inconftance.
On me livre fouvent à de cruels brocards ,
Quand j'ai des protecteurs , plus que moi , ba
billards.
Pour un couple amoureux , je fais avec adreſſe ;
En dépit de fes furveillans ,
Ménager les inftans marqués à fa tendrefle :
Je partage la peine & les foins bienveillans
Du Dieu des coeurs , fi - tôt qu'il me reclame.
Ne crois pas ce métier infâme ,
Quand toi- même , peut-être , imploras ma vertu.
Mais, fi, dans le moment où j'éclaire une intrigue,'
Un regard importun me trouve... on me prodigue,'
Et c'en eft fait , tout eft perdu .
JA
Par M. de la Vente , Peintre de Vire.
AUTRE,
ADIS je fervois Bellone ;
Mais mon nom , comme en dédain ;
Fut par l'amant de Pomone
Rélégué dans un jardin,
Quelle
DECEMBRE . 1770. 71
Quelle deſtinée étrange !
On me déchire en lambeaux ;
On me noie , & mes Bourreaux
Sont ravis que l'on me mange.
Par le même.
AUTRE.
ONN me fait jouer plus d'un rôle :
J'introduis au plaifir , je foulage du mal .
Si tu ne connois pas un acteur auſſi drôle ,
Ma copie , entes mains , offre l'original.
Parle même.
AUTRE.
Jz fuis reine fans couronne E >
Et foeur de tous mes fujets .
Souvent fur un même trône ,
Avec moi ferrés de près ,
Sans égard pour ma perfonne ,
Ils étalent leurs attraits.
L'amant qui veut de la belle
Prévoir les moindres defirs ,
Ofe , d'une main cruelle ,
M'immoler à ſes plaifirs.
74 MERCURE DE FRANCE
Quoiqu'infenfible à l'injure ,
Quelquefois une bleffure
De fon audace eft le prix ;
Mais , en m'arrachant mes armes ,
Il me rend digne d'Iris ,
Et bientôt , près de fes charmes ,
Que rien ne peut effacer ,
Je vois les miens s'éclipſer.
LOGO GRYPH E.
IRIS , utile àta
parure ,
J'orne ta tête…….& , changeant de figure ;
A tes pieds je fuis à l'inſtant.
Par une autre métamorphofe ,
Je fais ton plus bel ornement.
Enfin ,fi l'on me décompoſe ,
Dans mes fix pieds bien combinés ,
On trouvera la figure du monde ,
Un animal puant , une matiere immonde ,-
Un...j'en ai dit affez , je me tais , dévinez.
AUTRE.
LORSQU'UN danfeur léger , élégant & facile,
Fait briller fon talent , en graces fi ferti
DECEMBRE. 1770 .
75
Ses pas avec art combinés ,
L'un à l'autre font enchaînés ;
Ses élans font hardis , fa noblefle eft touchante.
Commelui , cher lecteur , je ravis , & j'enchante
Par ma vive facilité ,
Et ma folâtre agilité.
Ainfi que lui , je vais , je reviens , je vacille ,
Mais je n'ai pour appui qu'une corde fragile ;
Et tantôt léger , fautillant ,
Doux ,fort , animé , grave , ou lent ,
Ma marche dans fes pas , foumiſe à la cadence ,
Se fufpend quelquefois , & caufe le filence.
Six piés divers forment mon tout :
Retranchez-en le dernier bout ,
f
Alors je deviendraj terme d'architecture.
Mais, pour me préfenter de façon moins obſcure,
Je vais en détail te nommer ,
Ce que mes piés peuvent former.
L'empreinte de tes pas , une arme très - antique ,
Qui dénote aux Savans un mot mathématique ,
En Europe un pays fameux ,
Du fort un inftrument douteux,
Ce quifur tes habits te déplaît . & les gâte ,
Deux animaux , dont l'un de l'autre craint la patte,
De la nature le rival ,
Le prix d'un crime capital ,
Un des tons de la gamme , une voiture lefte..
Mais j'en ai dit affez , bien aflez , & de refte.
ParM. le Chev. de Defezgaulx,
Lieutenant au Régiment de Beaujolais.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Jz fuis mystérieux , ceci fait mon image.
Lecteur , pour me trouver , Dieu fait comme on
voyage !
J'oblige à parcourir fouvent tout l'univers ;
Je fais monter aux Cieux & deſcendre aux enfers!
Mais , fans aller fi loin , tu pourras me connoître ;
Combine les dix piés qui compofent mon être .
Je préfente d'abord la fille d'Inachus ,
Qui fut commife aux foins du malheureux Argus
Une interjection qui marque la furpriſe ;
Ce qui nous compte l'heure ; un grand Saint dans
l'Eglife ;
Ce qui plaît au troupeau ; l'organe féducteur ,
Dont les traits dans Iris pénétrent juſqu'au coeur ;
Des fuppôts de Bacchus le chagrin & la peine ;
Ce que fait un acteur , lorfqu'il eft fur la scène ;
Un oifeau , grand nageur , dont le bruit autrefois
Fut propice aux Romains & funefte aux Gaulois ;
Celui fur qui Jofué remporta la victoire ;
Un Pontife Romain , très- digne de mémoire ;
Ce qu'employa Jupin , pour entrer dans la tour
Qui cachoit Danaé , l'objet de fon amour ;
Un fleuve d'Italie ; une riviere en France ;
Un mot très- ufité , qui nous peint l'abondance ;
Je fais l'appui des bons , & des méchants le frein ;
Un meuble de cuifine , un bon poiffon , un grain
DECEMBRE . 1770 . 77
Quinous fert d'aliment en un tems de difette ;
Ce que ne cache guère une fille coquette ;
La friſure du poil qu'on veut dans un cheval ,
Le but des vrais héros ; un péché capital ;
D'un grain très -précieux l'heureux dépoſitaire ;
Une place au ſpectacle ; un des bouts de la terre ;
Enfin j'offre celui que nos coeurs ont nommé
Avec jufte raiſon , Louis le bien aimé.
Par M. Bouvet de Gifors.
AUTRE.
Jz fuis muet : cependant , cher lecteur
Je produis des merveilles .
J'orne l'efprit , & je touche le coeur.
Mon milieu fupprimé , je charme les oreilles .
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Amuſemens Dramatiques , par M. D. C.
in-8°. à Londres , & fe trouve à Paris ,
chez Delalain , Libraire , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe .
CES
Amuſemens
Dramatiques font
compofés de deux Contes Moraux , auxquels
l'auteur a donné la forme & l'action
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
du Drame. Le premier eft intitulé Zélide.
Cette jeune perfonne , fille d'Orphife
reftée veuve fans fortune , fe voit à la
veille d'être mariée à Riberval , jeune
homme de naiflance , riche , & d'une
figure avantageufe. Cependant elle paroît
trifte , rêveufe , & femble fe refufer
au rang
éclatant qui l'attend . Elle n'ignore
point que les richeffes & les dignités
contribuent moins à notre bonheur
dans le mariage , qu'un rapport heureux
de caractere & de fentimens , que la vertu
autorife, & que l'eftime augmente. Elle
fupplie fa mere de vouloir bien ne rien
précipiter , afin de mieux connoître le
caractere de celui qui lui eſt deſtiné . « Les
» hommes aujourd'hui , lui dit Orphife ,
» ne fe piquent guère de conftance. Par-
» ler de différer à Riberval , qui , entraîné
» par les plaisirs de fon âge , chercheroit
bientôt à fe dédommager ailleurs ,
rifquer de perdre un établiffement ſeul
capable de répondre à l'amitié qui m'u-
» nit fi intimement à toi . » Et que perdrai
-je , répond Zélide , dans un homme
» dont l'humeur m'eſt entièrement in-
» connue ? Comptes - tu pour rien le
plaifir d'être élevée à un rang qui peut
conduire à tout ? N'eft ce donc que
» là où réfide le bonheur ? je ne l'aurois
"
99
39
"
39
-
-
c'eft
DECEMBRE. 1770. 79
» pas cru ». Cependant Orphife , qui ne
defire rien tant que de procurer un fort
heureux à fa fille , & qui penfe , ainfi que
la plupart des meres , qu'il fuffit pour
cela de lui faire époufer un jeune homme
de naiffance , & qui a de la fortune , engage
Dalincour , l'ami de la maiſon , à
prêter fes bons offices , pour déterminet
Zélide à accepter le parti qui fe préfente.
Dalincour paroît d'autant plus propre à
cet emploi , qu'ayant contribué à l'éducation
de la jeune Zélide , il a obtenu ſa
confiance . Mais il n'a pu lui même ſe
défendre des charmes naiffans de cette ai
mable perfonne , & n'afpire en fectet
qu'au bonheur d'anir fon fort au fien.
Cependant il eft affez vertueux pour tél
pondre à la confiance qu'on a en lui . Dans
l'entretien qu'il a avec Zélide , cette
jeune perfonne lui donne le titre d'ami
mais il eft aifé de s'appercevoir que fous
ce nom elle cache des fentimens plusten
dres . Dalincour vient de recevoir pour
quatre cens mille francs d'effets au por
teur , qui lui ont été légués par un Né
gociant de Bordeaux , fon ami ; il ne
tient qu'à lui de difpofer de ces effets
pour favorifer fon union avec Zélide ;
mais il apprend que le défunt a laiffé une
i
Div
MERCURE DE FRANCE.
foeur , qu'il avoit ceflé de voir depuis
vingt ans ; il n'héfite point à lui faire remettre
ces effets ; il defire qu'elle en difpofe
comme d'un bien , dont il fe feroit
fcrupule de dépouiller l'héritière légitime
; il pouffe même la générofité fi
loin , qu'il veut lui laiffer ignorer fon
nom. Il fe trouve que cette foeur eft Orphife
, mere de Zélide. Cette veuve n'a
rien de plus à coeur que de découvrir
l'homme généreux qui lui a fait parvenir
ces effets. Elle l'aprend par Riberval même
, qui , dans la vue d'éloigner de la
maifon d'Orphife Dalincour , qu'il regarde
comme fon rival , fait confidence
à cette veuve que Dalincour , après avoir
captivé la bienveillance du frere qu'elle
avoit à Bordeaux , a trouvé le moyen de
s'approprier fa fucceffion , au préjudice
de l'amitié. Ce prétendu fage , ajoute- til
, qui borne fes prétentions à devenir
meilleur , a fi bien employé les momens
que votre confiance lui a permis de paffer
auprès de Zélide , qu'il eft devenu mon
rival , & rival d'autant plus à craindre ,
qu'il a eu le talent de fe faire aimer.
Orphife profite de ces éclairciffemens
pour couronner l'amour du généreux Da
lincour , en préfence même de celui qui,
DECEMBRE. 1770 . 81
cherchant à lui nuire , n'a fait que contribuer
à mettre la vertu dans tout fon jour.
Le fecond Drame eft intitulé Lucelle,
Cette jeune perfonne eft fous l'autorité
d'un oncle qui a confenti de ne la point
contraindre. Lucelle , ufant de cette liberté
, déclare qu'elle a renoncé pour jamais
au mariage , & qu'elle s'eft fait un
plan de vie , dont elle attend le bonheur
le plus complet. « Refter libre au milieu
» de toutes les chimeres de convention
» dont les hommes fe rendent eſclaves ;
» me renfermer dans les devoirs impofés
» par l'humanité , & , fans fortir des bor-
» nes de la plus exacte bienféance , avoir
»pour délaffement une fociété d'amis
choifis ; c'eft pour moi la fituation la
plus délicieufe ..... Cette averfion
pour le mariage dans une jeune perſon.´
ne , que , fuivant nos moeurs , l'on ne
peut conduire aux plaifirs & à la liberté
qué par le mariage , paroîtra fans doute
extraordinaire. Cette averfion feroit plus
naturelle dans un jeune homme. Quoi
qu'il en foit , Lucelle , à la fin de cette
pièce , doit au tendre & eftimable Mérival
des fentimens différens. Elle confent
de prouver avec lui qu'un mariage
"
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
bien afforti eft l'état le plus defirable , &
la plus grande faveur que le Ciel accorde
à l'humanité.
Révolutions d'Italie , traduites de l'Italien
de M. Denina , par M. l'Abbé
Jardin , 2 vol . in- 12 . A Paris , chez
Heriffant le Fils , rue S. Jacques.
Le titre de Révolutions , que M. Denina
a donné à cette hiftoire d'Italie
n'exprime ici que la rapidité avec laquelle
l'hiftorien fait paffer fous les yeux de fon
lecteur tout ce qui peut l'intéreffer. Les
historiens des révolutions d'Angleterre
d'Efpagne , de Portugal , n'avoient
décrire que les viciffitudes du trône , arrivées
dans le même royaume . Quelque
multipliés que foient ces événemens ,
l'ordre naturel des faits fert toujours de
filà celui qui les raconte , & l'unité du
fujet fimplifie fon plan & fa marche. Rien
de femblable dans les révolutions d'Iralie.
Lorfque des débris du fecond Empire
d'Occident , il fe fut formé différens
états dans cette contrée , les révolutions
du royaume de Naples n'eurent
aucun rapport avec le gouvernement de
Venife ; les difcordes des Florentins &
des Siénois, les révoltes des Barons de la
DECEMBRE . 1770.
Romagne & de la Marche ne produifirent
pas la moindre fecouffe dans les
Etats de Milan , de Montferrat & du
Piedmont. Les Vifcontis , les Marquis
de Montferrat , les Comtes & les Ducs
de Savoie y régnoient paifiblement , tandis
que les factions populaires embra
foient la Toscane , & que le Pape , fugi
tif dans fes propres Etats , n'y étoit en
fureté nulle part . Ce coup d'eil fuffit pour
faire fentir que M. Denina a dû choifir
une marche toute différente de celle des !
hiſtoriens que nous venons de citer. Ine
paroît encore que les huit premiers livres
des révolutions d'Italie qui forment deux
volumes in- 12 , dont le dernier eft rerminé
par un état de l'Italie fous les Carlovingiens.
L'hiftorien nous entretient
auparavant de la grandeur & de la décadence
des anciens Tofcans . Il nous fait
connoître les changemens caufés en Italie
par l'invafion des Gaulois , l'an 350 de
Rome. Il nous inftruit de la religion des
anciennes nations de cette contrée , de
leurs moeurs , coutumes ufages , de
leurs loix , de leurs arts , de leur commerce
, &c. Ces révolutions peuvent
donc être regardées comme une trèsbonne
introduction à l'étude de l'Hiftoi
re- d'Italie. Elles feront également utiles":
>
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
à ceux qui , connoiffant cette hiftoire ,
veulent s'en rappeler les faits , accompagnés
de quelques réflexions utiles . Les
annales de Muratori & le précieux recueil
d'hiftoriens Latins , formé par le favant
Bibliothécaire de Modène , ont fervi de
baſe à l'ouvrage hiftorique de M. Denina.
Cet ouvrage est écrit d'un ftyle vif , concis
, animé , & le traducteur a cru avec
raifon devoir quelquefois facrifier l'élégance
de fa langue , pour mieux fe rapprocher
des formes variées & énergiques
employées par l'écrivain original.
23
Code de la religion & des moeurs ; ou recueil
des principales Ordonnances
depuis l'établiffement de la Monarchie
Françoiſe , concernant la religion
& les moeurs , par M. l'Abbé Meufy
Prêtre du Diocèfe de Befançon , 2 vol .
in 8. petit format , reliés , 6 liv . A
Paris , chez Humblot , Libraire , rue
S. Jacques , près S. Yves.
Le corps de l'ouvrage eft divifé en
deux parties. Dans la premiere l'auteur a
raffemblé les loix qui concernent la religion
& les différens objets qui peuvent
y avoir un rapport immmédiat ou
indirect , Il a recueilli dans la feconde
DECEMBRE. 1770. 85
les loix qui regardent les moeurs. Le texte
de la loi eft précédé d'une définition néceffaire
, ou de quelques remarques &
obfervations qui en font connoître l'im
portance & la néceffité . Des exemples
frappans , cirés à la fuite de la loi , prouvent
d'une maniere inconteftable fon
exécution. Cependant , dans le chapitre
du crime de lèze Majefté , l'auteur rapporte
l'action fuivante , qui ne prouve
rien , puifque ceux qui la commirent
ignoroient qu'ils s'adreffoient à la perfonne
du Roi ; mais ce fait pourra amufer
un moment par fa fingularité . François
I. s'étant égaré à la chaffe , entra
dans la maifon aux Breviaires , proche
Rambouillet. Il y trouva quatre hommes
qui faifoient femblant de dormir. Le premier
fe leva , & dit au Roi qu'il avoit
un bon feutre , & il le lui prit. Le fecond
dit au Roi qu'il avoit fongé que
fa calaque l'accommoderoit , & en même
tems il la lui ôta . Le troifieme le dépouilla
de fon furcat , qui étoit une efpèce
de cotte blanche , à l'ufage des Chevaliers
de l'Etoile , ïnftituée par le Roi
Jean. Le quatrieme , appercevant une
chaîne d'or , à laquelle étoit attaché un
cor de chaffe , il le voulut ôter au Roi ,
86 MERCURE DE FRANCE.
qui lui dit : « Permettez que je vous
» montre quelle vertu a ce cor » ; & en
ayant donné , fes Officiers qui le cherchoient
vinrent . Le Roi leur dit : « voici
» des gens qui ont fongé tout ce qu'ils
» ont voulu ; j'ai fongé à mon tour qu'il
» faut les envoyer au Prévôt de Mont-
» fort- l'Amaury , pour les punir » ; &
ce Prévôt en fit bonne & briéve juſtice.
Ce code de la religion & des moeurs
feroit devenu un repertoire plus utile , fi
l'auteur eût mis dans fes recherches plus
de critique , s'il nous eût fait connoître
plus particulièrement l'efprit du légifla
teur , & les circonstances qui l'ont obligé
à promulguer telles & telles lois , dont
quelques -unes font tombées aujourd'hui
en défuétude .
Hiftoire de l'Eglife de Lyon , depuis fon
établiffement par S. Pothin , dans le
fecond fiècle de l'Eglife , jufqu'à nos
jours , par M. Poullin de Lumina . A
Lyon , chez Jofeph Louis Berthoud ,
Libraire ; & à Paris , chez Saillant &
Nyon , vol. in 4° . prix , 12 liv . relié.
Entre toutes les Eglifes des Gaules
selle de Lyoneft la ſeule qui , fans avoir
DECEMBRE . 1770. 87
recours à des traditions apocryphes & in
certaines , puiffe fe glorifier d'une origine
Apoftolique. Eufebe , Evêque de
Céfarée , auteur du quatrieme fiecle , &
dont le témoignage eft inconteſtable ,
nous apprend que dans la perfécution de
Marc- Aurele , l'an 177 de Jefus Chrift ,
Pothin , alors âgé de quatre- vingt - dix
ans , Evêque de Lyon , & difciple de S.
Polycarpe , Evêque de Smyrne , qui
l'étoit lui-même des Apôtres avec lefquels
il a long-tems vêcu, fouffritle mattyre
avec une partie de fon troupeau .
Cette antiquité refpectable a fait regarder
dans tous les tems l'Eglife de Lyon
comme la mere & l'oracle des autres
Eglifes des Gaules , & plufieurs d'entre
elles fe glorifient encore aujourd'hui d'en
avoir reçu les premieres lumieres de la
foi. Tel eft le principe de la primatie
dont elle a joui dans tous les toms , &
qui la rend l'Eglife la plus éminente de
tout l'Occident après celle de Rome.
L'hiftoire de cette Eglife eft divifée en
fix époques ; la premiere renferme ce
qu'on peut appeler les beaux fiecles de
l'Eglife , ou fon âge d'or ; elle s'étend
depuis l'établiffement du Chriftianiſme
jufqu'à la deftruction de cette Ville par
les Sarrafins dans le huitieme fiecle , ce
88 MERCURE De france.
qui comprend un intervalle de près de
fept cens ans. L'hiftorien a donné au
commencement de cette époque la traduction
de la belle lettre des Chrétiens
de Lyon aux Eglifes d'Afie , fur le martyre
de S. Pothin , leur Evêque , & de
fes Compagnons , le monument Eccléfiaftique
le plus précieux & le plus authentique
qu'il y ait dans les Gaules. La
feconde époque commence au rétabliſfement
de la Ville & de l'Eglife par
Charlemagne , fous l'Archevêque Leydrade
, qui y donna tous fes foins , juſqu'au
tems de la domination temporelle ,
des Archevêques. Cette époque renferme
un intervalle d'un peu plus de deux
fecles , & elle offre quelques événemens
intéreffans. La troifieme époque s'étend
depuis le tems que les Archevêques eurent
acquis le domaine temporel de cette
Ville , jufqu'à celui où l'Empereur Frédéric
1. le leur confirma par une bulle.
L'événement le plus confidérable de cette
époque, qui comprend cent quatre vingts
ans , eft la confirmation de la primatie
par Grégoire VII , & par le Concile de
Clermont , où préfidoit Urbain II . La
quatrie me époque , qui va jufqu'à la fin
de la domination des Archevêques
comprend l'espace de cent foixaure neuf
DECEMBRE. 1770.
ans , eft toute remplie de guerres , de né-`
gociations & de tranfactions pour le domaine
de la Ville , foit avec les Comtes
de Forez , foit avec le peuple , foit avec
le Roi de France , qui aboutirent enfin à
faire rentrer cette Ville fous la domination
de nos Rois . C'eft pendant cet intervalle
que l'héréfie des Albigeois prit
naiffance à Lyon . La cinquieme époque
renferme les événemens furvenus depuis
la réunion de la Ville à la Couronne
, jufqu'à la fin des troubles occafion
nés par les Calviniftes & la Ligue . La
fixieme & derniere époque conduit jufqu'à
nos jours. Cet intervalle , qui eſt
allez confidérable , offre des objets qui
regardent particulièrement la primatie :
le premier eft le famenx procès que Colbert
, Archevêque de Rouen , intenta au
Confeil contre Claude de S. Georges
Archevêque de Lyon , pour y
faire prononcer
fur l'indépendance de fa Provin
ce ; le fecond eft l'exercice de la Primatie
fur la Province de Paris par l'Evêque
d'Autun , à qui elle eft dévolue , lorfque
le fiége eft vacant.
Les Chanoines de l'Eglife de Lyon
ontété décorés du titre de Comtes dès le
douzieme fiecle . En 1745 , le Roi , par
fes Lettres - Patentes , datées de Verſailles
90 MERCURE
DE FRANCE.
au mois de Mars , permit aux Doyen ,
Chanoines & Chapitre de l'Eglife, Comtes
de Lyon , de porter une croix d'or
figurée ,, pour marque de leur dignité .
Cette croix d'or , émaillée en huit pointes
, eft terminée par quatre couronnes
de Comtes , avec quatre fleurs- de- lys
dans les angles. Sur l'un des côtés de
cette croix eft repréſenté S. Etienne, l'un
des Patrons de l'Eglife de Lyon ; & fur
l'autre côté S. Jean , autre Patron de la
même Eglife. Les Chanoines la portent
fufpendue au col par un ruban couleur
de feu , liferé de bleu.
Cette hiftoire de l'Eglife de Lyon eft
terminée par la belle inftruction du Pafteur
, actuellement fiégeant , fur l'hiftoire
du Peuple de Dieu , du Jéfuite Berruyer .
Voyage Pittorefque de Paris , ou defcription
de tout ce qu'il y a de plus beau
dans cette grande Ville , en Peinture
Sculpture & Architecture › par M.
D *** , cinquieme Edition , vol. in-
12. avec des gravures , Prix , 4 liv .
10 f. A Paris , chez de Bure pere ,
Libraire , Quai des Auguftins , à l'Image
S. Paul.
Les fréquentes Editions que l'on a
DECEMBRE. 1770. 91
faites de ce voyage en prouvent affez
l'utilité. C'eft un guide fidelle & commode
pour tous ceux qui veulent promener
leurs regards fur les différens motceaux
de Peinture , de Sculpture & d'Ar
chitecture que renferme la Capitale. Les
planches de ce livre font au nombre de
huit, dont cinq préfentent des monumens
qui n'avoient point encore été gravés.
Celle qui donne le point de vue de la
Place de Louis XV offre de jolis détails ,
& qui ont été rendus d'une maniere pittorefque
, par J. B. Tilliard , d'après le
deffein de M. Moreau le jeune.
tres ,
Hiftoire Littéraire de la Congrégation de
S. Maur , Ordre de S. Benoît , où l'on
trouve la vie & les travaux des auteurs
qu'elle a produits , depuis fon origine
en 1618 , jufqu'à préfent , avec les til'énumération
, l'analyfe , les
différentes éditions des livres qu'ils
ont données au public , & le jugement
que les Savans en ont porté; enfemble
la notice de beaucoup d'ouvrages
manufcrits , compofés par des Bénédictins
du même Corps. A Bruxelles ,
& fe trouve à Paris chez Humblot
Libraire , rue S. Jacques , près S. Yves ,
92 MERCURE DE FRANCE.
I vol. in 4. de 8co pag. Prix , Is liv .
relié en veau .
Cette Hiftoire Littéraire d'une Société
auffi laborieufe , auffi attachée que l'a
éré la Congrégation de S. Maur aux recherches
profondes & à l'étude de l'antiquité
, ne peut manquer d'être accueillie
des Savans , des Littérateurs & de
tous ceux qui veulent connoître les progrès
de la littérature en France . L'article
de chaque auteur et ordinairement
divifé en deux parties ; l'un contient
l'hiftoire de fa vie , l'autre celle de fes
écrits. Tout ceci eft expofé avec beaucoup
de méthode , de clarté & de fimplicité .
Quelques faits particuliers , quelques
anecdotes choifies auroient pu rendre
cette hiftoire plus agréable & plus piquante.
Le pere de Montfaucon eft regardé , à
jufte titre , comme un des plus laborieux
écrivains de la Congrégation de S. Maur.
Il mourut en 1741 prefque fubitement ,
âgé de quatre- vingt-fept ans. Depuis
plus de cinquante ans , ce favant n'avoit
jamais été malade. Dans fes dernieres.
années il employoit encore huit heures
par jour à l'étude. La furveille de fa mort,
DECEMBRE. 1770. 93
il communiqua à l'Académie des Infcriptions
& Belles- Lettres , dont il étoit ,
membre , le plan d'une fuite de Monumens
de la Monarchie Françoiſe , qu'il .
alloit publier en trois volumes . Nous citons
avec plaisir ces faits , qui prouvent
que les fatigues littéraires , lorfqu'elles
font foutenues par une vie réglée & frugale
, n'abrégent point les jours.
Elémens de l'Hiftoire de France , depuis
Clovis jufqu'à Louis XV , par M. l'Ab
bé Millot , ancien Grand Vicaire de
Lyon , Prédicateur ordinaire du Roi ,
des Académies de Lyon & de Nancy ,
nouvelle Edition confidérablement
augmentée , vol. in- 12 , A Paris
chez Durand Neveu , Libraire , rue
S. Jacques , à la Sageffe.
3
>
La premiere Edition de ces Elémens
a paru en 1767 , en 2 vol, in- 12. Elle
fut d'autant plus accueillie , que l'auteur
fut éviter la féchereffe trop ordinaire aux
abrégés. Les additions qu'il a inférées
dans cette nouvelle édition , contribue.
ront encore à faire regarder ces Elémens
comme une des meilleures introductions
à l'étude plus étendue de l'Hiftoire de
France. La narration de l'hiftorien eft
94 MERCURE DE FRANCE.
fuivié courte , rapide , & fémée de
traits qu'on fe plaît à retenir.
Hiftoire des maladies de St Domingue ,
par M. Pouppé des Portes , Médecin
du Roi , & Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris
3 vol. in 12. A Paris , chez le Jay ,
Libraire , rue S. Jacques , au deffus de
celle des Mathurins , au grand Corneille.
L'auteur de cet Ouvrage , M. Pouppé
des Portes , fut choifi en 1732 par le
gouvernement , pour remplir les fonctions
de Médecin du Roi dans l'Ile de
St Domingue. Il réunit à cette qualité
celle de corefpondant de l'Académie
Royale des Sciences . Il mourut dans cette
Ifle en 1748 , âgé de quarante-trois ans.
Ce bon citoyen , dont la deviſe étoit : non
nobis , fed rei publica nati fumus , ne
cefla d'employer fes talens & fes connoiffances
pour le bien de la fociété .
L'ouvrage que nous annonçons eft le ré
fultat des obfervations qu'il a eu occafion
de faire pendant un féjour de quatorze
ans dans l'Ile St Domingue ‚ fur
les maladies qui la défolent . Cette production
d'un obfervateur exact & confDECEMBRE.
1770. 95
.
tant ne peut manquer d'être utile aux
Médecins & aux Naturaliftes qui voudront
étudier les maladies des autres
Ifles de l'Amérique . L'ouvrage de M. des
Portes leur offrira un objet de comparaifon
& de difcuffion qui répandra la lumiere
fur leurs nouvelles recherches.
Cette hiftoire des maladies de St Domingue
eft fuivie d'un traité de plantes
ufuelles de l'Amérique . On y a joint une
pharmacopée , ou recueil de formules de
tous les médicamens fimples du pays ,
avec la maniere dont on a cru , fuivant
les occafions , devoir les affocier à ceux
de l'Europe ; enfin un catalogue de toutes
les plantes que l'auteur a découvertes
à St Domingue , ou qui lui ont paru mal
décrites par le pere Plumier , avec leurs
noms François , Karaïbes & Latins .
L'Arithmétique démontrée , opérée & expliquée.
Cet ouvrage contenant la maniere
d'epprendre l'arithmétique par
entiers & fractions , auffi utile que
néceffaire à gens de tous états , eft &
clairement expliqué pour ce qui concerne
ladite arithmétique , depuis les
premiers principes jufqu'aux derniers,
par toutes les régles qui y font opérées
, qu'on pourra faire plufieurs au96
MERCURE
DE FRANCE
.
"
tres opérations , à l'imitation de celles
portées fur ce traité , fans le fecours
d'aucuns maîtres . Il y a auffi dans cet
ouvrage , pour feconde partie , un petit
queſtionnaire fur toutes les règles
opérées dans la premiere partie , ainfi
que divers problèmes également utiles
& récréatifs , par M. C. F. Gaignat de
l'Aulnois , Bourgeois à Seaux du- Maine
, ci- devant Profeffeur de la grande
école du commerce à Paris , & ancien
Négociant à Nantes.
Le titre de ce livre en fait affez connoître
l'utilité & la maniere dont il eſt
écrit , c'est l'ouvrage d'un négociant qui
a mis en pratique tout ce qu'il enfeigne.
«Tout iroit beaucoup mieux , dit - il
dans l'avertisement de fon livre , fi cha-
» cun reftoit dans fa fphère ». Cependant
il nous promet dans ce même avertiſſement
un Roman de fa compofition , en
deux volumes , fous ce titre : l'abandonné
parvenu par le fruit défendu.
Poëfies tirées des Saintes Ecritures , dédiées
à Madame la Dauphine , par
M. de Reyrac , Chanoine - Régulier de
la Congrégation de Chancelade , premier
Curé de S. Sulpice & S. Maclou
d'Orléans ;
DECEMBRE. 1770.. 37.
d'Orléans ; des Académies des Sciences
de Toulouſe & de Bordeaux , vol .
in 8 ° . A Paris , chez Delalain , Libraire
, rue & à côté de la Comédie
Françoiſe .
Ce recueil de poëfies eft le premier
tribut que les mufes chrétiennes offrent
fur les bords de la Seine à notre augufte
Dauphine . Parmi les odes de ce recueil ,
les unes , & c'eſt le plus grand nombre ,
font tirées du livre des pfeaumes ; les
autres font prifes des prophètes. Rarement
le Poëte s'eft - il aftreint à traduire
le texte entier d'un pfeaume ; quelquefois
il en réunit trois dans une feule
ode ; fouvent auffi , pour jeter plus de
chaleur dans fes tableaux , & donner
plus de fuite & d'étendue à des morceaux
de fentiment , il a recueilli différens endroits
de l'Ecriture , & joint enſemble plu
fieurs verfets relatifs aux divers objets qu'il
vouloit exprimer , & il en a compofé une
ode . Ces poëfies font bien propres à nourrir
la piété, & à infpirer à la jeuneffe le goût
de la vertu , & l'amour fi confolant des
vérités de la religion.
Journal de la Cour de Louis XIV, də
E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
puis 1684 , jufqu'à 1715 , avec des
notes intéreffanres , &c. vol . in 8°.
Prix , 2 liv. 8 f. A Londres , & fe
trouve à Paris chez Coſtard , rue S.
Jean de Beauvais .
L'auteur de ce Journal , ébloui fans
'doute par l'éclat du beau règne de
Louis XIV , a penfé que tout ce qui
avoit le moindre rapport à la perfon
ne de ce Prince méritoit d'être recueilli .
Il n'obmet pas de nous entretenir des
promenades de Louis XIV . Il ne manque
plus à ce digne courtifan que d'ajouter le
difcours de ce Provincial : Je l'ai vu , il
Je promenoit lui-même. C'est la remarque
de l'éditeur , qui a pris le parti de rire
tout le premier de fon Journaliſte ou de
fon Tacite comme il l'appelle par
dérifion. Parmi les anecdotes recueillies
par cet écrivain , on fe rappelera ce
que difoit Colbert , que pendant vingtcinq
ans qu'il avoir eu l'honneur d'être
au fervice de Louis XIV , & de l'approcher
de fort près , il n'avoit jamais entendu
dire à ce Prince qu'une feule parole
de vivacité , & jamais aucune qui
reffentît la médifance . Cette modération
eft un bel exemple pour les Souverains
qui tuent quelquefois par leurs paroles.
>
DECEMBRE. 1770.
La Murio- Métrie. Inſtruction nouvelle fur
le ver-à-foie , fur les plantations des
mûriers blancs , les filatures & le moulinage
des foies , ouvrage mêlé de ré-
Alexions neuves , & qui paroiffent dignes
de l'adminiftrateur du bien public
, du phyficien , du cultivateur &
du negociant , par M. A. Dubet ,
Ecuyer ; de la ville de Château -Roux
en Berry , vol . in- 8 ° . Prix , 3 liv. 12
fols , broché . A Grenoble , chez J.
Cuchet , & à Paris , chez Saillant &
Nyon , rue de S. Jean de Beauvais.
Ce bon mémoire eft divifé en trois
parties. La premiere offre fur le ver-àfoie
une fuite d'obſervations qui méritenr
l'attention des phyficiens. L'auteur
combat l'ufage trop accrédité de la greffe
des mûriers. Il difcute la poffibilité de
multiplier le produit de nos foies nationnales
, examine les qualités & les défauts
de nos filatures. Il infifte fur les
moyens d'y établir le bon ordre , & fur
la néceffité indifpenfable de faire des réglemens
à ce fujet . La feconde partie ,
& la plus étendue de ce mémoire eft uniquement
deftinée à l'inftruction des cultivateurs
; elle comprend tous les foins
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
de la culture des mûriers ; le régime du
ver à- foie dans toutes les révolutions de
fa vie ; fes maladies les plus à craindre ,
& les remédes les plus connus ; l'art de
filer la foie , & tous les détails qui en
dépendent. La troifieme partie intéreffe
particuliérement le fabriquant ; elle développe
le méchanifme qui donne les
préparations aux foies employées dans
nos fabriques , les bonnes & les mauvaifes
qualités qui en peuvent réfulter , &
principalement les vices de nos fabriques
de bas. On trouvera dans cette derniere
partie des obfervations générales pour
ne pas fe méprendré fur les qualités extérieures
des foies . Tout ceci annonce un
bon phyficien , un obfervateur exact &
un citoyen zèlé pour les progrès du commerce
national.
Précis de la matiere médicale , contenant
les connoiffances les plus utiles fur
l'hiftoire , la nature , les vertus & les
dofes des médicamens , tant fimples
qu'officinaux , ufités dans la pratique
actuelle de la médecine avec un
grand nombre de formules éprouvées .
Traduction de la feconde partie du
précis de la médecine -pratique , publiée
en Latin par M. Lieutaud
DECEMBRE. 1770. 101
Médecin de Monfeigneur le Dauphin ;
des Enfans de France ; de l'Académie
Royale des Sciences , & de la Société
Royale de Londres. Nouvelle Edition,
corrigée , augmentée , & à laquelle
on a ajouté un traité des alimens &
des boiflons , 2 vol . in 8 ° . grand format.
A Paris , chez Didot jeune , libr .
Quai des Auguftins.
Ce livre élémentaire eft connu de
tous ceux qui pratiquent la médecine .
Les phyficiens , les naturaliftes , & même
les gens du monde le liront avec fruit
& avec agrément , parce qu'il eft rempli
de connoiffances utiles & curieufes . Ils
fe convaincront aifément , en lifant ce
précis de matiere médicale , que fi les
hommes font fujets à un grand nombre
de maladies , la providence a auffi pourvu
à leur guérifon , avec abondance ; on
pourroit même dire avec profufion .
M. L. a choifi dans la multitude prefque
infinie des médicamens fimples , officinaux
& magiftraux , ceux qui font les
plus propres aux différens cas que l'on
rencontre. Lorfqu'il a expofé les plus
actifs , il n'a pas obmis ceux qui , ayant
une action moins vive , deviennent quel-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
quefois néceffaires par l'état du mal & la
nature du fujet , ou pour les vues du médecin.
Les temédes fimples ou compofés
qu'il a rapportés , préférablement aux
autres , font les plus ufités parmi les praticiens
modernes, qui , en général , n'emploient
point des remédes fans vertu .
Pour l'ordinaire , les vertus attribuées
aux remédes par ce traité , ont été confirmées
par des fuccès répétés & non
équivoques. Le favant médecin a joint
aux médicamens officinaux les plus connus
, & que l'on prefcrit journellement,
ceux qui font épars dans d'autres ouvrages
que des pharmacopées , mais que
l'ufage a confacrés infenfiblement , ou
parce qu'ils font efficaces , ou parce qu'ils
ont para réuflir plufieurs fois , ou enfin
parce que le public s'en fert , & veut
qu'on les lui ordonne . Il y a quelques
autres remédes , que l'auteur n'a défignés
que pour avoir occafion de parler de leurs
mauvais effets , & des moyens de remédier
aux maux qu'ils peuvent occafionner.
Perfonne avant M. L. n'avoit
donné une auffi jufte eftimation des dofes
des médicamens fimples & officinaux
ufités . Ainfi fon Précis de matiere médicinale
, en mettant les connoiffances- praDECEMBRE.
1770. 103
tiques à la portée du plus grand nombre ,
fera fur tout utile aux miniftres inférieurs
de la fanté du peuple , quine peuvent
confacrer plufieurs années & beaucoup
d'argent à acquérir les connoiſſances
immenfes qui font le médecin.
Un article important & particulier
à ce précis de matiere médicale , eft
celui des eaux minérales , dont on fait
ufage aujourd'hui , l'auteur expofe avec
autant d'exactitude que de préciſion les
qualités & les vertus de ces eaux ; il parle
aufli des bains , il indique la maniere
enfeignée par la pratique moderne pour
les prendre , & les maladies dans lefquel
les elle a coutume de les prefcrire .
Ce bon livre ufuel eft terminé par un
traité des alimens qui , indépendamment
de leur vertu nutritive , poffédent encore
des propriétés médecinales.
Tableau Hiftorique des gens de lettres , ou
abrégé chronologique & critique de
la Littérature Françoife , confidérée
dans fes diverfes révolutions , depuis
fon origine jufqu'au dix- huitieme fiecle
, par M. l'Abbé de Lonchamps.
A Paris , 1770 , chez Saillant & Nyon ,
Libraires , rue S. Jean de Beauvais ,
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
vis à vis le College. Tomes V. & VI .
in- 12.
Les lettres ont fur la deftinée des empires
une influence fi néceffaire par les lumieres
qu'elles répandent , les préjugés
qu'elles détruifent & l'urbanité qu'elles
infpirent , qu'il feroit bien difficile d'étudier
avec fruit l'hiftoire d'un peuple ,
fans connoître les progrès fucceffifs , qu'il
a faits dans la littérature. L'ouvrage de
M. l'Abbé de Longchamps ne peut donc
manquer de repandre un plus grand
jour fur l'hiftoire de France . Cet hiftorien
nous fait parcourir aujourd'hui le
douzieme & treizieme fiecle. L'auteur ,
après avoir, dans les difcours préliminaires
qui précédent chaque fiecle , envisagé
fous un point de vue général , mais phi
lofophique , les différens traits de fon
tableau , nous en détaille dans la fuite de
fon hiftoire les traits particuliers . Nos
anciens poëtes , connus fous les dénominations
de Troubadours , de Chanteurs
ou Cantadours , & de Conteurs , templiffent
la plus grande partie des volumes
que nous annonçons. Les Troubadours
étoient les hommes de leur fiecle , qui
avoient le mieux étudié le coeur humain;
DECEMBRE . 1770. 105
ils connoiffoient trop bien l'origine de
ces degoûts , qui rendent tant d'amans
parjures ; ils favoient trop bien ce que
l'on perd à ne plus aimer , pour s'expofer
aux rifques de l'indifférence . D'ailleurs
la vertu des femmes n'étoit pas moins
en récommandation que leur beauté ; &
le refpect étoit encore une des épreuves
auxquelles elles foumettoient l'amour de
leurs favoris ; ce mot n'avoit point alors
toute l'extention qu'il a eue depuis , &
celui de faveurs n'exprimoit que l'aveu
d'une flamme toujours refferrée dans les
bornes de l'honnêteté. On ne doit cependant
pas conclure de cet expofé qu'il y
eût moins de corruption dans le treizieme
fiecle que dans les fuivans ; la barbarie
qui régnoit encore , encourageoit tous
les défordres , que l'on a mis fur le
compte de l'amour dans des tems plus
policés . Il faut voir dans l'ouvrage même
l'hiftoire du malheureux Guillaume
de Cabeftan , ainfi que celle de l'infortunée
Gabrielle de Vergy.
Lorfque l'article d'un homme de lettres
ne fournit aucune obfervation intéreffante
, ou ne préfente aucun fait piquant ;
l'hiftorien a foin de recréer fon lecteur
par quelque extrait choifi. Il rapporte de
Courte Babe , pcëte , mort en 1274 , le
E v
186 MERCURE DE FRANCE.
conte des trois aveugles de Compiègne ,
qui pourra amufer un moment. Un écolier
fort efpiegle ayant rencontré hors de
la ville trois aveugles qui lui demanderent
l'aumône ; tenez , leur dit- il , priez
Dieu pour moi , voici un befant que je
vous donne . Chacun des aveugles penfe
qu'un de fes compagnons a reçu la piece
d'or , & ils continuent leur chemin
après avoir remercié l'écolier. Cependant
un d'entr'eux propofe à fes camarades de
retourner à Compiègne , & de s'y bien
régaler. Tous trois font de cet avis , &
ils s'acheminent vers la meilleure auberge
de la Ville , où ils fe font traiter
en gens qui ne craignent point la dépenſe.
Après avoir bien foupé, ils fe mettent au
lit , & dorment jufqu'au lendemain que
l'hôte vient les éveiller pour compter.
Les aveugles qui fe croyoient en poffelfion
d'un befant , lui difent qu'il n'a qu'à
fe payer fur cette piece; mais aucun d'eux
ne fe trouve en état de la préfenter ; &
l'aubergifte imaginant qu'ils s'étoient
mocqués de lui , commençoit à les tanfer
de bonne forte , quand l'écolier , qui
avoit couché dans la méme hôtellerie ,
appelle l'hôte , & lui dit de laiffer fortir
ces pauvres aveugles , dont il prend
l'écot fur fon compte. L'aubergifte le reDECEMBRE.
1770. 107
mercie de fa libéralité , & congédie les
trois mendians. Cependant le jeune
homme , qui n'étoit pas en fonds , inventa
un autre efpiéglerie , pour fe tirer
d'affaire ; ce fut de propofer le Curé de
Compiègne pour fa caution , & de mener
l'aubergifte à l'Eglife , au moment
que le Prêtre alloit dire la Meſſe . Ils
s'avancenr enfemble jufqu'à l'autel , &
tirant de fa poche douze deniers , l'écolier
les donne au Curé , en lui difant à
l'oreille que l'homme qu'il lui préfente
eft fujet à des accès de frénéfie , & qu'il
le prie de dire un évangile fur fa tête . Le
Curé fe tourne auffi- tôt vers l'hôte , & lui
fait figne d'attendre que la meſſe ſoit
dite. L'écolier , ainfi débarraffé , prend
congé de l'aubergiſte , monte à cheval
& pique des deux. Cependant la Meffe
s'acheve , & l'hôte s'approche pour rece
voir fon argent. Le Prêtre lui dit de s'agenouiller
, l'aubergifte demande la
Tomme qu'on eft convenu de lui payer au
nom de l'Ecolier. Le Curé veut lui mettre
l'étole fur la tête , l'hôte fe refufe à
cette cérémonie , & dit qu'il lui faut de
l'argent , & non des évangiles . Le Paſteur
ne doutant pas que cet homme ne foit
dans un nouvel accès de démence , appelle
du monde , ordonne qu'on le lie ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
& l'oraifon achevée , il le renvoie comme
un infenfé. Cette hiftoire eft bientôt
fçue de toute la Ville , & le pauvre aubergifte
en devient la fable .
Ön nous cite à l'article de Dalbertet
un poëte nommé Fabre d'Uzès , qui ,
ayant été dénoncé comme plagiaire ,
fut pris & condamné juridiquement à
une fuftigation honteufe. On regrette ,
ajoute l'hiftorien , que llaa loi qui infligeoit
cette peine aux auteurs d'un pareil
délit fe foit relâchée de fon ancienne févérité.
Mémoires Hiftoriques , par M. de Belloy,
Citoyen de Calais , 1 °. fur la maifon
de Coucy , encore exiftante ; 2º. für
Euſtache de St Pierre ; 3 °. fur la dame
de Faïel & le Châtelain de Coucy.
Le premier de ces Mémoires inréreffe
une maifon illuftre , qui a toujours été
chère à la nation , & qui a toujours droit
de l'être ; le fecond intéreffe la nation
même , puifqu'on y défend la gloire du
brave Euftache de S. Pierre , attaquée
par des imputations férriffantes ; le troifième
intereffe tous les amateurs de l'hiftoire
: il conftare , par les recherches les
plus curieufes , la véritable aventure de
DECEMBRE. 1770. 109
la dame de Faïel , & la vengeance atroce
exercée par fon mari fur le coeur du Chârelain
de Coucy .
Gazette univerfelle de Littérature.
Cette Gazette littéraire eft fur le point
de recommencer la feconde année de fon
cours . Elle eft devenue autant par fon
univerfalité que par fon impartialité la
Gazette Littéraire de l'Europe . Ses notices
font abondantes & multipliées , mais
vraies , précifes , & affaifonnées d'une
légère critique. Tous les ouvrages , que
le génie ou l'amour des Sciences & des
Arts , quelquefois même la rivalité , la
frivolité ou les paffions font fortir des
preffes Françoifes , Britanniques , Allemandes
, Italiennes , Danoifes , Ruffes ,
& c . n'échapent point à l'oeil attentif de
l'homme de lettres qui préfide à cette gazette
. Ses correfpondances font bien établies
, & comme fon coeur eft auffi pur que
fon efprit eft éclairé , on pourroit juger ,
d'après fes notices annuelles , en faveur
de quelle nation panche la balance du
goût & de la philofophie . La liberté de
la preffe accordée au Dannemark eft une
époque mémorable dans l'hiſtoire littéraire
de cette année , & dont la gazette
110 MERCURE DE FRANCE .
univerfelle de littérature ne manquera
pas d'annoncer les heureux fruits .
Les gens de lettres , & tous ceux qui
n'ont que le tems de jeter un coup -d'oeil
fur les papiers publics , ont beaucoup
applaudi à l'exactitude & à la célérité de
cette gazette , & aux divifions qui y font
adoptées. Ces divifions font les mêmes
que celles des grandes Bibliothèques
comme Théologie , Philofophie , Hiftoire
, Sciences , Belles - Lettres , Poëfie
, & c.
Les Auteurs , les Imprimeurs , les
Libraires , les amateurs qui defireront
qu'on annonce dans cete feuille quelque
nouveauté , font priés de faire leurs envois
, francs de port , aux Deux - Ponts
à M. Fontanelle , à l'Imprimerie Ducale ;
ou à Paris , chez le fieur Lacombe , Confeiller
de Commerce , & Libraire de
S. A. S. Mgr. le Duc régnant des Deux-
Ponts.
L'abonnement pour une année , port
franc par la pofte , eft de 18 liv . On
s'abonne en tout tems aux Deux - Ponts
à l'Imprimerie Ducale ; & pour la France
, à Paris , chez le fieur Lacombe , Libraire
, rue Chriftine , chez les Direc
teurs des Poftes & les principaux Libraires
des Villes de France & des autres
DECEMBRE. 1770 . III
-
Etats. Les abonnés font priés d'affranchir
le port de l'argent & les lettres d'avis , &
d'indiquer leurs noms & leurs adreffes
écrits lifiblement.
avec
L'Obfervateur François à Londres , ou
Lettres fur l'état préfent de l'Angleterre
, relativement à fes forces , à
fon commerce & à fes moeurs
des notes fur les papiers Anglois , &
des remarques hiftoriques, critiques &
politiques de l'éditeur , feconde année
, Tome fecond . A Londres . L'abonnement
de vingt - quatre cahiers
rendus en Province , francs de port ,
par la pofte , eft de 36 liv. & à Paris ,
de 30 liv. On foufcrit chez Lacombe ,
Libraire à Paris , rue Chriftine , près
la rue Dauphine , & Didot l'aîné , libraire
Imprimeur , rue Pavée , au
coin du quai des Auguftins.
·
Quand un mari & une femme ont vêcu
pendant quelques années , fans avoir eu
entr'eux la moindre altercation , la Ville
de Dunmow leur fait préfent d'un jambon
. Il y a quelque tems qu'on a mis dans
les papiers publics de Londres , que le
Roi & la Reine , dans un voyage qu'ils
devoient faire , pafferoient par cette
112 MERCURE DE FRANCE.
Ville , & que certainement on leur ac
corderoit le jambon . Le Roi ayant lu cet
article , le fit voir à la Reine , qui lui
dit , en rendant le papier : la moitié de
ce jambon me fera adjugée. Un courtifan
, un de ces agréables qui traitent de
moeurs bourgeoifes l'union conjugale ,
dit alors au Roi que cet article étoit une
bêtife. Bêtife , tant qu'il vous plaira , lui
répondit ce Prince : je ne fais qui en eſt
l'auteur ; mais depuis que je régne , on
n'a encore rien dit de moi qui me foit
auffi agréable .
Ces lettres fur l'état préfent d'Angleterre
font particulièrement intéreffantes
par les beaux exemples d'encouragement
pour les fciences & les arts qui y font
rapportés. Le docteur Hill s'eft mis à la
tête d'une fociété protégée par le Roi ,
& qui doit entretenir une correfpondance
générale avec tous les favans & les
grands artiftes du monde entier. Le nombre
de fes correfpondans eft déjà de
107. Ce docteur Hill eft un homme
étonnant ; il a été fucceffivement apothicaire
, comédien , auteur , médecin ,
botanifte . Il a commencé en 1762 une
hiftoire de toutes les plantes , fous ce tire
: The vegetable fyftem. Il en a fait paoître
un volume in fol. tous les fix
·
DECEMBRE. 1770. 113
mois . Le feizième volume eft imprimé.
Le Roi d'Angleterre a destiné un
fonds , pour envoyer à Rome tous les
ans fix jeunes Peintres Anglois étudier
leur art on donne à chacun d'eux 30 liv.
fterlings à leur départ , autant à leur retour,
& 60 liv . fterlings par an pendant
leur féjour en Italie .
Les Anglois fe glorifient de voir en
Dannemarck s'élever un théâtre de leur
nation , ainfi que des courfes de chevaux
à l'inftar des leurs , encouragées par deux
prix qui feront tous les ans donnés par le
Roi. L'un de ces prix , qui eft de 600
rixdales , fera adjugé à celui qui aura
le plus promptement parcouru un mille
de Dannemark fur un cheval Danois
Norvégien ou Holfteinois ; le fecond de
400 rixdales , à celui qui parcourera le
même terrein fur un cheval Anglois ou
Danois . Ces courfes fe feront deux fois
par an , l'une le 22 Mai , l'autre le 20
Septembre.
L'extrait que l'Obfervateur donne
dans fon n°. 6. le petite comédie de
l'amant boiteux de M. Foot , préfente des
portraits fortement prononcés , & d'un
comique burlefque , qui plaira aux fpectateurs
à groffe jote.
Les politiques trouveront également
114 MERCURE DE FRANCE.
dans ces derniers cahiers de l'obfervateur
des morceaux capables de les occuper
utilement.
·
Nouvelle Méthode Géographique , précédée
d'un traité de la fphère & des
élémens de Géométrie , & terminée
par une Géographie Sacrée , dédiée à
Madame , par M. l'Abbé Compan
Avocat en Parlement . A Paris , chez
Merigot jeune , Libraire , Quai des
Auguftins , près la rue Pavée , 1770 ,
avec approbation & privilége du Roi ,
I vol. in- 12 . Prix , 6 liv.
L'auteur établit d'abord dans fon difcours
préliminaire l'utilité de la Géographie.
Cette fcience , dit- il , eft conve-
» nable aux perſonnes de tout âge , de
» tout fexe & de toute condition . Elle
"
apprend au militaire à difpofer les atra-
" ques & la défenfe des places , & à régler
la marche des armées . Elle inftruit
» le commerçant des pays où il veut éten-
» dre fon commerce , des diverfes pro-
» ductions qu'il y peut trouver : par elle ,
il triomphe des plus grands obftacles ,
» & quand le tranfport des marchandifes
» par terre lui devient trop pénible ou
»trop difpendieux , elle lui fraye un che-
19
DECEMBRE . 1770. VIS
"
» min plus facile , en réuniffant par le
»moyen des canaux & des rivières les
» mers les plus oppofées . Elle enfeigne à
» l'homme d'état , au négociateur les in-
» térêts ou les prétentions de fon pays ,
» par la pofition de certaines Villes ou
» de certaines Provinces des Etats voi-
»fins , les divers degrés d'alliance qu'on
» peut contracter avec les Princes qui
» nous environnent . Enfin l'homme d'E.
glife apperçoit avec une douce fatisfaction
que cette fcience fert à éclairer
» l'hiſtoire de la religion : elle lui décou-
» vre les lieux de la tenue des Conciles ,
» l'étendue des grands fièges , la naiffan-
» ce des héréfies en un royaume , leur
»progrès & leur extinction en d'autres :
» elle étend en quelque forte , elle en-
» noblit fes idées fur la divinité
"
"
de la Religion Chrétienne , en lui
» montrant la morale fainte de l'Evangile
, auffi purement pratiquée aux ex-
» trémités de l'Amérique que dans le
» fein de l'Afie , qui a été fon berceau ;
» & ce concert unanime lui fait recon-
» noître & avouer qu'une religion , qui
unit dans la même croyance des ef-
» prits fi différens , & des coeurs dont les
>> inclinations font fi oppofées , a nécef-
"
116 MERCURE DE FRANCE:
"
"
» fairement une fource divine , & un
» principe furnaturel ».
»
33
Il ne croit pas qu'il foit néceffaire de
s'étendre fur l'utilité que les femmes
même peuvent retirer de l'étude de la
Géographie. « Et quelle fcience , dit - il ,
» leur convient davantage ? En avouant
» que l'éducation qu'elles reçoivent ne
» leur permet pas de s'élever à ces fcien-
» ces abftraites , où le vol feul du génie
peut conduire , ne leur faifons pas l'injuftice
de croire qu'elles ne puiffent
s'appliquer à rien de folide. Deftinées
» à une vie fédentaite & retirée , pri-
» vées par conféquent de la reffource des
» voyages pénibles & continus , qui ,
» dans les hommes , peuvent fuppléer à
» l'étude de la Géographie , cette fcien-
» ce feule peut les inftruire fur les parti-
' cularités du globe qu'elles habitent. Et
quels détails amufans ne s'offrent point
» à leurs recherches ? Quelle abondante
» moiffon n'en peuvent - elles pas re-
"
33
33
» cueillir ! » "
Mais quand la Géographie feroit bien
moins importante que l'auteur ne tâche
de le perfuader , ce qu'elle offre d'agréable
& d'amufant fembleroit fuffire pour
engager les hommes , même les plus inDECEMBRE.
1770. 117
"
différens , à s'y appliquer. » La carte fous
les yeux , & le compas à la main , je
» voyage fans peines & fans dépenfes :
» je ne fuis arrêté ni par les mers glacées
» du Nord , ni par les fables brûlans du
» Midi. Je féjourne plus ou moins dans
"
chaque climat , fuivant les nouveautés
"que m'offre le pays ; j'obferve les
» moeurs des peuples , l'indigence ou la
» richeffe des Etats , la fertilité de cha-
» que terroir ; je vois avec admiration les
» différens Empires gouvernés par autant
» de coutumes diverfes . Ici des Souve-
» rains à qui tout eft foumis , mais qui
» font eux- mêmes foumis aux lois : là des
defpotes fuperbes , qui n'ont
pour ré-
"gle que leur volonté. D'un coté , le
» peuple fe faifant écouter , & dictant
lui même la forme de gouvernement
qui convient à fon humeur & à fon ca-
» ractère ; de l'autre , l'autorité confiée
» aux plus illuftres de la nation , qui
» rentrant à leur tour dans la fubordination
, font remplacés en des tems marqués
par d'autres Sénateurs , dont le
"pouvoir n'eft pas de plus longue durée.
" C'eft en fe livrant à une telle occu-
»pation , qu'on agrandit , en quelque
» forte , fon être , & qu'on fe trouve ,
» non l'habitant obfcur d'une petite
118 MERCURE DE FRANCE.
» Ville dans un petit Royame , mais
» l'ami de tous les peuples & le citoyen
» de tous les Etats ». Mais c'eft principalement
lorfqu'on s'applique à l'hiftoire
qu'on fent plus vivement l'utilité
de la Géographie. «Avant que cette fcien-
» ce vînt m'éclairer , je lifois l'histoire
» fans plaifir & fans fruit : les faits les
» plus intéreffans ne faifoient que gliffer
» dans ma mémoire , & s'y placer fans
» ordre ; mais guidé par ce flambeau
» lumineux , je parcours , fans m'égarer,
» les plus fombres détours de l'hiſtoire.
» Je fais d'un regard attentif la marche
ود
93
و ر
des plus floriffans Etats ; je les vois naî
" tre , s'accroître , chanceler , tomber
» enfin , & fur leurs ruines fumantes j'ap
perçois s'élever de nouveaux Empires ,
» qui deviendront bientôt la proie d'un
" nouveau Conquérant , réfervé lui - mê-
» me à décorer le triomphe d'un vainqueur
plus puiflant ou plus expérimenté
» que lui . Je n'attends pas toujours l'évé-
» nement pour juger du fuccès d'une ba-
» raille ; la fituation des deux armées , le
» choix du terrein , m'apprennent avant
» le combat de quel côté doit être la
» victoire » .
Après avoir paffé en revue les différentes
méthodes Géographiques qui ont
DECEMBRE. 1770. 119
précédé la fienne , & relevé les erreurs
qui fe trouvent dans la plupart , & furtout
dans celle de Nicole de la Croix ,
qui jufqu'ici a paffé pour la moins défectueufe
, M. l'Abbé Compan obferve judicieufement
que le dégoût qu'un grand
nombre de perfonnes font paroître pour
la Géographie eft dû à la féchereffe qui
règne dans prefque tous les ouvrages qui
en donnent des principes . On fe laffe
à marcher dans des routes efcarpées &
arides , mais on aime à parcourir des
fentiers riants & Aleuris. Une méthode
donc , qui s'éloignant également d'une
ftérile abondance & d'une feche briéveté ,
fixeroit l'attention du lecteur , fans la
laffer ; qui ne difant ni trop ,
ni trop
peu , amuferoit , en inftruifant , & qui
évitant cette monoronie , qui rend la
lecture infipide , & rebute dès les premiers
pas ceux qui feroient portés à
s'inftruire , n'offriroit aucun lieu , qui ne
fût caractérisé par quelque trait remarquable
, comme par la naiffance d'un
grand homme , ou par un fiége , une baraille
, ou par la nature du territoire ;
une telle méthode pourroit réconcilier
avec la Géographie un grand nombre
d'efprits prévenus contre elle. !
En difant ce qu'il faudroit faire
120 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Abbé Compan nous dit ce qu'il a
fait. Le plan de fon ouvrage nous a paru
bien conçu , & fagement exécuté. Dans
les détails, l'utile y eft toujours accompa
gné de l'agréable . Un fujet auffi rebattu
eft devenu neuf entre fes mains. S'il a
été fouvent obligé de fuivre la route
commune dans les divifions des Etats ,
les pofitions des Villes , & autres chofes
femblables , qu'on ne change point à
fon gré , il a fu fe frayer un autre chemin
par les remarques curieufes & inftructives
qui s'offrent au lecteur. Sa méthode
eft ornée de traits d'hiftoire naturelle
& politique ; elle offre les moeurs
des différens peuples , elle s'étend fans
prolixité fur les productions de chaque
pays , le commerce principal , les arts ,
les manufactures , les marchandiſes , les
denrées , & c. Par fon attention à ne rien
mettre d'inutile , il a réuffi à placer tout
ce qu'il y a d'intéreffant , fans fortir des
bornes qu'il s'eft preſcrites .
Rapport du Cenfeur fur la conteftation
élevée au fujet de la géographie de M
l'Abbé de la Croix.
Ayant examiné par ordre de Mgr le Chancelier
un nouveau traité de géographie , en deux volumes.
DECEMBRE. 1770. 121
mes , par M. l'Abbé Compan , j'ai donné mon
approbation.
Sur la demande qui m'a été faite depuis , j'ai
comparé cet ouvrage avec celui de M. l'Abbé de
la Croix ; je n'ai pas trouvé que l'un fut la copie
de l'autre , la marche & la difpofition font différentes
, & quoique celle de M. l'Abbé Compan ne
foit pas tout- à -fait auffi étendue , il a corrigé cependant
des erreurs qui s'étoient gliflées dans celle
de la Croix .
A l'égard de quelques reffemblances qui fe
trouvent entre ces deux méthodes , il eft impoffible
que cela foit autrement ; les tables de latitude
& de longitude , les divifions des états , les
pofitions des villes font néceflairement les mêmes,
à quelques changemens près ; les élémens
de la fphère , &c. On ne peut pas
dire pour
que l'ouvrage de M. Compan foit la copie de celui
de M. de la Croix qui , lui - même , a copié ceux
qui l'ont précédé en ce genre.
cela
Si cela étoit , aucun auteur ne pourroit plus
écrire & rien publier fur la géographie. Tel eft
mon fentiment. A Paris , ce 24 Octobre 1770.
Sigué , BELLIN , ingénieur de la marine ,
cenfeur royal , de l'académie royale de
marine & de la fociété royale de Lone
dres.
Q. Horatii Flacci Opera adfidem LXXVI
codicum. Accedunt : 1 ° . Synopfis Chronologica
rerum Romanarum , vivente
Horatio ; 2°. Tractatulus de metris Horatianis
; 3°. Varia LXXVI codicum
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Lectiones ; 4°. Phrafium fubdificilium
ènucleatio ; 5 ° . Lexicon mythologicum,
hiftoricum & geographicum ; 6 ° . Dic
tionarium latino - gallicum vocum Horationarum
quæ lectorem morari poffunt;
curante Jof. Valart , acad. Amb. Parifiis.
Typis Michaëlis Lambert , viá
cithared , 1770 ; prix , broch. 6 liv.
Cette nouvelle édition d'Horace eft une
des plus belles pour l'exécution typographique
, & la plus précieufe pour l'exactitude
& la correction du texte par les
foins de l'homme favant qui y a préſidé.
Les douze Céfars , traduits du latin de Suétone
, avec des nores & des réflexions ,
par M. de la Harpe , dédiés à Mgr le
duc de Choifeul , miniftre & fecrétaire
d'état, &c. 2 vol . in- 8° . br. 8 1. A Paris ,
chez Lacombe , libraire , rue Chriftine ;
& Didot l'aîné , libraire & imprimeur,
rue Pavée , près du quai des Auguftins.
Cette traduction qui manquoit à la littérature
françoife eft précédée d'un difcours
préliminaire affez étendu , dont
nous ne citerons que ce qui regarde Suétone.
On fait peu de chofes dela vie de
DECEMBRE 1770 . 123
» Suétone . Son père étoit tribun légion-
» naire & fervit dans la guerre d'Othon
» & de Vitellius . Le fils fut fecrétaire de
» l'empereur Adrien , & perdit fa place
» pour s'être permis avec l'impératrice
"
"9
Sabine des libertés peu refpectueuses .
» Il étoit lié avec Pline le jeune qui l'ex-
» horte dans une de fes lettres à mettre
» au jour quelques ouvrages qu'il dit être
» des morceaux achevés. Suétone en a
compofé plufieurs que nous n'avons
plus , fur les différens habillemens des
peuples , fur l'hiftoire des fpectacles , fur
» les défauts corporels , fur les fonctions
» des Préreurs , &c. Il ne nous refte de
» lui qu'un abregé très concis de la vie
» des Grammairiens & l'hiftoire des douze
premiers Céfars. C'eft ce dernier ou
» vrage dont j'offre la traduction au Pu-
» blic . »
"
"
« Suétone n'eſt point un auteur fans
» mérite. Je ne crois pas qu'on me ſoup-
» çonne de l'idolatrie ordinaire aux tra-
» ducteurs qui femblent toujours profter-
» nés devant leurs originaux ? C'eſt une
» grace d'état , & je n'ai pas droit d'y
prétendre. On verra dans mes notes que
» je n'approuve point tout ce qu'écrit
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
39
"
» Suétone . Je voudrois y voir moins d'i
» nutilités & de détails minutieux ; mais ,
» en général , fi ce n'eft pas un écrivain
éloquent , c'eft du moins un hiftorien
» curieux. Il eft exact jufqu'au fcrupule
» & rigoureuſement méthodique. Il n'o-
» met rien de ce qui concerne l'homme
» dont il écrit la vie & fe croit obligé de
» rapporter non- feulement tout ce qu'il
» a fait , mais tout ce qu'on a dit de lui.
» On rit de cette attention dont il ſe pi-
» que dans les plus petites chofes ; mais
on n'eft pas fâché de les trouver , &
c'eft apparemment pour cette raiſon
qur l'auteur d'Emile regrette quelque
›› part qu'il n'y ait plus de Suétone . S'il
abonde en détails , il eft fort fobre fur
les réflexions. Il raconte fans s'arrêter ,
» fans paroître prendre intérêt à rien ,
» fans donner aucun témoignage d'appro
» bation ou de blâme , d'attendriffement
» ou d'indignation . Sa fonction unique
» eft celle de narrateur. »
و ر
Cependant M. de la Harpe remarque
dans la vie d'Augufte une phrafe qui reffemble
à la flatterie , & qui eft en effet ou
d'un adulateur ou d'un homme bien crédule
; c'est l'endroit où Suétone prétend
qu'Augufte , dans toute fa conduite , n'eut
d'autre principe & d'autre but que de venDECEMBRE
. 1770. 125
ger la mort de Céfar. Si Suétone le croyoit,
c'étoit un bien bon- homme , & il paroît
l'èrre en général . S'il ne le croyoit pas ,
il y a un peu de complaifance pour Augufte
que pourtant il ne ménage pas dans
tout le refte. Quoiqu'il en foit la remarque
du traducteur fur l'impartialité de
Suétone eft généralement vraie. Nous
nous bornerons à difcuter quelques endroits
où le traducteur paroît avoir penfé
autrement que les commentateurs de Suétone
, & nous rapporterons les raifons
qu'il en donne.
Exanimis , diffugienribus cunctis , aliquamdiu
jacuit , donec lectica impofitum
dependente brachio tres fervuli domum retulerunt.
Plufieurs critiques rapportent ces
mots , dependente brachio , un bras pendant
, à un des bâtons de la litière. Le
traducteur le rapporte au cadavre de Céfar
, parce qu'il a cru que ce dernier fens
étoit plus beau & plus pittorefque, & qu'il
étoit naturel que l'auteur peignît la fituation
de Céfar plutôt que d'obferver qu'un
des bâtons de la litière n'étoit point foutenu
. Voici la phrafe entière en françois .
«Il refta quelque tems étendu par ter-
» re ; tout le monde avoit pris la fuite
» enfin trois efclaves le rapportèrent dans
Fiij
116 MERCURE DE FRANCE.
39 fa maiſon fur une litière d'où pendoit
» un de fes bras . »
Cette circonftance n'eſt pas indifférente.
On fait combien ces fortes d'objets
frappent les fens , & que le degré de pitié
que peut exciter un cadavre depend beaucoup
de la manière de le préfenter. Enfin
ce mots , dependente brachio , font placés
de façon à pouvoir fe rapporter également
ou à la litière ou au corps de Céfar . Ainfi
la traducteur a été le maître de choisir.
On peut obferver d'ailleurs qu'il faudroit
trouver d'autres exemples du mot brachium
pour fignifier le bâton d'une litière.
Alios patrem &filium pro vitá rogantes
fortiri vel dimicare juffiffe , (fertur) ut alterutri
concederetur , ac fpectaffe utrumque
morientem , cum patre , qui fe obtulerat ,
occifo ,filius quoque voluntariâ occubuiffet
nece.
" Un père & un fils lui demandoient la
» vie ( à Augufte. ) Il ordonna qu'ils ti-
» raffent au fort ou qu'ils combattiſſent
» enfemble , promettant la grace au vain-
» queur. Le père alla au- devant de l'épée
» de fon fils , & le fils fe perça de la fien-
» ne. Augufte les vit expirer. »
D'autres traduifent : Le père confentit à
DECEMBRE . 1770. 127
mourir & le fils fe tua lui- même . Toute la
difficulté confifte dans les mots qui ſe obtulerat
, qui fignifient fimplemenr que le
père s'offrit , fans dire à quoi . On peut
fuppofer que c'eft à la mort ; le traducteur
fuppofe que c'eft à l'épée de fon fils , parce
que ce fens eft plus énergique , & qu'alors
ces mots Spectaffe utrumque morientem
, Augufte les vit expirer , deviennent
bien plus terribles .
Il y a quelques autres endroits où M.
de la Harpe n'a pas fuivi le fentiment du
plus grand nombre de fcholiaftes . C'eſt
aux fçavans à en juger. Il eft prêt à fe rendre
à leur avis .
Nous ne dirons rien du mérite de cette
traduction , ni des réflexion ni des notes .
L'auteur qui insère quelque fois dans ce
Journal des morceaux de critique & de
littérature nous interdit des louanges qui
feroient fufpectes . Il fait qu'aujourd'hui
fur tout il eft bien plus facile d'en obtenir
que d'en mériter , & il defire feulement
qu'on lui montre fes défauts , &
chérit la faine critique autant qu'il méprife
les fatyres .
Dans les réflexions fur les Céfars il ré- ,
fute fouvent M. Linguer . C'eft à M. Linguet
à fe défendre , comme il fied à un
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
homme de lettres & au Public à
juger.
Nous finirons par tranfcrire un morceau
de la vie de Néron pour donner unè
idée de la manière dont Suétone raconte
& dont M. de la Harpe traduit.
" Bientôt il apprit que toutes les ar-
" mées entroient dans la révolte de Vin-
» dex. A cette nouvelle il déchira la let
و د
و د
tre qu'on lui avoit apportée pendant fon
» dîner , renverfa la table , brifa contre
» terre deux vaſes dont il faifoit grand
» cas & qu'il appelloit homériques , parce
qu'on y avoit fculpté des fujets tirés
d'Homère , fe fit donner du poifon par
Loćufte , le mit dans une boëte d'or &
paffa dans les jardins de Servilius . Tandis
que les plus fidèles de fes affranchis
» alloient par fon ordre à Oftie faire pré-
» parer des vaiffeaux , il voulut engager
» les Tribuns & les Centurions des
gar-
» des prétoriennes à accompagner fa fui-
» te ; mais les uns s'en excusèrent , les
» autres refusèrent ouvertement ; l'un
» d'eux même s'écria , eft- il doncfi diffi-
» cile de mourir ? Alors il délibéra s'il fe
» retireroit chez les Parthes ; s'il iroit fe
» jeter aux pieds de Galba , ou s'il paroî-
» troit en deuil dans la tribune aux haranDECEMBRE.
1770. 12.6
ود
» gues , demandant pardon du paffé avec
» les plus humbles prières , & le reftrei-
≫gnant , fi on ne vouloit pas lui laiffer
l'empire , à obtenir le gouvernement
d'Egypte on trouva même dans fes
» papiers un difcours fur ce fujet ; mais
» on le détourna , dit- on , de ce'deflein ,
» en lui faifant entendre qu'il pourroit .
» bien être mis en pièces avant que d'ar-
» river à la place publique. Il remit donc
» au lendemain à prendre un parti , &
s'étant reveillé au milieu de la nuit , il
apprit que fes gardes l'avoient quitté.
»Il fauta de fon lit & envoya chez tous
» fes amis ; mais n'en recevant aucune
» réponse ; lui- même , avec peu de fuite ,
» alla en vifiter plufieurs ; il trouva tou-
» tes les portes fermées & perfonne ne
lui répondit. Il revint dans fa chambre,
» les fentinelles avoient pris la fuite
après avoir pillé jufqu'à fes couvertu-
» res & la boëte d'or où étoit le poifon .
Il demanda le gladiateur Spicillus ou
» quelqu'autre qui voulut l'égorger ; mais
» ne trouvant perfonne , il s'écria ,je n'ai
» donc ni amis ni ennemis ! & il courut
pour fe précipiter dans le Tibre , &c . »
On voit que la narration du Suétone
eft nette & rapide , & les dérails font:
99:
"
»
Ev
130 MERCURE DE FRANCE .
d'autant plus curieux que la plûpart në fe
chez lui . trouvent que
La Nimphomanie ou Traité de la fureur ,
uterine , par M. de Bienville Medecin
à Rotterdam .
M. de Bienville donne dans un avant
propos , les raifons qui l'ont engagé à
publier fon ouvrage . Ses voyages lui
ayant fourni des occafions d'obferver dans
la jeuneffe des deux fexes un grand nombre
d'accidens , il n'a pu fe refufer la
fatisfaction d'éclairer le public fur les
effets cruels de la fureur uterine . Il fait
voir que cette maladie eft devenue plus
commune , & plus générale qu'on ne
penfe ; & il en conclud qu'il eft effentiel
d'en inftruire les parens , & tous ceux &
celles qui font faits pour veiller à l'édu
cation des perfonnes du sèxe.
Dans un premier chapitre il expoſe
quelles font les parties organiques de la
femme , qui font le fiége des accidens de
la fureur utérine. Cet expofé eft court ,
mais fuffifant.
Le fecond chapitre eft une defcription
générale de la fureur utérine , de fa naiffance
, de fes caufes de fes progrès , &
de fa contagion. Les expreffions infpirent
DECEMBRE . 1770. 131
d'autant plus de crainte , que ce ne font
point de vaines déclamations , mais des
vérités bien fenfibles. L'auteur finit ce
chapitre par un avis aux jeunes gens . Il
leur parle en homme qui connoît tous
leurs excès & leurs inconftances , & qui
s'applique fpécialement aux moyens qui
peuvent les ramener à la fanté & à l'amour
de l'honnêteté .
Les trois chapitres fuivants font confacrés
à l'examen des caufes phyfiques &
morales des acccidens qu'on voit naître
dans la fureur utérine. Le rapport des fibres
, leurs ofcillations , leurs dérangemens,
leurs fympathies , leurs diffonance ,
le renversement de celles du cerveau ,
les divers phenoménes qu'on obferve dans
toutes ces variations , font exposés avec
méthode , & fintérêt. Toutes ces matières
fi abftraites par elle-mêmes deviennent
trés - intelligibles par l'ordre qu'on y
obferve on vient enfuite aux moyens de
diftinguer celles qui font attaquées de
cette maladie , de manière qu'après ces
notions il n'eft plus guères poffible aux
perfonnes intelligentes de s'y méprendre ,
ni même d'ignorer à quel degré eft la
maladie. Dans le fixième & dernier chapitre
M. de Bienville ne fe contente point
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
d'indiquer les remedes qu'on doit employer
dans les différens états de la maladie.
il appuie fingulièrement fur les
moyens moraux , fur la difcretion & la
douceur avec laquelle on doit les mettre
en ufage. Il ne craint point d'entrer dans
les plus petits détails . Il n'approuve point
l'ufage dans lequei on eft d'ordonner indifféremment
des faignées amples & fréquentes
à ces fortes de malades . Il veut
qu'on examine auparavant les caufes de
leurs dérangemens : ces caufes font phyfiques
ou morales ; les premières font
quelquefois exceflives , alors il eft intéreffant
de ménager le fang de la malade ,
& de faire attention à l'ufage des purgatifs
.
Cet ouvrage eft terminé par nombre
de refléxions fur le pouvoir de l'imagination
relativement à la Nimphomanie
Il prouve combien la connoiffance de
cette partie eft effentielle au Médecin qui
veut traiter cette maladie qu'on peut guérir
quelquefois en travaillant uniquement
fur l'imagination , aulieu qu'il n'y
a point de cas où on puiffe efpérer la guérifon
des feuls remèdes phyfiques.
On trouverra des obfervations qui
font autant d'hiftoires fideles des événeDÉCEMBRE.
1770. 133
mens qui arrivent dans les familles ,
foit par la trop grande douceur des
rens , foir par leur trop grande févérité.
pa-
L'auteur donne aux uns & aux autresdes
regles de conduite capables d'infpirer &
de fixer même la prudence qu'on doit.
avoir dans des cas aufli épineux.
Il fait des reproches aux parens qui livrent
d'abord leurs enfans aux foing
barbares de celles qui préfident aux maifons
de force . Il defire qu'on n'ait recours
à ces moyens violens qu'après avoir inu
tilement fait effayer fous leurs yeux tous
les fecours de l'art..
Enfin tout cet ouvrage annonce dans
l'auteur un Médecin très inftruit des paffions
du fexe , & autant capable d'y remedier
par la douceur & la difcrétion ,
que par l'expérience qu'il paroît avoir
acquife dans ces fortes de maladies .
IDÉES SUR MOLIÈRE.
Cette efquifle fut préfentée à l'académie:
lorfqu'onypropofa l'éloge de ce grand hom
me. L'auteur ( M. de la Harpe trop occupé
alors de travaux d'une autre eſpèce ,
ne put s'engager à traiter cet important
fujet dans la forme & avec l'étendue con
134 MERCURE DE FRANCE.
venables. Mais, pour payer fon tribut comme
un autre àla mémoire de Molière , il
jeta fur le papier quelques idées qu'il n'auroit
pas envoyées à l'académie s'il n'avoit
cru que tout ce qui regardoit Molière appartenoit
dans ce moment au corps illuftre
qui lui rendoit unfi jufte hommage. Cette
ébauche fut traitée beaucoup plus favorablement
que l'auteur ne l'efpéroit , & obtint
la première place après le beau difcours
de M. de Champfort , quifut couronné par
l'Académie &par le Public.
L'éloge d'un écrivain eft dans les ouvrages.
Celui de Molière eft dans les ouvrages de les fuccefleurs
autant que dans les fiens . Des hommes
de beaucoup d'efprit & de talent ont travaillé
après lui , fans pouvoir ni lui reflembler ni l'atteindre.
Quelques- uns ont eu de la gaîté ; d'au
tres ont fait de beanx vers ; plufieurs même ont
peint des murs. Mais la peinture du coeur humain
a été l'art de Molière. C'eft la carrière qu'il
a ouverte & qu'il a fermée. Il n'y a rien en ce genre
, ni avant lui ni après.
Molière eft certainement le premier des philofophes
moraliftes. Je ne fais pas pourquoi Horace
, qui avoit tant de goût , veut auffi donner ce
titre à Homère. Avec tout le refpect que j'ai pour
Horace , en quoi donc Homère eft - il fi philofophe
? Je le crois grand poëte parce que j'apprends
qu'on recitoit fes vers après la mort & qu'on l'avoit
laidé mourir de faim pendant ſa vie. Mais je
creis auffi qu'en fait de vérités il y a peu à gagner
DECEMBRE. 1770. 135
avec lui . Horace conclud , de fon poëme de l'Iliade
, que les peuples payent toujours les fottifes des
Rois : c'eft la conclufion de la plupart des hiftoires.
Mais Molière eft , de tous ceux qui ont jamais
écrit , celui qui a le mieux obfervé l'homme fans
annoncer qu'il l'obfervoit ; & même il a plus l'air
de lefavoir par coeur que de l'avoir étudié. Quand
on lit fes pièces avec réflexion , ce n'eſt pas de
l'auteur qu'on eft étonné , c'eſt de foi-même .
Molière n'est jamais fin ; il eft profond , c'eſt - àdire
que lorsqu'il a donné fon coup de pinceau , il
eft impoffible d'aller au-delà . Ses comédies bien
lues pourroient fuppléer à l'expérience , non pas
parce qu'il a peint des ridicules qui paflent , mais
parce qu'il a peint l'homme qui ne change point.
C'eft une fuite de traits dont aucun n'eft perdu ;
celui- ci eft pour moi , celui-là pour mon voifin';
& ce qui prouve le plaifir que procure une imitation
parfaite , c'eft que mon voifin & moi nous
rions du meilleur coeur du monde de nous voir ou
fots , ou foibles ou impertinens , & que nous ferions
furieux fi on nous difoit d'une autre façon la
moitié de ce que nous dit Molière.
Eh ! qui t'avoit appris cet art , divin Molière ?
avois-tu lû quelque poëtique ? les vers d'Horace
& la prole d'Ariftote ont- ils pû t'infpirer une
fcène ? T'es- tu fervi de Térence & d'Ariftophane
comme Racine fe fervoit d'Euripide ; Corneille ',
de Guillen de Caſtro , de Calderon & de Lucain ';
Boileau , de Juvénal , de Perfe & d'Horace ? Les
anciens & les modernes t'ont- ils fourni beaucoup?
Il eft vrai que dans ton excellente farce de Scapin,
tu as pris à ce bon Cirano la feule idée vraiment
plaifante qu'il ait jamais eue ; que dans le
Milantrope tu as imité une douzaine de vers de
136 MERCURE DE FRANCE.
Lucréce ; que les Cannevas Italiens & les Romans
Efpagnols t'ont guidé dans tes premiers ouvrages
; mais n'eft- ce pas toi qui as inventé ce ſublime
Milantrope , le Tartuffe , les Femmes Savantes
& même l'Avare , malgré quelques traits de
Plaute que tu as tant furpallé ? Quel chef-d'oeuvre
que cette dernière pièce ! chaque fcène est une
fituation , & l'on a entendu dire à un avare de
bonne foi qu'il y avoit beaucoup à profiter dans
cet ouvrage , & qu'on en pouvoit tirer d'excellens
principes d'économie.
Et les Femmes Savantes ? quelle prodigieufe
création ! quelle richeffe d'idées fur un fonds qui
paroifloit fi ftérile ? Quelle variété de caractères !
qu'eft- ce qu'on mettra au- deffus du bonhomme
Chrifalde qui prêche toujours pour fon pôt , &
qui ne permet à Plutarque d'être chez lui que pour
garder les rabats & cette charmante Martine
qui ne dit pas un mot dans fon patois qui ne foit
plein de fens & de raifon ? Quant à la lecture de
Triflotin , elle eft bien éloignée de pouvoir perdre
aujourd'hui de fon mérite. Les lectures de fociété
retracent fouvent la fcène de Molière , avec cette
différence que les auteurs ne s'y difent pas d'injures
& ne fe donnent pas des rendez vous chez
Barbin ; ils font aujourd'hui plus fins & plus polis
, & en lavent beaucoup davantage.
❤
Oublierons- nous dans les Femmes Savantes un
de ces traits qui confondent ? C'eſt le mot de Vadius
qui , après avoir parlé comme Caton fur la
manie de lire fes ouvrages , met gravement la
main à la poche , en tire le cahier qui probablement
ne le quitte jamais : voici de petits vers. C'eft
un de ces endroits où l'acclamation eſt univerſelle.
DECEMBRE. 1770. 137
Combienj'ai vu de fpectateurs faifis d'une furpriſe
très - réelle ! ils avoient pris Vadius pour le fage de
la pièce.
Ces fortes de méprifes font ordinairement des
triomphes pour l'auteur comique. Ce fut pourtant
une méprife femblable qui fit tomber le Mifantrope.
Il eft dangereux en tout genre d'être trop
au- deffus de fes juges , & Racine s'en apperçut
dans Britannicus . On n'en favoit pas encore aflez
pour trouver le fonnet d'Oronte mauvais . Ce fonnet
d'ailleurs eft fait avec tant d'art , il reffemble
fi fort à ce qu'on appelle de l'efprit , il réuffiroit
tant aujourd'hui dans des foupers qu'on appelle
charmans , que je trouve le parterre excufable de
s'y être trompé. Mais , s'il avoit été aflez raiſonnable
pour en favoir gré à l'auteur , je l'admirerois
prefque autant que
Molière.
Après tout , cette injuftice du parterre nous a
valu le Médecin malgré lui . Molière , tu riois
bien , je crois , au fond de ton ame d'être obligé
de faire une bonne farce pour faire pafler un chefd'oeuvre.
Te ferois - tu attendu à trouver de nos
jours un cenfeur rigoureux qui reproche amèremenr
àton Milantrope de faire rire ? Il ne voit
pas que le prodige de ton art eſt d'avoir montré le
Milantrope de manière qu'il n'y a perfonne , excepté
le Méchant , qui ne voulut être Alcefte avec
fes ridicules . Tu honorois la vertu en lui donnant
une leçon , & Montaufier a répondu il y a longtems
à l'orateur Genévois .
Eft- il vrai qu'il a fallu que tu fiffes l'apologie
du Tartuffe Quoi ! dans le moment où tu t'élevois
au- deſſus de ton art & de toi - même , au lieu
de trouver des récompenfes , tu as rencontré la
138 MERCURE DE FRANCE.
perfécution ! A - t-on bien compris même de nós
jours ce qu'il t'a fallu de courage & de génie pour
concevoir le plan de cet ouvrage & l'exécuter dans
un tems où l'hypocrffie , tenoit fouvent lieu de
mérite C'est dans ce tems que tu as entrepris de
porter un coup mortel à l'hypocrifie qui , en effet,
ne s'en eft pas relevée. C'eſt un vice qui n'eft plus
de mode , & c'est beaucoup ; le meilleur fermon
fur l'hypocrifie , fût - il de Tartuffe lui - même ,
n'en auroit pas fait autant.
Qu'est- ce qui a égalé Racine dans l'art de peindre
l'amour c'eft Molière. Voyez les fcènes des
amans dans le Dépit amoureux , premier élan de
fon génie. Dans le Tartuffe , entendés Alcefte s'écrier,
ah ! traitreffe ! quand il ne croit pas un mot
de toutes les proteftations d'amour que lui fait
Céliméne , & que pourtant il eft enchanté qu'elle
les lui faffe ; relifez toute cette admirable ſcène
où deux amans viennent de fe raccommoder , &
où l'un des deux , après la paix faite & fcéllée ,
dit pour première parole ,
Ah! çà , n'ai -je pas lieu de me plaindre de vous ?
Revoyez cent traits de cette force , & fi vous avez
aimé , vous tomberez aux genoux de Moliere , &
vous direz avec Sadi , voilà celui qui fçait comme
On aime.
Qu'est-ce qui a égalé Racine dans l'art des vers ?
Qu'est- ce qui a un auffi grand nombre de ces vers
pleins , de ces vers nés , qui n'ont pas pû être autrement
qu'ils ne font , qu'on retient dès qu'on
les entend , & que le lecteur croit avoir faits ? C'eſt
encore Moliere. Quelle foule de vers charmans !
DECEMBRE . 1770 . 339
quelle facilité ! qu'elle énergie ! fur- tout quel naturel
! ne ceffons de le redire ; le naturel eft le
charme le plus fûr & le plus durable ; c'eft lui qui
fait vivre les ouvrages , parce que c'eft lui qui les
fait aimer ; c'eſt le naturel qui rend les écrits des
anciens fi précieux , parce que, maniant un idiome
plus heureux que le nôtre , ils fentoient moins le
befoin de l'efprit ; c'eft le naturel qui diftingue le
plus les grands écrivains , parce qu'un des caractères
du génie eft de produire fans effort ; c'eft le
naturel qui a mis la Fontaine qui n'inventa rien à
côté des genies inventeurs ; enfin c'eſt le naturel
qui fait que les lettres d'une mère à fa fille ſont
quelque chofe , & que celles de Balzac , de Voiture
, & la déclamation & l'affectation en tout
genre font , comme dit Sofie , rien ou peu de
chofe.
Les Crifpins de Regnard , les Païfans de Dancourt
font rire au théâtre. Dufréni étincelle d'efprit
& a une tournure originale ; le Joueur & le
Légataire font de beaux ouvrages ; le Glorieux ,
la Métromanie & le Méchant ont des beautés d'un
autre ordre. Mais rien de tout cela n'eft Moliere .
Il a un trait de phyfionomie qu'on n'attrape point
& que même on ne définit guères . On le retrouve
jufques dans fes moindres farces qui ont toujours
un fond de vérité & de morale. Il plaît autant à
la lecture qu'à la repréfentation , ce qui n'eft arrivé
qu'à Racine & à lui ; & même de toutes les
comédies , celles de Moliere font à peu près les
feules que l'on aime à relire. Plus on connoît Moliere
, plus on l'aime. Plus on étudie Moliere ,
plus on l'admire. Après l'avoir blâmé fur quelques
articles , on finit par être de fon avis ; c'eft
140 MERCURE DE FRANCE .
qu'alors on en fait davantage. Les jeunes gens
penfent communément qu'il charge trop. J'ai entendu
blâmer le pauvre homme répétés ſi ſouvent ;
j'ai vu depuis précisément la même ſcène & plus
forte encore , & j'ai compris qu'on ne pouvoit
guères charger ni les ridicules ni les paffions.
Moliere eft l'auteur des hommes mûrs & des
vieillards . Leur expérience fe rencontre avec les
obfervations , & leur mémoire avec fon génie. Il
obfervoit beaucoup ; il y étoit porté par fon caractère
, & c'eft fans doute le fecret de fon art. Il
étoit trifte & mélancolique cet homme qui a écrit
fi gaiment ; que le génie eft entouré deprivations
& defardeaux ! Ceux dont il confidéroit les travers
& les foibleffes étoient fouvent bien plus
heureux que lui. J'en excepterois les jaloux , s'il
ne l'avoit pas été lui- même.
Moliere jaloux lui qui s'eft tant mocqué de
la jalousie ! Eh ! oui , comme les médecins qui recommandent
la fobriété & qui ont des indigef
tions ; comme les hommes fenfibles qui préchent
Findifférence. Chapelle préchoit auffi Molière ; il
lui reprochoit fa jaloufie . Vous n'avez donc pas
aime , lui dit l'homme infortuné qui aimoit.
Il aima fa femme toute la vie , & toute fa vie
elle fit fon malheur. Il eft vrai que lorsqu'il fut
mort elle parvint à lui obtenir la fépulture . Elle
demandoit même pour lui des autels . Cela fait
fouvenir des Romains qui mettoient leurs empereurs
au rang des dieux , quand ils les avoient
égorgés.
Il fit trente & une pièces de théâtre dans l'efpace
d'environ vingt ans , & pas une d'elles ne
keflemble à l'autre. Il étoit cependant à la fois auDECEMBRE.
1770. 141
teur , acteur & chef de troupe. Il fut toujours
bien venu du Roi & confidéré des honnêtes gens .
Ce n'eft pas ici le lieu de difcuter l'opinion qui
flétrit la profeffion de Moliere , parce qu'il n'y a
point de profeffion que fon génie ne puiffe ennoblir,
que cette opinion tient à des queſtions délicates
, que les grands talens & les bonnes moeurs fee
ront toujours au -deffus de toute condition & que
ce n'eft pas trop la peine de parler du refte.
On lui a reproché de trop négliger fa langue ,
& on a eu raifon. Il auroit fûrement corrigé fes
ouvrages , s'il avoit eu plus de loifir , & fi fa laborieufe
carrière n'avoit pas été bornée à cinquante-
trois ans. On lui a reproché encore fes
mauvais dénoumens. Mais quand le plaifir du
fpectateur n'eft pas fondé fur l'intérêt , qu'importe
le dénoument ? Divertiffez pendant cinq actes &
amenez un mariage comme il vous plaira , je garantis
le fuccès.
Il eut des ennemis acharnés. Ils firent des pièces
contre lui , & il en fit contre eux . Je ne connois
guères que les gens de lettres à qui l'on recommande
expreflément de ne point fentir les injures.
Dans tout autre état la vengeance eft prefque
un devoir , & l'on feroit un crime de l'infene
abilité. Il faut abfolument qu'on regarde les gens
de lettres comme les premiers des hommes ou
comme les derniers .
On le plaint qu'on ne travaille plus dans le genre
de Moliere. Je pense qu'on a bien fait d'en eflayer
d'autres. Le champ où il a moiflonné eft
moins vafte qu'on ne l'imagine , & quand il refteroit
quelque coin où il n'auroit pas porté la
main , on craindroit encore de fe trouver dans
fon voifinage. La difpofition des efprits eft autre
142 MERCURE DE FRANCE.
que dans le fiécle paffé. Nous fommes au moment
de la fatiété , & nous voulons des émotions forres.
Nos moeurs font plus corrompues & nous
aimons qu'on nous parle de vertu . Nos moeurs
font plus raffinées & la fatyre eft exercée avec tant
d'art dans la fociété qu'elle paroîtroit froide fur
la fcène. Les contes font aujourd'hui ce que nous
aimons le mieux . La Chauflée nous en a faits qui
font intéreffans & bien écrits . Tout le monde alloit
pleurer à fes pièces , & tout le monde diſoit ,
pourquoi ne nous fait -il pas rite ? Et perfonne ne
le difoit plus haut que ceux qui ne favoient ni
faire rire ni faire pleurer. Du tems de Moliere
beaucoup de philofophes faifoient des contes.
Moliere feul faifoit de la philofophie fur le théâtre.
Aujourd'hui que les philofophes nous difent
quelques vérités , il faut que les contes revien
nent fur la fcène. C'eft le genre le plus fécond qui
nous refte , & fi Moliere avoit vu l'Ecole des Mères
& Mélanide , il auroit crié : Courage , la Chauf
fée.
Il étoit d'un caractère doux & de meurs
pures.
On raconte de lui des traits de bonté . Il étoit
adoré de fes camarades , quoiqu'il leur fît du bien,
& il mourut prefque fur le théâtre pour n'avoir
pas voulu leur faire perdre le profit d'une repréfentation.
Il écoutoit volontiers les avis , quoique
probablement il ne fit pas grand cas de ceux
de fa fervante. Il encourageoit les talens naiflans.
Le grand Racine alors à fon aurore lui lût une
tragédie . Moliere ne la trouva pas bonne , & elle
ne l'étoit pas ; mais il l'exhorta à en faire une autre
& lui fit un préfent. C'étoit voir mieux que
Corneille qui exhorta Racine à faire des comédies
& à quitter le tragique .
DECEMBRE . 1770. 143
Moliere n'étoit point envieux . De grands hommes
l'ont été. Ce fut lui qui ramena la cour & la
ville aux Plaideurs qui étoient tombés . Il étoit
alors brouillé avec Racine , avec qui on ſe brouilloit
facilement.. Ce moment dût être bien doux à
Moliere .
Cet homme qui fut un grand poëte , un grand
philofophe , & le premier des comiques de tous
les fiécles , mourut avant le tems & obtint à peine
la fépulture. Il ne fut point membre de la compa
gnie littéraire qui lui décerne aujourd'hui un éloge
, & fon nom ne mourrajamais..
S'il s'élevoit parmi nous dans la fuite un auteur
comique qu'on pût lui oppofer , c'eft que nos
moeurs feroient devenues plus fortes , & que cet
auteur auroit encore plus de génie que lui .
Avis au Public fur les ouvrages du
P. Avrillon .
Defpilly , libraire , rue St Jacques , à la
croix d'or , donne avis qu'il vient d'acquérir
tous les ouvrages du P. Avrillon ,
minime, qui fe vendoient précédemment
chez la Veuve Pierres , rue Saint-Jacques ,
fçavoir ;
Méditations fur la fainte Communion ,
in- 12.
Conduite pour paffer faintement le Carême
, in 12.
Conduite pour paffer faintement les octa144
MERCURE DE FRANCE .
ves de la Pentecôte , du St Sacrement
& de l'Affomption , in - 12.
Conduite pour paffer faintement l'Avent ,
in-12 . &c.
Il a acquis de M. le Mercier,
Le Combat Spirituel , dans lequel on
trouve les moyens les plus fürs pour
vaincre fes paffions , &c.
Le même libraire ayant pareillement
acquis nombre d'exemplaires des Sermons
du P. Chapelain , 6 vol . in- 12 , offre de
les donner au Public , de ce jour juſqu'au
15 Janvier de l'année prochaine 1771 ,
pour la fomme de 6 l . 12 f. en feuilles .
7 4 brochés.. Et de
Paffé lequel tems il les vendra 15 liv.
en feuilles.
LETTRE de M. de Rozoi , fur le Journal
Helvétique .
Comme plufieurs perfonnes étoient inftruites
que je travaillois à l'article des Nouvelles Littéraires
de la France , inféré chaque mois dans le
Journal Helvétique , c'eft une raiſon pour moi
de vous prier de rendre publique cette lettre . J'ay
ceflé d'y travailler , & j'rnnonce qu'à comiǹencer
DECEMBRE. 1770. 145
cer du Journal du mois de Septembre dernier , je
n'y ai aucune part. Cette réclamation a pour
objet de prévenir fur mes fentimens les perionnes
nommées dans le volume de ce mois en
fuppofant qu'elles cruffent avoir à fe plaindre
de ce qu'il contient.
Je fuis , &c.
DE ROZOT.
>
Lacombe , Libraire à Paris , eft pareillement
étonné que fon nom ait été mis , fans fon aveu ,
à ce Journal , & déclare qu'il ne fe charge point
des foufcriptions annoncées dans le Profpectus ,
ni du débit , malgré l'adreſſe indiquée chez lui .
LETTRE de M. Grofley , à Troyes , fur
M. Garrick , auteur de Londres.
J'eufle été moi - même , Monfieur , le Champion
de M. Garrick , contre tout homme qui auroit été
capable de lui impofer quelque fait attentatoire à
fon honneur : mes fentimens pour lui vous font
connus par l'affection avec laquelle j'ai parlé ( 1 )
du monument qu'il a confacré à Sackhefpéar , par
le détail où je fuis entré à ce fujet , fur les qualités
perfonnelles , enfin par la vivacité de mes regrets
de ne l'avoir point vû au théâtre , & de n'avoir pû
mêler mes applaudiflemens à ceux dont le comble
( 1) Londres , tom. 1 , p. 346 & ſuiv.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
une nation qui l'eftime autant qu'elle le chérit. (1)
Avec ces fentimens pour lui , je me trouve
coupable de lui avoir , fur un faux rapport , impofé
un fait qui compromet fon honneur dontil
doit être d'autant plus jaloux , que fon état en
Angleterre n'eft point regardé de même oeil qu'en
d'autres pays. J'ai dit qu'à la fuite d'une émeute à
outrance, au théâtre de Drury - lane, on avoitexigé
de lui qu'il demandât pardon à genoux & qu'il
l'avoitfait (2 ).
J'avois fenti tout l'excès ou plutôt toute l'atrocité
de cette exaction ; j'aurois dû fentir l'impoffibilité
du fait & ſon incohérence avec l'état de
M. Garrick , & rejeter le témoignage d'après lequel
je l'ai rapporté. Mais il entroit dans les motifs
de patience & de courage dont j'avois befoin
contre les injures , les grimaces & les geſtes menaçans
que j'avois à effuyer à chaque inftant de la
part du peuple de Londres : raflemblant tous les
exemples que j'ai rapportés de l'infolence de cette
canaille. Si , difois - je , elle eft en poffeffion d'en
uler ainfi avec fon Roi , avec un maréchal de
Saxe , avec un M. de la Condamine , avec un
» M. Garrick , je dois remercier le Ciel de ce
» qu'elle veut bien en ufer auffi béniguement avec
moi.
ל כ
сс
Je ne puis maintenant douter de l'illufion où'
m'a jeté ma fituation , en me faifant adopter un
rapport dont la faufleté infinuée par la lettre anonyme
publiée dans votre dernier Mercure fe
trouve autentiquement confirmée par des lettres
( 1 ) Ibid. tom. 3 , p. 95 & tom. 1, p. 89 .
(2) Londres , tom. 1 , p. 91 .
"
DECEMBRE. 1770. 147
que j'ai reçues d'Angleterre , & par une lettre dont
M. Garrick lui-même vient de m'honorer fous la
datte du 24 Septembre dernier.
Il m'y fait part de la furpriſe où l'a jeté cet article
de Londres ; il entre enfuite dans le détail du
fait qui ſe réduit , à fon égard , à s'être retiré, dès
que l'émeute eut interrompu le fpectacle , & à
avoir abandonné la place aux aflaillans . Il ajoute
que la fufpenfion du moitié prix qui avoit donné
lieu à l'émeute , n'étoit point propolée comme loi
générale pour l'avenir , mais feulement comme
un moyen d'indemnité des frais faits par les directeurs
& entrepreneurs pour remettre une ancienne
pièce ; que les fupports de l'écuffon de la loge du
Roi n'avoient été lancés fur le théâtre qu'après
que la toile fut baiffée ; enfin , que l'émeute au
théâtre de Heï- Marquet dont je parle au même
article fut occafionnée , non par un Italien , mais
par une perfonne de la première diftinction qui fe
plaît à de pareilles plaifanteries & qui avoit pouffé
celle-là jufqu'où elle pouvoit aller.
Et ces fautes & d'autres que je puis & dois avoir
commifes fur des rapports ou mal faits par les
Anglois que je queftionnois , ou mal faifis par
moi , trouveront leur correction dans les obfervations
que j'attens de M. de Nugent. En remerciant
ce lavant de l'honneur qu'il a fait à nos
Gentilshommes Suédois , en donnant de leur courfe
en Italie , une traduction de main de maître , à
ce que l'on m'a afluré , & quant à ce que je fuis
en état d'y voir , magnifiquement imprimée , je
l'ai prié de foumettre le Londres à l'examen d'un
comité formé entre lui & fes amis , lequel prendra
en confidération toutes les erreurs de fait qui
m'ont été fuggérées par des informations on mal
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
données ou trop légerement faifies ; & point dy
tout par le projet que me fuppofe la lettre anony
me inférée au Mercure , de ne rien laifler à dire
fur l'Angleterre à ceux qui viendroient parla fuite
: Suppofer à un écrivain borné à trois petits vo-
James un projet de cette espèce , c'eft homines ex
ftultis infanos facere.
L'ufage que je me promets de faire des obfer
vations de M. de Nugent & de toutes celles qui
me feront données à bonne intention , procurera
à M. Garrick la réparation que je lui dois & que
je lui ferois auffi à genoux , fi cela ne reflembloit
pas un peu trop à une des fcènes les plus fameufes
de notre théâtre françois , fcène dont les perfonnages
ne font faits ni pour M. Garrick ni pour
moi.
La manière dont M. de la Condamine en a uſé
avec moi , fur ma réponſe à la lettre inférée au
Mercure du mois de Juillet dernier , m'eft un au
gure , un préfage & un garant de la faveur que
trouvera cetre explication auprès de M. Garrick
Au moyen de celle que j'ai eue avec M.de la Con
damine que je n'avois point l'honneur de connoî
tre , je puis dire avec le Chérés de Térence :
Sæpè ex iftius modi re quápiam & ex malg
principio , magnafamiliaritas conflata eft.
DECEMBRE. 1770. 149
QUESTION.
Sçavoir fi jamais il y a eu un peuple qui ſe
foit nourri de chair humaine & quel étoit
ce peuple ? ... Les hiftoriens anciens &
modernes , parlent toujours d'Antropo
phages , & l'on defireroit fçavoir fi cette
antropophagie eft naturelle ou accidentel
le ; en un mot , s'il eft certain que la
nourriture de quelques peuples ait été la
chair humaine ?
MONTRE A CARILLON.
LE Sr Ranfonet , horloger à Nanci , a eu l'honneur
de préfenter à S. A. R. le Prince Charles de
Lorraine , au château de Marimont , une montre
de poche de la forme & de la grofleur ordinaires .
dans laquelle il a placé un inftrument de fon invention
, qui joue à volonté un air en duo avec
toute la jufteffe & la précifion qu'on peut defirer.
Le fon en eft très - agréable , très - diftinct , & peut
être entendu de l'extrêmité d'une chambre à l'autre.
L'harmonie en eft accélérée ou ralentie par un
régulateur , & toutes les pièces de ce petit inftru
ment font diftribuées avec tant d'art , qu'elles ne
gênent en aucune manière le mouvement de la
montre qui eft à cylindre . L'accord une fois fixé
me peut s'altérer par aucune influence du froid , du
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
chaud, de la fécherefle ni de l'humidité ; & cet inftrument
eft à l'abri de tous les inconvéniens de la
tenfion des cordes & de l'action des corps qui les
frappent ou les ébranlent.
Cette invention ingénieuſe a mérité au Sr Ran
fonet les éloges & l'approbation de l'académie
royale des fciences de Nanci , qui l'a fait examiner
par deux de fes membres, & Son Altefle Royale
qui fait apprécier les talens & les arts qu'Elle cultive
Elle inêine avec tant de goût , a reçu & recompenté
d'une manière digne d'Elle l'hommage
que cet artifte eft venu lui faire d'une production
auffi nouvelle que fingulière , qui peut fournir des
lumières pour la confection de pendules auxquelles
on pourroit adapter de femblables inftrumens,
bien préférables aux carillons , & même pour la
conftruction des clavecins d'un volume portatif
exemts des inconvéniens fans nombre auxquels
font fujets les clavecins ordinaires.
S. A. R. le Prince Charles de Lorraine a fait préfent
de cette montre à Madame la Dauphine fon
augufte nièce.
SPECTACLES.
CONCERT
E
SPIRITUEL.
Le jeudi , premier Novembre 1770 , il
y a eu concert fpirituel , dans lequel on a
Zonné d'abord une fymphonie ; enfuite
Requiem æternam tiré de la meffe de GilDECEMBRE
. 1770 . 151
C
les. On a fort applaudi à l'exécution de
Mlle de Villeneuve qui a joué avec légé-
-reté & préciſion fur la mandoline un concerto
de M. Stritzeri . Cette virtuofe fe
propofoit de jouer un concerto fur le claveffin
, mais les arrangemens du concert
ne le lui ont pas permis . M. Strizzeri
habile compofiteur , a joué avec beaucoup
d'applaudiffemens un concerto de violon.
M. l'Abbé Platel a chanté avec goût un
motet agréable à voix feule de la compofition
de M. l'Abbé Girouft . M. de
Châteauvieu,, que la beauté & l'étendne
de fon organe a fait admirer fur le théâtre
de l'opéra , a reçu de nouveaux fuffrages
, au concert fpirituel , dans le motet
Ufquequò de Mouret . Le concert a fini
par le beau De profundis de M. d'Auvergne
, furintendant de la mufique du Roi .
t
OPĚRA.
L'ACADÉMIE royale de mufique continue
les repréſentations d'Ajax . Mlle Durancy
a remplacé Mlle Duplant dans le
rôle de Caffandre , & a été fort applaudie
pour l'intelligence & l'expreffion de fon
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
jeu . Mlle d'Hauterive a chanté le rôle de
la Prêtreffe , dans lequel elle n'a pas eu
moins de fuccès que Mile de Châteauvieux
.
Mlle Niel a danfé l'entrée de Mile
Heinel , & a paru avec tout l'éclat d'un
talent diftingué que des progrès rapides
placent déjà au premier rang.
On a remis Zaïre au théâtre pour les
repréſentations des jeudis . Cet opéra eft
remis conformément au compte que nous
en avons donné dans le tems , à l'exception
du pas de deux au fecond acte , exécuté
à cette reprife par M. Simonin & par
Mile Duperay qui y font fort applaudis,
On répéte Ifmène & Ifmenias , tragédie
en trois actes. Nous en parlerons dans le
Mercure prochain.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le famedi , 10 Novembre , les Comïédiens
François ont donné une repréſentation
de Florinde , tragédie nouvelle de
M. le Fevre , auteur de Cofroès .
Le comte Julien s'eft retiré chez les
Maures pour les foulever contre l'Eſpa
DECEMBRE. 1770. 353
gne, fa patrie , & fe venger de l'affront
que le Roi Rodrigue a fait à fa fille . Les
Maures , conduits par un tel chef , portent
la défolation dans l'Efpagne ; ils font
prifonnière la fille de Julien fans la connoître.
Florinde , depuis long- tems féparée
de fon père , eft dans les fers , &
lui laiffe ignorer fon nom . Cette fille
brule d'amour pour fon raviffeur & craint
de lailer pénétrer le fecret de fa paffion
au plus cruel ennemi de fon amant, Cependant
Julien fent une tendre pitié pour
fa prifonnière ; il veut foulager fes ennuis
; tant de bontés font naître dans le
coeur de fa fille des fentimens de tendreffe
que l'intérêt de fon amour la force encore
de cacher. Rodrigue , fon roi & fon
samant , vient fous le titre d'un député
propofer aux chefs des Maures l'échange
de leur prifonnière avec cent captives de
leur nation . Julien eft chargé de répondre
au député. Il retrouve en lui fon roi,
dont il reçoit & repouffe les reproches.
Ce père eft prêt à oublier fon offenſe &
fa vengeance , fi Rodrigue confent à lui
rendre fa fille & à l'obtenir enfuite de
lui - même. Rodrigue foupçonnant un
piége dans cette demande , & affuré qu'il
n'a point reconnu fa fille dans fa prifon-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
nière , forme le projet de l'enlever ou de
périr. Cette amante veut envain combattre
la réfolution de fon époux & céde enfin
à fes voeax. Leur complot eft découvert.
Julien déclare la trahifon de cette pri
fonnière & la perfidie du député au confeil
des Maures ; il eft chargé de leur
fort. La prifonnière dévoile alors le myftère
de fa naiffance , & ce père attendri
ne fonge plus qu'aux moyens de tromper
les Maures pour leur dérober ces victimes
de leur vengeance ; il veut faire à
la fois le bonheur de fa fille dont il connoît
l'amour , & fatisfaire fon Roi dont
le repentir l'a fatisfait. Mais il a promis
fa fille au chef des Maures pour le prix
de fes fervices , & il ne peut fans danger
trahir ouvertement fes promeffes. Il diffimule
même avec fa fille & fon Roi pour
mieux les fervir ; il feint de mener les
Maures au combat , ayant foin de fe faire
accompagner principalement par les
Efpagnols qui l'ont fuivi. Rodrigue , trahi
par fes troupes , fe voyant hors d'état de
réfifter , & craignant de tomber dans les
mains de Julien qu'il regarde toujours
comme le plus cruel de fes ennemis ,
poignarde fon amante dans le tems même
où Julien vient l'offrir à fon Roi
DECEMBRE. 1770. 355
comme le
gage
de fa foumiffion. Rodri
gue ne peut foutenir l'horreur de fon crime.
Il entre en fureur à la vue du bonheur
dont il s'eft privé au moment d'en
jouir , & fe tue.
Cette tragédie a été retirée après la
première repréfentation , & n'a pas même
été achevée .
M. Molé a joué le rôle de Rodrigue.
M. Brizard , celui de Julien. Mde Veftris
a repréſenté Florinde ; Mde Molé , le
rôle de confidente .
Les Comédiens François ont repris le
mercredi , 21 Novembre , Beverley ou le
Joueur Anglois , pièce en cinq actes & en
vers par M. Saurin . Ce fpectacle a attiré
beaucoup de monde ; il offre le tableau
terrible de la paffion effrenée du jeu , &
des malheurs qui en font les fuites faneftes.
M. Molé rend le rôle de Beverley &
fes fureurs avec cette énergie , & ce feu
d'expreffion qui caractériſe fi fapérieurement
fon talent .
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné le
31 Octobre la première repréfentation de
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
la
l'Indienne. , pièce en un acte mêlée d'a
rietres ; paroles de M. Eamery ; muſique
de M. Cifanelli , qui , par ce coup d'effai ,
annonce qu'il eft en état de donner par
fuite des airs agréables & chantans. L'auteur
du poëme a tiré fon fujet de l'uſageodieux
qui force , dans plufieurs contrées
de l'Inde , les veuves à mêler leurs cendres
à celles de l'époux qu'elles viennent de
perdre ; mais il fuppofe que les hommes
fans y être également contraints , fe dévouent
quelquefois auffi volontairement
, furtout les prêtres qui font ce facrifice
, & qui ont intérêt de foutenir cette
cérémonie. L'auteur, fuppofe encore
qu'un Grand Prêtre, qui fe dévoue ,
foit par orgueil , foit par politique , à cette:
coutume barbare , peut fauver la vie à
une veuve deſtinée au bucher , en s'unif
fant à elle par un nouveau mariage. C'eſt
fur cette fable que porre la pièce dont
l'heroïne eft une jeune indienne qui préfere
de donner la main à un vieux Bonze
plutôt que de donner fa vie pour un époux.
quin'eft plus.Lesagaceries qu'elle emploiepour
fe faire époufer, ou plutôt pour échapper
au bucher, ont paru choquer le public
qui n'a voulu juger cette demarche que
d'après la bienséance de nos moeurs qui ne
permet pas à une femme de fe jetter àla
DECEMBRE. 1770. IST
tête d'un homme , fans vouloir entendre
que le voeu de la nature permet encore
moins de fe jeter dans le feu , pour fatisfaire
à la bienféance des meurs d'un autre
pays ; c'eft en général notre défaut de vouloir
tout comparer à nos ufages ;, tout af
treindre à notre routine , tout méfurer à
notre patron ; ce qui a encore contribué
au peu de fuccès de l'Indienne , c'eſt que
La plupart des fpectateurs avaient , fans
doute , efperé trouver une critique de la
tragédie que le théâtre françois a donnée
fur le même fujet , mais la véritable caufe:
du peu de réuffite de l'un & de l'autre
drame eft le fond fur lequel ils ont été
traités , trop éloigné de nos idées . Ce fait
tout hiftorique qu'il eft ne nous a préfenté
qu'un ufage en même temps atroce & ri
dicule , également incapable d'exciter nos
larmes & nos ris.
On a donné fur le même théâtre , le
lundi 26 Novembre la première repréfentation
de Thémire paftorale en un acte
mêlée d'ariettes . Les paroles font de M.
Sedaine & la mufique de M. Duni ..
Themire craint l'amour, mais elle eſt très--
fenfible à l'amitié de Timanthe. Palemon:
pète de Themire favorife les voeux du
berger. Il lui confeille de feindre d'aimer
158 MERCURE DE FRANCE.
Doris , & de vouloir l'époufer. La jaloufie
découvre bientôt l'amour dans le coeur
de Themire, & malgrè les fermens qu'elle
a fait jurer au berger de n'être fenfible
qu'à l'amitié , elle lui permet aufli d'avoir
de l'amour , à condition qu'il n'aimera
pas Doris. Cette paftorale eft imitée
d'une églogue de M. de Fontenelle . Il
y a de la fineffe de fentimens & d'expreffions
; mais le jeu eft peu favorable à l'action
du théâtre & à la mufique : cependant
M. Duni a compofé des chantsagréa
bles & variés autant que les fentimens
qu'il avoit à exprimer ont pu
le permettre.
Il n'y a que trois rôles dans cette paſtorale
, parfaitement rendus par Mde
la Ruette , par Meffieurs Caillot & Clairval.
ACADÉMIES.
I.
Rentrée de l'Académie des Infcriptions.
L'ACADÉMIE Royale des Infcriptions
& Belles- Lettres a tenu fa féance publique
le Mardi 13 du préfent mois. Le
DECEMBRE . 1770. 149
prix , dont le fujet étoit » Quels font les
» noms & les attributs de Jupiter » ? a
été remporté par M. l'Abbé la Blond .
M. le Beau a lu l'éloge de M. Bonami
: enfuite M. du Theil a lu un mémoire
fur une ode de Callimaque , en
l'honneur d'Apollon Carnéen .
J
M. de Sigrais a lu une diſſertation fur
le génie militaire des Gaulois .
La féance a été terminée par des obfervations
de M. l'Abbé Belley fur l'hiſtoire
& fur quelques médailles de Drufus Céfar
, fils de l'Empereur Tibère.
L'Académie avoit propofé , pour le
prix qui devoit être donné dans l'affemblée
de Pâque de la préfente année 1770,
l'Examen critique des anciens Hiftoriens
d'Alexandre le Grand ; elle a jugé à propos
de remettre le prix , & propofe le
même fujet pour l'affemblée de Pâques
1772.
Le prix fera double , confiftant en deux
Médailles d'or , chacune de la valeur de
quatre cents livre.
Toutes perfonnes , de quelque pays &
condition qu'elles foient , excepté celles
qui compofent l'Académie , feront admifes
à concourir pour ce prix , & leurs
ouvrages pourront être écrits en François
ou en Latin , à leur choix .
166 MERCURE DE FRANCE.
1
Les Auteurs mettront fimplement
ane Devife à leuts ouvrages ; mais , pour
fe faire connoître , ils y joindront dans
an papier cacheté , & écrit de leur propre
main , leurs nom , demeure & qualités
, & ce papier ne fera ouvert qu'après
Fadjudication du prix .
Les pièces , affranchies de tout port ,
feront remifes entre les mains du Secré
raire de l'Académie , avant le premier
Décembre 1771.
Rentrée de l'Académie royale des Sciences.
Le Mercredi 14 Novembre l'Académie
Royale des Sciences a tenu fon affemblée
publique , dans laquelle on a
fait les lectures fuivantes :
Eloge de M. l'Abbé Chappe , Altronome
, décédé dans fon voyage en Californie
au cap S. Lucar , où il étoit allé
faire fon obfervation du dernier paffage
de Vénus fur le diſque du ſoleil , par M.
de Fouchi.
On a été inquiet de favoir G M. l'Abbé
Chappe avoit pu faire fes obfervations ,
& les rédiger. Mais M. Baudouin , Maître
des Requêtes , a remis à M. de
Fouchi , Secrétaire de l'Académie , un
Mémoire qu'il avoit reçu d'Espagne ,
DECEMBRE . 1770. 161
contenant le détail des obfervations de
M. l'Abbé Chappe , & il en a été fait
lecture dans cette féance.
M. Cadet à lu une analyfe qu'il a
faite conjointement avec M. Laffonne
d'une eau minérale de Roye en Picardie.
Le réſultat de cette analyſe eft que
cette eau contient une petite quantité de
fer , de terre calcaire , de terre alkaline de
la nature de la baſe du fel d'epfom , & un
peu de fel commun . Elle a cela de particulier
qu'elle ne contient point le fer dans
l'état de vitriol martial , & qu'elle ne contient
point d'acide vitriolique.
M. de Fouchi a lu l'éloge de M. l'abbé
Nollet , fameux phyficien , fi célèbre par
fes travaux académiques , par fes leçons
publiques , par fes ouvrages
& par
couvertes dans plufreurs parties de la phy .
fique.
fes dé-
Cet éloge a été fuivi de la lecture faite
par M. Lavoisier d'un mémoire contenant
l'analyse de l'eau avec des expériences
pour déterminer fi elle peut fe convertir
en terre. Il réfulte de ce mémoire que la
petite portion de matière terreufe que
f'on fépare de l'eau à chaque diftillation ,
quelque réitérées qu'elles foient , vient
des vaiffeaux mêmes dans lefquels on
162 MERCURE DE FRANCE.
fait la diftillation , & non de l'eau , comme
l'avoient penfé quelques phyficiens &
chymiftes.
! M. Portal a lu un mémoire fur les
moyens de reconnoître par le tact le fiège
de plufieurs maladies des vifcères du bas
ventre .
I I.
Ecole Vétérinaire.
Dans le cours du mois d'Octobre 1770 ,
les habitans des villages de Bolozon &
de Lantenay , province de Bugey , ont
été fortement alarmés d'une maladie qui
commençoit à attaquer les bêtes d- cornes ;
le Geur Brachet , artifte vétérinaire , bré .
veté par Sa Majefté , & établi dans cette
partie de la généralité de Bourgogne , eft
accouru fur le champ à leur fecours , & a
arrêté bien-tôt les progrès de ce fléau
d'autant plus effrayants , que fes ravages
dans des Provinces où l'on abandonne les
animaux aux foins des propriétaires ignorans
, font énormes ; vingt - deux bêtes à
cornes étoient mortes avant fon arrivée à
Lantenay ; il en a préfervé deux cens
quatre vingt ; il n'en eft mort aucune entre
fes mains , & il en a guéri fept dans
DECEMBRE. 1770. 163
la paroiffe de Bolozon ; deux étoient
mortes avant fon arrivée ; il en a guéri
douze , aucune n'eft morte entre fes
mains , & il en a préfervé cent treize.
C'est ce qui eft attefté dans cette paroiffe
par les certificats du fieur Ant.
Chambard , prêtre , des nommés Vinot ,
Faray , Charnod & Gouquet , habitans ;
& dans la première , par les certificats
des fleurs Peyrat , curé ; du fieur Revoue
& des nommés Peliffon & Jacques Ver
nay , fyndics.
I I I.
Académie étrangère.
La Société des fciences de Copenhague
a tenu fa féance publique le premier
Août 1769. On examina d'abord les differtations
envoyées au concours pour les
prix propofés en 1769 fur des fujets de
phyfique , mathématique & d'hiftoire.
il fut jugé que malgré le foin & le génie
avec lefquels deux differtations fur le
fujet de Phyfique : invenire optimam´anthliarum
incendiis compefcendis aptarum.
ftructuram , & c , étoient écrites , perfonne
cependant n'avoit rempli tout ce
qui étoit exigé pour atteindre le but propofé.
164 MERCURE DE FRANCE.
La folution du problème hiftorique ?
Profpicuè & nervosè ex monumentis médii
Evi , &c. n'a point paru plus fatisfai
fante.
Mais la queftion de mathématique :
num planetarum motus & c , a été traitée
fi folidement & fi amplement par M.
Frifius profeffeur de Milan que le prix
lui a été adjugé .
Comme aucun prix ne fut diftribué
pour les problèmes hiftoriques & phyfi
ques , il fut conclu dans une affemblée
du 11 feptembre , que les queftions fuivantes
feroient propofées , fçavoir pour
le prix de phyfique : Trouver la meilleure
manière de conftruire les pompes à in-
» cendie , deforte que la machine ait non-
» feulement dans toutes les parties une
" force fuffifante , mais encore qu'elle
»foit dans un jufte rapport avec les loix
» de l'hydraulique , & que les leviers
fur leurs foutiens s'adaptent de telle
façon aux poids & puffances , qu'elle
foit fimple , le moins fujette qu'il eft
poffible a des réparations , commode à
» être tranfportée & mife en action dans
les lieux les plus étroits , & enfin la
plus propre à éteindre le plus prompte-
» ment toutes fortes d'incendies , & c.
Invenire optimam antliarum incendiis com
"
"
พ
"
DECEMBRE. 1779, 165
pefcendis aptarum ftructuram , ita quidem
nt cylindri , emboli , communicantes tubi
, valvula , vafa , fi qua adfuerint
comprimendo aëri deflinata , epiftomia
conjuti è corioferpentes , iisdemque annexa
cochleæ & tubi ejectitii , &c. non juftum
tantum robur , fed & proportionem
Legibus hydraulicis convenientiffimam for
tiantur ; ut vectes fuis fulciti hypomo
cliis & fuftentaculis ita aptentur ponderibus
& potentiis ut integra machina aquis
hauriendis ejiciendisque inventa fimplex
fit & reparationis minus indiga , ut commodè
moveri poffit , per anguftiores pla
teas facilè transferri , & ad incendia quæ
vis felicius extinguenda cumfucceffu poffit
adhiberi.
Le même fujet avoit été propoſé l'année
dernière . Cette focièté demande
ceux qui voudront concourir pour le
fecond prix de phyfique : Si la direction
» du cours des fleuves ne doit s'attribuer
qu'au hazard & à la fituation des terres,
c'est - à- dire , à leur élévation ou à leur
pente , ou fi quelque caufe générale
les détetmine à couler vers un tel point
cardinal du monde plutôt que vers les
»
autres.
Num foli cafui & ficui , elevationifor
166 MERCURE DE FRANCE.
licet vel depreffioni terrarum per quas
fluunt adfcribenda fit directio fluviorum ;
aut verò detur quædam caufa generalis quæ
efficit ut potius verfùs plagam quamdam,
mundi Cardinalem , quàm verfus cæteras
mundi plagas curfu fuo tendant.
Sujets des prix d'hiftoire.
Première queſtion hiftorique déjà propofée
l'année dernière : » Demontrer par
les monumens du moyen âge & par
» les faits les changemens caufés par les
" croifades dans le commerce , les arts ,
» l'art militaire , les inftitutions & les
» moeurs de l'Europe , & furtout de l'Eu-
» rope feptentrionale.
Profpicuè & nervosè ex monumentis me-
'dii avi & reipsa oftendere quam mutationem
commerciis , fcientia bellica , artibus,
inftitutis , moribus Europa feptentrionalis
potiffimùm attulerint expeditiones cruciata
, recuperanda Paleſtine gratiâ , ſufcepta.
Seconde queftion hiſtorique : » déter-
» miner en quel temps & dans quelles occafions
& circonftances la fervitude a
» été abolie en Europe , fpecialement
» en Dannemark & en Norvège.
DECEMBRE .
1770.
167
Quo tempore , quibus
occafionibus &
cafibus fervitus
diminuta eft &
antiquata
in Europa ,
Specialiter in Daniâ & Norvegia.
Sujet du prix
unique de
mathématique .
» Il s'agit de
déterminer la nature des
» taches du foleil &
d'établir
furtout ,
» par des
obfervations
exactes & nou-
»
velles , fi elles font fixes &
parmanen-
» tes , ou fi elles fe
forment & ſe diffipent
fur la furface du foleil .
Determinare quid fint
macula
folares
imprimis verò ex
accuratis & novis obfervationibus
nùm fine
conftantes , an verd
in
fuperficie folis
generentur
atque intereant.
Les
Sçavans foit
étrangers , foit nationaux
, excepté ceux qui font
membres
de la
Société ,
pourront
envoyer au concours
des
Mémoires écrits en
Danois ,
Latin , François ou
Allemand , & non dans
d'autres
langues. Ils
ajouteront à leurs
Mémoires une dévife ou
fentence , & ils
joindront un billet cacheté qui contiendra
la
même devife avec leur nom &
leur adreffe. Les
ouvrages écrits très lifiblement
, doivent être remis , francs de
168 MERCURE DE FRANCE.
port , avant le mois de Novembre 1771
à M. Hielmftierne , Confeiller des conférences
du Roi & Sécretaire de la Société.
Le prix confifte en une médaille
d'or de la valeur de cent écus argent de
Dannemarck. Ils feront adjugés vers la
fin du mois de Janvier 1772. Les auteurs
qui fouhaiteront retirer les Traités
qu'ils ont envoyés au dernier concours ,
font priés de s'adrefler , pour cet effet ,
à M. Hielmftierne , ayant la fin de l'année
courante.
ARTS,
GRAVURE.
I.
Monarchie Françoife ou recueil Chronologique
des portraits de tous les
Rois & des chefs des premières famil
les , avec des notes hiftoriques fur
leurs vies & le coftume de leur temps ,
depuis Pharamond jufqu'à Louis XV
regnant. Par M. Gautier Dagoty le fils,
Peintre & Graveur du Roi . Dedié à la
Patrie , vol, in 4° . A Paris chez Gaurier
DECEMBRE. 1770. 169
vier Dagoty le fils , rue Ste Barbe ,
près de Bonnes - Nouvelles ; Quillau
libraire , rue Chriſtine.
LESEs amateurs qui ont accueilli les premiers
cahiers de la Galerie Françoise de
M. Gautier verront avec plaifir les nouveaux
efforts qu'à faits cet artifte pour mé
iter de plus en plus leur eftime. Le nou
vel ouvrage dont il fe promet de publier
fucceffivement les cahiers , contiendra
les portraits des Rois de France & ceux
des illuftres François dont les noms & les
a tions font chers à la patrie. Chaque gravure
fera fuivie d'un précis hiftorique
quirappellera les principaux faits de l'hiſ
toire de France . Comme l'objet de l'Auteur
eft auffi de nous inftruire du coftume
du temps , il gravera tous les portraits.
en pied , avec leurs habillemens ordinaires
; il y joindra quelques portraits des
Princeffes les plus proches de la Couronne
, tant pour nous faire connoître les
modes de leur temps , qu'à caufe de la
part qu'elles pourront avoir aux événemens
rapportés dans la partie hiſtorique
de l'ouvrage. Le premier cahier fe diftri
bue actuellement. Il eft compofé des portraits
de Pharamond , Clodion , Merovée ,
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Childeric I , Clovis I , Childebert I. On
publiera un autre cahier tous les deux
mois , qui fera également compofé de fix
fujets & de plufieurs feuilles d'impreffion
felon l'étendue des matières . Il coû
tera 9 liv , broché pour les foufcripteurs
& 12 liv. pour ceux qui n'auront pas
foufcrit . On peu s'abonner pour fix mois
ou pour l'année entiere . Tous ces por
ttaits font hiftoriés , la gravure en eft
dans la manière du deffin au crayon noir
eftampé & réhauffé de blanc fur papier
teinté.
I I.
Le Satyre & le Villageois , eftampe d'environ
16 pouces de large fur 13 de
haut , gravée par P. Maleuvre , d'aprés
le tableau original deDietricy. A Paris
chez l'Auteur , rue St Hyacinthe , la
porte cochère vis - à- vis le foureur . Prix
4 liv.
Un Satyre reçoit un pauvre Villageois
dans fa grotte , & l'invite à dîner chez
lui ; mais , parce qu'il le voit tour- à - tour
fouffler dans fes doigts pour les réchauf
fer & fur fa foupe pour la refroidir , il
le renvoie en lui difant ;
DECEMBRE. 1770. 17
Arrière ceux dont la bouche
Souffle le chaud & le froid.
DE LA FONTAINE , liv. 5 , fable 7 .7 :
Ce fujet eft compofé de fix perfonnay
compris deux enfans du Satyre dont
l'un montre au doigt le payfan . Toutes
ces figures font animées. La compofition
eft trairée dans le ftyle Flamand , Dietricy
lui a donné un ton de lumière très- brillant
& qui a été rendu avec intelligence
par le graveur.
II L
La Sageffe & la Juftice , eftampe allégorique
gravée par Bonnet d'après le deffin
de M. Boucher premier Peintre du
Roi . A Paris chez l'Auteur , rue Gallande
, vis à- vis la rue du Fouare . Prix
1 liv.4 f,
Cette eftampe qui a 14 pouces de haut
fur dix de large eft gravée dans la manière
du deſſin au crayon noir & blanc
fur papier bleu .
On diftribue à la même adreffe & dans
le même genre de gravure , quatre petites
vues des environs de Paris. Ces vues
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ont été gravées par Marie Louiſe le Grand .
Prix 12 f.
On peut encore fe procurer chez le
feur Bonnet le portrait , grand comme
nature , de Paul Petrowitz , Duc regnant
de Holftein Gottorp , Grand Duc de
Ruffie , né à Petersbourg le premier Octobre
1754. Ce portrait a environ 18
pouces de haut fur 14 de large. Il est vu
de face , & il eft gravé dans la manière
du deflin au crayon rouge . Prix 1 liv.
I V.
Portrait de M. de la Martiniere premier
Chirurgien du Roi , gravé par Gaillard
, d'après le tableau de Latenville .
>
Cette eftampe a environ 17 pouces de
haut fur 14 de large . Elle repréfente M.
de la Martiniere en pied , vu jufqu'aux
genoux. A fa droite on apperçoit , dans
l'éloignement un fiége de place avec un
choc de Cavalerie , & au devant des Chirurgiens
occupés à panfer , fur le champ
de bataille des bleffés qui font enfuite
transportés dans des chariots couverts.
C'eft ainfi qu'on a défigné les campagnes
faites par M. D.L. M. en Italie , en Bohême,
enAllemagne , & c. Les divers établiſ
DECEMBRE . 1770. 173
femens qu'il a faits fous les aufpices du
Roi depuis qu'il eft premier Chirurgien ,
tels que les écoles publiques des principales
villes du Royaume , & l'Ecole pratique
de Paris , font indiqués par un médaillon
du Roi , appuyé fur le foubaffement
d'une pyramide & par deux Génies
dont l'un préfente à la France le plan du
nouveau Collège de chirurgie , l'autre
les édits , déclarations & lettres - patentes
qui confirment ces établiffemens . On
lit au bas de l'eftampe cette dédicace en
forme d'infcription ; » D. D. Germano
»Pichault dela Martinière , &c. A M. de
» la Martiniere , Confeiller d'Etat , Che-
» valier de l'Ordre du Roi , premier Chirurgien
de S. M. Préfident de l'Acadé
» mie royale , & chef de toute la chirurgie
du Royaume , pour le bien qu'il a
fait foit à la guerre , par fes travaux
qui ont confervé tant de citoyens , foit
» pendant la paix , en avançant par fes
foins , fous les aufpices du Roi , Louis
» le Bien- Aimé , les progrès de la Chirurgie
. Préfenté par Remi L. B. d'Ol-
» blen , comme un gage de fon attaché-
» ment& de fon refpect.
و د
">
33
"
»
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
V.
Portrait de François- Etienne de Nieuport
deffiné par Montperin , & gravé par
P. Chenu A Paris chez l'Auteur , rue
de la Harpe, vis-à- vis le caffé de Condé .
Prix 1 liv. 10 f.
L'eftampe a r2 pouces de haut , fur 8
& demi de large. On lit au bas que M.
de Nieuport eft né à Paris , paroiffe S.
Severin , le 15 Septembre 1717 , qu'étant
infirme de paralifie , d'attaque des
nerfs , d'uue obftruction au foie avec
tumeur fur l'eftomac depuis fix ans & de
mi,aprés avoir paffé fous leS.Sacrement, il
fur guéri auffitôt le 25 Mai 1769 , jour
de la Fête Dieu , à la proceffion de la
paroiffe S. Côme.
V I.
La barque mife à flot : eftampe nouvelle
, gravée par Madame Bertaud d'après
M. Vernet ; & dediée à M. de
Montúllé , Confeiller d'Etat & Secretaire
des commandemens de Madame
la Dauphine. Cette eftampe forme un
ovale d'environ 21 pouces de hauteur ,
Hiv
DECEMBRE. 1770. 175
für 18 de largeur. Elle eft enrichie de
figures d'une compofition très agréable &
rendue avec beaucoup d'art & d'intelligence
par l'artifte qui a très - bien ſaiſi
l'efptit & le pitorefque du tableau . Cette
eftampe ſe vend à Paris , chez Madame
Bertaud , rue S. Germain l'Auxerrois
la première allée à droite en entrant par
la Place des trois Maries , & chez Joullain
, quai de la Mégiſſerie.
Qu
GÉOGRAPHIE.
I.
UATRIEME feuille topographique de
la carte générale de Normandie , contenant
les villes de Caen , Coutances , S.
Lo , Vire , Ville Dieu , Condé , Villers ,
Caumont , Marigny , Lalande , & c . Et
quinzième feuille , contenant les Illes
de Gerzey . A Paris , chez Denis & Patour
, rue S. Jacques , au- deffus du Collége
du Pleffis.
I I.
Supplément des troubles de l'Eft : ſavoir
, la Moldavie en deux feuilles ; la
176 MERCURE.DE FRANCE.
Grèce & l'Archipel , une feuille ; la Morée
, une demi feuille. Prix 3 liv. les 4
feuilles. 6 livres lavées . Le recueil complet
de 14 feuilles , 8 liv . en blanc. 12
liv. lavé, chez le Rouge , rue des Auguftins.
MUSIQUE.
I.
PREMIER REMIER & deuxième recueils de menuets
, allemandes , & c. avec des variations
entremêlées d'airs agréables à chanter
, avec leurs accompagnemens ; dont
les fujets font tirés des meilleurs auteurs ,
arrangés pour le cithre ou la guitarre Allemande
, qui peuvent néanmoins s'exécuter
fur la mandore & fur la guitarre
Efpagnole , par M. Carpentier , chanoine
de S. Louis du Louvre , amateur ; prix
7 liv . 4 f. A Paris , chez Lemarchand ,
cloître S. Nicolas du Louvre ; Hugard de
Saint- Guy , place du vieux Louvre ; &
aux adreffes ordinaires .
4
Amuſement de campagne ; prix 1 liv.
f. & recréations des Dames , quatre par
ties de 24 f. Par le même , & chez les
mêmes marchands de mufique .
DECEMBRE. 1770. 177
I I.
Quatrième recueil de petits airs de
chants de la comédie Italienne , avec accompagnemens
de la mandoline , & le
menuet d'Exaudet, varié fur différens tons;
dédié à Madame la Marquife de Choifeul-
Meufe , par M. Pietro Denis ; prix
liv. 12 f. gravé par Gérardin . A Paris ,
chez l'auteur , rue Montmartre , la porte
cochère en face de la rue Notre Dame
des Victoires , à côté d'un perruquier
& aux adreffes ordinaires de musique.
III.
Quatuor & ariettes de Lucile , & du
Tableau Parlant , pour le clavecin ou le
fortepiano , dédié à Madame de Laage
par M. Tapray ; gravée par Mademoifelle
Desjardin. Prix 3 liv. A Paris , chez
l'auteur , rue Poiffonniere , dans la maifon
du chandelier , & aux adreffes ordinaires.
A Lyon , chez M, Caftaud , place
de la Comédie .
I V.
Sonates pour le clavecin , avec accom
pagnement de violon ad libitum , dédiée
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
à Madame la Princeffe de Liſtenois , par
M. Tapray , maître de clavecin , gravées
par Mademoiſelle Desjardin oeuvre II .
Prix 4 liv. 4 f. A Paris , chez l'auteur ,
rue Poiffonniere , dans la maifon du chandelier
, & aux adreffes ordinaires . A Lyon,
chez M. Caftaud , place de la Comédie.
V.
Noël de Boifmortier , à 4 parties pour
les mufette vielle , violon , baffe ,
flute & hautbois . A Paris , aux adreffes
ordinaires de musique.
V I.
Nouvelle manière de graduer les inftrumens
à corde.
Le fieur Turpin , organifte de la cathédrale
de Reims , & le fieur Goffet , facteur
d'inftrumens dans la même ville ,
font les auteurs de cette nouvelle méthode.
Ils l'ont foumife à l'examen & au
jugement de Meffieurs de l'académie
royale des fciences de Paris. Leur découverte
a été non feulement approuvée ,
mais même applaudie comme un moyen
fûr de procurer à la plupart de uos inf
·
DECEMBRE . 1770. 176
trumens de mufique une jufteffe qui leur
a manqué jufqu'à préfent , & de jeter
dans les accords harmoniques une beauté
& une perfection qu'on y cherchoit en
vain.
Ce n'eft que d'après une approbation
d'un auffi grand poids , & d'aprés les
fuffrages de plufieurs habiles maîtres de
l'art , que le fieur Goffet s'eft cru autorifé
à annoncer fa méthode au public.
›
Ells confifte donc à placer & à couper
différemment les petits travers ou fillets
qui divifent les manches des guittares
des Mandoles , des mandolines , des
violes , des quintons , & de les fixer fur le
manche , de manière que la corde qui pofe
deffus , rende dans la jufteffe la plus géométrique
, le fon que le doigt ou l'archet
lui demande. M. de Fouchy , fecrétaire
perpétuel de l'académie royale des fciences
, a fait graduer fa guitarre d'après cette
nouvelle règle , & en eft parfaitement
content ; le fieur Melchy , fi connu par
fon talent fupérieur pour le même inftrument
, s'eft fervi de la même méthode ,
& regrette tous les jours qu'elle n'ait pas
été connue plutôt. Plufieurs autres perfonnes
qui ont déja fait uſage du même
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fyftême , ne ceffent de s'en louer & d'en
féliciter les auteurs.
Le fieur Goffet appliquera , fi l'on veut ,
la même règle de graduation aux baſſes ,
aux contre- balles , & aux violons , & on
ne peut douter qu'il n'en réfultât une
grande facilité pour apprendre à jouer de
ces inftrumens- là. Les maîtres s'épargneroient
bien des peines & bien des dégoûts ,
puifque leurs élèves , en fe conformant
fimplement aux petits travers , qui leur
indiquent l'endroit où ils doivent placer
leurs doigts , feroient affurés de toucher
parfaitement jufte à la première leçon.
Plufieurs maîtres en ont déja fait l'expé
rince avec fuccés.
Les perfonnes qui voudront faire gra
duer quelqu'un des inftrumens mentionnés
ci- deffus , ou s'en procurer de tour
faits , pourront s'adreffer aufieur Goffet,
à Reims , rue des Fufiliers. Il fe fera un
devoir de répondre au defir du public
amateur de mufique..
DECEMBRE. 1770. 181
.
LETTRE de M. Rigoley de Juvigny
confeiller honoraire au parlement de
Metz, au fujet de l'Autoinate qui joue
aux échecs , annoncé par la Lettre de
M. du Tens , inférée dans le fecond vol.
du Mercure du mois d'Octobre dernier
pag. 186 .
Le prodige de méchanique , Monfieur , que
vient de nous annoncer M. du Tens , reffemble
à une de ces merveilles fabuleufes de l'antiquité ,
auxquelles l'ignorante fimplicité peut ajouter
foi ; mais que les efpriis éclairés rejettent depuis
long-tems . La tête d'Albert le Grand qui
parloit , le pigeon volant d'Architas , tout incompréhenfibles
qu'ils font , me paroiffent moins
furprenans , que l'automate jouant aux échecs:
contre les plus habiles joueurs , que M du Tens
a vu à Presbourg chez M. de Kempel. Si tout
autre que M. du Tens , nous eût raconté cette
merveille , elle n'eût pas fait grande fenfation..
Mais , quand on confidère que c'eft un favant ,
célèbre dans la république des lettres , que c'eft
l'auteur de plufieurs ouvrages excellens , entr'autres
, des recherches fur l'origine des découvertes
attribuées aux modernes , qui nous affure
avoir vu & examiné tous les refforts intérieurs
de la machine , & n'y avoir rien trouvé qui
puiffe faire foupçonner quelque communication ,
ou la moindre fupercherie , qui nous dit avoir
joué lui- même une partie d'échecs avec l'auto182
MERCURE DE FRANCE.
mate , comme il l'auroit jouée avec toute autre
perfonne ; un pareil témoignage mérite la plus
grande confidération , & s'il , ne forme pas une
autorité complette , il doit du moins fufpendre
notre jugement , jufqu'à ce que de nouveaux
éclairciffemens déterminent notre croyance
à cet égard. C'eſt donc de M. du Tens que
nous devons attendre ces éclairciffemens. Il a
inftruit le public d'un fait qu'il regarde comme
auffi important à l'honneur des fciences , que
glorieux pour Presbourg , qui l'a produit. Ce
font- là deux motifs bien capables de l'engager
à revoir cet ouvrage de la plus incroyable méchanique,
& à forcer fon auteur de nous convaincre
de la réalité du fait .
Un automate eft une machine de figure humaine
ou d'animal quelconqne , qui renferme
en elle- même le principe de fes mouvemens ,
& qui , après être montée , n'agit plus que par
le fecours immédiat de ſes refforts , fans aucun
fecours étranger. Toutes les machines de cette
efpèce , connues jufqu'à ce jour , ont leurs
mouvemens déterminés , foit dans la forme ,
foit dans la durée. Le fûteur automate du célèbre
M. de Vaucanfon , qui a étonné toute
l'Europe , avoit bien des mouvemens variés ,
puifqu'il jouoit plufieurs airs de flûte ; mais
tous ces mouvemens étoient déterminés , & arrivoient
dans des périodes de tems réglés . On
admira la précifion avec laquelle ils s'exécutoient
& l'imitation parfaite qu'ils avoient avec
ceux du plus habile joueur , ( 1 ) de cet inftru-
( 1 ) Feu M. Blavet , le père .
DECEMBRE . 1770 . 183
ment, Mais dans le joueur d'échecs de M. dc
Kempel , il faut fuppofer des mouvemens ,
non - feulement indéterminés , mais indépendans
de la volonté & de la variété des mouvemens
de la perfonne avec laquelle il joue
ce qui eft incroyable.
Si M. de Kempel , ou quelque autre perfonne
influe fur chaque coup que joue l'automate ,
cette multitude prodigieufe de combinaiſons
différentes n'a plus rien de furprenant ; fa machine
ne mérite plus le nom d'automate ; ce
n'eft qu'un pantographe compofé , ou une marionnette
que l'on fait agir à volonté , & dont
tout le mérite confifte à avoir fu cacher les fils
qui la font mouvoir.
Il y a quelques années qu'on fit voir à Verfailles
un automare qui parloit. C'étoir une figure
de Bacchus affis fur un tonneau , qui prononçoit
à haute & intelligible voix , tous les
jours de la femaine , & fouhaitoit le bon jour
à la compagnie. Beaucoup de gens y furent
trompés , parce que le maître de la machine
laiffoit voir l'intérieur de la figure & du tonneau
, où l'on n'appercevoit que des tuyaux
d'orgue , des foufflets , des fommiers > des
roues , des cylindres , &c. mais l'illufion ne dura
pas long-tems : quelqu'un , plus clairvoyant , découvrit
un faux fommier , dans lequel étoit renfermé
un petit nain qui articuloit les mots
dont le fon feul parvenoit , à l'aide d'un tuyau ,
jufqu'à la bouche de la figure , d'où ils paroiffoient
fortir.
"
Nous fommes bien loin de croire M. de
Kempel capable d'une fupercherie aufli grof
184 MERCURE DE FRANCE.
fière. Elle n'auroit point échappée à l'examen
attentifque M. du Tens dit avoir fait de toutes
les parties intérieures de la table & de la figure
automate Mais fi M. de Kempel veut partager
la gloire des hommes de génie qu'il a prétendu
imiter , il doit le montrer au grand jour. Il faut
qu'il découvre l'intérieur de fa méchanique , &
qu'il fafle voir à tous les yeux l'origine & la
fuite des mouvemens de fon automate , comme
l'a fait M. de Vaucanfon , lorſqu'il a expofé les
fiens à nos regards .
Dans les premiers jours que fon flûteur parut
, je me rappelle que beaucoup de gens ne
vouloient pas croire que ce fût la flûte que
tenoit l'automate , qui rendît les fons. On
s'imagina que ce n'étoit qu'une ferinette ou
une orgue d'Allemagne enfermée dans le corps
de la figure , dont les fons fortoient par la
bouche de l'automate . Les plus incrédules furent
bientôt convaincus que l'automate em
bouchoit réellement la flûte ; que le vent , au
fortir de fes lèvres , la faifoit raifonner , & que
le mouvement de fes doigts en formoit les différens
tons. La machine fut foumiſe à l'examen
le plus fcrupuleux & aux épreuves les plus décifives
: il fut permis à tous les fpectateurs de
voir les refforts les plus cachés , & d'en fuivre
le jeu en un mot , chacun eut la liberté de
s'affarer par lui-même que l'automate jouoit
effectivement de fa flûte , avec autant de précifion
& d'agrément , qu'auroit pu faire M.
Blavet lui- même.
Le méchaniſme de fon canard automate fut
également expafé aux yeux & à la critique de
DECEMBRE. 1770. 185
tous les curieux : dans le tems qu'on voyoit cét
animal artificiel , manger dans la main le grain
qu'on lui préfentoit , boire & barboter dans
l'eau qu'on lui apportoit dans un vaſe , rendre
fes excrémens , s'éplucher les aîles & les étendre
, imiter tous les mouvemens d'un canard
vivant , il étoit permis à toute perfonne de regarder
dans l'intérieur du pied d'eftal , ou
étoient toutes les roues , tous les leviers & tous
les fils qui communiquoient par les jambes de
l'animal à toutes les différentes parties de fon
corps , qui étoit auffi à découvert . On y voyoit
les premiers & les derniers mobiles : un poids ,
comme dans le flûteur, étoit la feule & unique
puiffance qui mettoit & entretenoit le tout
en mouvement.
Son joueur de tambourin , étoit encore un
automate qui portoit en lui - même le principe
de fes mouvemens. On le montoit comme une
horloge , & il jouoit des menuets , des rigaudons
& des contre-danfes , avec la plus grande
jufteffe , pendant une demie heure que le poids
étoit à defcendre.
Enfin , Monfieur , l'automate fabricant de M.
de Vaucanfon n'étoit pas moins fuprenant ,
quoique le premier moteur en fût différent.
C'étoit un ane , qui , attelé à un cabeſtan ',
tournoit , & fabriquoit , fans le favoir , une
pièce d'étoffe de foie en fatin , ou en taffetas
de la meilleure qualité & de la plus grande perfection
. Toute la méchanique y étoit à découvert
; on voyoit le jeu des liffes qui ouvroient
la chaîne , le mouvement alternatif de la navette
qui couchoit la trame , celui du peigne
186 MERCURE DE FRANCE:
qui frappoit l'étoffe , le mouvement du rouleau
, fur lequel fe plioit l'étoffe , à meſure
qu'elle fe fabriquoit ; enfin , tous les leviers ,
toutes les courbes , toutes les cordes qui produifoient
les mouvemens étoient mis en jeu
par la feule marche de l'âne il n'y avoit qu'une
femme pour renouer les fils ; elle arrêtoit le
métier en pouffant un bouton , lorfqu'il ſe rompoit
quelques fils ; & , après les avoir raccommodés
, elle retiroit le bouton , & le métier
reprenoit fon jeu .
M. de Vaucanfon rendit fon âne plus habile
encore , l'année fuivante : il parvint à lui faire
fabriquer des étoffes façonnées . Le moyen qu'il
a employé pour faire exécuter des fleurs fur
fon étoffe a paru la chofe du monde la plus
ingénieufe , & l'eft en effet. Le métier alloit
fans fecours étranger ; l'âne , en marchant , faifoit
feul toute la befogne , & chaque fpectateur
pouvoit voir les refforts de la machine ,
miner la combinaifon des différentes pièces , &
en confidérer le jeu , depuis le premier , jufqu'aux
derniers mobiles .
exa-
Vous avouerez , Monfieur , que fi l'on favoit
ainfi tirer parti de tous les ânes , ils pourroient
être encore plus employés qu'ils ne le font. On
voit d'ailleurs tant d'automates groffièrement
animés faire fortune , briguer des places , être
protégés & préférés aux êtres intelligens , que
dans le cas où ces machines viendroient à fe
détraquer , on pourroit aifément les remplacer
par des ânes , le principe moteur étant , du moins
en apparence , à- peu- prés le même dans les uns
comme dans les autres
DECEMBRE. 1770 187
Quoiqu'il en foit , Monfieur , je ne fais fi
M. du Tens trouvera facilement dans l'antiquité
l'origine des découvertes de notre méchanicien
moderne ; mais au moins , doit -il convenir que ,
fi elle lui a fourni des modèles , ces modèles
n'ont pu lui frayer aucune route , & qu'on doit ,
à jufte titre , le regarder comme le créateur , ou
le premier inventeur de ce genre. Au refte , tous
ces chefs -d'oeuvres de méchanique n'avoient que
des mouvemens conftans & déterminés. Si M.
de Kempel a pu donner à fon automate des
mouvemens indéterminés , & dépendans d'une
volonté quelconque & étrangère , il fandra
regarder fon auteur comme un homme furnaturel.
I importe donc à la gloire perfonnelle
de Monfieur de Kempel & à celle de
fa nation , de mettre fa découverte dans le
plus grand jour , & de convaincre tous les favans
, que fon automate renferme en lui - même
les principes de tous fes mouvemens , que ces
mouvemens ne font dirigés que par des moteurs
imaginés , & fans le fecours d'aucune intelligence
; nous lui prodiguerons alors tous les
fentimens de notre admiration . Mais , s'il refufoit
de donner cette conviction , M, du Tens
feroit forcé de convenir que les louanges qu'il a
données au méchanicien de Presbourg , font hafardées
, & que la gloire de l'invention demeure
jufqu'à préfent , fans partage , au méchanicien
François.
Je nefuis point enthoufiafte , Monfieur , vous
le favez. J'aime les arts & les lettres , ils
font toute la douceur de ma vie , & je les culsive
, fans prétention , comme fans cavic & ja188
MERCURE DE FRANCE.
loufie , n'étant attaché qu'au parti de la vérité.
Si je fuis donc entré dans un fi grand détail fur
les machines de M. de Vaucanfon , c'eft que je
les ai vues cent fois , que je les ai examinées avec
la plus fcrupuleufe attention , & que mon admiration
pour leur auteur a toujours été en augmentant.
Il n'a pas beſoin de mon foible éloge.
La poftérité a déja marqué fa place parmi le petit
nombre d'hommes de génie , d'inventeurs
d'arts utiles , & de bons citoyens , dont les travaux
& les veilles ne tendent qu'à bien méritér
de leur patrie. Pauci quos aquus amavit Jupiteṛ.
Vous avez voulu favoir , Monfieur , mon
fentiment fur l'automate de M. de Kempel. J'ai
hafardé de vous dire librement ce que j'en penfois.
La lettre de M. du Tens eft trop férieufe
pour n'être pas d'un homme perfuadé ; mais cela
ne fuffit pas pour perfuader les autres. Il faut
des preuves , & je les demande à M. de Kempel
& à M. du Tens. Cependant , fi cette lettre de
M. du Tens n'étoit qu'un badinage , comme je
le crois , je ne devine pas quel peut être fon but :
fur quoi tomberoit alors la plaifanterie ?
J'ai l'honneur d'être avec un fincère attachement,
Monfieur ,
Votre très- humble
& très- obéiſſant ferviteur.
RIGOLEY DE JUVIGNI
A Paris , le 9 Octobre 1770.
DECEMBRE. 1770. 189
De la nature des Loix en général.
LA Loi , dans le fens le plus général & le plus
étendu qu'on puifle donner à ce mot , eft une règle
des actions . On l'applique indifféremment à
l'action de tout ce qui eft animé ou inanimé , raifonnable
ou irraifonnable ; & c'est delà que l'on
dit que le mouvement , la gravitation , l'optique
& la méchanique ont leurs loix auffi- bien que la
nature & les nations , C'est toujours une puiflance
fupérieure qui preferit cette règle , & l'inférieure
eft forcée d'y céder.
-
Ainfi , lorfque l'Etre Suprême , en formant l'Univers
, créa de rien la matière , il lui imprima
certains principes dont elle ne peut jamais fe départir
; elle cefleroit d'exifter s'ils n'exiftoient
plus eux - mêmes. El lui donna de la mobilité :
mais il établit en même tems certaines loix de
mouvement auxquelles tout corps mobile doit fe
conformer ; & , fi l'on defcend de la plus grande
des opérations à une des plus petites , un artiſte
qui veut faire une pendule l'affujettit à ſon gré à
certaines loix arbitraires qui la dirigent. Il lui fait
fonner les heures , il force l'aiguille à décrire un
elpace donné dans un tems fixe , & tant qu'elle
ne s'écarte point de cette loi , elle reſte parfaite ,'
elle remplit l'objet qu'il en avoit conçu .
Détournons- nous les yeux de la matière purement
inerte pour les jeter fur la vie végétale &
fur la vie animale , nous les voions l'une & l'autre
également gouvernées par des loix ; elles fon
190 MERCURE DE FRANCE .
plus nombreuses à la vérité , mais elles n'en font
pas
moins fixes & invariables. Les différens accroiffemens
des plantes depuis le germe jufqu'aux
fleurs qui donnent une nouvelle fémence , le méchanifme
de la nutrition animale, de la digeftion ,
de la fécrétion & de toutes les autres parties de
l'économie vitale ne font pas abandonnés au hafard
ni à la volonté de la créature ; ils font combinés
d'une manière auffi merveilleufe qu'abſolue
, ils font guidés par les règles fûres & infaillibles
que le Créateur leur a impofés.
La fignification la plus générale de la loi cft
donc une règle de l'action qui émane de quelque
être fupérieur , & tout être créé qui n'a ni penſée
ni volonté , eft invariablement foumis à cette loi.
Son exiſtence même dépend de fon afſujettiſlement,
Mais ce n'eft pas lous ce point de vue univer
fel que nous nous propofons de confidérer les
loix. Elles indiquent à l'homme , le plus noble
des êtres fublunaires , des règles de les actions &
de fa conduite , elles lui prefcrivent des préceptes
pour faire ufage & de la raifon & de la volonté libre
dont il eft doué ; c'eft feulement fous cet afpect
plus limité que nous les examinerons .
L'homme , confidéré comme créature , eſt un
être abfolument dépendant , & doit néceflairement
être affujetti aux loix de ſon Créateur. Un
êrre indépendant de tout autre n'a d'autres règles
à fuivre que celles qu'il fe prefcrit à lui - même ;
mais un état de dépendance oblige indifpenfablement
l'inférieur à fe conformer à la volonté de
celui dont il dépend pour la règle de fa conduite ,
&, fi ce n'eft pas dans tous les points, c'eſt au moins
dans tous ceux qui conftituent fa dépendance,
DECEMBRE. 1770 . 191
Ainfi ce principe a plus ou moins d'étendue &
d'effet à proportion que la fupériorité de l'un & la
dépendance de l'autre font plus ou moins grandes,
abfolues ou limitées . L'homme dépend abfolument
en tout de fon Créateur ; il eft donc abfo
lument néceflaire qu'il fe conforme en tout à fa
volonté.
La volonté du Créateur eft ce qu'on appelle la
loi de la nature. Dieu , en donnant à la matière un
principe de mobilité , en lui fixant des règles pour
la direction perpétuelle de ce mouvement , en agit
de même par rapport à l'homme. Il le doua , en
le créant , d'une volonté libre pour le conduire :
mais il forma en même tems pour la nature hu
maine certaines loix immuables qui mettent , en
quelque forte , un frein à cette volonté arbitraire.
Il lui donna auffi la faculté de la raison pour dé
couvrir , pour apprécier le but de ces loix.
En ne confidérant Dieu que dans fon pouvoir
infini , il eft indubitable qu'il pouvoit preferire à
l'honne les loix qu'il auroit voulu , quelqu'injuftes
, quelque févères qu'elles euffent été ; mais
comme il eft auffi d'une fagefle infinie , il ne lui
impola que des loix fondées fur des principes de
justice qui exiftoient dans la nature des chofes
avant qu'il y eût aucun précepte pofitif. Ce font
les loix éternelles & immuables du bien & du
mal , & qu'il nous fit connoître par le fecours de
la raifon humaine autant que cela étoit néceſſaire
pour diriger nos actions. Vivre honnêtement , ne
faire de tort àperfonne , rendre à chacun ce qui lui
eft dú ; tels font les grands principes qu'il impri
ma dans le coeur de l'homme , & c'eft à ces trois
préceptes que Juftinien a réduit toute la doctring
de la loi
192 MERCURE DE FRANCE.
Mais, fi la découverte de ces premiers principes
de la loi naturelle avoit abfolument dépendu de
l'exercice de la raifon , fi elle eût été aflujettie à un
enchaînement de recherches métaphyfiques , fi le
genre humain n'eût pas eu un motif qui l'excitât
à en faire , la plupart des hommes fe feroient contentés
de refter dans une indolence mentale dont
l'ignorance auroit été le fruit. Dieu , dont la bonté
eft auffi infinie que fa puiffance & fa fagefle ,
ne voulut pas qu'ils reftaflent dans cet état d'inertie:
il arrangea la conftitution humaine de manière
que nous n'aurions befoin d'autre aiguillon
pour chercher & poutfuivre la règle du bien que
notre feul amour- propre , ce principe univerfelde
nos actions ; & il a tellement lié les loix de la juftice
éternelle avec le bonheur de chaque individu,
qu'on ne peut l'obtenir fans les obferver & que
leur obfervation l'aflure néceffairement. Aufi ,
dans ce rapport mutuel de la juftice éternelle &
de la félicité humaine , n'a-t-il pas chargé la loi
naturelle d'une multitude de règles & de préceptes
abstraits fur ce qui convient & ce qui ne convient
pas , ainfi que quelques auteurs l'ont imaginé. Il
a daigné réduire toutes les règles de l'obéiffance à
ce feul précepte paternel : Connoiſſez & faites
votre bonheur. C'eft- là le fondement de ce
que nous appelons la morale de la loi naturelle.
Que les moraliftes la divifent à leur gré dans leurs
différens fyftêmes , ils n'en reviennent pas moins
à ce principe. Tout ce qu'ils difent ne fert toujours
qu'à démontrer que telle action tend au yrai
bonheur de l'homme , & que telle autre nuit à fa
félicité d'où ils concluent que la loi naturelle or
donne l'une & défend l'autre.
Cette loi , aufli ancienne que le genre humain
&
DECEMBRE. 1770. 195
& dictée par Dieu même , eft par conféquent fupérieure
à toute autre loi , Elle règne fur tout ce
globe & dans tous les tems . Toute loi humaine
qui lui eft contraire n'a point de validité , & celles
qui en ont ne tirent médiatement ou immédiatement
leur force & leur autorité que de cette
fource.
Mais , pour appliquer cette loi aux befoins de
chaque individu , il eſt toujours néceflaire de recourir
à la raiſon . Ce n'eft que par fon fecours
qu'on peut découvrir ce que la loi de la nature
preferit dans les différentes circonftances de la vie .
& qu'on peut trouver les moyens qui affurent le
mieux notre bonheur ; & , fi cette loi étoit auffi pure
, auffi parfaite qu'elle le fut du tens du premier
homme avant fa chûte , fi elle n'étoit pas troublée
par les paffions , obfcurcie par les préjugés , affoiblie
par les maladies ou l'intempérance , cette recherche
feroit facile & agréable, & nous n'aurions
pas befoin d'autre guide . Mais l'expérience de
chaque homme lui apprend , au contraire , que fa
railon eft corrompue , que fon efprit eft fubjugcé
par l'ignorance & par l'erreur. Delà font venus les
fecoursbienfaifans de la providence divine qui ,par
compaffion pour la foibleffe , l'imperfection &
1 aveuglement de la raifon humaine, a daigné, en
différens tems & de plufieurs manières , faire connoître
& obferver les loix par une révélation im
médiate & directe. Les doctrines qui nous ont é é
ainfi tranfmiles font ce qu'on appelle la loi révélée
ou la loi divine. Elles ne fe trouvent que dans
l'Ecriture Sainte.
Les loix naturelles & révélées font les deux
fondemens de toutes les loix humaines . Elles
I
194 MERCURE DE FRANCË:
n'ont point d'autre bafe & doivent toujours y être
conformes.
-
Cependant il y a un grand nombre de points
indifférens en eux - mêmes que les lois divines &
humaines laiffent à la liberté entière de l'homme ;
mais le bien de la fociété a exigé qu'on y mît des
bornes , & c'eft principalement en quoi confifte &
la force & l'efficacité des lois humaines ; car , à
l'égard des points qui ne font pas indifférens , elles
ne font rien par elles mêmes , elles ne font que
promulguer les lois divines & naturelles auxquelles
elles font fubordonnées . Le meurtre , par
exemple , eft défendu expreflément par la loi divine
& démonftrativement par la loi naturelle
c'eft de ces prohibitions que provient la véritable
illégitimité du crime ; les loix humaines n'ajoutent
rien à la faute morale en y attachant une
punition , & n'impofent aucune obligation nouvelle
au for intérieur. Quand ce crime nous feroit
permis ou même enjoint par une loi humaine
, nous ferions obligé de la tranfgreffer pour ne
pas délobéir aux loix naturelles & divines. Mais
l'égard des chofes qui font indifférentes par elles-
mêmes , & qui ne font ni ordonnées ni défendues
par ces lois fupérieures , telles , par exemple
, que l'exportation des laines chez l'étranger
la légiflation inférieure a la liberté d'interpofer
fon authorité & de rendre illégale une action qui
autrement ne l'étoit pas.
"Si l'homme ne devoit vivre que dans l'état de
nature , fans liaifon avec d'autres individus , il
n'auroit pas befoin d'autres loix que de celles de
la nature & de Dieu . Il n'eft même pas poffible
qu'il exiftât d'autres lois que celles- là , car une loi
DECEMBRE. 1770.
1.95
fuppofe toujours un fupérieur de qui elle émane ;
& , dans l'état de nature , nous fommes tous égaux
& n'avons d'autre fupérieur que l'auteur de notre
exiftence. Mais l'homme a été formé pour la fociété
, & n'a , comme l'ont obfervé quelques écrivains
fur cette matière , ni l'induftrie , ni le courage
de vivre feul . Il étoit cependant impoffible
que
toute la race humaine fût unie dans une grande
fociété ; elle fe partagea néceffairement en
plufieurs communautés qui forment aujourd'hui
aurant d'états , de, républiques & de nations féparées
, entierement indépendantes les unes des
autres , mais fufceptibles cependant d'une communication
mutuelle . De-là naît une troiſième efpèce
de loi pour régler cette correfpondance , qui
eft appelée la Loi des Nations ou le Droit des
Gens: & parce qu'aucun de ces etats n'en veut
reconnoître un autre pour fupérieur , elle peut
être dictée ni par les uns ni par les autres . Elle ne
peut donc dépendre uniquement que des règles de
la loi naturelle , des contrats , traités , alliances
& accords mutuels faits par les différentes communautés
entr'elles. Nous ne pouvons auffi , dans
l'établiffement de ces contrats , avoir recours à
d'autre règle que la loi de la nature , qui eft la
feule à laquelle toutes les communautés font également
affujettjes . C'eft pourquoi la loi civile obferve
, avec raifon , que quod naturalis ratio in
ter homines conftituit , vocatur jus gentium.
ne
Après avoir dit ce que j'ai cru néceffaire fur les
lois naturelles & révélées & fur celle des nations ,
je vais traiter plus amplement du fujet principal
de cette fection , fçavoir ; la loi municipale ou
civile , qui eſt une règle par laquelle les diftricts
particuliers , les communautés & les nationsfont
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
gouvernées , & qui eft ainfi définie par Juftinien :
Jus civile eft quod quifquefibi populus conftituit.
Je l'appelle loi municipale pour me fervir de l'expreffion
ufitée ; & , quoique ces mots dénotent parziculièrement
les ulages d'un feul municipium ou
ville libre , on peut cependant les appliquer avec
allez de juſtelle à un état ou une nation qui fe
gouverne par les mêmes loix & ufages.
Dans ce fens , la loi municipale peut être définie
une règle de la conduite civile ordonnée par
la puiflance fuprême de l'état , qui preferit les .
droits & qui défend les torts. Cherchons à expliquer
les différentes parties de cette loi d'après cette
définition.
Premièrement , c'eft une règle : ce n'eft pas un
ordre foudain & paffager donné par un fupérieur
à un particulier , mais un ordre permanent , uniforme
& univerfel. Ainfi un acte de la législation
fait pour confifquer le bien de Titius ou pour le
punir de haute trahifon n'entre point dans l'idée
de la loi municipale ; car l'effet de cet acte s'épuife
fur Titius feul & n'a aucun rapport avec la
communauté en général ; c'eft une fentence plurôt
qu'une loi . Mais, fi un acte déclare que le crime
dont Titius eft accufé fera regardé comme
haute trahison, alors la permanence , l'uniformité
& l'univerfalité le rendent une Règle. On l'appelle
encore ainfi pour la diftinguer d'un Avis ou d'un
Confeil que nous fommes les maîtres de fuivre ou
d'abandonner fuivant que ce qu'on nous conſeille
nous paroît plus ou moins raiſonnable ; car notre
obéiflance à la loi ne dépend pas de notre appro
bation , mais de la volonté de celui qui l'a faite.
Le confeil opère par la perfuafion , la loi par l'injonction
; le confeil n'agit que fur ceux qui font
DECEMBRE. 1770. 197
portés à le fuivre , la loi fur ceux même qui ne le
font pas.
On l'appelle encore une Règle pour la diftinguer
d'un contrat ou d'un accord . Un contrat eft
une promefle que nous faifons , & la loi eſt un
ordre qu'on nous donne. L'expreffion d'un contrat
eft , je veux ouje ne veux pas le faire ; celle d'une
loi eft , tu le feras ou tu ne le feras pas. Il eſt
vrai que le contrat porte avec lui une obligation
qui eft égale pour la confcience à celle d'une loi ;
mais l'origine de cette obligation eft différente.
Dans les contrats nous déterminons & nous promettons
l'exécution de telle ou telle chofe , avant
que nous foions obligés de la faire ; dans les lois
nous fommes obligés d'agir fans avoir rien déterminé
ou promis. C'eft par ces raifons que la loi eft
définie une règle .
La loi municipale eft auffi une règle de la conduite
civile. C'eft en quoi elle eft diftinguée des
lois naturelles & révélées , dont la première eft la
règle de la conduite morale , & la dernière de la
conduite morale & auffi de la foi. Elles regardent
l'homme comme une créature & lui indiquent fon
devoir envers Dieu , envers lui - même & envers
fon prochain , en l'envisageant comme un individu
ifolé . Mais la loi municipale & civile le regarde
auffi comme citoyen & lui impole envers
fon prochain d'autres devoirs que ceux de la puie
nature & de la religion , des devoirs qu'il s'eft
engagé de remplir en jouillant des avantages de
l'union commune , & qui demandent qu'il contribue
feulement pour fa part à la fubfiftance & à la
paix de la fociété .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
N
ANECDOTES.
I.
Un homme vicieux & hypocrite , fatiguoit
une affemblée par fes leçons de morale;
quelqu'un impatienté , lui demanda :
mais , Monfieur , faites vous tout ce que
vous dites ? Oui , répondit- il : en ce cas ,
vous ne dites donc pas tout ce que vous
faites.
I I.
que
Pic de la Mirande n'ayant pas encore
neuf ans , étoit déja fort célèbre par fon
efprit ; un docteur âgé , dir devant lui
les enfans qui avoient autant d'efprit que
lui dans leur jeuneffe , devenoient fouvent
ftupides avec l'âge ; l'enfant lui répartit
vivement : vous avez donc montré bien de
l'efprit dans votre enfance .
I I I.
Le poëte Théophile & le favant Pitard
eurent difpute enſemble : le favant , ennuyé
des équivoques & des méprifes du
DECEMBRE. 1770. 199
poëte , lui dit : M. Théophile , avec tout
votre esprit , c'est dommage que vous ne
fachiez rien, M. Pitard , tépartit le poëte
avec toute votre fcience , c'est dommage que
vous n'ayez point d'efprit.
I V.
Le docteur Swift pofféda en mêmetems
deux bénéfices , celui de Larcor &
de Rathbeggan ; tous deux l'obligeoient à
un fervice reglé ; il établit fa réfidence à
Larcor , & annonça à fes paroiffiens qu'il
leur liroit les prières le mercredi & le
vendredi. Le jour où il devoit officier
pour la première fois , la cloche fonna
avec grand bruit , le docteur fe rendit à
l'églife accompagné de fon clerc Roger ,
alla prendre fa place au pupitre , s'y affic
& attendit tranquillement que le monde
fe fûr affemblé. Après une demie heure ,
voyant qu'il n'y avoit que Roger avez
lui dans l'églife , il lui dit : Mon cher
ami , nous avons bien l'air de prier fouvent
dans le défert ; il commença les prières
& les continua jufqu'à la fin , au lieu
de dire , je te préfente ó Dieu , mes prières
& celles des fidèles raffemblés dans ton temple,
il difoit :je te préfente , ó Dieu , mes
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
prières & celles de Roger , &c. & il faifoit
les mêmes changemens par - tout où il
étoit queſtion d'une affemblée qui prioir.
Ses paroiffiens en furent inftruits ; quelques-
uns trouvèrent mauvais qu'il les eût
oubliés , & le lui témoignèrent : Venez ,
Meffieurs , leur répondit- il , quand je vous
verrai , je penſerai à vous.
V.
Le célèbre évêque Burnet dînoit un
jour avec le comte d'Uxbridge ; ce feigneur
étoit fort inftruit , mais il avoit une
imagination vive & romanefque qui nuifoit
fouvent à la vérité de fes récits ; il
avoit toujours mille faits à raconter ; les
plus vraisemblables paroiffoient incroyables
dans fa bouche. Le prélat , dans le
cours de la converfation , trouva l'occafion
d'obferver que tous les hommes ont
leur paffion dominante ; l'un aime le vin ,
l'autre , le jeu , un troiſième , les femmes,
un quatrième , l'argent , &c. Pour moi ,
ajouta til , je ne cache point que mon penchant
eft celui de mentir . Auffi , répondit
vivement le Comte qui fentit l'application
, étiez vous l'homme du monde le plus
propre à écrire l'hiftoire de votre tems .
DECEMBRE . 1770 . 201
LE
POUR
SCRUPUL E.
fe farder encore un peu .
La demi-devote Climène
Deniandoit humblement l'aveu
De fon cher directeur Arfène.
J'en mettrai peu , fi peu , qu'à peine...
J'entends , lui dit l'homme de Dieu ;
Entre la fainte & la mondaine
Vous voulez garder le milieu :
Or , comme en un pareil partage
Je crains quelque inégalité ,
Du fard je vous permets l'ufage ;
Mais n'en mettez que d'un côté.
Par M. de M- S.
LE BASSON .
JUSQU'AUX genoux trois puriflans villageois
Tenoient Lucas enfoncé dans la glace ;
Qui , reniflant & foufflant dans fes doigts ,
1 v
202 MERCURE DE FRANCE .
Faifoit très -laide & piteufe grimace.
Eh ! mes amis , pour Dieu faites- lui grace,
Dit un paflant qui plaignoit le pitaud .
Frère , répond le facriftain Thibaud ,
De notre bourg c'eft demain la grand'fête :
J'y chanterons l'office en faux bourdon ;
Et ce gros gars qui crie à pleine tête ,
Je l'enrhumons pour faire le baſſon.
M. DE MONCRIF.
François-Auguftin Paradis de Monctif,
Parifien , lecteur de la feue Reine & de
Madame la Dauphine , de l'académie
françoife & de celle de Nancy , eft mort
au palais de Thuilleries , où il avoit un
logement , le 13 Novembre 1770.
Il étoit un homme de lettres très eftimable
par les qualités du coeur & de
l'efprit , & par l'aménité de fes moeurs .
C'étoit le fentiment qui l'infpiroit dans
fes vers , & c'eft à fa fenfibilité qu'il doit
principalement fa réputation . Il a donné
un Effai fur la néceffité de plaire ; & , pour
compofer cet ouvrage , il n'a eu befoin
que de fe confulter lui- même. Les avanDECEMBRE
. 1770. 203
les
tures de Zeléïde ; les Ames rivales ;
Obfervations fur les Gens de Lettres ; le
Rajeuniffement inutile , rendent témoi
gnage de fes connoiffances & de fon imagination.
Ses romances fi naïves ; fes
chanfons fi naturelles ; cette douceur &
cette fimplicité d'expreffion qu'il mettoit
dans ces heureuſes bagatelles font voir
que ce poëte aimable étoit près de la
nature , & que l'art ne l'en écartoit point,
Il a célébré le bonheur d'aimer dans Zelindor
, Ifmene , Almafis , Erofine , &
dans beaucoup de poemes lyriques , genre
dans lequel fa muſe ſe plaifoit à exprimer
ce qu'il fentoit lui -même. Sa vie a été
douce & tranquille , & s'est écoulée fans
ennui. Il en a joui jufqu'au dernier moment
, au milieu de fes amis.
Approche- t-il du but , quitte -t-il ce féjour ,
Rien ne trouble la fin , c'eſt le foir d'un beau jour.
Voici les vers que M. de la Place , ſon
ancien ami , a écrits fur fa tombe.
«Des moeurs dignes de l'âge d'or ,
Ami fûr , auteur agréable ,
1:30
Ci gît qui , vieux comme Neftor ,
» Fut moins bavard & plus aimable.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
M. le Préfident HENAULT.
Charles -Jean - François Hénault , préfident
honoraire au Parlement , furinten .
dant de la maifon de Madame la Dauphine
, l'un des quarante de l'académie
françoife & de celle des infcriptions &
belles-lettres , eft mort à Paris le 24 Novembre
, dans la quatre-vingt -fixième
année de fon âge.
Vous , qui de la chronologie
Avez reformé les erreurs ;
Vous , dont la main cueillit les fleurs
De la plus belle poëfie ;
Vous , qui de la philofophie
Avez fondé les profondeurs ,
Malgré les plaifirs léducteurs
Qui partagerent votre vie ,
Henault , dites - moi je vous prie
Par quel art , par quelle magie ,
Parmi tant de fuccès flateurs
Vous avez défarmé l'envie.
Voilà l'hiftoire & l'éloge de cet homme
illuftre . Sa maiſon étoit une académie où
fe
raffembloient les talens en tout genre;
T
"
DECEMBRE. 1770. 205
il les honoroit & en étoit honoré. Un
goût fûr & délicat l'éclairoit fur la protection
& les éloges qu'il donnoit aux
effors du génie & du fentiment. Il compofa
lui-même des poëfies fort agréables ;
& il eut l'art de rapprocher dans fon
Abrégé Chronologique de l'Hiftoire de
France , tous les traits les plus intéreflans
qui caractérisent la nation ; fon pinceau
rapide & énergique a peint les hommes
célèbres . M. de Voltaire dit que nous
devons à cet homme , d'un géniefupérieur ,
la plus courte & la meilleure Hiftoire de
France , & peut - être la feule manière
dont il faudra déformais écrire toutes les
grandes hiftoires. Mais , ajoute t- il , il
fera difficile d'imiter l'auteur de l'Abrégé
Chronologique d'approfondir tant de
chofes en paroiffant les effleurer.
C'eft pour lui que M. de Voltaire a
adreffé ces vers charmans à la Santé.
O déeffé de la fanté ,
Fille de la fobriété
Et mère des plaifirs du fage ,
Qui , fur le matin de notre âge ,
Fais briller ta vive clarté ,
Et répand la férénité
Sur le foir d'un jour plein d'orage.
206 MERCURE DE FRANCE.
O déeffe , exauce mes voeux ;
Que ton étoile favorable
Conduife ce mortel aimable :
Il eft fi digne d'être heureux !
Sur Hénault tous les autres dieux
Verfent la fource inépuisable
De leurs dons les plus précieux.
Toi , qui feule tiendrois lieu d'eux ,
Serois tu feule inexorable ?
Ramène à fes amis charmans
Ramène à fes belles demeures
Ce bel efprit de tous les tems ,
Cet homme de toutes les heures.
Orne pour lui , pour lui fufpens
La courfe rapide du tems ,
Il en fait un fi bel uſage :
Les devoirs & les agrémens
En font chez lui l'heureux partage.
Les femmes l'ont pris fort fouvent
Pour un ignorant agréable ;
Les gens en us pour un favant ,
Et le dieu joufflu de la table
Pour un connoifleur fi gourmand.
Qu'il vive autant que fon ouvrage ;
Qu'il vive autant que tous les rois
Bont il nous décrit les exploits ,
Et la foibleffé & le courage ,
Les moeurs , les paffions , les loix ,
DECEMBRE. 1770. 207
Sans erreur & fans verbiage.
Qu'un bon eftomac foit le prix
De fon coeur , de fon caractère ,
De fes chanfons , de fes écrits.
Il a tout , il a l'art de plaire ,
L'art de nous donner du plaifir ,
L'art fi peu connu de jour
Mais il n'a rien s'il ne digère .
M. de la Place a jeté auffi quelques
fleurs fur la tombe de M. le Préfident
Henault fon parent & fon ami.
« Ainfique les vertus les talens n'ont point d'âge ,
Dans les écrits jamais on n'entrevit le fien ;
59 Il lut l'hiftoire en philofophe , en fage ,
Il l'écrivit en citoyen. »
ARRÊTS , DÉCLARATIONS , &c.
ARRÊT
I.
RRÊT du confeil d'état du Roi , du 28 Mai
1770 ; concernant les ouvrages d'orfévrerie deftinés
pour les pays étrangers & pour les colonies,
I I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 20 Juin
770, & Lettres - patentes fur icelui , regiſtrées
268 MERCURE DE FRANCE.
en la chambre des Comptes le 31 Juillet 1770 ;
concernant les payemens & folde des officiers &
cavaliers de maréchauffée .
III.
Déclaration du Roi , donnée à Marli le z Juillet
1770 , regiſtrée à la chambre des Comptes le
13 Septembre fuivant ; portant continuation du
Prêt & Annuel pendant fix années , qui commenceront
au premier Janvier 1771 , & finiront au
dernier Décembre 1776 , aux officiers de judicature
, de maîtrife & de finance de Lorraine & Barrois.
I V.
Lettres -patentes du Roi , données à Marli le s
Juillet, regiftrées en la chambre des Comptes le 17
fuivant, qui ordonnent la converfion des Rentes de
Tontines , en Rentes purement viagères , à compter
du premier Janvier 1770.
V.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le r
Juillet 1770 ; portant confirmation des privilèges
des Tréforiers de France.
VI.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 8 Septem
tembre 1770 ; qui ordonne que par le fieur Intendant
& Commiflaire départi en Bourgogne
Brefle , Bugey , Valromey & Gex , il fera inceffamment
procédé , pour & au nom de Sa Majeſté ,
à l'acquifition des terreins & emplacemens compris
dans l'enceinte de la ville de Verfoix.
DECEMBRE. 1770. 209
VII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 16 Septem
bre 177 ; portant augmentation des droits fur
les peaux & poils de lapins & lièvres , à la fortie
du royaume.
VIII.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 13 Datebre
1770 ; qui accorde , jufqu'au premier Janvier
1771 , aux officiers des chancelleries , pour payer
l'augmentation de Finance qu'ils doivent en exécution
de l'édit du mois de Février dernier , & qui
ordonne que ce délai expiré , ceux qui feront en
retard demeureront déchus de leurs privilèges .
I X.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 3 Novembre
1770 ; qui fixe à quatre - vingts le nombre des
bureaux de la loterie de l'école royale militaire ,
dans l'étendue de la ville & faubourgs de Paris ,
&c.
X.
Déclaration du Roi , da 4 Novembre 1770 ;
donnée à Fontainebleau le 4 Novembre 1770;
qui fixe le tems pendant lequel les officiers comptables
demeureront dépofitaires des parties non
réclamées.
X I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 18 Novem
210 MERCURE DE FRANCE.
bre 1770 ; qui ordonne que le remboursement des
principaux de l'emprunt fait par la compagnie des
Receveurs généraux des finances , fera fait par
ordre de numéros des contrats de conftitution &
des promeffes de pafler contrat.
AVIS.
1 .
Cours de Mathématiques.
M. DUPONT Profeffeur de Mathématiques ,
commencera le 18 Novembre 1770. dans fon
Ecole , rue neuve S. Méderic , pour fon cours
gratuit des Dimanches , l'Algèbre de M. Bezoul.
Les leçons commencent depuis fept heures
du matin jufqu'à dix . Il donne préfentement la
Géométrie , l'Algèbre ( qui a été précédé de l'Arithmétique
) & la Méchanique.
Il ne reçoit perfonne qui ne fe foit fait inf
crire auparavant chez lui.
Dans fon cours public il donne , fans aucun
congé ni vacance toutes les après-midi depuis
trois heures jufqu'à fept heures du foir' ; l'Arithmétique
, la Géomètrie & la Mécanique ; il fuit
alternativement , fur ces trois parties , les OEuvres
de Meffieurs Camus & Bezoul.
Il donne auffi trois fois par ſemaine l'Algébre
de M. Bezoul & la Dynamique de M. l'Abbé le
Boffu. Les trois autres jours , le matin , font emDECEMBRE
. 1770. 211
ployés au deffein pour la Carte , le Paysage & la
figure , dont il a un excellent Maître ; lefquels
mêmes jours depuis onze jufqu'à une heure , il
donne un Cours fur la Navigation , ` fuivant
Meffieurs Bouguer , Bezoul , &c.
2
>
où toutes
Il fait un examen public à ceux de fes Elèves
Ics plus avancés une fois mois ,
par
perfonnes font invitées & peuvent leur faire
des queftions relatives aux leçons qu'ils ont luivies
.
C'eft la feizième année de fes Cours.
Monfieur Briffon , de l'Académie Royale des
Sciences , Maître de Phyfique & d'Hiftoire Naturelle
des Enfans de France , & Profeffeur Royal
de Physique Expérimentale , commencera dans
les premiers jours de Décembre , un Cours particulier
de Phyfique Expérimentale , dans fon
Cabinet , rue du Jardinet , Fauxbourg S. Germain.
Ceux qui voudront fuivre ce Cours , fa
feront infcrire chez lui avant l'ouverture ,
I I.
६.
On a mal-à-propos annoncé dans une Gazette
étrangère que M. Pomme médecin confultant du
Roi s'étoit retiré de Paris ; il eft vrai que des
affaires & la raifon de fa fanté l'ont appelé
pendant quelque tems dans la Provence fa Patrie
; mais il eft préfentement revenu dans la
capitale où il continue de vacquer aux foins des
malades qui appellent fou fecours ; & ce qu'un
Gazetier a allégué contre lui eft faux dans tous
fes points , comme il eft facile de s'en afſurer.
211 MERCURE DE FRANCE.
I I I.
Manufacture royale de vaiffelle de cuivre
doublée d'argent fin , par le Sr Degour
nay , ci devant ingénieur du Roi , &
inventeur de cette nouvelle fabrication
en France ; établie à Paris , quartier du
Pont aux Choux , rue de Popincourt
au bout de la rue S. Sébastien , près la
barrière. Son magafin au palais marchand
, à côté de M. de la Freney, Mde
de porcelaine , fera ouvert le 20 de
Décembre.
Conditions auxquelles le Sr Degournay ,
entrepreneur de cette manufacture, s'en
gage :
1. L'Entrepreneur eft tenu à faire la doublure
de fes uftenfiles avec l'argent le plus fin &
le poids toujours relatif à l'un des trois titres
fuivans fçavoir , le fixiéme , le cinquième &
quatrième du poids total qui lui font enjoints ,
ce qui doit être marqué de l'un de fes poinçons ,
lefquels , pour la fûreté du public , font infculpés
au Greffe de la cour des Monnoies ; & afin qu'on
ne puiffe être trompé , leur caractère eft un I
placé au deffus de trois chiffres 6 , § , 4 , latéra
lement font les lettres AG , le tout furmonté
d'une couronne ; mais le fixiéme du poids d'argent
étant le titre qui paroît mieux convenir à
DECEMBRE. 1770. 213
,
roeconomie & à la nature d'une bonne cafferole,
dont les qualités requierent du poids , fera préférable
, pour éviter que l'on ne brûle les mets
qu'on y préparera ; ce qui arriveroit infailliblement
dans une cafferole mince : ce titre convient
d'autant mieux encore , que dans trois marcs
il s'y rencontre quatre onces d'argent , & qu'enfemble
les trois marcs , argent , cuivre & façon
ne reviennent qu'à quarante- huit livres ; le marc
au titre du fixiéme du poids étant fixé à ſeize
livres , celui du cinquiéme à dix - neuf livres , &
celui du quart à vingt-une livres , pour tout ce
qui eft de batterie de cuifine & de vaiffelle
plate.
2º . Si , dans le cas de récurage avec une matière
non graveleufe ou une compofition qu'on
fournit à la manufacture , qui enlève dans l'inf
tant & avec la plus légère impreffion du doigt
le noir & le gratin que la préparation de certains
mets occafionne à la fuperficie de l'argent ,
les pièces de cuifine venoient à s'ufer , de manière
dans le cours de trois ou quatre années
, l'argent fe trouve percé ; l'Entrepreneur
s'engage à les reprendre à moitié prix de leur
acquifition.
que ,
3. L'entrepreneur s'engage de plus à repren
dre fes vieux uftenfiles après l'ufage de neuf-àdix
années , au prix de fix livres le marc.
On fabrique dans cette manufacture tous les
vaiffeaux & uftenfiles qui compofent la batterie
de cuifine , ainfi que ceux de table , comme
affiettes contournées , plats , terrines , foupières,
pots à oil , pots à bouillon , pots à l'eau , néceffaires
, cafetières , chocolatières , &c. fimples &
214 MERCURE DE FRANCE.
ornées , & le cuivre recouvert de toute couleur
vernis imitant l'émail. Le tout à juſte prix.
On avertit le public qu'il fe peutfaire de mauvaifes
contrefactions qui feroient très - dangereufes
la foudure qu'elles contiennent , &qu'il n'y
a aucun danger avec les uftenfiles duſieur Degournay,
qui ont été feuls approuvés par l'Académie
des Sciences , & la Faculté de Médecine .
I V.
Eau vulnéraire fpiritueufe d'une nouvelle
compofition pour fortifier les gencives ,
& entretenir la propreté des dents.
Cette préparation eft due à M. BEAUPREAU ,
maître en Chirurgie & dentiſte de Paris qui en
a donné la defcription dans un petit ouvrage
intitulé : Differtation fur la proprété & confervation
des dents , imprimée à Paris en 1764. Depuis
ce tems , l'auteur l'a employée avec beaucoup
de fuccès dans les cas fuivans ; 1º. lorfque
les gencives font fanguinolentes , c'eſt-à - dire
qu'elles faignent facilement à la moindre fuccion
, pourvu que cet accident ne dépende pas
de la préfence du tartre , dans ce cas il faudroit
le faire enlever pour que ce remède produisît fon
effet ; 2. dans les gencives molles , fanieufes &
légèrement purulentes ; il eft dit légèrement purulentes
, car fi la fuppuration avoit détaché les
gencives de deffus la racine des dents , il faudroit .
feconder fon action d'un léger cauftique.3 ° . Elle
DECEMBRE. 1770. 215
produit de très-bons effets dans les aphtes & chaleurs
des gencives ou de l'intérieur de la bouche.
4°. Dans les affections fcorbutiques & appauvriffement
des liqueurs , fecondée des moyens intérieurs.
5º. Dans l'ufage des préparations mercurielles
. 6. Dans les affections des gencives pendant
la groffeffe & après l'accouchement , &c.
79. Elle enlève la matière vifqueufe qui fe trouve
fur les dents , qui eft le principe du tartre ( &
non le tartre , ce qui feroit un moyen très- dangereux
) dans ce dernier cas.
On peut aider fon action de quelques poudres
ou opiats dentifrices.
Cette liqueur contient une matière éthérée qui
rend fon odeur & fa faveur très - agréables ; elle
s'emploie pure en imbibant une éponge ou un
peu de coton dont on fe frotte les dents & les
gencives. Il n'eft pas néceffaire de rincer fa bouche
après , on peut le faire avant & ratifler fa
langue. Si elle excitoit une légère cuiffon fur les
gencives & fur les lévres , il faudroit humecter
l'éponge ou le coton avec de l'eau commune.
On trouve de cette eau vulnéraire chez le
fieur Riffoan , marchand épicier-droguifte , carrefour
de Buffy , à Paris.
v.
Le fieur Pierre Bocquillon , marchand Gan→
tier-parfumeur , rue S. Antoine , à Paris , entre
l'églife S. Louis des meffieurs de fainte Catherine
& la rue Percée , vis- à - vis celle des Ballets , à la
Providence à Paris , continue de débiter avec un
216 MERCURE DE FRANCE.
heureux fuccès par permiffion de M. le Lieute
nant-général de police & de Meffieurs de la Faculté
de médecine de Paris , le véritable tréfor
de la bouche , dont il eft le feul poſſeſſeur , &
guérit les maux de dents , & ôte toutes corruptions
qui pourroient furvenir dans la bouche ,
raffermit les gencives , rend l'haleine douce &
agréable , & c. Les bouteilles font à 10 liv. 3 liv.
& 24 fols. Le public eft prié de fe tenir en garde
contre ceux qui contrefont cette liqueur. L'auteur
a la précaution de mettre fur les bouchons
de la bouteille , ainfi que fur les imprimés qu'il
donne pour enfeigner la façon de s'en fervir ;
fon nom de baptême & de famille figné & paraphé
de fa main , il a ſon tableau à ſa porte.
Le fieur Boquillon tient auffi magafin de la
véritable cau de Cologne à trente fols la bouteille.
V I.
Le Sr Roger marchand Orfévre , Jouaillier- Bijoutier,
ci-devant au chapelet d'or, fur le pont au
Change, demeure actuellement à l'hôtel des Amériquains,
rue S. Honoré, entre la rue des Poulies
& l'Oratoire , ou fous le veftibule de l'Opéra pendant
le fpectacle. Il fait vend & raccomode toutes
fortes de bijoux : on trouve chez lui les vraies
pierres de Cayenne , montées dans le goût le
plus nouveau il donne à ces pierres l'éclat du
diamant , rend les nuances & couleurs de celles
qui lui font préfentées ; il fait des bagues qui
imitent parfaitement le fin ; il fait envoi dans
le royaume & le pays étranger.
>
VIL
DECEMBRE . 1770. 217
VII.
La dame Beaufort donne avis qu'elle feule
poffède un fecret de compofer une pommade
pour le teint. Sa propriété eft de rendre la peau
belle & fraîche. Elle éteint promptement les
marques de la petite vérole & ôte les boutons
& mafques ; comme auffi de réparer le dommage
qu'auroient pû caufer d'autres pommades. II
faut s'en fervir matin & foir , & s'effuier avec
un linge fin , fans craindre que cela ne tache.
Le prix des pots eft de deux livres . On les
délivrera rue de Grenelle S. Honoré chez mademoiſelle
Carron , marchande de Modes , à la
Bergère des Alpès .
On la trouvera tous les jours , excepté les
fêtes & dimanches . Ceux qui voudront lui écrire
auront la bonté d'affranchir leurs lettres.
VIII.
Le Conte , au mortier d'argent , carrefour de
la Croix Rouge , au coin de la rue du Four , marchand
épicier droguifte & diftillateur , breveté du
Roi , tient magafin de toutes fortes d'épiceries ,
liqueurs & vins de liqueurs , tant de Marafquin ,
diftillateur à Gênes , que des Ifles & de Paris ; fyrop
& confitures ; fabrique le chocolat de toute
Гресе.
Les liqueurs de Marafquin, diftillateur à Gênes,
& des ifles , à 6 liv la bouteille de pinte ; & celles
faites par le Sr le Conte , imitant celles du Sr Marafquin
, &des ifles , à 4 liv . la bouteille.
K
218 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , le 17 Octobre 1770.
ON
N mande que Haflan Bey s'eft mis , le 9 de
ce mois , à la tête d'un corps de troupes de trois
mille quatre cens hommes , & qu'il eft parti des
Dardanelles pour aller délivrer le château de Lemnos
; le tranfport s'eft fait heureuſement , ainfi
que le débarquement dans l'ifle. Il a marché aux
afliégeans , tant Grecs que Rufles , les a taillés en
piéces , s'elt emparé du canon qui fervoit au fiége
& a délivré le château . La garnifon avoit donné ,
ce jour- là même , des otages & devoit évacuer la
place le lendemain . Haflan Bey a brûlé un petit
brigantin ruffe qui mouilloit dans une calanque .
Cette affaire a coûté aux Ruffes deux mille cinq
cens Grecs qu'ils avoient à Lemnos & environ
quatre cens hommes de leurs troupes.
Les dernières nouvelles d'Ifacktcha portent que
le Grand Vifir faifoit des difpofitions pour pren
dre en flanc les Rufles , du côté de la Valachie , où
il fe trouve deux Pachas avec vingt mille hommes
& un corps de vingt mille Tartares : elles ajoutent
qu'on formoit auffi un détachement de dix
mille hommes que commande Dagueſtan Ali Pacha
& qui doit opérer fur la droite,
Extrait d'une Lettre écrite du Caire , le 11
Septembre 1770.
Le Gouvernement promet fa protection aux
Etrangers qui voudiont s'établir à Gedda ou ailDECEMBRE
. 1770 . 219
leurs , & cette promeffe donne déja licu à différens
projets de commerce que forment les Européens
qui fe trouvent ici . En attendant qu'on en
voie l'exécution , le Gouvernement fe propoſe
de faire embarquer le caffé & les autres productions
de l'Arabie Heureufe pour le Suez , d'où ils
feront tranfportés en cetteVille ,où l'on prétend en
établir l'entrepôt général , afin d'y attirer, par ce
moyen , le commerce de l'Inde.
De Dantzick , le 22 Novembre 1770.
Le fieur Kozukowski , qui , comme on l'a déja
annoncé , á dépofé , il y a quelques mois , au
Grod d'Olwieczim , un acte par lequel il annonce
la vacance du trône de Pologne , eft déclaré ,
ainsi que les membres de ce Grod , criminel de
leze- majefté par le manifefte que le fieur Krajewski
, grand inftituteur de la couronne , a fait
inferire dernierement dans les regiſtres du Grod
de Warfovie.
De Warfovie , le 2 Novembre 1770.
>
On a appris ici , par un courier dépêché de l'armée
du Feld marechal Comte de Romanzow
.que le Brigadier Igelftroom s'eft emparé , par capitulation
, de la fortetefle de Bielgorod & qu'il
y a trouvé environ foixante - dix pièces de canon.
Cette forterefle , qui porte auffi le nom d'Akerman
ou Ville Blanche , eft fituée à peu de diftance
de Kilia -Nova , à l'endroit où le Niefter fe
décharge dans la mer noire. Les mêmes avis ajoutent
que ce Général avoit fait défiler fes troupes
vers la Valachie pour y prendre des quartiers d'hiver
.
Il y a , chez le Grand-Maréchal de la Couron-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
ne , de fréquentes conférences qui ont , à ce qu'on
dit , pour principal objet le rétabliſſement de la
tranquillité publique. On parle du projet d'une
diete de pacification , à laquelle les Confédérés de
Bar eux mêmes feront invités à affifter , & l'on
ajoute qu'elle se tiendra fous la protection de la
Ruffie .
·
On aflure que tous les Juifs établis dans l'empire
de Ruffie ont ordre d'en fortir , & que ceux
qui étoient à Riga en font déjà partis. Le bruit
court qu'ils feront auffi expulfés de la Courlande.
De Vienne , le 10 Novembre 1770 .
Suivant des nouvelles de Bucharest , en Valachie
, la nuit du 15 au 16 du mois dernier , Soliman
Pacha qui commande dans Braïlow a fait fur
les Rufles une fortie vigoureufe , & a battu fi complétement
les affiégeans , qu'ils ont été obligés de
lever le fiége & de fe retirer .
De Coppenhague , le 20 Octobre 1770.
Le Roi , jugeant que la liberté de la preffe eft
un des moyens les plus efficaces pour accélérer les
progrès des fciences , vient de l'introduire dans
tous les pays de fa domination . En conféquence ,
Sa Majesté a fait publier un refcript , daté du château
de Hirscholm , le 14 du mois dernier , par
lequel Elle exempte de toute elpèce de cenfure
tous les livres qui s'imprimeront dans fes états .
De Dunkerque , le 13 Novembre 1770.
On a pris ici toutes les précautions poffibles
pour préferver le pays de la communication de
la pefte. Dès les premiers jours du mois dernier ,
les magiftrats ont fait monter à bord de la CorDECEMBRE
. 1770. 221
à
vette des pilotes- côtiers une capitaine de navire ,
avec ordre de ne permettre l'entrée du port
aucun navire venant de la Baltique , fans être
affuré par des certificats authentiques & des lettres
de fanté , que non -feulement il ne venoit
pas des lieux infectés de la contagion , & qu'il
n'avoit ni relâché ni communiqué avec aucun
navire fufpect , mais encore que fa cargaifon
étoit du crû ou des fabriques du pays ou d'autres
endroits fains . On a établi enfuite une chaîne
fur le Chenal , pour fermer l'entrée du port , dans
le cas où quelque navire voudroit entrer fans
permiffion : la garde a ordre de faire feu en cas
de réfiftance. Les magiftrats ont pris auffi des
précautions pour prévenir les défaftres & échouemens
le long de la côte ; ils y ont pofté des gardes
, pour obferver ce qui s'y paffe le jour & la
nuit . Ces gardes ont ordre , dans l'un ou l'autre
cas , de fe rendre fur les lieux , de s'affurer des
perfonnes , de s'informer des circonftances , de
les conduire au Lazaret établi pour cet effet fur
la côte , & de les y garder jufqu'à ce que , d'après
le rapport & l'examen des papiers , les
magiftrats en aient autrement ordonné : enfin
il leur eft enjoint d'enterrer les cadavres que
la mer jetera fur la côte . Ces précautions ont
été approuvées par le miniftère , qui a chargé
le fieur de Caumartin , intendant de la Province ,
de donner les ordres qu'il jugera néceffaires ,
& que les magiftrats feront exécuter ponctuellement.
De Paris , le 23 Novembre 1770.
Le 19 de ce mois , le marquis de Paulmy ,
protecteur de l'académie de Saint Luc , y a fait
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
la diftribution des prix aux élèves qui les ont
mérités. Le premier prix , qui confifte en une
médaille d'or , a été adjugé au fieur Sauvage
peintre ; le fecond , au fieur Cafin , peintre , &
le troisième , au fieur de Vauge , ſculpteur.
De Marfeille , le 16 Novembre 1770 .
>
Le fieur Lemaire , conful de France dans la
Morée , eft arrivé ici , depuis quelques jours ,
avec fa famille , de la ville de Coron , où il
faifoit fa réfidence , & qu'il a été obligé d'abandonner
, lorfque l'efcadre Ruffe , aux ordres du
comte Orlow , en entreprit le fiége . Il a été accompagné
dans fa retraite par les négocians
François qui étoient établis fur cette échelle ;
ceux ci ont perdu , dans cette circonftance , la
plupart de leurs effets , dont une partie leur a été
enlevée par les Maïnotes qui s'étoient joints aux
Ruffes , & une autre partie a été perdue par le
naufrage d'un des bâtimens fur lefquels ils s'étoient
embarqués avec ce qu'ils avoient de plus
précieux. Les négocians François établis à Modon
, Navarino , Patras , & dans les autres
villes de la Morée ont éprouvé le même fort ,
par des événemens à - peu-piès femblables .
On mande du Caire , que le retardement de
la crue du Nil n'a permis , cette année , de
couper ce fleuve , c'eft- à- dire , d'en introduire
les eaux dans les canaux qui les diftribuent dans
toute la Baffe- Egypte , que le 17 Août. Comme
cette opération doit être faite dès les premiers
jours du même mois pour procurer une bonne
récolte , ce retardement a fait doubler le prix
DECEMBRE. 1770 . 223
"
du bled ; le Gouvernement , voulant prévenir
une difette , a ordonné un achat confidérable
de cette denrée à Saint -Jean - d'Acre , port de la
côte de Syrie , d'où l'on apprend que plufieurs
bâtimens font déja partis pour Alexandrie avec
des cargaifons de grains .
PRESENTATIONS .
Le 28 Octobre , le Prince de Marfan , chevalier
des ordres du Roi , lieutenant - général de
fes armées , cut l'honneur de prêter ferment
entre les mains de Sa Majefté , pour le gouvernement
de la Provence. Le chevalier de Viry ,
moufquetaire noir de la garde ordinaire du Roi ,
eut auffi l'honneur de prêter ferment' pour la
lieutenance de Roi de la Province du Bourbonnois.
Le fieur Perrache , de l'académie des fciences ,
belles - lettres & arts de Lyon , auteur d'un projet
, approuvé au Confeil , pour la conftruction
d'un nouveau quartier , qui fera établi dans les
lits du Rhône & de la Saône , au confluent de
ces deux rivières , a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi , le 26 Octobre par le ficur Bertin ,
miniftre & fecrétaire d'état .
Le comte de Guines , maréchal de camp ,
ambaffadeur du Roi auprès de Sa Majefté Britannique
, & ci -devant miniftre plénipotentiaire
auprès du Roi de Pruffe , a pris congé de Sa
Majefté ce même jour , pour fe rendre à Londres
. Il a eu l'honneur d'être préfenté au Roi
par le duc de Choifeul , miniftre & fecrétaire
224 MERCURE DE FRANCE.
d'état , ayant le département de la guerre &
des affaires étrangères .
Le fieur de Clugny , maître des requêtes , cidevant
intendant de la marine de Breft , qui
vient d'être nommé par le Roi , intendant général
de la marine & des Colonies , a eu l'honneur
de faire , le 25 Octobre , à cette occafion ,
fes très - humbles remercimens à Sa Majeſté , à
qui il a été préfenté par le duc de Praflin , miniftre
& fecrétaire d'état , ayant le département
de la marine.
NAISSANCES.
On mande d'Anjou , que la femme d'un nommé
le Roux , habitant de Verné , paroiffe de cette
Province , eft accouchée au mois d'Août dernier
, de trois enfans , qu'elle allaite elle- même
, & qui fe portent très bien. La même
femme étoit accouchée de deux enfans , neuf
mois auparavant.
MORT S.
, Charlotte - Amélie ducheffe de Holftein-
Sonderbourg , née Princeffe de Holftein -Ploen ,
eft morte à Auguftbourg , des fuites d'une couche
, dans la vingt- feptième année de fon
âge.
François Mazurier , laboureur , né au bourg
de Bubertray , Bailliage & Election de Mortagne
DECEMBRE. 1770. 225
en Perche , eft mort dans ce bourg le 8 Octobre
, âgé de 102 ans . Il n'avoit jamais eu d'autre
maladie que celle dont il eft mort. Il étoit
veuf depuis trois ans , & fa femme eft morte
âgée de 96 ans.
La comteffe de Durfort , mère du comte de
Durfort , maréchal de camp , eft morte dernièrement
, âgée de 70 ans.
Charles -Yves le Vicomte , comte du Rumain ,'
maréchal des camps & armées du Roi , gouver
neur pour Sa Majefté de la ville & château de
Morlaix , eft mort ici le 15 Octobre , âgé de
86 ans.
LOTERIES.
Le cent dix - huitième tirage de la Loterie de
l'hôtel - de - ville s'eft fait , le 25 du mois dernier ,
en la maniere accoutumée . Le lot de cinquante
mille livres eft échu au No. 16109. Celui de vingt
mille livres au Nº . 17110 , & les deux de dix mille
aux numéros 14010 & 17969 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait le s du mois dernier. Les numéros fortis
de la roue de fortune font , 14 , 63 , 31 , 18 , 78. Le
prochain tirage fe fera les Décembre.
226 MERCURE DE FRANCE .
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
Suite du Printeins ,
L'Efpérance & la Crainte , fable ,
Vers à M. le M. de B. ,
Effets de la jaloufie ,
La Sagefle , Ode ,
Vers fur la revue du régiment du Roi ,
Le Jeu de l'Oye , Proverbe ,
Les Souhaits ,
Vers à Mde de C. ,
A Mile Olympe ,
ibid.
13
14
is
18
22
23
36
37
38
A m . Allégrain ,
A ma Maîtrefle ,
A Mde V *** ,
Réflexions ,
Epigramme ,
Autre ,
Autre ,
Madrigal
,
Autre ,
39
ibid.
40
41
43
ibid
44
ibid.
45
ibid.
Impromptu ,
Epigramme ,
Autres ,
Velfort. Nouvelle angloife ,
Dialogue entre Elifabeth & Henri IV ,
46
47
ibid.
$7
DECEMBRE . 1770 .
Explication des Enigmes & Logogriphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Amuſemens dramatiques,
Révolutions d'Italie ,
Code de la Religion & des Moeurs ,
Hiftoire de l'Eglife de Lyon ,
Voyage pittoresque de Paris ,
Hiftoire littéraire de la Congrégation de St
Maur ,
Elémens de l'hiftoire de France ,
Hiftoire des maladies de St Domingue ,
L'Arithmétique démontrée , opérée & expliquée
,
Poëfies tirées des faintes Ecritures ,
Journal de la cour de Louis XIV ,
La Murio - Métrie ,
Précis de la matière médicale ,
Tableau hiftorique des gens de lettres ,
Mémoires hiftoriques par M. du Belloy ,
L'Obfervateur François à Londres ,
Gazette univerfelle de littérature ,
Nouvelle méthode géographique ,
Rapport au fujet de la géographie de M.
l'Abbé de la Croix ,
Quinti Horatii Flacci Opera ,
Les douze Céfars traduits par M. de la
Harpe ,
70
71
74
77
ibid.
82
84
86
90
91
འམ་
93
94
95
96
97
୨୨
100
103
108
169
IIL
114
120
121
122
128 MERCURE DE FRANCE.
La Nimphomanie ,
130
Idées fur Molière , 133
Avis au Public , 143
Lettre de M. Groſley ,
145
Queftion ,
149
Montre à carillon ,
ibid.
SPECTACLES , Concert fpirituel ,
150
Opera ,
ISI
Comédie françoile , 152
Coménie italienne , 155
ACADÉMIES . 158
ARTS , Gravure , 168
Géographie ,
175
Mufique , 176
ANECDOTES ,
Lettre de M. Rigoley , fur un automate ,
De la nature des loix en général ,
Epigrammes ,
Eloge de MM. de Moncrif & le Préfident
Hénault ,
181
189
198
201
Arrêts , déclarations , & c .
AVIS ,
Nouvelles l'olitiques ,
Naiffances , morts ,
Loteries,
202
207
210
217
224
225
APPROBATIO N.
J'At lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Decembre 1770 , & je n'y ai
rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher
l'impreffion, A Paris , le 29 Novembre , 1770.
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe
Qualité de la reconnaissance optique de caractères